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Full text of "Essai sur le poète Saadi, suivi d'une bibliographie"

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Henri    MASSh 

Docteur   <»-l<llrc* 


ESSAI 


SUR 


LE   POKTK  SAAIH 


SUIVI     DINL     lUBLlOC.HAl'lilK 


PAHIS 
LIBRAIRIE     PAUL     GEUTHNER 

13,    HUE  JACOB,    13 


ESSAI 

SUK 


LE  POÈTE  SAADl 


Henri    MASSÉ 


Docteur   cs-lettrct 


ESSAI 


SUR 


LE  POÈIK  SAADI 


SUIVI    D'UNK    BIBLIOGHAIMIII 


PARIS 
LIBRAIRIE     PAUL     GEUTHNER 

13,    HUE  JACOB,    13 


UNIVERSITY  or-  TORONTO 

LIBRARY 
MASTER  NEGATIVE  NO.: 
3Jç?./y^ 


FILIàK    CARlSSJMAh' 

ou  MEMOniAM  CUSTODŒSDAM 

S.  T.  T.   L. 


AVEHTISSKMKNT 


Lo  but  du  présent  travail  est  double  :  d'une  part,  établir 
ou  du  moins  rechercher  les  niotiis  de  goûter  le  poète  Saadi 
et.  par  suite,  la  lilléialure  j^ersane  .lujourd'hui  (juehjue  peu 
délaissée  en  France  ;  d  autre  pari,  de  ce  poète  aussi  célèbre 
qu'imparfaitement  connu,  tenter  un  esi^ai  de  monographie 
résumant  ce  que  1  on  connaît  de  son  épocjue  et  de  son  art. 
Les  ouvrages  sur  la  littérature  des  peuples  musulmans  sont 
jusiju'h  présent  peu  nombreux  ;  et,  s'il  existe  à  propos  de 
Saadi,  soit  des  articles  sur  un  aspect  particulier  de  son 
œuvre,  soit  de  courtes  biographies,  un  travail  d'ensemble 
n'avait  pas  encore  été  composé.  Car  celui  de  Kholmogorow 
ne  mérite  réellement  pas  ce  nom,  ainsi  qu'une  analyse  som- 
maire en  donnera  la  preuve  {C.ï.  Bibliographie  de  Saadi  : 
Saadi  et  les  orientalistes,  année  1865). 

Cet  essai  sur  Saadi,  suggéré  j)ar  M.  Hené  Basset,  doyen 
de  la  Faculté  des  lettres  de  l'iniversité  d'Alger,  lui  aurait 
été  dédié,  si  l'auteur  n'avait  dû  le  consacrera  la  mémoire 
d'un  être  toujours  regretté.  Que  M.  Hené  Basset,  cependant, 
veuille  bien  trouver  ici  le  témoignage  d'une  profonde  et 
durable  gratitude,  car.  sans  lui,  cette  étude  sur  un  vieux 
poète,  interrompue  par  les  circonstances,  n  aurait  peut-être 
jamais  vu  le  jour. 


^^^^^^^^»^M^WVS^V^MVWMMM^^»MW^*^ 


PHKMH-Hi:  PAinii- 


L'HOMME 


M.    -   I 


cil  \i'i  1  iii':  I'I;i:mii:i; 


LA     VIK 


Kliidier  un  écrivain  sans  s'eirorcer  de  le  rallacher,  par 
tous  les  nioytMis  dunl  on  dispuso,  aux  événcnienls  de  son 
çpoque.  parail  à  peu  près  iinj)ossible.  Sans  doule,  il  esl, 
dans  l'hisloire  de  la  lill»''ialure,  des  hommes  qu'une  indivi- 
dualilé  loule-puissanle  isole  de  la  foule.  Alors  que,  pour  la 
plupart  des  auteurs,  l'activité  littéraire  absorbe  toutes  les 
énergies,  il  semble  que  ces  génies  plus  vigoureux  ne  puissent 
concevoir  la  pensée  sans  la  mêler  d'action  :  si  un  l*ascal,  un 
Spinoza  paraissent  des  héros  —  mais  seulement  des  héros 
de  la  pensée  —  un  Cicéron,  un  Danle,  un  Millon,  un  Cha- 
teaubriand ajoutent  ii  leurs  u-uvres  considérables  l'éclat 
d'une  existence  qui  les  parachève  ;  tandis  que  les  humains 
sont  presque  toujours  le  jouet  des  circonstances,  ces  grands 
hommes  semblent  tirer  des  événements,  même  les  plus  insi- 
i,'ni(ianls  ou  les  plus  pénibles,  une  nouvelle  raison  d'agir  et 
de  concevoir  ;  sans  cesse  supérieurs  aux  contingences,  ils 
savent  combiner  avec  maîtrise  les  rêves  et  les  actes,  do  sorte 
que  l'on  ne  saurait,  à  vrai  dire,  composer  le  récit  de  leur 
existence  sans  écrire  du  même  coup  l'histoire  générale  do 
leur  temps. 

Le  même  devoir  s'impose  à  1  historien,  moins  rigoureuse- 
ment toutefois,  à  légard  d'un  lilléraleur  agissant  par  ses 
livres  seuls.  Alors  même  que  son  existence  s'écoule  tout 
entière  à  l'écart  de  la  vie  publique,  l'écrivain,  qu'il  le  veuille 
ou  non.  exprime  spontanément,  sous  une  forme  plus  ou 
moins  concrète,   iiiu'  -érie  de  pai  tiriil.nilés  ]>r(»|>re>  à  son 


4  PREMIÈRE    PARTIE.     CHAPITRE    PREMIER 

temps  et  contribue,  plus  qu'aucun  autre,  à  refléter  l'àme  de 
ses  contemporains. 

Aussi,  lorsque  le  sort  fait  naître  un  littérateur  en  des 
temps  de  troubles  et  de  discordes,  les  menus  événements  de 
sa  vie,  même  les  plus  futiles  en  apparence,  revêtent  une 
signification  profonde,  parce  qu'ils  sont  impérieusement 
commandés  par  des  révolutions  ou  des  guerres.  Un  Saadi 
—  sans  même  qu'il  faille  invoquer  à  son  propos  le  fatalisme 
oriental  —  subit  presque  passivement  les  vicissitudes,  se 
résignant  mollement  à  la  mauvaise  fortune  et  à  vivre  caché 
pour  vivre  heureux.  Mais  précisément  cette  attitude,  peu 
héroïque  peut-être,  est  par  cela  même  celle  du  plus  grand 
nombre  ;  et  examiner  la  vie  d'un  écrivain  de  cette  espèce  sç 
ramène,  somme  toute,  à  étudier  (le  talent  littéraire  mis  de 
côté)  celle  d'un  exemplaire  d'humanité  moyenne  au  cours 
d'une  terrible  convulsion  de  l'histoire.  Si  l'on  y  ajoute  la 
longévité  presque  séculaire  de  Saadi,  on  voit  quelle  riche 
matière  sa  biographie  fournirait  à  l'historien,  si  l'on  dispo- 
sait toutefois  de  documents  plus  précis  et  plus  nombreux. 

Les  renseignements  que  l'on  possède  sur  sa  vie  sont  en 
effet  assez  maigres  :  à  part  deux  ou  trois  biographies  plus 
ou  moins  conventionnelles,  la  meilleure  source  se  forme  des 
détails  épars  qu'il  a  bien  voulu  donner  sur  lui-même  au 
cours  de  ses  œuvres  (1).  Ces  détails,  joints  aux  récits  des 
événements  historiques  composés  par  de  secs  annalistes 
arabes  ou  par  de  précieux  rhéteurs  persans,  permettent  de 
reconstituer  tant  bien  que  mal  l'aspect  général  de  son  exis- 
tence qui  fut,  somme  toute,  celle  d'un  petit  bourgeois 
homme  de  lettres  au  treizième  siècle  de  1  ère  chrétienne. 

Or,  ce  siècle  est  celui  des  duels  grandioses  :  lutte  entre  le 
Sacerdoce  et  l'Empire,  lutte  entre  l'Orient  et  l'Occident, 
lutte  —  éternelle  celle  ci  —  entre  Iran  et  Touran.  En  1190, 
c'est-à-dire  à  l'époque  des  jeunes  années  de  Saadi,  Frédéric 

(1)  Les  citations   Hu  Boustan   sont  empruntées  à  la  traductioa   Barbier 
de  Meynard  ;  celles  du  Galislan  a  la  traduction  Defrémery. 


LA     VIK 


liaiberoiisse  meurt  à  la  croisade,  laissant,  après  les  jours 
d'i'preuves.  l'I'nipire  d'Alleiiiagno  au  faite  de  la  grandeur; 
et  voici,  poil  jiprès,  l'Kurope  tout  entière  prenant  parti,  ou 
pour  lo  l*;ipi'  ou  pour  l'Knipereur,  cpiereiles  stériles  d'où 
sortent,  an  hoiil  diin  demi-siècle,  les  Ilohenstaufen  brisés, 
rMm[)ire  acculé  à  la  ruine  et  le  Pape,  en  dépit  de  sa  victoire, 
condamné  à  l'exil  aventureux  et  précaire. 

Kn  Orient,  la  domination  chrétienne  établii-  |-ar  les  pre- 
mières croisades  s'est  déplacée  à  la  fin  du  \n'  siècle.  Saladin 
a  peu  à  peu  rejeté  vers  la  côte  les  Francs  réduits,  après  la 
perle  d'Kdesse.  au  royaume  de  Jérusalem  (Pbéniciei,  au 
comté  de  Tripoli  et  à  la  principauté  d  Anlioclic.  Sur  celte 
étroite  bande  de  territoire,  doublée,  il  est  vrai,  par  Chypre 
et  le  royaume  de  Petite-Arménie,  les  Francs  se  maintien- 
nent, mais  pressés  de  toutes  parts,  et  le  xm'"  siècle,  après  les 
(jualre  dernières  croisades,  verra,  à  partir  de  !  127(1,  s'elTon- 
drer  lentement  les  projets  des  Chrétiens  (1). 

Au  même  moment,  la  Perse,  patrie  de  Saadi,  subit  une 
fiîis  de  plus  l'outrage  de  l'invasion  (2).  Les  conquérants, 
cette  fois,  ne  viennent  plus  d'Arabie,  comme  au  vu*  siècle, 
mais  de  l'orient  lointain.  L'empire  du  Khare/m  (Khiva),  ce 
rempart  contre  les  barbares,  édifié  depuis  une  centaine  d'an- 
nées sur  les  ruines  de  l'empire  seijoukide  de  Perse  (3),  cède 
à  son  tour  aux  coups  d'une  puissance  plus  jeune.  Moham- 
med Ala  ed  Diii.  depuis  1220,  perd  rapidement  Khare/m, 
Ivhorassan,  Tabarislan,  Ira(j  persan,  Sijistan,  Jourjan,  Fars, 
(ihazna,  Kirman.  MéUran.  VA  malgré  les  exploits  du  roma- 
nesque Jalal  ed  Din.  l'Iran  s'écroule  dans  la  tourmente  sans 
nf)m  (pii,  l'Asie  orientale  une  fois  submergée,  supprime  le 

(1)  Sur  la  situation  des  Croises  en  Palestine,  lors  de  la  naissance  de 
^aadi,  cf.  H.  Derenliour^r.  Les  croisades  d'après  Yàkoitt.  p.  83. 

(2)  Sur  les  invasions  monpolcs,  cf.  I.avjsse  el  luimbaud.  Histoire  générale, 
'  II.  p.  8S»-971  ;  L.  Hréhier,  L'Eglise  el  l'Orienl  au  moyen  dge.  p.  50  et 
--iiiv.  (les  invasions  des  Turcs  el  les  origines  des  ('loisâdcs'  :  I,.  ('nlmii. 
Inlroduclion  à  ihtsloire  de  l'Asie. 

(3)  Sur    les   Seijoukides,  cf.  J.  A.  18VH  (t.  XI.  j..    •  l  ;  ;  l .  .\ll,   p.  2:i'J  el 
134)  el  1849(1.  XIII.  p.  15)  :  extraits  du  Tarik|,i-gu7.ideli,  trad.  Defrémery. 


6  PREMIERE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

Califat  de  Bagdad  respecté  jusqu'alors  et  déferle  sur  l'Europe 
centrale  (1). 

Enfin,  dix  ans  plus  tard,  c'est  le  tour  du  Magreb  où  l'em- 
pire des  Alniohades,  qui  avait  à  la  fois  dominé  l'Espagne  et 
l'Afrique  du  Nord,  s'effondre  obscurément  sous  les  coups 
des  Mérinides. 

"S'oilà  l'époque  de  chaos  et  d'incertitude  durant  laquelle 
l'existence  de  Saadi  s'écoulera  tout  entière.  Qu'elle  ait  ins- 
piré le  renoncement  et  la  résignation,  c'est  ce  que  l'on  peut 
percevoir  à  la  lecture  même  des  œuvres  du  poète.  Sa  vie, 
peu  complexe  en  dépit  de  ses  nombreux  voyages,  a  été  de 
bonne  heure  partagée  par  ses  biographes  en  trois  périodes  : 
années  de  jeunesse  et  d'études,  années  d'aventures,  années 
de  vieillesse  et  de  calme. 

A.  —  Enfance  et  jeunesse. 

Il  naquit  à  Chiraz,  capitale  du  Fars,  vers  l'année  1184 
(H.  580),  suivant  l'avis  généralement  adopté  (2),  et  reçut  le 
nom  de  Mouçlili  ed  Din,  ou,  suivant  d'autres,  de  Charaf  ed 
Din  Abdallah  (3),  ou  encore  de  Moucharrif  ed  Din  Abdal- 
lah i4).  Le  Fars  (5),  ancienne  Perside,  et  berceau  des  anti- 

(d)  Cf.  le  résumé  de  l'historien  arménien  Guiragos  (trad.  Dulaurier,  J.  A. 
18")»,  XI,  p.  210-213,  p.  248  253,  et  particulièrement  p.  481-493). 

(2)  Grundriss  der  iran.  Philologie,  II,  292  ;  Defrémery  (trad.  du  Gulistan, 
inlrod.  p.  VI)  ;  E.-G.  Browne,  Literary  history,  il,  526  («  L'avis  général  est 
qu'il  naquit  à  Chiraz  environ  en  1184  )>).  Cf.  dans  l'introd.  du  Gulistan  de 
Defrémery  la  réfutation  des  opinions  de  d'Herbelot  (qui  le  fait  naître  en 
117.^-1176,  H.  571),  de  S.  de  Sacy  {Biog .  universelle,  XXXIX,  401)  et  de 
Gore  Ouseley  [Biographical  notices  of  persians  poets,  p.  6). 

(3)  Nom  adopté  par  Grundriss  (loc.  cit.)  et  par  Graf  [Rosengarten,  p.  229) 
d'après  Jami  {Najahat  el  ouns). 

(4)  Browne  {loc.  cit.)  :  i  Le  nom  de  Saadi  paraît,  d'après  le  plus  ancien 
ms.  de  ses  œuvres  (Ind.  Off.  876),  avoir  été,  non,  comme  on  le  dit  eu  gé- 
néral, Muçlih-ud-Din,  mais  Mucharrif-ud-Din  îbn  Muçlih-ud-Din  Abdullah.» 
Cf.  Rieu,  Persian  Mss.  in  the  Briiish  Muséum,  II,  593. 

(5)  Sur  le  Fars,  cf.  Mirza  Hasan  Fasâî,  Fars  Naineh  (Téhéran,  1313); 
Le  Slr^n^e,  Eastern  Caliphate,  248  et  suiv.  et  Description  of  the  Province 
of  Fars  (J.  R.  A.  S.  1912)  ;  Barbier  de  Meynard,  Dictionnaire  de  la  Perse, 
p.  410  ;  P.  Schwarz,  Iran  iin  Mittelalter,  II-III. 


l.V    VIK 


quef»  niojiarc'liies  persanes,  avuil  ^ardô,  soiibIos  AbbaPHidon, 
sa  division  en  cinij  ditsliicls  (koinahs^  t-lal)lic  par  les  Sassa- 
nidi's.  Des  villes,  nombreuses,  le»  plus  iniporlanles  étaient 
(ihira/,  puis  Istakhr  (i^ersépolis),  '^  a/d,  Arrayân  (frontière 
du  Khou/islair  i-l  Darabjird.  Les  îles  du  (iolfe  l'eisique 
apparlenaiL-nl  au  Kars  el  lilc  de  Kicli,  en  parlicidier,  for- 
mait un  centre  commercial  imporlanl,  avant  d'être  supplan- 
tée par  Ilorniu/  (1).  Le  pays  prospérait  et  produisait  princi- 
palemenl  des  essences  de  fleurs  et  des  éloffes  ^2), 

Kn  dehors  des  villes,  plusieurs  tribus  nomades  erraient 
parles  plateaux  ;  l'une  d'entre  elles,  colle  des  Chèbâiikarès, 
avait  même  fondé  une  dynastie  dans  un  district  montagneux 
du  Fars(Ohsson.  MorKjols,  l\ ,  270). 

Mais  i'ï  Cliiraz,  les  Atabeks  (3;  régnaient.  A  mesure  que 
s'eIVrilait  la  puissance  des  Seijoukidesde  Perse,  les  dynasties 
locales  prenaient  naissance  et  vigueur.  Des  Atabeks  s'étaient 
fait  reconnaître,  non  seidement  dans  le  Fars,  mais  à  Damas. 
ù  Mossoul.  en  Mésopotamie,  à  Alep,  à  Jazirat-ibn-Omar,  à 
Smdjaret  en  Azerbeidjan  (ii.  Ces  principautés,  dont  l'im- 
portance variait  du  district  au  petit  royaume,  rendaient 
hommage  à  un  suzerain,  mais,  en  fait,  étaient  à  peu  près 
indépendantes. 

Kn  l!<St.  l'enijurc  seijoukide  en  avait  encore  pour  dix 
années  d'existence,  avant  son  renversement  par  Toulouch, 
sultan  du  Kharezm.  Le  Califat  de  Bagdad  traînait  un  sem- 
blant de  vitalité,  sous  le  calife  Nàçir,  organisateur  d'espion- 
nage et  grand  bâtisseur,  mais  dominé,  comme  ses  devanciers, 
par  (]uelque  maire  du  palais.  A  Hyzance.  l'Kmpire,  revivi- 
lié  par  les  Comnéne.  se  débattait  sous  la  grille  d'Andronic 
l'Usurpateur.  De  ces  grands  états  en  décadence,  seul,  l'eni- 


.1)  D'après  I.e  Stranpe.  Easlern  Caliphate,  p.  6. 
{2)  Ibiil  .  p.  293. 

(3)  Sur  l'origine  du  mol  «  atabek  »»  (prince),  cf.  Defrômery,  .Wr/n.  (ThU- 
tnire  orientale,  p.  117-110.  Tour  le  sons  du  uiot,  cf.  Uarbier  de  Meynard. 
Suppl.  auT  dict.  turcs,  s.  v.  et  Quatremère,  kinmlonkt,  t.  I,  p.  2,  n.  5. 

(4)  Cf.  Hammer,  Ilchane,  I,  p.  6'-'2. 


8  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

pire  des  Seljoukides  d'Iconium  se  maintenait  honorablement 
en  Asie  mineure.  Le  reste  de  l'Asie  occidentale  s'émiettait 
aux  mains  d'une  foule  de  petits  souverains  :  rois  de  Jérusa- 
lem dont  la  chute,  à  la  suite  de  la  victoire  de  Saladin  sur 
Guy  de  Lnsignan  (  2  octobre  il  87)  trois  ans  après  la  naissance 
de  Saadi.  anéantissait  le  rôve  immense  des  croisades  ; 
rois  de  Petite-Arménie  ;  Ortokides  de  Mardin  et  de  Hisn- 
Ka'ïfa  :  princes  de  Khalat,  d'Azerbeidjan,  de  Mossoul,  de 
Damas,  d'Alep,  d'Emesse,  seuls,  les  Ayoubides  d'Egypte 
triomphaient, mais  en  écoutant, de  même  que  tous  les  autres, 
l'approche  fatale  de  l'ouragan  mongol. 

Lors  de  la  naissance  de  Saadi,  le  prince  de  Chiraz  était 
l'atabek  Mouzaffar  ed  Din  ïoukla,  troisième  représentant 
de  la  dynastie  des  atabeks  du  Fars  (1),  Depuis  une  dizaine 
d'années,  Toukia  se  maintenait  péniblement  contre  ses  voi- 
sins du  nord  et  de  l'ouest  :  sultans  du  Kharezm  etatabeksde 
Mésopotamie.  Dans  la  cinquième  année  de  son  règne,  le 
Fars  avait  été  dévasté  parl'atabek  d'Azerbeidjan.  Pahlawàn 
ibn  lldigiz,  et  le  reste  du  règne  de  Toukia  suffit  à  peine  à  la 
réparation  de  ces  ravages  (2). 

Mais  le  Fars  était  voué  aux  vicissitudes  :  le  successeur  et 
cousin  de  Toukia,  Togrul  ibn  Sankar,  fut  renversé  au  cours 
d'une  guerre  civile  fomentée  par  un  de  ses  parents,  Abou 
ChoujaSaadibnZangi^qui, monté  surletrôneen  1197(H.593), 
dut, à  son  tour,  dès  1203  (H.  600), se  défendre  contre  l'atabek 
d'Azerbeidjan,  Uzbag  ibn  Pahlawân.  Uzbag  infligea  au  Fars 
le  même  traitement  que  son  père,  et  le  prince  de  Chiraz, 

(1)  Saadi  nomme  ce  personnage  (Boustan,  p.  39).  La  dynastie  avait  été 
fondée  en  1148  (H.  544)  par  Mouzaffar  ed  Din  Mouchakar  ibn  Mawdoud 
ibn  Salghar  (D'où  le  nom  de  Salgharides  donné  parfois  à  cette  dynastie)  . 
Cf.  Ohsson,  Mongols,  I,  191,  n.  1  ;  Malcolm,  Hislolre  de  Perse,  II,  106  et 
suiv.  ;  Mirkhond,  Alabeks  oj  Syria  and  Persia  (éd.  Morley)  ;  Grundiiss  der 
iran.  Philologie,  II,  569  et  suiv.  Wassaf,  au  livre  II  de  son  Histoire,  a 
raconté  l'histoire  des  Saigharides  avec  prédilection,  car  il  était  lui-même 
Chirazien.  Sur  les  dynasties  précédentes,  cf.  Defrémery,  Mém.  d'histoire 
orientale,  p.  121  ;  Ilammer,  Ilchane,  I,  69. 

{2)  Hammer,  Ilchane,  I,  235. 


LA    vrR 


tout  on  sauvepjai'clanl  sa  couronne,  ne  put  empt^clior  le  sac 
cio  sa  capitale.  Au  reste,  (jiiatorzeaus  après,  Saad  se  récon- 
ciliait avec  le  prince  il'A/.erbeidjan,  au  moment  de  la  mort 
d'Ougoulmich.  Ce  dernier  gouvernail  rira(|au  nom  du  sul- 
landuKharezm,elIesdeux  atabeks  mettant  à  profit,  et  sa  mort 
et  1  »'loij,Mîement  du  sultan  occupé  lui-même  à  guerroyer  en 
pays  turc,  se  jetèrent  sur  cette  province.  Aj)preuanl  la  prise 
lie  plusieurs  villes,  le  sultan  accourt  de  Samarcando,  à  la  tête 
de  douze  mille  cavaliers,  écrase  près  de  Wtiy  les  troupes  du 
prince  de  (]liira/.  (ju'il  fait  prisonnier.  Il  renonce  du  reste  à 
la  comjuète  du  Fars,  préférant  marcher  sur  Hagdad,  et  se 
contente  d  imposer  à  Saad  un  tribut  annuel  et  la  reddition 
de  deux  citadelles.  Il  lui  rend  même  la  liberté,  mais,  par 
contre,  le  marie  à  Tune  de  ses  parentes. 

Durant  la  ca[)tivité  de  Saad,  son  fils  aîné,  Abou  liakr,  a 
gouverné  le  Kars.  Aussi,  lorsque  Saad  se  présente  devant 
Cliiraz.  il  s'en  voit  refuser  l'enlrée.  Il  y  pénètre  par  surprise, 
fend  d'un  coup  de  sabre  le  visage  de  son  fds  :  mais  on  les 
sépare  et  le  père  pardonne  peu  après  ^  !  ) . 

Le  futur  poète  grandissait  au  milieu  de  ces  désordres,  en 
cette  ville  de  Cliiraz  dont  le  géographe  Vâqoùt,  dans  son 
Moujam -c/-bou I(J;i n  >  [erm'iné  en  r2lîi),  a  laissé  nnedescrip- 
tio.n  pour  ainsi  dire  contemporaine  (2).  Peu  de  renseigne- 
ments sur  la  famille  de  Saadi  ^3  :  son  père  Abdallah,  suivant 
le  biographe  Dawlatchah,  se  trouvait  au  service  du  prince 
Saad  ibn  Zangi  dont  il  aurait  pris  le  surnom  de  «  Saadi  »  . 

(1)  Sur  ces  événcmoiils,  cf.  N'asawi,  Hist.  ilu  sullan  Djrlnl  e-l  lUn  .Manko' 
^ir^' (Irad.  Iloudas),  p.  5-G,  2*-26.  33-3L  Daprès  .Mirkliona  (A/'ifx'/vj  oj 
Syrin  and  Persin,   éd.    .M)rley,    p.  .12;,   Saad  aurait,  non  blessé,  mais  iué 

Kon  nts. 

(2)  Harbier  de  .Meynard,  DicA.  delà  Perse,  art.  Ghiraz  Cf.  la  description 
plus  tardiv»*  d'Ihn  (tatnul.ih  (éd.  Soc.  asial.,  II,  .*i2  et  stiiv.). 

'3;  Un  de  ses  frères  aurait  été  marchand  de  fruits  à  Chirar,  si  l'on  en 
croit  l'opuscule  placé  en  tète  des  œuvres  du  [ioi«le  (éd.  Calcul'a.  p.  9  e  t 
Gniisinn,  Irad.  Defrémery,  p.  .30)  :  le  poète  aurait  intercédé  en  faveur  de 
son  frère  auprès  du  gouverneur  Chams  ed  Din  TA/.igoui  établi  k  Chirai 
parles  Monpols.  La  boutique  du  frère  de  Saadi  se  trouvait,  d'après  cette 
bisloirt,  à  la  porte  du  Gouvernorat. 


!0  PREMièRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

Mais  il  est  plus  probable  que  ce  fui  le  poète  lui-même  qni^ 
par  reconnaissance  (  I  ),  adopta  ce  surnom. 

Barbier  de  Meynard  (2j  fait  justement  remarquer  que  le 
véritable  nom  (ism)  du  poète  restera  probablement  ignoré, 
car,  outre  son  surnom  poétique  de  «  Saadi  »,  son  surnom  de 
('  Mouçlib  ed  Din  »  (ou  «  Moucbarrif  ed  Din  »)  ne  lui  fut  sans 
doute  donné  qu'à  la  fin  de  ses  études. 

L'un  des  traits  caractéristiques  du  génie  de  Saadi  consiste 
à  savoir  dégager  un  enseignement  moral  des  moindres  évér 
nements  de  son  existence.  C'est  précisément  de  ces  détails, 
dont  il  fut  trop  avare,  que  se  forme  le  meilleur  de  sa  bio- 
graphie. Plusieurs  passages  de  ses  œuvres  touchent  à  son 
enfance  dont  il  semble  avoir  conservé  le  souvenir  douce- 
ment mélancolique.  Des  traits  de  ses  jeunes  années  figurent 
dans  le  Bousfan  et  laissent  entendre  que  son  père  tenait  rang 
de  fonctionnaire  subalterne  mais  aisé  :  a  Mon  père  »,  dit-il, 
«  m'acheta  un  jour  une  tablette,  un  cahier  et  joignit  à  cela 
une  bague  d'or.  Survint  un  marchand  qui,  pour  quelques 
dalles,  enleva  celle  bague  de  mon  doigt  »  [Boustriîi^  p.  3o4). 
Un  autre  jour,  au  milieu  d'une  fêle,  Saadi  lâche  le  pan  de  la 
robe  de  son  père  et  s'égare  dans  la  foule  :  cris  déchiranlsdu 
marmot  qui,  retrouvé  par  son  père,  en  reçoit  celte  semonce  : 
«  Un  petit  enfant  ne  doit  pas  s'aventurer  seul  sur  une  route 
qu'il  ne  connaît  pas  »  [Boustan^  p.  359). 

Naturellement,  ces  menues  anecdotes  ne  constituent  que 
des  prétextes  à  moraliser.  Mais  en  ce  moment  même,  c'est  la 
physionomie  seule  de  Saadi  qui  importe,  et  pas  encore  le 
fond  de  sa  pensée. 

Il  pencha  vite,  semble-t-il,  vers  la  dévotion  s'il  en  faut 
croire  le  Boustan  (p.  290)  :  «  J'étais  encore  un  tout  petit 
enfant  incapable  de  distinguer  ma  main  droite  de  ma 
main   gauche,   lorsque  j'eus  un  jour   la  fantaisie  de  jeû- 

(1)  Çâhih  nâmeh  (éd.  Bâcher,  p.  75)  :  «  Mon  père  a  passé  sa  vie  à  le 
servir.  Moi,  son  fils,  je  me  suis  aussi  dévoué  à  toi...  Je  n'en  veux  pas 
servir  d'autre,  car  ce  sont  tes  bienfaits  qui  m'ont  nourri.  » 

(2)  Traduction  du  Boustan,  introd.  p.  9, 


LA     VIR 


ner.  »  D'anlre  j)arl,  une  des  plus  tJiilicicuHeA  niiecdolos  du 
(iulistnn  (|).  107,  II,  (>)  rapporlo  la  levoti  d'Iiumililé  i\\\\  lui 
fut  douiu'C  parsoii  père,  alors  «pie  lous  deux  vt-iliaienl  en 
prianl  au  milieu  de  leur»  compa^'nons  cndurmis  ;  nu  pclit 
Saadi  rpii  les  censure,  son  père  répond  :  '<  Si  loi  aunsi  tu  tMnis 
eudoiini.  cela  vaudrail  mieux  \\\w  de  lomber  sur  la  peau  des 
autres.  " 

Le  manque  d'indulgence  el  la  vivacilé,  voilù  en  ollol  les 
deux  défauts  enfantins  qu'il  se  reconnaît  avant  tous.  Il  avoue 
avoir  été  enclin  à  Ivranniser  ses  camarades,  ce  (jui  lui  valut 
un  jour  de  plus  fort  (pic  lui  une  vigoureuse  taloche  :  «  Je 
cessai  désoiinais  ".  dit-il  à  ce  propos,  <*  de  tourmenter  les 
faibles  ».  Et  pourtant,  il  ne  fut  pas,  quoi  qu'il  en  dise,  entiè- 
rement corrigé,  car  il  déclare,  dans  le  (iulistnn,  avoir,  «  dans 
l'ignorance  de  la  jeunesse  »,  levé  la  main  contre  sa  more 
p.  -JOT,  \I,  0). 

Il  perdit  sans  doute  ses  parents  de  bonne  heure  et  les 
pleura  dignement,  à  lire  ce  (pi'il  écrit  au  sujet  des  orphelins 
qui  lui  inspirèrent  quehpies-uns  de  ses  accents  les  plus  déli- 
cats :  «  Quand  tu  vois  un  orphelin  baisser  tristement  la  télé, 
ne  mets  pas  un  baiser  sur  le  front  de  ton  enfant...  Ne  laisse 
pas  couler  ses  larmes,  ce  sont  des  larmes  (|ui  font  trembler 
le  trône  de  l)ieu(i).»  Avec  quelle  tendresse,  avec  quelle 
élévation,  il  parle  ailleurs  de  l'amour  maternel  :  «  En  nour- 
rissant l'enfant  de  .son  lait,  c'est  de  son  propre  sang  que  sa 
mère  le  notirril,  el  l'enfant  suce  avec  avidité  ce  sang  oii  Dieu 
a  infusé  un  amour  inliui.  l'amour  maternel  »  [Housf.-in,  318  . 

En  dépit  d'un  passage  du //f)//.s7.'</j  >p.  lOl  :  '<  Moi  qui  étais 
encore  enfant  cpiand  j  ai  perdu  mon  père  »),  le  père  de  Saadi 
conduisit  certainement  son  éducation  jusipi'à  l'adolescence, 
car  ses  dernières  recommandations  à  son  lils  [Guli.sf.m, 
p.  320i8onl  de  celles  que  l'on  adresse  à  un  jeune  homme 
prêt  à  se  jeter  au  milieu  des  traverses  de  la  vie  :  «  La  concu- 
piscence est  un  feu  ;  garde  t  en  bien...  etc.  {2\.  » 

(1)  Routlnn,  p  '  ""  '■'  \n>\r,  Pend  n\meh  (liad.  vSacy),  p.  20:i  cl  n  i. 
p.  297  Pl  n.  3. 

(2)  Faut-il  altribiior  d'autre   part   hii    père  de  Saadi  ce  constil  rapporté 


12  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Conseil  plus  ou  moins  écoulé,  car  le  jeune  Saadi  qui,  sem- 
ble-t-il,  fut  assez  précoce  (1),  fêta  sans  doute  avec  ardeur  le 
printemps  de  l'exislence,  si  l'on  s'en  rapporte  à  certains 
poèmes  de  son  dîwân  (2).  Il  profita  de  sa  jeunesse  et,  à  Ten- 
tendre,  «  connut  le  chemin  et  les  coutumes  de  l'amour  aussi 
bien  qu'on  connaît  l'arabe  à  Bagdad  »  (3).  Le  souvenir  des 
amours  anciennes  apparaît  au  reste  plusieurs  fois  dans  ses 
œuvres.  Une  nuit,  son  amie  entre  :  il  se  lève  si  brusquement 
qu'il  renverse  sa  lampe  qui  s'éteint  (4).  Ailleurs  [Boustan^ 
p.  300),  il  pense  à  une  personne  «  belle  comme  une  péri  »  et 
qu'il  aima  passionnément.  Il  n'était  pas,  à  vrai  dire,  irrésis- 
tible, car  plus  loin  (/c/. ,  p.  330),  il  parle  de  sa  maîtresse  «  au 
cœur  de  pierre  »  et  avoue  même  avoir  été  complètement  dé- 
daigné \id.,  p.  i64). 

^'oilà  donc  Saadi  seul  à  Chiraz,  privé  de  la  direction  de 
son  père,  direction  qu'il  est  permis  de  supposer  rigide 
d'après  quelques  mots  du  Boustan  (5),  sans  parler  des  coups 
de  baguette  du  maître  d'école  dont  il  ne  souffle  mot.  Mais 
le  prince  Saad  n'était  pas  homme  à  laisser  dans  l'embarras 
le  fils  d'un  ancien  serviteur:  grâce  à  lui,   Saadi  qui,  sans 

dans  le  Çahib-nàineh  (éd.  Bâcher,  p.  40)  :  «  Que  dit  le  père,  lorsque  son 
âme  précieuse  remontait  à  ses  lèvres?  Ecoute  un  seul  conseil,  mon  cher 
(ils  :  à  l'ami,  bien  qu'il  le  soit  cher,  ne  découvre  pas  le  secret  de  ton 
cœur,  car  l'ami  le  répétera  à  son  cher  ami.  »  Saadi  rappelle  d'autie  part, 
dans  une  qaçida  persane  (citée  Z.  D.  M.  G.,  IX,  p.  HO),  une  règle  de  vie 
que  lui  donna  son  père  :  «  Sois  pur  et  ne  crains  personne.  » 

(1)  Gulislan,  230,  V,  10  et  283,  VII,  11. 

(2)  M.  E.-G.  Browne  (Literary  Hislory,  II,  ;j3oj  cite  notamment  une  pièce 
(éd.  lithog.  Bombay,  1301,  p.  58)  où  Saadi  avoue  avoir,  par  amour,  risqué 
de  perdre  en  cinq  jours  la  réputation  de  science  et  de  sagesse  quil  avait 
acquise  en  cinquante  ans. 

(3)  Gulislan,  258,  V,  21.  Il  aurait  même  été  jusqu'à  l'erreur  sentimentale 
{ibid.,  230,  V,  10)  et,  sur  ce  point,  le  bon  Sémelet  (trad,  du  Gulislan, 
p.  294,  n.  29),  se  demandant  s'il  ne  s'est  pas  calomnié,  ajoute  (p.  297) 
cette  réflexion  qui  fait  rêver:  «  Ce  chapitre  (V)  est  curieux,  parce  que 
toutes  les  monstruosités  inspirent  de  l'intérêt.  » 

(4)  Gulislan,  226,  V,  6  et  cf.  l'élégie  de  Chénier  :  la  lampe. 

(5)  M  Sais-tu  comment  Saadi  a  trouvé  bonheur  et  honneur?  Jeune,  il  dut 
supporter  les  coups  des  gens  âgés.  » 


doute,  se  si^Miahul  des  lins  par  sa  précocilc  inlcllocUiclle, 
est  envoyé  h  Hai^dad  el  admis  à  11  iiiversilr  Niz;\rniyali  ;  il  y 
deiueurera  comme  éliidianl  An  ll'.Kl  à  l2Ji)  II.  *iD2-r)2:ji. 
année  de  la  mort  du  prince  de  Clur.iz  et  de  l'avènemenl  <lc 
i^on  lils  Al)ou  Haki*  [  l  ). 

Assise  sur  les  rives  de  son  lleuve,  lia^'dad,  "  demeure  île 
la  paix,  capitale  de  l'islamisme  (2)  »,  régnait  alors  dans 
toute  sa  gloire.  Les  richesses  accunudées  depuis  des  siècles 
par  les  califes,  les  palais  innombrables,  les  fondations 
pieuses,  les  entrepôts  commerciaux,  les  universités  l'avaient 
rendue  la  véritable  reine  de  l'Orient.  Pres([ue  légendaire  (3), 
elle  jetait  alors  un  éclat  daulant  plus  splendide  et  plus  pa- 
théli(pie  ({u'elle  touchait  à  1  heure  de  sa  ruine.  Ibn  Haloulah 
(loc.  cit.")  (}ui  la  visita  après  le  passage  des  .Mongols,  cite  les 
vers  de  (juehpies  poètes,  véritables  hymnes  en  l'honneur  de 
lîagdad  ;  sa  description  est  courte,  ce  qui  prouve  combien  la 
ville  avait  eu  à  soullrir  de  l'invasion.  .Mais  il  donne  des 
détails  sur  la  disposition  générale  des  ijuarliers  et  particuliè- 
rement sur  les  collèges,  situés  du  côté  oriental  (^11.  lO-S): 
««  Ce  côté  oriental  de  Hagdad  abonde  en  places  et  ofTre 
une  disposition  magniliijue.  Le  plus  giand  de  ces  mar- 
chés est  celui  appelé  du  mardi  et  où  tous  les  métiers  ont 
leur  lieu  séparé.  .\u  milieu  se  voit  le  collège  .\nni/hàmiynh 
(el  madarsat  el  ni/amiya  qui  est  admirable  et  dont  la  beauté 
a  donné  naissance  à  des  proverbes.  .\u  bout  du  marché  se 
trouve  le  collège  .\lmostansiriyah.  attribué  au  Commandeur 
des  Croyants  .Vlmostansir  billah.  ->  Suivent  quelques  lignes 
sur  l'enseignement  dans  ce  dernier  collège,  i 

(i)  L'atabek  Abou  itakr  ibn  Saad  ibn  Zangi  (i2261260)  fut  sans  doute 
uu  prince  éclairo.  Cbams  i  Qnis  composa  pour  lui  le  traité  de  prosolie 
persane  «  Mouajjam  fi  maair  i  acii&r  i  ajam  »  (éd.  Gibb  Meni.i  (<r . 
Urowue,  l.ileniry  llislnry.  II,  488.  L'alabck  avait  un  panéRyrislc,  Kainal 
ed  Dm  Isinall,  (pii  connut  peut-êtic  le  jeune  Saadi  (Cf.  Browne,  op.  cit., 
p.  5*0-541). 

(2,  Ibn  Baloulah  (éd.  Soc.  ai\a\.\  II.  100. 

(3;  Les  voyageurs  européens  du  moyen  Age  la  confondent  souvent  avec 
Babylone  et  la  nomment  Babel  nu  Babellonia. 


l4  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

Yàqoùt,  antérieur  à  Ibii  Batoiilah  et  contemporain  de 
Saadi  [\  ),  consacre  à  Bagdad,  «  mère  du  monde,  maîtresse 
des  contrées  »,  une  longue  notice  où  il  rapporte  successive- 
ment ce  qu'il  apprit  sur  le  nom  de  la  ville  et  son  étymologie, 
et  sur  ses  origines.  Il  cite  en  outre  un  certain  nombre  de  vers 
destinés  à  la  célébrer  ou  à  la  décrier.  Mais  la  meilleure  des- 
cription est  à  coup  sûr  celle  d'Ibn  Joubaïr  qui  visita  précisé- 
ment la  ville  en  1184  (H.  580)  (2). 

Depuis  plus  d'un  siècle,  les  califes  (3)  vivaient  tranquille- 
ment en  leur  capitale.  11  y  avait  bien,  de  temps  à  autre,  un 
incendie  (4j  ou  une  émeute,  mais,  à  part  l'attaque  menée 
par  le  sultan  seljoukide  Mohammed  II  (1137/551)  qui  avait 
dû  lever  le  siège  sans  rien  obtenir  (5),  Bagdad  méritait  alors 
pleinement  son  surnom  de  «  demeure  de  la  paix  ». 

On  se  demandera  peut-être  pourquoi  Saadi  avait  été  en- 
voyé à  Bagdad,  au  lieu  de  continuer  ses  études  dans  l'un  des 
collèges  de  sa  ville  natale,  patrie  de  quelques  professeurs 
célèbres  (6),    On  sait  par  exemple    qu'à  la  Nizamiyah  de 


(1)  Cf.  sur  Yàqoût  :  H.  Derenbourg-,  Les  Croisades  d'après  le  Dictionnaire 
géographique  de  YdqoCd  (Centenaire  de  l'Ecole  des  L.  L.  O.  O.,  1895), 
p.   71-72  et  90-91. 

(2)  Ibn  Joubaïr  (éd.  Gibb  Mem),  p.  217  et  suiv.,  notamment  p.  229  : 
«  Il  existe  à  Bagdad  une  trentaine  de  collèges,  tous  du  côté  oriental  de  la 
ville. . .  Le  plus  grand  et  le  plus  célèbre  est  la  Nizamiyah,  bâtie  par  Nizam 
el  Moulk  et  restaurée  en  504.  Elle  est  largement  dotée  de  fondations 
pieuses  et  de  biens  habous  dont  le  revenu  profite  aux  savants  (fouqahâ) 
qui  y  professent.  »  Le  même  auteur  raconte  (p.  220)  avoir  assisté  à  une 
leçon  d'Ibn  el  Jawzi,  dont  Saadi  déclare  avoir  été  l'élève. 

(3)  A  l'époque  du  séjour  de  Saadi,  le  calife  Nâçir,  grand  bâtisseur  et 
amateur  d'affaires  de  police.  Cf.  Ibn  at  Tiqtaqa,  Fakhri  (Irad.  Amar), 
p.  551  et  suiv. 

(4)  Saadi  fait  allusion  à  un  incendie  de  Bagdad  (Boasian,  p.  45). 

(5)  liée,  lexies  relalijs  à  l'histoire  des  Seljoukides,  11,  246-255. 

(6)  Les  collèges  étaient  alors  nombreux  en  Perse.  Ainsi  Ibn  Batoutah 
{op.  cit.,  II,  42)  :  <  Nous  voyageâmes  durant  dix  jours...  au  milieu  de 
montagnes  élevées;  chaque  nuit,  nous  nous  arrêtions  dans  une  médréceh, 
où  se  trouvait  de  la  nourriture.  Quelques-uns  de  ces  collèges  se  trouvent 
dans  des  lieux  cultivé»,  et  d'autres  dans  des  endroits  incultes  ;  mais  on 
y  apporte  tout  ce  qui  est  nécessaire.  » 


i 


LA     ME  10 


Bagdad,  It;  premier  professeur  nommé  par  Nizam  el  Moulk 
Tiil  Ibii  Ali  es  (]|jirà/î  (|iii,  m*  à  l'iroii/.abad  en  1(K>3  i  II.  393j , 
sinslalla  en  H  M'.»  II.  UO)  à  Cliiraz  pour  y  étudier  la  juris- 
prudence. 

Les  univorsilés  de  (^hiraz  se  trouvaient-elles  alors  lermees 
ou  tout  au  moins  décluies  par  suite  des  troubles  pulilicjues? 
Il  est  possible  (jne  Saadi  ait  désiré  spontanément  quitter  un 
pays  où  rien  ne  le  retenait,  puisque  ses  parents  n'étaient  plus. 
D'autre  port,  les  marques  de  la  laveur  du  prince  de  Chiraz, 
occupé  surtout  à  mainleiiir  contre  l'ambition  de  ses  voisins 
sa  puissance  chancelante,  se  raréliaienl  peut-être.  Ou  bien 
celui-ci  jugeait-il  polili(jue  d'expédier  des  étudiants  distin- 
gués vers  la  capitale  religieuse,  ou  bien  encore  cédait-il  sim- 
plement à  l'attirance  du  grand  centre  intellectuel,  éclipsant 
les  universités  de  province  .' 

Car  l'université  Nizamiyah  était  alors  en  pleine  lloraison  ; 
puis,  de  Chiraz  ù  Bagdad,  le  voyage  était  relativement  facile. 
Chiraz  formait  nécessairement  le  point  central  des  routes  du 
Fars  (1).  L'une  d'elles  descendait  vers  le  (ioll'e  i^ersique 
(port  do  Siraf,  îles  de  Kich  et  d'Hormiiz  ,  de  même  (|ue  la 
route  actuelle  aboutit  à  Bender-Bouchir  (qui  a  supplanté 
Horniuz,  ayant  supplanté  elle-même  Kich,  si  brillante  à 
l'époque  de  Saadi) .  Lue  autre  route  s'en  allait  vers  I)arab- 
jird  ;  une  autre  vers  Ispahan  (2).  Mais  celle  ijui  se  rapporte 
à  cette  étude  montait  vers  Arrayàn,  au  Nord-Ouest,  el  vers 
le  Khouzistan  (3). 

D'après  Le  Strange,  elle  partait  do  Chiraz,  passait  à  Jou- 
>vaïm,  Nawbaniàn,  Gounbadh-Mailaghaa  et  .\rray;\n.  On 
traversait  la  rivière  Tàb  sur  un  pont  et  on  atteignait  Bous- 

(.1)  l'our  luus  les  tliucr«ii°ok  doitt  il  sera  qucbtiou  par  la  »utli-,  le  bel 
ouvrage  de  Le  .Slraupe  Tiie  l.-m'l.-,  oC  Ihc  Eisicrn  CiliiilnU)  a  cl«  du  plu» 
graud  secourK. 

(2)  Voir  dûtalU  dans  i.e  ."Miau^'C  yp.  ci(.  ,  j> .    i. >.)-.;'.") . 

(3)  Kuule  bien  connue,  car  le»»  aucicas  geogiuphes  en  ool  laissé  ua« 
liuilaine  do  descriplions  (doul  les  relai»,  ualuroUeuienl,  vmienl  tiuelque 
peu;.  Par  malheur,  aucune  ne  dale  de  l'époque  de  î?aadi.  La  plu»  receulo 
est  celle   du  Fdrs  ndm«/i(iu».  BnlUh  Mu*.,  or.  5983),  vers  1107  (H.  500;. 


Ib  PREMIERE    PARTIE.     —    CHAPITRE    PREMIBR 

tanak,  Ironlière  du  Fars  [{),  puis  la  roule  suivait  le  Nord- 
Ouesl  jusqu'à  Ramhormuz,  descendait  ensuite  vers  Ahwàz. 
au  Sud-Ouest.  Là,  ou  bien  le  voyageur  remontait  vers  le 
Nord-Ouest,  afin  d'atteindre  le  Tigre  à  Wàsit,  ou  bien  — 
ce  qui  est  plus  probable  —  continuait  à  descendre  dans  la 
direction  de  Bassorah,  rejoignant  ainsi  la  roule  des  pèlerins 
de  La  Mecque,  et  en  même  temps  le  Tigre  qu'il  n'avait  plus 
qu'à  remonter  jusqu'à  Bagdad  (2). 

11  était  possible  aussi  de  descendre  directement  vers  le 
Golfe  Pcrsique  et  de  gagner  par  mer  remboucluire  du 
Tigre  (3j.  Mais  il  est  plus  probable  que  Saadi  suivit  la  voie 
déterre,  sans  doute  classique,  puisque  huit  géographes  la 
décrivent  sans  variations  appréciables. 

L'université  Nizamiyah,  au  bord  du  Tigre,  et  proche  des 
remparts  sud  de  Bagdad,  portait  le  nom  de  son  fondateur 
Nizâm  el  Moulk  (4),  le  célèbre  vizir  des  trois  premiers  Sel- 
joukides.  On  en  avait  jeté  les  fondations  en  1065  (H.  457)  et 
l'ouverture  des  cours,  deux  ans  plus  tard,  avait  donné  lieu  à 
un  incident  qui  montre  quelle  liberté  les  savants  pouvaient 
alors  garder  vis-à-vis  du  pouvoir.  Le  premiei*  professeur 
nommé  par  le  vizir,  Ibn  Ali  es  Ghiràzi  cité  plus  haut,  refusa 
de  commencer  ses  cours  et  se  cacha,  le  jour  de  l'inaugura- 


(1)  Le  Tàb  formait  frontière  entre  Fars  et  Khouzistan. 

(2)  Le  Strange,  p.  82  :  «  La  route  la  plus  facile  de  Bassorah  à  Bagdad 
était  naturellement  par  bateau  sur  le  Tigre.  L'inilication  des  villes  ren- 
contrées sur  ce  parcours  se  trouve  en  détails  dans  Ibn  Rousteh(p.  184, 
186-188)  et  Yaqoubi  (p.  320).  »  D'après  Qoudama  (p.  13b),  les  étapes  repré- 
sentaient :  Bagdad-Wasit,  50  parasanges  ;  Wasit-Bassorah,  50  parasanges  ; 
Bassorah-Souq  el  Alnvaz,  35  parasanges  ;  Souq  el  Ahwaz-Chiraz,  102  pa- 
rasanges. 

(3)  Le  Tigre  était  navigable  en  grande  partie  au  temps  d'Ibn  Khordad- 
beh  qui  indique  (p.  136)  que  la  navigation  existait  entre  Bassorah  et 
Hormuz  avec  escale  aux  iles  (dont  Kich)  ;  d'après  lui  (p.  42)  la  dislance 
était  de  168  parasanges. 

(4)  Sur  Nizâm  el  Moulk,  cf.  Ch.  Schéfer,  Siassel  ndmeh,  texte  persan, 
suppl.,  p.  1-19  et  22-28,  particulièrement  p.  31  ;  Ibn  Khallikan  (trad. 
De  Slane),  I,  413.  Sur  la  Nizamiyah,  id.,  \l,  164,  et  Wustenfeld,  Die  Aka- 
demien  der  Araber. 


\ 


LA     M  K  1  ^ 

lion  (le  l'université,  en  déclar.nnt  «jn  il  ne  voulnil  pas  ensei- 
gner dans  une  maison  donl  le  lonaiii  avait  rie  injustement 
conliscjui"  aux  précédents  propriétaires.  Mal^^ié  ce  trait  d'in- 
dépendance, sa  place  lui  fut  ronservée  et,  suivant  le  rite 
chaféile,  il  se  mit  à  enseigner,  après  avoir  été  suppléé  vingt 
jours  durant  par  Abou  Naçr  ibn  es  Sabbàj^di. 

A  répo(|ue  oii  Saadi  vint  étudier,  la  Nizaniivali  jouissait 
d'un  passé  «glorieux.  Plusieurs  des  professeurs  avaient  com- 
posé de  remarquables  travaux  sur  la  théologie,  la  jurispru- 
dence, des  commentaires  sur  le  Coran  ;  rilluslre  (iha/àli, 

l'argument  de  l'islam  »,  y  avait  enseigné,  de  lOlH  à  lOUi) 
11.  iSi-itS8),  année  de  son  pèlerinage  à  La  Mecque  'i  :. 

Outre  Ghazâli,  avait  professé  son  frère  Aboul  Foutouh: 
puis  le  père  du  célèbre  généalogiste  Samàni  ;  le  grammai- 
rien Abd  er  Hahmàn  ibn  Mohammed  el  Anbâri.  Haha  ed  Din 
ibn  Chaddad  '1\  l'historien  de  Saladin.  y  fut  (juelqne  temps 
répélilenr.  Peu  de  temps  avant  l'arrivée  de  Saadi  mourait, 
en  IP.M)  H.  *)92  ,  el  Mouhajjar  (3i  qui.  ancien  élève  de  la 
Nizamiyah,  avait  professé  à  Damas,  puis  à  Chiraz  où  on  lui 
avait  bâti  un  collège,  et  ét;iit  ensuite  revenu  à  Bagdad 
comme  professeur,  i^lne  semaine  après,  du  reste,  il  parlait 
en  ambassade  vers  le  sultan  du  Khare/m.) 

Les  universités  étaient  alors  de  puissantes  institutions  yi). 

i()  Saadi  a  parié  de  Gbazàli  {Gulistan.  p.  338)  :  ••  On  demanda  à  l'imAm 
cl  GbazAli  :  Comment  »s-lu  atteint  un  si  haut  degré  de  science  ?  —  Il  ré- 
pondit :  Tout  simplement  ;  ce  que  je  n'ai  pas  su,  je  n'ai  pas  craint  de  le 
demander.  >  Ghaz&li,  né  à  Tous  <  Khorassan),  était  aiii'-i  con^pntriote  de 
NizAm  cl  Moiilk  qui  mourut  un  an  après  sa  nomination  à  laquelle  il  ne  fut 
c^ns  doute  pas  étranger. 

i)  Raha  ed  Din  ibn  Cbaddad,  auteur  de  la  Vie  de  Saladin.  répétiteur  h  la 
.Nizamiyah  %-ers  11S0.  cite  plusieurs  profes-scurs  et  répétiteurs  (Hitt.  or. 
Croisades,  III,  .183-3H4).  Il  j  conte  {ihid.,  3(H)-r9I)  une  cuiieusc  anecdote 
sur  la  consommation  de  l'anacarde  (baladour^  par  les  étudi9nts.  l'n  autre 
élève  brillant  de  la  Ninmivjh  fut  Imad  ed  Din  el  Kàlil  (ibid..\^'  'i-'»  . 
p.  3. 

^3)  Ou  plus  exactement  ;    ,\Lcûl    Q^sim  Mabmoud   ibn    ci    MouLa;3k  cl 
Wasiti  el  Moubajjar. 

4)  Cf.  .\rminjon,  L'enseignement  ..  dans  les  nnivertil/s  musulmanes,  p.  ICii. 
.--itr  r.M  ,•  in:..ii  ,Mi  ;  Il  t  ■•  1 1  <»nrr  Hcs  collèges,  oDlrouvera  df  8  renseignements! 

Al.   -      2 


iS  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

Depuis  que  les  Iraduclions  des  ouvrages  grecs  avaient  eu 
quelque  sorte  doublé  la  science  arabe  jusque-là  confinée 
dans  la  théologie  et  la  jurisprudence,  les  établissements 
d'instruction  s'étaient  étendus  d'autant.  Tout  d'abord,  les 
savants  en  renom  avaient  enseigné  chez  eux,  ou  bien,  tout 
en  voyageant,  donné  leur  enseignement  dans  les  villes  où  ils 
s'arrêtaient.  Le  plus  souvent,  ces  savants  ne  se  consacraient 
pas  exclusivement  à  l'instruction  et  l'on  rencontre  parmi  eux 
des  prédicateurs  de  mosquée,  des  inspecteurs  de  marché, 
des  secrétaires,  des  calligraphes,  des  qâdis,  même  des  mar- 
chands et  des  ouvriers  qui  n'abandonnaient  pas  toujours 
leur  métier. 

Cette  situation  n'avait  pas  tout  à  fait  cessé  depuis  que  les 
califes  avaient  fondé  des  établissements  dont  les  maîtres 
étaient  régulièrement  payés  et  dont  plusieurs  devaient  s'éri- 
ger plus  tard  en  universités.  Celles-ci  portèrent  en  général 
le  nom  de  leur  fondateur.  Professeurs  et  étudiants  y  habitaient 
ensemble,  comme  aujourd'hui  dans  certaines  universités 
anglaises.  Le  traitement  des  professeurs  provenait  de  dota- 
lions  ;  ils  étaient  nommés  par  le  fondateur  et  ensuite  par  la 
direction.  Le  professeur  devait  posséder  une  instruction  gé- 
nérale lui  permettant  de  discuter  sur  toutes  les  matières 
enseignées.  Un  maître  pouvait  donner  son  enseignement  à 
deux  universités  d'une  même  ville,  passer  d'une  ville  à  une 
autre.  Il  y  avait  de  jeunes  répétiteurs  (et  ce  fut  le  cas  de 
Saadi  à  Bagdad).  La  bibliothèque  de  l'université  s'enrichis- 
sait des  dons  des  professeurs  qui  léguaient  souvent,  soit  leurs 
œuvres,  soit  leur  bibliothèque  particulière. 

Il  est  assez  difficile  de  savoir  quels  maîtres  et  quels  condis- 
ciples Saadi  trouva  à  Bagdad.  Lui-même  nomme  dans  le 
Boustan  deux  de  ses  maîtres  :  Ibn  el  Jawzi  et  Souhrawardi. 
Mais  n'en  eut-il  pas  d'autres  ?  On  peut  essayer  quelques 
conjectures. 

à  vrai  dire   postérieurs,  dans  Sauvaire,  Description  de  Damas,  J.  X.  1894 
(t.  III),  notamment,  p.  260-261,  431,  434. 


t. A     VI  K  19 

Halia  ed  L)ni  /akanva,  de  Moullan.  lié  en  I  Hi'J  .  11.  ^jliiii, 
et  ci)iiiiii  sous  le  nom  de  Haha  el  Ha(jq  (1  ),  élail  un  des  plus 
brilianls  disciples  de  Sonhrawardi  (jnil  devait  suppléer  par 
la  suilo.  Il  ii'loiiiiia  plus  lard  dans  sa  ville  natale  oii  il  mou- 
rut centenaire,  avec  la  répnlalion  d'un  sainl,  et  oi»  il  n'est 
pas  impossible  (pie  Saadi  l'ait  visilé  lors  de  son  passage  en 
Inde,  après  l'avoir  auparavant  Trécpienté  à  Fiai,'dad.  D'autre 
part,  d'après  NN'usIenfeld  {A/inc/emicn,  j».  127  .  Abou  Ali 
Yahia  ibn  er  Habi  ibn  Soulainiàn  el  Oumariel  Wasîli  fut  ré- 
pétiteur, puis  professeur  à  la  Ni/arniyab  juscpi'en  I  20*J  (II, 
GUG),  date  de  sa  mort.  Kntre  l'arrivée  de  Saadi  à  Ha^^dad 
(H96/592)  et  celte  date,  il  y  a  13  ans.;  il  est  donc  permis 
d'imaginer  (jue  Saadi  connut  ce  personnage.  De  même  pour 
Aboul  QAsim  .Vbd  er  Hahmàu  ibn  Mohammed  ibn  Ahmad 
ibn  Ilamdàn  (pii,  né  eu  I  ItiT  II.  .*)73),  fut  uf)innié  après  ses 
études  à  U'asil,  réj)éliteur  à  la  Ni/.amiyah  :  en  I  I9H  i  H.  r)9i) 
il  avait  31  ans  et  rien    n'indicpie  qu'il  avait  quille  Bagdad. 

Peut-être  Saadi  rencontra-t-il  Abou  .\bdallab  .Mohammed 
ibn  Yahia  el  Hagdadi  (jui,  né  eu  117-  ;H.  508),  fut  nommé 
professeur  à  la  Nizamiyah,  probablement  vers  l'époijue  où 
Saadi  s'en  alla  de  Bagdad.  Mnfin,  en  Mahmoud  ibn  .\hmad 
ibn  .Mahmoud  ez  Zanjani,  né  en  1 177  (U.  o73)  et  étudiant  à 
Bagdad  ;  en  Najm  ed  Din  el  Bâdara'i,  né  en  1 198  { H.  59i),  on 
verra  peut-être  un  camarade  et  un  élève  de  Saadi. 

Mais  ce  ne  sont  là  que  des  conjectures  et  il  convient  de 
s'en  tenir  surtout,  de  même  que  pour  loule  la  vie  du  poète, 
à  ce  qu'il  a  bien  voulu  dévoiler  dans  son  œuvre  ;  car  les  his- 
toriens sont  chiches  de  renseignements  el  les  biographes 
souvent  fantaisistes. 

II  est  inutile  de  réfuter  longuement  l'assertion  de  Dawlat- 
chali  qui,  dans  sa  biographie  de  Saadi,  prétend  (ju'il  eul  pour 
maître  Abou  Mohammed  Abd  el  (^)âdir  ibn  Abi  Ci\lih  el  Gi- 
lâni  :  ce  mystique  célèbre  (pii  vint  à  Badgad  vois  l(i9.'*),  y  com- 
mença son  onst'ignemcnt  public  en  1 127  et  y  mourut  en  fé- 

(1)  U.  Litcyulo/t.  itUuu,  s.  V, 


20  PREMIli:[\R    f.VKTIE.     —    CUAPITUK    PREMlIiU 

vrier  1166  (2riibi  I"  du  561),  est  cilé  une  fois  dans  le  Gulis- 
tan  (l).  mais  en  quelque  sorte  comme  un  personnage  histo- 
rique. Bien  plus  certaine  paraît  la  familiarité  de  Saadi  avec 
Ibn  el  Jawzi,  sujet  de  celte  anecdote  (2)  qui  donne  une  preuve 
nouvelle  de  la  joyeuse  jeunesse  du  poète  :  «  Quoique  le  cheik 
Cheais  ed  Din  Aboul  Faradj  ben  Djaouzy  m'ordonnât  de 
renoncera  entendre  de  la  musique  et  me  conseillât  la  solitude 
el  la  retraite,  la  fleur  de  ma  jeunesse  l'emportait  et  la  passion 
el  la  concupiscence  me  poursuivaient.  , Te  marchais  malgré 
moi  quelques  pas  contre  l'avis  démon  maître  et  je  prenais 
part  à  la  musique  et  aux  conversations.  » 

Plaisirs  d'un  jeune  homme  jetant  son  premier  feu.  Saadi 
n'avait  en  elîet  que  dix-sept  ans  environ,  lorsque  mourut 
son  maître  qu'il  cite  au  reste  une  seule  fois  et  qui,  sans 
doute,  n'eut  pas.  le  temps  d'exercer  sur  lui  son  influence. 
Mais  un  autre  maître,  Souhrawardi,  esprit  vaste  et  passionné, 
touchera  plus  profondément  l'âme  du  futur  poète,  et  il  est 
permis  d'attribuer  à  son  influence  le  sentiment  mystique 
qui,  si  tiède  et  conventionnel  qu'il  soit,  se  décèle  néanmoins 
dans  quelques  parties  du  Boustan  et  surtout  dans  un  certain 
nombre  de  pièces  lyriques. 

Depuis  Ghazâli,  la  mystique  triomphait  à  la  Nizamiyah  ; 
le  mouvement  anti-rationaliste  se  généralisait  depuis  un 
demi-siècle,  et  d'un  bout  à  l'autre  du  monde  musulman  (3) 

(1)  Plusieurs  manuscrits  et  édilioas  acceptent  l'opinion  de  Dawlatchah, 
de  même  .que  Sacy  (Biog.  aniv.)ei  Hoss  (The  GuUstan,  p.  8).  Cf.  Defrémery 
(traJ.   du  Guliatan,  p.   101,  n.  1). 

(2)  Galislan,  p.  120,  II,  iO.  La  suite  de  l'histoire  explique  plaisamment 
comment  Saadi  fit  plus  tard  pénitence  de  son  penchant  pour  la  musique, 
grâce  à  un  fort  mauvais  musicien.  Aboul  Farâj  yVbd  er  Rahmân  ibn  Ali  ibn 
el  Jawzi,  de  la  secte  des  Hanbalitss,  prédicateur  à  Bag-dad,  est  célèbre 
l)ar  sas  ouvrages.  Suivant  Ibn  el  Athir  (éd.  Tornberg-,  XII,  112),  il  naquit 
en  1116-1117  (H.  iilO)  et  mourut  en  juin  1201  (ramadan  597).  Cf.  sur  lui  : 
Dozy,  Commentaire  sur  le  poème  d'ibri  Abdoan,  p.  24,  n.  2,  et  L.  iMassignon, 
Les  suints  musulmans  -onterrés  à  Bagdad  [Rev .  Hisl .  Reluj.,  t.  LVllI,  1908, 
p.  .334-,  in  fine).  Son  fils  fut  un  historien  honorable  (cf.  Hisl.  or.  Croisades, 
I,  iiilrod  ,  p.  LX,  art.  Sibl  ibn  el  Djeuzi). 

(3)  Cf.  Renan,  Averroës  el  Vaverroisme,  p.  29-33. 


LA     VIE  ai 

Les  Abd  el  (Jàdir  ci  (iilani,  les  Ziya  etl  \)'\u  Aboul  N:tjîb  es 
Soiihrawardi  !  i,  oncle  du  inailrc  de  Saadi.  enlrelenaieiil  à 
Ha^'dad  le  luouvemeulcrcé  par  l'auUMir  de  la  <•  iîevivi.xceiice 
des  sciences  de  la  reli^'ion  •>  el  du  <«  Henversenienl  des  phi- 
losophes >•.  CliihAb  i'd  Diii  Abon  Ilafs  Omar  ibn  Mohammed 
ibii  Abdallah  es  Sonhiawaidi  (  1 14:j-l23i/5:iU-032i,  fonda- 
lenr  de  l'ordre  de  derviches  (jiii  porte  sou  nom,  jouissait, 
lors  du  séjour  de  Saadi  à  lia^uiad,  de  sa  pleine  icuouimrc. 
non  seulement  comme  prolesscur,  mais  cumme  ^laiid- 
inaîlre  des  docteurs  de  la  ville  -  .  Au  lahnl  du  llu'-ori- 
cien  3),  il  joii^nail  le  renom  d'un  thaumalurL;e  el  Jâmi 
assure  (pi'il  acquit  rapidement  la  réputation  d  un  saint  i  . 
C'est  du  leste  sous  cel  aspect  .'V;  cpi'il  e?t  présenté  par 
Saadi  dans  la  seule  citation  qu'il  lui  ail  consacrée  :'>...  ce 
n'est  plus  Saadi  qui  parle,  c'est  Souhrawardi.  (.e  cheik 
vénéré,  mon  guide  sj)irituel.  tandis  que  notre  navire  «glissait 
sur  l'onde,  ma  donné  ces  deux  conseils  :  Ne  vis  pas  dans  la 
société  des  méchants  ;  ne  sois  pas  induli^ent  envers  loi- 
méme.  Je  me  souviens  ipie  la  j)ensée  terriliante  de  1  enfer 
avait  tenu  éveillé  ce  saint  homme  pendant  une  nuit  entière  ; 
le  jour  venu,  je  l'entendis  (jui  murmurait  ces  mots  :  Que  ne 
ni'est-il  permis  d'occuper  à  moi  seul  tout  l'enfer,  atin  qu'il 


(i)  Sur  ce  personnage,  cf.  Carra  de  Vaux,  /,«  filiilosophie  iUiiminalive. 
i.  A.  1902.  t.  XIX.  p.  66.  n.  I;  H.  Derenlourg,  Les  croisailes  d'après 
Ydijoùt,  p.  82  et  n.  8. 

(2)  Cf.  Sacy,  .Vo/.  el  extr..  XII.  p.  367  ;  Ihn  Khallikôii  (Irad.  dr  Slaii.», 
Il,  382-384)  ;  Carra  de  Vaux,  loc.  cit.  :  E.-G.  Browne,  LUerary  Ilislory,  II, 
496;  Be»  (  lieneb.  Elude  tur  les  personnages  menlionnés  dans  fidjaza  du 
cheik  'Abd  el  Ç>ddir  el  Fàsy,  p.  37T-378.  Cf.  une  description  de  .««'n  lfin)l><>au 
dans  von  Oppenlieim,  Von  Mitlelmeer  :um  persischen  (îolj.  II,  2.10  el  suiv. 
•Sur  l'ordn»  des  derviclios  sotilirawardis.  cf.  Daia  (^liirkouli,  Sajina-i-aivliyah, 
composé  rn  164U  (II.  1049,  (éd.   Lucknow.  1872). 

(3)  Cf.  sur  son  ouvrage  c  Awarif  el  Maarif  (les  dons  des  connaissances 
spirituelles)  »:  Ibn  Khaldonn.  Prolétjomènes  (Irad.  de  Slnn-).  III,  89; 
lladji  Khalfa.  l.exiam  (éd.  Flugt-I;.  IV,  27r).  n*  H40I. 

(*)  .\ajiifuit  el  ouns  («-d.  Nassau  I.re»,  CahnllK,  IST/J),  p.  548  cl  suiv. 
(5)  Hotistan,  p.  107.  D'IlerLelot   {Bibl.   orientale,   ait.   Sadi     indique  par 
erreur  ce  passage  du  Boustan  comme  faisant  partie  du  Gulislan. 


32  PREMIERE  P\RT(E.  —  CHAPITRE  PREMIER 

n'y  ait  plus  de  place  pour  d'aulres  damnés  que  moi.  »  Dana 
sa  biographie  de  Saadi,  Jàmi  [Nafahat]  s'inspire  de  ce 
passage  :  <(  Saadi  entra  dans  la  compagnie  du  cheik  Chihab 
ed  Din  et  fit  avec  lui  un  voyage  en  mer.  »  Quel  est  en  effet 
ce  navire  glissant  sur  l'onde?  S'agit-il  d'une  promenade  sur 
le  Tigre  au  cours  de  laquelle  le  maître  aurait  continué  son 
enseignement,  sous  la  forme  du  libre  entretien?  Ou  bien 
faut-il  y  voir  une  interprétation  allégorique,  la  nef  de  la 
pensée  voguant  à  pleines  voiles  sur  l'océan  illimité  du  sen- 
timent? 

L'enseignement,  à  la  Xizamiyah,  était  organisé  suivant  le 
rite  chaféïte.  Saadi  travailla  sans  doute  avec  ardeur  et  assi- 
duité, car  il  ne  tarda  pas,  d'après  ce  qu'il  affirme,  à  obtenir, 
non  seulement  une  bourse,  mais  le  titre  de  répétiteur.  «  J'a- 
vais une  bourse  à  la  Xizamiyah  »  dit-il  dans  le  Boustan 
(p.  288),  «  les  leçons  et  les  récitations  me  prenaient  tout  mon 
temps  ».  Il  souffrit,  semble-t-il,  de  ces  arrêts  continuels  de 
son  travail,  arrêts  imposés  par  ses  devoirs  professionnels, 
car  il  y  revient,  sans  se  nommer  soi-même,  dans  le  Galistaa 
(p.  143,11,  38).  D'autre  part,  son  talent  dans  l'explication  des 
traditions  suscitait,  dit-il  (1),  la  jalousie  de  ses  condisciples 
et  il  s'attira  à  ce  sujet,  d'un  de  ses  maîtres  auquel  il  se  plai- 
gnait, cette  l'éprimande  :  «  Chose  étrange  1  tu  réprouves  la 
jalousie,  mais  qui  donc  t'a  enseigné  que  la  médisance  fût 
digne  d'éloges  ?  »  Réponse  de  philosophe  et  d'ascète,  pleine 
de  l'indulgence  souriante  qui  formera  plus  tard  le  fond  de  la 
morale  de  Saadi.  Les  docteurs  de  la  Xizamiyah  ne  négli- 
geaient aucune  occasion  de  pétrir  le  cœur  de  leurs  élèves,  et 
le  poète  en  rapporte  des  exemples  dans  le  Gulistan  (p.  341  , 
une  leçon  de  politesse)  et  dans  le  Houstan  (p.  308,  au  sujet 
d'un  jeune  homme  qui  avait  perdu  les  dents  de  devant  et, 
par  suite,  prononçait  mal). 


(1)  Gulistan  (p.  126,  II,  24)  :  «  Je  me  plaignis  à  l'un  des  cheiks  de  ce 
que  quelqu'un  avait  parlé  de  moi  d'une  façon  inconvenante.  Il  répliqua  : 
Confonds-le  à  force  de  vertu.  » 


LV    VIE  SS 

Saadi  se  Irouvail  alors  parla^^ë  entre  sou  peiichanl  pour  la 
poésie  et  ses  études  lliéologique:».  Sur  la  fin  de  ses  jours,  il 
ne  pourra  songer  sans  cmolion  à  Bagdad,  ville  de  sa  jeunesse 
et  de  ses  prt'iniers  essais  portiques  (  I  i.  Ciar  la  discij)line  uni- 
versitaire ne  rcinpt'cliail  pas  de  crlrbrer  la  joie  de  vivre,  et 
c'est  probablement  de  cette  éj)0(jue  que  datent  les  plus  an- 
ciennes de  ses  œuvres  qui  aient  été  conservées  :  les  odes  an- 
cienries  (gliazaliyàt-i-(jadîin,  cf.  Z.D.M.ri.,  XXX,  p.  *.M  )  et 
les  qacidas  persanes  dans  lesquelles  il  chante,  tantôt  la  fuite 
de  la  jeunesse  et  du  temps  (sentiment  qui  deviendra  l'un  des 
moteurs  de  son  génie  poétique),  tantôt  (2*  ode),  précurseur 
de  r  «  In  mtmoriuni  »  de  Longfellow,  la  mort  d'un  ami 
lougtcmjis  regretté.  V.n  outre,  (jueUjiies-unes  des  (picidas 
arabes  apparlienneul  certainement  à  cette  épocjue  ['!). 

L'incertitude  obscurcit  alors  l'existence  du  poète,  car,  à 
l'exemple  de  plusieurs  savants  et  lettrés  de  1  Orient,  il  com- 
mence une  série  de  voyages  qui,  mentionnés  sommairement 
par  lui-même  ou  ses  biographes,  laissent  le  champ  libre  à 
toutes  les  conjectures.  Avant  de  le  suivre  tant  bien  que  mal 
sur  les  grandes  routes  de  l'Asie,  il  importe  de  jeter  un  coup 
d'œil  sur  l'organi.sation  de  ces  itinéraires  au  temps  des 
Abbassides. 

(Quatre  réseaux  principaux  jalonnaient  alors  l'Asie  anté- 
rieure :  la  route  du  Khorassan  et  ses  multiples  embranche- 
ments (3)  ;  celle  de  Bagdad  vers  liassorah  (4)  et  Chiraz, 
Chiraz  n<L'ud  des  grandes  voies  de  l'Iran  central  ;  la  route 


(I  II  Tt-vocjuc  dans  le  lloiislan  (p.  20l)  :  «  Vois!  Il  y  a  beaucoup  de 
iiiausolc-CH  dans  le  faubourg  de  Karkb,  mais  uu  seul,  celui  de  Maarouf.  est 
I  onnu  du  peuple.  »  El  iiulisUui  (p.  318)  :  »  N'allache  pas  ton  cœur  à  ce 
jui  eat  |)assager,  car  le  Tigre  pussera  k  Bagdad  longtemps  après  la  mort 
du  calife.   » 

[2i  (jitlislan  ^p.  258j  :  c  Saadi  connaît  le  clieiimi  cl  les  coutumes  de 
l'amour  aushi  bien  qu'on  conuait  l'arabe  k  itagdad.  » 

(3)  Ibn  Kbordadbeh  (trad.  Burbicr  de  Meynnrd,  J.  A.  18C5,  t.  V).  p.  25», 
indique  les  relais  de  celte  route,  tans  duulc  peu  modiÛL's  depuis  l'époque 
de  Saadi. 

(*)  Itinéraire  Bagdad-BasBorab  :  ILn  Khordadbeli  {up.  cil.',  p.  î?>0 


24  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

du  pèlerinage  (Bagdad-Hedjaz)  (1)  ;  les  roules  de  Bagdad 
vers  Damas  et  l'Empire  grec  (2). 

Deux  cîiuses  au  moins  porlèrenl  sans  doute  Saadi  aux 
voyages:  d'abord  Tobligalion  du  pèlerinage  à  la  Mecque, 
obligation  qui  nécessitait  le  développement  et  Tentretien  des 
routes  conduisant  à  la  ville  sainte  ;  puis  Bagdad  était  le 
point  de  départ,  l'omphalos  de  toutes  ces  routes,  et  le  poète 
se  trouvait  ainsi  sollicité  directement  par  l'attrait  des 
voyages  lointains.  En  outre,  les  pérégrinations  en  pays 
musulmans  constituaient  une  sorte  de  noviciat  imposé  aux 
derviches  (3)  et,  d'autre  part,  il  est  possible  que  des  signes 
répétés  d'instabilité  politique  aient  déterminé  Saadi  à  s'éloi- 
gner de  Bagdad. 

Les  orientalistes  n'ont  pu  se  mettre  d'accord  sur  la  chro- 
nologie des  voyages  du  poète.  Selon  Ethé  (Grundriss  der 
iran.  Phil.),  ses  études  à  Bagdad  se  seraient  prolongées  jus- 
qu'en 1226,  et,  au  cours  même  de  cette  période,  il  aurait 
poussé  jusqu'à  Kachgar  (Turkestan).  Suivant  le  géographe 
"ïàqoùtiSc    V.)   (4),  c'était  de  Samarcande  qu'on  se  rendait 

(1)  Ilifiéraire  Bagdad-La  Mecque  (par  Coufa)  :  ibid.,  p.  496  el  oOO.  Pour 
les  relais  entre  Bassorah  et  La  Mecque,  ibid  ,  p    ;i08. 

{2)  liinéraire  Bagdad-Rakka  (par  Mossoul)  :  ibid.,  p.  465.  Autre  itiné- 
raire par  Anbàr  et  Haditchah  (en  remontant  l'Euphrate  jusqu'à  Rakka 
avec  embranchement  à  8  parasanges  plus  loin,  vers  Damas  :  une  route  par 
le  désert,  l'autre  par  Homs),  signalé  par  Qoudâma,  B.  G.  Arab.,  t.  \'I, 
p.  166.  —  Pour  le  détail  de  tous  les  itinéraires  qui  précèdent,  cf.  Le  Strange 
{op.  cit.),  p.  9  et  suiv.,  et  Spreager,  Post  and  Reise  Boaten  des  Orients.  — 
Sur  Torganisation  des  relais,  cf.  Ibn  Khordadbeh  {op.  cit.),  p.  10-12,  et, 
spécialement,  pour  l'époque  mongole,  d'Ohsson,  Hisl.  des  Mongols  (2^  éd.), 
II,  p.  481  et  n. 

(3)  Bouslan,  p.  207:  «  Suivez  l'exemple  de  Saadi.  Parcourez  le  monde 
en  renonçant  à  toute  chose  et  vous  reviendrez  le  cœur  plein  de  science.  »> 

(4)  Répété  par  le  Maracid  ei  itlila  (éd.  Juynboli,  s.  v.).  D'après 
Le  Strange  {op.  cit.,  p.  487),  «  les  villes  comme  Kachgar,  Khoten,  Yarkand, 
et  en  général  celles  des  frontières  de  Chine  sont  décrites  sommairement 
par  les  géographes  orientaux  ».  Sur  Kachgar,  cf.  Ch.  Schéfer,  Relation  de 
l'ambassade  au  Kharezm  de  Riza  Qoali  Khan,  p.  163-165  (en  particulier 
p.  16i,  n.  i)  ei  Description  de  Boukhara  par  Mohammed  iNerchakhy  (éd . 
Schéfer),  p.  267-269;  Histoire  de  l'Asie  centrale  par  Mir  Abdoul  Kerim 
Boukhary  (éd.  Schéfer),  p.  208-302.     . 


LA   viK  :;5 

\cvA  celle  ville  et  vers  les  villages  qui  reiiviroiiiiuicnl,  en 
plein  pays  turc,  mais  islamisé.  Kronlièro  de  la  Cliiiie,  oii  se 
iL'nniiiailia  Lîraiul'roulL'  du  Kliorassaii,  partie  de  Bagdad, 
par  kiiin;iiicliali,  Ilamadaii,  Uey,  Nicliapoiir,  Tons,  Mcrw  , 
villes  grandes  el  vénérables,  précédanl  le  déserl  (pii  les 
séparait  tle  la  'iransoxiane  ;  venaient  ensuite  li(jnkli;»ra, 
Saniaicande  et  I  anlicjue  Sogdiane  ;  puis  la  roule  inclinait 
vers  la  droite,  traversait  le  l^irghana  et  mourait  à  la  lisière 
du  désert  de  (]liine. 

Saadi  raconte  dans  le  (julisliin  [\  )  qu'il  enlradans  la  inos- 
cpiée  de  Kachgar  en  Tannée  où  le  sullan  du  Kharezin,  Ala 
ed  Din  Mohammed  i  12(1(1- J  220)  cojiclut  la  paix  avec  le 
prince  de  Kara-Kliilaï  qui  régnaitalors  à  Kachgar  et  à  Kho- 
ten  (2).  Or  cet  événement  a  lieu  en  I21U  (3)  et,  suivant  la 
même  anecdote.  Saadi  —  à  condition  toutefois  ipi'il  ne  se 
vanle  pas  en  aiilidatant  —  est  déjà  tort  connu  comme  auteur 
de  j)oésies,  non  seulement  persanes,  mais  arabes.  Le  même 
passage  tend  en  outre  à  lui  altrihuiT  un  réel  talent  d'impro- 
visation poétique.  Si  donc  Ion  accepte  cette  date  de  |2I0, 
il  faut  noter,  en  délaissant  un  instant  la  chronologie  de  ses 
voyages:  d  abord  sa  notoriété  de  littérateur  et  il  est  alors 
âgé  de  vingt-six  ansi  répandue  jusqu'au  Turkeslan,  ensuite 
la  rapidité  extraordinaire,  suivant  la  judicieuse  remanpic 
de  M.  K.-(i.  BroNvne  \Literari/  history  of  Per.sùt,  II,  527,. 
avec  laquelle  connaissances  et  nouvelles  se  lran>nu'lt;iit'iil 
dès  lors  dans  le  domaine  de  1  islam. 

M.  Kthé  admet  cpie  Saadi  revint  ensuite  de  Kachgar  à 
Bagdad,  aiin  d'y  terminer  ses  éludes.  Il  adopte  ainsi,  semblb- 
l-il.  en  (juel([ue  mesine,  l'opinion  de  Dawlatchah  qui  accorde 
à  1  élude  hente  années  de  la  vie  du  poète.  Celui-ci  aurait 
quitté  délinitivement   Bagdad  vers  1221)  (II.  623),  l'année 

I)  P.  240,  V.  1"  el  cf.  Ooelli-».  W'eslOsl.  [)u<nn.  noie  sur  le  ScfienkenbucU . 

(2)  Cf.  d'Ohssoii,  Morujols,  I,  IGïS,  181.  l«-2  ;  Ibii  el  Alhu-  (éd.  Tornbeijr, 
XII.  172,  174.  170.  177)  ;  Mirkbond,  SuUnns  du  Kluirezin  (éd.  DeTrémery, 
p.  54-56.  r>«.»,  60i. 

,3)  Oa  en   1208    H.  604)  suiranl  Barbier  de  Meynard  {Bouslan,  p.  XIII  . 


a6  PREMIÈRE    PARTIE.     —    CHAPITRE    PREMIER 

môme  de  la  morl  du  prince  de  Cliiraz,  Saad  ibn  Zangi,  et  de 
la  dévastation  du  Fars  par  les  Mongols,  pour  ne  revenir  à 
Cliiraz  qu'en  I25().  C'est  en  etlet  en  1224  (H.  (321),  suivant 
Ibn  el  Athir  (éd.  Tornberg,  XII,  273)  et  Aboulféda  (IV,  332) 
(et  non  en  1203-06/602,  d'après  Mirkhond),  que  Ghiyath 
ed  Din,  fils  de  Mobanimed  sullan  du  Kharezm,  s'empare  de 
la  plus  grande  partie  du  Fars  et  occupe  Chiraz,  ne  laissant 
à  l'alabek  Saad  que  quelques  places  fortes. 

Une  citation  du  Gulisian  (p.  8)  vient  à  l'appui  de  cette 
opinion  :  (*  Ne  sais-tu  pas  pourquoi  j'ai  séjourné  longtemps 
dans  des  régions  étrangères  ?  Je  suis  sorti  de  mon  pays  à 
cause  de  l'oppression  des  Turcs  et  parce  que  j'ai  vu  le  monde 
tombé  en  désordre...  rempli  de  trouble,  de  confusion  et 
d'inquiétude.  »  Ces  deux  dates  de  1210  (pour  la  visite  à 
Kachgar)  et  de  1226  (pour  le  départ  de  Bagdad)  auraient 
donc  apparence  d'exactitude. 

Or,  Barbier  de  Mejnard  [Boustan,  préface,  p.  XII-XIII) 
bâtit  une  chronologie  toute  différente  ;  il  retient,  à  deux 
années  près^  la  date  du  voyage  à  Kachgar,  mais  précédé  d'un 
long  séjour  en  Syrie  qui,  par  suite,  raccourcirait  de  beau- 
coup la  durée  des  études  de  Saadi  à  Bagdad.  D'après  cet 
orientaliste,  il  faudrait  placer  ce  séjour  en  Syrie  «  en  1203  ou 
1204,  vers  la  fin  de  la  cinquième  croisade...  A  celte  date,  les 
princes  chrétiens,  profitant  de  la  trêve  récemment  conclue, 
employaient  à  relever  les  murs  de  Ptolémaïs  et  de  Tripoli 
les  sommes  apportées  par  Foulques  de  Neuilly,  et,  comme 
les  bras  manquaient,  ils  utilisaient  pour  ces  travaux  les  pri- 
sonniers sarrazins  ». 

Ainsi,  le  poète,  né  vers  1184,  avait  alors  nne  vingtaine 
d'années.  Or,  ce  séjour  en  Syrie  comporte,  non  seulement 
des  aventures  conjugales  et  une  captivité  chez  les  Chrétiens, 
mais  encore  un  séjour  préalable  et,  semble-t-il,  assez  pro- 
longé à  Damas.  Saadi  écrit  en  effet  :  «  J'avais  pris  en  dégoût 
la  société  de  mes  amis  de  Damas  ;  je  m'avançai  dans  le  dé- 
sert de  Jérusalem  (1  )  et  je  me  familiarisai  avec  les  animaux, 

(i)  C'est  probablement  ce  passage  qui  a  porté  Jâmi  (Najahat)  à  déclarer 
que  Saadi  avait  été  porteur  d'eau  à  Jérusalem. 


L\  vir  a 7 

jusqu'à  ce  que  jo  dovieiino  le  prisonuier  des  Francs»,  On  me 
lil  Iravailler  à  la  lerre,  avec  de.-*  juif-*,  dans  Ioh  fossés  de  Tii- 
j)oli  »  [\]. 

La  suite  de  ce  passage  raconte  assez,  plaisamment  sun  ni  i- 
riage  forcé  et  ses  démêlés  avec  une  épouse  acariâtre,  digne 
petite  lillc  de  la  femme  de  Socrate  :  un  bourgeois  d'Alep, 
(ju'il  avait  autrefois  connu,  vient  à  passer  et  trouve  le  poMo 
mi'lani()rj)liosé  en  terrassier  (2;.  Celui-ci  lui  raconte  coinineut 
il  a  été  capturé,  au  uionuut  nièmeoii  il  s'isolait  dans  la  con- 
templation de  la  divinité  el  ajoute  (ce  qui  dénote  une  àme 
encore  assez  peu  morliliée):  «<  Imagine  (]uelle  e.st  ma  situa- 
tion en  ce  moment  où  il  faut  me  faire  à  uue  bande  de  gens 
qui  ne  sont  même  pas  des  hommes.  •>  Le  bourgeois  compa- 
tissant rachète  Saadi  pour  dix  pièces  dOr,  1  emmène  à 
Alep  (3)  et  lui  fait  épouser  sa  lillc  k  avec  une  dot  de  cent 
dinArs  >>.  Mais,  peu  après,  l'épouse  devient  insupportable  el 
provo(jue  cette  répartie  :  <•  Ton  père  ma  racheté  de  l'escla- 
vage pour  dix  pièces  d  or,  mais  il  m'a  rendu  Ion  esclave 
pour  cent  autres.  •>  C  est  du  reste  le  mot  de  la  fin.  el  Saadi 
laisse  le  lecteur  terminer  l'histoire  à  sa  fantaisie  :  divorce  et 
départ  probable  d'Alep.  car  «  délibérer  avec  les  femmes  esl 
chose  vaine  »>  Guliat.un,  p,  327  .Saadi  garda  sans  doute  long- 
temps mauvais  souvenir  de  son  aventure,  si  l'on  s'en  rapporte 
au  parallèle  de  la  bonne  el  de  la  méchante  femme  qu'il  traça 
dans  sa  vieillesse  (i).  Kaut-il  attribuer  d'autre  part  à  la 
môme  épotjue  de  sa  vie  ce  cri  de  détresse  :  «  VA  toi.  pauvre 

(1)  Gululan,  134,  II,  32.  Avant  Saadi,  un  grand  personnage  avait  été 
contraint  à  des  travaux  de  terra'*semcnt  :  l'empereur  Valénen  qui,  en  209 
ap.  J.-C,  devin!  le  prisonnier  de  Sapor  I".  le  deuxième  des  SassanideH, 
el  resta  sept  ans  en  eoplivili^.  Safior  (d'après  Tahari,  I,  82",  qui  appelle 
Valérien  :  el  .\riy&iious)  l'aurait  fait  travailler  au  barruf^e  du  Caroun,  situé 
au-dessous  de  Chouster  el  dont  les  ruines  existent  encore.  Masoudi  (II, 
1S4)  rapporte  le  fait,  mais  l'allribue  à  Saper  II. 

(2)  Quatrain  127  :  <  Se  voir  dans  les  lient  des  Francs,  le  carcan  au  cou.  > 

(3)  D'après  Yâqoûl  {Motijam.  art.  ilalab  .  le  voyage  d'Alep  à  Tripoli  du- 
rait quatre  jours. 

(4)  Boutlan,  295  et  suiv.  ;  cf.  Sacy,  Pend  nameh,  p.  185,  n.  7  et  p.  188. 


a8  PKEMIÈUK  PAïaii:, CHAPITRE  PUEMIER 

Saadi,  quand  lu  vois  un  mari  asservi  jDar  sa  femme,  lu  n'as 
pas  le  droit  de  le  blâmer;  loi  aussi,  tu  consens  à  porterie 
lourd  fardeau  des  tyrannies  féminines  pour  goûler  les  vo- 
luptés d'une  nuit  »  (1),  Et,  du  reste,  «  les  hommes  sensées 
oui  dit  :  La  boucle  de  cheveux  des  belles  est  une  chaîne  pour 
le  pied  de  Tintelligence  »  [Gulistcin.  138,  II,  34). 
■  Si  donc  l'on  suppose  le  poète  âgé  de  20  ans,  lors  de  son 
rachat,  il  faut  admettre,  après  ses  éludes,  d'abord  un  séjour 
à  Damas,  prolongé  au  point  qu'il  s'en  déclare  excédé,  en- 
suite un  séjour  au  désert  assez  long  (s'il  convient  de  le  croire 
sur  parole)  pour  qu'il  ait  eu  le  temps  d'apprivoiser  des  ani- 
maux. D'au  Ire  part,  cet  Alépin  «  avec  lequel  il  avait  eu  d'an- 
ciennes relations  »  (ce  qui  paraît  difficile  à  un  jeune  liomnie 
de  vingt  ans)  le  rachète  moyennant  dix  pièces  d'or  :  et  cela 
représente  une  somme  (2).  On  a  le  droit,  sans  doute,  décon- 
sidérer comme  un  ancien  ami  du  père  de  Saadi  cet  Alépin 
qui  aurait  pris  plaisir  à  tirer  de  peine  le  fils  de  son  camarade. 
Mais,  c'est  là  supposition  purement  gratuite  ;  il  est  plus  pro- 
bable que  le  bonhomme  jugea  fort  avantageux  de  racheter 
au  prix  d'une  centaine  de  francs  (somme  élevée  pour  un  vul- 
gaire esclave,  mais  modique  pour  un  futur  grand  écrivain) 
un  homme  en  qui  les  Francs,  incapables  d'apprécier  son  es- 
prit, ne  voyaient  qu'un  simple  manœuvre. 

Vient  ensuite  la  question  de  la  dot  :  ou  bien  la  fille  était 
affreuse  et  détestable,  et  il  fallait  en  quelque  sorte  lui  payer 
un  mari  ;  ou  bien  Saadi  paraissait  un  gendre  en  tous  points 
souhaitable,  une  véritable  valeur  sociale  (ce  qu'il  fut  plus 
tard,  mais  ce  qu'il  lui  était  à  peu  près  impossible  de  représen- 
ter à  l'âge  qui  lui  est  attribué). 

Si  d'autre  part  l'on  accepte  la  date  de  H 96  pour  son  arri- 
vée à  Bagdad,  il  avait  alors  douze  ans.  Il  reste  donc  de  1196 

(1)  Bouslan,  298.  Un  autre  souvenir  d'Alep  (le  bazar  dos  fripiers)  se 
trouve  consigné  dans  le  Gulislan  (p.  157,  III,  1). 

(2)  «  La  valeur  intrinsèque  du  dinar  (pièce  d'or)  variait  beaucoup  ;  mais, 
en  terme  moyen,  on  peut  la  lixer  à  onze  francs.  »  (Hist.  or.  Croisades,  I, 
p.  759,  n.  6). 


I.v    \  m:  39 

.1  I2<>3,  im  laps  (II' ^e^)l  aiuu'cs.  titir.iiil  li;stjiK'lles  li  lievieiil 
sticcossiveiiuMil  l'iiidi.inl,  liabilanl  ilc  Damas,  solitaire  au 
(it'sert  fl  ca|)lir  des  Francs  isans  parler  do  lonlos  les  péré- 
^'rinalioiis  (jiii  en  résiilleul'.  l'!l  il  est  eu  outre  forl  j)robable 
tju'il  ne  uiau(|ue  j>as  de  s'actjuiller,  soil  au  cours  de  sou 
st'jourà  Ha^'dad,  soil  à  la  liu  de  ses  éludes,  du  pèlerinage  à 
I.»  Mec(jue  «pi'il  devait  renouveler  par  la  suilo  à  plusieurs 
reprises. 

A  (juoi  se  réiluisenl  alors  les  longues  années  d'éludés  à 
Ha};dad  el  coniuienl  a-t-il  le  lenips.  non  seulenicnl  d«;  Icr- 
ininer  ses  éliules,  mais,  son  diplôme  obtenu,  d'enseigner  à 
son  tour  comme  répétiteur?  On  peut  (loue  se  croire  auto- 
risé à  allribner  une  (laie  postérieure  aii\  mésaventures  de 
Saadi  en  Syrie,  si  l'on  se  base  sur  Abou  Clliàma,  auteur  du 
Lirre  des  deux  jurdins  (kilàb  er  rawdalaïn).  Cel  liislo- 
rien  écrit  (l)  qu'à  la  lin  du  prinlemps  de  1221  (II.()I«S)  «  le 
Conseil  se  réunil  peiulaut  la  nuit  el  il  fui  décidé  qu'on  alta- 
querail  Tripoli  »lès  laube  du  jour,  aliu  de  surprendre  les 
Francs  eu  pleine  sécurité.»  Le  contexte  d'Abou  Chàma  étant 
assez  confus,  «|uel(pies  molsdexplicalion  s'imposent  :  aprè.s 
sa  conquèle  de  pres(jue  toute  la  l*alestine  (2i,  Saladin  était 
mort  subilemenl  eu  ll'.)3,  laissant  de  nombreux  eidanls. 
Cen,K-cise  partagèrent  l'empire  (juil  avait  fondé,  mais  trois 
de  SCS  fils  s'arrogèrent  la  |)ré[)ondérance  el  la  suzeraineté  : 

(I)  liai.  or.  Croisiilcs,  V,  IH0-1S2.    Cf.    un   pj5-ti<îî  nnalogue,   Uni.,  Il, 
120-121. 

i2)  Abou  Cliâma   yihul..  IV.  302^  cilc  uno  missive  résumant  la  silaalioa 
en  1189:   i<    A  ijoucd'liui.    nous  so:n  nés   maitrcî   de   to.il   le   rnyjuno   lo 
Jérusalem. . .  Dans  ce  royaume,  les  Francs  ne  doiienneni  plus  <jue  la  ville 
de  Tyr  ;   nous  avons   aussi   enlevé   aux  Fr.nncs  el  aux  Arméniens  lou'e  la 
province  d'Anlioche. . .  Il  ne  reslc  plus  aux  Fr.incs  que  l.i  ville  d'Anlioc'ic 
el  les  (|uei<iues  forteresses  qui  en  dépeiuleiil.   Knlin  le  seul  pays  donl  les 
districts    ne   sont  pas   encore  en  noire  pouvoir  el  qui  a  conservé  son  an 
cienue  situation,  c'est  Tripoli,  sur  le  territoire  duquel  nous  n'avons  cm- 
porlé  que   Djébeil...    Votre  servileur  (Saladin)- se  pr«*paro  h  marcher  eur 
Tripoli,    bien   résolu  à  en  f.iire    le  sièj^e.  »  Cf.  en  outre  ibil.,  III.  l'K  (in- 
cursions de   Saladm   sur   le  terriloirc  de  Tripoli)  et  .345,  347  vP*>^  enlro 
Saladin  el  le  seigneur  de  Tripoli). 


3o 


PREMIERE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 


el  Malikel  Aziz  en  Egypte  ;  el  Malik  ef  Afdal  en  Palestine, 
Syrie  moyenne  et  centrale  ;  el  Malik  ez  Zaliir  en  Syrie  sep- 
tentrionale. 

L'accord  ne  pouvait  durer  entre  les  trois  frères  :  dès  1 196, 
el  Adil,  aidé  par  l'un  de  ses  parents  vassaux,  chasse  al  Afdal 
de  Damas,  puis  s'empare  de  l'Egypte  et  reconstitue  en  d200 
(H.  596)  l'empire  de  son  père.  Peu  après,  commencent  ses 
luttes  avec  les  Francs,  en  Egypte  et  en  Syrie,  durant  les  cin- 
quième et  sixième  croisades.  El  Adil  meurt  en  1218,  au  mo- 
ment critique  du  siège  de  Dainiette,  et  ses  deux  fils,  el  Kamil 
etel  Mouazzam,  finissent,  en  1221,  par  signer  avec  les  Croi- 
sés un  traité  d'évacuation. 

C'est  au  cours  de  cette  période  de  luttes  et  de  négociations 
que  se  place  le  projet  de  siège  de  Tripoli  signalé  parAbou 
Châma  (1),  projet  abandonné  presqu'aussitôt  pour  secourir 
Damiette,  mais  discuté  à  l'état-major  de  l'armée  d'el  Mouaz- 
zam, rejoint  par  son  frère  el  Achraf.  Il  est  donc  plus  que 
probable  que  les  Francs  travaillaient  alors  sérieusement  à 
renforcer  les  défenses  de  la  ville  menacée.  Et  peut-être  faut- 
il  rapporter  à  cette  année  1221  la  captivité  de  Saadi  (2). 

On  objectera  que  c'est,  il  est  vrai,  dans  le  désert  de  Jérusa- 
lem que  Saadi  place  sa  capture.  Mais  d'abord,  qu'entend-il 
par  <i  désert  de  Jérusalem  »>  ?  Puis,  d'après  le  passage  d'Abou 

(1)  El  Malik  el  Adil  avait  déjà,  en  1208  (604).  ravagé  le  territoire  de 
Tripoli  (Hist.  or.  Croisades,  II,  106).  Mais,  en  celte  année,  Saadi  déclare  se 
trouver  à  Kachgar.  Auparavant  Tripoli  avait  été  prise  en  H09  par  Bertrand, 
successeur  de  Raymond  IV,  comte  de  Toulouse,  après  sept  ans  de  siège  ; 
alors  périt  la  bibliothèque  de  cette  ville,  évaluée  par  les  écrivains  arabes 
à  3  millions  de  volumes  (Ci.  Qualremère,  Méin.  sur  l'Egypte,  II,  506  et 
Wilken,  Gesdi.  der  Kreuzzùge,  II,  78,  119,  201).  Tripoli  fut  définitivement 
reconquis  par  les  musulmans  en  1289. 

(2)  Les  géographes  arabes  contemporains,  Ibn  Joubaïr,  Yâqoût,  n'accor- 
dent à  Tripoli  qu'une  mention  insignifiante.  Ibn  Batoutah  (I,  138),  de 
beaucoup  postérieur,  a  du  moins  le  mérite  d'indiquer  que  la  ville  fut 
détruite  après  avoir  été  perdue  par  les  Chrétiens  et  qu'une  ville  nouvelle 
fut  commencée  par  ez  Zahir.  On  y  voit  encore  un  fragment  de  l'ancienne 
enceinte,  flanqué  de  six  tours.  Cf.  Vi;n  Berchem,  Noies  sur  les  Croisades, 
J.  A.  1902  (XIX).  p.  4b2,  el,  du  même.  Voyage  en  Syrie. 


LK     VIE  .  3l 

Gliàinn  cite  plus  li.nil,  U-s  inusiiIinanH  (iélenaient  en  11^9 
loiil  le  royaume  de  JéruMalem.  sauf  Tyr.  Une  incursion  flan- 
que y  t'iail  i\  peu  près  impossiblo  el  il  soinblo  que  Saadi  ail 
été  compris  dans  quelque  raz/ia  orj^'anisée  par  le  seigneur 
chrêlien  do  Tripoli  vers  les  confins  nord  du  Icrriloire  de  Du- 
mas I Saadi  signale  en  ell'el  (pj'il  venail  de  (juiller  celte  ville). 

Ainsi,  l'ordre  des  événements  parait  plus  logi([ue.  Uevenii 
de  Kachgar.  Saadi  a.  de  I  20H  ou  1210  à  1221,  le  temps  de 
continuera  Bagdad  ses  éludes  ou,  plus  probablement,  ses 
répétitions,  de  faire  son  pèltuinago,  de  remonter  à  Damas  el 
d'y  séjourner.  Entre  temps  se  place  sans  doute  un  séjour  en 
Iraq  persan  (Jib.M)  signalé,  avec  une  date  ap|)roximative. 
par  le  (îulislmi  :  ^  J'ai  vu,  sur  la  porte  du  palais  dT)gouI- 
mieh.  un  fils  d'oflicier,  etc.  »  (1).  Cet  Ogoulmicb,  qui  régna 
de  121")  :i  1217  U.'tl  2-614)  et  tomba  sous  le  poignard  d'un 
Ismiiilieu,  était  prince  de  Jibàl  lancienne  Médie).  province 
comprise  entre  le  Fars.  l'Azerbeidjan,  rKlbourz  et  1  Iraq 
arabi.  (Montrée  rude  el  montagneuse  (d'où  son  nom)  ;  de 
grandes  villes  :  Kirmancbab,  Ispaban,  Hey,  Hamadan  (ces 
deuxdernières  comptant  parmi  lesplus  antiquesly  ilorissaient 
sur  des  plateaux  tantôt  calcinés  par  le  soleil,  tantôt  submer- 
gés sous  la  neige.  Hamadan,  succédant  à  l^ey,  jouait  sans 
doute  alors  le  rôle  de  capitale;  mais  Ispaban  semble  rester 
continuellement  la  grande  ville  de  la  contrée  (2). 

l'ne  route  y  menait  de  Chiraz,  aboutissant  à  Rey  où  elle 
rejoignait  la  grande  artère  du  Kborassan.  Il  n'est  donc  pas 
impossible  que  Saadi,  une  fois  son  pèlerinage  accompli,  se 
soit  dirigé  vers  le  Fars  par  la  route  des  pèlerins  Iledjaz-Bas- 
sorab  (dont  il  parle  à  plusieurs  reprises),  reprenant  ensuite 
le  tronçon  Bassorab-Ab\va/-Cliiraz,  |)uis  le  tronçon  Cbiraz- 
Ispaban. 

Il  importe,    pour  suppléer  aux  données  si  imprécises  et  si 

(1)  GuUslan,  37,  I,  5  el  la  noie  délaillée  de  Defrémery.   Cf.  Nas.nvi,  Hii- 
Inire  du  sullan  Djélnl  ed  Din,  p.  23-24. 

(2)  Cf.  Le  Slrange,  op.  cil.,  p.   186  cl  827.  —  Sur  Ispahan  el  la  prodiga- 
lité de  »eK  tiabitanls  au  xiv*  siècle,  cf.  Ibn  Uatoutah.  op.  cit..  Il,  43. 


,^2  PRDMIGRE    PAHTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

rares  que  fournit  le  |Doèle,  de  les  examiner  à  la  lumière  des 
grands  événcmenls  de  son  temps  qui  n'ont  pu  manquer  d'in- 
tluer  sur  la  direction  de  ses  voyages.  On  a  vu  plus  liaut  qu'il 
déclare  avoir  été  chassé  de  sa  patrie  (où  il  était  donc  revenu 
après  son  temps  d'études  à  Bagdad)  par  des  troubles  politi- 
ques et  militaires.  Au  début  de  1220  (H.  617),  —  il  avait 
alors,  si  l'on  s'en  lient  aux  dales  données,  environ  36  ans  — 
la  situation  générale  du  monde  musulman  valait  celle  du 
Fars.  Tandis  qu'à  l'Est,  les  Mongols  de  Gengis-Khan  enta- 
maient les  frontières  de  l'Iraq,  de  l'Azerbeidjan  et  de  l'Ar- 
ran,  les  Francs,  à  l'Ouest,  assiégeaient  Damiette,  clef  de 
l'Egypte  et  de  la  Syrie  (1).  L'Asie  occidentale  se  trouvait 
donc  pressée  de  toutes  parts,  et  Saadifut  certainement  lente 
de  chercher  des  régions  restées  à  l'abri  de  la  guerre  et  oîi  il 
put  vivre  in  nngello  ciim  lihello.  La  Syrie,  il  en  gardait  cer- 
tes trop  mauvais  souvenir.  Le  Fars,  sa  patrie,  il  n'y  fallait 
point  songer:  Ghiyath  ed  Din  le  Kharezmien  la  saccageait 
précisément,  «  l'abreuvant  à  pleines  coupes  de  la  liqueur  de 
sa  vengeance  »,  sous  prétexte  que  l'atabek  Saad  avait  excité 
les  gens  d'Ispahan  à  la  révolte  et  qu'il  se  montrait  déplorable 
administrateur  de  son  peuple  et  de  ses  deniers.  Sur  l'Iraq, 
les  Mongols  se  ruaient  une  troisième  fois. 

Il  faut  lire  dans  Nasawi  [op.  cit.)  le  passionnant  récit  de 
ces  luttes  désordonnées  entre  les  petits  princes  d'Asie  s'entre- 
déchirant  sous  les  yeux  des  Mongols.  Nasawi  résume  assez 
bien  la  situation  lorsqu'il  s'écrie  :  «  Point  n'est  besoin  d'en- 
trer dans  les  détails,  car  tous  les  faits  se  ressemblent  ;  il  ne 
s'agit  en  effet  que  d'extermination  et  de  dévastation  généra- 
les »  {op.  cit..  p.  89). 

Seul,  Jalal  ed  Din  Mankoubarti,  sullgn  sans  royaume,  à 
la  tête  d'une  poignée  d'hommes,  parvenait  à  se  maintenir 
contre  Gengis  Khan  et,  en  dépit  de  sa  défaite  de  1221  (H. 
618)  sur  rindus  (2),  n'abandonnait  pas  l'espoir  de  rallier 
contre  l'envahisseur  toutes  ces  énergies  gaspillées. 

(1)  Ilisl.  or.  Croisades,  IJ,  119-120. 

(2)  Cf.  cf  l  edmirahle  épisode  dans  Nasftwi,  p.  139-143. 


LA     VIE  33 

Hii'ii  n'finpèclïc  de  Mijj|joscr  (Hic  Saadi  se  soil  alurs  dirige 
vers  La  Meccjue.  Les  périodes  de  tueries  clVrénées  et  de  bou- 
leversements politiques  favorisent  d'ordinaire  lest'lans  reli- 
^'ienx  et  niysli(|ues.  Le  poète  se  met  eu  route  pour  Hakkah, 
udMid  central  reliant  les  routes  d'Anatolie  cl  de  Syrie  aux 
roules  d'Orient.  La.  il  senibar<jue  et  der-eend  llùiphrale 
)us(ju  à  (ioul'a.  poinl  de  départ  de  la  roule  des  pèlerins, 
C^oufa.  autrefois  prospère,  mais  déchue  à  I  époque  d  Ibu 
.loubaïr  I  I Hi)  1 1  .  Peut-être  Saadi  s'arrêla-t  il  en  cours  de 
roule  à  Aubar  où  s'embranchait  une  roule  mettant  rapide- 
ment à  Bagdad  :  dernière  station  dans  la  ville  de  ses  années 
d'étudiant,  avant  de  se  livrer  au  vaste  monde. 

De  Bagdad,  on  pouvait  desceitdre  le  Tigre  jusqu'à  Bas- 
sorah  (2  .  ville  à  grandes  artères,  égayée  de  vergers  et  de 
palmeraies,  relai  imj)ortant  delà  seconde  route  vers  la  Mec- 
que i3).  La  sihialion  de  Saadi,  lorsqu'il  \i>ile  ces  villes,  res- 
sent le  contrecoup  logique  des  aventures  (|u  il  venait  de  su- 
bir. -  Moti  pied  était  nu  et  je  n'avais  pas  le  moyeit  d'achtler 
des  babouches.  J'entrai  loul  ailligé  daits  la  mosquée  de 
Coufa  »,  écrit-il  daits  le  Gulisf.m  (p.  17i.  III.  l'.li.  Kl  c'est 
bien  là  un  aveu  de  détresse.  Quant  à  Bassorah,  son  passage 
y  est  attesté  dans  le  Uoustnn  ip.  2(>1  )  :  il  chemiitait  en  com- 
pagitie  de  quelques  derviches,  et  peu  s'eit  fallut  (juon  ne  leur 
fit  un  mauvais  parti,  car  un  indigène  juché  sur  un  palmier 
pour  y  cueillir  des  dattes,  avait,  au  moment  même  oit  ils 
passaient,  fait  une  chute  morlelle  :  au  milieti  des  badauds 
ameutés.  Saadi  s'expli(pie  par  devant  l'auloiité  locale  et  ne 
m;iii<pie  pa>  1  occasion  de   tiier   la    iiioralf   de  JaNenlitre  (i). 


(1,  Cf.  1.0  .Miatifio,  o/>.  Ci/  ,  p.  74-^!>. 

(2)  Vàqoùt  coDSocre  à  Hassorali  un  long  arUcie.  i'A.  naiiUr  finil  Wu  Ha 
toutab.  op.  cit..  Il,  p.  8. 


34  PREMIÈRE    PARTIE. 


CHAPITRE    PREMIER 


Dawlatcliah  assure  que  Saadi  se  serait  acquitté  quatorze 
fois  du  pèlerinage.  A  supposer  qu'il  exagère,  il  n  en  reste 
pas  moins  que  Saadi  se  rendit  plusieurs  fois  à  La  Mecque. 
Le  Gulistan  ne  contient  pas  moins  de  six  passages  où  il  y 
fait  allusion.  De  ces  passages,  les  uns,  par  leur  contenu, 
semblent  convenir  davantage  à  sa  jeunesse,  les  autres  à  son 
âge  mûr.  «  Un  piéton,  la  tête  et  les  pieds  nus,  sortit  de  Gou- 
fah  avec  la  caravane  du  Hedjaz  et  fut  noire  compagnon  de 
route  »  (p.  116,  II,  17),  Et  ailleurs:  «  Une  troupe  déjeunes 
gens  sages  étaient  un  jour  mes  compagnons  dans  le  voyage 
du  Hedjaz  »  (p.  128,  II,  27).  Saadi,  dans  la  suite  de  ces  deux 
passages,  cite  la  localité  de  Xakhia- Mahmoud  (1)  :  il  est  donc 
probable  qu'il  s'agit  du  même  itinéraire. 

Dans  un  autre  passage  du  Gulistan  {p.  284, VII,  12),  Saadi 
raconte  une  rixe  entre  pèlerins,  rixe  à  laquelle  il  aurait  pris 
part  :  celte  attitude  batailleuse  dénote  certainement  un  pè- 
lerinage de  jeunesse.  De  même,  l'épisode  relaté  dans  le 
Boustan  (p.  346)  :  une  nuit,  endormi  dans  le  désert  de 
Faïd  (2),  il  est  réveillé  à  coups  débride  sur  la  tête  par  le 
chamelier  qui  n'aurait  pu  traiter  si  cavalièrement  le  cheikh 
révéré  que  devint  plus  lard  Saadi. 

A  cette  période  postérieure  appartiendraient  précisément 

mourant  de  faim  en  plein  désert,  y  avait  trouvé  un  petit  sac  de  perles  : 
«  Jamais  »,  ajouttit-il,  «  je  n'oublierai  mon  plaisir  el  ma  joie,  parce  que 
je  m'imaginais  que  c'était  du  froment  grillé,  ni  aussi  mon  amertume  et 
mon  désespoir,  lorsque  je  reconnus  que  c'étaient  des  perles.  »  Mais  cette 
anecdote  n'a  qu'une  valeur  autobiographique  Lrès  relative  et  il  serait 
téméraire,  si  l'on  ne  possédait  un  autre  témoignage  concordant,  de  baser 
sur  elle  seule  l'exactitude  du  passage  de  Saadi  à  Bassorah.  C'est  en  effet 
un  vieux  thème  de  conte  moi  al  que  Saadi  présente  comme  une  aventure 
personnelle.  Ou  bien  faut  il  supposer  que,  de  bonne  foi,  i!  accorde  créance 
au  récit  d'un  Bédouin  vantard? 

(1)  Maraçid-el-ittila  :  «  Localité  du  Hediaz.  voisine  de  Ln  Mecque  el  oiî 
se  trouvent  des  palmiers  et  des  vignes.  C'est  la  [)remière  station  où  s'ar- 
rête celui  qui  revient  de  La  Mecque.  » 

(2)  Point  à  moitié  route  de  La  Mecque  à  Bagdad.  De  Faïd  à  Coufa,  il  y 
a  douze  jours  de  marche.  Cf.  Ibn  Joubaïr  (éd.  cit.  p.  203)  ;  Ibn  Batoutah, 
L  p.  409.  (Yâqoût  et  le  «  Maracid  »  donnent  à  peu  près  les  mêmes  ren- 
seignements.) 


LA     VI K  .i5 

lus  deux  passai^es  siiiviuiU:  dans  le  pruinier  [Gulistun^ 
|).  2i'»,\',l8j,  Saadi  raconte  à  liiu  de  ses  compaj^uous  do 
pèlerinage  tjue  ><  dans  sa  jeunesse  »  il  se  lia  avec  un  ado- 
lescent ;  dans  le  second  //>/</.,  |».  ol)-()()J, Ui)  il  assure  avoir 
lait  obtenir  i{uel(|ue  emploi  à  liin  de  ses  amis,  en  le  recom- 
mandant au  chel  de  la  Irésorerie  (influence  (ju'il  ne  pouvait 
exercer  «|u  en  sa  vieillesse,  au  retour  de  ses  vojages/  et 
s'être  acquitté  à  celle  époque  du  pèlerinage  avec  des  amis. 

Quelle  fatigue  ces  pèlerinages  occasionnaient,  c  est  ce  (ju  il 
laisse  entendre  à  deux  reprises.  «  Lue  nuit,  dans  le  désert 
lie  La  Mectjue.  il  ne  me  resta  plus  la  lorce  de  ïnarclier,  par 
l'excès  de  l'insomnie  »  [(iulistHn,  p.  Il  2.  Il,  I  2j  '  )  ;  et,  dans 
le  lioustan  (p.  32»)  —  allusion  aux  soulï'rances  causées  par 
la  soil"  :  —  «  L'Arabe  campé  sur  les  rives  du  Tigre  a-t-il  souci 
de  la  caravane  qui  traverse  le^  déserts  aride."^  ilu  Zéroud  (2,  ?  » 

Or.  vers  l'année  1225  II.  G2ly,  les  événements  qui  se 
produisaient  dans  le  Fars  allaient  permettre  à  Saadi  de  revoir 
un  in>tanl  >a  pairie.  Jalal  ed  Din,  dès  la  mort  de  (lengis- 
Klian  o.,  avait  paru  dans  le  sud  delà  Perse:  les  gens  du 
Kirman  s'étaient  donnés  à  lui  ;  le  seigneur  de  ^  a/.d.  dans  le 
Fars,  venait  lui  rendre  hommage,  alors  (jn  il  marchait  vers 
Chiraz.  Le  prince  du  Fars.  Saad,  brouillé  avecGhiyalh  ed 
l)in,  frère  de  Jalal  ed  Din,  reçut  un  envoyé  de  ce  dernier 
tjui,  désireux  de  se  concilier  son  appui,  lui  demandait  la 
main  de  sa  lille.  Saad  «  lit  aussitôt  acte  de  soumission  et  mit 
à  réaliser  les  désirs  du  prince  l'empressement  d'un  coursier 
lancé  à  fond  de  train  dans  1  hippodrome  ••  (Nasawi.  p.  \'.\\)]. 
L'envoyé  se  relira,   heureux  d  avoir  «  apporté  à  la  noblesse 

^1)  En  rapprocher  ce  souvenir  d'un  voyage  «-n  caravane  GnlisUm,  !27, 
II,  26)  :  -<  Je  me  Rouriens  fine  nous  avions  niarclié  toute  la  nuit,  au  milieu 
d'une  caravane,  pI  qu'au  matin  nous  nous  étions  endormi»  sur  la  lisière 
d'un  bois,  n 

v2)  Plaine  snbionneuhe  entre  (^oufah  cl  La  Mec<jui'.  Cf.  Ibn  Baloutah,  I, 
410.  —  La  même  id^^e  se  relronvp  dan>  le  lionslan  (|».  325)  :  «  1  ts  voya- 
geurs assis  autour  de  la  marmite  lumante  s'inquièlenl  bien,  eu  vérité,  de 
la  caravane  perdue  dnvf.  \m  salilcs  du  désert.  » 

{i^  C'.  N«b«wi.  up.  cit.,  p.  1S3  «t  huiv. 


36  pREMiÈat;  pautie,    —  ch.vpitke  premier 

royale   une   perle   rare    sortie   d'ime  coquille  priiicière    » 
Aiilremeiil  dit,  lieureux  d'avoir  réussi  dans  sa  négociation 
matrimoniale. 

Peu  après,  Ispalian  recevait  Jalal  ed  Din  avec  enthou- 
siasme. Le  Fars  et  l'Iraq  allaient  donc  jouir  d'un  suprême  et 
éphémère  repos.  Saadi  en  profita  pour  y  revenir  et  séjourner 
quelque  temps  à  Ispahan.  Il  y  possédait  un  ami  intime, 
<(  guerrier  hardi  et  impétueux,  dont  le  poignard  et  la  main 
étaient  souvent  rouges  de  sang...  Par  sa  vaillance  comme 
par  sa  générosité,  il  n'avait  pas  de  rival  au  monde  »  [Boiis- 
(nn,  p.  234).  Saadi,  dans  le  même  passage,  fait  allusion  à 
son  propre  séjour  en  Syrie  où  il  déclare  «  avoir  subi  les 
alternatives  de  la  joie  et  de  la  tristesse,  de  Tespérance  et  de 
la  crainte  »  et  raconte  qu'un  soir,  de  retour  en  Iraq,  songeant 
tout  à  coup  à  cet  ami,  il  résolut  de  l'aller  voir  à  Ispahan. 
Mais  il  retrouve  «  un  homme  jeune  encore,  dont  l'infortune 
avait  fait  un  vieillard...  Le  destin  avait  appesanti  sur  lui  son 
bras  puissant  ».  Aux  questions  de  Saadi,  il  répond  :  a  Hélas  ! 
c'est  depuis  la  terrible  journée  des  Tartares  que  ma  vaillance 
s'est  évanouie...  Que  vaut  l'héroïsme  quand  la  fortune  ne  le 
seconde  plus?...  C'est  folie  de  lutter  contre  le  sort.  »  Suit  le 
récit  d'une  furieuse  bataille,  récit  pour  lequel  Saadi  délaisse 
un  instant  son  style  enjoué  et  paisible  pour  emboucher  la 
lugubre  trompette  de  Firdousi  et  de  Nizami. 

Il  s'agit  sans  aucun  doute  de  la  bataille  indécise  livrée  aux 
Mongols  par  Jalal  ed  Din,  près  d'Ispahan,  le  26  août  1228 
(H.  22  ramadan  625),  «  lutte  terrible,  capable  de  faire  blan- 
chir les  cheveux  et  d'effaroucher  les  étoiles  »  (Nasawi, 
chap.  LXI).  A  son  retour  de  l'Inde  où  il  s'était  réfugié,  Jalal 
ed  Din  avait  rallié  à  sa  cause  les  princes  de  la  Perse  méridio- 
nale et  centrale,  pris  bravement  l'offensive  afin  de  recouvrer 
son  trône,  conquis  l'Azerbeidjan  et  la  province  d'Arran, 
patrie  de  Nizami,  le  chantre  persan  d'Alexandre.  Devant  Ja- 
lal ed  Din  dont  la  valeur  et  la  constance  rappelaient  celles  de 
ce  héros,  les  troupes  mongoles,  engagées  d'autre  part  dans 
une  expédition  en  Ciiine,  suspendaient  leur  avance.  Entre 


I 


ItMiips.  .lalal  C'd  l)iii  épousait  une  an  Ire  princesse  ol  néj^^x-iail 
de  nouvelles  alliances.  Snrvinl  alors  celle  confuse  balaille 
d  Ispalian  «  dans  laquelle  les  deux  armées  avaient  pris  la 
fuite,  les  chefs  des  deux  camps  avaiciil  été  <l»''cimés  el  les 
débris  des  deux  partis,  dans  une  course  furibonde,  s'étaient 
cliacun  sauvés  jusqu'aux  limiles  de  leur  territoire  >■  (Nasawi. 
p.  'Jini. 

Ispalian  a  été  décrite  par  les  grands  géographes  orientaux. 
Mais,  \k  encore,  ^  àqoùt  constitue  la  meilleure  source,  puis- 
qu'il est  conlemj)orain  de  Saadi.  Les  deux  quartiers  princi- 
paux,  prescjuc  deux    villes  juxtaposées,  que   signalent    au 
dixième  siècle  Ibn  Ilawkal  et  Mouqaddasi,  ne  sont  plus,   au 
treizième  siècle,   (jue  des    amas  de  constructions   plus  ou 
moins  ruinées.   La   ville,  si   prospère  au  temps  de  Nacir-i- 
Khosraw  il0r>2)   (  i  ).  semble  alors,  eu  dépit  de  son  étendue, 
arrêtée  dans  son  développement  {'2^.  Par  contre,  au  quator- 
zième siècle.  Ibn  Batoutah  [op.  cit.,  II,  43),  signalant  le  faste 
de  ses  habitants,    inspire  par  là  même  une  haute  idée  de  sa 
prospérité.  Mais  elle  était  encore  loin  de  la  splendeur  qu'elle 
devait  atteindre,  au  seizième  siècle,  sous  Chah  Abbas. 

Ce  séjourà  Ispahan  marque  la  (in  d'une  période  dans  la  vie 
de  Saadi.  Kn  effet,  la  chronologie  de  Dawlatchah.  tout  arbi- 
traire qu'elle  soit,  attribue  à  Saadi  102  ans  d'existence,  divi- 
sés en  trois  périodes  de  trente  ans.  Il  reste  donc  douze  ans 
pour  son  enfance,  et,  en  y  ajoutant  une  trentaine  d'années 
consacrées  H  l'élude,  il  en  résulte  que  Saadi,  la  date  de  1  IHi 
admise  comme  date  de  sa  naissance,  termine  sa  période  stu- 
dieuse vers  l'année  1221).  Il  est  permis  en  effet,  en  nu  liant 
de  côté  ses  aventures  de  Syrie  el  ses  pèlerinages,  de  considé- 
rer comme  voyage  d'études  sa  visite  à  Kachgar  el  son  séjour 
à  I)amas.  La  période  de  ses  voyages  s'ouvre  donc  vers  celle 
époque,  si  l'on  conserve  —  en  gros  —  la  division  établie  par 
son  biographe.  De  la  quarantaine  jusqu'environ  sa  soixante- 

(1)  Sfjer  nàmeh  (Irad.  Scliëfer),  p.  252  cl  siiiv. 
^2)  Le  Slranpc.  op.  cil.,  p.  202  el  suiv. 


38  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

dixième  année,  il  vivra  loin  de  sa  patrie, lisant  dans  le  grand 
livre  du  monde  et  recueillant,  comme  autrefois  Fabeille  atti- 
qiie,  le  miel  qu'il  distillera  sur  le  tard  dan.^  ses  deux  princi- 
paux recueils. 

Il  est  probable  qu'il  ne  se  résigna  pas  à  quitter  Ispahan 
sans  passer  par  sa  ville  natale.  Les  communications  y  avaient 
du  reste  été  toujours  maintenues,  car  c'était,  de  toute  anti- 
quité,la  route  du  plateau  central  iranien  (1).  Le  Fars  nâmeh 
(écrit  en  1 107)  signale  deux  routes  :  la  route  d'hiver  (la  plus 
courte,  celle  qu'on  suit  actuellement),  par  Yazdikhost,  Sar- 
vistan,  Khoskzard.  Mayîn  :  la  roule  d'été,  quittant  la  pre- 
mière à  Sarvistan  pour  obliquer  vers  le  sud-ouest,  sur  Aba- 
deh,  Machad  i-Madar-i-Soulaïman,  et  revenir  ensuite  sur 
Chiraz.  par  Istakhr,  site  de  l'antique  capitale  des  Achémé- 
nides  (2). 

Vers  cette  époque  (1231)  mourait  Jalal  ed  Din,  champion 
de  l'Iran:  ce  héros,  vrai  prédécesseur  d'un  Charles  XII  et 
digne  d'un  meilleur  sort,  tombait  obscurément  dans  une  em- 
buscade, sous  les  coups  d'un  brigand  féodal,  au  cœur  des 
montagnes  kurdes.  Avec  lui  s'écroulaient  tous  les  espoirs 
nationaux  delà  Perse  qui,  dès  lors,  devait  attendre  son  ab- 
sorption par  les  Mongols. 

Le  trône  de  Gengis- Khan,  resté  vacant  de  1227  à  1229, 
élait  occupé  par  son  troisième  lils,  Ougoutaï,  un  ivrogne, 
qui,  faisant  passer  l'organisation  intérieure  avant  les  conquê- 
tes, ne  laissa  pas  toutefois  d'ordonner  trois  expéditions,  deux 
vers  la  Chine  et  la  Corée,  la  troisième  vers  l'Occident. 
L'Europe  orientale  devint  la  pâture  des  armées  impériales  : 
Russie  du  Sud,  Hongrie.  Pologne,  Bohême,  Silésie,  Mora- 
vie, Illyrie,  tout  céda  devant  elles  jusqu'à  l'Adriatique,  lors- 
que la  mort  du  Khan  et  l'élection  prochaine  de  son  succes- 
seur leur  fit  brusquement  rebrousser  chemin  . 

Gouyouk  ne  fit  que  passer  sur  le  trône.  Sa  veuve,  Ogoul- 


(1)  Cf.  Le  Strange,  op.  cit.,  p.  282. 

(2)  Ssadi  cite  Istakhr  (Persépolis)  dans  le  Galistan  (p.  214,  IV,  12). 


L\    VIF  39 

rîaïmich, réussit  h  se  maintenir  miel<|iio  temps.  Mais  en  l'Jo'i, 
le  p;uli  chinois  l'emporlanL  Min^jon  fut  t'*lii.  A  son  frère 
Hoiilaj^oii  (|u  il  souliailail  (J  i'ioi<;ner.  il  ollrit  la  l'crso,  proie 
séduisante  et  de  prise  facile,  puisque  ses  quelques  roitelets, 
trop  faibles  pour  sedcfendre.  ne  jx^uvaient  plus  compter  sur 
.lalal  t'd  I)in,  t't  incore  bien  moins  sur  l'insignifiant  calife 
de  Hatidad. 

Saadi  se  détermina  sans  doute  k  parcourir  l'Asie,  aulant 
par  curiosité  que  |)ar  désir  de  s'en  lui  i-.  Le  goiU  des  déplace- 
ments le  possédait  certainement,  car  son  œuvre  présente  de 
fréipienlfs  allusions  aux  avanlajTes  et  aux  agréments  des 
voya'f^'C's  11  ne  re^^'ellail  donc  nullement,  dans  sa  vieillesse, 
d'avoir  mené  si  longtemps  l'existence  précaire  du  pèlerin. 
"  Lorsque  la  discorde  surviendra  »>,  écrit-il  dans  le  (Julis- 
Ihh  I  I  I,  «  le  ^{\^c  s'enfuira  :  et  qiiand  il  verra  la  paix  conclue, 
il  jt'llera  l'ancre.  Car,  dans  le  premier  cas.  le  salut  se  trouve 
sur  la  frontière,  et  dans  le  second  l'agrément  de  la  vie  se 
trouve  dont  la  fré(juenlation  (des  autres  hommes).  »  Mais  il 
ne  s'agit  pas  seulement  de  fuir  une  patrie  malheureuse:  il 
faut  en  outre  ouvrir  ses  yeux  tout  grands  sur  le  spectacle  si 
varié  de  ce  inonde^  car  «  les  voyages...  réjouissent  l'esprit, 
procurent  des  profils,  font  voir  des  merveilles,  entendre  des 
cho>es  singulières,  examiner  du  pays,  converser  avec  des 
amis.  ac<|uérir  des  dignités  et  de  bonnes  manières...  C'est 
ainsi  (|ue  les  coulis  oui  dit  :  Tant  que  tu  resteras  dans  ta  bou- 
tique ou  ta  maison,  jamais  tu  ne  seras  vraiment  un  homme  ; 
j)ars.  promène-toi  dans  le  monde,  avant  ce  jour  où  tu  quit- 
teras le  monde  •>  GuUstun,  p.  MO.  III,  28).  Saadi  ne  fait, ce 
disaul.  (jue  répéter  l'onseigncmenl  de  ses  maîtres  de  Bagdad 
et  <le  Damas  :  le  voyage  est,  pour  le  myslicjue,  une  sorte  de 
devoir,  un  slade  dans  la  voie  de  l'inilialion  .  Mais  le  mysti- 
que n'est  pas  seul  à  en  tirer  profil  :  oin(j  classes  de  personnes 

(t)  Gulùfan  (p.  i\'t);  cf.  un?  allusion  analoKUP  {ibid.,  p.  39):  «  Les 
liotnmea  se  répandirent  dans  le  monde,  k  cause  des  embûches  que  leur 
tpn'irtil  sa  l>r»nnio  (d"nn  roi)  cl  priirnl  le  (homin  de  IVxil,  par  »uilc  de 
l'alfliclion  nù  les  plonf^eail  sa  violence.  » 


40  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

y  Iroiiveiil  utilité  et  il  faut  lire  dans  le  Galislan  (1  )  la  discus- 
sion entre  un  père  et  son  fils  sur  les  avantages  matériels  des 
voyages.  Non  seulement  leurs  avantages  matériels,  mais  aussi 
leurs  inappréciables  avantages  moraux  :  «  Suivez  l'exemple 
de  Saadi  :  parcourez  le  monde  en  renonçant  à  toute  chose  et 
vous  reviendrez  le  cœur  plein  de  science  >>  [Boustan,  p.  207) 
Et  dans  le  Gulisfnn  (p.  198),  cette  idée  qui  forme  le  fond 
même  de  Saadi,  modération  et  tolérance  :  «  Cette  personne 
emploiera  la  violence  envers  les  étrangers,  qui  n'aura  pas  été 
beaucoup  à  l'étranger.  »  Enfin,  ce  passage  d'une  qacida  oîi 
l'on  ne  trouve  plus  qu'un  tranquille  dilettantisme  (qui  fait 
songer  quelque  peu  à  celui  de  Renan,  aux  dernières  lignes 
des  Souvenirs  d'enfance)  :  «  Ne  te  propose  pour  but  aucun 
pays,  aucun  ami  :  la  mer  et  la  terre  sont  grandes...  Pose-toi 
comme  le  rossignol  sur  un  arbre  et  sur  l'autre...  Fréquente 
beaucoup  d'hommes,  afin  de  rire  beaucoup  »  (2). 

B.  —  Années  de  voyages. 

Mais  que  furent  ces  voyages?  En  quels  pays  Saadi  fut-il 
entraîné,  soit  par  sa  curiosité,  soit  par  les  événements?  Voici 
donc  le  moment  de  le  reprendre  à  Chiraz,  afin  de  tenter  une 
reconstitution  de  sa  vie  errante,  d'après  les  renseignements 
imprécis  et  sommaires  que  contient  son  œuvre. 

UAsie  centrale,  l'Inde,  la  Syrie,  l'Egypte,  l'Arabie, 
l'Abyssinie,  le  Maghreb  s'y  trouvent  mentionnés  pêle-mêle 
et  sans  le  moindre  fil  conducteur.  Reste  donc  à  se  baser  sur 
la  logique  et  les  événements  contemporains,  afin  d'établir 
une  chronologie  de  ces  voyages  dont  l'authenticité  semble 
en  outre  parfois  contestable,  notamment  pour  l'Inde. 

On  peut  s'étonner  qu'au  treizième  siècle  les  communica- 
tions soient  organisées  en  Asie  au  point  que  le  premier  venu 
puisse  parcourir  en  tous  sens  le  monde  musulman.  Le  poète 

(1)  P.  187-189  ;  cf.  Mocaddessi,  Les  oiseaux  el  les  fleurs  (trad.  Garçin  de 
Tassy),  p.  75,  in  fine. 

(2)  Citée  Hammer,  Gesch.  der  schôn.  Redekanst,  p.  208-209. 


I.V     VIK  II 

Hiickerl  (1|  el  liarbicr  de  Mcynard  (2)  n Oui  pas  liésilé  à 
rt'Vixjiier  on  doiilo  imo  parlic  des  voya^'cs  <nio  Saadi  déclare 
avoir  ell'ecUu's.  Hiickerl  considère  phi'ieiirs  d'entre  eux, 
parliciilièremenl  le  voyage  dans  riiide.  comme  des  narra- 
tions imaginaires,  analogues  à  celles  ijue  l'on  trouve  dans 
les  S(''ances  de  Ilariri. 

Il  est  indéniable  »jne  certains  détails  donnés  par  Saadi 
pemblent  le  produit  de  son  imagination,  l'ar  contre,  faute 
de  preuves  suflisanles.  il  est  diflicile  de  rejeter  comme 
inventés  de  toutes  pièces  les  voyages  auxtpiels  il  lait  allu- 
sion. Par  exemple,  pour  son  voyage  en  Ilindoustan,  il  a 
probablement  exagéié  à  plaisir  un  incident  cpii  se  serait  pro- 
duit dans  un  lemple.  Mais  rien  n  autorise  dauhe  [)ai  l  à  altir- 
mer  (lu'il  n'a  pas  visité  ce  temple  et.  par  suile.  à  passer  sous 
silence  cet  épisode.  D'abord,  les  relations  avec  l'Inde  étaient 
régulièrement  établies  depuis  fort  longtemps.  Ibn  Kliordad- 
beb.  géograpbe  arabe  bien  antérieur  h  Saadi,  puiscpi'il  com- 
posa vers  H6i  (H.  250)  son  Livre  des  routes  et  des  provinces , 
donne  de  curieux  détails  sur  l'itinéraire  suivi  par  les  mar- 
cbands  juifs  dits  <(  radanites  •»  ;3|  :  remarquables  j)olyglottes, 
ces  voyageurs  entretenaient  la  vie  commerciale  entre  I  (  )rienl 
et  l'Occident,  voyageant  tanlôl  par  terre,  tantôt  par  mer. 
parlant  du  j>ays  des  Francs  vers  Sue/,  et  Djedda  pour  abou- 
tir au  Sind.  à  l'Inde  et  ;i  la  (^liine  dont  ils  ramenaient  les 
produits  vers  l'iùirope.  Ou  bien  ils  passaient  pai  la  Syrie,  la 
Mésopotamie,  et,  du  (iolfe  Persique,  mettaieul  à  la  voile 
vers  rKxlrème-r)rient.  Le  retour  s'elTectuait  soit  par  mer. 
.«oil  parla  roule  côlière  Sind-Kirman-Fars-Abwa/.-Hagdad  . 

l'n  peu  plus  tard,  en  016  II.  iiOi).  Ma^oudi  visitait  l'Inde 
et  peut-être  Ceylan.  après  avoir  traversé  le  Moultan  ;  et  l'on 
peut  se  demander  pourcpioi  Barbier  de  Meynard  qui.  dans  sa 
préface  aux  l'r.ii ries  d'or    inlrod..  I.  I.  ji.  III  cl  I\    .  ailuiet 

(1)  Noie   II    II,    41    di's    Verse  ans  dem   (ttilistnn.    in    t.  VU   (N.  F.)  de  U 
Zfiisehrifl  Jnr  vrrgleichende  Litteratiirgeschichle  (1834),  el  ibid.,  p.  5S. 

(2)  Hnustan.  inirotl..  p.  14-16. 

(3)  J.  A.,  l»6.n,  l.  V.  p.  512  r.l4. 


42  PREMIÈRE    PAlvriE.     CFIAPITRK    PREMIER 

sanïî  objection  tous  les  déplacements  de  Maçoudi,  suspecte 
en  revanche  ceux  de  Saadi,  sans  qu'aucune  preuve  formelle 
en  démontre  la  fausseté. 

II  suffit  d'au  Ire  part  de  jeter  les  yeux  sur  les  itinéraires 
parcourus,  à  latin  du  douzième  siècle,  par  Ibn  Joubaïr,  et, 
au  milieu  du  quatorzième  siècle,  par  Ibn  Baloutah,  pour 
constater  avec  quelle  facilité  l'on  visitait  alors  les  régions  les 
plus  éloignées  les  unes  des  autres.  De  ce  que  Saadi  n'a  pas 
laissé,  comme  ces  deux  voyageurs,  une  description  métho- 
dique des  itinéraires  qu'il  a  suivis,  il  ne  s'ensuit  donc  pas 
qu'il  faille    délibérément   nier  la   réalité   de    ses   voyages. 

On  peut  croire  qu'il  les  inaugura  en  se  dirigeant  de  nou- 
veau vers  l'Kst,  non  plus  vers  la  Kachgarie,  mais  vers  une 
région  plus  méridionale.  Dans  un  passage  du  Gulislun 
(p.  288.  \\\,  16)  où  sa  bravoure  rappelle  celle  du  poète  Ho- 
race (auquel  il  fait  songer  par  ailleurs)  à  la  bataille  de  Philip> 
pes.  il  dit  avoir  fait,  «  une  certaine  année,  un  voyage  de 
Balkh  à  Bàmyan.  Le  chemin  était  fort  dangereux,  à  cause 
des  voleurs.  Un  jeune  homme  m'accompagna  à  titre  d'es- 
corte... Deux  Hindous  levèrent  la  tête  de  derrière  une  pierre 
et  se  disposèrent  à  nous  tuer...  Nous  ne  vîmes  d'autres  res- 
source que  d'abandonner  notre  bagage,  nos  armes,  nos  vêle- 
ments,  et  d'emporter  nos  âmes  saines  et  sauves.  » 

Rien  d'invraisemblable  en  ce  passage.  Cette  histoire  de 
voleurs  tendrait  même  à  préciser  que  le  voyage  eut  lieu  après 
l'invasion  mongole.  Balkh  fut  en  effet  détruite  en  1221  (H. 
618)  par  les  troupes  de  Gengis-Khan,  avant  le  passage  des- 
quelles la  contrée  était  florissante,  de  même  que  toute  l'Asie 
centrale  (1).  La  fertilité,  la  beauté  de  la  région  de  Balkh 
étaient  proverbiales  en  Orient,  et  le  géographe  Istakhri 
(X°  siècle)  déclare  que  Damas  seule  pouvait  lui  être  compa- 

(1)  Schefer,  Chresfomaihie  persane,  l,  p.  8  :  «  Boukhaia  et  Balkh  ont  été, 
au  moyen  â^p,  les  villes  les  plus  florissantes  de  l'Asie  centrale.  »  Avant 
l'invasion  monopole,  les  seigneurs  de  Balkh  et  de  Bâmyan,  ainsi  que  le 
seigneur  de  Ghazna,  rendaient  hommage  au  sultan  du  Kharezm.  Cf.  Na- 
sa wi,  op.  cit.,  p.  37,  et  le  luxe  Inouï  qu'atteste  le  passage. 


î  V    vrr  ^3 

rée.  l.n  \'2\\  II.  «ili»  .  un  prtMicaloiir  He  Hnikh  avait  com- 
posé un  ouvrage  sur  les  inerN'eilIcs  fie  la  ville  (1).  11  t'Iail 
tiMnj)s,  car,  sept  aniu'cs  pins  lard,  la  drvaslalion  faisait  son 
(i-nvre  et  la  leclnre  d'Ibn  Hatontah  snflilà  dcMnontrer  combien 
elle  fut  complète  (2).  Jac^ataï,  fiU  do  (ienf^is-Khan.  it'';,'nail 
alors  sur  Raikh  et  la  Bacirianc  (pii  dcv  liciit  allendro  pins  de 
denx  siècles  avant  de  se  relever  de  leur  mine. 

Quant  à  H;\niian,  cachée  dans  sa  vallée,  ,'i  plus  de  2.(M)0 
mètres  d  altitude,  elle  avait  subi  le  même  sort  (pio  Halkh, 
La  citadelle,  les  peintures  murales  qui  avaii-nl  étonné  "^'jujoût 
étaient  détruites.  Seules  restaient  deux  gigantesques  idoles 
bouddhi<pies.  taillées  dans  le  roc,  et  (pi'Aureng/eb.  an  dix- 
septième  siècle,  devait  mutiler  à  coups  de  canon  (3).  On 
était  loin  alors  de  la  «  contrée  remplie  de  villes  et  de  villa- 
ges »  dont  parle  Vâcpint  (pii,  dans  son  MnuchtHrili,  déclare  : 
■I  ('est  la  patrie  d'.Vfdal  el  Hàuiivani,  très  versé  dans  la  phi- 
losophie, (pii  fut  le  maître  de  I  alabek  persan  Saad  ibn  Zangi 
auprès  ducpiel  il  resta  juxpià  sa  mort.  •>  Saadi  aurail-il 
connu  ce  docteur  à  diiraz  et  celui-ci  lul-il  pour  (puhpie 
chose  dans  son  passage  à  Hàmian  ? 

('e  voyage,  il  est  vrai,  parait  contestable  •  la  lecture  <-  HA- 
mian  •>  repose  en  ed'et,  dans  le  texte  du  (iulist,'tn  —  du  moins 
loi  (juil  se  trouve  actuellement  établi  — ,  sur  une  habile 
conjecture  du  traducteur  Defrémery  (pii,  rejetant  les  lev<''ns 
'<  bà  Châiuiyàn  *>  '  «<  avec  des  Syriens  »  ),  »  là  Ilamadàn  >  et 
<•  bè  Ilamadàn  »,  ju<tilie  la  sienne  pai-  les  raisons  suivante-  : 
d'abord  la  présence  de  Syriens  à  Halkh  est  peu  vraisembla- 

(li  t'ii  frif^mPiil  (le  l.i  Iradiirlion  persane  dp  cet  niivra^ro  s  été  pul)lié 
par  Scliefrr.  CJtretl.  itersnne.  l.  I.  Cf.  ibid.,  inlrod.,  p.  5fi  pi  «tiv..  el 
Le  Slranpe,  op   cit.,  p.  i'JO. 

(2)  Voyages  (.•«!    cit.).  111,  22-26  el  58-62. 

(3)  Yàqoût  (s.  T.)  :  «  On  y  voit  un  édifice  Irès  «'lové,  nvpc  cle«  rolonneu 
sur  losquollos  sont  prnvéos  les  fiçurcs  de  tous  les  oiseaux  cré«'*s  par  l^ieu, 
et  deux  gigantesques  idoles  taillées  du  haut  en  bas  du  flanc  de  la  mond- 
pne.  >  Au  X*  siècle,  M'Miqaddassi  cotisidèro  BÀinian  conune  «  le  port  de 
commerce  du  Kliorassan  et  la  trésorerie  du  Sind  •>.  Sur  les  deux  colosses 
mentionnés  par  YàqoiU,  cf.  J.  R.  A.  S  ,  1886,  p.  323, 


(\!\  PREMIÈRE    PARTTF.    CHAPITRE    PRF.MIER 

ble  ;  puis  c  je  lis  un  voyage  de  Balkli  »>  appelle  un  point 
d'arrivée  («  à...  »)  ;  enfin  la  présence  des  deux  Hindous  aux 
environs  de  Bàmian  est  toute  naturelle  (1).  Saadi  se  trouvait 
ainsi  au  centre  du  royaume  autrefois  attribué  à  Jalal  cd  Din 
Mankoiibarti  par  son  père,  le  sultan  du  Kliarezm,  royaume 
comprenant,  outre  les  deux  villes  de  Balkh  et  de  Bâmian, 
plusieurs  principautés  et  la  partie  limitrophe  de  l'Inde  (2). 
La  région,  tout  en  sommels  et  en  gorges,  n'en  avait  pas 
moins  servi  de  théâtre  à  des  luttes  féroces,  au  cours  des  an- 
nées 1220  et  1221.  Balkh,  Merw  tombées  en  cette  année, 
l'armée  jetée  contre  Jalal  ed  Din  battue  en  montagne  (3), 
Gengis-Khan,  pourtant  plus  organisateur  que  tacticien,  avait 
pris  le  commandement  des  opérations.  A  Bâmian,  le  fils  de 
son  fils  Toulouï  tué  durant  le  siège,  le  vieux  conquérant 
monta  lui-même  à  l'assaut,  vengeant,  par  une  destruction 
complète,  la  mort  de  son  petit  fils,  imprimant  à  ses  hommes 
un  élan  irrésistible,  enlevant  Ghazna  au  passage  et,  vain- 
queur sur  rindus  (4).  amorçant  la  conquête  de  l'Inde  par  un 
gros  de  cavaliers  lancé  au  delà  du  fleuve. 

La  conquête  terminée,  tout  s'organisait  méthodiquement. 
Gengis-Khan  s'était  installé  à  Samarcande  :  la  paix,  une 
paix  relative,  s'établissait  peu  à  peu,  et  Saadi  pouvait  donc, 
en  dépit  de  quelques  aventures  de  route,  circuler  dans  le 
pays.  Mais  quels  itinéraires  l'y  avaient  amené? 

De  Chiraz  ou  d'Ispahan,  la  roule  n'était  pas  la  même. 
Partant  de  la  capitale  du  Fars.  Saadi  pouvait  se  rendre  di- 
rectement à  Balkh  par  le  Kirman,  le  Sijisfan  et  le  Khorassan  : 
la  voie  s'infléchissait  d'abord  vers  Darabjird,  remontait  vers 
Kirman,  puis,  après  une  courbe  prononcée  vers  Narmasir, 
de  façon  à  contourner  le  Grand  Désert,  piquait  franche- 
ment vers  le  nord  jusqu'à  Hérat  et  longeait  ensuite  les 
monts  Paropamisades  jusqu'à    Balkh.   De  là,   le  voyageur 

{{)  Cf.  le  détail  de  rargumentalion,  Gulistan,  p.  288,  n.  1. 

(2)  Nasawi  (op.  cit.),  p.  4b. 

(3)  A  la  bataille  des  Sept-Uéfilés  (Heft  perwân), 

(4)  Cf.  suprà,  p.  32. 


i.A   Vit-:  45 

n'avait  plus  ((u'à  s'enj^aj^er  vers  le  siul-osl  ol  à  monter  vers 
Hàtni.ui  à  travers  les  ^'ori^es  du  Koli  i-Haba  (  I). 

Ou  hit'U  —  et  c'était  la  roule  la  plus  classique  — sjit 
d'Ispaliiiii  par  Uev,  soit  de  Cliira/  par  ^  tr/d  et  Nicliapour.  ou 
rejoi^Miail  tout  de  suite  la  grandroule  du  Kliorassan  «p»  ou 
suivait  jus(pi  à  Morw.  De  là.  ou  bieu  ou  desceudait  vers  le 
sud-est,  par  la  rivière,  jusqu  à  Merw-er-Koud,  d  oii  la  route 
remontait  sur  Halkli  (2);  ou  bien  ou  poussait  juscpi'à  liou- 
kliara,  tète  d'une  roule  directe  vers  Balkli,  dans  la  direction 
sud  est. 

Parvenu  à  lîàniian,  Saadi  n'avait  |»Ius  (pià  redescendre  le 
versant  opposé  de  l'IIindou-Koucl»  :  il  se  dirigeait  en  elfe t 
vers  l'Inde  ainsi  qu  il  le  déclare  dans  le  Houstnn  (p.  33(1  .  Il 
lui  fallait  donc  suivre  la  roule  de  (ilia/ua  alin  dalleindre 
riudiis,  ilint'iaire  parct)uru  naguère  dans  sa  fuite  par  .lalal 
ed  l)in. 

Sylvestre  de  Sacy  (/>Vo(/.  unir.]  cl  de  Ilaniuier  {Schvne 
liedekiinst ,  p.  205),  se  basant  sur  une  phrase  de  l)a\v- 
latcbal)  :  «  au  milieu  des  combats  et  des  troubles  »,  sup- 
posent que  Saadi  serait  venu  aux  Indes  comme  soldat.  Ciraf, 
par  contre  \  Hosemiarten,  p.  237).  entend  celte  j)hrase  do 
Dawlatchah  au  sens  mysliqtie,  ce  cjui  semblerait  plus  vrai- 
semblable. Quant  à  l'aire  de  Saadi  un  soldat,  toute  sa  vie 
passée  proteste  là  contre,  cl  le  passage  du  Ctulifilun  cité  plus 
haut,  dans  lequel  Saadi  se  fait  escorter,  convient  à  un 
pèlerin,  mais  chez  un  soldat  dénoterait  vraiment  trop  de 
couardise.  Il  semble,  tout  compte  fait,  <pie  Saadi,  pariant 
de  combats  et  de  troubles,  ail  voulu  signaler,  avec  quelque 
exagération,  l'insécurité  des  roules  dans  la  région  (ju'il 
visitait. 

Tne  autre  <jueation,  celle  du  séjour  de  Saadi  à  Delhi  Pend- 
jab/ supposé  par  Hoss  [The  Gulist.iu.  p.  IDi,  a  été  élucidée 
par  Dcfrémerv  I    "  Si  l'on  s'en  rapportait  à  .1.  Hoss  ".  dit-il 

(1)  Cf.  l,e  S(ran|;;c  {op   cil.,  p.  432)  ;  Istakliri  (Uib.  grog,  nrnb.,  p.  286)  ; 
ll>n  llawqal  [ibid .,  334-335);  Motiqaddasi  (ibid..  340.  319,  486). 

(2)  Cf.  Umj  Khordadbch,  J.  A.,  1865,  t.  V,  p   259  cl  268-269. 


46  PRBMIÈHE    l'AKTlE.    CHAt^lTHli    PKEMIKK 

iOulistan.  p.  XXIIK  «  on  pourrait  croire  que  Saadi  a  visité 
Dihly  eulre  les  années  607  et  633  de  l'hégire  (1210-1236). 
Mais  celte  opinion  de  rorienlaliste  anglais  repose  unique- 
ment sur  une  base  ruineuse:  la  confusion  d'Ogoulmich, 
prince  de  l'Irak,  avec  le  souverain  patan  ou  afghan  de  Dihly, 
AUmich  .)(!). 

Kn  fait,  aucun  document,  soit  dans  le  texte  de  Saadi,  soit 
dans  les  récits  de  ses  biographes,  ne  permet  de  rétablir  son 
itinéraire  et  ses  étapes  de  Bàmian  aux  Indes,  et  il  faut  se 
résigner  à  accepter,  tel  quel,  et  jusqu'à  preuve  du  contraire, 
le  récit  de  Saadi  relatif  à  ses  aventures  en  Guzerate.  L  épi- 
sode du  Boustan  se  place  à  Soumnath.  ville  du  littoral  de  la 
péninsule  de  Kalhiawar  située  elle-même  sur  la  côte  ouest 
de  l'Inde,  directement  au  sud  des  bouches  du  Gange  et  du 
golfe  de  Katch.  On  peut  donc  imaginer  que  Saadi  se  rendit 
de  Bâmian  à  Ghazna.  Cette  viiie  (2),  dévastée  par  Ougoutaï 
depuis  1221  (H.  618j,  restait  toutefois  un  centre  de  commu- 
nications important,  car  elle  commandait,  par  sa  position, 
la  plaine  de  l'Inde  et  les  vallées  du  Kouram,  du  Toutchi,  du 
Goumal  et  de  la  rivière  de  Caboul.  Saadi  aurait  ensuite  at- 
teint le  Gange,  descendu  le  fleuve  sur  quelque  embarcation, 
puis,  parvenu  à  l'estuaire,  se  serait  dirigé  vers  Soumnath 
que  son  temple  rendait  célèbre  dans  toute  la  contrée.  Peut- 
être  avait-il,  en  cours  de  route,  poussé  jusqu'à  Moultan,  ville 
de  la  vallée  de  l'Indus.  Là,  en  effet,  sélait  retiré,  pour  y 
finir  ses  jours  en  ascète,  le  vicaire  ikhalifah)  de  son  ancien 
maître  Souhrawardi  :  Baha  el  Ilaqq,  son  «  ancien  »  à  l'uni- 
versité de  Bagdad. 

Les  géographes  arabes  n'ont  pas  décrit  systématiquement 
rinde  (6),  à  part  el  Birouni,  Irop  ancien  pour  servir  à  l'étude 

(1)  En  1206,  c'est-à-dire  une  vingtaine  d'années  avant  le  passage  de 
Saadi,  Qoutb  ed  Din  Aïbak  avait  fondé  Ja  première  dynastie  afghane,  et 
sous  ses  successeurs,  Delhi  devint  le  centre  d'un  vaste  royaume  et  d'une 
cour  brillante. 

(2j  Sur  Ghazna,  cf.  Encydop.  Islam,  s.  v.,  cl  Le  Strange,  op.  cit.,  p.  348. 

(3)  Le  Strange,  op.  cit.,  p.  331. 


LA     VIB  ^7 

(le  Saadi.  Certains  d'enlre  eux  oui  loulefoiH  meiilioiuié 
Soiiinn.illi.  avec  des  dtlails  plus  on  moins  faiilaisisleH  :  In 
(lo.->criplion  la  pins  délaillée  dn  tein|>le  de  celle  ville  e»i  la 
suivante,  due  à  Qa/wiui  (jui  écrivait  vers  1 11'.')  il!  Ii74)  (  I  )  : 
»  Knliiî  antres  curiosités  de  la  ville  de  Sonninalli  t"^[  nu  tem- 
ple coulenaut  nue  idole  dressée  an  milieu  de  1  édifice.  Kien 
au-dessous  d'elle  pour  l'élayer  ni  au-dessus  d'elle  pour  la 
mainleuir  suspendue.  L'aulorilé  de  celle  idole  est  grande 
chez  les  Hindous;  et  celui  (jui  la  contemple  se  dressant  en 
l'air  en  reste  confondu.  Les  Hindous  s  y  rendent  en  pèleri- 
naL,'e  et  lui  apportent  eu  hommat;e  tontes  sortes  fie  chose« 
précieuses.  L'idole  possède  en  biens  de  mainmorte  plus  de 
dix  mille  villages.  Sa  garde  est  composée  de  mille  brahma- 
nes qui  l'adorent  et  servent  les  pèlerins.  Le  temple  est  sou- 
tenu par  cinquante-six  colonnes  de  platane  revêtues  de 
plomb.  La  coupole  (au-dessus  dej  I  idole  est  sombre:  on 
l'éclairé  avec  des  lampes  en  pierres  précieuses.  L'idole  est 
ornée  d  une  chaîne  d'or  (|ui,  après  chaque  portion  de  nuit, 
s'agite  ;  alors  les  cloches  sonnent  et  une  tionpe  de  brahma- 
nes se  lèvent  pour  adorer,  (jn  raconte  que  le  sidtan  Vamin 
ed  Dawlah,  lorsqu'il  conquit  rilindouslan  et  qu'il  vit  celte 
idole,  fut  surpris  par  son  caractère  et  dit  à  ses  compagnons  : 
Que  dites-vous  de  celte  idole  qui  se  tient  debout  sans  être 
élayée  ni  suspendue  ?  Qnehjues-uns  dirent:  Llle  est  proba- 
blement suspendue  à  «[uelque  chose  (juon  a  dérobé  aux  re- 
gards. Mais  un  des  assistants  ajouta  :  J  ai  idée  que  la  coupole 
est  en  aimant  [2)  et  l'idole  en  1er  ;  l'artisan  s'est  sans  doute 
elforcé  d  accomplir  onivre  parfaite  et  a   bien  calculé  l  éga- 

'1)  Cilée  Majnnil  adab,  Itl,  p.  2»1.  Yàqoùl  [MonchUirin)  fuui-nil  en  abrogé 
le  luoiiic  T'-cil.  Cf.  eu  ouUc  sur  .'iuuiiuidlti  :  lioiiiciuii,  Mémoire  sur  l'Inde 
(Imp.  na(..  1848),  p.  268-209;  Descripliou  de  la  ville  (J.  A..  4*  série.  IV. 
p.  253)  ;  Garcin  de  TasKV,  Proclamation  relative  aux  portes  de  la  ville 
(ibid.,  V,  p,  3'J8,  ;  11.  \\  ilsoii,  Nolite  (Asialic  Journal,  moi  184»)  ;  Karided 
Din  Attar.  Mnnlic  u</air  (Irad.  Garcin  de  Tatsy).  p.  172;  Sacy.  Pend 
ntimcfi,  p.  09-71. 

(2)  Maçoudi  [Prairut  d'or,  IV,  p.  47)  parle  duo  letnple  de  l'Iode  reDfer- 
maat  des  pierres  d'aimant. 


^S  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

lilé  de  la  puissance  magiu-Lique  par  rapport  aux  côtés.  Plu- 
sieurs furent  du  même  avis,  tandis  que  d'autres  le  contre- 
disaient. Mais  lorsqu'on  enleva  deux  pierres  du  sommet  de 
la  coupole,  l'idole  pencha  vers  l'un  des  côlés.  On  continua 
d'enlever  des  pierres,  et  l'idole  penchait  toujours.  A  la  fin, 
elle  tomba.  » 

Le  lieu  du  pèlerinage,  en  effet,  avait  été  détruit,  vers  1025, 
par  ordre  de  Mahmoud  le  Ghaznévide.  Mais  l'on  voit,  d'après 
lâqoût  et  Qazwini,  qu'il  avait  recouvré  toute  sa  prospérité 
à  l'époque  de  Saadi.  «  Dans  le  Guzerate  »,  écrit  Defrémery 
[Gulislan,  p.  XIV),  «  Sadi  visita  la  fameuse  idole  de  Siva, 
adorée  sous  le  nom  de  Soma  ou  Som-Nâth,  c'est-à-dire  Sei- 
gneur de  la  Lune.  »    Il  est  indispensable  de   lire,  dans  le 
Boustan  (p.  33(1),  le  détail  de  l'aventure.  D'abord,  une  des- 
cription de  l'idole,  sorte  de  statue   chryséléphanline,   aux 
yeux  d'ambre  (1)  :  «  Les  caravanes  affluaient  de  toutes  parts 
pour  contempler  cette  figure  inanimée  ;...  les  poètes  aux 
chants  mélodieux  venaient  à  1  envi  se  prosterner  ».  Au  mi- 
lieu  de  cette  ferveur  générale,    Saadi  a  l'audace  —  ou  la 
maladresse  —  d'exprimer  à  un  religieux,  «  dont  il  partageait 
la  cellule  »,   son  étonnement  de  «   ce  culte  rendu  par  des 
vivants  à  un  objet  insensible  ».  Celui-ci,  furieux,  ameute 
contre  Saadi  les  supérieurs  du  temple  qui  veulent  lui  faire 
un  mauvais  parti.    Saadi  n'a   plus  qu'à    user  de  ruse,  car 
«   résignation   et  douceur,    voilà   les  seules   armes  contre 
l'ignorant  que  la  colère  domine  »  et  il  s'excuse  auprès  du 
grand-prêtre  :  »  Je  suis  étranger  dans  ce  temple  »,  lui  dit-il, 
0  et  j'y  demeure  depuis  peu;...  révèle  moi  les  secrets  que 
renferme  l'idole  et  je  serai  le  plus  fervent  de  ses  adorateurs  ». 
Le  prêtre  se  laisse  prendre  à  ce  beau  langage  et  permet  à 
Saadi  d'assister  au  mystère  du  lendemain.  Malgré  le  dégoût 
que  lui  inspirent  les  brahmanes  "  qui  n'avaient  jamais  fait 

(1)  Les  idoles  en  métal  précieux  n'étaienl  pas  rares  clans  les  temples  de 
l'Asie  orientale.  Cf.  Sdiefer,  Chresl.  persane,  ï,  p.  29  :  t  Qotaïbah  trouva 
dans  un  temple  de  Bikend  (Transoxiane). . .  une  idole  en  argent  pesant 
quatre  mille  dirhems.  i 


I.A     VIE  /|9 

ItMiis  al)liilions...  el  dont  les  bras  exhalaient  l'odeur  infecte 
(l'un  cadavre  exposé  au  soleil  >•,  Saadi  passe  la  nuit  dans  le 
leni|)le.  Tout  à  coup,  le  tambour  retentit,  les  chants  com- 
mencent et  le  jour  se  lève  ;  la  foule  se  presse  dans  le  temple, 
l'idole  s'agite  et,  lentement,  ëlèveles  bras  vers  le. ciel.  «  Aufr- 
silùt.  (le  cette  foule  immense,  sortit  une  clameur  confuse, 
semblable  au  mugissement  de  la  mer  en  furie.  »  Saadi  feint 
d'être  persuadé,  j)leuro  hypocritement  et  joue  le  repentir.  11 
fait  même  amende  honorable  à  la  statue  dont  il  baise  les 
mains  en  la  maudissant  tout  bas.  On  en  vient  même  à  l'initier 
à  la  doctrine.  Mais,  une  nuit,  cherchant  sans  cesse  la  clé  du 
mystère  et  errant  dans  le  temple  «  comme  un  scorpion  »,  il 
découvre  derrière  un  rideau  le  brahmane  chargé  de  tirer  la 
corde  reliée  aux  bras  de  l'idole. 

La  lin  de  l'histoire  est  un  véritable  »  coule  cruel  ".  Saadi 
poursuit  le  brahmane,  le  jette  dans  un  puils  et  l'achève  à 
coups  de  pierres,  car  «  les  morts  ne  parlent  plus...  ;  le  mé- 
chant à  (jui  lu  laisses  la  vie  ne  respectera  pas  la  tienne». 
(Qu'on  se  sent  loin  des  maximes  dlbn  el  Jawzi  et  de  Souh- 
rawardi  !)  Fuis,  son  crime  froidement  commis,  il  quitte  le 
pays  en  toute  hâte. 

Barbier  de  Meynard  [Bouslnu.  p.  U  et  lli)  n'accorde 
aucune  réalité  à  ce  récit  et  n'hésite  pas  à  aliirmer  «  qu'il  doit 
être  considéré  comme  une  fantaisie  de  la  tro[)  féconde  ima- 
gination de  Saadi  >•.  Le  moment  n'est  point  encore  venu 
d'examiner  la  puissance  imaginative  du  poète,  mais  il  est 
permis  de  se  demander  si,  à  travers  les  exagérations,  le  récit 
ne  renfermerait  pas  un  fond  de  vérité. 

Barbier  de  Meynard  signale  ajuste  titre  1  emploi  alterna- 
tif, dans  tout  le  cours  du  récil,  des  termes  «  guèbres  »  el 
o  brahmanes»,  pour  désigner  les  ministres  d'une  seule  et 
même  religion,  alors  qu'il  s'agit  en  réalité  de  deux  religions 
fort  différentes.  Cette  confusion  constitue,  à  ses  yeux,  une 
preuve  formelle  d'invention. 

Il  semble  que  ce  soit  aller  un  peu  vite  en  besogne.  Les 
hommes,  hors  les  historiens  des  religions  qui  sont  des  spé- 

M.   —  4 


50  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

cialistes,  ont,  de  tout  temps,  sans  même  en  excepter  les 
ministres  des  dilTérents  cultes  plus  portés  cependant  par 
nature  à  celte  étude,  connu  fort  mal  les  religions  mêmes  les 
plusvoisin  es  de  la  leur.  La  connaissance  précise  de  la  reli- 
gion dans  laquelle  on  a  grandi  reste,  aujourd'hui  même, 
l'apanage  d'une  minorité.  A  plus  forte  raison  au  treizième 
siècle,  car  l'idée  de  tolérance  n'était  pas  encore  née  (1). 
M.  E.-G.  Browne,  dans  sa  remarquable  Lilerari/  History 
of  Persia  (II,  p.  259,  n.  2),  écrit  :  «  11  est  étonnant  de  cons- 
tater combien  un  musulman,  même  instruit,  connaît  mal  les 
autres  religions.  »  Mais  la  même  remarque  ne  peut-elle  s'ap- 
pliquer justement  à  n'importe  quel  catholique  d'aujourd'hui, 
à  l'égard  même  des  confessions  les  plus  voisines  de  la  sienne, 
qu'il  s'agisse  du  protestantisme  ou  des  églises  d'Orient? 

Une  autre  question,  proprement  religieuse,  pourrait  se 
poser  sur  ce  point,  si  l'on  envisage,  non  plus  les  ministres 
du  culte,  mais  son  objet  même.  Cette  idole  «  de  Siva,  adorée 
sous  le    nom  de  Soma  ou  Som-Nàth   »,   écrit  brièvement 
Defrémery  :  il  y  a  là  aussi,  semble-t-il,  matière  à  distinction. 
Soma  est  en  effet  une  divinité  parfaitement  distincte  de  Siva. 
C'est  primitivement  la  boisson  sacramentelle  du  sacrifice 
destinée  à  attirer  les  dieux  ;  celle  boisson  devient,  par  la 
suite,  un  dieu  dont  les  autres  dieu.^î;  ne  peuvent  se  passer, 
dieu  personnifiant  la  pluie  et  devenu,  grâce  à  une  évolution 
encore  obscure,  un  dieu  lunaire  ou  du  moins  en  rapports 
étroits  avec  la  lune  (2j. 

Mais  le  soma  n'existe  pas  seulement  dans  la  religion  des 
Brahmanes  :  sans  être  nettement  divinisé  toutefois,  il  cons- 

(1)  Le  fanatisme  religieux  était  alors  à  peu  près  général  en  Orient.  Les 
.Mongols  seuls  semblent  y  avoir  échappé.  Ainsi,  d'Ohsson,  Mongols,  II, 
298  :  t  Mangou,  fidèle  à  la  maxime  de  Gengis-Khan,  ne  montrait  de  pré- 
férence pour  aucun  culte  et  les  traitait  tous  avec  égalité  n  ;  «t  ibid.,  367  : 
«  Coubilaï  fut  le  premier  d«s  successeurs  de  Gengiô-Khan  qui  s'écarta  de 
son  précepte  d'indifférence  religieuse  ;  il  avait  embrassé  la  religion  du 
Bouddha  qui  commençait  à  se  propager  parmi  les  Mongols.  » 

(2)  Chantepie,  Hist.  des  relig.,  p.  33o  et  462;  Galand  et  V.  Henry, 
VAgnistoma. 


LA    VIK  0  1 

tiliie,  sous  le  nom  prcMpie  idenliijue  de  n  luionia  »,  l'âme  du 
Bacrilice  dans  la  religion  des  Parsi»,  ces ancêlies  direct»  inaia 
à  la  fois  si  éloignés  des  iV-rsans  (jue  Saadi  n'ignorait  pas, 
imiscju'il  cil  parle,  peu  axanlageiiscnienl  du  reste  (1). 

l']>l-il  donc  inipos.-iblc  (pie  Saadi  ait  mélangé  les  éléments 
consliUilifs  de  deux  cultes  tout  dillérents,  mais  (pi'il  con- 
naissait superficiellement  rii?  Harbier  deMc>nard  croit  à 
une  histoire  bàlie  de  toutes  pièces  tur  des  racontars,  avec 
des  noms  de  dieux  el  de  prêlres  (pii,  dans  l'esprit  de  Saadi, 
n'avaient  que  la  valeur  de  mots  n'évotpianl  aucune  réalité 
perçue  Or  il  n'est  pas  interdit  de  se  demander  si  Saadi.  ré- 
digeant le  Jiousf.m,  n'avait  pas  confondu  flans  sa  mémoire 
fatiguée  par  1  âge.  Parsis  et  brahmanes,  Ilaoma  et  soma, 
orrespondanl  ii  des  souvenirs  réels. 

La  deuxième  objection  de  Harbier  de  Meynard  est  plus 
plausible:  comment  Saadi.  un  inlidèle,  |>arvint-il  à  capter 
si  rapidement  la  conliance  des  brahmanes  et  à  se  faire  initier  ? 
Il  est  certain  que  cette  initiation  paraît  bien  un  peu  expédi- 
tive.  Mais  on  jteul  imaginer  que  les  brahmanes,  heureux  de 
ravir  une  âme  à  une  religion  rivale  (3),  se  montraient  peu 
rigoureux  sur  la  durée  du  stage  el  mitigeaienl  en  (juehjue 
mesure  les  formalités  d  admission  à  la  communauté.  Le  fait 
ne  sérail  au  reste  ni  unique  ni  surpreiiaiil.  l)  ailleurs  Saadi 
nedéclare  pas  expressément  que  son  initiation  ail  été  rapide  ; 
il  se  borne  à  écrire  qu'après  son  amende  honorable,  il  atlecta 
les  dehors  de  lidolàtriect  s  iiiilia  aux  doctrines,  ce  qui  peut 
avoir  nécessilé  quelque  temps.  Celte  question   ne  présente 

;1)  "  Un  beau  visage  cachant  de  laides  pensées,  c'esl  ct)ninie  une  lan- 
lerte  t>ur  le  tombeau  d'un  luazdèen  »  (Moulammafll.  deuiicr  j.utn.o.  vers 
'■~>,  Irad.    Iluart)  (Les  vers  buivanls  soDl  analogue»). 

(2)  Sans  Cl  nipler  la  différence  do  langxf^o,  car.  en  ur|  ■;  «n  '»  |  ■■  i  «k"- 
lioo  du  persan,  les  brahD)anr!i  parlaient  sans  doule  un  prarnt.  Mais  la  lan- 
gue cookhlue  rarement  un  séiiiux  olislacic  à  la  diffusion  d'une  it>ligu>n. 
(Jue  l'on  itoogc  au  nombre  des  rnukulniaos  non  arabub. 

(3)  L'isUmikine,  apparu  dans  le  nord  de  l'Inde  à  Tépoque  des  Ghainéti- 
ies,  ver.'  l'.-n  U»00  (II.  .■'Il),  continuait  h  gagner  Iriitcment  ^et6  le  >ud. — 
Cf.  Cbanlcpie.  HUl.  det  relig.,  p.  427. 


52  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAFIIRE    l'HEMlEU 

donc,  à  ce  qu'il  semble,  qu'une  part  relative  d'invraisem- 
blance. 

lùifin,  la  série  de  considérations  morales  qui  termine 
l'cpisode  représente,  aux  yeux  de  Barbier  de  Meynard,  une 
nouvelle  preuve  de  son  existence  imaginaire.  Ces  conclusions 
morales,  dit-il,  «  font  penser  moins  à  uu  fait  réel  qu'à  un 
apologue  inventé  de  toute  pièce  en  vue  de  la  morale  à  en  dé- 
duire ».  Mais  ,  à  ce  compte,  les  anecdotes  relatives  à  Ten- 
fance  et  à  la  jeunesse  de  Saadi  sont,  elles  aussi,  à  révoquer 
en  doute,  puisqu'elles  servent  de  base  à  des  conclusions 
morales;  et  l'on  arrive  ainsi  à  rejeter  en  bloc  tout  ce  que 
Saadi  raconte  des  événements  de  son  existence.  En 
outre, Saadi  ne  s'est  pas  contenté  de  narrer  son  aventure  dans 
le  Boustan  ;  il  y  revient  dans  ses  poésies  lyriques  ;  ainsi  :  «  Je 
suis  entré  dans  le  temple  des  idoles,  j'ai  vu  leurs  adorateurs» 
(éd.  Calcutta,  p.  396  v"),  et  ailleurs  :  «  0  Saadi  !  alors  que  tu 
as  détruit  une  idole,  ne  le  sois  pas  toi-même,  car  s'adorer  soi- 
même  n'est  qu'idolâtrie  »  [ibid.,  p.  279  v")  (1). 

Il  semble  difficile  d'admettre  que  Saadi  reviendrait  ainsi 
à  plusieurs  reprises,  et  en  différents  écrits,  sur  un  événement 
qu'il  aurait  inventé  d'un  bout  à  l'autre.  Mais  il  est  plus  dif- 
ficile encore  de  supposer  qu'il  aurait  fini  par  croire  lui-même, 
le  temps  et  l'âge  aidant,  à  la  réalité  de  fictions  littéraires  qu'il 
aurait  créées. 

u  Après  cette  horrible  aventure  »,  continue-l-il  [Boustan^ 
p.  335),  «  je  me  rendis  dans  l'Inde  et  de  là  dans  le  Hedjaz 
par  la  route  du  Yémen.  »  Il  faut  renoncer  à  savoir  quelles 
localités  de  l'Inde  auraient  été  visitées  par  Saadi.  Parcourut- 
il  vraiment  le  pays?  Son  séjour  s'y  prolongea-t-il  ?  C'est  ce 
qui  doit  sans  doute  rester   toujours  ignoré  (2).  Ses  biogra- 

(1)  Dans  le  Bouslan,  Saadi  ne  déclare  pas  expressément  qu'il  a  détiuit 
l'idole,  mais  se  borne  à  le  laisser  entendre.  Cf.  la  notice  de  Jami  (Na- 
Jahal  el  ouns)  :  t  Saadi  vint  dans  le  temple  des  idoles  de  Soumnath  et  y 
briaa  une  grande  image  d'un  dieu.  » 

(2)  Ibn  Kbordadbeh  (op.  cit.,  p.  284)  indi(iue  un  itinéraire  parcourant  la 
côte  occidenlale  de  l'Hindoustan  jusqu'à  Serendib  (Coylan),  Mais  rien  n'au- 
torise à  affirmer  que  Saadi  l'aurait  emprunté. 


r.  V   vtR  53 

|>lie<.  il  rsl  viai.  If  font  voyager  Ironie  ans  fliir;iiil.  cl  c'tîsl 
pciil  rire  un  inolit  (ritdincUro  «{ii'il  Hiillardii  (|nf|(|iM' 
peu  (hnis  rindi".  Mais,  tn  I  ahsince  du  niuindif  Icxli*  lelalif 
à  celle  alFaiie,  loiilc  t'onjeclure  devienl  iniprudenle.  V.n  le- 
vanclie,  ou  peul  essayer  de  reconsliUuT  l'ilinémire  de  son 
rt'Ioiir  vers  i'oocidenl.  On  a  vu  que  les  relalions commercia- 
les enlre  I  Occidenl  cl  Illxlrême-Orient  n'avaienl  cessé  de  se 
poursuivre  aclivemenl,  soil  par  nier,  soil  par  les  roules  côlie- 
res.  Il  est  probable  cpic  Saadi  continua  son  voyage  par  mer, 
si  l'on  considère  (ju'il  avait  pu  pousser  vers  le  sud  de  l'Inde, 
C'est  au  reste  ce  (ju'un  jiassage  du  (lulistnn  fp.  81), !,.'-{.")  ten- 
drait à  faire  admettre:  -  .l'étais  dans  un  vaisseau  avec  une 
troupe  de  grands  ;  une  banjue  fut  submergée  derrière 
nous.  «Les  échanges  de  denrées,  dès  le  dixième  siècle  H. 
!^  "  étaient  intenses  entre  Inde  et  Perse,  si  l'on  s'en  raj)porte 
aux  géographes  Istakhri  li.  Ibn  Ilawqali'i),  el  Mouqad- 
dassi  (3).  'Les  importations  de  l'Inde  parvenaient  au  Fars 
surtout  par  le  port  de  Siraf  i  t).  Mais,  depuis  la  ruine  de  ce 
porl.  l'île  de  Kich  (Qaïs)  était  devenue,  au  douzième  siècle 
(II.  \'l"  .  le  centre  du  commerce  dans  le(iolfe  Persicpic.  lue 
ville  fortiliée.  avec  réservoirs  d'eau  potable,  s'y  créait  rapi- 
dement ;  les  pêcheries  de  perles,  d'autre  part,  contribuaient 
à  la  prospérité  de   l'endroit    oi.   L'île  communiquait  avec  la 

(1)  E.l.   liib.  g^i>g.  nmf>..  p.   152-1')^. 
(2^  Ibid..  p.  213-215. 

(3)  Ibifl..  p.  4-i2-4i3.  Oiilre  ces  Rëographes,  le  l.ii're  (Ut  merveilles  de 
l'Inde,  publié  par  van  der  Lilh  et  Devic,  confirme,  bous  une  forme  fanlai- 
tisle  il  est  vrai,  les  relalions  mantime.s  enlre  l'Orient  moyon  el  l'Exlrême- 
Orienl.  Cf.  notamment,  p.  'JO  et  suiv. 

(4)  Cf.  Brinaiid,  Géwjrnphie  (VAhotil/rda,  introd.  ;  Merveilles  de  l'Inde, 
index  géographique,  s.  v.  :  Siraf  (au  sujet  de  la  rapidité  des  traversées)  ; 
Le  Stranpe.op.  cit..  p.  2.'i7. 

(5)  Kich  fut  conquise  par  l'at.nl  ek  .\bou  B.ikr  (Hammer.  Ilkhnne,  I,  239). 
Sur  celte  ilo,  cf.  Sprt'nper,  Post  iind  Heiseruten,  p.  79;  Defrémrry,  Ciiilis- 
Inn,  p.  177,  n.  1  :  Harl>ier  de  Mo\n»rH,  fioiislnn,  p.  2.'i2.  n.  12  (•'  Au  trrops 
de  .S»adi.  servait  de  relâche  aux  caboteurs  qui  faisaient  la  traversée  de 
rinde  il  la  Perse  ><).  A  l'époque  de  YàqoAt,  le»  épicerie»  de  l'Inde  et  de  la 
Malait^ie  s'y  échangeaient  contre  les  produit'  de  1  Egypte,  de  la  Sjiie  et 
de  l'Occident  le  plu*  reculé  (d'après  Reinaud.  Notice  sur  le»  dictionnaire» 
géographiques  arabes,  J.  A.,  1860.  .\VI,  p.  84). 


5^  PREMIKRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

cote,  dislanle  d'environ  quatre  lieues,  par  le  portde  Houzou, 
relié  lui-même  à  Ghiraz  par  une  route  de  caravanes.  Mais  à 
l'époque  deSaadi,  si  Ton  en  croit  Yàqoût,  ce  port  avait  per- 
du toute  1  activité  qu'il  avait  manifestée  sous  les  Bouyïdes. 
Une  île  moins  importante,  Kharik,  servait  en  outre  d'escale 
aux  vaisseaux  se  rendant  de  Bassorah  aux  Indes  par  Kich  (1  ). 
On  trouve,  chez  les  géographes  Istakhri  et  Mouqaddassi, 
des  renseignements  sur  ces  échanges  commerciaux  :  à  Siraf 
arrivaient  de  l'Inde  bois  d'aloès,  ambre,  camphre,  pierres 
précieuses,  bambou, ivoire, ébène,  papier,  bois  de  santal, par- 
fums,etc. Par  contre,  affirment  Ibn  Hawqal  et  Mouqadassi, 
le  Fars  exportait  un  peu  partout,  aux  Indes,  en  Chine,  en 
Syrie,  en  Egypte  et  même  en  Afrique  du  Nord  des  parfums 
et  des  étoffes  réputés  de  tout  temps  (2).  On  peut  admettre 
que  les  troubles  qui  secouaient  l'Asie  avaient  quelque  peu 
ralenti  l'intensité  du  commerce,  mais  ralenti  seulement,  car 
le  Gulistan,  sans  chercher  plus  loin,  renferme,  sous  forme 
d'anecdote,  une  contribution  indéniable  à  l'histoire  du  com- 
merce oriental.  Saadi  raconte  (3)  qu'il  rencontra  dans  l'île  de 
Kich  un  marchand,  riche  mais  écervelé,  et  qui,  toute  une 
nuit,  lentretinl  de  ses  projets,  énumérant  pêle-mêle  Turkes- 
tan,  Ilindouslan.  Alexandrie,  Méditerranée...  «  Je  veux  por- 
ter ».  disait-il,  «  du  soufre  persan  en  Chine  où  j'ai  entendu 
dire  qu'il  a  un  grand  prix,  et  ensuite  de  la  vaisselle  de  Chine 
en  Grèce,  du  brocart  grec  dans  l'Inde,  de  l'acier  indien  à 
Alep,  du  verre  d'Alep  dans  TYémen  et  des  étoffes  rayées  de 
l'Yémen  en  Perse.  Après  quoi,  je  renoncerai  aux  voyages  et 
je  me  tiendrai  assis  dans  une  boutique.  »  Saadi,  sollicité  de 
donner  son  avis,  fait  une  réponse  analogue  à  celle  de  Cinéas 
à  Pyrrhus  :  une  bonne  petite  allocution  morale  sur  la  modé- 


(1)  D'Ohsson,  Mongols,  III,  249  :  «  Bas;dad  recevait  de  Bassorah  les  pro  • 
ductions  de  l'Inde  et  de  la  Chine,  et  celles  du  nord  lui  arrivaient  en  des- 
cendant le  Tigre  et  1  Euphrate.  » 

(2)  Le  Stran^e,  op.  cil  ,  p.  293-294. 

(.3)  Trad.  Defrémery,  p.  177  et  suiv.  Cf.  p.  179,  n.  1,  au  sujet  du  com- 
merce entre  Orient  et  Occident. 


LA     VI R  55 

intion  des  dt^sirs.  Il  n'en  rcble  paM  nioinn  que,  80Ub  aon  as- 
pect liv|)ci  bolicjiie,  et'  |)as.'«agc  j)r()iivc  une  fois  de  plus  racli- 
vilé  comineic'iuie  (le  l'Urieul  à  1  ipocjue  dr  Saadi.  Mais,  eu 
uulre,  il  al  leste,  dans  la  mesure  oii  l'on  peut  accorder  créance 
h  Saadi,  sou  passage  à  Kicli  vraiseuihlableuieul  à  ^ou  nlour 
de  riude.  Il  s'était  sans  doute  joint  à  (juclque  grouj  e  de 
niarcliauds  (jui  l'avi.ieut  eutraiué  vers  l'eulrepôt  de  Kicli. 

Dv  Kicli.  Saadi  pouvait  facilenieul  remonter  vers  sa  ville 
ualaie  ;  il  ne  semble  pas  quilait  adoj)té  ce  parti  ;  au  contraire 
il  reprit  probablement  sa  roule,  après  son  séjour  à  Kicli.  Se 
dirii^eait  il  de  nouveau  vers  La  Mcccpie  ?  I/Abyssinie  allait 
I  arrêter  eu  chemin. 

Du  (iolfe  Persi(juc  à  La  Mecque,  la  voie  maritime  était  la 
plus  commode  :  toutefois  une  route  jalonnait  la  côte  depuis 
r(^mau  jusqu'à  La  Mec(jue  ^  1  ,.  mais  naturellement  beaucoup 
plus  longue  ;  et  il  semble  plus  logique  de  supposer  que  Saadi 
prolita  d«'s  services  de  navigation  (|ui  contournaient  la  pé- 
ninsule aral)i{jue.  Le  cabotage  était  eu  elfet  continuel  sur  les 
eûtes  de  l'Oman  et  du  Hadramaout.  jusqu'à  Adon,  relâche 
importante  et.  malgré  son  mau({uc  d'eau,  centre  commercial 
ft'jl  aclif.  ^à(joùl.  le  Maravnl  el  itlila  et  Ibu  Batoulah  s'ex- 
priment à  peu  près  de  même  sur  cette  localité.  «  C'est  i»,  dit 
Yàqoûl,  "  un  rocher  sans  eau  ni  pâturages.  L'eau  potable 
sort  d'une  source  éloignée  d  environ  une  journée  de  marche. 
Aden  est  le  port  de  relâche  des  vaisseaux  de  l'Inde,  du  lled- 
jaz  el  de  l'IOlhiopie  (2)  ;  aussi  les  commerçants  s'y  réunis- 
sent. >•  Ibn  Hatoutah,  postérieur,  précise  le  texte  de  ^  à- 
qoiM  (3)  :  «  Cette  ville  est  le  j)ort  oii  abordent  les  Indiens; 


(1)  Cf.  Il>n  KlioiHn<il.oli,  ../).  cil.,  p.  r.09. 

(2)  Maçondi,  Prairies  d'or  (III.  34):  •<  Knire  le  rivage  d'Abyssinie  pl  la 
TÏlIe  de  Gnllankah.  gilii«*o  sur  l«  rôle  (l<^  Zt'l.id  dan»  le  Vémen.  il  y  n  une 
n8vi({»lion  dr  lr«>i>.  jours...  Le  chef  «duel  de  Zébid,...  ses  bftlimenls  vont 
sans  cesse  d'Arnbie  en  .^byssinie  où  ils  transportent  des  négociants  et  des 
marrhnndife^.  .<  Sur  Zvl.id,  cf.  Schefrr,  Voyage  de  tXnstiri  Khotraw,  p.  191, 
D.  î. 

(3)  Voyaqei,  II.  p.  ITT 


56  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

de  gros  vaisseaux  y  arrivent  de  Ganibaie.  Tanna,  Goulam, 
Galicut,  Fandaraïnah,  Ghàliyâl,  Mangalore,  Fâkanwar, 
Onor,  Sindabour,  etc.  Des  négociants  de  l'Inde  demeurent 
en  cette  ville,  ainsi  que  des  négociants  égyptiens.  »  Il  n'est 
pas  superflu,  semble-t-il,  de  citer  ces  ports  de  la  côte  in- 
dienne, car  déjà  plusieurs  d'entre  eux  florissaient  à  l'époque 
de  Saadi,  et,  si  Ton  veut  absolument  le  croire  à  la  lettre,  on 
imaginera  que  ses  pérégrinations  dans  l'Inde  se  seraient  ré- 
duites à  une  randonnée  maritime  terminée  au  Golfe  Persi- 
que,  en  parlant  de  l'un  quelconque  de  ces  ports. 

Aden,  porte  du  Yémen,  sollicitait  Saadi  de  se  rendre 
aussitôt  à  La  Mecque.  Il  y  a  lieu  de  croire  qu'il  différa  son 
pèlerinage  pour  aborder  en  Ethiopie.  On  vient  de  voir  par 
Yàqoùt  que  les  marins  de  ce  pays  accostaient  à  Aden.  D'au- 
tre part,  la  largeur  insignifiante  du  détroit  incitait  Saadi  à 
visiter  le  nouveau  pays  qu'il  entrevoyait.  Il  n'y  manqua  pas. 
((  J'étais  arrivé  au  pays  des  Abyssins  »,  écrit-il  dans  le  Bous- 
tan  (p.  362),  ((  comme  un  voyageur  insouciant  de  sa  destinée 
et  tout  entier  au  bonheur  de  vivre.  Sur  ma  route,  je  vis  une 
chambre  étroite  où  l'on  avait  enfermé  quelques  malheureux, 
les  fers  aux  pieds.  Je  m'enfuis  au  plus  vite  et  regagnai  le 
désert...  »  Passage  assez  significatif:  Saadi  laisse  entendre, 
d'abord  qu'il  se  trouve  alors  dans  la  force  de  l'âge,  peut-être 
la  quarantaine,  si  l'on  estime  qu'il  inaugura  la  série  de  ses 
voyages  vers  l'âge  de  36  ans  ;  ensuite,  que  son  séjour  en 
Abyssinie  aurait  duré  fort  peu.  Enfin  cette  fuite  précipitée 
laisserait  même  entendre  que  Saadi  aurait  eu  peut-être  à  se 
louer  médiocrement  des  autorités  locales  et  risqué  un  sort 
analogue  à  celui  des  prisonniers  dont  il  parle. 

De  l'Abyssinie,  il  n'aurait  donc  vu  que  le  rivage,  terres 
stériles  et  rocheuses,  au  bord  desquelles  la  mer  de  Qouizoum 
transpire  et  sommeille  (1).  Les  derniers  escarpements  des 


(i)  Cf.  Encyclop.  Islam,  art.  Abyssinie,  et  R.  Basset,  Inscriptions  de  l'île 
de  Dalilak  (J.  A.,  1893,  I,  p.  77  et  suiv.)  ;  Maçoudi  (Prairies  d'or,  IH,  p.  55) 
insiste  sur  le  caractère  désertique  de  la  région. 


t,A     VIF  57 

MitiiiU  laissent  oiilro  eux  vll;i  miM*  une  élrDito  bande  de  riva- 
i^cà  et  celle  conlii;iiialit)ii,  rappelanl  celle  des  côles  du  Fars, 
poiivail  évoijuer  dans  1  ànio  de  Saadi  le  sonvenir  do  la  lerro 
natale.  Au  delii,  sur  les  plateaux,  la  vieille  dynastie  d'Axonni, 
reine  des  montagnes  el  dédaigneuse  des  régions  maritimes, 
j)enchail  sur  son  terme:  le  roi  Lalibala,  vers  celte  époque, 
faisait  tailler  dans  le  roc  ses  gigantesques  églises  l),  en- 
voyait des  ambassades  en  Mgypte  et  guerroyait  victorieuse- 
ment contre  ses  voisins  (2)  ;  tout  le  haut  pays  élail  chrétien, 
les  cùles  seules  étaient  habitées  par  les  musulmans  i3)  et  il 
est  probable  cjue  Saadi,  se  souciant  [)eu  de  renouveler  son 
aventure  de  Tripoli,  repassa  en  toute  liàle  vers  la  rive  ara- 
biijue. 

Là.  du  moins,  il  se  sentait  eu  sûreté,  au  milieu  de  ses  frè- 
res. Si  les  rivages  de  TArabie  sont  stériles,  les  premières 
hauteurs  ollient  ui.e  large  compensation  au  voyageur 
déçu  ^i  .  ««Cette  contrée  est  grande  »,  écrit  Yà<|OÙl  dans  le 
Mouchtarili,  «  on  la  nomme  :  la  verte  (khadra),  à  cause  de  la 
multitude  des  arbres  et  des  champs  cultivés  qu'elle  renferme. 
On  y  sème  quatre  fois  dans  l'année  et  on  récolte  au  bout  de 
soixante  jours  ;  les  arbres  y  portent  deux  fois,  les  habitants 
sont  actifs.  »  Tout  invitait  donc  Saadi  à  suspendre  sa  mar- 
che :  il  se  décida  —  et  c'est  l'un  des  événements  à  peu  près 
certains  de  son  existence  —  à  se  fixer,  ou,  suivant  l'expres- 
sion arabe,  ù  ««  jeter  son  bâton  »  (5)  dans  le  Vémeii.  lue  rai- 

(1)  I.  Guidi,  Le  Synaxaire  clhiopion,  mois  d»?  sunè  {l'ulroloijimirienlalis, 
l.  I,  p.  601):  «  Dipu  lui  tnonliM  cominonl  il  feinit  dix  t'i^lises  dilT»5reiites... 
Salut  à  Lalihala,  conslrticletir  habile  de  sanciuaii-eii  en  (lioiTe  sèclie  sans 
poussière  Ininiide  (sans  mortier).  » 

(•J)  Cf.  J.  l'erruchon.  Vie  de  Lalibala,  ei  les  notes  dt^laillées  de  H.  Basset, 
Ktnd«s  sur  l'Iiisloire  d'Klhiopio  (J.  A..  I8S1,  XVH.  p.   i.^O-iS.I). 

(3)  l^a  con<|uèle  de  l'Aliys^inie  par  les  Arabes  n'out  lieu  qu'un  xvi*  siè- 
cle. Cf.  .\rab  l*"a(jih.  Histoire  de  la  conquête  de  IWbytsinie  (éd.  et  irad.  de 
H.  Basset). 

(4)  «  La  fertilité  du  sol  et  la  douceur  d'un  climat  tempéré  sont  le  privi- 
lège naturel  de  la  ré^fion  n»onl«j;neuse...  Elle  produit  l'inipressiort  d'une 
oasis,  on  rejjard  dos  plaines  sablonneuses  du  lillond  "  (A.  Dcflers,  Voyai/e 
nu  Yèmen.  188'.»). 

(5)  Cf.  sur  celte  expression.  11.  Dorenbourp,  Oumara  du  Yrmen  (partie 
française),  p.  2.1,  n.  1 . 


58  PREMIÈRE    PARTIE.     CHAPITRE    PREMIER 

son  plus  péremploire  que  le  climat  contribuait  au  reste  à  l'y 
maintenir  :  il  s'y  mariait  et  devait  y  connaître  le  bonheur 
d'être  père. 

C'était  à  Sanaa,  en  pleine  montagne,  au  centre  des  voies 
rayonnant  à  travers  le  Hedjaz,  vers  La  Mecque  (1),  vers 
Aden  (2)  et  vers  l'Ethiopie.  Saadi.  remontant  sans  doute  vers 
la  ville  sainte,  s'était  arrêté,  séduit  par  la  beauté  du  site  et 
par  quelque  habitante  du  lieu.  Il  reste  muet  sur  les  circons- 
tances de  son  nouveau  mariage.  Fut-ce  une  idylle,  l'élan 
d'un  homme  «  tout  au  bonheur  de  vivre  »  ?  Fut-ce  au  con- 
traire le  résultat  d'une  combinaison  monétaire  analogue  à 
celle  de  son  mariage  de  Syrie  ?  On  n'en  saurait  décider  sans 
indélicatesse  envers  sa  mémoire  et  l'on  doit  se  contenter  de 
la  certitude  du  fait. 

Les  géographes  orientaux  antérieurs  à  Saadi  mentionnent 
à  l'envi  l'antique  Sanaa,  <*  trône  du  Yémen  »  (koursi  el 
Yaman)  et  «  mère  du  monde  »  (oum  ed  dounia).  Pour  une 
fois,  le  Dictionnaire  géog7\iphique  de  Yâqoûl  n'offre  qu'un 
fatras  étymologico-historique  où  il  n'y  a  rien  à  glaner  pour 
l'époque  de  Saadi.  Dans  son  Mouchtaink,  il  insiste  sur  l'agré- 
ment du  climat  :  «  C'est  une  des  plus  belles  et  des  principa- 
les villes  de  l'Arabie,  où  l'on  trouve  peu  de  mauvais  animaux 
et  d'insectes  ;  elle  ressen^.ble  à  Damas  pour  ses  jardins  (3) 
qui  sont  remplis  de  toutes  sortes  de  fruits.  Il  y  a  tous  les  ans 
deux  étés  et  deux  hivers.  »  Ibn  Batoulah  note,  lui  aussi,  la 
douceur  du  climat  (II,  176)  :  <«  Elle  est  abondamment  pour- 
vue d'arbres,  de  fruits  et  de  grains  ;  son  climat  est  tempéré 
et  son  eau  excellente  »  (4). 

Saadi  s'y  reposa  donc  plusieurs  mois,  vivant  paisiblement 
au  milieu  des  x\rabes  dont  il  avait  appris  la  langue  à  Bagdad. 
Le  sort  l'oubliait  un  instant,  mais  pour  lui  ménager  un  terri- 

(1)  Ibn  Khordadbeh,  op.  cit.,  J.  A.,  1865,  V,  p.  502. 

(2)  Ibid.,  p.  r>03  (cantons  du  Yémen). 

(3)  Cf.  Mararid  el  ittila,  art,  Sanaa. 

(4)  Cf.  en  outre  sur  Sanaa  :  Schefer,  Voyage  de  Nassiri  Khosrau,  p.  19J, 
n.  3  ;  la  description  détaillée  de  A.  Deflers,  op.  cit.,  p.  55  et  suiv.  et  la 
notice  de  Niebuhr,  Description  de  l'Arabie  (Paris,  1779,  If,  p.  64). 


TV     VIF  59 

blo  re^voil  ;  son  enfanl.  le  lien  (jui  snn-î  doute  l'a  va  il  retenu 
c!»  Ai*ahii\  mourait  stibilomunt  «l'un  m  il  ijuo  Saarli  n'indique 
pas.  F^a  (lonloiir  du  [)ùrtî  fut  ce  (|u'ello  o>*l  d  ordin  lire,  lord 
d'une  telle  infortune,  mais  il  a  su,  dans  le  ïiintsl.in  {\  1,  rap- 
peler cet  t'vi^nement  de  son  passé  avec  une  mesure,  un.*  m  •- 
lancolieet  un  esprit  de  renoncement  (|ui  touchent:'»  la  heaiilé: 
(<  Je  perdis  à  Sanaa  >in  lils  tout  jeune  encore,  (^^mulonl  dé- 
crire tna  douleur?...  le  cypri'.^^  ne  dresse  sa  taille  svellc  dans 
les  jardins  du  monde  (jue  pour  ôlre  déraciné  par  le  vent  de 
la  mort  »  (2).  Kl  il  ajoute,  ressouvenir  des  Heurs  du  pays 
natal,  d'autanl  plus  toiiclinnl.  mali,Mé  sa  mi^niardise.  (ju'il 
est  sanï«  doute  involontaire:  «  Il  faut  bien  (jue  la  terre  pro- 
duise des  roses,  puisqu'elle  recèle  dans  son  sein  tant  de 
corps  délicats  comme  la  rose.  »  Kulin  celle  pensée,  dont  on 
ne  sait  si  elle  est  d'un  fataliste  ou  d'un  stoïcien  :  <»  Saclie-le 
bien.  Saadi.  les  fruits  appartiennent  à  celui  quia  planté  l'ar- 
bre, les  moissons  à  celui  (jui  a  fail  les  semailles  »  (3). 

On  voit  à  présent  pourquoi  Saadi  ne  pcuivait  —  ce  qui,  de 
prime  abord,  sembla  il  lof;i()ue  —  débarquer  à  Aden  pour  se 
rendre  de  suite  à  Sanaa  par  la  roule  directe  et  liabilucdle- 
menl  suivie  1  4^  et  seulement  ensuite  en  Abyssinie.  Comment 
eu  elFel  aurait  il  pu  se  déclarer  «  tout  enlier  au  bonheur  de 
vivre  »  aj)rès  une  aussi  rude  épreuve?  Tout  au  contrairi",  il 
n'a  plus  qu'à  se  tourner  vers  son  dieu.  Il  ne  saura  pas  lui 
parler  en  «  vales  »,  comme  Hugo  soni^eanl  sur  la  falaise  de 
\  ille<piier:  il  se  conlenlera  d'un  acte  confonni-  ;'i  r<'lal  do 
son  âme  :  un  nouveau  pèlerinage  à  La  Mecqn»  . 

La  mère  de  son  enfant  reste  dans  l'ombre.  .\Iourut-elle  à 
son  lour?  Saadi  la  réj)udia-l-il  ?  La  <juilla-l-il  sans  autre 
formalité  ?  Ktait-elle  jeune  ou  vieille  ?  Autant  de  problèmes 
pour  les  amateurs  de  rêveries.  Mais  un  fait  certain  :  le  foyer 

(1)  P.  361.  Il  y  citp  en  outre  Sanaa,  p.  2<  el  214. 

(2)  Cf.  iluge  :  Il  faut  que  l'Iicrbe  lombn  au  tranchmt  des  faucilles. 

(3)  Cumparer  Epiclèle  :  «  N4  dis  jamais,   aur  quoi    que  ce  puisne  être  : 
J'ai  perdu  cela,  mai»  :  Je  l'ai  rcn  Ui.  Ton  flis  c«l  morl  ?  Tu  l'as  rendu.   »» 

(4'  48  parasaDgea.  d'après  Ibn  Ktiurdadbeb,  op.  cil.,  p.  504. 


60  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

de  Saadi  s'écroule  el  il  ne  pense  pins  qu'à  reprendre  sa  course, 
précisément  peut-être  afin  de  fuir  le  chagrin  qui  rétouflFe,  en 
celle  ville  qu'encerclent  les  montagnes.  Par  delà  les  tom- 
beaux, en  avant  î 

De  Sanaa  à  La  Mecque,  la  roule  suivait  la  région  des  pla- 
teaux, allant  de  puits  en  puits,  jalonnée  de  sources  rares  (1  ). 
Le  voyage  comportait,  à  l'époque  de  Qoudâma,  18  à  19 jour- 
nées de  caravane.  L'ne  roule  parallèle,  celle  du  commerce, 
longeait  la  mer,  venant  de  lOman  par  Aden  et  Djeddah, 
mais  plus  chaude  et  poudreuse.  Saadi  prit  la  route  des  pla- 
teaux (celle  des  pèlerins),  et,  une  fois  de  plus,  visita  les  dé- 
serts sacrés.  Puis,  descendu  à  Djeddah,  il  s'y  embarqua, 
traversant  la  Mer  Rouge,  pour  aborder  la  côte  opposée,  à 
Aïdhab. 

Vers  l'Egypte,  deux  routes  montaient:  l'une,  la  route  do 
Qoulzoum,  suivait  le  littoral  occidental  de  l'Arabie  et  péné- 
trait en  Afrique  par  l'isthme  de  Suez  (2).  Mais  cette  route, 
la  plus  facile  pour  les  pèlerins,  était,  selon  Maqrizi  (3),  aban- 
donnée depuis  1058  (H.  450),  période  où  la  rivalité  desmer- 
ceuaires  turcs  et  nègres  bouleversait  l'Egypte  de  Moustançir. 
Elle  ne  devait  redevenir  praticable  qu'après  la  chute  du  califat 
de  Bagdad,  lorsque  le  sultan  Baïbars,  ayant  donné  asile  à 
nn  obscur  parent  du  dernier  calife  abbasside,  s'arrogeait 
de  ce  fait  quelque  influence  sur  le  gouvernement  des  villes 
saintes  et,  grâce  à  sa  politique  astucieuse,  parvenait  à  recons- 
tituer la  grande  Egypte  (4). 

Ibn  Joubaïr  qui  parcourut  cette  route  en  il 83  (H. 579)  (5) 

(1)  Ibn  Khordadbeh,  op.  cit.,  p.  502. 

(2)  Ibid.,  p.  500  et  510. 

(3)  Khital  (éd.  Boulaq),  I,  p.  194  et  suiv. ,  p.  202  et  siiiv.  ;  et  Quatreroère, 
Mém.  sur  l'Egypte,  t.  II. 

(^)  Cette  opinion  de  Maqrizi  est  sujette  à  caution,  car  le  voyageur  persan 
Nacir-i-Khcsra-\v  (trad.  Schefer,  p.  176-177)  raconte  s'être  rendu  d'As.scupn 
à  Aïdhab  en  1050  (H.  442). 

(5)  Ed  .  cit.,  p.  65  el  suiv.  Cf.  extrait  dans  Nacir-i-Khosra\v  (trad.  cit., 
p.  286  et  suiv.).  Le  même  itinéraire  fxit  suivi  en  11.^5  par  Onmaro  du 
Yémen  (cf.  H.  Derenbonrg,  Onmara,  partie  française,  p.  92)  et  par  Ibn 
Batoutab  {op.  cit.,  I,  p.  94  et  suiv.)  qui  descendit  jusqu'à  Aïdhab. 


6i 


foui'iiil  dans  sa  lic/.itio/i,  dos  détails  ciiconslaiiciôs  sur  son 
voyago  :  il  a  garde  in.uivais  souvenir  tl'Aidliab,  «  ville  mnn- 
dile  »  i'»  eau  cioiipissanlc  el  à  lein|H''raliire  loiijuiirs  hrùlaiile, 
où  l'on  n  aborde  (jn'après  d'extrêmes  «liflicullés,  sur  des  bâ- 
timents «  laits  de  planches  cousues  les  unes  aux  autres  ->, 
sans  clous  do  favon  à  leur  donner  plus  de  souplesse  contre  les 
tourbillons.  La  IraversT'c  de  Djed.la  à  Aîdliab,  sur  ■«  celte  mer 
perfide  et  odieuse  •»,  représente,  à  l'en  croiic.  une  vérilablc 
épreuve,  de  niènu'  tpie  le  séjotir  à  Aïdliab.  Mauvaise  nour- 
riture, eau  impolable,  exploitation  systétîiali(pie  des  j)êlerin.s 
par  les  nautoniers  (|ui  les  entassent  dans  leurs  barques 
.t  comme  dans  des  ca<;es  à  poules  •.,  population  abjecte  igno- 
rant à  peu  près  1  u.-age  du  vélenicnl.  rien  ne  maïujue  au  (a- 
bleau.  Kt  cependant,  «  le  port  est  un  des  plus  iVéquentés  du 
monde,  parce  «jtie  les  navires  de  lindc  et  du  Vémen.  sans 
compter  les  bâtiments  (pii  transportent  des  pèlerins,  viennent 
y  aborder  ».  Mais  ce  n'est  j)as  tout:  il  l'aul  ensuite  franchir 
le  désert  avant  d'arriver  en  Kgypte. 

Kn  dé[)il  des  puits  plus  ou  moins  mal  entretenus,  celle 
traversée  du  désert  dénote,  chez  Ibn  Joubaïr,  moins  de  mau- 
vaise humeur  (pie  son  séjour  à  Aïdhab.  La  piste  est  sans 
cesse  foulée  par  le  pied  des  chaniiMux  cpii  Iransporlenl  les 
marchandises.  Les  gens  aisés  se  prélassent  dans  des  litières 
attachées  solidement  au  dos  des  montures  el  protégées  du 
soleil  par  un  tendelel.  Ibn  .loubaïr  se  montre  frappé  surtout 
j)ar  l'intense  va-et-vient  :  «  Je  voulus  faire  le  compte  des 
caravanes  «pii  passaient  par  cette  route,  mais  je  ne  pus  v  par- 
venir. Les  plus  nombreuses  sont  celles  d'.Vidhab  (jui  trans- 
portent les  marchandises  apportées  de  l'Inde  dans  le  Vémen. 
On  a  dans  ce  désert  un  spectacle  bien  extraordinaire  ;  celui 
de  voir  abandonnés  sur  la  roule  et  sans  être  gardés,  des  bal- 
lots de  poivre,  de  cannelle  et  autres  épiées  que  l'on  a  dil 
laisser  là,  à  cause  de  la  fatigue  des  chameaux  ou  pour  loute 
autre  raison.  Ces  ballots  restent  en  place  jusqu'à  ce  cpie  leurs 
propriétaires  viennent  les  reprendre,  sans  (pie  jamais,  malgré 
le  grand  concours  de  passants,  ils  soient  l'objet  d'une  sous- 


€a  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

traction.  »  Combien  Ibn  Joubaïr  regrette  la  bonne  route 
d'Arabie  par  Médine,  Akaba  et  le  Sinaï  I  Mais  les  GbréLiens 
possèdent  un  fort  qui  commande  le  passage  et  il  faul  se  rési- 
g:ner  au  pénible  voyage  de  Nubie. 

Saadi,  qui  avait  loules  raisons  d'éviter  le  voisinage  des 
Croisés,  emprunta  sans  doute  cet  itinéraire  pour  rejoindre  le 
Nil  à  Assouan,  garnison  perdue  au  bord  du  désert, ou  à  Qous, 
grosse  ville  de  commerce,  point  de  ralliement  des  marchands 
du  Yémen,  de  l'Inde,  de  l'Abyssinie  et  des  pèlerins  du  Ma- 
ghreb et  de  l'Egypte  qui  s'y  logeaient  dans  un  faubourg  (1). 
D'Assouan  ou  de  Qous,  il  n'a\ail  plus  qu'à  s'embarquer 
sur  le  Nil  et  à  se  laisser  aller  au  fil  de  l'eau,  en  compagnie 
desautres  voyageurs,  réfléchissant  à  tout  ce  qu'il  voyait  et 
entendait,  regardant  défiler  les  villages  de  terre  battue  et  les 
temples  endormis  sur  les  boids  du  fleuve.   Ibn  Joubaïr  (2), 
quelques    années  auparavant,  et  Nacir-i-Khosraw  —  il  y 
avait  alors  près  de  deux  siècles  —  avaient  eux  aussi  connu 
cette  délicieuse  navigation  et  décrit  en  quelques  traits  les  sites 
qu'ils  dépassaient  :   Esneh,  Manfalout,  Assiout,  Abou  Tig, 
Akhmim,   Balianeh,   Dendérah,  Qéneh,  noms    chargés  de 
vieillesse  et  de  mélancolie. 

Saadi  séjourna  sans  doute  en  Egypte,  car  il  déclare  dans 
le  Boustan  (p.  307)  y  avoir  possédé  un  jeune  esclave  «  plein 
de  modestie  et  dont  les  yeux  restaient  toujours  baissés».  Il 
rappelle  d'autre  part,  dans  le  Gulistan  (3),  une  sentence 
qu'il  recueillit  de  la  bouche  d'  «  un  gardien  d'éléphants  sur 
le  bord  du  Nil  ».  L'éléphant  ne  fut  jamais  très  répandu  en 
Egypte  et  il  est  probable  que  l'endroit  où  on  les  entretenait 
en  troupeaux  n'était  autre  que  la  ville  des  sultans  :  Le  Caire. 
Les  voyageurs  et  géographes  contemporains  n'ont  pas 
laissé  —  pas  plus  au  reste  que  pour  d'autres  villes  —  de  des- 
cription générale  du  Caire.  Les  Orientaux  excellent  dans  la 

(1)  Ibn  Joubaïr  (éd.  cil.),  p.  65. 

(2)  Ibid.,  p.  57  et  suiv. 

f3)  P.   71.  Il  parle  plus  loin  {ibid.,  p.  180)  de  (>  la  route  de  l'Egypte  par 
la  mer  d  Occident  «. 


iiotiilioli  iniiuilitnisf  «les  di'Uils  ;  ()ar  conlro,  les  viien  d'en- 
semble K'iir  soni  pour  ainsi  dire  tHrangèros.  Ibii  Joiili.iïr  i|iii 
visilîi  Le  (liiiie  i-n  \\X\    II.   .*17'>    se  cimlente    op.  cit.,  p     i.'i 
et  siiiv/;  d'une  suile  de  notices  sur  les  niausoléeri  et  les  inos- 
ijiiées  ;  il  y  ajoule  les  biographies  de  (piebpies  pcrsonnaj^es . 
^  à(p)ùt  (jiii  compose  avant  tout  un  dictionnaire  accumule 
les  citations  d'Iiisloriens,   de  traditionnistes  u(  de  poètes  et 
mentionne  les  monuments  célèbres.  Ibn  Baloiilah  [\,  p.  67 
cl  suiv.),  tout  voyageur  qu  il  soit,  ne  cherche  pas  à  dégager 
la  physionomie  générale  de  la   ville  et  î-e  contente  de  «piel- 
«pies  louanges  hy[)erboli(p»es,  avant  I  énuméralion  tradition- 
nelle di'ii  monumenls. 

A  ce  moment,  c'est  à-dire  vers  le  milieu  du  liei/icme  siè- 
cle, l'^ouslâl.  la  «  ville  vieille  )>  du  Caire,  élail  déjà  réduite  à 
l'état  de  décombies  :  le  vizir  Chawar  l'avait  en  ellel  livrée 
aux  tlammes,  en  noviinbrr  I  l()8(^H.  o6ii,  aliii  d'empêcher 
les  Croisés  d'y  pénétrer,  et,  durant  cin(pianle-(puitre  jours, 
1  incendie  avail  dévoré  ces  relicpies  d'un  passé  déjà  vénéra- 
ble. (Jiiant  au  (]aire  proprenunt  «lil,  les  .\.\oidjides  . délaient 
surtout  préoccupes  de  le  fortifier,  élevant  une  citadelle  et 
commenv^mt,  à  1  exemple  det>  Croisés,  une  enceinte  qui 
devait  rester  inachevée.  Le  caractère  général  de  ht  ville  élail 
donc  à  la  lois  religieux  et  militaire. 

Déterminer  la  ilurée  du  séjour  de  Saadi  eu  ICgypteest  im- 
possible ;  en  revanche,  il  est  permis  de  supposer  <ju  il  s'y 
trouvait  peu  avant  12i5,  alors  qu'une  septième  croisade  était 
décidée  au  Concile  de  Lyon.  L'Islam  cour.iit  un  réel  dan- 
ger :  le  Khan  des  Mongols  avail  uU'erl  |)ar  ambassade,  au  roi 
de  France  Louis  IX,  son  alliance  contre  les  musulmans,  lui 
promeltanl  en  outre  la  possession  de  la  Syrie.  Le  bon  saint 
Louis  ilépula  des  moines  vers  le  Khan,  tergiversa  sans  rien 
conclure,  et  llslam,  un  instant  menacé  d  être  pris  entre 
Croisés  et  .Mongols,  se  trouva  provisoirement  hors  d'alFaire. 
Kn  outre,  lorscjue  le  roi  de  France  descendit  en  Kgypie,  tous 
les  élémentij  réfractaires  aux  Mongols,  les  Kharezmious.  les 
derniers  partisans  de  Jalal  ed   Din,  ceuv-là   mêmes  qui,  à 


6^  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Gaza,  en  1244,  aidaient  naguère  les  Egyptiens  à  remporter 
une  violoire  arrachant  aux  Croisés  la  Syrie  (sauf  la  princi- 
pauté de  Homs),  tous  ces  dissidents,  croyant  saint  Louis 
l'allié  des  Mongols,  se  ruaient  furieusement  sur  ses  troupes 
à  la  journée  de  Mansourah  (1250)  et  transformaient  en  la- 
mentable défaite  une  affaire  pourtant  bien  engagée. 

Kn  attendant  ce  nouveau  choc,  l'Egypte,  secouée  par  des 
révolutions  de  palais,  triomphait  toutefois  à  l'extérieur.  El 
Malik  eç  Çalih  dominait  non  seulement  la  vallée  du  Nil,  mais 
la  Mésopotamie  et,  depuis  Gaza,  la  Syrie.  Saadi  pouvait 
donc,  durant  son  séjour  au  Caire,  contempler  les  dernières 
splendeurs  de  la  dynastie  ayoubide. 

Mais  l'Egypte  était  par  trop  menacée,  et,  en  même  temps 
qu'elle-même,  les  Étals  qu'elle  dominait.  On  sentait  l'ap- 
proche des  Croisés,  et  quant  à  se  rendre  en  Syrie,  le  mo- 
ment eut  été  mal  choisi.  II  semble  donc  que  l'on  soit  autorisé 
à  placer  ici  le  séjour  de  Saadi  au  Maghreb,  séjour  attesté 
par  lui-même,  à  la  fois  dans  le  Gulistan  et  le  Boustan.  Dans 
le  premier  de  ces  recueils  (p.  275,  VII,  4),  il  raconte  avoir 
vu  <(  dans  les  contrées  du  Maghreb  un  maître  d'école  qui 
avait  un  visage  renfrogné,  une  éloculion  rude,  de  mauvaises 
habitudes,  qui  tourmentait  autrui,  avait  le  caractère  d'un 
mendiant  et  était  dépourvu  de  modération  »  (1).  11  écrit 
d'autre  part  dans  le  Boustan  (p.  160)  :  «  Je  voyageais  dans 
le  Maghreb  avec  un  vieillard  originaire  de  Fariâb  ;  la  des- 
tinée nous  conduisit  sur  le  rivage  de  la  mer.  Comme  j'avais 
encore  un  dirhem  on  me  prit  à  bord  d'un  bateau  »  (2). 

De  ces  deux  passages,  le  premier  suppose  une  station  dans 
quelque  ville,  le  second  un  voyage  par  mer  vers  une  nou- 
velle contrée.   Mais,  avant  de  retrouver  Saadi  en  Syrie  — 

(1)  Celle  «  éloculion  lude  »  ne  déno!erait-el!e  pas  l'étonnemenl  de 
Saadi,  écoutanl  ]e  dialecte  inaghiébin,  plus  heurté  que  ceux  d'Orienl? 

(2)  L'histoire  se  termine  par  une  anecdote  de  caraclèie  mystique.  Noter 
que  Saadi  avait  certainement  su  contempler  la  majesté  de  la  mer,  puis- 
qu'il évoque,  au  cours  du  même  récit,  «  l'immensité  de  la  mer  tumul- 
tueuse ». 


i.\    vii: 


65 


nouveau  séjour   allt-slt-   par  lui-niènu*  i'Irmuc  laul  il  se 

demander  si  quehjue  luolil".  oulie  le  drsir  di  tiiii  lt>  liouLlis 
d'Kgyple,  l'avail  attiré  vers  l'Occident. 

A  Tunis,  les  |)rinces  llai'sides  (1  ),  issus  des  Almoliades, 
avaient  peu  à  peu  con(iuis  leur  indépendance.  LVniir  Aboii 
Zakaria,  dès  \2'M')  U.  CùiV),  faisait  récitera  Tunis  la  prière 
en  son  propre  nom  et  domptait  les  tribus  berbères  rebelles  : 
à  sa  mort  (1219/017),  il  s'était  assuré  la  domination  de 
r Afrique  du  Nord  et  d'une  partie  de  l'Kspagne.  Son  action 
n'avait  pas  été  seulement  militaire  mais  encore  politi()ue  : 
des  traités  conclus  avec  le  roi  de  Sicile  l'^édéric  II  (1231  i, 
avec  Marseille.  Pise,  \'enise,  imprimaient  au  commerce  une 
imj)ulsion  nouvelle.  Tunis  devenait  une  capitale,  attirant  à 
la    fois  les  écrivains,  les  artistes  et  les  marchands. 

Les  géographes  contemporains  se  bornent  à  des  indica- 
tions assez  sommaires  sur  Tunis.    Ibn   Haloutah.  outre  qu'il 
e:l  de  beaucoup  postérieur  à  Saadi,  ne  décrit  rien,  se  con- 
tente de  mentionner  quelques  savants  et  ajoute  y  avoir  souf- 
fert diin  accès  de  neurasthénie  causé  par  la  solitude  (I.  p.  20^. 
Ibu  Joiibaïr  reste  muet  sur  cette   ville.  Yàcjoût  lui  consacre, 
dans  son  Dictionnnire,  un  article  ayant  du  moins  le  mérite 
d'appartenir  à  l'époque  de  Saadi  :   <«  Tunis  est  construite  », 
dit-il,   ««   avec  les  ruines  d'une  grande  ville  anticjue  située 
dans  son  voisinage  et  nommée  Carthage.  Tunis  se  nommait 
autrefois  Tarchich.  Il  y  a  deux  milles  entre  elle  et  Carthage. 
Elle  occupe  avec  ses  murs  (un  périmètre  de)  1021  coudées 
et  est  aujouidliui   la  capitale  de  l'Ifriqiya...   Pas  d'eau  cou- 
rante :  on  boil  l'eau  des  puits  et  des  citernes  qui  recueillent 
l'eau  des  pluies.  Chaque  maison  comporte  une  citerne:  les 
puits  se  trouvent  aux  environs  de  la  ville,  l'eau  en  est  salée. 
Le  pays  est  fertile,  les  moissons  exubérantes.  Le  climat  est 
l'un  des  meilleurs  de  rifii(|i>a.  »  Le  reste  de  1  ai'uclc  ie|»ro- 
duit  simplement  le  texte  de  la  Description  de  IWfriipie  d'el 

(1)  Cf.  Encyriop.   Islam,  arl.  Ilxftidrs,  cl  Chronique  altiihucc  k  /.ork«*chi 

M 


66  PHEMIÈRE    PAUTIK.     —    GliAPIlUE    PKliMlEU 

Bakri  (lerminée  eu   106(S  et  par  conséquent  trop  ancienne 
pour  être  citée)  (1). 

Territoire  fertile,  ville  puissante,  prince  éclairé,  il  y  avait 
là  de  quoi  solliciter  les  voyageurs  en  quête  de  nouveautés  et 
de  faveurs.  11  n'est  donc  pas  impossible  que  Saadi,  allant  au 
Maghreb,  se  soit  dirigé  vers  Tunis  où  sa  qualité  de  lettré  lui 
donnait  le  droit  d'espérer  un  accueil  favorable.  Les  routes 
étaient  au  reste  continuellement  parcourues  entre  l'Egypte 
et  ITfriqiya  par  les  marchands  et  les  pèlerins  ;  il  sullisait 
donc  à  Saadi  de  s'attacher  à  quelque  caravane  pour  atteindre 
la  capitale  des  Halsides.  Dès  le  dixième  siècle,  Ibn  Klior- 
dadbeh  \op.  cit.,  p.  ol5)  y  signalait  un  transit  commercial 
intense:  «  Les  marchands  qui  partent  de  l'Espagne  et  du  pays 
des  Francs  se  rendent  à  Tanger  et  au  Maroc,  d'où  ils  se  met- 
tent en  marche  pour  la  province  d'Afrique  el  1  Egypte.  »  11 
donne  d'autre  part  (p.  453  et  suiv.)  1  itinéraire  de  Fouslàt 
à  Tunis,  par  Alexandrie,  Barka  et  Kairouan.  Mais  un  itiné- 
raire est  à  citer  tout  particulièrement,  celui  d'el  Abdari  qui, 
en  1289  (II.  688),  quittait  la  région  de  Mogador,  se  dirigeant 
vers  Alexandrie,  par  Tlemcen,  Alger,  Bougie,  Gonslantine, 
Tunis,  Kairouan  et  Tripoli  (2).  C'est  à  partir  de  cette  der- 
nière que  commençaient  le  désert  et,  partant,  les  difficultés. 
El  Abdari  constate  la  déchéance  de  ces  régions,  infestées 
d'Arabes  pillards,  parsemées  de  localités  misérables  et  de 
vestiges  de  l'antiquité  qui,  par  contre,  rappellent  la  gran- 
deur et  la  prospérité  des  populations  d'autrefois.  Il  traverse 
des  ^(  ksours  »  plus  ou  moins  ruinés,  parvient,  à  travers  les 
sables  arides,  au  pays  de  Barka  où  les  habitants  sont  moins 
dangereux,   mais  vivent  en  demi-sauvages,  ignorant  l'usage 


(1)  El  Bakri  (U-ad.  de  Slane,  p.  00  cl  suiv.)  ;  Edrisi  (preinièic  iiioilié  du 
douzième  siècle),  dans  sa  descriplioa  de  TAfrique,  noie  parliculièrunient 
la  ferlilité  des  environs  de  Tunis  (Irad.  Dozy  el  de  Goeje,  p.  130).  Cf.  la 
descriplion  attribuée  à  el  Fezari,  Uad.  R.  liassel  {Documents  géographiques 
sur  l'AJrique  septentrionale,  p.  18-19). 

(2;  De  C.  Mol^iin&ki,  Iiiuéi'aires  cuire  Tripoli  et  ÏEgy pie  {Bull,  Soc. 
Géoj.  d'Alger,  1900). 


LA    VIE  67 

àc  la  monnaie  el  ne  conimerçanl  (jnu  par  ('changes.  11  so 
njoulre  iorl  scandalisé  par  lus  ftMunu's  (|iu,  lu  visage  couvert 
(l'un  voile  crasseux,  su  niêlenl  en  revanche  aux  hommes,  la 
lèle  découverle,  les  cotés  el  les  |)ieds  nus.  Knlin,  au  sortir 
du  pénible  désert  de  Lib^e,  il  louche  Alexandiie".  Son  retour 
de  La  Mecque  s'elleclue,  à  peu  cio  chose  près,  par  la  mémo 
roule. 

Saadi  pouvait  donc  partir  vers  le  Maghreb,  soit  du  Caire, 
soit  d'Alexandrie.  Il  est  probable  qu'il  ne  négligea  pas  celte 
dernière,  trop  anciennement  célèbre,  et  qu'il  usa  d'un  iliné- 
néraire  analogue  à  celui  d'el  Abdari.  (2  est  peul-êlre  à  Tri- 
poli ou  a  Tunis,  pourvues  1  une  el  l'autre  de  moscjuées  el  de 
madrasas,  qu'il  rencontra  son  désagréable  maître  d'école. 

Kvaluer  la  durée  de  son  séjour  en  IfriqiN  a  serait  également 
téméraire.  Toutefois,  les  événements  qui  se  produisaient 
alors  en  Mgypte  aulorisenl  celte  conjeclure  :  Saadi,  tran- 
quille au  sein  d  un  puissant  royaume,  y  aurait  attendu  que 
la  sécurité  des  routes  maritimes  el  côtières  lui  permît  enfin 
de  regagner  la  Syrie  sans  courir  Irop  de  risques. 

Car  la  septième  croisade  lui  inlerdisail  un  rcloui  inimc- 
dial.  La  Papaulé  ne  se  résignait  pas  à  abandonner  Jérusa- 
lem, depuis  que  celte  ville  avait  élc  reprise  par  Saladin 
(1187).  Malgré  <jualre  croisades  infructueuses  suscitées  par 
ses  prédécesseurs,  Innocent  1\'  n'en  persistait  pas  moins 
dans  son  dessein  :  en  l'ii.'i.  une  septième  croisade  a\ait  été 
décidée,  croisade  exclusivement  française  (car  la  discorde 
sévissait  plus  que  jamais  entre  l'Kglise  el  l'Kmpire)  ;  et 
l'obéissant  Louis  IX,  embarqué  en  l2iH,  avait,  après  un 
hiver  perdu  à  Chypre,  attaqué  directement  le  sultan 
d'Kgyple,  possesseur  des  Lieux-sainls. 

Ce  (jue  fut  celle  croisade,  Joinville  l'a  dit  suffisam- 
ment (1).  Mais  le  désastre  eût  été  plus  irrémédiable  encore 
si  les  musulmans  avaient  su  s'entendre  :  or  le  dernier  snllan 
ayoubide  était  mas.sacré  [)ar  ses  mamelouks, sous  les  yeux  des 

(I)  cr.  !..  BrébiiT,  l.'Lglise  el  l'Orient  ou  moyen  (/(/<,  p.  iTi  et  »i)iv. 


68  PHEMIÈRE    PRHTIE.     CHAPITRE    PREMIER 

Chrétiens  (printemps  de  1260/648).  L'Egypte  sortait  de  l'in- 
vasion pour  tomber  dans  la  guerre  civile  et  l'anarchie.  Mais 
le  danger  principal,  celui  d'Occident,  paraissait  du  moins 
conjuré. 

Saadi  pouvait  donc  quitter  sa  retraite  et  se  remettre  en 
route,  Il  prit  sans  doute  la  mer  [Boustan,  p.  160  :  cf.  supra^ 
p.  64),  évitant,  non  seulement  la  traversée  des  déserts,  mais 
surtout  celle  de  l'Egypte,  encore  moins  sûre,  et  longea  les 
côtes  jusqu'à  la  Palestine.  Il  est  peu  probable  qu'il  se  dis- 
pensa de  visiter  Jérusalem,  ville  sainte  des  chrétiens  et  des 
juifs,  mais  aussi  des  musulmans.  IS  était-ce  pas  vers  Jéru- 
salem que  Mahomet  avait  dirigé  son  voyage  nocturne  (1); 
qu'Allah  avait  envoyé  un  ange  à  Salomon  ;  que  Jésus,  pré- 
curseur de  Mahomet,  avait  fait  ses  miracles?  D'autres  tra- 
ditions encore  conféraient  à  Jérusalem  la  vénération  des 
musulmans  (2).  Mais,  au  sortir  des  vicissitudes  qui  l'avaient 
affligée,  avec  ses  remparts  à  demi  détruits  (3),  elle  était  plus 
mélancolique  que  jamais.  ]*>lle  devait  encore,  il  est  vrai,  su- 
bir la  dévastation  de  Baïbars. 

Saadi,  dans  le  Boustan  (p.  146),  parle  de  Jérusalem 
«  pleine  au  dedans  de  sanctuaires,  au  dehors  de  remparts 
ruinés  ».  Il  semble  donc  bien  qu'il  ait  visité  la  ville  et  ses 
monuments  éternels  :  la  mosquée  d'Omar  et  la  sainte  cou- 
pole recouvrant  le  rocher  d'où  Mahomet  s'était  élancé  au 
ciel. 

Avant  son  retour  à  Ghiraz,  la  Syrie,  toute  proche,  devait 

(Ij    Coran,   XVII,    I.    Sur   l'ascension   de    Mahomet,   cf.   Jes   articles   de 
E.  Blochel  (H.  H.  R.,  t.  XL,  18y9,  p.  I  et  203). 

(2)  Cf.  Yàqoijt,  Moujam  (ail.  el-Maqdis)  ;  Ghanis  ed  Din  as  Souyoïiti, 
Ithâf  cl  akhiçça  bi  fadàïl  el  masjid  el  aqça  (Brockelmann,  Arab .  Litt.,  II, 
p.  132,  11.  13).  Cf.  les  descriptions  contemporaines  de  Jérusalem  dans 
Michelant  et  Raynaud,  Itinéraires  à  Jérusalem  (Soc.  de  l'Or,  latin,  série 
géog.,  t,  III;  p.  21,  restai  delà  cité  de  Jherusalem,  vers  H87  ;  p.  29, /6/rf., 
vers  1231  ;  p.  143,  description  détaillée,  vers  1261  ;  p.  182,  [hid.,  vers  126d). 
3)  l!;n  Ratoulah,  op.  cit.,  I,  120:  «Saladin...  lorsqu'il  fit  la  conquête  de 
la  ville,  détruisit  une  partie  du  mur  d'enceinte.  Ensuite  Baïbars  compléta 
sa  démolilion,  de  crainte  que  les  Francs  ne  s'emparassent  de  la  ville.  > 


I  \     VIK  69 

l'allircr  une  lois  encore  :  aiu  cu'iir  des  lioninie$*  subsiste  en 
ellel  Mil  invslérit'iix  amour  des  lieux  où  s'i'foula  leur  jeu- 
nesse, alors  luiMue  (ju'ils  y  lureul  uialhenreux.  Pour  Saadi, 
celaient  les  travaux  forcés  de  Tripoli,  le  mariage  également 
forcé  d  .Me|)  :  mais  c'étaient  aussi  les  années  d'eiilhousinsme 
et  de  vigueur  dont  il  allait  eherclier  le  fantùnie,  sous  les  voi- 
les de  la  nature  immuable  et  iiirlitlerente. 

Il  se  dirigea  vers  Damas,  non.  comme  plus  lard  Ibu  Ha- 
loulali  I  .  eu  lougeaul  la  côte,  mais  en  suivant  très  j)roba- 
blement  la  vallée  du  Jourdain  par  Tibériade  (2).  Les  Chré- 
tiens, retranchés  dans  Sainl-.Ieau  d'Acre,  Césarée,  .laffa, 
Sidon  devenaient  presijue  négligeables  et  ce  n'était  pas  l'ar- 
rivée de  Louis  I\  el  de  sou  armée  battue  (jui  pouvait  leur 
poiter  grand  secours  ;  mais  ils  n'en  tenaient  pas  moins  la 
route  de  la  côte,  l'.n  revanche,  l'intérieur  était  libre  el  Saadi 
pouvait  gagner  paisiblement  Damas  où  n'-gnait  un  sultan 
ayoubide. 

Deux  passages  (lu  (iii/isf.in  attestent  son  séjour  en  cette 
ville.  Dans  le  premier  ip,  45,  I,  H)),  il  déclare:  ««  Une  cer- 
taine année,  j'étais  agenouillé  dans  la  grande  mos(juée  de 
Damas,  à  I  extrémité  supérieure  du  mausolée  de  Vahia  le 
prophète.  »  Ce  mausolée,  dit  de  Saint  Jean-Haplisle.  subsiste 
dans  la  vaste  cour  centrale  de  la  mosquée  des  Omeyades. 
Mais  c'est  en  réalité  un  [)uils  surmonté  d  une  légère  coupole. 
Quant  à  l'expression  -■  mausolée  de  Saml  Jean  ».  elle  s'expli- 
(pie  ainsi  :  la  mos(juée  avait  remplacé  l'église  Saint-Jean, 
jadis  construite  par  Théodose  et  Arcadius,  sur  remplacement 
d'un  temple  païen    peul-êlre  du  Soleil;  (3j. 

Le  second  passage  du  (iulist.tn  {p.  21^^,  \  1,  l.  rapporte 
une  anecdote  dans  la((uelle  Saadi  joue  son  rôle  :  il  «liscute 
dans  celle  même  moscjuée  avec  plusieurs  savants,  lorscpi  un 
jeune  homme  accourt  el  demande,  pour  un  agonisant,  tjuel- 
<iu'un    sachant    le  persan  :  Saadi  se  lève   el  va  recueillir  les 

1  )  Voyages,  I,  p.    126  el  miiv. 

(2)  Ibn  Khordahdeh  (op.  cit.,  p.  450  451)  <^imie  Ip  (Jt'lail  de   1  itinéraire. 

(3)  Cf   Encyclop.  Itlam,  arl.  Damas,  nolammont,  p.  929. 


^0  PREMIEKE    PARTIE.     —    CHAPITRE    PREMIER 

dernières  paroles  de  son  conipalriole.  Il  s'agit  naturellement 
de  lieux  communs  sur  la  vanité  des  efforts  de  celui  qui  tente 
d'échapper  à  la  mort  et  sur  la  question  de  savoir  si  Ton  doit 
regretter  la  vie  d'ici-bas.  Mais  l'intérêt  du  passage  n'est  pas 
là  :  ce  qui  importe,  c'est  une  nouvelle  preuve  du  séjour  de 
Saadi  à  Damas. 

La  ville  était  alors  plus  florissante  que  jamais,  en  dépit 
des  lutles  religieuses  dont  tressaillaient  Palestine  et  Syrie  (  1  ) 
Ibn  Joubaïr  qui  la  visita  en  1184  (H.  580)  lui  consacre  une 
longue  notice  (2)  où,  suivant  l'ordinaire  méthode,  il  entasse 
les  détails  sans  se  soucier  le  moins  du  monde  de  s'élever  à 
l'impression  d'ensemble,  décrivant  successivement  la  grande 
mosquée,  les  portes,  les  écoles,  les  cimetières  et  mausolées, 
et  terminant  par  une  brassée  de  renseignements  plus  ou 
moins  historiques.  An  demeurant  sa  description,  si  décousue 
soit-elle,  mérite  une  lecture.  Quant  à  l'arlicle  du  Dictionnaire 
(jéogrfiphi(jue  de  Yàqoût,  hors  une  série  de  citationsd'auleurs 
relatives  à  Dama*^,  il  vaut  surtout  au  point  de  vue  topogra- 
phique. 

A  cette  époque,  la  ville  servait  de  résidence  aux  princes 
ayoubides,  Nour  ed  Din,  prince  d'Alep,  avait,  en  s'emparant 
de  Damas  (1154/549;,  assuré  le  sort  de  la  ville,  qui,  jusqu'a- 
lors, avait  suivi  celui  de  la  Syrie,  tantôt  lief  des  Egyptiens, 
tantôt  lief  des  Seljoukides.  A  la  mort  de  Nour  ed  Din,  Damas 
el  une  notable  partie  de  son  empire  revenaient,  en  1174 
(569 1,  à  Saladin  qui  régnait  alors  sur  l'Egypte.  Saladin  con- 
tinua pour  Damas  l'œuvre  de  Nour  ed  Din.  Mais,  de  même 
qu'au  Caire,  les  travaux  artistiques  cédèrent  le  pas  aux  tra- 
vaux de  défense.  Au  Caire,  on  élevait  avant  tout  des  murs  et 
une  citadelle  ;  à  Damas,  on  consolidait  en  hâte  les  murs  et 
les  tours  Les  luttes  religieuses,  elles  aussi,  exerçaient  leur 
influence  :  outre  les  retranchements  contre  les  hommes  d'ar- 
mes, on  se  préoccupait  d'en  dresser  contre  l'hérésie  chré- 

(1)  Encyclop.  Islam,  art.  Damas. 
(2;  Op.  cit.,  ]>.  260  et  suiv. 


l\     VtF 


licrrnp  cl  les'  princeF  lenoieiiln  honneur  la  conslruction  d'cdi- 
lict's  lelit^ieux  cl  du  inadnip.is. 

Sons  lis  snccrs»n-nrn  i\v  Snladin.  la  \illc  ou  il  dorl  son 
dernier  Ponimeil  ccnnain^nil  dereclxf  les  lienie^  de  lionhlen. 
l!ii  \'2'21  (H  62i),  Icp  Croit»éH  Ih  «eiraienlde  près.  Mais, 
(]iiel(|iies  années  pins  lard,  t^e  scellait,  à  la  grande  indi^'nntion 
des  crojanls,  ralliaiicc  de  ces  ni^nius  (iroi<i'^  avec  I';iyoubide 
de  Damas  conlre  Tayonhide  dn  Cttire. 

Saadi  Ironvail  à  Damas,  oiilrc  la  sécnrilé  !  I  i,  de  quoi  dis- 
cuter et  travailler,  l.n  elfel.  si  Ibn  Jouhaïr,   an  temps  de  Sa- 
ladin,  avait  oomjité  vinj^'l  madrasas,  ce  nombre  s'était  accrn 
dej)nis.  Saadi  pas.-ail  donc  le  temps  à  lire  dans  les  bihliolhè- 
qiies,  à  diHcnler  et  i\  prèclier  :  car  il  avait  certainement  alors 
une  réputation  de  prédicateur  que  conlirmeraient  au  besoin 
quelques-uns  (les  ojMiscules  en  prose  (risalas)   placés  parles 
éditeurs  an  ci  nnu  nu  n  (ni  de  m  h  n  nvie^  cm  p  le  I  cf.  1  uis  un 
passaj;e  du  ^»w//.ç////j    p.  III.  II,  li  1(2),  outre  ((u'il  indique 
que  Saadi  rémoulade  Damas  à  Baaibek.  le  montre  nettement 
sous  son  aspect  de  prédicateur  :  «  Dans  la  mosquée  princij)ale 
de  liaalbek,  je  disai**  quebjues  paroles,  en  ^uise  de  prédica- 
tion, à  une  lrouj)e  d'bummes  ^dacés.  dont  le  cœur  était  mort 
el  qui  n  étaient  pas  parvenus  du  monde  extérieur  à  celui  de 
l.t  spiritualité.  .le  vis  que  ma  parole  ne  s'imprimait  point  dans 
kî;r  esprit  ...  ;   je  regrettai  de  faire  l'éducation   de    pareils 
nnimaux.  »  il  est  >uj)erllu  de  faiie  remarquer  que  ces  (jutl- 
ques  lignes  décèlent  bien  peu  d'humilité  el  portent  k  croire 
que  certains  coulis  restaient  foi  t  éloignés  des  modèles  de 
sainteté  qu'ils  prétendaient  imiter. 

Haaibek.  forteresse  de  montagne,  sur  un  sol  volcanique  .«^e 
r«''veiilant  parfois,  station  importante  sur  les  routes  sillon- 
nant la  Heqaa  Surle  tenq^le  de.Iupiler  élevé  par  Antonini  138- 

(l  \.vn  Mon^^nls  d'il(<ulsg(>u  iic  s'»'n)por«'r<"nt  de  Oamns  qu'en  120O 
(H.  65%)  ;  ils  nr  devaient  du  rmle  n'y  mtîntenir  que  quelques  inri<«,  car.  U 
niAme  ann<V,  le  nultm  ntnmelonk  d'E^'vple,  Qoutour.  le»  chs'cail  de  la 
Syrie  (bnlaillc  d'Aui-Jaloul). 

(2)  Kn  r«:  procher  «m  «lod  opusruha  de  Saadi  (Cf  Z.  I>.  M.  G  .  XXX. 
p.  84). 


72  PREMIERE    PARTIE.     —    CHAPITRE    PREMIER 

l(')l  ap.  J.-C),  sur  le  lemple  de  Bacchus,  s'était  accumulée 
peu  à  peu  la  gangue  des  constructions  et  des  remparts  ara- 
bes. La  ville,  de  par  sa  position,  sinon  culminante,  du  moins 
assez  sûre,  suscitait  en  effet  les  convoitises.  Saladin  l'avait 
donnée  en  fief  à  son  neveu  Farroukhchah  (I  179/575).  Elle 
était  alors  nouvellement  rebâtie,  depuis  le  tremblement  de 
terre  de  1 170  ^H.  565).  Le  fils  de  Farroukhchah,  durant  un 
long  règne  (I  182-1230),  avait  fortifié  sa  ville,  après  lui  vouée 
à  servir  d'enjeu  aux  compétitions  de  divers  Ayoubides.  Ses 
ruines  lui  valaient  d'autre  pari  une  véritable  célébrité. 
«  Ville  antique,  contenant  des  constructions  étonnantes,  des 
ruines  grandioses,  des  palais  à  colonnes  de  marbre  et  qui 
lia  pas  sa  pareille  dans  le  monde  »,  écrit  Yâqoût  (!).  Elle 
était  à  cette  époque,  semble-t-il,  surtout  militaire,  ayant  à 
la  fois  à  se  garder  des  Croisés  à  l'ouest,  des  Mongols  à  l'est. 
On  sentait  en  effet  venir  l'orage  et  qu'aucune  fortification  ne 
serait  superflue  contre  les  redoutables  conquérants. 

C'est  là  peut-être  une  des  raisons  qui  portèrent  Saadi  à  un 
vaste  détour  avant  de  regagner  la  Perse  :  il  aurait  pu,  de  Baal- 
bek.  rejoindre  à  Rakka  la  route  qu'il  connaissait  :  roule  de 
l'Euphrate  qui,  par  Anbar,  Bagdad,  Bassorah,  le  ramenait 
à  Ispahan.  Or,  tout  au  contraire,  il  se  dirige  vers  le  nord  et 
s'enfonce  en  Asie  mineure:  «  J'avais  entendu  dire  »,  raconle- 
t-ildansle  Bouslnn  (2),  «.  qu'un  homme  de  noble  origine, 
instruit  et  avancé  dans  la  voie  spirituelle,  vivait  aux  confins 
du  pays  de  Houm.  Je  me  joignis  à  quelques  adeptes,  voya- 
geurs intrépides,  et  nous  nous  rendîmes  chez  cet  homme  de 
bien.  »  Bref,  ce  noble  dévot  prodiguait  les  belles  sentences, 
passait  son  temps  en  prières,  mais,  malgré  sa  richesse,  lais- 
sait mourir  de  faim  ses  visiteurs.  «  Or  ■>,  ajouteSaadi,  «  ceux- 

(1)  Moujain,  art.  Haalabakk.  Yâqoût  indique  trois  jours  de  voyap^e  entre 
Damas  et  Baalbek  et  s'enlorlille  dans  nue  dissertation  étyinologi(|ue  . 
Selon  Ibn  Joubaïr  {op.  cit.,  p.  257),  «  les  habitants  se  distine^uenl  par  leur 
courage  et  leur  ardeur  contre  les  ennemis  voisins...  Au  sud  de  la  ville 
se  trouve  un  important  château  fort  ».  Ibo  Batoulah  [op.  cit.,  I,  186)  se 
borne  à  mentionner  les  pâtisseries  et  les  tissus  de  Baalbek. 

(2)  P.  117.  L'anecdote  se  trouve  dans  Defrémery,  Gulistan,  p.  XII. 


LA     YIR  yS 

là  sont  les  plus  avancrs  sur  In  roiiU'  de  la  coIlIlais^^îl^cc•  (pii 
|>ra(iqi!(.Mil  le  hion.  el  non  pas  ces  lioniiiU"iau  cM-urdesscchû 
(|ui  j)as>enl  la  miil  en  prières.  » 

-  f^es  confins  <lii  pays  de  lloiim  •  ,  c'élail  alors,  parlant  du 
irolfo  d'Aloxanv-lrelle,  h  l'ouest  de  Tarse  (1).  la  chaîne  du 
Tanrus  cilicien  ;  puis  la  ligne  suivait  la  courbe  du  fleuve  Ila- 
lys  I  l'actuel  Ivi/.il  Irinak'l  pour  ab  xilir  à  la  uilt  Noiie  entre 
Samsoun  el  Sinope  Au  delà  s'étendait  l'einpire  des  Seljou- 
kities  de  Koniah,  inslalb'S  là  depuis  le  onzièuiesiècle,  et  (jue 
l'instinct  de  conservation  avail  insensiblement  amenés,  après 
queKjiu's^'uerres,  à  vivre  en  bonne  intelligence  aveclesempe- 
reurs  de  Hyzance.  l'ne  inquiétude  commune  les  portail  à  re- 
garder, les  uns  vers  les  Mongols,  les  autres  vers  les  Croisés 
(dont  le  passage  à  Hyzance  avait  laissé  mauvais  souvenir)  et 
vers  le  Danube  où  des  Turcs  islamisés  s'agilaient  sans  cesse. 

On  vient  de  voir  (jue  la  leuommée  d  un  solitaire  avait  attiié 
Saadi,  peut-être  autant  à  cause  de  sa  richesse  «pie  de  sa  répu- 
tation d(î  j>iété.  Mais  ce  religieux  imparfait  n'était  pas  seul 
en  Asie  mineure.  A  ce  moment  même  vivait  à  Koniah,  capi- 
tale des  Selj(^ukides,  sous  la  proleclion  éclairée  des  sultans 
Ala  ed  Din  Kaikoubad  et  (ihialh  ed  Hin  Kaikhosraw, 
l'homme  qui  devait  résumer  en  soi  tout  le  génie  mystique  de 
la  Perse  :  Jalal  ed  Din  Hoiimi.  Ce  très  grand  poète,  après 
avoir,  tout  comme  Saadi.  parcouru  une  notable  partie  du 
monde  musulman,  avait,  vers  l'i.'^l  II  02lS;,  remplact*  son 
père  Baha  ed  Din  Walad,  mort  professeur  à  Koniah.  .\  celle 
époque  (1242  environ),  l'illuslre  mysli(pie  Chams  ed  Din 
Tabrizi  arrivait  à  Koniah,  et  l'on  ^ait  (juelle  influence  déci- 
sive il  allait  exercer  sur  les  idées  de  Jalal  ed  Din. 

D'après  une  anecdote  d'Allaki  i^2i,  Saadi  aurait  connu  el 
admiré  Jalal  ed  Din  II  n'est  donc  pas  téméraire  de  présumer, 
en  s'appuyanl  sur  la  citation  précédente  du  lioust.tn,  qu'il 
visita  Koniah  ;  el  l'on  se  plaît  à  imaginer  la  rencontre  de  ces 


(1)  Sur  Torse,  cf.  Le  Slringe,  op.  cit..   p.   132. 

(21  0[ée  \Mtr  M.  E.-G.  Browne  (Ut.  HUt.  oj  Persia,  II,  p.  523). 


^'l  PBBMIÈRP-    PARTIE.     —    CHAPITRE    PREMirR 

liois  grands  epprils.  rénnissanl  nn  inslanl.  dans  une  petite 
ville  d'Asie  mineure,  le  bon  sens  le  plus  ferme  et  Timagina- 
tion  la  plus  vaste  que  le  génie  littéraire  de  l'islam  révéla 
jamais. 

lue  grande  route,  à  la  fois  militaire  (1)  et  commerciale, 
traversait  l'Asie  mineure,  de  Tarse  (environs  du  golfe  d'Ale- 
xandrelle)  à  Byzance,  passant  par  Héraclée,  Koniah,  Amo- 
riali  et  Nicée  (2).  Mais  il  était  impossible  à  Saadi  de  rejoindre 
directement  celle  route  en  venant  de  Syrie  :  le  royaume  de 
Petite-Arménie  (3),  inébranlable  allié  des  Chrétiens,  barrait 
la  route,  et  Saadi  très  probablement  dut  contourner  la  Cili- 
cie.  Il  lui  fallait  ainsi  pousser  jusqu'à  l'Euplirale  par  la  voie 
(du  reste  classique)  de  Homs.  Hama,  Kinnisriu,  Alep,  Ba- 
lis  (4),  et  là,  reprenant  à  Rakka  une  roule  sûre,  remonter  au 
^^^t  nord-ouest  de  la  Mésopotamie,  par  Sarouj,  Soumaisat  et 
lîisn  Mansonr  irt] .  Puis,  tournnnt  franchement  vers  l'ouest, 
la  route  empruntait,  pour  franchir  le  Taurus,  la  passe  Darb- 
el  Hadalh,  aboutissant  à  Aboulouslan,  l'actuel  Albislan  (6), 
et  redescendait  ensuite  vers  Loulouah.  point  de  jonction  avec 
la  grande  voie  d'Asie  mineure  (7). 

C'est  probablement  à  ce  trajet  qu'il  convient  de  rapporter 
un  souvenir  consigné  dans  le  Gulistan  (p.  264,  VI,  3): 
«  Dans  le  Diarbecr,  j'étais  l'hôte  d'un  vieillard  qui  avait  des 
richesses  considéi-ables  et  un  fils  doué  d'une  belle  figure.  » 
Or  Soumaisat,  l'ancienne  Samosate,  se  trouve  sur  les  confins 
de  la  province  du  Diarbékir. 

(1  )  Elle  avait  pn  f^rnéral  assez  mal  réussi  aux  Croisés. 

(2)  A  peu  près  le  tracé  de  l'acluelle  voie  ferrée  vers  Ragdad. 

(3)  Ce  royaume,  d'abord  piincipauLé,  s'était  créé  en  Gilicie  vers  lObO  et 
devîii',  subsislor  trois  siècb'S  sous  la  dynastie  ronpénienne.  (,f.  Encyclop. 
Islam,  t.  I,  p.  446  el  4o3  ;  Le  Stran^e,  op.  cil  ,  p.  139-141.  Sur  It^s  fief.sds 
l'époque,  cf.  Duiaurier,  Elude  sur  la   Felile  Arménie  (J.   A.,    1861,  XVIIJ, 
p.  312). 

(4)  Itinéraire  déjà  attesté  i)ar  Ibn  Khordadbeb  {op.  cil.,  p.  448). 

(5)  Li:  Stianf^e,  op.  ciL,  p.  125,  in  fine. 

(6)  Ibid.,  p.  133. 

(7)  Aucune  description  systématique   de  l'Asie    aiineure   avant  celle  de 
Hadji  Khalifa  (dix-septième  siècle).  Cf.    Le  Strange,  op.  cit.,  p.  128. 


L\     VIK  75 

Mais  rhciMi  (lu  relour  à  (^liira/.  esl  venue.  Saadi,  peu  à 
|)cii.  so  st'ul  ^a^iu-  |)ai-  la  falij^iie  ol  la  noslal^ie  (iii  citl  ira- 
nien. C  est  du  moins  ce  t^ue  laisse  enlendif  nno  conluJence 
(iti  lioustun  (  |).  7)  :  «  J'ai  pa.-^sé  ma  vie  on  voyage.s  lointains, 
j'ai  vccMi  parmi  les  peuples  les  plus  (li\ers  l*arloul  j'ai 
recueilli  ipielipie  profil,  oliatpie  moisson  m'a  livré  (pi.-hpies 
^'orhe.s  ;  mais  nulle  |)arl  je  n'ai  rencontré  des  cœurs  purs  et 
sincères  comme  à  (^liiraz.  L'amour  que  m'inspire  celle 
noble  pallie  a  haiiiii  cli-  iiuui  souvenir  la  Syrie  et  le  pays  de 
Houm. ..  Mais  ce  sérail  pitié  si,  en  sortant  de  ce  vaste  jardin , 
je  revenais  vers  les  miens  les  mains  vides.  )»  Aulremeiit  dit, 
ses  deux  recueils  de  morale  en  aciion.  le  lioii.st.in  et  le  (in- 
listan,  se  trouvaient  sans  doute  déjà  ébauchés,  lors  de  son 
relour  à  Cliiia/  où  il  leur  donnera  leur  admirable  et  défini- 
tive lorme  littéraire.  Il  e>l  en  elïet  imj)Ossible,  suivanl  la 
juste  remarque  de  Barbier  de  Meyiiard  //ow.sY////,  inlrod., 
p.  XIX).  que  quelques  mois  aient  siilli  au  poêle  pour  com- 
poser entièrement  ces  deu.v  ouvrai^es:  «.  A  soixanle-quiu/.e 
ans  —  et  Saadi  avait  alleinlcet  âge —  l'imaginalion  n'est 
plus  capable  de  créer  avec  cette  fécondité.  •> 

(Quelle  roule  suivil-ilà  son  relour  ?  (Jue>lion  délicate,  car 
un  vers  du  (iulistuu  (p.  317)  tend  à  faire  admettre  que  Saadi 
prit  encore  une  fois  au  j)lus  long:  «■  Dans  la  contrée  de  Bai- 
laqan,  j'arrivai  près  d  un  religieux...  »  Bien  n'autorise  à 
révoquer  en  doute  le  passage  de  Saadi  dans  cette  région  :  la 
province  d'Arran,  comprenant  une  partie  des  territoires 
(|u'occupent  les  districts  actuels  d'Kli/.aN\  elpol  et  Daghestan 
(Caucasie  russe). 

Viujoût  consacre  à  Baih'ujaii  un  court  article  dont  voici 
1  essentiel  :  «  Aille  située  non  loin  de  Derbeud  iqu'on 
appelle  Bàb-el  Abwàb)  (I  ),  fait  partie  de  la  Grande- Arménie 
et  louche  au  Chirwân...  Les Tatars  (Mongols;  y  ont  passëen 
(■>I7  I2*J0  J.-C).  ont  massacré  tous  les  habitants  (pi'ils  y 
ont  trouvés  et  tout  pillé  ;  puis  ils  Ttuit  incendiée.  Après  leur 

(I)  Sur  Bàb-el-.\bwàb,  cf.  Ibn  Khordadb^h,  op.  cil  .  p.  490  et  «uiv. 


76  PREMIÈRE    PAHTIK.      —    CllAl'ITHE    PREMIER 

dépari,  les  gens  qui  s'étaient  enfuis  y  sont  rentrés,  d'autres 
se  sont  joints  à  eux,  de  sorte  qu'elle  est  actuellement  re- 
peuplée. »  Rien  de  plus  :  un  fait  historique,  le  sac  de  la  ville 
par  les  Mongols.  Mais  les  causes,  les  circonstances,  ne  les 
demandez  pas  à  Yàqoûl,  avant  tout  lexicographe.  Adressez- 
vous  plutôt  à  Nasav^i,  le  biographe  du  sultan  Jalal  ed  Din  : 
il  vous  contera  (1  )  dans  quel  état  de  délabrement  ce  prince, 
en  1226,  avait  trouve  Bailaqan  et  comment  la  restauration 
des  rempaits  de  la  ville  y  ramena  rapidement  les  habitants 
et  la  prospérité,  si  bien  quun  peu  plus  d  Un  an  après,  le 
gouverneur  pouvait  envoyer  au  sultan  mille  moutons,  mille 
mesures  de  blé  et  mille  mesures  d'orge.  La  ville  se  trouvait 
en  eH'et  dans  la  région  fertile  de  la  Caucasie,  et,  d'autre  part, 
Jalal  ed  Din  mort,  les  Mongols  n'avaient  plus  de  raisons 
d  entraver  la  prospérité  du  pays. 

Saadi  se  serait  donc  imposé  ce  long  détour,  traversant 
successivement  la  Caramanie,  TArménie  et  la  Caucasie  pour 
rentrer  enfin  en  Perse  par  l'Azerbeidjan.  11  pénétrait  ainsi 
dans  les  cantons  naguère  éprouvés  par  la  conquête,  mais 
déjà  réorganisés  par  la  savante  administration  des  Mongols. 

Plusieurs  roules  reliaient  l'Asie  mineure  aux  pays  limitro- 
phes de  la  Caspienne.  D'une  part,  une  roule  commerciale 
empruntant  le  cours  du  Tigre,  montait  du  Golfe  Persique  à 
Tabriz  où  elle  se  divisait  en  deux  branches  :  l'une  vers  Tré- 
bizonde,  reliant  l'Asie  aux  comptoirs  vénitiens  et  génois  du 
nord  et  de  la  mer  Noire  ;  l'autre,  aboutissant  au  golfe 
d'Alexandretle  et  servan  t  également  au  transit  des  marchands 
italiens  (2).  Une  autre  route  (3),  utilisant  le  cours  du  Phase 

(1)  Op.  cit.,  p.  214-215. 

(2)  (^f.  le  délail  de  la  question  dans  Dulaniier,  Etude  sur  l'organisation 
de  la  Petite-Arménie  (J.  A.,  1861,  XVIII,  p.  340-34.3).  Déjà  au  dixième  siè- 
cle, Ibrt  Khordadbeh  (op.  cit.,  p.  M4)  signale  que  les  négocianis  russes, 
vendeurs  de  [)e;iux  et  d'armes,  descendent  le  Volga,  traversent  la  Cas- 
pienne et  viennent  jusqu'à  Bagdad.  11  ajoute  {Ibid.,  p.  515):  «  On  peut 
prendre  encore  la  roule  d'Arménie  et  se  rendre,  à  travers  le  pays  des  Sla- 
ves, auprès  de  la  ville  des  Khozars  (Astrakhan)  ;  on  s'embarque  sur  la  mer 
de  Djordjàn  (Caspienne),  puis  en  arrive  à  Balkh,  dans  la  Transoxiane,  le 
pays  des  Tagazgaz  et  la  Chine.  » 

(3)  La  principale  et   presque  unique    source  pour  les   routes  d'Asie  mi- 


LA    VI K 


(Iliilys),  atltMjj^nail  Siva><,  en  Atinénie  ;  l«»,  pi<|iiant  droil  vers 
l'i'-sl,  traversaiil  ia  r/'^Moii  ilii  liaiil  Iliiplii'ale  ji.ir  Kr/.iMuIjan. 
lli/eronin,  el  de.sceiulanl  la  vallée  di*  l'Araxe,  ello  parvenait 
aux  environs  de  l'aclnelle  Krivan.  Pins  à  l'est  se  Ironvail  le 
pays  de  Hailaqan,  en  pleine  province  d'Arran. 

On  vient  de  voir  comment  la  ville  s\'lail  rapidement  rele- 
vée de  ses  rnines.  Vax  fait,  ces  réj^ions,  |)liisienrs  fois  sacca- 
^éos.reconvraienl  nne  liancpnllité  relative  sons  la  snzeraineté 
mongole.  Les  princes  de  (  irande- Arménie  el  de  Géorgie 
avaient  envoyé  des  ambassades  à  Karakorotim,  et,  en  dépit  de 
(jiit'Itpiesj  massacres  locanx  'vers  l2i'J  .  jouissaient  de  la  si- 
tuation de  vassaux  protégés.  Kn  outre,  l'empereur  mongol 
se  montraitd'ordinaire  plutôt  favorable  aux  chrétiens  (I  ). 

Le  passage  de  Saadi  à  Hailaqan  se  placerait  entre  LJ'iJ  el 
12oo,  peu  avant  le  recensement  général  des  peuples  soumis 
aux  .Mongols, recensement  ordonné  [jar  Mangou  (2).  Celui-ci, 
sitôt  élevé  h  rcm[)ire  par  la  diète  ((pjurillaïi  de  12.*)L  H.tUl)), 
as>^ignail  à  deux  de  ses  frères  la  conquètejd'un  royaume:  à 
Iloulagou  la  Perse,  à  Koubilaï  la  Chine  (3).  IL^dagou  pas^a 
deux  annéesen  préparatifs  puis  marcha  sur  Samarcande  d'où 
en  12.*).'). il  lança  une  proclamation  aux  princes  de  IWsie  occi- 
dentale, leur  ordonnant  de  s'allier  à  lui  contre  les  Assassins. 
Il  s'agissait  en  réalité,  non  seulement  de  détruire  les  forte- 
resses de  ces  féodaux  hérétiques,  mais  encore   de  renverser 

neure  el  d'Arménie  est  la  pt^ograpliic  d'Kdrisi,  coinposép  en  H53(H.  SVS). 
Cf.  la  traduction  (si  disculée)  d'Ivhisi  par  A.    Jaubert,  II,  p.  H05-318. 

(I)  Sur  ces  que!>lions,  cf.  Dulauricr,  i^es  Mongols  d'après  les  historien» 
arméniens  (J.  A.,  1858,  XI.  p.  4Vy  el  suiv.).  Sur  les  rjpports  entre  Cbré- 
lioiis  et  Monpf>l«,  cf.  L.  Bréhier,  /.'£;//«<•  e/  rOrient,  p.  2I0--221  ;  d'Olis- 
Foi).  Mongols,  II,  p.  221  el  suiv.  cl  p.  2iO. 

(2j  Duiaurier  (op.  cit.,  p.  460  et  suiv.).  D'après  d'OJisson  (Mongols,  II. 
p.  262),  k  l'avènement  de  Mangou  (12SI),  <«  .Argouu  exposa  àTenipercur  le 
tri.sle  état  où  les  finances  de  la  Perse  étaient  réduiles  par  la  quantité 
d'assignations  que  les  princes  du  pang  donnjiienl  sur  les  levmus  du 
pa)»...  Mangou  donna  l'oidre  qut  U-s  intendants  des  diverses  parties  delà 
Perne  cnnsign.'i!«<:rnt  dans  des  mémoires  béparés  les  abus  existants  et  les 
moyens  d"y  remédier  "«. 
(3)  Cf.  iupra.  p.  39. 


78  PREMrÈRE  PARTIE.  —  CHAPITRE  PREMIER 

le  calile  de  Bagdad,  rival  religieux  et  politique  du  Grand 
Kliau.  Le  sullan  seljoukide  de  Roum  subjugué  depuis  peu, 
l'aLabek  de  Chiraz,  les  rois  d'Arménie  et  Géorgie,  plusieurs 
auti'e?  encore,  répondirent  à  l'appel  d'IIoulagou  (D'Olisson, 
Mongols,  III,  p.  135  et  s.). 

Sans  doute,  en  celle  année  !  2o5,  grosse  de  menaces,  Saadi, 
s'il  n'avait  déjà  regagné  Chiraz  (il,  comprit  qu'il  fallait,  sans 
tarder  davantage,  se  mettre  sous  la  protection  d'un  prince 
ami  des  envahisseurs.  M  traversa,  selon  toutes  prohabilités, 
l'Azerbeidjan  par  Ardébil,  le  Jibal  parZendjan,  Sultanieh,  et 
cheminant  vers  l'est,  rejoignit  à  Rey  la  grande  route  des  ca- 
ravanes qu'il  avait  autrefois  parcourue  à  l'inverse.  C'était 
déjà  presque  la  patrie:  il  n'avait  plus  qu'à  franchir  lesplateaux 
iraniens,  campagnes  silencieuses  que  troublaient  seules  les 
clochettes  des  bêtes  de  somme,  toi'.t  en  songeant,  bercé  par 
sa  monture,  aux  belles  histoires  qu'il  avait  moissonnées  et 
qu'il  pourrait  bientôt  rédiger  en  repos. 

C.  —  Vieillesse. 

Enfin  Chiraz  apparaît  à  ses  yeux,  tandis  que  son  cœur  dé- 
borde. ((  Saadi  n  a-t  il  pas  parcouru  le  monde  avant  de  trou- 
ver le  bonheur?  »  {Boustan,  p.  268).  Et,  dans  la  préface  du 
Gulistan  (p.  8)  :  «  Que  Dieu  conserve  sous  la  sauvegarde  de 
la  paix,  jusqu'au  jour  delà  résurrection,  la  contrée  pure  de 
Chiraz  »  (2).  N'avait-il  pas  déclaré  d'autre  part  dans  un  de  ses 
poèmes  (éd.  Cale.  p.  279  v^):  «  Le  vent  matinal  et  la  terre  de 
Chiraz  sont  un  feu  ;  quiconque  en  est  pris  n'a  plus  de  repos  ». 
Ce  lYagment  n'est  du  reste  pas  isolé  dans  ses  poésies  lyriques. 

(1)  Il  était  au  reste  probaLlenienl  déjà  rentré.  Au  début  du  livre  tX  du 
Boastan  (p.  341),  il  s'écrie  :  ■'  Homme  qui  arrives  à  làge  de  70  ans,  dans 
quel  sommeil  profoi;d  étais-tu  plongé  pour  avoir  ainsi  gaspillé  ta  vie?  » 
Or,  en  adoptant  comme  date  de  sa  naissance  Tannée  1184,  Saadi  devient 
septuagénaire  en  12S4. 

(2)  Il  n'était  pas  seul  à  glorifier  sa  patrie,  témoin  ces  vers  contempo- 
rains cités  par  Sémelet  (trad.  du  Gulistan,  p.  53,  note)  :  «  Qu'est-ce  que  Le 
Caire  et  Damas  ?  Ce  ne  sont  que  deà  villages...  Chiraz  seule  est  une 
ville.  » 


Aillours  li  soupire  :  ».  Lu  veul  einporlo-lil  un  j*arfuin  du  llcur 
on  un  pairunidu  Paradis.  Ksl-cela  Umic  de  Chiiazou  leninac 
de  Kliolen  ?  »  (I).  Kl  aillenih  encore  rd.  (>alc.,  jj.  221  v*)  : 
u  01»  1  comme  il  est  avide  de  revoir  ceux  qui  lui  bout  chers  ! 
On  diiail  que  l'eau  de  la  vie  remoule  à  aoucœur.  La  lerro  de 
Cliira/ donne  toujours  la  rose  fraîche.  Aucun  donlc.  1  har- 
monieux rossignol  esl  revenu.  •< 

Car  le  désir  do  la  lerre  natale  la  sans  cesse  accompagné  : 
K  li  y  a  bien  des  asiles  en  dehors  de  la  Perse:  l'Kgyple,  la 
Syrie,  liassoral»  el  iJagdad  :  mais  elles  me  lieunenl  bien  fort, 
la  lerre  de  Chirazel  l'eau  du  Houknabâd  »  ^éd.  Cale,  p.  2i)9 
v"  .  Kl  |tuur  lina",  ce  rappel  des  épreuves  passées,  dtrnier  ré- 
gal d  an\  années  d'avenlure  el  de  nuiUirilé  qui  ne  reviendront 
pas  :  <«  J  ai  éprouvé  les  rudes  besoins  de  lexislence,  passé  en 
voN.i^e  de  longues  heures  de  ma  vie,  parcouru  le  monde 
coni:ne  Ukandar  2/.  A  mon  retour,  c'étail  la  paix  ;  le  poing 
de  la  violence  avait  disparu  du  monde  ;...  les  tigres  avaient 
abdiqué  leur  l'érocilé  pour  devenir  doux  comme  des 
anges  »  (3j. 

On  songe  au  qualor/.ième  chant  de  \  Odyssée  et  à  1'  ■<  Heu- 
reux (jui  comme  Ulysse  a  fait  un  beau  voyjige  "  de  du  Bel- 
lay. La  retraite  sonnailcn  elfet  pour  Saadi,  mais  une  retraite 
volontaire,  pleine  d'honneurs  el  d'activité.  Il  n'avait  com- 
posé jusqu  alors  que  des  [-oèmes  isolé=  ;  en  deux  ans,  ses 
deux  recueil?  de  poé.-ie  morale  :  le  y^o//sYci/t  (^ijlerminé  en 
12.")7  lOy.  le  (tulisltin  terminé  Tannée  suivante  (0),  le  ren- 
dront immortel. 

|I)  Cf.  des  vers  an.nlofrues,  éd.  Cale.  p.  224  r*. 

(i)  Sdus  doule  uilukioit  è  i' Iskandar-ndineh  Uo  .Ni^aïui. 

^3;  Kliawûliai,  dcruier  poème.  Eu  rap|>roclit'r  lu  préface  du  GulUtan 
(Irad.  l)efr«'mery.  p.  8  0). 

(■*>  liililulc  parTois  Saadi-ndmeh  (le  livn>  de  Saadi  par  eicelleoce).  D*autre 
part,  ..  le  lecucil  de  ses  œu  icb  c*l  appelé  par  les  rcisans  :  la  salière  des 
|>oèles  (na.niakdftn-i-chou'aiB^  »  (Defréniery,  Irud.  du  Galistan,  préface, 
p.  XLI). 

;5;  •<  Ce  fui...  eulre  les  deux  fêleb  véuéiables,  lorsqu'à  l'armée  600 
s  ajo'itaienl  55  aanéos  (c'c»l-à-dire  entre  le  12  octobre  et  le  20  décembre 
r.:r.7,  que  ce  livre...  a  élé  acberé  •■  {boustan,  p.  8). 

(6)  «Ce  fut  rn  l'année  656  de  Ihégire  (1?58  J.  C.)  >  lUsd.  Defrémery, 
p.  22\ 


8o  PntMlÈHb:    PARTIK.     —      CHAPlTUi;    PRtMIEU 

11  dédia  ces  deux  ouvrages  au  prince  régnant  alors  à  Chi- 
raz  :  Abou  Bakr,  fils  du  |Drince  Saad,  qui  Tavail  autrefois  en- 
voyé à  Bagdad.  Ces  dédicaces  (i)  sont  naturellement  ce 
qu'elles  peuvent  être  :  Corneille  exagérait  dans  sa  dédicace 
à  M.  de  Montauron,  mais,  chez  Saadi,  l'hyperbole  orientale 
s'ajoute  à  une  matière  prêtant  par  nature  à  la  pompe  :  «  Son 
diadème  touche  à  la  voûte  du  ciel  sublime  et  pourtant  sa  tête 
se  penche  humblement  veis  la  terre...  Tant  de  sagesse  et  de 
grandeur  n'ont  pas  encore  été  vues  depuis  que  le  monde 
existe  »  [Boushm,  p.  10-11).  Au  reste,  tous  les  poètes  vi- 
vaient plus  ou  moins  de  leurs  panégyriques,  et  il  est  juste 
d'ajouter  que  Saadi  a  du  moins  le  mérite  d'insérer  souvent 
un  brin  de  morale  au  milieu  des  couronnes  qu'il  tresse  ; 
«  L'humilité,  naturelle  chez  les  petits,  est  admirable  chez 
les  grands  ;  le  sujet  qui  se  prosterne  ne  fait  que  son  devoir, 
mais,  en  se  prosternant,  un  roi  prouve  qu'il  est  l'homme  de 
Dieu.  »  Et  dans  l'une  des  deux  qacidas  persanes  (n°"  36  et  37) 
qu'il  dédie  à  Abou  Bakr  :  o  Je  ne  te  dis  pas  que  tu  te  distin- 
gues enire  tous  les  nobles  par  la  libéralité  ;  je  ne  te  dirai  pas 
que  tu  es  supérieur  à  tous  les  rois  par  ta  justice.  Bien  que 
tu  sois  tout  cela,  il  est  meilleur  encore  de  l'avertir,  car  con- 
seiller de  suivre  le  chemin  du  bien  est  l'affaire  d'un  véri- 
table ami  »  (2). 

Abou  Bakr  (3),  sixième  prince  de  sa  dynastie  (1226-1260/ 
623-6.o8),  méritait  au  demeurant  les  louanges  de  Saadi.  Plus 
politique  que  guerrier,  il  réussissait  à  se  maintenir  dans  son 
royaume  de  Fars,  ajoutant  même  à  l'héritage  de  ses  ancê- 
tres des  possessions  importantes,  nolamment  l'île  de  Bahrein 
et  ses  pêcheries  de  perles.  11  achetait,  il  est  vrai,  cette  indé- 
pendance relative  en  envoyant  à   son  suzerain,  l'empereur 

(1)  Boustan,  p.  10  ;  Gulistan,  p.  6. 

(2)  La  louange  d'Abou  Bakr  se  rencontre  à  plusieurs  reprises  dans  le 
Bouslan  (p.  31,  38,  47,  330,  335)  et  le  Galislan.  (p.  3ii8). 

(3)  Sur  .\bou  Bakr,  cf.  Ibn  el  Athir  (éd.  Tornberg).  Xlf,  p.  206-208; 
Mirkhond,  Atabeks  oj  Persia  (éd.  Morley,  p.  32-37),  déclare  que,  sous  son 
règne,  «  le  Fars  devint  clair  comme  l'œil  des  fiancées,  grâce  à  la  prospé- 
rité de  ha  puissance  el  à  la  splendeur  de  son  équité  ». 


LA     VIK 


81 


mongol,  Mil  liihiil  amnirl  de  3U.<HM)  dinars.  Ce  dont  Saadi 
le  ft'licile  liabileim'iil  :  «  ("est  dans  un  nuir  d'airain  el  de 
pierres  (jn'Alexandre  emprisonna  (iog  et  Magog  loin  du 
monde  habile  (  I  )  ;  la  muiaille  où  In  enfernies  Ks  barbares 
infidèles  esl  faite  d'or  el  non  j)as  d'airain  (2).  »  Ce  Iribul 
représenlail,  s'il  en  fanl  croire  Mirkiiond,  une  somme  assez 
peu  considérable,  par  rapport  aux  revenus  généraux  du 
pays,  el  Aboii  Hakr.  dès  son  avènement,  s'élail  empressé  de 
gagner  ainsi  les  bonnes  grâces  de  l'empeicur  Ougoulaï  :  la 
meilleure  manière,  sans  conlredil.  d  assurer  la  paix  aux 
habilanls  du  Fars.  Alors  (julloulagou,  en  l'J")'),  avail,  de  la 
Transoxiane,  fait  appela  ses  feudalaires,  Abou  P>akr  lui  dé- 
putait loul  de  suite  son  neveu  Saljoukchah  suivi  de  présents. 

Argoun,  représentant  de  l'empereur  en  Perse,  ayant  si- 
gnalé à  Mangou  les  impôts  ipii  écrasaienl  le  pays,  était  chargé 
de  réorganiser  les  finances:  il  divisail  la  Perse  en  quatre 
gouvernements  et.  en  1*253,  élablissa'l  une  capilalion  pro- 
portionnelle aux  ressources  des  contribuables  3^.  L'admi- 
nistration mongole,  chinoise  d  origine  et  de  caractère,  rem- 
plaçait peu  à  peu  le  régime  militaire  :  organisalion  de 
greniers  de  rései'.es  destinés  à  parer  aux  disettes,  impôls  de 
tonte  nature  main  régularisés  el  (jue  l'on  pouvait  —  innova- 
tion imporlanle —  payer  sous  forme  de  corvée  (4).  Certes 
ce  n'était  pas  la  civilisation  courtoise  des  Iraniens,  mais,  en 
revanche,  lout  s'ordonnait  méthodiquement  et  les  vaincus 
eux-mêmes  en  profilaieiU  les  premiers. 

Saadi  connaissait  enfin  l'aisance  el  la  h  aïKjuillilé.  Il  s'était 
installé,  d'après  son  biographe  .ïàmi  (o\,   dans  un  ermitage 

(t)  Cf.  Coran,  XVIII.  'X.\  ;  X.\I.  06  el  Zolonberg,  Irinl.  de  Tubari.  I.  S18. 

(2)  Vers  cilé»  par  Mtrkhond  (op.  cit..  p.  35).  Cf.  l  tfi énicry,  Mëm.  dhist. 
orientale,  p.  123. 

(3)  «  Les  plus  riches  furent  fixés  h  .^OO  dinars  cl  leb  )iau'  tes  à  un 
dinar  »  (D'Ohsson,  Mongols,  III,  p.  269^ 

(4)  D'où  les  eiporlalioiis  en  masbe  d'ouvrierh  irai.irns  tu  TuikcNlan  et 
en  MoD|;olio.  Cf.  Laviase  el  Hi-niLaud.  Ilisloire  génitale.  II.  y.  057 
(L.  C.alioii;. 

(5)  Cf.  Mirkhoiid  ^Ainbek$,  éd.  Morley.  y    26). 


3?  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

situé  hors  ville,  près  du  monastère  du  cheik  Abou  Abdallah 
ibn  Khafif  (1)  :  il  n'en  sortait  guère  el  fréquentait  fort  peu  de 
monde,  pratiquant  soi-même  le  conseil  qu'il  donne  dans  le 
Gulisfan  :  «  Ce  n'est  pas  un  défaut  d'être  exposé  à  la  vue 
des  hommes  ;  mais  cependant  il  ne  faut  pas  l'être  si  long- 
temps qu'ils  disent  :  C'est  assez)*  (2).  l^arfois  il  faisait  re- 
tour sur  soi-même  et  songeait  aux  jours  difficiles  :  «  Inter- 
roge Saadi,  ce  naufragé  de  la  vie  ;  il  te  dira  ce  que  la  pensée 
d'une  table  bien  servie  arrache  de  soupirs  à  l'homme  épuisé 
par  le  jeûne  »  [Boustan,  p. 302).  Aussi  savait-il  compatir  aux 
misères  :  et  l'on  sait  par  Dawlalchah  qu'il  abandonnait  ré- 
gulièrement aux  pauvres  le  surplus  de  ses  repas.  Il  coulait 
des  journées  paisibles,  priant  et  écrivant,  visité  par  de 
grands  personnages  (3),  se  sentant  protégé  par  un  prince 
ami  des  lettres  et  qui  avait  hérité  de  son  père  l'amour  de  la 
poésie  (4). 

D'autres  poètes  florissaient  du  reste  à  Ghiraz  :  à  l'exemple 
des  princes  samanides,  des  Seljoukides  et  des  sultans  du 
Kharezm,  le  prince  Abou  Bakr  entretenait  un  poète  royal  : 
Hamkar-i-Farsi   de  Yazd  (5),  surnommé  Majd  ed  Din  Sa- 

(i)  Ibn  Batoutah  {op.  cit.,  II,  p.  87)  en  donne  une  description  et  signale 
(ibid.,  p.  77)  le  grand  nombre  de  chérifs  pensionnés  vivant  alors  à  Chiraz. 
Le  deuxième  atabek  du  Fars,  Mouzaffar  ed  Din  Zangi,  bâtit,  dit  Hammer 
(Hchane,  l,  p.  234),  pour  le  cheili  Ab  Jallah  Khafif,  une  cellule  qui,  plus 
tard,  fut  flan'|uée  de  trois  coupoles  et  fut  ensuite  délruite  par  Chah 
Ismaïl,  fondateur  de  la  dynastie  séfévide. 

(2)  P.  134,  U,  31.  Et  oi  ibid.,  p.  10"),  II,  5  :  c  Le  salut  est  dans  une  vie 
solitaire.  » 

(3)  Gulistan,  p.  293  :  «  Moi  qui  suis  nourri  des  bienfaits  des  grands.  » 

(4)  Saad  ibn  Zangi  avait  écrit  des  poèmes  à  l'exemple  de  plusieurs 
princes,  dont  Sanjar,  sultan  du  Kharezm.  Cf.  Grundriss,  H,  p  572  et 
N.  Bland,  The  Atesh  Kedah  by  Lut]  Ali  Beg  (London,  1844),  p.  3  du  texte. 

(5)  Cf.  sa  b'ographie  et  l'amusaute  anecdote  sur  son  épouse  dans  E.-G  . 
Browne,  Biographies  of  persian  poets  (J.  R.  A.  S.,  1900).  Dawlalchah 
(cité  Hammer,  Ilchane,  I,  p.  276)  raconte  à  son  sujet,  dans  sa  notice  sur 
Imami  de  Hérat,  une  anecdote  où  il  fait  montre  d'une  modestie  assez  rare 
chez  les  poètes  orientaux  :  dans  une  réunion  nocturne,  les  quatre  minis- 
tres les  plus  spirituels  et  les  plus  savants  d'Abaka  (le  ministre  Jouwaïni, 
Mouïn  e]  Din  le  gouverneur  de  Roum,  le  qadi  Chams  ed  Din  et  l'intendant 


LA    VIK  83 

maki,  ItMjiiel  pnHenHail  desceiidie  de  rilliislre  roi  Nonchir- 
Nvan.  Aboli  Hakr  l'avorisail  l'ii  oiilre  Iniaini  de  Héral  {\  .Abd 
el  Qadir  de  Naïii  et  |)lu?*ieiirs  aiilres.  l)eux  t'Ièvcs  de  Naçir 
ed  Diii  de  Tous,  grand  géomètre  el  conseiller  d'Houlagou, 
SJî  l  roiiv.iiciil  iMi  hoimc  place  à  la  coiir  de  (]hiraz  ;  cVlaient 
Alhir  ed  l)in  Oiimani  el  siirloul  Ilouniam  ed  Din  deTabriz, 
riche  el  spirituel,  faisant  de  sa  demeure  le  rendez-vous  des 
gens  de  lettres  ,'2].  Ce  dernier  ligure  même  dans  les  biogra- 
phies de  Saadi  par  Dawlatchah  el  Lonlf  Ali  comme  adver- 
saire de  Saadi  dans  une  joule  d'espril  où  il  n'eut  pas  le  des- 
sus {3i. 

Il  semble  au  re>le  (jue  Saadi  n  ait  pas  échapj)é  aux  calom- 
nies de  ses  détracteurs,  si  l'on  s'en  rapporte  à  celle  allusion 
d'un  de  ses  poèmes:  «  Pour  les  gens  de  bien,  ô  Seigneur, 
lie  la  main  des  méchants,  dans  le  monde  entier  el  surtout  à 
(^hiraz  »  (éd.  Cale,  p.  227  v").  Celte  allusion  n'est  du  reste 
pas  la  seule.  Il  écrit  dans  le  (îulislun  (p.  205)  :  «  Le  mérite 
est  le  plus  grand  des  défauts  aux  yeux  de  la  iiaine  :  Saadi  est 
une  rose,  mais  aux  yeux  de  ses  ennemis  c'est  une  épine.  » 
El  dan>  le  />'o</.y/.v/j  \^)  2S2  i  :  a  Laissez  les  envieux  répéter 
à  1  unisson  (|ue  Saadi  est  dépourvu  de  talent  el  que  son  ca- 

Iftikhar  ed  Din  de  Kirniao)  disentèrent  qui  était  le  plus  grand  poète  : 
Saadi,  Inianii  de  Mérat  on  llatnkar  ;  ils  mirent  la  (jufstion  en  vers  (Ham- 
rner,  Schône  Redeknnst,  p.  203)  el  l'envoyèrent  à  Hamkar  «jni  répondit  : 
Bien  i|ue  Je  sois  perroquti,  de  pai  mon  chant  suave,  je  ne  suis  que  la 
nioucbe  autour  des  lèvres  euciées  de  Sandi  ;  si  ie  dois  rornuiler  un  juge- 
ment, Imami  et  Saadi  passent  avant  moi. 

(1)  Imami  de  Héral  que  d'aucuns  s"elT<)r(,;ticiii  «if  pirfrn  r  à  Sdadi.  Cf. 
E.-G.   Browne,  fiioijraphies,  n*  6.  el  Scliefer,  Chretl.  pers..  I,  p.  123  fin. 

(2)  Hammer.  SchOne  nclckimsl.  p.  204  el  llchnne,  I.  p.  '235  el  suiv. 

(3)  Cf.  N.  HIand,  The  Mfsh  hednh,  appendice  {Vie  de  Snadi,  par  Daw- 
latchah). Defrémery  (Irad.  du  GuUsIan,  piéface,  p.  23)  a  traduit  l'anccdole. 
mais  en  omettant  la  répartie  de  Sa«di  h  la  plaisanterie,  du  reste  peu  re- 
levée, de  HouQiam.  En  rrvanche,  il  rapporte,  d'après  Khondémir,  que 
Ilouniam,  jaloui  des  succès  poéliiiies  de  Saadi.  avail  conipos»-  un  ^hazal 
finisunnl  par  ce  vers  :  ■<  Houmnui  possède  une  p>iiole  dont  c  i-l  qui  g-Knc 
le  cueur  ;  mai»  k  quoi  bon  ?  car  le  malheuroux  nesl  pas  de  Chir»;..  >•  Cf. 
le  texte    it    'a    lr»ULclioi     Je   ce   ^hural   dans  E.-G.  Browne  (Biotjrophie$, 


84  PUEMlÈUb;    PAUTIlî. CHAPITRE    PHfcMlbU 

raclère  esl  insociablo.  Libi'o  à  eux  de  me  déchirer  à  belles 
dénis  ;  quantàmoi,  la  palieiice  me  manque  pour  écouler  ces 
insipides  sornelles.  »  El  plus  loin  (p.  309),  dans  un  passage 
de  style  savoureux,  mais  trop  étendu  pour  être  cité  :  << ...  les 
sombres  détracteurs  de  Saadi...  écoutent  dédaigneusement 
ses  vers;  cent  pensées  délicates  et  charmantes  les  laissent 
insensibles  ;  mais  survienne  une  défaillance,  ils  poussent  des 
cris  d'horreur  »  (1).  Ces  quelques  lignes  prouvent  que  Saadi 
récitait  soi-même  ses  vers,  ou  bien  les  faisait  réciter;  de 
même  que  la  citation  suivante,  révélatrice  des  reproches  que 
subissait  le  poète  (p.  233)  :  «  Un  homme  malveillant  m'écou- 
tait  réciter  mes  vers.  Il  ne  put  s'empêcher  d'y  applaudir, 
mais  une  sorte  de  malignité  se  mêlait  à  ses  éloges...  Saadi, 
disait-il,  parle  à  merveille  le  langage  de  la  piété,  du  mysti- 
cisme et  de  la  morale,  mais  il  ignore  les  accents  guerriers... 
Il  ne  voit  pas  que  je  n'ai  aucun  goût  pour  l'épopée  guerrière, 
sinon  il  m'eût  été  facile  de  trouver  place  dans  ce  domaine... 
Poète  envieux,  vient  donc  te  mesurer  avec  moi  dans  le 
champ  clos  de  la  poésie  et  vois  comment  mon  bras  fait  rouler 
dans  la  poussière  la  tête  de  mes  ennemis  >«.  Et  en  fait,  deux 
pages  plus  loin,  Saadi,  délaissant  un  instant  les  sentences 
morales,  lâche  la  bride  à  son  imagination  et,  durant  une 
cinquantaine  de  vers,  s'applique  à  prouver  qu'il  pourrait  au 
besoin  rivaliser  avec  les  épiques  Firdousi  et  Nizami. 

Une  fresque  célèbre  du  Gampo-Santo  de  Pise  montre  un 
groupe  de  personnages  vivant  doucement  le  songe  de  la  vie, 
cependant  que  la  mort  les  guette.  Et,  vers  le  même  temps, 
Boccace  se  plaisait  à  réunir,  loin  de  Florence  ravagée  par 
la  peste,  quelques  gentilshommes  et  belles  dames,  heureux 
d'oublier  les  horreurs  de  l'épidémie  en  écoulant  le  Déca- 
méron.  Or  la  situation  des  Ghiraziens,  entre  1235  et  1260, 
paraît  analogue  :  on  écoute  des  poésies  chantées  à  l'ombre 
de  suaves  jardins  ;    partout  on  bâtit  des    monuments   su- 

(1;  Cf.  anecdote  sur  un  délracteur  de  Saadi  dans  J.  A.,  1858,  XII,  p.  602- 
603.  Le  Boastan  (p.  .304-■^05^  ronlient  un  psssa<^e  rappelant  les  considéra- 
lions  de  Baiiie  sur  lu  cdloauiK;,  dans  ricaumarchuis. 


LA    VIR  85 

perbcs,  des  niosfjiiécs  i-l  des  hôpitanx  ;  les  routes  »e  garnis- 
sent tic  caiavjuisi'iails  ;  l'ahondancc  et  hi  j(tic  senihlcnt 
généiales.  l'.t  |)()inianl  les  mauvais  jours  apinoclicnt  :  AIk>ii 
liakr  lenniin'  son  i-ègne  de  lienle-i  iiHj  iiniicts  cl  les  désor- 
dres intérienis  ne  taideionl  pas  à  suivre  sa  nioit  si  poinpeu- 
seinenl  relalT-e  par  Mirkhond  :  «  Lorscpi'Abon  l'akr  eut 
ré^'iié  lrenle-cin(j  ans  el  «pie  le  poisson  de  sa  vie  fut  lonibc 
sur  rhanievon  de  >()i\anle-dix  ans.  ..  le  diplôme  de  son 
autorité  fui  replié  pai-  le  secrétaire  du  destin  et  le  printciMps 
de  son  existence  lut  changé  en  hiver  »  (I  ). 

Saadi  pleura  la  mort  du  piince  dans  le  premier  de  ses 
poèmes  funèhies  maràlhi  Son  regret  s'y  teinte  d'espéiance, 
car  il  s'écrie  :  ■  l  lU-  liiinpe.  à  laquelle  une  autre  s'allumei;». 
s'eleiiit  à  la  vérité,  mais  laisse  denièrc  elle  sa  lumière  :  ainsi 
le  nom  d  Ahcu  l^akr  ne  meurt  pas.  car  il  reste  après  lui  le 
glorieux  Saad  (ils  d'Abou  Hakr  ••  Son  attente,  on  va  h*  voir. 
devait  être  trom[)ée. 

Dès  les  dernières  années  du  règne  d  Aboii  Hakr.  la 
malheureuse  Perse  avait  subi  de  nouveaux  ravage>:  Hoii- 
btgou,  mettant  à  exécution  ses  menaces  envers  les  Ismaïliens, 
leur  avait  fait,  en  12.*)()(II.  tj')i).  une  guerre  implacable, 
jus(ju'à  la  soumission  de  leur  grand-maître  Houkn  ed  Din 
Klutuichah.  I.i's  invincibles  féodaux  (jui.  di'jiuis  des  aniu-es, 
terrorisaient  les  princes  de  l'Asie  occidentale,  durèrent  peu 
contre  les  ai  niées  disciplinées  des  Mongols.  V.n  un  mois, 
plus  de  ciiujuante  châteaux  furent  coiujuis  et  démolis  (2  ; 
le  grand-mailre,  avant  d'être  exécute,  dut  envoyer  aux 
Ismaïliens  de  Syrie  l'ordre  de  Iinki  leurs  châteaux  aux 
Mongols,  dès  leiM-  entrée  en  ce  pays  [ai. 

(I)  Ataltekt  o/  Syria  and  Vtrsin,  éà.  Morley,  p.  38. 

(î)  Cf.  la  lisitr  de  ces  cliAlpaiix  cinns  l'pfrt'niriv.  iliKl^i^e  doR  Seldjoii- 
kidp»    d'apri'B  MoiislBwfi  Qa/wini)  in  J.  A.,  1X4'»,  XIII,  p.  48-55. 

(3)  Cf.  I)«'frémery,  Nouvrllrs  rrrherche».  sur  It-n  l.snihilipns  (J .  A..  IhTiS, 
V,  p.  47  el  »uiv.^.  —  Sur  l»«i»  rhAleHUX  d«'  Syiie.  cf.  !l>ii  MuyasuBr,  Annales 
dF.iiyple  «'•d.  H.  ManKi^.  p.  C8)  ;  Defr^meiy,  K.«!nii  sur  l'hislo're  drs  Uniaï- 
lirn»  dr  la  Per^e.  J.  A.,  1856.  VIII.  p.  353  cl  suiv  ,  el  1860.  XV.  p.  i30 
ot  nuiv.  (d'aprèn  Ala  ed  Din  Jouwaini). 


36  PREM.ÈKE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

Restait  le  c;ilifat  de  Bagdad,  gouverné  nominalement  par 
Mouslacim,  prince  incapable  et  bonasse,  qui  préférait  aux 
alTaires  de  l'Empire  l'étude  du  Coran.  Au  surplus,  calligra- 
phe  et  amateur  de  musique,  u  Quelquefois,  il  s'occupait 
dans  sa  bibliothèque,  mais  d'une  manière  peu  utile  ;...  ses 
courtisans  le  dominaient  entièrement  »  (  1  ) .  Il  avait  pour  vizir 
un  homme  de  mérite,  mais  qui,  s'attendant  sans  cesse  à  être 
destitué  ou  arrêté,  se  trouvait  condamné  à  ne  rien  faire.  Com- 
ment le  pauvret  pouvait-il  résister?  L'approche  d'Houiagou 
ne  le  lira  même  pas  de  son  engourdissement  :  il  passait  les 
jours  au  milieu  de  ses  livres,  sourd  aux  avertissements  réité- 
rés de  son  ministre  qui,  lui,  se  rendait  compte  du  péril.  Mais 
les  courtisans  contrecarraient  son  influence. Saadi, dans  sa  re- 
traite de  Chiraz,  comprenait  bien  la  situation  et  écrivait  : 
«  Cette  fois-ci,  ce  n'est  plus  le  chant  des  flûtes  ;  cette  fois-ci, 
c'est  le  combat  du  lion  et  la  guerre  des  Mongols  »  (Moufra- 
dât,  éd.  Cale,  p.  494). 

En  attendant,  Houlagou,  délivré  des  Ismaïliens,  traversait 
Hamadan,  enlevait  au  passage  Anbar,  l'ancienne  capitale  des 
Abbassides  et,  en  janvier  1258  (H.  656),  commençait  le  siège 
de  Bagdad  où,  depuis  quelques  jours,  affluaient  les  fuyards. 
Les  gens,  allolés,  payaient  à  prix  d'or,  voire  même  de  leurs 
bijoux  et  de  leurs  habils,  les  bateliers  du  Tigre. 

Ce  ne  fut  pas  long  ;  trente  mille  cavaliers  d'Houiagou  — 
une  simple  pointe  d'avant-garde  —  tombèrent  sur  les  trou- 
pes du  Calife,  les  mirent  en  déroute  et  occupèrent  les  fau- 
bourgs de  Bagdad.  Mais  ce  n'était  là  qu'un  prélude:  quel- 
ques jours  après,  Houlagou  paraissait  en  personne,  aussi  for- 
midable aux  yeux  du  Calife  que  Charlemagne  à  ceux  du  roi 
des  Lombards.  Son  armée  investissait  méthodiquement  Bag- 
dad et  «  la  face  de  la  terre  en  était  entièrement  couverte  ». 
Les  machines  de  guerre  entrèrent  en  jeu. 

L'attaque  principale  fut  dirigée  contre  le  quartier  Mamou- 

(i)  Cf.  Ibn  el  Tiqlaqa,  Fakhri  (Irad.  E.  Amar»,  p.  îî7l .  —  Racliid  ed  Din 
{Hist.  des  Mongols.  !rad.  QuaLremère,  p.  22o)  porLe  lo  même  jugement  sur 
le  calife  f\  signale  l'antipathie  générale  excitée  alors  par  les  Abbassides. 


LA     VIK  S  7 

niyjili,  silui*  précis^ëmciit  deniùrc  l  imiversilé  où  aviulrliidié 
Saatli,  cesl  à-dire  au  Mui  vul.  V.i\  luéine  Icinpî*,  1  aile  droite 
des  Moii|^(>i.s  allaquail  au  nord  de  la  ville,  laudis  (jue  den  dé- 
tachenieiits  opéraieiil  mu  l.i  iim*  tlu)ile.  Audébulde  février 
^29  inoliaïrein  0;>(i),  le  drapeau  Liane  des  Mongol;*  HoUa  tout 
à  cou[)  f^urles  nuirs  de  Ha^^dad,»  du  eôlé  d  une  lour  noinniée 
liourj  el  Ajami...  la  jjIus  ba^so  île  loules  »  Les  Chiiles  de 
Bagdad,  par  haine  du  ealiie  huuuile,  livraient  la  ville  aux  ido- 
làli  e-ui(»ngolï«  ;  il  n'y  avait  plus  qu'à  se  faire  honorablement 
nui.>*saerer,  ear  aussitôt  le  carnage  emplissait  Bagdad.  Quant 
au  Calife,  il  ne  vil  qu'une  ressource  :  s'en  remettre  à  la  géné- 
rosité du  vainqueur.  Ibndagou  lui  reprocha  vertement  sa 
faiblesse  et  sou  insouciance,  puis  le  lit  exécuter,  lui  el  deux 
de  ses  lils  (1  ).  I.esac  d«  Bagdad  dura  environ  quarante  jours. 
I/iucondie  détrui>it  une  mosquée  et  plusieurs  mausolées 
«j  uiloulagou  lit  ensuite  rebâtir  i2^. 

(^n  devine  le  retenlissenienl  sans  bornes  de  cet  événement 
si  subit.  Bagdad  l'inviolée  (3),  délruite  en  quelques  jours  ! 
I.e  C'alife,  ce  pa|)e  i\v<>  musulmans,  exécuté  ignominieuse- 
ment, tel  un  simple  criminel  !  Belle  matière  pour  les  poètes^4  . 
Aussi  Saadi  neulil  gaide  de  manquer  pareille  occa^ion  : 
il  l'hanta   la  chute  des  Abbassides,  non  seulement  en   per- 

(1  Iloulagoti  attrait  lu'silé  un  insl.tnl  !^  niPllrcà  mnrl  In  p<»rs»>npe  sacrée 
du  r.alife  icf.  Ftikhri,  p.  225).  Mnis  ses  scrupules  durèrent  peu.  car,  sui- 
vant Hdchid  f(l  Din  (op.  cit..  \>.  300),  t  on  éKOipea  tout  ce  qu'on  put  trou- 
ver de  la  famille  d'Abbas  ».  Seul,  le  3»  11!.'»  du  Calift*  fut  épai  f{né  fl  envoyé 
à  Marnph«  "ù  il  «-poiKH  une  princesse  nmngnle.  Cl.  la  curieuse  relation  de 
la  Heslruclion  des  IsmallienH  el  de  la  chute  de  Haf;dad  dans  Guirapos 
(i)oiaurier,  Les  Mouf^ols  d'après  les  historiens  arméniens.  J.  A.,  16.^H.  XI, 
p.  V81  et  suiv.) 

(2)  I.e  ."^tranffe,  op.  cit  ,  p.  341. 

(3)  Elle  avait  toutefois  été  déjà  assiépée  tine  première  fois,  sous  el  Amin 
(en  813/1'.»")  durant  la  guerre  civile  entre  les  deux  iils  d'Ilaroun  er  Hacird, 
el  Auiin  et  el  .Mauioun  :  lu  viilc  fut  ptise  et  el  Ainln  tué  ^cf.  Tahari,  III, 
864-^25).  DeiK  ans  avant  d'être  prise  par  lluulaffou,  Raf^dad  souiïrit  beau- 
coup, è  la  fin  de  l'été  125C  (II.  ôKi),  d'une  inondation  (|ui  dura  cinquante 
jours. 

(4)  Au  »ujet  des  contéquences  sur  la  lilléralure  ficrsane,  cf.  E.  G.  Browne, 
Literary  hUtory,  H,  p.  443  et  «uiv.  et  p.  467. 


88  PREMlèllt;    PARTIR.    CHAPITRE    PREMIER 

San  (1),  mais  en  arabe  ;  il  le  pouvait  au  reste  en  toute  liberté, 
car  le  prince  de  Chiraz  avait  participé  à  TalTaire  (2)  ;  etSaadi, 
sans  qu  il  s'en  doutât,  mettait  ainsi  à  profit  les  dernières  an- 
nées de  l'indcpentlance  de  sa  patrie.  Va\  fait,  le  Fars  avait 
déjà  disparu  politiquement.  Les  Mongols  avaient  tout  ren- 
vers  sur  leur  passage,  anéautissaut  tout  pouvoir  spiriluelet 
temporel.  Que  lou  n'imagine  pas  cependant  qu'il  s'agissait 
d'une  simple  randonnée  de  routiers,  car  les  motifs  politiques 
et  religieux  se  retrouvent  à  la  base  de  l'expédition.  On  a  vu 
que  l'empereur  mongol  était  fort  aise  de  lancer  sur  la  Perse 
et  la  Chine  deux  compétiteurséventuels.  D'autre  part,  la  des- 
truction des  Ismaïliens  constituait  non  seulement  un  prétexte 
d'intervention,  mais  encore  une  satisfaction  accordée  au 
parti  musulman  sunnite  de  la  cour  de  Karakoroum.  Par  con- 
tre, le  parti  chrétien  de  cette  même  cour,  celui  de  l'impéra- 
trice {'S),  se  réjouissait  secrètement  de  la  chule  prochaine  du 
pape  musulman  de  Bagdad.  Tout  conspirait  donc,  sans  par- 
lerde  la  faiblesse  de  l'adversaire,  au  succès  d'une  expédition 
bien  organisée. 

Bagdad  prise,  les  Mongols  poussaient  en  hâte  vers  la 
Syrie  et  prenaient  possession  des  derniers  châteaux  ismaï- 

(1)  Cale,  p.  221  :  <  N'attache  pas  ton  cœur  à  ce  qui  passe,  car  le  Tigre 
passera  longtemps  dans  Bagdad,  après  la  mort  du  calife.  » 

(2)  Cf.  Browne,  op.  ci7.,  II,  p,  460;  d'Ohsson,  Mongols,  111,  p.  227: 
«  Houlagou  avait  auprès  de  lui...  l'atabey  du  Fars,  Abou  Bekr  fils  de 
Saad,  qui,  après  la  conquête  du  pays  des  Ismaëlions.  lui  avait  envoyé  son 
fils  Saad  pour  le  complimenter  et  lui  fit  conduire  alors  «on  contingent  de 
troupes  par  son  neveu  Mohammed-chah.  » 

(3)  Au  sujet  de  la  protection  accordée  auxjChrétiens  par  Dokouz  Khatoun, 
épouse  d'Houlagou,  et  par  le  généra!  mongol  Batou,  <<  chrétien  parfait  », 
cf.  Dulaurier,  Les  Mongols  d'après  le.s  historiens  arméniens  (J.  A.,  1860, 
XVI,  p.  290-291,  curieux  passage  de  Vartan).  Sur  la  tolérance  religieuse 
des  Mongols  en  général,  c'".  ibld.  (J.  .\..,  1858,  XI,  p.  446-447,  opinion  de 
Guiragos).  Vartan  (ibid.,  J.  A.,  1860,  XVI,  p.  300  et  suiv.)  raconte  en 
détail  son  ambassade  de  126o  auprès  d'Houlagou  et  la  manière  favorable 
dont  il  tut  accueilli.  Sur  l'attitude  d'Houlagou  vis-à-vis  des  chrétiens  de 
Syrie,  cf.  Maqrizi,  3/am/oufes  (tratl.  Quatremère,  I,  p.  98).  Sur  l'impori&nce 
de  l'église  neslorienne  à  cette  époque,  en  Asie  centrale,  cf.  F.  Nau,  L'ex- 
pansion uestorienne  en  Asie  (Ann.  Musée  Guimet,  t.  XL). 


L\    VIK  89 

lit'iis.  I.a  lassiludc  j^ai;nail  jumi  à  yvi\  les  «Mivalusseiirs  )|ui  so 
si'nl.nt'iil  (lailliMirs  an  boni  de  leurs  cotH|iii^lert.  Kn  outre, 
lainim"  cl  peslo.  restées  deirière  les  armées,  ravageaient 
riratj.  Il  Mésopotamie,  la  Syrie  et  l'Asie  mineure  (I  i.  Knfiil 
l'empereur  Mangou  m^urail  lout  h  coup. 

De  même  (pi'en  \'2\'2  Halou  et  Souboulai  avaii'ni,  à  la 
morl  (I  ()u^'oulai,  iiilei  rompu  sui*  lechamj)  leur  marche  tri- 
omphale en  Hongrie,  afin  d'accourir  a  l'éleclion  impériale,  de 
même  lloulagoii,  laissant  en  Syrie  un  cnipsde  cavalerie  (jue 
le  sultan  d'ilgyple  allai!  tailler  en  pièces,  se  repliait  rapide- 
ment sur  le  centie  de  l'Asie  \'2).  HestaienI  pour  prétendre 
au  trône  :  Koiibilaï  le  coiicpiérant  de  ladhine.  iloiilagou  et 
leui- cadet  .Arik-Houka,  tous  tiois  (ils  de  Touiouï.  (piatrième 
et  dernier  lils  (le  (îengis-Khan.  Kouhilaï.  l'aîné,  l'ut  j)roclamé. 
et,  après  une  guerre  civile  contre  Arik  P»o»ika  ré-volté.  fixa 
sa  ca|)italc  à  Pékin    Khan  Bàlik  . 

(Juanl  à  Houlagou,  gardant  l'occident,  il  s'installe  à  Ta- 
bri/,  au  nord  de  la  Perse,  et  y  fonde  la  dynastie  desllkhau-^. 
L'amalgame  s'ojière  peu  à  peu  entre  suzerains  et  tributaires, 
et.  ainsi  (pi'il  arrive  d'ordinaire,  les  plus  anciennement  civi- 
lisés font  adopter  leurs  moMirs.  Inseii'^iblemenl.  I  adminis- 
tration, la  langue,  la  jjcn'-ée  même  des  vaincpienrs  s'imprè- 
gnent d'arabe  et  de  persan  et  les  éloignent  de  leurs  frères 
de  race.  Tabri/.  autrefois  ruinée  par  les  tremblements  do 
terre,  s'érige  en  capitale,  au  sein  des  froide^  montagnes  (pii 
rapi)ellenl  aux  Mongols  le  rude  climat  de  la  terre  natale. 
Houlagou  se  transforme  en  protecteur  des  sciences  et  dt-:^ 
arts.  Il  garde  auprès  de  soi  Nacir  ed  Din  Touci  •  le  prince 
di'Ti  philosophes  •  pour  lequel  il  fait  construire  à  Maragha 
l'observatoire  (3)  dont  les  ruines  subsistent  encore  ;  il  orga- 


(1)  D'OhRson,  Monijots,  III.  p.   271. 

(2)  Cf  le  rt^Bumê  de  ce»  ëvi^nemenls  dans  (iuiraffos  (oyj.  ci/..J.  A.. 
iMS8.  XI,  p.  497-49fl  e.  p.  503-508,  ei  V«rlin  (ibid  .  1860.  \V|.  p.  294)  ; 
dt<laiU  plus  précis  d;inii  Mar|ri7.i,  Mamtntiks  (trad.  Quatieméip),  I,  p.  S7 
ri   ktiiv. 

(3)  Rachid  ed  Din.  Mongols  (Irad.  Quai  réméré),  p.  325. 


()n  PREMIERE  PARTIE.  —  CHAPITRE  PRFMTRR 

iiise  des  conférences  entre  savants,  prodigne  les  pensions  et 
gratifications  aux  gens  instruits,  s'occupe  activement  d'al- 
chimie (1).  Les  princes  tributaires  tiennent  à  honneur  de 
paraître  à  sa  cour:  Badr  ed  Din  Loulou,  atabek  de  Mos- 
soul  (2)  ;  Téguélé  et  Badr  ed  Din  Massoud,  atabeks  du  Lour  ; 
Roukn  ed  Din  Arslan  et  Izz  ed  Din  Kaikawous,  sultans  de 
Roum.  Parfois  même,  ces  princes  maintiennent  en  perma- 
nence à  la  cour  un  membre  de  leur  famille  :  ainsi  Salghar 
et  Saad,  frère  et  fils  du  prince  de  Chiraz  (3).  Saadi,  naturel- 
lement, ne  pouvait  ([u'imiter  ses  maîtres,  et  n'hésitait  pas  à 
chanter  les  louanges  du  vainqueur,  après  avoir  pleuré  la 
chute  de  Bagdad  (4). 

Houlagou,  sans  retard,  avait  divisé  son  empire  en  gou- 
vernements :  à  Abaka-Khan,  son  fils  aîné,  l'Iraq,  le  Khoras- 
san,  le  ^Lizendéran  ;  à  Tourkân-Khatoun,  le  Kirman  ;  à  Ala 
ed  Din  Ata  Malik  Jouwaini,  Bagdad.  Le  frère  de  ce  dernier, 
Chams  ed  Din  Jouwaïni,  dirigeait  l'administration  générale 
de  l'Empire  (5). 

Dans  le  Fars,  la  mort  d'Abou  Bakr  avait  donné  le  signal 
des  troubles  :  son  fils  Saad  quittait  aussitôt  la  cour  de  Tabriz, 
mais  mourait  en  cours  de  route,  une  douzaine  de  jours  après 
son  père,  dans  quelque  caravansérail.  Pauvre  prince  au  rôle 
médiocre  et  que  dominait  sans  doute  son  épouse,  la  célèbre 
Tourkân-Khatoun,  sœur  de  l'atabek  de  Yazd,  Ala  ed  Daw^- 
lah  (6).  Saad,  bien  qu'il  n'ait  pas  régné,  fut    semble-t  il, 

(i)  Ibid.,  p.  402. 

(2)  Cf.  M.  van  Berchem,  Monuments  el  inscrif)tions  de  iatabek  Lu'lu 
de  Mossoul  (Or.  Studien  Nôldeke,  1906). 

(3)  D'Obsson,  Mongols,  III,  p.  261, 

(4)  Cf.  éd.  Cslc,  p.  232  r°.  Saadi  ne  risiuait  rien  à  s'aplatir  devant  les 
prinres  et  gouverneurs  monîrols  ;  les  puissants  lui  en  avaient  donné 
l'exemple,  si  l'un  en  croit  l'anecdole  rapportée  par  d'Oh&son  {Mongols, 
m,  p.  262)  au  sujet  du  sultan  du  Roum. 

(5)  Bachid  ed  Din,  lac.  cil. 

(6)  Plusieurs  princesses  portèrent  ce  nom,  notammfnt  l'épouse  du 
sultan  seljouklde  Malik-chab  (cf.  Defrémery,  Reclierches  sur  le  règne  de 
Barkiarok,  J.  A.,  1853,  1,  425  et  suiv.)  et  la  mère  de  Mohammed  Ala  ed 
Din,  sultan  du  Kbarezm    (cf.   d'Obsson,   Mongols,  I,  p.  I9ti  et  suiv.).  Une 


8 


reprell('  ;  et  Saadi  lui  consacra  l'um'  de  ses  plus  belles  élé- 
j^'ies    I  i. 

I/iiilliience  ilos  leinines,  du*/  les  Moii^'ois,  au  mi)itjs  loi>- 
(jii'ils  n't'laienl  pas  encore  convertis  à  l'islam,  fui  bien  plu 
élendue  (jiio  clic/,  les  peuples  siMiiiliques  (2)  :  loin  de  rester 
conrnu'es  dans  le  harem  —  ce  ipii  n'excluait  an  reste  pas 
toujours  une  iniluence  occulte  —  il  n'était  pas  rare  (|u'elles 
j)ri-isont  part  atix  allairos  publicjues  3  .  Ce  fut  le  cas  de 
Tonrkàn-Khatoun  :  sou  tuari  l;ns-;;iul  pour  lu'i'iliur  un  i'ur;iul 
en  bas-à}^e  nommé  Mohammed,  elle  favorisa  tout  de  suite 
l'infliience  mongole  dans  le  Fars  cl  sut  se  faire  accorder  la 
régence  cpiulle  exerça  avec  l'aide  du  premier  mini^lre  Ni/am 
ed  Din  Abou  Hakr,  sans  doute  celui  dont  Saadi  chante  la 
louange  nu  début  du  dulistnn  (i  .  Il  écrivait  d'autre  pari 
pour  le  jeune  prince  encore  mineur  nue  (jacida  lo)  dans  la- 
(juelle  il  lexhorlait  à  suivre  l'exemple   de  son  p^rand-père 

tmisième  épousp  en  12.19  (H.  657)  Malik  Salih  Ism.Vil.  fils  de  B.idr  ed  D  n 
I.ouloii  ;  elle  ('i»\{  fille  de  Jalal  ed  [Wn  Maiiknjiharti  (cf.  d'Ohsson,  Monriolt, 
III,  .».  306).  Une  (junlrièine  ponverne  1  ■*  Kirman  ati  nom  <l'llo»ilaj.")ii  (cf. 
supra  ei  Ilamnicr,  llkhane,  I,  p.  228-248). 

(1}  Traduite  |.ar  (;r.,f,  Z.  D.  M.  G.,  XV,  (,.  566-572. 

(ï)  Sans  pi(*  iidice  <lr9  exceptions.  '  f.  M.J.  La^^rang'*,  StHnnget  d'his- 
toire religieuse,  p.  2'.»;  et  «e  rappeler  le  rôle  joué  en  Epypte  p«r  lu  mère 
du  calife  fatin.'ide  Monstancir,  par  la  .sullane  (Ihnjarat  ed  Dotir  el  par  SiU 
cl  .Moiitk,  sœur  du  Faliuiide  el  Ilakini. 

(3)  Cf.  deux  inléressanl»  passa^'es  d'Ibn  italoiitah  (Voyages,  II.  p.  122  el 
127)  au  sujet  des  prérngatireH,  apanages  et  revenus  des  priocesseft  mon- 
croies.  Plusieurs  d'entre  elles,  outre  Tourkan-Klialoun,  firent  preuve  d  un 
caractère  viril  :  ainsi  TAcIi  Klialoun,  uière  du  sultan  de  Cliira/  Ahou  Ishaq 
{ibifi  ,  p.  6G  .  Cf.  en  outre  sur  linfluence  des  femmes  cher,  les  Mon^çols  : 
L.  ("aliun.  Le»  femmes  d'après  le»  historiens  turks  el  monpols  [Congrès 
provincial  (Us   orientalistes,    Levallois,    1874,   session   inau|;urale,  p.  219); 

I)efrémcry,  Fraffments  de  ^éograplies  t-l  d'historiens,  J.  A.,  1850,  XVI, 
p.  153  cl  Ruiv.  — On  peut  voir  dans  E.  Blochol  {Peintures  de  mattuscrils . . . 
de  la  nibliothhfue  natintmle)  deux  repn>du(  lions  de  miniatures  persanes 
|n**  6  el  0'  extraites  d'un  ma.  de  Ifnchid  ed  Din,  datant  du  déhut  du  xiv*  siè- 
clf  :  Abaka,  prince  nion^^ol  de  f'erse,  assis  sur  son  trône,  ses  femmes 
auprès  de  lui. 

(4)  Trad.  Defrèmery,  p.   *7  (el  la  note). 

(5)  Trad    Graf.  Z.  I).   M.  G.,  XV.  p.  568. 


92  PRF.MtènK    TARTIK.     —      CI!  APITRF    PRRMIEH 

Aboii  Bakr.  •>  Si  je  ne  \i^  plus  inoi-inèine  >',  ajoutait-il, 
«  que  du  moins  ma  pai-ole  demeure  en  Ion  souvenir.  ^)  Saadi 
s'empi'essait  en  outre  de  composer  pour  Tourkàn-Kliatoun 
une  qacida  (éd.  Calc.,n''  32)  qui  ne  compte  pas  parmi  ses 
plus  remarquables. 

Deux  ans  et  demi  plus  lard,  en  1262,  le  prince  héritier 
se  tuait  en  tombant  de  la  terrasse  du  palais.  Rien  n'autorise 
à  supposer  que  sa  chute  fut  provoquée  :  quoi  (pi'il  en  soit, 
avec  lui  finissait  la   lignée  directe  des  princes  du  Fars. 

Tourkàn-Khatouu,  avec  l'assentiment  de  la  cour  deTabriz, 
choisit  un  jirince  de  ligne  collatérale,  Mohammed-Clhah, 
oncle  de  l'enfant  décédé,  et  lui  fit  épouser  sa  sœur.  Ce  prince, 
brave  (il  avait  commandé  le  contingent  fourni  par  le  Fars 
lors  de  l'expédition  contre  Bagdad)  mais  cruel,  fatigua  tout 
le  monde  par  sa  tyrannie  et  s'amollit  rapidement,  une  fois 
au  pouvoir.  Mandé  à  Tabriz  où  les  plaintes  affluaient  contre 
lui,  il  différait  d'obéir  à  l'ordre  reçu,  lorsque  Tourkân-Kha- 
toun,  pleine  d'audace  et  de  décision,  le  fit  saisir  dans  le  harem 
où  il  se  trouvait  sans  armes  et  le  livra  à  Houlagou. 

11  avait  un  frère,  Saljouk  Chah,  qu'il  maintenait  prison- 
nier dans  la  citadelle  d'istakhr.  Tourkân-Khatoun  le  délivre 
et  sollicite  pour  lui  l'agrément  de  la  cour  mongole.  Encore 
belle,  elle  fait  naître  l'amour  au  cœur  du  nouvel  atabek  qui 
l'épouse.  Avec  lui,  les  plus  joyeux  espoirs  étaient  permis  ;  il 
protégea  sans  doute  Saadi,  car  le  poète,  non  content  d'avoir 
salué  par  une  vibrante  qacida  (1)  l'avènement  du  nouveau 
prince,  lui  dédia,  outre  deux  autres  (2),  son  plus  important 
recueil  de  ghazals,  les  «  Tayïbât  »  dont  la  troisième,  plus 
particulièrement,  célèbre  Saijouk-Chah  (3). 

Mais  bientôt,  l'atabek  roule  dans  la  débauche  et  l'ivrogne- 
rie. En  outre,  il  est  jaloux  :  un  soir  d'ivresse,  d'après  les 
historiens  Mirkhond  et  Wassaf,  il  est  pris  d'un    accès  de 

(i)  Trad.  Graf,  Z.  D.  M.  G.,  XII,  p.  8791. 

(2)  Ed.  Cale,  qaciclas  persanes,  n"  8  et  33. 

(3)  Ed.  Cale,  p.  264  v°.  Cf.  Bâcher,  Aphorismen,  introd.  p.  39,  n.  3.  et 
Graf,  Z.  D.  M.  G.,  XIII,  p.  U'6. 


I.V     VIB  93 

l'iiiem-  tMi  songi'anl  à  des  médisances  (|ui  courenl  sur  le 
«îoinple  (le  sa  feininc  :  sur  Iecliain|),  il  ordonne  à  un  nèfjrc 
d  aller  lui  Irancher  la  lêle  el.  (jiu-l  jiies  in-lanls  après,  le 
bourreau  la  lui  rapporte  dans  un  ba>-in.  A  celle  vue,  Sal- 
jouk-Cliali.  bien  loin  d'êlre  dégrisé,  arrache  les  perles  ornanl 
les  oreilles  de  la  niallieiirense  el  les  jelle  aux  musiciens  du 
b:nujuel.  Puis  une  frénésie  de  meurlre  el  de  révolte  s'emj)are 
de  lui.  Se  senlanl  soulenu  par  la  populace  de  Chiraz  cpii  dé- 
lestait ruiirkân,  celle  amie  des  oppresseurs,  il  lait  massacrer, 
comme  premier  acte  d  imlépendance,  les  deux  commissaires 
mon^'ols  de  (  .hira/.  el  leur  suite.  Iloidagou  lance  contre  lui 
«leux  divisions  de  cavalerie  auxcpielles  >e  joignent  des  trou- 
pes dispaliau,  du  Kirmaii  «l  le  prince  de  Yazd,  brûlant  de 
venger  sa  sceur.  Les  notables  de  C^hiraz  \  parmi  lesquels  peut- 
être  Saadii  s'avancent  h  la  rencontre  des  troupes  impériales 
el  obtiennent  la  {jrâce  de  la  ville  el  de  la  population.  Quant 
à  Saljouk-Chab.  retiré  sur  le  (iolle  Persique,  il  est  rejoinl  à 
Cazeroun  ;  il  lutte  bravement,  mais  doit  céder  devant  le 
nombre  et  se  réfugie,  avec  une  poignée  d'hommes,  dans  le 
mausolée  d  un  saint.  Le  caractère  sacré  de  celte  retraite  n'ar- 
rête pas  les  assaillants  ;  la  porte  vole  en  éclats  ;  Saljouk- 
C.hah,  saisi  au  cours  du  ma>sacre,  est  exécuté  peu  après 
^  I2t)i).  De  la  dynastie  des  Saigharides,  il  ne  restait  (|nedeux 
princesses  :  l'une  d'elles,  fille  île  Tourkàn  et  de  Saad  II  — et, 
par  cela  même,  dévouée  aux  Mongols  —  fut  placée  par 
Iloidagou  sur  le  trône  du  Fars.  Un  au  après,  mandée  à 
Tabri/.  elle  dut  épouser  le  lils  d  Iloulagou,  Mangou  Timour. 
Le  F.irs  fut  alors  gouverné  par  l'administration  centrale 
mongole,  au  nom  de  la  dernière  princesse  salgharide  (jui 
mourut  à  Tabriz  en  I2H7  (!  1. 

Mais  auparavant,  un  descendant  plus  ou  moins  aulheali- 
que  du  prophète,  nommé  Charaf  ed  Din,  qui  dans  le  Klio- 
rassan  s'était  ac(pii>  un   grand    renom    de    piété,    en    profita 

(i)  Toul  ce  qui  précède,  d'après  Mirklinnd  {AUibekt  oj  Syria  a/id  Pcnut, 
éd  .Morley,  p.  42  cl  »uiv  >  <  (  .rni.v.on,  MmiyoU,  III,  p  3'J7-404,  el  Hju». 
luei,  Itkhatie.  I,  p.  iiO, 


94  l'KEMlÈRE    PARTIE.    CUAPITRE    PREMIER 

pour  soulever  la  population  du  Fars  à  laquelle  il  se  présen- 
tait comme  le  Mahdi.  Il  réunit  un  certain  nombre  d'adeptes 
et  marcha  sur  Chiraz  quil  voidaitdélivrer  des  Mongols  Tout 
(l'abord,  son  caractère  quasi  divin  lui  valut  quelque  succès; 
puis,  au  cours  d  un  combat,  il  lut  tué,  tandis  qu'on  massa- 
crait la  plupart  de  ses  troupes.  Les  conseillers  dlloulagou  le 
dissuadèrent  à  grand'[)eine  d'infliger  à  Chiraz  des  repré- 
sailles sanglantes.  Cesl  alors  quAnkianou  fut  nommé  gou- 
verneur du  Fars. 

A  ce  personnage,  Saadi  dédia  plusieurs  qacidas  persa- 
nes (  1  )  où  il  lui  conseille  la  justice.  Mais  la  poésie  ne  lui  suf- 
fisait pas  et  il  écrivait,  pour  ce  même  gouverneur,  un  petit 
traité  de  politique.  Il  comprenait  en  efi'et  qu'il  avait  plus  de 
chances  d'être  écouté  par  un  homme  devant  à  soi-même  sa 
fortune  que  par  un  prince  iiéritant  naturellement  du  pou- 
voir. 

Les  convulsions  du  Fars  avaient  confiné  Saadi  dans  une 
retraite  dont  il  ne  désirait  au  reste  pas  sortir  (2).  Cette  re- 
traite, il  l'aurait  cependant  quittée  une  fois  encore  pour  se 
rendre  à  la  cour  de  Tabriz.  Houlagou  mort  en  1265,  à  l'âge 
de  quarante  huit  ans,  le  pouvoir  passait  à  son  fils  aîné  Abaqa 
Khan,  marié  la  même  année  à  une  fille  naturelle  de  l'empe- 
reur grec  Michel  Paléologue  (3j.  Abaqa  recherchait  en  effet 
l'alliance  des  princes  chrétiens  d'occident  contre  les  Mam- 
louks  d'Egypte  et  leur  envoyait  des  ambassades.  «  Sous  le 
règne  d  Abaqa-Khan  qui  était, tout  le  monde  le  sait,  un  prince 
juste  »  écrit  Rachid  ed  Din,  «  les  peuples  jouissaient  du  calme 
et  de  la  sécurité  ;   ils   voyaient  maintenir  l'ordre,  la  police 

(1)  E.j.  Cale,  n»  14  (trad.  Graf,  Z.  D.  M.  G.,  XII,  p.  92-98),  n"  22  et  39, 
et  peut-être  40. 

(2)  Bouslan,  p.  169:  «  Tout  bien  considéré,  on  a  tort  de  ra'engager  à 
vivre  avec  mes  semblables.  »  Et  plus  loin  (p.  283)  :  t  Pour  conserver  la 
paix  du  cœur,  il  faut  se  tenir  loin  du  commerce  des  hommes.   » 

(3)  Sur  Abaqa,  cf.  Encydop.  Islam,  s.  v.  Jbn  Batoutab  (Voyages,  II,  aver- 
tissement, p.  10;.  D'autres  mariages  de  princes  mongols  avec  des  chré- 
tiennes sont  cités  dans  le  même  passage,  d'^j  rt'  d'Onsson,  Histoire  des 
Mongols. 


siivtTe  lilablis  (){u*soii  pi'Vi:  ilaiiliii^.iu  Kliaii  »  (1  ;.Nacjrcil  l)iii 
loiici,  iniiiislru  d  Iloiilii^'oti,  coiiliuiiail  sch  foiicltun»  a(i(Ji-éb 
(1  Abaija  sur  l'urdi'c  ciii(|()L*l,v|iicl((iie.s  aiiiH'e:^  apirs  liî.i  TabluH 
Alplioii.Niiiuâ.  il  c()m|)osail  à  1  obsorvaUnrc  di-  Mara<4ba  les 
lablc:»  a&lruiiotnitiucs  (|(u  porleiil  son  iiuiii  (2;.  A.slruuoino 
rininenl.  proleclciii-  des  licrivains  el  des  savants,  .Nacir  mou- 
rait au  coin'.->  ilu  legue  dAb.uja  3  .  Il  fui  renij)lacé  |>ar  le» 
deuM  irères  (]lian):3  ed  Diud  Ala  od  Diu  Jouwaïui  t|ui  au- 
raieul  iiécidé  Saadi  à  oiitrepreiidi  c  le  \oyaf;c  de  1  abiiz,  si 
1  ou  accoi'de  créance  à  un  o|)u>cuU',  à  la  vérité  non  composé 
|)ar  lui  même,  mais  par  un  anonyme  contemporain  et  annexé 
à  ses  ouvres  (il.  Cet  opuscule  commence  ain>i  :  <«  Lors  de 
mon  rtloiinlii  pèlerinage,  unelGis  arrivé  a  la  capitale  Tabri/., 
je  voulus  voir  Ala  ed  Diu  el  Cliams  ed  l)in,  car  do  nom- 
breuses oblii,'alions  récipro(jues  nous  avaient  fermement 
unis.  •  L  auecdole.  au  denuiirant,  signilie  peu  de  cbose  :  le 
poète  V  inlli^'c  au  prince  une  assez  médiocre  leçon  de  morale. 
Mais  1  on  peut  inlércr.  des  marques  de  respect  prodij^uées  à 
Saadi,  (pielle  situation  morale  et  ijuelle  aulorité  il  possédait 
alors.  (Juant  aux  obligations  au\(juelles  il  est  fait  allusion, 
nu  autre  opuscule  en  prose,  au  début  des  œuvres  complè- 
tes (5),  montre  Saadi  comblé  de  libéralités  par  les  deux  frères 
auxquels,  en  retour,  il  dédiait  plusieurs  de  ses  poèmes:  ciiuj 
qacidas  persanes  à  Ala  ed  Din,  trois  à  Cbams  ed  Din.  lui 
outre,  il  composait  pour  ce  dernier  le  recueil  de  poésies 
morales  connu  sous  le  nom  de  (iHhibnHineh  iGj. 

(1)  Cité  par  d()hss<.D,  Mo'ujols,  IV,  p.  AHl . 

(2)  Ihid..  III.  p.  264. 

(3)  Ibùl.,  III.  p.  538. 

(4)  Traduit  par  hefrémery.  GuUsIan,  introd..  p.  33  et  siiiv.  —  Un  fait 
tcndritil  k  prouver  ipjo  I  opuBnile  n'est  pas  de  Saadi,  c'r>l  qu'au  déi»ul. 
Saadi  s'exprime  en  style  direct,  alors  «lue,  vers  le  uiilieu  •!•»  '•  nirr.i'.lnii, 
il  devient  un  acteur  dont  or  parle  à  la  troisième  personne 

(5;  Trad.  p«ir  Defrémery,  GuUstmi,  introd.,  p.  35  el  suiv.        An  suj.m  (i,<8 
hoiinflur»  excoptioaufis  (pie  re^evdieul  les  clieiks,  cf.  Ibu  lidloutaii,    \'oyn 
ijes,  II,  p.  56. 

(6)  Le  Tait  se  trouve  démontre  par  W.  Hacher  (Z.  D.  M.  G.,  X.X.X, 
p.  03-102).  Cbams  ed  Din,  administrateur  en  chef  de  l'Etat  mongol,  por- 


gÔ  PREMIÈHE    PARTI:  .     —    GHAPITRli    PREMIER 

Saadi  deveiiail  peu  à  peu.  en  dépit  de  son  caractère  semi- 
religieux,  le  poète  officiel.  On  trouve  en  effet  dans  ses  œuvres 
lyriques  un  certain  nombre  de  poèmes  dédiés  à  de  liants 
tonclionnaires.  A  Chams  ed  Din  Iloussaïn,  quelques  qacidas 
persanes  (1)  ;  à  Majd  ed  Din  Roumi  et  à  Fakhr  ed  Din  (2), 
assesseurs  de  Clianis  ed  Din  Jouwaïni,  une  qacida  persane  (3) 
et  la  quatrième  qacida  arabe  (4)  ;  à  un  certain  Nonr  ed  Din, 
inconnu  par  ailleurs,  la  troisième  qacida  arabe  (5)  ;  à  un  cer- 
tain qadi  Houkn  ed  Din,  «  l'ornement  de  la  société,  Timâm 
de  la  religion  »,  un  poème  de  nouvel  an  (nawroùz)  (6).  En- 
tin,  une  qacida  persane  en  Tbonneur  d'un  émir  Saïf  ed  Din 
Mohammed  [1). 

Le  voyage  de  Tabriz,  diflicilement  admissible,  si  Ton  con- 
sidère 1  âge  de  Saadi,  ne  suffit  pas  à  ses  biographes.  Dawlat- 
chah,  sur  la  foi  de  l'ouvrage  d'Azari  :  «  les  perles  des  secrets  » 
(jawàhir  el  asrâr),  n'hésite  pas  à  faire  partir  le  poète  vers 
rinde,  à  un  âge  encore  plus  avancé.  Le  fond  de  l'histoire 
semble  authentique  :  l'historien  Firichtah  ((Sj  rapporte  en 

tail  le  titre  de  çâliib-dîwân  :  d'où  celui  du  recueil  de  Saadi.  Cf.  sur  les 
deux  frères  Jouwaïni,  Encyclop.  Islam,  s    v.  Djuwaïnî. 

(1)  Cf.  W.  Bâcher,  Saadi's  Aphorisinen,  p.  XLVI,  n.  2.  Ce  personnage 
serait,  d'après  Graf  {Bouslan,  H,  p.  174),  (^hains  ed  Din  Tazigouï,  fermier 
d'impôts  fnialik)  dans  le  Fars,  auquel  Saadi  se  serait  adressé  en  faveur  de 
son  frère  (cf.  Diwan,  éd.  Calcutta,  p.  9,  et  Defrémery,  GuUsian,  introd. 
p.  30).  Tazigouï  signifie  «celui  qui  parle  arnbe  ». 

(2j  Sur  ces  deux  personnages,  cf.   Ilannner,  Ilkhane,  1,  p.  386,  rem.  4. 

(3)  Trad.  Graf,  Z.  D.  M.  G.,  XII,  p.  iOi-107  (Bâcher,  op.  cit.,  p.  46,  n.  4). 

(4)  Cf.  Bâcher,  op.  cit.,  p.  46,  n.  5. 
(5^  Ibid.,  p.  47,  n.  1. 

(6)  Ibid.,   p.  48,  n.  3. 

(7)  Trad.  Graf  (Z.  D.  M.  G.,  XV,  p.  572).  Giof  imagine  que  celte  pièce 
s'applique  à  l'afabek  Saad,  ce  qui  est  impossible,  car  un  vers  indique  que 
les  parents  du  jeune  honmie  regretté  par  ce  poème  vivaient  encore.  11  est 
peu  probable  que  ce  soit  le  même  personnage  dont  Saadi  déplora  la  mort 
dans  une  qacida  (cf.  Z.  D.  M.  G.,  XXX,  p.  87)  en  l'honneur  de  Izz  ed  Din 
Ahmad  Youssef,  auquel  se  rapporterait  plutôt  une  qacida  persane  où 
Saadi  implore  la  grâce  divine  en  faveur  du  personnage  qu'il  chante  et  de 
son  père. 

(8)  Tarikh-i-Firishta,  ed.  Brigss.  Bombay,  1831,  1,  p.  138  ;  trad.  Alex. 
Dow,  The  Ilisiory  of  Hindostan.  London,   1812,  I,  p.  187. 


I.V   \ir.  97 

cirelque  Mohammed,  gouverneur  de  Moullan  et  (ils  du  sullan 
(le  Delhi  (fhiath  ni  Din  Malahàii,  avait  attiré  <^i  sa  cour  (|uel- 
.jiii>s  écrivain-;,  pirini  les(jiieU  doux  [);)èles  orij^inaires  d  e 
Delhi  :  Khadjah  llassauel  Amir  Khosraw.  Sur  les  instances 
de  ce  dernier,  le  prince  aurait,  à  deux  reprises,  envoyé  à 
('liiiM/  dos  messagers  chargés  de  présentera  Saadi,non  seule- 
nu'uldes  cadeaux,  mais  une  invitation  à  se  rendre  à  Moullan 
où  l'on  construirait  pour  lui  un  monastère  doté  de  revenus. 
Saadi,  alléguant  sa  vieillesse,  se  sérail  contenté  d'envoyer 
lU  j)rince  un  autographe  de  ses  poésies  et  une  lettre  de  re- 
commandalionen  faveurd'Amir  Khosraw.  Mohammed  ayant 
succombé  en  !2S;j  dans  une  bataille  contre  les  Mongols  l), 
le  fait  se  placerait  vers  1280,  année  où  Saadi,  né  en  llHi, 
comptait  dcuic  (juatre-vingt-seize  ans  (2). 

L'âme  calme  (3j,  il  s'acheminait  paisiblement  vers  la 
tombe.  Les  grands  ouvriers  de  la  j>en>{'c  pci's.uic  ;  Nacir  ed 
Din  Touci,  Chams-i-Tabri/i,  .lalal  ed  Din  Uoumi  venaient 
de  mourir,  et  Saadi  seul  s'attardait  parmi  la  génération  des 
nouveaux  poètes  conquérant  peu  à  peu  la  renommée  :  le  plus 
remarquable  était  Amir  Khosraw  (jui,  suivant  .Tami  (ij,  au- 
rait visité  Saadi  à  Chiraz. 


(!)  Cf.  dOhsson,  Mongols,  IV,  p.  560. 

(2)  Cf.  Defrémery.  Giilislan,  p.  X.VV.  Selon  Ouseley  (Pcrsjan  poc<*,  p.  9), 
Mir  Gholam  .\.li  Azad,  auleur  du  Khizanah-i-amirah,  raconte  aussi  que 
.Saadi,  invité  ptr  Moliainnied  Khan  (Kljan-i-Chahid),  gouverneur  du  Moul- 
tan,  s'excusa.  Cf.  en  outre  ;  Moss,  Gulistan,  p.  41  et  Ziya-i-Barani,  Tarikn- 
-iFirouzchahi.  p.  68  (sur  lequel,  Gb.  Rieu,  Cat.  pers.  mss.  Brilish  Muséum. 
p.  595). 

(3)  Boutlai,  p.  220:  «  Qa'iraporle  à  S«adi  d'être  rendu  à  la  terre,  lui 
qui  fui  toujours  humble  comme  elle.  Apràs  avoir  parcouru  le  monde...  il 
a.  comme  les  autres,  laissé  ses  os  à  la  terre.  >> 

(♦)  Jami.  Saf>tfi>il  el  Owis,  p.  710  (Ou  y  peut  lire  un  curieux  passage  sur 
la  ■'  baraka  «  demandé*)  par  .\.mir  Khosraw  el  représentée  comme  app.ir- 
tenanl  exclusivemcDl  à  Saadi).  Cf.  sur  Amir  Khosraw  :  Garcin  de  Tassy , 
un.  hindoutlrtni  (2*  éd.),  Il,  p.  20V-20J  ;  E.-G.  Urown  ?,  LUerary  llUlory , 
II,  index.  —  Ch.  Schefer  (Oiresi.  persane.  II,  p.  lOH)  .issuro.  sans  indiquer 
sa  source,  que  <'heik  Sali  cl  Din,  fondateur  de  la  dynastie  des  St^féridos 
(mort  en  1334/735),  aurait,  lors  de  son  séjour  à  Chiraz,  fréquenté  Saadt. 

M.   -  7 


98  PlltMlÈRli    I'ARIIL;.     -       CHAPITUli    PUEMIliR 

La  capitale  du  Fars  maintenait  son  renom  de  ville  inlel- 
lecUielle.  A  l'époque  de  la  jeunesse  de  Saadi,  plusieurs  écri- 
vains y  avaient  brillé:  Abou  Mohammed  liouzbihân,  fds 
d'Abou  Naçr  el  Baqli  (1),  y  était  mort  en  1209  (H.  606),  em- 
portant l'amitié  et  l'admiration  du  prince  Abou  Hakr  ;  quel- 
que temps  après,  florissait  le  célèbre  commentateur  Abdal- 
lah ibn  Omar  el  Baïdawi  (2),  qadi  à  Chiraz,  et  qui  devait 
mourir  à  Tabriz  vers  1286  (IL  685);  auparavant,  Ghams-i- 
Qaïs  dédiait  à  l'alabek  Abou  Bakr,  peu  après  1230  (H.  628), 
un  traité  de  prosodie  persane  (3).  Les  poètes  locaux  n'étaient 
pas  seuls  à  glorifier  Abou  Bakr:  le  plus  remarquable  du 
groupe  d'Ispahan,  Kamal  ed  Din  ibn  Jalal  ed  Din  ibn  Abd 
er  Razzaq,  surnommé  «  le  créateur  de  fines  pensées  »  (khal- 
lâq  el  maâni),  dédiait  des  qacidas  à  Saad  ibn  Zangi  et  à  Abou 
Bakr,  avant  de  se  retirer  du  monde  auprès  de  Souhra- 
Avardi  (4). 

D'autre  part,  à  mesure  que  Saadi  vieillissait,  son  influence 
semblait  imprimer  un  nouvel  essor  à  la  poésie,  non  seule- 
ment à  Chiraz,  mais  dans  les  autres  villes  de  la  Perse.  De  ces 
poètes  subsistent  non  seulement  des  noms,  mais  des  biogra- 
phies et  des  citations,  grâce  à  l'historien  Hamd  Allah  Mous- 
tawfi  de  Qazwin  qui  leur  a  consacré  un  chapitre  de  son  His- 
toire choisie  (b).  C'étaient  Naçir,  originaire  d'un  village  du 
Fars,  et  dont  aucune  œuvre  n'a  survécu  (6)  ;  Najm  ed  Din 
Zarkoub  (7)  ;  Jamal  ed  Din  (8),  auteur  de  poèmes  en  dialecte 


(1)  E.-G.  Browne,  LUeranj  History,  II,  p.  490. 

(2)  Brockelmann,  Arab.  LiU.,l,  p.  416,  n.  27. 

(3)  Traité  intitulé  :  el  mou'  jam  fi  maaïri  achâri'l  aajam  (éd.  Browne  et 
Mirza  Muhammad  of  Qazwin,  Gibb  Mem.,  X).  Cf.  Browne,  op.  cit.,  II, 
p.  488  ;  Grundriss  der  iran.  Phil  ,  II,  p.  343  ;  R.  M.   M.,  X,  p.  294. 

(4)  Grundriss,  II,  p.  269. 

(5)  Tarikh-i-gouzidah.  Ce  chapitre  traduit  par  E.-G.  Browne  (fîto*;.  oj per- 
sian  poels,  J.  R.  A.  S.,  octobre  1900  et  janvier  1901). 

(6)  Ibid.,  n*  83. 

(7)  Ibid.,  n"  77. 

(8)  Ibid.,  n'  21  (11  était  né  à  Qazwin,  dans  le  quai  lier  de  Roustouq  el 
Qouln;. 


i.\   mi:  99 

(lu  Qa/.wiii  ;  Hadi  til  hin  liaba  (h,  compalriolo  du  pri-ct'- 
'Ifnl  cl  iiiltMulanl  (les  fermages  du  Diarbi'-kir  ;  Halia  ed  l)in 
do  Zaudjaii  (2i,  auleiir  de  poèmes  où  s'ciilreiiudonl  Ich  ver» 
turcs  et  persans;  Nizain  ed  l)in  (^ii,  autour,  lui  aussi,  de 
(jacidas  bilingues  (arabe  et  persan)  ;  Iinad  ed  l>iii  l'adhla- 
waib  dont  MoustaNvIî  cite  quebjues  vei*s  peu  édilianls  (4)  ; 
Haba-i-Janii  (T)»,  plus  panégvrisle  cpie  Iyri<jue.  Tous  ces  poè- 
tes tlorissaienl  sous  le  règne  d'Abaija-Kijan,  et  les  (jualre  der- 
niers denlre  eux  jouissaient  de  la  protection  du  niinislre 
(]bams  ed  Din  .bniwaïni  il»). 

L'bistoire  de  ce  grand  bomine  d'étal  permet  [)récisi'inenl 
d'établir,  de  façon  très  approximative  il  est  vrai,  I  épocjue  de 
la  mort  de  Saadi  :  question  fort  obscure  et  controverdéo,  car 
les  biographes  persans  se  partagent  entre  deux  dates.  Les 
uns  (Mouslawfi,  Khondémir,  Ahmad  Uazi)  tiennent  pour  le 
17  dbou'l  liijjalV.iO  i  1 1  décembre  \2\)\)  ;  les  autres  (  Dawlat- 
cbah  (7;,  .lami  Si.  Iladji  Kbalfa)  (9)  donnent  la  date  do  cbaw- 
Nval  091  (septembre-octobre  1292).  Saadi  serait  donc  mort  à 
l'Age  de  107  ou  108  ans,  ce  qui,  dès  d'abord,  paraît  assez  sur- 
prenant I  10). 

(1)  Browoe,  op.  cit.,  n»  3V.  Sur  son  fils,  i^palemcnl  poète,  cf.  j7)I'/.,  n»  56. 

(2)  Ibid..  n"  16.  Cf.  une  de  ses  qacidas  dans  I)«wl:it<)iali  (éd.  Iîro\vne\ 
p.  182. 

(3)  Ibid.,  n»  H2. 

lA)  Ihid.,  n*  54.  Sa  plaisanterie  donne  une  fftcheuse  idée  de  rbumour  k 
son  époque,  tout  comnn^,  au  reste,  le  recueil  des  facéties  de  Saadi  et  sa 
conversation  avec  Iloumam  ed  I>in  de  Tabriz. 

(5)  Ibid..  n«  17  et  cf.  Hammcr,  Hchône  liedekunsl,  p.  221. 

(6)  Sur  les  cootemporains  de  Saadi,  cf.  Grundriss,  II,  p.  267-26'J  ;  Hro^^ne, 
Lilerary  histury.  II,  p.  407  et  suiv.  —  Un  contemporain  de  Saadi,  Najm  ed 
Din  llaïukar,  est  signale  par  Schefer  {(ViresL  persane,  \,  p.  119^.  Enfin  le 
célèbre  bistoricn  Wissaf  i  Abdallah  tl>n  FadI  Allab)  était  né  à  Cbiraz  en  1263. 

(7)  Cité  Defrémery,  Gulistan.p  X.XXIX.Ce  qui  n'empêche  pas  Davrlatcbah 
d'affirmor  au  préalable  que  Saadi  serait  mort  vers  12»»3  (H.  661)  an  temps 

te  Mobainmc  I  Chah  iltn  Muliacumed  ibn  Saiikar  Cbib  ibn  Saad  ibn  /.aiigi 
^c>5l-.'»dire  du  pr«Sléce»*»^ur  ot  frère  de  Saijoukcliali,  ce  ^ui  est  inadmis- 
sible, puisque  Saadi  a  dédié  des  poéoies  à  ce  dernier). 

(8)  Srtjnhal  el  ouns  (éd.  Calcutta),  p.  690. 
(9i  Leriron  (éd.  KlOffel).  V,  p.  2.10. 

(10)  Sacy  {ruod-anii'.)  fait  mourir  Saadi  k  120  ans  ;  Ouseley  {Peni<vi  poett) 


lOO  PUEMIKUE    PAU  ni'.    —    CHVl'ITHli:    PREMIER 

Or,  quel({iies  années  aiipai*avaiiL,  les  prolecleurs  de  Saadi, 
Cliams  ed  Din  el  Ala  ed  Diii  Jouwaïiii,  lombes  en  pleine 
disii^ràce,  mom-aienl  Iraglqiienient.  D'abord  desservis  anprès 
de  lilkhan  Abaqa,  ils  s'élaient  justifiés  el,  sous  Ahmad 
Takoudar,  son  frère  et  successeur  (1282),  avaient  recouvré 
pleine  faveur.  Mais,  deux  ans  plus  lard,  Takoudar,  battu  par 
son  neveu  Arghoun,  était  assassiné  sur  son  ordre.  Les  frères 
Jouwaïni  payèrent  cher  Tamitié  de  l'ilkhan  défunt  :  Ala  ed 
Din,  ses  biens  confisqués,  el  accusé  de  concussion,  mourut 
d'une  attaque  en  1283  ;  Ghams  ed  Din,  moins  heureux,  fut 
mis  en  accusation  el  exécuté  Tannée  suivante,  ainsi  que  ses 
quatre  fils. 

Voilà  donc  les  protecteurs  de  Saadi  morts,  laissant  une 
mémoire  compromise.  Saadi  leur  doit  sa  fortune,  sa  tran- 
quillité, les  saintes  joies  de  l'amitié,  tout  enfin  ;  et  il  les 
laisse  tomber  dans  l'oubli,  alors  qu'il  a  composé  tant  de 
chants  funèbres  sur  des  personnages  qui  le  louchaient  de 
moins  près  !  Il  est  vieux,  n'a  plus  rien  à  attendre  de  l'exis- 
tence (1).  Que  risque-l-il  même  en  imitant  l'indignation  de 
son  grand  ancêtre  Firdousi  contre  le  sultan  de  Ghazna  ? 
Mais  rien,  pas  même  une  allusion,  si  voilée  soit-elle. 

On  dira  que,  peut-être,  il  avait  composé  les  poèmes  que 
la  gratitude  devait  lui  dicter,  et  que  ces  poèmes  furent  sup- 
primés dans  la  recension  de  ses  œuvres,  par  haine  des  deux 
ministres  déchus.  Mais  cela  est  inadmissible,  car  les  poèmes 
dédiés  à  Saljoukchah,  ennemi  juré  des  Mongols,  et  de  mé- 
moire plus  sinistre,  n'en  ont  pas  moins  été  conservés.  II 
semble  donc  permis  de  croire,  en  dépit  des  assertions  de  ses 
biographes,  que,  lors  de  la  triste  fin  de  ses  prolecteurs, 
Saadi  était  déjà  mort  (2). 

adopte  l'année  691  ;  G.  Flûgel  indique  le  24  décembre  1291  comme  jour 
de  l'eiitefrement  du  poète  (Ei-sch  et  Griiber,  art.  Perser)  ;  B.  de  Meynard 
{Boastan,  préf.,  p.  25),  l'automne  de  1292  ;  le  Grundriss,  à  la  fois  les  dates 
de  1291  et  1292.  En  revanche,  Ethé  {Der  çafisinus,  p.  102),  l'année  1263. 

(1)  «  Celui  qui  n'a  plus  rien  à  espérer  ni  à  craindre  ne  tremble  pas  de- 
vant les  armées  de  la  Chine  et  de  la  Tarlarie  ",  déclare-t-il  dans  une  élégie 
persane  (Cité  Barbier  de  Meynard,  trad.  du  Boustan,  introd.,  p.  23). 

(2)  Comment  préciser  une  date  ?  Doit-on  supposer  une  erreur  de  chiffre  ? 


I.V     VIK  ICI 

Il  (lisparaissail  vu  pleine  gloire,  laissant  tiiu;  renommëe 
inlaclf  :  il  n'av.iil  rien  dernaïul»'*  à  la  lorliiiie  et  nvail  évilé 
ses  terribles  reloiirs.  II  se  contentait  de  légner  un  peu  do 
gloire  à  sa  ville  natale.  C^liira/,  au  reste,  avait  compris  le 
génie  de  son  poète  et  lit  mentir  le  proverbe  :  «  Nul  n'est 
prophète  en  son  pays».  Saadi  fut  inhumé  non  loin  de  son 
ermitage,  aux  environs  delà  ville  (I)  ;  lo  lieu  de  sa  sépulture 
devint  rapidement  un  but  de  pèlerinage  ;  plusieurs  person- 
nages pieux  solliciteront  l  honneur  d'être  inhumés  auprès  de 
lui;  un  siècle  plus  tard,  le  grand  lyricjue  Ilaliz  'mort  en 
1389)  venait  reposer  dans  le  voisinage. 

Les  voyageurs  ont  décrit  à  plusieurs  reprises  le  tombeau 
de  Saadi  :  au  (|ualor/.ième  siècle,  Ibn  Haloulah  (2),  passant  à 
Ghiraz,  ne  mancpie  pas  do  le  visiter  et  parle  du  «  vertueux 
cheik  connu  sous  le  nom  d'as-Saadi  ».  Du  tombeau  dépend 
un  ermitage  avec  jardin  ;  non  loin  prend  source  le  Houkna- 
bàd,  rivière  de  Chiraz.  (^n  y  voit  de  petits  bassins  de  marbre 
où  les  Chiraziens  lavent  leur  linge,  et  dont  Ibn  lîaloulah 
n'hésite  pas  à  attribuer  la  construction  à  Saadi.  Dawlatchah, 
lu  seizième  siècle,  n'ajoute  rien  à  cette  description,  mais 
témoigne  que  l'aspect  général  des  lieux  n'a  pas  varié  ;  il 
retrouve  les  mêmes  bassins  et  note  l'airection  des  Chiraziens 
pour  le  tombeau.  Plus  tard,  une  colline  voisine  fut  nommée 
o  colline  de  Saadi  »  et  surmontée  d'une  tour.  Au  dix  -huitième 
siècle,  la  tombe  se  trouvait  en  mauvais  état(3)  :  Kérim-Khan 

671  ou  081  au  lieu  de  691  ?  Mais  pourquoi  telle  date  plulôl  que  telle  autre, 
en  l'absence  de  tout  document  cerlain  ?  TuuteTois,  si  Saadi  fut  réellement 
iuviU'  veri  12^0  par  le  gouverneur  du  Moullaii,  on  pourrait  admcllre  <ju'il 
mourut  entre  1280  et  1283,  c'est-i-dire  âgé  de  '.tô  à  99  ans. 

(1)  Il  parle  dans  le  Gulislan  p.  201.  III,  28)  de  l'oratoire  champêtre 
(niouçallah)  de  Chiraz. 

(2)  Vnyiujes.  II,   p.  87. 

(3)  Engelbert  Kaempfer,  Amienilates  exoticx  (Lemgo,  1712):  <<  Totum 
mausoleum,  vetustate  delurpaluiu,  ad  ruitam  graviter  inclinât...  Ilorlus 
sabulosi  fundi,  omnique  cultu  dcstilutus  ol  neglcclus,  nihil  quod  praedi- 
care  possim,  calamo  tubstituit  »  ;  W.  Franklin,  Observalions  mode  on  a 
tour  Jrom  lîctujal  (o  Persin  in  I7M-I7S7  :  «  Tht  building  is  now  going  to 
ruin,  and  unless   repuired.  must  soou  fall  eulirely  lo  dccay.  Il  is  much  lo 


102  PRI.MIERE    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

(1752-1779),  désireux  d'honorer  le  souvenir  du  poète,  fit 
construire  un  petit  édifice  et  confia  l'enclos  à  la  garde  d'un 
derviche  (1). 

Vers  1840,  l'architecte  Pascal  Coste,  chargé  d'une  mission 
en  Perse,  joignit  à  un  croquis  du  tombeau  de  Saadi  cette 
courte  description:  «  Plus  près  de  la  ville  (que  le  tombeau 
de  Hafiz)  se  trouve  le  tombeau  de  Saadi.  Dans  une  salle  voû- 
tée, à  l'angle  d'un  grand  bâtiment  entouré  d'un  mur  de  clô- 
ture avec  un  jardin,  se  trouve  la  tombe  du  Cheikh.  C'est  un 
sarcophage  en  pierre  calcaire  tendre,  couvert  d'ornements 
et  d'inscriptions  arabes  et  persanes  ;  au  pied  de  ce  monument 
se  trouve  un  bassin  d'eau  limpide  rempli  de  poissons  qui, 
par  respect  pour  la  mémoire  du  Cheikh,  sont  réputés 
sacrés  (2).  »  Ce  petit  fait,  déjà  signalé  par  W.  Ouseley, 
prouve  une  fois  de  plus  le  culte  que  les  Chiraziens  n'ont 
cessé  de  vouer  à  leur  poète.  Aujourd'hui  encore,  ils  honorent 
en  sa  personne,  non  seulement  la  supériorité  du  talent  litté- 
raire, mais  les  vertus,  plus  estimables  encore  et  plus  rares, 
qui  caractérisent  l'honnête  homme. 

be  regretted  that  Ihe  uncertaia  state  of  alîairs  in  Ihe  country  will  not 
admit  of  any  one's  being  at  the  expense  of  repairing  it  »  (Trad.  française 
par  Langlès  :  Voyage  du  Bengal  à  Chiraz,  I,  p.  H4). 

(1)  Selon  W.  Ouseley  {Travels,  II,  p.  26),  vers  1811,  lorsqu'il  visita 
Chiraz,  une  des  portes  (Deiwazeh-i-Saadi)  conduisait  au  tombeau  par  le 
pont  :  Poul-i-Saadi  construit  sous  Kérim-Khan.  Sur  le  tombeau,  cf.  en 
outre  :  Chardin,  Voyages  (éd.  Langlès,  1811),  VIII,  p.  428  ;  Scott  Waring, 
Tour  to  Schiraz  (London,  1807),  p.  60-62  ;  Morier,  1"  voyage  en  Perse  (trad. 
franc.  1813),  p.  60-61  ;  id.,  2'  voyage  en  Perse  {Ir ad.  franc.,  1818),  I,  p.  143- 
144;  W.  Ouseley,  Travels  (London.  1821),  II,  p.  8-10  et  pi.  XXV  ;  Gore 
Ouseley,  Persian  poets,  p.  19-21  ;  Pierre  Loti,  Vers  Ispahan,  p.  106-107. 

(2)  Monuments  modernes  de  la  Perse  (1867),  p.  56-57. 


ciiAi'iini':  H 


LES    OEUVUKS    i;i     I.  KIMIION     DE    CAt.ClTTA 


Les  œuvres  complètes  de  S;«a(li  forment  deux  gros  volu- 
mes imprimés.!  Calcutta,  volumes  représentant, d'après  l'opi- 
nion géiu'raIemonladmise,la  recension  d'Ali  ibn  Aliniad  Abou 
Bakr  de  Bisouloun  (I).  Ce  personnage  dont  le  nom  même 
n'est  pas  sûrement  établi,  se  mita  réunir  pour  la  première 
fois  les  œuvres  de  Saadi,  un  demi-siècle  environ  après  la 
mort  du  poète.  D'après  l'introduction  qu'il  plaça  en  tête  de 
sa  recension, il  aurait, en  13"J.'>  (II.  l'2()),  classé  les  j)oèmes  ly- 
riques de  Saadi  par  ordre  alphabétique,  en  se  basant  sur  leur 
première  lettre;  puis,  neuf  ans  plus  tard,  abandonnant  ce 
classement,  rangé  les  poèmes  d'après  l'ordre  alphabéticjue 
delà  dernière  lettre  des  vers  (2).  Il  ajoute  qu'il  se  serait 
borné  au  dîwàn,  c'est-à-dire  aux  seules  ceuvres  lyri(pies  de 
Saadi,  sans  s'occuper  des  œuvres  en  prose,  non  plus  que  du 
Gulistan  ni  du  lious/.in. 

L'ordre  adopté  par  cet  éditeur  fut  respecté  par  les  copistes 
des  manuscrits  de  Saadi, et, en  1791 , les  éditeurs  de  Calcutta, 
Ilaringtonet  Moulwi  Mobaiinnad  Hacliid,  n'béï*ilèrent  pasa 
suivre  la  tradition  ;  tradition  déplorable, au  reste  car  —  il  est 
superflu  de  le  démontrer  —  cet  ordre  alpliabéticpie  ne  répond 
nullement  à  l'ordre  chronologique.  Kt  quant  à  celte  cbrono- 

(1)  Sur  ce  perwoonage.  cf.  FlUj;el,  llandschrijlen  des  IloJbihUolhek  :u 
Wien.l.  n*  530-532.  Sur  Hiaoutoun,  l'ancienne  Ueliisloun,  cf .  Kncycl.  hltm, 
s.  V.,  Bisutûn. 

(2)  J.  Mohl  (J.  A..  1861,  l.  XVin,  p.  88)  déploro,  à  propoi  de  llAlir, 
«  labsurile  ordre  uIpliiiliHliijin-  lu'il  filnil  aux  I'imk.his  do  (Ioiui.m-  "i  I»»iii-.i 
divàos  ". 


104  PREMIERE    PARTIE.     —    CHAPITRE    II 

logie  elle-même,  tout  effort  pour  la  rétablir  serait  superflu- 

Au  demeurant,  Ali  ibn  Alimad  de  Bisouloun  n'avait  fait 
que  se  conformera  l'usage  :  les  recueils  poétiques  (dîwâns) 
des  poètes  persans  se  trouvent  d'ordinaire  disposés  sur  le 
même  plan.  On  peut  donc  appliquer  à  Saadi  ce  que  Barbier 
de  Mejnard  (  1  )  écrivait  à  propos  des  odes  de  Hâfiz  :  u  On  sait 
que  les  éditeurs  indigènes  se  bornent  à  réunir  les  pièces  d'un 
dîwàn  d'après  l'ordre  alphabétique  de  la  rime,  sans  tenir 
compte  ni  de  leur  date,  ni  des  circonstances  et  du  milieu  qui 
les  ont  produites.  Il  serait  donc  bien  difficile,  sinon  impos- 
sible... de  rétablir  les  odes  dans  l'ordre  chronologique.  » 

Par  conséquent,  aucun  moyen  d'essayer  une  étude,  même 
approximative,  de  l'évolution  poétique  de  Saadi  :  il  faut  donc 
se  résigner  à  examiner  son  œuvre  en  bloc,  et  à  se  passer  du 
plaisir  qu'on  éprouve,  en  étudiant  les  écrivains  occidentaux, 
à  contempler  la  genèse,  les  progrès,  l'apogée  et  parfois  le 
déclin  de  leur  talent  ou  de  leur  génie. 

On  pourrait  peut-être  supposer  que  tous  les  poèmes  em- 
preints de  mysticisme  appartiennent  à  la  vieillesse  de  Saadi, 
encore  que,  sous  l'influence  de  ses  maîtres  de  Bagdad,  il  en 
ait  sans  doute  composé  plusieurs  au  temps  de  sa  jeunesse. 
Mais  cette  hypothèse  même  ne  servirait  de  rien, car  les  poè- 
mes mystiques  de  Saadi  passent  souvent  d'un  recueil  à  l'autr  e 
suivant  la  fantaisie  des  copistes  de  manuscrits. 

C'est  donc  l'ordonnance  la  plus  arbitraire.  Mais,  à  ce 
manque  de  chronologie,  s'en  ajoute  un  autre  plus  grave  : 
celui  de  la  sûreté  du  texte.  Les  copistes  des  manuscrits  de 
Saadi,  aussi  bien  que  ceux  des  autres  poètes  persans,  ne 
craignirent  pas  d'en  user  librement  à  l'égard  du  texte  qu'ils 
avaient  sous  les  yeux  et  il  est  probable  que  les  œuvres  de 
Saadi,  sous  leur  forme  actuelle,  renferment  tout  ce  que  con- 
tiennent des  manuscrits  tardifs,  c'est-à-dire  force  erreurs  et 
interpolations  :  une  édition  critique  du  texte  reste  donc  fort 
souhaitable.  Les  manuscrits  de  Saadi,  conservés  dans  les 

(1)  La  poésie  en  Perse,  p.  b2. 


I.KS    (Kl'VHEH    KT    I.'l?DITION    DR    CALCUTTA  Io5 

l)il)li()llu(|iios  et  acUielIement  fort  nombreux,  se  di visent  en 
deux  fiiinilles  principales  :  les  manuscrits  persans-turcs  et 
les  manuscrits  persaus-liindous  (l),ces  derniers  servant  de 
base  à  li-dilion  de  (!;dciilla.  mèro  des  éditions  indigènes 
poslërieures  et  de  la  plupart  des  éditions  du  dulislnn  et  du 
iioustitii  publiées  en  lùiropo  (2^. 

Juscju'à  1  édition  de  (Calcutta,  Saadi  n'était  guère  connu 
en  Kurope  (jue  par  le  (iulist.tn  el\o  linust.ui.  D'IIerbelot 
parlait,  il  est  vrai,  duns su  lii/jliofhcqiie  oricnf.ile,  d'un  autre 
recueil,  les  Mduluinninùt,  dont  le  litre,  ajoutait-il,  «<  signifie 
en  arabe  des  étincelles,  des  rayons  et  des  écbantillons  ». 
Mais,  à  part  le  (îuhsf.m,  rien  n'était  traduit  ni  édité.  Depuis, 
les  traductions  des  dill'érenls  recueils  se  multiplièrent  dans 
les  principales  langues  de  l'Kurope.  Mais,  si  l'on  met  de  côté 
(|uel(jues  travaux  criti(|ues  (Cf.  Bibliograpbie\  l'édition  de 
Calcutta  reste  jusqu'à  présent  sans  seconde. 

Elle  comprend  (jualorze  recueils  purement  poétiques  aux- 
quels s'ajoute  une  série  d'opuscules  en  prose,  le  (iulisluu  et 
un  court  recueil  de  facéties,  les  uns  et  les  autres  entremêlés 
de  prose  et  de  vers.  Cba(iue  recueil  poétique  est  rangé  d'après 
la  dernière  lettre  de  la  rime,  indépendamment  des  autres. 

A  la  préface  d'Ahmad  de  Bisontoun  font  suite  les  opuscules 
en  prose  ou  «  risàlahs  ».  Le  premier  de  ces  opuscules  cons- 
titue en  (juebjue  sorte  une  introduction  écrite  par  Saadi.  soit 
à  l'ensemble  de  ses  œuvres  (ce  qui  paraît  plus  probable), 
soit  exclusivement  à  ses  opuscules  en  prose.  Saadi  y  joue  sur 
le  mot  arabe  sufinah  signillant  à  la  fois  :  vaisseau  et  livre. 
Dieu,  dit-il,  a,  sur  l'océan  de  l'Klre, lancé  le  vaisseau  de  l'hu- 
manité (jui,  sans  cesse,  va  de  l'avant.  Par  conséijuent, 
riiomme  let  c'est  là  une  conséquence  dont  on  ne  saisit  pas 
clairement  la  nécessité),  et  particulièrement  le  mystique  (le 
çoulij,  doit  posséder  un  vaisse.iu  (jui  lui  assure  le  salut  sur 
l'océan  de  la  vie.  Jailis  Noc  exhorta  ses  contômporain>  à  la 

(1)  Graf,  Uosenijarien,  p.   XVIII. 

(2)  Sauf  celle  de  Sémelel,  baiéo  sur  d«>s  manuscrits  plus  spëcialoaif ni 
persans-turcs. 


I06  PREMIÈRE    PARTIE.    —    CIIAPITRK    II 

piété,  et,  désespérant  de  les  convaincre,  construisit  pour  lui- 
même  une  arche,  sur  Tordre  de  Dieu.  Eh  bien  !  pour  l'es- 
prit, il  en  est  de  même:  l'esprit  a  beau  exiiorter  le  sentiment, 
il  n'en  est  pas  écouté.  Alors  il  se  construit  une  nef  salvatrice, 
et  cette  nef  [Safinak)^  c'est  un  livre  [Safinah).  C'est  ce  que 
Saadi  désire  avoir  accompli  en  composant  ses  œuvres. 

Le  deuxième  opuscule  comprend  cinq  séances  mystiques 
[ma/ lis)  consciencieusement  étayées  de  citations  du  Coran  et 
des  paroles  attribuées  à  Mahomet  [hadith).  La  première  de 
ces  séances  est,  à  la  vérité,  une  moulammaa  (poème  où  les 
vers  arabes  et  persans  s'entrecroisent)  en  seize  distiques  à  la 
louange  d'Allah  et  de  Mahomet.  La  troisième  et  la  quatrième, 
plus  importantes,  méritent  une  courte  analyse  :  la  troisième, 
mélange  continuel  de  phrases  arabes  et  persanes,  débute 
par  une  série  d'exhortations  à  entrer  dans  la  vie  mystique 
et  à  abandonner  les  soucis  de  ce  monde.  L'exclamation  do- 
mine, car  il  s'agit  bien  d'un  sermon,  sermon  basé  sur  des 
exemples  empruntés  aux  traditions  courant  sur  la  vie  de 
Moïse  et  d'Ali.  Vient  ensuite  une  anecdote  au  sujet  de  l'as- 
cète Abou  Yazid  (Bayazid)  de  Bistam,  anecdote  que  Ton 
retrouve  dans  le  Pend-Nâmeh  de  Farid  ed  Din  Attar  (1). 
Tout  cela  fort  lourd  de  ton,  fort  loin  par  conséquent  de  la 
manière  habituelle  à  Saadi  et  insuffisant  à  caractériser  pré- 
cisément son  mysticisme,  en  dépit  de  l'opinion  de  l'éditeur 
Cuedemann  qui  déclare  dans  sa  préface  :  «  Eam  elegi  par- 
tem  c/uic —  SadiiSsufiismum,  qui  e  Gulistàno  et  Cassida- 
rum  libris  non  satis  elucet^  magis  illustraret  ». 

La  quatrième  séance,  plus  longue,  commence  par  les 
louanges  de  Dieu,  sage  ordonnateur  de  la  nature,  et  bienfai- 
teur de  tous  les  êtres,  louanges  analogues  à  celles  du  début 
du  Boustan.  Elle  se  divise  en  deux  points.  Premier  point  : 
la  vie  terrestre  n'est  qu'un  songe  ;  seule  la  vie  future  existe 
réellement.  Aussi,  ne  vous  attachez  pas  à  la  vie  d'ici-bas  (2). 
Les  exemples  destinés  à  soutenir  ce  point,  plus  significatifs 

(1)  Trad.  Sacy,  p.  231. 

(2)  Ce  n'est  là,  somme  toute,  que  l'idée  fondamentale  du  çoufisme. 


LES    CCUVKB8    BT    l/l^niTlOry    DB    CALCITTA  IO7 

(jiie  ceux  (le  la  Iroisième  î^t'aiico,  méritent  une  mention. 
D'abord  L(M|niàn  (jiii.  à  l'an^'o  de  la  mort  s'élonnanl  de  le 
voir  sans  une  maison  à  lui,  répond  :  «  Cela  reviendrait  .'i  me 
créer  un  motif  de  regretter  ce  monde  qui  n'en  vaut  point  la 
peine.  »  l*ui9  Noéqui,  interrogé  sur  la  vie  terrestre,  répond  : 
(*  C'est  une  maison  îi  deux  portes,  Tune  d'entrée,  l'autre  de 
sortie.  »  \'ient  ensuite  la  fameuse  anecdote,  plusieurs  fois 
reprise,  du  prince  et  du  derviche:  le  derviche  veut  entrer 
dans  le  palais  (ju'il  prend  pour  un  caravansérail  ;  on  lui  ré- 
pond :  v<  C'est  le  palais  du  prince.  —  A  qui  appartint-il  tout 
d'abord  ?  —  A  mon  aïeul  »>  répond  le  prince.  «  Kt  ensuite?  .> 
demande  le  derviche.  «  A  mon  bisaïeul,  à  mon  trisaïeul  >•  et 
ainsi  de  suite  :  de  sorte  que  le  derviche  finit  par  conclure  : 
u  Une  maison  où  il  a  passé  tant  de  générations  n'est  en 
somme  (ju'un  caravansérail.  »  Le  second  point  de  la  séance 
consiste  en  ceci  :  l'amour  de  la  vie  terrestre  est  un  solide 
filet,  la  volupté  de  la  vie  terrestre  un  tas  de  grains,  le  démon 
un  chasseur  rusé  ;  celui  qui  aime  la  vie  est  un  oiseau  attiré 
par  le  grain.  Heureux  celui  qui  échappe  aux  lacs  du  chas- 
seur !  Suit  le  développement  de  cette  idée,  sous  la  forme 
imagée  propre  au  génie  persan  en  général,  mais  particulière- 
ment caractéristique  chez  Saadi.  On  y  lit  cette  apostrophe 
où  il  se  montre  plus  âpre  et  plus  vigoureux  qu'à  l'ordinaire  : 

«  0  homme,  ne  blâme  pas  les  adorateurs  d'idoles car  ils 

ne  sont  esclaves  que  de  statues,  et  toi,  tu  l'es  de  l'or  et  de 
l'argent  1  ->  La  séance  se  termine  par  une  série  de  préceptes 
de  pauvreté,  d'humilité,  de  charité  et  de  renoncement  desti- 
nés à  réaliser  l'union  avec  Dieu. 

Le  troisième  opuscule  (au  sujet  d'une  (jueslion  posée  par 
le  çàhib-dîwân  Chams  ed  din  Jouwaïnii  'lia  été  intercalé 
par  l'éditeur  de  Bisoutoun  dans  sa  propre  introduction  :  il  le 
considère  en  effet  comme  apocryphe. 

Le  quatrième  opuscule  traite  de  la  supériorité  de  la  raison 

(1)  Ed.  Calcutta,  p.  7,  recto.  On  en  trouvera  la  Iraductioo  dans  Grnf, 
Frûchigarten,  p.  136ii-_'. 


I08  PREMIÈRE    PARTIE.     CHAPITRE    H 

('aql")  sur  le  senliment  ('ichq).  «  Esl-ce  la  raison  ou  lesenLi- 
meiit  qui  mène  Fliomme  vers  Dieu  ?  »  demande,  en  huit  dis- 
tiques, rinlerloculeur  de  Saadi.  Celui-ci  répond  :  «  Bien  que 
ces  deux  facultés  ne  se  réunissent  pas  dans  un  seul  individu, 
elles  coexistent  pourtant  dans  Ion  cerveau  et  ton  cœur  éveil- 
lés. »  Cet  opuscule  est  considéré  comme  authentique. 

Le  cinquième  opuscule,  édité  séparément  par  Barb,est  in- 
titulé ;  Conseils  aux  rois. 

Le  sixième  comporte  trois  parties  :  la  première  narrant  la 
rencontre  de  Saadi  avec  Abaqa  Khan,  à  Tabriz  (1);  la 
deuxième,  considérée  comme  apocryphe  par  l'éditeur  de 
Bisouloun  (2),  l'intervention  de  Saadi  en  faveur  de  son  frère 
auprès  de  Chams  ed  Din  Ta/igouï  (3j  ;  la  troisième  partie, 
court  traité  de  politique  dédié  au  gouverneur  mongol  Ankia- 
nou  (4).  u  On  est  frappé,  en  lisant  cet  opuscule  », dit  Barbier 
de  Meynard  (5),  «  du  ton  de  franchise  presque  rude  avec  le- 
quel il  parle  au  nouveau  maître.  Quelle  meilleure  preuve  de 
la  grande  popularité  qu'il  devait  à  son  talent.  » 

Le  septième  opuscule,  se  composant  de  trois  séances, n'est 
autre  qu'une  parodie  du  deuxième  dont  il  imite  le  style, 
mais  sur  un  fond  de  plaisanterie.  Il  amuse  au  demeurant  par 
le  contraste  continuel  des  idées  comiques  et  du  style  sérieux. 
Saadi  parodiant  le  Coran,  cela  paraît  pour  le  moins  étrange  ; 
mais  le  court  recueil  de  9  facéties  (moudhikât)  graveleuses 
—  pour  ne  pas  dire  ordurières  —  qui  le  suit  immédiatement, 
va  bien  plus  avant  encore  en  cette  voie.  Il  n'en  est  pas  moins 
dépassé  par  le  recueil  des  Khabitât  (littéralement  a  turpitu- 
tudes  »)  (6)  dont  le  titre  révèle  suffisamment  le  contenu. C'est 
la  veine  du  livre  V  du  Gulistan^  histoires  équivoques  et  po- 
lissonnes, dues  soit  à  un  léger  accès  de  sénilité,  soit  à  une 

(1)  Cf.  supra,  p.   9").    Traduite   dans  Defrémery,  Galislan,  introd.,  p.  33. 

(2)  Cf.  supra,  p.  9,  n"  3.  Trad.  Defrémery,  ibid.,  p.  30. 

(3)  Ed.  Calcutta,  p.  9. 

(4)  Cf.  supra,  p.  94. 

(5)  Boustan,  introd.,  p.  23, 

(6)  Ed.  Calcutta,  p.  475-480. 


LBS    CEIIVHB8    ET    LEIIITION    I)K    CALCIMTA  1 09 

coinj)laisaiico  du  poêle  (jui  tli'-sirail  satisfaire  ii**^  ^'oûls  de  ses 
|)rolecleiii's.  Cv  (jiu*  laisse  rnleiidre  au  reste  I  iiilrodiiction 
du  recueil  :  <<  l'u  prince  me  conlraiL,'uil  à  composer  un  livre 
do  futilités,  sur  le  modèle  de  Soù/.am*.  Je  no  le  faisais  pas, 
n'y  ayaul  aucun  i;oùt.  Mais  comme  je  no  trouvais  aucun 
moyen  d'éluder  son  ordre,  je  composai  ces  vers,  dont  je  de- 
mande pardon  {\  Dieu  très-haut.  C'est  un  petit  ouvrage 
de  ton  badin. (^Jue  les  esprits  distingués  ne  m'en  blâment  pas, 
caria  plaisanterie  esta  l'entretien  ce  que  le  sel  est  aux  mets». 
Son/anî,  c'est  ce  que  la  poésie  persane  a  connu  de  plus 
licencieux  et  de  plus  hardi  ji  :  el,  malgré  tout  l'art  qu'il  y 
déploie,  on  regrelte  pour  Saadi  ces  amusements  en  vérité 
indignes  de  son  génie.  «  Les  facéties  »,  déclare  Paul  Ilorn, 
lin  connaisseur  de  la  lilléralure  j)ersane,  <  dépassent  en  indé- 
cence tout  ce  (ju'un  occidental  peut  imaginer  »  (2).  .\I.  1'].  (i. 
Browne  (3j,  d'autre  part,  s'atlachant  plus  à  la  forme  (ju'au 
contenu,  les  signale  comme  poèmes  du  genre  macaroni(jue, 
contamination  de  l'arabe  el  du  persan, 

A  ces  (cuvres  en  prose  succèdent,  dans  l'édition  do  Cal- 
cutta, le  (iulisl^m  et  le  liousf.in  qui  seront  examinés  plus 
loin  (4  .  I*uis  les  poèmes  lyricjues,  le  ditvi'tn  proprement  dit, 
formant  Irei/e  recueils  d'imporlance  variable. 

Ces  poèmes  commencèrent  de  bonne  heure  la  renommée 
de  Saadi  :  on  a  vu  (.*))  que,  dès  son  voyage  à  Kachgar,  il  était 
déjà  réputé  comme  poète.  Ces  ouvrages  n'auraient  du  reste 
pas  suffi  à  lui  assurer  la  véritable  gloire  littéraire  que  lui 
conquirent,  plus  tard,  le  lioustmi  et  le  CiulUtan  :  on  y  per- 
çoit déjà,  et  fréquemment,  le  penchant  moralisateur  qui  lui 
est  propre  ;  mais,  en  général,  il  se  contente,  dans  ces  poèmes, 
d'exprimer  des  impressions  fugitives.  Ce  lyrisme  n'est  peut- 
Il)  Sur  Soûzani,  conlt^-nporain  du  Sultan  Sanjar  (51 1-552/1 117  1 157),  cf. 
Tarikh-i-|;u7.id,ili    Irad.  Urowiu',  n*  .ir». 

(2)  Pertische  l.ili.,  p.  13G. 

(3)  Literary  llistnry.  II,  \>    4r.. 

(4)  Cf.  injra,  p.  123  el  suiv. 

(5)  Cf.   supra,  p.    25. 


IIO  PHEMIÈUE    PARTIE.    —    CHAPITRE    II 

èlre  pas  loujours  1res  personnel,  mais  c'esl  bien  cependant 
du  lyrisme,  an  sens  subjectif  qne  suppose  le  mot.  Tantôt  il 
y  dépeint  un  sentiment  qu'il  vient  d'éprouver  lui-même  ; 
tantôt  il  prend  prétexte  d'un  événement  public  qu'il  exalte 
ou  déplore,  ajoutant  ainsi  à  son  lyrisme  une  note  semi-offi- 
cielle ;  tantôt,  enfin,  —  poésie  purement  officielle  —  il  com- 
pose, en  termes  le  plus  souvent  dilhyrambiques,  le  panégy- 
rique d'un  prince  ou  d'un  grand  personnage  (1  ). 

Ces  poèmes  se  divisent,  au  point  de  vue  de  la  forme,  en 
deux  catégories  principales  :  les  qacidas  et  les  ghazals.  Ces 
formes  n'existant  pas  dans  la  poésie  occidentale,  il  est  fort 
difficile  d'assigner  à  ces  termes  un  équivalent  français.  On 
admettra  cependant,  pour  simplifier  la  question,  que,  très 
approximativement,  l'élégie  correspond  à  la  qacida  et  l'ode 
au  ghazal. 

Les  qacidas  se  subdivisent  en  trois  recueils  :  qacidas  ara- 
bes, qacidas  persanes,  moulammaât. 

Les  premières  furent,  en  général,  sévèrement  appréciées. 
«  En  Perse  et  aux  Indes  \),  écrit  M.  E.-G.  Browne  (2),  «  il  est 
généralement  établi  que  les  qacidas  arabes  de  Saadi  sont  très 
remarquables,  Mais  les  orientalistes  les  regardent  comme 
de  fort  médiocres  productions.  Ses  qacidas  persanes  sont, 
en  revanche,  supérieures.  >-  Quant  à  Rûckert,  l'orientaliste- 
poète,  plein  d'assurance  et  de  passion,  il  n'hésite  pas  à  se 
prononcer  n  priori  (3)  :  «  Les  qacidas  arabes  et  les  mulam- 
maât  sont  sans  valeur  et  surtout  le  texte  s'en  trouve  mal 
établi.  On  peut  dire  sans  exagération  qu'elles  contiennent  à 
peine  une  ligne,  à  peine  un  mot  exacts.  Il  faut  toutefois  faire 
une  réserve  sous  ce  rapport.  J'ai  eu  à  rétablir  ce  que  je  pou- 
vais. Le  reste  blesse  la  grammaire  et  la  métrique,    mais  le 

(1)  «  Les  poètes  ne  composent  leurs  panégyriques  que  lorsque  l'empire 
jouit  d'une  grande  prospérité  et  lorsqu'ils  sont  assurés  de  recevoir  de 
larges  gratifications.  »  Mohammed  Ibn  Ali  Havendy  (cité  par  Gh.  Schefer, 
in  Nouv.  Mél.  or.  Bib.  Ec,  LL.  00,  1886,  p.  7)  ;  sur  Saadi,  panégyriste, 
cf.  Grandriss,  II,  159. 

(2)  Literary  History,  II,  533. 

i'3)  Cité  Rûckert,  Saadis  Politische  Gedichie,  p.  148. 


IIS    tKlJVUKM    KT    I.  KOniON     l)K    t:Al.t:iJllV  III 

poMe  liii-mr'mo  n'a  ni  mieux  su  ni  mieux  voulu.  >.  On  ne 
(leniatide  sur  (|Uoi  Hiickerl  se  base  pour  aflirnuT  (|ue  «<  le 
poète  lui-ni6me  n'a  ni  miuux»u  ni  mieux  voulu  »,  alors  qu'il 
vient  précisément  do  déclarer  que  le  texte  de  son  «ruvrc  no 
nous  est  j)our  ainsi  dire  pas  parvenu.  L'éditeur  du  travail  de 
Hiickerl.  .\I.  liayer,  rétablit,  il  est  vrai,  l'équilibre,  en  dé- 
clarant dans  le  même  ouvrage  (1)  :  «  Siadi  prolita  de  son 
séjour  à  Bagdad  p(»ur  faire  sienne  la  langue  arabe  (juii  j)ar- 
lait  comme  sa  lant^ue  maternelle  et  pouvait  consacrer  à  s'ex- 
primer dans  dos  poésies  parfaites  de  forme.  »  Opinion  ci  peu 
près  conforme  à  celle  d  Ibii  Ijaloulab  (2;  (jui  aftirme  de  con- 
liance  :  «  Saadi  a  souvent  déployé  beaucoup  de  talent  dans 
ses  compositions  en  arabe.  »  V.n  fait  les  poésies  arabes  de 
Saadi  no  méritent  ni  cet  excès  d  honneur,  ni  cette indi<;nité  ; 
il  est  certain  qu'il  maniaitaisément  cette  langue,  témoin  (si 
l'on  veut  à  toute  force  sacrifier  les  qacidas  arabes)  les  vers  ara- 
bes qui  parsèment  le  GulUtan  ;  il  est  par  contre  aussi  certain 
(ju'il  n'écrivait  en  cette  langue  qu'assez  artificiellement,  de 
même  que  l'on  écrit  en  latin  depuis  les  temps  modernes.  Au 
reste, à  partir  du  douzième  siècle  de  notre  ère, la  langue  arabe 
avait  cessé  d'être  généralement  comprise  en  Perse  et  en 
Transoxiane  ;  fait  allégué  par  plusieurs  auteurs,  notam- 
ment par  Fadlil  Allah  d'Isfizar  dans  sa  traduction  des  vei*8  do 
Kaiila  et  himna  (3|. 

Saadi  n'était  pas  seul  dans  le  Fars  à  composer  des  vers  ara- 
bes :  Amid  ed  Din  .\bou  Na^r  es  Saad  Abri/i  i  iK  vizir  du 
prince  de  Chiraz.  Saad.  père  du  protecteur  de  Saadi,  lui  avait 
sans  doute  donné  l'exemple  en  composant  îN  la  fois  des  poésies 
arabes  et  persanes.  1)  autres  persévéraient  en  cette  voie, 
même  sous  la  domination  mongole  (5).  .\prè^  tout,  un  poète 

(i)  (>/>.  cU.,  p.  3. 

(2)  Voyngei,  If,  87. 

(3)  Gh.  Scliefer,  Fiibleaii  dti  règne  du  Sullan  .Siiidjar,  in  V<j'ii'.   Mèi.  or. 
Bib.  Bc.  Ll..  00,  «8Xfi,  p.  J3. 

(4)  Cf.  Hamnier,  nkliai\t,{\,  230 

(5)  Cf.  la  trad.  par  K -G.   [Irowiir    ii  .  n  ip    u-   NlMl>.,^»,l      i  .ifikii.  livi- . 
deb)  sur  let  poètes:  n»  30  (Rail  ed  Diii  MikrAni)  et  n*  8-2^Six«m  ed  I^in). 


lia  PREMIERE    PARTIE.     CHAPITRE    H 

persan  qui  composait  des  vers  arabes  ne  faisait  en  quel(jue 
sorte  que  revenir  au  passé,  puis({ue,  depuis  la  conquête  de 
la  Perse  par  les  Arabes,  les  Persans  avaient  adopté  la  langue 
des  vainqueurs,  en  attendant  que  le  poète  Roudagui  réveil- 
lât le  génie  du  vieil  Iran  qui  sommeillait  depuis  trois  siè- 
cles (1). 

.  Saadi  ne  se  contenta  pas  de  composer  des  poésies  arabes. 
De  même  que  plusieurs  de  ses  contemporains,  il  réalisa  le 
lourde  force  poétique  qui  consiste  à  faire  alterner  les  vers 
arabes  et  les  vers  persans  :  les  poèmes  de  cette  espèce  forment 
son  recueil  de  Moulammaàl.  Moulammaàt,  cela  signifie  : 
recueil  de  poèmes  dits;  moulamma'-i-mahjoùb  (2),  ghazals 
dans  lesquels  se  suivent  régulièrement  distiques  arabes  et  dis- 
tiques persans. Parfois, le  premier  vers  du  poème  est  mi-arabe 
mi-persan  (ou  vice  versa).  Ce  qu'on  appelle  en  métrique 
persane  :  moulamma'-i-makchoûf. C'est  notamment  le  cas  de 
plusieurs  des  Moulammaàt  de  Saadi.  Ainsi  dans  le  deuxième 
poème  du  recueil  (éd.  Calcutta,  p.  250  v°),  le  premier  vers 
est  mi-arabe,  mi-persan,  le  deuxième,  mi-persan,  mi-arabe, 
et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la  fin  delà  pièce,  de  sorte  qu'un  mot 
persan  y  rime  régulièrement  avec  un  mot  arabe.  Saadi,jouant 
la  difficulté,  ne  se  contentait  pas,  au  demeurant,  de  rimer 
en  deux  langues  ;  la  dernière  pièce  du  même  recueil  est  tri- 
lingue, c'est-à-dire  composée  d'une  succession  de  trois  disti- 
ques, le  premier  arabe,  le  deuxième  persan,  le  troisième 
turc.  Après  le  18^  distique  arabe,  quatre  vers  persans  ter- 
minent le  poème.  Certains  manuscrits  afin  de  spécifier  son 
caractère  trilingue, l'intitulent:  moutsallats  (terme impropre, 
car  ce  participe  arabe  signifie  :  poème  en  strophes  à  trois 
hémistiches  dont  les  deux  premiers  riment  ensemble). 

Saadi  ne  s'arrêta  pas  là,  si  l'on  admet  comme  authentique 
certaine  pièce  de  son  dîwàn,  qui,  à  ce   titre,  n'est  du  reste 

(1)  îbid.,  n"  32  :  «  Roudagui  lut  le  pionaier  des  poètes  persans,  qui, 
avant  lui,  s'exprimaient  exclusivement  en  arabe  r>  (Roudagui  vivait  au 
temps  du  prince  Samanide   Amii-  Naçr,  913-942/301-331). 

(2)  Cf.  Riickert,  Grammatik,  Poelik  iind  Rhelorik  der  Perser,  p.  184. 


LB8    («;UVIU:S    l-.I     l    l'itllIoN     DK    CALCUTTA  Il3 

pas  imi«|iu'  dans  la  lillcraliire  porsanc  (1)  :  à  la  pa^o  UVS  i" 
de  l'cdilion  di'  (ialciiUa  su  Iroiivo  un  pot-nie  ayant  pour  sujet 
le  caprice  de  la  bien-aimée.  L'orienlalisle  l'iaciier  (jui  rludia 
ce  poème  (2)  réussit  à  rlablir  ridcMlilc-  des  dillerenls  disti- 
ques :  les  on/0  premiers  sont  persans,  mais  les  suivants 
appartiennent  successivement  au  turc  oriental,  à  une  laui^'uo 
mongole  (mogullclieh  i  ([ui  est  en  réalité  du  turc,  à  l'arabe 
(tàzî),  auk  urde,  au  dialecte  d'Idj  (Fars),  à  celui  de  Caze- 
roun(3),  au  turc  d'Asie  mineure,  au  louie.  aux  dialectes  de 
Kachan,  du  Kirman,  d  Isj)aban,  de  Ca/win,  du  Khorassan, 
à  riundi,  au  dialecte  de  C^hira/.  et  au  /.en;;ui.  Donc,  en  met- 
tant de  côté  le  persan  littéraire,  \i\  dialectes  se  trouvent 
réunis  en  cpielques  vers.  Il  eu  fallait  beaucoup  moins  pour 
attribuer  à  Saadi  une  réputation  de  poète  polyglotte  et,  en 
!St3,  (iarcin  de  Tassy,  dans  le  Jnurn.il  ;isi.iti(juc  (i),  pro- 
clama Saadi  le  père  delà  poésie  hindouslanie  ;  sa  théorie  fut 
réfutée  en  1852  par  Sprenger  (5).  Garcin  de  Tassy  avait  tout 
d'abord,  dans  son  Histoire  de  la  littérnture  liindousl.mie 
(I,  434),  adopté  l'opinion  du  biographe  Fath  Ali  Ilouvaïni 
Gourdazi,  attribuant  à  un  certain  Saadi,  né  dans  le  Décan, 
les  vers  hindoustanis  (|u'une  tradition  conservée  dans  l'Inde 
mettait  sous  le  nom  du  Saadi  de  Chiraz  ;  puis,  se  basant  sur 
un  biographe  postérieur  à  Gourdazi,  il  publia  son  article  de 
1843.  Sprenger,  dans  le  sien,  maintint  l'attribution  à  Saadi 
du  Décan,  allégiuuil  que  l'attribution  à  Saadi  de  Chira/  était 
due  à  QiyAm  ed  Din  Qaïm;  dont  le  recueil  biographique, 
rédigé  en  17oi,  était  par  conséquent  fort  tardif,  et  que  l'opi- 
nion de  Gourdazi,  plus  ancien,  lui  semblait  indiscutable. 
Actuellement,  en  dépit  d'une  réponse  de  (iarcin  de  Tassy  (<)) 

(i)  Cf.  Cl.    Huart.    Le  Ghazcl  heptagloUe  d'.\.bou-Uhaq  Ilaliftdj.  J.  A. 
1914,  IV.  p.  629. 
(1)  Z.  D.  M.  G.,  XXX.  89. 

(3)  I).ins  le  quatrain  S3,  Saadi  parie  d'un  jeune  Clura/.ion  tils  de  bédouin 
et  qui  parle  les  dialecte»  de  Cazeroun  et  du  Louristan. 

(4)  J.  A.  1843,  l'*  part.  p.  5  et  «uiv.  ;  2*  pari.  p.  301  et  suiv  . 

(5)  J.  A.  S.  of  iJengal,  XXI.  p.  513. 

{f>)  J.A.,  1853,  11,369  :«  Caïm  el  KamAl  adiuelleul  Saadi  de  Scbiraz  parmi 

M.  -  8 


11^  PHËUIËUl!)    PAHTIE.    CHAPITRE    II 

la  i|iK'sli()ii  paraît  délinilivement  réglée  :  les  poésies  hin- 
douslanies  atlribiiées  à  Saadi  de  Gliiraz  appaiiiennenl  à  son 
homonyme  du  Décan,  et  Barbier  de  Meynard,  clair  et  précis 
comme  d'habitude,  a  réglé  le  débat  en  quelques  lignes  (1). 

Quant  au  poème  polyglotte,  composé  sans  doute  par  Saadi 
et  dont  il  vient  d'être  question,  il  ne  suppose  pas  la  connais- 
sance indispensable  de  tous  les  dialectes  qu'il  réunit  :  pour 
ceux  de  la  Perse,  le  va-et-vient  continuel  des  caravanes  met- 
tait le  poète  à  même  de  rencontrer  des  voyageurs  {ne  fût-ce 
que  les  chameliers)  des  diverses  villes  de  l'Iran,  capables 
de  le  documenter  sur  leur  vocabulaire  :  il  s'agissait  en  effet 
de  quelques  mots  de  chaque  dialecte,  puisque  ce  poème 
représente  une  sorte  de  gageure,  sans  autre  exemple  dans 
l'œuvre  de  Saadi.  Quant  aux  distiques  en  dialectes  turc  et 
hindi,  il  les  avait  peut-être  composés  lors  même  de  son  pas- 
sage en  Asie  mineure  ou  en  Hindoustan.  De  ce  qu'un  élève 
de  rhétorique  bâtit  par  hasard  quelques  vers  latins,  il  ne 
s'ensuit  pas  qu'il  soit  latiniste,  et  c'est  probablement  à  cette 
mesure  qu'il  convient  de  ramener  l'habileté  de  Saadi  en  ce 
domaine  (2). 

Ces  amusements  assez  vains  ne  sont  au  reste  qu'acciden- 
tels dans  l'œuvre  du  poète  :  y  insister  lui  ferait  peu  d'hon- 
neur et  constituerait  une  sorte  d'injustice  envers  ses  autres 
recueils. 

Pour  en  revenir  aux  qacidas  persanes  (3),  elles  sont,  les 
unes  purement  lyriques,  les  autres  à  tendances  morales,  d'au- 
tres enfin,  simples  panégyriques.  L'élément  lyrique  y  cède 

les  poètes  indiens...  Gurdézî,  Mîr  Taquî  et  Schorisch  pensent  au  contraire 
que  le  Saadi  qui  a  écrit  en  hindoustani  est  différent  du  premier.  Je  ne 
parle  pas  des  autres  biographes  qui  se  taisent  sur  ce  point.  »  El  cf.  Histoire 
de  la  UUéralare  hindoastanie  (2*  éd.),  III,  2-4. 

(1)  Boustan,  introd.,  p.  16.  Cf.  sur  la  question  E.-G.  Browne,  Literary  His- 
tory,  II,  533. 

(2;  Au  demeurant,  Saadi  n'eut  pas  été  seul  à  composer  des  vers  en  lan- 
gues étranp^ères.  Sans  remonter  jusqu'à  Ménage  et  au  Cardinal  de  Poli- 
gnac,  il  suffira  de  nommer  André  Gbéaier  et  Swinburne. 

(3)  Cf.  Graf,  Z.  DM.  G.  (1855). 


LES  GEUVnSS    BT    L  KUlTIOM    DR    CALCUTTA  IIJ 

l'ii  gL^néral  le  pas  au  didacliquo  ci  Saadi  écrit  k  bon  droit  (6« 
(jacida)  :  «  Le  caractoro  propre  de  Saadi  est  de  prodiguer  les 
bons  conseils  ;  il  a  (en  lui)  un  parluni  de  musc  (ju'il  ne  peut 
cnij)êcber  de  se  répandre.  »  A  vrai  dire,  celle  poésie  morali- 
satrice prête  peu  à  la  variété  :  les  mOmes  pensées  morales 
reviennent  assez  souvent  sous  une  forme  quelque  peu  mono- 
lone.  Aussi  la  valeur  de  ces  poèmes  esl-clle  1res  variable.  Si 
l'on  trouve  en  »juei<|ues-uns  le  vrai  souille  de  l'inspiralion 
soutenu  par  un  style  presque  parfait,  d'autres,  par  contre, 
paraissent  prolixes  et  dill'us  ;  les  sentences  morales  s'y  gref- 
fent plus  ou  moins  péniblement,  alourdissant  la  pensée  géné- 
ratrice du  poème.  II  est  vrai  (juedans  les  panéi^yricjues,  cela 
même  dénoie  en  revanche  quel(|ue  indépendance  de  pensée  : 
alors  que  les  poètes. orientaux  entassent  en  ce  genre  les  éloges 
les  plus  outrés,  Saadi  joint  régulièrement  à  ses  llatteries,  une 
série  de  conseils  ;  il  n'oublie  pas,  au  demeurant,  de  prêcher 
la  générosité,  et  va  même  parfois  jusque  prendre  les  allures 
tl'un  véritable  quémandeur. 

Il  est  possible  de  dater  approximativement  certainesdesqa- 
cidas  persanes.  Les  n"  20  et  38  pleurent  une  jeunesse  folle- 
mentgaspilléeetfurentdonc composés,  soit <Ma  (indes voyages 
do  Saadi,  soit  après  son  retour  à  (^hiraz,  retour  célébré  d'au- 
Ire  part  dans  la  qacida  n**  Il  où  le  poète  chante  l'agrément 
de  son  pays  natal  et  la  fuite  du  temps  inexorable.  En  outre, 
celles  (ju'il  dédie  à  de  grands  personnages  (en  laissant  de  côté 
les  anonymes)  nomment  Abaqa-Khan,  les  deux  frères  Jou- 
waïni  (il  adresse  à  chacun  d  eux  quatre  qacidas),  le  prince 
Saijoukchah,  le  Gouverneur  Ankianou,  Chams  ed  Din  Hou- 
vaïn  in"  13),  Majd  ed  Din  (n"  1  H).  Une  grande  partie  du  recueil 
est  donc  postérieure  à  la  composition  du  lioiistnii  cl  du  (iulis- 
fan  :  lyrisme  de  vieillard,  suppléant  souvent  à  l'inspiration 
par  une  arlillcielle  rhétoricjue. 

Assez  artificiels  eux  aussi  paraissent  les  poèmes  formant 
le  reçut-il  des  marùthi  ou  ihrènes  :  Saadi  déplore  en  termes 
pompeux  le  Irépas  des  princes  de  Chira/,  Abou  Hakr,  Saad 
II,  et  consacre  à  chacun  d'eux  plusieurs  pièces  ;  il  y  donne 


Il6  PREMIÈUE    PARTIE.     CHAPITRE    II 

d'autre  pari,  en  célébrant  la  mort  du  dernier  calife  de  Bag- 
dad, un  pendant  à  sa  première  qacida  arabe  sur  la  chute 
de  la  capitale  abbasside.  Poésie  officielle  assez  froide  :  le 
poète  s'essouffle,  accumulant  des  images  cherchées,  et  court 
vainement  après  le  naturel. 

On  en  peut  dire  autant  du  recueil  suivant,  les  tarjiyât,\.iive 
qui  se  traduirait,très  imparfaitement  du  reste, par  «  refrains  » 
ou  «rondeaux  ».  Ces  poèmes  sont  monorimes  et  cela  seul 
laisse  entendre  quelle  mince  part  ils  réservent  à  l'inspiration 
proprement  dite  :  ils  sont  conçus  dans  la  note  sombre  et 
élégiaque,  et,  quant  à  la  forme,  dans  le  mètre  poétique,  dit  : 
tarji  band  (1).  Ce  ne  sont  plus  des  qacidas,  mais  des  ghazals, 
ghazals  assez  pénibles  parce  qu'assujettis  à  la  convention 
d'une  rime  tyrannique. 

Les  véritables  ghazals,  odes  où  le  poète  se  laisse  aller  libre- 
ment à  son  inspiration,  forment  les  quatre  recueils  suivants 
de  l'édition  de  Calcutta,  recueils  qui  semblent  divisés  plutôt 
d'après  les  époques  de  la  vie  de  Saadi  que  d'après  leur  conte- 
nu (2). C'est  là, suivant  l'opinion  de  ses  compatriotes,  le  meil- 
leur de  sa  poésie  lyrique.  Jâmi,  biographe  de  Saadi, n'hésite 
pas  à  voir  en  lui  le  modèle  des  poètes  qui  composent  des 
ghazals.  Dawlatchah  (3)  cite  ce  quatrain  :  u  En  poésie,  trois 
personnages  sont  prophètes  et  peuvent  dire  chacun  :  Il  n'y  a 
personne  après  moi.  Pour  les  descriptions,  l'élégie  (qacida) 
et  l'ode  (ghazal)  :  Firdousi,  Anwariet  Saadi  »;  il  y  ajoute  ce 
commentaire  :  a  II  est  juste  de  reconnaître  qu'auprès  des 
élégies  d'Anwari  on  peut  placer  celles  de  Khakâni  ;  auprès 
des  odes  de  l'éminent  cheik  Saadi,  celles  d'AmirKhusraw  ». 

A  la  vérité,  ces  deux  biographes  négligent  un  autre  auteur 
d'odes  parfaites,  compatriote  de  Saadi  :  Hâfiz.  Hâfiz  dépas- 
sera Saadi  dans  l'expression  de  la  mélancolie  qui  paraît  déjà 
cependant    chez   ce  dernier,    au  milieu  d'odes    décrivant 

(1)  Riickert,  op.  cit.,  p.  77. 

(2)  E.-G.  Browne  {Literary  Hisfory,  II,  p.  535)  cite  intégralement  un 
ghazal  écrit  sans  doute  quand  Saadi  était  sur  le  point  de  quitter  Chiraz 
pour  Bagdad. 

(.3)  T»zkarat-es-chouara(éd.  Browne),  p.  bO. 


Lr.8    fKUVIlES    ET    LLDIIION    DR    CALCUTTA  II7 

arflcMiuiU'iil  le  hoiilieur  de  hi  vie  lerreslre  ;  loiil  à  coiip, 
de  la  descriplioii  la  |)liis  fraielie,  s'élèvenl  les  accents  de  la 
plus  soinhre  Irislesse  :  la  vie  est  si  courte,  tout  y  passe  si  vile. 
C'est  l'élernel  chant  do  regret  qui  sommeille  au  fond  de  tout 
homme,  presque  inconscient  en  général,  mais  soidlVant  tt 
sanglotant  au  fond  de  l'àmc  du  poile  : 

...  nie(/in  (le  fond-  h'jjnrinn 
Snr(/if  ;ini;iri  n/ufiiid  (^iiod  In  ipsis  florihiis  nitijnt . 

1)  aulre>i  gha/als  célèbrent  la  divinité,  la  naluie,  l'amitié, 
mais  le  sentiment  qui  les  domine  reste  l'amour,  avant  tout 
amour  de  la  vie,  puis  amoui-  di-  léhi-  liuniaiii.  Mais  (juci  élrc 
humain?  L'ode  persane  excelle  |)récisément  à  baigner  de 
pénombre  l'objet  de  son  ardeur:  la  femme  musulmane  vit 
en  général  trop  recluse  pour  faire  éclore  un  véritable  amour  ; 
et  des  êtres  jeunes,  plus  accessibles,  sont  nécessaires  à  lins- 
piration  des  poètes  orientaux  (pii  ne  sauraient  concevoir, 
sur  un  simple  regard,  l'éternelle  et  chaste  passion  de  Dante 
pour  Béatrice. 

Le  premier  recueil  de  g]»a/als, intitulé  :  7V/y/7>,î/ (<<  les  sua- 
ves »)  {\),  comprend  391)  poèmes  (éd.  Calcutta,  p.  26i-3()()). 
On  y  trouve  25  mètres  poéli«jues  dilférenls.  Les  Tayïbâl 
semblent  antérieures  aux  qacidas.  niais  il  paraît  peu  proba- 
ble que  le  recueil  ait  été  formé  avant  \2^\'l.  Peu  de  passages 
permettent  d'assigner  une  date  à  la  composition  de  ces  poè- 
mes :  un  panégyrique  de  l'atabek  Mouhammad  (éd.  Calcutta, 
p.  279),  (pie  le  j)oète  engage  à  écouter  ses  conseils  de  vieil- 
lard (pend  i-pîrâneh),  une  sorte  de  dédicace  ci  Saljoukchah 
commenvant  le  recueil,  après  les  inévitables  invocations  à 
Allah  et  au  Prophète,  sont  les  seules  (jui  rtiilerment  un  élé- 
ment hisloritpie. 

Le  deuxième  recueil,  inlilidé  :  h.id.if  («  merveilles  »  com- 
prend 192  pièces  (éd.  (Calcutta,  pp.  3r)7-il4).  l'n  poème  à  la 
louange  d  Allah  ouvre  le  recueil  dont  le  contenu   est  aualo- 

(1)  I,c  mol  se  IrouTe  employé  dans  une  pièce  (éd.  CalcuUa,  281  v,  m 
fine)  :  •<  I.e  pois. mi  Tcn.ml  de  loi  esl  un  nectar  ;  les  Tiienies  (ralicii)  sorlanl 
de  la  bouche  devienoenl  suaves  (layibAl).   » 


Il8  PREMIERE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

gne  au  précédent.  Saadi  semble  avoir  particulièrement 
estimé  cette  partie  de  son  œuvre,  car  il  s'y  écrie  :  «  Ecoute 
simplement  ma  parole  exquise,  toi  qui  voyages  bien  loin 
pour  rapporter  les  trésor  des  mers  et  des  mines.  Si  lu  n'as 
pas  dans  tes  bagages  les  «  merveilles  »  de  Saadi,  quel  cadeau 
apporteras-lu  aux  penseurs?»  (Calcutta  404  v**,  début). 
Quant  à  la  date  du  recueil,  il  s'y  déclare  assez  souvent  vieil- 
lard [pir]  (1)  ;  il  semble  revenu  à  Chiraz  (p.  406  v°).  Enfin, 
deux  poèmes  (p.  373  et  383)  dédiés  au  prince  Saad,  mort  en 
regagnant  Chiraz,  quelques  jours  après  son  père  Abou 
Bakr  (2),  sans  avoir  le  temps  de  régner,  furent  sans  doute 
composés  à  la  même  époque  que  le  Gulisian  et  le  Boustan. 
La  longueur  des  poèmes  est  variable  :  de  5  à  23  distiques. 
Le  troisième  recueil,  les  Khawàtim  (  «  les  bagues  »  )  (3), 
comprend  63  pièces  (éd.  Calcutta,  pp.  415-429),  allant  de 
5  à  19  distiques,  et  représente  ce  que  Saadi  a  réalisé  de  plus 
achevé  dans  le  mode  lyrique.  Le  contenu  y  vaut  la  forme  et 
l'on  sent  le  poète  parvenu  au  comble  de  son  art.  Il  chante 
son  amour,  mais  avec  l'équivoque  ordinaire  à  la  lyrique  per- 
sane :  le  poète  s'adressant  à  la  divinité  exprime  sa  passion 
d'une  manière  si  tendre,  pour  ne  pas  dire  si  sensuelle,  que, 
dans  l'esprit  du  lecteur,  un  doute  troublant  ne  cesse  de  flot- 
ter :  quel  est  cet  Ami,  dont  le  désir  éperdu  fait  gémir  le  poète, 
dont  la  vue  lui  est  continuellement  refusée,  dont  la  splendeur 
augmente  encore  par  suite  de  l'indignité  et  du  néant  de  son 
adorateur  ?  cet  être  mystérieux  qu'on  aime  de  toute  la  force 
de  son  corps  et  de  son  cœur,  auquel  on  se  dévoue  sans  re- 
tour en  dépit  de  tous  ses  dédains,  en  lequel  on  s'efforce  sans 
cesse  de  se  confondre  et  de  s'anéantir?  Panthéisme, dira-t-on. 
Et  ce  panlhéisme,  particulier  au  génie  mystique  de  l'Iran, 
applique  à  l'objet  de  son  culte  les  images  de  tous  les  aspects 

(1)  Notamment  p.  388  v*.  La  pièce  p.  391  v*  contient,  elle  aussi,  des 
signes  de  vieillesse  :  «  Toute  la  fortune  de  Saadi,  c'était  sa  douce  élo- 
quence ;  elle  l'a  abandonné  et  je  ne  sais  ce  qui  lui  restera.  » 

(2)  Abou    Bakr  y  est  nommé  Abou  Naçr  ;  sans  doute  erreur  de  copiste. 

(3)  Cf.  Graf,  Z.  D.  M.  G.,  XV,  554. 


LR8     <KIIVRB8    F.T    l'^[)ITION    DF.    CJALCITTA  I  H» 

(lu  inonde  oxlérionr,  de  1  lioiinne  ooinnio  de  Ih  nature,  com- 
paranl  la  laille  de  l'Ami  au  cvprèd  élancé  et  «a  lace  à  la  lune 
bnilanle,  décrivant  ainoureusenionl  sa  l)oucle  de  cheveux 
parfumée  el  la  llèche  de  son  re^^ard  décochée  par  l'arc  do  sou 
sourcil.  A  Iravers  ces  images  physiques,  sur  les(|uelles  le 
poêle  poursuit  l'ombre  d'une  immatérielle  divinité^  on  ne 
peut  quhésilermalgré  soi  :  Ami  terrestre,  Ami  céleste,  lequel 
des  deux  ?  ou  seulement,  dans  cet  hymne  mystique  à  la 
beauté,  se  trouvent-ils  inextricablement  confondus? 

Le  recueil  des  Khawàtim  est  dédié  au  prince  de  Chiraz 
Abou  Bakr,  nommé  (comme  dans  lesTayïbàl)  Abou  Naçr 
au  cours  de  la  pièce  linale.  pièce  oii  1  on  trouve  des  vers  ana- 
logues à  ceux  de  l'introduction  du  (riilistan  célébrant  le 
retour  à  Chiraz  (1).  Aucune  indication  chronologicjue,  sinon 
celle-ci,  très  vague  :  une  pièce  i^oii  le  poète  parle  de  son  vieil 
esprit  tourmenté  par  un  nouvel  amour.  Kn  tout  cas,  du  fait 
qu'il  est  dédié  à  Abou  Bakr,  le  recueil  est,  dans  son  ensemble, 
antérieur  aux  deux  précédents;  le  poète  se  trouve  alors  en 
pleine  célébrité,  témoin  ce  passage  :  «  La  magie  de  ma  |)a- 
role  s'est  répandue  dans  le  monde  entier.  Mais  par  celle  de 
ton  regard  je  suis  resté  enchanté  sans  pouvoir  réagir  •>  (3). 
Va  plus  loin  :  n  Tu  aô  entendu  dire  que  les  paroles  de  Saadi 
se  répandent  de  dura/,  par  le  monde  comme  le  musc  de 
Khoten  (I)  ». 

Le  quatrième  recueil  des  ghazals,  intitulé  :  GhrizRh'yât-i- 
(j.idim  (ghazals  anciens)  (5),  est  moins  important  au  point  de 
vue  de  son  contenu.  Mais  comme  il  s'agit  de  gha/als  anciens, 
c'est-à-dire  «  à  la  manière  des  anciens  maîtres  »,  une  étude 
de  ces  poèmes,  avec  comparaison  à  leurs  modèles,  serait 
précieuse  :  étude  (jui  suppose  au  préalable  une  édition  crili- 
(jue  du  texte  de  Saadi,  trop  incertain  encore  dans  1  édition 
de  (Calcutta.  Le  recueil  semble  une  (inivre  de  jeunesse. 

(1)  Hacher.  Hadi-Sludien,  p.  91. 
(2;  EH,  Calcultn.  p.  427-v. 
(.1)  Ed.  Culcutta,  p.  i20-V. 
(*)  Ed.  Cnlculla,  p.  427-v». 
ir.)  Cf.  /..  I).  M.  G..  XX.X.  p.  01. 


120  PREMIERE    PARTIE.    —    CHAPITRE   II 

Outre  les  qacidas  et  les  ghazals,  les  œuvres  proprement 
lyriques  de  Saadi  se  composent  de  trois  courts  recueils  :  des 
quatrains  (roubâ'viàt),  des  fragments  (mouqatta'ât)  et  des 
vers  isolés  (moufradàt). 

Le  recueil  des  quatrains  (1)  est,  somme  toute,  factice, 
car  on  en  rencontre  d'autres,  épars  dans  le  diwàn  de  Saadi, 
par  exemple  dans  le  Çahih-Nâme h  doniii  sera  question  plus 
loin  (2).  Outre  la  commodité  du  quatrain  pour  exprimer 
une  courte  pensée,  Saadi  voulut  peut-être  rivaliser  avec  les 
grands  poètes,  Khayyâm,  Abou  Saïd,  qui  l'avaient  précédé 
dans  ce  genre  et  lui  restent  au  demeurant  supérieurs. 

Quant  aux  vers  isolés  et  aux  fragments,  ils  forment  une 
série  d'observations  basées  sur  l'expérience  que  le  poète  a 
tirée  de  l'existence  ;  certains  confinent  à  l'épigramme,  mais 
la  note  dominante  est  celle  de  l'aphorisme  poétique.  On  est 
ainsi  ramené  insensiblement  à  la  tendance  morale  qui  cons- 
titue le  fond  du  génie  de  Saadi  et  qui  trouve  son  expression 
la  plus  ample  dans  ces  trois  recueils  :  le  Çâhib-Nâmeh,  le 
Gulisfan,  le  Boustan. 

Le  Çàhih-Nàmeh  on  «  çâhibiyah  »  (éd.  Calcutta,  pp.  438- 
451)  a  fait  l'objet  d'une  édition  critique  de  W.  Bâcher  :  dans 
sa  préface,  celui-ci  déclare  assez  justement  que  son  travail 
joue,  en  quelque  sorte,  le  rôle  d'édition  princeps  en  compa- 
raison de  celles  qui  l'ont  précédée.  Il  suffit  en  effet  de  com- 
parer le  texte  de  l'édition  de  Calcutta  à  celui  de  Bâcher  pour 
constater  quelles  divergences  les  séparent,  En  outre,  les 
différents  manuscrits,  mélangeant  plus  ou  moins  le  Çâhih- 
Nàmeh  et  les  niouqattaàt^  créent  ainsi  un  autre  élément  de 
confusion.  Bâcher  a  prétendu  démontrer  d'autre  part  que 
le  o'  opuscule  en  prose  (éd.  Calcutta  pp.  19-23)  servait  en 
réalité  d'introduction  au  Çàhih-Nàmeh  (3).  Cette  affirma- 

(1)  Graf.  Z.  D.  M.  G.,  XVIII,  p.  570. 

(2)  Cf.   entre  autres  un  quatrain  isolé,  éd.  Calcutta,  p.  47.3-vo. 

(3)  11  déclare  se  baser  sur  un  manuscrit  de  Gotha,  où  se  trouve,  à  la  fin 
de  la  3'  risala,  cette  phrase  qui  précède  la  partie  versifiée  du  Çdhib-Nameh  : 
<  La  prose  de  cet  écrit  est  finie  ;  je  commence  les  vers.  » 


LPS    (i:UVBF8    ET    lVdITION    DE    CALriTTA  131 

tion  a  t'U'  coriiballuc  par  le  1)'  l^ieii  (1  )  :  le  .■)•■  opusoulc  sciait 
au  conliaiic  inclrpeiulanl  et,  s'il  fanl  une  inlrotluclion  au 
Çàhib-Si'tmch,  ce  sérail  plus  logiijueniciil  le  W  opuscule 
rapporta  11  I  un  en  l  relien  eulre  Chams  ed  l)in  JouNNaïni  et 
Saadi.  Le  recueil  est  en  elFet  (h'-dié  au  Çi\lul)-l)îwân,  d'où  ses 
deux  titres  employés  l'un  ou  l'aulre  suivant  les  manuscrits. 
\'oici  celte  di'dicace  assez  pompeuse  (('d.  (Calcutta, p.  it3  v")  : 
<«  Ce  livre  des  enseignements,  en  poésie  et  en  prose  élé- 
gantes, livre  qui  convient  à  la  cour  des  rois  et  des  princes,  je 
l'ai  envoyé  au  sei<,Mi('ur,  Maître  «l'un  horoscope  heureux, 
afin  «pi'il  l'accepte  avec  le  re<,'ard  du  contentement.  »  Saadi 
tenait  sans  doute  très  particulièrement  à  satisfaire  Chams 
ed  Din,  dans  l'espoir  d'une  fastueuse  rémunération,  car 
l'ouvrage  renferme  plusieuis  allusions  à  la  générosité  des 
grands  «  aussi  étendue  que  l'océan  ».  Par  exemple  :  «  Faites 
parvenir  à  l'entendement  du  prince,  lorsque  l'occasion  est 
propice,  ceci  :  ()  toi  dont  la  main  est  la  clef  (jui  ouvre  les 
trésors  des  largesses,  de  par  la  grâce  qui  l'est  naturelle,  dans 
le  verger  des  réalités,  aucune  floraison  ne  s'est  flétrie  il  est 
vrai,  mais  aussi  aucun  parfum  ne  s'est  exhalé.  Sans  doute  la 
générosité  est  la  manière  hahituelle  des  nobles  ;  on  m'a  dit 
que  tu  en  as  ainsi  usé  envers  moi,  mais  je  n'ai  rien  reçu  >• 
(éd.  Calcutta,  ii^-v").  Au  reste  l'effort  du  poète  ne  semble 
pas  avoir  été  vain,  car  il  dit  plus  loin  :  -<  Seigneur,  tu  m'as 
envoyé  l'honneur  et  l'argent.  Que  ta  fortune  s'accroisse, 
que  ton  ennemi  succombe,  que  chacun  de  les  dinars  devienne 
une  année  de  la  vie,  de  sorte  que  tu  vives  encore  3o()  ans  » 
(Il  avait  donc  re(.u  'XM)  dinars).  Chams  ed  Din  avait  invi- 
té le  poète  à  se  rendre  auprès  de  lui  :  Saadi  s'excuse  en  allé- 
guant son  désir  de  terminer  sa  vie  dans  la  retraile  :  «  Le 
maître  du  diwan  suprême  dit  :  Pounjnoi  ne  viens-tu  pas 
à  la  Cour?  Mais  avec  les  besoins  qui  me  sont  propres,  ce 
sérail  déraison  de  me  montrer.  »  Plus  loin.  Snndi.  protes- 
tant contre  l'indulgence  que  lui  témoigne  le  ministre,  s'écrie  : 

(1)  Cal.  persian  mss.  firitish  ilnx. 


122  l'REAriERE    PAUTIB.     —    CHAPITRE    II 

«  Ce  n'est  pas  preuve  d'amitié  fraternelle  que  mes  faiblesses 
soient  à  tes  yeux  des  vertus.  Non!  si  j'agis  contre  le  bon 
droit,  tu  dois,  à  cause  de  l'amilié,  me  traiter  en  ennemi.  » 

Bâcher,  dans  son  introduction,  a  caractérisé  l'ouvrage  en 
ces  termes  :  «  C'est  une  manière  de  journal  poétique  où  il  ne 
faut  pas  s'attendre  à  une  unité  de  contenu  et  à  une  succes- 
sion systématique  des  poèmes  isolés  ;  donc  une  œuvre  litté- 
raire qu'on  peut  comparer  aux  «  Proverbes  en  vers  »  de 
Gœthe  et  qui,  en  vertu  de  la  variété  des  sujets  traités,  est 
tout  indiquée  comme  introduction  à  l'esprit  et  à  la  langue 
poétique  de  Saadi  et  à  la  poésie  persane  en  général.  » 

«  Introduction  à  la  poésie  persane  en  général  »,  c'est  légè- 
rement exagérer. «A  la  langue  poétique  de  Saadi  », peut-être, 
encore  qu'à  ces  aphorismes,  se  présentant  sans  suite  ni  déve- 
loppement logiques,  manque  ce  qui  fait  tout  le  charme  du 
Boustan  et  du  Gulistrin  :  des  idées  morales  sans  cesse  illus- 
trées par  des  apologues  (1).  La  langue  poétique  de  Saadi 
paraît  autrement  riche  dans  ses  deux  principaux  ouvrages, 
alors  que,  si  l'on  y  rencontre  assez  fréquemment  des  senten- 
ces bien  frappées  et,  plus  rarement,  de  courtes  historiettes, 
l'ensemble  du  Çàhih  Aàme/i,  composé  dans  un  style  précis 
mais  abstrait,  fatigue  à  la  longue.  On  pense  aux  quatrains 
moraux  de  Pibrac,  si  secs  et  impossibles  à  lire  d'un  trait  .* 
«  Une  morale  nue  apporte  de  l'ennui  ». 

v<  Introduction  à  l'esprit  de  Saadi  », enfin, semble  plus  juste. 
Le  Çàhih-Nâmeh  contient  en  effet  la  quintessence  des  idées 
de  Saadi  sur  l'existence.  Le  poète,  dans  cette  œuvre  posté- 
rieure au  Boustan  et  au  Gulistan,  resserre  sa  manière  et 
concentre  sa  pensée,  sans  concessions  aux  grâces.  Il  amasse, 
au  profit  de  son  protecteur,  la  somme  de  ses  expériences, 
et  jette  sur  la  vie  de  ce  monde  un  dernier  regard  de  douce 
indulgence,  f^a  mansuétude  pénètre  tous  ses  conseils  :  jus- 
tice envers  les  sujets,   prudence    envers  l'ennemi,   bonté 

(1)  On  renconlre  cependant  quelques  rares  historielles  en  vers,  qui  se- 
raient, à  vrai  dire,  plus  à  leur  place  dans  le  Boiislan  (éd.  Bâcher,  p.  117, 
125,  140). 


LR8    a=:UVBB8    FT    L  KDITION    I>i:    rvl.iiUTTA  I  ^  .i 

envern  80n  [irocliaiii,  ii'î^i^'nalioii  aux  rvéncinenls.  loul 
cela  s'i'xprinu' tour  à  lour  t'ii  niioltjiius  li^MJcs,  nous  forme 
d'obst-rvaliim.  de  penst'c,  tlo  sciiU-ncecm  (i'i''|jij^ramino,  mais 
presque  toujours  sans  lesecouinde  l'image.  Aussi  ce  recueil, 
si  condcnst'  qu'il  soil,  paraîl  inférieur  au  iioustnn  cl  au  (iu- 
lislun  (IduL  volonlaircmenl  ou  non,  il  reproduit  parfois  dcfl 
distiques. 

Le  Iioustnn,  terminé  en  12;)7,  constitue  le  «•  grand  (lmintc  » 
de  Saadi.  L'école  turque  des  commentateurs  crut  pouvoir 
déduire  de  certains  passa^'ea  du  livre  qu'il  avait  été  rédigé, 
non  en  IVrse,  mais  à  Damas.  L'un  deux  allègue,  entre  autres, 
ce  passage  ;  <«  Ces  vers,  j'en  conviens,  n'auront  pas  plus  de 
valeur  en  Perse  que  n'en  a  le  musc  en  Tarlario  ;  ma  réputa- 
tion, comme  le  bruit  du  tambour,  gagne  à  être  entendue  de 
loin  et  l'absence  jette  un  voile  sur  mes  imperfections  )h  p.  9). 

Mais,  d'abord,  rien  ne  permet  de  choisir  Damas  de  préfé- 
rence à  tout  autre  lieu  ;  ensuite,  le  passage  cité  semble  devoir 
être  au  contraire  ainsi  entendu  :  «  Nul  n'est  prophète  en  son 
pays  ;  si  mon  livre  parvenait  de  loin  à  ma  patrie,  il  aurait 
plus  de  succès.  •>  Le  texte  du  fioustan,  altéré  et  difficile, 
suscita  en  elTet  un  double  courant  de  commentaires  :  l'un 
venant  de  1  Inde,  et  utilisé  par  Graf  dans  son  édition  (Vienne. 
18o8i;  l'autre,  d'origine  turque,  plus  récemment  étudié,  et 
représenté  particulièrement  par  Chami'i,  Sourouri  et 
Soudi^l,.  Ce  dernier  composa  dans  la  seconde  moitié  du 
W'I*  siècle  une  édition  avec  commentaires,  où  il  utilisa  les 
travaux  de  ses  devanciers.  Quant  à  Sourouri  (2),  on  lui  doit 
non  seulement  un  commentaire  en  persan  du  Uoust.m,  mais 
encore  un  commentaire  en  arabe  du  (inlistuii,  plus  étendu 
et  leriîiiné  en  S'irM^  à  Amasie,  pairie  de  Strnbon  :  ce  dernier 

(l'i  Cf.  Marbier  do  MpynarH,  J.  A.,  1S80,  XV.  p.  304.  Le  mômo  oricnla- 
lislP  a  donn»*,  «lans  s<m  introduction  au  Hntistnn,  p.  31.  une  biographie 
dtUailIée  de  S<»udi.  Il  s'y  élève  contre  l'esprit  de  système  de»  commcnta- 
tetirs  turc»  qui  bâtissent  sur  quelques  racontars  populaires  une  biographie 
tout  imaginaire  de  Saadl.  Of.  en  outre  GrundrisH  der  Iran.  Philol.,  II,  595. 

(S)  Cf.  Brockelmann,  Arah.  ;.i».,  II,  438.  On  peut  prendre  une  id^e  de 
son  c«jranienl«irc  dans  Graf,  Rosenyarten . 


124  PREMIÈRE    PARTIE.    CHAPITRE    II 

travail  contient,  outre  des  explications  de  noms  propres  et 
de  proverbes,  quelques  vers  et  historiettes  «  en  marge  »  de 
Saadi. 

Le  mot  «  boùstàn  »  (persan  :  Aow, parfum,  et  suffixe  s/a/i  = 
lieu  des  parfums),  a  maintes  fois  setvi  de  titre,  soit  à  des  re- 
cueils littéraires,  soit  à  des  ouvrages  historiques,  tant  en 
arabe  qu'en  persan.  Il  suffit,  pour  s'en  convaincre,  de  parcou- 
rir la  longue  liste  donnée  par  le  Lexicon  d'Hadji  Khalfa  (1  ). 
L'ouvrage  de  Saadi,  connu  surtout  sous  ce  titre,  porte  par- 
fois, d'autre  part,  dans  certains  manuscrits  (2),  le  nom  de 
u  Saadi-Nâmeh  »,  c'est-à-dire  «  livre  de  Saadi  par  excel- 
lence )'.  Le  poète  lui-même  le  considérait  comme  tel,  ainsi 
qu'il  le  déclare  en  ces  lignes  d'une  modestie  presque  tou- 
chante (p.  9)  ;  «  Ce  livre,  précieux  écrin...  j'y  ai  prodigué 
les  bijoux  à  pleines  mains  et  pourtant  je  courbe  ma  tête  avec 
confusion Lecteur  intelligent  et  sage.. .  j'implore  timide- 
ment ton  indulgence...  N'aurais-tu  à  louer  qu'un  seul  de 
mes  vers  entre  mille,  sois  généreux  et  épargne-moi  ton 
blâme.  » 

Le  poème,  car  c'est  en  réalité,  sous  une  forme  anecdoti- 
que,  une  épopée  morale  (3),  commence  par  une  invocation 
à  Dieu  et  un  éloge  du  prophète  et  des  quatre  prem'iers  cali- 
fes (4).  Cette  invocation  à  Dieu  ressemble  à  celle  d'Attar  et 
de  Jalal  ed  Din,  mais  sans  cette  sorte  de  délire   panthéiste 

(1)  Hadji  Khalfa  (éd.  Flugel),  II,  p.  50-y3,  n<"  1809  à  1829  (le  n°  1828 
concerne  l'ouvrage  de  Saadi  et  les  commentaires  dont  il  fut  l'objet).  Un 
autre  ouvrage  est  cité  par  Ibn  Muyassar,  Annales  d'Egypte  (éd.  H.  Massé), 
p.  70,  1.  2.  Cf.  en  outre  Brockelmann,  Arah.  Lj7^,  index,  s.  v.  ;  Grundriss 
der  iran.  Philol.,  index,  s.  v. 

(2)  Par  exemple  le  ms.  de  Gotha,  utilisé  par  Bâcher  pour  son  édition  du 
Çahih-Nameh. 

(3)  Le  poème  compte  4104  vers  dans  Téd.  Graf  (Vienne,  1858). 

(4)  Blochmann,  Prosody  oj  the  Persians,  p.  93  :  «  Depuis  le  temps  de 
Nizâmi,  il  est  devenu  obligatoire  pour  les  poètes  de  commencer  les  Di- 
wans,  Mesnewis,  etc.,  par  la  louange  de  Dieu,  ensuite  la  louange  du 
Prophète,  la  prière  que  le  poète  fait  à  Dieu  pour  soi-même,  la  louange  du 
prince  régnant,  la  raison  de  la  composition  du  livre,  la  glorification  du 
don  de  la  parole  et  de  la  poésie.   » 


LRS   f>:t'V»Fa    RT    L  KDITIO    DE    CALCUTTA  I2& 

(jiii  lail  soii^'cT.  loixm'oii  lit  cfs  tri'S  grands  poilt's,  à  ce 
dont  parle  IMalon  dans  son  admirable  dialoi^iic  d'Iôn.  Pnif», 
avant  la  lonange  du  [)rince  régnant  (|iii  termine  la  préface  dn 
poème,  Saadi,  suivant  l'usage  établi,  expose  ce  qu'il  a  voulu 
réaliser  ip.  H]  :  «  J'ai  élevé  ce  monument  à  la  sagesse  et  l'ai 
disposé  en  dix  chapitres.  Le  sujet  du  |)remier  chapitre  est  la 
justice,  la  prudence  dans  la  délibération,  l'art  de  gouverner 
les  hommes,  la  crainte  de  Dieu.  Le  deuxième  traite  de  la 
bienfaisance  et  de  la  gratitude  que  les  faveurs  du  ciel  doivent 
inspirer  aux  riches.  Le  troisième ilécrit  l'ivresse  et  les  trans- 
ports de  l'amour,  mais  de  l'amour  mysticjue.  Le  ([uatrième 
est  consacré  à  la  modestie.  Le  cinquième  à  la  résignation.  Le 
sixième  dépeint  l'homme  qui  pratique  le  renoncement.  Le 
septième  traite  de  l'éducation.  Le  huitième,  des  actions  de 
grâce  (jue  l'homme  doit  à  Dieu  dans  la  prospérité.  Le  neu- 
vième, du  repentir  et  de  la  voie  du  salut.  Le  dixième  ren- 
ferme des  prières  et  la  conclusion  du  poème  »  (1).  Ce  plan, 
on  le  verra,  diffère  assez  peu  de  celui  du  (lulist/m  qu'il  pré- 
cède de  quehjues  mois.  Mais  dans  le  Ihnisf.in  circule  un 
courant  myslitjue  beaucoup  plus  intense,  courant  dissimulé, 
il  est  vrai,  sous  une  floraison,  presque  trop  luxuriante,  de 
métaphores  et  de  jeux  de  mois:  d'où  parfois,  prolixité  (2). 
Kn  revanche,  pour  l'orientaliste,  le  lioustun  prêle  plus  au 
commentaire  que  le  (iulist.in,  grâce  à  l'abondance  des 
anecdotes  historiques,  des  proverbes,  des  allusions  aux 
croyances  des  musulmans  et  des  métaphores  plus  ou  moins 
cherchées.  Le  JiousiHn  fut  au  reste  connu  en  Kurope  bien 
postérieurement  au  (îu/isf.m,  et  J.  MohI  le  regrettait  en  ces 
termes  (3i  :  a  C'est  un  ouvrage  qui  a  toujours  été  négligé  en 
Europe,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  car  c'est  un  recueil  d'anec- 
dotes avec  leur  application  morale,  tout  aussi  gracieusement 
pensé  et  raconté  et  qui  mérite  tout  autant  de  popularité  tjue 

(1)  Sur  la  cunclusion  du  poème,  cf.  S»cy,  Pend- Sameh,  p.  312-314,  notes. 

(2)  Il  f«ut   ajouter   qae.    sur   ce   poial,    Saadi   fut  dépassé  plus  t«r<l  fur 
Jami  et  Houssain  Waiz. 

(3)  J.    K.,  ISr.l,  .Wlll.  p.  IDtf. 


126  PREMIÈRE    PARTIR.     CHAPITRE    II 

le  (julisfnn.  »  En  fail,  il  fui  moins  populaire  parce  qu'il  res- 
ta, jusqu'au  milieu  du  dix-neuvième  siècle  (1),  dans  le 
même  cas  que  les  œuvres  d'autres  poètes  persans  qui  atten- 
dent, aujourd'hui  encore,  une  traduction.  Puis  son  caractère 
mystique,  son  style  en  général  plus  poétique  que  narratif, 
le  rendaient  moins  facile  à  lire  que  le  Gulistan. 

Celui-ci,  composé  un  an  plus  tard,  est  moins  important. 
C'est  en  quelque  sorte  le  Boust.in  dépouillé  de  son  appareil 
mystique  (si  l'on  met  de  côté  le  chapitre  II,  d'un  mysticisme 
au  demeurant  très  édulcoré).  Texte  moins  long,  plus  facile  à 
traduire,  parce  qu'une  prose  très  élégante  et,  par  comparai- 
son aux  autres  recueils  persans  du  même  genre,  extrême- 
ment simple,  y  prend  le  pas  sur  les  vers.  On  peut  dire  que, 
dans  le  Gulistan,  les  parties  purement  narratives  sont  écrites 
en  prose,  les  vers  réservés  particulièrement  à  l'exposé  des 
idées  morales  de  Saadi,  traduites  en  images. 

Le  mot  «  gulistan  »  {ffu/,  rose,  et  suïiixe stân  =  roseraie), 
employé  comme  titre  d'ouvrage,  a  joui  d'une  moindre  for- 
tune que  le  mot  «  boûstân  ».  On  usa  plutôt  en  ce  genre  de 
ses  synonymes  :  gulchen  et  gulzâr  ;  Hadji  Khalfa  (2)  consa- 
cre au  Gulistan  une  courte  mention,  énumérant  les  titres 
des  chapitres  où  l'on  rencontre,  dit-il,  «  des  proverbes  curieux 
et  des  traits  d'esprit  remarquables  ».  Il  y  ajoute  une  liste  de 
commentateurs  du  Gulistan  (3). 

L'ouvrage  fut  sans  doute  écrit  assez  rapidement  puisque 
Saadi  déclare  dans  sa  préface  l'avoir  commencé  au  début 
du  mois  d'avril  («  ardibéhicht  »,  mois  jalalien)  (4)  et  ter- 

(1)  Hors  une  traduction  d'Olearius,  si  rare  qu'on  peul  dire  qu'elle 
n'existe  pas. 

(2)  Lexicon  (éd.  Flûgel),  V,  p.  230-232,  n»  10832.  On  y  trouvera  des  ou- 
vrages intitulés  Galzâr  (ibid.,  n°»  10830  et  10831)  et  Gulchen  (n»»  10833- 
10840). 

(3)  Cf.  Bibliographie  (commentaires). 

(4)  Sur  l'ère  jalalienne,  établie  en  Perse  sous  le  Sultan  Seljoukide  Jalal 
ed  Din  Malik  chah,  grâce  aux  observations  de  plusieurs  astronomes  (parmi 
lesquels  le  poète  Omar  Khayyam),  cf.  Deguignes,  Histoire  générale  des 
Huns,  II,  215  (Gulistan,  trad.  Sémelet,  p.  61,  n.  127)  et  surtout  £nc)'ci. 
Islam,  s.  V.  Djalâlî. 


iiiiiH'  <«  alors  (m'il  existait  encore  tloH  roses  au  jardin  .  Les 
lieux  jueniiers  chapitres  auraient  été  réclij;és  en  quelques 
jours,  dans  un  style,  dil-il  i  p.  IG)  ««  (jui  sera  utile  aux  ora- 
teurs et  au^Muentera  réloquence  des  «ecrétaires  ».  Kt,  plus 
loin  /p.  21),  expli(|uanl  ce  qu'il  a  voulu  réaliser:  ■«  Nous 
avons  lait  entrer  dans  ce  livre,  d  une  manière  succincte,  des 
choses  curieuses,  îles  traditions,  des  historicités,  des  vers  et 
des  Iraits  de  la  vie  des  anciens  rois...  Notre  intention  a  été 
de  donner  de  bons  conseils  ",  Kn  somme  un  livre  de  délasse- 
ment (jui  néanmoins  instruise.  l'A  c'est  ce  (ju  il  laisse  enten- 
dre dans  celle  invitation  si  douce  (p.  iTi)  :  <«  A  (juoi  le  ser- 
virait une  corbeille  de  roses  ?  llmporte  plutôt  une  feuille  de 
mon  Giilisf.tn.  La  rose  vit  seulement  cinq  ou  six  jours,  mais 
ce  parterre  de  (iulislun)  sera  toujours  beau.  » 

Car  il  a  confiance  en  rimmorlalilé  de  son  (ruvre.  Il  a  beau 
s'écrier  *[).  10)  :  «  0  toi  dont  la  cinquantaine  est  passée  et 
qui  es  encore  dans  le  sommeil  1  »,  il  n'en  pense  pas  moins 
(p.  2l)  que  :  «  Ce  poème  et  son  arrangement  subsisteront 
des  années,  après  cjue  cha(j'ue  atome  de  notre  poussière  sera 
tombé  en  un  lieu  dillVrent.  Notre  but  est  de  tracer  une  j)oin- 
lure  qui  nous  survive » 

Instinct  toujours  vivant  au  cœur  de  l'homme,  de  persévé- 
rer dans  l'être,  et  plus  intense  encore  lorsqu'il  sent  que  son 
existence  se  hAle  vers  son  terme  (I  ).  Aussi,  combien  il  désire, 
avant  de  mourir,  non  seulement  tenter  de  survivre  par  ses 
ouvrages,  mais  encore  jeter  par  le  monde  quelques  parcelles 
du  trésor  de  son  expérience  !  Kn  outre,  il  lient,  en  termi- 
nant son  ouvrage,  A  le  caractériser  une  dernière  t'ois  [  p.  3 18  i  : 
«  Le  (iulisfnn...  n'a  pas  été  orné,  par  manière  d'emprunt, 
de  pièces  de  vers  des  poètes  anciens,  ainsi  que  c'est  la  cou- 
tume des  auteurs  (2 1.  La  majeure  partie  des  discours  de  Saadi 

(T  '«  personne  ne    lésire  !<»  non-ètre  ;  jamais  la  source  de  vie  ne  acsal- 
lère  assez,  n  {Çdhib-Sàmeh,  p.  117.) 

(2;  .Saadi  ne  s'est  pat  fait  scrupule  de  reproduire  dans  le  GuUttaii  dea 
viîrs  du  R'HUtan.  Ils  sont  indi'jués  pur  Defri^raerv,  (iulixlan,  index  (s.  t. 
Bouslan  .   D'autre   part,    B.-G.    Browne  {lAUrary  HUlory.  II.  p.   636-538)  a 


128  PREMIÈRE    PARTIR.      -      CUiVrilHE    II 

excite  la  joie  el  se  trouve  mêlée  d'agrément.  Pour  ce  motif, 
la  langue  du  blâme  s'allongera  chez  les  gens  à  courte  vue... 
Mais  il  n'échappera  pas  à  l'intelligence  lumineuse  des  gens 
sensés...  que  le  remède  amer  de  la  morale  a  été  mélangé  avec 
le  miel  delà  plaisanterie,  afin  que  l'esprit  de  celui  à  qui  je 
parlais  ne  fût  pas  ennuyé.  ^) 

En  réalité,  la  lecture  de  ce  mélange  de  prose  et  de  vers 
laisse  une  impression  de  fatigue,  à  qui  le  lit  dans  une  traduc- 
tion toujours  impuissante  à  rendre  la  saveur  de  l'original. 
On  peut  même  se  demander  si,  à  tout  prendre,  le  Boustan, 
bien  que  plus  compliqué,  n'offre  pas,  en  traduction,  une  idée 
plus  juste  du  génie  de  Saadi.  Et  c'est  ici  le  lieu  de  comparer 
le  contenu  des  deux  ouvrages. 

Le  Boustan  contient  dix  chapitres,  c'esl-à-dire  deux  de 
plus  que  le  Gulisfan  {\).  En  outre,  l'étendue  des  chapitres 
qui  se  correspondent,  du  Gulistan  au  Boustan^  n'est  pas 
comparable.  Ce  dernier  beaucoup  plus  long,  car  les  con- 
sidérations morales  s'y  trouvent  franchement  développées, 
au  point  d'en  devenir  prolixes,  alors  qu'elles  apparaissent 
seulement  esquissées  dans  le  Gulistan. 

Ainsi  le  chapitre  P""  du  Boustan  ne  comprend  qu'une  tren- 
taine d'histoires  contre  41  dans  le  chapitre  I"  du  Gulistan 
qui  traite  du  même  sujet;  le  chapitre  VI  du  Boustan,  une 
quinzaine  d'histoires  contre  29  dans  le  chapitre  III  du  Gu- 
listan qui  lui  correspond.  Malgré  quoi,  les  chapitres  du 
Boustan  sont  de  beaucoup  les  plus  développés  (2).  Le  pre- 
mier chapitre,  dans  les  deux  recueils,  traite  de  la  conduite 
et  des  devoirs  des  rois  ;  le  sixième  chapitre  du  Boustan  et  le 
troisième  du  Gulistan,  de  la  modération  des  désirs  ;  le  cha- 
pitre VII  du  Boustan  et  le  chapitre  VII  du  Gulistan,  de 

recaeilli  une  grande  partie  des  vers,  les  uns  se  trouvant  à  la  fois  dans 
le  Gulistan  et  le  Dhvan,  les  autres  ayant  passé  dans  Hafiz. 

(i)  Dans  ces  deux  recueils,  Saadi  intercale  parfois  soit  une  phrase  en- 
tière, soit  quelques  mots  en  arabe.  Ainsi,  dans  le  Gulistan,  Sémelet  (introd. 
de  sa  Irad.,  p.  10)  a  compté  près  de  cent  «  loca  arabica  ». 

(2j  Un  autre  élément  du  Boustan  manque  presque  totalement  au  Gulistan  : 
les  allusions  historiques  (véridiques  ou  imaginées). 


LES    OEUVHKH    RT    L  KniTK)N    DK    CALCUTTA  IV(J 

réducaliou.  Mais,  ii  vrai  dire,  la  proinirro  inoilir  de  ce  clia- 
pilrc  \'II  (iii  liou\t;m  (|)|).  277-2S.S  no  rajiporlo  bien  pliilôt 
aux  avaulaLîes  dti  silence  el  trouve  >oii  aiialo^'iiu  dans  lo 
cliaj)ilr«.'  1\  (lu  (lnlislnn,  consacré  au  même  sujet.  VX  c'esl  là 
précisément  (ju'on  pervoil  la  diiïérence  principale  entre  les 
(\vn\  ouvra^'cs  :  alors  «pie,  dans  le  (iuli.st.in,  la  narration 
remporte  prescpie  toujours  sur  la  morale,  c'est  généralement 
le  contraire  dans  le  lioustan  (1). 

Les  autres  chapitres  des  deux  recueils  présentent  des  rap- 
ports moins  étroits.  Au  chapitre  III  du  lloustnn  (sur  l'amour 
mystique)  répondrait  le  chapitre  II  du  (iuli.slun  (nujeurs  des 
derviches)  (2).  (Juant  aux  autres  chapitres,  ils  n'ont  guère 
d  éipiivaloul  d'un  recueil  à  l'autre  :  ce  sont,  pour  le  lioustnn^ 
les  chapitres  l\'  (de  l'humanité).  V  (résignation  i,  Allure- 
connaissance  envers  Dieui,  IX  (repentir)  ;  et,  pour  le  (/'w- 
lisl.in,  les  chapitres  \   ^amoiir  el  jeunesse),  \'I  ^vieillesse). 

Cesdeux  chapitres  du  f/w//.9/,i/i,aveclesA'A.'</j//A.'i/, forment 
tache  dans  l'œuvre  de  Saadi  :  .Vristophane,  il  est  vrai,  mé- 
langea sans  cesse  les  trivialités  les  plus  révoltantes  à  la  poésie 
la  plus  délicate  et  la  plus  haute.  Lui,  du  moins,  ne  se  propo- 
sait qu'un  but  |)olitique  et  littéraire,  sans  se  soucier  de 
moraliser  ses  contemporains.  Mais  les  anecdotes  débitées 
par  Saadi,  avec  un  sourire  sénde,  au  sujet  de  vieillards  qui 
se  croient  toujours  jeunes  et  d'amoureux  ([ui  tombent  dans 
les  derniers  égarements,  compromettent  péniblement  la  belle 
tenue  du  recueil.  Balzac  qui  déclarait  écrire  «  à  la  lueur  do 
deux  vérités  éternelles  :  la  monarchie  el  la  religion  »  se 
délassait,  lui  aussi,  de  ce  (ju'il  considérait  comme  son  apos- 
tolat littéraire,  en  écrivant  S-irrazine  ou  la  Fille  aux  yeux 
dor  ;  mais  ces  récils  se  rachètent  par  un  certain  ton  passionné 
qui  mancjue  totalement  aux  anecdotes  égrillardes  de  Saadi. 

Somme  loule.  le  liniistun  el  le  dnlistuti,  s'ils  renferment 

^1)  A  quelques  hislorieUes  prèn;  par  exemple,  le  récit  liuinnrislii]ue  de* 
■  moutH  (lu  nèf^re  et  de  la  jeune  fille  (p.  2N4). 

(2)  .Sourouri  (ciU^  Graf.  Uotemjnrlfn,  p.  267):  <  Par  le  mol  <•  derviches» 
le  poêle  entend  en  général,  dans  le  Gulittan,  Ich  ÇouHs.  •< 

y.  -  « 


l30  PREMIÈRE    PARTIE.     CHAPITRE    II 

un  fond  commun,  n'en  dilVèrenL  pas  moins  par  la  forme  et 
l'esprit  :  le  Gulistan  apparaît  comme  un  «  divertissement  », 
au  sens  où  Pascal  entendait  ce  mot  ;  c'est  im  livre  de  cause- 
ries, ou,  si  Ton  veut,  de  «  contes  à  soi-même  »  et  l'on  sent  que 
Saadi  l'écrivit  par  plaisir.  Quant  au  Boustan^  il  représente 
une  véritable  profession  de  foi  et  si,  semble- t-il,  dans  le 
Gulistaii.  Saadi  s'est  proposé  de  décrire,  sur  un  ton  badin, 
les  rapports  de  riiomme  avec  ses  semblables,  il  a  prétendu 
d  autre  part,  dans  le  Boustan,  composer  au  nom  de  la  morale 
transcendante  un  traité  des  devoirs  de  l'homme  envers  son 
prochain  et  envers  la  personne  divine.  Cette  morale,  pleine 
de  bon  sens  et  d'une  modération  singulière,  si  l'on  songe  à 
l'époque  d'exactions  et  de  guerres  sauvages  au  cours  de  la- 
quelle Saadi  l'élabora,  forme  le  meilleur  de  son  œuvre  :  il 
convient,  dès  lors,  de  dégager  les  éléments  fondamentaux 
qui  la  composent. 


DKL  \11:MK    i'AHTIl': 
LE    PENSEUR 


Saadi  n  est  pas  un  poêle  pliiIoso[)lie,  ;\  la  nianii  re  de  Lu- 
crèce ou  (le  X'JLCny.  C  esl  un  uioialisle  en  vers,  nioralisle  au 
sens  strict  du  ruol,  c'esl-à-dire  un  écrivain  qui  observe  les 
mœurs,  les  actions  et  les  caractères  de  ses  contemporains  : 
de  toutes  ces  observations,  inévitablement,  se  dé^^a^ent 
d'elles-mêmes  quelques  idées  «générales.  Mais  celte  morale 
est  avant  tout  pratique  et  c'est  ainsi  qu'il  faut  d'abord  la 
considérer.  Avant  d'examiner  Tbomme  en  soi,  Saadi  le 
regarde  se  comporter  envers  ses  semblables  :  il  perçoit  les 
fautes,  les  défauts  et,  loin  de  les  crili(juer  â|>rement  —  il 
usa  rarement  de  la  satire  (  I  )  —  il  s'elforce,  dans  sa  poésie, 
de  proposer  des  façons  et  des  règles  meilleures.  Il  s'en  est 
du  reste  expliqué  clairement  à  plusieurs  reprises  :  <«  Heureux 
le  lecteur  béni  du  ciel  h  qui  deux  mots  suffirent  parmi  les 
conseils  de  Saadi  »,  s"écrie-t-il  dans  le  liousl:ui  \^.  i'))  et, 
plus  loin  (p.  277)  :  «  C'est  la  vertu,  la  sagesse,  la  beauté  morale 
que  je  célèbre  »  (2).  Plus  lard,  il  écrira  dans  le  Çi'ihib-Nûmeh 
(éd.  Bacber,  p.  112):  a  Kcoute  le  conseil  de  Saadi  avec 
l'oreille  de  l'âme  ;  voici  la  voie  k  suivre  :  sois  un  homme  et 
avance  »  ;  et  encore  [Ihid.,  p.  125)  :  <(  Kcoute  de  ma  bouche 
le  conseil  qu'un  autre  ne  donnerait  pas  si  bravement...  C^eux 
qui  ont  une  bonne  étoile  prêtent  l'oreille  au  conseil  de 
Saadi  (3),  »> 

(1)  Bouttan,  p.  107  :  «Que  n'as-tu,  comme  Saadi,  la  douceur  et  la  pcrtun- 
sion  ?  »  Comparer  Ernsme  :  «  Admonere  vohninus,  non  caslignre  ». 

(t)  On  peul  voir  une  crili(|ue  indirecte  des  poètes  lyriques  dans  ce  pas- 
sape  du  Boust'in  (p.  10k):  «  Saadi,  ce  sont  le»  préceptes  de  la  sa^^esse  <jui 
dictent  tes  vers,  et  non  le  charme  des  beaux  yeux.  » 

(3)Cf.Calculia,  219  i*  :<•  J'aime  h  prodiguer  les  conseils,  toute  ma  vie...  ». 


l34  DEUXIÈME     PARTIE 

Oui.  mai;*  ces  conseils,  le  Çâhib-Nàmeh  mis  à  part, 
Saadi  les  a  éparpillés  dans  son  œuvre  et  il  faut  les  y  décou- 
vrir. Il  le  sait  bien,  du  reste  :  «  Mes  conseils  sont  pleins  de 
profit,  efforce  toi  de  les  recueillir  <>  [Boustan,  p.  336).  Or 
«  les  discours  de  Saadi  ne  sont  qu'apologues  et  conseils  »  et 
le  lecteur  doit  apprendre  à  chercher  les  seconds  à  Iravers 
les  premiers. 

De  ces  conseils  épars,  sort  toute  une  philosophie  pratique, 
peu  abstruse  à  la  vérité,  mais  assez  complète.  A  la  morale 
enseignant  à  se  comporter  envers  ses  semblables  et  d'après 
sa  propre  situation  sociale,  se  superpose  une  série  de  traits 
psj'chologiques  qui  permettent  d'esquisser  l'homme  idéal 
que  rêva  Saadi  ;  enfin,  considérant  que  l'homme,  sans  son 
^réateur,  reste  toujours  incomplet,  Saadi  touche  fréquem  - 
ment  au  problème  des  rapports  entre  l'homme  et  la  divinité, 
et  se  trouve  ainsi  conduit  à  ébaucher  les  fragments  d'une 
métaphysique   rudimen taire. 


CI1AI»IT1Œ   PHKMiLIi 


L  HOMME    SOCIAL 


Dans  le  Boustan  (p.  299),  Saadi  se  félicite  d'avoir  reçu 
de  sévères  leçons  durant  son  jeune  Age  et  en  profite  pour 
donner  en  (|uel(|ues  vers  ses  idées  sur  l'éducation  des  enfants. 
Celte  éducation  est  un  devoir  pour  le  père  de  famille, 
(c  \'eux-tu  laisser  après  toi  un  nom  sans  tache,  élève  ton  fils 
selon  les  préceptes  de  la  sagesse  et  de  la  raison  ;  car,  s'il  est 
dépourvu  de  qualités,  c'est  comme  si  lu  mourais  sans  pos- 
térité. •>  Le  père  doit  être  juste,  mais  ferme  :  -<  Que  d'années 
de  souffrances  sont  réservées  à  l'enfaul  élevé  dans  la  mol- 
lesse!... Prouve-lui  (|ue  lu  l'aimes  en  ne  le  gi\tant  point... 
sois  sévère  pour  lui  diiranl  ses  jeunes  années.  »  Ku  eifet, 
pour  l'enfance,  Saadi  préfère  à  celle  d'un  pré(H'pleur  l'édu- 
cation donnée  par  le  père  lui-même.  Kt  l'un  retrouve  un 
signe  de  ces  époques  troublées  dans  ce  conseil  :  «  Knseigne 
.^  ton  enfant  un  métier  manuel  (juand  bien  nièine  lu  possé- 
derais des  trésors...  Sais-tu  si  les  vicissitudes  de  la  destinée 
ne  le  condamneront  pas  une  vie  d'exil  ?  » 

Pour  savoir  commander,  il  faut  au  préalable  savoir  obéir  : 
«  Celui  qui  n'a  pas  subi  les  sévérités  d'un  maître  subira  les 
sévérités  de  la  vie.  » 

Quant  au  précepteur,  il  faut  le  choisir  soigneusement  : 
toute  la  vie  morale  de  l'enfant  en  dépend.  Quoi  de  j)lus 
affreux  en  elfel  que  «  l'adolescent  dont  le  vice  a  flétri  le 
visage  imberbe  »  et  dont  tout  ce  qu'on  peut  dire  esl  <«  qu'un 


l36  DEUXIÈME    PARTIE. CHAPITRE    PREMIER 

fils  indigne  devrait  précéder  son  )3ère  dans  la  tombe  (1)  ». 
Le  précepteur,  de  même  que  le  père,  doit  allier  intelligem- 
ment douceur  et  sévérité  ;  d'abord,  c'est  pour  lui  le  seul 
moyen  de  conserver  le  respect  de  ses  disciples  (^Gulislan^21^^ 
YIl,  4)  ;  puis  il  importe  de  corriger  les  défauts  sans  tarder  : 
«  Quiconque  on  n'instruit  pas  dans  son  enfance,  une  fois 
qu'il  est  devenu  grand,  le  bonheur  se  retire  de  lui.  Tords 
comme  tu  voudras  la  baguette  encore  verte  ;  une  fois  des- 
séchée, elle  ne  sera  redressée  que  par  le  feu  >^  [Ibid.^ 
274.  VII,  3).  Mais  encore  faut-il  que  le  sujet  se  prête  à 
1  éducation  qu'on  lui  donne  :  «  Donner  de  l'éducation  à  un 
être  sans  capacité  est  inutile  »  [Thid.,  329);  il  est  superflu 
de  s'obstiner  lorsqu'après  quelque  temps,  on  n'obtient  aucun 
résultat  [Ibid.,  271,  VII,  1),  car  «  un  homme  de  rien  ne 
deviendra   pas  quelque  chose  par  l'éducation  »  [Ibid.,  36, 

1.4)  (2). 

L'enfant  grandit  ;  il  doit  alors  travailler  de  lui-même  à 
son  éducation.  Mais  comment?  La  politesse  s'apprend  en 
remarquant  les  impolitesses  à  éviter  (//)/(/.,  123,  II,  21); 
en  outre,  il  faut  scruter  ses  propres  défauts,  ne  pas  voir  la 
paille  dans  l'œil  du  voisin  (3).  Enfin  ne  pas  craindre  la 
réprimande  de  son  prochain,  tout  au  contraire,  car  «la  loi 
de  la  fraternité  n'est  pas  que  tu  considères  ma  faute  comme 
une  vertu  ^j  iÇâhib-Nàmeh,  5). 

Malheureusement,  les  amis,  toujours  trop  indulgents,  ne 
sont  pas  en  vérité  dignes  de  ce  nom,  car  «  le  véritable  ami 
est  celui  qui  signale  les  pierres  et  les  ronces  du  chemin  » 
[Boustan,  66)  et,  à  tout  prendre,  mieux  vaut  «  préférer, 
aux  observations  d'une    indulgente  amitié,    les   reproches 

fl)  Gulistan,  p.  282:  «  O  homme  intelligent  !  si  les  femmes  enceintes,  à 
l'instant  de  l'accouchement,  mettaient  au  monde  un  serpent,  cela  vaudrait 
mieux  aux  yeux  du  saj^e   que   de   donner  le  jour  à  des  enfants  pervers,  t 

(2)  De  même,  «  montrer  le  bon  chemin  à  un  vaurien,  c'est  porter  une 
lampe  devant  un  aveugle  »  {Çâhib  -Nâmeh,  49)  et  cf.  Gulislan,  H9,  II,  19. 

(.3)  «  Quiconque  voit  son  propre  vice  ne  blâme  pas  le  vice  d'autrui  » 
(Gulistan,  257,  V,  21). 


1 


I.  m  iMMI     S(i<:lM,  l3^ 

d'un  ennonii  (li'claré  •>  (i),  bien  (iiicr»  somme  un  .iiiii  soit 
précieux  aux  jours  d'épreuve  (2i. 

Toutefois,  ces  conseils  aux  adolescents,  ne  les  leur  donnez 
pas  sèchement  ;  réprimandez-les,  mais  avec  lact  el aménité  : 
««  Ne  parle  pas  rudement  car,  c»  quiconque  n'est  pas  obstiné, 
point  n'est  besoin  du  lasso  »  {(]:)liil)-?\';)mch,  \'A).  VA  puis,  si 
vous  élevez  trop  sèchement  leuiant,  vous  risquez  de  rebuter 
à  tout  jamais  une  naluic  disposée  k  acquérir  la  science,  but 
suprême  des  eiï'orls  de  l'existence.  Répondez  volontiers 
aux  mulliples  tjucslions  do  l'adolescent  inexpérimenté,  pro- 
voquez les  même,  car  il  ne  faut  pas  (juil  crai^M»e  de  dévoiler 
son  ignorance  ;  c'est  en  demandant  tout  ce  qu'il  ignorait  que 
l'illustre  Ghazàli  acquit  tant  de  science  [Guliatnn,  338). 
Dans  ses  questions,  toutefois,  l'étudiant  ne  s'adressera  (pi'aux 
gens  compétents  ;  sinon  il  s'expo.serait  à  des  mécomptes 
(Ibid.,  2S0i.  Knfin,  une  fois  avancé  dans  la  connaissance, 
qu'il  ne  garde  pas  stérilement  sa  science  pour  lui  seul,  car 
u  deux  personnes  ont  fait  de  vains  efforts  :  celle  qui  a  amassé 
de  l'argent  et  n'en  a  pas  joui,  celle  qui  a  amassé  du  savoir  et 
ne  l'a  pas  mis  en  pratique  »  '  Ihid.,  ."M  1  i 

Mais,  i\  quoi  doit  surtout  s'appliquer  cette  science  vivifiée 
par  les  controverses  (//j/V/.,  312)?  «  A  nourrii-  la  religion, 
et  non  à  nous  faire  jouir  des  biens  de  ce  monde  »  [ILid.).  La 
science  prali(jue.  telle  que  la  conçoit  Saadi,  est  donc  celle 
qui  fait  j)rogresser  dans  la  voie  de  la  perfection.  Aussi  quel 
mérite  possèdent  ceux  qui  l'ont  patiemment  acquise,  à  force 
d'études  et  d'expérience  1  (3)  La  science  suffit  même  à  excu- 


(1)  Çilhib  Winit-h,  G4  et  GuUslan,  215,  IV,  12  :  .<  Je  suis  iiini^ô  de  la  so- 
ciété de  mes  amis,  parce  qu'ils  représentent  comme  bonnes  mes  mœurs 
dépravées...  Où  sont  les  ennemis  etTrontés...  afin  qu'ils  nie  montrent  mes 
défauts'/  »  Happroclier  La  Fontaine  :  «  Rien  n'esl  plus  dangereux  qu'un 
if^norant  ami,  mieux  vaudrait  un  sage  ennemi  n  et  Mou({addasi.  Les  oiseaux 
et  les  Jleurs  (Trad.  G.  de  Tassy.  p.  90). 

(2)  «  Celui-Ik  est  un  véritable  ami  qui  prend  !.i  main  de  son  ami  dans 
une  situation  pénible  el  dans  la  diHresse   "  {('tulislnn,  .'»9,  I,   lô). 

(.1)  Ainsi  :  «  I/homme  de  talent,  partout  où  il  vu.  obtient  de  l'estime  el 
s'assied  à  une  place  d'honneur  n  {Gulistanf  272,  VII.  2). 


l38  DEUXIÈME    PARTIE.     — ■    CHAPITUE    PREMIER 

ser  les  erreurs  de  leur  vie  privée,  et  Saadi  n'hésite  pas  à 
écrire  [Gu/istcin,  144,  II,  39)  :  «  Ecoute  la  parole  du  savant 
avec  l'oreille  de  Tàme,  lors  même  que  sa  conduite  ne  ressem- 
blerait pas  à  ses  discours.  »  Saadi  se  montre  fier  d'appartenir 
à  celte  élite  et  l'on  regrette  de  le  voir  parfois  perdre  son  in- 
dulgence naturelle  et  afficher  crûment  son  mépris  de  l'igno- 
rance (1), 

Voilà  pour  la  vie  intellectuelle  du  jeune  homme.  Reste  sa 
vie  sexuelle.  De  même  que  la  science  assure  l'indépendance 
de  la  pensée,  la  continence  maintient  celle  du  corps.  Dans 
une  qacida  (éd.  Calcutta,  p.  224  r"),  Saadi  précise  nettement 
cet  antagonisme  éternel  entre  la  raison  («  'aql  »  ou  «  khirad  ») 
et  l'instinct  («  jân  »  (2)  ou  «  rawân  »)  :  «  Tu  ne  sais  ce  qui 
vaut  le  mieux  :  raison  (khirad)  ou  instinct  (rawân)?  Je  te  le 
dirai  si  tu  as  confiance.  11  faut  que  l'homme  porte  sa  raison 
('aql)  en  soi  ;  sinon  l'âne,  lui  aussi,  possède  l'instinct  (jân).  » 
Autrement  dit,  ce  qui  nous  dislingue  des  animaux,  c'est 
notre  raison.  Homo  animal  rationis parliceps.  Aussi  Saadi 
revient-il  fréquemment  à  la  question  de  la  chasteté  chez 
l'adolescent  :  «  Il  faut  que  le  jeune  homme  robuste  se  garde 
de  la  concupiscence  »  (Gulistan,  347).  C'est  là  en  vérité  une 
lutte  pour  l'indépendance  de  soi-même,  car  a  le  plus  hostile 
de  tes  ennemis,  c'est  ton  âme  qui,  plus  tu  lui  montres  de 
complaisance,  plus  elle  montre  d'hostilité  »  [Gulistan,  292, 
Vil,  18).  Que  le  jeune  homme  se  garde  donc  soigneusement, 
non  seulement  de  la  femme  qui  lui  ravirait  toute  sa  liberté 
[Çàhib-Nàmeh^  103),  mais  du  danger  signalé  dans  le  livre  V 

(1)  <  De  même  que  l'Orient  et  l'Occident  ne  se  joignent  pas,  entre  le 
savant  et  l'ignorant  l'union  est  impossible.  Mais  si,  par  ordre  du  destin, 
un  commerce  s'jétablit  entre  eux,  sache  qu«  chacun  d'eux  se  trouve  dans 
la  contrainte...  car,  si  l'un  ne  peut  manifester  sa  stupidité,  l'autre  ne 
découvre  pas  sa  science  à  un  ignorant  »  (Çdhib-Ndineh,  p.   G3). 

(2)  Le  mol  jân  signiûe  plus  précisément  c  âme  »  ;  dans  le  passage  qui 
suit,  il  représenter  «  âme  »  considérée  comme  siège  de  la  vie  des  sens  et 
des  désirs,  en  un  mot  la  concupiscence.  Dans  les  traités  mystiques,  la 
concupiscence  est  aussi  dénommée  «  nafs  »,  synonyme  de  «  âme  »  (Cf. 
Atlar,  Pend-Nâmeh,  p.  37,  n.  4  et  6,  et  Coran,  XII,  53  :  «  L'âme  commande 
impérieusement  le  mal.  ») 


I.  MOMVF    snCTAI.  I.Û) 

du  (iiihstan  :   j)i'rtlio  Uml   poiujjir  sur  f»on   propre  ciiir  fl 
r<Mi<>ii<<'i-    •  •^«.ii  ;'imr  l'onr  un  ol»jfI  indi^iit-  '  I). 


La  liborlu,  c'cï*l  ce  (jui,  t<unibio-l-ii,  serl  de  base  a  la  mo- 
rale sociale  do  Saadi  :  il  t'aul.  pour  vivre  heureux,  travailler 
sans  cesse  à  se  rendre  indépendant,  non  seulenienl  de  soi- 
même,  mais  des  autres,  (^l'esl  In  seule  condition  de  l'opli- 
misme,  et  ces  deux  élénienls  du  honlieiir,  opliuiisine  et 
indé|)en(lance.  vivent  l'un  par  l'autre,  se  prêtant  mutuel 
appui.  Aussi  le  père  de  famille  doit-il  assurer  le  bien-être  de 
ses  enfants  <«  afin  qu'ils  n'aient  lien  à  demandei-  aux  élran- 
gers  )•  [Ihusl.in,  22'Ji,  car  <-  manger  du  sucre  qui  vient  d  une 
main  rude  est  si  amercju'on  dirait  de  I  aloès  •>  {Çi)lnl)-i\;inieh, 
l()o).  Toute  servitude  luuuilianle  répugne  en  eiVet  au  cœur 
indépendant  et  pénétré  du  sentiment  de  lliouneiir:  «  Ne 
tends  pas  la  main  devant  un  homme  vil  •>  {(iulisf.in,  \H),  III, 
14),  car  «i  mourir  avec  honneur  vaut  mieux  que  vivre  hon- 
leusemenl  -    A/.,  lOti,  III,   Il  i  i  :2  . 

Mais  comment  vivre  indépendant,  sans  rien  demander  à 
personne?  C'est  bien  simple  :  il  suflit  de  savoir  se  contenter 
de  ce  (pj'on  a.  Tout  d'abord  la  nourriture  :  «  Il  faut  manger 
pour  vivre  et  pour  prier  Dieu  ;  mais  lu  es  dans  la  croyance 
qu'il  faut  vivre  pour  manger»  {(iuii.sf.'m,  \&2,  Ilj,  6)  (3), 
Que  I  on  s  habitue  donc  à  la  frugalité  el  l'on  ne  s'en  portera 
que  mieux  (//>/</.,  \(\2,  ill,  7).  Pas  de  privations  mais  in 
mrdio  virtns.  I*our(ju(»i  d'autre  part  être  ambitieux?  .»  l'ne 
moitié  de  la  vie  est  pour  la  joie  ;  l'autre  moitié  pour  se  faire 
une  bonne  réputation  »  {Ç.ihib-N;inieh^  13).  Il  faut  jouir  des 

(1)  Saadi  conseille  nellenicnl  aux  jeunes  gens  de  ne  pnn  se  marier  suns 
expérience  préalable  :  «  Eprouve  ta  virilité  el  ensuite  prends  femme  •> 
{GuUslan,  p.  21). 

(2)  Cf.  en  outre  l'Iiistorieltc  du  Gulistan  (p.  9<),  I,  3(i)  et  en  rapproclier 
La  Fontaine  il^  loup  et  /«  chien). 

(3)  Of.  Moiièrt"  (l/avare)  :  «  Il  faut  manger  pour  vivre  et  non  pas  %iTrc 
pour  manger.  • 


l4o  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE   PREMIER 

biens  de  la  vie  quand  ils  se  trouvent  à  portée  de  la  main, 
mais  sans  s'exténuer  à  les  poursuivre  :  «  Heureux  celui  qui 
a  mangé  avec  ses  amis  la  moisson  de  la  vie  précieuse  !  » 
[Ibid.)  (1).  A  quoi  bon  en  eiïet  se  tourmenter  inutilement  ? 
«  Hier  n'est  plus,  demain  n'est  pas  encore  :  ne  compte  donc 
que  sur  Theure  présente  »  [Bouslan,'6^%)  et  d'ailleurs  :  «  N'at- 
tache pas  ton  cœur  au  monde  qui  n'a  contenté  personne  » 
[Çahih-Sâmeh^  loc  cit.). 

Car,  il  faut  bien  le  reconnaître,  le  spectacle  du  monde  n'est 
pas  toujours  réconfortant  :  Thomme  est  une  bien  vile  créa- 
ture. Un  riche  vieillard  avait  prié,  des  nuits  entières,  au  pied 
d'un  arbre  vénéré  comme  lieu  de  pèlerinage,  suppliant  le 
ciel  de  lui  accorder  un  fils  ;  or,  Saadi  entend  ce  fils,  devenu 
grand,  dire  à  ses  camarades  :  «  Si  je  savais  où  se  trouve  cet 
arbre,  j'y  adresserais  des  prières,  afin  que  mon  père  mou- 
rût n  {Gulisfan,  264,  VI,  3). 

Allez  donc,  après  cela,  vous  fier  aux  hommes  !  Ils  sont 
menteurs,  envieux,  outrecuidants  ;  l'ignorant,  grâce  à  son 
bavardage,  l'emporte  sur  le  sage,  «  car  le  parfum  de  l'ambre 
ne  saurait  lutter  contre  l'odeur  infecte  de  l'ail  »  [Gulistan, 
329).  Et  pourtant,  il  ne  sied  pas  de  les  haïr  :  d'abord  ce  serait 
perdre  en  quelque  mesure  l'indépendance  de  sa  pensée,  puis 
on  trouve  toujours  plus  à  plaindre  que  soi  (2)  et  il  faut  sans 
cesse  se  déclarer  satisfait  de  son  sort  :  <i  L'insouciance  est 
l'apanage  de  la  modération  des  désirs  (3)  ».  C'est  précisé- 
ment cette  modération  qui  empêche  Saadi  d'approuver  le 
vœu  de  pauvreté  prononcé  par  les  mystiques  de  son  temps. 
Alors  qu'un  Farid  ed  Din  Attar  glorifie  la  pauvreté  (4),  Saadi, 
une  fois  de  plus,  prêche  le  juste  milieu  :  si  vous  êtes  pauvre, 

(1)  «  Vie  précieuse  ».  C'est  bien  là  un  mot  d'optimisme. 

(2)  «Garde-toi  de  souhaiter  malheur  à  l'envieux,  car  cet  infortuné  est 
lui-même  dans  le  malheur»  (Gulistan,  335,  VIII).  Cf.  Gulistan,  174,  III,  19 
et  Boustan,  p.  326. 

(3)  Gulistan,  81,  I,  28  et  cf.  Cale.  406  v°  :  «  Lorsqu'on  a  l'esprit  tranquille, 
qu'importe  un  palais  ou  une  caverne  ?  Lorsqu'on  a  bien  sommeil,  qu'importe 
un  lit  ou  le  haut  d'un  mur?  » 

(4)  Pend-Nâmeh  (Trad.  Sacy),  p.  60,  63  et  80  n.  2. 


l.  IIOMMi:    SOCIAL  l.'ll 

sii[)|)orl('/.-lo  avec  coiislance,  mais  n  aime/,  pas  la  paiivrelc 
|)i)iir  i!lle-m(^me.  c'est  parfailemeiil  vain  ;  laisse/,  celle  prali- 
(juo  au.K  mysliijiies  (jui  en  lonl  un  poinl  de  doclrine  (1).  Si 
vous  éles  par  trop  paiivri-,  n'Iiésile/ pas;'»  tendre  la  main,  cela 
vaul  mieux  encore  que  devenir  voleur  (2).  (Juanl  à  la  ri- 
chesse, ne  crc)ye/  pas  <ju'elle  consiste  à  amasser  des  trésors  : 
»  L'argent  est  destiné  à  nous  procurer  les  aises  de  la  vie  ; 
celle-ci  no  doit  pas  servir  h  amasser  de  l'argent  »>  [Gulist.tn, 
31(1).  Sans  iloule  l'argent  confère  à  son  possesseur  une 
réelle  puissance  :  «  Celui  cpii  a  de  l'or  aveugle  le  diable 
môme...,  sans  argent  ne  l  approche  pas  des  belles,  car,  sans 
rien  (en  poche). les  hommes  ne  valent  rien  »  [ÇAhib-N.imch, 
99).  Mais  h  (pioi  bon  thésauriser  toute  sa  vie,  en  esclave 
de  son  argent  ?\  oyez  plutôt  ce  malheureux  :  il  s'est  exténué 
<i  gagner  une  fortune  que  son  fils  dissipe  en  un  instant,  tout 
en  déclarant,  avec  un  sourire,  (jue  «  1  or  est  fait  pour  être  dé- 
pensé ;  s'il  s'agit  de  l'enfouir,  en  quoi  dilTère-t-il  des  pierres  ? 
C'est  comme  s'il  gisait  au  fond  de  la  mine  »  [l^oustan,  128). 
Ce  jeune  prodigue  expiimo  nettement  la  pensée  deSaadi  : 
alors  (|ue  certains  myslitjues  intolérants  vitupèrent  contre 
les  riches,  lui  s'en  garde  bien  et  n'hésite  pas  à  considérer  le 
riche  éclairé  comme  un  bienfaiteur  de  la  société  :  il  s'en 
explique  du  reste  tout  au  long  dans  un  dialogue  du  (iu- 
li.stun  p.  293).  Là  encore,  la  pensée  de  Saadi  est  très 
nette  :  il  convient  d  apprécier  l'argent  pour  les  avantages 
cpi  il  procure,  mais  de  ne  pas  se  rendre  son  esclave.  Il  faut 
préserver  contre  lui  son  indépendance,  car  ce  il  n'y  a  point 
de  malheur  plus  fâcheux  que  les  richesses  de  ce  monde, 
parce  qu'elles  font  le  tourment  du  crcur,  soit  qu  on  les  pos- 
sède ou  (pion  en  soit  privé  »>  {Gulistan,  131,  II,  29).  Voyez 
au  contraire  celui  (pii  sait  se  contenter  de  ce  que  lui  accorde 
le  sort  :  <<  La  richesse  consiste  dans  la  modération,  non  dans 
le  capital  (3),  dans  le  mérite,  non  dans  l'argent  »  ^i). 

(1)  Cf.  Mlar.  Pend-\(imeh  (Trad.  Sacy),  p.  277,  n.  2. 

(2)  GnlUlan.  iwr.,  III,  27. 

(3)  IbUl.,  320.  VIII. 

(4)  Ibid..  p.  37.  I.  5. 


1^2  DEUXIEME    PARTIE.     —    CHAPITRE    PREMIER 


* 


Modération,  c'est  toujours  là  qu'il  faut  revenir,  afin  de  gar- 
der sa  liberté.  On  a  vu  comment  se  comporter  envers  son 
corps.  Comment  en  user  envers  son  âme?  Il  faut  la  main- 
tenir en  état  d'optimisme,  mais  sans  aller  jusqu'à  une  jo- 
vialité déplacée  :«  Il  ne  faut  pas  plaisanter  continuellement, 
car  tu  briserais  ton  propre  crédit»  (1).  Puis  préservez-la 
de  tout  mouvement  désordonné  de  joie  ou  de  colère  ;  tra- 
vaillez sans  cesse  à  conquérir  un  calme  olympien  :  c<  C'est 
moins  sur  le  champ  de  bataille  que  contre  l'assaut  de  la 
colère  qu'il  faut  tenir  de  pied  ferme  »  [Boustan,  32).  Au- 
trement dit,  efforce-toi  de  maîtriser  ton  cœur,  de  même  que 
ton  corps  et  ton  cerveau,  et  défie-toi  du  premier  mouvement. 
«  Apprends  la  patience  »  (2)  et  ne  procède  pas  par  caprices. 
«  La  patience  est  amère,  mais  donne  des  fruits  doux  et  savou- 
reux »  (3)  et  «  quiconque  ne  possède  pas  la  patience  ne  pos- 
sède pas  la  sagesse  ^)  (4).  Grâce  à  elle,  tu  seras  toujours  fort 
dans  l'épreuve  ;  et,  à  ce  propos,  Saadi  écrit  ces  quelques 
lignes,  dignes  des  antiques  Consolations  :  «  Opprimé,  sup- 
porte avec  résignation  la  tyrannie  du  plus  fort  ;  la  force  sera 
plus  tard  de  ton  côté.  Par  ton  courage  montre-toi  supérieur 
à  la  violence  :  l'énergie  morale  l'emporte  toujours  sur  la 
force  brutale  o  (Boustan,  43),  En  outre,  étant  fort,  et  partant 
supérieur  aux  autres  —  et,  par  là,  Saadi  se  rencontre  fortui- 
tement avec  Nietzsche  —  tu  pourras,  de  ton  élévation,  laisser 
descendre  sur  tous  ceux  qui  t'entourent,  puissants  ou  fai- 
bles, le  rayon  de  ton  indulgence.  En  effet,  «  la  générosité  et 
la  bonté  sont  ce   qui  constitue  la  qualité  d'homme  »  (5)  et 


(1)  Çâhib-Nâmeh,  p.  96. 

(2)  Gulistan,  265,  VI,  4. 

(3)  Ibid.,  59,  I,  16. 

(4)  Ibid  ,  157,  III,  1  et  cf.  Buffon  :  <<  La  patience  c'est  le  génie.  » 

(5)  Ibid.,  284,  VII,  H. 


L  IIUMMi;    .SOCIAL  1^3 

«  celui- là  n'est  pns  un  honunc  d.iiis  letjiul  il  n'y  a  pas  d'Iui- 
nianili'  •»  (!i.  Quand  lu  te  Irouvfs  avec-  Ich  é^aux.  Hache 
suppc^rlcr  leurs  accès  <l  Imiiuiir  <l  leurs  écarts  de  langa- 
ge (2).  I'U(|uanl  Ji  les  inférieurs,  inonlre  l(Mir,  non  seulement 
do  rindul^'ence,  mais  de  la  bonté  3)  ;  prolèj^e  les  faibles, 
c'est  un  véritable  devoir  (i)  et  en  général.  •<  tant  «jue  lu  lo 
peux,  ne  trouble  pas  un  c<rur,  parce  cpiun  seul  soupir  bou- 
leversera tout  un  monde  »  (5). 

Tant  (jue  lu  le  poux  !  Il  y  a  donc  des  restrictions  à  cette 
indulgence  ?  C'est  (jue,  dans  ce  monde  si  impaifait,  certains 
sont  par  Irop  mécbanis  pour  la  mériter:  la  leur  accorder 
porterait  préjudice  à  ceux  ipii  la  nu  lileiil  vraiment.  (]ar 
l'indulgence  est  noble,  mais  ces.se  de  1  être  des  qu  elle  tourne 
à  la  complaisance  ;  et  il  ne  convient  de  paidonner  t\u'ii  bon 
escient  ,0).  Sans  doulc,  il  ne  faut  pas  punir  à  la  première 
incartade:  «Celui  qui  failà  chacpieinslaul  un  actedegénéro- 
sité  à  ton  égard,  excuse-le  s'il  lo  fait  une  injustice  »  [Gulis- 
tan,  75,  l,2i).  Toutefois Saadi,  se  séparant  d'autres  mora- 
listes ^7),  n'hésite  pas  à  conseiller  de  rendre  le  mal  pour  le 
mal.  Son  (i«u\re  abonde  en  conseils  de  ce  genre  :  <-  Faire  du 
bien  aux  méchants  est  une  faule...  Le  bi«Mi  fait  aux  loups 
est  un  mal  à  l'égard  des  moutons  »  ((.'/î A z//-AVi/?je/i.  23  ; 
"  c'est  semer  lo  grain  sur  un  lorrain  rocheux   »  [Ibid.,  49;  ; 


(WGulisian.  148.  III.  ♦*.  Cf.  Térence  (lleaulonlim.  I,  l.  TS)  :  »  Homo 
iuni.  humani  nihil  a  me  alienum  esse  puto.  » 

(2)  <<  Si  luun  ciiractèrA  est  devenu  indigna»  du  litMi,  no  renonce  pas  poiir 
cela  i  Ion  bon  caractère  »  IGulislan,  .144). 

(3)  >•  Si  uu  if^noranl  punie  durement  par  rusticité.  l'Iiomme  intelligent 
tentera  de  papner  son  coeur  pnr  la  douceur  »  {GulL^tan,  208,  IV,  Ti). 

(4)  «  Ne  cauac  pas  de  doiniuage  au  ciBur  des  faibles,  car  lu  seras  impuis- 
sant contre  la  violence  d'un  homme  fort  »  (GuUstan,  34j)  :  ■•'  '''"  Virpile  : 
«  Parcere  subjeclis  et  debellare  super  bas  •>. 

(6)  GuUsian.  78,  I,  20 

(6)  <  Le  paillon  est  digne  d'approbation.  inai«  ne  pince  pas  un  eroplAlre 
»ur  la  blessure  de  celui  qui  tourmenlr  les  autres  <•  (Gulistan.  315). 

(7)  .VkhlA<|-i.\Ir>iih'>>ni,  cliip.  WI  ;  «Si  tu  diisiro^  obtenir  le  pardon  de 
Dieu,  pardonne  aux  autres  leurs  fautes  arec  bonté  et  (fënérosil<^.  •  Et  cf. 
St  Paul  (Rom.  .\ll>  :  ••  \oti  vinci  a  malo,  teci  vincê  in  bono  tnalum  ••. 


l!^^  DEUXIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    PREMIER 

«  faire  du  bien  aux  méchants,  c'est  la  même  chose  que  faire 
du  mal  aux  bons  »  (  1  ).  Envers  les  méchants,  la  douceur  esl 
intltile,  car  «  lorsque  tu  parlesà  l'iiomme  vil  avec  bonté  et 
douceur,  son  orgueil  et  son  obstination  se  trouvent  accrues.  >> 
Quant  à  vivre  dans  leur  société,  c'est  la  mort  de  l'âme  :  on 
n'apprendra  pas  d'eux  à  être  hon{Gulislan^  323).  Et,  même 
si  l'on  parvient  à  conserver  son  bon  naturel,  on  n'échappera 
pas,  par  contre,  à  la  calomnie.  Il  est  vrai  qu'avec  une  cons- 
cience tranquille,  il  ne  faut  pas  s'occuper  de  l'opinion  d'au- 
trui  (2).  Mieux  vaut  toutefois  conserver  sa  réputation  d'hon- 
nête homme  (3).  Que  l'on  ne  s'afflige  pas,  d'autre  part, 
d'encourir  l'inimitié  des  méchants  :  <*  L'opposition  de  l'en- 
nemi et  de  l'ami  vient  de  Dieu,  car  le  cœur  de  tous  deux  est 
dans  sa  main  »  [Gulistan,  76,  I,  24)  et,  par  conséquent,  on 
peut  punir  sans  scrupule,  même  par  la  mort,  car  on  rend 
ainsi  service  au  criminel  :  a  Quiconque  tuera  un  méchant  déli- 
vrera les  hommes  du  mal  qu'il  leur  cause  et  le  sauvera  lui- 
même  du  châtiment  de  Dieu  »  (4), 

Toutefois,  ne  punissez  pas  aveuglément  et  sans  réflexion 
préalable.  La  vengeance  doit  être  préparée  et  assouvie  au 
moment  propice,  moment  qu'il  faut  savoir  attendre  (o).  Mais 
en  revanche,  «  quand  le  moment  de  la  vengeance  est  venu, 
il  faut  frapper  sans  pitié  l'ennemi  qu'on  a  terrassé  »  [Bous- 
tan,  191). 

Et  encore,  ce  n'est  pas  une  loi  morale  supérieure  qui  com- 

(1)  Galistan,  36,  1,4.  Cf.  Ibid.,  312  et  Calcutta,  224  v°  :  «  Sois  méchant 
envers  les  méchants,  bon  envers  les  bons  ;  sois  rose  avec  les  roses,  épine 
avec  les  épines...  quiconque  nourrit  des  brutes  ou  des  gredins  reçoit 
d'eux,  tôt  ou  tard,  la  perdition  de  son  âme.  » 

(2)  «  Il  convient  de  s'asseoir,  après  avoir  accompli  ce  qu'on  doit  faire  ; 
mais  on  ne  peut  fermer  la  bouche  d'autrui  »  [Gulistan,  235,  V,  12). 

(3)  «  Quiconque  habite  avecles  méchants,  alors  même  qu'il  ne  prendrait 
pas  leurnaturei,  sera  soupçonné  de  partager  leur  conduite  »  (Guhstan, 339). 

(4)  Galistan,  315,  et  cf.  ibid.,  327:  «  Quiconque  a  un  ennemi  devant  soi 
et  ne  le  tue  pas  est  son  propre  ennemi.  » 

(5)  «  J'ai  entendu  ton  outrage  sans  possibilité  d'y  répondre. .  .  Mais  le 
jour   où   tu   succomberas.  .  .    tu  entendras  à  ton  tour  ce  que  lu  as  dit  aux 

autres  »  (Çâhib-Nâmeh,  153). 


L*UOMMK    SOCIAL  1^5 

mande  la  venj;eance,  mais  bien  l'inlérêl  |)ci>onnel  :  elle  gagne 
donc  parfois  à  se  montrer  inodtTi'e  (  I  ). C'est  encore  l'inlérêl, 
i|iii,  en  cerlains  cas,  commande  de  rendre  le  bien  ponr  le 
mal  :  «  Qiioiijnil  ne  l'aille  pas  faire  du  bien  à  un  vaurien,  il 
convienl  parfois  de  le  faire  pour  son  avantage.  Lorsqu  un 
chien  dévorant  le  monlro  les  dents,  tends-lui  anssilôl  un  os  ; 
il  n'y  a  rien  alors  de  meilleur  que  le  chien  »  (2). 

En  elTel,calcnI  et  circonspection  défendent  eflicacemenl  la 
liberté  individuelle  :  no  pas  se  laisser  emporter  par  la 
passion,  en  toute  chose  considérer  la  lin,  voilà  les  vrais 
moyens  d'échapper  à  la  mauvaise  fortune.  Aussi,  en  cas  de 
résolution  à  prendre, ne  vous  décidez  pas  trop  vite  ;  examinez 
bien  le  pour  et  le  contre.  »  Lorsque  tu  es  irrésolu  touchant 
l'accomplissement  d'une  affaire,  choisis  ce  parti  qui  se  trou- 
vera présenter  le  moins  d'inconvénients  »   [(iiilistan,  3li). 

Il  est  entendu  ({n'en  général  on  est  jugé  d'après  sa  mine  : 
»  Un  homme  à  la  robe  crottée,  même  si  la  sagesse  parle  par 
sa  bouche,  les  gens  ne  voudront  rien  savoir  pour  proclamer 
son  mérite.  Mais  celui  qui  a  la  robe  propre,  même  s'il 
s'asseoit  sans  rien  dire,  tous  tendront  l'oreille  si  l  on  parle 
de  son  mérite  •>  3  t.  Laissez  donc  le  populaire  s'arrêter  à  l'as- 
pect extérieur.  Quant  à  vous  ([ui  êtes  averti,  ne  vous  fiez 
pas  aux  simples  apparences,  non  seulement  pour  les  autres, 
mais  pour  vous-même  ;  ne  vous  laissez  pas  prendre  aux  com- 
pliments qu'on  vous  adresse,  mais  regardez  sans  cesse  au 
fond  de  votre  âme,  car  personne  ne  peut  se  connaître  mieux 
que  soi-même  (4).  Kt  l'on  se  trouve  ainsi  ramené  insensible- 
ment an  .1  -/vôOt  7£ajroy  »  de  Socrale  que  Saadi  rappelle 
parfois,  de  loin  il  est  vrai,  par  son  inébranlable  bon  sens. 

Donc,  si  vous  voulez  fermement  éviter  déceptions  et 
épreuves,  conquérez  ce  calme  souverain,  but  de  la  morale 

(1)  <«  Ne  cause  pas  ^  Ion  ennemi  loul  le  mal  <jue  lu  peux  lui  faire  :  il  «'sl 
pOb^ible  qu'un  joui*  il  devienne  Ion  nnii  »  {Gulislan,  313). 

(2)  ÇiUxihSdmeh,  151.  Cf.  un  passage  anainpue,  ihiil.,  p.  1«>7. 

(3)  ÇàhihSàmeh,  141. 

(4)  GuUslan,  88.  I.  U  cl  108,  II.  8. 

M.  —  10 


l46  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREM11>:R 

sociale  de  Saadi,  celte  séréniléqne  prêchaientles  Epicuriens 
fidèles  à  la  doclrine  du  maître  el  auxquels  Saadi  s'appa- 
rente par  tant  de  trait?:  soyez  sceptiques,  au  sens  propre 
de  ce  mot,  c'est-à-dire  examinez  sans  cesse.  Mais  Saadi  ne  se 
borne  pas  à  celte  recommandation  générale;  il  y  ajoute  des 
détails  pratiques.  Entourez-vous  de  conseils  avant  d'agir: 
«  Quiconque  prend  une  disposition  sans  prendre  conseil,  sa 
flèche  ne  touche  pas  le  but  »  [Çâhib-Aâmeh,  101).  Toute- 
fois, ces  conseils,  ne  les  suivez  qu'après  les  avoir  bien  pesés, 
car  ils  viennent  d'autrui  et  mieux  -vaut  à  tout  prendre  ne 
pas  se  créer  d'obligations  envers  son  prochain  :  «  11  vaut 
mieux  porter  le  poids  de  son  propre  chagrin  que  le  fardeau 
des  obligations  contractées  envers  autrui  »  [Gulistan,  159, 
III,  3).  Enfin,  avant  d'agir,  ne  présumez  pas  trop  de  vos  for- 
ces :  «  Celui  qui  heurte  de  front  les  pierres  est  celui  qui  est 
téméraire  par  ignorance  »  (Çâhib-Nâmeh,  191)  :  si  la  for- 
tune daigne  vous  sourire  un  instant,  n'en  concluez  pas  que 
la  partie  est  désormais  gagnée  :  «  Sois  humble  pour  l'éle- 
ver et  non  orgueilleux,  car  tu  t'en  repentirais.  En  effet, 
bien  des  fois  déjà,  le  ciel  a  tourné  sur  lui-même  en  don- 
nant l'un  et  en  retirant  l'autre  »  (1).  Ce  n'est  que  trop  vrai, 
le  sort  est  capricieux  et  il  faut,  malgré  toutes  les  précautions 
prises,  se  résigner  d'avance  à  ses  coups  :  «  Dès  que  la  puis- 
sance échoit  à  un  esclave,  tous  les  étrangers  se  tournent 
vers  lui  ;  quand  le  jour  du  bonheur  a  passé,  on  ferme  sur  lui 
la  porte  et  la  muraille  »  (2), 

Aussi,  parlez  peu.  Naturellement,  pour  l'ignorant,  le 
silence  est  le  plus  sûr  moyen  de  dissimuler  son  infériorité  : 
«  Pour  l'ignorant,  il  n'y  a  rien  de  meilleur  que  le  silence  ;  et 
s'il  connaissait  cet  avantage,  il  ne  serait  pas  un  ignorant  »  (3) . 
Mais,  même  pour  l'homme  intelligent,  la  réflexion  s'impose 


{{)  Moularamaàt  (trad.  Huart,  Congrès  or.  Paris,  1897,  p.  85). 

(2)  Çdhih-Ndmeh,  30.  Cf.  Ovide  {Trislia,  I.  1,  .39)  «  Donec  eris  Jelix  mul- 
tos  numerabis  ainicos,  lempora  sijaerint  nubila  solus  eris  ». 

(3)  Galisian,  322.  Cf.  pensées  analogues,  p.  323. 


I.'lloMMK    80CIAL  l/|7 

aussi  bien  avant  ia  moiiulru  parole  (ju'avaiit  l'acte  le  plus 
simple,  car  -<  une  paroli-  lâchée  iiereiili-e  plus  en  la  bouclie  ; 
l  honuiie  avisé  fait  allenlion  tout  d  al)or(l,  alin  de  n'avoir 
pas,  après  nn  temps,  celle  préoccnpalion  :  Qn'ai-je  dit  ? 
prëoccupalion  qui  sérail  vaine  »  (1).  Avant  de  parler,  non 
seulement  réfléchissez,  mais  laissez  voire  inlerlociilenr 
achever  son  discours  (2).  Quant  aux  secrets,  gardez-les  jalou- 
sement pour  vous  seul  :  f<  No  révèle  pas  tous  les  secrets  à  Ion 
ami,  car  (jue  sais-tu  s'il  ne  deviendra  pas  Ion  ennemi  •>  {(iu- 
list.ui,  ''\\'.\.\\\\  .  l'.nelfet.  ramitié,  si  belle  et  si  noble  (ju'elle 
soit,  rixpic  clK-nième  de  s'évanouir  au  moindre  souflle.  VX 
Saadi  ijui  a  consacré  aux  avantages  du  silence  |.'^)  le  livre  IV 
de  son  (iulisl.in  (4),  n'hésile  pas  à  conseiller  de  vivre  dans 
la  retraite,  non  pour  les  mêmes  motifs  tjuc  les  vrais  my^ti- 
ques  qui  voient  dans  la  société  <(  la  source  des  crimes  »  et 
dans  le  monde  <<  un  grand  vide  »  (.*)),  mais  parce  ijuc  c'est, 
somme  loule,  le  seul  moyen  de  vivre  paisiblement. 

^'oilà  r  «  auren  mediocrilas  ».  Saadi  va  même  juscju'à 
chanter  un  «  0  forlunnlos  niniiuni...  »  en  l'honneur  des 
gens  d'intelligence  très  moyenne  :  «  Les  gens  à  courte  vtie 
n'ont  (jue  leurs  soucis  à  eux  ;  les  prévoyants  ont  le  souci  de 
leur  proch.iin  cl  le  leur  propre  »  (Calcutta,  [).  i'.K*)).  Or,  sont 
obligés  dètre  prévoyants  tous  ceux  (jiii,  remplissant  de 
grandes  charges,  ont  ainsi  coni raclé,  envers  leurs  inférieuis. 
de  lourdes  obligations  peu  enviées  par  le  sage.  Ce  qui  conduit 
tout  naturellement  le  poète  à  examiner  les  droits  et  les  de- 
voirs des  princes  qu  il  avait  occasion  d'approcher. 


(1)  f^hih-Stimeh,  7. 

(2)  Gulislan,  200.  IV.  7. 

(3)  '«  I^e  Aileiicc  vaut  micin  qtift  de  r<^r«?lerà  quoiqu'un  la  pensi't»  de  t«<n 
propre  cœur  en  ajouLinl  :  Ne  lo  n^pètc  pas  »  {(inlistan,  311^.  Dans  I<^ 
l'enfi-i\(ùneli,  p.  203,  Saadi  renchéril  encore:  <  Autant  qu'il  le  sera  possi- 
ble, ne  r(^vcle  point  ton  secret  h  ton  ami  ;  quand  inC'ine  tu  sorain  seul, 
qu'il  ne  sorte  point  do  la  houcbe.  » 

^*)  Sann  parler  du  lioustan  ip.  2TK-287). 

(5,1  Xiiiqaddasi,  Les  oitC'tax  el  les  lîcitrs  irai.  «».  d<'  Tassy.  p.  1)7  ((iliap. 
le  Hibou). 


l48  DEUXIÈME    PARTIIi.    —    CHAPITRE    PREMIER 


({  Heureux  qui  conforme  sa  conduite  aux  conseils  de  Saadi  : 
prospérité  du  royaume,  prudence,  sagesse  politique,  tout  ^ 
est  dans  ses  discours  »  [Boustan,  134),  Autrement  dit,  là 
encore,  le  poêle  ne  met  pas  en  doute  Texcellence  de  ses  con- 
seils. Outre  ceux  qu'il  exprime  en  vers,  au  hasard  de  son 
inspiration,  on  sait  déjà  qu'il  écrivit  un  court  traité  de  po- 
litique dédié  au  gouverneur  mongol  Ankianou  (le  petit 
opuscule  intitulé  Conseils  aux  rois).  Ce  genre  était  au  reste 
à  la  mode  dans  la  littérature  persane  :  Rouzbih  (Ibn  el  Mou- 
qaffa)  en  avait  donné  le  modèle  par  son  Livre  f/it^m  (Khodaï- 
Nàmeh)  suivi  de  près  par  le  Livre  de  la  victoire  (Zafar- 
Nàmeh)  et  les  Règles  de  conduite  du  sultan  et  du  vizir  (adab 
es  sallanah  wal  wizarah)  (1);  le  grand  ministre  Nizam  el 
Moulk,  dans  son  Siâsat-Nâmeh^  portait  le  genre  à  la  perfec- 
tion ;  plus  tard,  Ghazâli  composait,  au  dire  d'Ibn  Khallikan, 
un  «  miroir  des  rois  »  ;  Farid  ed  Din  Attar,  dans  son  épopée 
mystique  du  Lancfage  des  oiseaux  (Manliq  et  taïr),  ne  dé- 
daignait pas  de  consacrer  quelques  vers  à  la  question  ;  à 
l'époque  de  Saadi,  Ibn  Abi  Randaka  et  Tartouchi,  mort  en 
\  126,  édictait,dans  sa  Lampe  des  rois  (sirâj  el  mouloûk),Ies 
règles  de  conduite  à  l'usage  des  princes.  En  dehors  de  la 
Perse,  sans  parler  des  Arabes  (2),  le  génie  pratique  et  précis 
des  peuples  tartares  les  portait  à  composer,  eux  aussi,  des 
traités  de  gouvernement  (3).  Saadi  se  conformait  donc  à  une 

(1)  Le  Marzouban-Nâmeh  contient  aussi  des  passages  de  politique  didac- 
tique. Cf.  E.-G.  Browne,  Lilerary  History,  II,  489.  Sur  les  traités  de  poli- 
tique persans,  cf.  Grundriss  der  iran.  Phil.,  II,  349  et  351.  Sur  le  Khodaï- 
Nâmeh  :  Encyclop.  Islam,  I,  p.  414,  col.  1.  Sur  le  Zafar  Nâmeh  et  VAdab 
es  Sallanah  :  Schefer,  Chresl.  persane,  I,  3  et  6 . 

(2)  La  1"  partie  du  Fakhri  d'Ibn  et  Tiqtaqa  en  fournit  un  exemple. 

(3)  Le  plus  ancien  livre  turc  qui  nous  soit  parvenu  est  le  Koadat  Koubilik 
(«  l'art  de  régner  »).  D'après  Ohsson  (Mongols,  II,  275),  un  savant  chinois 
nommé  lao-Schou  composa  un  traité  de  gouvernement  pour  Koubiiaï  qui 
était  alors  en  Chine  (vers  1251).  Sur  le  Koadat  Koubilik,  cf.  R.  Basset, 
Histoire  des  dix  vizirs  (avant-propos,  p.  13  et  n.  1). 


I,  iioMMi:  snri.M,  i  \(^ 

hadilion  l'iiiblif  l()rs<|u'il  disail  à  I  occasicMi  son  mol  sur  la 
inaiiitTo  (II'  ^'ouvt  riKT  ;  il  ne  s'ei»  priva  tlii  reste  pas,  el  l'on 
peut  recueillir,  à  travers  son  œuvre,  toute  une  série  de  pré- 
ceptes poliliijues.  Ces  derniers  s'y  trouvent  épars,  dans  une 
heureuse  liberté,  et  c'est  presque  trahir  le  poète  que  tenter 
d'introduire  un  ordre  lo^'icjue  dans  les  pensées  (ju'il  distillait 
pour  ainsi  dire  en  se  jouant. 

Tout  d'abord,  quelle  forme  de  gouvernement  recommande 
Saadi?  Il  est  nettement  monarchiste  et  ami  de  l'ordre  :  «  La 
grandeur  consiste  dans  la  soumission  à  l'ordre  »,  déclare-t-il 
dans  le  (iuli^t.in  (p.  77,  I,  '11')),  édictant  ainsi,  en  même 
temps  qu'un  précepte  politicjue,  une  maxime  morale  d'ordre 
général.  Mais  comment  doit  s'organiser  l'Ktal  .'  Il  s'en  ex[)li- 
que  sommairement  en  ce  passage,  révélateur,  peut-être, 
des  tristesses  que  lui  infligea  le  spectacle  de  l'anarchie 
{Çiihib-.\;imt'h,  ISi)  :  «  Il  est  indispensable  que  les  parti- 
culiers aient  au-dessus  d'eux  une  tête;  sinon,  aucun  ordre 
n'est  possible  dans  l'Ktat.  Car  les  grands  de  l'Ktat  (qui  sont 
la  tête)  savent  (jue,  sans  l'existence  des  sujets  (qui  sont  le 
corps),  la  tête  (qu'ils  sont)  est  disproportionnée  »  (1). 

Donc,  à  la  tête  de  l'Etat,  un  roi  ou  un  prince  qui,  s'il  n'a 
pas  ce  titre,  en  tient  le  rôle.  Mais  ce  prince  qui  mène  les 
autres,  ses  (jualités  et  ses  devoirs  s'en  trouvent  ainsi  multi- 
pliés. Quelles  sont  donc  les  qualités  indispensables  au  prince  ? 
D'abord,  il  doit  être  élevé  plus  durement  que  ses  propres 
sujets,  car  «  il  faut  montrer  plus  de  zèle  à  corriger  lesma-urs 
des  fils  de  souverain  »  (2).  Et  cette  sévérité,  le  prince,  une 
fois  sorti  des  mains  de  ses  précepteurs,  doit  continuer  à 
l'exercer  sur  lui-même,  car  c'est  lui  qui  donne  l  exemple  à 
ses  sujets  :  <(  Tant  que  tu  n'acceptes  pas  les  ordres  (de  Dieu), 
le  peuple  ne  suit  pas  les  tiens  ;  jamais  il  n'a  été  bien  de  faire 
soi-même  le  mal  et  de  commander  le  bien  »  (3)  ;  il  doit  sans 


(1)  Il  est  à  peine  nécessaire  de  signaler  I.i  médiocrilé  de  ces  n.él8|thorr5. 

(2)  GttlUlnn,  273,  VII,  3. 

(3)  Çdhib■^dmell.  143. 


l5o  DKUXIÈME    PARTIR.        -     CHAPITRE    PREMIER 

cesse  veiller  à  cotiserver  la  maîtrise  de  soi-même  :  a  celui-là 
est  judicieux  qui  est  roi  sur  sa  propre  personne  »  (1)  et 
V  celui  qui  a  pour  habitude  la  violence  n'exercera  pas  la 
souveraineté  ;  car  les  fonctions  de  berger  ne  seront  pas  rem- 
plies par  le  loup  »  [Gulisfcin^  41,  I,  6).  Mais,  pour  être  tou- 
jours calme,  il  faut  être  sobre,  car  «  le  potentat  commet  une 
grande  faute,  en  perdant  nuit  et  jour  au  vin  et  à  ses  consé- 
quences le  gouvernement  du  monde  n  (2).  El  cette  sobriété 
s'applique  non  seulement  aux  jouissances  delà  table,  mais 
encore  à  celles  du  corps:  «  Grands  de  ce  monde,  voulez- 
vous  conserver  votre  honneur?  Ne  cédez  point  aux  séduc- 
tions de  la  beauté.  Si  pures  que  soient  vos  intentions,  votre 
considération  en  sera  toujours  lésée  »  (oj.  Voilà  le  seul 
moyen  d'être  juste  ;  or  «  le  plus  beau  titre  de  gloire  d'un 
roi  est  de  ne  point  tolérer  la  violence  »  [Boustan,  23j,  et, 
sans  justice,  point  de  bonté,  le  prince  glissant  doucement  à 
la  tyrannie.  En  revanche,  que  d'avantages  le  prince  trouve 
dans  la  bonté  !  «  Sois  humain,  ne  cède  ni  à  la  violence  ni  à 
la  colère  et  la  terre  obéira  à  tes  lois  »  [Ibid.,  78).  Plus  il  est 
puissant,  plus  il  doit  se  montrer  bon,  à  l'exemple  même  de 
son  créateur  :  «  C'est  le  devoir  et  la  coutume  des  possesseurs 
d'empire  de  faire  du  bien  aux  hommes  bons  ;  puisque  le  père 
(Dieu)  a  donné  la  durée  aux  princes,  que  ceux-ci  traitent 
bien  ses  enfants  »  [Çâhih-Nâmeh,  21).  Et  non  seulement  les 
bons,  mais  même  les  méchants  quand  on  y  trouve  utilité  : 
«  Emploie  la  bonté  même  envers  riiomme  malveillant  ;  le 
mieux  est  de  fermer  la  gueule  du  chien  avec  une  bouchée  » 
[Gulistan^  87, 1,  33).  On  a  vu  queSaadi  conseille  une  répres- 
sion vigoureuse  des  méchancetés  et  des  crimes  ;  mais  ces 
conseils  s'adressaient  aux  simples  mortels  :  le  prince,  lui, 
par  politique,  usera  de  bonté  envers  un  homme  pervers  ;  lui 

(1)  Çâhib-Nâmeh,  p.  43.    Cf.    Corneille   (Ciiinà)  :  «  Je  suis  maître  de  moi 
comme  de  l'univers.  Je  le  suis,  je  veux  l'être.  » 

(2)  Ibid.,  7,  et  ibid.,  29  :  «  Ivre  et  nég-ligent,  que  peux-tu  ?  » 

(3)  Boastan,  25   et  cf.  Corneille    [Imilalion)  :    «    Fuis   énergiquement   la 
pratique  des  femmes.  Ton  ennemi  par  là  peut  savoir  ton  défaut.  » 


t.  IKiMMK    80(.1AL 


seul  cc|>t'n(laiil.L,'ràce  à  sa  (niisî<ance,  peut  se  pormellif  ccllf 
iiifiaclioii  il  la  lèj^'lc.  Qii  il  soil  plus  piiidciil  (jiiu  (juicoiHjue, 
loiileluis  ;  (|uc  su  vigilance  no  n'aéiMuii pisse  jamais  ;  et  Saadi 
n'h^^sile  pas  à  reconunanJer  au  prince  cJo  se  tiérober  aux 
douceurs  do  l'anHlié  :  «  l*our  vivre  à  l'abri  des  surprises,  il 
J'aut  voir  des  ennemisjus(|u'en  ses  propres  amis...  J'ai  connu 
des  Irailres  parmi  lesconlidenls  les  plus  intimes  •>  [Lioustan, 

Justice  et  bonté,  voilà  les  (jualilés  fondamentales  du  sou- 
verain. Quant  à  ses  devoirs,  ils  sont  multiples,  et  repré- 
sentent la  mise  en  cuuvre  de  ses  ijualités  naturelles.  Mais 
(jue  l'on  ne  croie  pas  qu'une  intelligence  déliée  suffise  à  un 
chef  d  Ktat  :  un  talent  particulier  lui  est  en  outre  nécessaire, 
car  (<  cha(|ue  personne  (jui  est  adroite  dans  la  dispute  n'est 
point  parfaite  dans  la  conduite  des  allaires  »  {(iulist.m,  321). 

Parmi  les  devoirs  du  prince,  esquissés  par  Saadi  dans  des 
vers  disséminés  çà  et  là,  on  peut  déterminer  —  si  systémati- 
(|ue  et,  partant,  si  contraire  au  génie  du  poète  (|ue  paraisse 
le  procédé  — (piatre  catégories  :  devoirs  envers  les  sujets, 
devoirs  envers  IKtal,  devoirs  envers  les  ennemis  de  l'Ktat, 
devoirs  envers  Dieu. 

«<  Les  rois  sont  des  bergers  ;  il  ne  leur  est  pas  permis  de 
dormir  ->  {Ç<ihih.Sànieh,  29)  ;  autrement  dit,  le  prince  veil- 
lera sans  défaillance  à  la  sécurité  de  ses  sujets  :  «  Si  le  pos- 
sesseur du  diadème  dort  bien,  ses  sujets  ne  dorment  point 
la  nuit  :  mais  s'il  veille  durant  la  longue  nuit,  ses  sujets  dor- 
ment traiHjuillement  et  grassement  >»  [Ibid.,  891.  Le  plus 
beau  titre  de  gloire  d'un  prince  est  en  ellet  de  ne  point  tolé- 
rer la  violence  [lioiisfan,  23).  Kn  outre,  se  sentant  protégés, 
les  sujets  n'en  travailleront  que  plus  énergicjuement  [Ibicl., 
18;.  lit  —  que  le  prince  s'en  persuade  —  lui  et  ses  sujets 
sont  solidaires  les  uns  des  autres  :  «  Les  sujets  forment  un 
arbre...  ;  ne  lui  enlève  pas  cruellement  racines  et  fruits  car 
lu  serais  (ainsi)  l'ignorant  qui  se  frappe  lui-même  de  la 
hache  »  {Çiihib-I\'ànich^  93).  Toutefois,  les  qualités  ou  les 
défauts  particuliers  du  prince  sont  absolument  indépendants 


102  DEUXIEME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIEU 

de  sa  manière  de  régner:  «  Qne  lu  sois  une  mine  el  même 
une  mer  de  vertus,  si  ton  peuple  est  lourmenlé,  tout  cela  ne 
sert  de  rien.  Mais  si,  avec  tous  les  défauts,  lu  restes  magna- 
nime, ta  faute  est  un  mérite  et  ta  laideur  un  ornement  » 
[IbicL,  187).  Le  prince  doit  donc  avant  tout  protéger  ses 
sujets.  Mais  lesquels  de  préférence  ?  Ceux  qui  sont  les  plus 
faibles:  les  petits,  les  humbles,  les  pauvres,  les  orphelins. 
"  Sois  bon  pour  les  humbles  »,  répèle  à  plusieurs  reprises 
le  poète,  ((  n'ordonne  pas  de  traiter  durement  les  petits,  car 
il  ne  convient  pas  de  briser  l'enclume  avec  le  marteau  » 
ilJn(J.,^o)  ;  «un  roi  ami  du  pauvre  est  le  gardien  de  ses 
états  [Ihid.^  107)  ».  Quant  aux  orphelins,  ils  méritent  l'as- 
sistance la  plus  assidue  :  «  Prends  garde  au  pauvre  orphe- 
lin, redoute  les  plaintes  qu'exhale  son  cœur  déchiré  ;  cin- 
quante années  de  bonne  réputation  sont  détruites  parles 
malédictions  d'un  enfant  »  {Bouslan^  33).  C'est  pour  le 
prince  wne  obligation  de  connaître  jusqu'au  plus  humble  de 
ses  sujets  ;  mais  c'est  en  même  temps  un  moyen  d'éviter 
l'erreur  :  «  Tu  ne  veux  pas  perdre  de  temps  ?  Ne  commande 
pas  de  besogne  aux  gens  inexpérimentés  )^  [Çâhib-Ndmeh^ 
97). 

Outre  les  humbles,  certains  sujets  d'élite  méritent  plus 
particulièrement  la  sollicitude  du  prince.  D'abord  ses  pro- 
pres serviteurs  qu'il  a  tout  intérêt  à  s'attacher  étroitement  : 
«  Récompense  par  de  nouveaux  bienfaits  tes  anciens  servi- 
teurs, ils  te  doivent  tout  et  ne  songent  pas  à  te  trahir  ...  Si 
l'âge  leur  ôte  le  pouvoir  de  le  servir,  il  te  reste  à  toi  le  pou- 
voir de  les  récompenser  »  [Boustan,  20).  Puis  :  «  Il  y  a  deux 
classes  de  sujets  que  tu  dois  favoriser  entre  tous  :  les  hommes 
de  guerre  et  les  hommes  de  conseil...  Protège  l'écrivain  et  le 
soldat  de  préférence  au  chanteur  »  [Ihid.^  75),  car  «  le 
maître  du  monde,  tant  que  les  gens  de  science  et  de  mérite 
sont  séparés  de  lui,  sa  domination  ne  recevra  pas  d'accroisse- 
ment »  (Çâhih-Nâmeh,  ^\).  Qu'il  honore  donc  non  seule- 
ment les  savants,  mais  encore  leurs  descendants  (Ibicl.,  35), 
car  u   les  rois  ont  plus  besoin  des  conseils  des  sages  que 


l.  iioMMi:   s<;(;iAL 


ceux-ci  (le  la  lavriir  des  rois»  {(lulixt-in,  'A\'2.  Saiidi  ne 
j)eul  en  cllcl  se  résoiidie  à  faire  passer  l'aiinée  avant  les  iii- 
lellecUiels  dans  le.s  préoccnpalions  du  priiu  e  ;  il  lui  recoin- 
maiido  cependant  de  bien  payer  ses  soldais  :  <«  l'onrqnoi  lo 
soldat  mal  paye,  mal  nourri,  saciilieiail-il  sa  vie  sur  le  champ 
de  bataille  »>  (1)  ?  C'est  même  la  caste  cju'il  convient  de  payer 
le  plus,  car  «  le  trésor  se  remplit,  non  pour  entretenir  le 
faste  de  la  couronne,  mais  pour  nttunir  l'aimée  »  [Iloiisf.in, 
33).  En  revanche  les  religieux,  ayant  fait  vœu  de  pauvreté, 
ne  recevront  jamais  rien  (2).  Kiilin,  les  étrangers,  marchands 
et  envoyés,  ont  droit  à  un  accueil  favorable  .comme  propa- 
gateurs de  la  bonne  renommée  du  prince  (jui,  toutefois,  ne 
doit  pas  oubliera  leur  égard  les  règles  de  la  circonspection, 
car  "  il  est  sage  de  se  méfier  d'un  inconnu  ;  c'est  peut-être 
un  ennemi  qui  se  cache  sous  les  dehors  de  l'amitié  »  [liou.s- 
tan,  20).  Kn  un  mot,  la  règle  du  prince  envers  ses  sujets 
consiste  à  les  proléger  et  à  favoriser  le  mérite  :  «  \'eux-lu 
assurer  l'immortalité  à  Ion  nom  ?  Ne  laisse  pas  le  mérite 
dans  l'ombre  »  yIhi(J.,''2'2). 

Plus  imporlants  encore  paraissent  les  devoirs  du  j)rince 
envers  l'Klat.  Mais,  d'abord,  le  prince  ne  peut  gouverner 
seul  :  il  lui  faut  des  ministres  et  des  administrateurs.  (]es 
derniers  seront  choisis,  notamment  les  gouverneurs  de  pro- 
vinces, parmi  les  riches,  defa^un  à  éviter  les  concussions  (3). 
Quant  aux  ministres,  lesquels  choisir?  u  Accorde  la  confiance 
à  celui  qui  craint  Dieu  et  mélie-toi  de  celui  qui  ne  craint  que 
le  roi.  Un  bon  ministre  doit  redouter  Dieu,  non  la  révoca- 
tion et  l'exil  n  (  ll)id.\.  Mais,  si  excellents  que  soient  les  servi- 
teurs du  prince,  il  ne  doit  pas  s'en  rapporter  entièrement  à 
eux  ;  il  vériliera  par  lui-même  les  plus  minimes  détails  «  de 
façon  à  avoir  l'esprit  on  repos  ».  L'entourage  du  prince  est 
bien  souvent  sujet  à  caution  et  —  celle  réilexion  de  Saadi 


(1)  nottslnn,  7.1.  Cf.   Çiiliih  Siimeh,  97  :  ••  KlaUo  l'arinre. 

(2)  Gulistan.  1*0-141  (II.  3i  cl  35). 

(3)  Boustan,  21. 


i;)/|  DEUXIEME    PAHTIE.    CHAPITRE    PUKMIER 

jette  un  triste  jour  sur  le  moufle  politique  de  son  temps  —  : 
«  Sur  cent  agents,  tu  trouveras  à  peine  un  honnête  homme  » 
[Ibid.].  Même  méthode  à  l'égard  des  dénonciations  :  «  N'ac- 
cueille jamais  une  dénonciation  avec  complaisance  et  sans 
la  scruter  à  fond  »  [Ibid,^  22). 

Saadi  a  signalé,  le  moins  dogmatiquement  du  monde,  il 
est  vrai,  les  traits  qui  caractérisent  le  grand  politique,  tant 
pour  le  prince  que  pour  les  premiers  serviteurs  de  l'Etat. 
^  oici,  selon  lui,  la  base  de  la  politique  :  <(  Le  droit  chemin 
est  entre  l'espérance  et  la  crainte.  L'homme  sage  espère  ce 
qui  est  bon  et  redoute  ce  qui  est  mauvais;  quand  un  roi 
est  partagé  entre  ces  deux  sentiments,  ses  Etats  offrent  un 
asile  assuré  »  {Ihid.,  17).  Aussi  le  prince,  bien  loin  de  se 
laisser  aller  à  un  opportunisme  dangereux,  a-t-il  besoin  de 
prévoir  sans  cesse,  car  «  le  regret  est  vain...  ;  en  temps  de 
paix,  prépare  les  armes  de  guerre,  sinon  à  quoi  sert  de  cher- 
cher à  endiguer  le  torrent?))  [Çâhih-Ndmeh,  19).  Or,  la  pre- 
mière condition  de  la  prévoyance,  c'est  de  se  méfier  de  l'inspi- 
ration ;  le  prince  doit,  plus  encore  que  ses  sujets,  réfléchir 
avant  d'agir  ou  de  parler  ;  en  effet  «  porter  avec  impétuosité 
une  main  trop  prompte  sur  son  épée  sera  cause  qu'on  mordra 
le  revers  de  sa  main  en  signe  de  regret  »  [Gulistan^  22o, 
V, 20). Mais  la  prudence  ne  suffit  pas  ;  il  y  faut  joindre  la  force, 
car  ces  deux  qualités  sont  inutiles  l'une  sans  l'autre  :  «  La  pru- 
dence, sans  la  force,  n'est  que  ruse  et  artifice  ;  la  force  sans 
prudence  n'est  qu'ignorance  et  folie  »  [ILid.,  331).  Il  est  vrai 
qu'en  certains  cas,  il  convient  de  substituer  à  la  force  une 
autre  puissance,  celle  de  l'argent  qui  fait  courir  moins  de  ris- 
ques :  a  Tant  que  l'affaire  réussira  au  moyen  de  l'or, il  ne  con- 
vient pas  de  jeter  sa  vie  dans  le  péril  »  (1).  Envers  les  États 
voisins,  il  est  entendu  que,  si  l'alliance  est  possible  avec  eux, 
l'union  fait  la  force  :  <«  Cent  mille  fils  isolés  sont  sans  force, 
mais  si  tu  les  tresses,  Alexandre  lui-même  ne  les  brisera  pas  » 
[Çdhih-Nâmeh,  71).  Sinon,  une  seule  méthode,  diviser  pour 

(1)  Gulislan,,  314  ;  et  cf.  ibid.,  191,  III,  28. 


r,*ll')MMR    SOCIAL  l55 

rc^^'iier:  <•  b^'appi*  iii  U'ic  (l«i  sorpciil  par  la  main  de  lonne- 
nii.  .  ;  si  riMiiieiiii  esl  vaiiKjiuMir,  Ui  auras  Uu*  lu  scM'peiil  ; 
si  ocliii-ci  l'emporlo.  lu  seras  délivré  de  Ion  ennemi.  »  I*!l, 
pour  y  parvenir.  Ions  les  moyens  sont  bons,  même  le  men- 
9on<;e  qui  «  mêlé  d'utilité,  est  préférable  h  la  vérité  qui 
excite  les  troubles  »>  (frufisf.in,  2"),  I,  I  .  Onsoii^'e  A  Machia- 
vel   Mais  aussi  quelle  Irantjuillité  pour  l'iltal,  lorscpie  la 

discorde  sévit  entre  ses  ennemis,  et  combien  le  mensontre 
trouve  ainsi  son  excuse  !  {Ibid.,'.l\H).  La  |)rospéritédn  royau- 
me est  en  elfel  le  premier  devoir  du  prince  :  préservation 
contre  l'eunenii.  car  «  un  royaume  en  sécurité  est  un  arbre 
fruitier  M  '  (/àhi/j-Xihneh,  5),  et  améliorations  inléi'ieures, 
améliorations  précisées  dans  ce  passage  qui  semble  wnc  flat- 
terie adressée  au  prince  de  Chiraz,  Abou  Hakr  :  <«  Le  prince 
ne  meurt  pas,  (jui  laisse  après  lui  des  ponts,  des  mosf|iiées, 
des  caravansérails  et  des  hospices  :  mais  s  il  meuil  srjus  lais- 
ser de  pareils  souvenirs,  il  est  semblable  à  l'arbre  qui  a  vé- 
gété sans  porter  de  fruits  »  (lioustan,  22). 

(Juant  aux  grands  serviteurs  de  l'Mtat,  leurs  devoirs  se 
confondent,  à  un  degré  moindre,  avec  ceux  du  souverain. 
Mais  quels  sont  leurs  devoirs  envers  lui?Saadi,îi  la  vérité, ne 
délinil  pas  ces  devoirs,  mais  s'attache  de  préférence  à  met- 
Ire  les  compagnons  du  prince  en  garde  contre  ses  caprices  : 
en  elfe t  <«  on  ne  peut  se  lier  en  l'amitié  des  rois...,  car  elle 
est  changée  sur  une  simple  imagination  »  (1). Aussi,  que  de 
prudence  convient  à  ceux  qui  servent  un  monarque  !  Com- 
bien il  leur  faut  perpétuellement  veiller  sur  eux-mêmes  ! 
Saadi  montre,  il  est  vrai,  peu  d'élévation  desprit  dans  ses 
conseils  au  ministre  qui  doit  avant  tout  se  montrer  parfait 
courtisan.  Naturellement,  son  premier  devoir  est  la  discré- 
tion ;  mais  est-ce  réellement  un  devoir,  ou  plutôt  une  simple 
précaution  ?  Si  l'on  doit  se  taire,  ce  n'est  pas  avant  tout  pour 
le  salut  de  ri.lal,  mais  simplement   parce  (pt'il   ne  convient 


(1)  QuVaian,   312.    Et   cf.  AUar,  Pend-Sdmeh  (Irad.  Sacy),  p.  1*7:  «  L'a- 
mitié De  se  trouve  point  dans  \e  cœur  des  rois.  •> 


1  56  DEUXIKME    PAHTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

pas  de  jouer  sa  lèle  eu  (livuli;naiil  le  secret  du  roi  (1)  ;  on 
court  grand  risque  à  signaler  au  prince  une  inlldélilé,  à  \ 
moins  de  posséder  son  entière  conliance  :  «  N'instruis  pas  le 
roi  de  la  trahison  de  quelqu'un,  sinon  alors  que  tu  as  la 
confiance  d'une  complète  approbation,  ou  bien  lu  fais  des 
efforts  pour  ta  propre  perte  ^)  [Gulistan,  318).  Car,  dans  ces 
fonctions,  si  hautes  soient-elles,  on  a  tout  intérêt  à  épouser 
docilement  l'opinion  du  souverain.  Il  est  évident  que  «  cher- 
cher un  avis  opposé  à  celui  du  sultan,  c'est  se  laver  les  mains 
dans  son  propre  sang  »  (2).  Mais,  même  sans  tenter  de  faire 
opposition, un  simple  conseil  donné  au  prince  paraît  à  Saadi 
une  singulière  hardiesse,  car  a  donner  des  conseils  au  roi  est 
permis  à  quelqu'un  qui  n'a  ni  crainte  pour  sa  tête,  ni  espoir 
d'obtenir  de  l'or  »  [Gulistan,  346),  c'est-à-dire,  n'est  per- 
mis qu'à  un  caractère  indépeiAlant,  pour  ainsi  dire  introu- 
vable à  cette  époque  d'absolutisme. 

Voilà  en  quelques  mots,  sinon  un  «  moyen  de  parvenir  >;, 
du  moins  un  moyen  de  maintenir  son  crédit  :  être  toujours 
de  l'avis  du  prince,  ne  pas  se  constituer  le  pot  de  terre  contre 
le  pot  de  fer.  A  vrai  dire,  Saadi,  pour  soi-même,  chérit  l'in- 
dépendance. 11  ne  se  gêne  pas  pour  donner,  le  moins  timi- 
dement qu'il  peut,  des  conseils  aux  souverains  (3).  Mais  lui 
vit  en  ermite,  vieux  et  désabusé  ;  ce  qui  lui  est  permis 
ne  saurait  l'être  à  qui  veut  à  la  fois  bâtir  sa  propre  fortune 
et  contribuer  à  la  prospérité  de  l'Etat. 

Cet  Etat,  des  ennemis  le  menacent,  à  l'intérieur  comme 
à  l'extérieur.  Or  le  prince  n'est  que  le  premier  gendarme  de 
son  pays  et  peut  dire  à  juste  titre  :  «  Pourquoi  serais-je  sur- 
pris d'être  haï  par  le  méchant?  C'est  la  haine  du  voleur  con- 
tre le  gardien  »  [Boustan,  70).  Et  cette  garde,  le  roi  doit 

fl)  Galistan,  211,  IV,  8. 

(2)  Gulistan,  85,  I,  31  et  cf.  ibid.,  325  ;  «  Quiconque  dispule  contre  de 
grands  personnages  verse  son  propre  sang.  >; 

(3)  «  Saadi,  ne  t'engage  pas  dans  les  routes  de  l'adulation  ;  puisque  ton 
cœur  est  sincère,  viens  et  fais  entendre  des  paroles  sincères.  Tu  parles  le 
langage  de  la  vérité  et  le  roi  sait  l'entendre  »  {Boustan,  15). 


I.'lloMMK    80CIAL  i'i^ 

l'assurer  sans  cesse,  toujours  juste  mais  sévère.  Le  fonclion- 
uaire  inlidèlo  sera  révocjiu'  aussilôl  îhid.,  21  *.  Celle  ré- 
vocalioii,  il  l'sl  vrai,  neconsliluf  parfois  (ju'un  averlisse- 
menl  un  |)cii  iiidi-  u't'xciuiinl  ]»as  al)st)lurneut  loule  rémis- 
sion :  ((  l^lrclollnu  sans  Irop  tarder  au  l'onclionnaire  (|uc  lu 
as  révo(|ué.  La  colère  d'un  roi  à  l'éj^'ard  de  ses  sujets  doit  être 
celle  dtm  pèrecpii  punit  ses  eulanls  (1  )  ».  Mais  ce  pardonne 
s'accordera  (pi'à  bon  escienl  ;  en  général,  alors  que  le  simple 
morlel  coninul  une  Tante  ou  laissant  un  coupable  impuni, 
cette  indulgence,  de  la  j»arl  du  prince,  deviendrait  un  crime  ; 
elle  n'est  permise  qu'au.x  voulis,  ces  mystiijues,  ces  *<  men- 
diants de  Dieu  )•  vivant  en  dehors  de  la  société  constiluée  et 
(jui  «  dans  leur  bonté  inépuisable,  font  vivre  les  méchanls, 
si  peu  dignes  que  soient  ceux-ci  de  leurs  bienfaits  »[Boust.'in, 
212  .  Mais  si  ces  mystiques  ne  doivent  compte  de  leurs  acles 
(pi'à  Dieu, le  prince  doit  compte  des  siens  ;\  ri'.latelà  son  peu- 
ple, et,  pour  lui.((  opposer  la  force  à  la  violence  est  une  règle 
de  justice,  car  la  tolérance  cpi'on  témoigne  aux  méchanls  est 
un  encourngement  qu'on  leur  accorde  ( Ihid.,  133)  ».  Saadi, 
plus  encore  pour  le  prince  (|ue  pour  le  simple  particulier, 
insiste  sur  ce  point,  applicjuanl  rigoureusement  la  vieille  loi 
du  talion  ipi  il  considère  coninie  le  fondement  de  la  justice  : 
«  La  bonté  et  la  bienfaisance,  si  coupables  qu'elles  soient, de- 
viennent répréhensibles  quand  elles  s'adressent  aux  mé- 
chants» //;<>/., 200;. Or, c'est  une  simple  mesure  de  précaution 
que  réduire  le  méchant  i\  l'impuissance  et  môme  le  détruire 
au  besoin  :  «  La  générosité  ne  doit  pas  s'exercer  envers  tous. 
Il  faut  anéantir  le  méchant  corps  et  biens.  Sois  sans  pitié 
pour  les  méchants  :  leur  faire  grAce  c'est  punir  les  autres 
hommes.  »  Kt  il  ne  faut  pas  hésitera  punir  vigoureusement  : 
"  Ne  condamne  pas  le  coupable  à  une  peine  légère...  Il  faut 
tuer    If    loup  sur  l'Iu-ure  el    non  lorsipi  il  a    dévoré   le   trou- 


ai) Boustnn,  21  pt  ibid  ,  22  :  «  Au  coupable  ro4)enl»nl  accorde  l'oubli  de  »a 
faute.  » 


100  DEUXIEME    PAHTIIC.    —    CHAPITIIE    PREMIER 

peuii  »  [Boustan,  19).  Toutefois  «  s'il  laisse  une  famille,  sois 
généreux  pour  elle  et  assure  son  existence  »  [Ibid.,  32).  Le 
souverain  n'oubliera  pas  en  effet  que,  s'il  punit,  c'est  afin  de 
s'acquitter  d'un  devoir  et  non  afin  d'assouvir  une  vengeance: 
il  reste  avant  tout  l'incarnation  de  la  justice  et,  s'il  ordonne 
la  mort  d'un  de  ses  sujets,  c'est  qu'il  ne  peut  faire  autrement 
[Ihid.,  18).  Et  cela  seulement  après  une  enquête  très  mi- 
nutieuse ;  souvent,  en  effet,  des  innocents  sonl  punis  à  linsu 
du  prince  qui  fera  bien  de  se  renseigner  périodiquement  sur 
les  criminels  que  renferment  les  prisons,  pour  le  cas  où 
quelque  innocent  se  trouverait  parmi  eux  (Ihid.,   32). 

\  oilà  pour  les  ennemis  de  l'intérieur.  Quelle  conduite 
tenir  envers  ceux  de  l'extérieur?  Contre  l'ennemi  civil,  tra- 
vaillant sourdement  à  désorganiser  l'Etat,  le  bannissement 
s'impose:  '<  Exile  sans  le  torturer  l'étranger  dont  l'âme 
fomente  de  coupables  desseins  »  [Ihid.,  20).  Dans  son 
propre  pays,  toutefois,  car  «  lu  n'as  pas  le  droit  d'infliger 
un  hôte  criminel  à  des  étrangers  ;  ils  seraient  autorisés  à 
dire:  Maudit  le  pays  qui  nous  envoie  de  pareils  hommes  » 
(Ihid.).  Contre  l'ennemi  déclaré  qui  attaque  l'Etat  les  armes 
à  la  main,  il  convient  d'abord  de  temporiser  tout  en  prépa- 
rant secrètement  la  guerre  (I),  puis,  si  aucune  conciliation 
ne  paraît  possible, de  pousser  vivement  les  hostilités:  «  Crois- 
moi,  la  paix  vaut  mieux  que  la  guerre.  Epuise  d'abord  tous 
les  moyens  et  il  te  sera  permis  ensuite  de  tirer  le  glaive... 
Une  fois  la  guerre  déclarée,  sois  tout  à  la  guerre  ;  ce  serait 
folie  d'opposer  la  bienveillance  à  la  haine  »  [Ihid.,  72). 
A  ce  sujet,  Saadi  joue  quelque  peu  au  tacticien  en  chambre 
et  subordonne  délibérément  à  la  conservation  de  la  précieuse 
existence  tous  les  principes  de  l'honneur  militaire  :  «  Siton 
armée  cède  et  se  débande,  ne  fais  pas  le  sacrifice  de  ta  vie. 
Quand  tu  es  à  l'une  des  ailes,  cherche  ton  salut  dans  la  fuite  ; 


(i)  Boustan,  76  :  «  La  guerre  doit  être  préparée  en  secret,  puisque  secrè- 
tes sont  les  intentions  de  l'ennemi.  » 


I.  IIOMMR    SOCIAL  I  Ôf) 

nii  cenln-.  n-vi-ts  le  coslimu'  de  l'ennemi  ..  l'no  lois  la  nnil 
venue,  ne  clenienre  pas  en  pays  ennemi...  Laisse  nne  joiir- 
ni'e  (le  marche  entre  l'ennemi  et  toi,  avant  de  dresser  les 
tentes...  Après  nno  joiirnéo  de  marche,  ses  forces  dont  épui- 
sées ;  iomix*  avec  des  tronjjes  fraîches  sni*  ses  soldats  haras- 
sés et  mets  ainsi  à  profil  la  fanle  (ju  il  a  commise...  Mais  ne 
i'aciiarne  pas  à  sa  ponrsuite  de  façon  à  l'éloi^'ner  des  tiens.  » 
Ces  conseils  légèrement  puérils  font  sourire  mais,  rellélanl 
peut-être  en  quelque  mesure  les  idées  du  temps  sur  la  tac- 
ti(|ue,  méritent  d'être  notés  à  ce  titre. 

Donc,  si  la  guerre  est  inévilahle,  elle  aura  lieu  contre  pjii'- 
fort  ou  i>l(is  faible  (|ue  soi-même.  I)aii>  le  premier  cas.  une 
seule  méthode,  ruser;  et  Saadi  explique  comment,  dansée 
passage  di<;nedu  Homan  de  Henart  contemporain  :<  L'empire 
du  monde  appartient  à  1  habileté  et  à  la  ruse  ;  baise  la  main 
que  tu  ne  peux  mordre  (i;;  j)rodigue  les  caresses  à  ton 
ennemi  comme  tu  le  ferais  à  ton  ami,  en  attendant  l'occasion 
de  l'écorcher  vif  »  [liniis/an,  71).  A  quoi  bon  exposer,  par 
un  héroïsme  inutile,  à  la  fois  sa  vie  et  son  empire  .'  Il  est  bien 
temps  de  recourir  aux  armes,  lorsqu  il  est  impossible  de 
composer  avec  un  ennemi  supérieur  :  <  Lorsque  la  main  est 
impuissante  à  employer  la  ruse,  il  est  permis  de  porter  la 
main  à  l'épée  »  lY^w/Z-v/////,  315)  (2).  En  revanche,  en  pré- 
sence d  un  ennemi  plus  faible  que  soi.  pas  de  pitié,  sous 
aucun  prétexte  :  .<  N'aie  pas  pitié  de  la  faiblesse  de  l'ennemi  ; 
car.  s'il  a  le  pouvoir,  il  n'aura  pas  pitié  de  toi  »>  [Ibid.).  VA 
si  même  cet  ennemi  s'humilie  et,  sans  tarder,  se  reconnaît 
vaincu,  la  simple  prudence  commande  de  ne  pas  se  laisser 
prendre  k  ses  bonnes  manières,  car  «  un  ennemi  faible  (|ui 
se  soumel  et  montre  de  l'amitié,  son  but  n  est  autre  que 
de  devenir  un  ennemi  fort  «>  illiid.,  'A\'.V\.  Toutefois,  il  y  a 
intérêt  à  ne  pas  refuser  «le  I  entendre  :  «  (Test  une  erreur 
d'accepliM- di--i  i'<in>i«'iU  i\r  la  p;irl   d'un  «'muMui  :    m;ns  il  c-.! 

(t)  Moiiii-  iiiiijjc,  ru/jt'»  .\iinck,  i'o.  Il  *«  «gil  au  lesleO  un  vi<mi\  pi.ivcrije 
oriental. 
(2)  C«  ver»  se  retrouve  dins  le  Houitan  (ver»  TH5). 


l6o  DEUXIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    PREMIER 

permis  de  les  écouter,  afin  que  lu  agisses  contrairement  à  ces 
conseils.  »^ 

Le  prince  ne  doit  donc  pas  ménager  Tennemi  qu'il  a  le 
pouvoir  d'abaltre.  Mais  qu'il  évite  les  excès  de  pouvoir  qui 
le  rendraient  injuste  :  «  Une  fois  maître  de  la  victoire,  ne 
t'aoharne  pas  contre  l'ennemi  vaincu  »  [Bouslan^  34).  Et 
celte  injustice,  dont  le  prince  doit  se  garder  envers  ses 
ennemis,  combien  il  doit  s'en  garder  davantage  encore 
envers  ses  propres  sujets  !  Car  sa  prospérité  dépend  de  la 
leur  et,  partant,  de  celle  de  l'Etat.  Or  u  un  roi  qui  opprime 
les  commerçants  ferme  les  sources  de  la  richesse  au  peuple 
et  à  l'armée  »  [Ibid.^  I9j  et,  plus  encore  :  «  Un  roi,  fûL-il 
maître  du  monde,  n'est  plus  qu'un  mendiant  lorsqu'il  spolie 
ses  sujets  »  [Ihid.^  33).  Saadi,  à  plusieurs  reprises,  flétrit 
énergiquement  le  despotisme  et  voue  le  tyran  à  l'exécration 
des  âges  :  c  Ne  cherche  pas  la  prospérité  dans  un  pays  où 
sévit  le  despotisme  »,  s'écrie-t-il  [Ihid.^  18)  ;  et  ailleurs,  se 
rencontrant  avec  le  a  Quos  vult  perdere  Jupiter  dementat  » 
d'un  autre  poète,  il  déclare  que  «  quand  Dieu  veut  la  ruine 
d'une  nation,  il  la  livre  à  la  merci  d'un  tyran  »  (//)ïc/.,  46).  En 
elfet,  quel  recours,  quelle  protection  restent  aux  sujets  du 
tyran  ?  «  0  roi,  ne  sois  pas  injuste  quand  nous  sommes  sous 
ta  protection.Les  faibles  se  plaignent  au  sultan  d'avoir  subi  la 
violence,  mais  si  c'est  toi  qui  fais  violence,  devant  qui  nous 
rendrons-nous,  nous  les  humbles?  »  [Çâhib-Nâmeh,  Ho). 
Aussi  Saadi  admet  le  tyrannicide  et  le  conseille  même  au 
besoin  :  «.  Si  le  roi  du  monde  verse  du  sang,  combien  de 
sang  sera  versé  !  Il  faut  le  tuer  comme  un  loup,  afin  défaire 
fuir  les  autres  loups  »  [Ibid.,  35). 

Et,  en  vérité,  quel  intérêt  trouve  le  prince  à  se  montrer 
despote  ?  Répondant  au  mot  du  vieux  tragique  latin  «  Ode- 
rint  dam  metuant  •>,  Saadi  démontre,  par  une  image  expres- 
sive, que  le  tyran  n'est  pas  en  sécurité,  même  s'il  est  redouté  : 

«  Les  scorpions le  plus  souvent,  c'est  par  peur  pour  sa 

propre  vie  qu'on  les  frappe  »  [Ibid.,  37),  En  outre,  la 
mort  se  présente  tôt  ou  tard  ;  et  pourquoi  laisser  au  monde 


L  liOMMK     SOCIAL 


une  nu'*nioiie  niaiiciile  .'  ■>  'loi  ou  tard,  la  lyrannie  cesHc, 
mais  le  nom  du  tvran  se  Iraiismclà  travers  les  A^'es  >•  i lions- 
tan,  iti).  A  (jiioi  bon  tourmenter  sans  profit,  non  seulement 
ses  sujets,  mais  ceux  des  autres  jirinces  ?  Saadi  (jui,  par  défi- 
nition,réprouve  la  guerre  (  I), condamne  résolument  la  ^nierre 
de  con(|uêle  :  ■<  Si  tu  conquiers  tous  les  ro\aimies  de  l'tini- 
vers,  tu  élèves  jus(ju'au  ciel  la  tiare  de  la  tyrannie  »  'Çùhih- 
i\;lmch,  7).  Kt,  parlant  en  son  nom  cette  fois,  le  poète  s'écrie 
énergiquement  :  ..  Je  l'atteste  au  nom  de  l'humanité,  tous  les 
royaumes  de  la  terre  seraient  trop  chèrement  payés  au  prix 
d'une  goutte  de  sang  qui  tombe  sur  le  sol  >»  [iiouslan,  3ii.  Il 
fallait  certes  quelque  courage  pour  parler  ainsi,  à  l'heure 
même  où  le  Fars  allait  perdre  son  indépendance.  Saadi,  pour 
finir,  en  appelle  à  Dieu  contre  le  tyran  (2  ).  i«  Mémento mori  », 
lui  crie-l-il  en  son  laniiatre,  se  transformant  soudain  de  con- 
seiller  politique  en  prédicateur  mystique  qui  sait  estimera 
leur  poids  les  vanités  terrestres  :  «  Quelle  conquête  inutile 
que  celle  du  monde,  puisque  après  l'avoir  subjugué  par 
l'épée,  il  faut  l'abandonner  par  la  mort  -  {/iou.sf.in,  M)).  Car 
tout  passe,  zavrx  ciet,  et  Saadi  chante  doucement  à  son  prince 
le  mélancolique  couplet  des  coulis  dont  Ilolbein  devait  don- 
ner plus  lard  l'illustration  saisissante  :  «  N'allache  pas  ton 
cœurau  monde,  car  les  révolutions  du  temps,  chaque  jour, 
placent  la  tiare  impériale  sur  une  autre  tète  »  (3/,  et  déplus: 
«  Avant  toi  le  monde  appartint  à  bien  d'autres,  et,  après  toi. 
sera  possédé  par  bien  d'autres,  sache-le  !  »  (4). 

Car  nous  mourons  tous,  et,  si  le  prince  doit  faire  le  bien, 
c'est  non  seulement  par  amour  du  bien,  mais  parce  qu'un 
jour  il  rendra  compte  (!••  *■"-  ;tctes  à  un   maître  «|ui  lui  esl 


(1)  •  Là  où  la  victoire  se  poul  obtenir  par  la  douceur,  évite  la  lutte  et 
l'elTusion  du  aang  >  {liouitnit,  34). 

(2)  Çdhib-.\àmeh,  6.'J  :  <■  MeAure  avec  l)it  u  ce  que  im'rilcnl  le  bien  et  le 
mal  de  la  création,  car  la  D)aiD  de  la  tyraouie  oe  reste  pas  toujours  ausai 
longue.  » 

(3,1  Çàhib-.\àmeh.  21. 

(4)  Çdhib  .\àmeh,  7. 

M.  -  Il 


103  DEUXIÈME    PARTIE.    —     CHAPITRE    PREMIER 

supérieur  :  «  Une  seule  royauté  est  éternelle,  celle  de 
Dieu  [  I  )  ;... crains-le, car  il  lit  l'écriture  cachée. Que  tu  la  lises 
à  voix  haute  ou  basse,  c'est  tout  un  >)  (2).  Aussi  «  aujourd'hui 
que  le  temps  est  à  toi.  fais  le  bien,  car  personne  n'est  chef 
pour  toujours  »  [Çdhib-Nâmeh,  9),  Mais  ce  bien,  le  prince 
ne  peut  réellement  le  faire  que  s'il  craint  Dieu  :  »  Si  tu  re- 
connais la  supériorité  de  Dieu  sur  toi-même,  une  grâce  éter- 
nelle demeurera  sur  toi  »  [Ihicl.^  150).  Sinon  «.  qu'il  ne  soit 
pas  à  la  tête  de  l'iitat,  ce  roi  puissant  qui  n'est  pas  envers 
Dieu  un  esclave  soumis  ».  Car  «  deux  personnes  sont  enne- 
mies de  l'Etal  et  de  la  religion  :  un  roi  sans  douceur  et  un 
religieux  dépourvu  de  science  »  [Gulistan,  3lti).  Il  y  a 
phisieurs  espèces  de  despotes,  mais  «  le  plus  à  craindre  est 
celui  qui  ne  craint  pas  la  justice  du  ciel  »  [Boustan^  18). 
Aussi,  quelle  triste  mort  lui  est  réservée,  cette  mort  dans 
laquelle  «  peine  et  plaisir,  tout  passe,  tout  s'ellace  » 
[Ihid.^  30)  !  Vraiment,  »  le  mendiant  dontla  fin  est  heureuse 
vaut  mieux  que  le  roi  qui  Unit  mal  »  [Gulistan,  344).  Or, 
finir  mal,  c'est  s'approcher  de  la  mort  en  laissant  derrière  soi 
le  désert  et  la  ruine  :  «  Jimais,  de  quelqu'un  qui  a  détruit  la 
demeure  des  hommes,  la  maison  n'a  été  éternelle  après  lui» 
(  Çdhih  '  Nânieh  ,29). 

En  revanche,  «  heureux  le  peuple  dont  le  souverain  se 
prosterne  devant  Dieu  comme  le  plus  humble  de  ses  sujets  !  » 
[Boustan^  l(i) .  Et  quelle  récompense  ne  mérite  pas  ce  bon 
pasteur  de  son  peuple  I  «  Un  l'oi  qui  s'occupe  de  protéger  ses 
sujets,  il  est  juste  que  sa  récompense  existe,  car  c'est  le  sa- 
laire d'un  berger  »  (Çâhib-iXâmeh,  29).  Or,  cette  récom- 
pense, le  prince  la  trouve  en  ses  sujets  mêmes  qui,  se  réglant 
sur  sa  religion  (Ga/w/a/z,  préf.  p.  7),  unissent  ainsi  leurs 
efforts  aux  siens  pour  la  grandeur  et  la  tranquillité  du  pays. 

(1)  Boustan,  40. 

(2)  Çâhib-Ndnieh,  33. 


l'homme  social  i63 


Que  représente  la  inoralo  sociale  do  Saadi  ?  Bien  loin  de 
prêcher  un  individualisme  danf^ereiix,  il  n'examine  riionirne 
que  môle  h  la  masse  de  ses  8cmblable8.  La  société  lui  appa- 
raît —  et,  parla,  il  semble  devancer  son  épo(jne —  comme 
une  manière  de  per|)éluel  devenir:  «  Trois  clioses  ne  demeu- 
rent pas  stables  sans  trois  antres  chofc^es  :  l'argent  sans  le  tra- 
fic, la  science  sans  les  controverses,  le  pouvoir  sans  sévérité  » 
{(riilist.in,  312).  Le  pouvoir  sans  sévérité  !  Il  veut  donc  l'or- 
dre avant  lonL  subordonnant  le  sujet  au  prince  et  tous  deux 
à  la  divinité.  Kt  c'est  j)ar  là  même  (ju  il  les  exalte.  Alors  que 
les  véritables  mystiques  révent,  on  le  verra,  d'anéantir 
l'homme  en  une  sorte  d'universelle  essence  divine,  Saadi, 
qui  joue  vis  i\-vis  des  mystiques  le  rôle  d'un  modérateur, 
conserve  le  principe  de  la  dignité  humaine.  Certes  il  n  i^'nore 
pas  Dieu,  créateur  de  I  homme,  mais  il  les  mainlienl  l'un  en 
face  de  l'autre  et  chacun  ;'i  sa  place.  En  outre,  à  une  époque 
d'absolutisme,  il  sait  dégager  des  règles  de  souveraineté  gé- 
néralement applicables  ;  alors  qu'on  s'attendait  ;\  le  voir  ilat- 
ler  les  princes  contemporains,  en  leur  recommandant  d  user 
de  tout  leur  pouvoir,  il  leur  conseille  au  contraire  la  mo- 
dération et  la  tolérance  ;  son  système  de  gouvernement, 
dans  ses  parties  principales,  reste  actuel  et  n'avilit  pas 
Ihomme.  Une  seule  tache  sur  cette  morale  sociale  :  l'idée  de 
la  vengeance  licite  ;  mais  Saadi  écrivait  au  treizième  siècle, 
subissant  inconsciemment  des  siècles  de  doctrine  sémitique 
(car  le  Coran  empruntait  à  l'Ancien  Testament  la  loi  du 
talion^i,  alors  (|u'aujouid  hui  même  —  qu'on  ne  I  oublie 
pas  —  la  vendella  subsiste  encoif  dans  (pielques  coins  do 
l'Kurope. 

I*uis.  il  s'agit  avant  tout  dune  morale  pratique,  ensei- 
gnant comment  se  conduire  dans  le  monde  ;  et,  sans  que 
Saadi  paraisse  pour  cela  pessimiste,  un  grand  nombre  des 
historiettes  du  Poualun,  m&ib  surtout  du  (îu/iatun,  be  bor- 


l64  DEUXIÈME    PAKÏIE,    CHAPITRE    PUEMIEU 

lient  à  coiislater  des  traits   de  caractère,   sans  louange  ni 
censure.  On  songe  à  certaines  fables  de  La  Fontaine  qui, 
sans  prendre  parti,. se  borne  à  montrer  le  faible  opprimé  par 
le  fort,  le  pauvre  par  le  riclie,  l'honnête  parle  fripon.  M.  E.- 
G.  Browne  [Lit.  Ilistory,   II,  530)  a  très  finement  analysé 
cette  relativité  de  la  morale  de  Saadi  :  ainsi  dans  la  huitième 
historiette  du  Gulistan{p.  43),  un  monarque  fait  jeter  en  pri- 
son, dès  son  avènement,  les  ministres  de  son  prédécesseur, 
de  peur  qu'ils  ne  conspirent  contre  lui,  «  agissant  d'après  la 
parole  des  sages  qui  ont  dit  :   0  sage,  crains  celui  qui  te 
craint  »  ;  or,  s'il  est  un  acte  de   tyrannie,  c'est  bien   celui- 
là.  L'historiette  suivante  démontre  que  ce  sont  souvent  les 
pires  ennemis  d'un  homme  qui  héritent  de  lui.  Une  autre 
historiette  [Ihicl.,  51,  I,  15)  raconte  la  désertion  d'un  soldat 
devant  l'ennemi,  faute  de  paie.  Ainsi  va  le  monde  qui  n'est 
certes  pas  parfait,  mais  qu'il  faut  accepter  joyeusement  tel 
qu'il  est,  sans  se  raidir  ni  se  plaindre.  Or,  la  morale  sociale 
de  Saadi  enseigne  à  se  comporter  le  plus  honnêtement  possi- 
ble, mais  en  sauvegardant  du  même  coup  son  indépendance 
et  sa  sûreté.  Vous  voulez  cependant  davantage?  Vous  aspi- 
rez à  une  perfection  que  vous  pressentez  sans  la  connaître? 
Saadi  encore  vous  trace  à  petites  touches  la  voie  qu'il  faut 
suivre  afin  de  dépasser  la  moyenne  humanité.  Ou  bien  vous 
resterez  à  mi  côte  et  vous  deviendrez  l'  «  honnête  homme  » 
par  excellence   ;  ou   bien   vous  pousserez   courageusement 
sur  le  chemin  de  plus  en  plus  âpre,  jusqu'à   planer  aii    delà 
de    toutes   les    contingences    de    cette    vie,    de    toutes    ses 
grandeurs  et  de  toutes  ses  petitesses  :  «  Ne  va  pas  croire  qu'il 
n'y  ait  rien  au-dessus  de  la  souveraineté  ;  le  calme  et  la  féli- 
cité parfaite  ne  se  trouvent  que  dans  le  royaume  des  der- 
viches •)  [Boustan,  49).  On  va  voir  «  l'honnête  homme  >'  tel 
que  le  conçoit  Saadi,  avant  d'aborder  ses  idées  sur  «  l'homme 
de  Dieu  >♦. 


cnAiTini-:  ii 

l'honnêtf:  homme 


Oiilre  les  ouvrages  de  Saadi  réunis  dans  l'édilion  de  Cal- 
culla.  un  opuscule  lui  fut  allrihut'  dès  le  quinzième  f^iècle  1 1), 
opuscule  à  tendances  morales  intitulé  :  J'('ncl-i\//mc/i  (livre 
des  conseils)  ou  encore  K,irinia  (d'après  le  premier  mot  de 
l'ouvrage).  Composé  sur  le  modèle  du  Livre  des  consei/s  de 
Farid  ed  l)in  Allar  (2),  il  est  parfois  considéré  comme  apo- 
crv|)lie,  mais  n'en  reste  pas  moins  digne  de  Saadi  :  sans 
parler  de  sa  remarquable  forme  littéraire,  il  expose  en  effet 
une  morale  fort  analogue  à  celle  du  poète  de  Chira/,.  De 
plus,  ces  idées  morales,  réduites  à  l'étal  de  simples  pensées 
à  peine  viviliées  ça  et  là  par  une  métaphore,  forment  une 
sorte  de  compendium  et  il  y  a  donc  lieu  d'examiner  rapide- 
ment l'ouvrage  afin  d'en  dégager  l'idéal  moral  qu'il  contient. 

Le  Pend-Ndmeh  débute  par  une  sorte  de  lamentation  qui 
rappelle  cpieNpie  peu  le  |»rologue  du  Fniist  de  Gœthe  : 
•<  Quarante  ans  de  ta  vie  précieuse  se  sont  écoulés,  et  ton 
naturel  est  encore  celui  que  lu  avais  dans  l'enfance.  Tu  n'as 
rien  tail  (jue  la  vanité  ou  la  passion  ne  l'y  aient  porté.  Tu 
n'as  pas  embelli  un  seul  de  tes  instants  par  des  occupations 
sérieuses  »  (Trad.  (iarcin  de  Tassy,  p.  MMii.  Kt  l'auteurcon- 
tinue   par  cette   parole   de  désenchantement,  si    proche  de 

(1)  Rieu  (Persian  Mss.  Hrili^h  Mus.,  II.   865)  a  démontré  que,  déjà  en  1438 
(  11.842),  on  le  considérait  comme  l'ouvrage  de  Saadi.  Cf.  Grundriss,  II ,  295. 

(2)  Hrowiio  (LUerary  llitl..  II,  532):  c  Pand  N«mn  or  book  of  (lounsels, 
on  llio  niodel  of  Atlais  and  olbers  ».Cf.en  outre  Nitcir  ed  diii  ben  Kliosroû, 
le  livre  de  la  fclicilé,  en  30  cbapilie»  Trad.  Fagnan.  '/..  D.  M.  G.,  1880) 
p.  643  et  suiv.,  nolaninu-nt  les  clinp.  III  (réijuilé;.  IV  (la  patience)  VIII  et 
XXI  (l'avidité),  IX  (la  générosité). 


l65  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

Ylnutiilion  :  ^»  Monàiiie,  ne  place  poiiiL  la  conliaiice  en  celLe 
vie  qui  passe,  ne  le  ci'ois  pas  à  l'abri  des  jeux:  de  la  forlune.  » 
Ces  jeux  delà  forlune,  il  faul,  afin  de  s'en  préserver,  vivre  en 
honnêle  homme,  fuyanl  le  vice  et  s'attachant  à  la  pratique 
des  vertus.  Quels  sont  donc  ces  vices  el  ces  vertus,  d'après 
le  Pencî-Nâmeh  ? 

Les  vices  d'abord  :  l'orgueil,  «  le  propre  des  ignorants.  . 
le  capital  du  malheur  »,  si  déplaisant  chez  le  savant  (Irad. 
cit.,  p.  110);  la  tyrannie  qui  en  découle  (p.  114);  l'avarice 
(p.  108)  et  la  cupidité  dont  l'esclave  »  livre  au  vent  la  mois- 
son de  la  vie  »  (p.  116);  enfin,  le  mensonge  (p.  120)  el 
l'ignorance  (p.  112),  en  l'espèce  l'ignorance  de  la  seide  con- 
naissance qui  vaille  vraiment:  celle  de  Dieu,  sans  laquelle 
on  ne  peut  se  connaître  soi-même  (1  )  :  «  L'enfer  est  réservé 
(à  l'ignorant)  car  il  est  difficile  que  sa  vie  ail  une  bonne  fin  ». 

Les  vertus  ensuite  :  la  droiture,  source  de  toutes  les  au- 
tres (2)  ;  la  patience,  c  clef  de  la  porte  du  désir  (3)  et  souve- 
raine de  l'empire  des  souhaits  »  (p.  il9);  la  justice,  «or- 
nement de  la  royauté  »  (p.  113);  la  générosité  (p.  lOB), 
«  capital  de  la  joie  (4),  récolte  de  la  vie  »  et  qu'on  doit  pra- 
tiquer si  l'on  veut  imiter  Dieu  dont  elle  est  l'attribut  par 
excellence  ;  rhumilité  (p.  109)  «  qui  élève  celui  qui  la  prati- 
que... et  le  rend  digne  du  nom  d'homme  >•  ;  enfin,  au  plus 
haut  degré,  la  science  *<  sans  laquelle  on  ne  peut  connaître 
Dieu  n  et  qui  constitue  le  plus  ferme  soutien  de  l'homme 
en  ce  monde:   «.    Tiens-toi   fortement  attaché   au  pan  du 


(1)  Cf.  le  tilre  de  Bossuel  :  De  la  connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même. 

(2)  «  Si  lu  te  diriges  d'après  la  droiture,  les  hommes  seront  tes  amis.  Le 
sao-e  ne  détourne  point  la  tête  de  la  pratique  de  celte  vertu  qui  donne  à 
la  réputation  je  ne  sais  quoi  de  sui)lime.  »  En  rapprocher  Çâhib-Nâmeh, 
p.  9  :  «  Par  la  voie  droite,  lu  peux  parvenir  à  ton  but...  La  droiture  sauve 
les  hommes  du  feu  infernal  »  et  Livre  de  la  félicilé  (p.  644)  :  «  Le  salut  est 
le  résultat  d'une  conduite  droite  iez  rdslkârî  reslkârî)  ». 

(3)  Livre  de  la  Je  licite  (p.  647)  :  ><  La  patience  est  la  clef  de  la  porte  du 
paradis  ». 

{i)  Ibid.  (p.  648)  :  «  C'est  la  générosité  qui  guidera  tes  pas  vers  le 
bonheur. 


l/HOMNêTl    HOMMB  167 

nianleau  tle  la  science;  lu  seras  conduit  au  palaift  de  la 
slabiliU'  >>  |).  111).  Ac(jiu''rir  celle  scirnco  chI  le  premier 
devoii- de  )  homme  (jui  tend  à  la  jierfeciioii  :  «  Le  dcvoii- de 
t'inslruire  esl  pour  loi  un  précepte  obligatoire  (jue  Dieu  l'a 
imposé,  (juand  même,  pour  l'exécuter,  il  faudrait  parcourir 
le  monde  »  (1).  Mais  une  fois  celle  science  acquise,  quelle 
sérénité  !  car  la  vie  se  passe  désormais  uniijuemenl  à  prati- 
quer le  bien.  Aussi:»  N'abandonne  jamais  le  sentier  du 
service  de  Dieu;  la  félicité  même  de  celle  vie  en  dépend. 
La  lumière  des  bonnes  œuvres  éclairera  les  sinuosités  de 
Ion  caur  »  i  j).  117). 

Tel  esl  l'essenliel  du  Pend-Niimeh  ;  mais,  outre  ces  vertus 
en  quebpie  sorte  cardinales,  on  en  peut  découvrir  d'autres  à 
travers  Itruvre  de  Saadi.  Dans  le  (iiilislun.  il  y  ajoute  le 
courage,  mais  le  véiitable  courage,  le  courage  moral,  car 
«  le  courage  ne  consiv'^le  pas  à  donner  un  coup  de  poing  sur 
une  bouche  »>  (p.  148.  IL  44).  En  outre,  Saadi  revient  à  plu- 
sieurs reprises  sur  une  verlu  qu'il  semble  estimer  plus  (jue 
toutes  les  autres:  la  bonté,  verlu  innée  ^2)  qui,  telle  une 
ûnmxne  Houstun,  1.')),  tressaille  et  monte  sans  cesse  vers 
le  ciel.  Il  semble  qu'on  puisse  discerner  deux  sortes  de  bon- 
té dans  les  passages  que  Saadi  lui  consacre  :  l'une,  encore 
intéressée,  appartiendrai!  aux  gens  à  demi  parfaits;  l'autre, 
plus  élevée,  plus  pure,  serait  luniijue  privilège  des  mortels 
qui  alleignenl  à  la  perfeclion  morale.  Au  fond,  la  première, 
celle  bonté  en  (juelque  sorte  imparfaite,  se  ramène  somme 
toute  au  «  Ne  faites  pas  aux  autres  ce  que  vous  ne  voudriez 
pas  qu'on  vous  fît  «•  de  l'Kvangile.  Kl  il  serait  facile  de  relever 
dans  Saadi  plusieurs  pensées  analogues,  par  exemple  :  «  Le 
mal  (jue  lu  n  approuves  pas  pour  loi-même,  ne  le  fais  à 
personne,  ô  mon  frère  ».  Pensée  complétée  parce  trait  légère- 
ment humoristique  :  «  Si  lu  aimes  bien  ta  mère,  ce  n'est  pas 
une  raison  |)our  insuller  la    mienne   >•  [ÇùhihSiinnh,  lilii. 

(i)  E»t-re  1^  une  allusion  aux  voya|t<'K  (le  Saodi  ? 

{t)  M  I.a  bonté  esl  udo  qualité  innée  et  que  nen  ne  peut  faire  acquérir  » 
{Bouitan,  120). 


l68  DEUXIÈME    PARTIE.     CHAPITRE    II 

Etre  bon,  c'est  en  quelque  sorte  obliger  les  autres  à  vous 
payer  de  retour  à  l'occasion  :  <^  Celui  qui  ne  pardonne  point 
à  ceux  qui  sont  tombés,  qu'il  craigne,  s'il  vient  lui-même 
à  tomber,  que  personne  ne  lui  prenne  la  main  »  [Gulistan  ^ 
46,  I.  KM. 

Pardonner  !  ce  mot  peut  surprendre  sous  la  plume  de 
Saadi,qui,  tout  à  Ilieure,  conseillait  nettement  la  vengeance 
el  rejetait  loule  indulgence  envers  les  méchants.  Maisquel'on 
n'oublie  pas  qu'en  morale  socialeil  admet  le  pardon,  lorsqu'un 
avantage  en  peut  résulter.  Puis  il  s'agit  à  présent  de  morale 
supérieure  ;  il  n'est  plus  question  de  l'homme  luttant  contre 
ses  semblables,  mais  du  mortel  qui  peine  sur  la  route  escar- 
pée de  la  perfection.  Celui-ci  non  seulement  peut,  mais  doit 
pardonner.  Il  y  trouve  tout  d'abord  son  intérêt,  car  «  qui- 
conque ne  pardonne  pas  à  ses  inférieurs  est  puni  par  la  vio- 
lence de  ses  supérieurs  »  [Gulistan^  345)  ;  mais,  en  outre,  se 
montrer  bon,  c'est  un  élément  de  bonheur  :  on  n'est  heureux 
qu'autant  qu'on  a  soi-même  pratiqué  le  bien  et  «  quiconque 
n'exerce  pas  la  bonté  quand  il  en  a  le  pouvoir  éprouvera 
beaucoup  de  tourments  au  temps  de  la  détresse  »  (//)ïf/.,32l  ). 
Saadi  semble  même  admettre  une  sorte  de  justice  imma- 
nente, prenani  comme  instrument  les  êtres  les  plus  inatten- 
dus ;  ainsi  :  «  Quel  bien  as-tu  fait  à  ton  père  afin  que  tu  en 
attendes  tout  autant  de  ton  fils  ?  »  (Ibid.,  265,  VI,  3).  Autre- 
ment dit,  on  ne  mérite  le  bien  qu'autant  qu'on  l'a  fait 
soi-même  aux  autres.  Ce  bien  consiste  en  aumônes,  évidem- 
ment (1)  ;  mais  à  qui  ne  possède  pas  de  quoi  les  répandre 
autour  de  soi  reste  l'aumône  morale,  c'est-à-dire  la  compas- 
sion :  u  Veux-tu  que  ton  sort  soit  exempt  de  chagrin,  n'oubbe 
pas  les  cœurs  que  le  chagrin  dévore  »  [Boiistan,  99).  Cette 
bonté,  les  puissants  eux-mêmes  n'en  sont  pas  dispensés  ; 
ils  doivent,  eux  aussi,  compter  avec  les  retours  de  la  for- 
tune :  u  Combien  de  riches  sont  tombés  misérablement,  que 

(1)  En  aumôiies.  Mais  il  faut  s'entendre  :  «  L'or  que  le  riche  tire  par 
quintaux  de  ses  coffres  n'a  pas  le  mérite  de  l'obole  donnée  par  l'artisan  » 
(Boastan,  p.  111). 


L'uONNh^TF    IloMMK  I  6f) 

fie  fois  la  forluiie  a  rolevê  ceux  (|ucllo  avait  renversés  1  lOvile 
donc  d  arilii,'er  ceux  à  «jiii  lu  commandos,  de  peur  do  tomber, 
loi  aussi,  sous  leur  tlominalion  »  fioustun,  112;.  Car  ce 
monde  est  la  demeure  de  l'instabilité;  aussi,  môme  devant  uti 
ennemi  mort,  faut-il  s'abstenir  de  joie  :  «  Je  n'ai  point  sujet 
de  n^i.'  r('j()uirde  la  mort  d'un  ennemi,  car  ma  vie  n'est  point 
non  plus  éternelle  •>  [(iu/ist.in,  '.)!,  I,  M). 

Vi\  (lettré  de  plus,  et  l'on  touche  à  la  parfaile  bonté  :  c'est 
alors  (jM  on  voit  resplendir,  non  plus  la  simple  compassion, 
mais  celte  universelle  pilié  (pii  se  penche  sur  «  la  majesté 
des  souirrances  humaines  ».  VA  cela,  non  plus  parcalcid, 
mais  j):u'  la  puissance  du  rayonnement  intérieur,  layonne- 
ment  éniané  de  Dieu  (1  )  et  (jui  pousse  l'homme  purilié  vers 
lassislance  et  le  soulagement  de  ses  frères  en  détresse  : 
<«  Le  sage  redoute  la  soullVance  autant  pour  autrui  que  pour 
lui  même  (2  ,...  l'homme  bien  portant  partage  la  douleur  du 
malade  t|ui  gémit  à  ses  côtés  »>  (5ou5/r?n,  4i).  Cela  suppose 
en  général  (ju'on  a  soulï'erl  auparavant  soi-même,  au  physi- 
<pie  o»i  au  moral  ;  en  elï'et  <«  ceux  qui  n'ont  pas  éprouvé 
l'amertume  du  besoin  font  la  grimace  et  détournent  leur 
visage  devant  les  mendiants  »  [Çùhih  iXAmeh,  p.  41).  Mais 
aussi,  combien  celui  ipii  a  soulîerl  sait  deviner  les  douleurs 
d'aulrui,  même  dissimulées:  «  Klle  connaît  l'état  des  mal- 
heureux, la  personnequi  a  été  malheureuse  dans  ses  propres 
affaires  •>  i3'.  Qu'on  songe  aux  soullrances  des  malades  qui 
n'ont  personne  auprès  d'eux  :  «  La  nuit  est  bien  longue 
pour  le  malade  qui  se  débat  dans  les  convulsions  de  la  dou- 
leur "  (il.  Du  moins,  si  l'on  ne  peut  les  guérir,  qu'on  les 
aid»'  à  stipporler  leur  mal  :   <  Lors(jue  lu  ne   peux   enlever 

1, 1)  «  V»Mu-lii  i|ue  Dieu  te  pardonne,  fais  du  bi(^ti  aax  créatures  de  Dieu» 
((Uilistan.  6S,  I.  20). 

(2)  Cf.  le  mol  de  Mme  de  Sévijjné  :  t  Quand  vous  toussor,  j'ai  ma!  à 
voire  poitrine.  >» 

(3  Otilistan,  V|||.  Cf.  le  vers  laliii  :  <  Haud  ignara  mali  miseris  succu- 
rer<*  disco.  ■• 

(4(  lioustan.  324  el  cf.  \c  vois  île  I.imarlin»»  :  .<  Qn.»  la  nuit  parait  loneue 
à  la  douleur  qui  veille  !   > 


170  DEUXIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    II 

sa  douleur  à  celui  qui  souffre,  efforce-loi  d'amoindrir  sa 
douleur  par  des  visites  »  [Çâhib-Nâmeh,  60).  El  Saadi, 
songeant  dans  le  Gulistnn  (p.  55,  I,  I6)  à  tout  ce  que  le 
monde  d'ici-bas  suppose  de  douleurs  ignorées,  jelle,  au 
milieu  d'une  simple  historiette,  cette  admirable  exclamation, 
plus  admirable  encore  à  son  époque  :  «  Combien  d'hommes 
affamés  se  sont  couchés  tandis  que  personne  n'a  su  qui  ils 
étaient!  Combien  d'âmes  se  sont  exhalées  sur  lesquelles 
personne  n'a  pleuré  !  »  Pensée  pour  laquelle  un  mot  du 
Boustan  (p.  ill)  sera  le  meilleur  des  commentaires  :  c  Seul, 
le  cœur  est  impérissable  »  (1). 

Le  cœur,  oui.  Mais  à  condition  de  n'être  pas  tout  dans 
l'âme  humaine  et  de  trouver  en  la  raison  (aql)  un  régula- 
teur. C'est  sur  elle,  on  Ta  vu,  que  Saadi  fonde  la  dignité  de 
l'homme  (2).  A  vrai  dire,  il  l'invoque  assez  peu  fréquemment 
au  cours  de  son  œuvre  ;  mais  cette  œuvre  même  n'est-elle 
pas  la  glorification  perpétuelle  de  la  raison,  un  «  rien  de 
trop  »,  un  ((  in  medio  virtus  »,  célébrés  dans  d'innombrables 
historiettes  ?  On  verra  bientôt  que  cette  même  raison  empê- 
che Saadi  de  suivre  ses  confrères  en  mysticisme  dans  leurs 
divagations  ascétiques.  En  allendant,  elle  lui  permet  de 
donner  à  l'honnête  homme  sa  ligne  de  conduite.  Sans  doute, 
«  le  bien  et  le  mal  se  mêlent  dans  la  nature  humaine  » 
[Çâhib  Ndmeh,  p.  l)et,  pour  entendre  le  langage  de  la 
raison,  «  il  faut  d  abord  imposer  silence  aux  clameurs  bru- 
tales de  la  passion  »  [Boustan^  255)  ;  sans  doute,  certains 
semblent  en  apparence  se  régler  d'après  la  raison  et  il  est 
presque  impossible  de  sonder  la  conscience  des  autres  : 
«  Telle  est  lapparence  chez  moi,  mais  tu  ne  sais  pas  ce  qui 
est  caché  dans  mon  cœur  »  [Gulistan.,  IÛ8,  II,  8).  Mais,  cela 

(1)  Cf.  Vauvenargues  :  c  Les  grandes  pensées  viennent  du  cœur»  et 
Ghazali,  Le  préservatif  de  l'erreur  (Trad.  B.  de  Meynard,  J.  A.,  ■1877,  IX, 
p.  72)  :  <  L'iiomme  est  composé  d'un  corps  et  d'un  cœur.  Par  le  molcceur 
j'entends  cet  esprit  de  vérité  qui  est  le  siège  de  la  connaissance  de  Dieu.  » 

(2;  «  Par  la  raison  ('aql),  tu  te  distingues  des  bêtes  ;  sinon  elles  te  sont 
supérieures  par  la  force»  {Çâhib-Nâmeh,  118), 


l'honn^tr  iiommf  i-ji 

posti,  grâce  à  la  raison  tempérée  par  le  c<rtir,  on  a  de  grandes 
cliances  de»  |)arvLM»ir  an  souverain  bitMi.  si  l'on  obéil  rij^'oii- 
rensenienl  à  (juelipies  préceples  Irèssimples  :  d  abord  ne  pas 
86  fier  à  ou  monde  cpii  ne  conslilne  (]n  une  vaine  ap|)urence  h 
laquelle  Ic-s  «  amis  desidées  piires  >>  n  allachenl  pasleurallen- 
tion  (I  I,  cl  cela  non  senlemenl  au  point  de  vue  pliilosoplii» 
que,  mais  an  |)()int  de  vue  pratique  (2|  ;  puis,  rester  sann 
cesse  dans  la  juste  mesure  (3)  ;  savoir  attendre  les  événe- 
ments avec  sérénilé  :  «  si,  (juelque  jour.  Ion  dt'sir  ne  >e  réa- 
lise pas,  sache  (jue  l'impatience  est  sans  |»rolil  :  u>e  donc  de 
patience  »  (lAhih-yànieJt,  iy).  A  (juoi  bon  en  ell'et  se  tour- 
menter à  plaisir  au  sujet  de  ce  (jui  ne  dépiMid  pas  de  nous  ? 
C  est  ce  dont  Saadi  exprime  l'inulilité  dans  ce  passajçe  rap- 
pelant à  la  fois  l'Kcclésiaste  elles  rà  ôyx 'er  Éuot  d"Kpi<;lêle  : 
«(  \'a  et  sois  joyeux,  il  ne  convient  pas  de  soull'rir  aiijoiir- 
d  hui  du  chagiin  de  demain  "  '  Ibid.^  131). 

Savoir  se  conleuler.  savoir  accepter  .son  sort,  c'est  au  fond 
le  vrai  moyen  de  vivre  honnêlemenl  et  en  joie,  sans  être  à  la 
fois  bourreau  des  autres  et  de  soi-même.  (Jette  vérité,  énon- 
cée par  Saadi  lorsipi'il  considère  l'homme  eu  j)résence  de 
son  prochain,  se  trouve  exprimée  plus  fortement  encore, 
s'il  s'agit  de  l'homme  en  marche  vers  l'amélioration  nn)rale  : 
une  fois  de  plus.  Saadi.  sans  doute  aliu  de  renforcer  son 
exhortation,  la  donne  en  son  pro[)re  nom  :  «  Si  tu  veux  aller 
droit,  écoule  Saadi  savoir  se  contenter  de  peu  vaut  mieux 
(jue  tout  »  ilbid.,  \iVô  ,  conseil  cpie  l'on  retrouve,  plus  net 
encore,  dans  le  I *eit(/ - \finieh  {Ivmi.  cil.,  p.  Mo):  «Si  tu 
as  le  bonheur  de  savoir  te  contenter  de  ton  soit,  lu  ré^'i*'- 
ras  dans  le  pays  de  la  douce  tran(piillilé.  »  Au  fond,  la  satité 
ne  con^lihic-l-j'llt'   pas    K*  prcmu  r    «1.  juuir   n\\\^\   «Inc.    le 


(1)  ÇdhH>-\<lmeh.  p.  :.3. 

(2)  M  Ce  n'enl  peiAonne,  celui  <|iii  n'osi  qucl(|u'un  que  f(rAce  à  ri  robe  et 
À  «on  turban.  Le  voleur  ipsir  vnN-nr,  mémo  mmi.s  lu  rohe  d'un  (|«di  » 
{Ibid  ,  p.  83). 

(3  <•  Ne  mets  pan,  autant  que  possible,  le  pieit  au  do{h  ni  en  deç^  de  la 
mesure  »  {Ibid.,  95). 


172  DRUXièME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

seul  des  biens  de  ce  monde?  (l  )  Non,  cependanl,  car  il  en 
est  un  second  :  l'indépendance,  si  précieuse  à  l'homme,  qu'il 
vive  seul  ou  en  société  ;  ne  rien  devoir  à  personne,  c'est  en 
efTet  une  force  contre  soi-même  et  contre  les  autres  et,  au 
besoin,  mieux  vaut  se  passer  de  tout.  L'homme  ordinaire, 
poussé  par  la  nécessité,  peut  tendre  la  main  ;  l'homme  en 
mal  de  perfection  ne  le  doit  pas  :  u  Supporte  la  pauvreté.  Si 
les  étrangers  donnent  des  honneurs,  la  pauvreté  qui  vient 
des  amis  est  encore  préférable  »  [Çâhih-Nâmeh^  79).  Et, 
somme  toute,  qu'importe  la  pauvreté?  Mieux  encore,  elle  re- 
cèle un  avantage  :  la  tranquillité  de  l'àme.Saadi, résumant  par 
avance  la  morale  du  Savetier  et  le  Financier  de  La  Fontai- 
ne, déclare  à  son  disciple  :  «  Si  tu  es  intelligent,  n'amasse  pas 
de  richesses  qui  ruineraient  le  recueillement  de  ton  esprit  » 
(7/)ic/. ,  97).  Et  ce  n'est  pas  tout;  souvent,  à  vouloir  s'en- 
richir à  tout  prix,  on  dépasse  le  but  cherché:  «  Le  désir 
excessif  de  faire  du  bénéfice  emporte  d'un  seul  coup  profit  et 
capital  »  [Ibid.,  33)  (2). 

Donc,  se  contenter  de  peu,  en  disant,  comme  Marc- 
Aurèle  :  «  0  monde,  tout  ce  que  tu  m'apportes  est  pour  moi 
un  bien.  »  Sur  un  point  toutefois,  ce  contentement  serait 
coupable  :  lorsqu'il  s'agit  de  l'amélioration  de  soi-même.  En 
effet,  plus  on  doit  témoigner  de  résignation  ou  de  reconnais- 
sance envers  les  dons  du  destin,  plus  on  doit,  si  l'on  veut 
progresser  en  sagesse,  se  montrer  sévère  pour  soi-même.  Il 
faut,  il  est  vrai,  ne  plus  tenir  compte  de  l'opinion  du  pro- 
chain et  marcher  les  yeux  fixés  sur  l'idéal  qu'on  s'est  formé. 
Or  Saadi,  sachant  combien  il  est  difficile  à  l'homme  de  faire 
abstraction  de  l'opinion  de  ses  semblables,  admet  cette  opi- 
nion même  comme  un  moyen  de  perfectionnement  :  a  Avant 
tout,  juge-toi  toi-même  afin  qu'un  autre  ne  te  juge  pas  sévè- 
rement »  [Ibid.,  51),  ou  encore:  «  Tu  veux  que  personne 
ne   médise    de   toi?    Observe-toi   toi-même  et   ne   lais  pas 

(1)  «  Le  capital  de  la  santé,  c'est  ce  qui  suffit  pour  vivre  n  (Çâhib-Nâmeh, 
p.  61). 

(2)  Cf.  La  Fontaine  :  «  L'avarice  perd  tout  en  voulant  tout  gagner.  » 


l'hon.iiVik  mommk  173 

ce  qui  n'est  pas  bien  •»  {Çàhih-.Witneh,  7).  Mais,  celle  opi- 
nion, il  convient  de  savoir  la  choisir  :  <»  Mcoiile  les  ennemis, 
ô  mon  ami  !  (]ar.  aux  yeux  de  les  amis,  les  (léfanls  devien- 
nent des  vertus.  »  ilhid.,  189).  Vax  revanche,  si,  pour  vous- 
même,  vous  avez  à  tenir  compte  des  critiques  les  plus  acer- 
bes, soyez  toujours  iudul^'ents  jiour  les  autres  :  «Quand  lu 
entends  bh\mer  une  faute,  ne  te  hâte  pas  d'en  faire  autant . 
car,  nécessairement,  lu  commels,  loi  aussi,  des  fautes  »  (JJjid., 
I  »  I  .  Indulj^ent  aux  autres  et  d'autant  plus  sévère  pour  soi- 
même,  voilà  la  vraie  voie  :  «  Partout  où  se  trouve  la  ligne  de 
la  difliculté,  eirorce-toi  de  passer  celle  ligne  »  ilhid.i  il). 
l-.nlin,  dernier  avantage,  la  sévérité  envers  soi-même  permet 
une  juste  estimation  de  ses  propres  forces  (2). 

C'est  que,  le  plus  souvent  -  et  cela  surprend  sous  la  plume 
d'un  Oriental  qu'on  supj)Osait  fataliste  absolu  —  I  homme  a 
grand  lorl  de  reprocher  au  destin  les  infortunes  donl  il  est 
soi-même  la  cause;  en  fait,  Ihomme  est  presque  toujours 
l'artisan  de  son  bonheur  ou  de  son  m;iiiïeur  (3).  Kl  non  seu- 
lement de  sa  bonne  ou  du  sa  mauvaise  fortune,  mais  encore 
de  sa  propre  considération  que  <(  chacun  se  fait  à  soi-même  » 
I //>/(/.,  H.'ii.  Or.  de  l'homme,  que  reste  t-il  après  sa  mort, 
sinon  sa  réputation?  «  Les  mauvais  ont  disparu;  les  bons 
aussi.  Qu'en  resle-t-il  .'  Mauvaise  ou  bonne  renommée  » 
{IIhcJ.,  39;. 

Saadi  semble  attacher  grande  importance  au  souvenir 
qu'on  laisse  dans  la  mémoire  des  hommes;  c'est  que  cela 
même  représente  une  sorte  d'immortalité  relative  consolant 
le  désir  —  désir  irréalisable  mais  inné  en  tout  homme  —  de 
persévérer  dans  l'être,  seule  immortalité  restant  à  ceux  (pii 
s'avancent  dans  le  chemin  de  la  vie  sans  espérer  la  viviliante 


(1)  Cf.  Sl-.Manhieu.  VII,  13  :  «   Entrez  par  la  porle  étroite.  •■ 

(2)  Çiihib-\<imeh,  135  :  «  P«is']tie  lu  savais  ne  pouvoir  l'oini"  >  mi  «le 
tomi)er,  il  ne  fallait  pas  t'asseoir  ti  haut.  Ne  valuil-il  pas  mitrux  uiarcher  k 
pied  que  mcolcr  à  cheval  et  te  rompre  le  cou  ?  •• 

(3)  «  Pourquoi  te  pl.iln'^  lu  .In  dosini  .'  Pluiiis-loi  de  les  propre»  «cteH  »» 
(Çdhib  Sdmeh,  53). 


174  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    II 

aurore  d'une  bienheureuse  vie  future.  C'est  même  pour  les 
hommes  un  devoir  absohi  qu'entretenir  le  souvenir  des  morts 
qui  1p  méritent  ;  et  celle  pensée  du  Çàhib-Nàmeh  (p.  181) 
pourrait  en  quelque  mesure  servir  de  devise  aux  historiens  : 
«  Ne  laisse  pas  se  perdre  la  bonne  renommée  des  morts,  afin 
que  l'on  garde  le  souvenir  de  ton  nom.  »  «  Heureux  celui 
don  t  le  bon  renom  demeure  après  la  mort  éternelle  !  »  s'écrie- 
t  il  ailleurs  (Ihid.,  57),  Et  encore  :  <(  Choisis  la  justice  car, 
au  monde,  les  mortels  qui  passent  n'ont  jamais  rien  em- 
porté de  meilleur  que  le  capital  de  la  bonne  réputation  » 
[Ihicl.,  123).  D'autre  part,  celui  quia  fait  le  mal  n'est  pas 
oublié  non  plus  ;  seulement  —  et  que  Ton  sente  bien  la  conci- 
sion coupante  et  suggestive  de  ces  deux  vers  —  :  «  Le  temps 
a  passé  sur  lui,  rude  et  calme,  mais  son  mauvais  renom  per- 
siste malgré  les  années.  »  [Ihid.). 

Le  mérite  personnel,  voilà  en  effet  la  véritable  richesse 
morale  de  l'homme  :  «  Si  l'homme  de  mérite  déchoit  de  sa 
félicité,  qu'on  ne  s'inquiète  pas,  car  le  talent,  dans  son  essence 
même,  constitue  le  bonheur  »  {Gulistan,  272,  VI,  2)  (i). 
Et.  là-dessus,  Saadi  rejoint  un  écrivain  qui,  lui  aussi,  savait 
garder  son  indépendance  en  pleine  période  d'absolutisme  : 
La  Bruyère.  Il  n'y  a  que  le  mérite  personnel  qui  compte  et 
une  longue  lignée  d'ancêtres  n'anoblit  pas  un  descendant  in- 
digne :  «  Au  jour  de  la  résurrection...  on  te  demandera  quels 
sont  tes  actes  et  non  quel  est  ton  père  «  [Ihid.^  281 .  Vil,  8). 
Aussi.  «  montre  ton  mérite,  si  tu  en  as,  et  non  ta  race  » 
(îbid.,  330j. 

Car,  «  tout  périt  ici-bas,  si  ce  n'est  la  vertu  »  (Boustan, 
22)  et  Saadi,  si  peu  dogmatique,  a  pourtant  condensé  en 
deux  ou  trois  passages  de  son  œuvre  la  doctrine  du  perfec- 
tionnement moral  dont  il  sentait  toute  l'importance.  En  l'un 
d'eux,  il  oppose  synthétiquement  la  durée  des  biens  moraux 
à  la  fragilité  des  biens  matériels:  «  Talents,  vertu,  piété, 
perfection  morale,  voilà  les  biens  essentiels  ;  quant  à  la  puis- 

(i)  Cf.  Montesquieu  :  «  Le  mérite  console  de  tout.  » 


LHOMNI^TK     IKIMMK  175 

sauce  el  aux  richesses,  elles  no  se  monlrent  que  pour  dis- 
paiMÎlre  »  ^ÏUnistun,  2(>7).  \'oil;\  l'idi-al  à  poursuivre,  mais 
cel  idi'al,  eu  dépit  de  sou  uoui,  n'eu  c(juslilue  pas  inoius 
la  seule  réalité  de  ce  moude  :  «  Fais  preuve  de  sagesse  et 
recherche  l'idéal:  seul  il  rcslo  (piaud  la  foruie  s'évauouit. 
L'hounue  j\  (jui  le  savoir,  la  géuérosilé  el  la  piété  foui  défaut 
n'esl  (pjuue  iuiage  dépourvue  de  réalité  »  [Ihiii.,  1)9). 
Faire  h'  bleu,  c'est  le  seid  moyen  de  se  préparer  à  quitter  ce 
moude  eu  laissant  après  soi  une  o'uvre  à  la  fois  ulile  et  no- 
ble :  <«  La  palme  :i])parliendra  à  1  homme  qui  se  sera  dévoué 
au  bonheur  de  l'humanité.  N'atlache  de  prix  tpi'aux  biens 
qu  on  peul  transporter  dans  la  vie  future  "  {IbiiL,  56). 
Ku  elîel,  sans  aller  jusqu'à  croire  avec  Bossuel  que  la  vie 
doil  èlre  la  méditation  de  la  mort,  il  y  faut  songer  néan- 
moiu.-.  Mais  ce  bien  cjue  l'honuète  homme  doit  réaliser  ne 
lui  sera  possible  que  grâce  à  l'aide  de  Dieu  ;  Thommea  beau 
s'elîoroer  d'atteindre  la  perfection,  il  n'y  parviendra  que  s'il 
est  prédestiné  :  «  Beaucoup  sont  partis  el  n  ont  j)as  atleint 
leur  but  malgré  toute  la  science  (pi'ils  avaient  montrée.  Que 
peul-on  faire  sans  l'assistance  de  la  faveur  divine?  »  (làhih- 
SAnifh,  03  .  Celle  faveur  divine,  siiMiuu'  el  uéeer^snire. 
comment  doue  se  manifesle-l  elle? 


CHAPITRE  III 


HOMME      DE      DIEU 


«  L'homme  de  Dieu  n'est  étranger  ni 
«  en  Orient,  ni  en  Occident.  Où  qu'il 
«  aille,  le  royaume  de  Dieu  est  le  sien  » 
(Calcutta,  370  r"). 


Durant  ses  années  d'éludés  à  l'université  de  Bagdad,  Saadi 
subit  (cf.  supra,  p.  21)  la  puissante  influence  de  mystiques 
renommés,  notamment  de  Souhrawardi.  Mais  cette  influence 
n'était  pas  la  seule  :  l'ombre  du  grand  imam  Ghazâli  s'éten- 
dait encore  sur  l'université  dont  elle  continuait  à  vivifier 
l'enseignement.  Or,  Ghazâli,  survivant  par  son  extraordi- 
naire influence,  par  ses  ouvrages  que  l'on  ne  cessait  d  étu- 
dier, et,  d'autre  part,  Souhrawardi  et  les  autres  maîtres 
mystiques  que  connut  Saadi,  exerçaient,  par  leurs  discours 
et  leurs  écrits,  une  influence  semblable,  mais  non  identique. 
Quelles  difl'érences  les  séparaient  donc,  et  comment  agirent- 
ils,  chacun  en  son  genre,  sur  l'esprit  du  futur  poète? 

L'historien  Ibn  Khaldoun,  le  plus  philosophique  (pour  ne 
pas  dire  le  seul  philosophique^,  des  historiens  musulmans, 
précise  dans  ses  Prolégomènes  (Irad.  de  Slane,  III,  90)  les 
différences  fondamentales  entre  Souhrawardi  et  Ghazâli. 
Etablissant  la  hiérarchie  des  théoriciens  mystiques,  il  y  dis- 
tingue trois  classes  :  les  uns  traitent  des  règles  de  la  dévotion 
et  de  l'observance  des  devoirs  religieux  en  général;  les 
autres  «  ont  traité  des  bienséances  qui  doivent  s'observer 
dans  la  pratique  du  çoufisme,  des  goûts  que  l'on  y  éprouve 


L  IIOMMK    DE    DIEU  177 

et  des  extases  qui  surviennent  aux  çoutis  dans  leurs  étals 
d'exaltation...  :  c'est  ce  qu'a  fait  SouluaN\ardi  dans  son 
Auiirif  cl  Mnurif  ^^  (1);  vient  enfin  (ilia/âli  «jiii  «  a  réuni 
ces  deux  ^'enres  de  sujets  dans  son  livri-  inlitiilé  :  îhyu  ». 

\'oiIà  le  vrai  mérite  de  (îha/âli  ;  une  Untalivepour  établir 
un  juste  milieu  entre  ihéoloj^iens  et  vo^dls,  les  premiers  — 
pour  reprendre  ses  propres  termes  (2)  —  «  qui  se  disent  les 
disciplesdu  raisonnement  et  de  la  spéculation  »,  les  seconds 
««  qui  se  disent  élus  de  Dieu  et  possesseurs  de  l'intuition  et  de 
la  connaissance  du  vrai  (par  l'extase)  ». 

Or,  celle  tentative  de  (ihazâli  ne  tend  à  rien  moins  qu'à 
faire  jaillir,  de  la  cendre  de  la  scolaslique,  la  Hamme  du 
senlimenl  qui  sommeille.  Celte  action  a  du  reste  été  nette- 
ment définie  par  un  des  meilleurs  connaisseurs  de  la  théo- 
logie musulmane,  M.  Asin  Palacios  [6]  :  «  Le  seul  titre  de 
son  œuvre  maîtresse:  Ihyu  iilûm  id  din  vivification  des 
sciences  religieuses;  suffit  à  faire  comprendie  que  toute  sa 
réforme  consiste  à  substituer  aux  formules  rituelles  el  tout 
extérieures  de  la  religion,  l'expérience  personnelle,  vive  et 
intense  de  l'esprit  religieux,  à  donner  à  la  pratique  une  im- 
portance plus  grande  qu'à  la  théorie,  à  la  morale  un  déve- 
loppement plus  grand  qu'à  la  dogmali({ue.  Or  la  morale 
n'est  (ju'un  acheminement  à  la  mystique.  L'union  ou  com- 
munication de  l'âme  avec  Dieu,  objet  de  celle-ci,  est.  par  là 
même,  la  partie  la  plus  sublime  de  la  religion.  >• 

C'est  là  précisément  le  processus  que  l'on  peut  reconnailre 
à  travers  l'œuvre  de  Saadi,  s'il  est,  à  la  vérité,  permis  d'em- 
ployer ce  mot  dogmatique  de  u  processus  -,  lorsqu'il  s'agit 
de  citations  disséminées  dans  une  o'uvre,  sans  plan  ni  mé- 
thode préconçus.    Pour    Saadi,   précisément,  —  et,  par  là 

(1)  The  awdri  fu  l  maar if, wr'iUea  in  Ihe  .\IU  cenlury.by  Sljaikh  Mubam* 
mnd-i-Sahrwardî,  Ironslalod  oui  of  tbe  arable  into  persian  ï>y  Mabmud 
bia  .\li  ai  KàtbAni  and  iiilo  englisl.  by  VV.  Claïkr.  1891. 

^2)  Ghaiàli,  Le  préservatif  de  l'erreur  (Irad.  B.  de  Meynard),  J.  A.,  1H77, 
L\,  p.  19. 

(3)  Lu  mystique  d'Al  Ghazali,  Mel.  Fac.  or.  Btyroulh.  VII,  67. 

M.  —  li 


1^8  DEUXIÈME    PARTIE.     —     CHAPITRE    III 

même,  ;•   l'aiige  de  lécole  »  de   Bag^dad  fait  ï^entir  son  in- 
flnence,  subie  inconsciemmenl  ou  non  —    la  morale  n'est 
qu'un  acheminemenlà  la  mystique.  Seulement,  cette  morale, 
il  l'a  tirée  presque  tout  entière  de  son  bon  sens,  s'appuyaiit  à 
la  fois  sur  Texpérience  et  sur  quelques  maximes  populaires  ; 
sa  mystique,  eu  revanche,  ne  lui  appartient  pas  en  propre  : 
elle  reflète,  et  avec  l'allénuation  des  ans,  les  leçons  qu'il 
avait  entendues  à  Bagdad  ;  mais,  par  son  génie  fait  de  modé- 
ration, Saadi  ramène  en  quelque  sorte  sur  la  terre  un  mys- 
ticisme emporté  dans  les  nuées  inaccessibles  ;  ce  mysticisme, 
il  tente  de  le  mettre  à  la  portée  des  gens  ordinaires,  désireux 
cependant  d'un  perfectionnement  qu'ils  pressentent,  et,  par 
là  même,  il  joue  en  quelque  sorte  un  rôle  de  vulgarisateur, 
dans  la  meilleure  acception  de  ce  mot.  Alors  que  certains 
auteurs   mystiques  considèrent  orgueilleusement  les  non- 
initiés  comme  des  gens  croupissant  dans  l'ignorance  (mouqî- 
mân),  comme  des  esclaves  de  leur  âme  matérielle  (ahl  el 
nafs)  (  l)  et  même  comme  des  injustes  (zàlim),  Saadi  ne  craint 
pas  de  se  pencher  vers  les  ignorants,  afin  de  leur  inspirer  le 
désir  de  la  vérité.  Si,  d'une  part,  le  Mantiq  et  Taïi\  le  Mas- 
nawi  sont  les  épopées  de  la  mystique  supérieure  de  l'Islam, 
on  peut  dire  que  le  Bouslan  en  représente  l'épopée  moyenne. 
Il  s'ensuit  donc  que,  pour  comprendre  la  mystique  de  Saadi, 
il  convient  d'e.^aminer  très  rapidement  au  préalable  les  idées 
de  ceux  que  l'on  pourrait  dénommer  :  les  mystiques  absolus. 
Et  d'abord,   qu'est-ce  que  le  çoufisme  ?  Prétendre  le  défi- 
nir en  quelques  lignes  serait  une  sottise.  Mais  encore  faut-il 
en  donner  une   idée,   tout  imparfaite   et  incomplète  qu'elle 
soit.  La  définition  du  çoufisme  est  donnée  par  Ghazâli  (2)  : 
(■  Le  but  que   les  çoufis  se  proposent  est  celui-ci  :  arracher 
l'àme  au  joug  tyrannique  des  passions,  la  délivrer  de  ses 
penchants  coupables  et  de  ses  mauvais  instincts,  afin  que, 
dans  le  cœur  purifié,  il  n'y  ait  place  que  pour  Dieu  et  pour 

(1)  Ainsi  les  appelle  Souhi-awardi  dans  son  AwdriJ el  MaariJ.  Cf.  Blochet, 
Eludes  sur  l'Esotérisme  musulman,  J.  A.,  1902,  IX,  498  et  suiv. 

(2)  Op.  cit.,  p.  54. 


L  HOMME    DE    DIEU  179 

l'invocalion  de  son  saint  nom.  >•  Celle délinilion,  aH?ez  vagno 
somme  loiilc.  el  (|iii  poiirrail  servir  A  délerniiner  l'idéal  do 
n'importe  (|iielle  religion,  a  besoin  d'être  précisée:  alors 
que  le  théologien  nui^nlman  s'en  tient  slriclemenl  A  la  let- 
tre du  Coran  et  à  la  tradition  écrite,  le  vonli,  dédaignant  la 
lettre,  fait  appel  à  l'esprit,  constitue  en  l'espèce  par  l'inspi- 
ration de  son  propre  cœur  (|ni  doit  le  conduire  à  l'extase. 
Tandis  que  le  premier  subordonne  sa  |)ropre  raison  au  res- 
pect de  la  tradition,  le  second  lait  taire  en  soi  la  raison  et  ne 
veut  écouler  (jue  son  imagination  mystique,  (ihazâli,  joi- 
gnant à  sa  définition  l:i  méthode  à  suivre,  démontre  que  le 
çoulisme  n'est  pas  une  question  d'apprentissage,  mais  de 
«  transport  »  el  de  Iranslormalion  de  l'être  moral.  «  Le  çou- 
lisme  '«.  dit-il.  «  consiste  en  sentiments  plutôt  qu'en  délini- 
lions.  »  On  peut  le  connaître  à  fond,  an  point  de  vue  théori- 
que, e»  cependant  ne  jamais  le  pratiquer,  faute  du  don 
d'extase  et  d'initiation.  Le  çoufisme  suppose  donc  une  sorte 
de  prédestination  :  parvenir  h  faire  de  son  esprit  et  de  son 
cœur  la  demeure  de  la  divinité,  à  l'exclusion  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  elle,  cela  n'est  possible  que  par  une  faveur  spéciale 
de  celle  divinité  même,  u  Purger  le  cœur  de  tout  ce  qui 
n'est  pas  Dieu,  »  dit  encore  (ïha/àli,  <!  est  la  première  con- 
dition de  la  purification.  L'absorj)tion  du  cœur  par  la  prière 

en  est  la  clef et  le  dernier  terme  en  est  l'anéanlissement 

total  en  Dieu.  >•  Kl  encore  n'est-ce  là  (ju'un  commence- 
ment :  <«  A  vrai  dire,  ce  n'est  (jue  le  premier  pas  dans  la  vie 
de  la  contemplalion,  le  vestibule  par  où  pénèlrentles  iniliés  . 
On  pressent  déjà  qu'une  pareille  tendance  coexistera 
difficilement  en  Saadi  avec  l'esprit  pratique  et  judicieux  qui 
caractérise  sa  morale  sociale.  A  vrai  dire,  il  a  de  la  peine  à 
quitter  la  terre  :  remporlement  extatique  d'un  Jalal  ed  Din 
lui  est  étranger,  ou,  du  moins,  s'il  le  ctimpiend,  est-il  abso- 
lument incapable  de  s'y  livrer.  Le  (.oufisme.  à  son  époque, 
alteignait  un  degré  de  complication  presque  incroyable  : 
hiérarchie,  mélhodcs,  degrés  d'initiation,  confréries  diflé- 
roules  augnienlaient  sans  cesse.  Au  reste,  ce  courant  nnsli- 


l80  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IH 

que,  si  l'on  en  croil  Ibn  Klialdouii,  s'élail  établi  dès  les  dé- 
buts de  l'Islam  :  «  Le  système  de  vie  adopté  par  les  çoufis  », 
dit-il  (1),  <(  a  toujours  été  en  vigueur  depuis  le  temps  des 
premiers  musulmans.  S'adonner  constamment  aux  exercices 
de  piété,  vivre  uniquement  pour  Dieu,  renoncer  au  monde, 
telle  était  la  règle.  Par  la  suite,  les  gens  qui,  à  l'écart  des 
biens  de  ce  monde,  tinrent  cette  conduite,  furent  désignés 
sous  le  nom  de  çoufis  ».  Plus  tard,  quelques  hommes  émi- 
nents  écrivirent  des  ouvrages  sur  leur  système  qui  se  pré- 
senta ainsi  «  sous  la  forme  d'une  science  rédigée  métho- 
diquement par  écrit,  bien  que  d'abord ses  règles  ne  se 

trouvassent  que  dans  le  cœur  des  hommes.  « 

V.n  somme,  le  çoufisme  paraît  avoir  pour  point  de  départ 
l'ascétisme  pratiqué  dès  le  premier  siècle  de  l'hégire  (2).  Au 
siècle  suivant,  le  terme  <«  çoufi  »  faisait  son  apparition  (3). 
Les  mystiques  d'alors  désirent  avant  tout  se  soumettre  à  Dieu, 
mais  pas  encore  pénétrer  la  nature  de  son  essence  ;  ce  sont  à 
peu  près  des  quiétistes,  à  égale  distance  de  l'ascétisme  et  de 
la  Ihéosophie  (maarifa)  (4).  Mais,  peu  à  peu,  le  çoufisme 
évolue  :  ses  adeptes  révent,  non  plus  de  se  soumettre  abso- 
lument à  Dieu,  mais  de  s'enivrer  de  son  amour  jusqu'à  le 
contempler  et  se  perdre  en  lui.  Le  quiétisme  (ridha)  tourne 
insensiblement  au  panthéisme  mystique.  C'est  alors  qu'ap- 
paraissent les  premiers  théoriciens  du  çoufisme  :  au  point  de 
vue  des  pratiques,  plus  de  solitaires,  mais  des  chefs  spiri- 
tuels entourés  de  disciples  à  l'usage  desquels  ils  établissent 
les  différents  degrés  d'initiation. 

A  ce  moment,  deux  courants  se  décèlent  en  même  temps 
dans  la  pensée  mystique:    tandis  que  les  uns,   s'efforçant 

(1)  Prol.,  m,  8!^  et  suiv. 

(2)  Cf.  Goldziher,  Malerialen  zur  Eiitwickelungsgescbiclite  des  Sûfismus 
(Vienne,  Or.  Journal,  vol.  XIII,  n*  1,  p.  35). 

(3)  Ce  qui  suit,  d'après  le  remarquable  travail  de  R.  E.  Nicholson. 
Origin  and  development  of  Sufiism  (J .  R,  A.  S,,  avril  1900). 

(4)  «  Ce  qui  distingue  le  soufi  des  meilleurs  dévots,  c'est  une  aspiration 
vécu  Dieu,  si  désinléresséc  qu'elle  peut  en  q-ielque  sorle  se  ramener  à  un 
quiélisnie  panlLéihle  »  (Blochet,  op.  cil.,  p.  oll). 


I.  HOMME    1>K    DIRU  OI 

d'établir  une  ««ortc  de  compromis  cuire  li-iiis  idées  particu- 
lières el  la  doctrine  de  l'Islam,  donnent  la  prépondérance  à 
la  morale  et  à  la  dévotion,  les  autres,  plus  orientaux,  atlri- 
buonl  à  l'extase  une  importance  sans  cesse  croissante  el  vont 
même  jusqu'à  l'éri^'cr  en  système  (1,.  C'est  là,  semble-t-il, 
l'œuvre  de  Baya/id  de  Bistam  l'ii,  père  du  çoulisme  persan, 
tout  baigné  d  iniluences  orientales  el  qui  trouvera  son  ex- 
j)ressi()ii  p.u'faile  dans  la  j)oésie  d'Abou  Saïd,  d'Allar  el  de 
Jalal  ed  Din.  (Juanl  à  Saadi,  il  ne  va  pas  si  loin;  son  pan- 
théisme —  quand  il  apparaît  — semble  contraint;  on  senl 
(ju  il  appartient  à  celle  première  catégorie  de  mystiques  qui 
ne  peuvent  oublier  tout  à  fait  le  dogme  de  l'Islam.  VA  sur- 
tout, la  llamme  intérieure  lui  manque,  cette  flamme  qui 
entraîne  Jalal  ed  Din  au  delà  des  bornes  du  raisonnement 
pour  le  perdre  dans  l'océan  de  l'enthousiasme.  Saadi,  en 
religion  comme  ailleurs,  cherche  avant  tout  à  donner  des 
conseils;  en  lui,  l'élhique  et  la  didacli(jue  remportent  sur 
la  mysli(jue  :  il  ne  peut,  semble-t-il.  considérer  la  vie  reli- 
gieuse comme  une  fin  en  soi,  mais  seulement  comme  une 
sorte  de  complément  indispensable  de  la  vie  sociale.  On  va 
voir  que,  bien  loin  de  recommander,  comme  les  vrais  çoufis, 
l'anéantissement  de  l'être  en  son  créateur,  il  s'eflorce  de 
trouver  dans  la  religion  même  un  motif  d'agir  (3i. 

Saadi  sait  sans  aucun  doute  en  quoi  consiste  le  çoufisme. 
Maison  peut  lui  appliquer  la  parole  de  Ghazàli  (op. cit. ,p.oo)  : 
«  l'.nlre  savoir  et  pr.ifiquer.  il  y  a  une  distance  considé- 
rable...  Je  savais  du  çoufisme  tout  ce  que  l'enseignement 

(1)  C'eil  sans  doute  k  eux  que  songe  Saadi  en  «'crivant  :  <<  Quand  bien 
môme  lu  saurais  par  cœur  les  sept  parties  du  Coran,  &i  tu  os  troublé  par 
l'amour,  tu  ne  sais  môme  plus  dire  :  A,  B,  C.    •  {GtiUstnn,  224,  V,  4"!. 

(2;  Cf.  une  anecdote  sur  ce  personnage  (liouslnn,  18.1). 

(3)  Guedemann  {Distertalioi  :  ••  Sa'dii  ssufiismus  non  a  delirantis  ingeoii 
somniis,  sed  vigili  mentis  acumine  originem  ducit.  »  Pour  J.  MobI  \,J.  A., 
18r»9.  XIV,  fi.l),  le  çoufisme  ne  fui  pour  Saadi  «ju'un  asile  ouvtrl  à  la 
liberté  de  penser.  Harbier  de  Mejnard  (J.  A.,  ISK».  XV.  :u\\)  le  croit  sin- 
cère, mai»  Rubordoiinanl  le  çoulisme  au  bon  sens.  Quant  h  K.  Hensn 
(  J  .  A      t>>HO    \\  I     tn      il  fi/«  v«iii  KI1  SaeHi  que  "  myRtic.té  de  convention  ••. 


l82  DEUXIEME    PARTIE.    —    CHAPITRE    III 

peut  apprendre,  et  ce  qui  me  mauqiiaiL  était  du  domaine... 
de  l'extase  el  de  rinitialioji.  »  Comment  donc  a-t-il  compris 
le  çoufisme  ? 

A  vrai  dire,  il  le  considère  en  quelque  sorte  du  dehors, 
et  il  faut  s'attendre  à  trouver,  toujours  jetées  au  hasard, 
parmi  ses  historiettes,  de  courtes  considérations  sur  les 
caractères  elles  devoirs  des  çoufîs,  bien  plutôt  qu'un  exposé 
de  leur  doctrine. 

Avant  tout,  qu'ils  soient  simples,  car  «  la  simplicité  forme 
leur  caractère  distinctif  »  [Gulîstan^  104,11,5)  el  simples  non 
seulement  extérieurement  :  a  une  robe  composée  de  pièces  et 
une  chevelure  rasée  »  {Ibid.,  152,  II,  48),  mais  encore  en 
leur  âme  :  «  un  cœur  vivant  et  une  concupiscence  morte  » 
{Ihicl.}.  A  ce  propos,  mieux  vaut  qu'ils  restent  célibataires, 
car  «  le  souci  des  enfants,  du  pain,  des  vêtements  et  de  la 
nourriture  empêche  de  marcher  dansla  vie  spirituelle  »  [Ibid. , 
fS6,  II,  33). 

Cette  simplicité  commande  l'absence  complète  d'orgueil, 
cet  orgueil  qui  fait  retomber  l'homme  pieux  au-dessous  du 
pécheur  repentant  {Galistan,  336,  VIII)  et  exclut  de  même 
la  moindre  trace  d'hypocrisie  et  d'ostentation.  Il  n'est  du 
reste  pas  nécessaire  de  vérifier  la  sincérité  des  sentiments  du 
çoufi  :  «  Suppose  honnête  homme  chaque  personne  à  qui  tu 
vois  le  vêlement  d'un  religieux.  Si  lu  ne  sais  pas  ce  qu'il  y  a 
dans  son  cœur,  que  t'importe?  »  (1).  L'hypocrite  trouve  en 
effet  son- châtiment  en  soi-même  :  (-  Une  longue  oraison  ins- 
pirée par  le  désir  d'être  vu  est  une  clef  qui  ouvre  les  portes 
de  l'enfer  »  (Boustan,  245).  El,  en  un  mol,  «  c'est  la  pureté 
d'intenlion  qui  donne  du  prix  à  la  piété  »  (Ibid.,  244). 

Quant  aux  devoirs  des  çoufîs,  on  peut  leur  appliquer  la 
division  des  devoirs  de  la  philosophie  classique  en  devoirs 
de  justice  et  devoirs  de  charité.  Saadi  énumère  leurs  devoirs 
primordiaux  dans  le  Galistan  (p.   152,  II,  48):   «  Les  de- 

(J)  Galistan,  99,  II,  1,  et  cf.  Saint  Paul  (Phil.,  I,  18)  :  «  Pourvu  que  le 
Christ  soit  prêché,  que  le  prédicateur  soit  sincère  ou  que  la  prédication 
soit  pour  lui  uq  prétexte,  je  me  réjouis  et  je  me  réjouirai  toujours.  > 


i/homme  DR  Dmu  i83 

voir-i  des  derviches,  ce  sonl  la  prière,  les  actions  de  grâces, 
le  service  de  Dieu,  l'obrissnnce,  la  bienfaisance,  la  modéra- 
tion, la  croyance  î\  un  seul  Dieu,  la  confiance  en  lui,  la  rési- 
gnation,  la  patience.  »   La  patience  surtout,  car  si  <  la  mer 
immense  n'est  point  troublée  par  une  pierre,  le  çoufi  qui  se 
fAche  est  encore  une  eau  peu  profonde  »  [(iulistan,  147.  II, 
42).    Ils  doivent  garder  le  silence,  autant  que  possible  (1). 
Enfin,  alors  (jiie  les  simples  mortels  doivent  punir  toute  faute 
et  possèdent  le   droit  de  se  venger,  les  çoufis,   par  contre, 
doivent  faire  honte  aux  méchants,  à  force  de  bonté  (2).  Mais 
ces  devoirs  ne  sont  pas  les  seuls.   Pour  être  çoufi  parfait, 
d'autres  renoncements  sont  encore  nécessaires.  Sur  ce  point. 
Saadi   ne  parle  plus  (jue  d'après  ses  maîtres  mystiques:  il 
met  en  beau  langage  des  impressions  aj)prises  et  quil  n'a 
sans  doute  jamais  éprouvées  soi-même,  lui  dont  la  devise 
pourrait  élre  :    '<  La   parfaite  raison  fuit  toute  extrémité.  » 
Or  qu'exige-t-on  du  çoufi?  «  (Jhoisis  :  ou  le  renoncement  {\ 
toi-même,  ou   le  retour  j\  la  raison   et  au  repos.  »  C'est  en 
effet  l'abandon  de  la  raison  (jue  l'Ami  invisible  réclame  de 
se-^  amojjreux.  l'.t  lou  se  rend  compte  que  Saadi,  si  pétri  de 
bon  sens  pratique,   ne  pouvait  pousser  loin  dans  cette  voie. 
Il  l'avoue  du  reste  implicitement  dans  le   Houstan  ip.  161  )  : 
(I  Les  sentiers  de  la  raison  sonl  tortueux  et  sans  issue.  Pour 
les  initiés,  rien  n'existe  si  ce  n'est  Dieu  ..  Mais  la  froide  rai- 
son  peut-elle  suivre  les  contemplatifs  dans  ce  royaume  où 
le  soleil  n'est  qu'un  atome,  où  les  sept  mers  ne  sont  qu  une 
goutte  d  eau?  ••   Aussi,  une  fois  dans  ce  monde   inconnu,  le 
myslicjue  n'a  plus  qu'A  souhaiter  s'anéantir  au  sein  de  son 
créateur,  en  s'écrianl  comme  le  ver  luisant  \Boust^n,  163)  : 
«  l'.n  présence  du  soleil,  je  suis  comme  si  je  n'étais  pas!  » 
Cet  anéantissement  par  la  flamme  divine,  le  çoufi  le  pressent 
à  l'avance  ;  il  ressemble  au  papillon  (jui.  attiré  par  l'éclat  de 
la  bougie,  se  précipite  en  disant  :  «  Que  m'importe  à  moi  de 


(1     ■<  Jf  nni  pns  vu  upp  qniiiilé  f  «ip^rifurc  nu  >.\lcrce  ••   (^dhib-Sumeh,  2S}. 
(S)  Cr.  CalUian  <126.  Il,  24). 


lS4  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

briîler?  J'étais  loin  encore  et,  avant  de  sentir  le  contact  de 
la  flamme,  je  brûlais  »  [Boustrin^  168).  A  quoi  boa  celte 
existence, lorsqu'on  peut  se  perdre  «  dans  l'océan  de  1  idéal  »  ? 
«  Je  te  salue,  ô  mort,  libérateur  céleste  !  »  pourrait  dire  le 
çoufi  avec  un  poêle  moderne,  si  oriental  à  certains  égards. 
Mais,  ne  croyez  pas  que  ce  soit  avec  confiance  et  tranquillité 
que  l'initié  s'élance  vers  son  dieu  :  an  contraire,  son  indi- 
gnité le  fait  trembler,  tout  comme  les  jansénistes  qui  n'osaient 
approcher  un  dieu  plus  sémitique  que  chrétien.  Les  coulis  se 
considèrent  «  comme  les  plus  criminels  des  hommes  »  [Bous- 
fan,  21 9 1  ;  tandis  que  les  dévots  ordinaires  demandent  à 
Dieu  la  récompense  de  leur  culte,  ils  demandent,  eux,  par- 
don pour  leur  culte  [GulislHn,  100,  II,  2).  C'est  que  telle  est 
la  règle  de  la  vie  spirituelle  :  les  initiés  font  le  bien  et  se 
trouvent  toujours  en  faute-  Aussi  leur  aspiration  mystique 
se  condense-t-elle  dans  celte  admirable  prière  où  l'amour 
de  Dieu  et  du  prochain  parvient  à  son  point  extrême  :  «  Dieu 
soit  loué  de  ce  que  je  suis  éprouvé  par  une  affliction  et  non 
par  un  péché  »  [Gulistan,   H3,  II,  13). 

Ce  Dieu,  quel  est-il  ?  iVpparaît-il  à  ses  fidèles  ?  Non, 
car  il  est  inexprimable;  son  caractère  est  précisément  de 
mettre  hors  d'eux-mêmes  ses  adorateurs,  lorsqu'il  daigne  se 
révéler  à  eux  :  «  Là  où  l'amour  se  manifeste,  c'en  est  fait  de 
la  raison  »  [Boustan,  138).  C'est  alors  que  l'initié,  se  sentant 
étreint  par  celui  qu'il  aime,  se  laisse  aller  complètement  à 
lui  et  repousse  dédaigneusement  le  monde  des  apparences. 
Voyez  les  derviches,  tournoyant  au  son  de  la  flûte  :  «  au  mi- 
lieu de  leurs  danses,  ils  lèvent  et  agitent  les  mains  ;  c'est 
que  la  porte  des  effluves  divins  s'ouvre  devant  eux,  et,  par 
ce  geste  inspiré,  ils  semblent  repousser  la  création  entière  » 
[Bouslan,  167). 

Mais,  de  cette  création  même,  s'exhale  un  hymne  perpé- 
tuel à  la  gloire  du  créateur:  «  Le  monde  est  plein  de  con- 
certs, il  frémit  d'une  amoureuse  ivresse»  [Boastan,  167). 
Et  cet  hymne,  l'initié  le  percevra,  s'il  y  prêle  un  instant  l'o- 
reille :  "  J'ai  entendu,  »  déclare  l'un  d'eux  [Gulistan^  127,  II, 


i.'hommk  DR   niF.f  i85 

2<>i,  «  les  rossij^uolt*  se  plaindre  du  haut  des  arbres,  les  per- 
drix sur  l:i  m:)nlaL;tie,  les  grenouilles  au  fond  des  eaux  el 
d'aulres  animaux  dans  la  forél  »  Celle  plainle  de  loule  la 
nalure  «  lui  enlève  linlelliLîence,  li  palience,  la  force  cl  la 
sajçesse  •»  el  il  s'unit  par  le  cijcur  à  ce  concerl  d  a[>pels  eni- 
vrés. 

Non  seulement  les  mille  rumeurs  de  la  nature  recèlent 
des  hai-monies  n)vsli({ues,  mais  encore  les  hruils  en  appa- 
rence les  moins  musicaux  ^  I  »  :  le  pas  cadencé  du  cheval,  le 
bourdonnement  d'une  mouche  qui  vole,  el  même  le  gémis- 
sement de  In  roue  du  dolàb  (2).  «  Comme  la  roue  du  dolàb, 
ils  lourneni  el  s'inondent  de  pleurs  »  [/iousf.m,  p.  IGO,,  les 
mvsliqnes.  en  proie  à  l'ivresse  bienheureuse  (jui  les  conduit 
doiieemenl  à  l'exlase.  car  le  Maître  leur  a  dit  :  ..  Tu  ne  péné- 
treras le  fond  de  Ion  âme  qu'après  avoir  perdu  la  conscience 
de  Ion  être  •)  [Ibid.]. 

^'oilà  le  royaume  de  l'Idée,  le  seul  (pii  compte  pour  les 
«  vrais  sages  »  {(îulisfan,  p.  I2t,  II,  23),  les  <(  gens  de 
cœur  '»  (3),  ceux  «  qui  recherchent  le  sens  idéal  sans  se 
pr«''0ccuper  des  apparences  »,  car  «  l'Idée  seule  donne  aux 
mots  leur  réalité  »  ( Bonsfun,  p.  1  IH).  Or.  celle  Idée,  lorsque 
tu  l'as  trouvée,  «  laisse  aller  l'apparence,  car  l'une  est  la 
semence,  l'autre  seulement  la  paille  o  (4).  Mais  le  nombre 


I)  MoqaddpSïii  {Les  oiseaux  et  les  fleurs,  p.  97)  :  «  ...Celui  qui  ae  sait 
piH  lira/  un  seni  allofforiqtie  du  cri  aij;re  cle  la  porte,  du  hourdonnoinent 
d«»  l;i  inuuche.  de  l'aboiement  du  cluen,  du  mouveinenl  des  insectes  qui 
s'a(;ilenl  dans  la  poussière.  . .  n'est  pas  du  nombre  des  pens  inlclli^ents.» 
Cf.  le  vi'rs  de  IIu^jo  :  «  Sous  Tèlre  uniTersel,  vois  l'élerofl  symbole.  »> 

(3)  Appareil  iMévateur  d'eau,  mû  par  un  cheral  tournant  en  cercle.  C'est 
1.1  •<  salcya  •>  d'Ejfypl'*  et  la  «  nawra  »  de  Syrie. 

.1)  «  Gens  do  cœur,  c'cst-à  dire  vivant  par  le  ccpur,  par  l'alTeclion.  par 
r.imour,  «"'«'sl  un  litre  que  le*  mystiques  persans  aiment  à  se  donner  entre 
eux.  !.o  (;rand  poète  de  Cliiraz,  Sa'di,  parle  souvent,  en  son  Gulistnn,  des 
M  ÇAliib-  iil&n  •  qui  veut  dire  la  mènie  <-hote  »  (Cl.  Huart.  C.  R.  du  Kaclif, 

n.  M.  rv,  i9ir.,  i.  ti,  p.-278). 

i)  ÇtihibSiimeh,  p.  09,  et  cf.  .Mantiq-ut-taïr.  p.  Ili:  Altacbe-loi  au 
scn'»  des  c  b'»ses  et  ne  t'inquiôle  pas  de  In  forme;  le  sens  est  l'essentiel, 
la  forme  n'est  qu'embarras.  » 


l86  DEUXièMB    PARTIE.    —    CHAPITRE    III 

est  fort  restreint  de  ceux  qui  parviennent  à  la  découvrir; 
beaucoup,  à  la  vérité,  s'y  efforcent  sans  y  parvenir.  C'est 
que  l'union  à  Dieu  n'est  possible  que  s'il  le  veut  lui-même. 
Sans  lui.  tout  effort  humain  n'est  que  vanité.  Mais,  avec  lui, 
les  plus  misérables  en  apparence  deviennent  les  vrais  puis- 
sants de  ce  monde.  Ils  semblent  des  vagabonds  ou  des  betcs 
fauves  fuyant  le  contact  des  hommes  ;  «  leur  rai^^on  est  obs- 
curcie, leur  intelligence  troublée,  leurs  oreilles  se  ferment 
aux  conseils  »  [Boiislan,  loi).  Mais,  «  mendiants  dédaigneux 

de  la  royauté  (i  ),  un  espoir  immense  allège  leur  misère 

Ces  mendiants  de  la  rue  sont  les  rois  de  la  vie  spirituelle  » 
[Ihid..  145). 

Cependant,  cette  force  mystérieuse  des  mystiques  peut 
diminuer  parfois  :  tandis  que  leur  esprit  s'élance  vers  l'em- 
pyrée,  leur  pied  peut  glisser  dans  la  boue  :  «  La  vue  de  Dieu 

est  mêlée  de  manifestation  et  de  disparition je  contemple 

sans  intermédiaire  celui  que  j'aime  ;  mais  un  incident  sur- 
vient et  je  perds  mon  chemin  »  [Gulistan,  109,  II.  9).  Que 
l'homme  en  marche  vers  Dieu  ne  se  décourage  pas  néan- 
moins, car  «  frappez  à  la  porte  de  l'hôte  généreux  et  elle 
s'ouvrira;  le  discipledoitêtre  patient  et  fort»  [Boustan,  154). 

Le  disciple  a  en  effet  tout  à  gagner  en  cherchant  Dieu  ;  ce 
monde  n'est  qu'illusion  et  il  n'y  a  qu'une  seule  réalité  :  Dieu. 

Ici  encore,  dans  la  peinture  de  ce  bas  monde,  «  vnnitRs 
vanitatum  »,  Saadi  reflète  les  conceptions  des  mystiques  de 
son  temps.  Mais,  pour  opposer  au  monde  la  sereine  grandeur 
du  créateur,  sa  pensée  jaillira  d'elle-même  el,  tout  en  s'in- 
clinant  devant  le  fatalisme,  conséquence  de  la  toute-puis- 
sance divine,  il  finira  malgré  tout  par  prêcher  l'action. 

Donc,  deux  mondes  distincts  :  celui  de  l'Idée,  élernel  ; 
celui  de  l'apparence,  fugace  et  changeant.  Déjà  le  Coran, 
reprenant  l'antique  plainte  de  Salomon  et  de  l'Ecclésiaste  (2), 

(1)  «  Il  semble  petit  aux  gens  purs  (mj'stiques),  celui  qui  est  grand  à 
l'échelle  de  ce  bas  monde  >    {Çâhib-Nâmeh,  100). 

(2)  Plainte  qui  retentit  dans  toute  l'histoire  de  1  humanité.  Cf.  par 
exemple   Fénelon  (lettre  à  Destouches)  :  «  Le  monde  n'est  qu'une  cohue 


i.'ifOMMF  nr  niRU  187 

afiirmail  que  «  la  vie  do  co  monde  n'esl  que  jeu  et  frivolilé  » 
(\'l,  32)  et  que  <  la  rolrailo  ddlicioiise  e^t  auprès  de  Dion  » 
(III.  i'2\.  Saadi.  a|)rè«<  bien  d'aulros.  fait  écho  »^  ce  cri  mc^- 
lancoli(|iio,  en  maint  passage  de  son  œuvre.  Au  seuil  mc^me 
du  (iulisffin  (p.  2n),  il  exhorte  le  lecteur  ^  ne  pas  n'attacher 
au  monde  (jtii  ne  reste  à  personne.  <  Devons-nous  >-,  ajoute- 
t-il  dans  le  linnstnn  (p.  '.\\\\V\,  <»  regretter  un  caravansérail  (jue 
nos  amis  ont  quitté  et  que  nous  allons  (juitter  à  notre  tour?  » 
Au.ssi,  ne  donnons  pas  notre  cnnur  au  monde,  ce  monde 
«  qui  passe  sans  cesse  on  d  .lulrcs  mains  »  {/iousf.m,  5H].  car 
«  retirer  son  Cd'ur  est  chose  difticile  >»  (Çnhih  \amch.  \')\). 
Le  cours  du  tcMups  s'en  va,  comme  un  torrent  Ihid.,  \M\  : 
à  quoi  bon  s'attacher  aux  biens  de  ce  monde  qu'il  l'audra 
quitter  dans  un  instant  fl)?  Saadi  le  déclare  énergiquement 
[Gulistnn.  '•Vl\):  «Ceux  qui  vendent  la  religion  pour  les 
biens  de  ce  monde  sont  des  ânes.  » 

Car  la  terre  est  le  monde  du  relatif:  on  ne  s'imagine  avoir 
conquis  le  bonheur  ([u'à  condition  d'avoir  commencé  par 
l'infortune:  <<  I/homme  ne  connaît  pas  le  prix  desagn-menls 
de  la  vie,  avant  d'en  avoir  éprouvé  les  malheurs  »  [Gulislan, 
231,  !t)).  Kt  Saadi.  sur  ce  point,  se  rencontre  avec  Pline  le 
jeime  :  la  maladie  nous  rond  meilleurs,  car  «  1  homme  bien 
portant,  (jui  ne  connaît  ni  la  douleur  ni  l'insomnie,  oublie 
facilement  de  remercier  Dieu  de  ses  faveurs  »  [Boushm^ 
324)  (2).  En  outre,  la  beauté  terrestre  n'est,  elle  aussi,  (jue 
relative:  et  c'est  l'anecdote  du  poète  Majnoun  et  de  son 
amante  Laïla  :  pour  trouver  Laïla  belle,  il  faiulrait  la  contem- 
pler avec  les  yeux  de  Majnoun  [Giifislan,  2i7).  Legoùl.  tout 
subjectif,  se  modifie  au  gré  des  circonstances  :  «  Si  quelqu'un 
considère  d'un  logard  bienveillant  un  démon  de  laideur, 
celui-ci  lui  paraîtra  un  ange  "  [Gu/is(.in,  220,  \',  d,  l.u  oll'et, 
combien  il  nous  trompe,  ce  goi'it  chancelant  :  <  A  chacun  son 

dp  Kt^nn  vivants.  Taiblcs,  fnux  cl  prôls  à  pourrir  ;  la  plus  éclatante  fortune 
nV«»t  qu'un  «onge  flatteur  »>  (Cité  .Sa  in  le- Heu  ve,  iJindii,  It,  p.  15). 

(1)  Cf.  I.econle  de  Lislt»  :  ••  A  quoi  hou  tout  cela  qui  nVsl  pas  éternel  ?  » 

(2)  Thi'ine  développé  à  saliélé  par  Coppée  (La  bonne  souflfrance). 


t88  deuxième    partir.     —    CHAPITRE    III 

intelligence  semble  parfaite  et  ses  enfants  paraissent  beaux  » 
[Gulistan,  319)  (1).  Et  «  quand  bien  inênie  la  sagesse  serait 
anéantie  de  dessus  la  terre,  personne  ne  s'imaginerait  être 
un  ignorant  »  {Ibid.,  320).  Quant  aux  joies  de  l'homme,  sont- 
elles  jamais  pures?  «  Les  profits  de  la  mer  seraient  bons, 
n'était  la  crainte  des  tlots  ;  la  compagnie  de  la  rose  serait 
agréable,  nélait  l'incommodité  que  causent  les  épines  » 
(/AiV/.,  247,  A',  18).  Comment  au  reste  pourrait-il  en  être 
autrement?  La  vie  de  ce  monde  est  si  courte  :  ^<  Quand  on  a 
dépassé  la  cinquantaine,  il  faut  considérer  chaque  jour  de 
plus  comme  une  aubaine  inespérée  »  [Bouslan,  342).  Et  non 
seulement  si  courte,  mais  encore  si  fragile  :  '<  La  vie  dépend 
de  la  conservation  d'un  souffle  ;  le  monde  est  une  existence 
entre  deux  néRnis  )^  [Gulist  an,  321).  Aussi,  sois  humble; 
moins  on  possède,  moins  on  a  peur  de  monrri/ [IhicI .  ^ 
292,  VII,  17)  ;  et  «  puisque  notre  fin  dernière,  c'est  la  pous- 
sière, fais  toi  humble  poussière  avant  que  tu  deviennes  pous- 
sière »  {Ihid.,  146,  II.  42),  car  'f  il  ne  convient  pas  aux  fils 
d'Adam,  cet  être  né  de  la  poussière,  de  renfermer  dans  leur 
tête  de  l'orgueil,  de  la  violence  et  du  vent  n  [Ibid.^  317). 

Au  fond,  l'homme  ne  tient-il  pas  d'autant  plus  à  ces  misé- 
rables biens  qu'il  les  sent  éphémères?  Les  choses  ne  sont 
précieuses  que  parce  qu'elles  sont  rares  :  «  Si  toutes  les 
pierres  étaient  des  rubis,  le  prix  du  rubis  et  celui  de  la  pierre 
seraient  égaux  »  [Ihid.,  324).  Mais  c'est  là  en  quelque 
sorte  la  condition  nécessaire  de  ce  monde  :  «  L'existence 
passe  d'un  humain  à  l'autre  ;  sinon  la  terre  serait  toujours 
la  propriété  de  Key  Khosraw^  elle  fiefdeQobâd  ,)  (Ed.  Cal- 
cutta, 221  r"). 

Or,  ce  monde  transitoire,  où  les  trônes  succèdent  aux 
trônes  et  les  esclaves  aux  esclaves,  suppose  par  là-même 
un  monde  de  l'éternel  et  de  l'absolu,  où  règne  lin  maître 
immuable.  Ce  dieu  tout  puissant,   Saadi  n'a  pas  tenté  de  le 


(1)  Cf.  La  Fontaine  (L'aigle  et  le  chat-huant). 


l'hommi:   i>k   dieu  189 

définir  (I),  se  bornant  à  si^Mialcr  an  passage  ses  principaux 
allribuls.  Dabord,  qu'un  dieu  exislu,  il  n'en  doute  pas  un 
instant  ;  la  crralion  nu'rno  suffit  à  sa  druionslration  :  «  Où 
est,  si  lu  rej;ai-dcs  bien,  la  Icuille  d'arbre  sur  la'|UL'lle  le  secret 
de  l'ccuvre  divine  ne  se  trouve  pas  écrit?  »  yilùhih  .\;'inuth, 
105)  (2).  Comme  Bernardin  de  Saint- Pierre  dans  ses  Klinles 
(le  lu  n.ilurc,  il  démontre  de  la^on  (jueNjUo  peu  enfantine 
1  iiiiluence  de  Dieu  sur  sa  création:  u  Dieu  a  plac»'-  les 
moyens  de  subsistance  des  oiseaux  dans  leurs  ailes,  afin 
qu'ils  attei^MU'ul  lutilo  nom  rilm».'  "  (//j/J. ,  1  10).  Car  Dieu, 
possédant  la  prévoyance,  accorde  à  cliacun  selon  ses  be- 
soins: «  Si  lu  vois,  ici  de  la  puissance,  là  de  la  faiblesse, 
c'est  que  chacun  possède  autant  qu'il  lui  faut  »  ilbul.,  lo5). 
Voyez  combien  de  «grâces  il  a  répandues  sur  1  homme, 
lorsqu'il  l'a  créé  ((riilisLin,  280,  VU,  7)  :  «  Alors  que  tu 
n'étais  (ju'un  germe  caché  et  dépourvu  d'intelligence,  il  la 
donné  làme.  l'esprit,  le  caractère,  la  perception,  la  beau- 
té, la  [)arole,  la  prudence,  la  rétlexion  et  l'inlelligeuce  » 
Voilà  pour  les  dons  spirituels  (3)  ;  (juanlau  corps,  comment 
admirer  assez  la  perfection  de  l'industrie  divine  dans  sa 
création?  Il  faut  lire  dans  le  lioustun  (p.  320)  cette  descrip- 
tion de  l'œuvre  de  Dieu,  description  cpii  soutient  la  compa- 
raison avec  celle  de  Bossuet.  Knlin  la  création  tout  entière 
ne  conspiret-elle  pas  au  bonheur  de  l'homme?  «  La  lune  et 
le  soleil  brillent  pour  ton  repos  et  ta  sécurité.  Le  zéphyr 
étale  sous  tes  pas  le  doux  tapis  du  printemps.  Le  vent  et  la 
neige,  la  pluie...  fout  mûrir  la  semence  par  toi  confiée  à  la 
terre...,  les  abeilles  te  donnent  leur  miel,  les  Heurs  leurs  par- 
ums,  les  arbres  leurs  fruits,  les  mines  leurs  richesses  » 
(lioust.m,  323).  Aussi,  quel  remerciement  suffirait  pourtant 

(1)  «  Si  quelriu'un  a\c  demande  sa  description,  comment  pnrlcrii  d'un 
être  indpscriptibl«>  celui  qui  est  liois  de  soi  ?  »  {Gulislan,  p.  5). 

(l)  Voltaire.  Uicl.  phUoiophique  art.  .Mhée)  :  .«  Vauini...  ayant  pris  it 
terre  une  paille  :  Il  »u(Qt  de  ce  fétu,  dit-il,  pour  prouver  (juil  y  .i  un 
créateur.  > 

(â)  Cf.  passage  analogue  dans  le  Boustiut,  p.  329. 


190  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    III 

(Je  bienfaits?  «  Le  cœur  doit  s'associer  sans  cesse  aux  actions 
de  grâces  que  la  bouche  seule  serait  incapable  d'exprimer. 
Seigneur,  ma  vue  se  trouble  et  mon  cœur  saigne  à  la  pensée 
que  tes  bontés  surpassent  mes  remerciements  »  [Ibid.].  Ce 
dieu,  si  infiniment  bon,  il  faut  s'approcher  de  lui  avec  con- 
liance,  et  non,  comme  les  çoufis,  en  tremblant  d'elTroi.  Il  ne 
faut  même  pas  craindre  la  mort  qui  conduit  à  lui  :  «  Ne 
redoute  pas  les  ténèbres  :  c'est  là  peut-être  que  tu  trouveras 
la  source  de  vie  »  [Boustan,  268)  (1).  En  effet,  la  grandeur 
et  la  bienveillance  de  Dieu  sont  parfaites,  et  la  miséricorde 
constitue  son  attribut  particulier,  «  car  il  voit  la  faute  et  n'en 
continue  pas  moins  à  nourrir  l'homme  »  {Gulistan,6S,l^\l). 

Mais  celte  assistance  divine,  tous  les  hommes  en  bénéfi- 
cient-ils indistinctement?  Il  est  entendu  que  nous  devons 
tout  à  Dieu  :  les  biens  de  la  vie  —  tout  fragiles  qu'ils  soient  — , 
les  forces  du  corps  et  de  l'esprit.  Donc  nous  ne  pouvons 
rien  par  nous-mêmes  :  u  Personne  au  monde  n'a  les  clefs  de 
la  destinée  ;  à  Dieu  seul  appartient  la  puissance  »  [Boustan, 
336),  et  «.  ce  qui  n'est  pas  marqué  d'avance,  nous  ne  pou- 
vons l'atteindre  ;  ce  qui  est  marqué  d'avance  sera  obtenu, 
où  qu'il  se  trouve  »  [Gulistan^  334). 

Voilà  donc  la  prédestination  reconnue  par  Saadi,  et  le  fa- 
talisme en  découle  tout  naturellement  :  «  Soit  que  tu  recher- 
ches ta  nourriture  de  chaque  jour,  soit  que  tu  ne  la  recher- 
ches pas.  Dieu  te  la  fera  parvenir.  »  Alors  à  quoi  bon  peiner, 
à  quoi  bon  se  tourmenter  ?  Car  «  le  bonheur  ne  s'acquiert  pas 
en  se  donnant  beaucoup  de  peine  ;  le  meilleur  moyen  est  de 
peu  s'agiter...  Personne  ne  pourra  prendre  par  la  violence 
le  pan  de  la  robe  du  bonheur.  Le  bras  de  la  fortune  vaut 
mieux  que  celui  de  la  vigueur  »  [Galistan,  186,  III,  28)  (2). 
Mieux  encore,  Dieu  prédestine  l'homme,  non  seulement  au 
bonheur  ou  au  malheur,  mais  encore  au  bien  ou  au  mal,  le 

(1)  Lecoute  de  Liste:  <  Lumière,  où  donc  es-tu?  Peut-être  dans  la 
mort.  > 

(2)  «  Le  bonheur  et  la  puissance  113  s'obliennent  pas  par  l'expérience; 
ils  ne  s'cLlienncnt  que  par  l'assistance  célctti:  »  [Gulislan,  94,  I,  39). 


L  UOMMB    DE    DIKU  IQl 

dirii^eaiil  ou  l'égaiMiil  à  doii  m'é.  Par  exemple  :  .<   Lo  repeii- 
lif  II  est  roi-l(|ue  si  c'est  Dieu  i|ui  racconlo  •>  \Iiini.\(nn,  373). 

Siiutli  iiKiliipliu  les  ullu-^ious  à  1  itn|juissanoc  lic  1  liurncne 
envers  sa  destinée  :  «  L'iiuinine  cioil  il  donc  que  celui  qui 
suit  son  chemin  arrive  h  son  but?  Non,  c  est  celui  que  Dieu 
dirige  t[ui  parvient  au  but  »  [VA.  Calcutta,  438  v").  Le  destin 
|)araîl  aveujjjle  :  •<  Le  sage, malgré  sa  prudence  et  ses  ell'orls, 
clierclie  en  vain  à  fuir  llioiire  fatale  ;  le  fou,  malgré  ses  extra- 
vag.mloà  imprudences,  échappe  aux  atteintes  de  la  mort  « 
[Bou.slnn,  239).  Aussi,  puisque  «  toute  précaution  est  inutile 
contre  la  destinée  "  { liousfan,  2i2),  puisque  u  le  succès  qui 
n  est  pas  marqué  d  avance,  aucun  eilorl  ne  le  fait  obtenir  » 
((jacida  persane,  éd.  Calcutta,  232),  c  est  une  folie  que  cher- 
cher à  lutter  contre  le  sort.  Même  à  la  guerre,  il  n'y  a  pas  de 
honte  à  fuir  devant  1  ennemi  :  «  Les  guerriers  les  plus  intré- 
pides peuvent-ils  soutenir  la  lutte  (juand  le  ciel  leur  refuse 
son  aille?  »  [Uousfan,  237). Le  bonheur,  en  eiret,«  est  un  don 
delà  justice  divine;  il  n'est  pas  le  privilège  de  la  force  et  de 
la  grandeur  )>. 

Mais,  cela  admis,  pourquoi  >••  plaindre  .''  Mieux  vaut 
certes  acce|>ter  l'inévitable  et,  malgré  tout,  se  cuirasser 
d'oplimisme  :  <(  O  homme,  sois  content,  que  ta  situation  soil 
bonne  ou  mauvaise,  car  on  ne  peut  rendre  favorable  un  astre 
malveillant  .>  {Çù/iih-Xânieh,  133).  N  est  ce  pas  plus  sage 
que  se  raidir  désespérément  contre  linllexible  destin  ?  «  Le 
destin  nous  a  assigné  notre  lot  d'heur  et  de  malheur  quand 
nous  étions  encore  dans  le  sein  maternel.  I^a  fortune  n'est 
pas  le  prix  des  elForls  et  de  la  lutte  :  loin  de  là,  les  plus  forls 
sont  souvent  les  plus  malheureux...  Adresse  les  doléances 
au  souverain  Juge,  mais  garde-toi  bien  île  te  [)laiiulre  de  ses 
arrêts  >•  [lioustun,  2i0).  liien  ne  prouve  du  reste  à  l'homme, 
iluranl  sa  vie,  que  Dieu  n'a  pas  mis  en  lui  le  cnraclère  do  ses 
élus.  Les  épreuves  les  plus  rudes,  les  déceptions  les  plus 
a  mères  ne  sont  parfois  (jue  les  degrés  qui  mènent  à  la  per- 
fection. Que  l'homme  travaille  donc  sans  relâche,  mais  pai- 
siblement, car  <«  Dieu  refuse  ses  grâces  à  l'homme  (jui  reçoit 


192  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITUE    III 

de  mauvaise  grâce  la  part  que  la  volonté  divine  lui  assigne  » 
(Boustan.  263). 

De  plus,  on  éprouve  une  véritable  joie  à  s'évertuer  vers 
le  bien  et  à  percevoir  confusément  qu'on  agit  suivant  la  loi 
morale,  en  se  montrant  bon  envers  les  hommes.  Un  mysti- 
que ne  disait-il  pas  dans  ses  prières  :  «  0  Dieu,  tu  as  déjà 
pardonné  aux  bons,  puisque  tu  les  a  créés  tels  »  [Gulistan, 
343)?  Cessez  donc  de  vous  tourmenter  et  vivez  en  joie,  tra- 
vaillant à  vous  rapprocher  de  Dieu,  bien  que  vous  ignoriez 
s'il  vous  appellera  à  lui.  Mais  dans  cet  effort  même,  ne  vous 
contraignez  pas  :  sachez  maintenir  le  juste  milieu  entre  l'as- 
cétisme et  la  coupable  indulgence  envers  soi-même.  Saadi, 
se  rapprochant  du  bouddhisme,  rejette,  fidèle  à  son  esprit 
de  modération,  toutes  les  outrances  de  la  piété.  A  quoi  bon 
se  mortifier  par  un  jeûne  exagéré?  «  Le  pouvoir  d'accomplir 
des  actes  de  dévotion  réside  dans  une  nourriture  agréable. 
Quelle  bonne  action  peut-on  attendre  d'un  estomac  à  jeun?  » 
(Gulistan,  294,  VII,  18).  Tout  au  contraire,  «  la  possession 
du  repos  d'esprit  est  subordonnée  à  une  existence  assurée  » 
[Gulistcin,  297).  Pourquoi  d'autre  part  maltraiter  son  pro- 
pre corps  ?  ((  Qu'est-ce  que  la  débauche  mystique  qui  te 
trouble  ton  bonheur  ?  Qu'est  l'ascète  qui  se  traite  durement 
soi-même?  Ne  sois  pas  plus  pieux  que  Mahomet  î  Ne  cher- 
che pas  à  dépasser  la  mesure  de  la  piété  »  [Çâhib-ISàmeh,  97). 
Tout  cela  n'est  en  effet  que  piété  mal  raisonnée  ;  or  «  l'ascète 
ignorant,  égaré  par  une  dévotion  chimérique,  finit  par  con- 
fondre la  foi  et  l'infidéHté  «>  [Boustan,  109).  De  la  mesure 
avant  tout  :  les  exercices  religieux  eux-mêmes  doivent  être 
méthodiquement  réglés  (G«/w^c7;i,  161,  IIÏ,  0).  Et  si  vous 
n'atteignez  pas  à  la  piété  parfaite,  n'en  persévérez  pas  moins  ; 
peut-être  Dieu  vous  tiendra-t-il  compte  de  vos  efforts  vers 
le  bien  {Boustan,  345). 

Mais  ce  n'est  pas  tout  :  l'activité  de  l'homme,  son  désir  du 
mieux,  doivent,  en  dépit  de  la  prédestination,  s'exercer,  non 
seulement  dans  la  vie  spirituelle,  mais  encore  dans  la  vie  pra- 
tique. Et  d'abord,  n  dans  la  route  du  spiritualisme,  il  faut 


l'hommk  uk   iiiKt  igS 

de»  actes  t* l  non  vies  mots  .  les  discours  ne  >onl  rien  si  la  pra- 
li(lii('  ne  s'y  joint  >»  {Boust.m,  39)  (1).  Mais  en  oiilre,  il  faut  se 
coniporler,  ù  tous  les  instants  de  rcxislence,  comme  si  l'on 
jouissait  de  son  libre  arbitre  :  «  (^)ni)iqne  la  portion  journa- 
lière soit  assignée  à  chacun,  s'atlaclier  aux  moyens  de  1  obte- 
nir est  une  obligation,  et,  bien  que  le  mallieur  soit  décrété 
par  le  destin,  il  est  nécessaire  d'éviter  les  portes  par  lesquel- 
les il  arrive  •«  {(îulixt.in,  llMl,  III.  l2H].  Au  reste,  1  homme 
est  né  en  état  de  pureté  :  «  Dieu  ta  créé  pur  alin  que  la  vie 
soit  pure  »  {Bousf.m,  317).  il  doit  donc  tendre,  en  dépit  de 
la  prédestination,  à  se  maintenir  tel,  el,  même  tombé  dans 
la  faute,  ne  pas  considérer  pour  cela  la  partie  comme  per- 
due «  Si  habilement  qu'on  rejoigne  les  morceaux  d'une 
coupe  brisée,  elle  n  a  plus  la  valeur d'unecoiipe  neuve  ;  mais 
puisque  tes  mains  négligentes  l'onl  l;ii>>fc  choir,  tâche 
encore  de  la  réparer...  Puisque  tues  tombé  dans  le  goulTre. 
fais  d'énergiques  eiïorts  pour  en  sortir  »  {Ihmstun,  345). 
Mais  quels  ellorls  ?  Aide-toi,  le  ciel  t'aidera  :  dans  1  épreuve 
el  la  tentation,  recours  à  la  prière,  «  ce  bouclier  contre 
lequel  les  traits  du  destin  viennent  s'émousser  »  [Bous- 
tan,  295).  Ne  t'endors  pas  dans  un  fatalisme  inactif  el  ne  le 
borne  pas  à  compter  sur  la  bonté  de  Dieu  :  il  aime  qu'on  la 
provoque,  même  s'il  lui  plail  de  la  refuser  i2).  il  y  a  même 
un  mérite  supérieur  à  celui  d'assurer  son  propre  salut; 
essayer  de  sauver  les  autres  ;  mais  cela  suppose  beaucoup 
de  science,  cette  science  à  latjnelle  Saadi  assigne  pour  uni- 
que but  la  connaissance  de  Dieu  :  en  ellet,  si  '<  le  religieux 
sauve  des  tlots  son  propre  manteau,  le  savant  fait  des  ed'orls 
pour  saisir  le  noyé  »  [Gulîstun,  145, 11,  40). 

On  le  sent.  Saadi  se  débat  entre  le  fatalisme  que  lui  impose 

(1)  Stadi  Vil  j.lu»  loin  encore  dam  ceUe  voie  el  n'Iu^silo  })8»  h  déclarer: 
«  Ud  gai  viTeur  qui  ré|  and  l'aisaace  autour  de  lui  l'etDporle  bur  le  dévol 
égolale  qui  jeûne  toute  l'année  m  (Houtian,  109). 

(2)  Çtihih  Kâmeh,   p.  77  :  «  0  faim^ant  qui  espères  en  la  niiaéncorde  de 

Dieu,. .  .  quelque  effjcnce  qu'elle  soit,  la  pluie  ne  fécondr  paa,  tant  <|ue  tu 

De  At'mcs  pas  de  (rraio.  • 

M.  -    13 


1^4  DBUXIÈMU    FARIIE.     —    CHAPITRE    IH 

la  Iradilion  eL  le  libi'e  arbitre  que  lui  inspire  son  cœur  ;  il  ne 
se  résigne  pas  à  admettre  que  riiomme  est  une  machine 
dont  les  actes  bons  et  mauvais  furent  décrétés  de  toute  éter- 
nité, car  il  perçoit  clairement  que,  le  dogme  de  la  prédesti- 
nation admis,  toute  sa  morale  s'écroule  et  tous  ses  beaux 
conseils  deviennent  inutiles,  puisqu'inutile  l'action.  On  ne 
pouvait  au  reste  attendre  de  lui  une  position  nette  dans  le 
débat  :  vous  êtes  prédestinés,  dit-il  aux  hommes,  mais 
escomptez  toujours  que  Dieu  vous  regarde  d'un  œil  favora- 
ble. Sinon  même,  que  risquez-vous  à  faire  le  bien  ?  Mais  ne 
cherchez  pas  l'impossible  :  quand  vous  vous  sentez  inférieurs 
aux  événements,  n'engagez  pas  une  bataille  perdued'avance  : 
u  Fuis  le  péril  autant  qu'il  dépend  de  toi,  mais  ne  lutte  pas 
contre  la  main  de  fer  du  destin  »  [Boustan,  328j.  Autrement 
dit,  sachez  plier  quand  il  faut,  afin  de  n'être  pas  brisés.  Si 
donc  l'enseignement  de  Saadi  suffit  à  former  quelques  hon- 
nêtes gens,  il  est  en  revanche  parfaitement  incapable  d'ins- 
pirer cet  esprit  de  sacrifice  et  d'abnégation  qui  fait  naître  les 
héros. 

Sa  morale  religieuse,  de  même  que  sa  morale  sociale, 
reste  en  somme  essentiellement  pratique.  Des  conséquen- 
ces dernières  du  çoufisme  :  indifférence  des  diverses  for- 
mes de  la  croyance,  identité  théorique  du  bien  et  du  mal, 
il  ne  souffle  mot  dans  son  œuvre.  Sur  bien  d'autres  points 
encore,  il  se  sépare  nettement  des  mystiques  :  il  attache  une 
importance  primordiale  à  la  bonne  renommée  pour  laquelle 
un  Jalal  ed  Din  ne  témoigne  que  dédain  ;  il  admet  l'amour 
humain  qu'un  Attâr  [Mantic  ut  taïr,  p.  120)  rejette  avec 
dégoût;  il  ne  va  pas  jusqu'à  mépriser  totalement  la  riches- 
se, à  l'exemple  de  tous  les  çoufis  ;  alors  qu'Attâr  (o/?.  cit., 
p.  16!  I  s'écrie:  «  L'inaction  est  le  terme  de  la  vie  spirituelle  », 
Saadi,  on  vient  de  le  voir,  exhorte  ses  lecteurs  à  tout  autre 
chose  que  la  vie  contemplative  ;  il  rejette  l'ascétisme,  s'op- 
posant  au  même  Attâr  qui,  dans  son  Pend-Nâmeh  (p.  44), 
conseille  «  d'avaler  la  coupe  de  la  privation  »  ;  enfin,  par- 
venu à  la  limite  de  l'orthodoxie,  il  ne  la  dépasse  pas  cepen- 


L  HOMMB    I)K    DIBU  I9J 

clanl  il  iK-  jniil  st'  résoudre  à  afliriner  avec  AllAr  'Manticut 
fuïr,  j).  63)  que  <«  quiconque  a  le  pied  ferme  dans  l'amour 
renonce  h  la  fois  h  la  religion  el  h  l'incrédulilé  •>  :  et  tandis 
que  le  nu^me  myslicjue  décrit  dune  plume  liaiclanlc.  dans  la 
préface  df  son  gian<i  jioéme,  les  joies  de  1  anéanlissiiiitiit  de 
la  créature  en  Dieu,  Saadi,  ne  pouvant  éprouver  ci-t  enlhou- 
sinsme,  se  borne  à  considérer  Dieu,  non  en  soi,  mais  comme 
facteur  supiénie  de  I  harmonie  dans  l'univers. 

Le  çouii,'«me  ne  lui  sert  qu\'>  spiritualiser  les  idées  morales 
suggérées  par  son  ex[)érience  ;  il  le  considère  donc,  non 
comuit'  uni'  lin.  mais  comme  un  inuvcu  de  perfectionner  ses 
conten)porains.  Ce  qui  n'exclut  pas,  au  reste,  sa  piété  réelle, 
non  j)lus  que  sa  parfaite  coiiliance  en  Dieu  :  de  ce  (ju'il  étale 
en  son  œuvre  une  jiliilo.-ophie  tout  indulgente,  il  ne  s'ensuit 
pasqu  il  ail  niancjué  de  sévérité  euvei>  soi-même,  et  il  y  au- 
rait quelque  hardiesse  à  affirmer  péremptoirement  que,  du 
fait  (ju'il  expose  le  çoufisme  sous  sa  forme  très  modérée,  il 
n'en  aurait  pas  soupçonné  les  secrètes  splendeurs.  Ur  cette 
modération  même  semble  le  caractère  propre  de  sa  morale. 
Ce  n'est  certes  pas  I  ineO'able  charité  pénétrant  la  morale  de 
llOvangile  à  la(|uelle  (iraf  lenta  de  la  comparer  :  qui  ne  voit  en 
elfet  les  ditférences  fondamentales  entre  ces  deux  morales? 
Celle  de  Saadi,  ignorant  totalement  lesprit  de  sacritice,  ad- 
met, ou  l'a  vu.  la  vengeance  (li.el,  tandis  que  le  christia- 
nisme interdit  le  mensonge  quand  bien  même  ce  serait  pour 
empêcher  un  mal.  Saadi  n'hésite  pas  à  déclarer  (|ue  ><  le 
mensonge  mêlé  d  utilité  est  préférable  à  la  vérité  qui  excite 
les  troubles  »  \Gulist.in,  I,  l  ). 

Mais  que  1  on  détourne  les  yeux  de  ces  deux  taches  et  que 
l'on  considère  celte  morale  en  ce  qu'elle  contient  de  plus 
général  :  l'esprit  de  mesure  et  de  tolérance.  «  N'exerce  pas 
tant  de  sévérité  que  Ion  soit  las  de  loi,  ni  tant  de  douceur 
que  l'ou  s'enhardisse  contre  loi  »  (Ciuli^itun,  316;  ;  «  la  mo- 
dération dans  les  désirs  est  la  vraie  richesse  de  l'homme  » 

oafuriua  au  Curao  (II,  190J  :  ••  ^UK'onque  «gira  tïo- 
emmeiii  <.oulrt.-  wui,  Bgis%et  de  même  k  son  égard.  » 


196  DEUXIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    111 

{Boustai},  255).  Gela  rappelle  les  proverbes  de  l'Ecriture.  A 
l'heure  où  l'Asie  sort  à  peine  de  la  fumée  des  guerres,  Saadi,  - 
après  des  années  de  courses  incertaines,  sait  pousser  un  cri 
d'optimisme  :  «  0  tempérance,  fais-moi  devenir  riche,  car  il 
n'y  a  aucune  richesse  qui  te  soit  supérieure  »  [Gulistan^ 
157.111,1). Cette  morale, toute  moyenne  qu'elle  soit,  convient 
par  là-même  d'autant  plus  à  la  foule.  Pas  d'héroïsme,  certes, 
mais  quelque  grandeur  néanmoins  dans  cette  attitude  en 
face  du  destin  dont  on  attend  les  décisions  sans  rien  espérer 
ni  rien  craindre. 


THOISIÈMK  IWHTIK 


L'ARTISTE 


Celle  morale  exprimée  par  un  poêle  a  revêlu  diverses  for- 
mes correspondant  à  ses  divers  degrés  el  l'on  peut  dire  d'une 
manière  générale  que,  si  la  morale  pro|)remenl  sociale  de 
Saadi  se  retrouve  presque  loule  dans  le  (iulistan  el  le  Hous- 
tan,  ses  conceptions  religieuses,  d'aulre  pari,  forment,  en  y 
joignant  quelques  pages  du  BoustRn,  le  fond  de  ses  recueils 
de  poèmes  mystiques.  Si,  dans  ces  derniers,  il  s'élève  aux 
vastes  déve]op|)emenls  lyriques,  dans  ceux  là,  il  se  contente 
d'user  de  l'auecdole  poélique,  ainsi  quil  l'a  mainte  fois  dé- 
claré. Il  s'ensuit  que  l'étude  de  son  art  suppose  deux  parties 
princij)ales  :  d'une  part  les  grands  thèmes  poétiques  cjui  lui 
sont  communs  avec  les  poètes  de  tous  les  temps,  d'autreparl 
les  facultés  d'observation  particulières  à  son  génie  propre  et 
à  son  épo(jue. 

Mais,  avant  l'âme  même  de  sa  poésie,  il  convient  d'en  étu- 
dier les  procédés.  Comme  tous  les  écrivains,  il  posséda  les 
siens  et  il  n'est  pas  hors  de  propos  d'examiner  les  éléments 
qui  concouroul  à  l;i  fonnalion  de  ses  o-uvres. 


CHAPITRE  PREMIER 


LES    PROCEDES    DE    COMPOSITION. 


Le  procédé  fondamental  de  la  composition  chez  Saadi  sem- 
ble celui-ci  :  ii  énonce  une  vérité  morale,  puis  Tillustre  en 
quelque  sorte  par  une  série  d'images. 

«  Il  n'est  pas  de  pensée  éloquente  et  sublime  que  Saadi 
n'ait  revêtue  du  voile  de  l'apologue  ->  a  t-il  déclaré  [Boustan^ 
p.  163).  Et.  d'autre  part,  il  termine  le  Galislan  par  ces  mots 
qui  rappellent  une  pensée  de  Lucrèce  [De  nat.  rerum,  I,  935- 
941)  :  «  La  perle  des  conseils  salutaires  a  été  passée  dans  le 
fil  de  l'éloquence,  et  le  remède  amer  de  la  morale  mélangé 
avec  le  miel  de  la  plaisanterie.  » 

Il  suffira  d'exemples  pris  au  hasard,  pour  préciser  la 
chose.  Dans  le  Boastan  (p.  344),  on  trouve  ce  conseil  :  «  Ne 
t'attache  pas  à  la  poursuite  d'un  traîlre  ;  mais,  si  tu  le  pour- 
suis, il  faut  le  tuer  sans  délai  >'.  De  même  que  La  Fontaine 
pour  qui  ><  une  morale  nue  apporte  de  l'ennui  »,  Saadi 
amène  aussitôt,  à  la  suite  du  précepte  qu'il  vient  de  formu- 
ler, une  série  d'images  diverses,  mais  de  même  ordre  (/ibïc?.)  : 
'<  Ou  bien  épargne  les  petits  du  serpent,  ou,  si  tu  les  écrases, 
fuis  sans  perdre  un  instant.  Quand  tu  as  renversé  une  ruche, 
éloigne-toi —  Ne  reste  pas  au  pied  du  mur  que  tu  démolis.  » 

Autre  exemple  [Boustan,  p.  42j.  D'abord  l'idée  :  «  Ne 
méprise  pas  l'ennemi,  même  le  plus  faible.  >>  Puis,  tout  de 
suite,  les  images  qui  la  corroborent  :  «  Je  sais  plus  d'une 
haute  montagne  qui  n'est  formée  que  de  cailloux  amoncelés  ; 
les  fourmis,  en  s'agglomérant,  triomphent  du  lion  ardent  aux 
combats;  et  le  cheveu,  plus  fin  qu'un  fil  de  soie,  devient, 
tressé,  la  plus  solide  des  chaînes.  » 


LK8    PROCéDlîS    DE    COMPOSITION  201 

Parfois  une  seule  iinaj;e  accompagne  l'idée,  et  la  concision 
V  gagne.  Ainsi  \^Gulisf;in.  2n.*),  |\'.  1):  «  Le  nu*rite  est  le 
plus  grand  des  défauts  aux  yeux  de  la  haine  :  Saadi  est  une 
rose,  mais  aux  yeux  de  ses  ennemis,  c'est  une  épine.  .» 

D'autres  fois  enfin,  c'est  le  procédé  contraire  :  l'image  ou 
l'anecdote  sert  ù  introduire  une  abslraclion.  Souvent  même, 
d'une  anecdote  futile,  d'un  simple  souvenir  de  jeunesse,  se 
(h'gage  une  pensée  mystique  à  la<juc'lle  on  était  loin  de  s'at- 
tendre. Qu'on  lise  à  ce  propos  celle  charmante  anecdote  du 
(ruiist.in  (p.  23').  \  .  If)  :  c'est  l'été;  Saadi,  tout  jeuiu',  et 
terrassé  par  la  clialeur,  s'est  réfugié  à  l'ombre  d'une  maison  ; 
tout  à  couj),  il  aperçoit,  sortant  du  vestibule,  une  jolie  fille 
(jui  lui  |»résente  une  coupe  deau  glacée.  Tableau  de  genre  : 
on  devine  la  ruelle,  pleine  à  la  fois  d'ombre  opaque  et  d'a- 
veuglanle  clarté,  la  jeune  femme  penchée  vers  l'adolescent. 
Mais  Saadi  ne  vise  pas  au  pittoresque,  ou  du  moins  l'anec- 
dote ne  constitue  qu'un  cadre  à  sa  moralité  finale  :  «  La  soif 
(soif  my>lique)  qui  consume  mon  ca'ur  n'est  pas  près  d'êlre 
éteinte  par  l'absorption  d'une  eau  pure,  quand  bien  même 
j'en  boirais  des  mers.  •> 

L'oNivre  de  Saadi  constitue  donc  une  alternance  conti- 
nuelle d'idées  et  d'images.  On  a  vu  ce  qu'étaient  ses  idées, 
on  verra  iinfr.t.  c\\.  IV)  ce  que  représentent  ses  images.  Mais 
d'autres  procédés  encore  lui  sonl  habituels  pour  le  dévelop- 
pement et  la  composition. 

Tout  comme  le«;  romanti((iies  français,  il  emploie  lanti- 
thèse  dont  il  sait  liier  des  elfets  de  concision  parfois  assez 
réussis.  .Viusidans  le  iiulistnti  p.  17».  III.  !*♦  :  «  .le  n  avais 
pas  le  moyen  d'acheter  des  babouches  :  j  entrai  tout  affligé 
dans  la  mostpiée  et  je  vis  un  homme  (|ui  n  avait  point  de 
pieds.  Je  louai  Dieu  et  je  patientai  de  mon  mampie  de 
souliers.  ••  VA.  dans  le  même  recueil  (p.  I  17.  II.  17)  :  «  Une 
personne  se  lamenta  toute  la  nuit  au  chevet  d  un  malade; 
Ior.-î(pril  f'utjour,  elle  mourut  et  le  malade  vécut  ••    I   .  L'an- 

(i)  Cf.  une  hitloire  semblable  {Housian,  p.  239). 


202  TROISIÈME    PARTIR.     —    CHAPITRK    PREMIER 

tithèse  est  souvent  beaucoup  moins  frappante,  parce  que 
résultant  d'images  moins  simples  ;  ainsi  [Boustan,  362)  : 
«  Le  miroir  se  ternit  au  contact  de  l'haleine,  mais  les  soupirs 
du  repentir  font  briller  le  miroir  du  cœur.  » 

Parfois  même  Saadi  ne  craint  pas  d'accumuler  les  antithè- 
ses en  série,  groupant  des  images  contradictoires  (par  exem- 
ple, Pend-Nâmeh.  trad.  Garcin  de  Tassy,  121-122),  tout 
comme  il  groupe  par  ailleurs  des  images  concordantes. 

Autre  procédé  :  Saadi  développe  une  pensée  en  exposant 
à  la  fois  le  pour  et  le  contre.  Ainsi  dans  le  Pend-Nâmeh  où 
à  l'éloge  de  la  générosité  (ch.  II  et  III)  succède  immédiate- 
ment la  censure  de  l'avarice  (ch.  IV).  Ou  bien  même,  il  fait 
discuter  par  deux  interlocuteurs  ce  pour  et  ce  contre  :  par 
exemple,  dans  le  Gulistan,  la  discussion  entre  un  père  et  son 
fils  sur  les  avantages  et  les  inconvénients  des  voyages  (p.  185, 
III,  28)  ;  de  même  la  dispute  au  sujet  de  la  richesse  et  de  la 
pauvreté  fp.  293). 

Quant  aux  personnages,  Saadi,  par  un  procédé  qui  sent 
son  moyen-âge,  fait  parler  non  seulement  des  humains  et  des 
vivants,  mais  encore  des  animaux  et  même  des  choses.  Lisez 
par  exemple  dans  le  Gulisfan  (p.  233,  V,  13)  l'amusante  dis- 
cussion du  perroquet  et  du  corbeau  qui,  «  disant  :  Il  n'y  a  de 
puissance  qu'en  Dieu,  frottait  ses  pattes  l'une  contre  l'autre, 
en  signe  de  désappointement.  »  Ailleurs  {Ihid.,  147,  II,  43), 
c'est  une  dispute  entre  l'étendard  et  le  rideau  de  la  porte  du 
palais,  le  premier  reprochant  au  second  de  lui  laisser  toutes 
les  fatigues.  Dans  le  Bousfan  (p.  194),  les  objets  se  trouvent 
personnifiés  au  moyen  d'images,  au  demeurant  d'un  goût 
assez  douteux  :  «  Des  pierres  lancées  contre  la  table  du  fes- 
tin brisèrent  les  urnes  de  cristal  et  les  vases  en  forme  de 
courge  (1)  :  le  vin  se  répandit  hors  de  l'amphore  renversée, 
comme  le  sang  s'échappe  de  la  blessure  d'une  oie  qu'on 


(1)  Sur  ce  genre  de  vases,  cf.  Rivière  et  Mig-eon,  Céramique  dans  Vart 
musulman,  I,  pi.  .36  et  43  ;H.  d'Allemagne,  du  Khorassan  au  pays  des 
Bachktiaris,  II,  fig.  p.  113,  135,  136. 


LES  PROcéois  n;-:  composition         ,  qo3 

égorge La  jarre  en  gesl.dion  <lej)ui><  neuf  mois  laissa  loin  - 

ber  la  li(|neur  qu'elle  rocélail  en  ses  11. mes,  el,   sur  rentre 
fendue  de  pari  en  pari,  la  bouteille  rôpuidil  de^  larmes  do 
sang  »  (l).  Saadi  va  même  jusqu'ù  dialoi^uier  avec  une  touire 
de  gazon  [Guiisfan,   loIJ,   II,    i9).  De  là  à  faire  parler  les 
morts,  il  n'y  a  (ju'iin   pas.    et  le  poète  ne  s'en  fait  pas  faute. 
Dans  le  BouMf.in  [p.  oO  .un  crâne  abandonné  sur  les  bords  du 
Tigre  adresse  à  un  çonfi  d'édifiantes  exhortations  ;  plus  loin 
(p.  352),  une  voix  dolente  sortant  d'un  tertre  qu'on   pioche 
demande  au  terrassier  de  ménager  ses  coups  (2i.  Kniln.  dans 
le  (iulistnn   p.  2(i,  I,  2),  un  prince  voit  en  songe   un  de  ses 
prédécesseurs  a  dont  tout  le  corps  est  réduit  en   poussière  à 
l'exception  des  yeux  qui  regardent  attentivement  ». 

D'autres  procédés, moins  généraux, lui  sont  communs  avec 
les  autres  j)oèles  j)crsans  .  par  exemple  hî  procédé  d'  <(  analo- 
gie »  (mouraat-i-na/ir)  consistant  à  réunir  dans  le  même  pas 
sage  les  mots  d'une  même  catégorie,  mais  appliqués  à  des 
objets  disparates  :  ainsi  Boust.ni,  p.  31))  :  «  L'heure  est  venue 
de  filer  mon  suaire,  maintenant  que  ma  chevelure  a  la  blan- 
cheur du  co/o/<,  et  mon  corps  la  gracilité  du  fuseau  »  ;3;. 
Parfois  aussi,  il  procède  par  allusions  (talmih)  l  i).  Knlin, 
plus  souvent,  il  compose  des  jeux  de  mots,  à  vrai  dire  plus 
ou  moins  réussis  (5). 


{{)  Bnrbier  de  Meynard  (p.  225)  commente  ainsi  ce  passage  :  «  I^e  porte 
les  anime  el  leur  prèle  des  sentimenls  analogues  à  ceux  du  cœur  humain. 
Malheureusement  toutes  ces  délicatesses  disparaissent  d.ins  une  traduc- 
tion. " 

(2)  Th«'me  qui  se  trouve  déjà  dans  la  poésie  nlexandrine.  Cf.  l'imitation 
de  Hérédia  {La  jeune  morte). 

(3)  Cf.  ihid.,  p.  96,  n.  6S. 

(4")  Cf.  Browne,  LitI .  Hist.,  Il,  p.  77-78  (allusion  A  Dhahir  Kan.ilii,  se 
retrouve  dans  le  Bouslnn,  p.  16.  début,  et  n.  20). 

(5)  Par  exemple,  dans  l«  Bonstnn  (I,  vers  30)  :  «  Donne-moi  un  baiser  avec 
une  faute  d'orlhogruphe  (tashif)  car,  pour  le  pauvre,  des  provisions  (toù- 
cheh)  valent  mieux  que  des  baisers  'boûseh).  Autre  exemple  dans  Browne 
(op.  cit..  II.  KO).  Parmi  les  eux  do  mots  du  Bottstan  :  p.  80.  n.  4;  p.  93, 
n.  ?i2e«  .n3  ;  p.  94.  n.  58  ;  p.  140,  n.  21  et  24;  p.  142,  n.  29  et  30  ;  p.  143. 
n.   34  ;  p.  174.  n.  «  ;  p.  17.*i,  o.  13  :  p.   224,  n.  14  :  p.  22'.).  n.  32  ;  p.  85t. 


204  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    PREMIER 

On  rencontre  dans  ses  œuvres  plusieurs  répétitions  : 
M.  E.-G.  Browne  (Liierary  History,  art,  Saadi)  en  signale 
plusieurs  ;  Defrémery  et  Barbier  de  Meynard,  dans  les  notes 
de  leurs  traductions,  se  sont  attachés  à  relever  les  vers  qu'on 
relève  à  la  fois  dans  le  Boustan  et  le  Gulisian.  On  y  pour- 
rait ajouter  que  le  vers  du  Gulistan  (p.  10)  :  «  0  toi  dont  la 
cinquantaine  est  passée  et  qui  es  encore  dans  le  sommeil, 
peut-être  metlras-lu  à  profit  ces  cinq  jours  qui  te  restent  »  se 
retrouve  textuellement  dans  une  qacida  (éd. Calcutta, 239  v°)  ; 
que  d'autres  vers  de  cette  introduction  du  Gulistan  (p.  8)  : 
«  Ne  sais-tu  pas  pourquoi  j'ai  séjourné  dans  des  régions 
étrangères,  etc.  »  ressemblent  beaucoup  à  ceux  de  la  der- 
nière pièce  des  Khawâtim  ;  que  cinq  distiques  de  la  deuxième 
des  Marathî  sont  presque  identiques  à  ceux  de  la  11^  qacida 
(éd.  Calcutta,  221,  r"). 

Les  anecdotes  que  raconte  Saadi  paraissent  pour  la  plupart 
de  source  orale,  il  l'indique  au  reste  parfois  en  commen- 
çant sa  narration.  Ainsi  [Boastan^  p.  120)  «  Je  ne  sais  qui 
m'a  raconté  l'histoire  que  voici  »,  ou  bien  «  J'ai  entendu  ra- 
conter que...  ».  Cest  le  «  hikâyet  konend  »  et  le  «  chèni- 
deh  em  »  persans  (1  ). D'autre  part,  il  rapporte  des  proverbes, 
en  les  mêlant  le  plus  souvent  à  son  récit,  et,  plus  rarement, 
en  les  signalant  comme  un  dicton  entendu,  par  exemple 
[Gulistan^  251 ,  V,  20)  :  «  Dans  le  pays  des  Arabes,  on  dit  : 
Les  coups  d'un  ami  sont  du  raisin  sec  »,  ou  encore  [Gulistan^ 
172,  III,  16)  :  «  Un  sage  n'a-t-il  pas  mis  en  circulation  ce 
proverbe  :  Il  vaut  mieux  que  la  fourmi  n'ait  pas  d'ailes.  » 

Saadi  dans  le  Gulistan  (p. 343),  déclare  qu'il  faut  prendre 
conseil  «  des  récits  et  des  proverbes  des  anciens  ».  Aussi 


n.  H  ;  p.  314,  n.  23  ;  p.  3d5,  n.  26  ;  p.  337,  n.  2.  Les  jeux  de  mots  sem- 
blent moins  nombreux  dans  le  Gulistan  :  cf.  notamment,  p.  143,  n.  1  et 
p.  241  in  fine). 

(1)  Par  exemple,  Bouslan  (p.  261):  «Sais-tu,  lecteur,  ce  que  j'ai  rapporté 
de  Bassorali  ?  Un  récit  plus  doux  que  les  dattes  de  cette  contrée.  >>  Cf.  Gu- 
listan, p.  27,  159,  202,  209,  269.  Bâcher  {Aphorismen)  en  a  dressé  une  liste, 
p.  LUI,  n.  2-8  et  LIV,  n.  1-5. 


LKâ    PROCBuéë   UB    COMi'OBITIO.N  'JU'> 

bien,  ses  sources  ne  sonl-elles  pas  excliisivenuMil  orales  :  un 
certain  nombre  de  personnages  InslorKjiies  on  Ii''^en<laircs 
paraissent  dans  son  u'uvre  et  une  revue  raj)i(le  do  ces  per  • 
sonna<;es  permettra  peut-être  d'inférer  (juels  auteurs  Saidi 
lut  et  relui  de  préférence. 

De  ces  personna<^es,  (pielques-uns  viennent  certainement 
du  (^oran  ou  des  traditions  ihadîtln  relatives  j'i  Mahoujet  : 
yioïsc  [du lis f un,  171),  Abou  Ilouraïra  (iulistuti,  \'.V.^,  Is(i  . 
Locjman,  qu'il  cite  souvent  [Bouslan,  2l3;  ilulist.tH,  Lll, 
111».  123,  158,343),  la  femme  de  Loth  [dulistHn,  3i),  les 
Sept  Dormants  '  (tulis(.in.  'A\,  iHOi.  Il  insère  en  outre  dans 
le  lioustun  ip.  1  Si)  une  anecdote  sur  Jésus,  sans  doute  fon- 
dée sur  quelque  tradition,  et,  dans  le  Gulistun  (p.  3i*2K  une 
prétendue  citation  de  l'Evangile. 

D'autres  personnages,  plus  modernes,  furent  probable- 
ment révélés  à  Saadi  par  des  récits  plutôt  (jue  par  ses  lec- 
tures: le  médecin  Galien  (iulistnn,  2118],  l'astronome  (iou- 
chiâr  [lioustiin,  206),  ainsi  qu'une  série  de  traits  plus  ou 
moins  historiques  (ju'il  attribue  aux  princes  musulmans: 
Hatim  Thayï  (ju'il  cite  souvent  ( //ow.s7f</j,  1  18-121  ;  (itilistan, 
15.*;,  165,  17U.  180,  303),  Ali  ^//ouA7.i/i,  216,  Omar  ^/>'ow.v- 
tan,  2j8i,  Amr  ibn  Laith  {Gulistan,  71),  Hajjàj  ibn  '\'ousouf 
(i5o«5/an,  52,  289  ;  (iulist.in,  il  i.  Ilaroun  ar  Hachid  ^fi«- 
list,'m,  88,  92),  Omar  ibn  Abd  el  Azi/  ilioustan,  '61  \  Ma- 
moun  le  7"  Abbasside  {lîoustan,  ()5),  Malik  Çàlih  [lioustun. 
201)  (i),  Alp  .\rslan  Jiou.st.m,  58).  Kizil  .Vrslan  ^lioustun, 
57).  Il  semble  au  demeurant  impossible  de  savoir  si  Saadi 
avait  lu  ou  non,  à  leur  sujet,  des  ouvrages  historiques. 

Une  troisième  catégorie  de  personnages  est  formée  par 
les  voufis  et  représente  sans  doute  un  élément  oral.  Saadi 
cite  :  Dhoulnoim  [lioustnn,  219  ;  (iu/istan,  83),  Abd  el  (Jadir 
Guilani  [Gu/ist.in,  KM),  Çadred  Dinde  Khodjend  [fioust.in, 
101),  Chibli  {/iousf.in,  lit;  rùhil>-y.inu'h,  111  ,  Maarouf 
de    Karkh    [Houstan,    199;    (\ihib-.\;inic/i,     Hl   .    Jounaid 

^i,  Cf.  la  iiulf  de  Barbier  de  Me>nard  (Uoutlan,  |>.  227,  q.  25j. 


206  TROISIÈME    PAHTIE.     CHAPITRE    PREMIER 

[Boustan,  214),  Bahloul  [Boustan,  212),  Bayazid  de  Bistam 
[BoustHii,  248),  Daoïid  Tliaji  [Boustan,  287),  Hâlim  le 
sourd  [Boustan,  209). 

Enfin,  rélément  de  source  cerlainemenl  livresque,  les  rois 
ol  les  héros  de  la  Perse  (cilés  en  général,  Boustan,  46)  qu'il 
a  connus,  non  seulement  par  une  vivace  tradition  orale, 
mais  surtout  par  le  Chàh-Nàmeh  de  Firdousi,  et  qu'il 
nomme,  des  Pichdâdiens  aux  Sassanides  :  Faridoun  [Gulis- 
tan,  170,  346;  Boustan,  78,  264,  294),  Zàl  [Gulistan,  35), 
Kuslam  [Gulistan,  35;  Boustan,  71,  234,  277,  280),  Jam- 
ch\d  [Gulistan,  346;  Boustan,  34),  Darius  [Boustan,  3^), 
Kaïkobâd  {Boustan,  59),  Afrasiàb  [Boustan,  73),  Gourguin 
[Boustan,  75),  Dastân  [Boustan,  238),  Bahram  Gour  [Gulis- 
tan, 131,  455),  Ardachir  Babakân  [Gulistan,  161  ),  Nouchir- 
wân  [Boustan,  17,  18,  20;  Gulistan,  26,  65,  84,  91,  92), 
Hormouz  [Gulistan,  43). 

Tout  cela,  c'est  le  monde  héroïque  du  Chàh-Ndnieh,  ou- 
vrage que  Saadi  cite  au  reste  expressément  à  plusieurs  re- 
})rises  (1).  A  Firdousi  s'associe  dans  le  souvenir  de  Saadi  le 
prince  qui  récompensa  si  tardivement  le  poète  épique  :  Mah- 
moud le  Ghiizué\ide  [Boustan,  159;  Gulistan,  26,  210,219). 
Saadi  semble  donc  s'être  nourri  de  l'épopée  nationale  de  la 
Perse  (2).  Mais  en  oulre,  Majnoun  et  Laïla,  souvent  cités 
[Boustan,  159  ;  Gulistan,  247,  258,  339),  Khosraw  et  Chi- 
rîn  (3)  font  songer  aux  épopées  romantiques  de  Nizâmî  qui 
portent  le  même  nom  ;  sans  parler  du  personnage  d'Alexan- 


(1)  Galistan,  40  et  Boustan,  114  ;  Calcutta  p.  232  i°  :  «  Une  puissance  de 
cette  étendue  el  une  autorité  de  cet  ordre  ne  sont  mentionnées  dans  aucun 
récit  du  Châh-Aâmeh  »  ;  Calcutta  224  v°  :  «  Que  n'a-t-on  pas  rapporté  dans  le 
Châli-.\âineh,  sui  Roustaui  et  Isfandi<'ir  au  corps  d'airain?  » 

(2)  Dans  le  Boustan  (p.  361),  il  fait  encore  allusion  à  l'aventure  de  You- 
•ouf  et  Zuulaïkhu,  sans  doule  en  souvenir  du  poème  de  Firdousi.  De  même 
dans  Calcuita  (244  v°)  :  <■  Le  souffle  du  venl  du  malin, semblable  à  Zoulaïkba 
met  en  pièces  la  robe  de  la  rose,  semblable  à  Joseph,  « 

(3;  Ca'cutta  221  v*  ^dernier  vei  f^)  :  c  La  situation  (de  Saadi)  est  semblable  à 
celle  d'un  Klicsravv  qui  ebi  revenu  de  1;^  clio:  >>c  a^cc  le  désir  d'une  Chirîn.  » 


LK8    PiiOCéoL^d    UB    COMPOSITION  307 

dre    (tulist.tn,  97/,  venu,  soil  cl'uuo  Iradilioii  orale,  soil  de 
\' Isliciider  Xàint'h  (I  î. 

Mai^  Saadi  ne  se  borne  pas  i\  Firdoiisi  :  dans  le  /iousf.in, 
il  salue  le  souvenir  d'Ounsouri,  "  ce  rui  df  la  poésie  » 
(j)  3;).'i,  ;  il  mentionne,  dans  le  Gulistan  ^p.  ^SO),  les  poésie» 
dAnwari  ;  il  cile,  sans  doiile  d'après  la  Iradnclion  d'Azraqi 
en  vers  persans,  le  célèbre  Livre  de  Sindibàd  i  liouslun^ 
IGU)  (2);  enfin,  ressonvonir  do  sa  jeunesse,  il  plaisanle  au 
snjel  de  <  linlroduclion  A  la  grammaire  «  [Kitàh  el  Moufus- 
sali  de  Zamaklichari  [(juli.sttiHy  p.  2il)  (3). 

Donc,  beaucoup  de  récils  entendus,  quatre  ou  cintj  poêles, 
un  grammairien,  voilà  ce  (ju'on  découvre  en  paicoiiranl  ses 
œuvres.  Ces  œuvres,  comment  les  a-l  il  disposées?  A-l-il 
observé  un  ordre  quelconque  en  les  composant  ? 

(.)n  a  vu  plus  haul  (jue  Saadi,  pour  le  iioustan  et  le  Oulis- 
lan,  avait  lui-même  établi  une  division  bjgique  par  chapitres. 
Mais,  à  vrai  dire,  il  ne  semble  pas  s  être  atlaclié  à  ranger 
rigoureusement  ses  histoires  sous  le  litre  qui  les  appelait. 
Dans  le  (rulistan,  les  récils  se  suivent  sans  aucune  liaison. 
Saadi  relie  parfois,  il  est  vrai,  deux  histoires  qui  pr(''^entent 
un  cerlain  r.jpport  de  fond  (Cf.  (iu/istun,  p.  I  tO,  II,  35  ; 
p.  I7;{.  m,  18;  p.  201,  III,  28^.  Mais  le  cas  n'est  pas  assez 
fréquent  pour  (ju'on  puisse  en  tenir  compte.  De  même  pour 
le  lioustun,  à  part  quelipies  très  rares  exceptions  ;  et  1  on 
pouirail  retrancher  telle  histoire  (ju'on  voudrait,  sans  que 
l'ensemble  de  l'œuvre  en  soulFrit  le  moins  du  monde  II 
serait  du  reste  aussi  fa.slidieux  qu'inutile  —  et  l'on  irait  ainsi 
conlre  l'inlention  du  poète  —  de  dresser  un  tableau  de  lor- 

1/  Sjr  Sj«di  et  NizAini,  cr.  Rjicbt^r,  SUainïi  l^bcn  u/id  Werke  (Leipzig, 
1671),  p.  57-58. 

(i)  .Sur  le  livre  de  Siniiibâ  1.  cf.  R.  lUsset,  Ifistoirg  des  di.r  vizirs,  avâiil- 
propos. 

(3)  Chauvin  {fiibiuxj .  des  <juv.  nrnhcs,  l.  li;  «  reiove  une  iisle  des  aualo* 
gie*  enlre  le  livre  de  OiUla  et  Dinma  el  le  Gulislan  :  p.  82  ^ii*  2)  ;  p.  83 
(11'  5)  ;  p.  Uy  (i|.  104)  ;  p.  127  (ii*  131)  ;  cnlre  le  même  ouvrage  el  le  Bout- 
lan  :  \>.  lOJ  (n»  73):  p.  115  fa'  89)  :  p.  lil  ii«  110).  Cf.  IHd.  l.  III,  p.  68, 
u.  /.  . 


208  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE   PREMIER 

dre  logique  des  anecdotes.  Toutefois,  certaines  indications 
valent  d'être  notées. 

Si  Ton  examine  le  contenu  du  Gulisfan,  on  remarque  que 
plusieurs  histoires  rattachées  au  premier  chapitre, parce  qu'il 
y  est  question  d'un  roi,  seraient,  de  par  leur  sujet,  mieux 
placées  dans  les  chapitres  suivants.  Entre  autres  l'histoire  16 
(p.  55)  :  un  ami  de  Saadi  obtient,  grâce  à  lui,  une  place  im- 
portante, puis  tombe  en  disgrâce  et  se  plaint  des  vicissitudes 
de  la  fortune  ;  il  est  certain  que  cette  aventure  relève  de  la 
modération  des  désirs  (chap,  III)  et  n'offre  aucun  rapport 
avec  le  chapitre  I  (conduite  des  rois).  Dans  le  chapitre  II 
(mœurs  des  derviches),  on  rencontre,  on  ne  sait  pourquoi, 
la  facétieuse  anecdote  d'un  borgne  marié  à  une  femme  laide. 
Le  chapitre  suivant  contient  deux  récils  (N°*  20  et  21 ,  p.  175) 
qui  figureraient  plus  à  propos  dans  le  chapitre  I  (conduite 
des  rois).  Dans  le  chapitre  VII,  les  premières  histoires  seules 
sont  conformes  au  titre  (influence  de  l'éducation),  les  suivan- 
tes formant  une  sorte  d'appendice,  tandis  que  la  discussion 
sur  la  richesse  et  la  pauvreté  (p.  293)  figurerait  à  meilleur 
titre  dans  le  chapitre  III  ;  quant  au  chapitre  VIII,  il  renferme 
en  quelque  sorte  une  réserve  de  proverbes  et  de  vers  que 
le  poète  n'avait  pu  glisser  dans  les  histoires  du  recueil  (l).De 
même  pour  le  Boustan:  ainsi,  dans  le  chapitre  II  (bienfai- 
sance), s'intercale  un  fragment  sur  les  coulis  (p.  126-128) 
appartenant  en  réalité  au  chapitre  III  (l'amour  mystique). 

En  fait,  il  faut  se  demander  si  ce  demi-désordre  n'est  pas 
volontaire  et  si  le  poète,  qui  ne  voulait  se  montrer  ni  dogma- 
tique, ni  méthodique,  n'a  pas  cherché  par  là-même  une  sorte 
de  divertissement  :  sans  doute,  il  voulait  instruire,  mais 
en  même  temps  présenter  son  enseignement  sous  la  forme 
la  plus  variée  et  la  plus  imprévue,  faisant  ainsi  de  chacun 
de  ses  chapitres  un  collier  dont  chaque  perle  diffère  de  sa 
voisine.  Au  lecteur  de  rassembler,  s'il  lui  plaît,  les  perles  de 
même  orient. 

(1)  Cf.  les    Tas  de   pierres  des  derniers  recueils  poétiques   de   Victor 
Hugo. 


LES    PUOCi:ué8     l)K    COMfOsrilUN  , 

I*]l,  loul  hii'ii  considt'rt'.  K-s  deux  reciu'iU,  id^ijn  ii>  ><)iiî, 
n'en  iv|)(Hi(lt'ii(  pas  moins  à  liiir  lihe  :  «m  verger,  nnc  rose- 
raie, ne  paraît- il  pas  en  ell'el  d'aulanl  plus  délicieux  que  »es 
fruits  on  ses  lleurs  sonl  à  la  lois  plus  variés  el  mélangé»?  VA 
puis,  clu'/  Saadi.  la(|ueslion  do  la  coniposilion  n'est  que 
secondaire  :  il  ne  tâche  pas  à  élaborer  un  ouvrage  de  longue 
haleine;  il  n'est  pas,  comme  Kirdousi,  dominé  par  un  grand 
sujet  ou,  comme  Khayyam  ou  .I;t!al  cd  l)iu.  jiar  une  idée 
principale,  formant  à  elle  seule  le  fond  d  uneouvre  entière. 
On  a  vu  (jue  sa  morale  se  réduit  à  la  morale  des  honnêtes 
gens,  sans  une  pensée  fondamentale  autour  de  la(]uellc  se 
cristallisent  toutes  les  autres,  il  n'est  pas,  d'autre  part,  un 
passionné  comme  les  grands  mailres  du  (.oufisme.  Ses  élans 
mysticpies  semblent  bien  tièdes.  lorsiju'on  les  couïpare,  par 
exemple,  au  prologue  du  Munliq  el  l;nr  ou  au  iJiuàn  de 
Jalal  ed  l)in.  Khayyam  même,  malgré  son  scepticisme,  ne 
l'emporte- l-il  pas  sur  Saadi  par  ce  quehpie  chose  d5  doulou- 
reux el  de  tourmenté  qui  se  dégage  de  son  ironie  ? 

Tout  cela  n'empêche  que  Saadi  soil  poète,  mais  à  «a  ma- 
nière :  les  mêmes  thèmes,  que  d'autres  embra^ent  de  pas- 
sion ou  enveloppent  de  mystère,  deviennent,  traités  par  lui, 
toute  grâce  el  délicatesse.  Quels  sont-ils  donc,  ces  thèmes? 
et  de  quels  accents  personnels  Saadi  sut-il  les  parer  ? 


M.  -  1* 


CHAPITRE  II 

LES    GRANDS    THEMES    POETIQUES 


De  même  que  la  musique,  pour  Iraduire  tout  sentiment 
et  toute  sensation,  se  contente  de  faire  appel  à  quelques  sons 
fondamentaux,  de  même  la  poésie,  pour  exprimer  toul  ce 
qu'elle  rêve,  use  seulement  de  quelques  thèmes  sur  lesquels 
elle  module  ses  variations  infinies.  Que  l'on  prenne  Homère 
ou  Valmiki.  Corneille  ou  Shakspeare,  Virgile  ou  Lamartine, 
les  sentijiients  sont  au  fond  les  mêmes  ;  seule,  la  forme  se 
modifie,  brutale  ou  tendre,  limpide  ou  mystérieuse,  simple 
ou  pompeuse.  Il  ne  faut  donc  pas  chercher,  dans  la  poésie 
de  Saadi,  des  sentiments  inédits,  car  son  âme  ressemble  à 
celle  des  autres  poètes,  et  les  âmes  des  poètes  sont  celles 
d'hommes  qui  portent  à  sa  plus  haute  puissance  la  faculté 
de  symboliser  tout  ce  qu'ils  éprouvent.  Mais,  de  ces  senti- 
ments communs  à  tous,  les  uns  ou  les  autres,  dominant 
selon  chaque  poète,  lui  créent  ainsi  son  originalité.  Quels 
sont  donc  les  sentiments,  et  par  suite  les  thèmes  poétiques 
qui  régnent  sur  Timagination  de  Saadi  ? 

Une  seule  fois,  provoqué  par  quelque  détracteur,  Saadi, 
marchant  à  l'enconlre  de  son  génie  naturel,  emboucha  la 
trompette  héroïque  dans  le  Bnustan{p.  234)  :  tout  le  passage, 
outre  qu'il  détonne  au  milieu  de  ce  poème  moral,  souffre 
du  redoutable  voisinage  de  Firdousi  dont  il  s'inspire,  et 
Saadi  percevait  bien  au  demeurant  que  ce  n'était  point  là 
son  affaire.  De  même,  ses  poèmes  officiels,  assez  souvent 
conçus  dans  le  même  ton,  paraissent  pour  la  plupart  en- 
nuyeux et  déclamatoires  et  ne  présentent  plus  guère  aujour- 
d'hui qu'un  intérêt  historique. 


LBd    GHANDK    THèlÉBS    POtfTlQUM  ail 

Un  autre  défaut  (jiii  gâte  la  poésie  lyrique  de  Saadi,  c'est 
qu'elle  est  trop  coulinuelleinenl  heiilencieui^e.  C,)u'il  moralise 
à  cœur  joie  dans  le  Jiouxt.m ,  le  iiuli.sl;ui  ou  le  ('('i/iiJj-Aànieft, 
rien  de  plus  naturel.  Mais  loisqu'au  milieu  d'un  poème 
amoureux  ou  mystique,  on  lomh»?  sur  des  considérations 
morales  plus  ou  moins  lourdement  exprimées,  on  est  tenté 
de  fermer  le  livre  en  maudissant  le  poile  qui  ne  craint  pas 
d  allier  de>  éléments  d  inspiration  si  disparates. 

C'est  \h  précisément  l'infériorité  de  ses  œuvies  lyriques: 
l'inspiration  n'y  [)araîl  j)as  une  et.  assez  souvent,  ne  s'y  sou- 
tient pas.  Va  pourtant,  bien  rares  sont  les  j)oènies  de  Saadi 
dans  les(juelson  ne  puisse  découvrir  au  moins  (jneUpies  vers 
vigoureux  ou  cliarmanis.  11  faut  le  dire  une  bonne  fois:  si 
Saadi  excelle  comme  conltnr  moraliste,  en  revanche,  poète 
lyricpie,  son  inspiration  est  courte. 

Nalurelloment,  le  bon  sens  qui  éclate  a  ton  les  le.»  p.i^es  de 
ses  recueils  moraux  se  révèle  également  au  cours  de  son  œu- 
vre lyrique.  (3n  a  vu  (ju'en  morale  il  recommandait  la  sau- 
vegarde de  la  liberté  individuelle,  source  de  la  tranquillité  de 
l'àme.  l)e  même  dans  sa  lyri(jue  où  l'on  rencontre  fréquem- 
ment des  vers  de  ce  genre  (pii  figureraient  à  meilleur  titre 
en  tin  d'un  apologue  (Calcutta,  495)  :  «  Ne  te  tourmente 
pas  inutilement  de  la  haine  de  les  ennemis,  car  malheureu- 
sement ton  corps  en  subit  les  conséquences  »,  el  [ibid.)  :  ««  Ne 
gâche  pas  ta  vie  par  des  regrets  et  des  «  c'est  dommage  ». 

On  sait  avec  (pielle  joie  le  poète  avait,  au  terme  de  ses 
pérégrinations,  retrouvé  sa  petite  patrie.  Ce  calme,  cette 
joie  de  sentir  son  âme  en  paix,  c'est  un  des  sentiments  dont 
il  a  tiré  les  inspirations  les  plus  spontanées  :  «  Lorscpie  l'àme 
possède  le  calme,  (ju'importe  (]u  on  habite  un  palais  ou  une 
caverne  ?  Lors(|ue  le  sommeil  vient  facilement,  que  t'im- 
porte de  le  trouver  sur  un  trône  ou  sur  le  bord  d'un  mur  .'  » 
^Calcutta.  iyO). 

Sentiment  moyen  ù  la  vi nie  ;  il  n  esl  au  reste  pas  seul  do 
son  espèce  :  à  côté  du  sens  pratique,  tempérant  les  élans 
excessifs  de  rimaginalion,  et  dérivant  en  quelque  sorte  de 


212  TROISIEME    PAKTIK,    CHAPITRE    II 

lui,  riuimour  se  révèle  assez  souvent  an  milieu  des  poèmes 
lyriques.  Par  exemple  (Calcutta,  49t,i:  «  Même  si  ['ou  n'a 
pas  de  dents,  on  peut  manger  du  pain  ;  le  vrai  malheur,  c'est 
de  n'avoir  pas  de  pain.  »  Ou  bien  (Calcutta,  495)  cette  indul- 
gente raillerie:  «  A  deu.v  amoureux,  la  journée  sera  meil- 
leure s'ils  sont  ensemble.  Deux  feux  réunis  produisent  une 
flamme  plus  forte.  »  Ou  bien  encore  cette  facétie  qui  dénote 
l'observateur  amusé  d'une  rue  de  petite  ville  (Quatrain  n°96)  : 
c(  Le  voisin  qui  voit  qu'il  ne  te  déplaît  pas.  c'est  le  paradis 
dans  sa  maison  et  dans  sa  rue.  »  Souvent  même  cet  humour, 
s'appliquant  aux  choses  de  la  passion,  se  mue  en  une  sorte 
de  ricanement,  surtout  si  l'on  songe,  en  lisant  les  passages 
qui  suivent,  aux  élans  elFrénés  de  panthéisme  amoureux 
qu'on  rencontre  si  souvent  chez  Atlàr  ou  Jalal  ed  Din.  Ainsi 
le  quatrain  n°  54  :  «  Cette  amie  qui  donne  le  calme  à  mon 
cœur,  on  dit  qu'elle  est  laide.  Cela  se  peut  !  Mais  il  vaut  mieux 
qu'elle  ne  paraisse  pas  belle  aux  yeux  des  autres,  afin  que 
son  amour  ne  soit  que  pour  moi  seul.  »  Et  surtout  celui-ci 
(n"  75)  où  la  plaisanterie  se  teinte  de  mélancolie  :  «  Cette 
nuit,  mon  bonheur  n'était  pas  mince.  Je  tenais  dans  ma 
main  l'orange  de  ton  menton.  Je  mordillais  sans  cesse  ta 
lèvre  délicieuse.  A  mon  réveil  je  vis  que  c'était  le  bout  de 
mon  doigt.  » 

Car,  à  ce  bon  sens,  à  cet  humour,  répond,  dans  d'autres 
poèmes,  une  langueur  triste  et  rêveuse,  imprégnant  de  mys- 
tère tous  les  sentiments  par  lesquels  elle  s'exprime.  Insta- 
bilité du  monde,  fatalisme,  vanité  de  l'effort  humain,  fuite 
éperdue  des  êtres  vers  un  but  inconnu,  il  y  a  un  peu  de  tout 
cela  dans  cette  mélancolie  que  le  poète  excelle  à  suggérer, 
même  en  un  seul  vers  :  «  N'espère  pas  de  fidélité  de  la  part 
des  rossignols,  car,  à  chaque  moment,  ils  chantent  sur  une 
rose  différente  »  [Gulistan,  p.  262,  VI,  2).  Le  même  objet, 
la  rose,  si  fréquente  dans  toute  la  lyrique  persane,  Saadi 
l'utilise  pour  nuancer  le  même  sentiment  (Calcutta,  248)  : 
«  Un  buisson  de  roses  s'en  est  allé  au  vent  :  souvenir,  dou- 
leur, regret  sont  restés.  »  Et,  moins  expressivement  toute- 


LBS    GRANDS    TII^.MP.8    POI^.TrQUBB  :<  I  3 

fois  [il)i(/.)  :  «  Lors(|iic'  la  jcuir-.-^m'  iiieml,  la  roseraie  ne  doit 
pas  subsister;  lorscjiie  la  rose  iiuiirl,  la  chanson  fin  jn-in- 
tcmps  ne  «loil  pas  continuer.  •• 

Celte  nu'lanoolie  n'apparait  au  reste  pas  senlemenl  dans 
les  poèmes  lyriques,  mais  se  fait  jour,  même  an  milieu  des 
sentences  du  lioustnn.  A  la  lin  d  inie  anecdote,  on  voit  jaillii- 
parfois  une  inspiration  dii^ne  de  la  meilleure  lyri(pie.  Ainsi 
[liou.sf.ui.  p.'>t)  :  «  (iarde-loi  de  t'attachera  ce  monde, c'est  un 
ëlrangei-,  un  musicien  qui  va  chaque  jour  chez  de  nouveaux 
convives  (  I  ).  Ksl-il  permis  dainur  une  fiancée  (pii  chaque 
matin  prend  un  nouvel  amant  ?  ••  Kl  plus  loin  [ihid.^  09)  :  «  Ne 
le  plains  pas  des  vicissitude^;  de  la  sphère  inconstante,  long- 
temps encore  elle  tournera  et  nous  ne  serons  plus.  »  lOlle 
tourne,  la  sj)hère.  dispersant  les  hommes  à  sa  surface  et 
séparant  pour  toujours  ceux  (pii  s'aiment  ;  quel  accent  dans 
ce  simple  vers  du  (hilist.'ui  (p.  265,  VI,  3):  «  Des  années 
s'écouleront  sur  toi  sans  que  tu  j)asses  à  côté  du  tombeau 
de  ton  père.  »  Aussi,  comment  l'homme  pourrait  il  être 
entièrement  joyeux  ?  (!eux-là  mêmes  qui  le  sont  en  apparence 
ne  cachent-ils  pas  une  secrète  blessure  (Quatrain  48i  : 
<«  Beaucoup  d'hommes  recèlent  en  eux  la  clameur  du  ton- 
nerre, tandis  que  leur  lèvre  souriante  s'incurve  comme 
l'éclair  (2).  »  Car,  au  fond,  à  ijuoi  scit  de  se  donner  tant  de 
mal  pour  vivre,  puisque,  comme  dit  Pascal,  <<  le  dernier 
acte  est  sanglant,  quehjue  belle  (jue  soit  la  comédie  en  tout 
le  reste  »  ?  On  peine,  on  lutte  pour  airiver  à  mourir.  Kt 
Saadi  ne  peut  se  priver,  même  sur  ce  grave  sujet,  d'un  léger 
badinage  (Quatrain  n"  43)  :  «  Les  hommes  ])assent  leur  vie 
à  coudre  morceau  'sur  morceau),  se  procurent  leur  pain 
(juolidien  à  force  de  ruses.  Au  lendemain  du  jugement,  mal- 
gré leurs  péchés,  on  ne  les  biûleia  j  as.  car  ils  se  seront  biù- 
lés  eux-mêmes.  » 

(1)  Hiipprocher  Hugo  {Olympia)  :  <■  Toulos   les   ppvnions  «Y'ioignrni  nvoi 
l'Age...  Comir.e  un  essaim  chanlsnl  d'histrions  on  vovage...  » 

(2j    Cf.   Iliigo  :  ••  Ccninie  dans  cis  t'Iangs    raclits  ou    fopd    d(b    I  «  is,   — 
Dans  plus  d'une  Ame  on  voit  deux  choses  k  la  fois...  » 


214  TROISIEME    PARTIE.     CHAPITRE     II 

El  ponrlaiîl,  cette  vie,  tout  éphémère  qu'elle  soit,  Saadi  ne 
laisse  pas  de  s'y  attacher,  songeant  doiiloiireusenient  aux  an- 
nées écoulées  sans  profit.  Tel  Ronsard.  Racan,  et  bien  d'an- 
tres encore,  il  excelle  à  exprimer  le  poignant  regret  de  la  jeu- 
nesse enfuie  sans  retour  :  lisez,  à  ce  point  de  vue,  sa  deuxième 
é\é^'\e  (qacidn.)  arabe.  Il  y  a  même  là,  semble-l-il,  quelque 
contradiction:  si,  d'une  part,  il  jouit  des  années  paisibles 
qu  il  vitàChiraz,  honoré  de  tous,  comblé  par  les  grands, 
d'autre  part,  le  sentiment  du  vieillissement,  lisolement  sen- 
timental, l'approche  du  terme  fatal  sans  cesse  menaçante 
chassent  les  fumées  de  la  célébrité.  Le  Gulistan  s'ouvre  sur 
un  soupir  (p.  9)  :  «  Une  nuit  je  pensais  aux  jours  écoulés... 
A  chaque  instant  s'écoule  un  souffle  de  la  vie.  0  toi  dont 
la  cinquantaine  est  passée  et  qui  es  encore  dans  le  sommeil, 
peut-être  mettras-tu  à  profilées  cinq  jours  qui  te  restent!  (i). 
La  vie  est  une  neige  exposée  au  soleil  de  juillet  .  ^)  l'^t  dans  le 
Boustnn  (p.  344)  :  «  Mon  cœur  peut-il  reverdir,  lorsque 
demain  l'herbe  va  reverdir  sur  ma  tombe?  Nous  avons  passé 
insouciants  et  gais  sur  la  demeure  dernière  des  générations 
qui  nous  ont  précédés  ;  celles  qui  sont  encore  dans  le  néant 
passeront  à  leur  tour  sur  la  nôtre.  Hélas  !  le  printemps  de 
ma  vie  s'est  évanoui,  mes  jours  se  sont  écoulés  dans  les 
frivolités  et  les  plaisirs  :  ces  heures  charmantes  ont  glissé 
comme  l'éclair  dans  le  ciel  du  Yémen  ;>  (2). 

On  le  voit,  le  poêle  pense  à  l'éphémère  destinée,  non  seu- 
lement pour  lui-même,  mais  pour  tous  les  hommes.  Dans  le 
Çâhih-Nâmeh  fp.  1 10),  il  se  borne  à  noter  le  sentiment  sans 
insister:  <(  Si  l'homme  connaissait  le  prix  de  la  vie,  il  se  la- 
menterait de  l'avoir  gaspillée.  »  Mais,  dans  ses  œuvres  Ijri- 

(1)  Ce  motif  se  retrouve  dans  éd.  Calcutta,  239  v°.  Cf.  le  début  du  Pend- 
Nâmeh  et  Boastan,  p.  341 . 

(2)  «  Je  m'aperçois  que  les  jours  de  jeunesse  sont  passés  Je  m'aper- 
çois que  je  ne  puis  avoir  de  joie  dans  le  monde  qu'en  m  instruisant  con- 
tinuellement. Je  m'aperçois  qu'il  n'y  a  rien  qui  vaille  la  peine  d'être  pour- 
suivi que  l'idée  de  faire  un  peu  de  bien  au  monde  )>  (Leitre  de  Keats,  citée 
par  J.  Texte,  Eludes  de  lillératare  européenne,  p.  115).  Il  serait  facile  de 
multiplier  les  rapprochements. 


LES    OR\NDS    TM^MRS    POI^TIQUES  ai5 

ques,  il  lui  faut  dt-s  ima;^'es.  V.l  i-t-lle  fuile  iriiphicablr  du 
lomps  iornu'  \c  f«)ii(i  de  nininl  poènio  ;  celle  exinlence  fragile, 
il  aime  In  comparer  ù  l'éclair:  «  Chaque  moment  esl  une 
parcelle  de  noire  journée,  un  éclair  du  ^  émen  (jui  brille  un 
inslanl.  Si  l'on  enlève  à  la  monla^Mie  un  caillou  après  l'aulre. 
la  inonht^Mic  litiira  par  (iis|);u  ailre  »>  (GaUiilla,  l!4'.*  . 

l^arlois  même,  8a  mélancolie  va  jii^(ju';i  rappeler  les acccnls 
désespérés  des  grands  poêles  liébieux  :  <  Mes  jours  on!  passé 
sans  prolil  connue  une  nuit  d'ivresse,  l'ne  vie  donl  chaque 
inslanl  valail  loule  une  vie,  cpiel  malheur  (ju'elle  soil  sorlie 
de  ma  main  •  (Qualrain  11)  l.  .Mais  en  général  son  imagination 
plus  n)ièvre  se  conlenlede  fleurs  ou  d  oiseaux.  Ainsi  ce  qua- 
train (  n"  7i^  :  <«  (letle  rose  que  j'avais  reçue  encore  fraîche 
n'est  pas  encore  flélrie.  mais  le  vent  de  la  violence  a  passé 
sur  cllr.  I.a  pauvrclle  tiail  piriiie  d  espoir.  l"spoir  long!  vie 
courte  !  (Comment  les  concilier  ?  ••  Ou  bien  encore  (Quatrain 
1(U)):«  Je  ]>Ieureeu  me  cachant  de  tous  lesêlres  de  ce  monde  ; 
je  lève  les  yeux  au  ciel,  par  suite  du  chagrin  de  mon  c<i'ur. 
Pareil  à  I  enfant  (pii  se  lamenle  sur  la  trace  d'un  oiseau 
eu  volé.je  pleure  sur  mou  existence  écoulée.  •>  Souvent  limage 
est  plus  concrète  encore  et,  si  iriévérencieuse  que  soit  la 
comparaison,  les  lamentations  de  la  Belle  Ileaulmière  de  \'il- 
loii  ne  dillerent  de  ce  passage  que  par  un  réalisme  |)lus  cru  : 
<<  ,Ie  ne  possède  plus,  luias  I  le  capital  de  la  jeunesse,  l'âge 

des  jeux  il  du  plaisir  n  existe  plus  pour  moi Moi  aussi,  je 

fus  jeune  :  la  rose  avait  moins  de  fraîcheur,  le  cristal  moins 
d'éclat  (jue  mon  visage  ;  des  boucles  débène  tombaient  sur 
mon  cou  ;  une  tunique  de  soie  était  un  fardeau  Iroj)  lourd 
pour  mes  membres  délicats  »>  [Unustan.  31) i. 

Ce  réalisme  s'accentue  franchement  lorscjue  Saadi  veut 
dépeindre  le  néant  (jui  stiit  le  trépas,  et  ne  le  cède  en  rien  à 
celui  des  Danses  macabii's  Ainsi  ilinu.s/.'in.  '.V,\\  \  :«  Il  souleva 
d  MU  bras  vigoureux  la  dalle  du  sépulcre.  Il  vit  au  fond  de  In 
fosse  celle  lêle  qui  avait  jadis  porté  une  couronne  ;  la  terre 
rem|)lissait  l'orbite  des  «h'ux  yeux  oii  avait  brillé  la  lumière 
du  jour.   Le  cad.«vr«*  tri-^ail  daii-i  '«a  pri-son  funèbre,  en  pâture 


ai6  TROISIÈME    PARTIE.     CHAPITRE    II 

aux  vers  et  aux  fourmis...  Les  ossements  étaient  obstrués  de 

boue ;  la  mort  avait  aminci,  comme  un   fétu,  ce  corps 

autrefois  si  beau  ;  les  mains,  jadis  pleines  de  vigueur,  se 
détachaient  par  lambeaux.  »  Ou  bien  la  pensée,  plus  concise, 
prend  des  allures  de  sarcasme  cruel  :  a  Quelques  petits  jours 
seulement,  puis  la  terre  dévore  la  moelle  de  la  tète  qui  se 
forgeait  des  imaginations  »  (Çâhih-iVâmeh,  p.  50).  Mais  en 
général,  Saadi.  jusque  dans  la  peinture  de  la  mort,  sait  dé- 
couvrir 1  image  gracieuse  :  «  Le  cyprès  ne  dresse  sa  taille 
svelte  dans  les  jardins  du  monde  que  pour  être  déraciné  par 
le  vent  de  la  mort  »  [Boastan,  p.  364).  Et  quelle  douce 
plainte,  quelle  tristesse  mesurée  s'exhalent  d'un  simple  vers, 
perdu  au  milieu  des  anecdotes  du  Boustan  !  Il  suffit  de  feuil- 
leter et  de  recueillir  au  hasard  :  <■<■  Le  vent  qui  balaie  le  sol 
du  cimetière  dispersera  jusqu'à  la  dernière  parcelle  de  mes 
cendres  »  [Boustan,  p.  350).  Quant  aux  chants  funèbres  (ma- 
ralhî)  que  Saadi  composa  probablement  sur  commande,  il 
y  satisfait  sa  tendance  naturelle  à  moraliser,  sans  se  rendre 
compte  qu'il  alourdit  ainsi  son  lyrisme  ;  puis,  dans  celte  poé- 
sie de  circonstance,  il  se  montre  guindé  et  contraint,  forgeant 
à  grand'peine  des  images  outrancières  et  des  apostrophes  pe- 
santes. On  en  jugera  par  ces  quelques  vers  du  premier  chant 
funèbre  (sur  la  mort  de  Tatabek  Abou  Bakr,  éd.  Calcutta, 
p.  245)  :  «■  Qui  mettra  maintenant  un  bandeau  autour  du 
cœur  brisé  ?  Qui  retirera  l'épine  du  pied  de  l'orphelin 
blessé  ?  La  flèche  sauvage  de  la  séparation  a  tellement  dé- 
chiré le  peuple  au  plus  profond,  que  l'entaille  s'étend  jus- 
qu'au siège  de  sa  vie...  Ne  crois  pas  que  la  faveur  du  temps 
te  soit  durable,  car  le  bon  sens  démontre  qu'elle  n'est  que 
traîtrise.  A'ois  ici  celui  à  qui  le  pays  et  le  peuple  obéissaient  : 
le  temps  a  déchiré  la  couronne  royale  de  sa  tête  et  jeté  le 
bandeau  de  son  turban  sur  un  coussin  de  poussière.  «  A  cette 
pompe,  on  préférera  cette  description  si  courte  et  si  saisis- 
sante où  le  poète  exprime  un  sentiment  spontané  (Çàhih- 
Nâmeh,  p.  83)  :  «  Subitement  une  clameur  s'élève  dans  le 
palais  :  Un  tel  est  arrivé  à  sa  dernière  heure  !  Les  amis  vien- 


LBfl    GRANDS    TH^MFft    POI?TIQURS  217 

iiriil  jiis(|iraii  bord  du  (oinbrau,  (jiitd'jiies  pas.  puis  s'en 
reloiinicnl.  Cl' cpif  lu  ax  toujours  aimr  Ir  plus  :  l'argenl,  la 
puissance,  les  conlials,  les  clofs,  ils  les  einjtorlful.  Mais  ce 
(pii  va  reslcr  allaclu*  à  l"!  <-'.---i  l'.inv  i  .•  i|.-  loiifim.-  pure  ou 
impure.  » 

l*ar  là.  précisénienl,  IhoniuK'  lriouij)lie  de  celle  luoil  (jiii 
iaïu-anlil  :  au  bord  iiiênjc  du  uiaut.  le  poêle  ne  peut  abdi- 
(pier  sa  foi  ininiuable  en  la  vu-.  Ijeiutlle  n)élanc(die,  mais 
aussi  tleruel  esj)oir  !  L  homme,  se  relouinaiil.  voit,  sur  la 
rouie  parcourue,  une  jonchée  de  deuils  et  de  désillusions, 
mais  se  console  îi  la  pensi'-e  (ju  il  laisse  une  renommée  inlacle. 
Vu  oulie,  avant  composé  des  leuvres  d'art,  il  ne  meurl  «pi'A 
demi  :  Saadi  met  en  ellel  toute  sa  confiance  "U  cet  arl  par 
lecptel  sa  mémoire  vivra  :  <<  (]omme  lu  le  sais,  il  n'y  a  poiul 
de  (iuiée  pour  la  rose  du  jaidiu.  il  u  y  a  |)as  la  moindre  lidé- 
lilé  dans  les  j)romesses  du  parterre  de  lleurs...  A  ijuoi  te 
servira  un  plateau  de  roses  ?l']mj)orle  plutôt  une  feuille  do 
mon  (iiihs/.in.  La  Heur  dure  seulement  cin(j  ou  six  jours, 
tandis   cpie  ma    roseraie  sera    toujours  belle   •>    [Guli.sf.in, 

p.  ir>). 

Donc,  celle  vie  si  courte,  si  décevante,  Saadi  la  vil  néan- 
moins joyeusement  !  (Comment  donc  peut-il  sourire,  et  (piels 
biens  décoiivre-t-il  dans  ce  monde  si  méprisé  par  les  coulis  ? 

1)  abord  les  spleudtuis  de  la  nature  sans  cesse  renaissante  : 
«  Nous  n'existerons  plus  et  le  lemj)s  continuera  de  faire 
éclore  les  roses  du  parterre  »  \lioust:in,  p.  3il):.  A  vrai  dire, 
le  sentimenl  de  la  nature,  chez  Saadi.  reste  emj)reinl  de 
tpiehpie  mii^nardise.  (^e  n'est  pas  le  |)anthéisme  des  épiipies 
de  i  Inde  ou  des  i'omanli<jues  français,  aspirant  à  se  plonger 
dans  la  nattire  jusqu'à  s'y  perdre.  Saadi  ne  s'absorbe  point 
en  elle  et  ne  saurait  s'y  oublier  tout  enlier.  (\»  (ju'il  en  goûle, 
ce  n'esl  pas  la  poésie  profonde  et  mystérieuse  ;  mais,  se  rap- 
prnchanl  d'Horace,  il  se  borne  à  en  ressentir  le  charme.  Son 
sentiment  de  la  nature  rappelle  celui  (pii  s'exprimait  au  dix- 
sej>lième  siècle  flans  certaines  lettres  de  Mme  de  Sévigné. 


2t8  troisième    partie.    —    CHAPITRE    II 

Des  nolntions  (  1  ),  des  descriptions  (2),  mais  point  de  ces 
effusions  qni  semblent  des  prières  montant  vers  le  Grand 
Tout.  Saadi  ne  parle  pas  de  la  nature  pour  elle  même:  il 
l'utilise  comme  source  d'images  (3j  ou  bien  l'associe  presque 
toujours  à  quelque  autre  sentiment.  A  l'amour  de  Dieu,  par 
exemple  (4),  au  sentiment  de  l'impuissance  de  l'homme  (5), 
à  celui  de  la  fuite  du  temps  (Bj,  ou  encore  à  l'amour  (7). 

L'amour,  il  semble  que  ce  soit,  aux  yeux  de  Saadi,  la 
grande  douceur  de  ce  monde  et  Tune  des  raisons  principales, 
sinon  la  seule,  de  persévérer  dans  l'être.  Ici  encore,  il  ne 
s'exprime  que  par  fragments,  mais,  pour  la  plupart,  singuliè- 
rement expressifs  :  «  Il  n'y  a  pas  de  meilleurs  jours  que  le 
temps  de  l'amour...  L'amour  a  un  commencement  et  pas  de 
fin  »>  (Calcutta  279  v").  Ici  encore,  Ihumour  apparaît  à  côté 
delà  passion  la  plus  sincère.  Ainsi  ce  quatrain  (n°31),  si 
amusant  à  la  fois  et  si  jeune  :  «  J  ai  passé  plusieurs  jours  sous 
le  froc  de  la  pauvreté,  l'œil  tourné  vers  la  bouche  du  prédi- 
cateur et  l'oreille  vers  son  conseil.  Subitement  cette  belle  à 
taille  élancée  parut  à  mes  yeux  et  la  parole  du  sage  sortit  de 

(1)  "  Le  torrent  qui  roule  avec  fracas  ses  vagues  menaçantes  disparaît 
du  haut  des  montagnes  dnns  les  creux  des  ravins  »  {Boustan,  209). 

(2)  «  Le  parfum  s'exhale  de  la  prairie-,  la  neige  de  la  montagne  a  fondu  ; 
la  rose  s'est  épanouie, le  rossiornol  est  venu  dans  le  jardin  »  (Calcutta  232  r*). 
—  C.  Horace,  Jain  salis  terris  nivis,  etc.. 

(3)  Boustan,  236  :  «  Sa  tête  avait  blanchi  comme  le  pic  d'une  nionla- 
gne  couronnée  de  neige  et  la  neige  des  ans  suintait  sur  scn  visage  ridé  », 
ou  encore  (p.  110)  :  «  Il  s'enfuit  comme  la  brise  du  matin.  » 

(4)  Gulistan,  127,  II,  26  et  la  qacida  <  bâmdàdân  keh  tafâwoul  ne  koned 
leil  ou  uahar  »  (Calcutta,  223  v°). 

(5)  Boustan,  109  :  «  Pourquoi  les  cœurs  haut  placés  peuvent-ils  rarement 
réaliser  leurs  aspirations?  tel  le  lorrent  impétueux  glisse  sans  s'arrêter 
sur  les  sommets  qu'il  arrose,  k 

(6)  Calcutta,  249  (maralhî)  :  t  Comme  le  rossignol  gémissaildernièrfmfiit, 
lorsque  l'automne  brisa  la  haie  de  roses  du  printemps  x,  ou  encore  (Cal- 
cutta, 391,  Vo)  :  «  Bientôt  le  vent  d'automne  soufflera,  effaçant  cet  éclat 
argenté  que  tu   vois  sur  cette  roseraie.  » 

(")  Quatrain  6n  :  «  Le  temps  de  la  rose  et  le  jour  de  joie  est  venu  ;  le 
temps  de  la  gaieté  et  du  bonheur  est  venu.  Le  temps  est  passé  où  tu  ne 
pouvais  venir  à  cause  du  froid.  Le  froid  est  passé  et  le  temps  de  l'amour 
est  venu.  » 


LR»    r.RANPS    TIIKMKS    POI^TIQUBfl  ÎIQ 

ma  mëmoire.  »  C'esl  an  reslc  stirtoul  daim  les  quatrains,  où 
il  n'a  pa-i  la  prt^occnpalion  d  un  l<>nj(  drvcloppemenl.  qne 
Saadi  cxprinio  l'anionr  avec  le  pins  de  horïhenr.  On}'  Ironve 
tonle  la  j^amnie  des  senlinunls,  de|)nis  les  nii<,'nardises  jns- 
qn'anx  cris  douloureux  de  la  pas>i(»n  la  pitis  vive.  Ainsi  ce 
(jualrain  [W  IIUi  (jui.  si  simple  an  dt'hnl,  s'achève  dans  le 
gongorisnie  :  <>  Il  ne  m Ol  pas  anivt'-.  avec  loi.  de  conleni- 
pler  la  plaine,  on  de  m  asseoir  avec  passion  snr  le  bord  d'un 
rnissean.  Je  n'ai  qn'nn  désir:  que  In  cneilles  des  Inlipes  et 
des  roses,  tandis  que  je  cueillerai,  moi,  les  roses  de  ta  joue.  »> 
De  cet  autre  (n"  76)  on  ne  sait  trop  s'il  renferme  une  plaisan- 
terie on  la  plus  déplaisante  aneclalion.  ou  encore  les  deux  k 
la  fois:  «  Le  petit  tuiban  que  porte  celle  idole  ravissante,  si 
le  souffle  du  zéphyr  enq^orle  un  peu  de  son  parfum  el  le  fait 
passer  sur  une  tombe  vieille  de  dix  ans.  aussitôt,  daiir-  la 
terre  obscure,  le  tnf)rl  dressera  sa  léle.  »  A  ieiit  enlin  la  ma- 
nière simple,  1  amtiur  paisible  et  tendre  dont  la  mesure 
convient  à  lame  de  Saadi  la  campagne,  la  solitude,  el  deux 
amants  échan^'eant  des  serments  :  «  Nous  rencontrer  un  jour, 
toi  el  moi  dans  la  plaine;  nous  en  aller,  loi  et  moi.  seids, 
hors  ville.  Tu  le  sais,  comme  nous  serions  bien  ensemble,  loi 
el  moi.  alors  (ju  il  n'y  aurait  là  (jue  toi  et  moi  »  iQiiahain 
131)  (  1  )  Kt  voici  les  lamentations  ardentes, chantant  la  toute- 
puissance  de  la  femme  et  1  impossibilité  île  se  sépaier  d  elle  : 
«  O  trësor  de  cocjnelterie  1  si  je  m'enfuis  de  la  main,  ou  (jue 
j'aille,  je  reviendrai  vers  loi  »  iQualraIn  Hii,  Ailleurs 
(n°  I  1  i),  c  est  le  tourment  de  1  absence,  le  désir  perpétuel  de 
celle  qu'on  attend  et  qui  ne  vient  pas,  le  regrel  inellable  qui 
suit  les  séparations  :  «  Tu  \  iiiis  el  je  contemple  ta  grâce  ;  je 
vois  le  calme  de  ma  vie  lié  à  les  pas.  Durant  Ion  absence,  je 
contemple  le  chagrin  que  j'en  éprouve  et.  partout  oii  je  re- 
garde, je  tv  vois.  »  (l'est  alors  que  rien  ne  compte,  hors 
l'objet  aimé,   témoin  ce  passage  du   GulisLin    (p.   2.")S)  oii 

(1)  En  rapprocher  Calcutta.  491  \' :  «  Un  jour,  lui  et  moi  nous  Kortinirn  He 
la  %'ille,  reit  le  désert  ;  nou«  étions  senln.  Tii  sain  combien  loi  et  moi  nous 
étions  bien,  alors  qu'il  n'y  arail  personne  que  loi  et  moi.  >< 


2  20  TROISIEME    PARTIE.     —    CHAPITRE    II 

d'aucun?  veiraienl  sans  doulc  une  allusion  mystique  :  «  A 
celle  anianle  que  lu  possèdes,  allache  Ion  cœnr  el  doréna- 
vant ferme  l'œil  sur  tout  l'univers.  »  Et  puis  (Quatrain  28), 
c'est  l'expression  pénétrante  de  la  mélancolie  qui  suit  l'aban- 
don :  «  On  dit  :  le  zéphyr  du  mois  de  m;n  est  doux,  de  même 
que  le  parfum  de  la  rose,  le  clianl  du  rossignol  dans  la  rose- 
raie, la  verte  plaine  et  le  ciel  bleu.  0  vous  qui  ne  savez  pas  ! 
tout  cela  n'est  doux  qu'en  compagnie  d'une  amie  w  (1  ).  l'.nfîn, 
les  sanglots  désespérés  de  la  passion  sans  espoir,  dont  cer- 
tains sont  inlraduisible.s  (par  exemple  éd.  Calcutta,  p.  472, 
la  2^  pièce)  (2)  et  par  lesquels  Saadi  exprime  un  instant  la 
langueur  des  plus  grands  élégiaques  :  passages  peu  nom- 
breux à  la  vérité,  mais  par  là  même  méritant  d'être  cités  (3). 
Sachant  peindre  ainsi  sa  propre  douleur,  Saadi  comprend 
tout  naturellement  celle  des  autres.  Ce  n'est  pas  qu'il  aime, 
ainsi  qu'un  grand  poète  français,  <«  la  majesté  des  souffrances 
humaines  ».  Sa  pitié  n'a  rien  de  philosophique  ;  mais  c'est, 
dans  son  œuvre,  un  courant  de  tendresse  et  de  compassion 
pour  tout  ce  qui  souffre:  enfants  sans  défense,  vieillards 
délaissés,  animaux  tourmentés.  La  bienfaisance  qu'il  estime 


(1)  Cf.  Lamartine  :  «  Un  seul  être  vous  manque  et  tout  est  dépeuplé.  » 
Et  en  rapprocher  ce  qualraia  (n°  27)  :  «  Tu  as  dit  un  jour  :  Une  nuit,  je  le 
rendrai  heureux,  en  le  délivrant  de  tes  soucis.  Tu  le  vois  :  depuis  ce  jour, 
combien  de  nuits  ont  passé  el  tu  ne  te  souviens  plus  de  ce  que  lu  as  dit.  » 

(2)  Et  Saadi  n'a  pas  la  même  discrétion  que  Chénier  qui  écrivait  en  grec 
ses  erotica. 

(3)  «  Oh  !  sans  loi  le  monde  tout  entier  m'est  étroit.  Je  suis  fier  de  toi, 
et  loi,  tu  as  honte  de  moi.  Je  désire  la  paix  avec  loi,  alors  que  lu  me  fais 
la  guerre.  Enfin,  peux-tu  me  dire  si  tu  as  un  cœur  ou  une  pierre  (à  la 
place  du  cœur)  ?  »  (Quatiain  9").  —  «Malgré  tout,  je  ne  puis  retirer  mon 
cœur,  car  plus  elle  me  louimf  nte  plus  je  vis  »  (Quatrain  99  ;  cf.  Hugo  : 
M  Ceux  qui  vivent,  ce  sont  ceux  qui  souffrent...  »).  —  «  Je  disais  :  j'aurai 
de  la  force  au  jour  de  la  séparation.  Mais  lorsque  l'événement  se  produi- 
sit, je  n'en  eus  plus  »  (Quatrain  102).  —  «  Malheur  à  celui  quia  été  séduit 
par  toi.  Si  son  cœur  se  trouve  loin  de  toi,  il  saignera.  Celui  dont  l'âme  ne 
peut  être  calme  sans  toi,  songe  à  ce  que  peut  être  un  de  ses  moments, 
loin  de  loi  »  (Quatrain  33).  La  même  image  «  le  sang  du  cœur  t  se  retrouve 
dans  une  qacida  (Calcutta,  380)  :  «  La  couleur  de  ta  main  ne  vient  pas  du 
henné,  mais  du  sang  de  mon  cœur.  » 


LBS    GHAND8    TilVMKS    POéTlQUKH  :.  Q  1 

81  hanl  se  transforme  chez  lui  en  amour  du  bleu  universel, 
étendu  jus(ju  aux  plus  petits,  seulirneul  <jui,  du  reste,  so 
retrouve  d.ius  tout»;  la  lillrr.iture,  depuis  Homère  et  les  Hin- 
dous jusipi  à  Hu^o  s'écriant:  -<  J  aime  I  araij^néo  et  j'aime 
l'ortie.  )•  Ce  sentiment,  Saadi  non  seidement  se  félicite  de 
l'éprouver  soi  même,  mais  encore  il  l'admire  lorscpi'il  le 
rencontre  cIk*/.  les  autres  :  «  Quelles  sont  belles  .;,  dil-il  dans 
le  lioustun  p.  Il  t),  «  ces  paroles  de  l'illustre  Firdousi  :  Ne 
tourmente  pas  la  l'ouriui  (pii  ciianie  son  grain  de  blé,  car 
elle  vil  et  la  vie  est  chose  douce  »  (I  t. 

Ces  humbles,  il  les  a  donc  vus  à  l'œuvre?  An  cours  de  ses 
vovaf;es.  vieillard  même,  il  s'e>t  donc  penché  vers  eux?  Car 
on  n'aime  vraiment  (pie  ceijueron  connaît  bien.  Il  convient 
donc  d'examiner  si.  aux  facultés  poélicjues  de  Saadi,  s'ajou- 
tent dans  son  (euvre  les  dons  parlicidiers  (pii  décèlent  lOb- 
servateur. 

(1)  Encore  un  Ihôme  alexandrin.  Cf.  Ilcrcdia  (connel  cité)  : 
Tu  l'arrêtes  ;  un  chant  de  colombe  a  pémi... 
La  vie  est  si  douce.  .Vh  I  laisse-la  vivre,  ami. 


CHAPITRE  m 


L  OBSERVATION    DU   MONDE    EXTERIEIR 


Dans  l'averlissement  à  sa  IraducLion  du  Gulistan,  l'orien- 
talisle  Sëmelel  déclare  que  Saadi  <*  fait  connaître  l'élat  phy- 
sique et  moral  du  pays  qu'il  habitait,  et  parle  souvent  de 
sécheresse,  de  déserts,  d'ailérés,  d'esclaves,  de  pèlerinages, 
d  ennemis,  de  chameaux,  de  palmiers,  etc.  » 

A  y  regarder  de  plus  près,  on  trouve  bien  autre  chose  dans 
l'œuvre  de  Saadi  ;  et,  de  ces  notations  réunies,  se  dégage 
l'impression  que  si  le  poète,  en  Saadi,  reste  somme  toute 
inférieur  à  un  épique  tel  que  Firdousi.  à  un  lyrique  tel  que 
Hnfiz,  à  un  mystique  tel  que  Jalal  ed  Din,  en  revanche  il 
les  dépasse  par  sa  fine  observation  de  la  vie  contemporaine. 
Kholmogorow,  qui  connaissait  la  Perse,  ne  s'y  est  point 
trompé,  lorsqu  il  écrit  dans  son  ouvrage  pourtant  si  superfi- 
ciel (p.  14oj  :  •  Saadi  exprime  la  vie  populaire,  aussi  on  le 
lit  toujours.  >i 

Il  est  impossible  d'énumérer  sèchement  les  traits  de  mœurs 
que  l'on  recueille  en  lisant  Saadi.  Mais  de  ces  traits,  dès 
qu'on  les  groupe,  se  forme  presque  spontanément  une  sorte 
dti  tableau  de  la  petite  ville  de  Chiraz.  Le  voyageur  Ibn  Ba- 
toutah  qui  la  visita  plus  tard  —  et  elle  ne  s'était  alors  guère 
modifiée  depuis  l'époque  de  Saadi  —  y  trouva  «  une  cité  so- 
lidement bâtie...  possédant  d'agréables  vergers,  des  rivières 
qui  se  répandent  au  loin,  des  marchés  admirables,  de  nobles 
rues  ,....  une  nombreuse  population  ».  A  cette  description, 
quelque  peu  conventionnelle,  Saadi  permettra  d'ajouter  la 
vie,  si  tant  e^l  qu'on  puisse  leslituer  la  physionomie  géné- 
rale d'une  ville  orientale  au  treizième  siècle. 


LUDbEHV.VTlU.N    OU    MODE    EXTÉHIBUn  223 

Lu  voya^'eiir,  Saadi  lui-mêino  si  l'on  veut,  clioinine  avec 
la  caravane  «pii  s'avance  sur  l'une  des  roules  conduisant  à 
Cliiia/.  Mlles  ne  sonl  pas  sûres,  ces  roules  :  dans  les  monla- 
gnes.  au  passage  des  cols,  des  brigands  embusqués  guellent 
les  passants.  Saadi  s'en  souvicnl  bifii  dans  le  (iulisfitri  : 
<•<  Une  Iroupe  de  voleurs  s'élaicnU-lablis  sur  le  soniniel  d'une 
inonlagne  et  avaient  inlerceplé  le  passage  aux  caravanes» 
(p.  oO,  I,  4). On  a  >u  [nu/tra.p.  42)  combien  les  pillards  de  la 
BacU  iane  l'avaient  elï'rayé.  C'est  que  ces  brigands  sonl  de 
vérilables  seigneurs  outlaws  :  on  les  honore  prolondémenl, 
de  jnènie  (|ue  lous  ceux  qui  parviennent  a  se  laire  craindre. 
Certains  poêles  vont  même  juscpi  à  les  louer  dans  leurs  \ers, 
ce  qui  ne  leur  réussil  au  reste  pas  toujours  (Cl'.  Gulmlan^ 
2I-.  1\',  lU).  Aus.si  rauU)rité  >e  nu)nlre-l  elle  im[)iloyable, 
ù  ceii\  qu'elle  peut  sai>ir  mlligeanl  le  cliàlimenl  piescril  par 
le  CojMii  :  l'ablation  d'une  main  ///;/(/.,  298,  \  Il   et  I  I  '*.  H, 

Si  le  voyageur  est  riche,  il  sommeille,  commodément 
allongé  d.ms  une  lilièie,  la  <<  kadjàweh  »  persan'3  \GuUslan, 
2St.  n.  I)  ;  sinon  il  se  liaîne  à  Ir.àvers  le  sable  et  les  pierres, 
suivant  ses  compagnons  de  pauvreté,  grommelant  contre  les 
mille  mconvénienls  de  la  roule,  la  chaleur,  le  mauvais  lemps, 
et  disant  à  mi-voix,  à  1  adresse  du  riche  qui  se  prélasse  sur 
des  coussins  :  u  Toi  qui  dors  mollement  bercé  dans  la  litière, 
tandis  que  le  chamelier  tire  les  bêles  de  somme  par  le  licou, 
si  lu  veux  savoir  ce  que  coûte  de  fatigue  un  voyage  à  travers 
les  plaines  et  les  montagnes,  les  rochers  el  le  sable,  inter- 
roge les  piélons  qui  sonl  restés  en  arrière  >>   [Boustan,  325). 

liulin,  on  atteint  les  portes  de  la  ville...  «  Avant  d'entrer 
à  Chiraz,  le  voyageur  secoue  la  poussière  de  la  route  »  [Dous- 
^'l/^.  35  i).  Va  comme  le  soir  approche,  il  se  met  en  «[uêle  d  un 
gîte  :  le  riche  trouve  à  se  loger  à  peu  près  confortablement 
et,  pour  dormir,  se  blollil  sous  sa  couverture  de  fourrure  (l  ». 

1 1  )  Calcutla,  2.19  V  :  »  Il  l.«  fuulrt  dormir  sou»  la  l«rr«,  ô  loi  dont  la  cou- 
v«'riiir«»  do  nuit  est  de  pelil-gria.  •• 


2  2a  THOISIEME    PARTIE.     —    CHAPITHE    111 

Mais  le  voyageur  qui  cahin-caha  suivait  h\  caravane  ?  Eh 
bien,  l'asile  de  nuit  est  là,  tout  proche,  ces  caravansérails 
que  les  monarques  prévoyants  ont  multipliés  (5ow5/<7/î,  47) 
et  «  où  cent  pauvres  dorment  enveloppés  dans  un  tapis  gros- 
sier n  [Gulistan.,  30).  Peu  à  peu  les  bruits  s'éteignent  et  1  on 
n'entend  plus  par  intervalles  que  le  cri  du  veilleur  de  nuit 
{Bousfan,  118). 

Ou  bien,  s'il  n'est  pas  trop  tard,  le  voyageur  se  rend  aux 
bains.  Les  établissements  de  ce  genre  ne  manquent  pas  et 
n'ont  du  reste  pas  meilleure  réputation  que  les  «  étuves  »  du 
moyen-âge  français.  Mais  combien  on  y  oublie  les  fatigues 
de  la  route,  lorsqu'au  milieu  de  la  vapeur  d'eau,  «  tout 
souillé  de  l'argile  du  bain  ,y  (Quatrain  n"  46),  on  attend 
qu'un  jouvenceau  vous  masse  vigoureusement!  Puis  on  se 
repose  sous  les  portiques,  en  buvant  quelque  sirop  glacé; 
ces  portiques  des  bains  sont  ornés  de  peintures  tracées  au 
vermillon  et  au  vert  de  gris  [Gulistan,  284,  VII,  1 1)  et  repré- 
sentant parfois  des  figures  diaboliques  [Bouslan,  29)  (1). 
Tout  comme  aujourd'hui  en  Orient,  certains  jours  sont  ré- 
servés au  bain  des  femmes  qui  excite  la  verve  facétieuse  de 
Saadi  (Calcutta,  496)  :  «  Moi  qui  contemple  affamé  une  table 
bien  servie,  je  ressemble  au  célibataire  en  arrêt  devant  la 
porte  du  bain  des  dames  (2).  » 

Bien  reposé,  bien  lavé,  le  voyageur  se  met  à  visiter  la 
ville  et  se  dirige  tout  d'abord  vers  le  marché  où  «  les  ache- 
teurs affluent  plus  nombreux  que  les  mouches  »  [Bouslan, 
196).  Un  inspecteur  y  circule,  prêt  à  empoigner  les  mar- 
chands qui  vendent  à  faux  poids  (ibid.,  29).  Les  marchands 

(1)  Cf.  Bouslan,  305  :  «  Si  tu  gardes  le  silence,  (les  malveillants)  te  com- 
parent à  une  de  ces  figures  peintes  sur  les  murs  des  bains.  »  D'où,  au 
figuré  {ibid.,  p.  115)  :  «  Il  ne  peut  plus  te  voir  en  peinture  »  ;  et  Gulistan^ 
284  :  ((  Lorsque  l'homme  est  dépourvu  de  mérite  et  de  bienfaisance,  quelle 
différence  y  al- il  entre  lui  et  les  peintures  d'une  muraille  ?  »  Sur  les 
représentations  d'êtres  vivants,  chez  les  Persans,  notamment  sur  les  murs 
des  bains,  cf.  Pend-Nâmeh  (Trad.  Sacy,  p.  60,  n.  1). 

(2)  Ce  vers  se  retrouve  avec  une  légère  variante  dans  le  Gulistan, 
143,  II,  37. 


L  OBSBRVATIO.N    DU    M(JM)B    RXTKHIEt'U  WiJ 

inslallt's  dans  les  (jiiarliers.  en  revanclu»,  lioinpeiil  le  client 
k  cn'iw-ynv  Ifoii.sf.iti,  i()7).  (i'esl  tjiie  la  cfinciinence  coni- 
niercialf  csl  intense  :  lonl  marcliand  se  réjouil  (in  déliinienl 
subi  par  sdii  voisin  {(iulisl,in,  20().  I\',  2)  et,  (]nanl  an  Iralic 
des  denrées,  il  est  incessant  (Cf.  nolaninu-nl  dii/i.sf.in,  177 
et  suiv.).  Aussi,  quelle  distraction  ponr  les  lenimes  (jni,  en 
bande,  passent  d'un  étalage  à  l'autre,  non  seulement  au 
niajclié,  mais  dans  les  bazars  couverts  où  I  on  trouve  tout  ce 
que  Ton  veut  :  veireiies  el  miroiteries  de  \  eni?^e,  porcelaines 
de  Chine,  cotons  de  l)amielle  {(iu/i.sf;in.  \X'2,  n.  I),  brocarts 
nassîj  {/LUI.,  170.  III.  l.'n, soies  unies  (kliarà/  et  nioiiées  (1  j, 
tissus  d  or  et  d  argent  importés  d  Kgypte  2),  étoiles  rayées 
d'Arabie  [Guliatun,  179;,  fourrures,  et  toutes  ces  étoffes 
précieuses  qu'on  fabrique  chez  les  Bulgaies,au  pays  de  Houm 
et  en  Chine  (Calcutta,  222  v"i.  Kl  puis,  il  y  a  le  bazar  des 
bijoutiers,  où  l'on  achète  pciles  et  pierreries  idulislan,  172, 
Ili,  17)  ;  le  bazar  des  fiipiers  [îbid.,  i;)7.  111,  1  ;  plus  loin, 
les  tisserands,  rivés  à  leur  métier,  poursuivent  leur  lapis  aux 
dessins  interminables  [lioust-m,  243;  ;  enfin  c'est  le  coin  des 
droguistes  où  les  parfums  endormeurs  nagent  sans  cesse 
dans  l'air  attiédi  [Ihid.,  292  . 

Klles  y  viennent  même  trop  souvent,  au  bazar,  les  fem- 
mes !  lit  Saadi,  avec  une  rudesse  (|ui  devance  celle  du  Zara- 
ihousfra  de  Nietzsche  :  «  Avec  les  femmes  prends  le  fouet  !  »>, 
conseille  charitablement  aux  maris:  <  Si  la  femme  prend 
souvent  le  chemin  du  ba/ar,  châtie-la  "  ilinuslan,  29()  • 

Il  faut  bien  I  avouer  :  on  ne  se  lasse  pas  de  contempler, 
non  seulement  les  richesses  entassées  dans  les  boutiques, 
mais  la  foule  (jui  se  presse  conlinuellemenl  sous  les  galeries 
ombreuses.  Kl  que  de  jolis  minois  1  Le  vieux  Saadi  lui-même, 
par  hasard  échappé  de  son  ermitage,  en  est  confondu  : 
«»  Chaque  beauté  qui  passe  devant  moi,  me»  yeux  restent 

^i)  <  Si  un  idiot  revêl  cent  %i-tcD)Pi)ls  ilr  t>oie  nioii<^(-,  il  devient  un  ftne 
bieo  cli«rf;é  »  (Calculla,  240j. 

(2)  Guliitnn,  p.  184,  n.  1  el  cf.  (Jualu  u.  n  ,  Snumuun»,  II,  2»  partie, 
p.  75. 

M     —  «5 


226  TROISIÈME    PARTIE.  CHAPITRE    III 

interdits  à  t>oii  aspect.  Puisque  je  ne  puis  redevenir  jeune, 
que  je  regarde  du  moins  ce  que  je  fus  »  (Quatrain  112).  Lui 
qui  veut  empêcher  les  femmes  de  venir  au  bazar  se  complaît 
tout  le  premier  à  les  regarder  un  peu  plus  qu'il  ne  faudrait. 
Mais  ('  c'est  une  vieille  habitude  de  regarder  celles  qui  sont 
belles  »  (Calcutta,  397  V)  (I). 

Un  peu  plus  loin,  «  les  enfants  jouent  à  la  petite  ourse  (2) 
dans  le  marché  »  [Gulistan,  27G,  \l,  4)  ;  un  prestidigitateur 
opère  gravement  en  présence  des  badauds  ébahis  (Housfan, 
1 13)  non  loin  de  l'arracheur  de  dents,  son  demi-confrère  en 
charlatanisme.    Car  c  est  du  moins  ainsi  que  le  considère 
Saadi  qui    semble  accorder   à   la  médecine    une  confiance 
•  très  relative  {Gulistan,  260,  W,  1    et  Bousian,  239).  Dans 
le  même  rayon,  un  chirurgien  «  pratique  la  saignée  et  pose 
1  emplâtre    >>   [Gulistan,   316).    Les  marchands    de   volaille 
ont  déjà  l'a-îreuse  habitude,  toujours  conservée  (3),  d'ouvrir 
imparfaitement  la  gorge  du  poulet  qu'on  leur  achète,  et  qui 
«  le  cou  ouvert,  s'enfuit  en  se  débattant,   tandis  que  le  sang 
noir  ruisselle    de   son   bec    >    (Calcutta,  p.   245,  marathî)  ; 
au  centre  d'un  cercle    populaire,  les    lutteurs,    chers  à  la 
Perse  (4),  s'efforcent  de  gagner  quelques  sous  à  la  sueur  de 
leurs   membres  [Gulistan,  79,  1,   27  et   148,   11,  44).   Mais 
hélas  !  '<  le  métier  d'athlète  ne  fait  guère  vivre  son  homme  » 
{Boustan,  68)  et,  d'autre  part,  si  l'athlète  gagne  peu,  en  re- 
vanche, il  a  toujours  grand  appétit  [Giilistan,  185,  III,  28). 
D'autres  courent  à  leur  travail:  passe  un  poi'leur  d'eau, 
l'outre  sur  l'épaule  [Boustan,  323)  ;  le  porte^faix  (hammâl) 
charrie  péniblement  son  fardeau  (//jiW.,  357);  des  esclaves 

:  1)  «  Ayaut  pris  la  roiite  qui  le  plaît,  tu  rencou très  des  figures  charman- 
les  eu  comparaison  desquelles  les  peintures  chinoises  ne  sont  rien  i 
(Calcutta,  2i6).  Nouvelle  preuve  des  rapports  commerciaux  entre  Perseet 
Chine. 

(2)  Sorte  de  colin-maillard. 

(3j  On  retrouve  encore  aujourd  hui  le  procédé,  notamment  en  Egypte. 
Une  autre  vieille  habitude  citée  par  Saadi  (Boaslan,  319)  consiste,  lo's  du 
sevrage  des  enfants,  à  frotter  d'aloès  le  sein  de  la  nourrice. 

(4)  Cf.  pour  l'époque  de  Saadi,  Ohsson  [Mongols,  II,  96). 


l'obmervatiun   du   MOPiDB   I  xti^rircr  u-wj 

se  liùleiil.  rec()nnRit>sHl)ie«<  h  raiiiu'au  (jii'ils  porlonl  k  rorcillc 
en  ^i^iie  <le  seivihule  (iulisfun,  '2\i  cl  n.  î  i  ;  nii  juif,  in(|nifl 
il  iiiliiiinlt',  se  fuiililf  à  linvcislet^  groupes.  reciNjinl  (Ijimii- 
hiro  (|iifl(]iu>  horion  liou.sf.ut ,  'S2t\  ;  Henirnie,  !:•  (-ourlisane 
cii'ciile.  I  «ril  au  guel,  car  elle  ciainl  le  litiilrninil  di*  police 
[(Miiiist.in,  50)  ;  el  lonl  à  coup  débouche  ^nr  la  place  un  en- 
terrement précédé  (inr  les  j>hnr(  nt^Cï^  aux  lanuriLdions  sala- 
rit't's    lioustmi,  (IM,. 

I)  autres  encore  travaillent  dans  leur  coin,  til  le  cordon- 
nier (6' (;//'.ç^'<//,  l.'iO,  II,  iC)  el  surtout  l'alchiniisto  traînant 
sa  misérable  vie,  l'espoir  (ixé  sur  les  lélicilés  futures  ihiil., 
Ut,  I.  3U).  Ils  vivent  chacun  dans  son  échoppe,  à  l'écart  des 
places  el  des  rues  bruyantes  où  les  piélons  se  coudoient  el 
s'interpellent.  Parfois  une  rixe  :  <<  des  Hols  de  poussière,  des 
cris  de  dispute,  des  savates  jonchant  le  sol,  des  pierres  volant 
de  tous  côlt's  »  {liotislnn.  2H4  .  Un  gros  jurisconsulte  {Gti- 
lixtan,  i.-)0,  II,  .^)7'  se  pavane  avec  importance  (Ij.  assénant 
un  re^'ard  méprisant  sur  deux  pauvres  derviches  qui  passent 
malpropres  el  rapiécés:  l'un  vêtu  d'un  manteau  de  laine, 
tout  poudreux  (Calcutta,  4(l()i.  coitï'é  d'un  bonnet  de  peau 
(I  ai:neau,  égrène  un  chapelet  entre  ses  doigts  maigres  [(Ju- 
/i.s(;in.  I  ni,  II,  H)  ;  1  autre,  plus  bédouin  que  derviche,  cache 
sous  un  «  aba  «  son  corps  mortiiié  [Ibid.,  153,  II,  48'.  L'ne 
troupe  de  femmes  les  suit  non  de  celles  (jui  restent  sagement 
derrière  leur  rouet  (  lioust.un,  54  •,  mais  de  celles  (jiii.  copieu- 
sement fardées  [IbiiL,  241  ,  les  ongles  leints  au  henné,  les 
sourcils  farcis  de  kohl  ilhul..  ()5  .  flânent  j^ar  les  rues,  sous 
leurs  voiles  qui  dissimulent  imparfaitement  leur  pantalon  de 
couleur  sombre  [ILid.,  297)  i  2).  Saadi.  installé  dans  un  café, 
les  regarde  passer  et  ne  peut  s  empêcher  de  dire  à  son  voi- 
sin :  <«  Combien  de  tailles  qui  sont  agréables  sous  le  voile, 

J  )  Lrs  geoft  He  loi  aux  inan<  Iipb  largrs  el  OoU*nles  iliouslan,  2!!i9)  ;  les 
dévôtii  aiii  manches  routlcs  (Gulistan,  337). 

{i)  Sacy.  Pend-.\(imeh  (p.  190,  n.  e),  parle  du  «  caleçon  CMileur  d'anli- 
moioe  »  dt-s  feuimea  It'après  le  dtilutan  (p.  S9,  n  '.*)  on  révélait  parfois 
de  M'lcm<~nls  de  friiime  le»  ^.uldals  qui  s'cnfiiyaicDl  du  combat. 


2  38  TROISIÈME    PAKÏIE.     CHAPIÏhE    III 

mais,  une  fois  que  tu  as  entr'ouvert  le  voile,  sont  celles  de 
grand'mères  (1)...  Une  femme  belle  comme  la  lune  n'a 
besoin  ni  de  rouge  ni  de  vert  (2)  ».  Puis,  tirant  de  sa  robe 
son  écritoire,  il  improvise  ce  quatrain  (n°  39)  :  «  (belles  qui 
ont  visage  de  fée  et  parole  de  sucre,  c'est  dommage  qu'elles 
dérobent  aux  regards  leur  délicieux  minois  !  Le  voile,  cepen- 
dant, n'est  pas  sans  utilité,  car  il  cache  les  laideurs  et  laisse 
entrevoir  les  beautés  ». 

Il  est  fort  agréable,  ce  café.  A  l'abri  du  soleil,  on  y  laisse 
fuir  les  heures,  sur  des  divans  très  bas,  à  écouter  «  la  cla- 
meur aiguë  ou  grave  des  instruments  à  cordes  »  (Calcutta, 
222)  et  à  savourer  du  vin  cuit  en  compagnie  d'amis  affectueux 
et  de  compagnons  aimables  ((Calcutta,  222  v°),  en  attendant 
le  moment  du  repas,  servi  sur  une  nappe  (çoufrah;  de  cuir 
[Gulistan,  p.  106,  II,  6  et  n.  1). Les  joueurs  de  dés  crient  des 
numéros:  «  il  faut  trois,  six,  mais  il  vient  Irois,  as  »  [Gulis- 
tan, 345).  Et,  tout  à  côté,  c'est  une  interminable  partie 
d'échecs,  suivie  attentivement  par  Saadi  :  ne  faut-il  pas  «  un 
temps  pour  la  poésie,  les  échecs  et  les  historiettes?  »  [Çâhih- 
Nâmeh,  27). 

Ces  jeux  paisibles  ne  sont  pas  seuls  en  honneur  ;  aux 
portes  de  la  ville,  d'autres  s'exercent  au  jeu  du  mail  :  à  cheval 
[Boustan,  187),  une  raquette  d  ébène  à  la  main  {Gulistan, 
253,  V,  20  et  Boustan,  363),  ils  se  lancent  la  balle  d'ivoire 
[ibid .)  (\m ,  trop  souvent,  franchit  les  limites  du  mail  (Bous- 
tan,  212).  Mais  ce  sont  là  jeux  de  luxe:  «la  lutte,  la  chasse, 
le  tir  à  l'arc  et  le  mail,  voilà  ce  qui  forme  le  guerrier  »  [Bous- 
fan,  74).  Et  quant  à  la  chasse,  elle  n'est  guère  pratiquée  que 
par  les  hauts  personnages  [Gulistan,  175,  III,  20). 

Ces  seigneurs  sont  exclusivement  de  caste  militaire  :  on  les 
voit  peu  dans  les  rues  ;  ils  préfèrent  vivre  somptueusement 
dans  leurs  demeures,  à  savourer  l'odorante  fumée  s'exhalant 
«  du  feu  qui  brûle  l'âme  du  brûle  parfums  »  (Calcutta,  273, 
v^j  et  à  se  délecter  «  aux  tons  aigus  et  sourds,  aux  lamenta- 
Il)  Gulistan,  p.  324. 
(2)  Çâhib-Nâmeli,  p    73. 


l/onSKRVATIO"*    nu    MONDE    ElT^HIKUR  22<) 

lions  (If  la  llûlc  tl  du  lulli  ->  (ialciilUi.  222  v°)  sous  les  doigts 
dt\s  iDiisicit'iiiU'S  pervcrsch  [\  >  \  il.s  ne  soilenl  <jue  pour  clie- 
vancher  à  IravtMS  la  campagne  ou  nu^nie  partir  c*n  guerre 
contre  quel(|ue  bande  de  brigands.  Mai»  aussi,  à  leur  retour, 
quel  spectacle  î  Les  prisonniers  défilent,  les  mains  attachées 
au  cou  iliousf.in,  238);  puis  viennent  les  guerriers  portant 
drapeaux  et  timbales,  insignes  du  commandement  i  M/V/., 
20S  .  Kl  le  popidaire  reste  en  extase  devant  ><  les  hommes  de 
guerre  armés  d'épées  et  de  haches,  vêtus  de  luni({ues  de  sa- 
lin et  de  ceintures  d'or,  les  pages  porteurs  d'arcs  et  de  car- 
quois, les  diadrmes  ornés  de  |)ierreries  •»  Ihid.,  ItVJ  .  Colles 
de  mailles,  castjues.  flèches,  boucliers  scintillent  au  soleil 
[H)i(I.,  237  .  Si  les  soldats  portent  la  casaque  de  feutre  mon- 
gole sur  laquelle  ils  passent  le  lasso  en  bandoulière  (//>/V/., 
23H),  les  seigneurs  et  les  officiers,  eux,  pour  se  garantir  du 
sabre  el  des  flèches,  revêtent  un  corselet  formé  de  cent  dou- 
bles de  soie  1 2  . 

Mais  rien  ne  vaut  vraiment  la  splendeur  du  palais  princier: 
devant  les  portes  ornées  de  lourds  anneaux  servant  de  heur- 
toirs liou.sf.m,  359;.  les  pages  tiennent  de  superbes  chevaux, 
dont  la  selle  esl  recouverte  dune  housse  zinpouchl  ,  en 
attendant  la  sortie  de  leur  maître  \(iulis(an,  103,  II,  5^.  Cinq 
fois  par  jour,  une  fanfare  de  trompettes  et  de  tambours  joue 
devant  le  palais  linu.stnn,  295),  saluant  le  lever  el  la  chute 
du  jour  et,  chaque  matin,  réveillant  l'alabek  par  ses  accords 
stridents  ïîouslan,  43;  (iulist.m, '1)V^,  \\  20).  Kl  quelle 
solennité  fjrandiose,  à  l'occasion  d'un  avènement  on  d'un 
deuil  princier  î  C'est  alors  qu'amandes,  pièces  d'or  el  d'ar- 
gent (3),  pieu  vent  sur  les  cortèges  :  «  Les  grands  attendent, 
1  (cil  el  lecti'ur  «rrt'«;     loim  les  nobles  comptent  le  temps  et 

(1)  «<  P«»rvort<^  coinnio  iiiif  j'inMise  dp  tiilh  »  (Calciilla,   300  xr*), 

(2)  Boutîan,  p.  20H  el  Î3T  :  Giilislnn,  p.  l'.U,  III,  2H  (..  le  ciniPlerrc  Iran- 
chflnt  no  cotipp  pas  la  soie  nioll*»  »).  Cf.  Nanawi,  llisloirr  du  Sullan  Djelal 
ed  lùn  Mankohirti  (Irad.  HoodaK,  p.  22rt,  infinr,.  S.i.nii  fait  alluMon  d  «uire 
pari  au  feu  f^rëgeois  [GuUtlan.  28r>,  VI,  12). 

(3  BoHjfan,  24ri  el  2r>3,  n.  17.  Len  rognurri  (i  or  kliourdeh;  .tv.h.miI 
é^alemeol  cours,  coiuine  menue  monnaie  ^Ciulislnn,  122,  11,  20). 


233  TBOISIKME    PARTIE.     CHAPITRE    III 

l'heure.  Les  perle.s  soiil  répuiidues  par  des  essaims  d'es- 
claves :  les  mains  el  les  bras  des  jeunes  filles  sonl  leinls  (au 
henné).  Le  prince  el  ses  soldais,  avec  une  lune  (favorable) 
el  un  grand  courage,  enfoiirclienl  descoursiersde  sangarabe, 
alîn  d'amener  Saad  Abou  Bakr  le  juste  le  grand  Ghâh,  à 
son  palais.  Au  balcon,  les  femmes  du  harem  prennent  plai- 
sir à  éparpiller  des  joyaux  »  (Calcutla,  247  v»). 

Ces  seigneurs,  ces  guerriers,  sont-ils  aimés  du  peuple  ?  Il 
est  permis  de  se  le  demander,  à  lire  certains  passages  de 
Saadi  ;  parfois  il  oppose,  semble-t  il,  l'érudile  simplicité  des 
intellectuels  de  son  temps  à  1  ignorante  arrogance  des  hom- 
mes d  armes  :  «■  Un  çoiifi  mettait  quelques  clous  sous  ses 
cliaussures.Un  officier  le  prit  par  la  manche  et  lui  dit  :  «Viens 
ferrer  mon  cheval  »  Gulistrin,  207,  IV,  3).  Ailleurs  Saadi 
note  que  «  le  riche  égoïste  jette  du  haut  de  sa  terrasse 
poussière  et  immondices  sur  le  toit  de  son  humble  voisin» 
[Bousfrin,  60).  Mais  ce  ne  sont  là  que  des  échappées  et,  en 
général,  Saadi,  ami  de  Tordre,  révère  profondément  le  pou- 
voir sous  toutes  ses  formes.  A  grand  renfort  de  dialectique, 
il  défend  les  riches  contre  les  collectivistes  du  temps  [Gu- 
liatan,  293,  et  suiv  ),  Il  montre  les  vizirs  baisant  le  pied  du 
trône  royal,  plaçant  leur  visage  sur  la  terre  [Gulisfan,  32,  I, 
4).  Ailleurs  c'est  un  solliciteur  qui,  en  présence  du  prince  de 
Kharezm,  «  s'incline  profondément,  se  redresse,  se  prosterne 
de  nouveau,  la  face  contre  terre,  et  se  relève  »  (Bousian, 
259).  Et  ces  honneurs  ne  sont  pas  exclusivement  réservés 
aux  monarques  :  en  présence  du  qàdi,  les  notaires  baisent  la 
terre  en  signe  d'hommage  [Galistan,  2.o!,  V,  20).  Quant 
aux  simples  particuliers,  ils  se  contentent,  comme  aujour- 
d'hui, de  se  saluer  en  plaçant  la  main  sur  la  poitrine  (Gulis- 
ian.  60). 

Montesquieu  dit  quelque  part  qu'  »  en  Orient  on  ne  voit 
guère  que  l'héroïsme  de  la  servitude  •>.  Il  est  juste  de  recon- 
naître que  Saadi  lui  donne  par  avance  un  démenti  et  que, 
s'il  respecte  l'autorité,  c'est  seulement  tant  qu'elle  se  montre 
légitime  et  juste;  il  nesegênenuUementpourcensurer  l'agent 


l'obHBRVaTIOX    du    MOVOR    RKT^RtBUR  a3i 

(le  rilliil  tjiii  n'accomplil  pns  son  devoir.  Ainni  :  ««  Ne  dis  pas 
que  les  iiittiidinits  gioiilons  ^onl  ceux  (jiii  veiileiil  K*  hicii  de 
1  lùal  >'    (yihil)-.\;imeft,   p.    17;.   Cet  esprit  d  iiid(''|)C'ndance 
lui  vient  au  reste  de  sa  condition  de  drvot  rattaclu^  au  çou- 
lisiuf.  Or.   d'après  certaines  anecdoles  de   Saadi,    on    jiout 
croire  (jue  les  çoufis  jouissait-nt  d'une  sorte  d'inviolabilité 
qui  leur  octroyait  bien  dfs  liardies»es.  Il  fallait  en  ell'el  ((u'ils 
fussent  bien  respeclés  pour  se  permettre,  vis  à-vis  des  puis- 
sants de  ce  monde,  des  réponses  de  ce  ^'enre  :  «  lii  roi  dit  à 
un  religieux  :   Te  souviens!  u  jamais  de  nous  ?  Il  répondit  : 
Oui  certes,  loules  les  fois  <|ue  j'oublie  Dieu  ••  [Guhstnn,  I  I.'), 
II.  1.*^!.  Ailleurs,  au  roi  ({ui  lui  dit:  «■  Demande-moi  quelque 
cliose  ».  un  derviche  répond,   ra|>pelant  sans  s  en  douter  le 
mot  de  Diogène  à   Alexandre  :  «-  Je  demande  que  tu  ne  me 
donnes  point  de  désagrément  »  i/hid.,  SI.  I,  28).  Un  autre 
enfin  déclare  h  un  prince  :  «  Nous  sommes  les  égaux  au  mo- 
ment de  la  mort  el  nous  vaudrons  mieux  tpie  toi  h  la  résur- 
rection "    Ihîd.,  WVl.  II.  i8).   A  ce  franc  parler  correspond 
dans  Tàme  du  prince  un  sentiment  de  re.-^pecl  pour  ces  sages 
mal  léché"-  et  niai  velus;  parfois  même,  il  n'ose  user  envers 
eux  du  (uloiemeut  (ju  il  appli(|ue  à  tous  ses  sujets  \(iulist,in, 
j.n,  n.  I  .11  est  vrai  (jue  les  plus  hautes  classes  de  la  société 
figurent  dans  les  rangs  des  derviches,  puisipTon  y  voit  même 
des  vizirs  revenus  des  vanités  mondaines(rw///.s7/ï^j,  53. 1.  \  o). 
Cette  indépendance  du  vo'di  vis-à-vis  du  prince  se  trans- 
forme en  dédain  lorsqu  il]s  agit  de  ses  serviteurs:  «  Que  va 
faire  l'homme  de  Dieu  à   la  porte  du  wali  >    Çdhih-ynmeh, 
69).  Mais,  à  vrai  dire,  ces  derviches  sont  ils  si  saints  qu'ils 
le  croient  eux-mêmes  ou  qu'ils  veulent   bien    le  dire  ?  Pas 
tous,  hélas  1  et  Saadi  se  trouve  contraint  de  le  reconnaître  : 
<•  Il  y  avait  autrefois  dans  le  monde  une  troupe  d'hommes 
troublés  en  apparence  et  recueillis  en  réalité  ;  aujourd  hui.  il 
y  a  une  troupe  d'hommes  recueillis  extérieurement  et  trou- 
blés intérieurement  »'  \(iu/i.s/.in,  \'2i\.  II,  li.*'»).  Autrement  dit, 
les  faux  dévots  j)ullulent  el  l'on  ne  rencontre  (jue  trop  son- 
vent  >«  un  homme  ayant  l'apparence  des  derviches,  mais  ne 


lui  TROISIEME    PARTIR.     —    CHAPITRE    III 

professant  pas  leur  manière  de  vivre  ^  [Jbid.,  293).  Sans 
doute,  beaucoup  parmi  les  çoufis  pratiquent  la  règle  dans 
toute  sa  rigueur  ;  d'aucuns  même  vont  jusqu'à  vivre  dans  les 
bois  où  ils  mangent  ce  qu'ils  trouvent  [Gu/i.s(a?i.  i  36,  II,  34). 
Mais  en  revanche,  que  de  charlalans,  sous  couleur  de  reli- 
gion I  Les  uns,  sans  cesse  en  voyage  [Ihid.^  162,  III,  7), 
vivent  de  ruses  et  de  quémanderies  ;  d'autres,  mieux  rentes, 
ramassent  les  miettes  de  quelque  fondation  pieuse  (Gtz/i.ç/ari, 
1  !  4.  II,  14)  ;  d'autres  encore,  les  derviches  de  village  (cheb- 
gouk),  ont  organisé  une  industrie  pieuse  [Bouslan,  p.  202)  : 
arrivant  la  nuit  dans  une  localité,  ils  montent  au  minaret  de 
la  mosquée  et  chantent  à  tue-tête  pour  exciter  la  charité  des 
notables.  D'autres  enfin,  les  qalandars,  font  particulièrement 
horreur  à  Saadi  :  «  Si  un  jeune  homme  habile  chez  les  qalan- 
dars, dis  à  son  père  :  renonce  de  sa  part  à  toute  vertu  »  [Bous- 
tan.,  300).  En  réalité  ils  méritent  leur  médiocre  réputa- 
tion :  demi-nus,  ils  ressemblent  plus  à  des  vauriens  qu'à  des 
dévots  et  ne  pensent  qu'à  remplir  leur  ventre  :  u  Les  qalan- 
dars mangent  tellement  qu'il  ne  reste  plus  dans  leur  estomac 
l'espace  nécessaire  pour  respirer,  ni,  sur  la  table,  la  portion 
de  personne  »  [Gulistan,  326)  (J).  Ils  ne  sont  du  reste  pas 
les  seuls  à  manger  gloutonnement  et  Saadi,  de  même  que 
Perse  censurant  les  orgies  des  sujets  de  Claude  et  de  Néron, 
s'écrie  indigné  :  «  Quand  je  vois  ce  ventre  énorme,  je  ne  sais 
en  vérité  si  c'est  celui  d'un  homme  ou  une  outre  gonflée  de 
vent  ;  le  corps,  pour  toi,  n'est  qu'un  garde-manger.  Oîi  y 
aurait-il  place  pour  la  méditation  dans  cette  lourde  masse  de 
chair  d'oi^i  le  souffle  s'échappe  avec  eff'ort?  »  [Boustan.,  256). 
Bien  supérieur  au  derviche  errant  paraît  le  savant,  celui 
qui  a  étudié  soigneusement  les  choses  religieuses.  Son  mé- 
rite n'échappe  à  personne,  car  «  à  cause  de  la  douceur  de  ses 
discours,  de  la  force  de  sa  parole  et  de  la  grandeur  de  son 
éloquence,  on  s'empresse  de  le  servir  et  on  le  traite  avec 
honneur,  en  quelque  endroit  qu'il  aille  »    [Gulislan.,    187, 

(l)  Sur  les   qalandars,  cf.  Sacy,  i\ot.  et  extraits,  XII,  p.  341  (n.  1),  342, 
et  cf.  Gulislan  (trad.  cit.),  p.  326,  n.  2. 


l/OPSBRTATION    DU    MONDB    RXT^RIRUn  a33 

III,  28).  Il  vil  en  j^i-néral  sans  profossioii  bien  dtHerminëe, 
car  il  estime  tjiie  «»  les  emplois  ne  sont  pas  le  fail  des  hom- 
mes de  sens  >>  [dulislun,  312).  Aussi  avec  t|iielle  condescen- 
d;ince  orgueilleuse  le  savant  ion  du  moins  I  homme  cpii  s'es- 
time on  (jue  l'on  a  répiili-  li-i  i  accepte  tons  ces  hommages, 
daignant  accorder  à  ses  admirateurs  «  le  regard  de  pitié  que 
le  savant  jette  sur  l'ignorant  »  linusfnn,  ii>  !  A  vrai  dire, 
Saadi,  semhle-t  il,  codait  bien  ipiehjue  peu  soi-même  à  ce 
travers,  si  l'on  en  juge  par  certaines  de  ses  réflexions,  plei- 
ne-^ de  mtiigue  arislocraticpie  :  <«  Vn  coup  de  sabre  sur  la 
tète  fail  moins  soiillrir  (|ue  les  insultes  de  la  rue  et  les  cla- 
meurs du  vuluaire  »  Ihmstan.  287).  Ou  encore:  '«  Il  ne  faut 
pas  regretter  la  pei-le  de  l'homme  (jui  ne  se  distingue  ni  par 
la  plume  ni  parl'épée  »  [lioustan,  7o). 

Quelle  opinion  a-t-il  de  son  siècle?  Dans  un  vers  de  la 
dernière  des  Moulammaât.  il  s'écrie  :  «  Il  faut  à  ce  siècle  vil 
une  llèche  dans  le  dos  >  (1).  Kst-ce  là  une  boutade  poéti(jue, 
ou  faut  il  au  contraire  prendre  au  sérieux  cet  hémistiche? 
l'un  et  l'autre  à  la  fois.  car.  si  Saadi  exagère  certainement 
pour  les  besoins  de  son  poème,  on  trouve  par  contre  dans  son 
œuvre  une  série  de  passages  qui  ne  laissent  aucune  illusion 
surce  (pi  il  pensait  de  ses  contemporains.  Il  suffit  d  ouvrir 
.  le  Boustnn  j).  oOi)  pour  y  voir  (jue  médisance  et  calomnie 
llorissaient  alors  comme  aujourd  hui.  Aussi  Saadi  ne  se  forge- 
l-il  aucune  iinaginalion  llatteuse  :  «Je  me  laisse  aller  à  la 
société,  bien  (pi'elle  ne  soit  (ju'hvpocrisie  >»  [Çàhih-.^dmch, 
p.  (J7).Y-a-t  il  en  effet  l'ombre  de  sincérité,  par  exemple  dans 
celte  manière  de  se  faire  des  excuses  :  <«  Nous  plaçâmes  la 
tète  sur  les  |)ied>*  l'un  de  l'autre,  en  guise  de  réparation,  et 
nous  nous  embrassâmes  sur  la  tète  et  le  visage  "  [Gulist.in, 
300).  Il  se  méfie  de  ses  semblables,  par  définition,  car  tous 
sont  ou  méchants  ou  menteurs  ;  méchants,  car  -  si  tu  racon- 
tes les  misères,  on  s'en  réjouira  •>  ^Calcutta.  \\)Ct)  ;  menteurs, 
car  <«  donner  un  écrit  de  sa  main  est  une  mauvaise  idée,  la 

(l)Ti^d   (]l    Hiiart.  in  11*  Conjfrôs  dm   oucnl8li>lc«.  Paris.    IS9T.  .!•  sec- 
tion :  Le  dialecte  de  Cbiraz  daas  Sa'di,  p.  85. 


234  TROISIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    III 

plupart  des  gens  manmiaiil  de  bonne  foi  »  [Çâhib  Nâmeh , 
15*2;.  Les  pauvres  gardent-ils  au  moins  la  simplicité  du  cœur 
et  la  Iraîcheur  de  lame,  si  rares  chez  les  grands  et  les  riches? 
Ah  oui  !  u  Pour  un  dinar  donné,  le  mendiant  m'a  souhaité 
que, pour  moi, le  trône  se  joigne  au  bonheur. Si  jeiie  lui  avais 
pas  donné  mon  dinar,  il  m'aurait  maudit  -  {Çàhib-Nâmeh, 
169).  Du  reste  tout  le  monde  ne  pense  qu'à  l'argent:  «  Tout 
ce  qui  voit  de  l'or  fléchit  la  tête,  jusqu'à  la  balaHce  an  fléau 
de  fer  >'  [Gulisfnn,  233.  V.  20).  Les  femmes  mêmes  leur 
dévotion  est  loin  d'être  désintéressée  [Boustan,  355).  Quant 
aux  fonctionnaires.  «  sur  cent  agents, tu  trouveras  à  peine  un 
honnête  homme  »  {Boustan,  2\).  Ils  sont  avec  cela  persécu- 
teurs: <>  Un  lieutenant  de  police  destitué,  co?iiment  fera-t-il 
pour  renoncer  à  tourmenter  autrui  ?  »  Et.  sur  leur  vénalité, 
toutes  les  imaginations  sont  permises:  <(  Je  qadi  qui  man- 
gera cinq  concombres  qu'il  aura  reçus  comme  épices  le  con- 
firmera dans  la  possession  de  dix  champs  de  pastèques  » 
[Gulisfnn,  'm i.  Quant  aux  mœurs  privées,  elles  sont  loin 
d'être  édifiantes,  qu'il  s'agisse  de  personnages  ou  de  vauriens. 
Lisez  sur  ce  point  le  Giilistan  (230,  V,  20)  et  dans  le  Boustan 
(p.  300),  les  imprécations  de  Saadi  (imprécations,  c'est  en 
vérité  beaucoup  dire  car  le  naturel  poli  l'emporte  toujours 
chez  le  poèlei  contre  les  sinistres  déhanchés  de  son  temps. 
Comment,  dans  ces  conditions,  la  vraie  piélé  pourrait-elle 
exister  ?  Non  seulement  on  vit  dans  le  péché,  mais  encore  on 
ne  laisse  pas  en  paix  ceux  qui  vivent  auprès  de  Dieu  :  «  Vois 
ces  indignes,  ils  s'attroupent  en  disant  :  La  j)iélé  est  stérile, 
c'est  un  piège,  un  gagne-pain  »  (Boustan.  304)  (1).  Il  est 
vrai  que  le  clergé,  accordant  trop  souvent  à  la  lettre  le  pas 
sur  l'esprit,  donne  prise  à  ces  basses  attaques,  oubliant  que 
«  le  but  pour  lequel  le  Coran  a  été  révélé,  c'est  afin  que  les 
hommes  acquissent  de  bonnes  qualités  et  non  afin  qu'ils 
lussent  élégamment  un  chapitre  écrit  »  [Gulislan,  336). 
De  son  siècle,  Saadi  a  naturellement  partagé  les  préjugés 

(1)  El  ;6id.,  toute  la  page  202. 


l'observation  du  mondk  RXTr^HiBun  a35 

scienlifi'jiics  ;  niais  il  aborde  raivinenl  ces  siijuls.  A  deux  on 
Irois  reprises,  ii  parle  de  la  lerrc  (jii'il  imaj,Mne  pontée  sur  les 
eaux  (I  ).  (À'Ile  terre,  il  la  siippo-ie  irnriv>bilo  au  cenlro  do  la 
«,'r.ivilalion  des  éloiles  i2i;  il  croit  h  1  astrologie  et  à  l'iii- 
lliienoe  des  planète** sur  la  destinée  humaine.  Ainsi  [Ifoustan, 
\  12)  :  «t  Mercure  traça  en  lettres  noires  sa  destinée.  »  Sur  les 
sciences  naturelles,  outre  (jueltjues  lignes  du  Gulistun  JHI, 
W,  M]  relatives  à  la  génération  des  scorpions  et  sans  doute 
inspirées  par  quelque  récit,  Saadi,  comme  ses  contempo- 
rains (3).  admet  (jue  les  pei  les  sont  créées  j)ai-  la  pluie  'lions- 
tan,  p.  181)  (il.  Kntiu,  les  survivances  religieuses:  la 
crovance  aux  dîves,  anlitpies  démons  de  l'Iran,  réapparaît  à 
plusieurs  reprises,  el  très  nettement,  dans  le  /inustnn  (5), 
alors  qu'en  rcvanclie  Saadi  partage,  à  1  égard  du  chien,  i  hor- 
reur éprouvée  par  les  Musulmans  de  Perse  :  <-  Ne  lave  pas 
sept  fois  un  chien  dans  la  mer,  car  lorsqu'il  sera  mouillé,  il 
en  deviendra  plus  impur  (tii...  Il  n'y  a  pas  d  être  j)lus  vil 
que  cet  animal  !7).  »  Revirement  curieux  si  l'on  songe  ipTaux 

(1)  ('alcutli,  210  v*  :  u  Di-^u  a  pi  «nié  le*  pics  'les  monts  sur  la  torn^.  de 
sorle  que  le  tnpis  terrestre  sf.  tient  solidement  i  la  surface  de  l'eau.  •■  Cf. 
CiilcultH,  218  V»  et  221  i*  :  «i  Le  monJe  est  posé  sur  l'eau  »  ;  Çdhib-\ii'neh, 
p.  20:  «  T.«nl  qu^'  le    iiond»*  «e  liendra  sur  l'eau.  •> 

(2)  CaicuUa.  227  :  «  Tant  (|ue  les  étoiles  tourneront  au  ciel,  tant  que  la 
terre  restera  lixo.   » 

(3)  «  Les  Orientaux  croient  que  les  perles  sont  le  résultai  des  gouttes 
de  pluie  qui  lonihonl  [)ar  linsard  en  nvril  dans  îles  huiires  eiUr'ouvcrl«*s  >• 
(G.ircin  de  Tassy.  Revue  orienlaU  et  nin^ricnine,  IS.'iO).  (If.  1  opinion  contra- 
dictoire de  ninia«'hqi.  Cosmographie,  Irad.  .M«'lir»Mi,  p.   80. 

('»)  Mo  {addessi,  p.  101,  noie:  «...l'idée  qu'ont  les  Orientaux  que  c'est 
l'eau  de  la  pluie  qtii  forme  les  perles  de  la  mer.  Il  y  a  une  trè»  jolie  fable 
à  ce  sujet  dans  I  ;  Rotistan.  i  II  s'ajfil  génér.iiemenl  de  la  pluie  qui  lomhe 
à  I  époque  du  Nisan. 

('.'>)  fionttnn,  p.  2X0:  <  Quand  un  dive  s'est  échappé  «le  sa  prison,  «ucune 
adjuratiim  ne  peut  l'y  ramener  >•  ;  p  .157  :  «  Les  ordres  que  te  dicte  un  dive 
repoussant.  »  D'autres  passages  utilisent  los  dîves  comme  simple  élément 
lie  comparaison  :  •<  l!  a  la  laideur  du  dive  »  'p.  .101)  ;  <<  C'est  un  «live  qui 
fuit  le  genre  humain  >  (p.  .lO.'i)  Ailleurs,  au  dive  se  joint  la  péri  :  «  La 
femme  laide  comme  un  dive,  mais  lionne,  l'emporte  sur  celle  qui,  aux 
attraits  île  la  péri,  joint  un  c«r.u  ti'-tc  iiifi>inni     > 

(«)  Gululan,  271.  VII,  1. 

(7)  Boutlan,  208. 


236  TROISIÈME    PARTIE.    CHAPITRE    IIÏ 

yeux  des  anciens  Perses,  ancêtres  de  Saadi,  le  chien  repré- 
senta, tout  au  contraire,  l'animal  purilicateur  par  excel- 
lence (1). 

Ce  ne  sont  pas,  au  demeurant,  des  informations  scienti- 
fiques qu'il  convient  de  chercher  dans  Saadi  :  elles  supposent 
une  logique  et  un  dogmatisme  dont  il  s'est  tenu  aussi  loin 
que  possible.  Sans  doute,  les  quelques  renseignements  qu'il 
fournit  sur  la  vie  populaire  de  son  temps  ne  sont  pas  négli- 
geables, mais  ne  doivent  pas  faire  oublier  qu'il  est  avant  tout 
un  poète,  valant,  non  par  l'unité  de  la  pensée,  mais  par  sa 
propre  universalité  :  bien  plus  que  des  idées,  il  exprime  des 
sentiments,  sentiments  particuliers  à  son  temps,  et  cela  sur 
les  tons  les  plus  vai-iés,  le  plus  grossier  comme  le  plus  suave. 
Or,  ses  sentiments  se  muant  presque  toujours  en  images,  il 
devient  indispensable  d'examiner  ses  moyens  d'expression 
poétique. 

(1)  Cf.  Chanlepie,  Man.  Hist.  religions,  p.  463  et  471. 


CHAPITMI-:  IV 


LES    MOYENS    D  EXPRESSION 


A.  —  Shjle. 

Dans  sa  Iraduclion  de  la  linrduh  du  poêle  l'-gyplien 
Bousiri  (1212-1290),  conlemporaiii  de  Saadi,  M.  liené 
Basset  écrit  :  <<  Il  a  à  nos  yeux  une  autre  qualité  :  c  est  «ju'il 
eA  à  peu  près  exempt  des  traces  du  soulisnie  cpii  commençait 
dès  liirs  à  exercer  son  inlluence  si  néfaste  sur  la  poésie  orien- 
tale. Mis  en  parallèle  avec  certaines  pièces  de  'Omar  ben  Kl 
Fàredli,  par  exemple,  c'est  un  chef-d'œuvre  de  simplicité 
élégante,  bien  (jue  le  goût  euroj)éen  ne  laisse  pas  d'être  clio- 
qué  f"ré(juemmenl  par  les  allitérations  et  les  jeux  de  mots  si 
fréquents  dans  cette  littérature  de  décadence  m  (p.  X-X.I). 
Supprimez  de  ce  jugement  le  trait  liiiiil  :  «  littérature  de  dé- 
cadence ».  et  vous  connaîll'ez  les  principaux  mérites  du  style 
de  Saadi  :  la  clarté  et  la  simplicité.  Sylvestre  de  Sacy  les 
avait  rapidement  discernés,  lorsqu'il  déclarait  [Bioijrupliie 
universelle  de  Michaud)  :  «  Saadi  use  de  l'hyperbole  et,  en 
général,  du  style  ligure,  avec  bien  plus  de  sobriété  «pie  la 
plupart  des  écrivains  de  l'Orient,  et  tombe  rarement  dans 
l'amphigouri  et  l'obscurité»  (I  i.  Sans  aller  jusqu'à  penser 
avec  (iraf  \Hoseng;irtcn,  p.  XXII)  que  «  le  /iouxf.tn  et  le 
Gulislmi  se  distinguent  par  la  forme  plus  (jue  par  le  con- 
tenu •»,  il  faut  reconnaître  que  le  style  de  Saadi,  si  l'on  en 
elTace  (juehpies  taches,  n'est  pas  éloigné  de  la  perfection  et 
fait  supportai-  miiiut  poème  du  diw.in,  si  vides  ou   m  banales 

(1)  Semclcl  (liad.  du  Gulutan,  inlrod.,  j».  11-1.)  s'cxpnuic  à  peu  j^irèsde 
mèiue. 


238  TROISIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE     IV 

qu'en  soient  les  idées.  Les  écrivains  antérieurs,  il  est  vrai, 
olFrenl  un  style  plus  sobre  et  plus  nerveux,  soit  en  vers,  soit 
en  prose  (i).  Mais  il  est  juste  d'ajouter  que,  par  comparaison 
avec  les  écrivains  qui  l'ont  suivi  :  Wassaf,  Ali  Yazdi  et  sur- 
tout liousaïn  Waïz  Kachafi  (2),  Saadi  présente  presque 
toutes  les  qualités  qu'on  exige  d'un  styliste  classique. 

Classique  par  rapport  aux  Orientaux,  naturellement.  Car, 
en  dépit  de  sa  pureté,  bien  des  traits  qui  ravissent  les  Per- 
sans deviendraient,  aux  yeux  des  Européens,  le  comble  de 
l'alTélerie  et  du  mauvais  goût,  si  l'on  oubliait,  en  lisant  un 
auteur  étranger,  que  chaque  peuple  possède  son  esthétique 
particulière.  De  quoi  se  compose  donc  essentiellement  ce 
style  et  quels  en  sont  les  défauts  les  plus  sensibles  ?  Saadi, 
on  la  vu,  développe  toujours  ses  thèmes  poétiques  à  coups 
d'images.  Celles-ci  forment  donc  la  base  de  ses  moyens  d'ex- 
pression et  l'étude  de  son  style  se  ramène  somme  toute  à 
celle  de  ses  images.  Cliez  Saadi,  pas  de  grandes  périodes, 
mais  une  idée  s'enchaînant  à  une  autre  idée,  et  l'idée  jamais 
abstraite,  mais  alliée  étroitement  à  l'image.  Par  exemple 
[Boustan^  p.  279]  :  «  Il  ne  faut  jamais  dire  une  parole  sans 
y  avoir  réfléchi,  ni  couper  une  étoffe  avant  de  l'avoir  me- 
surée. » 

De  là  toute  la  saveur  de  ce  slyle,  saveur  si  relevée  qu'elle 
ne  disparaît  point,  même  dans  une  traduction.  Pas  de  séche- 
resse, pas  d'abstraction,  mais  une  pensée  réalisée  dans  une 
image,  lune  et  l'autre  confondues  étroitement  au  point  qu'on 
se  demande  si,  dans  lespril  de  Saadi,  l'idée  pouvait  exister 
sans  son  correspondant  concret.  Combien  de  passages  où 
l'image  se  relie  même  si  intimement  à  la  pensée  qu'elle  n'est 
autre  que  l'idée  même  ! 

Sans  doute  le   procédé  comporte  ses  dangers,  comme  au 

(1)  Par  exemple,  le  Qabous-Nâmeh  «  much  less  ornale  Ihan  books  like 
ihe  Gulislan  »  (Browne,  Literary  Hist.,  II,  282). 

(2)  Sur  Housain  Waïz,  auteur  de  VAnwari  Soahaïli,  cf.  J.  A.,  1853  (VI), 
p.  68-69  ;  Sacy,  Not.  et  extraits  {ih\S.  X,  94-2H)  :  du  même,  Kalila  eiDimna 
(lbl6,  p.  42-47). 


LES    MOYE>K    DhAFlUSSION  qSq 

reslo  tous  les  proci'di's  :  il  est  (Certain  (jiie,  bien  soiivt'ul.  lus 
iiniçjus,  lro|)  iioinbreiisos  el  Irop  press<los,  niiiseiil  il  la  con- 
cision (lu  ri'cil.  LeGulist.in  -emble,  à  ce  lilre,  plus  modéré 
que  le  Jlousi/in,  pourlani  plus  agréable  à  lire  el  plus  propre 
à  inspirer  une  juste  conception  du  génie  de  Sauli.  (]et  excès 
d'images,  allant  jusipi'à  l'enlassenient.  apparaît  principale- 
ment dans  les  panégyri(|ues.  I*ar  exemple,  en  pariant  de 
Chams  ed  i)in  .louwaïni  :  •  Monde  de  science,  nuage  de 
iniignanimitt'*,  mine  de  bonnes  grâces,  étoile  de  prestige, 
merde  noblesse.  cliAleau  fort  de  palieiice...,  soleil  de  foi..., 
pilier  de  la  i|ibla  de  1  Islam  •■  iC;dcutla,  p.  221)  v"!  ;  ou 
encore:  «  lune  de  puissance,  port  de  paix,  liant  soleil  de  reli- 
gion »  (//>/(/.,  233),  Ou  bien  I  image,  dans  le  même  cas, 
reste  isolée,  mais  s'enfle  el  dégénère  :  <  Que  la  durée  de 
ta  vie  soit  de  mille  ans  el  que  chacun  de  ses  mois  soit  un  an 
nouveau  el  une  floraison  de  mai  »  ((Calcutta,  234), 

Chez  Saadi,  dès  «pie  l'image  ne  s'appuie  plus  sur  une  idée 
morale,  elle  perd  de  sa  force  :  c'est  dire  que  les  descriptions, 
rares  au  demeurant,  soni  en  général  médiocres  paice  que 
composées  de  clichés  sans  relief.  Qu'on  lise  par  exemple  la 
description  d'un  cheval  [Hnus(an,  1  IH).  Il  est  un  cas,  lonte- 
fois,  oùleslyle  de  Saadi,  simplemeni  narrateur,  garde  toute 
8a  verve:  c  est  lorsqu'il  plaisante.  Ainsi,  dans  le  Boustun 
(p.  2<St),  l'histoire  si  humoristique  de  la  jeune  lille  saisie  par 
un  nègre  monsirueux  et  qui,  délivrée  par  Saadi,  maudit  ce 
dernier  en  s'écriant,  telle  la  Marliue  de  Molière  :  «  VA  s'il  me 
plaît  à  moi  d'être  malmenée  I  »  Une  conclusion  morale  sur 
les  désavantages  de  l'indiscrétion  termine  naturellement  l'a- 
necdote, maison  peut  la  supprimer  sans  que  le  sens  général 
en  soulfre  et  il  reste  un  récit  plein  de  couleur  et  d  entrain. 

A  vrai  dire,  Saadi  n'est  pas  toujours  très  scrupuleux  dans 
le  choix  de  ses  images.  Parfoi'^.  il  applique  à  la  même  idée 
el  dans  le  même  passage  deux  images  totalement  dillercnles. 
Ainsi  [dulistiin,  336)  :  <«  Un  savant  qui  ne  pratiijue  pas  les 
bonnes  œuvres  est  une  abeille  qui  ne  produit  pas  de  miel.  » 
Kt,  même  page:  «•  Un  .savant  (pn  ne  pratique  pas  les  bonnes 


2^0  TROISIEME    PAKTIË.    CHAPITRE    IV 

œuvres  est  un  arbre  sans  fruils,  »  Ou  bien,  en  divers  passa- 
ges, il  emploie  pour  le  même  sujet  des  images  donl  la  réu- 
nion marque  quelque  incohérence  :  par  exemple  à  «  la  main 
du  destin  »  [GuliatHn,  44  et  Calcutta,  246,  ou  à  «  la  flèche  du 
destin  »  (Calcutta,  222)  s'oppose  le  «  pinceau  du  destin  » 
[houstan,  3)  avec  lequel  <>  Dieu  trace  une  image  sur  le  sein 
maternel  »  Souvent  les  images  ne  se  répondent  nullement  :  à 
plusieurs  reprises,  il  compare  simultanément  le  monde  d'ici- 
bas  à  un  caravansérail  et  à  une  maîtresse  incon:?lanle,  ou 
bien  encore  n'hésite  pas  à  écrire  ce  vers  si  peu  cohérent: 
c<  Toi  qui  a  mis  une  lampe  sur  le  chemin  du  vent,  lu  es  une 
maison  sur  le  passage  du  torrent  »  (Calcutta,  239  v°). 

Ces  procédés,  il  est  vrai,  ne  lui  sont  pas  particuliers  :  on 
les  retrouve  chez  tous  les  poètes  persans.  Saadi  n'a  malheu- 
reusement pas  cru  pouvoir  se  soustraire  à  cette  mode  des 
comparaisons  absurdes  dans  lesquelles  il  montre,  semble-t- 
il,  plus  de  discrétion  que  bien  d'autres.  Les  comparaisons  de 
ce  genre,  il  les  a  principalement  appliquées  au  corps  humain. 
Quelques  exemples  sont  ici  nécessaires. 

Dans  le  Gulistan  (p.  232),  donnant  au  vers  virgilien  : 

Ora  puer  prima  signans  intonsajuventa 

un  fâcheux  pendant,  il  compare  la  barbe  naissante  d'un 
jeune  garçon  aux  points- voyelles  usités  dans  l'écriture  arabe 
(fatha  et  dhamma)  et,  au  cours  de  la  même  historiette,  il 
ajoute  (p.  233)  :  «  les  fourmis  sagilenl  autour  de  la  lune  », 
c'est-à-dire  :  «.  les  favoris  s'agitent  autour  de  ton  visage  »  (1). 
Dans  le  Boustan  (p.  2B7)  :  «  On  admirait  son  visage  au  men- 
ton arrondi,  sans  comprendre  comment  le  cyprès  pouvait 
donner  naissance  à  une  pomme.  »  On  devine  que  le  cyprès 
correspond  à  une  jolie  taille  et  la  pomme  à  un  visage  aux 
fraîches  couleurs.  Ailleurs  [Gulistan,  18)  :  «  le  dos  voûté  du 
ciel  s'est  redressé  de  joie  ». 

(1)  Le  même  sujet,  la  barbe  naissante,  est  repris  sous  une  autre  forme 
dans  les  KhaLilbât  (Calcutta,  47.3,  n'  ,3)  :  «  Ne  tire  pas  celrait  affreux  sur 
la  marge  de  ton  registre,  car  il  gâte  la  splendeur  de  ton  livre.  » 


LE8    MOYB.>8    d'bXPHKHHION  S^I 

Incohérence    ol    ubscurilé,   dira-ton.    Mais    il    v  a    pin» 
compli(|n(^  encore,  lémoin  celle  coni|)aiaison  enij)rnnlce  au 
jeu  dn  mail  >  (iuli.sf.in,  'IVù^,  \\  "20)  :  <«  La  fi^nie  de  mon  ami, 
au    milieu  de*  boucles  de  sa  chevelure,   semble  une  boule 
d'ivoire  dans  le  creux   de  la   racjuellt*  d  ébène.   »  On  ne  sait 
vraiment  si  l'on  doit  s'irriler  ou  sourire  en  présence  d  un  tel 
prodi^'e  de  ^'ont^orisme.  Le  même  jeu  du  mail  donne  nais- 
sance à  d'autres  imaj^es  aussi  forcées  :   «   Apporte  la   vaste 
étendue  de  l'hippodrome  de  la  volonté,  afin  que  l'homme  élo- 
(juenl  pousse  la  balle  »  (^/'{///.$///n,    11'J.    11.   Il     ^lulrement 
dit  :  «  écoule  bien  »  >.  Aulre  image,  forcée  au  point  d'en  de- 
venir incohérente,  empruntée  non  plus  au  mail,  mais  aux 
échecs  (il  s'agit  d'une  discussion;  :  (.  Chaipie  pion  (ju  il  avan- 
çait, je  mellorçais  de  le  repousser,  et  chaque  roi  qu'il  procla- 
mait, je  le  couvrais  d'une  reine,  jusqu'à  ce  qu'il  eut  entière- 
ment joué  l'argent  de  la  bourse  de  la  pensée  et  lancé  toutes  les 
tlèches  du  car(juois  de  la  dispute  >>    (iu/i.st.in,  304,  \  II,  i8). 
Le  roseau,  lui  aussi,  concourt  à  ces  effets  de  mauvais  goût, 
par  exemple  dans  ce  vers  du  Boustnn  i  p.  281 1,  quekiue  peu 
puéril,  mais  dans  lequel  un  oriental  découvrira  certainement 
la  plus  remarquable  tinesse  :  u  Le   calame  ne  parle  que  lors- 
qu'il a  le  canif  sous  la  gorge.  »  D'autres  passages,  il  est  vrai, 
sont  plus  déplorables  encore  :  «  Quel  oiseau  rapide,  calame 
tenu  par  une  main  heureuse,  écrit  en  un  clin  d'œil,  s  élan- 
çant do  rOcéan  à  la  Méditerranée,  et  plonge  à  cha(}ue  instant 
dans  les  profondeurs  de   l'encrier,   de  sorte  que  l'eau  de  la 
vie  dégoulle  de  son  bec  ?  »  (Calcutta,  226  v"). 

A  ces  images  obscures  ou  trop  artificielles,  il  faut  joindre 

les  images  outrées.  Par  exemple,  en  parlant  d'une  danseuse 

[Boustnn,    150.  :  «  La  flamme  d'une  bougie,  (pie  dis-je  ?  la 

flamme  des  cœurs  qui  brûlaient  autour  d'elle  mit  le  feu  à  sa 

robe.  >>  Les  larmes  jouent  un  rôle  prépondérant  dans  ces 

images  que   gâte   1  hyperbole.  Ainsi    {Boustan,  148):  «  Ses 

pieds  s'enfonçaient  dans  la  boue  formée  par  les  larmes  qu'il 

répandait.  >■   Kt,    j)lns  eniore    \Gu/istnn,  10^,111.  li;:  <•  11 

était  surprenant  que  la  fumée  des  caurs  des  créatures  ne 

M.    —  i6 


2^2  TROISIÈME    PARTIE.     —    CHAPITRE    IV 

se  rassemblât  pas,  afin  qu'elle  devînt  un  nuage  et  que  des 
lorreuts  de  larmes  en  fussent  la  pluie  »  ;  ou  bien  [Guliséan, 
9j  ;  (V  Je  perçais  la  pierre  de  la  cellule  de  mon  cœur  avec  le 
diamant  de  mes  larmes.  »  Enfin,  celte  dernière  (Calcutta, 
247)  :  «  Gomment  tenir  la  bride  aux  larmes?  La  main  de  la 
résignation  les  a  laissé  échapper.  » 

Fautes  de  goût  relativement  rares  dans  l'œuvre  de  Saadi  ; 
par  contre,  on  y  recueille  facilement  une  ample  moisson  d'i- 
mages, sinon  toujours  neuves,  du  moins  toujours  vivantes. 
Ces  images  sont  de  deux  sortes:  métaphores  et  comparai- 
sons. On  se  souvient  qu'un  écrivain,  dans  la  comparaison, 
exprime  les  deux  objets  que  son  imagination  rapproche,  et 
que,  par  contre,  dans  la  métaphore,  il  sous-entend  l'un  des 
deux  termes,  créant  ainsi  une  sorte  de  symbole.   La  poésie, 
sans  aucun  doute,  gagiie  à  s'exprimer  par  ces  métaphores 
qui  fondent  les  uns  dans  les  autres  les  sentiments  et  leurs 
expressions  concrètes.   Mais  la  comparaison,  elle  aussi,  se 
soutient  en  poésie  ;  les  classiques  français  du  dix-septième 
siècle  l'ont  employée  presque  exclusivement  et  il  ne  semble 
pas  que  leur  art  en  ait  souffert  le  moins  du  monde. 

Ici  encore,  quelques  exemples  pris  à  Saadi  préciseront  la 
distinction  à  établir.  Par  exemple,  cette  comparaison  (Bous- 
laii,  o7j  :  «  Les  routes  qui  conduisaient  à  ce  château-fort 
étaient  tortueuses  comme  les  boucles  de  cheveux  de  jeunes 
fiancées,  et,  au  milieu  de  ses  massifs  de  verdure,  le  château 
offrait  l'aspect  d'un  œuf  posé  sur  un  plat  de  lapis-lazuli.  » 
On  voit  tout  de  suite  les  deux  termes  de  cette  double  (igure, 
artificielle  et  contrainte,  néanmoins  typique. 

Voici  d'autre  part  une  métaphore  d'une  beauté  assez  mys- 
térieuse dans  sa  concision  et  qui  fait  penser  à  certaines  méta- 
phores des  romantiques  français  [Boustan^  264)  :  «  Le  fleuve 
du  sommeil  les  emporte  dans  ses  ondes.  »  Les  deux  termes 
de  la  comparaison  qui  serait  :  «  Le  sommeil  tel  un  fleuve...  » 
se  trouvent  étroitement  assimilés  l'un  à  l'autre.  Au  reste,  la 
langue  persane,  grâce  à  sa  grammaire  si  imprécise,  peut 
créer  à  l'infini  des  effets  de  ce  genre.  Ainsi,  au  début  du  Gu- 


LBM    M0YEM8    P  RXPRP.SKION 


a/i3 


listan:<i  Le  tapissier  du  vent  matinal,....  la  nourrice  du 
nuage  priutauier  »  (c'est-à-dire  :  «  le  vent  genibiabie  à  un 
tapissier,  le  nuago  pareil  k  une  nourrice.»  •  Kn  Iraduihanl  lit- 
téralement, on  obtient  :  «  le  tapissier-vent  »,  «  la  nourrice- 
nuage  »>(!).  Kt  c'est  après  tout  quel(|ue  chose  de  très  sem- 
blable au  «  buiil-peuple  »  ou  au  «<  pàtre-promontoire  »  de 
Ilugo. 

Parfois  même,  Saadi  niinil,  à  <lt•s^ei^  ou  non,  les  deux 
procédés  dans  une  même  phrase.  l*ar  exemple  (Calcutta, 
247)  :  (.  Que  te  sert  de  baisser  la  tête  vers  la  terre,  comme  une 
violette,  et  de  tremper  les  deux  narcisses  avec  les  larmes  du 
chagrin  inutile  ?  «»  On  le  voit  :  d'abord  la  comparaison 
««  comme  une  violette  »,  puis,  aussitôt,  la  métaphore  des 
narcisses  (jui  désignent  deux  veux  baignés  de  larmes.  Et 
voici  la  forme  inverse,  métaphore  suivie  de  comparaison 
{Boustan,  ."iU)  :  «  .Jadis  ma  bouche  laissait  voir  deux  rangées 
de  perles  solides  comme  un  mur  de  britjues  argentées.  » 

De  même  que  ces  métaphores  diluèrent,  somme  toute,  de 
celles  qu'on  a  coutume  de  rencontrer  dans  les  auteurs  euro- 
péens, de  même  un  point  particulier  dilTérencie  les  compa- 
raisons :  alors  qu'en  Orient  on  compare  en  général  les  êtres 
inanimés  aux  êtres  vivants,  c'est  tout  le  contraire  en  Europe 
où,  au  lieu  d'écrire  par  exemple,  comme  en  persan  :  «  une 
rose  fraîche  comme  un  visage  »,  on  écrit  :  «  un  visage  frais 
comme  une  rose  ».  On  perçoit  aussitôt  combien,  en  certains 
cas,  l'image  peut  ainsi  s'étriqiier,  notamment  lors(jue  1  au- 
teur unil  dans  la  même  figure  de  rhétorique  deux  termes, 
1  un  emprunté  aux  splendeurs  de  la  nature,  l'autre  aux  attri- 
buts humains  (2i.  Ainsi  cette  comparaison  si  mièvre  (Cal- 
cuit,).  L'iri;  :  (.  Le  jardin  se  crispe  de  frissons,  sou>  le  vent 

(1)  Plus  tard,  Ilousaïn  Wafz,  outrant  le  procédé,  tombera  dans  l'inintel- 
ligible :  «  l'oiseau-cœur  »  (lecœur  iuconstant  conœe  un  oiseau),  <  le  plon- 
geur-intuition. > 

(ï)  Le  procédé,  mais  voulu  celte  foi»,  se  rencontre  parfois  dan»  la  litté- 
rature française.  Ainoi  ce  vfrs  de  P»ul  Kouif;»'  I  ^  f  '■  fi  «m.  n,t,e 
était  couleur  d'un  gant  gris-perle,  i 


2^4  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

prinlîinier,  de  même  que  le  front  d'une  jolie  femme  en  colère 
se  couvre  de  rides.  »  Et,  d'un  autre  jardin  (Gulisfan,  ['SI,  11^ 
34  :  («  Ses  rases  rouges  étaient  comme  la  joue  des  belles,  ses 
jacinthes  comme  la  boucle  de  cheveux  des  amantes.  »  A  pro- 
pos d'une  fleur  [Gulistaii,  14)  :  .(  Sur  la  rose  rouge  étaient 
tombées  des  perles  de  rosée  semblables  à  la  sueur  sur  les 
joues  d'un  joli  garçon  irrité.  »  Tous  les  éléments  de  la  nature 
se  trouvent  ainsi  métamorphosés,  par  une  sorte  d'anthropo- 
morphisme littéraire  :  les  arbres,  la  pluie,  la   nuit.  Ainsi  : 

Sur  les  arbres  était  une  chemise  de  feuilles  semblable  au 
vêtement  de  fête  des  gens  heureux»  [Gulisian,  \i).  C'est 
ailleurs  «  le  nuage  semblable  au  porteur  d'eau,  l'outre  sur 
l'épaule  »  {Boiistan,  32oj  ;  ou  bien  encore  la  nuit  qui  «  telle 
qu'un  prédicateur  vêtu  de  noir,  tira  lentement  du  fourreau 
le  sabre  étincelant  du  jour  »  [Ibid.,  332). 

Un  degré  de  plus,  et  le  même  procédé  s'applique  aux  sen- 
timents et  aux  idées.  Ainsi  :  '-<  Ma  pensée,  timide  comme  une 
nouvelle  mariée  »  [Gulistan,  17),  Ailleurs,  voulant  exprimer 
la  vanité  et  l'inconstance  du  pouvoir,  Saadi  écrit:  <^  La  fian- 
cée de  la  domination  n'a  aucune  fidélité  envers  ses  fiancés  » 
(Calcutta,  246)  ;  ou  bien  encore,  au  sujet  des  tourments  de 
l'amour:  «  Son  cœur,  semblable  à  un  fer  à  cheval,  était 
exposé  à  un  feu  ardent  »  {Gulistan,  230,  V,  20).  On  le  voit, 
le  poète  n'hésite  pas  à  réaliser  l'union  de  l'idée  et  de  l'objet 
même  le  plus  humble. 

Mais  ces  images  qui  pullulent  en  son  œuvre,  il  faut  les 
classer  et  en  déterminer  les  éléments.  A  quelles  sources 
a-t-il  puisé,  tant  pour  ses  comparaisons  que  pour  ses  méta- 
phores ? 

A  la  nature,  d'abord,  et  sous  tous  ses  aspects.  Soleil,  lune, 
nuit,  nuages,  eaux,  montagnes  apparaissent  tour  à  tour,  et 
ici  encore,  des  exemples  s'imposent.  Voici  des  comparai- 
sons :  «  Sa  vie  s'évanouissait  comme  le  soleil  qui  disparaît 
derrière  la  montagne  »  [Bous/an,  263)  (1);  «  une  fille  belle 

(1)  La  même  image   est   reprise  (Boustan,  268)  :   «   Les  gens   de  mérite 
disparaissent  comme  le  soleil  derrière  le  nuage.  » 


LE8    MOYRNS    Ii'lCXPRESSION  Sl/iD 

comnu'  la  lu  ne  .  ilhid.,  2Mii  :  «  un  «^t'niil  long  comme  une 
niiil  (i'iiivcr  »  (Ibid.)  ;  «  il  s'enfuil,  part-il  nu  sombre  nuage 
qui  passt'  an-dessus  d'un  riant  jardin  «  (//*/</.,  'IK'})  ;  n  le  re- 
venu esl  une  eau  courante  el  la  vie  une  meide  (jui  tourne  » 
[CÊufisf.in,  277)  ;  «  rarni(''e  s'avançait,  lumultueust*  comme 
les  vagues  de  la  nu  r  »  {linustnn^  <)2);  «  viscomnic  une  nion- 
la'Mie  solilaiie.  dans  la  retraite  el  dans  le  silence  •  Ihid., 
27H)  (t)  ;  <«  la  vie  esl  une  neige  exposée  au  soleil  de  juillcl  « 
{Gulisfun,  11). 

A  ces  comparaisons  tirées  de  la  nature  répondent  les  mé- 
taphores :  f<  la  neige  des  ans  »  [llousinn,  1()2)  ;  «  la  pluie  de 
la  niis('ricorde  de  Dieu,  la  table  abondante  de  ses  bienfaits  m 
((îu/isf,in,  1)  ;  «  les  fruits  du  jardin  de  la  vie  »  {Ihid.,  32). 
Certaines  sont,  ou  |)lus  obscures  :  «<  peseniv.  d'air  »>  (liniis/.in, 
216),  c'est-à-dire  :  <•  diseurs  de  futilités  »,  ou  plus  compli- 
quées et.  |>arlanl.  j>lus  lourdes  :  «  allumer  le  flambeau  de  la 
poésie  à  la  llanime  de  l'inspiration  »  [Ibid.,  233)  ;  «  éteindre 
le  feu  du  timiulteavec  l'eau  d'une  résolution  .«age...(6^w/.2oi). 

Des  pierres  précieuses,  Saadi  ne  lire  guère  que  des  com- 
paraisons :  «  Les  cœurs  possédés  de  la  sainte  folie  de  l'amour 
ressemblent  à  des  rubis  épars  au  milieu  des  pierres  >  (lious- 
t:m,  127);  «  paroles  (jui  se  déroulent  comme  un  collier  de 
perles  »  {Ibid.,  30j  ou  "  (|ui  se  répandent  comme  un  Ilot  de 
perles  »  {Ibid.,  21). 

l'n  revanche  arbres,  fleurs  el  fruits  lui  servent  à  la  fois 
pour  des  comparaisons  el  des  métaphores. 

Les  arbres  :  «  Le  peuple  esl  un  arbre  fruitier  qu'il  faut  soi- 
gner )»  {Jiousf.'in,'3i  :  >'  la  vraie  dévotion  e-^l  un  bel  arbre  qu  il 
faut  soigner  »  (Ibid.,  217)  (2)  ;  «  trembler  comme  la 
feuille  du  peuplier  »  [Ibid.,  102)  ;  «  les  belles  à  la  taille 
(droite')  comme  le  buis»  [Ibid..  2r)  ;  «  le  diable  élancé 
comme  le  pin  >*  (Ibid.,  28).  (Jiianl  an\  métaphores,  c'est 
l'homme  cultivant  <«  l'arbre  de  la  générosité  »  [Ibid.,  201), 

(1)  ■  Debout  d»n»  sa  montagne  el  daii.s  sa  volonté  »  (Hugo,  liurgravet). 
i2)  Snadi  ôrrit.  p«r  contre,   sur  le  nu'nio  snjrl  fUoutlnn,  2i7)  :  »<  Une  dé- 
votion de  faut  aloi,  c'est  un  étang  au  fond  duquel  il  n'y  a  que  rase.  » 


246  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

V  l'arbre  des  espérances  »  [Ibid.^  54),  «  l'arbre  de  la  bienfai- 
sance »  {Ibid  ,  40)  ;  c'est,  d'autre  part,  l'arbre  renversé  vsym- 
bolisanl  la  mort  des  princes  (Calcutta,  246  et  248). 

Les  comparaisons  empruntées  aux  plantes  (fleurs,  fruits, 
légumes)  sont  assez  nombreuses,  les  unes  pesantes,  les  autres 
amusantes  par  leur  imprévu.   Ainsi  :   «  l'époux  et   l'épouse 
doivent  être  comme  deux  amandes  dans  une  seule  écorce  » 
[Boustan,  i56)  (1)  ;  «  les  vertus  sont  en   lui  à  profusion 
comme  les  pépins  dans  l'enveloppe    de   la   grenade  »  (Cal- 
cutta, 235)  ;  «  s'épanouir  de  joie  comme  un  rosier  »  {Bous- 
tan^  262)  ;  «  nu  comme  une  gousse  d'ail  »  ilbid.^  113  et  285)  ; 
et  cette  dernière,  si  lourde  (Boustan,   187)  :  «  l'homme  dé- 
pourvu de  mérite,  s'il  se  flatte  de  ressembler  à  l'amande  sa- 
voureuse du  pistachier,  n'est  en  réalité  qu'un  assemblage  de 
sèches  membranes  comme  l'oignon  ».  Les  métaphores  sont 
plus  rares,  plus  compliquées  aussi,  se  rapportant  plus  parti- 
culièrement aux  idées  mystiques.  C'est  par  exeinple  leçoufi 
qui  ((  pour  obtenir  la  rose  se  laisse  déchirer  par  le  buisson  » 
[Boustan^  127)  et  qui  a  semblable  à  la  grenade  entrouverte, 
sourit,  tandis  que  son  cœur  saigne  y>(lbid.).  Ailleurs,  pour 
dépeindre  un  vif  chagrin  :  «  La  racine  de  sa  joie  était  coupée 
et  la  rose  de  ses  désirs  flétrie  »  [Gulistan,  266,  VI,  5). 

Les  animaux,  eux  aussi,  concourent  aux  comparaisons  et 
aux  métaphores  de  Saadi.  De  même  que  la  rose,  on  doit  s'at- 
tendre à  rencontrer  le  papillon,  cher  à  la  poésie  persane  : 
M  Comme  des  papillons  attirés  par  la  flamme  »  (Boastan, 
281  j  ;  la  mouche,  qui  grouille  dans  tout  l'Orient,  intervient 
naturellement  :  «  on  le  chassait,  mais,  semblable  à  une  mou- 
che qu'on  éloigne  du  sucre,  il  revenait  aussitôt  »  [Thid.^ 
148j  et,  dans  le  Gulistan  (p.  139)  :  «  le  docteur  de  la  loi, 
lorsqu'il  s'est  abaissé  pour  obtenir  les  biens  de  ce  monde 
méprisable,  ressemble  à  la  mouche  dont  la  patte  reste  dans 
le  miel  »  •;  la  comparaison  :  «  j'errai  çà  et  là  comme  un  scor- 
pion »>  [Boustan^  334)  évoque  la  démarche  oblique  et  tor- 

(1)  Comparaison  analogue,  Gulistan,  228,  V,  8. 


LB8   MOYENS    n'RXPRtflSIO?»  2^7 

lueiise  de  celle  bôle  nhrimanienne,  si  frt'quenlo  en  Pert*e. 
r.nliii,  les  animaux  clonu'sli«jues  :  le  bd'uf  donl  le  maître  (jni 
lui  lail  lirer  la  olinrrue  sans  rojiandre  de  semence  ressemble 
à  •«  celui  (jiii  a  rludii^  el  n'a  pas  mis  sa  science  en  pratique  •>  ; 
l'âne  ipii,  lors(|u  il  reste  emp^'ln^  dans  la  boue,  fait  Bonj^'cr, 
ou  à  un  (jadi  embarrassé  (ffousf,in,  1H9),  ou  à  un  liomme 
esclave  de  ses  passions  ' liou.sf/m .  80()  .  Les  métaphores  ti- 
rées des  animaux  semblenl  sinon  plus  variées,  du  moins  plus 
fréquentes.  L'inévitable  papillon,  s'élançanl  vers  la  bougie 
allumée  qui  l'éblouil.  symbolise  l'amant  accourant  vers  l'ob- 
jet aimé,  soit  cpi'on  rinterprèle  dans  le  sens  mystique  ou 
simplement  amoureux  (I  i.  Au  sujet  d'une  épouse  désagréa- 
ble, Saadi,  songeant  peut-êlre  à  soi-même,  s'écrie  plaisam- 
ment :  «<  Quand  le  perrocpiel  a  pour  compagnon  de  cage  un 
corbeau,  il  s'échappe  avec  joie  »  [Boust.m.  296).  Mais  le  che- 
val surtout  lui  sert  à  animer  des  senlimenls  divers  :  «  le  che- 
val de  l'élocpience  »  [Gulisfrin,  300  el  309.  VII.  18).  .<  le 
coursier  de  la  raison  »>  [Bousfan,  5),  «  le  cheval  de  la  mort  •> 
(//)/V/,,  50).  Va  non  seulement  le  cheval,  mais  encore  ses 
accessoires  :  d'une  part  «  les  rênes  du  libre-arbitre  »  iGu/fs- 
tnn,  I  if).  II.  il  i  ;  «  les  rênes  de  la  patience  s'étaient  éch;«p- 
pées  de  leurs  mains  »  [Gulistan,  1()8,  III,  1  i)  (2),  «  l'indi- 
gence relire  les  rênes  de  la  main  de  la  crainte  de  Dieu  •> 
(//)/'/..  300  :  d'autre  part  «  l'arène'de  la  discussion  >-  (Bnus- 
f.'in,  I89i,  «  l'hippodrome  de  la  volonté  ^>  iOu/isfnn,  \\2, 
III.  Ili,  Sans  j>arler  de  la  balle  du  jeu  de  mail  qui,  bien  lan- 
cée, symbolise  la  réalisation  du  bonheur  (3). 


(I  Cf.  (Jntist'in,  p.  JU?*.  V,  T,  el  Boiistan.  p.  I7<>  ei  lf<î>.  En  r.ipproclicr 
Manlic-til-l8Ïr  (trad.  Garcin),  p.  222.  L'allé^porie  •  él«*  expliquée  en  «rabe 
par  Q»7.wliii  (Cf.  CbéEv,  Chrett.  arabe,  t.  I,  r>T2,  cl  I.  III.  410)  Les  poêles 
hiniioiislinis  Tonl  employée  eux  «ussi  :  cf.  Garcin  df  7i^'<\  l'n  mnn.i|n.i>o 
.Ir»m»lique  indien,  J.  A..  1850  (t.  XVI),  p.  .123.  n.  I. 

(2  Im«f;e  analof^uc  mais  doublée  (W»iV/..  .KM"»):  i.  I.»  s  n  u»-^  de  sa  four 
«orlirenl  de  la  mam  de  sa  palience.  » 

(3)  "  I.»  c\oi  du  trésor  du  bonheur  est  Ir  conseil  do  Saadi.  Si  tu  rjccepto»!. 
lu  mclH  la  balle  au  but  dans  l'hippodrome  •>  '(^nlcull.i.  OT.»  t  I.nnc-.>  (?ii.< 
l'hippodrome  la  balle  aTanlageuse  ••  {!bid.,  2'M  el  22' 


a48  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

Peu  de  comparaisons  emprunlées  aux  parties  du  corps  hu- 
main.  On  rencontre  toutefois  :    «   le    monde  en  désordre 
comme  les  cheveux  d'un  Ethiopien  »  (Gulisian,  8),  «  routes 
sinueuses  comme  des  boucles  de  cheveux  »   [Bousfan,  57). 
La  barbe  est  parfois  assimilée  à  une  écriture  :  «  le  poil  de  la 
barbe  ressemble  à  un  trait  de  plume  »   (Calcutta,  222).  Les 
métaphores,  par  contre,  sont  assez  nombreuses.  Sans  parler 
de  la  cage  du  corps  où  reste  prisonnier  l'oiseau  de  l'âme 
[Boustan^  353],  Saadi  écrit  par  exemple  :  «  le  collyre  de  l'in- 
différence assombrit  tes  yeux  >»  [Boustan,  350),  «  il  allongea 
la  langue  de  l'opposition  »  [Gulistan,  122,  II,  20),  «  enlève 
du  miroir  de  ton  cœur  la  poussière  qui  le  ternit  »  [Boustan^ 
317),  «  je  ne  levai  pas  la  tête  de  dessus  le  genou  de  l'adora- 
tion »   [Gulisfan,   11).   En   outre,  une  série  de  métaphores 
prennent  le  pied  humain  pour  base  :  «  l'épine  de  la  mort 
s'enfonça  dans  son  pied  »  {Gulistan^  246,   V,    18),   «  le  pied 
de  son  existence  s'enfonça  dans  la  boue  de  la  mort  •>   [Ibid.^ 
el  Boustan,  154),  «  ton  pied  glissera  dans  la  boue  du  tom- 
beau »  [Boustan,  348).  iVu  pied  s'associe  naturellement  le 
pan  de  la  robe  :  ((  tire  le  pied  de  la  tempérance  sous  le  pan 
de  la  robe  du  salut  »  [Gulistan,  186,  ITI,  28),   «  souiller  par 
le  péché  le  pan  de  la  robe  de  la  chasteté  »  (Ihid.,  300),  «  lais- 
ser traîner  le  pan  de  sa  tunique  dans  le  vice  »  [Boustan, iS^), 
«  je  retirai  de  lui  le  pan  de  ma  robe  »  [Gulistan,  230,  V,  10) 
c'est-à-dire  :   «  je  cessai  de  l'aimer  ».   D'autres  parties  du 
vêlement,  le  manteau,  le  collet,  donnent  également  lieu  à 
des  métaphores  :  «  le  collet  de  la  contemplation  »  (Gulisfany 
5  et  305),  «  laisser  déchirer  son  manteau  »  (c'est-à-dire  :  sa 
réputation)  (Boustan,  204). 

Enfin,  pour  les  objets,  de  même  que  pour  le  corps  humain, 
plus  de  métaphores  que  de  comparaisons.  Parmi  ces  derniè- 
res :  «  son  éloquence  pénétra  dans  leur  cœur  comme  le  ca- 
chet dans  la  cire  )'  [Boustan,  189j,  «  il  courbait  la  tête  comme 
le  clou  sous  le  choc  du  marteau  »  [Ihid.,  165).  Puis  les  ins- 
truments de  musique  :  «  décharné  comme  une  harpe  »  [Bous- 
tan, 116),  «  prières  (ou  paroles)  sonores  et  vides  comme  le 


LES    MOYEîtS    D  BXPRE88IOM  a'iO 

tambour  ^^{Bniist,in,  118,  2U;.  '2il,  282,  305).  Les  jeux  du 
mail  el  des  échecs  servent  à  la  fois  aux  comparaisons  cl  aux 
nn'lapliorfs  (I).  D'autres  objets,  par  contre,  semblent  parli- 
culièremonl  réservé's  à  ces  derni«'res,  notamment  les  armes  : 
«  le  glaive  de  sa  colère  sort  du  fourreau  »  { /ious/.in,  ii),  «  il 
lanva  toutes  les  flèches  du  carquois  de  la  dispute  •>  [(rulistmi, 
3Ui),  «  le  cas(jue  du  prestifje  et  du  pouvoir  -  (Calcutta,  iili)  ; 
puis  les  objets  mobiliers  :  «  le  temps  remplit  la  coupe  de  la 
vie  •)  [Boiisfan,  357),  <«  la  chaîne  de  la  parole  est  tendue  sur 
l'explication  »  [Gu/isf.m,  1 1  I),  «  replier  (ou  étendre)  le  taj)is 
de  l'aireclion  (ou  du  désir)  »  [Gulistnn,  1 1,  246,  2o2),  «  dé- 
chirer le  voile  de  la  bonne  réputation  »  [Gulistan,  1).  <-  jeter 
sur  les  fautes  le  rideau  de  la  miséricorde  »  {lioust.in,  3)  ; 
enfin  les  métaphores  tirées  de  l'écriture  :  «  tire  le  trait  de 
plume  du  pardon  sur  ma  faute  »  [Gulisfnn,  101).  «  ouvrir  le 
livre  de  la  plainte  »  ilhid.,  293),  «  déployer  le  diplôme  du 
courroux  »  Jhust.in,  3). 

Inutile  de  multiplier  ces  citations,  déjà  trop  nombreuses, 
néanmoins  nécessaires  à  l'exanien  du  style  de  Saadi.  Mais 
ces  images  créent-elles,  iVvrai  dire,  l'idée,  ou  bien,  au  con- 
traire, sont-elles  créées  par  elle  ?  Il  semble  assez  difficile  de 
répondre.  Parmi  les  artistes  littéraires,  les  uns,  vrais  poètes, 
pensent  spontanément  eu  images  :  les  autres,  pensant  en 
idées,  expriment  d'abord  abstraitement  l'idée,  puis  la  tradui- 
sent en  images;  d'autres  enfin  sentent  l'idée,  mais  confuse, 
et  ne  la  réalisent  abstraitement  (|u  après  avoir  appilé  au 
préalable  l'image  à  leur  secours. 

Auquel  de  ces  groupes  se  rattacherait  Saadi  ?  Au  fond,  les 
écrivains  sont-ils  si  herméli(piemenl  séparés  les  uns  des 
autres,  au  point  de  vue  des  moyens  d'expression  ?  Certains 
même  n'emploieraienl-ils  pas  k  la  fois  les  trois  procédés  ? 
Toujours  est-il  que  le  premier  procédé,  celui  de  l'image 
spontanée,  semble  être  resté  inconnu  de  Saadi.  (]e  cjui 
revient  à  répéter  qu'il  n'est  pas  poète  à   proprement   parler, 

(l)(lf  pour  Ifs  t'checs  :  Gnlislan.    iO»,  oi  [iotisUtn.  T.»,  112  ;  pour  le  mail  : 
GalUtan,  11,  112,  el  Doustan,  148,  158,  tH9,  UU,  .12.1,  .145. 


350  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

mais  seulement  moraliste-poète  :  tantôt  concrétisant  en 
image,  afin  de  la  rendre  plus  sensible  pour  ses  lecteurs,  une 
idée  qu'il  a,  lui,  très  clairement  perçue;  lantôl  s'aidant  de 
l'image  pour  matérialiser  une  pensée  qui  surgittrop  pénible- 
ment des  réijions  obscures  de  son  âme. 

Car  l'image  apparaît  continuellement  chez  Saadi,  chaque 
fois  qu'il  désire,  soit  insister  sur  un  conseil  donné,  soit  pré- 
ciser une  abstraction.  Mais  encore  il  arrive  qu'une  de  ses 
historiettes  se  termine,  non  par  une  formule  morale  qui  la 
résume,  mais  par  une  simple  image  à  la  fois  concise  et  sai- 
sissante. Métaphores  nues  et  fortes,  confinant  au  symbole, 
peu  nombreuses  mais  d'autant  plus  remarquables,  et  qu'il 
convient,  suivant  le  mot  de  Saadi  (Boustan,  262),  «  d'écrire 
sur  la  paupière  ». 

Ainsi,  dépeignant  un  pressentiment  funeste  :  «  Je  ne  sais 
ce  que  peut  contenir  la  lettre  du  destin,  mais  j'ai  trouvé  du 
sang  sur  l'adresse  »  (Calcutta,  247)  ;  en  parlant  d'un  igno- 
rant qui  fait  taire  un  sage  :  «  C'est  une  pierre  qui  brise  une 
perle  »  (Gulistan,  328)  ou  bien  :  «  L'acre  senteur  de  l'ail 
étouffe  le  parfum  de  la  rose,  le  tambour  couvre  les  sons  de 
la  lyre  »  {Boustan,  492). 

Certains  de  ces  vers  possèdent  la  saveur  d'un  proverbe  : 
«  L'escarbot,  même  au  milieu  d'un  buisson  de  roses,  reste 
toujours  un  escarbot  >^  (Ihid.,  191)  ;  d'autres  de  même,  mais 
avec  une  pointe  d'humour  :  «  Il  est  préférable  que  le  mari 
d'une  femme  laide  soit  aveugle  »  {Gulistan,  151 ,  II,  47),  «  il 
faut  être  bien  maussade  pour  ne  remarquer  dans  le  paon  que 
la  laideur  de  ses  pattes  »  {Boustan,  308),  «  l'argent  ne  reste 
pas  dans  la  main  des  hommes  généreux,  ni  la  patience  dans 
le  cœur  d'un  amant,  ni  l'eau  dans  un  crible  »  {Gulistan,  49, 
1,13);  d'autres  enfin  sont  formés  d'antithèses  :  «  on  capture 
la  bête  féroce  par  des  chaînes  de  fer  et  l'homme  par  des 
bienfaits  »  [Boustan,  114),  "  Icvidede  l'estomac  vaut  mieux 
que  celui  de  l'âme  »  {Boustan,  26)  et,  symbole  de  l'envie  : 
«  La  lumière  du  soleil  paraîtméprisable  à  la  taupe  aveugle  » 
(Gulistan,  206,  IV,  1). 


LM   MOTBnS    D'P.XPRRflSIO^t  a5l 

Fnfin.  très  raremtMil.  Iti  pen<»^o  toute  nue,  presque  wn» 
image,  «ipparatl  bnisfiueineiit  chez  Saadi.  VA  l'on  pourrait 
recnoillir,  à  le  lire  allenlivonicnl.  un  choix  de  rélloxions  de 
ce  j^enre,  ayant  la  valeur  de  vérilabler*  niaxinics  :  .<  Lenjours 
succèdent  aux  jours  avant  iju'on  ne  lise  dans  le  c<rur  hu- 
main »)  {/inusf.m,  2ii.  <(  on  ne  récolle  que  ce  (jn'on  a  semé  »> 
[Ihid.,  52),  «  chacun  est  l'ouvrier  de  son  honneur  "  'Ihid., 
2811),  «  l'avidité  coud  l'trildu  sage  »  duUstnii,  192,  III,  2H), 
ft  la  parole  est  la  j)arure  de  l'àine  •)  i  /inust.in,  279).  «  le  cœur 
est  la  prison  du  secret  ■>  ^Ibid.,  'Il  . 

IJ.  —  Langue  el  /jrosndif. 

Une  étude  sur  la  langue  de  Saadi  ne  saurait  être  que  provi- 
soire, tant  que  Ion  ne  soumettra  j)as  le  texte  de  ses  œuvres 
h  une  sérieuse  révision  critique.  Au  reste,  celte  langue  ren- 
ferme assez  peu  de  particularités:  c'est  la  langue  classique 
dans  toute  sa  pureté  ;  el  si  le  littérateur  y  découvre  un  mo- 
dèle, le  linguiste,  en  revanche,  n'y  trouvera  pas  son  compte. 
Sans  doute.  le  dîwàn  contient  quelques  vers  dialectaux,  mais 
ce  n'est  là  qu'un  accident  et,  parmi  ces  vers,  le  poème  final 
des  Moulamma'àt,  étudié  par  MM.  E.-G.Bro\vne  el  CI.Huart, 
intéresse  surtout  par  les  mois  chiraziens  'si  tant  est  que  ce 
soit  là  du  chira/ieni  qu'il  renferme.  Inutile  d'insister  sur  ce 
point,  déjà  étudié  (I).  Outre  ces  poèmes,  on  rencontre  par- 
fois chez  Saadi  des  mots  dialectaux:  ainsi  le  <  slkl  -,  vin 
cuit,  très  capiteux,  fabriqué  à  Chiraz  (2). 

I)  autres  formes, appartenantà  la  langueliltéraire, semblent 
aujourd'hui  quelque  peu  vieillies.  Saadi  use  assez  fréquem- 
ment du  verbe  «chouden  »  au  sens  «  aller  »,pour  «  reflen  »(3) , 

(l!  Cf.  E.-G.  Browne,  Some  noies  on  ihe  poeiry  of  Iho  persian  diaircts, 
J.  H.  A.  S.,  oclobre  isO!».  p.  773  et  suiv.  ;  Cl.  Iluarl.  Lr  dinUctf  de  Chirdz 
dans  Sa'di  (11*  Conjjrô»  ties  orienlalislos,  Pari»,  1897.  .T  scclion,  p.  81  et 
suiv.).  A  noter  au  pass^pe  que  M.  E.-G.  Browne  »><l  amus<'  à  puraphra* 
ser  par  inAerlion  deux  rers  du  Gulistan  (LiUrnry  Hut«ry.  II,  p.  68,  69, 
ladmin). 

(2)  Botistan.  p.  287  el  M\.  n.  iO. 

(3)  Cf.    eo    revanche   «  chouden    »    au   sens   de  devenir  {Çéhib-Ndmeh, 


2  32  TROTSIEMK    PARTIE.    CHAPITRE    IV 

ainsi  :  «  bèchoudî  vèh  dil  bèboiirdî  veh  bèdest-i-gham  si- 
pourdî  »,  "  lu  es  partie,  emporlant  mon  cœur  et  me  livrant 
au  chagrin  ^  (Galculta,  323  r°)  ;  «  ber  bàm-i-asmân  natu- 
vàn  clioud  bènerdoubân  »,  «  sur  le  toit  du  ciel  on  ne  peut 
monter  avec  une  échelle  »  (Calcutta,  232  r").  Le  verbe 
(t  guèchten  v  se  rencontre  quelquefois  dans  le  même  sens; 
ainsi  «  âlami  guèciit  »,  «  il  a  parcouru  un  monde  »  (Calcutta, 
221  v°). 

La  troisième  personne  du  pluriel  est  parfois  allongée  d'un 
«  ya  »;  ainsi  (quatrain  144):  «  goften-i-dilistânech  chèni- 
dendî  »  (pour  «  chènidend  »),  «<  ils  entendaient  la  parole 
sortant  du  fond  de  son  cœur  »  (Noter  le  suffixe  «  stân  » 
appliqué  au  mot  «  dil  ».  «  cœur  »). 

Saadi  emploie  volontiers  l'optatif  en  '<  ad  »,  non  seulement 
avec  le  verbe  «  boudèn  »  ce  qui  est  courant,  mais  avec  d'au- 
tres verbes.  Ainsi  {Çâhib-Nâme h,  p.  180):  «  toflàn-i-tourâ 
pèdèr  bèmîrâd  »,  «  que  le  père  de  tes  enfants  meure  ». 

Quant  aux  particules,  la  forme  contractée  «  èr  »  pour 
«  éguer  »,  («  si  »)  figure  entre  autres  dans  cet  hémistiche  du 
Boustan  (1)  :  «  bègoflèr  bèdest  i-man  estî  mèhâr...»,"  il  dil  : 
si  les  rênes  sont  dans  ma  main  »  (Remarquer  la  forme  verbale 
allongée  '<  estî  »  pour  c  est  »).  On  trouve  quelques  exemples 
de  ((  pârsâl  »  abrégé  en  «  par  »  ;  ainsi  (Calcutta.  472  v°)  : 
«  tou  par  gourikhtî  tchoû  âhoû  »,  <(  l'an  dernier  tu  as 
fui  comme  une  gazelle  ».  Par  contre  «  bès  »  se  rencontre 
allongé  en  «  bèsâ  »:  «  bèsâ  roûzgâr  ^),  «  beaucoup  de 
temps  »  (2). 

Enfin  quelques  cas  de  «  bâchlâ  »,  '<  bientôt  »,  «  attends 
que  »  (Calcutta,  223  r°),  et  de  «  mèr  ».  par  exemple  (Cal- 
cutta, 249  r°)  :  "  Kemtérîn-i-dawlet  mèr  ichânrâ  bèved 
khould-  i-bèrîn   »,   «   le  moindre  bonheur  sera  pour    eux 

p.  156)  :  «  Si  celui  qui  esl   pauvre  devient   pui.<5sant  »  (on   kèh  meskîn    est 
èguer  qâdir  chè'wèd.  » 

(1)  Cité  Blochman,  Prosody  oj  the  Persians,  p.  13. 

(2)  De  même  que  «  badâ  »  pour  u  bad  ».  Cf.  le  vers  de  Kbakâni,  ibid., 
p.  11. 


LB8    M0YBM8    D'BXfHBSSION  a53 

I'<5lernilé  suprême  »,  ou  encore  (GulciiUa.  227  V):  «  mer  în 
yt'gànè-i-alil-izèmànèra  }à  rabh  bèkàtn-i-dawlet  i-doiiniâ  on 
dîii  moiiinalla'a  dàr  •-,  «  cet  ôUe  uiii<jue  eu  s  )ii  leinps,  o 
Sci^'iicdi*!  laisse-le  jouir,  à  son  gré,  du  pouvoir  spirituel 
et  temporel  »  {\). 

A  côté  de  ces  parlicularilës  grainm  dicales  qu'un  texte 
encore  trop  piMi  sûr  ne  permet  |)as  de  dénombrer,  les  parti- 
cularités de  langage,  les  «  persisines  »,  si  l'on  veut,  dont  on 
ne  pourra,  pour  la  même  raison,  citer  (jiie  (piehjneà  exem- 
ples. Ain>i  dans  la  \'"  liisloiro  du  CiiUstnn  (j).  2i),  cette 
expression  «  se  laver  les  mains  de  »,  à  la  fois  propre  aux 
langues  française  et  persane:  «<  Quiconque  se  lave  les  mains 
de  la  vie  dit  tout  ce  (ju'il  a  dans  le  cceur  .»  Une  idée  analo- 
gue est  exprimée  par  «  seconer  sa  manche  »,  autrenienl  dit 
«  renoncer  .i  »,  dans  ce  passage  [Gulisl.in,  2o(),  ^^  20)  : 
<'  Parce  que  tu  secoues  sur  moi  la  manche  en  signe  d'ennui, 
n'espère  pas  que  je  relire  ma  main  du  pan  de  ta  robe.  »  Le 
manteau,  d'autre  pari,  entre  dans  l'expression  «  tomber  sur 
le  manteau  »,  c'est-à-dire  <«  critiquer  »  [Gulistan,  335j.  Une 
autre  expression,  assez  fréquente  chez  Saadi.  c'est  <•  placer 
une  noix  sur  une  coupole  »,  ce  qui  signifie  :  «  agir  en  pnre 
perte  ->  ;  ainsi  [Guli\t;in,  33,  I,  4)  :  «  \'ouloir  donner  l'édu- 
cation à  un  homme  indigne,  c'est  prétendre  placer  des  noix 
sur  une  coupole  •.  ou  encore  [Boustan,  348)  :  «<  N  attache 
pas  ton  cœur  au  monde  :  une  noix  ne  peut  se  tenir  d'aplomb 
sur  une  coupole  »  (2). 

L'expression  «  à  coups  de  grosso  caisse  »,  pour  "  [)ubli- 
quement  »,  semble  une  de  ces  hyperboles  consacrées  par 
l'usage  populaire  :  ■<  Il  se  voyait  accuser  de  folie  à  coups 
de  grosse  caisse  »  (Boustan,  i6t).  Enfin,  les  sentiments 
mêmes  donnent  lieu  h  des  expressions  de  ce  genre  ^Bous- 
tan,  1%)  :  «  avoir  du  vinaigre  sur  le  front  »  (être  renfrogné) 
et  {GuUstan  275,  VI,  4)  «  rendre  noir  le  cœur  des  hom- 
me» •>  (les  attrister). 

(1)  Cf.  GuUslan  (Irad.  Sen>clel,  p.  157,  noie  224^. 

(2)  1/image  n'est  du  reste  pas  particulière  à  Saadi.  On  U  retrouve  cbex 
Mirkboad  et  d'autres.  Cf.  la  note  de  Dcfrémcry,  p.  33. 


254  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 


Quant  à  la  prosodie,  Saadi,  au  cours  de  son  dîwân,  a  uti- 
lisé tous  les  mètres  connus  de  son  temps.  La  poésie  persane, 
pleine  de  mois  anciens,  de  formes  désuètes  et  d'irrégularités 
métriques,  avait  été  réglementée  par  Nizâmi,  le  premier  des 
classiques,  surnommé  «  l'imâm  de  la  poésie  persane  »  (1). 
Saadi  trouvait  donc  un  instrument  auquel  il  n'avait  rien  à 
modifier.  C'est  de  son  époque,  toutefois,  que  date  l'habitude 
prise  par  les  poètes  d'introduire  leur  surnom  poétique 
(takhallouç)  dans  le  dernier  vers  de  leurs  ghazals  :  aupara- 
vant, ou  bien  ils  n'indiquaient  pas  leur  surnom,  ou  bien  ils 
l'inséraient  n'importe  où  dans  le  poème  (2). 

Les  divers  mètres  employés  dans  le  dîwân  ont  été  énumé- 
rés  par  Graf  (3).  Les  indiquer  ici  serait  donc  superflu.  Quel- 
ques observations  cmnplémenlaires  semblent  néanmoins 
nécessaires. 

Saadi  ne  respecte  pas  toujours  les  règles  de  la  prosodie  : 
il  agglomère  parfois  qacida  et  ghazal.  Ainsi,  les  deux  pre- 
miers vers  de  tel  poème  (Calcutta,  226  v°)  forment  à  la  fois 
la  fin  d'une  qacida  et  le  début  (mathla')  d'un  ghazal.  Telle 
autre  qacida  (Calcutta,  225  v°)  forme  une  trilogie  dont  les 
trois  parties  ne  sont  au  reste  pas  étroitement  liées  :  un 
exorde  didactique  suivi  d'un  ghazal  et  d'un  panégyrique. 
Telle  autre  encore  (Calcutta,  236  v°)  renferme  un  ghazal 
pour  ainsi  dire  inséré. 

Plusieurs  quatrains  de  Saadi  contiennent  la  même  rime 
pour  les  quatre  vers.  Quant  au  Gulistan^  il  ajoute  parfois, 
au  mélange  de  la  prose  et  des  vers,  de  la  prose  rimée  (notam- 
ment à  la  fin  de  la  préface)  (4). Enfin  le  Boustan  emploie  uni- 

(1)  Cf.  Blochman,  Prosody  oj  the  Persians, 

(2)  Ibid.,  p.  91. 

(3)  Articles  de  la  Z.  D.  M.  G.  Cf.  bibliographie. 

(4)  Sur  les  vers  du  Gulistan,  cf.  Browne  {Literary  Hislory,  If,  p.  2o).  Les 
mètres  de  chaque  groupe  de  vers  du  chapitre  I"  du  Gulistan  sont  indiqués 
dans  Blochman,  Prosody  oJ  the  Persians  (p.  99  et  100). 


LB8    MOYBN.S    d'bXPRKMIOM  a55 

forniémoul  le  mètre  épique  du  moulH(|arib,  composé  do  Irois 
baccliiijues  et  d'un  iauibo. 

Sa  idi,  uu  dépit  do  tout  sou  art,   u  évite  pas  toujours   lus 
chevilles  iju  il  dissimule  dordiuaire  sous  uue  redite  ou  uu 
pléonasuio.  Ainsi:  <«  La  nature  tend  l'arc  de   la   vie —    puis 
le  brise  avec  lu  main  «  (Calcutta,  2i7i  ;  «  dans  la  forôt,   le 
roseau  reste  sec.   ef  non  humide  •»  (Calcutta,   i^o)  ;  «  mon 
pr?re  te  servait  autrefois,  il  a  passé  sa  vie  à    te  servir  ;    moi, 
son  /iV.v....  ..  {ÇdhibXàmeh,   p.   75)  ;  -<   quand  la   bride   du 

bonheur  et  do  la  puissance  n'est  pas  dans  la  main  du  bon- 
heur •)  (I)  ;  «  tu  as  do  l'or,  du  pouvoir,  de  l'argent,  du  prolil. 
du  capital  »  (2). 

Saadi,  comme  tous  les  poètes,  recourt  à  cerlaines  licen- 
ces. Parfois,  il  n'hésite  pas  à  déformer  même  nu  nom  pro- 
pre, afin  de  satisfaire  la  rime  :  Sanaàii  pour  Sanaâ  [<i}.  il 
lui  arrive  de  suj)priiner  —  et  en  cela  il  n'est  pas  seul  —  un 
mot  du  vers,  si  le  mètre  le  réclame  ;  ainsi  (ialcutta,  -487  v";  : 
«  Khàri  /.è  goulistàn-i-toù  bàchem  chèved  »  pour  «  Ichèh 
clièved  »  (  <  qu'importe  que  je  sois  une  épine  de  la  roseraie  »). 
Knfiii.  pour  faire  son  vers,  il  glisse  (juehpiefois  un  mol 
arabe  isolé  au  milieu  des  mois  persans  :  *  Kèh  fourrai  azîze^t 
wa'  iwar/tou  dhaïf  »  (  «  car  l'occasion  est  précieuse  et  le 
temps  un  convive  »  i.  Le  mol  arabe  intervient  même  pour  la 
rime,  témoin  ce  vers  d'un  poème  monorime  en  «  ya  »  i  Cal- 
cutta. :3iG  v'')  :  «  loii  bè  àfelàb  mànî  bè  kèmàl-i-housn  ou 
thaiaal  —  kèhnazar  nèmi  tuNàued  kè  bèbinèdel  /iamâ  hi  » 
(pour  «  hiya  »)  (4),  «»  lu  ressembles  au  soleil,  par  la  perfec- 
tion de  Li  beauté  et  de  ton  élévation;  car  aucun  regard  no 
peut  te  contempler  tout  comme  lui  ». 

Ce  ne  sont  là  que  iiDlalion^  fiagmenlaires.   sans   méthode 


(1)  Tcboû  zimàm-i-bakht  oudawlal  nèli  bède«t-ibtkhl  bÀched  (Calcutta. 
414). 

(2)  Tou  zcr  dèrl  ou  »er  dAri  ou  «Im  ou  sùud  ou  termàyèb  (Calcutta,  iOO). 

(3)  Bonttan,  p.  87,  n.  27. 

(4)  «t  lliya  •>   nu   féminin,   \   cause  de   «  Afet&b  »,   équiralenl  de    l'arabe 
<  cbams  ». 


u56  TROISIÈME    PARTIE.    —    CHAPITRE    IV 

préalable  :  une  enquête  minutieuse  sur  la  langue  et  la  pro- 
sodie d'un   auteur  n'est   possible   que   d'après   une  édition 
critique,  et,  d'ailleurs,  une  telle  étude  dépasserait  les  limites 
du  présent  travail.  Certes,  les  poètes  orientaux,  emprisonnés 
dans  leur  art  poétique  qui  les  contraint  à  des  règles  incom- 
modes et  leur  interdit  les  vasles  développemenls  lyriques, ne 
sauraient  satisfaire  pleinement  les  lecteurs  européens,   inca- 
pables d'oublier  un  instant  les  grands  poètes  de  l'Occident. 
Mais,  à  les  lire  sans  parti-pris,  on  y  découvre  inévitable- 
ment des  beautés  qui  leur  sont  propres.  Sans  doute, les  poètes 
persans  ont  trop  de  subtilité,  leur  sentiment  delà  nature  est 
affecté,  leurs  expressions  paraissent  artificielles.  Ils' n'en  re- 
présentent pas  moins  une  phase  du  génie  humain, et, à  ce  litre, 
méritent  l'attention  de  tous  ceux  qui  se  proposent  de  révéler 
l'homme  à  lui-même.  Lorsque  des  monographies  méthodi- 
ques auront  été  consacrées  aux  idées  et  à  l'art  des  principaux 
écrivains  de  l'Orient,  on  pourra  songer  enfin  à  dégager,  tout 
au  moins  en  ses  grandes  lignes,  l'esthétique  de  la  littérature 
musulmane. 


CONCLUSION 


Tt'l  apparaîl  Saadi,  successivemenl  considért'  dans  fton 
œuvre  de  penseur  el  de  poète.  Mais,  si  1  on  entrevoit  à  pré- 
sent ce  que  furent  son  existence  et  ses  écrits.  I  lumnie 
même,  son  aspect  el  son  caractère,  restent  ce|ten(lant  im- 
précis. Ksl-il  donc  possible  d'esquisser  une  effigie  du  poète? 
Tenail-il  particulièrement  à  certaines  idées  qu'il  exprime  à 
peine  par  ailleuis?  Comment  se  dispen.'-er  enfin  d'indiquer, 
si  approximativement  que  ce  soit,  la  place  qu'il  occupe  dans 
l'évolution  de  la  littérature? 

De  son  physique  il  a  naturellement  peu  parlé,  se  bornant 
àen  signaler  la  caractéristique  qui  fut,  semble-t-il,  la  mai- 
greur. >«  Celui  que  les  étrangers  nourrissent  a  voulu  m  inju- 
rier :  il  m'a  reproché  ma  maigreur  »,  écrit-il  dans  le  Çàhih- 
Nâmeh  (p.  81  ).  VA  ailleurs  (Calcutta,  378)  :  «  Tu  dirais  que 
le  faible  corps  de  Saadi  est  une  peinture...  ».  C  est  tout,  si 
l'on  ajoute  qu'une  miniature  de  manuscrit  (reproduite  dans 
Garcin  de  Tassy,  Sriadi  auteur  des  premières  poésies  hin- 
dous(anies\  le  présente  comme  un  petit  vieillard  barbu, 
accroupi  et  la  tête  penchée  en  avant,  sans  doute  d'après  la 
préface  du  Boustan  :  «  Je  tiens  humblement  ma  tête  courbée 
sur  ma  poitrine.  >»  Une  historiette  du  liou.stai)  p.  188,  en 
laquelle  le  poète  aurait,  suivant  le  commentateur  turc  Soudi^ 
rapporté  l'une  de  ses  aventures,  autorise  d'autie  part  à  su[>- 
poser  qu'il  ne  payait  pas  de  mine  et  qu'il  n'attachait  aucune 
importance  ii  la  parure  extérieure. 

Quant  à  In  parure  intérieure,  était-il  savant'.'  Ilcnime  de 
sens,  cela  ^enlble  aciuellemeni  démontré.  Kn  revanche,  ses 
connaissances   scientifiques   paraissent   peu    étendues.   Les 

M      -  17 


a  58  CONCLUSION 

anciens  orientalistes,  entre  autres  Kaempfer,  qui  visita  Chi- 
raz  en  1686.  lui  attribuent,  outre  des  voyages  démesurés,  la 
possession  de  toutes  les  langues  de  1  Orient,  et  môme  du 
latin.  Il  aurait,  à  entendre  le  même  Kaempfer  (I),  lu  et  mé- 
dité Sénè(jue  dans  le  texte  !  Kn  fait,  il  semble  avoir  préféré 
à  la  science  livresque  la  lecture  du  grand  livre  du  monde  : 
«  Ce  n'est  pas  parce  que  tu  auras  étudié  les  commentaires 
du  Coran  et  la  jurisprudence  que  tu  iras  en  paradis  »  déclare- 
t-il  dans  son  poème  trilingue  (2).  Et  Ton  peut  lui  appliquer 
à  lui-même  ce  qu'il  dit  au  sujet  d'un  personnage  du  Bous- 
tan  (p.  23)  :  ((  Le  spectacle  du  monde  avait  accru  son 
savoir,  les  voyages  lui  avaient  donné  l'expérience  delà  vie. 

Bien  qu'il  semble  avoir  épousé  les  idées  de  son  temps  sur 
la  transmutation  de  la  matière  (3),  on  sail  qu'il  n'accordait 
guère  confiance  à  la  médecine,  en  cela  fidèle  à  la  doctrine  du 
fatalisme  :  «  Lorsque  l'équilibre  de  la  santé  a  été  ébranlé, 
ni  incantation  ni  traitement  ne  produit  d'effet  ^  [Gulistan^ 
261,  VI,  2j.  Eu  revanche,  l'art  avait  tout  son  amour,  non 
seulement  l'art  littéraire,  mais  Tari  musical,  que  ce  fût 
musique  vocale  ou  instrumentale.  Dans  le  Gulisian,  il  prend 
plaisir  à  rappeler  la  sympathie  qu'il  avait  éprouvée  dans  sa 
jeunesse  pour  un  jeune  homme  «  parce  qu'il  était  doué  d'un 
gosier  très  mélodieux  »  (p.  230,  V,  10).  Il  affirme  d'autre 
part  qu'  u  une  voix  agréable  vaut  mieux  qu'une  belle 
figure,  parce  que  celle-ci  est  le  plaisir  des  sens  et  cette 
autre  l'aliment  de  l'âme  »  [Gulistan,  189,  IM,  28). 

Il  aimait  peu  les  femmes,  semble-t-il,  ne  pouvant  oublier 
ses  mariages  peu  favorisés  du  sort,  u  Ferme  la  porte  de  la 
joie  »,  dit-il  dans  le  Gulistan  (p.  330),  a  sur  une  maison  d'où 
la  voix  d'une  femme  sort  retentissante  ».  Barbier  de  Mey- 
nard(J.  A.,  1858,  p.  600)  a  prononcé  sur  l'ensemble  de  sa  vie 

(1)  Cité  par  Ross  (trad.  du  Gulistan,  introd.,  p.  20)  et  par  Eastwick  (/cf., 
p.  XI). 

(2)  Trad.  Cl     Huait,  vers  12, 

(3)  Gulistan,   p.   .3.30  :   «   Une  pierre  deviendra  en  beaucoup  d'année*  un 
morceau  de  rubis.  » 


CONCLUSION  a59 

Hinonreiise  im  jll^elne^l  clairet  juste,  [in  fait  Saadi  considé- 
r;nl  le  mariage  heureux  comme  une  cause  de  tranquillité 
d'esprit  (Cf.  (luh's/.in,  2iM>,  ^  III.  IH).  mais  eu  même  temps 
comme  la  perte  à  peu  j)rès  totale  de  cette  indépendance  si 
précieuse  [Ihid.,  p.  .'^38  . 

I.e  fond  de  son  caraolère  personnel  est  une  honnêteté  en- 
jouée. (h\  .'I  vu  que  son  sérieux  n'excluait  pas  la  plaisanterie. 
Mais,  sui'  certains  points,  il  ne  transigeait  pas  ;  le  mensonge 
lui  faisiiil  horreur  :  «  l'iotérei'  un  mensonge  ressemble  à  un 
coup  dont  la  blessure  dure  longtemps.  Si  celle-ci  est  enfin 
guérie,  la  cicatrice  demeurera  »  [Gulistnn,  3il).  Kl  par  suite 
l'hypocrisie  :  «  Lu  homme  généreux  et  libertin.  .  vaut  mieux 
qu'un  dévot  (jui  observera  le  jeune,  ne  jouira  pas  de  ses  ri- 
chesses et  les  accumulera  »  [GulistHn,  331  ).  Il  délestait  la 
vanité,  car  —  morale  tout  évangélique  —  >.  le  pécheur  plein 
de  la  crainte  de  Dieu  l'emporte  sur  le  juste  qui  fait  parade  de 
sa  dévotion  »  '/?f)//57/in,  188). Mais  ce  qu'il  mettait  auplus  bas 
des  vices  semble  la  médisance  :  aux  médisants  «  qui  sèment 
le  déshonneur  sôus  en  lirei  le  moindre  prolil  ■  ,  il  préférait 
lesvoleurs  mêmes  <(  qui  déploient,  dans  le  combat  de  la  vie, 
une  énergie  pleine  d'audace  »  (1).  Knfin.  il  ignora  toujours 
le  sentiment  de  1  euNie,  déiendanl  vigoureusement  les  riches 
et  les  puissants  de  son  temps  contre  leurs  détracteurs  (2). 

A  vr;ii  dire,  ce  maïupie  complet  d'envie  provenait  du  sen- 
liinent  de  sa  >upéi'iorité.  Son  œuvre  est  pleine  de  passages  où. 
tel  Horace  ou  Malheibe.  il  crie  lui  aussi  son  ««  Kxegi  monu- 
ment uni  »...  «»  (Chacun  vit  pour  son  temps  ;  moi,  Saadi,  pour 
Jélernilé  ...  n'hésite  t-il  pas  àéci'ire  (Calcutta.  398  v').  VA 
ailleurs  ilhid.,  2t9)  :  <■  Tous  prononcent  des  paroles,  mais 
celles  de  Saadi  sont  tout  autres.  >-  Le  dhvàn  (  par  exemple  Cal- 
cutta, 323  i\  332  x"),  \^nouslau  ipp.  30.  09,  12i,  191,210. 
212.  217,  220,  248,  280,  287)  abondent  en  passages  de  ce 
genre.  Mais  il  est  juste  d'ajouter  que  cette  fierté,  somme 
toute  assez  légitime,  et,  en  outre,  générale  chez  les  écrivains 

{\)  Bouslan,  p.  288,  el  cf.  Ibid.,  202  el  IQ.i. 
(2)  GulUtan,  p.  293  el  suit. 


a6o 


CONCLUSION 


persans  (l),Saadi  l'associe,  implicitement  ou  non,  à  son 
humilité  envers  le  dieu  auquel  il  doit  tout  :  «  0  Saadi,  tu 
as  conquis    la   terre  avec  le  sabre  de  l'éloquence.  Sois-en 
reconnaissant,  car  ce  n'est  là  qu'une  grâce  céleste.  »  Aux 
passages   de  fierté  répondent  dans  le  Boastan  des  expres- 
sions de   modestie   touchante  (par  exemple,  p.  336,  376). 
C'est  que,   sans  atteindre  aux    délices  de  l'extase   mysti- 
que, il  n'en  est  pas  moins  profondément  pieux  :  bien  que 
persan,  il  naquit  très  probablement  sunnite  (2).  Son  Dieu 
n'est  autre  que  celui-là  même  qui  se  révèle  dans  le  Coran  (3), 
et  en  dehors  duquel  il   n'est  point  de   parfaite  orthodoxie  : 
«  Celui  dont  tu  ne  te  délivres  pas  avec  le  Coran  et  la  tradi- 
tion, la  réponse  à  lui  faire,  c'est  de  ne  pas  lui  en  faire  »  [Gu- 
lislan,  207,  IV,  4).   La  meilleure  preuve  de  cette  orthodoxie 
est  précisément  l'animosité  que  le  poète,  pourtant  si  éloigné 
de  tout  fanatisme, témoigne  à  tous  les  non-musulmans. Ainsi, 
dans  le  Gulistan  (207,  IV,  4),  il  parle  avec  mépris  d'un  Is- 
maïlien qui  ne  respecte  ni  le  Coran  ni  la  tradition.  Mais,  plus 
encore  que  les  ismaïliens,    il   attaque  à  toute   occasion   les 
chrétiens  (auxquels  il  ne  pouvait  sans  doute  pardonner  sa 
mésaventure  d'Alep),  les  Parsis  et  surtout  les  juifs. 

Il  est  entendu  qu'  «  à  ne  voir  que  les  dehors,  infidèles  et 
musulmans  se  valent  »  [Boustan,  321).  Mais  si  l'on  sonde 
les  consciences  !  Que  penser  de  «  l'odieuse  croyance  des  ma- 
ges »  [Ihid.,  102)?  Remerciez  Dieu  de  n'être  pas  né  dans  cette 
erreur  et  de  n'avoir  pas  ceint  vos  reins  de  leur  ceinture 
[Ibid.,  327).  Quant  aux  chrétiens,  comment  leur  pardonner 
leur  foi  en  la  trinité  ?  «  Dieu  qui  n"a  ni  associé,  ni  compa- 
gnons, vois  ce  que  disent  de  lui  les  chrétiens  !  >»  {Boustan, 

(1)  Certains  auteurs  jouent  la  modestie  en  intitulant  leur  ouvrage 
«  mo'izjah  »  =  chose  de  peu  de  valeur  (Cf.  Rieu,  Catal.  oj  Persian  mss . 
British  Atus.,  p.  213). 

(2)  Cf.  Bouslan,  p.  231,  n.  40;  Bâcher  {Aphorismen),  introd.,  p.  54  et  53, 
n.  6  ;  Grandrbs.  t.  II,  p.  16.3,  n.  2.  Par  contre,  certains  auteurs  persans 
veulent  Je  faire  chiite,  notamment  Nour  Allah  ibn  Chérif  Ghouslari  (cité 
par  B.  de  Meynard,  J.  A.,  1838,  XII,  603). 

(3)  Cf.  Coran,  XI,  H,  9   ;  XXIII,  12  et  surtout  XXII,  5. 


coNCLUsio:"»  261 

307).  Du  resie,  ft  ses  yenx,  rlirtHiens  et  juifs  se  valcnl  oti  k 
peu  près,  et  leurs  divisions  niêines  servent  l'islam  :  «  Que 
l'inimilit''  enlre  juif  et  chrétien  Hure  toujours,  car  leur  mort, 
d'un  côté  comme  de  I  aulie,  esl  |  oui  nous  une  bénédic- 
tion »  i Çâhilj-A(înie/i,  Hl\).Ui^cmh\e  mellre  toutefois  le  juif 
au-de>sous  du  clirélien  (I).  Quant  aux  juifs  en  particu- 
lier, ils  u'obliennenl  aucune  indulgence  (2s 

Kl  pourtant,  il  prêche  par  ailleurs  la  modération  el  la  to- 
lérance. «  Hésignation  et  douceur  »>,  ainsi  qu'il  le  dit  lui- 
même  ( /M //.s7/>^j,  331),  voilà  bien,  jointes  ù  une  honnêteté 
foncière,  les  caractéristiques  de  son  âme  Comment  1  inimitié 
peut-elle  donc  trouver  place  dans  le  cœur  d'un  homme  qui 
écrit  [lioustnn,  43)  :  «  l^ien  n'est  doux  en  ce  monde  que  de 
faire  le  bonheur  de  ses  amis  »  ? 

C'est  que  la  passion  religieuse  reste,  malgré  tout,  la  maî- 
tresse de  I  âme  humaine,  chez  ceux-là  mêmes  qui  sont  en 
apparence  les  plus  dégagés  de  toute  foi.  On  se  croit  indilTé- 
renl  aux  dogmes  et  voilà  qu'au  moindre  incident  celte  ré- 
gion mystérieuse  de  l'àme  s'émeut  el  tressaille  j)ar  l'elfet  d'on 
ne  sait  quelle  obscure  survivance.  A  plus  forte  raison  au  trei- 
zième siècle, en  celle  Asie  où  la  guerre  brassait  à  la  fois  chré- 
tiens d'Orient  el  d'Occident,  musulmans,  juifs,  bouddhistes 
et  païens.  Puis  Saadi  n'avail-il  pas  trouvé  en  maint  endroit 
de  son  Coran  des  raisons  de  haïr  ceux  qui  ne  part;igaient  pas 
sa  croyance  (3)  ?  Il  se  conformait  à  sa  loi  religieuse  et  cette 

(I)  «  Si  IVau  du  puiis  du  chrétien  est  impure,  j'y  laverai  un  juif  mort, 
c'est  sans  importance  »  {Gulitian,  i77,  III,  21).  Se  retrouve  parmi  les 
vers  isolés  (MoufradAt,  n»  7,  p.  404,  éd.  Calcutta).  Cité  Hanimer,  SchOne 
Hedekunsl,  p.  216. 

C-'j  «  Quand  bien  même  le  juif  allacherail  son  seuil  d'arpent  avec  des 
clous  d'or,  ne  pense  pas  qu'il  dcvi^rne  noble  »  (GuUstan,  18»,  III.  20). 
C'.  Ibid.,  2H,  VI,  9.  Dans  une  qacida  peisane  (Calcutta.  219),  il  oppose 
l'impureté  dea  juifs  è  la  pureté  de  Marie,  mère  de  Jésus  (allusion  probable 
au   Coran,  IV,  155). 

(3)  Cf.  «:orai..  111.  -27  et  114.  Cf.  en  outre:  IX,  28,  30.  114  lidolàlre»)  ; 
IX,  30.  31  ;  V.  8r>  (Chrétiei.s  el  Juif»)  ;  V.  6'.»;  VII.  108;  LXII.  6;  V,  45-47 
'Juifs).  Le*  citations  du  Coran  sont  d'autre  part  assez  nombreuses  dans  le 
GuUstan  et  le  Houston.  Defrëmery  el  B.  de  Mevnard  les  ont  relevées  dans 
leurs  Dotes. 


a6a 


CONCLUSION 


intolérance  partielle  ne  doit  pas  faire  oublier  la  largeur  des 
idées  qui  circulent  dans  le  reste  de  son  œuvre. 


Cette  œuvre,  comment  la  situer  dans  Thistoire  de  la  litté- 
rature persane  ?  Saadi,  tout  discursif  qu'il  soit,  n'en  doit 
pas  moins  prendre  place  parmi  les  moralistes  musulmans. 
Outre  les  traités  de  politique,  une  importante  littérature 
d'  «  Akhiâq  »  («  Morale  en  action  »  ou  plutôt  <*  traités  de 
civilité  puérile  et  honnête  »)  s'était  développée  en  Perse.  Les 
moralistes  persans,  plus  nombreux  que  les  moralistes  arabes, 
écrivirent  en  persan,  laissant  l'arabe  aux  œuvres  de  science 
pure  :  les  uns,  basant  leur  éthique  sur  la  tradition,  se  con- 
tentèrent de  recueillir  les  paroles  du  prophète  et  des  autori- 
tés ecclésiastiques  :  les  autres, plus  philosophes,  prirent  pour 
point  de  départ  l'Ethique  à  Nicomaque.  En  Perse,  Nacir  ed 
Din  de  Tous  créa  véritablement  ce  genre  qui  devait  connaître 
une  réelle  fortune  (\). 

Mais  ce  sont  là  traités  dogmatiques  :  à  vrai  dire,  Saadi 
reste  le  premier  à  traiter  la  morale  sur  le  mode  poétique,  si 
l'on  met  de  côté  l'ennuyeux  poème  moral  de  Sanaï  (Hadiqat 
el  haqiqa)  (2).  Son  art  révèle  à  l'Orient,  non  plus  une  morale 
sentencieuse  et  dogmatique,  mais  un  enseignement  aimable 
et  enjoué.  Il  est  de  grands  poètes  moralistes  arabes,  Abou'l 
Atayah,  Abou'l  Ala'l  Maarri  :  comparés  à  Saadi,  ils  parais- 
sent lourds  et  contraints. 

Le  bon  sens  et  l'esprit   de  Saadi,  son  style  simple    et  vif, 
devaient  au  reste  faire  école.  Certes,  il  compte  moins  d'imi- 
tateurs que  Attar  ou  Jalal  ed  Din  Roumi   dont  les  épopées 
mystiques  engendrèrent  une  série  de   poèmes  allant  parfois 
jusqu'à  la  divagation.  Mais,  du  Gulistan  surtout,  naquirent 

(l)  Sur  ce  genre  littéraire,  cf.  Grandriss,  II,  346,  349  et  351  ;  J.  A.,  1866, 
VII,  523  et  surtout  l'art,  de  Sprenger,  Z.  D.  M.  G.,  XIII,  539  ;  EncycU 
Islam,  art.  Akhiâk. 

(2j  Cf.  Browne,  Literary  Hisfûry,  II,  3i9. 


CONCLUSION 


a6.'^ 


plusieurs  cjeiivresmêlëes  de  proî4o  cl  do  verrt,  elqui  coinplenl 
parmi  les  meilleures  :  an  quinzième  siècle,  Jami  Ini  Honnail  nn 
pendant  avec  son  H.ihârist.in,  <  livre  classique  en  Orient  et 
qui  ne  le  cède  en  popularité  (ju'au  fhilistan  »  {\)  \  en  1016  (II. 
1025)Moulla  Tar/i  dédiait  i\  l'empereur. laliangir  son  Maadun 
el  jawAhir  (mine  de  joyaux), recueil  d'anecdotes  morales  dans 
le  style  du  (jii/isfnn  CJi;  en  H'»")"^  (II.  ini)."^),  Mohammnd 
Cliaril"  Kàcliil  iiuilail  dans  son  Kh.izân  nu  /^vA,ir(auloiunf  i-l 
printemps)  le  Gulisfan  dont  il  s'était  déjà  inspiré  pour  une 
œuvre  de  jeunesse  :  le  5/r^/t7moun/r  (lampe  lumineuse)  (3). 
D'autres  ouvrages  plus  tardifs  imitèrent  eux  aussi  le  Gu- 
iist.in  :  le  yii/Hrist.in  de  Mouini  i),  le  S.inihà/istan  de 
Harj^'opal  Mounclii,  le  Goulchdn-i-râz  de  Mahmoud  Chabis- 
lari  ;  en  18n7.  Ahmad  (]liiràzi  Waqâr  composait  à  Téhéran 
Y Anjoumân-i-dAnich  Vers  la  même  époque,  (Jaàni,  que 
d'aucuns  nommaient  le  «  second  Haliz  »  et  préféraient  à 
Saadi  (."il,  conlinuail  la  tradition  par  son  P.irichân   6). 

Quant  au  boustan,  moins  imité,  Nizari  de  Koiihistau  lui 
donnait,  dès  avant  1320  (H.  720),  année  de  sa  mort,  un  pen- 
dant avec  le  Dastournameh  (Livre  des  refiles  de  vie)  i7). 
D  autres,  dont  les  œuvres  n'ont  pas  survécu,  se  faisaient 
honneur  d'imiter  Saadi  et  même  de  le  plagier  ;  tels  Iloumàm 
deTébriz(8)et  Khàdjeh  Hasan,auleur  de  ce  distique  :«  Hasan 
a  cueilli  une  rose  dans  le  jardin  de  Saadi, dans  ce  jardin  (pie 
moissonnent  les  disciples  de  l'idéal  »  (9). 

La  parodie  même  ne  man(pia  pas  à  la  célébrité  de  Saadi  : 

(1)  J.  MohI  i^J.  A.,  1848,  XII.  p.  130).  Cf.  sur  cel  ourraife  lail.  de  Gran- 
perei  de  Lajçranpp  (J.  A.,  ^82.^.  VI,  |i.  257  el  suiv.)  el  D:r  FrtiliUngsj  ir- 
ten...  ûbertragen  von  ScliUchta-Wssehrd  (Vienae,  1847). 

(2)  Cf.  GrundrUs,  II.  :^3.1. 

(3)  Id..  H,  3.30. 

(4)  Cf.  Dawtalchnh.  Tnzkarnh    VA.  Rmwno;.  p.   340. 

(5)  Z.  D.  M.  G.,  18:;S,  IX.   271. 

(6)  Sur  les  iiuilaleurii  Je  Sandi,  cf.  Grnndriss,  II,  296-297. 

(7)  Cf.  Elhé.  Die  mysliche. .  .  Phesie  der  Perter,  p.  37 . 

(8)  Cf.  Grnndrui,  11.  297. 

(9'  Cilé  Barbier  de  Meynard,  Lo  pohie  en  Perse,  p.  T».*.  I.i»  pc^le  QAsim 
i-ÀDwàr  (-j-  1433,837;  composa  un  abrégé  du  Hoiitlan    Grandria,  II.  295). 


204  CONCLUSION 

Jamal  ed  Din  (ou  Fakhr  ed  Din)  Alimad  Aboii  Ishâq,  sur- 
nommé Bouchàq,  sorte  de  Berchoux  persan,  dans  son  Tré- 
sor de  Vappélit  (Kanz  el  ichtiha),  imila  plaisamment  la  ma- 
nière du  maître  de  Chiraz,  dans  une  série  de  ghazals  el  de 
(|uatrains  [  I  ). 

Au  reste,  la  célébrité  de  Saadi,  née  de  son  vivant  même, 
n'avait  fail  que  croître  après  sa  mort.  Une  légende  ne  tar- 
dait pas  à  s'organiser  autour  de  son  nom  :  ses  biographes 
Jàmi  et  Khondémir  rapportent  par  exemple,  très  sérieuse- 
ment, que  le  prophète  Elie  (Khidr)  avait  humecté  les  lèvres 
du  poète  avec  l'eau  d'une  source  miraculeuse.  Dawlatchah 
raconte  qu'un  des  rivaux  de  Saadi  vit  en  rêve  les  hôtes  du 
Paradis  chanter  des  vers  du  Gulisfan;  le  même  auteur  affirme 
que  Saadi,  sur  la  fin  de  sa  vie,  aurait  provoqué  des  mira- 
cles :  à  la  porte  de  son  ermitage,  il  suspendait  dans  un  panier 
les  restes  de  son  repas,  destinés  aux  bûcherons  qui  passaient  ; 
un  jour,  un  voleur  déguisé  en  bûcheron  tenta  de  profiler  de 
ces  mets  et,  incontinent,  sa  main  tendue  vers  le  panier  se  se- 
rait desséchée.  Enfin  le  voyageur  Ouseley  (2),  mentionnant 
les  poissons  du  bassin  que  les  admirateurs  de  Saadi  lui 
avaient  consacrés,  rappelle  que,  suivant  la  croyance  popu- 
laire, on  ne  peut  en  prendre  sans  mourir  aussitôt  (3). 

Tous  ces  récits  reflètent  la  tendance  au  merveilleux,  innée 
chez  les  Persans.  Mais  en  Europe,  la  renommée  de  Saadi, 
toute  restreinte  qu'elle  fût,  s'établit  sur  des  bases  plus  soli- 
des. Il  est,  suivant  la  juste  remarque  de  Garcin  de  Tassy  (4), 
«  le  seul  des  écrivains  persans  qui  ait  acquis  en  Europe  de 
la  popularité  ».  La  France  eut  l'honneur  de  révéler  le  Gulis- 

(1)  Notamment  une  mounâzarah  (dispute  entre  le  pain  et  un  bon  gâteau). 
Cf.  sur  Bouchâq  :  Grundriss,  II,  304  ;  E.-G.  Biowne,  Notes  on  the  poetry 
of  the  Persian  dialects  (J.  R.  A.  S.,  1895.  p.  787);  Cl.  Huait,  Le  Ghazel 
heptaglotle  (J.  A..  1914,  IV,  p.  629  el  suiv.).  Cf.  en  outre  le  compte  rendu 
du  J.  A..  1886  (l.  VIII),  p.  166  et  fuiv.  (nolamnu ni  p,  177  au  sujet  de 
l'imitation  du  Gulistan). 

(2)  Travels  (London,  1821),  II,  p.  9. 

(3)  Cf.  un  autre  fait  dans  J.  A.,  1858,  XII,  p.  602 

(4)  Lilt.  Hindoustanie  (2«  éd.),  II,  205,  n.  1. 


rO?<CLU8IO!1 


2ft5 


tnn  an  inonde  occidental,  par  la  Iradiiction,  incomplète,  il 
est  vrai,  d'André  du  Hyer  ^  Itiiii).  L'Allemagne  suivit  avec 
les  tiadiicliousde  Ocliseiibach  et  dOlcarius  (ieulius  publiait 
à  Amsleidaiu  le  texte  persan  accompagne  d'une  liaduclion 
latine  ;  en  même  temps  paraissait  la  traduction  hollandaise 
de  J.  \.  Duisberg  (1).  Au  dix-huitième  siècle,  traductions  et 
(ce  qui  prouve  la  vogue  do  l'ouvrage^  adaptations  se  miilli- 
plièreut.  Quant  au  fiou.sf.in,  il  devait  attendre  juscju'aii  dix- 
neuvième  siècle  une  traduction  digne  de  lui. 

lui  Orient.  Saadi  éliiil  aussi  populaire  en  Turquie  (juen 
Perse.  Ouseley,  qui  visita  (Jhiraz  vers  181  I,  déclare  que  les 
copies  des  «euvres  de  Saadi,  surnommé  ><  le  cheikh  »  par 
excellence,  y  abondent  (2).  Malcolm  (3)  note,  lui  aussi,  cette 
popidarité.  El,  d'après  Toderini  (4),  «  parmi  les  auteurs  per- 
sans, rien  de  si  célèbre  chez  les  Turcs  que  le  poète  Saadi. 

Dès  le  début  du  dix-neuvième  siècle.  les  littérateurs  se 
partagent  avec  les  érudils  le  culte  du  poète  :  (ioelhe  l'uUlise 
pour  son  Divan  oriental  et  occidental  (1819)  ;  Hiickert 
l'adapte  en  vers  allemands.  Mais,  avant  eux, en  France,  Saint- 
Lambert,  dès  le  dix-huitième  siècle,  ajoutait  à  son  poème  : 
«  Les  Saisons.)  des« Contes, pièces  fugitives, traduits  des  fables 
orientales  de  Saadi  »  \lh  ;  en  réalité  il  s'était  inspiré  d'une 
traduction  (Gandin  ou  d'Alègre)  pour  faire  de  !'««  imitation 
originale  '..  Diderot  consacrait  un  article  an  Gulis/an  ;  Vol- 
taire, aiupiel  il  devait  plaire  par  ses  idées  de  tolérance,  a  lu 
Saadi  ;  Mme  Roland  le  cite.  Kntiu  les  romantiques  l'adoptent 
de  bonne  heure,  car  son  nom  ligure  déjà  dans  les  Orienta- 
les (6).  D'autre  part,  éditions  et  traductions  se  succèdent 
dans  les  principaux  pays  d'iùirope. 

Celle  popularité  ne  s'expli(jue  que  par  une  sorte  d'aninité 


(1)  Sur  ces  ouvrages,  cf.  Bibliographie. 

(2)  Ouseloy.  Trnvels,  II.  p     10.  n.,  el  p.   «94. 

(3)  Histoire  de  la  Perte,  IV.  p.  32.n. 

(4)  Todérini,  Litt.  des  Turcs.  I.  86. 

(5)  (If.  P.  .Mariino,  L'Orient  dans  la  littérature  Jrançaise.  p.  Cfil,  n.  1 

(6)  Pour  toul  ce  qui  précèle,  cf.  Bibliographie. 


566  CONCLUSION 

avec  le  gënie  occidental,  affinité  créée  sans  doute  principa- 
lement par  le  style  élégant  et  sobre  de  Saadi.  A  la  lecture 
des  plus  grands  poètes  de  la  Perse,  on  perçoit,  malgré  tout 
leur  génie,  une  pensée  étrangère.  Chez  Saadi,  même  à  tra- 
vers une  traduction,  la  contrainte  disparaît  ;  cette  alliance 
continue  et  mesurée  de  la  raison  et  de  l'imagination,  cette 
philosophie  du  bon  sens,  cette  morale  toute  pratique  exposée 
dans  un  style  tout  uni,  Renan,  toujours  sagace,  ne  s'y  était 
pas  trompé  :  «  Saadi  est  vraiment  un  des  nôtres  >>  (J.  A.,  1880, 
XVI,  p.  30). 

Non  seulement  un  des  noires,  est-il  permis  d'ajouter, mais 
encore  cette  réunion  si  rare  de  qualités  moyennes  lui  donne 
accès  à  ce  groupe  universel  qui  forme  le  patrimoine  litté- 
raire de  l'humanité.  «  On  rencontre  chez  lui  »,  écrit  Barbier 
de  Meynard  f  1  ) ,«  plus  d'un  trait  qui  rappelle  la  finesse  d'Ho- 
race, la  facilité  élégante  d'Ovide,  la  verve  railleuse  de  Rabe- 
lais, la  bonhomie  de  La  Fontaine.  )>  On  y  pourrait  joindre 
Erasme  auquel  il  fait  parfois  penser,  et  par  sa  vie,  et  par  le 
ton  de  douce  raillerie  qu'il  adopte  de  temps  à  autre.  Quant 
à  Horace, Saadi  s'apparente  à  lui,  non  seulement  par  quelques 
traits  particuliers,  mais  par  la  tournure  même  de  son  esprit. 
Ils  ont  en  commun  le  besoin  de  donner  des  conseils  prati- 
ques (cf.  notamment  Horace,  Sat.  I,  2,  vers  73-76  et  11  i- 
114),  conseils  non  réservés  à  l'élite,  mais  s'adressant  égale- 
ment à  tous  ;  à  l'un  et  l'autre  le  dogmatisme  est  absolument 
étranger  :  ils  recourent,  pour  persuader,  non  à  la  froide  lo- 
gique, mais  à  des  anecdotes  ou  à  des  traits  d'esprit.  Leur 
idéal  est  simple  :  le  bonheur  en  ce  monde.  Que  faut-il  donc 
pour  y  parvenir  ?  Ne  s  occuper  que  du  moment  présent  sans 
songer  au  passé  ni  à  l'avenir,  dit  Saadi  :  écho  du  carpe  diem 
d'Horace  (Cf.  Epod.  XIII,  vers  3-5).  Pour  Saadi,  le  sage  est 
«  le  roi  de  la  vie  spirituelle  »  ;  pour  Horace,  il  est  «  le  roi  des 
rois  »  (Epist.  I.  1,  vers  106).  Mais  en  quoi  consiste  cette 
sagesse?  A  ne  s'émouvoir  de  rien,  à  accepter  les  événements 

(1)  Boustan,  Introd.,  p.  26. 


CONCLUAION  267 

sans  se  plaindre,  sans  désirai  craiiile:  qiio  l'on  compare  à 
ce  sujet  l  Kpîlro  d'IIoraco  k  Mimicius  elles  idées  de  Saadi. 
CeLU»  acceplalioii  contine  au  sloïcisnio,  dira-l-on  :  sloicisine 
en  eiret,si  le  stoïcisme  pouvait  sourire  el  cesser  un  instant  de 
tendre  à  lliéroïsme.  Kutin,  lindilFérence  aux  richesses  qu'il 
faudra  perdre  avec  roxistence.  Saadi  n'est  pas  seul  à  la  con- 
soillt'r  iloucemenl  :  Horace  n'a-l-il  pas  pensé  de  même  dans 
son  Kpître  à  Tor(|uatus?  Le  juste  milieu,  voilà  pour  eux  deux 
la  lin  de  la  sagesse.  Cette  modération  que  Saadi  illustre  dhis- 
torieltes, Horace  l'avait  déjà  proclamée  dans  une  épitre  (I,  18, 
vers  lUj:  <«  \'irtusest  médium  viliorum  ulrimjue reduclum  ». 
Somme  toute, nïorale  opportuniste,  engendrée  par  les  temps 
oii  vécurent  ces  deux  poètes,  temps  de  convulsions  politi- 
ques et  militaires  inspirant  le  sentiment  de  l'éphémère,  et 
par  suite  le  renoncement. 

Que  ces  analogies  entre  Saadi  el  Horace,  le  plus  lu  des 
classiques  anciens,  aient  valu  au  premier  une  partie  de  la 
notoriété  dont  il  jouit  en  Occident,  rien  de  plus  logique.  Mais 
il  manque  à  l'œuvre  de  Saadi,  pour  qu'elle  soit  vivante  et 
passionnante,  ce  qui  rend  la  littérature  de  l'Occidciil  supé- 
rieure à  celle  de  TOrienl  musulman  :  la  peinture  des  luttes 
de  l'homme  contre  soi-même  et  contre  les  événements.  Com- 
parez par  exemple  aux  drames  grecs,  où  des  héros  se  débat- 
tent désespérément  contre  la  fatalité, les  plus  nobles  créations 
du  génie  iranien.  \  ous  rencontrerez,  notamment  dausl  épo- 
pée persane,  des  épisodes  grandioses,  mais  auxquels  l'idée 
fataliste,  tarissant  la  source  de  l'énergie  humaine,  fait  perdre 
les  meilleurs  éléments  de  leur  pathéli(jue. 

Saadi.  témoin  de  la  chute  des  empires,  sentant  profondé- 
mentl'instabilité  de  ce  monde,  la  fuite  du  temps,  l'inutilité 
detoute  résistance  au  destin,  s'installe  confortablement  en 
une  sorte  d'épicurisme  supérieur.  On  n'ose  dire  :  détache- 
ment absolu,  car,  outre  sa  réelle  piété,  son  œuvre  tout  en- 
tière prouve  son  amour  très  vif  de  la  poésie  et  de  la  gloire. 
Certes,  on  ne  peut  s'attendre  à  ce  que  les  Fluropëensse  com- 
plaisent à  lire  ses  poésies  lyriques  où  il  ne  vaut  ni  Anwari, 


268  CONCLUSION 

ni  Haliz,  ni  Khakani.  En  revanche,  le  Gulistan,ei  surtout  le 
Boustan  où  la  moindre  anecdote  donne  à  penser,  seront 
toujours  goûtés,  tout  au  moins  par  fragments.  Lu  avec  me- 
sure, tout  comme  il  a  conçu  et  composé,  Saadi  reste  exquis. 
Sans  doute,  Firdousi,  Nizâmi,  Jalal  ed  Din  semblent  de 
grands  fleuves  ;  Saadi,  lui,  fait  songer  à  une  douce  rivière 
coulant  sans  fracas  ni  rapides  entre  ses  berges  uniformes. 

D'aucuns  estimeront  peut-être  qu'au  cours  de  ce  travail, 
l'apologie  l'a  emporté  sur  la  critique.  Mais  il  s'agissait  avant 
tout  d'exposer,  non  déjuger.  En  outre,  Saadi  lui-même,  de- 
vançant le  mot  de  Vauvenargues  :  «  C'est  un  signe  de  grande 
médiocrité  que  de  louer  toujours  modérément  »,  ne  prévint- 
il  pas  le  jugement  de  la  postérité,  lorsqu'il  écrivit  au  début 
du  Boustan  :  «  Sache  que  je  n'ai  jamais  ouï  dire  qu'un  homme 
d'esprit  s'évertuât  à  découvrir  des  imperfections  dans  au- 
trui >>  ? 


RIBLIOGRAPIIIK 

DE 

SAAIH 


M.  -  l 


ÉDITIONS    DES    ŒUVRES    COMPLÈTES 


Edition  princeps  (1791-1795)  : 

ihe  per.siun  aiul  urabic  Works  of  SAdee,  in  Iwo  volumes. 

Volume  1  coii(ainii)^  liis  Bisalelis.  (ioolifclan,  Boslau  «ml  l'und- 
naineli. 

Volume  II  conlainii)^'  his  Dewan  or  Book  of  poems  ;  consisting 
of  Idyls.  EU'gios.  Odes  and  olher  miscellaneous  Pièces,  but  chiefly 
of  lyric  and  moral  poelry. 

(Prinled  in  ('.alcuUa  :  al  Ihe  honourable  Company's  Press.) 

Pelil  in-folio.  Le  premier  volume,  paru  en  1791.  comprend  21  pa- 
ges de  préliminaires  en  anglais  dus  à  lédileur  J.  II.  Harington.  et 
204  feuillets  de  texte  persan  ;  le  second  volume,  paru  en  1795, 
compte  2^J*2  feuillets  de  lexle  persan. 

D'après  Barbier  de  Meynard  (trad.  du  Boustan,  inlrod.,  p.  xxviii), 
cette  édition  aurait  été  collationnée  sur  un  manuscrit  datant  du 
quatorzième  siècle. 

La  pagination  se  poursuit  du  premier  au  second  volume,  compre- 
nant à  la  fois  recto  et  verso.  Caractère  taaliq. 

Le  volume  II  se  répartit  ainsi  :  qacidas  arabes  (p.  '205)  ;  qacidas 
persanes  (p.  214);  marallii  (p.  245j  ;  nioulammaàt  (p,  250)  ;  larjî  ât 
(p.  257)  ;  tayibAt  (p.  264)  ;  badûi' (p.  367)  ;  Uhawâtlm  (p.  415)  ;  gha- 
zaliyût-i-qadtm  (p.  430);  çâhibiyah  (p.  438);  mouqnlla'Al  (p.  452); 
khabllsAt  ^p.  467}  ;  majlis  el  Isalals  ip.  475)  ;  moudhikAl  (p.  481); 
roubàiyAt  (p.  482);  moufradAt  (p.  494). 

22  qacidas  arabes  ;  39  (jacidas  persanes  ;  14  moulammaAl  ; 
400  layibâl  ;  193  badAï'  ;  63  klinuAlim  ;  35  ghazaliyAt-i-qadlm  ; 
43  khabllsât  ;  30  roubû'iyAl  ;  44  moufradAl. 

1809.  —  DhvAn-i-Saadi  (CalcuUa,  12*24,  m-4). 

1811.  -  KoulliyAl-i-Saadi  (Bombay,  1226,  in-8). 

1828.  —  KoullivAl-i-Sandi  Cnlrulln.  1241,  in  4    lilhog.). 

1841.  —  Kouliiyâl-i-Saadi  (Bombay,  1257,  in-4). 

1841.  —  koulIi)àl-i-^aaUi(fébru,  1257,  in-fol.,  lilhog.). 


IV  BIBLIOGRAPHIE 

1847.  —  KouUiyàt-i-Saadi  (Téhéran,  1263,  in-8,  lithog.). 

1848.  —  KoulliyAl-i-Saadi  (Tébriz,  1264,  petit  iii-fol.,  lithog.). 
Compte-rendu  dans  J.  A.,    1853,  II,  p.  173  :  J.  Mohl  y  découvre 

une  preuve  en  faveur  des  améliorations  apportées  à  la  lithographie 
en  Perse. 

1851.  -  KouUiyât-i-Saadi  (Bombay,  1267,  in-4,  lithog.). 
Defrémery  (trad.  du  Gulistan,  1858,  préface,  p.  xliv)  :  «  J'ai  revu 

ma  version  sur  cette  édition  et  l'ai  citée  dans  mes  notes  ;  toutefois 
le  texte  qu'elle  présente  pour  le  Gulistan  n'est  pas  toujours  correct 
et  reproduit  souvent  celui  de  l'édition  de  Tébriz  »  (c'est-à-dire  l'édi- 
tion du  Gulistan  publiée  à  Tébriz  en  1827). 

Barbier  de  Meynard  (trad.  du  Boustan,  1880.  préface,  p.  xxviii)  : 
«  Edition  assez  élégante,  mais  déparée  par  des  lacunes  nombreu- 
ses. » 

1852.  —  Dîwàn-i-Saadi  (Téhéran,  1268,  in-8,  lithog.). 

1853.  —  Diwûn-i-Saadi  (Delhi,  1269,  in-8°). 

1854.  -  KouUiyât-i-Saadi  (Tébriz,  1271).  Edité  par  Moham- 
med Taqi. 

1854.  —  KouUiyât-i-Saadi  (Téhéran,  id.). 

1863.  —  KouUiyàt-i-Saadi  (Bombay,  1280). 

1863.  —  KouUiyât-i-Saadi  (Cawnpore,  id.). 

1870.  —  KouUiyât-i-Saadi  (Lucknow,  1287). 

1884.  —  Koulliyût-i-Saadi  (Téhéran,  1301,  in-4,  lithog.). 

1887.  —  Koulliyât-i-Saadi  (Bombay,  1304.  in-fol.,  lilhog.). 

1891.  —  Koulliyâl-i  Saadi  (Bombay,  1309,  in  roi.,  lithog.) 

1911.  —  Revue  du  monde  musulman  (février  1911,  p.  408)  : 
«  Nous  voyons  annoncée,  comme  devant  pnraîlre  très  prochaine- 
raenl  à  Bombay,  imprimerie-librairie  Mozalferî.  à  1  Hindi  Bnzar, 
une  édition  des  Koulliyât  de  Sa  di.. .  Elle  est  donnée  par  une  réu- 
nion de  savants,  à  la  tête  desquels  se  trouve  Hâdjî  Mîrzâ  Moham- 
med Takî  Fasîh  ol-Molk,  dit  Afsah  ol-Motekallemîn.  » 


ÉDITIONS    DU    OÎILISTAN 


1651.  —  CA'.  Tracluclions  du  Onlislan  (Genlius). 

1802.  —  Tlip  Hindee  Manual,  or  Cascel  of  India  ;  compiled  for 
llu*  ii>e  of  Ihe  Hindoo?lan  sludenls,  undor  Ihe  dirorlion  ami  siipcr- 
inlendatice  of  John  (jilchrisl,  by  Mir  Alxlnlhdi  Miskin  (iHlrulla, 
Hiixlooslanoe  press,  in-8). 

("onlieiil  34  pnj^es  du  Gulislan  correspondant  à  la  traduction  en 
hindousiani  de  cet  ouvrage  par  Mir  Chir  Ali  Afsous,  sous  la  ilirec- 
tion  de  J.  Gilchrisl.  180?. 

Celte  édition  du  texte  est  restée  inachevée. 

1806.  —  The  Golistan  or  Rosegarden  by  Musiahuddeen  Sady  of 
Sheeraz,  wilh  an  english  translation  and  notes  by  F.  Gladwin 
(Calculla.  •>  vol.  in-8). 

l"  volume  :  texte  et>  caractères  naskhi  ;  2*  volume;  lra<liiclion. 
Réédition  en  1808  (Calcutta  and  London). 

1807.  —  Goolistan  or  Rosegarden  of  Ihe  celebraled  Muslehud- 
deen  of  Shiraz.  surnamed  Shuekli  Sadi,  wilh  an  english  transla- 
tion, embollishe<l  with  notes  crilical  and  explanalory  by  .lames 
Dumoulin  (Calcutta,  in-4). 

1809.  —  The  Gulislan  of  Shaikh  Musle-huddin  SAdy  of  Sheeraz. 
Prinled  from  Ihe  Calcutta  édition,  published  by  Francis  Glachvin 
'London,  '2  vol.  in-8). 

1"  volume  :  texte  persan  en  caractères  taaliq  (248  pages)  ;  2*  vo- 
lume :  traduction.  Réédition  en  18.'Î8  (Londres). 

1809.  -  Gulislan  (Calcutta,  l'?24,  in-4.  182  pages). 

1821.  -  Gulislan  (Calcutta,  1237,  in-4). 

1824.  -  Gulislan  (Tébriz.  1240,  in-8). 

1827.  —  Gulislan,  matbou'  ft  dAr  el  houkoumat  (London,  prin- 
led by  J.  L.  Cox,  in-8). 


VI  BIBLIOGRVPHIE 

18'37.  —  G'iIisUo  or  Rose  Girlen     of    Masle-Huddeen   Shaik 
Sâdy  of  Sheeraz  (Calcutta,  in-18.  lithog.,  337  pages). 

1827.  —  Giilistan  (Tébriz,  1243,  in-8). 

DelVémery  (Irad.  du  Gulistau,  1858,  iatrol.,  p.  xliid  :  «  Char- 
mante petite  édition.  » 

1827.  —  riie  Gulistan  (Rose-garden),  edited  in  persian  by  Lee 
(London.  in-8). 

1828.  —  Kitâb  Goulistàn  (Boulaq,  1244,  in-8). 

1828.  —  Le  parterre  de  fleurs  du  Cheikh  Moslih-Eddin  Sâdi  de 
Chiraz,  ;  édition  autographi(]ue,  publiée  par  N.  Sémelet  (Paris, in-4, 
caractère  naskhi,  194  pages  de  texte  persan). 

Edition  utilisée  par  Defrémery,  pour  sa  traduction  du  Gulislan, 
1858.  Compte  rendu  sommaire  :  J.  A.,  1828,  I,  p.  400. 

1829.  —  Gulistan  (Tébriz,  1245,  in-8l. 

1830.  —  The  Goolistan,  printed  and  published  at  the  Asiatic 
lithographie  company  press  (Calcutta  and  Cawnpoor,  in-8). 

1830.  —  Gulistan-i-Saadi  (Bombay,  1246,  in-8). 

1833.  —  Gulistan-i-Saadi  (Bombay,  1249,  in-8,  illustrations). 

1833.  —  Gulistan  or  Rose-garden  (Calcutta  and  Cawnpoor, 
at  the  Asiatic  lithographie  Company's  press).  Caraclère  taaiiq,  .337 
pages,  in-16. 

1834.  —  Kitâb  Goulislân  (Boulaq,  1249,  in-8,  279  pages). 

1835.  —  Gulistan  (Sans  lieu  d'impression,  1251,  592  pages,  in-8, 
lithog.) 

1838  —  The  Gulistan  or  Rosegarden  of  Musle-Huddeen  Shaikh 
Sâdy  of  Sheeraz,  in  original  Persian,  being  a  carefully  corrected 
and  revised  édition  of  that  formerly  published  by  Francis  Gladwin 
Esq.  (London,  in-8). 

(Cf.  l'édition  de  Gladwin,  1806). 

1838.  —  Gulistan  (Tébriz,  1254,  in-8,  lithog.). 

1839.  —  Gulistan  (Boulaq.  1255,  in-8,  168  pages). 

1841.  —  Gulistan  (Boulaq,  1257,  in-8,  168  pages,  caract.  taaiiq). 

1844.  —  Gulustan  ;  to  which  is  added  a  commentary  with  a 
dictionary  of  words  and  meanings  (Bombay,  in-fol.,  lithog.). 

1845.  —  Gulistan  (Boulaq,  1261,  in-8). 


l^niTtONfl    DU    GULIflTA^  VII 

1847.  —  (iiilislnn  ((loiislanlitioplfl,  I?<V{.  in-4.  lAl  pn^'--- . 
lilhog^  ,  cnracl.  (aaliq). 

1848.  —  (iiili.slan  (A^ra.  \2(\A,  in-8). 

1848.  —  (iuli.«?tan  (Bombay.  1764,  pelit  in-1.  Iilhog.)- 

1848         <.iilislan(Luckno\v.  12r>4,  lilliop.)- 
((11.  "  A  calalogne  ofllip  niMiolhcra  or.  Spreiigeriann  »,  Gie88en, 
1857,  n*  ir»OI  :  ..  a  good  Icxl  and  Hsofiil  noies  •>). 

1850  -  riiP  (îiilislan  (Rose-garden)  of  Sliekli  Sadi  of  Shcraz, 
a  now  édition  (porsian\  rarcfnlly  collalod  willj  llie  originni  maiius- 
cripls.  willi  vorabulary  persinn  nnd  rnglipli.  hy  E.  H.  FiîastwirK 
(Herlford,  in-H.  'A7H  pages). 

Compte  rendu  <le  (i.nrcin  <le  Tassy  (.1.  A.,  IHCKJ.  XV.  p.  .*>%)  :  «  Les 
changements  inlrodnils  dans  cette  t^ditioii,  lesquels  sont  presfpie 
lous  des  améliorations,  s'élèvent  ^  '2Ï)'2.  dont  .M.  Kaslwicka  en  soin 
de  nons  donner  la  liste...  Ces  amélioration-^  ont  été  faites  d'ajii  es  les 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  <le  la  (^onq)agnie  des  Indes  et  ceux 
du  collège  d'Haileybury.  A  la  vérité,  bon  nombre  de  ces  leçons 
avaient  été  adoptées...  dan«  l'édilion  Sétnelel  '  18'28)...  littéraireineol 
la  meilleure  avant  la  |)ublicnlion  de  celle  ci...  J'approuve  entière- 
ment le  retranchement  des  récits  et  des  passages  licencieux.  » 

1850.  —  Ciuli<<tan  (Boula<i.  \W\  in-8,  ICI  pages). 

1851.  —  The  Ciiilislan  of  SaMy.  edited  in  Persian  willi  punrlija- 
lion  and  Ihe  necessary  vowel-mark"*.  for  the  use  of  the  Colle^'e  of 
F<»rl-\ViIliam.  by  A.  Sprenger.  ^f.  I).  examiner  of  Ihe  Collège  of 
Fort-W'illiam  'Calcutta,  in-8.  I.\  et  '2i]  pages). 

Compte  rendu  tie  (iarcin  de  Tassy  .1.  A..  1852,  X.\.  p.  4.J0  : 
«  Etiilion  basée  sur  un  manuscrit  écrit  en  Ib^HJpourle  sultan  Aleni- 
giiir,  d'après  un  manusrril  copié  sur  laiitogiaphe  de  Saadi...  Cti 
qui  dislingue  aus.>i  celte  édition  <les  précédentes,  c'e.'it  que  le 
D'  Sprenger  y  a  employé  un  système  de  ponctuation  analogue  au 
nôtre.  » 

Compte-rendu  de  J.  MohI  (J.  A.,  I8.M,  II.  p.  IT)*);  :  «  lia  introduit 
la  ponctuation  européenne  dans  l'impression. ..  Je  ne  pense  pas  qu'il 
faille  rejeter  en  entier  cette  idée,...  nini*'  je  crois  que,  pour  intro- 
duire In  ponctuation  dans  des  |ittéri<liires  de  peuples  vivants  qui 
ne  s'en  servent  pas.  il  faut  en  usera.vec  beaucoup  de  sobriété;...  la 
ponctuation  surabondanle  r|e  M.  Sprenger  blesse  l'œil  du  lecteur  et 
le  gène  plutôt  qu'elle  ne  l'aiile.  ■> 

1859.  —  (iulistan  (Constanlinople.  l'?75,  in-8,  lilhog.). 

1859.  —  Oulislan  (Bombay,  l?7r>.  in  4.  lilhog.). 


▼III  BIBLIOGRAPHIR 

1860.  —  Gulislan  (Bombay,  1277,  in-4,  lithog.). 

1863.  —  Gulistan,  a  new  édition  wilh  a  vocabulary,  by  F.  John 
son  (Herlford,  in-4,  170  et  143  pages). 

1864.  —  Gulislan  (Boulaq, 1281, in-8, caractère  laaliq,168  pages). 
1867.  —  Gulistan  (Bombay,  1284,  in-8,  124  pages). 

1867.  —  Gulistan  (Gawnpore,  1284,  grand  in-8,   lithog.). 

1867.  —  Gulistan  (Lucknow,  in-8,  lithog.). 

1867.  —Gulistan  (Constantinople,  1284,in-4,  lithog., 187  pages). 

1869.  —  Gulistan.  Edition  expurgée,  texte  revu  et  corrigé 
d'après  d'anciens  manuscrits,  par  S.  E.  Ahmed  Véfiq  Efendi  (Cons- 
tantinople, Imp.  impériale,  1286,  petit  in-8,  299  pages). 

Les  vers  imprimés  en  caractères  taaliq  ;  la  prose  en  caractères 
naskhi.  Les  mètres  poétiques  sont  indiqués  en  marge.  Signalé  J.  A. 
1871,  XVIII,  p.  133. 

1869.  —  Gulistan  (Tébriz,  1286,  petit  in-4,  96  pages,  lithog.). 
En  marge  :  Le  Périchân  de  Qaani. 

1870.  —  Gulistan  (Delhi,  1287,  in-4,  lithog-,  124  pages). 
En  marge  :  commentaire  en  persan. 

1871.  —  Gulislan,  edited  in  persian  with  punctuation  and  the 
necessary  vowel-marks...  by  W.  Nassau  Lees  (Calcutta,  in-8, 
241  pages). 

1871.  —  The  Gulistan,  carefully  collated  wilh  original  mss., 
with   a  full  vocabulary,  by  John  Platts  (London,  in-8). 
Réédité  en  1872  et  1874  (Londres). 

1873.  —  Kitâb  Goulistân.  Le  livre  du  Gulislan,  imprimé  sur  un 
beau  manuscrit  de  Mirza  Aga,  surnommé  Sahibi-Galem  («  le  calli- 
graphe  »)  (Constantinople,  Impr.  impériale,  1290). 

1874.  —  Gulistan  (Constantinople,  1291^  petit  in-8,  228  pages). 
Lithographie  Mirza  Agha  Afchar. 

1877.  —  Gulistan  (Lucknow,  1294,  in-4,  lithog.  Neval  Kechor, 
466  pages). 

1880.  —  Réédition  du  précédent  (1297,  caract.  taaliq). 

1880.  —  The  Gulistan,  edited...  by  E.  H.  Whinfield  (London). 

1881.  —  Gulislan  (Lucknow,  1298,  in-4,  466  pages,  lithog.). 
Notes  marginales. 

1882.  —  Gulistan  (Lucknow,  1299,  in-8,  278  pages,  lithog.). 


EDITIONS    DU    OULiaXAN  IX 

1882.  —  (iulislan  iBoiilaq.  I?9*).  in-8,  IGl  pagos). 
1884    -  (liilislan  ^Honihay,  KiOl.  ?3'2  pages). 
1885.  —  Ciulislan.  Texte  imprimé  en  oaracU>rc3iiisjoialsd"après 
le  système  <le  Malcolm  Khan  (London,  1302,  in-S,    170  page-). 

1887.  —  (iulislan  (Conslanlinoplo.  I.Wl.  in  I.Î). 
1887.  —  (iiili-^lan  (Hoinbny,  l.{0.">.  in-H.  *>5*2  pages.  lilhog.K 
Coin  mon  I  aire  marginal. 

1887.  —  r.ulislan  (Cawnpore,   l.'iO.^,  in-S,    121   pages,    lilliog. 
Kishore). 

1889.  —  (iiilislan  (Sans  lion,  l.iU/.  in-S,  '212  pages). 
Lilliographi»^  probabloinonl  lians  lln-lo.   Commentaires  snr  les 

mots  arabes  qni  se  rencontrent  dans  le  le.xte  per-^^an. 

1890.  —  Relil)fM--i-("inlislAn  achar  Tayir  (Conslantinople,    1308. 
in-8,  4;VJ  pages). 

Texte  persan  avec  commentaire  inleilinéaire  en  turc  par  Tayir. 

1892.  —  (iiilistan  (Bombay,  1309,  in-4,  lilhog.,'244  pages). 
Commentaire  marginal. 

1896.  —  Ciidistan  (Cawnpore,  1314,  in-S.  217  pages.  Iilhog  ). 
Texte  persan  avec  Iradiiclion  inlerlin<'aire  en  ourdou   et  notes 

marginales. 

1897.  —  (liilisian  i-Hind  (Sandila.  in-8,  lilhog.). 

Editions  non  datées. 

l)The  Gulistan  of  Sliuek  Moosluhooddeen  San  h^e  (Cilcitla, 
in-8,  204  pages,  lithog.)  ; 

2)  (iulistan  (S.  I.  n.  d.,  petit  iii-4    im[irim'*,  non  paginé)  ; 

3)  Idem  {^    1.  n   d..  in  8,  lôj  pagns.  lilhog  )  ; 

4)  Idem  dîombay,  grand  in-8,  lithog.). 
avec  commentaire  marginal  ; 

5)  Idem  i  Lucknow,  grand  in-8,  lithog.,  4<>4  pages), 
avec  commentaire  marginal  ; 

6)  Idem  (Conslantinople,  in-8,  lilhog.,  256  pages).         y 


ÉDITIONS  DU  BOUSTAN 


1824.  —  Boustan  (Calcutta,  in-fol.)- 

1828.  —  Boo5tan  or  frnilgarden  by  Sheik  Muslahuddeen  Saudee 
of  Sheeraz.  To  whicli  is  added  a  compendioiis  commenlary  toge- 
ther  wilh  a  dictionary  of  such  words  as  are  hard  of  meaning,  now 
first  compiled  expressly  for  this  édition  by  Moolwy  Jiimnuzuddy 
(Calculla,  18?8,  in-4,  228  pages,  lilliog.). 

Barbier  de  Meynard  (trad.  du  Boustan,  1880,  introd.,  p.  xxviii)  : 
«  De  même  que  l'édition  de  Calculla  (1791),  ne  se  recommande  ni 
par  la  correction  du  texte,  ni  par  la  netteté  typographique.  » 

Réimprimé  à  Cawnpore  (1832)  et  à  Bombay  (1842). 

1831.  —  Boustan  (Tébriz,  1247,  in-8). 

1832  —  Boostan  by  Slieikh  Musiahudden  Saudee  of  Sheeraz 
(Cawnpore,  1248,  petit  in-fol.,  lithog.), 

1833.  —  Boostan,  edited  with  commentary' and  lexicon  by 
Moolvy  Jumnuzuddy  (Mevlevi  Temiiz-ed-Din)  (Cawnpore,  in-4). 

Réédité  en  1868  et  1879. 

Barbier  de  Meynard  (trad.  du  Boustan,  1880,  introd.,  p.  xxviii)  : 
«  Marcjue  un  progrès  réel..,  sans  pourtant  qu'une  critique  sévère 
ait  présidé  au  choix  des  leçons  et  à  la  rédaction  du  commentaire.  » 

1842.—  Boustan  (Bombay,  1258,  in-4,  lithog.). 
Réimpression  de  l'éd.  de  Calcutta,  1828. 

1843.  —  Boustan  (Calcutta,  in-8.  éd.  by  Faïz-Oullah). 
Barbier  de  Meynard  (trad.  du  Boustan,  1880  introd.,  p.  xxvni)  : 
«  Assez  correcte,  mais  sans  variantes  ni  notes,  » 

1846.  —  Boustan  (Lucknow.  126.S,  in-8). 
Réédité  en  1862  et  1869 

1847.  —  Roustan  (Hougly,  1264,  in-8,  lithog.). 

1848.  —  Boustan  (Bombay,  1264,  petit  in-4,  lithog.). 
1848.  —  Boustan  (Lucknow,  1265,  lithog.). 


^DITIO?l«    DU    BOUSTA^J  «I 

1848    —  liiuslan  (Cilculla,  IÎCm   iti-fol..  lilhog.)- 

1854.  —  Bouslan  (T.^briz.  1?7I.  pelil  in-1,  150  pages). 
RétSlil*^  en  1868. 

1858  —  Le  Bouslan  «le  SaMi.  Texte  p«r.H.in.  avec  un  commen- 
taire persan,  publié  sous  les  auspices  de  la  Société  orientale 
il\.liemat,'ne  par  Ch.  H.  (ii'aflVienne.  Irap.  de  la  Cour  et  de  l'Elal, 
in-1,  -IT'J  papes). 

Compte  rendu  de  Defrémery  (J.  A.,  1859.  XllI,  p.  4.5?)  :  «<  La  pre- 
mi«Ve  édition  complète  qui  ail  Mt^  publiée  en  Kurope.  » 

Clompte  rendu  de  .1.  Mohl  ,J.  A..  185^,  Xlil.  p.  '291)  :  «  Le  texte 
et  le  commenlairc  de  Sourouri  forment  la  ba.se  du  travail  de  l'au- 
teur (jui  s'est  aidé  des  éditions  de  ('alculla.  de  trois  manuscrits  du 
texte  et  diin  commentaire  turc  de  Scliemi...  Le  commentaire  que 
M.  (jraf  a  composé  est  en  général  bref,  clair  et  suffisant  pour  I  in- 
telligence du  texte.  » 

Du  même  i^J.  .\..  1859,  XIV.  p.  63)  :  «  Ce  commentaire  est  concis, 
comme  doivent  l'être  des  annotations  destinées  aux  écoles.  » 

Harbier  de  Mevn;ir<l  (trad.  du  Bouslan.  1880.  introtl.,  p.  xxix)  : 
»«  Graf  a  fait  usage  des  gloses  de  Surouri  et  de  Cliem'i.  en  y  ajou- 
tant des  notes  historiques  et  philologiques  (juil  a  rédigées  en 
persan.  Celle  publication  est,  à  tous  égards,  préférable  à  ce  qui 
avait  paru  jusqu'alors...  Lnrichie  de  nombreuses  variantes  et  d'un 
index  îles  mots  expliqués,  elle  a  malheureusement  le  tort  de  passer 
sous  silence  les  passages  les  plus  obscurs.  » 

1863.  —  Boustan  (Lahore,  1280.  in-8). 
Réédité  en  1879. 

1867.  —  Boustan  (Bombay.  1?81.  in-4.  avec  commentaire  et 
gloses  marginales  de  Oadi  Ibrahim  Pilbandarf^. 

Barbier  de  Meynard  (trad.  du  Boustan.  1880.  introd..  p.  xxxv  : 
«  Le  travail  du  savant  hindou  dénote  une  certaine  originalité.  » 

1872.  —  Boustan  (Boulaq.  l'38S,  in-8). 

1872.  —  Boustan  (Constantinople,  Imp.  impériale.  V2SS,  in-8, 
1.58  pages). 

En  tête  du  volume  se  trouve  larlicle  d'Hadji  Khalfa  sur  le  Bous- 
lan et  les  commentaires  dont  il  a  été  l'objet. 

1874.  -  Bouslan  (Hombay.  l'i^Jl.  in-lV 

Béédilion  <le  l'éd.  de  18<)7.  avec  le  commentaire  de  Qadi  Ibrahim 
Pilbandarl,  mais  plus  développé. 

1876.  —  Boustan  (Lucknow.  1293,  in-8,  .332  pages,  lithog.). 


XII  BIBLIOGRAPHIE 

1881.  —  Bousfan  (CawDpore,  1298,  in-4,  476  pages,  lithog.). 
Edition  «  Ichop-qalam  »  (Neval  Kechor).  Rééditée  en  1888. 

1882.  —  Bouslan  (Calculta,  1299,  in-8.  207  pages,  lithog.). 
1882.  —  Boustan  (Delhi,  1300,  in-8.  130  pages). 

1885.  —  Boustan  (Conslanlinople,  1303,  in-8, 158  pages). 

1887.  —  Boustan  (Cawnpore,  1.304,  in-8,  220  pages,  lilhog. 
Rishore). 

1888.  —  Boustan  (Cawnpore,  1305,  in-8,  332  pages,  Ahmadi 
Press). 

Avec  commentaire  marginal. 

1890.  -  Boustan  (Bombay,  1308,  in-8,  330  pages,  lithog.). 
Commentaire  persan  marginal  et  interligné. 

1891.  —  The  Bnstan,  photographed  from  a  manuscript  prepared 
uuder  the  superintendance  of  J.  T.  Platts;  furlher  collaled  wilh 
original  manuscripts  and  annoled  by  A.  Roger»  (London,  in-8, 
275  pages). 

1891.  —  Boustan  (Lucknow,  1308,  in-8,  610  pages,  lithogr.,avec 
commentaire  en  persan  par  Tek  Ghand  Bahar). 

1891.  —  Boustan  (Bombay,  1308,  petit  in-4,  .336  pages,  lilhog). 
Avec  commentaire  marginal. 

1901.  —  Boustan  (Cawnpore,  in-8,  308  pages,  lithog). 
Avec  commentaire  marginal. 

Editions  non  datées. 

1)  Boustan  (Calcutta,  in-4,  imp..  280  pages). 

2)  Idem  (Tébriz,  in-8). 

3)  Idem  (Lucknow,  in-4,  474  pages). 


COMMENTAIRES  DU  BOQSTAN  ET  DU  GULISTAN 


Au  sujet  (les  coininenlaii'es  sur  Suiili  en  ^t'tn'Mal,  cf.  Grundriss 
der  iraiiisch«Mi  IMiiIulogie,  pur  <iei^'er  cl  Kuhii,  II,  [>.  2*J5. 

Hadji-Khalfa.  Lexicon  (é<).  Fla><el,  II,  p.  52).  n-  1828  :  «  Bouslan  , 
en  persan,  mélre  nioiila«jaril),  par  le  ch«Mkh  Mourlih  ed  Din,  connu 
sous  le  nom  de  Saadi  de  Cliira/ (uiorl  en  (iUl/l^'Jl  ).  Livre  réléhre  et 
très  lu,  qui  se  pa<we  de  description.  C'est  la  base  de  l'enseignement 
chez  les  Persans;  les  enfants  l'apprennent  par  cœur.  Aussi  a-t-il  été 
plusieurs  fois  commenté  en  turc  entre  autres:  1)  parle  cheikh 
Mouçlafa  ibn  ChaabAn.  connu  sous  le  nom  de  Sourouri  (mort  en 
%y/15GI),  commentaire  persan  ;  2)  par  le  moulla  Chamii,  mort  vers 
l'an  1000  (Id'JI  de  J.-C.)  ;  ."i)  par  le  moulla  connu  sous  le  nom  de 
Soùdi.  mort  également  vers  lan  1000.  et  dont  le  commentaire  est 
le  meilleur,  le  plus  étendu  et  le  plus  exact  de  tous;  4)  par  cl  llawaiï 
el  Boursawi  (mort  en  1017/Ui08)  » 

Hadji-Kh.Tlfa.  Lexicon  féd  Flijgel,  V,  p.  230elsuiv.)  :  .-  Gnlistan  : 
1)  Commentaire  en  arabe  par  Yaijoub  ibn  Sidi  Ali  (mort  en  'J31/ 
29  octobre  1524)  et  Moulla  Mouçlafa  ibn  ChaabAn*  connu  sous  le 
nom  de  Sourouri  (mort  en  0<>'.M  1  septembre  15r)|),  écrit  pour  le 
sultan  Mouçlafa  ibn  Soulaiman  Khaii.  Début:  «  Louange  ù  Dieu 
qui  m'a  mis  parmi  les  maîtres  de  l'exposition  el  des  idées,  etc.  »>. 
Le  commentateur  ajoute  :  «  L'n  savant  a  commenté  négligemtnenl 
l'ouvrage  en  persan,  s'est  trompé  en  maint  endroit  et  égaré  dans 
des  chemins  pourtant  faciles.  Le  Gulistan  est  rempli  d'historiettes 
cuiieuses,  «le  recouim  nidations  inlértîss.»iit<'s,  de  poésie^  excellen- 
tes et  de  vers  charmants.  •  Il  déclare  avoir  terminé  son  ouvrage  à 
la  lin  de  rabi'  1*'  de  %7  (20  janvier  1550)  à  Amasie  ;  2)  On  dit  que 
le  commentaire  du  rMilislan  attribuée  Sayid  .\li  ZAïleh  n'est  pas  de 
lui,  mais  del  .Mouniri    I)  qui  l'a  entrepris  et  a  mis  son  nom  dans  la 

(1  Rieu,  Cal.  Persiaii  .Mss.  Hnli»li  Mus.,  Il,  p.  tiOO  (Ya'qûb  b.  Sayyid 
'.\li)  :  <  .•suivant  lladji  Khalfa  ;V,  p.  230\  le  vrai  auteur  du  commentaire 
serait  Muniri  (Hjmraer,  Osinanisclies  Diclitkunsl,  I,  p.  304).  Suriiiî  «o 
réfère  couvent  à  ce  commentaire  >. 


XIV  BIBLIOGRAPHIE 

préface;  lauleur  de  celle  assertion  dit  qu'il  l'a  vu  et  conféré; 
3)  Commentaire  du  qàdi  Mohammed  ibn  Mlnàs  (mort  en  ?)  ;  4)  Com- 
mentaire du  MouUa  Chamiï  (mort  en  1000/1591)  en  turc  ;  début  : 
«  Louange  sans  bornes,  etc.  »  ;  5)  Commentaire  du  Moulla  Soùdi 
(mort  en  1000/1591),  le  meilleur  de  tous  ;  6)  Commentaire  d'Abou'l 
Boursawi  (mort  en  1017  1608);  7)  Commentaire  du  Moulla  Moham- 
med et  Ttrawi,  dont  le  surnom  poélique  est  Aichi  (mort  en  1016/ 
1607)  ;  8)  Commentaire  du  Moulla  DhayitiU  Qarthawi  ;  9)  Commen- 
taire du  Moulla  Lamiï  (mort  en  938/1531)  seulement  pour  la  pré- 
face du  Gulistan  ;  10)  Commentaire  du  Moulla  llousain  el  Koufouw 
(mort  eu  1012  1603),  remarquable  et  complet,  écrit  alors  que  l'au- 
teur était  qàdi  à  La  Mecque,  en  chawwâl  1005  (1596  J.-C.)  ;  c'est  le 
plus  récent  de  tous  les  commentaires  ;  il  était  resté  en  brouillon, 
mais  le  frère  en  Allah  d'el  Koufouwi,  Moulla  Housaïn  ibn  Guzeljeh 
Rustem  Pacha,  connu  sous  le  nom  de  Housaïni,  en  fit  une  copie 
qu'il  fit  précéder  d'une  préface  donnant  la  biographie  du  commen- 
tateur ;  il  intitula  le  commentaire  :  Boustân-i-afrouz  jènân  (le  jar- 
din illuminateur)  ». 

Sur  les  commentateurs  Sourouri  et  Chaamiï,cl.:  Graf,éd.du  Bous- 
tan  (1858),  préface,  p.  VI  ,  Rieu,Cat.  Persian  Mss.  British  Muséum, 
IL  p.  606-607. 

Sur  Soudi,  cf.  Barbier  de  Meynard,  trad.  du  Boustan  (1880),  pré- 
face, p.  xxxi-xxxiii  ;  Journal  d'Antoine  Galland  (publ.  par  Ch. 
Schefer,  Paris,  1881),  t.  l,  p.  217,  n.  1. 

Editions. 

1833. —  Soudi.  Chaih-i-Gulistan  (en  turc)  (Constantinople,  1249, 
in-foL,  514  pages). 

1837.—  Charh-i-Gulistan  (Calcutta,  1253,  in-8). 

1845.  —  Charh-i-Boustan  (Calcutta,  1262,  in-8). 
Réédité  en  1849. 

1847.  —  Abd-er-Rasoul.  Charh-i-Gulistan  (Lucknow,  1264,  in-8). 

1848.  —  Charh-i-Gulistan  (Delhi,  1265,  in-8). 

1852.  —  Charh-i-Boustan  (Cawnpore,  1268,  in-fol.). 

1858.  —  Cheikh   Saadi  merhumun  Gulistani  bou  defa  charh 
olounazaq  tab'  olunmasi  (Constantinople,  Imp.  typogr.  des  presses 
du  Moniteur  ottoman,  1274). 
(Signalé  J.  A.,  1859,  XIV,  p.  297.) 


COMMBNTAIRBS    DU    HOL'STAU    Kl'    DV    GULISTAM  XV 

1869.  —  Soudi.  Climli-i-(iulislau  (Consluiiliuople,  1?86,  in-fol.). 

1871 .  —  Soiuli.  (]l)aili-t-HoiisUui  (cmi  liirc)(Cori3luiilino|)|p.  IiMp. 
impériale,  1*288.  2  vol.  Tonnai  obloiif^,  G()4  et  40'J  pages). 

Chatjue  volume  est  précéilé  duii  iijile.v.  .Notice  sur  Soudi  en  lôle 
du  priMniiT. 

Harbier  de  .Mi-yuaiil  ^Irad.  du  liuu-^lan,  1880,  lulrotl.,  p.  xx.\, 
u.  1):  «  D'une  incorrection  inouïe.  » 

1883.  —  Moulwi  .Mufli  Tajuddin  Saheb.  Gommenlary  on  Shek 
Sadi's  (lulistan.  (Ijombay,  Saldary  press,  in-4,  lilhog.,  448  pages). 

1886.  -  Cliath  i-liouslau  (  Lucknow,  1303,  in-8,  4«>4  pages). 

1887.  —  Cljurli-i-(iulistan  (Cawnpore,  1304,  in-8,  lilhog.). 

1890.  —  l'ayyar.  UeJiber-i-Gulistan  (en  lurc)  (Conslanlioople, 
1308,  in-8). 

1900.  —  .Mùliamined  Akrain  .Moullani.  Cliarli-i-Uuli.stan  (Luck- 
now, Malba'i  Vousouli,  3A)  pages). 


EDITIONS  FRAGMENTAIRES 


1778.  —  Anthologia  persica  (Vienne,  in-4). 
P.  48  :  une  qacida  persane. 

1809-1811.  {r224-1225).  —  Persian  sélections  for  Ihe  use  oflhe 
studenls  ol' Ihe  persian  class,  published  under  Ihe  superinlendance 
of  M.  Lumsden  L.  L.  D.  ;  at  Ihe  persian  press  of  the  collège  of 
Fort-William  (Calcutta,  6  vol.  in-fol.). 

Le  tome  II  contient  :  «  A  portion  of  the  Goolislaun  and  the  Boos- 
taun  »  ;  le  tome  III  :  «  A  portion  of  Deewaune  Saudee  ». 

1814.  —  Weston  (Stephen).  Persian  distichs  from  various 
authors  (London,  in-8). 

P.  48-49  :  un  distique  extrait  du  dîwân. 

1824.  —  The  persian  reader  (Calcutta,  in-8). 
Vol.  I  :  extraits  du  Gulislan. 

1828.  —  Lees.  Classic  sélections  from  some  of  the  most  estee- 
med  persian  wrilers  (Calcutta,  1244,  2  vol.  in-4,  lithog.). 
Le  2*  volume  contient  :  «  I.  Dewani  Saudee  ». 

1833.  —  Boldirew  (Alex.).  Chrestoraathie  persane  (Moscou,  in-8). 
P.  35-61  :  extraits  du  Boustan  ;  p.  66-77  ;  qacidas  et  ghazals. 

1838.  —  Sélections  from  the  Boostan  of  Sadee,  intended  for  the 
use  of  students  of  the  persian  language,  by  Forbes  Falconer,  M.  A. 
member  of  the  asiatic  soc.  of  Paris  and  prof,  of  or.  lang.  in  the 
universily  collège  (London,  in-12,  lithog.). 

Barbier  de  Meynard  (trad.  du  Boustan,  1880,  introd.,  p.  xxviii)  : 
«  Le  texte,  lithographie  en  caractères  taalik,  reproduit  celui  de 
l'édition  de  Calcutta  (1791)  ». 

Compte  rendu  de  Garcin  de  Tassy,  J.  A.,  1838,  V,  p.  204. 

1846.  —  Spiegel  (Fr.).  Chrestoraathia  persica  (Lipsise,  in  8). 
P.  124-130  :  deux  qacidas  persanes. 

1847.  —  Pend-Nûmeh,ou  le  Livre  des  Conseils  de  Moula-Firouz- 


éoiTIONg    PHAGMBMTAIHB8  XTII 

Ben-Knous,  suivi  de  plusieurs  hisloires  du  Bostan  de  Sadi  el  de 
son  Irailé  sur  la  polilit|Ut',  par  \i.  Lalouclio  (Pniis.  1.%  pages,  in-8). 
Comple  rtMulu  de  J.  Mohl  (J.  A..  1^<4H,  MI.  p.  14(»):  <■  M.  Lalou- 
che  a  commence  la  publicalion  d'un  ouvrage  destiné  ô  faire  partie 
des  chreslomalhics  orientales  de  l'école  dos  langues  de  Paris.  Le 
cahier  (|ui  a  paru  comprend  les  textes  (jue  l«*  volume  doit  contenir 
el  sera  suivi  de  coromentaires,  le  plan  de  la  collection  excluant  les 
tra. ludions.  » 

1862.—  MounlakiuibAl-i  (iulislan  .Conslanlinopl.-,  I':*''»  in  8, 
•17  pages,  lilhog.  . 

1863.  —  'A(jd-i-goul,  heing  a  sélection  from  llie  (iulislan...  edi- 
ted  l)V  W.  N.  Lees  and  Mawlavi  Kabiral-din  Aliiiiad  (Calculla,  in-8, 
Lees  persian  séries,  n*  1). 

1863.  —  Oisseh-i-a\v\va!-i-mounlakliabàt-i-fArsi  (Agra,  in-8, 
autograpliié). 

(Chrestomalliie  persane  contenant  des  extraits  de  Saadi  en  vers 
el  des  extraits  de  divers  moralistes  persans  en  prose.) 

1865.  —  MounlakhabiU  i-BousIân.  Sélections  from  Ihe  Boslân 
of  SAdi  (Lahore.  1282,  in-8,  88  pages,  2  colonnes,  lithog.). 

1866.  —  Mountakhabât-i-Goulistân  (Téhéran.  r283,  in  4.  lithog. 
Hgures  dans  le  texte). 

1866.  —  Inlikhâb-i-diwân-i-Saadi.  Sélections  from  Ihe  divAn 
of  Sàdi  (Lahore,  1283.  in-8,  84  pages,  lithog.). 

1868.—  Mountakhab;U-i-(loullst{hi  (Consiantinople,  128."),  in-12). 

(Extraits  de  Chàhi,  Atlàr.  Alâqi,  Hûfi/..  A<;a(i,  llazret.  Saadi, 
Sâïb,  publiés  et  lithographies  par  l'éditeur  Yumni  Efendi.  Signalé 
J.  A..  184'»9,  XIV.  p.  88.) 

1870.  —  'A(jd-i-nianzoum.  Poelrv,  n"  l\  .  Heiiip  a  sélection  Ircjm 
the  Bostdn.  .  ediled  h\  Ihe  ^^a^^la^^l  Kabir-al-dir)  Ahmad  ^Calcutta, 
in-8,  Lees  persian  séries,  8). 

1874.  -  hharabftt  (Consiantinople.  1291.  H  vol.  in-4). 

Signalé  par  Helin  (J.  A..  1877,  IX,  p.  lU4)sous  le  titre  de  »-  Cellac 
vinariae,  ou  recueil  de  morceaux  choisis  dans  les  littératures 
arabe,  persane  et  lurijue,  par  S.  E.  Zia  bey  ».  Contient  notamment 
la  (]acida  persane  de   Saadi  sur  la  prisée  de  Bagdad    p.  \'M\  . 

1880.  —  Cinlda^ta-i-danish.  or  per.'-ian  reader.  .  (cn  prising  if- 
'ections  (lom  the  Gtliblsn  oi.d  Ihe  Bo.>-lf>n.  (  cnpiifii  un<ier  Ihe 
orders  oiW.  H.  M.  Holiovd  (Lahore,  in-8,  lithog.;. 

M.  -  Il 


XVIII  BIBLIOGRAPHIE 

1881.  —  G;uiiiiKi-i-Khirad,  or  por.^ian  seleclioiis  iVom...  Diwaa- 
i-Saa-li.  Coinpileil  un  1er  Ihe  orders  of  W.  R.  M.  Holi-oyd  (Lxliore, 
in-8,  lilhog.). 

1881.  —  Griiueil  (Max).  Neu-persische  Glirestoinalhie  (Prague, 
2  vol.  iii-4,  lilhog.). 

Vol.  I.  p.  34-42  :  extraits  du  recueil  des  quatrains  («  Aus  Sa'di's 
ManziiinAl  »)  ;  p.  49-67  :  extraits  du  Boustan. 

1883.  —  Robinson.  Persian  poelry  for  englisli  readers,  being 
spécimens  of  six  ofthegrealesl  classicals  poets  of  Persia  :  Ferdusi, 
Nizami,  Sadi,  Jelal  ad  Din  Rumi,  Hafiz  and  Jami  (Glasgow,  in-8). 

1885.  —  Persian  course  for  Iraining  collèges,  compiled...  under 
Ihe  superintendance  of  R.  Dick  (Lahore,  in-8,  lithog.). 
P.  126:  début  du  Boustan. 

1889.  —  Rogers.  Persian  Anlhology,  being  sélections  frona  Ihe 
Gulislan  of  Sadi,  etc.  (London,  in-8). 

1889.  —  Pizzi  (L).  Chrestoniathie  persane  (Turin,  in-8). 
Extraits  publiés  en  transcription  latine  :  dîvvân   (p.    106),   Gulis- 
lan (p.  110),  Boustan  (p.  119). 

1892.  —  Kanga  (J.  B.  et  K.).  Geins  of  persian  prose  and  poetry, 
containing  the  roses  frora  the  Gulistan,  the  flowers  frona  Buslan, 
etc  ..  carefully  culled  and  annotaled  (Bombay,  in-8). 

Réédité  en  1893. 

1895.  —  E.-G.  Brovvne.  Notes  on  ihe  poetry  of  the  persian  dia- 
lects  (J.  R.  A.  S.,  p.  794-802).      ' 

Texte,  commentaire  et  traduction  en  anglais  de  deux  poèmes 
dialectaux  inédits  de  Saadi.  Gf.  Ibid.,  p.  773,  in  fine. 

•1901.  —  Majmou'-i-roubâ"iyât  (Delhi,  1319,  38  pages,  Matba'-i- 
Moujtabâ'i). 
Recueil  de  quatrains,  parmi  lesquels  plusieurs  de  Saadi. 

A)  Schlechla-Wessehrd  (Z.  D.  M.  G.,  VII,  p.  589)  a  publié  une 
qacida  inédite  de  Saadi, mais  sans  en  indiquer  la  so'.irce.  Aussi  est-il 
difficile  de  décider  si  elle  doit  être  tenue  ou  non  pour  authentique. Gf. 
les  observations  de  Graf  à  ce  sujet  (Z.  D.  M.  G  ,  IX.  p.  94,  Aura.). 

B)  Gh.  Schefer  (Ghrestomathie  persane,  I,  p.  196)  signale  que 
Houssain  Waïz  Kachafi,  dans  sa  c  Risalah-i-Hatimiyah  »,  a  recueilli 
les  passages  de  Saadi  relatifs  à  Hatim  Thayi. 

C)  Baha  ed  Din  el  'Amili  (éd.  Gaire,  1366,  in-4,  p.  97-98;  cite  la 
17'  fjacida  arabe  de  Saadi. 


ÉDITIONS  ET  TRADUCTIONS  DES  OPUSCULES 
(RISALAHS). 


Introduction  d'Ahmad  de  Bisoutoun. 

Traduite  en  anglais  dans  l'édition  des  Koulliyflt  [éd.  princeps, 
17yi.  préface  de  l'éditeur  anglais,  p.  '24-?6). 

Deuxième  opuscule. 

A)  MosJih-ed-Dini  Sa'dii  consessuum  tertiuset  (juartus,  ad  fidem 
codicis  Vralislaviensis  prinium  edili.  cuni  edilion<'  Culcull.  collati, 
adiiolalioiiibus  et  criticis  et  exegeliciM  iiihlrucli  Dissertatio  inaugu- 
ralis  quam...  in  Acaderaia  Viadrina  Vratislaviensi,  ad  summos  in 
Philos.  Hoii.  capess.  publiée  defendet  auctor  Mauritius  Guedemann 
IJanuoveranus  (Breslau,  in-8,  1858j. 

Texte  et  traduction  latine  des  troisième  et  quatrième  séances 
(majiis).  Les  notes  critiques  prouvent  l'insurtisance  de  l'édition 
princeps. 

B)  Transactions  of  the  Literary  Society  of  Bombay,  vol.  I,  p.  14*>- 
158  (Bombay.  18l9j. 

Traduction  en  anglais  de  la  5*  séance  par  J.  Ross. 

C)  S.  de  Sacy.  Notices  et  extraits  de  deux  manuscrits  persans 
(Paris,  1831). 

P.   231:   fragment   de  trad.  d'une   historiette   de  la  3*  séance. 

D)  Pizzi  (1.)  Storia  délia  poesia  persiana  (Turin,  1894,  2  vol.  in-8). 
Vol.  I,  p.  314-317  :  traduction  de  la  3*  séance. 

Troisième  opuscule. 

A  I  Traduit  en  anglais  :  Kuulli}ât  (Calculla,  1791),  préface  de  l'é- 
diteur anglais,  p.  14-17. 

fi)  Traduit  en  allemand  ;  Graf,  Lusigarten  (trad.  du  Boubtan,  1850)» 
t.  II.  p.  136. 


XX  BIBLIOGRAPHIE 

Quatrième  opuscule. 

A)  Traduit  en  anglais:  Koulliyât (Calcutta,  1791), préface  de  Tédi- 
teur  anglais,  p.  17-19. 

5)  Traduit  en  allemand  :  Graf,  Lustgarten  (1850),  II,  p.  142-146. 

C)  Traduit  en  français:  Defrémery,  trad.  du  Gulistan  (1858), 
introd.,  p.  xxxui-xxxv. 

Cinquième  opuscule. 

A)  Sadis  des  weisen  Persers  Kônigsspiegel,  herausgegeben  von 
J.  G.  Grohmann  (Leipzig,  1802,  in-12.  XX  el  172  pages). 

B)  Naçihat  el  raouloûk  (Vienne,  Imp.  impériale,  1856,  in-8, 
49  pages). 

Forme  le  3«  cahier  de  la  «  Persische  Chreslomathie  ^)  publiée  par 
H.  Barb.  Caractères  taaliq.  Dans  sa  préface,  l'éditeur  déclare  en 
persan  que  son  édition  est  faite  à  l'usage  des  élèves  de  l'Univer- 
sité :  «  là  moula'allimîn-i-madrasa-i-dàr  el  founoùn  keh  dars  i-zibân- 
i-fArsî  raî  khânend  az  moutâla'a-i-àn  bahramand  gardend.  » 

C)  (Conseils  aux  rois).  Voyages  du  Chevalier  Chardin  en  Perse 
et  autres  lieux  de  l'Orient  (éd.  Langlès,  1811),  tome  V,  p.  56-116. 

(Traduction  libre  en  français.) 

Sixième  opuscule. 

A)  Traduit  en  anglais  :  Koulliyât  (Calcutta,  1791),  préface  de  l'édi- 
teur anglais,  p.  7-19  (l'®  partie),   p,  19-21  (3*  partie). 

B)  Traduit  en  allemand  :  Graf,  Lustgarten,  II.  p.  142-146  (1"  par- 
lie),  p.  1 46- 148  (3«  partie). 

C)  Traduit  en  français:  Defrémery,  trad.  du  Gulistan  (1858), 
introd.,  p.  xxxv-xxxvii. 


Sacy,  Chreslomathie  arabe  (2'  éd.,  502-505  du  3'  volume)  insère 
en  note  le  texte  persan  et  la  traduction  française  (par  Chézy)  d'une 
fable  :  «  Le  rossignol  et  la  fourrai  »  tirée  des  «  Medjalis  »  de  Saadi. 


EDITIONS  ET  TRADUCTIONS  DU  PEND  NAMEH 


1788.  —  FiiDiInameh,  a  compeiulium  of  elhics,  traiislaled  from 
Ihe  pcrsian  of  Satli  of  Shiraz  inlo  english,  by  F".  Gladwin  (Calcutta, 
in-l?K 

1801  —  The  Persian  Moonsliee,  containioga  copious  (îrammar. 
and  a  sei  ies  of  entertaining  slories  ;  also  the  Pund  namuli  of  Shykh 
Sadee,  beittg  a  coniptMidiiim  of  elhics  in  verse,  hy  thaï  celebraled 
potjt...  by  Francis  (ilaihvin  tlsq.  (dalcutla,  in-4). 

Réédité  en  1840  par  \V.  C.  Smylh 

1805.  —  Rousseau  (S.).  Flowers  of  persian  literature  (London, 
in-4). 

P.  117-134  :  The  Book  of  advice  composcd  by  Sheikh  Saadee  of 
Shiraz.  comprisiiiga  compendium  of  elhics,  translated  by  F.  Glad- 
win (Texle  et  Iraduclion  en  regard). 

1822.  —  Exposition  de  la  foi  musulnaane,  traduite  du  turc  de  Mo- 
hammed ben  PirAli  Elberkevi,avec  des  notes  par  M.Garcin  île  Tas- 
sy  ;  suivie  du  Petid-N;1mèh,  poème  de  Saadi.  traduit  du  persan  par 
le  même,  et  du  Borda,  poème  à  la  louange  de  Maliorael,  Iraduil  de 
l'arabe  par  M.  S.  de  Sacy  (Paris,  in-8). 

La  Iraduclion  ilu  Pend-Nâmeh  occupe  les  pages  103-124  et  a  été 
réimprimée  datjs  :  Garcui  de  Tassy,  Allégories,  récils  poéliques  et 
chants  populaires,  Paris,  1876  (p.  197-210). 

1823  -  Perrin  (N).  La  Perse  (Paris,  7  vol.  pet.  in  12  . 
\«il    \  I,  [).  117-147:  traduction  du  Pend-NAmeh. 

1824  —  The  persian  reader  (Calcutta,  in-8  . 
Vol.  I  ;  extrait  du  F^end-Nûmeh. 

1825.  —  Pend-NAtneh    Calculla,  l'M2.  in-.s). 

(Texte  persan  et  traduction  en  hindousiani.)  Réédité  en  1853. 

1833.  —  HoMirew(Alex.^.  Chrestoroathie  persane  (Moscou,  in-8). 
P.  9-19:  Texte  du  Pend-Nâmeli. 

1835.  —    Spécimen  academicuu)    F'endnAmeh    sive  liler  consi- 


XXII  BIBLIOGRAPHIE 

lioruin  Sheikh  MusliheJdin  Saad!  Schirazensis,  Persice,  interpreta- 
tiotie  latiiia  nolisque  illustratum  sislens  quod  venia  amplissimae 
facullatis  pliilos.  ad  imperialein  universitatem  Alexandream  in  Fen- 
nia  p.  p.  GaBriel  Geitlin,  resp.  Johann  Zacharia  Lange,  sacellano 
Helsingfortiensi,  pars  I  et  II  die  10  junii  1835  h.  a.  m.  c.  (Helsing- 
fors,  in-8,  LVI  et  24  pages). 

1840. —  The  Persian  Moonshee,  containing  a  copions  Gramnoari 
and  a  séries  of  entertaining  slories  ;  also  Ihe  Pund  nanauh  oï  Shykh 
Sadee.  beinga  compendium  of  elhics  in  verse,  by  Ihat  celebrated 
poët...  The  whole  in  Ihe  arabic  and  roman  characlers,  logelher 
wilh  an  english  translation.  Second  édition,  revised,  correcled  and 
translaled  into  the  roman  character,  by  William  Carmichael  Smyth, 
Laie  of  the  Hon.  East  India  company's  Bengal  civil  service  (Lon- 
don,  in-8). 

(Cf.  éd.  Gladwin.1801.) 

1846.  —  The  persian  primer  (Lucknow,  1263,  in-8,  lilhog.). 
(Edition  du  texte.) 

1846.  — Graf.Rosengarten  (Cf.  traduclionsdu  Gulistans.a.  1846). 
Extraits  traduits  envers  :  notes,  p.  239,  244,  253,  260,  281,  293, 
297. 

1864.  —  'Aqd  el  lâlî,  or  persian  poelical  reader.  N"  I,  conlaining 
the  Pand  Namah  or  Karima,  commonly  ascribed  to  Sadi,  and  Ihe 
Tarji-Band,  called  Ma-iMoqiman  (Calcutta,  in-12,  Lees  persian 
séries,  n°  4). 

J.  Mohl  (J.  A.,  1856,  VIII,  p.  58)  cite  cette  édition  du  Pend-Nàmeh 
((  attribué  à  Saadi  ». 

1885.  —  The  Pandnama  of  Sheik  Sadi,  annotaled  by  Shapurji 
Bhikhaji  Baria  (Bombay,  Education  society's  press,  in-8,  56  pages). 

1887.  —  Pend-Nâmeh(Lahore,  1305,  in-8,  Muslafaï  press,  16  p.). 
1887.  —  Idem  (Bombay,  in-4,  Mahomedi  press,  16  pages). 

1887.    -  Idem  (Agra,  in-8,  Murtazaï  press,  12  pages). 
(Ces  trois  éditions  lithographiées.) 

1887.  —  Hart  (Jul.)   Divan  der  persischen  Poe.sie  (Halle, in  12). 
P.  i  17  :  traduction  d'un  extrait. 

1888.  —  Pend-Nâmeh   (Gawnpore,  in-8,  Ahmedi  press,  1306,  li- 

thog.), 

1894  -  Karimah  Persian  text  wilh  his  translitération,  by  E.  R. 
Sahiar  (Bombay,  1312,  79  pages). 


EDITIONS    Kr     IHVDUCTIONS    DU     l'ENO-MAMEH  XXIII 

1901.  —  M.itljcnn'-i  paiiilj  kilAl»  :  Kiiiiiiui,  tic. 
(Huinbiv,  M;Ul»:i  -i  IlasHrii.  l'ÎPJ,  l?l  pages.) 

éditions  non  datées. 

A\  A^^ra.  iii  ^.  lilho^. 

B)  Lurkiiow,  111  6.  lilliug.  vAv(*c  Irailuclioii  en  liiiuluuslani). 

Edition  non  pnblièc. 

182J.  -  Pi(>>|>«(iiis  el  SjM'cimt'U  «l'une  clilion  lilliugraphici; 
d'uîiJMes  (le  Saudi  (par  CiaiiUier,  secréloiie  adjoint  ;'<  1  ICcole  des 
Langues  orientale^,  cl  Dcnianne  jiMinr,  lilliotïiaph»'). 

M  ....  l'ii  nouveau  proced»'»  liUjogiafilii(|ue....  nous  met  à  mOmc» 
de  publier  aujourd  liui  le  Pend-nanieh  (Iimp  rjrs  conFoiU)  de  Sandi. 
Le  mauiiscril  île  ce  |)c)ènie  esl  lellenienl  rare  iju'ij  ne  se  lit.iive 
même  pas  à  la  Hiblioll)è<|ue  du  Hoi.  ^t)U'^  y  juigiion>  le  Houslan, 
du  même  auleur.  » 

(L'ouvraj^e  devail  coinpieiidie  ciinj  livraisons,  h  H  lianes  la  li- 
vraison, lexlc  el  Iraduclion.  Les  «ViiUins  annon(;aienl  en  onlrc  la 
publication  posb^rieure  du  Gulislan.  du  Haharistan,  du  (^oran, 
elc  ) 


TRADUCTIONS  DU  GULISTAN 


1634.  —  Gulistan  ou  l'empire  des  roses,  composé  par  Sadi, 
prince  des  poètes  turcs  et  persans,  traduit  en  français  par  André  du 
Ryer,  sieur  de  Malezair  (Paris,  Ant.  deSommaviile,  166 pages,  petit 
in-8). 

Réimprimé  en  1737  (Paris,  Prault). 

Sémelet  (trad.  du  Gulistan,  1834,  préface,  p.  3)  :  a  II  n'y  a  pas  la 
moitié  du  texte  traduit  ;  ce  sont  quelques  paraphrases  que  l'on  ne 
peut  pas  appeler  du  nom  de  traduction....  Il  finit  la  totalité  de  l'ou- 
vrage par  le  paragraphe  de  la  fin  du  chapitre  premier  (jui  commence 
ainsi  :  On  demanda  à  Alexandre  le  Grand.  ..  »  (Cf.  la  rectification 
de  Defrémery,  infra,  année  1704). 

Du  Ryer  a  en  outre  donné  une  traduction  du  Coran  (Paris,  1647). 

En  1635,  son  Gulistan  fut  traduit  en  allemand  p^r  Friedrich  Och- 
senbach,  de  Tubingue. 

1651. —  Musladini  Sadi  Rosarium  polilicum,  sive  amoenura  sor- 
tis humanae  theatrum,  de  persico  in  latinum  versum,  necessariis- 
que  notis  illusiratum,  a  Georgio  Gentio  (Amstelodami,  Blaeu,  petit 
in-fol.). 

Texte  persan  en  caractères  naskhi  et  traduction  latine. 

Réédition,  à  Amsterdam,  de  la  traduction  latine  seule  (in-12)  en 
1655. 

Gentius  écrit  dans  la  dédicace  de  sa  traduction  au  prince  de  Saxe  : 
«  Après  que,  durant  trente  ans,  les  frelons  ennemis  ont  ravi  tout 
leur  miel  aux  abeilles  et  n'ont  laissé  que  la  ruche  vide,  le  moment 
est  propice  pour  planter  ce  jardin  de  roses  en  Allemagne.  » 

Eastwick(trad.  du  GuUstan^  1852,  préface,  p.  XII)  :  «  It  exhibits, 
along  with  the  energy,  ail  the  roughness  of  a  pioneer.  » 

Sur  Gentius.  cf.  Raphaël  du  Mans,  Estât  cle  la  Perse  (éd.  Ch. 
Schefer),  introd.,  p.  xcvi.  George  Gentz,  né  en  1618  à  Dahme,  fut 
conseiller  du  prince  de  Saxe  Jean-George  II  et  mourut  en  1687. 
C'est  d'après  sa  traduction  que  Herder  composa  son  «  Sadi's  Rosen- 
thal  ». 


TRADUCTIO.IS    DU    GULI8TAN  XXV 

L'tMilion  de  UYy^  est  ainsi  appréciée  par  Sénaelel  (trad.  du  Gulis- 
lan,  IS.'U.  préface,   p.  3):   u  Ollo  Iraduclion   n'est   pas   mauvaise, 
quoiju'il  s'y  trouve  b»*aucoup  d'erreurs. ..  ;  les  ilifticultés  du  texte 
restent  ;  et  les  notes. insis^niflantes  pour  la  plupart, n'en  relèvent  au- 
cune ;...  j'ai  conservé  de  ces  notes  tout  <:e  qui  m*a  paru  être  utile..  » 

Gladwin  et  Dumoulin,  pour  leurs  traductions  anglaises,  se  sont 
aidés  de  Gentius. 

1354.  —  Persianischer  Rosenthal  in  welchem  viel  luslifçe  Hi<^lo- 
rien.scharfsinnifçe  Heden  und  niit/tliclie  Hegeln,  vor  40U  Jahren  von 
einein  sinnreiclien  Poeten  Scliich  Saadi  in  persischer  Sprach  f^es- 
chrieben.  Jel/o  aber  von  Adamo  Oleario  mil  Zn/iehunj,'  einesallen 
Persianers  Namens  Ilakwirdi  uberset/.et,  in  Ijochdeulsclier  Sprache 
herausgegeben  und  mit  vielen  Kupfersiiicken  gezierel.  Mil  ROm. 
Kay^.  Majesl.  Freybeil.  —  Schlesswig.  In  der  Fiirstl.  hnickerpy 
gedrurki  durcli  Johann  Holwein.  — liey  Johann  Nauman  Bucliliànd- 
lern  in  Hamburg.In  Jahr  1654  (in-Pol.). 

Grand  succès  en  Allemagne.  Réédité  en  1660,  1663,  1671  (année 
de  la  mort  d'Olearius;,  16%. 

Sur  Olearius  (Oelschlager),  cf.  F^aphaël  du  Mans,  Estât  de  la 
Perse(é(l.  Schefer),  introd.,  p.  xi.ii  et  suiv.  et  xc:vii.  Kl  cf.  F.  Ralzel 
(Allgem.  deutsche  l'.io^'.,  l.  XXIV,  p.  "269.  Leipzig,  1887). 

Première  traduction  complète  en  allemand  Adam  Olearius  von 
Ascher^leben  (1599-1671)  qui  avait  appris  le  persan  en  Perse,  fai- 
sait partie  dune  ambassade  envoyée  en  Russie  et  en  Perse  par  le 
duc  Frédéric  III  de  Schleswig  Holstein-Gottorp.  On  trouvera  des 
détails  sur  cette  ambassade  dans  Graf,  Rosengarlen  (1846,,  Vor- 
rede,  début. 

Dans  sa  préface,  Olearius  déclare  que.  lors  de  son  séjour  en 
Perse,  il  n'y  avait  presque  personne  «  en  élat  de  lire  et  d'écrire, 
qui  n'ertl  le  (iulislan  entre  les  mains  »  et  que  ceux  qui  voulaient 
passer  pour  savants  pouvaient  en  réciter  par  cœur  la  plus  grande 
partie.  Le  Chah  de  F'erse  ayant  envoyé  à  son  tour  une  ambassade 
en  Holstein.  Hakwirdi,  <|ui  en  faisait  partie,  aida  Olearius.  (^f.  un 
extrait  de  celte  préface  dans  Rùrkert.  Saadis  polilische  Gedichte 
(éd.  Rayer,  Rerlin.  1894).  p.  142,  u    60. 

Graf  (Rosengarlen,  inlrod.,  p.  xiv)  :  «  L'œuvre  d  Olearius  a,  de 
par  son  ton  de  naïveté  louchante,  un  charme  particidier  qui  plall 
encore  aujourd'hui  ;  mais  on  peut  h  peine  la  nommer  traduction, 
d'après  nos  conceptions  modernes.  C'est  une  libre  rédaction  d'après 
Saadi...   > 

D'après  Schefer  (éd.  <it.  de  Raphaël  du  .Mans), l'édition  d'Olearius 
est  •<  ornée  de  gravures  qui  ne  donnent  qu'une  idée  fort  inexacte 


XXVI  BIBLIOGRAPHIB 

des  costumes  et  des  édifices  persans...  Olearius  a  imprimé  quel- 
ques vers  et  quelques  noms  propres  avec  les  caractères  persans 
employés  par  Gentius.  L'orthographe  laisse  beaucoup  à  désirer  ». 
A  celte  traduction,  Goethe  a  emprunté,  sans  presque  y  rien 
changer,  les  deux  historiettes  du  «  Divan  oriental  et  occidental  » 
placées  en  remarque  au  «  Schenkenbnch.  » 

1654.  —  Persiaansche  Roosengaard  :  beplant  met  vermaaklijke 
Historien,  scharp-zinnige  Redenen,  nulle  Regelen,  en  leerijkeSin- 
Spreuken.  Door  Schich  Saadi,  doch  onlangs  uil  «leselve  Spraak 
in'l  Hoogduyls  overgesel  door  Adamum  Olearium  ;  die  daar  by 
gevoegd  heeft,  de  aarlige  Fabelen  of  Verdigtselen  van  Lokman  ; 
als  ook  eenige  trefîelijke  arabische  Spreuken.  Ailes  verlaalt  door 
.1.  V.  Duisberg.  Met  schoone  koopere  Plaaien  verziert.  (t'Amsterd. 
1654). 

Traduction  en  hollandais,  d'après  Olearius  (Amsterdam,  in  12). 
Cité  Chauvin,  Bibliographie  des  ouvrages  arabes,  III,  p.  22,  n°38  C. 

1696.  —  Des  Welt-beriihmten  Adami  Olearii  colligirte  und  viel 
^ormchl•le  Reisebeschreibungen,  beslehend  in  der  nach  Muskau 
und  Persien,  wie  auch  J.  Albr.  von  Mandelslo  morgenland.  und 
Jiirg.  Andersen's  und  Volq.  Yversens  oriental.  Reise  etc.  Nebenst 
(Sadi's)  beigefuglem  persian.  Rosenlhal  und  Baumgarten.  Mit 
eingedr.  Kpf.  (Hambourg,  in-fol.). 

Réédition  d'Olearius,  augmentée  de  la  traduction  du  Boustan. 
La  K'  édition  de  1654  était  in-folio  ;  la  deuxième  (Sçhleswig,  1660) 
fut  tirée  à  la  fois  en  in-folio  et  en  in-4.  Cf.  Chauvin,  Bibliog.  ouv. 
arab.,  III,  p.  21,  n"  38  A). 

1704.  —  Gulistan  ou  l'empire  des  roses  ;  traité  des  mœurs  des 
rois,  composé  par  Musladini  Sadi,  prince  des  poètes  persans,  tra- 
duit du  persan  par  M...  (d'Alègre)  (Paris,  in-12,  2  parties  en  un 
volume). 

Defrémery  (trad.  du  Gulistan,  1858,  préface,  p.  iv)  :  «  Sémelet  a 
confondu  la  traduction  de  Du  Ryer  avec  l'extrait,  beaucoup  moins 
complet  et  sans  aucune  valeur,  publié  pour  la  première  fois  en  1704, 
sous  le  voile  de  l'anonyme,  par  d'Alègre,  et  réimprimé  en  1714  et 
en  1737.  » 

1774.  —  Select  Fables  from  the  Gulistan  or  the  Bed  of  roses, 
translated  from  the  original  persian  of  Sadi,  by  Stephen  Snllivan 
(London,  in-8,  VI  et  139  pages). 

1775.  —  Schich  Sadi  Persisches  Rosenthal  nebst  Locmans  Fa- 
belii.  Xeue,  verbesserte  Auflage,  von  J.G.  Schummel.  (Wittenberg 
und  Zerbst,  bey  Samuel  Gottfried  Zimroermann,  in-8,  358  pages). 


TRADUCTIONg    DU    OULIHTA!*  XXVII 

KtiJHitnis^einenl  de  \n  Irnduclioii  «l'OlAfirius.  On  lit  dans  la  pré- 
face (p.  4)  :  «  Ich  eiil'^chloHs  rnioh  aUi>.  ilm  (  lan  Ol'îarins)  n»;u 
htM-His  /.Il  iÇ(M).Mi.  un  I  .lu;  SjKacli!,  so  j^ul  ich  k  iiiule,  jeJocl»  mit 
aller  nur  inO^lictieii  Treue  uin  10()  Jahro  zn  verjiingftn.  » 

1789  —  Kssay  liisloïKpi»»  sur  la  lt''f^i><lnlion  il««  h  I^erso,  piV;c«^(lé 
de  la  traduction  complète  du  J.irtim  d''>  n.i««-  d"  ^^  Iv.  [»nr  l'.d»bé 
(iaudin  (Paris.  Le  Jay,  in-H). 

Belle  mlidèle.  S'Wiielel  ilrad.  du  (iuli-lau,  l.SiU.  pr<'r.i(:e,  p.  m  et 
iv\  donne  des  exemplos  des  nombreuses  inexucliludcs  et  ajoute  (|uc 
cette  traduction  était,  juscjuà  la  sienne  propre,  ••  la  seule  tiaduclion 
que  l'on  croyait  avoir  coinidèle  en  français  >< 

H«'édilé  en  17UI  it'aris,  in  H)  el  rt'iinprimé  en  I84.'i  dans  l'éd. 
des  «  Mille  cl  un  jours  »  du  «  Panthéon  littéraire  >•  (F^aris,  in-8). 

1802  —  The  Bagh-i-Oordoo  or  a  Hindoostanee  version  of  the 
Per>ian  (ioolislnn.  The  Bosongarden  of  Hindoostun,  translaled 
froin  Shykh  Sadee's  original  nursery  ;  or  persian  Goolistan  of 
Sheeraz.  by  Moer  Sher  Ulee  L'Isos,  under  Ihe  direction  an<l  super- 
intendance of  John  Gilchrist  (Calcutta,  *2  vol.  gr.  in-8). 

Tra<luction  en  hmdouslani  réédilée  en  180S,  1835,  1846.  1849 
(Calcutta,  in-8);  1835  (Bombay,  in-8). 

1806.  — The  (ïolistan  or  Bosegard  n  hy  Muslahuddeen  Sady  of 
Sheeraz  With  an  english  li;iiisl;ili(tti  .uni  iioli-^.  hy  F  Ciladwin 
(Calcutta,  2  vol.  in-4), 

'2'  vol.  :  Iradiiclion  en  anglai.s.  lUn-iili'c  en  1808  Calcutta  and 
London,  in-8).  en  1833  et  I83H  ^London). 

1807.  —  Goolistan...  with  an  english  translation...  By  James 
Dumoulin  (Calcutta,  in-1.  230  pages). 

1809.    --  The  (iulistan...  by  F.  Gladwin  (London.  in-8,  2  vol.). 
L  ■  J'  volume  contient  la  traduction. 

1823.  —  The  (iulislan  or  llowergarden  of  Sheikh  Sadi  of  Shiraz 
translated  into  english  by  James  Ross  from  the  persian  lexlof  Gen- 
tius.  logelher  wilh  an  essay  on  Sadis  life  ami  genious  (London, 
in-8.  475  pages). 

Peu  littérale.  Voir  exemples  d'inexactitudes  dans  Sémelel  (Ir.id' 
du  (lulislan.  ia34    iniro.l..  p.  vi\.  Réédilée  en  1800. 

1827.  —  Drei  Lustgange  aus  Sadis  BoM'nhain.  ans  dem   Persis- 
chen  libersetzt  von  B.  horn    H  luibourg,   in  8,  130  pages). 
(Traduit  da{)rés  Gentius.) 

1827.  —  The  Gulislan,  translated  by  S.  Lee  ;  London,  in-8). 


XXVIII  BIBLIOGRAPHIE 

1828.  —  Spreuken  en  Voorbeelden  van  Muslih  Eddin  Sadi  ge- 
trokken  uit  zijn  Rosengaard  van  W.  Bilderdijk  (Rotterdam,  in-8, 
59  pages). 

1834.  —  Gulistan  ou  le  parterre  des  fleurs  du  sheikh  Moslih- 
eddinSadide  Chiraz,  traduit  littéralement  sur  Tédition  autogra- 
phique du  texte  publié  en  1828,  avec  des  notes  historiques  et  gram- 
maticales par  N.  Semelet,  membre  de  la  Soc.  as.  à  Paris,  Dédié  au 
Roi  (Paris,  Imp.  royale,  in-4). 

Préface  (p.  27)  :  «  J'ai  pour  ainsi  dire  calqué  ma  traduction  sur 
les  termes  du  texte...  ;  c'est  du  français-persan  qui  ne  peut  avoir  de 
prix  que  pour  celui  qui  explique  le  Gulistan.  » 

Defrémery  (trad.  du  Gulistan,  1858,  préface,  p.  i)  :  «  Système  de 
traduction  beaucoup  trop  littéral.  » 

1841. —  Sadis  Rosengarten  aus  dem  Persischen  iiberselzt  durch 
Dr.  Philipp  Wolf  (Stuttgard,  petit  in-8,  335  pages). 
(Traduit  d'après  Sémelet.) 

1843.  ~  Fragment  d'une  traduction  du  Gulistan,  par  Charles 
Borromée  Houry.  (Revue  :  l'Emancipation,  n"  du  9  mai). 

Sur  Houry,  né  en  1799  à  Relligny  (Luxembourg)  et  mort  à 
Téhéran  le  18  novembre  1858,  cf.  Chauvin  :  Charles  Borromée 
Houry,  Liège,  1908. 

1846.  —  Kilâb  tarjamati'l  Hulislâni'l  (sic)  fârisî  taarifou'l 
khawâja  Jabrâïli  bni  Yoûsoufrs  chahîr  bi'l  Moukhalla  (Boulaq, 
1263,  in-4j. 

(Traduction  en  arabe.) 

1846  —  Moslicheddin  Sadi's  Rosengarten,  nach  dem  Texte  und 
dem  arabischem  Commentare  Sururi's  aus  dem  Persischen  libersetzt 
mit  Anmerkungen  und  Zugaben  von  K.  H.  Graf  (Leipzig,  in-12, 
302  pages). 

Sur  K.  H.  Graf  (né  à  Mulhouse  en  1815,  mort  en  1869),  cf.  AUg. 
Deutsche  Biog.,  t.  IX,  p.  579  (Leipzig,  1879). 

Compte  rendu  de  J.  Mohl  (J.  A.,  1848,  XII,  p.  139)  :  u  On  ne  sau- 
rait refuser  à  Graf  le  mérite  d'avoir  su  allier  une  grande  tidélilé  à 
une  élégance  remarquable.  La  prose  rimée  est  imitée  et  les  pièces 
de  vers  sont  traduites  en  vers;  dans  les  cas  douteux,  Graf  a  suivi 
le  sens  indiqué  par  le  commentaire  de  Sourouri.  « 

1852.  —  The  Gulistan  or  Rose  Garden  of  Shekh  Muslihuddin 
Sadi  of  Shiraz,  Iranslated  for  the  lirst  time  inio  prose  and  verse, 
wilh  an  introductory  préface,  and  a  life  of  the  author,  from  the 
Atish-Kadeh,  by.Edward  B.  Easlwick,  F.  R.  S.  M.  R.  A.  S.  ofMer- 


TRADUCTIONS    DU    GULIBTAN  XX»  X 

Ion  collège  Oxford.  memlHi  of  Ihe  Asinlic  sociclies  of  Paris  and 
Bomh.iN ,  iind  Professer  of  OrnMilal  Laiimui^e-^  and  Librarian  iii  llie 
Kasl  India  (:oll«'^c  (^llerlford    Iliîll«->l>iii y.  in-H.  M2  |taf,'fs). 

Dans  sa  prt^facc  (p.  xvi),  Enslwick  ran^'o  dan?*  rct  ordre  de  mérite 
les  Iradiidions  prrcédani  la  sienne  :  1°  Sûmelel  ;  '2"  (iladwin  ; 
3°  Ho»  ;  4"  (ienlm-;  ;  il  r  «pporle  ce  pn>.erb(».  sur  San  li  :  «  (Iliaque 
mol  de  Saadi  a  7*2  sens  ■>  («  lier  laf/-i  Saadi  neflAil-ou-ilou  inaani  ►»). 

I^éédilion  en  I8S()  (Londres). 

Defrémorv  (Irad.  du  (iulislan,  \>i'>^,  prt^face,  p.  ii)  :  «  Il  est  à  re- 
gretter que  les  scrupules  qui,  dans  sou  édition  du  texte  publié  en 
I8r)0,  l'avaient  port»'  à  mutiler  l'ouvraj^e  de  Saadi,  l'aient  déterminé 
à  introduire  les  mécnes  coupures  dans  ;>a  version...  siipprinianl, 
dans  le  clia})itre  V,  dix  historiettes  sur  1\  et  faisant  plusieurs  cou- 
pures dans  d'autres  clia|>itres.  » 

Harbier  de  Meynard  (J.  A.,  1H58,  XII.  p  000;  :  «  La  version  an- 
glaise la  plus  récente,  due.'»  la  plume  dt-  M.  Eastwick,  tout  en  étant 
à  la  fois  une  merveille  d'exécution  typ<)<,Maplii(jue  et  une  oeuvre  lit- 
téraire, est  moins  une  traduction  qu'une  élégante  paraphrase  Mal- 
gré les  ressources  qu'olTrent  les  mots  composés  et  les  inversions 
hardies  de  la  langue  anglaise,  il  était  impossible,  on  le  conçoit, 
d'être  en  même  temps  poète  et  traducteur.  » 

1855.  —  Le  Gulislan.  traduit  en  hindouslani  par  Nizam-uddin 
(Poona,  1272,  in-8). 

1857.  —  Le  Gulistan.  traduit  en  russe  par  S.  Nazariant/  (Mos- 
cou, in-8,  XX  et  171  pages). 

1858.  -  Gulistan  ou  le  Parterre  des  roses  par  Sadi,  traduit  du 
persan  sur  les  meilleurs  textes  imprimés  et  manuscrits  et  accompa- 
gné de  notes  histor-ques,  géographiques  et  littéraires,  par  CU.  De- 
fré  mery  (Paris,  iu-12,  358  pages). 

Important  compte-rendu  de  Barbier  de  Meynard  (J.  A.,  1858. 
XII,  p.  riW-fK)!!  :  «  ...  La  traduction  donne  tout  ce  cpi'on  est  en 
droit  de  lui  demander  :  un  cal(|ue  lidèle  de  loriginal,  une  juste 
ap  précialion  de  l'œuvre,  et  des  éclaircissements  puisés  aux  meil- 
leures sources.  .  » 

J.  Mohl  (J.  A.,  185'J,  XIV.  p.  G?)  :  «  'traduction  aussi  fidèle 
mais  moins  cahjuée  sur  la  phrase  persane  que  celle  de  Sémelel... 
Ce  livre  aura  des  milliers  de  lecteurs.  » 

1861.—  (iulislan,  a  complète  anal}.'>is  of  llie  enlirc  prrsi.Hi  loxl, 
by  Major  l\.  V.  Anderton  (Calcutta,  in-8°). 

1864.  —  Der  RoseDgarlen  des  Scheich  Muslih-eddin  Sadi  aus 


\XX  BIBUOGRAPHIE 

Schiras.  aus  deni  persischen  ûbersetzl  von  G     H.   F.   Nesselmann 
^Berlin,  m-8,  3\'2  pages). 

1873.  —  Gulislân  ossia  il  Roselo...  prima  versione  italiana  dall" 
originale  persiano  con  commenlario  crilico  estelico  comparalivo 
per  Gherardo  de  Vincenliis   Napoli.  in-S,  "6  pages). 

1873.  -i H.  V2^). 

A)  Gulistân  lurklcheh  lerjumèsi. 
Conslanlinople,  inip.  Cheikh  Yahia. 

B)  Idem  ^Traduit  par  le  cheikh  ul  islam  Esad  Efendi). 
ConstaDlinople,  imp.  Suieiman  Efendi. 

C)  Idem  (Avec  commentaire  de  Soudil. 
Conslanlinople.  imp.  Ali  Pacha. 
(Traductions  en  turc.^ 

Hadji-Khalfa  vLexicon.  éd.  Flûgel.  V.  p.  ?o2  :  t.  Le  moulla  Asad 
Efendi  a  Iraduil  en  turc  le  Gulislân.  La  date  de  sa  composition 
est  contenue  dans  ces  vers  :  Le  Gulislân  fut  son  œuvre  maîtresse  ; 
en  même  temps,  les  mois  <>  aïn-i-Gulislan  »  dont  la  valeur  numé- 
rique est  :  691)  sont  devec  us  la  date  (de  sa  composition  >♦  ^^Gulislàn 
aïn-i-taçnifât-i-ou  boûd.  c'.oudeh  tarikh  hem  aîD-i-guHslân^. 

187  6.  —  The  Gulistân.  Iraoslated...  by  John  T.  Platts   London, 
in-^  . 
(Voir:  Editions  du  Gulistân.  1871.) 

1876.  —  Le  Gulistân.  traduit  eu  polonais  par  de  Biberstein-Ka- 
zimirski  (Paris,  inS). 
(Cf.  Barbier  de  Mevnard.  La  poésie  eu  Perse,  p.  47,  n.)- 

1879.  —  Le  Gulistac,  traduit  en  polonais  par  Olvinovrski,  publié 
par  Janicki  ;,Varsovie\ 

Signalé  Grundriss  der  iran.  Philologie.  IL  p.  2%. 

1880.  —  TheGulistau...  translaled...  by  Ed.  B.  Easlwick  , Lon- 
don, io  8.  XXVI  et  243  pages}. 

(Réédition  de  la  traduction  de  185*2.) 

1880.  —  The  Gulistân.  éd.  and  translaled  vNith  notes,  by  E.  H. 
NVhinfield  i^ London). 

1880. —  H.  G.  Raverty.Tbe  Pushto  manual.  etc.  ^London,  in-8;. 
(Contient  des  extraits  du  Gulistân  traduits  en  pouchtou."» 

1882    —  Le  Gulistân.  traduit  en  russe  (Anonyme  (Moscou,  in  8, 

353  pages). 

1883.  —  The  "Iqd-i-Gul  ortht  rose-necklace being  the  sélections 
from  Ihe  Gulislân  and  the  Anwar-i  Suhaïli.  Translaled iûto  english 
with  notes  by  Adalut  Khan  (Cidcutta,  iu-6,  386  pages». 


TBADUCTIONl    DU    OULIKTAN  IXXI 

1888  L  Piiil  Inloii  rniiHido  (Joii  («utinlttri  di;  Sadi  mvira  duu 
per-i;in  (MiMil()<'lli<'r,  iinp.  HniDnliii,  iri-H,  104  |»n(ç«*H). 

A  ia  (ni^iiir  libriiiric  :  ivliliun  de*  liiltliopliili;.  uvec  inlroducliuii  fii 
fran(.'iii-»  par  tIrnvMl  lliiiiivliii  ol  un  purlruil  liiiidoii  (sic) de  Sadi,  in-4. 
L'iiilro<lii«*lii)i)  c^l  iiililiili^ir  :  Lu  lill<'M°;itiir<'  orifoliiU»  imi  Kratici;  an 
X\'II*  r[  au  XVIII*  sm'tIc  :  le  (;iili>.|;tii  de  Sadi  et  sa  Iradinlion  du 
pei'Han  en  prov«*n«;al. 

1888      -  Thu  Ciiilislnn  or  Ho<4R  Garden,  failhrnlly  Irarisluted  inlo 
on^\\'i\i     M/'Har^s    Knina^hastra  Soc,  in-8). 
Mdil»'!  011  r('alil«'î  il  I^ondres. 

1889.  -  Mo^pr**  (Alex.).  Pprsian  Anlliology,  beiri^  Heleclions 
froin  (he  (julislaii  of  Sadi...   rtMidered  inici  eii^lisli  ver»e  (Londuii, 

in  H  . 

1889.  —  (îiilisUn  i  n^^ri  \va  Fartii,  Uannlaled  by  Milir  (Jiarid 
Da^.  (i)elhi,   Mai    Hhawani    Parbliad    Press,  lilliog.,  in-K) 

Trad.  en  hindi. 

1890.  —  fînlislan  or  Kl(i\v«'r  iiar<Icii,  Iran^ilalcd  hy  J.  Iîo.«îs  ;  and 
a  noie  upon  llie  Irarislulor  by  C^li.  Sayle  (London,  Scoll,  in-l?, 
312  pages). 

1894.  —  Krïms'kij.  Iz  «  (iolislana  »  .Saadija  :  /.Ile  i  slovo.  vidae 
OI'K»  IVanko  (Fasc.  I,  p.  .^jO-'ir».!  ;   fasc.  II,  p.  '.'7-4:{). 

(Cf   Orient.  Ribliog..  VIII.  n»  4505.) 

1895.  —  HOckerl.  Verse  ans  dem  (julislan  (Zeilsclirift  fiir  ver- 
gleichende  Lilleralurgescliichte.  VII,  p.  67-85  et  X.  p.  '217-2.15). 

1897.    -   hiiiioiunie  (Fred.).  Un  bouquet  du  jardin  des  roses  de 
Saadi  li'aris,  in-H,  ll.'i  \ium's,. 
(Adaptation  en  vers). 

1899.  —  riie  (jiilislan  :  being  Ihe  rose-garden  of  Sliaikh  Sa'di  ; 
Ihe  tir->l  four  t  Mabs  »»  or  <  (Jateway-i  >,  Iranslated  in  prose  and 
verse  by  Sir  Edwin  ArnoM  (Londres  et  New- York,  221  [•.,  illustré). 

1905.   —  Le  (Julislan,  traduit  en  roumain  par  (j.  Popescu  Cio- 
canel  (Ploesti.  .\rte  «irafia.  in  H,  ,\'X  et  W2pages). 
Traduction  libre. 

1905  —  The  Hosc-Cjarden  of  Sadi,  selecled  and  lendered,  with 
introduction  by  L.  Cranmer  Byng(London,  M  pages,  Collection  : 
Wisdom  of  Ihe  Kast^ 

CoiDpte  rendu  dans:  Ihe  Acadetny,  18  novembre  PJ05  ;  cf. 
l\.  Basset,  Bulletin  des  périodiques  de  l'Islam,  1903-1007. 


XXXII  BIBLIOGRAPHIE 

1907.  —  Rose  leaves  from  Sadi's  Garden  :  the  Gulislan  rendered 
inlo  english  verse  by  A.  H.  Hyalt  (London). 

1908   —  Persian  literalure  :  comprising...   Ihe  Gulistan  ;  wilh 
introduclion  by  R.  Gotlheil  (New  York,  410  pages). 

1909.  —  The  Gulistan,  or  rose-garden,  hanslaled  inlo  english 
by  F.  Gladwin  (Allaluibad,  Ram  Narayan  Lai  Press,  in-12,  178  p.). 

1913.  —  Roses  from  Sadi's  Garden,  Iranslated  from  «  Ihe  Gu- 
listan >)  by  C.  Hamplon  (London,  iii-12,  771  pages). 

1913.  — Le  Jardin  des  Roses,  traduit  du  persan,  préface  de  la 
Comtesse  de  Noailles  (Paris,  Fayard,  in-8,  253  pages). 
(Adaptation.) 


Le  Catalogue  général  des  Manuscrits  des  Bibliothèques  de  France 
t.  XL,  p.  418,  bibliothèque  d'Arras,  n"^  1139)  signale  une  «  traduc- 
tion de  la  Grammaire  persane  de  Sir  W.  Jones,  du  Gulistan  de 
Sadi  et  autres  écrits,  par  Julien-Léopold   Roilly,  artiste-peintre  ». 


TRADUCTIONS    DU    BOUSTAN 


XVir  siècle.  —  Traduclion  en  latin  inc^dile,  par  'llioinas  Hyde 
(1^-^^1703). 

(Si^naNV  par  ("li.  Sriipfor.  E«lal  de  la  Peri-e  en  1660,  par  le  P. 
Ra[»hajs!  du  Mans,  inlrod.,  p.  xtix.  in  fine). 

1688.  —  Den  persiaanpchen  Bogaard,  beplanl  mel  /eer  uilge- 
leesen  sprnilen  der  Historien,  en  bezaait  mel  zellzame  voorvallen, 
leer/.ame  en  aardipe  peschiedenissen,  neflVns  opmerkolijke  Spren- 
ken,  inl  Persiaansclie  Iteschreven  door  Siech  Musiadie  ('aady  van 
Cieraas  en  om  sijn  Ireffflijkheyds  wille,  inl  Nederduils  gebragt 
door  D.  H.  (Amsterdam,  J.  len  Hoorn,  in-1?,  442  pages  ) 

1696.  —  Der  Persianische  Baumgarten,  mit  ausserlesenen 
pfropfreisern,  vielen  Geschichten,  sellsamen  Begebenheiten,  lehr- 
reiclien  Historien  und  merckwiirdipen  Spriichen  befiflanl/t  :  in 
Persianischer  Sptache  beschneben  durch  Schicli  Mn.slaiin  Sadi 
von  Schiras  ;  und  umb  seiner  Vorlrefflichkeil  \%illen  ans  der  Per- 
sianischen  in  die  Niederlaendi^-rhe  und  an**  derselbetj  in  die  Hoch- 
Iftutsclie  S()rache  gebrarht  Hainboiirg.  petit  in-l"ol.,  l'iO  pages, lig.). 
J.  .Mohl  (J:  A.  1H51.  Xvlll.  p.  159.  à  propos  de  la  trad.  de  Graf. 
1850):  <'  On  tie  possédait  jns<ju'ici  (ju'une  ancienne  traduction  du 
Bouslan  par  Olearius,  mais  elle  est  si  rare  que  c'esl  à  peu  près 
comme  si  elle  n'existait  pas.  » 

Barbier  de  Meynard  (trad.  du  Bouslan,  1880,  inlrod..  p.  xxvii): 
«  Celle  imitation  anonyme  fourmille  de  coritre-seiis  et  de  lacunes; 
il  esl  d'ailleurs  visible  (ju'elle  a  été  faite,  non  sur  le  texle  persan, 
mais  sur  une  version  hollandaise  in/dile. probablement  de  (ienlius  ». 
(La  version  hollandaise  que  B  de  M.  déclare  inédite  est  sans  doute 
la  traduction  de  1088  qui  lui  a  échappé). 

1762   —  Anonyme.  Traditions  orientales  ou  la  morale  de  Saady. 

(.Adaptation  ba>ée  sans  doute  sur  celle  de  16%.) 

1850.  —  Moslicheddin  Sadis  Lustgarten  (Bostan).  aus  dem  Per- 

sischen   Obersetzl  von  Dr.   K.   H     Graf(Iéna,  inl'?.  ?vol.,?.3(>el 

182  pages). 

M.  —  Ml 


XXXIV  BIBLIOGRAPHIE 

J.  Mohl  (J.  A.,  1851,  XVIll.  p.  15*))  ;  «  Très  bon  Iravail,  cxéculé 
avec  une  certaine  élégance  et  avec  plus  d'exaclilude  qu'on  n'en 
trouve  ordinairement  dans  une  Iraduclion  en  vers.  » 

Barbier  de  Meynard  (Irad.  du  Bouslan,  18S0,  inlrod.,  p.  xxix)  : 
«  Traduit...  en  vers  allemands  sur  l'édition  de  Calciitta  de  1828,  en 
consultant  aussi  deux  mss.  delà  Bibliothèque  de  Dresde  et  partiel- 
lement le  commentaire  de  Surouri...  Quelques  années  après,  le 
traducteur,  rrap()é  de  limperfeclion  des  documents  qu'il  avait  con- 
sultas, a  donné  une  édition  du  texte  ».  (Voir  :  Editions  du  Boustan, 
1858). 

1852.  —  Der  Fruchtgarten  von  Saadi,  aus  deni  Persischen  aus- 
zugweise  ùbertragen  durch  Otlokar  Maria,  Freiherrn  von  Sclilechla 
Wssehrd  (Vienne,  in-8,  234  pages,  gravures). 

J.  Mohl  (J.  A.,  1853,  II,  p.  166)  ;  «  C'est  un  abrégé  un  peu  libre- 
ment mais  fort  élégamment  rendu  ». 

Barbier  de  Meynard  (Boustan,  1880,  introd.,  p.  xxix)  :  «  Elégant 
essai  de  traduction  en  vers  allemands...  d'ailleurs  incomplète.  » 

1869.  —  Le  Boustan,  poème  persan  de  Sé'édi,  traduit  de  l'ori- 
ginal par  M.  .T.  B.  Nicolas  (!■■•  partie,  48  pages)  (Paris,  Paul  Leloup, 
in-8j. 

E.  Renan  (J.  A.,  1870,  XVI,  p.  28)  :  «  Quand  le  livre  sera  achevé, 
il  constituera  un  service,  quoiqu'il  n'y  t'aille  point  chercher  les 
habitudes  de  précision  et  de  critique  d'un  orientaliste  sorti  des 
écoles  savantes  ». 

Barbier  de  Meynard  (Boustan,  1880,  introd.,  p.  xxx)  :  «  M.  Nico- 
las se  proposait  de  traduire  le  poème  entier,  et  c'est  à  titre  de  spé- 
cimen qu'il  publiait,  en  1869,  sur  une  édition  du  «  Kulliat  »  ou 
œuvres  complètes,  lit hographiée  à  Téhéran  (sans  date),  une  version 
de  la  prélace  et  de  la  moitié  environ  du  premier  livre...  Le  traduc- 
teur, rappelé  en  Perse  par  ses  fonctions  officielles,  est  mort  sans 
avoir  mis  son  projet  à  exécution.  » 

1871.  —  Le   Boustan,    traduit  en  turc  (Constantinople,    1288, 
2  vol.  in-8). 
Signalé  Grundriss  der  iran.  Philologie,  H,  p.  296. 

1879.—  The  Bustan,  translaled  for  the  firsl  time  into  prose  with 
explanatory  notes  and  index,  by  Caplain  H.  Wilberforce  GlarUe 
(London,  in  8). 

Barbier  de  Meynard  (Boustan,  1880,  introd.  p.  xxxv)  :  «  C'est 
tout  simplement  la  traduction  littérale  du  texte  publié  par  Graf 
(Vienne,  1858)  ;  les  notes  reproduisent  en  général  le  commentaire 
de  la  même  édition...  Livre  surtout  destiné  aux  élèves  ». 


TRADUCTION»    DO    BOt'BTAN  XXXT 

1880  —  L«»  Hoii-lnii  on  Wr^'or.  po^mt*  persan  de  Saadi.  traduit 
poiii  lu  premit^re  fois  en  français  aver  une  inlro<lnclion  et  des  tioloH, 
par  A.  C.  Barbier  de  Meynard  (Paris.  Leroux,  in-I?.  XXWI  et 
387  pajçes). 

Hnrbier  de  Mrvnard  (J.  A.  1H«0.  XV,  p.  M'A]  :  «  LYdilion  et  les 
glosj's  de  Soudi  ont  servi  de  t>a-*e  A  la  Iraduciion...  qui  tAclie  de  se 
tenir  t^  «^gale  dislance  du  strict  niul  à-niol  qui  est  souvent  la  pire 
des  infidélités,  et  d'un  excès  d'élégance  obtenue  aux  dépens  de  la 
pensée  du  poète,  i» 

E.  lienan  (J.  A..  1880.XVI.  p.  .30):  ..  M.li.  de  M.  vient  de  combler 
une  lacune  dans  notre  littérature  savante  en  nous  donnant  une  tra- 
duction du  lioustan...  Cette  lecture  sera  sOrenienl  une  félc  pour 
tous  les  gens  de  goût.  » 

Cf.  compte  rendu.  H.  critique,  27  septembre  187^  et  3  mai  18S0. 

1882.  —  ^aa<li's  Bi)>*liin  ans  deiu  Pcrsi'^chen  ûberselzt  von  Frie- 
dnili  Hiickerl.  Herausgogeben  von  W.  IVtIscIï  (Leip/ig,  in-H, 
VIII  el  "ÎS'i  pages). 

Hiickert  écrivit  celte  traduction  enhf  \>4V>  el  1851  Cf.  Saadi  s 
politische  Gedichle  uberscl/.l  von  V.  Hurkert  (herausgegeben  von 
E.  A.  Bayer,  1894),  p.  144-145.  n.  73.  7r,,  77,  78. 

Sur  Buckert  orientaliste,  cf.  C.  Beyer.  Friedrich  Biickerl.  ein 
biognipliisches  benkmal  i^Francfort-s.-Mein.  1868)  el  l'article  de 
H.  ROckerl  ..  Fr.  Biickerl  als  Gelehricr  »  recueilli  dans  «  Backerl, 
Kleincre  Schriften  »  (Weimar,  1877,  '2*  partie). 

1882    -  l)avie((i.  S.). The  (Jarden  of  fragrance  (London). 
Signalé  (irundriss,  II,  p.  2%. 

1896  —  A  IVw  IloNvers  from  the  garden  of  Sheikh-Saadi  Shirazi 
Iraiolaled  inio  english  verse  of  porlions  of  Ihc  Bustan  (j»ar  W.  C. 
Mackinnon;  (London,  in-8.  88  pages). 

1904.  —  Seleclionsof  the  Boslan  of  Sadi,  Iranslated  inloenglish 
Yerse,  by  Dawsonne  Melanchton  Strong  (London,  in  12). 

1906.  —  The  benelits  of  Kindncî-s.  being  the  Mcond  bo(.k  of 
llic  r.ustan,  translaled  by  (icoij^e  Banking  (Uxiord,  ni-8,  44  pagesi. 

1911.  —  The  Busiaii,  Iran.-lHled...  \Mlh  iniroduclion  byA.Harl 
Edwards  (Coll.  W  itdom  of  the  East)  (London.  m-B..  l'24  pages). 
(Adaptation.) 

1913. —  Le  Jardin  des  Kruii-,  traduit  du  persan  }>ar  Franz  Tous- 
iitiinl  J-*uri!>,  iu-12/. 
(Adaptation  ) 


TRADUCTIONS  FRAGMENTAIRES 


A.   —   Diwân. 

1818.  —  Hammer.  Geschichte  derschôiiftu  ReJekanst  Persieus 
(Vienne,  in-8). 

Trad.  en  allemand  de  3  cfacidas,  8  layibàt,  G  badai',  2  inoui(atla'ât 
et  7  vers  isolés. 

1828.  —  Grangeret  de  Lagrange.  Anthologie  arabe  (Pai'is,in-12), 
P.  217-225  :  deux  extraits  (texte  et  traduction). 

1852.  —  Servan  de  Sugny.  Trois  odes  de  Hafiz  et  une  élégie  de 
Saadi...  traduites  en  vers  français  avec  le  texte  et  la  traduction 
interlinéaire  en  regard  (Paris,  in-8,  IV  et  32  pages). 

1855.  —  H.  Graf.  Aus  Sadi's  Diwan  (Trad.  en  vers  allemands). 

Z.  D.  M.  G.:  18.55,  IX,  p.  92-135  et  1858,  XII,  p.  82-116  (19  qaci- 
das  persanes);  1859,  XIII,  p.  445-467(14  tayi  bât)  ;  1861,  XV,  p.  541- 
576  f  10  badai-,  7  khawâtim,  1  raarttiiyah)  ;  1864,  XVIII,  p.  570-572 
(6  roubaïyât,  4  moufradàl). 

1879.  —  W.  Bâcher.  Muslicheddîn  Sa'di's  Aphorismen  und 
Sinngedichte  (Strasbourg,  in-12). 

Edition  critique  et  traduction  en  allemand  du  Çàhib-Nâmeh, 
avec  introduction.  Cf.  le  compte-rendu  de  Fleischer,  Z.  D.  M.  G., 
XXXIV  (1880),  p.  389. 

1887.  —  Harl  (Jul.).  Divan  der  persischen  Poésie  (Halle,  in-12). 
P.  120:  extrait  du  Çâhib-Nâmeh,  trad.  en  vers. 

1893.  —  Aus  Saadi's  Diwan,  von  Friedrich  Rûckert.  Auf  Grund 
der  Nachlasses  herausgegeben  von  E.A. Bayer  (Leipzig,  pet.  in-12). 

Trad.  en  vers  de  pièces  extraites  des  qacidas  persanes,  tayibât, 
badai",  khawâtim,  ghazals  anciens,  quatrains,  mouqatta'ât,  khabi- 
thât,  vers  isolés. 

1893.  --  Tapish.  Notes  on  the  Tayebât  of  Sadi  (persian  and 
english)  (Bombay,  49  pages). 
(Odes,  51-lOO.J 


TRADUCTIONS    FRAGMCNTAIHES  XXXVII 

1894.  —  IMzzi  (1.^.  Storia  délia  poesia  per.siana  (Turin, '2  vol. 
in-8). 

Vol.  1,  p.  :n  1-511:  cxlrailsdu  (llwfln. 

1894.  —  Saadis  polili.^clie  (i«'dichle,  uber.sclzl  von  Friedrich 
Riickert.  Aiif  Tirund  des  Narhiasses  herauspej^rhen  iind  mil  aus- 
fiilirliclior  Kinleilnnp:  ubcr  Snjulis  I.rIxMi  iind   \\  ri  kc  ver.sehen  von 

E.  A.  Hayer  (Berlin,  in  8,  17H  pages). 

Trad.  en  vers:  A)  du  Ç/\hih-NAmeh  ;  B)  d'extrails  deskhawûlim, 
des  badaï'  el  des  InyibAI  ;  C)  des  niaratlii. 

1894.  —  (^des  M-lOO.  The  porsian  loxl,  willi  a  Iran'-lalion  inio 
englisli  prose  hy  Noshirvan  H.  \\.  Koleval  ()rienlal  (îfuis  Séries, 
Bombay.   Eiluc.  Soc.  Press,  194  pages). 

1894    —  Translnlion   of  Saadi's  Tayyabhat,  wilh    inlrodnclion 
ami  lifeof  llie  poel.  by  K.  M.  Jhaveri  (Boml)ay,  in-8,  5<i  pa^esV 
(Odes  101-150  )        " 

1895.  —  Edward  G.  Browne.  Some  noies  on  Ihe  poeiry  of  Ihe 
persian   dialecls  (J.  H.  A.  S.,  octobre  1895,  art.  WIV,  p    77!^  sq.). 

(Deux  poèmes  dialectaux  de  Saadi,  traduits  el  commentés, 
p.  794-80?.) 

1895.  —  Translation  and  explanation  of  Saadi's  Tayebat.  by 
D.    I".  Mulla  (Bombay,  in-8.  59  pages). 

(Odes  150.) 

1896.  —  Translation  and  explanation  of  Saadi's  Tayebat,  by  D. 

F,  Mulla  (Bombay,  in-8,  70  pages). 
(Odes  51-100.) 

1896.  —  (^)uallro  odi,  tradolti  dal  persiano  in  italiano  da  Vilt. 
Rugarli  (Bologne,  in-8'',  13  pages). 

1899.  -  Cl.  Huart.  Le  dialecte  de  (.hiri^?  dans  Sa'dl  (Actes  du 
on/.u''me  congrès  international  des  orientalistes,  Paris,  1897,  3' sec- 
lion,  p.  Sl-92). 

Ed.  critique  el  traduction  du  poème  trilingue. 

1901.  —  Dole  et  Walker.  Flowers  from  persian  poets  (New- 
York.  ?  vol.\  Extraits  lires  de  traductions  anglaises. 

1904.  —  Holden  (E.  S.).  Flowers  from  persian  gardens  ;  sélec- 
tions from  poems  of  Saadi,  elr,  (l.ondon,  W'ayside  Séries  . 

1909. —  Khawalim  i- Sliaikh  Sadi.  Tbo  best  Sufi>lic  pocm  by 
Sadi.  Iran-lalrd  itilo  l^n^'livli  l.y  Sorabji  Fardiinji  Mulla  (Bombay, 
Muslafai  and  Eagle  Prinling  PrP'<'>,   119  pages). 


XXXVIII  BIBLIOGRAPHIE 

B.  —  Boastan  et  Gulistan. 

1694.  —  Paroles  remarquables,  bons  mots  et  maximes  des  Orien- 
taux, li-aduils  par  M.  Gallaud  (Paris,  in-1'2). 
Extraits  du  Gulistan  :  p.  98,  100,  122,  125. 

1711.  —  Chardin.  Traduction  libre  du  débul  du  Boustan  (Voya- 
ges, éd.  Langlès,  Paris,  1811,  V,  p.  139-168). 

1770. — Gardonne.  Mélanges  de  littérature  orientale  (l'^éd.), 
traduits  de  dilTérens  manuscrits  turcs,  arabes  et  persans  de  la 
Bibliothèque  du  Roi  (Paris,  Hérissant,  2  vol.  in-12). 

Extraits  du  Boustan  :  T.  1,  p.  192  (le  santon  amolli  par  les  déli- 
ces de  la  Cour)  ;  p.  207  (réponse  hardie  d'un  derviche  au  Sultan)  ; 
p.  208  (vanité  des  mausolées)  ;  p.  209  (réponse  de  Nouchirevan  à 
un  courtisan)  ;  p.  210  (autre  réponse  d'un  roi  d'Arabie)  ;  p.  210 
(hardiesse  d'un  derviche).  —  T.  IL  p.  125  (belle  réponse  d'un  vieil- 
lard sur  le  mariage)  ;  p  127  (le  fils  ingrat)  ;  p.  128  (le  père  avare)  ; 
p.  132  (sur  l'éducation  des  princes)  ;  p.  134  (consolation  des  mal- 
heureux) ;  p.  135  (sur  le  silence). 

1770.  —  Carmen  arabicum,  sive  verba  docloris  Audeddini  Al- 
nasaphi  de  reiigionis  sonniticfe  principiis,  necnon  persicum  nimi- 
rum  doctoris  Saadi  Shirazitse  operis  pomarium  dicti  inilium,  ubi  de 
Deo  T.  0.  M.  edidit  et  latine  verlit  J.  Uri  (Oxonii,  in-4,  25  pages). 

(Mentionné  Table  de  Schnurrer,  in  Chauvin,  Bibliographie  des 
ouvrages  arabes,  I,  p.  xcii.) 

1774.  —  Poems  consisting  chiefly  of  translations  frora  the  asia- 
tick  languages  (by  W.  Jones)  (Allenburgh,  in-12). 

P.  144:  Trad.  d'un  extrait  du  Boustan  (Hormuzet  Nouchirwan). 

1788.  —  Langlès.  Contes,  fables  et  sentences  (Paris,  in-18). 
Trad.  d'un  morceau  du  Boustan  :  la  goutte  d'eau,  p.  36-37. 

1788.  —  Bibliothèque  choisie  de  contes  orientaux  et  de  fables 
persanes  (fables  tirées  du  Baharistan  de  Djamy,  du  Boustan  de 
Saadi,  etc.)  (Paris,  in-8,  179  pages). 

1801.  — Gardonne.  Nouveaux  mélanges  de  littérature  orientale» 
traduits  de  différens  manuscrits  turcs,  arabes  et  persans  (Paris, 
Debray,  an  IX,  2  vol.  in-12). 

T.  II,  p.  159  (dernières  paroles  de  Khosroès  Parviz  à  son  fils,  ti- 
rées du  Boslan)  ;  p.  163  (pensées  sur  la  solitude,  tirées  du  même 
livre). 

1805.  —  Rousseau  (S.).  Flowers  of  persian  literature  (London, 
in-4). 


TRAnUCTIO.VA    FHAr.ME?II.VlBFB  XXXIX 

P.  11,*.  «  Kiom  (lie  (Juti»laui) '•  ;  p.  144-148  :  «  l-'ioin  Ihe  Bos- 
laun.  Iranslaleil  by  W.  Jones  •»  (Texte  el  Irad.  en  regard). 

1816.  —  Giilrhin.  PtMsian  anlliology.  Anialic  Journal  ofLondon  : 

Il  (isir,). |)  im  ;  m  (1817),  |).  3ir»:iv  ihiti,  p.  :v?y;  v  (irti8), 
p.  :yU)  ;  vu  ,i.sio).  p.  3;i8ci  r»s:i  :  viil  (Ihi'.»).  p.  ru  U'^  ,\\\  (\'<'2]\ 
p.  r>43. 

CoiiiN  »'t!iails,  la  |>hip;iil  a<corMpnt;tu'"<  <iti    Ifxtc   p«*rsnt). 

1819.  —  P«'n(lnain«"h.  on  le  Livic  des  Coii.seils  de  Forid-ed-f)!» 
AUar  en  persan  el  en  fran(jais,  avec  des  noies,  des  exlrails  de  Saadi 
el  daiihPïi  écrivains  persans,  par  Sylvestre  <le  Sacy  (Paris,  in-8'. 

(Exlruils  du  lîouslan.) 

1825.—  TholucU  (Fr  )  Hlulhensanindun^'ausder  morgenhindis- 
chen  My>.lik  (Berlin,  in-1'2). 

P.  ??l-?;)4  :  extraits  du  Bouslan,  Iraduils  en  vers. 

1828.   -  Ducaurroy.  Tratluction  de  deux  Tables  »le  Saadi. 

Se  trouve  dans  :  Cle  Andrassy,  Constanlinople  el  le  Bosphore  de 
Tliroce  pendanl  les  années  181'?-1813-1S1-|  ♦»!  ppudjuil  Tannée  18">r), 
p.  xvxvi-xxxvii  (Paris.  iii-8  . 

(Cf.  M.  heliérain,  L'<'nenlalisle  Ducaurroy,  Journal  des  S<i- 
t>nnts,  iyi8.  p.  ?«■/.♦). 

1839.  —  The  saint  and  Ihe  sinner,  a  laie  from  Ihe  BoHla;i  ut 
Sadi.  Iranslaled  and  acconipained  by  Ihe  orij^inal  persian.  Ihe 
varions  readings  of  hvelve  niss.  and  notes  by  Forbes  Falconer(Lon- 
don.  in-8  . 

1841  —  O.  Anillior.  Klan^'»-  aus  Osfen  (Oedichie,  Senlen/en, 
Sprichwôrter  aus  verschiedenen  arabisc.hen  und  persischen  Dirh- 
lern    Leip/ii?,  in-8). 

Kxhails  de  Saadi  traduits  d'après  Téd.  du  (iiili>lnn  de  Semelel  : 
n»  15  (p.  173:  Semelel.  p.  85,  1.  11).  n»  16  a  (p.  173:  Sem.,  p.  175, 
1  3):  n*  Ifi  b  (p.  174  :  Sem..  p.  175.  I.  7):  n»  17  (p.  175:  Sem  . 
p.  177.  I.  5);  n»  18  (p.  175:  Sem..  p.  177,  1.  1),  n'19(p.  17f>  :  Sem.. 
p  17?,  1.  3);  n"  ?0  ((i.  176:  Sem..  p.  177.  1.  7  d'en  bas);  n'  Z] 
(p.  177  :  Sem..  p.  17'?.  I.  3  d'en  basi  :  n  '  24  b  (\>.  181  :  Sem.,  p.  167. 
1.9);  n«  ?5  (p.  182:  Sem..  p.  167,  I.  18);  no'26a(p.  18*2:  Sem., 
p.  175.  1  18)  ;  n*  29  b  (p.  186  :  Sem.,  p.  166,  I.  1)  ;  n*  29  c  (p.  18<)  : 
Sem..  p.  166.  1.  3);  n'iJOa  (p.  188:  Sem.,  p.  174,  II);  n*  .30  b 
(p.  188:  Sem..  p.  174,  1.  1):  n-.30c  (p.  188.  Sem.,  p.  174,  1.  3); 
n'3l  d  (p.  190:  Sem..  p.  170.  1.  8>  ;  n»  31  e  (p.  190:  Sem  .  p.  171 
1.  in  .  n"  31  f  (p.  191  :  Sem  .  p.  172.  I.  7)  ;  n°  31  g  (p.  191  ;  Sem  . 
p.  172.  1.  15)  ;  n*  31  h  (p.  191  :  Sem..  p.  169,  1.  3)  ;  n*  31  i  (p  192  : 
Sem.,  p.  169,  1.  5);  n*  31k  (p.  192:  Sem.,  169,  1.  7);n»311  (p.  192: 


XL  BIBLIOGRA.PUIK 

Sem.,  p.  168.  1.  14)  ;  n'  32  f  (p.   194  :  Sem.,  p.   169,  1.  17)  ;  n*  33  a 

(p.  195:  Sera.,  p.  168,  1.  19)  ;  n"  33  b  (p.  195:  Sem.,  p.  168,  1.  16)  ; 

n^  33  c  (p.  195  :  Sera.,  p.  175,  1.  4  à  partir  du  bas)  ;  n"  34  b  (p.  196  : 

Sera.,  p.  176,  1.  7)  ;  n»  35  c  (p.  197  :   Sera.,  p.  175,  1.  13)  ;  n*  35  d 

(p.  197  :  Sem..  p.  175.  1.  16)  ;  n°  36  a  (p.  198  :  Sem.,  p.  171,  1.   2  et 

170,  1.  2  à  partir  du  bas)  ;  n»  36  b(p.  198  :  Sem.,  p.  170,  I.9);n°36c 

(p.  199:  Sem.,  p.  170,  1.  13);  a' 36  d  (p.  199:  Sem.,  p.  171,   1.  19); 

n»  36  6  (p.  199  :  Sem.,  p.  170,  1.  3)  ;  q'  36  f  (p.  199  :   Sem.,  p.    171, 

1.  16);  n°37  b  (p.  200:  Sem.,  p.  171,  I.  16  d'en  bas)  ;  a*  37  g  (p.  201  : 

Sem.,  p.  171 ,  1.  13)  ;  n°  38  b  (p.  203  :   Sem.,  p.  173,  1.  15)  ;  n"  38  c 

(p.  203  :  Sem  ,  p.  173,  1.  3  d'en  bas)  ;  n»  38  d  (p.  204  :  Sem.,  p.  173, 

1.  16)  ;  n°  39  e  (p.  206  :  Sem.,  p.  168,  l.  3  d'en  bas)  ;  n°  39  1  (p   207  : 

Sem.,  p.  167,  1.  5  d'en  bas);  n»  39  m  (p.  207  ;  Sem.,  p.   167,  I.  2, 

d'en  bas)  ;  n»  39  n  (p.  207  :  Sem.,  p.  169,  1.   15)  ;  n"  39  o  (p    207  : 

Sem.,  p.  170,  1.  5)  ;  n"  39  p  (p.  208  :  Sem.,  p.    170,  1.  7)  ;  n°  39  u 

(p.  209  :  Sem.,  p.  176,  1.  13)  ;  n°  39  v  (p.  209  :  Sem.,  p.  178.  1.  13)  ; 

n°  39  w  (p.  209  :  Sem.,  p.  18,  1.  3  d'en  bas)  ;  n°  39  x  (p.  209  :  Sem. 

p.  185,  1.  7)  ;  n»  39  y  (p.  209  :   Sem  ,  p.   185,  1.  8)  ;  n'  39  z  (p.  210  : 

Sem.,  p.  189,  1.  2  d'en  bas)  (Extraits  de  deux  à  trois  vers). 

1850.  —  Graf.  Aus  dem  zweiten  Buch  von  Sadi's  Bostân.  (Probe 
einer  Uebersetzung). 

Z.  D.  M.  G.,  IV,  p.  119-122  (Contient  notamment  la  traduction 
de  l'anecdote  :  le  cheval  de  Hatim). 

1874. —  Markham  (R.),  A  général  sketch  of  thehistory  of  Persia 
(London,  in-8). 
P.  154-157  :  extrait  du  Guhstan. 

1883.  —  Robinson  (S.).  Persian  poetry  for  english  readers  (Lon- 
don). 
Exlr.  du  Boustan  et  du  Galistan  (non  mis  danslecommerce). 

1887.  —  Goslello  (Luisa).  The  Rose-garden  of  Persia.  A  séries 
of  translations  from  the  persians  poets  (London,  in-8). 
Traductions  en  vers.  Réédité  en  1901  (Boston,  196  pages). 

1887.  —  Hart  (Jul.).  Divan  der  persischen  Poésie  (Halle,  in-12). 

Exlr.  traduits  en  vers  :  Boustan  (p.  98-112)  ;  Gulistan  (p,  113). 

1892.  —  Kanga  (J.  B.  and  Sk.j.  Gems  of  persian  prose  and  poe- 
try, containing, the  roses  from  the  Gulistan,  the  flowers  from  the 
Bustan,  etc.  (Bombay,  in-8). 

Second  éd.  revised,  1893. 

1892.  —  Schlechta-Wssehrd.  Moral-Philosophie  des  Morgenlan- 
des  (Leipzig). 


TRADUCTIO.NB    FIlVCMENTAinEH  XLI 

Kxlrnils  traluils  en  vers  ollcmands. 

1894.  —   Pizzi.  Sloria  delln  |i(j<'sia  persiaoa    l'unii,  2  vol.  m-f5). 
\ol.  I.  p.  'J17-321  (exlr.   du   llouslaii   ;  p.  ;{24-3.Jt)  («xtr.  du  (iu- 
lislatO. 

1906.  —  Hoceyno-A/.ail.  La  rost^raie  du  savoir,  choix  iI«î  <jtia- 
liaiiis  mystiques  lires  des  meilleurs  aul^^urs  persans  (Leydtî  et 
Paris,  in-l?) 

Inlrod.,  p.  xxii-xxxiii  :  «pitîlquos  lip^m^s  ;uj  siijel  du  myslici>;tne 
modén'  de  Snadi  el  cilalion  du  liouslan  histoire  de  Toukiah,  rf. 
trad.  Harhier  de  Meynard,  p.  3*>)  ;  p.  IIG,  cilalion  du  Housian 
(Jésus  el  le  [K'rhrnr  r«'p«Milaiil,  c.  ibid  .  [)  l8Sj  ;  autres  cilalions 
sous  le«*  n"  i:i3,  167,  170,  27*2   '28S,  354   376,  436. 

1906.  -  Sadis  Scroll  of  wisdom,  ediled  hy  L.  (.raniuoi  livtig 
and  S.  A.  Ka()adia,  wilh  introduction  l>y  Arthur  .\.  Wollaslon 
(London,  63  pa^es.  Coll.  Wisdom  of  Ihe  Kast). 

Réédit.'  ou  \\m  (New- York). 

1909.  —  Hoceyne-Âzad.  L'aube  de  l'espérance,  choix  dti  poésies 
tirées  des  meilleurs  auteurs  persans  (  Leyde  et  Paris,  in-I2). 

P.  XI  et  '244  ((|uelqiies  lij^ties  sur  la  prosodie  de  Saatli)  ;  citations 
du  Boustan  :  p.  '29  (Bayazid  de  Bistam,  cf.  Barbier  de  M  vuiird, 
Boustan,  p.  183);  p.  163  (la  bouliijue  peu  achalandée,  cf.  Birbier 
de  Meynard,  p.  107):  p.  165  (l'homme  i^énéreux  et  le  débiteur  in- 
solvable, cf.  Barbier  de  Meynard,  p.  109). 

L'ouvrage  de  Riickert  ol   Plalen  :   Eingan^  von  Iskendemaraeh 
aus  dera  Persischen  des  Ni<iami,  contient  un  essai  de  traduction  de 
rhislorielle  n°  174  du  Fîouslan 


BIOGR\PHES   ORIENTAUX  DE  SAADI 


Ihn  Batoutah.  Voyages  (trad.  Defiémery  et  Sanguinetli,II,p.87). 

Dawlatchah.  The  Tadhkiralu'  sh-shu'ara  (<>  Meraoirs  of  Ihe 
poels  »)  ediled...  by  E.-G.  Browne  (Persian  hislorical  texls,  vol.  I, 
London,  1901)  (Compte  rendu,  J.  A.,  1904,  IV,  p.  186). 

DaAvlatchah  parle  successivement  des  éludes  et  des  voyages  de 
Saadi  ;  des  légendes  qui  prirent  naissance  à  son  sujet;  des  anec- 
doles  relatives  à  sa  vieillesse  ;  il  apprécie  sommairement  ses  œuvres. 

Chardin  (Voyages,  éd.  Langiès,  V,  p.  56)  donne  en  note  un  frag- 
ment de  Dawiatchah  librement  traduit.  Ross  l'ulilisesdans  la  pré- 
face de  sa  traduction  du  Gulistan  (p.  29).  Une  partie  de  sa  biogra- 
phie de  Saadi  est  traduite  par  Graf  (Rosengarlen,  p.  229)  et  par 
N.  Bland  (The  .\tesh  Kedah,  appendice).  «  Dawlatchah,  dont  le 
récit  est  reproduit  par  Hadji  Lutf  Ali  Beg  »  (Defrémery,  Irad.  du 
Gulistan,  préface,  p.  xxi). 

Djami.  Kitâb  nefehâteluns  (trad.  Sacy,  in  Notices  et  extraits  des 
mss.,  XII,  p.  287  et  suiv.)  (Le  texte  persan  édité  par  Abd  el  Hamid 
et  Kabir  Ahmed,  Calcutta,  1859). 

Assez  courte  notice,  mentionnant  les  voyages  de  Saadi,  ses  études 
et  les  légendes  qui  se  formèrent  à  son  sujet. 

Djami.  Beharistan  (éd.  et  trad.  Schlechta,  Vienne,  1846,  p.  115 
de  la  trad.). 

Quelques  lignes  au  sujet  du  nom  et  de  la  célébrité  de  Saadi.    - 

Hamd'uUah  Mustawfi  of  Qazwin.  Biographies  of  persian  poets, 
contained  in  chapter  V,  section  6  of  the  Tarikh-i-guzida,  or  «  Se- 
lect History  »...  translated  by  E.-G.  Browne  (J.  R.  A.  S.,  octobre 
1900  et  janvier  1901).  : 

A)  P.  .35.  n°  36:   courte  biographie  de  Saadi.  B)  P.  69,  n"  84 
courte  biographie  de  Humamu'd-Din  de  Tabriz  (ses  rapports  avec 
Saadi).  C)  P.  26  n»24  :  parodie  d'un  poème  de  Saadi  par  JaraaluM- 
Din  Kashi. 

Lixihf  Ali  Beg.  The  Atesh   Kedah^  or  fire  temple...  now  firsl 


BIOGRAPHES    ORIK^CTAUX    DB    9AADI  XLIII 


ediled...    by   N.    Bland.    London.  1H44.  (el  :  Accounl  of  Ihe  Alesh 
Kedah...  by  N.  Bland.  p.  25). 

Courte  appréciation  liltéraire.  dont  ce  Irail  :  «  Mon  maître,  Mir 
Sayid  Ali  Moiichljnj,  avait  roiiliirne  de  siiriiominer  Saadi  :  le  rossi- 
gnol anx  mille  chants.  dé>iranl  exprimer  ainsi  (jue  Saadi,  en  tous 
genres  de  poésie,  avait  réalisé  la  perrection.  »  Anecdote  sur  Saadi 
et  Imami  de  Hér.-il  ;  liait  de  la  vieillesse  de  S.'iacli  ;  l<^gende  sur 
Saadi  ;  répartie  de  Saadi  h  IJoiimam  de  l'abri/.  Une  partie  de  celte 
biographie  se  trouve  traduite  par  Easlwick  ^trad.  du  Gulislan, 
inlrodJ. 

Tarikh-i  Firishta  i  Ed    Hriggs,  Bombay.  18.*il,  I    [».  I.'i7  . 

Zia-i-Barani.  Tarikh-i-Kirouz  Chah  («»d.  Ahmad  Khan.  Calcutta, 
18()2i,  p.   17r>  et  siiiv.  ;  Un«el  :i;V.». 

En  outre,  la  Khizana-i-amirah  de  Aznd  Housaïni  contient  une 
biographie  de  Saadi.  Une  notice  assez  longue  sur  Saadi  se  trouve 
dans  le  Ta/kfuah  i-iiilkoiiclia  (biographit'S  des  poêles  persans)  de 
Ali  Akhar  de  Cluraz  liismil  U.  rJ37  10)  occupant  les  folios  12  b  - 
24  h  du  manuscrit  qui  appartenait  à  Houtum-Scliindler  (cf.  E.-(i. 
Rrowne.  The  persian  manuscripts  of  Ihe  late  Sir  Albert  Houtum- 
Schindler,  J.  H.  A.  S  .  orlobre  1*.H7,  p.  681).  Ross,  dans  sa  traduc- 
tion du  Gulislan,  analyse  un  passage  de  la  Khoulasat-el-achâr 
(relations  entre  Saadi,  Jalal  ed  Din  el  Nizari).  Defrémery,  dans  sa 
traduction  du  (înlistan  (introd.,  p.  xxxviii  et  xxxixl,  cilc  un  passage 
d'Ahmed  Hazi,  Hafl  I.|lim  (B.  i\..ms.  17,  Bruei.x,  fol.  79  el  suiv.)el 
de  Housain   el    Harawi    (R.  N..   ms.   2r>0.    fol.   79  v»). 


SAADI  ET  LES  ORIENTALISTES 


1673  —  Les  beautez  de  la  Perse,  ou  ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux 
dans  ce  royaume...  par  le  sieur  A.  D.  D.  V.  (Vendomois)  (Paris, 
in-8). 

L'auteur,  A.  Desiandes-Douliers,  mentionne,  à  propos  de  Ghiraz, 
Saadi  et  son  tombeau  (p.  70). 

1697    —  D'Herbelot.  Bibliothèque  orientale  (art.  Saadi). 

1783.  —  J.  Friedel.  Fragmente  ûber  die  Literaturgeschichte  der 
Perser,  nach  dein  Laleinischen  des  Baron  Rewilzki  von  Rewissen 
mit  Anmerkungen  und  dem  Leben  des  persischen  Dichters  Sadi 
(Vienne,  in-8). 

1805.  —  Rousseau  (S.).  Flowers  of  persian  literalure  (London, 
in-4). 

P.  25  :  notice  sur  Saadi. 

1806.  —  Richardson.  A  diclionary  persian,  arabic  and  english 
(new  éd.),  introd.,  p.  lxxxv,  col.  2,  n°=  86,  87,  88. 

1807.  —  Scott  Waring.  A  tour  to  Sheeraz  (London,  in-4). 
Sur  Saadi:  2'  partie,  chap.  ll-V,  passim. 

1810.  —  Relation  de  Dourry  efendy...  traduite  du  turc  (Paris, 
in-12). 

P.  116-1 18  :  mention  de  Saadi  et  de  son  tombeau. 

1811 .  —  L.  Langlès.  Notice  de  la  vie  et  des  ouvrages  de  Sa'dy, 
que  j'ai  insérée  avec  différents  extraits  de  son  Gulistan,  t.  II,  p.  473  ; 
t.  III,  p.  48  et  suiv.,  etc..  du  Magasin  Encyclopédique. 

(Se  trouve  dans  l'édition  des  Voyages  de  Chardin  donnée  par  Lan- 
glès en  1811,  t.  V,  p.  56.) 

Kholmogorow  (cf.  infra,  1865)  en  cite  (p.  145)  un  passage  relatif 
à  la  popularité  de  Saadi  en  Perse,  depuis  Chardin  :  «  ...  Parmi  les 
ouvrages  que  Askêry-Klian,  ambassadeur  de  Fatahh-Alychâh  près 
la  cour  de  France,  a  apportés  avec  lui,  les  dyvâns  de  Hhâfiz  et  de 
Sâdy  occupent  la  première  place.  » 


8AADI    ET    LES    OHIENTALI8TS8  XLV 

1814. —  A.  Jourdain,  l^a  Perse,  ou  labloau  de  l'hisloirc,  du  gou- 
veruoiuenl.  de  la  relif^ioti  de  cet  euipiro  (Paris,  .'>  vol.  in-18). 
(Apprt^cialion  sur  .Saadi  :  l.  V,  p.  VXi  el  suiv.) 

1818.  —  J.  voii  IliiinratM'.  Cieschichle  der  schOne  Hedekunsl 
Persiens  iaeiner  UlulhenlesejausîOO  persischen  Diclilera  (Vieinic, 
in  4). 

P. '20.')  :  notice  sur  S;iadi  ol  <|uel(|ues  cxlrails  Iraduils  en  allc- 
marul. 

1821.  —  Ttioluck  (Vf.).  Ssulisinus  sive  Ihcosophia  Persarurn 
panllu'isfica  (Berlin,  in-r2). 

P.  11  :  déclare  avoir  utilisé  le  chapitre  III  du  lioustan  el  le  com- 
mentaire de  Sourouri  ;  p.  '2'22  :  cite,  avec  le  couiuienlaire  de  Sou- 
rouri,  un  passage  du  liouslan  (dont  le  texte  lij^ure  à  l'appendice, 
p.  '23,  el  correspond  à  la  Irad.  li.  de  .Meynard,  p.  \i\\  :  «  Les  sen- 
tiers de  la  raison,  etc.  »). 

1821.  —  A.  Jaubcrl.  Voyage  en  .\nn.'Mut>  cl  en  Perse  (Paris, 
in-8). 

Sur  Saadi:  pp.  2'24  el  '293. 

1821.  —  W.  Ouseley.  Travels  in  varions  counlries  of  Ihe  East 
(London,  '2  vol.  in-8). 

Sur  Saaili,  l.  Il,  p.  10  el  30,  notamment  :  «  Par  les  Persans  en 
jç«^néral.  niais  principalement  ()arceu.xde  Chiraz,  Saadi  est  empha- 
tiquement nommé:   le  Cheikh,  st)n  nom   étant  rarement  proiéré.  » 

1822.  —  tjarcin  de  Tassy.  Coup  d'«cil  sur  la  littérature  orientale 
(Paris,  in-8). 

P.  8  :  Une  citation  du  Boustan. 

1843.  —  N.  Perrin.  La  Perse  iP;»ris.  7  vol.  petit  in  1*2). 
Notice  Rur  Saad:  :  t.  VI.  pp    10*J  117. 

1825.  —  S.  d?  Sacy.  Article  sur  Saadi  ^_l3n)graphie  universelle 
df  Michaud.  t.  XXXIX,  p.  402  403,  Paris  el  Leipzig)- 

1825.  —    F.    M.  de    Boaumonl.     Beautés    de  l'histoire    de  la 
Perse...  à  l'u&ag'-  de  la  jeunesse  (Paris,  2  vol.  in-lSj. 
T.  II.  p.  ô j  :  f  Vie,  maximes  et  fragmens  de  poésie  de  Sadi.  •> 

1828.  —  An  tînlJysis  of  tho  .\rabic  (juoialions  which  occur  in 
llio  (iulislan  of  Sadi  :  wilh  Persian  illuslralions  of  the  saine  ami 
remarks  on  arat  ic  grtknimar...,  by  Lirul.  M.  J  Kowlandson  (Ma- 
dra>^,  in-4  . 

1833.    —   J.    von  Hamnt»'     '•'>'<ai  sur  la  langue  el  la  litlératurc 
persanes  (J    A..  Xll,  p.  20- 
Allusion  il  Saadi,  p.  39. 


XLVI  BIBLIOGRAPHIE 

1837.  —  Hisloire  des  sultans  Mamlonks  de  l'Egypte...  par  Ma- 
krizi,  traduite...  par  M.  Oualreinère  (l^aris,  in-8,  4  parties). 
Cite  en  note,  t.  I,  p.  8  des  images  tirées  de  Saadi. 

1839.  —  Garcin  de  Tassy.   Hisloire  de  la  littérature  Hindoui  et 
Hindouslani(Paris,  2  vol.  in-8). 
1"  éd.,  t.   I,  p.  434  ;  2»  éd.,  t.  II,  p.  2-4. 

1841.  —  L.  Diibeux.  La  Perse  (Paris,  in-8). 

(Notice  sur  Saadi,  p.  444  450,  inspirée  de  l'article  de  S.  de  Sacy, 
1825.) 

1842.  —  G.  Flûgel.  Article  sur  Saadi  (Encyclop.  Ersch  et  Gruber, 
Leipzig,  sect.  III,  16'  part.,  p.  492). 

1843.  —  Loiseleur-Deslongchamps.  Notice  sur  le  Gulistan  et  la 
vie  et  les  écrits  de  Saadi  (Préface  à  la  trad.  du  Gulistan  par  Gau- 
din,  rééditée,  Panthéon  littéraire,  p.  551-621  ;  cf.  :  Traductions  du 
Gulistan,  sub  ann.  1789). 

1843. —  Anonyme.Lebens  und  Landschaftsbilder  aus  dem  Orient 
(Art.  paru  dans  la  revue  :  Das  Ausland,  p.  301). 

1843.  —  Garcin  de  Tu  sy.  Saadi,  poète  persan,  auteur  des  pre- 
mières poésies  en  hindousiani  (J.  A.,  1843,  I,  p.  5  et  suiv.  ;  II, 
p.  365  et  suiv.  ;  cf.  infrà  :  années  1844(Newbold),  1852  (Sprenger), 
1853  (G.  de  Tassy  et  Bland). 

1844.  —  Newbold.  Lettre  à  Garcin  de  Tassy,  au  sujet  de  sa  nor- 
tice  intitulée  :  Saadi,  auteur  des  premières  poésies  hindoustanies 
(J.  A.,  Il,  p.  361  et  suiv.j. 

1846    —  Gore  Ouseley.   Biogra^viiical  not'.ces  of  persian  poels, 
willî  crilical  and  explanatory  remarks  (London,  in-8). 
(Biographie  de  Saadi  :  p.  5  22.)  i,  i- 

Compte  rendu  de  J.  Mohl  (J.  A  ,  1848,  XII,  î).  138)  :  «  Achevé 
après  la  mort  de  fauteur  par  M.  Reynolds...  Louvrage,  quoique 
riagirieiiluire,  est  une  addition  agréable  et  utile  à  ros  connaissances 
sur  la  littérature  persane.  » 

1851.  —  K.  H.  Graf.  Die  Moral  des  persische,  Dichlers  Sadi. 

(léna.  Beiliage  zu  den  theologischen  Wissens-haften,  in  Verbin- 
dung  mit  der  theologischen  Gesellschafl  zû  S'rffsburg,  herausge- 
geben  von  Dr.  Eduard  Reuss  und  Dr^Ed.  Ki'i-iilz.  III,  p.  141-194.) 

Article  important  et  consciencieux.  Gra^cherr'ie  à  indiquer,  par 
des  citations  de  Saadi, «  les  points  principaux  qui  donnent  à  sa  mo- 
rale une  place  dans  l'histoire  des  mœars»,  U  étudie  d'abord  sa  mo- 
rale religieuse  (fatalisme,  nécesfcit^  de  l'effort  humain,  but  de  cet 


SK\ni    KT    t.KS    OHIK^TALIHTRS  XLVII 

elTorl,  iDUis  (If  lu  \if  iny-<iii|iii-,  \i\ux  roulis),  puis,  plus  hrièveinc ni . 
sa  iiKM'ale  sociulr»  (riclit*ïi->e  oi  pauvirli^.  Hvaiilj«^»îs  «1«<  la  ino<itMalii*n 
et  d(*  la  rési^nalioii  nu  »orl,  bienfaisance,  «tevoirii  du  prince,  coin- 
inenl  se  conduire  dons  le  inonde). 

1852.  —  Sprenf<rir.  lias  S;\Mlof  Shtra/.  wriUiMi  I\.«lclilali  vv—  ' 
(Journal  of  Ih»'  Asialic  Sociely  of  Bengal,  p   513  el  suiv.). 

1853.  —  Garcin  de  Tassy.  Réponse  h  .M,  Sprenger  (J.  .\..  II, 
p.  3«>9-.^71). 

1853.  — iN.  Biaivl.  Lellre  à  M.  (Jaroin  df;  las^y,  sur  M.«ï><miI, 
pui'le  persan  el  hindoiii  (  J.  A.,  Il,  p.  356  el  suiv.). 

185(î.  -  Barbier  de  Meynard.  Lellre  à  M.  Reinaud  (J.  A.,  VII, 
p.  *>fV<^'. 

1856.  —  (larcin  de  Tassy.  La  poésie  philosophique  el  religieuse 
clnz  les  l'er.^ans  \Hevue  contemporaine,  1.  XXl\',  03*  livraisun). 

Allusion  à  Saadi,  p.  6  du  tirage  à  part. 

1857.  —  Champollion-Figeac.  Histoire  de  la  Perse  (Lagny,  in-8). 
Notice  sur  Saadi,  p.  184-186. 

1859.  —  Le  Boslan,  poème  moral  de  Saadi.  .\nalyse  et  extraits, 
par  M.  (iarcin  de  Tas^y  (Paris,  in-8). 

(.\rticle  paru  dans  la  Revue  orientale  et  américaine  ;  contient  la 
Ira  ludion  en  français  d'une  p  irlie  de  la  préface  du  poème  et  de 
on/e  hislorielles  tirées  des  «{uatre  premiers  livres). 

1859.  -  Defrémery.  Note  sur  quelques  imitations  «lu  Bouslan. 
Parue  dans  la   Correspondance  littér.iire  de  juin  ;  contient  une 

traduction  de  l'historiette:  «  la  faule  d'Abraham  »  (cf.  trad.  Bar- 
bier <le  Meynard,  p.  101). 

1860.  -  Sélim  Muii.<hi  Mohammed.  Moin  al  alfaz.  A  persian 
vocabulaiy  to  tlie  (luli-îlan,  BosLin,  etc.  (Bomhiy,  lJ77,ii>-S.  6) 
et  14  pages). 

1861.  —  Barbier  de  Meynard.  iJictionnaire  de  la  Perse  (Paris, 
in-8,  art.  Schiraz). 

1863.  —  Defrémery.  Article  «  Sr»  li  »  (l)'  Uoefer,  Nouvelle  bio- 
i,rupliie  générale,  Paris,  in  8,  l.  XLH). 

1865.  —  Oobinoau.  Les  religions  et  les  philosof)ljie>  .I.in-  1"  V^io 
centrale  (Paris,  in  8,  3«  éd.  11)00). 

P.  74  :  Allusion  à  la  vie  agitée  de  Saadi 

1865.  —  Kholmogorow.  Cheik  Moslihuddin  Saadi  Chirazi 
(148  pages  . 


XLVIII  BIBLIOGRAPHIE 

Publié  dans:  Gelehrte  Denkschriften  der  Kasaner  Universitàt, 
1865,  p.  525  et  suiv.  ;  réimprimé  en  1867,  Cazan,  Typographie  uni- 
versitaire (en  russe). 

Se  divise  en  deux  parties  :  1°  une  courte  biographie  de  Saadi  ; 
2°  une  série  d'extraits  (texte  persan  et  trad.  en  russe)  accompagnée 
de  quelques  mois  sur  chacune  des  œuvres.  Après  quelques  géné- 
ralités sur  l'Islam  en  général  el  la  Perse  en  particulier,  K.  traduit 
partiellement  la  biographie  de  Saadi  par  Dawlalchah.  Suivent 
quelques  citations  des  qacidas  persanes  (p.  18-23),  des  tayibât 
(p.  25),  du  Bouslan  (ibid.)  et  du  Gulistan  (p.  27).  Puis  il  revient  à 
la  biographie  de  Saadi  :  suite  des  passages  de  ses  œuvres  qui  s'y 
rapportent,  mais  tout  cela  cité  pêle-mêle,  commençant  par  Ténu- 
méralion  des  voyages  du  poète  pour  aboutir  aux  anecdotes  sur  son 
enfance  (p.  30-64j.  le  texte  persan  alternant  avec  la  trad.  russe. 
(K.  déclare  avoir  emprunté  ses  citations  à  l'édition  de  Mohammed 
Taki,  Tabriz,  et  à  celle  de  Téhéran,  toutes  deux  de  1854-1271). 
Vient  ensuite  la  seconde  partie  de  l'ouvrage,  c'est-à-dire  l'analyse 
sommaire  de  chaque  œuvre  avec  extraits  :  risalahs  (p.  65),  Gulistan 
(p.  68.  citations  du  chap.  III),  Bouslan  (p.  88),  tarjiyât  (p.  127), 
maralhl  (p.  128),  moulamma'ât  (p.  130).  qacidas  arabes  (p.  133), 
ghazals,  quatrains  et  vers  isolés  (p.  136-145).  Travail  sans  portée 
générale,  à  peu  près  insignifiant  au  point  de  vue  critique,  suffisant 
néanmoins  à  donner  une  idée  sommaire  de  Saadi. 

1868.  —  Ethe.  Der  çufismus  und  seine  drei  Hauptvertreter  in 
der  persischen  Poésie,  vorzugsweise  Dschelâleddîn  Rûmî. 

(Habililationsrede,  gehaltenan  der  kOnigl.  Ludwig-Maximilians- 
Universitat  Mûnchen,  14  Juli.  Recueilli  dans:  Morgenlândische 
Studien,  du  mêcne,  Leipzig,  1870,  p.  95  et  suiv).  Une  page  d'ap- 
préciation sur  Saadi,  comparé  à  Hafiz  et  Jalal  ed  Din  Roumi. 

1869.  —  Terjumeh-i-ahwàl-i-khâjeh  Hâfiz  Chirâzî  (Constanti- 
nople,  Imp.  de  l'Ecole  de  JSIédecine,  15  pages  in-12). 

(Biographie  de  Hafiz  par  Derwich  Abdullah,  trad.  en  turc  et 
publiée  par  Hadji  Aarif  Djevri  Efendi,  de  l'ordre  des  Qâdiris, 
suivie  du  commentaire  de  dilTérents  distiques  du  célèbre  poète  et 
d'une  notice  sur  Saadi.) 

(Signalé  J.  A.,  1871,  XVIII.  p.  137.) 

1871.  —  Bâcher.  Sadi-Studien  (Z.  D.  M.  G.,  XXX,  p.  81-106). 
(Vue  d'ensemble  sur  l'œuvre  de  Saadi.) 

1871.  —  Bâcher.  Nizàmi'sLeben  und  Werke  (Leipzig,  in-8). 
P,  57-58:  Saadi  et  Nizâmi. 


SAAOl     KT    LEb    oKU,>TALI8TBS  XLil 

1874.  -  H.  Muikhiiin.  A  j^eiieral  skelch  of  llie  hislorv  of  Feibia 
(Lotuioi),  in-8). 

P.  ir>3  :  Nolice  sur  Saadi. 

1877.  —  Barbier  de  Mevuard.  La  poéisie  en  Perse  (Pari.">,  in-lH/. 
(Qiiel«|ues  lignes  bur  Sa;uli,  p.  71.) 

1881.  —  Nève.  Le  poêle  Saadi  (Louvain,  in-8,  brochure). 
(Courte  vue  d'ensemble  sur  la  vie  el  l'œuvre  de  Saadi.) 

1885.  —  KncyclopaMlia  brilanni(  a,  9*  éd.  ;  vol.  X\  IlL  arl.  Persia, 
p.  65â-G6U  [l\.  Ellie,  Modem  peiMan  lileralui  t)  ;  \ol.L  p.  XX-14'2- 
143  larl.  du  m^me). 

1886.  —  A  glossary  of  words  occuring  in  tfie  Gulistan  (chap. 
VIII).  wilji  pronouncialioD  oleach  vord  in  eiigli>h  (Bombay,  Educ. 
soc,  in-8). 

1887.  —  Pizzi  iltalo).  Manuale  di  lelleralura  persiana  (Milan, 
in-18). 

P.   139-150  :  Nolice  sur  Saadi  el  cilalions. 

1887.  —  Arbulhnot.  Persian  porlrails,  a  skelch  of  persian  his- 
lorv, lileralure  and  polilic  ^London,  in-8,  170  pages). 

(Courle  noie  sur  Saadi,  p.  55-57.; 

1888.  —  Eihé.  Die  mysliche.  didaklische  und  lyrische  Poésie 
utiil  das  spalere  SchrifUuni  der  Perser  (ji.  31-37  sur  Saadi). 

(Hambourg.  Sammlung  gemeinverslandlicher  wissenschafllicher 
Vorlragp,  herausgegeben  von  Riul.  Virchow  und  Franz  von  Holt- 
zendorlT,  neue  Folge,  III,  Hefl  53.) 

1890.   —  \V.    A.  Clouslon.  Flowers  from  a  persian  garden  and 
olhers  essays  ^London). 
(Nolice  consciencieuse.) 

1890.  —  Ed.  .Monlagne.  Légendes  de  la  Perse  (Paris,  in-lî). 

P.  303  el  suiv.  :  nolice  sur  Saadi.  Cf.  l'arlicle  juslemenl  sévère 
de  H.  Bassel  :  *  Légendes  de  Perse  »  dans  la  Hevue  des  Iradilions 
populaires,  aoùl  1891,  article  recueilli  dans  '•  Mélun^'es  africains  el 
orientaux  «(Paris,  1915). 

1891.  —  Halo  Pizzi.  Saadi  (arl.  paru  dans:  Giornale  Soc.  asial. 
ilalmna,  IV.  p.  196-?17). 

1891.  —  Sardar  (Munshi).  Noies  on  (iulislon,  chapler  III  ^Bom- 
bay. Educ.  soc.  Press). 

1892.  —  Khurasaoï.  Modem  persiau  idioms  and  proverbs  ^parl. 

M.  -  IV 


L  BIBLIOGRAPHIE 

III,  The  lives  of  FirJosi,  Saadi,  etc.)  (Bombay,  iii-8,  64  pages.  A 
l'usage  des  éliulianls.  Texle  persan  et  Irad.  en  anglais). 

1892.  —  R.  Basset.  Mélanges  africains  et  orientaux  :  Contes  per- 
sans. 

(Article  paiu  en  1892  dans  la  Revue  des  traditions  populaires, 
p.  639:  la  note  3  cite  des  éditions  de  Saadi.) 

1892.  —  Curzon(G.,N.).Persiaandthe  persian  queslion(LoQdon, 
2  vol.  in  8). 

Index,  s.  V.  :  Sadi. 

1893.  —  Reed  (Elizabelh).  Persian  literature  (Chicago,  in-8).  Cf. 
index,  s.  v.  Sa'di. 

1893.—  Huart  (Cl.).  L'ode  arabe  d'Ochkouwân(Rev.  sémitique). 
P.  10  du  tirage  à  part:  allusion  aux  u  magnifiques  qaçîdahs  ara- 
bes de  Sa'di.  » 

1894.  —  Beale.  Oriental  biographical  Diclionary  (2*  éd.). 
P.  339  :  art.  sur  Saadi. 

1894.  -  Italo  Pizzi.  Storia  délia  poesia  peisiaiia  (Turin,  2  vol. 

in-8). 
(Notice,  t.  I,  p.  287-302.) 

1894.  —  F,  H.  Tyrrell.  Persian  poets  and  english  translators. 
(Article  paru  in  Calcutta  Review,  t.  98,  p.  205  et  suiv.) 

1896.  —  Geiger  et  Kuhn.  Grundriss  der  iranischen  Philologie 
(Strasbourg,  t.  H,  index,  s.  v.  Sa'di). 

1897.  —  Chauvin.  Bibliographie  des  ouvrages  arabes  (Liège, 
in-8). 

Signale  (t.  II)  des  analogies  entre  :  Calila  et  Dimna  et  Gulistan 
(p.  82,  n»  2  ;  p.  8-3,  n°  5  ;  p.  119,  n»  104  ;  p.  127,  n^  131)  ;  Calila  et 
Dimna  et  Boustan  (p;  109,  n»  73  ;  p.  115,  n»  89  ;  p.  181,  n»  110)  ; 
Recueil  de  Lucanor  et  Gulistan  (p.  150,  n»  10)  ;  Soulwân-el-moulâ 
et  Boustan  (p.  I87j  ;  Fàkihat-el-houlafa  et  Gulistan  (p.  190,  n»  3  ; 
p.  198,  n»  33  ;  p.  201,  n'  47j  ;  et  t.  VIII,  p.  179,  ti"  211  et  212,  ana- 
logie entre  un  conte  des  Quarante  vizirs  et  le  Boustan. 

1897.  —  A.  Jackson.  Firdausî,  Hâtiz,  Jalàl  ad-din  Rûmî,  Jâmi, 
Nizâmî,  Sa'dî  (New  York,  Library  of  the  world's  best  literature). 

1900.  —  S.  Jensen.  Sadi. 

(Article  paru  dans  :  For  Kirke  og  Kultur,  p .  593-603.) 

1901.—  Philipp  (Cari).  Beitràge  zur  Darslellung  des  persitchen 


8AADI    rr    LB8    OHIBNTAL18TEB  fj 

Lebeos  nacli  Muslib-uddlD   Sa'dl  il"  partie  t»eule  parue]  (Lisserla- 
lioD,  Halle,  41  pages   in-8). 

1902.  —  CI.  Huarl.  LitK^ralure  arabe  (Paris.  in-«). 
(P.  11?.  quel(jues  lignes  sur  les  «jacidns  arabes.) 

1904.  —  Hnrhier  de  Meynard.  Scènes  de  la  vie  persane  (J.  A., 
IV,  p.  170  :  allusion  à  Saadij. 

1905.  —  E.-Ci.  Browne.  Nasir-i-Khusraw  (J.  R.  A.  S.,  avril,. 
Tirat^'e  à  pail,  p.  1  :  allusion  à  la  po|)ularilé  de  Saadi. 

1906.  —  Paul  Horn.  Persische  Lilleralur  (Or.  Lill.  Teubner). 
P.  '2[)'2  (biographie,    Bousian  el  Ouli^lan)   ;  p.   *257  (c  erolica  ») 

(Très  sommaire,  mais  judicieux). 

1906.  —  E.-Ti.  Biowne.  A  lilerary  lii>-lory  of  Persia  from  Fir- 
dau-i   lo  Saadi  ^London.  2  vol.  in-b). 

(De  premier  ordre.  Les  dernières  pages  du  lonie  II  roiiliennent 
une  vue  d'ensemble  sur  la  vie  el  l'œuvre  de  Saadi.) 

1906.  —  Jackson  (A.  V.  W).  Persia  pasl  and  présent.  (New- 
York,  in-H). 

P.  333-^^35  :  Notice  sur  Saadi  (avec  photographie  de  son  tom- 
bea  u  . 

1907.  —  Nicholson  (H.  A.).  A  literary  history  ot  the  Arabs  (Lon- 
don.  in-8). 

Inlrod.  p  II  :  u  Modem  culture  can  appreciale  Firdawsi,  *L  mar 
Khayyam,  Sa'di.  and  Hatiz  :  their  large  liun)anily  louches  us  at 
many  points  ». 

1907.  -  Ranking  (G.  S.  A.).  Note  on  Book  1  of  the  (Julislan, 
story  17  (J.  R.  A.  S.,  p.  168). 

1907.—  R. Basset. Bulletin  des  périodiques  de  1  Islam  (  1903-11)07). 
(Saadi  cité,  à  propos  d'un  article  inséré  dans  :  The  Alhenaeum, 
du  5  décembre  1903.) 

1908.  —  A.  Krymskij  Histoire  de  la  Perse,  de  sa  lillrrotun'  et 
de  la  tliéoso[»hie  des  derviches  (Moscou,  in-^;  (en  russe). 

1910.  —  Claud  Field.  Persian  lilerature  (New-\ork,  \u-VZ) 
(Notice  sur  Saadi,  p.  19*2-212.) 

1  913.  —  Kiuyclopédn-  de  llslam  (ï'nris  et  Lejde). 
(Arl.  Gulistân  et  Boston,  par  CI.  Huart.» 

1914.  >-  CI    lluart.  Le  gbazel  beptaglotle  d  Abou  hhaq  lialladj 
^J    A.    1\    p.  fi36  :  alhieion  au  poème  f  olyglolte  de  Saadi). 


LU  BIBL10GH\PU1E 

Cf.  en  outre  les  travaux  cités  d'autre  part  de  :  J.  Ross,  Essay  on 
Sadi's  life  and  genious  (introd.  à  la  trad.  du  Gulislan,  LonJon, 
1823)  (vieilli);  K.  H.  Graf,  Remarques  jointes  à  ses  trad.  du  Gulis- 
tan  (1846)  et  du  Boustan  (1850)  ;  Eastwick  (introd.  à  sa  trad.  du 
Gulistan,  1852);  Defréraery  (introd.  à  sa  trad.  du  Gulistan,  1858) 
(clair  et  documenté)  ;  W.  Bâcher,  Beitrage.zu  Sa'di's  Biographie 
(introd.  à  :  Sadi's  Aphorismen  und  Sinngedichle,  1879)  ;  Barbier 
deMeynard  (introd.  à  sa  trad    du  Boustan.  1880)  'clair  et  précis)  ; 

E.  A.  Bayer  (introd.  à  :  Sa  di  s  poMtische  Gedichte  uberseizl  von 

F.  Rïickert,  1894)  ;  K.  M.  Jhaveri,  Life  of  Sadi  (introd.  à  :  Trans- 
lation of  Saadi's  Tayyabhat,  1894). 


APPENDICE 
SAADI  LT  LKS  LITTERATEURS  (I) 


XVII*  siècle. 

La  Fontaine.  -  Kmpninl  :  l'Iiislorielle  \\  1  du  livre  II  du  (Ju- 
lislan  esl  la  source  do  la  fahle  de  La  Fontaine  :  Le  son^e  d'un 
habilattl  du  Mouj^ol  (Fables.  \1,  4  .  Selon  W  akkenacr,  La  Kon- 
laine  l'avail  connue  par  la  Iraduclion  d'A.  du  Hyer  ^(ft!uvre.s  de  La 
Konlaine,  éd.  Lefèvre,  18V7.  II,  p.  ?45,  n.).  On  trouvera  ^hi^torietle 
de  Saadi  dans  la  Irad.  de  Defrémerv  (Gulistan,  f».  llf)  el  IH).  n.  1). 

Analogies  :  I)«  Jrjmery  (op.  cit.,  [>  ;')/.  n.  '2)  rapproche  I  liist.  I, 
If)  du  Ciulislan  de  la  fable:  Les  oreilles  du  lièvre  (  Fables,  V,  4)  ; 
ce  passage  (Ciulislati,  p.  58,  n.  1)  :  «  Il  y  a  sur  mer  des  profits  sans 
nombre,  etc.  >'  lui  rappelle  ces  vers  (Fables,  IV,  '2)  :  «  La  mer  promet 
monts  et  merveilles,  etc.  »  ;  enfin  (Gulistan,  p.  213,  n.)  il  signale 
l'analogie  manifeste  entre  Ihist.  IV,  11  du  Gulistan  et  la  fable: 
L  astrologue  qui  se  b  isse  tomber  dans  un  puits  (Fables,  II.  13). 

Cet  emprunt  el  la  première  de  ces  analogies  (Les  oreilles  du 
lièvre)  se  trouvent  «''gaiement  notes  |)ar  Chauvin  (Bibliographie  des 
ouvrages  arabes,  t.  II,  p.  139). 

Senecé  (1G43-1757).  —  Auteur  d'une  fable  :  Le  poète  donn»^  aux 
chiens,  nouvelle  persane,  tirée  i\u  Gulistan  de  Saadi  (Olùivres  pos- 
thumes de  Sénecé,  Bibl.  elzèvirienne  Jannel,  p.  I7r>:.  fable  repro- 
duite en  note  par  hefrémery  iCiulislan,  p.  21?.  IV,  10).  Defrémery 
not»'  une  analogie  cnlr»-  la  m^me  Insloiirlle  du  Giilislan  el  l'une 
des  Historiettes  de  iallemanl  des  H««aux  (éd.  Monmerciué.  \.p.  IC».")). 

(i)  Bien  qu'il  s'y  rtllache  plus  logiquement,  cet  appendice  no  ligurp  |>bs 
dans  la  conclusion  de  \  Hssni  sur  le  poète  Saadi  :  on  a  crnint  (irn  alourdir 
le  ton  par  une  suile  de  citations  oisparatcs.  Ollf »-«  i,  par  contro,  ne 
constituent  pas  k  propren  ent  parler  une  biLliograpliie  et  possèdent  seu- 
lement la  valeur  d  exemples  isolés  qui  tendent  k  prouver  la  célébrité  de 
Saadi  en  Europe  :  une  biitliogiaphte  digne  de  ce  nom  se  doit  d'elle  com- 
plète el.  d'autre  part,  la  r|ueslion  n'offre  pas  un  intérêt  tel  que  l'on  se 
condamne  i  relever  minutieusement,  chez  tous  les  auteurs  européens,  les 
passages  relatifs  k  .^aadi. 


UT  BIBUOGRAPHIB 

XVIII*  siècle. 

Diderot.  — Le  Gulistan  (éd.  Assézat  et  Tourneux,  Paris,   1875, 
t.  IV). 

Voltaire.  —  (TEnvres  complètes  (Paris,  1897,  46  vol.,  t.  XXXV, 
p.  400-401);  dans  une  lettre  à  Foriney,  rédacteur  de  la  «  Biblio- 
thèque impartiale»,  lettre  datée  de  Postdam.  5  juin  1752,  parle 
d'une  prétendue  traduction  de  «  grands  passages  du  poète  persan 
Sady  »  qu'il  aurait  composée  :  «  Vous  me  direz  :  Est-ce  que  vous 
entendez  le  persan,  pour  traduire  Sady  ?  Je  vous  jure,  Monsieur, 
que  je  n'entends  pas  un  mol  de  persan  ;  mais  j'ai  traduit  Sady 
comme  La  Motte  avait  traduit  Homère.  » 

Defrémery  (Gulistan,  p.  54,  I,  15)  rapproche  de  ce  passage  du 
Gulistan  :  «  Quand  bien  même  le  Guèbre  attiserait  le  feu  sacré 
pendant  cent  ans,  s'il  y  vient  à  tomber  un  seul  instant,  il  y  sera  con- 
sumé »  ces  vers  de  Voltaire  (CBEuvres,  éd.  Beuchot,  t,  XIII,  p.  408)  : 

Qu'un  Perse  ait  conservé  le  feu  sacré  cent  ans, 

Le  pauvre  homme  est  brûlé  quand  il  tombe  dedans. 

Saint-Lambert.  —  Contes,  pièces  fugitives,  traduites  des  Fables 
orientales  de  Saadi  (Paris,  1772,  in-8,  réimprimé  l'année  suivante  à 
Amsterdam,  c'est-à-dire  Paris,  à  la  suite  de  :  Les  Saisons,  poème, 
cinquième  édition).  C'est  en  réalité  une  «  imitation  originale  »  de 
Saadi. 

Le  Bailly.  —  Analogies  signalées  par  Defrémery  :  Gulistan,  p.  66, 
n.,et  Fables,  I,  13,  Gulistan,  p.  329,  n.  3  et  Fables  nouvelles,  I, 
13  (citée  en  note). 

Mme  Roland-  —  Mémoires  (Bibliothèrjue  des  Mémoires  du  XVIII 
siècle,  éd.  Barrière,  Paris,  1878,  t.  VIII,  p.  331)  :  «  Je  me  rappelai 
le  conte  de  Saadi,  qui  nous  peint  un  vieillard  las  des  hommes,  re- 
buté de  leurs  passions,  retiré  dans  une  forêt  où  il  s'était  fait  une 
habitation,  dont  il  animait  le  séjour  par  quelques  animaux  qui 
payaient  ses  soins  du  témoignage  atïectueux  d'une  reconnaissance 
à  laquelle  il  s'était  borné,  faute  d'en  trouver  autant  chez  ses  sem- 
blables ». 

Lettres  (éd.  Perroud,  Paris,  2  vol.,  1900-1902,  n°  78,  p.  244,  lettre 
à  Bosc,  5  mai  1783)  :  «  Vous  n'êtes  certainement  pas  de  ceux  que 
le  poète  Saadi  a  dit  ne  savoir  même  s'enquérir.  » 

Lettres  (éd.  Perroud.  nouvelle  série,  t.  I.  Paris,  1913,  p.  227, 
lettre  à  Sophie  Camut)  :  «  Coitîée  de  ma  misanthropie,  je  répète 
d'un  ton  doctoral  les  maximes  de  Saadi  :  les  agréments  des  cours 


APPENDICR.    —    iAAOI    rr    LB»    LITTIÎBATKURS  Vf 

foni  presque  <1o<ï  vicas  dans  les  sages  ;  conserve/  vos  senlimenU, 
failes  le  bien  el  laissez  les  faciMiesoux  courtisans.  • 

Fréron.  —  Kmprunlp  lo  nom  <Jo  San<li  pour  écrire  une  vie  sati- 
rique lie  V'ollaire  (cf.B'trlh'Memy  Les  confessions  de  Fréron, Paris, 
1^76.  in-lH,  Clharpenlier,  npp.  I.  p.  r^Dr>-3r»4). 

Blanchet  (Abbé).  —  Apologues  el  contes  orientaux  ("Paris, 
1774.  in.^<). 

Utilise  le  fîulistan  dans:  l'apologue  VI  ^p.  15-16:  la  cour  de 
Perse'  ;  l'apologue  X  (p.  25-'26  :  le  derviche  insulté)  ;  l'apologue  XIl 
(p.'J8  :  l'Arabe  atïnmé)  ;  la  maxime  citée /»  la  suite  de  l'apologue  XI \ 
(p  31  :  les  amis  et  l'argent);  le  conte  II  (p.  44-53:  moyens  de  res- 
susciter les  moris)  Dans  une  note  de  la  p.  25,  Blanchet  déclare 
qu'il  a  pris  l'idée  de  l'apologue  X  et  du  conie  II  «  dans  un  petit 
livre  assez  mal  fait  qui  a  pour  litre  :  (iiilistan  ou  l'empire  des  roses, 
chez  Praull  père,  1737  >,  mais  que,  lorsqu'il  cite  le  (iulistan  <  ce 
n'est  point  d  après  cette  prétendue  trailuction  où  l'on  a  mêlé  beau- 
coup de  choses  (|ui  ne  sont  point  du  poêle  Sadi  (sic,  ».  Il  ajoute 
(ju'il  se  sert  toujours  de  la  Iradurlioii  latine  de  (ienlius  ((^f.  Tra- 
ductions du  Gulistan,  année  1704). 

Herder.  —  D'après  Bayer  (Saadi's  politischc  Gedichte,  Obersetzl 
von  F.  Riickert,  1804  p.  48),  aurait  ulilisé  la  traduction  du  Ptulis- 
Inn  par  Gentius  (1651)  pour  son  «  Sadi  s  Bosenlhal  ». 

XIK'  siècle. 

Pignofli.  —  I)  uis  la  23*  de  ses  fables  (Poésies,  Florence.  1812), 
donne  une  imitation  en  vers  italiens  de  I  apologue  de  la  perle  (<'f. 
Boustan,  Irad.  Barbier  de  Meynard,  p.  181). 

La  Chaheaussiére.  —  Apologues  moraux  de  Saady.  imités  par  La 
Chabeaussière  (Paris,  1S|4,  in-8). 

Goethe.  —  Noten  und  Abhamllungen  zu  besserem  \  erslhndniss 
des  WeslOstlichen  Divans  (Eil.  de  ta  Société  Goethe,  Weiniar,  1888, 
t.  VII)  :  p  (il  (Biographie  de  Saadi),  p.  R9  (ses  cararb'nslicjues), 
p.  147  (anecdotes  sur  sa  vie). 

(Pour  le  \Vestr»sllichc  Divan,  cf.  même  éd..  I.  \  I,  p.  78. i 
En  outre,  dans  les  Annales  faisant  suite  h  ses  Mémoires  (Dich- 
tung  imd  W'ahrheih,  Goelhe  rappelle  (ju  il  mit  en  tôle  des  derniers 
cha|)ilres  du  ..  Diwan  oriental  el  occidental  »  une  notice  détaillée 
du  caractère  et  des  productions  des  sept  principaux  poètes  de 
Perse.  (D  après  Bayer.  Saadis  polilische  (iedirhle,  Ubersetzt  von 
F.  BUckerl,  18'J4,  p.  48,  (ioethi'  aurait  utilisé  la  traduction  de  (ien- 
lius. Cf.  :  Traductions  du  Gulistan,  année  1G51.) 


LTI  BIBLIOGRAPHIB 

(Sur  Goelhe  et  la  Perse,  cf.  Weslend,  Goethe  und  Persien,  Goe- 
the-Jahrbuch,  1906,  p.  270.) 

Riickert  — Son  «  Poetisches  Tagebuch  1850-1866  »  (publié  par 
sa  sœur  Maria  Ruckert,  Francfort-s/-Mein,  1888)  contient  une 
pièce  de  huit  vers  sur  Saadi,  dat^'^.e  du  9  octobre  1851  (Citée  Bayer, 
op.  cit.,  p.  146). 

V.  Hugo.  —  Les  Orientales  (IX,  la  captive)  :  Hugo  prétend  avoir 
emprunté  à  Saadi  lépigraphe  de  cette  pièce  :  «  On  entendait  le 
chant  des  oiseaux,  aussi  harmonieux  que  la  poésie.  » 

Les  Orientales  (n°  XLl),  épigraphe  :  «  Je  lui  dis  :  La  rose  du  jar- 
din, comme  tu  sais,  dure  peu  ;  et  la  saison  des  roses  est  bien  vite 
écoulée.  »  (Cf.  Gulistan,  trad.  Defrémery,  p.  15  :  «  Je  lui  dis  : 
Comme  lu  le  sais,  il  n'y  a  point  de  durée  pour  la  rose  du  jardin,  il 
n'y  a  pas  la  moindre  fidélité  dans  les  promesses  du  parterre  de 
fleurs  ».) 

Légende  des  siècles  (le  roi  de  Perse),  le  vers  : 

«  Comme  autrefois  Hafîz,  comme  à  présent  Sadi  ». 

(Il  faudrait,  pour  la  vérité  historique  :  «  Comme  à  présent  Hafiz, 
comme  autrefois  Sadi.  ») 

Balzac.  —  Le  lys  dans  la  vallée  (Paris,  1878,  in-12)  :  «  Vous  com- 
prendrez cette  délicieuse  correspondance  par  le  détail  d'un  bouquet, 
comme  d'après  un  fragment  de  poésie  vous  comprendriez  Saadi.  » 

La  fille  aux  yeux  d'or  (Paris,  1876,  in-12,  p.  328):  «  Ce  fut  un 
poème  oriental  où  rayonnait  le  soleil  que  Saadi,  Hafiz  ont  mis  dans 
leurs  bondissantes  strophes.  Seulement,  ni  le  rythme  de  Saadi,  ni 
celui  de  Pindare  n'auraient  exprimé  l'extase  pleine  de  confusion  et 
la  stupeur  dont  cette  délicieuse  fille  fut  saisie,  quand  cessa  l'erreur 
dans  laquelle  une  main  de  fer  la  faisait  vivre.  » 

A.  de  Musset.  —  Mélanges  de  littérature  et  de  critique  (Paris, 
1867,  in-12,  p.  269,  art.  sur  les  poésies  de  Jean-Paul),  attribue  à 
Saadi  cette  pensée  :  «  Ne  vous  attachez  point  à  la  surface  des  hom- 
mes et  creusez  quand  vous  voudrez  trouver  :  le  talent  se  cache  tou- 
jours. Ne  voyez-vous  pas  que  la  perle  demeure  ensevelie  au  fond  de 
l'océan,  tandis  que  les  cadavres  remontent  à  la  surface  des  flots.  » 

Mme  DesbordeS'Valmore.  —  Poésies  inédites  (publiées  par  G.  Re- 
villiod,  Paris,  Dentu,  1860,  P*  division  :  Amour).  Les  trois  premiers 
vers  de  la  pièce  connue  :  Les  roses  de  Saadi  : 

J'ai  voulu  ce  matin  le  rapporter  des  roses, 

Mais  j'en  avais  tant  pris  dans  mes  ceintures  closes 

Que  les  nœuds  trop  serrés  n'ont  pu  les  contenir 

semblent  nettement  inspirés  par  ce  passage  du  Gulistan  (cité  d'à- 


APPBNOICR        —    5\M)I     Kr    LRrt    LITTiR\TKUU8  LVri 

près  la  trad.  de  DefréoiRry,  postérieure  à  Mme  D.-V.,  p.  5}  :  <<  J'a- 
vais dans  lespiil  (jii«^.  (piatid  j  an  iv«îrais  an  rosier,  je,  remplirais  <le 
roses  1«  pan  «le  ma  robe,  pour  «mi  fair*»  (irt^scnl  à  ii»e^  cainarad»». 
Lorsque  je  fus  arrivé,  l'odeur  des  roses  m'enivra  tellement  «pie  le 
pan  de  ma  robe  m't'fliippa  de  la  main  o  Ci  SainleB«*uv«»,  (Cau- 
series «lu  lundi,  I.  XIV.  p.  46r)). 

Même  morceau,  en  prose,  dans  un«î  lettre  de  Mme  U.-V.  adres- 
sée à  Sainte-Beuve,  le  "2?  février  1848  (publiée  pai  Spoelberch  de 
Lovenjoul,  Sainte-lieuve  inconnu,  Paris,  1901,  p.  2"27)  ;  le  thème 
diffère  lè^:èreinent. 

Enlin  Mme  IJ.-V.  cite  Saadi  dans  une  préface  (Cf.  Sainte-Beuve, 
Nouveaux  lundis,  t.  XII.  p    197  et  t.  Mil,  p.  Til). 

E.  Renan.  —  J.  A..  1880,  XVI,  p.  30:  a  Saadi  est  vraiment  un 
des  nôtres.  Son  inaltérable  bon  sens,  le  «'harme  et  l'esprit  rpii  ani- 
ment ses  narrations,  le  ton  de  raillerie  indulgente  avec  le(jnel  il 
censure  les  vices  et  les  travers  de  l'humanité,  tous  ces  mérites,  si 
rares  en  Orient,  nous  le  rendent  cher.  On  croit  lire  un  moraliste 
latin  ou  un  raileur  du  xvi*  siècle.  » 

Lettre  inédite  (Ms.  n"  9  de  la  Bibliothèque  de  Quimper)  :  «  Paris, 
17  janvier  1HC7  Monsieur,  l'ouvrage  dont  vous  m'avez  envoyé  un 
spécimen  est  un  exemplaire  du  (iulislan  de  Sadi  (sic),  l'ouvrai^e  le 
plus  célèbre  de  la  littérature  persane.  Vous  savez  <|ue  le  Per.san 
s'écrit  avec  le  caractère  arabe.  Le  Guiistan  a  été  imprimé  et  traduit  ; 
les  manuscrits  n  en  sont  point  rares.  Comme  rex»*m()laire  cpie  vous 
possédez  ne  parait  pas  avoir  un  ^rand  mérite  calligraphii)ue,  on  ne 
peut  pas  dire  qu'il  ait  un  (^rand  prix.  Il  faudrait  cependant,  pour  se 
prononcer  avec  assurance  à  cet  éj^ard,  en  faire  une  collalion  sui- 
vie, pour  voir  s  il  est  correct  et  s'il  oITre  de  bonnes  lettons.  Agréez 
etc.  I).  —  L'autographe  de  Renan  se  trouve  en  tète  du  ms.  ;  le  des- 
tinataire est  inconnu.  Sur  la  couverture  cartonnée  du  ms.  est  collée 
une  note  écrite  à  la  main:  «  Maniiscril  arah^  pluslùi  que  persanl 
qui  <loit  être  curieux  et  intéressant  pour  avoir  été  porté  de  si  loing 
<rAgra  «  (Renseignement  obligeamment  fourni  par  M. Le  Guyader, 
conservateur  de  la  Bibliothèque  de  (,)uimper). 

Lafcadio  Hearn  —  Feuilles  éparsos  de  littératures  étranges. 
(Histoires  recoii-lruiles  d  après  les  livres  des  \nvari-S  >lieili,... 
Gulistan.  etc.).  (trad    de  l'anglais    par  Marc  Logé,  Paris,  in-12). 

.\daptulioii  d"  l  liiHloire  I,  4  du  (iulislan  (trad.  Defrémory.  p  30- 
36.) 

E.  Manuel  —  Sa  pièce  de  vers  :  La  prière  (Poésies  du  foyer  et 
de  l'école)  est  une  adaptation  de  l'histoire  II.  7  du  Gulistan  (trad 
Defrémery,  p.  107  .  ^^ 


TABLK  DES  MATIl'lRKS 


PagPt 

premii:he  partie 

L'HOMME 
CHAPITRE  PREMIER.  —  La  vie 

A.  —  Enfance  et  jeunesse.  —  L'Asie  accideniale  lors  de  la  naissance 
de  Saadi.  Les  princes  de  Cliiraz.  La  famille  de  Saadi.  Traits  de 
son  enfunce.  Amours  de  jeunesse.  Bagdad  :  l'université  Niza- 
miyah  ;  condisciples  et  maîtres  de  Saadi.  Ses  premières  poésies. 
Ses  viyaçes  ;  leur»  causas  ;  Ips  faraudes  routes  d'Asie.  Voyage 
à  K^clipar.  Séjour  eu  Syrie  :  Saadi  Drisonnier  des  Croisés,  ra- 
cheté ;  son  mariage  forcé  ;  discussion  de  la  date  approximative 
de  ces  événemeols.  Séjour  en  Iraq.  Guerres  iateslines  en  Perse. 
Les  pèlerinages  de  Saadi.  Séjour  à  Ispabaa.  Avantages  des 
voyag-s 3 

B.  —  Années  de  voyages.  —    Les  voyages  de  Saadi  sont-ils  imaginai- 

res? Voyage  en  Traiisoxiano  et  en  Itido  :  discussion  de  l'attentat 
qu'aurait  commis  Saadi  dans  le  temple  de  Soumnath.  Relations 
entre  l'Inde  el  l'.Vsie  occidentale.  Retour  de  Saadi  vers  le  golfe 
Persique.  L'île  de  Kicli.  Rafiide  passage  en  Ethiopie.  Séjour  au 
Yémea  ;  nouveau  mariage  et  perte  d'un  enfant  à  Sanaa.  Saadi 
traverse  l'Epypte.  Séjour  probable  au  Maghreb.  Retour  en  Pales- 
tine: Jérusalem;  Damas;  Raalbek.  Vnya^je  en  .\.sie  Mineure. 
Retour  à  Chiraz 40 

C.  —  Vieillesse.  —  (^Composition  du  GiilLttan  el  du  Uouslan.  Abou  bakr, 

prince  de  Chiraz.  Réorganisation  intérieure  de  la  Perse  sous  le 
contrôle  mongol.  Retraite  de  Saadi;  autres  poètes  de  Chiraz  , 
rivaux  et  détracteurs  de  Saadi.  Mort  d'Abou  Bakr.  Destruc- 
tion des  Ismaïliens  de  Perse  et  du  Califat  de  Bagdad  par  les 
Mongols.  Hnulagou  et  la  dynastie  des  Il-Klians.  Pésordres  dans 
le  Fars.  Ai>a<]a-Kiiaii,  successeur  d'Ilouiagou  ;  ses  ministres  ; 
leurs  relations  avrc  S«adi.  Le  mouvement  poétique  contempo- 
rain en  Pers(«.  .Mi>rl  de  Saadi  :  son    tonihean  78 


LX  TABLE    DES    MATIÈRES 

CHAPITRE  H.  -   Les  œuvres  et  lédition  de  Calcutta. 

Etablissemenl  de  l'édition  de  Calcutta.  Impossibilité  d'une  chrono- 
logie des  œuvres  de  Saadi.  Manuscrits.  Les  œuvres  de  Saadi  : 
anal}'se  des  opuscules  ;  facéties  et  «  khabithât  >>  ;  qacidas  arabes  ; 
«  moulaninia'àt  »  ;  Saadi  et  la  poésie  hindoustanie  ;  qacidas  pei- 
sanes  ;  «  maratlii  »  ;  «  larjiyâl  »  ;  les  ghazaîs  ;  les  quatrains  ; 
vers  isolés  et  fragments  ;  le  Çâliib-I^'âmeh;  le  Boustan  ;  le  Gulistan  ; 
comparaison  de  ces  deux  recueils 


103 


DEUXIÈME  PARTIE 

L.E    PENSEUR 

CHAPITRE  PREMIER.  —L'homme  social. 

Idées  sur  l'éducation.  La  modéiation  est  la  condition  de  l'indépen- 
dance sociale.  La  lutte  pour  la  vie  :  manière  de  punir,  nécessité 
de  la  circonspection,  avantat^es  de  la  retraite.  Idées  sur  la  poli- 
tique :  organisation  de  l'Etal,  qualités  et  devoirs  du  prince  et  de 
ses  ministres.  V^aleur  de  la  morale  sociale  de  Saadi 133 

CHAPITRE  II.  —  L'honnête  homme. 

Le  Pend-Nâmeh  ;  vices  et  vertus  de  l'homme.  Générosité  et  bonté  ; 
paidon  et  pitié.  Puissance  de  la  laisiin.  Avantages  relatifs  de. 
la  pauvreté.  Sévérité  envers  sei-mêrae.  La  mémoire  qu'il  laisse 
est  le  vrai  capital  de  l'homme.  Le  mérite  personnel.  Nécessité 
du  perfectionnement  moral 165 

CHAPITRE  III,  —  L'homme  de  Dieu. 

Influences    Uiyj tiques   subies  par   Saadi;   rapports  entre    ses  idées 
morales  et  ses  idées  mystiques.  Sa  position  vis  à-vis  des  confis  : 
çjufisme  relatif  de  Saadi  ;  ses  considérations  sur  les  caractères 
et  les  devoirs   des   çoufis  ;    peinture  de  1  amour  mystique  et  de 
l'extase.  Nécessité  de  suivre  la  voie  mystique  :  vanité  du  monde 
d'ici-bas,   relativité   des    impressions   et   des   connaissances  de 
l'homme,  f' agilité  de   ses    biens.  Eternité  du  nionde  d'en-haut. 
L'homme   ne  peut   rien    sans   son   créateur  :    prédestination  et 
fatalisme  ;   nécessité  d'une  résignation  paisible  et  de  l'espoir  en 
Dieu,  toujours  permis,  luutililé  de  1  asiétitme.  La  piélé  doit  se 
manifester  surtout    par   des  acies.  Saadi  pris  enlie  l{ilali.sn  e  et 
libre-arbitre.    Il  ignoie  les  ccnsequentes-  deinières  du  çcufisme 
qui,  pour  lui,  rette  un  moyen,  non  une  fin 176 


TABLE    DB8    MATIEHB8  LU 

TROISIKMK  PARTIE 

L'ARTISTE 

CHAPITRE  PRKMIER.  —  Les  procédés  de  composition. 

L'idc'e  et  l'iiuaf^e  :  coinbinRiHoas  diverses.  \oliibèses.  P«îr>(>tini  lic»- 
lioiis  J'iioiiniiM  el  d' )bj(*ls.  Proct^dés  d'anaioiiie  el  d'allusi<in. 
Jt»ai  dd  mois  Passaj^.*»  cnm  ituds  à  ()lusie>irH  recueil».  Sources 
orale  et  livres'jue  di'S  anecdotes  ;  peraonnajîes  hi.sloriques  cl 
auteurs  cités  par  Saadi.  Le  GuUslan  el  le  liouslan  comporleiil-ils 
UD  plan  ? 1'*^ 

CHAPITRK  II.   —  Les  grands  thèmes  poétiques. 

La  noie  épique  (accidentelle).  Morale  et  lyrisme.  Sens  pratique  el 
humour.  Mélancolie  :  sentiment  de  la  fuite  du  temps,  regret  de 
la  jeunesse.  Le  réalisme  chez  Saadi.  Sentiment  de  la  mort. 
Amour  de  l'art  el  de  la  gloire.  La  nature.  L'amour.  Compassion 
enrers  ceux  qui  soutirent 210 

CHAPITRE  III.  —  Lobserration  du  monde  extérieur. 

La  vie  à  Chiraz,  d'après  les  traits  de  mœurs  recueillis  dans  Saadi. 
Le  voyage  en  caravane.  Caravansérails,  bains,  marchés,  barars, 
cafés,  jeux.  Genre  de  vie  des  grands  personnages  et  du  prince. 
Gens  d'épée  el  de  robe.  Les  derviches.  Les  savants.  Opinion  de 
Saadi  sur  ses  contemporains.  Ses  idées  scientifiques -2'3 

CHAPITRE  IV.  —  Les  moyens  d'expression. 

A.  —  StyU.  —  Clarté  el  simplicité.  Alliance  étroite  de  l'image  et  de 

l'idée.  Excès  d'images;  images  obscures,  incohérentes  el  ou- 
trées. Métaphores  et  comparaisons.  Sources  des  images  de  Saadi. 
L'image,  chez  lui,  engendre-l-elle  l'idée?  Images  vigoureuses 
et  concises "-37 

B.  —  Langpbe  el  prosodie.  —  Examen  provisoire  de  la  question, 
faute  de  textes  établis  criliquemenl.  Mots  vieillis.  Persismes. 
Liaences  poétiques.  Chevilles -SI 

CONCLUSION 

Esquisse  physique  et  morale  de  Saadi  ;  ses  connaissances  générales  ; 
sou  caractère  :  honnêteté  foncière,  sentiment  de  sa  supériorité, 
piété,  intolérance  religieuse.  L'œuvre  de  Saadi  par  rapport  i  la 
littérature  persane  :  imitations,  parodies.  La  légende  de  Saadi. 
Popularité  de  Saadi  en  Orient.  Saadi  en  Europe  :  ses  affinités 
avec  le  génie  occidental  ;  Saadi  et  Horace.  Comment  il  faut  lire 
Saadi 257 


LXII  TABLE   DES    MATIÈRES 


QUATRIEME  PARTIE 

BIBLIOGRAPHIE 


Pages 
EditioQ6  des  œuvres  complètes iil 

Editions  du  Gulistan v 

Editions  du  Boustan x 

Commentaires  du  Boustan  et  du  Gulistan xiii 

Editions  fragmentaires xvi 

Editions  et  traductions  des  «Opuscules» xi 

Editions  et  traductions  du  Pend-îsàmeh xxi 

Traductious  du  Gulistan xxiv 

Traductions  du  Boustan xxxiii 

Traductions  fragmentaires xxxvi 

Biographes  orientaux  de  Saadi xlh 

Saadi  et  les  orientalistes xliv 

Saadi  et  les  littérateurs lui 


Iinp.  J.  Theveool,  Saint-Diiier  (Haute-Marne). 


I^ge     UQDe 


1 

1  i 

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17 

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Page 

Ligne 

LIRE 

♦. 

5 

s'eHotidreobscoréiuenl  sous  les 
coups  (les  iMerinides 

1 

1 

fait  place,  à  celui  des  Mérinides 

8 

9 

d'Emesse  seuls 

d'Emesse.  Seuls 

i      '* 

7 

est 

reste 

1      4S 

1  t 

se  raréfiaient  jeut-ètre 

se  faisaient  peut  être  [)kis  rares 

i      '^ 

16 

était  alors 

se  trouvait  alors 

1      19 

32 

CàLh 

Çàiih 

;    49 

33 

Ba-igay 

Bagdad                                           | 

î7 

11.      4 

Masoudi 

Macoudi                                          \ 

30 

5 

ai 

el  "                                               ! 

34 

a 

sous 

par 

,     33 

17 

venait 

vient 

34 

n.      1 

Maraçid 

Maracid  (id.  p.  55,  1     21j 

i     37 

9 

Mais,  là 

Là 

40 

(1.       1 

Gare  in 

Garcin 

43 

;           ^  1 

D.        3 

Mouqaddassi 

Mouqaddasi    (id.     p.  53,     1.   I7i 
p.  54,  1.  7et  11  et  p.  447,  1.5) 

49 

9 

fait  même  amende 

fait  amende 

50 

13 

confessions     les    plus    voisines 

confessions  dérivées 

56 

zl 

laisserait  même  entendre 

permet  de  supposer 

■     58 

16 

Koursi  el 

Koursi  '1 

58 

17 

Ou  m 

Oumm 

60 

20 

Moustançir 

Moustançir 

60 

n.      o 

Aîdhab 

Aîdhab  (id.  p.  61,  11.  2,7,  28) 

69 

4  5[  de  la  cole 

du   littoral       , 

importante  slaHon  des  routes 

71 

30    station  impoitarilcsur  les  routes 

73 

1  5    Turcs  islamisés 

Turcs  christianisés 

73 

•28,   à  Koniali 

en  cette  ville 

83 

12    au  reste 

au  demeurant 

87 

18,  délniile 

saccagée 

'     88 

6;  renvers 

renversé 

1      9o 

n.      1.    Cahibnàmeh 

Çahib-Nàmeh 

1     96 

n.      8    Brigss 

Briggs 

i  9*7 

o    envoyé 

députe 

'     98 

23    Naçir 

Nacir 

i  ns 

8    auk  urde 

au  kurde 

'  n6 

28    cheik 

cheikh 

i  423 

4 1     deux 

i  d'eux 

1424 

23    celle 

j  celles                                            i 

|l2o 

15 

grâce 

{  grâces 

i 

Imp.  J.  Thevenoî,  Saint-Dizier  (Haute-Marne). 


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