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ESSAI
SUR
LE POKTK SAAIH
SUIVI DINL lUBLlOC.HAl'lilK
PAHIS
LIBRAIRIE PAUL GEUTHNER
13, HUE JACOB, 13
ESSAI
SUK
LE POÈTE SAADl
Henri MASSÉ
Docteur cs-lettrct
ESSAI
SUR
LE POÈIK SAADI
SUIVI D'UNK BIBLIOGHAIMIII
PARIS
LIBRAIRIE PAUL GEUTHNER
13, HUE JACOB, 13
UNIVERSITY or- TORONTO
LIBRARY
MASTER NEGATIVE NO.:
3Jç?./y^
FILIàK CARlSSJMAh'
ou MEMOniAM CUSTODŒSDAM
S. T. T. L.
AVEHTISSKMKNT
Lo but du présent travail est double : d'une part, établir
ou du moins rechercher les niotiis de goûter le poète Saadi
et. par suite, la lilléialure j^ersane .lujourd'hui (juehjue peu
délaissée en France ; d autre pari, de ce poète aussi célèbre
qu'imparfaitement connu, tenter un esi^ai de monographie
résumant ce que 1 on connaît de son épocjue et de son art.
Les ouvrages sur la littérature des peuples musulmans sont
jusiju'h présent peu nombreux ; et, s'il existe à propos de
Saadi, soit des articles sur un aspect particulier de son
œuvre, soit de courtes biographies, un travail d'ensemble
n'avait pas encore été composé. Car celui de Kholmogorow
ne mérite réellement pas ce nom, ainsi qu'une analyse som-
maire en donnera la preuve {C.ï. Bibliographie de Saadi :
Saadi et les orientalistes, année 1865).
Cet essai sur Saadi, suggéré j)ar M. Hené Basset, doyen
de la Faculté des lettres de l'iniversité d'Alger, lui aurait
été dédié, si l'auteur n'avait dû le consacrera la mémoire
d'un être toujours regretté. Que M. Hené Basset, cependant,
veuille bien trouver ici le témoignage d'une profonde et
durable gratitude, car. sans lui, cette étude sur un vieux
poète, interrompue par les circonstances, n aurait peut-être
jamais vu le jour.
^^^^^^^^»^M^WVS^V^MVWMMM^^»MW^*^
PHKMH-Hi: PAinii-
L'HOMME
M. - I
cil \i'i 1 iii': I'I;i:mii:i;
LA VIK
Kliidier un écrivain sans s'eirorcer de le rallacher, par
tous les nioytMis dunl on dispuso, aux événcnienls de son
çpoque. parail à peu près iinj)ossible. Sans doule, il esl,
dans l'hisloire de la lill»''ialure, des hommes qu'une indivi-
dualilé loule-puissanle isole de la foule. Alors que, pour la
plupart des auteurs, l'activité littéraire absorbe toutes les
énergies, il semble que ces génies plus vigoureux ne puissent
concevoir la pensée sans la mêler d'action : si un l*ascal, un
Spinoza paraissent des héros — mais seulement des héros
de la pensée — un Cicéron, un Danle, un Millon, un Cha-
teaubriand ajoutent ii leurs u-uvres considérables l'éclat
d'une existence qui les parachève ; tandis que les humains
sont presque toujours le jouet des circonstances, ces grands
hommes semblent tirer des événements, même les plus insi-
i,'ni(ianls ou les plus pénibles, une nouvelle raison d'agir et
de concevoir ; sans cesse supérieurs aux contingences, ils
savent combiner avec maîtrise les rêves et les actes, do sorte
que l'on ne saurait, à vrai dire, composer le récit de leur
existence sans écrire du même coup l'histoire générale do
leur temps.
Le même devoir s'impose à 1 historien, moins rigoureuse-
ment toutefois, à légard d'un lilléraleur agissant par ses
livres seuls. Alors même que son existence s'écoule tout
entière à l'écart de la vie publique, l'écrivain, qu'il le veuille
ou non. exprime spontanément, sous une forme plus ou
moins concrète, iiiu' -érie de pai tiriil.nilés ]>r(»|>re> à son
4 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
temps et contribue, plus qu'aucun autre, à refléter l'àme de
ses contemporains.
Aussi, lorsque le sort fait naître un littérateur en des
temps de troubles et de discordes, les menus événements de
sa vie, même les plus futiles en apparence, revêtent une
signification profonde, parce qu'ils sont impérieusement
commandés par des révolutions ou des guerres. Un Saadi
— sans même qu'il faille invoquer à son propos le fatalisme
oriental — subit presque passivement les vicissitudes, se
résignant mollement à la mauvaise fortune et à vivre caché
pour vivre heureux. Mais précisément cette attitude, peu
héroïque peut-être, est par cela même celle du plus grand
nombre ; et examiner la vie d'un écrivain de cette espèce sç
ramène, somme toute, à étudier (le talent littéraire mis de
côté) celle d'un exemplaire d'humanité moyenne au cours
d'une terrible convulsion de l'histoire. Si l'on y ajoute la
longévité presque séculaire de Saadi, on voit quelle riche
matière sa biographie fournirait à l'historien, si l'on dispo-
sait toutefois de documents plus précis et plus nombreux.
Les renseignements que l'on possède sur sa vie sont en
effet assez maigres : à part deux ou trois biographies plus
ou moins conventionnelles, la meilleure source se forme des
détails épars qu'il a bien voulu donner sur lui-même au
cours de ses œuvres (1). Ces détails, joints aux récits des
événements historiques composés par de secs annalistes
arabes ou par de précieux rhéteurs persans, permettent de
reconstituer tant bien que mal l'aspect général de son exis-
tence qui fut, somme toute, celle d'un petit bourgeois
homme de lettres au treizième siècle de 1 ère chrétienne.
Or, ce siècle est celui des duels grandioses : lutte entre le
Sacerdoce et l'Empire, lutte entre l'Orient et l'Occident,
lutte — éternelle celle ci — entre Iran et Touran. En 1190,
c'est-à-dire à l'époque des jeunes années de Saadi, Frédéric
(1) Les citations Hu Boustan sont empruntées à la traductioa Barbier
de Meynard ; celles du Galislan a la traduction Defrémery.
LA VIK
liaiberoiisse meurt à la croisade, laissant, après les jours
d'i'preuves. l'I'nipire d'Alleiiiagno au faite de la grandeur;
et voici, poil jiprès, l'Kurope tout entière prenant parti, ou
pour lo l*;ipi' ou pour l'Knipereur, cpiereiles stériles d'où
sortent, an hoiil diin demi-siècle, les Ilohenstaufen brisés,
rMm[)ire acculé à la ruine et le Pape, en dépit de sa victoire,
condamné à l'exil aventureux et précaire.
Kn Orient, la domination chrétienne établii- |-ar les pre-
mières croisades s'est déplacée à la fin du \n' siècle. Saladin
a peu à peu rejeté vers la côte les Francs réduits, après la
perle d'Kdesse. au royaume de Jérusalem (Pbéniciei, au
comté de Tripoli et à la principauté d Anlioclic. Sur celte
étroite bande de territoire, doublée, il est vrai, par Chypre
et le royaume de Petite-Arménie, les Francs se maintien-
nent, mais pressés de toutes parts, et le xm'" siècle, après les
(jualre dernières croisades, verra, à partir de ! 127(1, s'elTon-
drer lentement les projets des Chrétiens (1).
Au même moment, la Perse, patrie de Saadi, subit une
fiîis de plus l'outrage de l'invasion (2). Les conquérants,
cette fois, ne viennent plus d'Arabie, comme au vu* siècle,
mais de l'orient lointain. L'empire du Khare/m (Khiva), ce
rempart contre les barbares, édifié depuis une centaine d'an-
nées sur les ruines de l'empire seijoukide de Perse (3), cède
à son tour aux coups d'une puissance plus jeune. Moham-
med Ala ed Diii. depuis 1220, perd rapidement Khare/m,
Ivhorassan, Tabarislan, Ira(j persan, Sijistan, Jourjan, Fars,
(ihazna, Kirman. MéUran. VA malgré les exploits du roma-
nesque Jalal ed Din. l'Iran s'écroule dans la tourmente sans
nf)m (pii, l'Asie orientale une fois submergée, supprime le
(1) Sur la situation des Croises en Palestine, lors de la naissance de
^aadi, cf. H. Derenliour^r. Les croisades d'après Yàkoitt. p. 83.
(2) Sur les invasions monpolcs, cf. I.avjsse el luimbaud. Histoire générale,
' II. p. 8S»-971 ; L. Hréhier, L'Eglise el l'Orienl au moyen dge. p. 50 et
--iiiv. (les invasions des Turcs el les origines des ('loisâdcs' : I,. ('nlmii.
Inlroduclion à ihtsloire de l'Asie.
(3) Sur les Seijoukides, cf. J. A. 18VH (t. XI. j.. • l ; ; l . .\ll, p. 2:i'J el
134) el 1849(1. XIII. p. 15) : extraits du Tarik|,i-gu7.ideli, trad. Defrémery.
6 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
Califat de Bagdad respecté jusqu'alors et déferle sur l'Europe
centrale (1).
Enfin, dix ans plus tard, c'est le tour du Magreb où l'em-
pire des Alniohades, qui avait à la fois dominé l'Espagne et
l'Afrique du Nord, s'effondre obscurément sous les coups
des Mérinides.
"S'oilà l'époque de chaos et d'incertitude durant laquelle
l'existence de Saadi s'écoulera tout entière. Qu'elle ait ins-
piré le renoncement et la résignation, c'est ce que l'on peut
percevoir à la lecture même des œuvres du poète. Sa vie,
peu complexe en dépit de ses nombreux voyages, a été de
bonne heure partagée par ses biographes en trois périodes :
années de jeunesse et d'études, années d'aventures, années
de vieillesse et de calme.
A. — Enfance et jeunesse.
Il naquit à Chiraz, capitale du Fars, vers l'année 1184
(H. 580), suivant l'avis généralement adopté (2), et reçut le
nom de Mouçlili ed Din, ou, suivant d'autres, de Charaf ed
Din Abdallah (3), ou encore de Moucharrif ed Din Abdal-
lah i4). Le Fars (5), ancienne Perside, et berceau des anti-
(d) Cf. le résumé de l'historien arménien Guiragos (trad. Dulaurier, J. A.
18")», XI, p. 210-213, p. 248 253, et particulièrement p. 481-493).
(2) Grundriss der iran. Philologie, II, 292 ; Defrémery (trad. du Gulistan,
inlrod. p. VI) ; E.-G. Browne, Literary history, il, 526 (« L'avis général est
qu'il naquit à Chiraz environ en 1184 )>). Cf. dans l'introd. du Gulistan de
Defrémery la réfutation des opinions de d'Herbelot (qui le fait naître en
117.^-1176, H. 571), de S. de Sacy {Biog . universelle, XXXIX, 401) et de
Gore Ouseley [Biographical notices of persians poets, p. 6).
(3) Nom adopté par Grundriss (loc. cit.) et par Graf [Rosengarten, p. 229)
d'après Jami {Najahat el ouns).
(4) Browne {loc. cit.) : i Le nom de Saadi paraît, d'après le plus ancien
ms. de ses œuvres (Ind. Off. 876), avoir été, non, comme on le dit eu gé-
néral, Muçlih-ud-Din, mais Mucharrif-ud-Din îbn Muçlih-ud-Din Abdullah.»
Cf. Rieu, Persian Mss. in the Briiish Muséum, II, 593.
(5) Sur le Fars, cf. Mirza Hasan Fasâî, Fars Naineh (Téhéran, 1313);
Le Slr^n^e, Eastern Caliphate, 248 et suiv. et Description of the Province
of Fars (J. R. A. S. 1912) ; Barbier de Meynard, Dictionnaire de la Perse,
p. 410 ; P. Schwarz, Iran iin Mittelalter, II-III.
l.V VIK
quef» niojiarc'liies persanes, avuil ^ardô, soiibIos AbbaPHidon,
sa division en cinij ditsliicls (koinahs^ t-lal)lic par les Sassa-
nidi's. Des villes, nombreuses, le» plus iniporlanles étaient
(ihira/, puis Istakhr (i^ersépolis), '^ a/d, Arrayân (frontière
du Khou/islair i-l Darabjird. Les îles du (iolfe l'eisique
apparlenaiL-nl au Kars el lilc de Kicli, en parlicidier, for-
mait un centre commercial imporlanl, avant d'être supplan-
tée par Ilorniu/ (1). Le pays prospérait et produisait princi-
palemenl des essences de fleurs et des éloffes ^2),
Kn dehors des villes, plusieurs tribus nomades erraient
parles plateaux ; l'une d'entre elles, colle des Chèbâiikarès,
avait même fondé une dynastie dans un district montagneux
du Fars(Ohsson. MorKjols, l\ , 270).
Mais i'ï Cliiraz, les Atabeks (3; régnaient. A mesure que
s'eIVrilait la puissance des Seijoukidesde Perse, les dynasties
locales prenaient naissance et vigueur. Des Atabeks s'étaient
fait reconnaître, non seidement dans le Fars, mais à Damas.
ù Mossoul. en Mésopotamie, à Alep, à Jazirat-ibn-Omar, à
Smdjaret en Azerbeidjan (ii. Ces principautés, dont l'im-
portance variait du district au petit royaume, rendaient
hommage à un suzerain, mais, en fait, étaient à peu près
indépendantes.
Kn l!<St. l'enijurc seijoukide en avait encore pour dix
années d'existence, avant son renversement par Toulouch,
sultan du Kharezm. Le Califat de Bagdad traînait un sem-
blant de vitalité, sous le calife Nàçir, organisateur d'espion-
nage et grand bâtisseur, mais dominé, comme ses devanciers,
par (]uelque maire du palais. A Hyzance. l'Kmpire, revivi-
lié par les Comnéne. se débattait sous la grille d'Andronic
l'Usurpateur. De ces grands états en décadence, seul, l'eni-
.1) D'après I.e Stranpe. Easlern Caliphate, p. 6.
{2) Ibiil . p. 293.
(3) Sur l'origine du mol « atabek »» (prince), cf. Defrômery, .Wr/n. (ThU-
tnire orientale, p. 117-110. Tour le sons du uiot, cf. Uarbier de Meynard.
Suppl. auT dict. turcs, s. v. et Quatremère, kinmlonkt, t. I, p. 2, n. 5.
(4) Cf. Hammer, Ilchane, I, p. 6'-'2.
8 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
pire des Seljoukides d'Iconium se maintenait honorablement
en Asie mineure. Le reste de l'Asie occidentale s'émiettait
aux mains d'une foule de petits souverains : rois de Jérusa-
lem dont la chute, à la suite de la victoire de Saladin sur
Guy de Lnsignan ( 2 octobre il 87) trois ans après la naissance
de Saadi. anéantissait le rôve immense des croisades ;
rois de Petite-Arménie ; Ortokides de Mardin et de Hisn-
Ka'ïfa : princes de Khalat, d'Azerbeidjan, de Mossoul, de
Damas, d'Alep, d'Emesse, seuls, les Ayoubides d'Egypte
triomphaient, mais en écoutant, de même que tous les autres,
l'approche fatale de l'ouragan mongol.
Lors de la naissance de Saadi, le prince de Chiraz était
l'atabek Mouzaffar ed Din ïoukla, troisième représentant
de la dynastie des atabeks du Fars (1), Depuis une dizaine
d'années, Toukia se maintenait péniblement contre ses voi-
sins du nord et de l'ouest : sultans du Kharezm etatabeksde
Mésopotamie. Dans la cinquième année de son règne, le
Fars avait été dévasté parl'atabek d'Azerbeidjan. Pahlawàn
ibn lldigiz, et le reste du règne de Toukia suffit à peine à la
réparation de ces ravages (2).
Mais le Fars était voué aux vicissitudes : le successeur et
cousin de Toukia, Togrul ibn Sankar, fut renversé au cours
d'une guerre civile fomentée par un de ses parents, Abou
ChoujaSaadibnZangi^qui, monté surletrôneen 1197(H.593),
dut, à son tour, dès 1203 (H. 600), se défendre contre l'atabek
d'Azerbeidjan, Uzbag ibn Pahlawân. Uzbag infligea au Fars
le même traitement que son père, et le prince de Chiraz,
(1) Saadi nomme ce personnage (Boustan, p. 39). La dynastie avait été
fondée en 1148 (H. 544) par Mouzaffar ed Din Mouchakar ibn Mawdoud
ibn Salghar (D'où le nom de Salgharides donné parfois à cette dynastie) .
Cf. Ohsson, Mongols, I, 191, n. 1 ; Malcolm, Hislolre de Perse, II, 106 et
suiv. ; Mirkhond, Alabeks oj Syria and Persia (éd. Morley) ; Grundiiss der
iran. Philologie, II, 569 et suiv. Wassaf, au livre II de son Histoire, a
raconté l'histoire des Saigharides avec prédilection, car il était lui-même
Chirazien. Sur les dynasties précédentes, cf. Defrémery, Mém. d'histoire
orientale, p. 121 ; Ilammer, Ilchane, I, 69.
{2) Hammer, Ilchane, I, 235.
LA vrR
tout on sauvepjai'clanl sa couronne, ne put empt^clior le sac
cio sa capitale. Au reste, (jiiatorzeaus après, Saad se récon-
ciliait avec le prince il'A/.erbeidjan, au moment de la mort
d'Ougoulmich. Ce dernier gouvernail rira(|au nom du sul-
landuKharezm,elIesdeux atabeks mettant à profit, et sa mort
et 1 »'loij,Mîement du sultan occupé lui-même à guerroyer en
pays turc, se jetèrent sur cette province. Aj)preuanl la prise
lie plusieurs villes, le sultan accourt de Samarcando, à la tête
de douze mille cavaliers, écrase près de Wtiy les troupes du
prince de (]liira/. (ju'il fait prisonnier. Il renonce du reste à
la comjuète du Fars, préférant marcher sur Hagdad, et se
contente d imposer à Saad un tribut annuel et la reddition
de deux citadelles. Il lui rend même la liberté, mais, par
contre, le marie à Tune de ses parentes.
Durant la ca[)tivité de Saad, son fils aîné, Abou liakr, a
gouverné le Kars. Aussi, lorsque Saad se présente devant
Cliiraz. il s'en voit refuser l'enlrée. Il y pénètre par surprise,
fend d'un coup de sabre le visage de son fds : mais on les
sépare et le père pardonne peu après ^ ! ) .
Le futur poète grandissait au milieu de ces désordres, en
cette ville de Cliiraz dont le géographe Vâqoùt, dans son
Moujam -c/-bou I(J;i n > [erm'iné en r2lîi), a laissé nnedescrip-
tio.n pour ainsi dire contemporaine (2). Peu de renseigne-
ments sur la famille de Saadi ^3 : son père Abdallah, suivant
le biographe Dawlatchah, se trouvait au service du prince
Saad ibn Zangi dont il aurait pris le surnom de « Saadi » .
(1) Sur ces événcmoiils, cf. N'asawi, Hist. ilu sullan Djrlnl e-l lUn .Manko'
^ir^' (Irad. Iloudas), p. 5-G, 2*-26. 33-3L Daprès .Mirkliona (A/'ifx'/vj oj
Syrin and Persin, éd. .M)rley, p. .12;, Saad aurait, non blessé, mais iué
Kon nts.
(2) Harbier de .Meynard, DicA. delà Perse, art. Ghiraz Cf. la description
plus tardiv»* d'Ihn (tatnul.ih (éd. Soc. asial., II, .*i2 et stiiv.).
'3; Un de ses frères aurait été marchand de fruits à Chirar, si l'on en
croit l'opuscule placé en tète des œuvres du [ioi«le (éd. Calcul'a. p. 9 e t
Gniisinn, Irad. Defrémery, p. .30) : le poète aurait intercédé en faveur de
son frère auprès du gouverneur Chams ed Din TA/.igoui établi k Chirai
parles Monpols. La boutique du frère de Saadi se trouvait, d'après cette
bisloirt, à la porte du Gouvernorat.
!0 PREMièRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
Mais il est plus probable que ce fui le poète lui-même qni^
par reconnaissance ( I ), adopta ce surnom.
Barbier de Meynard (2j fait justement remarquer que le
véritable nom (ism) du poète restera probablement ignoré,
car, outre son surnom poétique de « Saadi », son surnom de
(' Mouçlib ed Din » (ou « Moucbarrif ed Din ») ne lui fut sans
doute donné qu'à la fin de ses études.
L'un des traits caractéristiques du génie de Saadi consiste
à savoir dégager un enseignement moral des moindres évér
nements de son existence. C'est précisément de ces détails,
dont il fut trop avare, que se forme le meilleur de sa bio-
graphie. Plusieurs passages de ses œuvres touchent à son
enfance dont il semble avoir conservé le souvenir douce-
ment mélancolique. Des traits de ses jeunes années figurent
dans le Bousfan et laissent entendre que son père tenait rang
de fonctionnaire subalterne mais aisé : a Mon père », dit-il,
« m'acheta un jour une tablette, un cahier et joignit à cela
une bague d'or. Survint un marchand qui, pour quelques
dalles, enleva celle bague de mon doigt » [Boustriîi^ p. 3o4).
Un autre jour, au milieu d'une fêle, Saadi lâche le pan de la
robe de son père et s'égare dans la foule : cris déchiranlsdu
marmot qui, retrouvé par son père, en reçoit celte semonce :
« Un petit enfant ne doit pas s'aventurer seul sur une route
qu'il ne connaît pas » [Boustan^ p. 359).
Naturellement, ces menues anecdotes ne constituent que
des prétextes à moraliser. Mais en ce moment même, c'est la
physionomie seule de Saadi qui importe, et pas encore le
fond de sa pensée.
Il pencha vite, semble-t-il, vers la dévotion s'il en faut
croire le Boustan (p. 290) : « J'étais encore un tout petit
enfant incapable de distinguer ma main droite de ma
main gauche, lorsque j'eus un jour la fantaisie de jeû-
(1) Çâhih nâmeh (éd. Bâcher, p. 75) : « Mon père a passé sa vie à le
servir. Moi, son fils, je me suis aussi dévoué à toi... Je n'en veux pas
servir d'autre, car ce sont tes bienfaits qui m'ont nourri. »
(2) Traduction du Boustan, introd. p. 9,
LA VIR
ner. » D'anlre j)arl, une des plus tJiilicicuHeA niiecdolos du
(iulistnn (|). 107, II, (>) rapporlo la levoti d'Iiumililé i\\\\ lui
fut douiu'C parsoii père, alors «pie lous deux vt-iliaienl en
prianl au milieu de leur» compa^'nons cndurmis ; nu pclit
Saadi rpii les censure, son père répond : '< Si loi aunsi tu tMnis
eudoiini. cela vaudrail mieux \\\w de lomber sur la peau des
autres. "
Le manque d'indulgence el la vivacilé, voilù en ollol les
deux défauts enfantins qu'il se reconnaît avant tous. Il avoue
avoir été enclin à Ivranniser ses camarades, ce (jui lui valut
un jour de plus fort (pic lui une vigoureuse taloche : « Je
cessai désoiinais ". dit-il à ce propos, <* de tourmenter les
faibles ». Et pourtant, il ne fut pas, quoi qu'il en dise, entiè-
rement corrigé, car il déclare, dans le (iulistnn, avoir, « dans
l'ignorance de la jeunesse », levé la main contre sa more
p. -JOT, \I, 0).
Il perdit sans doute ses parents de bonne heure et les
pleura dignement, à lire ce (pi'il écrit au sujet des orphelins
qui lui inspirèrent quehpies-uns de ses accents les plus déli-
cats : « Quand tu vois un orphelin baisser tristement la télé,
ne mets pas un baiser sur le front de ton enfant... Ne laisse
pas couler ses larmes, ce sont des larmes (|ui font trembler
le trône de l)ieu(i).» Avec quelle tendresse, avec quelle
élévation, il parle ailleurs de l'amour maternel : « En nour-
rissant l'enfant de .son lait, c'est de son propre sang que sa
mère le notirril, el l'enfant suce avec avidité ce sang oii Dieu
a infusé un amour inliui. l'amour maternel » [Housf.-in, 318 .
En dépit d'un passage du //f)//.s7.'</j >p. lOl : '< Moi qui étais
encore enfant cpiand j ai perdu mon père »), le père de Saadi
conduisit certainement son éducation jusipi'à l'adolescence,
car ses dernières recommandations à son lils [Guli.sf.m,
p. 320i8onl de celles que l'on adresse à un jeune homme
prêt à se jeter au milieu des traverses de la vie : « La concu-
piscence est un feu ; garde t en bien... etc. {2\. »
(1) Routlnn, p ' "" '■' \n>\r, Pend n\meh (liad. vSacy), p. 20:i cl n i.
p. 297 Pl n. 3.
(2) Faut-il altribiior d'autre part hii père de Saadi ce constil rapporté
12 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
Conseil plus ou moins écoulé, car le jeune Saadi qui, sem-
ble-t-il, fut assez précoce (1), fêta sans doute avec ardeur le
printemps de l'exislence, si l'on s'en rapporte à certains
poèmes de son dîwân (2). Il profita de sa jeunesse et, à Ten-
tendre, « connut le chemin et les coutumes de l'amour aussi
bien qu'on connaît l'arabe à Bagdad » (3). Le souvenir des
amours anciennes apparaît au reste plusieurs fois dans ses
œuvres. Une nuit, son amie entre : il se lève si brusquement
qu'il renverse sa lampe qui s'éteint (4). Ailleurs [Boustan^
p. 300), il pense à une personne « belle comme une péri » et
qu'il aima passionnément. Il n'était pas, à vrai dire, irrésis-
tible, car plus loin (/c/. , p. 330), il parle de sa maîtresse « au
cœur de pierre » et avoue même avoir été complètement dé-
daigné \id., p. i64).
^'oilà donc Saadi seul à Chiraz, privé de la direction de
son père, direction qu'il est permis de supposer rigide
d'après quelques mots du Boustan (5), sans parler des coups
de baguette du maître d'école dont il ne souffle mot. Mais
le prince Saad n'était pas homme à laisser dans l'embarras
le fils d'un ancien serviteur: grâce à lui, Saadi qui, sans
dans le Çahib-nàineh (éd. Bâcher, p. 40) : « Que dit le père, lorsque son
âme précieuse remontait à ses lèvres? Ecoute un seul conseil, mon cher
(ils : à l'ami, bien qu'il le soit cher, ne découvre pas le secret de ton
cœur, car l'ami le répétera à son cher ami. » Saadi rappelle d'autie part,
dans une qaçida persane (citée Z. D. M. G., IX, p. HO), une règle de vie
que lui donna son père : « Sois pur et ne crains personne. »
(1) Gulislan, 230, V, 10 et 283, VII, 11.
(2) M. E.-G. Browne (Literary Hislory, II, ;j3oj cite notamment une pièce
(éd. lithog. Bombay, 1301, p. 58) où Saadi avoue avoir, par amour, risqué
de perdre en cinq jours la réputation de science et de sagesse quil avait
acquise en cinquante ans.
(3) Gulislan, 258, V, 21. Il aurait même été jusqu'à l'erreur sentimentale
{ibid., 230, V, 10) et, sur ce point, le bon Sémelet (trad, du Gulislan,
p. 294, n. 29), se demandant s'il ne s'est pas calomnié, ajoute (p. 297)
cette réflexion qui fait rêver: « Ce chapitre (V) est curieux, parce que
toutes les monstruosités inspirent de l'intérêt. »
(4) Gulislan, 226, V, 6 et cf. l'élégie de Chénier : la lampe.
(5) M Sais-tu comment Saadi a trouvé bonheur et honneur? Jeune, il dut
supporter les coups des gens âgés. »
doute, se si^Miahul des lins par sa précocilc inlcllocUiclle,
est envoyé h Hai^dad el admis à 11 iiiversilr Niz;\rniyali ; il y
deiueurera comme éliidianl An ll'.Kl à l2Ji) II. *iD2-r)2:ji.
année de la mort du prince de Clur.iz et de l'avènemenl <lc
i^on lils Al)ou Haki* [ l ).
Assise sur les rives de son lleuve, lia^'dad, " demeure île
la paix, capitale de l'islamisme (2) », régnait alors dans
toute sa gloire. Les richesses accunudées depuis des siècles
par les califes, les palais innombrables, les fondations
pieuses, les entrepôts commerciaux, les universités l'avaient
rendue la véritable reine de l'Orient. Pres([ue légendaire (3),
elle jetait alors un éclat daulant plus splendide et plus pa-
théli(pie ({u'elle touchait à 1 heure de sa ruine. Ibn Haloulah
(loc. cit.") (}ui la visita après le passage des .Mongols, cite les
vers de (juehpies poètes, véritables hymnes en l'honneur de
lîagdad ; sa description est courte, ce qui prouve combien la
ville avait eu à soullrir de l'invasion. .Mais il donne des
détails sur la disposition générale des ijuarliers et particuliè-
rement sur les collèges, situés du côté oriental (^11. lO-S):
«« Ce côté oriental de Hagdad abonde en places et ofTre
une disposition magniliijue. Le plus giand de ces mar-
chés est celui appelé du mardi et où tous les métiers ont
leur lieu séparé. .\u milieu se voit le collège .\nni/hàmiynh
(el madarsat el ni/amiya qui est admirable et dont la beauté
a donné naissance à des proverbes. .\u bout du marché se
trouve le collège .\lmostansiriyah. attribué au Commandeur
des Croyants .Vlmostansir billah. -> Suivent quelques lignes
sur l'enseignement dans ce dernier collège, i
(i) L'atabek Abou itakr ibn Saad ibn Zangi (i2261260) fut sans doute
uu prince éclairo. Cbams i Qnis composa pour lui le traité de prosolie
persane « Mouajjam fi maair i acii&r i ajam » (éd. Gibb Meni.i (<r .
Urowue, l.ileniry llislnry. II, 488. L'alabck avait un panéRyrislc, Kainal
ed Dm Isinall, (pii connut peut-êtic le jeune Saadi (Cf. Browne, op. cit.,
p. 5*0-541).
(2, Ibn Baloulah (éd. Soc. ai\a\.\ II. 100.
(3; Les voyageurs européens du moyen Age la confondent souvent avec
Babylone et la nomment Babel nu Babellonia.
l4 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
Yàqoùt, antérieur à Ibii Batoiilah et contemporain de
Saadi [\ ), consacre à Bagdad, « mère du monde, maîtresse
des contrées », une longue notice où il rapporte successive-
ment ce qu'il apprit sur le nom de la ville et son étymologie,
et sur ses origines. Il cite en outre un certain nombre de vers
destinés à la célébrer ou à la décrier. Mais la meilleure des-
cription est à coup sûr celle d'Ibn Joubaïr qui visita précisé-
ment la ville en 1184 (H. 580) (2).
Depuis plus d'un siècle, les califes (3) vivaient tranquille-
ment en leur capitale. 11 y avait bien, de temps à autre, un
incendie (4j ou une émeute, mais, à part l'attaque menée
par le sultan seljoukide Mohammed II (1137/551) qui avait
dû lever le siège sans rien obtenir (5), Bagdad méritait alors
pleinement son surnom de « demeure de la paix ».
On se demandera peut-être pourquoi Saadi avait été en-
voyé à Bagdad, au lieu de continuer ses études dans l'un des
collèges de sa ville natale, patrie de quelques professeurs
célèbres (6), On sait par exemple qu'à la Nizamiyah de
(1) Cf. sur Yàqoût : H. Derenbourg-, Les Croisades d'après le Dictionnaire
géographique de YdqoCd (Centenaire de l'Ecole des L. L. O. O., 1895),
p. 71-72 et 90-91.
(2) Ibn Joubaïr (éd. Gibb Mem), p. 217 et suiv., notamment p. 229 :
« Il existe à Bagdad une trentaine de collèges, tous du côté oriental de la
ville. . . Le plus grand et le plus célèbre est la Nizamiyah, bâtie par Nizam
el Moulk et restaurée en 504. Elle est largement dotée de fondations
pieuses et de biens habous dont le revenu profite aux savants (fouqahâ)
qui y professent. » Le même auteur raconte (p. 220) avoir assisté à une
leçon d'Ibn el Jawzi, dont Saadi déclare avoir été l'élève.
(3) A l'époque du séjour de Saadi, le calife Nâçir, grand bâtisseur et
amateur d'affaires de police. Cf. Ibn at Tiqtaqa, Fakhri (Irad. Amar),
p. 551 et suiv.
(4) Saadi fait allusion à un incendie de Bagdad (Boasian, p. 45).
(5) liée, lexies relalijs à l'histoire des Seljoukides, 11, 246-255.
(6) Les collèges étaient alors nombreux en Perse. Ainsi Ibn Batoutah
{op. cit., II, 42) : < Nous voyageâmes durant dix jours... au milieu de
montagnes élevées; chaque nuit, nous nous arrêtions dans une médréceh,
où se trouvait de la nourriture. Quelques-uns de ces collèges se trouvent
dans des lieux cultivé», et d'autres dans des endroits incultes ; mais on
y apporte tout ce qui est nécessaire. »
i
LA ME 10
Bagdad, It; premier professeur nommé par Nizam el Moulk
Tiil Ibii Ali es (]|jirà/î (|iii, m* à l'iroii/.abad en 1(K>3 i II. 393j ,
sinslalla en H M'.» II. UO) à Cliiraz pour y étudier la juris-
prudence.
Les univorsilés de (^hiraz se trouvaient-elles alors lermees
ou tout au moins décluies par suite des troubles pulilicjues?
Il est possible (jne Saadi ait désiré spontanément quitter un
pays où rien ne le retenait, puisque ses parents n'étaient plus.
D'autre port, les marques de la laveur du prince de Chiraz,
occupé surtout à mainleiiir contre l'ambition de ses voisins
sa puissance chancelante, se raréliaienl peut-être. Ou bien
celui-ci jugeait-il polili(jue d'expédier des étudiants distin-
gués vers la capitale religieuse, ou bien encore cédait-il sim-
plement à l'attirance du grand centre intellectuel, éclipsant
les universités de province .'
Car l'université Nizamiyah était alors en pleine lloraison ;
puis, de Chiraz ù Bagdad, le voyage était relativement facile.
Chiraz formait nécessairement le point central des routes du
Fars (1). L'une d'elles descendait vers le (ioll'e i^ersique
(port do Siraf, îles de Kich et d'Hormiiz , de même (|ue la
route actuelle aboutit à Bender-Bouchir (qui a supplanté
Horniuz, ayant supplanté elle-même Kich, si brillante à
l'époque de Saadi) . Lue autre route s'en allait vers I)arab-
jird ; une autre vers Ispahan (2). Mais celle ijui se rapporte
à cette étude montait vers Arrayàn, au Nord-Ouest, el vers
le Khouzistan (3).
D'après Le Strange, elle partait do Chiraz, passait à Jou-
>vaïm, Nawbaniàn, Gounbadh-Mailaghaa et .\rray;\n. On
traversait la rivière Tàb sur un pont et on atteignait Bous-
(.1) l'our luus les tliucr«ii°ok doitt il sera qucbtiou par la »utli-, le bel
ouvrage de Le .Slraupe Tiie l.-m'l.-, oC Ihc Eisicrn CiliiilnU) a cl« du plu»
graud secourK.
(2) Voir dûtalU dans i.e ."Miau^'C yp. ci(. , j> . i. >.)-.;'.") .
(3) Kuule bien connue, car le»» aucicas geogiuphes en ool laissé ua«
liuilaine do descriplions (doul les relai», ualuroUeuienl, vmienl tiuelque
peu;. Par malheur, aucune ne dale de l'époque de î?aadi. La plu» receulo
est celle du Fdrs ndm«/i(iu». BnlUh Mu*., or. 5983), vers 1107 (H. 500;.
Ib PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE PREMIBR
tanak, Ironlière du Fars [{), puis la roule suivait le Nord-
Ouesl jusqu'à Ramhormuz, descendait ensuite vers Ahwàz.
au Sud-Ouest. Là, ou bien le voyageur remontait vers le
Nord-Ouest, afin d'atteindre le Tigre à Wàsit, ou bien —
ce qui est plus probable — continuait à descendre dans la
direction de Bassorah, rejoignant ainsi la roule des pèlerins
de La Mecque, et en même temps le Tigre qu'il n'avait plus
qu'à remonter jusqu'à Bagdad (2).
11 était possible aussi de descendre directement vers le
Golfe Pcrsique et de gagner par mer remboucluire du
Tigre (3j. Mais il est plus probable que Saadi suivit la voie
déterre, sans doute classique, puisque huit géographes la
décrivent sans variations appréciables.
L'université Nizamiyah, au bord du Tigre, et proche des
remparts sud de Bagdad, portait le nom de son fondateur
Nizâm el Moulk (4), le célèbre vizir des trois premiers Sel-
joukides. On en avait jeté les fondations en 1065 (H. 457) et
l'ouverture des cours, deux ans plus tard, avait donné lieu à
un incident qui montre quelle liberté les savants pouvaient
alors garder vis-à-vis du pouvoir. Le premiei* professeur
nommé par le vizir, Ibn Ali es Ghiràzi cité plus haut, refusa
de commencer ses cours et se cacha, le jour de l'inaugura-
(1) Le Tàb formait frontière entre Fars et Khouzistan.
(2) Le Strange, p. 82 : « La route la plus facile de Bassorah à Bagdad
était naturellement par bateau sur le Tigre. L'inilication des villes ren-
contrées sur ce parcours se trouve en détails dans Ibn Rousteh(p. 184,
186-188) et Yaqoubi (p. 320). » D'après Qoudama (p. 13b), les étapes repré-
sentaient : Bagdad-Wasit, 50 parasanges ; Wasit-Bassorah, 50 parasanges ;
Bassorah-Souq el Alnvaz, 35 parasanges ; Souq el Ahwaz-Chiraz, 102 pa-
rasanges.
(3) Le Tigre était navigable en grande partie au temps d'Ibn Khordad-
beh qui indique (p. 136) que la navigation existait entre Bassorah et
Hormuz avec escale aux iles (dont Kich) ; d'après lui (p. 42) la dislance
était de 168 parasanges.
(4) Sur Nizâm el Moulk, cf. Ch. Schéfer, Siassel ndmeh, texte persan,
suppl., p. 1-19 et 22-28, particulièrement p. 31 ; Ibn Khallikan (trad.
De Slane), I, 413. Sur la Nizamiyah, id., \l, 164, et Wustenfeld, Die Aka-
demien der Araber.
\
LA M K 1 ^
lion (le l'université, en déclar.nnt «jn il ne voulnil pas ensei-
gner dans une maison donl le lonaiii avait rie injustement
conliscjui" aux précédents propriétaires. Mal^^ié ce trait d'in-
dépendance, sa place lui fut ronservée et, suivant le rite
chaféile, il se mit à enseigner, après avoir été suppléé vingt
jours durant par Abou Naçr ibn es Sabbàj^di.
A répo(|ue oii Saadi vint étudier, la Nizaniivali jouissait
d'un passé «glorieux. Plusieurs des professeurs avaient com-
posé de remarquables travaux sur la théologie, la jurispru-
dence, des commentaires sur le Coran ; rilluslre (iha/àli,
l'argument de l'islam », y avait enseigné, de lOlH à lOUi)
11. iSi-itS8), année de son pèlerinage à La Mecque 'i :.
Outre Ghazâli, avait professé son frère Aboul Foutouh:
puis le père du célèbre généalogiste Samàni ; le grammai-
rien Abd er Hahmàn ibn Mohammed el Anbâri. Haha ed Din
ibn Chaddad '1\ l'historien de Saladin. y fut (juelqne temps
répélilenr. Peu de temps avant l'arrivée de Saadi mourait,
en IP.M) H. *)92 , el Mouhajjar (3i qui. ancien élève de la
Nizamiyah, avait professé à Damas, puis à Chiraz où on lui
avait bâti un collège, et ét;iit ensuite revenu à Bagdad
comme professeur, i^lne semaine après, du reste, il parlait
en ambassade vers le sultan du Khare/m.)
Les universités étaient alors de puissantes institutions yi).
i() Saadi a parié de Gbazàli {Gulistan. p. 338) : •• On demanda à l'imAm
cl GbazAli : Comment »s-lu atteint un si haut degré de science ? — Il ré-
pondit : Tout simplement ; ce que je n'ai pas su, je n'ai pas craint de le
demander. > Ghaz&li, né à Tous < Khorassan), était aiii'-i con^pntriote de
NizAm cl Moiilk qui mourut un an après sa nomination à laquelle il ne fut
c^ns doute pas étranger.
i) Raha ed Din ibn Cbaddad, auteur de la Vie de Saladin. répétiteur h la
.Nizamiyah %-ers 11S0. cite plusieurs profes-scurs et répétiteurs (Hitt. or.
Croisades, III, .183-3H4). Il j conte {ihid., 3(H)-r9I) une cuiieusc anecdote
sur la consommation de l'anacarde (baladour^ par les étudi9nts. l'n autre
élève brillant de la Ninmivjh fut Imad ed Din el Kàlil (ibid..\^' 'i-'» .
p. 3.
^3) Ou plus exactement ; ,\Lcûl Q^sim Mabmoud ibn ci MouLa;3k cl
Wasiti el Moubajjar.
4) Cf. .\rminjon, L'enseignement .. dans les nnivertil/s musulmanes, p. ICii.
.--itr r.M ,• in:..ii ,Mi ; Il t ■• 1 1 <»nrr Hcs collèges, oDlrouvera df 8 renseignements!
Al. - 2
iS PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
Depuis que les Iraduclions des ouvrages grecs avaient eu
quelque sorte doublé la science arabe jusque-là confinée
dans la théologie et la jurisprudence, les établissements
d'instruction s'étaient étendus d'autant. Tout d'abord, les
savants en renom avaient enseigné chez eux, ou bien, tout
en voyageant, donné leur enseignement dans les villes où ils
s'arrêtaient. Le plus souvent, ces savants ne se consacraient
pas exclusivement à l'instruction et l'on rencontre parmi eux
des prédicateurs de mosquée, des inspecteurs de marché,
des secrétaires, des calligraphes, des qâdis, même des mar-
chands et des ouvriers qui n'abandonnaient pas toujours
leur métier.
Cette situation n'avait pas tout à fait cessé depuis que les
califes avaient fondé des établissements dont les maîtres
étaient régulièrement payés et dont plusieurs devaient s'éri-
ger plus tard en universités. Celles-ci portèrent en général
le nom de leur fondateur. Professeurs et étudiants y habitaient
ensemble, comme aujourd'hui dans certaines universités
anglaises. Le traitement des professeurs provenait de dota-
lions ; ils étaient nommés par le fondateur et ensuite par la
direction. Le professeur devait posséder une instruction gé-
nérale lui permettant de discuter sur toutes les matières
enseignées. Un maître pouvait donner son enseignement à
deux universités d'une même ville, passer d'une ville à une
autre. Il y avait de jeunes répétiteurs (et ce fut le cas de
Saadi à Bagdad). La bibliothèque de l'université s'enrichis-
sait des dons des professeurs qui léguaient souvent, soit leurs
œuvres, soit leur bibliothèque particulière.
Il est assez difficile de savoir quels maîtres et quels condis-
ciples Saadi trouva à Bagdad. Lui-même nomme dans le
Boustan deux de ses maîtres : Ibn el Jawzi et Souhrawardi.
Mais n'en eut-il pas d'autres ? On peut essayer quelques
conjectures.
à vrai dire postérieurs, dans Sauvaire, Description de Damas, J. X. 1894
(t. III), notamment, p. 260-261, 431, 434.
t. A VI K 19
Halia ed L)ni /akanva, de Moullan. lié en I Hi'J . 11. ^jliiii,
et ci)iiiiii sous le nom de Haha el Ha(jq (1 ), élail un des plus
brilianls disciples de Sonhrawardi (jnil devait suppléer par
la suilo. Il ii'loiiiiia plus lard dans sa ville natale oii il mou-
rut centenaire, avec la répnlalion d'un sainl, et oi» il n'est
pas impossible (pie Saadi l'ait visilé lors de son passage en
Inde, après l'avoir auparavant Trécpienté à Fiai,'dad. D'autre
part, d'après NN'usIenfeld {A/inc/emicn, j». 127 . Abou Ali
Yahia ibn er Habi ibn Soulainiàn el Oumariel Wasîli fut ré-
pétiteur, puis professeur à la Ni/arniyab juscpi'en I 20*J (II,
GUG), date de sa mort. Kntre l'arrivée de Saadi à Ha^^dad
(H96/592) et celte date, il y a 13 ans.; il est donc permis
d'imaginer (jue Saadi connut ce personnage. De même pour
Aboul QAsim .Vbd er Hahmàu ibn Mohammed ibn Ahmad
ibn Ilamdàn (pii, né eu I ItiT II. .*)73), fut uf)innié après ses
études à U'asil, réj)éliteur à la Ni/.amiyah : en I I9H i H. r)9i)
il avait 31 ans et rien n'indicpie qu'il avait quille Bagdad.
Peut-être Saadi rencontra-t-il Abou .\bdallab .Mohammed
ibn Yahia el Hagdadi (jui, né eu 117- ;H. 508), fut nommé
professeur à la Nizamiyah, probablement vers l'époijue où
Saadi s'en alla de Bagdad. Mnfin, en Mahmoud ibn .\hmad
ibn .Mahmoud ez Zanjani, né en 1 177 (U. o73) et étudiant à
Bagdad ; en Najm ed Din el Bâdara'i, né en 1 198 { H. 59i), on
verra peut-être un camarade et un élève de Saadi.
Mais ce ne sont là que des conjectures et il convient de
s'en tenir surtout, de même que pour loule la vie du poète,
à ce qu'il a bien voulu dévoiler dans son œuvre ; car les his-
toriens sont chiches de renseignements el les biographes
souvent fantaisistes.
II est inutile de réfuter longuement l'assertion de Dawlat-
chali qui, dans sa biographie de Saadi, prétend (ju'il eul pour
maître Abou Mohammed Abd el (^)âdir ibn Abi Ci\lih el Gi-
lâni : ce mystique célèbre (pii vint à Badgad vois l(i9.'*), y com-
mença son onst'ignemcnt public en 1 127 et y mourut en fé-
(1) U. Litcyulo/t. itUuu, s. V,
20 PREMIli:[\R f.VKTIE. — CUAPITUK PREMlIiU
vrier 1166 (2riibi I" du 561), est cilé une fois dans le Gulis-
tan (l). mais en quelque sorte comme un personnage histo-
rique. Bien plus certaine paraît la familiarité de Saadi avec
Ibn el Jawzi, sujet de celte anecdote (2) qui donne une preuve
nouvelle de la joyeuse jeunesse du poète : « Quoique le cheik
Cheais ed Din Aboul Faradj ben Djaouzy m'ordonnât de
renoncera entendre de la musique et me conseillât la solitude
el la retraite, la fleur de ma jeunesse l'emportait et la passion
el la concupiscence me poursuivaient. , Te marchais malgré
moi quelques pas contre l'avis démon maître et je prenais
part à la musique et aux conversations. »
Plaisirs d'un jeune homme jetant son premier feu. Saadi
n'avait en elîet que dix-sept ans environ, lorsque mourut
son maître qu'il cite au reste une seule fois et qui, sans
doute, n'eut pas. le temps d'exercer sur lui son influence.
Mais un autre maître, Souhrawardi, esprit vaste et passionné,
touchera plus profondément l'âme du futur poète, et il est
permis d'attribuer à son influence le sentiment mystique
qui, si tiède et conventionnel qu'il soit, se décèle néanmoins
dans quelques parties du Boustan et surtout dans un certain
nombre de pièces lyriques.
Depuis Ghazâli, la mystique triomphait à la Nizamiyah ;
le mouvement anti-rationaliste se généralisait depuis un
demi-siècle, et d'un bout à l'autre du monde musulman (3)
(1) Plusieurs manuscrits et édilioas acceptent l'opinion de Dawlatchah,
de même .que Sacy (Biog. aniv.)ei Hoss (The GuUstan, p. 8). Cf. Defrémery
(traJ. du Guliatan, p. 101, n. 1).
(2) Galislan, p. 120, II, iO. La suite de l'histoire explique plaisamment
comment Saadi fit plus tard pénitence de son penchant pour la musique,
grâce à un fort mauvais musicien. Aboul Farâj yVbd er Rahmân ibn Ali ibn
el Jawzi, de la secte des Hanbalitss, prédicateur à Bag-dad, est célèbre
l)ar sas ouvrages. Suivant Ibn el Athir (éd. Tornberg-, XII, 112), il naquit
en 1116-1117 (H. iilO) et mourut en juin 1201 (ramadan 597). Cf. sur lui :
Dozy, Commentaire sur le poème d'ibri Abdoan, p. 24, n. 2, et L. iMassignon,
Les suints musulmans -onterrés à Bagdad [Rev . Hisl . Reluj., t. LVllI, 1908,
p. .334-, in fine). Son fils fut un historien honorable (cf. Hisl. or. Croisades,
I, iiilrod , p. LX, art. Sibl ibn el Djeuzi).
(3) Cf. Renan, Averroës el Vaverroisme, p. 29-33.
LA VIE ai
Les Abd el (Jàdir ci (iilani, les Ziya etl \)'\u Aboul N:tjîb es
Soiihrawardi ! i, oncle du inailrc de Saadi. enlrelenaieiil à
Ha^'dad le luouvemeulcrcé par l'auUMir de la <• iîevivi.xceiice
des sciences de la reli^'ion •> el du <« Henversenienl des phi-
losophes >•. CliihAb i'd Diii Abon Ilafs Omar ibn Mohammed
ibii Abdallah es Sonhiawaidi ( 1 14:j-l23i/5:iU-032i, fonda-
lenr de l'ordre de derviches (jiii porte sou nom, jouissait,
lors du séjour de Saadi à lia^uiad, de sa pleine icuouimrc.
non seulement comme prolesscur, mais cumme ^laiid-
inaîlre des docteurs de la ville - . Au lahnl du llu'-ori-
cien 3), il joii^nail le renom d'un thaumalurL;e el Jâmi
assure (pi'il acquit rapidement la réputation d un saint i .
C'est du leste sous cel aspect .'V; cpi'il e?t présenté par
Saadi dans la seule citation qu'il lui ail consacrée :'>... ce
n'est plus Saadi qui parle, c'est Souhrawardi. (.e cheik
vénéré, mon guide sj)irituel. tandis que notre navire «glissait
sur l'onde, ma donné ces deux conseils : Ne vis pas dans la
société des méchants ; ne sois pas induli^ent envers loi-
méme. Je me souviens ipie la j)ensée terriliante de 1 enfer
avait tenu éveillé ce saint homme pendant une nuit entière ;
le jour venu, je l'entendis (jui murmurait ces mots : Que ne
ni'est-il permis d'occuper à moi seul tout l'enfer, atin qu'il
(i) Sur ce personnage, cf. Carra de Vaux, /,« filiilosophie iUiiminalive.
i. A. 1902. t. XIX. p. 66. n. I; H. Derenlourg, Les croisailes d'après
Ydijoùt, p. 82 et n. 8.
(2) Cf. Sacy, .Vo/. el extr.. XII. p. 367 ; Ihn Khallikôii (Irad. dr Slaii.»,
Il, 382-384) ; Carra de Vaux, loc. cit. : E.-G. Browne, LUerary Ilislory, II,
496; Be» ( lieneb. Elude tur les personnages menlionnés dans fidjaza du
cheik 'Abd el Ç>ddir el Fàsy, p. 37T-378. Cf. une description de .««'n lfin)l><>au
dans von Oppenlieim, Von Mitlelmeer :um persischen (îolj. II, 2.10 el suiv.
•Sur l'ordn» des derviclios sotilirawardis. cf. Daia (^liirkouli, Sajina-i-aivliyah,
composé rn 164U (II. 1049, (éd. Lucknow. 1872).
(3) Cf. sur son ouvrage c Awarif el Maarif (les dons des connaissances
spirituelles) »: Ibn Khaldonn. Prolétjomènes (Irad. de Slnn-). III, 89;
lladji Khalfa. l.exiam (éd. Flugt-I;. IV, 27r). n* H40I.
(*) .\ajiifuit el ouns («-d. Nassau I.re», CahnllK, IST/J), p. 548 cl suiv.
(5) Hotistan, p. 107. D'IlerLelot {Bibl. orientale, ait. Sadi indique par
erreur ce passage du Boustan comme faisant partie du Gulislan.
32 PREMIERE P\RT(E. — CHAPITRE PREMIER
n'y ait plus de place pour d'aulres damnés que moi. » Dana
sa biographie de Saadi, Jàmi [Nafahat] s'inspire de ce
passage : <( Saadi entra dans la compagnie du cheik Chihab
ed Din et fit avec lui un voyage en mer. » Quel est en effet
ce navire glissant sur l'onde? S'agit-il d'une promenade sur
le Tigre au cours de laquelle le maître aurait continué son
enseignement, sous la forme du libre entretien? Ou bien
faut-il y voir une interprétation allégorique, la nef de la
pensée voguant à pleines voiles sur l'océan illimité du sen-
timent?
L'enseignement, à la Xizamiyah, était organisé suivant le
rite chaféïte. Saadi travailla sans doute avec ardeur et assi-
duité, car il ne tarda pas, d'après ce qu'il affirme, à obtenir,
non seulement une bourse, mais le titre de répétiteur. « J'a-
vais une bourse à la Xizamiyah » dit-il dans le Boustan
(p. 288), « les leçons et les récitations me prenaient tout mon
temps ». Il souffrit, semble-t-il, de ces arrêts continuels de
son travail, arrêts imposés par ses devoirs professionnels,
car il y revient, sans se nommer soi-même, dans le Galistaa
(p. 143,11, 38). D'autre part, son talent dans l'explication des
traditions suscitait, dit-il (1), la jalousie de ses condisciples
et il s'attira à ce sujet, d'un de ses maîtres auquel il se plai-
gnait, cette l'éprimande : « Chose étrange 1 tu réprouves la
jalousie, mais qui donc t'a enseigné que la médisance fût
digne d'éloges ? » Réponse de philosophe et d'ascète, pleine
de l'indulgence souriante qui formera plus tard le fond de la
morale de Saadi. Les docteurs de la Xizamiyah ne négli-
geaient aucune occasion de pétrir le cœur de leurs élèves, et
le poète en rapporte des exemples dans le Gulistan (p. 341 ,
une leçon de politesse) et dans le Houstan (p. 308, au sujet
d'un jeune homme qui avait perdu les dents de devant et,
par suite, prononçait mal).
(1) Gulistan (p. 126, II, 24) : « Je me plaignis à l'un des cheiks de ce
que quelqu'un avait parlé de moi d'une façon inconvenante. Il répliqua :
Confonds-le à force de vertu. »
LV VIE SS
Saadi se Irouvail alors parla^^ë entre sou peiichanl pour la
poésie et ses études lliéologique:». Sur la fin de ses jours, il
ne pourra songer sans cmolion à Bagdad, ville de sa jeunesse
et de ses prt'iniers essais portiques ( I i. Ciar la discij)line uni-
versitaire ne rcinpt'cliail pas de crlrbrer la joie de vivre, et
c'est probablement de cette éj)0(jue que datent les plus an-
ciennes de ses œuvres qui aient été conservées : les odes an-
cienries (gliazaliyàt-i-(jadîin, cf. Z.D.M.ri., XXX, p. *.M ) et
les qacidas persanes dans lesquelles il chante, tantôt la fuite
de la jeunesse et du temps (sentiment qui deviendra l'un des
moteurs de son génie poétique), tantôt (2* ode), précurseur
de r « In mtmoriuni » de Longfellow, la mort d'un ami
lougtcmjis regretté. V.n outre, (jueUjiies-unes des (picidas
arabes apparlienneul certainement à cette épocjue ['!).
L'incertitude obscurcit alors l'existence du poète, car, à
l'exemple de plusieurs savants et lettrés de 1 Orient, il com-
mence une série de voyages qui, mentionnés sommairement
par lui-même ou ses biographes, laissent le champ libre à
toutes les conjectures. Avant de le suivre tant bien que mal
sur les grandes routes de l'Asie, il importe de jeter un coup
d'œil sur l'organi.sation de ces itinéraires au temps des
Abbassides.
(Quatre réseaux principaux jalonnaient alors l'Asie anté-
rieure : la route du Khorassan et ses multiples embranche-
ments (3) ; celle de Bagdad vers liassorah (4) et Chiraz,
Chiraz n<L'ud des grandes voies de l'Iran central ; la route
(I II Tt-vocjuc dans le lloiislan (p. 20l) : « Vois! Il y a beaucoup de
iiiausolc-CH dans le faubourg de Karkb, mais uu seul, celui de Maarouf. est
I onnu du peuple. » El iiulisUui (p. 318) : » N'allache pas ton cœur à ce
jui eat |)assager, car le Tigre pussera k Bagdad longtemps après la mort
du calife. »
[2i (jitlislan ^p. 258j : c Saadi connaît le clieiimi cl les coutumes de
l'amour aushi bien qu'on conuait l'arabe k itagdad. »
(3) Ibn Kbordadbeh (trad. Burbicr de Meynnrd, J. A. 18C5, t. V). p. 25»,
indique les relais de celte route, tans duulc peu modiÛL's depuis l'époque
de Saadi.
(*) Itinéraire Bagdad-BasBorab : ILn Khordadbeli {up. cil.', p. î?>0
24 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
du pèlerinage (Bagdad-Hedjaz) (1) ; les roules de Bagdad
vers Damas et l'Empire grec (2).
Deux cîiuses au moins porlèrenl sans doute Saadi aux
voyages: d'abord Tobligalion du pèlerinage à la Mecque,
obligation qui nécessitait le développement et Tentretien des
routes conduisant à la ville sainte ; puis Bagdad était le
point de départ, l'omphalos de toutes ces routes, et le poète
se trouvait ainsi sollicité directement par l'attrait des
voyages lointains. En outre, les pérégrinations en pays
musulmans constituaient une sorte de noviciat imposé aux
derviches (3) et, d'autre part, il est possible que des signes
répétés d'instabilité politique aient déterminé Saadi à s'éloi-
gner de Bagdad.
Les orientalistes n'ont pu se mettre d'accord sur la chro-
nologie des voyages du poète. Selon Ethé (Grundriss der
iran. Phil.), ses études à Bagdad se seraient prolongées jus-
qu'en 1226, et, au cours même de cette période, il aurait
poussé jusqu'à Kachgar (Turkestan). Suivant le géographe
"ïàqoùtiSc V.) (4), c'était de Samarcande qu'on se rendait
(1) Ilifiéraire Bagdad-La Mecque (par Coufa) : ibid., p. 496 el oOO. Pour
les relais entre Bassorah et La Mecque, ibid , p ;i08.
{2) liinéraire Bagdad-Rakka (par Mossoul) : ibid., p. 465. Autre itiné-
raire par Anbàr et Haditchah (en remontant l'Euphrate jusqu'à Rakka
avec embranchement à 8 parasanges plus loin, vers Damas : une route par
le désert, l'autre par Homs), signalé par Qoudâma, B. G. Arab., t. \'I,
p. 166. — Pour le détail de tous les itinéraires qui précèdent, cf. Le Strange
{op. cit.), p. 9 et suiv., et Spreager, Post and Reise Boaten des Orients. —
Sur Torganisation des relais, cf. Ibn Khordadbeh {op. cit.), p. 10-12, et,
spécialement, pour l'époque mongole, d'Ohsson, Hisl. des Mongols (2^ éd.),
II, p. 481 et n.
(3) Bouslan, p. 207: « Suivez l'exemple de Saadi. Parcourez le monde
en renonçant à toute chose et vous reviendrez le cœur plein de science. »>
(4) Répété par le Maracid ei itlila (éd. Juynboli, s. v.). D'après
Le Strange {op. cit., p. 487), « les villes comme Kachgar, Khoten, Yarkand,
et en général celles des frontières de Chine sont décrites sommairement
par les géographes orientaux ». Sur Kachgar, cf. Ch. Schéfer, Relation de
l'ambassade au Kharezm de Riza Qoali Khan, p. 163-165 (en particulier
p. 16i, n. i) ei Description de Boukhara par Mohammed iNerchakhy (éd .
Schéfer), p. 267-269; Histoire de l'Asie centrale par Mir Abdoul Kerim
Boukhary (éd. Schéfer), p. 208-302. .
LA viK :;5
\cvA celle ville et vers les villages qui reiiviroiiiiuicnl, en
plein pays turc, mais islamisé. Kronlièro de la Cliiiie, oii se
iL'nniiiailia Lîraiul'roulL' du Kliorassaii, partie de Bagdad,
par kiiin;iiicliali, Ilamadaii, Uey, Nicliapoiir, Tons, Mcrw ,
villes grandes el vénérables, précédanl le déserl (pii les
séparait tle la 'iransoxiane ; venaient ensuite li(jnkli;»ra,
Saniaicande et I anlicjue Sogdiane ; puis la roule inclinait
vers la droite, traversait le l^irghana et mourait à la lisière
du désert de (]liine.
Saadi raconte dans le (julisliin [\ ) qu'il enlradans la inos-
cpiée de Kachgar en Tannée où le sullan du Kharezin, Ala
ed Din Mohammed i 12(1(1- J 220) cojiclut la paix avec le
prince de Kara-Kliilaï qui régnaitalors à Kachgar et à Kho-
ten (2). Or cet événement a lieu en I21U (3) et, suivant la
même anecdote. Saadi — à condition toutefois ipi'il ne se
vanle pas en aiilidatant — est déjà tort connu comme auteur
de j)oésies, non seulement persanes, mais arabes. Le même
passage tend en outre à lui altrihuiT un réel talent d'impro-
visation poétique. Si donc Ion accepte cette date de |2I0,
il faut noter, en délaissant un instant la chronologie de ses
voyages: d abord sa notoriété de littérateur et il est alors
âgé de vingt-six ansi répandue jusqu'au Turkeslan, ensuite
la rapidité extraordinaire, suivant la judicieuse remanpic
de M. K.-(i. BroNvne \Literari/ history of Per.sùt, II, 527,.
avec laquelle connaissances et nouvelles se lran>nu'lt;iit'iil
dès lors dans le domaine de 1 islam.
M. Kthé admet cpie Saadi revint ensuite de Kachgar à
Bagdad, aiin d'y terminer ses éludes. Il adopte ainsi, semblb-
l-il. en (juel([ue mesine, l'opinion de Dawlatchah qui accorde
à 1 élude hente années de la vie du poète. Celui-ci aurait
quitté délinitivement Bagdad vers 1221) (II. 623), l'année
I) P. 240, V. 1" el cf. Ooelli-». W'eslOsl. [)u<nn. noie sur le ScfienkenbucU .
(2) Cf. d'Ohssoii, Morujols, I, IGïS, 181. l«-2 ; Ibii el Alhu- (éd. Tornbeijr,
XII. 172, 174. 170. 177) ; Mirkbond, SuUnns du Kluirezin (éd. DeTrémery,
p. 54-56. r>«.», 60i.
,3) Oa en 1208 H. 604) suiranl Barbier de Meynard {Bouslan, p. XIII .
a6 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
môme de la morl du prince de Cliiraz, Saad ibn Zangi, et de
la dévastation du Fars par les Mongols, pour ne revenir à
Cliiraz qu'en I25(). C'est en etlet en 1224 (H. (321), suivant
Ibn el Athir (éd. Tornberg, XII, 273) et Aboulféda (IV, 332)
(et non en 1203-06/602, d'après Mirkhond), que Ghiyath
ed Din, fils de Mobanimed sullan du Kharezm, s'empare de
la plus grande partie du Fars et occupe Chiraz, ne laissant
à l'alabek Saad que quelques places fortes.
Une citation du Gulisian (p. 8) vient à l'appui de cette
opinion : (* Ne sais-tu pas pourquoi j'ai séjourné longtemps
dans des régions étrangères ? Je suis sorti de mon pays à
cause de l'oppression des Turcs et parce que j'ai vu le monde
tombé en désordre... rempli de trouble, de confusion et
d'inquiétude. » Ces deux dates de 1210 (pour la visite à
Kachgar) et de 1226 (pour le départ de Bagdad) auraient
donc apparence d'exactitude.
Or, Barbier de Mejnard [Boustan, préface, p. XII-XIII)
bâtit une chronologie toute différente ; il retient, à deux
années près^ la date du voyage à Kachgar, mais précédé d'un
long séjour en Syrie qui, par suite, raccourcirait de beau-
coup la durée des études de Saadi à Bagdad. D'après cet
orientaliste, il faudrait placer ce séjour en Syrie « en 1203 ou
1204, vers la fin de la cinquième croisade... A celte date, les
princes chrétiens, profitant de la trêve récemment conclue,
employaient à relever les murs de Ptolémaïs et de Tripoli
les sommes apportées par Foulques de Neuilly, et, comme
les bras manquaient, ils utilisaient pour ces travaux les pri-
sonniers sarrazins ».
Ainsi, le poète, né vers 1184, avait alors nne vingtaine
d'années. Or, ce séjour en Syrie comporte, non seulement
des aventures conjugales et une captivité chez les Chrétiens,
mais encore un séjour préalable et, semble-t-il, assez pro-
longé à Damas. Saadi écrit en effet : « J'avais pris en dégoût
la société de mes amis de Damas ; je m'avançai dans le dé-
sert de Jérusalem (1 ) et je me familiarisai avec les animaux,
(i) C'est probablement ce passage qui a porté Jâmi (Najahat) à déclarer
que Saadi avait été porteur d'eau à Jérusalem.
L\ vir a 7
jusqu'à ce que jo dovieiino le prisonuier des Francs», On me
lil Iravailler à la lerre, avec de.-* juif-*, dans Ioh fossés de Tii-
j)oli » [\].
La suite de ce passage raconte assez, plaisamment sun ni i-
riage forcé et ses démêlés avec une épouse acariâtre, digne
petite lillc de la femme de Socrate : un bourgeois d'Alep,
(ju'il avait autrefois connu, vient à passer et trouve le poMo
mi'lani()rj)liosé en terrassier (2;. Celui-ci lui raconte coinineut
il a été capturé, au uionuut nièmeoii il s'isolait dans la con-
templation de la divinité el ajoute (ce qui dénote une àme
encore assez peu morliliée): «< Imagine (]uelle e.st ma situa-
tion en ce moment où il faut me faire à uue bande de gens
qui ne sont même pas des hommes. •> Le bourgeois compa-
tissant rachète Saadi pour dix pièces dOr, 1 emmène à
Alep (3) et lui fait épouser sa lillc k avec une dot de cent
dinArs >>. Mais, peu après, l'épouse devient insupportable el
provo(jue cette répartie : <• Ton père ma racheté de l'escla-
vage pour dix pièces d or, mais il m'a rendu Ion esclave
pour cent autres. •> C est du reste le mot de la fin. el Saadi
laisse le lecteur terminer l'histoire à sa fantaisie : divorce et
départ probable d'Alep. car « délibérer avec les femmes esl
chose vaine »> Guliat.un, p, 327 .Saadi garda sans doute long-
temps mauvais souvenir de son aventure, si l'on s'en rapporte
au parallèle de la bonne el de la méchante femme qu'il traça
dans sa vieillesse (i). Kaut-il attribuer d'autre part à la
môme épotjue de sa vie ce cri de détresse : « VA toi. pauvre
(1) Gululan, 134, II, 32. Avant Saadi, un grand personnage avait été
contraint à des travaux de terra'*semcnt : l'empereur Valénen qui, en 209
ap. J.-C, devin! le prisonnier de Sapor I". le deuxième des SassanideH,
el resta sept ans en eoplivili^. Safior (d'après Tahari, I, 82", qui appelle
Valérien : el .\riy&iious) l'aurait fait travailler au barruf^e du Caroun, situé
au-dessous de Chouster el dont les ruines existent encore. Masoudi (II,
1S4) rapporte le fait, mais l'allribue à Saper II.
(2) Quatrain 127 : < Se voir dans les lient des Francs, le carcan au cou. >
(3) D'après Yâqoûl {Motijam. art. ilalab . le voyage d'Alep à Tripoli du-
rait quatre jours.
(4) Boutlan, 295 et suiv. ; cf. Sacy, Pend nameh, p. 185, n. 7 et p. 188.
a8 PKEMIÈUK PAïaii:, CHAPITRE PUEMIER
Saadi, quand lu vois un mari asservi jDar sa femme, lu n'as
pas le droit de le blâmer; loi aussi, tu consens à porterie
lourd fardeau des tyrannies féminines pour goûler les vo-
luptés d'une nuit » (1), Et, du reste, « les hommes sensées
oui dit : La boucle de cheveux des belles est une chaîne pour
le pied de Tintelligence » [Gulistcin. 138, II, 34).
■ Si donc l'on suppose le poète âgé de 20 ans, lors de son
rachat, il faut admettre, après ses éludes, d'abord un séjour
à Damas, prolongé au point qu'il s'en déclare excédé, en-
suite un séjour au désert assez long (s'il convient de le croire
sur parole) pour qu'il ait eu le temps d'apprivoiser des ani-
maux. D'au Ire part, cet Alépin « avec lequel il avait eu d'an-
ciennes relations » (ce qui paraît difficile à un jeune liomnie
de vingt ans) le rachète moyennant dix pièces d'or : et cela
représente une somme (2). On a le droit, sans doute, décon-
sidérer comme un ancien ami du père de Saadi cet Alépin
qui aurait pris plaisir à tirer de peine le fils de son camarade.
Mais, c'est là supposition purement gratuite ; il est plus pro-
bable que le bonhomme jugea fort avantageux de racheter
au prix d'une centaine de francs (somme élevée pour un vul-
gaire esclave, mais modique pour un futur grand écrivain)
un homme en qui les Francs, incapables d'apprécier son es-
prit, ne voyaient qu'un simple manœuvre.
Vient ensuite la question de la dot : ou bien la fille était
affreuse et détestable, et il fallait en quelque sorte lui payer
un mari ; ou bien Saadi paraissait un gendre en tous points
souhaitable, une véritable valeur sociale (ce qu'il fut plus
tard, mais ce qu'il lui était à peu près impossible de représen-
ter à l'âge qui lui est attribué).
Si d'autre part l'on accepte la date de H 96 pour son arri-
vée à Bagdad, il avait alors douze ans. Il reste donc de 1196
(1) Bouslan, 298. Un autre souvenir d'Alep (le bazar dos fripiers) se
trouve consigné dans le Gulislan (p. 157, III, 1).
(2) « La valeur intrinsèque du dinar (pièce d'or) variait beaucoup ; mais,
en terme moyen, on peut la lixer à onze francs. » (Hist. or. Croisades, I,
p. 759, n. 6).
I.v \ m: 39
.1 I2<>3, im laps (II' ^e^)l aiuu'cs. titir.iiil li;stjiK'lles li lievieiil
sticcossiveiiuMil l'iiidi.inl, liabilanl ilc Damas, solitaire au
(it'sert fl ca|)lir des Francs isans parler do lonlos les péré-
^'rinalioiis (jiii en résiilleul'. l'!l il est eu outre forl j)robable
tju'il ne uiau(|ue j>as de s'actjuiller, soil au cours de sou
st'jourà Ha^'dad, soil à la liu de ses éludes, du pèlerinage à
I.» Mec(jue «pi'il devait renouveler par la suilo à plusieurs
reprises.
A (juoi se réiluisenl alors les longues années d'éludés à
Ha};dad el coniuienl a-t-il le lenips. non seulenicnl d«; Icr-
ininer ses éliules, mais, son diplôme obtenu, d'enseigner à
son tour comme répétiteur? On peut (loue se croire auto-
risé à allribner une (laie postérieure aii\ mésaventures de
Saadi en Syrie, si l'on se base sur Abou Clliàma, auteur du
Lirre des deux jurdins (kilàb er rawdalaïn). Cel liislo-
rien écrit (l) qu'à la lin du prinlemps de 1221 (II.()I«S) « le
Conseil se réunil peiulaut la nuit el il fui décidé qu'on alta-
querail Tripoli »lès laube du jour, aliu de surprendre les
Francs eu pleine sécurité.» Le contexte d'Abou Chàma étant
assez confus, «|uel(pies molsdexplicalion s'imposent : aprè.s
sa conquèle de pres(jue toute la l*alestine (2i, Saladin était
mort subilemenl eu ll'.)3, laissant de nombreux eidanls.
Cen,K-cise partagèrent l'empire (juil avait fondé, mais trois
de SCS fils s'arrogèrent la |)ré[)ondérance el la suzeraineté :
(I) liai. or. Croisiilcs, V, IH0-1S2. Cf. un pj5-ti<îî nnalogue, Uni., Il,
120-121.
i2) Abou Cliâma yihul.. IV. 302^ cilc uno missive résumant la silaalioa
en 1189: i< A ijoucd'liui. nous so:n nés maitrcî de to.il le rnyjuno lo
Jérusalem. . . Dans ce royaume, les Francs ne doiienneni plus <jue la ville
de Tyr ; nous avons aussi enlevé aux Fr.nncs el aux Arméniens lou'e la
province d'Anlioche. . . Il ne reslc plus aux Fr.incs que l.i ville d'Anlioc'ic
el les (|uei<iues forteresses qui en dépeiuleiil. Knlin le seul pays donl les
districts ne sont pas encore en noire pouvoir el qui a conservé son an
cienue situation, c'est Tripoli, sur le territoire duquel nous n'avons cm-
porlé que Djébeil... Votre servileur (Saladin)- se pr«*paro h marcher eur
Tripoli, bien résolu à en f.iire le sièj^e. » Cf. en outre ibil., III. l'K (in-
cursions de Saladm sur le terriloirc de Tripoli) et .345, 347 vP*>^ enlro
Saladin el le seigneur de Tripoli).
3o
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
el Malikel Aziz en Egypte ; el Malik ef Afdal en Palestine,
Syrie moyenne et centrale ; el Malik ez Zaliir en Syrie sep-
tentrionale.
L'accord ne pouvait durer entre les trois frères : dès 1 196,
el Adil, aidé par l'un de ses parents vassaux, chasse al Afdal
de Damas, puis s'empare de l'Egypte et reconstitue en d200
(H. 596) l'empire de son père. Peu après, commencent ses
luttes avec les Francs, en Egypte et en Syrie, durant les cin-
quième et sixième croisades. El Adil meurt en 1218, au mo-
ment critique du siège de Dainiette, et ses deux fils, el Kamil
etel Mouazzam, finissent, en 1221, par signer avec les Croi-
sés un traité d'évacuation.
C'est au cours de cette période de luttes et de négociations
que se place le projet de siège de Tripoli signalé parAbou
Châma (1), projet abandonné presqu'aussitôt pour secourir
Damiette, mais discuté à l'état-major de l'armée d'el Mouaz-
zam, rejoint par son frère el Achraf. Il est donc plus que
probable que les Francs travaillaient alors sérieusement à
renforcer les défenses de la ville menacée. Et peut-être faut-
il rapporter à cette année 1221 la captivité de Saadi (2).
On objectera que c'est, il est vrai, dans le désert de Jérusa-
lem que Saadi place sa capture. Mais d'abord, qu'entend-il
par <i désert de Jérusalem »> ? Puis, d'après le passage d'Abou
(1) El Malik el Adil avait déjà, en 1208 (604). ravagé le territoire de
Tripoli (Hist. or. Croisades, II, 106). Mais, en celte année, Saadi déclare se
trouver à Kachgar. Auparavant Tripoli avait été prise en H09 par Bertrand,
successeur de Raymond IV, comte de Toulouse, après sept ans de siège ;
alors périt la bibliothèque de cette ville, évaluée par les écrivains arabes
à 3 millions de volumes (Ci. Qualremère, Méin. sur l'Egypte, II, 506 et
Wilken, Gesdi. der Kreuzzùge, II, 78, 119, 201). Tripoli fut définitivement
reconquis par les musulmans en 1289.
(2) Les géographes arabes contemporains, Ibn Joubaïr, Yâqoût, n'accor-
dent à Tripoli qu'une mention insignifiante. Ibn Batoutah (I, 138), de
beaucoup postérieur, a du moins le mérite d'indiquer que la ville fut
détruite après avoir été perdue par les Chrétiens et qu'une ville nouvelle
fut commencée par ez Zahir. On y voit encore un fragment de l'ancienne
enceinte, flanqué de six tours. Cf. Vi;n Berchem, Noies sur les Croisades,
J. A. 1902 (XIX). p. 4b2, el, du même. Voyage en Syrie.
LK VIE . 3l
Gliàinn cite plus li.nil, U-s inusiiIinanH (iélenaient en 11^9
loiil le royaume de JéruMalem. sauf Tyr. Une incursion flan-
que y t'iail i\ peu près impossiblo el il soinblo que Saadi ail
été compris dans quelque raz/ia orj^'anisée par le seigneur
chrêlien do Tripoli vers les confins nord du Icrriloire de Du-
mas I Saadi signale en ell'el (pj'il venail de (juiller celte ville).
Ainsi, l'ordre des événements parait plus logi([ue. Uevenii
de Kachgar. Saadi a. de I 20H ou 1210 à 1221, le temps de
continuera Bagdad ses éludes ou, plus probablement, ses
répétitions, de faire son pèltuinago, de remonter à Damas el
d'y séjourner. Entre temps se place sans doute un séjour en
Iraq persan (Jib.M) signalé, avec une date ap|)roximative.
par le (îulislmi : ^ J'ai vu, sur la porte du palais dT)gouI-
mieh. un fils d'oflicier, etc. » (1). Cet Ogoulmicb, qui régna
de 121") :i 1217 U.'tl 2-614) et tomba sous le poignard d'un
Ismiiilieu, était prince de Jibàl lancienne Médie). province
comprise entre le Fars. l'Azerbeidjan, rKlbourz et 1 Iraq
arabi. (Montrée rude el montagneuse (d'où son nom) ; de
grandes villes : Kirmancbab, Ispaban, Hey, Hamadan (ces
deuxdernières comptant parmi lesplus antiquesly ilorissaient
sur des plateaux tantôt calcinés par le soleil, tantôt submer-
gés sous la neige. Hamadan, succédant à l^ey, jouait sans
doute alors le rôle de capitale; mais Ispaban semble rester
continuellement la grande ville de la contrée (2).
l'ne route y menait de Chiraz, aboutissant à Rey où elle
rejoignait la grande artère du Kborassan. Il n'est donc pas
impossible que Saadi, une fois son pèlerinage accompli, se
soit dirigé vers le Fars par la route des pèlerins Iledjaz-Bas-
sorab (dont il parle à plusieurs reprises), reprenant ensuite
le tronçon Bassorab-Ab\va/-Cliiraz, |)uis le tronçon Cbiraz-
Ispaban.
Il importe, pour suppléer aux données si imprécises et si
(1) GuUslan, 37, I, 5 el la noie délaillée de Defrémery. Cf. Nas.nvi, Hii-
Inire du sullan Djélnl ed Din, p. 23-24.
(2) Cf. Le Slrange, op. cil., p. 186 cl 827. — Sur Ispahan el la prodiga-
lité de »eK tiabitanls au xiv* siècle, cf. Ibn Uatoutah. op. cit.. Il, 43.
,^2 PRDMIGRE PAHTIE. — CHAPITRE PREMIER
rares que fournit le |Doèle, de les examiner à la lumière des
grands événcmenls de son temps qui n'ont pu manquer d'in-
tluer sur la direction de ses voyages. On a vu plus liaut qu'il
déclare avoir été chassé de sa patrie (où il était donc revenu
après son temps d'études à Bagdad) par des troubles politi-
ques et militaires. Au début de 1220 (H. 617), — il avait
alors, si l'on s'en lient aux dales données, environ 36 ans —
la situation générale du monde musulman valait celle du
Fars. Tandis qu'à l'Est, les Mongols de Gengis-Khan enta-
maient les frontières de l'Iraq, de l'Azerbeidjan et de l'Ar-
ran, les Francs, à l'Ouest, assiégeaient Damiette, clef de
l'Egypte et de la Syrie (1). L'Asie occidentale se trouvait
donc pressée de toutes parts, et Saadifut certainement lente
de chercher des régions restées à l'abri de la guerre et oîi il
put vivre in nngello ciim lihello. La Syrie, il en gardait cer-
tes trop mauvais souvenir. Le Fars, sa patrie, il n'y fallait
point songer: Ghiyath ed Din le Kharezmien la saccageait
précisément, « l'abreuvant à pleines coupes de la liqueur de
sa vengeance », sous prétexte que l'atabek Saad avait excité
les gens d'Ispahan à la révolte et qu'il se montrait déplorable
administrateur de son peuple et de ses deniers. Sur l'Iraq,
les Mongols se ruaient une troisième fois.
Il faut lire dans Nasawi [op. cit.) le passionnant récit de
ces luttes désordonnées entre les petits princes d'Asie s'entre-
déchirant sous les yeux des Mongols. Nasawi résume assez
bien la situation lorsqu'il s'écrie : « Point n'est besoin d'en-
trer dans les détails, car tous les faits se ressemblent ; il ne
s'agit en effet que d'extermination et de dévastation généra-
les » {op. cit.. p. 89).
Seul, Jalal ed Din Mankoubarti, sullgn sans royaume, à
la tête d'une poignée d'hommes, parvenait à se maintenir
contre Gengis Khan et, en dépit de sa défaite de 1221 (H.
618) sur rindus (2), n'abandonnait pas l'espoir de rallier
contre l'envahisseur toutes ces énergies gaspillées.
(1) Ilisl. or. Croisades, IJ, 119-120.
(2) Cf. cf l edmirahle épisode dans Nasftwi, p. 139-143.
LA VIE 33
Hii'ii n'finpèclïc de Mijj|joscr (Hic Saadi se soil alurs dirige
vers La Meccjue. Les périodes de tueries clVrénées et de bou-
leversements politiques favorisent d'ordinaire lest'lans reli-
^'ienx et niysli(|ues. Le poète se met eu route pour Hakkah,
udMid central reliant les routes d'Anatolie cl de Syrie aux
roules d'Orient. La. il senibar<jue et der-eend llùiphrale
)us(ju à (ioul'a. poinl de départ de la roule des pèlerins,
C^oufa. autrefois prospère, mais déchue à I époque d Ibu
.loubaïr I I Hi) 1 1 . Peut-être Saadi s'arrêla-t il en cours de
roule à Aubar où s'embranchait une roule mettant rapide-
ment à Bagdad : dernière station dans la ville de ses années
d'étudiant, avant de se livrer au vaste monde.
De Bagdad, on pouvait desceitdre le Tigre jusqu'à Bas-
sorah (2 . ville à grandes artères, égayée de vergers et de
palmeraies, relai imj)ortant delà seconde route vers la Mec-
que i3). La sihialion de Saadi, lorsqu'il \i>ile ces villes, res-
sent le contrecoup logique des aventures (|u il venait de su-
bir. - Moti pied était nu et je n'avais pas le moyeit d'achtler
des babouches. J'entrai loul ailligé daits la mosquée de
Coufa », écrit-il daits le Gulisf.m (p. 17i. III. l'.li. Kl c'est
bien là un aveu de détresse. Quant à Bassorah, son passage
y est attesté dans le Uoustnn ip. 2(>1 ) : il chemiitait en com-
pagitie de quelques derviches, et peu s'eit fallut (juon ne leur
fit un mauvais parti, car un indigène juché sur un palmier
pour y cueillir des dattes, avait, au moment même oit ils
passaient, fait une chute morlelle : au milieti des badauds
ameutés. Saadi s'expli(pie par devant l'auloiité locale et ne
m;iii<pie pa> 1 occasion de tiier la iiioralf de JaNenlitre (i).
(1, Cf. 1.0 .Miatifio, o/>. Ci/ , p. 74-^!>.
(2) Vàqoùt coDSocre à Hassorali un long arUcie. i'A. naiiUr finil Wu Ha
toutab. op. cit.. Il, p. 8.
34 PREMIÈRE PARTIE.
CHAPITRE PREMIER
Dawlatcliah assure que Saadi se serait acquitté quatorze
fois du pèlerinage. A supposer qu'il exagère, il n en reste
pas moins que Saadi se rendit plusieurs fois à La Mecque.
Le Gulistan ne contient pas moins de six passages où il y
fait allusion. De ces passages, les uns, par leur contenu,
semblent convenir davantage à sa jeunesse, les autres à son
âge mûr. « Un piéton, la tête et les pieds nus, sortit de Gou-
fah avec la caravane du Hedjaz et fut noire compagnon de
route » (p. 116, II, 17), Et ailleurs: « Une troupe déjeunes
gens sages étaient un jour mes compagnons dans le voyage
du Hedjaz » (p. 128, II, 27). Saadi, dans la suite de ces deux
passages, cite la localité de Xakhia- Mahmoud (1) : il est donc
probable qu'il s'agit du même itinéraire.
Dans un autre passage du Gulistan {p. 284, VII, 12), Saadi
raconte une rixe entre pèlerins, rixe à laquelle il aurait pris
part : celte attitude batailleuse dénote certainement un pè-
lerinage de jeunesse. De même, l'épisode relaté dans le
Boustan (p. 346) : une nuit, endormi dans le désert de
Faïd (2), il est réveillé à coups débride sur la tête par le
chamelier qui n'aurait pu traiter si cavalièrement le cheikh
révéré que devint plus lard Saadi.
A cette période postérieure appartiendraient précisément
mourant de faim en plein désert, y avait trouvé un petit sac de perles :
« Jamais », ajouttit-il, « je n'oublierai mon plaisir el ma joie, parce que
je m'imaginais que c'était du froment grillé, ni aussi mon amertume et
mon désespoir, lorsque je reconnus que c'étaient des perles. » Mais cette
anecdote n'a qu'une valeur autobiographique Lrès relative et il serait
téméraire, si l'on ne possédait un autre témoignage concordant, de baser
sur elle seule l'exactitude du passage de Saadi à Bassorah. C'est en effet
un vieux thème de conte moi al que Saadi présente comme une aventure
personnelle. Ou bien faut il supposer que, de bonne foi, i! accorde créance
au récit d'un Bédouin vantard?
(1) Maraçid-el-ittila : « Localité du Hediaz. voisine de Ln Mecque el oiî
se trouvent des palmiers et des vignes. C'est la [)remière station où s'ar-
rête celui qui revient de La Mecque. »
(2) Point à moitié route de La Mecque à Bagdad. De Faïd à Coufa, il y
a douze jours de marche. Cf. Ibn Joubaïr (éd. cit. p. 203) ; Ibn Batoutah,
L p. 409. (Yâqoût et le « Maracid » donnent à peu près les mêmes ren-
seignements.)
LA VI K .i5
lus deux passai^es siiiviuiU: dans le pruinier [Gulistun^
|). 2i'»,\',l8j, Saadi raconte à liiu de ses compaj^uous do
pèlerinage tjue >< dans sa jeunesse » il se lia avec un ado-
lescent ; dans le second //>/</., |». ol)-()()J, Ui) il assure avoir
lait obtenir i{uel(|ue emploi à liin de ses amis, en le recom-
mandant au chel de la Irésorerie (influence (ju'il ne pouvait
exercer «|u en sa vieillesse, au retour de ses vojages/ et
s'être acquitté à celle époque du pèlerinage avec des amis.
Quelle fatigue ces pèlerinages occasionnaient, c est ce (ju il
laisse entendre à deux reprises. « Lue nuit, dans le désert
lie La Mectjue. il ne me resta plus la lorce de ïnarclier, par
l'excès de l'insomnie » [(iulistHn, p. Il 2. Il, I 2j ' ) ; et, dans
le lioustan (p. 32») — allusion aux soulï'rances causées par
la soil" : — « L'Arabe campé sur les rives du Tigre a-t-il souci
de la caravane qui traverse le^ déserts aride."^ ilu Zéroud (2, ? »
Or. vers l'année 1225 II. G2ly, les événements qui se
produisaient dans le Fars allaient permettre à Saadi de revoir
un in>tanl >a pairie. Jalal ed Din, dès la mort de (lengis-
Klian o., avait paru dans le sud delà Perse: les gens du
Kirman s'étaient donnés à lui ; le seigneur de ^ a/.d. dans le
Fars, venait lui rendre hommage, alors (jn il marchait vers
Chiraz. Le prince du Fars. Saad, brouillé avecGhiyalh ed
l)in, frère de Jalal ed Din, reçut un envoyé de ce dernier
tjui, désireux de se concilier son appui, lui demandait la
main de sa lille. Saad « lit aussitôt acte de soumission et mit
à réaliser les désirs du prince l'empressement d'un coursier
lancé à fond de train dans 1 hippodrome •• (Nasawi. p. \'.\\)].
L'envoyé se relira, heureux d avoir « apporté à la noblesse
^1) En rapprocher ce souvenir d'un voyage «-n caravane GnlisUm, !27,
II, 26) : -< Je me Rouriens fine nous avions niarclié toute la nuit, au milieu
d'une caravane, pI qu'au matin nous nous étions endormi» sur la lisière
d'un bois, n
v2) Plaine snbionneuhe entre (^oufah cl La Mec<jui'. Cf. Ibn Baloutah, I,
410. — La même id^^e se relronvp dan> le lionslan (|». 325) : « 1 ts voya-
geurs assis autour de la marmite lumante s'inquièlenl bien, eu vérité, de
la caravane perdue dnvf. \m salilcs du désert. »
{i^ C'. N«b«wi. up. cit., p. 1S3 «t huiv.
36 pREMiÈat; pautie, — ch.vpitke premier
royale une perle rare sortie d'ime coquille priiicière »
Aiilremeiil dit, lieureux d'avoir réussi dans sa négociation
matrimoniale.
Peu après, Ispalian recevait Jalal ed Din avec enthou-
siasme. Le Fars et l'Iraq allaient donc jouir d'un suprême et
éphémère repos. Saadi en profita pour y revenir et séjourner
quelque temps à Ispahan. Il y possédait un ami intime,
<( guerrier hardi et impétueux, dont le poignard et la main
étaient souvent rouges de sang... Par sa vaillance comme
par sa générosité, il n'avait pas de rival au monde » [Boiis-
(nn, p. 234). Saadi, dans le même passage, fait allusion à
son propre séjour en Syrie où il déclare « avoir subi les
alternatives de la joie et de la tristesse, de Tespérance et de
la crainte » et raconte qu'un soir, de retour en Iraq, songeant
tout à coup à cet ami, il résolut de l'aller voir à Ispahan.
Mais il retrouve « un homme jeune encore, dont l'infortune
avait fait un vieillard... Le destin avait appesanti sur lui son
bras puissant ». Aux questions de Saadi, il répond : a Hélas !
c'est depuis la terrible journée des Tartares que ma vaillance
s'est évanouie... Que vaut l'héroïsme quand la fortune ne le
seconde plus?... C'est folie de lutter contre le sort. » Suit le
récit d'une furieuse bataille, récit pour lequel Saadi délaisse
un instant son style enjoué et paisible pour emboucher la
lugubre trompette de Firdousi et de Nizami.
Il s'agit sans aucun doute de la bataille indécise livrée aux
Mongols par Jalal ed Din, près d'Ispahan, le 26 août 1228
(H. 22 ramadan 625), « lutte terrible, capable de faire blan-
chir les cheveux et d'effaroucher les étoiles » (Nasawi,
chap. LXI). A son retour de l'Inde où il s'était réfugié, Jalal
ed Din avait rallié à sa cause les princes de la Perse méridio-
nale et centrale, pris bravement l'offensive afin de recouvrer
son trône, conquis l'Azerbeidjan et la province d'Arran,
patrie de Nizami, le chantre persan d'Alexandre. Devant Ja-
lal ed Din dont la valeur et la constance rappelaient celles de
ce héros, les troupes mongoles, engagées d'autre part dans
une expédition en Ciiine, suspendaient leur avance. Entre
I
ItMiips. .lalal C'd l)iii épousait une an Ire princesse ol néj^^x-iail
de nouvelles alliances. Snrvinl alors celle confuse balaille
d Ispalian « dans laquelle les deux armées avaient pris la
fuite, les chefs des deux camps avaiciil été <l»''cimés el les
débris des deux partis, dans une course furibonde, s'étaient
cliacun sauvés jusqu'aux limiles de leur territoire >■ (Nasawi.
p. 'Jini.
Ispalian a été décrite par les grands géographes orientaux.
Mais, \k encore, ^ àqoùt constitue la meilleure source, puis-
qu'il est conlemj)orain de Saadi. Les deux quartiers princi-
paux, prescjuc deux villes juxtaposées, que signalent au
dixième siècle Ibn Ilawkal et Mouqaddasi, ne sont plus, au
treizième siècle, (jue des amas de constructions plus ou
moins ruinées. La ville, si prospère au temps de Nacir-i-
Khosraw il0r>2) ( i ). semble alors, eu dépit de son étendue,
arrêtée dans son développement {'2^. Par contre, au quator-
zième siècle. Ibn Batoutah [op. cit., II, 43), signalant le faste
de ses habitants, inspire par là même une haute idée de sa
prospérité. Mais elle était encore loin de la splendeur qu'elle
devait atteindre, au seizième siècle, sous Chah Abbas.
Ce séjourà Ispahan marque la (in d'une période dans la vie
de Saadi. Kn effet, la chronologie de Dawlatchah. tout arbi-
traire qu'elle soit, attribue à Saadi 102 ans d'existence, divi-
sés en trois périodes de trente ans. Il reste donc douze ans
pour son enfance, et, en y ajoutant une trentaine d'années
consacrées H l'élude, il en résulte que Saadi, la date de 1 IHi
admise comme date de sa naissance, termine sa période stu-
dieuse vers l'année 1221). Il est permis en effet, en nu liant
de côté ses aventures de Syrie el ses pèlerinages, de considé-
rer comme voyage d'études sa visite à Kachgar el son séjour
à I)amas. La période de ses voyages s'ouvre donc vers celle
époque, si l'on conserve — en gros — la division établie par
son biographe. De la quarantaine jusqu'environ sa soixante-
(1) Sfjer nàmeh (Irad. Scliëfer), p. 252 cl siiiv.
^2) Le Slranpc. op. cil., p. 202 el suiv.
38 PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
dixième année, il vivra loin de sa patrie, lisant dans le grand
livre du monde et recueillant, comme autrefois Fabeille atti-
qiie, le miel qu'il distillera sur le tard dan.^ ses deux princi-
paux recueils.
Il est probable qu'il ne se résigna pas à quitter Ispahan
sans passer par sa ville natale. Les communications y avaient
du reste été toujours maintenues, car c'était, de toute anti-
quité,la route du plateau central iranien (1). Le Fars nâmeh
(écrit en 1 107) signale deux routes : la route d'hiver (la plus
courte, celle qu'on suit actuellement), par Yazdikhost, Sar-
vistan, Khoskzard. Mayîn : la roule d'été, quittant la pre-
mière à Sarvistan pour obliquer vers le sud-ouest, sur Aba-
deh, Machad i-Madar-i-Soulaïman, et revenir ensuite sur
Chiraz. par Istakhr, site de l'antique capitale des Achémé-
nides (2).
Vers cette époque (1231) mourait Jalal ed Din, champion
de l'Iran: ce héros, vrai prédécesseur d'un Charles XII et
digne d'un meilleur sort, tombait obscurément dans une em-
buscade, sous les coups d'un brigand féodal, au cœur des
montagnes kurdes. Avec lui s'écroulaient tous les espoirs
nationaux delà Perse qui, dès lors, devait attendre son ab-
sorption par les Mongols.
Le trône de Gengis- Khan, resté vacant de 1227 à 1229,
élait occupé par son troisième lils, Ougoutaï, un ivrogne,
qui, faisant passer l'organisation intérieure avant les conquê-
tes, ne laissa pas toutefois d'ordonner trois expéditions, deux
vers la Chine et la Corée, la troisième vers l'Occident.
L'Europe orientale devint la pâture des armées impériales :
Russie du Sud, Hongrie. Pologne, Bohême, Silésie, Mora-
vie, Illyrie, tout céda devant elles jusqu'à l'Adriatique, lors-
que la mort du Khan et l'élection prochaine de son succes-
seur leur fit brusquement rebrousser chemin .
Gouyouk ne fit que passer sur le trône. Sa veuve, Ogoul-
(1) Cf. Le Strange, op. cit., p. 282.
(2) Ssadi cite Istakhr (Persépolis) dans le Galistan (p. 214, IV, 12).
L\ VIF 39
rîaïmich, réussit h se maintenir miel<|iio temps. Mais en l'Jo'i,
le p;uli chinois l'emporlanL Min^jon fut t'*lii. A son frère
Hoiilaj^oii (|u il souliailail (J i'ioi<;ner. il ollrit la l'crso, proie
séduisante et de prise facile, puisque ses quelques roitelets,
trop faibles pour sedcfendre. ne jx^uvaient plus compter sur
.lalal t'd I)in, t't incore bien moins sur l'insignifiant calife
de Hatidad.
Saadi se détermina sans doute k parcourir l'Asie, aulant
par curiosité que |)ar désir de s'en lui i-. Le goiU des déplace-
ments le possédait certainement, car son œuvre présente de
fréipienlfs allusions aux avanlajTes et aux agréments des
voya'f^'C's 11 ne re^^'ellail donc nullement, dans sa vieillesse,
d'avoir mené si longtemps l'existence précaire du pèlerin.
" Lorsque la discorde surviendra »>, écrit-il dans le (Julis-
Ihh I I I, « le ^{\^c s'enfuira : et qiiand il verra la paix conclue,
il jt'llera l'ancre. Car, dans le premier cas. le salut se trouve
sur la frontière, et dans le second l'agrément de la vie se
trouve dont la fré(juenlation (des autres hommes). » Mais il
ne s'agit pas seulement de fuir une patrie malheureuse: il
faut en outre ouvrir ses yeux tout grands sur le spectacle si
varié de ce inonde^ car « les voyages... réjouissent l'esprit,
procurent des profils, font voir des merveilles, entendre des
cho>es singulières, examiner du pays, converser avec des
amis. ac<|uérir des dignités et de bonnes manières... C'est
ainsi (|ue les coulis oui dit : Tant que tu resteras dans ta bou-
tique ou ta maison, jamais tu ne seras vraiment un homme ;
j)ars. promène-toi dans le monde, avant ce jour où tu quit-
teras le monde •> GuUstun, p. MO. III, 28). Saadi ne fait, ce
disaul. (jue répéter l'onseigncmenl de ses maîtres de Bagdad
et <le Damas : le voyage est, pour le myslicjue, une sorte de
devoir, un slade dans la voie de l'inilialion . Mais le mysti-
que n'est pas seul à en tirer profil : oin(j classes de personnes
(t) Gulùfan (p. i\'t); cf. un? allusion analoKUP {ibid., p. 39): « Les
liotnmea se répandirent dans le monde, k cause des embûches que leur
tpn'irtil sa l>r»nnio (d"nn roi) cl priirnl le (homin de IVxil, par »uilc de
l'alfliclion nù les plonf^eail sa violence. »
40 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
y Iroiiveiil utilité et il faut lire dans le Galislan (1 ) la discus-
sion entre un père et son fils sur les avantages matériels des
voyages. Non seulement leurs avantages matériels, mais aussi
leurs inappréciables avantages moraux : « Suivez l'exemple
de Saadi : parcourez le monde en renonçant à toute chose et
vous reviendrez le cœur plein de science >> [Boustan, p. 207)
Et dans le Gulisfnn (p. 198), cette idée qui forme le fond
même de Saadi, modération et tolérance : « Cette personne
emploiera la violence envers les étrangers, qui n'aura pas été
beaucoup à l'étranger. » Enfin, ce passage d'une qacida oîi
l'on ne trouve plus qu'un tranquille dilettantisme (qui fait
songer quelque peu à celui de Renan, aux dernières lignes
des Souvenirs d'enfance) : « Ne te propose pour but aucun
pays, aucun ami : la mer et la terre sont grandes... Pose-toi
comme le rossignol sur un arbre et sur l'autre... Fréquente
beaucoup d'hommes, afin de rire beaucoup » (2).
B. — Années de voyages.
Mais que furent ces voyages? En quels pays Saadi fut-il
entraîné, soit par sa curiosité, soit par les événements? Voici
donc le moment de le reprendre à Chiraz, afin de tenter une
reconstitution de sa vie errante, d'après les renseignements
imprécis et sommaires que contient son œuvre.
UAsie centrale, l'Inde, la Syrie, l'Egypte, l'Arabie,
l'Abyssinie, le Maghreb s'y trouvent mentionnés pêle-mêle
et sans le moindre fil conducteur. Reste donc à se baser sur
la logique et les événements contemporains, afin d'établir
une chronologie de ces voyages dont l'authenticité semble
en outre parfois contestable, notamment pour l'Inde.
On peut s'étonner qu'au treizième siècle les communica-
tions soient organisées en Asie au point que le premier venu
puisse parcourir en tous sens le monde musulman. Le poète
(1) P. 187-189 ; cf. Mocaddessi, Les oiseaux el les fleurs (trad. Garçin de
Tassy), p. 75, in fine.
(2) Citée Hammer, Gesch. der schôn. Redekanst, p. 208-209.
I.V VIK II
Hiickerl (1| el liarbicr de Mcynard (2) n Oui pas liésilé à
rt'Vixjiier on doiilo imo parlic des voya^'cs <nio Saadi déclare
avoir ell'ecUu's. Hiickerl considère phi'ieiirs d'entre eux,
parliciilièremenl le voyage dans riiide. comme des narra-
tions imaginaires, analogues à celles ijue l'on trouve dans
les S(''ances de Ilariri.
Il est indéniable »jne certains détails donnés par Saadi
pemblent le produit de son imagination, l'ar contre, faute
de preuves suflisanles. il est diflicile de rejeter comme
inventés de toutes pièces les voyages auxtpiels il lait allu-
sion. Par exemple, pour son voyage en Ilindoustan, il a
probablement exagéié à plaisir un incident cpii se serait pro-
duit dans un lemple. Mais rien n autorise dauhe [)ai l à altir-
mer (lu'il n'a pas visité ce temple et. par suile. à passer sous
silence cet épisode. D'abord, les relations avec l'Inde étaient
régulièrement établies depuis fort longtemps. Ibn Kliordad-
beb. géograpbe arabe bien antérieur h Saadi, puiscpi'il com-
posa vers H6i (H. 250) son Livre des routes et des provinces ,
donne de curieux détails sur l'itinéraire suivi par les mar-
cbands juifs dits <( radanites •» ;3| : remarquables j)olyglottes,
ces voyageurs entretenaient la vie commerciale entre I ( )rienl
et l'Occident, voyageant tanlôl par terre, tantôt par mer.
parlant du j>ays des Francs vers Sue/, et Djedda pour abou-
tir au Sind. à l'Inde et ;i la (^liine dont ils ramenaient les
produits vers l'iùirope. Ou bien ils passaient pai la Syrie, la
Mésopotamie, et, du (iolfe Persique, mettaieul à la voile
vers rKxlrème-r)rient. Le retour s'elTectuait soit par mer.
.«oil parla roule côlière Sind-Kirman-Fars-Abwa/.-Hagdad .
l'n peu plus tard, en 016 II. iiOi). Ma^oudi visitait l'Inde
et peut-être Ceylan. après avoir traversé le Moultan ; et l'on
peut se demander pourcpioi Barbier de Meynard qui. dans sa
préface aux l'r.ii ries d'or inlrod.. I. I. ji. III cl I\ . ailuiet
(1) Noie II II, 41 di's Verse ans dem (ttilistnn. in t. VU (N. F.) de U
Zfiisehrifl Jnr vrrgleichende Litteratiirgeschichle (1834), el ibid., p. 5S.
(2) Hnustan. inirotl.. p. 14-16.
(3) J. A., l»6.n, l. V. p. 512 r.l4.
42 PREMIÈRE PAlvriE. CFIAPITRK PREMIER
sanïî objection tous les déplacements de Maçoudi, suspecte
en revanche ceux de Saadi, sans qu'aucune preuve formelle
en démontre la fausseté.
II suffit d'au Ire part de jeter les yeux sur les itinéraires
parcourus, à latin du douzième siècle, par Ibn Joubaïr, et,
au milieu du quatorzième siècle, par Ibn Baloutah, pour
constater avec quelle facilité l'on visitait alors les régions les
plus éloignées les unes des autres. De ce que Saadi n'a pas
laissé, comme ces deux voyageurs, une description métho-
dique des itinéraires qu'il a suivis, il ne s'ensuit donc pas
qu'il faille délibérément nier la réalité de ses voyages.
On peut croire qu'il les inaugura en se dirigeant de nou-
veau vers l'Kst, non plus vers la Kachgarie, mais vers une
région plus méridionale. Dans un passage du Gulislun
(p. 288. \\\, 16) où sa bravoure rappelle celle du poète Ho-
race (auquel il fait songer par ailleurs) à la bataille de Philip>
pes. il dit avoir fait, « une certaine année, un voyage de
Balkh à Bàmyan. Le chemin était fort dangereux, à cause
des voleurs. Un jeune homme m'accompagna à titre d'es-
corte... Deux Hindous levèrent la tête de derrière une pierre
et se disposèrent à nous tuer... Nous ne vîmes d'autres res-
source que d'abandonner notre bagage, nos armes, nos vêle-
ments, et d'emporter nos âmes saines et sauves. »
Rien d'invraisemblable en ce passage. Cette histoire de
voleurs tendrait même à préciser que le voyage eut lieu après
l'invasion mongole. Balkh fut en effet détruite en 1221 (H.
618) par les troupes de Gengis-Khan, avant le passage des-
quelles la contrée était florissante, de même que toute l'Asie
centrale (1). La fertilité, la beauté de la région de Balkh
étaient proverbiales en Orient, et le géographe Istakhri
(X° siècle) déclare que Damas seule pouvait lui être compa-
(1) Schefer, Chresfomaihie persane, l, p. 8 : « Boukhaia et Balkh ont été,
au moyen â^p, les villes les plus florissantes de l'Asie centrale. » Avant
l'invasion monopole, les seigneurs de Balkh et de Bâmyan, ainsi que le
seigneur de Ghazna, rendaient hommage au sultan du Kharezm. Cf. Na-
sa wi, op. cit., p. 37, et le luxe Inouï qu'atteste le passage.
î V vrr ^3
rée. l.n \'2\\ II. «ili» . un prtMicaloiir He Hnikh avait com-
posé un ouvrage sur les inerN'eilIcs fie la ville (1). 11 t'Iail
tiMnj)s, car, sept aniu'cs pins lard, la drvaslalion faisait son
(i-nvre et la leclnre d'Ibn Hatontah snflilà dcMnontrer combien
elle fut complète (2). Jac^ataï, fiU do (ienf^is-Khan. it'';,'nail
alors sur Raikh et la Bacirianc (pii dcv liciit allendro pins de
denx siècles avant de se relever de leur mine.
Quant à H;\niian, cachée dans sa vallée, ,'i plus de 2.(M)0
mètres d altitude, elle avait subi le même sort (pio Halkh,
La citadelle, les peintures murales qui avaii-nl étonné "^'jujoût
étaient détruites. Seules restaient deux gigantesques idoles
bouddhi<pies. taillées dans le roc, et (pi'Aureng/eb. an dix-
septième siècle, devait mutiler à coups de canon (3). On
était loin alors de la « contrée remplie de villes et de villa-
ges » dont parle Vâcpint (pii, dans son MnuchtHrili, déclare :
■I ('est la patrie d'.Vfdal el Hàuiivani, très versé dans la phi-
losophie, (pii fut le maître de I alabek persan Saad ibn Zangi
auprès ducpiel il resta juxpià sa mort. •> Saadi aurail-il
connu ce docteur à diiraz et celui-ci lul-il pour (puhpie
chose dans son passage à Hàmian ?
('e voyage, il est vrai, parait contestable • la lecture <- HA-
mian •> repose en ed'et, dans le texte du (iulist,'tn — du moins
loi (juil se trouve actuellement établi — , sur une habile
conjecture du traducteur Defrémery (pii, rejetant les lev<''ns
'< bà Châiuiyàn *> ' «< avec des Syriens » ), » là Ilamadàn > et
<• bè Ilamadàn », ju<tilie la sienne pai- les raisons suivante- :
d'abord la présence de Syriens à Halkh est peu vraisembla-
(li t'ii frif^mPiil (le l.i Iradiirlion persane dp cet niivra^ro s été pul)lié
par Scliefrr. CJtretl. itersnne. l. I. Cf. ibid., inlrod., p. 5fi pi «tiv.. el
Le Slranpe, op cit., p. i'JO.
(2) Voyages (.•«! cit.). 111, 22-26 el 58-62.
(3) Yàqoût (s. T.) : « On y voit un édifice Irès «'lové, nvpc cle« rolonneu
sur losquollos sont prnvéos les fiçurcs de tous les oiseaux cré«'*s par l^ieu,
et deux gigantesques idoles taillées du haut en bas du flanc de la mond-
pne. > Au X* siècle, M'Miqaddassi cotisidèro BÀinian conune « le port de
commerce du Kliorassan et la trésorerie du Sind •>. Sur les deux colosses
mentionnés par YàqoiU, cf. J. R. A. S , 1886, p. 323,
(\!\ PREMIÈRE PARTTF. CHAPITRE PRF.MIER
ble ; puis c je lis un voyage de Balkli »> appelle un point
d'arrivée (« à... ») ; enfin la présence des deux Hindous aux
environs de Bàmian est toute naturelle (1). Saadi se trouvait
ainsi au centre du royaume autrefois attribué à Jalal cd Din
Mankoiibarti par son père, le sultan du Kliarezm, royaume
comprenant, outre les deux villes de Balkh et de Bâmian,
plusieurs principautés et la partie limitrophe de l'Inde (2).
La région, tout en sommels et en gorges, n'en avait pas
moins servi de théâtre à des luttes féroces, au cours des an-
nées 1220 et 1221. Balkh, Merw tombées en cette année,
l'armée jetée contre Jalal ed Din battue en montagne (3),
Gengis-Khan, pourtant plus organisateur que tacticien, avait
pris le commandement des opérations. A Bâmian, le fils de
son fils Toulouï tué durant le siège, le vieux conquérant
monta lui-même à l'assaut, vengeant, par une destruction
complète, la mort de son petit fils, imprimant à ses hommes
un élan irrésistible, enlevant Ghazna au passage et, vain-
queur sur rindus (4). amorçant la conquête de l'Inde par un
gros de cavaliers lancé au delà du fleuve.
La conquête terminée, tout s'organisait méthodiquement.
Gengis-Khan s'était installé à Samarcande : la paix, une
paix relative, s'établissait peu à peu, et Saadi pouvait donc,
en dépit de quelques aventures de route, circuler dans le
pays. Mais quels itinéraires l'y avaient amené?
De Chiraz ou d'Ispahan, la roule n'était pas la même.
Partant de la capitale du Fars. Saadi pouvait se rendre di-
rectement à Balkh par le Kirman, le Sijisfan et le Khorassan :
la voie s'infléchissait d'abord vers Darabjird, remontait vers
Kirman, puis, après une courbe prononcée vers Narmasir,
de façon à contourner le Grand Désert, piquait franche-
ment vers le nord jusqu'à Hérat et longeait ensuite les
monts Paropamisades jusqu'à Balkh. De là, le voyageur
{{) Cf. le détail de rargumentalion, Gulistan, p. 288, n. 1.
(2) Nasawi (op. cit.), p. 4b.
(3) A la bataille des Sept-Uéfilés (Heft perwân),
(4) Cf. suprà, p. 32.
i.A Vit-: 45
n'avait plus ((u'à s'enj^aj^er vers le siul-osl ol à monter vers
Hàtni.ui à travers les ^'ori^es du Koli i-Haba ( I).
Ou hit'U — et c'était la roule la plus classique — sjit
d'Ispaliiiii par Uev, soit de Cliira/ par ^ tr/d et Nicliapour. ou
rejoi^Miail tout de suite la grandroule du Kliorassan «p» ou
suivait jus(pi à Morw. De là. ou bieu ou desceudait vers le
sud-est, par la rivière, jusqu à Merw-er-Koud, d oii la route
remontait sur Halkli (2); ou bien ou poussait juscpi'à liou-
kliara, tète d'une roule directe vers Balkli, dans la direction
sud est.
Parvenu à lîàniian, Saadi n'avait |»Ius (pià redescendre le
versant opposé de l'IIindou-Koucl» : il se dirigeait en elfe t
vers l'Inde ainsi qu il le déclare dans le Houstnn (p. 33(1 . Il
lui fallait donc suivre la roule de (ilia/ua alin dalleindre
riudiis, ilint'iaire parct)uru naguère dans sa fuite par .lalal
ed l)in.
Sylvestre de Sacy (/>Vo(/. unir.] cl de Ilaniuier {Schvne
liedekiinst , p. 205), se basant sur une phrase de l)a\v-
latcbal) : « au milieu des combats et des troubles », sup-
posent que Saadi serait venu aux Indes comme soldat. Ciraf,
par contre \ Hosemiarten, p. 237). entend celte j)hrase do
Dawlatchah au sens mysliqtie, ce cjui semblerait plus vrai-
semblable. Quant à l'aire de Saadi un soldat, toute sa vie
passée proteste là contre, cl le passage du Ctulifilun cité plus
haut, dans lequel Saadi se fait escorter, convient à un
pèlerin, mais chez un soldat dénoterait vraiment trop de
couardise. Il semble, tout compte fait, <pie Saadi, pariant
de combats et de troubles, ail voulu signaler, avec quelque
exagération, l'insécurité des roules dans la région (ju'il
visitait.
Tne autre <jueation, celle du séjour de Saadi à Delhi Pend-
jab/ supposé par Hoss [The Gulist.iu. p. IDi, a été élucidée
par Dcfrémerv I " Si l'on s'en rapportait à .1. Hoss ". dit-il
(1) Cf. l,e S(ran|;;c {op cil., p. 432) ; Istakliri (Uib. grog, nrnb., p. 286) ;
ll>n llawqal [ibid ., 334-335); Motiqaddasi (ibid.. 340. 319, 486).
(2) Cf. Umj Khordadbch, J. A., 1865, t. V, p 259 cl 268-269.
46 PRBMIÈHE l'AKTlE. CHAt^lTHli PKEMIKK
iOulistan. p. XXIIK « on pourrait croire que Saadi a visité
Dihly eulre les années 607 et 633 de l'hégire (1210-1236).
Mais celte opinion de rorienlaliste anglais repose unique-
ment sur une base ruineuse: la confusion d'Ogoulmich,
prince de l'Irak, avec le souverain patan ou afghan de Dihly,
AUmich .)(!).
Kn fait, aucun document, soit dans le texte de Saadi, soit
dans les récits de ses biographes, ne permet de rétablir son
itinéraire et ses étapes de Bàmian aux Indes, et il faut se
résigner à accepter, tel quel, et jusqu'à preuve du contraire,
le récit de Saadi relatif à ses aventures en Guzerate. L épi-
sode du Boustan se place à Soumnath. ville du littoral de la
péninsule de Kalhiawar située elle-même sur la côte ouest
de l'Inde, directement au sud des bouches du Gange et du
golfe de Katch. On peut donc imaginer que Saadi se rendit
de Bâmian à Ghazna. Cette viiie (2), dévastée par Ougoutaï
depuis 1221 (H. 618j, restait toutefois un centre de commu-
nications important, car elle commandait, par sa position,
la plaine de l'Inde et les vallées du Kouram, du Toutchi, du
Goumal et de la rivière de Caboul. Saadi aurait ensuite at-
teint le Gange, descendu le fleuve sur quelque embarcation,
puis, parvenu à l'estuaire, se serait dirigé vers Soumnath
que son temple rendait célèbre dans toute la contrée. Peut-
être avait-il, en cours de route, poussé jusqu'à Moultan, ville
de la vallée de l'Indus. Là, en effet, sélait retiré, pour y
finir ses jours en ascète, le vicaire ikhalifah) de son ancien
maître Souhrawardi : Baha el Ilaqq, son « ancien » à l'uni-
versité de Bagdad.
Les géographes arabes n'ont pas décrit systématiquement
rinde (6), à part el Birouni, Irop ancien pour servir à l'étude
(1) En 1206, c'est-à-dire une vingtaine d'années avant le passage de
Saadi, Qoutb ed Din Aïbak avait fondé Ja première dynastie afghane, et
sous ses successeurs, Delhi devint le centre d'un vaste royaume et d'une
cour brillante.
(2j Sur Ghazna, cf. Encydop. Islam, s. v., cl Le Strange, op. cit., p. 348.
(3) Le Strange, op. cit., p. 331.
LA VIB ^7
(le Saadi. Certains d'enlre eux oui loulefoiH meiilioiuié
Soiiinn.illi. avec des dtlails plus on moins faiilaisisleH : In
(lo.->criplion la pins délaillée dn tein|>le de celle ville e»i la
suivante, due à Qa/wiui (jui écrivait vers 1 11'.') il! Ii74) ( I ) :
» Knliiî antres curiosités de la ville de Sonninalli t"^[ nu tem-
ple coulenaut nue idole dressée an milieu de 1 édifice. Kien
au-dessous d'elle pour l'élayer ni au-dessus d'elle pour la
mainleuir suspendue. L'aulorilé de celle idole est grande
chez les Hindous; et celui (jui la contemple se dressant en
l'air en reste confondu. Les Hindous s y rendent en pèleri-
naL,'e et lui apportent eu hommat;e tontes sortes fie chose«
précieuses. L'idole possède en biens de mainmorte plus de
dix mille villages. Sa garde est composée de mille brahma-
nes qui l'adorent et servent les pèlerins. Le temple est sou-
tenu par cinquante-six colonnes de platane revêtues de
plomb. La coupole (au-dessus dej I idole est sombre: on
l'éclairé avec des lampes en pierres précieuses. L'idole est
ornée d une chaîne d'or (|ui, après chaque portion de nuit,
s'agite ; alors les cloches sonnent et une tionpe de brahma-
nes se lèvent pour adorer, (jn raconte que le sidtan Vamin
ed Dawlah, lorsqu'il conquit rilindouslan et qu'il vit celte
idole, fut surpris par son caractère et dit à ses compagnons :
Que dites-vous de celte idole qui se tient debout sans être
élayée ni suspendue ? Qnehjues-uns dirent: Llle est proba-
blement suspendue à «[uelque chose (juon a dérobé aux re-
gards. Mais un des assistants ajouta : J ai idée que la coupole
est en aimant [2) et l'idole en 1er ; l'artisan s'est sans doute
elforcé d accomplir onivre parfaite et a bien calculé l éga-
'1) Cilée Majnnil adab, Itl, p. 2»1. Yàqoùl [MonchUirin) fuui-nil en abrogé
le luoiiic T'-cil. Cf. eu ouUc sur .'iuuiiuidlti : lioiiiciuii, Mémoire sur l'Inde
(Imp. na(.. 1848), p. 268-209; Descripliou de la ville (J. A.. 4* série. IV.
p. 253) ; Garcin de TasKV, Proclamation relative aux portes de la ville
(ibid., V, p, 3'J8, ; 11. \\ ilsoii, Nolite (Asialic Journal, moi 184») ; Karided
Din Attar. Mnnlic u</air (Irad. Garcin de Tatsy). p. 172; Sacy. Pend
ntimcfi, p. 09-71.
(2) Maçoudi [Prairut d'or, IV, p. 47) parle duo letnple de l'Iode reDfer-
maat des pierres d'aimant.
^S PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
lilé de la puissance magiu-Lique par rapport aux côtés. Plu-
sieurs furent du même avis, tandis que d'autres le contre-
disaient. Mais lorsqu'on enleva deux pierres du sommet de
la coupole, l'idole pencha vers l'un des côlés. On continua
d'enlever des pierres, et l'idole penchait toujours. A la fin,
elle tomba. »
Le lieu du pèlerinage, en effet, avait été détruit, vers 1025,
par ordre de Mahmoud le Ghaznévide. Mais l'on voit, d'après
lâqoût et Qazwini, qu'il avait recouvré toute sa prospérité
à l'époque de Saadi. « Dans le Guzerate », écrit Defrémery
[Gulislan, p. XIV), « Sadi visita la fameuse idole de Siva,
adorée sous le nom de Soma ou Som-Nâth, c'est-à-dire Sei-
gneur de la Lune. » Il est indispensable de lire, dans le
Boustan (p. 33(1), le détail de l'aventure. D'abord, une des-
cription de l'idole, sorte de statue chryséléphanline, aux
yeux d'ambre (1) : « Les caravanes affluaient de toutes parts
pour contempler cette figure inanimée ;... les poètes aux
chants mélodieux venaient à 1 envi se prosterner ». Au mi-
lieu de cette ferveur générale, Saadi a l'audace — ou la
maladresse — d'exprimer à un religieux, « dont il partageait
la cellule », son étonnement de « ce culte rendu par des
vivants à un objet insensible ». Celui-ci, furieux, ameute
contre Saadi les supérieurs du temple qui veulent lui faire
un mauvais parti. Saadi n'a plus qu'à user de ruse, car
« résignation et douceur, voilà les seules armes contre
l'ignorant que la colère domine » et il s'excuse auprès du
grand-prêtre : » Je suis étranger dans ce temple », lui dit-il,
0 et j'y demeure depuis peu;... révèle moi les secrets que
renferme l'idole et je serai le plus fervent de ses adorateurs ».
Le prêtre se laisse prendre à ce beau langage et permet à
Saadi d'assister au mystère du lendemain. Malgré le dégoût
que lui inspirent les brahmanes " qui n'avaient jamais fait
(1) Les idoles en métal précieux n'étaienl pas rares clans les temples de
l'Asie orientale. Cf. Sdiefer, Chresl. persane, ï, p. 29 : t Qotaïbah trouva
dans un temple de Bikend (Transoxiane). . . une idole en argent pesant
quatre mille dirhems. i
I.A VIE /|9
ItMiis al)liilions... el dont les bras exhalaient l'odeur infecte
(l'un cadavre exposé au soleil >•, Saadi passe la nuit dans le
leni|)le. Tout à coup, le tambour retentit, les chants com-
mencent et le jour se lève ; la foule se presse dans le temple,
l'idole s'agite et, lentement, ëlèveles bras vers le. ciel. « Aufr-
silùt. (le cette foule immense, sortit une clameur confuse,
semblable au mugissement de la mer en furie. » Saadi feint
d'être persuadé, j)leuro hypocritement et joue le repentir. 11
fait même amende honorable à la statue dont il baise les
mains en la maudissant tout bas. On en vient même à l'initier
à la doctrine. Mais, une nuit, cherchant sans cesse la clé du
mystère et errant dans le temple « comme un scorpion », il
découvre derrière un rideau le brahmane chargé de tirer la
corde reliée aux bras de l'idole.
La lin de l'histoire est un véritable » coule cruel ". Saadi
poursuit le brahmane, le jette dans un puils et l'achève à
coups de pierres, car « les morts ne parlent plus... ; le mé-
chant à (jui lu laisses la vie ne respectera pas la tienne».
(Qu'on se sent loin des maximes dlbn el Jawzi et de Souh-
rawardi !) Fuis, son crime froidement commis, il quitte le
pays en toute hâte.
Barbier de Meynard [Bouslnu. p. U et lli) n'accorde
aucune réalité à ce récit et n'hésite pas à aliirmer « qu'il doit
être considéré comme une fantaisie de la tro[) féconde ima-
gination de Saadi >•. Le moment n'est point encore venu
d'examiner la puissance imaginative du poète, mais il est
permis de se demander si, à travers les exagérations, le récit
ne renfermerait pas un fond de vérité.
Barbier de Meynard signale ajuste titre 1 emploi alterna-
tif, dans tout le cours du récil, des termes « guèbres » el
o brahmanes», pour désigner les ministres d'une seule et
même religion, alors qu'il s'agit en réalité de deux religions
fort différentes. Cette confusion constitue, à ses yeux, une
preuve formelle d'invention.
Il semble que ce soit aller un peu vite en besogne. Les
hommes, hors les historiens des religions qui sont des spé-
M. — 4
50 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
cialistes, ont, de tout temps, sans même en excepter les
ministres des dilTérents cultes plus portés cependant par
nature à celte étude, connu fort mal les religions mêmes les
plusvoisin es de la leur. La connaissance précise de la reli-
gion dans laquelle on a grandi reste, aujourd'hui même,
l'apanage d'une minorité. A plus forte raison au treizième
siècle, car l'idée de tolérance n'était pas encore née (1).
M. E.-G. Browne, dans sa remarquable Lilerari/ History
of Persia (II, p. 259, n. 2), écrit : « 11 est étonnant de cons-
tater combien un musulman, même instruit, connaît mal les
autres religions. » Mais la même remarque ne peut-elle s'ap-
pliquer justement à n'importe quel catholique d'aujourd'hui,
à l'égard même des confessions les plus voisines de la sienne,
qu'il s'agisse du protestantisme ou des églises d'Orient?
Une autre question, proprement religieuse, pourrait se
poser sur ce point, si l'on envisage, non plus les ministres
du culte, mais son objet même. Cette idole « de Siva, adorée
sous le nom de Soma ou Som-Nàth », écrit brièvement
Defrémery : il y a là aussi, semble-t-il, matière à distinction.
Soma est en effet une divinité parfaitement distincte de Siva.
C'est primitivement la boisson sacramentelle du sacrifice
destinée à attirer les dieux ; celle boisson devient, par la
suite, un dieu dont les autres dieu.^î; ne peuvent se passer,
dieu personnifiant la pluie et devenu, grâce à une évolution
encore obscure, un dieu lunaire ou du moins en rapports
étroits avec la lune (2j.
Mais le soma n'existe pas seulement dans la religion des
Brahmanes : sans être nettement divinisé toutefois, il cons-
(1) Le fanatisme religieux était alors à peu près général en Orient. Les
.Mongols seuls semblent y avoir échappé. Ainsi, d'Ohsson, Mongols, II,
298 : t Mangou, fidèle à la maxime de Gengis-Khan, ne montrait de pré-
férence pour aucun culte et les traitait tous avec égalité n ; «t ibid., 367 :
« Coubilaï fut le premier d«s successeurs de Gengiô-Khan qui s'écarta de
son précepte d'indifférence religieuse ; il avait embrassé la religion du
Bouddha qui commençait à se propager parmi les Mongols. »
(2) Chantepie, Hist. des relig., p. 33o et 462; Galand et V. Henry,
VAgnistoma.
LA VIK 0 1
tiliie, sous le nom prcMpie idenliijue de n luionia », l'âme du
Bacrilice dans la religion des Parsi», ces ancêlies direct» inaia
à la fois si éloignés des iV-rsans (jue Saadi n'ignorait pas,
imiscju'il cil parle, peu axanlageiiscnienl du reste (1).
l']>l-il donc inipos.-iblc (pie Saadi ait mélangé les éléments
consliUilifs de deux cultes tout dillérents, mais (pi'il con-
naissait superficiellement rii? Harbier deMc>nard croit à
une histoire bàlie de toutes pièces tur des racontars, avec
des noms de dieux el de prêlres (pii, dans l'esprit de Saadi,
n'avaient que la valeur de mots n'évotpianl aucune réalité
perçue Or il n'est pas interdit de se demander si Saadi. ré-
digeant le Jiousf.m, n'avait pas confondu flans sa mémoire
fatiguée par 1 âge. Parsis et brahmanes, Ilaoma et soma,
orrespondanl ii des souvenirs réels.
La deuxième objection de Harbier de Meynard est plus
plausible: comment Saadi. un inlidèle, |>arvint-il à capter
si rapidement la conliance des brahmanes et à se faire initier ?
Il est certain que cette initiation paraît bien un peu expédi-
tive. Mais on jteul imaginer que les brahmanes, heureux de
ravir une âme à une religion rivale (3), se montraient peu
rigoureux sur la durée du stage el mitigeaienl en (juehjue
mesure les formalités d admission à la communauté. Le fait
ne sérail au reste ni unique ni surpreiiaiil. l) ailleurs Saadi
nedéclare pas expressément que son initiation ail été rapide ;
il se borne à écrire qu'après son amende honorable, il atlecta
les dehors de lidolàtriect s iiiilia aux doctrines, ce qui peut
avoir nécessilé quelque temps. Celte question ne présente
;1) " Un beau visage cachant de laides pensées, c'esl ct)ninie une lan-
lerte t>ur le tombeau d'un luazdèen » (Moulammafll. deuiicr j.utn.o. vers
'■~>, Irad. Iluart) (Les vers buivanls soDl analogue»).
(2) Sans Cl nipler la différence do langxf^o, car. en ur| ■; «n '» | ■■ i «k"-
lioo du persan, les brahD)anr!i parlaient sans doule un prarnt. Mais la lan-
gue cookhlue rarement un séiiiux olislacic à la diffusion d'une it>ligu>n.
(Jue l'on itoogc au nombre des rnukulniaos non arabub.
(3) L'isUmikine, apparu dans le nord de l'Inde à Tépoque des Ghainéti-
ies, ver.' l'.-n U»00 (II. .■'Il), continuait h gagner Iriitcment ^et6 le >ud. —
Cf. Cbanlcpie. HUl. det relig., p. 427.
52 PREMIÈRE PARTIE. CHAFIIRE l'HEMlEU
donc, à ce qu'il semble, qu'une part relative d'invraisem-
blance.
lùifin, la série de considérations morales qui termine
l'cpisode représente, aux yeux de Barbier de Meynard, une
nouvelle preuve de son existence imaginaire. Ces conclusions
morales, dit-il, « font penser moins à uu fait réel qu'à un
apologue inventé de toute pièce en vue de la morale à en dé-
duire ». Mais , à ce compte, les anecdotes relatives à Ten-
fance et à la jeunesse de Saadi sont, elles aussi, à révoquer
en doute, puisqu'elles servent de base à des conclusions
morales; et l'on arrive ainsi à rejeter en bloc tout ce que
Saadi raconte des événements de son existence. En
outre, Saadi ne s'est pas contenté de narrer son aventure dans
le Boustan ; il y revient dans ses poésies lyriques ; ainsi : « Je
suis entré dans le temple des idoles, j'ai vu leurs adorateurs»
(éd. Calcutta, p. 396 v"), et ailleurs : « 0 Saadi ! alors que tu
as détruit une idole, ne le sois pas toi-même, car s'adorer soi-
même n'est qu'idolâtrie » [ibid., p. 279 v") (1).
Il semble difficile d'admettre que Saadi reviendrait ainsi
à plusieurs reprises, et en différents écrits, sur un événement
qu'il aurait inventé d'un bout à l'autre. Mais il est plus dif-
ficile encore de supposer qu'il aurait fini par croire lui-même,
le temps et l'âge aidant, à la réalité de fictions littéraires qu'il
aurait créées.
u Après cette horrible aventure », continue-l-il [Boustan^
p. 335), « je me rendis dans l'Inde et de là dans le Hedjaz
par la route du Yémen. » Il faut renoncer à savoir quelles
localités de l'Inde auraient été visitées par Saadi. Parcourut-
il vraiment le pays? Son séjour s'y prolongea-t-il ? C'est ce
qui doit sans doute rester toujours ignoré (2). Ses biogra-
(1) Dans le Bouslan, Saadi ne déclare pas expressément qu'il a détiuit
l'idole, mais se borne à le laisser entendre. Cf. la notice de Jami (Na-
Jahal el ouns) : t Saadi vint dans le temple des idoles de Soumnath et y
briaa une grande image d'un dieu. »
(2) Ibn Kbordadbeh (op. cit., p. 284) indi(iue un itinéraire parcourant la
côte occidenlale de l'Hindoustan jusqu'à Serendib (Coylan), Mais rien n'au-
torise à affirmer que Saadi l'aurait emprunté.
r. V vtR 53
|>lie<. il rsl viai. If font voyager Ironie ans fliir;iiil. cl c'tîsl
pciil rire un inolit (ritdincUro «{ii'il Hiillardii (|nf|(|iM'
peu (hnis rindi". Mais, tn I ahsince du niuindif Icxli* lelalif
à celle alFaiie, loiilc t'onjeclure devienl iniprudenle. V.n le-
vanclie, ou peul essayer de reconsliUuT l'ilinémire de son
rt'Ioiir vers i'oocidenl. On a vu que les relalions commercia-
les enlre I Occidenl cl Illxlrême-Orient n'avaienl cessé de se
poursuivre aclivemenl, soil par nier, soil par les roules côlie-
res. Il est probable cpic Saadi continua son voyage par mer,
si l'on considère (ju'il avait pu pousser vers le sud de l'Inde,
C'est au reste ce (ju'un jiassage du (lulistnn fp. 81), !,.'-{.") ten-
drait à faire admettre: - .l'étais dans un vaisseau avec une
troupe de grands ; une banjue fut submergée derrière
nous. «Les échanges de denrées, dès le dixième siècle H.
!^ " étaient intenses entre Inde et Perse, si l'on s'en raj)porte
aux géographes Istakhri li. Ibn Ilawqali'i), el Mouqad-
dassi (3). 'Les importations de l'Inde parvenaient au Fars
surtout par le port de Siraf i t). Mais, depuis la ruine de ce
porl. l'île de Kich (Qaïs) était devenue, au douzième siècle
(II. \'l" . le centre du commerce dans le(iolfe Persicpic. lue
ville fortiliée. avec réservoirs d'eau potable, s'y créait rapi-
dement ; les pêcheries de perles, d'autre part, contribuaient
à la prospérité de l'endroit oi. L'île communiquait avec la
(1) E.l. liib. g^i>g. nmf>.. p. 152-1')^.
(2^ Ibid.. p. 213-215.
(3) Ibifl.. p. 4-i2-4i3. Oiilre ces Rëographes, le l.ii're (Ut merveilles de
l'Inde, publié par van der Lilh et Devic, confirme, bous une forme fanlai-
tisle il est vrai, les relalions mantime.s enlre l'Orient moyon el l'Exlrême-
Orienl. Cf. notamment, p. 'JO et suiv.
(4) Cf. Brinaiid, Géwjrnphie (VAhotil/rda, introd. ; Merveilles de l'Inde,
index géographique, s. v. : Siraf (au sujet de la rapidité des traversées) ;
Le Stranpe.op. cit.. p. 2.'i7.
(5) Kich fut conquise par l'at.nl ek .\bou B.ikr (Hammer. Ilkhnne, I, 239).
Sur celte ilo, cf. Sprt'nper, Post iind Heiseruten, p. 79; Defrémrry, Ciiilis-
Inn, p. 177, n. 1 : Harl>ier de Mo\n»rH, fioiislnn, p. 2.'i2. n. 12 (•' Au trrops
de .S»adi. servait de relâche aux caboteurs qui faisaient la traversée de
rinde il la Perse ><). A l'époque de YàqoAt, le» épicerie» de l'Inde et de la
Malait^ie s'y échangeaient contre les produit' de 1 Egypte, de la Sjiie et
de l'Occident le plu* reculé (d'après Reinaud. Notice sur le» dictionnaire»
géographiques arabes, J. A., 1860. .\VI, p. 84).
5^ PREMIKRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
cote, dislanle d'environ quatre lieues, par le portde Houzou,
relié lui-même à Ghiraz par une route de caravanes. Mais à
l'époque deSaadi, si Ton en croit Yàqoût, ce port avait per-
du toute 1 activité qu'il avait manifestée sous les Bouyïdes.
Une île moins importante, Kharik, servait en outre d'escale
aux vaisseaux se rendant de Bassorah aux Indes par Kich (1 ).
On trouve, chez les géographes Istakhri et Mouqaddassi,
des renseignements sur ces échanges commerciaux : à Siraf
arrivaient de l'Inde bois d'aloès, ambre, camphre, pierres
précieuses, bambou, ivoire, ébène, papier, bois de santal, par-
fums,etc. Par contre, affirment Ibn Hawqal et Mouqadassi,
le Fars exportait un peu partout, aux Indes, en Chine, en
Syrie, en Egypte et même en Afrique du Nord des parfums
et des étoffes réputés de tout temps (2). On peut admettre
que les troubles qui secouaient l'Asie avaient quelque peu
ralenti l'intensité du commerce, mais ralenti seulement, car
le Gulistan, sans chercher plus loin, renferme, sous forme
d'anecdote, une contribution indéniable à l'histoire du com-
merce oriental. Saadi raconte (3) qu'il rencontra dans l'île de
Kich un marchand, riche mais écervelé, et qui, toute une
nuit, lentretinl de ses projets, énumérant pêle-mêle Turkes-
tan, Ilindouslan. Alexandrie, Méditerranée... « Je veux por-
ter ». disait-il, « du soufre persan en Chine où j'ai entendu
dire qu'il a un grand prix, et ensuite de la vaisselle de Chine
en Grèce, du brocart grec dans l'Inde, de l'acier indien à
Alep, du verre d'Alep dans TYémen et des étoffes rayées de
l'Yémen en Perse. Après quoi, je renoncerai aux voyages et
je me tiendrai assis dans une boutique. » Saadi, sollicité de
donner son avis, fait une réponse analogue à celle de Cinéas
à Pyrrhus : une bonne petite allocution morale sur la modé-
(1) D'Ohsson, Mongols, III, 249 : « Bas;dad recevait de Bassorah les pro •
ductions de l'Inde et de la Chine, et celles du nord lui arrivaient en des-
cendant le Tigre et 1 Euphrate. »
(2) Le Stran^e, op. cil , p. 293-294.
(.3) Trad. Defrémery, p. 177 et suiv. Cf. p. 179, n. 1, au sujet du com-
merce entre Orient et Occident.
LA VI R 55
intion des dt^sirs. Il n'en rcble paM nioinn que, 80Ub aon as-
pect liv|)ci bolicjiie, et' |)as.'«agc j)r()iivc une fois de plus racli-
vilé comineic'iuie (le l'Urieul à 1 ipocjue dr Saadi. Mais, eu
uulre, il al leste, dans la mesure oii l'on peut accorder créance
h Saadi, sou passage à Kicli vraiseuihlableuieul à ^ou nlour
de riude. Il s'était sans doute joint à (juclque grouj e de
niarcliauds (jui l'avi.ieut eutraiué vers l'eulrepôt de Kicli.
Dv Kicli. Saadi pouvait facilenieul remonter vers sa ville
ualaie ; il ne semble pas quilait adoj)té ce parti ; au contraire
il reprit probablement sa roule, après son séjour à Kicli. Se
dirii^eait il de nouveau vers La Mcccpie ? I/Abyssinie allait
I arrêter eu chemin.
Du (iolfe Persi(juc à La Mecque, la voie maritime était la
plus commode : toutefois une route jalonnait la côte depuis
r(^mau jusqu'à La Mec(jue ^ 1 ,. mais naturellement beaucoup
plus longue ; et il semble plus logique de supposer que Saadi
prolita d«'s services de navigation (|ui contournaient la pé-
ninsule aral)i{jue. Le cabotage était eu elfet continuel sur les
eûtes de l'Oman et du Hadramaout. jusqu'à Adon, relâche
importante et. malgré son mau({uc d'eau, centre commercial
ft'jl aclif. ^à(joùl. le Maravnl el itlila et Ibu Batoulah s'ex-
priment à peu près de même sur cette localité. « C'est i», dit
Yàqoûl, " un rocher sans eau ni pâturages. L'eau potable
sort d'une source éloignée d environ une journée de marche.
Aden est le port de relâche des vaisseaux de l'Inde, du lled-
jaz el de l'IOlhiopie (2) ; aussi les commerçants s'y réunis-
sent. >• Ibn Hatoutah, postérieur, précise le texte de ^ à-
qoiM (3) : « Cette ville est le j)ort oii abordent les Indiens;
(1) Cf. Il>n KlioiHn<il.oli, ../). cil., p. r.09.
(2) Maçondi, Prairies d'or (III. 34): •< Knire le rivage d'Abyssinie pl la
TÏlIe de Gnllankah. gilii«*o sur l« rôle (l<^ Zt'l.id dan» le Vémen. il y n une
n8vi({»lion dr lr«>i>. jours... Le chef «duel de Zébid,... ses bftlimenls vont
sans cesse d'Arnbie en .^byssinie où ils transportent des négociants et des
marrhnndife^. .< Sur Zvl.id, cf. Schefrr, Voyage de tXnstiri Khotraw, p. 191,
D. î.
(3) Voyaqei, II. p. ITT
56 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
de gros vaisseaux y arrivent de Ganibaie. Tanna, Goulam,
Galicut, Fandaraïnah, Ghàliyâl, Mangalore, Fâkanwar,
Onor, Sindabour, etc. Des négociants de l'Inde demeurent
en cette ville, ainsi que des négociants égyptiens. » Il n'est
pas superflu, semble-t-il, de citer ces ports de la côte in-
dienne, car déjà plusieurs d'entre eux florissaient à l'époque
de Saadi, et, si Ton veut absolument le croire à la lettre, on
imaginera que ses pérégrinations dans l'Inde se seraient ré-
duites à une randonnée maritime terminée au Golfe Persi-
que, en parlant de l'un quelconque de ces ports.
Aden, porte du Yémen, sollicitait Saadi de se rendre
aussitôt à La Mecque. Il y a lieu de croire qu'il différa son
pèlerinage pour aborder en Ethiopie. On vient de voir par
Yàqoùt que les marins de ce pays accostaient à Aden. D'au-
tre part, la largeur insignifiante du détroit incitait Saadi à
visiter le nouveau pays qu'il entrevoyait. Il n'y manqua pas.
(( J'étais arrivé au pays des Abyssins », écrit-il dans le Bous-
tan (p. 362), (( comme un voyageur insouciant de sa destinée
et tout entier au bonheur de vivre. Sur ma route, je vis une
chambre étroite où l'on avait enfermé quelques malheureux,
les fers aux pieds. Je m'enfuis au plus vite et regagnai le
désert... » Passage assez significatif: Saadi laisse entendre,
d'abord qu'il se trouve alors dans la force de l'âge, peut-être
la quarantaine, si l'on estime qu'il inaugura la série de ses
voyages vers l'âge de 36 ans ; ensuite, que son séjour en
Abyssinie aurait duré fort peu. Enfin cette fuite précipitée
laisserait même entendre que Saadi aurait eu peut-être à se
louer médiocrement des autorités locales et risqué un sort
analogue à celui des prisonniers dont il parle.
De l'Abyssinie, il n'aurait donc vu que le rivage, terres
stériles et rocheuses, au bord desquelles la mer de Qouizoum
transpire et sommeille (1). Les derniers escarpements des
(i) Cf. Encyclop. Islam, art. Abyssinie, et R. Basset, Inscriptions de l'île
de Dalilak (J. A., 1893, I, p. 77 et suiv.) ; Maçoudi (Prairies d'or, IH, p. 55)
insiste sur le caractère désertique de la région.
t,A VIF 57
MitiiiU laissent oiilro eux vll;i miM* une élrDito bande de riva-
i^cà et celle conlii;iiialit)ii, rappelanl celle des côles du Fars,
poiivail évoijuer dans 1 ànio de Saadi le sonvenir do la lerro
natale. Au delii, sur les plateaux, la vieille dynastie d'Axonni,
reine des montagnes el dédaigneuse des régions maritimes,
j)enchail sur son terme: le roi Lalibala, vers celte époque,
faisait tailler dans le roc ses gigantesques églises l), en-
voyait des ambassades en Mgypte et guerroyait victorieuse-
ment contre ses voisins (2) ; tout le haut pays élail chrétien,
les cùles seules étaient habitées par les musulmans i3) et il
est probable cjue Saadi, se souciant [)eu de renouveler son
aventure de Tripoli, repassa en toute liàle vers la rive ara-
biijue.
Là. du moins, il se sentait eu sûreté, au milieu de ses frè-
res. Si les rivages de TArabie sont stériles, les premières
hauteurs ollient ui.e large compensation au voyageur
déçu ^i . ««Cette contrée est grande », écrit Yà<|OÙl dans le
Mouchtarili, « on la nomme : la verte (khadra), à cause de la
multitude des arbres et des champs cultivés qu'elle renferme.
On y sème quatre fois dans l'année et on récolte au bout de
soixante jours ; les arbres y portent deux fois, les habitants
sont actifs. » Tout invitait donc Saadi à suspendre sa mar-
che : il se décida — et c'est l'un des événements à peu près
certains de son existence — à se fixer, ou, suivant l'expres-
sion arabe, ù «« jeter son bâton » (5) dans le Vémeii. lue rai-
(1) I. Guidi, Le Synaxaire clhiopion, mois d»? sunè {l'ulroloijimirienlalis,
l. I, p. 601): « Dipu lui tnonliM cominonl il feinit dix t'i^lises dilT»5reiites...
Salut à Lalihala, conslrticletir habile de sanciuaii-eii en (lioiTe sèclie sans
poussière Ininiide (sans mortier). »
(•J) Cf. J. l'erruchon. Vie de Lalibala, ei les notes dt^laillées de H. Basset,
Ktnd«s sur l'Iiisloire d'Klhiopio (J. A.. I8S1, XVH. p. i.^O-iS.I).
(3) l^a con<|uèle de l'Aliys^inie par les Arabes n'out lieu qu'un xvi* siè-
cle. Cf. .\rab l*"a(jih. Histoire de la conquête de IWbytsinie (éd. et irad. de
H. Basset).
(4) « La fertilité du sol et la douceur d'un climat tempéré sont le privi-
lège naturel de la ré^fion n»onl«j;neuse... Elle produit l'inipressiort d'une
oasis, on rejjard dos plaines sablonneuses du lillond " (A. Dcflers, Voyai/e
nu Yèmen. 188'.»).
(5) Cf. sur celte expression. 11. Dorenbourp, Oumara du Yrmen (partie
française), p. 2.1, n. 1 .
58 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
son plus péremploire que le climat contribuait au reste à l'y
maintenir : il s'y mariait et devait y connaître le bonheur
d'être père.
C'était à Sanaa, en pleine montagne, au centre des voies
rayonnant à travers le Hedjaz, vers La Mecque (1), vers
Aden (2) et vers l'Ethiopie. Saadi. remontant sans doute vers
la ville sainte, s'était arrêté, séduit par la beauté du site et
par quelque habitante du lieu. Il reste muet sur les circons-
tances de son nouveau mariage. Fut-ce une idylle, l'élan
d'un homme « tout au bonheur de vivre » ? Fut-ce au con-
traire le résultat d'une combinaison monétaire analogue à
celle de son mariage de Syrie ? On n'en saurait décider sans
indélicatesse envers sa mémoire et l'on doit se contenter de
la certitude du fait.
Les géographes orientaux antérieurs à Saadi mentionnent
à l'envi l'antique Sanaa, <* trône du Yémen » (koursi el
Yaman) et « mère du monde » (oum ed dounia). Pour une
fois, le Dictionnaire géog7\iphique de Yâqoûl n'offre qu'un
fatras étymologico-historique où il n'y a rien à glaner pour
l'époque de Saadi. Dans son Mouchtaink, il insiste sur l'agré-
ment du climat : « C'est une des plus belles et des principa-
les villes de l'Arabie, où l'on trouve peu de mauvais animaux
et d'insectes ; elle ressen^.ble à Damas pour ses jardins (3)
qui sont remplis de toutes sortes de fruits. Il y a tous les ans
deux étés et deux hivers. » Ibn Batoulah note, lui aussi, la
douceur du climat (II, 176) : <« Elle est abondamment pour-
vue d'arbres, de fruits et de grains ; son climat est tempéré
et son eau excellente » (4).
Saadi s'y reposa donc plusieurs mois, vivant paisiblement
au milieu des x\rabes dont il avait appris la langue à Bagdad.
Le sort l'oubliait un instant, mais pour lui ménager un terri-
(1) Ibn Khordadbeh, op. cit., J. A., 1865, V, p. 502.
(2) Ibid., p. r>03 (cantons du Yémen).
(3) Cf. Mararid el ittila, art, Sanaa.
(4) Cf. en outre sur Sanaa : Schefer, Voyage de Nassiri Khosrau, p. 19J,
n. 3 ; la description détaillée de A. Deflers, op. cit., p. 55 et suiv. et la
notice de Niebuhr, Description de l'Arabie (Paris, 1779, If, p. 64).
TV VIF 59
blo re^voil ; son enfanl. le lien (jui snn-î doute l'a va il retenu
c!» Ai*ahii\ mourait stibilomunt «l'un m il ijuo Saarli n'indique
pas. F^a (lonloiir du [)ùrtî fut ce (|u'ello o>*l d ordin lire, lord
d'une telle infortune, mais il a su, dans le ïiintsl.in {\ 1, rap-
peler cet t'vi^nement de son passé avec une mesure, un.* m •-
lancolieet un esprit de renoncement (|ui touchent:'» la heaiilé:
(< Je perdis à Sanaa >in lils tout jeune encore, (^^mulonl dé-
crire tna douleur?... le cypri'.^^ ne dresse sa taille svellc dans
les jardins du monde (jue pour ôlre déraciné par le vent de
la mort » (2). Kl il ajoute, ressouvenir des Heurs du pays
natal, d'autanl plus toiiclinnl. mali,Mé sa mi^niardise. (ju'il
est sanï« doute involontaire: « Il faut bien (jue la terre pro-
duise des roses, puisqu'elle recèle dans son sein tant de
corps délicats comme la rose. » Kulin celle pensée, dont on
ne sait si elle est d'un fataliste ou d'un stoïcien : <» Saclie-le
bien. Saadi. les fruits appartiennent à celui quia planté l'ar-
bre, les moissons à celui (jui a fail les semailles » (3).
On voit à présent pourquoi Saadi ne pcuivait — ce qui, de
prime abord, sembla il lof;i()ue — débarquer à Aden pour se
rendre de suite à Sanaa par la roule directe et liabilucdle-
menl suivie 1 4^ et seulement ensuite en Abyssinie. Comment
eu elFel aurait il pu se déclarer « tout enlier au bonheur de
vivre » aj)rès une aussi rude épreuve? Tout au contrairi", il
n'a plus qu'à se tourner vers son dieu. Il ne saura pas lui
parler en « vales », comme Hugo soni^eanl sur la falaise de
\ ille<piier: il se conlenlera d'un acte confonni- ;'i r<'lal do
son âme : un nouveau pèlerinage à La Mecqn» .
La mère de son enfant reste dans l'ombre. .\Iourut-elle à
son lour? Saadi la réj)udia-l-il ? La <juilla-l-il sans autre
formalité ? Ktait-elle jeune ou vieille ? Autant de problèmes
pour les amateurs de rêveries. Mais un fait certain : le foyer
(1) P. 361. Il y citp en outre Sanaa, p. 2< el 214.
(2) Cf. iluge : Il faut que l'Iicrbe lombn au tranchmt des faucilles.
(3) Cumparer Epiclèle : « N4 dis jamais, aur quoi que ce puisne être :
J'ai perdu cela, mai» : Je l'ai rcn Ui. Ton flis c«l morl ? Tu l'as rendu. »»
(4' 48 parasaDgea. d'après Ibn Ktiurdadbeb, op. cil., p. 504.
60 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
de Saadi s'écroule el il ne pense pins qu'à reprendre sa course,
précisément peut-être afin de fuir le chagrin qui rétouflFe, en
celle ville qu'encerclent les montagnes. Par delà les tom-
beaux, en avant î
De Sanaa à La Mecque, la roule suivait la région des pla-
teaux, allant de puits en puits, jalonnée de sources rares (1 ).
Le voyage comportait, à l'époque de Qoudâma, 18 à 19 jour-
nées de caravane. L'ne roule parallèle, celle du commerce,
longeait la mer, venant de lOman par Aden et Djeddah,
mais plus chaude et poudreuse. Saadi prit la route des pla-
teaux (celle des pèlerins), et, une fois de plus, visita les dé-
serts sacrés. Puis, descendu à Djeddah, il s'y embarqua,
traversant la Mer Rouge, pour aborder la côte opposée, à
Aïdhab.
Vers l'Egypte, deux routes montaient: l'une, la route do
Qoulzoum, suivait le littoral occidental de l'Arabie et péné-
trait en Afrique par l'isthme de Suez (2). Mais cette route,
la plus facile pour les pèlerins, était, selon Maqrizi (3), aban-
donnée depuis 1058 (H. 450), période où la rivalité desmer-
ceuaires turcs et nègres bouleversait l'Egypte de Moustançir.
Elle ne devait redevenir praticable qu'après la chute du califat
de Bagdad, lorsque le sultan Baïbars, ayant donné asile à
nn obscur parent du dernier calife abbasside, s'arrogeait
de ce fait quelque influence sur le gouvernement des villes
saintes et, grâce à sa politique astucieuse, parvenait à recons-
tituer la grande Egypte (4).
Ibn Joubaïr qui parcourut cette route en il 83 (H. 579) (5)
(1) Ibn Khordadbeh, op. cit., p. 502.
(2) Ibid., p. 500 et 510.
(3) Khital (éd. Boulaq), I, p. 194 et suiv. , p. 202 et siiiv. ; et Quatreroère,
Mém. sur l'Egypte, t. II.
(^) Cette opinion de Maqrizi est sujette à caution, car le voyageur persan
Nacir-i-Khcsra-\v (trad. Schefer, p. 176-177) raconte s'être rendu d'As.scupn
à Aïdhab en 1050 (H. 442).
(5) Ed . cit., p. 65 el suiv. Cf. extrait dans Nacir-i-Khosra\v (trad. cit.,
p. 286 et suiv.). Le même itinéraire fxit suivi en 11.^5 par Onmaro du
Yémen (cf. H. Derenbonrg, Onmara, partie française, p. 92) et par Ibn
Batoutab {op. cit., I, p. 94 et suiv.) qui descendit jusqu'à Aïdhab.
6i
foui'iiil dans sa lic/.itio/i, dos détails ciiconslaiiciôs sur son
voyago : il a garde in.uivais souvenir tl'Aidliab, « ville mnn-
dile » i'» eau cioiipissanlc el à lein|H''raliire loiijuiirs hrùlaiile,
où l'on n aborde (jn'après d'extrêmes «liflicullés, sur des bâ-
timents « laits de planches cousues les unes aux autres ->,
sans clous do favon à leur donner plus de souplesse contre les
tourbillons. La IraversT'c de Djed.la à Aîdliab, sur ■« celte mer
perfide et odieuse •», représente, à l'en croiic. une vérilablc
épreuve, de niènu' tpie le séjotir à Aïdliab. Mauvaise nour-
riture, eau impolable, exploitation systétîiali(pie des j)êlerin.s
par les nautoniers (|ui les entassent dans leurs barques
.t comme dans des ca<;es à poules •., population abjecte igno-
rant à peu près 1 u.-age du vélenicnl. rien ne maïujue au (a-
bleau. Kt cependant, « le port est un des plus iVéquentés du
monde, parce «jtie les navires de lindc et du Vémen. sans
compter les bâtiments (pii transportent des pèlerins, viennent
y aborder ». Mais ce n'est j)as tout: il l'aul ensuite franchir
le désert avant d'arriver en Kgypte.
Kn dé[)il des puits plus ou moins mal entretenus, celle
traversée du désert dénote, chez Ibn Joubaïr, moins de mau-
vaise humeur (pie son séjour à Aïdhab. La piste est sans
cesse foulée par le pied des chaniiMux cpii Iransporlenl les
marchandises. Les gens aisés se prélassent dans des litières
attachées solidement au dos des montures el protégées du
soleil par un tendelel. Ibn .loubaïr se montre frappé surtout
j)ar l'intense va-et-vient : « Je voulus faire le compte des
caravanes «pii passaient par cette route, mais je ne pus v par-
venir. Les plus nombreuses sont celles d'.Vidhab (jui trans-
portent les marchandises apportées de l'Inde dans le Vémen.
On a dans ce désert un spectacle bien extraordinaire ; celui
de voir abandonnés sur la roule et sans être gardés, des bal-
lots de poivre, de cannelle et autres épiées que l'on a dil
laisser là, à cause de la fatigue des chameaux ou pour loute
autre raison. Ces ballots restent en place jusqu'à ce cpie leurs
propriétaires viennent les reprendre, sans (pie jamais, malgré
le grand concours de passants, ils soient l'objet d'une sous-
€a PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
traction. » Combien Ibn Joubaïr regrette la bonne route
d'Arabie par Médine, Akaba et le Sinaï I Mais les GbréLiens
possèdent un fort qui commande le passage et il faul se rési-
g:ner au pénible voyage de Nubie.
Saadi, qui avait loules raisons d'éviter le voisinage des
Croisés, emprunta sans doute cet itinéraire pour rejoindre le
Nil à Assouan, garnison perdue au bord du désert, ou à Qous,
grosse ville de commerce, point de ralliement des marchands
du Yémen, de l'Inde, de l'Abyssinie et des pèlerins du Ma-
ghreb et de l'Egypte qui s'y logeaient dans un faubourg (1).
D'Assouan ou de Qous, il n'a\ail plus qu'à s'embarquer
sur le Nil et à se laisser aller au fil de l'eau, en compagnie
desautres voyageurs, réfléchissant à tout ce qu'il voyait et
entendait, regardant défiler les villages de terre battue et les
temples endormis sur les boids du fleuve. Ibn Joubaïr (2),
quelques années auparavant, et Nacir-i-Khosraw — il y
avait alors près de deux siècles — avaient eux aussi connu
cette délicieuse navigation et décrit en quelques traits les sites
qu'ils dépassaient : Esneh, Manfalout, Assiout, Abou Tig,
Akhmim, Balianeh, Dendérah, Qéneh, noms chargés de
vieillesse et de mélancolie.
Saadi séjourna sans doute en Egypte, car il déclare dans
le Boustan (p. 307) y avoir possédé un jeune esclave « plein
de modestie et dont les yeux restaient toujours baissés». Il
rappelle d'autre part, dans le Gulistan (3), une sentence
qu'il recueillit de la bouche d' « un gardien d'éléphants sur
le bord du Nil ». L'éléphant ne fut jamais très répandu en
Egypte et il est probable que l'endroit où on les entretenait
en troupeaux n'était autre que la ville des sultans : Le Caire.
Les voyageurs et géographes contemporains n'ont pas
laissé — pas plus au reste que pour d'autres villes — de des-
cription générale du Caire. Les Orientaux excellent dans la
(1) Ibn Joubaïr (éd. cil.), p. 65.
(2) Ibid., p. 57 et suiv.
f3) P. 71. Il parle plus loin {ibid., p. 180) de (> la route de l'Egypte par
la mer d Occident «.
iiotiilioli iniiuilitnisf «les di'Uils ; ()ar conlro, les viien d'en-
semble K'iir soni pour ainsi dire tHrangèros. Ibii Joiili.iïr i|iii
visilîi Le (liiiie i-n \\X\ II. .*17'> se cimlente op. cit., p i.'i
et siiiv/; d'une suile de notices sur les niausoléeri et les inos-
ijiiées ; il y ajoule les biographies de (piebpies pcrsonnaj^es .
^ à(p)ùt (jiii compose avant tout un dictionnaire accumule
les citations d'Iiisloriens, de traditionnistes u( de poètes et
mentionne les monuments célèbres. Ibn Baloiilah [\, p. 67
cl suiv.), tout voyageur qu il soit, ne cherche pas à dégager
la physionomie générale de la ville et î-e contente de «piel-
«pies louanges hy[)erboli(p»es, avant I énuméralion tradition-
nelle di'ii monumenls.
A ce moment, c'est à-dire vers le milieu du liei/icme siè-
cle, l'^ouslâl. la « ville vieille )> du Caire, élail déjà réduite à
l'état de décombies : le vizir Chawar l'avait en ellel livrée
aux tlammes, en noviinbrr I l()8(^H. o6ii, aliii d'empêcher
les Croisés d'y pénétrer, et, durant cin(pianle-(puitre jours,
1 incendie avail dévoré ces relicpies d'un passé déjà vénéra-
ble. (Jiiant au (]aire proprenunt «lil, les .\.\oidjides . délaient
surtout préoccupes de le fortifier, élevant une citadelle et
commenv^mt, à 1 exemple det> Croisés, une enceinte qui
devait rester inachevée. Le caractère général de ht ville élail
donc à la lois religieux et militaire.
Déterminer la ilurée du séjour de Saadi eu ICgypteest im-
possible ; en revanche, il est permis de supposer <ju il s'y
trouvait peu avant 12i5, alors qu'une septième croisade était
décidée au Concile de Lyon. L'Islam cour.iit un réel dan-
ger : le Khan des Mongols avail uU'erl |)ar ambassade, au roi
de France Louis IX, son alliance contre les musulmans, lui
promeltanl en outre la possession de la Syrie. Le bon saint
Louis ilépula des moines vers le Khan, tergiversa sans rien
conclure, et llslam, un instant menacé d être pris entre
Croisés et .Mongols, se trouva provisoirement hors d'alFaire.
Kn outre, lorscjue le roi de France descendit en Kgypie, tous
les élémentij réfractaires aux Mongols, les Kharezmious. les
derniers partisans de Jalal ed Din, ceuv-là mêmes qui, à
6^ PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
Gaza, en 1244, aidaient naguère les Egyptiens à remporter
une violoire arrachant aux Croisés la Syrie (sauf la princi-
pauté de Homs), tous ces dissidents, croyant saint Louis
l'allié des Mongols, se ruaient furieusement sur ses troupes
à la journée de Mansourah (1250) et transformaient en la-
mentable défaite une affaire pourtant bien engagée.
Kn attendant ce nouveau choc, l'Egypte, secouée par des
révolutions de palais, triomphait toutefois à l'extérieur. El
Malik eç Çalih dominait non seulement la vallée du Nil, mais
la Mésopotamie et, depuis Gaza, la Syrie. Saadi pouvait
donc, durant son séjour au Caire, contempler les dernières
splendeurs de la dynastie ayoubide.
Mais l'Egypte était par trop menacée, et, en même temps
qu'elle-même, les Étals qu'elle dominait. On sentait l'ap-
proche des Croisés, et quant à se rendre en Syrie, le mo-
ment eut été mal choisi. II semble donc que l'on soit autorisé
à placer ici le séjour de Saadi au Maghreb, séjour attesté
par lui-même, à la fois dans le Gulistan et le Boustan. Dans
le premier de ces recueils (p. 275, VII, 4), il raconte avoir
vu <( dans les contrées du Maghreb un maître d'école qui
avait un visage renfrogné, une éloculion rude, de mauvaises
habitudes, qui tourmentait autrui, avait le caractère d'un
mendiant et était dépourvu de modération » (1). 11 écrit
d'autre part dans le Boustan (p. 160) : « Je voyageais dans
le Maghreb avec un vieillard originaire de Fariâb ; la des-
tinée nous conduisit sur le rivage de la mer. Comme j'avais
encore un dirhem on me prit à bord d'un bateau » (2).
De ces deux passages, le premier suppose une station dans
quelque ville, le second un voyage par mer vers une nou-
velle contrée. Mais, avant de retrouver Saadi en Syrie —
(1) Celle « éloculion lude » ne déno!erait-el!e pas l'étonnemenl de
Saadi, écoutanl ]e dialecte inaghiébin, plus heurté que ceux d'Orienl?
(2) L'histoire se termine par une anecdote de caraclèie mystique. Noter
que Saadi avait certainement su contempler la majesté de la mer, puis-
qu'il évoque, au cours du même récit, « l'immensité de la mer tumul-
tueuse ».
i.\ vii:
65
nouveau séjour allt-slt- par lui-niènu* i'Irmuc laul il se
demander si quehjue luolil". oulie le drsir di tiiii lt> liouLlis
d'Kgyple, l'avail attiré vers l'Occident.
A Tunis, les |)rinces llai'sides (1 ), issus des Almoliades,
avaient peu à peu con(iuis leur indépendance. LVniir Aboii
Zakaria, dès \2'M') U. CùiV), faisait récitera Tunis la prière
en son propre nom et domptait les tribus berbères rebelles :
à sa mort (1219/017), il s'était assuré la domination de
r Afrique du Nord et d'une partie de l'Kspagne. Son action
n'avait pas été seulement militaire mais encore politi()ue :
des traités conclus avec le roi de Sicile l'^édéric II (1231 i,
avec Marseille. Pise, \'enise, imprimaient au commerce une
imj)ulsion nouvelle. Tunis devenait une capitale, attirant à
la fois les écrivains, les artistes et les marchands.
Les géographes contemporains se bornent à des indica-
tions assez sommaires sur Tunis. Ibn Haloutah. outre qu'il
e:l de beaucoup postérieur à Saadi, ne décrit rien, se con-
tente de mentionner quelques savants et ajoute y avoir souf-
fert diin accès de neurasthénie causé par la solitude (I. p. 20^.
Ibu Joiibaïr reste muet sur cette ville. Yàcjoût lui consacre,
dans son Dictionnnire, un article ayant du moins le mérite
d'appartenir à l'époque de Saadi : <« Tunis est construite »,
dit-il, «« avec les ruines d'une grande ville anticjue située
dans son voisinage et nommée Carthage. Tunis se nommait
autrefois Tarchich. Il y a deux milles entre elle et Carthage.
Elle occupe avec ses murs (un périmètre de) 1021 coudées
et est aujouidliui la capitale de l'Ifriqiya... Pas d'eau cou-
rante : on boil l'eau des puits et des citernes qui recueillent
l'eau des pluies. Chaque maison comporte une citerne: les
puits se trouvent aux environs de la ville, l'eau en est salée.
Le pays est fertile, les moissons exubérantes. Le climat est
l'un des meilleurs de rifii(|i>a. » Le reste de 1 ai'uclc ie|»ro-
duit simplement le texte de la Description de IWfriipie d'el
(1) Cf. Encyriop. Islam, arl. Ilxftidrs, cl Chronique altiihucc k /.ork«*chi
M
66 PHEMIÈRE PAUTIK. — GliAPIlUE PKliMlEU
Bakri (lerminée eu 106(S et par conséquent trop ancienne
pour être citée) (1).
Territoire fertile, ville puissante, prince éclairé, il y avait
là de quoi solliciter les voyageurs en quête de nouveautés et
de faveurs. 11 n'est donc pas impossible que Saadi, allant au
Maghreb, se soit dirigé vers Tunis où sa qualité de lettré lui
donnait le droit d'espérer un accueil favorable. Les routes
étaient au reste continuellement parcourues entre l'Egypte
et ITfriqiya par les marchands et les pèlerins ; il sullisait
donc à Saadi de s'attacher à quelque caravane pour atteindre
la capitale des Halsides. Dès le dixième siècle, Ibn Klior-
dadbeh \op. cit., p. ol5) y signalait un transit commercial
intense: « Les marchands qui partent de l'Espagne et du pays
des Francs se rendent à Tanger et au Maroc, d'où ils se met-
tent en marche pour la province d'Afrique el 1 Egypte. » 11
donne d'autre part (p. 453 et suiv.) 1 itinéraire de Fouslàt
à Tunis, par Alexandrie, Barka et Kairouan. Mais un itiné-
raire est à citer tout particulièrement, celui d'el Abdari qui,
en 1289 (II. 688), quittait la région de Mogador, se dirigeant
vers Alexandrie, par Tlemcen, Alger, Bougie, Gonslantine,
Tunis, Kairouan et Tripoli (2). C'est à partir de cette der-
nière que commençaient le désert et, partant, les difficultés.
El Abdari constate la déchéance de ces régions, infestées
d'Arabes pillards, parsemées de localités misérables et de
vestiges de l'antiquité qui, par contre, rappellent la gran-
deur et la prospérité des populations d'autrefois. Il traverse
des ^( ksours » plus ou moins ruinés, parvient, à travers les
sables arides, au pays de Barka où les habitants sont moins
dangereux, mais vivent en demi-sauvages, ignorant l'usage
(1) El Bakri (U-ad. de Slane, p. 00 cl suiv.) ; Edrisi (preinièic iiioilié du
douzième siècle), dans sa descriplioa de TAfrique, noie parliculièrunient
la ferlilité des environs de Tunis (Irad. Dozy el de Goeje, p. 130). Cf. la
descriplion attribuée à el Fezari, Uad. R. liassel {Documents géographiques
sur l'AJrique septentrionale, p. 18-19).
(2; De C. Mol^iin&ki, Iiiuéi'aires cuire Tripoli et ÏEgy pie {Bull, Soc.
Géoj. d'Alger, 1900).
LA VIE 67
àc la monnaie el ne conimerçanl (jnu par ('changes. 11 so
njoulre iorl scandalisé par lus ftMunu's (|iu, lu visage couvert
(l'un voile crasseux, su niêlenl en revanche aux hommes, la
lèle découverle, les cotés el les |)ieds nus. Knlin, au sortir
du pénible désert de Lib^e, il louche Alexandiie". Son retour
de La Mecque s'elleclue, à peu cio chose près, par la mémo
roule.
Saadi pouvait donc partir vers le Maghreb, soit du Caire,
soit d'Alexandrie. Il est probable qu'il ne négligea pas celte
dernière, trop anciennement célèbre, et qu'il usa d'un iliné-
néraire analogue à celui d'el Abdari. (2 est peul-êlre à Tri-
poli ou a Tunis, pourvues 1 une el l'autre de moscjuées el de
madrasas, qu'il rencontra son désagréable maître d'école.
Kvaluer la durée de son séjour en IfriqiN a serait également
téméraire. Toutefois, les événements qui se produisaient
alors en Mgypte aulorisenl celte conjeclure : Saadi, tran-
quille au sein d un puissant royaume, y aurait attendu que
la sécurité des routes maritimes el côtières lui permît enfin
de regagner la Syrie sans courir Irop de risques.
Car la septième croisade lui inlerdisail un rcloui inimc-
dial. La Papaulé ne se résignait pas à abandonner Jérusa-
lem, depuis que celte ville avait élc reprise par Saladin
(1187). Malgré <jualre croisades infructueuses suscitées par
ses prédécesseurs, Innocent 1\' n'en persistait pas moins
dans son dessein : en l'ii.'i. une septième croisade a\ait été
décidée, croisade exclusivement française (car la discorde
sévissait plus que jamais entre l'Kglise el l'Kmpire) ; et
l'obéissant Louis IX, embarqué en l2iH, avait, après un
hiver perdu à Chypre, attaqué directement le sultan
d'Kgyple, possesseur des Lieux-sainls.
Ce (jue fut celle croisade, Joinville l'a dit suffisam-
ment (1). Mais le désastre eût été plus irrémédiable encore
si les musulmans avaient su s'entendre : or le dernier snllan
ayoubide était mas.sacré [)ar ses mamelouks, sous les yeux des
(I) cr. !.. BrébiiT, l.'Lglise el l'Orient ou moyen (/(/<, p. iTi et »i)iv.
68 PHEMIÈRE PRHTIE. CHAPITRE PREMIER
Chrétiens (printemps de 1260/648). L'Egypte sortait de l'in-
vasion pour tomber dans la guerre civile et l'anarchie. Mais
le danger principal, celui d'Occident, paraissait du moins
conjuré.
Saadi pouvait donc quitter sa retraite et se remettre en
route, Il prit sans doute la mer [Boustan, p. 160 : cf. supra^
p. 64), évitant, non seulement la traversée des déserts, mais
surtout celle de l'Egypte, encore moins sûre, et longea les
côtes jusqu'à la Palestine. Il est peu probable qu'il se dis-
pensa de visiter Jérusalem, ville sainte des chrétiens et des
juifs, mais aussi des musulmans. IS était-ce pas vers Jéru-
salem que Mahomet avait dirigé son voyage nocturne (1);
qu'Allah avait envoyé un ange à Salomon ; que Jésus, pré-
curseur de Mahomet, avait fait ses miracles? D'autres tra-
ditions encore conféraient à Jérusalem la vénération des
musulmans (2). Mais, au sortir des vicissitudes qui l'avaient
affligée, avec ses remparts à demi détruits (3), elle était plus
mélancolique que jamais. ]*>lle devait encore, il est vrai, su-
bir la dévastation de Baïbars.
Saadi, dans le Boustan (p. 146), parle de Jérusalem
« pleine au dedans de sanctuaires, au dehors de remparts
ruinés ». Il semble donc bien qu'il ait visité la ville et ses
monuments éternels : la mosquée d'Omar et la sainte cou-
pole recouvrant le rocher d'où Mahomet s'était élancé au
ciel.
Avant son retour à Ghiraz, la Syrie, toute proche, devait
(Ij Coran, XVII, I. Sur l'ascension de Mahomet, cf. Jes articles de
E. Blochel (H. H. R., t. XL, 18y9, p. I et 203).
(2) Cf. Yàqoijt, Moujam (ail. el-Maqdis) ; Ghanis ed Din as Souyoïiti,
Ithâf cl akhiçça bi fadàïl el masjid el aqça (Brockelmann, Arab . Litt., II,
p. 132, 11. 13). Cf. les descriptions contemporaines de Jérusalem dans
Michelant et Raynaud, Itinéraires à Jérusalem (Soc. de l'Or, latin, série
géog., t, III; p. 21, restai delà cité de Jherusalem, vers H87 ; p. 29, /6/rf.,
vers 1231 ; p. 143, description détaillée, vers 1261 ; p. 182, [hid., vers 126d).
3) l!;n Ratoulah, op. cit., I, 120: «Saladin... lorsqu'il fit la conquête de
la ville, détruisit une partie du mur d'enceinte. Ensuite Baïbars compléta
sa démolilion, de crainte que les Francs ne s'emparassent de la ville. >
I \ VIK 69
l'allircr une lois encore : aiu cu'iir des lioninie$* subsiste en
ellel Mil invslérit'iix amour des lieux où s'i'foula leur jeu-
nesse, alors luiMue (ju'ils y lureul uialhenreux. Pour Saadi,
celaient les travaux forcés de Tripoli, le mariage également
forcé d .Me|) : mais c'étaient aussi les années d'eiilhousinsme
et de vigueur dont il allait eherclier le fantùnie, sous les voi-
les de la nature immuable et iiirlitlerente.
Il se dirigea vers Damas, non. comme plus lard Ibu Ha-
loulali I . eu lougeaul la côte, mais en suivant très j)roba-
blement la vallée du Jourdain par Tibériade (2). Les Chré-
tiens, retranchés dans Sainl-.Ieau d'Acre, Césarée, .laffa,
Sidon devenaient presijue négligeables et ce n'était pas l'ar-
rivée de Louis I\ el de sou armée battue (jui pouvait leur
poiter grand secours ; mais ils n'en tenaient pas moins la
route de la côte, l'.n revanche, l'intérieur était libre el Saadi
pouvait gagner paisiblement Damas où n'-gnait un sultan
ayoubide.
Deux passages (lu (iii/isf.in attestent son séjour en cette
ville. Dans le premier ip, 45, I, H)), il déclare: «« Une cer-
taine année, j'étais agenouillé dans la grande mos(juée de
Damas, à I extrémité supérieure du mausolée de Vahia le
prophète. » Ce mausolée, dit de Saint Jean-Haplisle. subsiste
dans la vaste cour centrale de la mosquée des Omeyades.
Mais c'est en réalité un [)uils surmonté d une légère coupole.
Quant à l'expression -■ mausolée de Saml Jean ». elle s'expli-
(pie ainsi : la mos(juée avait remplacé l'église Saint-Jean,
jadis construite par Théodose et Arcadius, sur remplacement
d'un temple païen peul-êlre du Soleil; (3j.
Le second passage du (iulist.tn {p. 21^^, \ 1, l. rapporte
une anecdote dans la((uelle Saadi joue son rôle : il «liscute
dans celle même moscjuée avec plusieurs savants, lorscpi un
jeune homme accourt el demande, pour un agonisant, tjuel-
<iu'un sachant le persan : Saadi se lève el va recueillir les
1 ) Voyages, I, p. 126 el miiv.
(2) Ibn Khordahdeh (op. cit., p. 450 451) <^imie Ip (Jt'lail de 1 itinéraire.
(3) Cf Encyclop. Itlam, arl. Damas, nolammont, p. 929.
^0 PREMIEKE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
dernières paroles de son conipalriole. Il s'agit naturellement
de lieux communs sur la vanité des efforts de celui qui tente
d'échapper à la mort et sur la question de savoir si Ton doit
regretter la vie d'ici-bas. Mais l'intérêt du passage n'est pas
là : ce qui importe, c'est une nouvelle preuve du séjour de
Saadi à Damas.
La ville était alors plus florissante que jamais, en dépit
des lutles religieuses dont tressaillaient Palestine et Syrie ( 1 )
Ibn Joubaïr qui la visita en 1184 (H. 580) lui consacre une
longue notice (2) où, suivant l'ordinaire méthode, il entasse
les détails sans se soucier le moins du monde de s'élever à
l'impression d'ensemble, décrivant successivement la grande
mosquée, les portes, les écoles, les cimetières et mausolées,
et terminant par une brassée de renseignements plus ou
moins historiques. An demeurant sa description, si décousue
soit-elle, mérite une lecture. Quant à l'arlicle du Dictionnaire
(jéogrfiphi(jue de Yàqoût, hors une série de citationsd'auleurs
relatives à Dama*^, il vaut surtout au point de vue topogra-
phique.
A cette époque, la ville servait de résidence aux princes
ayoubides, Nour ed Din, prince d'Alep, avait, en s'emparant
de Damas (1154/549;, assuré le sort de la ville, qui, jusqu'a-
lors, avait suivi celui de la Syrie, tantôt lief des Egyptiens,
tantôt lief des Seljoukides. A la mort de Nour ed Din, Damas
el une notable partie de son empire revenaient, en 1174
(569 1, à Saladin qui régnait alors sur l'Egypte. Saladin con-
tinua pour Damas l'œuvre de Nour ed Din. Mais, de même
qu'au Caire, les travaux artistiques cédèrent le pas aux tra-
vaux de défense. Au Caire, on élevait avant tout des murs et
une citadelle ; à Damas, on consolidait en hâte les murs et
les tours Les luttes religieuses, elles aussi, exerçaient leur
influence : outre les retranchements contre les hommes d'ar-
mes, on se préoccupait d'en dresser contre l'hérésie chré-
(1) Encyclop. Islam, art. Damas.
(2; Op. cit., ]>. 260 et suiv.
l\ VtF
licrrnp cl les' princeF lenoieiiln honneur la conslruction d'cdi-
lict's lelit^ieux cl du inadnip.is.
Sons lis snccrs»n-nrn i\v Snladin. la \illc ou il dorl son
dernier Ponimeil ccnnain^nil dereclxf les lienie^ de lionhlen.
l!ii \'2'21 (H 62i), Icp Croit»éH Ih «eiraienlde près. Mais,
(]iiel(|iies années pins lard, t^e scellait, à la grande indi^'nntion
des crojanls, ralliaiicc de ces ni^nius (iroi<i'^ avec I';iyoubide
de Damas conlre Tayonhide dn Cttire.
Saadi Ironvail à Damas, oiilrc la sécnrilé ! I i, de quoi dis-
cuter et travailler, l.n elfel. si Ibn Jouhaïr, an temps de Sa-
ladin, avait oomjité vinj^'l madrasas, ce nombre s'était accrn
dej)nis. Saadi pas.-ail donc le temps à lire dans les bihliolhè-
qiies, à diHcnler et i\ prèclier : car il avait certainement alors
une réputation de prédicateur que conlirmeraient au besoin
quelques-uns (les ojMiscules en prose (risalas) placés parles
éditeurs an ci nnu nu n (ni de m h n nvie^ cm p le I cf. 1 uis un
passaj;e du ^»w//.ç////j p. III. II, li 1(2), outre ((u'il indique
que Saadi rémoulade Damas à Baaibek. le montre nettement
sous son aspect de prédicateur : « Dans la mosquée princij)ale
de liaalbek, je disai** quebjues paroles, en ^uise de prédica-
tion, à une lrouj)e d'bummes ^dacés. dont le cœur était mort
el qui n étaient pas parvenus du monde extérieur à celui de
l.t spiritualité. .le vis que ma parole ne s'imprimait point dans
kî;r esprit ... ; je regrettai de faire l'éducation de pareils
nnimaux. » il est >uj)erllu de faiie remarquer que ces (jutl-
ques lignes décèlent bien peu d'humilité el portent k croire
que certains coulis restaient foi t éloignés des modèles de
sainteté qu'ils prétendaient imiter.
Haaibek. forteresse de montagne, sur un sol volcanique .«^e
r«''veiilant parfois, station importante sur les routes sillon-
nant la Heqaa Surle tenq^le de.Iupiler élevé par Antonini 138-
(l \.vn Mon^^nls d'il(<ulsg(>u iic s'»'n)por«'r<"nt de Oamns qu'en 120O
(H. 65%) ; ils nr devaient du rmle n'y mtîntenir que quelques inri<«, car. U
niAme ann<V, le nultm ntnmelonk d'E^'vple, Qoutour. le» chs'cail de la
Syrie (bnlaillc d'Aui-Jaloul).
(2) Kn r«: procher «m «lod opusruha de Saadi (Cf Z. I>. M. G . XXX.
p. 84).
72 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
l(')l ap. J.-C), sur le lemple de Bacchus, s'était accumulée
peu à peu la gangue des constructions et des remparts ara-
bes. La ville, de par sa position, sinon culminante, du moins
assez sûre, suscitait en effet les convoitises. Saladin l'avait
donnée en fief à son neveu Farroukhchah (I 179/575). Elle
était alors nouvellement rebâtie, depuis le tremblement de
terre de 1 170 ^H. 565). Le fils de Farroukhchah, durant un
long règne (I 182-1230), avait fortifié sa ville, après lui vouée
à servir d'enjeu aux compétitions de divers Ayoubides. Ses
ruines lui valaient d'autre pari une véritable célébrité.
« Ville antique, contenant des constructions étonnantes, des
ruines grandioses, des palais à colonnes de marbre et qui
lia pas sa pareille dans le monde », écrit Yâqoût (!). Elle
était à cette époque, semble-t-il, surtout militaire, ayant à
la fois à se garder des Croisés à l'ouest, des Mongols à l'est.
On sentait en effet venir l'orage et qu'aucune fortification ne
serait superflue contre les redoutables conquérants.
C'est là peut-être une des raisons qui portèrent Saadi à un
vaste détour avant de regagner la Perse : il aurait pu, de Baal-
bek. rejoindre à Rakka la route qu'il connaissait : roule de
l'Euphrate qui, par Anbar, Bagdad, Bassorah, le ramenait
à Ispahan. Or, tout au contraire, il se dirige vers le nord et
s'enfonce en Asie mineure: « J'avais entendu dire », raconle-
t-ildansle Bouslnn (2), «. qu'un homme de noble origine,
instruit et avancé dans la voie spirituelle, vivait aux confins
du pays de Houm. Je me joignis à quelques adeptes, voya-
geurs intrépides, et nous nous rendîmes chez cet homme de
bien. » Bref, ce noble dévot prodiguait les belles sentences,
passait son temps en prières, mais, malgré sa richesse, lais-
sait mourir de faim ses visiteurs. « Or ■>, ajouteSaadi, « ceux-
(1) Moujain, art. Haalabakk. Yâqoût indique trois jours de voyap^e entre
Damas et Baalbek et s'enlorlille dans nue dissertation étyinologi(|ue .
Selon Ibn Joubaïr {op. cit., p. 257), « les habitants se distine^uenl par leur
courage et leur ardeur contre les ennemis voisins... Au sud de la ville
se trouve un important château fort ». Ibo Batoulah [op. cit., I, 186) se
borne à mentionner les pâtisseries et les tissus de Baalbek.
(2) P. 117. L'anecdote se trouve dans Defrémery, Gulistan, p. XII.
LA YIR yS
là sont les plus avancrs sur In roiiU' de la coIlIlais^^îl^cc• (pii
|>ra(iqi!(.Mil le hion. el non pas ces lioniiiU"iau cM-urdesscchû
(|ui j)as>enl la miil en prières. »
- f^es confins <lii pays de lloiim • , c'élail alors, parlant du
irolfo d'Aloxanv-lrelle, h l'ouest de Tarse (1). la chaîne du
Tanrus cilicien ; puis la ligne suivait la courbe du fleuve Ila-
lys I l'actuel Ivi/.il Irinak'l pour ab xilir à la uilt Noiie entre
Samsoun el Sinope Au delà s'étendait l'einpire des Seljou-
kities de Koniah, inslalb'S là depuis le onzièuiesiècle, et (jue
l'instinct de conservation avail insensiblement amenés, après
queKjiu's^'uerres, à vivre en bonne intelligence aveclesempe-
reurs de Hyzance. l'ne inquiétude commune les portail à re-
garder, les uns vers les Mongols, les autres vers les Croisés
(dont le passage à Hyzance avait laissé mauvais souvenir) et
vers le Danube où des Turcs islamisés s'agilaient sans cesse.
On vient de voir (jue la leuommée d un solitaire avait attiié
Saadi, peut-être autant à cause de sa richesse «pie de sa répu-
tation d(î j>iété. Mais ce religieux imparfait n'était pas seul
en Asie mineure. A ce moment même vivait à Koniah, capi-
tale des Selj(^ukides, sous la proleclion éclairée des sultans
Ala ed Din Kaikoubad et (ihialh ed Hin Kaikhosraw,
l'homme qui devait résumer en soi tout le génie mystique de
la Perse : Jalal ed Din Hoiimi. Ce très grand poète, après
avoir, tout comme Saadi. parcouru une notable partie du
monde musulman, avait, vers l'i.'^l II 02lS;, remplact* son
père Baha ed Din Walad, mort professeur à Koniah. .\ celle
époque (1242 environ), l'illuslre mysli(pie Chams ed Din
Tabrizi arrivait à Koniah, et l'on ^ait (juelle influence déci-
sive il allait exercer sur les idées de Jalal ed Din.
D'après une anecdote d'Allaki i^2i, Saadi aurait connu el
admiré Jalal ed Din II n'est donc pas téméraire de présumer,
en s'appuyanl sur la citation précédente du lioust.tn, qu'il
visita Koniah ; el l'on se plaît à imaginer la rencontre de ces
(1) Sur Torse, cf. Le Slringe, op. cit.. p. 132.
(21 0[ée \Mtr M. E.-G. Browne (Ut. HUt. oj Persia, II, p. 523).
^'l PBBMIÈRP- PARTIE. — CHAPITRE PREMirR
liois grands epprils. rénnissanl nn inslanl. dans une petite
ville d'Asie mineure, le bon sens le plus ferme et Timagina-
tion la plus vaste que le génie littéraire de l'islam révéla
jamais.
lue grande route, à la fois militaire (1) et commerciale,
traversait l'Asie mineure, de Tarse (environs du golfe d'Ale-
xandrelle) à Byzance, passant par Héraclée, Koniah, Amo-
riali et Nicée (2). Mais il était impossible à Saadi de rejoindre
directement celle route en venant de Syrie : le royaume de
Petite-Arménie (3), inébranlable allié des Chrétiens, barrait
la route, et Saadi très probablement dut contourner la Cili-
cie. Il lui fallait ainsi pousser jusqu'à l'Euplirale par la voie
(du reste classique) de Homs. Hama, Kinnisriu, Alep, Ba-
lis (4), et là, reprenant à Rakka une roule sûre, remonter au
^^^t nord-ouest de la Mésopotamie, par Sarouj, Soumaisat et
lîisn Mansonr irt] . Puis, tournnnt franchement vers l'ouest,
la route empruntait, pour franchir le Taurus, la passe Darb-
el Hadalh, aboutissant à Aboulouslan, l'actuel Albislan (6),
et redescendait ensuite vers Loulouah. point de jonction avec
la grande voie d'Asie mineure (7).
C'est probablement à ce trajet qu'il convient de rapporter
un souvenir consigné dans le Gulistan (p. 264, VI, 3):
« Dans le Diarbecr, j'étais l'hôte d'un vieillard qui avait des
richesses considéi-ables et un fils doué d'une belle figure. »
Or Soumaisat, l'ancienne Samosate, se trouve sur les confins
de la province du Diarbékir.
(1 ) Elle avait pn f^rnéral assez mal réussi aux Croisés.
(2) A peu près le tracé de l'acluelle voie ferrée vers Ragdad.
(3) Ce royaume, d'abord piincipauLé, s'était créé en Gilicie vers lObO et
devîii', subsislor trois siècb'S sous la dynastie ronpénienne. (,f. Encyclop.
Islam, t. I, p. 446 el 4o3 ; Le Stran^e, op. cil , p. 139-141. Sur It^s fief.sds
l'époque, cf. Duiaurier, Elude sur la Felile Arménie (J. A., 1861, XVIIJ,
p. 312).
(4) Itinéraire déjà attesté i)ar Ibn Khordadbeb {op. cil., p. 448).
(5) Li: Stianf^e, op. ciL, p. 125, in fine.
(6) Ibid., p. 133.
(7) Aucune description systématique de l'Asie aiineure avant celle de
Hadji Khalifa (dix-septième siècle). Cf. Le Strange, op. cit., p. 128.
L\ VIK 75
Mais rhciMi (lu relour à (^liira/. esl venue. Saadi, peu à
|)cii. so st'ul ^a^iu- |)ai- la falij^iie ol la noslal^ie (iii citl ira-
nien. C est du moins ce t^ue laisse enlendif nno conluJence
(iti lioustun ( |). 7) : « J'ai pa.-^sé ma vie on voyage.s lointains,
j'ai vccMi parmi les peuples les plus (li\ers l*arloul j'ai
recueilli ipielipie profil, oliatpie moisson m'a livré (pi.-hpies
^'orhe.s ; mais nulle |)arl je n'ai rencontré des cœurs purs et
sincères comme à (^liiraz. L'amour que m'inspire celle
noble pallie a haiiiii cli- iiuui souvenir la Syrie et le pays de
Houm. .. Mais ce sérail pitié si, en sortant de ce vaste jardin ,
je revenais vers les miens les mains vides. )» Aulremeiit dit,
ses deux recueils de morale en aciion. le lioii.st.in et le (in-
listan, se trouvaient sans doute déjà ébauchés, lors de son
relour à Cliiia/ où il leur donnera leur admirable et défini-
tive lorme littéraire. Il e>l en elïet imj)Ossible, suivanl la
juste remarque de Barbier de Meyiiard //ow.sY////, inlrod.,
p. XIX). que quelques mois aient siilli au poêle pour com-
poser entièrement ces deu.v ouvrai^es: «. A soixanle-quiu/.e
ans — et Saadi avait alleinlcet âge — l'imaginalion n'est
plus capable de créer avec cette fécondité. •>
(Quelle roule suivil-ilà son relour ? (Jue>lion délicate, car
un vers du (iulistuu (p. 317) tend à faire admettre que Saadi
prit encore une fois au j)lus long: «■ Dans la contrée de Bai-
laqan, j'arrivai près d un religieux... » Bien n'autorise à
révoquer en doute le passage de Saadi dans cette région : la
province d'Arran, comprenant une partie des territoires
(|u'occupent les districts actuels d'Kli/.aN\ elpol et Daghestan
(Caucasie russe).
Viujoût consacre à Baih'ujaii un court article dont voici
1 essentiel : « Aille située non loin de Derbeud iqu'on
appelle Bàb-el Abwàb) (I ), fait partie de la Grande- Arménie
et louche au Chirwân... Les Tatars (Mongols; y ont passëen
(■>I7 I2*J0 J.-C). ont massacré tous les habitants (pi'ils y
ont trouvés et tout pillé ; puis ils Ttuit incendiée. Après leur
(I) Sur Bàb-el-.\bwàb, cf. Ibn Khordadb^h, op. cil . p. 490 et «uiv.
76 PREMIÈRE PAHTIK. — CllAl'ITHE PREMIER
dépari, les gens qui s'étaient enfuis y sont rentrés, d'autres
se sont joints à eux, de sorte qu'elle est actuellement re-
peuplée. » Rien de plus : un fait historique, le sac de la ville
par les Mongols. Mais les causes, les circonstances, ne les
demandez pas à Yàqoûl, avant tout lexicographe. Adressez-
vous plutôt à Nasav^i, le biographe du sultan Jalal ed Din :
il vous contera (1 ) dans quel état de délabrement ce prince,
en 1226, avait trouve Bailaqan et comment la restauration
des rempaits de la ville y ramena rapidement les habitants
et la prospérité, si bien quun peu plus d Un an après, le
gouverneur pouvait envoyer au sultan mille moutons, mille
mesures de blé et mille mesures d'orge. La ville se trouvait
en eH'et dans la région fertile de la Caucasie, et, d'autre part,
Jalal ed Din mort, les Mongols n'avaient plus de raisons
d entraver la prospérité du pays.
Saadi se serait donc imposé ce long détour, traversant
successivement la Caramanie, TArménie et la Caucasie pour
rentrer enfin en Perse par l'Azerbeidjan. 11 pénétrait ainsi
dans les cantons naguère éprouvés par la conquête, mais
déjà réorganisés par la savante administration des Mongols.
Plusieurs roules reliaient l'Asie mineure aux pays limitro-
phes de la Caspienne. D'une part, une roule commerciale
empruntant le cours du Tigre, montait du Golfe Persique à
Tabriz où elle se divisait en deux branches : l'une vers Tré-
bizonde, reliant l'Asie aux comptoirs vénitiens et génois du
nord et de la mer Noire ; l'autre, aboutissant au golfe
d'Alexandretle et servan t également au transit des marchands
italiens (2). Une autre route (3), utilisant le cours du Phase
(1) Op. cit., p. 214-215.
(2) (^f. le délail de la question dans Dulaniier, Etude sur l'organisation
de la Petite-Arménie (J. A., 1861, XVIII, p. 340-34.3). Déjà au dixième siè-
cle, Ibrt Khordadbeh (op. cit., p. M4) signale que les négocianis russes,
vendeurs de [)e;iux et d'armes, descendent le Volga, traversent la Cas-
pienne et viennent jusqu'à Bagdad. 11 ajoute {Ibid., p. 515): « On peut
prendre encore la roule d'Arménie et se rendre, à travers le pays des Sla-
ves, auprès de la ville des Khozars (Astrakhan) ; on s'embarque sur la mer
de Djordjàn (Caspienne), puis en arrive à Balkh, dans la Transoxiane, le
pays des Tagazgaz et la Chine. »
(3) La principale et presque unique source pour les routes d'Asie mi-
LA VI K
(Iliilys), atltMjj^nail Siva><, en Atinénie ; l«», pi<|iiant droil vers
l'i'-sl, traversaiil ia r/'^Moii ilii liaiil Iliiplii'ale ji.ir Kr/.iMuIjan.
lli/eronin, el de.sceiulanl la vallée di* l'Araxe, ello parvenait
aux environs de l'aclnelle Krivan. Pins à l'est se Ironvail le
pays de Hailaqan, en pleine province d'Arran.
On vient de voir comment la ville s\'lail rapidement rele-
vée de ses rnines. Vax fait, ces réj^ions, |)liisienrs fois sacca-
^éos.reconvraienl nne liancpnllité relative sons la snzeraineté
mongole. Les princes de ( irande- Arménie el de Géorgie
avaient envoyé des ambassades à Karakorotim, et, en dépit de
(jiit'Itpiesj massacres locanx 'vers l2i'J . jouissaient de la si-
tuation de vassaux protégés. Kn outre, l'empereur mongol
se montraitd'ordinaire plutôt favorable aux chrétiens (I ).
Le passage de Saadi à Hailaqan se placerait entre LJ'iJ el
12oo, peu avant le recensement général des peuples soumis
aux .Mongols, recensement ordonné [jar Mangou (2). Celui-ci,
sitôt élevé h rcm[)ire par la diète ((pjurillaïi de 12.*)L H.tUl)),
as>^ignail à deux de ses frères la conquètejd'un royaume: à
Iloulagou la Perse, à Koubilaï la Chine (3). IL^dagou pas^a
deux annéesen préparatifs puis marcha sur Samarcande d'où
en 12.*).'). il lança une proclamation aux princes de IWsie occi-
dentale, leur ordonnant de s'allier à lui contre les Assassins.
Il s'agissait en réalité, non seulement de détruire les forte-
resses de ces féodaux hérétiques, mais encore de renverser
neure el d'Arménie est la pt^ograpliic d'Kdrisi, coinposép en H53(H. SVS).
Cf. la traduction (si disculée) d'Ivhisi par A. Jaubert, II, p. H05-318.
(I) Sur ces que!>lions, cf. Dulauricr, i^es Mongols d'après les historien»
arméniens (J. A., 1858, XI. p. 4Vy el suiv.). Sur les rjpports entre Cbré-
lioiis et Monpf>l«, cf. L. Bréhier, /.'£;//«<• e/ rOrient, p. 2I0--221 ; d'Olis-
Foi). Mongols, II, p. 221 el suiv. cl p. 2iO.
(2j Duiaurier (op. cit., p. 460 et suiv.). D'après d'OJisson (Mongols, II.
p. 262), k l'avènement de Mangou (12SI), <« .Argouu exposa àTenipercur le
tri.sle état où les finances de la Perse étaient réduiles par la quantité
d'assignations que les princes du pang donnjiienl sur les levmus du
pa)»... Mangou donna l'oidre qut U-s intendants des diverses parties delà
Perne cnnsign.'i!«<:rnt dans des mémoires béparés les abus existants et les
moyens d"y remédier "«.
(3) Cf. iupra. p. 39.
78 PREMrÈRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
le calile de Bagdad, rival religieux et politique du Grand
Kliau. Le sullan seljoukide de Roum subjugué depuis peu,
l'aLabek de Chiraz, les rois d'Arménie et Géorgie, plusieurs
auti'e? encore, répondirent à l'appel d'IIoulagou (D'Olisson,
Mongols, III, p. 135 et s.).
Sans doute, en celle année ! 2o5, grosse de menaces, Saadi,
s'il n'avait déjà regagné Chiraz (il, comprit qu'il fallait, sans
tarder davantage, se mettre sous la protection d'un prince
ami des envahisseurs. M traversa, selon toutes prohabilités,
l'Azerbeidjan par Ardébil, le Jibal parZendjan, Sultanieh, et
cheminant vers l'est, rejoignit à Rey la grande route des ca-
ravanes qu'il avait autrefois parcourue à l'inverse. C'était
déjà presque la patrie: il n'avait plus qu'à franchir lesplateaux
iraniens, campagnes silencieuses que troublaient seules les
clochettes des bêtes de somme, toi'.t en songeant, bercé par
sa monture, aux belles histoires qu'il avait moissonnées et
qu'il pourrait bientôt rédiger en repos.
C. — Vieillesse.
Enfin Chiraz apparaît à ses yeux, tandis que son cœur dé-
borde. (( Saadi n a-t il pas parcouru le monde avant de trou-
ver le bonheur? » {Boustan, p. 268). Et, dans la préface du
Gulistan (p. 8) : « Que Dieu conserve sous la sauvegarde de
la paix, jusqu'au jour delà résurrection, la contrée pure de
Chiraz » (2). N'avait-il pas déclaré d'autre part dans un de ses
poèmes (éd. Cale. p. 279 v^): « Le vent matinal et la terre de
Chiraz sont un feu ; quiconque en est pris n'a plus de repos ».
Ce lYagment n'est du reste pas isolé dans ses poésies lyriques.
(1) Il était au reste probaLlenienl déjà rentré. Au début du livre tX du
Boastan (p. 341), il s'écrie : ■' Homme qui arrives à làge de 70 ans, dans
quel sommeil profoi;d étais-tu plongé pour avoir ainsi gaspillé ta vie? »
Or, en adoptant comme date de sa naissance Tannée 1184, Saadi devient
septuagénaire en 12S4.
(2) Il n'était pas seul à glorifier sa patrie, témoin ces vers contempo-
rains cités par Sémelet (trad. du Gulistan, p. 53, note) : « Qu'est-ce que Le
Caire et Damas ? Ce ne sont que deà villages... Chiraz seule est une
ville. »
Aillours li soupire : ». Lu veul einporlo-lil un j*arfuin du llcur
on un pairunidu Paradis. Ksl-cela Umic de Chiiazou leninac
de Kliolen ? » (I). Kl aillenih encore rd. (>alc., jj. 221 v*) :
u 01» 1 comme il est avide de revoir ceux qui lui bout chers !
On diiail que l'eau de la vie remoule à aoucœur. La lerro de
Cliira/ donne toujours la rose fraîche. Aucun donlc. 1 har-
monieux rossignol esl revenu. •<
Car le désir do la lerre natale la sans cesse accompagné :
K li y a bien des asiles en dehors de la Perse: l'Kgyple, la
Syrie, liassoral» el iJagdad : mais elles me lieunenl bien fort,
la lerre de Chirazel l'eau du Houknabâd » ^éd. Cale, p. 2i)9
v" . Kl |tuur lina", ce rappel des épreuves passées, dtrnier ré-
gal d an\ années d'avenlure el de nuiUirilé qui ne reviendront
pas : <« J ai éprouvé les rudes besoins de lexislence, passé en
voN.i^e de longues heures de ma vie, parcouru le monde
coni:ne Ukandar 2/. A mon retour, c'étail la paix ; le poing
de la violence avait disparu du monde ;... les tigres avaient
abdiqué leur l'érocilé pour devenir doux comme des
anges » (3j.
On songe au qualor/.ième chant de \ Odyssée et à 1' ■< Heu-
reux (jui comme Ulysse a fait un beau voyjige " de du Bel-
lay. La retraite sonnailcn elfet pour Saadi, mais une retraite
volontaire, pleine d'honneurs el d'activité. Il n'avait com-
posé jusqu alors que des [-oèmes isolé= ; en deux ans, ses
deux recueil? de poé.-ie morale : le y^o//sYci/t (^ijlerminé en
12.")7 lOy. le (tulisltin terminé Tannée suivante (0), le ren-
dront immortel.
|I) Cf. des vers an.nlofrues, éd. Cale. p. 224 r*.
(i) Sdus doule uilukioit è i' Iskandar-ndineh Uo .Ni^aïui.
^3; Kliawûliai, dcruier poème. Eu rap|>roclit'r lu préface du GulUtan
(Irad. l)efr«'mery. p. 8 0).
(■*> liililulc parTois Saadi-ndmeh (le livn> de Saadi par eicelleoce). D*autre
part, .. le lecucil de ses œu icb c*l appelé par les rcisans : la salière des
|>oèles (na.niakdftn-i-chou'aiB^ » (Defréniery, Irud. du Galistan, préface,
p. XLI).
;5; •< Ce fui... eulre les deux fêleb véuéiables, lorsqu'à l'armée 600
s ajo'itaienl 55 aanéos (c'c»l-à-dire entre le 12 octobre et le 20 décembre
r.:r.7, que ce livre... a élé acberé •■ {boustan, p. 8).
(6) «Ce fut rn l'année 656 de Ihégire (1?58 J. C.) > lUsd. Defrémery,
p. 22\
8o PntMlÈHb: PARTIK. — CHAPlTUi; PRtMIEU
11 dédia ces deux ouvrages au prince régnant alors à Chi-
raz : Abou Bakr, fils du |Drince Saad, qui Tavail autrefois en-
voyé à Bagdad. Ces dédicaces (i) sont naturellement ce
qu'elles peuvent être : Corneille exagérait dans sa dédicace
à M. de Montauron, mais, chez Saadi, l'hyperbole orientale
s'ajoute à une matière prêtant par nature à la pompe : « Son
diadème touche à la voûte du ciel sublime et pourtant sa tête
se penche humblement veis la terre... Tant de sagesse et de
grandeur n'ont pas encore été vues depuis que le monde
existe » [Boushm, p. 10-11). Au reste, tous les poètes vi-
vaient plus ou moins de leurs panégyriques, et il est juste
d'ajouter que Saadi a du moins le mérite d'insérer souvent
un brin de morale au milieu des couronnes qu'il tresse ;
« L'humilité, naturelle chez les petits, est admirable chez
les grands ; le sujet qui se prosterne ne fait que son devoir,
mais, en se prosternant, un roi prouve qu'il est l'homme de
Dieu. » Et dans l'une des deux qacidas persanes (n°" 36 et 37)
qu'il dédie à Abou Bakr : o Je ne te dis pas que tu te distin-
gues enire tous les nobles par la libéralité ; je ne te dirai pas
que tu es supérieur à tous les rois par ta justice. Bien que
tu sois tout cela, il est meilleur encore de l'avertir, car con-
seiller de suivre le chemin du bien est l'affaire d'un véri-
table ami » (2).
Abou Bakr (3), sixième prince de sa dynastie (1226-1260/
623-6.o8), méritait au demeurant les louanges de Saadi. Plus
politique que guerrier, il réussissait à se maintenir dans son
royaume de Fars, ajoutant même à l'héritage de ses ancê-
tres des possessions importantes, nolamment l'île de Bahrein
et ses pêcheries de perles. 11 achetait, il est vrai, cette indé-
pendance relative en envoyant à son suzerain, l'empereur
(1) Boustan, p. 10 ; Gulistan, p. 6.
(2) La louange d'Abou Bakr se rencontre à plusieurs reprises dans le
Bouslan (p. 31, 38, 47, 330, 335) et le Galislan. (p. 3ii8).
(3) Sur .\bou Bakr, cf. Ibn el Athir (éd. Tornberg). Xlf, p. 206-208;
Mirkhond, Atabeks oj Persia (éd. Morley, p. 32-37), déclare que, sous son
règne, « le Fars devint clair comme l'œil des fiancées, grâce à la prospé-
rité de ha puissance el à la splendeur de son équité ».
LA VIK
81
mongol, Mil liihiil amnirl de 3U.<HM) dinars. Ce dont Saadi
le ft'licile liabileim'iil : « ("est dans un nuir d'airain el de
pierres (jn'Alexandre emprisonna (iog et Magog loin du
monde habile ( I ) ; la muiaille où In enfernies Ks barbares
infidèles esl faite d'or el non j)as d'airain (2). » Ce Iribul
représenlail, s'il en fanl croire Mirkiiond, une somme assez
peu considérable, par rapport aux revenus généraux du
pays, el Aboii Hakr. dès son avènement, s'élail empressé de
gagner ainsi les bonnes grâces de l'empeicur Ougoulaï : la
meilleure manière, sans conlredil. d assurer la paix aux
habilanls du Fars. Alors (julloulagou, en l'J")'), avail, de la
Transoxiane, fait appela ses feudalaires, Abou P>akr lui dé-
putait loul de suite son neveu Saljoukchah suivi de présents.
Argoun, représentant de l'empereur en Perse, ayant si-
gnalé à Mangou les impôts ipii écrasaienl le pays, était chargé
de réorganiser les finances: il divisail la Perse en quatre
gouvernements et. en 1*253, élablissa'l une capilalion pro-
portionnelle aux ressources des contribuables 3^. L'admi-
nistration mongole, chinoise d origine et de caractère, rem-
plaçait peu à peu le régime militaire : organisalion de
greniers de rései'.es destinés à parer aux disettes, impôls de
tonte nature main régularisés el (jue l'on pouvait — innova-
tion imporlanle — payer sous forme de corvée (4). Certes
ce n'était pas la civilisation courtoise des Iraniens, mais, en
revanche, lout s'ordonnait méthodiquement et les vaincus
eux-mêmes en profilaieiU les premiers.
Saadi connaissait enfin l'aisance el la h aïKjuillilé. Il s'était
installé, d'après son biographe .ïàmi (o\, dans un ermitage
(t) Cf. Coran, XVIII. 'X.\ ; X.\I. 06 el Zolonberg, Irinl. de Tubari. I. S18.
(2) Vers cilé» par Mtrkhond (op. cit.. p. 35). Cf. l tfi énicry, Mëm. dhist.
orientale, p. 123.
(3) « Les plus riches furent fixés h .^OO dinars cl leb )iau' tes à un
dinar » (D'Ohsson, Mongols, III, p. 269^
(4) D'où les eiporlalioiis en masbe d'ouvrierh irai.irns tu TuikcNlan et
en MoD|;olio. Cf. Laviase el Hi-niLaud. Ilisloire génitale. II. y. 057
(L. C.alioii;.
(5) Cf. Mirkhoiid ^Ainbek$, éd. Morley. y 26).
3? PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
situé hors ville, près du monastère du cheik Abou Abdallah
ibn Khafif (1) : il n'en sortait guère el fréquentait fort peu de
monde, pratiquant soi-même le conseil qu'il donne dans le
Gulisfan : « Ce n'est pas un défaut d'être exposé à la vue
des hommes ; mais cependant il ne faut pas l'être si long-
temps qu'ils disent : C'est assez)* (2). l^arfois il faisait re-
tour sur soi-même et songeait aux jours difficiles : « Inter-
roge Saadi, ce naufragé de la vie ; il te dira ce que la pensée
d'une table bien servie arrache de soupirs à l'homme épuisé
par le jeûne » [Boustan, p. 302). Aussi savait-il compatir aux
misères : et l'on sait par Dawlalchah qu'il abandonnait ré-
gulièrement aux pauvres le surplus de ses repas. Il coulait
des journées paisibles, priant et écrivant, visité par de
grands personnages (3), se sentant protégé par un prince
ami des lettres et qui avait hérité de son père l'amour de la
poésie (4).
D'autres poètes florissaient du reste à Ghiraz : à l'exemple
des princes samanides, des Seljoukides et des sultans du
Kharezm, le prince Abou Bakr entretenait un poète royal :
Hamkar-i-Farsi de Yazd (5), surnommé Majd ed Din Sa-
(i) Ibn Batoutah {op. cit., II, p. 87) en donne une description et signale
(ibid., p. 77) le grand nombre de chérifs pensionnés vivant alors à Chiraz.
Le deuxième atabek du Fars, Mouzaffar ed Din Zangi, bâtit, dit Hammer
(Hchane, l, p. 234), pour le cheili Ab Jallah Khafif, une cellule qui, plus
tard, fut flan'|uée de trois coupoles et fut ensuite délruite par Chah
Ismaïl, fondateur de la dynastie séfévide.
(2) P. 134, U, 31. Et oi ibid., p. 10"), II, 5 : c Le salut est dans une vie
solitaire. »
(3) Gulistan, p. 293 : « Moi qui suis nourri des bienfaits des grands. »
(4) Saad ibn Zangi avait écrit des poèmes à l'exemple de plusieurs
princes, dont Sanjar, sultan du Kharezm. Cf. Grundriss, H, p 572 et
N. Bland, The Atesh Kedah by Lut] Ali Beg (London, 1844), p. 3 du texte.
(5) Cf. sa b'ographie et l'amusaute anecdote sur son épouse dans E.-G .
Browne, Biographies of persian poets (J. R. A. S., 1900). Dawlalchah
(cité Hammer, Ilchane, I, p. 276) raconte à son sujet, dans sa notice sur
Imami de Hérat, une anecdote où il fait montre d'une modestie assez rare
chez les poètes orientaux : dans une réunion nocturne, les quatre minis-
tres les plus spirituels et les plus savants d'Abaka (le ministre Jouwaïni,
Mouïn e] Din le gouverneur de Roum, le qadi Chams ed Din et l'intendant
LA VIK 83
maki, ItMjiiel pnHenHail desceiidie de rilliislre roi Nonchir-
Nvan. Aboli Hakr l'avorisail l'ii oiilre Iniaini de Héral {\ .Abd
el Qadir de Naïii et |)lu?*ieiirs aiilres. l)eux t'Ièvcs de Naçir
ed Diii de Tous, grand géomètre el conseiller d'Houlagou,
SJî l roiiv.iiciil iMi hoimc place à la coiir de (]hiraz ; cVlaient
Alhir ed l)in Oiimani el siirloul Ilouniam ed Din deTabriz,
riche el spirituel, faisant de sa demeure le rendez-vous des
gens de lettres ,'2]. Ce dernier ligure même dans les biogra-
phies de Saadi par Dawlatchah el Lonlf Ali comme adver-
saire de Saadi dans une joule d'espril où il n'eut pas le des-
sus {3i.
Il semble au re>le (jue Saadi n ait pas échapj)é aux calom-
nies de ses détracteurs, si l'on s'en rapporte à celle allusion
d'un de ses poèmes: « Pour les gens de bien, ô Seigneur,
lie la main des méchants, dans le monde entier el surtout à
(^hiraz » (éd. Cale, p. 227 v"). Celte allusion n'est du reste
pas la seule. Il écrit dans le (îulislun (p. 205) : « Le mérite
est le plus grand des défauts aux yeux de la iiaine : Saadi est
une rose, mais aux yeux de ses ennemis c'est une épine. »
El dan> le />'o</.y/.v/j \^) 2S2 i : a Laissez les envieux répéter
à 1 unisson (|ue Saadi est dépourvu de talent el que son ca-
Iftikhar ed Din de Kirniao) disentèrent qui était le plus grand poète :
Saadi, Inianii de Mérat on llatnkar ; ils mirent la (jufstion en vers (Ham-
rner, Schône Redeknnst, p. 203) el l'envoyèrent à Hamkar «jni répondit :
Bien i|ue Je sois perroquti, de pai mon chant suave, je ne suis que la
nioucbe autour des lèvres euciées de Sandi ; si ie dois rornuiler un juge-
ment, Imami et Saadi passent avant moi.
(1) Imami de Héral que d'aucuns s"elT<)r(,;ticiii «if pirfrn r à Sdadi. Cf.
E.-G. Browne, fiioijraphies, n* 6. el Scliefer, Chretl. pers.. I, p. 123 fin.
(2) Hammer. SchOne nclckimsl. p. 204 el llchnne, I. p. '235 el suiv.
(3) Cf. N. HIand, The Mfsh hednh, appendice {Vie de Snadi, par Daw-
latchah). Defrémery (Irad. du GuUsIan, piéface, p. 23) a traduit l'anccdole.
mais en omettant la répartie de Sa«di h la plaisanterie, du reste peu re-
levée, de HouQiam. En rrvanche, il rapporte, d'après Khondémir, que
Ilouniam, jaloui des succès poéliiiies de Saadi. avail conipos»- un ^hazal
finisunnl par ce vers : ■< Houmnui possède une p>iiole dont c i-l qui g-Knc
le cueur ; mai» k quoi bon ? car le malheuroux nesl pas de Chir»;.. >• Cf.
le texte it 'a lr»ULclioi Je ce ^hural dans E.-G. Browne (Biotjrophie$,
84 PUEMlÈUb; PAUTIlî. CHAPITRE PHfcMlbU
raclère esl insociablo. Libi'o à eux de me déchirer à belles
dénis ; quantàmoi, la palieiice me manque pour écouler ces
insipides sornelles. » El plus loin (p. 309), dans un passage
de style savoureux, mais trop étendu pour être cité : << ... les
sombres détracteurs de Saadi... écoutent dédaigneusement
ses vers; cent pensées délicates et charmantes les laissent
insensibles ; mais survienne une défaillance, ils poussent des
cris d'horreur » (1). Ces quelques lignes prouvent que Saadi
récitait soi-même ses vers, ou bien les faisait réciter; de
même que la citation suivante, révélatrice des reproches que
subissait le poète (p. 233) : « Un homme malveillant m'écou-
tait réciter mes vers. Il ne put s'empêcher d'y applaudir,
mais une sorte de malignité se mêlait à ses éloges... Saadi,
disait-il, parle à merveille le langage de la piété, du mysti-
cisme et de la morale, mais il ignore les accents guerriers...
Il ne voit pas que je n'ai aucun goût pour l'épopée guerrière,
sinon il m'eût été facile de trouver place dans ce domaine...
Poète envieux, vient donc te mesurer avec moi dans le
champ clos de la poésie et vois comment mon bras fait rouler
dans la poussière la tête de mes ennemis >«. Et en fait, deux
pages plus loin, Saadi, délaissant un instant les sentences
morales, lâche la bride à son imagination et, durant une
cinquantaine de vers, s'applique à prouver qu'il pourrait au
besoin rivaliser avec les épiques Firdousi et Nizami.
Une fresque célèbre du Gampo-Santo de Pise montre un
groupe de personnages vivant doucement le songe de la vie,
cependant que la mort les guette. Et, vers le même temps,
Boccace se plaisait à réunir, loin de Florence ravagée par
la peste, quelques gentilshommes et belles dames, heureux
d'oublier les horreurs de l'épidémie en écoulant le Déca-
méron. Or la situation des Ghiraziens, entre 1235 et 1260,
paraît analogue : on écoute des poésies chantées à l'ombre
de suaves jardins ; partout on bâtit des monuments su-
(1; Cf. anecdote sur un délracteur de Saadi dans J. A., 1858, XII, p. 602-
603. Le Boastan (p. .304-■^05^ ronlient un psssa<^e rappelant les considéra-
lions de Baiiie sur lu cdloauiK;, dans ricaumarchuis.
LA VIR 85
perbcs, des niosfjiiécs i-l des hôpitanx ; les routes »e garnis-
sent tic caiavjuisi'iails ; l'ahondancc et hi j(tic senihlcnt
généiales. l'.t |)()inianl les mauvais jours apinoclicnt : AIk>ii
liakr lenniin' son i-ègne de lienle-i iiHj iiniicts cl les désor-
dres intérienis ne taideionl pas à suivre sa nioit si poinpeu-
seinenl relalT-e par Mirkhond : « Lorscpi'Abon l'akr eut
ré^'iié lrenle-cin(j ans el «pie le poisson de sa vie fut lonibc
sur rhanievon de >()i\anle-dix ans. .. le diplôme de son
autorité fui replié pai- le secrétaire du destin et le printciMps
de son existence lut changé en hiver » (I ).
Saadi pleura la mort du piince dans le premier de ses
poèmes funèhies maràlhi Son regret s'y teinte d'espéiance,
car il s'écrie : ■ l lU- liiinpe. à laquelle une autre s'allumei;».
s'eleiiit à la vérité, mais laisse denièrc elle sa lumière : ainsi
le nom d Ahcu l^akr ne meurt pas. car il reste après lui le
glorieux Saad (ils d'Abou Hakr •• Son attente, on va h* voir.
devait être trom[)ée.
Dès les dernières années du règne d Aboii Hakr. la
malheureuse Perse avait subi de nouveaux ravage>: Hoii-
btgou, mettant à exécution ses menaces envers les Ismaïliens,
leur avait fait, en 12.*)()(II. tj')i). une guerre implacable,
jus(ju'à la soumission de leur grand-maître Houkn ed Din
Klutuichah. I.i's invincibles féodaux (jui. di'jiuis des aniu-es,
terrorisaient les princes de l'Asie occidentale, durèrent peu
contre les ai niées disciplinées des Mongols. V.n un mois,
plus de ciiujuante châteaux furent coiujuis et démolis (2 ;
le grand-mailre, avant d'être exécute, dut envoyer aux
Ismaïliens de Syrie l'ordre de Iinki leurs châteaux aux
Mongols, dès leiM- entrée en ce pays [ai.
(I) Ataltekt o/ Syria and Vtrsin, éà. Morley, p. 38.
(î) Cf. la lisitr de ces cliAlpaiix cinns l'pfrt'niriv. iliKl^i^e doR Seldjoii-
kidp» d'apri'B MoiislBwfi Qa/wini) in J. A., 1X4'», XIII, p. 48-55.
(3) Cf. I)«'frémery, Nouvrllrs rrrherche». sur It-n l.snihilipns (J . A.. IhTiS,
V, p. 47 el »uiv.^. — Sur l»«i» rhAleHUX d«' Syiie. cf. !l>ii MuyasuBr, Annales
dF.iiyple «'•d. H. ManKi^. p. C8) ; Defr^meiy, K.«!nii sur l'hislo're drs Uniaï-
lirn» dr la Per^e. J. A., 1856. VIII. p. 353 cl suiv , el 1860. XV. p. i30
ot nuiv. (d'aprèn Ala ed Din Jouwaini).
36 PREM.ÈKE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
Restait le c;ilifat de Bagdad, gouverné nominalement par
Mouslacim, prince incapable et bonasse, qui préférait aux
alTaires de l'Empire l'étude du Coran. Au surplus, calligra-
phe et amateur de musique, u Quelquefois, il s'occupait
dans sa bibliothèque, mais d'une manière peu utile ;... ses
courtisans le dominaient entièrement » ( 1 ) . Il avait pour vizir
un homme de mérite, mais qui, s'attendant sans cesse à être
destitué ou arrêté, se trouvait condamné à ne rien faire. Com-
ment le pauvret pouvait-il résister? L'approche d'Houiagou
ne le lira même pas de son engourdissement : il passait les
jours au milieu de ses livres, sourd aux avertissements réité-
rés de son ministre qui, lui, se rendait compte du péril. Mais
les courtisans contrecarraient son influence. Saadi, dans sa re-
traite de Chiraz, comprenait bien la situation et écrivait :
« Cette fois-ci, ce n'est plus le chant des flûtes ; cette fois-ci,
c'est le combat du lion et la guerre des Mongols » (Moufra-
dât, éd. Cale, p. 494).
En attendant, Houlagou, délivré des Ismaïliens, traversait
Hamadan, enlevait au passage Anbar, l'ancienne capitale des
Abbassides et, en janvier 1258 (H. 656), commençait le siège
de Bagdad où, depuis quelques jours, affluaient les fuyards.
Les gens, allolés, payaient à prix d'or, voire même de leurs
bijoux et de leurs habils, les bateliers du Tigre.
Ce ne fut pas long ; trente mille cavaliers d'Houiagou —
une simple pointe d'avant-garde — tombèrent sur les trou-
pes du Calife, les mirent en déroute et occupèrent les fau-
bourgs de Bagdad. Mais ce n'était là qu'un prélude: quel-
ques jours après, Houlagou paraissait en personne, aussi for-
midable aux yeux du Calife que Charlemagne à ceux du roi
des Lombards. Son armée investissait méthodiquement Bag-
dad et « la face de la terre en était entièrement couverte ».
Les machines de guerre entrèrent en jeu.
L'attaque principale fut dirigée contre le quartier Mamou-
(i) Cf. Ibn el Tiqlaqa, Fakhri (Irad. E. Amar», p. îî7l . — Racliid ed Din
{Hist. des Mongols. !rad. QuaLremère, p. 22o) porLe lo même jugement sur
le calife f\ signale l'antipathie générale excitée alors par les Abbassides.
LA VIK S 7
niyjili, silui* précis^ëmciit deniùrc l imiversilé où aviulrliidié
Saatli, cesl à-dire au Mui vul. V.i\ luéine Icinpî*, 1 aile droite
des Moii|^(>i.s allaquail au nord de la ville, laudis (jue den dé-
tachenieiits opéraieiil mu l.i iim* tlu)ile. Audébulde février
^29 inoliaïrein 0;>(i), le drapeau Liane des Mongol;* HoUa tout
à cou[) f^urles nuirs de Ha^^dad,» du eôlé d une lour noinniée
liourj el Ajami... la jjIus ba^so île loules » Les Chiiles de
Bagdad, par haine du ealiie huuuile, livraient la ville aux ido-
làli e-ui(»ngolï« ; il n'y avait plus qu'à se faire honorablement
nui.>*saerer, ear aussitôt le carnage emplissait Bagdad. Quant
au Calife, il ne vil qu'une ressource : s'en remettre à la géné-
rosité du vainqueur. Ibndagou lui reprocha vertement sa
faiblesse et sou insouciance, puis le lit exécuter, lui el deux
de ses lils (1 ). I.esac d« Bagdad dura environ quarante jours.
I/iucondie détrui>it une mosquée et plusieurs mausolées
«j uiloulagou lit ensuite rebâtir i2^.
(^n devine le retenlissenienl sans bornes de cet événement
si subit. Bagdad l'inviolée (3), délruite en quelques jours !
I.e C'alife, ce pa|)e i\v<> musulmans, exécuté ignominieuse-
ment, tel un simple criminel ! Belle matière pour les poètes^4 .
Aussi Saadi neulil gaide de manquer pareille occa^ion :
il l'hanta la chute des Abbassides, non seulement en per-
(1 Iloulagoti attrait lu'silé un insl.tnl !^ niPllrcà mnrl In p<»rs»>npe sacrée
du r.alife icf. Ftikhri, p. 225). Mnis ses scrupules durèrent peu. car, sui-
vant Hdchid f(l Din (op. cit.. \>. 300), t on éKOipea tout ce qu'on put trou-
ver de la famille d'Abbas ». Seul, le 3» 11!.'» du Calift* fut épai f{né fl envoyé
à Marnph« "ù il «-poiKH une princesse nmngnle. Cl. la curieuse relation de
la Heslruclion des IsmallienH el de la chute de Haf;dad dans Guirapos
(i)oiaurier, Les Mouf^ols d'après les historiens arméniens. J. A., 16.^H. XI,
p. V81 et suiv.)
(2) I.e ."^tranffe, op. cit , p. 341.
(3) Elle avait toutefois été déjà assiépée tine première fois, sous el Amin
(en 813/1'.»") durant la guerre civile entre les deux iils d'Ilaroun er Hacird,
el Auiin et el .Mauioun : lu viilc fut ptise et el Ainln tué ^cf. Tahari, III,
864-^25). DeiK ans avant d'être prise par lluulaffou, Raf^dad souiïrit beau-
coup, è la fin de l'été 125C (II. ôKi), d'une inondation (|ui dura cinquante
jours.
(4) Au »ujet des contéquences sur la lilléralure ficrsane, cf. E. G. Browne,
Literary hUtory, H, p. 443 et «uiv. et p. 467.
88 PREMlèllt; PARTIR. CHAPITRE PREMIER
San (1), mais en arabe ; il le pouvait au reste en toute liberté,
car le prince de Chiraz avait participé à TalTaire (2) ; etSaadi,
sans qu il s'en doutât, mettait ainsi à profit les dernières an-
nées de l'indcpentlance de sa patrie. Va\ fait, le Fars avait
déjà disparu politiquement. Les Mongols avaient tout ren-
vers sur leur passage, anéautissaut tout pouvoir spiriluelet
temporel. Que lou n'imagine pas cependant qu'il s'agissait
d'une simple randonnée de routiers, car les motifs politiques
et religieux se retrouvent à la base de l'expédition. On a vu
que l'empereur mongol était fort aise de lancer sur la Perse
et la Chine deux compétiteurséventuels. D'autre part, la des-
truction des Ismaïliens constituait non seulement un prétexte
d'intervention, mais encore une satisfaction accordée au
parti musulman sunnite de la cour de Karakoroum. Par con-
tre, le parti chrétien de cette même cour, celui de l'impéra-
trice {'S), se réjouissait secrètement de la chule prochaine du
pape musulman de Bagdad. Tout conspirait donc, sans par-
lerde la faiblesse de l'adversaire, au succès d'une expédition
bien organisée.
Bagdad prise, les Mongols poussaient en hâte vers la
Syrie et prenaient possession des derniers châteaux ismaï-
(1) Cale, p. 221 : < N'attache pas ton cœur à ce qui passe, car le Tigre
passera longtemps dans Bagdad, après la mort du calife. »
(2) Cf. Browne, op. ci7., II, p, 460; d'Ohsson, Mongols, 111, p. 227:
« Houlagou avait auprès de lui... l'atabey du Fars, Abou Bekr fils de
Saad, qui, après la conquête du pays des Ismaëlions. lui avait envoyé son
fils Saad pour le complimenter et lui fit conduire alors «on contingent de
troupes par son neveu Mohammed-chah. »
(3) Au sujet de la protection accordée auxjChrétiens par Dokouz Khatoun,
épouse d'Houlagou, et par le généra! mongol Batou, << chrétien parfait »,
cf. Dulaurier, Les Mongols d'après le.s historiens arméniens (J. A., 1860,
XVI, p. 290-291, curieux passage de Vartan). Sur la tolérance religieuse
des Mongols en général, c'". ibld. (J. .\.., 1858, XI, p. 446-447, opinion de
Guiragos). Vartan (ibid., J. A., 1860, XVI, p. 300 et suiv.) raconte en
détail son ambassade de 126o auprès d'Houlagou et la manière favorable
dont il tut accueilli. Sur l'attitude d'Houlagou vis-à-vis des chrétiens de
Syrie, cf. Maqrizi, 3/am/oufes (tratl. Quatremère, I, p. 98). Sur l'impori&nce
de l'église neslorienne à cette époque, en Asie centrale, cf. F. Nau, L'ex-
pansion uestorienne en Asie (Ann. Musée Guimet, t. XL).
L\ VIK 89
lit'iis. I.a lassiludc j^ai;nail jumi à yvi\ les «Mivalusseiirs )|ui so
si'nl.nt'iil (lailliMirs an boni de leurs cotH|iii^lert. Kn outre,
lainim" cl peslo. restées deirière les armées, ravageaient
riratj. Il Mésopotamie, la Syrie et l'Asie mineure (I i. Knfiil
l'empereur Mangou m^urail lout h coup.
De même (pi'en \'2\'2 Halou et Souboulai avaii'ni, à la
morl (I ()u^'oulai, iiilei rompu sui* lechamj) leur marche tri-
omphale en Hongrie, afin d'accourir a l'éleclion impériale, de
même lloulagoii, laissant en Syrie un cnipsde cavalerie (jue
le sultan d'ilgyple allai! tailler en pièces, se repliait rapide-
ment sur le centie de l'Asie \'2). HestaienI pour prétendre
au trône : Koiibilaï le coiicpiérant de ladhine. iloiilagou et
leui- cadet .Arik-Houka, tous tiois (ils de Touiouï. (piatrième
et dernier lils (le (îengis-Khan. Kouhilaï. l'aîné, l'ut j)roclamé.
et, après une guerre civile contre Arik P»o»ika ré-volté. fixa
sa ca|)italc à Pékin Khan Bàlik .
(Juanl à Houlagou, gardant l'occident, il s'installe à Ta-
bri/, au nord de la Perse, et y fonde la dynastie desllkhau-^.
L'amalgame s'ojière peu à peu entre suzerains et tributaires,
et. ainsi (pi'il arrive d'ordinaire, les plus anciennement civi-
lisés font adopter leurs moMirs. Inseii'^iblemenl. I adminis-
tration, la langue, la jjcn'-ée même des vaincpienrs s'imprè-
gnent d'arabe et de persan et les éloignent de leurs frères
de race. Tabri/. autrefois ruinée par les tremblements do
terre, s'érige en capitale, au sein des froide^ montagnes (pii
rapi)ellenl aux Mongols le rude climat de la terre natale.
Houlagou se transforme en protecteur des sciences et dt-:^
arts. Il garde auprès de soi Nacir ed Din Touci • le prince
di'Ti philosophes • pour lequel il fait construire à Maragha
l'observatoire (3) dont les ruines subsistent encore ; il orga-
(1) D'OhRson, Monijots, III. p. 271.
(2) Cf le rt^Bumê de ce» ëvi^nemenls dans (iuiraffos (oyj. ci/..J. A..
iMS8. XI, p. 497-49fl e. p. 503-508, ei V«rlin (ibid . 1860. \V|. p. 294) ;
dt<laiU plus précis d;inii Mar|ri7.i, Mamtntiks (trad. Quatieméip), I, p. S7
ri ktiiv.
(3) Rachid ed Din. Mongols (Irad. Quai réméré), p. 325.
()n PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE PRFMTRR
iiise des conférences entre savants, prodigne les pensions et
gratifications aux gens instruits, s'occupe activement d'al-
chimie (1). Les princes tributaires tiennent à honneur de
paraître à sa cour: Badr ed Din Loulou, atabek de Mos-
soul (2) ; Téguélé et Badr ed Din Massoud, atabeks du Lour ;
Roukn ed Din Arslan et Izz ed Din Kaikawous, sultans de
Roum. Parfois même, ces princes maintiennent en perma-
nence à la cour un membre de leur famille : ainsi Salghar
et Saad, frère et fils du prince de Chiraz (3). Saadi, naturel-
lement, ne pouvait ([u'imiter ses maîtres, et n'hésitait pas à
chanter les louanges du vainqueur, après avoir pleuré la
chute de Bagdad (4).
Houlagou, sans retard, avait divisé son empire en gou-
vernements : à Abaka-Khan, son fils aîné, l'Iraq, le Khoras-
san, le ^Lizendéran ; à Tourkân-Khatoun, le Kirman ; à Ala
ed Din Ata Malik Jouwaini, Bagdad. Le frère de ce dernier,
Chams ed Din Jouwaïni, dirigeait l'administration générale
de l'Empire (5).
Dans le Fars, la mort d'Abou Bakr avait donné le signal
des troubles : son fils Saad quittait aussitôt la cour de Tabriz,
mais mourait en cours de route, une douzaine de jours après
son père, dans quelque caravansérail. Pauvre prince au rôle
médiocre et que dominait sans doute son épouse, la célèbre
Tourkân-Khatoun, sœur de l'atabek de Yazd, Ala ed Daw^-
lah (6). Saad, bien qu'il n'ait pas régné, fut semble-t il,
(i) Ibid., p. 402.
(2) Cf. M. van Berchem, Monuments el inscrif)tions de iatabek Lu'lu
de Mossoul (Or. Studien Nôldeke, 1906).
(3) D'Obsson, Mongols, III, p. 261,
(4) Cf. éd. Cslc, p. 232 r°. Saadi ne risiuait rien à s'aplatir devant les
prinres et gouverneurs monîrols ; les puissants lui en avaient donné
l'exemple, si l'un en croit l'anecdole rapportée par d'Oh&son {Mongols,
m, p. 262) au sujet du sultan du Roum.
(5) Bachid ed Din, lac. cil.
(6) Plusieurs princesses portèrent ce nom, notammfnt l'épouse du
sultan seljouklde Malik-chab (cf. Defrémery, Reclierches sur le règne de
Barkiarok, J. A., 1853, 1, 425 et suiv.) et la mère de Mohammed Ala ed
Din, sultan du Kbarezm (cf. d'Obsson, Mongols, I, p. I9ti et suiv.). Une
8
reprell(' ; et Saadi lui consacra l'um' de ses plus belles élé-
j^'ies I i.
I/iiilliience ilos leinines, du*/ les Moii^'ois, au mi)itjs loi>-
(jii'ils n't'laienl pas encore convertis à l'islam, fui bien plu
élendue (jiio clic/, les peuples siMiiiliques (2) : loin de rester
conrnu'es dans le harem — ce ipii n'excluait an reste pas
toujours une iniluence occulte — il n'était pas rare (|u'elles
j)ri-isont part atix allairos publicjues 3 . Ce fut le cas de
Tonrkàn-Khatoun : sou tuari l;ns-;;iul pour lu'i'iliur un i'ur;iul
en bas-à}^e nommé Mohammed, elle favorisa tout de suite
l'infliience mongole dans le Fars cl sut se faire accorder la
régence cpiulle exerça avec l'aide du premier mini^lre Ni/am
ed Din Abou Hakr, sans doute celui dont Saadi chante la
louange nu début du dulistnn (i . Il écrivait d'autre pari
pour le jeune prince encore mineur nue (jacida lo) dans la-
(juelle il lexhorlait à suivre l'exemple de son p^rand-père
tmisième épousp en 12.19 (H. 657) Malik Salih Ism.Vil. fils de B.idr ed D n
I.ouloii ; elle ('i»\{ fille de Jalal ed [Wn Maiiknjiharti (cf. d'Ohsson, Monriolt,
III, .». 306). Une (junlrièine ponverne 1 ■* Kirman ati nom <l'llo»ilaj.")ii (cf.
supra ei Ilamnicr, llkhane, I, p. 228-248).
(1} Traduite |.ar (;r.,f, Z. D. M. G., XV, (,. 566-572.
(ï) Sans pi(* iidice <lr9 exceptions. ' f. M.J. La^^rang'*, StHnnget d'his-
toire religieuse, p. 2'.»; et «e rappeler le rôle joué en Epypte p«r lu mère
du calife fatin.'ide Monstancir, par la .sullane (Ihnjarat ed Dotir el par SiU
cl .Moiitk, sœur du Faliuiide el Ilakini.
(3) Cf. deux inléressanl» passa^'es d'Ibn italoiitah (Voyages, II. p. 122 el
127) au sujet des prérngatireH, apanages et revenus des priocesseft mon-
croies. Plusieurs d'entre elles, outre Tourkan-Klialoun, firent preuve d un
caractère viril : ainsi TAcIi Klialoun, uière du sultan de Cliira/ Ahou Ishaq
{ibifi , p. 6G . Cf. en outre sur linfluence des femmes cher, les Mon^çols :
L. ("aliun. Le» femmes d'après le» historiens turks el monpols [Congrès
provincial (Us orientalistes, Levallois, 1874, session inau|;urale, p. 219);
I)efrémcry, Fraffments de ^éograplies t-l d'historiens, J. A., 1850, XVI,
p. 153 cl Ruiv. — On peut voir dans E. Blochol {Peintures de mattuscrils . . .
de la nibliothhfue natintmle) deux repn>du( lions de miniatures persanes
|n** 6 el 0' extraites d'un ma. de Ifnchid ed Din, datant du déhut du xiv* siè-
clf : Abaka, prince nion^^ol de f'erse, assis sur son trône, ses femmes
auprès de lui.
(4) Trad. Defrèmery, p. *7 (el la note).
(5) Trad Graf. Z. I). M. G., XV. p. 568.
92 PRF.MtènK TARTIK. — CI! APITRF PRRMIEH
Aboii Bakr. •> Si je ne \i^ plus inoi-inèine >', ajoutait-il,
« que du moins ma pai-ole demeure en Ion souvenir. ^) Saadi
s'empi'essait en outre de composer pour Tourkàn-Kliatoun
une qacida (éd. Calc.,n'' 32) qui ne compte pas parmi ses
plus remarquables.
Deux ans et demi plus lard, en 1262, le prince héritier
se tuait en tombant de la terrasse du palais. Rien n'autorise
à supposer que sa chute fut provoquée : quoi (pi'il en soit,
avec lui finissait la lignée directe des princes du Fars.
Tourkàn-Khatouu, avec l'assentiment de la cour deTabriz,
choisit un jirince de ligne collatérale, Mohammed-Clhah,
oncle de l'enfant décédé, et lui fit épouser sa sœur. Ce prince,
brave (il avait commandé le contingent fourni par le Fars
lors de l'expédition contre Bagdad) mais cruel, fatigua tout
le monde par sa tyrannie et s'amollit rapidement, une fois
au pouvoir. Mandé à Tabriz où les plaintes affluaient contre
lui, il différait d'obéir à l'ordre reçu, lorsque Tourkân-Kha-
toun, pleine d'audace et de décision, le fit saisir dans le harem
où il se trouvait sans armes et le livra à Houlagou.
11 avait un frère, Saljouk Chah, qu'il maintenait prison-
nier dans la citadelle d'istakhr. Tourkân-Khatoun le délivre
et sollicite pour lui l'agrément de la cour mongole. Encore
belle, elle fait naître l'amour au cœur du nouvel atabek qui
l'épouse. Avec lui, les plus joyeux espoirs étaient permis ; il
protégea sans doute Saadi, car le poète, non content d'avoir
salué par une vibrante qacida (1) l'avènement du nouveau
prince, lui dédia, outre deux autres (2), son plus important
recueil de ghazals, les « Tayïbât » dont la troisième, plus
particulièrement, célèbre Saijouk-Chah (3).
Mais bientôt, l'atabek roule dans la débauche et l'ivrogne-
rie. En outre, il est jaloux : un soir d'ivresse, d'après les
historiens Mirkhond et Wassaf, il est pris d'un accès de
(i) Trad. Graf, Z. D. M. G., XII, p. 8791.
(2) Ed. Cale, qaciclas persanes, n" 8 et 33.
(3) Ed. Cale, p. 264 v°. Cf. Bâcher, Aphorismen, introd. p. 39, n. 3. et
Graf, Z. D. M. G., XIII, p. U'6.
I.V VIB 93
l'iiiem- tMi songi'anl à des médisances (|ui courenl sur le
«îoinple (le sa feininc : sur Iecliain|), il ordonne à un nèfjrc
d aller lui Irancher la lêle el. (jiu-l jiies in-lanls après, le
bourreau la lui rapporte dans un ba>-in. A celle vue, Sal-
jouk-Cliali. bien loin d'êlre dégrisé, arrache les perles ornanl
les oreilles de la niallieiirense el les jelle aux musiciens du
b:nujuel. Puis une frénésie de meurlre el de révolte s'emj)are
de lui. Se senlanl soulenu par la populace de Chiraz cpii dé-
lestait ruiirkân, celle amie des oppresseurs, il lait massacrer,
comme premier acte d imlépendance, les deux commissaires
mon^'ols de ( .hira/. el leur suite. Iloidagou lance contre lui
«leux divisions de cavalerie auxcpielles >e joignent des trou-
pes dispaliau, du Kirmaii «l le prince de Yazd, brûlant de
venger sa sceur. Les notables de C^hiraz \ parmi lesquels peut-
être Saadii s'avancent h la rencontre des troupes impériales
el obtiennent la {jrâce de la ville el de la population. Quant
à Saljouk-Chab. retiré sur le (iolle Persique, il est rejoinl à
Cazeroun ; il lutte bravement, mais doit céder devant le
nombre et se réfugie, avec une poignée d'hommes, dans le
mausolée d un saint. Le caractère sacré de celte retraite n'ar-
rête pas les assaillants ; la porte vole en éclats ; Saljouk-
C.hah, saisi au cours du ma>sacre, est exécuté peu après
^ I2t)i). De la dynastie des Saigharides, il ne restait (|nedeux
princesses : l'une d'elles, fille île Tourkàn et de Saad II — et,
par cela même, dévouée aux Mongols — fut placée par
Iloidagou sur le trône du Fars. Un au après, mandée à
Tabri/. elle dut épouser le lils d Iloulagou, Mangou Timour.
Le F.irs fut alors gouverné par l'administration centrale
mongole, au nom de la dernière princesse salgharide (jui
mourut à Tabriz en I2H7 (! 1.
Mais auparavant, un descendant plus ou moins aulheali-
que du prophète, nommé Charaf ed Din, qui dans le Klio-
rassan s'était ac(pii> un grand renom de piété, en profita
(i) Toul ce qui précède, d'après Mirklinnd {AUibekt oj Syria a/id Pcnut,
éd .Morley, p. 42 cl »uiv > < ( .rni.v.on, MmiyoU, III, p 3'J7-404, el Hju».
luei, Itkhatie. I, p. iiO,
94 l'KEMlÈRE PARTIE. CUAPITRE PREMIER
pour soulever la population du Fars à laquelle il se présen-
tait comme le Mahdi. Il réunit un certain nombre d'adeptes
et marcha sur Chiraz quil voidaitdélivrer des Mongols Tout
(l'abord, son caractère quasi divin lui valut quelque succès;
puis, au cours d un combat, il lut tué, tandis qu'on massa-
crait la plupart de ses troupes. Les conseillers dlloulagou le
dissuadèrent à grand'[)eine d'infliger à Chiraz des repré-
sailles sanglantes. Cesl alors quAnkianou fut nommé gou-
verneur du Fars.
A ce personnage, Saadi dédia plusieurs qacidas persa-
nes ( 1 ) où il lui conseille la justice. Mais la poésie ne lui suf-
fisait pas et il écrivait, pour ce même gouverneur, un petit
traité de politique. Il comprenait en efi'et qu'il avait plus de
chances d'être écouté par un homme devant à soi-même sa
fortune que par un prince iiéritant naturellement du pou-
voir.
Les convulsions du Fars avaient confiné Saadi dans une
retraite dont il ne désirait au reste pas sortir (2). Cette re-
traite, il l'aurait cependant quittée une fois encore pour se
rendre à la cour de Tabriz. Houlagou mort en 1265, à l'âge
de quarante huit ans, le pouvoir passait à son fils aîné Abaqa
Khan, marié la même année à une fille naturelle de l'empe-
reur grec Michel Paléologue (3j. Abaqa recherchait en effet
l'alliance des princes chrétiens d'occident contre les Mam-
louks d'Egypte et leur envoyait des ambassades. « Sous le
règne d Abaqa-Khan qui était, tout le monde le sait, un prince
juste » écrit Rachid ed Din, « les peuples jouissaient du calme
et de la sécurité ; ils voyaient maintenir l'ordre, la police
(1) E.j. Cale, n» 14 (trad. Graf, Z. D. M. G., XII, p. 92-98), n" 22 et 39,
et peut-être 40.
(2) Bouslan, p. 169: « Tout bien considéré, on a tort de ra'engager à
vivre avec mes semblables. » Et plus loin (p. 283) : t Pour conserver la
paix du cœur, il faut se tenir loin du commerce des hommes. »
(3) Sur Abaqa, cf. Encydop. Islam, s. v. Jbn Batoutab (Voyages, II, aver-
tissement, p. 10;. D'autres mariages de princes mongols avec des chré-
tiennes sont cités dans le même passage, d'^j rt' d'Onsson, Histoire des
Mongols.
siivtTe lilablis (){u*soii pi'Vi: ilaiiliii^.iu Kliaii » (1 ;.Nacjrcil l)iii
loiici, iniiiislru d Iloiilii^'oti, coiiliuiiail sch foiicltun» a(i(Ji-éb
(1 Abaija sur l'urdi'c ciii(|()L*l,v|iicl((iie.s aiiiH'e:^ apirs liî.i TabluH
Alplioii.Niiiuâ. il c()m|)osail à 1 obsorvaUnrc di- Mara<4ba les
lablc:» a&lruiiotnitiucs (|(u porleiil son iiuiii (2;. A.slruuoino
rininenl. proleclciii- des licrivains el des savants, .Nacir mou-
rait au coin'.-> ilu legue dAb.uja 3 . Il fui renij)lacé |>ar le»
deuM irères (]lian):3 ed Diud Ala od Diu Jouwaïui t|ui au-
raieul iiécidé Saadi à oiitrepreiidi c le \oyaf;c de 1 abiiz, si
1 ou accoi'de créance à un o|)u>cuU', à la vérité non composé
|)ar lui même, mais par un anonyme contemporain et annexé
à ses ouvres (il. Cet opuscule commence ain>i : <« Lors de
mon rtloiinlii pèlerinage, unelGis arrivé a la capitale Tabri/.,
je voulus voir Ala ed Diu el Cliams ed l)in, car do nom-
breuses oblii,'alions récipro(jues nous avaient fermement
unis. • L auecdole. au denuiirant, signilie peu de cbose : le
poète V inlli^'c au prince une assez médiocre leçon de morale.
Mais 1 on peut inlércr. des marques de respect prodij^uées à
Saadi, (pielle situation morale et ijuelle aulorité il possédait
alors. (Juant aux obligations au\(juelles il est fait allusion,
nu autre opuscule en prose, au début des œuvres complè-
tes (5), montre Saadi comblé de libéralités par les deux frères
auxquels, en retour, il dédiait plusieurs de ses poèmes: ciiuj
qacidas persanes à Ala ed Din, trois à Cbams ed Din. lui
outre, il composait pour ce dernier le recueil de poésies
morales connu sous le nom de (iHhibnHineh iGj.
(1) Cité par d()hss<.D, Mo'ujols, IV, p. AHl .
(2) Ihid.. III. p. 264.
(3) Ibùl., III. p. 538.
(4) Traduit par hefrémery. GuUsIan, introd.. p. 33 et siiiv. — Un fait
tcndritil k prouver ipjo I opuBnile n'est pas de Saadi, c'r>l qu'au déi»ul.
Saadi s'exprime en style direct, alors «lue, vers le uiilieu •!•» '• nirr.i'.lnii,
il devient un acteur dont or parle à la troisième personne
(5; Trad. p«ir Defrémery, GuUstmi, introd., p. 35 el suiv. An suj.m (i,<8
hoiinflur» excoptioaufis (pie re^evdieul les clieiks, cf. Ibu lidloutaii, \'oyn
ijes, II, p. 56.
(6) Le Tait se trouve démontre par W. Hacher (Z. D. M. G., X.X.X,
p. 03-102). Cbams ed Din, administrateur en chef de l'Etat mongol, por-
gÔ PREMIÈHE PARTI: . — GHAPITRli PREMIER
Saadi deveiiail peu à peu. en dépit de son caractère semi-
religieux, le poète officiel. On trouve en effet dans ses œuvres
lyriques un certain nombre de poèmes dédiés à de liants
tonclionnaires. A Chams ed Din Iloussaïn, quelques qacidas
persanes (1) ; à Majd ed Din Roumi et à Fakhr ed Din (2),
assesseurs de Clianis ed Din Jouwaïni, une qacida persane (3)
et la quatrième qacida arabe (4) ; à un certain Nonr ed Din,
inconnu par ailleurs, la troisième qacida arabe (5) ; à un cer-
tain qadi Houkn ed Din, « l'ornement de la société, Timâm
de la religion », un poème de nouvel an (nawroùz) (6). En-
tin, une qacida persane en Tbonneur d'un émir Saïf ed Din
Mohammed [1).
Le voyage de Tabriz, diflicilement admissible, si Ton con-
sidère 1 âge de Saadi, ne suffit pas à ses biographes. Dawlat-
chah, sur la foi de l'ouvrage d'Azari : « les perles des secrets »
(jawàhir el asrâr), n'hésite pas à faire partir le poète vers
rinde, à un âge encore plus avancé. Le fond de l'histoire
semble authentique : l'historien Firichtah ((Sj rapporte en
tail le titre de çâliib-dîwân : d'où celui du recueil de Saadi. Cf. sur les
deux frères Jouwaïni, Encyclop. Islam, s v. Djuwaïnî.
(1) Cf. W. Bâcher, Saadi's Aphorisinen, p. XLVI, n. 2. Ce personnage
serait, d'après Graf {Bouslan, H, p. 174), (^hains ed Din Tazigouï, fermier
d'impôts fnialik) dans le Fars, auquel Saadi se serait adressé en faveur de
son frère (cf. Diwan, éd. Calcutta, p. 9, et Defrémery, GuUsian, introd.
p. 30). Tazigouï signifie «celui qui parle arnbe ».
(2j Sur ces deux personnages, cf. Ilannner, Ilkhane, 1, p. 386, rem. 4.
(3) Trad. Graf, Z. D. M. G., XII, p. iOi-107 (Bâcher, op. cit., p. 46, n. 4).
(4) Cf. Bâcher, op. cit., p. 46, n. 5.
(5^ Ibid., p. 47, n. 1.
(6) Ibid., p. 48, n. 3.
(7) Trad. Graf (Z. D. M. G., XV, p. 572). Giof imagine que celte pièce
s'applique à l'afabek Saad, ce qui est impossible, car un vers indique que
les parents du jeune honmie regretté par ce poème vivaient encore. 11 est
peu probable que ce soit le même personnage dont Saadi déplora la mort
dans une qacida (cf. Z. D. M. G., XXX, p. 87) en l'honneur de Izz ed Din
Ahmad Youssef, auquel se rapporterait plutôt une qacida persane où
Saadi implore la grâce divine en faveur du personnage qu'il chante et de
son père.
(8) Tarikh-i-Firishta, ed. Brigss. Bombay, 1831, 1, p. 138 ; trad. Alex.
Dow, The Ilisiory of Hindostan. London, 1812, I, p. 187.
I.V \ir. 97
cirelque Mohammed, gouverneur de Moullan et (ils du sullan
(le Delhi (fhiath ni Din Malahàii, avait attiré <^i sa cour (|uel-
.jiii>s écrivain-;, pirini les(jiieU doux [);)èles orij^inaires d e
Delhi : Khadjah llassauel Amir Khosraw. Sur les instances
de ce dernier, le prince aurait, à deux reprises, envoyé à
('liiiM/ dos messagers chargés de présentera Saadi,non seule-
nu'uldes cadeaux, mais une invitation à se rendre à Moullan
où l'on construirait pour lui un monastère doté de revenus.
Saadi, alléguant sa vieillesse, se sérail contenté d'envoyer
lU j)rince un autographe de ses poésies et une lettre de re-
commandalionen faveurd'Amir Khosraw. Mohammed ayant
succombé en !2S;j dans une bataille contre les Mongols l),
le fait se placerait vers 1280, année où Saadi, né en llHi,
comptait dcuic (juatre-vingt-seize ans (2).
L'âme calme (3j, il s'acheminait paisiblement vers la
tombe. Les grands ouvriers de la j>en>{'c pci's.uic ; Nacir ed
Din Touci, Chams-i-Tabri/i, .lalal ed Din Uoumi venaient
de mourir, et Saadi seul s'attardait parmi la génération des
nouveaux poètes conquérant peu à peu la renommée : le plus
remarquable était Amir Khosraw (jui, suivant .Tami (ij, au-
rait visité Saadi à Chiraz.
(!) Cf. dOhsson, Mongols, IV, p. 560.
(2) Cf. Defrémery. Giilislan, p. X.VV. Selon Ouseley (Pcrsjan poc<*, p. 9),
Mir Gholam .\.li Azad, auleur du Khizanah-i-amirah, raconte aussi que
.Saadi, invité ptr Moliainnied Khan (Kljan-i-Chahid), gouverneur du Moul-
tan, s'excusa. Cf. en outre ; Moss, Gulistan, p. 41 et Ziya-i-Barani, Tarikn-
-iFirouzchahi. p. 68 (sur lequel, Gb. Rieu, Cat. pers. mss. Brilish Muséum.
p. 595).
(3) Boutlai, p. 220: « Qa'iraporle à S«adi d'être rendu à la terre, lui
qui fui toujours humble comme elle. Apràs avoir parcouru le monde... il
a. comme les autres, laissé ses os à la terre. >>
(♦) Jami. Saf>tfi>il el Owis, p. 710 (Ou y peut lire un curieux passage sur
la ■' baraka « demandé*) par .\.mir Khosraw el représentée comme app.ir-
tenanl exclusivemcDl à Saadi). Cf. sur Amir Khosraw : Garcin de Tassy ,
un. hindoutlrtni (2* éd.), Il, p. 20V-20J ; E.-G. Urown ?, LUerary llUlory ,
II, index. — Ch. Schefer (Oiresi. persane. II, p. lOH) .issuro. sans indiquer
sa source, que <'heik Sali cl Din, fondateur de la dynastie des St^féridos
(mort en 1334/735), aurait, lors de son séjour à Chiraz, fréquenté Saadt.
M. - 7
98 PlltMlÈRli I'ARIIL;. - CHAPITUli PUEMIliR
La capitale du Fars maintenait son renom de ville inlel-
lecUielle. A l'époque de la jeunesse de Saadi, plusieurs écri-
vains y avaient brillé: Abou Mohammed liouzbihân, fds
d'Abou Naçr el Baqli (1), y était mort en 1209 (H. 606), em-
portant l'amitié et l'admiration du prince Abou Hakr ; quel-
que temps après, florissait le célèbre commentateur Abdal-
lah ibn Omar el Baïdawi (2), qadi à Chiraz, et qui devait
mourir à Tabriz vers 1286 (IL 685); auparavant, Ghams-i-
Qaïs dédiait à l'alabek Abou Bakr, peu après 1230 (H. 628),
un traité de prosodie persane (3). Les poètes locaux n'étaient
pas seuls à glorifier Abou Bakr: le plus remarquable du
groupe d'Ispahan, Kamal ed Din ibn Jalal ed Din ibn Abd
er Razzaq, surnommé « le créateur de fines pensées » (khal-
lâq el maâni), dédiait des qacidas à Saad ibn Zangi et à Abou
Bakr, avant de se retirer du monde auprès de Souhra-
Avardi (4).
D'autre part, à mesure que Saadi vieillissait, son influence
semblait imprimer un nouvel essor à la poésie, non seule-
ment à Chiraz, mais dans les autres villes de la Perse. De ces
poètes subsistent non seulement des noms, mais des biogra-
phies et des citations, grâce à l'historien Hamd Allah Mous-
tawfi de Qazwin qui leur a consacré un chapitre de son His-
toire choisie (b). C'étaient Naçir, originaire d'un village du
Fars, et dont aucune œuvre n'a survécu (6) ; Najm ed Din
Zarkoub (7) ; Jamal ed Din (8), auteur de poèmes en dialecte
(1) E.-G. Browne, LUeranj History, II, p. 490.
(2) Brockelmann, Arab. LiU.,l, p. 416, n. 27.
(3) Traité intitulé : el mou' jam fi maaïri achâri'l aajam (éd. Browne et
Mirza Muhammad of Qazwin, Gibb Mem., X). Cf. Browne, op. cit., II,
p. 488 ; Grundriss der iran. Phil , II, p. 343 ; R. M. M., X, p. 294.
(4) Grundriss, II, p. 269.
(5) Tarikh-i-gouzidah. Ce chapitre traduit par E.-G. Browne (fîto*;. oj per-
sian poels, J. R. A. S., octobre 1900 et janvier 1901).
(6) Ibid., n* 83.
(7) Ibid., n" 77.
(8) Ibid., n' 21 (11 était né à Qazwin, dans le quai lier de Roustouq el
Qouln;.
i.\ mi: 99
(lu Qa/.wiii ; Hadi til hin liaba (h, compalriolo du pri-ct'-
'Ifnl cl iiiltMulanl (les fermages du Diarbi'-kir ; Halia ed l)in
do Zaudjaii (2i, auleiir de poèmes où s'ciilreiiudonl Ich ver»
turcs et persans; Nizain ed l)in (^ii, autour, lui aussi, de
(jacidas bilingues (arabe et persan) ; Iinad ed l>iii l'adhla-
waib dont MoustaNvIî cite quebjues vei*s peu édilianls (4) ;
Haba-i-Janii (T)», plus panégvrisle cpie Iyri<jue. Tous ces poè-
tes tlorissaienl sous le règne d'Abaija-Kijan, et les (jualre der-
niers denlre eux jouissaient de la protection du niinislre
(]bams ed Din .bniwaïni il»).
L'bistoire de ce grand bomine d'étal permet [)récisi'inenl
d'établir, de façon très approximative il est vrai, I épocjue de
la mort de Saadi : question fort obscure et controverdéo, car
les biographes persans se partagent entre deux dates. Les
uns (Mouslawfi, Khondémir, Ahmad Uazi) tiennent pour le
17 dbou'l liijjalV.iO i 1 1 décembre \2\)\) ; les autres ( Dawlat-
cbah (7;, .lami Si. Iladji Kbalfa) (9) donnent la date do cbaw-
Nval 091 (septembre-octobre 1292). Saadi serait donc mort à
l'Age de 107 ou 108 ans, ce qui, dès d'abord, paraît assez sur-
prenant I 10).
(1) Browoe, op. cit., n» 3V. Sur son fils, i^palemcnl poète, cf. j7)I'/., n» 56.
(2) Ibid.. n" 16. Cf. une de ses qacidas dans I)«wl:it<)iali (éd. Iîro\vne\
p. 182.
(3) Ibid., n» H2.
lA) Ihid., n* 54. Sa plaisanterie donne une fftcheuse idée de rbumour k
son époque, tout comnn^, au reste, le recueil des facéties de Saadi et sa
conversation avec Iloumam ed I>in de Tabriz.
(5) Ibid.. n« 17 et cf. Hammcr, Hchône liedekunsl, p. 221.
(6) Sur les cootemporains de Saadi, cf. Grundriss, II, p. 267-26'J ; Hro^^ne,
Lilerary histury. II, p. 407 et suiv. — Un contemporain de Saadi, Najm ed
Din llaïukar, est signale par Schefer {(ViresL persane, \, p. 119^. Enfin le
célèbre bistoricn Wissaf i Abdallah tl>n FadI Allab) était né à Cbiraz en 1263.
(7) Cité Defrémery, Gulistan.p X.XXIX.Ce qui n'empêche pas Davrlatcbah
d'affirmor au préalable que Saadi serait mort vers 12»»3 (H. 661) an temps
te Mobainmc I Chah iltn Muliacumed ibn Saiikar Cbib ibn Saad ibn /.aiigi
^c>5l-.'»dire du pr«Sléce»*»^ur ot frère de Saijoukcliali, ce ^ui est inadmis-
sible, puisque Saadi a dédié des poéoies à ce dernier).
(8) Srtjnhal el ouns (éd. Calcutta), p. 690.
(9i Leriron (éd. KlOffel). V, p. 2.10.
(10) Sacy {ruod-anii'.) fait mourir Saadi k 120 ans ; Ouseley {Peni<vi poett)
lOO PUEMIKUE PAU ni'. — CHVl'ITHli: PREMIER
Or, quel({iies années aiipai*avaiiL, les prolecleurs de Saadi,
Cliams ed Din el Ala ed Diii Jouwaïiii, lombes en pleine
disii^ràce, mom-aienl Iraglqiienient. D'abord desservis anprès
de lilkhan Abaqa, ils s'élaient justifiés el, sous Ahmad
Takoudar, son frère et successeur (1282), avaient recouvré
pleine faveur. Mais, deux ans plus lard, Takoudar, battu par
son neveu Arghoun, était assassiné sur son ordre. Les frères
Jouwaïni payèrent cher Tamitié de l'ilkhan défunt : Ala ed
Din, ses biens confisqués, el accusé de concussion, mourut
d'une attaque en 1283 ; Ghams ed Din, moins heureux, fut
mis en accusation el exécuté Tannée suivante, ainsi que ses
quatre fils.
Voilà donc les protecteurs de Saadi morts, laissant une
mémoire compromise. Saadi leur doit sa fortune, sa tran-
quillité, les saintes joies de l'amitié, tout enfin ; et il les
laisse tomber dans l'oubli, alors qu'il a composé tant de
chants funèbres sur des personnages qui le louchaient de
moins près ! Il est vieux, n'a plus rien à attendre de l'exis-
tence (1). Que risque-l-il même en imitant l'indignation de
son grand ancêtre Firdousi contre le sultan de Ghazna ?
Mais rien, pas même une allusion, si voilée soit-elle.
On dira que, peut-être, il avait composé les poèmes que
la gratitude devait lui dicter, et que ces poèmes furent sup-
primés dans la recension de ses œuvres, par haine des deux
ministres déchus. Mais cela est inadmissible, car les poèmes
dédiés à Saljoukchah, ennemi juré des Mongols, et de mé-
moire plus sinistre, n'en ont pas moins été conservés. II
semble donc permis de croire, en dépit des assertions de ses
biographes, que, lors de la triste fin de ses prolecteurs,
Saadi était déjà mort (2).
adopte l'année 691 ; G. Flûgel indique le 24 décembre 1291 comme jour
de l'eiitefrement du poète (Ei-sch et Griiber, art. Perser) ; B. de Meynard
{Boastan, préf., p. 25), l'automne de 1292 ; le Grundriss, à la fois les dates
de 1291 et 1292. En revanche, Ethé {Der çafisinus, p. 102), l'année 1263.
(1) « Celui qui n'a plus rien à espérer ni à craindre ne tremble pas de-
vant les armées de la Chine et de la Tarlarie ", déclare-t-il dans une élégie
persane (Cité Barbier de Meynard, trad. du Boustan, introd., p. 23).
(2) Comment préciser une date ? Doit-on supposer une erreur de chiffre ?
I.V VIK ICI
Il (lisparaissail vu pleine gloire, laissant tiiu; renommëe
inlaclf : il n'av.iil rien dernaïul»'* à la lorliiiie et nvail évilé
ses terribles reloiirs. II se contentait de légner un peu do
gloire à sa ville natale. C^liira/, au reste, avait compris le
génie de son poète et lit mentir le proverbe : « Nul n'est
prophète en son pays». Saadi fut inhumé non loin de son
ermitage, aux environs delà ville (I) ; lo lieu de sa sépulture
devint rapidement un but de pèlerinage ; plusieurs person-
nages pieux solliciteront l honneur d'être inhumés auprès de
lui; un siècle plus tard, le grand lyricjue Ilaliz 'mort en
1389) venait reposer dans le voisinage.
Les voyageurs ont décrit à plusieurs reprises le tombeau
de Saadi : au (|ualor/.ième siècle, Ibn Haloulah (2), passant à
Ghiraz, ne mancpie pas do le visiter et parle du « vertueux
cheik connu sous le nom d'as-Saadi ». Du tombeau dépend
un ermitage avec jardin ; non loin prend source le Houkna-
bàd, rivière de Chiraz. (^n y voit de petits bassins de marbre
où les Chiraziens lavent leur linge, et dont Ibn lîaloulah
n'hésite pas à attribuer la construction à Saadi. Dawlatchah,
lu seizième siècle, n'ajoute rien à cette description, mais
témoigne que l'aspect général des lieux n'a pas varié ; il
retrouve les mêmes bassins et note l'airection des Chiraziens
pour le tombeau. Plus tard, une colline voisine fut nommée
o colline de Saadi » et surmontée d'une tour. Au dix -huitième
siècle, la tombe se trouvait en mauvais état(3) : Kérim-Khan
671 ou 081 au lieu de 691 ? Mais pourquoi telle date plulôl que telle autre,
en l'absence de tout document cerlain ? TuuteTois, si Saadi fut réellement
iuviU' veri 12^0 par le gouverneur du Moullaii, on pourrait admcllre <ju'il
mourut entre 1280 et 1283, c'est-i-dire âgé de '.tô à 99 ans.
(1) Il parle dans le Gulislan p. 201. III, 28) de l'oratoire champêtre
(niouçallah) de Chiraz.
(2) Vnyiujes. II, p. 87.
(3) Engelbert Kaempfer, Amienilates exoticx (Lemgo, 1712): << Totum
mausoleum, vetustate delurpaluiu, ad ruitam graviter inclinât... Ilorlus
sabulosi fundi, omnique cultu dcstilutus ol neglcclus, nihil quod praedi-
care possim, calamo tubstituit » ; W. Franklin, Observalions mode on a
tour Jrom lîctujal (o Persin in I7M-I7S7 : « Tht building is now going to
ruin, and unless repuired. must soou fall eulirely lo dccay. Il is much lo
102 PRI.MIERE PARTIE. CHAPITRE PREMIER
(1752-1779), désireux d'honorer le souvenir du poète, fit
construire un petit édifice et confia l'enclos à la garde d'un
derviche (1).
Vers 1840, l'architecte Pascal Coste, chargé d'une mission
en Perse, joignit à un croquis du tombeau de Saadi cette
courte description: « Plus près de la ville (que le tombeau
de Hafiz) se trouve le tombeau de Saadi. Dans une salle voû-
tée, à l'angle d'un grand bâtiment entouré d'un mur de clô-
ture avec un jardin, se trouve la tombe du Cheikh. C'est un
sarcophage en pierre calcaire tendre, couvert d'ornements
et d'inscriptions arabes et persanes ; au pied de ce monument
se trouve un bassin d'eau limpide rempli de poissons qui,
par respect pour la mémoire du Cheikh, sont réputés
sacrés (2). » Ce petit fait, déjà signalé par W. Ouseley,
prouve une fois de plus le culte que les Chiraziens n'ont
cessé de vouer à leur poète. Aujourd'hui encore, ils honorent
en sa personne, non seulement la supériorité du talent litté-
raire, mais les vertus, plus estimables encore et plus rares,
qui caractérisent l'honnête homme.
be regretted that Ihe uncertaia state of alîairs in Ihe country will not
admit of any one's being at the expense of repairing it » (Trad. française
par Langlès : Voyage du Bengal à Chiraz, I, p. H4).
(1) Selon W. Ouseley {Travels, II, p. 26), vers 1811, lorsqu'il visita
Chiraz, une des portes (Deiwazeh-i-Saadi) conduisait au tombeau par le
pont : Poul-i-Saadi construit sous Kérim-Khan. Sur le tombeau, cf. en
outre : Chardin, Voyages (éd. Langlès, 1811), VIII, p. 428 ; Scott Waring,
Tour to Schiraz (London, 1807), p. 60-62 ; Morier, 1" voyage en Perse (trad.
franc. 1813), p. 60-61 ; id., 2' voyage en Perse {Ir ad. franc., 1818), I, p. 143-
144; W. Ouseley, Travels (London. 1821), II, p. 8-10 et pi. XXV ; Gore
Ouseley, Persian poets, p. 19-21 ; Pierre Loti, Vers Ispahan, p. 106-107.
(2) Monuments modernes de la Perse (1867), p. 56-57.
ciiAi'iini': H
LES OEUVUKS i;i I. KIMIION DE CAt.ClTTA
Les œuvres complètes de S;«a(li forment deux gros volu-
mes imprimés.! Calcutta, volumes représentant, d'après l'opi-
nion géiu'raIemonladmise,la recension d'Ali ibn Aliniad Abou
Bakr de Bisouloun (I). Ce personnage dont le nom même
n'est pas sûrement établi, se mita réunir pour la première
fois les œuvres de Saadi, un demi-siècle environ après la
mort du poète. D'après l'introduction qu'il plaça en tête de
sa recension, il aurait, en 13"J.'> (II. l'2()), classé les j)oèmes ly-
riques de Saadi par ordre alphabétique, en se basant sur leur
première lettre; puis, neuf ans plus tard, abandonnant ce
classement, rangé les poèmes d'après l'ordre alphabéticjue
delà dernière lettre des vers (2). Il ajoute qu'il se serait
borné au dîwàn, c'est-à-dire aux seules ceuvres lyri(pies de
Saadi, sans s'occuper des œuvres en prose, non plus que du
Gulistan ni du lious/.in.
L'ordre adopté par cet éditeur fut respecté par les copistes
des manuscrits de Saadi, et, en 1791 , les éditeurs de Calcutta,
Ilaringtonet Moulwi Mobaiinnad Hacliid, n'béï*ilèrent pasa
suivre la tradition ; tradition déplorable, au reste car — il est
superflu de le démontrer — cet ordre alpliabéticpie ne répond
nullement à l'ordre chronologique. Kt quant à celte cbrono-
(1) Sur ce perwoonage. cf. FlUj;el, llandschrijlen des IloJbihUolhek :u
Wien.l. n* 530-532. Sur Hiaoutoun, l'ancienne Ueliisloun, cf . Kncycl. hltm,
s. V., Bisutûn.
(2) J. Mohl (J. A.. 1861, l. XVin, p. 88) déploro, à propoi de llAlir,
« labsurile ordre uIpliiiliHliijin- lu'il filnil aux I'imk.his do (Ioiui.m- "i I»»iii-.i
divàos ".
104 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE II
logie elle-même, tout effort pour la rétablir serait superflu-
Au demeurant, Ali ibn Alimad de Bisouloun n'avait fait
que se conformera l'usage : les recueils poétiques (dîwâns)
des poètes persans se trouvent d'ordinaire disposés sur le
même plan. On peut donc appliquer à Saadi ce que Barbier
de Mejnard ( 1 ) écrivait à propos des odes de Hâfiz : u On sait
que les éditeurs indigènes se bornent à réunir les pièces d'un
dîwàn d'après l'ordre alphabétique de la rime, sans tenir
compte ni de leur date, ni des circonstances et du milieu qui
les ont produites. Il serait donc bien difficile, sinon impos-
sible... de rétablir les odes dans l'ordre chronologique. »
Par conséquent, aucun moyen d'essayer une étude, même
approximative, de l'évolution poétique de Saadi : il faut donc
se résigner à examiner son œuvre en bloc, et à se passer du
plaisir qu'on éprouve, en étudiant les écrivains occidentaux,
à contempler la genèse, les progrès, l'apogée et parfois le
déclin de leur talent ou de leur génie.
On pourrait peut-être supposer que tous les poèmes em-
preints de mysticisme appartiennent à la vieillesse de Saadi,
encore que, sous l'influence de ses maîtres de Bagdad, il en
ait sans doute composé plusieurs au temps de sa jeunesse.
Mais cette hypothèse même ne servirait de rien, car les poè-
mes mystiques de Saadi passent souvent d'un recueil à l'autr e
suivant la fantaisie des copistes de manuscrits.
C'est donc l'ordonnance la plus arbitraire. Mais, à ce
manque de chronologie, s'en ajoute un autre plus grave :
celui de la sûreté du texte. Les copistes des manuscrits de
Saadi, aussi bien que ceux des autres poètes persans, ne
craignirent pas d'en user librement à l'égard du texte qu'ils
avaient sous les yeux et il est probable que les œuvres de
Saadi, sous leur forme actuelle, renferment tout ce que con-
tiennent des manuscrits tardifs, c'est-à-dire force erreurs et
interpolations : une édition critique du texte reste donc fort
souhaitable. Les manuscrits de Saadi, conservés dans les
(1) La poésie en Perse, p. b2.
I.KS (Kl'VHEH KT I.'l?DITION DR CALCUTTA Io5
l)il)li()llu(|iios et acUielIement fort nombreux, se di visent en
deux fiiinilles principales : les manuscrits persans-turcs et
les manuscrits persaus-liindous (l),ces derniers servant de
base à li-dilion de (!;dciilla. mèro des éditions indigènes
poslërieures et de la plupart des éditions du dulislnn et du
iioustitii publiées en lùiropo (2^.
Juscju'à 1 édition de (Calcutta, Saadi n'était guère connu
en Kurope (jue par le (iulist.tn el\o linust.ui. D'IIerbelot
parlait, il est vrai, duns su lii/jliofhcqiie oricnf.ile, d'un autre
recueil, les Mduluinninùt, dont le litre, ajoutait-il, «< signifie
en arabe des étincelles, des rayons et des écbantillons ».
Mais, à part le (îuhsf.m, rien n'était traduit ni édité. Depuis,
les traductions des dill'érenls recueils se multiplièrent dans
les principales langues de l'Kurope. Mais, si l'on met de côté
(|uel(jues travaux criti(|ues (Cf. Bibliograpbie\ l'édition de
Calcutta reste jusqu'à présent sans seconde.
Elle comprend (jualorze recueils purement poétiques aux-
quels s'ajoute une série d'opuscules en prose, le (iulisluu et
un court recueil de facéties, les uns et les autres entremêlés
de prose et de vers. Cba(iue recueil poétique est rangé d'après
la dernière lettre de la rime, indépendamment des autres.
A la préface d'Ahmad de Bisontoun font suite les opuscules
en prose ou « risàlahs ». Le premier de ces opuscules cons-
titue en (juebjue sorte une introduction écrite par Saadi. soit
à l'ensemble de ses œuvres (ce qui paraît plus probable),
soit exclusivement à ses opuscules en prose. Saadi y joue sur
le mot arabe sufinah signillant à la fois : vaisseau et livre.
Dieu, dit-il, a, sur l'océan de l'Klre, lancé le vaisseau de l'hu-
manité (jui, sans cesse, va de l'avant. Par conséijuent,
riiomme let c'est là une conséquence dont on ne saisit pas
clairement la nécessité), et particulièrement le mystique (le
çoulij, doit posséder un vaisse.iu (jui lui assure le salut sur
l'océan de la vie. Jailis Noc exhorta ses contômporain> à la
(1) Graf, Uosenijarien, p. XVIII.
(2) Sauf celle de Sémelel, baiéo sur d«>s manuscrits plus spëcialoaif ni
persans-turcs.
I06 PREMIÈRE PARTIE. — CIIAPITRK II
piété, et, désespérant de les convaincre, construisit pour lui-
même une arche, sur Tordre de Dieu. Eh bien ! pour l'es-
prit, il en est de même: l'esprit a beau exiiorter le sentiment,
il n'en est pas écouté. Alors il se construit une nef salvatrice,
et cette nef [Safinak)^ c'est un livre [Safinah). C'est ce que
Saadi désire avoir accompli en composant ses œuvres.
Le deuxième opuscule comprend cinq séances mystiques
[ma/ lis) consciencieusement étayées de citations du Coran et
des paroles attribuées à Mahomet [hadith). La première de
ces séances est, à la vérité, une moulammaa (poème où les
vers arabes et persans s'entrecroisent) en seize distiques à la
louange d'Allah et de Mahomet. La troisième et la quatrième,
plus importantes, méritent une courte analyse : la troisième,
mélange continuel de phrases arabes et persanes, débute
par une série d'exhortations à entrer dans la vie mystique
et à abandonner les soucis de ce monde. L'exclamation do-
mine, car il s'agit bien d'un sermon, sermon basé sur des
exemples empruntés aux traditions courant sur la vie de
Moïse et d'Ali. Vient ensuite une anecdote au sujet de l'as-
cète Abou Yazid (Bayazid) de Bistam, anecdote que Ton
retrouve dans le Pend-Nâmeh de Farid ed Din Attar (1).
Tout cela fort lourd de ton, fort loin par conséquent de la
manière habituelle à Saadi et insuffisant à caractériser pré-
cisément son mysticisme, en dépit de l'opinion de l'éditeur
Cuedemann qui déclare dans sa préface : « Eam elegi par-
tem c/uic — SadiiSsufiismum, qui e Gulistàno et Cassida-
rum libris non satis elucet^ magis illustraret ».
La quatrième séance, plus longue, commence par les
louanges de Dieu, sage ordonnateur de la nature, et bienfai-
teur de tous les êtres, louanges analogues à celles du début
du Boustan. Elle se divise en deux points. Premier point :
la vie terrestre n'est qu'un songe ; seule la vie future existe
réellement. Aussi, ne vous attachez pas à la vie d'ici-bas (2).
Les exemples destinés à soutenir ce point, plus significatifs
(1) Trad. Sacy, p. 231.
(2) Ce n'est là, somme toute, que l'idée fondamentale du çoufisme.
LES CCUVKB8 BT l/l^niTlOry DB CALCITTA IO7
(jiie ceux (le la Iroisième î^t'aiico, méritent une mention.
D'abord L(M|niàn (jiii. à l'an^'o de la mort s'élonnanl de le
voir sans une maison à lui, répond : « Cela reviendrait .'i me
créer un motif de regretter ce monde qui n'en vaut point la
peine. » l*ui9 Noéqui, interrogé sur la vie terrestre, répond :
(* C'est une maison îi deux portes, Tune d'entrée, l'autre de
sortie. » \'ient ensuite la fameuse anecdote, plusieurs fois
reprise, du prince et du derviche: le derviche veut entrer
dans le palais (ju'il prend pour un caravansérail ; on lui ré-
pond : v< C'est le palais du prince. — A qui appartint-il tout
d'abord ? — A mon aïeul »> répond le prince. « Kt ensuite? .>
demande le derviche. « A mon bisaïeul, à mon trisaïeul >• et
ainsi de suite : de sorte que le derviche finit par conclure :
u Une maison où il a passé tant de générations n'est en
somme (ju'un caravansérail. » Le second point de la séance
consiste en ceci : l'amour de la vie terrestre est un solide
filet, la volupté de la vie terrestre un tas de grains, le démon
un chasseur rusé ; celui qui aime la vie est un oiseau attiré
par le grain. Heureux celui qui échappe aux lacs du chas-
seur ! Suit le développement de cette idée, sous la forme
imagée propre au génie persan en général, mais particulière-
ment caractéristique chez Saadi. On y lit cette apostrophe
où il se montre plus âpre et plus vigoureux qu'à l'ordinaire :
« 0 homme, ne blâme pas les adorateurs d'idoles car ils
ne sont esclaves que de statues, et toi, tu l'es de l'or et de
l'argent 1 -> La séance se termine par une série de préceptes
de pauvreté, d'humilité, de charité et de renoncement desti-
nés à réaliser l'union avec Dieu.
Le troisième opuscule (au sujet d'une (jueslion posée par
le çàhib-dîwân Chams ed din Jouwaïnii 'lia été intercalé
par l'éditeur de Bisoutoun dans sa propre introduction : il le
considère en effet comme apocryphe.
Le quatrième opuscule traite de la supériorité de la raison
(1) Ed. Calcutta, p. 7, recto. On en trouvera la Iraductioo dans Grnf,
Frûchigarten, p. 136ii-_'.
I08 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE H
('aql") sur le senliment ('ichq). « Esl-ce la raison ou lesenLi-
meiit qui mène Fliomme vers Dieu ? » demande, en huit dis-
tiques, rinlerloculeur de Saadi. Celui-ci répond : « Bien que
ces deux facultés ne se réunissent pas dans un seul individu,
elles coexistent pourtant dans Ion cerveau et ton cœur éveil-
lés. » Cet opuscule est considéré comme authentique.
Le cinquième opuscule, édité séparément par Barb,est in-
titulé ; Conseils aux rois.
Le sixième comporte trois parties : la première narrant la
rencontre de Saadi avec Abaqa Khan, à Tabriz (1); la
deuxième, considérée comme apocryphe par l'éditeur de
Bisouloun (2), l'intervention de Saadi en faveur de son frère
auprès de Chams ed Din Ta/igouï (3j ; la troisième partie,
court traité de politique dédié au gouverneur mongol Ankia-
nou (4). u On est frappé, en lisant cet opuscule », dit Barbier
de Meynard (5), « du ton de franchise presque rude avec le-
quel il parle au nouveau maître. Quelle meilleure preuve de
la grande popularité qu'il devait à son talent. »
Le septième opuscule, se composant de trois séances, n'est
autre qu'une parodie du deuxième dont il imite le style,
mais sur un fond de plaisanterie. Il amuse au demeurant par
le contraste continuel des idées comiques et du style sérieux.
Saadi parodiant le Coran, cela paraît pour le moins étrange ;
mais le court recueil de 9 facéties (moudhikât) graveleuses
— pour ne pas dire ordurières — qui le suit immédiatement,
va bien plus avant encore en cette voie. Il n'en est pas moins
dépassé par le recueil des Khabitât (littéralement a turpitu-
tudes ») (6) dont le titre révèle suffisamment le contenu. C'est
la veine du livre V du Gulistan^ histoires équivoques et po-
lissonnes, dues soit à un léger accès de sénilité, soit à une
(1) Cf. supra, p. 9"). Traduite dans Defrémery, Galislan, introd., p. 33.
(2) Cf. supra, p. 9, n" 3. Trad. Defrémery, ibid., p. 30.
(3) Ed. Calcutta, p. 9.
(4) Cf. supra, p. 94.
(5) Boustan, introd., p. 23,
(6) Ed. Calcutta, p. 475-480.
LBS CEIIVHB8 ET LEIIITION I)K CALCIMTA 1 09
coinj)laisaiico du poêle (jui tli'-sirail satisfaire ii**^ ^'oûls de ses
|)rolecleiii's. Cv (jiu* laisse rnleiidre au reste I iiilrodiiction
du recueil : << l'u prince me conlraiL,'uil à composer un livre
do futilités, sur le modèle de Soù/.am*. Je no le faisais pas,
n'y ayaul aucun i;oùt. Mais comme je no trouvais aucun
moyen d'éluder son ordre, je composai ces vers, dont je de-
mande pardon {\ Dieu très-haut. C'est un petit ouvrage
de ton badin. (^Jue les esprits distingués ne m'en blâment pas,
caria plaisanterie esta l'entretien ce que le sel est aux mets».
Son/anî, c'est ce que la poésie persane a connu de plus
licencieux et de plus hardi ji : el, malgré tout l'art qu'il y
déploie, on regrelte pour Saadi ces amusements en vérité
indignes de son génie. « Les facéties », déclare Paul Ilorn,
lin connaisseur de la lilléralure j)ersane, < dépassent en indé-
cence tout ce (ju'un occidental peut imaginer » (2). .\I. 1']. (i.
Browne (3j, d'autre part, s'atlachant plus à la forme (ju'au
contenu, les signale comme poèmes du genre macaroni(jue,
contamination de l'arabe el du persan,
A ces (cuvres en prose succèdent, dans l'édition do Cal-
cutta, le (iulisl^m et le liousf.in qui seront examinés plus
loin (4 . I*uis les poèmes lyricjues, le ditvi'tn proprement dit,
formant Irei/e recueils d'imporlance variable.
Ces poèmes commencèrent de bonne heure la renommée
de Saadi : on a vu (.*)) que, dès son voyage à Kachgar, il était
déjà réputé comme poète. Ces ouvrages n'auraient du reste
pas suffi à lui assurer la véritable gloire littéraire que lui
conquirent, plus tard, le lioustmi et le CiulUtan : on y per-
çoit déjà, et fréquemment, le penchant moralisateur qui lui
est propre ; mais, en général, il se contente, dans ces poèmes,
d'exprimer des impressions fugitives. Ce lyrisme n'est peut-
Il) Sur Soûzani, conlt^-nporain du Sultan Sanjar (51 1-552/1 117 1 157), cf.
Tarikh-i-|;u7.id,ili Irad. Urowiu', n* .ir».
(2) Pertische l.ili., p. 13G.
(3) Literary llistnry. II, \> 4r..
(4) Cf. injra, p. 123 el suiv.
(5) Cf. supra, p. 25.
IIO PHEMIÈUE PARTIE. — CHAPITRE II
èlre pas loujours 1res personnel, mais c'esl bien cependant
du lyrisme, an sens subjectif qne suppose le mot. Tantôt il
y dépeint un sentiment qu'il vient d'éprouver lui-même ;
tantôt il prend prétexte d'un événement public qu'il exalte
ou déplore, ajoutant ainsi à son lyrisme une note semi-offi-
cielle ; tantôt, enfin, — poésie purement officielle — il com-
pose, en termes le plus souvent dilhyrambiques, le panégy-
rique d'un prince ou d'un grand personnage (1 ).
Ces poèmes se divisent, au point de vue de la forme, en
deux catégories principales : les qacidas et les ghazals. Ces
formes n'existant pas dans la poésie occidentale, il est fort
difficile d'assigner à ces termes un équivalent français. On
admettra cependant, pour simplifier la question, que, très
approximativement, l'élégie correspond à la qacida et l'ode
au ghazal.
Les qacidas se subdivisent en trois recueils : qacidas ara-
bes, qacidas persanes, moulammaât.
Les premières furent, en général, sévèrement appréciées.
« En Perse et aux Indes \), écrit M. E.-G. Browne (2), « il est
généralement établi que les qacidas arabes de Saadi sont très
remarquables, Mais les orientalistes les regardent comme
de fort médiocres productions. Ses qacidas persanes sont,
en revanche, supérieures. >- Quant à Rûckert, l'orientaliste-
poète, plein d'assurance et de passion, il n'hésite pas à se
prononcer n priori (3) : « Les qacidas arabes et les mulam-
maât sont sans valeur et surtout le texte s'en trouve mal
établi. On peut dire sans exagération qu'elles contiennent à
peine une ligne, à peine un mot exacts. Il faut toutefois faire
une réserve sous ce rapport. J'ai eu à rétablir ce que je pou-
vais. Le reste blesse la grammaire et la métrique, mais le
(1) « Les poètes ne composent leurs panégyriques que lorsque l'empire
jouit d'une grande prospérité et lorsqu'ils sont assurés de recevoir de
larges gratifications. » Mohammed Ibn Ali Havendy (cité par Gh. Schefer,
in Nouv. Mél. or. Bib. Ec, LL. 00, 1886, p. 7) ; sur Saadi, panégyriste,
cf. Grandriss, II, 159.
(2) Literary History, II, 533.
i'3) Cité Rûckert, Saadis Politische Gedichie, p. 148.
IIS tKlJVUKM KT I. KOniON l)K t:Al.t:iJllV III
poMe liii-mr'mo n'a ni mieux su ni mieux voulu. >. On ne
(leniatide sur (|Uoi Hiickerl se base pour aflirnuT (|ue «< le
poète lui-ni6me n'a ni miuux»u ni mieux voulu », alors qu'il
vient précisément do déclarer que le texte de son «ruvrc no
nous est j)our ainsi dire pas parvenu. L'éditeur du travail de
Hiickerl. .\I. liayer, rétablit, il est vrai, l'équilibre, en dé-
clarant dans le même ouvrage (1) : « Siadi prolita de son
séjour à Bagdad p(»ur faire sienne la langue arabe (juii j)ar-
lait comme sa lant^ue maternelle et pouvait consacrer à s'ex-
primer dans dos poésies parfaites de forme. » Opinion ci peu
près conforme à celle d Ibii Ijaloulab (2; (jui aftirme de con-
liance : « Saadi a souvent déployé beaucoup de talent dans
ses compositions en arabe. » V.n fait les poésies arabes de
Saadi no méritent ni cet excès d honneur, ni cette indi<;nité ;
il est certain qu'il maniaitaisément cette langue, témoin (si
l'on veut à toute force sacrifier les qacidas arabes) les vers ara-
bes qui parsèment le GulUtan ; il est par contre aussi certain
(ju'il n'écrivait en cette langue qu'assez artificiellement, de
même que l'on écrit en latin depuis les temps modernes. Au
reste, à partir du douzième siècle de notre ère, la langue arabe
avait cessé d'être généralement comprise en Perse et en
Transoxiane ; fait allégué par plusieurs auteurs, notam-
ment par Fadlil Allah d'Isfizar dans sa traduction des vei*8 do
Kaiila et himna (3|.
Saadi n'était pas seul dans le Fars à composer des vers ara-
bes : Amid ed Din .\bou Na^r es Saad Abri/i i iK vizir du
prince de Chiraz. Saad. père du protecteur de Saadi, lui avait
sans doute donné l'exemple en composant îN la fois des poésies
arabes et persanes. 1) autres persévéraient en cette voie,
même sous la domination mongole (5). .\prè^ tout, un poète
(i) (>/>. cU., p. 3.
(2) Voyngei, If, 87.
(3) Gh. Scliefer, Fiibleaii dti règne du Sullan .Siiidjar, in V<j'ii'. Mèi. or.
Bib. Bc. Ll.. 00, «8Xfi, p. J3.
(4) Cf. Hamnier, nkliai\t,{\, 230
(5) Cf. la trad. par K -G. [Irowiir ii . n ip u- NlMl>.,^»,l i .ifikii. livi- .
deb) sur let poètes: n» 30 (Rail ed Diii MikrAni) et n* 8-2^Six«m ed I^in).
lia PREMIERE PARTIE. CHAPITRE H
persan qui composait des vers arabes ne faisait en quel(jue
sorte que revenir au passé, puis({ue, depuis la conquête de
la Perse par les Arabes, les Persans avaient adopté la langue
des vainqueurs, en attendant que le poète Roudagui réveil-
lât le génie du vieil Iran qui sommeillait depuis trois siè-
cles (1).
. Saadi ne se contenta pas de composer des poésies arabes.
De même que plusieurs de ses contemporains, il réalisa le
lourde force poétique qui consiste à faire alterner les vers
arabes et les vers persans : les poèmes de cette espèce forment
son recueil de Moulammaàl. Moulammaàt, cela signifie :
recueil de poèmes dits; moulamma'-i-mahjoùb (2), ghazals
dans lesquels se suivent régulièrement distiques arabes et dis-
tiques persans. Parfois, le premier vers du poème est mi-arabe
mi-persan (ou vice versa). Ce qu'on appelle en métrique
persane : moulamma'-i-makchoûf. C'est notamment le cas de
plusieurs des Moulammaàt de Saadi. Ainsi dans le deuxième
poème du recueil (éd. Calcutta, p. 250 v°), le premier vers
est mi-arabe, mi-persan, le deuxième, mi-persan, mi-arabe,
et ainsi de suite jusqu'à la fin delà pièce, de sorte qu'un mot
persan y rime régulièrement avec un mot arabe. Saadi,jouant
la difficulté, ne se contentait pas, au demeurant, de rimer
en deux langues ; la dernière pièce du même recueil est tri-
lingue, c'est-à-dire composée d'une succession de trois disti-
ques, le premier arabe, le deuxième persan, le troisième
turc. Après le 18^ distique arabe, quatre vers persans ter-
minent le poème. Certains manuscrits afin de spécifier son
caractère trilingue, l'intitulent: moutsallats (terme impropre,
car ce participe arabe signifie : poème en strophes à trois
hémistiches dont les deux premiers riment ensemble).
Saadi ne s'arrêta pas là, si l'on admet comme authentique
certaine pièce de son dîwàn, qui, à ce titre, n'est du reste
(1) îbid., n" 32 : « Roudagui lut le pionaier des poètes persans, qui,
avant lui, s'exprimaient exclusivement en arabe r> (Roudagui vivait au
temps du prince Samanide Amii- Naçr, 913-942/301-331).
(2) Cf. Riickert, Grammatik, Poelik iind Rhelorik der Perser, p. 184.
LB8 («;UVIU:S l-.I l l'itllIoN DK CALCUTTA Il3
pas imi«|iu' dans la lillcraliire porsanc (1) : à la pa^o UVS i"
de l'cdilion di' (ialciiUa su Iroiivo un pot-nie ayant pour sujet
le caprice de la bien-aimée. L'orienlalisle l'iaciier (jui rludia
ce poème (2) réussit à rlablir ridcMlilc- des dillerenls disti-
ques : les on/0 premiers sont persans, mais les suivants
appartiennent successivement au turc oriental, à une laui^'uo
mongole (mogullclieh i ([ui est en réalité du turc, à l'arabe
(tàzî), auk urde, au dialecte d'Idj (Fars), à celui de Caze-
roun(3), au turc d'Asie mineure, au louie. aux dialectes de
Kachan, du Kirman, d Isj)aban, de Ca/win, du Khorassan,
à riundi, au dialecte de C^hira/. et au /.en;;ui. Donc, en met-
tant de côté le persan littéraire, \i\ dialectes se trouvent
réunis en cpielques vers. Il eu fallait beaucoup moins pour
attribuer à Saadi une réputation de poète polyglotte et, en
!St3, (iarcin de Tassy, dans le Jnurn.il ;isi.iti(juc (i), pro-
clama Saadi le père delà poésie hindouslanie ; sa théorie fut
réfutée en 1852 par Sprenger (5). Garcin de Tassy avait tout
d'abord, dans son Histoire de la littérnture liindousl.mie
(I, 434), adopté l'opinion du biographe Fath Ali Ilouvaïni
Gourdazi, attribuant à un certain Saadi, né dans le Décan,
les vers hindoustanis (|u'une tradition conservée dans l'Inde
mettait sous le nom du Saadi de Chiraz ; puis, se basant sur
un biographe postérieur à Gourdazi, il publia son article de
1843. Sprenger, dans le sien, maintint l'attribution à Saadi
du Décan, allégiuuil que l'attribution à Saadi de Chira/ était
due à QiyAm ed Din Qaïm; dont le recueil biographique,
rédigé en 17oi, était par conséquent fort tardif, et que l'opi-
nion de Gourdazi, plus ancien, lui semblait indiscutable.
Actuellement, en dépit d'une réponse de (iarcin de Tassy (<))
(i) Cf. Cl. Huart. Le Ghazcl heptagloUe d'.\.bou-Uhaq Ilaliftdj. J. A.
1914, IV. p. 629.
(1) Z. D. M. G., XXX. 89.
(3) I).ins le quatrain S3, Saadi parie d'un jeune Clura/.ion tils de bédouin
et qui parle les dialecte» de Cazeroun et du Louristan.
(4) J. A. 1843, l'* part. p. 5 et «uiv. ; 2* pari. p. 301 et suiv .
(5) J. A. S. of iJengal, XXI. p. 513.
{f>) J.A., 1853, 11,369 :« Caïm el KamAl adiuelleul Saadi de Scbiraz parmi
M. - 8
11^ PHËUIËUl!) PAHTIE. CHAPITRE II
la i|iK'sli()ii paraît délinilivement réglée : les poésies hin-
douslanies atlribiiées à Saadi de Gliiraz appaiiiennenl à son
homonyme du Décan, et Barbier de Meynard, clair et précis
comme d'habitude, a réglé le débat en quelques lignes (1).
Quant au poème polyglotte, composé sans doute par Saadi
et dont il vient d'être question, il ne suppose pas la connais-
sance indispensable de tous les dialectes qu'il réunit : pour
ceux de la Perse, le va-et-vient continuel des caravanes met-
tait le poète à même de rencontrer des voyageurs {ne fût-ce
que les chameliers) des diverses villes de l'Iran, capables
de le documenter sur leur vocabulaire : il s'agissait en effet
de quelques mots de chaque dialecte, puisque ce poème
représente une sorte de gageure, sans autre exemple dans
l'œuvre de Saadi. Quant aux distiques en dialectes turc et
hindi, il les avait peut-être composés lors même de son pas-
sage en Asie mineure ou en Hindoustan. De ce qu'un élève
de rhétorique bâtit par hasard quelques vers latins, il ne
s'ensuit pas qu'il soit latiniste, et c'est probablement à cette
mesure qu'il convient de ramener l'habileté de Saadi en ce
domaine (2).
Ces amusements assez vains ne sont au reste qu'acciden-
tels dans l'œuvre du poète : y insister lui ferait peu d'hon-
neur et constituerait une sorte d'injustice envers ses autres
recueils.
Pour en revenir aux qacidas persanes (3), elles sont, les
unes purement lyriques, les autres à tendances morales, d'au-
tres enfin, simples panégyriques. L'élément lyrique y cède
les poètes indiens... Gurdézî, Mîr Taquî et Schorisch pensent au contraire
que le Saadi qui a écrit en hindoustani est différent du premier. Je ne
parle pas des autres biographes qui se taisent sur ce point. » El cf. Histoire
de la UUéralare hindoastanie (2* éd.), III, 2-4.
(1) Boustan, introd., p. 16. Cf. sur la question E.-G. Browne, Literary His-
tory, II, 533.
(2; Au demeurant, Saadi n'eut pas été seul à composer des vers en lan-
gues étranp^ères. Sans remonter jusqu'à Ménage et au Cardinal de Poli-
gnac, il suffira de nommer André Gbéaier et Swinburne.
(3) Cf. Graf, Z. DM. G. (1855).
LES GEUVnSS BT L KUlTIOM DR CALCUTTA IIJ
l'ii gL^néral le pas au didacliquo ci Saadi écrit k bon droit (6«
(jacida) : « Le caractoro propre de Saadi est de prodiguer les
bons conseils ; il a (en lui) un parluni de musc (ju'il ne peut
cnij)êcber de se répandre. » A vrai dire, celle poésie morali-
satrice prête peu à la variété : les mOmes pensées morales
reviennent assez souvent sous une forme quelque peu mono-
lone. Aussi la valeur de ces poèmes esl-clle 1res variable. Si
l'on trouve en »juei<|ues-uns le vrai souille de l'inspiralion
soutenu par un style presque parfait, d'autres, par contre,
paraissent prolixes et dill'us ; les sentences morales s'y gref-
fent plus ou moins péniblement, alourdissant la pensée géné-
ratrice du poème. II est vrai (juedans les panéi^yricjues, cela
même dénoie en revanche quel(|ue indépendance de pensée :
alors que les poètes. orientaux entassent en ce genre les éloges
les plus outrés, Saadi joint régulièrement à ses llatteries, une
série de conseils ; il n'oublie pas, au demeurant, de prêcher
la générosité, et va même parfois jusque prendre les allures
tl'un véritable quémandeur.
Il est possible de dater approximativement certainesdesqa-
cidas persanes. Les n" 20 et 38 pleurent une jeunesse folle-
mentgaspilléeetfurentdonc composés, soit <Ma (indes voyages
do Saadi, soit après son retour à (^hiraz, retour célébré d'au-
Ire part dans la qacida n** Il où le poète chante l'agrément
de son pays natal et la fuite du temps inexorable. En outre,
celles (ju'il dédie à de grands personnages (en laissant de côté
les anonymes) nomment Abaqa-Khan, les deux frères Jou-
waïni (il adresse à chacun d eux quatre qacidas), le prince
Saijoukchah, le Gouverneur Ankianou, Chams ed Din Hou-
vaïn in" 13), Majd ed Din (n" 1 H). Une grande partie du recueil
est donc postérieure à la composition du lioiistnii cl du (iulis-
fan : lyrisme de vieillard, suppléant souvent à l'inspiration
par une arlillcielle rhétoricjue.
Assez artificiels eux aussi paraissent les poèmes formant
le reçut-il des marùthi ou ihrènes : Saadi déplore en termes
pompeux le Irépas des princes de Chira/, Abou Hakr, Saad
II, et consacre à chacun d'eux plusieurs pièces ; il y donne
Il6 PREMIÈUE PARTIE. CHAPITRE II
d'autre pari, en célébrant la mort du dernier calife de Bag-
dad, un pendant à sa première qacida arabe sur la chute
de la capitale abbasside. Poésie officielle assez froide : le
poète s'essouffle, accumulant des images cherchées, et court
vainement après le naturel.
On en peut dire autant du recueil suivant, les tarjiyât,\.iive
qui se traduirait,très imparfaitement du reste, par « refrains »
ou «rondeaux ». Ces poèmes sont monorimes et cela seul
laisse entendre quelle mince part ils réservent à l'inspiration
proprement dite : ils sont conçus dans la note sombre et
élégiaque, et, quant à la forme, dans le mètre poétique, dit :
tarji band (1). Ce ne sont plus des qacidas, mais des ghazals,
ghazals assez pénibles parce qu'assujettis à la convention
d'une rime tyrannique.
Les véritables ghazals, odes où le poète se laisse aller libre-
ment à son inspiration, forment les quatre recueils suivants
de l'édition de Calcutta, recueils qui semblent divisés plutôt
d'après les époques de la vie de Saadi que d'après leur conte-
nu (2). C'est là, suivant l'opinion de ses compatriotes, le meil-
leur de sa poésie lyrique. Jâmi, biographe de Saadi, n'hésite
pas à voir en lui le modèle des poètes qui composent des
ghazals. Dawlatchah (3) cite ce quatrain : u En poésie, trois
personnages sont prophètes et peuvent dire chacun : Il n'y a
personne après moi. Pour les descriptions, l'élégie (qacida)
et l'ode (ghazal) : Firdousi, Anwariet Saadi »; il y ajoute ce
commentaire : a II est juste de reconnaître qu'auprès des
élégies d'Anwari on peut placer celles de Khakâni ; auprès
des odes de l'éminent cheik Saadi, celles d'AmirKhusraw ».
A la vérité, ces deux biographes négligent un autre auteur
d'odes parfaites, compatriote de Saadi : Hâfiz. Hâfiz dépas-
sera Saadi dans l'expression de la mélancolie qui paraît déjà
cependant chez ce dernier, au milieu d'odes décrivant
(1) Riickert, op. cit., p. 77.
(2) E.-G. Browne {Literary Hisfory, II, p. 535) cite intégralement un
ghazal écrit sans doute quand Saadi était sur le point de quitter Chiraz
pour Bagdad.
(.3) T»zkarat-es-chouara(éd. Browne), p. bO.
Lr.8 fKUVIlES ET LLDIIION DR CALCUTTA II7
arflcMiuiU'iil le hoiilieur de hi vie lerreslre ; loiil à coiip,
de la descriplioii la |)liis fraielie, s'élèvenl les accents de la
plus soinhre Irislesse : la vie est si courte, tout y passe si vile.
C'est l'élernel chant do regret qui sommeille au fond de tout
homme, presque inconscient en général, mais soidlVant tt
sanglotant au fond de l'àmc du poile :
... nie(/in (le fond- h'jjnrinn
Snr(/if ;ini;iri n/ufiiid (^iiod In ipsis florihiis nitijnt .
1) aulre>i gha/als célèbrent la divinité, la naluie, l'amitié,
mais le sentiment qui les domine reste l'amour, avant tout
amour de la vie, puis amoui- di- léhi- liuniaiii. Mais (juci élrc
humain? L'ode persane excelle |)récisément à baigner de
pénombre l'objet de son ardeur: la femme musulmane vit
en général trop recluse pour faire éclore un véritable amour ;
et des êtres jeunes, plus accessibles, sont nécessaires à lins-
piration des poètes orientaux (pii ne sauraient concevoir,
sur un simple regard, l'éternelle et chaste passion de Dante
pour Béatrice.
Le premier recueil de g]»a/als, intitulé : 7V/y/7>,î/ (<< les sua-
ves ») {\), comprend 391) poèmes (éd. Calcutta, p. 26i-3()()).
On y trouve 25 mètres poéli«jues dilférenls. Les Tayïbâl
semblent antérieures aux qacidas. niais il paraît peu proba-
ble que le recueil ait été formé avant \2^\'l. Peu de passages
permettent d'assigner une date à la composition de ces poè-
mes : un panégyrique de l'atabek Mouhammad (éd. Calcutta,
p. 279), (pie le j)oète engage à écouter ses conseils de vieil-
lard (pend i-pîrâneh), une sorte de dédicace ci Saljoukchah
commenvant le recueil, après les inévitables invocations à
Allah et au Prophète, sont les seules (jui rtiilerment un élé-
ment hisloritpie.
Le deuxième recueil, inlilidé : h.id.if (« merveilles » com-
prend 192 pièces (éd. (Calcutta, pp. 3r)7-il4). l'n poème à la
louange d Allah ouvre le recueil dont le contenu est aualo-
(1) I,c mol se IrouTe employé dans une pièce (éd. CalcuUa, 281 v, m
fine) : •< I.e pois. mi Tcn.ml de loi esl un nectar ; les Tiienies (ralicii) sorlanl
de la bouche devienoenl suaves (layibAl). »
Il8 PREMIERE PARTIE. CHAPITRE II
gne au précédent. Saadi semble avoir particulièrement
estimé cette partie de son œuvre, car il s'y écrie : « Ecoute
simplement ma parole exquise, toi qui voyages bien loin
pour rapporter les trésor des mers et des mines. Si lu n'as
pas dans tes bagages les « merveilles » de Saadi, quel cadeau
apporteras-lu aux penseurs?» (Calcutta 404 v**, début).
Quant à la date du recueil, il s'y déclare assez souvent vieil-
lard [pir] (1) ; il semble revenu à Chiraz (p. 406 v°). Enfin,
deux poèmes (p. 373 et 383) dédiés au prince Saad, mort en
regagnant Chiraz, quelques jours après son père Abou
Bakr (2), sans avoir le temps de régner, furent sans doute
composés à la même époque que le Gulisian et le Boustan.
La longueur des poèmes est variable : de 5 à 23 distiques.
Le troisième recueil, les Khawàtim ( « les bagues » ) (3),
comprend 63 pièces (éd. Calcutta, pp. 415-429), allant de
5 à 19 distiques, et représente ce que Saadi a réalisé de plus
achevé dans le mode lyrique. Le contenu y vaut la forme et
l'on sent le poète parvenu au comble de son art. Il chante
son amour, mais avec l'équivoque ordinaire à la lyrique per-
sane : le poète s'adressant à la divinité exprime sa passion
d'une manière si tendre, pour ne pas dire si sensuelle, que,
dans l'esprit du lecteur, un doute troublant ne cesse de flot-
ter : quel est cet Ami, dont le désir éperdu fait gémir le poète,
dont la vue lui est continuellement refusée, dont la splendeur
augmente encore par suite de l'indignité et du néant de son
adorateur ? cet être mystérieux qu'on aime de toute la force
de son corps et de son cœur, auquel on se dévoue sans re-
tour en dépit de tous ses dédains, en lequel on s'efforce sans
cesse de se confondre et de s'anéantir? Panthéisme, dira-t-on.
Et ce panlhéisme, particulier au génie mystique de l'Iran,
applique à l'objet de son culte les images de tous les aspects
(1) Notamment p. 388 v*. La pièce p. 391 v* contient, elle aussi, des
signes de vieillesse : « Toute la fortune de Saadi, c'était sa douce élo-
quence ; elle l'a abandonné et je ne sais ce qui lui restera. »
(2) Abou Bakr y est nommé Abou Naçr ; sans doute erreur de copiste.
(3) Cf. Graf, Z. D. M. G., XV, 554.
LR8 <KIIVRB8 F.T l'^[)ITION DF. CJALCITTA I H»
(lu inonde oxlérionr, de 1 lioiinne ooinnio de Ih nature, com-
paranl la laille de l'Ami au cvprèd élancé et «a lace à la lune
bnilanle, décrivant ainoureusenionl sa l)oucle de cheveux
parfumée el la llèche de son re^^ard décochée par l'arc do sou
sourcil. A Iravers ces images physiques, sur les(|uelles le
poêle poursuit l'ombre d'une immatérielle divinité^ on ne
peut quhésilermalgré soi : Ami terrestre, Ami céleste, lequel
des deux ? ou seulement, dans cet hymne mystique à la
beauté, se trouvent-ils inextricablement confondus?
Le recueil des Khawàtim est dédié au prince de Chiraz
Abou Bakr, nommé (comme dans lesTayïbàl) Abou Naçr
au cours de la pièce linale. pièce oii 1 on trouve des vers ana-
logues à ceux de l'introduction du (riilistan célébrant le
retour à Chiraz (1). Aucune indication chronologicjue, sinon
celle-ci, très vague : une pièce i^oii le poète parle de son vieil
esprit tourmenté par un nouvel amour. Kn tout cas, du fait
qu'il est dédié à Abou Bakr, le recueil est, dans son ensemble,
antérieur aux deux précédents; le poète se trouve alors en
pleine célébrité, témoin ce passage : « La magie de ma |)a-
role s'est répandue dans le monde entier. Mais par celle de
ton regard je suis resté enchanté sans pouvoir réagir •> (3).
Va plus loin : n Tu aô entendu dire que les paroles de Saadi
se répandent de dura/, par le monde comme le musc de
Khoten (I) ».
Le quatrième recueil des ghazals, intitulé : GhrizRh'yât-i-
(j.idim (ghazals anciens) (5), est moins important au point de
vue de son contenu. Mais comme il s'agit de gha/als anciens,
c'est-à-dire « à la manière des anciens maîtres », une étude
de ces poèmes, avec comparaison à leurs modèles, serait
précieuse : étude (jui suppose au préalable une édition crili-
(jue du texte de Saadi, trop incertain encore dans 1 édition
de (Calcutta. Le recueil semble une (inivre de jeunesse.
(1) Hacher. Hadi-Sludien, p. 91.
(2; EH, Calcultn. p. 427-v.
(.1) Ed. Culcutta, p. i20-V.
(*) Ed. Cnlculla, p. 427-v».
ir.) Cf. /.. I). M. G.. XX.X. p. 01.
120 PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE II
Outre les qacidas et les ghazals, les œuvres proprement
lyriques de Saadi se composent de trois courts recueils : des
quatrains (roubâ'viàt), des fragments (mouqatta'ât) et des
vers isolés (moufradàt).
Le recueil des quatrains (1) est, somme toute, factice,
car on en rencontre d'autres, épars dans le diwàn de Saadi,
par exemple dans le Çahih-Nâme h doniii sera question plus
loin (2). Outre la commodité du quatrain pour exprimer
une courte pensée, Saadi voulut peut-être rivaliser avec les
grands poètes, Khayyâm, Abou Saïd, qui l'avaient précédé
dans ce genre et lui restent au demeurant supérieurs.
Quant aux vers isolés et aux fragments, ils forment une
série d'observations basées sur l'expérience que le poète a
tirée de l'existence ; certains confinent à l'épigramme, mais
la note dominante est celle de l'aphorisme poétique. On est
ainsi ramené insensiblement à la tendance morale qui cons-
titue le fond du génie de Saadi et qui trouve son expression
la plus ample dans ces trois recueils : le Çâhib-Nâmeh, le
Gulisfan, le Boustan.
Le Çàhih-Nàmeh on « çâhibiyah » (éd. Calcutta, pp. 438-
451) a fait l'objet d'une édition critique de W. Bâcher : dans
sa préface, celui-ci déclare assez justement que son travail
joue, en quelque sorte, le rôle d'édition princeps en compa-
raison de celles qui l'ont précédée. Il suffit en effet de com-
parer le texte de l'édition de Calcutta à celui de Bâcher pour
constater quelles divergences les séparent, En outre, les
différents manuscrits, mélangeant plus ou moins le Çâhih-
Nàmeh et les niouqattaàt^ créent ainsi un autre élément de
confusion. Bâcher a prétendu démontrer d'autre part que
le o' opuscule en prose (éd. Calcutta pp. 19-23) servait en
réalité d'introduction au Çàhih-Nàmeh (3). Cette affirma-
(1) Graf. Z. D. M. G., XVIII, p. 570.
(2) Cf. entre autres un quatrain isolé, éd. Calcutta, p. 47.3-vo.
(3) 11 déclare se baser sur un manuscrit de Gotha, où se trouve, à la fin
de la 3' risala, cette phrase qui précède la partie versifiée du Çdhib-Nameh :
< La prose de cet écrit est finie ; je commence les vers. »
LPS (i:UVBF8 ET lVdITION DE CALriTTA 131
tion a t'U' coriiballuc par le 1)' l^ieii (1 ) : le .■)•■ opusoulc sciait
au conliaiic inclrpeiulanl et, s'il fanl une inlrotluclion au
Çàhib-Si'tmch, ce sérail plus logiijueniciil le W opuscule
rapporta 11 I un en l relien eulre Chams ed l)in JouNNaïni et
Saadi. Le recueil est en elFet (h'-dié au Çi\lul)-l)îwân, d'où ses
deux titres employés l'un ou l'aulre suivant les manuscrits.
\'oici celte di'dicace assez pompeuse (('d. (Calcutta, p. it3 v") :
<« Ce livre des enseignements, en poésie et en prose élé-
gantes, livre qui convient à la cour des rois et des princes, je
l'ai envoyé au sei<,Mi('ur, Maître «l'un horoscope heureux,
afin «pi'il l'accepte avec le re<,'ard du contentement. » Saadi
tenait sans doute très particulièrement à satisfaire Chams
ed Din, dans l'espoir d'une fastueuse rémunération, car
l'ouvrage renferme plusieuis allusions à la générosité des
grands « aussi étendue que l'océan ». Par exemple : « Faites
parvenir à l'entendement du prince, lorsque l'occasion est
propice, ceci : () toi dont la main est la clef (jui ouvre les
trésors des largesses, de par la grâce qui l'est naturelle, dans
le verger des réalités, aucune floraison ne s'est flétrie il est
vrai, mais aussi aucun parfum ne s'est exhalé. Sans doute la
générosité est la manière hahituelle des nobles ; on m'a dit
que tu en as ainsi usé envers moi, mais je n'ai rien reçu >•
(éd. Calcutta, ii^-v"). Au reste l'effort du poète ne semble
pas avoir été vain, car il dit plus loin : -< Seigneur, tu m'as
envoyé l'honneur et l'argent. Que ta fortune s'accroisse,
que ton ennemi succombe, que chacun de les dinars devienne
une année de la vie, de sorte que tu vives encore 3o() ans »
(Il avait donc re(.u 'XM) dinars). Chams ed Din avait invi-
té le poète à se rendre auprès de lui : Saadi s'excuse en allé-
guant son désir de terminer sa vie dans la retraile : « Le
maître du diwan suprême dit : Pounjnoi ne viens-tu pas
à la Cour? Mais avec les besoins qui me sont propres, ce
sérail déraison de me montrer. » Plus loin. Snndi. protes-
tant contre l'indulgence que lui témoigne le ministre, s'écrie :
(1) Cal. persian mss. firitish ilnx.
122 l'REAriERE PAUTIB. — CHAPITRE II
« Ce n'est pas preuve d'amitié fraternelle que mes faiblesses
soient à tes yeux des vertus. Non! si j'agis contre le bon
droit, tu dois, à cause de l'amilié, me traiter en ennemi. »
Bâcher, dans son introduction, a caractérisé l'ouvrage en
ces termes : « C'est une manière de journal poétique où il ne
faut pas s'attendre à une unité de contenu et à une succes-
sion systématique des poèmes isolés ; donc une œuvre litté-
raire qu'on peut comparer aux « Proverbes en vers » de
Gœthe et qui, en vertu de la variété des sujets traités, est
tout indiquée comme introduction à l'esprit et à la langue
poétique de Saadi et à la poésie persane en général. »
« Introduction à la poésie persane en général », c'est légè-
rement exagérer. «A la langue poétique de Saadi », peut-être,
encore qu'à ces aphorismes, se présentant sans suite ni déve-
loppement logiques, manque ce qui fait tout le charme du
Boustan et du Gulistrin : des idées morales sans cesse illus-
trées par des apologues (1). La langue poétique de Saadi
paraît autrement riche dans ses deux principaux ouvrages,
alors que, si l'on y rencontre assez fréquemment des senten-
ces bien frappées et, plus rarement, de courtes historiettes,
l'ensemble du Çàhih Aàme/i, composé dans un style précis
mais abstrait, fatigue à la longue. On pense aux quatrains
moraux de Pibrac, si secs et impossibles à lire d'un trait .*
« Une morale nue apporte de l'ennui ».
v< Introduction à l'esprit de Saadi », enfin, semble plus juste.
Le Çàhih-Nâmeh contient en effet la quintessence des idées
de Saadi sur l'existence. Le poète, dans cette œuvre posté-
rieure au Boustan et au Gulistan, resserre sa manière et
concentre sa pensée, sans concessions aux grâces. Il amasse,
au profit de son protecteur, la somme de ses expériences,
et jette sur la vie de ce monde un dernier regard de douce
indulgence, f^a mansuétude pénètre tous ses conseils : jus-
tice envers les sujets, prudence envers l'ennemi, bonté
(1) On renconlre cependant quelques rares historielles en vers, qui se-
raient, à vrai dire, plus à leur place dans le Boiislan (éd. Bâcher, p. 117,
125, 140).
LR8 a=:UVBB8 FT L KDITION I>i: rvl.iiUTTA I ^ .i
envern 80n [irocliaiii, ii'î^i^'nalioii aux rvéncinenls. loul
cela s'i'xprinu' tour à lour t'ii niioltjiius li^MJcs, nous forme
d'obst-rvaliim. de penst'c, tlo sciiU-ncecm (i'i''|jij^ramino, mais
presque toujours sans lesecouinde l'image. Aussi ce recueil,
si condcnst' qu'il soil, paraîl inférieur au iioustnn cl au (iu-
lislun (IduL volonlaircmenl ou non, il reproduit parfois dcfl
distiques.
Le Iioustnn, terminé en 12;)7, constitue le «• grand (lmintc »
de Saadi. L'école turque des commentateurs crut pouvoir
déduire de certains passa^'ea du livre qu'il avait été rédigé,
non en IVrse, mais à Damas. L'un deux allègue, entre autres,
ce passage ; <« Ces vers, j'en conviens, n'auront pas plus de
valeur en Perse que n'en a le musc en Tarlario ; ma réputa-
tion, comme le bruit du tambour, gagne à être entendue de
loin et l'absence jette un voile sur mes imperfections )h p. 9).
Mais, d'abord, rien ne permet de choisir Damas de préfé-
rence à tout autre lieu ; ensuite, le passage cité semble devoir
être au contraire ainsi entendu : « Nul n'est prophète en son
pays ; si mon livre parvenait de loin à ma patrie, il aurait
plus de succès. •> Le texte du fioustan, altéré et difficile,
suscita en elTet un double courant de commentaires : l'un
venant de 1 Inde, et utilisé par Graf dans son édition (Vienne.
18o8i; l'autre, d'origine turque, plus récemment étudié, et
représenté particulièrement par Chami'i, Sourouri et
Soudi^l,. Ce dernier composa dans la seconde moitié du
W'I* siècle une édition avec commentaires, où il utilisa les
travaux de ses devanciers. Quant à Sourouri (2), on lui doit
non seulement un commentaire en persan du Uoust.m, mais
encore un commentaire en arabe du (inlistuii, plus étendu
et leriîiiné en S'irM^ à Amasie, pairie de Strnbon : ce dernier
(l'i Cf. Marbier do MpynarH, J. A., 1S80, XV. p. 304. Le mômo oricnla-
lislP a donn»*, «lans s<m introduction au Hntistnn, p. 31. une biographie
dtUailIée de S<»udi. Il s'y élève contre l'esprit de système de» commcnta-
tetirs turc» qui bâtissent sur quelques racontars populaires une biographie
tout imaginaire de Saadl. Of. en outre GrundrisH der Iran. Philol., II, 595.
(S) Cf. Brockelmann, Arah. ;.i»., II, 438. On peut prendre une id^e de
son c«jranienl«irc dans Graf, Rosenyarten .
124 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
travail contient, outre des explications de noms propres et
de proverbes, quelques vers et historiettes « en marge » de
Saadi.
Le mot « boùstàn » (persan : Aow, parfum, et suffixe s/a/i =
lieu des parfums), a maintes fois setvi de titre, soit à des re-
cueils littéraires, soit à des ouvrages historiques, tant en
arabe qu'en persan. Il suffit, pour s'en convaincre, de parcou-
rir la longue liste donnée par le Lexicon d'Hadji Khalfa (1 ).
L'ouvrage de Saadi, connu surtout sous ce titre, porte par-
fois, d'autre part, dans certains manuscrits (2), le nom de
u Saadi-Nâmeh », c'est-à-dire « livre de Saadi par excel-
lence )'. Le poète lui-même le considérait comme tel, ainsi
qu'il le déclare en ces lignes d'une modestie presque tou-
chante (p. 9) ; « Ce livre, précieux écrin... j'y ai prodigué
les bijoux à pleines mains et pourtant je courbe ma tête avec
confusion Lecteur intelligent et sage.. . j'implore timide-
ment ton indulgence... N'aurais-tu à louer qu'un seul de
mes vers entre mille, sois généreux et épargne-moi ton
blâme. »
Le poème, car c'est en réalité, sous une forme anecdoti-
que, une épopée morale (3), commence par une invocation
à Dieu et un éloge du prophète et des quatre prem'iers cali-
fes (4). Cette invocation à Dieu ressemble à celle d'Attar et
de Jalal ed Din, mais sans cette sorte de délire panthéiste
(1) Hadji Khalfa (éd. Flugel), II, p. 50-y3, n<" 1809 à 1829 (le n° 1828
concerne l'ouvrage de Saadi et les commentaires dont il fut l'objet). Un
autre ouvrage est cité par Ibn Muyassar, Annales d'Egypte (éd. H. Massé),
p. 70, 1. 2. Cf. en outre Brockelmann, Arah. Lj7^, index, s. v. ; Grundriss
der iran. Philol., index, s. v.
(2) Par exemple le ms. de Gotha, utilisé par Bâcher pour son édition du
Çahih-Nameh.
(3) Le poème compte 4104 vers dans Téd. Graf (Vienne, 1858).
(4) Blochmann, Prosody oj the Persians, p. 93 : « Depuis le temps de
Nizâmi, il est devenu obligatoire pour les poètes de commencer les Di-
wans, Mesnewis, etc., par la louange de Dieu, ensuite la louange du
Prophète, la prière que le poète fait à Dieu pour soi-même, la louange du
prince régnant, la raison de la composition du livre, la glorification du
don de la parole et de la poésie. »
LRS f>:t'V»Fa RT L KDITIO DE CALCUTTA I2&
(jiii lail soii^'cT. loixm'oii lit cfs tri'S grands poilt's, à ce
dont parle IMalon dans son admirable dialoi^iic d'Iôn. Pnif»,
avant la lonange du [)rince régnant (|iii termine la préface dn
poème, Saadi, suivant l'usage établi, expose ce qu'il a voulu
réaliser ip. H] : « J'ai élevé ce monument à la sagesse et l'ai
disposé en dix chapitres. Le sujet du |)remier chapitre est la
justice, la prudence dans la délibération, l'art de gouverner
les hommes, la crainte de Dieu. Le deuxième traite de la
bienfaisance et de la gratitude que les faveurs du ciel doivent
inspirer aux riches. Le troisième ilécrit l'ivresse et les trans-
ports de l'amour, mais de l'amour mysticjue. Le ([uatrième
est consacré à la modestie. Le cinquième à la résignation. Le
sixième dépeint l'homme qui pratique le renoncement. Le
septième traite de l'éducation. Le huitième, des actions de
grâce (jue l'homme doit à Dieu dans la prospérité. Le neu-
vième, du repentir et de la voie du salut. Le dixième ren-
ferme des prières et la conclusion du poème » (1). Ce plan,
on le verra, diffère assez peu de celui du (lulist/m qu'il pré-
cède de quehjues mois. Mais dans le Ihnisf.in circule un
courant myslitjue beaucoup plus intense, courant dissimulé,
il est vrai, sous une floraison, presque trop luxuriante, de
métaphores et de jeux de mois: d'où parfois, prolixité (2).
Kn revanche, pour l'orientaliste, le lioustun prêle plus au
commentaire que le (iulist.in, grâce à l'abondance des
anecdotes historiques, des proverbes, des allusions aux
croyances des musulmans et des métaphores plus ou moins
cherchées. Le JiousiHn fut au reste connu en Kurope bien
postérieurement au (îu/isf.m, et J. MohI le regrettait en ces
termes (3i : a C'est un ouvrage qui a toujours été négligé en
Europe, on ne sait trop pourquoi, car c'est un recueil d'anec-
dotes avec leur application morale, tout aussi gracieusement
pensé et raconté et qui mérite tout autant de popularité tjue
(1) Sur la cunclusion du poème, cf. S»cy, Pend- Sameh, p. 312-314, notes.
(2) Il f«ut ajouter qae. sur ce poial, Saadi fut dépassé plus t«r<l fur
Jami et Houssain Waiz.
(3) J. K., ISr.l, .Wlll. p. IDtf.
126 PREMIÈRE PARTIR. CHAPITRE II
le (julisfnn. » En fail, il fui moins populaire parce qu'il res-
ta, jusqu'au milieu du dix-neuvième siècle (1), dans le
même cas que les œuvres d'autres poètes persans qui atten-
dent, aujourd'hui encore, une traduction. Puis son caractère
mystique, son style en général plus poétique que narratif,
le rendaient moins facile à lire que le Gulistan.
Celui-ci, composé un an plus tard, est moins important.
C'est en quelque sorte le Boust.in dépouillé de son appareil
mystique (si l'on met de côté le chapitre II, d'un mysticisme
au demeurant très édulcoré). Texte moins long, plus facile à
traduire, parce qu'une prose très élégante et, par comparai-
son aux autres recueils persans du même genre, extrême-
ment simple, y prend le pas sur les vers. On peut dire que,
dans le Gulistan, les parties purement narratives sont écrites
en prose, les vers réservés particulièrement à l'exposé des
idées morales de Saadi, traduites en images.
Le mot « gulistan » {ffu/, rose, et suïiixe stân = roseraie),
employé comme titre d'ouvrage, a joui d'une moindre for-
tune que le mot « boûstân ». On usa plutôt en ce genre de
ses synonymes : gulchen et gulzâr ; Hadji Khalfa (2) consa-
cre au Gulistan une courte mention, énumérant les titres
des chapitres où l'on rencontre, dit-il, « des proverbes curieux
et des traits d'esprit remarquables ». Il y ajoute une liste de
commentateurs du Gulistan (3).
L'ouvrage fut sans doute écrit assez rapidement puisque
Saadi déclare dans sa préface l'avoir commencé au début
du mois d'avril (« ardibéhicht », mois jalalien) (4) et ter-
(1) Hors une traduction d'Olearius, si rare qu'on peul dire qu'elle
n'existe pas.
(2) Lexicon (éd. Flûgel), V, p. 230-232, n» 10832. On y trouvera des ou-
vrages intitulés Galzâr (ibid., n°» 10830 et 10831) et Gulchen (n»» 10833-
10840).
(3) Cf. Bibliographie (commentaires).
(4) Sur l'ère jalalienne, établie en Perse sous le Sultan Seljoukide Jalal
ed Din Malik chah, grâce aux observations de plusieurs astronomes (parmi
lesquels le poète Omar Khayyam), cf. Deguignes, Histoire générale des
Huns, II, 215 (Gulistan, trad. Sémelet, p. 61, n. 127) et surtout £nc)'ci.
Islam, s. V. Djalâlî.
iiiiiH' <« alors (m'il existait encore tloH roses au jardin . Les
lieux jueniiers chapitres auraient été réclij;és en quelques
jours, dans un style, dil-il i p. IG) «« (jui sera utile aux ora-
teurs et au^Muentera réloquence des «ecrétaires ». Kt, plus
loin /p. 21), expli(|uanl ce qu'il a voulu réaliser: ■« Nous
avons lait entrer dans ce livre, d une manière succincte, des
choses curieuses, îles traditions, des historicités, des vers et
des Iraits de la vie des anciens rois... Notre intention a été
de donner de bons conseils ", Kn somme un livre de délasse-
ment (jui néanmoins instruise. l'A c'est ce (ju il laisse enten-
dre dans celle invitation si douce (p. iTi) : <« A (juoi le ser-
virait une corbeille de roses ? llmporte plutôt une feuille de
mon Giilisf.tn. La rose vit seulement cinq ou six jours, mais
ce parterre de (iulislun) sera toujours beau. »
Car il a confiance en rimmorlalilé de son (ruvre. Il a beau
s'écrier *[). 10) : « 0 toi dont la cinquantaine est passée et
qui es encore dans le sommeil 1 », il n'en pense pas moins
(p. 2l) que : « Ce poème et son arrangement subsisteront
des années, après cjue cha(j'ue atome de notre poussière sera
tombé en un lieu dillVrent. Notre but est de tracer une j)oin-
lure qui nous survive »
Instinct toujours vivant au cœur de l'homme, de persévé-
rer dans l'être, et plus intense encore lorsqu'il sent que son
existence se hAle vers son terme (I ). Aussi, combien il désire,
avant de mourir, non seulement tenter de survivre par ses
ouvrages, mais encore jeter par le monde quelques parcelles
du trésor de son expérience ! Kn outre, il lient, en termi-
nant son ouvrage, A le caractériser une dernière t'ois [ p. 3 18 i :
« Le (iulisfnn... n'a pas été orné, par manière d'emprunt,
de pièces de vers des poètes anciens, ainsi que c'est la cou-
tume des auteurs (2 1. La majeure partie des discours de Saadi
(T '« personne ne lésire !<» non-ètre ; jamais la source de vie ne acsal-
lère assez, n {Çdhib-Sàmeh, p. 117.)
(2; .Saadi ne s'est pat fait scrupule de reproduire dans le GuUttaii dea
viîrs du R'HUtan. Ils sont indi'jués pur Defri^raerv, (iulixlan, index (s. t.
Bouslan . D'autre part, B.-G. Browne {lAUrary HUlory. II. p. 636-538) a
128 PREMIÈRE PARTIR. - CUiVrilHE II
excite la joie el se trouve mêlée d'agrément. Pour ce motif,
la langue du blâme s'allongera chez les gens à courte vue...
Mais il n'échappera pas à l'intelligence lumineuse des gens
sensés... que le remède amer de la morale a été mélangé avec
le miel delà plaisanterie, afin que l'esprit de celui à qui je
parlais ne fût pas ennuyé. ^)
En réalité, la lecture de ce mélange de prose et de vers
laisse une impression de fatigue, à qui le lit dans une traduc-
tion toujours impuissante à rendre la saveur de l'original.
On peut même se demander si, à tout prendre, le Boustan,
bien que plus compliqué, n'offre pas, en traduction, une idée
plus juste du génie de Saadi. Et c'est ici le lieu de comparer
le contenu des deux ouvrages.
Le Boustan contient dix chapitres, c'esl-à-dire deux de
plus que le Gulisfan {\). En outre, l'étendue des chapitres
qui se correspondent, du Gulistan au Boustan^ n'est pas
comparable. Ce dernier beaucoup plus long, car les con-
sidérations morales s'y trouvent franchement développées,
au point d'en devenir prolixes, alors qu'elles apparaissent
seulement esquissées dans le Gulistan.
Ainsi le chapitre P"" du Boustan ne comprend qu'une tren-
taine d'histoires contre 41 dans le chapitre I" du Gulistan
qui traite du même sujet; le chapitre VI du Boustan, une
quinzaine d'histoires contre 29 dans le chapitre III du Gu-
listan qui lui correspond. Malgré quoi, les chapitres du
Boustan sont de beaucoup les plus développés (2). Le pre-
mier chapitre, dans les deux recueils, traite de la conduite
et des devoirs des rois ; le sixième chapitre du Boustan et le
troisième du Gulistan, de la modération des désirs ; le cha-
pitre VII du Boustan et le chapitre VII du Gulistan, de
recaeilli une grande partie des vers, les uns se trouvant à la fois dans
le Gulistan et le Dhvan, les autres ayant passé dans Hafiz.
(i) Dans ces deux recueils, Saadi intercale parfois soit une phrase en-
tière, soit quelques mots en arabe. Ainsi, dans le Gulistan, Sémelet (introd.
de sa Irad., p. 10) a compté près de cent « loca arabica ».
(2j Un autre élément du Boustan manque presque totalement au Gulistan :
les allusions historiques (véridiques ou imaginées).
LES OEUVHKH RT L KniTK)N DK CALCUTTA IV(J
réducaliou. Mais, ii vrai dire, la proinirro inoilir de ce clia-
pilrc \'II (iii liou\t;m (|)|). 277-2S.S no rajiporlo bien pliilôt
aux avaulaLîes dti silence el trouve >oii aiialo^'iiu dans lo
cliaj)ilr«.' 1\ (lu (lnlislnn, consacré au même sujet. VX c'esl là
précisément (ju'on pervoil la diiïérence principale entre les
(\vn\ ouvra^'cs : alors «pie, dans le (iuli.st.in, la narration
remporte prescpie toujours sur la morale, c'est généralement
le contraire dans le lioustan (1).
Les autres chapitres des deux recueils présentent des rap-
ports moins étroits. Au chapitre III du lloustnn (sur l'amour
mystique) répondrait le chapitre II du (iuli.slun (nujeurs des
derviches) (2). (Juant aux autres chapitres, ils n'ont guère
d éipiivaloul d'un recueil à l'autre : ce sont, pour le lioustnn^
les chapitres l\' (de l'humanité). V (résignation i, Allure-
connaissance envers Dieui, IX (repentir) ; et, pour le (/'w-
lisl.in, les chapitres \ ^amoiir el jeunesse), \'I ^vieillesse).
Cesdeux chapitres du f/w//.9/,i/i,aveclesA'A.'</j//A.'i/, forment
tache dans l'œuvre de Saadi : .Vristophane, il est vrai, mé-
langea sans cesse les trivialités les plus révoltantes à la poésie
la plus délicate et la plus haute. Lui, du moins, ne se propo-
sait qu'un but |)olitique et littéraire, sans se soucier de
moraliser ses contemporains. Mais les anecdotes débitées
par Saadi, avec un sourire sénde, au sujet de vieillards qui
se croient toujours jeunes et d'amoureux ([ui tombent dans
les derniers égarements, compromettent péniblement la belle
tenue du recueil. Balzac qui déclarait écrire « à la lueur do
deux vérités éternelles : la monarchie el la religion » se
délassait, lui aussi, de ce (ju'il considérait comme son apos-
tolat littéraire, en écrivant S-irrazine ou la Fille aux yeux
dor ; mais ces récils se rachètent par un certain ton passionné
qui mancjue totalement aux anecdotes égrillardes de Saadi.
Somme loule. le liniistun el le dnlistuti, s'ils renferment
^1) A quelques hislorieUes prèn; par exemple, le récit liuinnrislii]ue de*
■ moutH (lu nèf^re et de la jeune fille (p. 2N4).
(2) .Sourouri (ciU^ Graf. Uotemjnrlfn, p. 267): < Par le mol <• derviches»
le poêle entend en général, dans le Gulittan, Ich ÇouHs. •<
y. - «
l30 PREMIÈRE PARTIE. CHAPITRE II
un fond commun, n'en dilVèrenL pas moins par la forme et
l'esprit : le Gulistan apparaît comme un « divertissement »,
au sens où Pascal entendait ce mot ; c'est im livre de cause-
ries, ou, si Ton veut, de « contes à soi-même » et l'on sent que
Saadi l'écrivit par plaisir. Quant au Boustan^ il représente
une véritable profession de foi et si, semble- t-il, dans le
Gulistaii. Saadi s'est proposé de décrire, sur un ton badin,
les rapports de riiomme avec ses semblables, il a prétendu
d autre part, dans le Boustan, composer au nom de la morale
transcendante un traité des devoirs de l'homme envers son
prochain et envers la personne divine. Cette morale, pleine
de bon sens et d'une modération singulière, si l'on songe à
l'époque d'exactions et de guerres sauvages au cours de la-
quelle Saadi l'élabora, forme le meilleur de son œuvre : il
convient, dès lors, de dégager les éléments fondamentaux
qui la composent.
DKL \11:MK i'AHTIl':
LE PENSEUR
Saadi n est pas un poêle pliiIoso[)lie, ;\ la nianii re de Lu-
crèce ou (le X'JLCny. C esl un uioialisle en vers, nioralisle au
sens strict du ruol, c'esl-à-dire un écrivain qui observe les
mœurs, les actions et les caractères de ses contemporains :
de toutes ces observations, inévitablement, se dé^^a^ent
d'elles-mêmes quelques idées «générales. Mais celte morale
est avant tout pratique et c'est ainsi qu'il faut d'abord la
considérer. Avant d'examiner Tbomme en soi, Saadi le
regarde se comporter envers ses semblables : il perçoit les
fautes, les défauts et, loin de les crili(juer â|>rement — il
usa rarement de la satire ( I ) — il s'elforce, dans sa poésie,
de proposer des façons et des règles meilleures. Il s'en est
du reste expliqué clairement à plusieurs reprises : <« Heureux
le lecteur béni du ciel h qui deux mots suffirent parmi les
conseils de Saadi », s"écrie-t-il dans le liousl:ui \^. i')) et,
plus loin (p. 277) : « C'est la vertu, la sagesse, la beauté morale
que je célèbre » (2). Plus lard, il écrira dans le Çi'ihib-Nûmeh
(éd. Bacber, p. 112): a Kcoute le conseil de Saadi avec
l'oreille de l'âme ; voici la voie k suivre : sois un homme et
avance » ; et encore [Ihid., p. 125) : <( Kcoute de ma bouche
le conseil qu'un autre ne donnerait pas si bravement... C^eux
qui ont une bonne étoile prêtent l'oreille au conseil de
Saadi (3), »>
(1) Bouttan, p. 107 : «Que n'as-tu, comme Saadi, la douceur et la pcrtun-
sion ? » Comparer Ernsme : « Admonere vohninus, non caslignre ».
(t) On peul voir une crili(|ue indirecte des poètes lyriques dans ce pas-
sape du Boust'in (p. 10k): « Saadi, ce sont le» préceptes de la sa^^esse <jui
dictent tes vers, et non le charme des beaux yeux. »
(3)Cf.Calculia, 219 i* :<• J'aime h prodiguer les conseils, toute ma vie... ».
l34 DEUXIÈME PARTIE
Oui. mai;* ces conseils, le Çâhib-Nàmeh mis à part,
Saadi les a éparpillés dans son œuvre et il faut les y décou-
vrir. Il le sait bien, du reste : « Mes conseils sont pleins de
profit, efforce toi de les recueillir <> [Boustan, p. 336). Or
« les discours de Saadi ne sont qu'apologues et conseils » et
le lecteur doit apprendre à chercher les seconds à Iravers
les premiers.
De ces conseils épars, sort toute une philosophie pratique,
peu abstruse à la vérité, mais assez complète. A la morale
enseignant à se comporter envers ses semblables et d'après
sa propre situation sociale, se superpose une série de traits
psj'chologiques qui permettent d'esquisser l'homme idéal
que rêva Saadi ; enfin, considérant que l'homme, sans son
^réateur, reste toujours incomplet, Saadi touche fréquem -
ment au problème des rapports entre l'homme et la divinité,
et se trouve ainsi conduit à ébaucher les fragments d'une
métaphysique rudimen taire.
CI1AI»IT1Œ PHKMiLIi
L HOMME SOCIAL
Dans le Boustan (p. 299), Saadi se félicite d'avoir reçu
de sévères leçons durant son jeune Age et en profite pour
donner en (|uel(|ues vers ses idées sur l'éducation des enfants.
Celte éducation est un devoir pour le père de famille,
(c \'eux-tu laisser après toi un nom sans tache, élève ton fils
selon les préceptes de la sagesse et de la raison ; car, s'il est
dépourvu de qualités, c'est comme si lu mourais sans pos-
térité. •> Le père doit être juste, mais ferme : -< Que d'années
de souffrances sont réservées à l'enfaul élevé dans la mol-
lesse!... Prouve-lui (|ue lu l'aimes en ne le gi\tant point...
sois sévère pour lui diiranl ses jeunes années. » Ku eifet,
pour l'enfance, Saadi préfère à celle d'un pré(H'pleur l'édu-
cation donnée par le père lui-même. Kt l'un retrouve un
signe de ces époques troublées dans ce conseil : « Knseigne
.^ ton enfant un métier manuel (juand bien nièine lu possé-
derais des trésors... Sais-tu si les vicissitudes de la destinée
ne le condamneront pas une vie d'exil ? »
Pour savoir commander, il faut au préalable savoir obéir :
« Celui qui n'a pas subi les sévérités d'un maître subira les
sévérités de la vie. »
Quant au précepteur, il faut le choisir soigneusement :
toute la vie morale de l'enfant en dépend. Quoi de j)lus
affreux en elfel que « l'adolescent dont le vice a flétri le
visage imberbe » et dont tout ce qu'on peut dire esl <« qu'un
l36 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
fils indigne devrait précéder son )3ère dans la tombe (1) ».
Le précepteur, de même que le père, doit allier intelligem-
ment douceur et sévérité ; d'abord, c'est pour lui le seul
moyen de conserver le respect de ses disciples (^Gulislan^21^^
YIl, 4) ; puis il importe de corriger les défauts sans tarder :
« Quiconque on n'instruit pas dans son enfance, une fois
qu'il est devenu grand, le bonheur se retire de lui. Tords
comme tu voudras la baguette encore verte ; une fois des-
séchée, elle ne sera redressée que par le feu >^ [Ibid.^
274. VII, 3). Mais encore faut-il que le sujet se prête à
1 éducation qu'on lui donne : « Donner de l'éducation à un
être sans capacité est inutile » [Thid., 329); il est superflu
de s'obstiner lorsqu'après quelque temps, on n'obtient aucun
résultat [Ibid., 271, VII, 1), car « un homme de rien ne
deviendra pas quelque chose par l'éducation » [Ibid., 36,
1.4) (2).
L'enfant grandit ; il doit alors travailler de lui-même à
son éducation. Mais comment? La politesse s'apprend en
remarquant les impolitesses à éviter (//)/(/., 123, II, 21);
en outre, il faut scruter ses propres défauts, ne pas voir la
paille dans l'œil du voisin (3). Enfin ne pas craindre la
réprimande de son prochain, tout au contraire, car «la loi
de la fraternité n'est pas que tu considères ma faute comme
une vertu ^j iÇâhib-Nàmeh, 5).
Malheureusement, les amis, toujours trop indulgents, ne
sont pas en vérité dignes de ce nom, car « le véritable ami
est celui qui signale les pierres et les ronces du chemin »
[Boustan, 66) et, à tout prendre, mieux vaut « préférer,
aux observations d'une indulgente amitié, les reproches
fl) Gulistan, p. 282: « O homme intelligent ! si les femmes enceintes, à
l'instant de l'accouchement, mettaient au monde un serpent, cela vaudrait
mieux aux yeux du saj^e que de donner le jour à des enfants pervers, t
(2) De même, « montrer le bon chemin à un vaurien, c'est porter une
lampe devant un aveugle » {Çâhib -Nâmeh, 49) et cf. Gulislan, H9, II, 19.
(.3) « Quiconque voit son propre vice ne blâme pas le vice d'autrui »
(Gulistan, 257, V, 21).
1
I. m iMMI S(i<:lM, l3^
d'un ennonii (li'claré •> (i), bien (iiicr» somme un .iiiii soit
précieux aux jours d'épreuve (2i.
Toutefois, ces conseils aux adolescents, ne les leur donnez
pas sèchement ; réprimandez-les, mais avec lact el aménité :
«« Ne parle pas rudement car, c» quiconque n'est pas obstiné,
point n'est besoin du lasso » {(]:)liil)-?\';)mch, \'A). VA puis, si
vous élevez trop sèchement leuiant, vous risquez de rebuter
à tout jamais une naluic disposée k acquérir la science, but
suprême des eiï'orls de l'existence. Répondez volontiers
aux mulliples tjucslions do l'adolescent inexpérimenté, pro-
voquez les même, car il ne faut pas (juil crai^M»e de dévoiler
son ignorance ; c'est en demandant tout ce qu'il ignorait que
l'illustre Ghazàli acquit tant de science [Guliatnn, 338).
Dans ses questions, toutefois, l'étudiant ne s'adressera (pi'aux
gens compétents ; sinon il s'expo.serait à des mécomptes
(Ibid., 2S0i. Knfin, une fois avancé dans la connaissance,
qu'il ne garde pas stérilement sa science pour lui seul, car
u deux personnes ont fait de vains efforts : celle qui a amassé
de l'argent et n'en a pas joui, celle qui a amassé du savoir et
ne l'a pas mis en pratique » ' Ihid., ."M 1 i
Mais, i\ quoi doit surtout s'appliquer cette science vivifiée
par les controverses (//j/V/., 312)? « A nourrii- la religion,
et non à nous faire jouir des biens de ce monde » [ILid.). La
science prali(jue. telle que la conçoit Saadi, est donc celle
qui fait j)rogresser dans la voie de la perfection. Aussi quel
mérite possèdent ceux qui l'ont patiemment acquise, à force
d'études et d'expérience 1 (3) La science suffit même à excu-
(1) Çilhib Winit-h, G4 et GuUslan, 215, IV, 12 : .< Je suis iiini^ô de la so-
ciété de mes amis, parce qu'ils représentent comme bonnes mes mœurs
dépravées... Où sont les ennemis etTrontés... afin qu'ils nie montrent mes
défauts'/ » Happroclier La Fontaine : « Rien n'esl plus dangereux qu'un
if^norant ami, mieux vaudrait un sage ennemi n et Mou({addasi. Les oiseaux
et les Jleurs (Trad. G. de Tassy. p. 90).
(2) « Celui-Ik est un véritable ami qui prend !.i main de son ami dans
une situation pénible el dans la diHresse " {('tulislnn, .'»9, I, lô).
(.1) Ainsi : « I/homme de talent, partout où il vu. obtient de l'estime el
s'assied à une place d'honneur n {Gulistanf 272, VII. 2).
l38 DEUXIÈME PARTIE. — ■ CHAPITUE PREMIER
ser les erreurs de leur vie privée, et Saadi n'hésite pas à
écrire [Gu/istcin, 144, II, 39) : « Ecoute la parole du savant
avec l'oreille de Tàme, lors même que sa conduite ne ressem-
blerait pas à ses discours. » Saadi se montre fier d'appartenir
à celte élite et l'on regrette de le voir parfois perdre son in-
dulgence naturelle et afficher crûment son mépris de l'igno-
rance (1),
Voilà pour la vie intellectuelle du jeune homme. Reste sa
vie sexuelle. De même que la science assure l'indépendance
de la pensée, la continence maintient celle du corps. Dans
une qacida (éd. Calcutta, p. 224 r"), Saadi précise nettement
cet antagonisme éternel entre la raison (« 'aql » ou « khirad »)
et l'instinct (« jân » (2) ou « rawân ») : « Tu ne sais ce qui
vaut le mieux : raison (khirad) ou instinct (rawân)? Je te le
dirai si tu as confiance. 11 faut que l'homme porte sa raison
('aql) en soi ; sinon l'âne, lui aussi, possède l'instinct (jân). »
Autrement dit, ce qui nous dislingue des animaux, c'est
notre raison. Homo animal rationis parliceps. Aussi Saadi
revient-il fréquemment à la question de la chasteté chez
l'adolescent : « Il faut que le jeune homme robuste se garde
de la concupiscence » (Gulistan, 347). C'est là en vérité une
lutte pour l'indépendance de soi-même, car a le plus hostile
de tes ennemis, c'est ton âme qui, plus tu lui montres de
complaisance, plus elle montre d'hostilité » [Gulistan, 292,
Vil, 18). Que le jeune homme se garde donc soigneusement,
non seulement de la femme qui lui ravirait toute sa liberté
[Çàhib-Nàmeh^ 103), mais du danger signalé dans le livre V
(1) < De même que l'Orient et l'Occident ne se joignent pas, entre le
savant et l'ignorant l'union est impossible. Mais si, par ordre du destin,
un commerce s'jétablit entre eux, sache qu« chacun d'eux se trouve dans
la contrainte... car, si l'un ne peut manifester sa stupidité, l'autre ne
découvre pas sa science à un ignorant » (Çdhib-Ndineh, p. G3).
(2) Le mol jân signiûe plus précisément c âme » ; dans le passage qui
suit, il représenter « âme » considérée comme siège de la vie des sens et
des désirs, en un mot la concupiscence. Dans les traités mystiques, la
concupiscence est aussi dénommée « nafs », synonyme de « âme » (Cf.
Atlar, Pend-Nâmeh, p. 37, n. 4 et 6, et Coran, XII, 53 : « L'âme commande
impérieusement le mal. »)
I. MOMVF snCTAI. I.Û)
du (iiihstan : j)i'rtlio Uml poiujjir sur f»on propre ciiir fl
r<Mi<>ii<<'i- • •^«.ii ;'imr l'onr un ol»jfI indi^iit- ' I).
La liborlu, c'cï*l ce (jui, t<unibio-l-ii, serl de base a la mo-
rale sociale do Saadi : il t'aul. pour vivre heureux, travailler
sans cesse à se rendre indépendant, non seulenienl de soi-
même, mais des autres, (^l'esl In seule condition de l'opli-
misme, et ces deux élénienls du honlieiir, opliuiisine et
indé|)en(lance. vivent l'un par l'autre, se prêtant mutuel
appui. Aussi le père de famille doit-il assurer le bien-être de
ses enfants <« afin qu'ils n'aient lien à demandei- aux élran-
gers )• [Ihusl.in, 22'Ji, car <- manger du sucre qui vient d une
main rude est si amercju'on dirait de I aloès •> {Çi)lnl)-i\;inieh,
l()o). Toute servitude luuuilianle répugne en eiVet au cœur
indépendant et pénétré du sentiment de lliouneiir: « Ne
tends pas la main devant un homme vil •> {(iulisf.in, \H), III,
14), car «i mourir avec honneur vaut mieux que vivre hon-
leusemenl - A/., lOti, III, Il i i :2 .
Mais comment vivre indépendant, sans rien demander à
personne? C'est bien simple : il suflit de savoir se contenter
de ce (pj'on a. Tout d'abord la nourriture : « Il faut manger
pour vivre et pour prier Dieu ; mais lu es dans la croyance
qu'il faut vivre pour manger» {(iuii.sf.'m, \&2, Ilj, 6) (3),
Que I on s habitue donc à la frugalité el l'on ne s'en portera
que mieux (//>/</., \(\2, ill, 7). Pas de privations mais in
mrdio virtns. I*our(ju(»i d'autre part être ambitieux? .» l'ne
moitié de la vie est pour la joie ; l'autre moitié pour se faire
une bonne réputation » {Ç.ihib-N;inieh^ 13). Il faut jouir des
(1) Saadi conseille nellenicnl aux jeunes gens de ne pnn se marier suns
expérience préalable : « Eprouve ta virilité el ensuite prends femme •>
{GuUslan, p. 21).
(2) Cf. en outre l'Iiistorieltc du Gulistan (p. 9<), I, 3(i) et en rapproclier
La Fontaine il^ loup et /« chien).
(3) Of. Moiièrt" (l/avare) : « Il faut manger pour vivre et non pas %iTrc
pour manger. •
l4o DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
biens de la vie quand ils se trouvent à portée de la main,
mais sans s'exténuer à les poursuivre : « Heureux celui qui
a mangé avec ses amis la moisson de la vie précieuse ! »
[Ibid.) (1). A quoi bon en eiïet se tourmenter inutilement ?
« Hier n'est plus, demain n'est pas encore : ne compte donc
que sur Theure présente » [Bouslan,'6^%) et d'ailleurs : « N'at-
tache pas ton cœur au monde qui n'a contenté personne »
[Çahih-Sâmeh^ loc cit.).
Car, il faut bien le reconnaître, le spectacle du monde n'est
pas toujours réconfortant : Thomme est une bien vile créa-
ture. Un riche vieillard avait prié, des nuits entières, au pied
d'un arbre vénéré comme lieu de pèlerinage, suppliant le
ciel de lui accorder un fils ; or, Saadi entend ce fils, devenu
grand, dire à ses camarades : « Si je savais où se trouve cet
arbre, j'y adresserais des prières, afin que mon père mou-
rût n {Gulisfan, 264, VI, 3).
Allez donc, après cela, vous fier aux hommes ! Ils sont
menteurs, envieux, outrecuidants ; l'ignorant, grâce à son
bavardage, l'emporte sur le sage, « car le parfum de l'ambre
ne saurait lutter contre l'odeur infecte de l'ail » [Gulistan,
329). Et pourtant, il ne sied pas de les haïr : d'abord ce serait
perdre en quelque mesure l'indépendance de sa pensée, puis
on trouve toujours plus à plaindre que soi (2) et il faut sans
cesse se déclarer satisfait de son sort : <i L'insouciance est
l'apanage de la modération des désirs (3) ». C'est précisé-
ment cette modération qui empêche Saadi d'approuver le
vœu de pauvreté prononcé par les mystiques de son temps.
Alors qu'un Farid ed Din Attar glorifie la pauvreté (4), Saadi,
une fois de plus, prêche le juste milieu : si vous êtes pauvre,
(1) « Vie précieuse ». C'est bien là un mot d'optimisme.
(2) «Garde-toi de souhaiter malheur à l'envieux, car cet infortuné est
lui-même dans le malheur» (Gulistan, 335, VIII). Cf. Gulistan, 174, III, 19
et Boustan, p. 326.
(3) Gulistan, 81, I, 28 et cf. Cale. 406 v° : « Lorsqu'on a l'esprit tranquille,
qu'importe un palais ou une caverne ? Lorsqu'on a bien sommeil, qu'importe
un lit ou le haut d'un mur? »
(4) Pend-Nâmeh (Trad. Sacy), p. 60, 63 et 80 n. 2.
l. IIOMMi: SOCIAL l.'ll
sii[)|)orl('/.-lo avec coiislance, mais n aime/, pas la paiivrelc
|)i)iir i!lle-m(^me. c'est parfailemeiil vain ; laisse/, celle prali-
(juo au.K mysliijiies (jui en lonl un poinl de doclrine (1). Si
vous éles par trop paiivri-, n'Iiésile/ pas;'» tendre la main, cela
vaul mieux encore que devenir voleur (2). (Juanl à la ri-
chesse, ne crc)ye/ pas <ju'elle consiste à amasser des trésors :
» L'argent est destiné à nous procurer les aises de la vie ;
celle-ci no doit pas servir h amasser de l'argent »> [Gulist.tn,
31(1). Sans iloule l'argent confère à son possesseur une
réelle puissance : « Celui cpii a de l'or aveugle le diable
môme..., sans argent ne l approche pas des belles, car, sans
rien (en poche). les hommes ne valent rien » [ÇAhib-N.imch,
99). Mais h (pioi bon thésauriser toute sa vie, en esclave
de son argent ?\ oyez plutôt ce malheureux : il s'est exténué
<i gagner une fortune que son fils dissipe en un instant, tout
en déclarant, avec un sourire, (jue « 1 or est fait pour être dé-
pensé ; s'il s'agit de l'enfouir, en quoi dilTère-t-il des pierres ?
C'est comme s'il gisait au fond de la mine » [l^oustan, 128).
Ce jeune prodigue expiimo nettement la pensée deSaadi :
alors (|ue certains myslitjues intolérants vitupèrent contre
les riches, lui s'en garde bien et n'hésite pas à considérer le
riche éclairé comme un bienfaiteur de la société : il s'en
explique du reste tout au long dans un dialogue du (iu-
li.stun p. 293). Là encore, la pensée de Saadi est très
nette : il convient d apprécier l'argent pour les avantages
cpi il procure, mais de ne pas se rendre son esclave. Il faut
préserver contre lui son indépendance, car ce il n'y a point
de malheur plus fâcheux que les richesses de ce monde,
parce qu'elles font le tourment du crcur, soit qu on les pos-
sède ou (pion en soit privé »> {Gulistan, 131, II, 29). Voyez
au contraire celui (pii sait se contenter de ce que lui accorde
le sort : << La richesse consiste dans la modération, non dans
le capital (3), dans le mérite, non dans l'argent » ^i).
(1) Cf. Mlar. Pend-\(imeh (Trad. Sacy), p. 277, n. 2.
(2) GnlUlan. iwr., III, 27.
(3) IbUl., 320. VIII.
(4) Ibid.. p. 37. I. 5.
1^2 DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
*
Modération, c'est toujours là qu'il faut revenir, afin de gar-
der sa liberté. On a vu comment se comporter envers son
corps. Comment en user envers son âme? Il faut la main-
tenir en état d'optimisme, mais sans aller jusqu'à une jo-
vialité déplacée :« Il ne faut pas plaisanter continuellement,
car tu briserais ton propre crédit» (1). Puis préservez-la
de tout mouvement désordonné de joie ou de colère ; tra-
vaillez sans cesse à conquérir un calme olympien : c< C'est
moins sur le champ de bataille que contre l'assaut de la
colère qu'il faut tenir de pied ferme » [Boustan, 32). Au-
trement dit, efforce-toi de maîtriser ton cœur, de même que
ton corps et ton cerveau, et défie-toi du premier mouvement.
« Apprends la patience » (2) et ne procède pas par caprices.
« La patience est amère, mais donne des fruits doux et savou-
reux » (3) et « quiconque ne possède pas la patience ne pos-
sède pas la sagesse ^) (4). Grâce à elle, tu seras toujours fort
dans l'épreuve ; et, à ce propos, Saadi écrit ces quelques
lignes, dignes des antiques Consolations : « Opprimé, sup-
porte avec résignation la tyrannie du plus fort ; la force sera
plus tard de ton côté. Par ton courage montre-toi supérieur
à la violence : l'énergie morale l'emporte toujours sur la
force brutale o (Boustan, 43), En outre, étant fort, et partant
supérieur aux autres — et, par là, Saadi se rencontre fortui-
tement avec Nietzsche — tu pourras, de ton élévation, laisser
descendre sur tous ceux qui t'entourent, puissants ou fai-
bles, le rayon de ton indulgence. En effet, « la générosité et
la bonté sont ce qui constitue la qualité d'homme » (5) et
(1) Çâhib-Nâmeh, p. 96.
(2) Gulistan, 265, VI, 4.
(3) Ibid., 59, I, 16.
(4) Ibid , 157, III, 1 et cf. Buffon : << La patience c'est le génie. »
(5) Ibid., 284, VII, H.
L IIUMMi; .SOCIAL 1^3
« celui- là n'est pns un honunc d.iiis letjiul il n'y a pas d'Iui-
nianili' •» (!i. Quand lu te Irouvfs avec- Ich é^aux. Hache
suppc^rlcr leurs accès <l Imiiuiir <l leurs écarts de langa-
ge (2). I'U(|uanl Ji les inférieurs, inonlre l(Mir, non seulement
do rindul^'ence, mais de la bonté 3) ; prolèj^e les faibles,
c'est un véritable devoir (i) et en général. •< tant «jue lu lo
peux, ne trouble pas un c<rur, parce cpiun seul soupir bou-
leversera tout un monde » (5).
Tant (jue lu le poux ! Il y a donc des restrictions à cette
indulgence ? C'est (jue, dans ce monde si impaifait, certains
sont par Irop mécbanis pour la mériter: la leur accorder
porterait préjudice à ceux ipii la nu lileiil vraiment. (]ar
l'indulgence est noble, mais ces.se de 1 être des qu elle tourne
à la complaisance ; et il ne convient de paidonner t\u'ii bon
escient ,0). Sans doulc, il ne faut pas punir à la première
incartade: «Celui qui failà chacpieinslaul un actedegénéro-
sité à ton égard, excuse-le s'il lo fait une injustice » [Gulis-
tan, 75, l,2i). Toutefois Saadi, se séparant d'autres mora-
listes ^7), n'hésite pas à conseiller de rendre le mal pour le
mal. Son (i«u\re abonde en conseils de ce genre : <- Faire du
bien aux méchants est une faule... Le bi«Mi fait aux loups
est un mal à l'égard des moutons » ((.'/î A z//-AVi/?je/i. 23 ;
" c'est semer lo grain sur un lorrain rocheux » [Ibid., 49; ;
(WGulisian. 148. III. ♦*. Cf. Térence (lleaulonlim. I, l. TS) : » Homo
iuni. humani nihil a me alienum esse puto. »
(2) << Si luun ciiractèrA est devenu indigna» du litMi, no renonce pas poiir
cela i Ion bon caractère » IGulislan, .144).
(3) >• Si uu if^noranl punie durement par rusticité. l'Iiomme intelligent
tentera de papner son coeur pnr la douceur » {GulL^tan, 208, IV, Ti).
(4) « Ne cauac pas de doiniuage au ciBur des faibles, car lu seras impuis-
sant contre la violence d'un homme fort » (GuUstan, 34j) : ■•' '''" Virpile :
« Parcere subjeclis et debellare super bas •>.
(6) GuUsian. 78, I, 20
(6) < Le paillon est digne d'approbation. inai« ne pince pas un eroplAlre
»ur la blessure de celui qui tourmenlr les autres <• (Gulistan. 315).
(7) .VkhlA<|-i.\Ir>iih'>>ni, cliip. WI ; «Si tu diisiro^ obtenir le pardon de
Dieu, pardonne aux autres leurs fautes arec bonté et (fënérosil<^. • Et cf.
St Paul (Rom. .\ll> : •• \oti vinci a malo, teci vincê in bono tnalum ••.
l!^^ DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
« faire du bien aux méchants, c'est la même chose que faire
du mal aux bons » ( 1 ). Envers les méchants, la douceur esl
intltile, car « lorsque tu parlesà l'iiomme vil avec bonté et
douceur, son orgueil et son obstination se trouvent accrues. >>
Quant à vivre dans leur société, c'est la mort de l'âme : on
n'apprendra pas d'eux à être hon{Gulislan^ 323). Et, même
si l'on parvient à conserver son bon naturel, on n'échappera
pas, par contre, à la calomnie. Il est vrai qu'avec une cons-
cience tranquille, il ne faut pas s'occuper de l'opinion d'au-
trui (2). Mieux vaut toutefois conserver sa réputation d'hon-
nête homme (3). Que l'on ne s'afflige pas, d'autre part,
d'encourir l'inimitié des méchants : <* L'opposition de l'en-
nemi et de l'ami vient de Dieu, car le cœur de tous deux est
dans sa main » [Gulistan, 76, I, 24) et, par conséquent, on
peut punir sans scrupule, même par la mort, car on rend
ainsi service au criminel : a Quiconque tuera un méchant déli-
vrera les hommes du mal qu'il leur cause et le sauvera lui-
même du châtiment de Dieu » (4),
Toutefois, ne punissez pas aveuglément et sans réflexion
préalable. La vengeance doit être préparée et assouvie au
moment propice, moment qu'il faut savoir attendre (o). Mais
en revanche, « quand le moment de la vengeance est venu,
il faut frapper sans pitié l'ennemi qu'on a terrassé » [Bous-
tan, 191).
Et encore, ce n'est pas une loi morale supérieure qui com-
(1) Galistan, 36, 1,4. Cf. Ibid., 312 et Calcutta, 224 v° : « Sois méchant
envers les méchants, bon envers les bons ; sois rose avec les roses, épine
avec les épines... quiconque nourrit des brutes ou des gredins reçoit
d'eux, tôt ou tard, la perdition de son âme. »
(2) « Il convient de s'asseoir, après avoir accompli ce qu'on doit faire ;
mais on ne peut fermer la bouche d'autrui » [Gulistan, 235, V, 12).
(3) « Quiconque habite avecles méchants, alors même qu'il ne prendrait
pas leurnaturei, sera soupçonné de partager leur conduite » (Guhstan, 339).
(4) Galistan, 315, et cf. ibid., 327: « Quiconque a un ennemi devant soi
et ne le tue pas est son propre ennemi. »
(5) « J'ai entendu ton outrage sans possibilité d'y répondre. . . Mais le
jour où tu succomberas. . . tu entendras à ton tour ce que lu as dit aux
autres » (Çâhib-Nâmeh, 153).
L*UOMMK SOCIAL 1^5
mande la venj;eance, mais bien l'inlérêl |)ci>onnel : elle gagne
donc parfois à se montrer inodtTi'e ( I ). C'est encore l'inlérêl,
i|iii, en cerlains cas, commande de rendre le bien ponr le
mal : « Qiioiijnil ne l'aille pas faire du bien à un vaurien, il
convienl parfois de le faire pour son avantage. Lorsqu un
chien dévorant le monlro les dents, tends-lui anssilôl un os ;
il n'y a rien alors de meilleur que le chien » (2).
En elTel,calcnI et circonspection défendent eflicacemenl la
liberté individuelle : no pas se laisser emporter par la
passion, en toute chose considérer la lin, voilà les vrais
moyens d'échapper à la mauvaise fortune. Aussi, en cas de
résolution à prendre, ne vous décidez pas trop vite ; examinez
bien le pour et le contre. » Lorsque tu es irrésolu touchant
l'accomplissement d'une affaire, choisis ce parti qui se trou-
vera présenter le moins d'inconvénients » [(iiilistan, 3li).
Il est entendu ({n'en général on est jugé d'après sa mine :
» Un homme à la robe crottée, même si la sagesse parle par
sa bouche, les gens ne voudront rien savoir pour proclamer
son mérite. Mais celui qui a la robe propre, même s'il
s'asseoit sans rien dire, tous tendront l'oreille si l on parle
de son mérite •> 3 t. Laissez donc le populaire s'arrêter à l'as-
pect extérieur. Quant à vous ([ui êtes averti, ne vous fiez
pas aux simples apparences, non seulement pour les autres,
mais pour vous-même ; ne vous laissez pas prendre aux com-
pliments qu'on vous adresse, mais regardez sans cesse au
fond de votre âme, car personne ne peut se connaître mieux
que soi-même (4). Kt l'on se trouve ainsi ramené insensible-
ment an .1 -/vôOt 7£ajroy » de Socrale que Saadi rappelle
parfois, de loin il est vrai, par son inébranlable bon sens.
Donc, si vous voulez fermement éviter déceptions et
épreuves, conquérez ce calme souverain, but de la morale
(1) <« Ne cause pas ^ Ion ennemi loul le mal <jue lu peux lui faire : il «'sl
pOb^ible qu'un joui* il devienne Ion nnii » {Gulislan, 313).
(2) ÇiUxihSdmeh, 151. Cf. un passage anainpue, ihiil., p. 1«>7.
(3) ÇàhihSàmeh, 141.
(4) GuUslan, 88. I. U cl 108, II. 8.
M. — 10
l46 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE PREM11>:R
sociale de Saadi, celte séréniléqne prêchaientles Epicuriens
fidèles à la doclrine du maître el auxquels Saadi s'appa-
rente par tant de trait?: soyez sceptiques, au sens propre
de ce mot, c'est-à-dire examinez sans cesse. Mais Saadi ne se
borne pas à celte recommandation générale; il y ajoute des
détails pratiques. Entourez-vous de conseils avant d'agir:
« Quiconque prend une disposition sans prendre conseil, sa
flèche ne touche pas le but » [Çâhib-Aâmeh, 101). Toute-
fois, ces conseils, ne les suivez qu'après les avoir bien pesés,
car ils viennent d'autrui et mieux -vaut à tout prendre ne
pas se créer d'obligations envers son prochain : « 11 vaut
mieux porter le poids de son propre chagrin que le fardeau
des obligations contractées envers autrui » [Gulistan, 159,
III, 3). Enfin, avant d'agir, ne présumez pas trop de vos for-
ces : « Celui qui heurte de front les pierres est celui qui est
téméraire par ignorance » (Çâhib-Nâmeh, 191) : si la for-
tune daigne vous sourire un instant, n'en concluez pas que
la partie est désormais gagnée : « Sois humble pour l'éle-
ver et non orgueilleux, car tu t'en repentirais. En effet,
bien des fois déjà, le ciel a tourné sur lui-même en don-
nant l'un et en retirant l'autre » (1). Ce n'est que trop vrai,
le sort est capricieux et il faut, malgré toutes les précautions
prises, se résigner d'avance à ses coups : « Dès que la puis-
sance échoit à un esclave, tous les étrangers se tournent
vers lui ; quand le jour du bonheur a passé, on ferme sur lui
la porte et la muraille » (2),
Aussi, parlez peu. Naturellement, pour l'ignorant, le
silence est le plus sûr moyen de dissimuler son infériorité :
« Pour l'ignorant, il n'y a rien de meilleur que le silence ; et
s'il connaissait cet avantage, il ne serait pas un ignorant » (3) .
Mais, même pour l'homme intelligent, la réflexion s'impose
{{) Moularamaàt (trad. Huart, Congrès or. Paris, 1897, p. 85).
(2) Çdhih-Ndmeh, 30. Cf. Ovide {Trislia, I. 1, .39) « Donec eris Jelix mul-
tos numerabis ainicos, lempora sijaerint nubila solus eris ».
(3) Galisian, 322. Cf. pensées analogues, p. 323.
I.'lloMMK 80CIAL l/|7
aussi bien avant ia moiiulru parole (ju'avaiit l'acte le plus
simple, car -< une paroli- lâchée iiereiili-e plus en la bouclie ;
l honuiie avisé fait allenlion tout d al)or(l, alin de n'avoir
pas, après nn temps, celle préoccnpalion : Qn'ai-je dit ?
prëoccupalion qui sérail vaine » (1). Avant de parler, non
seulement réfléchissez, mais laissez voire inlerlociilenr
achever son discours (2). Quant aux secrets, gardez-les jalou-
sement pour vous seul : f< No révèle pas tous les secrets à Ion
ami, car (jue sais-tu s'il ne deviendra pas Ion ennemi •> {(iu-
list.ui, ''\\'.\.\\\\ . l'.nelfet. ramitié, si belle et si noble (ju'elle
soit, rixpic clK-nième de s'évanouir au moindre souflle. VX
Saadi ijui a consacré aux avantages du silence |.'^) le livre IV
de son (iulisl.in (4), n'hésile pas à conseiller de vivre dans
la retraite, non pour les mêmes motifs tjuc les vrais my^ti-
ques qui voient dans la société <( la source des crimes » et
dans le monde << un grand vide » (.*)), mais parce ijuc c'est,
somme loule, le seul moyen de vivre paisiblement.
^'oilà r « auren mediocrilas ». Saadi va même juscju'à
chanter un « 0 forlunnlos niniiuni... » en l'honneur des
gens d'intelligence très moyenne : « Les gens à courte vtie
n'ont (jue leurs soucis à eux ; les prévoyants ont le souci de
leur proch.iin cl le leur propre » (Calcutta, [). i'.K*)). Or, sont
obligés dètre prévoyants tous ceux (jiii, remplissant de
grandes charges, ont ainsi coni raclé, envers leurs inférieuis.
de lourdes obligations peu enviées par le sage. Ce qui conduit
tout naturellement le poète à examiner les droits et les de-
voirs des princes qu il avait occasion d'approcher.
(1) f^hih-Stimeh, 7.
(2) Gulislan, 200. IV. 7.
(3) '« I^e Aileiicc vaut micin qtift de r<^r«?lerà quoiqu'un la pensi't» de t«<n
propre cœur en ajouLinl : Ne lo n^pètc pas » {(inlistan, 311^. Dans I<^
l'enfi-i\(ùneli, p. 203, Saadi renchéril encore: < Autant qu'il le sera possi-
ble, ne r(^vcle point ton secret h ton ami ; quand inC'ine tu sorain seul,
qu'il ne sorte point do la houcbe. »
^*) Sann parler du lioustan ip. 2TK-287).
(5,1 Xiiiqaddasi, Les oitC'tax el les lîcitrs irai. «». d<' Tassy. p. 1)7 ((iliap.
le Hibou).
l48 DEUXIÈME PARTIIi. — CHAPITRE PREMIER
({ Heureux qui conforme sa conduite aux conseils de Saadi :
prospérité du royaume, prudence, sagesse politique, tout ^
est dans ses discours » [Boustan, 134), Autrement dit, là
encore, le poêle ne met pas en doute Texcellence de ses con-
seils. Outre ceux qu'il exprime en vers, au hasard de son
inspiration, on sait déjà qu'il écrivit un court traité de po-
litique dédié au gouverneur mongol Ankianou (le petit
opuscule intitulé Conseils aux rois). Ce genre était au reste
à la mode dans la littérature persane : Rouzbih (Ibn el Mou-
qaffa) en avait donné le modèle par son Livre f/it^m (Khodaï-
Nàmeh) suivi de près par le Livre de la victoire (Zafar-
Nàmeh) et les Règles de conduite du sultan et du vizir (adab
es sallanah wal wizarah) (1); le grand ministre Nizam el
Moulk, dans son Siâsat-Nâmeh^ portait le genre à la perfec-
tion ; plus tard, Ghazâli composait, au dire d'Ibn Khallikan,
un « miroir des rois » ; Farid ed Din Attar, dans son épopée
mystique du Lancfage des oiseaux (Manliq et taïr), ne dé-
daignait pas de consacrer quelques vers à la question ; à
l'époque de Saadi, Ibn Abi Randaka et Tartouchi, mort en
\ 126, édictait,dans sa Lampe des rois (sirâj el mouloûk),Ies
règles de conduite à l'usage des princes. En dehors de la
Perse, sans parler des Arabes (2), le génie pratique et précis
des peuples tartares les portait à composer, eux aussi, des
traités de gouvernement (3). Saadi se conformait donc à une
(1) Le Marzouban-Nâmeh contient aussi des passages de politique didac-
tique. Cf. E.-G. Browne, Lilerary History, II, 489. Sur les traités de poli-
tique persans, cf. Grundriss der iran. Phil., II, 349 et 351. Sur le Khodaï-
Nâmeh : Encyclop. Islam, I, p. 414, col. 1. Sur le Zafar Nâmeh et VAdab
es Sallanah : Schefer, Chresl. persane, I, 3 et 6 .
(2) La 1" partie du Fakhri d'Ibn et Tiqtaqa en fournit un exemple.
(3) Le plus ancien livre turc qui nous soit parvenu est le Koadat Koubilik
(« l'art de régner »). D'après Ohsson (Mongols, II, 275), un savant chinois
nommé lao-Schou composa un traité de gouvernement pour Koubiiaï qui
était alors en Chine (vers 1251). Sur le Koadat Koubilik, cf. R. Basset,
Histoire des dix vizirs (avant-propos, p. 13 et n. 1).
I, iioMMi: snri.M, i \(^
hadilion l'iiiblif l()rs<|u'il disail à I occasicMi son mol sur la
inaiiitTo (II' ^'ouvt riKT ; il ne s'ei» priva tlii reste pas, el l'on
peut recueillir, à travers son œuvre, toute une série de pré-
ceptes poliliijues. Ces derniers s'y trouvent épars, dans une
heureuse liberté, et c'est presque trahir le poète que tenter
d'introduire un ordre lo^'icjue dans les pensées (ju'il distillait
pour ainsi dire en se jouant.
Tout d'abord, quelle forme de gouvernement recommande
Saadi? Il est nettement monarchiste et ami de l'ordre : « La
grandeur consiste dans la soumission à l'ordre », déclare-t-il
dans le (iuli^t.in (p. 77, I, '11')), édictant ainsi, en même
temps qu'un précepte politicjue, une maxime morale d'ordre
général. Mais comment doit s'organiser l'Ktal .' Il s'en ex[)li-
que sommairement en ce passage, révélateur, peut-être,
des tristesses que lui infligea le spectacle de l'anarchie
{Çiihib-.\;imt'h, ISi) : « Il est indispensable que les parti-
culiers aient au-dessus d'eux une tête; sinon, aucun ordre
n'est possible dans l'Ktat. Car les grands de l'Ktat (qui sont
la tête) savent (jue, sans l'existence des sujets (qui sont le
corps), la tête (qu'ils sont) est disproportionnée » (1).
Donc, à la tête de l'Etat, un roi ou un prince qui, s'il n'a
pas ce titre, en tient le rôle. Mais ce prince qui mène les
autres, ses (jualités et ses devoirs s'en trouvent ainsi multi-
pliés. Quelles sont donc les qualités indispensables au prince ?
D'abord, il doit être élevé plus durement que ses propres
sujets, car « il faut montrer plus de zèle à corriger lesma-urs
des fils de souverain » (2). Et cette sévérité, le prince, une
fois sorti des mains de ses précepteurs, doit continuer à
l'exercer sur lui-même, car c'est lui qui donne l exemple à
ses sujets : <( Tant que tu n'acceptes pas les ordres (de Dieu),
le peuple ne suit pas les tiens ; jamais il n'a été bien de faire
soi-même le mal et de commander le bien » (3) ; il doit sans
(1) Il est à peine nécessaire de signaler I.i médiocrilé de ces n.él8|thorr5.
(2) GttlUlnn, 273, VII, 3.
(3) Çdhib■^dmell. 143.
l5o DKUXIÈME PARTIR. - CHAPITRE PREMIER
cesse veiller à cotiserver la maîtrise de soi-même : a celui-là
est judicieux qui est roi sur sa propre personne » (1) et
V celui qui a pour habitude la violence n'exercera pas la
souveraineté ; car les fonctions de berger ne seront pas rem-
plies par le loup » [Gulisfcin^ 41, I, 6). Mais, pour être tou-
jours calme, il faut être sobre, car « le potentat commet une
grande faute, en perdant nuit et jour au vin et à ses consé-
quences le gouvernement du monde n (2). El cette sobriété
s'applique non seulement aux jouissances delà table, mais
encore à celles du corps: « Grands de ce monde, voulez-
vous conserver votre honneur? Ne cédez point aux séduc-
tions de la beauté. Si pures que soient vos intentions, votre
considération en sera toujours lésée » (oj. Voilà le seul
moyen d'être juste ; or « le plus beau titre de gloire d'un
roi est de ne point tolérer la violence » [Boustan, 23j, et,
sans justice, point de bonté, le prince glissant doucement à
la tyrannie. En revanche, que d'avantages le prince trouve
dans la bonté ! « Sois humain, ne cède ni à la violence ni à
la colère et la terre obéira à tes lois » [Ibid., 78). Plus il est
puissant, plus il doit se montrer bon, à l'exemple même de
son créateur : « C'est le devoir et la coutume des possesseurs
d'empire de faire du bien aux hommes bons ; puisque le père
(Dieu) a donné la durée aux princes, que ceux-ci traitent
bien ses enfants » [Çâhih-Nâmeh, 21). Et non seulement les
bons, mais même les méchants quand on y trouve utilité :
« Emploie la bonté même envers riiomme malveillant ; le
mieux est de fermer la gueule du chien avec une bouchée »
[Gulistan^ 87, 1, 33). On a vu queSaadi conseille une répres-
sion vigoureuse des méchancetés et des crimes ; mais ces
conseils s'adressaient aux simples mortels : le prince, lui,
par politique, usera de bonté envers un homme pervers ; lui
(1) Çâhib-Nâmeh, p. 43. Cf. Corneille (Ciiinà) : « Je suis maître de moi
comme de l'univers. Je le suis, je veux l'être. »
(2) Ibid., 7, et ibid., 29 : « Ivre et nég-ligent, que peux-tu ? »
(3) Boastan, 25 et cf. Corneille [Imilalion) : « Fuis énergiquement la
pratique des femmes. Ton ennemi par là peut savoir ton défaut. »
t. IKiMMK 80(.1AL
seul cc|>t'n(laiil.L,'ràce à sa (niisî<ance, peut se pormellif ccllf
iiifiaclioii il la lèj^'lc. Qii il soil plus piiidciil (jiiu (juicoiHjue,
loiileluis ; (|uc su vigilance no n'aéiMuii pisse jamais ; et Saadi
n'h^^sile pas à reconunanJer au prince cJo se tiérober aux
douceurs do l'anHlié : « l*our vivre à l'abri des surprises, il
J'aut voir des ennemisjus(|u'en ses propres amis... J'ai connu
des Irailres parmi lesconlidenls les plus intimes •> [Lioustan,
Justice et bonté, voilà les (jualilés fondamentales du sou-
verain. Quant à ses devoirs, ils sont multiples, et repré-
sentent la mise en cuuvre de ses ijualités naturelles. Mais
(jue l'on ne croie pas qu'une intelligence déliée suffise à un
chef d Ktat : un talent particulier lui est en outre nécessaire,
car (< cha(|ue personne (jui est adroite dans la dispute n'est
point parfaite dans la conduite des allaires » {(iulist.m, 321).
Parmi les devoirs du prince, esquissés par Saadi dans des
vers disséminés çà et là, on peut déterminer — si systémati-
(|ue et, partant, si contraire au génie du poète (|ue paraisse
le procédé — (piatre catégories : devoirs envers les sujets,
devoirs envers IKtal, devoirs envers les ennemis de l'Ktat,
devoirs envers Dieu.
«< Les rois sont des bergers ; il ne leur est pas permis de
dormir -> {Ç<ihih.Sànieh, 29) ; autrement dit, le prince veil-
lera sans défaillance à la sécurité de ses sujets : « Si le pos-
sesseur du diadème dort bien, ses sujets ne dorment point
la nuit : mais s'il veille durant la longue nuit, ses sujets dor-
ment traiHjuillement et grassement >» [Ibid., 891. Le plus
beau titre de gloire d'un prince est en ellet de ne point tolé-
rer la violence [lioiisfan, 23). Kn outre, se sentant protégés,
les sujets n'en travailleront que plus énergicjuement [Ibicl.,
18;. lit — que le prince s'en persuade — lui et ses sujets
sont solidaires les uns des autres : « Les sujets forment un
arbre... ; ne lui enlève pas cruellement racines et fruits car
lu serais (ainsi) l'ignorant qui se frappe lui-même de la
hache » {Çiihib-I\'ànich^ 93). Toutefois, les qualités ou les
défauts particuliers du prince sont absolument indépendants
102 DEUXIEME PARTIE. CHAPITRE PREMIEU
de sa manière de régner: « Qne lu sois une mine el même
une mer de vertus, si ton peuple est lourmenlé, tout cela ne
sert de rien. Mais si, avec tous les défauts, lu restes magna-
nime, ta faute est un mérite et ta laideur un ornement »
[IbicL, 187). Le prince doit donc avant tout protéger ses
sujets. Mais lesquels de préférence ? Ceux qui sont les plus
faibles: les petits, les humbles, les pauvres, les orphelins.
" Sois bon pour les humbles », répèle à plusieurs reprises
le poète, (( n'ordonne pas de traiter durement les petits, car
il ne convient pas de briser l'enclume avec le marteau »
ilJn(J.,^o) ; «un roi ami du pauvre est le gardien de ses
états [Ihid.^ 107) ». Quant aux orphelins, ils méritent l'as-
sistance la plus assidue : « Prends garde au pauvre orphe-
lin, redoute les plaintes qu'exhale son cœur déchiré ; cin-
quante années de bonne réputation sont détruites parles
malédictions d'un enfant » {Bouslan^ 33). C'est pour le
prince wne obligation de connaître jusqu'au plus humble de
ses sujets ; mais c'est en même temps un moyen d'éviter
l'erreur : « Tu ne veux pas perdre de temps ? Ne commande
pas de besogne aux gens inexpérimentés )^ [Çâhib-Ndmeh^
97).
Outre les humbles, certains sujets d'élite méritent plus
particulièrement la sollicitude du prince. D'abord ses pro-
pres serviteurs qu'il a tout intérêt à s'attacher étroitement :
« Récompense par de nouveaux bienfaits tes anciens servi-
teurs, ils te doivent tout et ne songent pas à te trahir ... Si
l'âge leur ôte le pouvoir de le servir, il te reste à toi le pou-
voir de les récompenser » [Boustan, 20). Puis : « Il y a deux
classes de sujets que tu dois favoriser entre tous : les hommes
de guerre et les hommes de conseil... Protège l'écrivain et le
soldat de préférence au chanteur » [Ihid.^ 75), car « le
maître du monde, tant que les gens de science et de mérite
sont séparés de lui, sa domination ne recevra pas d'accroisse-
ment » (Çâhih-Nâmeh, ^\). Qu'il honore donc non seule-
ment les savants, mais encore leurs descendants (Ibicl., 35),
car u les rois ont plus besoin des conseils des sages que
l. iioMMi: s<;(;iAL
ceux-ci (le la lavriir des rois» {(lulixt-in, 'A\'2. Saiidi ne
j)eul en cllcl se résoiidie à faire passer l'aiinée avant les iii-
lellecUiels dans le.s préoccnpalions du priiu e ; il lui recoin-
maiido cependant de bien payer ses soldais : <« l'onrqnoi lo
soldat mal paye, mal nourri, saciilieiail-il sa vie sur le champ
de bataille »> (1) ? C'est même la caste cju'il convient de payer
le plus, car « le trésor se remplit, non pour entretenir le
faste de la couronne, mais pour nttunir l'aimée » [Iloiisf.in,
33). En revanche les religieux, ayant fait vœu de pauvreté,
ne recevront jamais rien (2). Kiilin, les étrangers, marchands
et envoyés, ont droit à un accueil favorable .comme propa-
gateurs de la bonne renommée du prince (jui, toutefois, ne
doit pas oubliera leur égard les règles de la circonspection,
car " il est sage de se méfier d'un inconnu ; c'est peut-être
un ennemi qui se cache sous les dehors de l'amitié » [liou.s-
tan, 20). Kn un mot, la règle du prince envers ses sujets
consiste à les proléger et à favoriser le mérite : « \'eux-lu
assurer l'immortalité à Ion nom ? Ne laisse pas le mérite
dans l'ombre » yIhi(J.,''2'2).
Plus imporlants encore paraissent les devoirs du j)rince
envers l'Klat. Mais, d'abord, le prince ne peut gouverner
seul : il lui faut des ministres et des administrateurs. (]es
derniers seront choisis, notamment les gouverneurs de pro-
vinces, parmi les riches, defa^un à éviter les concussions (3).
Quant aux ministres, lesquels choisir? u Accorde la confiance
à celui qui craint Dieu et mélie-toi de celui qui ne craint que
le roi. Un bon ministre doit redouter Dieu, non la révoca-
tion et l'exil n ( ll)id.\. Mais, si excellents que soient les servi-
teurs du prince, il ne doit pas s'en rapporter entièrement à
eux ; il vériliera par lui-même les plus minimes détails « de
façon à avoir l'esprit on repos ». L'entourage du prince est
bien souvent sujet à caution et — celle réilexion de Saadi
(1) nottslnn, 7.1. Cf. Çiiliih Siimeh, 97 : •• KlaUo l'arinre.
(2) Gulistan. 1*0-141 (II. 3i cl 35).
(3) Boustan, 21.
i;)/| DEUXIEME PAHTIE. CHAPITRE PUKMIER
jette un triste jour sur le moufle politique de son temps — :
« Sur cent agents, tu trouveras à peine un honnête homme »
[Ibid.]. Même méthode à l'égard des dénonciations : « N'ac-
cueille jamais une dénonciation avec complaisance et sans
la scruter à fond » [Ibid,^ 22).
Saadi a signalé, le moins dogmatiquement du monde, il
est vrai, les traits qui caractérisent le grand politique, tant
pour le prince que pour les premiers serviteurs de l'Etat.
^ oici, selon lui, la base de la politique : <( Le droit chemin
est entre l'espérance et la crainte. L'homme sage espère ce
qui est bon et redoute ce qui est mauvais; quand un roi
est partagé entre ces deux sentiments, ses Etats offrent un
asile assuré » {Ihid., 17). Aussi le prince, bien loin de se
laisser aller à un opportunisme dangereux, a-t-il besoin de
prévoir sans cesse, car « le regret est vain... ; en temps de
paix, prépare les armes de guerre, sinon à quoi sert de cher-
cher à endiguer le torrent?)) [Çâhih-Ndmeh, 19). Or, la pre-
mière condition de la prévoyance, c'est de se méfier de l'inspi-
ration ; le prince doit, plus encore que ses sujets, réfléchir
avant d'agir ou de parler ; en effet « porter avec impétuosité
une main trop prompte sur son épée sera cause qu'on mordra
le revers de sa main en signe de regret » [Gulistan^ 22o,
V, 20). Mais la prudence ne suffit pas ; il y faut joindre la force,
car ces deux qualités sont inutiles l'une sans l'autre : « La pru-
dence, sans la force, n'est que ruse et artifice ; la force sans
prudence n'est qu'ignorance et folie » [ILid., 331). Il est vrai
qu'en certains cas, il convient de substituer à la force une
autre puissance, celle de l'argent qui fait courir moins de ris-
ques : a Tant que l'affaire réussira au moyen de l'or, il ne con-
vient pas de jeter sa vie dans le péril » (1). Envers les États
voisins, il est entendu que, si l'alliance est possible avec eux,
l'union fait la force : <« Cent mille fils isolés sont sans force,
mais si tu les tresses, Alexandre lui-même ne les brisera pas »
[Çdhih-Nâmeh, 71). Sinon, une seule méthode, diviser pour
(1) Gulislan,, 314 ; et cf. ibid., 191, III, 28.
r,*ll')MMR SOCIAL l55
rc^^'iier: <• b^'appi* iii U'ic (l«i sorpciil par la main de lonne-
nii. . ; si riMiiieiiii esl vaiiKjiuMir, Ui auras Uu* lu scM'peiil ;
si ocliii-ci l'emporlo. lu seras délivré de Ion ennemi. » I*!l,
pour y parvenir. Ions les moyens sont bons, même le men-
9on<;e qui « mêlé d'utilité, est préférable h la vérité qui
excite les troubles »> (frufisf.in, 2"), I, I . Onsoii^'e A Machia-
vel Mais aussi quelle Irantjuillité pour l'iltal, lorscpie la
discorde sévit entre ses ennemis, et combien le mensontre
trouve ainsi son excuse ! {Ibid.,'.l\H). La |)rospéritédn royau-
me est en elfel le premier devoir du prince : préservation
contre l'eunenii. car « un royaume en sécurité est un arbre
fruitier M ' (/àhi/j-Xihneh, 5), et améliorations inléi'ieures,
améliorations précisées dans ce passage qui semble wnc flat-
terie adressée au prince de Chiraz, Abou Hakr : <« Le prince
ne meurt pas, (jui laisse après lui des ponts, des mosf|iiées,
des caravansérails et des hospices : mais s il meuil srjus lais-
ser de pareils souvenirs, il est semblable à l'arbre qui a vé-
gété sans porter de fruits » (lioustan, 22).
(Juant aux grands serviteurs de l'Mtat, leurs devoirs se
confondent, à un degré moindre, avec ceux du souverain.
Mais quels sont leurs devoirs envers lui?Saadi,îi la vérité, ne
délinil pas ces devoirs, mais s'attache de préférence à met-
Ire les compagnons du prince en garde contre ses caprices :
en elfe t <« on ne peut se lier en l'amitié des rois..., car elle
est changée sur une simple imagination » (1). Aussi, que de
prudence convient à ceux qui servent un monarque ! Com-
bien il leur faut perpétuellement veiller sur eux-mêmes !
Saadi montre, il est vrai, peu d'élévation desprit dans ses
conseils au ministre qui doit avant tout se montrer parfait
courtisan. Naturellement, son premier devoir est la discré-
tion ; mais est-ce réellement un devoir, ou plutôt une simple
précaution ? Si l'on doit se taire, ce n'est pas avant tout pour
le salut de ri.lal, mais simplement parce (pt'il ne convient
(1) QuVaian, 312. Et cf. AUar, Pend-Sdmeh (Irad. Sacy), p. 1*7: « L'a-
mitié De se trouve point dans \e cœur des rois. •>
1 56 DEUXIKME PAHTIE. CHAPITRE PREMIER
pas de jouer sa lèle eu (livuli;naiil le secret du roi (1) ; on
court grand risque à signaler au prince une inlldélilé, à \
moins de posséder son entière conliance : « N'instruis pas le
roi de la trahison de quelqu'un, sinon alors que tu as la
confiance d'une complète approbation, ou bien lu fais des
efforts pour ta propre perte ^) [Gulistan, 318). Car, dans ces
fonctions, si hautes soient-elles, on a tout intérêt à épouser
docilement l'opinion du souverain. Il est évident que « cher-
cher un avis opposé à celui du sultan, c'est se laver les mains
dans son propre sang » (2). Mais, même sans tenter de faire
opposition, un simple conseil donné au prince paraît à Saadi
une singulière hardiesse, car a donner des conseils au roi est
permis à quelqu'un qui n'a ni crainte pour sa tête, ni espoir
d'obtenir de l'or » [Gulistan, 346), c'est-à-dire, n'est per-
mis qu'à un caractère indépeiAlant, pour ainsi dire introu-
vable à cette époque d'absolutisme.
Voilà en quelques mots, sinon un « moyen de parvenir >;,
du moins un moyen de maintenir son crédit : être toujours
de l'avis du prince, ne pas se constituer le pot de terre contre
le pot de fer. A vrai dire, Saadi, pour soi-même, chérit l'in-
dépendance. 11 ne se gêne pas pour donner, le moins timi-
dement qu'il peut, des conseils aux souverains (3). Mais lui
vit en ermite, vieux et désabusé ; ce qui lui est permis
ne saurait l'être à qui veut à la fois bâtir sa propre fortune
et contribuer à la prospérité de l'Etat.
Cet Etat, des ennemis le menacent, à l'intérieur comme
à l'extérieur. Or le prince n'est que le premier gendarme de
son pays et peut dire à juste titre : « Pourquoi serais-je sur-
pris d'être haï par le méchant? C'est la haine du voleur con-
tre le gardien » [Boustan, 70). Et cette garde, le roi doit
fl) Galistan, 211, IV, 8.
(2) Gulistan, 85, I, 31 et cf. ibid., 325 ; « Quiconque dispule contre de
grands personnages verse son propre sang. >;
(3) « Saadi, ne t'engage pas dans les routes de l'adulation ; puisque ton
cœur est sincère, viens et fais entendre des paroles sincères. Tu parles le
langage de la vérité et le roi sait l'entendre » {Boustan, 15).
I.'lloMMK 80CIAL i'i^
l'assurer sans cesse, toujours juste mais sévère. Le fonclion-
uaire inlidèlo sera révocjiu' aussilôl îhid., 21 *. Celle ré-
vocalioii, il l'sl vrai, neconsliluf parfois (ju'un averlisse-
menl un |)cii iiidi- u't'xciuiinl ]»as al)st)lurneut loule rémis-
sion : (( l^lrclollnu sans Irop tarder au l'onclionnaire (|uc lu
as révo(|ué. La colère d'un roi à l'éj^'ard de ses sujets doit être
celle dtm pèrecpii punit ses eulanls (1 ) ». Mais ce pardonne
s'accordera (pi'à bon escienl ; en général, alors que le simple
morlel coninul une Tante ou laissant un coupable impuni,
cette indulgence, de la j»arl du prince, deviendrait un crime ;
elle n'est permise qu'au.x voulis, ces mystiijues, ces *< men-
diants de Dieu )• vivant en dehors de la société constiluée et
(jui « dans leur bonté inépuisable, font vivre les méchanls,
si peu dignes que soient ceux-ci de leurs bienfaits »[Boust.'in,
212 . Mais si ces mystiques ne doivent compte de leurs acles
(pi'à Dieu, le prince doit compte des siens ;\ ri'.latelà son peu-
ple, et, pour lui.(( opposer la force à la violence est une règle
de justice, car la tolérance cpi'on témoigne aux méchanls est
un encourngement qu'on leur accorde ( Ihid., 133) ». Saadi,
plus encore pour le prince (|ue pour le simple particulier,
insiste sur ce point, applicjuanl rigoureusement la vieille loi
du talion ipi il considère coninie le fondement de la justice :
« La bonté et la bienfaisance, si coupables qu'elles soient, de-
viennent répréhensibles quand elles s'adressent aux mé-
chants» //;<>/., 200;. Or, c'est une simple mesure de précaution
que réduire le méchant i\ l'impuissance et môme le détruire
au besoin : « La générosité ne doit pas s'exercer envers tous.
Il faut anéantir le méchant corps et biens. Sois sans pitié
pour les méchants : leur faire grAce c'est punir les autres
hommes. » Kt il ne faut pas hésitera punir vigoureusement :
" Ne condamne pas le coupable à une peine légère... Il faut
tuer If loup sur l'Iu-ure el non lorsipi il a dévoré le trou-
ai) Boustnn, 21 pt ibid , 22 : « Au coupable ro4)enl»nl accorde l'oubli de »a
faute. »
100 DEUXIEME PAHTIIC. — CHAPITIIE PREMIER
peuii » [Boustan, 19). Toutefois « s'il laisse une famille, sois
généreux pour elle et assure son existence » [Ibid., 32). Le
souverain n'oubliera pas en effet que, s'il punit, c'est afin de
s'acquitter d'un devoir et non afin d'assouvir une vengeance:
il reste avant tout l'incarnation de la justice et, s'il ordonne
la mort d'un de ses sujets, c'est qu'il ne peut faire autrement
[Ihid., 18). Et cela seulement après une enquête très mi-
nutieuse ; souvent, en effet, des innocents sonl punis à linsu
du prince qui fera bien de se renseigner périodiquement sur
les criminels que renferment les prisons, pour le cas où
quelque innocent se trouverait parmi eux (Ihid., 32).
\ oilà pour les ennemis de l'intérieur. Quelle conduite
tenir envers ceux de l'extérieur? Contre l'ennemi civil, tra-
vaillant sourdement à désorganiser l'Etat, le bannissement
s'impose: '< Exile sans le torturer l'étranger dont l'âme
fomente de coupables desseins » [Ihid., 20). Dans son
propre pays, toutefois, car « lu n'as pas le droit d'infliger
un hôte criminel à des étrangers ; ils seraient autorisés à
dire: Maudit le pays qui nous envoie de pareils hommes »
(Ihid.). Contre l'ennemi déclaré qui attaque l'Etat les armes
à la main, il convient d'abord de temporiser tout en prépa-
rant secrètement la guerre (I), puis, si aucune conciliation
ne paraît possible, de pousser vivement les hostilités: « Crois-
moi, la paix vaut mieux que la guerre. Epuise d'abord tous
les moyens et il te sera permis ensuite de tirer le glaive...
Une fois la guerre déclarée, sois tout à la guerre ; ce serait
folie d'opposer la bienveillance à la haine » [Ihid., 72).
A ce sujet, Saadi joue quelque peu au tacticien en chambre
et subordonne délibérément à la conservation de la précieuse
existence tous les principes de l'honneur militaire : « Siton
armée cède et se débande, ne fais pas le sacrifice de ta vie.
Quand tu es à l'une des ailes, cherche ton salut dans la fuite ;
(i) Boustan, 76 : « La guerre doit être préparée en secret, puisque secrè-
tes sont les intentions de l'ennemi. »
I. IIOMMR SOCIAL I Ôf)
nii cenln-. n-vi-ts le coslimu' de l'ennemi .. l'no lois la nnil
venue, ne clenienre pas en pays ennemi... Laisse nne joiir-
ni'e (le marche entre l'ennemi et toi, avant de dresser les
tentes... Après nno joiirnéo de marche, ses forces dont épui-
sées ; iomix* avec des tronjjes fraîches sni* ses soldats haras-
sés et mets ainsi à profil la fanle (ju il a commise... Mais ne
i'aciiarne pas à sa ponrsuite de façon à l'éloi^'ner des tiens. »
Ces conseils légèrement puérils font sourire mais, rellélanl
peut-être en quelque mesure les idées du temps sur la tac-
ti(|ue, méritent d'être notés à ce titre.
Donc, si la guerre est inévilahle, elle aura lieu contre pjii'-
fort ou i>l(is faible (|ue soi-même. I)aii> le premier cas. une
seule méthode, ruser; et Saadi explique comment, dansée
passage di<;nedu Homan de Henart contemporain :< L'empire
du monde appartient à 1 habileté et à la ruse ; baise la main
que tu ne peux mordre (i;; j)rodigue les caresses à ton
ennemi comme tu le ferais à ton ami, en attendant l'occasion
de l'écorcher vif » [liniis/an, 71). A quoi bon exposer, par
un héroïsme inutile, à la fois sa vie et son empire .' Il est bien
temps de recourir aux armes, lorsqu il est impossible de
composer avec un ennemi supérieur : < Lorsque la main est
impuissante à employer la ruse, il est permis de porter la
main à l'épée » lY^w/Z-v/////, 315) (2). En revanche, en pré-
sence d un ennemi plus faible que soi. pas de pitié, sous
aucun prétexte : .< N'aie pas pitié de la faiblesse de l'ennemi ;
car. s'il a le pouvoir, il n'aura pas pitié de toi »> [Ibid.). VA
si même cet ennemi s'humilie et, sans tarder, se reconnaît
vaincu, la simple prudence commande de ne pas se laisser
prendre k ses bonnes manières, car « un ennemi faible (|ui
se soumel et montre de l'amitié, son but n est autre que
de devenir un ennemi fort «> illiid., 'A\'.V\. Toutefois, il y a
intérêt à ne pas refuser «le I entendre : « (Test une erreur
d'accepliM- di--i i'<in>i«'iU i\r la p;irl d'un «'muMui : m;ns il c-.!
(t) Moiiii- iiiiijjc, ru/jt'» .\iinck, i'o. Il *« «gil au lesleO un vi<mi\ pi.ivcrije
oriental.
(2) C« ver» se retrouve dins le Houitan (ver» TH5).
l6o DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
permis de les écouter, afin que lu agisses contrairement à ces
conseils. »^
Le prince ne doit donc pas ménager Tennemi qu'il a le
pouvoir d'abaltre. Mais qu'il évite les excès de pouvoir qui
le rendraient injuste : « Une fois maître de la victoire, ne
t'aoharne pas contre l'ennemi vaincu » [Bouslan^ 34). Et
celte injustice, dont le prince doit se garder envers ses
ennemis, combien il doit s'en garder davantage encore
envers ses propres sujets ! Car sa prospérité dépend de la
leur et, partant, de celle de l'Etat. Or u un roi qui opprime
les commerçants ferme les sources de la richesse au peuple
et à l'armée » [Ibid.^ I9j et, plus encore : « Un roi, fûL-il
maître du monde, n'est plus qu'un mendiant lorsqu'il spolie
ses sujets » [Ihid.^ 33). Saadi, à plusieurs reprises, flétrit
énergiquement le despotisme et voue le tyran à l'exécration
des âges : c Ne cherche pas la prospérité dans un pays où
sévit le despotisme », s'écrie-t-il [Ihid.^ 18) ; et ailleurs, se
rencontrant avec le a Quos vult perdere Jupiter dementat »
d'un autre poète, il déclare que « quand Dieu veut la ruine
d'une nation, il la livre à la merci d'un tyran » (//)ïc/., 46). En
elfet, quel recours, quelle protection restent aux sujets du
tyran ? « 0 roi, ne sois pas injuste quand nous sommes sous
ta protection.Les faibles se plaignent au sultan d'avoir subi la
violence, mais si c'est toi qui fais violence, devant qui nous
rendrons-nous, nous les humbles? » [Çâhib-Nâmeh, Ho).
Aussi Saadi admet le tyrannicide et le conseille même au
besoin : «. Si le roi du monde verse du sang, combien de
sang sera versé ! Il faut le tuer comme un loup, afin défaire
fuir les autres loups » [Ibid., 35).
Et, en vérité, quel intérêt trouve le prince à se montrer
despote ? Répondant au mot du vieux tragique latin « Ode-
rint dam metuant •>, Saadi démontre, par une image expres-
sive, que le tyran n'est pas en sécurité, même s'il est redouté :
« Les scorpions le plus souvent, c'est par peur pour sa
propre vie qu'on les frappe » [Ibid., 37), En outre, la
mort se présente tôt ou tard ; et pourquoi laisser au monde
L liOMMK SOCIAL
une nu'*nioiie niaiiciile .' ■> 'loi ou tard, la lyrannie cesHc,
mais le nom du tvran se Iraiismclà travers les A^'es >• i lions-
tan, iti). A (jiioi bon tourmenter sans profit, non seulement
ses sujets, mais ceux des autres jirinces ? Saadi (jui, par défi-
nition,réprouve la guerre ( I), condamne résolument la ^nierre
de con(|uêle : ■< Si tu conquiers tous les ro\aimies de l'tini-
vers, tu élèves jus(ju'au ciel la tiare de la tyrannie » 'Çùhih-
i\;lmch, 7). Kt, parlant en son nom cette fois, le poète s'écrie
énergiquement : .. Je l'atteste au nom de l'humanité, tous les
royaumes de la terre seraient trop chèrement payés au prix
d'une goutte de sang qui tombe sur le sol >» [iiouslan, 3ii. Il
fallait certes quelque courage pour parler ainsi, à l'heure
même où le Fars allait perdre son indépendance. Saadi, pour
finir, en appelle à Dieu contre le tyran (2 ). i« Mémento mori »,
lui crie-l-il en son laniiatre, se transformant soudain de con-
seiller politique en prédicateur mystique qui sait estimera
leur poids les vanités terrestres : « Quelle conquête inutile
que celle du monde, puisque après l'avoir subjugué par
l'épée, il faut l'abandonner par la mort - {/iou.sf.in, M)). Car
tout passe, zavrx ciet, et Saadi chante doucement à son prince
le mélancolique couplet des coulis dont Ilolbein devait don-
ner plus lard l'illustration saisissante : « N'allache pas ton
cœurau monde, car les révolutions du temps, chaque jour,
placent la tiare impériale sur une autre tète » (3/, et déplus:
« Avant toi le monde appartint à bien d'autres, et, après toi.
sera possédé par bien d'autres, sache-le ! » (4).
Car nous mourons tous, et, si le prince doit faire le bien,
c'est non seulement par amour du bien, mais parce qu'un
jour il rendra compte (!•• *■"- ;tctes à un maître «|ui lui esl
(1) • Là où la victoire se poul obtenir par la douceur, évite la lutte et
l'elTusion du aang > {liouitnit, 34).
(2) Çdhib-.\àmeh, 6.'J : <■ MeAure avec l)it u ce que im'rilcnl le bien et le
mal de la création, car la D)aiD de la tyraouie oe reste pas toujours ausai
longue. »
(3,1 Çàhib-.\àmeh. 21.
(4) Çdhib .\àmeh, 7.
M. - Il
103 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
supérieur : « Une seule royauté est éternelle, celle de
Dieu [ I ) ;... crains-le, car il lit l'écriture cachée. Que tu la lises
à voix haute ou basse, c'est tout un >) (2). Aussi « aujourd'hui
que le temps est à toi. fais le bien, car personne n'est chef
pour toujours » [Çdhib-Nâmeh, 9), Mais ce bien, le prince
ne peut réellement le faire que s'il craint Dieu : » Si tu re-
connais la supériorité de Dieu sur toi-même, une grâce éter-
nelle demeurera sur toi » [Ihicl.^ 150). Sinon «. qu'il ne soit
pas à la tête de l'iitat, ce roi puissant qui n'est pas envers
Dieu un esclave soumis ». Car « deux personnes sont enne-
mies de l'Etal et de la religion : un roi sans douceur et un
religieux dépourvu de science » [Gulistan, 3lti). Il y a
phisieurs espèces de despotes, mais « le plus à craindre est
celui qui ne craint pas la justice du ciel » [Boustan^ 18).
Aussi, quelle triste mort lui est réservée, cette mort dans
laquelle « peine et plaisir, tout passe, tout s'ellace »
[Ihid.^ 30) ! Vraiment, » le mendiant dontla fin est heureuse
vaut mieux que le roi qui Unit mal » [Gulistan, 344). Or,
finir mal, c'est s'approcher de la mort en laissant derrière soi
le désert et la ruine : « Jimais, de quelqu'un qui a détruit la
demeure des hommes, la maison n'a été éternelle après lui»
( Çdhih ' Nânieh ,29).
En revanche, « heureux le peuple dont le souverain se
prosterne devant Dieu comme le plus humble de ses sujets ! »
[Boustan^ l(i) . Et quelle récompense ne mérite pas ce bon
pasteur de son peuple I « Un l'oi qui s'occupe de protéger ses
sujets, il est juste que sa récompense existe, car c'est le sa-
laire d'un berger » (Çâhib-iXâmeh, 29). Or, cette récom-
pense, le prince la trouve en ses sujets mêmes qui, se réglant
sur sa religion (Ga/w/a/z, préf. p. 7), unissent ainsi leurs
efforts aux siens pour la grandeur et la tranquillité du pays.
(1) Boustan, 40.
(2) Çâhib-Ndnieh, 33.
l'homme social i63
Que représente la inoralo sociale do Saadi ? Bien loin de
prêcher un individualisme danf^ereiix, il n'examine riionirne
que môle h la masse de ses 8cmblable8. La société lui appa-
raît — et, parla, il semble devancer son épo(jne — comme
une manière de per|)éluel devenir: « Trois clioses ne demeu-
rent pas stables sans trois antres chofc^es : l'argent sans le tra-
fic, la science sans les controverses, le pouvoir sans sévérité »
{(riilist.in, 312). Le pouvoir sans sévérité ! Il veut donc l'or-
dre avant lonL subordonnant le sujet au prince et tous deux
à la divinité. Kt c'est j)ar là même (ju il les exalte. Alors que
les véritables mystiques révent, on le verra, d'anéantir
l'homme en une sorte d'universelle essence divine, Saadi,
qui joue vis i\-vis des mystiques le rôle d'un modérateur,
conserve le principe de la dignité humaine. Certes il n i^'nore
pas Dieu, créateur de I homme, mais il les mainlienl l'un en
face de l'autre et chacun ;'i sa place. En outre, à une époque
d'absolutisme, il sait dégager des règles de souveraineté gé-
néralement applicables ; alors qu'on s'attendait ;\ le voir ilat-
ler les princes contemporains, en leur recommandant d user
de tout leur pouvoir, il leur conseille au contraire la mo-
dération et la tolérance ; son système de gouvernement,
dans ses parties principales, reste actuel et n'avilit pas
Ihomme. Une seule tache sur cette morale sociale : l'idée de
la vengeance licite ; mais Saadi écrivait au treizième siècle,
subissant inconsciemment des siècles de doctrine sémitique
(car le Coran empruntait à l'Ancien Testament la loi du
talion^i, alors (|u'aujouid hui même — qu'on ne I oublie
pas — la vendella subsiste encoif dans (pielques coins do
l'Kurope.
I*uis. il s'agit avant tout dune morale pratique, ensei-
gnant comment se conduire dans le monde ; et, sans que
Saadi paraisse pour cela pessimiste, un grand nombre des
historiettes du Poualun, m&ib surtout du (îu/iatun, be bor-
l64 DEUXIÈME PAKÏIE, CHAPITRE PUEMIEU
lient à coiislater des traits de caractère, sans louange ni
censure. On songe à certaines fables de La Fontaine qui,
sans prendre parti,. se borne à montrer le faible opprimé par
le fort, le pauvre par le riclie, l'honnête parle fripon. M. E.-
G. Browne [Lit. Ilistory, II, 530) a très finement analysé
cette relativité de la morale de Saadi : ainsi dans la huitième
historiette du Gulistan{p. 43), un monarque fait jeter en pri-
son, dès son avènement, les ministres de son prédécesseur,
de peur qu'ils ne conspirent contre lui, « agissant d'après la
parole des sages qui ont dit : 0 sage, crains celui qui te
craint » ; or, s'il est un acte de tyrannie, c'est bien celui-
là. L'historiette suivante démontre que ce sont souvent les
pires ennemis d'un homme qui héritent de lui. Une autre
historiette [Ihicl., 51, I, 15) raconte la désertion d'un soldat
devant l'ennemi, faute de paie. Ainsi va le monde qui n'est
certes pas parfait, mais qu'il faut accepter joyeusement tel
qu'il est, sans se raidir ni se plaindre. Or, la morale sociale
de Saadi enseigne à se comporter le plus honnêtement possi-
ble, mais en sauvegardant du même coup son indépendance
et sa sûreté. Vous voulez cependant davantage? Vous aspi-
rez à une perfection que vous pressentez sans la connaître?
Saadi encore vous trace à petites touches la voie qu'il faut
suivre afin de dépasser la moyenne humanité. Ou bien vous
resterez à mi côte et vous deviendrez l' « honnête homme »
par excellence ; ou bien vous pousserez courageusement
sur le chemin de plus en plus âpre, jusqu'à planer aii delà
de toutes les contingences de cette vie, de toutes ses
grandeurs et de toutes ses petitesses : « Ne va pas croire qu'il
n'y ait rien au-dessus de la souveraineté ; le calme et la féli-
cité parfaite ne se trouvent que dans le royaume des der-
viches •) [Boustan, 49). On va voir « l'honnête homme >' tel
que le conçoit Saadi, avant d'aborder ses idées sur « l'homme
de Dieu >♦.
cnAiTini-: ii
l'honnêtf: homme
Oiilre les ouvrages de Saadi réunis dans l'édilion de Cal-
culla. un opuscule lui fut allrihut' dès le quinzième f^iècle 1 1),
opuscule à tendances morales intitulé : J'('ncl-i\//mc/i (livre
des conseils) ou encore K,irinia (d'après le premier mot de
l'ouvrage). Composé sur le modèle du Livre des consei/s de
Farid ed l)in Allar (2), il est parfois considéré comme apo-
crv|)lie, mais n'en reste pas moins digne de Saadi : sans
parler de sa remarquable forme littéraire, il expose en effet
une morale fort analogue à celle du poète de Chira/,. De
plus, ces idées morales, réduites à l'étal de simples pensées
à peine viviliées ça et là par une métaphore, forment une
sorte de compendium et il y a donc lieu d'examiner rapide-
ment l'ouvrage afin d'en dégager l'idéal moral qu'il contient.
Le Pend-Ndmeh débute par une sorte de lamentation qui
rappelle cpieNpie peu le |»rologue du Fniist de Gœthe :
•< Quarante ans de ta vie précieuse se sont écoulés, et ton
naturel est encore celui que lu avais dans l'enfance. Tu n'as
rien tail (jue la vanité ou la passion ne l'y aient porté. Tu
n'as pas embelli un seul de tes instants par des occupations
sérieuses » (Trad. (iarcin de Tassy, p. MMii. Kt l'auteurcon-
tinue par cette parole de désenchantement, si proche de
(1) Rieu (Persian Mss. Hrili^h Mus., II. 865) a démontré que, déjà en 1438
( 11.842), on le considérait comme l'ouvrage de Saadi. Cf. Grundriss, II , 295.
(2) Hrowiio (LUerary llitl.. II, 532): c Pand N«mn or book of (lounsels,
on llio niodel of Atlais and olbers ».Cf.en outre Nitcir ed diii ben Kliosroû,
le livre de la fclicilé, en 30 cbapilie» Trad. Fagnan. '/.. D. M. G., 1880)
p. 643 et suiv., nolaninu-nt les clinp. III (réijuilé;. IV (la patience) VIII et
XXI (l'avidité), IX (la générosité).
l65 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE II
Ylnutiilion : ^» Monàiiie, ne place poiiiL la conliaiice en celLe
vie qui passe, ne le ci'ois pas à l'abri des jeux: de la forlune. »
Ces jeux delà forlune, il faul, afin de s'en préserver, vivre en
honnêle homme, fuyanl le vice et s'attachant à la pratique
des vertus. Quels sont donc ces vices el ces vertus, d'après
le Pencî-Nâmeh ?
Les vices d'abord : l'orgueil, « le propre des ignorants. .
le capital du malheur », si déplaisant chez le savant (Irad.
cit., p. 110); la tyrannie qui en découle (p. 114); l'avarice
(p. 108) et la cupidité dont l'esclave » livre au vent la mois-
son de la vie » (p. 116); enfin, le mensonge (p. 120) el
l'ignorance (p. 112), en l'espèce l'ignorance de la seide con-
naissance qui vaille vraiment: celle de Dieu, sans laquelle
on ne peut se connaître soi-même (1 ) : « L'enfer est réservé
(à l'ignorant) car il est difficile que sa vie ail une bonne fin ».
Les vertus ensuite : la droiture, source de toutes les au-
tres (2) ; la patience, c clef de la porte du désir (3) et souve-
raine de l'empire des souhaits » (p. il9); la justice, «or-
nement de la royauté » (p. 113); la générosité (p. lOB),
« capital de la joie (4), récolte de la vie » et qu'on doit pra-
tiquer si l'on veut imiter Dieu dont elle est l'attribut par
excellence ; rhumilité (p. 109) « qui élève celui qui la prati-
que... et le rend digne du nom d'homme >• ; enfin, au plus
haut degré, la science *< sans laquelle on ne peut connaître
Dieu n et qui constitue le plus ferme soutien de l'homme
en ce monde: «. Tiens-toi fortement attaché au pan du
(1) Cf. le tilre de Bossuel : De la connaissance de Dieu et de soi-même.
(2) « Si lu te diriges d'après la droiture, les hommes seront tes amis. Le
sao-e ne détourne point la tête de la pratique de celte vertu qui donne à
la réputation je ne sais quoi de sui)lime. » En rapprocher Çâhib-Nâmeh,
p. 9 : « Par la voie droite, lu peux parvenir à ton but... La droiture sauve
les hommes du feu infernal » et Livre de la félicilé (p. 644) : « Le salut est
le résultat d'une conduite droite iez rdslkârî reslkârî) ».
(3) Livre de la Je licite (p. 647) : >< La patience est la clef de la porte du
paradis ».
{i) Ibid. (p. 648) : « C'est la générosité qui guidera tes pas vers le
bonheur.
l/HOMNêTl HOMMB 167
nianleau tle la science; lu seras conduit au palaift de la
slabiliU' >> |). 111). Ac(jiu''rir celle scirnco chI le premier
devoii- de ) homme (jui tend à la jierfeciioii : « Le dcvoii- de
t'inslruire esl pour loi un précepte obligatoire (jue Dieu l'a
imposé, (juand même, pour l'exécuter, il faudrait parcourir
le monde » (1). Mais une fois celle science acquise, quelle
sérénité ! car la vie se passe désormais uniijuemenl à prati-
quer le bien. Aussi:» N'abandonne jamais le sentier du
service de Dieu; la félicité même de celle vie en dépend.
La lumière des bonnes œuvres éclairera les sinuosités de
Ion caur » i j). 117).
Tel esl l'essenliel du Pend-Niimeh ; mais, outre ces vertus
en quebpie sorte cardinales, on en peut découvrir d'autres à
travers Itruvre de Saadi. Dans le (iiilislun. il y ajoute le
courage, mais le véiitable courage, le courage moral, car
« le courage ne consiv'^le pas à donner un coup de poing sur
une bouche »> (p. 148. IL 44). En outre, Saadi revient à plu-
sieurs reprises sur une verlu qu'il semble estimer plus (jue
toutes les autres: la bonté, verlu innée ^2) qui, telle une
ûnmxne Houstun, 1.')), tressaille et monte sans cesse vers
le ciel. Il semble qu'on puisse discerner deux sortes de bon-
té dans les passages que Saadi lui consacre : l'une, encore
intéressée, appartiendrai! aux gens à demi parfaits; l'autre,
plus élevée, plus pure, serait luniijue privilège des mortels
qui alleignenl à la perfeclion morale. Au fond, la première,
celle bonté en (juelque sorte imparfaite, se ramène somme
toute au « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez
pas qu'on vous fît «• de l'Kvangile. Kl il serait facile de relever
dans Saadi plusieurs pensées analogues, par exemple : « Le
mal (jue lu n approuves pas pour loi-même, ne le fais à
personne, ô mon frère ». Pensée complétée parce trait légère-
ment humoristique : « Si lu aimes bien ta mère, ce n'est pas
une raison |)our insuller la mienne >• [ÇùhihSiinnh, lilii.
(i) E»t-re 1^ une allusion aux voya|t<'K (le Saodi ?
{t) M I.a bonté esl udo qualité innée et que nen ne peut faire acquérir »
{Bouitan, 120).
l68 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE II
Etre bon, c'est en quelque sorte obliger les autres à vous
payer de retour à l'occasion : <^ Celui qui ne pardonne point
à ceux qui sont tombés, qu'il craigne, s'il vient lui-même
à tomber, que personne ne lui prenne la main » [Gulistan ^
46, I. KM.
Pardonner ! ce mot peut surprendre sous la plume de
Saadi,qui, tout à Ilieure, conseillait nettement la vengeance
el rejetait loule indulgence envers les méchants. Maisquel'on
n'oublie pas qu'en morale socialeil admet le pardon, lorsqu'un
avantage en peut résulter. Puis il s'agit à présent de morale
supérieure ; il n'est plus question de l'homme luttant contre
ses semblables, mais du mortel qui peine sur la route escar-
pée de la perfection. Celui-ci non seulement peut, mais doit
pardonner. Il y trouve tout d'abord son intérêt, car « qui-
conque ne pardonne pas à ses inférieurs est puni par la vio-
lence de ses supérieurs » [Gulistan^ 345) ; mais, en outre, se
montrer bon, c'est un élément de bonheur : on n'est heureux
qu'autant qu'on a soi-même pratiqué le bien et « quiconque
n'exerce pas la bonté quand il en a le pouvoir éprouvera
beaucoup de tourments au temps de la détresse » (//)ïf/.,32l ).
Saadi semble même admettre une sorte de justice imma-
nente, prenani comme instrument les êtres les plus inatten-
dus ; ainsi : « Quel bien as-tu fait à ton père afin que tu en
attendes tout autant de ton fils ? » (Ibid., 265, VI, 3). Autre-
ment dit, on ne mérite le bien qu'autant qu'on l'a fait
soi-même aux autres. Ce bien consiste en aumônes, évidem-
ment (1) ; mais à qui ne possède pas de quoi les répandre
autour de soi reste l'aumône morale, c'est-à-dire la compas-
sion : u Veux-tu que ton sort soit exempt de chagrin, n'oubbe
pas les cœurs que le chagrin dévore » [Boiistan, 99). Cette
bonté, les puissants eux-mêmes n'en sont pas dispensés ;
ils doivent, eux aussi, compter avec les retours de la for-
tune : u Combien de riches sont tombés misérablement, que
(1) En aumôiies. Mais il faut s'entendre : « L'or que le riche tire par
quintaux de ses coffres n'a pas le mérite de l'obole donnée par l'artisan »
(Boastan, p. 111).
L'uONNh^TF IloMMK I 6f)
fie fois la forluiie a rolevê ceux (|ucllo avait renversés 1 lOvile
donc d arilii,'er ceux à «jiii lu commandos, de peur do tomber,
loi aussi, sous leur tlominalion » fioustun, 112;. Car ce
monde est la demeure de l'instabilité; aussi, môme devant uti
ennemi mort, faut-il s'abstenir de joie : « Je n'ai point sujet
de n^i.' r('j()uirde la mort d'un ennemi, car ma vie n'est point
non plus éternelle •> [(iu/ist.in, '.)!, I, M).
Vi\ (lettré de plus, et l'on touche à la parfaile bonté : c'est
alors (jM on voit resplendir, non plus la simple compassion,
mais celte universelle pilié (pii se penche sur « la majesté
des souirrances humaines ». VA cela, non plus parcalcid,
mais j):u' la puissance du rayonnement intérieur, layonne-
ment éniané de Dieu (1 ) et (jui pousse l'homme purilié vers
lassislance et le soulagement de ses frères en détresse :
<« Le sage redoute la soullVance autant pour autrui que pour
lui même (2 ,... l'homme bien portant partage la douleur du
malade t|ui gémit à ses côtés »> (5ou5/r?n, 4i). Cela suppose
en général (ju'on a soulï'erl auparavant soi-même, au physi-
<pie o»i au moral ; en elï'et <« ceux qui n'ont pas éprouvé
l'amertume du besoin font la grimace et détournent leur
visage devant les mendiants » [Çùhih iXAmeh, p. 41). Mais
aussi, combien celui ipii a soulîerl sait deviner les douleurs
d'aulrui, même dissimulées: « Klle connaît l'état des mal-
heureux, la personnequi a été malheureuse dans ses propres
affaires •> i3'. Qu'on songe aux soullrances des malades qui
n'ont personne auprès d'eux : « La nuit est bien longue
pour le malade qui se débat dans les convulsions de la dou-
leur " (il. Du moins, si l'on ne peut les guérir, qu'on les
aid»' à stipporler leur mal : < Lors(jue lu ne peux enlever
1, 1) « V»Mu-lii i|ue Dieu te pardonne, fais du bi(^ti aax créatures de Dieu»
((Uilistan. 6S, I. 20).
(2) Cf. le mol de Mme de Sévijjné : t Quand vous toussor, j'ai ma! à
voire poitrine. >»
(3 Otilistan, V|||. Cf. le vers laliii : < Haud ignara mali miseris succu-
rer<* disco. ■•
(4( lioustan. 324 el cf. \c vois île I.imarlin»» : .< Qn.» la nuit parait loneue
à la douleur qui veille ! >
170 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II
sa douleur à celui qui souffre, efforce-loi d'amoindrir sa
douleur par des visites » [Çâhib-Nâmeh, 60). El Saadi,
songeant dans le Gulistnn (p. 55, I, I6) à tout ce que le
monde d'ici-bas suppose de douleurs ignorées, jelle, au
milieu d'une simple historiette, cette admirable exclamation,
plus admirable encore à son époque : « Combien d'hommes
affamés se sont couchés tandis que personne n'a su qui ils
étaient! Combien d'âmes se sont exhalées sur lesquelles
personne n'a pleuré ! » Pensée pour laquelle un mot du
Boustan (p. ill) sera le meilleur des commentaires : c Seul,
le cœur est impérissable » (1).
Le cœur, oui. Mais à condition de n'être pas tout dans
l'âme humaine et de trouver en la raison (aql) un régula-
teur. C'est sur elle, on Ta vu, que Saadi fonde la dignité de
l'homme (2). A vrai dire, il l'invoque assez peu fréquemment
au cours de son œuvre ; mais cette œuvre même n'est-elle
pas la glorification perpétuelle de la raison, un « rien de
trop », un (( in medio virtus », célébrés dans d'innombrables
historiettes ? On verra bientôt que cette même raison empê-
che Saadi de suivre ses confrères en mysticisme dans leurs
divagations ascétiques. En allendant, elle lui permet de
donner à l'honnête homme sa ligne de conduite. Sans doute,
« le bien et le mal se mêlent dans la nature humaine »
[Çâhib Ndmeh, p. l)et, pour entendre le langage de la
raison, « il faut d abord imposer silence aux clameurs bru-
tales de la passion » [Boustan^ 255) ; sans doute, certains
semblent en apparence se régler d'après la raison et il est
presque impossible de sonder la conscience des autres :
« Telle est lapparence chez moi, mais tu ne sais pas ce qui
est caché dans mon cœur » [Gulistan., IÛ8, II, 8). Mais, cela
(1) Cf. Vauvenargues : c Les grandes pensées viennent du cœur» et
Ghazali, Le préservatif de l'erreur (Trad. B. de Meynard, J. A., ■1877, IX,
p. 72) : < L'iiomme est composé d'un corps et d'un cœur. Par le molcceur
j'entends cet esprit de vérité qui est le siège de la connaissance de Dieu. »
(2; « Par la raison ('aql), tu te distingues des bêtes ; sinon elles te sont
supérieures par la force» {Çâhib-Nâmeh, 118),
l'honn^tr iiommf i-ji
posti, grâce à la raison tempérée par le c<rtir, on a de grandes
cliances de» |)arvLM»ir an souverain bitMi. si l'on obéil rij^'oii-
rensenienl à (juelipies préceples Irèssimples : d abord ne pas
86 fier à ou monde cpii ne conslilne (]n une vaine ap|)urence h
laquelle Ic-s « amis desidées piires >> n allachenl pasleurallen-
tion (I I, cl cela non senlemenl au point de vue pliilosoplii»
que, mais an |)()int de vue pratique (2| ; puis, rester sann
cesse dans la juste mesure (3) ; savoir attendre les événe-
ments avec sérénilé : « si, (juelque jour. Ion dt'sir ne >e réa-
lise pas, sache (jue l'impatience est sans |»rolil : u>e donc de
patience » (lAhih-yànieJt, iy). A (juoi bon en ell'et se tour-
menter à plaisir au sujet de ce (jui ne dépiMid pas de nous ?
C est ce dont Saadi exprime l'inulilité dans ce passajçe rap-
pelant à la fois l'Kcclésiaste elles rà ôyx 'er Éuot d"Kpi<;lêle :
«( \'a et sois joyeux, il ne convient pas de soull'rir aiijoiir-
d hui du chagiin de demain " ' Ibid.^ 131).
Savoir se conleuler. savoir accepter .son sort, c'est au fond
le vrai moyen de vivre honnêlemenl et en joie, sans être à la
fois bourreau des autres et de soi-même. (Jette vérité, énon-
cée par Saadi lorsipi'il considère l'homme eu j)résence de
son prochain, se trouve exprimée plus fortement encore,
s'il s'agit de l'homme en marche vers l'amélioration nn)rale :
une fois de plus. Saadi. sans doute aliu de renforcer son
exhortation, la donne en son pro[)re nom : « Si tu veux aller
droit, écoule Saadi savoir se contenter de peu vaut mieux
(jue tout » ilbid., \iVô , conseil cpie l'on retrouve, plus net
encore, dans le I *eit(/ - \finieh {Ivmi. cil., p. Mo): «Si tu
as le bonheur de savoir te contenter de ton soit, lu ré^'i*'-
ras dans le pays de la douce tran(piillilé. » Au fond, la satité
ne con^lihic-l-j'llt' pas K* prcmu r «1. juuir n\\\^\ «Inc. le
(1) ÇdhH>-\<lmeh. p. :.3.
(2) M Ce n'enl peiAonne, celui <|iii n'osi qucl(|u'un que f(rAce à ri robe et
À «on turban. Le voleur ipsir vnN-nr, mémo mmi.s lu rohe d'un (|«di »
{Ibid , p. 83).
(3 <• Ne mets pan, autant que possible, le pieit au do{h ni en deç^ de la
mesure » {Ibid., 95).
172 DRUXièME PARTIE. CHAPITRE II
seul des biens de ce monde? (l ) Non, cependanl, car il en
est un second : l'indépendance, si précieuse à l'homme, qu'il
vive seul ou en société ; ne rien devoir à personne, c'est en
efTet une force contre soi-même et contre les autres et, au
besoin, mieux vaut se passer de tout. L'homme ordinaire,
poussé par la nécessité, peut tendre la main ; l'homme en
mal de perfection ne le doit pas : u Supporte la pauvreté. Si
les étrangers donnent des honneurs, la pauvreté qui vient
des amis est encore préférable » [Çâhih-Nâmeh^ 79). Et,
somme toute, qu'importe la pauvreté? Mieux encore, elle re-
cèle un avantage : la tranquillité de l'àme.Saadi, résumant par
avance la morale du Savetier et le Financier de La Fontai-
ne, déclare à son disciple : « Si tu es intelligent, n'amasse pas
de richesses qui ruineraient le recueillement de ton esprit »
(7/)ic/. , 97). Et ce n'est pas tout; souvent, à vouloir s'en-
richir à tout prix, on dépasse le but cherché: « Le désir
excessif de faire du bénéfice emporte d'un seul coup profit et
capital » [Ibid., 33) (2).
Donc, se contenter de peu, en disant, comme Marc-
Aurèle : « 0 monde, tout ce que tu m'apportes est pour moi
un bien. » Sur un point toutefois, ce contentement serait
coupable : lorsqu'il s'agit de l'amélioration de soi-même. En
effet, plus on doit témoigner de résignation ou de reconnais-
sance envers les dons du destin, plus on doit, si l'on veut
progresser en sagesse, se montrer sévère pour soi-même. Il
faut, il est vrai, ne plus tenir compte de l'opinion du pro-
chain et marcher les yeux fixés sur l'idéal qu'on s'est formé.
Or Saadi, sachant combien il est difficile à l'homme de faire
abstraction de l'opinion de ses semblables, admet cette opi-
nion même comme un moyen de perfectionnement : a Avant
tout, juge-toi toi-même afin qu'un autre ne te juge pas sévè-
rement » [Ibid., 51), ou encore: « Tu veux que personne
ne médise de toi? Observe-toi toi-même et ne lais pas
(1) « Le capital de la santé, c'est ce qui suffit pour vivre n (Çâhib-Nâmeh,
p. 61).
(2) Cf. La Fontaine : « L'avarice perd tout en voulant tout gagner. »
l'hon.iiVik mommk 173
ce qui n'est pas bien •» {Çàhih-.Witneh, 7). Mais, celle opi-
nion, il convient de savoir la choisir : <» Mcoiile les ennemis,
ô mon ami ! (]ar. aux yeux de les amis, les (léfanls devien-
nent des vertus. » ilhid., 189). Vax revanche, si, pour vous-
même, vous avez à tenir compte des critiques les plus acer-
bes, soyez toujours iudul^'ents jiour les autres : «Quand lu
entends bh\mer une faute, ne te hâte pas d'en faire autant .
car, nécessairement, lu commels, loi aussi, des fautes » (JJjid.,
I » I . Indulj^ent aux autres et d'autant plus sévère pour soi-
même, voilà la vraie voie : « Partout où se trouve la ligne de
la difliculté, eirorce-toi de passer celle ligne » ilhid.i il).
l-.nlin, dernier avantage, la sévérité envers soi-même permet
une juste estimation de ses propres forces (2).
C'est que, le plus souvent - et cela surprend sous la plume
d'un Oriental qu'on supj)Osait fataliste absolu — I homme a
grand lorl de reprocher au destin les infortunes donl il est
soi-même la cause; en fait, Ihomme est presque toujours
l'artisan de son bonheur ou de son m;iiiïeur (3). Kl non seu-
lement de sa bonne ou du sa mauvaise fortune, mais encore
de sa propre considération que <( chacun se fait à soi-même »
I //>/(/., H.'ii. Or. de l'homme, que reste t-il après sa mort,
sinon sa réputation? « Les mauvais ont disparu; les bons
aussi. Qu'en resle-t-il .' Mauvaise ou bonne renommée »
{IIhcJ., 39;.
Saadi semble attacher grande importance au souvenir
qu'on laisse dans la mémoire des hommes; c'est que cela
même représente une sorte d'immortalité relative consolant
le désir — désir irréalisable mais inné en tout homme — de
persévérer dans l'être, seule immortalité restant à ceux (pii
s'avancent dans le chemin de la vie sans espérer la viviliante
(1) Cf. Sl-.Manhieu. VII, 13 : « Entrez par la porle étroite. •■
(2) Çiihib-\<imeh, 135 : « P«is']tie lu savais ne pouvoir l'oini" > mi «le
tomi)er, il ne fallait pas t'asseoir ti haut. Ne valuil-il pas mitrux uiarcher k
pied que mcolcr à cheval et te rompre le cou ? ••
(3) « Pourquoi te pl.iln'^ lu .In dosini .' Pluiiis-loi de les propre» «cteH »»
(Çdhib Sdmeh, 53).
174 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE II
aurore d'une bienheureuse vie future. C'est même pour les
hommes un devoir absohi qu'entretenir le souvenir des morts
qui 1p méritent ; et celle pensée du Çàhib-Nàmeh (p. 181)
pourrait en quelque mesure servir de devise aux historiens :
« Ne laisse pas se perdre la bonne renommée des morts, afin
que l'on garde le souvenir de ton nom. » « Heureux celui
don t le bon renom demeure après la mort éternelle ! » s'écrie-
t il ailleurs (Ihid., 57), Et encore : <( Choisis la justice car,
au monde, les mortels qui passent n'ont jamais rien em-
porté de meilleur que le capital de la bonne réputation »
[Ihicl., 123). D'autre part, celui quia fait le mal n'est pas
oublié non plus ; seulement — et que Ton sente bien la conci-
sion coupante et suggestive de ces deux vers — : « Le temps
a passé sur lui, rude et calme, mais son mauvais renom per-
siste malgré les années. » [Ihid.).
Le mérite personnel, voilà en effet la véritable richesse
morale de l'homme : « Si l'homme de mérite déchoit de sa
félicité, qu'on ne s'inquiète pas, car le talent, dans son essence
même, constitue le bonheur » {Gulistan, 272, VI, 2) (i).
Et. là-dessus, Saadi rejoint un écrivain qui, lui aussi, savait
garder son indépendance en pleine période d'absolutisme :
La Bruyère. Il n'y a que le mérite personnel qui compte et
une longue lignée d'ancêtres n'anoblit pas un descendant in-
digne : « Au jour de la résurrection... on te demandera quels
sont tes actes et non quel est ton père « [Ihid.^ 281 . Vil, 8).
Aussi. « montre ton mérite, si tu en as, et non ta race »
(îbid., 330j.
Car, « tout périt ici-bas, si ce n'est la vertu » (Boustan,
22) et Saadi, si peu dogmatique, a pourtant condensé en
deux ou trois passages de son œuvre la doctrine du perfec-
tionnement moral dont il sentait toute l'importance. En l'un
d'eux, il oppose synthétiquement la durée des biens moraux
à la fragilité des biens matériels: « Talents, vertu, piété,
perfection morale, voilà les biens essentiels ; quant à la puis-
(i) Cf. Montesquieu : « Le mérite console de tout. »
LHOMNI^TK IKIMMK 175
sauce el aux richesses, elles no se monlrent que pour dis-
paiMÎlre » ^ÏUnistun, 2(>7). \'oil;\ l'idi-al à poursuivre, mais
cel idi'al, eu dépit de sou uoui, n'eu c(juslilue pas inoius
la seule réalité de ce moude : « Fais preuve de sagesse et
recherche l'idéal: seul il rcslo (piaud la foruie s'évauouit.
L'hounue j\ (jui le savoir, la géuérosilé el la piété foui défaut
n'esl (pjuue iuiage dépourvue de réalité » [Ihiii., 1)9).
Faire h' bleu, c'est le seid moyen de se préparer à quitter ce
moude eu laissant après soi une o'uvre à la fois ulile et no-
ble : <« La palme :i])parliendra à 1 homme qui se sera dévoué
au bonheur de l'humanité. N'atlache de prix tpi'aux biens
qu on peul transporter dans la vie future " {IbiiL, 56).
Ku elîel, sans aller jusqu'à croire avec Bossuel que la vie
doil èlre la méditation de la mort, il y faut songer néan-
moiu.-. Mais ce bien cjue l'honuète homme doit réaliser ne
lui sera possible que grâce à l'aide de Dieu ; Thommea beau
s'elîoroer d'atteindre la perfection, il n'y parviendra que s'il
est prédestiné : « Beaucoup sont partis el n ont j)as atleint
leur but malgré toute la science (pi'ils avaient montrée. Que
peul-on faire sans l'assistance de la faveur divine? » (làhih-
SAnifh, 03 . Celle faveur divine, siiMiuu' el uéeer^snire.
comment doue se manifesle-l elle?
CHAPITRE III
HOMME DE DIEU
« L'homme de Dieu n'est étranger ni
« en Orient, ni en Occident. Où qu'il
« aille, le royaume de Dieu est le sien »
(Calcutta, 370 r").
Durant ses années d'éludés à l'université de Bagdad, Saadi
subit (cf. supra, p. 21) la puissante influence de mystiques
renommés, notamment de Souhrawardi. Mais cette influence
n'était pas la seule : l'ombre du grand imam Ghazâli s'éten-
dait encore sur l'université dont elle continuait à vivifier
l'enseignement. Or, Ghazâli, survivant par son extraordi-
naire influence, par ses ouvrages que l'on ne cessait d étu-
dier, et, d'autre part, Souhrawardi et les autres maîtres
mystiques que connut Saadi, exerçaient, par leurs discours
et leurs écrits, une influence semblable, mais non identique.
Quelles difl'érences les séparaient donc, et comment agirent-
ils, chacun en son genre, sur l'esprit du futur poète?
L'historien Ibn Khaldoun, le plus philosophique (pour ne
pas dire le seul philosophique^, des historiens musulmans,
précise dans ses Prolégomènes (Irad. de Slane, III, 90) les
différences fondamentales entre Souhrawardi et Ghazâli.
Etablissant la hiérarchie des théoriciens mystiques, il y dis-
tingue trois classes : les uns traitent des règles de la dévotion
et de l'observance des devoirs religieux en général; les
autres « ont traité des bienséances qui doivent s'observer
dans la pratique du çoufisme, des goûts que l'on y éprouve
L IIOMMK DE DIEU 177
et des extases qui surviennent aux çoutis dans leurs étals
d'exaltation... : c'est ce qu'a fait SouluaN\ardi dans son
Auiirif cl Mnurif ^^ (1); vient enfin (ilia/âli «jiii « a réuni
ces deux ^'enres de sujets dans son livri- inlitiilé : îhyu ».
\'oiIà le vrai mérite de (îha/âli ; une Untalivepour établir
un juste milieu entre ihéoloj^iens et vo^dls, les premiers —
pour reprendre ses propres termes (2) — « qui se disent les
disciplesdu raisonnement et de la spéculation », les seconds
«« qui se disent élus de Dieu et possesseurs de l'intuition et de
la connaissance du vrai (par l'extase) ».
Or, celle tentative de (ihazâli ne tend à rien moins qu'à
faire jaillir, de la cendre de la scolaslique, la Hamme du
senlimenl qui sommeille. Celte action a du reste été nette-
ment définie par un des meilleurs connaisseurs de la théo-
logie musulmane, M. Asin Palacios [6] : « Le seul titre de
son œuvre maîtresse: Ihyu iilûm id din vivification des
sciences religieuses; suffit à faire comprendie que toute sa
réforme consiste à substituer aux formules rituelles el tout
extérieures de la religion, l'expérience personnelle, vive et
intense de l'esprit religieux, à donner à la pratique une im-
portance plus grande qu'à la théorie, à la morale un déve-
loppement plus grand qu'à la dogmali({ue. Or la morale
n'est (ju'un acheminement à la mystique. L'union ou com-
munication de l'âme avec Dieu, objet de celle-ci, est. par là
même, la partie la plus sublime de la religion. >•
C'est là précisément le processus que l'on peut reconnailre
à travers l'œuvre de Saadi, s'il est, à la vérité, permis d'em-
ployer ce mot dogmatique de u processus -, lorsqu'il s'agit
de citations disséminées dans une o'uvre, sans plan ni mé-
thode préconçus. Pour Saadi, précisément, — et, par là
(1) The awdri fu l maar if, wr'iUea in Ihe .\IU cenlury.by Sljaikh Mubam*
mnd-i-Sahrwardî, Ironslalod oui of tbe arable into persian ï>y Mabmud
bia .\li ai KàtbAni and iiilo englisl. by VV. Claïkr. 1891.
^2) Ghaiàli, Le préservatif de l'erreur (Irad. B. de Meynard), J. A., 1H77,
L\, p. 19.
(3) Lu mystique d'Al Ghazali, Mel. Fac. or. Btyroulh. VII, 67.
M. — li
1^8 DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III
même, ;• l'aiige de lécole » de Bag^dad fait ï^entir son in-
flnence, subie inconsciemmenl ou non — la morale n'est
qu'un acheminemenlà la mystique. Seulement, cette morale,
il l'a tirée presque tout entière de son bon sens, s'appuyaiit à
la fois sur Texpérience et sur quelques maximes populaires ;
sa mystique, eu revanche, ne lui appartient pas en propre :
elle reflète, et avec l'allénuation des ans, les leçons qu'il
avait entendues à Bagdad ; mais, par son génie fait de modé-
ration, Saadi ramène en quelque sorte sur la terre un mys-
ticisme emporté dans les nuées inaccessibles ; ce mysticisme,
il tente de le mettre à la portée des gens ordinaires, désireux
cependant d'un perfectionnement qu'ils pressentent, et, par
là même, il joue en quelque sorte un rôle de vulgarisateur,
dans la meilleure acception de ce mot. Alors que certains
auteurs mystiques considèrent orgueilleusement les non-
initiés comme des gens croupissant dans l'ignorance (mouqî-
mân), comme des esclaves de leur âme matérielle (ahl el
nafs) ( l) et même comme des injustes (zàlim), Saadi ne craint
pas de se pencher vers les ignorants, afin de leur inspirer le
désir de la vérité. Si, d'une part, le Mantiq et Taïi\ le Mas-
nawi sont les épopées de la mystique supérieure de l'Islam,
on peut dire que le Bouslan en représente l'épopée moyenne.
Il s'ensuit donc que, pour comprendre la mystique de Saadi,
il convient d'e.^aminer très rapidement au préalable les idées
de ceux que l'on pourrait dénommer : les mystiques absolus.
Et d'abord, qu'est-ce que le çoufisme ? Prétendre le défi-
nir en quelques lignes serait une sottise. Mais encore faut-il
en donner une idée, tout imparfaite et incomplète qu'elle
soit. La définition du çoufisme est donnée par Ghazâli (2) :
(■ Le but que les çoufis se proposent est celui-ci : arracher
l'àme au joug tyrannique des passions, la délivrer de ses
penchants coupables et de ses mauvais instincts, afin que,
dans le cœur purifié, il n'y ait place que pour Dieu et pour
(1) Ainsi les appelle Souhi-awardi dans son AwdriJ el MaariJ. Cf. Blochet,
Eludes sur l'Esotérisme musulman, J. A., 1902, IX, 498 et suiv.
(2) Op. cit., p. 54.
L HOMME DE DIEU 179
l'invocalion de son saint nom. >• Celle délinilion, aH?ez vagno
somme loiilc. el (|iii poiirrail servir A délerniiner l'idéal do
n'importe (|iielle religion, a besoin d'être précisée: alors
que le théologien nui^nlman s'en tient slriclemenl A la let-
tre du Coran et à la tradition écrite, le vonli, dédaignant la
lettre, fait appel à l'esprit, constitue en l'espèce par l'inspi-
ration de son propre cœur (|ni doit le conduire à l'extase.
Tandis que le premier subordonne sa |)ropre raison au res-
pect de la tradition, le second lait taire en soi la raison et ne
veut écouler (jue son imagination mystique, (ihazâli, joi-
gnant à sa définition l:i méthode à suivre, démontre que le
çoulisme n'est pas une question d'apprentissage, mais de
« transport » el de Iranslormalion de l'être moral. « Le çou-
lisme '«. dit-il. « consiste en sentiments plutôt qu'en délini-
lions. » On peut le connaître à fond, an point de vue théori-
que, e» cependant ne jamais le pratiquer, faute du don
d'extase et d'initiation. Le çoufisme suppose donc une sorte
de prédestination : parvenir h faire de son esprit et de son
cœur la demeure de la divinité, à l'exclusion de tout ce qui
n'est pas elle, cela n'est possible que par une faveur spéciale
de celle divinité même, u Purger le cœur de tout ce qui
n'est pas Dieu, » dit encore (ïha/àli, <! est la première con-
dition de la purification. L'absorj)tion du cœur par la prière
en est la clef et le dernier terme en est l'anéanlissement
total en Dieu. >• Kl encore n'est-ce là (ju'un commence-
ment : <« A vrai dire, ce n'est (jue le premier pas dans la vie
de la contemplalion, le vestibule par où pénèlrentles iniliés .
On pressent déjà qu'une pareille tendance coexistera
difficilement en Saadi avec l'esprit pratique et judicieux qui
caractérise sa morale sociale. A vrai dire, il a de la peine à
quitter la terre : remporlement extatique d'un Jalal ed Din
lui est étranger, ou, du moins, s'il le ctimpiend, est-il abso-
lument incapable de s'y livrer. Le (.oufisme. à son époque,
alteignait un degré de complication presque incroyable :
hiérarchie, mélhodcs, degrés d'initiation, confréries diflé-
roules augnienlaient sans cesse. Au reste, ce courant nnsli-
l80 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE IH
que, si l'on en croil Ibn Klialdouii, s'élail établi dès les dé-
buts de l'Islam : « Le système de vie adopté par les çoufis »,
dit-il (1), <( a toujours été en vigueur depuis le temps des
premiers musulmans. S'adonner constamment aux exercices
de piété, vivre uniquement pour Dieu, renoncer au monde,
telle était la règle. Par la suite, les gens qui, à l'écart des
biens de ce monde, tinrent cette conduite, furent désignés
sous le nom de çoufis ». Plus tard, quelques hommes émi-
nents écrivirent des ouvrages sur leur système qui se pré-
senta ainsi « sous la forme d'une science rédigée métho-
diquement par écrit, bien que d'abord ses règles ne se
trouvassent que dans le cœur des hommes. «
V.n somme, le çoufisme paraît avoir pour point de départ
l'ascétisme pratiqué dès le premier siècle de l'hégire (2). Au
siècle suivant, le terme <« çoufi » faisait son apparition (3).
Les mystiques d'alors désirent avant tout se soumettre à Dieu,
mais pas encore pénétrer la nature de son essence ; ce sont à
peu près des quiétistes, à égale distance de l'ascétisme et de
la Ihéosophie (maarifa) (4). Mais, peu à peu, le çoufisme
évolue : ses adeptes révent, non plus de se soumettre abso-
lument à Dieu, mais de s'enivrer de son amour jusqu'à le
contempler et se perdre en lui. Le quiétisme (ridha) tourne
insensiblement au panthéisme mystique. C'est alors qu'ap-
paraissent les premiers théoriciens du çoufisme : au point de
vue des pratiques, plus de solitaires, mais des chefs spiri-
tuels entourés de disciples à l'usage desquels ils établissent
les différents degrés d'initiation.
A ce moment, deux courants se décèlent en même temps
dans la pensée mystique: tandis que les uns, s'efforçant
(1) Prol., m, 8!^ et suiv.
(2) Cf. Goldziher, Malerialen zur Eiitwickelungsgescbiclite des Sûfismus
(Vienne, Or. Journal, vol. XIII, n* 1, p. 35).
(3) Ce qui suit, d'après le remarquable travail de R. E. Nicholson.
Origin and development of Sufiism (J . R, A. S,, avril 1900).
(4) « Ce qui distingue le soufi des meilleurs dévots, c'est une aspiration
vécu Dieu, si désinléresséc qu'elle peut en q-ielque sorle se ramener à un
quiélisnie panlLéihle » (Blochet, op. cil., p. oll).
I. HOMME 1>K DIRU OI
d'établir une ««ortc de compromis cuire li-iiis idées particu-
lières el la doctrine de l'Islam, donnent la prépondérance à
la morale et à la dévotion, les autres, plus orientaux, atlri-
buonl à l'extase une importance sans cesse croissante el vont
même jusqu'à l'éri^'cr en système (1,. C'est là, semble-t-il,
l'œuvre de Baya/id de Bistam l'ii, père du çoulisme persan,
tout baigné d iniluences orientales el qui trouvera son ex-
j)ressi()ii p.u'faile dans la j)oésie d'Abou Saïd, d'Allar el de
Jalal ed Din. (Juanl à Saadi, il ne va pas si loin; son pan-
théisme — quand il apparaît — semble contraint; on senl
(ju il appartient à celle première catégorie de mystiques qui
ne peuvent oublier tout à fait le dogme de l'Islam. VA sur-
tout, la llamme intérieure lui manque, cette flamme qui
entraîne Jalal ed Din au delà des bornes du raisonnement
pour le perdre dans l'océan de l'enthousiasme. Saadi, en
religion comme ailleurs, cherche avant tout à donner des
conseils; en lui, l'élhique et la didacli(jue remportent sur
la mysli(jue : il ne peut, semble-t-il. considérer la vie reli-
gieuse comme une fin en soi, mais seulement comme une
sorte de complément indispensable de la vie sociale. On va
voir que, bien loin de recommander, comme les vrais çoufis,
l'anéantissement de l'être en son créateur, il s'eflorce de
trouver dans la religion même un motif d'agir (3i.
Saadi sait sans aucun doute en quoi consiste le çoufisme.
Maison peut lui appliquer la parole de Ghazàli (op. cit. ,p.oo) :
« l'.nlre savoir et pr.ifiquer. il y a une distance considé-
rable... Je savais du çoufisme tout ce que l'enseignement
(1) C'eil sans doute k eux que songe Saadi en «'crivant : << Quand bien
môme lu saurais par cœur les sept parties du Coran, &i tu os troublé par
l'amour, tu ne sais môme plus dire : A, B, C. • {GtiUstnn, 224, V, 4"!.
(2; Cf. une anecdote sur ce personnage (liouslnn, 18.1).
(3) Guedemann {Distertalioi : •• Sa'dii ssufiismus non a delirantis ingeoii
somniis, sed vigili mentis acumine originem ducit. » Pour J. MobI \,J. A.,
18r»9. XIV, fi.l), le çoufisme ne fui pour Saadi «ju'un asile ouvtrl à la
liberté de penser. Harbier de Mejnard (J. A., ISK». XV. :u\\) le croit sin-
cère, mai» Rubordoiinanl le çoulisme au bon sens. Quant h K. Hensn
( J . A t>>HO \\ I tn il fi/« v«iii KI1 SaeHi que " myRtic.té de convention ••.
l82 DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE III
peut apprendre, et ce qui me mauqiiaiL était du domaine...
de l'extase el de rinitialioji. » Comment donc a-t-il compris
le çoufisme ?
A vrai dire, il le considère en quelque sorte du dehors,
et il faut s'attendre à trouver, toujours jetées au hasard,
parmi ses historiettes, de courtes considérations sur les
caractères elles devoirs des çoufîs, bien plutôt qu'un exposé
de leur doctrine.
Avant tout, qu'ils soient simples, car « la simplicité forme
leur caractère distinctif » [Gulîstan^ 104,11,5) el simples non
seulement extérieurement : a une robe composée de pièces et
une chevelure rasée » {Ibid., 152, II, 48), mais encore en
leur âme : « un cœur vivant et une concupiscence morte »
{Ihicl.}. A ce propos, mieux vaut qu'ils restent célibataires,
car « le souci des enfants, du pain, des vêtements et de la
nourriture empêche de marcher dansla vie spirituelle » [Ibid. ,
fS6, II, 33).
Cette simplicité commande l'absence complète d'orgueil,
cet orgueil qui fait retomber l'homme pieux au-dessous du
pécheur repentant {Galistan, 336, VIII) et exclut de même
la moindre trace d'hypocrisie et d'ostentation. Il n'est du
reste pas nécessaire de vérifier la sincérité des sentiments du
çoufi : « Suppose honnête homme chaque personne à qui tu
vois le vêlement d'un religieux. Si lu ne sais pas ce qu'il y a
dans son cœur, que t'importe? » (1). L'hypocrite trouve en
effet son- châtiment en soi-même : (- Une longue oraison ins-
pirée par le désir d'être vu est une clef qui ouvre les portes
de l'enfer » (Boustan, 245). El, en un mol, « c'est la pureté
d'intenlion qui donne du prix à la piété » (Ibid., 244).
Quant aux devoirs des çoufîs, on peut leur appliquer la
division des devoirs de la philosophie classique en devoirs
de justice et devoirs de charité. Saadi énumère leurs devoirs
primordiaux dans le Galistan (p. 152, II, 48): « Les de-
(J) Galistan, 99, II, 1, et cf. Saint Paul (Phil., I, 18) : « Pourvu que le
Christ soit prêché, que le prédicateur soit sincère ou que la prédication
soit pour lui uq prétexte, je me réjouis et je me réjouirai toujours. >
i/homme DR Dmu i83
voir-i des derviches, ce sonl la prière, les actions de grâces,
le service de Dieu, l'obrissnnce, la bienfaisance, la modéra-
tion, la croyance î\ un seul Dieu, la confiance en lui, la rési-
gnation, la patience. » La patience surtout, car si < la mer
immense n'est point troublée par une pierre, le çoufi qui se
fAche est encore une eau peu profonde » [(iulistan, 147. II,
42). Ils doivent garder le silence, autant que possible (1).
Enfin, alors (jiie les simples mortels doivent punir toute faute
et possèdent le droit de se venger, les çoufis, par contre,
doivent faire honte aux méchants, à force de bonté (2). Mais
ces devoirs ne sont pas les seuls. Pour être çoufi parfait,
d'autres renoncements sont encore nécessaires. Sur ce point.
Saadi ne parle plus (jue d'après ses maîtres mystiques: il
met en beau langage des impressions aj)prises et quil n'a
sans doute jamais éprouvées soi-même, lui dont la devise
pourrait élre : '< La parfaite raison fuit toute extrémité. »
Or qu'exige-t-on du çoufi? « (Jhoisis : ou le renoncement {\
toi-même, ou le retour j\ la raison et au repos. » C'est en
effet l'abandon de la raison (jue l'Ami invisible réclame de
se-^ amojjreux. l'.t lou se rend compte que Saadi, si pétri de
bon sens pratique, ne pouvait pousser loin dans cette voie.
Il l'avoue du reste implicitement dans le Houstan ip. 161 ) :
(I Les sentiers de la raison sonl tortueux et sans issue. Pour
les initiés, rien n'existe si ce n'est Dieu .. Mais la froide rai-
son peut-elle suivre les contemplatifs dans ce royaume où
le soleil n'est qu'un atome, où les sept mers ne sont qu une
goutte d eau? •• Aussi, une fois dans ce monde inconnu, le
myslicjue n'a plus qu'A souhaiter s'anéantir au sein de son
créateur, en s'écrianl comme le ver luisant \Boust^n, 163) :
« l'.n présence du soleil, je suis comme si je n'étais pas! »
Cet anéantissement par la flamme divine, le çoufi le pressent
à l'avance ; il ressemble au papillon (jui. attiré par l'éclat de
la bougie, se précipite en disant : « Que m'importe à moi de
(1 ■< Jf nni pns vu upp qniiiilé f «ip^rifurc nu >.\lcrce •• (^dhib-Sumeh, 2S}.
(S) Cr. CalUian <126. Il, 24).
lS4 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE III
briîler? J'étais loin encore et, avant de sentir le contact de
la flamme, je brûlais » [Boustrin^ 168). A quoi boa celte
existence, lorsqu'on peut se perdre « dans l'océan de 1 idéal » ?
« Je te salue, ô mort, libérateur céleste ! » pourrait dire le
çoufi avec un poêle moderne, si oriental à certains égards.
Mais, ne croyez pas que ce soit avec confiance et tranquillité
que l'initié s'élance vers son dieu : an contraire, son indi-
gnité le fait trembler, tout comme les jansénistes qui n'osaient
approcher un dieu plus sémitique que chrétien. Les coulis se
considèrent « comme les plus criminels des hommes » [Bous-
fan, 21 9 1 ; tandis que les dévots ordinaires demandent à
Dieu la récompense de leur culte, ils demandent, eux, par-
don pour leur culte [GulislHn, 100, II, 2). C'est que telle est
la règle de la vie spirituelle : les initiés font le bien et se
trouvent toujours en faute- Aussi leur aspiration mystique
se condense-t-elle dans celte admirable prière où l'amour
de Dieu et du prochain parvient à son point extrême : « Dieu
soit loué de ce que je suis éprouvé par une affliction et non
par un péché » [Gulistan, H3, II, 13).
Ce Dieu, quel est-il ? iVpparaît-il à ses fidèles ? Non,
car il est inexprimable; son caractère est précisément de
mettre hors d'eux-mêmes ses adorateurs, lorsqu'il daigne se
révéler à eux : « Là où l'amour se manifeste, c'en est fait de
la raison » [Boustan, 138). C'est alors que l'initié, se sentant
étreint par celui qu'il aime, se laisse aller complètement à
lui et repousse dédaigneusement le monde des apparences.
Voyez les derviches, tournoyant au son de la flûte : « au mi-
lieu de leurs danses, ils lèvent et agitent les mains ; c'est
que la porte des effluves divins s'ouvre devant eux, et, par
ce geste inspiré, ils semblent repousser la création entière »
[Bouslan, 167).
Mais, de cette création même, s'exhale un hymne perpé-
tuel à la gloire du créateur: « Le monde est plein de con-
certs, il frémit d'une amoureuse ivresse» [Boastan, 167).
Et cet hymne, l'initié le percevra, s'il y prêle un instant l'o-
reille : " J'ai entendu, » déclare l'un d'eux [Gulistan^ 127, II,
i.'hommk DR niF.f i85
2<>i, « les rossij^uolt* se plaindre du haut des arbres, les per-
drix sur l:i m:)nlaL;tie, les grenouilles au fond des eaux el
d'aulres animaux dans la forél » Celle plainle de loule la
nalure « lui enlève linlelliLîence, li palience, la force cl la
sajçesse •» el il s'unit par le cijcur à ce concerl d a[>pels eni-
vrés.
Non seulement les mille rumeurs de la nature recèlent
des hai-monies n)vsli({ues, mais encore les hruils en appa-
rence les moins musicaux ^ I » : le pas cadencé du cheval, le
bourdonnement d'une mouche qui vole, el même le gémis-
sement de In roue du dolàb (2). « Comme la roue du dolàb,
ils lourneni el s'inondent de pleurs » [/iousf.m, p. IGO,, les
mvsliqnes. en proie à l'ivresse bienheureuse (jui les conduit
doiieemenl à l'exlase. car le Maître leur a dit : .. Tu ne péné-
treras le fond de Ion âme qu'après avoir perdu la conscience
de Ion être •) [Ibid.].
^'oilà le royaume de l'Idée, le seul (pii compte pour les
« vrais sages » {(îulisfan, p. I2t, II, 23), les <( gens de
cœur '» (3), ceux « qui recherchent le sens idéal sans se
pr«''0ccuper des apparences », car « l'Idée seule donne aux
mots leur réalité » ( Bonsfun, p. 1 IH). Or. celle Idée, lorsque
tu l'as trouvée, « laisse aller l'apparence, car l'une est la
semence, l'autre seulement la paille o (4). Mais le nombre
I) MoqaddpSïii {Les oiseaux et les fleurs, p. 97) : « ...Celui qui ae sait
piH lira/ un seni allofforiqtie du cri aij;re cle la porte, du hourdonnoinent
d«» l;i inuuche. de l'aboiement du cluen, du mouveinenl des insectes qui
s'a(;ilenl dans la poussière. . . n'est pas du nombre des pens inlclli^ents.»
Cf. le vi'rs de IIu^jo : « Sous Tèlre uniTersel, vois l'élerofl symbole. »>
(3) Appareil iMévateur d'eau, mû par un cheral tournant en cercle. C'est
1.1 •< salcya •> d'Ejfypl'* et la « nawra » de Syrie.
.1) « Gens do cœur, c'cst-à dire vivant par le ccpur, par l'alTeclion. par
r.imour, «"'«'sl un litre que le* mystiques persans aiment à se donner entre
eux. !.o (;rand poète de Cliiraz, Sa'di, parle souvent, en son Gulistnn, des
M ÇAliib- iil&n • qui veut dire la mènie <-hote » (Cl. Huart. C. R. du Kaclif,
n. M. rv, i9ir., i. ti, p.-278).
i) ÇtihibSiimeh, p. 09, et cf. .Mantiq-ut-taïr. p. Ili: Altacbe-loi au
scn'» des c b'»ses et ne t'inquiôle pas de In forme; le sens est l'essentiel,
la forme n'est qu'embarras. »
l86 DEUXièMB PARTIE. — CHAPITRE III
est fort restreint de ceux qui parviennent à la découvrir;
beaucoup, à la vérité, s'y efforcent sans y parvenir. C'est
que l'union à Dieu n'est possible que s'il le veut lui-même.
Sans lui. tout effort humain n'est que vanité. Mais, avec lui,
les plus misérables en apparence deviennent les vrais puis-
sants de ce monde. Ils semblent des vagabonds ou des betcs
fauves fuyant le contact des hommes ; « leur rai^^on est obs-
curcie, leur intelligence troublée, leurs oreilles se ferment
aux conseils » [Boiislan, loi). Mais, « mendiants dédaigneux
de la royauté (i ), un espoir immense allège leur misère
Ces mendiants de la rue sont les rois de la vie spirituelle »
[Ihid.. 145).
Cependant, cette force mystérieuse des mystiques peut
diminuer parfois : tandis que leur esprit s'élance vers l'em-
pyrée, leur pied peut glisser dans la boue : « La vue de Dieu
est mêlée de manifestation et de disparition je contemple
sans intermédiaire celui que j'aime ; mais un incident sur-
vient et je perds mon chemin » [Gulistan, 109, II. 9). Que
l'homme en marche vers Dieu ne se décourage pas néan-
moins, car « frappez à la porte de l'hôte généreux et elle
s'ouvrira; le discipledoitêtre patient et fort» [Boustan, 154).
Le disciple a en effet tout à gagner en cherchant Dieu ; ce
monde n'est qu'illusion et il n'y a qu'une seule réalité : Dieu.
Ici encore, dans la peinture de ce bas monde, « vnnitRs
vanitatum », Saadi reflète les conceptions des mystiques de
son temps. Mais, pour opposer au monde la sereine grandeur
du créateur, sa pensée jaillira d'elle-même el, tout en s'in-
clinant devant le fatalisme, conséquence de la toute-puis-
sance divine, il finira malgré tout par prêcher l'action.
Donc, deux mondes distincts : celui de l'Idée, élernel ;
celui de l'apparence, fugace et changeant. Déjà le Coran,
reprenant l'antique plainte de Salomon et de l'Ecclésiaste (2),
(1) « Il semble petit aux gens purs (mj'stiques), celui qui est grand à
l'échelle de ce bas monde > {Çâhib-Nâmeh, 100).
(2) Plainte qui retentit dans toute l'histoire de 1 humanité. Cf. par
exemple Fénelon (lettre à Destouches) : « Le monde n'est qu'une cohue
i.'ifOMMF nr niRU 187
afiirmail que « la vie do co monde n'esl que jeu et frivolilé »
(\'l, 32) et que < la rolrailo ddlicioiise e^t auprès de Dion »
(III. i'2\. Saadi. a|)rè«< bien d'aulros. fait écho »^ ce cri mc^-
lancoli(|iio, en maint passage de son œuvre. Au seuil mc^me
du (iulisffin (p. 2n), il exhorte le lecteur ^ ne pas n'attacher
au monde (jtii ne reste à personne. < Devons-nous >-, ajoute-
t-il dans le linnstnn (p. '.\\\\V\, <» regretter un caravansérail (jue
nos amis ont quitté et que nous allons (juitter à notre tour? »
Au.ssi, ne donnons pas notre cnnur au monde, ce monde
« qui passe sans cesse on d .lulrcs mains » {/iousf.m, 5H]. car
« retirer son Cd'ur est chose difticile >» (Çnhih \amch. \')\).
Le cours du tcMups s'en va, comme un torrent Ihid., \M\ :
à quoi bon s'attacher aux biens de ce monde qu'il l'audra
quitter dans un instant fl)? Saadi le déclare énergiquement
[Gulistnn. '•Vl\): «Ceux qui vendent la religion pour les
biens de ce monde sont des ânes. »
Car la terre est le monde du relatif: on ne s'imagine avoir
conquis le bonheur ([u'à condition d'avoir commencé par
l'infortune: << I/homme ne connaît pas le prix desagn-menls
de la vie, avant d'en avoir éprouvé les malheurs » [Gulislan,
231, !t)). Kt Saadi. sur ce point, se rencontre avec Pline le
jeime : la maladie nous rond meilleurs, car « 1 homme bien
portant, (jui ne connaît ni la douleur ni l'insomnie, oublie
facilement de remercier Dieu de ses faveurs » [Boushm^
324) (2). En outre, la beauté terrestre n'est, elle aussi, (jue
relative: et c'est l'anecdote du poète Majnoun et de son
amante Laïla : pour trouver Laïla belle, il faiulrait la contem-
pler avec les yeux de Majnoun [Giifislan, 2i7). Legoùl. tout
subjectif, se modifie au gré des circonstances : « Si quelqu'un
considère d'un logard bienveillant un démon de laideur,
celui-ci lui paraîtra un ange " [Gu/is(.in, 220, \', d, l.u oll'et,
combien il nous trompe, ce goi'it chancelant : < A chacun son
dp Kt^nn vivants. Taiblcs, fnux cl prôls à pourrir ; la plus éclatante fortune
nV«»t qu'un «onge flatteur »> (Cité .Sa in le- Heu ve, iJindii, It, p. 15).
(1) Cf. I.econle de Lislt» : •• A quoi hou tout cela qui nVsl pas éternel ? »
(2) Thi'ine développé à saliélé par Coppée (La bonne souflfrance).
t88 deuxième partir. — CHAPITRE III
intelligence semble parfaite et ses enfants paraissent beaux »
[Gulistan, 319) (1). Et « quand bien inênie la sagesse serait
anéantie de dessus la terre, personne ne s'imaginerait être
un ignorant » {Ibid., 320). Quant aux joies de l'homme, sont-
elles jamais pures? « Les profits de la mer seraient bons,
n'était la crainte des tlots ; la compagnie de la rose serait
agréable, nélait l'incommodité que causent les épines »
(/AiV/., 247, A', 18). Comment au reste pourrait-il en être
autrement? La vie de ce monde est si courte : ^< Quand on a
dépassé la cinquantaine, il faut considérer chaque jour de
plus comme une aubaine inespérée » [Bouslan, 342). Et non
seulement si courte, mais encore si fragile : '< La vie dépend
de la conservation d'un souffle ; le monde est une existence
entre deux néRnis )^ [Gulist an, 321). Aussi, sois humble;
moins on possède, moins on a peur de monrri/ [IhicI . ^
292, VII, 17) ; et « puisque notre fin dernière, c'est la pous-
sière, fais toi humble poussière avant que tu deviennes pous-
sière » {Ihid., 146, II. 42), car 'f il ne convient pas aux fils
d'Adam, cet être né de la poussière, de renfermer dans leur
tête de l'orgueil, de la violence et du vent n [Ibid.^ 317).
Au fond, l'homme ne tient-il pas d'autant plus à ces misé-
rables biens qu'il les sent éphémères? Les choses ne sont
précieuses que parce qu'elles sont rares : « Si toutes les
pierres étaient des rubis, le prix du rubis et celui de la pierre
seraient égaux » [Ihid., 324). Mais c'est là en quelque
sorte la condition nécessaire de ce monde : « L'existence
passe d'un humain à l'autre ; sinon la terre serait toujours
la propriété de Key Khosraw^ elle fiefdeQobâd ,) (Ed. Cal-
cutta, 221 r").
Or, ce monde transitoire, où les trônes succèdent aux
trônes et les esclaves aux esclaves, suppose par là-même
un monde de l'éternel et de l'absolu, où règne lin maître
immuable. Ce dieu tout puissant, Saadi n'a pas tenté de le
(1) Cf. La Fontaine (L'aigle et le chat-huant).
l'hommi: i>k dieu 189
définir (I), se bornant à si^Mialcr an passage ses principaux
allribuls. Dabord, qu'un dieu exislu, il n'en doute pas un
instant ; la crralion nu'rno suffit à sa druionslration : « Où
est, si lu rej;ai-dcs bien, la Icuille d'arbre sur la'|UL'lle le secret
de l'ccuvre divine ne se trouve pas écrit? » yilùhih .\;'inuth,
105) (2). Comme Bernardin de Saint- Pierre dans ses Klinles
(le lu n.ilurc, il démontre de la^on (jueNjUo peu enfantine
1 iiiiluence de Dieu sur sa création: u Dieu a plac»'- les
moyens de subsistance des oiseaux dans leurs ailes, afin
qu'ils attei^MU'ul lutilo nom rilm».' " (//j/J. , 1 10). Car Dieu,
possédant la prévoyance, accorde à cliacun selon ses be-
soins: « Si lu vois, ici de la puissance, là de la faiblesse,
c'est que chacun possède autant qu'il lui faut » ilbul., lo5).
Voyez combien de «grâces il a répandues sur 1 homme,
lorsqu'il l'a créé ((riilisLin, 280, VU, 7) : « Alors que tu
n'étais (ju'un germe caché et dépourvu d'intelligence, il la
donné làme. l'esprit, le caractère, la perception, la beau-
té, la [)arole, la prudence, la rétlexion et l'inlelligeuce »
Voilà pour les dons spirituels (3) ; (juanlau corps, comment
admirer assez la perfection de l'industrie divine dans sa
création? Il faut lire dans le lioustun (p. 320) cette descrip-
tion de l'œuvre de Dieu, description cpii soutient la compa-
raison avec celle de Bossuet. Knlin la création tout entière
ne conspiret-elle pas au bonheur de l'homme? « La lune et
le soleil brillent pour ton repos et ta sécurité. Le zéphyr
étale sous tes pas le doux tapis du printemps. Le vent et la
neige, la pluie... fout mûrir la semence par toi confiée à la
terre..., les abeilles te donnent leur miel, les Heurs leurs par-
ums, les arbres leurs fruits, les mines leurs richesses »
(lioust.m, 323). Aussi, quel remerciement suffirait pourtant
(1) « Si quelriu'un a\c demande sa description, comment pnrlcrii d'un
être indpscriptibl«> celui qui est liois de soi ? » {Gulislan, p. 5).
(l) Voltaire. Uicl. phUoiophique art. .Mhée) : .« Vauini... ayant pris it
terre une paille : Il »u(Qt de ce fétu, dit-il, pour prouver (juil y .i un
créateur. >
(â) Cf. passage analogue dans le Boustiut, p. 329.
190 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE III
(Je bienfaits? « Le cœur doit s'associer sans cesse aux actions
de grâces que la bouche seule serait incapable d'exprimer.
Seigneur, ma vue se trouble et mon cœur saigne à la pensée
que tes bontés surpassent mes remerciements » [Ibid.]. Ce
dieu, si infiniment bon, il faut s'approcher de lui avec con-
liance, et non, comme les çoufis, en tremblant d'elTroi. Il ne
faut même pas craindre la mort qui conduit à lui : « Ne
redoute pas les ténèbres : c'est là peut-être que tu trouveras
la source de vie » [Boustan, 268) (1). En effet, la grandeur
et la bienveillance de Dieu sont parfaites, et la miséricorde
constitue son attribut particulier, « car il voit la faute et n'en
continue pas moins à nourrir l'homme » {Gulistan,6S,l^\l).
Mais celte assistance divine, tous les hommes en bénéfi-
cient-ils indistinctement? Il est entendu que nous devons
tout à Dieu : les biens de la vie — tout fragiles qu'ils soient — ,
les forces du corps et de l'esprit. Donc nous ne pouvons
rien par nous-mêmes : u Personne au monde n'a les clefs de
la destinée ; à Dieu seul appartient la puissance » [Boustan,
336), et «. ce qui n'est pas marqué d'avance, nous ne pou-
vons l'atteindre ; ce qui est marqué d'avance sera obtenu,
où qu'il se trouve » [Gulistan^ 334).
Voilà donc la prédestination reconnue par Saadi, et le fa-
talisme en découle tout naturellement : « Soit que tu recher-
ches ta nourriture de chaque jour, soit que tu ne la recher-
ches pas. Dieu te la fera parvenir. » Alors à quoi bon peiner,
à quoi bon se tourmenter ? Car « le bonheur ne s'acquiert pas
en se donnant beaucoup de peine ; le meilleur moyen est de
peu s'agiter... Personne ne pourra prendre par la violence
le pan de la robe du bonheur. Le bras de la fortune vaut
mieux que celui de la vigueur » [Galistan, 186, III, 28) (2).
Mieux encore, Dieu prédestine l'homme, non seulement au
bonheur ou au malheur, mais encore au bien ou au mal, le
(1) Lecoute de Liste: < Lumière, où donc es-tu? Peut-être dans la
mort. >
(2) « Le bonheur et la puissance 113 s'obliennent pas par l'expérience;
ils ne s'cLlienncnt que par l'assistance célctti: » [Gulislan, 94, I, 39).
L UOMMB DE DIKU IQl
dirii^eaiil ou l'égaiMiil à doii m'é. Par exemple : .< Lo repeii-
lif II est roi-l(|ue si c'est Dieu i|ui racconlo •> \Iiini.\(nn, 373).
Siiutli iiKiliipliu les ullu-^ious à 1 itn|juissanoc lic 1 liurncne
envers sa destinée : « L'iiuinine cioil il donc que celui qui
suit son chemin arrive h son but? Non, c est celui que Dieu
dirige t[ui parvient au but » [VA. Calcutta, 438 v"). Le destin
|)araîl aveujjjle : •< Le sage, malgré sa prudence et ses ell'orls,
clierclie en vain à fuir llioiire fatale ; le fou, malgré ses extra-
vag.mloà imprudences, échappe aux atteintes de la mort «
[Bou.slnn, 239). Aussi, puisque « toute précaution est inutile
contre la destinée " { liousfan, 2i2), puisque u le succès qui
n est pas marqué d avance, aucun eilorl ne le fait obtenir »
((jacida persane, éd. Calcutta, 232), c est une folie que cher-
cher à lutter contre le sort. Même à la guerre, il n'y a pas de
honte à fuir devant 1 ennemi : « Les guerriers les plus intré-
pides peuvent-ils soutenir la lutte (juand le ciel leur refuse
son aille? » [Uousfan, 237). Le bonheur, en eiret,« est un don
delà justice divine; il n'est pas le privilège de la force et de
la grandeur )>.
Mais, cela admis, pourquoi >•• plaindre .'' Mieux vaut
certes acce|>ter l'inévitable et, malgré tout, se cuirasser
d'oplimisme : <( O homme, sois content, que ta situation soil
bonne ou mauvaise, car on ne peut rendre favorable un astre
malveillant .> {Çù/iih-Xânieh, 133). N est ce pas plus sage
que se raidir désespérément contre linllexible destin ? « Le
destin nous a assigné notre lot d'heur et de malheur quand
nous étions encore dans le sein maternel. I^a fortune n'est
pas le prix des elForls et de la lutte : loin de là, les plus forls
sont souvent les plus malheureux... Adresse les doléances
au souverain Juge, mais garde-toi bien île te [)laiiulre de ses
arrêts >• [lioustun, 2i0). liien ne prouve du reste à l'homme,
iluranl sa vie, que Dieu n'a pas mis en lui le cnraclère do ses
élus. Les épreuves les plus rudes, les déceptions les plus
a mères ne sont parfois (jue les degrés qui mènent à la per-
fection. Que l'homme travaille donc sans relâche, mais pai-
siblement, car <« Dieu refuse ses grâces à l'homme (jui reçoit
192 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITUE III
de mauvaise grâce la part que la volonté divine lui assigne »
(Boustan. 263).
De plus, on éprouve une véritable joie à s'évertuer vers
le bien et à percevoir confusément qu'on agit suivant la loi
morale, en se montrant bon envers les hommes. Un mysti-
que ne disait-il pas dans ses prières : « 0 Dieu, tu as déjà
pardonné aux bons, puisque tu les a créés tels » [Gulistan,
343)? Cessez donc de vous tourmenter et vivez en joie, tra-
vaillant à vous rapprocher de Dieu, bien que vous ignoriez
s'il vous appellera à lui. Mais dans cet effort même, ne vous
contraignez pas : sachez maintenir le juste milieu entre l'as-
cétisme et la coupable indulgence envers soi-même. Saadi,
se rapprochant du bouddhisme, rejette, fidèle à son esprit
de modération, toutes les outrances de la piété. A quoi bon
se mortifier par un jeûne exagéré? « Le pouvoir d'accomplir
des actes de dévotion réside dans une nourriture agréable.
Quelle bonne action peut-on attendre d'un estomac à jeun? »
(Gulistan, 294, VII, 18). Tout au contraire, « la possession
du repos d'esprit est subordonnée à une existence assurée »
[Gulistcin, 297). Pourquoi d'autre part maltraiter son pro-
pre corps ? (( Qu'est-ce que la débauche mystique qui te
trouble ton bonheur ? Qu'est l'ascète qui se traite durement
soi-même? Ne sois pas plus pieux que Mahomet î Ne cher-
che pas à dépasser la mesure de la piété » [Çâhib-ISàmeh, 97).
Tout cela n'est en effet que piété mal raisonnée ; or « l'ascète
ignorant, égaré par une dévotion chimérique, finit par con-
fondre la foi et l'infidéHté «> [Boustan, 109). De la mesure
avant tout : les exercices religieux eux-mêmes doivent être
méthodiquement réglés (G«/w^c7;i, 161, IIÏ, 0). Et si vous
n'atteignez pas à la piété parfaite, n'en persévérez pas moins ;
peut-être Dieu vous tiendra-t-il compte de vos efforts vers
le bien {Boustan, 345).
Mais ce n'est pas tout : l'activité de l'homme, son désir du
mieux, doivent, en dépit de la prédestination, s'exercer, non
seulement dans la vie spirituelle, mais encore dans la vie pra-
tique. Et d'abord, n dans la route du spiritualisme, il faut
l'hommk uk iiiKt igS
de» actes t* l non vies mots . les discours ne >onl rien si la pra-
li(lii(' ne s'y joint >» {Boust.m, 39) (1). Mais en oiilre, il faut se
coniporler, ù tous les instants de rcxislence, comme si l'on
jouissait de son libre arbitre : « (^)ni)iqne la portion journa-
lière soit assignée à chacun, s'atlaclier aux moyens de 1 obte-
nir est une obligation, et, bien que le mallieur soit décrété
par le destin, il est nécessaire d'éviter les portes par lesquel-
les il arrive •« {(îulixt.in, llMl, III. l2H]. Au reste, 1 homme
est né en état de pureté : « Dieu ta créé pur alin que la vie
soit pure » {Bousf.m, 317). il doit donc tendre, en dépit de
la prédestination, à se maintenir tel, el, même tombé dans
la faute, ne pas considérer pour cela la partie comme per-
due « Si habilement qu'on rejoigne les morceaux d'une
coupe brisée, elle n a plus la valeur d'unecoiipe neuve ; mais
puisque tes mains négligentes l'onl l;ii>>fc choir, tâche
encore de la réparer... Puisque tues tombé dans le goulTre.
fais d'énergiques eiïorts pour en sortir » {Ihmstun, 345).
Mais quels ellorls ? Aide-toi, le ciel t'aidera : dans 1 épreuve
el la tentation, recours à la prière, « ce bouclier contre
lequel les traits du destin viennent s'émousser » [Bous-
tan, 295). Ne t'endors pas dans un fatalisme inactif el ne le
borne pas à compter sur la bonté de Dieu : il aime qu'on la
provoque, même s'il lui plail de la refuser i2). il y a même
un mérite supérieur à celui d'assurer son propre salut;
essayer de sauver les autres ; mais cela suppose beaucoup
de science, cette science à latjnelle Saadi assigne pour uni-
que but la connaissance de Dieu : en ellet, si '< le religieux
sauve des tlots son propre manteau, le savant fait des ed'orls
pour saisir le noyé » [Gulîstun, 145, 11, 40).
On le sent. Saadi se débat entre le fatalisme que lui impose
(1) Stadi Vil j.lu» loin encore dam ceUe voie el n'Iu^silo })8» h déclarer:
« Ud gai viTeur qui ré| and l'aisaace autour de lui l'etDporle bur le dévol
égolale qui jeûne toute l'année m (Houtian, 109).
(2) Çtihih Kâmeh, p. 77 : « 0 faim^ant qui espères en la niiaéncorde de
Dieu,. . . quelque effjcnce qu'elle soit, la pluie ne fécondr paa, tant <|ue tu
De At'mcs pas de (rraio. •
M. - 13
1^4 DBUXIÈMU FARIIE. — CHAPITRE IH
la Iradilion eL le libi'e arbitre que lui inspire son cœur ; il ne
se résigne pas à admettre que riiomme est une machine
dont les actes bons et mauvais furent décrétés de toute éter-
nité, car il perçoit clairement que, le dogme de la prédesti-
nation admis, toute sa morale s'écroule et tous ses beaux
conseils deviennent inutiles, puisqu'inutile l'action. On ne
pouvait au reste attendre de lui une position nette dans le
débat : vous êtes prédestinés, dit-il aux hommes, mais
escomptez toujours que Dieu vous regarde d'un œil favora-
ble. Sinon même, que risquez-vous à faire le bien ? Mais ne
cherchez pas l'impossible : quand vous vous sentez inférieurs
aux événements, n'engagez pas une bataille perdued'avance :
u Fuis le péril autant qu'il dépend de toi, mais ne lutte pas
contre la main de fer du destin » [Boustan, 328j. Autrement
dit, sachez plier quand il faut, afin de n'être pas brisés. Si
donc l'enseignement de Saadi suffit à former quelques hon-
nêtes gens, il est en revanche parfaitement incapable d'ins-
pirer cet esprit de sacrifice et d'abnégation qui fait naître les
héros.
Sa morale religieuse, de même que sa morale sociale,
reste en somme essentiellement pratique. Des conséquen-
ces dernières du çoufisme : indifférence des diverses for-
mes de la croyance, identité théorique du bien et du mal,
il ne souffle mot dans son œuvre. Sur bien d'autres points
encore, il se sépare nettement des mystiques : il attache une
importance primordiale à la bonne renommée pour laquelle
un Jalal ed Din ne témoigne que dédain ; il admet l'amour
humain qu'un Attâr [Mantic ut taïr, p. 120) rejette avec
dégoût; il ne va pas jusqu'à mépriser totalement la riches-
se, à l'exemple de tous les çoufis ; alors qu'Attâr (o/?. cit.,
p. 16! I s'écrie: « L'inaction est le terme de la vie spirituelle »,
Saadi, on vient de le voir, exhorte ses lecteurs à tout autre
chose que la vie contemplative ; il rejette l'ascétisme, s'op-
posant au même Attâr qui, dans son Pend-Nâmeh (p. 44),
conseille « d'avaler la coupe de la privation » ; enfin, par-
venu à la limite de l'orthodoxie, il ne la dépasse pas cepen-
L HOMMB I)K DIBU I9J
clanl il iK- jniil st' résoudre à afliriner avec AllAr 'Manticut
fuïr, j). 63) que <« quiconque a le pied ferme dans l'amour
renonce h la fois h la religion el h l'incrédulilé •> : et tandis
que le nu^me myslicjue décrit dune plume liaiclanlc. dans la
préface df son gian<i jioéme, les joies de 1 anéanlissiiiitiit de
la créature en Dieu, Saadi, ne pouvant éprouver ci-t enlhou-
sinsme, se borne à considérer Dieu, non en soi, mais comme
facteur supiénie de I harmonie dans l'univers.
Le çouii,'«me ne lui sert qu\'> spiritualiser les idées morales
suggérées par son ex[)érience ; il le considère donc, non
comuit' uni' lin. mais comme un inuvcu de perfectionner ses
conten)porains. Ce qui n'exclut pas, au reste, sa piété réelle,
non j)lus que sa parfaite coiiliance en Dieu : de ce (ju'il étale
en son œuvre une jiliilo.-ophie tout indulgente, il ne s'ensuit
pasqu il ail niancjué de sévérité euvei> soi-même, et il y au-
rait quelque hardiesse à affirmer péremptoirement que, du
fait (ju'il expose le çoufisme sous sa forme très modérée, il
n'en aurait pas soupçonné les secrètes splendeurs. Ur cette
modération même semble le caractère propre de sa morale.
Ce n'est certes pas I ineO'able charité pénétrant la morale de
llOvangile à la(|uelle (iraf lenta de la comparer : qui ne voit en
elfet les ditférences fondamentales entre ces deux morales?
Celle de Saadi, ignorant totalement lesprit de sacritice, ad-
met, ou l'a vu. la vengeance (li.el, tandis que le christia-
nisme interdit le mensonge quand bien même ce serait pour
empêcher un mal. Saadi n'hésite pas à déclarer (|ue >< le
mensonge mêlé d utilité est préférable à la vérité qui excite
les troubles » \Gulist.in, I, l ).
Mais que 1 on détourne les yeux de ces deux taches et que
l'on considère celte morale en ce qu'elle contient de plus
général : l'esprit de mesure et de tolérance. « N'exerce pas
tant de sévérité que Ion soit las de loi, ni tant de douceur
que l'ou s'enhardisse contre loi » (Ciuli^itun, 316; ; « la mo-
dération dans les désirs est la vraie richesse de l'homme »
oafuriua au Curao (II, 190J : •• ^UK'onque «gira tïo-
emmeiii <.oulrt.- wui, Bgis%et de même k son égard. »
196 DEUXIÈME PARTIE. CHAPITRE 111
{Boustai}, 255). Gela rappelle les proverbes de l'Ecriture. A
l'heure où l'Asie sort à peine de la fumée des guerres, Saadi, -
après des années de courses incertaines, sait pousser un cri
d'optimisme : « 0 tempérance, fais-moi devenir riche, car il
n'y a aucune richesse qui te soit supérieure » [Gulistan^
157.111,1). Cette morale, toute moyenne qu'elle soit, convient
par là-même d'autant plus à la foule. Pas d'héroïsme, certes,
mais quelque grandeur néanmoins dans cette attitude en
face du destin dont on attend les décisions sans rien espérer
ni rien craindre.
THOISIÈMK IWHTIK
L'ARTISTE
Celle morale exprimée par un poêle a revêlu diverses for-
mes correspondant à ses divers degrés el l'on peut dire d'une
manière générale que, si la morale pro|)remenl sociale de
Saadi se retrouve presque loule dans le (iulistan el le Hous-
tan, ses conceptions religieuses, d'aulre pari, forment, en y
joignant quelques pages du BoustRn, le fond de ses recueils
de poèmes mystiques. Si, dans ces derniers, il s'élève aux
vastes déve]op|)emenls lyriques, dans ceux là, il se contente
d'user de l'auecdole poélique, ainsi quil l'a mainte fois dé-
claré. Il s'ensuit que l'étude de son art suppose deux parties
princij)ales : d'une part les grands thèmes poétiques cjui lui
sont communs avec les poètes de tous les temps, d'autreparl
les facultés d'observation particulières à son génie propre et
à son épo(jue.
Mais, avant l'âme même de sa poésie, il convient d'en étu-
dier les procédés. Comme tous les écrivains, il posséda les
siens et il n'est pas hors de propos d'examiner les éléments
qui concouroul à l;i fonnalion de ses o-uvres.
CHAPITRE PREMIER
LES PROCEDES DE COMPOSITION.
Le procédé fondamental de la composition chez Saadi sem-
ble celui-ci : ii énonce une vérité morale, puis Tillustre en
quelque sorte par une série d'images.
« Il n'est pas de pensée éloquente et sublime que Saadi
n'ait revêtue du voile de l'apologue -> a t-il déclaré [Boustan^
p. 163). Et. d'autre part, il termine le Galislan par ces mots
qui rappellent une pensée de Lucrèce [De nat. rerum, I, 935-
941) : « La perle des conseils salutaires a été passée dans le
fil de l'éloquence, et le remède amer de la morale mélangé
avec le miel de la plaisanterie. »
Il suffira d'exemples pris au hasard, pour préciser la
chose. Dans le Boastan (p. 344), on trouve ce conseil : « Ne
t'attache pas à la poursuite d'un traîlre ; mais, si tu le pour-
suis, il faut le tuer sans délai >'. De même que La Fontaine
pour qui >< une morale nue apporte de l'ennui », Saadi
amène aussitôt, à la suite du précepte qu'il vient de formu-
ler, une série d'images diverses, mais de même ordre (/ibïc?.) :
'< Ou bien épargne les petits du serpent, ou, si tu les écrases,
fuis sans perdre un instant. Quand tu as renversé une ruche,
éloigne-toi — Ne reste pas au pied du mur que tu démolis. »
Autre exemple [Boustan, p. 42j. D'abord l'idée : « Ne
méprise pas l'ennemi, même le plus faible. >> Puis, tout de
suite, les images qui la corroborent : « Je sais plus d'une
haute montagne qui n'est formée que de cailloux amoncelés ;
les fourmis, en s'agglomérant, triomphent du lion ardent aux
combats; et le cheveu, plus fin qu'un fil de soie, devient,
tressé, la plus solide des chaînes. »
LK8 PROCéDlîS DE COMPOSITION 201
Parfois une seule iinaj;e accompagne l'idée, et la concision
V gagne. Ainsi \^Gulisf;in. 2n.*), |\'. 1): « Le nu*rite est le
plus grand des défauts aux yeux de la haine : Saadi est une
rose, mais aux yeux de ses ennemis, c'est une épine. .»
D'autres fois enfin, c'est le procédé contraire : l'image ou
l'anecdote sert ù introduire une abslraclion. Souvent même,
d'une anecdote futile, d'un simple souvenir de jeunesse, se
(h'gage une pensée mystique à la<juc'lle on était loin de s'at-
tendre. Qu'on lise à ce propos celle charmante anecdote du
(ruiist.in (p. 23'). \ . If) : c'est l'été; Saadi, tout jeuiu', et
terrassé par la clialeur, s'est réfugié à l'ombre d'une maison ;
tout à couj), il aperçoit, sortant du vestibule, une jolie fille
(jui lui |»résente une coupe deau glacée. Tableau de genre :
on devine la ruelle, pleine à la fois d'ombre opaque et d'a-
veuglanle clarté, la jeune femme penchée vers l'adolescent.
Mais Saadi ne vise pas au pittoresque, ou du moins l'anec-
dote ne constitue qu'un cadre à sa moralité finale : « La soif
(soif my>lique) qui consume mon ca'ur n'est pas près d'êlre
éteinte par l'absorption d'une eau pure, quand bien même
j'en boirais des mers. •>
L'oNivre de Saadi constitue donc une alternance conti-
nuelle d'idées et d'images. On a vu ce qu'étaient ses idées,
on verra iinfr.t. c\\. IV) ce que représentent ses images. Mais
d'autres procédés encore lui sonl habituels pour le dévelop-
pement et la composition.
Tout comme le«; romanti((iies français, il emploie lanti-
thèse dont il sait liier des elfets de concision parfois assez
réussis. .Viusidans le iiulistnti p. 17». III. !*♦ : « .le n avais
pas le moyen d'acheter des babouches : j entrai tout affligé
dans la mostpiée et je vis un homme (|ui n avait point de
pieds. Je louai Dieu et je patientai de mon mampie de
souliers. •• VA. dans le même recueil (p. I 17. II. 17) : « Une
personne se lamenta toute la nuit au chevet d un malade;
Ior.-î(pril f'utjour, elle mourut et le malade vécut •• I . L'an-
(i) Cf. une hitloire semblable {Housian, p. 239).
202 TROISIÈME PARTIR. — CHAPITRK PREMIER
tithèse est souvent beaucoup moins frappante, parce que
résultant d'images moins simples ; ainsi [Boustan, 362) :
« Le miroir se ternit au contact de l'haleine, mais les soupirs
du repentir font briller le miroir du cœur. »
Parfois même Saadi ne craint pas d'accumuler les antithè-
ses en série, groupant des images contradictoires (par exem-
ple, Pend-Nâmeh. trad. Garcin de Tassy, 121-122), tout
comme il groupe par ailleurs des images concordantes.
Autre procédé : Saadi développe une pensée en exposant
à la fois le pour et le contre. Ainsi dans le Pend-Nâmeh où
à l'éloge de la générosité (ch. II et III) succède immédiate-
ment la censure de l'avarice (ch. IV). Ou bien même, il fait
discuter par deux interlocuteurs ce pour et ce contre : par
exemple, dans le Gulistan, la discussion entre un père et son
fils sur les avantages et les inconvénients des voyages (p. 185,
III, 28) ; de même la dispute au sujet de la richesse et de la
pauvreté fp. 293).
Quant aux personnages, Saadi, par un procédé qui sent
son moyen-âge, fait parler non seulement des humains et des
vivants, mais encore des animaux et même des choses. Lisez
par exemple dans le Gulisfan (p. 233, V, 13) l'amusante dis-
cussion du perroquet et du corbeau qui, « disant : Il n'y a de
puissance qu'en Dieu, frottait ses pattes l'une contre l'autre,
en signe de désappointement. » Ailleurs {Ihid., 147, II, 43),
c'est une dispute entre l'étendard et le rideau de la porte du
palais, le premier reprochant au second de lui laisser toutes
les fatigues. Dans le Bousfan (p. 194), les objets se trouvent
personnifiés au moyen d'images, au demeurant d'un goût
assez douteux : « Des pierres lancées contre la table du fes-
tin brisèrent les urnes de cristal et les vases en forme de
courge (1) : le vin se répandit hors de l'amphore renversée,
comme le sang s'échappe de la blessure d'une oie qu'on
(1) Sur ce genre de vases, cf. Rivière et Mig-eon, Céramique dans Vart
musulman, I, pi. .36 et 43 ;H. d'Allemagne, du Khorassan au pays des
Bachktiaris, II, fig. p. 113, 135, 136.
LES PROcéois n;-: composition , qo3
égorge La jarre en gesl.dion <lej)ui>< neuf mois laissa loin -
ber la li(|neur qu'elle rocélail en ses 11. mes, el, sur rentre
fendue de pari en pari, la bouteille rôpuidil de^ larmes do
sang » (l). Saadi va même jusqu'ù dialoi^uier avec une touire
de gazon [Guiisfan, loIJ, II, i9). De là à faire parler les
morts, il n'y a (ju'iin pas. et le poète ne s'en fait pas faute.
Dans le BouMf.in [p. oO .un crâne abandonné sur les bords du
Tigre adresse à un çonfi d'édifiantes exhortations ; plus loin
(p. 352), une voix dolente sortant d'un tertre qu'on pioche
demande au terrassier de ménager ses coups (2i. Kniln. dans
le (iulistnn p. 2(i, I, 2), un prince voit en songe un de ses
prédécesseurs a dont tout le corps est réduit en poussière à
l'exception des yeux qui regardent attentivement ».
D'autres procédés, moins généraux, lui sont communs avec
les autres j)oèles j)crsans . par exemple hî procédé d' <( analo-
gie » (mouraat-i-na/ir) consistant à réunir dans le même pas
sage les mots d'une même catégorie, mais appliqués à des
objets disparates : ainsi Boust.ni, p. 31)) : « L'heure est venue
de filer mon suaire, maintenant que ma chevelure a la blan-
cheur du co/o/<, et mon corps la gracilité du fuseau » ;3;.
Parfois aussi, il procède par allusions (talmih) l i). Knlin,
plus souvent, il compose des jeux de mots, à vrai dire plus
ou moins réussis (5).
{{) Bnrbier de Meynard (p. 225) commente ainsi ce passage : « I^e porte
les anime el leur prèle des sentimenls analogues à ceux du cœur humain.
Malheureusement toutes ces délicatesses disparaissent d.ins une traduc-
tion. "
(2) Th«'me qui se trouve déjà dans la poésie nlexandrine. Cf. l'imitation
de Hérédia {La jeune morte).
(3) Cf. ihid., p. 96, n. 6S.
(4") Cf. Browne, LitI . Hist., Il, p. 77-78 (allusion A Dhahir Kan.ilii, se
retrouve dans le Bouslnn, p. 16. début, et n. 20).
(5) Par exemple, dans l« Bonstnn (I, vers 30) : « Donne-moi un baiser avec
une faute d'orlhogruphe (tashif) car, pour le pauvre, des provisions (toù-
cheh) valent mieux que des baisers 'boûseh). Autre exemple dans Browne
(op. cit.. II. KO). Parmi les eux do mots du Bottstan : p. 80. n. 4; p. 93,
n. ?i2e« .n3 ; p. 94. n. 58 ; p. 140, n. 21 et 24; p. 142, n. 29 et 30 ; p. 143.
n. 34 ; p. 174. n. « ; p. 17.*i, o. 13 : p. 224, n. 14 : p. 22'.). n. 32 ; p. 85t.
204 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE PREMIER
On rencontre dans ses œuvres plusieurs répétitions :
M. E.-G. Browne (Liierary History, art, Saadi) en signale
plusieurs ; Defrémery et Barbier de Meynard, dans les notes
de leurs traductions, se sont attachés à relever les vers qu'on
relève à la fois dans le Boustan et le Gulisian. On y pour-
rait ajouter que le vers du Gulistan (p. 10) : « 0 toi dont la
cinquantaine est passée et qui es encore dans le sommeil,
peut-être metlras-lu à profit ces cinq jours qui te restent » se
retrouve textuellement dans une qacida (éd. Calcutta, 239 v°) ;
que d'autres vers de cette introduction du Gulistan (p. 8) :
« Ne sais-tu pas pourquoi j'ai séjourné dans des régions
étrangères, etc. » ressemblent beaucoup à ceux de la der-
nière pièce des Khawâtim ; que cinq distiques de la deuxième
des Marathî sont presque identiques à ceux de la 11^ qacida
(éd. Calcutta, 221, r").
Les anecdotes que raconte Saadi paraissent pour la plupart
de source orale, il l'indique au reste parfois en commen-
çant sa narration. Ainsi [Boastan^ p. 120) « Je ne sais qui
m'a raconté l'histoire que voici », ou bien « J'ai entendu ra-
conter que... ». Cest le « hikâyet konend » et le « chèni-
deh em » persans (1 ). D'autre part, il rapporte des proverbes,
en les mêlant le plus souvent à son récit, et, plus rarement,
en les signalant comme un dicton entendu, par exemple
[Gulistan^ 251 , V, 20) : « Dans le pays des Arabes, on dit :
Les coups d'un ami sont du raisin sec », ou encore [Gulistan^
172, III, 16) : « Un sage n'a-t-il pas mis en circulation ce
proverbe : Il vaut mieux que la fourmi n'ait pas d'ailes. »
Saadi dans le Gulistan (p. 343), déclare qu'il faut prendre
conseil « des récits et des proverbes des anciens ». Aussi
n. H ; p. 314, n. 23 ; p. 3d5, n. 26 ; p. 337, n. 2. Les jeux de mots sem-
blent moins nombreux dans le Gulistan : cf. notamment, p. 143, n. 1 et
p. 241 in fine).
(1) Par exemple, Bouslan (p. 261): «Sais-tu, lecteur, ce que j'ai rapporté
de Bassorali ? Un récit plus doux que les dattes de cette contrée. >> Cf. Gu-
listan, p. 27, 159, 202, 209, 269. Bâcher {Aphorismen) en a dressé une liste,
p. LUI, n. 2-8 et LIV, n. 1-5.
LKâ PROCBuéë UB COMi'OBITIO.N 'JU'>
bien, ses sources ne sonl-elles pas excliisivenuMil orales : un
certain nombre de personnages InslorKjiies on Ii''^en<laircs
paraissent dans son u'uvre et une revue raj)i(le do ces per •
sonna<;es permettra peut-être d'inférer (juels auteurs Saidi
lut et relui de préférence.
De ces personna<^es, (pielques-uns viennent certainement
du (^oran ou des traditions ihadîtln relatives j'i Mahoujet :
yioïsc [du lis f un, 171), Abou Ilouraïra (iulistuti, \'.V.^, Is(i .
Locjman, qu'il cite souvent [Bouslan, 2l3; ilulist.tH, Lll,
111». 123, 158,343), la femme de Loth [dulistHn, 3i), les
Sept Dormants ' (tulis(.in. 'A\, iHOi. Il insère en outre dans
le lioustun ip. 1 Si) une anecdote sur Jésus, sans doute fon-
dée sur quelque tradition, et, dans le Gulistun (p. 3i*2K une
prétendue citation de l'Evangile.
D'autres personnages, plus modernes, furent probable-
ment révélés à Saadi par des récits plutôt (jue par ses lec-
tures: le médecin Galien (iulistnn, 2118], l'astronome (iou-
chiâr [lioustiin, 206), ainsi qu'une série de traits plus ou
moins historiques (ju'il attribue aux princes musulmans:
Hatim Thayï (ju'il cite souvent ( //ow.s7f</j, 1 18-121 ; (itilistan,
15.*;, 165, 17U. 180, 303), Ali ^//ouA7.i/i, 216, Omar ^/>'ow.v-
tan, 2j8i, Amr ibn Laith {Gulistan, 71), Hajjàj ibn '\'ousouf
(i5o«5/an, 52, 289 ; (iulist.in, il i. Ilaroun ar Hachid ^fi«-
list,'m, 88, 92), Omar ibn Abd el Azi/ ilioustan, '61 \ Ma-
moun le 7" Abbasside {lîoustan, ()5), Malik Çàlih [lioustun.
201) (i), Alp .\rslan Jiou.st.m, 58). Kizil .Vrslan ^lioustun,
57). Il semble au demeurant impossible de savoir si Saadi
avait lu ou non, à leur sujet, des ouvrages historiques.
Une troisième catégorie de personnages est formée par
les voufis et représente sans doute un élément oral. Saadi
cite : Dhoulnoim [lioustnn, 219 ; (iu/istan, 83), Abd el (Jadir
Guilani [Gu/ist.in, KM), Çadred Dinde Khodjend [fioust.in,
101), Chibli {/iousf.in, lit; rùhil>-y.inu'h, 111 , Maarouf
de Karkh [Houstan, 199; (\ihib-.\;inic/i, Hl . Jounaid
^i, Cf. la iiulf de Barbier de Me>nard (Uoutlan, |>. 227, q. 25j.
206 TROISIÈME PAHTIE. CHAPITRE PREMIER
[Boustan, 214), Bahloul [Boustan, 212), Bayazid de Bistam
[BoustHii, 248), Daoïid Tliaji [Boustan, 287), Hâlim le
sourd [Boustan, 209).
Enfin, rélément de source cerlainemenl livresque, les rois
ol les héros de la Perse (cilés en général, Boustan, 46) qu'il
a connus, non seulement par une vivace tradition orale,
mais surtout par le Chàh-Nàmeh de Firdousi, et qu'il
nomme, des Pichdâdiens aux Sassanides : Faridoun [Gulis-
tan, 170, 346; Boustan, 78, 264, 294), Zàl [Gulistan, 35),
Kuslam [Gulistan, 35; Boustan, 71, 234, 277, 280), Jam-
ch\d [Gulistan, 346; Boustan, 34), Darius [Boustan, 3^),
Kaïkobâd {Boustan, 59), Afrasiàb [Boustan, 73), Gourguin
[Boustan, 75), Dastân [Boustan, 238), Bahram Gour [Gulis-
tan, 131, 455), Ardachir Babakân [Gulistan, 161 ), Nouchir-
wân [Boustan, 17, 18, 20; Gulistan, 26, 65, 84, 91, 92),
Hormouz [Gulistan, 43).
Tout cela, c'est le monde héroïque du Chàh-Ndnieh, ou-
vrage que Saadi cite au reste expressément à plusieurs re-
})rises (1). A Firdousi s'associe dans le souvenir de Saadi le
prince qui récompensa si tardivement le poète épique : Mah-
moud le Ghiizué\ide [Boustan, 159; Gulistan, 26, 210,219).
Saadi semble donc s'être nourri de l'épopée nationale de la
Perse (2). Mais en oulre, Majnoun et Laïla, souvent cités
[Boustan, 159 ; Gulistan, 247, 258, 339), Khosraw et Chi-
rîn (3) font songer aux épopées romantiques de Nizâmî qui
portent le même nom ; sans parler du personnage d'Alexan-
(1) Galistan, 40 et Boustan, 114 ; Calcutta p. 232 i° : « Une puissance de
cette étendue el une autorité de cet ordre ne sont mentionnées dans aucun
récit du Châh-Aâmeh » ; Calcutta 224 v° : « Que n'a-t-on pas rapporté dans le
Châli-.\âineh, sui Roustaui et Isfandi<'ir au corps d'airain? »
(2) Dans le Boustan (p. 361), il fait encore allusion à l'aventure de You-
•ouf et Zuulaïkhu, sans doule en souvenir du poème de Firdousi. De même
dans Calcuita (244 v°) : <■ Le souffle du venl du malin, semblable à Zoulaïkba
met en pièces la robe de la rose, semblable à Joseph, «
(3; Ca'cutta 221 v* ^dernier vei f^) : c La situation (de Saadi) est semblable à
celle d'un Klicsravv qui ebi revenu de 1;^ clio: >>c a^cc le désir d'une Chirîn. »
LK8 PiiOCéoL^d UB COMPOSITION 307
dre (tulist.tn, 97/, venu, soil cl'uuo Iradilioii orale, soil de
\' Isliciider Xàint'h (I î.
Mai^ Saadi ne se borne pas i\ Firdoiisi : dans le /iousf.in,
il salue le souvenir d'Ounsouri, " ce rui df la poésie »
(j) 3;).'i, ; il mentionne, dans le Gulistan ^p. ^SO), les poésie»
dAnwari ; il cile, sans doiile d'après la Iradnclion d'Azraqi
en vers persans, le célèbre Livre de Sindibàd i liouslun^
IGU) (2); enfin, ressonvonir do sa jeunesse, il plaisanle au
snjel de < linlroduclion A la grammaire « [Kitàh el Moufus-
sali de Zamaklichari [(juli.sttiHy p. 2il) (3).
Donc, beaucoup de récils entendus, quatre ou cintj poêles,
un grammairien, voilà ce (ju'on découvre en paicoiiranl ses
œuvres. Ces œuvres, comment les a-l il disposées? A-l-il
observé un ordre quelconque en les composant ?
(.)n a vu plus haul (jue Saadi, pour le iioustan et le Oulis-
lan, avait lui-même établi une division bjgique par chapitres.
Mais, à vrai dire, il ne semble pas s être atlaclié à ranger
rigoureusement ses histoires sous le litre qui les appelait.
Dans le (rulistan, les récils se suivent sans aucune liaison.
Saadi relie parfois, il est vrai, deux histoires qui pr(''^entent
un cerlain r.jpport de fond (Cf. (iu/istun, p. I tO, II, 35 ;
p. I7;{. m, 18; p. 201, III, 28^. Mais le cas n'est pas assez
fréquent pour (ju'on puisse en tenir compte. De même pour
le lioustun, à part quelipies très rares exceptions ; et 1 on
pouirail retrancher telle histoire (ju'on voudrait, sans que
l'ensemble de l'œuvre en soulFrit le moins du monde II
serait du reste aussi fa.slidieux qu'inutile — et l'on irait ainsi
conlre l'inlention du poète — de dresser un tableau de lor-
1/ Sjr Sj«di et NizAini, cr. Rjicbt^r, SUainïi l^bcn u/id Werke (Leipzig,
1671), p. 57-58.
(i) .Sur le livre de Siniiibâ 1. cf. R. lUsset, Ifistoirg des di.r vizirs, avâiil-
propos.
(3) Chauvin {fiibiuxj . des <juv. nrnhcs, l. li; « reiove une iisle des aualo*
gie* enlre le livre de OiUla et Dinma el le Gulislan : p. 82 ^ii* 2) ; p. 83
(11' 5) ; p. Uy (i|. 104) ; p. 127 (ii* 131) ; cnlre le même ouvrage el le Bout-
lan : \>. lOJ (n» 73): p. 115 fa' 89) : p. lil ii« 110). Cf. IHd. l. III, p. 68,
u. /. .
208 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE PREMIER
dre logique des anecdotes. Toutefois, certaines indications
valent d'être notées.
Si Ton examine le contenu du Gulisfan, on remarque que
plusieurs histoires rattachées au premier chapitre, parce qu'il
y est question d'un roi, seraient, de par leur sujet, mieux
placées dans les chapitres suivants. Entre autres l'histoire 16
(p. 55) : un ami de Saadi obtient, grâce à lui, une place im-
portante, puis tombe en disgrâce et se plaint des vicissitudes
de la fortune ; il est certain que cette aventure relève de la
modération des désirs (chap, III) et n'offre aucun rapport
avec le chapitre I (conduite des rois). Dans le chapitre II
(mœurs des derviches), on rencontre, on ne sait pourquoi,
la facétieuse anecdote d'un borgne marié à une femme laide.
Le chapitre suivant contient deux récils (N°* 20 et 21 , p. 175)
qui figureraient plus à propos dans le chapitre I (conduite
des rois). Dans le chapitre VII, les premières histoires seules
sont conformes au titre (influence de l'éducation), les suivan-
tes formant une sorte d'appendice, tandis que la discussion
sur la richesse et la pauvreté (p. 293) figurerait à meilleur
titre dans le chapitre III ; quant au chapitre VIII, il renferme
en quelque sorte une réserve de proverbes et de vers que
le poète n'avait pu glisser dans les histoires du recueil (l).De
même pour le Boustan: ainsi, dans le chapitre II (bienfai-
sance), s'intercale un fragment sur les coulis (p. 126-128)
appartenant en réalité au chapitre III (l'amour mystique).
En fait, il faut se demander si ce demi-désordre n'est pas
volontaire et si le poète, qui ne voulait se montrer ni dogma-
tique, ni méthodique, n'a pas cherché par là-même une sorte
de divertissement : sans doute, il voulait instruire, mais
en même temps présenter son enseignement sous la forme
la plus variée et la plus imprévue, faisant ainsi de chacun
de ses chapitres un collier dont chaque perle diffère de sa
voisine. Au lecteur de rassembler, s'il lui plaît, les perles de
même orient.
(1) Cf. les Tas de pierres des derniers recueils poétiques de Victor
Hugo.
LES PUOCi:ué8 l)K COMfOsrilUN ,
I*]l, loul hii'ii considt'rt'. K-s deux reciu'iU, id^ijn ii> ><)iiî,
n'en iv|)(Hi(lt'ii( pas moins à liiir lihe : «m verger, nnc rose-
raie, ne paraît- il pas en ell'el d'aulanl plus délicieux que »es
fruits on ses lleurs sonl à la lois plus variés el mélangé»? VA
puis, clu'/ Saadi. la(|ueslion do la coniposilion n'est que
secondaire : il ne tâche pas à élaborer un ouvrage de longue
haleine; il n'est pas, comme Kirdousi, dominé par un grand
sujet ou, comme Khayyam ou .I;t!al cd l)iu. jiar une idée
principale, formant à elle seule le fond d uneouvre entière.
On a vu (jue sa morale se réduit à la morale des honnêtes
gens, sans une pensée fondamentale autour de la(]uellc se
cristallisent toutes les autres, il n'est pas, d'autre part, un
passionné comme les grands mailres du (.oufisme. Ses élans
mysticpies semblent bien tièdes. lorsiju'on les couïpare, par
exemple, au prologue du Munliq el l;nr ou au iJiuàn de
Jalal ed l)in. Khayyam même, malgré son scepticisme, ne
l'emporte- l-il pas sur Saadi par ce quehpie chose d5 doulou-
reux el de tourmenté qui se dégage de son ironie ?
Tout cela n'empêche que Saadi soil poète, mais à «a ma-
nière : les mêmes thèmes, que d'autres embra^ent de pas-
sion ou enveloppent de mystère, deviennent, traités par lui,
toute grâce el délicatesse. Quels sont-ils donc, ces thèmes?
et de quels accents personnels Saadi sut-il les parer ?
M. - 1*
CHAPITRE II
LES GRANDS THEMES POETIQUES
De même que la musique, pour Iraduire tout sentiment
et toute sensation, se contente de faire appel à quelques sons
fondamentaux, de même la poésie, pour exprimer toul ce
qu'elle rêve, use seulement de quelques thèmes sur lesquels
elle module ses variations infinies. Que l'on prenne Homère
ou Valmiki. Corneille ou Shakspeare, Virgile ou Lamartine,
les sentijiients sont au fond les mêmes ; seule, la forme se
modifie, brutale ou tendre, limpide ou mystérieuse, simple
ou pompeuse. Il ne faut donc pas chercher, dans la poésie
de Saadi, des sentiments inédits, car son âme ressemble à
celle des autres poètes, et les âmes des poètes sont celles
d'hommes qui portent à sa plus haute puissance la faculté
de symboliser tout ce qu'ils éprouvent. Mais, de ces senti-
ments communs à tous, les uns ou les autres, dominant
selon chaque poète, lui créent ainsi son originalité. Quels
sont donc les sentiments, et par suite les thèmes poétiques
qui régnent sur Timagination de Saadi ?
Une seule fois, provoqué par quelque détracteur, Saadi,
marchant à l'enconlre de son génie naturel, emboucha la
trompette héroïque dans le Bnustan{p. 234) : tout le passage,
outre qu'il détonne au milieu de ce poème moral, souffre
du redoutable voisinage de Firdousi dont il s'inspire, et
Saadi percevait bien au demeurant que ce n'était point là
son affaire. De même, ses poèmes officiels, assez souvent
conçus dans le même ton, paraissent pour la plupart en-
nuyeux et déclamatoires et ne présentent plus guère aujour-
d'hui qu'un intérêt historique.
LBd GHANDK THèlÉBS POtfTlQUM ail
Un autre défaut (jiii gâte la poésie lyrique de Saadi, c'est
qu'elle est trop coulinuelleinenl heiilencieui^e. C,)u'il moralise
à cœur joie dans le Jiouxt.m , le iiuli.sl;ui ou le ('('i/iiJj-Aànieft,
rien de plus naturel. Mais loisqu'au milieu d'un poème
amoureux ou mystique, on lomh»? sur des considérations
morales plus ou moins lourdement exprimées, on est tenté
de fermer le livre en maudissant le poile qui ne craint pas
d allier de> éléments d inspiration si disparates.
C'est \h précisément l'infériorité de ses œuvies lyriques:
l'inspiration n'y [)araîl j)as une et. assez souvent, ne s'y sou-
tient pas. Va pourtant, bien rares sont les j)oènies de Saadi
dans les(juelson ne puisse découvrir au moins (jneUpies vers
vigoureux ou cliarmanis. 11 faut le dire une bonne fois: si
Saadi excelle comme conltnr moraliste, en revanche, poète
lyricpie, son inspiration est courte.
Nalurelloment, le bon sens qui éclate a ton les le.» p.i^es de
ses recueils moraux se révèle également au cours de son œu-
vre lyrique. (3n a vu (ju'en morale il recommandait la sau-
vegarde de la liberté individuelle, source de la tranquillité de
l'àme. l)e même dans sa lyri(jue où l'on rencontre fréquem-
ment des vers de ce genre (pii figureraient à meilleur titre
en tin d'un apologue (Calcutta, 495) : « Ne te tourmente
pas inutilement de la haine de les ennemis, car malheureu-
sement ton corps en subit les conséquences », el [ibid.) : «« Ne
gâche pas ta vie par des regrets et des « c'est dommage ».
On sait avec (pielle joie le poète avait, au terme de ses
pérégrinations, retrouvé sa petite patrie. Ce calme, cette
joie de sentir son âme en paix, c'est un des sentiments dont
il a tiré les inspirations les plus spontanées : « Lorscpie l'àme
possède le calme, (ju'importe (]u on habite un palais ou une
caverne ? Lors(|ue le sommeil vient facilement, que t'im-
porte de le trouver sur un trône ou sur le bord d'un mur .' »
^Calcutta. iyO).
Sentiment moyen ù la vi nie ; il n esl au reste pas seul do
son espèce : à côté du sens pratique, tempérant les élans
excessifs de rimaginalion, et dérivant en quelque sorte de
212 TROISIEME PAKTIK, CHAPITRE II
lui, riuimour se révèle assez souvent an milieu des poèmes
lyriques. Par exemple (Calcutta, 49t,i: « Même si ['ou n'a
pas de dents, on peut manger du pain ; le vrai malheur, c'est
de n'avoir pas de pain. » Ou bien (Calcutta, 495) cette indul-
gente raillerie: « A deu.v amoureux, la journée sera meil-
leure s'ils sont ensemble. Deux feux réunis produisent une
flamme plus forte. » Ou bien encore cette facétie qui dénote
l'observateur amusé d'une rue de petite ville (Quatrain n°96) :
c( Le voisin qui voit qu'il ne te déplaît pas. c'est le paradis
dans sa maison et dans sa rue. » Souvent même cet humour,
s'appliquant aux choses de la passion, se mue en une sorte
de ricanement, surtout si l'on songe, en lisant les passages
qui suivent, aux élans elFrénés de panthéisme amoureux
qu'on rencontre si souvent chez Atlàr ou Jalal ed Din. Ainsi
le quatrain n° 54 : « Cette amie qui donne le calme à mon
cœur, on dit qu'elle est laide. Cela se peut ! Mais il vaut mieux
qu'elle ne paraisse pas belle aux yeux des autres, afin que
son amour ne soit que pour moi seul. » Et surtout celui-ci
(n" 75) où la plaisanterie se teinte de mélancolie : « Cette
nuit, mon bonheur n'était pas mince. Je tenais dans ma
main l'orange de ton menton. Je mordillais sans cesse ta
lèvre délicieuse. A mon réveil je vis que c'était le bout de
mon doigt. »
Car, à ce bon sens, à cet humour, répond, dans d'autres
poèmes, une langueur triste et rêveuse, imprégnant de mys-
tère tous les sentiments par lesquels elle s'exprime. Insta-
bilité du monde, fatalisme, vanité de l'effort humain, fuite
éperdue des êtres vers un but inconnu, il y a un peu de tout
cela dans cette mélancolie que le poète excelle à suggérer,
même en un seul vers : « N'espère pas de fidélité de la part
des rossignols, car, à chaque moment, ils chantent sur une
rose différente » [Gulistan, p. 262, VI, 2). Le même objet,
la rose, si fréquente dans toute la lyrique persane, Saadi
l'utilise pour nuancer le même sentiment (Calcutta, 248) :
« Un buisson de roses s'en est allé au vent : souvenir, dou-
leur, regret sont restés. » Et, moins expressivement toute-
LBS GRANDS TII^.MP.8 POI^.TrQUBB :< I 3
fois [il)i(/.) : « Lors(|iic' la jcuir-.-^m' iiieml, la roseraie ne doit
pas subsister; lorscjiie la rose iiuiirl, la chanson fin jn-in-
tcmps ne «loil pas continuer. ••
Celte nu'lanoolie n'apparait au reste pas senlemenl dans
les poèmes lyriques, mais se fait jour, même an milieu des
sentences du lioustnn. A la lin d inie anecdote, on voit jaillii-
parfois une inspiration dii^ne de la meilleure lyri(pie. Ainsi
[liou.sf.ui. p.'>t) : « (iarde-loi de t'attachera ce monde, c'est un
ëlrangei-, un musicien qui va chaque jour chez de nouveaux
convives ( I ). Ksl-il permis dainur une fiancée (pii chaque
matin prend un nouvel amant ? •• Kl plus loin [ihid.^ 09) : « Ne
le plains pas des vicissitude^; de la sphère inconstante, long-
temps encore elle tournera et nous ne serons plus. » lOlle
tourne, la sj)hère. dispersant les hommes à sa surface et
séparant pour toujours ceux (pii s'aiment ; quel accent dans
ce simple vers du (hilist.'ui (p. 265, VI, 3): « Des années
s'écouleront sur toi sans que tu j)asses à côté du tombeau
de ton père. » Aussi, comment l'homme pourrait il être
entièrement joyeux ? (!eux-là mêmes qui le sont en apparence
ne cachent-ils pas une secrète blessure (Quatrain 48i :
<« Beaucoup d'hommes recèlent en eux la clameur du ton-
nerre, tandis que leur lèvre souriante s'incurve comme
l'éclair (2). » Car, au fond, à ijuoi scit de se donner tant de
mal pour vivre, puisque, comme dit Pascal, << le dernier
acte est sanglant, quehjue belle (jue soit la comédie en tout
le reste » ? On peine, on lutte pour airiver à mourir. Kt
Saadi ne peut se priver, même sur ce grave sujet, d'un léger
badinage (Quatrain n" 43) : « Les hommes ])assent leur vie
à coudre morceau 'sur morceau), se procurent leur pain
(juolidien à force de ruses. Au lendemain du jugement, mal-
gré leurs péchés, on ne les biûleia j as. car ils se seront biù-
lés eux-mêmes. »
(1) Hiipprocher Hugo {Olympia) : <■ Toulos les ppvnions «Y'ioignrni nvoi
l'Age... Comir.e un essaim chanlsnl d'histrions on vovage... »
(2j Cf. Iliigo : •• Ccninie dans cis t'Iangs raclits ou fopd d(b I « is, —
Dans plus d'une Ame on voit deux choses k la fois... »
214 TROISIEME PARTIE. CHAPITRE II
El ponrlaiîl, cette vie, tout éphémère qu'elle soit, Saadi ne
laisse pas de s'y attacher, songeant doiiloiireusenient aux an-
nées écoulées sans profit. Tel Ronsard. Racan, et bien d'an-
tres encore, il excelle à exprimer le poignant regret de la jeu-
nesse enfuie sans retour : lisez, à ce point de vue, sa deuxième
é\é^'\e (qacidn.) arabe. Il y a même là, semble-l-il, quelque
contradiction: si, d'une part, il jouit des années paisibles
qu il vitàChiraz, honoré de tous, comblé par les grands,
d'autre part, le sentiment du vieillissement, lisolement sen-
timental, l'approche du terme fatal sans cesse menaçante
chassent les fumées de la célébrité. Le Gulistan s'ouvre sur
un soupir (p. 9) : « Une nuit je pensais aux jours écoulés...
A chaque instant s'écoule un souffle de la vie. 0 toi dont
la cinquantaine est passée et qui es encore dans le sommeil,
peut-être mettras-tu à profilées cinq jours qui te restent! (i).
La vie est une neige exposée au soleil de juillet . ^) l'^t dans le
Boustnn (p. 344) : « Mon cœur peut-il reverdir, lorsque
demain l'herbe va reverdir sur ma tombe? Nous avons passé
insouciants et gais sur la demeure dernière des générations
qui nous ont précédés ; celles qui sont encore dans le néant
passeront à leur tour sur la nôtre. Hélas ! le printemps de
ma vie s'est évanoui, mes jours se sont écoulés dans les
frivolités et les plaisirs : ces heures charmantes ont glissé
comme l'éclair dans le ciel du Yémen ;> (2).
On le voit, le poêle pense à l'éphémère destinée, non seu-
lement pour lui-même, mais pour tous les hommes. Dans le
Çâhih-Nâmeh fp. 1 10), il se borne à noter le sentiment sans
insister: <( Si l'homme connaissait le prix de la vie, il se la-
menterait de l'avoir gaspillée. » Mais, dans ses œuvres Ijri-
(1) Ce motif se retrouve dans éd. Calcutta, 239 v°. Cf. le début du Pend-
Nâmeh et Boastan, p. 341 .
(2) « Je m'aperçois que les jours de jeunesse sont passés Je m'aper-
çois que je ne puis avoir de joie dans le monde qu'en m instruisant con-
tinuellement. Je m'aperçois qu'il n'y a rien qui vaille la peine d'être pour-
suivi que l'idée de faire un peu de bien au monde )> (Leitre de Keats, citée
par J. Texte, Eludes de lillératare européenne, p. 115). Il serait facile de
multiplier les rapprochements.
LES OR\NDS TM^MRS POI^TIQUES ai5
ques, il lui faut dt-s ima;^'es. V.l i-t-lle fuile iriiphicablr du
lomps iornu' \c f«)ii(i de nininl poènio ; celle exinlence fragile,
il aime In comparer ù l'éclair: « Chaque moment esl une
parcelle de noire journée, un éclair du ^ émen (jui brille un
inslanl. Si l'on enlève à la monla^Mie un caillou après l'aulre.
la inonht^Mic litiira par (iis|);u ailre »> (GaUiilla, l!4'.* .
l^arlois même, 8a mélancolie va jii^(ju';i rappeler les acccnls
désespérés des grands poêles liébieux : < Mes jours on! passé
sans prolil connue une nuit d'ivresse, l'ne vie donl chaque
inslanl valail loule une vie, cpiel malheur (ju'elle soil sorlie
de ma main • (Qualrain 11) l. .Mais en général son imagination
plus n)ièvre se conlenlede fleurs ou d oiseaux. Ainsi ce qua-
train ( n" 7i^ : <« (letle rose que j'avais reçue encore fraîche
n'est pas encore flélrie. mais le vent de la violence a passé
sur cllr. I.a pauvrclle tiail piriiie d espoir. l"spoir long! vie
courte ! (Comment les concilier ? •• Ou bien encore (Quatrain
1(U)):« Je ]>Ieureeu me cachant de tous lesêlres de ce monde ;
je lève les yeux au ciel, par suite du chagrin de mon c<i'ur.
Pareil à I enfant (pii se lamenle sur la trace d'un oiseau
eu volé.je pleure sur mou existence écoulée. •> Souvent limage
est plus concrète encore et, si iriévérencieuse que soit la
comparaison, les lamentations de la Belle Ileaulmière de \'il-
loii ne dillerent de ce passage que par un réalisme |)lus cru :
<< ,Ie ne possède plus, luias I le capital de la jeunesse, l'âge
des jeux il du plaisir n existe plus pour moi Moi aussi, je
fus jeune : la rose avait moins de fraîcheur, le cristal moins
d'éclat (jue mon visage ; des boucles débène tombaient sur
mon cou ; une tunique de soie était un fardeau Iroj) lourd
pour mes membres délicats »> [Unustan. 31) i.
Ce réalisme s'accentue franchement lorscjue Saadi veut
dépeindre le néant (jui stiit le trépas, et ne le cède en rien à
celui des Danses macabii's Ainsi ilinu.s/.'in. '.V,\\ \ :« Il souleva
d MU bras vigoureux la dalle du sépulcre. Il vit au fond de In
fosse celle lêle qui avait jadis porté une couronne ; la terre
rem|)lissait l'orbite des «h'ux yeux oii avait brillé la lumière
du jour. Le cad.«vr«* tri-^ail daii-i '«a pri-son funèbre, en pâture
ai6 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE II
aux vers et aux fourmis... Les ossements étaient obstrués de
boue ; la mort avait aminci, comme un fétu, ce corps
autrefois si beau ; les mains, jadis pleines de vigueur, se
détachaient par lambeaux. » Ou bien la pensée, plus concise,
prend des allures de sarcasme cruel : a Quelques petits jours
seulement, puis la terre dévore la moelle de la tète qui se
forgeait des imaginations » (Çâhih-iVâmeh, p. 50). Mais en
général, Saadi. jusque dans la peinture de la mort, sait dé-
couvrir 1 image gracieuse : « Le cyprès ne dresse sa taille
svelte dans les jardins du monde que pour être déraciné par
le vent de la mort » [Boastan, p. 364). Et quelle douce
plainte, quelle tristesse mesurée s'exhalent d'un simple vers,
perdu au milieu des anecdotes du Boustan ! Il suffit de feuil-
leter et de recueillir au hasard : <■<■ Le vent qui balaie le sol
du cimetière dispersera jusqu'à la dernière parcelle de mes
cendres » [Boustan, p. 350). Quant aux chants funèbres (ma-
ralhî) que Saadi composa probablement sur commande, il
y satisfait sa tendance naturelle à moraliser, sans se rendre
compte qu'il alourdit ainsi son lyrisme ; puis, dans celte poé-
sie de circonstance, il se montre guindé et contraint, forgeant
à grand'peine des images outrancières et des apostrophes pe-
santes. On en jugera par ces quelques vers du premier chant
funèbre (sur la mort de Tatabek Abou Bakr, éd. Calcutta,
p. 245) : «■ Qui mettra maintenant un bandeau autour du
cœur brisé ? Qui retirera l'épine du pied de l'orphelin
blessé ? La flèche sauvage de la séparation a tellement dé-
chiré le peuple au plus profond, que l'entaille s'étend jus-
qu'au siège de sa vie... Ne crois pas que la faveur du temps
te soit durable, car le bon sens démontre qu'elle n'est que
traîtrise. A'ois ici celui à qui le pays et le peuple obéissaient :
le temps a déchiré la couronne royale de sa tête et jeté le
bandeau de son turban sur un coussin de poussière. « A cette
pompe, on préférera cette description si courte et si saisis-
sante où le poète exprime un sentiment spontané (Çàhih-
Nâmeh, p. 83) : « Subitement une clameur s'élève dans le
palais : Un tel est arrivé à sa dernière heure ! Les amis vien-
LBfl GRANDS TH^MFft POI?TIQURS 217
iiriil jiis(|iraii bord du (oinbrau, (jiitd'jiies pas. puis s'en
reloiinicnl. Cl' cpif lu ax toujours aimr Ir plus : l'argenl, la
puissance, les conlials, les clofs, ils les einjtorlful. Mais ce
(pii va reslcr allaclu* à l"! <-'.---i l'.inv i .• i|.- loiifim.- pure ou
impure. »
l*ar là. précisénienl, IhoniuK' lriouij)lie de celle luoil (jiii
iaïu-anlil : au bord iiiênjc du uiaut. le poêle ne peut abdi-
(pier sa foi ininiuable en la vu-. Ijeiutlle n)élanc(die, mais
aussi tleruel esj)oir ! L homme, se relouinaiil. voit, sur la
rouie parcourue, une jonchée de deuils et de désillusions,
mais se console îi la pensi'-e (ju il laisse une renommée inlacle.
Vu oulie, avant composé des leuvres d'art, il ne meurl «pi'A
demi : Saadi met en ellel toute sa confiance "U cet arl par
lecptel sa mémoire vivra : << (]omme lu le sais, il n'y a poiul
de (iuiée pour la rose du jaidiu. il u y a |)as la moindre lidé-
lilé dans les j)romesses du parterre de lleurs... A ijuoi te
servira un plateau de roses ?l']mj)orle plutôt une feuille do
mon (iiihs/.in. La Heur dure seulement cin(j ou six jours,
tandis cpie ma roseraie sera toujours belle •> [Guli.sf.in,
p. ir>).
Donc, celle vie si courte, si décevante, Saadi la vil néan-
moins joyeusement ! (Comment donc peut-il sourire, et (piels
biens décoiivre-t-il dans ce monde si méprisé par les coulis ?
1) abord les spleudtuis de la nature sans cesse renaissante :
« Nous n'existerons plus et le lemj)s continuera de faire
éclore les roses du parterre » \lioust:in, p. 3il):. A vrai dire,
le sentimenl de la nature, chez Saadi. reste emj)reinl de
tpiehpie mii^nardise. (^e n'est pas le |)anthéisme des épiipies
de i Inde ou des i'omanli<jues français, aspirant à se plonger
dans la nattire jusqu'à s'y perdre. Saadi ne s'absorbe point
en elle et ne saurait s'y oublier tout enlier. (\» (ju'il en goûle,
ce n'esl pas la poésie profonde et mystérieuse ; mais, se rap-
prnchanl d'Horace, il se borne à en ressentir le charme. Son
sentiment de la nature rappelle celui (pii s'exprimait au dix-
sej>lième siècle flans certaines lettres de Mme de Sévigné.
2t8 troisième partie. — CHAPITRE II
Des nolntions ( 1 ), des descriptions (2), mais point de ces
effusions qni semblent des prières montant vers le Grand
Tout. Saadi ne parle pas de la nature pour elle même: il
l'utilise comme source d'images (3j ou bien l'associe presque
toujours à quelque autre sentiment. A l'amour de Dieu, par
exemple (4), au sentiment de l'impuissance de l'homme (5),
à celui de la fuite du temps (Bj, ou encore à l'amour (7).
L'amour, il semble que ce soit, aux yeux de Saadi, la
grande douceur de ce monde et Tune des raisons principales,
sinon la seule, de persévérer dans l'être. Ici encore, il ne
s'exprime que par fragments, mais, pour la plupart, singuliè-
rement expressifs : « Il n'y a pas de meilleurs jours que le
temps de l'amour... L'amour a un commencement et pas de
fin »> (Calcutta 279 v"). Ici encore, Ihumour apparaît à côté
delà passion la plus sincère. Ainsi ce quatrain (n°31), si
amusant à la fois et si jeune : « J ai passé plusieurs jours sous
le froc de la pauvreté, l'œil tourné vers la bouche du prédi-
cateur et l'oreille vers son conseil. Subitement cette belle à
taille élancée parut à mes yeux et la parole du sage sortit de
(1) " Le torrent qui roule avec fracas ses vagues menaçantes disparaît
du haut des montagnes dnns les creux des ravins » {Boustan, 209).
(2) « Le parfum s'exhale de la prairie-, la neige de la montagne a fondu ;
la rose s'est épanouie, le rossiornol est venu dans le jardin » (Calcutta 232 r*).
— C. Horace, Jain salis terris nivis, etc..
(3) Boustan, 236 : « Sa tête avait blanchi comme le pic d'une nionla-
gne couronnée de neige et la neige des ans suintait sur scn visage ridé »,
ou encore (p. 110) : « Il s'enfuit comme la brise du matin. »
(4) Gulistan, 127, II, 26 et la qacida < bâmdàdân keh tafâwoul ne koned
leil ou uahar » (Calcutta, 223 v°).
(5) Boustan, 109 : « Pourquoi les cœurs haut placés peuvent-ils rarement
réaliser leurs aspirations? tel le lorrent impétueux glisse sans s'arrêter
sur les sommets qu'il arrose, k
(6) Calcutta, 249 (maralhî) : t Comme le rossignol gémissaildernièrfmfiit,
lorsque l'automne brisa la haie de roses du printemps x, ou encore (Cal-
cutta, 391, Vo) : « Bientôt le vent d'automne soufflera, effaçant cet éclat
argenté que tu vois sur cette roseraie. »
(") Quatrain 6n : « Le temps de la rose et le jour de joie est venu ; le
temps de la gaieté et du bonheur est venu. Le temps est passé où tu ne
pouvais venir à cause du froid. Le froid est passé et le temps de l'amour
est venu. »
LR» r.RANPS TIIKMKS POI^TIQUBfl ÎIQ
ma mëmoire. » C'esl an reslc stirtoul daim les quatrains, où
il n'a pa-i la prt^occnpalion d un l<>nj( drvcloppemenl. qne
Saadi cxprinio l'anionr avec le pins de horïhenr. On}' Ironve
tonle la j^amnie des senlinunls, de|)nis les nii<,'nardises jns-
qn'anx cris douloureux de la pas>i(»n la pitis vive. Ainsi ce
(jualrain [W IIUi (jui. si simple an dt'hnl, s'achève dans le
gongorisnie : <> Il ne m Ol pas anivt'-. avec loi. de conleni-
pler la plaine, on de m asseoir avec passion snr le bord d'un
rnissean. Je n'ai qn'nn désir: que In cneilles des Inlipes et
des roses, tandis que je cueillerai, moi, les roses de ta joue. »>
De cet autre (n" 76) on ne sait trop s'il renferme une plaisan-
terie on la plus déplaisante aneclalion. ou encore les deux k
la fois: « Le petit tuiban que porte celle idole ravissante, si
le souffle du zéphyr enq^orle un peu de son parfum el le fait
passer sur une tombe vieille de dix ans. aussitôt, daiir- la
terre obscure, le tnf)rl dressera sa léle. » A ieiit enlin la ma-
nière simple, 1 amtiur paisible et tendre dont la mesure
convient à lame de Saadi la campagne, la solitude, el deux
amants échan^'eant des serments : « Nous rencontrer un jour,
toi el moi dans la plaine; nous en aller, loi et moi. seids,
hors ville. Tu le sais, comme nous serions bien ensemble, loi
el moi. alors (ju il n'y aurait là (jue toi et moi » iQiiahain
131) ( 1 ) Kt voici les lamentations ardentes, chantant la toute-
puissance de la femme et 1 impossibilité île se sépaier d elle :
« O trësor de cocjnelterie 1 si je m'enfuis de la main, ou (jue
j'aille, je reviendrai vers loi » iQualraIn Hii, Ailleurs
(n° I 1 i), c est le tourment de 1 absence, le désir perpétuel de
celle qu'on attend et qui ne vient pas, le regrel inellable qui
suit les séparations : « Tu \ iiiis el je contemple ta grâce ; je
vois le calme de ma vie lié à les pas. Durant Ion absence, je
contemple le chagrin que j'en éprouve et. partout oii je re-
garde, je tv vois. » (l'est alors que rien ne compte, hors
l'objet aimé, témoin ce passage du GulisLin (p. 2.")S) oii
(1) En rapprocher Calcutta. 491 \' : « Un jour, lui et moi nous Kortinirn He
la %'ille, reit le désert ; nou« étions senln. Tii sain combien loi et moi nous
étions bien, alors qu'il n'y arail personne que loi et moi. ><
2 20 TROISIEME PARTIE. — CHAPITRE II
d'aucun? veiraienl sans doulc une allusion mystique : « A
celle anianle que lu possèdes, allache Ion cœnr el doréna-
vant ferme l'œil sur tout l'univers. » Et puis (Quatrain 28),
c'est l'expression pénétrante de la mélancolie qui suit l'aban-
don : « On dit : le zéphyr du mois de m;n est doux, de même
que le parfum de la rose, le clianl du rossignol dans la rose-
raie, la verte plaine et le ciel bleu. 0 vous qui ne savez pas !
tout cela n'est doux qu'en compagnie d'une amie w (1 ). l'.nfîn,
les sanglots désespérés de la passion sans espoir, dont cer-
tains sont inlraduisible.s (par exemple éd. Calcutta, p. 472,
la 2^ pièce) (2) et par lesquels Saadi exprime un instant la
langueur des plus grands élégiaques : passages peu nom-
breux à la vérité, mais par là même méritant d'être cités (3).
Sachant peindre ainsi sa propre douleur, Saadi comprend
tout naturellement celle des autres. Ce n'est pas qu'il aime,
ainsi qu'un grand poète français, <« la majesté des souffrances
humaines ». Sa pitié n'a rien de philosophique ; mais c'est,
dans son œuvre, un courant de tendresse et de compassion
pour tout ce qui souffre: enfants sans défense, vieillards
délaissés, animaux tourmentés. La bienfaisance qu'il estime
(1) Cf. Lamartine : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé. »
Et en rapprocher ce qualraia (n° 27) : « Tu as dit un jour : Une nuit, je le
rendrai heureux, en le délivrant de tes soucis. Tu le vois : depuis ce jour,
combien de nuits ont passé el tu ne te souviens plus de ce que lu as dit. »
(2) Et Saadi n'a pas la même discrétion que Chénier qui écrivait en grec
ses erotica.
(3) « Oh ! sans loi le monde tout entier m'est étroit. Je suis fier de toi,
et loi, tu as honte de moi. Je désire la paix avec loi, alors que lu me fais
la guerre. Enfin, peux-tu me dire si tu as un cœur ou une pierre (à la
place du cœur) ? » (Quatiain 9"). — «Malgré tout, je ne puis retirer mon
cœur, car plus elle me louimf nte plus je vis » (Quatrain 99 ; cf. Hugo :
M Ceux qui vivent, ce sont ceux qui souffrent... »). — « Je disais : j'aurai
de la force au jour de la séparation. Mais lorsque l'événement se produi-
sit, je n'en eus plus » (Quatrain 102). — « Malheur à celui quia été séduit
par toi. Si son cœur se trouve loin de toi, il saignera. Celui dont l'âme ne
peut être calme sans toi, songe à ce que peut être un de ses moments,
loin de loi » (Quatrain 33). La même image « le sang du cœur t se retrouve
dans une qacida (Calcutta, 380) : « La couleur de ta main ne vient pas du
henné, mais du sang de mon cœur. »
LBS GHAND8 TilVMKS POéTlQUKH :. Q 1
81 hanl se transforme chez lui en amour du bleu universel,
étendu jus(ju aux plus petits, seulirneul <jui, du reste, so
retrouve d.ius tout»; la lillrr.iture, depuis Homère et les Hin-
dous jusipi à Hu^o s'écriant: -< J aime I araij^néo et j'aime
l'ortie. )• Ce sentiment, Saadi non seidement se félicite de
l'éprouver soi même, mais encore il l'admire lorscpi'il le
rencontre cIk*/. les autres : « Quelles sont belles .;, dil-il dans
le lioustun p. Il t), « ces paroles de l'illustre Firdousi : Ne
tourmente pas la l'ouriui (pii ciianie son grain de blé, car
elle vil et la vie est chose douce » (I t.
Ces humbles, il les a donc vus à l'œuvre? An cours de ses
vovaf;es. vieillard même, il s'e>t donc penché vers eux? Car
on n'aime vraiment (pie ceijueron connaît bien. Il convient
donc d'examiner si. aux facultés poélicjues de Saadi, s'ajou-
tent dans son (euvre les dons parlicidiers (pii décèlent lOb-
servateur.
(1) Encore un Ihôme alexandrin. Cf. Ilcrcdia (connel cité) :
Tu l'arrêtes ; un chant de colombe a pémi...
La vie est si douce. .Vh I laisse-la vivre, ami.
CHAPITRE m
L OBSERVATION DU MONDE EXTERIEIR
Dans l'averlissement à sa IraducLion du Gulistan, l'orien-
talisle Sëmelel déclare que Saadi <* fait connaître l'élat phy-
sique et moral du pays qu'il habitait, et parle souvent de
sécheresse, de déserts, d'ailérés, d'esclaves, de pèlerinages,
d ennemis, de chameaux, de palmiers, etc. »
A y regarder de plus près, on trouve bien autre chose dans
l'œuvre de Saadi ; et, de ces notations réunies, se dégage
l'impression que si le poète, en Saadi, reste somme toute
inférieur à un épique tel que Firdousi. à un lyrique tel que
Hnfiz, à un mystique tel que Jalal ed Din, en revanche il
les dépasse par sa fine observation de la vie contemporaine.
Kholmogorow, qui connaissait la Perse, ne s'y est point
trompé, lorsqu il écrit dans son ouvrage pourtant si superfi-
ciel (p. 14oj : • Saadi exprime la vie populaire, aussi on le
lit toujours. >i
Il est impossible d'énumérer sèchement les traits de mœurs
que l'on recueille en lisant Saadi. Mais de ces traits, dès
qu'on les groupe, se forme presque spontanément une sorte
dti tableau de la petite ville de Chiraz. Le voyageur Ibn Ba-
toutah qui la visita plus tard — et elle ne s'était alors guère
modifiée depuis l'époque de Saadi — y trouva « une cité so-
lidement bâtie... possédant d'agréables vergers, des rivières
qui se répandent au loin, des marchés admirables, de nobles
rues ,.... une nombreuse population ». A cette description,
quelque peu conventionnelle, Saadi permettra d'ajouter la
vie, si tant e^l qu'on puisse leslituer la physionomie géné-
rale d'une ville orientale au treizième siècle.
LUDbEHV.VTlU.N OU MODE EXTÉHIBUn 223
Lu voya^'eiir, Saadi lui-mêino si l'on veut, clioinine avec
la caravane «pii s'avance sur l'une des roules conduisant à
Cliiia/. Mlles ne sonl pas sûres, ces roules : dans les monla-
gnes. au passage des cols, des brigands embusqués guellent
les passants. Saadi s'en souvicnl bifii dans le (iulisfitri :
<•< Une Iroupe de voleurs s'élaicnU-lablis sur le soniniel d'une
inonlagne et avaient inlerceplé le passage aux caravanes»
(p. oO, I, 4). On a >u [nu/tra.p. 42) combien les pillards de la
BacU iane l'avaient elï'rayé. C'est que ces brigands sonl de
vérilables seigneurs outlaws : on les honore prolondémenl,
de jnènie (|ue lous ceux qui parviennent a se laire craindre.
Certains poêles vont même juscpi à les louer dans leurs \ers,
ce qui ne leur réussil au reste pas toujours (Cl'. Gulmlan^
2I-. 1\', lU). Aus.si rauU)rité >e nu)nlre-l elle im[)iloyable,
ù ceii\ qu'elle peut sai>ir mlligeanl le cliàlimenl piescril par
le CojMii : l'ablation d'une main ///;/(/., 298, \ Il et I I '*. H,
Si le voyageur est riche, il sommeille, commodément
allongé d.ms une lilièie, la << kadjàweh » persan'3 \GuUslan,
2St. n. I) ; sinon il se liaîne à Ir.àvers le sable et les pierres,
suivant ses compagnons de pauvreté, grommelant contre les
mille mconvénienls de la roule, la chaleur, le mauvais lemps,
et disant à mi-voix, à 1 adresse du riche qui se prélasse sur
des coussins : u Toi qui dors mollement bercé dans la litière,
tandis que le chamelier tire les bêles de somme par le licou,
si lu veux savoir ce que coûte de fatigue un voyage à travers
les plaines et les montagnes, les rochers el le sable, inter-
roge les piélons qui sonl restés en arrière >> [Boustan, 325).
liulin, on atteint les portes de la ville... « Avant d'entrer
à Chiraz, le voyageur secoue la poussière de la route » [Dous-
^'l/^. 35 i). Va comme le soir approche, il se met en «[uêle d un
gîte : le riche trouve à se loger à peu près confortablement
et, pour dormir, se blollil sous sa couverture de fourrure (l ».
1 1 ) Calcutla, 2.19 V : » Il l.« fuulrt dormir sou» la l«rr«, ô loi dont la cou-
v«'riiir«» do nuit est de pelil-gria. ••
2 2a THOISIEME PARTIE. — CHAPITHE 111
Mais le voyageur qui cahin-caha suivait h\ caravane ? Eh
bien, l'asile de nuit est là, tout proche, ces caravansérails
que les monarques prévoyants ont multipliés (5ow5/<7/î, 47)
et « où cent pauvres dorment enveloppés dans un tapis gros-
sier n [Gulistan., 30). Peu à peu les bruits s'éteignent et 1 on
n'entend plus par intervalles que le cri du veilleur de nuit
{Bousfan, 118).
Ou bien, s'il n'est pas trop tard, le voyageur se rend aux
bains. Les établissements de ce genre ne manquent pas et
n'ont du reste pas meilleure réputation que les « étuves » du
moyen-âge français. Mais combien on y oublie les fatigues
de la route, lorsqu'au milieu de la vapeur d'eau, « tout
souillé de l'argile du bain ,y (Quatrain n" 46), on attend
qu'un jouvenceau vous masse vigoureusement! Puis on se
repose sous les portiques, en buvant quelque sirop glacé;
ces portiques des bains sont ornés de peintures tracées au
vermillon et au vert de gris [Gulistan, 284, VII, 1 1) et repré-
sentant parfois des figures diaboliques [Bouslan, 29) (1).
Tout comme aujourd'hui en Orient, certains jours sont ré-
servés au bain des femmes qui excite la verve facétieuse de
Saadi (Calcutta, 496) : « Moi qui contemple affamé une table
bien servie, je ressemble au célibataire en arrêt devant la
porte du bain des dames (2). »
Bien reposé, bien lavé, le voyageur se met à visiter la
ville et se dirige tout d'abord vers le marché où « les ache-
teurs affluent plus nombreux que les mouches » [Bouslan,
196). Un inspecteur y circule, prêt à empoigner les mar-
chands qui vendent à faux poids (ibid., 29). Les marchands
(1) Cf. Bouslan, 305 : « Si tu gardes le silence, (les malveillants) te com-
parent à une de ces figures peintes sur les murs des bains. » D'où, au
figuré {ibid., p. 115) : « Il ne peut plus te voir en peinture » ; et Gulistan^
284 : (( Lorsque l'homme est dépourvu de mérite et de bienfaisance, quelle
différence y al- il entre lui et les peintures d'une muraille ? » Sur les
représentations d'êtres vivants, chez les Persans, notamment sur les murs
des bains, cf. Pend-Nâmeh (Trad. Sacy, p. 60, n. 1).
(2) Ce vers se retrouve avec une légère variante dans le Gulistan,
143, II, 37.
L OBSBRVATIO.N DU M(JM)B RXTKHIEt'U WiJ
inslallt's dans les (jiiarliers. en revanclu», lioinpeiil le client
k cn'iw-ynv Ifoii.sf.iti, i()7). (i'esl tjiie la cfinciinence coni-
niercialf csl intense : lonl marcliand se réjouil (in déliinienl
subi par sdii voisin {(iulisl,in, 20(). I\', 2) et, (]nanl an Iralic
des denrées, il est incessant (Cf. nolaninu-nl dii/i.sf.in, 177
et suiv.). Aussi, quelle distraction ponr les lenimes (jni, en
bande, passent d'un étalage à l'autre, non seulement au
niajclié, mais dans les bazars couverts où I on trouve tout ce
que Ton veut : veireiies el miroiteries de \ eni?^e, porcelaines
de Chine, cotons de l)amielle {(iu/i.sf;in. \X'2, n. I), brocarts
nassîj {/LUI., 170. III. l.'n, soies unies (kliarà/ et nioiiées (1 j,
tissus d or et d argent importés d Kgypte 2), étoiles rayées
d'Arabie [Guliatun, 179;, fourrures, et toutes ces étoffes
précieuses qu'on fabrique chez les Bulgaies,au pays de Houm
et en Chine (Calcutta, 222 v"i. Kl puis, il y a le bazar des
bijoutiers, où l'on achète pciles et pierreries idulislan, 172,
Ili, 17) ; le bazar des fiipiers [îbid., i;)7. 111, 1 ; plus loin,
les tisserands, rivés à leur métier, poursuivent leur lapis aux
dessins interminables [lioust-m, 243; ; enfin c'est le coin des
droguistes où les parfums endormeurs nagent sans cesse
dans l'air attiédi [Ihid., 292 .
Klles y viennent même trop souvent, au bazar, les fem-
mes ! lit Saadi, avec une rudesse (|ui devance celle du Zara-
ihousfra de Nietzsche : « Avec les femmes prends le fouet ! »>,
conseille charitablement aux maris: < Si la femme prend
souvent le chemin du ba/ar, châtie-la " ilinuslan, 29() •
Il faut bien I avouer : on ne se lasse pas de contempler,
non seulement les richesses entassées dans les boutiques,
mais la foule (jui se presse conlinuellemenl sous les galeries
ombreuses. Kl que de jolis minois 1 Le vieux Saadi lui-même,
par hasard échappé de son ermitage, en est confondu :
«» Chaque beauté qui passe devant moi, me» yeux restent
^i) < Si un idiot revêl cent %i-tcD)Pi)ls ilr t>oie nioii<^(-, il devient un ftne
bieo cli«rf;é » (Calculla, 240j.
(2) Guliitnn, p. 184, n. 1 el cf. (Jualu u. n , Snumuun», II, 2» partie,
p. 75.
M — «5
226 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE III
interdits à t>oii aspect. Puisque je ne puis redevenir jeune,
que je regarde du moins ce que je fus » (Quatrain 112). Lui
qui veut empêcher les femmes de venir au bazar se complaît
tout le premier à les regarder un peu plus qu'il ne faudrait.
Mais (' c'est une vieille habitude de regarder celles qui sont
belles » (Calcutta, 397 V) (I).
Un peu plus loin, « les enfants jouent à la petite ourse (2)
dans le marché » [Gulistan, 27G, \l, 4) ; un prestidigitateur
opère gravement en présence des badauds ébahis (Housfan,
1 13) non loin de l'arracheur de dents, son demi-confrère en
charlatanisme. Car c est du moins ainsi que le considère
Saadi qui semble accorder à la médecine une confiance
• très relative {Gulistan, 260, W, 1 et Bousian, 239). Dans
le même rayon, un chirurgien « pratique la saignée et pose
1 emplâtre >> [Gulistan, 316). Les marchands de volaille
ont déjà l'a-îreuse habitude, toujours conservée (3), d'ouvrir
imparfaitement la gorge du poulet qu'on leur achète, et qui
« le cou ouvert, s'enfuit en se débattant, tandis que le sang
noir ruisselle de son bec > (Calcutta, p. 245, marathî) ;
au centre d'un cercle populaire, les lutteurs, chers à la
Perse (4), s'efforcent de gagner quelques sous à la sueur de
leurs membres [Gulistan, 79, 1, 27 et 148, 11, 44). Mais
hélas ! '< le métier d'athlète ne fait guère vivre son homme »
{Boustan, 68) et, d'autre part, si l'athlète gagne peu, en re-
vanche, il a toujours grand appétit [Giilistan, 185, III, 28).
D'autres courent à leur travail: passe un poi'leur d'eau,
l'outre sur l'épaule [Boustan, 323) ; le porte^faix (hammâl)
charrie péniblement son fardeau (//jiW., 357); des esclaves
: 1) « Ayaut pris la roiite qui le plaît, tu rencou très des figures charman-
les eu comparaison desquelles les peintures chinoises ne sont rien i
(Calcutta, 2i6). Nouvelle preuve des rapports commerciaux entre Perseet
Chine.
(2) Sorte de colin-maillard.
(3j On retrouve encore aujourd hui le procédé, notamment en Egypte.
Une autre vieille habitude citée par Saadi (Boaslan, 319) consiste, lo's du
sevrage des enfants, à frotter d'aloès le sein de la nourrice.
(4) Cf. pour l'époque de Saadi, Ohsson [Mongols, II, 96).
l'obmervatiun du MOPiDB I xti^rircr u-wj
se liùleiil. rec()nnRit>sHl)ie«< h raiiiu'au (jii'ils porlonl k rorcillc
en ^i^iie <le seivihule (iulisfun, '2\i cl n. î i ; nii juif, in(|nifl
il iiiliiiinlt', se fuiililf à linvcislet^ groupes. reciNjinl (Ijimii-
hiro (|iifl(]iu> horion liou.sf.ut , 'S2t\ ; Henirnie, !:• (-ourlisane
cii'ciile. I «ril au guel, car elle ciainl le litiilrninil di* police
[(Miiiist.in, 50) ; el lonl à coup débouche ^nr la place un en-
terrement précédé (inr les j>hnr( nt^Cï^ aux lanuriLdions sala-
rit't's lioustmi, (IM,.
I) autres encore travaillent dans leur coin, til le cordon-
nier (6' (;//'.ç^'<//, l.'iO, II, iC) el surtout l'alchiniisto traînant
sa misérable vie, l'espoir (ixé sur les lélicilés futures ihiil.,
Ut, I. 3U). Ils vivent chacun dans son échoppe, à l'écart des
places el des rues bruyantes où les piélons se coudoient el
s'interpellent. Parfois une rixe : << des Hols de poussière, des
cris de dispute, des savates jonchant le sol, des pierres volant
de tous côlt's » {liotislnn. 2H4 . Un gros jurisconsulte {Gti-
lixtan, i.-)0, II, .^)7' se pavane avec importance (Ij. assénant
un re^'ard méprisant sur deux pauvres derviches qui passent
malpropres el rapiécés: l'un vêtu d'un manteau de laine,
tout poudreux (Calcutta, 4(l()i. coitï'é d'un bonnet de peau
(I ai:neau, égrène un chapelet entre ses doigts maigres [(Ju-
/i.s(;in. I ni, II, H) ; 1 autre, plus bédouin que derviche, cache
sous un « aba « son corps mortiiié [Ibid., 153, II, 48'. L'ne
troupe de femmes les suit non de celles (jui restent sagement
derrière leur rouet ( lioust.un, 54 •, mais de celles (jiii. copieu-
sement fardées [IbiiL, 241 , les ongles leints au henné, les
sourcils farcis de kohl ilhul.. ()5 . flânent j^ar les rues, sous
leurs voiles qui dissimulent imparfaitement leur pantalon de
couleur sombre [ILid., 297) i 2). Saadi. installé dans un café,
les regarde passer et ne peut s empêcher de dire à son voi-
sin : <« Combien de tailles qui sont agréables sous le voile,
J ) Lrs geoft He loi aux inan< Iipb largrs el OoU*nles iliouslan, 2!!i9) ; les
dévôtii aiii manches routlcs (Gulistan, 337).
{i) Sacy. Pend-.\(imeh (p. 190, n. e), parle du « caleçon CMileur d'anli-
moioe » dt-s feuimea It'après le dtilutan (p. S9, n '.*) on révélait parfois
de M'lcm<~nls de friiime le» ^.uldals qui s'cnfiiyaicDl du combat.
2 38 TROISIÈME PAKÏIE. CHAPIÏhE III
mais, une fois que tu as entr'ouvert le voile, sont celles de
grand'mères (1)... Une femme belle comme la lune n'a
besoin ni de rouge ni de vert (2) ». Puis, tirant de sa robe
son écritoire, il improvise ce quatrain (n° 39) : « (belles qui
ont visage de fée et parole de sucre, c'est dommage qu'elles
dérobent aux regards leur délicieux minois ! Le voile, cepen-
dant, n'est pas sans utilité, car il cache les laideurs et laisse
entrevoir les beautés ».
Il est fort agréable, ce café. A l'abri du soleil, on y laisse
fuir les heures, sur des divans très bas, à écouter « la cla-
meur aiguë ou grave des instruments à cordes » (Calcutta,
222) et à savourer du vin cuit en compagnie d'amis affectueux
et de compagnons aimables ((Calcutta, 222 v°), en attendant
le moment du repas, servi sur une nappe (çoufrah; de cuir
[Gulistan, p. 106, II, 6 et n. 1). Les joueurs de dés crient des
numéros: « il faut trois, six, mais il vient Irois, as » [Gulis-
tan, 345). Et, tout à côté, c'est une interminable partie
d'échecs, suivie attentivement par Saadi : ne faut-il pas « un
temps pour la poésie, les échecs et les historiettes? » [Çâhih-
Nâmeh, 27).
Ces jeux paisibles ne sont pas seuls en honneur ; aux
portes de la ville, d'autres s'exercent au jeu du mail : à cheval
[Boustan, 187), une raquette d ébène à la main {Gulistan,
253, V, 20 et Boustan, 363), ils se lancent la balle d'ivoire
[ibid .) (\m , trop souvent, franchit les limites du mail (Bous-
tan, 212). Mais ce sont là jeux de luxe: «la lutte, la chasse,
le tir à l'arc et le mail, voilà ce qui forme le guerrier » [Bous-
fan, 74). Et quant à la chasse, elle n'est guère pratiquée que
par les hauts personnages [Gulistan, 175, III, 20).
Ces seigneurs sont exclusivement de caste militaire : on les
voit peu dans les rues ; ils préfèrent vivre somptueusement
dans leurs demeures, à savourer l'odorante fumée s'exhalant
« du feu qui brûle l'âme du brûle parfums » (Calcutta, 273,
v^j et à se délecter « aux tons aigus et sourds, aux lamenta-
Il) Gulistan, p. 324.
(2) Çâhib-Nâmeli, p 73.
l/onSKRVATIO"* nu MONDE ElT^HIKUR 22<)
lions (If la llûlc tl du lulli -> (ialciilUi. 222 v°) sous les doigts
dt\s iDiisicit'iiiU'S pervcrsch [\ > \ il.s ne soilenl <jue pour clie-
vancher à IravtMS la campagne ou nu^nie partir c*n guerre
contre quel(|ue bande de brigands. Mai» aussi, à leur retour,
quel spectacle î Les prisonniers défilent, les mains attachées
au cou iliousf.in, 238); puis viennent les guerriers portant
drapeaux et timbales, insignes du commandement i M/V/.,
20S . Kl le popidaire reste en extase devant >< les hommes de
guerre armés d'épées et de haches, vêtus de luni({ues de sa-
lin et de ceintures d'or, les pages porteurs d'arcs et de car-
quois, les diadrmes ornés de |)ierreries •» Ihid., ItVJ . Colles
de mailles, castjues. flèches, boucliers scintillent au soleil
[H)i(I., 237 . Si les soldats portent la casaque de feutre mon-
gole sur laquelle ils passent le lasso en bandoulière (//>/V/.,
23H), les seigneurs et les officiers, eux, pour se garantir du
sabre el des flèches, revêtent un corselet formé de cent dou-
bles de soie 1 2 .
Mais rien ne vaut vraiment la splendeur du palais princier:
devant les portes ornées de lourds anneaux servant de heur-
toirs liou.sf.m, 359;. les pages tiennent de superbes chevaux,
dont la selle esl recouverte dune housse zinpouchl , en
attendant la sortie de leur maître \(iulis(an, 103, II, 5^. Cinq
fois par jour, une fanfare de trompettes et de tambours joue
devant le palais linu.stnn, 295), saluant le lever el la chute
du jour et, chaque matin, réveillant l'alabek par ses accords
stridents ïîouslan, 43; (iulist.m, '1)V^, \\ 20). Kl quelle
solennité fjrandiose, à l'occasion d'un avènement on d'un
deuil princier î C'est alors qu'amandes, pièces d'or el d'ar-
gent (3), pieu vent sur les cortèges : « Les grands attendent,
1 (cil el lecti'ur «rrt'«; loim les nobles comptent le temps et
(1) «< P«»rvort<^ coinnio iiiif j'inMise dp tiilh » (Calciilla, 300 xr*),
(2) Boutîan, p. 20H el Î3T : Giilislnn, p. l'.U, III, 2H (.. le ciniPlerrc Iran-
chflnt no cotipp pas la soie nioll*» »). Cf. Nanawi, llisloirr du Sullan Djelal
ed lùn Mankohirti (Irad. HoodaK, p. 22rt, infinr,. S.i.nii fait alluMon d «uire
pari au feu f^rëgeois [GuUtlan. 28r>, VI, 12).
(3 BoHjfan, 24ri el 2r>3, n. 17. Len rognurri (i or kliourdeh; .tv.h.miI
é^alemeol cours, coiuine menue monnaie ^Ciulislnn, 122, 11, 20).
233 TBOISIKME PARTIE. CHAPITRE III
l'heure. Les perle.s soiil répuiidues par des essaims d'es-
claves : les mains el les bras des jeunes filles sonl leinls (au
henné). Le prince el ses soldais, avec une lune (favorable)
el un grand courage, enfoiirclienl descoursiersde sangarabe,
alîn d'amener Saad Abou Bakr le juste le grand Ghâh, à
son palais. Au balcon, les femmes du harem prennent plai-
sir à éparpiller des joyaux » (Calcutla, 247 v»).
Ces seigneurs, ces guerriers, sont-ils aimés du peuple ? Il
est permis de se le demander, à lire certains passages de
Saadi ; parfois il oppose, semble-t il, l'érudile simplicité des
intellectuels de son temps à 1 ignorante arrogance des hom-
mes d armes : «■ Un çoiifi mettait quelques clous sous ses
cliaussures.Un officier le prit par la manche et lui dit : «Viens
ferrer mon cheval » Gulistrin, 207, IV, 3). Ailleurs Saadi
note que « le riche égoïste jette du haut de sa terrasse
poussière et immondices sur le toit de son humble voisin»
[Bousfrin, 60). Mais ce ne sont là que des échappées et, en
général, Saadi, ami de Tordre, révère profondément le pou-
voir sous toutes ses formes. A grand renfort de dialectique,
il défend les riches contre les collectivistes du temps [Gu-
liatan, 293, et suiv ), Il montre les vizirs baisant le pied du
trône royal, plaçant leur visage sur la terre [Gulisfan, 32, I,
4). Ailleurs c'est un solliciteur qui, en présence du prince de
Kharezm, « s'incline profondément, se redresse, se prosterne
de nouveau, la face contre terre, et se relève » (Bousian,
259). Et ces honneurs ne sont pas exclusivement réservés
aux monarques : en présence du qàdi, les notaires baisent la
terre en signe d'hommage [Galistan, 2.o!, V, 20). Quant
aux simples particuliers, ils se contentent, comme aujour-
d'hui, de se saluer en plaçant la main sur la poitrine (Gulis-
ian. 60).
Montesquieu dit quelque part qu' » en Orient on ne voit
guère que l'héroïsme de la servitude •>. Il est juste de recon-
naître que Saadi lui donne par avance un démenti et que,
s'il respecte l'autorité, c'est seulement tant qu'elle se montre
légitime et juste; il nesegênenuUementpourcensurer l'agent
l'obHBRVaTIOX du MOVOR RKT^RtBUR a3i
(le rilliil tjiii n'accomplil pns son devoir. Ainni : «« Ne dis pas
que les iiittiidinits gioiilons ^onl ceux (jiii veiileiil K* hicii de
1 lùal >' (yihil)-.\;imeft, p. 17;. Cet esprit d iiid(''|)C'ndance
lui vient au reste de sa condition de drvot rattaclu^ au çou-
lisiuf. Or. d'après certaines anecdoles de Saadi, on jiout
croire (jue les çoufis jouissait-nt d'une sorte d'inviolabilité
qui leur octroyait bien dfs liardies»es. Il fallait en ell'el ((u'ils
fussent bien respeclés pour se permettre, vis à-vis des puis-
sants de ce monde, des réponses de ce ^'enre : « lii roi dit à
un religieux : Te souviens! u jamais de nous ? Il répondit :
Oui certes, loules les fois <|ue j'oublie Dieu •• [Guhstnn, I I.'),
II. 1.*^!. Ailleurs, au roi ({ui lui dit: «■ Demande-moi quelque
cliose ». un derviche répond, ra|>pelant sans s en douter le
mot de Diogène à Alexandre : «- Je demande que tu ne me
donnes point de désagrément » i/hid., SI. I, 28). Un autre
enfin déclare h un prince : « Nous sommes les égaux au mo-
ment de la mort el nous vaudrons mieux tpie toi h la résur-
rection " Ihîd., WVl. II. i8). A ce franc parler correspond
dans Tàme du prince un sentiment de re.-^pecl pour ces sages
mal léché"- et niai velus; parfois même, il n'ose user envers
eux du (uloiemeut (ju il appli(|ue à tous ses sujets \(iulist,in,
j.n, n. I .11 est vrai (jue les plus hautes classes de la société
figurent dans les rangs des derviches, puisipTon y voit même
des vizirs revenus des vanités mondaines(rw///.s7/ï^j, 53. 1. \ o).
Cette indépendance du vo'di vis-à-vis du prince se trans-
forme en dédain lorsqu il]s agit de ses serviteurs: « Que va
faire l'homme de Dieu à la porte du wali > Çdhih-ynmeh,
69). Mais, à vrai dire, ces derviches sont ils si saints qu'ils
le croient eux-mêmes ou qu'ils veulent bien le dire ? Pas
tous, hélas 1 et Saadi se trouve contraint de le reconnaître :
<• Il y avait autrefois dans le monde une troupe d'hommes
troublés en apparence et recueillis en réalité ; aujourd hui. il
y a une troupe d'hommes recueillis extérieurement et trou-
blés intérieurement »' \(iu/i.s/.in, \'2i\. II, li.*'»). Autrement dit,
les faux dévots j)ullulent el l'on ne rencontre (jue trop son-
vent >« un homme ayant l'apparence des derviches, mais ne
lui TROISIEME PARTIR. — CHAPITRE III
professant pas leur manière de vivre ^ [Jbid., 293). Sans
doute, beaucoup parmi les çoufis pratiquent la règle dans
toute sa rigueur ; d'aucuns même vont jusqu'à vivre dans les
bois où ils mangent ce qu'ils trouvent [Gu/i.s(a?i. i 36, II, 34).
Mais en revanche, que de charlalans, sous couleur de reli-
gion I Les uns, sans cesse en voyage [Ihid.^ 162, III, 7),
vivent de ruses et de quémanderies ; d'autres, mieux rentes,
ramassent les miettes de quelque fondation pieuse (Gtz/i.ç/ari,
1 ! 4. II, 14) ; d'autres encore, les derviches de village (cheb-
gouk), ont organisé une industrie pieuse [Bouslan, p. 202) :
arrivant la nuit dans une localité, ils montent au minaret de
la mosquée et chantent à tue-tête pour exciter la charité des
notables. D'autres enfin, les qalandars, font particulièrement
horreur à Saadi : « Si un jeune homme habile chez les qalan-
dars, dis à son père : renonce de sa part à toute vertu » [Bous-
tan., 300). En réalité ils méritent leur médiocre réputa-
tion : demi-nus, ils ressemblent plus à des vauriens qu'à des
dévots et ne pensent qu'à remplir leur ventre : u Les qalan-
dars mangent tellement qu'il ne reste plus dans leur estomac
l'espace nécessaire pour respirer, ni, sur la table, la portion
de personne » [Gulistan, 326) (J). Ils ne sont du reste pas
les seuls à manger gloutonnement et Saadi, de même que
Perse censurant les orgies des sujets de Claude et de Néron,
s'écrie indigné : « Quand je vois ce ventre énorme, je ne sais
en vérité si c'est celui d'un homme ou une outre gonflée de
vent ; le corps, pour toi, n'est qu'un garde-manger. Oîi y
aurait-il place pour la méditation dans cette lourde masse de
chair d'oi^i le souffle s'échappe avec eff'ort? » [Boustan., 256).
Bien supérieur au derviche errant paraît le savant, celui
qui a étudié soigneusement les choses religieuses. Son mé-
rite n'échappe à personne, car « à cause de la douceur de ses
discours, de la force de sa parole et de la grandeur de son
éloquence, on s'empresse de le servir et on le traite avec
honneur, en quelque endroit qu'il aille » [Gulislan., 187,
(l) Sur les qalandars, cf. Sacy, i\ot. et extraits, XII, p. 341 (n. 1), 342,
et cf. Gulislan (trad. cit.), p. 326, n. 2.
l/OPSBRTATION DU MONDB RXT^RIRUn a33
III, 28). Il vil en j^i-néral sans profossioii bien dtHerminëe,
car il estime tjiie «» les emplois ne sont pas le fail des hom-
mes de sens >> [dulislun, 312). Aussi avec t|iielle condescen-
d;ince orgueilleuse le savant ion du moins I homme cpii s'es-
time on (jue l'on a répiili- li-i i accepte tons ces hommages,
daignant accorder à ses admirateurs « le regard de pitié que
le savant jette sur l'ignorant » linusfnn, ii> ! A vrai dire,
Saadi, semhle-t il, codait bien ipiehjue peu soi-même à ce
travers, si l'on en juge par certaines de ses réflexions, plei-
ne-^ de mtiigue arislocraticpie : <« Vn coup de sabre sur la
tète fail moins soiillrir (|ue les insultes de la rue et les cla-
meurs du vuluaire » Ihmstan. 287). Ou encore: '« Il ne faut
pas regretter la pei-le de l'homme (jui ne se distingue ni par
la plume ni parl'épée » [lioustan, 7o).
Quelle opinion a-t-il de son siècle? Dans un vers de la
dernière des Moulammaât. il s'écrie : « Il faut à ce siècle vil
une llèche dans le dos > (1). Kst-ce là une boutade poéti(jue,
ou faut il au contraire prendre au sérieux cet hémistiche?
l'un et l'autre à la fois. car. si Saadi exagère certainement
pour les besoins de son poème, on trouve par contre dans son
œuvre une série de passages qui ne laissent aucune illusion
surce (pi il pensait de ses contemporains. Il suffit d ouvrir
. le Boustnn j). oOi) pour y voir (jue médisance et calomnie
llorissaient alors comme aujourd hui. Aussi Saadi ne se forge-
l-il aucune iinaginalion llatteuse : «Je me laisse aller à la
société, bien (pi'elle ne soit (ju'hvpocrisie >» [Çàhih-.^dmch,
p. (J7).Y-a-t il en effet l'ombre de sincérité, par exemple dans
celte manière de se faire des excuses : <« Nous plaçâmes la
tète sur les |)ied>* l'un de l'autre, en guise de réparation, et
nous nous embrassâmes sur la tète et le visage " [Gulist.in,
300). Il se méfie de ses semblables, par définition, car tous
sont ou méchants ou menteurs ; méchants, car - si tu racon-
tes les misères, on s'en réjouira •> ^Calcutta. \\)Ct) ; menteurs,
car <« donner un écrit de sa main est une mauvaise idée, la
(l)Ti^d (]l Hiiart. in 11* Conjfrôs dm oucnl8li>lc«. Paris. IS9T. .!• sec-
tion : Le dialecte de Cbiraz daas Sa'di, p. 85.
234 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE III
plupart des gens manmiaiil de bonne foi » [Çâhib Nâmeh ,
15*2;. Les pauvres gardent-ils au moins la simplicité du cœur
et la Iraîcheur de lame, si rares chez les grands et les riches?
Ah oui ! u Pour un dinar donné, le mendiant m'a souhaité
que, pour moi, le trône se joigne au bonheur. Si jeiie lui avais
pas donné mon dinar, il m'aurait maudit - {Çàhib-Nâmeh,
169). Du reste tout le monde ne pense qu'à l'argent: « Tout
ce qui voit de l'or fléchit la tête, jusqu'à la balaHce an fléau
de fer >' [Gulisfnn, 233. V. 20). Les femmes mêmes leur
dévotion est loin d'être désintéressée [Boustan, 355). Quant
aux fonctionnaires. « sur cent agents, tu trouveras à peine un
honnête homme » {Boustan, 2\). Ils sont avec cela persécu-
teurs: <> Un lieutenant de police destitué, co?iiment fera-t-il
pour renoncer à tourmenter autrui ? » Et. sur leur vénalité,
toutes les imaginations sont permises: <( Je qadi qui man-
gera cinq concombres qu'il aura reçus comme épices le con-
firmera dans la possession de dix champs de pastèques »
[Gulisfnn, 'm i. Quant aux mœurs privées, elles sont loin
d'être édifiantes, qu'il s'agisse de personnages ou de vauriens.
Lisez sur ce point le Giilistan (230, V, 20) et dans le Boustan
(p. 300), les imprécations de Saadi (imprécations, c'est en
vérité beaucoup dire car le naturel poli l'emporte toujours
chez le poèlei contre les sinistres déhanchés de son temps.
Comment, dans ces conditions, la vraie piélé pourrait-elle
exister ? Non seulement on vit dans le péché, mais encore on
ne laisse pas en paix ceux qui vivent auprès de Dieu : « Vois
ces indignes, ils s'attroupent en disant : La j)iélé est stérile,
c'est un piège, un gagne-pain » (Boustan. 304) (1). Il est
vrai que le clergé, accordant trop souvent à la lettre le pas
sur l'esprit, donne prise à ces basses attaques, oubliant que
« le but pour lequel le Coran a été révélé, c'est afin que les
hommes acquissent de bonnes qualités et non afin qu'ils
lussent élégamment un chapitre écrit » [Gulislan, 336).
De son siècle, Saadi a naturellement partagé les préjugés
(1) El ;6id., toute la page 202.
l'observation du mondk RXTr^HiBun a35
scienlifi'jiics ; niais il aborde raivinenl ces siijuls. A deux on
Irois reprises, ii parle de la lerrc (jii'il imaj,Mne pontée sur les
eaux (I ). (À'Ile terre, il la siippo-ie irnriv>bilo au cenlro do la
«,'r.ivilalion des éloiles i2i; il croit h 1 astrologie et à l'iii-
lliienoe des planète** sur la destinée humaine. Ainsi [Ifoustan,
\ 12) : «t Mercure traça en lettres noires sa destinée. » Sur les
sciences naturelles, outre (jueltjues lignes du Gulistun JHI,
W, M] relatives à la génération des scorpions et sans doute
inspirées par quelque récit, Saadi, comme ses contempo-
rains (3). admet (jue les pei les sont créées j)ai- la pluie 'lions-
tan, p. 181) (il. Kntiu, les survivances religieuses: la
crovance aux dîves, anlitpies démons de l'Iran, réapparaît à
plusieurs reprises, el très nettement, dans le /inustnn (5),
alors qu'en rcvanclie Saadi partage, à 1 égard du chien, i hor-
reur éprouvée par les Musulmans de Perse : <- Ne lave pas
sept fois un chien dans la mer, car lorsqu'il sera mouillé, il
en deviendra plus impur (tii... Il n'y a pas d être j)lus vil
que cet animal !7). » Revirement curieux si l'on songe ipTaux
(1) ('alcutli, 210 v* : u Di-^u a pi «nié le* pics 'les monts sur la torn^. de
sorle que le tnpis terrestre sf. tient solidement i la surface de l'eau. •■ Cf.
CiilcultH, 218 V» et 221 i* : «i Le monJe est posé sur l'eau » ; Çdhib-\ii'neh,
p. 20: « T.«nl qu^' le iiond»* «e liendra sur l'eau. •>
(2) CaicuUa. 227 : « Tant (|ue les étoiles tourneront au ciel, tant que la
terre restera lixo. »
(3) « Les Orientaux croient que les perles sont le résultai des gouttes
de pluie qui lonihonl [)ar linsard en nvril dans îles huiires eiUr'ouvcrl«*s >•
(G.ircin de Tassy. Revue orienlaU et nin^ricnine, IS.'iO). (If. 1 opinion contra-
dictoire de ninia«'hqi. Cosmographie, Irad. .M«'lir»Mi, p. 80.
('») Mo {addessi, p. 101, noie: «...l'idée qu'ont les Orientaux que c'est
l'eau de la pluie qtii forme les perles de la mer. Il y a une trè» jolie fable
à ce sujet dans I ; Rotistan. i II s'ajfil génér.iiemenl de la pluie qui lomhe
à I époque du Nisan.
('.'>) fionttnn, p. 2X0: < Quand un dive s'est échappé «le sa prison, «ucune
adjuratiim ne peut l'y ramener >• ; p .157 : « Les ordres que te dicte un dive
repoussant. » D'autres passages utilisent los dîves comme simple élément
lie comparaison : •< l! a la laideur du dive » 'p. .101) ; << C'est un «live qui
fuit le genre humain > (p. .lO.'i) Ailleurs, au dive se joint la péri : « La
femme laide comme un dive, mais lionne, l'emporte sur celle qui, aux
attraits île la péri, joint un c«r.u ti'-tc iiifi>inni >
(«) Gululan, 271. VII, 1.
(7) Boutlan, 208.
236 TROISIÈME PARTIE. CHAPITRE IIÏ
yeux des anciens Perses, ancêtres de Saadi, le chien repré-
senta, tout au contraire, l'animal purilicateur par excel-
lence (1).
Ce ne sont pas, au demeurant, des informations scienti-
fiques qu'il convient de chercher dans Saadi : elles supposent
une logique et un dogmatisme dont il s'est tenu aussi loin
que possible. Sans doute, les quelques renseignements qu'il
fournit sur la vie populaire de son temps ne sont pas négli-
geables, mais ne doivent pas faire oublier qu'il est avant tout
un poète, valant, non par l'unité de la pensée, mais par sa
propre universalité : bien plus que des idées, il exprime des
sentiments, sentiments particuliers à son temps, et cela sur
les tons les plus vai-iés, le plus grossier comme le plus suave.
Or, ses sentiments se muant presque toujours en images, il
devient indispensable d'examiner ses moyens d'expression
poétique.
(1) Cf. Chanlepie, Man. Hist. religions, p. 463 et 471.
CHAPITMI-: IV
LES MOYENS D EXPRESSION
A. — Shjle.
Dans sa Iraduclion de la linrduh du poêle l'-gyplien
Bousiri (1212-1290), conlemporaiii de Saadi, M. liené
Basset écrit : << Il a à nos yeux une autre qualité : c est «ju'il
eA à peu près exempt des traces du soulisnie cpii commençait
dès liirs à exercer son inlluence si néfaste sur la poésie orien-
tale. Mis en parallèle avec certaines pièces de 'Omar ben Kl
Fàredli, par exemple, c'est un chef-d'œuvre de simplicité
élégante, bien (jue le goût euroj)éen ne laisse pas d'être clio-
qué f"ré(juemmenl par les allitérations et les jeux de mots si
fréquents dans cette littérature de décadence m (p. X-X.I).
Supprimez de ce jugement le trait liiiiil : « littérature de dé-
cadence ». et vous connaîll'ez les principaux mérites du style
de Saadi : la clarté et la simplicité. Sylvestre de Sacy les
avait rapidement discernés, lorsqu'il déclarait [Bioijrupliie
universelle de Michaud) : « Saadi use de l'hyperbole et, en
général, du style ligure, avec bien plus de sobriété «pie la
plupart des écrivains de l'Orient, et tombe rarement dans
l'amphigouri et l'obscurité» (I i. Sans aller jusqu'à penser
avec (iraf \Hoseng;irtcn, p. XXII) que « le /iouxf.tn et le
Gulislmi se distinguent par la forme plus (jue par le con-
tenu •», il faut reconnaître que le style de Saadi, si l'on en
elTace (juehpies taches, n'est pas éloigné de la perfection et
fait supportai- miiiut poème du diw.in, si vides ou m banales
(1) Semclcl (liad. du Gulutan, inlrod., j». 11-1.) s'cxpnuic à peu j^irèsde
mèiue.
238 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV
qu'en soient les idées. Les écrivains antérieurs, il est vrai,
olFrenl un style plus sobre et plus nerveux, soit en vers, soit
en prose (i). Mais il est juste d'ajouter que, par comparaison
avec les écrivains qui l'ont suivi : Wassaf, Ali Yazdi et sur-
tout liousaïn Waïz Kachafi (2), Saadi présente presque
toutes les qualités qu'on exige d'un styliste classique.
Classique par rapport aux Orientaux, naturellement. Car,
en dépit de sa pureté, bien des traits qui ravissent les Per-
sans deviendraient, aux yeux des Européens, le comble de
l'alTélerie et du mauvais goût, si l'on oubliait, en lisant un
auteur étranger, que chaque peuple possède son esthétique
particulière. De quoi se compose donc essentiellement ce
style et quels en sont les défauts les plus sensibles ? Saadi,
on la vu, développe toujours ses thèmes poétiques à coups
d'images. Celles-ci forment donc la base de ses moyens d'ex-
pression et l'étude de son style se ramène somme toute à
celle de ses images. Cliez Saadi, pas de grandes périodes,
mais une idée s'enchaînant à une autre idée, et l'idée jamais
abstraite, mais alliée étroitement à l'image. Par exemple
[Boustan^ p. 279] : « Il ne faut jamais dire une parole sans
y avoir réfléchi, ni couper une étoffe avant de l'avoir me-
surée. »
De là toute la saveur de ce slyle, saveur si relevée qu'elle
ne disparaît point, même dans une traduction. Pas de séche-
resse, pas d'abstraction, mais une pensée réalisée dans une
image, lune et l'autre confondues étroitement au point qu'on
se demande si, dans lespril de Saadi, l'idée pouvait exister
sans son correspondant concret. Combien de passages où
l'image se relie même si intimement à la pensée qu'elle n'est
autre que l'idée même !
Sans doute le procédé comporte ses dangers, comme au
(1) Par exemple, le Qabous-Nâmeh « much less ornale Ihan books like
ihe Gulislan » (Browne, Literary Hist., II, 282).
(2) Sur Housain Waïz, auteur de VAnwari Soahaïli, cf. J. A., 1853 (VI),
p. 68-69 ; Sacy, Not. et extraits {ih\S. X, 94-2H) : du même, Kalila eiDimna
(lbl6, p. 42-47).
LES MOYE>K DhAFlUSSION qSq
reslo tous les proci'di's : il est (Certain (jiie, bien soiivt'ul. lus
iiniçjus, lro|) iioinbreiisos el Irop press<los, niiiseiil il la con-
cision (lu ri'cil. LeGulist.in -emble, à ce lilre, plus modéré
que le Jlousi/in, pourlani plus agréable à lire el plus propre
à inspirer une juste conception du génie de Sauli. (]et excès
d'images, allant jusipi'à l'enlassenient. apparaît principale-
ment dans les panégyri(|ues. I*ar exemple, en pariant de
Chams ed i)in .louwaïni : • Monde de science, nuage de
iniignanimitt'*, mine de bonnes grâces, étoile de prestige,
merde noblesse. cliAleau fort de palieiice..., soleil de foi...,
pilier de la i|ibla de 1 Islam •■ iC;dcutla, p. 221) v"! ; ou
encore: « lune de puissance, port de paix, liant soleil de reli-
gion » (//>/(/., 233), Ou bien I image, dans le même cas,
reste isolée, mais s'enfle el dégénère : < Que la durée de
ta vie soit de mille ans el que chacun de ses mois soit un an
nouveau el une floraison de mai » ((Calcutta, 234),
Chez Saadi, dès «pie l'image ne s'appuie plus sur une idée
morale, elle perd de sa force : c'est dire que les descriptions,
rares au demeurant, soni en général médiocres paice que
composées de clichés sans relief. Qu'on lise par exemple la
description d'un cheval [Hnus(an, 1 IH). Il est un cas, lonte-
fois, oùleslyle de Saadi, simplemeni narrateur, garde toute
8a verve: c est lorsqu'il plaisante. Ainsi, dans le Boustun
(p. 2<St), l'histoire si humoristique de la jeune lille saisie par
un nègre monsirueux et qui, délivrée par Saadi, maudit ce
dernier en s'écriant, telle la Marliue de Molière : « VA s'il me
plaît à moi d'être malmenée I » Une conclusion morale sur
les désavantages de l'indiscrétion termine naturellement l'a-
necdote, maison peut la supprimer sans que le sens général
en soulfre et il reste un récit plein de couleur et d entrain.
A vrai dire, Saadi n'est pas toujours très scrupuleux dans
le choix de ses images. Parfoi'^. il applique à la même idée
el dans le même passage deux images totalement dillercnles.
Ainsi [dulistiin, 336) : <« Un savant qui ne pratiijue pas les
bonnes œuvres est une abeille qui ne produit pas de miel. »
Kt, même page: «• Un .savant (pn ne pratique pas les bonnes
2^0 TROISIEME PAKTIË. CHAPITRE IV
œuvres est un arbre sans fruils, » Ou bien, en divers passa-
ges, il emploie pour le même sujet des images donl la réu-
nion marque quelque incohérence : par exemple à « la main
du destin » [GuliatHn, 44 et Calcutta, 246, ou à « la flèche du
destin » (Calcutta, 222) s'oppose le « pinceau du destin »
[houstan, 3) avec lequel <> Dieu trace une image sur le sein
maternel » Souvent les images ne se répondent nullement : à
plusieurs reprises, il compare simultanément le monde d'ici-
bas à un caravansérail et à une maîtresse incon:?lanle, ou
bien encore n'hésite pas à écrire ce vers si peu cohérent:
c< Toi qui a mis une lampe sur le chemin du vent, lu es une
maison sur le passage du torrent » (Calcutta, 239 v°).
Ces procédés, il est vrai, ne lui sont pas particuliers : on
les retrouve chez tous les poètes persans. Saadi n'a malheu-
reusement pas cru pouvoir se soustraire à cette mode des
comparaisons absurdes dans lesquelles il montre, semble-t-
il, plus de discrétion que bien d'autres. Les comparaisons de
ce genre, il les a principalement appliquées au corps humain.
Quelques exemples sont ici nécessaires.
Dans le Gulistan (p. 232), donnant au vers virgilien :
Ora puer prima signans intonsajuventa
un fâcheux pendant, il compare la barbe naissante d'un
jeune garçon aux points- voyelles usités dans l'écriture arabe
(fatha et dhamma) et, au cours de la même historiette, il
ajoute (p. 233) : « les fourmis sagilenl autour de la lune »,
c'est-à-dire : «. les favoris s'agitent autour de ton visage » (1).
Dans le Boustan (p. 2B7) : « On admirait son visage au men-
ton arrondi, sans comprendre comment le cyprès pouvait
donner naissance à une pomme. » On devine que le cyprès
correspond à une jolie taille et la pomme à un visage aux
fraîches couleurs. Ailleurs [Gulistan, 18) : « le dos voûté du
ciel s'est redressé de joie ».
(1) Le même sujet, la barbe naissante, est repris sous une autre forme
dans les KhaLilbât (Calcutta, 47.3, n' ,3) : « Ne tire pas celrait affreux sur
la marge de ton registre, car il gâte la splendeur de ton livre. »
LE8 MOYB.>8 d'bXPHKHHION S^I
Incohérence ol ubscurilé, dira-ton. Mais il v a pin»
compli(|n(^ encore, lémoin celle coni|)aiaison enij)rnnlce au
jeu dn mail > (iuli.sf.in, 'IVù^, \\ "20) : <« La fi^nie de mon ami,
au milieu de* boucles de sa chevelure, semble une boule
d'ivoire dans le creux de la racjuellt* d ébène. » On ne sait
vraiment si l'on doit s'irriler ou sourire en présence d un tel
prodi^'e de ^'ont^orisme. Le même jeu du mail donne nais-
sance à d'autres imaj^es aussi forcées : « Apporte la vaste
étendue de l'hippodrome de la volonté, afin que l'homme élo-
(juenl pousse la balle » (^/'{///.$///n, 11'J. 11. Il ^lulrement
dit : « écoule bien » >. Aulre image, forcée au point d'en de-
venir incohérente, empruntée non plus au mail, mais aux
échecs (il s'agit d'une discussion; : (. Chaipie pion (ju il avan-
çait, je mellorçais de le repousser, et chaque roi qu'il procla-
mait, je le couvrais d'une reine, jusqu'à ce qu'il eut entière-
ment joué l'argent de la bourse de la pensée et lancé toutes les
tlèches du car(juois de la dispute >> (iu/i.st.in, 304, \ II, i8).
Le roseau, lui aussi, concourt à ces effets de mauvais goût,
par exemple dans ce vers du Boustnn i p. 281 1, quekiue peu
puéril, mais dans lequel un oriental découvrira certainement
la plus remarquable tinesse : u Le calame ne parle que lors-
qu'il a le canif sous la gorge. » D'autres passages, il est vrai,
sont plus déplorables encore : « Quel oiseau rapide, calame
tenu par une main heureuse, écrit en un clin d'œil, s élan-
çant do rOcéan à la Méditerranée, et plonge à cha(}ue instant
dans les profondeurs de l'encrier, de sorte que l'eau de la
vie dégoulle de son bec ? » (Calcutta, 226 v").
A ces images obscures ou trop artificielles, il faut joindre
les images outrées. Par exemple, en parlant d'une danseuse
[Boustnn, 150. : « La flamme d'une bougie, (pie dis-je ? la
flamme des cœurs qui brûlaient autour d'elle mit le feu à sa
robe. >> Les larmes jouent un rôle prépondérant dans ces
images que gâte 1 hyperbole. Ainsi {Boustan, 148): « Ses
pieds s'enfonçaient dans la boue formée par les larmes qu'il
répandait. >■ Kt, j)lns eniore \Gu/istnn, 10^,111. li;: <• 11
était surprenant que la fumée des caurs des créatures ne
M. — i6
2^2 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV
se rassemblât pas, afin qu'elle devînt un nuage et que des
lorreuts de larmes en fussent la pluie » ; ou bien [Guliséan,
9j ; (V Je perçais la pierre de la cellule de mon cœur avec le
diamant de mes larmes. » Enfin, celte dernière (Calcutta,
247) : « Gomment tenir la bride aux larmes? La main de la
résignation les a laissé échapper. »
Fautes de goût relativement rares dans l'œuvre de Saadi ;
par contre, on y recueille facilement une ample moisson d'i-
mages, sinon toujours neuves, du moins toujours vivantes.
Ces images sont de deux sortes: métaphores et comparai-
sons. On se souvient qu'un écrivain, dans la comparaison,
exprime les deux objets que son imagination rapproche, et
que, par contre, dans la métaphore, il sous-entend l'un des
deux termes, créant ainsi une sorte de symbole. La poésie,
sans aucun doute, gagiie à s'exprimer par ces métaphores
qui fondent les uns dans les autres les sentiments et leurs
expressions concrètes. Mais la comparaison, elle aussi, se
soutient en poésie ; les classiques français du dix-septième
siècle l'ont employée presque exclusivement et il ne semble
pas que leur art en ait souffert le moins du monde.
Ici encore, quelques exemples pris à Saadi préciseront la
distinction à établir. Par exemple, cette comparaison (Bous-
laii, o7j : « Les routes qui conduisaient à ce château-fort
étaient tortueuses comme les boucles de cheveux de jeunes
fiancées, et, au milieu de ses massifs de verdure, le château
offrait l'aspect d'un œuf posé sur un plat de lapis-lazuli. »
On voit tout de suite les deux termes de cette double (igure,
artificielle et contrainte, néanmoins typique.
Voici d'autre part une métaphore d'une beauté assez mys-
térieuse dans sa concision et qui fait penser à certaines méta-
phores des romantiques français [Boustan^ 264) : « Le fleuve
du sommeil les emporte dans ses ondes. » Les deux termes
de la comparaison qui serait : « Le sommeil tel un fleuve... »
se trouvent étroitement assimilés l'un à l'autre. Au reste, la
langue persane, grâce à sa grammaire si imprécise, peut
créer à l'infini des effets de ce genre. Ainsi, au début du Gu-
LBM M0YEM8 P RXPRP.SKION
a/i3
listan:<i Le tapissier du vent matinal,.... la nourrice du
nuage priutauier » (c'est-à-dire : « le vent genibiabie à un
tapissier, le nuago pareil k une nourrice.» • Kn Iraduihanl lit-
téralement, on obtient : « le tapissier-vent », « la nourrice-
nuage »>(!). Kt c'est après tout quel(|ue chose de très sem-
blable au « buiil-peuple » ou au «< pàtre-promontoire » de
Ilugo.
Parfois même, Saadi niinil, à <lt•s^ei^ ou non, les deux
procédés dans une même phrase. l*ar exemple (Calcutta,
247) : (. Que te sert de baisser la tête vers la terre, comme une
violette, et de tremper les deux narcisses avec les larmes du
chagrin inutile ? «» On le voit : d'abord la comparaison
«« comme une violette », puis, aussitôt, la métaphore des
narcisses (jui désignent deux veux baignés de larmes. Et
voici la forme inverse, métaphore suivie de comparaison
{Boustan, ."iU) : « .Jadis ma bouche laissait voir deux rangées
de perles solides comme un mur de britjues argentées. »
De même que ces métaphores diluèrent, somme toute, de
celles qu'on a coutume de rencontrer dans les auteurs euro-
péens, de même un point particulier dilTérencie les compa-
raisons : alors qu'en Orient on compare en général les êtres
inanimés aux êtres vivants, c'est tout le contraire en Europe
où, au lieu d'écrire par exemple, comme en persan : « une
rose fraîche comme un visage », on écrit : « un visage frais
comme une rose ». On perçoit aussitôt combien, en certains
cas, l'image peut ainsi s'étriqiier, notamment lors(jue 1 au-
teur unil dans la même figure de rhétorique deux termes,
1 un emprunté aux splendeurs de la nature, l'autre aux attri-
buts humains (2i. Ainsi cette comparaison si mièvre (Cal-
cuit,). L'iri; : (. Le jardin se crispe de frissons, sou> le vent
(1) Plus tard, Ilousaïn Wafz, outrant le procédé, tombera dans l'inintel-
ligible : « l'oiseau-cœur » (lecœur iuconstant conœe un oiseau), < le plon-
geur-intuition. >
(ï) Le procédé, mais voulu celte foi», se rencontre parfois dan» la litté-
rature française. Ainoi ce vfrs de P»ul Kouif;»' I ^ f '■ fi «m. n,t,e
était couleur d'un gant gris-perle, i
2^4 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV
prinlîinier, de même que le front d'une jolie femme en colère
se couvre de rides. » Et, d'un autre jardin (Gulisfan, ['SI, 11^
34 : (« Ses rases rouges étaient comme la joue des belles, ses
jacinthes comme la boucle de cheveux des amantes. » A pro-
pos d'une fleur [Gulistaii, 14) : .( Sur la rose rouge étaient
tombées des perles de rosée semblables à la sueur sur les
joues d'un joli garçon irrité. » Tous les éléments de la nature
se trouvent ainsi métamorphosés, par une sorte d'anthropo-
morphisme littéraire : les arbres, la pluie, la nuit. Ainsi :
Sur les arbres était une chemise de feuilles semblable au
vêtement de fête des gens heureux» [Gulisian, \i). C'est
ailleurs « le nuage semblable au porteur d'eau, l'outre sur
l'épaule » {Boiistan, 32oj ; ou bien encore la nuit qui « telle
qu'un prédicateur vêtu de noir, tira lentement du fourreau
le sabre étincelant du jour » [Ibid., 332).
Un degré de plus, et le même procédé s'applique aux sen-
timents et aux idées. Ainsi : '-< Ma pensée, timide comme une
nouvelle mariée » [Gulistan, 17), Ailleurs, voulant exprimer
la vanité et l'inconstance du pouvoir, Saadi écrit: <^ La fian-
cée de la domination n'a aucune fidélité envers ses fiancés »
(Calcutta, 246) ; ou bien encore, au sujet des tourments de
l'amour: « Son cœur, semblable à un fer à cheval, était
exposé à un feu ardent » {Gulistan, 230, V, 20). On le voit,
le poète n'hésite pas à réaliser l'union de l'idée et de l'objet
même le plus humble.
Mais ces images qui pullulent en son œuvre, il faut les
classer et en déterminer les éléments. A quelles sources
a-t-il puisé, tant pour ses comparaisons que pour ses méta-
phores ?
A la nature, d'abord, et sous tous ses aspects. Soleil, lune,
nuit, nuages, eaux, montagnes apparaissent tour à tour, et
ici encore, des exemples s'imposent. Voici des comparai-
sons : « Sa vie s'évanouissait comme le soleil qui disparaît
derrière la montagne » [Bous/an, 263) (1); « une fille belle
(1) La même image est reprise (Boustan, 268) : « Les gens de mérite
disparaissent comme le soleil derrière le nuage. »
LE8 MOYRNS Ii'lCXPRESSION Sl/iD
comnu' la lu ne . ilhid., 2Mii : « un «^t'niil long comme une
niiil (i'iiivcr » (Ibid.) ; « il s'enfuil, part-il nu sombre nuage
qui passt' an-dessus d'un riant jardin « (//*/</., 'IK'}) ; n le re-
venu esl une eau courante el la vie une meide (jui tourne »
[CÊufisf.in, 277) ; « rarni(''e s'avançait, lumultueust* comme
les vagues de la nu r » {linustnn^ <)2); « viscomnic une nion-
la'Mie solilaiie. dans la retraite el dans le silence • Ihid.,
27H) (t) ; <« la vie esl une neige exposée au soleil de juillcl «
{Gulisfun, 11).
A ces comparaisons tirées de la nature répondent les mé-
taphores : f< la neige des ans » [llousinn, 1()2) ; « la pluie de
la niis('ricorde de Dieu, la table abondante de ses bienfaits m
((îu/isf,in, 1) ; « les fruits du jardin de la vie » {Ihid., 32).
Certaines sont, ou |)lus obscures : «< peseniv. d'air »> (liniis/.in,
216), c'est-à-dire : <• diseurs de futilités », ou plus compli-
quées et. |>arlanl. j>lus lourdes : « allumer le flambeau de la
poésie à la llanime de l'inspiration » [Ibid., 233) ; « éteindre
le feu du timiulteavec l'eau d'une résolution .«age...(6^w/.2oi).
Des pierres précieuses, Saadi ne lire guère que des com-
paraisons : « Les cœurs possédés de la sainte folie de l'amour
ressemblent à des rubis épars au milieu des pierres > (lious-
t:m, 127); « paroles (jui se déroulent comme un collier de
perles » {Ibid., 30j ou " (|ui se répandent comme un Ilot de
perles » {Ibid., 21).
l'n revanche arbres, fleurs el fruits lui servent à la fois
pour des comparaisons el des métaphores.
Les arbres : « Le peuple esl un arbre fruitier qu'il faut soi-
gner )» {Jiousf.'in,'3i : >' la vraie dévotion e-^l un bel arbre qu il
faut soigner » (Ibid., 217) (2) ; « trembler comme la
feuille du peuplier » [Ibid., 102) ; « les belles à la taille
(droite') comme le buis» [Ibid.. 2r) ; « le diable élancé
comme le pin >* (Ibid., 28). (Jiianl an\ métaphores, c'est
l'homme cultivant <« l'arbre de la générosité » [Ibid., 201),
(1) ■ Debout d»n» sa montagne el daii.s sa volonté » (Hugo, liurgravet).
i2) Snadi ôrrit. p«r contre, sur le nu'nio snjrl fUoutlnn, 2i7) : »< Une dé-
votion de faut aloi, c'est un étang au fond duquel il n'y a que rase. »
246 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV
V l'arbre des espérances » [Ibid.^ 54), « l'arbre de la bienfai-
sance » {Ibid , 40) ; c'est, d'autre part, l'arbre renversé vsym-
bolisanl la mort des princes (Calcutta, 246 et 248).
Les comparaisons empruntées aux plantes (fleurs, fruits,
légumes) sont assez nombreuses, les unes pesantes, les autres
amusantes par leur imprévu. Ainsi : « l'époux et l'épouse
doivent être comme deux amandes dans une seule écorce »
[Boustan, i56) (1) ; « les vertus sont en lui à profusion
comme les pépins dans l'enveloppe de la grenade » (Cal-
cutta, 235) ; « s'épanouir de joie comme un rosier » {Bous-
tan^ 262) ; « nu comme une gousse d'ail » ilbid.^ 113 et 285) ;
et cette dernière, si lourde (Boustan, 187) : « l'homme dé-
pourvu de mérite, s'il se flatte de ressembler à l'amande sa-
voureuse du pistachier, n'est en réalité qu'un assemblage de
sèches membranes comme l'oignon ». Les métaphores sont
plus rares, plus compliquées aussi, se rapportant plus parti-
culièrement aux idées mystiques. C'est par exeinple leçoufi
qui (( pour obtenir la rose se laisse déchirer par le buisson »
[Boustan^ 127) et qui a semblable à la grenade entrouverte,
sourit, tandis que son cœur saigne y>(lbid.). Ailleurs, pour
dépeindre un vif chagrin : « La racine de sa joie était coupée
et la rose de ses désirs flétrie » [Gulistan, 266, VI, 5).
Les animaux, eux aussi, concourent aux comparaisons et
aux métaphores de Saadi. De même que la rose, on doit s'at-
tendre à rencontrer le papillon, cher à la poésie persane :
M Comme des papillons attirés par la flamme » (Boastan,
281 j ; la mouche, qui grouille dans tout l'Orient, intervient
naturellement : « on le chassait, mais, semblable à une mou-
che qu'on éloigne du sucre, il revenait aussitôt » [Thid.^
148j et, dans le Gulistan (p. 139) : « le docteur de la loi,
lorsqu'il s'est abaissé pour obtenir les biens de ce monde
méprisable, ressemble à la mouche dont la patte reste dans
le miel » •; la comparaison : « j'errai çà et là comme un scor-
pion »> [Boustan^ 334) évoque la démarche oblique et tor-
(1) Comparaison analogue, Gulistan, 228, V, 8.
LB8 MOYENS n'RXPRtflSIO?» 2^7
lueiise de celle bôle nhrimanienne, si frt'quenlo en Pert*e.
r.nliii, les animaux clonu'sli«jues : le bd'uf donl le maître (jni
lui lail lirer la olinrrue sans rojiandre de semence ressemble
à •« celui (jiii a rludii^ el n'a pas mis sa science en pratique •> ;
l'âne ipii, lors(|u il reste emp^'ln^ dans la boue, fait Bonj^'cr,
ou à un (jadi embarrassé (ffousf,in, 1H9), ou à un liomme
esclave de ses passions ' liou.sf/m . 80() . Les métaphores ti-
rées des animaux semblenl sinon plus variées, du moins plus
fréquentes. L'inévitable papillon, s'élançanl vers la bougie
allumée qui l'éblouil. symbolise l'amant accourant vers l'ob-
jet aimé, soit cpi'on rinterprèle dans le sens mystique ou
simplement amoureux (I i. Au sujet d'une épouse désagréa-
ble, Saadi, songeant peut-êlre à soi-même, s'écrie plaisam-
ment : «< Quand le perrocpiel a pour compagnon de cage un
corbeau, il s'échappe avec joie » [Boust.m. 296). Mais le che-
val surtout lui sert à animer des senlimenls divers : « le che-
val de l'élocpience » [Gulisfrin, 300 el 309. VII. 18). .< le
coursier de la raison »> [Bousfan, 5), « le cheval de la mort •>
(//)/V/,, 50). Va non seulement le cheval, mais encore ses
accessoires : d'une part « les rênes du libre-arbitre » iGu/fs-
tnn, I if). II. il i ; « les rênes de la patience s'étaient éch;«p-
pées de leurs mains » [Gulistan, 1()8, III, 1 i) (2), « l'indi-
gence relire les rênes de la main de la crainte de Dieu •>
(//)/'/.. 300 : d'autre part « l'arène'de la discussion >- (Bnus-
f.'in, I89i, « l'hippodrome de la volonté ^> iOu/isfnn, \\2,
III. Ili, Sans j>arler de la balle du jeu de mail qui, bien lan-
cée, symbolise la réalisation du bonheur (3).
(I Cf. (Jntist'in, p. JU?*. V, T, el Boiistan. p. I7<> ei lf<î>. En r.ipproclicr
Manlic-til-l8Ïr (trad. Garcin), p. 222. L'allé^porie • él«* expliquée en «rabe
par Q»7.wliii (Cf. CbéEv, Chrett. arabe, t. I, r>T2, cl I. III. 410) Les poêles
hiniioiislinis Tonl employée eux «ussi : cf. Garcin df 7i^'<\ l'n mnn.i|n.i>o
.Ir»m»lique indien, J. A.. 1850 (t. XVI), p. .123. n. I.
(2 Im«f;e analof^uc mais doublée (W»iV/.. .KM"»): i. I.» s n u»-^ de sa four
«orlirenl de la mam de sa palience. »
(3) " I.» c\oi du trésor du bonheur est Ir conseil do Saadi. Si tu rjccepto»!.
lu mclH la balle au but dans l'hippodrome •> '(^nlcull.i. OT.» t I.nnc-.> (?ii.<
l'hippodrome la balle aTanlageuse •• {!bid., 2'M el 22'
a48 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV
Peu de comparaisons emprunlées aux parties du corps hu-
main. On rencontre toutefois : « le monde en désordre
comme les cheveux d'un Ethiopien » (Gulisian, 8), « routes
sinueuses comme des boucles de cheveux » [Bousfan, 57).
La barbe est parfois assimilée à une écriture : « le poil de la
barbe ressemble à un trait de plume » (Calcutta, 222). Les
métaphores, par contre, sont assez nombreuses. Sans parler
de la cage du corps où reste prisonnier l'oiseau de l'âme
[Boustan^ 353], Saadi écrit par exemple : « le collyre de l'in-
différence assombrit tes yeux >» [Boustan, 350), « il allongea
la langue de l'opposition » [Gulistan, 122, II, 20), « enlève
du miroir de ton cœur la poussière qui le ternit » [Boustan^
317), « je ne levai pas la tête de dessus le genou de l'adora-
tion » [Gulisfan, 11). En outre, une série de métaphores
prennent le pied humain pour base : « l'épine de la mort
s'enfonça dans son pied » {Gulistan^ 246, V, 18), « le pied
de son existence s'enfonça dans la boue de la mort •> [Ibid.^
el Boustan, 154), « ton pied glissera dans la boue du tom-
beau » [Boustan, 348). iVu pied s'associe naturellement le
pan de la robe : (( tire le pied de la tempérance sous le pan
de la robe du salut » [Gulistan, 186, ITI, 28), « souiller par
le péché le pan de la robe de la chasteté » (Ihid., 300), « lais-
ser traîner le pan de sa tunique dans le vice » [Boustan, iS^),
« je retirai de lui le pan de ma robe » [Gulistan, 230, V, 10)
c'est-à-dire : « je cessai de l'aimer ». D'autres parties du
vêlement, le manteau, le collet, donnent également lieu à
des métaphores : « le collet de la contemplation » (Gulisfany
5 et 305), « laisser déchirer son manteau » (c'est-à-dire : sa
réputation) (Boustan, 204).
Enfin, pour les objets, de même que pour le corps humain,
plus de métaphores que de comparaisons. Parmi ces derniè-
res : « son éloquence pénétra dans leur cœur comme le ca-
chet dans la cire )' [Boustan, 189j, « il courbait la tête comme
le clou sous le choc du marteau » [Ihid., 165). Puis les ins-
truments de musique : « décharné comme une harpe » [Bous-
tan, 116), « prières (ou paroles) sonores et vides comme le
LES MOYEîtS D BXPRE88IOM a'iO
tambour ^^{Bniist,in, 118, 2U;. '2il, 282, 305). Les jeux du
mail el des échecs servent à la fois aux comparaisons cl aux
nn'lapliorfs (I). D'autres objets, par contre, semblent parli-
culièremonl réservé's à ces derni«'res, notamment les armes :
« le glaive de sa colère sort du fourreau » { /ious/.in, ii), « il
lanva toutes les flèches du carquois de la dispute •> [(rulistmi,
3Ui), « le cas(jue du prestifje et du pouvoir - (Calcutta, iili) ;
puis les objets mobiliers : « le temps remplit la coupe de la
vie •) [Boiisfan, 357), <« la chaîne de la parole est tendue sur
l'explication » [Gu/isf.m, 1 1 I), « replier (ou étendre) le taj)is
de l'aireclion (ou du désir) » [Gulistnn, 1 1, 246, 2o2), « dé-
chirer le voile de la bonne réputation » [Gulistan, 1). <- jeter
sur les fautes le rideau de la miséricorde » {lioust.in, 3) ;
enfin les métaphores tirées de l'écriture : « tire le trait de
plume du pardon sur ma faute » [Gulisfnn, 101). « ouvrir le
livre de la plainte » ilhid., 293), « déployer le diplôme du
courroux » Jhust.in, 3).
Inutile de multiplier ces citations, déjà trop nombreuses,
néanmoins nécessaires à l'exanien du style de Saadi. Mais
ces images créent-elles, iVvrai dire, l'idée, ou bien, au con-
traire, sont-elles créées par elle ? Il semble assez difficile de
répondre. Parmi les artistes littéraires, les uns, vrais poètes,
pensent spontanément eu images : les autres, pensant en
idées, expriment d'abord abstraitement l'idée, puis la tradui-
sent en images; d'autres enfin sentent l'idée, mais confuse,
et ne la réalisent abstraitement (|u après avoir appilé au
préalable l'image à leur secours.
Auquel de ces groupes se rattacherait Saadi ? Au fond, les
écrivains sont-ils si herméli(piemenl séparés les uns des
autres, au point de vue des moyens d'expression ? Certains
même n'emploieraienl-ils pas k la fois les trois procédés ?
Toujours est-il que le premier procédé, celui de l'image
spontanée, semble être resté inconnu de Saadi. (]e cjui
revient à répéter qu'il n'est pas poète à proprement parler,
(l)(lf pour Ifs t'checs : Gnlislan. iO», oi [iotisUtn. T.», 112 ; pour le mail :
GalUtan, 11, 112, el Doustan, 148, 158, tH9, UU, .12.1, .145.
350 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV
mais seulement moraliste-poète : tantôt concrétisant en
image, afin de la rendre plus sensible pour ses lecteurs, une
idée qu'il a, lui, très clairement perçue; lantôl s'aidant de
l'image pour matérialiser une pensée qui surgittrop pénible-
ment des réijions obscures de son âme.
Car l'image apparaît continuellement chez Saadi, chaque
fois qu'il désire, soit insister sur un conseil donné, soit pré-
ciser une abstraction. Mais encore il arrive qu'une de ses
historiettes se termine, non par une formule morale qui la
résume, mais par une simple image à la fois concise et sai-
sissante. Métaphores nues et fortes, confinant au symbole,
peu nombreuses mais d'autant plus remarquables, et qu'il
convient, suivant le mot de Saadi (Boustan, 262), « d'écrire
sur la paupière ».
Ainsi, dépeignant un pressentiment funeste : « Je ne sais
ce que peut contenir la lettre du destin, mais j'ai trouvé du
sang sur l'adresse » (Calcutta, 247) ; en parlant d'un igno-
rant qui fait taire un sage : « C'est une pierre qui brise une
perle » (Gulistan, 328) ou bien : « L'acre senteur de l'ail
étouffe le parfum de la rose, le tambour couvre les sons de
la lyre » {Boustan, 492).
Certains de ces vers possèdent la saveur d'un proverbe :
« L'escarbot, même au milieu d'un buisson de roses, reste
toujours un escarbot >^ (Ihid., 191) ; d'autres de même, mais
avec une pointe d'humour : « Il est préférable que le mari
d'une femme laide soit aveugle » {Gulistan, 151 , II, 47), « il
faut être bien maussade pour ne remarquer dans le paon que
la laideur de ses pattes » {Boustan, 308), « l'argent ne reste
pas dans la main des hommes généreux, ni la patience dans
le cœur d'un amant, ni l'eau dans un crible » {Gulistan, 49,
1,13); d'autres enfin sont formés d'antithèses : « on capture
la bête féroce par des chaînes de fer et l'homme par des
bienfaits » [Boustan, 114), " Icvidede l'estomac vaut mieux
que celui de l'âme » {Boustan, 26) et, symbole de l'envie :
« La lumière du soleil paraîtméprisable à la taupe aveugle »
(Gulistan, 206, IV, 1).
LM MOTBnS D'P.XPRRflSIO^t a5l
Fnfin. très raremtMil. Iti pen<»^o toute nue, presque wn»
image, «ipparatl bnisfiueineiit chez Saadi. VA l'on pourrait
recnoillir, à le lire allenlivonicnl. un choix de rélloxions de
ce j^enre, ayant la valeur de vérilabler* niaxinics : .< Lenjours
succèdent aux jours avant iju'on ne lise dans le c<rur hu-
main ») {/inusf.m, 2ii. <( on ne récolle que ce (jn'on a semé »>
[Ihid., 52), « chacun est l'ouvrier de son honneur " 'Ihid.,
2811), « l'avidité coud l'trildu sage » duUstnii, 192, III, 2H),
ft la parole est la j)arure de l'àine •) i /inust.in, 279). « le cœur
est la prison du secret ■> ^Ibid., 'Il .
IJ. — Langue el /jrosndif.
Une étude sur la langue de Saadi ne saurait être que provi-
soire, tant que Ion ne soumettra j)as le texte de ses œuvres
h une sérieuse révision critique. Au reste, celte langue ren-
ferme assez peu de particularités: c'est la langue classique
dans toute sa pureté ; el si le littérateur y découvre un mo-
dèle, le linguiste, en revanche, n'y trouvera pas son compte.
Sans doute. le dîwàn contient quelques vers dialectaux, mais
ce n'est là qu'un accident et, parmi ces vers, le poème final
des Moulamma'àt, étudié par MM. E.-G.Bro\vne el CI.Huart,
intéresse surtout par les mois chiraziens 'si tant est que ce
soit là du chira/ieni qu'il renferme. Inutile d'insister sur ce
point, déjà étudié (I). Outre ces poèmes, on rencontre par-
fois chez Saadi des mots dialectaux: ainsi le < slkl -, vin
cuit, très capiteux, fabriqué à Chiraz (2).
I) autres formes, appartenantà la langueliltéraire, semblent
aujourd'hui quelque peu vieillies. Saadi use assez fréquem-
ment du verbe «chouden » au sens « aller »,pour « reflen »(3) ,
(l! Cf. E.-G. Browne, Some noies on ihe poeiry of Iho persian diaircts,
J. H. A. S., oclobre isO!». p. 773 et suiv. ; Cl. Iluarl. Lr dinUctf de Chirdz
dans Sa'di (11* Conjjrô» ties orienlalislos, Pari», 1897. .T scclion, p. 81 et
suiv.). A noter au pass^pe que M. E.-G. Browne »><l amus<' à puraphra*
ser par inAerlion deux rers du Gulistan (LiUrnry Hut«ry. II, p. 68, 69,
ladmin).
(2) Botistan. p. 287 el M\. n. iO.
(3) Cf. eo revanche « chouden » au sens de devenir {Çéhib-Ndmeh,
2 32 TROTSIEMK PARTIE. CHAPITRE IV
ainsi : « bèchoudî vèh dil bèboiirdî veh bèdest-i-gham si-
pourdî », " lu es partie, emporlant mon cœur et me livrant
au chagrin ^ (Galculta, 323 r°) ; « ber bàm-i-asmân natu-
vàn clioud bènerdoubân », « sur le toit du ciel on ne peut
monter avec une échelle » (Calcutta, 232 r"). Le verbe
(t guèchten v se rencontre quelquefois dans le même sens;
ainsi « âlami guèciit », « il a parcouru un monde » (Calcutta,
221 v°).
La troisième personne du pluriel est parfois allongée d'un
« ya »; ainsi (quatrain 144): « goften-i-dilistânech chèni-
dendî » (pour « chènidend »), «< ils entendaient la parole
sortant du fond de son cœur » (Noter le suffixe « stân »
appliqué au mot « dil ». « cœur »).
Saadi emploie volontiers l'optatif en '< ad », non seulement
avec le verbe « boudèn » ce qui est courant, mais avec d'au-
tres verbes. Ainsi {Çâhib-Nâme h, p. 180): « toflàn-i-tourâ
pèdèr bèmîrâd », « que le père de tes enfants meure ».
Quant aux particules, la forme contractée « èr » pour
« éguer », (« si ») figure entre autres dans cet hémistiche du
Boustan (1) : « bègoflèr bèdest i-man estî mèhâr...»," il dil :
si les rênes sont dans ma main » (Remarquer la forme verbale
allongée '< estî » pour c est »). On trouve quelques exemples
de (( pârsâl » abrégé en « par » ; ainsi (Calcutta. 472 v°) :
« tou par gourikhtî tchoû âhoû », <( l'an dernier tu as
fui comme une gazelle ». Par contre « bès » se rencontre
allongé en « bèsâ »: « bèsâ roûzgâr ^), « beaucoup de
temps » (2).
Enfin quelques cas de « bâchlâ », '< bientôt », « attends
que » (Calcutta, 223 r°), et de « mèr ». par exemple (Cal-
cutta, 249 r°) : " Kemtérîn-i-dawlet mèr ichânrâ bèved
khould- i-bèrîn », « le moindre bonheur sera pour eux
p. 156) : « Si celui qui esl pauvre devient pui.<5sant » (on kèh meskîn est
èguer qâdir chè'wèd. »
(1) Cité Blochman, Prosody oj the Persians, p. 13.
(2) De même que « badâ » pour u bad ». Cf. le vers de Kbakâni, ibid.,
p. 11.
LB8 M0YBM8 D'BXfHBSSION a53
I'<5lernilé suprême », ou encore (GulciiUa. 227 V): « mer în
yt'gànè-i-alil-izèmànèra }à rabh bèkàtn-i-dawlet i-doiiniâ on
dîii moiiinalla'a dàr •-, « cet ôUe uiii<jue eu s )ii leinps, o
Sci^'iicdi*! laisse-le jouir, à son gré, du pouvoir spirituel
et temporel » {\).
A côté de ces parlicularilës grainm dicales qu'un texte
encore trop piMi sûr ne permet |)as de dénombrer, les parti-
cularités de langage, les « persisines », si l'on veut, dont on
ne pourra, pour la même raison, citer (jiie (piehjneà exem-
ples. Ain>i dans la \'" liisloiro du CiiUstnn (j). 2i), cette
expression « se laver les mains de », à la fois propre aux
langues française et persane: «< Quiconque se lave les mains
de la vie dit tout ce (ju'il a dans le cceur .» Une idée analo-
gue est exprimée par « seconer sa manche », autrenienl dit
« renoncer .i », dans ce passage [Gulisl.in, 2o(), ^^ 20) :
<' Parce que tu secoues sur moi la manche en signe d'ennui,
n'espère pas que je relire ma main du pan de ta robe. » Le
manteau, d'autre pari, entre dans l'expression « tomber sur
le manteau », c'est-à-dire <« critiquer » [Gulistan, 335j. Une
autre expression, assez fréquente chez Saadi. c'est <• placer
une noix sur une coupole », ce qui signifie : « agir en pnre
perte -> ; ainsi [Guli\t;in, 33, I, 4) : « \'ouloir donner l'édu-
cation à un homme indigne, c'est prétendre placer des noix
sur une coupole •. ou encore [Boustan, 348) : «< N attache
pas ton cœur au monde : une noix ne peut se tenir d'aplomb
sur une coupole » (2).
L'expression « à coups de grosso caisse », pour " [)ubli-
quement », semble une de ces hyperboles consacrées par
l'usage populaire : ■< Il se voyait accuser de folie à coups
de grosse caisse » (Boustan, i6t). Enfin, les sentiments
mêmes donnent lieu h des expressions de ce genre ^Bous-
tan, 1%) : « avoir du vinaigre sur le front » (être renfrogné)
et {GuUstan 275, VI, 4) « rendre noir le cœur des hom-
me» •> (les attrister).
(1) Cf. GuUslan (Irad. Sen>clel, p. 157, noie 224^.
(2) 1/image n'est du reste pas particulière à Saadi. On U retrouve cbex
Mirkboad et d'autres. Cf. la note de Dcfrémcry, p. 33.
254 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV
Quant à la prosodie, Saadi, au cours de son dîwân, a uti-
lisé tous les mètres connus de son temps. La poésie persane,
pleine de mois anciens, de formes désuètes et d'irrégularités
métriques, avait été réglementée par Nizâmi, le premier des
classiques, surnommé « l'imâm de la poésie persane » (1).
Saadi trouvait donc un instrument auquel il n'avait rien à
modifier. C'est de son époque, toutefois, que date l'habitude
prise par les poètes d'introduire leur surnom poétique
(takhallouç) dans le dernier vers de leurs ghazals : aupara-
vant, ou bien ils n'indiquaient pas leur surnom, ou bien ils
l'inséraient n'importe où dans le poème (2).
Les divers mètres employés dans le dîwân ont été énumé-
rés par Graf (3). Les indiquer ici serait donc superflu. Quel-
ques observations cmnplémenlaires semblent néanmoins
nécessaires.
Saadi ne respecte pas toujours les règles de la prosodie :
il agglomère parfois qacida et ghazal. Ainsi, les deux pre-
miers vers de tel poème (Calcutta, 226 v°) forment à la fois
la fin d'une qacida et le début (mathla') d'un ghazal. Telle
autre qacida (Calcutta, 225 v°) forme une trilogie dont les
trois parties ne sont au reste pas étroitement liées : un
exorde didactique suivi d'un ghazal et d'un panégyrique.
Telle autre encore (Calcutta, 236 v°) renferme un ghazal
pour ainsi dire inséré.
Plusieurs quatrains de Saadi contiennent la même rime
pour les quatre vers. Quant au Gulistan^ il ajoute parfois,
au mélange de la prose et des vers, de la prose rimée (notam-
ment à la fin de la préface) (4). Enfin le Boustan emploie uni-
(1) Cf. Blochman, Prosody oj the Persians,
(2) Ibid., p. 91.
(3) Articles de la Z. D. M. G. Cf. bibliographie.
(4) Sur les vers du Gulistan, cf. Browne {Literary Hislory, If, p. 2o). Les
mètres de chaque groupe de vers du chapitre I" du Gulistan sont indiqués
dans Blochman, Prosody oJ the Persians (p. 99 et 100).
LB8 MOYBN.S d'bXPRKMIOM a55
forniémoul le mètre épique du moulH(|arib, composé do Irois
baccliiijues et d'un iauibo.
Sa idi, uu dépit do tout sou art, u évite pas toujours lus
chevilles iju il dissimule dordiuaire sous uue redite ou uu
pléonasuio. Ainsi: <« La nature tend l'arc de la vie — puis
le brise avec lu main « (Calcutta, 2i7i ; « dans la forôt, le
roseau reste sec. ef non humide •» (Calcutta, i^o) ; « mon
pr?re te servait autrefois, il a passé sa vie à te servir ; moi,
son /iV.v.... .. {ÇdhibXàmeh, p. 75) ; -< quand la bride du
bonheur et do la puissance n'est pas dans la main du bon-
heur •) (I) ; « tu as do l'or, du pouvoir, de l'argent, du prolil.
du capital » (2).
Saadi, comme tous les poètes, recourt à cerlaines licen-
ces. Parfois, il n'hésite pas à déformer même nu nom pro-
pre, afin de satisfaire la rime : Sanaàii pour Sanaâ [<i}. il
lui arrive de suj)priiner — et en cela il n'est pas seul — un
mot du vers, si le mètre le réclame ; ainsi (ialcutta, -487 v"; :
« Khàri /.è goulistàn-i-toù bàchem chèved » pour « Ichèh
clièved » ( < qu'importe que je sois une épine de la roseraie »).
Knfiii. pour faire son vers, il glisse (juehpiefois un mol
arabe isolé au milieu des mois persans : * Kèh fourrai azîze^t
wa' iwar/tou dhaïf » ( « car l'occasion est précieuse et le
temps un convive » i. Le mol arabe intervient même pour la
rime, témoin ce vers d'un poème monorime en « ya » i Cal-
cutta. :3iG v'') : « loii bè àfelàb mànî bè kèmàl-i-housn ou
thaiaal — kèhnazar nèmi tuNàued kè bèbinèdel /iamâ hi »
(pour « hiya ») (4), «» lu ressembles au soleil, par la perfec-
tion de Li beauté et de ton élévation; car aucun regard no
peut te contempler tout comme lui ».
Ce ne sont là que iiDlalion^ fiagmenlaires. sans méthode
(1) Tcboû zimàm-i-bakht oudawlal nèli bède«t-ibtkhl bÀched (Calcutta.
414).
(2) Tou zcr dèrl ou »er dAri ou «Im ou sùud ou termàyèb (Calcutta, iOO).
(3) Bonttan, p. 87, n. 27.
(4) «t lliya •> nu féminin, \ cause de « Afet&b », équiralenl de l'arabe
< cbams ».
u56 TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV
préalable : une enquête minutieuse sur la langue et la pro-
sodie d'un auteur n'est possible que d'après une édition
critique, et, d'ailleurs, une telle étude dépasserait les limites
du présent travail. Certes, les poètes orientaux, emprisonnés
dans leur art poétique qui les contraint à des règles incom-
modes et leur interdit les vasles développemenls lyriques, ne
sauraient satisfaire pleinement les lecteurs européens, inca-
pables d'oublier un instant les grands poètes de l'Occident.
Mais, à les lire sans parti-pris, on y découvre inévitable-
ment des beautés qui leur sont propres. Sans doute, les poètes
persans ont trop de subtilité, leur sentiment delà nature est
affecté, leurs expressions paraissent artificielles. Ils' n'en re-
présentent pas moins une phase du génie humain, et, à ce litre,
méritent l'attention de tous ceux qui se proposent de révéler
l'homme à lui-même. Lorsque des monographies méthodi-
ques auront été consacrées aux idées et à l'art des principaux
écrivains de l'Orient, on pourra songer enfin à dégager, tout
au moins en ses grandes lignes, l'esthétique de la littérature
musulmane.
CONCLUSION
Tt'l apparaîl Saadi, successivemenl considért' dans fton
œuvre de penseur el de poète. Mais, si 1 on entrevoit à pré-
sent ce que furent son existence et ses écrits. I lumnie
même, son aspect el son caractère, restent ce|ten(lant im-
précis. Ksl-il donc possible d'esquisser une effigie du poète?
Tenail-il particulièrement à certaines idées qu'il exprime à
peine par ailleuis? Comment se dispen.'-er enfin d'indiquer,
si approximativement que ce soit, la place qu'il occupe dans
l'évolution de la littérature?
De son physique il a naturellement peu parlé, se bornant
àen signaler la caractéristique qui fut, semble-t-il, la mai-
greur. >« Celui que les étrangers nourrissent a voulu m inju-
rier : il m'a reproché ma maigreur », écrit-il dans le Çàhih-
Nâmeh (p. 81 ). VA ailleurs (Calcutta, 378) : « Tu dirais que
le faible corps de Saadi est une peinture... ». C est tout, si
l'on ajoute qu'une miniature de manuscrit (reproduite dans
Garcin de Tassy, Sriadi auteur des premières poésies hin-
dous(anies\ le présente comme un petit vieillard barbu,
accroupi et la tête penchée en avant, sans doute d'après la
préface du Boustan : « Je tiens humblement ma tête courbée
sur ma poitrine. >» Une historiette du liou.stai) p. 188, en
laquelle le poète aurait, suivant le commentateur turc Soudi^
rapporté l'une de ses aventures, autorise d'autie part à su[>-
poser qu'il ne payait pas de mine et qu'il n'attachait aucune
importance ii la parure extérieure.
Quant à In parure intérieure, était-il savant'.' Ilcnime de
sens, cela ^enlble aciuellemeni démontré. Kn revanche, ses
connaissances scientifiques paraissent peu étendues. Les
M - 17
a 58 CONCLUSION
anciens orientalistes, entre autres Kaempfer, qui visita Chi-
raz en 1686. lui attribuent, outre des voyages démesurés, la
possession de toutes les langues de 1 Orient, et môme du
latin. Il aurait, à entendre le même Kaempfer (I), lu et mé-
dité Sénè(jue dans le texte ! Kn fait, il semble avoir préféré
à la science livresque la lecture du grand livre du monde :
« Ce n'est pas parce que tu auras étudié les commentaires
du Coran et la jurisprudence que tu iras en paradis » déclare-
t-il dans son poème trilingue (2). Et Ton peut lui appliquer
à lui-même ce qu'il dit au sujet d'un personnage du Bous-
tan (p. 23) : (( Le spectacle du monde avait accru son
savoir, les voyages lui avaient donné l'expérience delà vie.
Bien qu'il semble avoir épousé les idées de son temps sur
la transmutation de la matière (3), on sail qu'il n'accordait
guère confiance à la médecine, en cela fidèle à la doctrine du
fatalisme : « Lorsque l'équilibre de la santé a été ébranlé,
ni incantation ni traitement ne produit d'effet ^ [Gulistan^
261, VI, 2j. Eu revanche, l'art avait tout son amour, non
seulement l'art littéraire, mais Tari musical, que ce fût
musique vocale ou instrumentale. Dans le Gulisian, il prend
plaisir à rappeler la sympathie qu'il avait éprouvée dans sa
jeunesse pour un jeune homme « parce qu'il était doué d'un
gosier très mélodieux » (p. 230, V, 10). Il affirme d'autre
part qu' u une voix agréable vaut mieux qu'une belle
figure, parce que celle-ci est le plaisir des sens et cette
autre l'aliment de l'âme » [Gulistan, 189, IM, 28).
Il aimait peu les femmes, semble-t-il, ne pouvant oublier
ses mariages peu favorisés du sort, u Ferme la porte de la
joie », dit-il dans le Gulistan (p. 330), a sur une maison d'où
la voix d'une femme sort retentissante ». Barbier de Mey-
nard(J. A., 1858, p. 600) a prononcé sur l'ensemble de sa vie
(1) Cité par Ross (trad. du Gulistan, introd., p. 20) et par Eastwick (/cf.,
p. XI).
(2) Trad. Cl Huait, vers 12,
(3) Gulistan, p. .3.30 : « Une pierre deviendra en beaucoup d'année* un
morceau de rubis. »
CONCLUSION a59
Hinonreiise im jll^elne^l clairet juste, [in fait Saadi considé-
r;nl le mariage heureux comme une cause de tranquillité
d'esprit (Cf. (luh's/.in, 2iM>, ^ III. IH). mais eu même temps
comme la perte à peu j)rès totale de cette indépendance si
précieuse [Ihid., p. .'^38 .
I.e fond de son caraolère personnel est une honnêteté en-
jouée. (h\ .'I vu que son sérieux n'excluait pas la plaisanterie.
Mais, sui' certains points, il ne transigeait pas ; le mensonge
lui faisiiil horreur : « l'iotérei' un mensonge ressemble à un
coup dont la blessure dure longtemps. Si celle-ci est enfin
guérie, la cicatrice demeurera » [Gulistnn, 3il). Kl par suite
l'hypocrisie : « Lu homme généreux et libertin. . vaut mieux
qu'un dévot (jui observera le jeune, ne jouira pas de ses ri-
chesses et les accumulera » [GulistHn, 331 ). Il délestait la
vanité, car — morale tout évangélique — >. le pécheur plein
de la crainte de Dieu l'emporte sur le juste qui fait parade de
sa dévotion » '/?f)//57/in, 188). Mais ce qu'il mettait auplus bas
des vices semble la médisance : aux médisants « qui sèment
le déshonneur sôus en lirei le moindre prolil ■ , il préférait
lesvoleurs mêmes <( qui déploient, dans le combat de la vie,
une énergie pleine d'audace » (1). Knfin. il ignora toujours
le sentiment de 1 euNie, déiendanl vigoureusement les riches
et les puissants de son temps contre leurs détracteurs (2).
A vr;ii dire, ce maïupie complet d'envie provenait du sen-
liinent de sa >upéi'iorité. Son œuvre est pleine de passages où.
tel Horace ou Malheibe. il crie lui aussi son «« Kxegi monu-
ment uni »... «» (Chacun vit pour son temps ; moi, Saadi, pour
Jélernilé ... n'hésite t-il pas àéci'ire (Calcutta. 398 v'). VA
ailleurs ilhid., 2t9) : <■ Tous prononcent des paroles, mais
celles de Saadi sont tout autres. >- Le dhvàn ( par exemple Cal-
cutta, 323 i\ 332 x"), \^nouslau ipp. 30. 09, 12i, 191,210.
212. 217, 220, 248, 280, 287) abondent en passages de ce
genre. Mais il est juste d'ajouter que cette fierté, somme
toute assez légitime, et, en outre, générale chez les écrivains
{\) Bouslan, p. 288, el cf. Ibid., 202 el IQ.i.
(2) GulUtan, p. 293 el suit.
a6o
CONCLUSION
persans (l),Saadi l'associe, implicitement ou non, à son
humilité envers le dieu auquel il doit tout : « 0 Saadi, tu
as conquis la terre avec le sabre de l'éloquence. Sois-en
reconnaissant, car ce n'est là qu'une grâce céleste. » Aux
passages de fierté répondent dans le Boastan des expres-
sions de modestie touchante (par exemple, p. 336, 376).
C'est que, sans atteindre aux délices de l'extase mysti-
que, il n'en est pas moins profondément pieux : bien que
persan, il naquit très probablement sunnite (2). Son Dieu
n'est autre que celui-là même qui se révèle dans le Coran (3),
et en dehors duquel il n'est point de parfaite orthodoxie :
« Celui dont tu ne te délivres pas avec le Coran et la tradi-
tion, la réponse à lui faire, c'est de ne pas lui en faire » [Gu-
lislan, 207, IV, 4). La meilleure preuve de cette orthodoxie
est précisément l'animosité que le poète, pourtant si éloigné
de tout fanatisme, témoigne à tous les non-musulmans. Ainsi,
dans le Gulistan (207, IV, 4), il parle avec mépris d'un Is-
maïlien qui ne respecte ni le Coran ni la tradition. Mais, plus
encore que les ismaïliens, il attaque à toute occasion les
chrétiens (auxquels il ne pouvait sans doute pardonner sa
mésaventure d'Alep), les Parsis et surtout les juifs.
Il est entendu qu' « à ne voir que les dehors, infidèles et
musulmans se valent » [Boustan, 321). Mais si l'on sonde
les consciences ! Que penser de « l'odieuse croyance des ma-
ges » [Ihid., 102)? Remerciez Dieu de n'être pas né dans cette
erreur et de n'avoir pas ceint vos reins de leur ceinture
[Ibid., 327). Quant aux chrétiens, comment leur pardonner
leur foi en la trinité ? « Dieu qui n"a ni associé, ni compa-
gnons, vois ce que disent de lui les chrétiens ! >» {Boustan,
(1) Certains auteurs jouent la modestie en intitulant leur ouvrage
« mo'izjah » = chose de peu de valeur (Cf. Rieu, Catal. oj Persian mss .
British Atus., p. 213).
(2) Cf. Bouslan, p. 231, n. 40; Bâcher {Aphorismen), introd., p. 54 et 53,
n. 6 ; Grandrbs. t. II, p. 16.3, n. 2. Par contre, certains auteurs persans
veulent Je faire chiite, notamment Nour Allah ibn Chérif Ghouslari (cité
par B. de Meynard, J. A., 1838, XII, 603).
(3) Cf. Coran, XI, H, 9 ; XXIII, 12 et surtout XXII, 5.
coNCLUsio:"» 261
307). Du resie, ft ses yenx, rlirtHiens et juifs se valcnl oti k
peu près, et leurs divisions niêines servent l'islam : « Que
l'inimilit'' enlre juif et chrétien Hure toujours, car leur mort,
d'un côté comme de I aulie, esl | oui nous une bénédic-
tion » i Çâhilj-A(înie/i, Hl\).Ui^cmh\e mellre toutefois le juif
au-de>sous du clirélien (I). Quant aux juifs en particu-
lier, ils u'obliennenl aucune indulgence (2s
Kl pourtant, il prêche par ailleurs la modération el la to-
lérance. « Hésignation et douceur »>, ainsi qu'il le dit lui-
même ( /M //.s7/>^j, 331), voilà bien, jointes ù une honnêteté
foncière, les caractéristiques de son âme Comment 1 inimitié
peut-elle donc trouver place dans le cœur d'un homme qui
écrit [lioustnn, 43) : « l^ien n'est doux en ce monde que de
faire le bonheur de ses amis » ?
C'est que la passion religieuse reste, malgré tout, la maî-
tresse de I âme humaine, chez ceux-là mêmes qui sont en
apparence les plus dégagés de toute foi. On se croit indilTé-
renl aux dogmes et voilà qu'au moindre incident celte ré-
gion mystérieuse de l'àme s'émeut el tressaille j)ar l'elfet d'on
ne sait quelle obscure survivance. A plus forte raison au trei-
zième siècle, en celle Asie où la guerre brassait à la fois chré-
tiens d'Orient el d'Occident, musulmans, juifs, bouddhistes
et païens. Puis Saadi n'avail-il pas trouvé en maint endroit
de son Coran des raisons de haïr ceux qui ne part;igaient pas
sa croyance (3) ? Il se conformait à sa loi religieuse et cette
(I) « Si IVau du puiis du chrétien est impure, j'y laverai un juif mort,
c'est sans importance » {Gulitian, i77, III, 21). Se retrouve parmi les
vers isolés (MoufradAt, n» 7, p. 404, éd. Calcutta). Cité Hanimer, SchOne
Hedekunsl, p. 216.
C-'j « Quand bien même le juif allacherail son seuil d'arpent avec des
clous d'or, ne pense pas qu'il dcvi^rne noble » (GuUstan, 18», III. 20).
C'. Ibid., 2H, VI, 9. Dans une qacida peisane (Calcutta. 219), il oppose
l'impureté dea juifs è la pureté de Marie, mère de Jésus (allusion probable
au Coran, IV, 155).
(3) Cf. «:orai.. 111. -27 et 114. Cf. en outre: IX, 28, 30. 114 lidolàlre») ;
IX, 30. 31 ; V. 8r> (Chrétiei.s el Juif») ; V. 6'.»; VII. 108; LXII. 6; V, 45-47
'Juifs). Le* citations du Coran sont d'autre part assez nombreuses dans le
GuUstan et le Houston. Defrëmery el B. de Mevnard les ont relevées dans
leurs Dotes.
a6a
CONCLUSION
intolérance partielle ne doit pas faire oublier la largeur des
idées qui circulent dans le reste de son œuvre.
Cette œuvre, comment la situer dans Thistoire de la litté-
rature persane ? Saadi, tout discursif qu'il soit, n'en doit
pas moins prendre place parmi les moralistes musulmans.
Outre les traités de politique, une importante littérature
d' « Akhiâq » (« Morale en action » ou plutôt <* traités de
civilité puérile et honnête ») s'était développée en Perse. Les
moralistes persans, plus nombreux que les moralistes arabes,
écrivirent en persan, laissant l'arabe aux œuvres de science
pure : les uns, basant leur éthique sur la tradition, se con-
tentèrent de recueillir les paroles du prophète et des autori-
tés ecclésiastiques : les autres, plus philosophes, prirent pour
point de départ l'Ethique à Nicomaque. En Perse, Nacir ed
Din de Tous créa véritablement ce genre qui devait connaître
une réelle fortune (\).
Mais ce sont là traités dogmatiques : à vrai dire, Saadi
reste le premier à traiter la morale sur le mode poétique, si
l'on met de côté l'ennuyeux poème moral de Sanaï (Hadiqat
el haqiqa) (2). Son art révèle à l'Orient, non plus une morale
sentencieuse et dogmatique, mais un enseignement aimable
et enjoué. Il est de grands poètes moralistes arabes, Abou'l
Atayah, Abou'l Ala'l Maarri : comparés à Saadi, ils parais-
sent lourds et contraints.
Le bon sens et l'esprit de Saadi, son style simple et vif,
devaient au reste faire école. Certes, il compte moins d'imi-
tateurs que Attar ou Jalal ed Din Roumi dont les épopées
mystiques engendrèrent une série de poèmes allant parfois
jusqu'à la divagation. Mais, du Gulistan surtout, naquirent
(l) Sur ce genre littéraire, cf. Grandriss, II, 346, 349 et 351 ; J. A., 1866,
VII, 523 et surtout l'art, de Sprenger, Z. D. M. G., XIII, 539 ; EncycU
Islam, art. Akhiâk.
(2j Cf. Browne, Literary Hisfûry, II, 3i9.
CONCLUSION
a6.'^
plusieurs cjeiivresmêlëes de proî4o cl do verrt, elqui coinplenl
parmi les meilleures : an quinzième siècle, Jami Ini Honnail nn
pendant avec son H.ihârist.in, < livre classique en Orient et
qui ne le cède en popularité (ju'au fhilistan » {\) \ en 1016 (II.
1025)Moulla Tar/i dédiait i\ l'empereur. laliangir son Maadun
el jawAhir (mine de joyaux), recueil d'anecdotes morales dans
le style du (jii/isfnn CJi; en H'»")"^ (II. ini)."^), Mohammnd
Cliaril" Kàcliil iiuilail dans son Kh.izân nu /^vA,ir(auloiunf i-l
printemps) le Gulisfan dont il s'était déjà inspiré pour une
œuvre de jeunesse : le 5/r^/t7moun/r (lampe lumineuse) (3).
D'autres ouvrages plus tardifs imitèrent eux aussi le Gu-
iist.in : le yii/Hrist.in de Mouini i), le S.inihà/istan de
Harj^'opal Mounclii, le Goulchdn-i-râz de Mahmoud Chabis-
lari ; en 18n7. Ahmad (]liiràzi Waqâr composait à Téhéran
Y Anjoumân-i-dAnich Vers la même époque, (Jaàni, que
d'aucuns nommaient le « second Haliz » et préféraient à
Saadi (."il, conlinuail la tradition par son P.irichân 6).
Quant au boustan, moins imité, Nizari de Koiihistau lui
donnait, dès avant 1320 (H. 720), année de sa mort, un pen-
dant avec le Dastournameh (Livre des refiles de vie) i7).
D autres, dont les œuvres n'ont pas survécu, se faisaient
honneur d'imiter Saadi et même de le plagier ; tels Iloumàm
deTébriz(8)et Khàdjeh Hasan,auleur de ce distique :« Hasan
a cueilli une rose dans le jardin de Saadi, dans ce jardin (pie
moissonnent les disciples de l'idéal » (9).
La parodie même ne man(pia pas à la célébrité de Saadi :
(1) J. MohI i^J. A., 1848, XII. p. 130). Cf. sur cel ourraife lail. de Gran-
perei de Lajçranpp (J. A., ^82.^. VI, |i. 257 el suiv.) el D:r FrtiliUngsj ir-
ten... ûbertragen von ScliUchta-Wssehrd (Vienae, 1847).
(2) Cf. GrundrUs, II. :^3.1.
(3) Id.. H, 3.30.
(4) Cf. Dawtalchnh. Tnzkarnh VA. Rmwno;. p. 340.
(5) Z. D. M. G., 18:;S, IX. 271.
(6) Sur les iiuilaleurii Je Sandi, cf. Grnndriss, II, 296-297.
(7) Cf. Elhé. Die mysliche. . . Phesie der Perter, p. 37 .
(8) Cf. Grnndrui, 11. 297.
(9' Cilé Barbier de Meynard, Lo pohie en Perse, p. T».*. I.i» pc^le QAsim
i-ÀDwàr (-j- 1433,837; composa un abrégé du Hoiitlan Grandria, II. 295).
204 CONCLUSION
Jamal ed Din (ou Fakhr ed Din) Alimad Aboii Ishâq, sur-
nommé Bouchàq, sorte de Berchoux persan, dans son Tré-
sor de Vappélit (Kanz el ichtiha), imila plaisamment la ma-
nière du maître de Chiraz, dans une série de ghazals el de
(|uatrains [ I ).
Au reste, la célébrité de Saadi, née de son vivant même,
n'avait fail que croître après sa mort. Une légende ne tar-
dait pas à s'organiser autour de son nom : ses biographes
Jàmi et Khondémir rapportent par exemple, très sérieuse-
ment, que le prophète Elie (Khidr) avait humecté les lèvres
du poète avec l'eau d'une source miraculeuse. Dawlatchah
raconte qu'un des rivaux de Saadi vit en rêve les hôtes du
Paradis chanter des vers du Gulisfan; le même auteur affirme
que Saadi, sur la fin de sa vie, aurait provoqué des mira-
cles : à la porte de son ermitage, il suspendait dans un panier
les restes de son repas, destinés aux bûcherons qui passaient ;
un jour, un voleur déguisé en bûcheron tenta de profiler de
ces mets et, incontinent, sa main tendue vers le panier se se-
rait desséchée. Enfin le voyageur Ouseley (2), mentionnant
les poissons du bassin que les admirateurs de Saadi lui
avaient consacrés, rappelle que, suivant la croyance popu-
laire, on ne peut en prendre sans mourir aussitôt (3).
Tous ces récits reflètent la tendance au merveilleux, innée
chez les Persans. Mais en Europe, la renommée de Saadi,
toute restreinte qu'elle fût, s'établit sur des bases plus soli-
des. Il est, suivant la juste remarque de Garcin de Tassy (4),
« le seul des écrivains persans qui ait acquis en Europe de
la popularité ». La France eut l'honneur de révéler le Gulis-
(1) Notamment une mounâzarah (dispute entre le pain et un bon gâteau).
Cf. sur Bouchâq : Grundriss, II, 304 ; E.-G. Biowne, Notes on the poetry
of the Persian dialects (J. R. A. S., 1895. p. 787); Cl. Huait, Le Ghazel
heptaglotle (J. A.. 1914, IV, p. 629 el suiv.). Cf. en outre le compte rendu
du J. A.. 1886 (l. VIII), p. 166 et fuiv. (nolamnu ni p, 177 au sujet de
l'imitation du Gulistan).
(2) Travels (London, 1821), II, p. 9.
(3) Cf. un autre fait dans J. A., 1858, XII, p. 602
(4) Lilt. Hindoustanie (2« éd.), II, 205, n. 1.
rO?<CLU8IO!1
2ft5
tnn an inonde occidental, par la Iradiiction, incomplète, il
est vrai, d'André du Hyer ^ Itiiii). L'Allemagne suivit avec
les tiadiicliousde Ocliseiibach et dOlcarius (ieulius publiait
à Amsleidaiu le texte persan accompagne d'une liaduclion
latine ; en même temps paraissait la traduction hollandaise
de J. \. Duisberg (1). Au dix-huitième siècle, traductions et
(ce qui prouve la vogue do l'ouvrage^ adaptations se miilli-
plièreut. Quant au fiou.sf.in, il devait attendre juscju'aii dix-
neuvième siècle une traduction digne de lui.
lui Orient. Saadi éliiil aussi populaire en Turquie (juen
Perse. Ouseley, qui visita (Jhiraz vers 181 I, déclare que les
copies des «euvres de Saadi, surnommé >< le cheikh » par
excellence, y abondent (2). Malcolm (3) note, lui aussi, cette
popidarité. El, d'après Toderini (4), « parmi les auteurs per-
sans, rien de si célèbre chez les Turcs que le poète Saadi.
Dès le début du dix-neuvième siècle. les littérateurs se
partagent avec les érudils le culte du poète : (ioelhe l'uUlise
pour son Divan oriental et occidental (1819) ; Hiickert
l'adapte en vers allemands. Mais, avant eux, en France, Saint-
Lambert, dès le dix-huitième siècle, ajoutait à son poème :
« Les Saisons.) des« Contes, pièces fugitives, traduits des fables
orientales de Saadi » \lh ; en réalité il s'était inspiré d'une
traduction (Gandin ou d'Alègre) pour faire de !'«« imitation
originale '.. Diderot consacrait un article an Gulis/an ; Vol-
taire, aiupiel il devait plaire par ses idées de tolérance, a lu
Saadi ; Mme Roland le cite. Kntiu les romantiques l'adoptent
de bonne heure, car son nom ligure déjà dans les Orienta-
les (6). D'autre part, éditions et traductions se succèdent
dans les principaux pays d'iùirope.
Celle popularité ne s'expli(jue que par une sorte d'aninité
(1) Sur ces ouvrages, cf. Bibliographie.
(2) Ouseloy. Trnvels, II. p 10. n., el p. «94.
(3) Histoire de la Perte, IV. p. 32.n.
(4) Todérini, Litt. des Turcs. I. 86.
(5) (If. P. .Mariino, L'Orient dans la littérature Jrançaise. p. Cfil, n. 1
(6) Pour toul ce qui précèle, cf. Bibliographie.
566 CONCLUSION
avec le gënie occidental, affinité créée sans doute principa-
lement par le style élégant et sobre de Saadi. A la lecture
des plus grands poètes de la Perse, on perçoit, malgré tout
leur génie, une pensée étrangère. Chez Saadi, même à tra-
vers une traduction, la contrainte disparaît ; cette alliance
continue et mesurée de la raison et de l'imagination, cette
philosophie du bon sens, cette morale toute pratique exposée
dans un style tout uni, Renan, toujours sagace, ne s'y était
pas trompé : « Saadi est vraiment un des nôtres >> (J. A., 1880,
XVI, p. 30).
Non seulement un des noires, est-il permis d'ajouter, mais
encore cette réunion si rare de qualités moyennes lui donne
accès à ce groupe universel qui forme le patrimoine litté-
raire de l'humanité. « On rencontre chez lui », écrit Barbier
de Meynard f 1 ) ,« plus d'un trait qui rappelle la finesse d'Ho-
race, la facilité élégante d'Ovide, la verve railleuse de Rabe-
lais, la bonhomie de La Fontaine. )> On y pourrait joindre
Erasme auquel il fait parfois penser, et par sa vie, et par le
ton de douce raillerie qu'il adopte de temps à autre. Quant
à Horace, Saadi s'apparente à lui, non seulement par quelques
traits particuliers, mais par la tournure même de son esprit.
Ils ont en commun le besoin de donner des conseils prati-
ques (cf. notamment Horace, Sat. I, 2, vers 73-76 et 11 i-
114), conseils non réservés à l'élite, mais s'adressant égale-
ment à tous ; à l'un et l'autre le dogmatisme est absolument
étranger : ils recourent, pour persuader, non à la froide lo-
gique, mais à des anecdotes ou à des traits d'esprit. Leur
idéal est simple : le bonheur en ce monde. Que faut-il donc
pour y parvenir ? Ne s occuper que du moment présent sans
songer au passé ni à l'avenir, dit Saadi : écho du carpe diem
d'Horace (Cf. Epod. XIII, vers 3-5). Pour Saadi, le sage est
« le roi de la vie spirituelle » ; pour Horace, il est « le roi des
rois » (Epist. I. 1, vers 106). Mais en quoi consiste cette
sagesse? A ne s'émouvoir de rien, à accepter les événements
(1) Boustan, Introd., p. 26.
CONCLUAION 267
sans se plaindre, sans désirai craiiile: qiio l'on compare à
ce sujet l Kpîlro d'IIoraco k Mimicius elles idées de Saadi.
CeLU» acceplalioii contine au sloïcisnio, dira-l-on : sloicisine
en eiret,si le stoïcisme pouvait sourire el cesser un instant de
tendre à lliéroïsme. Kutin, lindilFérence aux richesses qu'il
faudra perdre avec roxistence. Saadi n'est pas seul à la con-
soillt'r iloucemenl : Horace n'a-l-il pas pensé de même dans
son Kpître à Tor(|uatus? Le juste milieu, voilà pour eux deux
la lin de la sagesse. Cette modération que Saadi illustre dhis-
torieltes, Horace l'avait déjà proclamée dans une épitre (I, 18,
vers lUj: <« \'irtusest médium viliorum ulrimjue reduclum ».
Somme toute, nïorale opportuniste, engendrée par les temps
oii vécurent ces deux poètes, temps de convulsions politi-
ques et militaires inspirant le sentiment de l'éphémère, et
par suite le renoncement.
Que ces analogies entre Saadi el Horace, le plus lu des
classiques anciens, aient valu au premier une partie de la
notoriété dont il jouit en Occident, rien de plus logique. Mais
il manque à l'œuvre de Saadi, pour qu'elle soit vivante et
passionnante, ce qui rend la littérature de l'Occidciil supé-
rieure à celle de TOrienl musulman : la peinture des luttes
de l'homme contre soi-même et contre les événements. Com-
parez par exemple aux drames grecs, où des héros se débat-
tent désespérément contre la fatalité, les plus nobles créations
du génie iranien. \ ous rencontrerez, notamment dausl épo-
pée persane, des épisodes grandioses, mais auxquels l'idée
fataliste, tarissant la source de l'énergie humaine, fait perdre
les meilleurs éléments de leur pathéli(jue.
Saadi. témoin de la chute des empires, sentant profondé-
mentl'instabilité de ce monde, la fuite du temps, l'inutilité
detoute résistance au destin, s'installe confortablement en
une sorte d'épicurisme supérieur. On n'ose dire : détache-
ment absolu, car, outre sa réelle piété, son œuvre tout en-
tière prouve son amour très vif de la poésie et de la gloire.
Certes, on ne peut s'attendre à ce que les Fluropëensse com-
plaisent à lire ses poésies lyriques où il ne vaut ni Anwari,
268 CONCLUSION
ni Haliz, ni Khakani. En revanche, le Gulistan,ei surtout le
Boustan où la moindre anecdote donne à penser, seront
toujours goûtés, tout au moins par fragments. Lu avec me-
sure, tout comme il a conçu et composé, Saadi reste exquis.
Sans doute, Firdousi, Nizâmi, Jalal ed Din semblent de
grands fleuves ; Saadi, lui, fait songer à une douce rivière
coulant sans fracas ni rapides entre ses berges uniformes.
D'aucuns estimeront peut-être qu'au cours de ce travail,
l'apologie l'a emporté sur la critique. Mais il s'agissait avant
tout d'exposer, non déjuger. En outre, Saadi lui-même, de-
vançant le mot de Vauvenargues : « C'est un signe de grande
médiocrité que de louer toujours modérément », ne prévint-
il pas le jugement de la postérité, lorsqu'il écrivit au début
du Boustan : « Sache que je n'ai jamais ouï dire qu'un homme
d'esprit s'évertuât à découvrir des imperfections dans au-
trui >> ?
RIBLIOGRAPIIIK
DE
SAAIH
M. - l
ÉDITIONS DES ŒUVRES COMPLÈTES
Edition princeps (1791-1795) :
ihe per.siun aiul urabic Works of SAdee, in Iwo volumes.
Volume 1 coii(ainii)^ liis Bisalelis. (ioolifclan, Boslau «ml l'und-
naineli.
Volume II conlainii)^' his Dewan or Book of poems ; consisting
of Idyls. EU'gios. Odes and olher miscellaneous Pièces, but chiefly
of lyric and moral poelry.
(Prinled in ('.alcuUa : al Ihe honourable Company's Press.)
Pelil in-folio. Le premier volume, paru en 1791. comprend 21 pa-
ges de préliminaires en anglais dus à lédileur J. II. Harington. et
204 feuillets de texte persan ; le second volume, paru en 1795,
compte 2^J*2 feuillets de lexle persan.
D'après Barbier de Meynard (trad. du Boustan, inlrod., p. xxviii),
cette édition aurait été collationnée sur un manuscrit datant du
quatorzième siècle.
La pagination se poursuit du premier au second volume, compre-
nant à la fois recto et verso. Caractère taaliq.
Le volume II se répartit ainsi : qacidas arabes (p. '205) ; qacidas
persanes (p. 214); marallii (p. 245j ; nioulammaàt (p, 250) ; larjî ât
(p. 257) ; tayibAt (p. 264) ; badûi' (p. 367) ; Uhawâtlm (p. 415) ; gha-
zaliyût-i-qadtm (p. 430); çâhibiyah (p. 438); mouqnlla'Al (p. 452);
khabllsAt ^p. 467} ; majlis el Isalals ip. 475) ; moudhikAl (p. 481);
roubàiyAt (p. 482); moufradAt (p. 494).
22 qacidas arabes ; 39 (jacidas persanes ; 14 moulammaAl ;
400 layibâl ; 193 badAï' ; 63 klinuAlim ; 35 ghazaliyAt-i-qadlm ;
43 khabllsât ; 30 roubû'iyAl ; 44 moufradAl.
1809. — DhvAn-i-Saadi (CalcuUa, 12*24, m-4).
1811. - KoulliyAl-i-Saadi (Bombay, 1226, in-8).
1828. — KoullivAl-i-Sandi Cnlrulln. 1241, in 4 lilhog.).
1841. — Kouliiyâl-i-Saadi (Bombay, 1257, in-4).
1841. — koulIi)àl-i-^aaUi(fébru, 1257, in-fol., lilhog.).
IV BIBLIOGRAPHIE
1847. — KouUiyàt-i-Saadi (Téhéran, 1263, in-8, lithog.).
1848. — KoulliyAl-i-Saadi (Tébriz, 1264, petit iii-fol., lithog.).
Compte-rendu dans J. A., 1853, II, p. 173 : J. Mohl y découvre
une preuve en faveur des améliorations apportées à la lithographie
en Perse.
1851. - KouUiyât-i-Saadi (Bombay, 1267, in-4, lithog.).
Defrémery (trad. du Gulistan, 1858, préface, p. xliv) : « J'ai revu
ma version sur cette édition et l'ai citée dans mes notes ; toutefois
le texte qu'elle présente pour le Gulistan n'est pas toujours correct
et reproduit souvent celui de l'édition de Tébriz » (c'est-à-dire l'édi-
tion du Gulistan publiée à Tébriz en 1827).
Barbier de Meynard (trad. du Boustan, 1880. préface, p. xxviii) :
« Edition assez élégante, mais déparée par des lacunes nombreu-
ses. »
1852. — Dîwàn-i-Saadi (Téhéran, 1268, in-8, lithog.).
1853. — Diwûn-i-Saadi (Delhi, 1269, in-8°).
1854. - KouUiyât-i-Saadi (Tébriz, 1271). Edité par Moham-
med Taqi.
1854. — KouUiyât-i-Saadi (Téhéran, id.).
1863. — KouUiyàt-i-Saadi (Bombay, 1280).
1863. — KouUiyât-i-Saadi (Cawnpore, id.).
1870. — KouUiyât-i-Saadi (Lucknow, 1287).
1884. — Koulliyût-i-Saadi (Téhéran, 1301, in-4, lithog.).
1887. — Koulliyât-i-Saadi (Bombay, 1304. in-fol., lilhog.).
1891. — Koulliyâl-i Saadi (Bombay, 1309, in roi., lithog.)
1911. — Revue du monde musulman (février 1911, p. 408) :
« Nous voyons annoncée, comme devant pnraîlre très prochaine-
raenl à Bombay, imprimerie-librairie Mozalferî. à 1 Hindi Bnzar,
une édition des Koulliyât de Sa di.. . Elle est donnée par une réu-
nion de savants, à la tête desquels se trouve Hâdjî Mîrzâ Moham-
med Takî Fasîh ol-Molk, dit Afsah ol-Motekallemîn. »
ÉDITIONS DU OÎILISTAN
1651. — CA'. Tracluclions du Onlislan (Genlius).
1802. — Tlip Hindee Manual, or Cascel of India ; compiled for
llu* ii>e of Ihe Hindoo?lan sludenls, undor Ihe dirorlion ami siipcr-
inlendatice of John (jilchrisl, by Mir Alxlnlhdi Miskin (iHlrulla,
Hiixlooslanoe press, in-8).
("onlieiil 34 pnj^es du Gulislan correspondant à la traduction en
hindousiani de cet ouvrage par Mir Chir Ali Afsous, sous la ilirec-
tion de J. Gilchrisl. 180?.
Celte édition du texte est restée inachevée.
1806. — The Golistan or Rosegarden by Musiahuddeen Sady of
Sheeraz, wilh an english translation and notes by F. Gladwin
(Calculla. •> vol. in-8).
l" volume : texte et> caractères naskhi ; 2* volume; lra<liiclion.
Réédition en 1808 (Calcutta and London).
1807. — Goolistan or Rosegarden of Ihe celebraled Muslehud-
deen of Shiraz. surnamed Shuekli Sadi, wilh an english transla-
tion, embollishe<l with notes crilical and explanalory by .lames
Dumoulin (Calcutta, in-4).
1809. — The Gulislan of Shaikh Musle-huddin SAdy of Sheeraz.
Prinled from Ihe Calcutta édition, published by Francis Glachvin
'London, '2 vol. in-8).
1" volume : texte persan en caractères taaliq (248 pages) ; 2* vo-
lume : traduction. Réédition en 18.'Î8 (Londres).
1809. - Gulislan (Calcutta, l'?24, in-4. 182 pages).
1821. - Gulislan (Calcutta, 1237, in-4).
1824. - Gulislan (Tébriz. 1240, in-8).
1827. — Gulislan, matbou' ft dAr el houkoumat (London, prin-
led by J. L. Cox, in-8).
VI BIBLIOGRVPHIE
18'37. — G'iIisUo or Rose Girlen of Masle-Huddeen Shaik
Sâdy of Sheeraz (Calcutta, in-18. lithog., 337 pages).
1827. — Giilistan (Tébriz, 1243, in-8).
DelVémery (Irad. du Gulistau, 1858, iatrol., p. xliid : « Char-
mante petite édition. »
1827. — riie Gulistan (Rose-garden), edited in persian by Lee
(London. in-8).
1828. — Kitâb Goulistàn (Boulaq, 1244, in-8).
1828. — Le parterre de fleurs du Cheikh Moslih-Eddin Sâdi de
Chiraz, ; édition autographi(]ue, publiée par N. Sémelet (Paris, in-4,
caractère naskhi, 194 pages de texte persan).
Edition utilisée par Defrémery, pour sa traduction du Gulislan,
1858. Compte rendu sommaire : J. A., 1828, I, p. 400.
1829. — Gulistan (Tébriz, 1245, in-8l.
1830. — The Goolistan, printed and published at the Asiatic
lithographie company press (Calcutta and Cawnpoor, in-8).
1830. — Gulistan-i-Saadi (Bombay, 1246, in-8).
1833. — Gulistan-i-Saadi (Bombay, 1249, in-8, illustrations).
1833. — Gulistan or Rose-garden (Calcutta and Cawnpoor,
at the Asiatic lithographie Company's press). Caraclère taaiiq, .337
pages, in-16.
1834. — Kitâb Goulislân (Boulaq, 1249, in-8, 279 pages).
1835. — Gulistan (Sans lieu d'impression, 1251, 592 pages, in-8,
lithog.)
1838 — The Gulistan or Rosegarden of Musle-Huddeen Shaikh
Sâdy of Sheeraz, in original Persian, being a carefully corrected
and revised édition of that formerly published by Francis Gladwin
Esq. (London, in-8).
(Cf. l'édition de Gladwin, 1806).
1838. — Gulistan (Tébriz, 1254, in-8, lithog.).
1839. — Gulistan (Boulaq. 1255, in-8, 168 pages).
1841. — Gulistan (Boulaq, 1257, in-8, 168 pages, caract. taaiiq).
1844. — Gulustan ; to which is added a commentary with a
dictionary of words and meanings (Bombay, in-fol., lithog.).
1845. — Gulistan (Boulaq, 1261, in-8).
l^niTtONfl DU GULIflTA^ VII
1847. — (iiilislnn ((loiislanlitioplfl, I?<V{. in-4. lAl pn^'--- .
lilhog^ , cnracl. (aaliq).
1848. — (iiili.slan (A^ra. \2(\A, in-8).
1848. — (iuli.«?tan (Bombay. 1764, pelit in-1. Iilhog.)-
1848 <.iilislan(Luckno\v. 12r>4, lilliop.)-
((11. " A calalogne ofllip niMiolhcra or. Spreiigeriann », Gie88en,
1857, n* ir»OI : .. a good Icxl and Hsofiil noies •>).
1850 - riiP (îiilislan (Rose-garden) of Sliekli Sadi of Shcraz,
a now édition (porsian\ rarcfnlly collalod willj llie originni maiius-
cripls. willi vorabulary persinn nnd rnglipli. hy E. H. FiîastwirK
(Herlford, in-H. 'A7H pages).
Compte rendu <le (i.nrcin <le Tassy (.1. A., IHCKJ. XV. p. .*>%) : « Les
changements inlrodnils dans cette t^ditioii, lesquels sont presfpie
lous des améliorations, s'élèvent ^ '2Ï)'2. dont .M. Kaslwicka en soin
de nons donner la liste... Ces amélioration-^ ont été faites d'ajii es les
manuscrits de la Bibliothèque <le la (^onq)agnie des Indes et ceux
du collège d'Haileybury. A la vérité, bon nombre de ces leçons
avaient été adoptées... dan« l'édilion Sétnelel ' 18'28)... littéraireineol
la meilleure avant la |)ublicnlion de celle ci... J'approuve entière-
ment le retranchement des récits et des passages licencieux. »
1850. — Ciuli<<tan (Boula<i. \W\ in-8, ICI pages).
1851. — The Ciiilislan of SaMy. edited in Persian willi punrlija-
lion and Ihe necessary vowel-mark"*. for the use of the Colle^'e of
F<»rl-\ViIliam. by A. Sprenger. ^f. I). examiner of Ihe Collège of
Fort-W'illiam 'Calcutta, in-8. I.\ et '2i] pages).
Compte rendu tie (iarcin de Tassy .1. A.. 1852, X.\. p. 4.J0 :
« Etiilion basée sur un manuscrit écrit en Ib^HJpourle sultan Aleni-
giiir, d'après un manusrril copié sur laiitogiaphe de Saadi... Cti
qui dislingue aus.>i celte édition <les précédentes, c'e.'it que le
D' Sprenger y a employé un système de ponctuation analogue au
nôtre. »
Compte-rendu de J. MohI (J. A., I8.M, II. p. IT)*); : « lia introduit
la ponctuation européenne dans l'impression. .. Je ne pense pas qu'il
faille rejeter en entier cette idée,... nini*' je crois que, pour intro-
duire In ponctuation dans des |ittéri<liires de peuples vivants qui
ne s'en servent pas. il faut en usera.vec beaucoup de sobriété;... la
ponctuation surabondanle r|e M. Sprenger blesse l'œil du lecteur et
le gène plutôt qu'elle ne l'aiile. ■>
1859. — (iulistan (Constanlinople. l'?75, in-8, lilhog.).
1859. — Oulislan (Bombay, l?7r>. in 4. lilhog.).
▼III BIBLIOGRAPHIR
1860. — Gulislan (Bombay, 1277, in-4, lithog.).
1863. — Gulistan, a new édition wilh a vocabulary, by F. John
son (Herlford, in-4, 170 et 143 pages).
1864. — Gulislan (Boulaq, 1281, in-8, caractère laaliq,168 pages).
1867. — Gulistan (Bombay, 1284, in-8, 124 pages).
1867. — Gulistan (Gawnpore, 1284, grand in-8, lithog.).
1867. — Gulistan (Lucknow, in-8, lithog.).
1867. —Gulistan (Constantinople, 1284,in-4, lithog., 187 pages).
1869. — Gulistan. Edition expurgée, texte revu et corrigé
d'après d'anciens manuscrits, par S. E. Ahmed Véfiq Efendi (Cons-
tantinople, Imp. impériale, 1286, petit in-8, 299 pages).
Les vers imprimés en caractères taaliq ; la prose en caractères
naskhi. Les mètres poétiques sont indiqués en marge. Signalé J. A.
1871, XVIII, p. 133.
1869. — Gulistan (Tébriz, 1286, petit in-4, 96 pages, lithog.).
En marge : Le Périchân de Qaani.
1870. — Gulistan (Delhi, 1287, in-4, lithog-, 124 pages).
En marge : commentaire en persan.
1871. — Gulislan, edited in persian with punctuation and the
necessary vowel-marks... by W. Nassau Lees (Calcutta, in-8,
241 pages).
1871. — The Gulistan, carefully collated wilh original mss.,
with a full vocabulary, by John Platts (London, in-8).
Réédité en 1872 et 1874 (Londres).
1873. — Kitâb Goulistân. Le livre du Gulislan, imprimé sur un
beau manuscrit de Mirza Aga, surnommé Sahibi-Galem (« le calli-
graphe ») (Constantinople, Impr. impériale, 1290).
1874. — Gulistan (Constantinople, 1291^ petit in-8, 228 pages).
Lithographie Mirza Agha Afchar.
1877. — Gulistan (Lucknow, 1294, in-4, lithog. Neval Kechor,
466 pages).
1880. — Réédition du précédent (1297, caract. taaliq).
1880. — The Gulistan, edited... by E. H. Whinfield (London).
1881. — Gulislan (Lucknow, 1298, in-4, 466 pages, lithog.).
Notes marginales.
1882. — Gulistan (Lucknow, 1299, in-8, 278 pages, lithog.).
EDITIONS DU OULiaXAN IX
1882. — (iulislan iBoiilaq. I?9*). in-8, IGl pagos).
1884 - (liilislan ^Honihay, KiOl. ?3'2 pages).
1885. — Ciulislan. Texte imprimé en oaracU>rc3iiisjoialsd"après
le système <le Malcolm Khan (London, 1302, in-S, 170 page-).
1887. — (iulislan (Conslanlinoplo. I.Wl. in I.Î).
1887. — (iiili-^lan (Hoinbny, l.{0.">. in-H. *>5*2 pages. lilhog.K
Coin mon I aire marginal.
1887. — r.ulislan (Cawnpore, l.'iO.^, in-S, 121 pages, lilliog.
Kishore).
1889. — (iiilislan (Sans lion, l.iU/. in-S, '212 pages).
Lilliographi»^ probabloinonl lians lln-lo. Commentaires snr les
mots arabes qni se rencontrent dans le le.xte per-^^an.
1890. — Relil)fM--i-("inlislAn achar Tayir (Conslantinople, 1308.
in-8, 4;VJ pages).
Texte persan avec commentaire inleilinéaire en turc par Tayir.
1892. — (iiilistan (Bombay, 1309, in-4, lilhog.,'244 pages).
Commentaire marginal.
1896. — Ciidistan (Cawnpore, 1314, in-S. 217 pages. Iilhog ).
Texte persan avec Iradiiclion inlerlin<'aire en ourdou et notes
marginales.
1897. — (liilisian i-Hind (Sandila. in-8, lilhog.).
Editions non datées.
l)The Gulistan of Sliuek Moosluhooddeen San h^e (Cilcitla,
in-8, 204 pages, lithog.) ;
2) (iulistan (S. I. n. d., petit iii-4 im[irim'*, non paginé) ;
3) Idem {^ 1. n d.. in 8, lôj pagns. lilhog ) ;
4) Idem dîombay, grand in-8, lithog.).
avec commentaire marginal ;
5) Idem i Lucknow, grand in-8, lithog., 4<>4 pages),
avec commentaire marginal ;
6) Idem (Conslantinople, in-8, lilhog., 256 pages). y
ÉDITIONS DU BOUSTAN
1824. — Boustan (Calcutta, in-fol.)-
1828. — Boo5tan or frnilgarden by Sheik Muslahuddeen Saudee
of Sheeraz. To whicli is added a compendioiis commenlary toge-
ther wilh a dictionary of such words as are hard of meaning, now
first compiled expressly for this édition by Moolwy Jiimnuzuddy
(Calculla, 18?8, in-4, 228 pages, lilliog.).
Barbier de Meynard (trad. du Boustan, 1880, introd., p. xxviii) :
« De même que l'édition de Calculla (1791), ne se recommande ni
par la correction du texte, ni par la netteté typographique. »
Réimprimé à Cawnpore (1832) et à Bombay (1842).
1831. — Boustan (Tébriz, 1247, in-8).
1832 — Boostan by Slieikh Musiahudden Saudee of Sheeraz
(Cawnpore, 1248, petit in-fol., lithog.),
1833. — Boostan, edited with commentary' and lexicon by
Moolvy Jumnuzuddy (Mevlevi Temiiz-ed-Din) (Cawnpore, in-4).
Réédité en 1868 et 1879.
Barbier de Meynard (trad. du Boustan, 1880, introd., p. xxviii) :
« Marcjue un progrès réel.., sans pourtant qu'une critique sévère
ait présidé au choix des leçons et à la rédaction du commentaire. »
1842.— Boustan (Bombay, 1258, in-4, lithog.).
Réimpression de l'éd. de Calcutta, 1828.
1843. — Boustan (Calcutta, in-8. éd. by Faïz-Oullah).
Barbier de Meynard (trad. du Boustan, 1880 introd., p. xxvni) :
« Assez correcte, mais sans variantes ni notes, »
1846. — Boustan (Lucknow. 126.S, in-8).
Réédité en 1862 et 1869
1847. — Roustan (Hougly, 1264, in-8, lithog.).
1848. — Boustan (Bombay, 1264, petit in-4, lithog.).
1848. — Boustan (Lucknow, 1265, lithog.).
^DITIO?l« DU BOUSTA^J «I
1848 — liiuslan (Cilculla, IÎCm iti-fol.. lilhog.)-
1854. — Bouslan (T.^briz. 1?7I. pelil in-1, 150 pages).
RétSlil*^ en 1868.
1858 — Le Bouslan «le SaMi. Texte p«r.H.in. avec un commen-
taire persan, publié sous les auspices de la Société orientale
il\.liemat,'ne par Ch. H. (ii'aflVienne. Irap. de la Cour et de l'Elal,
in-1, -IT'J papes).
Compte rendu de Defrémery (J. A., 1859. XllI, p. 4.5?) : «< La pre-
mi«Ve édition complète qui ail Mt^ publiée en Kurope. »
Clompte rendu de .1. Mohl ,J. A.. 185^, Xlil. p. '291) : « Le texte
et le commenlairc de Sourouri forment la ba.se du travail de l'au-
teur (jui s'est aidé des éditions de ('alculla. de trois manuscrits du
texte et diin commentaire turc de Scliemi... Le commentaire que
M. (jraf a composé est en général bref, clair et suffisant pour I in-
telligence du texte. »
Du même i^J. .\.. 1859, XIV. p. 63) : « Ce commentaire est concis,
comme doivent l'être des annotations destinées aux écoles. »
Harbier de Mevn;ir<l (trad. du Bouslan. 1880. introtl., p. xxix) :
»« Graf a fait usage des gloses de Surouri et de Cliem'i. en y ajou-
tant des notes historiques et philologiques (juil a rédigées en
persan. Celle publication est, à tous égards, préférable à ce qui
avait paru jusqu'alors... Lnrichie de nombreuses variantes et d'un
index îles mots expliqués, elle a malheureusement le tort de passer
sous silence les passages les plus obscurs. »
1863. — Boustan (Lahore, 1280. in-8).
Réédité en 1879.
1867. — Boustan (Bombay. 1?81. in-4. avec commentaire et
gloses marginales de Oadi Ibrahim Pilbandarf^.
Barbier de Meynard (trad. du Boustan. 1880. introd.. p. xxxv :
« Le travail du savant hindou dénote une certaine originalité. »
1872. — Boustan (Boulaq. l'38S, in-8).
1872. — Boustan (Constantinople, Imp. impériale. V2SS, in-8,
1.58 pages).
En tête du volume se trouve larlicle d'Hadji Khalfa sur le Bous-
lan et les commentaires dont il a été l'objet.
1874. - Bouslan (Hombay. l'i^Jl. in-lV
Béédilion <le l'éd. de 18<)7. avec le commentaire de Qadi Ibrahim
Pilbandarl, mais plus développé.
1876. — Boustan (Lucknow. 1293, in-8, .332 pages, lithog.).
XII BIBLIOGRAPHIE
1881. — Bousfan (CawDpore, 1298, in-4, 476 pages, lithog.).
Edition « Ichop-qalam » (Neval Kechor). Rééditée en 1888.
1882. — Bouslan (Calculta, 1299, in-8. 207 pages, lithog.).
1882. — Boustan (Delhi, 1300, in-8. 130 pages).
1885. — Boustan (Conslanlinople, 1303, in-8, 158 pages).
1887. — Boustan (Cawnpore, 1.304, in-8, 220 pages, lilhog.
Rishore).
1888. — Boustan (Cawnpore, 1305, in-8, 332 pages, Ahmadi
Press).
Avec commentaire marginal.
1890. - Boustan (Bombay, 1308, in-8, 330 pages, lithog.).
Commentaire persan marginal et interligné.
1891. — The Bnstan, photographed from a manuscript prepared
uuder the superintendance of J. T. Platts; furlher collaled wilh
original manuscripts and annoled by A. Roger» (London, in-8,
275 pages).
1891. — Boustan (Lucknow, 1308, in-8, 610 pages, lithogr.,avec
commentaire en persan par Tek Ghand Bahar).
1891. — Boustan (Bombay, 1308, petit in-4, .336 pages, lilhog).
Avec commentaire marginal.
1901. — Boustan (Cawnpore, in-8, 308 pages, lithog).
Avec commentaire marginal.
Editions non datées.
1) Boustan (Calcutta, in-4, imp.. 280 pages).
2) Idem (Tébriz, in-8).
3) Idem (Lucknow, in-4, 474 pages).
COMMENTAIRES DU BOQSTAN ET DU GULISTAN
Au sujet (les coininenlaii'es sur Suiili en ^t'tn'Mal, cf. Grundriss
der iraiiisch«Mi IMiiIulogie, pur <iei^'er cl Kuhii, II, [>. 2*J5.
Hadji-Khalfa. Lexicon (é<). Fla><el, II, p. 52). n- 1828 : « Bouslan ,
en persan, mélre nioiila«jaril), par le ch«Mkh Mourlih ed Din, connu
sous le nom de Saadi de Cliira/ (uiorl en (iUl/l^'Jl ). Livre réléhre et
très lu, qui se pa<we de description. C'est la base de l'enseignement
chez les Persans; les enfants l'apprennent par cœur. Aussi a-t-il été
plusieurs fois commenté en turc entre autres: 1) parle cheikh
Mouçlafa ibn ChaabAn. connu sous le nom de Sourouri (mort en
%y/15GI), commentaire persan ; 2) par le moulla Chamii, mort vers
l'an 1000 (Id'JI de J.-C.) ; ."i) par le moulla connu sous le nom de
Soùdi. mort également vers lan 1000. et dont le commentaire est
le meilleur, le plus étendu et le plus exact de tous; 4) par cl llawaiï
el Boursawi (mort en 1017/Ui08) »
Hadji-Kh.Tlfa. Lexicon féd Flijgel, V, p. 230elsuiv.) : .- Gnlistan :
1) Commentaire en arabe par Yaijoub ibn Sidi Ali (mort en 'J31/
29 octobre 1524) et Moulla Mouçlafa ibn ChaabAn* connu sous le
nom de Sourouri (mort en 0<>'.M 1 septembre 15r)|), écrit pour le
sultan Mouçlafa ibn Soulaiman Khaii. Début: « Louange ù Dieu
qui m'a mis parmi les maîtres de l'exposition el des idées, etc. »>.
Le commentateur ajoute : « L'n savant a commenté négligemtnenl
l'ouvrage en persan, s'est trompé en maint endroit et égaré dans
des chemins pourtant faciles. Le Gulistan est rempli d'historiettes
cuiieuses, «le recouim nidations inlértîss.»iit<'s, de poésie^ excellen-
tes et de vers charmants. • Il déclare avoir terminé son ouvrage à
la lin de rabi' 1*' de %7 (20 janvier 1550) à Amasie ; 2) On dit que
le commentaire du rMilislan attribuée Sayid .\li ZAïleh n'est pas de
lui, mais del .Mouniri I) qui l'a entrepris et a mis son nom dans la
(1 Rieu, Cal. Persiaii .Mss. Hnli»li Mus., Il, p. tiOO (Ya'qûb b. Sayyid
'.\li) : < .•suivant lladji Khalfa ;V, p. 230\ le vrai auteur du commentaire
serait Muniri (Hjmraer, Osinanisclies Diclitkunsl, I, p. 304). Suriiiî «o
réfère couvent à ce commentaire >.
XIV BIBLIOGRAPHIE
préface; lauleur de celle assertion dit qu'il l'a vu et conféré;
3) Commentaire du qàdi Mohammed ibn Mlnàs (mort en ?) ; 4) Com-
mentaire du MouUa Chamiï (mort en 1000/1591) en turc ; début :
« Louange sans bornes, etc. » ; 5) Commentaire du Moulla Soùdi
(mort en 1000/1591), le meilleur de tous ; 6) Commentaire d'Abou'l
Boursawi (mort en 1017 1608); 7) Commentaire du Moulla Moham-
med et Ttrawi, dont le surnom poélique est Aichi (mort en 1016/
1607) ; 8) Commentaire du Moulla DhayitiU Qarthawi ; 9) Commen-
taire du Moulla Lamiï (mort en 938/1531) seulement pour la pré-
face du Gulistan ; 10) Commentaire du Moulla llousain el Koufouw
(mort eu 1012 1603), remarquable et complet, écrit alors que l'au-
teur était qàdi à La Mecque, en chawwâl 1005 (1596 J.-C.) ; c'est le
plus récent de tous les commentaires ; il était resté en brouillon,
mais le frère en Allah d'el Koufouwi, Moulla Housaïn ibn Guzeljeh
Rustem Pacha, connu sous le nom de Housaïni, en fit une copie
qu'il fit précéder d'une préface donnant la biographie du commen-
tateur ; il intitula le commentaire : Boustân-i-afrouz jènân (le jar-
din illuminateur) ».
Sur les commentateurs Sourouri et Chaamiï,cl.: Graf,éd.du Bous-
tan (1858), préface, p. VI , Rieu,Cat. Persian Mss. British Muséum,
IL p. 606-607.
Sur Soudi, cf. Barbier de Meynard, trad. du Boustan (1880), pré-
face, p. xxxi-xxxiii ; Journal d'Antoine Galland (publ. par Ch.
Schefer, Paris, 1881), t. l, p. 217, n. 1.
Editions.
1833. — Soudi. Chaih-i-Gulistan (en turc) (Constantinople, 1249,
in-foL, 514 pages).
1837.— Charh-i-Gulistan (Calcutta, 1253, in-8).
1845. — Charh-i-Boustan (Calcutta, 1262, in-8).
Réédité en 1849.
1847. — Abd-er-Rasoul. Charh-i-Gulistan (Lucknow, 1264, in-8).
1848. — Charh-i-Gulistan (Delhi, 1265, in-8).
1852. — Charh-i-Boustan (Cawnpore, 1268, in-fol.).
1858. — Cheikh Saadi merhumun Gulistani bou defa charh
olounazaq tab' olunmasi (Constantinople, Imp. typogr. des presses
du Moniteur ottoman, 1274).
(Signalé J. A., 1859, XIV, p. 297.)
COMMBNTAIRBS DU HOL'STAU Kl' DV GULISTAM XV
1869. — Soudi. Climli-i-(iulislau (Consluiiliuople, 1?86, in-fol.).
1871 . — Soiuli. (]l)aili-t-HoiisUui (cmi liirc)(Cori3luiilino|)|p. IiMp.
impériale, 1*288. 2 vol. Tonnai obloiif^, G()4 et 40'J pages).
Chatjue volume est précéilé duii iijile.v. .Notice sur Soudi en lôle
du priMniiT.
Harbier de .Mi-yuaiil ^Irad. du liuu-^lan, 1880, lulrotl., p. xx.\,
u. 1): « D'une incorrection inouïe. »
1883. — Moulwi .Mufli Tajuddin Saheb. Gommenlary on Shek
Sadi's (lulistan. (Ijombay, Saldary press, in-4, lilhog., 448 pages).
1886. - Cliath i-liouslau ( Lucknow, 1303, in-8, 4«>4 pages).
1887. — Cljurli-i-(iulistan (Cawnpore, 1304, in-8, lilhog.).
1890. — l'ayyar. UeJiber-i-Gulistan (en lurc) (Conslanlioople,
1308, in-8).
1900. — .Mùliamined Akrain .Moullani. Cliarli-i-Uuli.stan (Luck-
now, Malba'i Vousouli, 3A) pages).
EDITIONS FRAGMENTAIRES
1778. — Anthologia persica (Vienne, in-4).
P. 48 : une qacida persane.
1809-1811. {r224-1225). — Persian sélections for Ihe use oflhe
studenls ol' Ihe persian class, published under Ihe superinlendance
of M. Lumsden L. L. D. ; at Ihe persian press of the collège of
Fort-William (Calcutta, 6 vol. in-fol.).
Le tome II contient : « A portion of the Goolislaun and the Boos-
taun » ; le tome III : « A portion of Deewaune Saudee ».
1814. — Weston (Stephen). Persian distichs from various
authors (London, in-8).
P. 48-49 : un distique extrait du dîwân.
1824. — The persian reader (Calcutta, in-8).
Vol. I : extraits du Gulislan.
1828. — Lees. Classic sélections from some of the most estee-
med persian wrilers (Calcutta, 1244, 2 vol. in-4, lithog.).
Le 2* volume contient : « I. Dewani Saudee ».
1833. — Boldirew (Alex.). Chrestoraathie persane (Moscou, in-8).
P. 35-61 : extraits du Boustan ; p. 66-77 ; qacidas et ghazals.
1838. — Sélections from the Boostan of Sadee, intended for the
use of students of the persian language, by Forbes Falconer, M. A.
member of the asiatic soc. of Paris and prof, of or. lang. in the
universily collège (London, in-12, lithog.).
Barbier de Meynard (trad. du Boustan, 1880, introd., p. xxviii) :
« Le texte, lithographie en caractères taalik, reproduit celui de
l'édition de Calcutta (1791) ».
Compte rendu de Garcin de Tassy, J. A., 1838, V, p. 204.
1846. — Spiegel (Fr.). Chrestoraathia persica (Lipsise, in 8).
P. 124-130 : deux qacidas persanes.
1847. — Pend-Nûmeh,ou le Livre des Conseils de Moula-Firouz-
éoiTIONg PHAGMBMTAIHB8 XTII
Ben-Knous, suivi de plusieurs hisloires du Bostan de Sadi el de
son Irailé sur la polilit|Ut', par \i. Lalouclio (Pniis. 1.% pages, in-8).
Comple rtMulu de J. Mohl (J. A.. 1^<4H, MI. p. 14(»): <■ M. Lalou-
che a commence la publicalion d'un ouvrage destiné ô faire partie
des chreslomalhics orientales de l'école dos langues de Paris. Le
cahier (|ui a paru comprend les textes (jue l«* volume doit contenir
el sera suivi de coromentaires, le plan de la collection excluant les
tra. ludions. »
1862.— MounlakiuibAl-i (iulislan .Conslanlinopl.-, I':*''» in 8,
•17 pages, lilhog. .
1863. — 'A(jd-i-goul, heing a sélection from llie (iulislan... edi-
ted l)V W. N. Lees and Mawlavi Kabiral-din Aliiiiad (Calculla, in-8,
Lees persian séries, n* 1).
1863. — Oisseh-i-a\v\va!-i-mounlakliabàt-i-fArsi (Agra, in-8,
autograpliié).
(Chrestomalliie persane contenant des extraits de Saadi en vers
el des extraits de divers moralistes persans en prose.)
1865. — MounlakhabiU i-BousIân. Sélections from Ihe Boslân
of SAdi (Lahore. 1282, in-8, 88 pages, 2 colonnes, lithog.).
1866. — Mountakhabât-i-Goulistân (Téhéran. r283, in 4. lithog.
Hgures dans le texte).
1866. — Inlikhâb-i-diwân-i-Saadi. Sélections from Ihe divAn
of Sàdi (Lahore, 1283. in-8, 84 pages, lithog.).
1868.— Mountakhab;U-i-(loullst{hi (Consiantinople, 128."), in-12).
(Extraits de Chàhi, Atlàr. Alâqi, Hûfi/.. A<;a(i, llazret. Saadi,
Sâïb, publiés et lithographies par l'éditeur Yumni Efendi. Signalé
J. A.. 184'»9, XIV. p. 88.)
1870. — 'A(jd-i-nianzoum. Poelrv, n" l\ . Heiiip a sélection Ircjm
the Bostdn. . ediled h\ Ihe ^^a^^la^^l Kabir-al-dir) Ahmad ^Calcutta,
in-8, Lees persian séries, 8).
1874. - hharabftt (Consiantinople. 1291. H vol. in-4).
Signalé par Helin (J. A.. 1877, IX, p. lU4)sous le titre de »- Cellac
vinariae, ou recueil de morceaux choisis dans les littératures
arabe, persane et lurijue, par S. E. Zia bey ». Contient notamment
la (]acida persane de Saadi sur la prisée de Bagdad p. \'M\ .
1880. — Cinlda^ta-i-danish. or per.'-ian reader. . (cn prising if-
'ections (lom the Gtliblsn oi.d Ihe Bo.>-lf>n. ( cnpiifii un<ier Ihe
orders oiW. H. M. Holiovd (Lahore, in-8, lithog.;.
M. - Il
XVIII BIBLIOGRAPHIE
1881. — G;uiiiiKi-i-Khirad, or por.^ian seleclioiis iVom... Diwaa-
i-Saa-li. Coinpileil un 1er Ihe orders of W. R. M. Holi-oyd (Lxliore,
in-8, lilhog.).
1881. — Griiueil (Max). Neu-persische Glirestoinalhie (Prague,
2 vol. iii-4, lilhog.).
Vol. I. p. 34-42 : extraits du recueil des quatrains (« Aus Sa'di's
ManziiinAl ») ; p. 49-67 : extraits du Boustan.
1883. — Robinson. Persian poelry for englisli readers, being
spécimens of six ofthegrealesl classicals poets of Persia : Ferdusi,
Nizami, Sadi, Jelal ad Din Rumi, Hafiz and Jami (Glasgow, in-8).
1885. — Persian course for Iraining collèges, compiled... under
Ihe superintendance of R. Dick (Lahore, in-8, lithog.).
P. 126: début du Boustan.
1889. — Rogers. Persian Anlhology, being sélections frona Ihe
Gulislan of Sadi, etc. (London, in-8).
1889. — Pizzi (L). Chrestoniathie persane (Turin, in-8).
Extraits publiés en transcription latine : dîvvân (p. 106), Gulis-
lan (p. 110), Boustan (p. 119).
1892. — Kanga (J. B. et K.). Geins of persian prose and poetry,
containing the roses frora the Gulistan, the flowers frona Buslan,
etc .. carefully culled and annotaled (Bombay, in-8).
Réédité en 1893.
1895. — E.-G. Brovvne. Notes on ihe poetry of the persian dia-
lects (J. R. A. S., p. 794-802). '
Texte, commentaire et traduction en anglais de deux poèmes
dialectaux inédits de Saadi. Gf. Ibid., p. 773, in fine.
•1901. — Majmou'-i-roubâ"iyât (Delhi, 1319, 38 pages, Matba'-i-
Moujtabâ'i).
Recueil de quatrains, parmi lesquels plusieurs de Saadi.
A) Schlechla-Wessehrd (Z. D. M. G., VII, p. 589) a publié une
qacida inédite de Saadi, mais sans en indiquer la so'.irce. Aussi est-il
difficile de décider si elle doit être tenue ou non pour authentique. Gf.
les observations de Graf à ce sujet (Z. D. M. G , IX. p. 94, Aura.).
B) Gh. Schefer (Ghrestomathie persane, I, p. 196) signale que
Houssain Waïz Kachafi, dans sa c Risalah-i-Hatimiyah », a recueilli
les passages de Saadi relatifs à Hatim Thayi.
C) Baha ed Din el 'Amili (éd. Gaire, 1366, in-4, p. 97-98; cite la
17' fjacida arabe de Saadi.
ÉDITIONS ET TRADUCTIONS DES OPUSCULES
(RISALAHS).
Introduction d'Ahmad de Bisoutoun.
Traduite en anglais dans l'édition des Koulliyflt [éd. princeps,
17yi. préface de l'éditeur anglais, p. '24-?6).
Deuxième opuscule.
A) MosJih-ed-Dini Sa'dii consessuum tertiuset (juartus, ad fidem
codicis Vralislaviensis prinium edili. cuni edilion<' Culcull. collati,
adiiolalioiiibus et criticis et exegeliciM iiihlrucli Dissertatio inaugu-
ralis quam... in Acaderaia Viadrina Vratislaviensi, ad summos in
Philos. Hoii. capess. publiée defendet auctor Mauritius Guedemann
IJanuoveranus (Breslau, in-8, 1858j.
Texte et traduction latine des troisième et quatrième séances
(majiis). Les notes critiques prouvent l'insurtisance de l'édition
princeps.
B) Transactions of the Literary Society of Bombay, vol. I, p. 14*>-
158 (Bombay. 18l9j.
Traduction en anglais de la 5* séance par J. Ross.
C) S. de Sacy. Notices et extraits de deux manuscrits persans
(Paris, 1831).
P. 231: fragment de trad. d'une historiette de la 3* séance.
D) Pizzi (1.) Storia délia poesia persiana (Turin, 1894, 2 vol. in-8).
Vol. I, p. 314-317 : traduction de la 3* séance.
Troisième opuscule.
A I Traduit en anglais : Kuulli}ât (Calculla, 1791), préface de l'é-
diteur anglais, p. 14-17.
fi) Traduit en allemand ; Graf, Lusigarten (trad. du Boubtan, 1850)»
t. II. p. 136.
XX BIBLIOGRAPHIE
Quatrième opuscule.
A) Traduit en anglais: Koulliyât (Calcutta, 1791), préface de Tédi-
teur anglais, p. 17-19.
5) Traduit en allemand : Graf, Lustgarten (1850), II, p. 142-146.
C) Traduit en français: Defrémery, trad. du Gulistan (1858),
introd., p. xxxui-xxxv.
Cinquième opuscule.
A) Sadis des weisen Persers Kônigsspiegel, herausgegeben von
J. G. Grohmann (Leipzig, 1802, in-12. XX el 172 pages).
B) Naçihat el raouloûk (Vienne, Imp. impériale, 1856, in-8,
49 pages).
Forme le 3« cahier de la « Persische Chreslomathie ^) publiée par
H. Barb. Caractères taaliq. Dans sa préface, l'éditeur déclare en
persan que son édition est faite à l'usage des élèves de l'Univer-
sité : « là moula'allimîn-i-madrasa-i-dàr el founoùn keh dars i-zibân-
i-fArsî raî khânend az moutâla'a-i-àn bahramand gardend. »
C) (Conseils aux rois). Voyages du Chevalier Chardin en Perse
et autres lieux de l'Orient (éd. Langlès, 1811), tome V, p. 56-116.
(Traduction libre en français.)
Sixième opuscule.
A) Traduit en anglais : Koulliyât (Calcutta, 1791), préface de l'édi-
teur anglais, p. 7-19 (l'® partie), p, 19-21 (3* partie).
B) Traduit en allemand : Graf, Lustgarten, II. p. 142-146 (1" par-
lie), p. 1 46- 148 (3« partie).
C) Traduit en français: Defrémery, trad. du Gulistan (1858),
introd., p. xxxv-xxxvii.
Sacy, Chreslomathie arabe (2' éd., 502-505 du 3' volume) insère
en note le texte persan et la traduction française (par Chézy) d'une
fable : « Le rossignol et la fourrai » tirée des « Medjalis » de Saadi.
EDITIONS ET TRADUCTIONS DU PEND NAMEH
1788. — FiiDiInameh, a compeiulium of elhics, traiislaled from
Ihe pcrsian of Satli of Shiraz inlo english, by F". Gladwin (Calcutta,
in-l?K
1801 — The Persian Moonsliee, containioga copious (îrammar.
and a sei ies of entertaining slories ; also the Pund namuli of Shykh
Sadee, beittg a coniptMidiiim of elhics in verse, hy thaï celebraled
potjt... by Francis (ilaihvin tlsq. (dalcutla, in-4).
Réédité en 1840 par \V. C. Smylh
1805. — Rousseau (S.). Flowers of persian literature (London,
in-4).
P. 117-134 : The Book of advice composcd by Sheikh Saadee of
Shiraz. comprisiiiga compendium of elhics, translated by F. Glad-
win (Texle et Iraduclion en regard).
1822. — Exposition de la foi musulnaane, traduite du turc de Mo-
hammed ben PirAli Elberkevi,avec des notes par M.Garcin île Tas-
sy ; suivie du Petid-N;1mèh, poème de Saadi. traduit du persan par
le même, et du Borda, poème à la louange de Maliorael, Iraduil de
l'arabe par M. S. de Sacy (Paris, in-8).
La Iraduclion ilu Pend-Nâmeh occupe les pages 103-124 et a été
réimprimée datjs : Garcui de Tassy, Allégories, récils poéliques et
chants populaires, Paris, 1876 (p. 197-210).
1823 - Perrin (N). La Perse (Paris, 7 vol. pet. in 12 .
\«il \ I, [). 117-147: traduction du Pend-NAmeh.
1824 — The persian reader (Calcutta, in-8 .
Vol. I ; extrait du F^end-Nûmeh.
1825. — Pend-NAtneh Calculla, l'M2. in-.s).
(Texte persan et traduction en hindousiani.) Réédité en 1853.
1833. — HoMirew(Alex.^. Chrestoroathie persane (Moscou, in-8).
P. 9-19: Texte du Pend-Nâmeli.
1835. — Spécimen academicuu) F'endnAmeh sive liler consi-
XXII BIBLIOGRAPHIE
lioruin Sheikh MusliheJdin Saad! Schirazensis, Persice, interpreta-
tiotie latiiia nolisque illustratum sislens quod venia amplissimae
facullatis pliilos. ad imperialein universitatem Alexandream in Fen-
nia p. p. GaBriel Geitlin, resp. Johann Zacharia Lange, sacellano
Helsingfortiensi, pars I et II die 10 junii 1835 h. a. m. c. (Helsing-
fors, in-8, LVI et 24 pages).
1840. — The Persian Moonshee, containing a copions Gramnoari
and a séries of entertaining slories ; also Ihe Pund nanauh oï Shykh
Sadee. beinga compendium of elhics in verse, by Ihat celebrated
poët... The whole in Ihe arabic and roman characlers, logelher
wilh an english translation. Second édition, revised, correcled and
translaled into the roman character, by William Carmichael Smyth,
Laie of the Hon. East India company's Bengal civil service (Lon-
don, in-8).
(Cf. éd. Gladwin.1801.)
1846. — The persian primer (Lucknow, 1263, in-8, lilhog.).
(Edition du texte.)
1846. — Graf.Rosengarten (Cf. traduclionsdu Gulistans.a. 1846).
Extraits traduits envers : notes, p. 239, 244, 253, 260, 281, 293,
297.
1864. — 'Aqd el lâlî, or persian poelical reader. N" I, conlaining
the Pand Namah or Karima, commonly ascribed to Sadi, and Ihe
Tarji-Band, called Ma-iMoqiman (Calcutta, in-12, Lees persian
séries, n° 4).
J. Mohl (J. A., 1856, VIII, p. 58) cite cette édition du Pend-Nàmeh
(( attribué à Saadi ».
1885. — The Pandnama of Sheik Sadi, annotaled by Shapurji
Bhikhaji Baria (Bombay, Education society's press, in-8, 56 pages).
1887. — Pend-Nâmeh(Lahore, 1305, in-8, Muslafaï press, 16 p.).
1887. — Idem (Bombay, in-4, Mahomedi press, 16 pages).
1887. - Idem (Agra, in-8, Murtazaï press, 12 pages).
(Ces trois éditions lithographiées.)
1887. — Hart (Jul.) Divan der persischen Poe.sie (Halle, in 12).
P. i 17 : traduction d'un extrait.
1888. — Pend-Nâmeh (Gawnpore, in-8, Ahmedi press, 1306, li-
thog.),
1894 - Karimah Persian text wilh his translitération, by E. R.
Sahiar (Bombay, 1312, 79 pages).
EDITIONS Kr IHVDUCTIONS DU l'ENO-MAMEH XXIII
1901. — M.itljcnn'-i paiiilj kilAl» : Kiiiiiiui, tic.
(Huinbiv, M;Ul»:i -i IlasHrii. l'ÎPJ, l?l pages.)
éditions non datées.
A\ A^^ra. iii ^. lilho^.
B) Lurkiiow, 111 6. lilliug. vAv(*c Irailuclioii en liiiuluuslani).
Edition non pnblièc.
182J. - Pi(>>|>«(iiis el SjM'cimt'U «l'une clilion lilliugraphici;
d'uîiJMes (le Saudi (par CiaiiUier, secréloiie adjoint ;'< 1 ICcole des
Langues orientale^, cl Dcnianne jiMinr, lilliotïiaph»').
M .... l'ii nouveau proced»'» liUjogiafilii(|ue.... nous met à mOmc»
de publier aujourd liui le Pend-nanieh (Iimp rjrs conFoiU) de Sandi.
Le mauiiscril île ce |)c)ènie esl lellenienl rare iju'ij ne se lit.iive
même pas à la Hiblioll)è<|ue du Hoi. ^t)U'^ y juigiion> le Houslan,
du même auleur. »
(L'ouvraj^e devail coinpieiidie ciinj livraisons, h H lianes la li-
vraison, lexlc el Iraduclion. Les «ViiUins annon(;aienl en onlrc la
publication posb^rieure du Gulislan. du Haharistan, du (^oran,
elc )
TRADUCTIONS DU GULISTAN
1634. — Gulistan ou l'empire des roses, composé par Sadi,
prince des poètes turcs et persans, traduit en français par André du
Ryer, sieur de Malezair (Paris, Ant. deSommaviile, 166 pages, petit
in-8).
Réimprimé en 1737 (Paris, Prault).
Sémelet (trad. du Gulistan, 1834, préface, p. 3) : a II n'y a pas la
moitié du texte traduit ; ce sont quelques paraphrases que l'on ne
peut pas appeler du nom de traduction.... Il finit la totalité de l'ou-
vrage par le paragraphe de la fin du chapitre premier (jui commence
ainsi : On demanda à Alexandre le Grand. .. » (Cf. la rectification
de Defrémery, infra, année 1704).
Du Ryer a en outre donné une traduction du Coran (Paris, 1647).
En 1635, son Gulistan fut traduit en allemand p^r Friedrich Och-
senbach, de Tubingue.
1651. — Musladini Sadi Rosarium polilicum, sive amoenura sor-
tis humanae theatrum, de persico in latinum versum, necessariis-
que notis illusiratum, a Georgio Gentio (Amstelodami, Blaeu, petit
in-fol.).
Texte persan en caractères naskhi et traduction latine.
Réédition, à Amsterdam, de la traduction latine seule (in-12) en
1655.
Gentius écrit dans la dédicace de sa traduction au prince de Saxe :
« Après que, durant trente ans, les frelons ennemis ont ravi tout
leur miel aux abeilles et n'ont laissé que la ruche vide, le moment
est propice pour planter ce jardin de roses en Allemagne. »
Eastwick(trad. du GuUstan^ 1852, préface, p. XII) : « It exhibits,
along with the energy, ail the roughness of a pioneer. »
Sur Gentius. cf. Raphaël du Mans, Estât cle la Perse (éd. Ch.
Schefer), introd., p. xcvi. George Gentz, né en 1618 à Dahme, fut
conseiller du prince de Saxe Jean-George II et mourut en 1687.
C'est d'après sa traduction que Herder composa son « Sadi's Rosen-
thal ».
TRADUCTIO.IS DU GULI8TAN XXV
L'tMilion de UYy^ est ainsi appréciée par Sénaelel (trad. du Gulis-
lan, IS.'U. préface, p. 3): u Ollo Iraduclion n'est pas mauvaise,
quoiju'il s'y trouve b»*aucoup d'erreurs. .. ; les ilifticultés du texte
restent ; et les notes. insis^niflantes pour la plupart, n'en relèvent au-
cune ;... j'ai conservé de ces notes tout <:e qui m*a paru être utile.. »
Gladwin et Dumoulin, pour leurs traductions anglaises, se sont
aidés de Gentius.
1354. — Persianischer Rosenthal in welchem viel luslifçe Hi<^lo-
rien.scharfsinnifçe Heden und niit/tliclie Hegeln, vor 40U Jahren von
einein sinnreiclien Poeten Scliich Saadi in persischer Sprach f^es-
chrieben. Jel/o aber von Adamo Oleario mil Zn/iehunj,' einesallen
Persianers Namens Ilakwirdi uberset/.et, in Ijochdeulsclier Sprache
herausgegeben und mit vielen Kupfersiiicken gezierel. Mil ROm.
Kay^. Majesl. Freybeil. — Schlesswig. In der Fiirstl. hnickerpy
gedrurki durcli Johann Holwein. — liey Johann Nauman Bucliliànd-
lern in Hamburg.In Jahr 1654 (in-Pol.).
Grand succès en Allemagne. Réédité en 1660, 1663, 1671 (année
de la mort d'Olearius;, 16%.
Sur Olearius (Oelschlager), cf. F^aphaël du Mans, Estât de la
Perse(é(l. Schefer), introd., p. xi.ii et suiv. et xc:vii. Kl cf. F. Ralzel
(Allgem. deutsche l'.io^'., l. XXIV, p. "269. Leipzig, 1887).
Première traduction complète en allemand Adam Olearius von
Ascher^leben (1599-1671) qui avait appris le persan en Perse, fai-
sait partie dune ambassade envoyée en Russie et en Perse par le
duc Frédéric III de Schleswig Holstein-Gottorp. On trouvera des
détails sur cette ambassade dans Graf, Rosengarlen (1846,, Vor-
rede, début.
Dans sa préface, Olearius déclare que. lors de son séjour en
Perse, il n'y avait presque personne « en élat de lire et d'écrire,
qui n'ertl le (iulislan entre les mains » et que ceux qui voulaient
passer pour savants pouvaient en réciter par cœur la plus grande
partie. Le Chah de F'erse ayant envoyé à son tour une ambassade
en Holstein. Hakwirdi, <|ui en faisait partie, aida Olearius. (^f. un
extrait de celte préface dans Rùrkert. Saadis polilische Gedichte
(éd. Rayer, Rerlin. 1894). p. 142, u 60.
Graf (Rosengarlen, inlrod., p. xiv) : « L'œuvre d Olearius a, de
par son ton de naïveté louchante, un charme particidier qui plall
encore aujourd'hui ; mais on peut h peine la nommer traduction,
d'après nos conceptions modernes. C'est une libre rédaction d'après
Saadi... >
D'après Schefer (éd. <it. de Raphaël du .Mans), l'édition d'Olearius
est •< ornée de gravures qui ne donnent qu'une idée fort inexacte
XXVI BIBLIOGRAPHIB
des costumes et des édifices persans... Olearius a imprimé quel-
ques vers et quelques noms propres avec les caractères persans
employés par Gentius. L'orthographe laisse beaucoup à désirer ».
A celte traduction, Goethe a emprunté, sans presque y rien
changer, les deux historiettes du « Divan oriental et occidental »
placées en remarque au « Schenkenbnch. »
1654. — Persiaansche Roosengaard : beplant met vermaaklijke
Historien, scharp-zinnige Redenen, nulle Regelen, en leerijkeSin-
Spreuken. Door Schich Saadi, doch onlangs uil «leselve Spraak
in'l Hoogduyls overgesel door Adamum Olearium ; die daar by
gevoegd heeft, de aarlige Fabelen of Verdigtselen van Lokman ;
als ook eenige trefîelijke arabische Spreuken. Ailes verlaalt door
.1. V. Duisberg. Met schoone koopere Plaaien verziert. (t'Amsterd.
1654).
Traduction en hollandais, d'après Olearius (Amsterdam, in 12).
Cité Chauvin, Bibliographie des ouvrages arabes, III, p. 22, n°38 C.
1696. — Des Welt-beriihmten Adami Olearii colligirte und viel
^ormchl•le Reisebeschreibungen, beslehend in der nach Muskau
und Persien, wie auch J. Albr. von Mandelslo morgenland. und
Jiirg. Andersen's und Volq. Yversens oriental. Reise etc. Nebenst
(Sadi's) beigefuglem persian. Rosenlhal und Baumgarten. Mit
eingedr. Kpf. (Hambourg, in-fol.).
Réédition d'Olearius, augmentée de la traduction du Boustan.
La K' édition de 1654 était in-folio ; la deuxième (Sçhleswig, 1660)
fut tirée à la fois en in-folio et en in-4. Cf. Chauvin, Bibliog. ouv.
arab., III, p. 21, n" 38 A).
1704. — Gulistan ou l'empire des roses ; traité des mœurs des
rois, composé par Musladini Sadi, prince des poètes persans, tra-
duit du persan par M... (d'Alègre) (Paris, in-12, 2 parties en un
volume).
Defrémery (trad. du Gulistan, 1858, préface, p. iv) : « Sémelet a
confondu la traduction de Du Ryer avec l'extrait, beaucoup moins
complet et sans aucune valeur, publié pour la première fois en 1704,
sous le voile de l'anonyme, par d'Alègre, et réimprimé en 1714 et
en 1737. »
1774. — Select Fables from the Gulistan or the Bed of roses,
translated from the original persian of Sadi, by Stephen Snllivan
(London, in-8, VI et 139 pages).
1775. — Schich Sadi Persisches Rosenthal nebst Locmans Fa-
belii. Xeue, verbesserte Auflage, von J.G. Schummel. (Wittenberg
und Zerbst, bey Samuel Gottfried Zimroermann, in-8, 358 pages).
TRADUCTIONg DU OULIHTA!* XXVII
KtiJHitnis^einenl de \n Irnduclioii «l'OlAfirius. On lit dans la pré-
face (p. 4) : « Ich eiil'^chloHs rnioh aUi>. ilm ( lan Ol'îarins) n»;u
htM-His /.Il iÇ(M).Mi. un I .lu; SjKacli!, so j^ul ich k iiiule, jeJocl» mit
aller nur inO^lictieii Treue uin 10() Jahro zn verjiingftn. »
1789 — Kssay liisloïKpi»» sur la lt''f^i><lnlion il«« h I^erso, piV;c«^(lé
de la traduction complète du J.irtim d''> n.i««- d" ^^ Iv. [»nr l'.d»bé
(iaudin (Paris. Le Jay, in-H).
Belle mlidèle. S'Wiielel ilrad. du (iuli-lau, l.SiU. pr<'r.i(:e, p. m et
iv\ donne des exemplos des nombreuses inexucliludcs et ajoute (|uc
cette traduction était, juscjuà la sienne propre, •• la seule tiaduclion
que l'on croyait avoir coinidèle en français ><
H«'édilé en 17UI it'aris, in H) el rt'iinprimé en I84.'i dans l'éd.
des « Mille cl un jours » du « Panthéon littéraire >• (F^aris, in-8).
1802 — The Bagh-i-Oordoo or a Hindoostanee version of the
Per>ian (ioolislnn. The Bosongarden of Hindoostun, translaled
froin Shykh Sadee's original nursery ; or persian Goolistan of
Sheeraz. by Moer Sher Ulee L'Isos, under Ihe direction an<l super-
intendance of John Gilchrist (Calcutta, *2 vol. gr. in-8).
Tra<luction en hmdouslani réédilée en 180S, 1835, 1846. 1849
(Calcutta, in-8); 1835 (Bombay, in-8).
1806. — The (ïolistan or Bosegard n hy Muslahuddeen Sady of
Sheeraz With an english li;iiisl;ili(tti .uni iioli-^. hy F Ciladwin
(Calcutta, 2 vol. in-4),
'2' vol. : Iradiiclion en anglai.s. lUn-iili'c en 1808 Calcutta and
London, in-8). en 1833 et I83H ^London).
1807. — Goolistan... with an english translation... By James
Dumoulin (Calcutta, in-1. 230 pages).
1809. -- The (iulistan... by F. Gladwin (London. in-8, 2 vol.).
L ■ J' volume contient la traduction.
1823. — The (iulislan or llowergarden of Sheikh Sadi of Shiraz
translated into english by James Ross from the persian lexlof Gen-
tius. logelher wilh an essay on Sadis life ami genious (London,
in-8. 475 pages).
Peu littérale. Voir exemples d'inexactitudes dans Sémelel (Ir.id'
du (lulislan. ia34 iniro.l.. p. vi\. Réédilée en 1800.
1827. — Drei Lustgange aus Sadis BoM'nhain. ans dem Persis-
chen libersetzt von B. horn H luibourg, in 8, 130 pages).
(Traduit da{)rés Gentius.)
1827. — The Gulislan, translated by S. Lee ; London, in-8).
XXVIII BIBLIOGRAPHIE
1828. — Spreuken en Voorbeelden van Muslih Eddin Sadi ge-
trokken uit zijn Rosengaard van W. Bilderdijk (Rotterdam, in-8,
59 pages).
1834. — Gulistan ou le parterre des fleurs du sheikh Moslih-
eddinSadide Chiraz, traduit littéralement sur Tédition autogra-
phique du texte publié en 1828, avec des notes historiques et gram-
maticales par N. Semelet, membre de la Soc. as. à Paris, Dédié au
Roi (Paris, Imp. royale, in-4).
Préface (p. 27) : « J'ai pour ainsi dire calqué ma traduction sur
les termes du texte... ; c'est du français-persan qui ne peut avoir de
prix que pour celui qui explique le Gulistan. »
Defrémery (trad. du Gulistan, 1858, préface, p. i) : « Système de
traduction beaucoup trop littéral. »
1841. — Sadis Rosengarten aus dem Persischen iiberselzt durch
Dr. Philipp Wolf (Stuttgard, petit in-8, 335 pages).
(Traduit d'après Sémelet.)
1843. ~ Fragment d'une traduction du Gulistan, par Charles
Borromée Houry. (Revue : l'Emancipation, n" du 9 mai).
Sur Houry, né en 1799 à Relligny (Luxembourg) et mort à
Téhéran le 18 novembre 1858, cf. Chauvin : Charles Borromée
Houry, Liège, 1908.
1846. — Kilâb tarjamati'l Hulislâni'l (sic) fârisî taarifou'l
khawâja Jabrâïli bni Yoûsoufrs chahîr bi'l Moukhalla (Boulaq,
1263, in-4j.
(Traduction en arabe.)
1846 — Moslicheddin Sadi's Rosengarten, nach dem Texte und
dem arabischem Commentare Sururi's aus dem Persischen libersetzt
mit Anmerkungen und Zugaben von K. H. Graf (Leipzig, in-12,
302 pages).
Sur K. H. Graf (né à Mulhouse en 1815, mort en 1869), cf. AUg.
Deutsche Biog., t. IX, p. 579 (Leipzig, 1879).
Compte rendu de J. Mohl (J. A., 1848, XII, p. 139) : u On ne sau-
rait refuser à Graf le mérite d'avoir su allier une grande tidélilé à
une élégance remarquable. La prose rimée est imitée et les pièces
de vers sont traduites en vers; dans les cas douteux, Graf a suivi
le sens indiqué par le commentaire de Sourouri. «
1852. — The Gulistan or Rose Garden of Shekh Muslihuddin
Sadi of Shiraz, Iranslated for the lirst time inio prose and verse,
wilh an introductory préface, and a life of the author, from the
Atish-Kadeh, by.Edward B. Easlwick, F. R. S. M. R. A. S. ofMer-
TRADUCTIONS DU GULIBTAN XX» X
Ion collège Oxford. memlHi of Ihe Asinlic sociclies of Paris and
Bomh.iN , iind Professer of OrnMilal Laiimui^e-^ and Librarian iii llie
Kasl India (:oll«'^c (^llerlford Iliîll«->l>iii y. in-H. M2 |taf,'fs).
Dans sa prt^facc (p. xvi), Enslwick ran^'o dan?* rct ordre de mérite
les Iradiidions prrcédani la sienne : 1° Sûmelel ; '2" (iladwin ;
3° Ho» ; 4" (ienlm-; ; il r «pporle ce pn>.erb(». sur San li : « (Iliaque
mol de Saadi a 7*2 sens ■> (« lier laf/-i Saadi neflAil-ou-ilou inaani ►»).
I^éédilion en I8S() (Londres).
Defrémorv (Irad. du (iulislan, \>i'>^, prt^face, p. ii) : « Il est à re-
gretter que les scrupules qui, dans sou édition du texte publié en
I8r)0, l'avaient port»' à mutiler l'ouvraj^e de Saadi, l'aient déterminé
à introduire les mécnes coupures dans ;>a version... siipprinianl,
dans le clia})itre V, dix historiettes sur 1\ et faisant plusieurs cou-
pures dans d'autres clia|>itres. »
Harbier de Meynard (J. A., 1H58, XII. p 000; : « La version an-
glaise la plus récente, due.'» la plume dt- M. Eastwick, tout en étant
à la fois une merveille d'exécution typ<)<,Maplii(jue et une oeuvre lit-
téraire, est moins une traduction qu'une élégante paraphrase Mal-
gré les ressources qu'olTrent les mots composés et les inversions
hardies de la langue anglaise, il était impossible, on le conçoit,
d'être en même temps poète et traducteur. »
1855. — Le Gulislan. traduit en hindouslani par Nizam-uddin
(Poona, 1272, in-8).
1857. — Le Gulistan. traduit en russe par S. Nazariant/ (Mos-
cou, in-8, XX et 171 pages).
1858. - Gulistan ou le Parterre des roses par Sadi, traduit du
persan sur les meilleurs textes imprimés et manuscrits et accompa-
gné de notes histor-ques, géographiques et littéraires, par CU. De-
fré mery (Paris, iu-12, 358 pages).
Important compte-rendu de Barbier de Meynard (J. A., 1858.
XII, p. riW-fK)!! : « ... La traduction donne tout ce cpi'on est en
droit de lui demander : un cal(|ue lidèle de loriginal, une juste
ap précialion de l'œuvre, et des éclaircissements puisés aux meil-
leures sources. . »
J. Mohl (J. A., 185'J, XIV. p. G?) : « 'traduction aussi fidèle
mais moins cahjuée sur la phrase persane que celle de Sémelel...
Ce livre aura des milliers de lecteurs. »
1861.— (iulislan, a complète anal}.'>is of llie enlirc prrsi.Hi loxl,
by Major l\. V. Anderton (Calcutta, in-8°).
1864. — Der RoseDgarlen des Scheich Muslih-eddin Sadi aus
\XX BIBUOGRAPHIE
Schiras. aus deni persischen ûbersetzl von G H. F. Nesselmann
^Berlin, m-8, 3\'2 pages).
1873. — Gulislân ossia il Roselo... prima versione italiana dall"
originale persiano con commenlario crilico estelico comparalivo
per Gherardo de Vincenliis Napoli. in-S, "6 pages).
1873. -i H. V2^).
A) Gulistân lurklcheh lerjumèsi.
Conslanlinople, inip. Cheikh Yahia.
B) Idem ^Traduit par le cheikh ul islam Esad Efendi).
ConstaDlinople, imp. Suieiman Efendi.
C) Idem (Avec commentaire de Soudil.
Conslanlinople. imp. Ali Pacha.
(Traductions en turc.^
Hadji-Khalfa vLexicon. éd. Flûgel. V. p. ?o2 : t. Le moulla Asad
Efendi a Iraduil en turc le Gulislân. La date de sa composition
est contenue dans ces vers : Le Gulislân fut son œuvre maîtresse ;
en même temps, les mois <> aïn-i-Gulislan » dont la valeur numé-
rique est : 691) sont devec us la date (de sa composition >♦ ^^Gulislàn
aïn-i-taçnifât-i-ou boûd. c'.oudeh tarikh hem aîD-i-guHslân^.
187 6. — The Gulistân. Iraoslated... by John T. Platts London,
in-^ .
(Voir: Editions du Gulistân. 1871.)
1876. — Le Gulistân. traduit eu polonais par de Biberstein-Ka-
zimirski (Paris, inS).
(Cf. Barbier de Mevnard. La poésie eu Perse, p. 47, n.)-
1879. — Le Gulistac, traduit en polonais par Olvinovrski, publié
par Janicki ;,Varsovie\
Signalé Grundriss der iran. Philologie. IL p. 2%.
1880. — TheGulistau... translaled... by Ed. B. Easlwick , Lon-
don, io 8. XXVI et 243 pages}.
(Réédition de la traduction de 185*2.)
1880. — The Gulistân. éd. and translaled vNith notes, by E. H.
NVhinfield i^ London).
1880. — H. G. Raverty.Tbe Pushto manual. etc. ^London, in-8;.
(Contient des extraits du Gulistân traduits en pouchtou."»
1882 — Le Gulistân. traduit en russe (Anonyme (Moscou, in 8,
353 pages).
1883. — The "Iqd-i-Gul ortht rose-necklace being the sélections
from Ihe Gulislân and the Anwar-i Suhaïli. Translaled iûto english
with notes by Adalut Khan (Cidcutta, iu-6, 386 pages».
TBADUCTIONl DU OULIKTAN IXXI
1888 L Piiil Inloii rniiHido (Joii («utinlttri di; Sadi mvira duu
per-i;in (MiMil()<'lli<'r, iinp. HniDnliii, iri-H, 104 |»n(ç«*H).
A ia (ni^iiir libriiiric : ivliliun de* liiltliopliili;. uvec inlroducliuii fii
fran(.'iii-» par tIrnvMl lliiiiivliii ol un purlruil liiiidoii (sic) de Sadi, in-4.
L'iiilro<lii«*lii)i) c^l iiililiili^ir : Lu lill<'M°;itiir<' orifoliiU» imi Kratici; an
X\'II* r[ au XVIII* sm'tIc : le (;iili>.|;tii de Sadi et sa Iradinlion du
pei'Han en prov«*n«;al.
1888 - Thu Ciiilislnn or Ho<4R Garden, failhrnlly Irarisluted inlo
on^\\'i\i M/'Har^s Knina^hastra Soc, in-8).
Mdil»'! 011 r('alil«'î il I^ondres.
1889. - Mo^pr** (Alex.). Pprsian Anlliology, beiri^ Heleclions
froin (he (julislaii of Sadi... rtMidered inici eii^lisli ver»e (Londuii,
in H .
1889. — (îiilisUn i n^^ri \va Fartii, Uannlaled by Milir (Jiarid
Da^. (i)elhi, Mai Hhawani Parbliad Press, lilliog., in-K)
Trad. en hindi.
1890. — fînlislan or Kl(i\v«'r iiar<Icii, Iran^ilalcd hy J. Iîo.«îs ; and
a noie upon llie Irarislulor by C^li. Sayle (London, Scoll, in-l?,
312 pages).
1894. — Krïms'kij. Iz « (iolislana » .Saadija : /.Ile i slovo. vidae
OI'K» IVanko (Fasc. I, p. .^jO-'ir».! ; fasc. II, p. '.'7-4:{).
(Cf Orient. Ribliog.. VIII. n» 4505.)
1895. — HOckerl. Verse ans dem (julislan (Zeilsclirift fiir ver-
gleichende Lilleralurgescliichte. VII, p. 67-85 et X. p. '217-2.15).
1897. - hiiiioiunie (Fred.). Un bouquet du jardin des roses de
Saadi li'aris, in-H, ll.'i \ium's,.
(Adaptation en vers).
1899. — riie (jiilislan : being Ihe rose-garden of Sliaikh Sa'di ;
Ihe tir->l four t Mabs »» or < (Jateway-i >, Iranslated in prose and
verse by Sir Edwin ArnoM (Londres et New- York, 221 [•., illustré).
1905. — Le (Julislan, traduit en roumain par (j. Popescu Cio-
canel (Ploesti. .\rte «irafia. in H, ,\'X et W2pages).
Traduction libre.
1905 — The Hosc-Cjarden of Sadi, selecled and lendered, with
introduction by L. Cranmer Byng(London, M pages, Collection :
Wisdom of Ihe Kast^
CoiDpte rendu dans: Ihe Acadetny, 18 novembre PJ05 ; cf.
l\. Basset, Bulletin des périodiques de l'Islam, 1903-1007.
XXXII BIBLIOGRAPHIE
1907. — Rose leaves from Sadi's Garden : the Gulislan rendered
inlo english verse by A. H. Hyalt (London).
1908 — Persian literalure : comprising... Ihe Gulistan ; wilh
introduclion by R. Gotlheil (New York, 410 pages).
1909. — The Gulistan, or rose-garden, hanslaled inlo english
by F. Gladwin (Allaluibad, Ram Narayan Lai Press, in-12, 178 p.).
1913. — Roses from Sadi's Garden, Iranslated from « Ihe Gu-
listan >) by C. Hamplon (London, iii-12, 771 pages).
1913. — Le Jardin des Roses, traduit du persan, préface de la
Comtesse de Noailles (Paris, Fayard, in-8, 253 pages).
(Adaptation.)
Le Catalogue général des Manuscrits des Bibliothèques de France
t. XL, p. 418, bibliothèque d'Arras, n"^ 1139) signale une « traduc-
tion de la Grammaire persane de Sir W. Jones, du Gulistan de
Sadi et autres écrits, par Julien-Léopold Roilly, artiste-peintre ».
TRADUCTIONS DU BOUSTAN
XVir siècle. — Traduclion en latin inc^dile, par 'llioinas Hyde
(1^-^^1703).
(Si^naNV par ("li. Sriipfor. E«lal de la Peri-e en 1660, par le P.
Ra[»hajs! du Mans, inlrod., p. xtix. in fine).
1688. — Den persiaanpchen Bogaard, beplanl mel /eer uilge-
leesen sprnilen der Historien, en bezaait mel zellzame voorvallen,
leer/.ame en aardipe peschiedenissen, neflVns opmerkolijke Spren-
ken, inl Persiaansclie Iteschreven door Siech Musiadie ('aady van
Cieraas en om sijn Ireffflijkheyds wille, inl Nederduils gebragt
door D. H. (Amsterdam, J. len Hoorn, in-1?, 442 pages )
1696. — Der Persianische Baumgarten, mit ausserlesenen
pfropfreisern, vielen Geschichten, sellsamen Begebenheiten, lehr-
reiclien Historien und merckwiirdipen Spriichen befiflanl/t : in
Persianischer Sptache beschneben durch Schicli Mn.slaiin Sadi
von Schiras ; und umb seiner Vorlrefflichkeil \%illen ans der Per-
sianischen in die Niederlaendi^-rhe und an** derselbetj in die Hoch-
Iftutsclie S()rache gebrarht Hainboiirg. petit in-l"ol., l'iO pages, lig.).
J. .Mohl (J: A. 1H51. Xvlll. p. 159. à propos de la trad. de Graf.
1850): <' On tie possédait jns<ju'ici (ju'une ancienne traduction du
Bouslan par Olearius, mais elle est si rare que c'esl à peu près
comme si elle n'existait pas. »
Barbier de Meynard (trad. du Bouslan, 1880, inlrod.. p. xxvii):
« Celle imitation anonyme fourmille de coritre-seiis et de lacunes;
il esl d'ailleurs visible (ju'elle a été faite, non sur le texle persan,
mais sur une version hollandaise in/dile. probablement de (ienlius ».
(La version hollandaise que B de M. déclare inédite est sans doute
la traduction de 1088 qui lui a échappé).
1762 — Anonyme. Traditions orientales ou la morale de Saady.
(.Adaptation ba>ée sans doute sur celle de 16%.)
1850. — Moslicheddin Sadis Lustgarten (Bostan). aus dem Per-
sischen Obersetzl von Dr. K. H Graf(Iéna, inl'?. ?vol.,?.3(>el
182 pages).
M. — Ml
XXXIV BIBLIOGRAPHIE
J. Mohl (J. A., 1851, XVIll. p. 15*)) ; « Très bon Iravail, cxéculé
avec une certaine élégance et avec plus d'exaclilude qu'on n'en
trouve ordinairement dans une Iraduclion en vers. »
Barbier de Meynard (Irad. du Bouslan, 18S0, inlrod., p. xxix) :
« Traduit... en vers allemands sur l'édition de Calciitta de 1828, en
consultant aussi deux mss. delà Bibliothèque de Dresde et partiel-
lement le commentaire de Surouri... Quelques années après, le
traducteur, rrap()é de limperfeclion des documents qu'il avait con-
sultas, a donné une édition du texte ». (Voir : Editions du Boustan,
1858).
1852. — Der Fruchtgarten von Saadi, aus deni Persischen aus-
zugweise ùbertragen durch Otlokar Maria, Freiherrn von Sclilechla
Wssehrd (Vienne, in-8, 234 pages, gravures).
J. Mohl (J. A., 1853, II, p. 166) ; « C'est un abrégé un peu libre-
ment mais fort élégamment rendu ».
Barbier de Meynard (Boustan, 1880, introd., p. xxix) : « Elégant
essai de traduction en vers allemands... d'ailleurs incomplète. »
1869. — Le Boustan, poème persan de Sé'édi, traduit de l'ori-
ginal par M. .T. B. Nicolas (!■■• partie, 48 pages) (Paris, Paul Leloup,
in-8j.
E. Renan (J. A., 1870, XVI, p. 28) : « Quand le livre sera achevé,
il constituera un service, quoiqu'il n'y t'aille point chercher les
habitudes de précision et de critique d'un orientaliste sorti des
écoles savantes ».
Barbier de Meynard (Boustan, 1880, introd., p. xxx) : « M. Nico-
las se proposait de traduire le poème entier, et c'est à titre de spé-
cimen qu'il publiait, en 1869, sur une édition du « Kulliat » ou
œuvres complètes, lit hographiée à Téhéran (sans date), une version
de la prélace et de la moitié environ du premier livre... Le traduc-
teur, rappelé en Perse par ses fonctions officielles, est mort sans
avoir mis son projet à exécution. »
1871. — Le Boustan, traduit en turc (Constantinople, 1288,
2 vol. in-8).
Signalé Grundriss der iran. Philologie, H, p. 296.
1879.— The Bustan, translaled for the firsl time into prose with
explanatory notes and index, by Caplain H. Wilberforce GlarUe
(London, in 8).
Barbier de Meynard (Boustan, 1880, introd. p. xxxv) : « C'est
tout simplement la traduction littérale du texte publié par Graf
(Vienne, 1858) ; les notes reproduisent en général le commentaire
de la même édition... Livre surtout destiné aux élèves ».
TRADUCTION» DO BOt'BTAN XXXT
1880 — L«» Hoii-lnii on Wr^'or. po^mt* persan de Saadi. traduit
poiii lu premit^re fois en français aver une inlro<lnclion et des tioloH,
par A. C. Barbier de Meynard (Paris. Leroux, in-I?. XXWI et
387 pajçes).
Hnrbier de Mrvnard (J. A. 1H«0. XV, p. M'A] : « LYdilion et les
glosj's de Soudi ont servi de t>a-*e A la Iraduciion... qui tAclie de se
tenir t^ «^gale dislance du strict niul à-niol qui est souvent la pire
des infidélités, et d'un excès d'élégance obtenue aux dépens de la
pensée du poète, i»
E. lienan (J. A.. 1880.XVI. p. .30): .. M.li. de M. vient de combler
une lacune dans notre littérature savante en nous donnant une tra-
duction du lioustan... Cette lecture sera sOrenienl une félc pour
tous les gens de goût. »
Cf. compte rendu. H. critique, 27 septembre 187^ et 3 mai 18S0.
1882. — ^aa<li's Bi)>*liin ans deiu Pcrsi'^chen ûberselzt von Frie-
dnili Hiickerl. Herausgogeben von W. IVtIscIï (Leip/ig, in-H,
VIII el "ÎS'i pages).
Hiickert écrivit celte traduction enhf \>4V> el 1851 Cf. Saadi s
politische Gedichle uberscl/.l von V. Hurkert (herausgegeben von
E. A. Bayer, 1894), p. 144-145. n. 73. 7r,, 77, 78.
Sur Buckert orientaliste, cf. C. Beyer. Friedrich Biickerl. ein
biognipliisches benkmal i^Francfort-s.-Mein. 1868) el l'article de
H. ROckerl .. Fr. Biickerl als Gelehricr » recueilli dans « Backerl,
Kleincre Schriften » (Weimar, 1877, '2* partie).
1882 - l)avie((i. S.). The (Jarden of fragrance (London).
Signalé (irundriss, II, p. 2%.
1896 — A IVw IloNvers from the garden of Sheikh-Saadi Shirazi
Iraiolaled inio english verse of porlions of Ihc Bustan (j»ar W. C.
Mackinnon; (London, in-8. 88 pages).
1904. — Seleclionsof the Boslan of Sadi, Iranslated inloenglish
Yerse, by Dawsonne Melanchton Strong (London, in 12).
1906. — The benelits of Kindncî-s. being the Mcond bo(.k of
llic r.ustan, translaled by (icoij^e Banking (Uxiord, ni-8, 44 pagesi.
1911. — The Busiaii, Iran.-lHled... \Mlh iniroduclion byA.Harl
Edwards (Coll. W itdom of the East) (London. m-B.. l'24 pages).
(Adaptation.)
1913. — Le Jardin des Kruii-, traduit du persan }>ar Franz Tous-
iitiinl J-*uri!>, iu-12/.
(Adaptation )
TRADUCTIONS FRAGMENTAIRES
A. — Diwân.
1818. — Hammer. Geschichte derschôiiftu ReJekanst Persieus
(Vienne, in-8).
Trad. en allemand de 3 cfacidas, 8 layibàt, G badai', 2 inoui(atla'ât
et 7 vers isolés.
1828. — Grangeret de Lagrange. Anthologie arabe (Pai'is,in-12),
P. 217-225 : deux extraits (texte et traduction).
1852. — Servan de Sugny. Trois odes de Hafiz et une élégie de
Saadi... traduites en vers français avec le texte et la traduction
interlinéaire en regard (Paris, in-8, IV et 32 pages).
1855. — H. Graf. Aus Sadi's Diwan (Trad. en vers allemands).
Z. D. M. G.: 18.55, IX, p. 92-135 et 1858, XII, p. 82-116 (19 qaci-
das persanes); 1859, XIII, p. 445-467(14 tayi bât) ; 1861, XV, p. 541-
576 f 10 badai-, 7 khawâtim, 1 raarttiiyah) ; 1864, XVIII, p. 570-572
(6 roubaïyât, 4 moufradàl).
1879. — W. Bâcher. Muslicheddîn Sa'di's Aphorismen und
Sinngedichte (Strasbourg, in-12).
Edition critique et traduction en allemand du Çàhib-Nâmeh,
avec introduction. Cf. le compte-rendu de Fleischer, Z. D. M. G.,
XXXIV (1880), p. 389.
1887. — Harl (Jul.). Divan der persischen Poésie (Halle, in-12).
P. 120: extrait du Çâhib-Nâmeh, trad. en vers.
1893. — Aus Saadi's Diwan, von Friedrich Rûckert. Auf Grund
der Nachlasses herausgegeben von E.A. Bayer (Leipzig, pet. in-12).
Trad. en vers de pièces extraites des qacidas persanes, tayibât,
badai", khawâtim, ghazals anciens, quatrains, mouqatta'ât, khabi-
thât, vers isolés.
1893. -- Tapish. Notes on the Tayebât of Sadi (persian and
english) (Bombay, 49 pages).
(Odes, 51-lOO.J
TRADUCTIONS FRAGMCNTAIHES XXXVII
1894. — IMzzi (1.^. Storia délia poesia per.siana (Turin, '2 vol.
in-8).
Vol. 1, p. :n 1-511: cxlrailsdu (llwfln.
1894. — Saadis polili.^clie (i«'dichle, uber.sclzl von Friedrich
Riickert. Aiif Tirund des Narhiasses herauspej^rhen iind mil aus-
fiilirliclior Kinleilnnp: ubcr Snjulis I.rIxMi iind \\ ri kc ver.sehen von
E. A. Hayer (Berlin, in 8, 17H pages).
Trad. en vers: A) du Ç/\hih-NAmeh ; B) d'extrails deskhawûlim,
des badaï' el des InyibAI ; C) des niaratlii.
1894. — (^des M-lOO. The porsian loxl, willi a Iran'-lalion inio
englisli prose hy Noshirvan H. \\. Koleval ()rienlal (îfuis Séries,
Bombay. Eiluc. Soc. Press, 194 pages).
1894 — Translnlion of Saadi's Tayyabhat, wilh inlrodnclion
ami lifeof llie poel. by K. M. Jhaveri (Boml)ay, in-8, 5<i pa^esV
(Odes 101-150 ) "
1895. — Edward G. Browne. Some noies on Ihe poeiry of Ihe
persian dialecls (J. H. A. S., octobre 1895, art. WIV, p 77!^ sq.).
(Deux poèmes dialectaux de Saadi, traduits el commentés,
p. 794-80?.)
1895. — Translation and explanation of Saadi's Tayebat. by
D. I". Mulla (Bombay, in-8. 59 pages).
(Odes 150.)
1896. — Translation and explanation of Saadi's Tayebat, by D.
F, Mulla (Bombay, in-8, 70 pages).
(Odes 51-100.)
1896. — (^)uallro odi, tradolti dal persiano in italiano da Vilt.
Rugarli (Bologne, in-8'', 13 pages).
1899. - Cl. Huart. Le dialecte de (.hiri^? dans Sa'dl (Actes du
on/.u''me congrès international des orientalistes, Paris, 1897, 3' sec-
lion, p. Sl-92).
Ed. critique el traduction du poème trilingue.
1901. — Dole et Walker. Flowers from persian poets (New-
York. ? vol.\ Extraits lires de traductions anglaises.
1904. — Holden (E. S.). Flowers from persian gardens ; sélec-
tions from poems of Saadi, elr, (l.ondon, W'ayside Séries .
1909. — Khawalim i- Sliaikh Sadi. Tbo best Sufi>lic pocm by
Sadi. Iran-lalrd itilo l^n^'livli l.y Sorabji Fardiinji Mulla (Bombay,
Muslafai and Eagle Prinling PrP'<'>, 119 pages).
XXXVIII BIBLIOGRAPHIE
B. — Boastan et Gulistan.
1694. — Paroles remarquables, bons mots et maximes des Orien-
taux, li-aduils par M. Gallaud (Paris, in-1'2).
Extraits du Gulistan : p. 98, 100, 122, 125.
1711. — Chardin. Traduction libre du débul du Boustan (Voya-
ges, éd. Langlès, Paris, 1811, V, p. 139-168).
1770. — Gardonne. Mélanges de littérature orientale (l'^éd.),
traduits de dilTérens manuscrits turcs, arabes et persans de la
Bibliothèque du Roi (Paris, Hérissant, 2 vol. in-12).
Extraits du Boustan : T. 1, p. 192 (le santon amolli par les déli-
ces de la Cour) ; p. 207 (réponse hardie d'un derviche au Sultan) ;
p. 208 (vanité des mausolées) ; p. 209 (réponse de Nouchirevan à
un courtisan) ; p. 210 (autre réponse d'un roi d'Arabie) ; p. 210
(hardiesse d'un derviche). — T. IL p. 125 (belle réponse d'un vieil-
lard sur le mariage) ; p 127 (le fils ingrat) ; p. 128 (le père avare) ;
p. 132 (sur l'éducation des princes) ; p. 134 (consolation des mal-
heureux) ; p. 135 (sur le silence).
1770. — Carmen arabicum, sive verba docloris Audeddini Al-
nasaphi de reiigionis sonniticfe principiis, necnon persicum nimi-
rum doctoris Saadi Shirazitse operis pomarium dicti inilium, ubi de
Deo T. 0. M. edidit et latine verlit J. Uri (Oxonii, in-4, 25 pages).
(Mentionné Table de Schnurrer, in Chauvin, Bibliographie des
ouvrages arabes, I, p. xcii.)
1774. — Poems consisting chiefly of translations frora the asia-
tick languages (by W. Jones) (Allenburgh, in-12).
P. 144: Trad. d'un extrait du Boustan (Hormuzet Nouchirwan).
1788. — Langlès. Contes, fables et sentences (Paris, in-18).
Trad. d'un morceau du Boustan : la goutte d'eau, p. 36-37.
1788. — Bibliothèque choisie de contes orientaux et de fables
persanes (fables tirées du Baharistan de Djamy, du Boustan de
Saadi, etc.) (Paris, in-8, 179 pages).
1801. — Gardonne. Nouveaux mélanges de littérature orientale»
traduits de différens manuscrits turcs, arabes et persans (Paris,
Debray, an IX, 2 vol. in-12).
T. II, p. 159 (dernières paroles de Khosroès Parviz à son fils, ti-
rées du Boslan) ; p. 163 (pensées sur la solitude, tirées du même
livre).
1805. — Rousseau (S.). Flowers of persian literature (London,
in-4).
TRAnUCTIO.VA FHAr.ME?II.VlBFB XXXIX
P. 11,*. « Kiom (lie (Juti»laui) '• ; p. 144-148 : « l-'ioin Ihe Bos-
laun. Iranslaleil by W. Jones •» (Texte el Irad. en regard).
1816. — Giilrhin. PtMsian anlliology. Anialic Journal ofLondon :
Il (isir,). |) im ; m (1817), |). 3ir»:iv ihiti, p. :v?y; v (irti8),
p. :yU) ; vu ,i.sio). p. 3;i8ci r»s:i : viil (Ihi'.»). p. ru U'^ ,\\\ (\'<'2]\
p. r>43.
CoiiiN »'t!iails, la |>hip;iil a<corMpnt;tu'"< <iti Ifxtc p«*rsnt).
1819. — P«'n(lnain«"h. on le Livic des Coii.seils de Forid-ed-f)!»
AUar en persan el en fran(jais, avec des noies, des exlrails de Saadi
el daiihPïi écrivains persans, par Sylvestre <le Sacy (Paris, in-8'.
(Exlruils du lîouslan.)
1825.— TholucU (Fr ) Hlulhensanindun^'ausder morgenhindis-
chen My>.lik (Berlin, in-1'2).
P. ??l-?;)4 : extraits du Bouslan, Iraduils en vers.
1828. - Ducaurroy. Tratluction de deux Tables »le Saadi.
Se trouve dans : Cle Andrassy, Constanlinople el le Bosphore de
Tliroce pendanl les années 181'?-1813-1S1-| ♦»! ppudjuil Tannée 18">r),
p. xvxvi-xxxvii (Paris. iii-8 .
(Cf. M. heliérain, L'<'nenlalisle Ducaurroy, Journal des S<i-
t>nnts, iyi8. p. ?«■/.♦).
1839. — The saint and Ihe sinner, a laie from Ihe BoHla;i ut
Sadi. Iranslaled and acconipained by Ihe orij^inal persian. Ihe
varions readings of hvelve niss. and notes by Forbes Falconer(Lon-
don. in-8 .
1841 — O. Anillior. Klan^'»- aus Osfen (Oedichie, Senlen/en,
Sprichwôrter aus verschiedenen arabisc.hen und persischen Dirh-
lern Leip/ii?, in-8).
Kxhails de Saadi traduits d'après Téd. du (iiili>lnn de Semelel :
n» 15 (p. 173: Semelel. p. 85, 1. 11). n» 16 a (p. 173: Sem., p. 175,
1 3): n* Ifi b (p. 174 : Sem.. p. 175. I. 7): n» 17 (p. 175: Sem .
p. 177. I. 5); n» 18 (p. 175: Sem.. p. 177, 1. 1), n'19(p. 17f> : Sem..
p 17?, 1. 3); n" ?0 ((i. 176: Sem.. p. 177. 1. 7 d'en bas); n' Z]
(p. 177 : Sem.. p. 17'?. I. 3 d'en basi : n ' 24 b (\>. 181 : Sem., p. 167.
1.9); n« ?5 (p. 182: Sem.. p. 167, I. 18); no'26a(p. 18*2: Sem.,
p. 175. 1 18) ; n* 29 b (p. 186 : Sem., p. 166, I. 1) ; n* 29 c (p. 18<) :
Sem.. p. 166. 1. 3); n'iJOa (p. 188: Sem., p. 174, II); n* .30 b
(p. 188: Sem.. p. 174, 1. 1): n-.30c (p. 188. Sem., p. 174, 1. 3);
n'3l d (p. 190: Sem.. p. 170. 1. 8> ; n» 31 e (p. 190: Sem . p. 171
1. in . n" 31 f (p. 191 : Sem . p. 172. I. 7) ; n° 31 g (p. 191 ; Sem .
p. 172. 1. 15) ; n* 31 h (p. 191 : Sem.. p. 169, 1. 3) ; n* 31 i (p 192 :
Sem., p. 169, 1. 5); n* 31k (p. 192: Sem., 169, 1. 7);n»311 (p. 192:
XL BIBLIOGRA.PUIK
Sem., p. 168. 1. 14) ; n' 32 f (p. 194 : Sem., p. 169, 1. 17) ; n* 33 a
(p. 195: Sera., p. 168, 1. 19) ; n" 33 b (p. 195: Sem., p. 168, 1. 16) ;
n^ 33 c (p. 195 : Sera., p. 175, 1. 4 à partir du bas) ; n" 34 b (p. 196 :
Sera., p. 176, 1. 7) ; n» 35 c (p. 197 : Sera., p. 175, 1. 13) ; n* 35 d
(p. 197 : Sem.. p. 175. 1. 16) ; n° 36 a (p. 198 : Sem., p. 171, 1. 2 et
170, 1. 2 à partir du bas) ; n» 36 b(p. 198 : Sem., p. 170, I.9);n°36c
(p. 199: Sem., p. 170, 1. 13); a' 36 d (p. 199: Sem., p. 171, 1. 19);
n» 36 6 (p. 199 : Sem., p. 170, 1. 3) ; q' 36 f (p. 199 : Sem., p. 171,
1. 16); n°37 b (p. 200: Sem., p. 171, I. 16 d'en bas) ; a* 37 g (p. 201 :
Sem., p. 171 , 1. 13) ; n° 38 b (p. 203 : Sem., p. 173, 1. 15) ; n" 38 c
(p. 203 : Sem , p. 173, 1. 3 d'en bas) ; n» 38 d (p. 204 : Sem., p. 173,
1. 16) ; n° 39 e (p. 206 : Sem., p. 168, l. 3 d'en bas) ; n° 39 1 (p 207 :
Sem., p. 167, 1. 5 d'en bas); n» 39 m (p. 207 ; Sem., p. 167, I. 2,
d'en bas) ; n» 39 n (p. 207 : Sem., p. 169, 1. 15) ; n" 39 o (p 207 :
Sem., p. 170, 1. 5) ; n" 39 p (p. 208 : Sem., p. 170, 1. 7) ; n° 39 u
(p. 209 : Sem., p. 176, 1. 13) ; n° 39 v (p. 209 : Sem., p. 178. 1. 13) ;
n° 39 w (p. 209 : Sem., p. 18, 1. 3 d'en bas) ; n° 39 x (p. 209 : Sem.
p. 185, 1. 7) ; n» 39 y (p. 209 : Sem , p. 185, 1. 8) ; n' 39 z (p. 210 :
Sem., p. 189, 1. 2 d'en bas) (Extraits de deux à trois vers).
1850. — Graf. Aus dem zweiten Buch von Sadi's Bostân. (Probe
einer Uebersetzung).
Z. D. M. G., IV, p. 119-122 (Contient notamment la traduction
de l'anecdote : le cheval de Hatim).
1874. — Markham (R.), A général sketch of thehistory of Persia
(London, in-8).
P. 154-157 : extrait du Guhstan.
1883. — Robinson (S.). Persian poetry for english readers (Lon-
don).
Exlr. du Boustan et du Galistan (non mis danslecommerce).
1887. — Goslello (Luisa). The Rose-garden of Persia. A séries
of translations from the persians poets (London, in-8).
Traductions en vers. Réédité en 1901 (Boston, 196 pages).
1887. — Hart (Jul.). Divan der persischen Poésie (Halle, in-12).
Exlr. traduits en vers : Boustan (p. 98-112) ; Gulistan (p, 113).
1892. — Kanga (J. B. and Sk.j. Gems of persian prose and poe-
try, containing, the roses from the Gulistan, the flowers from the
Bustan, etc. (Bombay, in-8).
Second éd. revised, 1893.
1892. — Schlechta-Wssehrd. Moral-Philosophie des Morgenlan-
des (Leipzig).
TRADUCTIO.NB FIlVCMENTAinEH XLI
Kxlrnils traluils en vers ollcmands.
1894. — Pizzi. Sloria delln |i(j<'sia persiaoa l'unii, 2 vol. m-f5).
\ol. I. p. 'J17-321 (exlr. du llouslaii ; p. ;{24-3.Jt) («xtr. du (iu-
lislatO.
1906. — Hoceyno-A/.ail. La rost^raie du savoir, choix iI«î <jtia-
liaiiis mystiques lires des meilleurs aul^^urs persans (Leydtî et
Paris, in-l?)
Inlrod., p. xxii-xxxiii : «pitîlquos lip^m^s ;uj siijel du myslici>;tne
modén' de Snadi el cilalion du liouslan histoire de Toukiah, rf.
trad. Harhier de Meynard, p. 3*>) ; p. IIG, cilalion du Housian
(Jésus el le [K'rhrnr r«'p«Milaiil, c. ibid . [) l8Sj ; autres cilalions
sous le«* n" i:i3, 167, 170, 27*2 '28S, 354 376, 436.
1906. - Sadis Scroll of wisdom, ediled hy L. (.raniuoi livtig
and S. A. Ka()adia, wilh introduction l>y Arthur .\. Wollaslon
(London, 63 pa^es. Coll. Wisdom of Ihe Kast).
Réédit.' ou \\m (New- York).
1909. — Hoceyne-Âzad. L'aube de l'espérance, choix dti poésies
tirées des meilleurs auteurs persans ( Leyde et Paris, in-I2).
P. XI et '244 ((|uelqiies lij^ties sur la prosodie de Saatli) ; citations
du Boustan : p. '29 (Bayazid de Bistam, cf. Barbier de M vuiird,
Boustan, p. 183); p. 163 (la bouliijue peu achalandée, cf. Birbier
de Meynard, p. 107): p. 165 (l'homme i^énéreux et le débiteur in-
solvable, cf. Barbier de Meynard, p. 109).
L'ouvrage de Riickert ol Plalen : Eingan^ von Iskendemaraeh
aus dera Persischen des Ni<iami, contient un essai de traduction de
rhislorielle n° 174 du Fîouslan
BIOGR\PHES ORIENTAUX DE SAADI
Ihn Batoutah. Voyages (trad. Defiémery et Sanguinetli,II,p.87).
Dawlatchah. The Tadhkiralu' sh-shu'ara (<> Meraoirs of Ihe
poels ») ediled... by E.-G. Browne (Persian hislorical texls, vol. I,
London, 1901) (Compte rendu, J. A., 1904, IV, p. 186).
DaAvlatchah parle successivement des éludes et des voyages de
Saadi ; des légendes qui prirent naissance à son sujet; des anec-
doles relatives à sa vieillesse ; il apprécie sommairement ses œuvres.
Chardin (Voyages, éd. Langiès, V, p. 56) donne en note un frag-
ment de Dawiatchah librement traduit. Ross l'ulilisesdans la pré-
face de sa traduction du Gulistan (p. 29). Une partie de sa biogra-
phie de Saadi est traduite par Graf (Rosengarlen, p. 229) et par
N. Bland (The .\tesh Kedah, appendice). « Dawlatchah, dont le
récit est reproduit par Hadji Lutf Ali Beg » (Defrémery, Irad. du
Gulistan, préface, p. xxi).
Djami. Kitâb nefehâteluns (trad. Sacy, in Notices et extraits des
mss., XII, p. 287 et suiv.) (Le texte persan édité par Abd el Hamid
et Kabir Ahmed, Calcutta, 1859).
Assez courte notice, mentionnant les voyages de Saadi, ses études
et les légendes qui se formèrent à son sujet.
Djami. Beharistan (éd. et trad. Schlechta, Vienne, 1846, p. 115
de la trad.).
Quelques lignes au sujet du nom et de la célébrité de Saadi. -
Hamd'uUah Mustawfi of Qazwin. Biographies of persian poets,
contained in chapter V, section 6 of the Tarikh-i-guzida, or « Se-
lect History »... translated by E.-G. Browne (J. R. A. S., octobre
1900 et janvier 1901). :
A) P. .35. n° 36: courte biographie de Saadi. B) P. 69, n" 84
courte biographie de Humamu'd-Din de Tabriz (ses rapports avec
Saadi). C) P. 26 n»24 : parodie d'un poème de Saadi par JaraaluM-
Din Kashi.
Lixihf Ali Beg. The Atesh Kedah^ or fire temple... now firsl
BIOGRAPHES ORIK^CTAUX DB 9AADI XLIII
ediled... by N. Bland. London. 1H44. (el : Accounl of Ihe Alesh
Kedah... by N. Bland. p. 25).
Courte appréciation liltéraire. dont ce Irail : « Mon maître, Mir
Sayid Ali Moiichljnj, avait roiiliirne de siiriiominer Saadi : le rossi-
gnol anx mille chants. dé>iranl exprimer ainsi (jue Saadi, en tous
genres de poésie, avait réalisé la perrection. » Anecdote sur Saadi
et Imami de Hér.-il ; liait de la vieillesse de S.'iacli ; l<^gende sur
Saadi ; répartie de Saadi h IJoiimam de l'abri/. Une partie de celte
biographie se trouve traduite par Easlwick ^trad. du Gulislan,
inlrodJ.
Tarikh-i Firishta i Ed Hriggs, Bombay. 18.*il, I [». I.'i7 .
Zia-i-Barani. Tarikh-i-Kirouz Chah («»d. Ahmad Khan. Calcutta,
18()2i, p. 17r> et siiiv. ; Un«el :i;V.».
En outre, la Khizana-i-amirah de Aznd Housaïni contient une
biographie de Saadi. Une notice assez longue sur Saadi se trouve
dans le Ta/kfuah i-iiilkoiiclia (biographit'S des poêles persans) de
Ali Akhar de Cluraz liismil U. rJ37 10) occupant les folios 12 b -
24 h du manuscrit qui appartenait à Houtum-Scliindler (cf. E.-(i.
Rrowne. The persian manuscripts of Ihe late Sir Albert Houtum-
Schindler, J. H. A. S . orlobre 1*.H7, p. 681). Ross, dans sa traduc-
tion du Gulislan, analyse un passage de la Khoulasat-el-achâr
(relations entre Saadi, Jalal ed Din el Nizari). Defrémery, dans sa
traduction du (înlistan (introd., p. xxxviii et xxxixl, cilc un passage
d'Ahmed Hazi, Hafl I.|lim (B. i\..ms. 17, Bruei.x, fol. 79 el suiv.)el
de Housain el Harawi (R. N.. ms. 2r>0. fol. 79 v»).
SAADI ET LES ORIENTALISTES
1673 — Les beautez de la Perse, ou ce qu'il y a de plus curieux
dans ce royaume... par le sieur A. D. D. V. (Vendomois) (Paris,
in-8).
L'auteur, A. Desiandes-Douliers, mentionne, à propos de Ghiraz,
Saadi et son tombeau (p. 70).
1697 — D'Herbelot. Bibliothèque orientale (art. Saadi).
1783. — J. Friedel. Fragmente ûber die Literaturgeschichte der
Perser, nach dein Laleinischen des Baron Rewilzki von Rewissen
mit Anmerkungen und dem Leben des persischen Dichters Sadi
(Vienne, in-8).
1805. — Rousseau (S.). Flowers of persian literalure (London,
in-4).
P. 25 : notice sur Saadi.
1806. — Richardson. A diclionary persian, arabic and english
(new éd.), introd., p. lxxxv, col. 2, n°= 86, 87, 88.
1807. — Scott Waring. A tour to Sheeraz (London, in-4).
Sur Saadi: 2' partie, chap. ll-V, passim.
1810. — Relation de Dourry efendy... traduite du turc (Paris,
in-12).
P. 116-1 18 : mention de Saadi et de son tombeau.
1811 . — L. Langlès. Notice de la vie et des ouvrages de Sa'dy,
que j'ai insérée avec différents extraits de son Gulistan, t. II, p. 473 ;
t. III, p. 48 et suiv., etc.. du Magasin Encyclopédique.
(Se trouve dans l'édition des Voyages de Chardin donnée par Lan-
glès en 1811, t. V, p. 56.)
Kholmogorow (cf. infra, 1865) en cite (p. 145) un passage relatif
à la popularité de Saadi en Perse, depuis Chardin : « ... Parmi les
ouvrages que Askêry-Klian, ambassadeur de Fatahh-Alychâh près
la cour de France, a apportés avec lui, les dyvâns de Hhâfiz et de
Sâdy occupent la première place. »
8AADI ET LES OHIENTALI8TS8 XLV
1814. — A. Jourdain, l^a Perse, ou labloau de l'hisloirc, du gou-
veruoiuenl. de la relif^ioti de cet euipiro (Paris, .'> vol. in-18).
(Apprt^cialion sur .Saadi : l. V, p. VXi el suiv.)
1818. — J. voii IliiinratM'. Cieschichle der schOne Hedekunsl
Persiens iaeiner UlulhenlesejausîOO persischen Diclilera (Vieinic,
in 4).
P. '20.') : notice sur S;iadi ol <|uel(|ues cxlrails Iraduils en allc-
marul.
1821. — Ttioluck (Vf.). Ssulisinus sive Ihcosophia Persarurn
panllu'isfica (Berlin, in-r2).
P. 11 : déclare avoir utilisé le chapitre III du lioustan el le com-
mentaire de Sourouri ; p. '2'22 : cite, avec le couiuienlaire de Sou-
rouri, un passage du liouslan (dont le texte lij^ure à l'appendice,
p. '23, el correspond à la Irad. li. de .Meynard, p. \i\\ : « Les sen-
tiers de la raison, etc. »).
1821. — A. Jaubcrl. Voyage en .\nn.'Mut> cl en Perse (Paris,
in-8).
Sur Saadi: pp. 2'24 el '293.
1821. — W. Ouseley. Travels in varions counlries of Ihe East
(London, '2 vol. in-8).
Sur Saaili, l. Il, p. 10 el 30, notamment : « Par les Persans en
jç«^néral. niais principalement ()arceu.xde Chiraz, Saadi est empha-
tiquement nommé: le Cheikh, st)n nom étant rarement proiéré. »
1822. — tjarcin de Tassy. Coup d'«cil sur la littérature orientale
(Paris, in-8).
P. 8 : Une citation du Boustan.
1843. — N. Perrin. La Perse iP;»ris. 7 vol. petit in 1*2).
Notice Rur Saad: : t. VI. pp 10*J 117.
1825. — S. d? Sacy. Article sur Saadi ^_l3n)graphie universelle
df Michaud. t. XXXIX, p. 402 403, Paris el Leipzig)-
1825. — F. M. de Boaumonl. Beautés de l'histoire de la
Perse... à l'u&ag'- de la jeunesse (Paris, 2 vol. in-lSj.
T. II. p. ô j : f Vie, maximes et fragmens de poésie de Sadi. •>
1828. — An tînlJysis of tho .\rabic (juoialions which occur in
llio (iulislan of Sadi : wilh Persian illuslralions of the saine ami
remarks on arat ic grtknimar..., by Lirul. M. J Kowlandson (Ma-
dra>^, in-4 .
1833. — J. von Hamnt»' '•'>'<ai sur la langue el la litlératurc
persanes (J A.. Xll, p. 20-
Allusion il Saadi, p. 39.
XLVI BIBLIOGRAPHIE
1837. — Hisloire des sultans Mamlonks de l'Egypte... par Ma-
krizi, traduite... par M. Oualreinère (l^aris, in-8, 4 parties).
Cite en note, t. I, p. 8 des images tirées de Saadi.
1839. — Garcin de Tassy. Hisloire de la littérature Hindoui et
Hindouslani(Paris, 2 vol. in-8).
1" éd., t. I, p. 434 ; 2» éd., t. II, p. 2-4.
1841. — L. Diibeux. La Perse (Paris, in-8).
(Notice sur Saadi, p. 444 450, inspirée de l'article de S. de Sacy,
1825.)
1842. — G. Flûgel. Article sur Saadi (Encyclop. Ersch et Gruber,
Leipzig, sect. III, 16' part., p. 492).
1843. — Loiseleur-Deslongchamps. Notice sur le Gulistan et la
vie et les écrits de Saadi (Préface à la trad. du Gulistan par Gau-
din, rééditée, Panthéon littéraire, p. 551-621 ; cf. : Traductions du
Gulistan, sub ann. 1789).
1843. — Anonyme.Lebens und Landschaftsbilder aus dem Orient
(Art. paru dans la revue : Das Ausland, p. 301).
1843. — Garcin de Tu sy. Saadi, poète persan, auteur des pre-
mières poésies en hindousiani (J. A., 1843, I, p. 5 et suiv. ; II,
p. 365 et suiv. ; cf. infrà : années 1844(Newbold), 1852 (Sprenger),
1853 (G. de Tassy et Bland).
1844. — Newbold. Lettre à Garcin de Tassy, au sujet de sa nor-
tice intitulée : Saadi, auteur des premières poésies hindoustanies
(J. A., Il, p. 361 et suiv.j.
1846 — Gore Ouseley. Biogra^viiical not'.ces of persian poels,
willî crilical and explanatory remarks (London, in-8).
(Biographie de Saadi : p. 5 22.) i, i-
Compte rendu de J. Mohl (J. A , 1848, XII, î). 138) : « Achevé
après la mort de fauteur par M. Reynolds... Louvrage, quoique
riagirieiiluire, est une addition agréable et utile à ros connaissances
sur la littérature persane. »
1851. — K. H. Graf. Die Moral des persische, Dichlers Sadi.
(léna. Beiliage zu den theologischen Wissens-haften, in Verbin-
dung mit der theologischen Gesellschafl zû S'rffsburg, herausge-
geben von Dr. Eduard Reuss und Dr^Ed. Ki'i-iilz. III, p. 141-194.)
Article important et consciencieux. Gra^cherr'ie à indiquer, par
des citations de Saadi, « les points principaux qui donnent à sa mo-
rale une place dans l'histoire des mœars», U étudie d'abord sa mo-
rale religieuse (fatalisme, nécesfcit^ de l'effort humain, but de cet
SK\ni KT t.KS OHIK^TALIHTRS XLVII
elTorl, iDUis (If lu \if iny-<iii|iii-, \i\ux roulis), puis, plus hrièveinc ni .
sa iiKM'ale sociulr» (riclit*ïi->e oi pauvirli^. Hvaiilj«^»îs «1«< la ino<itMalii*n
et d(* la rési^nalioii nu »orl, bienfaisance, «tevoirii du prince, coin-
inenl se conduire dons le inonde).
1852. — Sprenf<rir. lias S;\Mlof Shtra/. wriUiMi I\.«lclilali vv— '
(Journal of Ih»' Asialic Sociely of Bengal, p 513 el suiv.).
1853. — Garcin de Tassy. Réponse h .M, Sprenger (J. .\.. II,
p. 3«>9-.^71).
1853. — iN. Biaivl. Lellre à M. (Jaroin df; las^y, sur M.«ï><miI,
pui'le persan el hindoiii ( J. A., Il, p. 356 el suiv.).
185(î. - Barbier de Meynard. Lellre à M. Reinaud (J. A., VII,
p. *>fV<^'.
1856. — (larcin de Tassy. La poésie philosophique el religieuse
clnz les l'er.^ans \Hevue contemporaine, 1. XXl\', 03* livraisun).
Allusion à Saadi, p. 6 du tirage à part.
1857. — Champollion-Figeac. Histoire de la Perse (Lagny, in-8).
Notice sur Saadi, p. 184-186.
1859. — Le Boslan, poème moral de Saadi. .\nalyse et extraits,
par M. (iarcin de Tas^y (Paris, in-8).
(.\rticle paru dans la Revue orientale et américaine ; contient la
Ira ludion en français d'une p irlie de la préface du poème et de
on/e hislorielles tirées des «{uatre premiers livres).
1859. - Defrémery. Note sur quelques imitations «lu Bouslan.
Parue dans la Correspondance littér.iire de juin ; contient une
traduction de l'historiette: « la faule d'Abraham » (cf. trad. Bar-
bier <le Meynard, p. 101).
1860. - Sélim Muii.<hi Mohammed. Moin al alfaz. A persian
vocabulaiy to tlie (luli-îlan, BosLin, etc. (Bomhiy, lJ77,ii>-S. 6)
et 14 pages).
1861. — Barbier de Meynard. iJictionnaire de la Perse (Paris,
in-8, art. Schiraz).
1863. — Defrémery. Article « Sr» li » (l)' Uoefer, Nouvelle bio-
i,rupliie générale, Paris, in 8, l. XLH).
1865. — Oobinoau. Les religions et les philosof)ljie> .I.in- 1" V^io
centrale (Paris, in 8, 3« éd. 11)00).
P. 74 : Allusion à la vie agitée de Saadi
1865. — Kholmogorow. Cheik Moslihuddin Saadi Chirazi
(148 pages .
XLVIII BIBLIOGRAPHIE
Publié dans: Gelehrte Denkschriften der Kasaner Universitàt,
1865, p. 525 et suiv. ; réimprimé en 1867, Cazan, Typographie uni-
versitaire (en russe).
Se divise en deux parties : 1° une courte biographie de Saadi ;
2° une série d'extraits (texte persan et trad. en russe) accompagnée
de quelques mois sur chacune des œuvres. Après quelques géné-
ralités sur l'Islam en général el la Perse en particulier, K. traduit
partiellement la biographie de Saadi par Dawlalchah. Suivent
quelques citations des qacidas persanes (p. 18-23), des tayibât
(p. 25), du Bouslan (ibid.) et du Gulistan (p. 27). Puis il revient à
la biographie de Saadi : suite des passages de ses œuvres qui s'y
rapportent, mais tout cela cité pêle-mêle, commençant par Ténu-
méralion des voyages du poète pour aboutir aux anecdotes sur son
enfance (p. 30-64j. le texte persan alternant avec la trad. russe.
(K. déclare avoir emprunté ses citations à l'édition de Mohammed
Taki, Tabriz, et à celle de Téhéran, toutes deux de 1854-1271).
Vient ensuite la seconde partie de l'ouvrage, c'est-à-dire l'analyse
sommaire de chaque œuvre avec extraits : risalahs (p. 65), Gulistan
(p. 68. citations du chap. III), Bouslan (p. 88), tarjiyât (p. 127),
maralhl (p. 128), moulamma'ât (p. 130). qacidas arabes (p. 133),
ghazals, quatrains et vers isolés (p. 136-145). Travail sans portée
générale, à peu près insignifiant au point de vue critique, suffisant
néanmoins à donner une idée sommaire de Saadi.
1868. — Ethe. Der çufismus und seine drei Hauptvertreter in
der persischen Poésie, vorzugsweise Dschelâleddîn Rûmî.
(Habililationsrede, gehaltenan der kOnigl. Ludwig-Maximilians-
Universitat Mûnchen, 14 Juli. Recueilli dans: Morgenlândische
Studien, du mêcne, Leipzig, 1870, p. 95 et suiv). Une page d'ap-
préciation sur Saadi, comparé à Hafiz et Jalal ed Din Roumi.
1869. — Terjumeh-i-ahwàl-i-khâjeh Hâfiz Chirâzî (Constanti-
nople, Imp. de l'Ecole de JSIédecine, 15 pages in-12).
(Biographie de Hafiz par Derwich Abdullah, trad. en turc et
publiée par Hadji Aarif Djevri Efendi, de l'ordre des Qâdiris,
suivie du commentaire de dilTérents distiques du célèbre poète et
d'une notice sur Saadi.)
(Signalé J. A., 1871, XVIII. p. 137.)
1871. — Bâcher. Sadi-Studien (Z. D. M. G., XXX, p. 81-106).
(Vue d'ensemble sur l'œuvre de Saadi.)
1871. — Bâcher. Nizàmi'sLeben und Werke (Leipzig, in-8).
P, 57-58: Saadi et Nizâmi.
SAAOl KT LEb oKU,>TALI8TBS XLil
1874. - H. Muikhiiin. A j^eiieral skelch of llie hislorv of Feibia
(Lotuioi), in-8).
P. ir>3 : Nolice sur Saadi.
1877. — Barbier de Mevuard. La poéisie en Perse (Pari.">, in-lH/.
(Qiiel«|ues lignes bur Sa;uli, p. 71.)
1881. — Nève. Le poêle Saadi (Louvain, in-8, brochure).
(Courte vue d'ensemble sur la vie el l'œuvre de Saadi.)
1885. — KncyclopaMlia brilanni( a, 9* éd. ; vol. X\ IlL arl. Persia,
p. 65â-G6U [l\. Ellie, Modem peiMan lileralui t) ; \ol.L p. XX-14'2-
143 larl. du m^me).
1886. — A glossary of words occuring in tfie Gulistan (chap.
VIII). wilji pronouncialioD oleach vord in eiigli>h (Bombay, Educ.
soc, in-8).
1887. — Pizzi iltalo). Manuale di lelleralura persiana (Milan,
in-18).
P. 139-150 : Nolice sur Saadi el cilalions.
1887. — Arbulhnot. Persian porlrails, a skelch of persian his-
lorv, lileralure and polilic ^London, in-8, 170 pages).
(Courle noie sur Saadi, p. 55-57.;
1888. — Eihé. Die mysliche. didaklische und lyrische Poésie
utiil das spalere SchrifUuni der Perser (ji. 31-37 sur Saadi).
(Hambourg. Sammlung gemeinverslandlicher wissenschafllicher
Vorlragp, herausgegeben von Riul. Virchow und Franz von Holt-
zendorlT, neue Folge, III, Hefl 53.)
1890. — \V. A. Clouslon. Flowers from a persian garden and
olhers essays ^London).
(Nolice consciencieuse.)
1890. — Ed. .Monlagne. Légendes de la Perse (Paris, in-lî).
P. 303 el suiv. : nolice sur Saadi. Cf. l'arlicle juslemenl sévère
de H. Bassel : * Légendes de Perse » dans la Hevue des Iradilions
populaires, aoùl 1891, article recueilli dans '• Mélun^'es africains el
orientaux «(Paris, 1915).
1891. — Halo Pizzi. Saadi (arl. paru dans: Giornale Soc. asial.
ilalmna, IV. p. 196-?17).
1891. — Sardar (Munshi). Noies on (iulislon, chapler III ^Bom-
bay. Educ. soc. Press).
1892. — Khurasaoï. Modem persiau idioms and proverbs ^parl.
M. - IV
L BIBLIOGRAPHIE
III, The lives of FirJosi, Saadi, etc.) (Bombay, iii-8, 64 pages. A
l'usage des éliulianls. Texle persan et Irad. en anglais).
1892. — R. Basset. Mélanges africains et orientaux : Contes per-
sans.
(Article paiu en 1892 dans la Revue des traditions populaires,
p. 639: la note 3 cite des éditions de Saadi.)
1892. — Curzon(G.,N.).Persiaandthe persian queslion(LoQdon,
2 vol. in 8).
Index, s. V. : Sadi.
1893. — Reed (Elizabelh). Persian literature (Chicago, in-8). Cf.
index, s. v. Sa'di.
1893.— Huart (Cl.). L'ode arabe d'Ochkouwân(Rev. sémitique).
P. 10 du tirage à part: allusion aux u magnifiques qaçîdahs ara-
bes de Sa'di. »
1894. — Beale. Oriental biographical Diclionary (2* éd.).
P. 339 : art. sur Saadi.
1894. - Italo Pizzi. Storia délia poesia peisiaiia (Turin, 2 vol.
in-8).
(Notice, t. I, p. 287-302.)
1894. — F, H. Tyrrell. Persian poets and english translators.
(Article paru in Calcutta Review, t. 98, p. 205 et suiv.)
1896. — Geiger et Kuhn. Grundriss der iranischen Philologie
(Strasbourg, t. H, index, s. v. Sa'di).
1897. — Chauvin. Bibliographie des ouvrages arabes (Liège,
in-8).
Signale (t. II) des analogies entre : Calila et Dimna et Gulistan
(p. 82, n» 2 ; p. 8-3, n° 5 ; p. 119, n» 104 ; p. 127, n^ 131) ; Calila et
Dimna et Boustan (p; 109, n» 73 ; p. 115, n» 89 ; p. 181, n» 110) ;
Recueil de Lucanor et Gulistan (p. 150, n» 10) ; Soulwân-el-moulâ
et Boustan (p. I87j ; Fàkihat-el-houlafa et Gulistan (p. 190, n» 3 ;
p. 198, n» 33 ; p. 201, n' 47j ; et t. VIII, p. 179, ti" 211 et 212, ana-
logie entre un conte des Quarante vizirs et le Boustan.
1897. — A. Jackson. Firdausî, Hâtiz, Jalàl ad-din Rûmî, Jâmi,
Nizâmî, Sa'dî (New York, Library of the world's best literature).
1900. — S. Jensen. Sadi.
(Article paru dans : For Kirke og Kultur, p . 593-603.)
1901.— Philipp (Cari). Beitràge zur Darslellung des persitchen
8AADI rr LB8 OHIBNTAL18TEB fj
Lebeos nacli Muslib-uddlD Sa'dl il" partie t»eule parue] (Lisserla-
lioD, Halle, 41 pages in-8).
1902. — CI. Huarl. LitK^ralure arabe (Paris. in-«).
(P. 11?. quel(jues lignes sur les «jacidns arabes.)
1904. — Hnrhier de Meynard. Scènes de la vie persane (J. A.,
IV, p. 170 : allusion à Saadij.
1905. — E.-Ci. Browne. Nasir-i-Khusraw (J. R. A. S., avril,.
Tirat^'e à pail, p. 1 : allusion à la po|)ularilé de Saadi.
1906. — Paul Horn. Persische Lilleralur (Or. Lill. Teubner).
P. '2[)'2 (biographie, Bousian el Ouli^lan) ; p. *257 (c erolica »)
(Très sommaire, mais judicieux).
1906. — E.-Ti. Biowne. A lilerary lii>-lory of Persia from Fir-
dau-i lo Saadi ^London. 2 vol. in-b).
(De premier ordre. Les dernières pages du lonie II roiiliennent
une vue d'ensemble sur la vie el l'œuvre de Saadi.)
1906. — Jackson (A. V. W). Persia pasl and présent. (New-
York, in-H).
P. 333-^^35 : Notice sur Saadi (avec photographie de son tom-
bea u .
1907. — Nicholson (H. A.). A literary history ot the Arabs (Lon-
don. in-8).
Inlrod. p II : u Modem culture can appreciale Firdawsi, *L mar
Khayyam, Sa'di. and Hatiz : their large liun)anily louches us at
many points ».
1907. - Ranking (G. S. A.). Note on Book 1 of the (Julislan,
story 17 (J. R. A. S., p. 168).
1907.— R. Basset. Bulletin des périodiques de 1 Islam ( 1903-11)07).
(Saadi cité, à propos d'un article inséré dans : The Alhenaeum,
du 5 décembre 1903.)
1908. — A. Krymskij Histoire de la Perse, de sa lillrrotun' et
de la tliéoso[»hie des derviches (Moscou, in-^; (en russe).
1910. — Claud Field. Persian lilerature (New-\ork, \u-VZ)
(Notice sur Saadi, p. 19*2-212.)
1 913. — Kiuyclopédn- de llslam (ï'nris et Lejde).
(Arl. Gulistân et Boston, par CI. Huart.»
1914. >- CI lluart. Le gbazel beptaglotle d Abou hhaq lialladj
^J A. 1\ p. fi36 : alhieion au poème f olyglolte de Saadi).
LU BIBL10GH\PU1E
Cf. en outre les travaux cités d'autre part de : J. Ross, Essay on
Sadi's life and genious (introd. à la trad. du Gulislan, LonJon,
1823) (vieilli); K. H. Graf, Remarques jointes à ses trad. du Gulis-
tan (1846) et du Boustan (1850) ; Eastwick (introd. à sa trad. du
Gulistan, 1852); Defréraery (introd. à sa trad. du Gulistan, 1858)
(clair et documenté) ; W. Bâcher, Beitrage.zu Sa'di's Biographie
(introd. à : Sadi's Aphorismen und Sinngedichle, 1879) ; Barbier
deMeynard (introd. à sa trad du Boustan. 1880) 'clair et précis) ;
E. A. Bayer (introd. à : Sa di s poMtische Gedichte uberseizl von
F. Rïickert, 1894) ; K. M. Jhaveri, Life of Sadi (introd. à : Trans-
lation of Saadi's Tayyabhat, 1894).
APPENDICE
SAADI LT LKS LITTERATEURS (I)
XVII* siècle.
La Fontaine. - Kmpninl : l'Iiislorielle \\ 1 du livre II du (Ju-
lislan esl la source do la fahle de La Fontaine : Le son^e d'un
habilattl du Mouj^ol (Fables. \1, 4 . Selon W akkenacr, La Kon-
laine l'avail connue par la Iraduclion d'A. du Hyer ^(ft!uvre.s de La
Konlaine, éd. Lefèvre, 18V7. II, p. ?45, n.). On trouvera ^hi^torietle
de Saadi dans la Irad. de Defrémerv (Gulistan, f». llf) el IH). n. 1).
Analogies : I)« Jrjmery (op. cit., [> ;')/. n. '2) rapproche I liist. I,
If) du Ciulislan de la fable: Les oreilles du lièvre ( Fables, V, 4) ;
ce passage (Ciulislati, p. 58, n. 1) : « Il y a sur mer des profits sans
nombre, etc. >' lui rappelle ces vers (Fables, IV, '2) : « La mer promet
monts et merveilles, etc. » ; enfin (Gulistan, p. 213, n.) il signale
l'analogie manifeste entre Ihist. IV, 11 du Gulistan et la fable:
L astrologue qui se b isse tomber dans un puits (Fables, II. 13).
Cet emprunt el la première de ces analogies (Les oreilles du
lièvre) se trouvent «''gaiement notes |)ar Chauvin (Bibliographie des
ouvrages arabes, t. II, p. 139).
Senecé (1G43-1757). — Auteur d'une fable : Le poète donn»^ aux
chiens, nouvelle persane, tirée i\u Gulistan de Saadi (Olùivres pos-
thumes de Sénecé, Bibl. elzèvirienne Jannel, p. I7r>:. fable repro-
duite en note par hefrémery iCiulislan, p. 21?. IV, 10). Defrémery
not»' une analogie cnlr»- la m^me Insloiirlle du Giilislan el l'une
des Historiettes de iallemanl des H««aux (éd. Monmerciué. \.p. IC».")).
(i) Bien qu'il s'y rtllache plus logiquement, cet appendice no ligurp |>bs
dans la conclusion de \ Hssni sur le poète Saadi : on a crnint (irn alourdir
le ton par une suile de citations oisparatcs. Ollf »-« i, par contro, ne
constituent pas k propren ent parler une biLliograpliie et possèdent seu-
lement la valeur d exemples isolés qui tendent k prouver la célébrité de
Saadi en Europe : une biitliogiaphte digne de ce nom se doit d'elle com-
plète el. d'autre part, la r|ueslion n'offre pas un intérêt tel que l'on se
condamne i relever minutieusement, chez tous les auteurs européens, les
passages relatifs k .^aadi.
UT BIBUOGRAPHIB
XVIII* siècle.
Diderot. — Le Gulistan (éd. Assézat et Tourneux, Paris, 1875,
t. IV).
Voltaire. — (TEnvres complètes (Paris, 1897, 46 vol., t. XXXV,
p. 400-401); dans une lettre à Foriney, rédacteur de la « Biblio-
thèque impartiale», lettre datée de Postdam. 5 juin 1752, parle
d'une prétendue traduction de « grands passages du poète persan
Sady » qu'il aurait composée : « Vous me direz : Est-ce que vous
entendez le persan, pour traduire Sady ? Je vous jure, Monsieur,
que je n'entends pas un mol de persan ; mais j'ai traduit Sady
comme La Motte avait traduit Homère. »
Defrémery (Gulistan, p. 54, I, 15) rapproche de ce passage du
Gulistan : « Quand bien même le Guèbre attiserait le feu sacré
pendant cent ans, s'il y vient à tomber un seul instant, il y sera con-
sumé » ces vers de Voltaire (CBEuvres, éd. Beuchot, t, XIII, p. 408) :
Qu'un Perse ait conservé le feu sacré cent ans,
Le pauvre homme est brûlé quand il tombe dedans.
Saint-Lambert. — Contes, pièces fugitives, traduites des Fables
orientales de Saadi (Paris, 1772, in-8, réimprimé l'année suivante à
Amsterdam, c'est-à-dire Paris, à la suite de : Les Saisons, poème,
cinquième édition). C'est en réalité une « imitation originale » de
Saadi.
Le Bailly. — Analogies signalées par Defrémery : Gulistan, p. 66,
n.,et Fables, I, 13, Gulistan, p. 329, n. 3 et Fables nouvelles, I,
13 (citée en note).
Mme Roland- — Mémoires (Bibliothèrjue des Mémoires du XVIII
siècle, éd. Barrière, Paris, 1878, t. VIII, p. 331) : « Je me rappelai
le conte de Saadi, qui nous peint un vieillard las des hommes, re-
buté de leurs passions, retiré dans une forêt où il s'était fait une
habitation, dont il animait le séjour par quelques animaux qui
payaient ses soins du témoignage atïectueux d'une reconnaissance
à laquelle il s'était borné, faute d'en trouver autant chez ses sem-
blables ».
Lettres (éd. Perroud, Paris, 2 vol., 1900-1902, n° 78, p. 244, lettre
à Bosc, 5 mai 1783) : « Vous n'êtes certainement pas de ceux que
le poète Saadi a dit ne savoir même s'enquérir. »
Lettres (éd. Perroud. nouvelle série, t. I. Paris, 1913, p. 227,
lettre à Sophie Camut) : « Coitîée de ma misanthropie, je répète
d'un ton doctoral les maximes de Saadi : les agréments des cours
APPENDICR. — iAAOI rr LB» LITTIÎBATKURS Vf
foni presque <1o<ï vicas dans les sages ; conserve/ vos senlimenU,
failes le bien el laissez les faciMiesoux courtisans. •
Fréron. — Kmprunlp lo nom <Jo San<li pour écrire une vie sati-
rique lie V'ollaire (cf.B'trlh'Memy Les confessions de Fréron, Paris,
1^76. in-lH, Clharpenlier, npp. I. p. r^Dr>-3r»4).
Blanchet (Abbé). — Apologues el contes orientaux ("Paris,
1774. in.^<).
Utilise le fîulistan dans: l'apologue VI ^p. 15-16: la cour de
Perse' ; l'apologue X (p. 25-'26 : le derviche insulté) ; l'apologue XIl
(p.'J8 : l'Arabe atïnmé) ; la maxime citée /» la suite de l'apologue XI \
(p 31 : les amis et l'argent); le conte II (p. 44-53: moyens de res-
susciter les moris) Dans une note de la p. 25, Blanchet déclare
qu'il a pris l'idée de l'apologue X et du conie II « dans un petit
livre assez mal fait qui a pour litre : (iiilistan ou l'empire des roses,
chez Praull père, 1737 >, mais que, lorsqu'il cite le (iulistan < ce
n'est point d après cette prétendue trailuction où l'on a mêlé beau-
coup de choses (|ui ne sont point du poêle Sadi (sic, ». Il ajoute
(ju'il se sert toujours de la Iradurlioii latine de (ienlius ((^f. Tra-
ductions du Gulistan, année 1704).
Herder. — D'après Bayer (Saadi's politischc Gedichte, Obersetzl
von F. Riickert, 1804 p. 48), aurait ulilisé la traduction du Ptulis-
Inn par Gentius (1651) pour son « Sadi s Bosenlhal ».
XIK' siècle.
Pignofli. — I) uis la 23* de ses fables (Poésies, Florence. 1812),
donne une imitation en vers italiens de I apologue de la perle (<'f.
Boustan, Irad. Barbier de Meynard, p. 181).
La Chaheaussiére. — Apologues moraux de Saady. imités par La
Chabeaussière (Paris, 1S|4, in-8).
Goethe. — Noten und Abhamllungen zu besserem \ erslhndniss
des WeslOstlichen Divans (Eil. de ta Société Goethe, Weiniar, 1888,
t. VII) : p (il (Biographie de Saadi), p. R9 (ses cararb'nslicjues),
p. 147 (anecdotes sur sa vie).
(Pour le \Vestr»sllichc Divan, cf. même éd.. I. \ I, p. 78. i
En outre, dans les Annales faisant suite h ses Mémoires (Dich-
tung imd W'ahrheih, Goelhe rappelle (ju il mit en tôle des derniers
cha|)ilres du .. Diwan oriental el occidental » une notice détaillée
du caractère et des productions des sept principaux poètes de
Perse. (D après Bayer. Saadis polilische (iedirhle, Ubersetzt von
F. BUckerl, 18'J4, p. 48, (ioethi' aurait utilisé la traduction de (ien-
lius. Cf. : Traductions du Gulistan, année 1G51.)
LTI BIBLIOGRAPHIB
(Sur Goelhe et la Perse, cf. Weslend, Goethe und Persien, Goe-
the-Jahrbuch, 1906, p. 270.)
Riickert — Son « Poetisches Tagebuch 1850-1866 » (publié par
sa sœur Maria Ruckert, Francfort-s/-Mein, 1888) contient une
pièce de huit vers sur Saadi, dat^'^.e du 9 octobre 1851 (Citée Bayer,
op. cit., p. 146).
V. Hugo. — Les Orientales (IX, la captive) : Hugo prétend avoir
emprunté à Saadi lépigraphe de cette pièce : « On entendait le
chant des oiseaux, aussi harmonieux que la poésie. »
Les Orientales (n° XLl), épigraphe : « Je lui dis : La rose du jar-
din, comme tu sais, dure peu ; et la saison des roses est bien vite
écoulée. » (Cf. Gulistan, trad. Defrémery, p. 15 : « Je lui dis :
Comme lu le sais, il n'y a point de durée pour la rose du jardin, il
n'y a pas la moindre fidélité dans les promesses du parterre de
fleurs ».)
Légende des siècles (le roi de Perse), le vers :
« Comme autrefois Hafîz, comme à présent Sadi ».
(Il faudrait, pour la vérité historique : « Comme à présent Hafiz,
comme autrefois Sadi. »)
Balzac. — Le lys dans la vallée (Paris, 1878, in-12) : « Vous com-
prendrez cette délicieuse correspondance par le détail d'un bouquet,
comme d'après un fragment de poésie vous comprendriez Saadi. »
La fille aux yeux d'or (Paris, 1876, in-12, p. 328): « Ce fut un
poème oriental où rayonnait le soleil que Saadi, Hafiz ont mis dans
leurs bondissantes strophes. Seulement, ni le rythme de Saadi, ni
celui de Pindare n'auraient exprimé l'extase pleine de confusion et
la stupeur dont cette délicieuse fille fut saisie, quand cessa l'erreur
dans laquelle une main de fer la faisait vivre. »
A. de Musset. — Mélanges de littérature et de critique (Paris,
1867, in-12, p. 269, art. sur les poésies de Jean-Paul), attribue à
Saadi cette pensée : « Ne vous attachez point à la surface des hom-
mes et creusez quand vous voudrez trouver : le talent se cache tou-
jours. Ne voyez-vous pas que la perle demeure ensevelie au fond de
l'océan, tandis que les cadavres remontent à la surface des flots. »
Mme DesbordeS'Valmore. — Poésies inédites (publiées par G. Re-
villiod, Paris, Dentu, 1860, P* division : Amour). Les trois premiers
vers de la pièce connue : Les roses de Saadi :
J'ai voulu ce matin le rapporter des roses,
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrés n'ont pu les contenir
semblent nettement inspirés par ce passage du Gulistan (cité d'à-
APPBNOICR — 5\M)I Kr LRrt LITTiR\TKUU8 LVri
près la trad. de DefréoiRry, postérieure à Mme D.-V., p. 5} : << J'a-
vais dans lespiil (jii«^. (piatid j an iv«îrais an rosier, je, remplirais <le
roses 1« pan «le ma robe, pour «mi fair*» (irt^scnl à ii»e^ cainarad»».
Lorsque je fus arrivé, l'odeur des roses m'enivra tellement «pie le
pan de ma robe m't'fliippa de la main o Ci SainleB«*uv«», (Cau-
series «lu lundi, I. XIV. p. 46r)).
Même morceau, en prose, dans un«î lettre de Mme U.-V. adres-
sée à Sainte-Beuve, le "2? février 1848 (publiée pai Spoelberch de
Lovenjoul, Sainte-lieuve inconnu, Paris, 1901, p. 2"27) ; le thème
diffère lè^:èreinent.
Enlin Mme IJ.-V. cite Saadi dans une préface (Cf. Sainte-Beuve,
Nouveaux lundis, t. XII. p 197 et t. Mil, p. Til).
E. Renan. — J. A.. 1880, XVI, p. 30: a Saadi est vraiment un
des nôtres. Son inaltérable bon sens, le «'harme et l'esprit rpii ani-
ment ses narrations, le ton de raillerie indulgente avec le(jnel il
censure les vices et les travers de l'humanité, tous ces mérites, si
rares en Orient, nous le rendent cher. On croit lire un moraliste
latin ou un raileur du xvi* siècle. »
Lettre inédite (Ms. n" 9 de la Bibliothèque de Quimper) : « Paris,
17 janvier 1HC7 Monsieur, l'ouvrage dont vous m'avez envoyé un
spécimen est un exemplaire du (iulislan de Sadi (sic), l'ouvrai^e le
plus célèbre de la littérature persane. Vous savez <|ue le Per.san
s'écrit avec le caractère arabe. Le Guiistan a été imprimé et traduit ;
les manuscrits n en sont point rares. Comme rex»*m()laire cpie vous
possédez ne parait pas avoir un ^rand mérite calligraphii)ue, on ne
peut pas dire qu'il ait un (^rand prix. Il faudrait cependant, pour se
prononcer avec assurance à cet éj^ard, en faire une collalion sui-
vie, pour voir s il est correct et s'il oITre de bonnes lettons. Agréez
etc. I). — L'autographe de Renan se trouve en tète du ms. ; le des-
tinataire est inconnu. Sur la couverture cartonnée du ms. est collée
une note écrite à la main: « Maniiscril arah^ pluslùi que persanl
qui <loit être curieux et intéressant pour avoir été porté de si loing
<rAgra « (Renseignement obligeamment fourni par M. Le Guyader,
conservateur de la Bibliothèque de (,)uimper).
Lafcadio Hearn — Feuilles éparsos de littératures étranges.
(Histoires recoii-lruiles d après les livres des \nvari-S >lieili,...
Gulistan. etc.). (trad de l'anglais par Marc Logé, Paris, in-12).
.\daptulioii d" l liiHloire I, 4 du (iulislan (trad. Defrémory. p 30-
36.)
E. Manuel — Sa pièce de vers : La prière (Poésies du foyer et
de l'école) est une adaptation de l'histoire II. 7 du Gulistan (trad
Defrémery, p. 107 . ^^
TABLK DES MATIl'lRKS
PagPt
premii:he partie
L'HOMME
CHAPITRE PREMIER. — La vie
A. — Enfance et jeunesse. — L'Asie accideniale lors de la naissance
de Saadi. Les princes de Cliiraz. La famille de Saadi. Traits de
son enfunce. Amours de jeunesse. Bagdad : l'université Niza-
miyah ; condisciples et maîtres de Saadi. Ses premières poésies.
Ses viyaçes ; leur» causas ; Ips faraudes routes d'Asie. Voyage
à K^clipar. Séjour eu Syrie : Saadi Drisonnier des Croisés, ra-
cheté ; son mariage forcé ; discussion de la date approximative
de ces événemeols. Séjour en Iraq. Guerres iateslines en Perse.
Les pèlerinages de Saadi. Séjour à Ispabaa. Avantages des
voyag-s 3
B. — Années de voyages. — Les voyages de Saadi sont-ils imaginai-
res? Voyage en Traiisoxiano et en Itido : discussion de l'attentat
qu'aurait commis Saadi dans le temple de Soumnath. Relations
entre l'Inde el l'.Vsie occidentale. Retour de Saadi vers le golfe
Persique. L'île de Kicli. Rafiide passage en Ethiopie. Séjour au
Yémea ; nouveau mariage et perte d'un enfant à Sanaa. Saadi
traverse l'Epypte. Séjour probable au Maghreb. Retour en Pales-
tine: Jérusalem; Damas; Raalbek. Vnya^je en .\.sie Mineure.
Retour à Chiraz 40
C. — Vieillesse. — (^Composition du GiilLttan el du Uouslan. Abou bakr,
prince de Chiraz. Réorganisation intérieure de la Perse sous le
contrôle mongol. Retraite de Saadi; autres poètes de Chiraz ,
rivaux et détracteurs de Saadi. Mort d'Abou Bakr. Destruc-
tion des Ismaïliens de Perse et du Califat de Bagdad par les
Mongols. Hnulagou et la dynastie des Il-Klians. Pésordres dans
le Fars. Ai>a<]a-Kiiaii, successeur d'Ilouiagou ; ses ministres ;
leurs relations avrc S«adi. Le mouvement poétique contempo-
rain en Pers(«. .Mi>rl de Saadi : son tonihean 78
LX TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE H. - Les œuvres et lédition de Calcutta.
Etablissemenl de l'édition de Calcutta. Impossibilité d'une chrono-
logie des œuvres de Saadi. Manuscrits. Les œuvres de Saadi :
anal}'se des opuscules ; facéties et « khabithât >> ; qacidas arabes ;
« moulaninia'àt » ; Saadi et la poésie hindoustanie ; qacidas pei-
sanes ; « maratlii » ; « larjiyâl » ; les ghazaîs ; les quatrains ;
vers isolés et fragments ; le Çâliib-I^'âmeh; le Boustan ; le Gulistan ;
comparaison de ces deux recueils
103
DEUXIÈME PARTIE
L.E PENSEUR
CHAPITRE PREMIER. —L'homme social.
Idées sur l'éducation. La modéiation est la condition de l'indépen-
dance sociale. La lutte pour la vie : manière de punir, nécessité
de la circonspection, avantat^es de la retraite. Idées sur la poli-
tique : organisation de l'Etal, qualités et devoirs du prince et de
ses ministres. V^aleur de la morale sociale de Saadi 133
CHAPITRE II. — L'honnête homme.
Le Pend-Nâmeh ; vices et vertus de l'homme. Générosité et bonté ;
paidon et pitié. Puissance de la laisiin. Avantages relatifs de.
la pauvreté. Sévérité envers sei-mêrae. La mémoire qu'il laisse
est le vrai capital de l'homme. Le mérite personnel. Nécessité
du perfectionnement moral 165
CHAPITRE III, — L'homme de Dieu.
Influences Uiyj tiques subies par Saadi; rapports entre ses idées
morales et ses idées mystiques. Sa position vis à-vis des confis :
çjufisme relatif de Saadi ; ses considérations sur les caractères
et les devoirs des çoufis ; peinture de 1 amour mystique et de
l'extase. Nécessité de suivre la voie mystique : vanité du monde
d'ici-bas, relativité des impressions et des connaissances de
l'homme, f' agilité de ses biens. Eternité du nionde d'en-haut.
L'homme ne peut rien sans son créateur : prédestination et
fatalisme ; nécessité d'une résignation paisible et de l'espoir en
Dieu, toujours permis, luutililé de 1 asiétitme. La piélé doit se
manifester surtout par des acies. Saadi pris enlie l{ilali.sn e et
libre-arbitre. Il ignoie les ccnsequentes- deinières du çcufisme
qui, pour lui, rette un moyen, non une fin 176
TABLE DB8 MATIEHB8 LU
TROISIKMK PARTIE
L'ARTISTE
CHAPITRE PRKMIER. — Les procédés de composition.
L'idc'e et l'iiuaf^e : coinbinRiHoas diverses. \oliibèses. P«îr>(>tini lic»-
lioiis J'iioiiniiM el d' )bj(*ls. Proct^dés d'anaioiiie el d'allusi<in.
Jt»ai dd mois Passaj^.*» cnm ituds à ()lusie>irH recueil». Sources
orale et livres'jue di'S anecdotes ; peraonnajîes hi.sloriques cl
auteurs cités par Saadi. Le GuUslan el le liouslan comporleiil-ils
UD plan ? 1'*^
CHAPITRK II. — Les grands thèmes poétiques.
La noie épique (accidentelle). Morale et lyrisme. Sens pratique el
humour. Mélancolie : sentiment de la fuite du temps, regret de
la jeunesse. Le réalisme chez Saadi. Sentiment de la mort.
Amour de l'art el de la gloire. La nature. L'amour. Compassion
enrers ceux qui soutirent 210
CHAPITRE III. — Lobserration du monde extérieur.
La vie à Chiraz, d'après les traits de mœurs recueillis dans Saadi.
Le voyage en caravane. Caravansérails, bains, marchés, barars,
cafés, jeux. Genre de vie des grands personnages et du prince.
Gens d'épée el de robe. Les derviches. Les savants. Opinion de
Saadi sur ses contemporains. Ses idées scientifiques -2'3
CHAPITRE IV. — Les moyens d'expression.
A. — StyU. — Clarté el simplicité. Alliance étroite de l'image et de
l'idée. Excès d'images; images obscures, incohérentes el ou-
trées. Métaphores et comparaisons. Sources des images de Saadi.
L'image, chez lui, engendre-l-elle l'idée? Images vigoureuses
et concises "-37
B. — Langpbe el prosodie. — Examen provisoire de la question,
faute de textes établis criliquemenl. Mots vieillis. Persismes.
Liaences poétiques. Chevilles -SI
CONCLUSION
Esquisse physique et morale de Saadi ; ses connaissances générales ;
sou caractère : honnêteté foncière, sentiment de sa supériorité,
piété, intolérance religieuse. L'œuvre de Saadi par rapport i la
littérature persane : imitations, parodies. La légende de Saadi.
Popularité de Saadi en Orient. Saadi en Europe : ses affinités
avec le génie occidental ; Saadi et Horace. Comment il faut lire
Saadi 257
LXII TABLE DES MATIÈRES
QUATRIEME PARTIE
BIBLIOGRAPHIE
Pages
EditioQ6 des œuvres complètes iil
Editions du Gulistan v
Editions du Boustan x
Commentaires du Boustan et du Gulistan xiii
Editions fragmentaires xvi
Editions et traductions des «Opuscules» xi
Editions et traductions du Pend-îsàmeh xxi
Traductious du Gulistan xxiv
Traductions du Boustan xxxiii
Traductions fragmentaires xxxvi
Biographes orientaux de Saadi xlh
Saadi et les orientalistes xliv
Saadi et les littérateurs lui
Iinp. J. Theveool, Saint-Diiier (Haute-Marne).
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n. 1
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Maracid (id. p. 55, 1 21j
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Mais, là
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(1. 1
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Mouqaddasi (id. p. 53, 1. I7i
p. 54, 1. 7et 11 et p. 447, 1.5)
49
9
fait même amende
fait amende
50
13
confessions les plus voisines
confessions dérivées
56
zl
laisserait même entendre
permet de supposer
■ 58
16
Koursi el
Koursi '1
58
17
Ou m
Oumm
60
20
Moustançir
Moustançir
60
n. o
Aîdhab
Aîdhab (id. p. 61, 11. 2,7, 28)
69
4 5[ de la cole
du littoral ,
importante slaHon des routes
71
30 station impoitarilcsur les routes
73
1 5 Turcs islamisés
Turcs christianisés
73
•28, à Koniali
en cette ville
83
12 au reste
au demeurant
87
18, délniile
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6; renvers
renversé
1 9o
n. 1. Cahibnàmeh
Çahib-Nàmeh
1 96
n. 8 Brigss
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{ grâces
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Imp. J. Thevenoî, Saint-Dizier (Haute-Marne).
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