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Full text of "Essai sur le règne de Trajan"

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BIBLIOTHÈQUE 

DE L'ÉCOLE 

DES HAUTES ÉTUDES 

PDBLliE S0U3 LBB AUSPICES 
DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBUQUK 



SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES 



TREIITE-DBQXIEIE FASCICULB 

BBHAI SUR LB HÈOSB DE TRAJAN, 
PAB G. DE LA BERaS. 



PARIS 
F. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR 

KUB mCHBLIBU, 67 

1877 (j 



ESSAI SUR LE RÈGNE 



DE 



TRAJAN 



I 



A MONSIEUR 



LÉON RENIER 



MEMBBB DE L INSTITUT 

PROFESSEUR AU GOLLÉQB DE FRANCE 

PRÉSIDENT 

DE LA SECTION HISTORIQUE ET PHILOLOaiQUE 

A l'École pratique des hautes études 



HOMMAGE 

DB RBGONNAISSANGB BT DE RBSPBGTUBOX DÉVOUBMBNT 



ESSAI SDR LE RÉGNE 



TRAJAN 



C. DE LÀ BER&E 



BHPLOTË A LA BlffllOTÇftQUB nATIOHJI 

udea Mère de l'École de* HuitM tiladw 



PARIS 
P. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR 

BUS BICBSUSU, 67 

i877 



I 

1 

Sur une table de marbre, reproduisant les fastes d'un 

registre de cooptation. 

ImP • CAESA 

T • CAESARE 'A 

P • R • C 

P ' VALER 

5. CO 

m' • ACIL 

M • VLP 

C 

L' CEI 

10. L- NO 

T • S 

Bovilles. — Borghesi. Œuvres complètes, YII, pi 249. 



2 

Actes des Frères Arvales. Fragment trouvé dans 

la Vigna Ceccaldi. 

M\ Acilio Glahrione, M, Wpio traiano go s m k maias 
Henzen. ~ Aeta flrairum ArvaUum, p. czxviii. 



Borne milliaire trouvée entre Clèves et Nimègue. 

ÏMP • CAE • NEr 
VA • TRAlANttf 
AVG GER PO/Zt 
MAX TRIB p-Ot 
5. PP COS 

Cologne. ~ Brambacb. Corp. Inse, Rhen. 1927. 



II 



Diplôme militaire de l'an 98. 

IMP CAESAR'DlVr NERVAE- F- NERVA'TRAIA 
NVS'AVG-GERMANIC ' PONTiFEX * MAXIM VS 
TRIBVNIC'POTESTAT'COSMI 

1. 19 A • D • X • K • MART 

1. 20 lMP*CAESARE*TRAIANO*AVG'GERMAN II 
1. 21 SEX* IVLIO FRONTINO II CCS 

Felsô Nana (Hongrie). — Corp. Insc. Lat, t. III, 2* p., p. 862. 



Borne milliaire {Route de Mérida à Salamanque). 



iHPErator caesar 

DIVI'NERVAE- FILIVS 
NERVA • TRAIANVS 
A VG VSTVS -GERMA 
5. NICVS • PONTIPEX 'MA 

XIMVS • TRIBVNICIA 
POTESTATE-CONSVL 
ITERVM • RESTITVIT 
CXVI 

Ao]. perdue. ^ Corp. Insc. lat. II, n* 4667. 



6 

Sur la face antérieure dun édicule de marbre blanc, 
dont il ne reste que la partie supérieure. 

iMP 
CAESARl'DIVr NERVAE-F- 

nervae • /taiano • avg'Germ-ponT-max-Trib -poT-c wp-p 

ANVS'IlIIlI VIR AVGVSTAL DE SVA MEDIOCRITAf^ 

5. testa MENTO FIERI PONIQyE IVSSIT 

Narbonne. — Tournai. Catalogue éd. 1864, p. 20, n" 134. Herzog. GalL Narb. 
Append., p. 5. 



m 



Borne militaire trouvée près de Salamanque. 

Aujourd'hui perdue. 



IMP-CAESAR 

DIVI • NERVAE* FILIVS 

NERVA'TRAIANVS* AVG 

GERM • P • M -TRI B'POT 

5. COS • I I • RESTIT VIT 

M • P • II 



Corp. Insc. Lat II, 4685. 



8 

Borne rnilliaire {Route d'Avenches à Windisch), 



IMP'CAESARI 
DIVI'NERVAE'F 
NERVAE -TRAIA 
NO -AVG 'GERM 
PONT-MAX'TRIB 
POT'COSMI'P'P'DES 



III'M'P'LXXXV 

Zurich. — Mommsen. Insc. Helv. 330. 



9 

IMP CAESARI 
DIVI NERVAE 
FILIO NERVAE 
TRAIANO AVG 
GER PO^T MAX 
TRIB POTEST II 

COSMI* P' P 
D D 



Flavîum NcTiodanum (NoTigrad.) — Corp. /îwr. Lat III, n- 392 i. 



IV 

10 



Borne ndlliaire (Route de Cilly à Pettau). 



IMP "N ERVA* TRAI A 
NVS* CAKS • AVG ' GER 
PONT'MAX'TRIB-POT 

p-p*cos-ii 

VIII 



Corpus InK. lat m, r 5738. 



11 

imp. CAESAR D ivi H E R 
vae FNERVA T r a ianvs 

aug GER PMTR ib, p OT ES 
TCOSIIPP 

PraoYo (Serbie). — Corp. Insc, Lai. III, n* 1642. 



18 



Borne milliaire, 
imp, 

DIVI NERVAE'/'TRAIA 
NVS CAESAR AVG GER 
MANICtt5 p VNTIFEX siC 

5. MAX'TRIB'POT'P-P'COS'II 

RESTITVIT PER / POM 

PONIVM bas SVM leg 

PRO PRAETORE M p 
XXX 

VIIII 

Kaledjik (Galatie). ^ Corp. /fuc. laL III, n* 309. 



18 



Borne milliaire trouvée près de Cordoue. 

Aujourd'hui perdue. 

IMP • NERVA • DI VI • NER 
VAE • F • TRAIANVS ' CAE 
SAR -AVG • GERMANICVS 
PONTIF- MAX'TRIBVNIC 
5. POTEST'II ■COS'II'P-P 

VUS- VET V STATE 'CORRYP 
TAS'REFECITET RESTITVIT 

Corp, Insc LaL II, n* 4725. 



14 

IMP'CAESAR 

NERVAE'DIVI 'NER VAE 'F 

TRAIANO- AVG'GER 

PONTIF* MAX -TR'P 

5. IlI-COS'ir P P 

D • D 

Larino (Samniam). — Mommsen. I. N. 5205. 



15 



Diplâme militaire de l'an 99. 

iMP CAESAR-DivI'NERVAE F * N ERV A * TRAI AN VS 
AVGVSTVS GERMANICVS PONTiFEX * MaXIMVS 
TRIBVNIC-POTESTAT'III-COS-irp-P 

1. 20 AD XIX K SEPT 

I. 21 Q^'FABIO* BARBARO • A •CAECILIO-FAVSTiNO'COS 

Philippopoll — Corp, Insc LaL III, p. 863. 



VI 

16 

Trouvée dans les carrières de Brohl. 

ÏVlP'CAES'NEKlIII/JIIIIII 
TRA AV GERliimllJll 

'^i-IIIIIIIIHI/lllllli/lllll 

rcRCVLI ///////////////////// 

5. Ty^^ciii/ijiiii/iiiiniiiii 

ll/llll/lllllillllilllHHIIIil 

Bonn. — Brambach. Corp. Insc. Bhen. 667. 



17 



IMP -NERVA 'TRAIANO ' CA 
ESARE'AVG * GER * III * SEX ' I VLIO 
FRONTINO • III • COS ' MAGISTRI 
ANNI'CVII 
5. M-OPTICIVS*HELPISTVS 

AGATHOPVS 

VS • HERMES 

HERMOLAVS 



Rome. — Uenzeo, n* 6545. 



18 



DIANAE 

NEMORESI ' VESTAE 

SACRVM DICT 

IMP'NERVA TRAIANO AVC 

5. GERMANICO III COS PRAEF 

EIVS 'T-VOLTEDIO-MAMILIANO 

Q_.VAESTORIB 
L'CAECILIO'VRSO'II'M'LVCRETIO 



Rome. — Orelli, 1455. 



vif 



19 



Sur un cippe : 

IMP'CAESAR 
NERVA ' AVG' GER * 
PONTIF • M TRIB- 

POTES T- nrcos'iiii'P'P' 

5. VIAM-A'TRIPONTIO'AD 

FORVM-APPI-EX'GLAREA 

SILICE - STERNENDAM 

SVA • PECVNIA • INCHOAVIT 

IMP ' CAESAR 

10. NERVA'DIVI-NERVAE 

FILIVS • AVG 

GERMA 

TRIB • POTEST ' COS ' III ' 
CONSVMMAVIT 



Sermonela. — Morcelli de Styl. Imc. II, p. 129; Ghaupy, Maison 
d'Horace 111, 391 ; Orelli, n- 780. 



VIII 



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IX 

81 

Sur une table de marbre encastrée dans le rocher, 

au bord du Danube. 

ImpCJcaesarC{diviCJnervaeCîf0 

nerva traianvs ci avg [5 germ 

pontif maximvs trib pot iiii 

pater patriae cos iii 

5. MONTlia SEXCISU AN //////bVS 

SUP///at//S via//// F 

Tactalja (Serbie). Corp. Insc, Lai, III, n* 1699. Cf. BenndorflfdansO. Hirschfeld : 
Epigraphische Nachiese aus Daden tmd Moesien, Wien. 1874, in-8\ 



88 

Fragments de VAttique dun arc de triomphe. 

lUP'CAESkR'divi 
NERVAE •F'NERVA 'TRAIA/IUf 
a tt g GERMANICVS'PONM*/ 

max. tkIb ' pot ' i a i' COS' ni' P'P' col 

5. marciANAM'TRa/âNAM'TH 

amugaui *per'leg*iii'avg 

/eC'/n*mVNATI'M/-GALLVS-LEG 
D AVG • PRO • /?r* d 

Thamngas.— Renier : Jn$c, Alg. 1479. Borghesi: Œuvres oompf ètos VIII, p. 486. 



83 

Sur une base ronde. 

IMP'CAESARI 
DIVI'NERVAE'F 
NERVAE - TRAIANO 
AVG • GERM • PONT 
MAX'TRIB-POT'IIII COS 



un 

MVNIC'IVLIPENSE 
D • D • 



Zalamea (Bétique). — Corp. Insc, Lat II, n* ^52. 



84 

Sur un cippe : 

EX • avctoritaTe 

IMP ' CAESARIS ' DIvI 
NERVAE • FIL ' NERVAE 
TRAIANI * AVG * GERM 

PONTIFICIS'MAXIMI 
TRIBVNIC • POTESTAT ' V ' 



COS • IIII • P • P • 
TI • IVLIVS' FEROX 'CVRATOR 

alveI -ET' rIparvm 'TIBERIS 

10. ET'CLOCARVM'VRBIS'TER 

MINAVIT'RÏPAM'R-R'PROXIMO 

CIPPO'P'CCCLXXXVI 'S 

Rome. — Smetius, f. VIII, n« 9. 



25 

Sur un cippe : 



{Route de Naples à Sinuessa, par Pouzzoles.) 

IMP • CAESAR'DIVI * NERVAE 'F 
NERVA -TRAIANVS* AVG GERMANICVS 
PONT'MAX'TRIB-POT'VI'IMP'II 
COS • IIII • PATER • PATRIAE * VIAM 
5. NOVAM- RELICTIS'ANTIQ^Vr ITINERIS 



HIommseD. I. N. 6267. 



XI 

26 



Sur un cippe : 
{Route de Naples à SinuessUj par Pouzzoles.) 



IMP'CAESAR-DIVI 
NERVAE'F'NERVA 
TRAIANVS • AVGVSTVS 
GERMANICVS ' PONTIF 
MAXIMVS • TRIBVNICIA 
POTESTATE' VI * IMPMI 
COS •IIII'PATER'PATRIAE 
INCHOATAM A DIVO NERVA 
PATRE SVO PERAGENDAM 
CVRAVIT 



Moramsen. I. N. 6268. 



XII 



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XIII 



88 

Sur un cippe : 

ANNO 
ImP'CAES* NER V ae 
T R I A N I • A V G 



GERMANICl'IIII 
5. q^ ' ARTICVLEI PAETI 

COS 
PONTIF ' EX • STIPE 

Yiennei en Danphiné.— Copie deM. L. Renier; Borghesi : Œuvres eomp<è/es VI, 281. 



89 

Borne milliaire (Route de Cilly à Pettau). 

IMP • NERVA ' TRAIA 

NVS'CAES* AVG'GER 

PONT'MAX'TRIB'POT 

P-P'COSMIII 

J. VI. 

l^oine (Autriclie). — Corp. Intc, LaU III, n* 5732. 



80 

Table de marbre, fragmentée, 

£MP AVG 
fin ES DEKECti 

i ntER DiEN ses 
et l s son los 

5. ex CONVENTION 

IPSOR VM 

im p//nerva tRkia 
no CAes ARe 

AVG GERMAN/cO 
10. IIII COS 

TrooTée près de Diam (Malathria) en Macédoine. — Heozey : Mont Olympe, 
p. 477. ^ Corpus Insc. LaU III, n* 591. 



XIV 



81 

IMP • NERVA • TRAIANIi^ 

PONTIF • MAX • TRzfc. pOt 

AQ_yAE DVCTVM ' coLOii îs ' S ' f ' pcrfccit 

IN ■ Q_VOD • ANTE ' IMPEN^^T^/Zf ' JUSSU . . 
5. SACRATISSIMI ' PRlUCipis 

Zara. — Coij), Insc. Lat, III, n- 2909. 



10. 



32 

I M P * C A E 
N ER V AE • F 
V AE • TR AI 
A VC • GERh 
PO NTI F • M 
TRIBVN • PO 
IMP'III'COS 
LAVRENTES LA 
DE G D 

PVBLI 



I 



LaTÎnium (Pralira). — Fabretli : iTiscr. Dont., p. 682, n. 66. 



33 

Borne militaire (Via Sublacensis, embranchement 

de la Via Valeria). 

IMP • CAESAR 

NERVAE • F • NERVA 

TRAIANVS • AVGVSTVS 

GERMANICVS ' DACICVS 

5. PONTIFEX'MAXIMVS 

TRIBVNICIA • POTESTATE 

IMP • III • COS • V 

RESTITVENDAM ' CVRAVIT 

XXXVTII 



E. Deiijantins : Topographie du Latium, p. 177 



XV 



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35 



Diplôme militaire, de Van 103. 

IMP'CAESAR'DIVI'NERVAE'F'NERVA'TRAIANVS 
AVCVSTVS • GERMANICVS ' DACICVS ' PONTIFEX ' MAX 
IMVS'TRIBVNIC POTE STATE •VII'IMP'IIII'COS'VP'P 



1. 22 



a* d xiiii • k • febr 
m' laberio' maximo-Ti 

q^'glitio- atil10 * agricola ' ii * cos 



Troové à Malpas (comté de Ghester). — Corp. Insc. Lai. III, p 864. 



XVI 



36 

Sur un piédestal : 
Imp * caesarI 

dIvI • NERVAE • F 
NERVAE ' TRAIANO 
AVG * GERMANICO 
DACICO • f^ONTIFICI 
MAXIMO ' TRIBVNIC 
POT'VIIMMP'IIII'COS* VPP 



TRIB VS • XXXV 

Q^VOD* LIBERALITATE 
10. OPTIMI'PRINCIPIS 

COMMODA'EARVM * ETIAM 

LOCORVM * ADIECTIONE 

AMPLI ATA • SINT- 

Rome. — Smetias, ^ LIU, n- 3. OrelU, n* 3065. 



87 

Sur un piédestal trouvé à Tyndaris : 

IMP • CAESAR' DIVI • NERVAE 
F • NERVA • TRAIANVS * AVG 
GERMANICVS ' DACICVS 
PONTIFEX'MAXIMVS 
TR-POT'VII'IMP'IIII 
CO S ' V • P • P 



Palerme. — Henzen. n* 5440. 



XVII 

38 



Borne milliaire {Route de Braga à Astorga). 



IMP * CAESARI 

DIVI -NERVAE- F 

TRAIANO- AVG 

GER'DACICO 

5. PONT-MAX 

TRIB • POT- VII 

IMP • I V ' COS - U 

AQ.VIS - FLAVIS 

M - P - XLII 



Corp. Insc. LaU II, xl* 4782. 



39 

Sur un piédestal : 

IMP flJCAESARI DIVI 

NERVAE FILIO NERVAE 
TRAIANO GERMANICO 
PONTIFICI MAXIMO 
TRIB » POTEST flJ VII 
IMPfiJIIIIfiSCOSfiJV »P fiiPfB 

KALAMENSES 
DD PP FC 



Guelma. — Renier : Inse. Alg.y n* 2711. 



XVIII 



40 

Sur une base oblongue : 

IMP • CAESARI -DIVI 'NERVAE 'F 
NERVAE • TRAIANO * AVG * GERM 
DACICO'PONT'MAX'TRIB-POTEST'VIII 
IMP' IIII' COS* V • P* P • OPTIMO PRINCIPI 
SAGARI thekJKl MARCELL 
CVLTORES- DOMVS- AVG- 



Rome. — Smelias, f* un, a* 2. 
1. 4. Smetius donne imp viii 



41 

Sur l'arc votif érigé au milieu du pont : 

IMP- CAESARI -DIVI -NERVAE- F* NERVAE 
TRAIANO-AV G-GE RM-DACICO-PONTIF-MAX 
TRIB-POTES-VIIl-IMP-VCOS-V • P • P 

M V N I C I P I A 
5. PROVINCIAE 

LVSITANIAE • STIPE 

CONLATA-QVAE-QPVS 

PONTIS- PERFECERVNT 

IGAEDITANI 
10. LANCIENSES-OPPIDANI 

TALORI 

INTERANNIENSES 

COLARNI 

LANCIENSBS TRANSCVDANI 
15. ARAYl 

MEIDVBRIGENSES 

ARABRIGENSES 

BANIENSES 

PAE S VRES 

Alcantara. — Corp, Insc. Lat, II, 759, 760. 



XIX 



42 



Diplôme militaire de Van 105. 

IMP CAESAR DIVI NERVAE F NERVA TRAIANVS 
AVGVSTVS GERMANICVS DACICVS PONTIFEX 



MAXIMVS TRIBVNIC POTESTAT VIHl IMP 



II II COS V P P 

1. 21. A * D ID VS MAI 

C IVLIO BASSO CN AFRANIO DEXTRO COS 

Peslb. — Corp, Insc, Lat III, p. 864. 



43 



Autre diplôme militaire de Van 105. 

IMP'CAESAR DIVI'NERVAE'F NERVA TRAIANV5 
AVGVSTVS • GERMANIC " DACICVS * PONTIF ' MAX! 



MVS TRIBVNIC'POTESTAT* VIIIIMMP MIII COS'W'P'f' 

(La parlîe de la plaque où se lisaient les noms des consuls est détruite.) 
Sydenham. — Corp, Insc. Lat. III, p. 866. 



44 



AûHiessous d'un bas-relief, représentant Trajan 
entre Hercule et Mercure. 

IMP • CAESARI'DIVI- "NERVAE'FILIO'N 
ERVAE • TRAIANO * AVG * GERMANICO ' D 



ACICO'PONT -MAX'TRIB' POT* VIIiriMP IIII COS V 

lllllllilllllllillllllllll/lllllllll/llllllllllllllll/lllllllilllllll 

Rome. — Smetius, f^ nu, n*» 4. 



XX 

46 



Pont sur le Liris, auprès de Frégelles (Via Latina). 



IMP • CAESAR 

D I V I 
NERVAE • FIL 
N E R V A 
5. TR A I AN V S 

AVGVSTVS 

GERMANICVS 

DACICVS 

PONT'MAXIMVS 

10. TRIB* POT* VIIII 

IMPMIII'COS- V" P'P 
RESTITVIT 



Mommsea : I. N. 6251. 



46 

Sur Vattique d'un arc de tHomphe ? 

PLOTINAE IMP'CAES'NERVAE- MARTIA 

AVCVST TRAIANO • AVG • GERM NAE AVG 

DACICO'PONT'MAX'TR 
POT- IX'COS* V D D 

Sarzane. — Maratori : ccxxz. 7. Orelli : 786. 



47 

Diplôme militaire de l'an 108. 

iMP CAESAR DIVI NERVAE F NERVA TRAIANVS 
AVGVSTVS GERMANICVS DACICVS PONTIFEX MA 
XIMVS TRIBVNIC POTESTAT XI IMP VI COS V P P 

I. 22 PR K IV L 

C'MINICIO'FVNDANO C VETTENIO SEVERO COS 

Weissenbarg (Franconie). — Corp. Insc, ÏmI. \\\, p. 866. 



XXI 



48 

TRAIANO • AVG 

GERM'DAC'PONT 
MAX -TRIB • POT ' XI'IMP' 
VI'COS • VP'P 

C FVLVIVS* HERMAE* LIB 

* 

EPtTYNCHANVS.' EX ' D'D 
OB'HONOREM'AVGVSTAL 



Brindes. — Moramsen. I. N. 453. 



49 



Sur une dalle brisée, trouvée à Philippeville, 

imP CAES DIVI- 

ngRVAE'F-NERVAE 
/TAIANO AVG'GERM 

5. ^tf cico -pohT -max-trIb 

pot XIMMP'VrCO s//// 
optiMO • AC • MAx/mo 
principi 

Masée du Louvre. — Renier, /nsc. Alg., n* 2157. 



50 

Sur une grande table de travertin : 

M-CALPVRNIVS-M-F-PISO-FRVGI'PR*EX"S-C 

FACIVNDVM • CVRAVIT- eIDEMQ_VE*PROBAVIT 

IMP'CAESAR DIvI'NERVAE'F'NERVA 

TRAIANVS" AVGVSTVS'GERMANICVS 

5. DACICVS • PONTIF ' MAXIMVS * TRIB * POT * XII 

IMP'VrCOS'VP-P'OPERIBVS-AMPLIATIS "RESTITVIT 

Rome. — Smellus, f> xii, n* 8. La partie droite, vue et copiée par Smetius, 
n'existe plus. V. Melchiorri, Lettre à M, de Witte; Rev. Arch., 1845, p. 338. 



XXII 



51 

IMP 'CAESARI • DIVI * NERVAE • F 'NERVAE * TRAIANO 
AVG • GERM • DACICO ' PONTIFICI * MAX ' 
TRIBVNIC'POTES.T'Xir IMP'VrCOS'V 

P • P • DEVICTIS* DACIS * FOROCLAVD ' PVBL ' 

Aixme, en Tarantaise. — OreUi, n» 787. 



10. 



52 

Borne militaire. 

I M P 

CAESAR NERVA 

TRAIANVS-AVG 

GERM • DACICVS 

PONTIF • MAXIM 

POT'XII'COS'V 

IMP • VI • P • P • FECIT 

PER 'COH' PFL* VLP 

HISP • MIL • C • R • EQ_ 

A POTAISSA•^APO 

CAE 

M • P • X 



Thorda. — Corp. Insc. Lai. III, 1627. 
1. 6. TR manque sur la pierre. 



53 

..VGVST • Vie • lOVIS • FAGVTAL... 

..MP • NERVA • DIVI * NERVAE * F ' TRAIAN... 
..ICO • PONT' MAX • TRIB 'POT-XIII-IMP 'VI... 
..POLLIONIS'TRIB-PLEB'AED'REG'III* VET VST A . . . 
. .GISTRI -ANNI'CXXI'SVA'INPENSA* RESTITV . . . 
. . PHOEBVS A'NONIVS'A'L'ONESIMVS... 

. . CALLISTVS L * VALERIVS " L* L* EVTICHVS. . . 

Rome. — Fabrelti, Inser. Dom., p. 103, n» 241. 
1. 5. Il faut lire AN NI • ex VI • 
V. Borghesi, Œuv. compL vu, p. 500 [LeUre à M. Egger). 



XXIII 

64 



IMP ' CAESAR * DlVl 

NERVAE' F* NERVA 

TR AlAN VS ' AVG 

GERM * DACICVS 

J. PONT- MAX 'TR* POT- XIII 

IMP • VI • COS • V P " P 

AQ,VAM • TRAIANAM 

PECVNIA S VA 
IN VRBEM PERD VXIT 
10. EMPTIS LOGIS 

PER • LATITVP • P'XXX 

GonelU (10 milles de Rome). — Henzen, 5097. 



55 

Pont sur le Monticello, entre Terracine et Fondi 

(Via Appia). 

IMP'CAESAR 

DlVI ' NERVAE 

FILIVS • NERVA 

T R A I A N V S 

5. AVG • GERM ANICVS 

DACICVS • PONT 

MAXIMVS 'TRIBVN 



POTESTATIS' XIII 

IMPERATOR- VI'COS' V 

10. P' P" PONTEM • VET V 

STATE • COLLAPSVM 

RESTITVIT 



Mommsen. — • I. N. 6241. 



XXIV 



66 

Sur un cippe : 
(Via Trajana) 

LXXXI 

IMP • CAESAR 
DIVI"NERVAE'F 
NERVA • TR A lAN VS 
5. AVG • GERM • DACIC 

PONT" MAX • TR ' POT 
XIII 'IMP • VI COS V 

P P 

VIAM A BENEVENTO 
10. BRVNDISIVM PECVN 

SVA FECIT. 



Gerignola. — Mommsen. I. N. 6289. 



57 

Sur un cippe : 
(Via Trajana) 

IMP • CAESAR 

DIVI • NERVAE ' F ' 

NERVA • TRAIANVS 

AVG • GERM'DAC 

5. PONT MAX TRIB P 

^jiriMP-vrcos'v 

p.p 

VIAM ET PONTES 
BENEVENTO 'BRVNDISIVM 
10. PECVNIA SVA 

Padali (près Bénévent). — Mommsen : I. N. 6290. 



XXV 

58 

Sur une dalle, encadrée de moulures. 

IMP CAESARI 

DIVI NERVAE FIL 
NERVAE TRAIANO 
AVG • GERM • DACICO 
5. PONT'MAX'TRIB'POT 

XlirCOS* VIMP* VI 'P-P 
D'D ' P'P* 

Sétif. — Renier, Inscrip. Alg., n» 3267. 



59 



Diplôme militaire de Van ÎÎO^^ 

iMP CAESAR DIVI -NERVAE F NERVA TRAIA 
NVS AVG GERM DACICVS PONTIF MAXIMVS 



TRIBVNIC POTESTAT'XIIII'IMP- VI 'COS* VP*P 



A D XIII K MART 
1. 2} SER • SCIPIONE SALVIDIENO ORFITO 

M • PEDVCAEO • PRISCINO COS 

Vienne (Autriche). -^ Corp, Iîisc. LaU III, p. 868. 



XXVI 



60 

Sur un cippe : 
(Vu Appia) 

X 

I M P • C A E S • 

DIVI -NERVAE 

FILIVS • NERVA 

TRAIANVS'AVG 

GERMANICVS 
DACICVS • PONT • MAX 



TRIB*POT"XIIII 
IMP'VI'COS'V'P'P 



10. X V I I I I ' S I L I C E 

SVA'PECVNIA 
S T R A V I T 

LUI 
DDD'NNN-FFF'LLL 
15. THEODOSIO'ARCADIO 

ET • HONORIO • P 'P • P 'FFF 
SEMPER -AVOGG 
BONO'REIPVB 
N A T I S 

Tcrradnc. — Gruter 1019, 8. Fabrelti, Col Traj., p. 291. 



61 

ImP'CAESARI 'DIVI 
NERVAE • F • NERVAE 
TRAIANO'AVG'GER 
DACI-PONT'MAX'TR 
POT- XIV MMP- VI'COS'VP'P 
BRVNDISINI • DECVRIONES 
ET • M VNICIPES 



BriQdes. — Mommsen. I. N., n* 454. 



XXVII 

68 

imp, caesari ' diw [' i^EKW AE ' F ' îiERW ^E' traiano ' aug. 
germanico • dacico * pontifici • MAx/mo îrib 
pot... iwp'wi' cos' w p'p' 

Ob mflNIFICENTIAM'SVAM 

5. SVBOLEMQ^MTALIAE 

iT'MVNicipii auximatium 
decuriones et plebs. 

Osimo. — Uenzen, n" 5444. 



63 

Sur le pont de la Tamega . 

IMP • CAES • NERVA 

TRAIANO'AVG-GER 
DACICO 'PONT'MAX 
TRIB'POT'COS'V P'P 

5. Aqyi FLAVIENSES 

ponTem lapideym 

DE SVO F • C 

Gliaves (Aqaae Flaviae). — Corp. Insc, Lat II, n*" 2478. 



64 

IMP-DIVI'NER*F 
NERVAE "TRAIA 

GAESARI'AVG 
GER'DACIC'POtT 
5. MAX"TRIB"POT"P"P 

COS ' V 

C'RVFIVS "MODERATYS 

IVNIANVS • IVNCINVS 

PRAEF'COH* VI'RAET'TRIB 

10. MIL*LEG"VI1'C"P F 

CODICIL'F* I 

CJlly. — Corp, Insc, LaL Ilï, n* 5202. 



XXVIII 

65 

imp caes werva traia 

no aUG GER DACICO p 

max tr i bpp cos v 

COh I . VCENSIVM p F 

Roomburg. — Brainbach. Corp. Insc. Rhen., n» 6 b. 



66 



5- 



Imp. nerwk 
traiano 
caesaRE 

aug GERM 

^^ic.v.m'la 
berio ii cos 



Trente. — OreUi, n* 4915. 



10. 



67 

(Via Salaria). 

IMP • CAES'DIVI 
NERVAE'F'NER 
VA'TRAIANVS 
AVC • GERMAN 
DACICVS • PO///TIF 
/////X I M V S • T R I B 
/////STATE/////ER 
VI • COS • V/////////VB 
STRVCTIONEM * CON 

T ABEM • MONTIS 

FECIT. 



Antrodoco. — Mommsen. I. N. 6261.. 



XXIX 

68 

"/ïVMINI.DOMVS'AVGUSrfle.. 
ZMP'CAESARIS'NERVAE'Trfliû/l/ dUg 
gERM*DACICrSER'ZMARAGDIA/2U5'5{7 
VANrSIGNVM'PORTICVS-S 
CVM-CVLTV'ET-PICTVRA'ITEM 

CORVM'DD'DEDIC'VI'K'OCT 
frAIANO-AVG-GERM* DACICO'VI *T' S E XTI * COS . ., 

Rome. — Oderico; DissarL^ p. 56. 
Orelli, n- 1595. 



69 



IMp-CAESARrDIVI'NERVAE'FILIO'NERVAE 

TRAIANO'AVG'GERM'DACICO 'PONT 'MAX 

TRIB-P0T'XVIMP'VI*C0S"VI-P-P 

OPTIMO PRINCIPI 

L-PLVTIVS'L'F'PAL *PHOEBVS 

Pouzzoles. — Mommseu. I. N. 2487. 



70 

S P Q R 

IMP'CAESARI'DIVI 
NERVAE- F • NERVAE 
TRAIANO • AVGVSTO 
GERMANICO'DACICO 
PONTIF • MAX • TRIBVNICIA 
POTEST-XVriMP'VPCOS'VrP'P 
OPTIME •DE'REPVBLICA 
MERITO • DOMI • FORISQ^VE 



Rome. — Henzen, n* 5445. 



XXX 

71 

Sur une table de marbre rouge trouvée à Gergina : 

IMP'CAES'DlVi'FIL 
NERVAE • TRAIANO 
AVg'GER ' DACICO 
PONT'MAX'fr/B'POT 
5. XVI'IMP'VI'COJVi'P-P 

P'CALPVRNIO'MACRO 
CAVLIO'RVFO'LEG'AVG'PRO 'PT. 

lassy. — Corp, Insc. LaU III, n" 777. 



72 



Sur le piédestal de la colonne Trajane. 

SENATVS • POPVLVSQ^VE ROMANVS 
IMP CAESARI DlYI N E R V A E ' F ' N E R V A E 
TRAIANO • AVG * GERM * DACICO ' PONTIF 



MAXIMO TRIB POT XVII IMP VI COS VI * P ' P 

5. AD DECLARANDVM QVANTAE ALTITVDINIS 

MONS ET LOCVS TANT/5 O^^flBVS * SIT * EGESTVS 

Rome. — Orelli, n" 29. 



73 

Diplôme militaire de Van 114, 

IMP CAESAR DIVI NERVAE F NERVA TRAIANVS OPTIMVS 
AVG GERM DACIC PONTIF MAX TRIBVNIC POTESTAT 
XVII IMP* VII COS- VI' P* P' 

1. 18 K SEPT 

L'LOLLI ANOA VITO L MESSIO RVSTICO CO S 

Petronell (Carnunlum). ~ Corp, Insc, Lai. III, p. 869. 



XXX! 

74 

Sur une grande dalle de marbre : 

IMP'CAESAR-DIVI'NERVAE'F 
NERVA'TRAIANVS'OPTIMVS-AVG 
GERMANICVS'DACICVS "PONTIF'MAX 
TRlBVNIC-POTEST'XVIlI'IMP'VII'COS'VrP'P 
. SACRARIA'NVMINVM- VETVSTATE- DILAPSA ' RESTITI VIT ' 

Rome. — Fabreiti : Col Traj., p. 293. Borghesi : Œuvres complètes, V, p. 18. 



75 



Sur Fattique de Varc de triomphe : 

IMP • CAESARI • DIVI * NERVAE ' FILIO 
NERVAE • TRAIANO * OPTIMO * AVG 
GERMANICO " DACICO ' PONTIF' MAX 'TRIB 
POTEST'XVIIl'IMP'VII'COS'VI 'P'P 
FORTISSIMO'PRINCIPI • SENATVS P * Q,* R 

Bénévent. — Mommsen : I. N. 1408. 



76 



IMP-CAESARI 

DIVI'NERVAE-F 
NERVAE • TRAIANO ' OP 
TIMO -AVG-GERM- DACICO 
5- PART'iCO- PONTIF* MAX 'TRIB 

POT* XVIII* ImP" VII 'GO S * VI 

patrTpatriae'mvnicipes 
Zambra (Gisimbrium, en Bétique). — Corp. Insc, Lai, II, n* 2097. 



XXXII 



77 
Borne milliaire (Via Latin a). 

x/vii 

iMP'CAESAR- 

DIVI'NERVAE-F' 

NERVA 'TRAIANVS' 

OPTIM VS 'A VG' 

GERMANICVS'DACICVS' 
PONTIFEX 'MAXIM' 



TRIB-POT'X VIII- 



IMP- VIIII' COS- VI ■ 
10. P • P 

FACIENDAM ' 
CVRAVIT- 

Ferentino. — Borghesi : Œuvres complètes, \, p. 22. 



XXXIII 



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XXXIV 



79 



Pont du Métaure (Via Flaminia) : 

IMP ' CAESAR 

DIVI'NERVAE'F 

NER VA -TRAI AN VS 

OPTIMVS • AVC • CER 

DACICVS • TRIBVNIC 

POTEST • XIX • IMP • XI 

COS • VI 'P • P 

FACIVNDVM 

CVRAVIT 



Foâsombrone. — Fabrelli, 398. 289. 



80 

IMP'CAESARI 
DIVI-NERVAE'F 
NERVAE'TRAIANO 
OPTIMO'AVG'GERM 
5. DACIC'PARTHIC-PONT 
MAX 'TRIB 'POTEST'XX 
IMP • XII • COS * VI • PATRI ■ PATR 
CVLTORES • lOVIS " HELIOPO 
LITANI • BERYTENSES ' Q_VI 
10. PVTEOLIS'CONSISTVNT 

Pouzzoles. — Mominsen I, N. 2488. 



XXXV 

81 

Diplôme militaire de Van 116, 

Partie intérieure. 

ImP CAESAR DIVI NERVAE F NERVA TRAIANVS OPTIM 
AVG GERM DACIC PARTHIC PONTIF MAX TRIB PO 
TESTAT'XX IMP'XIirPROCOS'COS VI P P 

Partie extérieure. 

IMP CAESAR DIVI îiEKV ae ' f ' Ficr VU ' îraj dnus 
OPTIMVS AVGVSTVS German'ic dac ic par 
THicvs PONTiFEx uaximus îribunic potestat 

XX • IMP • XIII PR 

1. 2J. A • D • VI • IDVS SEP 
CN MINICIO FAV 

Wiesbaden. — Corp. Insc. Lat III, p. 870. 



82 



Sur un piédestal : 

IMP • CAESARI • DIVI 
NERVAE- fIL'NERVAE 

TRAIANO-OPTIMO 

AVG • GERMANICO 
5. DACICO'PARTHICO 

PONT-MAX"TRIB-POT- XXIII... 

COS • VI • PATRI ' PATRIAE 

SENATVS • POPVLVS Q^* ROM 

OB • RECIPERATOS* AGRO S ' ET * POSS ESS. . . 

10. QVOS" LACVS ' FVCINI • VIOLENT.... 

Alba Fucense. — Mommsen : I, N. 5619. 



XXXVI 

83 

Sur une table de marbre, encastrée dans le mur 

d'une église : 

IMP- CAESARI' DIVI * NERVAE 'F 

DIVO -TRAIANO ' OPTVMO 

AVC • GERM • DACICO * PARTHICO 

PONTIF • MAX "TRIB • POTEST * XXI ' IMP 

5. XIII'COS" VI • PATER -PATRIAE* OPTVMO 

MAXVMOQVE* PRINCIPI " CON 

SERVATORI ' GENERIS * HVMANI 

RES'PVBLICÀ-ARATIS PITANORVM 

DECREVlt.'DIVO- DEDICAVIT* 

Gauche El Viejo (près Malaga). — Corp. Insc. Lat II, n* 2054. 



84 



INSCRIPTIONS RELATIVES AUX GUERRES DE TRAJAN. 



i"^ Guerres de Germanie. i 

a. b, I 

i MP-NERVA-TRA 
ian PONTIF MAX 
le GIADI /EG- XI G 

Bade. — Brambach : Cnrp. Insc, Bhen.f n* 1666. 

La partie a, trouvée en 1809 dans le jardin anglais à Bade, est aujourd'hui 
perdue. La partie b est conservée à Garlsruhe. 



XXXVIl 

85 

2° Guerres de Oacie. 

Sur un piédestal : 

c um 

iwp'CAESAR't^KRWA'TRAïkvyfS'aug'germanicus 

DACICVS'GENTEM-DACOR'ET'REGEM'DECEBALVM 
BELLO'SVPERAVIT'SVB'EODEM-DVCE'LEG'PROPR'AB 



5. EODEM'DONATO-HASTIS'PVRIS'VIII'VEXILLIS-VIII 
CORONIS'MVRALIBII'VALLARIB'II-CLASSICISMI 
AVRATIS-IPLEG-PROPR-PROVINCIAE-BELGICAE-LEG-LEGM 
MINERVIAE'CANDIDATO-CAESARISMNPRAETVRA 
ET'INTRIBVNATVPLEB'Q_VAESTORI 'PROVINCIAE 
10. ACHAIAEIIII'VIRO'VIARVM'CVRANDARVM 
HVIC'SENATVS 'AVCTORE-IMP-TRA lANO'AVG 
CERMANICO • DACICO * TRIVMPHALIA " ORNAMENT 
DEGRE VIT • STATVAMQ^' PECVN * PV BLIC * PONEND "CENS VIT 

Rome. — Borghesi : Œuvres complètes, \, p. 32. 



86 

q ' glitio' p'f- sTEL 

atilio ' AGRICOLAE • cos -Il 

y a ' viro epvlon • leg • propr 
imp'fiervae traiani • caes • avg 'Ger 
5. dacici ' /^tovinciae • pannoniae 

donaîo ' ab * ^odem ' donis 'militarib 
hastis* puris' iiii' y E\\LL\%' uw cOKOiik 
vallari • coronk • mvrali • corona 
cl assied ' coroNA 'avrea-leg-propr 
10. provinc • belgickz 'divi-nervae ' 

leg ' leg •vi'/gRRATAE'LEG 

hispaniae'citerxoK'PKaet' 
aed'cuT'q'divi' vespasiani'trib' mil 
leg' i ' Italie ' xvir * stlitib ' judic 

Turin. — Henzen, n* 5449. 



XXXVIII 



87 



C MANLIO • Q^' F 

FELICI'TRlB'MIL'LEG'Vli 

G'P'F'ADLECT'IN'DECVR//^ 

IVDIC-SELECTOR'A'DIVO 

• TITO'PRAEF'FABR'IMP* 

CAESARIS'NERVAE'TRAIAN 

GERM'DACICl'II'PRAEF'CLASS 

PANN • ET • GERM * PROC * AVG * REC 

CHERS • PROC- AVG ' XX * HERED 

D D 



Ecsemil (Lysimachia). — Muratori, p. 717, n" 5. 



88 



q^-ROSCIO-SEX F 
Q^V IR-COELIO-MVRENAE 
SILIO-DECIANO-VIBVLLO 
PIO-IVLIO-EVRYCLI 'HERCLANO 
5. POMPEIO-FALCONI-COS 

XV VIR'S'F'PRO'COS'PROVINC' ASIAE* LEGPR'PR 
IMP* CAES'TRAIANI 'HADRIANI* AVG'PROVINC 
BRITTANNIAE'LEG'PR-PR "IMP 'CAES 'NERVAE 
TRAIANI • AVG " GERMANICI ' DACICI 
10. /?ROVINC • MOESIAE ' INFERIOR ' CVRATORI 
vfaE'TRAIANAE'ET'LEG'AVG'PR'PR'PROVINC 

iudeae' ET' leg'x'fret'Leg'pr'pr-provlyciae 
et \ pamp hfLiAE • leg • leg • v • macedonic 
in 'bello' dacico' donis' militaribvs'Donato 



Gabies. — Borghesi : Œuvres complètes, IV, p. 125. Henzen, n** 5451. 



89 



XXXIX 



10. 



15 



20. 



L • ACONIO • L -F • CLV 
S T A T V R A E 

> •LEG'XIC'P'F'LEGMIII'P-F-LEG 
V • MACED • LEG * VU •C'PP'DOrfS 
DONATO • AB * IMP 'TRAIANO 
AVG'GERM'OB 'BELLYM *DACIC* 
TORQ^VIB • ARMILL ' PHALERIS 
CORONA VALLARET A PRIORIB 
PRINCIPIBVS EISDf/n ' doUlS 

oon AT O'ob'bellum ' s ue b i c 

ET s ARM ATIC'at -aVG TRAIANO 
EX MILITIA IN EQ^VESTREM 
OlGNITATEM'/RANSLa/O 
ARIMINI PONTIF Q^V I N <i, 
TIFERNI MAT FLAMINI PONTIF 

ça IN 

L • ACONIVS • 5/ATVRA ' FIL 
EX TESTAMENTO EIVS Cui VS 
DEDICATIONE ' 6 P V L II m dcCU 
RIONIBVS ET PLEBI "^^DIT 
L • D ' D • D • 



S. Angelo in Vado (prè5 Urbin). — Borghesi : Œuvres complètes, VIU, p. 382. 



XL 



90 



C-ARRIO-C-FCORN 
CLEMENTÏ-MILITI • COH'IX 

PR • Eq^VITI • COH • EIVSDEM ' DONIS 
DONATO* AB ' IMP'TRAIANO 
J. TORQ_VIBVS • ARMILLIS ' PHALERIS 

OB'BELLVM DACICVM'SINGVLARI 
PRAEFECTORVM ' PR ' TESSERARIO' OP 
TIONI FISCI CVRATORI CORNICVL 
TRIBVNPEVOCATO-AVG'>COH*I'VIGIL> 

10. STATORVM>COH XIIII VRB>COH VII PR 

TRECENARÏO- DONIS* DONATO -AB'IMP 

HADRIANO HASTA PVRA CORONA AVREA 

>LEG III AVG'PRIMIPILARril VIRO QVIN 

Q^VENNALI-PATRONO'MVNICIPII 

15. CVRATORI REIPVBLICAE 

DECVR'ET'AVG V[£ vir] MVNICIPES MATIL 

Malilica. — Henzen, n* 6771. 



91 



Table de marbre, trouvée à Tanger : 

P'BESIO- P'F -QVIR'BETVINIANO 

C'MARIO'MEMMIO'SABINO 

PRAEF 'COH* I "RHAETORVM'TRIB'LEG 'X'G* P'F 

PRAEF'ALAE'DARDANORVM 'PROCVRATORI 

5. IMP-CAESARIS'NERVAE'TRAIANI'AVG'GERM'DACICI 

MONETAE • PROC * PROVINC * BAETICAE ' PROC ' XX ' HERED * PROC ' PRO 

LEG • PROVINC • MAVRETANIAE * TINGITANAE ' DONIS ' DONATO * AB 

IMP • TRAIANO • AVG ' BELLO * DACICO ' CORONA ' M VRALI ' VALLARI ' HASTIS 

EXACTI • EXERCITVS ' [PVR ' VEXILLO ' ARGENT ' 

Oxford. — Seldcn. Marm, Oxon,, p. 132. Orelli, n» 3570. 



XLI 



98 



C-CAESIO-C-F-OVF 
SILVESTRI-BENEF 
PR -PR -EVOC-AVG 
>-LEG-Il-AVG-LEG-IIII-F'F 
5. LEG-lII-GALL-LEG-Vl 

FERR'LEG-XXX-V-V 

P-P-PRAEP*CASTR0RVM' LEG-IIII" F' F 
^ONIS • DONATO * BELLO * DACICO * BIS 
ror Q_VIBVS'ARMILLIS*PHALE 

10. r/5"/?0/2TIFICI"CVRATORI 

Viarum VMBRIAE'ET'PICEhiDATO 
a b • /m/?'fl/ITONINO*AVG"PIO 

PATRONO • MVNICIPI 

ERELIVS 

15. VFINVS'COS.F'F 

Albacino (près Fabriano). — Borghesi : Œuvres complètes, VU, p. 365. 



98 



TrCLAVDIO-TI-F-TER-VlTALI 

EX • EQ_yiTE*R- ORDINEM ACCEPIT * IN * LEG ' V maC'X'hast 
POST • SVCCESSIONE * PROMOTVS CX LEG * V MAC * //I * /eg 
riTAL'DONIS'D-TORQVIB'ARMILL'PHALER'CORONA'VALL 
5. BELLO- DACICO • SVCCESSIONE * PROMÛT ' EX ' LEG ' I* ITAL 
IN'LEG'I'MINER'/TER'DONIS • D'TORQVIB • ARMILL 
PHALER'CORONA'VALL- BELLO" DACICO'SVCCESSIONE 
PROMOT'EX- LEG- l'MINER'IN'LEG'XX VICT ' ITEM ' PROM 
IN'LEG'EADMTEM 'SVCCESSIONE -PROMOTVS -EX'LEG 
10. XX-VICT'IN-LEG-IX-HISP'SVCC-PROMOT-EX'LEG-IX-HISP 
IN LEG'VII'CL-P'F-ITEM'SVCCESSIT-IN'LEG-EADEM 
MILIT->IIII-PR-POST-ANNIS-XI-VIXIT-ANNIS-XLI- 

Rome. — Mazocchi Epigr., î'xlviiu Restitutioas de M. L. Renier; Borghesi : 
(Euvres complètes, IV, p. 211. 



XUl 



94 

NA Tk N I s 
A/ F A N I B ' C 
I V L • M N S V E 
T VS • M • L • I • M 
5. PT' VS "fM-FV 

TAD'ALVTW\ 
FLWEN • SEC V S 
MO^TCA/CASI 

Cologne. — Brambach : Corp. Insc, Bhen.; n" 405. 



95 

T-PRIFERNIO 
P-F-Q^VI-PAETO 
MËMMIO'APOLLINARI 

IIII- VIR- IVR- DIC-Q_yiNQ_*MAGMV 

5. PRAEF'COHMII* BREVC'TRIB ' LEC ' X 

GEM'PRAEF* ALAE'I ' ASTVR VM ' DONIS 

DONATO-EXPED'DAC'AB'IMP 

TRAIANO • HASTA * PVRA ' VEXILLO 

CORONA • MVRALI * PROC * PROVINC 

10. SICIL • PROC -PROV'LVSITAN 

PROC'XX- HER-PROC'PROVTlRAC 

PROC'PROV'NORICAE 

P-MEMMIVS-P-F- Q_V I 
APOLLINARIS 
15. PATRI-PIISSIMO 

Rieti. -* Borghesi : Œuvres compUtes, \IH, p. 393. 



XLIll 

9o 



q^' R A E C I • Q^- F 

CL • R V F 
P • P • LEG • XII • FV L M 
TRECENARIO 
5. DONIS • DON ' AB ' IMPER 

VESPASIAN ET TITO I NP 
BELL • IVD • AB * IMP ' TRAI 
BELL'DACIC'PRINC'PRAET 

TREBI A • M • F • PROCV L' 
10. MARITO 

T P I 

Zara. — Corp. Jnsc. LaL III, n» 2917. 



97 

L-TERENTIO 

M*F'Q_VIR'RVFO 
PRaEF'COH'VI'Br'iTTO 
D'LEGTM'P'F'DON'DON-AB 
IMP • TRAIANO • bel/- DAC 



P'P'LEG'XV'APOL/ 
TRIB'COH'II'VIG 



Braga. — Corp, Insc. Lai. H, n' 2424. 



98 



MIVS'HOR* V 

M'PROViNCiAE praef 

al.. rfACORVM-PRAEF 

/IR* TRIB'LEGM' ITAL dû 

5. natus DONIS militaribvs ab 

IMP TRAIANO avg Germ... 
PONTIF sacr ivn cwritis 

CELLAM * CALDARI.. 

Givita Casteilana (Falerii). — Henzen, 5659. 



XLIV 



- 99 

ex AW ctoriîaîe • imp • cae 
SkRlS'DlVl'NERVae'f 
TRAIANI • AVGVSTI 
CONDITA-COLONIA , 
DACICA 

PER 

leg'V'M' SCAVRIANVS 

leg'ElVS' PR • PR 

d d. 



Varhély. — Corp, Atic. Lat lil, n* 1443. 



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XLV 



101 

40 Guerre Parthique. 

L A E M I L I 

L • F • G A L 

P A T E R N • ?__ P 

PRAEF • FABR ' D LEO ' VII ' G 

5. D • LEG I M • D • LEC * VII * CL 

LEGXIII C'D COH V Urh 

D'COHIlirPR'CCCLEGIl AVg 

et'p'p'ter'donisdonato 
ab imp • traiano * torqjvi 
10. bvs'armillis'phaleris 

corona * vallari ' bis 
In dacia'Semel'inpar 

T H I A 
ATILIA'L'F'VERA-BE 
15. NE DE SE MERITO f{ 

Tamgone. — Cwf. In9c, Lat II, n* 4461. 



108 

Sur un piédestal : 

Q^- ALBIO • Q^- F • HOR • FELICl 

> • LEG • XX • V • V • 

CORNICVLARIO * PR ' PR 
DONIS • DONATO * AB * DIVO 
5. TRAIANO • AVG 

TORQVIBVS • ARMILLIS 

PHALERIS • BELLO ' PARTHICO ' ET ' A^ 

IMP ' CAESARE 'TRAIANO 

HADRIANO • AVG * HAST A ' PVRA 

10. ET • CORONA ' AVREA 

AVILLIA'SOTERIS'MATER 

fILIO • OPTIMO • PIENTISSIMO 

L • D • D • D 

CiviU Gaft(ellaiia. — Sinctius, f" lxxiii, n" 8. 



XLVI 



10. 



15 



108 

C • NVMMIO • C • FIL • PAL 

CONSTANTI • P • P 

LEG-II-TRAIANAE 

CENTVRION'II'LEG'III 
CYRENEICAE ET VIICLA' 
EVOCATO • IN • FORO 'AB "ACTIS 
MILITI'COH'III'PRAET 
et X • VRB • DON IS • DONATO • AB 
IMP • TRAIANO •TORQ_VIBVS 
ARMILLIS'PHALERIS 'OB 
BELLVM PARTHICVM * If^M * AB 
IMP'HADRIANO GORONA 
AVREA TORQ^VIBVS ARMILLIS 
PHALERIS'OB' BELLVM IVDACIVM 
HEREDES • EX " TESTAMENTO 



Gruini (Gampanie). — Mommseo I. N. 3542. 



5. 



10. 



M 



104 

Sur un autel de marbre : 
D M 

A-ATINIO-AF-PAL 

p A T E R N 
SCRIB -AEDIL ' CVR 
HON'VSVS'AB'lMP 
E Q_V O'PVBL'HONOR 
PRAEF • COH • II • BRACAR 
AVGVSTAN • TRIB ' MIL 
LEG'X'FRETENS'A DIVO 
TRAIANO • INEXPEDITION 
PARTHICA • DONIS ' DONAT 
PRAEF • A LA E- VU • PHRYG 'CVR 
KAL- FABRATEBNOR ' NOVOR 
ATINIA • A • F* FAVSTINA ' PAT RI 
OPTIMO • FECIT 



Rome. — Smelius, f* xlv, n" 6. 



XLVII 



106 

Sur un piédestal : 

N • M A R C I 

N • F • G A L 
PLAETORIO " CELE=?I 



q_v aest-ii*vir'>leg*vi1 
5. gemin' >leg-xvi-pl'pirm 
donis 'donato 'a • divo 
traian • bello * parthic 
corona'mvrali'torq^vib 
armillis* phalaris' > leg'ii 
10. gall*>leg*xiiii*cem*mart-vicT< 

> LEC VirCL'p- F* > LECr ADI- P'F'P'P- LEG 
EIVSD -PRAEPOSIT'NVMEROR 
TENDENTIVM ' IN ' PONTO^AB 



SARO 'TRIB 'COH 'III'VIG 
15. PATRON'COLON 

D D 

AveUa (Campanie). — Moromsen. h N. 1947. 



XLVIII 



106 

Sur un piédestal : 

T ' PONTIVS-T- F • SABINVS 

PRAEF'COH'I'PANN * ET'DALMAT 
EQ_'C'R'TRIB*MIL'LEG'VI*FERRAT 
DONIS'DONATVS'EXPEDITIONE PAR 
THICA • ADIVO • TRAIANO * HASTA PVRA 



VEXILLO CORONA M VR A LI > * LBG * XX II 
PRIMIG// > • LEG • XIII GEMIN -PRIMVS ' PI 
LYS LEG 'Tn AVG PRAEPOSITVS VEXILLA 
TIONIBVS MILLIARIS * TRIBVS EXPEDI 
10. TIONE BRITANNICA * LEG ' VII GEMIN 



VIII • AVG 'XXII 'PRIMIG 'TRIB' COH'III 
VIG-COH*XIIII-VRB'COH'II*PRAET 
PP*II*PROC*PROVINC"NARBONENS 
IIII VIR • I • D • QVINQ_' FLAMEN • PATRON 
15. M VNICI P I 

Ferentino. — Borghesî : Œuvres complètes, YIH, p. 283. 



Imprimerie Gouverneur, G. Daupeley à Nogent-le-Rotrou 



PRÉFACE. 



Depuis Tillemont, personne, en France, n'a fait du règne de 
Trajan l'objet d'un travail étendu ^ On sait que les textes relatifs 
à cette période de Thistoire romaine sont fort peu abondants. 
Elle correspond précisément à une lacune entre les Caesares de 
Suétone et l'ensemble de biographies appelé Historia Augusta. 
Les ouvrages de Marius Maximus, de Fabius Marcellinus, 
d'Aurelius Verus, de Statius Valens*, de Junius Cordus', ont 
péri, aussi bien que les premiers livres d'Ammien Marcellin ^. Si 
Suidas ne se trompe pas en citant une Vie de Trajan écrite par 
Dion Cassius^, cet opuscule a dû passer dans le texte de la 
grande histoire composée par l'historien de Nicée, mais à partir 
du règne de Néron, on ne lit plus cette histoire que dans Tabrégé 
de Xiphilin. Ainsi ce court livre grec, le hreviarium d'Eu- 



1. Le chapitre conBacrè à Nerva et Trajan dans le 4* volume de 
VHistoire des Romains, de M. Duruy, p. 239-305, est un résumé intéres- 
sant et exact. 

2. Lamprid., Alex, Sev,, 48. 

3. Gapitolin, Macrin. Le livre de Junius Gordus contenait des détails 
trés-minutieuz. 

4. Ammien, XXI ult Hœc, a principatu Nervae ezorsus usquQ ad 
Valentis interitum pro virium explicavi mensura. 

5. Yoy. sur cette question M. Egger, Examen des Hislmiens d'Augwie, 
p. 283. 

4 



— 2 -- 

trope*, deux chapitres d'Aurelius Victor*, un de Paul Orose', 
quelq[ues lignes dans la Chronique de saint Jérôme ^, des faits 
détachés , des allusions , des observations incidentes que l'on 
recueille çà et là dans une vingtaine d*auteurs , voilà les maté- 
riaux rares et mutilés dont nous disposons pour retracer les 
actions et le caractère d'un des meilleurs princes qui aient vécu. 
Le Panégyrique prononcé par Pline le Jeune, puis refait 
par lui-même en forme de livre, offre il est vrai d'utiles secours, 
aussi bien que la correspondance laissée par cet écrivain célèbre : 
mais on éprouve de sérieuses difficultés à dégager la vérité histo- 
rique de l'amplification oratoire^, et les Lettres font allusion à 
plusieurs faits que nous ne pouvons plus ni bien comprendre, ni 
convenablement classer. 

Le Nain de Tillemont a recueilli et rapproché tous les 
textes avec une patience qui n'a jamais été surpassée et qui n'a 
plus besoin d'éloges ; non-seulement il a tiré tout le parti possible 
de ces maigres ressources, mais il a senti comment l'historien 
devait les mettre en œuvre, et de quel côté on trouverait les 
moyens de remédier à leur insuffisance et à leur désordre. En 
efifet, les brèves indications des auteurs que nous avons énumérés 
ne se trouvent pas même disposées chronologiquement : pour les 
replacer dans leur ordre primitif, et tirer qpielques conséquences 
de leur succession, il faut recourir aux médailles et aux inscrip- 
tions. Malheureusement, au dix-septième siècle, ni la numisma- 
tique ni l'épigraphie n'avaient encore été soumises à la critique : 
on alléguait, à l'appui d'opinions historiques, des pièces publiées 
par Occo, Goltz ou Mezzabarba , et qui n'ont jamais existé que 
dans l'imagination ou la crédulité de ces auteurs ®; on acceptait 
comme authentiqpies toutes les inscriptions publiées par Gruter ; 
les fastes consulaires n'étaient pas établis correctement. Il en 

1. Lib. vm. 

2. Caes. 13. BpU. 13. 

3. VII, 12. 

4. Bd. Schœne, p. 163, 165. 

5. Burnouf a levé plusieurs de ces difficultés dans le commentaire 
joint à sa traduction du Panégyrique. 

6. Le désir de compléter Thistoire de Trajan poussa les faussaires à 
ftibriquer beaucoup de médailles : c Vêtus est querela vix alium esse 
imperatorem cujus numt plures adulterini circumferantur. i fikchel, 
Dactrina nwnorwn veterwn, VI, p. 463. 



— 3 — 

résulte que les trente notes jointes par Tillemont au règne de 
Trajan, et qui sont autant de dissertations chronologiques, n'of- 
frent plus aucune valeur. 

La question fut considérablement améliorée par Eckhel : dans 
l'admirable Doctrina numorum veterum , le chapitre con- 
sacré aux monnaies de Trajan est un de ceux où la science solide 
et la pénétrante sagacité du fondateur de la numismatique se 
révèlent avec le plus d'éclat. On y sent qu'avant d'aborder cette 
branche de l'archéologie et d'en faire l'objet définitifde ses études, 
Eckhel s'était approprié toutes les autres parties de l'antiquité , 
et on voit comment les progrès qu'il a réalisés dans le champ de 
ses recherches particulières ont réagi sur l'ensemble de l'histoire 
ancienne, et lui ont donné plus de consistance et de précision. 

Quelque temps auparavant, J.-Aug. Bach avait recueilli dans 
un travail spécial^ tous les passages du Digeste qai mentionnent 
soit des édits de Trajan, soit des lois ou des sénatus-consultes 
datant de son règne : chapitre important que Tillemont avait 
laissé de côté. En 1793, Mannert^, et l'année suivante EngeP, 
élucidèrent l'histoire des guerres Daciques. Dès 1747, Muratori 
avait commenté les tables alimentaires de Yelléia. Sur les bases 
judicieusement posées par Eckhel, et en s'aidant des travaux 
publiés au dix-huitième siècle, Henri Francke a composé depuis 
une histoire de Trajan qu'on lit encore avec profit, bien qu'elle 
ofiBre beaucoup de développements inutiles et qu'elle soit arriérée 
sur plusieurs points ^. 

C'est seulement dans notre siècle, en effet, que l'épigraphie, 
sous les auspices de Marini et de Borghesi , est entrée dans une 
voie de progrès chaque jour plus féconde et plus rapide. Au 
moyen des inscriptions, heureusement abondantes, du règne de 
Trajan*, on a découvert ou rectifié nombre de détails. D'un 



1. IHvus Trajanus, sive de leffilms Trc{jani imperatoris, Lipsiae, 1747, 
in-8*. 

2. JRes Trajani imper atoris ad Jkmubhun geslae, Norimbergae, 1793,in-8*« 

3. Commentaiio de expeditionilnu Trajani ad Danubium, Vindobonae, 
t794, in- 12. -- En 1792, TAcadëmie de Qœttingue avait mis la question 
au concours; Mannert obtint le prix et Engei Vaccessit. 

4. Zur Geschichie Trajan's und seiner Zeitgenossen, Oustrow, 1837, in-8% 
740 pages. 

5. Le nom de Trajan était si souvent gravé sur les monuments qu'on 



— 4 — 

autre côté, les progrès de l'archéologie monumentale permettent 
de mieux sentir la valeur des œuvres d*art contemporaines. Il 
m*a semblé utile de fondre, dans une étude d'ensemble, les faits 
déjà connus et les notions nouvellement acquises à la science. 

Pendant qae je réunissais les éléments de ce travail , deux 
monographies d'une grande valeur ont paru sur le même sujet. 
L'une est consacrée à l'histoire et à la correspondance de Pline 
le Jeune. M. Monmisen* a pu rétablir en partie l'ordre chrono- 
logique des lettres célèbres qui composent ce recueil : la plupart 
des personnages auxquels elles sont adressées, ou qui s'y trouvent 
nommés, étaient des hommes politicpies dont les monuments épi- 
graphiques nous font connaître la carrière administrative *. De 
tous ces monuments , le plus intéressant est sans doute l'inscrip- 
tion funéraire de Pline lui-même, que M. Mommsen a restituée. 
Elle jette une grande lumière sur un certain nombre de lettres et 
permet de reconstituer d'une manière très-satisfaisante la bio- 
graphie de l'écrivain. Ainsi cet opuscule doit remplacer, dès 
aujourd'hui, la vie de Pline écrite par /. Masson en 1709, avec 
une extrême diligence et une science remarquable pour l'époque, 
mais arriérée maintenant. On admire, dans ce Mémoire de 
M. Mommsen, la connaissance approfondie et minutieuse des 
plus petits détails et l'art de concentrer méthodiquement sur les 
divers points à élucider toutes les ressources qpie la plus riche 
érudition peut fournir. 

La deuxième des monographies dont j'ai parlé, beaucoup plus 
considérable en étendue que la première, est un livre de M. J. 
Dierauer, intitulé Recherches pour servir à une histoire 
critique de Trajan ^. L'auteur est parfaitement au courant des 
travaux les plus récents : il a fait l'usage le plus judicieux des 
sources. Un très-petit nombre de points ont échappé à sa vigilance. 

avait surnommé cet empereur la pariétaire, Ammien, XVIII, 3. Cf. Victor, 
Epitome, 41. 

1. Hermès, III, p. 31-140. 

* 2. A la fin du Pline le Jeune édité par Keil (Leipsig, 1870), M. Mommsen 

a donné un excellent index historique de ces personnages. L'article de 

VHermes a été traduit par M. Gh. Morel et publié dans la Bibliothèque de 

l'Ecole des Hautes-Etudes (15« fascicule), 1873, in-8«, sous le titre d'Etude 

^sur Pline le Jeune. 

3. Beitraege %u einer krUischen Gesdûchte Trajan's, dans Buedinobr : 
Uniermckungen xur rœmischen Kaàsergesahichte, I, 1868, p. 3-219. 



— D — 



L'étude que j'avais poursuivie m'amenait presque partout aux 
mêmes conclusions et me donne le droit de recommander son 
ouvrage comme la base indispensable de tous les travaux ulté- 
rieurs sur Trajan. Cet ouvrage , d'ailleurs , ne laisse rien à 
désirer, dans l'état actuel de nos connaissances, pour tout ce 
qui concerne la chronologie et l'histoire des guerres. Si M. Die- 
rauer avait embrassé dans ses recherches la politique intérieure 
de Trajan et le tableau de la littérature et de la société à cette 
époque, j'aurais dû renoncer à publier cet Essai, 

Malgré mes efforts pour rendre aussi complet que possible cet 
exposé d'un grand règne, on y trouvera bien des lacunes, impu- 
tables au hasard, q[ui ne nous livre qu'avec lenteur, et capricieu- 
sement , les monuments propres à éclairer une histoire aussi 
maltraitée par le temps. Ces lacunes, aussi bien que les digres- 
sions et dissertations nécessaires sur beaucoup de points de détail 
rendront, je le crains, assez fatigante la lecture d'un livre auquel 
manquera l'agrément du style. La difficulté d'éviter le morcel- 
lement dans une histoire de Trajan semble dater de loin. Pline, 
envoyant son Panégyrique à un ami , appelle soû attention sur 
l'art avec lequel il a su opérer les transitions ^ Or, en examinant 
ces transitions qui ont tant coûté à leur auteur , nous jugerons 
qu'il a médiocrement réussi à donner à son œuvre l'unité dési- 
rable ^. Je n'ai pas renouvelé une tentative dans laquelle Pline 
avait échoué à demi : au contraire, j'ai multiplié les subdivisions 
et les chapitres, quelqu'inégale que dût être leur étendue, afin de 
rendre les recherches sur un point donné plus faciles, et pour 
qu'on trouvât au moins ici un répertoire commode à consulter. 

Au surplus, la vie d'un prince que Tacite et Pline ont aimé, 
qui reçut de ses sujets le beau nom ^Optimus, qui a laissé une 
réputation légendaire de gloire, de bienveillance et de justice, et 
sous le règne duquel les lettres latines ont jeté leur dernier éclat, 
éveille une curiosité et une sympathie légitimes , et l'on peut 
espérer qu'elle plaira, de quelque façon qu'elle soit écrite. Mais 
indépendanament de cet attrait propre au sujet, elle offre, ce me 



1. Ep, 111, 13 : « atqueutinam ordo saltem, et transUw^ et flgurae simul 
spectarentur.i 

% Paneg. 18 : aliud exalio mihi occurrit.. 28 : aiîo me vocat numerosa 
gloria tua... 76 : opéras pretium est referre... 



— 6 — 

semble, un intérêt plus général, comme faisant partie intégrante 
d'une histoire plus étendue et encore mal connue, celle du deu- 
xième siècle de notre ère. Cette époque, peu étudiée jusqu'ici à 
cause de la rareté des textes , et dont le tableau ne pourra être 
entrepris que lorsqu'on possédera un nombre suffisant de mono- 
graphies consacrées aux hommes célèbres et aux institutions de 
cette période*, cette époque, dis-je, est celle d'une des révolutions 
les plus considérables de l'histoire du monde, caractérisée par 
quatre grands faits. 

1® Le premier est la formation de la société européenne. Jus- 
qu'alors , les diverses nations qui la composent avaient eu leur 
histoire à part, aussi bien que leurs intérêts. Subjuguées par 
Rome, elles ne connurent d'abord d'autres relations mutuelles 
que le lien de l'assujétissement commun. Pendant le premier 
siècle de notre ère, à la faveur de la paix romaine, l'existence 
matérielle des peuples devint plus abondante , plus facile et plus 
sûre ; les relations des hommes entre eux, plus régulières et plus 
étroites, se subordonnèrent à des principes plus généraux et plus 
équitables. Les religions , les langues et les coutumes indigènes 
disparurent par Tefifet du temps et sous l'influence prolongée 
d'une civilisation supérieure. De là, entre l'Italie, la Gaule et 
l'Espagne, une certaine communauté d'intérêts, d'idées et d'habi- 
tudes , une analogie dans l'existence nationale , qai devaient , 
malgré d'assez grandes in%alités dans la culture morale de ces 
pays, imprimer à leur développement une même direction. Depuis 
lors, en effet, ces nations ont constitué un seul et même système 
politique, dont les grandes lignes n'ont jamais été brisées. Les 
modifications survenues dans le régime de l'Europe ont affecté 
toutes les parties de ce système, tous les progrès leur ont été 
communs, et de nouveaux peuples ne sont entrés dans le 
concert européen qu'en se faisant une place dans le groupe 
romain, agrandi mais non défiguré par leur accession. Or, ce 
groupe se constitua très-solidement au deuxième siècle, car dans 
l'anarchie du siècle suivant l'empire eût certainement sombré si 
les compétitions des chefs d'armées avaient été appuyées ou favo- 
risées par de sérieuses revendications nationales. 

1. Le recueil de M. Baedinger, dont nous avons parlé, est destine à 
publier des monographies de ce genre. Trois volumes en ont paru. 



— 7 — 

* 

2® Dans la même période, Rome achève d'élaborer ses institu- 
tions juridiques. Ce grand résultat , auquel aboutit l'histoire 
intérieure de la cité, qui domine et explicpie cette histoire, n'est 
pleinement obtenu qu'à la mort d'Alexandre Sévère, mais tout le 
deuxième siècle est animé par les efforts des jurisconsultes qui, à 
Tenvi, règlent et perfectionnent le puissant instrument de civili- 
sation que léguera Rome aux nations qu'elle a vaincues. 

3^ Les sciences prennent une forme qui va rester longtemps 
définitive. L'esprit d'investigation est éteint; la curiosité même 
n'est plus aussi éveillée que chez Senèque et chez Pline; mais on 
résume les faits acquis , on les coordonne par des théories géné- 
rales. Du temps dés Antonins datent les ouvrages que traduiront 
les Arabes et qui marqueront jusqu'au seizième siècle la borne du 
savoir humain. 

A^ Enfin, l'Eglise a jeté les bases de sa puissance future, non- 
seulement par la lointaine et courageuse propagation de la parole 
du Christ, par l'éloquente et habile polémiqpie des premiers Pères 
contre les premiers hérésiarques, mais, ce qui fut décisif, par 
l'établissement de sa hiérarchie ecclésiastique, si propre à conso- 
lider les conq[uêtes successives de la nouvelle religion , et en 
même temps à assurer l'universalité et la pureté de la foi ^ 

Tels sont les grands résultats acquis à la civilisation au moment 
où se ferme le siècle des Antonins; sous Trajan, au commence- 
ment de ce siècle, ils commençaient à se dessiner, et nous cher- 
cherons à les mettre en lumière, dans les pages qui vont suivre, 
sans perdre de vue notre sujet principal, déjà suffisanmient vaste. 



1. De Broglie, VEglise et l'empire romain au iv« siècle, i" partie, 1, 440 : 
c Après saint Irènée, l'Eglise est dëfinitivemeDt constituée. 11 n'est plus 
besoin de rassembler des textes et de chercher des preuves; elle 
marche, elle agit; on voit son action, on entend son langage dans 
toute rhistoire, même civile, i 

Merivale, Romam under ihs Empire, VU, p. 401 : c Meagre as are the 
remains of Christian littérature of the second century, they tend to 
confirm our assurance that the scriptures of the new Dispensation were 
known and recognised as divine at that earJy period, and that the 
Ghurch of Christ, the future mistress of the world, was already become 
a great social fàct, an empire within the empire. » 



CHAPITRE PREMIER. 



HISTOIRE DE TRAJAN JUSQU'a LA MORT DE NBRVA. 



Trajan (Marcus Ulpius Trajanus *) naquit à ItcUica^ municipe 
de l'Espagne ultérieure ou Bétique*, le XIV des kalendes 
d'octobre de l'an de Rome 805 3, c'est-à-dire le 18 septembre 52 
après Jésus-Christ, n appartenait à une famille ancienne, mais 
qui ne devint illustre que sous la dynastie Flavienne : aucun de 
ses membres n'avait obtenu les honneurs curules avant M. Ulpius 
Trajanus, père de celui dont nous écrivons l'histoire^. 

La Bétique, dont Italica était un des principaux municipes, 
jouissait depuis longtemps d'une civilisation presqpi'aussi avancée 
(jue celle de Rome. La douceur du climat , les richesses variées 
et inépuisables du sol, l'heureuse disposition des montagnes et 
des fleuves, fixèrent de bonne heure l'attention des Carthaginois 
sur cette partie de l'Espagne. Ils y installèrent des colonies et 
des établissements de premier ordre, dont les triomphes de Scipion 
assurèrent la possession aux Romains. Le vainqueur de Cartha- 



1. Eutrope, seul parmi les auteurs latins, lui donne un deuxième sur- 
nom, Crinitus. Suivant Jean le Lydien {de Mensib, Januar., c. 7) il aurait 
dû ce surnom aux soins qu'il prenait de s^ chevelure, assertion sans 
fondement et très-invraisemblable. M, Ulpius Crinitus, général sous le 
règne de Valérien, prétendait appartenir à la famille de Trajan (Vopisc. 
Aurdian,, 10), ce qui explique comment le surnom de Crinitus a été 
attribué plus tard à l'empereur. 

2. Appien., Hisp., 38. Butrop., VIII, 2. Victor, Caes., l3.Dion,CXVlII, 4 : 
o6x iTttXè^, o08* ItaXi^TTic ^ : il n'étaitt ni italien ni né en Italie. Sur 
Italica voy. Â. Gell., Noct. Attic. (XVI, 13) et les médailles Mionnet, 1. 1, 
p. 17, n*' 130 et suiv. Suppl., t. I, p. 30, n" 167 et suiv. 

3. V. Fappendice I. 

4. V. Tappendice II. 



— 40 — 

gène fonda Italica pour servir d*asile à ses vétérans blessés, et la 
petite ville conserva toujours des relations étroites avec la mère 
patrie. Mummius TÂchaïque, quand il distribua aux colonies 
italiennes le butin fait à Ck)rinthe , n'oublia pas les Homains 
de cette région lointaine : l'inscription qui conserve ce souvenir 
intéressant nous apprend qu'Italica n'était encore qu'un victis *. 
Mais sa population était considérable au temps de Jules-César ; 
peut-être avait-elle déjà alors le rang de municipe '. Sa pros- 
périté augmenta encore sous les premiers empereurs , conmie le 
prouvent les débris de monuments qui couvrent son sol et qui 
le cèdent peu aux plus beaux restes de Cordoue, d'Hispalis et de 
Gadès^. Au sein de la paix heureuse et de l'abondance dont ils 
jouissaient, les mœurs des Turdétains s'étaientadoucies et policées : 
ils s'étaient entièrement convertis à la manière de vivre des 
Romains, jusqu'à renoncer à leur idiome national^. Cette civili- 
sation, qui contrastait avec la rudesse de leurs ancêtres, leur a 
valu de la part de Tite-Live une qualification sévère *, que la vie 
de Trajan, pleine des bruits de la guerre , réduira à sa juste 
valeur. Rappelons-nous, d'ailleurs , que les Espagnols avaient 
pris, depuis un siècle et demi, une place importante à Rome dans 
la politique aussi bien que dans la littérature. Un Gaditain, 
Balbus, avait été consul : son frère avait, le premier de tous les 
étrangers, reçu les honneurs du triomphe. Des écoles de Cordoue, 
déjà célèbres à cette époque, on avait vu sortir Senècpieet Lucain. 
Il ne faudra donc nous étonner ni de la haute fortune réservée à 
l'Espagnol Trajan, ni des qualités toutes romaines qu'il déploiera 
dans l'exercice du pouvoir. 

Le souvenir des faits qui se rattachent à son enfance a com- 
plètement disparu ^, et nous sonunes privés de ces détails fami- 
liers, de ces anecdotes où se révèlent le caractère des grands 
honunes, et où l'on aime à chercher des présages de leur destinée. 
Pline prend son héros lorsqu'il est déjà tribun militaire. Entré 

1. Corp, Inse. LaUn., vol. 1, p. t52, n* 546. 

2. Bell. Alexandr,, 52. 

3. flûbner, Corp. Insc. Latin., vol. II, n** 1108, et Bvlleiin de VInstitut 
arehéoL de Rome, 1862, p. 99-107. 

4. Strabon, 111, 2, 15. 

5. XXXIV, 17 : c Omnium Hispanorum maxime imbelles habentur Tur- 
detani. » 

6. Depuis longtemps on a reconnu mal fondée la tradition suivant 
laquelle Plutarque aurait été le précepteur de Trajan. Y. Oct. OniARD, 
Morale de Plutarque, 5-18, et Volkmann, Leben, Sckriften und Philosophie 
des Plutarch von Chaeronea, I, 210-234. 



^ i4 — 

au service avec ce grade, comme tous les fils de sénateurs, Trajan 
fit ses premières armes en Syrie, sous le commandement de son 
père, et passa de là aux armées de Germanie ^ U fut tribun mili- 
taire pendant dix ans *. Son courage, sa constance à supporter 
les £atigues, l'équité qu'il montrait à l'égard de ses compagnons 
d*armes et de ses soldats, enfin l'étude approfondie qu'on lui 
voyait faire de son art lui conquirent rapidement l'amour des 
légions ^. 

n revint à Rome Tan 78 pour exercer une des charges du 
vigintivirat *, puis revêtir successivement les magistratures 
réservées aux sénateurs et qui précédaient le consulat (questure 
— tribunat du peuple ou édilité — préture). Le silence gardé 
par Pline sur cette période de la vie du prince, dont il relève 
ailleurs tant de détails avec un soin minutieux , nous autorise à 
penser que Trajan ne se signala par aucun acte remarquable 
dans l'exercice de ces charges civiles. Spartien rappelle incidem- 
ment sa préture '^; lorsqu' Hadrien, âgé de dix ans (il était né le 
24 janvier 76) perdit son père, Trajan , alors ancien préteur, 
fut l'un de ses tuteurs. Cette préture se place donc au plus tard 
en 85. En combinant cette date avec les règles alors prescrites, 
tant pour la succession des charges, que pour letemps qui devait 
s'écouler entre l'exercice de chacune d'elles, et la date de l'entrée 
en fonction des magistrats ^, on arrive à dresser le tableau sui- 
vant, assez conjectural je l'avoue, mais dont il faut se contenter 

i. Paneg.f 14, Probablement en Germanie inférieure, car M. Henzen a 
démontré qu'il était de régie, sous l'empire, que les légats pro-préteurs 
ne gouvernassent point les provinces où ils avaient séjourné comme 
tribuns militaires. Or Trajan fut légat de Germanie supérieure sous 
Domitien. 

2- Paneg., 15 : c Tribunus vero disjunctissimas terras, ieneris adhuc 
anrUs, viri ilrmitate lustrasti:.. Gognovisti par stipendia decem, etc. > 

3. Pline, Paneg., 15. 

4. BoROHEsi, IV, 110. « Fu costume ordinario che i figli dei senatorio 
prima, o dopo il vigintivirato ricevessero il tribunato militare coir 
onore dei latoclavo. i Pour se faire une idée des débuts d'un jeune 
honune de la classe de Trajan dans la vie politique, voyez l'histoire de 
Pline le Jeune, dans VEtude de Mommsen, celle d'Hadrien dans le 
Mémoire d'flenzen {Annali deW Inst. 1862), celle d'Agricola dans la dis- 
sertation de G.-L. Urlichs : De vita et honorUms Agrieolae. 

5. Spart. Hadr.y 1 : c Natus est Romae vmi kal. Feb. Vespasiano septies 
et Tito quinquies consulibus. Ac decimo aetatis anno pâtre orbatus 
Ulpium Trajanum praetorium tune, consobrinum suum, qui postea 
imperium tenuit, et Gaelium Attianum equitem Romanum tutores 
habuit. > 

6. Mommsen, Etvtde, etc., p. 53. 



— ^2 — 

jusqu'à ce qu*uu hasard , aussi heureux que celui auquel nous 
devons le cursvts honùrum d'Hadrien , nous rende celui de 
Trajan : 

Trajan, né le 18 septembre 52 

prend la toge virile à 15 ans accomplis, à la fin de Tan 67 
reste dix ans aux armées avec le grade de tribun laticlave 68-77 

exerce Tune des charges du vigintivirat en 78 

et obtient successivement : 

1** La questure ; il reste en charge du 1" juin 80 au 1®' juin 81 . 

p^ VLe tribunat du peuple 10 décembre 82 au 10 décembre 83. 

"^ /ou rédilité l*^ janvier 83 au 31 décembre 83. 

3® La préture 1^' janvier 85 au 31 décembre 85. 

En 88 , nous trouvons Trajan dans les armées de la Germanie 
supérieure. L'empire était menacé de deux cotés à la fois, par 
les barbares qui attaquaient et franchissaient même la ligne du 
Danube, et par la révolte des légions cantonnées près de Vindo- 
nissa (Windisch). Celle-ci fut promptement réprimée, et ne se 
prolongea pas après la mort du légat Antonius Saturninus qui 
l'avait excitée. Mais dans ces conjonctures périlleuses, il avait 
fallu augmenter l'efifectif des armées de Germanie, de Pannonie 
et de Maesie, et Trajan fut chargé de conduire dans la Germanie 
supérieure une des légions de l'armée d'Espagne, la /* Adju^ 
trix ^ Malgré la distance qui sépare TEbre du Rhin, ce mouve- 
ment n'a rien d'extraordinaire, car les troupes d'Espagne étaient 
alors , dans l'Europe occidentale , les seules dont le déplacement 
n'offrît aucun danger. Les corps du Danube devaient être main- 
tenus au complet pour empêcher l'invasion des Daces ; ceux de 
Bretagne faisaient la guerre sous la conduite d'Agricola; en 



1. A la mort de Néron, il y avait trois légions en Espagne, la la Aéfiu- 
trix, la Via Victrix, la Xa Gemina (Borghesi, IV, p. 240). Galba, en quit- 
tant la Tarraconnaise qu'il gouvernait pour prendre la pourpre, créa la 
légion Vlla Gemina et renvoya en Pannonie, mais elle revint en Espagne 
après la mort de Vitellius (Tacite, Hisl., IV, 39). D'autre part les T7« Vic- 
trix et Xa Gemina furent appelées sur le Rhin inférieur au moment de 
la guerre de Givilis (Tacite, Hist, IV, 68) et y restèrent. Ainsi la U Adju- 
trix et la Vlla Gemina seulement étaient en Espagne quand Domitien 
eut besoin d'y prendre des troupes. La dernière ne quitta pas la pro- 
vince jusqu'à la dissolution de l'empire romain, sauf un court séjour 
en Germanie sous Alexandre Sévère (Borghesi, IV, p. 221, note). Elle était 
cantonnée dans la ville de Léon^ dont le nom même rappelle ce séjour 
des troupes romaines {legio)» C'est donc la fa Adjutrix que Trajan 
mena en Germanie supérieure, où elle a laissé des monuments (V. Bor- 
ghesi, IV, 204, et notre n- 84). 



— ^3 — 

Gaule, enfin ceux qui avaient leurs quartiers dans les Gaules 
marchaient déjà contre les rebelles, mais on pouvait craindre 
qu'ils ne fussent pas assez nombreux pour comprimer la révolte*. 

Pline, décrivant à grands traits la marche rapide de Trajan à 
la tête de ses troupes, lui fait franchir les Pyrénées et les Alpes*. 
Ce mouvement n'a pas été bien compris. Gomme Trajan était à 
Cologne à la mort de Nerva (janvier 98), on a supposé qu'il y 
avait été envoyé par Domitien et on ne s'expliquait pas comment 
il avait traversé les Alpes pour s'y rendre. Mais c'est confondre des 
faits séparés par un espace de dix ans. Domitien envoya Trajan 
dans la Germanie supérieure, en lui assignant probablement pour 
objectif Augst ou Windisch. Trajan passa par Narbonne, Arles, 
Vienne. Là il suivit la grande route de Lyon à Milan, qui tra- 
versait Chambéry, Moutiers {Darantasia), le Petit Saint-Ber- 
nard, Aoste (Augusta Praetoria), A ce point, il l'abandonna 
pour prendre l'embranchement qu'elle jetait sur Windisch par 
Avenches {Aventicum). Les termes de Pline s'expliquent très- 
bien ainsi ^. 

Lorsque la P Adjutrix arriva en Germanie, Antonius s'était 
donné la mort, et l'ordre était rétabli. Trajan ne prit donc aucune 
part effective à la guerre. Mais l'activité dont il avait fait preuve, 
et le zèle qu'il avait déployé furent récompensés par le consulat, 
dont il fut revêtu en 91, avec Acilius Glabrion^. Des présages, 
dit Dion '^, annoncèrent les destinées bien différentes (jui atten- 
daient chacun des consuls*, mais il ne les fait pas connaître''. 

1. lis le furent néanmoins : une débâcle subite, rompant les glaces 
dont le Rhin était couvert, empêcha la jonction projetée des Barbares 
avec Antonius Saturninus, et L. Appius Norbanus, commandant de la 
légion Vllh Augusta^ défit Saturninus dans une bataille livrée sur les 
confins de la Vindélicie. L. Renier, Compte^endus de VAcad, des Inscr» 
1872, p. 423 et suiv. 

2. Panég., 14. 

3. Voyez la Carte jointe à Vltinéraire d'AntorUn, dans Pédit. de Par- 
they et Pinder, et Alex. Bertrand : Voies romaines en Gaule. Mommsen 
(Étude, etc., p. 93) a très-nettement éclairci les faits. On a supposé que 
Trajan, au moment de son départ, était gouverneur de la Tarracon- 
naise. C'est impossible, ce gouverneur étant toujours un ancien consul. 
Trajan était simplement légat de la légion Va Adjutrix, commandement 
auquel il avait été élevé après sa préture. Burnouf [Paneg,, XIV, note 
2) croit que le départ de Trajan pour TEspagne eut lieu après son consulat 
en 91. C'est une erreur. 

4. Voir à la fin du volume notre recueil d'inscriptions, n** 1 et 2. 

5. LXVIl, 12. 

6. On sait que Glabrion fût exilé puis condamné à mort. Suét. JDomit, 10. 

7. Peut-être au nombre de ces présages faut-il ranger le songe raconté 



-^ 44 — 

M. Dierauer * remarque avec raison que c'était pour un sénateur 
une grande faveur d'obtenir sous Domitien un consulat ordinaire, 
et de marquer ainsi de son nom Tannée et les actes publics, car 
l'empereur était fort jaloux de cette prérogative*. 

Une nouvelle lacune dans les documents historiques nous 
dérobe ici le sort de Trajan pendant les dernières années du règne 
de Domitien. En octobre 97, quand il fut adopté par Nerva, il 
gouvernait, comme légat impérial, la Germanie supérieure^, 
mais on ignore depuis quelle époque il occupait ce poste impor- 
tant, et s'il le tenait de Domitien ou de Nerva *. Au moment où 
il partit de Rome pour en prendre possession eut lieu un incident 
qui fut remarqué dans la suite. Conformément à un antique 
usage, il se rendit au Capitole pour invoquer les dieux ^ et parti- 
culièrement Jupiter Imper at or. Quand les portes du temple 
s'ouvrirent et que la statue * de cette divinité apparut, le peuple, 
ne songeant qu'à saluer le Dieu, s'écria Salve Imperator. 



par Dion (LXVIII, 5). Trajan crut voir un vieillard revêtu du costume 
que les artistes donnaient au Sénat personnifié (Cf. de Witte, Rev. 
Numism,, 1862, p. 107), lui toucher le cou de son anneau, à droite et à 
gauche. J'ignore quelle signification les anciens attribuaient à un rêve 
de ce genre. Dion (LXIX, 2) rapporte qu'Hadrien, la veille du jour où il 
fut proclamé empereur, eut un songe où il crut voir le feu du ciel lui 
tomber sur le côté gauche du cou et passer sur le côté droit sans 
lui causer ni effroi ni mal. Pour Trajan, voyez encore Victor, Epi- 
tome, XUl, 10. 

1. P. 14. 

2. Dans les quinze années de son règne, il fut dix fois consul ordi- 
naire. Cf. Pline, Panég., 58. 

3. Spart, Hadr,, 2. 

4. Mommsen (Etude, etc., p. 10) et M, Dierauer (p. 16} adoptent la 
deuxième hypothèse. 

5. Cette cérémonie s'appelait nuncupatio votorum, Voy. Tite-Live, XXI, 
63, XLI, 27, XLII, 49. Festus v nuncupata : c Vota nuncupata dicuntur 
quae consules, praetores, quum in provinciam profiscuntur, faciunt. > 

6. En 374 de A, (380 av. J.-G.) T. Quicctius rapporte de Préneste à 
Rome une stetue de Jupiter Imperator qui fut consacrée dans le Capi- 
tole (T. Liv., VI, 19). Elle dut périr dans Tincendie de 671, et celle qu'on 
voyait du temps de Trajan n'était qu'une restitution. Gicéron {Verrin. 
IV, 57) dit, à tort, que cette stetue fut rapportée de Macédoine par Fia- 
mininus, et il compare cette divinité au Zeuc Oupioc des Grecs (simula- 
crum Jovis Imperatoris, quem Graeci Ovptov nominant), ce qui doit s'en- 
tendre de ce que leurs représentetions offï'aient môme attitude, même 
costume, mêmes attributs. Malheureusement nous n'avons aucune 
image de Zeùc Ovpto^ ni de Jupiter Imperator. Les médailles où l'on a cru 
voir le nom de ce dernier sont fausses ou mal lues (Voy. 0. Jahu^Arch. 
Aufsaetie, p. 33. Il explique Terreur de Gicéron). 



— 45 — 

Après réléyation de Trajan au rang suprême , on se souvint de 
cette exclamation à double sens, et on l'interpréta comme 
l'expression anticipée du vœu public ^ 

Le Panégyrique de Pline, unique et précieux guide pour 
l'histoire des premières années de lYajan , nous apprend que le 
général n'eut à livrer aucune bataille, son nom seul ayant 
e£frayé les barbares et mis fin à leurs déprédations. A la tète de 
ses troupes , il parcourait les bords déserts du fleuve , souhaitant 
vivement des combats où il était sûr de vaincre, mais ne provo- 
quant point l'ennemi pour ne pas acheter sa gloire au prix du 
sang de ses soldats. 

Il avait atteint l'âge de quarante-cinq ans, et aucune pensée 
ambitieuse n'était venue le troubler dans l'accomplissement lent 
et régulier de ses devoirs obscurs, lorsqu'il apprit qu'il était 
adopté par l'empereur régnant, et associé à sa puissance. 

A la mort de Domitien (18 septembre 96), Nerva se vit accla- 
mer par Rome entière , moins les prétoriens, qpii, aussi bien que 
l'armée, regrettaient ce tyran prodigue seulement pour les 
soldats*. Les violentes représailles exercées par le sénat sur la 
mémoire, les monuments et le corps même de celui qu'on ne crai- 
gnait plus, les indignèrent et ils l'auraient vengé sans tarder s'ils 
avaient trouvé des che&^; mais un de leurs conmiandants , 
Petronius Secundus, avait lui-même pris part à la conjuration. 
L'année suivante, Nerva , inspiré par une équité poussée jusqu'à 
l'imprudence, nommait à la préfecture du prétoire Casperius 
Aelianus, une première fois revêtu de cet oflSce sous Domitien. 
Fidèle au souvenir du dernier empereur, conrnie tous les hommes 
placés sous ses ordres, Aelianus vint à leur tête demander à 
Nerva la punition des meurtriers de Domitien. Au milieu du 
tumulte et des cris, Nerva, enfermé et comme assiégé dans son 
palais , se crut perdu. Il donna les marques physiques de la plus 
grande frayeur*, offrit aux rebelles sa gorge nue, se déclara 
prêt à mourir, mais refusa noblement de livrer les hommes aux- 
quels il devait l'empire. Bientôt pourtant il céda , vaincu par 
les instances et les menaces de ses gardes, et pour éviter de plus 
grands malheurs. Petronius Secundus et Parthénius , saisis par 

1. Pline, Paneg,, 5. 

2. Il avait augmenté leur paie d'un quart (Zonar., XI, 19. Suét, DonUU.S) 
ce qui la portait de £r. 44 c. à £r. 57 c. Voy. Letronne, Considérations 
mr Véwduation des monnaies, etc., p. 28 et 86. 

3. Su6t, DomU., 23. 

4. Victor, Epit., 12. 



— 46 — 

les prétoriens, furent mis à mort après avoir subi les plus indignes 
traitements et les derniers outrages ^ 

Une guerre civile, aussi terrible que celle qui avait ensanglanté 
Rome après la mort de Néron, paraissait imminente. Comme en 
68, le chef de l'état était un vieillard* sans autorité sur les soldats. 
Nerva comprit qu'il ne sauverait le pouvoir suprême que lui 
avaient remis les Romains qu'en le partageant avec un homme 
plus jeune, plus actif, aimé à la fois du sénat, du peuple et de 
l'armée. Tel avait été aussi le dessein de Galba quand il adopta 
Pison et l'associa à l'empire; mais, plus heureux que ce prince 
éphémère, Nerva vit le calme renaître aussitôt que l'adoption de 
Trajan fut connue. 

C'est qu'elle avait lieu dans des conditions beaucoup moins 
défavorables. En 69 , les armées étaient soulevées dans les diflFé- 
rentes parties du monde romain : aujourd'hui , tout était tran- 
quille. Les légions de Syrie n'avaient inspiré qu'une crainte 
passagère ^; celles du Danube, émues à la mort de Domitien , 
s'étaient calmées à la voix du philosophe Dion Chrysostôme 
réfugié dans leurs lointains cantonnements^. Les troupes du 
Rhin étaient restées dans le devoir, maintenues par leurs dignes 
chefe Spurinna et Trajan ^. D'autre part , l'adoption d'un jeune 
homme par Galba était attendue, et, pour ainsi dire, escomptée • : 
Othon, Pison, espéraient être choisis, et chacun de ces préten- 
dants avait derrière lui , dans Rome même , un parti armé. Au 
contraire , la résolution de Nerva était imprévue , et aucun rival 
de Trajan n'était préparé à y mettre obstacle. Enfin Galba , 
timoré à l'excès , agit avec une sorte de mystère. La mesure fut 
prise dans le palais , discutée avec quelques conseillers intimes , 
et on fut bien embarrassé au moment de la révéler au public'. 
Nerva , plus honnête à la fois et plus habile , ne fit rien qu'au 

1. Victor. Epit, 12 Cet auteur dit même que les meurtriers forcèrent 
Nerva à les remercier devant le peuple de ravoir débarrassé des plus 
méchants des hommes. 

2. Nerva était né en 32, puisqu'à sa mort, en 98, il avait 66 ans (Dion, 
LXVIII, 4). Merivale (VII, 197) pense que l'Age avancé de Nerva détermina 
le choix que firent de lui les sénateurs, qui comptaient rester les 
maîtres du pouvoir et profiter bientôt d'une nouvelle vacance du 
trône. 

3. Plin., Ep., IX, 13. 

4. Philostr., Sopkist,, 7, 1. 

5. Vestricius Spurinna était légat de Germanie inférieure. Mommseny 
Etude, etc., page 10. 

6. Tacit. Hist, 1, 12. 

7. Tacit., Hist., 1, 17. 



— n — 

grand jour, et par là mit sous la garantie du peuple Tacte solen- 
nel accompli en sa présence. 

On apportait de Pannonie la nouvelle d'un succès militaire S 
et Nerva devait déposer sur les genoux de la statue de Jupiter 
Capitolin les lauriers entourant la lettre que lui adressait le 
général victorieux *. La cérémonie avait attiré un grand concours 
de peuple sur le Forum. Quand elle fat terminée, l'empereur 
annonça qu'il adoptait Trajan, et qu'il l'associait à l'empire. 

n y a ici un acte civil et un acte politique. L'adoption est 
d'ordre purement civil : toutefois , le caractère de l'adoptant 
permit d'introduire quelques modifications dans les formalités 
qui la précédaient et la constituaient. On sait que les Romains 
distinguaient deux espèces d'adoption, l'une faite imperio mar- 
gistratus, l'autre auctoritate populi. La première s'appliquait 
aux personnes encore placées sous l'autorité paternelle. Leur 
père les cédait en droit {in jure cessio), par une vente simulée, 
à l'adoptant. C'est ainsi qu'Auguste adopta ses petits-fils, Gains 
et Lucius César, du vivant de leur père Agrippa^. La deuxième 
sorte d'adoption, nommée aus^adrogatio, était employée quand 
il s'agissait défaire entrer dans une nouvelle famille une personne 
sui juris. Elle avait lieu par le ministère du grand pontife, 
dans les comices par curies, et elle était sanctionnée par une loi 
curiate. Tel est le mode suivant lequel Tibère et Agrippa Pos- 
thume entrèrent dans la famille Julia , et Néron dans la famille 
Claudia *, 

Galba essaya une innovation dans les adoptions impériales. Il 
adopta Pison sans se préoccuper des formes légales, et n'annonça 
même pas au peuple, mais seulement au sénat et à l'armée, ce 
qu'il avait fait s. Ainsi que nous l'avons dit, ce mépris des formes 

1. Remporté sur les Suèves, ce qui valut à Nerva le surnom de Ger- 
manicus. Henzen, n*" 5439 et Mommsen, Etude, etc., p. 91. 

2. ^hne,Panég., 8. Sur leslitterae laweatae, voy. Dion, XLIV,25. Pline, 
HisL Nat, XV, 40. 

3. Suèt, Oct.y 64 : c Gaium et Lucium adoptavit demi per assem et libram, ' 
emptos a pâtre Agrippa. » 

4- Suét, Oct., 65 : c Nepotem Âgrippam, simulgue privignum Tiberium 
adoptavit in foro lege curiata. > Tacite, Ann,, Xll, 25 : c Rogata lex qua in 
familiam Glaudiam et nomen Neronis transiret. » 

5. Tacite, Hist,, 1, 18. Tacite prête & Galba un discours en contradiction 
complète avec ce que nous savons des adoptions faites par Auguste. 
Ibid., I, 15 : c Si te (Pisonem) privatas, lege curiata apud pontiâces^ ut 
moris est, adoptarem... nunc me, deorum hominumque consensu ad 
imperium vocatum praeclara indoles tua et amor patriae impulit ut 
principatum offeram, exemplo divi Augusti, qui sororls filium Marcel- 

2 



— 48 — 

choqua les Romains et contribua sans doute à la chute de Galba. 
Au contraire, Nerva, grand pontife, annonçant Tadoptjpn au 
peuple sur le forum, prononçait une adrogation régulière, sauf 
l'absence de l'adopté *. Depuis longtemps , les trente curies 
étaient représentées, pour le vote des lois curiates, par trente 
licteurs * qu'il avait été facile de convoquer pour donner immé- 
diatement force de loi à l'adoption projetée. Elle était donc impr^ 
vue, mais parfaitement légale^. 

Quant à l'association de Trajan à l'empire, c'est un acte poli- 
tique, ou plutôt une série d'actes politiques pour lesquels le vote 
du sénat fut nécessaire. Déclaré en même temps fils du prince et 
César, puis imperator et associé à la puissance tribunitienne, 
Trajan , dit Pline ^, reçut dès le premier moment ce qu'un père 
véritable n'avait donné naguère qu'à l'un de ses enfants. 

Il s'agit évidenmient de Titus, associé à l'empire par Vespasien 
dès l'an 71 . Plusieurs inscriptions nous ont appris quelles furent 
les conditions de cette association, et Titus y porte précisément 
les titres que Pline attribue à Trajan ^. Trois sénatus-consultes 
furent néc^saires pour les lui conférer, car aucun de ces titres 
n'appartenait, ipso facto, au âls de l'empereur. Ainsi les fils de 
Marc Aurèle, Commode né en 161, et Annius Verus né en 163, 



lum, deîn generum Âgrippam^ mox nepotes suos, postremo Tiberium 
Neronem privignum in proximo sibi fastigio aliocavit. Cf. L 18 : c apud 
frequentem militum concionem, adoptari a se Pisonem, more divi Au- 
gusti et exemple militari quo vir virum legeret, proaunciat. » Auguste 
ne ât rien d'aussi contraire aux lois. Sa prudence bien connue ne per- 
mettrait pas de le croire, quand môme le témoignage de Suétone nous 
manquerait. Ajoutons que Marcellus et Agrippa, mis ici sur la même 
ligne que Gaius, Lucius et Tibère, furent associés à la puissance 
tribunitienne, mais non adoptés. 

1. On lui demandait s'il consentait à entrer dans une nouvelle famille : 
c Is qui adoptatur rogatur an id fleri patiatur. > Gaius Comment., I, 99. 
Cf. Gic, pro dom,, 29. Le peuple était également consulté. C'est seule- 
ment & partir de Dioclétien que l'adrogation se fit par un simple res- 
crit impérial (God. Inst., VIII, 48 (de adoption,), 1. 2. et 1. 6). 

2. Gic. Agrar., II, 12. Sur les formes de l'adrogation, voy. aussi Àul. 
Qelle, N. AU. V, 19. 

3. Nerva, en déclarant qu'il adoptait Trajan, ajouta qu'il le faisait 
autant dans l'intérêt du sénat et du peuple que dans le sien propre 
(Dion, LXVlll, 3). Auguste, suivant Velleius Paterculus (II, 104), dit la 
môme cbose en adoptant Tibère. 

4. Panég., 8. 

5. Bntre autres celle-ci (Orelli, 743) : T. Caetari — Ve^msiano, — 
pontif, tr, — pot. Il, imp, III, — co«. //. Trajan fût désigné cos II pour 
l'année 98. 



— ^9 — 

n'obtinrent qu'en 166 le titre de Coe^ar, et L. Ceionius Commo- 
dus, adopté par Hadrien (c'est alors qu'il prit le gentilicium 
Aelius)^ Marc Âurèle adopté par Ântonin, furent revêtus de la 
puissance trihunitienne sans recevoir Vimperium *. 

Nous ne connaissons point de monnaie de Trajan frappée dans 
le court intervalle pendant lequel il fut associé à l'empire. 
Eckhel * en a conclu que Nerva s'était réservé, avec les titres 
d'Auguste et de grand pontife, le droit de battre monnaie. Mais 
on ne doit, je pense, attribuer qu'à la brève durée du double 
règne cette absence de monuments numismatiques, puisqu'on 
possède, d'autre part, des monnaies de Titus et d'Âdius Yerus, 
frappées du vivant de Vespasien et d'Hadrien 3. 

L'adoption de Trajan apportait dans la constitution, ou plutôt 
dans la tradition impériale, un changement dont l'importance n'a 
pas échappé aux contemporains, et que nous étudierons plus tard. 
Ici nous voudrions simplement chercher quelles raisons désignèrent 
Trajan au choix de Nerva ; mais les renseignements sur ce point 
nous manqpient. Pline, qui nous a jusqu'à présent donné des 
indications précises, entre à ce sujet dans une série de flatteries 
banales, dont la moindre est de répéter à satiété que ce choix avait 
été inspiré par les dieux. Nous lisons seulement, chez le deu- 
xième Aurelius Victor, que Trajan dut l'empire aux instances 
faites auprès de Nerva par Licinius Sura^. Ce personnage, qui 
demeura le meilleur et le plus constant ami de Trajan, apparte- 
nait à une famille considérable de l'Espagne citérieure^, liée sans 
doute par des bienfaits ou des souvenirs à la gens Ulpia. D'un 
autre côté, Trajan, en raison de ses services militaires dans tant 
de légions, avait partout des amis que son élévation devait satis- 
faire et qui défendraient la résolution de Nerva. Enfin, s'il n'y 



1. Dion (LXVIII, 3) nous apprend que Nerva déclara (&icé8eiÇe} César 
dans le sénat son fils adoptif. Le titre de César était conféré par le sénat, 
aussi bien que la puissance tribunitienne, Timperium, les titres d'Auguste, 
de père de la patrie, de grand pontife (Capitol., Macrin, 7. Lamprid., 
Alex,, 8. Vopisc. Prob., 12). Ces sénatus-consultes étaient publiés {rewun- 
Uata) dans les comices, et n'avaient force de loi qu'après cette publica- 
tion. Voy. flenzen, Bull, de l'Inst. arch., 1869, p. 97-99. 

2. Doctrina, VI, p. 412. 

3. On connaît d'ailleurs une monnaie grecque, à Teffigie et au nom 
des deux empereurs, frappée à Âpollonie de Mysie. Gavedoni. Bullet. 
Arch. Nap, 1856, p. 44. 

4. Epit, 13, 6 : c Surae, cujus studio imperium arripuerat. i 

5. Corp. Imc. Lat., II, n- 4282 et 4507. 11 fut trois fois consul sous 
Trajan. 



— 20 — 

avait pas eu de révolte sur le Rhin à la mort de Domitien, c'était 
grâce à la fermeté de Trajan, et cette fermeté même dut le 
recommander à Nerva, qui le jugea dès lors capable de supporter 
le difficile fardeau du pouvoir. 

Quoi qu'il en soit, ce choix répondait admirablement au vœu 
public, comme le prouva la suite des événements. Nerva envoya 
à Trajan un anneau enrichi d'une gemme ^ qu'il portait habituel- 
lement , et une lettre qui lui annonçait son élévation au pouvoir 
suprême, en même temps que par ce vers d'Homère 
TCdeiav Aavaoc i\tÀ Sixpua aoiat ^éXeffJty ^ 
elle lui recommandait de punir les prétoriens coupables. Ceux-ci 
furent en effet mandés auprès de Trajan, et mis k mort ^. 

L'adoption avait eu lieu le 27 octobre 97 ^, et Trajan compta 
sa première puissance tribunitienne à partir de ce jour. Mais il 
ne les renouvela pas tous les ans à cette date. En effet, il mourut 
le 11 août 117. Si sa deuxième puissance tribunitienne corres- 
pondait au 27 octobre 98, c'est la vingtième qui correspondrait 
au 27 octobre 116, et Trajan n'aurait jamais été revêtu de la 
vingtet-unième, étant mort avant le 27 octobre 117. Cependant, 
ce vingt^t-unième tribunat est mentionné sur des monuments très- 
authentiques ; deux médailles d'Antioche sur l'Oronte*^, et une 
inscription trouvée près de Malaga^. Eckhel déclarait ne pouvoir 
expliquer ces chiffres. 

En 1858, on a trouvé près de Wiesbaden un fragment de 
diplôme militaire* daté de la XX* puissance tribunitienne de 
Trajan et du VI des ides {= 8) de septembre'. 

Cette date est également inexplicable dans l'ancien système , 
suivant lequel Trajan aurait revêtu la XX® puissance tribuni- 
tienne le 27 octobre 116, car notre diplôme serait du 8 sep- 
tembre 117, et l'empereur était mort le 10 août de la même année. 

Heureusement un diplôme militaire trouvé en Autriche et aujour- 
d'hui perdu, mais dont Eckhel avait pris copie et qu'Arneth a 

1. c Âdamante gemma, quam Tr^anus a Nerva acceperat, donatus, ad 
spem successionis erectus est [Hadrianusl Spart. Hadr,, 3. 

2. Itiad., l, 42. 

3. Dion, LXVIIl, 3-5, éxicoSàiv iizovf\9axo, 

4. Nerva vécut trois mois après avoir adopté Trajan (Victor, EpiL, 9). 
Or il mourut le 27 janvier 98, puisque, succédant à Domitien, assassiné 
le 18 septembre 96 (Suet. Domit., 17), il régna, suivant Butrope (VIll, 1), 
1 an 4 mois 8 jours (suivant Dion, LXVUI, 4, 1 an 4 mois 9 jours). 

5. Mionnet, V, 176, n- 240,241. 

6. Notre n' 83. 

7. Notre n- 81. 



■* « 



— 2^ -- 

publié d'après lui (diplôme daté de la XIV® puissance tribuni- 
tienne de Trajan , du XIII des kalendes de mars (17 février), 
et du consulat de Salvidienus Orfitus et de Peducaeus Priscinus *), 
nous permet de lever toutes les difficultés auxquelles on se heur- 
tait jusqu'ici. En supposant que Trajan ait compté ses puissances 
tribunitiennes suivant le même mode que ses prédécesseurs, la 
XIY^ conamencerait le 27 octobre 110. Or les consuls ici nommés 
sont les consuls ordinaires de l'an 110, connus par les fastes. 
Le décret, dont le diplôme est une copie, fut donc rendu le 
17 février 110, et Trajan était déjà dans son XIV° tribunat. 

En comparant ce diplôme à un monument du même genre, 
trouvé à Bath , en Angleterre , et daté de la VIP puissance tri- 
bunitienne de Trajan * , Borghesi avait cru pouvoir établir que ces 
puissances , à partir de la deuxième , furent comptées et renou- 
velées le 28 janvier, anniversaire de la mort de Nerva, et, pour 
Trajan, date de la souveraineté sans partage^. Mais M. Momm- 
sen a démontré, par une discussion approfondie, qu'il faut placer 
ce renouvellement, non pas au 28, mais au 1®' janvier de chaque 
année ^. Autrement on est obligé d'intervertir, pour les années 
103 et 104, les consulats donnés par toutes les listes de fastes, 
entre autres par celle du chronographe de 354 ^ dont l'exactitude 
est avérée. C'est donc à partir de Trajan, et non à partir d'Ha- 
drien «, que fut inauguré le mode , en usage jusqu'à la fin de 
l'empire, de compter les puissances tribunitiennes de l'empereur, 
en affectant à la première le temps écoulé depuis le jour de l'avé- 
nement jusqu'au 1®*" janvier suivant, et en faisant coïncider la 
deuxième, ainsi que les suivantes, avec l'année civile. 

Nous possédons maintenant une base solide pour toute la chro- 
nologie du règne, et les moyens d'assigner leur date aux mon- 
naies et aux inscriptions où se lit le chiffre d'une puissance tribu- 
nitienne''. 



l. Notre n* 59. 
î. Notre n« 35. 

3. Œuvres, V, 21. 

4. Eti^, p. 100 et suiv. Cette rectification a été adoptée par M. Die- 
rauer. 

5. Appelé aussi Yanonyme de Noris parce que ce savant publia pour Ja 
première fois, à la suite de c Annus et Epochae Syromacedonum » (1691) 
une liste consulaire tirée de cet ouvrage. Voir sur le chronographe 
de 354 un excellent mémoire de Mommsen : Mémoires de VAcad. de 
Saxe, 1850, p. 547-668. 

6. Voir une note de Borghesi jointe à llnscription 5459 d*Henzen. 

7. La dernière difficulté que présentaient quelques inscriptions 



— 22 — 

Dioi^* et Eutrope* s'accordent à faire régner Trajan 19 ans 
6 mois et 15 jours. Ces chiffres sont exacts ; en effet, si de la 
date 10 août 117, qui est celle de la mort de Trajan', nous 
retranchons Tintervalle précédent, nous retombons sur le 27 jan- 
vier 98. On voit que les deux historiens grec et latin n'ont pas 
fait entrer , dans leur calcul , le temps pendant lequel Trajan 
régna avec Nerva. 

Du reste, nous ignorons absolument ce qui se passa dans ces 
trois mois, sauf la punition des prétoriens rebelles. Nous savons 
aussi que Trajan échangea pour le gouvernement de la Germanie 
inférieure celui de la Germanie supérieure, où il fut remplacé 
par |Julius Ursus Servianus, beau-frère d'Hadrien. En effet, c'est à 
Cologne qu'il apprit, de la bouche même d'Hadrien, la mort de 
Nerva, et son avènement définitif au pouvoir suprême*. Assurer 
la sécurité de l'empire à la frontière du Rhin était un intérêt de 
premier ordre. Trajan le sentait , et malgré les vœux du peuple 
entier qui l'appelait à Rome ^, il resta dans la province jusqu'à 
ce que le but proposé à ses efforts eût été atteint complètement. 



(CùTjms, II, 4667, 4725. Perrot, Galatia, p. 3) est levée par la découverte 
récente d'un diplôme daté du 20 février 08 (notre n* 4) sur lequel Trajan 
n'est encore revêtu que de la première puissance tribunitienne , ce 
qui montre que le changement dont parle M. Mommsen n'eut pas lieu 
dès le début du règne. 

1. LXVIII, 33. 

2. VIII, 5. 

3. L'adoption vraie ou supposée d'Hadrien était datée du 9. La mort 
de Trajan lui fut annoncée le il (Spart. Hadr,, 4). 

4. Orose, vn, 12. Busebe, Chron., éd. Schoene, p. 163. 

5. Martial, Epigr., X, 6 et 7. 



CHAPITRE IL 



TRAJAN SEUL EMPEREUR. — PACIFICATION DE LA GERMANIE. 



Nous ne trouvons, dans les historiens, que des renseignements 
très-brefs et très-vagues sur l'organisation militaire qu'il établit 
dans les Germanies ^ Toutefois, en s'aidant des autres sources 
historiques, on se fait une idée du plan qu'il s'était formé et dont 
il assura l'heureuse exécution *. Le rôle de Rome, vis-à-vis de 
la Germanie septentrionale , n'était plus alors et ne pouvait être 
désormais que défensif . Si , sous le règne d'Auguste, les succès 
rapides de Drusus et de Tibère purent faire espérer d'abord un 
agrandissement de territoire, la bataille de Teutoburg prouva 
bientôt que les Germains pouvaient être effrayés , battus même , 
mais jamais domptés ni conquis. Le seul but auquel les empereurs 
pussent viser était donc de ne pas laisser la Gaule en contact 
immédiat avec les barbares, et de rendre le Rhin infranchissable 
aux envahisseurs. 

Le cours supérieur du fleuve était protégé par les villes for- 
tifiées de Vindonissa (Windisch) et d'Augusta Rauracorum 
(Augst) qui suflBsaient pour préserver de toute invasion le pays 
difiicile que traversent les Alpes de Constance. 

Le coude du Rhin , et son cours jusqu'à Mayence , étaient 

1. Eutrope, VIII, 2 : c Urbes trans Rhenum in Germania reparavit. » 
Orose, VII, 12 : c Germaniam trans Rhenum in pristinum statum reduxit. » 

2. On peut lire sur ce sujet un opuscule intéressant de M. Brambacb. 
Trajan am Rhein, Elberfeld, 1866, in-8*. 



— 24 — 

défendus par la Foret-Noire, à peine percée alors, et qui cou- 
vrait un pays dont la pauvreté en avait écarté les Germains eux- 
mêmes. Quelques colons gaulois Toccupaient, et Rome avait 
permis leur établissement à charge d'une redevance égale au 
dixième des produits de la culture. C'étaient les agri decumani. 

A partir de Mayence, on trouvait sur la rive droite des popu- 
lations braves et remuantes, accumulées sur un étroit espace 
qu'elles se disputaient continuellement : Mattiaques, Sicambres, 
Tenctères, Bructères, Cattes, Angrivariens. Rome les surveillait 
depuis un siècle, et opposait à leur passage les forteresses de 
Moguntiacum, de Bingium, de Bonna, de la Colonia Agrippina, 
de Novesium, de Grelduba, et enfin les Castra Vetera. Tous ces 
points étaient occupés par des troupes, auxquelles la flotte germa- 
nique S qui parcourait incessamment le cours du Rhin, pouvait 
amener des renforts. Les Romains contenaient d'ailleurs ces 
nations turbulentes, soit par des postes avancés, hardiment 
établis au milieu d'elles, comme AUso*, Amisia^ et quelques 
autres sur le Mein et jusque sur l'Elbe, soit par des alliances, 
précaires il est vrai, nouées avec quelques-uns de ces peuples, 
les Mattiaques par exemple^. 

Enfin venaient les Frisons , contre lesquels aucun ouvrage de 
défense n'avait paru nécessaire au premier siècle, à cause de la 
fidélité jusqu'alors inébranlée des Bataves. Après l'insurrection 
de Civilis, on ne pouvait plus conserver la même sécurité ; Trajan 
s'occupa donc activement de fortifier la frontière du Rhin infé- 
rieur. A un mille du lieu appelé Castra Vetera, illustré vingt ans 
auparavant par la défense héroïque de Vocula et les exploits de 
Cerealis, il fonda la ville appelée de son nom Colonia Trajana. 
Elle n'est mentionnée par aucun écrivain ancien, mais la carte 
de Peutinger et l'Itinéraire d'Antonin attestent son existence, et 
nous sommes conduits, par l'étude de ces documents, à en cher- 
cher l'emplacement près de la ville actuelle de Xanten. Cette 
identification est d'ailleurs corroborée par les nombreuses et 
importantes antiquités qu'on y retire du sol depuis deux cents 
ans*. A côté de la ville qu'il avait fondée , Trajan établit un 
camp pour une légion nouvelle, qu'il forma et qui reçut de lui le 

t. Tacite, FW., I, 58, IV, 16. 

2. Tacite, Annal., II, 7, auj. Elseny près Paderborn. 

3. Tacite, Annal,, II, 8, auj. Ems. 

4. Tacite, Germ,, 29. 

5. V. FiEDLBR. Denkmaeler von Castra Vetera und Colonia Trajana, etc., 
dans Ph. Houben's antiqtuirium Xantem. 1839, in*foi. 



— 25 — 

nom d'Ulpia Victrix*. La colonie devint un centre important. 
Située sur la grande voie romaine qui reliait Genève aux embou- 
chures du Rhin par Strasbourg, Cologne, Nimègue et Leyde, 
elle était elle-même la tête d'une autre ligne conduisant à Leyde 
par des points différents, et d'un embranchement qui la rattachait 
à la route de Bavai à Cologne*. 

Une partie de la grande route de Leyde , au voisinage de 
Nimègue, fut d'ailleurs construite par Trajan, comme l'atteste 
une borne milliaire trouvée dans ces contrées ^. Nimègue même, 
place si importante au point de vue stratégique, fut agrandie ou 
fondée par cet empereur*. Près de Leyde, enfin, il créa un 
arsenal**. Quant à la frontière formée par le Rhin au milieu de 
son cours, Trajan l'améliora d'abord en augmentant les fortifi- 
cations de Cologne^, puis en établissant d'importants ouvrages à 
proximité du retranchement bâti par ses prédécesseurs et qui 
s'étendait de Cologne k Ratisbonne, en enveloppant les terres 
décumates. Commencé par Tibère, le Unies romanus avait été 
rendu plus fort par Germanicus' et ensuite par Domitien^. On 

1. Elle portait le numéro XXX. Son nom complet était iirices^raa Ulpia 
Vietrix. 

% Alex. Bertrand, Voies romaineÊ en Gaule, Rev. arch., VIll, 1863, p. 159 
et suiv. On ignore quel fût, après Trajan, le sort de cette colonie. Tou- 
tefois on lit dans Ammien (XVIII, 2) que Julien releva sept villes sacca- 
gées ou détruites par les Francs en 355, savoir : Castra Herculis (Malburg), 
Quadriburgium (Galcar), Triceshnae, I^ovesHim (Neuss), Bonna (Bonn), 
Antunnacum {Andem^ch), Bingium (Bingen). Peut-être Tricesimae désigne- 
t-il le quartier général des Tricesimani ou soldats de la XXX* légion, 
c'est-à-dire la colonie de Trajan. 

Des débris de cette colonie s'éleva, sous la domination franke, la ville 
de Xanten où le Niebelunglied fait naître Siegfried. Au moyen Age, 
Xanten s'appelle Troja sanctorum, Troja Francorum, Troja Minor. D'où 
vient ce mot Troja f Bst-ce une altération de Colonia Trajana en CoUnUa 
Trqfana et avons-nous ici Torigine de la tradition qui fait des Franks les 
descendants d'Hector, ou bien la ville n'a-t-elie reçu son nouveau nom 
qu'après que la légende était déjà formée, et en vue de donner à cette 
légende un certain caractère d'authenticité? Voy. Piedler /. /., p. 3. 

3. Brambach, Corp, Insc. Rhen., 1927. 

4. Fabretti, ïnscr, Dom., 341, 518 : T. Awelio ./. /. Ulp, Noviomag, VhuUei, 
etc. 

5. Voy. notre numéro 65. Cet arsenal fUt plus tard reconstruit par 
Septime Sévère. Trsgan dans l'inscription est dit cos V. Elle fut donc 
gravée entre 103 et 112. J'ai réuni ici tout ce qui est relatif à la Germanie, 
sans avoir égard aux dates. 

6. Sidon. Appolin. Paneg. AvitodicL, 114-115. 

7. Tacife, Ann,, I, 50. 

8. Front. Strat, 3. 



— 26 — 

peut suivre sur le terrain sa direction aux débris considérables 
qui en restent sur trois points de TAllemagneS et on ne peut se 
méprendre sur les vues qui ont présidé à sa construction. Les 
Romains voulaient mettre obstade aux invasions en fermant les 
routes naturellement tracées par les affluents du Rhin , dont les 
vallées offraient aux envahisseurs un chemin facile. Les deux 
points faibles de cette longue ligne étaient évidemment les débou- 
chés du Mein et du Neckar , dont les bassins très-spacieux se 
prêtaient au rassemblement de forces considérables , auxquelles 
un simple retranchement n'aurait pas longtemps résisté. Trajan, 
pendant les séjours qu'il avait faits dans la Germanie supérieure, 
n'avait pas laissé échapper cette observation importante. En 
avant du confluent du Mein , il établit un fort (ou redoute) , 
nommé à juste titre munimentum Trajaniy que Julien fit relever 
dans sa campagne contre les Âlamans'. Il s'assura aussi du 
cours du Neckar, en y fondant une ville importante aux environs 
de Ladenburg ^. 

Nous terminerons la liste des établissements de Trajan en Grer- 
manie en citant la ville de Bade, au milieu de laquelle les légion- 
naires de la i^ Adjutriœ élevèrent un édifice dont la dédicace 
seule a subsisté^. 

On voit que les Romains commençaient à franchir le Rhin. 
Garanties par le limes du contact périlleux des populations les 
plus turbulentes, celles qui étaient voisines des terres de l'empire 
se fixèrent enfin, pour bien des années, sur le sol qu'elles occu- 
paient. C'est alors que sur lés bords du Rhin pacifiés et rendus 
accessibles à la civilisation et au commerce , s'élevèrent tous ces 
monuments dont on recueille aujourd'hui les intéressants débris^. 



1. En Vétéravie, en Franconie et près de Ratisbonne, v. Pauly, Real. 
Eneffcl,j III, 826-829, et Forbiger, Handfmeh der allé Géographie, 111, 422- 
425. 

2. Âmmian. Marc., XVII, 1. Sa position la plus vraisemblable selon 
Forbiger, III, 404 est près d'Hœcbst, sur la rive droite de la Nidda. On 
l'a placé aussi à AscheiTenburg, à Darmstadt, à Gassel, à Francfort, v. 
Ukerl geog. dergr. und Rœm., III, 1, p. 297. , 

3. On ne peut déterminer très-exactement la position de cette dviUu 
Ulpia, certainement voisine de Ladenburg, v. Brambach, Corp. inscr. 
Bhenan, 1713. Cf. Badenvndrcmischer Herstehafi du même auteur, p. 22- 
26 et Revue critique d*hist et de litt, 1867, 2, p. 386. 

4. Notre n' 84. Sur la prétendue construction d*un pont à Mayence, 
v. Francke, p. 60 et Dierauer, p. 32-33. 

5. Jahrbûcher des Vereiris von Alierthumsfreunden ém Rheinlande, Bonn, 
1842etsuiv. 



- 27 - 

Ces souvenirs matériels sont, il est vrai, les seuls que Rome ait 
laissés dans cette partie de l'Europe; les deux civilisations, ger- 
manique et romaine, étaient alors trop distinctes pour se pénétrer 
et se modifier pacifiquement l'une par l'autre. C'est la Gaule , 
surtout, qui fut appelée à profiter du nouvel état de choses ins- 
tallé de l'autre côté du Rhin. Au sein d'une sécurité complète et 
prolongée, sa prospérité, toujours croissante depuis la conquête 
de Jules-César, prit un nouvel essor à partir du règne deTrajan. 

Le deuxième consulat de ce prince (98 ap. J.-C.), époque à 
laquelle Tacite écrivait son livre S est donc une date importante 
dans l'histoire de la Germanie. La période de luttes , qui a duré 
deux cent dix ans, est terminée : l'armée du Rhin est réduite de 
moitié^ y et malgré ce désarmement, aucune invasion ne vient, 
pendant un siècle et demi, troubler de ce côté la paix du monde ^. 
Ce n'est plus là qu'est le danger, c'est sur le Danube : là encore, 
Trajan saura l'écarter. 

Mais pour le moment, tranquille sur le sort des provinces qu'il 
avait administrées, il se mettait en marche (99) pour rentrer à 
Rome. Il y arriva au milieu des bénédictions du peuple entier^, 
et immédiatement travailla avec zèle au bien général. Le Pané- 
gyrique de Pline nous retrace les débuts du gouvernement civil 
de Trajan. Malgré le ton souvent emphatique de l'orateur, on 
sent bien que son cœur est plein d'une joie réelle, qu'à un sombre 



1. Germ., 37 : « Sexcentesimum et quadragesimum annum Urbs nostra 
agebat, quum primum Cimbrorum audita sunt arma, Gœcilio Metello ac 
Papirio Carbone coss. Ex quo si ad alterum imperatoris Trajani consula- 
tum computemus, ducenti ferme et decem anni coUiguntur : tamdiu 
Germania vincitur. Medio tam longi aevi spatio, multa inducem damna, 
etc. I 

2. Tacite (Ann. IV. 5), faisant le tableau du monde romain à la mort d'Au- 
guste : c Praecipuum robur Abenum juxta, commune in Germanos Gallos- 
que subsidium, acto legiones erant. » V. le détail de ces légions dans Bor- 
gbesi. Œuvres, IV, p. 217 et ibid., p. 265, les quatre légions cantonnées 
dans ce pays au milieu du second siècle. 

3. Avant les guerres de Probus contre les Francs (277) on ne cite qu'une 
expédition importante sur les bords du Rhin : celle qu'avait préparée 
Alexandre Sévère et que termina Maximin (233). Pendant le deuxième 
siècle et la première partie du troisième, les invasions germaniques 
menacèrent exclusivement les provinces baignées par le Danube. 

4. Voy. dans le Panégyrique, c. 22, le tableau animé de cette entrée de 
Trajan dans Rome : les toits couverts de spectateurs, les rues envahies 
par un peuple dans l'ivresse, les femmes saluant de leurs acclamations 
le nouveau prince et le montrant à leurs enfants, les vieillards se féli- 
citant d'avoir vécu jusqu'à ce jour heureux. 



— 28 — 

découragement ontsuccédé de patriotiques espérances, justifiéespar 
les gages que le prince a donnés déjà de sa modération et de 
son équité. Nous réservons pour un autre chapitre l'examen des 
réformes et des lois qu'il proposa dans ces premières années. 
Suivons maintenant le hardi et prudent capitaine dans une autre 
partie du monde romain , où ses légions vont se montrer dignes 
de leur chef et rivaliser, pour le courage et le succès, avec les 
soldats des temps républicains. 



CHAPITRE III. 



GUERRES DAGIQUES. 



§ 1 . — Rapports entre les Romains et les Daces jusqu'à 

TrajanK 

Ptolémée* nomme Dacie le pays compris entre le Temes ou 
la Theiss^, les Carpathes, le Pruth* et le Danube. Ces limites 
sont celles de la contrée occupée au premier siècle par le peuple 

1. Pour tout ce qui concerne les Gètes et les Daces, il faut lire les 
mémoires suivants de M. Roesler publiés dans les SHzlmngsberichte de 
TAcadémie des sciences de Vienne : Die Geten und ihre Nackham, 1863, 
Dos Vorrcemiêchê Dacien, 1864. Dacien und Romaevten, 1866. 

2. III, 8. 

3. Tt6toxoc. Cette rivière est sans doute le Temes. attendu que la ville 
de TilHscum était située au confluent du Temes et de la Bistra (Mannert, 
Res Trajani, p. 28), Hérodote (IV, 49) dit que le Mdptaoç se jette ;dans le 
Danube et Strabon (VII, 3. 13) le répète. Or au temps de Strabon, les 
Romains connaissaient assurément Tembouchure de la Theiss. Roessler 
suppose qu'on appelait MàpKioc non-seulement le Maros actuel, mais 
encore toute la partie du cours de la Theiss située en aval de Szegedin, 
où cette grande rivière est grossie du Maros. C'est ainsi qu'on peut dire 
que ce dernier se jette dans le Danube. Or Ptolémée ne parle pas du 
M^taoç. Strabon dit qu'il coule chez les Gètes. Au sixième siècle, on 
conunence à mieux connaître la géographie de ces régions. Jornandes 
(Get., 34) et le géographe de Ravenne (IV, 34) nomment, comme deux 
rivières distinctes, la Tysia et la Tibisia. La première est la Theiss. On 
pense que la Tysia de Jomandès est la môme que le Parthiscus d'Am- 
mien (XVII, 3) et le Pathiscus de Pline (Hi$t. nat, IV, 25). V. Forbiger, 
JSandlfuck^ III, p. 1103. La géographie de la Dacie ancienne occupe les 
pages IIOMIU de ce troisième volume. 

4. 'léfxunK. On ne sait si Ton doit l'identifier avec le Prutb ou avec le 
Sereth. 



— 30 — 

Dace. Nous verrons plus loin que la province conquise et orga- 
nisée par Trajan fut beaucoup moins étendue. 

L'ethnologie offire peu de problèmes aussi difficiles que les 
questions rdatives à l'origine des Daces, et à la place qui doit 
leur être assignée dans les races connues. Que les Daces et les 
Gètes fussent le même peuple, on n'en peut douter devant Taccord 
des auteurs anciens à cet égards Mais qu'étaient les Gètes? 
L'opinion de Grimm, qui en faisait des Germains, est abandonnée 
aujourd'hui'. Les auteurs qui voulaient rattacher les Gètes au 
rameau celtique ont été également réfutés^. Miillenhof, essayant 
par la philologie de démontrer leur origine slaveS s'est peut-être 
moins écarté de la vraisemblance^, mais ce n'est encore qu'une 
conjecture, à cause du petit nombre de mots dont on dispose pour 
classer l'idiome gétique. 

Ce n'est pas que nous ne connaissions une partie assez consi- 
dérable de son vocabulaire : malheureusement, les mots qui nous 
en ont été conservés ne peuvent guère être utilisés. Ils sont au 
nombre de 144, et se décomposent ainsi : 24 noms patronymiques, 
15 noms de peuples, 48 noms de villes (dont 21 terminés en 
dava), 12 noms de fleuves, 3 noms de montagnes. Puis, d'autre 
part, 32 noms de plantes recueillis par Dioscoride et 17 par le 
faux Apulée. Sept noms sont communs aux deux listes, ce qui 
réduit à 42 le nombre des mots connus de ce côté. Or aucun de 
ces 144 noms ne jette de jour sur le caractère générique de la 
langue®. 

Il faut donc nous borner ici à ce que nous ont appris les 
anciens, à savoir que les Gètes étaient un peuple thrace'', parlant 
la même langue que les autres nations de ce groupe^. 

1. Strabon, VU, 3, 12, Appian. Praef,, Dion, 67, 6. Pline, Bist. nat, IV, 
25, Justin. XXXII, 3, 16. 

2. Grimm a voulu étayer par la philologie et par rhistoire une asser- 
tion absolument gratuite de Jornandes qui appelle Gothi le peuple 
auquel Domitien et Trajan firent la guerre. On trouve déjà cette confu- 
sion dans Gapitolin {Carac., 10). Enobl (p. 90) avait déjà nié la parenté des 
Ooths et des Gètes. V. la réfutation de Grimm dans Roesler, p. 13-21. 

3. Roesler, p. 25. M. Alf. Maury (Jowm. des savawU, 1869, p. 301, 356) 
rapproche les Gètes et les Gaulois sur certains points, mais sans faire 
des premiers un peuple celtique. Il le regarde comme thraco-scythique 
et admet que les Scythes, aussi bien que les Sarmates, sont indo-euro- 
péens. 

4. Article Oelae dans rEncyclopédie d'Brsch et Gruber. 

5. Roesler, p. 29. — 6. V. la liste de ces mots dans Roesler, p. 75-84. 

7. Hérodote, IV, 93. 

8. Strabon, VU. 3, 11, irapà Tb>v TeTÛv, 6\iJoi>MXxo\t to1< Opq^^v lOvovç. 



— 34 — 

D'ailleurs, la religion des Gètes ou Daces nous ramène, par 
une autre Toie, aux Thraces. Les Thraces, dit Hérodote, n'adorent 
qu'Artémis, Ares et Dionysos*. L'Artémis thrace, Cotys ou 
Coty to, se retrouve dans le nom propre Cotys. (La forme dacique est 
Cotiso.) Ares était vénéré chez les Gètes*. Enfin le culte de Zamol- 
xis' nous reporte au Dyonisos thraco-phrygien Sabazius. Les 
sacrifices humains périodiquement offerts à la divinité gétique^ 
rappellent en efiet les cruelles immolations accomplies en l'hon- 
neur de Dionysos Omestès*^, lesquelles se perpétuèrent sous le 
nom d'omophagies^. La retraite temporaire de Zamolxiâ dans 
une caverne fait pendant à la descente de Dionysos aux enfers. 
Le banquet sans fin des bienheureux, promis à la convoitise des 
Gètes, est l'équivalent des joies qu'espéraient après la mort les 
initiés aux mystères dionysiaques, et qui sont décrites dans des 
inscriptions funéraires trouvées dans la Thrace même''. 

Les ai^ciens avaient confusément senti ces rapports. Pour les 
expliquer, ils admettaient que Zamolxis, esclave de Pythagore, 
avait reçu communication de la doctrine de celui-ci, et qu'il était 
allé chercher en Egypte un complément d'instruction^. Car il ne 
faut pas oublier l'identité, signalée par Hérodote^, des doctrines 
pythagoriciennes, égyptiennes, orphiques et dionysiaques. Les 
affinités lointaines de la religion des Gètes et de l'orphisme avaient 
fait attribuer au même peuple une pureté de mœurs toute parti- 
culière*^ contraire aux faits comme l'a remarqué Strabon**. 

Ce qui est vrai c'est que la religion de Zamolxis est au fond 
celle de Dionysos*' non pas épurée, mais gardant au contraire la 
grossièreté et la férocité primitives. Seulement, comme les Gètes 
l'avaient. ardemment embrassée, elle pénétra dans la vie quoti- 
dienne et l'organisation sociale de la nation beaucoup plus pro- 

1. Roesler, 1. 1., p, 73. 

2. Hérodote, V, 7. 

3. Martial, Vil, 2. Ovid. Trist. V, 3, 22. 

4. Telle est Torthographe véritable. Miller, Comptes-rendus de l'Acad. des 
inscript., t866, p. 401. 

5. Hérodote, IV. 94. 

6. Plutarch. Themist., 13, Pelop., 21. Arist,, 8. 

7. Pr. Lenormant, Voie Eleusienne, 410-412. 

8- Heuzey, Comptes-rendus de l'Acad. des inser., 1865, p. 374. 
9. Strab., VII, 3, 5. 

10. Hérodote, II, 81. Suivant HellanicuB (fr. 173, éd. Didot), ZamolziB 
introduisit les mystères chez les Oètes Zd|ioX^c... reXsTàc xarédei^s nxaic 

11. Ainsi Josèphe (Ant. Jud., XVIII, 1, 5) les compare aux Bsséniens. 

12. Strab., VII, 3, 4. 

13. Ceci a déjà été ireconnu par M. Heuzey, 1. 1., p. 377. 



— 32 — 

fondement que chez les autres Thraces. La croyance à l'immor- 
talité y fut si générale et si vive, qu'elle caractérisa les Gètes aux 
yeux des anciens^; il est même bien remarquable que dans le 
sacrifice quinquennal à Zamolxis, ceux qui ne pouvaient mourir 
fussent regardés comme des criminels^ : les Dieux, en refusant 
de les accueillir, paraissaient les firapper de réprobation. Stimu- 
lés par une telle idée, les Gètes, dans les bataiUes, devaient non- 
seulement braver la mort, mais s'en éprendre, et la rechercher 
avec cette passion furieuse que l'on a signalée chez les combat- 
tants gaulois et Scandinaves, animés d'une foi semblable^. Aussi 
Hérodote les nomme-t-il les plus braves des Thraces^ et Trajan, 
dans les Césars de Julien^, cite la religion de Zamolxis comme 
un des plus grands obstacles qu'il ait rencontrés dans ses cam- 
pagnes, en raison de l'intrépidité qu'y puisaient les Daces. 

Chez ce peuple éminemment religieux, le sacerdoce se cons- 
titua fortement et prit dans l'Etat une place considérable, plus 
grande peut-être que chez les nations civilisées contemporaines. 
Ainsi à dater de la réforme de Zamolxis*, c'es1>-à-dire dès une 
époque extrêmement ancienne, le roi ou chef temporel fut tou- 
jours assisté d'un grand prêtre qui recevait presque autant 
d'honneurs que le Dieu dont il interprétait les volontés^. Ce trait 
remarquable de l'état social des Gèt^ a été relevé par les anciens 
et transmis par eux d'une façon irrécusable. Malheureusement, 
si l'on y joint quelques faits rapportés par Hérodote sur la reli- 
gion de Zamolxis, et la mention de la polygamie des Gètes dans 
Strabon, on aura groupé tous les renseignements positifs que l'on 
possède sur ce peuple célèbre^. 

1. d6avaT{2;ovTe« (Uerodote, IV, 93). 

2. Hérodote, IV, 94. 

3. Ceux qui n*avaient pas péri dans le combat se donnaient la mort. 
V. ci-après la guerre de Trajan. 

4. IV, 93. 

5. Gap. 22. 

6. Suivant Hérodote, IV, 96, Zamolxis serait bien antérieur à Pytha- 
gore. 

7. II portait même le titre de Oeéc. Strabon, VII, 3 , 5. V. d'Anville, 
Mémoire sur la nation des Gètes et sur le pontife adoré chez cette nation. 
Mémoires de TÂcadémie des inscr., XXV, 35-47. 

8. Compléter le tableau comme Ta fait M. Roesler (dos VorroemUche 
JkLcien, p. 357) en empruntant d'autres faits à Pomponius Mêla (II, 12) 
ne me paraît pas légitime, car ce géographe ne mentionne les Gètes qu*à 
propos de leur courage à affronter la mort ; ce qu'il dit des femmes 
mises à mort près de leur époux, de leur liberté avant le mariage etc. 
est tiré d'Hérodote et s'applique à datUres peuples tbraces, comme 



— 33 — 

Au cinquième siècle avant notre ère, les Gètes occupaient 
encore la rive droite du Danube, près de son embouchure. On 
ignore à quel moment ils remontèrent le fleuve et le franchirent. 
A l'époque d'Alexandre, ils occupaient déjà le pays dont Trajan 
fit la conquête, car c'est après avoir vaincu les Triballes au 
bord de l'Isker, entre la Serbie et la Bulgarie, que le roi de Macé- 
doine les attaquai. 

§2- 

C'est en 76 av. J.-C. que les légions romaines se heurtèrent 
pour la première fois contre ce peuple. Le consul C. Scribonius 
Curio vainquit les Dardaniens et pénétra jusqu'aux frontières de 
la Dacie, mais il recula devant la profondeur des forets qui défen- 
daient le pays*. 

Les Daces formaient un grand nombre de tribus toujours en 
guerre les unes contre les autres. Pendant la dictature de Jules 
César, Boerebistas, chef de l'une d'elles, les rassembla toutes en 
un seul corps de peuple. Il trouva dans la religion un puissant 
auxiliaire et un moyen de concentration incomparable. Le prêtre 
de Zamolxis placé à cette époque à la tête du sacerdoce, Decae- 
nus, consentit à servir les desseins de Boerebistas, et celui-ci par- 
vint à imposer à ses sujets la sobriété et la discipline^. Les vignes 
furent arrachées : les Daces apprirent à se passer de vin, et 
l'ivresse, plus fatale à ces peuples que les armes romaines, dispa- 
rut de leurs mœurs. On vit alors combien était fondée l'opinion 
déjà répandue au temps d'Hérodote que les Thraces, s'ils étaient 
unis, seraient invincibles, tant se montra redoutable la puissance 
des Daces dès qu'ils firent trêve à leurs dissensions. Par la consè- 

on le voit en se reportant au texte plus détaillé de rhistorien grec (V, 
4, b, 6). Suivant Horace {Carm, III, 24, 12), les Gètes n'auraient pas connu 
la propriété [immetata quibus jugera libercu fruges et Cererem ferwU), 
mais sa description est plutôt poétique et surtout satirique, qu'histo- 
rique. D'après les objets que fournit dans les fouiUes le sol de Tancienne 
Dacie, ses habitants travaillaient assez habilement les métaux. Ils sem- 
blent avoir connu aussi une certaine architecture militaire {Bull, ImL 
Areh,f 184S, p. 33). Platon (ChamUd. p. 156) parle de médecins thraces 
instruits par Zamolxis. Les anciens attribuaient aux Daces la connais- 
sance des propriétés médicales des plantes; autrement on ne compren- 
drait pas pourquoi Dioscoride et le faux Apulée ont rapporté des noms 
daciques de végétaux. 

1. Arr. Anab, I, 4, 2-7. 

2. Florus I, 38 (éd. Halm). Ces forêts faisaient suite ft la forêt Hercy- 
nienne. César, Bdl. Gall., VI, 25. 

3. Strab.VII,3,li. 

DB LA BERGE 3 



— SA — 

cration religieuse de son autorité temporelle, par ses relations 
habituelles avec le ministre du Dieu suprême de la nation, Boe- 
rebistas obtint de celle-ci une confiance aveugle et sans limites, 
le plus puissant élément du succès militaire. Il commença par 
exterminer les peuplades gauloises qui occupaient encore plu- 
sieurs points dans le bassin du Danube; puis, poussant ài'Est, il 
soumit les côtes de la mer Noire jusqu^à ApoUonie et saccagea 
les villes grecques de cette région*. Au sud, enfin, traversante 
Danube à la tête de deux cent mille soldats, il fit trembler les 
Romains dans la Thrace, la Macédoine et riUjoîe. Ces vastes et 
rapides conquêtes, dont un enthousiasme à la fois militaire et 
religieux avait suscité et soutenait l'essor, ont été assez juste- 
ment comparées aux débuts de Ylslam^ : mais cette ébauche de 
khalifat n'eut qu'une durée éphémère : les Daces, dont Boerebis- 
tas réprimait les penchants invétérés, se lassèrent vite de sacri- 
fices faits à la gloire, ou en vue de réformes dont ils ne compre- 
naient ni le dessein ni la portée. Boerebistas périt dans une 
sédition, au moment même où César était frappé au milieu des 
préparatifs d'une expédition contre le redoutable chef des Daces^. 
Ceux-ci se désunirent bien vite quand ils ne sentirent plus la 
main puissante qui les avait entraînés dans une action commune : 
à la iÊaveur de cette désunion, les lazyges, peuple sarmate, 
s'emparèrent des plaines fertiles que possédaient les Daces et 
confinèrent alors ces derniers dans les montagnes de la Trans- 
sylvanie^. 

Leur puissance militaire, tout amoindrie qu'elle était, demeu- 
rait redoutable pour Rome, à cause de l'éventualité toujours 
menaçante d'une alliance entre les Daces et les Germains. Octave, 
ne perdant pas de vue le dessein de Jules César, voulut conquérir 
en Pannonie un poste qui lui servît de base d'opérations dans les 
campagnes qu'il projetait contre les Daces ; il s'empara de Ségeste, 
sur la Save, et y laissa une garnison de vingts-cinq cohortes^. 

Dans la guerre civile, les Daces prirent parti pour Antoine*, 
et bien qu'ils ne lui eussent fourni qu'un petit nombre d'auxi- 
liaires^, ils inspirèrent à Rome une firayeur dont l'écho est 



1. Dion. GhryBOSt. Orat. XXXYI. 

%. Mommsen, HisL r<m.y tradact, vol. VII, p. 117. 

3. Strab. 1. 1. Suétone, Caes,, 44. 

4. Pline, Bist. nat., IV, 25. 

5. Appien. Illyr. 22-24. 

6. Dion., U, 22. 

7. Ils étaient alors en proie à la guerre civile. Dion, 1. c. 



— 85 — 

resté dans les vers de Virgile et d'Horace*. Sous le quatrième 
consulat d'Auguste (724 R = 30 av. J.-C.), Marcus Crassus, le 
fils du triumvir, remporta quelques succès sur les Daces et les 
Bastames*, mais il ne fit aucune conquête au-delà du fleuve. Vingt 
ans après , il fallut songer à la sécurité des jfrontières, sérieu- 
sement compromise. Les barbares, sous la conduite du roi (Co- 
tise, avaient franchi le Danube sur la glace et pillé les pro- 
vinces; Lentulus les défit' et l'empereur éleva sur la rive 
romaine quelques ouvrages militaires*; mais le péril et la fré- 
quence des invasions ne diminuèrent pas. Jusque vers la un du 
premier siècle, les expéditions romaines contre les Daces furent 
habituellement heureuses , sans procurer à l'empire autre chose 
qu'une tranquillité passagère. Â plusieurs reprises, on transporta 
en masse, sur la rive droite, la partie la plus remuante de la popu- 
lation barbare*^, et malgré ces mesures, on eut à craindre, au 
milieu de la guerre civile qui précéda l'avènement de Vespasien, 
qu'une nouvelle invasion ne s'ajoutât aux malheurs qui déso- 
laient l'univers civilisé®. 

Comme l'a remarqué Tacite, les divisions des barbares étaient 
un bienfait pour l'empire ; dès qu'un état puissant se formait aux 
frontières, la fortune de Rome était en péril. Les Daces devinrent 
sous Domitien plus redoutables que jamais. Duras'', leur roi, 
reconnut les qualités éminentes de Décébale^ et lui céda généreu- 

1. Georg. II, 497, Carm. III, 6, 13. 

2. Dion., Ll, 23. Il détacha de la ligue ennemie quelques chefs, entre 
autres Rôles, qui fut déclaré allié du peuple Romain. 

3. Dion. LIV, 36. Horat. Carm. III, 8. 

4. Plorus, 11, 28, éd. Halm. Sur les guerres daciques de cette époque, 
y. Mommsen, Res Gestue Divi Augttsiif p. 88. 

5. A la fin du règne d'Auguste, Aelius Gatus transporta en Mésie cin- 
quante mille barbares (Strab., Vli, 3, 10). Sous Néron, Ti. Plautius Aelia- 
nus en amena cent mille, avec leurs femmes et leurs enfants. Orelli, n* 
750. 

6. Tacite, Hist, lU, 46. 

7. Dion., LXVII, 5. 11 est assez remarquable que Trajan et Décébaie 
aient été appelés tous deux au rang suprême par le choix du prince 
leur prédécesseur, choix motivé par leur capacité politique et militaire. 

8. Reimar, dans ses notes sur Dion, émet la conjecture que Aexé6aXoc 
signifie roi des Daces ou quelque titre analogue. D'une part nous retrou- 
vons ce nom donné à d'autres chefs barbares (Trebel. Pol. Trig. tyran, 
10), et de rautre Tadversaire de Domitien, nommé Aexé^ocXoç par Dion 
Gassius, est appelé Diurpaneus par Orose (Vil, 10. 11 avait sous les yeux 
les derniers livres des HiOoires de Tacite) et Dorphaneus par Jomandés 
{QetA 3). V. pourtant les objections de Roessler, Dos vorrœmische Bacien, 
p. 353. 



— 36 — 

sèment la souveraineté. Le nouveau chef barbare était, de l'aveu 
des Romains eux-mêmes, un génie militaire de premier ordre. Il 
comprenait, dit Dion S la science de la guerre et il en possédait 
la pratique. Il savait attaquer et se retirer à propos, dresser des 
embuscades et combattre à force ouverte, profiter de la victoire 
aussi bien que réparer une défaite. Aux vertus guerrières de son 
peuple, il r^lut de joindre la science romaine. Il attira les trans- 
fuges, apprit à élever des retranchements, à construire des 
machines de guerre. Quand il se vit à la tête d'une armée bien 
disciplinée et bien instruite, il se jeta sur la Mésie. Le gouver^ 
neur Oppius Sabinus fut tué^, les forteresses tombèrent au pou- 
voir des Daces et le pays fut mis au pillage. 

Domitien fit rassembler en toute hâte les légions de Pannonie, 
et chargea de la conduite de la guerre son préfet du prétoire, 
Ck)rnelius Fuscus. Les Marcomans promirent de seconder les 
armes romaines, Fuscus franchit le Danube sur un pont de bateaux 
et pénétra courageusement chez les Daces; mais les Marcomans 
violèrent leurs promesses et n'envoyèrent aucun secours. Engagé 
avec des forces insuffisantes dans un pays inconnu , le général 
romain Livra une bataille funeste dans laquelle il périt : les légions 
laissèrent aux mains de l'ennemi un grand nombre de prison- 
niers, leurs bagages, leurs machines de guerre et une aigle, que 
•Trajan retrouva plus tard et rapporta à Rome^. 

Satisfait d'un succès aussi brillant et du butin considérable 
qu'il avait recueilli, Décébale fit des propositions pour la paix. 
Domitien les repoussa et voulut continuer inmiédiatement la 
guerre. On ne peut blâmer cette résolution énergique, inspirée 
par l'honneur du nom romain ; mais il fallait porter sur la Dacie 
toutes les forces dont on disposait et l'empereur les divisa de la 
façon la plus maladroite en organisant deux expéditions simul- 
tanées, l'une contre les Daces, l'autre contre les Marcomans dont 
il voulait punir la perfidie. Il aurait fallu aussi que Çomitien prît 
part à la guerre et aux dangers qu'afirontaientdes soldats efirayés 
par de terribles revers ; il quitta Rome, en effet, et partit comme 
pour se mettre à la tête des troupes, mais arrivé en Mésie, il se 
cacha et laissa agir ses généraux^. 

Galpumius Julianus, gouverneur de la Mésie, commanda 

1. Dion, LXVII, 6. 

2. Suét, Domii.f 6 Jornand. Gei. 13. 

3. Suétone, Jornandès, Orose aux passages cités et Dion, LXVn, 10. V. 
répitaphe métrique de Cornélius Fuscus composée par Martial, V. 3. 

4. Suét. DonUt. 6. 



— 87 — 

l'expédition, attaqua courageusement les barbares^ et remporta à 
Tabae* une brillante victoire. Le carnage des Daces fut très- 
grand : Yézinas, le premier après Décébale, dut se cacher parmi 
les morts et ne se sauva qu'à la nuit. Julianus marcha rapide- 
ment sur Sarmizegethusa, dont il faillit s'emparer. D'après une 
anecdote peu croyable, mais qui montre quel esprit de strata- 
gèmes et d'adresse les Romains attribuaient à Décébale, celui-ci 
aurait sauvé sa capitale en faisant abattre à l'entour un trè»- 
grand nombre d'arbres, et en ordonnant d'attacher des armes 
aux troncs coupés à hauteur d'homme, de sorte que JuUanus, 
croyant se heurter contre une armée nombreuse, n'alla pas plus 
loin*. 

Quel que soit le motif qui l'arrêta, les firuits de sa victoire 
furent perdus. L'armée de Pannonie avait été battue par les Mar- 
comans ; il fallait traiter avec eux au plus vite, et forcément avec 
Décébale, leur allié. Le roi dace envoya vers Domitien son firère 
Diégis, qui rendit à l'empereur quelques prisonniers et des armes, 
et demanda pour Décébale l'investiture du pouvoir royal. Le bar- 
bare, avec un grand sens, faisait bon marché des apparences du 
pouvoir, sachant bien que les Romains n'étaient pas de force à lui 
en arracher la réalité. Domitien saisit avec empressement cet appât 
offert à sa vanité et voulut faire passer la vaine cérémonie de 
l'investiture pour une marque de victoire. Peut-être prit-il lui- 
même le change, mais les Romains ne s'y trompèrent pas. Décé- 
bale avait rendu quelques prisonniers sans importance, et gardé 
des ingénieurs, des constructeurs de tout genre et d'habiles offi- 
ciers, n remit des épées et des flèches, mais U conserva les ma- 
chines de guerre et Domitien dut s'engager à lui en fournir 
d'autres. Enfin les Romains furent contraints de payer un tribut 
aux barbares^ Pour avoir obtenu des conditions si honorables, 
Domitien prit le titre de Dacicus, et rentra dans Rome en triom- 
phateur. Suivant une forte efxpression de Paul Orose, empruntée 
sans doute à Tacite^, ce ne éit pas des ennemis vaiucus, mais 

1. Dion, LXVll, 10. 

2. Dion appelle cet endroit Tdncat. On lit dans Jomandès {Gel. 12) : f Dacia 
antiqua... trans Danubium corona montium ciogitur : duos tantum 
habens accessus, unum per Bontas, alterum per Tabas. » On croit retrou- 
ver la localité dans Tapia, au voisinage de Lugos dans le Banat, sur le 
versant occidental du dernier contrefort des Garpathes. 

3. Dion. 1. c. Griton, dans les TeTixà {Frag, hést. ffr,, IV, 374) rapporte 
une ruse semblable, xçais à ce qu*ii semble inventée par les Romains. 

4. Dion, LXVII. 6. 

5. c Pravissima elatus jactantia, sub nomine superatorum hostium de 



— 38 — 

de ses propres légions détruites, qu'il triompha. Les poètes 
adressèrent à Tenvi des félicitations au prince, mais le peuple 
appelait la cérémonie « les obsèques des morts de Dacie^ » Par 
un jeu du sort, Trajan était consul l'année où Domitien célébra 
ce honteux et mensonger triomphe, et dans le panégyrique qu'il 
eut à prononcer, en prenant possession de sa charge, il lui fallut 
décerner des éloges à la bravoure et à l'habileté de l'empereur. 

Pendant dix ans, Rome fut, vis-à-vis des Daces, réduite à 
cette position subordonnée. Mais Trajan s'était promis de venger 
la défaite et l'humiliation de ses compagnons d'armes. Lorsqu'il 
prononçait un serment ou exprimait un vœu, il terminait toujours 
en s'écriant : Quand donc réduirai-je la Dacie en province*! 

§ 3. — Première guerre. 

Nous n'avons plus aucun des ouvrages écrits dans l'antiquité 
sur les guerres daciques de Trajan. Le plus important de tous, 
les conunentaires écrits en latin par l'empereur lui-même, sont 
perdus, sauf un très-court fragment dont nous tirerons parti plus 
loin. Nous ne possédons ni le 23® Uvre des Histoires d'Appien, 
consacré à ce sujet', ni le poème grec composé ou projeté par 
Ganinius Rufus à l'instigation de Pline^ ; des rsTixa du médecin 
Criton, il ne reste que quelques lignes*^. La colonne Trajane est 
un monument inappréciable par le grand nombre de renseigne- 
ments qu'elle fournit à l'archéologie proprement dite, mais elle 
ne peut Caire connaître ni le lieu ni la date des batailles et des 
campements dont elle offre tant de vives et curieuses images. 
D'ailleurs* il est difficile de distinguer sur les bas-reliefs le com- 
mencement et la fin de chaque scène ; tandis que des actions 
simultanées sont nécessairement représentées comme se suivant, 
d'autres, séparées par un intervalle de temps que nous ne pou- 
vons apprécier, se touchant sur la spirale non interrompue qu'elles 
décorent. Rien, non plus, ne fait apprécier au spectateur l'inéga- 

ezstinctis ]egionibu8 triumphavit Vil, 10. » Orose dit au môme endroit 
que Tacite avait écrit dttigentisslme l'histoire de ces guerres, mais en 
dissimulant le nombre des Romains tués. 

1. Martial V, 3 Stace, SUv. 1, 1 et 4. 111, 3. DionLXVII,9, vtxTit^pia, fi, &çtth 
5fi.i>oc tkv(t, IvGCYiaiioùc M toTc iv AoxCq^ teOvrpiâatv. 

2. Ammien, XXIV, 3. 

3. Zonar. XI p. 508 éd. Bonn. Cf. Fabricius, Bm. Gr. V p. 246. 

4. Pline, Bp. VlU, 4. 

5. Fr. HisL Gr., IV, p. 373. 

6. Heyne. Lettre à Engel Commentatio, p. 27. 



— 39 — 

lité de leur importance relative. En outre M. Dierauer a remar- 
qué avec autant de raison que de finesseS que les sculpteurs 
n'ont guère retracé que des épisodes où Trajan intervenait per- 
sonnellement. De là des repr^ntations assez peu intéressantes 
et fréquemment répétées, telles que des célébrations de sacrifices 
et autres cérémonies officielles ; de là aussi l'omission -de faits de 
guerre importants, tels que la capture, par Laberius Maximus, 
de la sœur de Décébale, le dévouement de Longin, l'invasion de 
Susagus en Mésie. Il est donc nécessaire de compléter les infor- 
mations insuffisantes que fournit ce monument célèbre par la 
géographie, par les inscriptions, par les médailles, qui font con- 
naître la chronologie de la guerre, et aident à replacer dans leur 
disposition primitive les faits racontés avec beaucoup de brièveté 
et quelque désordre dans l'abrégé de Xiphilin. 

La première guerre des Daces ne commença qu'en 854 R = 
101 après J.-C. En effet le panégyrique fut prononcé par PUne 
au mois de septembre de l'année précédente en présence de 
l'empereur, et il n'y est fait aucune allusion à la guerre. L'ins- 
cription latine* gravée à Athènes en l'honneur d'Hadrien dit qu'il 
fut quaestor Imp. Traiani et cornes expeditionis dacicae. 
En épigraphie, la conjonction et indique des charges remplies 
simultanément^. Or Spartien nous apprend qu'Hadrien fut ques- 
teur sous le consulat de Trajan et d'Ârticuleius, c'es1>-à-dire 
précisément en 101^. 

Un firagment, récemment retrouvé, des actes des frères arvales, 
indique des sacrifices offerts le 25 mars de cette année pour 
l'heureux voyage de l'empereur. Ce jour est très-vraisemblable- 
ment celui même de son départ^. Avant de pénétrer en Dacie, il 
fallait rendre possibles et aisés les transports de troupes et de 
vivres à la limite même du pays ennemi. Dans cette vue, Trajan 
fit continuer une route commencée jadis par Tibère, le long du 
fleuve; les difficultés du terrain, qui avaient longtemps retardé 
l'achèvement de ce travail, furent surmontées, comme nous l'ap- 

1. P. 110. 

2. Henzen. Annal. InsL Arek,, 1862, p. 139. 

3. Henzen, 1. 1., p. 149. 

4. Spart. Hadr, 3. 

5. BulL Intt, Arch.y 1869, p. 118. M. de Longpôrier (Rev. num,, 1865, 
p. 402] a ëmis Topinion que les médailles impériales offrant au revers 
Teffigie de Mars Gradivus indiquent le départ d*une expédition militaire. 
L'histoire de Trajan confirme parfaitement l'exactitude de cette opinion; 
on a une de ces médailles datée du quatrième consulat de l'empereur 
(Cohen, n* 135). 



— 40 — 

prend Finscription oommémorative encore en place à Tactaliaen 

Serbie*. 

Malgré le silence des historiens, il n'est pas impossible de réta- 
blir, avec quelque vraisemblance, la marche des armées 
romaines au-delà du fleure. En effet, Mannert a démontré que la 
carte dite de Peutinger représente le monde romain à Tépoque 
d'Alexandre Sévère. Si cette attribution paraît trop ancienne, on 
ne peut du moins faire descendre au-dessus du r^ne d'Aurélien 
l'âge de ce document, puisqu'il nous fait connaître les rivières, 
villes et routes de la Dacie transdanubienne, qui cessa en 274 de 
faire partie de l'empire ; et nous savons d'autre part que Trajan 
établit dans la province nouvellement conquise un grand nombre 
de colons, qu'il y régla l'organisation municipale, qu'il y fit 
construire des routes. Il est donc probable que les voies tracées 
sur la carte de Peutinger remontent jusqu'à Trajan : leur direc- 
tion fut nécessairement commandée par celles qui existaient au 
moment de la conquête. 

Les routes qui reliaient la Dacie à la Mésie coupaient le Da- 
nube sur trois points, à Lederata* (Uj-Palanka), à Taliatis' 
(Alt-Porecs) et à Aegeta* (Fetislan). Nous verrons plus loin 
que le célèbre pont 'de pierre, construit au début de la deuxième 
guerre et pour les opérations de cette guerre, était situé à Aegeta. 
C'est donc sur l'un des deux autres points que l'armée romaine 
franchit le fleuve dans la guerre de 101. 

La première route passait par les localités nommées : Lederata, 
Aponte, Arcidava, Centum Putei, Bersovia, Ahihis, CaputBu- 
bali, Tibiscum (auj. Cavaran, au confluent de la Temes et de la 
Bistra) . 

La deuxi^e traversait Dierna, ad Mediam, Praetorium, ad 
Pannonios, Gagana, Mascliana et rejoignait la première à Tibis- 

1. Corp. insc. lat., 111, n» 1699. Voy. deux belles pages de M. Saint-Marc 
Girardin, Souvenirs de voyage, 1. 1, p. 209, sur les pensées qu'évoque la 
présence de ce monument au milieu d*un site silencieux et sauvage. 
Les vestiges de la route terminée par Trajan sont encore visibles (Paget, 
Hungary and Transylvania, 11, 123). Une partie était taillée dans le roc; 
Fautre, construite en encorbellement, était supportée par des poutres 
dont les creux d'encastrement sont encore visibles, v. Benndorf 
Sitzungsberichte der Kais. Àkademie, LXXVll, p. 417, et notre n* 21. 

2. Sur la rive gauche ou dacique. La table de Peutinger place Lede- 
rata sur la rive droite ou mésique, mais c'est une erreur comme le 
démontrent les textes de Procope (Àed,, IV, 6, et de Justinien iVov. XI) ... 
c tam Viminacium quam Recidua et Lederata, quae trans Danubium sunt. » 

3. En Mésie. 

4. En Mésie. 



— 41 — 

com. Une voie unique conduisait de ce dernier point à Sarmize- 
gethusa (Varhély). 

Or le seul fragment des Daciques de Trajan , heureusement 
conservé par PriscienS dit : « De là nous gagnâmes Berzobim, 
puis Aiœim. » Malgré les différences d*orthographe, il est impos- 
sible de méconnaître les villes appelées Bersoma et Afdhis sur la 
carte de Peutinger. C'est donc à Lederata que Trajan franchit 
le Danube, choisissant la route la plus occidentale et la plus 
voisine de la Pannonie, où ses troupes se seraient repliées en cas 
d'échec. 

Cherchons enfin à nous rendre compte des troupes que l'empe- 
reur avait à sa disposition pendant la guerre. 

Manius Laberius, qui commandait un corps d'armée, et qui fit 
prisonnière la sœurdeDécébale*, était gouverneur d'une des Mé- 
sies^, probablement la Mésie supérieure. Q. GUtius Agricola, qui 
reçut de Trajan des récompenses pour ses exploits dans la guerre 
dacique, était légat de Pannonie comme nous l'apprend l'inscrip- 
tion d'un monument élevé en son honneur, à Turin, à l'occasion 
de son deuxième consulat*. Nous savons d'ailleurs que ce consu- 
lat est de l'an 103'*. Ainsi l'armée qui opérait en Dacie était 
composée de troupes tirées de la Pannonie et de la Mésie. 

On connaît d'une manière assez satisfaisante les légions qui 
étaient alors cantonnées dans ces provinces^, mais il est dair que 
Trajan ne prit pas avec lui toutes les troupes qui défendaient la 
région danubienne, dégarnissant ainsi les rives du fleuve tant de 
fois traveirsé par les barbares, et exposant les frontières à une 
invasion pendant qu'il serait lui-même engagé dans un pays 
inconnu. Il fit nécessairement un choix parmi ces légions, et les 
seules dont nous puissions affirmer la participation aux guerres 
daciques sont celles dont les officiers ou les soldats ont obtenu 
de l'empereur des récompenses mentionnées dans les inscriptions 
funéraires de ces militaires. Cet examen nous donne les légions : 
7« adjutrix — /« Italica — /« Mineroia — F* Macedonica 
FJ/û Claudia — X1II<^ Gemina. 

L'épitaphe de T. QaudiusVitalis prouve que la légion /« ItOr- 



1. VI, p. 682 éd. Putsch : c Trajanus in primo Dacicorum : Inde Berzo- 
bim, deinde Aixi[m| processimus. i 

2. Dion^ LXVin, 9. 

3. Plin. ad Traj. 74. 

4. Notre n* 86. 

.5. Mommsen, Etude, etc., p. 113. 
6. y. l'Appendice, lïl. 



— 42 — 

lica prit part à la première guerre, la légion /<* Minervia à la 
deuxième ^ . 

La V^ Macedonica ne fit vraisemblablement que la deu- 
xième guerre', car pendant la première, la Mésie, déjà afiaiblie 
par le départ de la I^ ItcUica^ eût été complètement dégarnie de 
troupes. 

L'épitaphe de L. Aemilius Paternus^ qui servit comme centu- 
rion dans les légions VII^ Gemina — /« Minervia — F/7« 
Clatidia — XII I^^ Oemina et reçut detux: fois, en Dacie, des 
récompenses décernées par Trajan, montre que la YU^ Claudia 
fiit engagée dans la première guerre, et la XIII^ Gemina dans la 
deuxième. Mais celle-ci était une légion de Pannonie, tandis que 
la I^Italica^ etla Vll^ Claudia venaient de Mésie. Quel est donc 
le corps pannonien qui, dans la première guerre, combattit sous 
les ordres de Q. GUtius Âgricola? C'est probablement la légion 
I^ Adjutriœ, naguère en Germanie*, qui vint alors sur les bords 
du Danube et y resta jusqu'à la fin de l'empire. 

Nous pouvons donc fixer comme il suit l'efiectif de l'armée 
romaine pour chacune des guerres daciques : 

i^ guerre. Légions : J<» Adjutriœ — /« Italica — VII^ 
Claudia. 

2® guerre. Légions : /« Minervia — 7« Maoedonia — 
X///« Gemina. 

Soit, pour chaque guerre, 18,000 hommes. En y joignant 
divers corps auxiliaires ^, les cavaliers maures amenés par 
Lusius Quietus^, et enfin les prétoriens qui accompagnaient 



1. Notre n* 93. 

2. Notre n* 88. Un certain T. JulUu Brocehus, tribun dans cette légion, 
reçut des récompenses militaires pour une guerre dacique, mais ce fut 
probablement sous Domitien, le nom de l'empereur ne figurant pas 
dans rinscription (Borghesi, Œuvres, IV, p. 214), et Ton sait en effet que 
la mémoire de Domitien avait été abolie. 

3. Notre n* 101. Cf. notre n* 89 pour la VIU Clattdia. 

4. Mommsen. Ardi. Anzeiger, 1865, p. 96. 

5. Germains armés de massues, fiartoli, col. Traj., tav. 27, 49. Ftoebner, 
n* 86. Ala Dardanorum, Orelli, 3570. Ce corps avait dû être tiré de Mésie 
et il y retourna après la guerre, comme le prouve un diplôme militaire 
de Tan 105. Henzen 6857. 

6. C'était un petit prince maure qui avait déjà servi dans Tarmée 
romaine^ mais en avait été exclu pour quelque faute grave (xara- 
IfvcÉXiOeU 8'èwl Tcovnpiqi... Tijc orpaxeiaç 'aicyiXX^-pî xal ^ha^Oti). Trajan lui rendit 

un commandement, et il justifia cette faveur par son habileté militaire 
et son courage (Dion, LXVlll, 32). Les cavaliers maures qu'il comman- 
dait sont représentés sur la colonne (Bartoli, t. XUIl. Froebner, n* 50). 



— 43 — 

l'empereurS on arrive au chiffre de 25,000 hommes environ. 

Trajan commandait en chef. A la tête de son état-major il 
plaça Licinius Sura, son plus intime ami, qui écrivait ses ordres 
et était chargé de toutes les missions délicates ou périlleuses'. 
Hadrien était l'un des aides de camp (comités) de Trajan^, 
C. Manlius Félix; chef des ouvriers militaires^. 

Maintenant nous pouvons, en nous appuyant sur les résultats 
qui viennent d*être acquis, en nous aidant des bas-reliefs de la 
colonne Trajane* et de l'abrégé de Xiphilin, composer un récit 
succinct, mais exact dans son ensemble, de la première guerre 
dacique. 

Campagne de Van 101. — L'armée, partie de Viminacium 
(Kastolatz), quartier de la légion F/Ja Claudia^ suivit la rive 
droite du Danube jusqu'à Lederata où elle franchit le fleuve sur 
un pont de bateaux®. Trajan, après avoir reçu les avis de ses 
édaireurs et discuté en conseil de guerre le plan de campagne^, fit 
avant de commencer les opérations un sacrifice solennel^, puis 
les troupes se mirent en marche sur Tubiscum par Barsobis et 
Aixis. A ce moment, l'empereur reçut un message des Bures, peu- 
plade germaine, fixée près des bords de la Vistule, et alliée fidèle 
de Rome®. Ils conseillaient à Trajan une paix et une retraite 

M. Dierauer, p. 79 remarque qu*ils conduisent leurs chevaux comme 
rindique Strabon (XVII, 3, 57). V. sur ce personnage Borghesi, Œwores^ l, 
p. dOl. 

1. ClaudiuB Livianus, préfet du prétoire, prit part à la guerre 
(Dion, LXVIIi, 9). Voyez aussi notre n* 90, épitaphe d'un cavalier de 
la IX* cohorte prétorienne, récompensé par Trajan pour sa bravoure 
dans la guerre dacique. 

2. Julian. Caess., 22. 

3. Annal. InsU Arch, 186?, p. 139. 

4. Notre n* 87. 

5. Je citerai les planches de Bartoli, Colonna Trajana nuovamente 
disegnaia, etc. Roma, 1672, qui représentent ces bas-reliefs sur une 
échelle assez grande; et la Colonne Trajane décrite par M' W. Froehmbr. 
Bien que plusieurs détails de ce dernier ouvrage nous aient paru con- 
testables, à M. Dierauer (pp. 79, 83, 86, 87, 90, 99) et à moi (Retme critique 
1866, pp. 51 et suiv., 117 et suiv.), il est utile et commode à con- 
sulter. 

6. Sur la manière dont les Romains construisaient ces ponts, v. Arrien, 
Anabas. V, 7, 2-4. 

7. Bartoli, tavola4«; Proehner, n* 4. 

8. Bartoli, t. 6, 7; Froehner, n* 5. 

9. Aujourd'hui contre les Daces, et plus tard, sous Marc-Aurèle, contre 
les Quades (Dion, LXXl, 18 LXXII, 2). Tacite les mentionne {Germ., 43). 
Suivant Dion (LXVlll, 8) le message qu'ils envoyèrent à Trsyan était 



— 44 — 

immédiates, tant était grande la frayeur qu'inspirait Déoébale, et 
tant était puissant son renom parmi tous ces barbares. Mais Tra- 
jan ne pouvait ni ne voulait abandonner un projet conçu et préparé 
depuis longtemps. Il fit au courage de ses soldats un nouvel 
appels 6t l'expédition continua. Les Daces ne vinrent pas d'abord 
à la rencontre de l'armée, soit par frayeur, soit que Décébale 
voulût laisser les Romains s'engager plus avant dans le pays. 
L'empereur, pour maintenir ses communications avec la Mésie, 
et voulant d'ailleurs passer l'hiver en Dacie, fit construire plu- 
sieurs camps fortifiés. 

Cependant on surprit deux espions daces qui furent amenés 
devant Trajan et interrogés par lui^, et peu de temps après cet 
incident fut livrée la première bataille *, aux environs d'un village 
que les Romains saccagèrent après leur victoire. Ce succès, qui 
leur livrait le passage d'une rivière, avait été chèrement disputé. 
L'infanterie, presqu'uniquement, avait été engagée de chaque 
côté, et la lutte se prolongeait, lorsqu'un orage effrayant les bar- 
bares décida enfin leur défaite. Cette circonstance est indiquée 
sur la colonne Trajane par une figure de Jupiter lançant la 
foudre*. Trajan récompensa la bravoure de ses troupes par im 
donativum et elles le proclamèrent Imperator^. 



écrit en caractères latins sur un champignon gigantesque ((iuxv); (i^ac 
iïpodexotiC<r6Y], etc.). On a cru trouver la confirmation de ce fait étrange 
sur un bas-relief de la colonne (Bartoli, t. 8; Froebner, n* 6) qui montre 
un homme se laissant tomber d'un mulet en présence de Trajan. L*ani* 
mal porte, attaché à la selle, un objet de forme ronde, percé de trous 
comme un crible, que l'on a pris pour le ia^xtic (liYoc (Fabretti, de 
eolumn, Trc^j., p. 17). M. Dierauer (p. 84) établit d*abord que l'objet en 
question est plutôt un bouclier, ou un ornement de la selle particulier 
aux barbares. De plus il soupçonne quelque erreur de transcription 
dans le texte de Dion, et renvoie au Tkesaurus pour les divers sens du 
mot (iiSxTK. Parmi eux, se trouve celui de garde d'épée, que M. de Gham- 
pagny {Anionins, I, p. 285) a indiqué avec un signe de doute. Il me 
semble qu'on peut être moins réservé, et affirmer que XiphUin a mal 
copié et mal compris un passage où Dion racontait quelque stratagème 
employé par les Bures et analogue &ce que nous trouvons dans Ammien 
(XVllI, 6) : reversis exploratoribus nostris, in vaginae internis notarum 
figuris membranam reperimus scriptam a Procopio, et dans FroDtin 
{Stratag., III, 13, 5). Nonnulli [Gampani] interiora vaginarum inscripse- 
runt. 

1. Bartoli, tav. 8, Froehner, n* 7. 

2. Bartoli, t. 13, Froehner, n* 11. 

3. Bartoli, t. 17, Froehner, n* 15. 

4. Bartoli, 1. 18, Froehner, n* 15. 

5. Bartoli, t 20, Froehner, n' 18. 



— 45 — 

Quelle localité de la Dacie fut le théâtre de cette première 
bataille ? Nous Tignorons complètement. On ne peut la chercher 
entre Bersobis et Aiœis : la brève indication de Trajan ne laisse 
supposer aucune interruption d^ns la marche de Tannée entre 
ces deux points. On ne doit pas non plus, ce me semble, songer à 
un point situé entre Âixis et Tibiscum, car il fallut, ainsi que 
nous le verrons, livrer Tannée suivante im combat devant cette 
dernière ville. C'est donc entre Lederata et Bersobis qu'aurait eu 
lieu Taction. Le succès des fouilles qui ont fait retrouver tant de 
champs de bataille de César sur le sol gaulois, permet de croire 
que de semblables recherches, opérées en Transylvanie, amène- 
raient pour Thistoire de Trajan des résultats aussi heureux et 
aussi positifs. 

Cette bataille seule eut quelque importance dans les opérations 
militaires de Tan 101, car Trajan ne reçut dans le cours de cette 
année qu'une seule salutation impériale. Sur des inscriptions 
datées de sa VP puissance tribunitienne, il n'est encore que 

IMP. II*. 

Dècébale comprit vite à quel adversaire il avait à faire, et il 
ouvrit des négociations. Mais Trajan n'était guère disposé à 
traiter au lendemain d'un succès qui lui permettait de concevoir 
les plus grandes espérances : d'ailleurs le roi dace agit avec ma- 
ladresse. Au lieu d'envoyer près de Trajan les personnages les 
plus considérables de la nation, ceux que Ton appelait iciXo^épouç 
à cause de la tiare qu'ils portaient', il crut sufSsant de confier 
son message à des hommes de la classe moyenne'. Trajan vit 
une insulte dans le choix de ces négociateurs d'un rang peu 
élevé, et refusa de les entendre : la guerre ne fut suspendue que 
par la mauvaise saison. 

A la fin de la campagne, l'empereur quitta l'armée. 

Campagne de Fan 102. — Les bas-reliefs de la colonne 
Trajane nous montrent l'empereur s'embarquant pour venir au 
secours de ses troupes assiégées dans leur camp par les Daces. 
Ceux-ci furent repoussés après une bataille sanglante, dans 
laquelle une nombreuse cavalerie fut engagée de part et d'autre^. 
Les Daces avaient reçu un secours important de leurs alliés les 

t. N- 25 et 26. 

2. Par un privilège attaché à leur rang, les irtXofépoi parlaient aii 
prince la tête couverte. 

3. Dion, LXVIII, 9. Cette première ambassade est figurée sur la colonne. 
Bartoli, t. 20, Froebner, n* 18. 

4. Bartoli, t. 27, 28, Froehner, n** 27, 28. 



— 46 — 

Sannates, qu'on reconnaît &cilement à leur armure décrite par 
Tacite, et surtout à Tabsencede bouclier parmi leurs armes défen- 
sives, particularité que cet auteur a signalée'. 

Cette nouvelle victoire coûta cher aux Romains : sur la colonne 
est figurée une ambulance où sont amenés beaucoup de soldats 
blessés*. Dion rapporte qu'à une bataille livrée près de Tabae ou 
Tapae, là même où, sous Domitien, Calpurnius Julianus avait 
défait les Daces, les bandages vinrent à manquer pour le panse- 
ment des blessés, et que Trajan déchira ses vêtements et les 
abandonna pour cet usage ^. Bien que les sculptures ne nous 
ofifrent pas cette scène, je suis porté à voir ici la bataille de 
Tabae, d'abord à cause du grand nombre de blessés, figuré inten- 
tionnellement sur la colonne, puis, parce que l'entrée des Romains 
à Tibiscum et le passage de la Porte de Fer suivent cette bataille, 
et semblent les fruits de la victoire. Or, Tabae, nous l'avons dit, 
commandait l'une des entrées de la Dacie^. 

Immédiatement après la bataille, nous voyons les Romains 
travailler à la construction d'un camp^. C'est aussi près d'un 
camp que le combat de l'année précédente avait été livré. Les 
Daces, ne faisant qu'une guerre défensive, attendaient les Romains 
dans des positions naturellement fortes, et une fois maîtres de 
celles-ci, le premier soin du vainqueur devait être de les fortifier 
encore pour assurer sa retraite ou conserver ses conquêtes. De là, 
les mesures que prend Trajan pour rendre ces points tout à fait 
inexpugnables : aussi pourra-t-il, dans la seconde guerre, porter 
plus loin ses armes sans craindre un retour ofiensif des Daces 
dans la partie du territoire dont ses campagnes précédentes 
l'avaient mis en possession. Mais, en revanche, la guerre se fait 
avec une extrême lenteur, et au bout de dix-huit mois on est 
encore au pied des montagnes qui servent aux Daces de forteresses 
et d'asiles. 

Après la bataille de Tabae, les Romains s'avancèrent sur 



1. Tacit. Bist, 1, 79. Ici ils n'ont pas pour armes ofPensives la longue lance 
(contus) et Tépèe à deux mains, mais des flèches. Cf. Martial, VII, 2, 
Pausan, 1. 21. 5. M' Froehner prend ces Sarmates pour desParthes, à tort 
(Bevw critique, 1866, l, p. 54; Dierauer, p. 83). 

2. Bartoli, t. 28, Froehner, n- 31. 

3. Dion, LXVIII, 8, Suidas v AaioiâJ^ia, 

4. M' Froehner croit que la bataille de Tabae est celle de Tannée pré- 
cédente; aux raisons alléguées ici joignez cette remarque de M' Dierauer 
que Tambassade des Daces chevelus précéda la bataille de Tabae (p. 88). 

5. Bartoli, t. 29, Froehner, n* 29. 



— 47 — 

Tibiscum, non sans être inquiétés dans leur marches et entrèrent 
dans cette ville, heureusement située au confluent de deux rivières, 
et entourée de solides fortifications. Il y eut là une nouvelle dis- 
tribution de récompenses aux troupes victorieuses, et Trajan fut 
de nouveau proclamé imperator^ ; puis sans perdre un seul 
instant, Tarmée se dirigea sur la capitale Sarmizegethusa, à 
travers le défilé des Portes de Fer^. En se prolongeant, la lutte 
prenait un caractère toujours plus terrible de férocité et d'énergie ; 
les femmes surtout faisaient subir aux prisonniers d'horribles sup- 
plices^. Cependant, à mesure qu'on s'avançait dans ce pays acci- 
denté et sauvage, Trajan ralentissait la marche des légions, 
redoublait ses précautions, multipliait les sacrifices et les céré- 
monies qui, aux yeux de ses soldats, devaient lui assurer le 
secours des Dieux». Un deuxième ambassadeur, un pilophore 
cette fois, revint apporter des propositions de Décébale. Trajan 
envoya Sura et Claudius Livianus au roi dace, qui recula au 
moment de traiter^; pendant ce semblant de négociation, Lusius 
Quietus, avec sa cavalerie maure, poussait des reconnaissances 
finéquentes dans les forêts voisines de Sarmizegethusa ^ et battait 
même plusieurs détachements ennemis surpris par la rapidité et 
l'audace de ses mouvements^. Enfin le siège de Sarmizegethusa 
commença ^, la ville tomba au pouvoir des Romains, et Décébale 
se vit contraint de subir les conditions imposées par le vainqueur. 
Il renonça au tribut que lui payaient les Romains, leur rendit 
leurs machines de guerre, ainsi que les ouvriers et les transfuges 
qu'il avait attirés dans son pays, et abandonna la partie de la 
Dacie que Trajan venait de conquérir*^. Il fut déclaré allié du 
peuple Romain^ c'est-à-dire qu'il ne pouvait plus faire aucune 
guerre sans la permission du Sénat. Ces conditions, dictées par 
Trajan, furent ratifiées par le Sénat qui reçut, à Rome, les 
envoyés de Décébale, et ce fut seulement apr^ cette ratification 
que la paix fut considérée conmie définitive ^. 

1. Bartoli, t 31, Froehner, n- 33, 34. 

2. Bartoli, t. 32, Froehner, n** 35, 36^ 37: 

3. Bartoli, t. 35, Froehner, n* 42. 

4. Bartoli, t 33, Froehner, n<* 38. 

5. Bartoli, t. 36, 37, Froehner, n** 43, 44. 

6. Dion, LXVm, 9. 

7. Bartoli, t. 47, Froehner, n* 50. 

8. Maorie. Tact, IX, 2. 

9. Bartoli, n* 50, Froehner, n* 56. 

10. Dion, L&VIII, 9. Pierre le Patrice, frag. 5 (Fr. Hist. Or. IV, p. 185). 

11. Dion, LXVIII, 10. 



— 48 — 

La soumission de Décébale est le sujet d'un des plus beaux 
bas-reliefs de la colonne Trajane^ 

A la suite de cette dernière et définitive victoire, Trajan avait 
encore été proclamé imperator par ses soldats *. C'était la troi- 
sième fois depuis le commencement de la guerre, et dès lors il 
pouvait prendre sur les monuments le titre de IMP. IIII. Les 
plus anciens monuments où figure ce titre sont des monnaies de 
grand bronze frappées en 102^, et par conséquent la guerre fut 
terminée en cette année. 

En ne consultant que les médailles et les inscriptions, on 
apprendrait que dans le cours de la première guerre dacique, Tra- 
jan avait été salué trois fois imperator, et qu'il avait dû remporter 
trois grandes victoires. Mais, d'autre part, la colonne ofire trois 
fois la scène où il est acclamé par les soldats. Cette concordance 
de résultats obtenus par des voies tout à fait indépendantes l'une 
de l'autre donne une certaine valeur historique aux bas-relieEs de 
la colonne Trajane, car elle prouve que l'artiste a conservé l'ordre 
des faits et qu'il n'a représenté que des scènes réelles, sans 
sacrifier l'exactitude à l'intérêt pittoresque *. De retour à Rome, 
Trajan reçut du Sénat le surnom, très-mérité cette fois, de 
Dacicus et le consulat pour l'an 856 = 103*. Le butin fait dans 
cette guerre heureuse permit de distribuer au peuple un conr- 
giarium. 

§ 4. — Deuocième guerre. 

Décébale ne considérait la paix qu'il avait jurée que comme 
une trêve; il avait voulu, comme le dit Dion, respirer un mo- 
ment ®. Au bout de deux ans, il recommença à faire des provisions 
d'armes, à élever des forteresses, & accueillir des transfuges, à 
nouer des relations ofiensives avec les peuples voisins. Pour la 
deuxième fois, le Sénat le déclara ennemi du peuple Romain, et 
Trajan se remit à la tête de ses troupes, bien décidé cette fois à 
en finir avec le rusé barbare. 



1. fiartoli, t. 54, 55, Froehner, n* 51. 

2. Bartoli, t 57, Froehner, n* 63. 

3. Ciohen, n" 352, 353. 

4. J'avais émis cette opinion en 1866 {ReûUê criUque, l, p. 53) et j*ai le 
plaisir de la voir approuvée par M. Dierauer^ p. 92. 

5. C'était son cinquième. V. Mommsen, Etude, etc., p. 101. 

6. OOx 6ti xal i(&|Aivecv oc&toTç ii&s>Xsv, iûX^ fv éx twv icapdvTMv àvanve^qp 
(LXVIII, 9). 



— 49 — 

La dédaratioQ du Sénat eut lieu probablement dans Tannée 
104 S mais il ne semble pas que les opérations actives aient 
conmiencé avant Tannée 105. En effet Hadrien, qui prit part à 
la guerre comme légat de la légion P Minervia, fut tribun du 
peuple sous le consulat de Ti. Julius Candidus et de C. Ântius 
Quadratus^, c'est-à-dire en 105. Il passa donc cette année, ou 
la plus grande partie de cette année, à Rome. 

L'intervalle qui sépare la déclaration de guerre de Tentrée en 
campagne fut consacré à l'établissement du célèbre pont de pierre 
de Trajan, sur le Danube. L'empereur avait résolu l'extermina- 
tion complète des Daces et Tincorporation de leur pays à l'em- 
pire. Ce pont devait mettre la nouvelle province en communi- 
cation permanente et facile avec le reste du monde romain. 
Âpollodore de Damas ^^ le plus célèbre architecte de l'époque, fut 
chargé de ce grand ouvrage. 

Les savants n'ont pas toujours été d'accord sur le point où 
était situé le pont de Trajan, mais des recherches récentes, consi- 
gnées et discutées dans un mémoire de M. Âschbach, doivent 
lever tous les doutes *• 

Marsigli '^, d' Anville «, Mannert ', Engel «, plaçaient le pont de 
pierre à Turnu-Severinului. 

Schwarz*, Schulzer*<>, Francke*^ supposent qu'il était beau- 
coup plus à TEst, à Giéli, près l'embouchure du fleuve de Aluta. 

La première guerre avait eu lieu dans le Banat, la seconde se 
fit dans la Yalachie ; l'armée traversa donc le Danube à TEst des 
premiers passages. Mais faut-il, à cause décela, reculer jusqu'à 
Giéli la situation du pont de pierre? Les seules raisons qu'aient 
apportées Francke et les autres auteurs à l'appui de leur opinion 
sont : 

1® L'existence d'une voie romaine traversant la petite Valachie 

1. Henzen, Annal. Inst Arch. 1862, p. 139 et suiv. 

2. Spart. Hadr. 4. — Une monnaie d'argent, au type de Mars Oradivus 
et datée du cinquième consulat (Goben, n* 22) ftit frappée soit au 
moment où Trajan quitta Rome, soit lors de la déclaration de guerre. 

3. Procop. de Aedif. IV, 6. 

4. Ueber Trajans stanenu Donaubrûckê^ 'Wien, 1858, in4*. 

5. Danubius pannonico-mysicus, II, p. 26. 

6. Mém. de VAcad. des InscripL, XXVIIi, p. 438. 

7. Res Trajani, etc., p. 46. 

8. Cenmentatio, etc., p. 205. 

9. Paneg., éd. Norimb, 1746, în-4». Praefatio, p. UV. 

10. Gesch. von Dacien, 1, p. 256. 

11. P. 128 et d'après lui M. de Ghampagny, AnUrnim, J, pp. 288, 291. 

DE LA BBR6B 4 



— 5* — 

du nord au sud, aboutLEHsant & Giëli, et encore appelée dans le 
pays la ratUe de Trajan (Kalea TrcyantUui). On suppose 
que le pont devait se trouver à l'extrémité de cette route. 

2® Des débris d'anciennes constructions (pie Ton distingue, à 
Oiéli, sous les eaux du fleuve, et (jui semblent les restes des piles 
de pierre. 

Mais en admettant (piela Kalea Trajanului ait été effective- 
ment construite par les ordres de Trajan, rien ne prouve qu'il y 
eût, à l'extrémité de cette voie, un pont faisant communiquer la 
Mésie avec cette partie extrême et peu peuplée de la Dacie. Ce 
pont, d'une extrême importance, devrait être marqué sur la 
carte de Peutinger, qui ne présente en face d'Oescus aucune 
indication de ce genre. 

Quant aux constructions dont les débris sont baignés par le 
Danube à Giéli, et que Schulzer et Francke ont pris pour les 
restes du pont de Trajan, Mannert s'était efforcé] d'établir que 
c'étaient les ruines d'un pont construit par Constantin. Mais 
M. Ascbbach a démontré, dans le travail précité, que Constantin 
répara le pont de Trajan, mais n'en fit pas élever un nouveau; et 
d'ailleurs un examen attentif du Danube à Giéli a prouvé qu'il n'y 
eut jamais là aucune construction romaine. Les sondages faiiis 
dans le courant du fleuve par ordre de la Compagnie de navigation 
du Danube n'ont révélé aucune trace de piles de pierres. Les blocs 
de maçonnerie visibles près des' bords ne sont pas non plus des 
débris de culées, mais bien des restes de forteresses construites 
au moyen âge sur les rives du fleuve, et aujourd'hui entourées 
par lui, grâce aux changements incessants de son lit^ 

Au contraire Drobetae^ auj. Tumu SeverintUui^, où 
d'ailleurs une route indiquée sur la carte de Peutinger traver- 
sait le fleuve, remplit parfaitement les conditions auxquelles 
l'emplacement cherché doit satisfaire. Suivant Dion 'confirmé par 
Tzetzès^ le pont se composait de 20 piles distantes de 170 pieds 
d'axe en axe. La largeur du fleuve était donc de 170 X 21 
=: 3570 pieds '^. Il s'agit ici de pieds grecs, Dion ayant 



1. Âschbaeh, p. 7. 

2. Corp. Jnse. LaU III, n« 1581 et p. 1018. 

3. LXVIU, 13. 

4. CMiad. II, 67. 

5. 3,570 pieds romains, de 0" 296, ne donneraient que 1,056" 72. 11 ne 
peut donc être question que de pieds grecs, comme a bien voulu me 
récrire M. Âschbaeh, consulté par moi sur cette difficulté. H. de Gham- 
pagny, Antonim, I, p. 305, dit formellement qu'il s'agit ici de pieds 



— 54 — 

ânpranté ses chifEres au livre dans lequel Âpollodore lui-même 
avait consigné Thistoire de ce grand ouvrage, construit sur ses 
plans et sous sa direction. Le pied grec valant O^'jSOQ, la lar- 
geur du fleuve, au pont de pierre, était de 1103"*,130. 

A Giéli, le Danube est incomparablement plus large. A Tumu 
Severinului, au contraire, la distance des bords a été mesurée en 
1858 par les ingénieurs autrichiens, et trouvée égale à 3576 pieds 
viennois*. Le pied viennois étant égal à 0^,316, la largeur du 
Danube à Tumu est donc de 1127"*,016. 

La concordance presqu'absolue des deux chifires ne permet 
aucun doute. 

D'ailleurs, ce qui tranche la question, en 1858, un extraordi- 
naire abaissement du fleuve permit de distinguer Tîle artificielle 
dont parlent Procope et Tzetzès*, et qui fut le résultat des travaux 
nécessités par l'établissement du pont. On aperçut aussi les 
restes de 16 piles. A la base de l'une d'elles, on trouva des 
tuiles portant les inscriptions : COHIIHISP, ..HIGRE, c'est-à- 
dire, cohors 11^ Hispanorum, [co]hors /« Civium Romon 
nor*um equitata^; ces corps auxiliaires étant en Pannonie à 
l'avènement de Trajan ; les inscriptions qui nous livrent leurs 
noms indiquent à la fois, et la part qu'ils prirent à la construc- 
tion du pont, et remplacement de celui-ci. 

Revenons aux faits de la guerre. Comme nous Tavons établi 
ci-dessus, les légions qui j prirent part sont au nombre de trois 
(/« Minervia, F« Macedonica, XIH^ Gemina), L'armée 
était donc composée comme dans la première expédition. L. Lici- 
niuB Sura fut encore le commandant général de l'état-major ^, 
G. Manlius Félix celui des ouvriers militaires *^. 

Nous sommes complètement dépouvus de renseignements géo- 
graphiques sur la deuxième guerre, sauf une inscription qui nous 
apprend que la légion I^ Minervia opéra dans le bassin de 
l'Aluta*. 

Décébale commença par inquiéter les Jazyges qui s'étaient 
montrés des alliés fidèles de Rome, et il réussit à les déposséder 
d'une partie de leur territoire ''. Jusqu'ici nous l'avons toujours 

romains, mais alors le cbififre donné par Dion ne serait plus d'accord 
avec la largeur effective du Danube. 

1. Ascbbacb, p. 17. 

%. De Aedif. IV, 6. ChiL II, 67 et suiv. 

3. Ascbbacb, p. 19, 

4. Borghesi, (Buvres, V, 33. 

5. Notre n* 87. — 6. Notre n* 94. - 7. Dion, LXVIII, 10. 



— 52 — 

VU, digne adversaire de Domitien et de Trajan, les combattre 
avec autant de loyauté que de bravoure. Mais les désastres qu'il 
avait éprouvés dans la guerre précédente ne lui laissant plus 
l'espoir de vaincre à force ouverte le capitaine éminent qui 
l'attaquait pour la deuxième fois, le chef barbare, démentant le 
noble caractère qu'il avait manifesté, eut recours à la trahison 
et à l'assassinat. Deux transfuges romains promirent de le débar- 
rasser de Trajan, alors en Mésie. Ils comptaient aborder facile- 
ment l'empereur qui accueillait avec une bonté bien connue et 
une absence complète de cérémonial et de précautions ceux qui 
voulaient lui parler ; mais le projet manqua : un des traîtres, 
soupçonné, fut mis à la torture et dénonça son complice ^ 

Grâce à une autre perfidie, Décébale s'empara de la personne 
de Cassius Longinus, préfet du camp. Ni les caresses ni les 
menaces ne réussirent à faire parler Cassius, et à lui faire livrer 
le plan de campagne que Trajan avait discuté en conseil de 
guerre. Alors, par un raffinement de cruauté et de politique, le 
roi barbare fit savoir à l'empereur qu'il était maître de Cassius, 
et disposé à le faire périr, ou à le rendre à ses compatriotes en 
échange d'une paix avantageuse. Trajan hésitait entre la pour- 
suite de la guerre et la mort assurée d'un de ses meilleurs offi- 
ciers, quand il apprit que Cassius avait mis fin à ses jours pour 
dégager l'empereur de la responsabilité qui pesait sur lui *. Un 
trait si héroïque enflamma les soldats, déjà irrités des menées 
perfides de Décébale. Mais Trajan, toujours maître de lui-même, 
conduisit la guerre avec une prudente lenteur^. Il délivra les 
légionnaires postés dans les camps construits pendant la pre- 
mière guerre, et investis par une armée dace ^, puis il marcha 
sur la nouvelle capitale que Décébale avait choisie^, et il livra 
sous les murs de la ville une bataille acharnée qui lui donna 
encore une fois la victoire ®. Décébale fit mettre le feu à cette ville 



t. Ibid., 11. 

2. Ibid., 12. 

3. Ibid., 14 : di' ào^oXeCoc (uc)J^it dià 9icov8fi; Tàv it6Xe|MV icoio<S|Uvoc. 

4. Bartoli, t 71, 72, Froehner, n* 76. 

5. On ignore la position de cette ville : peut-ôtre faut-il la chercher 
vers Oredista, près du Vulkan Pass, & la source de Schyui, là où se 
voient les débris d*une forteresse construite avec des blocs de pierre 
bruts, assemblés sans ciment On y a trouvé, en grand nombre, des 
monnaies d'or appelées pseudo lysimaçties. V. IVeigebaur, Dacien, etc., 
p. 97, et la carte Jointe à Touvrage, et Henzen, BuUet. de VInfL Areh., 
1S48, p. 33. 

6. Bartoli, t. 89, Froehner, n* 94. 



— 53 — 

plutôt que de la livrer aux Romains, et il convoqua les princi- 
paux chefs daces à un conseil où les résolutions à prendre furent 
discutées. La plupart des assistants crurent impossible de pro- 
longer la résistance ; mais personne ne voulant tomber vivant 
aux mains du vainqueur, les chefs se réunirent dans un dernier 
banquet et se passèrent, & la ronde, une coupe remplie d'un 
breuvage empoisonnée Le peuple ne voulait plus de la guerre, 
et beaucoup vinrent se soumettre à Trajan^. Décébale était 
résolu à combattre encore : suivi de quelques braves, il s'enfonça 
dans les parties les plus reculées du pays. Les Romains s'atta- 
chèrent à ses pas : il les provoqua, et vaincu comme il s'y atten- 
dait, il se perça de son épée^. Sa tête, coupée par un soldat, fut 
apportée à Trajan ^ et envoyée à Rome ^. Sa mort ne mit pas fin à 
la résistance désespérée de ses compagnons, qui luttèrent encore 
contre leurs vainqueurs ®, et ceux-ci n'en vinrent à bout qu'en 
mettant le feu au village où cette poignée d'hommes héroïques 
s'était réfugiée ''. 

Après la grande bataille dont nous avons parlé, Trajan avait 
été ]}Toclsjnè imperator par ses soldats®. Dans un- diplôme mili- 
taire daté du 13 mai 105, il ne porte encore que la quatrième 
salutation*. La dernière victoire remportée sur les Daces est donc 
postérieure à cette date. Mais on n'en peut fixer l'époque avec 
certitude, non plus que celle où la guerre fut complètement ter- 
minée. Par une fâcheuse et singulière coïncidence, un passage 
de Spartien, qui pourrait nous éclairer à ce sujet, est entaché 
d'erreur*^, et une inscription où Trajan est dit imp. V présente 



1. Bartoli, t. 92, 93, Froehner, n* 97, 98. 

2. fiartoli, t. 95, Froehner, n* 100. 

3. Bartoli, t 108, Froehner, n* 116. 

4. Bartoli, t. 109, Froehner, n* 118. 

5. Dion, LXVIII, 14. Dans ce môme chapitre, Tauteur raconte que 
Décébale avait caché ses trésors dans le fleuve Sargetia (Schyul?) et 
qu'un ûace, nommé Bicilis, révéla à Trajan le lieu où étaient enfouies 
ces richesses. M. Dierauer (p. 102) conteste ce récit à cause des ressem- 
blances, dans le détail, avec ce qu'on raconte des trésors ensevelis à la 
mort des rois goths. Il est certain pourtant qu'une partie des richesses 
de Décébale tomba entre les mains de Trajan (V. plus loin guerre des 
Parthes, et sur la colonne Bartoli, 1. 103, Froehner, n« 112). 

6. Bartoli, 1. 111, Froehner, n» 121. 

7. Bartoli, t 112, Froehner, n* 123. 

8. Bartoli, t. 97, Froehner, m 102. 

9. Notre n* 43. 

40. Hadr,, c. 3. f Praetorfactus est sub Surano bis Serviano Iterum con- 
sulibus. > Ce consulat est celui de Tan 102. Les consuls de Tan 107, que 



— 54 — 

une faute dans le chiffre de la puissance tribunitienne ^ On admet 
généralement aujourd'hui que Trajan prit la cinquième saluta- 
tion impériale pour la guerre heureuse de Cornélius Palma en 
Arabie, et la sixième pour le succès de la deuxième guerre 
dacique, et que celle-ci fût terminée dans le courant de l'année 
106*. Espérons que des monuments nouveaux nous permettront 
bientôt d'être plus précis. 

Trajan, rentré à Rome, célébra ses victoires par des fêtes 
splendides, distribua au peuple le congiariumy et recula le 
pomaerium^ conune il en avait le droit puisqu'il avait augmônté 
le territoire de l'empire •. 

Nous n'avons pu raconter qu'à grands traits ces guerres 
daciques, dont l'histoire complète méritait d'être conservée. Telle 
qu'on l'entrevoit à travers les lacunes et les obscurités du texte 
de Xiphilin^, elle nous apparaît avec un caractère marqué d'in- 
térêt et de grandeur. Du côté des Daces, un désespoir héroïque 
qui multiplie les obstacles devant l'ennemi, et défend pied à pied 
chaque bourgade, chaque fleuve, chaque forêt, n ne faut pas 
moins pour le vaincre qu'un art militaire porté par huit siècles 
de méditations et d'exercice à la perfection. Par l'activité qu'il 
déploie, la variété des ressources qu'il met en œuvre, l'opiniâtre 
résistance qu'il oppose, l'effroi qu'il inspire, Décébale se place à 
côté des grands ennemis de Rome, des Mithridate, des Hannibal. 
Du côté des Romains, nous trouvons un courage plus patient et 
plus calme, commun au chef et aux derniers soldats. Après des 

Tau teur voulait sans doute nommer ici, sont Sura III, et Senecio II. M. Hen- 
zen {Annal, Inst, Àrch,, 1862, p. 154) pense que la prèture d'Hadnen est 
de Tan 106. 

1. L'inscription du pont d*Alcantara. C'est notre n* 41. 

2. G*est Topinion de M. Henzen, qui suppose qu'Hadrien, préteur cette 
année-là, put revenir à Rome donner, à Tissue de sa charge, les jeux 
qu'il devait au peuple et en vue desquels Trsgan lui fit un présent de 
deux millions de sesterces (Spart, 1. 1.). M. Dierauer (p. 105) admet aussi 
que la guerre fut terminée en 106. 

3. Vopisc Aurdian, 21. Dans l'intervalle des deux guerres, Décébale 
avait fait quelques conquêtes sur les lazyges. Ceux-ci se recomman- 
dèrent à Trajan, mais la partie de leur pays prise par les Daces ne leur 
fut pas rendue. 

4. Je ne sais à quel moment des guerres daciques placer la captivité 
d'un personnage consulaire, à laquelle Fronton fait allusion, de bello 
Parthico, p. 217, éd. Naber. Niebuhr a pensé qu'il s'agit de Gassius 
Longinus, mais cet officier n'était que praefecttu castromm ((rrpaToicfdou 
'P(É>|Aaîx(ri> l&fiYo<3(ievov) , il n'avait donc pas été consul. On ignore aussi dans 
quelles circonstances le chef dace Susagus pénétra en Mésie (Plin. 
Ep., ad Traj., 74). 



— 55 — 

combats meurtriers livrés au milieu d'une saison rigoureuses 
l'infatigable activité du légionnaire jette des ponts sur les fleuves, 
ouvre d'épaisses forets, bâtit des camps et des viUes. On admire 
chez les officiers l'inteUigence vive et hardie de Lusius Quietus^ le 
dévouement simple et sublime de Cassius Longinus. Enfin Trajan, 
constamment à la tête des troupes, veille à leurs moindres besoins, 
les encourage, prend sa part du péril, et par sa vigilance, sa 
prudence, sa bravoure, se montre digne de commander cette 
vaillante armée. 

§ 4. — Organisation de la province de Dacie. 

Voyons maintenant comment Trajan affermit sa conquête et 
introduisit la civilisation romaine dans ces régions encore bar^ 
bares. 

n incorporait à l'empire une province dont Eutrope* évalue le 
circuit à un million de pas romains (1,481 kilomètres). Ce chiffire 
a été contesté par les géographes ^ ; et, en effet, il est visiblement 
inférieur à la réalité si l'on veut comprendre dans la Dacie 
romaine tout le pays situé entre la Theiss, les Carpathes, le 
Pruth et le Danube^ : le cours seul de la Theiss a plus de 
1,400 kilomètres de longueur. Mais c'est, selon moi, interpréter 
inexactement le texte de Ptolémée. Cet auteur ne veut pas indi- 
quer les limites de la province romaine, mais celles du pays 
habité par les Daces, ce qui est bien différent. Quand il décrit la 
Bretagne ou la Germanie, il donne également leurs frontières 
géographiques, et non les limites de la domination romaine dans 
ces parties de l'Europe. On ne peut donc invoquer le témoignage 
de Ptolémée contre celui d'Eutrope, et j'ai peine, je l'avoue, à 
rejeter le chiffire que cet abréviateur emprunta assurément à une 



1. Plutarcb. deprim frig. 12. 

2. vni, 2. f fia provinda decies centena millia passuum in circuitu 
tenuit. » 

3. O'ÂnviUe, Acad. des Inaerip., XXVllI. 462. Mannert, Geogr. der Gr, w%d 
Bœm,, IV, p. 189. Forbiger, III, 1102. 

4. D'Anville, 1. 1.^ p. 445. t On peut dire .... que ce qui est actueUe- 
f ment connu sous le nom de Valakie et de Moldavie était joint à la 
f Transylvanie dans la province de Dacie. » Cette opinion semble d^abord 
confirmée par ce fait que la langue roumaine se parle et 8*entend dans 
le Banat, la Transylvanie, la Bukov^iae et les principautés. Mais cette 
môme langue est également usitée dans la Bessarabie, en Macédoine^ 
en Thrace et dans quelques cantons de la Tbessaiie, pays qui ne fai- 
saient point partie des états de Oécébale; 



— 56 — 

source officielle S qui se retrouve dans tous les manuscrits, et qui 
est confirmé par Sextus Rufiis'. 

Maintenant je remarcjue que les villes de la province marquées 
sur la carte de Peutinger sont toutes comprises dans le Banat ^, 
la Transylvanie et la Petite Valachie (à l'ouest de TAluta). Les 
routes tracées sur la carte ne franchissent pas ces limita ^, en 
dehors desquelles on ne trouve non plus ni monuments romains, 
ni inscriptions ^. N'estil pas permis d'en conclure que les seules 
provinces de Transylvanie et de Petite Valachie, avec une moitié 
environ du Banat (entre la Ternes et le Danube) constituent le 
pays colonisé par Trajan et soumis à l'administration romaine? 

Vers l'époque d'Antonin le Pieux*, la province fut partagée 
en trois districts : Dada Apulensis, Dada MalvensiSy Dada 
Porolissensis ''. Ces adjectîfis sont formés des noms daciques de 
trois villes, latinisés quant à la désinence. On ignore où se trouvait 
MalfXiy mais de nombreuses inscriptions ont prouvé qix'Apulum 



1. Trajan avait emmené dans son expédition des ingénieurs et des 
arpenteurs (Àgrémetuorei, éd. Lachman, l, p. 92). 

2. De VictorUs, cap. 7. 

3. Dans la partie située à Test du Ternes. 

4. D'Anville est obligé de le reconnaître, 1. 1., p. 458. c !9ous serions 
f instruits d'un plus grand nombre de noms de lieux, et ces lieux nous 
c conduiraient plus avant, si dans la table Tbéodosienne les voies mili- 
f taires qui s'étendaientjusqu'aux extrémités de la Dacie romaine étaient 
c décrites. » Mais cette absence d'indications prouve justement que les 
extrémités de la province sont marquées par les points où les routes 
s'arrêtent. 

5. On s'en convainc immédiatement en jetant un coup d'œil sur la 
carte annexée à l'ouvrage de Neigebaur intitulé Dacien oui den Ueberreg- 
ten de* Klatslsehen MiertKums. Toutes les inscriptions conservées à 
Bukarest, au musée public ou chez des particuliers, ont été apportées 
de la Petite Valachie ou de la Bulgarie. Une inscription publiée par 
Gruter> 259, 8, parle bien de DaeH lasU, mais elle est fausse ou mal 
copiée (V. une note dans Borghesi, 1. 111, p. 48t). A lassy, il est vrai, on 
conserve un monument dédié à Trajan et trouvé, dit-on, à Gergina prés 
de l'embouchure du Sereth (notre n* 71); si la provenance est exacte- 
ment indiquée, ce monument viendrait à l'appui de ma thèse, car la 
dédicace .est faite par P. Galpumius Macer Gauiius RufUs^ légat de Méiie 
pendant que Pline administrait la Bitbynie {AdTrqf., 41, 61, 77), ce qui 
prouverait que le Bas-Banube était, aussi bien que la ville de Tyras sur 
le Dniester (Henzen, n. 6429), placé dans le gouvernement de Mésie, et 
non dans celui de Dacle, et par conséquent que la Moldavie ne faisait 
pas partie de l'ancienne Dacie romaine. 

6. Borghesi, t. vni, p. 481 et suiv. 

7. Pour ce dernier nom, voy. dans les Œuvres de Borghesi, t. VIII, 
p. 482, la note 2 de M. Renier. 



— 57 — 

répond à Karlsburg en Transylvanie, et Porolissumy dernière 
station de la voie romaine qui traverse tout le pays, se trouvait 
dans les environs de Dees *. La Transylvanie formait donc à elle 
seule deux districts de la province. Et l'on voudrait que Malva, 
située sans doute à l'est des Carpàthes, fût la capitale d'un district 
égal à toute la Roumanie actuelle, et hors de toute proportion 
avec les deux autres I N'est-il pas plus naturel d'admettre que la 
Dada Malvensis ne répond qu'à la Petite Valachie, et que 
Trajan n'avait nullement songé à prendre possession des plaines 
inmienses, et si difEiciles à défendre contre une invasion venant 
du nord-est, que les Roumains occupent aujourd'hui? 

Si nous adoptons cette manière de voir, le chiffire donné par 
Eutrope n'a plus rien d'extraordinaire, et se vérifie même 
presque exactement. 

Millee romaini. 

De Viminacium à Oescus, vis-à-vis l'embouchure 
de l'Aluta, on compte le long du Danube* . . . 243 

Le cours de l'Âluta est de 38 milles géogr. alle- 
mands*, soit 190 

De la source de l'Aluta à Dees (Porolissum) on 
trouve, en ligne droite, 24 milles géographiques ^ ou 120 

De Porolissum à Viminacium on comptait ^ . . 285 

Nous trouvons ainsi, pour le contour de notre 
quadrilatère 838 

n est évident que le périmètre réel de la frontière, envelop- 
pant ce contour tant à l'ouest que le long des Carpathes au nord, 
était un peu plus grand et que nous pouvons sans invraisem- 
blance lui assigner le chiffre 1,000 milles, donné par les anciens 
textes. 

La superficie de la province ainsi délimitée était de 
106,077 kilomètres carrés, soit un cinquième de la surface de la 
France*. ... 



1. Reichardt place Porolissum à Nagy-Banya au nord des Carpathes, 
mais cette attribution n'est pas compatible avec les distances marquées 
sur la carte de Peutinger. Âckner établit qu'il faut chercher cette loca- 
lité à Vêts ou à Mikhasa, près de Dees. 

2. Ilin. Anton., éd. WêssI, 218, 221. 

3. Daniel, ffandbuch der Géographie, IV. Taf., p. 14. 

4. Atlas de Stieler, carte 35 h. 

5. Tab, PeuHng, Segm. VI. 

6. Le Temes divise le Banat par moitié environ, ce qui donne pour la 

partie orientale 544/2 272 milles carrés. 

Superficie de la Transylvanie 997 — 



— 58 — 

La TransjlTanie est un des pays les plus favorisés de l'Europe 
pour la variété et rabondance de ses richesses naturelles. Le 
climat est firoid mais sain, le sol fertile et bien arrosé. L'Âluta, le 
Maros, le Szamos, naissant presqu'au même point des Carpathes, 
se séparent aussitôt en ouvrant au sud, à l'ouest et au nord de 
spacieuses vallées. La Petite Yalachie n'ofire pas à la culture 
des conditions moins favorables, mais au moment de la conquête, 
ces vastes régions étaient sans doute couv^iies de bois et pendant 
longtemps la tâche du colon, semblable à celle des pionniers 
américains, dut consister à ouvrir les masses compactes des 
forets, à approprier le sol tant à la culture qu'à l'élève des bes- 
tiaux. Il est à regretter que les anciens ne nous aient laissé 
aucun tableau de l'aspect physique de cette contrée, dont ils ne 
parlent qu'avec une sorte d'horreur ^ Les inscriptions et les 
monuments nous donnent au moins une idée de ce qu'était la vie 
des colons. 

Le pays avait été presque complètement dépeuplé par la guerre, 
et ce qui restait de la population Dace dut s'expatrier. Un bas- 
relief de la colonne Trajane représente cette émigration *. Les 
bannis s'établirent & Test de la province, qu'ils inquiétèrent plus 
d'une fois', et ils furent sans doute d'utiles auxiliaires pour les 
Goths quand ces derniers enlevèrent la Dacie à Âurélien. 
Quelques-uns consentirent à prendre du service dans les armées 
romaines, et Trajan en forma des corps auxiliaires d'infanterie 
et de cavalerie ; mais ces corps furent toujours cantonnés loin du 
Danube ^. 

Dion^ et Âurélius Victor* disent simplement que Trajan 



de la Petite Valachie 410 

des trois régiments du Banat dans les 
confins (Karansebes, Panesora, V\^eiB8 
Kirclien) 182 



Daniel, Handbuch der Geog. 11, 593, 601, 602 . . . 1861 milles carrés. 
& 57 kilom. carrés Tun. 

1. Dans les livres aujourd'hui perdus de ses Histoires, Tacite, le plus 
grand peMre de ranUquUé, avait dû représenter vivement cet aspect 
du pays. 

2. Bartoli, tav. 113, 114, Froehner, 124. 

3. Les Daci sont plus d'une fois mentionnés après Trigan, par exemple 
sous Ântonin le Pieux (Jul. Gapitolin, 5), sous Commode (Lamprid., 13). 

4. Àla h Ulpia Dacarum, Henzen , 6049 ; Cohars h Adia Dacorum, 
ibid., 5889, 6688. 

5. LXVIII, 14. 

6. Caess, 13. 



— 59 — 

colonisa la Dacie devenue déserte. Ëutrope nons apprend de plus 
que les colons avaient été appelés de tous les points de l'empire *; 
et les monuments de la Transylvanie confirment d'une manière 
remarquable cette assertion d'Eutrope*. Ainsi, dans les inscrip- 
tions votives, on ne trouve le nom d'aucune divinité dacique', ce 
qui prouve que la population indigène avait disparu. Mais on y 
lit les noms d'Isis *, de Bonus Puer Phosphorus (l'Horus enfant 
égyptien^), delà Nehalennia gauloise^, de la Dea Caelestis de 
Carthage'', de Cautes*, du dieu Azizus de Phrygie^, de Jupiter 
Dolichenus^^, du même Dieu enfin avec les ethniques Tamanu;s, 
Heliopolitanus^ PrusentÂSy Commagenorum^. Ces person- 
nalités m3rthologiques nous reportent à l'Orient, d'où le plus 
grand nombre des colons paraît avoir été tiré**. L'idiome, si direc- 
tement formé du latin, que parlent aujourd'hui les Roumains a 
plusieurs fois suggéré la pensée que l'Italie avait fourni à la 
nouveUe province ses premiers habitants. Les inscriptions nous 
conduisent, comme on le voit, à écarter cette opinion, qui est 
d'ailleurs en opposition directe avec ce que nous connaissons des 
vues de Trajan sur l'Italie **. 

Le plus ancien monument que l'on possède de la Dacie Trajane 
est un diplôme militaire de l'an 110", où est nommé le légat 
propréteur de la province D. Terentius Scaurianus, On a 
trouvé à Sarmizegethusa une inscription relative à ce person- 
nage ; il y est dit fondateur de la colonie romaine établie dans la 
résidence des anciens rois daces ^. Cette ville fat appelée la 

1. £utrop. VIII^ 6. f Trsganus, victa Dacia, ex toto orbe Romano infinitas 
copias hominum transtulerat ad agros et urbes ûolendas ; Dacia enim 
diutumo beUo Oecebali viris f uerat exhausta. » 

2. Henzen, ButteU Inst. Arek. 1848, pp. 156 et suiv. 

3. Sauf peut^tre Jupiter CemenHu (Ackner, n* 623) qui représente 
soit la divinité locale de Diema ou Gzerna, soit le dieu slave Gzer- 
nobog. 

4. Ackner, passim. 

5. Ackner, n*' 376 à 382. 

6. Ibid., 770. 

7. Ibid., 409. 

8. Ibid., 442. 

9. Ibid., 637, 665. 

10. Ibid., 556, 829. 

11. Ibid., 726 à 728, 223, 224, 555. 

12. V. Ackner, 268 : CoUegiwm Galaiarum. 

13. li ne voulait pas coloniser les provinces aux dépens de l'Italie. 
V. le chapitre viii. 

14. flenzen, 5443. G*est notre n' 59. 

15. Notre n* 99. 



— 60 — 

métropole de la provinces mais en réalité le centre politique de 
celle-ci fat déplacé et porté à AptUum (Karlsbourg) bien plus 
heureusement situé. Là fut la résidence du légat, le quartier 
général de la légion XIII^ Gemina : c'est le point qui fournit les 
inscriptions les plus intéressantes et les plus nombreuses. 

Une médaille frappée après l'an 112, puisque Trajan y porte 
le titre de COS-VI, et avant la fin de l'an 113, puisqu'il n'y 
porte pas le surnom d'Optimus • , offre au revers la légende 
DACIA AVGVST(i) PROVINCIA et représente la Dacie assise 
sur un rocher, et tenant une enseigne militaire. Devant elle sont 
deux enfants portant l'un des épis, l'autre une grappe de raisin K 
EUe fut sans doute frappée lorsque l'organisation du territoire 
conquis fiit complètement terminée et ce travail, comme on le 
voit, exigea plusieurs années. 

L'histoire de cette province n'a pas encore été faite avec le 
soin désirable et le développement que comportent les éléments 
dont on peut déjà disposer. Les limites de notre sujet nous 
obligent à ne donner ici que des indications très-générales. En 
ce qui concerne les mesures militaires prises pour la défense du 
pays, la légion XIII<^ Gemina, qui est citée à des époques plus 
récentes^ comme cantonnée en Dacie, paraît y avoir été installée 
dès le moment de la conquête. Avec elle dix cohortes auxiliaires 
d'in£anterie et deux ailes de cavalerie formaient, dès l'an 110^, 
là garnison de la province. Mais avec le temps, et à mesure que 
la frontière du Danube sembla plus menacée, ces forces furent 
augmentées ®. On a reconnu en Dacie un grand nombre de camps 
romains échelonnés le long de la frontière. Âckner en a compté 
jusqu'à 23''. Tous ne sont pas la création de Trajan; mais on ne 
peut douter qu'ils n'aient été établis d'après les plans et les vues 



1. Henzen,e932. 

% 11 ne reçûtes surnom qu'à la fin de Pan US au plus tôt, puisqu'il 
ne le porte point sur Tinscription de la colonne Trajane (Orelli, 29). 11 Ta 
sur les monuments de l'an 114. 

3. Cohen, n* 332. Cette grappe fait allusion aux vins de Transylvanie. 
Ainsi la vigne était déjà cultivée dans ce pays au moment où Rome en 
fit la conquête. Du reste Strai)on nous l'apprend en racontant la réforme 
entreprise par Boerebistas. 

4. Dion, LV, 23. 

5. Henzen, 5443, notre n* 59. 

6. La légion F« Maeedonica 'fut amenée en Dacie sous Septime Sévère 
(Mommsen dans Borghesi, IV, p. 260). 

7. Dans la Transylvanie seulement (Jahrbueh der central Commission 
zur Erforschwng der Baudenkmale, I, p. 65, 100). 



— 64 — 

a 

des ingénieurs qui avaient, par son ordre, pris part aux expédi- 
tions qu'il dirigea. 

Pour connaître l'organisation civile de la Dacie romaine, il 
£aut recourir, presque exclusivement, aux inscriptions dont le sol 
de cette contrée a fourni une si riche moisson ^. En outre, un 
texte précieux du Digeste * nous apprend qu'en vue d'attirer les 
colons et d'encourager leurs premiers efforts, Trajan accorda aux 
villes principales Dierna, Sarmizegethusa, Napoca, Âpulum^ et 
aux territoires qui en dépendaient, le jus italicum, c'esUà-dire 
l'exemption pour les habitants de toute taxe personnelle et pour 
les propriétés de toute imposition foncière. 

Allégée de ces charges, ailleurs si lourdes, l'agriculture prit 
nécessairement une heureuse extension. L'industrie se développa 
aussi dans une certaine mesure, car les Romains avaient 
reconnu et surent exploiter les ressources métallurgiques qui 
constituent l'une des principales richesses de la Transylvanie. 
Les monuments épigraphiques ont conservé le souvenir d'un 
collegium aurariorum à Zalathna^, d'un collegium salario- 
rttmàThorda^ 

Les salines de cette ville et celles de Maros Uj var *, les gîtes 
aurifères de Verestapak ' ont gardé les traces de leurs galeries et 
de leurs établissements. Les ouvriers en bois avaient également 
formé des associations dans les principales villes^. Enfin les 
rivières qui sillonnent la Transylvanie ofiBraient d'excellentes 
voies de transport pour les marchandises encombrantes, telles 
que bois et métaux, que ce pays fournissait au reste de l'empire ; 
et des compagnies de bateliers et de flotteurs s'étaient formées 
pour ce service®. 

Âpulum était le centre du réseau de routes tracées sur le sol de 

1. V. Reigebaur, ouvrage cité, et Ackner et MûUer, Die rœmUchen Im- 
ekriften in Daden. 

2. L. 15 (de eensibus), 1. 1. gg 8et9. Ulpien y dit expressément que la 
colonie de Dierna fut fondée par Trsgan. 

S. Â ces TiUes, Septime Sevére igouta Patavissa qui reçut le rang de 
colonie et le jus italicuniy 1. 1. g 9. 

4. Ackner et Millier, n* 545. Ces mines furent exploitées presque 
immédiatement après la conquête, car on connaît un afifranchi de Tra- 
jan procurateur des aurariae, Ackner et Mûller, 577. 

5. Ibid., 658. 

6. De Gérando, La TransylvaniB et ses habitants^ I, p. 169, 178. 

7. Jbid., p. 317. On reconnaît les exploitations établies comme les décrit 
Pline, BisL NaU XXXlll, 1U 

8. Ackner, 524, 525. Henzen, 7203. 

9. Ibid., 54, 523, 793. 



— 62 — 

la Dacie. Trois voies principales rayonnaient de oe point sur 
Porolissum, sur Tibiscum (par Sarmizegethusa), et sur Âegeta^ 
De Tibiscum deux yoies gagnaient le Danube et, par des ponts de 
bateaux établis à leurs issues, reliaient la Dacie à la Mésie. La 
route d'Apulum à Âegeta traversait les Carpathes au passage de 
la Tour Rouge, puis par la vallée de TAluta venait aboutir au 
pont de pierre^. Par ces artères habilement distribuées, la vie et 
la richesse circulaient dans toutes les parties de la Dade. Aussi 
jouitr-eUe, pendant la courte durée de sa vie romaine, d'une pros- 
périté remarquable dont les traces matérielles sont partout écrites 
sur son sol. Peu de pays ont livré aux investigateurs autant de 
débris antiques, et ce qui les caractérise c'est moins la grandeur 
des édifices publics que le luxe des habitations particulières. 
Des sculptures, des mosaïques, des bijoux qui, il est vrai, ne 
portent généralement pas l'empreinte d'un art très-puissant ni 
très-délicat, témoignent pourtant d'une aisance partout répandue 
et d'un bien-être commun à toutes les classes de la population. 

§ 5. — Les Romains sur le Danube. 

J'ai essayé de montrer les résultats immédiats de cette guerre 
heureuse. Si on la considère d'un point de vue plus élevé, elle 
apparaîtra comme l'exécution partielle d'un vaste plan conçu 
par Trajan et embrassant tous les établissements romains du 
Danube, et elle nous aidera à mesurer la portée de ce plan, dont 
on possède des vestiges suffisamment significatif. La fondation 
ou l'agrandissement, par Trajan, de villes importantes telles que 
Poetovione (Pettau) en Pannonie S Ratiaria^, Serdica ^ 
Oescus®, Nicopolis ad Istrum ', Marcianopolis* en Mésie» Pau- 

1. TaHe de PetUinger. 

2. Après qu'Hadrien eut fait détruire le tablier du pont de pierre 
(Dion, LXVIU, 13) il dut prescrire la construction d'un pont de bateaux & cet 
endroit, le long des piles devenues inutiles (Aschbach, p. 22). Bn effet 
on ne comprendrait pas, si tout moyen de passage était supprimé, pour- 
quoi la carte de Peutinger indique un passage à Âegeta. — La route 
romaine appelée Kaka Trajanului venait aboutir sur le Danube en face 
d'Oescus, colonie de Trigan en Mésie. Les communications de Tune à 
Fautre rive devaient être fréquentes. 

3. Or. Henzen, 52S0. ^ 4. Ibid. 

5. EckheL Doci. Num. Vet,, II, p. 46, Fabretti, /iMcr. Dom., 340,513. 

6. Or. Henzen, 5280. 

7. c Nicopolis quam indicium victoriae contra Dacos Trajanus eondidll 
imperator. » Ammîan, XXXI, 5. 

8. c Marcianopolis,a sorore !h^ani principisita cognominata.» Ammian, 



— 68 — 

taHaS Ânchiale', Nicopolis adMe$tum\ Beroe^ en Thraoe, se 
relient étroitement à la conquête du pays de Déoébale. Avec ces 
mesures coïncide une organisation plus forte des provinces orien- 
tales de l'Europe; la Pannonie, sous le règne de Trajan, fut en 
effet divisée en deux provinces dont chacune eut son légat pro- 
préteur ^ ; la Thrace, jusqu'alors province procuratorienne et 
dépendante de la Mésie, reçut dans le même temps une existence 
propre et un gouverneur particulier ^. Les principales routes de 
la région de l'Haemus furent construites ou réparées à cette 
époque, et rattachées aux voies déjà existantes dans les provinces 
plus centrales^. On ne peut se méprendre sur le caractère de ces 



XXVII, 4, t2. Cf. Jomand. GeUc. 16. 

1. Eckhel, II, 33, Fabretti, 340, 513. 

2. Bckhel, II, 24, Pabretti, ibid. 

3. Bckhel, II, 36. 

4. Fabretti, 340, 513. On ne sait si Trt^anopoUi ad Hèbrum ftit fondée 
par Trajan ou par Hadrien, flckhel, II, 47. 

5. Q. Glitius Agrîcola, en 103, est dit leg, pro,pr. imp,Nervae Trqfani, etc., 
protindae Pannoniae (flenzen, 5449), et Hadrien, leg, pro. pr, imp. Nervaê 

Tritfani, etc , Pannoniae inferhrU. La Pannonie inférieure étant 

idacée sous le gouvernement d'un ancien préteur ne devait pas renfer- 
mer alors plus d'une légion. Quelques vétérans reçurent des terres en 
Pannonie (Hyg. de condit agr.y p. 121, éd. Lacbm). 

6. Borghesi, ŒworeSy III, p. 275. 

7. C'est ainsi sans doute qu'il faut comprendre les paroles d'Âurelius 
Victor. Caessy 13 : c iter conditum per feras gentes, quo facile ab usque 
Pontico mari in Galliam permeatur. » 

Kous devons dire quelques mots de certains ouvrages militaires attri- 
bués & tort à Trajan dans l'Burope orientale. D'abord on trouve, dans le 
Banat de Temesvar, des retranchements anciens qui relient le Maros au 
Danube. IVÂnville {Mém, de FAcad, des Inseript, XXVIH^ 445) a pensé 
que ces retranchements avaient été élevés par Trajan pour défendre la 
Dacie contre les lazyges. Mais alors ces ouvrages, paraUéles au cours de 
la Theiss, devraient être beaucoup plus rapprochés de cette rivière. De 
plus ils n'offrent pas, dans leur structure, l'aspect bien connu des forti- 
fications romaines. C'est, dit Oriselini (Histoire du Banat, I, 296) un 
double retranchement dirigé suivant deux lignes brisées, parallèles dans 
toutes leurs parties. La hauteur est de 6 & 7 pieds. Il y a un fossé entre 
les deux murs, un autre en avant, un troisième en arrière de l'ouvrage. 
Au contraire, dit Mannert (Re$ Trajani, p. 96), les retranchements 
romains qu'on voit en Allemagne sont hauts de dix-huit pieds au moins, 
forment une ligne continue; les assises inférieures sont de pierre, la 
stabilité du mur est maintenue par de la terre en talus, le couronne- 
ment est couvert d'un gazon qui le préserve :de la dégradation, enfin, 
de distance en distance, sont intercalées de fortes poutres. Oriselini 
attribuait aux Avares la constructions des retranchements du Banat, 
mais Mannert a montré qu'elle appartenait aux Thervinges, peuplade 



— 64 — 

efforts dirigés dans un même sens : ils nous révèlent la pensée 
qui inspirait Trajan quand il fit franchir le Danube à ses soldats. 
Il ne songeait pas seulement à venger les défaites de Domitien, à 
protéger la Pannonie et la Mésie en contenant les barbares par 
la terreur et en leur faisant sentir quels coups inopinés et terribles 
Rome pouvait leur porter encore sous un prince courageux et 
résolu, n méditait de plus grands desseins» il était décidé à 
reculer les limites du monde romain en Europe. Il rejetait donc 
le conseil laissé par Auguste de ne rien changer aux firontières de 
l'empire *, et par là faisait preuve d'une appréciation beaucoup 
plus exacte des besoins de cette époque et des circonstances au 
milieu desquelles Rome était placée. En effet il ne s'agissait pas 
d'un £astueux accroissement de territoire, mais de l'existence 
même de la civilisation ancienne. Devant les forces toujours 
menaçantes de la barbarie, cette civilisation ne pouvait échapper 
à une imminente dissolution qu'en incorporant de nouveaux 
peuples à ceux qu'elle avait marqués de son empreinte et dont 
elle avait changé l'état social et les moeurs. Elle datait de six 
siècles, mais sa perpétuité dans cet intervalle était due aux 
accroissements matériels de son domaine successivement opérés 
par Cimon, Alexandre, Scipion, César : à peine le rayon du 
cercle qu'elle couvrait se réduisit-il qu'elle périt, cernée par les 
barbares. Et la civilisation chrétienne qui lui a succédé n'a été 

gothique qui voulut ainei se défendre contre les Huns (Cf. Àmm. 
Marcell. XXXI, 3). 

Sous le nom de fù$aés de Trqjan on connaît dans la Oobrutscha un 
triple retranchement antique qui traverse cette contrée dans sa partie 
la plus étroite. Il est formé par trois fossés qui se coupent prés de Kus- 
tenjé pour se séparer ensuite et se diriger parallèlement vers le 
Danube, sans s'écarter entr*eux de plus de 10 kilomètres. Le long de ces 
fossés, de distance en distance, là où le terrain naturel offrait des pla- 
teaux, on trouve des camps retranchés accompagnés de petites redoutes. 
Us dessinent une vaste enceinte, dont Texistence et le but paraissent 
d'abord difficiles à expliquer sur une ligne qui ne fut jamais la limite 
de Tempire. Il faut encore recourir à Ammien (XXXI, 8) qui nous 
apprend qu'en 376 les Wisigoths, ayant battu les Aomains prés de Mar- 
cianopolis, se retirèrent dans les steppes du Bas-Danube, et qu'ils y 
furent cernés par les lieutenants de Valens, Profuturus et le comte Trtfjan; 
ceux-ci élevèrent des retranchements au milieu desquels ils tenaient les 
barbares assiégés, mais l'investissement fut interrompu par Tarrivée 
des Huns etdes Alains, auxiliaires des Goths. C'est donc au conUe Trqjan, 
comme Fa démontré M. Âllard (Bulgarie Orimtale, p. 98), qu'il faut rap- 
porter les fossés, et non à Tempereur Tri^an, comme Ta cru M. de 
Champagny, AnUmku, I, p. 296. 

l.Tacit. Annal., I, 11. 



— 65 — 

hors de péril que quand elle a eu étendu son empire, d'abord jus- 
qu'à Tancienne limite du monde romain, puis, par les victoires 
de Charlemagne, sur la Germanie tout entière. Alors seulement 
tout danger disparut parce que l'introduction de la Germanie 
dans la société chrétienne, sans changer notablement les pro- 
portions géographiques entre le monde policé et le monde barbare, 
avait renversé les proportions de leurs forces ^ La civilisation à 
ses débuts, et pendant la première phase de son développement, ne 
peut en elBfet se passer de la guerre ni de la conquête, moyens 
violents qu'elle répudie justement plus tard, mais qui seuls peu- 
vent alors procurer les ressources nécessaires à la vie matérielle 
des individus, et surtout assurer la sécurité et le loisir indispen- 
sables à tout effort un peu prolongé de notre activité spéculative. 
Or qu'au deuxième siècle de notre ère la civilisation ne fût pas en- 
core sortie de cette phase initiale, et que dès lors la tâche des em- 
pereurs fût de continuer la série desâSforts accomplis depuis trois 
cents ans pour incorporer successivement les différents peuples 
européens dans l'unité romaine, et non de dénaturer, en leur 
donnant un caractère simplement défensif, les institutions mili- 
taires que leur avait léguées la République, c'est ce que prouva la 
suite des événements. Sous Marc-Âurèle, les Germains franchi- 
ront le Danube et toucheront une première fois à l'Italie : dans un 
siècle et demi, ils passeront le Rhin et viendront ébranler l'empire 
aux limites qu'il possédait à la mort d'Auguste. Ces faits mon- 
trent sufilsamment l'inanité et le péril du conseil qu'avait inscrit 
dans son testament le fondateur du principat. Il ouvrait préma- 
turément l'ère de la paix générale, il conviait le monde à l'exploi- 
tation pacifique d'un domaine dont la possession était précaire 
encore : pour avoir trop tôt cessé d'être conquérants, les Romains 
ont été conquis à leur tour. Trajan sentit parfaitement le danger, 
et ce n'est pas, ce me semble, un médiocre mérite du vainqueur 
de la Dacie d'avoir eu, moins de cent ans après la mort d'Au- 
guste, une vue si nette de la situation faite à Rome, héritière et 
propagatrice de la civilisation ancienne, d'avoir compris, mesuré, 
accompli résolument le devoir qui s'imposait à ses chefs. 

Hadrien, au contraire, aurait voulu abandonner la Dacie ' : il 
risola partiellement en détruisant le pont de pierre qui la reliait 



1. La démonstration de ce fait considérable est le sujet d*un des plus 
beaux mémoires de M' Mignet, intitulé : IntrodueUan de Vaneienne Ger- 
fnaniê dans la iocéété cMUtée, 

2. Eutrop. VIIJ, 6.. 

DE LA BBRGB 5 



— 66 — 

aux autres proyinces danubiennes S et conformément au plan 
d'Auguste, qu'il semble avoir toujours eu devant les yeux, il 
arrêta brusquement l'œuvre deTrajan dans ces contrées. S'il eût 
romanisé les autres pays situés entre le Danube, les Carpathes 
et la Theiss (il pouvait au moins commencer cette entreprise et 
en léguer l'achèvement à Ântonin) , il aurait prévenu les longues 
guerres que Marc-Aurèle eut à diriger contre les Marcomans et 
les Quades, au milieu des circonstances les plus critiques, quand 
la peste sévissait dans son année et dans Rome. L'empereur 
philosophe reconnut trop tard la nécessité d'incorporer à l'empire 
toute cette région* et la mort l'empêcha de compléter et de 
réaliser ainsi le plan conçu par Trajan. La lâcheté de Conmiode, 
les guerres civQes qui suivirent le meurtre de ce tyran, puis les 
expéditions infructueuses et toujours renouvelées contre les 
Parthes, et enfin, au troisième siècle, la nécessité chaque jour plus 
visible de défendre l'ancienne frontière violée sans cesse et sur 
tous les points par des envahisseurs de plus en plus audacieux, 
firent abandonner ce plan sans retour. Un arrêt de plusieurs 
siècles dans la marche de la civilisation fut la conséquence de 
cet abandon de l'ancienne politique romaine. 

Ce plan était-il réalisable? Pouvait-on, au deuxième siècle, 
faire entrer la Germanie dans la communauté romaine? M. Mignet 
ne le pense pas. « Quels points d'appui les Romains pouvaient- 
« ils y trouver (dans l'Europe centrale)? Où pouvaient-Qs 
« adosser leurs légions sur ce territoire mal limité et qui ne 
« finissait nulle part? Où devaient-ils arrêter leurs frontières? 
< Conmient parviendraient-ils à y subjuguer des populations 
« belliqueuses dont la plupart, encore errantes, s'enfonçaient 
« dans les profondeurs de leurs forêts et disparaissaient dans le 
« vaste espace ouvert devant eUes, à moins qu'elles n'en sortisH 
« sent pour surprendre les légions comme elles le firent en égor- 
ge géant celles de Varus? Les Romains avaient à craindre d'y 
« être vaincus s'ils entreprenaient des expéditions, et d'y être 
« débordés s'ils y fondaient des établissements '. > 



1. Dion, LXVlll^ 13. — M. Dubdt, HUt. de$ Romains IV, 361, regarde ces 
assertions d'Eutrope et de Dion (ou de son abrèviateur), comme les 
échos de calomnies eystématiquement dirigées contre Hadrien, sans 
leur opposer, pourtant, de fait bien significatif. 

2. Capitolin, M, Afii, Phil,, cap. 27. c Tnennio bellum postea cum Mar- 
comannis, Hermunduris, Sarmatis, Quadis etiam egit et, si anno uno 
superfuisset, provindas ex his fecisset. » 

3. IntroducUan de la Germanie, etc. Bd. Charpentier^ p. 8. 



I 

I 

— 67 — 



Ces objections, j'ose le dire, ne me paraissent point péremp- 
toires. Charlemagne rencontra les mêmes difficultés et en 
triompha. Les Romains ne pouvaient-ils s'arrêter, comme lui, à 
la limite de l'Elbe ? D'ailleurs l'incorporation que, suivant nous, 
les Antonins devaient poursuivre, ne pouvait pas être, au début 
du moins, celle de la Germanie du Nord. Conquérir cette masse 
énorme par une attaque latérale comme l'essayèrent Drusus et 
Germanicus, était une œuvre impossible. De ce côté il fallait 
simplement consolider, au point de vue défensif, les premiers 
établissements militaires de ces hardis capitaines, et cette conso- 
lidation, nous l'avons vu, fut accomplie par Trajan. Mais du 
côté du Danube, Rome avait bien plus facilement prise sur les 
barbares. Là, il lui restait seulement à annexer la Moravie et la 
Hongrie, c'est-à-dire une superficie égale à celle des pays que 
Tibère et Trajan avaient réduits en province. Et la romanisation 
déjà profonde de la Pannonie et de la Dacie facilitait considéra- 
blement l'assujettissement des pays voisins. A la poursuite des 
Marcomans, les légions étaient amenées jusque dans la Bohême : 
tout cela ne demandait que deux ou trois guerres, moins terribles 
et moins longues, à coup sûr, que les deux expéditions dirigées 
par Trajan contre un homme de guerre aussi habile que Décé- 
bale. 

Par ce fait seul de l'installation romaine dans le bassin du 
Danube, les populations nomades de la Germanie septentrionale 
auraient adopté l'existence sédentaire avant l'époque où 
leur propre évolution les y amena. Parmi les nombreuses peu- 
plades qui s'y livraient des guerres incessantes, quelques-unes 
auraient pris le dessus, anéanti les plus faibles S et cet espace 
immense aurait été enfin habité par de vraies nations établies sur 
des territoires appropriés et délimités. L'élément turbulent de la 
société barbare, la bande aurait cherché dans les pays slaves ou 
dans l'extrême nord la satisfaction de ses goûts de pillage et de 
ses besoins d'activité désordonnée; la tribu* aurait possédé et 
exploité tranquillement le sol. Et alors Rome pouvait faire péné- 
trer sa civilisation plus avancée et plus douce chez ces peuples à 
demi policés, ou même les conquérir en trouvant chez quelques- 
uns d'entre eux des auxiliaires de sa politique, en s'y créant des 
clients tels qu'avaient été en Gaule les Rhèmes et les Eduens au 

1. Cf. la destruction des Bructôres par d'autres peuples Germains, an 
commencement du deuxième siècle. Tacit. Germ., 33. 

1 Pour la différence entre la bande et la iribu, V. Quizot, CMlisaHon 
en Ftancey tom. I*% S* leçon, p. 225, éd. 1846. 



— 68 — 

temps de Jules César, la province romaine du Danube devenant k 
regard de la Germanie ce que fut la Narbonnaise vis-à-vis de la 
Gaule chevelue. 

Le christianisme aurait complété et cimenté, sans guerre et 
sans violence, Tosuvre de Rome. Quand les Huns envahirent au 
cinquième siècle la partie occidentalede notre continent, ils n'au- 
raient pu, malgré leur férocité et leur nombre, désagréger ce 
groupe compacte de nations disciplinées à l'école de Rome, et 
animées de son esprit : l'effort de ces hordes se serait brisé sur 
l'Elbe au lieu de promener la dévastation et la mort dans toute 
l'Europe, et la civilisation aurait tranquillement suivi le cours 
marqué que troublèrent les invasions germaines et mongoles, et 
qu' il a fàhvL reprendre laborieusement , après plusieurs siècles , pour 
nous relier au monde ancien. 

§ 6. — Les Roumains. 

Avant d'abandonner les questions relatives à la Dacie, disons 
quelques mots du lien qui rattache les Roumains aux colons de 
Trajan. Les historiens latins disent formellement qu'après les 
guerres malheureuses de Gallien, Aurélien ne croyant plus pou- 
voir assurer aux Romains établis sur la rive gauche du Danube 
une protection suffisante, ramena les soldats et les colons sur la 
rive droite de Mésie où il leur procura des établissements et 
constitua une nouvelle province portant le même nom que celle 
qu'il abandonnait aux Goths^ Mais cette émigration totale est 
contestée par plusieurs historiens et surtout par les écrivains 
roumains '. D'après ceux-ci, un grand nombre des colons refusè- 
rent d'abandonner leur patrie. Selon d'autres auteurs ^, la partie 



1. Vopisc. AureHan, 39 : Quum vastatum Iliyrîcum ac Maesiam deper- 
ditam videret, provinciam trans Oanubium Daciam, a Trajano constitu- 
tam, sublato exercitu et provincial ibus reliquit, desperans eam posse 
retineri, abductosque ex ea populos in Moesia coilocavit, appeliavitque 
novam Daciam, quae nunc duas Moesias dividit. Cf. Eutrop., IX, 15. 
Sext Ruf. Breviar. 7. 

2. Mich. Kogalnitchan, Histoire de la Vaiachie et de la Moldavie, tom. I*% 
p. 11. c La plus grande partie des Romains, qui depuis près de deux 
c cents ans habitaient la Dacie, n'ont pas quitté le pays à cette époque.» 
Cf. Bd. Vaillant, La Roumanie, l, pp. 41, 52. Gibbon (cbap. xi) avait déjà 
émis cette opinion. 

3. Bd. Quinet, Reçue des Deux-Mondes, 1856, tom. I", p. 391. Il faut 
reconnaître que cette dernière manière de voir s'appuie sur les traditions 
locales (V. Nicolas Goetin, analysé par Hase. Notices et extraits des manu- 



— 69 — 

la plus brave de la population aurait cherché un asile dans les 
Carpathes, et, derrière ce retranchement inexpugnable, amassé 
lentement la force nécessaire pour déposséder ses envahisseurs, 
et remettre la main sur les pays que Trajan avait réunis à l'em- 
pire et que les Roumains habitent aujourd'hui. Ces derniers 
seraient donc les descendants directs et les héritiers des colons 
romains. 

L'exemple célèbre de Pelage et de ses compagnons retirés dans 
les montagnes des Asturies, le succès des sorties faites de cette 
forteresse contre les Arabes, donnent quelque vraisemblance à 
l'opinion répandue en Roumanie. Cependant elle a été attaquée 
par M. Roesler au moyen de considérations qui me paraissent 
diflBciles à réfuter*. Si, pendant le moyen âge, les colons latins 
n'avaient point cessé d'occuper, totalement ou partiellement, la 
Dacie Trajane, on trouverait dans la langue roumaine (dont la 
grammaire est restée latine, mais dont le vocabulaire a dû 
accueillir un grand nombre de mots étrangers), on trouverait, 
disp-je, quelques traces des idiomes propres aux envahisseurs du 
pays, Goths, Huns, Gépides (autre branche des Goths), Avares, 
Bulgares, Hongrois, Petchénègues, Cumans^. Il n'en est rien : 
l'élément germanique y est insignifiant, et son introduction, 
toute récente, s'est faite par la Transylvanie et par l'Autriche*. 
Les mots turcs n'y sont entrés également que très-tard : ils 
appartiennent au dialecte osmanliy mélange de turc, de persan 
et d'arabe, qui ne date que des invasions du xv* siècle, et non au 
dialecte cumaniquey plus ancien et plus pur, dont se servaient 
les Petchénègues, Uses et Cumans si longtemps maîtres de la 
Valachie *. Les idiomes touraniens n'ont pas apporté non plus 
leur contingent dans le Valaque. Au contraire, la partie non 
latine du vocabulaire est empruntée aux langues qui, jusqu'au 
xm* siècle, ne furent parlées qu'au sud du Danube : albanaise, 
bulgare et grecque**. Ce fait, joint à la profession de la religion 
grecque par les Roumains et à leur dépendance de l'église de 
Constantinople, fait supposer à M. Roesler que les colons de la 

ioriis, XI, p. 305. — Neigebaur, Beschreibung der Moldau und Walachei, 
p. 73). 

1. DacierundRomaenen, Wien, 1866, in-8*. 

2. La moitié seulement des éléments du valaque est restée latine. 
Diez, Introduction à la grammaire des langues romanes, trad. par G. Paris, 
p. 111. 

3. Diez, p. 114. 

4. Rœssler, p. 68. 

5. Ibid., 69. 



— 70 — 

Dacie Trajane obéirent effectivement aux ordres d'Âurelien, 
qu'ils vinrent en Mésie ; que mal couverts contre les invasions 
par le Danube seul, ils se réfugièrent, avec les colons de Mésie 
parlant latin, dans les Alpes Dinariques, dans le Pinde et dans 
les Balkans. De là, les uns passèrent en Epire, en Macédoine, en 
Thessalie où on les trouve encore ; les autres gagnèrent peu à 
peu du terrain dans la Bulgarie et franchirent le Danube vers le 
commencement du xm^ siècle. G*est alors, en effet, que Thistoire 
mentionne pour la première fois des Yalaques au nord du 
fleuve*. 

Il est certain que Ton n'a trouvé sur le sol de l'ancienne Dacie 
aucun monument postérieur au règne d'Âurelien. Si humble 
qu'on suppose la vie des colons restés dans leur résidence pater- 
nelle, ils auraient eu sans aucun doute des relations commer- 
ciales avec les autres parties de l'empire, et on trouverait dans 
le pays des dépôts de monnaies, indices de ce commerce. On n'a 
pas découvert de tels dépôts '. On ne comprendrait pas non plus 
que Constantin, qui vainquit les barbares et rétablit même quel- 
ques ouvrages militaires sur la rive septentrionale du fleuve, 
n'eût pas &it rentrer dans la famille romaine ces membres 
délaissés dans des temps malheureux, sous le poids d'une néces- 
sité que ses victoires faisaient disparaître. On ne cite aucun effort 
de lui dans ce sens. L'histoire, autant qu'il me semble, concourt 
donc avec la philologie pour faire admettre l'opinion de 
M. Roesler^. L'empreinte romaine n'en paraîtra que plus puis- 
samment gravée au cœur de ce peuple qui emportait au loin, et 
gardait au milieu de tant de traverses sa langue et ses souvenirs, 
et qui patiemment, en dépit d'obstacles de tous les genres, a 
repris le sol qu'avaient possédé ses ancêtres, et fait siens, à l'est, 
des territoires où Rome n'avait jamais porté ni son idiome, ni ses 
armes, ni même son nom. 

i. Ibid., 64. 

2. Les beaux médaillons d*or trouvés à Szilogy-Somlyo et conservés 
au Musée de Vienne sont assurément le butin de quelque chef barbare 
(Steinbûchel, Médaillons d'or du Musée de Vienne, 1826). 

3. On se récrie sur Timpossibilité de transporter tout un grand peuple. 
Mais si, comme nous avons cherché à le prouver, la Dacie était limitée 
par l'Aluta à Test, Tentreprise d'Aurelien n'a plus rien d'extraordinaire. 
— Engel (Commentatio, etc., p. 282) avait déjà nié que les Romains 
eussent prolongé leur séjour en Dacie après le régne d'Aurelien. 



CHAPITRE IV. 



GONQUBTE DE L ARABIE NABATEENNE. 



Pendant que Trajan reculait du côté du Danube les frontières 
de l'empire, le territoire romain receyait en Orient un utile 
accroissement. En Tan 100 mourut, après un long règne, le der-- 
nier tétrarquedela dynastie iduméenne^ Les pays qu'elle possé- 
dait depuis l'an 52, grâce à la libéralité de Tempereur Claude 
(Tracbonite, Âuranite, Batanée, Âbilène), furent réunis à la 
province romaine de Syrie ; c'est alors que cette province acquit 
sa plus grande extension. 

Entre le Taurus, l'Egypte, la Méditerranée et l'Eupbrate, il 
ne restait plus qu'un seul pays encore indépendant, celui des 
Arabes Nabatéens. Depuis un temps immémorial, ce peuple 
échappait à la domination des divers maîtres de l'Orient. Alexan- 
dre avait manifesté l'intention de les soumettre, et Antigone 
voulut exécuter le projet du héros macédonien. Les armées grec- 
ques furent défaites par ces Arabes alors disciplinés, tempérants 
et braves. Mais, à mesure que des richesses plus considérables 
passaient de l'extrême Orient dans le bassin de la Méditerranée, 
par les soins des rois de Syrie et d'Egypte, les Nabatéens prirent 
l'habitude et le goût d'un luxe funeste à leur puissance militaire '. 



1. Sckhel, DoeMna, 111, p. 496. C'était Agrippa U (V. Waddington, 
Comptes-rendus de VÀead. des InseripL, 1865, p. 106, 115). 

2. On est frappé du contraste qu'offirent les tableaux tracés par Dio- 
dore et par Strabon des Nabatéens au temps d* Antigone et au temps 
d'Auguste. 



— 72 — 

La première fois qu'ils se trouvèrent en face des Romains, ce fat 
pour être vaincus par Pompée. Aussitôt, avec la souplesse propre 
à leur race, les cheikhs Nabatéens ne songèrent plus à recourir 
aux armes pour se maintenir libres, mais ils pratiquèrent la plus 
cauteleuse politique et mirent la main dans toutes les intrigues 
de l'Orient*. Ils profitaient d'ailleurs de tous les conflits pour 
piller leurs voisins. Les Romains ne voyaient pas alors d'incon- 
vénients dans leur turbulence et leur rapacité qui ne gênaient 
que les Tétrarques et paralysaient d'avance toute velléité de 
lî&volte de la part de ces princes ; mais, quand l'empire se fat 
substitué au royaume iduméen, la question devint tout autre. Il 
fallut aviser aux moyens de créer une police sévère dans le pays 
que traversaient les riches caravanes delà Mésopotamie, et où un 
grand nombre de Romains allaient s'établir*. Le seul parti à 
prendre était la conquête et la romanisation du pays. Trajan s'y 
décida sans beaucoup de peine, on peut le croire. Les opérations 
farent conduites par le légat de Syrie, Cornélius Palma, qui, 
vers 104 ou 105, vainquit le roi Dabel (ou Zabel), et s'empara 
de Pétra sa capitale^. En un an, la soumission du pays fat com- 
plète^. Les historiens sont muets sur les événements de cette 
rapide campagne. Une inscription nous apprend que le sénat fit 
adresser des supplications aux dieux , et , sur l'invitation de 
Trajan, décerna au général victorieux les ornements du triomphe 
et l'honneur d'une statue dans le Forum ^. L'inscription est incom- 
plète, et le nom du personnage à qui ces honneurs farent accor- 
dés ne s'y lit plus; mais Borghesi® a parfaitement démontré qu'il 
ne pouvait être ici question que de Cornélius Palma. Dion nous 
apprend en efiet que Trajan avait fait élever une statue à cet 
habile homme de guerre '. 

Palma était aussi un habile administrateur. Quelques cantons 
du pays dans lesquels Rome venait de succéder à Agrippa II 



1. Joseph. Afii, Jud., XV. 4. 5. 6. 

2. Voir Je magnifique monument romain de Petra (Bievue archéolog,^ 
1862, t VI, p. l-iO. 

3. Dion, LXVIII, 14. On a des monnaies de ce roi (Oe Vogué, Rwue 
numûmaUque, 1868, p. 167). 

4. L*an 105 ap. J.-G. est le point de départ d'une ère commune & Petra, 
à Bostra et à toute la province {Cknm, Pasch., p. 472, éd. Bonn.). M. Wad- 
dington a démontré que le premier jour de cette ère était le 22 mars 106 
{Mélanges de Numismatique, 2* série, p. 162). 

5. Notre n* 100. 

6. Œuvres complètes, V, p. 31. 

7. LXVIU, 16. 



— 73 — 

étaient à peine ciyilisés. Dans le fragment d'une inscription 
trouvée par M. Waddington à Kanatha dans l'Âuranite, le 
prince se plaint de l'état sauvage dans lequel ses sujets ont vécu 
jusqu'alors. « Dans certaines parties du pays, dit-il, ils vivent 
< conune des bêtes &uves dans des tanières. » La contrée fut 
traversée par une grande voie militaire ; des postes furent placés 
à la frontière du désert, et enfin plusieurs aqueducs furent élevés 
par les ordres de Palma. « On est profondément frappé de la 
« grandeur de la puissance romaine et de l'énergique adminis- 
« tration qui a laissé son empreinte ineffaçable jusque dans ces 
« contrées lointaines et sauvages ^ » Plusieurs médailles furent 
frappées en commémoration de la conquête de l'Arabie '. L'ancien 
royaume nabatéen fut provisoirement réuni à la Syrie et ne 
devint une province distincte que plus tard, pendant le séjour 
de Trajan en Orient, au milieu de la guerre des Parthes. Cette 
province fut gouvernée par un légat prétorien, qui avait sous 
ses ordres la légion IIP Cyrenaica, en garnison à Bostra'. Cette 
viUe prit le surnom de TpataW) ^. 



i. Comptes rendus de PAcad, des Inser,, 1865, p. 86, 108. 

2. Cohen, no* 15 et 309. Bn 62 av. J.-C, Aemilius Scaurus, lieutenant de 
Pompée, ayant vaincu le roi Nabatéen Aretas, la gens Aemilia fit repré- 
senter sur ses monnaies la soumission de ce chef arabe (Cohen, Consuiaires 
Aemilia, n* 2); Trajan fit restituer cette monnaie (ibid., p. 30). Aussitôt 
après la conquête, des Arabes entrèrent, en assez grand nombre, comme 
auxiliaires dans Tannée romaine, car on connaît une coh4)rsquinia Ulpia 
Pelraeorum {Bullet. Inst, Arch., 1870, p. 22). On sait que les corps auxi- 
liaires désignés par le gentUiciwm d'un empereur ont été créés par lui 
(Henzen, Annal, Inst. Arch., 1858, p. 29). 

3. Corp. Inser. Graec., 4554, 4651. 

4. Bckhel, Doctrina, 111, 500. 



CHAPITRE V. 



GOUVERNEMENT INTÂEUEUR. ESPRIT GÉNiRAL. 



A peine commençons-nous à renaître, écrivait Tacite au début 
du règne de Trajan, quoique dès l'aurore de cet heureux siècle, 
Nerva César ait uni deux choses autrefois incompatibles, le 
principat et la libertés 

Cette union a duré cent ans environ, depuis Tavénement de 
Nerva jusqu'à la mort de Maro-Aurèle, et cette période de l'his- 
toire romaine a été justement nommiée, par Gibbon et par 
Hegewisch ', la plus heureuse pour le genre humain. 

Il ne faudrait pas néanmoins se méprendre sur le sens des 
paroles de Tacite, tout pénétré de la joie qui éclata parmi les 
sénateurs à la mort de Domitien. Le changement du prince n'in- 
troduisit pas dans la constitution de modifications profondes. Si, 
en effet, l'on cherche dans l'histoire bien mutilée du n* siècle le 
caractère particulier de cette période, si l'on veut démêler les 
ressorts de ce gouvernement qu'on est tenté de croire nouveau, 
on est frappé de ce fait que les réformes les plus justement van- 
tées des Antonins avaient été ébauchées par les premiers 
Césars. 

Adoucissement graduel du sort des esclaves^, élargissement 



1. Açfic» 3. 

2. BsuU sur Vépoque de Vhistoire romaine la plus hewreutepaur le genre 
humain, trad. par Solvet. Parie, 1834. 

3. Suét. Claud. 25. DomU. 7. Senec. De Benef. Ul, 22 et la loi Petronia 
sous Néron. 



— 75 — 

successif de la cité romaine S répression des gouverneurs de pro- 
vinces concussionnaires', diminution des impôts^, secours à la 
petite propriété \ mesures garantissant la sécurité et favorisant 
le développement du commerce ^, il n'est pas un de ces bienfaits 
dont on ne puisse trouver la trace dans l'histoire d'Auguste, de 
Tibère, de Claude, de Vespasien. Â quelques-uns même, Cali- 
gula, Néron, Domitien ont attaché leurs noms. 

D'autre part, le vice unique mais radical du principat romain, 
la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d'un seul 
homme, n'est en aucune façon corrigé ou atténué dans la période 
Ântonine. Ce vice, les contemporains ne le voient même pas. Le 
gouvernement personnel est accepté de tout le monde. On attribue 
les maux dont on souffrait sous Domitien à l'empereur et non au 
régime impérial. Vienne un meilleur prince, et il n'y aura pas 
besoin de chercher des garanties efficaces pour les franchises et la 
sécurité des citoyens. 

Cette inertie politique, signe et résultat d'une grande lassitude, 
ne datait pas de bien loin. A la mort d'Auguste, après le meurtre 
de Caligula, après le suicide de Néron, on songea à rétablir la 
république. Mais ces projets furent de moins en moins sérieux. 
Tandis que Tibère eut besoin de toute son habileté pour empêcher 
ce retour au passé, le sénat se rendit assez aisément au vœu des 
prétoriens qui avaient salué Claude du titre d'empereur, et, en 68, 
la revendication républicaine se borna à des cris de joie et à la 
promenade, dans les rues de Rome, de gens coiffés du bonnet de 
la liberté ^. Après les guerres civiles qui ensanglantèrent l'avé- 
nement de la dynastie flavienne, au milieu des calamités sans 
nombre et du désarroi moral qui les accompagnèrent et les sui- 
virent, et dont Tacite a peint Témouvant tableau, un immense 
besoin d'ordre et de repos domina les autres sentiments, et bien- 
tôt les anéantit dans toutes les âmes. Les Romains reconnurent 
qu'ils ne pourraient supporter « ni l'extrême liberté, ni l'extrême 

1. Gaulois admis aux honneurs sur la proposition de Claude (Tacite, 
Ann., XI, 26) et rinscription de Lyon. — Droit du Latium concédé par 
Vespasien à TEspagne (Pline, Hist. nat, ill, 4). 

2. Tacite, Ann., IV, 13, Xlli, 30, XIV, 28. Suet. DomU. 8. 

3. Suét., CcUig. 16. Ner, 10. Tacite, Ann., XIII, 31, 50, 51. 

4. Suét., Oct. 41. Tacite, Ann., VI, 17. 

5. Suét., Claud. 19. 

6. Suét., Ner. 57. Voir cependant une classe trés-intéressante de mon- 
naies, aux types républicains, émises alors par le sénat, et auxquelles 
le duc de Blacûas a oonaacré un savant mémoire {Revue numUmat., 1862, 
p. 197-234). 



— 76 — 

servitudes » mais ils ne cherchèrent aucune combinaison propre 
à les préserver de ces deux écueils, et à fonder un ordre nou- 
veau *. 

Le principat durait déjà depuis plus d'un siècle, et il était 
devenu vénérable par le prestige qpii couvrait à Rome toute chose 
ancienne. Dans cet intervalle, quelque bien d'ailleurs avait été 
fait par lui. Tous les débuts des règnes dont Suétone a écrit l'his- 
toire furent heureux. La transmission du pouvoir impérial n'étant 
ni héréditaire, ni réglée par la constitution, mais soumise le plus 
souvent au hasard d'une révolution de palais, le nouveau prince 
se voit d'abord forcé d'assurer la consolidation de sa puissance en 
donnant satisfaction aux vœux les plus pressants de l'opinion 
publique, en réformant les abus, en promettant la sécurité des 
personnes et le respect des propriétés. Ce n'est qu'au bout d'un 
certain temps que commencent le mauvais usage et l'enivrement 
de la toute puissance. Il y a donc deux parts dans l'œuvre des 
premiers Césars, et la bonne part seule a duré. Les mesures 
équitables des commencements de règnes s'étendaient à toutes les 
provinces, passaient dans le corps des lois. Les mesures mau- 
vaises n'atteignaient que Rome, et dans Rome même que les 
sénateurs. Comment s'expliquerait l'existence quatre fois sécu- 
laire de l'empire romain, si l'on avait ressenti dans l'adminis- 
tration et dans les lois le contre-coup des caprices monstrueux 
que Néron etCaligula ont portés dans leur vie privée? L'institu- 
tion ne leur eût pas survécu. Mais avec la vie de chaque César 
finissaient les maux de son pouvoir discrétionnaire, et le bien 
qu'il avait fait demeurait. 

En s'ajoutant les unes aux autres, les réformes des premiers 
empereurs avaient fini par améliorer réellement la condition du 
monde romain, et nous ne devons pas plus méconnaître cette 
amélioration qu'oublier la tyrannie, les proscriptions et le sang 
versé. Toutefois, on peut croire que déjà les Romains ressentaient 
devant l'empire Tenabarras que nous avons éprouvé longtemps à 
porter un jugement absolu sur cette période de leur histoire* ; on 



1. Tacite, Hist, l, 16. 

2. Les anciens ont ignoré le système représentatif, qu'on peut mettre 
au nombre de ces trois ou quatre découvertes qui ont créé un autre 
univers (Chateaubriand, Génie du ChrisUanUme, liv. VI, chap. 2). 

3. M. Littré a écrit : c L*empire fut une dictature avec une adminis- 
c tration et des lois, mais sans institutions. J'entends par institutions 
I tout mode régulier par lequel les gouvernés interviennent dans le 
c gouvernement qui les régit. » (Etudes sur les Barbares et le nwpen âge, 



— 77 — 

conçoit qu'ils aient hésité à porter la hache sur cet arbre aux 
racines profondes, qui avait grandi lentement entre les sept col* 
Unes, et maintenant couvrait de ses rameaux Tunivers civilisé, 
portant ensemble de bons et de mauvais ficuits. 

Mais en acceptant le prindpat, en le conservant, pourquoi ne 
pas Taméliorer ? Et pour y introduire les modifications dont Tex- 
périence démontrait la nécessité, quelle circonstance semble plus 
favorable que Tavénement d'un empereur tel que Trajan, décidé 
à associer le sénat à son gouvernement dans une large mesure, 
et allant même, comme nous le verrons, au devant et ensuite au 
delà du vœu public? Personne n'y songeait, et Ton s'expliquera 
cette insouciance qu'on pourrait qualifier d'aveuglement, en se 
rappelant combien diffèrent l'idée romaine et la nôtre sur la res- 
ponsabilité du pouvoir. Cette responsabilité consiste, chez les 
peuples modernes, dans le droit donné à chaque citoyen ou à son 
mandataire, d'interroger le pouvoir exécutif sur ses actes au 
moment même de leur accomplissement. À Rome, au contraire, 
le magistrat était inattaquable tant qu'il n'était pas sorti de 
charge^ ; alors, seulement, l'appréciation de sa conduite politique 
appartenait à ses concitoyens, dont il était redevenu l'égal. Son 
pouvoir, essentiellement absolu, n'avait eu pour limite que la 
brièveté de sa délégation, et le conflit que pouvait amener 
l'exercice aussi souverainement indépendant des autres magistra- 
tures. Le peuple prolongeait-il les pouvoirs dévolus à un magis- 
trat*, ou bien celui-ci venait-il à usurper cette prolongation^, 
par là même était ajournée d'autant l'époque où les citoyens pour- 
introduction, p. 5.) Cette définition, lumineuse et complète, permet 
enfin de louer tout à son aise ce qui est louable, de blftmer ce qui est 
blftmable dans ces quatre siècles, et débarrassera le teiTain de rhistoire, 
on peut l'espérer, des réquisitoires et des panégyriques innombrables 
et inutiles qui l'obstruaient. 

1. Pendant ce temps, il était sacrowMiui (v. T.-Live, IX, 9). Quand il 
faUut poursuivre Lentulus, complice de Catilina, on l'obligea à se 
démettre de la préture, et Gicéron fit remarquer au peuple que son 
arrestation devenait alors parfaitement légale {CatiUn.y 111, 6). Sur cette 
inviolabilité des magistrats, voir Laboulaye, Lois criminelles des Romains, 
p. 149-150. On ne pouvait même les poursuivre pour des crimes les plus 
étrangers à Tezercice de leur charge, tel qu'un adultère ou un assas- 
sinat (p. 151). 

2. P. Philo fut le premier auquel on accorda une prolongation de ce 
genre en 327 av. J.-G. 

3. (Test ainsi que les dècemvirs refusèrent de se dessaisir de leur 
pouvoir, qu'Appius Glaudius refusa d'abdiquer la censure après dix-huit 
mois révolus, comme le demandait la loi Aemilia (T.-Live, IX, 23-24). 



— 78 — 

raient lui demander des comptes. Or, le pouvoir impérial n'est 
autre chose que le cumul des magistratures républicaines confé- 
rées à vie. Ce terme détruit toute responsabilité effective, puisque 
l'empereur, ne rentrant plus dans la condition privée, n'est 
jamais justiciaMe de l'opinion publique, et en même temps la 
réunion dans ses mains de toutes les fonctions fait disparaître les 
garanties que la séparation des pouvoirs assure et peut seule 
donner*. 

Les vices du régime impérial tiennent donc à ce que la révolu- 
tion faite au vin^ siècle de Rome fut incomplète. La délégation du 
pouvoir était modifiée, sans qu'on changeât rien aux formes de 
son exercice. Il nous est facile, à la distance où nous sommes, de 
voir le mal et d'indiquer le remède. Mais on ne se défait pas, en 
un jour, d'habitudes contractées pendant plusieurs siècles. Or, 
l'obéissance aux magistrats établis est le sentiment romain par 
excellence ; il avait fait la grandeur delà famille et delà cité, et il 
survivait aux circonstances qui l'avaient rendu légitime. 

D'après cela on comprend comment, même à cette époque heu- 
reuse où chacun pouvait « penser ce qu'il voulait, dire ce qu'il 
pensait, » nul n'imagina de limiter ou de diviser Tautorité de 
l'empereur. Dans le Panégyrique prononcé par Pline, équiva- 
lent de ce que l'on appellerait aujourd'hui une Adresse du sénat 
à Trajan, on ne trouve qu'une vue nouvelle qui ne fait pas grand 
honneur à la sagacité politique des patriciens. Ils accueillirent 
favorablement, et demandèrent à voir consacrée pour l'avenir, la 
mesure inaugurée par Nerva : que le prince, dans le choix de son 
successeur, déférât au vœu public. « Regardez comme votre plus 
proche parent, dit Pline*, celui que vous jugerez le meilleur et le 
plus semblable aux dieux. C^est entre tous qu'il faut choisir celui 
qui doit commander à tous. > Tacite place les mêmes pensées 
dans la bouche de Galba adoptant Pison. < Nous inaugurons le 
« principe électif, qui remplacera la liberté. La maison des Julii, 
€ celle des Qaudii sont éteintes ; l'adoption ira chercher le plus 
€ digne. Naître d'un prince est un fait du hasard qui échappe à 
« tout examen ; mais celui qui adopte sait ce qu'il fait et il a, 
« pour le guider dans son choix, la voix publique ^. » 

1. Voir Laboulaye {Lois eriminedes, préface, p. xzii, et dans l'ouvrage, 
p. 390). 

î. Panég,, 7. 

3. Tacite, HisL, 1, 16. Tacite a imité Pline, car le Panégyrique Ait pro- 
noncé Tan 100 de notre ère, et les ffUtoiret furent composées vers 
Tan 106 (Mommsen, Etude, etc., p. 82). 



— 79 — 

En théorie, cette combinaison, qui ferait toujours passer le pou- 
voir aux mains du plus capable, est excellente ; en pratique, elle 
est difficilement applicable. Sous quelle forme, à quel moment 
devait s' exprimer le vœu public ? Pline n'en dit pas un mot. Puis ce 
vœu n'est pas toujours très-clair : Trajan, qui ne demandait qu'à 
9*y conformer, mourut sans avoir désigné son successeur, et 
Hadrien témoigna plus d'une fois l'embarras qu'il éprouvait à 
choisir le sien *. Pline (qui n'eut jamais d'enfants) est d'ailleurs 
fort à l'aise pour conseiller à l'empereur de déshériter un fils 
méchant ou incapable, et il ne suppose pas qu'un conflit soit pos- 
sible entre l'amour paternel et les nécessités de la politique. Un 
tel conflit était cependant inévitable. Le hasard, qui laissa sans 
postérité Trajan, Hadrien et Antonin, l'ajourna près d'un siècle 
pour le bonheur du monde, mais le sacrifice que Pline jugeait si 
simple parut impossible à Marc-Aurèle. 

Ainsi, ce qui caractérise la période Antonine, ce n'est pas une 
révolution ou une modification radicale des lois ou des mœurs, 
que ne comportaient ni la fatigue des esprits, ni les préjugés 
politiques. Mais une évolution, commencée longtemps avant cette 
période, prit alors une marche plus rapide et plus décidée. Ce 
progrès est dû, uniquement, au caractère des empereurs qui ont 
régné pendant cet heureux siècle, et donné d'immortels exemples 
de désintéressement ou de probité sur le trône. Loin de profiter de 
ce que leur laissait prendre et leur offrait l'apathie de leurs con- 
temporains, ils ont tenté de relever la vie publique, et d'associer 
le sénat et tous les hommes éminents de l'époque à l'œuvre admi- 
nistrative et législative qu'ils édifiaient. Cette œuvre, ébauchée 
par Nerva et Trajan, agrandie par leurs successeurs, traversa 
sans dommages l'anarchie du m* siècle. Bien ébranlée au rv®, elle 
était du moins assez solide pour ne pas périr tout entière, et le 
fond romain sur lequel nous vivons en a gardé la meilleure 
part. 

Étudions ses humbles commencements sous le règne de Trajan ; 
voyons s'opérer la conciliation qui a réjoui la vieillesse de 
Tacite. 

1. Spart., Àelhu Venu, c.6. 



CHAPITRE VI. 



ÎM PRINCE, LE SÉNAT, LES CHEVALIERS, LE PEUPLE. 



Le Prince. — La puissance impériale, telle que l'avait faite 
la constitution habilement élaborée par Auguste et silencieuse- 
ment acceptée du monde lassé, n'était autre chose, nous l'avons 
dit, que le cumul de plusieurs magistratures républicaines : 
pontificat souverain, censure, puissance tribunitienne, imperium, 
puissance proconsulaire , droit d'initiative (jtis relationis) * . 
C'est ainsi que se décompose, naturellement, l'examen que nous 
avons à faire de la politique personnelle de Trajan. 

Nous possédons peu de renseignements sur la manière dont il 
exerça le souverain pontificat. Il fit décerner à Nerva les 
honneurs, devenus assez insignifiants, de l'apothéose', et créa 
pour le nouveau culte un collège de fiamines ^. Sa sœur Marciana, 
son père Ulpius Trajanus^ furent mis également au rang des Dieux. 
Conformément à la loi qui voulait que le pontifex maximtis 
habitât in publico^, il laissa toujours ouverte une partie du 
palais impérial®, à l'exemple d'Auguste et de Nerva, fidèles 
observateurs de cette prescription. Refusant d'ailleurs des hon- 



1. Yopiscus (Prob,, c. 12). 

2. Panég., 11. 

3. Orelli, 65, 73, 3836, 3898. 

4. Voir rappendice, 11. 

5. Suet., C<ies.f 46. 

6. Dion, LIV, 27. Panég., 47. 



— 8< — 

oeurs que ses prédécesseurs avaient obtenus facilement de 
l'adulation publique, Trajan ne soufirit pas que son nom fut 
donné à Tun des mois * ; il interdit également de placer sa statue 
parmi celles des Dieux, et ne voulut être représenté qu'en bronze, 
sans permettre que des vœux fussent adressés à son génie tuté- 
laire devant ces statues devenues des objets de culte'. Il consultait 
fort sérieusement les auspices^. Un passage du Panégyrique 
donne lieu de croire que Trajan bannit de Rome les astrologues ^, 
mesure prise bien des fois avant lui, toujours inutilement. Il se 
montrait, du reste, équitable et peu formaliste dans l'interpré- 
tation des questions relatives au culte ^; ce n'est pas conmie 
sectateurs d'une religion non reconnue, ni comme adonnés à la 
magie, que les Chrétiens furent en butte à quelques mesures de 
rigueur sous son règne. # 

En l'an 100, suivant Pline, Trajan n'avait accepté ni la 
censure, ni la préfecture des mœurs ^, et l'écrivain lui fiait un 
grand mérite de ce refus. La censure de Vespasien, celle de 
Domitien avaient été très-sévères '' et les patriciens craignaient 
le retour de semblables rigueurs * : il était d'une bonne politique 
de les rassurer à ce sujet. Mais c'est à titre de censeur que 
Trajan conférait le droit de cité, qu'il nommait les sénateurs, 
qu'il accordait le privilège du jus liherorumy qu'il avançait 
pour ses protégés l'âge des honneurs. Comment concilier ces &its 
certains, et dont Pline témoigne en partie^, avec l'assertion du 
même Pline que nous venons de citer, je n'en vois pas le moyen* 
Ce que nous pouvons assurer, c'est que Trajan se montra très- 
réservé dans la concession du droit çle cité*®, et qu'il y porta une 
réserve tout à fiait républicaine. Quant au/w^ liberorum accordé 
k ceux qui n'avaient pas d'enfants pour les faire participer aux 



1. Panég,, 54. 

2. Panég., 52. 

3. Panég., 76. 

4. Panég., A9. 

5. Pline, Ep. ad Traj., 69. 

6. Panég., 45. 

7. Dion, LXVII, 13. 

8. Voir ce que Tacite dit des défauts qui, à la fin du règne de Néron, 
rendaient G. Galpurnius Pison populaire : « ...lenitati ac magnificentiae, et 
aliquando luxui, indulgebat. Idque pluribus probabatur qui, in tanta 
vitiorum, dulcedine, summum imperium non restrictum nec perse- 
verum volunt. » Hist. XV, 48. 

9. Panég., 69. 

10. On le devine par une lettre adressée à Pline, Ep. ad Traj., 10. 

DE U BSB6E 6 



— «2 — 

avantages politiques et civils que la loi Popaea réservait aux 
pères de famille, Trajan promit au Sénat de ne distribuer diaque 
année qu'un petit nombre de ces £aveurs, et il tint religieusement 
cette promesse ^ 

La puissance tribunitienne dont il était revêtu lui donnait le 
droit de veto ou à'intercessio sur toute mesure prise par le 
Sénat, et le rendait inviolable, en attachant à sa personne la 
majesté du peuple romain, protégée par des lois exceptionnelles. 
Les hommages que Trajan rendit au Sénat, la liberté qu*il laissa 
à ses délibérations, Tessor qu'il voulut imprimer à son initiative, 
nous permettent d'affirmer qu'il usa peu, qu'il n'usa peut-être 
jamais du droit à'intercessio, bien que nous n'en ayons pas de 
preuve directe. Quant aux lois de lèse-majesté, elles restèrent 
sous ce règne une lettre morte, et I4 plus grande préoccupation 
du prince était de convaincre ses sujets qu'il répudiait cette arme 
terrible*. Non-seulement il ne voulut pas s'en servir pour sa 
défense, mais il chercha à l'émousser pour l'avenir en punissant 
les délateurs avec une sévérité dont le souvenir ne s'effacerait 
jamais' et en enlevant, dans les procès politiques, toute valeur 
au témoignage des esclaves contre leurs maîtres ^ 

Renoncer aux lois de lèse-majesté I Ces mots caractérisent tout 
un règne, car tous les faits sociaux qui lui donnent sa couleur : 
intimité plus grande dans la famille, adoucissement des rapports 
entre les maîtres et les esclaves, transmission paisible des pro- 
priétés, aisance répandue dans toutes les classes de la nation, 
sont les conséquences de cet abandon aussi habile que généreux. 
A peine délivrées, par cette abrogation tacite, de la crainte 
incessante qui pesait si lourdement sur elles, les âmes retrouvent 
leur puissance et leur ressort ; la vie, redevenue partout active 
et libre, reprend son cours. 

Uimperium donnait à Trajan la haute main sur toutes les 
affaires de l'armée, le ^oxy^oïv proconsulaire l'investissait d'une 
autorité suprême dans les provinces : nous étudierons à part ces 
deux branches de son gouvernement. U usa de son droit d'initia- 
tive (jv^ relationis) pour soumettre au Sénat un plus grand 
nombre d'affaires que ses prédécesseurs, et laissa aux votes de 

1. Pline, Ep. ad Traj,, 95. 

2. Dès le début de son règne, il écrivit au sénat qu'aucun bon citoyen 
n'aurait à craindre, sous son gouvernement, pour sa vie ou pour son 
honueur (Uioo, LXVIII, 5). 

3. Panég.^ 34 et 42. 

4. Panég,, 34. 



— 83 — 

cette assemblée plus d'indépendance par le rétablissement du 
sorutin secret^. 

On pense bien qu'un prince aussi désintéressé dans Tejcei^ice 
du pouvoir se montrait peu avide des honneurs attribués à son 
rang, et en e£fet il fit preuve de la plus grande modestie pendant 
tout son règne. Bien qu'il n'eût pas livré dans les Germanies de 
cc»nbats proprement dits, il avait pacifié ces provinces, et 
plusieurs de ses prédécesseurs avaient célébré des triomphes pour 
de moins grands succès : il ne voulut pourtant ni salutation im- 
périale* ni triomphe en rentrant dans Rome*. Suivant un usage 
constant, l'empereur revêtait le consulat au premier jour de 
Tannée qui suivait son avènement. Trajan rrfusa cette dignité 
pour l'année 99, parce qu'il était à ce moment hors de Rome : 
c'était obéir à une loi observée sous la République*. Dans les 
premiers jours de son règne, il se défendit aussi de prendre le 
titre de Père de la Patrie ^, et pendant seize ans, il différa de se 
parer du surnom d'Optimus • que le Sénat et la reconnaissance 
universelle lui avaient donné depuis longtemps. 

Dans les honneurs publics qu'il reçut, il se conduisit comme un 
simple citoyen aurait pu le faire. Tandis que ses prédécesseurs, 
retirés ou plutôt cachés au fond du palais impérial, laissaient 
faire leur élection conmieun hommage dû à César, Trajan assistait 
aux comices, prêtait serment en entrant en charge et le renou- 
velait quand le temps de sa magistrature était écoulé ''. Il 
entendait que le pouvoir impérial fut considéré comme une 
délégation du peuple, qui cesserait de plein droit le jour où les 
espérances qu'on avait fondées sur lui viendraient à être démen- 

1. Pline, Ep,, m, 20. 

2. Sur une monnaie de Nerva, frappée sous son quatrième consulat, et 
par conséquent en 98, sous le double régne, cet empereur est qualifié 
dlMPII. Or Trajan ne prend sur les monuments cette deuxième saluta- 
tion impériale qu*à partir de Tan 102, lorsqu'il avait personnellement 
remporté une victoire dans la première guerre Oacique. C'était montrer 
plus de modestie que Titus qui, à dater de son association à l'empire, se 
para toujours des salutations impériales que recevait son père. 

â. Panég., 22. 

4. Pànég,, 57, 58. On peut recueillir dans les historiens un assez grand 
nombre de cas où une magistrature fut conférée à un personnage absent 
de Rome, mais le fait est toujours exceptionnel et relevé comme tel. 

5. Panég., 21. Cependant il porte ce titre sur les monuments gravés 
dans les premières années de son règne. 

6. Panég., 88. Sur les médaUles, le titre OpUmus Prineeps paraît en 
Fan 105. (Ekbel, Doetrina, VI, p. 418.) 

7. Pon^^., 63, 64. 



— 84 — 

lies. En remettant au préfet du prétoire Saburanus le paraxo^ 
nium^ signe du commandement supérieur de cet officier : Prends 
ce glaive, lui dit-il, et ser»-t'en pour moi si je fais mon devoir, 
contre moi si j'y manque ^ Dans les vœux adressés annuellement 
aux Dieux pour la prolongation de sa vie et de son règne, il 
voulut qu'on ajoutât à la forfnule cette clause restrictive : 
€ Tant qu'il gouvernera conformément au bien public » '. Avant 
de proclamer les consuls qui lui succédaient, il devait, suivant 
une antique formule, invoquer les Dieux et appeler sur soi leurs 
faveurs. Il changea l'ordre des termes, et ne se nomma qu'après 
le Sénat et la République'. 

Attentif à soumettre ses moindres actes au contrôle de l'opi- 
nion, il publia les dépenses de son voyage depuis la Germanie 
jusqu'à Rome^ Le chifire peu élevé de ces frais contrastait 
singulièrement avec les provisions de Domitien. Dans sa vie 
privée, Trajan se montrait en effet aussi désintéressé, aussi 
économe que dans sa vie publique. Les accusations de lèse- 
majesté ne protégeaient pas seulement la personne du prince ; 
elles servaient aussi à alimenter son trésor particulier : il répudia 
cette source de richesses abondante, mais impure, et sut vivre 
aussi honorablement que les empereurs les plus rapaces. Le 
tribunal du fisc, créé par Nerva pour juger les contestations 
entre les citoyens et le domaine privé de l'empereur, fonctionna 
avec une activité et une équité dont Pline porte témoignage'. 
Enfin, pour couper court à un abus invétéré d'adulation, Trajan 
déclara qu'il n'accepterait de libéralité testamentaire que de ses 
intimes amis*. 

Il se montrait affable et prévenant pour tous. Il appelait ses 
« collègues » les consuls nommés en même temps que lui, et 



1. Dion, LXVIÏI, 16. Aurai Vict., Cae$, 13. Pline, Panég., 67. — Sur les 
monnaies que firent frapper en 1567 pour le couronnement de Jacques VI 
(Jacques 1" d'Angleterre) les seigneurs écossais qui avaient arraché à 
Marie Stuart son abdication, on lit autour d'une ëpée nue Pro Me. Si 
Merear. In Me (Cardonnbl, NumUnuda Scotiae. PI. IX, 12, 3). On reconnaît 
le mot de Tri^an. Milton s'appuya sur cette inscription des monnaies 
écossaises pour justifier la condamnation de Charles 1*' (Gbpprot, Pam- 
phlets de JUiltoUy p. 125). 

2. Panég., 67. 

3. Panég., 72. Voir dans le Pro Muraena, c. 1, Ja formule de cette 
prière. 

4. Panég., 20. 

5. Panég., 36, 42. 

6. Panég,, 43. 



— 85 — 

aussi, conformément à l'usage républicain, les préteurs élus sous 
les mêmes auspices que ces consuls et proclama le même jour au 
Champ de Mars^ Pour les citoyens de toute condition, Trajan 
était constamment accessible dans son palais ; il sortait dans les 
rues de Rome, à pied ou dans une litière, sans appareil et sans 
gardes, saluant sur son passage, avec autant d'affection que de 
simplicité, tous ceux qu'il connaissait'. Bref, pendant tout son 
règne, dans les plus grandes comme dans les plus petites choses, 
il écarta ou abaissa les barrières que la défiance^ des autres 
princes avait élevées entre l'empereur et la nation. « Je ne veux 
« pas, dit-U dans une lettre adressée à Pline, m'attirer le respect 
« par la crainte et par la terreur, ou par des accusations de lèse- 
« majesté »', et cette règle de conduite fut religieusement 
observée par lui. Dès le premier jour, il commit à la foi publique 
son flanc désarmé, comme le dit éloquemment son panégyriste^, 
et, en retour de cette confiance, il obtint et le respect de ses sujets 
et leur amour, sans que la puissance suprême fiit jamais avilie 
ou diminuée dans sa personne. 

Le Sénat. En montant sur le trône, Trajan avait convié les 
sénateurs au partage du pouvoir, les exhortant à ressaisir la 
liberté, à veiÛer avec lui aux intérêts publics^. Ce n'étaient 
point de vaines paroles : mais il fallait, avant tout, conquérir la 
confiance des patriciens, et le nouveau prince leur sacrifia les 
délateurs qui les avaient fait trembler si longtemps. 

La mort de Domitien fut suivie d'une puissante réaction contre 
le régime qui tombait avec lui. Dans les premiers jours où la 
liberté nous fut rendue, chacun, dit Pline, s'empressa d'accuser 
et d'accabler ses ennemis^. Nerva, bien décidé, comme il le 
prouva, à gouverner avec modération, refusa d'exécuter les 
mesures violentes que sollicitait le parti vainqueur, et que 
condamnaient les gens honnêtes et sensés tels que Frontin, qui 
voyant « tout le monde accuser tout le monde, dit en face à 
« Nerva : Mauvais prince celui qui ne permet rien, plus mauvais 
€ encore celui qui permet tout > ''. L'empereur mit donc un terme 
aux récriminations du Sénat, et on s'en plaignit vivement*. 

1. Panég,, 77. 

2. Panég., 23, 24. 

3. Pline, Ep, ad Traj., 82. 

4. Panéff., 23. 

5. Panég., 66. 

6. Pline, Ep., IX, 13. 

7. Dion, LXYIil, 1. 

8. Pline, Sp., IV, 22. 



— 86 — 

Plus faible, Trajan livra les délateurs au ressentiment patricien. 
Us furent amenés dans lamphithéâtre , enchaînés comme des 
assassins et des voleurs, exposés aux insultes et aux quolibets de 
Rome entière, puis embarqués sur des navires que l'on abandonna 
à la merci des vents et des tempêtes. Pline, en racontant leur 
humiliation, rencontre des traits d'une haute éloquence pour 
exprimer le plaisir qu'il savoura, et le Panégyrique y si souvent 
rebutant par sa fadeur, respire ici une joie débordante et 
passionnée 4igne de Saint-Simon ^ 

Malheureusement, les sénateurs mirent moins de zèle à amé- 
liorer la constitution de l'Etat qu'à poursuivre leurs vengeances 
particulières et à satisfaire la passion du moment. L'appel fait 
par Trajan à leur initiative ne fut pas entendu. Nous avons 
essayé plus haut de faire comprendre la cause décisive de cette 
inaction, et de montrer conmient les idées •courantes sur l'essence 
du pouvoir paralysaient à l'avance toute tentative de ce genre. 
En se rappelant la composition du Sénat au \f siècle, et la 
manière dont l'empereur le recrutait', on s'explique d'ailleurs 
qu'aucun progrès n'ait été réalisé, indiqué ou même entrevu par 
cette assemblée. Presque toutes les anciennes familles avaient 
péri dans les guerres civiles qui précédèrent l'avènement 
d'Auguste, ou par des condamnations à mort pour crime de lèse- 
majesté. Les descendants de celles qui n'étaient pas éteintes 
traînaient dans Rome une existence oisive et dégradée ; la 
plupart, ayant dissipé leur patrimoine, ne pouvaient, faute de 
la fortune exigée par le règlement censorial ', siéger au Sénat. 
Pour peupler ce grand corps dont le nom était inséparable de 
celui du peuple romain, les empereurs choisissaient dans les 
provinces les hommes qui senoblaient les plus recommandables 
par leur richesse et leur influence. En arrivant à Rome, quelles 
idées générales apportaient-ils du fond de leurs municipes? 
Quelle vue politique un peu grande avaient-ils pu concevoir en 
gérant les affaires de leur patrie ? Ils se trouvaient rassemblés 
dans la curie, étrangers les uns aux autres, ignorant même le 
règlement intérieur de la compagnie dans laquelle ils entraient^, 

1. Panëg,, 34 : nihU gratins, nihil sœculo dignius, quamquod contigit 
desuper intueri delatorum supina ora retortasque cervices. Agnosce- 
bamus et fruebamur; quum, velut piaculares publicae solJicitudinis vic- 
timae, supra sanguinem noziorum ad lenta supplicia gravibresque poe- 
nas ducerentur. Cf. Mart., Spigr,, I, 4. 

2. Pour entrer au Sénat, il fallait alors possède? un million de ses- 
terces iSuét., Ner, 10, Vesp, 17). 

3. Pline, Ep., VIll, 14. 



— 87 — 

et, k pins forte raison, l'étendue de sa compétence. Ils ne possé- 
daient plus la tradition de cette politique suivie et savante qui 
avait élaboré l'ancienne constitution et oi^anisé le gouvernement 
de l'univers. C'est ici que l'on peut voir quelle déplorable lacune 
laissait dans le système du principat l'absence d'institutions 
provinciales sérieuses. Entre le conseil des décurions d'une 
petite viUe et le Sénat qui statuait sur les intérêts d'un immense 
empire, il n'existait aucun intermédiaire. Des assemblées provin- 
ciales librement élues S dotées d'attributions importantes, fussent 
devenues, dans chaque partie du monde romain, l'école où se 
seraient formés les hommes politiques, où ils auraient appris à 
traiter les grandes affaires, à parler et à délibérer sur des intérêts 
oollectifis, où surtout ils auraient pris conscience de leur dignité 
et de leur force, et conquis une autorité capable de les maintenir 
indépendants en face de l'empereur et du pouvoir formidable 
dont il était revêtu. 

Mais cette institution, dont le cadre existait, ne prit aucun 
développement pendant les quatre premiers siècles de notre ère^, 
et le Sénat ne fut guère plus qu'une assemblée de notables, 
consultée pour la forme, éblouie par le prestige du principat et 
docile à toutes les suggestions de l'adulation ou de la crainte. La 
loi. de imperio principis, votée à chaque avènement, resta 
dans 'ses mains une arme inutUe. Pendant le règne deTrajan, 
l'histoire du Sénat n'offre qu'un échange d'hommages entre 
l'empereur et la haute assemblée '. 

C'étaient déjà des hommages que la modestie avec laquelle 
r^sipereur acceptait les magistratures et les honneurs, aussi bien 
que la conscience scrupuleuse qu'il apportait dans l'observation 
des règlements constitutionnels. Mais il allait plus loin encore 



1. Pour la liberté laissée aux élections municipales, voir les pro- 
grammes écrits à la main sur les murailles de Pompéi et la lex Mata- 
cHana, 

2. Le rôle du eoncUium ou xocvâv de chaque province se bornait à peu 
prés à célébrer le culte national et les jeux fondés au temps de l'auto- 
nomie et conservés sous la domination romaine. Cette assemblée avait 
néanmoins quelques attributions politiques : c'est en son nom et sur son 
initiative qu'étaient instruites à Rome les poursuites contre les gouver- 
neurs concussionnaires (Pline, Ep.^ VII, 6). Voir aussi l'inscription de 
Thorigny {Mém. des Antiq, de France^ VII, 27S). On connaît le tardif essai 
de gouvernement représentatif d'Honorius {ScripL Ber. 6aU.y l, 767). 

3. Accompagné d'enfantillages, tels que ceux qui se produisirent après 
rétablissement du scrutin secret, à la grande indignation de Pline 
{Sp., IV, 25). 



— 88 — 

dans sa déférence pour le plus ancien pouvoir public de Rome. 
Ainsi c'est au Sénat que Décébale dut demander la paix ; c'est 
seulement après que le même Sénat l'eut déclaré ennemi du 
peuple romain que Trajan reprit les hostilités contre le roi dace. 
Pendant la guerre des Parthes, Trajan informait [régulièrement 
rassemblée des événements militaires et sollicita auprès d'elle les 
honneurs du triomphe ^ 

n avança Tâge des honneurs pour les [fils des sénateurs les 
plus illustres, et octroya de préférence cette faveur aux descen- 
dants des familles qui avaient marqué dans le parti républicain, 
ceux que Pline appelle « les derniers fils de la liberté » ^. 

Un des faits qui montrent le mieux la bienveillance de Trajan 
pour le Sénat est la restitution, ordonnée par lui, d'un certain 
nombre de monnaies émises sous la République. Sckhel pensait 
que Trajan avait fait restituer toutes les monnaies de cette 
époque' et que le temps nous en donnerait successivement la 
preuve. Le sentiment de ce grand numismatiste est aujourd'hui 
abandonnés mais par cela même que Trajan a fait un choix 
dans les familles auxquelles il voulait rendre cet honneur, ce 
choix devient très-significatif. En facilitant la rentrée dans la 
circulation générale des pièces où l'on voyait le triomphe de 
Paul-Emile*, ou Marcellus offrant à Jupiter Férétrien les 
dépouilles opimes ^, il perpétuait simplement des faits célèbres de 
l'histoire de Rome. Mais en rétablissant, à côté des monnaies de 
Marins, de Jules César, d'Auguste et d'Âgrippa, celles des chefs 
du parti aristocratique tels que Sylla vainqueur de Jugurtha et 
de Bocchus'', en multipliant TefKgie de Pompée', il faisait voir 
qu'il ne répudiait aucun des glorieux souvenirs de la patrie. 
Songeons encore au denier restitué de la famille Juma, portant 
d'un côté le nom et l'efQgie de la Liberté, et représentant de 
l'autre le consul Brutus accompagné de ses licteurs. Comme on 
l'a dit^, il fallait chez le prince qui permettait le renouvellement 
de ces souvenirs républicains une confiance bien grande dans la 
force de son gouvernement et dans l'affection de ses sujets. 

1. Dion, LXVili, 31. 

2. Panég., 69. 

3. Bckhel, DocMna, V. p. tlO. 

4. Cohen, MédaiUei romaines de la République, p. 29. 

5. FamiUe AenUUa, 

6. Famille Claudia. 

7. Famille Carnelia. 

8. Médaille de Seztus Pompée, famille Ponipeia. 

9. M. de Witte, Revue numUtnatique, 18S5, p. 173. 



— 8» — 

Mais en faisant au Sénat une place plus brillante et plus large 
dans l'exercice du pouvoir, Trajan ne voulut pas laisser sans 
garantie les intérêts publics dont il se dessaisissait. Aussi fit-il 
revivre quelques dispositions empruntées aux lois républicaines 
pour réprimer les intrigues des candidats politiques et assurer la 
sincérité des élections ^ On se disputait encore, par tous les 
moyens, Tombre et le nom de la puissance, quand on était 
dépossédé de ses plus importantes prérogatives ; les satis£acr- 
tions de l'amour-propre survivaient aux autres et les sup- 
pléaient. 

Le Sénat témoigna sa gratitude en conférant à Trajan de 
nombreux honneurs dont ce prince modeste n'accepta qu'une 
partie, et en multipliant sur les monuments publics les témoi- 
gnages de la reconnaissance et de l'admiration. Des remerciements 
aux Dieux, des acclamations firéquentes au milieu des délibéra- 
tions attestaient encore les sentiments du Sénat. Il est permis de 
ne pas ajouter une foi entière à Pline quand il assure que jamais 
la flatterie ni la peur n'avaient dicté aux sénateurs des éloges 
comparables à ceux que méritait et obtenait Trajan ; il me parait 
difBcile à croire qu'on n'eût pas déjà épuisé pour Tibère ou pour 
Domitien tout ce que l'imagination la plus fertile pouvait inventer 
en ce genre. Je crois même que la scène racontée par Pline, où les 
sénateurs quittèrent vivement leurs places pour saluer l'empereur, 
sans avoir l'air de prendre garde au désordre de leurs vêtements 
et de leurs attitudes, je crois, dis-je, que cette scène d'empresse- 
ment flatteur avait été jouée bien des fois. Ce joui^là, pourtant, la 
sincérité et l'affection vraie donnèrent à ces expressions banales, 
à cette manifestation officielle, un accent ému et nouveau, et 
quand les patriciens s'écrièrent : « César, nous sommes heu- 
reux I » Trajan ne put les entendre sans rougir, et des larmes 
montèrent à ses yeux*. 

Les Chevaliers, Les textes ne nous apprennent rien sur la 
condition de l'ordre équestre pendant le règne dont nous nous 
occupons. Cet ordre avait acquis une grande importance sous les 
premiers empereurs, attentifs à duninuer les prérogatives sénato* 
riales. Autant que nous pouvons en juger, Trajan n'abandonna 
pas le système de ses prédécesseurs : car, s'il augmenta la 
puissance du Sénat, ce ne fut qu'aux dépens de celle du prince. 

1. Pline, Ep, VI, 19. On interdit aux candidats de donner des banquets, 
de distribuer de l'argent ou d'en consigner pour le distribuer après 
rëlection. 

2. Pline, Pixnég,, 73, 74, 



— 90 — 

n laissa aux chevaliers toutes les fonctioDs que leur avaient 
réservées les autres empereurs S et, dans le même esprit, recruta 
parmi eux les titulaires des fonctions nouvelles qu'il créait, les 
curcUores civitatum et les praefecti vehictUorum. 

Spartien dit qu*Hadrien fut le premier empereur qui eut des 
chevaliers romains pour secrétaires*. On connaît plusieurs 
secrétaires de Trajan qui sont effectivement des affranchis ^, mais 
un certain Titinius Capito ^, chevalier romain, fut secrétaire de 
Nerva et de Trajan ^. La mesure d'Hadrien fut donc une consé- 
cration plutôt qu'une innovation. 

Le Peuple. Il ne fut pas un seul instant question, sous ce 
règne, de rendre aux comices leur ancienne puissance et de 
donner aux plébéiens une part dans le gouvernement de leur 
pays. La classe moyenne, celle que Tacite appelle « pars populi 
intégra » *, vit sa richesse se développer rapidement, grâce au 
rétablissement définitif de l'ordre et à l'essor de la prospérité 
g^érale, mais elle n'obtint pas aussi facilement la considération 
qu'elle ambitionnait, et par suite elle ne put prendre aucune 
j^ce importante dans l'Etat, même conmie puissance d'opinion. 
Juvénal et Martial, pleins d'invectives aussi passionnées qu'in- 
justes contre les parvenus, montrent suffisamment que les 
hommes qui avaient réussi à améliorer leur condition par le 
travail ne conquéraient à Rome aucune autorité morale. De 
plus, Trajan leur ravit, ou du moins les empêcha de se procurer 
un puissant moyen d'action et d'influence en ténu)ignant peu de 
faveur aux associations (collegia), où l'industrie aurait trouvé 
assez d'assiette et de force pour établir, à la longue, sa prépon- 
dérance sur les classes privilégiées. Derrière les motife de police 
et d'ordre public qu'il mettait en avant pour justifier sa répu- 
gnance '', ne devine~i-on pas quelque partialité, quelques m^- 
gements en faveur des patriciens que menaçait, à bien des points 
de vue, la concurrence des associations? 

Quant à la classe nombreuse qui vit de son travail de chaque 
jour, Trajan fit de grands efforts pour améliorer sa condition 
matérielle et pourvoir à la satisfaction de ses besoins. Les 



1. PraefecU praetario, vigilum, cliusis^ etc. 

2. Spart, Hadr., c. 32. 

3. Orelli, 1641, 2997. Gruter, 587, 2. 

4. Ptine le Jeune parle de lui, £p., 1, 17, Vill, 12. 

5. Gruter, 61, 4. 

6. HUt., I, 4. 

7. Pline, Ep. ad. Traj,y 34, 117. 



— 94 — 

travaux considérables qu'il exécuta dans Rome fournissaient à 
des milliers de bras une occupation lucrative ^ : d'autre part, le 
prix des subsistances, rendues plus abondantes, fut abaissé. 
Trajan permit la libre circulation des grains dans toute l'étendue 
de l'empire ; cela, dit justement Pline, équivalait à un congior- 
rium perpétuel', car cette liberté rendue au commerce est 
l'expédient le plus efficace pour prévenir les disettes. De plus, 
Trajan releva le collège des boulangers^, créé sous Auguste, mais 
dont les services avaient cessé peu à peu. Un fragment d'Ulpien, 
que Mai a découvert, nous apprend que ce coUége renfermait 
cent membres^, et qu'entr 'autres privilèges que lui conféra 
Trajan était l'exemption de la tutelle. Le corpus pistorumy 
administré par deux questeurs élus par lui, dépendait naturel» 
lement du préfet de Vannone^. Probablement, il cédait au 
fisc, à un prix très^-bas, une quantité de blé calculée pour que 
Rome eût toujours un approvisionnement suffisant, et dans les 
années de disette, le fisc revendait ce blé aux citoyens au prix 
coûtant. Quoi qu'il en soit, les règlements de Trajan étalent 
assez judicieusement combinés pour qu'en tenant la main à leur 
exécution, un gouvernement vigilant fût toujours en mesure de 
parer, pendant sept ans, aux besoins de la consommation dans la 
capitale^. 

 cette mesure qui assurait l'alimentation publique, Trajan 
ajouta la distribution d'eaux abondantes et salubres. Déjà Nerva 
avait fait réparer YAqua Marcia qui était au premier rang, 
pour la qualité, de celles qui aiTivaient dans Rome. Trajan 
améliora l'eau dite du Nouvel Anio (Anio Novus) en faisant 
ouvrir le canal de dérivation plus près de la source du fleuve, 
avant qu'il n'eût passé au milieu de terres argileuses qui trou^ 
blaient sa limpidité. Par là, dit Frontin ^, nous aurons une eau 
supérieure à la Marcia, et qui la surpassera par son abondance. 

1. Voir un mot de Yespasien dans Suétone, Fesp., 18. 

2. Panég., 29. 

3. Victor, Caess.y 13. 

4. Fragm. Vatican. 5, 233 : c Sed non alios puto excusandoB (a tutela), 
quam qui intra numerum constituti centenarium, pistrinum secundum 
litteras divi Trajani ad Sulpicium similem exerceant » Il est certain que 
dans -une vUie aussi peuplée que Rome, il y avait plus de cent bou- 
langers; le corpus pistorum était plutôt une compagnie financière qa*une 
corporation d'industriels, et nlnquiétait pas Trajan. 

5. Oruter, p. 255, 1. 

6. Spartian. Sev,, 23. Lamprid. Heliog., 27. 

7. Frontin, Aq.^ 93. 



— 92 — 

Les aqueducs construits jusqu'alors ne desservaient que les 
treize premières régions de Rome : une faible quantité d'eau se 
rendait, probablement par le pont Sulpicius, dans la quatorzième 
région, au delà du Tibre. Quand le pont était en réparation ou 
que le régime des aqueducs diminuait, la région transtibérine 
était privée d'eau potable et réduite à se servir de VAqtia 
Alsietina^ rare et peu salubre, qu'Auguste n'avait créée que 
pour alimenter sa naumachie ^ Trajan pourvut à une meilleure 
répartition des eaux nécessaires au Janicule en y &isant arriver 
VAqua Trc^ana, prise au lac Sabatinus (lago di Bracdano), 
et qui est aujourd'hui, sous le nom à*Aqua Paola, l'une des trois 
eaux de la Rome antique utilisées pour les besoins de la ville 
moderne*. Une inscription découverte à Gonetta, à dix milles de 
Rome, sur le parcours même de VAqua Trajana, prouve que 
l'aqueduc fut terminé en 109 de notre ère*. 

Deux grands établissements de bains furent aussi créés sous 
Trajan. Les thermae Trajanae, voisines des thermes de Titus, 
dans la troisième région ^, furent réservés aux fenmies ^; 
jusqu'alors les mêmes bâtiments avaient servi aux deux sexes *. 
Dans la treizième région, sur l'emplacement de la maison de 
Licinius Sura, Trajan fit construire, après la mort de son ami 
intime, des thermes appelés Surianae en son honneur ''. 



1. Ibid., 18. 

2. L'inscription de la fontaine Pauline dit à tort que Peau qu'elle 
déverse est VAUieUna. L'aequa Vergine (fontaine de Trevi) est rancienne 
Aqua Virgo et VAequa FéUee correspond aux Aquae Marcia et Claudia. Les 
papes n'ont restauré que trois aqueducs antiques et pourtant les habi- 
tants de Rome ont plus d'eau à leur disposition que ceux de toute autre 
capitale de TEurope. Voir la traduction de Frontin par Rondelet. 

3. Notre n* 54. 

4. Voir Preller, RegUmen, etc., p. 126. Ces bains occupaient remplace- 
ment de 8. Martino a Monti. Anastas. VUa S. Sgmmachi : c Basilicam sanc- 
torum Silvestri et Martini a fundamento construxit juxta tbermas 
Triyanas. • 

5. Chronogr., éd. Mùmmsûn, p. 646. Spartien fait honneur à Hadrien 
d'avoir exigé cette séparation (Hadr., c. 18). 

6. Pline, Hisi. NaU, XXXIIJ, 12. La défense d'Hadrien fut renouvelée 
par Harc-Auréle {CapiMin., 23) et par Alexandre Sevére {Lamprld,^ 42), 
ce qui prouve qu'on n'en tenait guère compte. 

7. Preller, Begionen, p. 201. Ces bains étaient alimentés par TAquA Ira- 
jana qui traversait le Tibre. Voir BuUet Inst, Ardi,, 1870. 



CHAPITRE VII. 



GRANDS TRAVAUX DANS ROMS. ^ SECOURS PUBLICS. 



Les aqueducs et les bains furent construits avant les années 
109 et 110. D'autres édifices, qui devaient surtout contri- 
buer à Tembellissement de Rome, ne furent entrepris qu'à la 
fin du règne, à une époque où Tétat prospère des finances et la 
paix générale permettaient de consacrer des sommes considérables 
à des ouvrages utiles sans doute, mais plus somptueux et moins 
indispensables que ceux que nous avons énumérés jusqu'ici. On 
sent que nous voulons parler des constructions que Trajan éleva 
autour du Forum qui reçut et qui a gardé son nom *. 

Mais d'abord, que fau1>-il entendre par ce mot Forum f II ne 
s'agit plus d'une place servant de lieu de réunion aux grandes 
assemblées politiques : au deuxième siècle, un tel emplacement 
n'a plus de raison d'être. Les Fora de César, d'Auguste, de 
Domitien, n'ont point la destination de l'ancien Forum. En les 
établissant, ces princes voulaient seulement réunir dans une même 
enceinte les tribunaux, les bureaux des notaires et des écrivains 
publics, les sièges des diverses administrations, en un mot la 
plupart des établissements d'utilité générale. L'enceinte choisie à 
cet effet était consacrée et un temple en occupait toujours une 



1. Les médailles qui représentent les monuments de ce forum sont 
datées du 6* consulat, et Tn^an n'y porte pas le titre (Voptimu$, ce qui 
fixe leur émission entre tl2 et 114. 



— 94 — 

partiel Le nombre croissant des affaires qui se traitaient à 
Rome nécessitait, de temps en temps, la création d'un forum 
nouveau. Tel était le besoin qu'on éprouvait à cet égard au temps 
de César et d'Auguste que l'on se réunît sur les places nouvelles 
avant même que les constructions fussent complètement ter- 
minées*. Depuis cette époque, le seul forum ouvert était celui 
de Domitien qui ne pouvait servir de lieu de réunion à cause de 
son exiguité et de sa position au croisement de plusieurs rues 
animées et populeuses. La création, par Trajan, d'une nouvelle 
place publique, cent ans après qu'Auguste avait fait exécuter son 
forum, répondait donc à une nécessité véritable et ne doit pas 
être considérée comme l'inspiration de la vanité. La plupart des 
grands édifices publics étaient échelonnés dans la vallée qui 
sépare le Palatin de l'Esquilin et du Quirinal. Les théâtres, le 
cirque Flaminius, l'Odéon, le Stade, le Portique d'Octavie, les 
bains d'Âgrippa se trouvaient au contraire dans le Champ dé 
Mars, dont le sol moins accidenté avait offert plus de facilité 
pour les travaux ^. Trajan conçut le projet grandiose de relier les 
deux groupes de monuments par son Forum. Mais avant de 
déboucher dans le Champ de Mars, la vallée dont nous parlions 
était presque fermée par un promontoire que le Quirinal pro- 
jetait vis-à-vis du mont Capitolin. La terrain fut nivelé, l'en- 
ceinte de Servius, qui s'ouvrait de ce côté parla porte Fontinalis, 
fiit abattue et sur le vaste espace devenu disponible entre le 
Forum d'Auguste et le Champ de Mars, dans la direction du 
N.-O. au S.-E., s'élevèrent les monuments que nous allons énu- 
mérer, et qui forent exécutés, dans les années 112 et 113 de 
notre ère, par ApoUodore de Damas, l'habile constructeur du 
pont de pierre du Danube*. Ce n'est qu'en 1812, pendant l'occu- 
pation française de Rome, que forent opérés sur le forum de 
Trajan les premiers déblaiements qui ont mis à jour le pavé 
antique, dégagé la base de la colonne Trajane, et permis de 

1. Temple de Venus Ûenetrix sur le Forum de Jules César, temple de 
Mars Ultor sur celui d'Auguste, de Minerve sur celui de Domitien, d*où 
le nom de Forum Palladium donné à cette place (Martial, I, 2S) qu'on 
appelait aussi Forum Nervae parce que Nerva la termina. Par récipro- 
cité, on appelait aussi Forum l'espace consacré mais non bâti (temeiu») 
qui entourait un temple. Ainsi le Templum Pacis de Vespasien (Suet., 
Vesp,y 9) est nommé Forum Pacis par Âmmien (XVI, 10). 

2. Pline, Hist, Nat,, XXXV, 45. Suet., Aug., 29. Vell. Paterc II, 100. 

3. Voir dans Strabon le beau coup d'œil qu'offrait cette partie de Rome 
(V, 3. 8). 

4. Oion, LXIX, 4. 



— w — 

dresser enfin le plan des édifices dont on ne connaissait plus que 
les noms donnés par les auteurs et le Régionnaire du quatrième 
siècle. 
L'œuvre d'Âpollodore se compose de quatre parties : 
1* Le Forurn, borné au sud par les Fora de Domitien et d'Au- 
guste, au nord par la Basilique Ulpienne, à l'ouest par le mont 
Capitolin, à Test par le Quirinal. Ces deux collines avaient été 
creusées en demi-cercles, et dans ces excavations avaient été 
pratiquées des boutiques disposées ainsi en hémicycles de chaque 
côté de la grande place. Devant chaque hémicycle, un portique 
rectiligne dessinait Yarea ou platea Tt^ajatU^, pavée en gros 
blocs de travertin. Une entrée monumentale donnait accès dans 
cette platea, en sortant du forum d'Auguste'. Au milieu de la 
place s'élevait la statue équestre de Trajan, dont une monnaie 
de grand bronze nous a conservé le dessin : l'empereur tenait- 
une haste et une petite victoire^. Constance, quand il la vit, 
éprouva le désir de se &ire représenter dans la même attitude à 
Gonstantinople. Le Persan Hormisdas lui répondit finement, en 
montrant les bâtiments magnifiques qui entouraient le forum : 
Il faudra faire au cheval une écurie semblable ; autrement, il sera 
mal à l'aise ^ : or , à Constantinople , aucun architecte n'était 
capable d'exécuter ni même de concevoir une œuvre aussi gran- 
diose que celle d'Apollodore. Mais plus tard , un successeur de 
Constance voulant posséder, non pas une statue semblable, mais 
la statue elle-même, la fit enlever. On la trouve mentionnée 
parmi les œuvres d'art qui décoraient la Rome orientale^. 

^ La basilique Ulpienne formait l'un des côtés du Forum : 
elle avait la forme d'un rectangle allongé, terminé par deux 



1. A. Gell., iV. au., XllI, 24. Ammien, XVI, 10, appelle cette partie 
atrium, 

2. Voir la représentation de cette entrée sur les mèdailleg à la légende 
FORVM TRAIANl (Goben, 95, 350). Les fondations ont été retrouvées du 
temps de Flaminio Vacca. Voir ses Memork, n* 9, au quatrième volume 
de Nardini {Rofna anUea, 1819) et le bulletin de Vlmt. archeoL, (863, 
pp. 78-80. On sait que Tare de Constantin est orné de bas-reliefs arracbés 
à un monument élevé sous le règne de Trajan, mais ce n^est pas Tare 
placé à rentrée du Forum qui a été ainsi dépouillé. Voir Preller, 
ttegianen, p. 62. 

3. Cette statue se voit sur une médaille (Cohen, n* 466). 

4. Ammian, XVI, 10. 

5. £lle fut placée à Constantinople près du MiUiaire d'or. V. Anonyme 
de Gonstantinople, et Cedrenus, cités par Qarac, Muiée de SaUptun, III, 
CLVI, OLXI, CLXVIL 



— 96 — 

hémicycles ou absides, prises comme celles du Forum dans la 
masse des deux collines. Quatre rangs de colonnes de granit dur 
d'Egypte formaient cinq nefs à l'intérieur de ce vaste édifice ^ 
Il était recouvert de tuiles de bronze. 

3^ Derrière la basilique, au centre d'une petite place rectan- 
gulaire, longue de 20" et large de 17", s'élevait la colonne 
Trajane^ dont la hauteur indiquait précisément à quelle pro- 
fondeur il avait fallu creuser le sol pour établir le Forum *. De 
chaque côté de la colonne, deux bibliothèques attenantes à la 
basilique, et consacrées Tune aux ouvrages grecs, l'autre aux 
ouvrages latins ^, formaient les côtés de la petite place. 

4® Le fond de cette place, ouvert, laissait apercevoir le temple 
non terminé à la mort de Trajan, qui fut achevé par Hadrien 
et par lui consacré à son prédécesseur divinisé^. 

Tel était le forum de Trajan, qui resta debout jusqu'à la 
fin du IX® siècle^. Il est souvent mentionné dans les auteurs 
de la décadence, et en effet il fut longtemps un centre de réunions 
et de promenades. Bien des souvenirs populaires se rattachaient 
à cette place qui portait le nom du meilleur des princes. On 
y avait vu Hadrien brûler les créances non recouvrées du 
fisc^, Marc-Âurèle vendre les meubles les plus précieux du 
palais des Césars pour épargner de nouveaux impôts aux 



1. Les deux entrées de cette basilique sont figurées sur des médailles 
d*or et de bronze (Cohen, 18, 319). Les tronçons des colonnes sont encore 
debout, et les absides en partie conservées. V. AnnàL Inst. arch., 1851, 
p. 132. Pour le toit, voir Pausanias, V, 12. 

2. Orelli, 29. Cf. Aur. Vict., Ep,, 13. Dion, LXVIII, 16. 

3. A. Oeil. (iV. AU., XI, 17) l'appelle Mdiatheca templi Trajani, Vopiscus 
{Àurdian., 1 et 8, TacU,, 8) la nomme Ulpia bibUoiheca. Sidoine Apolli- 
naire (EjM,, IX, 16) parle des auctores utriusque bibUotheeae. Mais ce sont 
les statues d^écrivains gui en décoraient l'extérieur. Les livres* avaient 
été transportés dans les thermes de Dioclétien (Vopiscus, Prob., 2). 

4. Spart., Hadr., 19. G^est bien ce temple, consacré à Trigau par 
Hadrien, qui se trouvait en arriére et au nord de la colonne et des 
bibliothèques puisqu'on lit dans la Noiitia : VlIhRegio, Forum... Trajani, 
templum divi Trajani et columnam cochlidem, etc. Des colonnes et des 
fragments de corniches ont été retrouvés (Winckelmann, Hht. de VAri, 
11, p. 449 de la traduction française; cf. Arch. Anxeiçer, 1866, p. 186). 

5. Il est décrit dans ÏAnanpne itEvnsieddn, Les anciens en parlèrent 
toujours avec la plus vive admiration. Ammien dit que c'est une chose 
unique au monde {skiffularem iub caelo structuranif XVI, 10) et Gassiodore 
qu'on ne cessait pas d*en être émerveillé (Trc^ani forum vel sub assidui- 
taie videre miraeulum est {Variar,, VII, 6). 

6. Spart, Badr.j 7. 



— 97 — 

provinces et défrayer la guerre contre les Marcomans ^ , Aurélien 
détruire toutes les tables de proscription '. C'est là que les con- 
suls venaient rendre la justice^, c'est là qu'on affranchissait les 
esclaves^. D'ailleurs la bibliothèque Ulpienne, riche en docu- 
ments de haute importance, attirait les historiens et les philo- 
sophes ; sur Varea voisine, Favorinus^ parlait morale ou gram- 
maire avec ses amis et Fronton, Dion Ghrysostôme, Hérode Atticus 
avaient groupé leurs disciples. C'est sur le Forum de Trajan que 
la poésie latine ât entendre ses derniers accents^. Les grands 
édifices élevés sur les plans d'ApoUodore avaient été ornés de 
statues représentant les hommes de guerre, les légistes, les 
littérateurs les plus célèbres ''. Le Romain pouvait être fier, en 
jetant les yeux sur ces monuments d'un art original et puissant. 
Pausanias, familiarisé avec les merveilles encore debout sur le 
sol hellénique, n'a pas refusé son admiration au Forum de 
Trajan ; on sait qu'il arracha un cri de ravissement à l'indif- 
férence byzantine de Constance, et les débris qu'on y retrouve, 
à de longs intervalles, sont placés par les critiques du goût le 

1. GapitoliD, H. Awt, Philos., 17. 
2- Vopisc., Àwelian., 39. 

3. A. GeJl., N. AU., XIII, 24. 

4. Sid. ÂpoUin., Paneg. ad Anthem. Carm., II, 544-546. Sur le plan de 
Rome qui servait de pavé au temple de Remus, et dont une partie est 
conservée au Gapitole, on lit, daus une des absides de la basilique Ulpia 
le mot LIBERTATIS. Y. Reber Die Ruinen Ram, Leipzig, iS63, p. tS9. 
L'Atrium liberiatis (T.-Live, XLV, 15. Gic, ad AtUc., IV, 16) était en effet 
situé près du Quirinal, et il fut englobé dans les constructions de 
Trajan. 

5. A. Gell., JV. Ait., XIII, 24. 

6. Venant. Fortunat. Comt., III, 23. 

7. Multi nobiles belle Oermanico sive Marcomannico, imo plurimarum 
gentium, interierunt, quibus omnibus statuas in Foro Ulpio collocavit 
|M. Aurelius] (Capitol., M. AnU Ph4l,, 22). Statuas summorum virorum in 
foro Tn^ani collocavit (Alezander) undique translatas (Lamprid., Sev. 
AUx., 25). Parmi les statues de ce forum, on peut citer celles de 
M.:GlaudlUB Fronto (Henzen, 547S), M. Bassaeus Rufus (Orelli, 3574), 
H. Pontius Laelianus (Gruter, 457, 2), T. Vitrasius PoUio (Or. Heuzen, 5477), 
FI. Peregrinus Saturninus (OreUi, 3161), celles des poëtes Numérien (rem- 
pereur. Vopisc., Num., 11), Glaudien (Inse. Nap.^ 6794), Merobaudes 
(Orelli, ilS3), Sidoine ApoUinaire (Garm., VIII, 8), du rbéteur Victorinus 
(Buseb., Chnm. a. 355, p. 195, éd. Schoene). Suivant une tradition 
obère aux Romains, et qui aurait dû au moins cmpècber la destruction 
du Forum de Trijan, c^est là que Constantin, sous Taiguillon des plus 
sanglants remords, et subitement éclairé par les lumières de la foi, fit 
profession publique du cbristianisme devant la foule étonnée et encore 
terrifiée de ses récentes violences. 

DE LA BIR6B 7 



— 98 — 

plus difficile et le plus sûr, peu au-dessous ou à côté même des 
œuvres grecques. 

Ces constructions eurent d'ailleurs une influence notable sur 
le développement de Rome. La ville, comme la suite du temps Ta 
montré, tendait à se porter au nord, le long de la Via Lata *, 
vers le Champ de Mars, rendez-vous des plaisirs et de la mode. 
Les quartiers montueux du sud *, couverts de petites construc- 
tions, de rues irrégulières, n'offrant comme édifices publics que 
des édicules consacrés aux divinités étrangères, ou bien des gre- 
niers et des magasins 3, répugnaient aux familles riches qui 
cherchaient pour leurs somptueuses demeures Tair pur et les 
beaux aspects du Quirinal et du Pincio. Aussi, jusqu'au moment 
où les empereurs abandonnèrent Tantique capitale, vit-on s'a- 
vancer au nord le flot des habitations particulières : les monu- 
ments, très-espaces, du Champ de Mars se trouvèrent peu à peu 
reliés par des maisons et des rues, les jardins de Salluste et de 
Lucullus se couvrirent de constructions ^ Le Forum de Trajan, 
dont une moitié dépassait Tenceinte de Servius, était appelé à 
devenir le centre de la ville agrandie, et son établissement flt 
prendre un essor plus rapide au déplacement général des habi- 
tudes et de la vie urbaine. 

Outre les monuments que nous avons énumérés, Trajan flt 
construire dans le Champ de Mars une basilique à laquelle il 
donna le nom de sa sœur Marciana *, et un théâtre qu'Hadrien 
ne laissa pas subsister*. Il acheva l'Odéon commencé sous 
Domitien pour servir aux concours -de musique des jeux Capi- 
tolins' et enfln, ce qui devait plaire particulièrement au peuple, 
il agrandit le Orque et en améliora l'aménagement intérieur*. 

Comme nous l'avons dit, ces travaux immenses faisaient 
vivre dans la capitale un grand nombre d'hommes , et contri- 
buaient assurément à y répandre l'aisance. 

1. V. BuUet. iMt. Arch.y 1870, 107, 124. 

2. Régions XII (Piscina Publica) et XIII (Ayentin). 

3. V. les Régionnaires. 

4. Capitolin., Gord. TertySI. 

5. IX- Région. V. Preller, p. 175. 

6. Spart, ffadr.f c. 9. 

7. Dion, LXIX, 4. 

8. Pline, Panég., 51. Pausanias, V, 12.6. — Un arc de triomphe élevé 
en l'honneur de Trajan, près de la porte Gapène, fut détruit sous Cons- 
tantin, pour en tirer les sculptures qui décorent le monument de 
même espèce, érigé en Thonneur de ce dernier prince. Preller, Regio» 
nen, p. 62. 



— 99 — 

Nous arrivons enfin à cette partie de la population qui 
depuis longtemps ne vivait que des subsides de l'Etat ou de ses 
patrons. Trajan ne supprima pas la charité légale. Qui pour- 
rait le lui reprocher? On ne sait que trop qu'il est impos- 
sible de faire disparaître les institutions de ce genre une fois 
qu'elles sont enracinées dans les mœurs publiques. Mais Trajan 
aurait pu ne pas aggraver le mal, et il l'augmenta. Sa bonté 
naturelle, sa déférence pour des usages qu'il avait trouvés éta- 
blis à son avènement, sa condescendance pour les préjugés 
régnants, le conduisirent à offrir de nouvelles primes à l'im- 
prévoyance et à la paresse. 

La bienfaisance publique était exercée à Rome sous deux 
formes : 1® Les secours fixes donnés aux indigents * ; 2** les 
libéralités impériales (congiaria) auxquelles le peuple entier 
participait. Trajan porta l'ordre dans le premier de ces services. 
Les listes de ceux qui devaient prendre régulièrement part aux 
largesses de l'empereur furent dressées et soumises à une révision 
permanente*. De plus le prince, à son retour de Germanie, 
organisa l'assistance des enfants pauvres de Rome , qui jus- 
qu'alors n'avaient eu part qu'aux distributions extraordinaires *. 
Pline loue beaucoup la bonté de l'empereur, et à la façon dont 
il s'exprime, on voit qu'une pensée politique se joignait ici, dans 
l'esprit de Trajan, à des vues charitables, et qu'il espérait remé- 
dier au décroissement de la population, idée fixe qui préoccupait 
les Césars depuis un siècle. Il va sans dire que ce moyen artificiel 
dut réussir aussi peu que des encouragements semblables, vai- 

1. Le nombre des individus secourus fut réduit par Jules César de 
320,000 à 150^000. Sous Tempire il diminua encore, et il était moins con- 
sidérable qu'on ne le croit communément. Une inscription trouvée à 
Rome au xvi* siècle^ et aujourd'hui à Naples {Insc, Nap., 6S08), trés-mu- 
tilée, et qui, d'après la forme des lettres, fut gravée au commencement 
de l'empire, indique, par tribus, le nombre d'bommes qui auront part 
aux distributions de blé. Les chifiPtes sont: Tribu Palatina 4191, Sticcu- 
9ana 4068, EsquUkia \Tn, ColHna 457, Ronùlia 68, VolHnia 85... Ici le 
marbre est brisé, mais les tribus qui manquent sont les tribus rus- 
tiques qui nécessairement comptaient peu de citoyens domiciliés à 
Rome, on le voit par le petit nombre d'inscrits des tribus Romilia et 
Voltinia. Douze mille familles environ, sur plus d'un million d'habi- 
tants, recevaient donc des secours publics. Â Paris, la proportion des 
indigents assistés est plus forte. 

2. Panég,, 25. 

3. Panég., 26. Cf. Suet., Oc^., 41. Un bas-relief découvert sur le Forum, 
en 1872, se rapporte à cette Institution de Trajan. V. Henzbn Bullet, 
Inst. Arch. 1872, p. 280. 



— 400 — 

nement prodigués dans les temps modernes pour arrêter le même 
mal. Cinq mille enfants reçurent du fisc des secours réguliers S 
à la condition d'entrer plus tard au service militaire, et ce recru- 
tement anticipé de soldats ne laisse pas que de prouver une 
certaine inquiétude pour l'avenir. 

Nous terminons par les congiaria Texamen rapide auquel 
nous avons soumis les mesures prises par Trajan en faveur du 
peuple, et ici nous nous trouvons en face de profusions qui 
appellent le blâme le plus sévère. Trajan distribua trois con- 
giaires, le premier en 99 à son retour de Germanie ', le deuxième 
et le troisième en 103 et 106, après chaque guerre Dacique*. 
Jusqu'alors ces libéralités extraordinaires montaient à 75, au 
plus à 100 deniers par tête ^ Le premier congiaire de Trajan fut 
sans doute, comme celui de Nerva ^, de 75 deniers. Mais tout à 
coup, après les guerres de Dacie, le montant de la distribution 
s'élève à 650 deniers par tête •. On dira que le butin fait au cours 
de ces guerres était considérable, que l'on était affranchi du tribut 
imposé à Domitien par Décébale, et que le vainqueur voulut faire 
profiter le peuple de ces avantages. Malgré ces raisons, on ne 
peut que trouver insensée une telle prodigalité, et ce qu'il y eut 
de plus funeste, c'est que le chiffre habituel des congiaires ne 
s'abaissa plus. Hadrien distribue 1,000 deniers, Ântonin 800, 
Marc Aurèle et Commode 850, Septime Sévère 1,100^. On voit 
quelles charges écrasantes Trajan léguait à ses successeurs par 
sa générosité irréfléchie, et c'est à ce règne qui mérite, sur tant 
de points, les éloges de l'histoire, que nous sommes contraints de 
faire remonter l'origine d'un des abus les plus criants du bas 
empire. 



\.Panég,, HB. 

2. Pline, Panég., 25. 

3. Goben, MédaOies, n- 321, 324, 330. Le n* 324 (GONGtorfom PR<mt»m) est 
daté du deuxième consulat, c'est-à-dire de Tan 99. Les deux autres 
(GONGlÂRtom SBGVNDum, GONGIÂRIVM TBRTIVM) sont postérieurs au 
cinquième consulat, c'est-à-dire à Tan 103, et se réfèrent aux guerres 
Daciques. 

4. V. le Chronoçrapke de 354, p. 646. Claude donna 75 deniers par tête, 
Néron 100, Vespasien, Titus, Domitien, Nerva, chacun 75. 

5. En effet, les finances étaient alors un peu obérées puisque les 
soldats ne reçurent que la moitié du donaUimm, 

6. Cktonogr. 1. 1. Cong, ded. DGL. 

7. Chronogr. p. 647. 



CHAPITRE VIII. 



l'italib sous trajan. 



On a souvent cité, et parfois pour en forcer le sens, une phrase 
de Tacite exprimant le calme avec lequel les provinces acceptèrent 
la chute de la République ^ Si quelque part les revers de l'ancien 
gouvernement romain pouvaient éveiller une sorte de joie, c'est 
dans l'Italie qu'un tel sentiment devait naître. Depuis trois cents 
ans, une destinée implacable pesait sur la péninsule. Pendant 
que les soldats italiens faisaient pour le compte de la République 
des guerres longues et lointaines, le sol restait sans ciûture, la 
petite propriété disparaissait et allait accroître les latifundia 
des patriciens et des spéculateurs, les villes voyaient décliner 
leur prospérité, la population diminuait de jour en jour. Les 
Italiens n'obtenaient même pas l'égalité politique et civile qu'ils 
sollicitaient connue la compensation de maux si grands, et comme 
la rémunération de leurs services militaires. Loin de là, des 
mesures tyranniques et humiliantes venaient s'ajouter aux mi- 
sères de leur condition. Ils prirent les armes et succombèrent, 
mais la victoire coûta si cher à Rome qu'elle ne put refuser à ses 
adversaires abattus le droit de cité revendiqué par eux avec tant 
de patience et de courage. Seulement ce privilège leur était con- 
féré au moment même où il perdait tout son prix et n'assurait plus 
aucune sécurité à son possesseur. Sylla donna le funeste exemple 
de récompenser ses compagnons d'armes en leur distribuant les 
propriétés confisquées. On vit ainsi, dans le centre et dans le 

1. AwMLLy 1, 2. Neque provinciae illum rerum statum abnuebant. 



— <02 — 

midi de l'Italie, des soldats s'installer dans les villes et dans les 
terres des vaincus : incapables de tirer eux-mêmes parti des res- 
sources qui leur étaient mises entre les mains, ils pillaient les 
champs de leurs voisins et enlevaient les récoltes des malheureux 
qui croyaient avoir échappé à la spoliation légale. Au temps de 
Strabon, le Samnium ne s'était pas relevé de la victoire de 
Sylla*. Puis vint la guerre civile de Jules César : il fallut payer 
les vétérans de la même manière : le dictateur, du moins, les 
répartit dans toute l'Italie pour rendre la dépossession moins 
onéreuse, et contenir, s'il était possible, la turbulence des nou- 
veaux colons*. Enfin, dans les déchirements qui précédèrent 
l'établissement du principat, les provinces du Nord, restées 
étrangères à la guerre sociale, deviennent le théâtre ensanglanté 
de luttes sans merci et, à la paix, sont livrées au vainqueur. 
Pérouse, Modène, Crémone furent ravagées ou brûlées, les cam- 
pagnes distribuées aux vétérans ^. On sait comment ceux mêmes 
qui n'avaient pas subi la confiscation en devenaient les victimes, 
et tous n'obtenaient pas, comme Virgile, leur grâce avec de 
beaux vers ^ 

Ces longues guerres, étrangères et civiles, avaient porté leurs 
fruits inévitables : diminution des produits de la terre, dépopu- 
lation, disparition de la classe moyenne. Les blessures de l'Italie 
étaient si profondes qu'elle ne se rétablit jamais, malgré l'ordre 
et la paix, malgré la bonne volonté des empereurs qui essayèrent, 
par tous les moyens, de relever et d'améliorer sa condition ^. Les 
efforts de Trajan, dans ce sens, sont très-visibles. 

Ainsi il chercha à arrêter la dépopulation en ne prenant point 
parmi les Italiens, comme le faisaient ses prédécesseurs, les 
colons qu'ils jugeaient à propos d'envoyer dans les diverses pro- 
vinces •. D'autre part, il établit plusieurs colonies dans la Pénin- 
sule, à ^clanum, à Veies, à Ostie, à Lavinium''. 



1. Strab., V, 4, 11. LaLucanie et lefinitium étaient déserts au premier 
siècle. Senec, Tranquill. Ânim,y 2. 

2. Suét., Caes., 3S. Appian., B, Civ.y II, 94. 

3. Octave, disait Antoine, se prépare à faire passer dans d'autres mains 
toute» les propriétés de Tltalie (Âpp., B. Civ., V, 5). 

4. Eclog,, IX. Cf. Horat., Carm., II, 18. 

5. Suét, Oct.y 46; Tib., 34; Calig,y 16; DomiLy 7. 

6. Gapitolin., M. Ant Philos., II : Hispaniis exhaustis Italica allectione 
contra Trajani praecepta... consuluit. 

7. Or., Henzen, n* 6932. LUf, colonkar. (éd. Lachmann), 223, 234, 236. 
Hais ces colonies ne réussirent peut-être pas mieux que celles de Néron 
(Tacite, Ànn.y XIV, 27). Au nombre des villes italiennes colonisées par 



— 408 — 

De grands travaux d'utilité publique, destinés à mettre en 
relations plus fréquentes et plus faciles les diverses parties de 
l'Italie entre elles, et aussi avec Rome et avec le reste du monde, 
furent poussés avec activité. L'un des plus importants est celui 
qui eut pour objet d'améliorer la navigation du Tibre, de rappro- 
cher Rome de la mer, et d'ouvrir près de la capitale une rade 
spacieuse et sûre. 

Le Tibre se divise avant de tomber dans la mer. Le bras 
gauche passe devant Ostie, le droit, ou Fiumicino, aboutit à 
Porto. Le premier n'est autre chose que le lit naturel du fleuve, 
modifié dans sa direction par les alluvions qui altèrent incessam- 
ment la topographie de cette côte *. Le bras droit, au contraire, 
a été creusé de main d'homme et cela, conome nous le verrons 
plus loin, sous le règne de Trajan. Carlo Fea a, le premier, 
établi^ le caractère artificiel du Fiumicino en remarquant : 
1^ que le bras gauche coule sur un lit de sable, entre des 
rives basses et couvertes de galets, tandis que le bras droit, 
presque rectiligne dans sa course, se trouve encaissé entre des 
berges verticales telles que celles d'un canal ; 2® que parmi les 
auteurs qui écrivaient au premier siècle de notre ère, les uns tels 
que Tite-Live, Virgile, Strabon, disent expressément que le Tibre 
n'a qu'une seule embouchure, et les autres, Pline et Pomponius 
Mêla, ne signalent pas la deuxième^ : l'Itinéraire de Rutilius, 
composé au vi*' siècle, est le premier texte qui la mentionne^. 
De ces deux ordres de faits, Fea tira justement la conclusion 
que le bras droU a été creusé de main d'homme, après l'époque 



Trajan, il ne faut pas compter Parentium en latrie, car dans rinscrip- 
tion donnée par Orelli sous le n* 3729, au lieu de col. Ulpiae Parent, il 
faut lire colon. JtU. Parent. (V. Henzen, vol. III, p. 407.)iEn Sardaigne, Tra- 
jan fonda ou agrandit Forum Trajani {Itin. AntorUn., éd. Wessl., p. 82). 

1. L'avancement annuel du delta du Tibre depuis 1662 est en moyenne 
de 3" 9 (Rozet, Académie des sciences. Comptes-rendus^' 195^, 2* semestre, 
p. 961). Les ruines d'Ostie sont actuellement à 4,&00" du point où le 
Tibre se jette dans la mer : le port de Claude, devenu un pâturage, est 
à 2,500 "> du rivage. 

2. Osservûiioni sugli aniichi porii d'Ostia^ ora d$ Fiumieino. Roma, 1824. 
Cette opinion fut adoptée par Nibby, Viaggio a Porto. V. Tanalyse de 
ces travaux daus les Mémoires de Visconti {AtUddla pontijicia AeademÂa 
Romana, VIII, p. 211-233 et 233-257? 

3. Parlant du Rhône, Pomponius Mêla dit (II, 5) : Fossa Mariana partem 
eju8 amnis navigabili alveo effundit. Gomment n'auruit-il pas signalé la 
même particularité à Temboucbure du Tibre si le Fiumicino eût existé 
de son temps? 

4. Itin., I, 179-180. 



OÙ Mêla et Pline composèrent leurs ouvrages, ce qui nous amène 
vers le règne de Trajan. Or, Pline le Jeune parle justement d'un 
canal creusé par les ordres prévoyants de ce prince pour diminua 
la violence des inondations du TibVe*. C'est donc à Trajan que 
revient l'honneur d'avoir créé le Fiumicino * et il n'est pas im- 
possible de fixer approximativement la date de ce travail. 
En 101, le Tibre sortit de son lit et renversa les bornes placées 
sur ses rives, car il fallut procéder à un nouveau bornage 3. C'est 
sans doute ce débordement qui montra la nécessité du canal et 
en fit accélérer l'exécution. D'autre part, le huitième livre de la 
correspondance de Pline, où nous lisons la lettre relative au 
canal, fut écrit, en 108 et 109 *. C'est donc entre 101 et 108 que 
le Fiumicino fut creusé. 

Indépendamment de son efficacité contre les inondations dont il 
réduisait la hauteur, comme on s'en aperçut au xvir siècle quand 
Paul y l'eut débarrassé des attérissements qui comblaient son 
lit^, le canal procurait aux Romains cet avantage immense de 
mettre la capitale en communication avec le port créé par Claude 
cinquante ans auparavant. 

Au commencement du premier siècle, le port d'Ostie, partiel- 
lement ensablé, ne pouvait plus recevoir les navires d'un fort 
tonnage ® et ceux qui amenaient des marchandises encombrantes 
qu'on ne pouvait transborder sur des chaloupes se rendaient à 
Pouzzoles^, où leur contenu était porté à Rome par voitures. 
Pour éviter ce déchargement et la perte du temps qui en résultait, 
Jules César avait songé à recreuser le port d'Ostie, puis à relier 
Rome à Terracine par un canal * ; mais ce projet, rejeté après 
examen, ou interrompu par la mort du dictateur, ne fut jamais 
exécuté, et personne, avant Claude, ne songea à créer un port plus 



t. Pline, Ep., VIII, 17. 

2. Voy. dans un mémoire de Ganina (Mem. délia ponUf. Aead. Arch,, 
vni, p. 259 et suiv.) la réfutation de M. Visconti qui sur la foi d'une 
inscription mentionnant des fonae Claudianae (Or. Henzen 5098} attribue 
à Claude la création du FiumMfio. Ganina démontre que ces fossae ont 
disparu dans les travaux nécessaires à rétablissement du port de Trajan, 
sauf deux tronçons dont Tun servit de darse, et l'autre de communica- 
tion entre le port de Trajan et celui de Claude. 

3. Notre n* 24. 

4. Hommsen, Etude, etc., p. 23. 

5. Ganina, 1. 1., p. 299. 

6. Strabon, V, 3, 5. 

7. strabon, XVII, 17; Suét., Oct, 98. 

8. Plutarch., Caes., 58. 



— 405 — 

voisin de Rome; enfin ce prince jeta les yeux sur un emplacement 
situé lin peu au nord d'Ostie et y fit construire un vaste bassin 
qui en peu de tenips remplaça celui que la nature avait jadis 
créé à rembouchure du fleuve. Le nouveau port ofiBrait une sur- 
face de 70 hectares*, et sa construction excita une vive et légi- 
time admiration*. Il communiquait avec Rome par la via Cam- 
pana ou Portuènsis, longue de 16 milles^. Comme on compte 
138 milles de* Pouzzoles à la capitale *, on voit que la création 
du port de Claude réalisait de grands progrès pour la facilité 
et la célérité des transports de marchandises à Rome. Mais l'ou- 
verture d'une voie navigable, telle que le canal de Trajan grâce 
auquel le Tibre redevenait le moyen de transport le plus aisé et 
le plus direct ^, était encore plus avantageuse : on en ressentit 
rapidement les bons effets, et les navires affluèrent en si grand 
nombre dans le port de Claude, qu'il devint nécessaire de l'agran- 
dir. 

C'est alors que Trajan fit creuser le bassin encore appelé 
aujourd'hui Lago Trajano ®, hexagone régulier dont le (Âté a 
357 m. 77 et la surface 33 h. 25 a. 33 c.''. Il communiquait par 
deux autres petits bassins avec le port de Claude, et l'ensenÂle 
cSrBxi aux navires une surface de 113 h. 4 a. 83 c. *. C'est, dit 
Texier^, le plus magnifique ouvrage maritime qui ait jamais été 



i. Cb. Texier, Rem» générale d^ Architecture, XV, p. 306-312. 

2. Dion, LX, 11. Suët., Claud.y 20. Quintil, Institut. Orat., II, 21, III, 8. On 
ne 8'explique pas bien pourquoi le port de Claude, au lieu de prendre 
le nom de son fondateur, fut appelé porfus Augusti, ni pourquoi il figure 
seulement sur les monnaies de Néron (Goben, Néron j 215). 

3. Wltin. Antonin. (p. 300, éd. Wessling) donne 19 mUles à cette route, 
mais c'est une erreur. V. Nibby, Dintomi, III, p. 624. 

4. Par Terracine, lUn. Antonin,, p. 107, 122. 

5. Pline {Hist, Nat. III, 9) dit du Tibre : rerum in toto orbe nascen- 
tium mercator placidissimus. 

6. PORTVM TRAIA. Goben, 365, 366« SeM. JwvencU ad Sat,, XII, 75. 
Portum Augusti dicit, seu Tnyani, quia Trajanus portum Augusti (celui 
de Claude) in melius et interius tutiorem, et sui nominis fecit. 

7. La longueur du côté est donnée par M. Texier : elle répond à peu près à 
1200 pieds romains (dont Téquivalent exact serait 355 "20). M. Texier 
évalue la surface à 32 hect 19 ares 93 c. Le calcul ne me parait pas 
exact. Le même savant, par inadvertance, dit que rapotbème a 150", 
cbiff^ impossible géométriquement et que dément d'ailleurs l'Inspec- 
tion de la figure jointe à son mémoire. Elle doit être 309" S3. M. Lan- 
ciaaî a conservé les cbiffï'es de M. Texier. 

S. Port de Claude 69 bect. 79 ares 50 c; port de Trajan 33 hect. 25 ares 
33 c; bassins intermédiaires, 10 bect 
9. P. 327. 



— 406 — 

entrepris et exécuté. On ne verra pas d'exagération dans ces 
paroles si Ton songe que notre port de Marseille , après tous 
les agrandissements modernes, n'offire qu'une superficie de 101 h. 
50 a. ^. Des quais, des magasins vastes et commodes entou- 
raient le bassin. Entre le port de Claude et celui de Trajan, s'éle- 
vait un palais magnifique, où l'on distingue encore des atria, 
des portiques, des bains, un théâtre. Par sa situation entre les 
charmants pays de Laurente et d'Âlsium, dans une région encore 
aujourd'hui renommée pour ses belles chasses, et où les Romains 
viennent au printemps respirer l'air de la mer, cette résidence 
devait avoir les préférences de Trajan . 

Les plus anciennes briques trouvéesdans les ruines du palais por- 
tent les dates 114, 115, 116. Ainsi on pressait l'achèvement de 
cette splendide demeure, et celui à qui elle était destinée ne devait 
jamais la voir. Pendant que les ouvriers se hâtaient, il poursui- 
vait en Orient une guerre glorieuse mais stérile, à l'issue de 
laquelle une mort prématurée l'attendait. Ce souvenir agit encore 
aujourd'hui sur l'esprit de ceux qui visitent ces ruines, et mêle 
une impression triste à la sévère grandeur de ce rivage si animé 
U y a seize siècles, maintenant désert^. 

Trajan créa encore deux autres ports sur les côtes d'Italie, à 
Civita-Vecchia ^ et à Ancône^ 

Sous son règne les grandes voies de la Péninsule furent répa- 
rées ou complétées. La mention la plus explicite du £ait se 
trouve dans'Galien, où on ne songerait guère à la chercher. Le 
médecin de Pergame dit que la grande route de la science, 
ouverte par Hippocrate, a presque disparu par l'efiet de 
l'ignorance et du temps, et qu'il vient la rétablir. < Ainsi, 
ajoute-t-il, parmi les anciennes routes on en voit qui sont 
marécageuses, ou obstruées par des pierres et des broussailles ; 
d'autres ofirent des pentes diflSciles à gravir ou dangereu- 
sement rapides : ici la voie est exposée aux incursions des 
animaux sauvages, là elle est interrompue par de larges cours 

1. Ancien port, 25 hect. 50 ares; Joliette, 26 hect.; port nouveau, 50 h. 
(Dictionnaire universel du Commerce et de la Navigation). 

2. Voir sur Porto un mémoire très-intèressant de M. Lanciani, Ricercke 
topogra/ichej etc., dans les Annales de VInst. Arch,, 1868, p. 144-195. Les 
travaux antérieurs sont résumés et complétés par de nombreux détails. 
Un excellent plan y est joint. 

3. Pline, Ep., VI, 31 : Habebit hic portus nomen auctoris. Effectivement 
Ptolémée (III, i, 4) appelle la ville TpaXavàç Xi|jiiv. V. aussi Butiiius, Itin., 
1, 239 et suiv. 

4. Notre n- 78. 



d'eau, ou bien trop longue, ou peu praticable. Telles étaient les 
routes de l'Italie : Trajan les a rétablies. Par ses soins, les parties 
humides et basses furent pavées, celles dont le sol était inégal ou 
couvert de broussailles furent nivelées; des ponts fuirent jetés sur 
les fleuves. Les distances trop longues furent abrégées par des 
coupures, les collines trop hautes furent tournées. Le tracé fut 
changé dans les parties désertes ou infestées par les animaux, et 
la nouvelle direction choisie de façon à desservir des contrées 
populeuses; les passages difficiles furent aplanis ^ 

n est intéressant de trouver dans les inscriptions la preuve, 
par le détail, de tout ce que Galien avance. Il n'est guère de route, 
en effet, qui ne porte les marques de la sollicitude impériale : 

Via Appia : 1® Pavée depuis Tripontium jusqu'à Forum 
Appii, en l'an 100. L'opération avait été commencée par les 
ordres de Nerva *. 

2" Reconstruction, la même année, du pont de Tripontium^. 

3** Rétablissement d'un pont sur le Monticello, entre Terrcudne 
et Fondh l'an 109^ 

4° Pavage entre Forum Appii et Terracine^ sur une lon- 
gueur de 19 milles^. 

Via Trajana. Elle conduisait de Bénévent à Brindes, et fut 
construite aux firais du fisc, c'est-à-dire de l'empereur lui-même. 
En réalité Trajan ne fit que la rendre praticable aux voitures, 
car elle existait au premier siècle et servait souvent aux voya- 
geurs qui se rendaient de Brindes à Rome. Strabon le dit formel- 
lement : « Deux routes s'offrent aux voyageurs : l'une où l'on 
ne peut cheminer qu'à dos de mulet, traverse le territoire 
des Peucétiens Poedicles, celui des Dauniens, et le Samnium ' 
jusqu'à Bénévent, en passant à Egnatia, Coelia, Netium, Canu- 
sium et Herdonia. L'autre prend par Tarente et pour cela 
s'écarte un peu sur la gauche, ce qui fait faire un circuit ((ai 
allonge la distance d'une journée démarche environ; on l'appelle 
la voie Appienne, les chariots y circulent®. » 

Ainsi la route établie par Trajan abrégeait d'un jour le 
voyage de Rome à Brindes, et faisait pénétrer la vie dans un 
pays presque déshérité jusqu'alors par le manque de communi- 

1. Galen., Method, medend., IX, 8, p. 632, éd. Kuhn. 

2. Notre n* 19. 

3. Ghaupy, Maison d'Horace, III, 388. 

4. Notre n* 55. 

5. Notre n* 60. 

6. Strab., VI, 3, 7. 



— 108 — 

cations. Les travaux commencèrent en 109, comme le prouvent 
les bornes milliaires trouvées sur divers points du parcours^ . Dès 
l'an 110, les décurions et les habitants de Brindes, pressentant 
les avantages qu'allait leur assurer la voie nouvelle, élevèrent 
un monument en Thonneur de Trajan ^. Les médailles qui men- 
tionnent la Via Trajana furent fi^ppées en 112 ou 113, quand 
la voie fut livrée à la circulation^. En 114 enfin, le Sénat et le 
peuple romain firent ériger Tare de Bénévent^ au point de départ 
de la route. 

Sur l'attique nord-est de l'arc de Constantin, à Rome, arc 
décoré, comme on le sait, de sculptures arrachées à un monu- 
ment de l'époque de Trajan, la Via Trajana est représentée, 
comme sur les médailles, par une femme assise, à demi vêtue, 
appuyée sur une rotie. Près d'elle on voit l'empereur, debout, 
accompagné de deux hommes barbus dont l'un tient à la main 
un rouleau. C'est sans doute l'ingénieur qui exécuta ce grand 
travail, et comme les Romains ne portèrent pas la barbe avant 
le règne d'Hadrien, ce détail de costume indique que l'ingénieur 
était un étranger, vraisemblablement un Grec ^. 

Via Puteolana. Commencée par Nerva, la route de Naples 
à Pouzzoles fut terminée et rectifiée par Trajan en l'an 102*. 

Via Salaria. En 111, mur de soutènement construit sur cette 

_ f 

route entre Interocrium et Forum Decii'^, 

Via Latin a. En 105, rétablissement d'un pont sur le Liris, 
près de Frègelles*. 

Via Flaminia. En 115, pont construit sur le Métaure, près 
de Forum 4S'^7npronn® (Fossombrone). 

Via Sublacensis (embranchement de la Via Valeria) , 
refaite vers Tan 103**^. 

\. Nos n- 56, 57. 

2. Notre n*6l. 

3. Coben, n** 289, 290, 546, 548. Elies sont datôes du Vl« consulat, mais 
Tr^'an ne porte pas le surnom d:OpUmus, 

4. Notre n' 75. 

5. V. Rossini, Archi trUmfali, Toutefois la Via Appêa, qui menait de 
Bénëvent à Brindes par Venouse, Tarante et Uria, ne fut pas complète- 
ment abandonnée. On y a trouvé des bornes milliaires qui témoignent 
de réparations exécutées par ordre d*Hadrien {In$c, yap., 6287. Cf. BuUeL 
Inst Arch., 1848, p. 9). 

6. Nos n«* 25 et 26. 

7. Notre n»67. — 8. Notre n* 45. 
9. Notre n* 79. 

10. Notre n* 33. Cette Via Sublaeensis avait été pavée pour la première 
fois sous Néron (Front., Aq,, 7). 



— 409 — 

ViAE IN TusQA. A une époque inconnue, Trajan fit exécuter 
en Etrurie une ou plusieurs voies dont la direction n'est pas 
connue, mais dont l'existence est attestée par une inscription ^ 

L'assainissement des parties du territoire occupées par des 
eaux stagnantes éveilla aussi son attention ; il entreprit de faire 
écouler les eaux du lac Fucin, de dessécher les Marais Pontins. 
Ses efforts en ce sens font honneur à sa sollicitude, mais les 
moyens techniques dont on disposait alors ne permettaient pas 
d'arriver aux résultats cherchés. Pour le lac Fucin, il s'agissait 
de couper la montagne qui sépare ce lac (auj . lago Celano) du 
Liris (Garigliano), afin de donner issue aux eaux accumulées 
dans ce réservoir. L'histoire de ce percement, souvent tenté, 
ne nous oSte que des insuccès. Conçu par Jules César^, le 
projet parut devoir se réaliser sous Claude^, mais les mesures 
furent mal prises et Néron ne voulut pas reprendre et ter- 
miner un ouvrage qui aurait fait honneur à son prédécesseur^. 
La tentative de Trajan, rappelée par une inscription aujour- 
d'hui perdue et mal copiée jadis ^, mais dont l'authenticité est 
incontestable aussi bien que le sens, ne réussit pas mieux que 
les autres, puisqu'Hadrien dut reprendre encore le travail^. 

Les opérations faites dans les Marais Pontins^ ne furent pas, 
non plus, trè^-bien combinées. D'après Prony, la position et 
l'ouverture du Ponte Maggiore sont mal calculées pour l'écou- 
lement des eaux auxquelles il doit offrir un débouché^. 

Cette amélioration de la viabilité favorisait déjà le développe- 
ment de l'agriculture italienne. Trajan l'encouragea plus directe- 
ment encore. H édicta de^ punitions sévères pour ceux qui favo- 
riseraient Yabigeat. On nommait ainsi le délit de ceux qui emme- 
naient frauduleusement le bétail des pâturages et des étables, et 
pratiquaient ce détournement dans des vues commerciales. Ils 



t. Oralli, 3306. 

2. Siiët., Cae$,, 44. 

3, Suët., Claud.y 20. Tacite, Ann., XII, 56, 57. 
41 Pline, Hisi. NaL, XXXVI, 24. 

5. Notre n* 82. Trajan est dit : TRIB. POT. XXIII... GOS Vi, il faut lire 
XX IMP... ou XXI IMP... A la fin on lit : senatus pcpulusque ronumus ob 
ree^eratos agrot et passess. quas locus fudni violent[ia inundàveraf\^ 

6. Spart., Hadr,, 22. 

7. Dion, LXVIII, 15. Pour les essais précédents, voir Tite-Live, Ep,^ 46. 
Schol. Horat., ad Art Poet., v. 65. 

8. V. Prony, DeuèehemerUd€s Marais PonUns^^, 76 et 241, Le TriponUum 
ou pont à trois arches de la Via Appia est figuré dans cet ouvrage. 
PI. XVI, n- 1. 



— -no — 

fdrent condamnés au bannissement de l'Italie pendant dix ans^. 

Les sénateurs furent contraints d'avoir le tiers de leur fortune 
en fonds de terre sur le sol italien*, ce qui augmenta beaucoup la 
valeur de la propriété territoriale dans la péninsule. 

Enfin, par le système combiné de secours et de prêts, connu 
sous le nom i' alimenta y Trajan exerça sur l'agriculture une 
action utile et puissante. Grâce aux mémoires de MM. Henzen 
et Desgardins, on connaît aujourd'hui les principes et les détails 
les plus importants de cette institution. Due à Nerva, comme 
l'assure Aurélius Victor • dont le témoignage est confirmé par 
une médaille^, elle prit sous Trajan de tels développements que 
dans l'antiquité on en faisait déjà honneur à ce prince*^, erreur 
que plusieurs auteurs modernes ont répétée. 

Le but de cet établissement était double. Nerva voulait fournir 
à la petite propriété les ressources nécessaires pour la mise en 
culture des terres abandonnées, et en outre aider les citoyens 
pauvres en assurant à leurs enfants des secours jusqu'à l'âge où 
ces derniers sauraient pourvoir eux-mêmes à leur existence. Ici 
encore, on saisit l'intention de favoriser l'accroissement de la 
population, mais au moins le mode d'action choisi stimulait la 
prudence et l'activité des agriculteurs, et contribuait ainsi à la 
prospérité générale. 

Deux inscriptions trouvées l'une à Velleia, près de Plaisance, 
l'autre à Campolattari, près Bénévent, nous font connaître l'or- 
ganisation de ce service, n faut joindre à leur étude celle d'une 
lettre de Pline* qui explique comment il établit, à ses frais, des 
cdimenta à Gôme, car les particuliers, à l'exemple des empe- 
reurs, se signalèrent souvent par des libéralités de ce genre''. 
Ces documents nous montrent que les sommes données par l'em- 
pereur pour venir en aide aux indigents étaient remises à des 
cultivateurs et imputées sur des fonds de terre déterminés, grevés 
dès lors, et à perpétuité, d'une hypothèque égale au montant de 
la soname reçue. La rente de cette hypothèque, calculée d'après 
un taux variable suivant les localités, était distribuée aux enfants 



1. Dig. XLVII, 14, 3, 5, 3. 

2. Pline, Ep., YI, 19, Marc-Aurèle réduisit cette proportion au quart 
(Capitol., if. ArU. PkU.j 11). 

3. Epitotn,, 12. 

4. Cohen, n* 121. 

5. Par exemple Capitolin., Pertênox^ 9, 

6. Pline, Ep., VII, la 

7. Voir Borghesi, Œuvres. V : Iseriskme alimeniaria di Terraeêna. 



— 4i4 — 

pauvres de la cité. Le fonds de terre servant de garantie était 
choisi de façon que la rente de Thypothèque ne fût qu'une 
très-faible partie du revenu que le fonds convenablement cultivé 
pouvait fournir. Il y avait donc toujours des acquéreurs disposés 
à prendre le domaine, même sous cette condition, d'autant moins 
onéreuse d'ailleurs que la culture était plus savante et plus 
soignée, et que les avances mêmes, faites par l'empereur S per- 
mettaient d'améliorer cette culture*. 

L'inscription de Velleia est gravée en sept colonnes, sur une 
grande table de bronze. Elle donne les détails de deux opéra- 
tions distinctes, de deux libéralités impériales. 

On lit d'abord : Obligaiio praediorum 6b sestertium 
deciens quadraginta quattuor milia ut ex indulgentia 
optimi maœimique principis imp. caes. nervae trajani, 
aug. germanici dacici pueri puellaeque alimenta accipiant 
legitimi n^ CCXL Vin singulos lis XVI * n^f^ Ts XL Vil XL 
n, legitimae n. XXXIV sing fis XUn.f.hsTV DCCCXC VI 
spurius I hs CXLIV spuria I hs CXX summa hs LUC G 
qtcae fit usura ^!£ sortis supra scriptae. 

Ainsi les fonds, dont le détail sera donné dans la suite de 
l'inscription, sont grevés ensemble d'une hypothèque de 1 ,044,000 
sesterces (208,800 fr.) dont la rente au taux de 5 0/0, soit 
52,200 sesterces (10,440 fr.), sera distribuée à 281 enfants. 

Après ce titre, vient la liste des fonds engagés avec leurs noms 
de lieu, leur situation, le nom du propriétaire, celui du pro- 
priétaire voisin, celui du fondé de pouvoirs qui a signé le contrat 
avec le fisc, la valeur du fonds et enfin la somme avancée, dont 
ce fonds est désormais grevé. 

On compte quarante-six articles qui remplissent les six pre- 
mières colonnes et une partie de la septième. La valeur totale 

1 . Les inscriptions montrent que ces libéralités étaient bien faites aux 
dépens de l'empereur : guaestar alimentorum Caesaris (Or. Heuzen 6666). 
Pueri eî pueltae qui ex liberaUtaie sacratissinti principis alimenta accipiunt 
(Oreili 3366). Quaestor taerae pecvbniae alimentorum (Insc. Nap,^ 4771). 

2. Faute de capitaux le fermage faisait, presque partout, place au 
métayage (Pline, Ep.^ ill, 19). 

3. Numéro, 

4. Par mois. 

5. Numûm. 

6. Fiuni. 

7. Par an. 



— 142 — 

des propriétés monte à 13,007,536 sesterces, et l'hypothèque est 
de 1,044^000. Elle n'atteint pas le douzième du capital; celui-ci 
garantit donc parfaitement la créance, ou du moins le revenu 
des terres garantit parfaitement le paiement de la rente aux 
281 enfants. 
Un seul article suffira pour donner une idée des autres : 

CaitiS VolumniuLS Memor et Volumnia Alce per Volum-- 
nium Diadunienum libertum suum professi sunt fundum 
Quintiacum Aurelianum, collem Muletatem cum silvisj qui 
est in Veleiate, pago Anibitrebio; adfinibtts Marco Mom- 
meio Prisco, Satrio Severo et popiUo hs CVIII; accipere 
débet hs VIII DCLXXXXII numum et fundum supra- 
sariptum obligare. 

Ainsi le fonds Quintiacus Âurelianus, avec la colline Muletas 
et les bois qui le couvraient, valant ensemble 108,000 sesterces, 
le propriétaire reçoit 8,692 sesterces dont il servira la rente à 
5 0/0 (434,6 sesterces). Ici, comme nous l'avons dit pour le 
total des biens-fonds, la somme avancée est moindre que le dou- 
zième de la valeur du fonds. La possession dudit fonds, par 
héritage ou par achat, ne deviendra donc jamais onéreuse malgré 
la rente à servir. 

Voici le titre de l'obligation dont le détail remplit la septième 
colonne de la table de Yelleia, et se continuait sur les parties de 
cette table actuellement perdues : Obligatio praediorum facta 

per Comelianum Gallicanum ob hs LXXII ut ex indul-- 

gentia optimi yncuvimique principis imp. caesaris nervae 

trajani augitsti germanici pueri puellaeque alimenta acci- 

piant legitimi n. XIIX in singulos hs XVI n. fiunt 7ïs 

ITlCCCCLVI légitima hs XII fit summa utraquehsIÏIDC 

quae fit usura ^<? summa s.s. *. 

Suivent cinq articles, analogues aux quarante-six de l'autre 
opération. Mais ici, la liste n'est pas complète. Cette libéralité 
est antérieure à l'autre, puisque Trajan ne porte pas, dans 
l'inscription initiale, le titre de Dacicus, qu'il reçut, comme nous 
le savons, en Tan 103. 

Le titre de l'inscription de Campolattari est* : 

1. Pour le texte de l'inscription Yelleia, voir Brn. Desjardins: De (afndU 
àUmentariis, 

2. Môme ouvrage, et Henzen, 6664. 



— 443 — 

[Imp Caes] Nerva Trajano Aug [germanic]o IlII 

[q\ artic[u]leio Paeto [cos] 

[ob tiheralitatem optim]i maœimiq principis obligaverunt 
pra [ediaeœ propos\ito Ligures Baebia\niet Comeliani u\t 
ex indulgentia ejus pueri puellaeq al[imenta a]ccipiant. 

Ce consulat indique Fa nnèe 101 de notre ère. L'inscription étant 
mutUée, nous ignorons le chiffre total de Tavance faite aux agri- 
culteurs, aussi bien que celui du secours alloué à chaque enfant. 
L'intérêt est payé ici sur le taux de 2,5 0/0. 

Les enfants ne recevaient pas partout la même somme. Tandis 
qu'à Velleia le secours mensuel est de 16 ou 12 sesterces suivant 
le sexe, à Terracine il monte à 20 et 16 sesterces. Le prix du blé 
devait être en effet plus élevé dans une ville importante comme 
Terracine, au voisinage de Rome*. Le taux de l'intérêt varie 
aussi avec les localités, et en effet il était dicté, dans chacune, 
par les conditions courantes du crédit. A Côme*, il est de 6 0/0, 
à Velleia de 5 0/0, chez les Ligures Baebiani de 2,5 0/0. Gela 
s'explique par la distance qui sépare ces points de Rome. Plus 
l'on s'en éloigne, moins les capitaux sont abondants, et plus le 
prix de leur location s'élève. La main-d'œuvre est moins chère 
aussi, et dès lors il est plus facile au cultivateur de servir sur 
la valeur de ses récoltes une rente élevée. 

La mention de deux subventions sur la table de Velleia prouve 
que l'empereur faisait jouir plusieurs fois un même pays de ses 
largesses. Il y a plus, un seul et même propriétaire pouvait rece- 
voir des avances successives du fisc, tandis que les charges dont 
sa propriété était grevée n'étaient pas telles que la régularité du 
payement des alimenta à faire par lui fût compromise. Le cas 
se présente plusieurs fois à Velleia, où l'on marque que la valeur 
assignée à la propriété est calculée en en déduisant les charges 
et les avances précédentes 3. 

Dans l'inscription des Ligures Baebiani, nous trouvons la 
trace d'un fait analogue. Dans la colonne 3®, ligne 17, on lit 

(debentur) Ts LXXXVIIS (a) C. Valérie Pietate {obliga- 

tione) fundi Heradeiani, ad fine Caesaren{ostro)^ aestimati 

hs XXV, in hs II; item obligatione V IlII fundi Vibiani 

pago suprascripto, ad fine Marcio Rufino, aestimati XV, 

in hs^D\ fiunt hs XXXX in hs III D, On voit que C. Valerius 

t. Borghesi, 1. 1. 

2. Pline, Ep. VII, 18. 

3. Tdb. Velleia, col. II, 1. 37. M. Mommeius Perskui ftrofetsus est praed, 

DB LA BERGE 8 



Pietas reçut deux avances, Tune de 2,000 sesterces sur le fonds 
Herculeianus, Tautre de 1,500 sesterces sur le fonds Yibianus, 
en tout 3,500 sesterces pour lesquels il avait, à partir de 
Tan 101, à payer un intérêt de 87 sesterces et demi. Mais 
qu'est-ce que cette obligatio nona qui grevait le fonds Vibia- 
nus? Admettons que deux fois par an, après une enquête faite 
par les agents du service des alimenta^, une répartition de la 
somme donnée par l'empereur se fit entre les différentes villes 
de ritalie. V obligatio de Campolattari, qui fait suite à l'obli-- 
gatio nona y sera la diadème et si elle a été réglée dans le 
deuxième semestre de 101, la première en date remontera au 
commencement de Tannée 97 : en effet la médaille TVTELA 
ITALIAË, que nous avons citée plus haut, est des premiers 
mois de cette année'. 

Je dois renvoyer, pour la connaissance plus détaillée de cette 
institution, aux deux mémoires que j*ai cités ^. Si Ton connais- 
sait les dates des libéralités faites successivement par Trajan à 
tous les civitates de lltalie, et les sommes données dans chaque 
localité, nous aurions les éléments d'un intéressant tableau, sta- 
tistique et économique, de la Péninsule au conmiencement du 
n^ siècle. Malheureusement, ici encore, une des plus belles pages 
du règne dont nous esquissons l'histoire est déchirée, et nous 
sommes réduits à énumérer les faits suivants dont les découvertes 
ultérieures augmenteront sans doute la signification et le 
nombre : 

100(?)ap. J.-C. Libéralité faite aux Ligures Baebiani {men-- 

tionnée incidemment sur la table de Campo- 
lattari). 

101 — Libéralité au même peuple (table de Campo^ 

lattari) . 

102 — Décret des décurions de Ferentinû en l'honneur 



ruiUea tn Valeiatê et Place nUno dedueto veeUg àli et eo fuod CcmeUm GùUé- 
eanus obUçavtt [X\ CLXXX DCN, acc^. débet luXCIIII D CCIXV. Cf. COL III> 
]. 53 et suiv., col. V, l. 38 et suiv., col* VI, 1. 57 et suiv. 
i. Praefecii, procuratores, quaestores alimentcrum, 

2. On lit au droit de cette pièce : IHP : NEAVA* GâBS* AVG* P- M* TR- 
P* ces* III- P* P. Or sur les monnaies émises à la fin de 97, Nerva porte 
le surnom de Qermanicus et il est qualifié d'IMP. II. V. Cohen, n* 36. 
Nous devons dire que la pièce TVT£LA fFALIB a été publiée par Bckhel 
d'après Tristan, et qu'eUe n'existe dans aucun cabinet 

3. Uenzen., Annal. Inst. Arch, 1844, p, 1 et suiv. Desjardins, De foMit 
(UimentarUs. Paris, 1854, in-4*. 



— 445 — 

de T. Pomponius Bassus, chargé delà répar- 
tition des alimenta. 
id. — Diverses libéralités à Velleia (mentionnées inci- 

demment dans les six premières colonnes de 
la table), 
id. — Libéralité de 72,000 sesterces à Velleia (co- 

lonne vn de la table). 
103 — Libéralité de 1,044,000 sesterces à Velleia 

(colonnes i-vu de la table). 
1Û5-111 — Monnaies à la légende ALIM(enta) ITÂL(iae) 

sur lesquelles Trajan est dit optimus prin^ 
ceps et consul pour la cinquième fois, ce 
qui leur assigne une date comprise entre ces 
années^. 
111 — Monnaie à la légende ALIM(enta) ITAL(iae), 

où Trajan est dit œSVDES VI '. 
av. 112 — Libéralité à Osimo, dans le Picenum*. 
112-114 — Monnaies à la légende ALIM(enta) ITAL(iae), 

où Trajan est dit COS Y I mais ne porte pas 
le surnom d'Oprtmtt^*. 
On ne connaît pas de monnaies rdatives aux alimenta frap- 
pées dans les trois dernières années du règne, ce qui donne à 
penser que la munificence impériale fut suspendue pendant 
la guerre des Parthes. 

Nous devons louer sans réserve toutes ces mesures prises dans 
Fintéret de la malheureuse Italie. La dernière dont nous ayons à 
parler, utile encore, éveille néanmoins un sentiment d'inquiétude, 
à cause des conséquences qu'elle entraînait. Sous Trajan parais- 
sent les pruniers curatores civitatum ^, créés vraisemblablement 
par lui et chargés de surveiller Tadministration financière des 
oolonies et des municipes, ces villes ne pouvant, sans leur aveu, 
aliéner leurs propriété ni entreprendre des travaux considérables. 
L'établissement de cette fonction extraordinaire fut motivé, à 
coup sûr, par des abus qui firent sentû* la nécessité d'un contrôle 
actif de l'empereur, et d'une sorte de tutelle qu'il exercerait sur 
les communes. On doit croire que les premiers curatores agirent 
avec circonspection et n'outrepassèrent pas les limites de leur 

1. Cohen, n** 13, 299, 300, 303, 304. 

2. Cohen, Supplément n' 2. 
S. Or. Henien, 5444. 

4. Cohen, n*« 301, 302. Supplt. 31, 32. 

5. Hensen, Annal, ind. Areh,, 1851, p. 5*35: 



compétence et de leur mandat. Mais on ne peut se défendre d'un 
regret légitime en signalant cette intervention du pouvoir central 
danslesintéretsmunicipaux, cette tendanceàune centralisation qui 
étouffera plus tard toute initiative et toute vie locale sur les points 
qu'elle aura touchés. Trajan, sans doute, ne songeait pas à con- 
centrer dans ses mains tous les éléments de la puissance publique, 
mais, sous l'impulsion donnée par lui, et par le jeu même d'une 
institution dont il ne soupçonnait pas la portée, ces éléments se 
réunirent peu à peu dans la main de ses successeurs. Lia création 
des curaiores est en effet un acheminement à l'assimilation de 
l'Italie aux provinces; dans les règnes suivants, cette surveil- 
lance, toujours temporaire, se généralisera dans la péninsules et 
déjà nous trouvons sous Trajan un C. Julius Proculus qualifié de 
legattis Augusti pro praetore regionis Transpadanae, c'est- 
à-dire chargé de surveiller toutes les civitates de la Transpa- 
dane'. On connaît trois curateurs délégués par Trajan dans les 
cités des Bergomates^, des Âecani^ et des Caerites^ Le dernier 
figure dans un document intéressant qui nous révèle la nature 
des rapports officiels de la cwitas et du curât or ^ et nous montre 
l'effet immédiat et bien connu de la centralisation, c'est-à- 
dire le ralentissement qu'éprouve la marche des affaires*. Yesbi- 
nus, affranchi de Trajan, offirait aux Caerites de construire à ses 
frais un phretrium (salle de séances) pour les Augustales, si le 
municipe disposait d'un terrain pour cet objet. Le 13 avril 113, 
le conseil des décurions accorda la concession du terrain, mais il 
fallut en référer au curateur Curatius Cosanus, Une lettre du 
13 août de la même année, adressée à ce personnage, lui fit con- 
naître que « le terrain en question ne servait point à la répu- 
blique, et n'était d'aucun rapport ^. » Dans ces circonstances, 
Cosanus émit un avis favorable, mais il ne le fit connaître que le 
13 juin 114, et la dédicace de l'édifice n'eut lieu que le l"* août 
suivant. Du 13 août au 13 juin, intervalle écoulé entre la lettre 
envoyée à Cosanus et la réponse de ce magistrat sur l'affaire la 
plus simple, on compte dix mois. 



1. V. Henzen, n* 6482. 

2. OrelU 2278. 

y (Bergame) Orelli 3S98. 

4. (Troja) Orelli 4007. 

5. (Cervetri) Orelli 3787. 

6. Ce document a été traduit par M. Rgger. Exœnen dn hidorkn$ 
d'Àuguiie, p. 390. 

7. Qui locus rei publlcae in usu non est, nec uUo reditu esse potest. 



— H7 — 

Mais personne, au temps de Trajan, ne prévoyait les maux qui 
pouvaient sortir de l'institution nouvelle ; on n'était sensible qu'à 
l'ordre ramené dans les administrations municipales. On achetait 
volontiers cet avantage au prix de quelque lenteur, et on rangeait 
probablement ces curatelles au nombre des bienfaits dont Trajan 
avait comblé l'Italie, et que nous avons essayé de faire con- 
naître. Si l'on a bien apprécié la hauteur de vues qui caractérise 
ces diverses mesures, et le zèle pour le bien public qui les inspire, 
on n'hésitera pas à s'associer à la reconnaissance que les con- 
temporains éprouvaient, et dont les monuments, élevés par eux, 
per^taentle souvenir'. 



1. V. un grand nombre d'inscriptions, et les médailles RFSTUuta ITA- 
ÛA (CfOhen, n** 208, 373, 374). Au risque de jeter quelque ombre sur ce 
tableau, je dois rappeler que les voyages dans la Péninsule présentaient 
alors peu de sécurité. V. Plin. Ep., VI, 25. 



CHAPITRE IX. 



LES PROYINGES. 



Les témoignages anciens sur l'administration de Trajan dans 
les provinces sont peu abondants, car la correspondance de Pline 
le Jeune avec Tèmpereur n*ofire pas, à cet égard, autant de 
ressources qu'on serait tenté de le croire au premier abord. Les 
conditions très-spéciales au milieu desquelles l'auteur du Panégy^ 
rique fut préposé au gouvernement de la Bitbynie ont été souvent 
méconnues, et on a tiré de ses lettres, aussi bien que des réponses 
de Trajan, des conséquences tout à faitfausses, en y voulant trou- 
ver les traits caractéristiques du système politiquede ce prince. La 
Bithynie, depuis plusieurs années, était le théâtre de troubles assez 
graves. Plusieurs gouverneurs avaient été accusés de concussions, 
les poursuites n'avaient marché qu'avec lenteur^, et au milieu de 
ces désordres, les finances de la province tombaient en désarroi, 
les édifices publics restaient inachevés, l'état même des personnes 
perdait toute régularité, en un mot la vie sociale était paralysée 
dans tous les membres. Le Sénat, fatigué de discussions qui 
s'étaient multipliées à ce sujet, s'en était rapporté, dès l'an 107, 
au jugement de l'empereur pour trancher les difficultés survenues 
entre les provinciaux et les proconsuls*. Afin de couper court à 
une série de procès interminables, un sénatus-consulte autorisa 
l'empereur à envoyer en Bithynie, bien qu'elle fût province séna- 



1. Plin., Ep.y IV, 9; V, 20; VI, 5 et 13; Vil, 6 et 10. 

2. Plin., Bp,, vu, 6. Le livre VII* a été écrit dans l'année 107. Mommsen, 
Etude, etc., p. 21. 



— U9 — 

tonale, un agent qni examinerait la situation et la réglerait avant 
qu'un nouveau proconsul j retournât prendre possession du gou- 
yernementrégulier. Cet agent fut Pline ^ Antérieurement, Messius 
Maximus avait été chargé d'une mission analogue en Achaie ^ 
et C. Avidius Nigrinus était venu à Delphes régler, au nom de 
l'empereur, une contestation pendante entre les habitants de cette 
ville et ceux d'Anticyra^. On ne trouve pas^ dans les règnes qui 
ont précédé celui de Trajan, trace de missions semblables, ce qui 
donne lieu de penser qu'il les imagina le premier ^ : on sent là un 
ordre d'idées voisin de celui qui inspira la création des curatores 
civitatum; on peut j signaler aussi un danger pareil, cette 
intervention de plus en plus fi^équente de l'empereur pouvant 
faciliter un jour les empiétements du pouvoir central sur les attri- 
butions laissées au Sénat et aux municipes par Auguste ; mais il 
n'est pas de' mesure si bonne dont on ne puisse faire sortir de 
grands abus, et ces empiétements sont tout à fait étrangers aux 
habitudes gouvernementales de Trajan. Ainsi, pour ne pas sortir 
de la Bithynie, les droits du Sénat furent absolument réservés, car 
on connaît des proconstUs et des questeurs de Bithynie dont 
l'administration est postérieure à Trajan ^ ; de plus la correspon- 
dance échangée entre Pline et lui nous montre qu'il considérait 



1. Son titre est Leçiaius propraetare praninelae P<mU e< BUkffniae eontw- 
Imi pùMate <n eam pnnHndam ex i,e. ab imp, cae$, Nerta Ttajano..* 
micfitt. Ibid., p. 86. 

2. PUn., Bp., VUI, 24. 

3. Orelli 3671. 

4. Borghesi {Œuvrer, V, 407-415) et M. Waddîngton {Mémohret de VÀca- 
demie det ^luaipUoM, XXVI* l*" partie, p. 222-228) ont parfaitement élucida 
la nature des fonctions conflées à ces agents. Tiberius JuliasSeverus qui, 
BOUS fladrien, fut chargé en Bithynie de la môme mission que Pline, est 
qualifie dans une inscription grecque (Corpus 4033) de SiopOwn^c xal 
XoyKrr^c* Sous le règne de Septime Sévère, un certain Italicus envoyé en 
Grèce avec des instructions semblables, est dit dans une inscription 
athénienne Xoymt^c )i«l inocvopOcoT^. Le SiopOwi^ ou iirovopdttm^c {correeior\ 
mais ce mot désigna plus tard des fonctions très-difrérentes) est chargé 
des réformes administratives : on ne le trouve jamais dans les provinces 
réservées à l'empereur (Waddington, 1. 1., p. 224). Le Xorurr^c (lofUia^ 
eurator) réorganise les finances des villes ou des provinces (Orelli- 
Benzen, 6483, 6484). Pline et Messius Maximus cumulèrent probable- 
ment les fonctions de cotreetor et de curaior, comme cela est dit expres- 
sément de Severus et d'italicus. 

5. On sait que le gouverneur des provinces impériales se nommait 
legatus augusti pro praeiore et qu'il avait sous ses ordres, non pas un 
questeur, mais un procurateur. Or L. Goelius Festus fût proconsul de Bi- 
thynie sous Garacalla (Orelli, n* 77). 



— 420 — 

cette modification du régime de la province comme tout h fait 
provisoire, et qu'il entendait ne rien innover par des coups d'au- 
torité. 

Faute de connaître ces missions temporaires données à plusieurs 
reprises par les empereurs dans les provinces sénatoriales où il 
fallait rétablir l'ordre, on a pris l'exception pour la règle, et on 
a supposé que Trajan entretenait avec les gouverneurs des vingt- 
neuf provinces, entre lesquelles était alors partagé l'empire, une 
correspondance aussi active qu'avec celui delà Bithynie. Comme 
on l'y voit autoriser, par des rescrits particuliers, la construction 
d'un bain k Brousse, l'achèvement d'un théâtre à Nicée, la cou- 
verture d'un égout dans la ville d'AmastrisS on s'imagine qu'il 
en était partout de même, et on s'élève contre cette centralisation 
excessive, on plaint les peuples soumis à une administration si 
lente, si minutieuse et si tracassière, on s'apitoie sur le sort de 
Trajan obligé de statuer et de répondre sur tant de questions, et 
en effet cette besogne surhumaine provoque autant de commisé- 
ration que d'étonnement. Mais une étude plus attentive dissipe 
ces illusions, révèle le caractère provisoire et spécial de la 
mission confiée à Pline, et explique comment la correspondance 
relative à cette mission fut si abondant^ et si détaillée. La situa- 
tion de la province était fort embarrassée*, de sorte que des tâton- 
nements étaient inévitables, et les pouvoirs du commissaire 
n'avaient pu être à l'avance exactement définis : il était obligé 
d'en demander, pour ainsi dire, un nouveau pour chaque cas 
particulier. Pline n'avait gouverné aucune province jusqu'alors 
et n'avait même jamais été attaché à un gouvernement provin- 
cial : c'est à Rome qu'il avait rempli toutes ses fonctions politi- 
ques, et il n'osait résoudre maint problème courant qui n'aurait 
pas embarrassé un homme plus habitué au maniement de ce 
genre d'afiaires*. Enfin Trajan comptait principalement, pour 
aplanir les difficultés, sur son ascendant personnel, sur la con- 
fiance et l'afiection qu'il inspirait aux peuples, et pour cela il 
fallait qu'il se montrât constamment derrière son agent ^. 

1. Plin., Bp. ad Traj., U, 40, 99. 

1. Plin., Ep, ad Traj., 32. Meminerimus idcirco te in istam provinciam 
missum quoniam multa in ea emendanda apparuerunt. Cf. ibid., 117. 

3. Toutefois il était au courant de la situation géiièrale de la Bithynie 
par Tètude qu'il avait dû consacrer aux affaires de la province lors des 
procès de Bassus et de Varenus. 

4. Provinciales, credo, prospectum sibi a me intelligent, nam et tu 
dabis operam ut manifestum sit illis eiectum te esse, qui ad eosdem mei 
loco mitterig (Ep. ad Traj., 78). 



n ne faut donc pas chercher dans cette correspondance le type 
du gouvernement de Trajan. Mais on en tirera des inductions légi- 
times si l'on veut connaître Y esprit de ce gouvernement, car cet 
esprit assurément n'était pas en Bithjnie autre qu'ailleurs. On 
reconnaît alors que bien loin de centraliser, l'empereur se montre 
scrupuleusement attentif à ménager les organes de la vie locale. 
C'est Pline qui voudrait simplifier, en appliquant un règlement 
général à toute la province ; c'est Trajan qui l'en empêche*, qui 
le rappelle incessamment au respect des droits anciens, des cou- 
tumes, des privilèges de chacun ; lorsqu'une difficulté se présente 
il luirecommande l'étude des précédents * ; et c'est seulement quand 
elle est absolument nouvelle qu'il la tranche, en basant toujours 
ses jugements sur l'équité '. 

Le gouvernement de Pline étant ainsi replacé sous son vrai 
jour, et le dixième livre de ses lettres reconnu pour n'être qu'un 
recueil de pièces concernant l'histoire particulière delaBithynie, 
où faut-il chercher les éléments d'un tableau des provinces sous 
ce règne ? Il conviendrait d'abord d'extraire du corps des lois 
romaines quelques mesures générales auxquelles le nom de Trajan 
est resté attaché, puis on devrait étudier à part la condition de 
chaque province, Espagne, Gaule, Afirique, Âchaie, etc. , comme 
nous avons étudié celle de l'Italie. Mais le manque absolu de docu- 
ments semblables à ceux que nous avions sous la main pour cette 
partie de l'empire, nous empêche de faire un tel travail pour les 
provinces. Çà et là, sur le sol antique, des ruines grandioses 
offrent gravé le nom de Trajan et attestent la prospérité dont le 
monde jouissait alors, mais ne nous révèlent ni les détails de cette 
prospérité, ni les moyens employés pour la faire naître et la 
maintenir. 

SuivantledeuxièmeAurelius Victor*, Trajan aurait d'abord 
montré une étonnante faiblesse pour les mauvais gouverneurs, et 
c'est seulement après des avis réitérés de Plotine et sous son 
influence qu'il aurait porté un peu d'ordre et de justice dans cette 
partie du gouvernement. Les assertions de cet auteur, ou plutôt 
de ce compilateur médiocre, vivant à une époque trés-éloignée 
des faits qu'il raconte, et comprenant mal les textes qu'il abrège, 
sont généralement peu dignes de foi; il est néanmoins difficile de 

l.in unîvergum a me non potest statui {Bp. ad Traj,, 113). 

2. Sequenda tibi exempla sunt eorum qui isti provinciae praefùeront 
{Ep. ad Traj., 68). Cf. 48, 109, 115. 

3. Ibid., 55, 68, 84, 109. 

4. Spitame, 43, 21. 



— 422 — 

ne tenir aucun compte de ce qu'il avance ici : car son dire est 
ccHToboré en partie par un mot d'HomuUus à Trajan lui-^mema, 
mot consigné par l'historien contemporain Marins Maximus dana 
son histoire de ce prince, d'où Lampride ^ l'a tiré; le consulaire 
reprocha un jour au prince de faire plus de mal que Domitien; 
car, lui dit-il, € ce mauvais empereur avait des amis honnêtes, 
« et on ne souffirait que de sa méchanceté personnelle, tandis que 
€ tu abandonnes ton autorité à des favoris indignes, et l'on te hait 
« justement. » On doit croire que ces abus remontent au t^nps 
où Trajan, tout entier à la défense de la Germanie, ne pouvait 
donner qu'une attention incomplète au reste de l'empire, car dès 
l'an 100 le procès de Marins Priscus, jugé et condamné par le 
Sénat en présence de l'empereur ', lui indiquait assez clairement 
le vœu public, et d'autre part Pline, cette année même, vante 
l'administration des provinces'. Or malgré l'exagération concédée 
aux pan^yristes, il n'aurait osé se mettre en contradiction si 
complète avec ce que les Romains pensaient et disaient tout haut. 
La réforme fut donc acc(»nplie dès que Trajan fut rentré dans 
Borne. 

Au nombre des mesures qui intéressent toutes les provinces je 
placerai d'abord la réorganisation du service des postes. Trajan, 
comme l'a démontré M. Naudet ^, ne créa pas les postes, ainsi 
qu'une phrase d'Âurelius Victor pourrait le £aire croire^, mais 
cette plûrase prouve du moins qu'il s'occupa de cette branche des 
services publics, et en effet M. Henzen a reconnu que les employés 
appdés praefecti vetUculorium paraissent pour la premièare 
fois sous son règne*. L'institution du cursus publicus consistait 
en l'établissement d'un certain nombre de relais où les courriers 
de l'Etat trouvaient des voitures et des chevaux frais en perma- 
nence. Ces relais étaient entretenus aux dépens des provinces, et 
ces prestations constituaient un lourd impôt, à en juger par la 
reconnaissance témoignée aux empereurs qui en allégèrent les 
contribuables en le rejetant sur le fisc. Outre les courriers de 
l'Etat {tabellarii)y le cursus publicus transportait en eflfet les 



1. Lamprid. Sw, Alex.f 65. 

2. Plin., Sp., Il, 11. 

3. Paneg,, 70, 79. 

4. Mémoires de V Académie ifoi inêcriptkm», nouveUe série, XXIII, p. 166 
et suiv. 

5. Can., 13. Simul noscendis ocius, quae ubique e repubUca gereban- 
tur, admota média publici cursus. 

6. ÀnndlM de VItut. Àreh,^ 1857, p. 98 et suiv. 



— 428 — 

fonctionnaires etaussi toute personne pouvant montrerun cUploma 
dgné de l'empereur. Les diplômes étaient délivrés par le gouver- 
neur de la province, seulement sur un ordre du prince appelé 
evecHo. Mais les empereurs en vinrent à accorder cette faveur 
avec tant de prodigalité que les provinces furent écrasées sous 
des charges que ne compensait aucun avantage. Les particuliers 
ne jouissaient pas, pour leur correspondance, de ces communica- 
tions rapides et r^ulières, et la décentralisation de cette époque 
rendant peu fréquents et peu nécessaires les rapports de la capitale 
et des provinces pour la satisfaction des besoins publics, le cursus 
publicus n'existait réellement qu'au bénéfice du gouvernement 
central, de ses agents et de ses favorisa C'était toutefois un 
service indispensable, qu'on ne pouvait songer à supprimer, mais 
qu'il £adlait rendre le moins onéreux possible : tel est le but que 
poursuivit Trajan en instituant les praefecti vehiculorum qui 
veillaient k ce que les prestations fussent équitablement réparties, 
et aussi en se montrant fort économe à' evectiones* . 

Le Digeste ne contient que trois lois relatives à l'administra- 
tion des provinces, édictées sous le règne de Trajan. Elles favo- 
risent les civitateSf considérées avec raison comme des personnes 
ayant leur vie et leurs intérêts propres, et constituant l'unité 
véritable du corps social, et elles tendent à accroître leur richesse 
et leur indépendance. Les dispositions légales propres à seconde 
de plus en plus l'émancipation des communautés dans l'ordre civil 
sont un des traits caractéristiques de l'époque antonine. 

Lors des élections municipales, les candidats promettaient à 
l'envi à leurs concitoyens des édifices publics, des jeux, des ban- 
quets ou même des distributions d'argent'. Mais souvent ces 
promesses n'étaient pas tenues; l'édifice commencé restait ina- 
chevé, ou bien la construction n'était pas même ébauchée. La 
ville n'avait aucun recours contre ce manque de foi^ car la simple 
poîîicitatio n'obligeait pas. Trajan voulut que dans ce cas 
spécial elle créât un lien de droit, et fit décider que quiconque, en 



1. Comme le remarque Hegewisch (p. 203), il eût suffi de permettre 
aux courriers de se charger, outre leurs dépêches, des lettres particu- 
lières, moyennant une certaine rétribution, pour changer en une source 
abondante de revenus pour TEtat, et en un établissement très-commode 
pour les citoyens, une institution qui n'était pour eux qu*un fardeau. 

2. Plin., Ep. ad TraJ., 44, 45. 

3. Ces présents ne doivent pas être confondus avec Vhanorarivm ou 
iumma legUima que le nouvel élu était tenu de verser dans la caisse 
municipale. 



— 424 — 

m 

vue d'un honneur public devant être déféré à lui ou à d*autres, 
aurait promis d'exécuter quelque ouvrage dans une civitas serait 
tenu de l'achever. L obligation passait à son héritier ^ 

Une autre loi de Trajan, favorable à la bonne administration, 
nous, a été conservée par une inadvertance de Tribonien, qui 
Ta insérée dans le Digeste à côté de disposition^ contraires. 
La soustraction de fonds appartenant aux civitcUeSy considérée 
jusqu'alors comme un simple furtum et ne donnant lieu qu'à une 
répétition civile, fut assimilée au péciUat et punie de l'inter- 
diction de l'eau et du feu jointe à la confiscation des biens*. A 
l'époque de Marcien, la législation inaugurée sous Trajan était 
encore en vigueur, mais plus tard on revint à l'ancien état de 
droit ', sans que l'on puisse déterminer les motifs de ce retour. 

Enfin le sénatus-consulte Apronien ' autorisa les cités à acquérir 
des biens par voie de fidéi-commis. Comme personae incertae, 
elles né pouvaient ni hériter ni recevoir de legs* et elles ne furent 
relevées de cette incapacité qu'au v* siècle de notre ère •. Jusque- 
là, le sénatus-consulte Apronien leur permit de tourner les dispo- 
sitions sévères de la loi : on sent assez à quel point cette mesure 
leur était favorable. 

Le manque de documents nous empêche, comme nous l'avons 
dit, de présenter un tableau détaillé de l'état des provinces sous 
Trajan. Ainsi nous ne savons rien de l'histoire de la Bretagne, 
ni de celle de la Gaule, pendant le règne de ce prince. En Espagne, 
les bornes milliaires retrouvées sur le magnifique réseau de routes 
qui sillonnait la Péninsule témoigne de la sollicitude avec laquelle 
Trajan chercha à porter la vie dans toutes les parties de ces pro- 
vinces''. Mais le pont d'Alcantara^ et celui de Chaves* montrent 
d'une manière encore plus éclatante de quelle prospérité jouissait 
alors le pays, puisqu'ils ont été élevés, en dehors du parcours des 



1. Oig.,L, 12, 14,pr. 

2. Dig., XLVIII, 13, 4, 57. Cf. eod. tit, l. 3. 

3. Et hoc jure utimur, dit Marcien au lieu cité du Digeste. Mais au 
livre XLVII, 11, 81 on lit : ob pecuniam civitati subtractam, actionefûrti 
non crïmine peculatus tenetur. Gf. 1. 16, { 15 et 16. 

4. Dig., XXXVI, 1, 26. Bach, dans l'histoire de lajurisprudence, rapporte 
ce sénatus-consulte au régne de Trajan. D'autres auteurs le rattachent 
au régne d*fladrien. 

5. Ulp., ReguL, XXll, 5; XXIV, 18. Plin.,Jrp., V, 7. 

6. Constitution de l'empereur Léon en 469. Cod. Ju$t., VI, 24, 12. 

7. Nos n- 5, 7, 13,23,38. 

8. Notre n'41. 

9. Notre n* 63. 



— 425 — 

voies romaiBes, aux frais des municipes situés dans le voisinage 
et que la communauté des intérêts poussait à se rapprocher. Des 
villages du Portugal et de TEstramadure dont on ne retrouve 
plus la place ' faisaient construire au-dessus du Tage un pont 
magnifique qui domine de soixante mètres les eaux du fleuve^. 
On conçoit que de tels monuments aient perpétué le nom de Trajan 
dans une contrée qui pouvait d'ailleurs, à juste titre, se montrer 
flère de l'avoir vu naître, et on s'explique que la reconnaissance 
nationale y fasse attribuer au même empereur, sans preuve suffi- 
sante, tous les édifices romains dont la solidité ou la grandeur 
éveillent l'admiration ^. 

Nous avons étudié plus haut ce qui concerne l'administration 
de Trajan dans la Germanie et dans les provinces du Danube. 

Dans l'Orient, pourvu depuis longtemps de toutes les ressources 
de la civilisation, Trajan eut moins à faire : il y laissa pourtant 
des marques de son activité et des fondations généreuses. La statue 
que les Grecs lui avaient élevée à Olympie ^ ne parait pas un 
honmiage banal, mais bien un remerciement pour quelque bienfait 
considérable. L'abondance des capitaux dans la Bithynie^ témoi- 
gne de l'état fiorissant dont jouit la province dès que les abus les 
plus criants eurent été réformés, et nous sommes autorisés à 
croire que toutes les provinces asiatiques étaient dans une situa- 
tion également heureuse. Ântioche fut dotée de monuments 
somptueux et utiles ^. 

L'Egypte vit s'étendre et s'améliorer la navigation du canal 
qui reliait le Nil à la Mer Rouge. Créée sous Cambyse et Da- 
rius^, délaissée par les derniers Achéménides, rétablie par Ptolé- 
mée Philadelphe^ et soigneusement entretenue par les premiers 
Césars, cette voie navigable ne fat abandonnée qu'au uf siècle 
de notre ère ^. Trajan en agrandit l'embouchure : de plus, il 
porta la prise d'eau du Nil à Babylone, c'est-k-dire à soixante 

1. Sur onze peuples dont les noms sont inscrits sur le pont d'Alcan- 
tar% deux seulement ont pu être identifiés. 

2. fiûbner, Corpus, p. 90. Delaborde, Itinéraire de VEtpagne, II, p. 116. 

3. Par exemple le pont de Salamanque et l'aqueduc de Ségovie* Hûbner, 
Corpuiy etc., p. 110, 379. 

4. Pausan., V, 12. 

5. Plin., ad Trai,, 54. 

6. Halalas., éd. Bonn., p. 276. 

7. fièrod., Il, 15S. 

8. Pline {Hist, NaL, VI, 29) rappelle PtoUmaeus amnis. 

9. Letronne, Inscriptions de V Egypte, I, p. 296. Ptolémée nomme le canal 
Tportfltvoc IIotflqMc 



— I» — 

kilomètres en amont de Bubaste, où le canal commençait au 
temps d'Hérodote; cette modification, qai augmentait la pente du 
canal, augmentait aussi la durée du temps pendant lequel il était 
ouvert à la navigation ^ Ce grand travail se rattachait d'ailleurs 
à l'exploitation des carrières de granité et de porphyre, décou- 
vertes sous le règne de Claude, mais qui ne furent pas fouillées 
activement avant celui de Trajan*. Ainsi son nom parvenait 
jusqu*au fond de la Haute-Egypte', accompagné d'un tel prestige 
que les Ethiopiens envoyèrent une ambassade à Rome^. L'éleva* 
tion, au rang de colonies, de villes telles qu'Hadrumète, Sétif et 
Thamugas ^, nous montre enfin lès efibrts de Trajan pour étendre 
et consolider la puissance romaine dans le nord de TAfirique. 

Au milieu de cette prospérité, les provinces n'étaient pas, ne 
pouvaient pas être, à l'abri des malversations d'un administra- 
teur; sous Trajan même, l'ÂMque, la Bétique, la Bithynie eurent 
à demander justice de leurs proconsuls *. Mais ces &its graves 
devenaient plus rares à mesure que le principat se consolidait. 
La correspondance de Pline nous ofire les traits principaux de la 
chronique de Rome depuis l'an 97 jusqu'à l'an 109'. Dans cet 
intervalle, Fauteur ne cite que quatre procès de concussion. Dans 
tous il prit la parole : mais il rendait à ses amis un compte si 
suivi et si détaillé de toute séance du Sénat un peu intéressante, 
qu'U n'eût certainement point passé sous silence le récit d'une 
affaire criminelle par la raison qu'il n'y aurait joué aucun rôle. 
On peut donc affirmer que les procès de Marins Prisons, de 
Caecilius Classicus, de Julius Bassus, de Yarenus Rufus sont 
les seuls qui aient été portés devant le Sénat dans ces douze 
années : or sous Néron, dans l'espace de six ans. Tacite n'énumère 
pas moins de onze procès de ce genre *. 



1. Le nouveau canal fut terminé vers 109 (an XII de Trajan). Letronne, 
l. l., p. 424. 

2. Letronne, Mi., p. 189. 

3. Le nom de Trajan est inscrit en caractères hiéroglyphicrues dans les 
temples de PhUae, d'Omtos (Champollion, Fréciâdu vfttèmehiéroglifpkUiue, 
pi. 148, 148a), de Denderah, d'Esnek (id., Lettres, VII, p. 75; XII, p. 165). 

4. Dion, LXVIII, 15. Il les appelle 'Iv6o0<. 

5. OrelU 3058. 

6. Le procès de Harius Priscus fut jugé dans les premiers jours de 
Tan 100, celui de Classicus dans Fautomnede 101, celui de Julius Bassus 
en 103 ou 104, celui de Varenus Rufùs en 106, U durait encore en 107. 
Hommsen, Etude, 12-22. 

7. Mommsen, Etude, 1** partie. 

8. En 56, ceux de Vipsanius Lenas, de Cestius Proculus (iliMi.,Xin, 30); 



— «7 — 

L'accusation était portée devant le Sénat par le cùncilium ' 
de la province^ dont les envoyés recevaient k ce sujet un mandat 
impératif*. Pour que le procès suivit son cours, il iEallait que le 
Sénat autorisât Tenquête^, ce qui donnait Ueu à une première 
discussion et opposait à l'accusation un premier obstacle. Tou- 
tefois on ne rapporte pas que cette enquête ait jamais été refusée. 
Elle se faisait même dans des conditions assez favorables aux 
provinciaux, car Taccusateur seul pouvait forcer les témoins à 
comparaître. Lors du procès de Yarenus Rufus, Pline fit rendre 
un sénatus-^consulte qui conférait les mêmes droits à l'accusé. On 
ne conçoit pas comment cette mesure équitable fut prise aussi 
tard, ni pourquoi elle suscita de violentes clameurs^. 

Les procès de concussion tombaient sous le coup de la loi 
Julia^, justement vantée par Cicéron ®. L'Empire n'apporta 
aucune modification essentielle à cette œuvre d'une politique à la 
fois habile et généreuse, qui résumait et consacrait tous les 
efforts tentés depuis un siècle pour améliorer la condition des 
peuples vaincus. Mais la nouvelle composition des tribunaux pro- 
mettait une justice plus impartiale, car ce n'était plus seulement 
parmi les sénateurs ou parmi les chevaliers, ou sur une liste 
comprenant les noms des membres de ces deux ordres, que le 
préteur choisissait les juges. Auguste avait rétabli la troisième 
décurie supprimée par Jules César (celle des tribuni aerarii) ; 
il en avait ajouté une quatrième '', Caligula^ créa la cinquième. 
Ainsi le jury se trouvait recruté dans toutes les classes, et la 
classe moyenne y dominait. 

Malheureusement les affaires de concussion durent être portées 



en 57, ceux de P. Geler, de Gossutianus Gapito, d'Eprius MarceUus (iM ., 
xm,33); en 58, ceux de Suilius (Mi., XHI, 43), de Sulpicius Gamerinus, 
de Pomponius Silvanus (ibid,, xni, 52); en 59, celui de Pedius Blesus 
(<M., XIV, 18); en 60, celui de Vibius Secundus (<M., XIV, 28); en 61, 
celui de Tarquitius Priscus (<M«, XIV, 46). 

1. Plin., Bp., VII, 6. 

2. PMn., Bp,, III, 9. La môme marebe était suivie pour raccusation du 
gouverneur d*une des provinces rôeervées à Gôsar. V. l'inscription connue 
sous le nom de Marbre de Thorigny, Bev. archéoi,^ 1864, l, p. 9, 

3. Plin., jrp.,V, 20; VI, 29. 

4. Bp., VI, 5, Yl, 13. 

5. Laboulaye. Lois eHmêMllei det Bomainêy p. 419. 

6. Optima lez. Pro Sextf 64. Lex Gaesaris justissima atque optima. In 
Pi9on, 16. 

7. Suët, œt, 32. 

8. Suét., CaUg., 16. V. dans les inscriptions, pasOm. 



— 428 — 

devafit le Sénat ^ qui se rendit maître absolu des procédures et de 
la peine. Tous les abus, tous les entraînements que favorise la 
mise de la justice dans les mains d*un corps politique ne tar- 
dèrent pas à se Caire sentir, et le règne de Trajan, comme nous 
Talions voir, en fournit plus d'une preuve. 

En dehors des envoyés de la province, des sénateurs seuls pre- 
naient la parole dans ces affaires. Le Sénat désignait ceux de 
ses membres qui soutiendraient l'accusation, et ceux qui défen- 
draient l'accusé et ses complices : dans ce choix, on se confort 
mait généralement aux désirs exprimés par les parties. 

Le renvoi, devant les juges ordinaires, du gouverneur accusé 
exposait celui-ci à des restitutions pécuniaires et à la perte de 
ses dignités. C'est ici que le Sénat usait de son pouvoir discré- 
tionnaire pour adoucir ou pour aggraver la peine*. Ainsi Julius 
Bassus, n'ayant donné et reçu que des présents peu considé- 
rables, parut plus imprudent que coupable. Le Sénat décida que 
l'accusé conserverait son rang, quelle que fut la décision des 
juges devant lesquels il le renvoyait^. D'autres fois, la déchéance 
n'était que partielle : ainsi Hostilius Firminus, légat de Marius 
Priscus, ne fut pas exclu du Sénat, mais seulement privé de 
prendre part au tirage au sort des gouvernements. Pline relève 
avec vivacité ce qu'il y avait de contraire au bon sens et à 
l'équité dans cette demi-mesure : « Que peutK)n imaginer de plus 
bizarre et de plus indécent que de voir siéger au Sénat un homme 
que le Sénat a flétri, de le voir au niveau de ses propres juges? 
de le voir, exclu du proconsulat pour cause de prévarication 
dans ses fonctions de légat, juger lui-même des proconsuls ? de 
voir enfin un homme, condamné pour un crime honteux, con- 
damner ou absoudre les autres ^ ? » 

Un épisode du procès de Classicus offre un exemple révoltant 
d'arbitraire et de partialité. Au nombre des complices poursuivis^ 
était Casta, la femme du proconsul. L'accusation, néanmoins, 

1. Dion, Ll,21. Sur cette question et les développements qu'elle com- 
porte, voir Laboulaye, ouv. cit. pp. 413-428, 438-444. 

2. Pline, Ep., IV, 9. Gaepio q^^um putaret licere Senatui, sicut licet, et 
mitigare leges et intendere... 

3. Julius Bassus fut môme consul suiFect^ en 105. Les actes de son gou- 
vernement furent cassés [ad Traj.y 56, 57).* 

4. Ep., 1, 12. Il supporte plus patiemment rinconséquence dont profita 
son client fiassus, mais il convient qu*elle causa beaucoup de méconten- 
tement dans le Sénat et dans Rome {Ep, IV, 9). Le Sénat abusait un peu 
de la liberté que lui laissait Trajan. 

5. Â la demande de Pline, m, 9. Cf. VI, 31. 



— 429 — 

n'avait produit contre elle que des indices de culpabilité. A la 
surprise générale, un témoin, en déposant, insinue que Tun des 
accusateurs, Norbanus Licinianus, est peut-être coupable de 
prévarication * en faveur de Casta. Or Norbanus avait été non- 
seulement désigné comme accusateur par la province, mais 
encore nommé par le Sénat commissaire dans l'enquête prépara- 
toire. Malheureusement pour lui il s'était montré, sous Domitien, 
l'adversaire de plusieurs sénateurs. Aussitôt le ressentiment 
patricien se déchaîne et l'accable. La loi exigeait que l'accusa- 
tion principale fut jugée avant la prévarication : au mépris de 
la loi, on décide que la prévarication sera jugée inmiédiatement. 
Licinianus demande au moins un délai d'un jour pour qu'un 
acte d'accusation soit dressé et qu'il puisse en prendre connais- 
sance : on passe outre, pour l'empêcher de rassembler les 
éléments de sa défense. Mais, par sa présence d'esprit, il répond 
de manière à confondre son accusateur. Alors on le charge à 
l'envi de griefs particuliers, tous étrangers à la cause. Deux con- 
sulaires rappellent que, sous Domitien, il eut part à la condam- 
nation de Salvius Liberalis*. La rélégation est prononcée contre 
Norbanus : et de l'aveu de Pline, cette condamnation était, au 
fond, motivée par des inimitiés particulières beaucoup plus que 
par la prétendue prévarication, mise en avant par un témoin 
irrité ou suborné, et visée dans l'arrêt. Pline, qui accusait Casta 
et se trouvait gêné par l'insuffisance des indices qu'on alléguait 
contre elle, retient alors le fait de prévarication qui la compromet 
aussi bien que son complice, et il s'efiForce d'en tirer parti en 
exposant que la condamnation qui vient d'être prononcée est 
inexplicable si l'on n'admet pas que Casta est en effet coupable 
de feits graves, que la connivence de Norbanus dissimulait. Cette 
logique se trouve en défaut: les sénateurs ont assouvi leurs 
vengeances particulières, ils ne veulent pas frapper une claris-- 
sima feminay Casta est acquittée ! Dans la même affaire, le 
gendre de Classicus est absous, mais un oflScier, autrefois sous 
ses ordres, et qui n'a que le rang de chevalier, est banni de 
l'Italie pour deux ans^. 

Au sortir du règne de Domitien, où le Sénat avait été si cruel- 
lement éprouvé, ses membres évitaient de se frapper les uns les 

1. On appelait praevaricatio la collusion démontrée de Taccusateur avec 
l'accusé pour procurer à celui-ci un acquittement frauduleux. 

2. Rappelé d*exil par Nerva, Liberalis siégeait en ce moment même au 
Sénat. 

3. Ep., m, 9. 

1>B LA BBBGE 9 



— 130 — 

autres, etreculaiaiit devant des accusations ou des condamnations 
qui pouvaient rappeler, même de bien loin, les manœuvres et 
Tacharnement des délateurs. Aussi Pline s'efforçait-il, autant qu'il 
le pouvait, de faire agréer par le Sénat ses excuses pour décliner 
le rôle d'accusateur ^ Il hésita longtemps à se charger des intérêts 
de la Bétique dans le procès que cette province intentait à Glas- 
sicus. Il s'y décida parce que « le proconsul étant mort avant l'ou- 
verture des débats, ce qu'il y a de plus affligeant dans ce genre 
d'affaires, le péril où on expose un sénateur, se trouvait écarté'. » 
Au cours du procès de Marius Priscus, il éprouva une faiblesse 
véritablement surprenante, dont le devoir triompha du reste. 
Il avait cherché à établir que les abus de pouvoir dont Priscus 
s'était rendu coupable dépassaient la mesure des crimes compris 
dans l'accusation ordinaire de concussion, puisque le gouver- 
neur avait reçu de l'argent pour condamner et faire périr des 
innocents : il obtint que la question fût divisée. Sur le chef des 
malversations, Priscus renvoyé devant les juges ordinaires 
et condamné comme concussionnaire, perdit son rang de 
sénateur et toutes ses dignités. A l'égard des meurtres juri- 
diques, les habitants de la province, qui en avaient payé le 
prix au proconsul, furent mandés devant le Sénat qui s'était 
réservé le jugement de cette seconde partie de l'accusation et 
Priscus fut amené, avec ses complices, dans cette enceinte où 
longtemps il avait siégé près de ceux qui allaient statuer sur son 
sort. Pline ne put voir, sans se troubler, cet ancien consulaire 
dépouillé de son titre et de ses insignes^; il se sentit rempli de 
compassion et, de son propre aveu, les moyens oratoires forent 
sur le point de lui manquer au moment où il s'agissait de ùire 
prononcer contre le coupable un châtiment exemplaire et mérité 
que lui, Pline, réclamait naguère avec énergie^. 

1. Ad Trajan,, 3. Ep., III, 9. 

2. Amotum erai quod in ejusmodi causis solet esse tristissimum, péri- 
culum Benatoris. N'oublions pas qu'il ji^oute avec ingénuité : Videbam 
ergo advocationi meae non minorem gratiam quam si viveret ille pro- 
positam, invidiam nullam. • 

3. Stabat modo consularis^ modo septemvir epulonum, jam neutrum. 
Erat ergo perquam onerosum accusare damnatum quem, ut premebat 
atrocitas criminis, ita quasi peracte damnationis miseratio tuebatur. 

4. MarcuB Priscus dut verser dans le trésor public les sept cent mijle 
sesterces qu'il avait reçus pour faire mettre à mort un chevalier romain, 
et il fut banni de Rome et de l'Italie. Quelques sénateurs demandaient 
qu'indépendamment du versement au trésor, aucune peine ne fût ajoutée 
à la condamnation pour concussion. Ils jugeaient sans doute que cette 



— «4 — 

Il est curieux de voir un esprit de corps si vif et si inquiet se 
développer dans le Sénat à une époque où la communauté du 
titre liait seule encore ses membres, appelés k Rome de toutes 
les parties du monde connu et étrangers les uns aux autres par leurs 
origines comme par leurs intérêts domestiques, et l'on voit que, 
sans avoir dicté des acquittements scandaleux comme au septième 
siècle de Rome, cet esprit inspira néanmoins des décisions assez 
critiquables. L'étude des procès analysés dans la correspondance 
de Pline ne me paraît donc pas justifier Topinion qui accuse les 
empereurs d'avoir travaillé, d'une façon méthodique, à l'abaisse- 
ment du Sénat et k la réduction de ses privilèges : on peut regretter, 
au contraire, qu'ils lui en aient laissé d'exorbitants. Cette étude 
me semble également peu favorable au préjugé qui attribue aux 
Césars l'établissement de mesures plus propres que la législation 
républicaine à garantir la sécurité des provinces : cette législation 
fut conservée et inopportunément adoucie ^ En même temps que 
l'ordre s'établissait dans le vaste empire romain, Téquité s'intro- 
duisit, il est vrai, dans le gouvernement des provinces, miais 
ce fut moins l'effet de réformes législatives qu'un résultat général 
dû à l'apaisement des compétitions politiques* et surtout au déve- 
loppement croissant du travail, à la diffusion de la richesse et 
au progrès des classes moyennes signalé, à toute époque, par une 
probité plus grande apportée dans la gestion des affaires publiques. 



condamnation s'appliquait au meurtre juridique, la loi de repehMdii 
ayant en effet prévu cet abus de pouvoir : ne quis... ob hominem con- 
demnandum... aliquid acceperit (ZN^., XLVIII, tit. XI, 1. 7 pr.). Au com- 
mencement du règne de Vespasien, Antonius Flamma, proconsul de 
Gyrènaique sous Néron, fut condamné aux mêmes peines que Harius 
Priscus c damnatus lege repetundarum et ezsilio ob saevitiam (Tacite, 
HM,' IV, 46). 

t. Juvénai, SaL, I, 49 : 

et hic damnatus inani 

Judicio (quid enim salvis infamia nummis?) 

Bxul ab octava Harius bibit, et ft'uitur Dis 

Iratis : at tu victrix provincia ploras. 

% Sous la République les proconsuls pOIaient les provinces pour 
refaire leur patrimoine dissipé dans les dépenses électorales et surtout 
dans les frais énormes de Tédilité. 



CHAPITRE X. 



LEGISLATION CIVILE ET CRIMINELLE. 



Il reste peu de vestiges des lois dues à l'initiative de Trajan ou 
inspirées par ses conseillers. Le code Grégorien, dont la subs- 
tance a passé dans celui de Justinien, ne renfermait pas de cons- 
titutions impériales antérieures à celles d'Hadrien, de sorte que 
Tœuvre législative de Trajan se trouva rejetée hors du cercle 
habituel des études et exclue des grandes collections juridiques ^ 
Mais heureusement les Pandectes renferment un certain nombre de 
décisions rendues par lui, qui sufiSsentpour nous donner une idée 
de l'esprit dont il était animé. 

Elles sont dignes du prince que nous connaissons déjà, et con- 
firment ce que ses autres actes nous ont appris de son caractère. 
Sa droiture naturelle, sa grande bonté, l'habitude de la vie mili- 
taire où tout doit être clair et précis, en un mot chacune de ses 
qualités propres l'invitait à porter la simplification dans les lois 
romaines^ et la rapidité dans les lenteurs compliquées de la procé- 
dure. D'autre part nous savons que parmi les jurisconsultes dont 
il s'entourait, ceux aux avis desquels il déférait le plus volontiers 
étaient Juventius Celsus et Neratius Proculus. Or, tous deux 
appartenaient à la secte des Proculéiens qui prenaient le bon sens 
et l'équité pour guides, et qui, sous l'influence des principes stoïciens 

1. Justinien avait môme défendu de citer, dans les plaidoiries, les 
constitutions anciennes qui ne seraient pas incorporées dans son code 
{de Just. eod. ctm/irmando). Sans la publication du Digeste, postérieure à 
cette mesure, on aurait donc perdu à peu près complètement le sou- 
venir des lois de Trajan. 



— 433 — 

qu'ils avaient embrassés avec ardeur, s'écartaient volontiers des 
opinions anciennes et des routes frayées, pour atténuer la rigueur 
des vieilles lois en y portant des vues plus larges et plus hu- 
maines. Aussi, bien que les Sabiniens aient encore joui d'une 
grande autorité sous le règne de Trajan, alors que Javolenus, 
Julianus et Yalens illustraient leur école, la tendance procu- 
léienne de la législation que nous allons examiner n'est-elle pas 
méconnaissable. Mais d'un autre côté, Trajan nous a montré, 
dans sa conduite politique, une réserve et une prudence qu'on est 
parfois tenté d'appeler de la timidité. Il n'abandonnera pas non plus, 
dans ses réformes législatives, cette circonspection si conforme 
au vieil esprit romain, et tout en réalisant des progrès désirables, 
il ne prendra aucune de ces mesures générales qui font date, 
il n'y apportera ni cette largeur de conception ni cette 
supériorité dans les vues d'ensemble qui caractérisent les réformes 
de ses successeurs, Hadrien et Antonin, et ont motivé leur intro- 
duction dans les collections classiques des lois. 

Avant d'aborder l'étude des constitutions de Trajan qui nous 
ont été conservées, il faut examiner une phrase énigma tique de 
Capitolin. Suivant cet auteur, Trajan ne consentit jamais à don- 
ner de rescrits de peur qu'on n'étendît à tous les cas, en leur 
communiquant la force légale, des décisions accordées seulement 
comme des faveurs *. Le Digeste contient trop de rescrits de Tra- 
jan pour que ces paroles puissent être prises à la lettre ; aussi les com- 
mentateurs Godrfroy*, Schulting^, Bach*, pensent-ils queles^iôe/W 
dont il est ici parlé sont les pétitions adressées par des particu- 
liers, que l'empereur voulut, par une marque nouvelle d'affabilité, 
recevoir de vive voix et non par écrit comme l'exigeaient ses pré- 
décesseurs ^. Mais cette interprétation n'est pas admissible, attendu 
que nous avons des réponses écrites faites par Trajan à des pétitions 
sur des objets d'intérêt privé, également écrites^. L'état des manus- 
crits ne suggère aucune correction au texte de Capitolin ; je pense 

1. Capitol.. Maer,^ 13.... Quum Trajanus nunquam libellis responderit, 
ne ad alias causas facta praeferrentur quae ad gratiam composita 
viderentur. 

2. Âd leg. 9. Cod. Theod {dedhersis rescripUs), 

3. Dissertatio pro rescriptis dans CommeniatUmes Academieae^ 1770, 
p. 193. 

4. Legei divi Trajani praef., p. XI. —Montesquieu, probablement pour 
tourner la difficulté qui nous arrête ici, a traduit : c Trajan refusa iont' 
vent de donner de ces sortes de rescrits etc. » {Esprit des luis, XXIX, 17). 

5. Suôt, Ner., 15. 

6. Pline, ad Traj. 2, 48, 107, etc. 



qae cet auteur 8*est trompé et s*est fait l'écho des traditions qui 
avaient cours k son époque sur les habitudes et les sentiments de 
Trajan, auquel la vénération populaire attribuait une équité et 
une bonté contrastant avec la morgue et le formalisme des autres 
empereurs. 

Revenons maintenant aux textes épars dans le Digeste, etd'abord 
à ce qui touche la législation civile. Nous signalerons en premier 
lieu l'adoucissement du pouvoir monstrueux que le droit ancien 
donnait au père sur ses en&nts. Papinien rapporte que Trajan 
força un père qui maltraitait son fils, contre toute affection natu- 
relle, à émanciper le jeune homme, et celui-ci étant venu à mou- 
rir quelque temps après, le père fut exclu de la succession, 
conformânent à l'avis de Neratius Priscus et d'Âriston ^ 

Le prince veilla aussi aux intérêts des mineurs. Les exemptions 
de tutelle furent strictement bornées aux cas que les lois avaient 
spécifiés'; et tandis que la gestion des biens du mineur était sou- 
mise à des règles plus sévères', on donna recours au pupille contre 
le magistrat qui, dans la tutelle dative, n'aurait pas exigé du 
tuteur qu'il désignait et des fidéjusseurs , garants de l'obligation 
du tuteur, des cautions su£Bsantes'. En revanche, les actes 
d'administration du tuteur, &its de bonne foi, furent rendus inat- 
taquables et lièrent le pupille, mesure d'ailleurs favorable à ce 
dernier, car s'il en eût été autrement, personne n'aurait voulu 
traiter avec son tuteur*^. 

Une lettre de Trajan à Pline nous &it connaître le sentiment 
de l'empereur sur les enfants abandonnésdeleurs parents, recueillis 
par des étrangers, et élevés par ceux-ci dans la servitude •. La 
coutume barbare de l'exposition était si générale dans le monde 
ancien^ que dans chaque pays le législateur avait dû toucher à 
la question, et partout où Rome avait trouvé des lois établies sur 
ce sujet, elle les avait respectées et les faisait observer par le 
proconsul, mais en Bithynie rien de tel n'existait, et Trajan pou- 
vait y faire prévaloir ses vues propres. U se montre complètement 
favorable à l'enfant, qu'il déclare apte à réclamer la liberté sans 
être tenu à la racheter par le remboursement des aliments qu'on 

1. Dig., XXXVIl, 12, 5. 

2. Fragm. Valican., 233. Dig., XXVII, 1, 17, } 6. 

3. Dig., XU. 4, 25S. 

4. Cod. Jtut., y, 75. 5. 

5. Dig., XXVI, 7, 12, l 1. 

6. Pline, ad Traj. 6S. 

7. y. Denis, Hitt des Idées morales, il. 108 et suiy. 



lui aura fournis. Cette décision, très-équitable en soi, ne ren- 
férme-tr-elle pas quelqu' imprudence? Constantin s'en écarta, et 
déclara que quiconque aurait recueilli et élevé un en&nt aban- 
donné, acquerrait sur cet enfant le droit de la puissance pater- 
nelle, dont la revendication même du père véritable ne pourrait 
plus le dépouillera Justinien, au contraire, voulut que l'enfant 
fut libre et maître de sa personne, pour déjouer les desseins de 
ceux qui l'auraient recueilli dans des vues de spéculation*. 
C'était revenir à la doctrine de Trajan, mais après plus de 
quatre cents ans, et alors que, sous l'influence dominante du 
diristianisme, les expositions étaient devenues beaucoup plus 
rares, et que s'étaient éveillés, dans le cœur des riches, des sen- 
timents de commisération et de dévouement sur lesquels le légis- 
lateur pouvait compter. Au premier siècle, il était bien téméraire 
de s'appuyer sur des sentiments de cet ordre, et la doctrine de 
Trajan, enlevant tout avantage à ceux qui recueillaient les 
enfants, exposait ces derniers à périr dans l'abandon. U est 
presqu'impossible qu'il n'ait pas vu cet écueil; peut-être vou- 
lait-il mettre à la charge des villes l'entretien et l'éducation des 
enfants délaissés sur leur territoire, ou bien se proposait-il de 
fonder dans les provinces, et d'y encourager l'établissement, 
d'institutions analogues aux alimenta d'Italie. Nous ne savons 
rien à cet égard, mais la loi de Constantin prouve au moins que 
les vues de Trajan ne furent pas susceptibles d'une application 
générale et prolongée. 

Bien que cet empereur n'ait accordé le droit de cité qu'avec 
beaucoup de réserve, c'est néanmoins à son règne qu'on rapporte 
la loi de Vettius Publions (?), aux termes de laquelle tout esclave 
d'une cité italique recevait, par le seul fait de son affranchisse- 
ment, le droit de cité romaine '. 

Trajan facilita les affranchissements par voie de fldéicommis, 
moins, à ce qu'il semble, par un sentiment de justice et de pitié 
pour les esclaves que par le désir de faciliter l'exécution des 



1. Cod. Theod.,1. I| deexpositU. 

2. Cod. Just, VIII, 52, 3 et 4. 

3. God. Just., Vil, 9, 3. Si itaqtêe iecundum legem VectilnUici {cujus potes- 
totem senatus-cansuUe Jubentio CéUo Uer, et Neratio MarceUo co«. facto 
(a. R. 882 » p. Cor. 129) ad provincias porrectam constUit) manumissus es, 
etc. Pitiscus, sub\* suppose qu'il faut lire VectU |etj Puhlieii) cçb noms 
seraient ceux des consuls de Tan 97. Mais cette indication de Pitiscus est 
erronée : ce collège de consuls n'est cité nulle part. U faut lire sans 
doute VêttiBolani. Vettius Bolanus fut consul ordinaire en lii ap. J.-G. 



— 436 — 

volontés des morts. Ainsi, par le sénatus-consulte RubrienS il fat 
décidé que quand ceux qui étaient chargés de donner les libertés 
refuseraient de se rendre au tribunal du préteur chargé des fldéi- 
commis, et que ce préteur jugerait que les libertés étaient dues, 
les esclaves seraient considérés conune affranchis directement. Le 
sénatus-consulte Dasumien ^ étendit, au cas de l'absence justifiée, 
cette mesure que le Rubrien limitait à la contumace intention- 
nelle, et enfin le sénatus-consulte Articuléien donna aux gouver- 
neurs de provinces le droit, jusqu'alors réservé au préteur des 
fidéicommis à Rome, de prononcer ces manumissions^. 

C'est encore par respect pour les dernières volontés des mou- 
rants que Trajan rendit souvent au fidéicommissaire, lorsque 
l'héritier était chargé de lui remettre la succession sans en rien 
retenir, le quart des biens que le sénatus-consulte Pégasien 
réservait à cet héritier Ml est intéressant de voir le nom de Trajan 
mêlé souvent à cette matière des fidéicommis, expédient par lequel 
les esprits libres et généreux éludaient la rigueur de l'ancien droit, 
tout en en respectant les antiques formules et les prescriptions 
inflexibles. Ce mélange d'innovation et de respect du passé carac- 
térise bien le règne dont nous nous occupons ; la même tendance 
équitable se retrouve dans un rescrit aux termes duquel une forme 
insolite de rédaction ne dût plus entraîner la nullité d'un testa- 
ment *. 

En revanche, les droits souvent excessifs des patrons furent 
maintenus avec rigueur. On ne peut blâmer le rescrit qui ordonne 
que le magistrat suspendra sa décision sur une mise en liberté 
réclamée aux termes d'un testament, quand ce testament est atta- 
qué en justice*, mais on lit avec peine un édit de Trajan qui 
paralyse, dans les mains de l'affranchi latin, auquel le prince 
même aurait accordé le droit de cité, tous les effets utiles de ce 
droit, si cette faveur a été obtenue contre le gré ou à l'insu du 
patron ; édit dans lequel, reprenant d'un côté ce qu'il donne de 
l'autre, il privait le nouveau citoyen d'avantages que la loi Aelia 
Sentia lui assurait. Il fallut que, dès le règne d'Hadrien, un séna- 
tus-consulte adoucît ces dispositions peu équitables'. 

Ces fragments constituent ce qui nous reste de la législation 

1. Dig., XL, 5, 26, i 7, an 100 ap. J.-G. 

2. Dig.. LX, 5, 51, n 4-6. 

3. Ibid., i 7. 

4. Dig., XXXVI, 1, 30, : 5. 

5. Di^;., XXVIII, 5, l. - 6. Dig., V, 3, 7. 

7. Gaius, Comment,, 111, 72, 73. Cf. InsUiut., III, 7, 4. 



— ^37 — 

civile de Trajan. On n'y trouve aucune disposition tendant à 
améliorer le sort des esclaves ou à relever la condition légale de 
la femme, et cette lacune n*est pas, je crois, imputable au hasard, 
mais bien au respect superstitieux de l'empereur pour le droit et 
les préjugés anciens. Hadrien, heureusement, montrera une ini- 
tiative plus courageuse, et va bientôt inaugurer dans cette voie 
de sérieux progrès. 

En vue de rendre plus sûres les transactions privées, des peines 
sévères forent édictées contre ceux qui se serviraient de mesures 
fausses ^ Trajan voulait d'ailleurs diminuer autant que possible 
le nombre des procès, et, à cet effet, un sénatus-consulte fixa des 
limites aux honoraires des avocats '. Au début de toute contesta- 
tion judiciaire, les parties durent affirmer par serment qu'elles 
n'avaient rien donné ni promis à leur défenseur, et celui-ci, les 
affaires terminées, ne pouvait jamais recevoir plus de dix mille 
sesterces (2,000 fr.). La mesure, inspirée par un bon sentiment, 
était assez peu équitable ; d'ailleurs, elle fut sans doute aussi 
vaine que toutes celles qu'on avait prises si souvent sur le même 
sujet ^. Du reste, une fois les contestations engagées, Trajan exi- 
geait qu'elles fussent suivies jusqu'au bout, et il appliqua rigou- 
reusement à la tergiversatio le sénatus-consulte Turpilien*, 
dans les détails duquel il porta plus de précision ^. 

En ce qui concerne la législation criminelle, nous trouvons 
d'abord un rescrit ordonnant d'interroger les' criminels même les 
jours de fêtes, où le barreau vaquait ^, ce qui abrégeait d'autant 
la détention préventive. Trajan voulut aussi qu'en interrogeant 
les témoins, le juge ne posât pas les questions sous une forme qui 
suggérait des réponses dans un sens déterminé, et dictait en quel- 
que sorte la déposition"'. Mais on ressent une impression pénible 

1. Dig., XLVII, 11, 6, § 1. Ces peines furent celles que la loi Gornelia 
édictait contre le faussaire, déportation pour les honeslioreSy mines ou 
mort sur la croix pour les /lumi/iores (Paul. ^^nt. Rec^t, V, 5). Hadrien 
adoucit ces peines. Dig., I. 1.^ } 2. 

2. Pline, Ep, v, 4. C'est le motif qu'on invoquait, sous Claude, pour la 
remise en vigueur de la loi Gincia ne fidem quidem integram manere, ubi 
magnitwio quaestuum spectetur; qtuxl si in nulUtu mercedem negotia iuean- 
tWj pauciora fore ; nune inimicitias, accusatianes, odia et injurias foveri, ut, 
quomodo vis morborum pretia medentibus^ sic fari tubes pecuniam cuivocalis 
ferai,.. Tacit., Ann.. XI, 6. 

3. T. Liv., XXXIV, 4. Dion, LIV, 18. Tacit., Ann,, XI, 5-8; XUl, 42. Suôt., 
iVcr., 17. 

4. Pline, Ep., VI, 31. 

5. Dig.. XLVIII. 16, 10, 8 î. 

6. Dig., II, 12. 9. - 7. Dig., XLVlll, 18, 1, S M. 



— \M — 

en trouvant, à la suite de ces innovations libérales, des ordon- 
nances qui multiplient la torture et l'introduisent dans des cas de 
procédure d'où l'ancienne législation l'excluait *. Par une incon- 
séquence dont profitait l'humanité, . les esclaves n'étaient jadis 
soumis à la torture que pour fortifier les dépositions faites en 
faveur de leur maître, et jamais pour le charger*. Trajan décida 
que lorsque, dans un procès, un maître serait incidemment chargé 
par ses esclaves mis à la question, le juge pourrait tenir compte 
de cette accusation '; et, par une interprétation sophistique de la 
loi, les esclaves d'un condamné purent être mis à la question 
contre lui, parce qu'ils avaient cessé de lui appartenir^. L'esdave 
du mari put être mis à la question contre la femme accusée^. 
Enfin l'afiranchissement ne sauvait pas toujours ces malheureux 
de la torture. Quand un maître avait été assassiné dans sa mai- 
son, elle servait à arracher les aveux de ceux qui avaient été 
afiranchis par testament : sous Trajan, la loi fiit modifiée, pour 
que la question pût être appliquée également aux esclaves affran- 
chis du vivant du maître*. 

Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que les intentions de Trajan, 
alors qu'il aggravait les conditions déjà si dures de la procédure 
antique, étaient excellentes, et qu'il ne cherchait là que des 
moyens d'arriver plus sûrement à la connaissance de la vérité. 
Par ces voies atroces, que la philosophie ne condamnait que timi- 
dement, il marchait, ou croyait marcher, au but le plus louable, 
celui de ne faire prononcer que des jugements qui ne laisseraient 
aucune place au doute. Son époque tout entière encourt le reproche 
d'avoir pris pour un instrument eflScace de conviction les supplices 
au moyen desquels on obtenait des aveux '' . Mais c'est au seul 

t. Ce qui enlève à raccusé tout le bénéfice de la recommandation pré- 
cédente, car comme l'a dit Beccaria (ebap. X), est-il une interrogation 
plus suggestive que la douleur ? 

2. Laboulaye, LoU cfimhtdle$ des Romains, p. 154. V. dans Tacite, 
Ann.j n, 30, comment Tibère tournait la loi. 

3. Dig., XLVIU, 18, 1, i 1». 

4. Ibid., S 1^- 

5. Ibid., 2 11. 

6. Dig., XXIX, 5, 10, } 1. Cf. Pline, Bp,, VIII, 14, et Mommsen, Etttd^y 
etc., p. 23. 

7. Encore n*avait-on pas une foi entière dans cette efficacité. Ce qu'il y 
a de plus révoltant dans l'usage de la torture chez les anciens, c'est que 
les objections qu'elle soulève dans l'ordre logique aussi bien que dans 
Tordre moral, avaient été faites sans émouvoir personne. Biles servaient 
aux avocats qui avaient besoin de discréditer ce genre de preuve, dans 
un cas donné. Ils avaient d'ailleurs des réponses toutes faites à ces cri- 



Trajan que revient l'honneur d'avoir posé ces trois principes 
que l'assentiment des criminalistes modernes a consacrés : 

1* Rejet pur et simple de toute dénonciation anonyme *. 

2** Ne condanmer que sur des indices dont le nombre et l'im- 
portance produiraient la certitude, ou au moins une grande pro- 
babilité *. n vaut mieux, ajoute Trajan , dans le rescrit qu'il 
donne à ce sujet, laisser un coupable impuni, que de frapper un 
innocent. Ces belles paroles, qui expriment brièvement la pensée 
la plus équitable et la plus humaine, et caractérisent tout un sys- 
tème de droit criminel, suffiraient à la gloire d'un souverain. 

3^ Laisser à l'accusé qui s'était dérobé aux poursuites le droit 
de se représenter devant les juges, et, comme on le dit aujour- 
d'hui, de purger sa contumace. Alors seulement, quand U avait 
présenté sa défense, le jugement rendu en sa présence devenait 
définitif'. Sous la République, on procédait au jugement même 
en l'absence de l'accusée Le progrès inauguré par Trajan a été 
accueilli par toutes les nations civilisées, et il est inscrit dans nos 
lois. 



tiques^ pour le cas inverse, où les aveux arrachés par la torture étaient 
favorables à leur cause. Aristote, BkeL, i, 15, 4. Gic, Herenn,, II, 7. 
Quintil, Inst. oraL, V, 4. 

1. Pline, ad Tntf., 97. 

2. Dig., XLVIII, 19, 5. Absentem in criminibus damnari non debere, 
divus Triganus Julio Frontlno rescripsit : sed nec de suspicionibus debere 
aliquem damnari divus Trajanus Assidus Severo rescripsit. Satius enim 
esse impunitum reliqui facinus nocentis, quam innocentem damnari. 

3. Dig., XLVIII, 17, 4, i 2. 

4. T. Liv., XXV, 4. Cic, in Verr. Il, 17, 38, 40. Plutarch., Brut.y 27. 



CHAPITRE XL 



FINANCES. 



Trajan supprima ou réduisit un grand nombre d'impôts, et 
chercha dans l'ordre et dans l'économie les moyens de subvenir 
aux besoins publics de son inunense empire. Au début de son 
règne, il renonça à Yaurum coronarium, tribut que les pro- 
vinces payaient à chaque avènement *. Par l'abandon des pour- 
suites de lèse-majesté *, il s'était fermé une des sources qui alimen- 
taient le plus abondamment les finances impériales, et il se priva 
volontairementd'un revenu presqu'aussi considérable, en déclarant 
que les biens des condamnés à la rélégation ne feraient plus retour 
au fisc^. Le tribunal, institué à Rome pour juger les contestations 
qui s'élèveraient entre le domaine du prince et les particuliers, 
jugeait souvent en faveur de ces derniers^, et, dans les provinces, 
aucun contrat passé avec le fisc ne fut valable qu'après avoir été 
soumis au procurateur du prince ^, ce qui garantissait les parti- 
culiers contre la cupidité et la mauvaise foi des agents subal- 
ternes de cette administration redoutée. 

1. Ce tribut se nommait aussi colUUianes, Pline, Panég,, 41. Auson., 
ad GraUanum pro consulatUf p. 299, éd. Bipon tin. Suivant la chronique 
Paschale (p. 472, éd. fionn.), Trajan remit encore des impôts dans 
Tannée 106, peut-être à Toccasion de ses decennalia. 

2. Pline, Panég., 42. 

3. Dig., XLVIII, 22, 1. 

4. Pline, Panég,, 36. 

5. Fragm. de jure /isei, S 6. Edicto Divi Trajani cavetur ne qui proTin- 
cialium cum servis fiscalibus contrahant, nisi adsignante procuratore. 
Quod lactum dupli damno vei reliquorum ex solutione pensatur. 



Pour faire cesser les troubles que les délateurs jetaient dans 
toutes les familles en dénonçant les successions irrégulières que 
le fisc devait recueillir comme bona caduca^ et rendre moins 
vexatoire la perception de cette branche de revenus, à laquelle il 
ne pouvait renoncer absolument, Trajan décida que ceux qui 
déclareraient spontanément qu'une telle succession leur était 
échue, conserveraient la moitié de cette succession *. Le Digeste 
renferme plusieurs constitutions relatives à cette prime à allouer, 
en vertu du beneficium Trajani, à ceux qui auraient eux- 
mêmes dénoncé leur propre incapacité de recueillir *. 

L'empereur allégea considérablement les impôts établis sur les 
successions. D'après les règlements institués par Auguste, les 
anciens citoyens romains étaient dispensés de payer au fisc le 
droit du vingtième sur les successions qui étaient peu importantes, 
ou passaient à de proches parents, mais ceux qui entraient dans 
la cité romaine par le droit du Latium ou par un décret impé- 
rial ne jouissaient pas, lorsqu'ils héritaient des biens de leurs 
parents r^iès peregrini, du même avantage. Nerva prit quel- 
ques mesures pour rendre la transmission de biens moins onéreuse 
aux nouveaux citoyens. Il exempta du vingtièmelesenîsinisqui 
succédaient à leur mère, les mères à leurs enfants, et les fils qui 
succéderaient à leur père, pourvu qu'ils fussent sous la puissance 
paternelle. Trajan étendit le privilège au père succédant à son 
fils, puis au frère et à la sœur, à l'aïeul ou à l'aïeule, au petii-flls 
ou à la petite-fille, héritant réciproquement les uns des autres ; 
en ce qui concerne le fils héritant de son père, il leva l'interdic- 
tion que Nerva avait posée, en déclarant que le fils émancipé 
jouirait également de l'immunité. 

L'exemption d'impôt accordée en principe aux successions de 
peu d'importance, fut réglée et vraisemblablement étendue ; enfin 
là où le fisc percevait encore une partie des biens transmis, c'est^ 
&-dire dans les successions collatérales, l'assiette de l'impôt fut 
assise plus équitablement, car le vingtième ne fut plus perçu que 
sur la valeur de la succession, déduction faite des frais funéraires 
qui, conmie on le sait, s'élevaient assez haut chez les Romains en 
raison des cérémonies et des banquets périodiquement renouvelés 
au tombeau de &mille. Le prince, en publiant des édits si popu- 
laires, remit d'ailleurs aux débiteurs du fisc l'arriéré des sonunes 



1. Dig., xux, 14, 13, i 1. 

2. V. le titre XIV du XLIX livre (d« ivre /Esd), fouim. 



— 44Î — 

dues pour racquittement du vingtième, selon la législatioii qui 
cessait d'être en vigueur '. 

On voit aisément quelle diminution dans les recettes amenaient 
ces changements dans l'administration de l'impôt. D'autre part, 
les dépenses augmentèrent, car indépendamment des travaux 
publics et des grandes constructions qu'il fit exécuter sur tous les 
points de l'empire, nous avons vu que Trajan se montrait extrê- 
mement généreux envers les villes, et il ne laissait pas que d'être 
assez libéral envers ses amis ^ Comment put-il faire &ce à ces 
charges croissantes sans pressurer ses sujets ? 

Le domaine privé des empereurs, démesurément agrandi par 
les moyens les plus despotiques, était encore considérable malgré 
les restitutions que Nerva avait faites en prenant le pouvoir'. 
Aussitôt qu'il fut de retour à Rome, Trajan aliéna avantageuse- 
ment une grande partie de ce qui restait '. 

Puis cette réduction fut bientôt compensée par des accrois- 
sements très-légitimes. Trajan avait déclaré qu'il n'accepterait 
aucun legs dicté par la crainte ^, mais qu'il recueillerait ceux que 
ses amis lui auraient faits librement. Or il faisait naître autour de 
lui tant d'affection et il avait répandu tant de bienfaits, que presque 
toujours les mourants pensaient à lui^, et, si petite que fût la 
valeur du legs qu'on lui laissait, à titre de souvenir et comme 
témoignage de reconnaissance plutôt qu'en vue de l'enrichir, le 
total de ces faibles sommes pouvait atteindre un chiffre élevé. 
Ainsi sa bonté et sa justice lui étaient aussi avantageuses qu'à 
Tibère et à Domitien leur rapacité. 

La conquête de la Dacie enrichit le fisc d'une manière extraor- 
dinaire^, à cause des mines que renfermait le sol de ce pays. Or, 



1. Pline, Panég., 37-40. Une note de M. Solvet, traducteur d'Hegewisch 
{Btsai sur V époque, etc., p. 71), explique trôs-clairement la question. 

2. Pline, Panég., 50. Voyez dans le testament de Dasumius, publié par 
Rudorff dans Zettschrift fur gueMekt. Rêchttwissefnehaft, XII, p. 370, un 
don de Trtûan à ce personnage. 

3. Dion, LXVIII, 2. 

4. Pline, Panég., 50. 

5. Pline, Panég,, 43. 

6. TeitamerU de Dasumhu^ 1. 1., p. 3S9. 

7. Dans Jean le Lydien, De Mag., II, 2S, on lit, comme tirés des tnvtà 
de Griton, ces chiffires fantastiques qui montrent au moins quelle idée 
on se faisait des ressources de Ja Dacie : Ayant vaincu Décébale, Trajan 
rapporta cinq millions de livres pesant d*or, dix millions de livres d'ar- 
gent, sans compter les vases précieux; il emmena prisonniers cinq cent 
mille hommes, avec quantité de bétail: 



— 4ÂS — 

les mines appartenaient presque toujours au prince, qui bénélS- 
ciait des produits chaque jour croissants de l'industrie extrao- 
tive^ . Trajan parait avoir donné des soins très-attentifs à cette partie 
de ses biens. Des recherches plus approfondies, faites dans les 
contrées danubiennes, permirent d'extraire du sol une plus grande 
quantité de métal ^ L'exploitation des carrières de marbre et de 
porphyre, à une époque où l'état, les villes et les particuliers 
rivalisaient dans le goût et, on pourrait dire, dans la manie des 
constructions, était encore pour le prince une source de bénéfices 
considérables ^. 

La monnaie d'or ne fut pas altérée. Son poids est le même sous 
Trajan que sous Néron. Conformément aux prescriptions de cet 
empereur^, on taillait 45 aurei à la livre (de 326 gr. 33). Mais 
la refonte des deniers anciens usés par le temps, et néanmoins plus 
pesants encore et à titre plus élevé que ceux qui avaient cours 
alors, procura quelque profit^. 

La mesure qui attribuait la moitié des successions indues à ceux 
qui en feraient la loyale déclaration, fit cesser probablement beau- 
coup de fraudes, tant de la part de ceux qui cachaient leur situa- 
tion véritable en courant le risque d'une dénonciation, que de la 
part de ceux qui achetaient le silence des délateurs ®, de sorte que 
le fisc y perdit peut-être moins qu'on ne le croirait au premier 
abord. 

L'allégement de certains impôts facilita la rentrée des autres, 
et surtout celle des impôts indirects. L'histoire moderne prouve 
assez clairement que la gêne pour le contribuable se mesure non 
pas au chiffre de l'impôt, mais à la difficulté qu'il rencontre à 
gagner l'argent sur lequel l'état prélève une part. Lorsque cha- 
cun se sent en sécurité, que la richesse circule, quela consomma- 



1. V. Annal, InU. Arch,^ 1870, p. 120. 

2. Les médailles qui offk'ent son efQgie avec les légendes MetalU 
V^ni, MetalU Vlpiani DelmaUci, Metalli Pannonid, Metatli Dardaniei, 
paraissent être les premières qui furent fabriquées avec le métal de ces 
nouvelles mines. On trouvait aussi de l'or dans ces régions. Pline, HUt. 
Naty XXXin, 4 et 12. 

3. Annal,, 1. 1., p. 122. Sous son règne sont mentionnées pour la pre- 
mière fois dans les inscriptions les exploitations de porphyre en £gypte. 

4. Pline, Bist. liai., XXXIII, 13. V. La Nauze, Mém. eu BdUM-Uttreê, 
XXX, p. 392, et Mommsen, Monnaie nnnaine, p. 756. 

5. Mommsen, 1. 1., p. 758. L'opération n'est pas antérieure à Tan 103, 
puisque sur les monnaies restituées, Trajan porte le surnom Daeieus. 

6. Les délateurs n'avaient que le qvuirt des sommes qu'ils faisaient 
rentrer dans les caisses du fisc. Suèt., Ntr,, 10. 



— 444 — 

tion augmente, le paiement de Timpôt se fait vite et aisément. II 
devait donc être perçu sans difficulté au sein de la tranquillité 
profonde et de la paix générale dont jouissait l'univers au com- 
mencement du deuxième siècle. 

Mais les moyens les plus eflScaces qu'employa Trajan pour évi- 
ter à ses sujets l'imposition de nouvelles charges, furent assuré- 
ment l'économie sévère à laquelle il soumit toutes ses dépenses, 
et l'ordre rigoureux qu'il introduisit dans l'administration. Juste- 
ment fier de ses efforts et de ses succès dans une œuvre aussi 
laborieuse, il publia des états comparatifs de quelques-unes de ses 
dépenses avec celles de Domitien ' dans des circonstances iden- 
tiques. Nous avons perdu tous les détails de cette réforme impor- 
tante : le fait seul nous est attesté, et dans la gloire qui rejaillit 
sur Trajan, une part devrait revenir aux ministres qui l'aidèrent 
à faire le bonheur de ses peuples. Quel Sully, quel Turgot firent 
taire les privilégiés, chassèrent les agents coupables, déracinèrent 
des abus invétérés, et mirent au service d'un prince passionné 
pour le bien public leur énergie et leur intelligence des affaires ? 
Ni les textes ni les monuments ne nous font connaître leurs noms 
ensevelis à jamais dans un oubli irrévocable. 

1. Panég,, 20. 



CHAPITRE XII. 



ARMEB. 



Voici la partie du gouvernement à laquelle Trajan, par une 
prédilection naturelle, et par le sentiment des nécessités impé- 
rieuses de son époque, donna les soins les plus assidus. Il avait 
écrit sur ce sujet des règlements que Végèce utilisa pour composer 
le livre où il présente à Yalentinien les traditions de l'ancienne 
discipline et par là, croilr-il, les moyens de rendre à l'empire sa 
force et sa vitalité compromises '. Malheureusement nous ne pou- 
vons isoler dans VEpitome rei militaris la part de Trajan, qui 
s'y trouve mêlée aux prescriptions de tous les écrivains classiques 
sur la matière, et aux coutumes en vigueur au quatrième siècle. 
Quelques faits, épars dans le Digeste et dans les auteurs contem- 
porains de Trajan, nous montrent qu'il ne comptait pas seulement, 
pour avoir une bonne armée, sur la vertu d'une organisation 
élaborée avec tous les soins possibles, mais qu'il voulait et savait 
agir sur les honmies. Préoccupé de former une armée à la fois 
nombreuse et solide, il se montra fort difficile sur les exemptions 
du service militaire, les refusa à ceux que leurs infirmités ne 
rendaient pas absolument incapables de ce service', et punit de 
la déportation les pères qui affaiblissaient leurs fils pour les sous- 
traire à ce devoir public^. Mais en même temps, une revue sévère 
et incessante des honomes incorporés dans les légions lui permet- 



1. Lib., I, cap. 8. 

2. Oig., XLIX, 16, 4 pr. 

3. Ibid., I 12. 

DB LA BBRGB 'lO 



— 446 — 

tait d'éliminer ceux dont le caractère ou les mœurs menaçaient 
d'exercer sur leurs compagnons une influence fâcheuse ^ Il crai- 
gnait pour les soldats le séjour des villes, les habitudes du bien- 
être qu'ils y pourraient prendre, et Q s'attachait à les écarter le 
moins possible de leurs camps, même pour les besoins d'un service 
public*. Jusque dans ces camps il redoutait l'oisiveté, et la pré- 
venait par des exercices continuels, que les jours fériés ne devaient 
pas interrompre, alors que les affaires civiles étaient suspendues'. 
Il ne donnait les grades qu'à des hommes dont il avait apprécié 
la fermeté et la bravoure S mais l'épreuve une fois faite et la 
nomination signée, il respectait le pouvoir qu'Q leur avait conféré 
et n'y portait aucune atteinte détournée ou directe ^. Sa présence 
aux armées ne changeait rien aux habitudes du service, et les 
officiers conservaient toute leur autorité sur les soldats. 

Domitien, cédant à la jalousie et à la crainte que lui inspiraient 
les généraux les plus capables, leur faisait mauvais visage et 
leur témoignait peu d'égards, tandis qu'il se montrait tolérant 
pour les infractions à la discipline, afin de mettre en perpétuelle 
opposition les soldats et les chefs, et d'enlever à ceux-ci leurs 
moyens d'action et les forces qu'ils auraient pu tourner contre le 
prince. Trajan, au contraire, leur prodiguait les marques de sa 
confiance, récompensait magnifiquement leurs actions d'éclat, 
leur faisait décerner par le Sénat les distinctions les plus bril- 
lantes*. Toute l'armée se sentit honorée dans ses chefs ; un nouvel 
esprit la pénétra et la releva. Les soldats redevinrent déférents et 
dociles*^. Pline insiste avec raison* sur cette réforme si bien 
conçue qui assurait l'efficacité du commandement et l'autorité 
hiérarchique des oflSciers en rétablissant leur autorité morale. 
Trajan en recueillit bientôt les fruits ; il ne fit que des guerres 
heureuses, car les revers qu'offre celle des Parthes sont dus, 
comme nous le verrons, à des fautes politiques plutôt que mili- 
taires, et la bonne organisation de l'armée en restreignit les 

1. Ibid., s 5. PIÎD., Sp. ad Traj., 30. 

2. PUn., Ep. ad Traj., 20, 22. 

3. Dig., II, 12, 9. 

4. Lettre de Marc Aurèle à Cornélius Balbus... tuum est Mtender$, hami- 
nem {Pescennium Nigrum) non ambUêone... ied vkiute venis$e ad eum loewm 
quem avus meu$ Hadrianus, quem Trajanus prooviM non nisi explorât!»- 
simis dabat. 

5. Plin., Panég., 18, 19. 

6. Nos numéros 85, 86, 100. Henzen, 5450. 

7. Dion, LXVm, 7. 

8. Plin., Panég., 1. 1. 



— 447 — 

conséquences. Mais dès Tan 99, un fait caractéristique nous 
montre à quel point Trajan se sentait déjà maître des soldats. 
A son retour de Germanie, il jugea, en jetant un coup d'œQ sur 
la situation de ses finances, qu'il ne pourrait donner à la fois au 
peuple un congiarium, à l'armée un donativum aussi élevés 
que ses prédécesseurs. C'est sur le donativum que la réduction 
porta, et les soldats ne reçurent qu'une partie de ce qu'ils atten- 
daient ^ Il n'est pas besoin d'une profonde connaissance de 
l'histoire de l'empire pour apprécier ce qu'il y a de hardi dans 
une telle mesure, et de surprenant dans le calme au milieu duquel 
elle reçut son exécution. 

Pour accomplir ces changements considérables*, Trajan trouva 
son point d'appui dans l'amour même qu'il inspirait à toute 
l'armée, depuis les généraux jusqu'aux derniers soldats. Il avait 
conquis leur affection par une patience infatigable et un dévoue- 
ment à toute épreuve, mis au service d'une idée bien arrêtée. 
Cette idée, la voici exprimée par Dion Chrysostôme dans un de 
ses discours, écho des propos qui s'échangeaient autour de la 
table de l'empereur, quand il causait sans réserve avec ses amis 
et sollicitait leurs conseils avec autant de bonhomie que de 
sagesse : « Le prince qui dédaigne les soldats, qui ne va pas ou 
« va rarement les visiter au milieu des périls et des fatigues qu'ils 
« endurent pour défendre l'empire, et qui réserve son affection 
« pour la populace, agit comme un berger qui ne connaîtrait pas 
« ceux qui gardent son troupeau, ne leur donnerait pas à man- 
€ ger, ne songerait pas à veiller quelquefois avec eux. Et alors 
« il persuaderait, non-seulement aux bêtes sauvages, mais aux 
« chiens eux-mêmes que le troupeau ne mérite pas d'être ménagé. 
« Celui qui efféminé les soldats par des délices, ne les exerce ni 
« ne les fatigue, celui-là ressemble à un pilote qui corrompt ses 
« matelots en les laissant dormir et manger tout le jour, sans 
« souci de la cargaison ni du navire qui va périr » *. Tel, en 
eSei, se montra toujours Trajan pour les soldats. Vis-à-vis d'eux, 
il était bon sans faiblesse, mais toujours affable. Il accueillait 
leurs requêtes avec bienveillance^. Il facilita les formalités du 



1. Plin., Panég.y 25. 

2 te conditorem disciplinée militaris firmatoremque. Plin., Ep. ad 

Trqf., 29. 

3. De reçTw, Orat, II. 

4. ... Quum scirem quantam soleres militum precibus patientiam 
humanitatemque praestare. Plin., £[p.. X, 106. 



— 448 — 

testament militaire, en y introduisant cependant quelques garan- 
ties dont l'inexpérience des testateurs avait besoin ^ 

En campagne, il vivait au milieu des troupes, et comme elles ; 
mangeant gaiement leur nourriture grossière, buvant leur 
piquette', souffrant même avec elles la faim et la soif. 
Au bout de quelques jours, U connaissait les noms de ses com- 
pagnons d'armes, leurs surnoms et leurs sobriquets, et il s*en 
servait, avec bonne grâce, pour leur adresser la parole*. Il 
venait voir comment on exécutait les travaux qu'il avait com- 
mandés, il prenait part aux jeux militaires, lançant et se faisant 
lancer des javelots, donnant et recevant des coups. Au milieu de 
ces rudes divertissements, il se couvrait de sueur et de poussière, 
et bientôt on ne le reconnaissait plus dans la mêlée qu*à sa force 
et à son habileté supérieures ^. 

Dans les batailles, il renvoyait ordinairement son cheval*, 
courait se mettre à la tête de la légion la plus exposée et chargeait 
avec elle. L'action finie, il ralliait les troupes et veillait à ce que 
tout rentrât dans Tordre ; puis il visitait les ambulances, encou- 
rageait les blessés, prenait soin que rien ne leur manquât, et 
après une inspection minutieuse et complète il retournait dans sa 
tente, seule ouverte encore, car tous commençaient déjà à se 
délasser de leurs fatigues quand l'empereur songeait à prendre 
un peu de repos^. Ceux qui, dans la journée, l'avaient vu risquer 
dix fois sa vie et l'entendaient le soir, au milieu du camp silen- 
cieux, regagner à pas lents le pra^toriumy lui vouaient un atta- 
chement sans limites et chérissaient sa bonté autant qu'ils avaient 
admiré son courage. 



1. Dig., XXIX, t, 1. 1 et 24. InstUuU, II, 12. 

2. Spart., Hadr., 10. 

3. Plin.. Panég,y 13. 

4. Frontonis, EpUi.^ éd. Naber, p. 205. 

5. Plin., Panég., 13. 

6. Plin., Pan^., 14. 

7. Plin., Panég, f 13. 



CHAPITRE XIII. 



6UBRRB EN ORIBNT. 



Jusqu'ici Trajan n'a pas cessé de mériter l'éloge que lui 
adressait Pline au commencement de son règne : « Ce qui rend 
€ votre modération plus admirable, c'est que vous aimez la paix, 
« vous, nourri dans la gloire des armes... Vous ne redoutez la 
« guerre ni ne la provoquez > *. Gomme nous l'avons dit, en effet, 
les expéditions dirigées contre les Daces étaient commandées par 
une nécessité impérieuse, elles assurèrent la sécurité de l'empire 
sur la frontière la plus souvent menacée au premier siècle et 
procurèrent l'heureuse extension delà civilisation occidentale au- 
delà du Danube. L'assujétissement de l'Arabie était également 
nécessaire, et ne fut ni long ni difficile. Maintenant, après sept 
ans d'une paix glorieuse et féconde, Trajan éprouve ce vertige 
qui troublera si souvent ses successeurs, les jettera contre les 
Parthes ou les Perses, et causera les guerres les plus inutiles et 
les plus longues qui aient ensanglanté Tempire jusqu'à son 
déclin. 

Depuis longtemps déjà, les Romains songeaient à porter la 
guerre dans le Haut-Orient. A peine remis des discordes civiles, ils 
demandèrent à Auguste d'attaquer et d'assujétir les Parthes, et 
après plus d'un siècle ils ne se lassaient pas de répéter leur vœu. 
On peut, je pense, assigner trois causes à ce désir irréfléchi dont 
la réalisation était impossible et dont la poursuite devait coûter 
si cher. 

1. Panég., 16. 



— <50 — 

En premier lieu, la défaite de Crassus avait extraordinaire- 
ment frappé les esprits. La destruction presque complète de son 
armée, la perfidie des vainqueurs, leur joie insultante après le 
triomphe, laissaient une impression mêlée d'épouvante et d'hu- 
miliation. La restitution des étendards pris à Carrhes et à Sinnaca, 
ces batailles néfastes comparables aux journées de TAllia et de 
Cannes, n'apaisa qu'à demi le sentiment public, si haut qu'Au- 
guste ait voulu la faire sonner. Ce que réclamait la nation, 
c'était une vengeance éclatante qui fit oublier aux autres peuples, 
conmie à elle-même, un des souvenirs les plus amers de son 
histoire. 

D'autre part, on sait combien les produits de l'Orient furent 
recherchés à Rome à la fin de la République et pendant les pre- 
miers siècles de notre ère. Mais les épices, les aromates, la soie, 
les perles, n'étaient à cause de leur prix, réservés qu'à un petit 
nonibre de personnes opulentes : le transport de ces précieuses 
marchandises était soumis à beaucoup de chances défavorables. 
On ne se rendait pas un compte exact de la situation géogra- 
phique des pays où elles étaient recueillies, ni des conditions qui 
les rendraient toujours assez rares : des récits merveilleux sur la 
richesse inépuisable de ces contrées lointaines, la douceur de leur 
climat, l'aspect bizarre des animaux qui leur étaient propres et 
les mœurs étranges de leui*s habitants, circulaient dans Rome, 
y excitaient dans toutes les classes la curiosité et la convoitise et 
poussaient aux entreprises aventureuses. Or, malgré la décou- 
verte d'Hippalus, la navigation des mers de l'Inde et des golfes 
Arabique et Persique était pleine de périls pour des marins aussi 
peu habiles que les Romains^ et les caravanes qui traversaient 
les déserts de la Mésopotamie^ étaient continuellement pillées ou 
rançonnées par les Arabes et les Partlies. De là un désir immodéré 
d'incorporer à l'empire ces régions vantées, ou au moins de se 

t. Robertson, dans ses Recherches sur VInde, note 19, remarque juste- 
ment que malgré la découverte d^flippalus, les Romains n'osèrent pas 
se lancer souvent en pleine mer d^Ocelis à Musiris, puisque le périple 
de la mer Erythrée ne décrit que Tancienne route côtoyant tous les 
golfes et tous les rivages. Et nous savons maintenant que ce périple fut 
rédigé eu 246 ou 247 de notre ère (Reinaud, Mém, de l'Acad. des inscr., 
XXIV, 2* partie, p. 232). 

2. Les navires des Gerrhéens (Strab., XVI, p. 766) transportaient les 
marchandises à Scenae sur l'Eupbrate, au-dessous de Dabylone. De là 
les caravanes, en vingt-cinq jours, les amenaient à Anthemusias, près 
de la frontière de Syrie (Strab., XVI, p. 748), V. la carte n* xri jointe au 
Strabon de Gb. Millier, éd. Didot 



rendre maîtres des routes suivies par les marchands qui les 
▼isitaient. 

Enfin, et cette dernière raison me paraît la plus puissante, les 
politiques romains étaient fort jaloux de la gloire d'Alexandre. Les 
Grecs s'étaient consolés de leur assujétissement en vantant outre 
mesure la puissance et la sagesse du héros macédonien, et le moins 
grec de tous les grands hommes nés dans la péninsule hellénique 
devint la personnification glorieuse des races que ses ancêtres et 
lui-même avaient abaissées et maltraitées : on lui prêta des 
projets immenses pour le bonheur de l'humanité, on lui attribua 
des qualités militaires qui le rendaient invincible et qui lui 
auraient assuré l'empire du monde si une mort prématurée n'eût 
dissous, au moment même où il la constituait, la monarchie uni>- 
verseUe qu'il avait conçue. Les Romains, qui avaient à demi 
réalisé le plan supposé d'Alexandre, ne pouvaient, sans être 
froissés^ entendre incessamment cet éloge du fils de Philippe. 
Leurs succès, suivant les Grecs, n'étaient dus 'qu'à la fortune, 
ceux d'Alexandre avaient été obtenus par l'intelligence et la 
vertu. Heureux les Romains que le Macédonien ne se fut pas jeté 
sur l'Italie! Rome disparaissait avant d'avoir fait parler d'elle. 
Le Parallèle que nous lisons dans Plutarque se traitait depuis 
longtemps dans les écoles, et Tite-Live n'a pu s'empêcher d'y 
répondre en quelques mots dans son histoire, bien que cette 
digression soit peu conforme à la manière habituelle de ses 
récits. Et il nous apprend, ce qui est important ici, que les Grecs 
vantaient la gloire des Parthes aux dépens de celle des Romains * , 
on comprend assez de quelle manière. Alexandre, disait-on, a 
vaincu les Perses en trois années*, et vous, Romains, vous avez 
toujours reculé devant les Parthes, qui ne font qu'une faible 
partie des peuples soumis jadis au grand roi. Pour mettre fin à 
ces bavardages grecs, il fallait soumettre définitivement les 
Asiatiques, installer des colons légionnaires dans les villes fon- 
dées par les soldats macédoniens et clore la discussion sur les 
mérites comparés d* Alexandre et de Rome en incorporant à 

1. IX, 18. Leviseimi ex Oraecis, qui Parthorum quoque contra nomen 
Romanum gloriae favent 

2. BataiUe du Granique, mai 334, d'Ârbôles, octobre 331. Je crois voir 
une trace du même sentiment dans Plutarque, Antoine, dans une 
retraite malheureuse où il était poursuivi par les Parthes, s^ëcria, dit- 
on, à plusieurs reprises : c dix mille! témoignage d'admiration pour 
c les compagnons de Xénophon qui revinrent de Babylonie par un cbe- 
c min beaucoup plus long, et en combattant contre des ennemis beau- 
c coup plus nombreux. « Àni., c 45. 



l'empire tous les pays que le héros maoédonieD avait traversés et 
possédés un instant et ceux mêmes dont il avait seulement médité 
la conquête* : les limites du monde habitable alors connu devien- 
draient celles de Yorbis RomanuSy et la monarchie universelle 
serait réalisée par les Romains, et à leur profit'. 

Sous l'action combinée de ces trois mobiles se forma le vœu 
qu'on lit chez tous les poètes du premier siècle, en termes pres- 
qu'identiques, d'une guerre à entreprendre en Orient^. Ces poètes se 
&isaient-ils l'écho fidèle d'une préoccupation nationale toujours 
vivace, ou bien, ce qui est plus probable, ne devons-nous signa- 
ler ici qu'un lieu 'commun, et le procédé d'une poésie de jour en 
jour plus artificielle? On conviendra que, dans les deux cas, cette 
répétition assidue de la même pensée devait déterminer un cou- 
rant assez puissant de l'opinion publique pour agir à la longue 
sur la politique impériale^. 

Montesquieu, qui souvent pense en Romain^ s'est fait, après 
dix-huit siècles, le complice et le flatteur de ce préjugé propre au 
peuple qu'il a tant étudié, en écrivant : « Les Parthes et les 
« Romains furent deux puissances rivales qui combattirent non 
« pas pour savoir qui devait régner, mais exister »*. Un passage 



1. V. ses projets dans Arrien, VU, 1. 

2. On finit par croire que Jules César avait eu ce dessein extravagant 
Plutarch., Câes., 58. 

3. Horat, Carm.^ III, 3, 43-45. Triumphatisque possit Roma ferox dare 
jura Médis. Cf. Carm,y I. 12, 53-56. Propert., Eleg,, III, 4 ; III, 12; IV, 3. Lu- 
can., PharstU., I, 8-20. Stat, Sylv,, III, 2; IV, 1. Martial., Epigr., XII, 8. 

4. Dans un ouvrage intitulé : Relations politiques et commerciales de 
V Empire romain avec VAsie orientale, Paris, 1853, M. Reinaud amis en 
lumière ce fait peu remarqué Je crois, avant lui. Mais il a presque com- 
promis la démonstration d'une tbèse juste en voulant tirer des poètes 
latins ce qu'ils n'ont pas dit, en cberchaot dans leurs vers, non pas des 
tendances de l'esprit public mais de véritables documents géograp biques 
historiques ou politiques. Par exemple, A propos des formules peu 
variées dont se servent Horace, Properce, Tibulle, en parlant des Parthes 
ou des Sères, l'auteur écrit (p. 85) : < On ne peut pas supposer qu'ils se 
fl sont copiés les uns les autres ; probablement ces sortes de rencontres 
c proviennent de certaines expressions employées dans les dépèches 
c officielles et dans les journaux du temps. > Dans ce Mémoire, utile A 
consulter pour connaître un côté de l'histoire romaine, on regrette 
aussi de voir contesté le fait, reconnu depuis longtemps et mis hors de 
doute par Letronne, que dans les auteurs latins India désigne très- 
souvent l'Rtbiopie. 

5. Esprit des Lois, XXI, 16. Gela est vrai à l'égard des derniers, dit Sainte- 
Croix {Mém. de l'Aead, des Inscript., L, p. 62), mais faux par rapport aux 
Romains, qui furent les premiers à se mêler des aff^ûres des Parthes. 



— <53 — 

des « Considérations sur la grandeur des Romains » nous permet 
de réfuter Montesquieu par lui-même. « Il y a, dit-il avec raison, 
de certaines bornes que la nature a donnée» aux états pour mor- 
tifier Tambition des hommes. Lorsque les Romains les passèrent, 
les Parthes les firent presque tous périr. Quand les Parthes 
osèrent les passer, ils furent d'abord obligés de revenir ; et de nos 
jours les Turcs qui ont avancé au-delà de ces limites ont été con- 
traints d'y rentrer » * . La vérité est que les Parthes n'ont été réelle- 
ment menaçants pour Rome que pendant les guerres civiles, alors 
que, sous la conduite de Labiénus, ils occupèrent les provinces de 
Syrie et d'Asie. Chassés de ces régions par L. Yentidius Bassus qui 
remporta une brillante victoire le jour anniversaire de la bataille 
de Carrhae*, ils repassèrent l'Euphrate et ne firent plus aucune 
tentative de conquête vers l'Occident. Si la position géographique 
des deux empires les maintenait dans une réciproque indépen- 
dance , la constitution politique du gouvernement parthe était 
d'ailleurs tout à fait impropre à servir les desseins d'un peuple 
conquérant. Cette constitution était essentiellement féodale^ : la 
diversité de races et de religions des nations groupées sous le 
sceptre des Arsacides ne comportait pas une union plus complète. 
Chaque peuple était gouverné par un prince ou chef tiré de son 
sein, et conservait son autonomie avec une indépendance pres- 
qu'absolue. Ces grands vassaux du roi des Parthes sont appelés 
par les historiens grecs taparques* on phylarques^, dénomina- 
tions qui mettent en relief le caractère local et très-limité de leur 
. puissance. Ils recevaient l'investiture du roi des Parthes^, mais, 



Jamais ceux-ci n'étendirent leurs vues sur rBurope et ne cherchèrent 
à troubler ce peuple ambitieux sur ses foyers ; ils eurent au contraire à 
défendre les leurs; s'ils passèrent l'Euphrate et envahirent la Syrie, ce 
fut moins par esprit de conquête que par représailles, et sans intention 
de la conserver. 

1. Grandeur des Romains^ c. 5. 

2. 38 av. J.-C, V. Corp. Insc, Laty I, p. 461. Butrop., VII, 5. Flor., II, 19. 
Plutarque {Anton., c. 34} dit qu'au moment où il écrit, Yentidius est le 
seul général qui ait triomphé des Parthes, ce qui prouve, comme l'a 
remarqué Mommsen (iTenites, IV, p. 297), que \e^ biographies furent com- 
posées avant la mort de Trajan. Le triomphe de ce prince fut, comme 
nous le verrons, célébré après sa mort par les soins d'Hadrien. 

3. V. Sainte-Croix, Mém. de VAcad. des Belles- LetlreSf L, p. 75. 

4. Auyoepoc ^ tk év toTç &vtt> xpovoiç (du temps d'Auguste) 'EMaainç Toicàpx^c 
(oûxfli> yàp Touc xQLxA iOvo; ^aaiXetç TrtvtxaOra âxoXoûv. Procop., Bell. Persic, II, 12). 

5. <l>vXapxoc, nom que donne Dioo à Mannus et àSporacés (v. plus loin). 

6. C'est ce qui se voit bien par Thistoire d'izates, roi d'Adiabène. 
Joseph, Antiq.y XX, 3, 5-8. Sur leurs monnaies, les rois d'Bdesse et de la 



— 454 — 

cette cérémonie une fois accomplie, le gouvernement de 
Gtésiphon n'intervenait plus dans leurs affaires. Chacun de 
ces phylarques fournissait, en temps de guerre, un contingent 
déterminé. Mais il n'y avait point d'armée permanentes les 
troupes ne recevaient pour solde que leur butin, et n'emportaient 
jamais de vivres et de bagages que pour quelques jours'. Cette 
organisation mUitaire, suffisante pour la défense du territoire, 
rendait impossible une guerre lointaine et prolongée ; plus d'une 
fois les Parthes abandonnèrent leur roi après quelques jours de 
campagne, lorsqu'il eût fallu profiter de la victoire et poursuivre 
des avantages obtenus'; on les vit aussi déposer leur chef, 
craignant qu'il n'entreprit de guerre étrangère. 

Rome n'avait donc rien à craindre de ces barbares tant qu'elle 
n'allait point les provoquer au-delà de l'Euphrate. D'ailleurs la 
suprématie qu'elle recherchait, à tort ou à raison, dans le Haut- 
Orient, pouvait être acquise par la diplomatie ou par la conquête. 
Les. premiers Césars employèrent exclusivement la diplomatie. 
Ils mirent à profit les guerres civiles, si fréquentes dans les 
annales Ârsacides, pour susciter à leurs adversaires des embarras 
permanents, tantôt en soutenant les révoltes des grands vassaux, 
et en particulier les revendications des rois d'Arménie, tantôt en 
accueillant à Rome les princes dépossédés, et en menaçant tou- 
jours les usurpateurs d'une restauration violente. Ils avaient 
embrassé cette opinion de Tibère « qu'il faut employer dans les 
affaires du dehors la finesse et la politique, et n'y point engager 
ses armées » ^, et, en lisant dans Tacite les détails de la diplo- 
matie impériale en Orient, on n'y peut méconnaître la continua- 
tion très-réfléchie de ceUe que le Sénat, jadis, avait si habilement 
mise en œuvre dans l'Asie Mineure^. 

Avec Trajan tout est changé, et cette histoire prend un carao- 

Gharacène prennent le titre de pa<nXeOc, les rois parthes celui de pouriXEuc 

Po/fftXicav OU de tiiyac poatXe^};. 

1. Hérodîen, m, 1. 

2. Dion, XLI, 15. 

3. Tacit., Annal, XI, tO : Longinquam militiam aspemabant. Cf. 
ibid.. XII, 14. 

4. Tacit., Annal., VI, 32. 

5. Montesquieu, Grandeur des Rom., chap. 6. c Lorsqu'ils accordaient la 
c paix à quelque prince, ils prenaient quelqu*un de ses frères ou de ses 
c enfants en otage, ce qui leur donnait le moyen de troubler son 
fl royaunie à leur fantaisie. Quand ils avaient le plus proche héritier, 
c ils intimidaient le possesseur; s'ils n'avaient qu'un prince d'un degré 
c éloigné, ils s'en servaient pour animer les révoltes des peuples. » 



tère nouveau. Le dessein poursuivi avec persévérance par les 
premiers Césars est abandonné. Trajan inaugure la politique de 
conquête aunlelà de TEuphrate. La soumission des rois barbares 
ne lui suffit plus, il veut étendre les limites du territoire romain, 
y faire entrer de nouvelles provinces ^ U obtint, au début de son 
expédition, depuis longtemps combinée, des succès éclatants et 
rapides, dont les Romains, malheureusement, ne perdront plus le 
souvenir ; la légende va bientôt pénétrer et défigurer cette glo- 
rieuse guerre parthique, et multiplier les exploits du nouvel 
Alexandre. Hadrien, averti par les défaites que Trajan subit au 
lendemain même de ses victoires, reprend l'ancienne limite de 
l'Euphrate, traite avec les Arsacides et cherche à renouer la tra- 
dition diplomatique interrompue : Topinion s'en irrite et s*en 
indigne et bientôt la guerre recommencera. Trois siècles de revers 
n'éclaireront pas les Romains sur l'impossibilité de leur entreprise, 
et les forces de l'empire s'useront dans une lutte sans issue. Nous 
allons assister au commencement de cette période fatale, et suivre 
Trajan dans ces plaines où iront mourir après lui Macrin, 
Gordien le Pieux, Valérien, Carus, Constance, Julien. 

§1- 

Trajan ne fit qu'une seule expédition en Orient, 

Pour le récit des guerres de Trajan dans l'Orient, les sources 
sont aussi peu abondantes que pour la guerre dacique. L'histoire 
des guerres parthiques avait été écrite par Arrien*. En songeant 
à l'exactitude bien connue de cet auteur, à sa critique judicieuse, 
b}x% moyens qu'il avait eus, pendant qu'il gouverna la Cappadoce, 
d'être bien instruit sur des faits encore tout récents, on sent vive- 
ment la perte des UapOixi: nous essaierons de tirer parti des 
très-courts fragments de cet ouvrage conservés dans Malalas et 
dans Etienne de Byzance. Xiphilin, complété par Suidas qui a 
puisé dans le livre même de Dion, reste notre garant principal et 
presque unique^. Malalas donne quelques détails intéressants, 

1. Dion, LXVIH, 17, dit qu'il fit la guerre sous prétexte que le roi 
d'Arménie ne lui avait point demandé l'investiture, mais en réaUté pour 
satisfaire son désir de gloire, t^ ô>àXY)6ei^, d6h]ç iiciOv|iCf . 

2. Photius, Bm. Cod. 58, cité par Mueller, Fr. Hist. Gr., 111, p. 586. 
^Av6yvco<tOv) 'Apptovoû IlapOixà iv ^iSXCok iC'..« Aie^éTai dé èv TauT\} x^ icpaY(iat£(o^ 
ToO; ico/ifjLOuç oO; iiuoXé(iT)(Tav *P(i)(&a7oi xai IldpBoi, *P(o(&aCb>v aÙToxpàxopoc 5vtoc 
TpaïocvoO. 

3. Sur plusieurs points on a le texte même de Dion, dans les extraits 
d'Orsini. 



noyés dans une narration prolixe, confuse et mêlée de circons- 
tances £abuleuses^ 

Nous devons d'abord élucider brièvement un point important 
de chronologie. 

On a beaucoup discuté sur la date à laquelle il faut rapporter 
le départ de Trajan pour l'Orient, et le commencement de la 
guerre des Parthes. 

Tillemont veut que l'empereur ait fait en Orient deux guerres, 
l'une en 106 après J.-C., l'autre en 114*. 

Les autres historiens et chronologistes n'admettent qu'une 
guerre, commencée en 112 selon le P. Pagi', en 113 suivant 
Borghesi et Noris*, en 115 suivant Eckhel, suivi par Francke*^. 

Etablissons d'abord contre Tillemont^ qu'il n'y eut qu'une 
seule guerre parthique. Les raisons qu'il a invoquées à l'appui 
de son opinion sont : 1® la chronographie de Malalas ; 2^ les 
actes du martyre de saint Ignace ; 3^ des médailles; 4^ des ins- 
criptions. 

1® Suivant Malalas, Trajan, provoqué par Meerdotes, roi des 
Parthes, quitta Rome, la xir année de son règne, au mois d'oc- 
tobre, et entra à Antioche le jeudi 7 janvier suivant '. Tillemont 
ne s'attache qu'à cette dernière circonstance, et fixe dès lors l'en- 
trée de Trajan dans la capitale de la Syrie à l'année 107 ; car, 
dit-il, « cette rencontre du jeudi avec le septième jour de janvier, 
« qui convient à l'an 107 et qui ne convient à aucun autre durant 
c tout le reste du règne de Trajan, semble ne se devoir point mé- 



1. Il faut lire dans l'ouvrage de M. Dierauer, p. 155, une note impor- 
tante, rédigée au moyen de communications de M. Gutscbmid sur les 
sources de Malalas qui sont : 1* une histoire abrégée des empereurs; 
2* une histoire de TEglise; 3* et surtout la Chronographie de Domninos, 
écrite vers 528 et composée elle-même à l'aide : 1* d'Ârrien, 2* d*une 
histoire d'Ântioche , 3* de traditions locales. Celles-ci entrent dans le 
récit pour la proportion la plus considérable. M. Gutscbmid pense que 
Malalas n'a connu Arrien que par les citations et extraits que Domninos 
en avait faits. 

2. Histoire des Empereurs^ notes sur Trajan, XVII, XXII et XXV. 

3. Ad Ann. Baron,, a. 107, p. 40, éd. de Lucques. 

4. Œuvres complètes, V, p. 21. Noris, Epoch. Syromaced., p. 183. 

5. Doctrin. Num, Vet,, VI, p. 453. — Zur Geschichte Trajans, p. 261. 

6. Et contre M. de Champagny qui l'a suivi très-docilemcot (Les Anto- 
ninSj l, p. 350, 3* éd.). 

7. Chronogr., XI, p. 270, éd. Bonn. Tpaïav6ç imtrz^Tzwjt Tcjl ij^ Ixzt t^ç 

•Pw|jiTiç..., p. 272. • 



— 457 — 

« priser '. » En acceptant comme exacte cette indication du jour, 
Tillemont est contraint de rejeter l'indication de Tannée donnée 
par rhistorien byzantin, puisque l'empereur aurait quitté Rome 
en octobre 106, et l'an 106 n'est pas le douzième de son règne'. 
Mais par cette exclusion même, il discrédite l'autorité sur laquelle 
il s'appuyait. 

2° Suivant les actes du martyre de saint Ignace, l'évêque 
d'Antioche fut victime de persécutions commencées contre les 
chrétiens la neuvième année du règne de Trajan^; et, suivant 
saint Jérôme, il serait mort effectivement en 107 de notre ère'. 
Mais d'autre part la chronique Paschale rapporte ce martjnre à 
l'an 105^, et l'on a, somme toute, de fortes raisons de croire que 
ces dates ont été déplacées. On sait que dans la correspondance 
échangée entre Pline et Trajan, le gouverneur de Bithynie 
demande à l'empereur conmient U doit traiter les chrétiens de 
sa province, ajoutant qu'il n'a jamais vu juger de semblables 
affaires ; l'empereur lui fait une réponse que nous apprécierons 
plus loin, et qui prouve, à première vue, qu'aucune persécution 
n'avait encore eu lieu sous le règne. Ni l'un ni l'autre des corres- 
pondants ne font allusion au supplice infligé à Ignace dans le 
cirque de Rome, et il est évident que ce supplice est postérieur à 
la légation de Pline, laquelle, comme il ressort des lettres mêmes, 
dura deux ans et demi. Aussi Tillemont met-il cette légation en 
103-104. Mais nous verrons qu'elle eut lieu en 111-113. Il faut 
donc retarder de plusieurs années la date du martyre d'Ignace, 
et il est très-vraisemblable, en effet, qu'il eut lieu après le trem- 
blement de terre d'Antioche (décembre 115), que suivirent plu- 
sieurs manifestations de paganisme accompagnées de cérémonies 
superstitieuses •. 

3* Les médailles datées du 5*" consulat de Trajan (103 à 112), 
qui portent les légendes INDIA, TIGRIS, REX PARTAIS 
DATVS, et sur lesquelles Tillemont s'est également appuyé, sont 
de l'invention de Mezzabarba '. 

4® Enfin les inscriptions, antérieures à l'an 116, dans lesquelles 



i. Note XVII. 

2. Comme nous le disons plus loin, le chififre t^* doit être modifié. 

3. Ruinart, Acta Skic., p. 696. 

4. Hieronym., Chron,, ëd. Scbœne, p. 163. 

5. Bd. Bonn, p. 472. 

6. Halalas, Ckran,, XI, p. 276, place le martyre d'Ignace à l'époque du 
tremblement de terre- 

7. Bckhel, Doctrina, VI, p. 452. 



— 45S — 

Trajan porte le surnom de Parthicus^^ sont reconnues fausses 
depuis longtemps. 

Il faut donc abandonner l'idée de deux guerres parthiques : il 
nous reste à fixer le commencement de celle qui ne se termina 
qu'avec la vie de Trajan. 

Eckhel avait très-bien vu qu'une médaille d'or, portant au 
revers les mots AVGVSTI PROFECTIO *, devait marquer le 
départ de Trajan pour l'Orient, et qu'elle ne pouvait être ni 
antérieure à l'an 113, puisque le prince y porte le surnom 
ôiOptimiAS qui manque dans l'inscription de la colonne trajane 
dédiée cette année même, ni postérieure à l'an 115, puisque 
Trajan était à Antioche pendant le tremblement de terre. 
Mais, à l'époque où écrivait Eckhel, on ne possédait pas de monu- 
ments épigraphiques qui permissent de fixer avec précision le 
début des opérations militaires en Orient. Nous sommes en mesure 
de le faire aujourd'hui. En effiet, une borne milliaire de la voie 
latine, conservée à Ferentino, porte l'inscription Imp. Caesar 

Dim Nervae F. Nerva Trajanus trib, pot, XVIII imp 

VIIII cos VI '. Le chiffre de la puissance tribunitienne indique 
l'année 114 ; et, puisque dans cette année, Trajan avait été trois 
fois acclamé imperator, il est manifeste que la guerre était 
engagée depuis un temps assez long. C'est donc à la fin de l'an- 
née 113, vers le mois de septembre ou le mois d'octobre, époque 
habituelle des départs pour l'Orient^, que Trajan quitta Rome : 
on peut le conclure aussi d'un passage de Malalas, en contradic- 
tion avec celui que nous avons cité plus haut, mais ofirant plus 
de garanties d'exactitude^. C'est également en 113 que fut frap- 
pée la médaille dont nous avons parlé, et que Trajan reçut du 
Sénat le surnom d!Optimus, 

Nous pouvons maintenant aborder le récit des campagnes de 
114, 115, 116 et 117, après avoir, au préalable, reconstitué l'ef- 
fectif de l'armée romaine. Elle se composait, cette fois encore, de 
trois légions : la VF" Ferrala, la Z* Fretensis, la XVI^ Fia- 
via Firma *. Trajan y joignit un certain nombre de corps de 
cavalerie qu'il fit venir d'Europe et qui étaient absolument néces- 

1. Gruter, p. t47, 3. Reinesius, /ruer., LXXX^ Glas., II. 

2. Bckbel, Doetrina, VI. p. 452. Cohen, n* 16. 

3. Borghesi, Œuvres complètes, V, p. 22. Notre n* 77. 

4. Pline, ad Traj. 15. 

5. Il dit que le tremblement de terre eut lieu deux ans après Tarrivèe 
de Trajan en Orient Chron,, XI, p. 275. 

6. Nos numéros 104, 105, 106. 



saires pour combattre les Parthes, dont cette arme constituait la 
principale force. Ainsi YAla I^ Flavia Auguata Britannica 
miliaria civium Romanorum fut détachée de l'armée de Pan-- 
Donie^ Une inscription de Byllis, en Epire, parle aussi de cava- 
liers tirés de corps auxiliaires, envoyés en Mésopotamie à la même 
époque '. Quant aux légions que nous avons citées, elles étaient 
depuis longtemps cantonnées en Orient, savoir : la F/* en Syrie, 
la X^ à Jérusalem, et la XV P^ à Samosate^. C'est donc bien faus- 
sement, et dans l'intention trop visible de flatter Lucius Yerus, 
que Fronton a écrit : « Trajan partit pour la guerre avec des 
« soldats qu'il connaissait, qui méprisaient le Parthe, et se mo- 
« quaient des coups de flèches après les grandes blessures faites 
« par les faux des Daces^. » Aucune des trois légions n'avait fait 
la guerre en Dacie et n'était plus aguerrie que celles de Yerus. 

En l'an 111 après J.-C., Chosroès (Arsace XXVII) succéda 
sur le trône des Arsacides à Pacorus ^, son firère aîné, bien que 
celui-ci eût un fils nommé Parthamasirus^ d'âge à régner. Le 
nouveau roi, pour dédommager son neveu, et pour éviter une 
guerre civile, donna à Parthamasirus la couronne d'Arménie, 
après avoir dépossédé Exédarès qui régnait dans cette contrée, 
ayant succédé à Tiridate et reçu à son avènement l'investiture 
romaine. Trajan saisit avidement ce prétexte, et déclara la guerre 
aux Parthes. N'avait-il pas contre eux quelqu'autre sujet de plain- 
tes ? Xiphilin ne parle que d'une guerre faite à Chosroès, pour la 
cause que nous venons d'énoncer. Mais il semble que déjà, sous 
Pacorus, quelques difiicultés s'étaient élevées enixeles deuxnations. 
Suidas, au mot émxXfj^iA, nous apprend que Pacorus se plaignait à 

1. Henzen, 6857 a. 

2. Annal, de PInst Arch.^ 1863, p. 267. M. ValerHu Zotttonus..... praepo^ 
tUtu in Mesopotamia vexUlationibus equiium electorum alarum praetoriae 
Auçfwiaôy Syriacaef Affrippianae, Herculianae, Singularium. Des cohortes 
auxiliaires mentionnées dans la môme inscription portent les noms de 
Flavia et û'UlpIa, mais aucune n*offlre celui d'AeUa, ce qui prouve que 
llDScription est contemporaine de Trajan. 

3. V. Grotefend dans Pauly, Real Encffcl. v* Legio, 

4. Principia historiae, éd. Naber, p. 205. 

5. La date de Tavénement de Ghosroès est connue avec précision. Une 
petite monnaie de bronze de Pacorus, conservée au Musée Britannique, 
porte la date FKY (423 des Séleucides = Ut de notre ère}^et une monnaie 
de Chosroès, également de bronze, faisant partie du Musée de rBrmitage, 
porte la môme date TKY (De Longpérier, Mémoire sur la Ohronologk des 
rois Parthes Arsacides, pp. 134, 143). 

6. C'est l'orthographe des auteurs latins Fronton et Butrope. Dans Dion 
et Suidas on lit 1I«pOa|Adiaipic. 



— 460 — 

Trajan de T inobservation d'une trêve de trente jours, pendant 
laquelle le commandant des troupes romaines s'était fortifié, au 
mépris des conventions stipulées. Suidas tire évidemment cette cita- 
tion de quelque passage de Dion, non résumé par Xiphilin, ou bien 
d'Arrien; et, par conséquent, elle a une certaine valeur histo- 
rique. N'oublions pas non plus que, pendant la guerre dacique, 
Pacorus avait entretenu des relations avec Décébale*. Il ne serait 
donc pas impossible que les Parthes eussent réellement violé la 
lErontière romaine, et que Trajan eût été contraint de faire la 
guerre ou au moins une sérieuse démonstration militaire : ce 
n'est pas cette détermination même que nous avons blâmée, mais 
seulement la politique de conquête qui fut adoptée après les pre- 
mières victoires. 

Avant de commencer ses opérations, Trajan avait noué d'im- 
portantes alliances en Orient. Depuis Tavénement de Chosroès 
jusqu'à l'automne de l'an 113, il échangea de nombreuses et impor- 
tantes communications avec le roi du Bosphore cimmérien Sau- 
romates IP, et nous allons voir, dès la première année de la guerre, 
tous les rois des peuples habitant le Caucase se ranger autour de 
l'empereur, ce qui suppose des négociations engagées avec eux 
depuis un certain temps. 

§2. 

Conquête de V Arménie, 

Ainsi que nous l'avons dit, Trajan, à l'automne de l'an 113, 
quitta Rome où il ne devait plus revenir ^. Il se rendit d'abord à 
Athènes et y trouva une ambassade de Chosroès, qui cherchait à 
se mettre en règle au moment où il apprenait la résolution de 
l'empereur. Le roi parthe déclarait avoir pris sur lui de déposer 
Exédarès, parce que ce souverain avait manqué à la fois, envers 
les Romains et envers les Parthes, aux douLles devoirs qui lui 
incombaient : quant à Parthamasirus, il ne songeait pas à régner 
sans le consentement des Romains, et Chosroès priait Trajan de 
lui donner l'investiture*. L'ambassade était chargée de riches 

i. Pline, Ep ad Traj., 74. 

2. Pline, Ibid.y 63, 64, 67. 

3. Il existe une monnaie d'argent au type de Mars Gradévus, dans la 
légende de laquelle Trajan est qualifié de GOS VI et porte le surnom 
û'ùpUmus (Cohen, n* 60). 

4. Dion, LXVIII, 17. 



— 464 — 

présents pour Tempereur ^ ; mais Trajan ne voulut pas les rece- 
voir, n répondit brièvement qu'à tous ces arrangements il fallait 
pour garantie des actes, et non des paroles, — qu'il allait se 
rendre en Syrie, — qu'il verrait là et ferait voir ce qu'il jugerait 
le plus convenable'. En effet, U traversa rapidement la province 
d'Asie', la Lycie, gagna Séleucie sur TOronte, et enfin Antioche. 
Là il consacra dans le temple de Jupiter Kasios une partie du butin 
fait dans la guerre dacique^ et on peut lire dans l'Anthologie les 
vers que le bel esprit Hadrien composa pour accompagner 
l'offrande impériale : 

€ A Jupiter Kasios, au maître des Dieux, Trajan, descendant 
« d'Enée, maître des mortels, a dédié cette offrande : deux coupes 
« artistement ciselées, une corne d'unis ^ travaillée et rehaussée 
€ d'or. U les prit aux Gètes superbes, qu'il terrassa de sa lance. 
« Dieu, dont la tête se cache dans les nuages, accorde-lui la vic- 
« toire dans la guerre achéménienne, et ton cœur se réjouira à 
« la vue des doubles dépouilles, celles des Gètes et celles des 
< Arsacides ^. » 

L'empereur fit plus encore : pour flatter les superstitions 
locales, il alla consulter l'oracle d'Héliopolis sur l'issue de la 
guerre qu'il entreprenait^. Il soumit d'abord la science du dieu 
à une épreuve peu respectueuse. Les prêtres lui avaient dit 
d'écrire sa demande sur un billet qu'il remettrait cacheté, et lui 
avaient promis une réponse dans la mêmeforme"^. Trajan remit un 



1. Rntr'autreB des étoffés de soie et des sabres appelées sampsère$. Les 
£aii4r^pat étaient réservées aux souverains (Joseph., AnU Jud., XX, 2, 3) 
Dans cet envoi de présents, on reconnaît un usage oriental. On en offirait 
toujours au roi des Parthes quand on l'abordait (Senec, Bpitl,, 17). 

2. Dion, 1. c. 

3. Probablement il vint par mer jusqu'à Bphése, comme Pline, Bp, ad 
Traj. 17. 

4. Suivant Malalas, Chron., XI, p. 271, il était à Séleucie en décembre. 

5. Anihol, Palat,. VI, 332. poÀç o6pou àoxTix^ XP^V iraiifovâiavTi lUpaç. 
Vurui est le bœuf sauvage des forêts de la Germanie, appelé aussi 
bubalui (Pline, BUt. NaU, VIII, 15). Avec les cornes de Vunu, qu'ils gar- 
nissaient d'argent, les Germains faisaient des coupes à boire (Gaes. 
B, GaU., y, 28). Vawroch» (ums des classificateurs modernes) s'appelait 
chez les anciens bUan (Pline, 1. 1. Martial, Spectac, 23). V. Boulin, art 
Aurochs et Bison dans le DicU Univ. ^Hist. Nat. de d'Orbigny. — Suidas^ 
au mot Kdunov ftpoç, nous apprend qu'Hadrien composa les vers, et que les 
coupes étaient d'argent 

6. Macrob., Satum., I, 23. 

7. Âu sixième siècle, on voit Hilpérik consulter saint Martin d'une 
façon analogue (Âuo. Thisrrt, troisième Récit des temps mérovingieM). 

hE Là BJSEGB 4i 



billet blanc, mais en onvrant celui qui lui était rendu, il ne trouva 
qu'une feuille blandie. Il prit alors une haute opinion de la diTi- 
nité qui répondait avec tant d'esprit, et il Tinterrogea de bonne 
foi. Le Dieu ordonna de couper en morceaux le cep de vigne d'on 
centurion déposé parmi les ofirandes, et de remettre à Trajan ces 
éclats de bois rassemblés dans un sudarium. On ne comprit rien 
à la réponse : plus tard, dit Macrobe, quand les os de Trajan 
furent rapportés à Rome, on reconnut comblai elle était juste. U 
était difficÛe, ainsi que Ta remarqué Van DaleS qu'une réponse 
aussi vague ne pût être adaptée à l'événement, quel qu'il fût. 

Après s'être mis en règle avec les Dieux, Trajan s'avança vers 
l'Arménie, sans doute vers le mois d'avril 114, quand les neiges 
ne fermaient plus les passages de cette montagneuse région. Par- 
tbamasirus lui écrivit, espérant détourner le danger qui le mena- 
çait, et qui, chaque jour, devenait plus visible et plus prochain. 
Mais dans sa lettre, il eut la maladresse de prendre le titre de roi : 
elle resta naturellement sans réponse. Il en écrivit une seconde, 
dans laquelle, mettant de côté toute prétention et se faisant aussi 
humble qu'il le pouvait, il demandait simplement à conférer avec 
le gouverneur de la Cappadoce, Marcus Junius*. Trajan ne sus- 
pendit pas sa mardie : il envoya au prince arménien le fils de 
Junius, chargé probablement de promesses vagues. Quant à lui, 
il s'avança jusqu'à Samosate, en côtoyant l'Euphrate, sans être 
inquiété par les Parthesun seul instant ', et il arriva ainsi à Satala, 
vers l'extrémité septentrionale de la Petite Arménie ^ Il y trouva 

h De €NMwiK, p. 170. éd. 1700. Ainsi traduit par Fontenelle (cb. XVi) : 
c L*oraele emt Tesprit de lui rendre une réponse allégorique, et si générale 
c qu*elle ne pouvait manquer d'être yraie. Car que Trajan retournât à 
c Rome victorieux mais blessé, ou ayant perdu une partie de ses sol- 
c data ; qu'il fût vaincu, et que son armée fût mise en fuite ; qu*il y arri- 
f vftt seulement quelque division ; qu'il en arrivât dans celle des Partbes ; 
c qu'il en arrivât même dans Rome en rabsencedeTempereur; que les 
c Partîtes fussent absolument défaits; qu'ils ne fussent défaits qu^n 
c partie; quils fussent abandonnés de quelques-uns de leurs alliés, la 
c vigne rompue convenait merveilleusement â tous ces cas diiTérents; 
c il y eût eu bien du malheur s'il n'en fût arrivé aucun; et je crois qae 
c les 08 de l'empereur reportés â Rome, sur quoi l'on fit tomber Texpli- 
€ cation de l'oracle, étaient pourtant la seule chose â quoi Foracle n*avait 
c point pensé, i 

2. Dion, LXVIII, 19. 

S. C'est ainsi, je pense, qu'il faut entendre les mots «ftt^ 3è yJjpt 
£a|&09àTiAv iipox(»pT]9ac, xal &|Mtxel ttitxà 9rapaXa6iov de Dion, car Trajan n'avait 
pas â faire la conquête de Samosate, cette capitale de la Gomagéne 
étant, comme la province^ incorporée depuis Tan 73 à l'empire romain. 

4. Auj. Bns-lngbla» (Jaubert, Voffage de Ptne et <F Arménie, p. 101). Beau- 



— 4 6g — 

les rois des nations qui habitaient les bords de TEuxin et de la 
mer Caspienne, et la région du Caucase, venus là pour rivaliser 
d'empressement et de soumission. Tous n'avaient pas d*abord 
montré un zèle égal : Trajan récompensa ceux qui, comme 
Anchialos, souverain des Hénioques et des Machélons, avaient 
donné, en temps opportun, des témoignages d'adhésion à la poli- 
tique romaine. Les autres rencontrèrent un accueil plus froid, 
mais en furent quittes pour de sévères reproches*. 

Eutrope dit que Trajan donna un roi aux Albaniens, qu'il 
reçut rhommage des rois des Ibères, des Sarmates, du Bosphore, 
des Arabes, des Osrhoéniens et des Colchiens ^. Il mêle ici des faits 
appartenant à plusieurs époques : toutefois son énumération est 
exacte. L'Albanie, l'Ibérie et la Colchide constituent, par leur 
réunion, l'isthme du Caucase. Les deux premiers pays formaient 
chacun un état puissant. Les Albaniens étaient divisés en vingt- 
six hordes qui, jadis, avaient eu chacune leur chef, mais, du 
temps de Strabon, elles étaient déjà soumises à un seul souverain ^. 
Les Ibères étaient également groupés sous le gouvernement d'un 
chef unique, comme le prouve une inscription de l'an 75, trouvée 
près de Tiflis, et faisant connaître que Yespasien avait aidé le roi 
des Ibères Mithridate, fils de Pharasmane, à fortifier contre les 
Parthes la ville principale de ses états ^. Quant aux Colchi, 
qu'Eutrope désigne ici par leur nom générique, ils se divisaient 
en plusieurs tribus indépendantes dont chacune avait son roi, et 
qu' Arrien énumère avec détails ; il les nonmie dans l'ordre sui- 
vant, en remontant la côte au nord-est depuis Trébizonde : les 
Sanniy les Machelanes, les Heniochi, les Zydritae, les Lasi, 
les Apsilae, les Abasd, les Sanigae^. En 132, quand le périple 
fut composé^, Anchialos régnait sur les Machelones et les 
Heniochi qu'il gouvernait déjà du temps de Trajan, au témoi- 
gnage de Dion'', et Julianus, roi des Apsilae^ avait également 



coup de routes s'y croisaient, v. la carte Jointe à Vliin. AnUm, de Par- 
they et Pinder. et Tab. Peuting, segm. X. 

1. Dion, LXVIII, 19. 

2. VIII, 3. Âlbanis regem dédit Iberorum regem et.Sauromatorom.et 
Bosporanorum et Ârabum et Osdroenorumet Goichornm in fldem accepit. 

3. Strab., XI, 4, 6. 

A, Journal asiatique, 1859, t. IX, p. 93. 

5. Ârrian., PeripL Euxin,, 15. 

6. Ârrien, c. 26, dit qu'il fit son voyage autour de la mer Noire quand 
il apprit la mort de Gotye. roi du Bosphore Gimmèrien. Cette mort 
arriva en 132 (Kœhne, Musée Kotschoubey, n, p. 261). 

7. Dion, LXVIII, 19. 



— 164 — 

reçu de Trajan l'investiture*. Les Saî-mates, dont parle 
Ëutrope, sont ceux de l'Asie, qui s'étendaient depuis le Caucase 
jusqu'au Palus Méotide, et dont Pline a nommé quelques tribus'. 
D'après Ârrien, Stachempax, roi des Zilcfd ou Zinchi au moment 
où fut écrit le Périple, tenait sa couronne d'Hadrien ^ : nous 
ignorons conmient s'appelait celui qui régnait sur ce petit peuple 
au moment de la guerre Parthique. Le roi des Bosporani est 
Sauromatès II, roi du Bosphore Gimmérien, qui régna de 93 à 
124 ap. J.-C.^ Il avait effectivement reçu l'investiture de Trajan, 
mais au commencement du règne et non pendant la campagne 
d'C)rient^ Quant aux Osrhoéniens et aux Arabes, c'est plus tard 
que Trajan reçut la soumission de leurs che&. Gonmie on le 
voit, il prenait pied partout en Asie , en se mêlant aux affaires 
de ces peuples dont les Romains, cinquante ans plus tôt^, con- 
naissaient à peine les noms. 

La soumission ou l'amitié des peuples du Caucase était un 
intérêt militaire de premier ordre. Trajan, en effet, attaquait les 
Parthes en suivant le plan, attribué à Jules César', de prendre 
la Petite-Arménie pour base d'opérations afin d'éviter le désert 
si fatal à Crassus". En adoptant ce plan, une partie des appro- 
visionnements nécessaires à l'armée devait venir par le Pont- 
Euxin*, puis être transportée à travers le Taurus, par la route 
extrêmement difficile qui relie Trébizonde à Erzeroum. Or 
l'expérience acquise démontrait que sur cette route, qui n'est 
d'ailleurs praticable que quelques mois de l'année et pré- 
sente en toute saison de grands obstacles, les convois ne 
cheminaient que lentement, et qu'un petit nombre d'hommes 
connaissant le pays et placés à des endroits favorables, les 
auraient enlevés aisément si les défilés n'avaient été occupés 
à l'avance par des troupes romaines immobilisées pour ce ser- 
vice'. La neutralité des contrées voisines rendit ces troupes 
disponibles pour la guerre active : de plus, une grande partie 

1. Arrian., 1. 1. 

2. Pline, Hist. NaL, VI, 7. 

3. Arrian., Peripl. Euxin., c. 27. 

4. Kœbne, Musée Kotschoubey, 1. 11^ pp. 237-254. 

5. A chaque avènement d*un nouvel empereur, le roi du Bosphore 
Gimmérien envoyait son hommage à Rome (Kœbne, 1. !.)• 

6. V. Pline, 1. c. 

7. Suôt., JtU, Caei., 44. 

8. Plutarch., Crau,, 19. Sur les avantages de la route suivie par Trajan, 
V. Arrian., Anab.y III, 7, 3. 

9. Cf. Tacit., iinn., XIII, 39 (campagne de Gorbulon). 



— 465 — 

des réquisitions, surtout en chevaux et en fourrages, fut jfaite 
probablement dans ces contrées mêmes, d'après des arrange- 
ments conclus entre Trajan et les petits rois qu'il avait rendus 
ses tributaires. 

L'empereur, continuant sa marche vers le nord, arriva à 
Elegia^ où sans doute il rallia une partie de ses forces*. Là, 
Parthamasirus obtint enfin l'entrevue qu'il avait si instamment 
sollicitée. Il vint plier le genou devant l'empereur assis sur un 
suggestus, dans tout l'appareil de sa puissance', au milieu des 
troupes sous les armes. Il voulait demander l'investiture, et 
se conformait au cérémonial accoutumé, mais les soldats prirent 
cette humble posture pour un acte de recours en grâce et un témoi- 
gnage de repentir : persuadés que l'Ârsacide renonçait à son 
royaume sans avoir livré une seule bataille, ils ne purent con- 
tenir leur joie et ils acclamèrent Trajan comme imperator. 

Parthamasirus, e&ayé des cris poussés de toutes parts, crut 
sa vie en danger et se retira précipitamment. Mais des soldats 
le poursuivirent, se saisirent de lui, et le ramenèrent près de 
l'empereur, sans lui épargner les mauvais traitements ni les 



1. Auj. Ilidjab, à trois lieues d*Erzeroum et à cinq journées de Satala 
(Brz Ingbian], Jaubert, 1. c. il ne faut pas confondre cette localité avec 
un autre Jlidjab,à 15 lieues S. de Maden, située au coude de i'Bupbrate, 
prés du déâlé de Nuchar. Jaubert, ibid. Celle-ci se nommait également 
Blegia dans l'antiquité. Pline, Hitt, naL, V, 20. La route suivie par Trajan 
est la plus directe pour se rendre de Syrie en Arménie, comme en 
témoigne Tacite, racontant la marcbe de Gorbulon quand il alla au 
secours de Gaesennius Paetus : c qua proximum et commeatibus non 
egenum, regionem Gomagenam, exin Gappadociam, inde Armenios 
petivit (Annal. XV, 12). Dans les fragments des IlapOixà on lit : *EXéxita, 
XupCov iclpov EvçpdTov. 'Appiavàc èv IlapOixôv v)'. (Muller, Fragm. HUL Or, III, 
p. 587 et suiv.). Le récit de Texpédition de Trajan comprenait donc les 
livres VIII-XVII des PaHhica. 

2. Voici comment Kinneir, Vogage dans l'Asie Mineure, en Arménie^ etc. 
tr. par Perrin, 1818, apprécie au point de vue militaire la topographie de 
cette localité : c Dans le cas où une puissance européenne entrepren- 
• drait une invasion en Perse ou dans Tlnde, il n'y aurait aucun point, 
c à TE. de Gonstantinople, plus favorable qu'Brzeroum à servir de lieu 
« de rassemblement pour de grandes forces. Les chevaux et le bétail y 
c sont en abondance et à bon compte. Le fourrage 8*y trouve partout 
« au printemps et en été, et il est facile de rassembler des provinces 
c voisines une quantité considérable de blé. Les routes sont excellentes 
« en ces deux saisons, etc. i Cité par Letronne, Jowmal dês Savants, 1819» 
p. 143. 

3. La scène est représentée sur une beUe médaille d*or, à la légende 
RBX PARTflVS. (Gohen., n* 376.) 



— 4M — 

insultes. Le malheureux, ne comprenant rien à ce qui se passait, 
attendait toujours le moment de faire hommage à Trajan : 
s'imaginant que la cérémonie pourrait avoir lieu, sans être 
troublée, dans la tente impériale, il y pénétra. Au bout d'un 
instant on Ten vit sortir, et l'^npereur reprendre sa place sur 
son suggestus. D'une Toix impérieuse et brève, il ordonna à 
l'Arménien de s'expliquer devant tous, afin que jamais les parolea 
qu'ils allaient échanger ne pussent être dénaturées. Les troupes, 
silencieuses cette fois, se pressaient autour d'eux : Partha- 
masirus sentit qu'il était perdu. En cet extrême danger, ni sa 
sincérité, ni sa noblesse ne l'abandonnèrent. Il dit, aussi haut 
qu'on l'exigeait, et avec autant de simplicité que s'il eût parlé 
à Trajan dans le tête-à-tête ou en présence de son conseil, 
que la souveraineté d'Arménie lui appartenait légitimement 
à la seule condition de recevoir le diadème des mains de Trajan, 
comme Tiridate avait reçu le sien des mains de NéronS qu'il 
venait se soumettre à cette investiture, que sa personne et sa 
liberté ne devaient souffrir aucune atteinte. Trajan fit alors 
connaître ses desseins, ^déclara, en deux mots, que l'Arménie 
serait désormais une province romaine. Il permit à Partha- 
masirus de se retirer avec quelques cavaliers qui l'avaient 
accompagné, mais il leur donna une escorte chargée d'em- 
pêcher qu'ils communiquassent avec personne, et de sur- 
veiller tous leurs mouvements. A d'autres Arméniens qui avaient 
suivi le prince , il enjoignit de retourner chacun dans sa ville, 
sans aucun délai, et avec défense expresse d'en sortir. 

Quelques amis fidèles attendaient-ils Parthamasirus en dehors 
du camp ? Les appela-t^il à son secours ? Ou bien essaya-t-il de 
se débarrasser, soit par la fuite, soit par une lutte désespérée, des 
gardes que Trajan avait placés près de lui ? On ne sait, mais ce 
qui n'est que trop certain, c'est qu'il fut mis à mort par son 
escorte. De son court règne de trois ans, on ne connaît que cette 
fin sanglante, qui marque tristement la nouvelle politique de 
Trajan et le début de ses conquêtes^. 



1. Suét, Ner.y 13. Dion., LXII, 23. LXIII, 4 et 5. 

2. Dion, LXVIII, 20. dit seulement que Tng'an ixt\uùçii9axo napOaiui- 
(Tipiv sans indiquer la nature de la punition. Dans Butrope, VIII, 3. on 
lit : Armeniam... recepit Parthamasiro occiso, qui eam tenebat. Un 
fragment de Fronton confirme la dernière version : c Persoune, dit-il, 
t n'eut à se repentir d'avoir confié à Lucius [Verusl son royaume ou 
« ses biens : Trajan n'est pas complètement excusable du meurtre de 
c Parthamasirus qui était venu l'implorer. Bien que celui-ci ait été Jus- 



— 4«T — 

UArménie entière ne fiit pas réduite en province, et la seule 
partie incorporée se composa sans doate du bassin supérieur de 
TEuphrate et des districts voisins du Pont-Polémoniaque. En 
effet, si Ton compare au texte de Dion Cassius , des chapitres 
correspondants de Thistoire d'Arménie de Moïse de Khorène, on 
sera frappé de ne trouver aucun rapport entre les deux récits. 
Suivant Thistorien arménien, Ardachès, roi d'Arménie, aurait 
d'alK)rd refusé le tribut aux Romains et battu les légions de 
Domitien, mais quand Trajan arrive en Asie, Ardachès cède à 
son ascendant, lui remet l'arriéré des impôts qu'il devait, et 
obtient son pardon ; Trajan le défend même contre les entreprises 
de son frère Majan, et Ardachès reste, sous Trajan et sous 
Hadrien, l'ami fidèle de Rome^ 

Ainsi c'est au moment où, d'après Dion, les Arméniens perdirent 
leur indépendance, que se placerait le règne de leur plus grand 
prince, car Ardachès, sauvé miraculeusement d'un massacre par 
sa nourrice, reconquiert son royaume, donne et ôte les couronnes 
chez les Alains et chez les Perses, encourage l'agriculture, les 
arts libéraux, les sciences '. Malgré le caractère poétique de ce 
récit, il serait téméraire de le rejeta absolument. Moïse^ tout 
en convenant qu'il a résumé d'anciens chants épiques, déclare 
qu'il avait eu sous les yeux, pour écrire l'histoire d' Ardachès, 
des livres grecs tels que celui d'Ariston de Pella^. On conciliera 
ce qu'il peut y avoir ici de réel, avec les renseignements donnés 
par Dion, en admettant comme l'a £ait M. DierauerS que Tin- 
date, Exedarès et Parthamasirus n'avaient régné que sur une 
partie de l'Arménie, et que cette partie seule fut réduite en 
province : en effet, les villes que, d'après Moïse, Ardachès a 
détruites, fondées ou embellies, sont toutes situées au centre de 



c tement tuè {merUo interfectus) dans un tumulte qu'il avait excité, 
c mieux valait pour l'bonneur romain qu*il s'en fût allé impuni ». 
{Prineijpia kMoriae, éd. Naber, p. 209). Du reste Trajan prit sur lui la 
mort de Parthamasirus, et ne soufPHt pas qu'on y vtt une instigation 
d*Sxedarè8, mais il déclara avoir ainsi puni le manque de parole de 
TArsacide (Suidas, v* f^at^). 

1. Moïse de Khoréne, Uv. II, cbap. 54, 55. Traduction de Levaillant de 
Florivai, vol. I, p. 278-279. 

2. Ibid., p. 285-2S7. La numismatique des rois Arsacides de TArménie 
cesse trente ans après Tére chrétienne (lianglois, Numism, de l* Arménie 
dam FantiquUëf p. 44) ce qui nous prive, pour la période dont nous nous 
occupons, d*un utile moyen de contrôle. 

3. Ibid., p. 287. 

4. P. 161. 



— 168 — 

rArménie, dans le district d'Ârarad. D'après cela il faudrait 
compter Ârdachès au nombre des princes qui se soumirent à 
Trajan, et probablement il vint aussi à Satala^ 

Trajan prit rapidement les mesures propres à consolider la 
domination romaine dans le pays qu'une politique habile, plutôt 
que le sort des armes, venait de mettre dans ses mains. Les 
postes les plus importants de la nouvelle province furent garnis 
de troupes' ; la ville de Mélitène, qui commande un passage 
important de TEuphrate, fut agrandie et fortifiée', et des détache- 
ments furent échelonnés sur la côte du Pont-Euxin^, afin de 
maintenir toutes les nations barbares dans Tobéissance pendant 
que le gros de l'armée agirait contre les Parthes : Trajan, comme 
on voit, ne les attaquait point avant de s'être assuré tous les 
moyens de les vaincre. 

Pendant qu'il réglait d'une manière si avantageuse les affaires 
d'Arménie, l'heureux et entreprenant capitaine dont nous avons 
raconté les exploits dans la guerre Dacique, Lusius Quietus, 
acquérait de nouveaux titres à la reconnaissance de l'empereur 
et à l'admiration des Romains. Se portant rapidement à l'Est, 
au-delà du cours de l'Araxe, il était allé attaquer, dans l'Atro- 
paténe, la belliqueuse nation des Mardes, et l'avait vaincue^. 
L'Atropatène, ou comme l'appelaient les Romains, la Médie®, fut 
le prix de sa victoire. Puis, par une de ces pointes qui plaisaient 
et réussissaient à son audace, il se rendit maître sans coup férir 
de Singara, et de quelques autres petites places du voisinage^. 

1. M. Dierauer, p. 163, fait remarquer avec raison qu'une partie des 
médailles de Trajan à la légende R£GNA ADSIGNATA, où le prince ne 
porte pas le surnom de Parthieus (Cohen, n** 206 et 372), n*a pu être 
frappée qu*à propos de ces investitures de Fan 114. 

2. Dion., LXVill, 21 : 9poupàc iv iicixaCpoK xotraXiicûv. 

3. Procop., De Aedi/U,, lU, 4. Cf. Tacit., Ann. XV, 26, 27. Plutarch., 
LucuU,, 32. Sext. RufuB, De VictorUs, 15. 

4. Procop., BelL Gothic,, IV. 2. A<YOu<n \tjht 6(iN &ç xaxâ touç Tpaîovov toO 
Pcd{iaMiiv ouToxpàTopoc xp^vo^ xoràXoYoi 'PcûtiaCuv frrpaTiwTôv évraOOa tc xai 
(tlXpt ^ AdUlovç xal Zovi^o; Ifipuvro. 

5. Themistius orat., XVI, de Saturnino ad Theodos (éd. fiarduin, p. 205). 

6. Tacit., Annal, XIV, 23. Anquetii Duperron, Mém. de VAcad. des B. 
lettres, XLV, p. 143. Ces conquêtes de Lusius Quietus ont peut-être 
servi de base à la tradition suivant laquelle Trajan aurait poussé ses 
conquêtes jusque dans la Grande Tartarie (v. Nicolas Gostin dans Notices 
et Extraits des Manuscrits, XI, p. 331). Lusius a pu traverser TAraxe prés 
de sa source^ aux environs d'Brzeroum, comme Kinneir, dans son 
voyage (trad. Il, p. 127). 

7. Telles que la position nommée Castra Maurarum (Ammiep, XXV, 7). 



— 469 — 

Or Singara (auj. Sindjar) est une position de premier ordre, qui 
domine la route d'Orfa à Mossoul, et sans laquelle on n*est 
jamais assuré de posséder la Mésopotamie^ 

En consultant une carte de ce pays, on sera tenté, au premier 
abord, de juger sévèrement le coup de main de Lusius sur Sin- 
gara. Il se jetait au milieu de tribus non soumises, et ne pouvait 
recevoir aucun secours de Trajan, dont l'armée n'avait pas 
encore franchi l'Euphrate. Mais une connaissance plus détaillée 
des lieux fait comprendre comment l'occupation de ce poste se 
rattachait aux opérations ultérieures, et montre que l'imprudence 
n'est qu'apparente. La chaîne du Sindjar est une forteresse natu- 
relle presque imprenable et toujours bien approvisionnée par la 
nature, ce qui a permis aux Yézidis qui l'habitent de défier jus- 
qu'ici les efforts des pachas qui ont essayé de les réduire. « Ils 
< habitent, dit Kinneir*, des villages ou plutôt des cavernes 
« souterraines pratiquées dans le flanc des montagnes. Le sol 
« qu'ils cultivent est assez fertile pour les mettre en état de se 
« passer du blé de leurs voisins. Leurs montagnes abondent en 
« sources et en pâturages : leurs chevaux sont excellents. » 
D'après cela, il avait fallu autant de hardiesse que de bonheur 
pour s'emparer de la position, mais une fois qu'on en était maître, 
quelques hommes déterminés et industrieux suffisaient à la 
garder et pouvaient attendre, en parfaite sécurité, l'arrivée du 
reste des troupes. 

La conquête de la Médie et celle de Singara valurent à Trajan 
sa huitième et sa neuvième salutation impériale*. Sur un 
diplôme militaire du 31 août 114, il ne porte encore que la sep- 
tième^, reçue à Elegia, ce qui prouve que son séjour en Arménie 
prit la plus grande partie de l'année, et que les opérations de 



1. C'est sans doute dans le récit de la campagne de Lusius Quietus 
qu'Arrien mentiotinait : Ai^ovai, Tc6Xtc £vpCac, TaTc 'Arpatç YeiTviàÇouaa. 
nopOtxwv èwàT(]), identique avec la Ai6à de Poiybe (V, 51), comme l'a 
conjecturé Gh. Mûller. Liba était située entre I^isibe et le Tigre. Enfin c'est 
encore à la guerre d*Arménie que se réfèrent ces mots d'Eu trope (VIII, 3) : 
« très provincias fecit [TrajanusJ... cum iis gentibus quae Madenam 
c attiugunt i car la Madéne était une fertile province de TArménie 
(Sext Rufus, de Victoriis, c. 15). 

2. Voyage cité, trad. fr., t. II, p. 220. 

3. Comme nous l'avons dit, la neuvième figure parmi les titres de 
Trajan, sur une borne milliaire de la voie latine, encore en place à 
Ferentino, et gravée sous la 18* puissance tribunitienne, en 114 (notre 
n» 77). 

4. Henzen, n* 6857 a. 



— 470 — 

Qtttetuâ se firent en automne. CoHime récompense de ses services, 
ce brave officier obtint l'entrée au Sénat avec le rang d'ancien 
préteur, et fut désigné consul pour l'année suivante^ Trajan 
revint passer l'hiver à Antioche, où il entra en grande pompe, 
couronné d'olivier, le 7 janvier 115*. 

§3. 
Campagne de Van 115. — Conquête de la Mésopotamie. 

Le texte de Xiphilin devient ici tellement court et même vague, 
qu'on ne peut émettre que des conjectures sur les événements de 
cette campagne et l'ordre dans lequel ils se suivirent. Trajan se 
rendit d'abord dans l'Osrhoène, dont le roi Âbgare offrait depuis 
longtemps sa soumission^ et dont les ambassades avaient été 
éconduites. Il consentait à céder à Rome la souveraineté qu'il 
tenait de Chosroès et qu'il lui avait payée d'une grande somme 
d'argent. Comme l'empereur allait entrer dans Edesse, il rencontra 
le phylarque qui venait à sa rencontre, renouvelant sa soumission 
et accompagnant cet hommage de présents considérables. C'étaient 
deux cent cinquante chevaux, avec les armures pour chaque 
cheval et le cavalier qui le monterait, et soixante mille flèches. 
Avec un désintéressement assez fastueux, Trajan n'accepta que 
trois armures, à titre de curiosités, et dit au phylarque de garder 
le reste. Mais Âbgare tenait en réserve un moyen de suocès 
infaillible. Il connaissait les penchants du vainqueur de l'Ar- 
ménie, et il s'était fait accompagner de son fils Arbandès, jeune, 
bien fait, et dans toute la fleur de sa beauté. Arbandès plut à 
Trajan, qui le combla de caresses, et traita le père avec une dou- 
ceur dont cette guerre n'ofire pas un autre exemple et dont la 
raison est facile à pénétrer^. 

On passa quelques jours en fêtes et en banquets ^, puis la 
campagne commença, sur le conseil même d' Abgare*, par l'in- 

1. Tbemistius, 1. c. 

*2. Cette date sera prouvée plus loin. 

3. Suidas, v^ 'Ëde<r<ra, 9vX£px^c, cbvnTi^, lxéTeutio^ àxpa. Dion, LXVIIl, li. Je 
crois reconnattre cette scène sur un bas-relief de l'arc de Constantin où 
un homme Agé, revêtu d*un costume barbare, amène un jeune homme 
semblablement vêtu en présence de Trajan assis sur une estrade. L*em* 
pereur étend vers eux le bras droit, avec un air de protection et d'en- 
couragement. Rossini, gU archi trionfali, tav. LXXI. 

4. Suidas, v* 'EXX66ta. 

5. Suidas, V* ^(frrrffivwxan. 



— 474 — 

vasion de rAnthemusias, dont le phylarqae Sporacès se rendit 
aux Romains. L'armée, avançant à l'Est, s'empara de Batnae, 
o^tre d'un commerce considérable avec l'Inde et la SériqueS 
puis de Nisibe, où les armes romaines n'avaient pas paru depuis 
LucuUus'. La prise de Thebidha', château fort placé entre Nisibe 
et Singara, permit enfin de donner la main aux compagnons de 
Lusius, qui occupaient la dernière ville depuis Tannée précédente, 
et l'assujétissement de la Mésopotamie fut complet. Enchantés de 
ce succès rapide, les soldats, dès ce moment, décernèrent à 
Trajan le surnom de Parthicus, mais il ne voulut pas le prendre 
sur les monuments avant de l'avoir reçu du Sénat et justifié par 
des conquêtes plus étendues^. 

Dans le même temps , les Parthes étai^t en proie à la guerre 
civile. Un chef arabe, Manisarus avait attaqué Chosroès et ce 
dernier était en fuite^. Manisarus proposa à Trajan de partager 
les dépouilles de l' Arsacide. Il se désistait de toute prétention sur 
les parties de l'Arménie et de la Mésopotamie dont les Romains 
étaient maîtres^, et il entendait régner sur le reste. Il va sans 
dire que Trajan n'accepta point, et il refusa même de conférer 
avec les ambassadeurs de Manisarus. Celui-ci conclut alors une 
alliance avec Mannus, autre roi arabe, que menaçait l'approche 
des Romains^, et il semble même, autant que permet d'en juger le 
désordre des textes, que Manisarus avait négocié des deux côtés 
à la fois^. Trajan ne s'en préoccupa point : il n'était pas encore 
en mesure d'attaquer l'Assyrie. Il fallait franchir le Tigre et 
s'engager dans un pays inconnu ; la saison était trop avancée 
pour commencer des opérations aussi longues. Il les remit donc à 
Tannée suivante, et ordonna de prendre, dans les forêts voisines 

1. Âmmien MarceU. XIV, 3, 3. Il ne faut pas confondre Batnae de 
Môsopotamie avec la petite ville syrienne du môme nom, dont Julien 
{Ep. 27) fait une description charmante. 

2. Dion, XXXV, 7. Plut, LucuU., 32. Sext. RufuB, de Vtctor.y 15. 

3. OE6tOd 99o0piov Heao7roTa(i(ac- 'Appiocvàç IvdsxaTC)). Tab. Peuting, XI, B : 
Nisibi, XXXIII. Thebeta, XVill. Baba, XXXIII. Singara, 

4. Dion, LXVIII, 23. Le nom de Parih4eus ne figure positivement que 
sur les monuments datés de la XX* puissance tribunitienne. Llnscrip- 
tion de Gruter, 248, 2, où il accompagae le XIX* tribunat, est fausse ou 
mal copiée (Borghesi, Bull, de l'Inst, areh,, 1859, p. 116). 

5. Dion, LXVIil, 21. Et. de Byzance, Xidxi^, xwjitq «pà« ^y Ttypt^i noratJi^. 
'Apptavàc 8ExdT(|>. xai ^aiXiiic 8'î^8Xoc6vsi i% £eXeuxe(ac où icpoaw toO irotaiioO 

Tou TiYptSo^ èç xc&(iir}v Yi Tcvi Xtùxh 6vo|ia. Ce roi est Ghosroès, et non Trajan. 

6. Dion, LXVIII, 21. 
7.1d. 

8. Ibid., cf. Suidas, v* Mdcwoç. 



de Nisibe, les bois nécessaires à la construction d'un pont de 
bateaux. On peut croire aussi qu*il était bien aise d'attendre 
le retour de Lusius Quietus, retenu à Rome, cette année même, 
par l'exercice de son consulat. 

Malgré les facilités que Trajan avait rencontrées dans cette 
conquête, rendue si rapide et si aisée par la désunion des Parthes 
et la rivalité des phylarques, il ne laissa pas s'affaiblir la dis- 
cipline et la vigilance de ses soldats ^ Â soixante ans passés, il 
conservait l'activité et les habitudes de sa jeunesse, marchant à 
la tête des troupes , passant les gués à pied , partageant les 
fatigues et contenant l'ardeur de ceux qu'il commandait. Parfois 
il feignait de tenir de ses espions de mauvaises nouvelles et mul- 
tipliait les précautions; il répandait de faux bruits ou bien il 
ordonnait des marches et des contre-marches inutiles en appa- 
rence, mais propres à tenir en haleine des troupes déshabituées 
de la grande guerre' et placées en face d'ennemis dont les allures 
désordonnées et les attaques imprévues inspiraient toujours un 
certain effroi. 

L'empereur revint prendre ses quartiers d'hiver à Ântioche, 
comme à la fin de la précédente campagne. Mais celle qu'il ter- 
minait avait été moins longue, puisqu'il était déjà rentré dès 
l'automne dans la capitale de la Syrie. La prise de Batnae et 
celle de Nisibe lui valurent ses X*^ et XP salutations impériales*. 
C'est, je pense, à cette époque qu'il constitua et organisa la 
province d'Arabie, laissée jusqu'alors sous l'administration du 
légat de Syrie^. En même temps il ordonna de construire, pendant 
l'hiver, une flotte qui devait descendre l'Euphrate l'année sui- 
vante, et servir ses projets dans le haut Orient. Dion ne dit rien 
de cette construction, mais il me semble en trouver des traces 
dans les fragments conservés des Ilapdixà, et aussi dans les événe- 
ments de l'an 116. Arrien racontait certainement des faits que 
Dion, ou plutôt son abréviateur, a passés sous silence. Ainsi, au 
X® livre, il mentionnait OaXfa; ce ne peut être qu'à propos d'un 

1. Dion, LXVIII, 23. Extrait par Suidas au mot irpo<jx6ic«iv. 

2. Les légions de Syrie n'avaient pas fait campagne depuis la prise de 
Jérusalem, en 70. 

3. Il n'a encore que la neuvième dans PinBcription de Tare d'Ancône 
(notre n* 78) érigé en 115. La onzième se trouve dans rinscription du 
pont du Métaure (notre n* 79) construit la môme année. 

4. Âmmien Marcellin, XIV, 8. Hanc [Ârabiaro] provinciae imposito no- 
mine rectoreque attributo, obtemperare legibus nostris Trsyanus corn- 
pulit imperator, incolarum tumore saepe contuso, cum glorioso Marie 
Mediam urgeret et Parthos. 



— I7S — 

passage de troupes^ Or ^ik^a ou ^iXqa se trouvait, suivant les 
Stathmes Parthiques d'Isidore, au voisinage immédiat de 
Nabagath, et au confluent du Chaboras et de l'Euphrate'. Au 
livre XP, Arrien parlait de Niapîa sur FEuphrate^. Cette 
ville, trës-importante et habitée par de nombreux israéiites, 
ne pouvait être nommée ici à propos de la révolte des Juifs 
de Mésopotamie , qui eut lieu en 116 ou 117 et n'était, dès lors, 
racontée qu'à la fin des OapOtxa, au XVP ou au XVIP livre. Au 
livre XIIP enfin, Arrien parle encore d*une satrapie baignée par 
TEuphrate^ 

D'autre part nous allons voir Trajan naviguer sur le golfe 
Persique avec une escadre de cinquante navires. Où les aurait^ 
il pris? Quand Alexandre projeta une expédition maritime en 
Arabie*, U fit construire sa flotte partie en Syrie (les navires 
démontés avaient été transportés par pièces à Thapsaque), 
partie autour de Babylone, avec les cyprès qui entouraient la 
ville. Mais ces cyprès n'existaient déjà plus du temps de Strabon, 
qui dit que les Babyloniens employaient le palmier dans leurs 
constructions, faute de tout autre bois. Ce n'est donc pas à Baby- 
lone que Trajan trouva les éléments de la flotte dont il avait 
besoin. Tout porte à croire que ce fut en Syrie, et que les pas- 
sages cités d' Arrien se réfèrent au voyage de cette flotte le long 
de l'Euphrate *. 

Enfin la campagne de Julien chez les Perses jette quel- 
que jour sur la guerre parthique de Trajan. Or Julien opérait 
avec deux armées ; la plus considérable, à la tête de laquelle il 
se plaça, descendit le cours de l'Euphrate; la deuxième, sous les 
ordres de Procope et de Sébastien , devait traverser la Mésopotamie 
au nord et rejoindre le corps principal à Ctésiphon^. Cette 
deuxième armée ne se trouva pas au rendez-vous. Je pense que 
ces deux attaques convergentes sur la capitale de l'Assyrie se 



iv i* napOuU&v. 

2. Isid., Siathm. Parih. éd. Didot, p. 248. C'est là que Dioclétien fonda 
plus tard Gircësium. 

3. NdbpSa, icéXic SupCoïc icpèc xt^ EOfpdxip, &ç Xppiovàç IlapOixâv lv8exàTi)>. 

4. XctZryfï' H y a ici une erreur de copiste, car suivant Strabon la 
Xùûirrffi était au delà du Tigre, dans le voisinage d'Arbèles. 

5. Arrien, Anabas,, VII, 19, 3 et 4. 

6. Ritter, Erdkunde, X, p. 120. admet que Trajan eut une flotte sur 
rSuphrate, probablement pour les raisons ici déduites. 

7. Ammien, XXIV, 7. 



— 474 — 

retrouyaient dans le plan de campagne de Trajan, qui dut rester 
classique. 

Pendant le séjour de Trajan à *Antioche, un effiroyable trem- 
blement de terre désola cette riche capitale de la Syrie. Depuis 
quelques années, des fléaux semblables avaient ravagé l'Asie, la 
Grèce, la GalatieS mais la catastrophe d'Antioche paraît avoir 
été plus terrible que les autres^. Elle est aussi mieux connue , 
Dion l'ayant racontée en détail, à cause de la présence de Tem- 
pereur et des dangers qu'il courut. Pendant plusieurs jours, on 
entendit des roulements souterrains^, préludes du tremblement de 
terre proprement dit. Le jeudi 13 décembre 115, après le chant 
du coq^, on éprouva la première secousse ; d'autres lui succé- 



1. Hieronym., Chron,, p. 162, 165, éd. Schoene. 

% Bile s'étendit jusqu'à Rhodes (Malalas, Cknm., p. 275, éd. Bonn). 

3. Que Oion, LXVIII, 24, appelle xepouvoC. 

4. Malalas, 1. 1. C'est ici qu'il convient de discuter les renseignements 
chronologiques fournis par Malalas. Dans le chapitre de sa Chronogra- 
phàe consacré à la guerre Parthique, il a donné quatre dates : 

p. 270. Tpalotvàç... iireffTpdteuae t^ i^' IrfiTilc paaiXe(oic eeùroO é^XOàrv xact* oOtûv 

lujv) dKTo6pU^ T^ XM 0icsp6epcTai(|> àir6 *Pio|i9)c 
ibid. xaréfOoiacv h £eX£uxf(q^ x^ç ZvpCaç |lt)vI àsKtÙaU^ x^ xoU 5exe(ib6p(<p 
p. 272. eloijXOev év j^vrioxt^^ Tf); £vp(oic |&t)vI aOdiivaCcp rcp xal lavouflip(y l^o|i;^ 

fjfiip^ t' ^M^pivÇ V 
p. 275. licaOcv 'Avri^xeia icàOoc tivivC àits^XaUp t^ xal 8ex2|i;6picp vf, 4t^P9F >% 

laxd àXfXTpudya, Irouc x^H^^^^^<^ pC^* iMxé. toùc cCrroùç ^vrtoxetc, lurà 8e 

P' Iti) xf^c icopouoioc Tou Oetordiou ^oaiXée^c TpaîocvoO tijc èici xfjv dcvoctoXi^. 

Gomme il a été établi plus haut, la date t6* (» XII) de la page 270 est 
fausse. Il faut la changer en iç^ seule indication qui convienne & Tan 
113. Il y a ici une faute de copie évidente, sur laquelle tout le monde 
est d'aecord. 

Il n*y a aucune observation à faire sur la dernière indication de la 
môme page. 

Celles des pages 272 et 275 sont liées. Voici comment. L*an 164 d'An- 
tioche commença à l'automne de 115 ap. J.-G. L'indication de l'année est 
donc exacte, et elle répond bien au consulat de M, Vergilianus Pedo, 
comme l'exige le récit de Dion. Mais le 13 décembre 115*nit un jeudi 
et non un dimanche. Il est vrai que Pagi (ap. Baron., Annal, EecUt., ad. 
a. 117) a proposé de lire %f au lieu de if, le 23 au lieu du 13. Mais M. Gut- 
schmid a fait sur ce point une remarque très-ingénieuse (dans Dierauer, 
p. 156) et qui nous semble décisive. Malalas, dans les documents païens 
qull avait sous les yeux, ne trouvait que le quantième des mois syriens. 
Il a voulu y ajouter le rang des jours de la semaine, pour donner plus 
de précision à son récit, et il s'est trompé dans les calculs que néces* 
sitait cette addition, ou en consultant les tables de concordance qu'il 
possédait. Justement, le 7 janvier 115 est un dimanche, et le 13 décembre 
de la môme année un jeudi. On voit qu'une simple interversion dans 
les chiffi^s qui indiquent les jours rétablit les fiôts, sans qu'il soit 



— #TS — 

dèrent avec une rapidité étourdissante. C'étaieat des osciUationB 
verticales qm ébranlaient les édifices les plus solides et poussaient 
les autres hors de terre. Le fracas de leur chute, les dâ)ris qu'en 
s'écroulant ils projetaient de tous les côtés, un nuage de pous- 
sière remplissant les rues et les places, causaient un efiroi et un 
désordre indicibles. On ne pouvait, selon les paroles de Dion, ni se 
voir, ni se parler, ni s'entendre. Comme le fléau se fit sentir 
pendant plusieurs jours, il fut impossible de porter secours aux 
malheureux ensevelis sous les décombres de leurs maisons, et lors- 
qu'enfin ceux qui s'étaient dérobés par la fuite à une mort cer- 
taine risquèrent leurs premiers pas sur le sol rafiermi, on ne 
retrouva vivants qu'une femme qui allaitait un enfant et un 
autre enfant attaché, dit-on, au sein de sa mère déjà morte. 

Trajan courut les plus grands dangers : il allait être écrasé 
sous les ruines du palais qu'il habitait lorsqu'un personnage de 
taille surtiumaine vint, à ce que l'on raconta, l'arracher à ce lieu 
funeste et, le faisant passer par une fenêtre, le porter au milieu 
du cirque, dans un vaste espace découvert où il put attendre en 
sécurité le raffermissement du sol. Mais dans le cirque même, 
Trajan et les siens étaient à peine rassurés, tant le mont Casius 

nécessaire de changer les chiffres, et nous donne en même temps la 
date de la rentrée de Trajan à Antioche au commencement de Tannée 115. 
11 y vint donc trois fois : l*' au début de la guerre. C'est alors qu'il fit une 
offîrande à Jupiter Kasios; 2* après la campagne d'Arménie; 3* après la 
campagne de Mésopotamie, et c'est alors qn*eut lieu le tremblement de 
terre. Les souvenirs qu'il avait laissés dans cette ville, et autour des- 
quels se formèrent plusieurs légendes rapportées par Malalas, s'expli- 
queraient mal, en effet, si on n'admet point qu'il y passa un temps 
assez long. 

Bckhel {ùodrina, VI, p. 453], Borghesi {(Bu/v,, V, p. 22), Noël des Ver- 
gers (CompteS'Rendm de VAcad. des InserifiL 1866, p. 85), placent la catas- 
trophe au commencement de l'année 115. Pourtant le témoignage si 
précis de Halalas est confirmé par une chronologie grecque publiée par 
Scaliger (v. Pagi dans Baronius, An, Eccl, an. 117) qui rapporte le tremble- 
ment de terre à la 3* année de la 223* olympiade, laquelle court de juillet 
115 & Juillet 116. Eckhel dit que ces sortes de chronologies offrent peu de 
garanties. Cependant elles sont quelquefois exactes, et quand elles se 
trouvent, comme ici, corroborées par d'autres documents, il n'est pas 
permis de les rejeter. Gomme Dion rapporte que le consul Pedon faillit 
être victime de la catastrophe (et non qu'il en fut victime comme le 
ditN. des Vergers l. c), et que ce personnage^ consul ordinaire, fut en 
charge au commencement de Tannée, on veut que le tremblement de 
terre ait eu lieu pendant sa magiatrature. Mais au contraire, puisque 
Pedon était à Antioche, c'est qu'il n'était plus en fonction : pendant 
l'exercice de sa charge il ne pouvait quitter Rome. M. Oierauer (p. 167) 
adopte avec raison la date donnée par Malalas. 



— ne — 

semblait yaciUant et prêt à tomber sur la ville pour en achever 
la mine. Le pays fut complètement bouleversé : des coUines 
s'afiaissèrent ; des cours d'eau s'engouffrèrent dans le sol, d'autres 
jaillirent tout à coup à la sur&ce de la terre ^. L'empereur 
en fut quitte pour quelques contusions légères. Mais sa présence 
avait amené en Syrie une foule d'étrangers, et cette circons- 
tance augmenta le nombre des victimes. Beaucoup de sénateurs 
et d'hommes politiques avaient reçu l'ordre ou obtenu la permis- 
sion de venir à Antioche conférer avec lui des affaires générales ; 
les députations des villes s'y étaient rendues pour le féliciter de 
ses victoires, enfin de simples curieux y affluaient, en grand 
nombre, de tous les points de l'empire. Au lieu des fêtes projetées 
pour la célébration de tant de victoires, on n'y trouva qu'une 
catastrophe terrible, qui jetait le deuil dans toutes les parties 
du monde romain. 

Avant de reprendre ses opérations militaires, Trajan voulut 
soulager les maux qu'il laissait derrière lui. Il ordonna la répa- 
ration d'un très-grand nombre d'édifices et fit reconstruire 
somptueusement ceux qui n'existaient plus'. 



§4. 

Campagne de Van 116. — Conquête de V Assyrie. — 

Révolte des Juifs. 

Au printemps, Trajan reprit ses opérations et se disposa à 
envahir l'Assyrie proprement dite ou Adiabène, située au delà du 
Tigre. Il se dirigea vers Nisibe. Les ordres qu'il avait donnés 
pour la construction de bateaux qui permissent à l'armée de 
franchir le fleuve avaient été exécutés'. Ces bateaux, probable- 
ment décomposés en plusieurs pièces, furent transportés sur des 
chariots jusqu'au bord du Tigre, remontés sur place, et l'établis- 
sement du pont commença. Les habitants du pays, stupéfaits de 

1. Dion, LXVIII, 24 et 25. 

2. Malalas, p. 277. 

3. D'après Ritter, Erdkunde, X, p. 120, il y a près de Nisibe, À la source 
du Chaboras, des forêts qui fournirent les bois nécessaires. Le passage 
eut lieu sans doute près de Gezireh Ibn Omar, localité ainsi nommée 
d'une lie qui se trouve au milieu du fleuve et qui facilita rétablisse- 
ment du pont de bateaux. C'est toujours un passage important au point 
de vue miUtaire. Les Romains y établirent plus tard la forteresse de 
Bexabde. 



— 477 — 

voir oei^ embarcations sui^ir, en quelque sorte, au milieu d'un 
pays déboisé, s'enfuirent à l'exception d'un petit nombre d'arr- 
chers Carduques qui , avec une bravoure égale à celle que leurs 
ancêtres avaient déployée jadis contre Xénophon et ses compa- 
gnons, essayèrent de s'opposer au passage ^ 

Mais la hardiesse de quelques barbares ne pouvait arrêter une 
armée romaine pleine d'élan, munie de puissants moyens d'action 
et habile à les mettre en œuvre. Le nombre des barques dont on 
disposait dépassait celui qui devait entrer dans la composition du 
pont. Pendant que les soldats le construisaient avec cette promp- 
titude surprenante qu'admiraient les hommes du métier^, d'autres 
légionnaires et des auxiliaires légèrement armés traversaient le 
Tigre sur différents points, forçant les Carduques à courir de 
l'un à l'autre, et couvrant ainsi les travailleurs par plusieurs 
attaques, réelles ou feintes, exécutées dans le même moment. Les 
barbares furent balayés, le pont s'acheva et bientôt l'armée tout 
entière, transportée sur la rive gauche, devint presque immédia- 
tement la maîtresse du pays. Dans des pourparlers engagés l'année 
précédente, Mebarsapès^ avait traîtreusement fait prisonniers un 
centurion nommé Sentius et quelques soldats. Il les retenait 
dans la ville fortifiée d'Àdenystra^; ces Romains, pendant un 
long séjour, avaient pu étudier les moyens d'introduire leurs 
compatriotes dans la place, et ils les aidèrent effectivement à s'en 
emparer*. La prise d'Adenystra les rendit maîtres du pays sans 
coup férir. Après cette facile et rapide conquête, Trajan se 
dirigea vers Babylone, en suivant le chemin qu'avait pris 
Alexandre quatre siècles auparavant. On peut croire qu'il ne 
manqua point de visiter le champ de ba taille. d'Arbèles : en 
traversant ces plaines à jamais célèbres, il put songer à la des- 
tinée du fils de Philippe sans être écrasé parles souvenirs qu'évo- 
quait naturellement un tel parcours. Aux exploits si vantés du 
héros grec, le capitaine romain pouvait opposer cette guerre, 
aussi heureuse et aussi rapide, qui assurément avait jusqu'ici 
coûté moins de sang. Il vit aussi les sources de bitume de Mem-* 
nis, et les flanmies qui s'échappent du sol à Kirkuk^. Repassant 



1. Dion, LXVllI, 26. 

Arrian., Anaà., V, 7, 3. 

3. Roi d*Âdiabône. 

4. Dion, LXVllI, 23. Localité inconnue. 
5: Dion, 1. c. 

6. *El9aioT0u v9J0Oi, tiSc Aôia6T]v9ic. 'Appt«v6c ly' IlapOtxâv. cf. Strabon, XVI, 

DS LA BBBGB 42 



— 178 — 

anfln le Tigre à la hauteur d'Opis, il rencontra le grand,retnui- 
chement haut de 25 pieds (7°'75),large de 50 (15*50), construit, 
disaitr-on, par SémiramisS sur une longueur de 200 stades 
(37 kilomètres), et il le longea jusqu'à son extrémité qui aboutit 
à TEuphrate. L'armée, qui venait de conquérir l'Âdiabàne, y 
rencontra la flotte qui avait descendu le fleuve depuis Phalga. 

Dans une plaine voisine des sources de bitume qui offirirent aux 
Babyloniens le ciment nécessaire à leurs constructions gigan^ 
tesques, à Ozogardana', au pied du mur de Médie, Trajan passa 
en revue toutes ses troupes. Il les vit défiler, assis sur un siège 
de pierre que Ton montrait encore plus de deux siècles après, et 
qui avait gardé son nom ^, Puis, descendant le fleuve avec ses 
soldats^, il entra à Babylone, abandonnée en grande partie à 
cause des guerres civiles auxquelles le pays des Parthes était en 
proie ^. On ne laissa pas néanmoins d'y faire un certain nombre 
de prisonniers, parmi lesquels se trouva le précepteur du roman- 
cier Jamblique '. 

Trajan disposait maintenant de la totalité de ses forces ; il pou* 
vait porter aux Arsacides des coups décisifs et marcher à la con- 
quête de pays plus éloignés vers TOrient. La capitale des rois 
Parthes, Ctésiphon, n'était pas encore en sa puissance. Il s'agissait 
de faire passer la flotte de l'Euphrate sur le Tigre, qui baignait 
les murs de cette riche cité. Le Naharmalcha ou fleuve royal, 
canal réunissant les deux grands cours d'eau qui arrosent et 



1, 4 (p. 738) nepi !àp6T)Xa ^l 2<m xai AT)|&YiTp(a< icoXk ' clO* ii toù vd^Oa ic^pii, x«i 
Td icvpd... Ces feux sont très-bien décrits par Ainsworth, Jawmen from 
Bagdad to ConstantinopU via Kurdistan (1437), dans GhesDey, Narrative 
of the Etiphraies Expédition, 1868, in-8% p. 497. Les environs de Kirkuk 
sont coupés par beaucoup de canaux : d'où le nom de Wloot. 

1. Suidas, V* x^^l^- ^^ chififres montrent qu'il s'agit du ^wtuxda^ 
nommé plusieurs fois par Strabon, et reliant Babylone à Séleucie (II, 1, 
26. XI, 14, 8). 

2. Ammien, XXIV, 2, trajecto fonte scatenti bitumine Ozogardana 
occupavimus oppidum... in quo principis Trajani tribunal ostendebatur. 
V. la carte jointe au mémoire de d*Annlle, l'Euphrate et le Tigre, 1775. 
in-4v 

3. Au passage d'Ammien, ajouter celui de Zozime, III, 15. p^ya, H^w 
ex XCOou iceicoiT)|iivov ô TpcfîavoO xoXetv slci^Ooiacv ol ijyuiapwu Zozime appelle la 
localité Zaragardia. 

4. Peut-être la flotte ne descendit- elle pas au-dessous de Massice, 
embouchure du Nabarmalcha dans TEuphrate (Plin., Hi$L naL, V, 21). 

5. Oion, LXYIII, 26. 

6. Fabricius, Bibl, Gr., YIII, p. 153. Tngan célébra un sacrifice en 
rhonneur d'Alexandre, dans la maison où il était mort. 



limitent la Mésopotamie, débouchait en tetce de Gtésiphon 
même : IL eût été imprudent d'essayer le passage sur ce point. 
Un nouveau canal, creusé par les ordres de l'empereur, sur une 
longueur de 30 stades (5548* 50), fit tomber le Naharmalcha 
dans le Tigre, au^essus de Gtésiphon : les Romains purent 
ainsi tourner la place et l'investir*. 

Elle ne tarda pas à tomber entre leurs mains. Chosroès s'en- 
fuit : mais sa fille ne put échapper à la captivité *. Le trône doré 
sur lequel s'asseyaient depuis tant d'années les ennemis déclarés 
de Rome, ceux qui, suivant l'expression des écrivains latins, 
partageaient le monde avec elle ', fut saisi avec bonheur par les 
soldats et réservé pour orner plus tard le triomphe de Trajan . 
Celui-ci traversa le Tigre avec la flotte, en bel ordre'*, pour entrer 



t. On ne comprend cette opération qu*en se reportant au récit de la 
guerre faite par Julien, deux siècles et demi plus tard, dans le môme 
pays. Dion ne donne que des détails manifestement inexacts. Suivant 
lui, l'empereur songeait à joindre les deux fleuves par un canal, et il 
dut renoncer à ce projet en s'apercevant que le niveau de TEuphrate 
était bien plus élevé que celui du Tigre, et que la dérivation aurait 
rendu impossible toute navigation sur le bas Buphrate. Dès lors on 
aurait transporté les navires d'un fleuve à l'autre sur des chariots 
(LXVIIl, 28). Mais qui ne sait que la Mésopotamie était, depuis la plus 
haute antiquité, sillonnée de canaux qui réunissaient TEuphrate et le 
Tigre? Hérodote, Strabon, Pline, Ptolémée nomment tous le plus impor- 
tant de ces canaux, le Naharmalcha, que sa largeur faisait considérer 
comme un bras de TBuphrate, et qui s'étendait de Massice à Séleucie. 

Âmmien, à son tour, dit (XXIV, 6) que le Naharmalcha était l'œuvre 
de Trajan, que les Perses l'avaient comblé, et que Julien, en le rouvrant, 
put faire franchir à sa flotte une distance de trente stades. Mais le Nahar- 
malcha est bien antérieur à Trajan : sa longueur était de neuf schoenes 
ou parasanges (Ibid., Staihm. Parih,, éd. Didot, p. 249), qui correspondent 
à vingt-sept milles romains ou quarante kilomètres. Gomment pouvait- 
on exécuter rapidement un tel travail? Zozime au contraire (111, 24) 
explique très-bien qu'il s'agit d'un canal reliant au Tigre le Nahar- 
malcha, et non l'Buphrate. Le chiffi^e trente stades (5548 m. 50), donné 
par Ammien, devient alors intelligible, môme en y voyant des stades 
olympiques, les plus grands de tous. Le canal de Trajan dut être creusé 
au commencement de l'été, la crue de TEuphrate ayant lieu en juillet 
et août (Pline, HM. nat., V, 21). 

2. Spartien, Hadrian, 13. 

3. Ibid. et Capitol. AnUm. Plus, 9. 

4. Suidas, V* NocO< c Trajan f^nchit le fleuve avec cinquante navires : 

< quatre d'entr'eux portaient les insignes impériaux et tiraient par de 
f longs câbles la galère prétorienne. Celle- ci avait la longueur d'une 

< trirème, la largeur et la profondeur d'un vaisseau de charge, telle que 
t la grande Nicomêdis ou VAeçffpda. On y avait pratiqué pour l'empereur 
c des chambres en assez grand nombre. Elle portait Taplustre, au haut 



— 480 — 

dans Ctésiphon, la merveille de la Perse Ml y reçut sa XIP sa- 
lutation impériale^, et le titre de ParthicuSj que l'enthousiasme 
des soldats lui avait conféré l'année précédente, fut officiellement 
décerné au vainqueur par le Sénat. La prise de Ctésiphon assurait 
en effet, ou du moins paraissait assurer l'assujétissement du grand 
royaume Arsacide. C'est ce qu'exprime, avec autant de concision 
que d'éloquence, la légende d'une médaille frappéeàcette occasion: 
PARTHIA CAPTA \ 

De Ctésiphon Trajan, avec une flotte de cinquante navires, 
descendit le cours du Tigre jusqu'à XipaÇ Sicaa(vou , près de l'embou- 
chure du fleuve, dans le golfe Persique, non sans courir quelques 
dangers, à cause de la rapidité du courant et de la violence des 
marées ^ Attambêlos^, roi de la Mesène et de la Characène, ne fit 
pas attendre sa soumission et accepta sans murmurer l'imposition 
d'un tribut^. La mer des Indes s'étendait enfin sous les regards 

c de la voile le nom du prince, et tous ses insignes sculptés en or. La 
c flotte était divisée en trots escadres, de peur de confusion dans la 
c marche si les navires s'étaient tenus trop prés les uns des autres, 
c Tiré d'Arrien. i 

1. Ammien; xxm, 6. 

2. Il la porte avec le surnom de Parthàeus sur une inscription de Pous- 
zoles de l'an 116 (notre n* SO). 

3. Cohen, n* 97. 

4. Dion, LXXVIII, 2S. 

5. Attambélos est Torthographe des monnaies frappées par d'autres 
rois de la Mesène, du même nom. Celui-ci est Attambélos IV. (Wadding- 
ton. Mélanges de NumUnuitique , II, p. 104.; L'étude de ces monnaies 
présente une difficulté. On possède trois pièces du roi Théonnesés, 
datées suivant Tére des Séleucides, Tune de 421 » 109 ap. J.-C, la deu- 
xième de 423 == 111, la troisième de 431 ou 434 = 119 ou 122 (on hésite 
entre les lectures YAA et YAA). Les deux premières ont été frappées 
du temps de Trajan, avant la guerre Parthique, la troisième est con- 
temporaine du règne d*Hadrien. La parfaite identité des portraits sur 
ces trois pièces ne permet pas d'admettre qu'elles appartiennent à deux 
princes ayant porté le même nom. Gomme, suivant Dion, la Characène 
était en Tan 116 gouvernée par un Attambélos, M. Waddington émet la 
supposition très-vraisemblable que cet Attambélos, à la faveur de la 
guerre Parthique, détrôna Théonnéses, et que le prince dépossédé 
ressaisit son pouvoir au commencement du règne d'Hadrien. Alors en 
effet les conquêtes de Trajan furent abandonnées, et son œuvre détruite 
par les peuples auxquels il l'avait imposée. 

6. Dion, 1. c. Butrop. VIII, 3 : Messenios vicit ac tenuit La conquête de 
la Mesène valut sans doute & Trajan sa XIII* salutation impériale qui 
figure dans ses titres sur un diplôme militaire du S septembre 116. 
(notre n* S) on lit dans les Parthica : 'Axpa, irlpecv tou T(y(>t)to<. 'Appiocvèc 
ixxaifiexd'nd. X>paOa, 1r6X^ i^ç iv Ttypi^i Meoi^<. ^pptovèc ocxaiScxéq). On 

ne connaît pas la position de ces localités. Gh. Muelier propose d'iden- 



— 484 — 

ravis de Trajan . Des projets vagues et grandioses occupèrent et 
amusèrent quelque temps son imagination. Il demanda de nom- 
breux renseignements sur ces pays célèbres et songea aux moyens 
de faciliter le commerce et les relations de l'ancien monde avec 
ces régions lointaines. Toutefois, il n'eut jamais, conome on Ta cru 
plus tard, le dessein d'y conduire ses armées ; au contraire, voyant 
un vaisseau qui appareillait pour les Indes, il exprima le regret 
que son âge ne lui permît pas d'y aller chercher les traces 
d'Alexandre*. Mais les relations qu'il fit passer en Italie n'étaient 
pas empreintes de la même sagesse, et il osa écrire au Sénat 
qu'il avait porté ses pas plies loin que le héros macédonien *. On 
voit que son esprit si ferme et son caractère si modeste s'étaient 
altérés sous la grandeur et la rapidité des succès. On souffre 
aussi d'avoir à rapporter que le vainqueur de Décébale, donnant 
le change sur ses promenades et les faisant passer pour autant de 
conquêtes, poussait l'enfantillage au point d'envoyer à Rome 
courrier sur courrier, avec des bulletins de victoires remportées 
sur des peuples qu'on cherchait péniblement sur la carte, et dont 
les noms, choisis à dessein, étaient si bizarres qu'on ne parvenait 



tifier "OpaOtt avec YUr d*Ammien Marcellin (XXV, 8). C'est impossible : le 
contexte d'Ammien montre clairement qu'Or était entre Atra et Nisibe. 

1. DiOD, LXVlll, 29. "IvSouc Te y^ ivevoet, xai xà ixeCvcov irpdcYt&aTa èiroXu- 

icpaniAvei Tâv T8 'AXé^QcvSpov é|AaxàpiCe. Voilà le noyau de la légende gui 
étendit les conquêtes de Trajan jusqu'aux limites de Flnde. Aurelius 
Victor [C€tes., 13) dit seulement : < ad ortum solis cunctae gentes, quae. 
c inter Indum et Bupbratem, amnes inclitos^ sunt, concussae belle i ; 
mais Eutrope (VIII, 3) est plus affirmatif : f Usque ad Indiae fines 
poit Àlexandrum accessit ». De môme, sur un mot de Cbarlemagne à 
des ambassadeurs grecs, rapporté par le moine de Saint-Oall (I, 28) : 
c utinam non esset ille gurgiculus inter nos! forsitan divitias Orientales 
c aut partiremur, aut pariter participando communiter baberemus », 
rimagination populaire édifia Tbistoire d'un voyage de cet empereur à 
Constantinople et en Terre sainte (Gaston Paris, Histoire poétique de Charte* 
magne, p. 41). Fréret a justement contesté l'expédition de Trajan dans Tlnde 
(ÀcaéL des B. Lettres, XXI. Hist,, p. 55), mais il invoque à tort un passage de 
Lucien comme témoignage des récits fabuleux qui avaient cours sur la 
guerre des Partbes. c Le Philopafris, attribué communément â Lucien et 
c composé, selon toute apparence, sous le régne de Trajan, fait men- 
€ tion d'une prétendue victoire remportée sur les Partbes et de la 
c prise de Suse dont les armées romaines n'approcbôrent jamais. > Le 
Pkilopatris fut composé vraisemblablement au iv* siècle, et les vers 
relatifs à la prise de Suse (cb. XXVII) sont tirés d'une tragédie grecque 
aujourd'hui perdue. 

2. Dion, LXVIII, 29. KaCrot IXsye xal ixeCvou nepattépo» icpoxex«i>pY)x^>ii xal 
toOto xai t^ pouXj éireoTsTXe. 



— 4»a — 

pas à les prononcer distinctement ; de sorte que le Sénat, étourdi 
de ces dépêches, aussi nombreuses que difficiles à transcrire, lui 
permit, une fois pour toutes, de triompher d'autant de nations 
qu'il le voudrait ^ N'insistons pas sur ces faiblesses passagères 
d'un grand homme, qui va cruellement expier quelques mouve- 
ments d'abandon et de vanité. 

Pendant qu'il naviguait à l'embouchure du Tigre, il apprit, en 
effet, qu'une insurrection formidable avait éclaté dans la Gyré- 
naïque, dans l'Egypte ' et à Chypre. Les Juifs très-nombreux dans 
ces contrées^ furent probablement maltraités après le tremblement 
de terre d'Antioche. Une grande partie de l'Orient avait souffert 
du même fléau ; l'esprit superstitieux des populations dut attribuer 
ce malheur à l'irritation des Dieux, mécontents de la liberté 
laissée par les Romains aux cultes étrangers. Il est certain que 
les Chrétiens furent inquiétés à cette époque, et, selon toute vrai- 
semblance, pour cette cause : or, les Juifs et les Chrétiens étaient 
si souvent confondus par les anciens que la persécution constatée 
des uns nous autorise à penser que les autres n'échappèrent pas 
aux mêmes rigueurs *, D'autre part, les zélotes n'avaient point 
cessé, après la destruction de Jérusalem, de revendiquer l'indé- 
pendance nationale. La guerre commença'^ en Cyréuaïque, là où 



1. Dion, LXVIII, 31. 

2. BuBébe, HUt, ecclés., IV, 2. P. OroBe, VII, 12. 

3. ÀcL, VI, 9, XI, 20, XÏII, 1. Joseph. Ànt Jud., Xl\, 7, 2, Àdv, Ap., 
II, 4. 

4. Sur les mauvaises dispositions des habitants d*Antioche envers les 
Juifs, V. Joseph., B. Jud., VII. 5, 2. 

5. On ne saurait déterminer avec une grande précision le moment où 
les Juifs commencèrent à se soulever, non plus que la date de leur 
répression définitive. M. Dierauer p. 1S3 place en Tan 117 toute cette 
insurrection juive, parce qu*on en lit le récit dans Xiphilin, après celui 
du siège d'Atra, siège qui eut lieu certainement en 117, puisqu'il forme 
un épisode de la retraite de Trajan. Mais l'abréviateur a pu faire quel- 
que transposition dans le texte de Dion, et il ne semble pas permis de 
s^ëcarter des indications précises d'Busèbe HUt Eccl. iV. 2 i^dv) yauv roO 
flcÙTOxpàTopoç el{ ivtOEUT^ ôxTwxaiiéxaTov iXoeâvovroc aSOtç loudauov xCvqfftc 
27Tava<rrâaa, et plus loin t^ iicidvri àviocur^ icoXspLOv où ftixpov awii4/oev. La 

xviii* année de Trajan correspond à Tan 1 15 après J.-G. : c'est donc l'année 
suivante que la guerre aurait pris tout son développement. M. Graetz 
Gesch. der Juden 2* édit. IV p. 125 place cette insurrection dans Tau- 
tomne de 116 et l'hiver (premiers mois) de 117. 11 resterait encore à 
répartir entre ces deux années le petit nombre des faits relatifis à l'insui^ 
rection que nous connaissons. 11 paraît naturel d'admettre que la 
terrible répression de Quietus eut lieu en 117 : d'une part elle mit fin 
à la révolte, et de l'autre elle se rattache aux dernières opérations 



— 4«a — 

avait en lieu le dernier soulèvement de ce malheureux peuple S 
après la prise de la ville sainte. La province, étant sénatoriale, 
ne renfermait pas de troupes, ce qui permit au chef des rebelles, 
Lucuas, d'obtenir d'abord de rapides succès'. Le mouvement se 
cornlHuait avec une révolte des Juifs d*Egypte, et là encore les 
insurgés exécutèrent si bien le plan convenu, qu'en un instant ils 
furent maîtres de tout le pays depuis Thèbes jusqu'à la mer, à 
l'exception d'Alexandrie. Ils n'avaient point oublié le premier 
Romain qui viola leur sanctuaire et pénétra armé dans le 
Saint des Saints : ils détruisirent un petit temple consacré par 
Jules César à Némésis, à l'endroit même où Pompée avait été 
mis à mort, et ils s'y retranchèrent. Appien ^ ne parle de cette 
{Hrise de possession que conmie d'une nécessité de la défense, 
mais j'imagine que la haine très-naturelle des Juife pour Pompée 
entra pour quelque chose dans le choix de cette espèce de 
forteresse. Ils promenèrent la dévastation et la mort dans la 
province entière ; de tous côtés, on fuyait devant leur farouche 
et implacable vengeance : un fragment d' Appien, récemment 
découvert^, peint vivement la terreur qu'ils inspiraient. Dion^ 
rapporte avec une exagération évidente les atrocités qu'ils com- 
mirent, mais cette exagération même est une preuve de l'efiroi 
partout ressenti. Le préfet d'Egypte, Rutilius Lupus, n'ayant 
pris, au début de la rébellion, aucune mesure conservatrice, se 
trouvait complètement débordé, et enfermé dans Alexandrie, 
n est vrai que les habitants de cette viUe immense, dont le 
nombre s'était encore accru de tous les fugitifs des environs, 
s'étaient débarrassés par un massacre de tous les Juifs restés dans 
ses murs*. Mais les communications avec l'extérieur étaient tou- 



militaireB des Romains en Môsopotamie, avant que Tn^an reprit le 
chamin de Rome. 

1. Joseph., B, Jud., VII, 11. 

2. Euseb., 1. 1. Dion appelle ce chef Andréas. 

3. Appian., B. Civ,, 11, 90. 

4. Publié et traduit par M. Miller, Rewê archéologique^ février 18G9. 

5. Dion, LXVIII, 32, Toi»c ts *PM|&aCouc xa( touc 'fiXXir)va« irOeipov, xal Tdc 
aéçKMLi aOxâv étrtTouvxo, xal ta fvrepa ivedoûvro, tc^ ts aX[um iQXeiçovro, xal Ta 

àicoXi(LtJATa ivtduovTo. Ils auraient aussi scié leurs captifs, les auraient 
livrés aux bêtes féroces, ou torcés de combattre les uns contre les 
autres. Dion évalue à deux cent vingt mille le nombre de ceux qu'ils 
firent mourir. 

6. Derenbourg, Essai sur Vhistcire et la géographie de la Palestine, 1867, 
in-8', p. 410l Gf. Busèbe, 1. 1. — La magnifique synagogue d'Alexandrie 
fut détruite dans cette lutte acharnée. 



— 484 — 

jours impossibles, et ils attendaient avec anxiété qu'on vint les 
délivrer. Lupus fut remplacé par Q. Marcius Turbo S homme 
énergique que Ion vit encore sous le règne d'Hadrien, chargé de 
missions périlleuses dans des provinces soulevées' et qui réussit 
toujours à les faire rentrer dans l'ordre. Des forces considé- 
rables en infanterie, en cavalerie, en marine même, furent mises 
à sa disposition; il écrasa les Juifs et en ât un carnage con- 
sidérable'. 

 Chypre enfin les rebelles, sous les ordres d'un chei nommé 
Ârtémion, s'étaient rendus maîtres de l'île et en avaient détruit 
Salamine la capitale, après l'avoir saccagée. Là aussi ils furent 
vaincus, après une lutte terrible qui laissa derrière elle deux cent 
quarante mille victimes. Les Juifs furent bannis de Chypre à 
perpétuité^. 

Mais, le péril n'était pas complètement conjuré : les Juifs de 
la Mésopotamie intervenant au moment convenu dans l'insurrec- 
tion, ou se soulevant spontanément à la nouvelle des premiers 
succès de leurs coreligionnaires, avaientégalement pris les armes, 
et comme les provinces d'Orient avaient été dégarnies de troupes 
pour composer l'armée de Q. Marcius Turbo, les peuples récem- 
ment subjugués revendiquèrent dans le même temps leur indé- 
pendance^. Ainsi, depuis la mer Egée jusqu'au Tigre, tout était 
en feu. 

§6. 

Campagne de Van 117. — Soulèvement des Parthes, — 

Mot't de Trajan. 

Les villes principales avaient chassé leurs garnisons romaines 

1. D'après une inscription de Toasis de Thèbes (Letronne, n* XIV, I, 
p. 121), Lupus était encore en charge le 30 du mois de pachon de 
l'an XIX de Trajan, soit le 24 mai 116. L'an XfX de Trajan commence 
pour les Egyptiens le 29 août 115. 

2. Spart., Hadr,j 5. 

3. Buseb. I. 1. dit qu*il en tua c beaucoup de myriades i iioXX^ ftvpiàtec. 
Le massacre en Bgypte fut tel que suivant les traditions rabbiniques 
le sang traversait la mer et allait jusqu'à Chypre. Derenbourg, p. 411. 

4. Dion., LXVill, 32. Oros., VII, 12. Les Juifs étaient très-nombreux 
à Chypre. Act, XIII, 4. Joseph., Awt. Jvd., XIII, 11, 4, XVII, 12, 1, 2. 
Phil. Ifg, ad. Caium. i 36. 

5. Les Juifs étaient nombreux dans les pays soumis aux Arsacides ; ils 
y vivaient tranquilles et considérés. L'intérêt politique, au moins autant 
que le sentiment religieux, les arma pour venger leurs maîtres de la 
veille. 



— 485 — 

et s'étaient mises en état de défense. Il fallait les assiéger une à 
une, et agir sur tous les points à la fois. Comme aux beaux 
temps de la République, on vit les Romains déployer les qualités 
supérieures par lesquelles ils se sauvaient au moment où ils sem- 
blaient le plus abattus. L'obéissance des soldats, l'intelligenoe 
des officiers, la résolution du commandant en chef, les tirèrent de 
cette position désespérée. Lusius Quietus fut nommé gouverneur 
de la Mésopotamie et rétablit l'autorité impériale, non sans de 
grands et sanglants efforts. Il assiégea Edesse et Tincendia, il 
reprit NisibeS enfin, ayant en secret rassemblé des forces consi- 
dérables, il vainquit complètement les Juife mésopotamiens, et 
mit fin au soulèvement gigantesque qu'ils avaient tenté ^. 

Séleucie s'était également soulevée contre les Romains. Elle 
fat, dit Dion ^, prise et incendiée par les légats Erucius Clarus et 
Julius Âlexander. Ces personnages étaient évidemment légats 
légionnaires. Ainsi, deux légions au moins farent employées à la 
réduction d'une seule ville, ce qui donne une idée de la résistance 
désespérée qu'opposa l'insurrection et des forces qu'elle avait 
mises en mouvement. Les Romains ne furent même pas heureux 
dans toutes les rencontres, puisque l'histoire mentionne, sans 
détails, malheureusement la mort du consulaire Maximus^. 



1. Dion, LXVIII, 30. D'après la chronique de Denys de Thelmar, citée 
par Lang]ois (Numitm. de Vandenne Arménie, p. 53), il y eut un change- 
ment de règne en Osrhoène l'an 116. Le nouveau souverain était moins 
bien disposé pour Trigan qu'Abgare. 

2. La terrible énergie qu'il déploya frappa tellement les vaincus que 
toute la guerre juive, sous Tri^'an, fut plus tard appelée c guerre de 
Quietus » Polemos Schel Quietoi, (Derenbourg p. 404). La question de 
savoir si Tinsurrection s'étendit à la Palestine est très-controversée 
parmi les hébralsants. M. Derenbourg et M. Renan se sont prononcés 
pour la négative, en raison du silence gardé sur ce point par Dion, 
Busèbe et Orose. M. Graetz admet au contraire que la Terre-Sainte fut, 
sous Trajan, le théâtre d'une lutte entre Romains et Juifs. Le passage 
de Spartien (Hadr, 5) f Lycia ac Palaestina rebelles animes efTerebant t 
appuie cette manière de voir, que M. Dierauer a adoptée. Mais ce pas- 
sage, dans lequel il faut changer Lycia en lÀbya, ne saurait prévaloir 
contre Dion et Busèbe. Dans le même ordre d'idées, M. Volkmar £étt- 
UHunç in die Apocrypken a soutenu que le Uvre de Judith est un récit 
poétique de la campagne de Quietus en Palestine; cette opinion est 
abandonnée aujourd'hui. 

3. Dion, LXVIII, 3a 

4. Fronton {Prineipia histariae, p. 209, éd. Naber) donne au personnage 
ainsi appelé par Dion un nom presque complètement elAicé dans le 
manuscrit, mais terminé en cet. 



C'était probablement le prédécesaear de Lnsius Quietus, dans le 
gouvernement de la Mésopotamie. 

Ce n'était pas seulement un ensemble de révoltes locales que 
les Romains avaient à réprimer : il ne s'agissait de rien moins 
que d'uneguerre à recommencer contre les Parthes. Sanatrucius, 
roi d'un pays où Trajan n'avait pas encore porté ses armes, fut 
mis à la tête des forces nationales, et bientôt son cousin-germain 
Parthemaspatès, âls du roi d'Arménie dépossédé Exedarès, lui 
apporta le secours de sa personne et d'une puissante armées On 
voit que le danger croissait rapidement pour Rome, mais Trajan 
le conjura en alliant heureusement la diplomatie à la guerre. 
S'apercevant que les Parthes étaient, comme Ta écrit Tacite, 
aussi prompts & regretter leurs rois qu'à les trahir', il jugea 
vite qu'il ne sauverait une partie de ses conquêtes qu'en sacri- 
fiant l'autre. 

La reprise de Séleucie, de Nisibe et d'Edesse le remettait en 
possession de la Mésopotamie ; il pensa que cette province, jointe 
à l'Arménie, constituait un accroissement de territoire suffisant 
pour sa gloire et qu'on pouvait rétablir un royaume Parthe, en 
lui donnant le Tigre pour limite occidentale *. Quelques dissen- 
timents étaient survenus entre Sanatrucius et Parthemaspatès : 
l'empereur en fut informé et se hâta d'en profiter. 11 ofirit le trône 
à Parthemaspatès, qui accepta, en trahissant son cousin et ses 
soldats. Sanatrucius, obligé de fuir devant les Romains, fut pris 
au moment où il leur échappait et mis à mort. Trajan écrivit 
alors au Sénat : « Qu'il était impossible de tenir assujéties des 
régions inunenses, si éloignées de Rome, qu'il semblait prtférable 
d'en faire un royaume dépendant de l'empire, dont le souverain 
recevrait l'investiture de l'empereur, et qui serait maintenu par 
la reconnaissance, l'intérêt ou la crainte. » Le Sénat répondit, avec 
une docile déférence, que l'empereur était le meilleur juge des 
intérêts de Rome, et qu'il agît de la manière qui lui paraîtrait la 

1. Fragment d'Arrien, dans Malalas, p. 274, reproduit par Gh. Mûlier 
comme ayant fait partie des Parihiea [Pr. Bist. Gr., III, p. 590). 
Ce Sanatrucius était fils d*un roi BCitbridate (Meerdotes dans Malalas) 
dont on a des monnaies. V. de Longpërier, Mém. mut la chron. dm Arta" 
eidêt p. 140. — Au lieu d'Bzedarès, on lit dans Malalas : Osdroes; sur 
cette différence d'orthographe, v. de Longpërier ibid. 

%, Tacit., Annal^y VI, 36. 

3. Cependant d'après Butrope (VIII, 3) on aurait formé une province 
d'Assyrie, c très provincias fecit, Amieniam, Assyriam, Mesopota- 
miam i. Mais sur la médaille contemporaine on lit seulement: ARMBNIA 
ET MBSOPOTAMIA IN P0TE3TATEM P. R. RBDAGTAE. Ck»hen it 318. 



— 187 — 

plus conforme k ces intérêts. Alors Tirajan réunit son armée, et 
des députations des divers peuples Parthes, dans une grande 
plaine voisine de Ctésiphon, et en leur présence, après avoir rap- 
pelé ses victoires des années précédentes, de façon à donner à ce 
qui se passait l'apparence d'une concession gratuite et d'une 
&veur absolument spontanée, il attacha le diadème sur le fi*ont 
de Parthemaspatès ^ 

La cérémonie est représentée sur une médaille de bronze por- 
tant la légende : REX PARTHIS DATVS^ On y remarque 
Parthemaspatès revêtu, non plus de son costume national, mais 
d'un vêtement romain (cuirasse et paludament), ce qui marquait 
encore plus visiblement sa dépendance. Trajan régla aussi la 
constitution de quelques autres royaumes tributaires^. Après 
avoir donné ces légères satisfactions à sa vanité, il pouvait son- 
ger au retour, et au triomphe, moins brillant sans doute qu'il ne 
se l'était promis, qu'on lui réservait à Rome. Mais en dépit des 
efforts héroïques de ses officiers, une petite ville de Mésopotamie 
résistait encore. C'était Atra, qui plus tard offrit le même 
obstacle à Septime Sévère S et grâce à sa position naturellement 
forte, au désert qui l'entoure et au courage de ses habitants, se 
maintint libre sous tous les empereurs qui prirent le titre de 
Part/Ucits, comme pour montrer que ce titre serait toujours vain. 
L'armée romaine mit donc le siège devant la place et réussit^ 
malgré de grandes difficultés, à détruire une partie des murailles. 
Mais quand on voulut pénétrer par la brèche, les troupes furent 
repoussées avec des pertes sensibles. Trajan se mit à la tête de sa 
cavalerie, après avoir ôté le paludamentum de pourpre qui le 
désignait aux flèches des Arabes : on le reconnut néanmoins à sa 
chevelure blanche, à la majesté de sa taille et de son maintien. 
Une pluie de traits fut lancée sur lui et un cavalier fut tué à ses 
côtés*. Les Romains se replièrent en désordre jusqu'à leur camp. 
Leurs souffrances devenaient intolérables ; le pays manque de 
bois et de pâturages, l'eau y est rare et insalubre, les 

1. Dion, LXVIII, 30. — L'histoire ne signale aucune relation entre 
Trajan et un autre Arsacide contemporain, Vologèse, dont les monnaies 
se suivent, sans interruption, de 77 &'i48 ap. J.-G. De Longpérier, 
Mémoire etc. p. 118. 

1. Cohen, n* 375. 

3. MédailiejÀ la légende REGNA ADSIGNATA, où Trajan porte le surnom 
de Partbicus. Cohen, n* 207. 

4. 'ATpai, icoXk {AeTO^ E^^dxou xat TCypriToc. 'Apptav6< éicraxaiiexdT^ IlafOtxâfv. 
Cf. Ammien, XXV, 8. 

5. Dion, LXVUI, 31. 



— 488 — 

orages de grêle y sont continuels, et enfin des nuées d'insectes, 
dont il est impossible de se garantir, vous y tourmentent jour et 
nuit et tombent jusque dans les aliments ^ Il fallut partir et com- 
mencer une retraite pénible, car on prit sans doute la route la 
plus courte, à travers ce désert qu'Ammien parcourut plus tard 
avec l'armée en retraite de Jovien, « soixante-dix milles de pays 
« plat et aride, où l'on ne trouve à boire qu'une eau jaunâtre et 
« fétide, à manger que des plants d'aurone, d'absinthe et de ser^ 
« pentaire, et d'autres herbes amères, où on ne se procure une 
« nourriture, peu saine encore, qu'en tuant les chameaux et les 
< autres bêtes de somme '. * Et, ce qui devait mettre le comble 
à la tristesse de ce retour, Trajan avait ressenti les premières 
atteintes du mal qui allait l'emporter. Il luttait courageusement 
contre la mauvaise fortune et contre la souffrance ; à peine arrivé 
en Syrie, il songeait à réorganiser son armée et à repartir pour 
la Mésopotamie, avec des troupes ft^aîches ou reposées*, car son 
dernier échec l'irritait sans l'abattre, et il ne voulait rentrer dans 
Rome qu'après l'avoir effacé. Les progrès de la maladie ne lui 
permirent pas d'accomplir son dessein : il remit les troupes au 
commandement d'Hadrien, alors gouverneur de Syrie. A Rome 
pourtant, on ne se préoccupait pas autant qu'il le craignait du 
revers d'Atra : l'annexion de deux provinces suffisait à l'orgueil 
national. D'ailleurs on attendait avec une certaine impatience le 
retour de l'empereur ; on signalait quelques mouvements chez les 
peuples à demi-barbares des firontières, en Maurétanie, en Bre- 
tagne, sur le Danube^. On considérait donc la guerre d'Orient 
comme terminée, on préparait des monuments destinés à té- 
moigner de l'allégresse publique et à en perpétuer le souvenir 5, 
on songeait à renouveler pour Trajan les marques de déférence 
données jadis à Auguste^. Mais l'empereur s'était arrêté à Séli- 
nonte, en Cilicie, et ne devait pas aller plus loin. Le mal dont il 



1. On lira avec intérêt deux explorations des ruines d*Âtra faites par 
J. Ross et Ainsworth, Jowm, of thé Roy. Geog. Society of Lond,, 1S39, 
p. 453, et 1841, p. 9. Ross y rencontra les mêmes difficultés que les 
soldats de Trajan, orages, insectes, etc. V. aussi Ritter, Erdkunde, X, 
p. 126. 

2. Ammien, XXV, S. 

3. Dion, LXVIII, 33. 

4. Spart., Hadr., 5. Âurelius Victor, Caess., 13, rogatu Patrum militiam 
repetens, morbo periit. 

5. Dion, LXVm, 29. On vota rèrection de plusieurs arcs do triomphe. 

6. Ibid. On se disposait à aller au-devant de lui aussi loin que possible, 
à son retour. Cf. Monum, Ancyranum Gr. VI, 15-18. Ed. Mommsen, p. 30. 



— f89 — 

sonffirait faisait des progrès extrêmement rapides, au milieu des- 
quels, di1r-on, 'la pensée d'un empoisonnement traversa son 
esprit. Le troisième jour des ides d'août de l'an de Rome 870 
(11 août 117) il expira *. 

Comme Alexandre, il n'avait pas voulu désigner son succès^ 
seur*. Le Sénat apprit la mort de Trajan par une lettre de 
Plotine, et reçut à la fois plusieurs nouvelles graves. L'impéra- 
trice écrivait que Trajan, avant d'expirer, avait adopté Hacfrien; 
mais cette adoption n'avait pas eu de témoins. Dans le même 
temps, Hadrien écrivait au Sénat pour s'excuser « d'avoir pris 
« l'empire sans attendre le vote des pères conscrits — les soldats 
€ l'avaient proclamé d'abord — l'État ne pouvait rester sans 
« chef pendant plusieurs jours ^. » Il n'est guère possible de 
douter que l'adoption n'ait été supposée par Plotine, et même 
que la mort de Trajan n'ait été cachée quelque temps pour donner 
à Hadrien le temps de venir d'Antioche à Sélinonte, et de prendre 
les mesures propres à déjouer les desseins de prétendants mieux 
autorisés*. La conduite ultérieure d'Hadrien suffirait à démon- 
trer ce dont toute l'antiquité l'accuse. Trajan, dans l'intimité, 
avait déclaré plusieurs de ses amis dignes du pouvoir suprême : 
un à un , ils payèrent de leur vie , sous le nouveau règne, ce 
glorieux témoignage. Mais nous ne devons rappeler ici que les 
faits immédiatement postérieurs à la mort de Trajan et qui con- 
cernent sa personne. Attianus, Plotine, Matidie veillaient près 
des dépouilles mortelles. Avant leur rentrée dans Rome, Hadrien 
sollicita du Sénat, et obtint facilement, l'apothéose pour celui 
qu'il appelait son père adoptif^. Il refusa, du reste, de triompher des 



1. Dion, LXVIIJ, 33, dit qu'il mourut à Sélinonte. Butrope (Vni, 5) 
suivi par Orose, VII, 12, fait mourir l'empereur à Séleucie d'Isaurie. 
Busôbe (ap. Sync,, 657, 15) et saint Jérôme {Chron,, éd. Schoene, p. 165) 
hésitent entre les deux villes. — Les symptômes de la maladie dont 
mourut Trajan sont décrits assez exactement par Xiphilin. Dion eut 
peut-être sous les yeux quelque procès- verbal dressé par les médecins 
du prince et publié par les soins d'Hadrien quaud des rumeurs d'em- 
poisonnement coururent au milieu du désespoir public. M. Littrè, 
consulté par moi, a eu la bonté de me répondre qu'aucun poison connu 
ne cause les troubles décrits par l'historien. La suppression brusque 
d*un flux hémorrhoïdal habituel amena chez l'empereur une congestion 
suivie immédiatement d'hémiplégie (eyévcTo {t^ -ràp xal àicoicX^toç, ûors 
xal ToO aco(MtT6< Tt icapeOfjvaO, et & la suite de l'hémiplégie il y eut une 
inQltration séreuse (t6 8*5Xov OSjximCaae). 

2. Spart i/odr., 4. — 3. Spart., Hadr., 6. 

4. V. surtout le commencement du livre LXIX de Dion. 

5. Spart., Hadr., 6. 



— 4fO — 

Parthes en son propre nom, et voulut que Trajan seul eût la 
gloire des sucoès dus à ses efforts. Dans le char /que précédaient 
le sénat et l'armée, et qui parcourait la Via Sacra au milieu de 
la foule attristée, se dressait la statue du grand hommes Ses 
cendres, renfermées dans une urne d'or, furent placées sous la 
colonne qui porte encore son nom*. Il est le seul empereur dont 
les restes aient reposé dans l'enceinte de la Ville Etemelle^. 



1. V. la médaille TRIVHPHVS PARTHICVS (Gohen, 280). Pour perpétuer 
le souvenir des victoires de Trajan, Hadrien institua des hM parthiei 
auxquels présidait un prador parOUcarhu {Corp. intc. lai,, I, p. 378, II, 
n* 4110). Célébrés pendant quelques années, ces jeux étaient, au mo- 
ment où Dion écrivit, tombés en désuétude. V. dans la Gazette archéo- 
logique {\^ année, 1875), des fragments de vases en terre cuite publiés par 
11. de Witte où parait représenté le triumphiu partMcus. 

2. Butrop., VIII, 5. On ignore quand cette urne fut enlevée. 

3. Par une dérogation à la loi des Douze tables (tab. X, iVagm. I.), 
dérogation dont il y avait d^ailleurs quelques exemples (Gic. De legib.y II, 
58). L'assertion de Servius ad Aen,, XI, v. 206 est erronée. 



CHAPITRE XIV. 



LA SOGlérÉ ROMAINS SOUS TRAJAN. 



Dès le commencement du deuxième siècle l'empereur a pris et 
va garder, dans le monde romain, une si grande place que l'his- 
toire entière paraît se réduire au récit de sa vie et à Texposé de 
son système de gouvernement. Tacite n'aura pas de continuateur. 
Les biographies composées par Suétone et Marins Maximus ou, 
pour mieux dire, les anecdotes et les menus détails qu'ils ont 
compilés suffiront, aussi bien que les maigres notices postérieures 
de Spartien et de Lampride, à satisfaire la curiosité de sujets de 
plus en plus dévoués à leurs maîtres et habitués à voir en eux les 
arbitres tout puissants de leur destinée^ Mais nous ne saurions 
nous contenter de ce point de vue auquel les anciens, par le peu 
de répugnance qu'ils témoignent à l'adopter, semblent nous 
inviter à nous placer avec eux. A toute période, l'historien doit 
s'enquérir de la condition et de la vie morale des gouvernés, et 
les aller chercher à l'arrière-plan où les ont relégués les mal- 
heurs des révolutions ou leur propre indifférence sur leurs intérêts 
véritables. Nous ne pouvons donc nous dispenser de jeter un 
rapide coup d'œil sur la société au temps de Trajan. 

Malheureusement, les documents où l'on puise l'intelligence de 
cette époque sont fort rares, et leur emploi ne laisse pas que 
d'ofl&ir quelque danger. C'est chez Pline, chez Juvénal, chez 
Martial qu'il faut aUer chercher les traits caractéristiques des 
mœurs et de l'esprit du temps. Or Pline, qui ne vécut guère que 

1. Sunt cuBCta sub unius arbitrio, qui pro utiiitate communi solus 
omnium curas laboresque suscepit. Piin., Ep,, 10, 20. 



— 492 — 

pour les lettres, aborde rarement un autre sujet avec ses corres- 
pondants. Juvénal et Martial ont peint exclusivement, et avec 
complaisance, les travers et les vices de Rome : la loi même du 
genre de poésie qu'ils cultivent les oblige presque à laisser de 
côté tout ce qui n'est pas débauché, escroc ou poète ridicule, et 
par conséquent ils ne nous offrent qu'un tableau fort incomplet, 
et nécessairement inexact , de la société au milieu de laquelle ils 
ont vécu. Les inscriptions qui jettent tant de lumière sur l'histoire 
politique nous aident peu à connaître les mœurs, la classe des 
sepvlcralia ne renfermant & peu près que des épitaphes où les 
vertus des défunts et les regrets des survivants sont exprimés avec 
l'emphase banale que la langue épigraphique offre sur ce cha- 
pitre, en tout temps et en tout pays. Ainsi réduit aux témoignages 
que fournissent les œuvres littéraires, et surtout les satires et les 
épigrammes, l'historien qui essaie de dessiner le tableau du 
deuxième siècle, en n'omettant aucun des détails et des faits trans- 
mis par les auteurs, ne peut répandre également la lumière sur 
tous les points de ce tableau. U n'en éclaire qu'un côté qui est 
précisément le côté blâmable et fait à la critique une part trop 
belle. C'est ainsi que la lecture du bel ouvrage de M. Friedlaen- 
der, si attachant et si complet^ donne parfois une impression 
ûicheuse de l'époque Antonine, malgré les réserves que stipule 
l'auteur en se servant de documents d'un emploi si délicat et si 
difficile. Il faut nécessairement consulter Juvénal et Martial avec 
beaucoup de circonspection et de défiance. £n éliminant tout ce 
qui, dans leurs vers, est sensiblement exagéré ou déclamatoire, 
en les contrôlant, là où ce contrôle est possible, par les écrits de 
Dion, de Pline et de Plutarque, on se fait de leur époque une idée 
meilleure et, je crois, plus exacte que celle qu'ils ont voulu en 
donner. 

Il est vrai qu'elle présente un caractère frappant de décom- 
position où l'on verra, si l'on se reporte aux anciens principes et 
aux anciennes mœurs, un commencement de décadence. Mais 
sommes-nous en présence d'un mal contre lequel il faut s'indigner 
avec Juvénal, ou bien devons-nous reconnaître ici la condition 
inévitable du progrès, les symptômes et le commencement d'un 
ordre nouveau et meilleur? C'est assurément la dernière manière 
de voir que l'on adopte si on étudie le sens et la nature des altéra- 
tions que subissait chacun des éléments de la vie sociale. 

1. Darstellungen atis der SiUengeschichte Roms, Leipzig, 1862 et suiv. 
3 vol. in-8*. Depuis, M. Duruy dans le cinquième volume de son 
Histoire des Romains a traité le môme sujet avec équité et avec largeur. 



— 493 — 

Bien que la religion gardât encoi'e les apparences de la soli- 
dité, que les cérémonies du culte fussent aussi magnifiques et aussi 
firêquentes que par le passé ^ et que le langage officiel ne laissât 
apercevoir aucun affaitlissement des croyances^, il est certain 
que le polythéisme grec et romain avait déjà perdu touteinfluence 
sur les esprits éclairés , et qu'il ne conservait quelque crédit sur 
les autres qu'en se rajeunissant par l'admission de dogmes égyp- 
tiens ou asiatiques, et en se dénaturant de plus en plus par ce 
mélange. Cette introduction de dieux et de rites étrangers, systé- 
matisée plus tard, était alors absolument spontanée et se déve- 
loppait au gré de l'instinct populaire, car les philosophes 
essayaient à peine de soumettre à leurs interprétations savantes 
et à leurs combinaisons ingénieuses la masse incohérente des 
traditions de toute provenance répandues dans l'ancien monde, 
et les politiques ne songeaient pas encore à sauver, par ce rajeu- 
nissement artificiel et par un appel désespéré aux vieilles croyan- 
ces, des cérémonies et des dogmes dont la fin devait coïncider 
avec celle de la civilisation antique. A cette époque, les uns et les 
autres n'éprouvaient guère que du mépris pour les religions venues 
d'Orient et applaudissaient aux mesures prises de temps en temps 
par les empereurs pour en arrêter la diffusion. En dépit de toutes 
les entraves, elles recrutaient des adhérents chaque jour plus 
nombreux, tant les âmes étaient à ce moment emplies d'aspira- 
tions religieuses et tourmentées de l'infini. Peu de périodes de 
l'histoire offrent, au même degré que le second siècle, les ardeurs 
et les inquiétudes de la piété ; jamais peut-être l'homme n'a res- 
senti des élans plus vifs vers la conquête d'un nouvel idéal et ne 
s'est cru plus près du succès. Le sentiment religieux débordait avec 
violence, emportant les digues qu'on lui opposait et bouleversant 
le lit dans lequel on voulait enfermer et régler son cours. Plu- 
tarque, qui cherche, en bon prêtre d' Apollon, à maintenir l'inté- 
grité des croyances anciennes, se montre plus préoccupé de la 
superstition qui les envahit chaque jour, que du scepticisme', de 
même que, dans un autre domaine, les pères apostoliques s'in- 
quiètent moins du rationalisme que de l'hérésie. Lucien et Celse 
n'apparaîtront que dans un demi-siècle ; actuellement le danger 
n'est pas là. Le polythéisme ancien, et surtout la religion étroite 



1. V. les Actes des Frères Arvales. 

2. Plin., Paneg,, passim. 

3. Il ne combat, sous ce rapport, que les Épicuriens. Dans un passage, 
il va jusqu'à dire que Tathéisme vaut mieux que la superstition. 

DE LA BERGE 43 



— 494 — 

et fonnaliste de Rome, ne pouvait sufSre aux besoins nouveaux 
de la conscience et du cœur. Les Eleusinies, demeurant exclu- 
sivement athéniennes, restèrent fermées à un grand nombre 
d'àmes avides de consolations et d'espérances; celles-ci se 
rejetèrent vers les cultes mystérieux de l'Asie et de l'Egypte , 
et apaisèrent leur soif aux eaux de l'Oronte et du Nil. Je ne 
puis me jeter incidemment dans une question aussi vaste*. Je 
rappelle seulement que Juvénal trouve une source inépuisable 
de lamentations ou de plaisanteries dans les détails de ces cultes 
dont le savant auteur de la Mythologie romaine a dit sévère- 
ment qu'ils n'avaient apporté ni enseignement ni consolation*. 
On peut, je crois, répondre au satirique que la chiromancie n'est 
pas plus ridicule que les sorts de Préneste, et que les astrologues 
chaldéens ne le cèdent en rien aux haruspices toscans et aux 
augures dont Ennius et Cicéron avaient fait rire depuis long- 
temps. Quant au reproche de sécheresse et d'absurdité adressé 
aux religions qui prirent dans le monde romain un dévelop- 
pement si puissant et si rapide, il tombe devant le fait même 
de ce développement dont, sans doute, on ne voudra pas 
faire honneur à la sotte crédulité des adeptes ou au charlatanisme 
audacieux des prêtres, et qui demeurerait inexplicable si l'on 
n'admettait que ces religions ouvraient quelques vues larges et 
élevées à ceux qui les embrassaient avec tant d'ardeur. Et, en 
effet, si nous mettons à part le culte bizarre et peu connu de la 
Déesse phrygienne et celui de Sabazius qui s'y rattachait^, il est 
certain que les religions monothéistes de Sérapis et de Mithra, 
qui comptent alors le plus grand nombre d'adhérents, sont fort 
supérieures à l'ancien polythéisme, au point de vue logique. Au 
point de vue moral, la première nous donne dans le 125® chapitre 
du Rituel Funéraire^ les préceptes les plus élevés et les plus 
purs qu'ait jamais enseignés aucune école philosophique, et la 
deuxième, au témoignage même des Pères, offrait dans ses dogmes 
et dans ses cérémonies plusieurs points communs avec le chris- 
tianisme. Que cette coïncidence soit fortuite ou vienne d'un em- 



1. V. rintéressant ouvrage de M. A. Boissier, La ReUgUm rotnaifut d'An^ 
gtute aux Antonins, 

2. Preller, p. 711. Keine Belehrung, keine Beruhigung. 

3. V. Heuzey, La vie future dans ses rapports avec le culte de Baechus, 
d'après une inscription latine en -vers de la Thrace. Comptes-Rendus de 
VAcad. des Inscript,, 1865, 372-78. Cf. Garrucci, Mystères du syncrétisme 
phrygien, 

4. Trad. par M. Maspero, Revue CriUquet 1872, 2, p. 341. 



— 495 — 

prunt fait par les sectateurs de Mithra, peu importe ici ; ce qu'il 
faut reconnaître, et ce qui n'est guère contestable, c'est qu'une 
doctrine qui enseignait la rémission des péchés, la purification de 
rame par les épreuves et le repentir, l'intervention d'un média- 
teur entre l'homme et la Divinité, dut avoir une heureuse influence 
sur ceux qui ne pouvaient connaître les livres juifs ou la prédi- 
cation chrétienne. Nous voyons donc un progrès dans la diffusion 
de ces cultes, qui coïncide avec la déchéance des religions de la 
Grèce et de Rome*. 

A la même époque la famille se modifie ; les relations rigou- 
reuses que la loi romaine établissait jadis entre ses membres com- 
mencent à se détendre et à s'adoucir. En ce qui concerne le 
pouvoir paternel, nous avons vu poindre ce progrès dans une loi 
édictée sous Trajan, et la littérature contemporaine en fournirait 
d'autres témoignages. Par exemple, l'admirable lettre que Pline 
adresse à un père trop sévère pour son fils- nous fait sentir quels 
changements s'opéraient dans des esprits ouverts à des idées plus 
généreuses et plus humaines. 

La façon dont cet écrivain traitait ses affranchis et ses esclaves 
n'est pas moins remarquable. Ni la négligence de ses serviteurs, 
ni les vengeances cruelles dont quelques mauvais maîtres étaient 
les victimes, et qui excitaient un sentiment d'effroi universel, 
n'altéraient ses dispositions bienveillantes. La douceur qu'il por- 
tait dans l'exercice de son autorité, les soins qu'il prenait de ses 
gens dans leurs maladies, le chagrin qu'il ressentait à leur mort 
nous touchent profondément ; mais la ponctualité avec laquelle il 
exécutait leurs volontés dernières et les ménagements dont il en- 
tourait leur dignité révèlent une délicatesse plus surprenante 
encore que la bonté, eu égard à l'époque où vivait Pline^. Plu- 
tarque à la même époque recommandait et pratiquait la bonté en- 
vers les esclaves; Pline et lui se montrent ici, par le cœur, fort 
supérieurs aux philosophes contemporains; car on a fait honneur 
au stoïcisme entier de- la fameuse lettre de Sénèque, mais cet hon- 
neur est immérité. La lettre de Sénèque est une exception dans la 
littérature des deux premiers siècles* : Epictète et Dion parlent 
très-philosophiquement de l'esclavage et de la liberté et ils émettent 

1. Le plus ancien monument mithriaque connu est du temps de 
Claude, Henzen, 5844. Les monuments relatifs aux religions phrygiennes 
ne commencent qu'avec Hadrien. 

2. Plin., Ep,, IX, 2. Cf. Plutarcb., De putfr. edw., 18. 

3. PUn., Ep., I, 4, n, 6, vin, 16. 

4. Sauf Juvénal, VI, 223. 



— 496 — 

à ce sujet des théories fort belles, mais peu propres à déterminer 
uu changement dans les lois si dures établies au profit des maîtres. 
Ces lois vont être bientôt modifiées en faveur des esclaves, sous 
Hadrien et ses successeurs, mais cette amélioration est due bien 
plus à Tinfluence de quelques maîtres semblables à Pline qu'aux 
remontrances du Portique*. 

La condition des femmes s'élève dans les lois comme dans les 
mœurs. Depuis plus d'un siècle, elles avaient montré dans les 
troubles civils autant de prudence, de ^courage et de fermeté que 
les hommes, et fait voir que le temps de leur émancipation était 
venu. Avant que les incapacités légales qui les frappaient dis- 
parussent peu à peu des codes (ce qui n'eut lieu qu'après le règne 
de Trajan), on leur vit prendre dans la société une place de plus 
en plus considérable. Que des inconvénients graves fussent mêlés 
à ce progrès aussi incontestable que nécessaire, nul ne songe à 
le nier. Moins surveillées dans leur intérieur, moins contenues au 
dehors par l'esprit public, les femmes abusèrent plus d'une fois 
de cette liberté et se dédommagèrent bruyamment de la sévérité 
des anciennes mœurs. Elles reçurent plus d'instruction, et quel- 
ques-unes ne surent pas se garantir du pédantisme. Elles dispo- 
sèrent de leurs biens et n'en firent pas toujours un usage irrépro- 
chable ; plusieurs se montrèrent odieusement avares ou scanda- 
leusement prodigues. Ces maux et ces travers sont inséparables 
de toute société où la femme n'est pas complètement subordonnée 
et parquée dans l'enceinte de la maison conjugale ; aussi plus d'un 
trait de la satire de Juvénal trouve-t-il son application dans les 
temps modernes, mais il faut remarquer en même temps que 
beaucoup de ses plaintes ne sont que des redites ; depuis les pre- 
miers essais de la littérature latine, la femme dotée est un thème à 
doléances. Il n'y a donc pas là de vices propres au ii* siècle. En 
revanche, ce qu'on y trouve pour la première fois, c'est un mé- 
nage comme celui de Pline et de Calpurnie, type accompli de 
profonde et vraie tendresse. Calpurnie fut véritablement la com- 
pagne de Pline, associée à tous les événements petits ou grands 
de son existence. Son inquiétude quand Pline devait parler, son 
anxiété pendant que, loin d'elle, il prononçait le plaidoyer dont 
elle avait vu la composition laborieuse et suivi les ébauches suc- 
cessives, sa joie dès qu'elle recevait les premières nouvelles du 
succès, allaient vivement au cœur de son mari. Elle lisait tous 
ses ouvrages, en apprenait quelques-uns par cœur, chantait en 

■ 

1. Wallon, Histoire de VEêclavage, III, p. 35-44. 



— 497 -- 

s'accompagnant de la lyre des vers composés par celui dont elle 
partageait le sort et la gloire. Pline lui portait l'affection la plus 
vive, et ne pouvait supporter sans chagrin les courtes séparations 
que le hasard leur imposait. « On ne saurait croire, dit-il, k 
« quel point je souffre de votre absence, d'abord parce que je 
« vous aime et ensuite parce que nous n'avons pas l'habitude 
« d'être séparés. Aussi, je passe une grande partie des nuits à 
« penser à vous ; le jour, aux heures où j'avais l'habitude de 
« vous voir, mes pieds me portent d'eux-mêmes à votre chambre 
« vide, et j'en reviens chagrin et abattu comme si la porte 
« m'eût été refusée*. > « Votre absence, dit-il, dans une autre 
« lettre, votre maladie me jettent dans l'anxiété. Je crains tout, 
< je me figure tout, et comme tous ceux qui ont peur je me 
« figure surtout ce que je redoute le plus. Je vous le demande 
« en grâce, calmez mes craintes en m'écrivant une fois, deux 
« fois même par jour. Je serai plus tranquille pendant que je 
« lirai, et je recommencerai à trembler quand j'aurai lu*. » 

Nous voilà loin du fameux billet de Cicéron à Terentia^ et des 
scènes de Quintus avec sa femme. Dans le monde grec on aper- 
çoit en parcourant les opuscules de Plutarque un progrès sem- 
blable. Tandis que Thucydide pose en principe que la fenune la 
meilleure est celle dont on n'a jamais parlé, que Xénophon res- 
serre le cercle de la vie conjugale dans la direction matérielle du 
ménage, Plutarque écrit un livre sur les actions éclatantes des 
femmes, dans l'intention avouée de venger leur sexe d'un mépris 
injuste et il révèle, dans les écrits qu'il adresse à son épouse, les 
habitudes d'une communauté morale de tous les instants. Ainsi, 
dès le début du ii^ siècle, nous trouvons réalisé le type du mariage 
tel que le définiront si heureusement les juriconsultes^. 

Toute inégalité réelle avait, on peut le dire, disparu de la 
société antique le jour où la puissance politique passa tout entière 
aux mains du prince, qui pouvait élever aux positions les plus 
élevées et les plus considérables ceux qui avaient conquis sa 
faveur ou sa confiance. On était arrivé à l'égalité par une voie 
regrettable, mais elle était atteinte. Il ne servait plus de rien, 
conune le remarque mélancoliquementlepoète, d'avoir respiré l'air 



1. Plin., Ep., VII, 5. 

2. Id., ibid, VI, 4. Comparez Stacê et Claudia., Silv» III, 5. 

3. Ep, famU., XFV, 12. 

4. Nuptiae sunt conjunctio maris et feminae, consortium omnis vitae, 
divini et humani juris communicatio. Dig., XXIII, 2. 



— ^98 — 

de rÂventin et mangé l'olive de la Sabine^ L'ancienneté de la 
famille, l'origine romaine ou italique perdaient beaucoup de leur 
prestige sous le règne de Trajan , homme nouveau, né dans une 
province assez éloignée, et parvenu au rang suprême en fran- 
chissant successivement tous les échelons de la hiérarchie sociale. 
Cette hiérarchie, sans doute, consacrait encore plusieurs classes 
dans l'état, mais ces classes ne sont plus rigoureusement fermées 
comme autrefois : elles ne sont constituées que par des différences 
dans la richesse, et les fortunes se faisaient et se défaisaient alors 
avec une rapidité que plusieurs trouvaient scandaleuse, mais qui 
facilitait le nivellement de toutes les conditions et le mélange de 
toutes les couches sociales. Quelques différences dans le costume, 
et des places marquées au théâtre , voilà ce qui reste à Tordre 
sénatorial et à l'ordre équestre de leurs antiques privilèges. 
Entre les riches et les pauvres il n'y a plus, comme jadis, un 
abîme infranchissable et un contraste démoralisateur : une grande 
aisance régnait dans la classe moyenne, active et éclairée, gran- 
dissant en nombre sous l'influence des progrès successifs de l'in- 
dustrie et de la richesse. Elle s'augmentait de tout ce que perdait 
l'esclavage, car le travail commençait à devenir libre. Sur 
plusieurs points, les sources de l'esclavage étaient directement 
atteintes ; la pacification générale fermait la source la plus 
abondante du recrutement servile , une police plus active 
restreignait la piraterie et la traite à l'intérieur , enfin la loi 
diminuait le nombre des malheureux condamnés à la servitude 
par leur naissance même. D'autre part, les affranchissements 
inspirés tantôt par la vanité, tantôt par l'intérêt bien entendu, 
devenaient plus fréquents et la jurisprudence, réagissant contre 
la politique d'Auguste, tendait comme nous l'avons vu à les 
faciliter. Aussi voit-on, dès le commencement du ii® siècle, le 
nombre des travailleurs libres gagner sur celui des travailleurs 
esclaves dans toutes les branches de l'activité productrice, à la 
ville comme à la campagne, au service de l'État comme dans les 
maisons particulières*. Chaque jour le mouvement se dessinait 
davantage et se régularisait en s'accélérant : il semblait que 
l'abolition de l'esclavage, réservée à un temps bien éloigné, allait 
s'effectuer sous l'action des causes profondes et puissantes qui 
transformaient l'ancien monde. Malheureusement, avant que 
cette évolution fût terminée, le travailleur, affranchi d'hier, 

1. Usque adeo nihil est quod nostra infantia coelum 
Hausit Àventini, bacca nutrita Sabina. (Juven. Sat., III, 83.) 

2. WalJon, Histoire de l'esclavage, III, p. 93-313. 



— 499 — 

devint esclave de l'État qui Tenchaîna à sa profession, et par 
rimpôt lui extorqua son salaire avec des raffinements de sévérité 
et de rigueur que n'avaient pas imaginés les maîtres au temps de 
leur plus complète puissance : l'infortuné ne put même plus se 
former un pécule. Mais gardons-nous de confondre l'état du tra- 
vail à la fin du iii® siècle, au milieu du plus effroyable désordre 
que le monde ait connu, quand l'empire menacé aux frontières, 
déchiré à l'intérieur, s'effondre sous les calamités de l'anarchie et 
de la guerre ; quand le prince, ne sachant où trouver les ressources 
nécessaires pour parer aux besoins les plus pressants, essaie à la 
fois ou tour à tour du maximum, de l'altération des monnaies, 
des corporations, du privilège, multiplie le nombre des fonction- 
naires pour assurer le recouvrement des impôts et compromet 
encore plus ses finances par ces créations d'emplois parasites ; 
gardons-nous de confondre ces temps déplorables avec la période 
Antonine, avec ce siècle heureux et trop court où la richesse 
croissait au sein de la paix, sous le double stimulant de l'intérêt 
privé et de la concurrence, sous la protection d'un gouvernement 
solide et facile. 

Ce fut l'âge le plus brillant de l'industrie antique ; elle multi- 
plia ses chefs-d'œuvres pour satisfaire les fantaisies exaltées par 
le sentiment de la puissance. En même temps que l'architecture 
civile prenait, ainsi que nous le verrons, le plus remarquable 
développement, les fabricants de meubles, de voitures, d'ustensiles 
de toute sorte s'ingéniaient à donner à leurs produits des formes 
élégantes, à les relever par l'emploi de matières rares et pré- 
cieuses. Les contemporains nous parlent d'argenterie ciselée du 
plus beau travail, de meubles tirés des bois étrangers les plus 
renommés par leur odeur ou le dessin gracieux de leurs veines, 
d'objets incrustés d'ivoire, de métaux précieux, d'écaiUes. Ces 
belles choses, avidement recherchées, ne restaient pas toujours 
dans les mains de leurs premiers possesseurs ^ 

A Rome conmie dans toutes les grandes villes (et la civilisa- 
tion antique est surtout une civilisation urbaine, où le progrès se 
fait au sein des villes et pour leurs habitants), le développement 
de l'industrie et du commerce était la condition d'existence d'une 
population immense et toujours croissante ^. De maigres sportules. 



1. Ventes aux enchères. Martial, Epigr., IX, 60. V. ibid., XII, 102, la 
boutique de Milon. 

2. Preller pense que la population de Rome s'élevait sous Trajan à 
deux millions au moins d'habitants. Pauly's EncycL, v Roma. 



— ÎOO — 

péniblement arrachées à des parvenus tiraillés entre la vanité et 
l'avarice, de chiches soupers, continuation risible et vraie parodie 
du patronage antique, alimentaient quelques parasites éhontés, 
de plats bouffons et de pauvres poètes. Mais la grande masse 
gagnait courageusement le pain de chaque jour, et passait sa vie 
au travail. Car les largesses du prince et celle des magistrats 
municipaux dans les provinces pouvaient bien permettre de passer 
dans l'oisiveté un ou deux jours de fêtes, mais ne dispensaient 
pas sans doute des millions d'hommes de tout effort pendant toute 
l'année. Tous les pays connus alors envoyaient à Rome, à Car- 
thage, à Antioche, à Alexandrie, à Corinthe, à Cordoue, à Lyon 
les produits de leur industrie et de leur sol, et là, ces produits 
dont la recherche ou la création avait fait vivre une quantité de 
travailleurs, dont le transport avait occupé nombre de voituriers, 
de bateliers, de négociants, d'armateurs, recevaient de nouvelles 
formes*. 

L'admirable réseau de grandes routes qui reliait toutes les 
parties du monde romain était le théâtre d'une circulation inces- 
sante d'honmies et de marchandises. Les fleuves et les voies navi- 
gables artificielles facilitaient les échanges, et les voyages sur 
mer, sans danger depuis que l'établissement de flottes perma- 
nentes empêchait le développement de la piraterie, rapprochaient 
et mêlaient les peuples de tout l'univers. Le bien-être croissant 
dans toutes les classes avait multiplié les goûts de luxe et les 
loisirs, et les professions que nous nommons libérales avaient 
pris un essor considérable. Laissons Juvénal et Martial plaindre 
tant d'avocats qui ne trouvent pas à plaider et concluons que si ces 
malheureux ont embrassé cette carrière c'est qu'ils y ont vu des 
exemples tentants et des chances de fortune. Et en effet Tacite 
nous apprend que les honneurs, comme l'opulence, affluent aux 
mains de ceux qui se sont voués au barreau*. Non-seulement les 
avocats trouvaient une profession lucrative dans l'exercice de 
leur art, mais les praticiens eux-mêmes', à défaut d'une parole 
exercée et éloquente, se créaient des ressources en appliquant 
leur sagacité et leur expérience à des questions de droit devenues 
très-complexes dans une société aussi avancée que celle du 
If siècle, où la vie présentait des rapports si multipliés et si déli- 



1. Galien, Prolegom., XIV, cite la profession de négociants importateurs 
comme une de celles où l'on fiait le plus rapidement fortune. 

2. DieU., c. 8. 

3. Juvén., VII, m. Martial, XII, 72. 



— 204 — 

cats. Au milieu des agglomérations considérables des villes, les 
médecins trouvaient une clientèle nombreuse et productive. Le 
goût de l'instruction se répandait chaque jour, sa nécessité était 
mieux sentie, les parents à qui elle avait manqué faisaient tous 
les sacrifices possibles pour que leurs enfants en profitassent, les 
personnages influents de chaque petite ville y fondaient des écoles, 
et les professeurs gagnaient facilement de l'argent et delà gloire*. 
Enfin les artistes étaient constamment occupés, non-seulement 
aux monuments publics que Trajan et Hadrien multiplièrent, et 
que toutes les villes de l'empire élevaient avec profusion, mais 
aussi par les particuliers qui voulaient des demeures somptueuses 
dignes de leur fortune acquise ou héréditaire, et ornées avec une 
magnifique élégance. 

Ainsi ceux qui embrassaient les professions que nous appelons 
libérales étaient presque sûrs d'arriver à la fortune ou à l'ai- 
sance, et nous devons ajouter, à l'honneur des classes riches, 
qu'elles faisaient les plus louables efforts pour améliorer la con- 
dition de ceux que n'avait pas favorisés le hasard delà naissance. 
La correspondance de Pline, aussi bien que les nombreuses ins- 
criptions du temps, témoignent de l'emploi le plus noble de la 
richesse*. Aussi ne voit-on plus, pendant la durée de l'empire, la 
moindre trace de ces luttes de classes qui avaient désolé Rome 
sous le régime républicain. Ce fut une compensation, insuffisante 
à quelques égards, heureuse à beaucoup d'autres, du changement 
de régime inauguré par Auguste. 

Trajan ne changea rien aux conditions essentielles de ce 
régime, mais pourquoi l'eût-il modifié? Tout le monde, on peut 
le dire hardiment, était satisfait d'une forme de gouvernement 
qui lui donnait l'ordre et la paix. Ce qu'on demandait, au 
II** siècle, c'était un « système politique basé sur l'égalité du 
citoyen devant la loi, une royauté plaçant le respect de la liberté 
des gouvernés au premier rang de ses devoirs*. » Cette idée, il 

1. Suét., Rhet, I. Juvënal se tire singulièrement d'affaire, quand une 
exception trop forte pour être passée sous silence vient déranger sa 
thèse. Il a recours à la Fortune (dont il se moque ailleurs) : 

Unde igitur tôt 
Quintilianus habet saltus? Ezempla novorum 
Fatorum transi 

Ventidius quid enim? quid Tullius? Anne aliud quam 
Sidus, et occulti miranda potentia fati. (VU, 188-200). 

2. Plin., Ep,, m, 7, IV, 13, V, il, IX, 39. 

3. Marc Âurèle, Pensées, l, 14. Uaçk toO iSeXçoO (mu Eeov^pou... focvroaCav 



— 202 — 

&ut bien le reconnaître, fait le fond de toute la philosophie poli- 
tique des anciens. Xénophon et Platon, Socrate et Dion Chrysos- 
tôme, appellent de leurs vœux une forme politique où le prince 
conquerra le dévouement de ses sujets par l'ascendant de sa 
vertu : Cicéron avait présenté plus d'une fois la même idée aux 
esprits de ses compatriotes. Le principat des Antonins ne fut pas 
autre chose. Peut-on citer une circonstance dans laquelle les 
empereurs du n^ siècle aient refusé de réaliser une amélioration 
demandée par l'opinion, ou méconnu volontairement le vœu 
public? On n'en trouvera pas. Dès lors il serait puéril et injuste 
de leur reprocher de n'avoir pas fondé un Etat reposant sur les 
bases politiques que nous jugeons essentielles aujourd'hui. L'his- 
toire n'offire plus qu'une suite de non-sens dès que l'on ne veut 
pas admettre que les principes de l'ordre politique ne se décou- 
vrent qu'un à un, et que la science politique, à cause de la com- 
plication propre à son objet, est condamnée à une marche moins 
assurée et à des progrès plus lents que toutes les autres. Faire 
un crime, à Trajan et à Marc Aurèle, de n'avoir pas inauguré le 
régime représentatif est aussi absurde que de reprocher à Ptolé- 
mée d'avoir mis la terre au centre du système planétaire, et à 
Galien d'avoir ignoré la circulation du sang. 

Ti|uoaTK fcdcvTwv yÂXiaxoL xif^ iXsuOepiov tùv àpxovMt^vu>v. 



CHAPITRE XV. 



LE GHR[STIANISMB^ 



Les historiens modernes de l'Eglise considèrent habituellement 
Trajan comme Fauteur de la troisième Persécution et le ran- 
gent avec Néron, Dèce et Galère, au nombre des ennemis acharnés 
du Christianisme. Telle n'était pas l'opinion des contemporains, 
et celle qui prévaut aujourd'hui ne parait pas s'être formée avant 
la fin du iv^ siècle'. Les pères qui ont vécu à l'époque Antonine, 
ou peu d'années après, ne comprennent point Trajan dans Ténu* 
mération qu'ils font des persécuteurs de la foi. Il n'est cité comme 
tel ni par Méliton ^ ni par TertuUien ^ : Lactance omet également 
son nom^. Un examen, même très^sommaire, de l'histoire de 
l'Eglise sous le règne de Trajan, prouve, en effet, qu'il n'y eut 
pas alors de persécution proprement dite. 

U faut d'abord éliminer de cette histoire un certain nombre de 
mart}nres non authentiques ou indûment placés à cette époque. 
Au nombre des premiers est celui de saint Clément. Exilé en 
l'an 100 dans la Chersonnèse Taurique, il aurait réussi à y fonder 

1. V. Aube, Histoire des Persécutions de Vtfjftse, cbap. V. 

2. Mon multo deinde intervallo terUa persecutip per Trajanum fuiL 
Sulp. Sév., Hist. Sacr., II. 

3. Euseb., Hist. EccL, IV, 26. 

4. Apol., c. 5. 

5. De morte persec, rescissîs actîs tyranni [se. DomitianiJ non tantum 
in statum pristinum Bcclesia restituta est, sed etiam multo ciarius ac 
floridius enituit. Lactance ne cite pas d'empereur persécuteur entre 
Néron et Trajan Dèce. 



. — 204 — 

70 églises, et expié par son supplice le zèle qu'il témoignait pour 
la foi et les succès rapides qu'il avait obtenus*. Tillemont, depuis 
longtemps a émis des doutes sur l'exactitude de ce fait' dont per- 
sonne ne parle avant Ruôn*. Baronius lui-même a reconnu 
que les actes de ce martyre ont été composés d'après la tradition, 
à une époque tardive^ et, ce qui doit nous suffire, ils sont implici- 
tement démentis par Irénée. Ce père atteste, en eflfet, que parmi 
les douze évêques de Rome qui s'étaient succédé depuis saint 
Pierre jusqu'à lui, Télesphore seul avait souffert une mort vio- 
lente*. 

Tillemont fait également justice des martyres de onze mille 
soldats égorgés à Mélitène, de ceux de saint Césaire, de saint 
Hyacinthe, de saint Romule, de saint Eudoxe. Il écarte aussi 
l'idée d'une persécution exercée alors en Asie par le proconsul 
Arrius Antoninus. Il donne les raisons qui doivent faire rejeter 
comme apocryphe la lettre de Tibérien, gouverneur de Palestine, 
à Trajan, et le rescrit de ce prince ordonnant la suspension des 
poursuites que Tibérien avait commencées^. Ainsi, bien que tous 
ces faits aient été récemment admis comme authentiques et 
imputés au fanatisme de Trajan'', nous nous en rapporterons 
au pieux historien du xvii® siècle; nous n'admettrons comme 
réels et nous n'étudierons que les événements relatifs à Ignace 
évêque d'Antioche, à Siméon évêque de Jérusalem, et aux 
chrétiens de Bithynie contre lesquels Pline informa. 

En ce qui concerne les deux premiers, nous avons déjà laissé 
entrevoir que leur mort se rattache aux faits de la guerre Par- 
thique et à la révolte juive qui s'y mêla : la condamnation qui 
frappa ces deux pasteurs offre un caractère aussi politique que 
religieux. A l'égard de Siméon, qui descendait de David et dont 
le nom pouvait, à ce titre, rallier les Juifs qui revendiquaient 
leur indépendance, cette manière de voir est presque formellement 
appuyée parla Chronique Paschale*, laquelle atteste qu'il fut 
condamné non-seulement comme chrétien mais comme descendant 



1. Suriug, 23 nov. 

2. Tillemont, Mémoiretj II, 173, 174. Note xu, p. 605. 

3. Ad Orig., t. I, p. 778 b. Cf. Greg. Turon. GUn, confess,, 1. 35, 36, 

4. Bd. Lucq., II, 6. 

5. Adv, Hcteres,, III, 3. 

6. Histoire des Empereurs, II, p. 578. 

7. Champagny, les AntoninSj 3* éd., I, pp. 347 et suiv., 381 et suiv. 

8. (S>c où |iâvov xpi<rriav6(, àXXà xal (oç dnc6 tâv toO y^ou; Aa6C6 Oiràpxc>>V} p. 471, 

é4. Bpm- 



— 205 — 

de David. Il est vrai que son supplice, si l'on adopte la date à 
laquelle le rapporte la chronique, ne pourra être expliqué conune 
une mesure d'intimidation vis-à-vis des rebelles, puisqu'il aurait 
précédé leur prise d'armes de plusieurs années, mais cette date, 
très-voisine de celle que la même chronique assigne au martyre 
d'Ignace, doit être déplacée aussi bien que cette dernière, et leur 
rapprochement prouve simplement que les deux évêques furent 
mis à mort à peu près à la même époque. Hégésippe, cité par 
Eusèbe S rapporte que Siméon fut dénoncé par des hérétiques qui 
périrent eux-mêmes peu de temps après, et cette allégation offre 
tous les caractères de la vraisemblance. 

Le supplice d'Ignace, mis à mort sous le règne deTrajan, n'est 
pas contestable, mais on n'en peut indiquer avec précision ni les 
circonstances ni la date, caries actes de son martyre ne présentent 
aucun caractère d'authenticité. La rédaction la plus anciennement 
connue, et qui est aussi la plus chargée d'interpolations, met la 
mort d'Ignace « consulatu Attici et Marcelli » (lisez Attii [Su- 
burani II, Asinii] Marcelli) Kalendis februarii^ (c'est-à-dire 
en l'an 104). La Chronique Paschale rapporte cet événement à 
l'an 105 (consulat de Candidus et de Quadratus); la version plus 
courte des Actes, découverte par Ruinart et seule défendue aujour- 
d'hui, au 23 décembre 107^. Enfin, Malalas, ainsi que nous l'avons 
dit, place ce martyre au moment du tremblement de terre d'Antioche 
(décembre 115). Ces divergences dans les dates jettent déjà un cer- 
tain discrédit sur l'autorité des Actes. L'année 107 ne saurait être 
acceptée. D'abord il faut admettre, puisque Ignace aurait com- 
paru devant Trajan, à Antioche, au moment de la guerre Par- 
thique, que cet empereur aurait fait deux expéditions en Orient, 
et nous avons démontré le contraire. En second lieu, il est clair 
que le martyre d'Ignace n'aurait pu passer inaperçu à Rome, et 
pourtant Pline, qui était à Rome en 107, déclarait quatre ou 
cinq ans après ne pas savoir comment procéder contre les chré- 
tiens, et semble n'avoir même jamais entendu parler d'eux ^. A 



1. Hist Eccles,^ III, 33. Les dénonciateurs de Siméon furent peut-être 
des Ebionites^ qui détestaient Oavid et sa race (Bpipban., Haeres,, XXX, 
18.) 

2. BoUand., 1 febr. 

3. P. 4?2, éd. Bonn. 

4. Ruinart, Aeia Hneera, p. 696. 

5. L'époque de la légation de Pline, trés-discutée autrefois, est aujour- 
d'hui fixée par la découverte faite en Mésie d'un monument élevé en 
rbonneur de Trajan, l'an 112 de notre ère, par Galpurnius Macer qui 



— 206 — 

ces présomptions défavorables tirées de raisons extérieures, joignez 
la conversation absolument invraisemblable de l'empereur et de 
révêque, le libellé bizarre de l'arrêt*, l'itinéraire incroyable 
suivi par Ignace pour aller d'Antioche à Rome, et il sera bien 
difficile de méconnaître le caractère apocryphe de cette produc- 
tion. Notons aussi qu'elle était inconnue à Eusèbe, qui, parlant 
d'Ignace comme d'un personnage toujours célèbre en Orient, et 
citant ses lettres, ne possède sur sa fin que la tradition orale*. 
Assurément l'auteur de Y Histoire ecclésiastique qui aime à 
baser ses assertions sur des pièces écrites, et les transcrit volon- 
tiers, n'aurait pas négligé un document de cette importance. C'est 
donc seulement dans les Lettres d'Ignace qu'il semble permis de 
chercher quelques détails sur les événements qui précédèrent im- 
médiatement sa mort. Nous y lisons que, pendant que l'évêque 
se rendait à Rome, l'église d'Antioche avait retrouvé la paix*, 
ce qui prouve qu'il n'y eut pas en Syrie de persécution systéma- 
tique ; on y voit également Ignace très-effrayé à l'idée que les 
Romains pourraient obtenir sa grâce en la demandant à l'empereur, 
ce qui le priverait, lui Ignace, d'une mort glorieuse et désirée^. 
Cette crainte ne fait pas supposer chez Trajan une rigueur 
inflexible ni un esprit bien prévenu. Nous ne pouvons donner les 
raisons précises de la condamnation, puisque nous ignorons quels 
furent les rapports de l'évêque avec l'empereur : il est probable 
qu'il le brava dans un moment où toute hardiesse de langage était 
périlleuse, alors que les superstitieux habitants d'Antioche *, 
émus du tremblement.de terre qui avait presque détruit leur riche 
cité, demandaient la mort des chrétiens, qu'ils considéraient 
comme les auteurs de la catastrophe. En envoyant Ignace à 
Rome, Trajan voulut sans doute le soustraire k l'irritation de 
ses concitoyens et le mettre en face de juges plus équitables. Mais 
le ton de la lettre aux Romains nous indique assez quel dut être 



gouvernait cette province pendant la mission de Pline enBithynîe. Voir 
notre n* 71. Cf. Pline, Ép, ad Draj.y 4î, 61, 62, 77. 

1. c Nous ordonnons qu'Ignace, qui prétend porter en lui le Crucifié, 
f soit enchaîné et conduit sous bonne garde dans la grande ville de 
f Rome pour être la proie des bêtes féroces et servir de divertissement 
f au peuple, i 

2. Ad^oc 8'lxet toOtov &irà SupCo; £icl t^ 'P&>{&aîaiv iréXiv àvoncsiJLçOivTa dvipCuv 
Yevio6ai ^pdv Tfic sCc Xpuiràv i&aprvpCoc Ivexev. Hi$i, Eccl,, 111, 37. 

3. PhUadelph., 10, Smym., Il, Polye,, 7. 

4. Rom,, 24. 

5. V. Renan. Note sur les sculptures colossales du mont Siavrtn à An-^ 
Uoehe (Gompteë-renduB de TÂcad. des Inscr., 1865, 372-378). 



celui de l'apologie d'Ignace devant le préfet de la ville, et explique 
comment il fut enfin livré aux bêtes féroces ^ Toutefois, la mort 
de cet éminent chrétien ne constitue pas, à elle seule, une persé- 
cution contre l'Eglise. 

Nous arrivons à ce qui concerne les chrétiens de Bithynie : 
là il y eut réellement, vers 111 ou 112, plusieurs victimes. Les 
célèbres lettres qu'échangèrent Pline et Trâjan nous montrent les 
chrétiens examinés pour la première fois par des hommes d'intel- 
ligence et de cœur qui, par delà les bruits répandus par la mal- 
veillance et la crédulité populaire* cherchent la vérité et la jus- 
tice. Pline se montra d'abord trop docile aux suggestions et aux 
préjugés de l'époque en condamnant au supplice des hommes qui 
n'étaient convaincus d'aucun crime et dont U ne trouvait à punir 
que la fermeté inébranlable dans leur conviction^. Cette constance 
au moins lui donna à réfléchir ; il s'enquit de ce que faisaient et 
pensaient les chrétiens ^ Devant la nature des renseignements 
qu'il recueillait, il suspendit les poursuites et il avoua ingénument 
ses doutes et ses embarras à l'empereur, guide habituel de sa con- 
duite et juge souverain de toutes les difficultés alors pendantesen 



i. M. Aube (1. c. p. 244) émet l'opinion qu'Ignace mourut àAntioche, et 
non à Rome. Les citoyens romains pouvaient en appeler du gouverneur 
à l'empereur et étaient alors menép dans la capitale (Act,^ XXV, 12. Pline, 
ad Traj,, 97); mais Ignace avait comparu devant Trajan : l'afifàire 
était jugée sans appel. Pourquoi retarder sa mort? Le voyage d'Antioche 
à Borne, par Smyme, Alexandria Troas, Neopolis, Pbilippi, est aussi bien 
singulier. — Et pourtant si on fait mourir Ignace à Antiocbe, toute sa 
correspondance est non avenue, car cbaque lettre implique, aussi bien 
que la Lettre aux Romains que M. Aube sacrifie pour ce motif, le voyage 
à Rome, entrecoupé de séjours prolongés dans diverses villes d'Asie. Les 
mentions de la captivité font bien corps avec le texte de cbaque lettre 
et ne peuvent être considérées comme des interpolations. 

2. Gomme Ta remarqué M. Littré, Barbares et Moyen âge, p. 23, la 
pbrase célèbre : baud perinde in crimine incendii quam odio generis 
bumani convicti (Tacite, Ann,, XV, 44), doit être traduite c non pas tant 
convaincus du crime d'incendie que condamnés par la baine du genre 
bumain ». Le nom de la faute se met à l'ablatif avec de ou <n, ou bien 
au génitif. L'ablatif absolu désigne l'autorité qui prononce. V. Forcellini. 
Du reste Bossuet (Disc, sur l'HisL univ., II, 26) traduit c secte convaincue 
< de baïr le genre bumain ou de lui être odieuse i. 

3. Suppiicium minatus... persévérantes duci jussi. Neque enim dubi- 
tabam, qualecunque esset quod faterentur, pervicaciam certe et inflexi- 
bilem obsiinationem debere puniri. 

4. La torture à laquelle il soumit deux diaconesses ne peut être 
regardée comme un supplice, puisque c'était alors un moyen d'informa- 
tion juridique. 



— 208 — 

Bithyhie. La lettre de Pline démontre qu'il y avait eu à Rome 
quelques chrétiens punis (c'est sans doute à la persécution de 
Domitien qu'il faut rapporter les cognitiones de Christianis), 
mais que ces poursuites n'avaient été confiées qu'à la police et 
qu'elles avaient fait si peu de bruit qu'un personnage, préteur en 
ce temps-là, et lié avec les hommes les plus haut placés de l'admi- 
nistration, n'en avait pas eu connaissance ^ 

La réponse de Trajan ofifre un caractère de mansuétude et 
d'équité impossible à méconnaître. On ne saurait, dit-il, prendre 
en cette matière une décision générale, qui serve de règle absolue. 
Il ne faut pas rechercher les chrétiens : s'ils sont amenés au tri- 
bunal et s'ils sont 'convaincus, il faut les punir ; toutefois, celui 
qui niera être chrétien et prouvera son dire en adorant nos Dieux 
obtiendra sa grâce par cette manifestation de son repentir, quel- 
que suspect que le rende son passé. Les écrits anonymes ne pour- 
ront servir de base aux accusations ; la chose est du plus mauvais 
exemple, et indigne de notre époque. 

On connaît le fameux dilemme de Tertullien « Arrêt contra- 
dictoire ! Trajan défend de rechercher les chrétiens comme inno- 
cents, et ordonne de les punir conune coupables... Si vous con- 
damnez les chrétiens pourquoi ne pas les rechercher? » Si vous ne 
les recherchez point, pourquoi ne pas les absoudre*? Il a déjà été 
répondu à la fougueuse apostrophe du docteur Africain que Tra- 
jan en interdisant les poursuites d'offlice, ne préjugeait en aucune 
façon l'innocence des chrétiens, mais indiquait simplement qu'il 



1. Cette ignorance de Pline a fait penser à M. Aube qu'il n'y avait pas 
eu de persécution sous Domitien, mais la conclusion ne me paraît pas 
rigoureuse. Les exécutions ont pu être faites par les iriumviri capitales 
sans que la haute société s'occupât de ces criminels obscurs. M. Bois- 
sier au contraire {Revue archéologique, février 1876), admet qu'il existait 
déjà des édits rendus contre Je christianisme, et que Pline sollicite de 
l'empereur une interprétation de ces édits qu'il connaissait, mais dont 
le texte lui aurait paru obscur et vague. M.iis alors il est singulier que 
Pline, et surtout l'empereur dans sa réponse, ne fassent aucune allu- 
sion à de pareils édits. On a récemment élevé des doutes sur l'authenti- 
cité de la lettre de Pline. M. Aube, après avoir développé les raisons 
qui pourraient, à première vue, la rendre suspecte, se prononce néan- 
moins pour Tauthenticité. M. G. Boissier a soutenu la môme thèse, par 
des raisons très-judicieusement développées et très convaincantes, à 
ce qu'il me semble. Toutefois il reste des points difficiles à expliquer 
dans cette lettre et surtout dans la réponse de Trajan. 

2. sententiam necessitate confusam! negat inquirendos ut inno- 
centes; et mandat puniendos, ut nocentes... Si damnas, cur non et 
inquiris? si non inquiris, cur non etabsolvis? Apol.^ 2. 



— 209 — 

ne les considérait pas, à priori, comme des ennemis publics ; 
cette opinion, émanée de si haut, devait nécessairement mettre 
un frein aux accusations privées et inspirer une certaine cir- 
conspection au gouverneur devant qui elles seraient portées. 
L'obligation imposée à Taccusateur de signer sa dénonciation et 
de se porter partie, en courant le risque des peines édictées contre 
les calomniateurs, devait aussi prévenir beaucoup de procès et 
mettre obstacle aux vengeances poursuivies sous le manteau de 
la loi par des inimitiés particulières. Ainsi le rescrit que nous 
avons sous les yeux est plutôt favorable que répressif. Mais, en 
outre, je ne pense pas qu'il nous livre la pensée de Trajan tout 
entière, et je suis porté à croire que le court billet qui forme au- 
jourd'hui la réponse à la consultation si minutieusement détaillée 
de Pline* n'est que l'extrait d'une lettre plus longue ou de plusieurs 
lettres émanées de la chancellerie impériale^. Cette réponse est en 
effet insuffisante et dans les cinq ou six lignes qui la constituent, 
on se heurte à une contradiction manifeste. Elle est insuffisante, 
car Trajan ne répond pas à toutes les questions posées par Pline ; 
il ne dit pas si l'enfant sera puni comme l'homme fait, ni de quelle 
peine l'un et l'autre seront frappés. Il n'explique pas, et c'est là 
le point important, qui embarrassait Pline, si le nom seul de chré- 
tien est un crime ou si l'on doit poursuivre uniquement les crimes 
que le Christianisme comportait, aux yeux de la loi romaine. Dans 
toute la correspondance de l'empereur et de son agent, il n'y a pas 
d'exemple, même sur les sujets les moins graves, d'une réponse 
aussi sonunaire, aussi incomplète et aussi vague. Quant à la contra- 
diction, comment concilier : « Neque enim in universum aliquid, 
« quod quasi certam formam habeat, constitui potest» avec ce qui 
suit immédiatement : « Conquirendi non sunt : si deferantur et 



1. Peut-être avons-nous perdu aussi une lettre de Pline sur cette 
affaire. Tertullien {Apol.j 2) rapporte que quelques chrétiens de Bithynie, 
poursuivis par le gouverneur, ont été déchus de leur rang (quibusdam 
gradu pulsis]. Ce fait ne se retrouve pas dans ia lettre que nous possé- 
dons et il nous semble difficile que le timoré Pline ait pris une pareille 
mesure sans en référer à Tempereur. Mais peut-être aussi, comme l'a 
supposé M. Leblant {CompUs-rèndyA^ Acad.desInscr,y\SQ6, p. 365), Tertul- 
lien a-t-il c prêté à des temps plus anciens ce qu'il voyait s'accomplir 
sous ses yeux. » 

2. Le début: Actum quem debuisti.., secutus es est bizarre. De plus Trajan 
appelle ici Pline miSecunde; c'est la seule fois. Dans les autres lettres 
on lit: mi Secunde carissime ou Seeunde earUsimê. Cette omission de 
carisslme s'expliquerait facilement en supposant un remaniement ou une 
réduction du document original. 

DR LÀ BKRGR ^4 



— 240 — 

arguantur puniendi sunt. » Mais, en yérité, peut-on imaginer ou 
fonnuler un principe plus général que celui-ci : l'aveu du Christia- 
nisme entraîne la condamnation? Quoi de plus simple que la pro- 
cédure qui ne consiste qu'à poser la question : êtes-vous chrétien? 
Quel délit mieux caractérisé que celui qui ne repose que sur un 
aveu au devant duquel couraient la plupart des accusés? Je conviens 
qu'à lire Justin, Athénagore et TertuUien, il semble que les chré- 
tiens ont été souvent punis sans qu'on eût à leur reprocher aucune 
infraction à la loi ; mais il s'agit de savoir si ces condamnations 
étaient conformes aux instructions des empereurs, ou au con- 
traire prononcées malgré ces instructions par des gouverneurs 
timides et accessibles aux suggestions de la populace. La seconde 
opinion me parait seule exacte. En soutenant que, pendant le 
deuxième siècle les vexations ne sont jamais venues des empereurs 
mais du peuple, et que, si le Christianisme a pu durer et grandir 
en dépit de la malveillance des populations, c'est grâce aux res- 
crits impériaux qui mettaient fin à l'arbitraire et aux dangers 
dont la fureur populaire menaçait les partisans de la religion 
nouvelle, on n'avance qu'un £siit basé sur les documents que Jus- 
tin et Eusèbe nous ont transmis ^ Hadrien, Antonin, Marc Aurèle 
ont déclaré que les chrétiens ne devaient être poursuivis que 
quand ils étaient accusés d'infractions aux lois existantes, et ce 
n'est pas une grande témérité de supposer que tel était le sens du 
rescrit de Trajan. La marche que l'empereur indiquait à Pline 
nous paraît donc celle-ci. Aucune recherche instituée d'office 
contre les chrétiens. Toute dénonciation anonvme écartée. A la 
suite de dénonciations signées et articulant des faits délictueux, 
comparution des accusés devant le gouverneur, qui les invite à 
adorer les Dieux de l'empire. S'ils y consentent, il n'est plus donné 



1. Voir les rescrits rapportés par Justin à la fin de la l'* apologie et par 
Eusôbe, HUU EccL, IV, 9 et iV, 13. Le premier est d^fladrien. Rufin, dans 
sa traduction latine d*Eu8èbe, paraît avoir copié Toriginai. Le deuxième 
adressé par Antonin le Pieux au Koiv^ 'A(r(ac ne parait pas authentique, 
mais on lit dans Tapologie adressée par Méliton à Marc-Aurèle (Buseb., 
IV, 26) : 6 8è icax^p oou — xaXç icoXéiri icepi toû |iv)8ivve(OTCp(2;etv9rKpl •9i\uiiv lYpa<|/ev. 

Dans les colonies, la police et la liturgie du culte public appartenaient 
aux décurions. V. Lex GeneUva LXIV. Giraud, Nouveaux bronjtes d^Osuna, 
p. 24. La protection des chrétiens par Marc-Aurèle est attestée dansTertul- 
lien [Àpol.^ 5). M. Aube, toutefois, doute de Tauthenticité du rescrit 
d'Hadrien {HisUHre des PersécutUrnSy p. 273). Il fait valoir, outre plusieurs 
raisons tirées du texte lui-même, le silence gardé par TertuUien dans 
son Apologétique sur ce document favorable aux chrétiens, et ce silence 
est, en effet, difficilement explicable. 



— 244 - 

suite à l'affaire*. S'ils refusent, le gouverneur commence son en- 
quête sur les faits avancés par l'accusateur, et s'il les trouve 
exacts, punit les coupables dans la mesure que comportent leur 
âge, la nature des délits et les circonstances au milieu desquelles 
ils ont été commis ^. 

Mais en quoi consistaient ces délits? De quels crimes les chré- 
tiens étaient-ils coupables. M. Edm. LebJant a complètement 
élucidé la question dans un savant mémoire^. Au témoignage de 
Lactance, c'est dans le VIP livre du traité d'Ulpien de officio 
proconsulis que les gouverneurs trouvaient les armes redou- 
tables dont ils jfrappaient l'Eglise*. De nombreux passages de ce 
VIP livre sont conservés et ont passé dans le Digeste, car à partir 
de la paix de l'Eglise, ces textes que Lactance nonune encore 
impia jura devinrent, sans aucun changement, des lois toutes 
faites contre le paganisme et l'hérésie. En les rapprochant des 
sentences de Paul, et en relevant dans les Actes des Martyrs les 
accusations portées contre les confesseurs de la foi et les 
peines qu'ils ont subies, la comparaison des données ainsi 
recueillies permet de fixer les bases des poursuites dirigées 
contre les chrétiens pendant les trois premiers siècles. On voit 
qu'ils encouraient plusieurs accusations : celles de lèse-majesté, de 
sacrilège, d'association illicite, de magie, de recel de livres dé- 
fendus, d'introduction d'un culte étranger, tous crimes sévèrement 
punis. 

Or en nous reportant à l'époque de Trajan, nous trouvonsd'abord 
que la littérature chrétienne était encore trop peu développée pour 
que les fidèles eussent entre les mains beaucoup de livres; ils 
pouvaient mettre bien facilement à l'abri ceux qu'ils possédaient, 
et échapper ainsi à l'une des incriminations de leurs adversaires. 



1. On savait en effet, par le bruit public, que les chrétiens ne recon- 
naissaient pas les mêmes dieux que les paKens et par conséquent le 
refus d'adorer les dieux de Tempire constituait une préemption de 
christianisme. 

2. C'est encore une question fort controversée de savoir si la profes- 
sion de cbristianisme constituait & elle seule un crime au second siècle 
de notre ère (V. Boissier, 1. c). Mais M. Kdm. Leblant me paraît avoir 
très-bien montré dans le Mémoire dont nous allons utiliser les 
conclusions, que les poursuites exercées contre les chrétiens se justi- 
fient au point de vue légal romain, sans recourir à une procédure ou & 
une pénalité extraordinaires. 

3. Sur les bases juridiques des poursuites dirigées contre les martyrs. 
Comptes-rendus de l'Académie des Inscriplions, 1866, pp. 358-373. 

4. Divin. In$t.,\, 11. 



— 242 — 

Nous savons que Trajan refusa d'accueillir les accusations de 
lèse-majesté ^. Le sacrilège ne consistait point alors dans Tomi»- 
sion ou la violation de la loi divine *, mais seulement dans le vol 
d'objets consacrés au culte, ou le pillage des édifices religieux. Ce 
dernier fait, seul, a pu être relevé à la charge de quelques chré- 
tiens, et cela à une époque postérieure à celle que nous étudions. 
Les actes semblables à celui qu'un zèle ardent inspira à Polyeucte 
ne se rencontrent pas dans l'histoire primitive de l'Eglise et, à 
cause de cela même, étaient interdits aux fidèles ^. Restent les 
faits d'association illicite et de magie. Les gouvernements s'in- 
quiétaient surtout du premier, tandis que les bruits de magie et 
maléfices effrayaient les peuples. On voit précisément que les in- 
formations de Pline s'étaient portées sur ces deux points *. 

C'étaient là deux inculpations redoutables, châtiées avec une 
rigueur qui nous révolte*; mais qui pourrait reprocher à Trajan 



1. H. Aubô {Histoire des PersécutUmSy p. 424) a fait remarquer avec raison 
qu'au II* siècle le crime de lèse-majesté s'appelait impfotos (Pline, Pon^^., 
33; Suét., DomU,, tO). Cette observation est importante pour l'histoire des 
premières persécutious chrétiennes. 

2. Cic, de legià., 11, 16. Quintii., InsUL Oral., VII, 3, 21. Dig., XLVIII, 
13, 9. Paul, Sent. Rec., V, 19. Tertuil., ad Scapul.y t. Comme Ta remarqué 
H. Aube (l. 1. p. 191), la constitution de 380 : c qui divinae legis sancti- 
tatem autnesciendo omittuot aut negligendo violant et offendunt,8acri- 
legium committunt i émane d'un prince chrétien et a été édictée pour 
la défense de la religion chrétienne. Bile ne saurait donc être mise à la 
charge du paganisme et servir à expliquer les poursuites dirigées contre 
les chrétiens. 

3. Concil. lliberitanum, c. LX (Labbe, Coneil., J, p. 987 et 1222). 

4. La question relative aux associations revient si souvent dans la 
correspondance de Pline avec Tragan {Ep., 34, 93, 11} que le gouverneur 
en était nécessairement préoccupé, et il est & croire que c'est de ce 
côté qu'il envisagea la question chrétienne. — II se formait continuel- 
lement des associations non autorisées, et dés qu'il s'agissait de rétablir 
l'ordre dans quelque partie du monde romain, on commençait par les 
dissoudre. C'est ce qui arriva à Pompéi en 812^59 après le tumulte qui 
s'était élevé entre les habitants de cette ville et ceux de Nuceria (Tacit, 
Ann., XIV, 17). 

5. Le crime d'association illicite était assimilé à celui de lèse-m£uestô 
(Uig., XLVUI, 4, 1, i 1) et puni de la décollation si les coupables apparte- 
naient aux premiers rangs de la société; ceux de condition inférieure 
étaient exposés aux bètes ou brûlés vifs (Paul., Sent. Rec., V, 29, 1). Les 
accusés étaient tous soumis à la torture, sans qu'on eût égard à leur 
rang. Les coupables de magie étaient brûlés vifs; leurs complices 
exposés aux botes ou mis en croix (Paul., Sent., V, 23, 17). L'introduc- 
tion d'un culte étranger était punie de la déportation pour les honestioreg, 
de la mort pour les humiliores (PauL, Sen^, V, 21,2). 



— 243 — 

de n'avoir pas dominé entièrement les préjugés de son époque ? 
Aujourd'hui encore, en tout pays, on poursuivrait une association 
qui propagerait certaines idées émises par Tertullien*. La liberté 
des cultes est fort récente*, et on brûlait encore chez nous les 
sorciers au siècle dernier '. Ne nous montrons donc pas si sévères 
pour la législation romaine du deuxième siècle, et reconnaissons 
que Trajan porta une grande modération dans l'exercice de son 
pouvoir. C'est, nous le répétons, ce qu'ont reconnu les chrétiens 
d'alors, en ne le plaçant pas parmi leurs persécuteurs, et en de- 
mandant mainte fois l'application de rescrits semblables à celui 
qui fut envoyé au gouverneur de Bithynie^ 

Assurément, ces préventions de magie et d'association illicite, 
constituent pour l'Eglise des conditions défavorables. Puis les 
chrétiens commencent à être connus des gouverneurs et des juges. 
Longtemps confondus avecles Juifs, les chrétiens, méprisés comme 
eux, avaient du moins partagé leurs privilèges, et ils n'en étaient 
distingués aujourd'hui qu'aux dépens de leur première liberté. 
Mais malgré ces entraves, il y avait encore moyen de se réunir et 
de propager la foi. Sous le règne de Trajan qui aimait peu les 
associations, rien n'empêcha les chrétiens de s'assembler dans 
quelques cimetières, autour des tombeaux des apôtres et des pre- 
miers fidèles, sous la protection même de la loi*. Car le législateur 
romain avait consacré, d'une manière absolue, la religion des 
tombeaux et n'admettait ni exception ni distinction de personnes 
en ce qui concernait leur inviolabilité. Le sol où un mort était 
inhumé, l'espace occupé par le monument funéraire, et même le 
terrain, ordinairement planté d'arbres,qui entourait ce monument 
étaient sacrés par le fait seul de leur destination ®. Celui à qui 
appartenait le terrain, et qui en avait fait choix pour sa sépul- 
ture, y laissait ensevelir qui il voulaif. Lesrepasftmèbres faisaient 

1. De caronaj c. xi. 

2. Une déclaration de Louis XIV du 1«' juillet 1686 punit de mort ceux 
qui seront surpris faisant des exercices de religion autre que la religion 
catholique (Isambert, Anciennes Lois françaises, XX, p. 5). 

3. Sorcier brûlé en 1718 par arrêt du Parlement de Bordeaux (Adaury, 
Magie et Astrologie, etc., p. 2^2). 

4. Tertullien, ad ScaptUam, 4, montre que ces rescrits protégeaient les 
chrétiens à certains égards. 

5. Voir de Rossi, Bullet. tJPArch. christ,, avril et août 1864, décembre 
1865. 

6. Cet espace s'appelait area. D'où le cri des païens : areae eorum non 
sint (Tertull., ad SeajmL, 3). Cf. dans les Acta purgationis Gaeciliani : 
Area ubi orationes faeiiis (S. Optati opéra, p. 170]. 

7. Religiosum locum unusquisque sua voluntate facit, dum mortuum 



aussi partie de la religion des tombeaux, et personne ne pou- 
vait mettre obstacle aux dispositions prises par le testateur, en 
vue de leurs règlements. On s'explique ainsi conament, dès les 
deux premiers siècles, les chrétiens eurent leurs sépultures spé- 
ciales, soit par acquisition personnelle, soit par la générosité de 
quelque riche personnage ayant embrassé la foi nouvelle et don- 
nant asile à ses frères dans la vaste enceinte de sa dernière de- 
meure, et l'on comprend qu'ils purent, sans être inquiétés, se réunir 
autour des tombes de leurs confesseurs tant pour les agapes que 
pour la célébration des mystères. 

L'antiquité connaissait les associations de secours mutuels, 
alimentées à la fois par la générosité de riches patrons et par la 
cotisation mensuelle de leurs membres. Au temps de Tertullien, 
les chrétiens formaient un de ces collegia tenuiorum qui pos- 
sédait une caisse et une organisation propre, et peut-être un 
édifice destiné à ses réunions : l'association n'était nullement 
clandestine, car Tertullien en parle avec détails *. Marcien atteste 
que Septime Sévère étendit aux habitants de l'Italie et des pro- 
vinces la faculté que possédaient déjà les Romains de former des 
associations de ce genre '. Mais rien ne nous apprend s'il en exis- 
tait à Rome au temps de Trajan, et par conséquent nous ne pou- 
vons rien tirer du fait cité par Marcien au sujet de la situation du 
Christianisme au commencement du second siècle. Si les collegia 
tenuiorum existaient déjà dans la capitale, Trajan, malgré sa 
répugnance, dut les respecter comme celui d'Amisus^, mais s'ils 
n'étaient pas constitués à son avènement, il est douteux qu'il les 
ait autorisés*. En somme, l'histoire de la communauté romaine, 



infert in locum suum. Dig., I, 8, 6, i 4. Cf. Gaius, Comment. Inst,, II, 6. 

1. Tertullien énumère les divers emplois de la somme constituée par 
la stipes menstrm : £genis alendis humandisque, et pueris ac pueliis re 
ac parentibus destitutîs, jamque domesticis senibus, item naufragis; et 
si qui in metallis, et si qui in insulis vei in custodiis, duntaxat ex causa 
Dei sectae, alumni confessionis suae fiunt {Apol., c. 39.) 

2. Permittitur tenuioribus stipem menstruam conferre, dum tamen 
semel in mense coeant, ne sub praetextu bujus modi illicitum coUegium 
coeat. Quod non tantum in Urbe sed et in Italia et in provinciis locum 
habere Ûivus quoque Severus rescripsit. — Les collèges des Culiores 
Deorum, qui sont en léalité des associations funéraires, commencèrent 
sous Nerva (Boissier, Rev. Arch., nouv. série, XXV, p. 84). La loi voulait 
que l'argent provenant de la contribution mensuelle ne fût employé 
qu'à la sépulture des associés, mais on ne se préoccupait guère de cette 
défense. 

3. Pline, Ep,, ad Traj,, 93. 

4. Ce qui pourrait faire penser que l'association n*était pas encore 



— 245 — 

dont un demi-siècle auparavant, la foi était déjà renommée par 
tout le monde S reste fort obscure au commencement du deu- 
xième siècle. Quelques-unes de ses traces, écrites sur la pierre, 
se retrouvent dans les cimetières situés aux abords de la capitale, 
tels que celui du Vatican, celui de Fia via Domitilla découvert 
en ces dernières années, et ceux de Lucine et de Priscille*. 
Rome était encore le point le plus occidental qu'eût touché le 
Christianisme, car l'histoire positive ne connaît rien des églises 
de la Gaule avant la fin du troisième siècle ; alors seulement on 
entend aussi parler de celles de l'Afrique, et en Espagne la foi nou- 
velle ne laisse pas de traces authentiques avant la fin du troisième 
siècle. 

Mais en Grèce, en Asie, en Syrie, en Egypte, les chrétiens 
trouvaient sans doute plus de facilités pour se réunir et entendre 
la prédication de l'Evangile, en raison de la liberté de par- 
ler et de s'assembler consacrée dans ces pays par un long 
usage et, jusqu'à Trajan, tolérée par le gouvernement central'. 
C'est donc en Orient que sous Trajan s'élevait le foyer le plus 
actif et le plus brillant du Christianisme; en revanche il y 
courait, au contact du judaïsme et de l'hérésie, un double 
danger. Pendant le siège de Jérusalem, les fidèles de l'église 
établie dans la ville sainte avaient dû s'enfuir et se retirer à 
Pella, au delà du Jourdain. Isolés des autres communautés chré- 
tiennes et rapprochés des Esséniens, ils ne tardèrent pas à oublier 



formée au temps de Trajan, c'est que le cimetière appartenant au col- 
lège des chrétiens, cimetière auquel Galliste fut préposé sous le ponti- 
ficat de Zéphirin et qui fut consacré aux sépultures des papes juBqu*à 
la paix de l'Église, ne semble pas avoir été ouvert avant le ni* siècle. 

1. Ad RofU.f I. 8. 

2. Les deux inscriptions chrétiennes datées des années 107 et 110 ont 
été trouvées dans le cimetière de Lucine (Rossi, Inscr. Christ. Antiq., 
n** 1 et 3). L'architecture des cimetières du Vatican, de Lucine, de Pro- 
cessus et Hartinus, de sainte Agnès, de Plavia Domitilla indique, aussi 
bien que le style des peintures qui les décorent et les noms des person- 
nages qui y furent inhumés, un âge très-voisin des temps apostoliques 
(Bossi, Borna Sott, I, 164-194). 

Les premiers évèques de Rome furent enterrés dans le cimetière du 
Vatican (Rossi, ibid., 198). Une salle souterraine, décorée de peintures et 
de stucs qui peuvent remonter au second siècle, et qui forme l'étage 
inférieur de la basilique de Saint-Clément, a peut-être servi à la célé- 
bration du culte chrétien. On rappelle Oratoire de Saint-Glément {Beo. 
Arch,, nouv. série, XXIV, 1872, août). 

3. A Euménie de Phrygie, le collège des chrétiens s'appelait xoivèv tôôv 
àfteXçûv. Corp. Inser. Gr., IV, 9266. 



— 246 — 

les enseignements du Sauveur, etils se rattachèrent étroitement aux 
pratiques de la loi mosaïque, dont ils ne s'étaient jamais affranchis 
complètement. Telle fut l'origine de la secte des Ebionites, qui 
tout en regardant Jésus comme le Messie, refusait d'admettre sa 
divinité*. D'autre part, chaque église d'Asie s'était vue, à peine 
fondée, assaillie et circonvenue par le gnosticisme. Sans doute la 
phase brillante de cette théosophie est postérieure au règne de 
Trajan, puisque c'est de 120 à 140 que Saturnin et Basilides pro- 
fessèrent leur doctrine et formèrent les disciples dont la réputation 
devait un joureffacerceUedes maîtres. Al'époque où noussommes, 
les grandes lignes du gnosticisme n'étaient pas encore arrêtées ; 
les questions sont cependant déjà posées et agitées par des esprits 
hardis, Cérinthe, Dosithée, Ménandre, qui exercent une séduction 
dangereuse sur des âmes encore mal affermies dans lafoi nouvelle. 
Le quatrième évangile est à la fois un avertissement et un préser- 
vatif contre les tendances de ces docteurs, et les lettres d'Ignace 
marquent une continuation du même effort pour soutenir les dé- 
faillances et maintenir l'intégrité de la croyance chrétienne*. 

A la même époque, suivant Origène et Epiphane, commencèrent 
à se montrer les Elxaïtes^. Par eux se consomma l'union des gnos- 
tiques avec les communautés chrétiennes encore engagées dans le 
judaïsme et déjà en lutte avec l'église apostolique. Leurs ten- 
dances dissidentes, fortifiées par le secours inattendu de la philo- 
sophie orientale, se prononcèrent nettement et caractérisèrent des 
sectes désormais bien déterminées. Mais les hérésies alors domi- 
nantes et contre lesquelles Ignace multiplie ses avertissements, 
sont celle des Ebionites dont nous avons dit quelques mots, et 
celle des Docètes, qui ne reconnaissaient dans la personne du 
Sauveur que la nature divine, et, pour sauvegarder le principe 
de l'immatérialité de Dieu, expliquaient par la supposition d'un 
corps apparent les faits de l'incarnation et de la mort de Jésus- 
Christ. Contre les premiers, l'évêque d' Antioche défend la divinité 
du Christ ^ et contre les seconds, son humanité ^ Les difficultés 

i. Bpiphan., Haeres,, XXX. 

2. Suivant saint Jérôme (ÇaUUog, Scripior. eceles., c. 9) ce fut à la demande 
des évoques d'Asie que l'apôtre Jean composa son évangile, et Irënêe 
m, il) dit que le commencement de cet évangile est une réfutation de 
Cérinthe. 

3. Bpipb., Haeres,, XIX, 1 et 6. Philosaphutnena, IX, 13-15, X, 20. Busébe, 
Hist, EceL, VI, 3S, place l'apparition de cette secte non pas sous Trajan, 
mais un peu avant Trajan Dèce. 

4. Àd Maçn.y 7-8; ad Philadelph., 6-9. 

5. AdSmym., 1-5; ad Trall., 6-10. Le milléDarisme, qui certainement 



— 247 — 

relatives à rincarnation sont ainsi touchées dans les cinq lettres 
qu'Ignace adresse aux églises d'Ephèse, de Magnésie, de Tralles, 
de Philadelphie et de Smyrne, et dans celle qu'il écrivit à Poly- 
carpe. Elles se rattachent directement, par le fond du sujet comme 
par la langue, aux épîtres johanniques, et nous offrent, au milieu 
du tableau animé de la vie chrétienne en Asie, un sommaire des 
questions qui s'agitaient autour de l'Eglise et dans son sein, et 
des moyens que les successeurs des apôtres employaient pour pré- 
server leur troupeau de l'erreur et pour réduire leurs adversaires. 
Ignace procède plutôt par exhortations et par conseils que par ré- 
futation en forme, et le ton de ses épîtres, bien qu'impératif, 
reste constamment affectueux. On sait que des objections ont été 
élevées autrefois contre l'authenticité de ces lettres en raison 
même de la polémique qui y est contenue et qui, pensait-on, ne 
pouvait avoir eu lieu au commencement du second siècle puisque 
le gnosticisme était né au milieu de ce même siècle. Mais cette 
critique, dont l'effet devait être de faire descendre également dans 
la moitié du deuxième siècle la composition de tous les écrits du 
Nouveau-Testament où la présence du gnosticisme se feit sentir, 
est abandonnée depuis que l'histoire des hérésies est mieux connue. 
La précision même qui caractérise les doctrines de Valentin et de 
Marcion suppose une longue série d'efforts antérieurs, une pé- 
riode initiale et nécessairement obscure, d'élaboration et de dis- 
cussions préparatoires. Les Philosophumena nous ont appris, 
d'ailleurs, que les systèmes des premiers gnostiques étaient plus 
riches et mieux dMnis qu'on ne l'avait d'abord soupçonné*. 
Enfin une étude patiemment poursuivie de ces systèmes a 
montré que la philosophie grecque, qui eut plus tard une action 
considérable sur leurs développements, fut étrangère à leur début 
et qu'ils ont pris naissance au milieu des idées esséniennes *. On 
comprend donc très-bien comment les idées gnostiques étaient 
déjà, au premier siècle, en possession d'une autorité assez grande 
pour troubler l'enseignement chrétien. 

En £ace du nombre croissant des hérésies, de la propagande 
active de leurs docteurs et du prestige que quelques personnalités 



comptait déjà des partisans, puisque Papias est cité comme en étant 
pénétré, ne comptait cependant pas autant d'adeptes à ce moment qu'il 
en eut plus tard; il ne semblait pas alors bien dangereux puisque Ignace 
n*y fait aucune allusion dans ses lettres. 

t. Philosophum., VI, 18. Cf. Ignace, adMagn.yS, rapprochement indiqué 
par Freppel, Pères aposioUques, p. 346. 

2. Michel Nicolas, Rev. germaniÇM, III, 468. 



— 248 — 

remuantes et hardies revêtaient aux yeux de populations extrê- 
mement mobiles, dociles à tous les entraînements de l'esprit, 
avides de nouveautés et de discussions philosophiques, la paix et 
l'avenir de la communauté chrétienne étaient menacés, et chaque 
jour les problèmes de théologie venaient se mêler plus bruyam- 
ment aux œuvres de charité et à la prière. Il devenait donc utile 
d'apporter quelques changements à l'organisation de la primitive 
Église, et, avant tout, de s'entendre sur l'autorité dont les déci- 
sions feraient loi sur les points débattus. La doctrine du Sau- 
veur et les récits de sa vie n'étaient consignés que depuis peu de 
temps dans des livres à peine répandus parmi les fidèles, car 
l'enseignement de la vérité chrétienne s'était fait exclusivement 
à l'origine par la prédication, par les communications orales *■ et 
plus tard par les épîtres des apôtres. Maintenant que les apôtres 
étaient morts, que les derniers contemporains du Christ dispa- 
raissaient, que le nombre de ceux qui pouvaient se dire garants 
de la vérité diminuait de jour en jour, les chefis des églises se 
demandaient avec anxiété comment ils assureraient la transmis- 
sion fidèle de l'héritage sacré, qui mettrait fin aux contestations 
inépuisables journellement suscitées par le vague et la flexibilité 
des doctrines, qui jugerait l'authenticité d'épîtres ou d'évangiles 
qui circulaient sous des noms révérés? Dans ces conjonctures 
périlleuses, et sous la pression d'une nécessité vivement sentie, 
les églises d'Asie Mineure et de Syrie se donnèrent une constitu- 
tion plus solide que cela n'avait paru nécessaire au temps des 
apôtres, organisèrent leur hiérarchie avec plus de précision et 
attribuèrent à l'un des anciens la puissance de juger en dernier 
ressort les questions de doctrine et celles de discipline intérieure. 
Ainsi se dégagea, grandit et se développa le pouvoir supérieur et 
spécial des évoques, pour l'établissement duquel Ignace, chef de 
l'églised'Antioche, déploya un zèle persévérant. Ici se présente de 
nouveau la question, toujours débattue*, de Tauthenticitédes lettres 
d'Ignace. On a renoncé, comme nous l'avons dit, à invoquer 
contre cette authenticité la polémique antignostique dont ces 
lettres sont pleines, mais l'on fait plutôt valoir, pour ébranler 
leur autorité^, le silence que les pères contemporains d'Ignace, 

1. Irën., III, 2. Non enim per litteras traditam eam (veritatem), sed 
per vivam vocem. 

2. On a tiré moins de parti qu*on ne l'espérait des fragments de la 
traduction syriaque publiée par Cureton. Sur l'état actuel de la ques- 
tion, voir B. Renan, Journal des Savants, janvier 1874. 

3. On ne conteste plus l'authenticité de la lettre d'Ignace aux Romains. 



— 249 — 

ou immédiatement postérieurs, ont gardé à leur égard : ils ne 
paraissent pas les avoir connues. Il y a sans doute un intérêt de 
premier ordre à savoir si cette correspondance assez considérable 
doit, ou non, prendre place au nombre des monuments de la 
littérature chrétienne primitive, mais la controverse est sans 
importance au point de vue de l'histoire générale de l'église, 
car on peut déterminer, indépendamment de toute opinion sur 
Tauthenticité des lettres ignatiennes, les grands faits de cette his- 
toire à répoque dont nous nous occupons, et en particulier la 
date à laquelle fut constituée la hiérarchie ecclésiastique. En effet, 
si l'authenticité est admise, il faut reconnaître aussi que la viva- 
cité et surtout la fréquence des recommandations d'Ignace pour 
assurer la prépondérance de l'évêque ne se concevraient pas si 
cette prépondérance eût été, au moment où il écrivait, aussi 
solidement établie qu'elle le fut par la suite : le ton et la forme de 
ses conseils indiqueraient plutôt qu'elle naissait à ce moment 
même, au milieu de véhémentes contestations. D'un autre côté, 
ceux qui refusent à ces lettres toute autorité doivent pourtant 
admettre que le faussaire, en les attribuant à Ignace plutôt qu'à 
tel autre de ses contemporains aussi célèbre. Clément, Polycarpe 
ou Papias, suivait une tradition conservée en Orient, et d'après 
laquelle le chef de la communauté d'Ântioche aurait fait, pour 
la constitution de l'épiscopat, des efforts actifs, demeurés de 
notoriété publique. En tout état de cause, on se retrouve en 
présence du célèbre passage de saint Jérôme, que nous citons en 
note, et duquel il ressort que l'évêque reçut uneautoritésupérieure 
à celle des prêtres ou anciens, afin d'opposer aux développements 
de l'hérésie un effort plus immédiat et plus direct. Ce changement 
date donc du moment où les hérésies se multiplièrent, c'est-à-dire 
du commencement du second siècle. Du reste. Clément, dans 
sa lettre aux Corinthiens, Polycarpe, dans celle qu'il adresse 
aux habitants de Philippi, ne connaissent encore que la hiérar- 
chie à deux degrés de l'âge apostolique S et dans la lettre 

1. Giem. Rom., ad Corinth,, 42. Polycarp., ad Philipp., 5, Oitota(r(TO(&évou; 
TOiç ?rpe(T6vTépoiç xal 6iax6voic d)ç Bzt^ xal Xpt(rrS>. Cf. Ad, Apost, XX, 17. 
Timoih., l, 3. Tit, l, 5, 7. Saint Jérôme sur ce passage : Idem est près- 
byter qui episcopus : et antequam, diaboii instinctu, studia in reiigione 
fièrent, et diceretur in populis : ego sum Pauli, ego Apollô, ego autem 
Gephae, communi presbyterorum concilie ecclesiae gubernabantur. 
Postquam vero unusquisque eos quos baptizaverat suos putabat esse, 
non Gbristî, in toto orbe decretum est ut unus de presbyteris electus 
superponeretur ceteris, ad quem omnis Bcclesiae cura pertineret et 
scbismatum semina toUerentur. 



— 220 — 

d'Ignace aux chrétiens de Rome, il n'est pas question du pou- 
voir supérieur de leur évêque : sa personne n'est même point 
mentionnée, ce qui conduit aussi à penser que les églises 
d'Europe n'avaient pas encore senti la nécessité de chan- 
ger leur constitution ^ 

En effet les questions périUeuses posées en Orient n'étaient 
même pas soupçonnées sur les bords du Tibre. N'ayant à craindre 
le contact d'aucune hérésie, l'église de Rome trayaiUait, sans 
disputes, à changer les cœurs. Les écrits composés, au second 
siècle, dans son cercle d'action, montrent déjà, si on les compare 
aux lettres d'Ignace, la diversité d'aspects que présentera l'église 
dans les deux grandes divisions du monde chrétien. La Lettre 
de Clément aux Corinthiens, le Pasteur d'Hermas ne renfer- 
ment aucun enseignement dogmatique, aucun avertissement pour 
préserver les fidèles des erreurs de doctrine. C'est à l'homme 
intérieur que s'adressent les auteurs de ces écrits qui jouirent, 
dès leur apparition, d'une grande faveur et prirent une autorité 
considérable. Ils ne parlent que de notre fragilité et de notre 
faiblesse, nous montrent dans l'humilité, la charité, la repen- 
tance, les seuls moyens que nous possédions d'atteindre le salut 
promis aux efforts et à l'espérance du chrétien. Le ton en est 
persuasif et affectueux. Hermas raconte ses propres égarements 
pour faire servir au bien d'autrui l'exemple de ses fautes : Clément 
s'associe à ceux auxquels il écrit et prend sa part des conseils 
qu'il leur donne. L'étendue de sa lettre, l'ordonnance et le déve- 
loppement des preuves, la grave simplicité du style, aussi propre 
à convaincre qu'à émouvoir, annoncent l'esprit pratique et 
disciplinaire qui caractérisera les pères de l'église latine. Par 
des dSbrts obscurs, silencieux, mais ininterrompus, cette église 
avait déjà jeté les bases de sa puissance, et pendant que les 
chrétiens d'Orient se disputaient sur les dogmes, elle avait gagné 
au Christ des serviteurs jusque dans le palais des Césars. 



1. Les difficultés relatives aux pontificats de Lin, de Glet, d'Anaclet et 
de Clément, demeurées jusqu'ici insolubles, disparaîtraient du moment 
où plusieurs de ces saints ont pu être simultanément évoques à Rome. 



CHAPITRE XVI. 



LES LETTRSS^ 



Une appréciation complète des manifestations de l'esprit humain 
sous le règne de Trajan est étrangère au plan de cet Essai et 
dépasserait les limites de ma compétence. C*est un chapitre de 
rhistoire littéraire qu'on ne saurait isoler sans lui faire perdre 
la plus grande partie de son intérêt. Les auteurs de cette époque 
ont été d'ailleurs soumis plus d'une fois à un examen scientifique 
approfondi ' et ont servi d'objet à des critiques pleines de finesse 
qu'il me serait impossible de surpasser et qu'il est inutile de 
reproduire. Je me bornerai donc à de rapides indications propres 
à faire sentir comment le caractère des lettres, des sciences et 
des arts à cette époque se rattache à l'état, esquissé plus haut, 
des institutions et des mœurs. 

Au commencement du second siècle, les deux littératures qui 
servent d'expression à la pensée du monde civilisé présentent un 
frappant contraste. Celle des Grecs est vivante et riche : dans 
tous les genres, elle est représentée par des œuvres qu'on ne peut 
assurément placer au premier rang, mais qui offrent encore un 
sérieux intérêt à l'étude et qui témoignent d'une grande activité 
et d'une émulation singulière dans le domaine entier de nos 
connaissances. Celle de Rome, à la même époque, est artificielle 
et mesquine, et porte les signes d'une irrémédiable et prochaine 

t. La dissertation de J. G. Uuiiemao, de Litterarum praesertim lati- 
narum apud Romanos studii Nerva Trajano imperatore n'ofihre que des 
aperçus sommaires et ne donne pas tout ce que le titre fait espérer. 

2. V. p. ex. Bernliardy, Grwndriss der Rœmischen Liiteraiwr, 



— 222 — 

décadence. Elle est, en effet, bien voisine de sa fin, puisqu'après 
Trajan on ne compte guère comme écrivains, à peu près dignes 
de ce nom, que Fronton et Apulée. Le contraste s'explique aisé- 
ment : la littérature grecque s'adresse à un peuple entier au sein 
duquel elle puise sa substance et sa force, et dont elle exprime 
les sentiments collectifs, tandis que Tautre n'est plus que l'œuvre 
de beaux esprits et le passe-temps de quelques oisifs. 

Le monde hellénique conservait presque tous les traits de sa 
physionomie primitive, moins saiDants sans doute et moins 
caractérisés qu'à la belle époque de son histoire, mais très- 
reconnaissables encore. Ce fut une bonne fortune pour la Grèce 
d'être arrachée par Rome au joug macédonien avant que les 
successeurs d'Alexandre n'eussent fait disparaître sous le niveau 
de leur lourd despotisme l'originale variété de ses mœurs, de ses 
institutions et de ses souvenirs. Chaque ville, rendue libre aux 
termes du fameux décret de Flaminius, put reprendre sa marche 
dans la voie d'une tradition non encore effacée et se rattacher à 
son passé d'une manière étroite. Le don octroyé par les Romains 
à leurs nouveaux sujets ne me parait donc pas si insignifiant 
qu'on le dit communément, et la joie manifestée par les Grecs 
n'était pas sans motifs. La vie politique n'eut plus et ne pouvait 
plus avoir la même intensité qu'au temps de Périclès ou de 
Démosthènes, et les intérêts n'ayant plus la même importance, le 
jeu des institutions devint, en quelque façon, moins dramatique : 
mais aucun élément de cet admirable organisme respecté par les 
Romains n'avait péri, et dans ses manifestations plus calmes il 
gardait son harmonieux caractère. On ne discutait plus sur 
l'Agora la paix ou la guerre, les lois qu'on y proposait n'avaient 
pas grande importance, et la comptabilité dont le peuple y 
prenait connaissance était réduite à la mesure de sa puissance. 
Mais enfin, chaque cité possédant son autonomie et sa vie propre, 
il y surgissait fréquemment, à propos de l'élection des magistrats 
et de l'administration de la fortune publique, des questions qui, 
après tout, ne se tranchaient que par le vote des citoyens assem- 
blés, et autour desquelles se soulevaient et grondaient les passions 
d'un peuple mobUe : comme autrefois, la foule tumultueuse 
entourait, interrompait, menaçait l'orateur qui devait faire appel 
à toutes les ressources de son art et souvent à son courage 
personnel et à son sang-fix^id pour la convaincre et pour la 
calmer*. Les relations d'Etat à Etat étaient restées les mêmes, 

1. Dion, Diseoursy XL VI. 



— 223 — 

avec l^urs formes solennelles, et si les guerres entre Grecs 
n'étaient plus possibles (ce dont plusieurs se réjouissaient ouver- 
tement, et avec raison), on s'envoyait encore des ambassades, 
on concluait des traités d'alliance ou d'amitié, on conférait à des 
étrangers le droit de cité ou la proxénie, tous motifs à discus- 
sions et k déploiements d'éloquence ^ Les habitudes communes k 
tous les Hellènes, les goûts qui, leur étant exclusivement propres, 
ont constitué par leur ensemble une sorte de nationalité pour 
cette race si peu disposée d'ailleurs à former un groupe compact, 
ces habitudes et ces goûts ne souffraient sous l'empire aucune 
atteinte. Les fêtes religieuses les plus anciennes étaient toujours 
célébrées, avec le rituel consacré, dans les temples restés debout, 
entourés d'une vénération universelle et enrichis par des dona- 
tions incessantes*. Les combats gymnastiques, si chers aux 
Grecs, s'étaient multipliés dans toutes les parties du monde où 
Alexandre avait fondé des établissements, et ils commençaient à 
se répandre dans les provinces romaines*, sans que les quatre 
grands jeux de l'âge héroïque eussent rien perdu de leur vogue 
et de leur éclat. La gloire de l'athlète vainqueur était aussi 
enviée et aussi magnifique que par le passé. Les souvenirs patrio- 
tiques qui intéressaient chaque république, ou bien la Grèce 
entière, étaient, les uns comme les autres, perpétués par des céré- 
monies de l'ancien temps, pieusement maintenues ^ Sur la mon- 
naie enfin, signe visible d'une souveraineté locale dont les 
Romains n'éprouvaient nul ombrage, chaque petit Etat repro- 
duisait avec orgueil les monuments célèbres qui le décoraient, 
les divinités qui le protégeaient, les portraits des grands hommes 
qu'il avait vus naître. Ainsi, pour un Grec, la patrie était, à 
peu de chose près, la même sous Trajan que quatre ou cinq 
siècles avant Jésu&-Christ. 

Dans de telles conditions, l'orgueil national restait entier, et 
comme si rien de nouveau ne s'était passé dans le monde depuis 
tant d'années, les Grecs continuaient à ne s'intéresser qu'à leur 
histoire et à ne s'occuper que d'eux-mêmes. Ils jetaient à peine 
les yeux sur la littérature latine, et ignoraient même ou feignaient 
d'ignorer la langue de leurs vainqueurs ^. Trouvant dans leur 

1. Bgger, Traités. publics, p. 187. ~ 2. Pausanias, passim. 

3. La répugnance de Tesprit romain pour les exercices athlétiques est 
exprimée par Sénèque (Epist., 89), Pline (H, N., XXIX, 16), Tacite (Jlnn., 
XIV, 20), JuTénai (111, 68), Silius Italicus (XIV, 136). 

4. Bgger, tôid., p. 186. 

5. Bgger, Mémoires d^BisMre ancienne, chap. x. 



— 224 — 

propre pays les satisfactions de Tintelligence et celles du cœur, 
ils ne l'abandonnaient pas volontiers ; quand ils quittaient le 
bassin de la mer Egée, ce n'était jamais sans esprit de retour. 
Ainsi nous voyons Plutarque, bien accueilli à Rome, lié avec les 
personnages les plus considérables, rentrer dans sa petite ville de 
Chéronée pour s'y marier et y passer la deuxième moitié de sa 
vie. Les Hellènes qui se fixaient en Italie étaient en général la 
partie la plus misérable et la moins estimée de chaque nation. 
Leurs compatriotes les plaignaient si cet exil était forcé, et les 
accablaient de leur mépris quand il était volontaire ^. De tout 
ceci résultait que les Grecs restaient dans leur pays, que les 
grandes familles, les gens aisés y vivaient à côté du peuple 
et se mêlaient à lui, et que dès lors la littérature demeura 
vraiment et profondément nationale, n'ayant à changer ni de 
sujets ni de formes pour être comprise et goûtée du grand public. 
Les genres secondaires alors cultivés se rattachent, en effet, à 
des types consacrés par le temps et par la gloire. Les divertissements 
laborieux de la pléiade Alexandrine avaient cessé ; on ne versifiait 
plus guère que de petites pièces, qui venaient prendre naturelle- 
ment leur place dans cette immense Anthologie dont la formation 
remonte au plus ancien âge de la littérature grecque et qui a 
marché d'un mouvement parallèle à celui de cette littérature, 
se ralentissant et se développant aux mêmes époques, et reflétant 
fidèlement les variations de la langue et du goût. C'était bien la 
forme de poésie la mieux appropriée aux esprits contemporains 
de Trajan' et d'Hadrien, raffinés, instruits et sceptiques, mais en 
même temps elle pouvait être universellement goûtée et amuser 
toutes les classes de la société grecque, mérite qui manqua 
toujours aux poèmes savants et tourmentés d'Apollonius, de 
Callimaque, de Lycophron et autres oiseaux de la volière des 
Muses ^. Dans la prose, les sophistes d'Athènes, de Laodicée et de 
Smyrne, les Hérode, les Polémon, les .Mius Aristide sont les 
héritiers directs de ces XoYo5ai8aXoi qui avaient charmé les contem- 
porains de Thucydide et dont Platon s'était moqué tout en prenant 



t. Voir le traité de Lucien Sur les gens de lettres à la solde des grands, 

2. Il y avait en Grèce, au commencement du second siècle, des con- 
cours û^épigrammes (Miller, Irucription aganisliqite de Larisse dans les 
Mém, de VAcad. des Inser., XXVil, % p. 62), et c'est précisément sous 
Trajan que Philippe de Tbessalonique paraît avoir composé son Antho- 
logie, peut-être en vue de fournir des modèles à ceux qui voudraient 
ahorder les concours de ce genre. 

3. Timon, SUl., fragm. 2. 



— 225 — 

la grâce de leur langage et quelquefois le tour subtil de leur 
esprit. Les défauts mêmes de la littérature du second siècle sont 
des défauts grecs. Ainsi les tours de force du genre épidictique, 
les paradoxes historiques ou philosophiques, si multipliés en ce 
temps, ont leurs modèles au berceau même de Tart oratoire et 
leurs règles tracées dans les plus anciens enseignements de 
l'école *. Mai», remarquons-le, en traitant ces sujets puérils, les 
sophistes dont Philostrate a écrit les biographies ne sortent jamais 
du domaine grec : c'est dans la mythologie, dans l'histoire des 
guerres médiques, dans le répertoire tragique ou comique 
d'Athènes, en un mot dans le fonds familier à tous les hommes 
de leur race qu'ils puisent leurs inspirations et leurs idées, qu'ils 
vont chercher les souvenirs et les images propres à enrichir leur 
matière et leur style. Les détails mêmes des voyages de ces 
virtuoses de la parole, le cortège de disciples enthousiastes qui 
les accompagne en tous lieux, les villes mises en rumeur par 
l'annonce de leur arrivée prochaine, l'appareil théâtral au milieu 
duquel ils déploient leur éloquence, les défis qu'ils proposent à 
tout venant, l'admiration mêlée de discussions qu'ils excitent, 
sont des traits qui ne conviennent pas mieux au siècle de Trajan 
qu'à celui de Socrate, au bel âge de la philosophie, quand le fils 
d'Apollodore venait dès l'aube éveiller son ami pour lui annoncer 
d'une voix coupée par l'émotion que Protagoras était dans 
Athènes, et le pressait avec tant de zèle et d'ingénuité d'aller, 
sans perdre un instant, demander à l'étranger des leçons de haute 
sagesse*. On le voit, le goût des choses de l'esprit a gardé, après 
un si long intervalle, toute sa vivacité, toute sa fièvre, et il court 
aux mêmes objets pour se satisfaire. Mais cette analogie entre 
les époques n'est pas le résultat d'une imitation de parti-pris ; 
c'est YeSei et le signe d'une activité littéraire paisiblement 
prolongée à travers les siècles. Et comme pour prouver que la 
force d'invention n'est pas épuisée après ce long parcours, voici 
quelques genres nouveaux qui surgissent : une dernière floraison 
nous donne le roman d'amour que Dion encadre dans un récit 
touchant et simple, puis le roman d'aventures, mêlé à une intrigue 
mouvementée et complexe dans les Babylonica de ce Jamblique 
que les conquêtes de Trajan amènent dans le monde occidental. 
Bientôt le dialogue sera créé et porté à la perfection par Lucien . 



t. Âristote, JUteior., I, 9, t. Gh. Benoît, Essai sur les premiers manuels 
d'ifwerUkm oratoire, p. 34. 
2. Début du Protagoras. 

DE LA BKRGE 45 



— 226 — 

Enfin, l'esprit de liberté qui ennoblit les productions classiques 
du génie grec, anime encore celles du temps qui nous occupe ; 
les compatriotes de ces malheureux dont Juvénal censure si 
amèrement la servilité font entendre k la cour même du prince 
des vérités hardies et des paroles généreuses S et opposent la 
majesté de la loi et l'idée de la justice au caprice de César et h 
son arbitraire si aisément acceptés des Romains. 

Tandis que la Grèce restait ainsi fidèle à elle-même, l'Occident 
avait été bouleversé. La civilisation italique et romaine avait 
disparu pour faire place à la civilisation européenne. D'autres 
besoins, d'autres sentiments étaient nés et avaient créé d'autres 
mœurs. C'était un peuple absolument nouveau qui couvrait 
l'Espagne, la Gaule, la Bretagne, l'Italie et l'Afrique, les 
Romains d'alors ne ressemblant pas plus aux contemporains de 
Scipion et du vieux Caton que les Espagnols et les Gaulois civi- 
lisés du second siècle aux soldats de Yiriathe et de Brennus. 
Pour cette nouvelle société, il fallait une nouvelle littérature, et 
ceUe-ci ne naquit point, ou du moins avorta. Ici se marque bien 
l'infériorité du génie littéraire de Rome vis-à-vis de son génie 
politique. Il s'est trouvé, pour défendre et organiser le monde 
nouveau, des Trajan et des Papinien ; il n'y eut ni un historien 
pour le raconter, ni un poète pour le chanter et le faire vivre 
dans le souvenir des hommes, et on chercherait vainement dans 
la littérature contemporaine l'expression animée ou le tableau 
fidèle d'une société dont l'érudition seule peut reconstituer péni- 
blement quelques traits. 

Au stoïcisme, pourtant, revient l'honneur d'avoir essayé la ré- 
forme littéraire qu'appelait le nouvel état du monde. A une époque 
de civilisation avancée et de fusion des peuples, en face de rindifié- 
rence qui gagnait toutes les parties du poljrthéisme, on attendait 
une littérature plus dégagée des traditions myttiologiques et 
nationales, qui manifestât, dans le choix des sujets et dans la 
manière de les traiter, des qualités d'universalité plus grandes, 
qui fît au monde historique et réel une plus large place. Sénèque 
et Lucain comprirent les besoins de leur temps et donnèrent à 
leurs écrits ce caractère d'universalité. Lucain, en écartant la 
mythologie de son poàme, en n'y faisant intervenir le merveil- 
leux que sous la forme toujours acceptable de songes, de pressen- 
timents, de superstitions populaires que le poète rapporte sans 
les partager, en substituant à la lutte des Dieux le conflit des 

1. Oion, DUeawn, l, IV. Detc., LXII. 



— 227 — 

pâmons humaities et des intérêts politiques, en analysant plus 
profondément que ses devanciers le caractère des 'personnages 
qu'il met en scène, Lucain innovait dans la voie de la raison et 
de l'avenir. Sénèque, dans ses tragédies, avec un mérite littéraire 
infiniment moindre, laisse voir des préoccupations analogues et 
se tient dans le même ordre d'idées. On ne conçoit donc pas 
comment ces deux écrivains, chargés de l'épithète de « poètes de la 
décadence », ont été rapprochés de Stace, de Silius Italiens, de 
Yalerius Flaccus, et enveloppés dans le même dédain et la même 
réprobation, comme s'ils étaient coupables des mêmes fautes. 
Leurs vues cependant diffèrent absolument de celles qui dirigeaient 
les versificateurs de la péiîode fia vienne. Ceux-ci, sous une 
inspiration réactionnaire, imitent Virgile et les classiques et se 
rei]îerment à dessein dans les limites anciennes de l'art, tandis 
que les premiers se lancent hardiment dans le nouveau et dans 
l'inconnu. La diffusion et le style tourmenté de Stace sont le 
produit de ses efforts pour couvrir sous un certain édat de 
forme la pauvreté irrémédiable du fond, mais l'enflure et la 
subtilité des contemporains de Néron trahissent les tâtonne-* 
ments inévitables des créateurs qui rompent décidément avec le 
passé. Ces derniers défauts pouvaient disparaître comme l'extra- 
vagance et le mauvais goût de Hardy et de Mairet, qui ont fait 
place k la grandeur naturelle et simple du siècle de Louis XIV. 
Mais laissons cette discussion littéraii*e et revenons aux faits. 
Quand la tentative stoïcienne eut avorté sous l'action de causes 
qui ne me paraissent pas être encore bien définies, et dont la 
recherche serait intéressante, la littérature latine prit une direc- 
tion qui devait la mener rapidement à la décadence. En renon- 
çant à se faire l'écho des mœurs, des passions et des idées 
contemporaines, les écrivains pseudo-classiques de l'époque fla- 
vienne et du règne de Trajan se plaçaient du premier coup sur 
un terrain où le grand et vrai public ne devait pas les suivre. 
Tout donne lieu de penser qu'ils se résignèrent aisément à cette 
séparation, et qu'ils envisagèrent sans déplaisir l'idée de faire des 
lettres et de leur culture le privilège de quelques esprits, dont le 
petit nombre assurerait d'autant mieux la communauté d'action 
et l'énergie réformatrice. Il s'agissait de ramener l'âge d'or des 
lettres romaines en ne prenant de sujets que dans le domaine 
exploré par les grands maîtres et en glanant après eux, en copiant 
leurs procédés et leur style et, comme on disait alors, en marchant 
avec respect et adoration sur leurs traces. On croyait ainsi les 
continuer, et cette tentative, aussi vaine dans son objet que dans 



; — 228 — 



ses moyens d'exécution, se produisait dans un temps où les écri- 
vains du siècle d'Auguste étaient eux-mêmes devenus une autre 
antiquité qui avait besoin de commentateurs et de scholiastes. Les 
travaux de ValeriusProbus,deTerentiusScaurusétaient déjà in- 
dispensables pour assurer le texte et le sens de Virgile et d'Horace, 
et Ton ne voit que trop, en lisant dans Aulu-Gelle les doutes des 
plus savants hommes sur les antiquités et sur la langue, quels 
progrès rapides faisait l'ignorance du passé. Ainsi, sous Trajan, 
les auteurs latins écrivaient, pour ainsi dire, dans une langue 
morte. Ce sont des érudits, travaillant pour d'autres érudits. Au 
reste, leur science n'était pas d'une nature bien relevée ni d'une 
acquisition fortdifficile. Quiconque avait reçu l'éducation générale 
de l'époque en était suffisamment pourvu : tout homme considé- 
rable était lettré, et tout lettré était poètes Mais qui pouvait 
s'intéresser aux œuvres plus ou moins correctes, toujours préten- 
tieuses et complètement dénuées d'inspiration, que composaient ces 
pédants? Personne, excepté les amis de l'auteur, le plus souvent 
auteurs eux-mêmes et formant tous ensemble une petite coterie. 
Chacun à tour de rôle, dans des réunions concertées longtemps à 
l'avance, formées d*un public de choix sur les bonnes dispositions 
duquel on pouvait compter, écoutait et lisait*. Grâce à cet arrange- 
ment, le plus mince écrivain était sûr d'obtenir des applaudisse- 
ments. Les complaisances de son auditoire surexcitaient sa 
vanité. Mais le talent véritable et original, soustrait au contrôle 
périlleux et salutaire du vrai public, se déshabituait de tout effort 
et se contentait d'une certaine habileté technique acquise sur les 
bancs de l'école et entretenue par un continuel exercice. Ce que 
deviennent dans de pareilles conditions les hommes de lettres et 
les lettres elles-mêmes, Sainte-Beuve l'a dit avec sa finesse 
incomparable, et son étude sur les Soirées littéraires^ , où il 
visait un autre temps et d'autres périls, se trouve être le meilleur 
tableau de la littérature latine au second siècle. Les esprits 
médiocres se complurent dans les succès faciles et les créations 
banales du dilettantisme ; les mieux doués se gâtèrent vite sous 
cette influence énervante, et le niveau général des productions 
de l'esprit baissa avec une effrayante rapidité. Au milieu des 

1. Pline, Ep,, I, 10, 1, 13. 

2. Les recitaiiones ou lectures publiques, bornées à la poésie au temps 
d'Ovide, se multiplient au ii* siècle et s'étendent à tous les genres, à 
rhistoire (Pline, Ep., lll, 10, Vlll, 12, IX, 27), aux discours prononcés dans 
le Sénat (/Md., III, 18) et même aux plaidoyers (/M., II, 19). 

3. PortraUs, I, 424435. 



— 229 — 

compliments qu'ils échangeaient, les auteurs ne laissaient pas 
que de s'apercevoir du déclin général ^ et ils en cherchaient la 
cause avec une certaine anxiété. On agitait la question des 
anciens et modernes. Pline s'en montre fort préoccupé*. Quinti- 
lien l'avait traitée en se bornant à ce qui regardait l'éloquence ^, 
et nous possédons la plus grande partie du Dialogue que Tacite a 
composé sur ce sujet ^. Plusieurs contestaient la supériorité des 
anciens, mais, à ce qu'il semble, plus pour fau*e briller les 
ressources de leur esprit en soutenant une cause visiblement 
perdue que par l'effet d'une conviction réfléchie et profonde. 
Ceux qui reconnaissaient l'infériorité des modernes en cherchaient 
l'explication dans la transformation des mœurs, le plan d'études 
imposé à la jeunesse ou le régime politique ; personne n'accusait 
les lettrés qui ne songeaient qu'à bien écrire au lieu de se mêler 
à leurs contemporains pour se faire les interprètes de leurs idées 
et de leurs passions, et donner aux œuvres d'imagination un but 
intéressant et un fond solide. 

Telle est, suivant nous, la cause décisive et profonde de la 
décadence des lettres latines, déjà visible dès le commencement 
du second siècle. Comme cette décadence apparaît au moment 
même où la chute des institutions républicaines est tout à fait 
consommée, beaucoup de critiques ont considéré le premier fait 
comme une conséquence du deuxième et imputé le déclin des 
lettres au régime du principat. C'est ce qu'on appelle juger 
l'arbre par ses finiits : il est sous-entendu que la littérature est 
un fi*uit, un produit direct du gouvernement. Les gens de lettres 
ont trop souvent avancé la même thèse et même elle est, pour le 
cas qui nous occupe, en partie soutenue par Tacite'^. Mais l'histoire 
montre assez clairement que dans tous les temps et chez toutes 
les nations, les révolutions de l'art et du goût sont indépendantes 
des révolutions politiques pour que nous ayons nul besoin de 
réfuter longuement une opinion trop facilement accréditée. 

Pendant la période Antonine, les empereurs ne firent sentir 
leur action sur les lettres que par leurs ^orts pour les protéger. 
L'intention était bonne, le résultat fut insignifiant et devait l'être 

1. Pline, Ep., VIII, 12 : Litterae jam senescentes. 

2. Pline, Ep., I, 16, 6, 21. 

3. Dans son livre intitulé : Causoê corruptae doquenUae {Inst. Orat, 
VIII. 6. 76). 

4. Dial., c. 2S. Messalla dit que Unu les arts sont en décadence comme 
Tart oratoire. 

5. A.çirtC'f 3. 



— 230 — 

à l'égard des œuvres produites ; les auteurs, du moins, en retirèrent 
quelques avantages. Loin de contribuer à leur fortune privée, la 
ràgime des cénacles leur imposait certaines dépenses. Pour 
chaque lecture publique , ils devaient emprunter une maison , 
faire arranger une salle, louer des banquettes, distribuer des 
annonces ' . Ces obligations onéreuses, dont Hadrien lesafiranchit', 
ajoutaient & la situation déplorablement précaire de ceux qui ne 
possédaient point de patrimoine, car l'usage ne permettait pas à 
récrivain de tirer profit de ses ouvrages^, et son existence dépen- 
dait absolument d'un patron dont il fallait payer en flatteries les 
cadeaux et les pensions. Aussi vit-on le protectorat littéraire, et 
l'adulation qui en est inséparable, prencbre au second siècle un 
développement prodigieux. 

Sous la République, quand un Fulvius^ un Scipion admettaient 
dans leur intimité Ennius ou Térence, la faveur de ces grands 
personnages se bornait à une sympathie affectueuse : ils ne 
subvenaient pas aux besoins de ces protégés illustres plus large- 
ment qu'à ceux de leurs autres clients. Mais alors la vie était 
simple et peu coûteuse à Rome. Naevius et Plaute se passèrent 
fort bien du patronage patricien ; le théâtre, d'ailleurs, offrait 
aux poètes une source de revenus assez élevés et, en même temps, 
un moyen toujours prêt de sauver leur indépendance. Quand 
l'art dramatique fut délaissé, les nécessités de la vie pesèrent plus 
durement sur les écrivains pauvres ; or, à ce moment même, 
Auguste voyait ^se consolider sa puissance. On sait comment il 
modifia le patronage des gens de lettres, conunent U les rapprocha 
de lui et se les attacha par des liens plus solides qu'on n'avait 
fait jusqu^lors. Le système qu'il avait ébauché se développa 
après lui. À mesure que les grandes fortunes patriciennes dispa- 
rurent, que Rome se peupla d'étrangers plus indifférents à la 
littérature latine et moins capables de la goûter, les protec- 
teurs des lettres et des lettrés devinrent plus rares. D'ailleurs ils 
se mêlèrent aussi d'écrire, et là jalousie de métier vint aigrir les 
relations entre patrons et clients ^ Les écrivains se tournèrent 
donc vers le prince et réclamèrent instamment son appui. Les 
Flaviens se rendirent k ces vœux pressants ; la dynastie qui 
donna à l'instruction publique une dotation régulière est aussi 



1. Tacite, JHalog,, 9. 

2. £n faisant construire pour eux VAthenaeum, 

3. Géraud, Essai sur les livres dans V Antiquité, 

4. Juvénal, Sat, VU. 



— 884 — 

celle qui systématisa les subTentions aux gens de lettres. Les 
encouragements donnés à la littérature étaient de deux sortes: tan- 
tôt personnels et accordés à l'auteur, par exemple l'exemption de 
certaines charges ou un don pécuniaire ; tantôt Us s'adrêssaient 
aux productions mêmes de l'esprit : c'était alors une récompense 
décernée au meilleur des ouvrages composés sur un sujet mis au 
concours. Ces concours littéraires dont on saisit déjà la trace sous 
Augustes et que Néron voulait développer, prirent sous Domitien 
une forme plus arrêtée. Â l'époque de Trajan, ils étaient dans 
leur période la plus active. L'institution éveilla plus d'ambitions 
impuissantes qu'elle ne suscita de talents réels. Certes on ne man- 
quait pas d'esprits médiocres prêts à traiter le sujet banal perpé- 
tuellement offert à leur zèle, et trouvant à leur service, au 
moment voulu, l'inspiration nécessaire à une œuvre telle que 
l'éloge du prince ou cdui de Jupiter Capitolin '. Mais il esta croire 
que l'émotion et la conviction manquaient souvent aux ouvrages 
couronnés : un poète, un orateur, dignes de ces noms, eussent-ils 
répondu à l'appel de l'empereur ou aux instructions de son 
secrétaire ? Le fait qu'un enfant de quatorze ans pouvait obtenir 
la couronne poétique dans ces joutes quinquennales' montre 
assez qu'on n'y requérait que l'habitude de l'amplification et un 
certain talent de versificateur. Toutefois aucune œuvre récompen- 
sée dans le concours capitolin n'est venue jusqu'à nous: gardons- 
nous de porter sur ces pièces perdues un jugement absolument 
défavorable, et rappelons-nous que plus d'un nom célèbre des 
lettres anglaises figure sur la liste des poètes lauréats. 

Maladroite imitation des classiques, développement des cote- 
ries littéraires, institution des concours, tels sont donc les trois 
grands faits qui dominent la littérature latine au second siècle et 
qui ont rendu plus rapide la décadence à laquelle la séparation 
des lettrés et du public la vouait infailliblement. Mais les mêmes 
faits, envisagés au point de vue de l'histoire générale, prennent 
un autre caractère et deviennent d'heureux événements pour 
l'avenir des lettres. Les cénacles ont eu pour conserver une 
puissance qui leur manquait pour créer : les défauts que nous 
avons relevés dans leurs tendances, le souci exagéré du détail, 
la préoccupation du style, la manie de l'érudition, la vénération 
superstitieuse ou puérile pour les œuvres et les procédés des 



1. Horace, An poel., 386. 

2. Quintil., m. 7, 4. 

3. Imcript Keap.y 5252. 



anciens maîtres, se trouvèrent d'excellentes qualités pour main- 
tenir en son intégrité le trésor des lettres latines ; le pédanUsme 
de ces petites sociétés a sauvé les ouvrages écrits en de meilleurs 
temps, en a perpétué l'admiration et l'étude, en a assuré la 
transmission à la postérité au milieu des invasions du quatrième 
et du cinquième siècle. Les amis de Pline forment le premier 
noyau d'une aristocratie que Ton retrouve autour de Symmaque 
et d'Âusone, aristocratie un peu dédaigneuse, à vues étroites, 
mais ayant voué un respect inaltérable au passé lorsque tout 
changeait et chancelait autour d'elle, et donnant ainsi un utile 
exemple moral en même temps qu'elle rendait à la civilisation 
de vrais et mémorables services. La protection des empereiu^ 
fut également profitable et même nécessaire à la cause des lettres. 
Assurément le pouvoir était incapable de faire éclore le génie ou 
de susciter de grandes œuvres d'art : alors, conmie en d*autres 
temps, il n'a guère inspiré que des vers médiocres et de fades 
panégyriques. Mais après que la littérature eût été classée parmi 
les afihires d'Etat, elle devint inséparable de l'idée qu'on s'était 
formée d'un grand établissement politique. Même dans les temps de 
misère générale et d'ignorance publique, nulle puissance, privée 
de l'ornement des lettres, n'eût été pleinement acceptée des 
peuples : on eût jugé que quelque chose manquait k sa constitu- 
tion définitive et à sa complète consécration. C'est pour obéir à 
ce vœu de l'opinion, mal défini mais réel, que les rois goths de 
Toulouse et de Ravenne eurent des poètes attachés à leurs per^ 
sonnes, et Sighebert, en commandant un épithalame à Fortunat, 
se piquait de reproduire le cérémonial usité à la cour des empe- 
reurs de l'Occident. Ce n'est pas le lieu de poursuivre dans 
l'histoire cette destinée singulière de la littérature, encore pro- 
tégée quand personne n'en sentait plus l'utilité ni le charme, et 
prolongeant son existence parla seule vertu delà tradition romaine 
et du caractère administratif qu'elle avait pris sous les Césars. 
Qu'importe la médiocrité des œuvres écloses à la cour, aux 
frais de princes ignorants, dirigés par une bienveillance aveugle 
ou une vanité prétentieuse? Au milieu de l'abandon universel des 
arts et des sciences, les lettres, ne périrent pas : on continua 
d'écrire quand on avait cessé de sculpter et de peindre. Voilà 
ce qui était utile et nécessaire, pour que, jusqu'à des temps meil- 
leurs, les droits de l'intelligence fussent maintenus au sein de 
systèmes établis par la conquête et la violence et que, même 
vide ou mal remplie, leur place y demeurât marquée. 
Nous ne devons pas perdre de vue ce côté de la question, au 



— 283 — 

moment d'aborder l'étude individuelle des auteurs, où nous aurons 
à faire à la critique une large part. 

C'est dans la poésie dramatique de ce temps que se marque le 
mieux la séparation des lettrés et du grand public. On y dis- 
tingue deux genres bien tranchés : les pièces réellementdestinées 
k la scène, et celles qui n'étaient faites que pour la lecture. La tra- 
gédie scénique était réduite tantôt à un monologue lyrique écrit 
en langue grecque, chanté par un personnage qui ne rappelait 
plus que par son costume les habitudes de l'ancien théâtre, tantôt 
à un ballet ou pantomime où les poses et les gestes d'un seul 
acteur devaient rendre visibles et lEaire suivre les péripéties d'un 
épisode emprunté le plus souvent à la mythologie grecque*. La 
musique faisait le plus grand intérêt de la tragédie chantée. 
Quant à la pantomime, le témoignage des auteurs, particulière- 
ment de Suétone et de Macrobe, et plusieurs anecdotes qu'ils nous 
ont rapportées, montrent jusqu'à quel degré de finesse et de pré- 
cision Bathylle et Pylade, puis leurs successeurs, avaient poussé 
ce genre d'interprétation, quels efibrts continuels exigeait leur 
art, quelle science même était nécessaire à ceux qui l'exerçaient 
pour exprimer, sans le secours de la parole, des idées de tout 
ordre et de toute nature. Sous aucune de ces deux formes la tra- 
gédie ne produisait l'émotion dramatique; mais depuis longtemps 
le public était devenu indifierent à cette émotion^. Les deux 
formes de pantomime que Pylade et Bathylle avaient spécialement 
cultivées et développées en deux branches distinctes étaient encore 
en honneur sous Trajan, puisque Plutarque les mentionne et les 
apprécie l'une et l'autre'. Mais la pantomime comique disparut 
bientôt, car Lucien ne parle que de la pantomine tragique. Les 
Romains aimaient passionnément la saitatio qui, comme les 
combats de gladiateurs, avait en Etrurie sa lointaine origine, 
et qui prit sous Auguste un caractère nouveau, et un dévelop- 
pement qui ne devait plus s'arrêter jusqu'à la chute de l'empire. 
Les mauvaises mœurs des histrions et les désordres de tout genre 
qu'ils provoquaient éveillaient de temps à autre la sévérité du 
pouvoir, mais l'expulsion de ces favoris du public n'était jamais 
bien longue. Domitien les ayant renvoyés, Nerva les rappela, un 
peu par politique d'opposition ^. Trajan, qui les avait chassés au 

1. Boissier. Sur la significaUondes mots SALTARE et GANTARE iragaedkm 
Rev. Arch. Nouvelle série, IW, 333-344. 

2. Migravit ab aure voluptas. (Horace.) 

3. Quaest, Conviv,, VII, 8, 3. 

4. Paneg, 46. 



— 234 — 

oommencement de son règne S ne tarda pas à les Caire revenir, 
car il partageait à leur égard le goût général et très-vif des 
Romains *. 

Les pièces de Sénèque nous donnent une idée des tragédies de 
cabinet, qui furent composées sous Trajan. Ce n'était, comme on 
le sait, qu'un étalage de sentiments dédamatoires et d'invectives 
politiques. Après Sénèque, on ne sait guère des auteurs tragiques 
que leurs noms, sauf pour Curiatius Maternus dont plusieurs tra- 
gédies nous sont, grâce à Tacite, connues au moins par leurs 
titres; dans Médée, dans Thyeste^ et aussi dans quelques sujets 
romains : Domitius, Coton, Néron il fit tenir à ses personnages 
un langage hardi qu'il paya de sa tête ». Après lui on trouve 
cités dans Martial un Canius Bufus, un Yarron, un Scaeva 
Memor, frère de Turnus le Satirique ^, auxquels l'histoire litté- 
raire ne donne pas de successeurs. Quand on songe k ce qu'était 
cette tragédie, on conçoit que la satisfaction générale qui régna 
pendant la période Antonine ait mis fin k cette forme d'opposition 
politique et enlevé toute raison d'être à ces pamphlets versifiés. 

La comédie ofire également deux groupes de pièces composées 
lés unes en vue de la scène, les autres pour la lecture. A la scène 
règne presqu'exclusivement et régnera jusqu'à la fin de l'empire 
la mime qui conserve son caractère agressif et oSre toujours aux 
Romains un vif attrait par son mélange de grossièreté et d'él^ 
ganoe. Latinus, Panniculus et Thymele étaient alors les meilleurs 
interprètes de ce genre dramatique^. Un passage de la vie de 
Domitien, dans Suétone*, donne lieu de croire que les atel- 
lanes étaient encore représentées à la fin du r** siècle. Pour 
les lettrés, Yirginius Romanus continuait à écrire des comé- 
dies imitées de Ménandre ^ et des autres auteurs de la nou- 
velle comédie athénienne, des palliatœ, qui ne pouvaient plus 
être, comme on l'a très-bien senti, que d'ingénieuses et élégantes 
redites ® ; toutefois cet exercice littéraire se prolongea jusqu'au 
siècle suivant comme en témoigne l'inscription tumulaire de 
Pomponius Bassulus, lequel mit fin à ses jours sous le règne 



1. Ibid. 

2. Dion. LXVIII, 10. Gruter 331, 6. 

3. Dion. LXVII, 12. 

4. Martial, III, 20, V, 20, XI, 9. 

5. Juvénal, 1, 35, VI, 44, 66, VIII, 197, Martial, I, 5, II, 72, 111, 86. 

6. Suét., DtmU, 10. 

7. Plin. i?p., VI. 21. 

8. Patin. Etudes sur la poésie latine, II, 302. 



— 285 — 

d'EIagabale'. Virginius, dans sa lutte contre les modèles grecs, 
prit aussi pour modèle Aristophane, c'est-à-dire que dans les 
compositions qu'il lisait à un petit cercle d'intimes, il eut l'audace 
de nommer des personnages viTants. On peut affirmer que la 
satire, tempérée d'éloges, que Pline entendit avec tant de plaisir, 
ne toudiait pas à la politique et ne rappelait que de très-loin les 
libertés du théâtre athénien. 

Le temps n'a pas épargné les (Buyres lyriques composées par les 
successeurs d'Horace. Quintilien en a fait un bel éloge', mais il a 
dit aussi que les lettres romaines avaient beaucoup perdu à la 
mort de Valerius Flaccus *, et un tel jugement, sur un tel poète, 
décèle une bienveillance qui s'étendait probablement k tous les 
contemporains et qui est bien propre à modérer les regrets que 
pourrait exciter la perte de leurs ouvrages. D'ailleurs, deux Silves 
de Stace^ nous donnent une idée sans doute assez exacte des 
compositions disparues de Saturninus, de Spurina, d'Âugurinus, 
de Paulus, de Serenus, de Stella ^. Ces silves ressemblent plutôt à 
des exercices de versification sur les mètres alcaïque et sapphique 
qu'à des œuvres réellement inspirées par des sentiments dont ces 
formes eussent été l'expression naturelle et nécessaire. Le Pervi" 
giltum Veneris, ce petit poème composé dans le même temps et 
dont P. Ânnaeus Florus est vraisemblablement Tauteur, ofire 
une profusion de couleurs qui éblouit à la première lecture et qui 
passait sans doute au n® siècle pour le produit d'une imagination 
riche et puissante ; nous n'y voyons aujourd'hui qu'une œuvre 
froide et laborieusement composée. h&sSilveSy qu'on peut ranger 
dans la classe des œuvres lyriques, puisque plusieurs offrent une 
évidente imitation d'Horace, fatiguent et ennuient par l'abus de 
la mythologie et l'emploi, naïvement étalé, de toutes les 
ressources éprouvées et connues de l'industrie poétique. Ici 
encore rien d'inspiré ni de vivant : tout sent l'artifice et la ma- 
nière. Seuls les hendécasyUabes de l'époque montrent une verve 
facile, et ont pu distraire et intéresser des lecteurs de toutes les 
classes; comme Sidoine Apollinaire range sur la même ligne les 
petits vers de Martial, ceux de Serenus et ceux de Stella •, on peut 
admettre que ces trois poètes avaient un mérite à peu près é^al, 

1. Irueript. Neap, 1137. 

2. Inst, Or. X, I, 94. 

3. Ibid., 90. 

4. SUv. IV, 5; IV, 7. 

5. Plin. Ep. I, 16; III, 1 ; IV, 27; IX, 22. 

6. Cami. IX. 



— 236 — 

ou du moins que les anciens les tenaient tous les trois en même 
estime. 

Nous arrivons aux poèmes épiques dont les deux espèces S 
épopées mythologiques, épopées historiques, sont largement repré- 
sentées dans la période qui nous occupe. Ces froides imitations 
d'une poésie plus solide et plus brillante ne sont guère lues et 
citées aujourd'hui que comme des témoignages de décadence. 
Pourtant les mythologues, en les compulsant, peuvent y puiser 
la connaissance de quelques traits des fables grecques dont les 
récits plus anciens ont péri ; par exemple on ne trouve que dans 
VAckilléide les traditions relatives à Tenfance du fils de Pelée et 
à son séjour au milieu des filles de Lycomède. Une des meilleures 
preuves qu'on puisse apporter du goût déplorable de l'époque est 
ce fait, que le plus mauvais poème de Stace est aussi celui qu'il 
avait le plus assidûment travaillé et que ses contemporains pri- 
sèrent davantage. Les Silves qu'il a publiées sans rien changer 
à son improvisation, YAchilléide, ébauche inachevée et inter- 
rompue par la mort, valent mieux que la Thébaïde. Il n'avait 
pas fallu moins de douze années pour élaborer ce plan médiocre, 
accumuler et combiner ces images et ces épithètes sonores, 
recoudre ces lambeaux du répertoire épique. Dans la masse 
considérable d'hexamètres que nous ont laisâès YaleriusFlaccus, 
Stace et Silius Italiens, on ne rencontre jamais ni l'intervention 
personnelle du poète, avec ses illusions, ses chagrins ou ses sou- 
venirs, ni une description touchante de la nature, ni une peinture 
des détails familiers de la vie, ni un trait propre à l'époque et au 
pays de l'auteur. L'histoire générale n'a rien à y recueillir. Au 
même moment, lorsqu'il s'agit de célébrer des domestica 
factay des guerres qui avaient ému les contemporains, et des 
victoires qui rappelaient les beaux siècles de Rome, c'est à 
l'idiome grec qu'a recours un Caninius Rufus*, donnant par 
là, et à son insu, une preuve bien manifeste de la déchéance des 
lettres latines.' 

La seule poésie puissante encore au n* siècle parce qu'elle 
a sa raison d'être et son intérêt dans tous les temps, la seule 
aussi où l'on trouve les traces d'une inspiration libre et person- 
nelle, appartient au genre que les Romains revendiquaient comme 
national et auquel, en effet, ils avaient toujours apporté une 
aptitude bien marquée depuis les antiques dialogues fescennins. 



1. Patin. Etudes sur la poésie laUne, I, p. 178. 

2. Plin. Ep., VIII, 4. 



— 237 — 

premiers essais de leur littérature, jusqu'au règne de Néron. Il 
s*agit de la poésie satirique, traitée sous Trajan, par Turnus et 
Juvénal, dans la forme trois fois consacrée par le génie deLucile, 
d'Horace, de Perse. Ce qu'avait écrit Turnus est perdu. Quant à 
Juvénal, on s'aperçoit trop, en le lisant, qu'il s'était assis sur les 
bancs des écoles de déclamation et que lui-même déclama la moi- 
tié de sa vie. L'exagération de ses doléances et son indignation à 
fit)id nous rebutent firéquemment. Les divisions si nettement accu- 
sées de chacune des Satires décèlent une composition laborieuse 
et montrent la trace de procédés appris : nous sommes loin de cet 
enjouement avec lequel Horace, planant au-dessus du sujet qu'il 
traite, quitte et reprend sa thèse, et touche mille objets dans son 
vol capricieux et toujours sûr. Juvénal s'enferme rigoureusement 
dans son sujet et l'expose d'après un plan très-arrêté : chaque idée 
est développée jusqu'à ce qu'elle soit épuisée, chaque type est des- 
siné jusqu'à l'achèvement complet; rien n'est laissé à la sagacité 
ni à l'imagination du lecteur. Bref, un des esprits les plus origi- 
naux et les plus vigoureux du siècle ne pouvait ou n'osait se déga- 
ger des préceptes de la rhétorique. Mais, par une heureuse com- 
pensation, ces mêmes divisionspermettentde suivre sans efforts la 
pensée de l'auteur; chacun des morceaux est composé avec art, 
et bien qu'on puisse reprocher à Juvénal plus d'une longueur, il 
faut reconnaître qu'il tombe rarement dans la banalité ou le lieu 
commun. Il exprime les idées morales avec une précision incom- 
parable et une rare énergie. La langue, correcte et pleine, est 
digne des meilleurs temps. Enân on a affaire à un vrai poète qui 
anime tout ce qu'il touche et dessine chaque passion, basse ou 
noble, chaque sentiment, profond ou fugitif, en traits qui se gravent 
d'une manière ineffaçable dans le souvenir. Ses vues générales 
sont ordinairement empruntées au stoïcisme, et le vers prend 
alors une tournure fiière et puissante conune la doctrine dont le 
poète s'inspire. En appréciant, avec une amertume voisine de 
l'injustice, le changement moral qui s'opérait au sein du paga- 
nisme, il a bien reconnu et montré les symptômes de ce change- 
ment : invasion des cultes étrangers, déchéance du patriciat, rôle 
plus considérable pris parles femmes, déplacement de la richesse, 
en un mot la disparition du monde latin et italique. Tacite n'a 
pas £ait ressortir ce grand fait avec la même netteté et ne l'a 
peut-être pas aussi bien senti que Juvénal, car à côté de Rome il ne 
voit que les Barbares et ne paraît pas soupçonner ce qui reste de 
vivace dans la Grèce et dans l'Orient; c'est justement là ce 
qui frappe et importune le poète satirique. On a dit que Juvé- 



— «88 — 

ual arait contribué, par quelques détails obscènes de ses pein- 
tures et de son langage, à propager la corruption dont il se 
plaint. Mais il ne donne ces détails que pour être complètement 
vrai et produire chez le lecteur une impression forte ; il ne se 
propose évidemment aucun but excitant ou voluptueux. Echo 
fidèle de ce temps où il vit et dont il médit, il en découvre, à son 
insu, quelques beaux côtés : il se laisse aller, par moments, à la 
pitié et à la tendresse qui gagnaient ses contemporains et il trouve 
alors, en touchant les fibres les plus secrètes du cœur, des accents 
digues de Sophocle et de Térence. N'eût-on conservé de son osuvre 
que le vers où il dit que le don des larmes est ce qu'il y a de 
meilleur en Thomme S il ferait honneur à son siècle et à son 
pays. 

En quittant Juvénal pour Martial, on descend dans la littéra- 
ture de deuxième ordre, et pourtant Martial fut l'interprète le 
plus fidèle et le peintre le plus exact de la société polie sousDomi- 
tien et sous Trajan. La Rome des Césars semblait vraiment faite 
pour le tempérament et les mœurs de ce poète, pour sa curiosité 
malicieuse, ses penchants communicatifs et moqueurs ; là seule- 
ment son talent pouvait naître et grandir, et se faire pleinement 
goûter. Favorablement accueillies dès leur apparition, les Epv- 
grammes ne paraissent avoir procuré à leur auteur ni la richesse 
ni même l'aisance, mais elles lui donnèrent, dès son vivant, une 
gloire que l'envie, disait-il, ne cesse ordinairement de contester 
aux poètes qu'après leur mort*. Tant qu'il vécut à Rome, Mar- 
tial put entendre et savourer les éloges décernés à son talent et 
assister à l'insuccès de ses imitateurs. Dans un moment de fatigue 
et d'humeur il quitta la grande ville où l'intérêt de sa réputation, 
autant que la reconnaissance, aurait dû le retenir; grâce à la 
générosité de PUne, il put regagner Bilbilis sa patrie ; au bout 
de quelques années, il y mourut de nostalgie et d'inaction '. La 
faiblesse des pièces qu'il y composa, et qu'il envoya dans la capi- 
tale pour ne pas s'y laisser oublier, montre à. quel point la vie 
romaine soutenait son inspiration et combien elle lui était néces- 
saire pour exciter sa verve, et renouveler ses sujets. En effet, 
Martial ne tire presque rien de lui-même, ni d'une étude profonde 
de l'homme ; il ne peint que ce qu'il voit et n'aspire qu'à rendre la 
réalité sensible, mais il la reproduit avec un dessin si net et un 



1. SaU XV, 133. 

2. Epigr., I. 1. 

3. Vers ran 101. Cf. la préface du XII* livre. 



— 239 — 

relief si puissant qae ses petits tableaux intéresseront dans tous les 
temps par le mérite du style et par les applications particulières 
qu'ils suggèrent ^ 

Il fut le créateur d*un genre nouveau de poésie, car c'est vrai- 
ment créer qu'agrandir et régulariser, comme il le fit, le cadre 
ancien des petites pièces latines plus ou moins analogues à son 
épigramme. Il nomme avec respect ses prédécesseurs : Catulle, 
Pédon, Marsus et Gaetulicus ; mais, ainsi que Ta remarqué 
Lessing', Martial est le premier qui se soit fait de l'épigramme 
une idée bien nette et bien circonscrite, qui l'ait considérée 
comme un genre littéraire particulier, méritant qu'un écrivain 
s'y adonnât exclusivement. Il est donc le premier en date des 
épigrammatistes, et grâce à cette priorité, il put travailler 
librement sans que rien vînt contrarier son génie ou limiter son 
caprice dans ces productions dont la forme n'était réglée ni par 
la tradition ni par les théories littéraires. La matière des J?jt>t- 
grammes est toujours prise dans la vie quotidienne et réelle. 
L'heureuse précision du détail, attrait principal de ces poésies, 
en rend parfois l'intelligence assez dif&cile, mais leur donne 
une grande valeur comme documents historiques. Tout ce que dit 
Martial de la topographie de Rome, des costumes, des repas, de 
mille petits faits de la vie privée, oflfre à l'archéologie des élé- 
ments précieux d'étude ou des problèmes bien définis à résoudre. 
En outre on trouve ici, comme dans l'œuvre d'Horace, les éléments 
épars d'une biographie du poète assez complète^. Martial 
éprouvait un mépris profond pour ces ennuyeux poèmes mytho- 
logiques dont les bons esprits étaient déjà las sous Auguste et 
que des écrivains impuissants ou maladroits offraient sans relâche 
à un public indifférent^. U dédaignait aussi les nugae difficiles^ ^ 
tours de force littéraires très-goûtés alors, et auxquels ses 



1. Menagiana, L 332, éd. 1662 : Il n'y a point de poète latin où il y ait 
plus de choses qui puissent tomber dans la conversation que dans 
Martial. On y trouve tout. Là dessus, une personne me demanda un 
jour si J'y trouverais le manteau de M. de Varillas, de qui on venait de 
parler. Je répondis sur-le-champ, et sans hésiter : 

Dimidiasque nates gallica palla tegit [1. 92] 

2. Ed. Gœdecke, IX, p. 47. 

3. V. dans rBncyclopédie de Pauly l'article Mariialis par M. Walz. 

4. IV, 49: Illa tamen laudant omnes, mirantur, adorant. 

Gonfiteor : laudant illa, seîd ista legunt 

5. Il, 86: Turpe est difficiles habere nugas 

Bt stultus labor est ineptiarum. 



— 240 — 

confrères de la schola poetarum^ consacraient leurs veilles 
laborieuses. Désireux de se rendre intelligible au savant conune à 
Tignorant', il fuyait avec un soin extrême le pèdantisme et tout 
ce qui peut lui ressembler. Lessing a remarqué qu'il n'est pas de 
poète latin des œuvres duquel on puisse extraii*e un aussi petit 
nombre de maximes générales. Mais les faits particuliers y 
abondent, aussi bien que les peintures de mœurs et de caractères. 
Toute la société du temps vit et s'agite dans ces petits poèmes 
courts et bien tournés, toutes les conditions y figurent, toutes les 
passions s'y expriment. Bref cette poésie, peu idéale, est tou- 
jours humaine^. Les sentiments les plus délicats^ s'y font jour 
à côté des manifestations les plus grossières; parfois même 
une note mélancolique résonne au milieu des propos joyeux ou 
libres, et entre deux plaisanteries on rencontre une inscription 
composée pour être gravée sxu* un tombeau. La variété des 
mètres est heureusement appropriée aux sujets, et la langue 
familière et simple de Martial leur convient aussi beaucoup 
mieux que le ton magnifique et tendu de Juvénal, prenant sa 
grande voix pour attaquer des gens et des choses qui ne méri- 
taient qu'un bon mot. 

Cette recherche du vrai dans les sujets et dans le style, cet 
abandon calculé des thèmes habituels et des formes savantes 
révèlent chez Martial des vues bien difiérentes de celles qui diri- 
geaient les écrivains contemporains, et sont les traits caracté- 
ristiques de son originalité. Le contraste frappant qu'ofliraient les 
épigrammes avec les poèmes du même temps ne contribua pas 
moins à leur succès que les observations piquantes et les mots 
heureux dont elles fourmillent. Elles remplacèrent l'ancien 
théâtre comique, les togatae, les trabeatae, les tabe7mariae ^, 



t. Local particulier où se réunissaient les poètes de Rome, Epigr. TU, 
20; IV, 6t. Ils avaient formé une espèce d'académie qui remontait 
peut-être à Tépoque républicaine. Valére Maxime parle déjà d'un eoUegium 
pœiarum, III, 7, 2. 

2. X, 21 : mea carmina, Sexte, 

Grammaticis placeant, et sine grammaticis. 

3. X, 4 : Hoc lege quod possit dicere vita : c Meum est t. 

Non hic Centaures, non Gorgonas Harpyiasque 
Invenies : hominem pagina nostra sapit. 

4. IV, 13; VI, 11 et surtout II, 55 : 

Vis te, Sezte, coli : volebam amare. 
Parendum est tibi; quod jubés, coleris : 
Sed si te colo, Sezte, non amabo. 

5. Patin. Etude» sur la poésie UUine, II, p. 303. 



peintures de toutes les classes du peuple romain , qu'on applau- 
dissait cent ans plus tôt. Ayant de (quitter Rome, le proconsul 
que ses devoirs appelaient pour trois ans au fond d'une province, 
l'officier qui allait s'enfermer dans un camp sur les bords du 
Danube ou dans les montagnes de l'Ecosse S ne manquaient pas 
d'emporter le petit volume, et au loin, quand ils le rouvraient, la 
ville, à regret quittée, apparaissait à leur imagination et se dessi- 
nait à leur souvenir, animée et vivante, avec ses aspects pitto- 
resques, ses palais, ses temples, ses rues immenses, sa population 
cosmopolite et affairée et tout le pêle-mêle de ses habitudes jour- 
nalières et de ses bruyants plaisirs. A Rome, aussi bien que dans 
les grandes cités qui se modelaient sur la capitale, Martial était 
dans toutes les mains ^. Un succès aussi éclatant et aussi rapide 
ne s'expliquerait pas si le génie de l'auteur et l'esprit général de 
son œuvre n'eussent répondu, dans une certaine mesure, au goût 
de ses contemporains, ou du moins au goût de cette partie du 
public qui lit beaucoup et qui détermine le ton habituel et les 
tendances de la littérature courante ^. En demandant à la lecture 
préférée de la société d'alors quelques révélations sur son caractère 
et sa vie intime, on ne sort donc pas des limites d'une induction 
permise. Mais si nous apportions dans cet examen la sévérité et 
la délicatesse modernes, il faudrait reconnaître que la société du 
n* siècle, envisagée par ce côté, mérite un jugement rigoureux, et 
peu compatible avec celui que nous avons émis plus haut en nous 
appuyant sur un autre ordre de faits. Quatre ou cinq défauts 
énormes nous firoissent péniblement dans son livre favori et ont 
empêché qu'il ne prît place au nombre de ceux qu'on relit sans 
cesse. L'obscénité des sujets et du langage * y dépasse tout ce 
qu'a osé la littérature antique, pourtant si peu scrupuleuse à cet 
égard, et décèle des mœurs restées étrangement grossières au 
milieu des élégances d'une civilisation très-avancée. Par des 
affinités que le moraliste explique aisément cette grossièreté 
touche à la cruauté, et Martial ne prend pas la peine de se 
cacher à cet égard; la compassion qu'a ressentie Juvénal, 
et qui lui a dicté des vers si touchants sur le sort des pauvres 
et celui des esclaves, semble étrangère à l'auteur des Epi- 



1. Martial, XI, 3. 

2. Martial, VI, 61 ; VII, 88. 

3. Martial, XII, praef. : Si quid est enim quod in meis libellis pLaceat, 
dictavit auditor. 

4. II, 31 ; III, 81. 

DE LA BERGE 46 



— 242 — 

fframmes : les supplices lents et raffinés, qae subissent les 
criminels condamna à jouer dans ramphithéâtre des r61es mytho- 
logiques ou historiques entraînant la mort, ne lui inspirent que 
des propos agréables et des traits d'esprit ^ La bassesse et l'indé- 
cence des flatteries qu'il adresse à l'empereur', et les adulations 
dont il accable ses patrons, ne sont pas moins choquantes que les 
violentes invectives qu'il lance à ses adversaires '. Que dire enfin 
de ses perpétuelles et impudentes demandes d'argent^, de sa 
mauvaise humeur quand il ne reçoit pas ce qu'il espérait, des 
menaces qu'il £ait entendre àses amis lorsqu'ils ne s'exécutent pas 
assez vite <^? Certes la littérature française n'a pas toujours reculé 
devant les sujets scabreux, et nos grands poètes se sont montrés 
assidus courtisans et intrépides solliciteurs, mais chez eux, au 
moins, le tour ingénieux de la pensée, la finesse et la grâce du lan- 
gage déguisent ce qu'il y a de répréhensible ou de blâmable au 
fond, et forcent presqueà pardonner ces attaques aux bienséances 
et à la dignité humaine. Si Martial n'a pas soulevé chez ses con- 
temporains de répugnances pareilles à celles qu'il nous fait éprou- 
ver, on en doit conclure que les défauts dont son livre témoigne 
étaient fort communs dans la société au milieu de laquelle ila vécu. 
Cependant il ne faut pas oublier que chez les anciens, à Athènes 
comme à Rome, la littérature fut habituellement plus immodeste 
que les mœurs ; pour ne pas sortir du temps dont nous nous occu- 
pons et delà société quefréquentait Martial, nous savons que Pline 
(lui-même nous l'apprend) composait par passe-temps des vers 
assez licencieux sans se compromettre aux yeux de ses amis ni 
aux siens propres ^ : on se référait à la distinction queCatulleavait 
nettement posée entre le caractère de l'auteur et les allures de 
l'écrivain^, et l'honneur était sauf^. Extrêmement éloignés de 
notre politesse, les anciens ignoraient d'aiUeurs les ménagements 
à garder vis-à-vis d'un adversaire quand on prend le public pour 



t. Spect. 7, 21; VIII, 30; X, 25. Sur ces représentations sanglantes, voir 
fienan, Antéchrist, p. 168. 

2. I, 78; VU, 5 ; VIII, 54 ; IX, 64, etc. 

3. 1, 37 et 83 ; II, 37 et 87; III, 17, 28, 78, 89 ; IV, 4, 87; IX, 29; XU, 61. 
4.11,30; VI, 30; VIII, 71. 

5. IX, 88. 

6. IV, 15. 

7. Nam castum esse decet pium poetam 

Ipsum, versiculos nihii necesse est. (Gatull. XVI.) 

8. G^est ce que Martial appelle latine loqtU (I pr,) et il met tranquille- 
ment ses obscénités sur le compte de la romana simplieitas (XI, 20). 



— 243 — 

juge d'un désaccord : en ce cas, ils s'exjn'imaient ayec une sincé- 
rité et une passion qui nous révoltent, mais qui ne produisaient 
pas alors un aussi grand effet. Martial fut même yanté pour la 
douceur de son commerce : c'était, dit Pline, un homme de talent 
fin et passionné, qui écrivait d'un style piquant et amer, mais 
sans méchancetés Ainsi la violence de son langage n'implique 
nullement les habitudes grossières qu'elle caractériserait au- 
jourd'hui. Quant aux formes adulatrices qui nous blessent, 
elles ne dépassent guère, il faut aussi le reconnaître, celles que 
le style officiel de ce temps-là avait rendues obligatoires et 
banales, et qu'on rencontre en maint passage du Panégyrique 
et de la correspondance de Pline. En somme^ Martial n'est pas 
une exception parmi les hommes de son époque, ni ceux-ci ne 
sont une exception dans la société antique. Le livre où nous les 
voyons peints sous le jour le moins favorable est un témoignage 
précieux, auquel son mérite littéraire assigne un place très en vue 
parmi les documents contemporains ; mais l'histoire ne doit pas 
le consulter à l'exclusion de tous les autres témoignages, et 
l'équité exige d'ailleurs qu'on se place, pour le juger, au point 
de vue où se plaçaient les Anciens. 

L'époque dont nous nous occupons est pour la philosophie une 
période d'amoindrissement et de langueur. Chaque école avait 
épuisé son principe et cessé de chercher la vérité ou de combattre 
méthodiquement les écoles rivales : celle d' Aenésidème demeurait 
seule active au milieu des ruines amoncelées de toutes les autres. 
Le célèbre sceptique était mort dans le courant du i^^ siècle, 
et ses disciples perfectionnaient les objections qu'il avait imagi- 
nées contre le dogmatisme, objections que Sextus Empiricus 
devait systématiser cent ans plus tard et que Lucien a revêtues 
de formes si mordantes et si ingénieuses. Toutefois le discrédit 
jeté par le scepticisme sur tous les essais spéculatifs provoquait, 
par une réaction naturelle, un courant de mysticisme déjà sensible. 
Les parties les plus téméraires de la philosophie de Platon étaient 
en faveuv, et la vogue était surtout au Pythagorisme. Les progrès 
des sciences mathématiques et de l'astronomie, le goût chaque 
jour plus répandu de la musique ramenaient à cette école de 
nombreux disciples ; le régime bizarre qu'elle leur imposait, le 
mystère et les formes symboliques dont eue enveloppait son ensei- 
gnement, exerçaient une séduction facile à concevoir sur les 
esprits curieux et inquiets de la génération contemporaine de 

t. Plin. m, 21. 



— 244 — 

Trajan. On comprend quelle influence exerça dans cet état parti- 
culier des âmes Apollonius de Tyane dont la vie, à peine éteinte, 
prit immédiatement une couleur légendaire ^ 

Si Ton voulait rattacher Plutarque à une école déterminée, il 
faudrait le ranger au nombre des platoniciens; maison ne saurait^ 
en vérité, voir de la philosophie dans ce déploiement d'une érudi- 
tion abondante et diffuse, où les contradictions fourmillent, où 
aucune doctrine ne domine les faits. Le recueil des Œuvres 
Morales du philosophe de Chéronée, précieux par les milliers de 
renseignements, de traditions, de citations qu'il fournit, offire, 
dans son désordre même et dans son incohérence, une représenta- 
tion fidèle de la crise que traversait la philosophie et laisse 
deviner à quel résultat cette crise devait aboutir : la curiosité 
universelle et mal réglée de Tauteur, l'interprétation allégorique 
des mythes, l'addition au fond grec de notions égyptiennes et 
orientales, les détails fabuleux mêlés à Thistoire des anciens phi- 
losophes, nous montrent dans quel sens seront dirigés les efforts 
des fondateurs de l'éclectisme, sur quel terrain sera semée la 
nouvelle doctrine et quelle physionomie elle revêtira. 

Mais au moment où nous sommes, l'étude des grandes questions 
était abandonnée. L'école du Portique, la mieux goûtée à Rome et 
dans les grands centres, repoussait de plus en plus cette étude 
pour borner la philosophie à l'amour et à la pratique de la vertu, 
et réduire le rôle des philosophes à celui de prédicateurs popu- 
laires de morale'. S'adressant à des hommes qu'avaient lassés les 
argumentations subtiles des philosophes spéculatifs, ainsi ^e 
leurs disputes stériles et scandaleuses, les stoïciens proclamaient, 
avec trop de zèle peu^-être, l'inutilité des discussions approfondies 
et des lectures étendues. Ëpictète dissuade ses auditeurs de passer 
trop de temps et de donner trop d'attention à la méditation et à 
rintelligence des œuvres de Chrysippe. Dion ^ déclare que c'est 
la raison naturelle, et non le savoir, qui constitue le philosophe. 
Euphrate, au grand étonnement et presqu'au déplaisir de ceux 
qui l'écoutent et aimeraient à trouver dans la philo^phie un 
prétexte à de nobles et studieux loisirs, enseigne que la plus belle 
partie de la vertu est de travailler à l'intérêt public, et de réaliser 
dans toutes lesbranches de l'activité humaine ce que l'on croit juste 



1. Damis, disciple d'Apollonius, dut composer sous Trajan la biogra- 
phie de son maître, qui servit de canevas à Philostrate. 

2. Martha. MoralisUs sous F empire romain. 

3. Disc, LXXI. 



— 245 — 

et vrai *. Plusieurs de ces sages refusaient de publier leur doctrine, 
et nous ne connaissons leur enseignement que grâce au zèle de 
leurs disciples. Encore les traitas dogmatiques avaient-ils fait 
place aux 'AxojjiviQpLoveùfjLaTa '. Le goût de la prédication populaire 
devint si vif que Plutarque composa un traité pour rappeler aux 
philosophes que les princes et les grands ne méritaient pas, après 
tout, d'être absolument délaissés^. En rendant leur doctrine 
humble et aisément accessible, en élaguant toute matière sujette 
à controverse, les stoïciens pouvaient agir sur un grand nombre 
d'âmes. Ils frappèrent, en effet, les imaginations parle tour hardi 
de leur parole, par leur vie errante, par leur costume pittoresque ; 
ils s'ouvrirent les cœurs par leur éloquence Éamilière. ilsremuèrent 
dans toutes ses profondeurs le monde civilisé et firent passer dans 
les idées courantes, dans les institutions et dans les lois un esprit 
nouveau et des vues fécondes*. Malheureusement leurs allures 
avaient ainsi revêtu un air de charlatanisme qui empêchait de 
distinguer les jongleurs impudents et paresseux des amis de la 
vérité : le paphlagonien Alexandre est contemporain de Démonax. 
Le mépris que les premiers inspiraient à tout homme de bon sens 
et d'honneur finit par atteintre injustement les autres : Lucien les 
confondit dans ses attaques, et s'dSbrça de les discréditer tous à la 
fois. 

Les discours de Dion Chrysostôme sont , pour une bonne moi- 
tié, œuvre de philosophe plus que d'orateur; il y faut voir des 
essais sur divers sujets de morale et de goût traités sous la forme 
d'allocution fictive^. Mais plusieurs furent réellement prononcés 
sur des places publiques et dans des théâtres , en présence d'au- 
diteurs nombreux et attentifs. La réputation immense de Dion, 
attestée par ses biographes, et le surnom même que l'admiration 
publique lui avait décerné, nous autorisent à le regarder comme 
le premier orateur grec du deuxième siècle. Au reste nous pou- 

1. Plin. Ep, 1, 10. 

2. Sous ce titre, Pollion avait écrit un livre où étaient consignés les 
enseignements de Musonius Rufus son maître et, à ce qu'il semble, le 
maître de tous ces nouveaux stoïciens : il avait débarrassé la doctrine du 
Portique de toutes les subtilités de Ghrysippe, et il inclinait vers celle 
des Cyniques ; Diogône est, au n* siècle, Tidéal du philosophe, comme 
Socrate au temps de Platon. Ârrien publia renseignement d*Epictète 
sous le titre de Aiarpi^aC. 

3. Cum principibm philosophandum esse, 

4. Denis^ Histoire des théories et des idées morales dans l'antiquité. 

5. Quelques-uns de ces essais sont môme traités sous la forme du 
dialogue. 



— 246 — 

vons contrôler les éloges que Philostrate ^ et Synesius ' ont faits 
de lui : ses harangues aux habitants d'Alexandrie, de Tarse, de 
Nicomédie, aussi bien que les discours apologétiques qu'il pro- 
nonça devant les Prusiens, ses compatriotes, pour justifier divers 
actes de son administration et de sa vie publique, nous offirent 
des accents d'émotion vraie, des mouvements passionnés et une 
dialectique pressante qui assignent à Dion la première place 
au-dessous des orateurs d'Athènes. Mais on se tromperait en 
étendant aux œuvres perdues de ses contemporains l'impression 
favorable que Ton emporte de cette lecture, car les circonstances 
avaient singulièrement contribué à la formation du talent de Dion, 
et furent ses vrais maîtres d'éloquence. A l'école des sophistes, il 
avait appris à discourir éléganunent sur toutes choses, et il était 
devenu le premier d'entr'eux par le tour ingénieux qu'il donnait 
à ses éloges fictifs et à ses paradoxes^, lorsque la philosophie, 
s'emparantde lui, vint donner à sa vie et à sa pensée une direction 
plus sérieuse et un but plus noble. Bientôt la persécution deDomi- 
tien le jeta hors de l'Italie, les fortunes diverses de l'exil le con- 
duisirent chez les nations les plus éloignées, le mirent en contact 
avec toutes les classes sociales, le réduisirent à gagner sa vie par 
le travail de sesmains. Puis l'amitié de Nerva et Trajan le rappela 
à Rome : il fut admis dans l'intimité de ces princes passionnés pour 
le bien public , il entra dans leurs conseils et il y prit l'habitude 
et le goût des grandes affaires. Enfin il retourna dans sa patrie : 
là, il lui fallut combattre l'ingratitude de ses concitoyens, la 
haine d'ennemis acharnés et puissants, et répondre chaque jour à 
la calomnie par des faits précis et des exposés exacts. Sous le 
sentiment de ces nécessités impérieuses, son éloquence se dégagea 
naturellement de l'emphase et du mauvais goût et prit quelque 
chose de plus mâle et de plus serré. Mais dans les cas où il a 
abordé un sujet ne comportant qu'un intérêt littéraire et philo- 
sophique, il n'a pas su, ni peut-être voulu, s'affranchir complè- 
tement des défauts de son temps, bien qu'ici encore il joignît à 
l'habileté oratoire et à la facilité de parole qu'il devait à son éduca- 
tion première, un fonds d'expérience personnelle et de connais- 
sances positives qui manquaient nécessairement à Isée et à 
Nicétès *. 

1. Soph., I, 7. 

2. Vie de DUm. 

3. Eloçieê 4e la puee^ du perroquet, de la chevelure. Harangues contre les 
phUosophei. DeteriplUm imaginaire de la vaUée de Tempe. 

4. Philostrat Sopk. 1, 19, 10, Plin., Ep., II, 3. 



— 247 — 

Sauf le Panégyrique dont nous parlerons plus loin , les mo* 
numents de Téloquence latine sous le principat de Trajan ont péri. 
Nous ne pouvons donc nous rendre un compte bien clair de cette 
décadence qu'ont déplorée les contemporains. L'intéressant Dia- 
logue où Tacite en décrit les effets et en recherche les causes est 
lui-même mutilé ; ainsi les pièces du procès nous manquent et 
l'acte d'accusation est incomplet. Tacite ^ explique avec autant 
d'élévation que de justesse comment les nouvelles conditions de la 
vie sociale et du r^ime politique rendant le talent de la pa- 
role moins nécessaire à quelques égards, sa puissance fut par 
là même amoindrie. J'oserai dire, pourtant, que dans le résumé 
de la question £ait par Matemus, les différences entre les temps 
anciens et celui où il vit me semblent un peu exagérées. Par 
exemple ce droit d'accuser les hommes les plus puissants' qui, 
au septième siècle de Rome, stimulait l'orateur et enflanmiait son 
génie, n'était pas perdu cent cinquante ans plus tard : on connaît 
assez l'efiroyable usage qu'en ont fait les délateurs. Ceux-ci, à 
leur tour, n'avaient souvent pour arme défensive que leur parole 
quand, à l'avènement d'un nouveau prince, chacun se mettait en 
mesure de venger ses amis ^. Les procès politiques avaient autant 
de retentissement que par le passé; malgré les réformes appor- 
tées dans le gouvernement des provinces, Cicéron aurait encore 
trouvé l'occasion de prononcer des Verrines sous les Césars, et 
Pline compte quatre beaux procès de concussion parmi ses triom- 
phes ^ Ainsi, les grands sujets ne manquaient pasàréloquence,et 
sa décadence n'est pas imputable à la pauvreté du fond. Mais, ce 
que Maternus ne dit pas, elle était énervée et dénaturée par l'effet 
de cette séparation entre les lettres et le peuple qui stérilise alors 
toutes les branches de la littérature latine. Cicéron s'adressant à 
des auditeurs de toutes conditions et de tous métiers, à des 
esprits très-inégalement cultivés , ne pouvait agir sur une pareille 
foule, la saisir et l'entraîner, que par la lucidité de son plan, la 
clarté de ses récits, l'ordre logique de ses preuves, l'appel 
réitéré aux grandes passions , en un mot par l'emploi de tout 
ce qui fait la véritable et solide éloquence. Quel que fut son 
penchant naturel à faire valoir sa science et son esprit^ l'ora- 
teur devait rester dans les hautes régions de l'art ; les longues 

1. Je suppose que Tacite a mis ses opinions personnelles dans la 
bouche de Maternus, qui a la parole le dernier. 

2. Accutaiiones potentium reorum, c. 36. 

3. Suet TU. 8. DomU. 9. Plin. Ep. IX, 13. 

4. Ep. VI, 29. 



— 248 — 

études préparatoires auxquelles il s'était livré ne tendaient 
qu'à le rendre maître de moyens puissants et simples pour con- 
vaincre et pour toucher. Quand ces grandes luttes oratoires 
furent portées dans la curie, il semble que les cinq ou six cents 
sénateurs S spectateurs et juges du combat, formaient encore un 
public assez imposant pour donnerduprix au succès: les orateurs 
modernes ont rarement un plus nombreux auditoire. Mais si leur 
voix s'arrête matériellement à l'enceinte du parlement et du tri- 
bunal, elle finit, au moyen de la presse, et grâce au développe- 
ment de l'instruction générale , par arriver jusqu'au peuple, et 
ils se retrouvent ainsi, comme l'orateur antique^ placés au milieu 
de conditions difficiles^ mais salutaires, où leur talent, soumis aux 
jugements les plus divers et contraint à de perpétuels efiforts pour 
ne pas déchoir, va grandissant et se fortifiant. Au contraire, 
les discours prononcés dans le Sénat par Pline ou Tacite pas- 
saient ensuite sous les yeux des lettrés : tous, orateurs, audi- 
teurs et lecteurs, avaient fait les mêmes études sous les mêmes 
maîtres et vivaient ensemble, dans une communauté complète 
d'habitudes, de goûts et de préjugés. L'orateur était donc dis- 
pensé de tout efibrt pour amener ceux qui l'écoutaient ou le 
lisaient à partager ses sentiments ou ses idées : il n'avait plus 
, de principes à développer, de grandes passions à soulever, de 
convictions rebelles à forcer, et il ne pouvait atteindre le succès 
auquel il aspirait qu'en flattant le goût du jour, en multipliant 
les pensées ingénieuses, les tours de phrase élégants, ces fleurs, 
ces beautés de langage ' qu'admiraient et que demandaient les 
connaisseurs. 

Messalla, dans le Dialogue, assigne d'autres causes au déclin 
de. son art. Il incrimine la paresse des jeunes gens, la négligence 
des parents, l'ignorance des maîtres, l'oubli des anciennes mœurs. 
Ici, j'oserais encore dire que ces accusations un peu vagues, et déve- 
loppées d'une manière inégale, ne me paraissent pas suffisamment 
prouvées. Que les mères aient cessé d'allaiter leurs enfants, ce 
fait est étranger aux diverses formes d'éloquence. Ces en&nts 
songeaient aux courses de chevaux, aux gladiateurs, aux panto- 
mimes plus volontiers qu'à leurs études : il n'y a là rien de bien 
extraordinaire et je cherche conunent une disposition si naturelle 
put exercer une influence décisive et funeste sur les destinées de 
l'art. Leurs études manquaient de solidité : ici nous touchons au 



1. Auguste fixa leur nombre à 600. Dion, LIY, 14. 

2. Tacit. DUa, 20. 



— 249 — 

point essentiel et nous nous trouvons en présence d'un fait im- 
portant : Suétone * se plaint aussi de l'abaissement ou plutôt 
de la disparition des études de grammaire ^ c'est-à-dire 
des études littéraires méthodiques et approfondies : le temps qui 
leur était judicieusement réservé dans l'ancien système d'éduca- 
tion était maintenant consacré à l'exercice abusif et prématuré 
de la déclamation. Cette substitution n'est pas le fait des élèves, 
mais celui des parents et des maîtres , et elle est imputable plutôt à la 
vanité de ceux-là et à la condescendance de ceux-ci au goût du 
jour, qu'à leur négligence ou à leur ignorance*. La déclamation, 
d'ailleurs, n'entraînait pas toutes les conséquences funestes dont 
se plaignent habituellement les historiens de la littérature. Ils ne 
sont, dans ce cas, que les échos des anciens ; mais le témoignage 
de ceux-ci ne doit pas être accepté sans réserves. Les sujets des sua- 
soriœ et des controversiœ n'étaient pas toujours ridicules comme 
ceux qu'allèguent à l'appui de leurs plaintes Pétrone et Tacite. Les 
questions débattues n'étaient pas nécessairement fictives, et les 
discussions relatives au dessèchement des marais Pontins, à la 
création d'un port à Ostie, au percement de l'isthme de Corinthe 
pouvaient éveiller des idées justes et provoquer d'utiles recherches; 
elles répandaient dans le public des notions utiles sur l'opportu- 
nité et sur les difiScultés de ces entreprises, et l'on doit croire 
qu'elles furent prises en considération dans les mesures prises sur 
ces divers sujets, par le Sénat ou l'Empereur. Dans les Contro- 
versiœ se présentaient souvent, comme on l'a remarqué ^, des 
points de droit où il devenait nécessaire de remonter à l'esprit 
d'une loi, d'en peser les termes ou d'en provoquer la réforme : les 
déclamateurs ont pu travailler ainsi à la diffusion des doctrines 
philosophiques et déterminer ce courant d'opinion publique sous 
la pression duquel les jurisconsultes des deuxième et troisième 
siècles commencèrent à tempérer la rigueur et l'âpreté de l'an- 
cien droit. Enfin, il y a de l'exagération à soutenir, comme l'ont 
fait les anciens, qu'un jeune homme, pour avoir traité des sujets 
fictifs sous la direction d'un maître, sera, plus tard, incapable 
d'aborder et de traiter des sujets réels. C'est un apprentissage 
auquel tous les orateurs de l'époque républicaine s'étaient sou- 
mis sans compromettre leur talent ni leur gloire *, Seulement, la 
déclamation était l'essai et non l'emploi de leur force. À qui im- 

1. lU, gramm. 4. , 

2. Tacit. nicd, 28. 

3. Denis. Histoire des idées morales dans VantiqtUté, II, 117. 

4. Gic. Brut, 90. Sue t. Wiet, I. 



— î5d — 

puter le changement snnrenu à cet égard dans l'opinion et dans 
les habitudes? sinon aux lettrés, qui se donnaient pour les inûta- 
teurs des anciens, et pourtant osaient dire que ces exercices 
d'école constituaient un usage de la parole plus noble et plus raf- 
finé que son emploi à la défense des intérêts privés et publics. 
C'est Pline qui loue Isée de ce qu'à l'âge de soixante ans il n'avait 
pas quitté les bancs de l'école : on le félicitait de n'avoir pas dé- 
floré sa délicatesse au contact des réalités ^ Qu'on s'étonne, après 
cela, de l'importance que les parents et les maîtres attachaient à 
faire acquérir aux en&nts une élocution brillante et un débit 
facUe, seules qualités prisées des amateurs d'éloquence. Tout cons- 
pirait à dégoûter les jeunes gens des études solides et à leur faire 
perdre de vue les règles et le but de l'art qu'ils cultivaient. 

Pline déclare que l'éloquence judiciaire est perdue et anéantie*. 
Il nous dévoile les manœuvres de certains parleurs du barreau : 
on entendait là des jeunes gens qui venaient plaider sans prépa- 
ration, sans connaissances juridiques, ne se souciant point, 
d'ailleurs, de l'intérêt de leur client et ne mettant au service d'au- 
cune conviction leur faconde retentissante. Us ne cherchaient 
qu'un succès bruyant, et cela par des moyens étrangers à l'art 
oratoire. Us achetaient, à beaux deniers comptants, des auditeurs 
qu'un entrepreneur se chargeait de recruter par la ville et de réu- 
nir dans la basilique où se jugeait le procès. A son signal, les 
approbateurs enrôlés faisaient retentir les voûtes de leurs applau- 
dissements et de leurs cris. Leur enthousiasme troublait tout un 
quartier et empêchait l'audition des affaires dans les tribunaux 
du voisinage. Assurément , ce charlatanisme perdait l'art : mais 
étaientp-ils bien propres à le maintenir dans sa voie véritable, 
ceux qui, pour s'acconunoder au goût du jour, mettaient de la 
poésie dans leurs plaidoyers et y enchâssaient des morceaux 
brillants et des pensées ingénieuses que l'auditeur pouvait retenir 
et citer'? Certes, ils ne le compromettaient pas moins grave- 
ment. 

De cette ^que, il ne reste aucun morceau du genre que 
les anciens appdaient délibératif. PUne, dans sa correspondance, 



X^Bp, II, 3. Annum sezagesimum ezcessit et adhuc scholasticus tan- 
tum est : quo génère hominum nihil aut simpUcius aut sincerius, 
aut melius. Nos enim, qui in foro verisque iitibus terimur, multum 
malitiae, quamvis nolimus, addiscimus. 

2. Ârtificium... nunc prope funditus extinctum et eversum est. Bp. 
II, 14. 

3. Tacit. Dtol. 20. 



— 254 — 

n'apprécie littérairement aucun discours prononcé dans le Sénat 
sur les questions administratives et politiques : il est donc à sup- 
poser que les orateurs qui traitaient alors les affaires publiques 
ne se préoccupaient pas, autant que les avocats, des recherches 
du style, et qu'ils avaient conservé ce tour de parole naturel et 
simple, ce minor apparatus qui, au temps de Cicéron, carac- 
térisait l'éloquence sénatoriale S et que l'on retrouve encore dans 
le discours de l'empereur Claude *. 

Dans le genre épidictique^ les éloges funèbres avaient gardé 
leur physionomie antique, cette brièveté excessive qui leur donne 
un cachet incomparable et tout romain de sévère grandeur'. 
Mais le Panégyrique, qui occupe une si grande place dans 
la vie littéraire et politique de Pline, et qui, lu devant les 
meilleurs juges du temps , fut refondu et travaillé avec tant 
de persévérance, ofifre un tout autre caractère. Il y faut dis- 
tinguer la forme et le fond. On croirait difficilement, si l'au- 
teur ne nous l'attestait, que nous devons y chercher les 
marques à'une tentative faite en vue de ramener l'éloquence 
au bon goût et à la simplicité. Il paraît que les endroits traités 
avec le style le plus sévère sont ceux qui furent aussi le plus 
approuvés des connaisseurs ^ : Pline est à la fDis étonné et fier 
de son succès. Nous avons peine à retrouver ces beautés sévères et. 
nous sommes choqués, au contraire, des flagorneries énormes, 
des louanges monotones, du style artificiel et maniéré. Il ne faut 
pas oublier, toutefois, que le discours prononcé au Sénat devant 
Trajan n'était qu'un remerciement fort court : ce que nous lisons 
est une amplification de l'original, qui fait peu d'honneur au 
goût de Pline et aux habitudes littéraires du temps, mais qui du 
moins laisse intactes la dignité de l'auteur et celle de l'em- 
pereur. Il faut reconnaître aussi que l'intention de l'orateur était 
bonne : il met presque toujours un conseil sous la louange et tem- 
père les flatteries par des leçons. La manière dont il parle de 
Domitien faisait comprendre à Trajan comment il serait lui-même 
traité, le lendemain de sa mort, s'il gouvernait despotiquement. 
n fallait assurément une certaine hardiesse pour dire à un prince 
tout puissant : « Souviens-toi de ce que tu pensais, de ce que tu 
« disais quand tu étais comme nous, sujet d'un maître absolu, et 



1. De araiare, II, 82. 

2. iDscription de Lyon. 

3. Oraison funèbre de Matidie par Hadrien. 

4. Ep. III, 18. 



— 252 — 

€ vivant dans les alarmes. » Car Pline ne cache pas à Trajan 
qu*il prétend lui donner des conseils * et que l'audition par le 
prince de son propre éloge constitue, entre lui et le Sénat au nom 
duquel parle Torateur, une espèce de contrat. Le panégyrique, 
compris de cette façon , devenait donc une sorte d'Adresse, sou- 
vent renouvelée *, dans laquelle, en gardant les ménagements 
nécessaires, on pouvait faire entendre à l'empereur des récla- 
mations et des remontrances. Les flatteries prodiguées par l'ora- 
teur devaient ainsi faire passer des vérités importantes, et 
consolider une utile institution politique. Par ces ingénieux dé- 
tours, un prince libéral et un bon citoyen faisaient tourner à 
l'avantage public un usage fondé par l'esprit de courtisanerie et 
perpétué par la servilité. On . peut facilement croire que jusqu'à 
la mort de Marc-Âurèle, Vactio gratiarum de chaque nouveau 
consul servit ainsi d'expression au vœu public. Mais, depuis 
Commode, les progrès du despotisme s'unirent à ceux du &ux 
goût pour dénaturer le caractère et la forme de ces discours. 
Les empereurs n'acceptèrent du panégyrique traditionnel 
que le tribut d'éloges invariablement décerné au prince ré- 
gnant, et ils n'auraient pas souffert les leçons discrètes et les 
vœux respectueux qui s'y joignaient dans les temps de liberté 
publique : les auteurs du iv^ siècle n'imitèrent, de Pline, que les 
éloges hyperboliques et le style ampoulé, et se gardèrent de lui 
prendre la hardiesse civique et les courageuses inspirations. 

Les Lettres de Pline offrent , il en convient lui-même, moins 
d'intérêt que la correspondance de Cicéron ^. Celui-ci, nous dit-il, 
indépendiônment des ressources de son génie, trouvait dans la 
diversité des événements et dans leur importance une matière 
abondante. Il n'a pas relevé une autre différence, encore à l'avan- 
tage de Cicéron et qui consiste en ce que les lettres de celui-ci, 
non destinées à la publicité, ont un cachet de franchise et une 
saveur de sincérité que la moindre préoccupation littéraire eût 
fait disparaître. Au contraire , les préoccupations de cette espèce 
dominent entièrement Pline quand il écrit à ses amis. Il avait 
formé le dessein de réunir et de publier sa correspondance * ; et l'on 
sait à quelles révisions scrupuleuses et répétées il soumettait ses 



1. Paneg,, 53. 

2. La durée du consulat varia de quatre à deux mois jusqu'au com- 
mencement du règne d*Hadrien où elle fut régulièrement fixée à deux 
mois (Henzen dans Borghesi, VII, 394). 

3. Ep. IX, 2. 

4. Ep. I, 1. 



— 253 — 

moindres ouvrages avant de les abandonner à leur destinée. Nous 
pouvons donc affirmer que chacune des lettres fut copiée en autant 
d'exemplaires que Pline comptait d'amis parmi les gens de goût, 
que chaque copie lui fat renvoyée avec des observations critiques, 
et que la forme définitive sous laquelle nous la lisons ne fat 
adoptée qu'après de longs et consciencieux débats ^. Quoi qu'il 
en soit, la Correspondance est, dans la pénurie des témoignages 
historiques contemporains, un document de grande importance et 
un type intéressant de la prose latine. Elle jette peu de jour sur 
les affaires du temps, mais elle £ait très-bien connaître Pline, qui 
s'y dévoile ingénument. L'homme s'y montre bien supérieur à 
l'auteur. Sa vanité est souvent ridicule : il ne nous laisse ignorer 
ni ses succès littéraires , ni les bontés que l'empereur a pour lui, 
ni les bienfaits dont il comble ses amis et ses compatriotes ; mais 
il est aussi heureux des succès d' autrui que des siens propres, 
il loue les autres aussi volontiers qu'il se loue lui-même, il n'é- 
pargne pour les obliger ni son argent, ni son temps, ni sa peine, 
ne voulant pour récompense que le droit et le plaisir de s'en vanter. 
Personne ne s'est jamais intéressé plus vivement aux lettres et à 
ceux qui les cultivent, et pour les maintenir florissantes il a dé- 
ployé tous les moyens, malheureusement peu efficaces, que son 
temps comportait. Dans l'expression des sentiments intimes, il 
montre d'aiUeurs une délicatesse étudiée qui a souvent bien du 
charme, et son style même devient quelquefois rapide et simple, à 
force d'étude. 

Nous arrivons enfin, pour épuiser cette revue des genres litté- 
raires, à l'histoire, qui fat sous Trajan l'occupation favorite de 
maint écrivain, à Rome et dans la Grèce. Mais aucun d'eux n'y 
apporta la méthode sévère et les précautions scrupuleuses qu'on 
y requiert aujourd'hui. Les anciens concevaient l'histoire autre- 
ment que nous, et ils y cherchaient un autre plaisir. Quintilien - 
trouve qu'eUe présente des rapports étroits avec la poésie :û assi- 
mile les compositions historiques à des poèmes en prose où l'écri- 
vain doit s'efforcer, par la recherche des mots et la hardiesse 
des figures, de prévenir l'ennui inséparable de longs récits. Une 
teUe manière de voir nous explique immédiatement le caractère 
de bien des livres de ce temps ; les pauvres auteurs que Lucien a 



1. C'est d'ailleurs le moment où le genre épisiolaire prend sa place et 
son rang dans le domaine de la littérature, et où Démôtrius en édicté 
les lois. 

2. Inst, Orat. X, 1, 31. 



— i54 — 

raillés d'une &çon si mordante, et qui offiraient au public des récits 
romanesques où ils rivalisaient d'exagérations, de mensonges et 
de mauvais style S n'avaient fait que suivre à la lettre lesconseils 
donnés par le plus célèbre des critiques contemporains, pour exci- 
ter et entretenir la curiosité du lecteur. Sous l'empire de cette 
théorie littéraire, ceux mêmes qui traitèrent l'histoire avec un 
esprit plus droit et plus ferme et un goût plus pur , ne laissèrent 
pas que de poursuivre l'agrément aux dépens delà vérité. Ni Tacite 
ni les historiens contemporains ' ne songèrent à abandonner 
l'usage ancien et consacré des harangues fictives qui, en inter- 
rompant le cours delà narration, y jetaient une variété alors 
agréable à des lecteurs peu soucieux de l'exactitude scrupuleuse 
et de la couleur locale. Tacite soignait beaucoup ces morceaux 
d'apparat : il mettait dans la bouche de Galgacus des maximes 
politiques et des phrases brillantes qui durent ravir les amateurs 
de beau style et qu'assurément les collecteurs de Concianes insé- 
rèrent de suite dans leurs recueils'. Il changeait aussi, pour les 
accommoder au goût du jour, les discours ofSciels tels que celui 
de Claude en faveur des Eduens, discours dont le texte vrai dif- 
fère tellement de la harangue insérée au xi® livre des Annules 
qu'on a pu se demander si ces deux morceaux se rapportaient 
bien à un seul et même sujet. Obéissant à la même tendance, 
rhist(»ien, en racontant des guerres malheureuses , taisait le 
nombre des Romains tombés sur les champs de batailles pour ne 
pas produire chez son lecteur une émotion pénible, et ne voulant 
pas, sans doute, heurter les préjugés dominants, il ne se don- 
nait pas la peine de prendre sur les juifs et sur les chrétiens des 
informations plus pnk^ises que les propos moqueurs des cercles 
lettrés de Rome, ou les récits malveillants de la populace. Il 
est vrai que parfois, avec une apparente indépendance, il rejette, 
aussi bien que Suétone, des fables chères au patriotisme et dont 
Tite-Live s'était fait le garant, mais cette élimination n'est pas le 
résultat d'une étude approfondie des sources, ni un aveu arraché 
à l'impartialité scientifique ; il n'y faut voir que le symptôme d'un 
scepticisme croissant qui s'étend au passé de Rome aussi bien qu'à 
son avenir^. Quant à Plutarque, il raiUe ceux qui cherchent l'exao- 

1. Ghassang. Hittoiredu roman, p. 166. 

2. Bgger. Examen dei MUorient dPAugwU. Appendice I*\ 

3. Pline, Ep.^ I. 16, admire beaucoup les dm/dùnsi que son ami Pom- 
peius Saturninos mollit à ses récits historiques. Pour la formation de 
recueils de discours fictifs, v. Suétone, DùmU. 10. 

4. Orose. HUt Vil, 10. — 5. Egger. Mémoires dChitloire ancienne, p. 303. 



— 855 — 

titude àtiùê la duronologie S et il se montre si peu soucieux d'indi- 
catioiis géographiques un peu précises quil ne nomme pas les 
lieux où se sont livrées des batailles dont il raconte les péripéties*. 
Cependant il serait injuste de ne voir dans les historiens du 
second siècle que des rhéteurs ou des artistes. Ils prirent de l'his- 
toire une idée plus élevée que celle qu'en avait donnée Quintilien, 
et ils la regardèrent comme le mode le plus efficace de renseigne- 
ment moral ^ et comme une sanction définitive des gloires ou des 
flétrissures prononcées par les cont^nporains ^ Thucydide et Po- 
lybe, qui Tout considérée comme la science sociale par excel- 
lence, chargée de recueillir les fsiits pour fournir à la politique une 
base expérimentale, s'en faisaient sans doute une idée plus haute et 
plus juste. Notre siècle, qui n'assigne plus à l'histoire d'autre but 
que l'histoire elle-même, ni d'autre tâche que de faire revivre 
aussi fidèlanent que possible les hommes qui furent avant nous, 
et auxquels nous relie une solidarité chaque jour mieux sentie, 
notre siècle s'est placé à un point de vue plus large encore, et 
duquel la théorie de Plutarque et de Tacite nous paraît insuffi- 
sante et mesquine. Mais qui ne sent ccHnbien cette théorie dépasse 
celle de Quintilien? Sa conception seule est déjà un retour aux 
vraies conditions du genre historique. En dressant un tribunal 
du haut duquel il jugerait les faits et les personnages qu'il évoque, 
l'historien s'engageait, en effet, à se montrer strictement impar- 
tial , et la recherche de la vérité devenaitle premier de ses devoirs. 
Tacite le comprit : s'il se mit à l'œuvre, ce fut pour rétablir la 
vérité que l'adulation ou la haine avaient altérée ^, et il la pour- 
suivit avec une entière bonne foi*. Nous avons relevé plusieurs 
fautes où l'entraînèrent des défauts de méthode et des préjugés lit- 
téraires communs à tous les écrivains de l'époque, et dont le génie 
le plus puissant et le plus original ne pouvait complètement s'af- 
franchir. Mais ces éiiblesses de l'esprit n'ont pas gagné son 



1. ViedeSoUm. G. 27. 

2. Vie d'Artaxerce : il ne nomme pas Gunaxa. Il était incapable de rap^ 
porter un mois macédonien au mois athénien correspondant (Préret, 
Mém. de VAead, des Inscript. XXVII, 141). 

3. Tacit. Ann.y IV, 32, 33. Plutarch. Pau/. Aemtf., I. 

4. Tacit. Ann., Ili, 65. Plin. Ep.y IX, 27. Cf., T, S. Plutarque ne s'étant 
plfleê qu'au t^remier de ces points de vue, prend indifféremment ses 
exemples dans les époques historiques ou dans les temps fabuleux. 

5. Ann., I, 1. Ifiif., I, t. 

6. Rien de plus simple et de plus loyal que ia manière dont il emploie 
les témoignages historiques : Nos, consensum auctorum secuti, quae 
diversa prodiderint sub noroinibus ipsorum trademus. 



— 256 — 

cœur ; la passion qui a coloré son style n'a jamais dicté ses juge- 
ments, et il n'a prononcé aucune condanmation sans avoir fait, 
quand il y avait lieu, la part du bien et du mal. L'histoire ces- 
sant d'être un art d'agrément , la question de style, qui pri- 
mait si mal à propos toutes les autres, perdit son importance 
et fut résolue aussitôt d'une manière conforme au bon goût. Rien 
n'est plus démonstratif à cet égard que la lettre de Pline à Capi- 
ton où sont comparées la langue de l'historien et celle de l'ora- 
teur. Les qualités qu'il assigne à l'une sont précisément, et 
dans les deux cas, celles que Quintilien recommandait pour 
l'autre *. On ne peut imaginer deux doctrines plus directement 
opposées, et on mesure avec surprise quel étonnant progrès 
avait fait en quinze ans l'esprit critique *. Ainsi, du règne de 
Trajan, date un changement capital dans la conception de 
l'histoire, mais la décadence des bonnes études fit bientôt avorter 
les fruits de cette heureuse révolution. 

Cette époque offre trois genres de compositions historiques : 
l'histoire générale, que l'œuvre de Tacite représente seule aujour- 
d'hui ', puis les biographies morales * dont VAgricola et les Vies 
de Plutarque fournissent les types caractéristiques, et enfin les 



1. Plin. Ep., V, 8 : Orationi et carminiparva gratia, nisi eloquentia est 
summa; historia, quoquo modo scripta, delectat. 

2. Les écrits de Tacite montrent les progrès d*un goût toujours plus 
pur. Ses premiers ouvrages renferment beaucoup de tournures poéti- 
ques : on y reconnaît les verba remoUora, les figurae liberiores de Quinti- 
liea Le style plus sobre et plus clair des Annales offte les ossa, mus- 
culi, nervi de Pline. 

3. Arrien et Appien ont vécu sous Trajan, mais écrit après sa mort; 
aussi bien que Florus, dont le meilleur manuscrit (à Bamberg) porte : c sub 
Trajano principe movU lacertos et praeter spem omnium senectus impe- 
rii quasi reddita retintit. Ed. Halm., p. 4. i 

4. Les biographies composées sous Trajan par des écrivains latins 
étaient généralement inspirées par un sentiment de vengeance poli- 
tique. On entreprit de raconter les beaux trépas des règnes précédents : 
G. Fannius, (Plin., JSjp., V. 5) ceux des malheureux condamnés par 
Néron; Titinius Gapito, ceux des victimes de Domitien (Plin., 17p., 
VIII. 12). La vie d'Agricola appartient, comme celle de Vestricius Cot- 
tius composée par Pline {Ep., III, 10), à cette classe d'ouvrages qu'on 
peut considérer comme un développement de la laudatio funebrit. 
(V. sur cette question fluebner., Hermès, I, 43S-448. Cf. Revue critique^ 
IV, 2 p. 51.) Ce que dit Pline des biographies composées par Capiton en 
montre assez le caractère : Scribit exitus Ulustrium virorum, in his 
quorumdam mihi carissimonim. Videor ergo fungi pio munere, quo- 
rumque exequias celebrare non licuit, horum quasi fùnebribus lau- 
dationibus, seris quidem, sed tanto magis veris ioteresse. 



— 257 — 

compilations anecdotiques dont Suétone a donné les premiers 
modèles ^ . Dans aucune de c^ catégories on ne trouve le récit 
de faits appartenant au règne de Trajan : nous devons donc nous 
borner à une appréciation très-sommaire^. Contentons-nous de 
marquer un trait commun aux historiens que nous avons nom- 
més. Tous les trois sont des psychologues : les individus tiennent 
plus de place dans leurs œuvres que la société, et l'étude des pas- 
sions y est développée à l'exclusion et aux dépens des événements 
historiques un peu complexes et à grande portée. L'idée d'une 
histoire pragmatique était définitivement abandonnée : d'une part 
les hommespolitiques s'exagéraient l'impuissance des gouvernés à 
prendre part à la direction des affaires publiques , et les gouver- 
nés, comme nous l'avons dit, s'étaient paisiblement désistés 
de toute participation à ces affaires ; de l'autre côté, les histo- 
riens exagéraient les difficultés qu'ils devaient rencontrer dans 
leurs investigations ^ . Les archives impériales n'étaient pas aussi 
impénétrables qu'ils l'ont dit, ni le secret des délibérations prises 
dans le conseil des princes n'était aussi bien gardé; quand même 
quelques documents leur eussent été refusés, la succession et la 
nature des faits suffit dans bien des cas pour éclairer leurs causes^. 

i. Egger. Examen des historiens d'Auguste, 265, 278. 

2. On peut dire que la critique commence à peine pour Tacite, car ce 
n'est que tout récemment qu'on a entrepris de distinguer ce qui lui est 
personnel et ce qu'il doit à ses devanciers, de déterminer les sources où 
il a puisé, de décrire ses procédés d'emprunt. Pour ses rapports avec 
Gluvius Rufus, V. Mommsen, Hermès, IV, 295-325. Le nom de Tacite 
a trop longtemps servi à défrayer les discussions de politique contem- 
poraine ; il n'est que temps d'entrer dans l'examen direct de son œuvre. 
Quelques pages excellentes de M. E. Despois (Revue nationale, XXIII, 
101-106) auraient dû mettre fin aux éloges hyperboliques et aux colères 
puériles qui s'exhalent & propos des Annales, L'auteur a parfaitement 
reconnu et montré que Tacite est absolument sceptique en matière poli- 
tique, mais il attribue cette indifférence à la misanthropie. Après avoir 
partagé cette opinion, développée avec une ardeur de conviction et une 
vigueur de style qui forcent d'abord l'assentiment, je m'en sépare et je 
crois que l'indifférence de Tacite n'est pas d'une autre nature que celle 
de ses contemporains; on ne songeait pas aux questions de gouverne- 
ment : voilà tout. Le pessimisme de Tacite me paraît d'ailleurs un peu 
exagéré dans cet article ; Tacite a méprisé beaucoup d'hommes, et son 
mépris reste légitimement attaché à leur mémoire, mais pas un mot 
de lui ne donne à croire qu'il ait méprisé Vhomme. Sa mélancolie est 
celle qu'Aristote a signalée chez tous les grands génies. 

3. Dion, LUI, 19. 

4. Tacite a senti (Hist., I, A) qu'il fallait montrer comment les événe- 
ments se rattachent à leurs causes ; mais il ne dit pas que cet enchaî- 
nement puisse servir de base à une prévision rationnelle de l'avenir. 

DE LA BKBGE 47 



De plus les écrivains du second siècle, entraînés dans une 
évolution dont ils ne connaissaient ni la marcdie ni l'importance, 
ne pouvaient émettre des vues d'ensemble comme le firent Tite- 
Live, quand se fermait une période nettement définie de l'histoire, 
ou Paul Orose, au moment où la civilisation antique allait diqf^- 
raître en laissant la place à un ordre de choses tout nouveau. 
Uhistoire devenait donc nécessairement psychologique et dès lors 
se trouvait amenée à recueillir les petits faits et les détails fami- 
liers dans lesquels se dévoilent les passions et les caractères. Plur- 
tarque les a ramassés avec bonheur et racontés sans scrupules, 
attendu qu'il n'écrivait ses biographies des honmies célèbres que 
pour son plaisir et celui de quelques amis ; mais Tacite ne se con- 
solait pas de traiter des sujets que ses prédécesseurs auraient trou- 
vés mesquins ; il exprime plusieurs fois à ce propos son embarras 
et ses craintes ^ Vaines en ce qui concerne la gloire de Tacite 
lui-même, ces craintes n'étaient pas sans fondement à l'égard 
des destinées de l'art qu'il avait porté si haut, car Suétone aUait 
montrer bientôt à quoi se réduit l'histoire psychologique traitée 
par un esprit ordinaire et laborieux, recueillant les petits faits 
sans les choisir ni les ordonna. 

1. Ann., IV, 32. XIII, 31. 



CHAPITRE XVII. 



LES SCIENCES. 



L'histoire nous amène, par une transition naturelle, auxsciences 
dont la culture prit, vers cette époque, une certaine importance. 
Les loisirs de la paix, le déyeloppement de la richesse, avaient 
déterminé un mouvement général de curiosité, et le goût des 
études de toutes sortes s'était répandu dans la classe moyenne. 
La nécessité de mettre rapidement les esprits au courant des 
résultats acquis dans les différentes branches des connaissances 
humaines, et de classer les faits recueillis depuis tant de siècles, se 
&isait donc impérieusement sentir : à ce besoin répondirent de 
nouveaux traités élémentaires, résumés qui n'ajoutaient rien à la 
science, mais qui la propagèrent et qui ont servi de bases aux 
recherches ultérieures. Dansle naufrage deslettres antiques, quel- 
ques-uns de ces manuels, sauvés par leur petit volume, ont pris 
une importance hors de proportion avec leur valeur réelle, en 
devenant les anneaux de la chaîne qui a relié les deux grandes 
périodes de la civilisation et préservé d'un anéantissement total les 
efforts des générations anciennes. Ainsi, les cinquante premières 
années du deuxième siècle virent éclore, sur chaque art et sur 
chaque science, des traités techniques ^ , des commentaires, des Ins^ 
titutiones. En même temps les encyclopédies et les lexiques met- 



1. On admet généralement que le TerentianuB Maurus, auteur du De 
literU syllabiê^ etc., est eelui dont parle Martial (I. 87). Héphestion, qui 
fut précepteur de Lucius Verus, et dont on a un manuel de métidque 
grecque, doit avoir vécu sous Trajan. 



— 260 ^ 

talent à la portée de tous, sous une forme concise, les grands faits 
et les noms célèbres de la littérature etderhistoire. Dans la foule 
des compilateurs qui travaillaient alors, Suétone mérite une place 
à part, en raison du nombre et de l'importance de ses ouvrages : 
la liste qu'en donne Suidas témoigne d'une érudition variée et 
d'une activité infatigable. De ces ouvrages presque tout a péri, mais 
saint Jérôme et Isidore en avaient fait heureusement passer la 
substance dans leurs compilations, de sorte que les fruits du tra- 
vail de ce diligent explorateur de l'antiquité n'ont pas été com- 
plètement perdus, et sont venus jusqu'à nous, sans que nous 
sachions toujours à quel point nous lui sommes redevables. Ce 
goût d'érudition provoqua chez les grammairiens un redouble- 
ment d'activité *. Valerius Probus se signala entre tous par 
l'exactitude de ses recherches ; il donna une base solide aux études 
littéraires en établissant les textes authentiques des principaux 
auteurs latins ^. Mais la science du temps ne se borna pas à cette 
tâche utile et modeste; elle visa plus haut, et créa des méthodes : 
Apollonius Dyscole établit les lois philosophiques de la syntaxe et 
tenta de donner une forme scientifique à la grammaire ^. Le livre 
de Quintilien précéda de si peu l'avènement de Nerva * qu'il se 
rattache véritablement à l'époque dont nous nous occupons. La 
difiërence des temps et des civilisations a rendu inutiles pour les 
nations modernes la plupart des préceptes développés dans Y Ins- 
titution oratoire. C'est l'œuvre d'un esprit plus laborieux qu'é- 
levé : on n'y rencontre aucune de ces vues de génie qu'un Aristote 
et un Cicéron jettent sur la nature de l'art et les conditions du 
beau. Mais une douce influence morale anime l'ouvrage d'un bout 
à l'autre : d'ailleurs les deux premiers livres seront toujours lus 
avec admiration et médités avec profit. La pédagogie, dégagée 
des préjugés politiques et des traditions locales qui, en Grèce, 
pesaient sur elle jusqu'à la fausser , apparaît ici fondée sur des 
vues plus larges et plus humaines, qu'avaient développées les stoï- 
ciens. Le livre de Quintilien en ofire le premier traité méthodique, 
et par son double caractère d'universalité et d'utilité pratique, 
il mérite d'être rangé au nombre des plus belles productions du 
génie romain. 
Le goût de vulgarisation que nous avons signalé se marque 



1. Velius Longus est de cette époque. 

2. Suèt., lUust, gramm.y 24. Cf. Pauli, Real-Encycl,, VI, p. 59. 

3. Egger, ApoUonius Difseole, 236, 246. 

4. En 95. 



— 264 — 

surtout dans les sciences exactes et dans les sciences naturelles. 
Dans les Mathématiques nous trouvons d'abord le pythagoricien 
Nicomaque de Gérasa , auteur d'une 'AptOjj.iQTtx'îî Eica-Yo-rt qui est 
plutôt un traité spéculatif sur les nombres qu'un ouvrage pra- 
tique ^ Mais son influence dans les âges suivants fut considérable 
puisque Y Arithmétique de Boèce n'est qu'une traduction libre 
et paraphrasée de Nicomaque *. Les « Notions mathématiques 
utiles pour la lecture de Platon , » composées vers le même temps 
par Théon de Smyrne^, n'offrent dans la partie arithmétique 
que des vues philosophiques analogues à celles qui constituent le 
fond de l'ouvrage de Nicomaque. Ces»spéculations transcendantes, 
inspirées par des conceptions étrangères à l'esprit mathématique, 
ont eu cependant une action réelle, quoiqu'indirecte, sur le déve- 
loppement de la science, en entretenant l'ardeur des recherches et 
en faisantdécouvrir quelques propriétés intéressantes des nombres*. 
Les livres sur le Calcul des Cordes, qu'avait composés Mé- 
nélaus ^, ont péri : en revanche nous avons ses trois livres de 
Sphériques. La première proposition du troisième livre était le 
fondement de la résolution des triangles sphériques chez les an- 
ciens^ et elle a servi aux Arabes pour l'élaboration de leurs théo- 
ries astronomiques. Mais les mathématiques ne furent guère cul- 
tivées sous Trajan qu'en vue de leurs applications. La science 
moderne trouve peu de chose à recueillir dans les écrits des 
Agrim.ensores, bien que plusieurs des artifices qu'ils employaient 
pour résoudre les problèmes de leur art aient paru dignes d'étude 
à un maître''. Les progrès de l'architecture à la même époque 
supposent une connaissance assez avancée de la géométrie et de 
la mécanique. Les ingénieurs ont relevé quelques bonnes re- 



1 . Une lettre de Pline, VI, 33, montre que dans la pratique on calculait 
avec des jetons. 

2. Th. -H. Martin, Rev. Arch., anc. série, XIIl, 511. 

3. Th.-H. Martin, Theonis Smymaei liber de Astronomia, 1849, p. 11. Pto- 
lemaeo item Smyrnaeus fuit aut coaevus aut paulo anterior. On con- 
naît un buste de ce personnage (Visconti, leon, Gr. PI. XIX). 

A. Ârcbytas, pythagoricien latén auquel Boèce emprunta VAbacui, ori- 
gine de notre système de numération écrite, fut sans doute contempo- 
rain de Nicomaque et de Théon. 

5. Interlocuteur du dialogue de Plutarque sur la Face de la Lime. 

6. Delambre, Histoire de V Astronomie ancienne, I, 245. 

7. Biot, Journal des Savants, 1849, p. 247. Il faut remarquer d'ailleurs 
que ces artifices se trouvent déjà consignés dans le icepl SioicTpoç d'Héron, 
composé un siècle avant notre ère. Th. -H. Martin, Recherches sur Héron, 
163-176. 



— 262 — 

marques dans les recherches hydrodynamiques de Frontin '. Enfin 
l'art militaire eut aussi ses traités didactiques '. 

La partie de Touvrage de Théon consacrée à V Astronomie 
n'offre que des vues spéculatives qui ont peu servi au progrès de la 
science^. On cite des observations astronomiques faites par Méné- 
laus, la première année du règne de Trajan^. Peut-être Agrippa 
de Bithynie * vivait-il encore, peut-être aussi le Théon dont 
Ptolémée relate quatre observations faites sous Adrien * avait- 
il commencé ses investigations dans le ciel. Mais la création de 
la Géographie Mathématique, la plus belle application de 
l'astronomie, appartient bien au règne de Trajan. Hipparque 
avait senti la nécessité de rattacher la géographie à l'astrono- 
mie, et montré comment l'observation du ciel permettait de 
fixer la position des lieux sur la terre. Il mesura, dans quelques 
villes, la hauteur du pôle au-dessus de l'horizon '', égale à la lati- 
tude, et il expliqua comment on pouvait déterminer les longitudes 
par l'observation des éclipses de lune *, mais ni lui ni ses succes- 
seurs ne songèrent à utiliser ces vues fécondes. Personne ne 
recueillit les éléments constitutifs d'une bonne carte du monde 
connu avant Marin de Tyr, prédécesseur immédiat de Ptolémée, 
qui vécut à la fin du premier siècle ou au commencement du 
deuxième. Ce géographe s'attacha à donner la position de chaque 
lieu par sa latitude et sa longitude. Les observations directes étant 
presque toujours impossibles dans ce temps-là *, Marin compulsa 
tout ce que les anciens géographes avaient écrit. Il y joignit la 
lecture d'un grand nombre de relations de voyages anciennes et 
modernes, discuta toutes les valeurs numériques qu'il en dédui- 

1. Bossut, Traité d' Hydrodynamique , dise, préliminaire, pp. iv et v. 
c On lui doit (à Frontin) les premières notions de la théorie du mouve- 
ment des fluides. » Dans Tart de conduire les eaux il fit c des observa- 
tions vraies, » bien qu'on ne trouve aucune précision géométrique dans 
ses résultats, et qu'il ait ignoré la loi des vitesses. 

2. Celui d'flygin. 

3. Biot, Journal des Sawints, 1850, p. 196. 

4. Ptol., Syntax. VII, 3. 

5. Ptol., Syntax. ibid, 

6. SynJtax. IX, 95, X, 1 et 2. — Letronne a prouvé que Cléomède, au- 
teur de la théorie circulaire des corps célestes, ne peut avdîr écrit qu'a- 
près Ptolémée. Journal des Savants, 1821, p. 712. 

7. Ptolémée, Geogr., 1, 4, { 2. 

8. Strabon, I, 12. 

9. Les instruments étaient alors si imparfaits que Strabon accordait 
moins de confiance à leurs indications qu'aux documents fournis par les 
voyageurs, n, 1, il. 



— 263 — 

sait, et construisit sur ces données une carte accompagnée d*un 
ouvrage auquel il donna le titre modeste de Correction de la 
Carte géographiqiie ^ A mesure que le temps lui apportait des 
renseignements plus exacts, que l'étude lui suggérait des correc- 
tions, il donnait une nouvelle édition de son livre, et ne cessa de 
Taméliorer jusqu'au jour où la mort le surprit au milieu de ce 
travail immense et pénible. Malgré ce zèle opiniâtre et cette vigi- 
lance toujours éveillée, Marin ne laissait pas un ouvrage com- 
plètement satisfaisant. Son esprit paraît avoir été plus laborieux 
que méthodique. Ainsi, il avait dispersé à divers endroits de la 
Hiàp^iàGiq les indications relatives à un même lieu, ce qui rendait 
l'usage de ce livre fort difficile et avait même entraîné 
l'auteur dans plusieurs fautes. Il avait adopté pour la longueur 
du degré une valeur fausse. Enfin, ayant fait choix d'un mau- 
vais mode de projection, il donnait inexactement la figure de la 
terre. Le travail de Ptolémée ne consista guère qu'à améliorer le 
livre de. Marin en y introduisant quelques corrections et en y 
ajoutant ce qui lui manquait sous le rapport de l'ordre et de la 
méthode : les vues générales de Marin furent conservées. Ici 
comme ailleurs, Ptolémée, doué d'une grande érudition et d'une 
activité prodigieuse, n'a guère été que le diligent metteur en 
OMivre des résultats trouvés par les vrais investigateurs de la 
science antique. On peut donc affirmer que sans les travaux de 
Marin la ')fs«*ïpa?*^'h '^çi^iTQ^tÇ n'existerait pas ; quand on songe à 
l'importance capitale de cet ouvrage et à tout le profit qu'en 
ont tiré les voyageurs jusqu'à l'époque où fut découvert le Nou- 
veau-Monde, on sent vivement le service que nous a rendu Marin 
de Tjnr, et la reconnaissance qui lui est légitimement due *. 

1. AtopOcoat^ ToO fecoypa^ixoO TC{vaxoc> Ptol.j I, 6, § 1. Notts ne connaissons 
Marin de Tyr et son œuvre que par Ptolémée. Les passages, fort diffi- 
ciles, relatifs à Marin ont été traduits par Letronne, Journal des Savants, 
1831, pp. Î39-248, 305-314. 

2. Outre la traduction fragmentaire de Letronne, il faut lire Gosselin, 
Recherches sur le système géographique des anciens, II , 31-74. Il rend justice à 
Marin, mais en faisant porter sur Ptolémée une accusation absolument 
imméritée, c C'est en s'appropriant Touvrage de cet auteur, en le présen- 
tant sous une forme plus ordonnée, plus rapide et plus imposante, que 
Ptolémée a usurpé une partie de cette grande célébrité qu'il a conservée 
jusqu'à nous. C'est ce larcin qui a fait croire pendant plus de quinze 
siècles qu'on lui devait toutes les connaissances accumulées dans son 
livre, tandis qu'elles ne sont dues qu'aux recherches de Marin. 11 est 
donc juste de détruire une erreur trop longtemps accréditée, et de 
rendre à la mémoire de cet homme laborieux la portion de gloire qu'il 
s'est acquise par ses utiles et pénibles travaux. » Ptolémée n'a rien dé- 



— 264 — 

Le règne de Trajan est encore une époque remarquable dans 
l'histoire de la médecine. En premier lieu, la pratique de l'art mé- 
dical ât nécessairement des progrès considérables au milieu d'une 
civilisation aussi avancée, et dans les conditions variées de la vie 
romaine. Dans toutes les grandes villes exerçaient des spécia- 
listes dont les observations avaient éclairé la structure et les rela- 
tions des organes : le conmiencement du second siècle marque en 
effet une renaissance de Tanatomie *. Mais il y a ici une observa- 
tion plus importante à faire. A cette époque, où florissaient les 
maîtres dont Galien allait recueillir, discuter et résumer les en- 
seignements, les systèmes avaient à peu près achevé de se for- 
muler et ils se heurtaient avec une animation et une vivacité dont 
l'écho est resté dans les ouvrages du médecin de Pergame. Dog- 
matiques et pneumatiques, éclectiques et méthodiques se dispu- 
taient avec un zèle ardent. La victoire resta au méthodisme qui 
reçut sa constitution définitive au milieu de cette mêlée. Créé par 
Thémison * au commencement du premier siècle, compromis sous 
Néron par le charlatanisme de Thessalus, ce système prit dans 
les mains de Soranus une dignité et une valeur qu'il ne devait 
plus perdre et qui lui assurèrent un prestige de plusieurs siècles. 
Il survécut, en effet, aux attaques passionnées que lui avaient 
portées Galien, et il se perpétua sous la forme que Soranus lui 
avait donnée. Au sixième siècle, Cassiodore ' recommande aux 
moines l'étude de Caelius Aurelianus, et Ton sait que les livres 
de ce médecin latin ne sont que la traduction ou la paraphrase 
des ouvrages de Soranus. En outre M. Daremberg a mis hors de 
doute un des faits les plus intéressants de l'histoire des sciences 
au moyen âge, à savoir l'esprit exclusivement méthodique de 
l'école de Salerne jusqu'au xi® siècle où elle connut Galien par les 



robe et nous ne connaissons Marin que par les extraits qu'il en a loya- 
lement donnés. 

1. Le résultat le plus marquant de cette renaissance, dont Galien (éd. 
Kiihn, V, p. 650) fait honneur à Marinus, est le petit traité de RufUs 
d'Ephése. Peut-être ce Marinus est-il celui qui guérit Pline, Ep. ad Traj. 
11. Le chirurgien le plus célèbre de Rome était Héliodore, Juvén. VI, 273. 
Griton^ médecin de Trajan, qui l'accompagna dans la guerre Dacique, avait 
composé un traité de matière médicale Ilepl tûv ànXâv çaptxixcov et un 
autre sur les cosmétiques, résumant tout ce qui avait été écrit jusqu'a- 
lors sur ces deux sujets. Âsclépiade le Jeune, ou Pharmacien, est du 
même temps. 

2. Ne pas le confondre avec un Thémison nommé par Juvénal, X, 
221. 

3. De insf, divin, litter, c. 31. 



— 265 — 

Arabes. Les écrits de Soranus, traduits par Caelius Aurelianus, 
remaniés par les professeurs de Técole*, défrayèrent seuls l'ensei- 
gnement pendant cette première période qui a reçu le nom de 
néo-latine '. Ainsi un contemporain de Trajan a été l'initiateur 
et le maître de l'éducation médicale en Europe pendant des siècles; 
les observations, les études faites à l'époque qui nous occupe ont, 
durant une longue suite d'années, servi au soulagement d'un 
.grand nombre d'hommes ou soutenu leurs espérances. 

Malheureusement, nous devons faire remarquer qu'à côté de 
ces efforts pour acquérir et propager les vérités scientifiques, 
l'ignorance et la superstition multipliaient les idées fausses et dan- 
gereuses. Le deuxième siècle est pour l'astrologie une époque 
florissante; c'est alors qu'on rencontre sur les monuments les 
plus nombreuses représentations du thème natal ^. Au moment 
où paraissent les éditions les plus soignées de la Ai6p0(i)(7(ç de Ma- 
rin , la géographie romanesque inspire une quantité de livres 
mensongers et puérils *, et dans le temps même où l'anatomie 
révèle ses secrets à des investigations médicales mieux dirigées, 
EHien rassemble les détails fabuleux donnés par divers auteurs 
sur les animaux peu connus; il ajoute de nouveaux contes à ceux 
dont ses devanciers s'étaient faits les garants, et il donne un corps 
à cette zoologie fantastique dont s'amusera ou s'efiraiera le 
moyen âge. La critique scientifique ne peut, en effet, commencer 
qu'après la création des méthodes, et les anciens n'ont atteint la 
vérité que par des conjectures heureuses, ou par la voie lente et 
détournée de l'érudition, qui transmet le vrai en le laissant mêlé 
d'erreurs. Mais cette faveur même que rencontraient les traités 
de fausse science est un nouveau témoignage de l'esprit de curio- 
sité que nous avons signalé. 

L'extension du conmierce de la librairie et la fondation de 
nombreuses bibliothèques en sont encore les indices et les résul- 
tats. Au temps de Cicéron ^ il fallait, pour faire entrer un 
ouvrage dans sa bibliothèque, l'emprunter à l'auteur et le 
faire transcrire. Atticus, qui comptait parmi ses gens d'excellents 



1. Le Passionaritu, composé vers 1040, est encore une traduction latine 
de Soranus. 

2. Littrè, Eiiides sur les barbares et le moyen âge, 241-280. 

3. Letronne, ObsenoatUms sur les représentations zodiacales, 

4. Ghassang, Histoire du Roman, chapitre VI : Romans Kur la géographie 
pendant l'époque des Antonins. 

5. V. Boissier, Atticus, éditeur de Cicéron (Revue Archéologique. Nou- 
velle série, VII, 96). 



— 266 — 

copistes formés par lui, publia les ouvrages de Qoèron, mais c'é- 
tait là une spéculation particulière qui ne parait pas avoir été 
imitée immédiatement. Les libraires du Forum ne vendaient que 
des débris de bibliothèque, composés suivant le hasard ou le goût 
particulier des premiers possesseurs : nulle part on n*était sûr de 
trouver un livre au moment où il paraissait. Sous Auguste, les 
choses ont déjà changé. Les frères Sosies , éditeurs d'Horace , 
exercent une industrie spéciale et sont toujours prêts à satisfaire 
les demandes d'un public avide et curieux de nouveautés. Un 
siècle après, nous voyons Tryphon , l'éditeur de Quintilien et de 
Martial, en relation d'amitié avec les écrivains dont il publie les 
ouvrages, leur donnant des conseils, leur suggérant des correc- 
tions, et stimulant leur activité quand le livre annoncé se fait 
trop attendre. Il nous donne assez bien l'idée de l'éditeur moderne, 
de même que l'impatience des lecteurs nous révèle une société 
analogue à celle au milieu de laquelle nous vivons, où le livre 
devient aussi nécessaire à la vie que les aliments. L'industrie de 
ceux qui se chargeaient de satisfaire cet impérieux besoin, 
ressenti dans les provinces comme à Rome, était d'ailleurs 
largement rémunératrice. Aucune relation d'intérêt n'existait 
entre les auteurs et les libraires ^ ; aucune loi' ne garantissait la 
propriété intellectuelle, de sorte que les libraires seuls bénéfi- 
ciaient de la vente des livres : Tryphon tirait des JEpi'- 
grammes de Martial un profit de 100 pour 100 *. Malgré ces prix 
élevés, les particuliers se composaient de riches bibliothèques. 
Ainsi M. Mettius Epaphroditus, sous Nerva, réunit trente mille 
volumes, bien choisis et des plus rares ^. Généralement, les heu- 
reux possesseurs de ces richesses en laissaient aux curieux le 
libre accès : d'autres hommes de lettres, allant plus loin, fon- 
dèrent des bibliothèques publiques qu'Us dotèrent de rentes desti- 
nées à leur entretien et à leur accroissement régulier ^ Depuis 

i. Qér^uû, Essai sur les livrés dans Tan^i^j^^ (Bulletin de Techener, 1839, 
p. 1061). 

2. Martial, XIII, 3. Martial nomme quatre libraires : Secundus (I, 2), 
Atrectus (I, 117), Q. Pollius Valerianus (I, 113), Tryphon (IV, 71, XïII, 3). 
Les boutiques des libraires , au deuxième siècle, étaient principalement 
dans VArtfiUtum (Martial, I, 118) et au Vicus sandalarius (Galien, delibrU 
suis, iV, p. 361. A. GelL, XVIII, 4). 

3. Suidas, sub v*. On a une statue de ce personnage (Visconti, Jam. 
Gr. PI. XXXI). 

4. Pline donna à la ville de Gôme une bibliothèque publique dont la 
construction ne coûta pas moins d'un million de sesterces (200,000 fr.), et 
il affecta à l'entretien {Jtuida) de sa fondation un capital de 100,000 sester- 



— 267 — 

longtemps, les empereurs avaient pris souci de ces établissements 
indispensables à l'élaboration et à la diffusion de la science. Tra- 
jan ne manqua pas à ce noble devoir : aux grands dépôts publics 
institués par ses prédécesseurs il ajouta la Mbliotheca Ulpiana, 
logée sur le Forum, dans deux bâtiments symétriques qui for- 
maient les limites de la petite place au centre de laquelle la 
colonne était érigée. L'un renfermait sans doute les livres grecs, 
et l'autre les livres latins ^ . 

Tels sont les grands traits du tableau de la littérature et des 
sciences sous le règne de Trajan. Si nous le mettons en regard de 
celui qu'elles présentaient sous Auguste, leur affaiblissement 
saute aux yeux; il n'est pas moins i&rappant quand on compare 
l'ensemble des œuvres produites à un siècle et demi d'intervalle 
que quand on considère ces œuvres une à une. Après la bataille 
d'Actium, la littérature latine se trouve portée, par le cours régu- 
lier de son progrès, au terme du mouvement ascendant qui carac- 
térisait son développement depuis deux cents ans. Chaque genre 
constitué , perfectionné par une série ininterrompue d'efforts , a 
reçu de quelques esprits d'élite une forme définitive, et s'est em- 
preint du génie national qui donne à tous les ouvrages composés 
à ce moment heureux une profonde et saisissable unité. En même 
temps que se formait cet accord, tous les pouvoirs, originairement 
indépendants, que la démocratie romaine avait créés, viennent se 
réunir sur la tête d'Auguste , qui saisit habilement la marche de 
cette double convergence et, liant les lettres à la politique, forme 
du tout un système au centre duquel il se place ; système qui 
semble graviter autour de lui et qui prend son nom. A sa mort , 
ce système se désunit. Lente et longtemps inaperçue , la disso- 
ciation devient visible sous Trajan. Le principat consolidé se 
développe indépendamment du régime intellectuel contempo- 
rain. Les œuvres de l'esprit ne sont plus inspirées par une idée 
générale, ni déterminées par un courant commun d'opinion. 
Elles naissent, brillent ou avortent au hasard des circons- 
tances ou des vocations peu décidées auxquelles ont obéi des 
écrivains cherchant péniblement leur voie. Ici on constate un 
retour vers le passé, et là des essais d'innovation; des efforts sin- 
cères pour arriver à la précision scientifique se manifestent à côté 

ces (20,000 fr.). Mommsen, inscript. n* 4 et p. 86 de la traduction. Cf. p. 75- 
V. fleuzey (Rev. Arch., nouvelle série, VI, 322), sur une inscription rela- 
tive à une bibliothèque publique fondée à Dyrrachium, sous le régne de 
Trajan. 
1. A. Gell., XI, 17. Vopisc, Prob. 2. 



— 268 — 

de Tadhésion la moins réfléchie aux superstitions et aux récits 
colportés par l'ignorance ou la mauvaise foi ; le goût de l'érudi- 
tion règne en même temps que celui du roman. Bref, cette période 
présente tous les caractères d'une époque de transition. Mais l'état 
régulier qu'on attendait à l'issue de cette période ne s'étant pas 
établi, par des causes dont la recherche n'appartient point à mon 
sujet, la transition devint une crise, dans laquelle la littérature 
latine a péri. 



CHAPITRE XVIII. 



LES ARTS. 



Voici encore un chapitre qui, faute de documents assez nom- 
breux et assez positifs, sera nécessairement très-incomplet. Que 
dire, par exemple, de la musique au deuxième siècle? On sait 
combien l'histoire de cet art chez les anciens est obscure , même 
aux époques pour lesquelles le nombre des témoignages écrits est 
le plus abondant. Les auteurs où Ton pourrait puiser des con- 
naissances à cet égard sont des philosophes qui dissertent à perte 
de vue sur les principes de la musique et sur Tinfluence qu'elle 
peut exercer sur les mœurs. Mais à l'égard de ce dernier point qui, 
traité avec précision et appuyé d'exemples, fournirait des élé- 
ments intéressants à l'histoire générale, on ne faisait au second 
siècle que répéter et commenter ce qu'avaient dit les anciens 
sages, attendu que, de l'aveu même de Plutarque*, la musique 
d'éducation n'avait laissé aucun souvenir, et on ne concevait 
même pas ce qu'elle avait pu être au moment où elle florissait. 
Chaque addition de cordes à la lyre, chaque effort des musiciens 
pour donner à leurs auditeurs un plaisir plus intime et plus vif, 
avait provoqué les plaintes déclamatoires des philosophes contre 
la témérité des novateurs et la mollesse des nouvelles générations 
qui dédaignaient la belle simplicité et la gravité majestueuse de 
la musique primitive, et se laissaient aller aux séductions d'un 
art plus riche et aux émotions produites par le génie plus hardi des 
artistes. Plutarque a repris, pour son compte, les antiques do- 

1. Piutarch., de Mtuic., 27. 



— 270 — 

léances, et fait coDsciencieusement l'éloge de cette musique que 
personne ne connaissait ^ Depuis longtemps, les musiciens ne 
tenaient aucun compte de ces anathèmes rebattus cent fois. S'é- 
mancipant de la tutelle des mathématiciens comme de celle des 
pédagogues, ils écoutèrent enfin leurs inspirations, étudièrent 
par eux-mêmes les conditions et les ressources de leur art, et ne 
prirent pour guide que le public dont ils épièrent les impressions 
et dont ils suivirent docilement le goût. La musique grecque fit 
ainsi des progrès rapides, surtout dans la partie instrumentale, et 
elle était déjà bien riche et bien variée quand Rome et toutle cor- 
tège *des peuples qu'elle avait vaincus et civilisés, auxquels elle 
avait fait partager son goût récent et passionné pour les arts, 
vinrent grossir les rangs du public grec. Pour émouvoir et ravir 
ces foules immenses, il fallut recourir à des moyens d'action plus 
puissants, et l'^ort des compositeurs se concentra sur la produc- 
tion d'efiets capables d'impressionner les masses. Plutarque nous 
apprend que de son temps, tous ceux qui s'occupaient de musique 
se tournaient vers la musique de théâtre'. C'est la seule notion utile 
que renferme son livre, mais elleest précieuse à recueillir, et s'ac- 
corde bien avec ce que nous apprennent d'autres témoignages. Py- 
lade se vantait de l'heureux complément qu'il avait apporté au jeu 
un peu froid de l'ancienne pantomime par l'addition delà musique 
instrumentale et chorale ^, et en efiet le nombre des choristes du 
canticum s'était tellement accru qu'ils se répandaient jusque sur 
la cavea et qu'au dire de Senèque on comptait , de sou temps , 
plus de chanteurs que de spectateurs au temps passé^. Le nombre 
des instrumentistes augmenta nécessairement en même temps que 
celui des chanteurs, et il fallut même employer des instruments 
plus puissants et plus sonores. L'orgue, considéré jusque là comme 
une curiosité scientifique, devint un élément nécessaire de la 
nouvelle musique. Suétone ^ nous apprend que Néron en avait 
étudié les effets et qu'il projetait de le faire entendre au théâtre. 
Bien qu'il n'ait pas eu le temps d'exécuter son dessein , son 
nom resta associé dans le souvenir des Romains à l'histoire de 
cet instrument. Un orgue est figuré sur des médaillons contor* 
niâtes à l'effigie de Néron, et la même représentation accompagne 

1. V. les notes de M. Jullien dans la traduction des Œwvres morales de 
M. Bètoland. 

2. Plutarch., De Mtuic., 27. 

3. Macrob., SatumaL^ II, 7. 

4. Senec, Ep,, 84. 

5. Suét., Nero, 41 et 54. 



— «4 — 

qadques oontorniates de Trajan * . Bien qae cas monuments n'aient 
été fafariquég que vers le r^ne de Yalentinien III, on ne saurait 
leur refuser une certaine valeur historique en ee qui oonœme le 
détail des arts et des jeux sous le haut empire, et il n'est peut-être 
pas trop hardi d'int^préter ce double fait numismatique en sup- 
posant que le projet conçu par Néron trouva son exécution sous 
Trajan. 

Les concours de musique , inaugurés par Néron , furent systé- 
matisés par Domitien et devinrent partie intégrante des fêtes de 
Jupiter Capitolin et de Minerve. Domitien fonda un prix pour 
ceux qui diantaient en s'accompagnant de la cithare, un autre 
pour ceux qui accompagnaient les chœurs avec cet instrument et 
un troisième enfin pour ceux qui jouaient de la cithare sans chan- 
ter *. Des prix furent ajoutés dans la suite pour les joueurs de 
flûte ^. L'audition des morceaux composés en vue du concours et 
exécutés par les concurrents avait lieu dans l'Odéon, théâtre cir- 
culaire contenant dix à onze mille places, que Domitien fit cons- 
truire ^ mais qui probablement ne fut terminé que sous Trajan 
puisqu'on lui a rapporté l'honneur de l'avoir fondé ^. 

Les progrès de la musique dramatique et instrumentale carac- 
térisent donc particulièrement cette phase de l'histoire de l'art. 
La musique religieuse ne dut subir aucune modification, car le 
nombre et l'emploi des instruments et des voix était soumis depuis 
longtemps à des règles dont on n'aurait pas cru pouvoir s'afii^an- 
chir sans impiété ^. Quant à lamusique de chambre, sa vogue, au 
commencement du second siècle, devint plus grande que jamais. A 
défaut de témoignages directs, l'activité littéraire des poètes lyri- 
ques pourrait être invoquée pour nu)ntrer à quel point ce genre 
de musique était en faveur, car il est reconnu aujourd'hui que les 
Odes d'Horace, aussi bien que celles de ses imitateurs , furent 
composées en vue du chant, et efiectivemeut mises en musique et 
chantées ''. Mais Pline lui-même nous parle d'accompagnements 
de cithare pour ses hendécasyllabes*. En Grèce* comme en Italie^^ 

1. Sabatier, Médaillons eaniomkUes, pi. X. 

2. Suét, DonUi., 4.-3. Corp. Insc, Gr. 1720. 

4. Suôt, Dom«., 5. Eutrop., VHI, 15. 

5. Pausanias, V, 12. 

6. Les chants d'église des premiers chrétiens sont mentionnés par 
Pline. Ep. ad TraJ., 96. 

7. 0. Jahn, Wie wurden die Oden des fforaUus vorgettagen? {Hermès 
vol. II, p. 418). 

8. Ep., VII, 4. 

9. Plutarcb., Quaest. Conviv., VU, 8.- 10. Plia., Sp., l, 15; IX, 7. 



— 272 — 

la musique était désormais une partie essentielle de tout banquet 
et du repas même le plus simple. A l'époque dont nous nous 
occupons, cet art devint, pour les femmes de condition libre et 
de mœurs honnêtes, un passe-t^ps permis : elles purent donner, 
par leur talent, un nouvel attrait aux réunions de famille et de 
société. Il semble qu'au temps d'Auguste les bienséances ne l'au- 
raient pas souffert : les maîtresses d'Horace qui chantaient ses 
poèmes en s'accompagna nt de la lyre ou de la cithare, Lydie, 
Chloé S sont des courtisanes habiles à saisir un moyen d'atti- 
rer, par l'attrait d'im plaisir plus délicat et plus raffiné, des 
oisifs et des artistes. Mais cent ans plus tard, la musique entre 
dans l'éducation des jeunes filles'; la femme de Pline chantait les 
vers de son mari en s'accompagnant de la lyre '. Il n'y a pas à 
s'étonner de ce changement de mœurs qui se lie d'une éiçon toute 
naturelle à l'établissement des salons où nous avons vu les femmes 
prendre part à des discussions littéraires et philosophiques; le 
droit, pour elles, de manifester leur talent musical n'est après 
tout qu'un effet et un signe de l'indépendance qu'elles acquéraient 
dans les mœurs et dans la loi. 

Sur la PEINTURE au second siècle, nous avons encore moins de 
renseignements que sur la musique. Toutes les œuvres de cette 
époque ont péri ; quelques noms propres conservés par hasard ne 
nous apprennent que bien peu de chose. On peut croire que si un 
artiste eût manifesté quelques éclairs de génie, ou donné les 
preuves d'un talent véritable, les écrivains contemporains ou 
postérieurs ne l'auraient pas absolument passé sous silence. Mais 
il semble qu'en ce moment la peinture fut devenue un passe- 
temps de dilettanti ou un gagne-pain pour des barbouilleurs de 
métier. Parmi les amateurs il faut ranger Hadrien qui du reste 
avait des prétentions de connaisseur en tous les genres, et dis- 
cutant un jour avec Âpollodore, en présence de Trajan, une ques- 
tion d'architecture, reçut de son interlocuteur l'avis, peu chari- 
table et peu ménagé < d'aller peindre ses citrouilles ^, » paroles 
dures, et probablement méritées, qu'ApoUodore paya de sa vie 
quand le méchant peintre fut devenu le maître du monde. Cette 
anecdote nous apprend qu'Hadrien, si on veut à toute force le 
considérer comme artiste, doit être classé au nombre des Rhopo- 
graphes. Un autre amateur, Publius, possesseur de la chienne 

1. (7om. II, 11, Î2; m, 9,10. 

2. Stat., SUv., m, 5, 64. 

3. Ep, IV, 9. 

4. Dion, LXIX, 4. 



— 273 — 

Issa, fit de cette bête un portrait qui décelait un talent véritable, 
si les éloges de Martial sont sincères ' ; mais la chienne , en cette 
même pièce, est louée avec une effusion telle que le petit poème 
est visiblement un appel, finement tourné d'ailleurs, à la géné- 
rosité de Publius flatté dans ses deux passions: il n'y a rien ici 
pour l'histoire de l'art. Dans le même temps, Artémidore abor- 
dait la grande peinture', mais il manquait le succès en choisissant 
des sujets peu appropriés à son tempérament. Après ces trois 
personnages, vient la foule innombrable des faiseurs de portraits 
à la douzaine^, des brosseurs de naufrages pour tableaux votifs^. 
Ils pouvaient aussi gagner quelqu'argent en faisant des copies, 
par exemplepour les libraires qui vendaient, enrichi du portrait de 
l'auteur, tout exemplaire soigné d'un classique ^. D'autres fois ils 
travaillaient pour d'opulents amis des lettres qui voulaient déco- 
rer leurs bibliothèques avec les portraits des écrivains célèbres. 
Ainsi Pline écrit à un habitant de Pavie de faire copier, pour un 
amateur de ses amis, les portraits de Cornélius Nepos et de Titius 
Severus sur les originaux conservés dans la ville, en exigeant du 
peintre chargé de ces copies une exactitude scrupuleuse : qu'il se 
garde bien de rien changer à son modèle, même pour l'embellir*. 
On poussait loin, en effet, le respect de la peinture ancienne, jus- 
qu'à ne plus aimer que l'archaïque , comme il arrive à toutes les 
époques où la force d'invention et d'exécution diminue. On se 
passionnait pour les écoles primitives ; quelques amateurs ne fai- 
saient cas que des monochromes de Polygnote et d'Aglaophon ^. 
Comme preuve du goût très-général alors pour cettte branche 
de l'art, et pour montrer à quel point était répandue la connais- 
sance des diverses écoles, on peut invoquer les nombreuses com- 
paraisons que Quintilien y va chercher pour caractériser les 
génies oratoires et les œuvres d'éloquence. On sent que la langue 
de la critique d'art est faite, et que ses jugements sont familiers à 
tous les esprits*. Le goût du public pour les descriptions et les 

1. Epigr., I, 109. 

2. Epigr., V, 40. 

3. Juvénal, IX, 145. 

4. Id,iai, 29: Pictores quis nescit ab Iside pasci. 

5. Martial, XIV, 186. 

6. Plin. Ep,, IV, 28. 

7. Quintil., XII, 10. 

8. D'ailleurs cette critique ne raisonnait pas toujours mal, à en juger 
par cette remarque de Pline {Ep. IV, 28) qu'une bonne copie est, à cer- 
tains égards, plus difficile à exécuter qu*un bon tableau , opinion beau- 
coup moins paradoxale qu'elle ne le semble au premier abord. 

DE Là beege 48 



— 274 — 

critiquas de tableaux alla même si loin qu'on vit naître, vers ce 
temps-lk , un nouveau genre littéraire : des catalogues raisonnes 
de galeries réelles ou fictives, dont les Imagines de Philos- 
trate sont un spécimen bien connu ^ 

Pour L'ARGHirECTURE, le règne de Trajan fiit une époque de 
puissance et d'éclat. Bien que presque tous les monuments alors 
édifiés soient détruits , l'étude de ceux qui restent , et la distribu- 
tion intérieure de ceux dont les fondations subsistent, distribu- 
tion facile à reconnaître, en plusieurs cas, quand on fouille le 
sol à une faible profondeur, permettent de porter un jugement 
sur le goût général de l'époque et les principes qui dirigèrent les 
artistes contemporains. 

On l'a dit * avec une part de vérité : ce qu'on appelle l'archi- 
tecture romaine n'est que de l'architecture grecque de décadence. 
Mais ce sévère arrêt n'est applicable qu'aux édifices élevés en 
vue d'un usage commun aux deux peuples, ou empruntés par 
Rome à la Grèce : temples, théâtres ou g3annases, édifices dont 
la forme, l'aménagement intérieur, le caractère, l'ornementation 
étaient depuislongtemps réglés dans les moindres détails, et dont 
les types nombreux, tant de fois étudiés, ne laissaient plus d'issue 
à l'originalité créatrice, et ne pouvaient plus être modifiés que 
par des combinaisons nouvelles d'éléments traditionnel , combi- 
naisons presque fatalement malheureuses puisque les meilleures, 
et les meilleures après celles-ci, déjà moins bonnes, avaient été 
réalisées. Mais à Rome, où les architectes grecs et asiatiques se trou- 
vèrent en face de besoins nouveaux et d'idées particulières pour 
la satisfaction et l'expression desquelles leur tradition était muette 
et leur doctrine insufSsante, ils retrouvèrent les facultés créa- 
trices dont le développement était étoufie ou paralysé sur le sol 
natal : ils dépouillèrent le faux goût, le sentiment maniéré et 
mesquin qui déparaient les monuments élevés par eux dans leur 
pays, et ils donnèrent à l'arc de triomphe et à la basilique la 
solidité , la hardiesse et l'harmonie sévère qui caractérisent 
le génie littéraire du peuple pour lequel ils travaillaient. Au ser- 
vice de la pensée romaine, ils se sont montrés virils, austères et 
forts comme les Romains pour qui et chez qui ils ont bâti. 

1. V. Matz. De imaginUnu PhUostratorwn. Bonnae, 1867, p. 8. La sophis- 
tique pénétra vite dans ces petites compositions. Elien (Hisl. For., Ili, 1) 
et Himerius (Or. XXV, 1 ) mettent déjà le talent du descripteur de ta- 
bleaux au môme niveau que celui de Tartiste. D'après M. Matz, Nicostraie 
serait l'inventeur de Tixf poaic- 

2. E. Guillaume. Temple d'ÀuffUsie à Ancyre, p. 18. 



— Î75 — 

Ainsi l'architecture du règne de Trajan est grecque, si l'on n'a 
égard qu'à la patrie des maîtres : Temponeur lui-même nous ap- 
prend qu'il faisait venir de l'Orient les artistes auxquels il devait 
confier le plan et l'exécution des travaux immenses qu'il proje- 
tait *. Mais elle est romaine si, comme il est juste, on ne s'attache 
pour la définir qu'à son esprit général, à l'espèce des monuments 
qu'elle a laissés sur le sol italique, au caractère des sculptures 
conçues en vue de la décorer. Depuis Néron, l'architecture ro- 
maine ofirait deux particularités caractéristiques : l'énormité des 
proportions et l'emploi de substances rares et précieuses. Cet 
emploi fut continué sous Trajan, quand il ne devenait pas une 
prodigalité ruineuse. Ainsi Pline charge l'architecte Mustius de 
se procurer des marbres pour le revêtement des parois du temple 
qu'il veut agrandir*; les colonnes intérieures de la basilique 
Ulpienne sont en granit dur d'Egypte, et celles qui formaient le 
portique du côté du Forum étaient en marbre jaune de Numidie. 
Mais par un retour au bon goût, les proportions colossales furent 
abandonnées, au moins pour les édifices d'Italie. Leurs dimen^ 
sions n'excèdent pas les limites de l'utile et du beau. La longueur 
considérable du pont du Danube, la hauteur extraordinaire du 
pont d'Alcantara furent conmiandées par des conditions topogra- 
phiques. En Orient seulement, je retrouve un de ces édifices im- 
menses qu'afiiBctionnait la génération précédente : c'est le tom- 
beau célèbre de Pétra, dont la construction, à en juger par la 
perfection du travail, remonte au conmiencement du deuxième 
siècle, et dès lors dut suivre presque immédiatement la conquête 
de l'Arabie par Coruelius Palma. Ce monument gigantesque, 
dont les dimensions le cèdent à peine à celles de l'Arc de l'Etoile 
à Paris, offre deux étages : le premier, consacré proprement à la 
sépulture, présente l'aspect d'un temple hexastyle ; au-dessus s'é- 
lève un édifice semi-circulaire, sorte de temple monoptère flan- 
qué de colonnes qui supportent l'entablement général. L'histoire 
de l'art n'offre rien d'analogue à cette combinaison hardie de 
deux temples superposés, jusqu'au xvi® siècle où Bramante sus- 
pendit une coupole au-dessus de l'immense basilique de Saint- 
Pierre*. 

Trajan fit peu construire au début de son règne. Les profu- 



1. Plin., Ep,, ad Traj,, 40. 

2. Plin., Ep., IX, 39. 

3. Hittorf, Mémoires de V Académie des Inscriptions, nouvelle série, XXV, 
2* partie. 



— 276 — 

sions monumentales de Néron , celles des Flaviens, de Donatien 
surtout, avaient épuisé le trésor public. En Tan 100, Pline 
loue chez l'empereur sa réserve à entreprendre des bâtiments 
nouveaux, et sa diligence à conserver les anciens ^ Douze ans plus 
tard, Trajan ne méritait plus les mêmes éloges, mais comme 
nous l'avons fait remarquer, les grandes constructions du Fo- 
rum ne furent entreprises que quand plusieurs années de bon 
gouvernement avaient constitué de bonnes finances, et que la 
guerre heureuse faite aux Daces avait fait affluer dans le trésor 
public des ressources considérables. La même remarque s'ap- 
plique à l'arc d'Âncône, contemporain de la guerre des 
Parthes, et aux deux arcs placés sur la Via Appia, l'un à 
Rome *, l'autre à Bénévent, à la même époque et après que le 
pavage de la route, partie utile du travail, était terminé. 

Parmi les architectes de ce temps dont les noms nous ont été 
conservés, on cite C. Julius Lacer, l'auteur du pont d'Alcantara 
et du temple voisin ^ ; Rabirius, à qui étaient dues la plupart des 
grandes constructions du règne de Domitien ^; Mustius, dont 
Pline loue la science et le goût, et qu'il chargea de reconstruire et 
d'agrandir un temple de Cérès dans l'une de ses terres^. C'est 
peut-être ce même Mustius qui avait donné les plans des belles 
villas du Laurentin et de la Toscane dont nous aurons à parler 
tout à l'heure. Mais le plus grand de tous ces artistes est Âpol- 
lodore de Damas qui, après s'être montré dans la guerre Dacique 
un ingénieur militaire habile et résolu, révéla les facultés puis- 
santes et les dons brillants du génie architectonique dans le plan 
du Forum Trajanum, dans les immenses travaux prépara- 
toires que ce plan rendit nécessaires, dans le dessin correct, 
l'exécution soignée, l'achèvement rapide des monuments projetés. 

Nous avons déjà indiqué ces monuments : Arc de triomphe à 
l'entrée du Forum, — Bibliothèques, — Basilique, — Colonne 
Trajane, — Temple que Trajan voulait sans doute consacrer à 
Nerva, mais qui fut dédié par Hadrien à Trajan lui-même. Les 
témoignages anciens ne laissent aucun doute sur le sentiment 
d'admiration que produisait ce bel ensemble, et la longue exis- 
tence du Forum Trajani atteste la solidité des édifices qui 

1. Panég,y 51. 

2. On le détruisit au iv* siècle pour faire servir ses bas-reliefs à la 
décoration de Parc de Constantin. 

3. Corp. Inse, Lai., Il, 759. 

4. Martial, VII, 56, X, 71 . 

5. Plin., Ep., IX, 89. 



— 277 — 

l'entouraient et l'embellissaient ^ Tout a disparu sauf la colonne, 
dépouillée de la statue du vainqueur des Daces', et quelques 
piliers tronqués d'une des cinq nefs de la basilique. Des médailles 
d'un dessin excellent et très-exact comme l'ont démontré les 
fouilles, ces fouilles elles-mêmes heureusement exécutées, ont 
permis néanmoins de reconstituer l'œuvre d'ApoUodore d'une 
manière à peu près certaine. Nous en avons décrit plus haut les 
parties subsistantes, et nous n'avons pas à revenir sur ce sujet. 

D'après une opinion récemment émise par M. Froehner^, le 
Forum d'Apollodore aurait été conçu sur le plan des grandes 
constructions égyptiennes, et rappellerait notamment le tombeau 
d'Osymandias qu'a décrit Diodore^. Je ne saurais partager cette 
manière de voir. En premier lieu la comparaison, telle qu'elle a 
été présentée, implique l'existence de ce tombeau extraordinaire. 
Or on n'a aucun motif pour abandonner les arguments que 
Letronne a si bien fait valoir^ en vue d'établir la nature fabuleuse 
du récit débité par les ciceroni thébains. Il est vrai que la dispo- 
sition générale commune à tous les temples de la Haute-Egypte, 
et qui a servi de canevas au conte fait à Diodore, ofire de loin- 
taines ressemblances avec le Forum : par exemple, dans l'un des 
temples récemment explorés d'Edfou^, on rencontre une salle 
hypostyle placée entre une grande cour carrée et un sanctuaire 
comme ici la basilique est entre le temple du fond et Yarea Tra- 
jani. Il ne serait pas impossible non plus, d'une manière absolue, 
que le goût égyptien qui devint à la mode sous Hadrien, eût com- 
mencé à se répandre vingt ou vingt-cinq ans plus tôt qu'on ne 
l'avait cru jusqu'ici. Mais en quoi son influence se fait^-elle sentir 
ici, dans ce groupe de monuments dont chacun, pris à part, est 
romain, et dont l'assemblage n'offre rien de nouveau ni d'extraor- 
dinaire? Vitruve avait construit à Fano^ une basilique à double 
entrée située, comme la basilique Ulpienne, entre un forum et 
un temple ; si on ne veut pas qu' Apollodore ait imaginé la dis- 
position des édifices dont il dirigea la construction, n'est-ce pas 

1. Il existait encore au viii* siècle, quand l'Anonyme d'Binsiedeln 
écrivit son Itinerarium, Urlichs, Codeo' urbis Romae Topographicw, p. 74. 

2. Buried in air, the deep blue sky of Rome, 
And looking to the stars, etc. 

Byron, CkUd-Harold, IV, cxi. 

3. Colonne Trajane, p. 49. 

4. Diod., I, 46-50. 

5. Monument d'Osymandias, Paris, 1831, in-4*. 

6. Revue archéologiqite, nouvelle série, t. XI, pi IX. 

7. Vitruv., De architecte V, I. 



— 278 — 

dans le traité classique de son art, plutôt que dans la vallée du 
Nil, qu'il sera allé chercher l'inspiration qui lui manquait ? Il 
avait tout près de lui, et sur le sol et dans les livres, des modèles 
d'arcs de triomphe, de temples, de basiliques, de bibliothèques : 
la colonne au contraire est en son genre le premier monument 
connu, et paraît bien de l'invention d'ApoUodore. M. Froehner 
croit y reconnaître une imitation du Panium d'Alexandrie' et 
ici encore je me sépare de son opinion. Le Panium était-il pourvu 
d'un escalier intérieur et décoré de bas-reliefis sur sa surface 
extérieure? Rien n'autorise à le croire et l'on ne trouve rien de 
tel dans la description que Strabon nous en a laissée'. L'art 
grec ofiErait déjà des exemples de statues posées sur des colonnes ^ 
et c'est là, peut-être, qu'Apollodore prit l'idée du monument 
à élever en l'honneur de Trajan ; quant à l'invention de l'escalier 
intérieur, il lui appartient bien légitimement. 

Nous pouvons étudier d'autres édifices de la même époque, 
tels que les arcs de Bénévent et d'Ancône, et le tombeau des rois 
de la Comagène, à Athènes ^ Ils offrent un caractère commun de 
simplicité et de sévère élégance, un peu altéré pourtant à Béné- 
vent, où la construction prend déjà quelque chose de lourd dans 
son aspect. Les surfaces extérieures y sont couvertes de sculptu- 
res, ce qui est aussi un symptôme de décadence : offusqué, égaré 
par l'abondance des détails, l'œil du spectateur ne saisit pas 
nettement l'idée première de l'architecte, qui a laissé envahir son 
domaine par les décorateurs. 

Les grandes villes que possédait Pline, et dont il a si complai- 
samment développé les descriptions, nous fournissent d'excel- 

1. Colonne Trajane, p. 50. 

2. ndvsiov, ij^oç Te x^^po^o^^'^^v, (TTpoêi6Xo£i5èc, é(i^epèc 6x0 (|> iCETpuôei, Stà 
xoxX^ov tVjv àvdéounv Ixw. Strab. XVU, I, 10, traduit par Letronne : c colline 
c factice qui a la forme d'une toupie, on dirait une roche escarpée; un 
c escalier en limaçon conduit au sommet. > 

3. G. Mûller, Manuel d'archéologie, i 286, 5 de la 3* édition allemande. Ce 
rapprochement est indiqué par M. Dierauer. D'ailleurs la statue élevée 
en 439 av. J.-G. à L. Minucius devant la porte Trigemina reposait sur une 
colonne, comme le prouvent les médailles de la famille Minucîa (Cohen, 
Monn. de la Rép., pi. XXVIII, n* 7 et 13). Le Maenianum paraît avoir été 
aussi une colonne surmontée d'une statue, v. Mommsen, Bist, de la 
Monnaie Romaine, traduct. fr., t. II, p. 431. Ici encore, Apollodore pouvait 
B*inspirer de monuments romains. 

4. Stuart, AnUq. d*Aih,, pi. 29-34. Sur plusieurs médaillesde Trajan, en 
bronze, on voit une colonne surmontée d'une chouette qui paraît bien la 
représentation d'un monument alors existant (H. de Longpérier, Rev, 
Num., 1868, p. 475 et suiv.). 



— 279 — 

lents types de rarchitecture civile sous le règne de Trajan. Elles 
appartiennent à la classe de bâtiments que Vitruve appelle aedi- 
ficia pseudo-urbana^ y qui ne différaient des habitations urbai- 
nes sur aucun point essentiel. Félibien' a fait remarquer^ que 
dans Tune de ces lettres^ considérée « plutôt comme une pièce 
d'éloquence que comme une description régulière, le Laurentin 
est pourtant décrit si exactement que les mesures mêmes de 
chaque partie principale des bâtiments s'y trouvent en quelque 
sorte déterminées par la comparaison de chacune de ces parties 
les unes aux autres, et par la nécessité d'y conserver toutes les 
vues, les expositions et les commodités que Pline leur attri- 
bue ». n fait^ la même observation pour la lettre relative à la 
villa de Toscane^. Mais l'habile historien des arts s'est mépris 
sur les facilités que pourraient offrir ces pages célèbres aux archi- 
tectes qui voudraient entreprendre la restauration dès villas. Les 
plans qu'il en a dressés avec leur secours sont fort discutables : 
d'autres artistes en ont proposé de tout différents' en s'appuyant 
sur les mêmes textes. Ces divergences ne doivent pas surprendre : 
qui ne sait combien l'interprétation du vi* livre de Vitruveest restée 
conjecturale jusqu'à ce que le déblaiement de Pompéi eût mis les 
architectes en présence d'édifices analogues à ceux dont Vitruve 
avait parlé? Et pourtant on avait entre les mains un ouvrage 
écrit par un homme du métier, habitué à la précision scientifique 
et fidèle à la rigueur du langage technique, tandis que Pline, en 
maint endroit, sacrifie cette précision à l'élégance. Ainsi la décou- 
verte des ruines de ses villas pourrait seule rendre tout à fait 
intelligibles les descriptions qu'il en a données, et on ne peut 
guère compter sur une pareille découverte *. Mais les lettres en 
question n'en sont pas moins des documents extrêmement précieux 
pour l'histoire de l'architecture : si l'ordonnance et la distribution 
des bâtiments ne sont pas connues avec une entière certitude, 

1. Vitr., De archit., V, 6. 

2. Les plans et les descriptions de deux des plus béUes maisgns de cam- 
pagne de Pline, le consul, Paris, 1699. 

3. Page 6. 

4. C'est la 17« du II* livre. 

5. Page 82. 

a La 5« du VI« livre. 

7. V. P. Marquez : Dette ville di Plinio U Giovans, Roma, 1796, in-4*. 

S. Le site de la villa de Toscane n^est nullement indiqué. Au 
xvm* siècle on crut retrouver les vestiges de la villa Laurentine, à Gastel- 
Fusano, mais c'était une erreur. V. Fea, Relazione di nn viagglo ad Osiia 
ed aUa viUa di Plinio. Roma, 1802, in-8% pp. 67-68. 



— 280 — 

nous sommes du moins assez bien instruits de leur composition, 
et nous possédons des éléments d'étude plus décisifs peut-être que 
ceux que fournirait la description d une maison bâtie dans Rome, 
l'architecte ayant pu, en Toscane comme dans le Laurentin, 
réaliser ses plans sans être gêné par les obstacles que lui oppo- 
saient un sol partout bâti et des règlements multipliés de voirie 
et de police. 

C'est en effet au point de vue de la vie urbaine, de ses besoins 
et de ses plaisirs, qu'il faut se placer pour juger les plans de 
l'architecte qui a construit les villas de Pline : ils nous paraî- 
traient mal conçus si nous songions à la vie de campagne telle 
que nous l'entendons aujourd'hui. Il faut dire ici quelques mots 
du sentiment de la nature qu'éprouvaient les anciens et qui diffé- 
rait absolument du nôtre. En quittant la ville, nous cherchons 
une diversion à la civilisation rafiSnée qui nous entoure et qui a 
pénétré et déterminé toutes nos habitudes : nous voulons trouver 
à la campagne un contraste aussi net, aussi tranché que possible 
avec ce que nous avons abandonné. En conséquence, nous donnons 
à nos habitations rustiques un aspect modeste et simple, et tout 
ce qui en dépend comme ameublement ou comme décoration porte 
l'empreinte du même goût. Si l'importance de l'habitation exige 
un certain développement monumental, on adoptera une archi- 
tecture ancienne, et le château semblera une création et un 
témoin du passé, oublié au milieu du mouvement général de 
l'industrie et de la transformation des mœurs. Son air de vétusté 
produira l'illusion cherchée du lointain, et appellera notre ima- 
gination hors du cercle de la vie quotidienne. Cette même lassi- 
tude, un peu affectée, de la civilisation, nous a donné le goût des 
beautés pittoresques et romantiques de la nature, et nous fait 
trouver du charme à ses aspects les plus sévères et les plus désolés. 
On veut retrouver un ordre d'émotions pareil dans les parcs ou 
les jardins qui entourent les maisons de campagne et les efforts 
de l'art tendent à y faire disparaître toute symétrie. On respecte 
les inégalités du terrain, on conserve ou on crée des massifs qui 
seront des forêts en miniature, traversées par des allées étroites 
et sinueuses qui doivent rappeler les sentiers à peine fi^yés au 
milieu des bois. Que nous sonunes loin des anciens, et surtout des 
Romains du second siècle! Ils ne pensaient nullement comme nous à 
cet égard et ils n'avaient pas la moindre idéedu plaisir que peut faire 
naître un tel contraste. Us aimaient, au contraire, à se sentir près 
de l'homme, à retrouver toujours près d'eux les traces de son acti- 
vité et de ses passions. Les Géor gigues sont pleines de nos joies 



— 284 — 

et de nos douleurs : le héros du poème est la race humaine, labo- 
rieuse et persévérante, qui a dompté les forces naturelles et appris 
à prévenir ou à réparer les ravages de leur élan funeste et désor- 
donné. Les animaux y deviennent sympathiques, non par leurs 
qualités propres, mais par la quasi-humanité que leur confère 
Virgile, et à laquelle ils se sont élevés en s'associant à nos tra- 
vaux et en se mêlant à notre existence. Le seul Horace, parmi 
les poètes latins, semble avoir aimé la nature pour eUe-même, et 
encore n'a-t-il guère été séduit que par ses côtés gracieux. Il s'est 
amusé des accidents de lumière et de lignes que lui offrait la cam- 
pagne romaine, il a connu les rêveries et la mélancolie douce où 
l'aspect des champs et des bois nous fait tomber. Mais c'est un 
sentiment délicat et passager qui n'envahit jamais son âme tout 
entière, qui ne s'exalte pas au point de la tourmenter et de la 
troubler, et qui n'influe même pas sur le tour habituel de sa 
pensée. En somme, les forêts ne produisaient sur l'esprit des 
Romains qu'une impression de mystérieuse terreur, les montagnes 
leur semblaient des obstacles permanents aux relations des peu- 
ples, et ils n'y voyaient que des repaires de brigands ou des déserts 
jetés entre les nations policées ; la mer seule, avec sa physionomie 
changeante et son langage retentissant qui semblent les manifes- 
tations d'une vie intense et puissante, la mer qui réunit les hom- 
mes plutôt qu'elle ne les sépare, a inspiré à leurs poètes et leurs 
artistes des sentiments analogues à ceux qu'elle nous fait éprouver. 
D'autre part, les contemporains de Trajan n'étaient nullement fati- 
gués de leur civilisation. Ce n'est pas pour l'oublier, mais bien 
au contraire pour en jouir à l'aise, qu'ils quittaient Rome. Ce 
qu'ils fuyaient c'était la vie forcément collective, et cette pro- 
miscuité perpétuelle et fatigante de la capitale à laquelle les 
empereurs seuls, avec dix ou douze possesseurs de grands jardins, 
pouvaient se soustraire sans quitter l'enceinte des sept collines. 
Dans les logements étroits qu'on louait à grand prix dans Rome, 
la vie semblait comprimée, les réunions un peu nombreuses étaient 
gênées, le recueillement nécessaire à Tétude était impossible à 
obtenir ^. Quant aux besoins essentiels de la vie antique, liss bains, 
les exercices gymnastiques, les jeux, les promenades, on ne trou- 
vait à les satisfaire que dans des établissements somptueux sans 
doute, et incessamment agrandis pour donner place à une popu- 
lation croissante, mais toujours encombrés néanmoins par une 
foule bruyante et tracassière. 

1. Ju vénal, III, 233. Martial, XII, 57. 



— 2S2 — 

On conçoit maintenant ce que Pline aimait tant dans ces mai- 
sons de campagne ; on s'explique le bonheur mêlé de vanité qu'il 
éprouve à décrire à ses correspondants ces bains si bien installés 
et si agréables quand on les OMnpare aux piscines publiques de 
Rome, et ces longues allées de platanes et de vignes où le maître, 
promené en litière, entend à peine le bruit des pas de ses porteurs, 
et ce jeu de paume que personne ne vous dispute, où l'on entre et 
que Ton quitte au gré de sa fantaisie, et ces bibliothèques, et ces 
cabinets d'étude où l'on se recueille en silence, et ces triclinia 
d'où la vue s'étend sur la campagne, et ces salons spacieux où, 
loin de la présence importune des esclaves, on donne aux épan- 
chements de l'amitié un libre cours, où une société nombreuse 
peut prendre place commodément pour s'entretenir d'art et de 
lettres, et pour entendre la lecture du nouvel ouvrage. Nous 
sommes bien ici dans une maison de ville, plus grande, plus con- 
fortable et plus ornée que celles de Rome. Rien n'est trop beau, 
ni trop rare, ni trop cher pour la décorer : les mosaïques, les 
marbres précieux revêtent les planchers et les murs. On prend 
une haute idée du talent des architectes qui avaient su aménager 
si ingénieusement la distribution de ces grandes villas, donnant 
à chaque pièce l'exposition la plus convenable et le jour le mieux 
approprié à sa destination, et élisant servir au bien-être de la vie 
quotidienne les découvertes les plus récentes de l'industriel Ces 
efforts de l'art pour introduire l'agrément et la magniâcence dans 
les habitations particulières, jettent un jour instructif sur l'état 
des mœurs et sur les habitudes domestiques au deuxième siècle, 
chez un personnage de la classe moyenne, jouissant d'une fortune 
ordinaire. Ils sont aussi les témoignages intéressants de l'activité 
créatrice que la vie romaine avait éveillée chez les artistes, car 
la simplicité de la vie grecque ne comportait pas un tel dévelop- 
pement de l'architecture civile, et ne l'aurait jamais suscité. Des 
maisons de campagne semblables à celles de PUne se multiplièrent 
dans l'Occident; au cinquième siècle on en trouve le type à peine 
altéré sur le sol des Gaules ' et, à la Renaissance, elles ont servi 
de modèles aux villas italiennes quand Scamozzi et San Gallo se 
mirent à l'école des anciens. 

Le peu de goût des Romains pour les beautés pittoresques de la 

1. Remarquer surtout les grandes plaques de pierre spéculaire qui 
fermaient les spacieuses fenêtres des œci Cyzicenit et les caiorifôres qui 
répandaient dans toute la maison une chaleur réglée au moyen de 
bottches (angustae fenestrâe). 

2. Villa de Sidoine Apollinaire, décrite par lui, Ep., H, 2. 



— 283 — 

nature se fait sentir dans le dessin des jardins de Pline, tracés au 
cordeau et au compas. Simple auxiliaire de rarchitecte, le topior- 
rius avait, sous sa direction, aplani le sol et mutilé les arbres. 
Le buis, par sa docilité à garder les formes que lui a données la 
taille, était l'essence préférée pour ces jardins : il y formait des 
lignes droites ou courbes, il encadrait des parterres contournés 
en figures d'animaux ou bien dessinait sur le terrain des lettres 
composant le nom de Pline ou celui de Mustius ^ Â chaque pas, 
d'ailleurs, on rencontrait une statue, ou une colonnade, ou des 
eaux jaillissantes. Nous voyons déjà régner ce goût puéril de 
S3anétrie et de décoration monumentale qui caractérise les jardins 
dits italiens ou français *. Il n'est pas jusqu'à certains enfantil- 
lages des villas romaines ou génoises qu'on ne retrouve dans 
celles de Pline; ainsi, au moment où on s'asseyait sur le banc 
semi-circulaire du stibadium^ on faisait jaillir un jet d'eau sur 
la table de marbre'. Les descriptions laissées par Pline ont, en 
effet, servi longtemps de préceptes aux dessinateurs de jardins. 

Les rapports étroits qui lient l'architecture à la sculpture ne 
se manifestent jamais avec une clarté plus grande qu'aux époques 
où elles se transforment, car les transformations des deux arts 
sont constamment corrélatives. Au temps de Périclès comme au 
siècle d'Alexandre, au Moyen Age aussi bien qu'à la Renaissance, 
leurs progrès, leurs ralentissements, leurs retours en arrière, 
leurs changements de tendances, sont toujours simultanés et 
décidés par un seul et même ordre d'idées ou de sentiments. Nous 
ne serons donc pas surpris de trouver une école de sculpture flo- 
rissante à côté de l'école d'architecture dont nous avons indiqué 
l'esprit général et dont nous avons énuméré les créations princi- 
pales. Comme celle-ci, elle modifie la tradition grecque pour 
l'accommoder au génie romain. 

Au huitième siècle de Rome, trois grandes écoles se partagent 
le domaine de la statuaire, savoir : l'école d'Athènes, celle 
d'Asie-Mineure et ceUe à qui nous donnerons le nom de 
romaine pour spécifier le caractère des œuvres qui en sont sor- 
ties. La nouvelle école Attique qui a produit tant de monuments 
célèbres et signés, parmi lesquels il suffit de citer le Torse, la 
Vénus de Médicis, l'Hercule Farnèse, le Germanicus, est carao- 

1. DescriptioD de la villa de Toscane (£p., VI, 5). 

2. On a voulu trouver Torigine des jardins anglais dans cette phrase de 
Tacite : Golunt (Germani) discreti ac diversi, ut fons, ut campus, ut 
nemuB placuit (Germ, 16). 

3. Villa de Toscane. 



— 2S4 — 

térisée par sa prédilection pour les sujets religieux et pour les gra nds 
personnages de la mythologie. Par là, au moins autant que par le 
lieu de naissance des artistes qui l'illustrèrent pendant deux siè~ 
des, elle se rattache directement à l'ancienne école d'Athènes. La 
nature des sujets traités comportait une certaine tendance à 
l'idéal : aussi tant que les sculptures de Phidias n'ont pas été 
accessibles à l'étude, les Apollonius, les Cléomènes, les Glycon 
ont été placés à la tête des maîtres anciens. Mais les marbres du 
Parthénon ont fait descendre au second rang ces productions si 
admirées il y a moins d'un siècle. Malgré d'éminentes qualités, 
on reconnaît aujourd'hui que l'invention y manque et que la 
plupart de ces œuvres rappellent des types déjà consacrés par 
l'art *. On constate chez les artistes de cette école des tendances 
modérées à l'archaïsme ou à des essais de combinaison entre les 
principes posés par diverses écoles ; mais ces tentatives de restau- 
ration et de rajeunissement du passé, témoignages honorables des 
aptitudes d'un peuple admirablement doué pour les arts, ne pou- 
vaient se prolonger longtemps. Cette école disparaît à peu près 
au milieu du premier siècle de notre ère. 

L'école d'Asie-Mineure procède de l'école Rhodienne qui a 
déployé dans le Laocoon, dans le Taureau Farnèse, un réalisme 
puissant et une grande habileté dramatique. Mais quand la force 
d'invention commença à s'épuiser, les qualités des Asiatiques se 
réduisirent de plus en plus à l'habileté technique. Elle est admi- 
rable dans le Gladiateur où une science anatomique irréprocha- 
ble fait ressortir tous les muscles ; elle n'est plus que surprenante 
dans les Centaures de la villa Hadriana, où l'effet est poursuivi 
jusque dans les détails les plus délicats. Probablement exécutés pour 
Hadrien, c'est-à-dire peu de temps après la naort de Trajan, les 
Centaures nous donnent une idée exacte de ce qu'était sous ce 
dernier prince l'école d'Asie-Mineure. La dextérité avec laquelle 
les artistes modelaient les matières les plus rebelles dut leur 
valoir de nombreuses commandes des amateurs curieux, mais elle 
n'était pas de mise dans la sculpture monumentale ^ 

1. On l'a reconnu par Tëtude des médailles qui nous ont conservé les 
représentations de statues célèbres. 

2. L'enseignement et les procédés de Técole d'Âsie-Mineure devaient 
maintenir à une grande hauteur Tartde la gravure sur gemme qui o£bre 
en effet, à Tëpoque de Trajan, des monuments comparables, pour la 
beauté du style et la finesse du travail, à ceux qui datent du règne 
d'Auguste; v. à la Bibliothèque Nationale, n* 240, le beau portrait de 
Trajan en camée. Trajan scellait ses lettres et ses rescrits tantôt avec le 



— 285 — 

Celle-ci trouva de dignes interprètes dans la troisième école, 
qu'on peut faire remonter à Pasitelès ^ , artiste d'une activité sur- 
prenante, doué d'une merveilleuse variété d'aptitudes, prêt, comme 
les maîtres de la Renaissance, à traiter toute matière et à essayer 
ses forces sur tous les points et dans toutes les directions. De 
Pasitelès à Stéphanos, de Stéphanos à Ménélas, l'art resta k la 
même hauteur, et on vit se déployer chez ces artistes des qualités 
communes aux deux écoles dont nous avons parlé plus haut : 
retour aux bons modèles, respect et imitation intelligente des 
œuvres anciennes comme dans l'école Attique ; efforts pour saisir 
la réalité vivante- et soins scrupuleux de la forme comme dans 
l'école Asiatique, sans pourtant que cette poursuite dégénère 
jamais en tours de force et en manifestations inopportunes d'habi- 
leté. A cette école appartiennent certaines créations tout à fait 
inspirées par Rome, telles que les quatorze statues de peuples 
vaincus que Coponius exécuta pour le théâtre de Pompée ^ et qui 
servirent de types à ces représentations de ces prisonniers bar- 
bares si nombreuses au second siècle ; c'est à elle aussi que nous 
devons tant de belles statues d'empereurs et d'impératrices, où la 
réalité de la physionomie et du costume s'allie si heureusement 
à la noblesse du maintien et à la vérité de l'attitude ; tant de bustes 
où Ton trouve à la fois le caractère individuel et l'élévation 
idéale, admirables commentaires des historiens et des mora- 
listes contemporains, éloquents démentis à la prédiction que 
Virgile avait mise dans la bouche d'Anchise^. 

On voit se développer sous l'empire une branche encore 
plus importante de la sculpture. Nous voulons parler du basH 
rdief, conçu à Rome tout autrement que dans la Grèce. Là, les 
superficies monumentales décorées par ce procédé n'offrent que 
des silhouettes de personnages placés à la suite les uns des 
autres dans une procession ou une cérémonie religieuse, ou 
bien prenant part à un banquet funèbre, scène si calme qu'on 
a pu se demander si on était en présence d'un sujet allégorique 



portrait d'Auguste (Henzen, Scavi nel bosco degli Arvali, p. 59), exécute par 
Dioscoride (Suet. Oct 50), tantôt avec une intaille représentant Marsyas et 
Olympus (Henzen, ibid., p. 67), sujet souvent traité par les anciens en 
sculpture et en peinture. 

1. Sur cette école v. Brunr, GesehicMe der gr, KUnsUer, 1, 595-600. Ovbr- 
BSCK, Geschichte der OriecMschen Plastik, II, 340-349. KftKULÉ. Die Gruppe des 
KUnsUers Mendaos in vUla LudoviH. 

2. Piin., HisU Nat, XXXVI, 41. 

3. Aeneid, VI, 848. 



ou d'une représentation (fe la Tie rédle^. Â Rome, au contraire, 
nous trouvons de véritables scènes historiques, dont la complica- 
tion est rendue sans embarras : les groupes de personnages sont 
formée natui'dlement, les mouvonents sont rendus avec franchise, 
toute la composition oifre un caractère à la fois exact et pittores- 
que, et l'artiste sait y jeter la variété, le mouvement et la vie. Cette 
branche toute romaine de la sculpture commence vers Auguste, 
et au temps même où s'élevèrent les premiers arcs de triomphe. 
Dans le bas-relief de Ravenne qui représente l'apothéose de la 
famille Julia, onsaisitdéjà le germedes qualités qui vont se déve- 
lopper rapidement ; bientôt, sur les fragments conservés de l'arc 
de Claude, l'art s'enhardit : il touche à la perfectiondans les deux 
grandes compositions qui décorent les parois intérieures de l'arc 
de Titus et enfin, sous Trajan, il atteint le plus haut point où la 
sculpture historique soit parvenue. Laissant aux historiens de 
l'art la tâche intéressante de faire ressortir, par une étude appro- 
fondie', l'habileté d'agencement dont les sculpteurs inconnus de 
cette époque ont fait preuve en imaginant de ranger, sur des plans 
situés à difiérentes profondeurs, les personnages qui prennent part 
à l'action (artifice de perspective grâce auquel chacun, comme 
dans la peinture, prend son rôle et sa place), qu'il nous sufiise 
de rappeler ici les basp-reliefs récemment découverts sur le Forum', 
qui représentent la fondation par Trajan des institutions alimen- 
taires, et la remise qu'il fait au peuple des impôts arriérés dont 
les créances sont brûlées sous ses yeux, puis la magnifique bataille 
des Romains et des Daces, coupée d'une manière inintelligente et 
barbare pour décorer l'arc de Constantin, et enfin la spirale sculp- 
tée qui décore du haut en bas la colonne Trajane. Malgré quelques 
détails oiseux, et d'assez fréquentes négligences, on ne saurait y 
méconnaître un art réel pour reproduire les scènes militaires : 
marches, campements, allocutions, batailles, ambulances, convois 
de prisonniers, scènes de pillage ou de triomphe, tout est rendu 
avec une précision isurprenante et un talent de composition in- 
contestable. Le spectateur ne pouvait manquer de s'intéresser à 
ces représentations de faits auxquels il avait pris part, ou dont il 



1. Discussion entre Letronne et Pb. Lebas. 

2. V. un excellent travail de M. Ad. Pbilippi, Ueber dieromischen THuoi- 
phalreliefè, Leipzig, 1872, gr. in-8*, où la question a été abordée pour 
la première fois. 

3. Henzen, BulkiUno di CorrUp. Areh., 1872, 273-282. Montun, Ined. 
vol. IX, tav. XLVIl, XL VIII. 



— 287 — 

avait entendu le récit, et que la littérature oont^nporaine était 
loin de retracer avec une aussi pittoresque vivacité ^ 

Après Trajan, la sculpture en bas-relief resta florissante jusqu'à 
la mort de Marc Âurèle ; puis elle tomba rapidement, comme on 
s'en assure par un simple coup-d'œil jeté sur l'arc de Septime 
Sévère. Bientôt, à mesure que l'architecture périclitait, la sculp- 
ture déclina, et quand le sénat voulut élever un arc de triomphe 
au vainqueur du Pont Milvius, on l'orna de reliefs arrachés 
à l'arc construit sous Trajan à l'entrée de la Via Appia, res- 
taurée par lui. A l'époque de cette sauvage destruction l'art du 
bas-relief n'était cependant pas perdu absolument, mais il ne 
s'appliquait plus qu'à la décoration des sarcophages : d'ingénieux 
motifs décomposition, et une habileté persistante s'y retrouvent, 
jusqu'à la fin, comme pour témoigner de la puissance de l'école 
romaine à son origine. Puis on cessa d'orner les monuments funé- 
raires, païens ou chrétiens, et ceux qu'avait embellis le ciseau 
des derniers^ sculpteurs furent brisés ou négligés jusqu'au jour 
où Nicolas de Pise y vint chercher des modèles et puiser l'inspi- 
ration qui devait renouveler l'art moderne. 



1. Nous possédons au Louvre plusieurs bas-reliefs provenant de monu- 
ments construits sous Trajan. Glarac, pi. 144, n* 326, pi. t51, n^* 300, pi. 216, 
n» 323, pi. 219, n- 312, pi. 221, n» 313. 



CHAPITRE XIX. 



DÉTAILS PERSONNELS SUR TRAJAN. LÉGENDES. 



Revenons à Trajan, que nous avons un peu perdu de vue pen- 
dant que nous suivions le développement et l'activité de l'intelli- 
gence humaine au début de la période Antonine. Après le prince 
nous devons faire connaître Thonmie, en réunissant quelques 
traits que nous ont transmis les anciens sur sa physionomie et 
son caractère. 

Trajan était grand et bien proportionné : il avait les yeux pro- 
fonds et très-ouverts, les lèvres serrées, la barbe épaisse, le teint 
brun. Ses cheveux, qu'il portait courts, étaient devenus blancs 
de fort bonne heure. On remarque dans ses bustes un développe- 
ment extraordinaire de la partie postérieure de la tête : le visage 
respire une certaine gravité et le regard, empreint de résolution, 
semble dur; mais les biographes nous apprennent que la blan- 
cheur de sa chevelure adoucissait la majesté naturellement impo- 
sante de sa physionomie. Le marbre ne saurait d'ailleurs traduire 
l'affabilité inaltérable et la bonne humeur qui détendaient ces 
traits énergiques *. 

Son tempérament très-robuste lui permettait de supporter de 
grandes fatigues. Il dormait peu et se contentait de la nourriture 
la plus simple. Mais cette sobriété n'avait rien d'affecté, et il n'en 

1. Paneg. 41. Dion LXVIII, 31. Malalas XI, p. 269. M. Ravaisson a 
fait remarquer {Reçue des deux Mondes^ mars 1874, p. 236) qu'une 
statue d'homme assis dénommé Trajan , au musée du Louvre , est un 
composé d'une tête de Trajan et du corps de quelque personnage grec 
comme l'indiquent le costume et la chaussure. 



— 289 — 

faisait preuve qu'autant que l'exigeaient les circonstances. Dès 
qu'elles le permettaient, il savait s'en départir : il se livrait alors 
sans ménagements aux plaisirs de la table , et se montrait assez 
gominet. Apicius, qui lui fit passer jusque chez les Parthes des 
huîtres auxquelles il avait su, par un procédé particulier, con- 
server toute leur firaicheur, n'ignorait pas sans doute que son 
présent serait bien accueilli ^ 

Tous les témoignages s'accordent à signaler chez Trajan un 
goût pour le vin dépassant les limites habituelles et permises ^. 
Après avoir bu copieusement pendant le souper, il portait encore 
cinq santés au dessert^. Tous ses amis n'étaient pas en mesure de 
lui faire raison ; et c'est en lui tenant tête à table qu'Hadrien 
triompha des mauvaises dispositions qu'il rencontrait dans son 
esprit prévenu, et devint son favori. Au moins Trajan recomman- 
dait-il qu'on ne lui parlât pasd'afifairesavantlelendemain, quand 
le sommeil lui aurait rendu tout son sang-froid^. L'histoire excu- 
serait aisément un travers qui à Rome n'était ni rare ni très- 
mal vu, 

Narratur et prisci Gatonis 

Saepe mero caluisse virtus ^. 

et auquel Nerva fut aussi enclin •. Malheureusement, certain vice 
dépare le caractère de Trajan et amoindrit la sympathie qu'ins- 
pire sa personne'' ; en ajoutant, comme Dion n'a pas manqué de 
le faire, qu'il n'affligea qui que ce fut pour satisfaire sa passion, 
on fournit une nouvelle preuve, après tant d'autres, de l'équité et 
de la modération de Trajan, mais on n'introduit aucune circons- 
tance qui atténue la seule flétrissure dont sa mémoire reste char- 
gée. 

Sans que l'éducation de Trajan eût été négligée, il n'avait pas 
une instruction aussi complète que les hommes de la classe so- 
ciale à laquelle il appartenait par sa naissance. Son éloquence 
était médiocre ^ et son savoir assez borné : il suppléait à ce qui 
lui manquait par l'emploi judicieux de ses facultés naturelles et 
par la fréquentation et la conversation des lettrés dont il aimait 

1. Athénée., DdpnoMoph. I. p. 7, d. Suidas, v* d<rrpea. 

2. Dion, LXVIII, 7. Victor, Caess., 13. 

3. Lamprid., Sev. Alex,, 29. 

4. Victor, Caess, XIII, 9. 

5. Horat., Carm, III, 21. 

6. Victor, 1. 1. 

7. Dion, LXVIII, 7. Julien, Caess. 8. 

8. Julien. Caess. 22, attribue à la paresse son manque de talent pour 
la parole. 

DE LA BERGE 49 



— 290 — 

et rediercbait la compagnie. Pline a parlé des entretiens savants, 
des conversations intéressantes et pleines d'un aimable enjoue- 
ment, qui s'engageaient à la table de l'empereur, des ioLpod^una qui 
suivaient le repas ^ Quelques discours de Dion Chrysostôme' 
peuvent nous donner une idée de ce qu'étaient ces propos de 
table, de Tordre d'idées que Trajan aimait à entendre développer. 
On y parlait souvent d'Alexandre, son héros préféré^, et d'Homère, 
le poète favori d'Alexandre et le grand éducateur de toute l'anti- 
quité. Le vers qui désigne Agamemnon : 

trouvait une application directe et bien naturelle à un souper du 
Palatin ou de Centum Cellae. Trajan se montra bienveillant pour les 
philosophes ^ que les Flaviens avaient traités assez mal. Il prêtait 
l'oreille à leurs discours, mais n'en comprenait pas toujours la sub- 
tilité: il se tirait avec finesse de l'embarras qu'il éprouvait à leur 
répondre. Quand il revint de la guerre de Dacie, il permit à Dion 
de prendre place à côté de lui sur le char de triomphe. Le philo- 
sophe développait des théories assurément très-profondes : « Je 
« n'entends pas du tout ce que tu me dis, répondit à un moment 
4c l'impérial auditeur, mais ce que je puis t'afflrmer, c'est que je 
« t'aime comme moi-même^. » 

n fut pourtant écrivain ou , pour mieux dire, quelques ouvrages 
portent son nom. Les conunentaires sur la guerre des Daces 
étaient probablement l'œuvre de Licinius Sura qui l'accompagna 
dans les deux expéditions et qui rédigeait ordinairement ses dis- 
cours et ses messages '^. Les lettres adressées à Pline, dont Yi- 
gneul de MarviUe a loué Vimperatoria brevUas et le style d'une 
précision noble et sévère, furent sans doute écrites par Hadrien 
qui succéda à Sura comme secrétaire intime de Trajan. C'est 
Hadrien qui composa les vers grecs qui accompagnaient les 
offrandes de Trajan à Jupiter Casios, et où l'empereur parle en 
son nom. Est-ce aussi à lui, est-ce réellement à Trajan qu'il faut 
attribuer un distique conservé dans l'Anthologie^? Cette mauvaise 
pointe ne fait guère honneur à celui qui l'a composée. 

1. Panég. 49, Ep. VI, 31. 

2. Les quatre premiers. 

3. Julien. Caess., 2S, 30. 

4. JUad., III, 179. 

5. Panég.; 47, Julien. 

6l Philostrat., 5op^., 1, 7. 

7. Julien, Caess., 22; Spartian., Hadr., 3. 

8. XI, 418 : 'Avt(ov ^Cou oti^aoc ptv« xal <n6\kOi x^itf)(A»v 

6eC$eiC Tac &^OLi vwri iraipepxo(jivoic. 



— 294 — 

Trajan aimait avec passion les exercices du corps , et il y ex- 
cellait. Conduire des embarcations, faire de longues marches à 
pied, chasser, étaient ses plus grands plaisirs. Une expédition 
militaire était pour lui la réunion de ses passe-temps préférés, et 
il se déterminait £acilement à l'entreprendre. En attaquant les 
Parthes, il cédait sans doute aux entraînements de sa passion et 
poursuivait des succès plus glorieux pour sa personne qu'utiles à 
l'Etat. Mais, en revanche, un prince pacifique n'eût pas osé 
engager une lutte corps à corps avec Décébale : il eût cherché à 
améliorer les conditions imposées à Domitien, il eût obtenu pour 
l'amour-propre national quelques satisfactions vaines, et cette 
politique prudente laissait grandir à côté de l'empire le peuple le 
plus audacieux, et le mieux préparé à des envahissements qui 
pouvaient être décisifs dès le second siècle. 

L'immense impulsion que Trajan donna aux travaux publics 
révèle un goût prononcé pour la magnificence, et le soin qu'il 
prenait de £aire inscrire son nom sur les édifices qu'il avait fait 
élever prouve qu'il mettait là une bonne part de sa gloire. Mais 
ces constructions étaient faites dans des vues d'utilité générale 
et ont favorisé le développement du grand art. Ainsi, bien qu'il 
ait aimé « les bâtiments et la guerre, » ses prédilections ne 
furent point onéreuses à ses peuples, et contribuèrent au con- 
traire à la prospérité universelle. 

Mais les provinces qu'il avait conquises furent abandonnées, 
les lois qu'il avait fait rendre furent modifiées ou fondues dans les 
Codes de ses successeurs, les somptueux édifices qui portaient son 
nom tombèrent en ruines sous l'action du temps et la main des 
hommes. Sa gloire, pourtant, brilla de l'édat le plus vif jusqu'à la 
fin de l'empire romain, et survécut longtemps à sa chute. Avec le 
cours des siècles, elle se transforma : le renom du grand capitaine 
s'affaiblit S et on continua de vanter les qualités privées du souve- 
rain. Toutes les espérances conçues au début du règne avaient été 
réalisées ; la toute-puissance n'avait altéré aucune des solides qua- 
lités d'esprit et de caractère du fils adoptif de Nerva . Sa modération 
dans l'exercice du pouvoir, la simplicité de ses manières, la sûreté 
de son commerce, l'aménité de son accueil, restèrent profondé- 
ment empreintes dans le souvenir des peuples, car aucun de ses 
prédécesseurs n'avait déployé ces vertus au même degré ni avec 



1. Sauf dans rOrient européen, où rbistoire de ses conquêtes a pris 
un caractère légendaire, visible dans Nicolas Gostin, dans Jean le Lydien 
et dans les chants valaques. 



— 292 — 

autant de suite, et les empereurs qui vinrent après lui en don- 
nèrent rarement l'exemple *. Ainsi le nom à'Optimi^ que lui avait 
de bonne heure décerné la reconnaissance de ses sujets, et dont il 
ne toléra qu'au bout de quatorze ans l'addition officielle sur les 
monuments publics, servit d'expression au jugement de l'histoire. 
Tout concourut à perpétuer le souvenir de sa bonté. A chaque 
nouvel avènement, on souhaitait au prince d'être « plus heureux 
qu'Auguste, meilleur que Trajan. » Sa bonté était prise pour 
terme de comparaison, soit pour flatter, soit pour décerner un 
éloge sincère '. La banalité même de ces louanges finirait par 
leur ôter du prix et laisserait planer des soupçons sur leur légi- 
timité, mais nous pouvons nous rassurer à cet égard : c'est le 
plus implacable des polémistes, le plus amer contempteur des 
Césars, qui fait décerner à Trajan le prix de la clémence dans 
l'assemblée des Dieux ^. 

Ce type d'un prince équitable et puissant, que l'esprit cons- 
truit à l'aide de quelques grands faits bien constatés, ne saurait 
suffire à l'imagination populaire. Elle invente, ou elle emprunte 
ailleurs, des traits caractéristiques pour arrêter les contours in- 
décis des figures qui se détachent sur le fond de l'histoire positive. 
Dès fe troisième siècle, on saisit autour de la personne de Trajan 
les traces d'un semblable travail. Tous les traits un peu remar- 
quables de bonté lui sont attribués. Alexandre Sévère tire d'un 
conspirateur une vengeance généreuse accompagnée dans l'exé- 
cution d'une certaine espièglerie* : on en fait honneur à Trajan. 
Lampride discute la version populaire et montre qu'elle n'est pas 
fondée, mais il ne se cache pas qu'il est trop tard pour ébranler 
une tradition déjà invétérée. 

On relève un trait d'équité dans la vie d'Hadrien '^, on l'embellit, 
on lui donne une couleur chrétienne : alors il devient digne de 
Trajan, et Trajan à son tour peut prendre place au milieu des 
chrétiens. On racontait donc qu'au moment où, partant pour une 
expédition militaire, il allait quitter Rome et marchait à la tête 



1. Marc-Aurôle pourrait seul être mis sur la môme ligne que Tngan ; 
peut-être môme éprouvait-il pour les hommes une sympathie plus 
tendre et plus vive; mais l'austôrité philosophique écarte la familiarité 
de sa personne, et on ne trouve pas chez lui cette bonhomie qui 8*al- 
liait chez Trajan à la grandeur. 

2. Eutrop., VIIl, 5. 

3. Julien, dans les Césars, c. 22. 

4. Lamprid., Sev. Alex., 48. 

5. Dion, LXIX, 6. 



— 293 — 

de l'année qui défilait sous les yeux d'un peuple immense, une 
femme se précipita à la tête de son cheval ^ C'était une pauvre 
veuve dont le flls unique avait été tué, et les meurtriers n'étaient 
pas encore punis. Seigneur, criaitrelle, venge mon flls. — A mon 
retour, dit l'empereur, continuant sa marche. — Et si tu meurs? 
— Mon successeur te fera justice. — Quel finiit tireras-tu de la 
vertu d'un autre? demanda la veuve. Trajan rentra en lui-même, 
reconnut son devoir, et, l'accomplissant aussitôt, fit procéder, 
toute afiaire cessante, aux informations nécessaires, sans rougir 
de paraître céder aux injonctions d'une pauvre fenune : il ne 
quitta Rome qu'après s'être assuré qu'il ne laissait derrière lui 
aucune partie de sa tâche. Cette simplicité loyale, cette liberté 
laissée au plus humble sujet d'arriver jusqu'au maître du monde, 
cet amour scrupuleux de la justice, ce sentiment profond et déli- 
cat des devoirs de la puissance envers la faiblesse sont des traits 
qui, réels ou inventés, devaient frapper les esprits dans des siècles 
de malheurs publics , d'anarchie et de violence. On dit que saint 
Grégoire, en pensant à ce trait de la vie de Trajan, se sentit ému 
au point de demander à Dieu de retirer des enfers l'âme du grand 
empereur, et sa prière, croyait-on, fut exaucée. Privé des monu- 
ments littéraires de l'antiquité, le Moyen Age n'a guère connu 
Trajan que parce trait légendaire, devenu inséparable de son 
histoire depuis qu'il a été deux fois consacré par le génie *. 

1. Ed una vedovella gli era al freno 
Di lagrime attegiata e di dolore. 
Dintorno a lui parea calcato e piano 
Di cavalieri, e Taquile deiroro 
Sovr'esso in vista ai vente si movieno. 

Dante (Purg., X, 77 et suiv.)- 

2. Dante et Eugène Delacroix (tableau du Musée de Rouen). Dante 
raconte qu'il a vu cette histoire sculptée sur un rocher de marbre blanc 
par la main divine. — Au moyen ftge, les Romains montraient la place 
où la scène avait eu lieu : sunt praeterea alii arcus qui non sunt trium- 
phales sed memoriales, ut est arcus Pietatis ante sanctam Mariam 
rotundam, ubi cum esset imperator paratus in curru ad eundum extra 
pugnaturus, quaedam paupercula vidua procidit ante pedes ejus, etc. 
De MirabUilnu civiiatts Romanx, dans Urlichs, Codex Urbis RanuB topogra- 
phieus. Wirceburgi, 1871, p. 129. — Suivant M. de Rossi (Bulletino <U 
Corrisp. Arch., 1871, p. 6), le bas-relief décrit par Dante aurait été réel- 
lement sculpté sur Tare de la Piété dont parle Fauteur des MirabiUa. 
f La sculpture qui décorait cet arc représentait certainement une nation 
f vaincue, suppliante, et demandant grftce à l'auguste triomphateur, 
c L'ignorante imagination des hommes du moyen ftge y vit la fameuse 
c légende de Trajan, etc. i Le passage cité plus haut des MirabUia ne 
me paraît pas impliquer absolument l'existence d'un tel bas-relief sur 



— 294 — 

• 

rare en question. Jean Damaflcène, au viii* siècle, est le premier qui ait 
parle de Fintercession de Grégoire en faveur de Tnyan, mais il ne cite 
pas le trait de justice qui aurait motive cette intercession. (V. le passage 
dans Baronius, XI, p. 62, éd. Luc.) Ge trait est raconté par Jean le Diacre 
dans sa vie de Grégoire-le-Grand (II, 5), et en termes un peu différents 
par le biographe anonyme du môme pape. Jean de Salisbury (PoUera- 
iieus, V, 8), Vincent de Beauvais (Specul. hUtoriale, X, 47, 48), Dante 
(Purg., X, 73-93), Tont pris dans Jean le Diacre. Ailleurs, le poète toscan 
compose avec Pâme de Tnqan et celles d'Ezèchias, de Constantin, de 
Guillaume n roi de Sicile, et de Riphée, le sourcil de Taigle merveilleux, 
symbole de l'empire universel, qui vole devant la planète de Jupiter 
(Farad., XX, 43-45). Saint Thomas a touché deux fois à la question du 
salut de Tr^an (QuaesUones DUputatae, VI, 6, 9, 4, et ad Ubr. IV Senien- 
tiarum, Distinct., XLV, 2, 9, 5). Dans le dernier passage, il Texplique en 
admettant que TÂme de Trajan, tirée de Tenfer, anima un nouveau corps 
dans lequel elle vécut chrétiennement et mérita le paradis. C'est la doc- 
trine qu*a développée Dante (Farad., XX, 100-117). 



CHAPITRE XX. 



Après avoir recueilli, dans les documents mutilés qui nous 
restent du second siècle, les éléments d'une histoire de Trajan et 
reconstitué de notre mieux cette histoire, nous arrivons, ce me 
semble, à nous faire de son gouvernement et de sa personne une 
idée peu différente de celle que les contemporains en avaient con- 
çue : nous trouvons les mêmes raisons qu'eux pour aimer et pour 
admirer le fils adoptif de Nerva. 

Au moment où il fut appelé à prendre possession du pouvoir 
suprême, le principat existait depuis plus d'un siècle : il avait 
supporté l'épreuve du temps et il était désormais assez universel- 
lement accepté des peuples, il était entré assez profondément dans 
leurs habitudes, pour n'avoir plus à redouter aucune opposition 
à Rome ou dans les provinces, au Sénat ou à l'armée ^ Mais 
cette lente consolidation ne l'avait pu soustraire au double dan- 
ger qui le menaça dès le premier jour, et qui ne fut jamais écarté 
jusqu'au moment où l'Empire romain fut dissous : aux frontières, 
l'invasion barbare ; au dedans, la rupture des ressorts politiques 
tendus à l'extrême par une puissance absolue, à laquelle on 
n'avait donné aucun contrepoids. 

Trajan a vaincu les barbares : il a exercé avec modération 
l'immense pouvoir que la constitution mettait dans ses mains. 
Tel est le double aspect sous lequel sa politique s'est offerte à 
notre étude. Dès lors, nous pouvons le ranger au nombre des 

1. V. le beau livre de M. 6. Boissier : L'Opposition sous les Césars. 



— 296 — 

meilleurs empereurs et des plus éminents promoteurs de la civili- 
sation. 

En caractérisant ainsi son règne, on trouvera peulr-etre que 
nous ne le distinguons pas assez nettement de ceux de Nerva, 
d'Hadrien, d'Antonin le Pieux, de Marc Aurèle, r^nes pendant 
lesquels la sécurité fut aussi maintenue au dehors tandis que le 
régime intérieur recevait d'incessantes améliorations. Oui, il est 
vrai que tous les empereurs désignés par le nom collectif et peu 
exact, mais consacré, d'Antonins ont eu les mêmes vues et en 
ont poursuivi l'accomplissement avec un zèle égal pour le bien 
public ; mais l'histoire peut décerner à tous de légitimes éloges 
sans que la gloire de Trajan en soit diminuée. Il aura du moins, 
par ses guerres heureusement conduites, par ses réformes com- 
mencées sur tous les points importants, facilité grandement la 
tâche de ses successeurs, et l'on éprouve une satisfaction véri- 
table à se dire que le système habile et modéré, équitable et géné- 
reux dont nous avons étudié les premiers développements va se 
continuer après lui, et durer près d'un siècle pour le bonheur du 
monde. Si pourtant on veut absolument donner des rangs aux 
Antonins, Nerva est mis immédiatement hors de cause, la briè- 
veté de son règne ne lui ayant pas permis de laisser dans l'his- 
toire de Rome une trace profonde. Si maintenant nous comparons 
Trajan à Hadrien, je pense que le premier obtiendra aisément la 
préférence; esprit ouvert et cultivé, animé de vues larges et 
généreuses quand son intérêt personnel n'est pas enjeu, Hadrien 
décèle, au premier obstacle que ses passions rencontrent, un cœur 
méchant et une âme vindicative : le commencement et la fin de 
son règne sont tachés de sang. Antonin le Pieux a gouverné 
l'Empire comme un père de famille gouverne sa maison ; il a fsiit 
preuve de droiture, de modération, de sagesse ; il a montré 
qu'il possédait toutes les qualités de l'honnête honune. Mais 
il n'a pas eu de guerres à soutenir; y eût-il déployé le cou- 
rage et la résolution de Trajan? on ne sait. Tel que nous le con- 
naissons, il ne peut prétendre au même rang que celui qui a 
trouvé dans des victoires utiles à Rome et à la civilisation la par- 
tie la plus brillante de sa gloire. C'est donc à Marc Aurèle seul 
que Trajan doit être comparé : ici l'empereur philosophe aura 
certainement la première place. Egal à Trajan pour la bravoure, 
pour la bonté, pour l'attachement invariable à ses devoirs, il le 
domine de très-haut par son étendue d'esprit, par sa grandeur 
d'âme, par son amour tendre et profond de l'humanité. Pourtant, 
si nous quittons ]a. philosophie pour descendre dans le domaine 



— 297 — 

politique» il sera peulr-etre permis de dire que les qualités 
moyennes de Trajan ont servi plus efficacement les intérêts 
romains que les dons supérieurs de Marc Âurèle. Sa prudence 
dans les innovations était moins dangereuse que l'amour impa- 
tient du bien dont Marc Âurèle était possédé ; sa bonté mieux 
réglée a fait aimer l'autorité sans la compromettre, tandis que la 
générosité de Marc Âurèle, poussée jusqu'à la faiblesse, a favorisé 
bien des désordres ^ Quoiqu'il soit né loin de Rome, Trajan, dans 
ses qualités comme dans ses défauts, est essentiellement romain. 
C'est peut-être là ce qui lui a valu de la part de Montesquieu ce 
bel éloge : 

< Nerva adopta Trajan, prince le plus accompli dont l'histoire 
ait jamais parlé. Ce fut un bonheur d'être né sous son règne ; il 
n'y en eut point de si heureux ni de si glorieux pour le peuple 
romain. Grand homme d'état, grand capitaine, ayant un cœur 
bon qui le portait au bien, un esprit éclairé qui lui montrait le 
meilleur, une âme noble, grande, belle; avec toutes les vertus 
n'étant extrême sur aucune ; enfin l'homme le plus propre à hono- 
rer la nature humaine, et à représenter la divine*. » 



1. N. DBS Vbaobrs : Essai sur Marc- Aurèle, p. 99L 

2. Grandeur des Romains, cbap. XV. 



APPENDICES. 



I. 

Les auteurs et les monuments anciens donnent avec précision 
le jour et le mois de la naissance de Trajan, mais n'en font pas 
connaître aussi exactement Tannée. 

Dans le calendrier composé sous le règne de Constantin II, par 
Furius Philocalus*, on lit, à la date du 18 septembre (XIV des 
calendes d'octobre) : 

Xlin KAL N TRAIANI TRIVMPHALES. CM. XLVm», 
et cette mention est répétée dans le petit tableau des Natales Cœ- 
sarumy extrait par Philocalus lui-même de son calendrier^. Deux 
passages de Pline conJ6b:'ment cette date^. 

Selon Eutrope ^, Trajan vécut 63 ans, 9 mois, 4 jours (obiit 
aetatis anno LXIII mense nono et die quarto) : les chiffires désignent 
bien les années, mois et jours écotdéSy car l'indication de la durée 
du règne, qui est donnée d'autre part chez Xiphilin, est exprimée 
dans Eutrope sous la même forme « imperii XIX mense VI 
die XV. » De la date 11 août 117, jour où mourut Trajan, si 
nous retranchons 63 ans, 9 mois, 4 jours, nous arriverons au 
7 novembre 53 : mais nous ne pouvons admettre cette date en face 



1. Corpus InscripUonum Latinarum, 

2. 7«d, p. S22. 

3. Ibid., p. 350. 

4. Ep, ad TraJ., 17. Panég., 92. Cf. Suét. Damit, 17. 

5. VIII, 5, éd. Dietsch, mais dans quelqueg manuscrits, on lit mense 
uno die quarto (Bibl. nat., 5795), mense primo die quarto {ibid,, 7240), ce 
qui mettrait le jour de la naissance de Trajan au 7 juillet 54. 



— 300 — 

des indicatioDs si précises, du 18 septembre, que nous avous 
notées plus haut. 

Dion dit que Trajan parvint à l'empire au cours de sa 
42® année, SeÙTepov xat Teaaapoxoarbv Itoç «ycov ^pÇev ^, et le chiffre 
est bien celui que donnait Dion, puisqu'on le retrouve dans Zona- 
ras. (Suidas, au mot icovetoOai, dit par erreur à 40 ans.) Le 
27 octobre 97 Trajan, s'il était né le 18 septembre 53, avait 
44 ans. Il faudrait donc £aire descendre la date de sa naissance 
au 18 septembre 55, pour conserver le nombre donné par Dion, 
mais les indications des autres écrivains nous engagent à la 
déplacer dans un autre sens. 

Saint Jérôme donne le même chiffre qu'Eutrope '. 

Le deuxième Aurélius Victor dit que Trajan vécut 64 ans ^, 
la chronique Paschale le fait mourir à 65 ans^, Malalas à 66 ^. 

M. Noël Desvergers (Comptes-Rendus de V Académie des 
inscriptions, 1866, p. 74), et M. Dierauer {Beitraege, etc. , p. 9) , 
donnent l'an 53 comme date de la naissance de Trajan, préoccu- 
pés sans doute de s'écarter aussi peu que possible du chiffre qu'on 
lit dans la plupart des auteurs pour la durée de la vie de l'empe- 
reur. Mais si on fait naître Trajan en 53, il n'est pas possible de 
combiner ses dix ans de tribunat militaire, attestés par Pline, 
avec la durée légale des charges exercées avant 85, année de sa 
préture. Ces auteurs ont admis que dans le texte de Spartien 
decimo anno (au sujet d'Hadrien) signifiait l'an 86, bien qu'à 
traduire exactement, la dixième année d'Hadrien s'étende du 
24 janvier 85 au 24 janvier 86 ; j'ai compris ces mots de la même 
manière parce que le biographe d'Hadrien dit, quelques lignes 
plus loin : « quinto decimo anno ad patriam redit ac statim mili- 
tiam iniit. >► Or cette entrée au service militaire suppose nécessai- 
rement au préalable la prise de la toge virile, et dans les deux 
premiers siècles, cette cérémonie avait lieu quand le jeune homme 
était âgé de quinze ans accomplis (V. Suétone, Galba 4, com- 
biné avec Dion LVI, 29; Capitolin, Af. Ant. Phil. 4, etc.). 



1. LXVÏII, 6. 

2. Chnm,y éd. Schoene, p. 165 : extinctus est anno aetatis LXIII mense 
nono die quarto. 

3. EpUam,, 13. — Aurélius Victor, dans les Césars (cb. 13), dit seule- 
ment « grandœva astate i. 

4. Bd. Bonn, p. 473. 

5. Bd. Bonn, p. 277. 

6. Haâr,, c. I. 

7. Dion, LU, 20, <rrpary)YËCTo>9Qcv Tptocxouvrai YSv6|jievoi. 



— 304 — 

IL 

FAMILLE DE TRAJAN. 

M. Ulpius Trajanus 
mort avant l'an 100. 



Trajan Marciane 

53-117 
épouse Plotine 
morte vers 129. 

Matidie 



Sabine. Matidie la jeune. 

TRAJAN PERE. 

Les noms du père de Trajan (Marcus-Ulpius Trajanus) sont 
connus par une inscription trouvée à Cuicul S postérieure au 
sixième consulat de l'empereur, c'est-à-dire à Tan 112. 

Le radical du gentilicium Ulpius (vulpes, wolf), appartient 
très-visiblement aux langues indo-européennes et doit être ancien 
dans le latin, bien qu'on n'en connaisse pas d'exemple un peu 
antique vu l'obscurité dans laquelle resta longtemps cette famille. 

La forme du cognomen Trajanus suppose un gentilicium 
Traius qui, bien que fort rare, se rencontre effectivement dans 
une inscription de la Bétique'. 

Dans Gruter^, on lit les noms de M. Ulpius Sulpic[ianus ?] 
empreints, dit^-on, sur un tuyau de plomb portant aussi les noms 
des consuls de l'an de Rome 681 , mais ces derniers noms sont 
mal donnés, et l'inscription est fausse. Elle a été fabriquée d'après 
une inscription sur brique, actuellement conservée au musée de 
Naples, MVLPSVCCESS SVLPICL^NI ^ 



1. Auj. Djémilah. L. Renier, /tisc. rom, de l'Alg., 2524< 

2. Corp. Insc, Lot,, n* 1065. 

3. 182, 11. 

4. Mommsen, Inte. Nap., 6306, 156. 



— 802 — 

Trajan père commandait la légion X^ Fretensis pendant la 
guerre de Judée, dirigée par Yespasien. Il se distingua au si^e 
de Joppé* et de Taricheae*. Vespasien, pour récompenser le 
courage qu'il avait montré dans cette guerre et les services qu'il 
avait rendus, Téleva au consulat vers 70 ou 71 (c'est un consÎQat 
subrogé) . 

n fut ensuite légat propréteur de Syrie^ comme le démontre 
une médaille d'Antioche savamment conunentée par l'abbé 

Belley 8 : IMP : PON Tête laurée de Titus Rev. EDI 

TRAIANOY ANTIOXEûN ET EKP, le tout dans une couronne. 
L'an 125 d'Antioche conunença à l'automne de 76 ap. J.-G. 
(829 de Rome). Trajan, pendant son gouvernement, préserva 
la province d'une invasion des Parthes * et reçut les ornements 
du triomphe ^, bien que ce succès paraisse dû à son habile poli- 
tique plutôt qu'à des opérations militaires. 

Plus tard, il devint proconsul d'Asie. Il est nonuné, en cette 
qualité, sur une inscription de Laodicée, gravée en 79*. A 
Smyrne, deux autres inscriptions^ mentionnent un aqueduc con- 
struit pendant son proconsulat et appelé Tf8(op Tpatavov. Renversé, 
probablement par un tremblement de terre, fléau habituel de ces 
contrées, cet ouvrage fut relevé vers 115 par un autre proconsul, 
Baebius Tullus, mais le nom de celui qui l'avait £ait construire 
fut maintenu ^. 

Trajan était mort vraisemblablement avant que son fils n'eût 
été élevé à l'empire : en tout cas il ne vivait plus en l'an 100 
quand Pline prononça le Panégyrique ®. Toutefois il ne reçut 
les honneurs de l'apothéose que sous Hadrien **^. 

On a son effigie sur des médailles ^S sur un fragment de camée 
où sa tête est couronnée de lauriers en souvenir de son succès 
sur les Parthes ^', et sur un buste de marbre, autrefois dans la 



1. Josepb., B. Jud., III, 7, 31. 

2. Ibid.y III, 9, 8 et 10, 3. 

3. Mém, de VAcad, des Inscript j Ane. Sêr., XXX, p. ^71. fickhel, VI, p. 434. 

4. Aurel. Vict., Caets., IX, 10, EpiUm., IX, 12. 

5. Plin., Panég,y 9. 

6. C. I. Gr., 3935. 

7. Ibid,, 3146, 3147. 

8. fiorgbesi, I, p. 459 et suiv. 

9. Panég., 89. 

10. Rev. Numism., 1859, p. 140. 

11. V. à ce sujet une discussion entre MM. Deville et Â. de Longpérier, 
Berne Numismatique, 1859, pp. 124-147. 

12. Gbabouillet, Catalogue des Camées de la Bibliothèque Nationale, n* 239. 



— 803 — 

collection B^, aujourd'hui au cabinet des Antiques^. Ses 
traite ont, ayec ceux de l'empereur Trajan, une ressemblance 
marquée *. 

PLOnNE. 

Plotine, que le deuxième Aurelius Victor appelle Pompeia 
Plotina', était fille d'un certain L. Pompeius dont nous ne 
connaissons d'ailleurs ni le cognomen ni l'histoire ^. Tous les 
auteurs ont loué les vertus de Plotine et témoigné de la bonne 
intelligence dans laquelle elle vécut avec Trajan. Elle mourut 
vers 129 ^. Hadrien, qui lui devait l'empire, rendit de grands 
honneurs à sa mémoire et lui fit décerner l'apothéose ®. 

MARCIANE. 

Ulpia Marciana, née à une époque inconnue, épousa C. Mati- 
dius Patruinus, qui fit partie du collège des frères Arvales et 
mourut en 78 de notre ère^. Quand Pline prononça le panégy- 
rique, Marciane, aussi bien que l'impératrice Plotine, avait re- 
fusé le titre à!Augv^ta * que leur avait déféré le Sénat : mais 
toutes deux le portent sur une inscription de Sarzane , gravée en 
l'an 105 ®. Cette même année commence à paraître sur les mon- 
naies de Trajan la légende OPTIMVS PRINCEPS*^ et c'est sans 
doute au moment où l'empereur consentit à se parer publique- 
ment de cette dénomination que sa sœur et sa femme prirent le 
titre d^AugiLStae. 

Une médaille où elle porte ce titre A^Augustay et qui a été frap- 
pée de son vivant, est datée du vi® consulat de Trajan, et le 
prince n'y porte pas le surnom à^Optimus^^ : die est donc des 

1. N* 4684. 

2. V. sur Trajan le père, Waddington, FmUt des provinces AskUiiiues, 
p. 152, 153. 

3. EpU., 42. 

4. Borghesi, VIII, p. 494. 

5. Dion, LXIX, 10. 

6. Bckhel, Doet, Num. Vei,, VI, p. 466. Cf. Mongbz, leonog. Ram,, 
pi. XXXVII. 

7. Marini Àrv., tav. XXn. 

8. Panég., 84. 

9. Orelli, 786. 

10. Bckhel, DoeL num. vet,, VI, p. 418. 

11. Cohen Marciane, n* 1. 



— 804 — 

années 112 ou 113. Une inscription d'Âpamée Cibotos de Phry- 
gie, où Marciane est qualifiée de 2€6mrcil2, fut gravée dans le même 
temps ^ 

Mais cette princesse était morte en 115, lorsque fut érigé Tare 
d'Âncône, et elle avait déjà reçu les honneurs de l'apothéose, puis- 
qu'elle est appelée cfo't^a dans l'inscription encore subsistante sur ce 
monument, et que surmontait sa statue aujourd'hui détruite*. 
Une inscription de Lyttus de Crète ^ paraît de la même époque. 

Plusieurs bustes^ et la médaille que nous avons citée font con- 
naître le visage de Marciane,qui ressemblait à l'empereur son fràre. 

BIATIDIB. 

Matidie, fille de G. Matidius Patruinus et de Marciane, épousa 
L. Yibîus Sabinus^; de ce mariage naquirent Sabine, femme 
d'Hadrien, et Matidie la jeune. 

Elle reçut le titre à'Augitsta en même temps que sa mère, 
c'est-à-dire, comme nous l'avons supposé, vers 105. Ce titre est 
joint à son nom dans une inscription de Lyttus de l'an 107 '. 

Matidie est nommée sur la médaille de Marciane frappée en 
112 ou 113, dont nous avons parlé plus haut. Avec Plotine et 
Âttianus, elle rapporta les cendres de Trajan de Sélinonte à 
Rome'''. Elle mourut sous le règne d'Hadrien qui lui rendit de 
grands honneurs, prononça son oraison funèbre ^, et la fit mettre 
au rang des Divinités*. 

SABINE. 

Sabine, fille de Matidie, née à une époque inconnue, épousa 
Hadrien vers l'an 100 ^^. On sait que cette union, arrangée par 

t. C. LG,, 3958. 
.2. Orelli, 792. 

3. CL a, 2576. 

4. MoN&EZ, Iconogr, Rom.,p\. XXX YII. 

5. Borghesi, III, p. 240 et suiv. 

6. C. /. G,, 2577. 

7. Spart, Hadr., 5. 

8. Quelques fragments de cet èloge funéraire sont venus jusqu'à 
nous : [Vixit marit|o carissima, post eum longissimo viduvio in eximio 
fio[re aetatis et] summa pulcbritudine formae castissima, matri suae 
[obsequ]exiti88ima, ipsa mater indulgentissima, cognata piiB[Bima, omnes 
ju]Yan8, nulli gravis, nemini tristis. (Mommsen, Mém, de VAead. de 
BerUn, 1863, p. 485.) 

9. Bckhel, Doet, N%m. Vei., VI, p. 471. 
tO. Spart, HadT., 10. 



— 805 — 

Plotine contre le gré de Trajan, ne fut pas heureuse. Tandis 
qu'Hadrien se plaignait du caractère acariâtre de Sabine, Sabine 
de son côté se vantait de n'avoir pas voulu, pour le bonheur du 
genre humain, qu'Hadrien fût père ^ Elle mourut, volontairement 
ou empoisonnée, en 136 ou 137. Son mari la fit mettre au rang 
des Déesses. 

MATIDIB JEUNE. 

Matidie la jeune, sœur de Sabine, a laissé peu de traces dans 
l'histoire. Quelques inscriptions gravées en son honneur ont été 
trouvées à Suess^ et à Minturnes '. Elle mourut, fort âgée, sous 
le r^ne de Maro-Âurèle. Faustine hérita de ses biens ^. 



On connaît un C. UlpiusFronto qui fut, sousDomitien, viator 
d'un questeur^. Il appartenait à une autre branche de la gens 
Ulpia, de laquelle sortirent également les Ulpii célèbres du second 
et du troisième siècle^. 

Cette gens avait voué un culte particulier à Hercule ®, ce 
qui a fourni à Pline un rapprochement délicat entre Trajan et 
Hercule d'une part, Domitien et Eurysthée de l'autre''. 



m. 

C'était un principe bien arrêté du gouvernement impérial de 
changer le moins possible les cantonnements des légions, qu'on 
ne pouvait faire voyager qu'à grands frais, en compromettant la 
santé des hommes habitués à un climat déterminé, et en rompant, 
à leur grand déplaisir, les liens de parenté et les relations de tout 



1. Âurel. Victor, Epitome, 14. 

2. Hommsen, /. iV.4022, 4029, 4030, 4031, 4055. 

3. Fronton, BpisL ad M. Antonin,, II, 12. 

4. Gruter, 50, 3. L'inscription est de l'an 81. 

5. Ulpius Marcellus, jurisconsulte, conseiller d'Antonin le Pieux ; Ulpius 
Marcellus, son fils, légat propréteur de Bretagne, sous Commode; Ulpius 
Julianus, préfet du prétoire sous Macrin; Ulpius Crinitus, général sous 
Valérien, père adoptif d'Âurélien ; et d'autres moins célèbres. 

6. Inscription de Gruter citée et une autre, 45, 10. Herculi conservaiori 
domus Ulpiorum siicrum 

7. Panég., 14. 

DE LA BCBRE 20 



— 306 — 

genre qu'ils entretenaient avec les habitants de la province ^ Ainsi 
les auteurs et les monuments démontrent que la légion III^ Au- 
gusta resta en Numidie depuis Auguste jusqu'à la fin de l'empire ; 
la //'' Augusta ne quitta pas la Bretagne depuis qu'elle y eut été 
envoyée par Claude. Cette règle, toutefois , pliait naturéllement 
devant les nécessités militaires : les historiens qui racontent les 
guerres avec quelque détail indiquent les noms des corps qui y 
prirent part ; quand les textes manquent, les inscriptions peuvent 
souvent les remplacer, et pour le règne de Trajan elles seules 
nous permettent de dresser le tableau de la puissance militaire de 
Rome. 

. Tacite nous apprend que la neuvième année du règne de Tibère, 
il y avait sur la frontière du Rhin huit légions ' dont il donne 
ainsi le détail : 

Germanie inférieure : légions I* (Germanica), V* (Alaudae) , 
XX» (Valeria), XXP (Rapax) ^ 

Germanie supérieure : Légions II* (Augusta), XIII* (Gemi- 
na), XIIIP (Gemina), XVP (Gallica)^ 

Claude envoya en Bretagne les XX* Valeria, II* Augusta, 
XIIII* Gemina qu'il remplaça par les XV* Primigenia et XXII* 
Primigenia qu'U créa, et par la IIII* Macedonica qu'il fit venir 
d'Espagne^. A une époque et pour une cause inconnue, la XVI* 
Gallica permuta avec la XXI* Rapax. Un peu plus tard , Néron 
détacha de l'armée de Germanie supérieure la XIII* Gemina en 
vue de l'expédition qu'il allait entreprendre contre les Albaniens 
quand il fut renversé ^ : c'est probablement pour la remplacer au 
bord du Rhin qu'il avait décrété la levée de la I* Italica, en for- 
mation à Lyon au moment de sa mort. A ce moment donc, c'est- 
à-dire en l'an 68, les légions de Germanie, au nombre de sept, 
étaient : 

Germanie inférieure : I* Germanica, V* Alaudae, XV* Pri- 
migenia, XVI* Gallica "'; 

Germanie supérieure : IIII* Macedonica, XXII* Primigenia, 
XXI* Rapax». 

1. Tacit., Hist., II, 80. 

2. Tacit, Annal., IV, 5. 

3. Ibid,, l, 31. 

4. Ibid., 1, 37. 

5. Où elle était au commencement de Tempire. Bckhel, Doet Num. 
vet, I, p. 38. 

6. Borghesi, IV, p. 234. 

7. Tacit., Bisi., I, 55. 

8. IM.y I, 55, 61, 67. 



— 307 — 

Toutes prirent parti pour Vitellius, et envoyèrent des détache- 
ments plus ou moins considérables au-delà des Alpes. La XXP 
était même tout entière sous les ordres de Cecina *. Victorieuses 
des Othoniens, ces troupes furent écrasées à Crémone et à la 
deuxième bataille de Bédriac par les légions de Pannonie et de 
Mésie dévouées à Yespasien. Les dépôts laissés en Germanie 
furent défaits par Civilis et contraints de reconnaître l'empire 
gaulois. 

Lorsqu'un corps avait démérité, ou péri dans des circonstances 
funestes, on ne le reconstituait pas afin de ne point laisser sur les 
contrôles de l'armée ces numéros qui rappelaient des souvenirs 
néfastes. C'est ainsi que les trois légions de Varus, la XVIP, la 
XVIIP et la XIX*, anéanties dans les défilés de Teutoburg, n'a- 
vaient pas été rétablies'. Yespasien laissa se perdre de même les 
P Gennanica, V* Alaudae, XV* Primigenia dont toute trace 
disparaît à dater de cette époque. Il reconstitua les IIII» et XVI*, 
en leur donnant son nom (Flavia) et les envoya de suite sur le 
Danube et dans la Cappadoce où on les retrouve cantonnées plus 
tard '. Des légions tirées de toutes les parties de l'Occident furent 
mises sous les ordres de Cerealis : « Legiones victrices XI** et 
« VIII*, Vitellianarum XXI*, e recens conscriptis II* [Adjutrix] 
« Poeninis Cottianisque Alpibus, pars monte Graio traducuntur. 
« XIIII* legio e Britannia, VI* [Victrix] et X* [Gemina] ex His- 
« pania accitae^. >► Jointes à la XXII* Primigenia restée dans la 
province* et moins éprouvée que les autres, les sept légions énu- 
mérées par Tacite dans le passage que nous venons de citer re- 
constituaient l'armée normale du Rhin. 

Le fin des Histoires de Tacite étant perdue, nous ignorons si 
ces corps restèrent dans le pays pendant toute la durée de la dy- 
nastie flavienne : on est d^séà le croire en présence des mo- 
numents nombreux qu'ils ont laissés en Germanie et qui supposent 
un séjour de quelque durée '', Si, comme l'a admis Borghesi, la 

1. Tacit., Hist., II, 43. 

2. Borghesi, IV, p. 242 et suiv. 

3. Grotefend, art. Legiones dans Pauly, Beal Enq/clopaedie. 

4. Il faut lire Xi* et non VI*, y. Borghesi, rv, p. 227. 

5. Tacit., Hist,, IV, 68. 

6. Id. IV, 24. 

7. V. Brambach, Corpus InscripUonum Rhenanarwn à l'Index. Seule, la 
II* Adjutrix n'a pas laissé de monument et sans doute elle partit, peu de 
temps après la soumission de Civilis, pour la Bretagne où elle était can- 
tonnée à la fin du règne de Domitien. (V. Borghesi, GEuyres, IV, p. 206, 
note 11.) 



— 308 — 

XXI* Rapax fut complètement détruite par les Sarmates sous le 
règne de Domitien*, c'est pour la remplacer que cet empereur 
créa la 7^ Minervia^y afln de maintenir au complet la défense 
du Rhin. 

Au milieu du deuxième siècle, quand Ptolémée compose sa 
géographie, tout est changé, l'armée de Germanie est réduite k 
quatre légions : OôéTepa XrfCwv V Oi'hzia^ eiTa 'AYpticxtvtjaiç, sÏtœ 
Béwa XrfCwv a' 'AOT^vaix*^, eTta Tpaï(ivti Xqf^wv*, eTxaMoxovttaxov'.... 
'Apf evTopiTov Xs^im tj' SeSaon^ •, et ce nombre restera le même 
jusqu'à la fln du quatrième siècle. Au contraire la firontière du 
Danube, que six légions suffisaient à garder au commencement du 
règne de Tibère ''f nous en o&e diœ échelonnées le long du 
fleuve : 

I* Adjutrix, à Bregentium (Comorn). Ptolém., II, 14. 

I* Italica, à Dorostorum (Silistrie). Ptolém., III, 10. • 

IP Adjutrix, à Aquincum (Bude). Ptolém., II, 15. 

IIIP Flavia Félix, en Mésie-Supérieure, Orelli, n®* 3049, 
3455. 

V* Macedonica, à Troesmis (Mésie-Inférieure). Notre n* 88. 
Cf. Renier, Inscriptions de Troesmis, p. 10. 

VIP Caaudia, à Viminacium (Kastolatz). Notre n« 89. Ptolém. , 
III, 9. 

X* Gemina, à Vindobona (Vienne). Ptolém., H, 14. 

XI^ Claudia, en Mésie-Inférieure. Henzen, Annal. Inst, 
Arch., 1854, p. 69. 

XIIP Gemina, notre n® 101 , En Dacie depuis la conquête. 

XIIIP Gemina, à Camuntum (Haimburg). Ptolém., II, 14. 

Ce changement correspond à une modification essentielle dans 
les rapports de Rome avec les barbares et indique sur quels points, 
et dans quelle mesure, les besoins de la défense se faisaient alors 
sentir. J'ai attribué aux efforts de Trajan, ainsi qu*au choix judi- 
cieux des positions où il établit ses fortifications et ses redoutes, la 

1. Œuvres, IV, p. 251. 

2. Dion., LV, 24. 

3. Ptolémée, Qéog., U, 9, i 14. (Bd. Nobbe, I, p. 108.) 

4. Il y a ici une erreur évidente. La II* Trajana ne quitta pas Tfilgypte 
où elle fut formée. Il s'agit de la XXII* Primigenia. 

5. Ptol., iMd., I 16. 

6. Id., ibid., { 18. 

7. Tacit., Annal,, IV, 5. Ripam Oanubii legionum duae in Pannonia 
duae in Moesia attinebant : totidem apud Delmatiam locatis, quae positu 
regionis a tergo illis ac, si repentinum auxilium Italia posceret, haud 
procul accirentur. 



— 309 — 

paciflcatioD des pays du Rhin. C'est grâce à lui que Rome put ne 
laisser que qticUre légions au lieu de huit sur cette fix)Dtière. Mais 
la réduction n'eut pas lieu tout d'un coup. Une inscription, trou- 
vée dans les carrières de BrohlS prouve que pendant la guerre 
Dacique, il y avait encore trois liions dans la Germanie infé- 
rieure. La garnison de la province supérieure était sans doute 
égale au même moment, et la nouvelle répartition dut avoir lieu 
lorsque Trajan organisa la province de Dacie et le système de 
défense du Danube. Quoi qu'il en soit, ni Hadrien ni Antonin, 
sous le règne duquel écrivit Ptolémée, n'ont fait la guerre en 
Germanie, de sorte que l'état de sécurité, que marque la réparti- 
tion des légions indiquée par Ptol^ée , ne saurait être considéré 
comme le résultat d'opérations militaires postérieures à celle de 
Trajan, et il appartient réellement à la politique de ce prince. 

1. Brambach, Corp, Inse, Rhen., n* 662. 



TABLE. 



P«ge« 

PRfcFAGB 1 

Ghap. I. Histoire deTrtuan jusqu'à la mort de Nerva 9 

Ghap. II. Trajan seul empereur. Pacification de la Germanie. . . ^ 

Ghap. III. Guerres Daciques 29 

i 1. Origine des Daces 29 

i 2. Rapports entre les Romains et les Daces jusqu'à Trajan. 33 

i 3. Première guerre 3S 

{ 4. Deuxième guerre 48 

i 5. Organisation*de la province de Dacie 55 

{ 6. Les Romains sur le Danube 62 

{ 7. Les Roumains 68 

Ghap. IV. Conquête de l'Arabie Nabatèenne 71 

Gbap. V. Gouvernement intérieur. Esprit général 74 

Ghap. VI. Le Prince, le Sénat, les Ghevaliers, le Peuple 80 

Ghap. VU. Grands travaux dans Rome. — Secours publics ... 93 

Ghap. VIII. L'Italie sous Trajan 101 

Ghap. IX. Les Provinces 118 

Ghap. X. Législation civile et criminelle 132 

Ghap. XI. Les Finances 140 

Ghap. XII. L'Armée 145 

Ghap. XIII. Guerre en Orient 149 

i 1. Trajan ne fit qu'une seule expédition en Orient . . 155 

{ 2. Campagne de l'an 114. — Conquête de l'Arménie . . 160 

I 3. Campagne de l'an 115. — Conquête de la Mésopotamie. 170 
{ 4. Campagne de l'an 116. — Conquête de l'Assyrie. 

Révolte des Juifs 176 

i 5. Campagne de l'an 117. — Soulèvement des Parthes. 

Mort de Trajan 184 

Ghap. XIV. La Société romaine sous Trajan 190 

Ghap. XV. Le Christianisme 203 

Ghap. XVI. Les Lettres 221 

Ghap. XVII. Les Sciences 259 

Ghap. XVIII. Les Arts 269 

Ghap. XIX. Détails personnels sur Trajan. Légendes 288 

Ghap. XX. Conclusion 295 

APPENDICES. 

I. Naissance de Trajan 299 

II. FamUle de Trajan. . 301 

III. Légions du Rhin et du Danube 305 



CORRECTIONS ET ADDITIONS. 



P. 2, 1. 39. Au lieu d'Ekchel lisex Eckhel. 

P. 9, 1. 25. Au lieu de GXVIII lisez LXVUI. 

P. 11, 1. 33 et 34 lisez che i figli dei Senatori, o prima o dopo etc. 

P. 12, 1. 21. Au lieu de Mœsie lisez Mésie. 

Ibid. 1. 28 et p. 13, 1. 1. Supprimez les mots en Gaule. 

P. 18, 1. 35 Au lieu de God. Inst. lisez God. Jast. 

P. 20, 1. 22. Au lieu de Malaga^ lisez Malaga*. 

Ibid. 1. 25. Supprimez le chiffre de note*. 

P. 25, 1. 38. Au lieu de Ll lisez T. f. 

Ibid. ]. 44. ilu lieu de Appolin lisez ApolUn. 

P. 27, 1. 28. Au lieu de inducem lisez inyicem. 

P. 29, 1. 3. Remplacer le sous-titre par Origine des Daces. 

P. 30, 1. 44. 6|iOYX(ibTTov ToT< Op^tv lOvouc lisez Sgtfiw SOvouç. 

P. 31, 1. 3. Au lieu de Dyonisos lisez Dionysos. 

Même page. Supprimer la première note, et diminuer d'une unité le 

chiffre de toutes les autres. 
P. 32, 1. 28. Au lieu de, dOavaTC2;ovTec lisez àOavarCCovTeç. 
P. 33, 1. 8. Ajouter en sous-titre: Rapports entre les Romains et les Daces 

jusqu'à Trajan. 
P. 40, 1. 11. Lisez qui cessa, en 274, de faire partie de l'empire. Nous 

savons etc. 
P. 42, 1. 31. Lisez ne figurant pas dans Tinscription : on sait en effet etc. 
Ibid. 1. 41. Au lieu de irovyipc^ lisez Trovrip^. 

P. 43, 1. 18. Au lieu de Tubiscum, Barsobis lisez Tibiscum, Berzobis. 
P. 49, 1. 23. Au lieu de du fleuve de i'Aluta lisez du fleuve Aluta. 
P. 52, 1. 37. Au lieu de de Schyul lisez du SchyuL 
P. 55, 1. 10. Au lieu de § 4 lisez % 5. 
P. 62, 1. 18. Au lieu de^b lisez § 6. 
P. 68, 1. 15. Aulieudel^ lisez § 7. 
P. 69, 1. 28. Au lieu de touraniens lisez magyares. 



— 842 — 

P. 73, note 1. Lisez Waddington, Comptes rendus etc. 

P. 81, 1. 8. Au lieu de les astrolognes lisez les sectateurs des cultes 
étrangers. 

Ibid. 1. 41. Au lieu de Hist. lisez Ann, 

P. 112, 1. 37. Au lieu de inscription Yelleia lisez inscription de Yelleia. 

P. 113, 1. 3. Au lieu de ob tiberalitatem lisez ob liberalitatem, 

P. 114, 1. 40. Au lieu de nous devons dire lisez nous devons dire, tou- 
tefois. 

P. 122, 1. 26. Au lieu de vehi(Àilorium lisez vehicularum. 

P. 125, 1. 43. Au lieu de Tpatavoc lùez Tpaîov^. 

P. 128, 1. 6. Au lieu de des Sénateurs lise* les sénateurs. 

P. 184, 1. 3, ajoutez une virgule après encore. 

Ibid. 1. 24. Au lieu de %^ lisez § 5. 

P. 196, 1. 20. Au mot pédantisme ajoutez en note : dès le temps de 
Néron, le salon littéraire de Pamphila était célèbre. 

P. 208, 1. 21. Supprimez le guillemet après rechercher. 

Ibid. 1. 22. Fermez le guillemet après absoudre. 

P. 223, 1. 9. Au lieu de compact lisez compacte. 

P. 226, 1. 41. Au lieu de Detc. lisez Disc. 

P. 249, 1. 2. Remplacez : par ; 

P. 261, 1. 41. Au lieu de SCompoc lisez 8idirrpac. 

P. 301, 1. 6. Au lieu de 53-117 lisez 52-117. 

P. 303, 1. 1. Après des Antiques ajoutez et un buste de bronze au 
Musée de Belgrade. (A. de Longpérîer. Comptes rendus de VAcad. des 
Insc. 1869, p. 167.) 



Imprimerie Goovemeury 6. Daopeley à Nogeat-le-Rotrou. 



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SEP 1 3 1939