Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at |http: //books. google .com/l
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //book s .google . coïrïl
r
^SK^
BIBLIOTHÈQUE
DE L'ÉCOLE
DES HAUTES ÉTUDES
PDBLliE S0U3 LBB AUSPICES
DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBUQUK
SCIENCES PHILOLOGIQUES ET HISTORIQUES
TREIITE-DBQXIEIE FASCICULB
BBHAI SUR LB HÈOSB DE TRAJAN,
PAB G. DE LA BERaS.
PARIS
F. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR
KUB mCHBLIBU, 67
1877 (j
ESSAI SUR LE RÈGNE
DE
TRAJAN
I
A MONSIEUR
LÉON RENIER
MEMBBB DE L INSTITUT
PROFESSEUR AU GOLLÉQB DE FRANCE
PRÉSIDENT
DE LA SECTION HISTORIQUE ET PHILOLOaiQUE
A l'École pratique des hautes études
HOMMAGE
DB RBGONNAISSANGB BT DE RBSPBGTUBOX DÉVOUBMBNT
ESSAI SDR LE RÉGNE
TRAJAN
C. DE LÀ BER&E
BHPLOTË A LA BlffllOTÇftQUB nATIOHJI
udea Mère de l'École de* HuitM tiladw
PARIS
P. VIEWEG, LIBRAIRE-ÉDITEUR
BUS BICBSUSU, 67
i877
I
1
Sur une table de marbre, reproduisant les fastes d'un
registre de cooptation.
ImP • CAESA
T • CAESARE 'A
P • R • C
P ' VALER
5. CO
m' • ACIL
M • VLP
C
L' CEI
10. L- NO
T • S
Bovilles. — Borghesi. Œuvres complètes, YII, pi 249.
2
Actes des Frères Arvales. Fragment trouvé dans
la Vigna Ceccaldi.
M\ Acilio Glahrione, M, Wpio traiano go s m k maias
Henzen. ~ Aeta flrairum ArvaUum, p. czxviii.
Borne milliaire trouvée entre Clèves et Nimègue.
ÏMP • CAE • NEr
VA • TRAlANttf
AVG GER PO/Zt
MAX TRIB p-Ot
5. PP COS
Cologne. ~ Brambacb. Corp. Inse, Rhen. 1927.
II
Diplôme militaire de l'an 98.
IMP CAESAR'DlVr NERVAE- F- NERVA'TRAIA
NVS'AVG-GERMANIC ' PONTiFEX * MAXIM VS
TRIBVNIC'POTESTAT'COSMI
1. 19 A • D • X • K • MART
1. 20 lMP*CAESARE*TRAIANO*AVG'GERMAN II
1. 21 SEX* IVLIO FRONTINO II CCS
Felsô Nana (Hongrie). — Corp. Insc. Lat, t. III, 2* p., p. 862.
Borne milliaire {Route de Mérida à Salamanque).
iHPErator caesar
DIVI'NERVAE- FILIVS
NERVA • TRAIANVS
A VG VSTVS -GERMA
5. NICVS • PONTIPEX 'MA
XIMVS • TRIBVNICIA
POTESTATE-CONSVL
ITERVM • RESTITVIT
CXVI
Ao]. perdue. ^ Corp. Insc. lat. II, n* 4667.
6
Sur la face antérieure dun édicule de marbre blanc,
dont il ne reste que la partie supérieure.
iMP
CAESARl'DIVr NERVAE-F-
nervae • /taiano • avg'Germ-ponT-max-Trib -poT-c wp-p
ANVS'IlIIlI VIR AVGVSTAL DE SVA MEDIOCRITAf^
5. testa MENTO FIERI PONIQyE IVSSIT
Narbonne. — Tournai. Catalogue éd. 1864, p. 20, n" 134. Herzog. GalL Narb.
Append., p. 5.
m
Borne militaire trouvée près de Salamanque.
Aujourd'hui perdue.
IMP-CAESAR
DIVI • NERVAE* FILIVS
NERVA'TRAIANVS* AVG
GERM • P • M -TRI B'POT
5. COS • I I • RESTIT VIT
M • P • II
Corp. Insc. Lat II, 4685.
8
Borne rnilliaire {Route d'Avenches à Windisch),
IMP'CAESARI
DIVI'NERVAE'F
NERVAE -TRAIA
NO -AVG 'GERM
PONT-MAX'TRIB
POT'COSMI'P'P'DES
III'M'P'LXXXV
Zurich. — Mommsen. Insc. Helv. 330.
9
IMP CAESARI
DIVI NERVAE
FILIO NERVAE
TRAIANO AVG
GER PO^T MAX
TRIB POTEST II
COSMI* P' P
D D
Flavîum NcTiodanum (NoTigrad.) — Corp. /îwr. Lat III, n- 392 i.
IV
10
Borne ndlliaire (Route de Cilly à Pettau).
IMP "N ERVA* TRAI A
NVS* CAKS • AVG ' GER
PONT'MAX'TRIB-POT
p-p*cos-ii
VIII
Corpus InK. lat m, r 5738.
11
imp. CAESAR D ivi H E R
vae FNERVA T r a ianvs
aug GER PMTR ib, p OT ES
TCOSIIPP
PraoYo (Serbie). — Corp. Insc, Lai. III, n* 1642.
18
Borne milliaire,
imp,
DIVI NERVAE'/'TRAIA
NVS CAESAR AVG GER
MANICtt5 p VNTIFEX siC
5. MAX'TRIB'POT'P-P'COS'II
RESTITVIT PER / POM
PONIVM bas SVM leg
PRO PRAETORE M p
XXX
VIIII
Kaledjik (Galatie). ^ Corp. /fuc. laL III, n* 309.
18
Borne milliaire trouvée près de Cordoue.
Aujourd'hui perdue.
IMP • NERVA • DI VI • NER
VAE • F • TRAIANVS ' CAE
SAR -AVG • GERMANICVS
PONTIF- MAX'TRIBVNIC
5. POTEST'II ■COS'II'P-P
VUS- VET V STATE 'CORRYP
TAS'REFECITET RESTITVIT
Corp, Insc LaL II, n* 4725.
14
IMP'CAESAR
NERVAE'DIVI 'NER VAE 'F
TRAIANO- AVG'GER
PONTIF* MAX -TR'P
5. IlI-COS'ir P P
D • D
Larino (Samniam). — Mommsen. I. N. 5205.
15
Diplâme militaire de l'an 99.
iMP CAESAR-DivI'NERVAE F * N ERV A * TRAI AN VS
AVGVSTVS GERMANICVS PONTiFEX * MaXIMVS
TRIBVNIC-POTESTAT'III-COS-irp-P
1. 20 AD XIX K SEPT
I. 21 Q^'FABIO* BARBARO • A •CAECILIO-FAVSTiNO'COS
Philippopoll — Corp, Insc LaL III, p. 863.
VI
16
Trouvée dans les carrières de Brohl.
ÏVlP'CAES'NEKlIII/JIIIIII
TRA AV GERliimllJll
'^i-IIIIIIIIHI/lllllli/lllll
rcRCVLI /////////////////////
5. Ty^^ciii/ijiiii/iiiiniiiii
ll/llll/lllllillllilllHHIIIil
Bonn. — Brambach. Corp. Insc. Bhen. 667.
17
IMP -NERVA 'TRAIANO ' CA
ESARE'AVG * GER * III * SEX ' I VLIO
FRONTINO • III • COS ' MAGISTRI
ANNI'CVII
5. M-OPTICIVS*HELPISTVS
AGATHOPVS
VS • HERMES
HERMOLAVS
Rome. — Uenzeo, n* 6545.
18
DIANAE
NEMORESI ' VESTAE
SACRVM DICT
IMP'NERVA TRAIANO AVC
5. GERMANICO III COS PRAEF
EIVS 'T-VOLTEDIO-MAMILIANO
Q_.VAESTORIB
L'CAECILIO'VRSO'II'M'LVCRETIO
Rome. — Orelli, 1455.
vif
19
Sur un cippe :
IMP'CAESAR
NERVA ' AVG' GER *
PONTIF • M TRIB-
POTES T- nrcos'iiii'P'P'
5. VIAM-A'TRIPONTIO'AD
FORVM-APPI-EX'GLAREA
SILICE - STERNENDAM
SVA • PECVNIA • INCHOAVIT
IMP ' CAESAR
10. NERVA'DIVI-NERVAE
FILIVS • AVG
GERMA
TRIB • POTEST ' COS ' III '
CONSVMMAVIT
Sermonela. — Morcelli de Styl. Imc. II, p. 129; Ghaupy, Maison
d'Horace 111, 391 ; Orelli, n- 780.
VIII
O
>
C/3
U
U
IF
X
-<
H«
co
a:
O
H
u
€/)
•
O
li
<
S
O
0.
O
H
<o
•
z
>
OQ
bl
<
?
S
CJ
CQ
O
>
et
•
O
S
>
a:
a
a:
0.
•1
<
><
X
s
j^-
Ed
•
o
Q
^
<
u
Cd
*"
Tt*
w
O
bu
B
H
»»**
^^
_ .
z
•
H
S
>
g
CO
O
>
o:
Ed
«
S
0.
>
O
•
•
u
Û
td
•
Cd
;s
U
•
o
>
■<
<
O
•
O
>
5^
CO
H
lO
*»«»
M^
a
Cd
•
^
^
en
o
<
a:
0.
<
Z
¥^
>
•<
^4
Cd
g
o
<
a.
••a
>
î-
<3
<
en
>
•
<
>
a
Z
<
<
Û.
Q
•
Cd
se
;3
CQ
<
Cd
•
O
g
CQ
0.
•
z
OQ
z
>
<
>
"<
H
0^
Cd
Id
Cd
>
Z
z
•
p^
•
>
Q
U3
<
•
U
^^
«
o:
TJ
<
•
td
>
<
U
00
•
s
Ou
o:
S
td
0.
U
Z
<
Cd
•
O
:id
•
! s
C/3
>
î-
CO
*■*
0^
X
<
<
>
Z
Cd
o
•
û
nJ
•
U
•
bO
•
>
00
>
z
<
>
tù
O
•
•
S
-]
td
o:
Cd
X
bO
>
u
•
^■a
CQ
0.
Ij
•
«
b.
•
•
0.
><<
€/î
•
>
t«
P4
Z
>
•»
Cd
o:
>
Cd
ë
^
•
^
-]
Û.
M
w
o
ê
u
•«
09
«>
.d
td
t
O
Q
â
o
td
c^«
z
<
Cd
<
•
•
<
O
O
Q
>
1
o
a:
3
U
•
O
1
•
P
%
IX
81
Sur une table de marbre encastrée dans le rocher,
au bord du Danube.
ImpCJcaesarC{diviCJnervaeCîf0
nerva traianvs ci avg [5 germ
pontif maximvs trib pot iiii
pater patriae cos iii
5. MONTlia SEXCISU AN //////bVS
SUP///at//S via//// F
Tactalja (Serbie). Corp. Insc, Lai, III, n* 1699. Cf. BenndorflfdansO. Hirschfeld :
Epigraphische Nachiese aus Daden tmd Moesien, Wien. 1874, in-8\
88
Fragments de VAttique dun arc de triomphe.
lUP'CAESkR'divi
NERVAE •F'NERVA 'TRAIA/IUf
a tt g GERMANICVS'PONM*/
max. tkIb ' pot ' i a i' COS' ni' P'P' col
5. marciANAM'TRa/âNAM'TH
amugaui *per'leg*iii'avg
/eC'/n*mVNATI'M/-GALLVS-LEG
D AVG • PRO • /?r* d
Thamngas.— Renier : Jn$c, Alg. 1479. Borghesi: Œuvres oompf ètos VIII, p. 486.
83
Sur une base ronde.
IMP'CAESARI
DIVI'NERVAE'F
NERVAE - TRAIANO
AVG • GERM • PONT
MAX'TRIB-POT'IIII COS
un
MVNIC'IVLIPENSE
D • D •
Zalamea (Bétique). — Corp. Insc, Lat II, n* ^52.
84
Sur un cippe :
EX • avctoritaTe
IMP ' CAESARIS ' DIvI
NERVAE • FIL ' NERVAE
TRAIANI * AVG * GERM
PONTIFICIS'MAXIMI
TRIBVNIC • POTESTAT ' V '
COS • IIII • P • P •
TI • IVLIVS' FEROX 'CVRATOR
alveI -ET' rIparvm 'TIBERIS
10. ET'CLOCARVM'VRBIS'TER
MINAVIT'RÏPAM'R-R'PROXIMO
CIPPO'P'CCCLXXXVI 'S
Rome. — Smetius, f. VIII, n« 9.
25
Sur un cippe :
{Route de Naples à Sinuessa, par Pouzzoles.)
IMP • CAESAR'DIVI * NERVAE 'F
NERVA -TRAIANVS* AVG GERMANICVS
PONT'MAX'TRIB-POT'VI'IMP'II
COS • IIII • PATER • PATRIAE * VIAM
5. NOVAM- RELICTIS'ANTIQ^Vr ITINERIS
HIommseD. I. N. 6267.
XI
26
Sur un cippe :
{Route de Naples à SinuessUj par Pouzzoles.)
IMP'CAESAR-DIVI
NERVAE'F'NERVA
TRAIANVS • AVGVSTVS
GERMANICVS ' PONTIF
MAXIMVS • TRIBVNICIA
POTESTATE' VI * IMPMI
COS •IIII'PATER'PATRIAE
INCHOATAM A DIVO NERVA
PATRE SVO PERAGENDAM
CVRAVIT
Moramsen. I. N. 6268.
XII
^
^
?î
o
V.
h
ro
-<
^
OQ
-^
<
^ Ë
m
t-l
00 t-
une t
oppi
«: <
•-^
> 7
—^
u
*^
o «s
g 'S
co
05 «
o
o
U
II
Sd
.î:î
S *J
il
."^
^
.2 <
aires
nie.
•
O
">3 J
11
1 r
>
<
H
H e^
•S <3
<
Z, u
'SO M
> >
Ck g §
O
a a.
P
O
<
<
O
E-
<
5s:
fonda
Circell
des Li
a:
O ■<
s: ^
^
<
55 J
•
>
et
o
0. 2
A
05 ^
u
u
o» -
â
•ta ^
z
9 ^
■ •
s
-2:$
«
O
= 5
<
s
g|
P
Q^
.1^
•
S'
<
i
inscripti
rouvée à
.g
•
■s E
§^8
•
6 t:
•S
•
• •
i
1
a
i
^i
"o
1
^
V.
•
i
XIII
88
Sur un cippe :
ANNO
ImP'CAES* NER V ae
T R I A N I • A V G
GERMANICl'IIII
5. q^ ' ARTICVLEI PAETI
COS
PONTIF ' EX • STIPE
Yiennei en Danphiné.— Copie deM. L. Renier; Borghesi : Œuvres eomp<è/es VI, 281.
89
Borne milliaire (Route de Cilly à Pettau).
IMP • NERVA ' TRAIA
NVS'CAES* AVG'GER
PONT'MAX'TRIB'POT
P-P'COSMIII
J. VI.
l^oine (Autriclie). — Corp. Intc, LaU III, n* 5732.
80
Table de marbre, fragmentée,
£MP AVG
fin ES DEKECti
i ntER DiEN ses
et l s son los
5. ex CONVENTION
IPSOR VM
im p//nerva tRkia
no CAes ARe
AVG GERMAN/cO
10. IIII COS
TrooTée près de Diam (Malathria) en Macédoine. — Heozey : Mont Olympe,
p. 477. ^ Corpus Insc. LaU III, n* 591.
XIV
81
IMP • NERVA • TRAIANIi^
PONTIF • MAX • TRzfc. pOt
AQ_yAE DVCTVM ' coLOii îs ' S ' f ' pcrfccit
IN ■ Q_VOD • ANTE ' IMPEN^^T^/Zf ' JUSSU . .
5. SACRATISSIMI ' PRlUCipis
Zara. — Coij), Insc. Lat, III, n- 2909.
10.
32
I M P * C A E
N ER V AE • F
V AE • TR AI
A VC • GERh
PO NTI F • M
TRIBVN • PO
IMP'III'COS
LAVRENTES LA
DE G D
PVBLI
I
LaTÎnium (Pralira). — Fabretli : iTiscr. Dont., p. 682, n. 66.
33
Borne militaire (Via Sublacensis, embranchement
de la Via Valeria).
IMP • CAESAR
NERVAE • F • NERVA
TRAIANVS • AVGVSTVS
GERMANICVS ' DACICVS
5. PONTIFEX'MAXIMVS
TRIBVNICIA • POTESTATE
IMP • III • COS • V
RESTITVENDAM ' CVRAVIT
XXXVTII
E. Deiijantins : Topographie du Latium, p. 177
XV
s
•
3
<
s
<
m
1-8
a
<
Û.
O
bl
^ ^
>
•
b]
S ^
d
<
<
•s ,Qj
•M
^
Z
o
•
bl
>
Ou
a? fondatio
ze trouvée
U
M
Q
co
1
X
•
CQ
>
o
•
X
«
h]
<
>
bl
z
co
M
•
OC
bl
>
û.
•
u
•
•
CL
■s
1
O
•
<
G
<
S
>
•
0.
Q ■
•
lativ
de
>
a:
o
<
•
tO
z
•*•
^ ^
■-
S
>-4
<
3
nscription r
sur une tàbl
o
bl-
<
OC
Û.
o
<
•
oc
O
>
<
Û.
U
z
CL
bl
S»
o:
bl
O
•
>
<
•
•
Z
<
a.
u
<
ê
• •
c
ce
•«a
O
•
X
<
Z
<
•S?
une
avée
CQ
<
Z
<
<
Z
bl
^h.
O
II
75
î-
S
1
^
m
s^
•
t
>>
»-«
«s
p
e
•
•
*?
^
35
Diplôme militaire, de Van 103.
IMP'CAESAR'DIVI'NERVAE'F'NERVA'TRAIANVS
AVCVSTVS • GERMANICVS ' DACICVS ' PONTIFEX ' MAX
IMVS'TRIBVNIC POTE STATE •VII'IMP'IIII'COS'VP'P
1. 22
a* d xiiii • k • febr
m' laberio' maximo-Ti
q^'glitio- atil10 * agricola ' ii * cos
Troové à Malpas (comté de Ghester). — Corp. Insc. Lai. III, p 864.
XVI
36
Sur un piédestal :
Imp * caesarI
dIvI • NERVAE • F
NERVAE ' TRAIANO
AVG * GERMANICO
DACICO • f^ONTIFICI
MAXIMO ' TRIBVNIC
POT'VIIMMP'IIII'COS* VPP
TRIB VS • XXXV
Q^VOD* LIBERALITATE
10. OPTIMI'PRINCIPIS
COMMODA'EARVM * ETIAM
LOCORVM * ADIECTIONE
AMPLI ATA • SINT-
Rome. — Smetias, ^ LIU, n- 3. OrelU, n* 3065.
87
Sur un piédestal trouvé à Tyndaris :
IMP • CAESAR' DIVI • NERVAE
F • NERVA • TRAIANVS * AVG
GERMANICVS ' DACICVS
PONTIFEX'MAXIMVS
TR-POT'VII'IMP'IIII
CO S ' V • P • P
Palerme. — Henzen. n* 5440.
XVII
38
Borne milliaire {Route de Braga à Astorga).
IMP * CAESARI
DIVI -NERVAE- F
TRAIANO- AVG
GER'DACICO
5. PONT-MAX
TRIB • POT- VII
IMP • I V ' COS - U
AQ.VIS - FLAVIS
M - P - XLII
Corp. Insc. LaU II, xl* 4782.
39
Sur un piédestal :
IMP flJCAESARI DIVI
NERVAE FILIO NERVAE
TRAIANO GERMANICO
PONTIFICI MAXIMO
TRIB » POTEST flJ VII
IMPfiJIIIIfiSCOSfiJV »P fiiPfB
KALAMENSES
DD PP FC
Guelma. — Renier : Inse. Alg.y n* 2711.
XVIII
40
Sur une base oblongue :
IMP • CAESARI -DIVI 'NERVAE 'F
NERVAE • TRAIANO * AVG * GERM
DACICO'PONT'MAX'TRIB-POTEST'VIII
IMP' IIII' COS* V • P* P • OPTIMO PRINCIPI
SAGARI thekJKl MARCELL
CVLTORES- DOMVS- AVG-
Rome. — Smelias, f* un, a* 2.
1. 4. Smetius donne imp viii
41
Sur l'arc votif érigé au milieu du pont :
IMP- CAESARI -DIVI -NERVAE- F* NERVAE
TRAIANO-AV G-GE RM-DACICO-PONTIF-MAX
TRIB-POTES-VIIl-IMP-VCOS-V • P • P
M V N I C I P I A
5. PROVINCIAE
LVSITANIAE • STIPE
CONLATA-QVAE-QPVS
PONTIS- PERFECERVNT
IGAEDITANI
10. LANCIENSES-OPPIDANI
TALORI
INTERANNIENSES
COLARNI
LANCIENSBS TRANSCVDANI
15. ARAYl
MEIDVBRIGENSES
ARABRIGENSES
BANIENSES
PAE S VRES
Alcantara. — Corp, Insc. Lat, II, 759, 760.
XIX
42
Diplôme militaire de Van 105.
IMP CAESAR DIVI NERVAE F NERVA TRAIANVS
AVGVSTVS GERMANICVS DACICVS PONTIFEX
MAXIMVS TRIBVNIC POTESTAT VIHl IMP
II II COS V P P
1. 21. A * D ID VS MAI
C IVLIO BASSO CN AFRANIO DEXTRO COS
Peslb. — Corp, Insc, Lat III, p. 864.
43
Autre diplôme militaire de Van 105.
IMP'CAESAR DIVI'NERVAE'F NERVA TRAIANV5
AVGVSTVS • GERMANIC " DACICVS * PONTIF ' MAX!
MVS TRIBVNIC'POTESTAT* VIIIIMMP MIII COS'W'P'f'
(La parlîe de la plaque où se lisaient les noms des consuls est détruite.)
Sydenham. — Corp, Insc. Lat. III, p. 866.
44
AûHiessous d'un bas-relief, représentant Trajan
entre Hercule et Mercure.
IMP • CAESARI'DIVI- "NERVAE'FILIO'N
ERVAE • TRAIANO * AVG * GERMANICO ' D
ACICO'PONT -MAX'TRIB' POT* VIIiriMP IIII COS V
lllllllilllllllillllllllll/lllllllll/llllllllllllllll/lllllllilllllll
Rome. — Smetius, f^ nu, n*» 4.
XX
46
Pont sur le Liris, auprès de Frégelles (Via Latina).
IMP • CAESAR
D I V I
NERVAE • FIL
N E R V A
5. TR A I AN V S
AVGVSTVS
GERMANICVS
DACICVS
PONT'MAXIMVS
10. TRIB* POT* VIIII
IMPMIII'COS- V" P'P
RESTITVIT
Mommsea : I. N. 6251.
46
Sur Vattique d'un arc de tHomphe ?
PLOTINAE IMP'CAES'NERVAE- MARTIA
AVCVST TRAIANO • AVG • GERM NAE AVG
DACICO'PONT'MAX'TR
POT- IX'COS* V D D
Sarzane. — Maratori : ccxxz. 7. Orelli : 786.
47
Diplôme militaire de l'an 108.
iMP CAESAR DIVI NERVAE F NERVA TRAIANVS
AVGVSTVS GERMANICVS DACICVS PONTIFEX MA
XIMVS TRIBVNIC POTESTAT XI IMP VI COS V P P
I. 22 PR K IV L
C'MINICIO'FVNDANO C VETTENIO SEVERO COS
Weissenbarg (Franconie). — Corp. Insc, ÏmI. \\\, p. 866.
XXI
48
TRAIANO • AVG
GERM'DAC'PONT
MAX -TRIB • POT ' XI'IMP'
VI'COS • VP'P
C FVLVIVS* HERMAE* LIB
*
EPtTYNCHANVS.' EX ' D'D
OB'HONOREM'AVGVSTAL
Brindes. — Moramsen. I. N. 453.
49
Sur une dalle brisée, trouvée à Philippeville,
imP CAES DIVI-
ngRVAE'F-NERVAE
/TAIANO AVG'GERM
5. ^tf cico -pohT -max-trIb
pot XIMMP'VrCO s////
optiMO • AC • MAx/mo
principi
Masée du Louvre. — Renier, /nsc. Alg., n* 2157.
50
Sur une grande table de travertin :
M-CALPVRNIVS-M-F-PISO-FRVGI'PR*EX"S-C
FACIVNDVM • CVRAVIT- eIDEMQ_VE*PROBAVIT
IMP'CAESAR DIvI'NERVAE'F'NERVA
TRAIANVS" AVGVSTVS'GERMANICVS
5. DACICVS • PONTIF ' MAXIMVS * TRIB * POT * XII
IMP'VrCOS'VP-P'OPERIBVS-AMPLIATIS "RESTITVIT
Rome. — Smellus, f> xii, n* 8. La partie droite, vue et copiée par Smetius,
n'existe plus. V. Melchiorri, Lettre à M, de Witte; Rev. Arch., 1845, p. 338.
XXII
51
IMP 'CAESARI • DIVI * NERVAE • F 'NERVAE * TRAIANO
AVG • GERM • DACICO ' PONTIFICI * MAX '
TRIBVNIC'POTES.T'Xir IMP'VrCOS'V
P • P • DEVICTIS* DACIS * FOROCLAVD ' PVBL '
Aixme, en Tarantaise. — OreUi, n» 787.
10.
52
Borne militaire.
I M P
CAESAR NERVA
TRAIANVS-AVG
GERM • DACICVS
PONTIF • MAXIM
POT'XII'COS'V
IMP • VI • P • P • FECIT
PER 'COH' PFL* VLP
HISP • MIL • C • R • EQ_
A POTAISSA•^APO
CAE
M • P • X
Thorda. — Corp. Insc. Lai. III, 1627.
1. 6. TR manque sur la pierre.
53
..VGVST • Vie • lOVIS • FAGVTAL...
..MP • NERVA • DIVI * NERVAE * F ' TRAIAN...
..ICO • PONT' MAX • TRIB 'POT-XIII-IMP 'VI...
..POLLIONIS'TRIB-PLEB'AED'REG'III* VET VST A . . .
. .GISTRI -ANNI'CXXI'SVA'INPENSA* RESTITV . . .
. . PHOEBVS A'NONIVS'A'L'ONESIMVS...
. . CALLISTVS L * VALERIVS " L* L* EVTICHVS. . .
Rome. — Fabrelti, Inser. Dom., p. 103, n» 241.
1. 5. Il faut lire AN NI • ex VI •
V. Borghesi, Œuv. compL vu, p. 500 [LeUre à M. Egger).
XXIII
64
IMP ' CAESAR * DlVl
NERVAE' F* NERVA
TR AlAN VS ' AVG
GERM * DACICVS
J. PONT- MAX 'TR* POT- XIII
IMP • VI • COS • V P " P
AQ,VAM • TRAIANAM
PECVNIA S VA
IN VRBEM PERD VXIT
10. EMPTIS LOGIS
PER • LATITVP • P'XXX
GonelU (10 milles de Rome). — Henzen, 5097.
55
Pont sur le Monticello, entre Terracine et Fondi
(Via Appia).
IMP'CAESAR
DlVI ' NERVAE
FILIVS • NERVA
T R A I A N V S
5. AVG • GERM ANICVS
DACICVS • PONT
MAXIMVS 'TRIBVN
POTESTATIS' XIII
IMPERATOR- VI'COS' V
10. P' P" PONTEM • VET V
STATE • COLLAPSVM
RESTITVIT
Mommsen. — • I. N. 6241.
XXIV
66
Sur un cippe :
(Via Trajana)
LXXXI
IMP • CAESAR
DIVI"NERVAE'F
NERVA • TR A lAN VS
5. AVG • GERM • DACIC
PONT" MAX • TR ' POT
XIII 'IMP • VI COS V
P P
VIAM A BENEVENTO
10. BRVNDISIVM PECVN
SVA FECIT.
Gerignola. — Mommsen. I. N. 6289.
57
Sur un cippe :
(Via Trajana)
IMP • CAESAR
DIVI • NERVAE ' F '
NERVA • TRAIANVS
AVG • GERM'DAC
5. PONT MAX TRIB P
^jiriMP-vrcos'v
p.p
VIAM ET PONTES
BENEVENTO 'BRVNDISIVM
10. PECVNIA SVA
Padali (près Bénévent). — Mommsen : I. N. 6290.
XXV
58
Sur une dalle, encadrée de moulures.
IMP CAESARI
DIVI NERVAE FIL
NERVAE TRAIANO
AVG • GERM • DACICO
5. PONT'MAX'TRIB'POT
XlirCOS* VIMP* VI 'P-P
D'D ' P'P*
Sétif. — Renier, Inscrip. Alg., n» 3267.
59
Diplôme militaire de Van ÎÎO^^
iMP CAESAR DIVI -NERVAE F NERVA TRAIA
NVS AVG GERM DACICVS PONTIF MAXIMVS
TRIBVNIC POTESTAT'XIIII'IMP- VI 'COS* VP*P
A D XIII K MART
1. 2} SER • SCIPIONE SALVIDIENO ORFITO
M • PEDVCAEO • PRISCINO COS
Vienne (Autriche). -^ Corp, Iîisc. LaU III, p. 868.
XXVI
60
Sur un cippe :
(Vu Appia)
X
I M P • C A E S •
DIVI -NERVAE
FILIVS • NERVA
TRAIANVS'AVG
GERMANICVS
DACICVS • PONT • MAX
TRIB*POT"XIIII
IMP'VI'COS'V'P'P
10. X V I I I I ' S I L I C E
SVA'PECVNIA
S T R A V I T
LUI
DDD'NNN-FFF'LLL
15. THEODOSIO'ARCADIO
ET • HONORIO • P 'P • P 'FFF
SEMPER -AVOGG
BONO'REIPVB
N A T I S
Tcrradnc. — Gruter 1019, 8. Fabrelti, Col Traj., p. 291.
61
ImP'CAESARI 'DIVI
NERVAE • F • NERVAE
TRAIANO'AVG'GER
DACI-PONT'MAX'TR
POT- XIV MMP- VI'COS'VP'P
BRVNDISINI • DECVRIONES
ET • M VNICIPES
BriQdes. — Mommsen. I. N., n* 454.
XXVII
68
imp, caesari ' diw [' i^EKW AE ' F ' îiERW ^E' traiano ' aug.
germanico • dacico * pontifici • MAx/mo îrib
pot... iwp'wi' cos' w p'p'
Ob mflNIFICENTIAM'SVAM
5. SVBOLEMQ^MTALIAE
iT'MVNicipii auximatium
decuriones et plebs.
Osimo. — Uenzen, n" 5444.
63
Sur le pont de la Tamega .
IMP • CAES • NERVA
TRAIANO'AVG-GER
DACICO 'PONT'MAX
TRIB'POT'COS'V P'P
5. Aqyi FLAVIENSES
ponTem lapideym
DE SVO F • C
Gliaves (Aqaae Flaviae). — Corp. Insc, Lat II, n*" 2478.
64
IMP-DIVI'NER*F
NERVAE "TRAIA
GAESARI'AVG
GER'DACIC'POtT
5. MAX"TRIB"POT"P"P
COS ' V
C'RVFIVS "MODERATYS
IVNIANVS • IVNCINVS
PRAEF'COH* VI'RAET'TRIB
10. MIL*LEG"VI1'C"P F
CODICIL'F* I
CJlly. — Corp, Insc, LaL Ilï, n* 5202.
XXVIII
65
imp caes werva traia
no aUG GER DACICO p
max tr i bpp cos v
COh I . VCENSIVM p F
Roomburg. — Brainbach. Corp. Insc. Rhen., n» 6 b.
66
5-
Imp. nerwk
traiano
caesaRE
aug GERM
^^ic.v.m'la
berio ii cos
Trente. — OreUi, n* 4915.
10.
67
(Via Salaria).
IMP • CAES'DIVI
NERVAE'F'NER
VA'TRAIANVS
AVC • GERMAN
DACICVS • PO///TIF
/////X I M V S • T R I B
/////STATE/////ER
VI • COS • V/////////VB
STRVCTIONEM * CON
T ABEM • MONTIS
FECIT.
Antrodoco. — Mommsen. I. N. 6261..
XXIX
68
"/ïVMINI.DOMVS'AVGUSrfle..
ZMP'CAESARIS'NERVAE'Trfliû/l/ dUg
gERM*DACICrSER'ZMARAGDIA/2U5'5{7
VANrSIGNVM'PORTICVS-S
CVM-CVLTV'ET-PICTVRA'ITEM
CORVM'DD'DEDIC'VI'K'OCT
frAIANO-AVG-GERM* DACICO'VI *T' S E XTI * COS . .,
Rome. — Oderico; DissarL^ p. 56.
Orelli, n- 1595.
69
IMp-CAESARrDIVI'NERVAE'FILIO'NERVAE
TRAIANO'AVG'GERM'DACICO 'PONT 'MAX
TRIB-P0T'XVIMP'VI*C0S"VI-P-P
OPTIMO PRINCIPI
L-PLVTIVS'L'F'PAL *PHOEBVS
Pouzzoles. — Mommseu. I. N. 2487.
70
S P Q R
IMP'CAESARI'DIVI
NERVAE- F • NERVAE
TRAIANO • AVGVSTO
GERMANICO'DACICO
PONTIF • MAX • TRIBVNICIA
POTEST-XVriMP'VPCOS'VrP'P
OPTIME •DE'REPVBLICA
MERITO • DOMI • FORISQ^VE
Rome. — Henzen, n* 5445.
XXX
71
Sur une table de marbre rouge trouvée à Gergina :
IMP'CAES'DlVi'FIL
NERVAE • TRAIANO
AVg'GER ' DACICO
PONT'MAX'fr/B'POT
5. XVI'IMP'VI'COJVi'P-P
P'CALPVRNIO'MACRO
CAVLIO'RVFO'LEG'AVG'PRO 'PT.
lassy. — Corp, Insc. LaU III, n" 777.
72
Sur le piédestal de la colonne Trajane.
SENATVS • POPVLVSQ^VE ROMANVS
IMP CAESARI DlYI N E R V A E ' F ' N E R V A E
TRAIANO • AVG * GERM * DACICO ' PONTIF
MAXIMO TRIB POT XVII IMP VI COS VI * P ' P
5. AD DECLARANDVM QVANTAE ALTITVDINIS
MONS ET LOCVS TANT/5 O^^flBVS * SIT * EGESTVS
Rome. — Orelli, n" 29.
73
Diplôme militaire de Van 114,
IMP CAESAR DIVI NERVAE F NERVA TRAIANVS OPTIMVS
AVG GERM DACIC PONTIF MAX TRIBVNIC POTESTAT
XVII IMP* VII COS- VI' P* P'
1. 18 K SEPT
L'LOLLI ANOA VITO L MESSIO RVSTICO CO S
Petronell (Carnunlum). ~ Corp, Insc, Lai. III, p. 869.
XXX!
74
Sur une grande dalle de marbre :
IMP'CAESAR-DIVI'NERVAE'F
NERVA'TRAIANVS'OPTIMVS-AVG
GERMANICVS'DACICVS "PONTIF'MAX
TRlBVNIC-POTEST'XVIlI'IMP'VII'COS'VrP'P
. SACRARIA'NVMINVM- VETVSTATE- DILAPSA ' RESTITI VIT '
Rome. — Fabreiti : Col Traj., p. 293. Borghesi : Œuvres complètes, V, p. 18.
75
Sur Fattique de Varc de triomphe :
IMP • CAESARI • DIVI * NERVAE ' FILIO
NERVAE • TRAIANO * OPTIMO * AVG
GERMANICO " DACICO ' PONTIF' MAX 'TRIB
POTEST'XVIIl'IMP'VII'COS'VI 'P'P
FORTISSIMO'PRINCIPI • SENATVS P * Q,* R
Bénévent. — Mommsen : I. N. 1408.
76
IMP-CAESARI
DIVI'NERVAE-F
NERVAE • TRAIANO ' OP
TIMO -AVG-GERM- DACICO
5- PART'iCO- PONTIF* MAX 'TRIB
POT* XVIII* ImP" VII 'GO S * VI
patrTpatriae'mvnicipes
Zambra (Gisimbrium, en Bétique). — Corp. Insc, Lai, II, n* 2097.
XXXII
77
Borne milliaire (Via Latin a).
x/vii
iMP'CAESAR-
DIVI'NERVAE-F'
NERVA 'TRAIANVS'
OPTIM VS 'A VG'
GERMANICVS'DACICVS'
PONTIFEX 'MAXIM'
TRIB-POT'X VIII-
IMP- VIIII' COS- VI ■
10. P • P
FACIENDAM '
CVRAVIT-
Ferentino. — Borghesi : Œuvres complètes, \, p. 22.
XXXIII
00
O
.1-
< >
M Z <
< < O '
S 5 > s
Q ^ O
S o
< o
> ï
OC u
> s
oc 0^
U3
• o
r >
o
O
< CL
«O O
u •
<. o
<
- CL
— U
> z
a. oc
. o
^ co
> --
o 2
o- >
• o
a( ce
H CL
• •
< :
>
M
U
CJ
<
<
>
>
o.
ce
u
Û
Q
a
u
ce
to
X >
cd cû
o o
0. u
o o H
> t 5
•SX
C/ < g
• H td
CL Ui cC
Û 2
c/î O P
> X >
H « î-
< 2 >"
2 J 5"
W ^ 5
*^ ^ O
«J « CL
o
H >
< <
Z ç3 L
H > ^
O < >
o. o
u
2
O
I
I
5
XXXIV
79
Pont du Métaure (Via Flaminia) :
IMP ' CAESAR
DIVI'NERVAE'F
NER VA -TRAI AN VS
OPTIMVS • AVC • CER
DACICVS • TRIBVNIC
POTEST • XIX • IMP • XI
COS • VI 'P • P
FACIVNDVM
CVRAVIT
Foâsombrone. — Fabrelli, 398. 289.
80
IMP'CAESARI
DIVI-NERVAE'F
NERVAE'TRAIANO
OPTIMO'AVG'GERM
5. DACIC'PARTHIC-PONT
MAX 'TRIB 'POTEST'XX
IMP • XII • COS * VI • PATRI ■ PATR
CVLTORES • lOVIS " HELIOPO
LITANI • BERYTENSES ' Q_VI
10. PVTEOLIS'CONSISTVNT
Pouzzoles. — Mominsen I, N. 2488.
XXXV
81
Diplôme militaire de Van 116,
Partie intérieure.
ImP CAESAR DIVI NERVAE F NERVA TRAIANVS OPTIM
AVG GERM DACIC PARTHIC PONTIF MAX TRIB PO
TESTAT'XX IMP'XIirPROCOS'COS VI P P
Partie extérieure.
IMP CAESAR DIVI îiEKV ae ' f ' Ficr VU ' îraj dnus
OPTIMVS AVGVSTVS German'ic dac ic par
THicvs PONTiFEx uaximus îribunic potestat
XX • IMP • XIII PR
1. 2J. A • D • VI • IDVS SEP
CN MINICIO FAV
Wiesbaden. — Corp. Insc. Lat III, p. 870.
82
Sur un piédestal :
IMP • CAESARI • DIVI
NERVAE- fIL'NERVAE
TRAIANO-OPTIMO
AVG • GERMANICO
5. DACICO'PARTHICO
PONT-MAX"TRIB-POT- XXIII...
COS • VI • PATRI ' PATRIAE
SENATVS • POPVLVS Q^* ROM
OB • RECIPERATOS* AGRO S ' ET * POSS ESS. . .
10. QVOS" LACVS ' FVCINI • VIOLENT....
Alba Fucense. — Mommsen : I, N. 5619.
XXXVI
83
Sur une table de marbre, encastrée dans le mur
d'une église :
IMP- CAESARI' DIVI * NERVAE 'F
DIVO -TRAIANO ' OPTVMO
AVC • GERM • DACICO * PARTHICO
PONTIF • MAX "TRIB • POTEST * XXI ' IMP
5. XIII'COS" VI • PATER -PATRIAE* OPTVMO
MAXVMOQVE* PRINCIPI " CON
SERVATORI ' GENERIS * HVMANI
RES'PVBLICÀ-ARATIS PITANORVM
DECREVlt.'DIVO- DEDICAVIT*
Gauche El Viejo (près Malaga). — Corp. Insc. Lat II, n* 2054.
84
INSCRIPTIONS RELATIVES AUX GUERRES DE TRAJAN.
i"^ Guerres de Germanie. i
a. b, I
i MP-NERVA-TRA
ian PONTIF MAX
le GIADI /EG- XI G
Bade. — Brambach : Cnrp. Insc, Bhen.f n* 1666.
La partie a, trouvée en 1809 dans le jardin anglais à Bade, est aujourd'hui
perdue. La partie b est conservée à Garlsruhe.
XXXVIl
85
2° Guerres de Oacie.
Sur un piédestal :
c um
iwp'CAESAR't^KRWA'TRAïkvyfS'aug'germanicus
DACICVS'GENTEM-DACOR'ET'REGEM'DECEBALVM
BELLO'SVPERAVIT'SVB'EODEM-DVCE'LEG'PROPR'AB
5. EODEM'DONATO-HASTIS'PVRIS'VIII'VEXILLIS-VIII
CORONIS'MVRALIBII'VALLARIB'II-CLASSICISMI
AVRATIS-IPLEG-PROPR-PROVINCIAE-BELGICAE-LEG-LEGM
MINERVIAE'CANDIDATO-CAESARISMNPRAETVRA
ET'INTRIBVNATVPLEB'Q_VAESTORI 'PROVINCIAE
10. ACHAIAEIIII'VIRO'VIARVM'CVRANDARVM
HVIC'SENATVS 'AVCTORE-IMP-TRA lANO'AVG
CERMANICO • DACICO * TRIVMPHALIA " ORNAMENT
DEGRE VIT • STATVAMQ^' PECVN * PV BLIC * PONEND "CENS VIT
Rome. — Borghesi : Œuvres complètes, \, p. 32.
86
q ' glitio' p'f- sTEL
atilio ' AGRICOLAE • cos -Il
y a ' viro epvlon • leg • propr
imp'fiervae traiani • caes • avg 'Ger
5. dacici ' /^tovinciae • pannoniae
donaîo ' ab * ^odem ' donis 'militarib
hastis* puris' iiii' y E\\LL\%' uw cOKOiik
vallari • coronk • mvrali • corona
cl assied ' coroNA 'avrea-leg-propr
10. provinc • belgickz 'divi-nervae '
leg ' leg •vi'/gRRATAE'LEG
hispaniae'citerxoK'PKaet'
aed'cuT'q'divi' vespasiani'trib' mil
leg' i ' Italie ' xvir * stlitib ' judic
Turin. — Henzen, n* 5449.
XXXVIII
87
C MANLIO • Q^' F
FELICI'TRlB'MIL'LEG'Vli
G'P'F'ADLECT'IN'DECVR//^
IVDIC-SELECTOR'A'DIVO
• TITO'PRAEF'FABR'IMP*
CAESARIS'NERVAE'TRAIAN
GERM'DACICl'II'PRAEF'CLASS
PANN • ET • GERM * PROC * AVG * REC
CHERS • PROC- AVG ' XX * HERED
D D
Ecsemil (Lysimachia). — Muratori, p. 717, n" 5.
88
q^-ROSCIO-SEX F
Q^V IR-COELIO-MVRENAE
SILIO-DECIANO-VIBVLLO
PIO-IVLIO-EVRYCLI 'HERCLANO
5. POMPEIO-FALCONI-COS
XV VIR'S'F'PRO'COS'PROVINC' ASIAE* LEGPR'PR
IMP* CAES'TRAIANI 'HADRIANI* AVG'PROVINC
BRITTANNIAE'LEG'PR-PR "IMP 'CAES 'NERVAE
TRAIANI • AVG " GERMANICI ' DACICI
10. /?ROVINC • MOESIAE ' INFERIOR ' CVRATORI
vfaE'TRAIANAE'ET'LEG'AVG'PR'PR'PROVINC
iudeae' ET' leg'x'fret'Leg'pr'pr-provlyciae
et \ pamp hfLiAE • leg • leg • v • macedonic
in 'bello' dacico' donis' militaribvs'Donato
Gabies. — Borghesi : Œuvres complètes, IV, p. 125. Henzen, n** 5451.
89
XXXIX
10.
15
20.
L • ACONIO • L -F • CLV
S T A T V R A E
> •LEG'XIC'P'F'LEGMIII'P-F-LEG
V • MACED • LEG * VU •C'PP'DOrfS
DONATO • AB * IMP 'TRAIANO
AVG'GERM'OB 'BELLYM *DACIC*
TORQ^VIB • ARMILL ' PHALERIS
CORONA VALLARET A PRIORIB
PRINCIPIBVS EISDf/n ' doUlS
oon AT O'ob'bellum ' s ue b i c
ET s ARM ATIC'at -aVG TRAIANO
EX MILITIA IN EQ^VESTREM
OlGNITATEM'/RANSLa/O
ARIMINI PONTIF Q^V I N <i,
TIFERNI MAT FLAMINI PONTIF
ça IN
L • ACONIVS • 5/ATVRA ' FIL
EX TESTAMENTO EIVS Cui VS
DEDICATIONE ' 6 P V L II m dcCU
RIONIBVS ET PLEBI "^^DIT
L • D ' D • D •
S. Angelo in Vado (prè5 Urbin). — Borghesi : Œuvres complètes, VIU, p. 382.
XL
90
C-ARRIO-C-FCORN
CLEMENTÏ-MILITI • COH'IX
PR • Eq^VITI • COH • EIVSDEM ' DONIS
DONATO* AB ' IMP'TRAIANO
J. TORQ_VIBVS • ARMILLIS ' PHALERIS
OB'BELLVM DACICVM'SINGVLARI
PRAEFECTORVM ' PR ' TESSERARIO' OP
TIONI FISCI CVRATORI CORNICVL
TRIBVNPEVOCATO-AVG'>COH*I'VIGIL>
10. STATORVM>COH XIIII VRB>COH VII PR
TRECENARÏO- DONIS* DONATO -AB'IMP
HADRIANO HASTA PVRA CORONA AVREA
>LEG III AVG'PRIMIPILARril VIRO QVIN
Q^VENNALI-PATRONO'MVNICIPII
15. CVRATORI REIPVBLICAE
DECVR'ET'AVG V[£ vir] MVNICIPES MATIL
Malilica. — Henzen, n* 6771.
91
Table de marbre, trouvée à Tanger :
P'BESIO- P'F -QVIR'BETVINIANO
C'MARIO'MEMMIO'SABINO
PRAEF 'COH* I "RHAETORVM'TRIB'LEG 'X'G* P'F
PRAEF'ALAE'DARDANORVM 'PROCVRATORI
5. IMP-CAESARIS'NERVAE'TRAIANI'AVG'GERM'DACICI
MONETAE • PROC * PROVINC * BAETICAE ' PROC ' XX ' HERED * PROC ' PRO
LEG • PROVINC • MAVRETANIAE * TINGITANAE ' DONIS ' DONATO * AB
IMP • TRAIANO • AVG ' BELLO * DACICO ' CORONA ' M VRALI ' VALLARI ' HASTIS
EXACTI • EXERCITVS ' [PVR ' VEXILLO ' ARGENT '
Oxford. — Seldcn. Marm, Oxon,, p. 132. Orelli, n» 3570.
XLI
98
C-CAESIO-C-F-OVF
SILVESTRI-BENEF
PR -PR -EVOC-AVG
>-LEG-Il-AVG-LEG-IIII-F'F
5. LEG-lII-GALL-LEG-Vl
FERR'LEG-XXX-V-V
P-P-PRAEP*CASTR0RVM' LEG-IIII" F' F
^ONIS • DONATO * BELLO * DACICO * BIS
ror Q_VIBVS'ARMILLIS*PHALE
10. r/5"/?0/2TIFICI"CVRATORI
Viarum VMBRIAE'ET'PICEhiDATO
a b • /m/?'fl/ITONINO*AVG"PIO
PATRONO • MVNICIPI
ERELIVS
15. VFINVS'COS.F'F
Albacino (près Fabriano). — Borghesi : Œuvres complètes, VU, p. 365.
98
TrCLAVDIO-TI-F-TER-VlTALI
EX • EQ_yiTE*R- ORDINEM ACCEPIT * IN * LEG ' V maC'X'hast
POST • SVCCESSIONE * PROMOTVS CX LEG * V MAC * //I * /eg
riTAL'DONIS'D-TORQVIB'ARMILL'PHALER'CORONA'VALL
5. BELLO- DACICO • SVCCESSIONE * PROMÛT ' EX ' LEG ' I* ITAL
IN'LEG'I'MINER'/TER'DONIS • D'TORQVIB • ARMILL
PHALER'CORONA'VALL- BELLO" DACICO'SVCCESSIONE
PROMOT'EX- LEG- l'MINER'IN'LEG'XX VICT ' ITEM ' PROM
IN'LEG'EADMTEM 'SVCCESSIONE -PROMOTVS -EX'LEG
10. XX-VICT'IN-LEG-IX-HISP'SVCC-PROMOT-EX'LEG-IX-HISP
IN LEG'VII'CL-P'F-ITEM'SVCCESSIT-IN'LEG-EADEM
MILIT->IIII-PR-POST-ANNIS-XI-VIXIT-ANNIS-XLI-
Rome. — Mazocchi Epigr., î'xlviiu Restitutioas de M. L. Renier; Borghesi :
(Euvres complètes, IV, p. 211.
XUl
94
NA Tk N I s
A/ F A N I B ' C
I V L • M N S V E
T VS • M • L • I • M
5. PT' VS "fM-FV
TAD'ALVTW\
FLWEN • SEC V S
MO^TCA/CASI
Cologne. — Brambach : Corp. Insc, Bhen.; n" 405.
95
T-PRIFERNIO
P-F-Q^VI-PAETO
MËMMIO'APOLLINARI
IIII- VIR- IVR- DIC-Q_yiNQ_*MAGMV
5. PRAEF'COHMII* BREVC'TRIB ' LEC ' X
GEM'PRAEF* ALAE'I ' ASTVR VM ' DONIS
DONATO-EXPED'DAC'AB'IMP
TRAIANO • HASTA * PVRA ' VEXILLO
CORONA • MVRALI * PROC * PROVINC
10. SICIL • PROC -PROV'LVSITAN
PROC'XX- HER-PROC'PROVTlRAC
PROC'PROV'NORICAE
P-MEMMIVS-P-F- Q_V I
APOLLINARIS
15. PATRI-PIISSIMO
Rieti. -* Borghesi : Œuvres compUtes, \IH, p. 393.
XLIll
9o
q^' R A E C I • Q^- F
CL • R V F
P • P • LEG • XII • FV L M
TRECENARIO
5. DONIS • DON ' AB ' IMPER
VESPASIAN ET TITO I NP
BELL • IVD • AB * IMP ' TRAI
BELL'DACIC'PRINC'PRAET
TREBI A • M • F • PROCV L'
10. MARITO
T P I
Zara. — Corp. Jnsc. LaL III, n» 2917.
97
L-TERENTIO
M*F'Q_VIR'RVFO
PRaEF'COH'VI'Br'iTTO
D'LEGTM'P'F'DON'DON-AB
IMP • TRAIANO • bel/- DAC
P'P'LEG'XV'APOL/
TRIB'COH'II'VIG
Braga. — Corp, Insc. Lai. H, n' 2424.
98
MIVS'HOR* V
M'PROViNCiAE praef
al.. rfACORVM-PRAEF
/IR* TRIB'LEGM' ITAL dû
5. natus DONIS militaribvs ab
IMP TRAIANO avg Germ...
PONTIF sacr ivn cwritis
CELLAM * CALDARI..
Givita Casteilana (Falerii). — Henzen, 5659.
XLIV
- 99
ex AW ctoriîaîe • imp • cae
SkRlS'DlVl'NERVae'f
TRAIANI • AVGVSTI
CONDITA-COLONIA ,
DACICA
PER
leg'V'M' SCAVRIANVS
leg'ElVS' PR • PR
d d.
Varhély. — Corp, Atic. Lat lil, n* 1443.
u
flQ
5
<
co
a:
s
<
'Q
o
••*
o
u
^
tH
a:
ce.
^
;$
O
1.
o
o
V)
^ >
< s
> 5
< W
c/3 td O
> M Q.
flQ *
- y o
-<
OC
O
S
s
Q
m
(O
Et]
o
-<
Ij
CL
CL
>
00
>
— <
O w
0. co
u
•«*■
-<
<
û
m
•
O
s
o:
oc
o
u
b.
O
•
Z
O
■-•
>
<
•
S
o
-<
z
>
-<
H
<
-<
H
o:
co
H
•
•
oi
<
CJ
>
u
OC
a
Cd
m
Z
-3
•
<
cO
X
<
CL
o
S
•
>
û.
•-•
s
oc
H
p.
>
«A
4»
o
e
OS
XLV
101
40 Guerre Parthique.
L A E M I L I
L • F • G A L
P A T E R N • ?__ P
PRAEF • FABR ' D LEO ' VII ' G
5. D • LEG I M • D • LEC * VII * CL
LEGXIII C'D COH V Urh
D'COHIlirPR'CCCLEGIl AVg
et'p'p'ter'donisdonato
ab imp • traiano * torqjvi
10. bvs'armillis'phaleris
corona * vallari ' bis
In dacia'Semel'inpar
T H I A
ATILIA'L'F'VERA-BE
15. NE DE SE MERITO f{
Tamgone. — Cwf. In9c, Lat II, n* 4461.
108
Sur un piédestal :
Q^- ALBIO • Q^- F • HOR • FELICl
> • LEG • XX • V • V •
CORNICVLARIO * PR ' PR
DONIS • DONATO * AB * DIVO
5. TRAIANO • AVG
TORQVIBVS • ARMILLIS
PHALERIS • BELLO ' PARTHICO ' ET ' A^
IMP ' CAESARE 'TRAIANO
HADRIANO • AVG * HAST A ' PVRA
10. ET • CORONA ' AVREA
AVILLIA'SOTERIS'MATER
fILIO • OPTIMO • PIENTISSIMO
L • D • D • D
CiviU Gaft(ellaiia. — Sinctius, f" lxxiii, n" 8.
XLVI
10.
15
108
C • NVMMIO • C • FIL • PAL
CONSTANTI • P • P
LEG-II-TRAIANAE
CENTVRION'II'LEG'III
CYRENEICAE ET VIICLA'
EVOCATO • IN • FORO 'AB "ACTIS
MILITI'COH'III'PRAET
et X • VRB • DON IS • DONATO • AB
IMP • TRAIANO •TORQ_VIBVS
ARMILLIS'PHALERIS 'OB
BELLVM PARTHICVM * If^M * AB
IMP'HADRIANO GORONA
AVREA TORQ^VIBVS ARMILLIS
PHALERIS'OB' BELLVM IVDACIVM
HEREDES • EX " TESTAMENTO
Gruini (Gampanie). — Mommseo I. N. 3542.
5.
10.
M
104
Sur un autel de marbre :
D M
A-ATINIO-AF-PAL
p A T E R N
SCRIB -AEDIL ' CVR
HON'VSVS'AB'lMP
E Q_V O'PVBL'HONOR
PRAEF • COH • II • BRACAR
AVGVSTAN • TRIB ' MIL
LEG'X'FRETENS'A DIVO
TRAIANO • INEXPEDITION
PARTHICA • DONIS ' DONAT
PRAEF • A LA E- VU • PHRYG 'CVR
KAL- FABRATEBNOR ' NOVOR
ATINIA • A • F* FAVSTINA ' PAT RI
OPTIMO • FECIT
Rome. — Smelius, f* xlv, n" 6.
XLVII
106
Sur un piédestal :
N • M A R C I
N • F • G A L
PLAETORIO " CELE=?I
q_v aest-ii*vir'>leg*vi1
5. gemin' >leg-xvi-pl'pirm
donis 'donato 'a • divo
traian • bello * parthic
corona'mvrali'torq^vib
armillis* phalaris' > leg'ii
10. gall*>leg*xiiii*cem*mart-vicT<
> LEC VirCL'p- F* > LECr ADI- P'F'P'P- LEG
EIVSD -PRAEPOSIT'NVMEROR
TENDENTIVM ' IN ' PONTO^AB
SARO 'TRIB 'COH 'III'VIG
15. PATRON'COLON
D D
AveUa (Campanie). — Moromsen. h N. 1947.
XLVIII
106
Sur un piédestal :
T ' PONTIVS-T- F • SABINVS
PRAEF'COH'I'PANN * ET'DALMAT
EQ_'C'R'TRIB*MIL'LEG'VI*FERRAT
DONIS'DONATVS'EXPEDITIONE PAR
THICA • ADIVO • TRAIANO * HASTA PVRA
VEXILLO CORONA M VR A LI > * LBG * XX II
PRIMIG// > • LEG • XIII GEMIN -PRIMVS ' PI
LYS LEG 'Tn AVG PRAEPOSITVS VEXILLA
TIONIBVS MILLIARIS * TRIBVS EXPEDI
10. TIONE BRITANNICA * LEG ' VII GEMIN
VIII • AVG 'XXII 'PRIMIG 'TRIB' COH'III
VIG-COH*XIIII-VRB'COH'II*PRAET
PP*II*PROC*PROVINC"NARBONENS
IIII VIR • I • D • QVINQ_' FLAMEN • PATRON
15. M VNICI P I
Ferentino. — Borghesî : Œuvres complètes, YIH, p. 283.
Imprimerie Gouverneur, G. Daupeley à Nogent-le-Rotrou
PRÉFACE.
Depuis Tillemont, personne, en France, n'a fait du règne de
Trajan l'objet d'un travail étendu ^ On sait que les textes relatifs
à cette période de Thistoire romaine sont fort peu abondants.
Elle correspond précisément à une lacune entre les Caesares de
Suétone et l'ensemble de biographies appelé Historia Augusta.
Les ouvrages de Marius Maximus, de Fabius Marcellinus,
d'Aurelius Verus, de Statius Valens*, de Junius Cordus', ont
péri, aussi bien que les premiers livres d'Ammien Marcellin ^. Si
Suidas ne se trompe pas en citant une Vie de Trajan écrite par
Dion Cassius^, cet opuscule a dû passer dans le texte de la
grande histoire composée par l'historien de Nicée, mais à partir
du règne de Néron, on ne lit plus cette histoire que dans Tabrégé
de Xiphilin. Ainsi ce court livre grec, le hreviarium d'Eu-
1. Le chapitre conBacrè à Nerva et Trajan dans le 4* volume de
VHistoire des Romains, de M. Duruy, p. 239-305, est un résumé intéres-
sant et exact.
2. Lamprid., Alex, Sev,, 48.
3. Gapitolin, Macrin. Le livre de Junius Gordus contenait des détails
trés-minutieuz.
4. Ammien, XXI ult Hœc, a principatu Nervae ezorsus usquQ ad
Valentis interitum pro virium explicavi mensura.
5. Yoy. sur cette question M. Egger, Examen des Hislmiens d'Augwie,
p. 283.
4
— 2 --
trope*, deux chapitres d'Aurelius Victor*, un de Paul Orose',
quelq[ues lignes dans la Chronique de saint Jérôme ^, des faits
détachés , des allusions , des observations incidentes que l'on
recueille çà et là dans une vingtaine d*auteurs , voilà les maté-
riaux rares et mutilés dont nous disposons pour retracer les
actions et le caractère d'un des meilleurs princes qui aient vécu.
Le Panégyrique prononcé par Pline le Jeune, puis refait
par lui-même en forme de livre, offre il est vrai d'utiles secours,
aussi bien que la correspondance laissée par cet écrivain célèbre :
mais on éprouve de sérieuses difficultés à dégager la vérité histo-
rique de l'amplification oratoire^, et les Lettres font allusion à
plusieurs faits que nous ne pouvons plus ni bien comprendre, ni
convenablement classer.
Le Nain de Tillemont a recueilli et rapproché tous les
textes avec une patience qui n'a jamais été surpassée et qui n'a
plus besoin d'éloges ; non-seulement il a tiré tout le parti possible
de ces maigres ressources, mais il a senti comment l'historien
devait les mettre en œuvre, et de quel côté on trouverait les
moyens de remédier à leur insuffisance et à leur désordre. En
efifet, les brèves indications des auteurs que nous avons énumérés
ne se trouvent pas même disposées chronologiquement : pour les
replacer dans leur ordre primitif, et tirer qpielques conséquences
de leur succession, il faut recourir aux médailles et aux inscrip-
tions. Malheureusement, au dix-septième siècle, ni la numisma-
tique ni l'épigraphie n'avaient encore été soumises à la critique :
on alléguait, à l'appui d'opinions historiques, des pièces publiées
par Occo, Goltz ou Mezzabarba , et qui n'ont jamais existé que
dans l'imagination ou la crédulité de ces auteurs ®; on acceptait
comme authentiqpies toutes les inscriptions publiées par Gruter ;
les fastes consulaires n'étaient pas établis correctement. Il en
1. Lib. vm.
2. Caes. 13. BpU. 13.
3. VII, 12.
4. Bd. Schœne, p. 163, 165.
5. Burnouf a levé plusieurs de ces difficultés dans le commentaire
joint à sa traduction du Panégyrique.
6. Le désir de compléter Thistoire de Trajan poussa les faussaires à
ftibriquer beaucoup de médailles : c Vêtus est querela vix alium esse
imperatorem cujus numt plures adulterini circumferantur. i fikchel,
Dactrina nwnorwn veterwn, VI, p. 463.
— 3 —
résulte que les trente notes jointes par Tillemont au règne de
Trajan, et qui sont autant de dissertations chronologiques, n'of-
frent plus aucune valeur.
La question fut considérablement améliorée par Eckhel : dans
l'admirable Doctrina numorum veterum , le chapitre con-
sacré aux monnaies de Trajan est un de ceux où la science solide
et la pénétrante sagacité du fondateur de la numismatique se
révèlent avec le plus d'éclat. On y sent qu'avant d'aborder cette
branche de l'archéologie et d'en faire l'objet définitifde ses études,
Eckhel s'était approprié toutes les autres parties de l'antiquité ,
et on voit comment les progrès qu'il a réalisés dans le champ de
ses recherches particulières ont réagi sur l'ensemble de l'histoire
ancienne, et lui ont donné plus de consistance et de précision.
Quelque temps auparavant, J.-Aug. Bach avait recueilli dans
un travail spécial^ tous les passages du Digeste qai mentionnent
soit des édits de Trajan, soit des lois ou des sénatus-consultes
datant de son règne : chapitre important que Tillemont avait
laissé de côté. En 1793, Mannert^, et l'année suivante EngeP,
élucidèrent l'histoire des guerres Daciques. Dès 1747, Muratori
avait commenté les tables alimentaires de Yelléia. Sur les bases
judicieusement posées par Eckhel, et en s'aidant des travaux
publiés au dix-huitième siècle, Henri Francke a composé depuis
une histoire de Trajan qu'on lit encore avec profit, bien qu'elle
ofiBre beaucoup de développements inutiles et qu'elle soit arriérée
sur plusieurs points ^.
C'est seulement dans notre siècle, en effet, que l'épigraphie,
sous les auspices de Marini et de Borghesi , est entrée dans une
voie de progrès chaque jour plus féconde et plus rapide. Au
moyen des inscriptions, heureusement abondantes, du règne de
Trajan*, on a découvert ou rectifié nombre de détails. D'un
1. IHvus Trajanus, sive de leffilms Trc{jani imperatoris, Lipsiae, 1747,
in-8*.
2. JRes Trajani imper atoris ad Jkmubhun geslae, Norimbergae, 1793,in-8*«
3. Commentaiio de expeditionilnu Trajani ad Danubium, Vindobonae,
t794, in- 12. -- En 1792, TAcadëmie de Qœttingue avait mis la question
au concours; Mannert obtint le prix et Engei Vaccessit.
4. Zur Geschichie Trajan's und seiner Zeitgenossen, Oustrow, 1837, in-8%
740 pages.
5. Le nom de Trajan était si souvent gravé sur les monuments qu'on
— 4 —
autre côté, les progrès de l'archéologie monumentale permettent
de mieux sentir la valeur des œuvres d*art contemporaines. Il
m*a semblé utile de fondre, dans une étude d'ensemble, les faits
déjà connus et les notions nouvellement acquises à la science.
Pendant qae je réunissais les éléments de ce travail , deux
monographies d'une grande valeur ont paru sur le même sujet.
L'une est consacrée à l'histoire et à la correspondance de Pline
le Jeune. M. Monmisen* a pu rétablir en partie l'ordre chrono-
logique des lettres célèbres qui composent ce recueil : la plupart
des personnages auxquels elles sont adressées, ou qui s'y trouvent
nommés, étaient des hommes politicpies dont les monuments épi-
graphiques nous font connaître la carrière administrative *. De
tous ces monuments , le plus intéressant est sans doute l'inscrip-
tion funéraire de Pline lui-même, que M. Mommsen a restituée.
Elle jette une grande lumière sur un certain nombre de lettres et
permet de reconstituer d'une manière très-satisfaisante la bio-
graphie de l'écrivain. Ainsi cet opuscule doit remplacer, dès
aujourd'hui, la vie de Pline écrite par /. Masson en 1709, avec
une extrême diligence et une science remarquable pour l'époque,
mais arriérée maintenant. On admire, dans ce Mémoire de
M. Mommsen, la connaissance approfondie et minutieuse des
plus petits détails et l'art de concentrer méthodiquement sur les
divers points à élucider toutes les ressources qpie la plus riche
érudition peut fournir.
La deuxième des monographies dont j'ai parlé, beaucoup plus
considérable en étendue que la première, est un livre de M. J.
Dierauer, intitulé Recherches pour servir à une histoire
critique de Trajan ^. L'auteur est parfaitement au courant des
travaux les plus récents : il a fait l'usage le plus judicieux des
sources. Un très-petit nombre de points ont échappé à sa vigilance.
avait surnommé cet empereur la pariétaire, Ammien, XVIII, 3. Cf. Victor,
Epitome, 41.
1. Hermès, III, p. 31-140.
* 2. A la fin du Pline le Jeune édité par Keil (Leipsig, 1870), M. Mommsen
a donné un excellent index historique de ces personnages. L'article de
VHermes a été traduit par M. Gh. Morel et publié dans la Bibliothèque de
l'Ecole des Hautes-Etudes (15« fascicule), 1873, in-8«, sous le titre d'Etude
^sur Pline le Jeune.
3. Beitraege %u einer krUischen Gesdûchte Trajan's, dans Buedinobr :
Uniermckungen xur rœmischen Kaàsergesahichte, I, 1868, p. 3-219.
— D —
L'étude que j'avais poursuivie m'amenait presque partout aux
mêmes conclusions et me donne le droit de recommander son
ouvrage comme la base indispensable de tous les travaux ulté-
rieurs sur Trajan. Cet ouvrage , d'ailleurs , ne laisse rien à
désirer, dans l'état actuel de nos connaissances, pour tout ce
qui concerne la chronologie et l'histoire des guerres. Si M. Die-
rauer avait embrassé dans ses recherches la politique intérieure
de Trajan et le tableau de la littérature et de la société à cette
époque, j'aurais dû renoncer à publier cet Essai,
Malgré mes efforts pour rendre aussi complet que possible cet
exposé d'un grand règne, on y trouvera bien des lacunes, impu-
tables au hasard, q[ui ne nous livre qu'avec lenteur, et capricieu-
sement , les monuments propres à éclairer une histoire aussi
maltraitée par le temps. Ces lacunes, aussi bien que les digres-
sions et dissertations nécessaires sur beaucoup de points de détail
rendront, je le crains, assez fatigante la lecture d'un livre auquel
manquera l'agrément du style. La difficulté d'éviter le morcel-
lement dans une histoire de Trajan semble dater de loin. Pline,
envoyant son Panégyrique à un ami , appelle soû attention sur
l'art avec lequel il a su opérer les transitions ^ Or, en examinant
ces transitions qui ont tant coûté à leur auteur , nous jugerons
qu'il a médiocrement réussi à donner à son œuvre l'unité dési-
rable ^. Je n'ai pas renouvelé une tentative dans laquelle Pline
avait échoué à demi : au contraire, j'ai multiplié les subdivisions
et les chapitres, quelqu'inégale que dût être leur étendue, afin de
rendre les recherches sur un point donné plus faciles, et pour
qu'on trouvât au moins ici un répertoire commode à consulter.
Au surplus, la vie d'un prince que Tacite et Pline ont aimé,
qui reçut de ses sujets le beau nom ^Optimus, qui a laissé une
réputation légendaire de gloire, de bienveillance et de justice, et
sous le règne duquel les lettres latines ont jeté leur dernier éclat,
éveille une curiosité et une sympathie légitimes , et l'on peut
espérer qu'elle plaira, de quelque façon qu'elle soit écrite. Mais
indépendanament de cet attrait propre au sujet, elle offre, ce me
1. Ep, 111, 13 : « atqueutinam ordo saltem, et transUw^ et flgurae simul
spectarentur.i
% Paneg. 18 : aliud exalio mihi occurrit.. 28 : aiîo me vocat numerosa
gloria tua... 76 : opéras pretium est referre...
— 6 —
semble, un intérêt plus général, comme faisant partie intégrante
d'une histoire plus étendue et encore mal connue, celle du deu-
xième siècle de notre ère. Cette époque, peu étudiée jusqu'ici à
cause de la rareté des textes , et dont le tableau ne pourra être
entrepris que lorsqu'on possédera un nombre suffisant de mono-
graphies consacrées aux hommes célèbres et aux institutions de
cette période*, cette époque, dis-je, est celle d'une des révolutions
les plus considérables de l'histoire du monde, caractérisée par
quatre grands faits.
1® Le premier est la formation de la société européenne. Jus-
qu'alors , les diverses nations qui la composent avaient eu leur
histoire à part, aussi bien que leurs intérêts. Subjuguées par
Rome, elles ne connurent d'abord d'autres relations mutuelles
que le lien de l'assujétissement commun. Pendant le premier
siècle de notre ère, à la faveur de la paix romaine, l'existence
matérielle des peuples devint plus abondante , plus facile et plus
sûre ; les relations des hommes entre eux, plus régulières et plus
étroites, se subordonnèrent à des principes plus généraux et plus
équitables. Les religions , les langues et les coutumes indigènes
disparurent par Tefifet du temps et sous l'influence prolongée
d'une civilisation supérieure. De là, entre l'Italie, la Gaule et
l'Espagne, une certaine communauté d'intérêts, d'idées et d'habi-
tudes , une analogie dans l'existence nationale , qai devaient ,
malgré d'assez grandes in%alités dans la culture morale de ces
pays, imprimer à leur développement une même direction. Depuis
lors, en effet, ces nations ont constitué un seul et même système
politique, dont les grandes lignes n'ont jamais été brisées. Les
modifications survenues dans le régime de l'Europe ont affecté
toutes les parties de ce système, tous les progrès leur ont été
communs, et de nouveaux peuples ne sont entrés dans le
concert européen qu'en se faisant une place dans le groupe
romain, agrandi mais non défiguré par leur accession. Or, ce
groupe se constitua très-solidement au deuxième siècle, car dans
l'anarchie du siècle suivant l'empire eût certainement sombré si
les compétitions des chefs d'armées avaient été appuyées ou favo-
risées par de sérieuses revendications nationales.
1. Le recueil de M. Baedinger, dont nous avons parlé, est destine à
publier des monographies de ce genre. Trois volumes en ont paru.
— 7 —
*
2® Dans la même période, Rome achève d'élaborer ses institu-
tions juridiques. Ce grand résultat , auquel aboutit l'histoire
intérieure de la cité, qui domine et explicpie cette histoire, n'est
pleinement obtenu qu'à la mort d'Alexandre Sévère, mais tout le
deuxième siècle est animé par les efforts des jurisconsultes qui, à
Tenvi, règlent et perfectionnent le puissant instrument de civili-
sation que léguera Rome aux nations qu'elle a vaincues.
3^ Les sciences prennent une forme qui va rester longtemps
définitive. L'esprit d'investigation est éteint; la curiosité même
n'est plus aussi éveillée que chez Senèque et chez Pline; mais on
résume les faits acquis , on les coordonne par des théories géné-
rales. Du temps dés Antonins datent les ouvrages que traduiront
les Arabes et qui marqueront jusqu'au seizième siècle la borne du
savoir humain.
A^ Enfin, l'Eglise a jeté les bases de sa puissance future, non-
seulement par la lointaine et courageuse propagation de la parole
du Christ, par l'éloquente et habile polémiqpie des premiers Pères
contre les premiers hérésiarques, mais, ce qui fut décisif, par
l'établissement de sa hiérarchie ecclésiastique, si propre à conso-
lider les conq[uêtes successives de la nouvelle religion , et en
même temps à assurer l'universalité et la pureté de la foi ^
Tels sont les grands résultats acquis à la civilisation au moment
où se ferme le siècle des Antonins; sous Trajan, au commence-
ment de ce siècle, ils commençaient à se dessiner, et nous cher-
cherons à les mettre en lumière, dans les pages qui vont suivre,
sans perdre de vue notre sujet principal, déjà suffisanmient vaste.
1. De Broglie, VEglise et l'empire romain au iv« siècle, i" partie, 1, 440 :
c Après saint Irènée, l'Eglise est dëfinitivemeDt constituée. 11 n'est plus
besoin de rassembler des textes et de chercher des preuves; elle
marche, elle agit; on voit son action, on entend son langage dans
toute rhistoire, même civile, i
Merivale, Romam under ihs Empire, VU, p. 401 : c Meagre as are the
remains of Christian littérature of the second century, they tend to
confirm our assurance that the scriptures of the new Dispensation were
known and recognised as divine at that earJy period, and that the
Ghurch of Christ, the future mistress of the world, was already become
a great social fàct, an empire within the empire. »
CHAPITRE PREMIER.
HISTOIRE DE TRAJAN JUSQU'a LA MORT DE NBRVA.
Trajan (Marcus Ulpius Trajanus *) naquit à ItcUica^ municipe
de l'Espagne ultérieure ou Bétique*, le XIV des kalendes
d'octobre de l'an de Rome 805 3, c'est-à-dire le 18 septembre 52
après Jésus-Christ, n appartenait à une famille ancienne, mais
qui ne devint illustre que sous la dynastie Flavienne : aucun de
ses membres n'avait obtenu les honneurs curules avant M. Ulpius
Trajanus, père de celui dont nous écrivons l'histoire^.
La Bétique, dont Italica était un des principaux municipes,
jouissait depuis longtemps d'une civilisation presqpi'aussi avancée
(jue celle de Rome. La douceur du climat , les richesses variées
et inépuisables du sol, l'heureuse disposition des montagnes et
des fleuves, fixèrent de bonne heure l'attention des Carthaginois
sur cette partie de l'Espagne. Ils y installèrent des colonies et
des établissements de premier ordre, dont les triomphes de Scipion
assurèrent la possession aux Romains. Le vainqueur de Cartha-
1. Eutrope, seul parmi les auteurs latins, lui donne un deuxième sur-
nom, Crinitus. Suivant Jean le Lydien {de Mensib, Januar., c. 7) il aurait
dû ce surnom aux soins qu'il prenait de s^ chevelure, assertion sans
fondement et très-invraisemblable. M, Ulpius Crinitus, général sous le
règne de Valérien, prétendait appartenir à la famille de Trajan (Vopisc.
Aurdian,, 10), ce qui explique comment le surnom de Crinitus a été
attribué plus tard à l'empereur.
2. Appien., Hisp., 38. Butrop., VIII, 2. Victor, Caes., l3.Dion,CXVlII, 4 :
o6x iTttXè^, o08* ItaXi^TTic ^ : il n'étaitt ni italien ni né en Italie. Sur
Italica voy. Â. Gell., Noct. Attic. (XVI, 13) et les médailles Mionnet, 1. 1,
p. 17, n*' 130 et suiv. Suppl., t. I, p. 30, n" 167 et suiv.
3. V. Fappendice I.
4. V. Tappendice II.
— 40 —
gène fonda Italica pour servir d*asile à ses vétérans blessés, et la
petite ville conserva toujours des relations étroites avec la mère
patrie. Mummius TÂchaïque, quand il distribua aux colonies
italiennes le butin fait à Ck)rinthe , n'oublia pas les Homains
de cette région lointaine : l'inscription qui conserve ce souvenir
intéressant nous apprend qu'Italica n'était encore qu'un victis *.
Mais sa population était considérable au temps de Jules-César ;
peut-être avait-elle déjà alors le rang de municipe '. Sa pros-
périté augmenta encore sous les premiers empereurs , conmie le
prouvent les débris de monuments qui couvrent son sol et qui
le cèdent peu aux plus beaux restes de Cordoue, d'Hispalis et de
Gadès^. Au sein de la paix heureuse et de l'abondance dont ils
jouissaient, les mœurs des Turdétains s'étaientadoucies et policées :
ils s'étaient entièrement convertis à la manière de vivre des
Romains, jusqu'à renoncer à leur idiome national^. Cette civili-
sation, qui contrastait avec la rudesse de leurs ancêtres, leur a
valu de la part de Tite-Live une qualification sévère *, que la vie
de Trajan, pleine des bruits de la guerre , réduira à sa juste
valeur. Rappelons-nous, d'ailleurs , que les Espagnols avaient
pris, depuis un siècle et demi, une place importante à Rome dans
la politique aussi bien que dans la littérature. Un Gaditain,
Balbus, avait été consul : son frère avait, le premier de tous les
étrangers, reçu les honneurs du triomphe. Des écoles de Cordoue,
déjà célèbres à cette époque, on avait vu sortir Senècpieet Lucain.
Il ne faudra donc nous étonner ni de la haute fortune réservée à
l'Espagnol Trajan, ni des qualités toutes romaines qu'il déploiera
dans l'exercice du pouvoir.
Le souvenir des faits qui se rattachent à son enfance a com-
plètement disparu ^, et nous sonunes privés de ces détails fami-
liers, de ces anecdotes où se révèlent le caractère des grands
honunes, et où l'on aime à chercher des présages de leur destinée.
Pline prend son héros lorsqu'il est déjà tribun militaire. Entré
1. Corp, Inse. LaUn., vol. 1, p. t52, n* 546.
2. Bell. Alexandr,, 52.
3. flûbner, Corp. Insc. Latin., vol. II, n** 1108, et Bvlleiin de VInstitut
arehéoL de Rome, 1862, p. 99-107.
4. Strabon, 111, 2, 15.
5. XXXIV, 17 : c Omnium Hispanorum maxime imbelles habentur Tur-
detani. »
6. Depuis longtemps on a reconnu mal fondée la tradition suivant
laquelle Plutarque aurait été le précepteur de Trajan. Y. Oct. OniARD,
Morale de Plutarque, 5-18, et Volkmann, Leben, Sckriften und Philosophie
des Plutarch von Chaeronea, I, 210-234.
^ i4 —
au service avec ce grade, comme tous les fils de sénateurs, Trajan
fit ses premières armes en Syrie, sous le commandement de son
père, et passa de là aux armées de Germanie ^ U fut tribun mili-
taire pendant dix ans *. Son courage, sa constance à supporter
les £atigues, l'équité qu'il montrait à l'égard de ses compagnons
d*armes et de ses soldats, enfin l'étude approfondie qu'on lui
voyait faire de son art lui conquirent rapidement l'amour des
légions ^.
n revint à Rome Tan 78 pour exercer une des charges du
vigintivirat *, puis revêtir successivement les magistratures
réservées aux sénateurs et qui précédaient le consulat (questure
— tribunat du peuple ou édilité — préture). Le silence gardé
par Pline sur cette période de la vie du prince, dont il relève
ailleurs tant de détails avec un soin minutieux , nous autorise à
penser que Trajan ne se signala par aucun acte remarquable
dans l'exercice de ces charges civiles. Spartien rappelle incidem-
ment sa préture '^; lorsqu' Hadrien, âgé de dix ans (il était né le
24 janvier 76) perdit son père, Trajan , alors ancien préteur,
fut l'un de ses tuteurs. Cette préture se place donc au plus tard
en 85. En combinant cette date avec les règles alors prescrites,
tant pour la succession des charges, que pour letemps qui devait
s'écouler entre l'exercice de chacune d'elles, et la date de l'entrée
en fonction des magistrats ^, on arrive à dresser le tableau sui-
vant, assez conjectural je l'avoue, mais dont il faut se contenter
i. Paneg.f 14, Probablement en Germanie inférieure, car M. Henzen a
démontré qu'il était de régie, sous l'empire, que les légats pro-préteurs
ne gouvernassent point les provinces où ils avaient séjourné comme
tribuns militaires. Or Trajan fut légat de Germanie supérieure sous
Domitien.
2- Paneg., 15 : c Tribunus vero disjunctissimas terras, ieneris adhuc
anrUs, viri ilrmitate lustrasti:.. Gognovisti par stipendia decem, etc. >
3. Pline, Paneg., 15.
4. BoROHEsi, IV, 110. « Fu costume ordinario che i figli dei senatorio
prima, o dopo il vigintivirato ricevessero il tribunato militare coir
onore dei latoclavo. i Pour se faire une idée des débuts d'un jeune
honune de la classe de Trajan dans la vie politique, voyez l'histoire de
Pline le Jeune, dans VEtude de Mommsen, celle d'Hadrien dans le
Mémoire d'flenzen {Annali deW Inst. 1862), celle d'Agricola dans la dis-
sertation de G.-L. Urlichs : De vita et honorUms Agrieolae.
5. Spart. Hadr.y 1 : c Natus est Romae vmi kal. Feb. Vespasiano septies
et Tito quinquies consulibus. Ac decimo aetatis anno pâtre orbatus
Ulpium Trajanum praetorium tune, consobrinum suum, qui postea
imperium tenuit, et Gaelium Attianum equitem Romanum tutores
habuit. >
6. Mommsen, Etvtde, etc., p. 53.
— ^2 —
jusqu'à ce qu*uu hasard , aussi heureux que celui auquel nous
devons le cursvts honùrum d'Hadrien , nous rende celui de
Trajan :
Trajan, né le 18 septembre 52
prend la toge virile à 15 ans accomplis, à la fin de Tan 67
reste dix ans aux armées avec le grade de tribun laticlave 68-77
exerce Tune des charges du vigintivirat en 78
et obtient successivement :
1** La questure ; il reste en charge du 1" juin 80 au 1®' juin 81 .
p^ VLe tribunat du peuple 10 décembre 82 au 10 décembre 83.
"^ /ou rédilité l*^ janvier 83 au 31 décembre 83.
3® La préture 1^' janvier 85 au 31 décembre 85.
En 88 , nous trouvons Trajan dans les armées de la Germanie
supérieure. L'empire était menacé de deux cotés à la fois, par
les barbares qui attaquaient et franchissaient même la ligne du
Danube, et par la révolte des légions cantonnées près de Vindo-
nissa (Windisch). Celle-ci fut promptement réprimée, et ne se
prolongea pas après la mort du légat Antonius Saturninus qui
l'avait excitée. Mais dans ces conjonctures périlleuses, il avait
fallu augmenter l'efifectif des armées de Germanie, de Pannonie
et de Maesie, et Trajan fut chargé de conduire dans la Germanie
supérieure une des légions de l'armée d'Espagne, la /* Adju^
trix ^ Malgré la distance qui sépare TEbre du Rhin, ce mouve-
ment n'a rien d'extraordinaire, car les troupes d'Espagne étaient
alors , dans l'Europe occidentale , les seules dont le déplacement
n'offrît aucun danger. Les corps du Danube devaient être main-
tenus au complet pour empêcher l'invasion des Daces ; ceux de
Bretagne faisaient la guerre sous la conduite d'Agricola; en
1. A la mort de Néron, il y avait trois légions en Espagne, la la Aéfiu-
trix, la Via Victrix, la Xa Gemina (Borghesi, IV, p. 240). Galba, en quit-
tant la Tarraconnaise qu'il gouvernait pour prendre la pourpre, créa la
légion Vlla Gemina et renvoya en Pannonie, mais elle revint en Espagne
après la mort de Vitellius (Tacite, Hisl., IV, 39). D'autre part les T7« Vic-
trix et Xa Gemina furent appelées sur le Rhin inférieur au moment de
la guerre de Givilis (Tacite, Hist, IV, 68) et y restèrent. Ainsi la U Adju-
trix et la Vlla Gemina seulement étaient en Espagne quand Domitien
eut besoin d'y prendre des troupes. La dernière ne quitta pas la pro-
vince jusqu'à la dissolution de l'empire romain, sauf un court séjour
en Germanie sous Alexandre Sévère (Borghesi, IV, p. 221, note). Elle était
cantonnée dans la ville de Léon^ dont le nom même rappelle ce séjour
des troupes romaines {legio)» C'est donc la fa Adjutrix que Trajan
mena en Germanie supérieure, où elle a laissé des monuments (V. Bor-
ghesi, IV, 204, et notre n- 84).
— ^3 —
Gaule, enfin ceux qui avaient leurs quartiers dans les Gaules
marchaient déjà contre les rebelles, mais on pouvait craindre
qu'ils ne fussent pas assez nombreux pour comprimer la révolte*.
Pline, décrivant à grands traits la marche rapide de Trajan à
la tête de ses troupes, lui fait franchir les Pyrénées et les Alpes*.
Ce mouvement n'a pas été bien compris. Gomme Trajan était à
Cologne à la mort de Nerva (janvier 98), on a supposé qu'il y
avait été envoyé par Domitien et on ne s'expliquait pas comment
il avait traversé les Alpes pour s'y rendre. Mais c'est confondre des
faits séparés par un espace de dix ans. Domitien envoya Trajan
dans la Germanie supérieure, en lui assignant probablement pour
objectif Augst ou Windisch. Trajan passa par Narbonne, Arles,
Vienne. Là il suivit la grande route de Lyon à Milan, qui tra-
versait Chambéry, Moutiers {Darantasia), le Petit Saint-Ber-
nard, Aoste (Augusta Praetoria), A ce point, il l'abandonna
pour prendre l'embranchement qu'elle jetait sur Windisch par
Avenches {Aventicum). Les termes de Pline s'expliquent très-
bien ainsi ^.
Lorsque la P Adjutrix arriva en Germanie, Antonius s'était
donné la mort, et l'ordre était rétabli. Trajan ne prit donc aucune
part effective à la guerre. Mais l'activité dont il avait fait preuve,
et le zèle qu'il avait déployé furent récompensés par le consulat,
dont il fut revêtu en 91, avec Acilius Glabrion^. Des présages,
dit Dion '^, annoncèrent les destinées bien différentes (jui atten-
daient chacun des consuls*, mais il ne les fait pas connaître''.
1. lis le furent néanmoins : une débâcle subite, rompant les glaces
dont le Rhin était couvert, empêcha la jonction projetée des Barbares
avec Antonius Saturninus, et L. Appius Norbanus, commandant de la
légion Vllh Augusta^ défit Saturninus dans une bataille livrée sur les
confins de la Vindélicie. L. Renier, Compte^endus de VAcad, des Inscr»
1872, p. 423 et suiv.
2. Panég., 14.
3. Voyez la Carte jointe à Vltinéraire d'AntorUn, dans Pédit. de Par-
they et Pinder, et Alex. Bertrand : Voies romaines en Gaule. Mommsen
(Étude, etc., p. 93) a très-nettement éclairci les faits. On a supposé que
Trajan, au moment de son départ, était gouverneur de la Tarracon-
naise. C'est impossible, ce gouverneur étant toujours un ancien consul.
Trajan était simplement légat de la légion Va Adjutrix, commandement
auquel il avait été élevé après sa préture. Burnouf [Paneg,, XIV, note
2) croit que le départ de Trajan pour TEspagne eut lieu après son consulat
en 91. C'est une erreur.
4. Voir à la fin du volume notre recueil d'inscriptions, n** 1 et 2.
5. LXVIl, 12.
6. On sait que Glabrion fût exilé puis condamné à mort. Suét. JDomit, 10.
7. Peut-être au nombre de ces présages faut-il ranger le songe raconté
-^ 44 —
M. Dierauer * remarque avec raison que c'était pour un sénateur
une grande faveur d'obtenir sous Domitien un consulat ordinaire,
et de marquer ainsi de son nom Tannée et les actes publics, car
l'empereur était fort jaloux de cette prérogative*.
Une nouvelle lacune dans les documents historiques nous
dérobe ici le sort de Trajan pendant les dernières années du règne
de Domitien. En octobre 97, quand il fut adopté par Nerva, il
gouvernait, comme légat impérial, la Germanie supérieure^,
mais on ignore depuis quelle époque il occupait ce poste impor-
tant, et s'il le tenait de Domitien ou de Nerva *. Au moment où
il partit de Rome pour en prendre possession eut lieu un incident
qui fut remarqué dans la suite. Conformément à un antique
usage, il se rendit au Capitole pour invoquer les dieux ^ et parti-
culièrement Jupiter Imper at or. Quand les portes du temple
s'ouvrirent et que la statue * de cette divinité apparut, le peuple,
ne songeant qu'à saluer le Dieu, s'écria Salve Imperator.
par Dion (LXVIII, 5). Trajan crut voir un vieillard revêtu du costume
que les artistes donnaient au Sénat personnifié (Cf. de Witte, Rev.
Numism,, 1862, p. 107), lui toucher le cou de son anneau, à droite et à
gauche. J'ignore quelle signification les anciens attribuaient à un rêve
de ce genre. Dion (LXIX, 2) rapporte qu'Hadrien, la veille du jour où il
fut proclamé empereur, eut un songe où il crut voir le feu du ciel lui
tomber sur le côté gauche du cou et passer sur le côté droit sans
lui causer ni effroi ni mal. Pour Trajan, voyez encore Victor, Epi-
tome, XUl, 10.
1. P. 14.
2. Dans les quinze années de son règne, il fut dix fois consul ordi-
naire. Cf. Pline, Panég., 58.
3. Spart, Hadr,, 2.
4. Mommsen (Etude, etc., p. 10) et M, Dierauer (p. 16} adoptent la
deuxième hypothèse.
5. Cette cérémonie s'appelait nuncupatio votorum, Voy. Tite-Live, XXI,
63, XLI, 27, XLII, 49. Festus v nuncupata : c Vota nuncupata dicuntur
quae consules, praetores, quum in provinciam profiscuntur, faciunt. >
6. En 374 de A, (380 av. J.-G.) T. Quicctius rapporte de Préneste à
Rome une stetue de Jupiter Imperator qui fut consacrée dans le Capi-
tole (T. Liv., VI, 19). Elle dut périr dans Tincendie de 671, et celle qu'on
voyait du temps de Trajan n'était qu'une restitution. Gicéron {Verrin.
IV, 57) dit, à tort, que cette stetue fut rapportée de Macédoine par Fia-
mininus, et il compare cette divinité au Zeuc Oupioc des Grecs (simula-
crum Jovis Imperatoris, quem Graeci Ovptov nominant), ce qui doit s'en-
tendre de ce que leurs représentetions offï'aient môme attitude, même
costume, mêmes attributs. Malheureusement nous n'avons aucune
image de Zeùc Ovpto^ ni de Jupiter Imperator. Les médailles où l'on a cru
voir le nom de ce dernier sont fausses ou mal lues (Voy. 0. Jahu^Arch.
Aufsaetie, p. 33. Il explique Terreur de Gicéron).
— 45 —
Après réléyation de Trajan au rang suprême , on se souvint de
cette exclamation à double sens, et on l'interpréta comme
l'expression anticipée du vœu public ^
Le Panégyrique de Pline, unique et précieux guide pour
l'histoire des premières années de lYajan , nous apprend que le
général n'eut à livrer aucune bataille, son nom seul ayant
e£frayé les barbares et mis fin à leurs déprédations. A la tète de
ses troupes , il parcourait les bords déserts du fleuve , souhaitant
vivement des combats où il était sûr de vaincre, mais ne provo-
quant point l'ennemi pour ne pas acheter sa gloire au prix du
sang de ses soldats.
Il avait atteint l'âge de quarante-cinq ans, et aucune pensée
ambitieuse n'était venue le troubler dans l'accomplissement lent
et régulier de ses devoirs obscurs, lorsqu'il apprit qu'il était
adopté par l'empereur régnant, et associé à sa puissance.
A la mort de Domitien (18 septembre 96), Nerva se vit accla-
mer par Rome entière , moins les prétoriens, qpii, aussi bien que
l'armée, regrettaient ce tyran prodigue seulement pour les
soldats*. Les violentes représailles exercées par le sénat sur la
mémoire, les monuments et le corps même de celui qu'on ne crai-
gnait plus, les indignèrent et ils l'auraient vengé sans tarder s'ils
avaient trouvé des che&^; mais un de leurs conmiandants ,
Petronius Secundus, avait lui-même pris part à la conjuration.
L'année suivante, Nerva , inspiré par une équité poussée jusqu'à
l'imprudence, nommait à la préfecture du prétoire Casperius
Aelianus, une première fois revêtu de cet oflSce sous Domitien.
Fidèle au souvenir du dernier empereur, conrnie tous les hommes
placés sous ses ordres, Aelianus vint à leur tête demander à
Nerva la punition des meurtriers de Domitien. Au milieu du
tumulte et des cris, Nerva, enfermé et comme assiégé dans son
palais , se crut perdu. Il donna les marques physiques de la plus
grande frayeur*, offrit aux rebelles sa gorge nue, se déclara
prêt à mourir, mais refusa noblement de livrer les hommes aux-
quels il devait l'empire. Bientôt pourtant il céda , vaincu par
les instances et les menaces de ses gardes, et pour éviter de plus
grands malheurs. Petronius Secundus et Parthénius , saisis par
1. Pline, Paneg,, 5.
2. Il avait augmenté leur paie d'un quart (Zonar., XI, 19. Suét, DonUU.S)
ce qui la portait de £r. 44 c. à £r. 57 c. Voy. Letronne, Considérations
mr Véwduation des monnaies, etc., p. 28 et 86.
3. Su6t, DomU., 23.
4. Victor, Epit., 12.
— 46 —
les prétoriens, furent mis à mort après avoir subi les plus indignes
traitements et les derniers outrages ^
Une guerre civile, aussi terrible que celle qui avait ensanglanté
Rome après la mort de Néron, paraissait imminente. Comme en
68, le chef de l'état était un vieillard* sans autorité sur les soldats.
Nerva comprit qu'il ne sauverait le pouvoir suprême que lui
avaient remis les Romains qu'en le partageant avec un homme
plus jeune, plus actif, aimé à la fois du sénat, du peuple et de
l'armée. Tel avait été aussi le dessein de Galba quand il adopta
Pison et l'associa à l'empire; mais, plus heureux que ce prince
éphémère, Nerva vit le calme renaître aussitôt que l'adoption de
Trajan fut connue.
C'est qu'elle avait lieu dans des conditions beaucoup moins
défavorables. En 69 , les armées étaient soulevées dans les diflFé-
rentes parties du monde romain : aujourd'hui , tout était tran-
quille. Les légions de Syrie n'avaient inspiré qu'une crainte
passagère ^; celles du Danube, émues à la mort de Domitien ,
s'étaient calmées à la voix du philosophe Dion Chrysostôme
réfugié dans leurs lointains cantonnements^. Les troupes du
Rhin étaient restées dans le devoir, maintenues par leurs dignes
chefe Spurinna et Trajan ^. D'autre part , l'adoption d'un jeune
homme par Galba était attendue, et, pour ainsi dire, escomptée • :
Othon, Pison, espéraient être choisis, et chacun de ces préten-
dants avait derrière lui , dans Rome même , un parti armé. Au
contraire , la résolution de Nerva était imprévue , et aucun rival
de Trajan n'était préparé à y mettre obstacle. Enfin Galba ,
timoré à l'excès , agit avec une sorte de mystère. La mesure fut
prise dans le palais , discutée avec quelques conseillers intimes ,
et on fut bien embarrassé au moment de la révéler au public'.
Nerva , plus honnête à la fois et plus habile , ne fit rien qu'au
1. Victor. Epit, 12 Cet auteur dit même que les meurtriers forcèrent
Nerva à les remercier devant le peuple de ravoir débarrassé des plus
méchants des hommes.
2. Nerva était né en 32, puisqu'à sa mort, en 98, il avait 66 ans (Dion,
LXVIII, 4). Merivale (VII, 197) pense que l'Age avancé de Nerva détermina
le choix que firent de lui les sénateurs, qui comptaient rester les
maîtres du pouvoir et profiter bientôt d'une nouvelle vacance du
trône.
3. Plin., Ep., IX, 13.
4. Philostr., Sopkist,, 7, 1.
5. Vestricius Spurinna était légat de Germanie inférieure. Mommseny
Etude, etc., page 10.
6. Tacit. Hist, 1, 12.
7. Tacit., Hist., 1, 17.
— n —
grand jour, et par là mit sous la garantie du peuple Tacte solen-
nel accompli en sa présence.
On apportait de Pannonie la nouvelle d'un succès militaire S
et Nerva devait déposer sur les genoux de la statue de Jupiter
Capitolin les lauriers entourant la lettre que lui adressait le
général victorieux *. La cérémonie avait attiré un grand concours
de peuple sur le Forum. Quand elle fat terminée, l'empereur
annonça qu'il adoptait Trajan, et qu'il l'associait à l'empire.
n y a ici un acte civil et un acte politique. L'adoption est
d'ordre purement civil : toutefois , le caractère de l'adoptant
permit d'introduire quelques modifications dans les formalités
qui la précédaient et la constituaient. On sait que les Romains
distinguaient deux espèces d'adoption, l'une faite imperio mar-
gistratus, l'autre auctoritate populi. La première s'appliquait
aux personnes encore placées sous l'autorité paternelle. Leur
père les cédait en droit {in jure cessio), par une vente simulée,
à l'adoptant. C'est ainsi qu'Auguste adopta ses petits-fils, Gains
et Lucius César, du vivant de leur père Agrippa^. La deuxième
sorte d'adoption, nommée aus^adrogatio, était employée quand
il s'agissait défaire entrer dans une nouvelle famille une personne
sui juris. Elle avait lieu par le ministère du grand pontife,
dans les comices par curies, et elle était sanctionnée par une loi
curiate. Tel est le mode suivant lequel Tibère et Agrippa Pos-
thume entrèrent dans la famille Julia , et Néron dans la famille
Claudia *,
Galba essaya une innovation dans les adoptions impériales. Il
adopta Pison sans se préoccuper des formes légales, et n'annonça
même pas au peuple, mais seulement au sénat et à l'armée, ce
qu'il avait fait s. Ainsi que nous l'avons dit, ce mépris des formes
1. Remporté sur les Suèves, ce qui valut à Nerva le surnom de Ger-
manicus. Henzen, n*" 5439 et Mommsen, Etude, etc., p. 91.
2. ^hne,Panég., 8. Sur leslitterae laweatae, voy. Dion, XLIV,25. Pline,
HisL Nat, XV, 40.
3. Suèt, Oct.y 64 : c Gaium et Lucium adoptavit demi per assem et libram, '
emptos a pâtre Agrippa. »
4- Suét, Oct., 65 : c Nepotem Âgrippam, simulgue privignum Tiberium
adoptavit in foro lege curiata. > Tacite, Ann,, Xll, 25 : c Rogata lex qua in
familiam Glaudiam et nomen Neronis transiret. »
5. Tacite, Hist,, 1, 18. Tacite prête & Galba un discours en contradiction
complète avec ce que nous savons des adoptions faites par Auguste.
Ibid., I, 15 : c Si te (Pisonem) privatas, lege curiata apud pontiâces^ ut
moris est, adoptarem... nunc me, deorum hominumque consensu ad
imperium vocatum praeclara indoles tua et amor patriae impulit ut
principatum offeram, exemplo divi Augusti, qui sororls filium Marcel-
2
— 48 —
choqua les Romains et contribua sans doute à la chute de Galba.
Au contraire, Nerva, grand pontife, annonçant Tadoptjpn au
peuple sur le forum, prononçait une adrogation régulière, sauf
l'absence de l'adopté *. Depuis longtemps , les trente curies
étaient représentées, pour le vote des lois curiates, par trente
licteurs * qu'il avait été facile de convoquer pour donner immé-
diatement force de loi à l'adoption projetée. Elle était donc impr^
vue, mais parfaitement légale^.
Quant à l'association de Trajan à l'empire, c'est un acte poli-
tique, ou plutôt une série d'actes politiques pour lesquels le vote
du sénat fut nécessaire. Déclaré en même temps fils du prince et
César, puis imperator et associé à la puissance tribunitienne,
Trajan , dit Pline ^, reçut dès le premier moment ce qu'un père
véritable n'avait donné naguère qu'à l'un de ses enfants.
Il s'agit évidenmient de Titus, associé à l'empire par Vespasien
dès l'an 71 . Plusieurs inscriptions nous ont appris quelles furent
les conditions de cette association, et Titus y porte précisément
les titres que Pline attribue à Trajan ^. Trois sénatus-consultes
furent néc^saires pour les lui conférer, car aucun de ces titres
n'appartenait, ipso facto, au âls de l'empereur. Ainsi les fils de
Marc Aurèle, Commode né en 161, et Annius Verus né en 163,
lum, deîn generum Âgrippam^ mox nepotes suos, postremo Tiberium
Neronem privignum in proximo sibi fastigio aliocavit. Cf. L 18 : c apud
frequentem militum concionem, adoptari a se Pisonem, more divi Au-
gusti et exemple militari quo vir virum legeret, proaunciat. » Auguste
ne ât rien d'aussi contraire aux lois. Sa prudence bien connue ne per-
mettrait pas de le croire, quand môme le témoignage de Suétone nous
manquerait. Ajoutons que Marcellus et Agrippa, mis ici sur la même
ligne que Gaius, Lucius et Tibère, furent associés à la puissance
tribunitienne, mais non adoptés.
1. On lui demandait s'il consentait à entrer dans une nouvelle famille :
c Is qui adoptatur rogatur an id fleri patiatur. > Gaius Comment., I, 99.
Cf. Gic, pro dom,, 29. Le peuple était également consulté. C'est seule-
ment & partir de Dioclétien que l'adrogation se fit par un simple res-
crit impérial (God. Inst., VIII, 48 (de adoption,), 1. 2. et 1. 6).
2. Gic. Agrar., II, 12. Sur les formes de l'adrogation, voy. aussi Àul.
Qelle, N. AU. V, 19.
3. Nerva, en déclarant qu'il adoptait Trajan, ajouta qu'il le faisait
autant dans l'intérêt du sénat et du peuple que dans le sien propre
(Dion, LXVlll, 3). Auguste, suivant Velleius Paterculus (II, 104), dit la
môme cbose en adoptant Tibère.
4. Panég., 8.
5. Bntre autres celle-ci (Orelli, 743) : T. Caetari — Ve^msiano, —
pontif, tr, — pot. Il, imp, III, — co«. //. Trajan fût désigné cos II pour
l'année 98.
— ^9 —
n'obtinrent qu'en 166 le titre de Coe^ar, et L. Ceionius Commo-
dus, adopté par Hadrien (c'est alors qu'il prit le gentilicium
Aelius)^ Marc Âurèle adopté par Ântonin, furent revêtus de la
puissance trihunitienne sans recevoir Vimperium *.
Nous ne connaissons point de monnaie de Trajan frappée dans
le court intervalle pendant lequel il fut associé à l'empire.
Eckhel * en a conclu que Nerva s'était réservé, avec les titres
d'Auguste et de grand pontife, le droit de battre monnaie. Mais
on ne doit, je pense, attribuer qu'à la brève durée du double
règne cette absence de monuments numismatiques, puisqu'on
possède, d'autre part, des monnaies de Titus et d'Âdius Yerus,
frappées du vivant de Vespasien et d'Hadrien 3.
L'adoption de Trajan apportait dans la constitution, ou plutôt
dans la tradition impériale, un changement dont l'importance n'a
pas échappé aux contemporains, et que nous étudierons plus tard.
Ici nous voudrions simplement chercher quelles raisons désignèrent
Trajan au choix de Nerva ; mais les renseignements sur ce point
nous manqpient. Pline, qui nous a jusqu'à présent donné des
indications précises, entre à ce sujet dans une série de flatteries
banales, dont la moindre est de répéter à satiété que ce choix avait
été inspiré par les dieux. Nous lisons seulement, chez le deu-
xième Aurelius Victor, que Trajan dut l'empire aux instances
faites auprès de Nerva par Licinius Sura^. Ce personnage, qui
demeura le meilleur et le plus constant ami de Trajan, apparte-
nait à une famille considérable de l'Espagne citérieure^, liée sans
doute par des bienfaits ou des souvenirs à la gens Ulpia. D'un
autre côté, Trajan, en raison de ses services militaires dans tant
de légions, avait partout des amis que son élévation devait satis-
faire et qui défendraient la résolution de Nerva. Enfin, s'il n'y
1. Dion (LXVIII, 3) nous apprend que Nerva déclara (&icé8eiÇe} César
dans le sénat son fils adoptif. Le titre de César était conféré par le sénat,
aussi bien que la puissance tribunitienne, Timperium, les titres d'Auguste,
de père de la patrie, de grand pontife (Capitol., Macrin, 7. Lamprid.,
Alex,, 8. Vopisc. Prob., 12). Ces sénatus-consultes étaient publiés {rewun-
Uata) dans les comices, et n'avaient force de loi qu'après cette publica-
tion. Voy. flenzen, Bull, de l'Inst. arch., 1869, p. 97-99.
2. Doctrina, VI, p. 412.
3. On connaît d'ailleurs une monnaie grecque, à Teffigie et au nom
des deux empereurs, frappée à Âpollonie de Mysie. Gavedoni. Bullet.
Arch. Nap, 1856, p. 44.
4. Epit, 13, 6 : c Surae, cujus studio imperium arripuerat. i
5. Corp. Imc. Lat., II, n- 4282 et 4507. 11 fut trois fois consul sous
Trajan.
— 20 —
avait pas eu de révolte sur le Rhin à la mort de Domitien, c'était
grâce à la fermeté de Trajan, et cette fermeté même dut le
recommander à Nerva, qui le jugea dès lors capable de supporter
le difficile fardeau du pouvoir.
Quoi qu'il en soit, ce choix répondait admirablement au vœu
public, comme le prouva la suite des événements. Nerva envoya
à Trajan un anneau enrichi d'une gemme ^ qu'il portait habituel-
lement , et une lettre qui lui annonçait son élévation au pouvoir
suprême, en même temps que par ce vers d'Homère
TCdeiav Aavaoc i\tÀ Sixpua aoiat ^éXeffJty ^
elle lui recommandait de punir les prétoriens coupables. Ceux-ci
furent en effet mandés auprès de Trajan, et mis k mort ^.
L'adoption avait eu lieu le 27 octobre 97 ^, et Trajan compta
sa première puissance tribunitienne à partir de ce jour. Mais il
ne les renouvela pas tous les ans à cette date. En effet, il mourut
le 11 août 117. Si sa deuxième puissance tribunitienne corres-
pondait au 27 octobre 98, c'est la vingtième qui correspondrait
au 27 octobre 116, et Trajan n'aurait jamais été revêtu de la
vingtet-unième, étant mort avant le 27 octobre 117. Cependant,
ce vingt^t-unième tribunat est mentionné sur des monuments très-
authentiques ; deux médailles d'Antioche sur l'Oronte*^, et une
inscription trouvée près de Malaga^. Eckhel déclarait ne pouvoir
expliquer ces chiffres.
En 1858, on a trouvé près de Wiesbaden un fragment de
diplôme militaire* daté de la XX* puissance tribunitienne de
Trajan et du VI des ides {= 8) de septembre'.
Cette date est également inexplicable dans l'ancien système ,
suivant lequel Trajan aurait revêtu la XX® puissance tribuni-
tienne le 27 octobre 116, car notre diplôme serait du 8 sep-
tembre 117, et l'empereur était mort le 10 août de la même année.
Heureusement un diplôme militaire trouvé en Autriche et aujour-
d'hui perdu, mais dont Eckhel avait pris copie et qu'Arneth a
1. c Âdamante gemma, quam Tr^anus a Nerva acceperat, donatus, ad
spem successionis erectus est [Hadrianusl Spart. Hadr,, 3.
2. Itiad., l, 42.
3. Dion, LXVIIl, 3-5, éxicoSàiv iizovf\9axo,
4. Nerva vécut trois mois après avoir adopté Trajan (Victor, EpiL, 9).
Or il mourut le 27 janvier 98, puisque, succédant à Domitien, assassiné
le 18 septembre 96 (Suet. Domit., 17), il régna, suivant Butrope (VIll, 1),
1 an 4 mois 8 jours (suivant Dion, LXVUI, 4, 1 an 4 mois 9 jours).
5. Mionnet, V, 176, n- 240,241.
6. Notre n' 83.
7. Notre n- 81.
■* «
— 2^ --
publié d'après lui (diplôme daté de la XIV® puissance tribuni-
tienne de Trajan , du XIII des kalendes de mars (17 février),
et du consulat de Salvidienus Orfitus et de Peducaeus Priscinus *),
nous permet de lever toutes les difficultés auxquelles on se heur-
tait jusqu'ici. En supposant que Trajan ait compté ses puissances
tribunitiennes suivant le même mode que ses prédécesseurs, la
XIY^ conamencerait le 27 octobre 110. Or les consuls ici nommés
sont les consuls ordinaires de l'an 110, connus par les fastes.
Le décret, dont le diplôme est une copie, fut donc rendu le
17 février 110, et Trajan était déjà dans son XIV° tribunat.
En comparant ce diplôme à un monument du même genre,
trouvé à Bath , en Angleterre , et daté de la VIP puissance tri-
bunitienne de Trajan * , Borghesi avait cru pouvoir établir que ces
puissances , à partir de la deuxième , furent comptées et renou-
velées le 28 janvier, anniversaire de la mort de Nerva, et, pour
Trajan, date de la souveraineté sans partage^. Mais M. Momm-
sen a démontré, par une discussion approfondie, qu'il faut placer
ce renouvellement, non pas au 28, mais au 1®' janvier de chaque
année ^. Autrement on est obligé d'intervertir, pour les années
103 et 104, les consulats donnés par toutes les listes de fastes,
entre autres par celle du chronographe de 354 ^ dont l'exactitude
est avérée. C'est donc à partir de Trajan, et non à partir d'Ha-
drien «, que fut inauguré le mode , en usage jusqu'à la fin de
l'empire, de compter les puissances tribunitiennes de l'empereur,
en affectant à la première le temps écoulé depuis le jour de l'avé-
nement jusqu'au 1®*" janvier suivant, et en faisant coïncider la
deuxième, ainsi que les suivantes, avec l'année civile.
Nous possédons maintenant une base solide pour toute la chro-
nologie du règne, et les moyens d'assigner leur date aux mon-
naies et aux inscriptions où se lit le chiffre d'une puissance tribu-
nitienne''.
l. Notre n* 59.
î. Notre n« 35.
3. Œuvres, V, 21.
4. Eti^, p. 100 et suiv. Cette rectification a été adoptée par M. Die-
rauer.
5. Appelé aussi Yanonyme de Noris parce que ce savant publia pour Ja
première fois, à la suite de c Annus et Epochae Syromacedonum » (1691)
une liste consulaire tirée de cet ouvrage. Voir sur le chronographe
de 354 un excellent mémoire de Mommsen : Mémoires de VAcad. de
Saxe, 1850, p. 547-668.
6. Voir une note de Borghesi jointe à llnscription 5459 d*Henzen.
7. La dernière difficulté que présentaient quelques inscriptions
— 22 —
Dioi^* et Eutrope* s'accordent à faire régner Trajan 19 ans
6 mois et 15 jours. Ces chiffres sont exacts ; en effet, si de la
date 10 août 117, qui est celle de la mort de Trajan', nous
retranchons Tintervalle précédent, nous retombons sur le 27 jan-
vier 98. On voit que les deux historiens grec et latin n'ont pas
fait entrer , dans leur calcul , le temps pendant lequel Trajan
régna avec Nerva.
Du reste, nous ignorons absolument ce qui se passa dans ces
trois mois, sauf la punition des prétoriens rebelles. Nous savons
aussi que Trajan échangea pour le gouvernement de la Germanie
inférieure celui de la Germanie supérieure, où il fut remplacé
par |Julius Ursus Servianus, beau-frère d'Hadrien. En effet, c'est à
Cologne qu'il apprit, de la bouche même d'Hadrien, la mort de
Nerva, et son avènement définitif au pouvoir suprême*. Assurer
la sécurité de l'empire à la frontière du Rhin était un intérêt de
premier ordre. Trajan le sentait , et malgré les vœux du peuple
entier qui l'appelait à Rome ^, il resta dans la province jusqu'à
ce que le but proposé à ses efforts eût été atteint complètement.
(CùTjms, II, 4667, 4725. Perrot, Galatia, p. 3) est levée par la découverte
récente d'un diplôme daté du 20 février 08 (notre n* 4) sur lequel Trajan
n'est encore revêtu que de la première puissance tribunitienne , ce
qui montre que le changement dont parle M. Mommsen n'eut pas lieu
dès le début du règne.
1. LXVIII, 33.
2. VIII, 5.
3. L'adoption vraie ou supposée d'Hadrien était datée du 9. La mort
de Trajan lui fut annoncée le il (Spart. Hadr,, 4).
4. Orose, vn, 12. Busebe, Chron., éd. Schoene, p. 163.
5. Martial, Epigr., X, 6 et 7.
CHAPITRE IL
TRAJAN SEUL EMPEREUR. — PACIFICATION DE LA GERMANIE.
Nous ne trouvons, dans les historiens, que des renseignements
très-brefs et très-vagues sur l'organisation militaire qu'il établit
dans les Germanies ^ Toutefois, en s'aidant des autres sources
historiques, on se fait une idée du plan qu'il s'était formé et dont
il assura l'heureuse exécution *. Le rôle de Rome, vis-à-vis de
la Germanie septentrionale , n'était plus alors et ne pouvait être
désormais que défensif . Si , sous le règne d'Auguste, les succès
rapides de Drusus et de Tibère purent faire espérer d'abord un
agrandissement de territoire, la bataille de Teutoburg prouva
bientôt que les Germains pouvaient être effrayés , battus même ,
mais jamais domptés ni conquis. Le seul but auquel les empereurs
pussent viser était donc de ne pas laisser la Gaule en contact
immédiat avec les barbares, et de rendre le Rhin infranchissable
aux envahisseurs.
Le cours supérieur du fleuve était protégé par les villes for-
tifiées de Vindonissa (Windisch) et d'Augusta Rauracorum
(Augst) qui suflBsaient pour préserver de toute invasion le pays
difiicile que traversent les Alpes de Constance.
Le coude du Rhin , et son cours jusqu'à Mayence , étaient
1. Eutrope, VIII, 2 : c Urbes trans Rhenum in Germania reparavit. »
Orose, VII, 12 : c Germaniam trans Rhenum in pristinum statum reduxit. »
2. On peut lire sur ce sujet un opuscule intéressant de M. Brambacb.
Trajan am Rhein, Elberfeld, 1866, in-8*.
— 24 —
défendus par la Foret-Noire, à peine percée alors, et qui cou-
vrait un pays dont la pauvreté en avait écarté les Germains eux-
mêmes. Quelques colons gaulois Toccupaient, et Rome avait
permis leur établissement à charge d'une redevance égale au
dixième des produits de la culture. C'étaient les agri decumani.
A partir de Mayence, on trouvait sur la rive droite des popu-
lations braves et remuantes, accumulées sur un étroit espace
qu'elles se disputaient continuellement : Mattiaques, Sicambres,
Tenctères, Bructères, Cattes, Angrivariens. Rome les surveillait
depuis un siècle, et opposait à leur passage les forteresses de
Moguntiacum, de Bingium, de Bonna, de la Colonia Agrippina,
de Novesium, de Grelduba, et enfin les Castra Vetera. Tous ces
points étaient occupés par des troupes, auxquelles la flotte germa-
nique S qui parcourait incessamment le cours du Rhin, pouvait
amener des renforts. Les Romains contenaient d'ailleurs ces
nations turbulentes, soit par des postes avancés, hardiment
établis au milieu d'elles, comme AUso*, Amisia^ et quelques
autres sur le Mein et jusque sur l'Elbe, soit par des alliances,
précaires il est vrai, nouées avec quelques-uns de ces peuples,
les Mattiaques par exemple^.
Enfin venaient les Frisons , contre lesquels aucun ouvrage de
défense n'avait paru nécessaire au premier siècle, à cause de la
fidélité jusqu'alors inébranlée des Bataves. Après l'insurrection
de Civilis, on ne pouvait plus conserver la même sécurité ; Trajan
s'occupa donc activement de fortifier la frontière du Rhin infé-
rieur. A un mille du lieu appelé Castra Vetera, illustré vingt ans
auparavant par la défense héroïque de Vocula et les exploits de
Cerealis, il fonda la ville appelée de son nom Colonia Trajana.
Elle n'est mentionnée par aucun écrivain ancien, mais la carte
de Peutinger et l'Itinéraire d'Antonin attestent son existence, et
nous sommes conduits, par l'étude de ces documents, à en cher-
cher l'emplacement près de la ville actuelle de Xanten. Cette
identification est d'ailleurs corroborée par les nombreuses et
importantes antiquités qu'on y retire du sol depuis deux cents
ans*. A côté de la ville qu'il avait fondée , Trajan établit un
camp pour une légion nouvelle, qu'il forma et qui reçut de lui le
t. Tacite, FW., I, 58, IV, 16.
2. Tacite, Annal., II, 7, auj. Elseny près Paderborn.
3. Tacite, Annal,, II, 8, auj. Ems.
4. Tacite, Germ,, 29.
5. V. FiEDLBR. Denkmaeler von Castra Vetera und Colonia Trajana, etc.,
dans Ph. Houben's antiqtuirium Xantem. 1839, in*foi.
— 25 —
nom d'Ulpia Victrix*. La colonie devint un centre important.
Située sur la grande voie romaine qui reliait Genève aux embou-
chures du Rhin par Strasbourg, Cologne, Nimègue et Leyde,
elle était elle-même la tête d'une autre ligne conduisant à Leyde
par des points différents, et d'un embranchement qui la rattachait
à la route de Bavai à Cologne*.
Une partie de la grande route de Leyde , au voisinage de
Nimègue, fut d'ailleurs construite par Trajan, comme l'atteste
une borne milliaire trouvée dans ces contrées ^. Nimègue même,
place si importante au point de vue stratégique, fut agrandie ou
fondée par cet empereur*. Près de Leyde, enfin, il créa un
arsenal**. Quant à la frontière formée par le Rhin au milieu de
son cours, Trajan l'améliora d'abord en augmentant les fortifi-
cations de Cologne^, puis en établissant d'importants ouvrages à
proximité du retranchement bâti par ses prédécesseurs et qui
s'étendait de Cologne k Ratisbonne, en enveloppant les terres
décumates. Commencé par Tibère, le Unies romanus avait été
rendu plus fort par Germanicus' et ensuite par Domitien^. On
1. Elle portait le numéro XXX. Son nom complet était iirices^raa Ulpia
Vietrix.
% Alex. Bertrand, Voies romaineÊ en Gaule, Rev. arch., VIll, 1863, p. 159
et suiv. On ignore quel fût, après Trajan, le sort de cette colonie. Tou-
tefois on lit dans Ammien (XVIII, 2) que Julien releva sept villes sacca-
gées ou détruites par les Francs en 355, savoir : Castra Herculis (Malburg),
Quadriburgium (Galcar), Triceshnae, I^ovesHim (Neuss), Bonna (Bonn),
Antunnacum {Andem^ch), Bingium (Bingen). Peut-être Tricesimae désigne-
t-il le quartier général des Tricesimani ou soldats de la XXX* légion,
c'est-à-dire la colonie de Trajan.
Des débris de cette colonie s'éleva, sous la domination franke, la ville
de Xanten où le Niebelunglied fait naître Siegfried. Au moyen Age,
Xanten s'appelle Troja sanctorum, Troja Francorum, Troja Minor. D'où
vient ce mot Troja f Bst-ce une altération de Colonia Trajana en CoUnUa
Trqfana et avons-nous ici Torigine de la tradition qui fait des Franks les
descendants d'Hector, ou bien la ville n'a-t-elie reçu son nouveau nom
qu'après que la légende était déjà formée, et en vue de donner à cette
légende un certain caractère d'authenticité? Voy. Piedler /. /., p. 3.
3. Brambach, Corp, Insc. Rhen., 1927.
4. Fabretti, ïnscr, Dom., 341, 518 : T. Awelio ./. /. Ulp, Noviomag, VhuUei,
etc.
5. Voy. notre numéro 65. Cet arsenal fUt plus tard reconstruit par
Septime Sévère. Trsgan dans l'inscription est dit cos V. Elle fut donc
gravée entre 103 et 112. J'ai réuni ici tout ce qui est relatif à la Germanie,
sans avoir égard aux dates.
6. Sidon. Appolin. Paneg. AvitodicL, 114-115.
7. Tacife, Ann,, I, 50.
8. Front. Strat, 3.
— 26 —
peut suivre sur le terrain sa direction aux débris considérables
qui en restent sur trois points de TAllemagneS et on ne peut se
méprendre sur les vues qui ont présidé à sa construction. Les
Romains voulaient mettre obstade aux invasions en fermant les
routes naturellement tracées par les affluents du Rhin , dont les
vallées offraient aux envahisseurs un chemin facile. Les deux
points faibles de cette longue ligne étaient évidemment les débou-
chés du Mein et du Neckar , dont les bassins très-spacieux se
prêtaient au rassemblement de forces considérables , auxquelles
un simple retranchement n'aurait pas longtemps résisté. Trajan,
pendant les séjours qu'il avait faits dans la Germanie supérieure,
n'avait pas laissé échapper cette observation importante. En
avant du confluent du Mein , il établit un fort (ou redoute) ,
nommé à juste titre munimentum Trajaniy que Julien fit relever
dans sa campagne contre les Âlamans'. Il s'assura aussi du
cours du Neckar, en y fondant une ville importante aux environs
de Ladenburg ^.
Nous terminerons la liste des établissements de Trajan en Grer-
manie en citant la ville de Bade, au milieu de laquelle les légion-
naires de la i^ Adjutriœ élevèrent un édifice dont la dédicace
seule a subsisté^.
On voit que les Romains commençaient à franchir le Rhin.
Garanties par le limes du contact périlleux des populations les
plus turbulentes, celles qui étaient voisines des terres de l'empire
se fixèrent enfin, pour bien des années, sur le sol qu'elles occu-
paient. C'est alors que sur lés bords du Rhin pacifiés et rendus
accessibles à la civilisation et au commerce , s'élevèrent tous ces
monuments dont on recueille aujourd'hui les intéressants débris^.
1. En Vétéravie, en Franconie et près de Ratisbonne, v. Pauly, Real.
Eneffcl,j III, 826-829, et Forbiger, Handfmeh der allé Géographie, 111, 422-
425.
2. Âmmian. Marc., XVII, 1. Sa position la plus vraisemblable selon
Forbiger, III, 404 est près d'Hœcbst, sur la rive droite de la Nidda. On
l'a placé aussi à AscheiTenburg, à Darmstadt, à Gassel, à Francfort, v.
Ukerl geog. dergr. und Rœm., III, 1, p. 297. ,
3. On ne peut déterminer très-exactement la position de cette dviUu
Ulpia, certainement voisine de Ladenburg, v. Brambach, Corp. inscr.
Bhenan, 1713. Cf. Badenvndrcmischer Herstehafi du même auteur, p. 22-
26 et Revue critique d*hist et de litt, 1867, 2, p. 386.
4. Notre n' 84. Sur la prétendue construction d*un pont à Mayence,
v. Francke, p. 60 et Dierauer, p. 32-33.
5. Jahrbûcher des Vereiris von Alierthumsfreunden ém Rheinlande, Bonn,
1842etsuiv.
- 27 -
Ces souvenirs matériels sont, il est vrai, les seuls que Rome ait
laissés dans cette partie de l'Europe; les deux civilisations, ger-
manique et romaine, étaient alors trop distinctes pour se pénétrer
et se modifier pacifiquement l'une par l'autre. C'est la Gaule ,
surtout, qui fut appelée à profiter du nouvel état de choses ins-
tallé de l'autre côté du Rhin. Au sein d'une sécurité complète et
prolongée, sa prospérité, toujours croissante depuis la conquête
de Jules-César, prit un nouvel essor à partir du règne deTrajan.
Le deuxième consulat de ce prince (98 ap. J.-C.), époque à
laquelle Tacite écrivait son livre S est donc une date importante
dans l'histoire de la Germanie. La période de luttes , qui a duré
deux cent dix ans, est terminée : l'armée du Rhin est réduite de
moitié^ y et malgré ce désarmement, aucune invasion ne vient,
pendant un siècle et demi, troubler de ce côté la paix du monde ^.
Ce n'est plus là qu'est le danger, c'est sur le Danube : là encore,
Trajan saura l'écarter.
Mais pour le moment, tranquille sur le sort des provinces qu'il
avait administrées, il se mettait en marche (99) pour rentrer à
Rome. Il y arriva au milieu des bénédictions du peuple entier^,
et immédiatement travailla avec zèle au bien général. Le Pané-
gyrique de Pline nous retrace les débuts du gouvernement civil
de Trajan. Malgré le ton souvent emphatique de l'orateur, on
sent bien que son cœur est plein d'une joie réelle, qu'à un sombre
1. Germ., 37 : « Sexcentesimum et quadragesimum annum Urbs nostra
agebat, quum primum Cimbrorum audita sunt arma, Gœcilio Metello ac
Papirio Carbone coss. Ex quo si ad alterum imperatoris Trajani consula-
tum computemus, ducenti ferme et decem anni coUiguntur : tamdiu
Germania vincitur. Medio tam longi aevi spatio, multa inducem damna,
etc. I
2. Tacite (Ann. IV. 5), faisant le tableau du monde romain à la mort d'Au-
guste : c Praecipuum robur Abenum juxta, commune in Germanos Gallos-
que subsidium, acto legiones erant. » V. le détail de ces légions dans Bor-
gbesi. Œuvres, IV, p. 217 et ibid., p. 265, les quatre légions cantonnées
dans ce pays au milieu du second siècle.
3. Avant les guerres de Probus contre les Francs (277) on ne cite qu'une
expédition importante sur les bords du Rhin : celle qu'avait préparée
Alexandre Sévère et que termina Maximin (233). Pendant le deuxième
siècle et la première partie du troisième, les invasions germaniques
menacèrent exclusivement les provinces baignées par le Danube.
4. Voy. dans le Panégyrique, c. 22, le tableau animé de cette entrée de
Trajan dans Rome : les toits couverts de spectateurs, les rues envahies
par un peuple dans l'ivresse, les femmes saluant de leurs acclamations
le nouveau prince et le montrant à leurs enfants, les vieillards se féli-
citant d'avoir vécu jusqu'à ce jour heureux.
— 28 —
découragement ontsuccédé de patriotiques espérances, justifiéespar
les gages que le prince a donnés déjà de sa modération et de
son équité. Nous réservons pour un autre chapitre l'examen des
réformes et des lois qu'il proposa dans ces premières années.
Suivons maintenant le hardi et prudent capitaine dans une autre
partie du monde romain , où ses légions vont se montrer dignes
de leur chef et rivaliser, pour le courage et le succès, avec les
soldats des temps républicains.
CHAPITRE III.
GUERRES DAGIQUES.
§ 1 . — Rapports entre les Romains et les Daces jusqu'à
TrajanK
Ptolémée* nomme Dacie le pays compris entre le Temes ou
la Theiss^, les Carpathes, le Pruth* et le Danube. Ces limites
sont celles de la contrée occupée au premier siècle par le peuple
1. Pour tout ce qui concerne les Gètes et les Daces, il faut lire les
mémoires suivants de M. Roesler publiés dans les SHzlmngsberichte de
TAcadémie des sciences de Vienne : Die Geten und ihre Nackham, 1863,
Dos Vorrcemiêchê Dacien, 1864. Dacien und Romaevten, 1866.
2. III, 8.
3. Tt6toxoc. Cette rivière est sans doute le Temes. attendu que la ville
de TilHscum était située au confluent du Temes et de la Bistra (Mannert,
Res Trajani, p. 28), Hérodote (IV, 49) dit que le Mdptaoç se jette ;dans le
Danube et Strabon (VII, 3. 13) le répète. Or au temps de Strabon, les
Romains connaissaient assurément Tembouchure de la Theiss. Roessler
suppose qu'on appelait MàpKioc non-seulement le Maros actuel, mais
encore toute la partie du cours de la Theiss située en aval de Szegedin,
où cette grande rivière est grossie du Maros. C'est ainsi qu'on peut dire
que ce dernier se jette dans le Danube. Or Ptolémée ne parle pas du
M^taoç. Strabon dit qu'il coule chez les Gètes. Au sixième siècle, on
conunence à mieux connaître la géographie de ces régions. Jornandes
(Get., 34) et le géographe de Ravenne (IV, 34) nomment, comme deux
rivières distinctes, la Tysia et la Tibisia. La première est la Theiss. On
pense que la Tysia de Jomandès est la môme que le Parthiscus d'Am-
mien (XVII, 3) et le Pathiscus de Pline (Hi$t. nat, IV, 25). V. Forbiger,
JSandlfuck^ III, p. 1103. La géographie de la Dacie ancienne occupe les
pages IIOMIU de ce troisième volume.
4. 'léfxunK. On ne sait si Ton doit l'identifier avec le Prutb ou avec le
Sereth.
— 30 —
Dace. Nous verrons plus loin que la province conquise et orga-
nisée par Trajan fut beaucoup moins étendue.
L'ethnologie offire peu de problèmes aussi difficiles que les
questions rdatives à l'origine des Daces, et à la place qui doit
leur être assignée dans les races connues. Que les Daces et les
Gètes fussent le même peuple, on n'en peut douter devant Taccord
des auteurs anciens à cet égards Mais qu'étaient les Gètes?
L'opinion de Grimm, qui en faisait des Germains, est abandonnée
aujourd'hui'. Les auteurs qui voulaient rattacher les Gètes au
rameau celtique ont été également réfutés^. Miillenhof, essayant
par la philologie de démontrer leur origine slaveS s'est peut-être
moins écarté de la vraisemblance^, mais ce n'est encore qu'une
conjecture, à cause du petit nombre de mots dont on dispose pour
classer l'idiome gétique.
Ce n'est pas que nous ne connaissions une partie assez consi-
dérable de son vocabulaire : malheureusement, les mots qui nous
en ont été conservés ne peuvent guère être utilisés. Ils sont au
nombre de 144, et se décomposent ainsi : 24 noms patronymiques,
15 noms de peuples, 48 noms de villes (dont 21 terminés en
dava), 12 noms de fleuves, 3 noms de montagnes. Puis, d'autre
part, 32 noms de plantes recueillis par Dioscoride et 17 par le
faux Apulée. Sept noms sont communs aux deux listes, ce qui
réduit à 42 le nombre des mots connus de ce côté. Or aucun de
ces 144 noms ne jette de jour sur le caractère générique de la
langue®.
Il faut donc nous borner ici à ce que nous ont appris les
anciens, à savoir que les Gètes étaient un peuple thrace'', parlant
la même langue que les autres nations de ce groupe^.
1. Strabon, VU, 3, 12, Appian. Praef,, Dion, 67, 6. Pline, Bist. nat, IV,
25, Justin. XXXII, 3, 16.
2. Grimm a voulu étayer par la philologie et par rhistoire une asser-
tion absolument gratuite de Jornandes qui appelle Gothi le peuple
auquel Domitien et Trajan firent la guerre. On trouve déjà cette confu-
sion dans Gapitolin {Carac., 10). Enobl (p. 90) avait déjà nié la parenté des
Ooths et des Gètes. V. la réfutation de Grimm dans Roesler, p. 13-21.
3. Roesler, p. 25. M. Alf. Maury (Jowm. des savawU, 1869, p. 301, 356)
rapproche les Gètes et les Gaulois sur certains points, mais sans faire
des premiers un peuple celtique. Il le regarde comme thraco-scythique
et admet que les Scythes, aussi bien que les Sarmates, sont indo-euro-
péens.
4. Article Oelae dans rEncyclopédie d'Brsch et Gruber.
5. Roesler, p. 29. — 6. V. la liste de ces mots dans Roesler, p. 75-84.
7. Hérodote, IV, 93.
8. Strabon, VU. 3, 11, irapà Tb>v TeTÛv, 6\iJoi>MXxo\t to1< Opq^^v lOvovç.
— 34 —
D'ailleurs, la religion des Gètes ou Daces nous ramène, par
une autre Toie, aux Thraces. Les Thraces, dit Hérodote, n'adorent
qu'Artémis, Ares et Dionysos*. L'Artémis thrace, Cotys ou
Coty to, se retrouve dans le nom propre Cotys. (La forme dacique est
Cotiso.) Ares était vénéré chez les Gètes*. Enfin le culte de Zamol-
xis' nous reporte au Dyonisos thraco-phrygien Sabazius. Les
sacrifices humains périodiquement offerts à la divinité gétique^
rappellent en efiet les cruelles immolations accomplies en l'hon-
neur de Dionysos Omestès*^, lesquelles se perpétuèrent sous le
nom d'omophagies^. La retraite temporaire de Zamolxiâ dans
une caverne fait pendant à la descente de Dionysos aux enfers.
Le banquet sans fin des bienheureux, promis à la convoitise des
Gètes, est l'équivalent des joies qu'espéraient après la mort les
initiés aux mystères dionysiaques, et qui sont décrites dans des
inscriptions funéraires trouvées dans la Thrace même''.
Les ai^ciens avaient confusément senti ces rapports. Pour les
expliquer, ils admettaient que Zamolxis, esclave de Pythagore,
avait reçu communication de la doctrine de celui-ci, et qu'il était
allé chercher en Egypte un complément d'instruction^. Car il ne
faut pas oublier l'identité, signalée par Hérodote^, des doctrines
pythagoriciennes, égyptiennes, orphiques et dionysiaques. Les
affinités lointaines de la religion des Gètes et de l'orphisme avaient
fait attribuer au même peuple une pureté de mœurs toute parti-
culière*^ contraire aux faits comme l'a remarqué Strabon**.
Ce qui est vrai c'est que la religion de Zamolxis est au fond
celle de Dionysos*' non pas épurée, mais gardant au contraire la
grossièreté et la férocité primitives. Seulement, comme les Gètes
l'avaient. ardemment embrassée, elle pénétra dans la vie quoti-
dienne et l'organisation sociale de la nation beaucoup plus pro-
1. Roesler, 1. 1., p, 73.
2. Hérodote, V, 7.
3. Martial, Vil, 2. Ovid. Trist. V, 3, 22.
4. Telle est Torthographe véritable. Miller, Comptes-rendus de l'Acad. des
inscript., t866, p. 401.
5. Hérodote, IV. 94.
6. Plutarch. Themist., 13, Pelop., 21. Arist,, 8.
7. Pr. Lenormant, Voie Eleusienne, 410-412.
8- Heuzey, Comptes-rendus de l'Acad. des inser., 1865, p. 374.
9. Strab., VII, 3, 5.
10. Hérodote, II, 81. Suivant HellanicuB (fr. 173, éd. Didot), ZamolziB
introduisit les mystères chez les Oètes Zd|ioX^c... reXsTàc xarédei^s nxaic
11. Ainsi Josèphe (Ant. Jud., XVIII, 1, 5) les compare aux Bsséniens.
12. Strab., VII, 3, 4.
13. Ceci a déjà été ireconnu par M. Heuzey, 1. 1., p. 377.
— 32 —
fondement que chez les autres Thraces. La croyance à l'immor-
talité y fut si générale et si vive, qu'elle caractérisa les Gètes aux
yeux des anciens^; il est même bien remarquable que dans le
sacrifice quinquennal à Zamolxis, ceux qui ne pouvaient mourir
fussent regardés comme des criminels^ : les Dieux, en refusant
de les accueillir, paraissaient les firapper de réprobation. Stimu-
lés par une telle idée, les Gètes, dans les bataiUes, devaient non-
seulement braver la mort, mais s'en éprendre, et la rechercher
avec cette passion furieuse que l'on a signalée chez les combat-
tants gaulois et Scandinaves, animés d'une foi semblable^. Aussi
Hérodote les nomme-t-il les plus braves des Thraces^ et Trajan,
dans les Césars de Julien^, cite la religion de Zamolxis comme
un des plus grands obstacles qu'il ait rencontrés dans ses cam-
pagnes, en raison de l'intrépidité qu'y puisaient les Daces.
Chez ce peuple éminemment religieux, le sacerdoce se cons-
titua fortement et prit dans l'Etat une place considérable, plus
grande peut-être que chez les nations civilisées contemporaines.
Ainsi à dater de la réforme de Zamolxis*, c'es1>-à-dire dès une
époque extrêmement ancienne, le roi ou chef temporel fut tou-
jours assisté d'un grand prêtre qui recevait presque autant
d'honneurs que le Dieu dont il interprétait les volontés^. Ce trait
remarquable de l'état social des Gèt^ a été relevé par les anciens
et transmis par eux d'une façon irrécusable. Malheureusement,
si l'on y joint quelques faits rapportés par Hérodote sur la reli-
gion de Zamolxis, et la mention de la polygamie des Gètes dans
Strabon, on aura groupé tous les renseignements positifs que l'on
possède sur ce peuple célèbre^.
1. d6avaT{2;ovTe« (Uerodote, IV, 93).
2. Hérodote, IV, 94.
3. Ceux qui n*avaient pas péri dans le combat se donnaient la mort.
V. ci-après la guerre de Trajan.
4. IV, 93.
5. Gap. 22.
6. Suivant Hérodote, IV, 96, Zamolxis serait bien antérieur à Pytha-
gore.
7. II portait même le titre de Oeéc. Strabon, VII, 3 , 5. V. d'Anville,
Mémoire sur la nation des Gètes et sur le pontife adoré chez cette nation.
Mémoires de TÂcadémie des inscr., XXV, 35-47.
8. Compléter le tableau comme Ta fait M. Roesler (dos VorroemUche
JkLcien, p. 357) en empruntant d'autres faits à Pomponius Mêla (II, 12)
ne me paraît pas légitime, car ce géographe ne mentionne les Gètes qu*à
propos de leur courage à affronter la mort ; ce qu'il dit des femmes
mises à mort près de leur époux, de leur liberté avant le mariage etc.
est tiré d'Hérodote et s'applique à datUres peuples tbraces, comme
— 33 —
Au cinquième siècle avant notre ère, les Gètes occupaient
encore la rive droite du Danube, près de son embouchure. On
ignore à quel moment ils remontèrent le fleuve et le franchirent.
A l'époque d'Alexandre, ils occupaient déjà le pays dont Trajan
fit la conquête, car c'est après avoir vaincu les Triballes au
bord de l'Isker, entre la Serbie et la Bulgarie, que le roi de Macé-
doine les attaquai.
§2-
C'est en 76 av. J.-C. que les légions romaines se heurtèrent
pour la première fois contre ce peuple. Le consul C. Scribonius
Curio vainquit les Dardaniens et pénétra jusqu'aux frontières de
la Dacie, mais il recula devant la profondeur des forets qui défen-
daient le pays*.
Les Daces formaient un grand nombre de tribus toujours en
guerre les unes contre les autres. Pendant la dictature de Jules
César, Boerebistas, chef de l'une d'elles, les rassembla toutes en
un seul corps de peuple. Il trouva dans la religion un puissant
auxiliaire et un moyen de concentration incomparable. Le prêtre
de Zamolxis placé à cette époque à la tête du sacerdoce, Decae-
nus, consentit à servir les desseins de Boerebistas, et celui-ci par-
vint à imposer à ses sujets la sobriété et la discipline^. Les vignes
furent arrachées : les Daces apprirent à se passer de vin, et
l'ivresse, plus fatale à ces peuples que les armes romaines, dispa-
rut de leurs mœurs. On vit alors combien était fondée l'opinion
déjà répandue au temps d'Hérodote que les Thraces, s'ils étaient
unis, seraient invincibles, tant se montra redoutable la puissance
des Daces dès qu'ils firent trêve à leurs dissensions. Par la consè-
on le voit en se reportant au texte plus détaillé de rhistorien grec (V,
4, b, 6). Suivant Horace {Carm, III, 24, 12), les Gètes n'auraient pas connu
la propriété [immetata quibus jugera libercu fruges et Cererem ferwU),
mais sa description est plutôt poétique et surtout satirique, qu'histo-
rique. D'après les objets que fournit dans les fouiUes le sol de Tancienne
Dacie, ses habitants travaillaient assez habilement les métaux. Ils sem-
blent avoir connu aussi une certaine architecture militaire {Bull, ImL
Areh,f 184S, p. 33). Platon (ChamUd. p. 156) parle de médecins thraces
instruits par Zamolxis. Les anciens attribuaient aux Daces la connais-
sance des propriétés médicales des plantes; autrement on ne compren-
drait pas pourquoi Dioscoride et le faux Apulée ont rapporté des noms
daciques de végétaux.
1. Arr. Anab, I, 4, 2-7.
2. Florus I, 38 (éd. Halm). Ces forêts faisaient suite ft la forêt Hercy-
nienne. César, Bdl. Gall., VI, 25.
3. Strab.VII,3,li.
DB LA BERGE 3
— SA —
cration religieuse de son autorité temporelle, par ses relations
habituelles avec le ministre du Dieu suprême de la nation, Boe-
rebistas obtint de celle-ci une confiance aveugle et sans limites,
le plus puissant élément du succès militaire. Il commença par
exterminer les peuplades gauloises qui occupaient encore plu-
sieurs points dans le bassin du Danube; puis, poussant ài'Est, il
soumit les côtes de la mer Noire jusqu^à ApoUonie et saccagea
les villes grecques de cette région*. Au sud, enfin, traversante
Danube à la tête de deux cent mille soldats, il fit trembler les
Romains dans la Thrace, la Macédoine et riUjoîe. Ces vastes et
rapides conquêtes, dont un enthousiasme à la fois militaire et
religieux avait suscité et soutenait l'essor, ont été assez juste-
ment comparées aux débuts de Ylslam^ : mais cette ébauche de
khalifat n'eut qu'une durée éphémère : les Daces, dont Boerebis-
tas réprimait les penchants invétérés, se lassèrent vite de sacri-
fices faits à la gloire, ou en vue de réformes dont ils ne compre-
naient ni le dessein ni la portée. Boerebistas périt dans une
sédition, au moment même où César était frappé au milieu des
préparatifs d'une expédition contre le redoutable chef des Daces^.
Ceux-ci se désunirent bien vite quand ils ne sentirent plus la
main puissante qui les avait entraînés dans une action commune :
à la iÊaveur de cette désunion, les lazyges, peuple sarmate,
s'emparèrent des plaines fertiles que possédaient les Daces et
confinèrent alors ces derniers dans les montagnes de la Trans-
sylvanie^.
Leur puissance militaire, tout amoindrie qu'elle était, demeu-
rait redoutable pour Rome, à cause de l'éventualité toujours
menaçante d'une alliance entre les Daces et les Germains. Octave,
ne perdant pas de vue le dessein de Jules César, voulut conquérir
en Pannonie un poste qui lui servît de base d'opérations dans les
campagnes qu'il projetait contre les Daces ; il s'empara de Ségeste,
sur la Save, et y laissa une garnison de vingts-cinq cohortes^.
Dans la guerre civile, les Daces prirent parti pour Antoine*,
et bien qu'ils ne lui eussent fourni qu'un petit nombre d'auxi-
liaires^, ils inspirèrent à Rome une firayeur dont l'écho est
1. Dion. GhryBOSt. Orat. XXXYI.
%. Mommsen, HisL r<m.y tradact, vol. VII, p. 117.
3. Strab. 1. 1. Suétone, Caes,, 44.
4. Pline, Bist. nat., IV, 25.
5. Appien. Illyr. 22-24.
6. Dion., U, 22.
7. Ils étaient alors en proie à la guerre civile. Dion, 1. c.
— 85 —
resté dans les vers de Virgile et d'Horace*. Sous le quatrième
consulat d'Auguste (724 R = 30 av. J.-C.), Marcus Crassus, le
fils du triumvir, remporta quelques succès sur les Daces et les
Bastames*, mais il ne fit aucune conquête au-delà du fleuve. Vingt
ans après , il fallut songer à la sécurité des jfrontières, sérieu-
sement compromise. Les barbares, sous la conduite du roi (Co-
tise, avaient franchi le Danube sur la glace et pillé les pro-
vinces; Lentulus les défit' et l'empereur éleva sur la rive
romaine quelques ouvrages militaires*; mais le péril et la fré-
quence des invasions ne diminuèrent pas. Jusque vers la un du
premier siècle, les expéditions romaines contre les Daces furent
habituellement heureuses , sans procurer à l'empire autre chose
qu'une tranquillité passagère. Â plusieurs reprises, on transporta
en masse, sur la rive droite, la partie la plus remuante de la popu-
lation barbare*^, et malgré ces mesures, on eut à craindre, au
milieu de la guerre civile qui précéda l'avènement de Vespasien,
qu'une nouvelle invasion ne s'ajoutât aux malheurs qui déso-
laient l'univers civilisé®.
Comme l'a remarqué Tacite, les divisions des barbares étaient
un bienfait pour l'empire ; dès qu'un état puissant se formait aux
frontières, la fortune de Rome était en péril. Les Daces devinrent
sous Domitien plus redoutables que jamais. Duras'', leur roi,
reconnut les qualités éminentes de Décébale^ et lui céda généreu-
1. Georg. II, 497, Carm. III, 6, 13.
2. Dion., Ll, 23. Il détacha de la ligue ennemie quelques chefs, entre
autres Rôles, qui fut déclaré allié du peuple Romain.
3. Dion. LIV, 36. Horat. Carm. III, 8.
4. Plorus, 11, 28, éd. Halm. Sur les guerres daciques de cette époque,
y. Mommsen, Res Gestue Divi Augttsiif p. 88.
5. A la fin du règne d'Auguste, Aelius Gatus transporta en Mésie cin-
quante mille barbares (Strab., Vli, 3, 10). Sous Néron, Ti. Plautius Aelia-
nus en amena cent mille, avec leurs femmes et leurs enfants. Orelli, n*
750.
6. Tacite, Hist, lU, 46.
7. Dion., LXVII, 5. 11 est assez remarquable que Trajan et Décébaie
aient été appelés tous deux au rang suprême par le choix du prince
leur prédécesseur, choix motivé par leur capacité politique et militaire.
8. Reimar, dans ses notes sur Dion, émet la conjecture que Aexé6aXoc
signifie roi des Daces ou quelque titre analogue. D'une part nous retrou-
vons ce nom donné à d'autres chefs barbares (Trebel. Pol. Trig. tyran,
10), et de rautre Tadversaire de Domitien, nommé Aexé^ocXoç par Dion
Gassius, est appelé Diurpaneus par Orose (Vil, 10. 11 avait sous les yeux
les derniers livres des HiOoires de Tacite) et Dorphaneus par Jomandés
{QetA 3). V. pourtant les objections de Roessler, Dos vorrœmische Bacien,
p. 353.
— 36 —
sèment la souveraineté. Le nouveau chef barbare était, de l'aveu
des Romains eux-mêmes, un génie militaire de premier ordre. Il
comprenait, dit Dion S la science de la guerre et il en possédait
la pratique. Il savait attaquer et se retirer à propos, dresser des
embuscades et combattre à force ouverte, profiter de la victoire
aussi bien que réparer une défaite. Aux vertus guerrières de son
peuple, il r^lut de joindre la science romaine. Il attira les trans-
fuges, apprit à élever des retranchements, à construire des
machines de guerre. Quand il se vit à la tête d'une armée bien
disciplinée et bien instruite, il se jeta sur la Mésie. Le gouver^
neur Oppius Sabinus fut tué^, les forteresses tombèrent au pou-
voir des Daces et le pays fut mis au pillage.
Domitien fit rassembler en toute hâte les légions de Pannonie,
et chargea de la conduite de la guerre son préfet du prétoire,
Ck)rnelius Fuscus. Les Marcomans promirent de seconder les
armes romaines, Fuscus franchit le Danube sur un pont de bateaux
et pénétra courageusement chez les Daces; mais les Marcomans
violèrent leurs promesses et n'envoyèrent aucun secours. Engagé
avec des forces insuffisantes dans un pays inconnu , le général
romain Livra une bataille funeste dans laquelle il périt : les légions
laissèrent aux mains de l'ennemi un grand nombre de prison-
niers, leurs bagages, leurs machines de guerre et une aigle, que
•Trajan retrouva plus tard et rapporta à Rome^.
Satisfait d'un succès aussi brillant et du butin considérable
qu'il avait recueilli, Décébale fit des propositions pour la paix.
Domitien les repoussa et voulut continuer inmiédiatement la
guerre. On ne peut blâmer cette résolution énergique, inspirée
par l'honneur du nom romain ; mais il fallait porter sur la Dacie
toutes les forces dont on disposait et l'empereur les divisa de la
façon la plus maladroite en organisant deux expéditions simul-
tanées, l'une contre les Daces, l'autre contre les Marcomans dont
il voulait punir la perfidie. Il aurait fallu aussi que Çomitien prît
part à la guerre et aux dangers qu'afirontaientdes soldats efirayés
par de terribles revers ; il quitta Rome, en effet, et partit comme
pour se mettre à la tête des troupes, mais arrivé en Mésie, il se
cacha et laissa agir ses généraux^.
Galpumius Julianus, gouverneur de la Mésie, commanda
1. Dion, LXVII, 6.
2. Suét, Domii.f 6 Jornand. Gei. 13.
3. Suétone, Jornandès, Orose aux passages cités et Dion, LXVn, 10. V.
répitaphe métrique de Cornélius Fuscus composée par Martial, V. 3.
4. Suét. DonUt. 6.
— 87 —
l'expédition, attaqua courageusement les barbares^ et remporta à
Tabae* une brillante victoire. Le carnage des Daces fut très-
grand : Yézinas, le premier après Décébale, dut se cacher parmi
les morts et ne se sauva qu'à la nuit. Julianus marcha rapide-
ment sur Sarmizegethusa, dont il faillit s'emparer. D'après une
anecdote peu croyable, mais qui montre quel esprit de strata-
gèmes et d'adresse les Romains attribuaient à Décébale, celui-ci
aurait sauvé sa capitale en faisant abattre à l'entour un trè»-
grand nombre d'arbres, et en ordonnant d'attacher des armes
aux troncs coupés à hauteur d'homme, de sorte que JuUanus,
croyant se heurter contre une armée nombreuse, n'alla pas plus
loin*.
Quel que soit le motif qui l'arrêta, les firuits de sa victoire
furent perdus. L'armée de Pannonie avait été battue par les Mar-
comans ; il fallait traiter avec eux au plus vite, et forcément avec
Décébale, leur allié. Le roi dace envoya vers Domitien son firère
Diégis, qui rendit à l'empereur quelques prisonniers et des armes,
et demanda pour Décébale l'investiture du pouvoir royal. Le bar-
bare, avec un grand sens, faisait bon marché des apparences du
pouvoir, sachant bien que les Romains n'étaient pas de force à lui
en arracher la réalité. Domitien saisit avec empressement cet appât
offert à sa vanité et voulut faire passer la vaine cérémonie de
l'investiture pour une marque de victoire. Peut-être prit-il lui-
même le change, mais les Romains ne s'y trompèrent pas. Décé-
bale avait rendu quelques prisonniers sans importance, et gardé
des ingénieurs, des constructeurs de tout genre et d'habiles offi-
ciers, n remit des épées et des flèches, mais U conserva les ma-
chines de guerre et Domitien dut s'engager à lui en fournir
d'autres. Enfin les Romains furent contraints de payer un tribut
aux barbares^ Pour avoir obtenu des conditions si honorables,
Domitien prit le titre de Dacicus, et rentra dans Rome en triom-
phateur. Suivant une forte efxpression de Paul Orose, empruntée
sans doute à Tacite^, ce ne éit pas des ennemis vaiucus, mais
1. Dion, LXVll, 10.
2. Dion appelle cet endroit Tdncat. On lit dans Jomandès {Gel. 12) : f Dacia
antiqua... trans Danubium corona montium ciogitur : duos tantum
habens accessus, unum per Bontas, alterum per Tabas. » On croit retrou-
ver la localité dans Tapia, au voisinage de Lugos dans le Banat, sur le
versant occidental du dernier contrefort des Garpathes.
3. Dion. 1. c. Griton, dans les TeTixà {Frag, hést. ffr,, IV, 374) rapporte
une ruse semblable, xçais à ce qu*ii semble inventée par les Romains.
4. Dion, LXVII. 6.
5. c Pravissima elatus jactantia, sub nomine superatorum hostium de
— 38 —
de ses propres légions détruites, qu'il triompha. Les poètes
adressèrent à Tenvi des félicitations au prince, mais le peuple
appelait la cérémonie « les obsèques des morts de Dacie^ » Par
un jeu du sort, Trajan était consul l'année où Domitien célébra
ce honteux et mensonger triomphe, et dans le panégyrique qu'il
eut à prononcer, en prenant possession de sa charge, il lui fallut
décerner des éloges à la bravoure et à l'habileté de l'empereur.
Pendant dix ans, Rome fut, vis-à-vis des Daces, réduite à
cette position subordonnée. Mais Trajan s'était promis de venger
la défaite et l'humiliation de ses compagnons d'armes. Lorsqu'il
prononçait un serment ou exprimait un vœu, il terminait toujours
en s'écriant : Quand donc réduirai-je la Dacie en province*!
§ 3. — Première guerre.
Nous n'avons plus aucun des ouvrages écrits dans l'antiquité
sur les guerres daciques de Trajan. Le plus important de tous,
les conunentaires écrits en latin par l'empereur lui-même, sont
perdus, sauf un très-court fragment dont nous tirerons parti plus
loin. Nous ne possédons ni le 23® Uvre des Histoires d'Appien,
consacré à ce sujet', ni le poème grec composé ou projeté par
Ganinius Rufus à l'instigation de Pline^ ; des rsTixa du médecin
Criton, il ne reste que quelques lignes*^. La colonne Trajane est
un monument inappréciable par le grand nombre de renseigne-
ments qu'elle fournit à l'archéologie proprement dite, mais elle
ne peut Caire connaître ni le lieu ni la date des batailles et des
campements dont elle offre tant de vives et curieuses images.
D'ailleurs* il est difficile de distinguer sur les bas-reliefs le com-
mencement et la fin de chaque scène ; tandis que des actions
simultanées sont nécessairement représentées comme se suivant,
d'autres, séparées par un intervalle de temps que nous ne pou-
vons apprécier, se touchant sur la spirale non interrompue qu'elles
décorent. Rien, non plus, ne fait apprécier au spectateur l'inéga-
ezstinctis ]egionibu8 triumphavit Vil, 10. » Orose dit au môme endroit
que Tacite avait écrit dttigentisslme l'histoire de ces guerres, mais en
dissimulant le nombre des Romains tués.
1. Martial V, 3 Stace, SUv. 1, 1 et 4. 111, 3. DionLXVII,9, vtxTit^pia, fi, &çtth
5fi.i>oc tkv(t, IvGCYiaiioùc M toTc iv AoxCq^ teOvrpiâatv.
2. Ammien, XXIV, 3.
3. Zonar. XI p. 508 éd. Bonn. Cf. Fabricius, Bm. Gr. V p. 246.
4. Pline, Bp. VlU, 4.
5. Fr. HisL Gr., IV, p. 373.
6. Heyne. Lettre à Engel Commentatio, p. 27.
— 39 —
lité de leur importance relative. En outre M. Dierauer a remar-
qué avec autant de raison que de finesseS que les sculpteurs
n'ont guère retracé que des épisodes où Trajan intervenait per-
sonnellement. De là des repr^ntations assez peu intéressantes
et fréquemment répétées, telles que des célébrations de sacrifices
et autres cérémonies officielles ; de là aussi l'omission -de faits de
guerre importants, tels que la capture, par Laberius Maximus,
de la sœur de Décébale, le dévouement de Longin, l'invasion de
Susagus en Mésie. Il est donc nécessaire de compléter les infor-
mations insuffisantes que fournit ce monument célèbre par la
géographie, par les inscriptions, par les médailles, qui font con-
naître la chronologie de la guerre, et aident à replacer dans leur
disposition primitive les faits racontés avec beaucoup de brièveté
et quelque désordre dans l'abrégé de Xiphilin.
La première guerre des Daces ne commença qu'en 854 R =
101 après J.-C. En effet le panégyrique fut prononcé par PUne
au mois de septembre de l'année précédente en présence de
l'empereur, et il n'y est fait aucune allusion à la guerre. L'ins-
cription latine* gravée à Athènes en l'honneur d'Hadrien dit qu'il
fut quaestor Imp. Traiani et cornes expeditionis dacicae.
En épigraphie, la conjonction et indique des charges remplies
simultanément^. Or Spartien nous apprend qu'Hadrien fut ques-
teur sous le consulat de Trajan et d'Ârticuleius, c'es1>-à-dire
précisément en 101^.
Un firagment, récemment retrouvé, des actes des frères arvales,
indique des sacrifices offerts le 25 mars de cette année pour
l'heureux voyage de l'empereur. Ce jour est très-vraisemblable-
ment celui même de son départ^. Avant de pénétrer en Dacie, il
fallait rendre possibles et aisés les transports de troupes et de
vivres à la limite même du pays ennemi. Dans cette vue, Trajan
fit continuer une route commencée jadis par Tibère, le long du
fleuve; les difficultés du terrain, qui avaient longtemps retardé
l'achèvement de ce travail, furent surmontées, comme nous l'ap-
1. P. 110.
2. Henzen. Annal. InsL Arek,, 1862, p. 139.
3. Henzen, 1. 1., p. 149.
4. Spart. Hadr, 3.
5. BulL Intt, Arch.y 1869, p. 118. M. de Longpôrier (Rev. num,, 1865,
p. 402] a ëmis Topinion que les médailles impériales offrant au revers
Teffigie de Mars Gradivus indiquent le départ d*une expédition militaire.
L'histoire de Trajan confirme parfaitement l'exactitude de cette opinion;
on a une de ces médailles datée du quatrième consulat de l'empereur
(Cohen, n* 135).
— 40 —
prend Finscription oommémorative encore en place à Tactaliaen
Serbie*.
Malgré le silence des historiens, il n'est pas impossible de réta-
blir, avec quelque vraisemblance, la marche des armées
romaines au-delà du fleure. En effet, Mannert a démontré que la
carte dite de Peutinger représente le monde romain à Tépoque
d'Alexandre Sévère. Si cette attribution paraît trop ancienne, on
ne peut du moins faire descendre au-dessus du r^ne d'Aurélien
l'âge de ce document, puisqu'il nous fait connaître les rivières,
villes et routes de la Dacie transdanubienne, qui cessa en 274 de
faire partie de l'empire ; et nous savons d'autre part que Trajan
établit dans la province nouvellement conquise un grand nombre
de colons, qu'il y régla l'organisation municipale, qu'il y fit
construire des routes. Il est donc probable que les voies tracées
sur la carte de Peutinger remontent jusqu'à Trajan : leur direc-
tion fut nécessairement commandée par celles qui existaient au
moment de la conquête.
Les routes qui reliaient la Dacie à la Mésie coupaient le Da-
nube sur trois points, à Lederata* (Uj-Palanka), à Taliatis'
(Alt-Porecs) et à Aegeta* (Fetislan). Nous verrons plus loin
que le célèbre pont 'de pierre, construit au début de la deuxième
guerre et pour les opérations de cette guerre, était situé à Aegeta.
C'est donc sur l'un des deux autres points que l'armée romaine
franchit le fleuve dans la guerre de 101.
La première route passait par les localités nommées : Lederata,
Aponte, Arcidava, Centum Putei, Bersovia, Ahihis, CaputBu-
bali, Tibiscum (auj. Cavaran, au confluent de la Temes et de la
Bistra) .
La deuxi^e traversait Dierna, ad Mediam, Praetorium, ad
Pannonios, Gagana, Mascliana et rejoignait la première à Tibis-
1. Corp. insc. lat., 111, n» 1699. Voy. deux belles pages de M. Saint-Marc
Girardin, Souvenirs de voyage, 1. 1, p. 209, sur les pensées qu'évoque la
présence de ce monument au milieu d*un site silencieux et sauvage.
Les vestiges de la route terminée par Trajan sont encore visibles (Paget,
Hungary and Transylvania, 11, 123). Une partie était taillée dans le roc;
Fautre, construite en encorbellement, était supportée par des poutres
dont les creux d'encastrement sont encore visibles, v. Benndorf
Sitzungsberichte der Kais. Àkademie, LXXVll, p. 417, et notre n* 21.
2. Sur la rive gauche ou dacique. La table de Peutinger place Lede-
rata sur la rive droite ou mésique, mais c'est une erreur comme le
démontrent les textes de Procope (Àed,, IV, 6, et de Justinien iVov. XI) ...
c tam Viminacium quam Recidua et Lederata, quae trans Danubium sunt. »
3. En Mésie.
4. En Mésie.
— 41 —
com. Une voie unique conduisait de ce dernier point à Sarmize-
gethusa (Varhély).
Or le seul fragment des Daciques de Trajan , heureusement
conservé par PriscienS dit : « De là nous gagnâmes Berzobim,
puis Aiœim. » Malgré les différences d*orthographe, il est impos-
sible de méconnaître les villes appelées Bersoma et Afdhis sur la
carte de Peutinger. C'est donc à Lederata que Trajan franchit
le Danube, choisissant la route la plus occidentale et la plus
voisine de la Pannonie, où ses troupes se seraient repliées en cas
d'échec.
Cherchons enfin à nous rendre compte des troupes que l'empe-
reur avait à sa disposition pendant la guerre.
Manius Laberius, qui commandait un corps d'armée, et qui fit
prisonnière la sœurdeDécébale*, était gouverneur d'une des Mé-
sies^, probablement la Mésie supérieure. Q. GUtius Agricola, qui
reçut de Trajan des récompenses pour ses exploits dans la guerre
dacique, était légat de Pannonie comme nous l'apprend l'inscrip-
tion d'un monument élevé en son honneur, à Turin, à l'occasion
de son deuxième consulat*. Nous savons d'ailleurs que ce consu-
lat est de l'an 103'*. Ainsi l'armée qui opérait en Dacie était
composée de troupes tirées de la Pannonie et de la Mésie.
On connaît d'une manière assez satisfaisante les légions qui
étaient alors cantonnées dans ces provinces^, mais il est dair que
Trajan ne prit pas avec lui toutes les troupes qui défendaient la
région danubienne, dégarnissant ainsi les rives du fleuve tant de
fois traveirsé par les barbares, et exposant les frontières à une
invasion pendant qu'il serait lui-même engagé dans un pays
inconnu. Il fit nécessairement un choix parmi ces légions, et les
seules dont nous puissions affirmer la participation aux guerres
daciques sont celles dont les officiers ou les soldats ont obtenu
de l'empereur des récompenses mentionnées dans les inscriptions
funéraires de ces militaires. Cet examen nous donne les légions :
7« adjutrix — /« Italica — /« Mineroia — F* Macedonica
FJ/û Claudia — X1II<^ Gemina.
L'épitaphe de T. QaudiusVitalis prouve que la légion /« ItOr-
1. VI, p. 682 éd. Putsch : c Trajanus in primo Dacicorum : Inde Berzo-
bim, deinde Aixi[m| processimus. i
2. Dion^ LXVin, 9.
3. Plin. ad Traj. 74.
4. Notre n* 86.
.5. Mommsen, Etude, etc., p. 113.
6. y. l'Appendice, lïl.
— 42 —
lica prit part à la première guerre, la légion /<* Minervia à la
deuxième ^ .
La V^ Macedonica ne fit vraisemblablement que la deu-
xième guerre', car pendant la première, la Mésie, déjà afiaiblie
par le départ de la I^ ItcUica^ eût été complètement dégarnie de
troupes.
L'épitaphe de L. Aemilius Paternus^ qui servit comme centu-
rion dans les légions VII^ Gemina — /« Minervia — F/7«
Clatidia — XII I^^ Oemina et reçut detux: fois, en Dacie, des
récompenses décernées par Trajan, montre que la YU^ Claudia
fiit engagée dans la première guerre, et la XIII^ Gemina dans la
deuxième. Mais celle-ci était une légion de Pannonie, tandis que
la I^Italica^ etla Vll^ Claudia venaient de Mésie. Quel est donc
le corps pannonien qui, dans la première guerre, combattit sous
les ordres de Q. GUtius Âgricola? C'est probablement la légion
I^ Adjutriœ, naguère en Germanie*, qui vint alors sur les bords
du Danube et y resta jusqu'à la fin de l'empire.
Nous pouvons donc fixer comme il suit l'efiectif de l'armée
romaine pour chacune des guerres daciques :
i^ guerre. Légions : J<» Adjutriœ — /« Italica — VII^
Claudia.
2® guerre. Légions : /« Minervia — 7« Maoedonia —
X///« Gemina.
Soit, pour chaque guerre, 18,000 hommes. En y joignant
divers corps auxiliaires ^, les cavaliers maures amenés par
Lusius Quietus^, et enfin les prétoriens qui accompagnaient
1. Notre n* 93.
2. Notre n* 88. Un certain T. JulUu Brocehus, tribun dans cette légion,
reçut des récompenses militaires pour une guerre dacique, mais ce fut
probablement sous Domitien, le nom de l'empereur ne figurant pas
dans rinscription (Borghesi, Œuvres, IV, p. 214), et Ton sait en effet que
la mémoire de Domitien avait été abolie.
3. Notre n* 101. Cf. notre n* 89 pour la VIU Clattdia.
4. Mommsen. Ardi. Anzeiger, 1865, p. 96.
5. Germains armés de massues, fiartoli, col. Traj., tav. 27, 49. Ftoebner,
n* 86. Ala Dardanorum, Orelli, 3570. Ce corps avait dû être tiré de Mésie
et il y retourna après la guerre, comme le prouve un diplôme militaire
de Tan 105. Henzen 6857.
6. C'était un petit prince maure qui avait déjà servi dans Tarmée
romaine^ mais en avait été exclu pour quelque faute grave (xara-
IfvcÉXiOeU 8'èwl Tcovnpiqi... Tijc orpaxeiaç 'aicyiXX^-pî xal ^ha^Oti). Trajan lui rendit
un commandement, et il justifia cette faveur par son habileté militaire
et son courage (Dion, LXVlll, 32). Les cavaliers maures qu'il comman-
dait sont représentés sur la colonne (Bartoli, t. XUIl. Froebner, n* 50).
— 43 —
l'empereurS on arrive au chiffre de 25,000 hommes environ.
Trajan commandait en chef. A la tête de son état-major il
plaça Licinius Sura, son plus intime ami, qui écrivait ses ordres
et était chargé de toutes les missions délicates ou périlleuses'.
Hadrien était l'un des aides de camp (comités) de Trajan^,
C. Manlius Félix; chef des ouvriers militaires^.
Maintenant nous pouvons, en nous appuyant sur les résultats
qui viennent d*être acquis, en nous aidant des bas-reliefs de la
colonne Trajane* et de l'abrégé de Xiphilin, composer un récit
succinct, mais exact dans son ensemble, de la première guerre
dacique.
Campagne de Van 101. — L'armée, partie de Viminacium
(Kastolatz), quartier de la légion F/Ja Claudia^ suivit la rive
droite du Danube jusqu'à Lederata où elle franchit le fleuve sur
un pont de bateaux®. Trajan, après avoir reçu les avis de ses
édaireurs et discuté en conseil de guerre le plan de campagne^, fit
avant de commencer les opérations un sacrifice solennel^, puis
les troupes se mirent en marche sur Tubiscum par Barsobis et
Aixis. A ce moment, l'empereur reçut un message des Bures, peu-
plade germaine, fixée près des bords de la Vistule, et alliée fidèle
de Rome®. Ils conseillaient à Trajan une paix et une retraite
M. Dierauer, p. 79 remarque qu*ils conduisent leurs chevaux comme
rindique Strabon (XVII, 3, 57). V. sur ce personnage Borghesi, Œwores^ l,
p. dOl.
1. ClaudiuB Livianus, préfet du prétoire, prit part à la guerre
(Dion, LXVIIi, 9). Voyez aussi notre n* 90, épitaphe d'un cavalier de
la IX* cohorte prétorienne, récompensé par Trajan pour sa bravoure
dans la guerre dacique.
2. Julian. Caess., 22.
3. Annal. InsU Arch, 186?, p. 139.
4. Notre n* 87.
5. Je citerai les planches de Bartoli, Colonna Trajana nuovamente
disegnaia, etc. Roma, 1672, qui représentent ces bas-reliefs sur une
échelle assez grande; et la Colonne Trajane décrite par M' W. Froehmbr.
Bien que plusieurs détails de ce dernier ouvrage nous aient paru con-
testables, à M. Dierauer (pp. 79, 83, 86, 87, 90, 99) et à moi (Retme critique
1866, pp. 51 et suiv., 117 et suiv.), il est utile et commode à con-
sulter.
6. Sur la manière dont les Romains construisaient ces ponts, v. Arrien,
Anabas. V, 7, 2-4.
7. Bartoli, tavola4«; Proehner, n* 4.
8. Bartoli, t. 6, 7; Froehner, n* 5.
9. Aujourd'hui contre les Daces, et plus tard, sous Marc-Aurèle, contre
les Quades (Dion, LXXl, 18 LXXII, 2). Tacite les mentionne {Germ., 43).
Suivant Dion (LXVlll, 8) le message qu'ils envoyèrent à Trsyan était
— 44 —
immédiates, tant était grande la frayeur qu'inspirait Déoébale, et
tant était puissant son renom parmi tous ces barbares. Mais Tra-
jan ne pouvait ni ne voulait abandonner un projet conçu et préparé
depuis longtemps. Il fit au courage de ses soldats un nouvel
appels 6t l'expédition continua. Les Daces ne vinrent pas d'abord
à la rencontre de l'armée, soit par frayeur, soit que Décébale
voulût laisser les Romains s'engager plus avant dans le pays.
L'empereur, pour maintenir ses communications avec la Mésie,
et voulant d'ailleurs passer l'hiver en Dacie, fit construire plu-
sieurs camps fortifiés.
Cependant on surprit deux espions daces qui furent amenés
devant Trajan et interrogés par lui^, et peu de temps après cet
incident fut livrée la première bataille *, aux environs d'un village
que les Romains saccagèrent après leur victoire. Ce succès, qui
leur livrait le passage d'une rivière, avait été chèrement disputé.
L'infanterie, presqu'uniquement, avait été engagée de chaque
côté, et la lutte se prolongeait, lorsqu'un orage effrayant les bar-
bares décida enfin leur défaite. Cette circonstance est indiquée
sur la colonne Trajane par une figure de Jupiter lançant la
foudre*. Trajan récompensa la bravoure de ses troupes par im
donativum et elles le proclamèrent Imperator^.
écrit en caractères latins sur un champignon gigantesque ((iuxv); (i^ac
iïpodexotiC<r6Y], etc.). On a cru trouver la confirmation de ce fait étrange
sur un bas-relief de la colonne (Bartoli, t. 8; Froebner, n* 6) qui montre
un homme se laissant tomber d'un mulet en présence de Trajan. L*ani*
mal porte, attaché à la selle, un objet de forme ronde, percé de trous
comme un crible, que l'on a pris pour le ia^xtic (liYoc (Fabretti, de
eolumn, Trc^j., p. 17). M. Dierauer (p. 84) établit d*abord que l'objet en
question est plutôt un bouclier, ou un ornement de la selle particulier
aux barbares. De plus il soupçonne quelque erreur de transcription
dans le texte de Dion, et renvoie au Tkesaurus pour les divers sens du
mot (iiSxTK. Parmi eux, se trouve celui de garde d'épée, que M. de Gham-
pagny {Anionins, I, p. 285) a indiqué avec un signe de doute. Il me
semble qu'on peut être moins réservé, et affirmer que XiphUin a mal
copié et mal compris un passage où Dion racontait quelque stratagème
employé par les Bures et analogue &ce que nous trouvons dans Ammien
(XVllI, 6) : reversis exploratoribus nostris, in vaginae internis notarum
figuris membranam reperimus scriptam a Procopio, et dans FroDtin
{Stratag., III, 13, 5). Nonnulli [Gampani] interiora vaginarum inscripse-
runt.
1. Bartoli, tav. 8, Froehner, n* 7.
2. Bartoli, t. 13, Froehner, n* 11.
3. Bartoli, t. 17, Froehner, n* 15.
4. Bartoli, 1. 18, Froehner, n* 15.
5. Bartoli, t 20, Froehner, n' 18.
— 45 —
Quelle localité de la Dacie fut le théâtre de cette première
bataille ? Nous Tignorons complètement. On ne peut la chercher
entre Bersobis et Aiœis : la brève indication de Trajan ne laisse
supposer aucune interruption d^ns la marche de Tannée entre
ces deux points. On ne doit pas non plus, ce me semble, songer à
un point situé entre Âixis et Tibiscum, car il fallut, ainsi que
nous le verrons, livrer Tannée suivante im combat devant cette
dernière ville. C'est donc entre Lederata et Bersobis qu'aurait eu
lieu Taction. Le succès des fouilles qui ont fait retrouver tant de
champs de bataille de César sur le sol gaulois, permet de croire
que de semblables recherches, opérées en Transylvanie, amène-
raient pour Thistoire de Trajan des résultats aussi heureux et
aussi positifs.
Cette bataille seule eut quelque importance dans les opérations
militaires de Tan 101, car Trajan ne reçut dans le cours de cette
année qu'une seule salutation impériale. Sur des inscriptions
datées de sa VP puissance tribunitienne, il n'est encore que
IMP. II*.
Dècébale comprit vite à quel adversaire il avait à faire, et il
ouvrit des négociations. Mais Trajan n'était guère disposé à
traiter au lendemain d'un succès qui lui permettait de concevoir
les plus grandes espérances : d'ailleurs le roi dace agit avec ma-
ladresse. Au lieu d'envoyer près de Trajan les personnages les
plus considérables de la nation, ceux que Ton appelait iciXo^épouç
à cause de la tiare qu'ils portaient', il crut sufSsant de confier
son message à des hommes de la classe moyenne'. Trajan vit
une insulte dans le choix de ces négociateurs d'un rang peu
élevé, et refusa de les entendre : la guerre ne fut suspendue que
par la mauvaise saison.
A la fin de la campagne, l'empereur quitta l'armée.
Campagne de Fan 102. — Les bas-reliefs de la colonne
Trajane nous montrent l'empereur s'embarquant pour venir au
secours de ses troupes assiégées dans leur camp par les Daces.
Ceux-ci furent repoussés après une bataille sanglante, dans
laquelle une nombreuse cavalerie fut engagée de part et d'autre^.
Les Daces avaient reçu un secours important de leurs alliés les
t. N- 25 et 26.
2. Par un privilège attaché à leur rang, les irtXofépoi parlaient aii
prince la tête couverte.
3. Dion, LXVIII, 9. Cette première ambassade est figurée sur la colonne.
Bartoli, t. 20, Froebner, n* 18.
4. Bartoli, t. 27, 28, Froehner, n** 27, 28.
— 46 —
Sannates, qu'on reconnaît &cilement à leur armure décrite par
Tacite, et surtout à Tabsencede bouclier parmi leurs armes défen-
sives, particularité que cet auteur a signalée'.
Cette nouvelle victoire coûta cher aux Romains : sur la colonne
est figurée une ambulance où sont amenés beaucoup de soldats
blessés*. Dion rapporte qu'à une bataille livrée près de Tabae ou
Tapae, là même où, sous Domitien, Calpurnius Julianus avait
défait les Daces, les bandages vinrent à manquer pour le panse-
ment des blessés, et que Trajan déchira ses vêtements et les
abandonna pour cet usage ^. Bien que les sculptures ne nous
ofifrent pas cette scène, je suis porté à voir ici la bataille de
Tabae, d'abord à cause du grand nombre de blessés, figuré inten-
tionnellement sur la colonne, puis, parce que l'entrée des Romains
à Tibiscum et le passage de la Porte de Fer suivent cette bataille,
et semblent les fruits de la victoire. Or, Tabae, nous l'avons dit,
commandait l'une des entrées de la Dacie^.
Immédiatement après la bataille, nous voyons les Romains
travailler à la construction d'un camp^. C'est aussi près d'un
camp que le combat de l'année précédente avait été livré. Les
Daces, ne faisant qu'une guerre défensive, attendaient les Romains
dans des positions naturellement fortes, et une fois maîtres de
celles-ci, le premier soin du vainqueur devait être de les fortifier
encore pour assurer sa retraite ou conserver ses conquêtes. De là,
les mesures que prend Trajan pour rendre ces points tout à fait
inexpugnables : aussi pourra-t-il, dans la seconde guerre, porter
plus loin ses armes sans craindre un retour ofiensif des Daces
dans la partie du territoire dont ses campagnes précédentes
l'avaient mis en possession. Mais, en revanche, la guerre se fait
avec une extrême lenteur, et au bout de dix-huit mois on est
encore au pied des montagnes qui servent aux Daces de forteresses
et d'asiles.
Après la bataille de Tabae, les Romains s'avancèrent sur
1. Tacit. Bist, 1, 79. Ici ils n'ont pas pour armes ofPensives la longue lance
(contus) et Tépèe à deux mains, mais des flèches. Cf. Martial, VII, 2,
Pausan, 1. 21. 5. M' Froehner prend ces Sarmates pour desParthes, à tort
(Bevw critique, 1866, l, p. 54; Dierauer, p. 83).
2. Bartoli, t. 28, Froehner, n- 31.
3. Dion, LXVIII, 8, Suidas v AaioiâJ^ia,
4. M' Froehner croit que la bataille de Tabae est celle de Tannée pré-
cédente; aux raisons alléguées ici joignez cette remarque de M' Dierauer
que Tambassade des Daces chevelus précéda la bataille de Tabae (p. 88).
5. Bartoli, t. 29, Froehner, n* 29.
— 47 —
Tibiscum, non sans être inquiétés dans leur marches et entrèrent
dans cette ville, heureusement située au confluent de deux rivières,
et entourée de solides fortifications. Il y eut là une nouvelle dis-
tribution de récompenses aux troupes victorieuses, et Trajan fut
de nouveau proclamé imperator^ ; puis sans perdre un seul
instant, Tarmée se dirigea sur la capitale Sarmizegethusa, à
travers le défilé des Portes de Fer^. En se prolongeant, la lutte
prenait un caractère toujours plus terrible de férocité et d'énergie ;
les femmes surtout faisaient subir aux prisonniers d'horribles sup-
plices^. Cependant, à mesure qu'on s'avançait dans ce pays acci-
denté et sauvage, Trajan ralentissait la marche des légions,
redoublait ses précautions, multipliait les sacrifices et les céré-
monies qui, aux yeux de ses soldats, devaient lui assurer le
secours des Dieux». Un deuxième ambassadeur, un pilophore
cette fois, revint apporter des propositions de Décébale. Trajan
envoya Sura et Claudius Livianus au roi dace, qui recula au
moment de traiter^; pendant ce semblant de négociation, Lusius
Quietus, avec sa cavalerie maure, poussait des reconnaissances
finéquentes dans les forêts voisines de Sarmizegethusa ^ et battait
même plusieurs détachements ennemis surpris par la rapidité et
l'audace de ses mouvements^. Enfin le siège de Sarmizegethusa
commença ^, la ville tomba au pouvoir des Romains, et Décébale
se vit contraint de subir les conditions imposées par le vainqueur.
Il renonça au tribut que lui payaient les Romains, leur rendit
leurs machines de guerre, ainsi que les ouvriers et les transfuges
qu'il avait attirés dans son pays, et abandonna la partie de la
Dacie que Trajan venait de conquérir*^. Il fut déclaré allié du
peuple Romain^ c'est-à-dire qu'il ne pouvait plus faire aucune
guerre sans la permission du Sénat. Ces conditions, dictées par
Trajan, furent ratifiées par le Sénat qui reçut, à Rome, les
envoyés de Décébale, et ce fut seulement apr^ cette ratification
que la paix fut considérée conmie définitive ^.
1. Bartoli, t 31, Froehner, n- 33, 34.
2. Bartoli, t. 32, Froehner, n** 35, 36^ 37:
3. Bartoli, t. 35, Froehner, n* 42.
4. Bartoli, t 33, Froehner, n<* 38.
5. Bartoli, t. 36, 37, Froehner, n** 43, 44.
6. Dion, LXVm, 9.
7. Bartoli, t. 47, Froehner, n* 50.
8. Maorie. Tact, IX, 2.
9. Bartoli, n* 50, Froehner, n* 56.
10. Dion, L&VIII, 9. Pierre le Patrice, frag. 5 (Fr. Hist. Or. IV, p. 185).
11. Dion, LXVIII, 10.
— 48 —
La soumission de Décébale est le sujet d'un des plus beaux
bas-reliefs de la colonne Trajane^
A la suite de cette dernière et définitive victoire, Trajan avait
encore été proclamé imperator par ses soldats *. C'était la troi-
sième fois depuis le commencement de la guerre, et dès lors il
pouvait prendre sur les monuments le titre de IMP. IIII. Les
plus anciens monuments où figure ce titre sont des monnaies de
grand bronze frappées en 102^, et par conséquent la guerre fut
terminée en cette année.
En ne consultant que les médailles et les inscriptions, on
apprendrait que dans le cours de la première guerre dacique, Tra-
jan avait été salué trois fois imperator, et qu'il avait dû remporter
trois grandes victoires. Mais, d'autre part, la colonne ofire trois
fois la scène où il est acclamé par les soldats. Cette concordance
de résultats obtenus par des voies tout à fait indépendantes l'une
de l'autre donne une certaine valeur historique aux bas-relieEs de
la colonne Trajane, car elle prouve que l'artiste a conservé l'ordre
des faits et qu'il n'a représenté que des scènes réelles, sans
sacrifier l'exactitude à l'intérêt pittoresque *. De retour à Rome,
Trajan reçut du Sénat le surnom, très-mérité cette fois, de
Dacicus et le consulat pour l'an 856 = 103*. Le butin fait dans
cette guerre heureuse permit de distribuer au peuple un conr-
giarium.
§ 4. — Deuocième guerre.
Décébale ne considérait la paix qu'il avait jurée que comme
une trêve; il avait voulu, comme le dit Dion, respirer un mo-
ment ®. Au bout de deux ans, il recommença à faire des provisions
d'armes, à élever des forteresses, & accueillir des transfuges, à
nouer des relations ofiensives avec les peuples voisins. Pour la
deuxième fois, le Sénat le déclara ennemi du peuple Romain, et
Trajan se remit à la tête de ses troupes, bien décidé cette fois à
en finir avec le rusé barbare.
1. fiartoli, t. 54, 55, Froehner, n* 51.
2. Bartoli, t 57, Froehner, n* 63.
3. Ciohen, n" 352, 353.
4. J'avais émis cette opinion en 1866 {ReûUê criUque, l, p. 53) et j*ai le
plaisir de la voir approuvée par M. Dierauer^ p. 92.
5. C'était son cinquième. V. Mommsen, Etude, etc., p. 101.
6. OOx 6ti xal i(&|Aivecv oc&toTç ii&s>Xsv, iûX^ fv éx twv icapdvTMv àvanve^qp
(LXVIII, 9).
— 49 —
La dédaratioQ du Sénat eut lieu probablement dans Tannée
104 S mais il ne semble pas que les opérations actives aient
conmiencé avant Tannée 105. En effet Hadrien, qui prit part à
la guerre comme légat de la légion P Minervia, fut tribun du
peuple sous le consulat de Ti. Julius Candidus et de C. Ântius
Quadratus^, c'est-à-dire en 105. Il passa donc cette année, ou
la plus grande partie de cette année, à Rome.
L'intervalle qui sépare la déclaration de guerre de Tentrée en
campagne fut consacré à l'établissement du célèbre pont de pierre
de Trajan, sur le Danube. L'empereur avait résolu l'extermina-
tion complète des Daces et Tincorporation de leur pays à l'em-
pire. Ce pont devait mettre la nouvelle province en communi-
cation permanente et facile avec le reste du monde romain.
Âpollodore de Damas ^^ le plus célèbre architecte de l'époque, fut
chargé de ce grand ouvrage.
Les savants n'ont pas toujours été d'accord sur le point où
était situé le pont de Trajan, mais des recherches récentes, consi-
gnées et discutées dans un mémoire de M. Âschbach, doivent
lever tous les doutes *•
Marsigli '^, d' Anville «, Mannert ', Engel «, plaçaient le pont de
pierre à Turnu-Severinului.
Schwarz*, Schulzer*<>, Francke*^ supposent qu'il était beau-
coup plus à TEst, à Giéli, près l'embouchure du fleuve de Aluta.
La première guerre avait eu lieu dans le Banat, la seconde se
fit dans la Yalachie ; l'armée traversa donc le Danube à TEst des
premiers passages. Mais faut-il, à cause décela, reculer jusqu'à
Giéli la situation du pont de pierre? Les seules raisons qu'aient
apportées Francke et les autres auteurs à l'appui de leur opinion
sont :
1® L'existence d'une voie romaine traversant la petite Valachie
1. Henzen, Annal. Inst Arch. 1862, p. 139 et suiv.
2. Spart. Hadr. 4. — Une monnaie d'argent, au type de Mars Oradivus
et datée du cinquième consulat (Goben, n* 22) ftit frappée soit au
moment où Trajan quitta Rome, soit lors de la déclaration de guerre.
3. Procop. de Aedif. IV, 6.
4. Ueber Trajans stanenu Donaubrûckê^ 'Wien, 1858, in4*.
5. Danubius pannonico-mysicus, II, p. 26.
6. Mém. de VAcad. des InscripL, XXVIIi, p. 438.
7. Res Trajani, etc., p. 46.
8. Cenmentatio, etc., p. 205.
9. Paneg., éd. Norimb, 1746, în-4». Praefatio, p. UV.
10. Gesch. von Dacien, 1, p. 256.
11. P. 128 et d'après lui M. de Ghampagny, AnUrnim, J, pp. 288, 291.
DE LA BBR6B 4
— 5* —
du nord au sud, aboutLEHsant & Giëli, et encore appelée dans le
pays la ratUe de Trajan (Kalea TrcyantUui). On suppose
que le pont devait se trouver à l'extrémité de cette route.
2® Des débris d'anciennes constructions (pie Ton distingue, à
Oiéli, sous les eaux du fleuve, et (jui semblent les restes des piles
de pierre.
Mais en admettant (piela Kalea Trajanului ait été effective-
ment construite par les ordres de Trajan, rien ne prouve qu'il y
eût, à l'extrémité de cette voie, un pont faisant communiquer la
Mésie avec cette partie extrême et peu peuplée de la Dacie. Ce
pont, d'une extrême importance, devrait être marqué sur la
carte de Peutinger, qui ne présente en face d'Oescus aucune
indication de ce genre.
Quant aux constructions dont les débris sont baignés par le
Danube à Giéli, et que Schulzer et Francke ont pris pour les
restes du pont de Trajan, Mannert s'était efforcé] d'établir que
c'étaient les ruines d'un pont construit par Constantin. Mais
M. Ascbbach a démontré, dans le travail précité, que Constantin
répara le pont de Trajan, mais n'en fit pas élever un nouveau; et
d'ailleurs un examen attentif du Danube à Giéli a prouvé qu'il n'y
eut jamais là aucune construction romaine. Les sondages faiiis
dans le courant du fleuve par ordre de la Compagnie de navigation
du Danube n'ont révélé aucune trace de piles de pierres. Les blocs
de maçonnerie visibles près des' bords ne sont pas non plus des
débris de culées, mais bien des restes de forteresses construites
au moyen âge sur les rives du fleuve, et aujourd'hui entourées
par lui, grâce aux changements incessants de son lit^
Au contraire Drobetae^ auj. Tumu SeverintUui^, où
d'ailleurs une route indiquée sur la carte de Peutinger traver-
sait le fleuve, remplit parfaitement les conditions auxquelles
l'emplacement cherché doit satisfaire. Suivant Dion 'confirmé par
Tzetzès^ le pont se composait de 20 piles distantes de 170 pieds
d'axe en axe. La largeur du fleuve était donc de 170 X 21
=: 3570 pieds '^. Il s'agit ici de pieds grecs, Dion ayant
1. Âschbaeh, p. 7.
2. Corp. Jnse. LaU III, n« 1581 et p. 1018.
3. LXVIU, 13.
4. CMiad. II, 67.
5. 3,570 pieds romains, de 0" 296, ne donneraient que 1,056" 72. 11 ne
peut donc être question que de pieds grecs, comme a bien voulu me
récrire M. Âschbaeh, consulté par moi sur cette difficulté. H. de Gham-
pagny, Antonim, I, p. 305, dit formellement qu'il s'agit ici de pieds
— 54 —
ânpranté ses chifEres au livre dans lequel Âpollodore lui-même
avait consigné Thistoire de ce grand ouvrage, construit sur ses
plans et sous sa direction. Le pied grec valant O^'jSOQ, la lar-
geur du fleuve, au pont de pierre, était de 1103"*,130.
A Giéli, le Danube est incomparablement plus large. A Tumu
Severinului, au contraire, la distance des bords a été mesurée en
1858 par les ingénieurs autrichiens, et trouvée égale à 3576 pieds
viennois*. Le pied viennois étant égal à 0^,316, la largeur du
Danube à Tumu est donc de 1127"*,016.
La concordance presqu'absolue des deux chifires ne permet
aucun doute.
D'ailleurs, ce qui tranche la question, en 1858, un extraordi-
naire abaissement du fleuve permit de distinguer Tîle artificielle
dont parlent Procope et Tzetzès*, et qui fut le résultat des travaux
nécessités par l'établissement du pont. On aperçut aussi les
restes de 16 piles. A la base de l'une d'elles, on trouva des
tuiles portant les inscriptions : COHIIHISP, ..HIGRE, c'est-à-
dire, cohors 11^ Hispanorum, [co]hors /« Civium Romon
nor*um equitata^; ces corps auxiliaires étant en Pannonie à
l'avènement de Trajan ; les inscriptions qui nous livrent leurs
noms indiquent à la fois, et la part qu'ils prirent à la construc-
tion du pont, et remplacement de celui-ci.
Revenons aux faits de la guerre. Comme nous Tavons établi
ci-dessus, les légions qui j prirent part sont au nombre de trois
(/« Minervia, F« Macedonica, XIH^ Gemina), L'armée
était donc composée comme dans la première expédition. L. Lici-
niuB Sura fut encore le commandant général de l'état-major ^,
G. Manlius Félix celui des ouvriers militaires *^.
Nous sommes complètement dépouvus de renseignements géo-
graphiques sur la deuxième guerre, sauf une inscription qui nous
apprend que la légion I^ Minervia opéra dans le bassin de
l'Aluta*.
Décébale commença par inquiéter les Jazyges qui s'étaient
montrés des alliés fidèles de Rome, et il réussit à les déposséder
d'une partie de leur territoire ''. Jusqu'ici nous l'avons toujours
romains, mais alors le cbififre donné par Dion ne serait plus d'accord
avec la largeur effective du Danube.
1. Ascbbacb, p. 17.
%. De Aedif. IV, 6. ChiL II, 67 et suiv.
3. Ascbbacb, p. 19,
4. Borghesi, (Buvres, V, 33.
5. Notre n* 87. — 6. Notre n* 94. - 7. Dion, LXVIII, 10.
— 52 —
VU, digne adversaire de Domitien et de Trajan, les combattre
avec autant de loyauté que de bravoure. Mais les désastres qu'il
avait éprouvés dans la guerre précédente ne lui laissant plus
l'espoir de vaincre à force ouverte le capitaine éminent qui
l'attaquait pour la deuxième fois, le chef barbare, démentant le
noble caractère qu'il avait manifesté, eut recours à la trahison
et à l'assassinat. Deux transfuges romains promirent de le débar-
rasser de Trajan, alors en Mésie. Ils comptaient aborder facile-
ment l'empereur qui accueillait avec une bonté bien connue et
une absence complète de cérémonial et de précautions ceux qui
voulaient lui parler ; mais le projet manqua : un des traîtres,
soupçonné, fut mis à la torture et dénonça son complice ^
Grâce à une autre perfidie, Décébale s'empara de la personne
de Cassius Longinus, préfet du camp. Ni les caresses ni les
menaces ne réussirent à faire parler Cassius, et à lui faire livrer
le plan de campagne que Trajan avait discuté en conseil de
guerre. Alors, par un raffinement de cruauté et de politique, le
roi barbare fit savoir à l'empereur qu'il était maître de Cassius,
et disposé à le faire périr, ou à le rendre à ses compatriotes en
échange d'une paix avantageuse. Trajan hésitait entre la pour-
suite de la guerre et la mort assurée d'un de ses meilleurs offi-
ciers, quand il apprit que Cassius avait mis fin à ses jours pour
dégager l'empereur de la responsabilité qui pesait sur lui *. Un
trait si héroïque enflamma les soldats, déjà irrités des menées
perfides de Décébale. Mais Trajan, toujours maître de lui-même,
conduisit la guerre avec une prudente lenteur^. Il délivra les
légionnaires postés dans les camps construits pendant la pre-
mière guerre, et investis par une armée dace ^, puis il marcha
sur la nouvelle capitale que Décébale avait choisie^, et il livra
sous les murs de la ville une bataille acharnée qui lui donna
encore une fois la victoire ®. Décébale fit mettre le feu à cette ville
t. Ibid., 11.
2. Ibid., 12.
3. Ibid., 14 : di' ào^oXeCoc (uc)J^it dià 9icov8fi; Tàv it6Xe|MV icoio<S|Uvoc.
4. Bartoli, t 71, 72, Froehner, n* 76.
5. On ignore la position de cette ville : peut-ôtre faut-il la chercher
vers Oredista, près du Vulkan Pass, & la source de Schyui, là où se
voient les débris d*une forteresse construite avec des blocs de pierre
bruts, assemblés sans ciment On y a trouvé, en grand nombre, des
monnaies d'or appelées pseudo lysimaçties. V. IVeigebaur, Dacien, etc.,
p. 97, et la carte Jointe à Touvrage, et Henzen, BuUet. de VInfL Areh.,
1S48, p. 33.
6. Bartoli, t. 89, Froehner, n* 94.
— 53 —
plutôt que de la livrer aux Romains, et il convoqua les princi-
paux chefs daces à un conseil où les résolutions à prendre furent
discutées. La plupart des assistants crurent impossible de pro-
longer la résistance ; mais personne ne voulant tomber vivant
aux mains du vainqueur, les chefs se réunirent dans un dernier
banquet et se passèrent, & la ronde, une coupe remplie d'un
breuvage empoisonnée Le peuple ne voulait plus de la guerre,
et beaucoup vinrent se soumettre à Trajan^. Décébale était
résolu à combattre encore : suivi de quelques braves, il s'enfonça
dans les parties les plus reculées du pays. Les Romains s'atta-
chèrent à ses pas : il les provoqua, et vaincu comme il s'y atten-
dait, il se perça de son épée^. Sa tête, coupée par un soldat, fut
apportée à Trajan ^ et envoyée à Rome ^. Sa mort ne mit pas fin à
la résistance désespérée de ses compagnons, qui luttèrent encore
contre leurs vainqueurs ®, et ceux-ci n'en vinrent à bout qu'en
mettant le feu au village où cette poignée d'hommes héroïques
s'était réfugiée ''.
Après la grande bataille dont nous avons parlé, Trajan avait
été ]}Toclsjnè imperator par ses soldats®. Dans un- diplôme mili-
taire daté du 13 mai 105, il ne porte encore que la quatrième
salutation*. La dernière victoire remportée sur les Daces est donc
postérieure à cette date. Mais on n'en peut fixer l'époque avec
certitude, non plus que celle où la guerre fut complètement ter-
minée. Par une fâcheuse et singulière coïncidence, un passage
de Spartien, qui pourrait nous éclairer à ce sujet, est entaché
d'erreur*^, et une inscription où Trajan est dit imp. V présente
1. Bartoli, t. 92, 93, Froehner, n* 97, 98.
2. fiartoli, t. 95, Froehner, n* 100.
3. Bartoli, t 108, Froehner, n* 116.
4. Bartoli, t. 109, Froehner, n* 118.
5. Dion, LXVIII, 14. Dans ce môme chapitre, Tauteur raconte que
Décébale avait caché ses trésors dans le fleuve Sargetia (Schyul?) et
qu'un ûace, nommé Bicilis, révéla à Trajan le lieu où étaient enfouies
ces richesses. M. Dierauer (p. 102) conteste ce récit à cause des ressem-
blances, dans le détail, avec ce qu'on raconte des trésors ensevelis à la
mort des rois goths. Il est certain pourtant qu'une partie des richesses
de Décébale tomba entre les mains de Trajan (V. plus loin guerre des
Parthes, et sur la colonne Bartoli, 1. 103, Froehner, n« 112).
6. Bartoli, 1. 111, Froehner, n» 121.
7. Bartoli, t 112, Froehner, n* 123.
8. Bartoli, t. 97, Froehner, m 102.
9. Notre n* 43.
40. Hadr,, c. 3. f Praetorfactus est sub Surano bis Serviano Iterum con-
sulibus. > Ce consulat est celui de Tan 102. Les consuls de Tan 107, que
— 54 —
une faute dans le chiffre de la puissance tribunitienne ^ On admet
généralement aujourd'hui que Trajan prit la cinquième saluta-
tion impériale pour la guerre heureuse de Cornélius Palma en
Arabie, et la sixième pour le succès de la deuxième guerre
dacique, et que celle-ci fût terminée dans le courant de l'année
106*. Espérons que des monuments nouveaux nous permettront
bientôt d'être plus précis.
Trajan, rentré à Rome, célébra ses victoires par des fêtes
splendides, distribua au peuple le congiariumy et recula le
pomaerium^ conune il en avait le droit puisqu'il avait augmônté
le territoire de l'empire •.
Nous n'avons pu raconter qu'à grands traits ces guerres
daciques, dont l'histoire complète méritait d'être conservée. Telle
qu'on l'entrevoit à travers les lacunes et les obscurités du texte
de Xiphilin^, elle nous apparaît avec un caractère marqué d'in-
térêt et de grandeur. Du côté des Daces, un désespoir héroïque
qui multiplie les obstacles devant l'ennemi, et défend pied à pied
chaque bourgade, chaque fleuve, chaque forêt, n ne faut pas
moins pour le vaincre qu'un art militaire porté par huit siècles
de méditations et d'exercice à la perfection. Par l'activité qu'il
déploie, la variété des ressources qu'il met en œuvre, l'opiniâtre
résistance qu'il oppose, l'effroi qu'il inspire, Décébale se place à
côté des grands ennemis de Rome, des Mithridate, des Hannibal.
Du côté des Romains, nous trouvons un courage plus patient et
plus calme, commun au chef et aux derniers soldats. Après des
Tau teur voulait sans doute nommer ici, sont Sura III, et Senecio II. M. Hen-
zen {Annal, Inst, Àrch,, 1862, p. 154) pense que la prèture d'Hadnen est
de Tan 106.
1. L'inscription du pont d*Alcantara. C'est notre n* 41.
2. G*est Topinion de M. Henzen, qui suppose qu'Hadrien, préteur cette
année-là, put revenir à Rome donner, à Tissue de sa charge, les jeux
qu'il devait au peuple et en vue desquels Trsgan lui fit un présent de
deux millions de sesterces (Spart, 1. 1.). M. Dierauer (p. 105) admet aussi
que la guerre fut terminée en 106.
3. Vopisc Aurdian, 21. Dans l'intervalle des deux guerres, Décébale
avait fait quelques conquêtes sur les lazyges. Ceux-ci se recomman-
dèrent à Trajan, mais la partie de leur pays prise par les Daces ne leur
fut pas rendue.
4. Je ne sais à quel moment des guerres daciques placer la captivité
d'un personnage consulaire, à laquelle Fronton fait allusion, de bello
Parthico, p. 217, éd. Naber. Niebuhr a pensé qu'il s'agit de Gassius
Longinus, mais cet officier n'était que praefecttu castromm ((rrpaToicfdou
'P(É>|Aaîx(ri> l&fiYo<3(ievov) , il n'avait donc pas été consul. On ignore aussi dans
quelles circonstances le chef dace Susagus pénétra en Mésie (Plin.
Ep., ad Traj., 74).
— 55 —
combats meurtriers livrés au milieu d'une saison rigoureuses
l'infatigable activité du légionnaire jette des ponts sur les fleuves,
ouvre d'épaisses forets, bâtit des camps et des viUes. On admire
chez les officiers l'inteUigence vive et hardie de Lusius Quietus^ le
dévouement simple et sublime de Cassius Longinus. Enfin Trajan,
constamment à la tête des troupes, veille à leurs moindres besoins,
les encourage, prend sa part du péril, et par sa vigilance, sa
prudence, sa bravoure, se montre digne de commander cette
vaillante armée.
§ 4. — Organisation de la province de Dacie.
Voyons maintenant comment Trajan affermit sa conquête et
introduisit la civilisation romaine dans ces régions encore bar^
bares.
n incorporait à l'empire une province dont Eutrope* évalue le
circuit à un million de pas romains (1,481 kilomètres). Ce chiffire
a été contesté par les géographes ^ ; et, en effet, il est visiblement
inférieur à la réalité si l'on veut comprendre dans la Dacie
romaine tout le pays situé entre la Theiss, les Carpathes, le
Pruth et le Danube^ : le cours seul de la Theiss a plus de
1,400 kilomètres de longueur. Mais c'est, selon moi, interpréter
inexactement le texte de Ptolémée. Cet auteur ne veut pas indi-
quer les limites de la province romaine, mais celles du pays
habité par les Daces, ce qui est bien différent. Quand il décrit la
Bretagne ou la Germanie, il donne également leurs frontières
géographiques, et non les limites de la domination romaine dans
ces parties de l'Europe. On ne peut donc invoquer le témoignage
de Ptolémée contre celui d'Eutrope, et j'ai peine, je l'avoue, à
rejeter le chiffire que cet abréviateur emprunta assurément à une
1. Plutarcb. deprim frig. 12.
2. vni, 2. f fia provinda decies centena millia passuum in circuitu
tenuit. »
3. O'ÂnviUe, Acad. des Inaerip., XXVllI. 462. Mannert, Geogr. der Gr, w%d
Bœm,, IV, p. 189. Forbiger, III, 1102.
4. D'Anville, 1. 1.^ p. 445. t On peut dire .... que ce qui est actueUe-
f ment connu sous le nom de Valakie et de Moldavie était joint à la
f Transylvanie dans la province de Dacie. » Cette opinion semble d^abord
confirmée par ce fait que la langue roumaine se parle et 8*entend dans
le Banat, la Transylvanie, la Bukov^iae et les principautés. Mais cette
môme langue est également usitée dans la Bessarabie, en Macédoine^
en Thrace et dans quelques cantons de la Tbessaiie, pays qui ne fai-
saient point partie des états de Oécébale;
— 56 —
source officielle S qui se retrouve dans tous les manuscrits, et qui
est confirmé par Sextus Rufiis'.
Maintenant je remarcjue que les villes de la province marquées
sur la carte de Peutinger sont toutes comprises dans le Banat ^,
la Transylvanie et la Petite Valachie (à l'ouest de TAluta). Les
routes tracées sur la carte ne franchissent pas ces limita ^, en
dehors desquelles on ne trouve non plus ni monuments romains,
ni inscriptions ^. N'estil pas permis d'en conclure que les seules
provinces de Transylvanie et de Petite Valachie, avec une moitié
environ du Banat (entre la Ternes et le Danube) constituent le
pays colonisé par Trajan et soumis à l'administration romaine?
Vers l'époque d'Antonin le Pieux*, la province fut partagée
en trois districts : Dada Apulensis, Dada MalvensiSy Dada
Porolissensis ''. Ces adjectîfis sont formés des noms daciques de
trois villes, latinisés quant à la désinence. On ignore où se trouvait
MalfXiy mais de nombreuses inscriptions ont prouvé qix'Apulum
1. Trajan avait emmené dans son expédition des ingénieurs et des
arpenteurs (Àgrémetuorei, éd. Lachman, l, p. 92).
2. De VictorUs, cap. 7.
3. Dans la partie située à Test du Ternes.
4. D'Anville est obligé de le reconnaître, 1. 1., p. 458. c !9ous serions
f instruits d'un plus grand nombre de noms de lieux, et ces lieux nous
c conduiraient plus avant, si dans la table Tbéodosienne les voies mili-
f taires qui s'étendaientjusqu'aux extrémités de la Dacie romaine étaient
c décrites. » Mais cette absence d'indications prouve justement que les
extrémités de la province sont marquées par les points où les routes
s'arrêtent.
5. On s'en convainc immédiatement en jetant un coup d'œil sur la
carte annexée à l'ouvrage de Neigebaur intitulé Dacien oui den Ueberreg-
ten de* Klatslsehen MiertKums. Toutes les inscriptions conservées à
Bukarest, au musée public ou chez des particuliers, ont été apportées
de la Petite Valachie ou de la Bulgarie. Une inscription publiée par
Gruter> 259, 8, parle bien de DaeH lasU, mais elle est fausse ou mal
copiée (V. une note dans Borghesi, 1. 111, p. 48t). A lassy, il est vrai, on
conserve un monument dédié à Trajan et trouvé, dit-on, à Gergina prés
de l'embouchure du Sereth (notre n* 71); si la provenance est exacte-
ment indiquée, ce monument viendrait à l'appui de ma thèse, car la
dédicace .est faite par P. Galpumius Macer Gauiius RufUs^ légat de Méiie
pendant que Pline administrait la Bitbynie {AdTrqf., 41, 61, 77), ce qui
prouverait que le Bas-Banube était, aussi bien que la ville de Tyras sur
le Dniester (Henzen, n. 6429), placé dans le gouvernement de Mésie, et
non dans celui de Dacle, et par conséquent que la Moldavie ne faisait
pas partie de l'ancienne Dacie romaine.
6. Borghesi, t. vni, p. 481 et suiv.
7. Pour ce dernier nom, voy. dans les Œuvres de Borghesi, t. VIII,
p. 482, la note 2 de M. Renier.
— 57 —
répond à Karlsburg en Transylvanie, et Porolissumy dernière
station de la voie romaine qui traverse tout le pays, se trouvait
dans les environs de Dees *. La Transylvanie formait donc à elle
seule deux districts de la province. Et l'on voudrait que Malva,
située sans doute à l'est des Carpàthes, fût la capitale d'un district
égal à toute la Roumanie actuelle, et hors de toute proportion
avec les deux autres I N'est-il pas plus naturel d'admettre que la
Dada Malvensis ne répond qu'à la Petite Valachie, et que
Trajan n'avait nullement songé à prendre possession des plaines
inmienses, et si difEiciles à défendre contre une invasion venant
du nord-est, que les Roumains occupent aujourd'hui?
Si nous adoptons cette manière de voir, le chiffire donné par
Eutrope n'a plus rien d'extraordinaire, et se vérifie même
presque exactement.
Millee romaini.
De Viminacium à Oescus, vis-à-vis l'embouchure
de l'Aluta, on compte le long du Danube* . . . 243
Le cours de l'Âluta est de 38 milles géogr. alle-
mands*, soit 190
De la source de l'Aluta à Dees (Porolissum) on
trouve, en ligne droite, 24 milles géographiques ^ ou 120
De Porolissum à Viminacium on comptait ^ . . 285
Nous trouvons ainsi, pour le contour de notre
quadrilatère 838
n est évident que le périmètre réel de la frontière, envelop-
pant ce contour tant à l'ouest que le long des Carpathes au nord,
était un peu plus grand et que nous pouvons sans invraisem-
blance lui assigner le chiffre 1,000 milles, donné par les anciens
textes.
La superficie de la province ainsi délimitée était de
106,077 kilomètres carrés, soit un cinquième de la surface de la
France*. ...
1. Reichardt place Porolissum à Nagy-Banya au nord des Carpathes,
mais cette attribution n'est pas compatible avec les distances marquées
sur la carte de Peutinger. Âckner établit qu'il faut chercher cette loca-
lité à Vêts ou à Mikhasa, près de Dees.
2. Ilin. Anton., éd. WêssI, 218, 221.
3. Daniel, ffandbuch der Géographie, IV. Taf., p. 14.
4. Atlas de Stieler, carte 35 h.
5. Tab, PeuHng, Segm. VI.
6. Le Temes divise le Banat par moitié environ, ce qui donne pour la
partie orientale 544/2 272 milles carrés.
Superficie de la Transylvanie 997 —
— 58 —
La TransjlTanie est un des pays les plus favorisés de l'Europe
pour la variété et rabondance de ses richesses naturelles. Le
climat est firoid mais sain, le sol fertile et bien arrosé. L'Âluta, le
Maros, le Szamos, naissant presqu'au même point des Carpathes,
se séparent aussitôt en ouvrant au sud, à l'ouest et au nord de
spacieuses vallées. La Petite Yalachie n'ofire pas à la culture
des conditions moins favorables, mais au moment de la conquête,
ces vastes régions étaient sans doute couv^iies de bois et pendant
longtemps la tâche du colon, semblable à celle des pionniers
américains, dut consister à ouvrir les masses compactes des
forets, à approprier le sol tant à la culture qu'à l'élève des bes-
tiaux. Il est à regretter que les anciens ne nous aient laissé
aucun tableau de l'aspect physique de cette contrée, dont ils ne
parlent qu'avec une sorte d'horreur ^ Les inscriptions et les
monuments nous donnent au moins une idée de ce qu'était la vie
des colons.
Le pays avait été presque complètement dépeuplé par la guerre,
et ce qui restait de la population Dace dut s'expatrier. Un bas-
relief de la colonne Trajane représente cette émigration *. Les
bannis s'établirent & Test de la province, qu'ils inquiétèrent plus
d'une fois', et ils furent sans doute d'utiles auxiliaires pour les
Goths quand ces derniers enlevèrent la Dacie à Âurélien.
Quelques-uns consentirent à prendre du service dans les armées
romaines, et Trajan en forma des corps auxiliaires d'infanterie
et de cavalerie ; mais ces corps furent toujours cantonnés loin du
Danube ^.
Dion^ et Âurélius Victor* disent simplement que Trajan
de la Petite Valachie 410
des trois régiments du Banat dans les
confins (Karansebes, Panesora, V\^eiB8
Kirclien) 182
Daniel, Handbuch der Geog. 11, 593, 601, 602 . . . 1861 milles carrés.
& 57 kilom. carrés Tun.
1. Dans les livres aujourd'hui perdus de ses Histoires, Tacite, le plus
grand peMre de ranUquUé, avait dû représenter vivement cet aspect
du pays.
2. Bartoli, tav. 113, 114, Froehner, 124.
3. Les Daci sont plus d'une fois mentionnés après Trigan, par exemple
sous Ântonin le Pieux (Jul. Gapitolin, 5), sous Commode (Lamprid., 13).
4. Àla h Ulpia Dacarum, Henzen , 6049 ; Cohars h Adia Dacorum,
ibid., 5889, 6688.
5. LXVIII, 14.
6. Caess, 13.
— 59 —
colonisa la Dacie devenue déserte. Ëutrope nons apprend de plus
que les colons avaient été appelés de tous les points de l'empire *;
et les monuments de la Transylvanie confirment d'une manière
remarquable cette assertion d'Eutrope*. Ainsi, dans les inscrip-
tions votives, on ne trouve le nom d'aucune divinité dacique', ce
qui prouve que la population indigène avait disparu. Mais on y
lit les noms d'Isis *, de Bonus Puer Phosphorus (l'Horus enfant
égyptien^), delà Nehalennia gauloise^, de la Dea Caelestis de
Carthage'', de Cautes*, du dieu Azizus de Phrygie^, de Jupiter
Dolichenus^^, du même Dieu enfin avec les ethniques Tamanu;s,
Heliopolitanus^ PrusentÂSy Commagenorum^. Ces person-
nalités m3rthologiques nous reportent à l'Orient, d'où le plus
grand nombre des colons paraît avoir été tiré**. L'idiome, si direc-
tement formé du latin, que parlent aujourd'hui les Roumains a
plusieurs fois suggéré la pensée que l'Italie avait fourni à la
nouveUe province ses premiers habitants. Les inscriptions nous
conduisent, comme on le voit, à écarter cette opinion, qui est
d'ailleurs en opposition directe avec ce que nous connaissons des
vues de Trajan sur l'Italie **.
Le plus ancien monument que l'on possède de la Dacie Trajane
est un diplôme militaire de l'an 110", où est nommé le légat
propréteur de la province D. Terentius Scaurianus, On a
trouvé à Sarmizegethusa une inscription relative à ce person-
nage ; il y est dit fondateur de la colonie romaine établie dans la
résidence des anciens rois daces ^. Cette ville fat appelée la
1. £utrop. VIII^ 6. f Trsganus, victa Dacia, ex toto orbe Romano infinitas
copias hominum transtulerat ad agros et urbes ûolendas ; Dacia enim
diutumo beUo Oecebali viris f uerat exhausta. »
2. Henzen, ButteU Inst. Arek. 1848, pp. 156 et suiv.
3. Sauf peut^tre Jupiter CemenHu (Ackner, n* 623) qui représente
soit la divinité locale de Diema ou Gzerna, soit le dieu slave Gzer-
nobog.
4. Ackner, passim.
5. Ackner, n*' 376 à 382.
6. Ibid., 770.
7. Ibid., 409.
8. Ibid., 442.
9. Ibid., 637, 665.
10. Ibid., 556, 829.
11. Ibid., 726 à 728, 223, 224, 555.
12. V. Ackner, 268 : CoUegiwm Galaiarum.
13. li ne voulait pas coloniser les provinces aux dépens de l'Italie.
V. le chapitre viii.
14. flenzen, 5443. G*est notre n' 59.
15. Notre n* 99.
— 60 —
métropole de la provinces mais en réalité le centre politique de
celle-ci fat déplacé et porté à AptUum (Karlsbourg) bien plus
heureusement situé. Là fut la résidence du légat, le quartier
général de la légion XIII^ Gemina : c'est le point qui fournit les
inscriptions les plus intéressantes et les plus nombreuses.
Une médaille frappée après l'an 112, puisque Trajan y porte
le titre de COS-VI, et avant la fin de l'an 113, puisqu'il n'y
porte pas le surnom d'Optimus • , offre au revers la légende
DACIA AVGVST(i) PROVINCIA et représente la Dacie assise
sur un rocher, et tenant une enseigne militaire. Devant elle sont
deux enfants portant l'un des épis, l'autre une grappe de raisin K
EUe fut sans doute frappée lorsque l'organisation du territoire
conquis fiit complètement terminée et ce travail, comme on le
voit, exigea plusieurs années.
L'histoire de cette province n'a pas encore été faite avec le
soin désirable et le développement que comportent les éléments
dont on peut déjà disposer. Les limites de notre sujet nous
obligent à ne donner ici que des indications très-générales. En
ce qui concerne les mesures militaires prises pour la défense du
pays, la légion XIII<^ Gemina, qui est citée à des époques plus
récentes^ comme cantonnée en Dacie, paraît y avoir été installée
dès le moment de la conquête. Avec elle dix cohortes auxiliaires
d'in£anterie et deux ailes de cavalerie formaient, dès l'an 110^,
là garnison de la province. Mais avec le temps, et à mesure que
la frontière du Danube sembla plus menacée, ces forces furent
augmentées ®. On a reconnu en Dacie un grand nombre de camps
romains échelonnés le long de la frontière. Âckner en a compté
jusqu'à 23''. Tous ne sont pas la création de Trajan; mais on ne
peut douter qu'ils n'aient été établis d'après les plans et les vues
1. Henzen,e932.
% 11 ne reçûtes surnom qu'à la fin de Pan US au plus tôt, puisqu'il
ne le porte point sur Tinscription de la colonne Trajane (Orelli, 29). 11 Ta
sur les monuments de l'an 114.
3. Cohen, n* 332. Cette grappe fait allusion aux vins de Transylvanie.
Ainsi la vigne était déjà cultivée dans ce pays au moment où Rome en
fit la conquête. Du reste Strai)on nous l'apprend en racontant la réforme
entreprise par Boerebistas.
4. Dion, LV, 23.
5. Henzen, 5443, notre n* 59.
6. La légion F« Maeedonica 'fut amenée en Dacie sous Septime Sévère
(Mommsen dans Borghesi, IV, p. 260).
7. Dans la Transylvanie seulement (Jahrbueh der central Commission
zur Erforschwng der Baudenkmale, I, p. 65, 100).
— 64 —
a
des ingénieurs qui avaient, par son ordre, pris part aux expédi-
tions qu'il dirigea.
Pour connaître l'organisation civile de la Dacie romaine, il
£aut recourir, presque exclusivement, aux inscriptions dont le sol
de cette contrée a fourni une si riche moisson ^. En outre, un
texte précieux du Digeste * nous apprend qu'en vue d'attirer les
colons et d'encourager leurs premiers efforts, Trajan accorda aux
villes principales Dierna, Sarmizegethusa, Napoca, Âpulum^ et
aux territoires qui en dépendaient, le jus italicum, c'esUà-dire
l'exemption pour les habitants de toute taxe personnelle et pour
les propriétés de toute imposition foncière.
Allégée de ces charges, ailleurs si lourdes, l'agriculture prit
nécessairement une heureuse extension. L'industrie se développa
aussi dans une certaine mesure, car les Romains avaient
reconnu et surent exploiter les ressources métallurgiques qui
constituent l'une des principales richesses de la Transylvanie.
Les monuments épigraphiques ont conservé le souvenir d'un
collegium aurariorum à Zalathna^, d'un collegium salario-
rttmàThorda^
Les salines de cette ville et celles de Maros Uj var *, les gîtes
aurifères de Verestapak ' ont gardé les traces de leurs galeries et
de leurs établissements. Les ouvriers en bois avaient également
formé des associations dans les principales villes^. Enfin les
rivières qui sillonnent la Transylvanie ofiBraient d'excellentes
voies de transport pour les marchandises encombrantes, telles
que bois et métaux, que ce pays fournissait au reste de l'empire ;
et des compagnies de bateliers et de flotteurs s'étaient formées
pour ce service®.
Âpulum était le centre du réseau de routes tracées sur le sol de
1. V. Reigebaur, ouvrage cité, et Ackner et MûUer, Die rœmUchen Im-
ekriften in Daden.
2. L. 15 (de eensibus), 1. 1. gg 8et9. Ulpien y dit expressément que la
colonie de Dierna fut fondée par Trsgan.
S. Â ces TiUes, Septime Sevére igouta Patavissa qui reçut le rang de
colonie et le jus italicuniy 1. 1. g 9.
4. Ackner et Millier, n* 545. Ces mines furent exploitées presque
immédiatement après la conquête, car on connaît un afifranchi de Tra-
jan procurateur des aurariae, Ackner et Mûller, 577.
5. Ibid., 658.
6. De Gérando, La TransylvaniB et ses habitants^ I, p. 169, 178.
7. Jbid., p. 317. On reconnaît les exploitations établies comme les décrit
Pline, BisL NaU XXXlll, 1U
8. Ackner, 524, 525. Henzen, 7203.
9. Ibid., 54, 523, 793.
— 62 —
la Dacie. Trois voies principales rayonnaient de oe point sur
Porolissum, sur Tibiscum (par Sarmizegethusa), et sur Âegeta^
De Tibiscum deux yoies gagnaient le Danube et, par des ponts de
bateaux établis à leurs issues, reliaient la Dacie à la Mésie. La
route d'Apulum à Âegeta traversait les Carpathes au passage de
la Tour Rouge, puis par la vallée de TAluta venait aboutir au
pont de pierre^. Par ces artères habilement distribuées, la vie et
la richesse circulaient dans toutes les parties de la Dade. Aussi
jouitr-eUe, pendant la courte durée de sa vie romaine, d'une pros-
périté remarquable dont les traces matérielles sont partout écrites
sur son sol. Peu de pays ont livré aux investigateurs autant de
débris antiques, et ce qui les caractérise c'est moins la grandeur
des édifices publics que le luxe des habitations particulières.
Des sculptures, des mosaïques, des bijoux qui, il est vrai, ne
portent généralement pas l'empreinte d'un art très-puissant ni
très-délicat, témoignent pourtant d'une aisance partout répandue
et d'un bien-être commun à toutes les classes de la population.
§ 5. — Les Romains sur le Danube.
J'ai essayé de montrer les résultats immédiats de cette guerre
heureuse. Si on la considère d'un point de vue plus élevé, elle
apparaîtra comme l'exécution partielle d'un vaste plan conçu
par Trajan et embrassant tous les établissements romains du
Danube, et elle nous aidera à mesurer la portée de ce plan, dont
on possède des vestiges suffisamment significatif. La fondation
ou l'agrandissement, par Trajan, de villes importantes telles que
Poetovione (Pettau) en Pannonie S Ratiaria^, Serdica ^
Oescus®, Nicopolis ad Istrum ', Marcianopolis* en Mésie» Pau-
1. TaHe de PetUinger.
2. Après qu'Hadrien eut fait détruire le tablier du pont de pierre
(Dion, LXVIU, 13) il dut prescrire la construction d'un pont de bateaux & cet
endroit, le long des piles devenues inutiles (Aschbach, p. 22). Bn effet
on ne comprendrait pas, si tout moyen de passage était supprimé, pour-
quoi la carte de Peutinger indique un passage à Âegeta. — La route
romaine appelée Kaka Trajanului venait aboutir sur le Danube en face
d'Oescus, colonie de Trigan en Mésie. Les communications de Tune à
Fautre rive devaient être fréquentes.
3. Or. Henzen, 52S0. ^ 4. Ibid.
5. EckheL Doci. Num. Vet,, II, p. 46, Fabretti, /iMcr. Dom., 340,513.
6. Or. Henzen, 5280.
7. c Nicopolis quam indicium victoriae contra Dacos Trajanus eondidll
imperator. » Ammîan, XXXI, 5.
8. c Marcianopolis,a sorore !h^ani principisita cognominata.» Ammian,
— 68 —
taHaS Ânchiale', Nicopolis adMe$tum\ Beroe^ en Thraoe, se
relient étroitement à la conquête du pays de Déoébale. Avec ces
mesures coïncide une organisation plus forte des provinces orien-
tales de l'Europe; la Pannonie, sous le règne de Trajan, fut en
effet divisée en deux provinces dont chacune eut son légat pro-
préteur ^ ; la Thrace, jusqu'alors province procuratorienne et
dépendante de la Mésie, reçut dans le même temps une existence
propre et un gouverneur particulier ^. Les principales routes de
la région de l'Haemus furent construites ou réparées à cette
époque, et rattachées aux voies déjà existantes dans les provinces
plus centrales^. On ne peut se méprendre sur le caractère de ces
XXVII, 4, t2. Cf. Jomand. GeUc. 16.
1. Eckhel, II, 33, Fabretti, 340, 513.
2. Bckhel, II, 24, Pabretti, ibid.
3. Bckhel, II, 36.
4. Fabretti, 340, 513. On ne sait si Trt^anopoUi ad Hèbrum ftit fondée
par Trajan ou par Hadrien, flckhel, II, 47.
5. Q. Glitius Agrîcola, en 103, est dit leg, pro,pr. imp,Nervae Trqfani, etc.,
protindae Pannoniae (flenzen, 5449), et Hadrien, leg, pro. pr, imp. Nervaê
Tritfani, etc , Pannoniae inferhrU. La Pannonie inférieure étant
idacée sous le gouvernement d'un ancien préteur ne devait pas renfer-
mer alors plus d'une légion. Quelques vétérans reçurent des terres en
Pannonie (Hyg. de condit agr.y p. 121, éd. Lacbm).
6. Borghesi, ŒworeSy III, p. 275.
7. C'est ainsi sans doute qu'il faut comprendre les paroles d'Âurelius
Victor. Caessy 13 : c iter conditum per feras gentes, quo facile ab usque
Pontico mari in Galliam permeatur. »
Kous devons dire quelques mots de certains ouvrages militaires attri-
bués & tort à Trajan dans l'Burope orientale. D'abord on trouve, dans le
Banat de Temesvar, des retranchements anciens qui relient le Maros au
Danube. IVÂnville {Mém, de FAcad, des Inseript, XXVIH^ 445) a pensé
que ces retranchements avaient été élevés par Trajan pour défendre la
Dacie contre les lazyges. Mais alors ces ouvrages, paraUéles au cours de
la Theiss, devraient être beaucoup plus rapprochés de cette rivière. De
plus ils n'offrent pas, dans leur structure, l'aspect bien connu des forti-
fications romaines. C'est, dit Oriselini (Histoire du Banat, I, 296) un
double retranchement dirigé suivant deux lignes brisées, parallèles dans
toutes leurs parties. La hauteur est de 6 & 7 pieds. Il y a un fossé entre
les deux murs, un autre en avant, un troisième en arrière de l'ouvrage.
Au contraire, dit Mannert (Re$ Trajani, p. 96), les retranchements
romains qu'on voit en Allemagne sont hauts de dix-huit pieds au moins,
forment une ligne continue; les assises inférieures sont de pierre, la
stabilité du mur est maintenue par de la terre en talus, le couronne-
ment est couvert d'un gazon qui le préserve :de la dégradation, enfin,
de distance en distance, sont intercalées de fortes poutres. Oriselini
attribuait aux Avares la constructions des retranchements du Banat,
mais Mannert a montré qu'elle appartenait aux Thervinges, peuplade
— 64 —
efforts dirigés dans un même sens : ils nous révèlent la pensée
qui inspirait Trajan quand il fit franchir le Danube à ses soldats.
Il ne songeait pas seulement à venger les défaites de Domitien, à
protéger la Pannonie et la Mésie en contenant les barbares par
la terreur et en leur faisant sentir quels coups inopinés et terribles
Rome pouvait leur porter encore sous un prince courageux et
résolu, n méditait de plus grands desseins» il était décidé à
reculer les limites du monde romain en Europe. Il rejetait donc
le conseil laissé par Auguste de ne rien changer aux firontières de
l'empire *, et par là faisait preuve d'une appréciation beaucoup
plus exacte des besoins de cette époque et des circonstances au
milieu desquelles Rome était placée. En effet il ne s'agissait pas
d'un £astueux accroissement de territoire, mais de l'existence
même de la civilisation ancienne. Devant les forces toujours
menaçantes de la barbarie, cette civilisation ne pouvait échapper
à une imminente dissolution qu'en incorporant de nouveaux
peuples à ceux qu'elle avait marqués de son empreinte et dont
elle avait changé l'état social et les moeurs. Elle datait de six
siècles, mais sa perpétuité dans cet intervalle était due aux
accroissements matériels de son domaine successivement opérés
par Cimon, Alexandre, Scipion, César : à peine le rayon du
cercle qu'elle couvrait se réduisit-il qu'elle périt, cernée par les
barbares. Et la civilisation chrétienne qui lui a succédé n'a été
gothique qui voulut ainei se défendre contre les Huns (Cf. Àmm.
Marcell. XXXI, 3).
Sous le nom de fù$aés de Trqjan on connaît dans la Oobrutscha un
triple retranchement antique qui traverse cette contrée dans sa partie
la plus étroite. Il est formé par trois fossés qui se coupent prés de Kus-
tenjé pour se séparer ensuite et se diriger parallèlement vers le
Danube, sans s'écarter entr*eux de plus de 10 kilomètres. Le long de ces
fossés, de distance en distance, là où le terrain naturel offrait des pla-
teaux, on trouve des camps retranchés accompagnés de petites redoutes.
Us dessinent une vaste enceinte, dont Texistence et le but paraissent
d'abord difficiles à expliquer sur une ligne qui ne fut jamais la limite
de Tempire. Il faut encore recourir à Ammien (XXXI, 8) qui nous
apprend qu'en 376 les Wisigoths, ayant battu les Aomains prés de Mar-
cianopolis, se retirèrent dans les steppes du Bas-Danube, et qu'ils y
furent cernés par les lieutenants de Valens, Profuturus et le comte Trtfjan;
ceux-ci élevèrent des retranchements au milieu desquels ils tenaient les
barbares assiégés, mais l'investissement fut interrompu par Tarrivée
des Huns etdes Alains, auxiliaires des Goths. C'est donc au conUe Trqjan,
comme Fa démontré M. Âllard (Bulgarie Orimtale, p. 98), qu'il faut rap-
porter les fossés, et non à Tempereur Tri^an, comme Ta cru M. de
Champagny, AnUmku, I, p. 296.
l.Tacit. Annal., I, 11.
— 65 —
hors de péril que quand elle a eu étendu son empire, d'abord jus-
qu'à Tancienne limite du monde romain, puis, par les victoires
de Charlemagne, sur la Germanie tout entière. Alors seulement
tout danger disparut parce que l'introduction de la Germanie
dans la société chrétienne, sans changer notablement les pro-
portions géographiques entre le monde policé et le monde barbare,
avait renversé les proportions de leurs forces ^ La civilisation à
ses débuts, et pendant la première phase de son développement, ne
peut en elBfet se passer de la guerre ni de la conquête, moyens
violents qu'elle répudie justement plus tard, mais qui seuls peu-
vent alors procurer les ressources nécessaires à la vie matérielle
des individus, et surtout assurer la sécurité et le loisir indispen-
sables à tout effort un peu prolongé de notre activité spéculative.
Or qu'au deuxième siècle de notre ère la civilisation ne fût pas en-
core sortie de cette phase initiale, et que dès lors la tâche des em-
pereurs fût de continuer la série desâSforts accomplis depuis trois
cents ans pour incorporer successivement les différents peuples
européens dans l'unité romaine, et non de dénaturer, en leur
donnant un caractère simplement défensif, les institutions mili-
taires que leur avait léguées la République, c'est ce que prouva la
suite des événements. Sous Marc-Âurèle, les Germains franchi-
ront le Danube et toucheront une première fois à l'Italie : dans un
siècle et demi, ils passeront le Rhin et viendront ébranler l'empire
aux limites qu'il possédait à la mort d'Auguste. Ces faits mon-
trent sufilsamment l'inanité et le péril du conseil qu'avait inscrit
dans son testament le fondateur du principat. Il ouvrait préma-
turément l'ère de la paix générale, il conviait le monde à l'exploi-
tation pacifique d'un domaine dont la possession était précaire
encore : pour avoir trop tôt cessé d'être conquérants, les Romains
ont été conquis à leur tour. Trajan sentit parfaitement le danger,
et ce n'est pas, ce me semble, un médiocre mérite du vainqueur
de la Dacie d'avoir eu, moins de cent ans après la mort d'Au-
guste, une vue si nette de la situation faite à Rome, héritière et
propagatrice de la civilisation ancienne, d'avoir compris, mesuré,
accompli résolument le devoir qui s'imposait à ses chefs.
Hadrien, au contraire, aurait voulu abandonner la Dacie ' : il
risola partiellement en détruisant le pont de pierre qui la reliait
1. La démonstration de ce fait considérable est le sujet d*un des plus
beaux mémoires de M' Mignet, intitulé : IntrodueUan de Vaneienne Ger-
fnaniê dans la iocéété cMUtée,
2. Eutrop. VIIJ, 6..
DE LA BBRGB 5
— 66 —
aux autres proyinces danubiennes S et conformément au plan
d'Auguste, qu'il semble avoir toujours eu devant les yeux, il
arrêta brusquement l'œuvre deTrajan dans ces contrées. S'il eût
romanisé les autres pays situés entre le Danube, les Carpathes
et la Theiss (il pouvait au moins commencer cette entreprise et
en léguer l'achèvement à Ântonin) , il aurait prévenu les longues
guerres que Marc-Aurèle eut à diriger contre les Marcomans et
les Quades, au milieu des circonstances les plus critiques, quand
la peste sévissait dans son année et dans Rome. L'empereur
philosophe reconnut trop tard la nécessité d'incorporer à l'empire
toute cette région* et la mort l'empêcha de compléter et de
réaliser ainsi le plan conçu par Trajan. La lâcheté de Conmiode,
les guerres civQes qui suivirent le meurtre de ce tyran, puis les
expéditions infructueuses et toujours renouvelées contre les
Parthes, et enfin, au troisième siècle, la nécessité chaque jour plus
visible de défendre l'ancienne frontière violée sans cesse et sur
tous les points par des envahisseurs de plus en plus audacieux,
firent abandonner ce plan sans retour. Un arrêt de plusieurs
siècles dans la marche de la civilisation fut la conséquence de
cet abandon de l'ancienne politique romaine.
Ce plan était-il réalisable? Pouvait-on, au deuxième siècle,
faire entrer la Germanie dans la communauté romaine? M. Mignet
ne le pense pas. « Quels points d'appui les Romains pouvaient-
« ils y trouver (dans l'Europe centrale)? Où pouvaient-Qs
« adosser leurs légions sur ce territoire mal limité et qui ne
« finissait nulle part? Où devaient-ils arrêter leurs frontières?
< Conmient parviendraient-ils à y subjuguer des populations
« belliqueuses dont la plupart, encore errantes, s'enfonçaient
« dans les profondeurs de leurs forêts et disparaissaient dans le
« vaste espace ouvert devant eUes, à moins qu'elles n'en sortisH
« sent pour surprendre les légions comme elles le firent en égor-
ge géant celles de Varus? Les Romains avaient à craindre d'y
« être vaincus s'ils entreprenaient des expéditions, et d'y être
« débordés s'ils y fondaient des établissements '. >
1. Dion, LXVlll^ 13. — M. Dubdt, HUt. de$ Romains IV, 361, regarde ces
assertions d'Eutrope et de Dion (ou de son abrèviateur), comme les
échos de calomnies eystématiquement dirigées contre Hadrien, sans
leur opposer, pourtant, de fait bien significatif.
2. Capitolin, M, Afii, Phil,, cap. 27. c Tnennio bellum postea cum Mar-
comannis, Hermunduris, Sarmatis, Quadis etiam egit et, si anno uno
superfuisset, provindas ex his fecisset. »
3. IntroducUan de la Germanie, etc. Bd. Charpentier^ p. 8.
I
I
— 67 —
Ces objections, j'ose le dire, ne me paraissent point péremp-
toires. Charlemagne rencontra les mêmes difficultés et en
triompha. Les Romains ne pouvaient-ils s'arrêter, comme lui, à
la limite de l'Elbe ? D'ailleurs l'incorporation que, suivant nous,
les Antonins devaient poursuivre, ne pouvait pas être, au début
du moins, celle de la Germanie du Nord. Conquérir cette masse
énorme par une attaque latérale comme l'essayèrent Drusus et
Germanicus, était une œuvre impossible. De ce côté il fallait
simplement consolider, au point de vue défensif, les premiers
établissements militaires de ces hardis capitaines, et cette conso-
lidation, nous l'avons vu, fut accomplie par Trajan. Mais du
côté du Danube, Rome avait bien plus facilement prise sur les
barbares. Là, il lui restait seulement à annexer la Moravie et la
Hongrie, c'est-à-dire une superficie égale à celle des pays que
Tibère et Trajan avaient réduits en province. Et la romanisation
déjà profonde de la Pannonie et de la Dacie facilitait considéra-
blement l'assujettissement des pays voisins. A la poursuite des
Marcomans, les légions étaient amenées jusque dans la Bohême :
tout cela ne demandait que deux ou trois guerres, moins terribles
et moins longues, à coup sûr, que les deux expéditions dirigées
par Trajan contre un homme de guerre aussi habile que Décé-
bale.
Par ce fait seul de l'installation romaine dans le bassin du
Danube, les populations nomades de la Germanie septentrionale
auraient adopté l'existence sédentaire avant l'époque où
leur propre évolution les y amena. Parmi les nombreuses peu-
plades qui s'y livraient des guerres incessantes, quelques-unes
auraient pris le dessus, anéanti les plus faibles S et cet espace
immense aurait été enfin habité par de vraies nations établies sur
des territoires appropriés et délimités. L'élément turbulent de la
société barbare, la bande aurait cherché dans les pays slaves ou
dans l'extrême nord la satisfaction de ses goûts de pillage et de
ses besoins d'activité désordonnée; la tribu* aurait possédé et
exploité tranquillement le sol. Et alors Rome pouvait faire péné-
trer sa civilisation plus avancée et plus douce chez ces peuples à
demi policés, ou même les conquérir en trouvant chez quelques-
uns d'entre eux des auxiliaires de sa politique, en s'y créant des
clients tels qu'avaient été en Gaule les Rhèmes et les Eduens au
1. Cf. la destruction des Bructôres par d'autres peuples Germains, an
commencement du deuxième siècle. Tacit. Germ., 33.
1 Pour la différence entre la bande et la iribu, V. Quizot, CMlisaHon
en Ftancey tom. I*% S* leçon, p. 225, éd. 1846.
— 68 —
temps de Jules César, la province romaine du Danube devenant k
regard de la Germanie ce que fut la Narbonnaise vis-à-vis de la
Gaule chevelue.
Le christianisme aurait complété et cimenté, sans guerre et
sans violence, Tosuvre de Rome. Quand les Huns envahirent au
cinquième siècle la partie occidentalede notre continent, ils n'au-
raient pu, malgré leur férocité et leur nombre, désagréger ce
groupe compacte de nations disciplinées à l'école de Rome, et
animées de son esprit : l'effort de ces hordes se serait brisé sur
l'Elbe au lieu de promener la dévastation et la mort dans toute
l'Europe, et la civilisation aurait tranquillement suivi le cours
marqué que troublèrent les invasions germaines et mongoles, et
qu' il a fàhvL reprendre laborieusement , après plusieurs siècles , pour
nous relier au monde ancien.
§ 6. — Les Roumains.
Avant d'abandonner les questions relatives à la Dacie, disons
quelques mots du lien qui rattache les Roumains aux colons de
Trajan. Les historiens latins disent formellement qu'après les
guerres malheureuses de Gallien, Aurélien ne croyant plus pou-
voir assurer aux Romains établis sur la rive gauche du Danube
une protection suffisante, ramena les soldats et les colons sur la
rive droite de Mésie où il leur procura des établissements et
constitua une nouvelle province portant le même nom que celle
qu'il abandonnait aux Goths^ Mais cette émigration totale est
contestée par plusieurs historiens et surtout par les écrivains
roumains '. D'après ceux-ci, un grand nombre des colons refusè-
rent d'abandonner leur patrie. Selon d'autres auteurs ^, la partie
1. Vopisc. AureHan, 39 : Quum vastatum Iliyrîcum ac Maesiam deper-
ditam videret, provinciam trans Oanubium Daciam, a Trajano constitu-
tam, sublato exercitu et provincial ibus reliquit, desperans eam posse
retineri, abductosque ex ea populos in Moesia coilocavit, appeliavitque
novam Daciam, quae nunc duas Moesias dividit. Cf. Eutrop., IX, 15.
Sext Ruf. Breviar. 7.
2. Mich. Kogalnitchan, Histoire de la Vaiachie et de la Moldavie, tom. I*%
p. 11. c La plus grande partie des Romains, qui depuis près de deux
c cents ans habitaient la Dacie, n'ont pas quitté le pays à cette époque.»
Cf. Bd. Vaillant, La Roumanie, l, pp. 41, 52. Gibbon (cbap. xi) avait déjà
émis cette opinion.
3. Bd. Quinet, Reçue des Deux-Mondes, 1856, tom. I", p. 391. Il faut
reconnaître que cette dernière manière de voir s'appuie sur les traditions
locales (V. Nicolas Goetin, analysé par Hase. Notices et extraits des manu-
— 69 —
la plus brave de la population aurait cherché un asile dans les
Carpathes, et, derrière ce retranchement inexpugnable, amassé
lentement la force nécessaire pour déposséder ses envahisseurs,
et remettre la main sur les pays que Trajan avait réunis à l'em-
pire et que les Roumains habitent aujourd'hui. Ces derniers
seraient donc les descendants directs et les héritiers des colons
romains.
L'exemple célèbre de Pelage et de ses compagnons retirés dans
les montagnes des Asturies, le succès des sorties faites de cette
forteresse contre les Arabes, donnent quelque vraisemblance à
l'opinion répandue en Roumanie. Cependant elle a été attaquée
par M. Roesler au moyen de considérations qui me paraissent
diflBciles à réfuter*. Si, pendant le moyen âge, les colons latins
n'avaient point cessé d'occuper, totalement ou partiellement, la
Dacie Trajane, on trouverait dans la langue roumaine (dont la
grammaire est restée latine, mais dont le vocabulaire a dû
accueillir un grand nombre de mots étrangers), on trouverait,
disp-je, quelques traces des idiomes propres aux envahisseurs du
pays, Goths, Huns, Gépides (autre branche des Goths), Avares,
Bulgares, Hongrois, Petchénègues, Cumans^. Il n'en est rien :
l'élément germanique y est insignifiant, et son introduction,
toute récente, s'est faite par la Transylvanie et par l'Autriche*.
Les mots turcs n'y sont entrés également que très-tard : ils
appartiennent au dialecte osmanliy mélange de turc, de persan
et d'arabe, qui ne date que des invasions du xv* siècle, et non au
dialecte cumaniquey plus ancien et plus pur, dont se servaient
les Petchénègues, Uses et Cumans si longtemps maîtres de la
Valachie *. Les idiomes touraniens n'ont pas apporté non plus
leur contingent dans le Valaque. Au contraire, la partie non
latine du vocabulaire est empruntée aux langues qui, jusqu'au
xm* siècle, ne furent parlées qu'au sud du Danube : albanaise,
bulgare et grecque**. Ce fait, joint à la profession de la religion
grecque par les Roumains et à leur dépendance de l'église de
Constantinople, fait supposer à M. Roesler que les colons de la
ioriis, XI, p. 305. — Neigebaur, Beschreibung der Moldau und Walachei,
p. 73).
1. DacierundRomaenen, Wien, 1866, in-8*.
2. La moitié seulement des éléments du valaque est restée latine.
Diez, Introduction à la grammaire des langues romanes, trad. par G. Paris,
p. 111.
3. Diez, p. 114.
4. Rœssler, p. 68.
5. Ibid., 69.
— 70 —
Dacie Trajane obéirent effectivement aux ordres d'Âurelien,
qu'ils vinrent en Mésie ; que mal couverts contre les invasions
par le Danube seul, ils se réfugièrent, avec les colons de Mésie
parlant latin, dans les Alpes Dinariques, dans le Pinde et dans
les Balkans. De là, les uns passèrent en Epire, en Macédoine, en
Thessalie où on les trouve encore ; les autres gagnèrent peu à
peu du terrain dans la Bulgarie et franchirent le Danube vers le
commencement du xm^ siècle. G*est alors, en effet, que Thistoire
mentionne pour la première fois des Yalaques au nord du
fleuve*.
Il est certain que Ton n'a trouvé sur le sol de l'ancienne Dacie
aucun monument postérieur au règne d'Âurelien. Si humble
qu'on suppose la vie des colons restés dans leur résidence pater-
nelle, ils auraient eu sans aucun doute des relations commer-
ciales avec les autres parties de l'empire, et on trouverait dans
le pays des dépôts de monnaies, indices de ce commerce. On n'a
pas découvert de tels dépôts '. On ne comprendrait pas non plus
que Constantin, qui vainquit les barbares et rétablit même quel-
ques ouvrages militaires sur la rive septentrionale du fleuve,
n'eût pas &it rentrer dans la famille romaine ces membres
délaissés dans des temps malheureux, sous le poids d'une néces-
sité que ses victoires faisaient disparaître. On ne cite aucun effort
de lui dans ce sens. L'histoire, autant qu'il me semble, concourt
donc avec la philologie pour faire admettre l'opinion de
M. Roesler^. L'empreinte romaine n'en paraîtra que plus puis-
samment gravée au cœur de ce peuple qui emportait au loin, et
gardait au milieu de tant de traverses sa langue et ses souvenirs,
et qui patiemment, en dépit d'obstacles de tous les genres, a
repris le sol qu'avaient possédé ses ancêtres, et fait siens, à l'est,
des territoires où Rome n'avait jamais porté ni son idiome, ni ses
armes, ni même son nom.
i. Ibid., 64.
2. Les beaux médaillons d*or trouvés à Szilogy-Somlyo et conservés
au Musée de Vienne sont assurément le butin de quelque chef barbare
(Steinbûchel, Médaillons d'or du Musée de Vienne, 1826).
3. On se récrie sur Timpossibilité de transporter tout un grand peuple.
Mais si, comme nous avons cherché à le prouver, la Dacie était limitée
par l'Aluta à Test, Tentreprise d'Aurelien n'a plus rien d'extraordinaire.
— Engel (Commentatio, etc., p. 282) avait déjà nié que les Romains
eussent prolongé leur séjour en Dacie après le régne d'Aurelien.
CHAPITRE IV.
GONQUBTE DE L ARABIE NABATEENNE.
Pendant que Trajan reculait du côté du Danube les frontières
de l'empire, le territoire romain receyait en Orient un utile
accroissement. En Tan 100 mourut, après un long règne, le der--
nier tétrarquedela dynastie iduméenne^ Les pays qu'elle possé-
dait depuis l'an 52, grâce à la libéralité de Tempereur Claude
(Tracbonite, Âuranite, Batanée, Âbilène), furent réunis à la
province romaine de Syrie ; c'est alors que cette province acquit
sa plus grande extension.
Entre le Taurus, l'Egypte, la Méditerranée et l'Eupbrate, il
ne restait plus qu'un seul pays encore indépendant, celui des
Arabes Nabatéens. Depuis un temps immémorial, ce peuple
échappait à la domination des divers maîtres de l'Orient. Alexan-
dre avait manifesté l'intention de les soumettre, et Antigone
voulut exécuter le projet du héros macédonien. Les armées grec-
ques furent défaites par ces Arabes alors disciplinés, tempérants
et braves. Mais, à mesure que des richesses plus considérables
passaient de l'extrême Orient dans le bassin de la Méditerranée,
par les soins des rois de Syrie et d'Egypte, les Nabatéens prirent
l'habitude et le goût d'un luxe funeste à leur puissance militaire '.
1. Sckhel, DoeMna, 111, p. 496. C'était Agrippa U (V. Waddington,
Comptes-rendus de VÀead. des InseripL, 1865, p. 106, 115).
2. On est frappé du contraste qu'offirent les tableaux tracés par Dio-
dore et par Strabon des Nabatéens au temps d* Antigone et au temps
d'Auguste.
— 72 —
La première fois qu'ils se trouvèrent en face des Romains, ce fat
pour être vaincus par Pompée. Aussitôt, avec la souplesse propre
à leur race, les cheikhs Nabatéens ne songèrent plus à recourir
aux armes pour se maintenir libres, mais ils pratiquèrent la plus
cauteleuse politique et mirent la main dans toutes les intrigues
de l'Orient*. Ils profitaient d'ailleurs de tous les conflits pour
piller leurs voisins. Les Romains ne voyaient pas alors d'incon-
vénients dans leur turbulence et leur rapacité qui ne gênaient
que les Tétrarques et paralysaient d'avance toute velléité de
lî&volte de la part de ces princes ; mais, quand l'empire se fat
substitué au royaume iduméen, la question devint tout autre. Il
fallut aviser aux moyens de créer une police sévère dans le pays
que traversaient les riches caravanes delà Mésopotamie, et où un
grand nombre de Romains allaient s'établir*. Le seul parti à
prendre était la conquête et la romanisation du pays. Trajan s'y
décida sans beaucoup de peine, on peut le croire. Les opérations
farent conduites par le légat de Syrie, Cornélius Palma, qui,
vers 104 ou 105, vainquit le roi Dabel (ou Zabel), et s'empara
de Pétra sa capitale^. En un an, la soumission du pays fat com-
plète^. Les historiens sont muets sur les événements de cette
rapide campagne. Une inscription nous apprend que le sénat fit
adresser des supplications aux dieux , et , sur l'invitation de
Trajan, décerna au général victorieux les ornements du triomphe
et l'honneur d'une statue dans le Forum ^. L'inscription est incom-
plète, et le nom du personnage à qui ces honneurs farent accor-
dés ne s'y lit plus; mais Borghesi® a parfaitement démontré qu'il
ne pouvait être ici question que de Cornélius Palma. Dion nous
apprend en efiet que Trajan avait fait élever une statue à cet
habile homme de guerre '.
Palma était aussi un habile administrateur. Quelques cantons
du pays dans lesquels Rome venait de succéder à Agrippa II
1. Joseph. Afii, Jud., XV. 4. 5. 6.
2. Voir Je magnifique monument romain de Petra (Bievue archéolog,^
1862, t VI, p. l-iO.
3. Dion, LXVIII, 14. On a des monnaies de ce roi (Oe Vogué, Rwue
numûmaUque, 1868, p. 167).
4. L*an 105 ap. J.-G. est le point de départ d'une ère commune & Petra,
à Bostra et à toute la province {Cknm, Pasch., p. 472, éd. Bonn.). M. Wad-
dington a démontré que le premier jour de cette ère était le 22 mars 106
{Mélanges de Numismatique, 2* série, p. 162).
5. Notre n* 100.
6. Œuvres complètes, V, p. 31.
7. LXVIU, 16.
— 73 —
étaient à peine ciyilisés. Dans le fragment d'une inscription
trouvée par M. Waddington à Kanatha dans l'Âuranite, le
prince se plaint de l'état sauvage dans lequel ses sujets ont vécu
jusqu'alors. « Dans certaines parties du pays, dit-il, ils vivent
< conune des bêtes &uves dans des tanières. » La contrée fut
traversée par une grande voie militaire ; des postes furent placés
à la frontière du désert, et enfin plusieurs aqueducs furent élevés
par les ordres de Palma. « On est profondément frappé de la
« grandeur de la puissance romaine et de l'énergique adminis-
« tration qui a laissé son empreinte ineffaçable jusque dans ces
« contrées lointaines et sauvages ^ » Plusieurs médailles furent
frappées en commémoration de la conquête de l'Arabie '. L'ancien
royaume nabatéen fut provisoirement réuni à la Syrie et ne
devint une province distincte que plus tard, pendant le séjour
de Trajan en Orient, au milieu de la guerre des Parthes. Cette
province fut gouvernée par un légat prétorien, qui avait sous
ses ordres la légion IIP Cyrenaica, en garnison à Bostra'. Cette
viUe prit le surnom de TpataW) ^.
i. Comptes rendus de PAcad, des Inser,, 1865, p. 86, 108.
2. Cohen, no* 15 et 309. Bn 62 av. J.-C, Aemilius Scaurus, lieutenant de
Pompée, ayant vaincu le roi Nabatéen Aretas, la gens Aemilia fit repré-
senter sur ses monnaies la soumission de ce chef arabe (Cohen, Consuiaires
Aemilia, n* 2); Trajan fit restituer cette monnaie (ibid., p. 30). Aussitôt
après la conquête, des Arabes entrèrent, en assez grand nombre, comme
auxiliaires dans Tannée romaine, car on connaît une coh4)rsquinia Ulpia
Pelraeorum {Bullet. Inst, Arch., 1870, p. 22). On sait que les corps auxi-
liaires désignés par le gentUiciwm d'un empereur ont été créés par lui
(Henzen, Annal, Inst. Arch., 1858, p. 29).
3. Corp. Inser. Graec., 4554, 4651.
4. Bckhel, Doctrina, 111, 500.
CHAPITRE V.
GOUVERNEMENT INTÂEUEUR. ESPRIT GÉNiRAL.
A peine commençons-nous à renaître, écrivait Tacite au début
du règne de Trajan, quoique dès l'aurore de cet heureux siècle,
Nerva César ait uni deux choses autrefois incompatibles, le
principat et la libertés
Cette union a duré cent ans environ, depuis Tavénement de
Nerva jusqu'à la mort de Maro-Aurèle, et cette période de l'his-
toire romaine a été justement nommiée, par Gibbon et par
Hegewisch ', la plus heureuse pour le genre humain.
Il ne faudrait pas néanmoins se méprendre sur le sens des
paroles de Tacite, tout pénétré de la joie qui éclata parmi les
sénateurs à la mort de Domitien. Le changement du prince n'in-
troduisit pas dans la constitution de modifications profondes. Si,
en effet, l'on cherche dans l'histoire bien mutilée du n* siècle le
caractère particulier de cette période, si l'on veut démêler les
ressorts de ce gouvernement qu'on est tenté de croire nouveau,
on est frappé de ce fait que les réformes les plus justement van-
tées des Antonins avaient été ébauchées par les premiers
Césars.
Adoucissement graduel du sort des esclaves^, élargissement
1. Açfic» 3.
2. BsuU sur Vépoque de Vhistoire romaine la plus hewreutepaur le genre
humain, trad. par Solvet. Parie, 1834.
3. Suét. Claud. 25. DomU. 7. Senec. De Benef. Ul, 22 et la loi Petronia
sous Néron.
— 75 —
successif de la cité romaine S répression des gouverneurs de pro-
vinces concussionnaires', diminution des impôts^, secours à la
petite propriété \ mesures garantissant la sécurité et favorisant
le développement du commerce ^, il n'est pas un de ces bienfaits
dont on ne puisse trouver la trace dans l'histoire d'Auguste, de
Tibère, de Claude, de Vespasien. Â quelques-uns même, Cali-
gula, Néron, Domitien ont attaché leurs noms.
D'autre part, le vice unique mais radical du principat romain,
la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d'un seul
homme, n'est en aucune façon corrigé ou atténué dans la période
Ântonine. Ce vice, les contemporains ne le voient même pas. Le
gouvernement personnel est accepté de tout le monde. On attribue
les maux dont on souffrait sous Domitien à l'empereur et non au
régime impérial. Vienne un meilleur prince, et il n'y aura pas
besoin de chercher des garanties efficaces pour les franchises et la
sécurité des citoyens.
Cette inertie politique, signe et résultat d'une grande lassitude,
ne datait pas de bien loin. A la mort d'Auguste, après le meurtre
de Caligula, après le suicide de Néron, on songea à rétablir la
république. Mais ces projets furent de moins en moins sérieux.
Tandis que Tibère eut besoin de toute son habileté pour empêcher
ce retour au passé, le sénat se rendit assez aisément au vœu des
prétoriens qui avaient salué Claude du titre d'empereur, et, en 68,
la revendication républicaine se borna à des cris de joie et à la
promenade, dans les rues de Rome, de gens coiffés du bonnet de
la liberté ^. Après les guerres civiles qui ensanglantèrent l'avé-
nement de la dynastie flavienne, au milieu des calamités sans
nombre et du désarroi moral qui les accompagnèrent et les sui-
virent, et dont Tacite a peint Témouvant tableau, un immense
besoin d'ordre et de repos domina les autres sentiments, et bien-
tôt les anéantit dans toutes les âmes. Les Romains reconnurent
qu'ils ne pourraient supporter « ni l'extrême liberté, ni l'extrême
1. Gaulois admis aux honneurs sur la proposition de Claude (Tacite,
Ann., XI, 26) et rinscription de Lyon. — Droit du Latium concédé par
Vespasien à TEspagne (Pline, Hist. nat, ill, 4).
2. Tacite, Ann., IV, 13, Xlli, 30, XIV, 28. Suet. DomU. 8.
3. Suét., CcUig. 16. Ner, 10. Tacite, Ann., XIII, 31, 50, 51.
4. Suét., Oct. 41. Tacite, Ann., VI, 17.
5. Suét., Claud. 19.
6. Suét., Ner. 57. Voir cependant une classe trés-intéressante de mon-
naies, aux types républicains, émises alors par le sénat, et auxquelles
le duc de Blacûas a oonaacré un savant mémoire {Revue numUmat., 1862,
p. 197-234).
— 76 —
servitudes » mais ils ne cherchèrent aucune combinaison propre
à les préserver de ces deux écueils, et à fonder un ordre nou-
veau *.
Le principat durait déjà depuis plus d'un siècle, et il était
devenu vénérable par le prestige qpii couvrait à Rome toute chose
ancienne. Dans cet intervalle, quelque bien d'ailleurs avait été
fait par lui. Tous les débuts des règnes dont Suétone a écrit l'his-
toire furent heureux. La transmission du pouvoir impérial n'étant
ni héréditaire, ni réglée par la constitution, mais soumise le plus
souvent au hasard d'une révolution de palais, le nouveau prince
se voit d'abord forcé d'assurer la consolidation de sa puissance en
donnant satisfaction aux vœux les plus pressants de l'opinion
publique, en réformant les abus, en promettant la sécurité des
personnes et le respect des propriétés. Ce n'est qu'au bout d'un
certain temps que commencent le mauvais usage et l'enivrement
de la toute puissance. Il y a donc deux parts dans l'œuvre des
premiers Césars, et la bonne part seule a duré. Les mesures
équitables des commencements de règnes s'étendaient à toutes les
provinces, passaient dans le corps des lois. Les mesures mau-
vaises n'atteignaient que Rome, et dans Rome même que les
sénateurs. Comment s'expliquerait l'existence quatre fois sécu-
laire de l'empire romain, si l'on avait ressenti dans l'adminis-
tration et dans les lois le contre-coup des caprices monstrueux
que Néron etCaligula ont portés dans leur vie privée? L'institu-
tion ne leur eût pas survécu. Mais avec la vie de chaque César
finissaient les maux de son pouvoir discrétionnaire, et le bien
qu'il avait fait demeurait.
En s'ajoutant les unes aux autres, les réformes des premiers
empereurs avaient fini par améliorer réellement la condition du
monde romain, et nous ne devons pas plus méconnaître cette
amélioration qu'oublier la tyrannie, les proscriptions et le sang
versé. Toutefois, on peut croire que déjà les Romains ressentaient
devant l'empire Tenabarras que nous avons éprouvé longtemps à
porter un jugement absolu sur cette période de leur histoire* ; on
1. Tacite, Hist, l, 16.
2. Les anciens ont ignoré le système représentatif, qu'on peut mettre
au nombre de ces trois ou quatre découvertes qui ont créé un autre
univers (Chateaubriand, Génie du ChrisUanUme, liv. VI, chap. 2).
3. M. Littré a écrit : c L*empire fut une dictature avec une adminis-
c tration et des lois, mais sans institutions. J'entends par institutions
I tout mode régulier par lequel les gouvernés interviennent dans le
c gouvernement qui les régit. » (Etudes sur les Barbares et le nwpen âge,
— 77 —
conçoit qu'ils aient hésité à porter la hache sur cet arbre aux
racines profondes, qui avait grandi lentement entre les sept col*
Unes, et maintenant couvrait de ses rameaux Tunivers civilisé,
portant ensemble de bons et de mauvais ficuits.
Mais en acceptant le prindpat, en le conservant, pourquoi ne
pas Taméliorer ? Et pour y introduire les modifications dont Tex-
périence démontrait la nécessité, quelle circonstance semble plus
favorable que Tavénement d'un empereur tel que Trajan, décidé
à associer le sénat à son gouvernement dans une large mesure,
et allant même, comme nous le verrons, au devant et ensuite au
delà du vœu public? Personne n'y songeait, et Ton s'expliquera
cette insouciance qu'on pourrait qualifier d'aveuglement, en se
rappelant combien diffèrent l'idée romaine et la nôtre sur la res-
ponsabilité du pouvoir. Cette responsabilité consiste, chez les
peuples modernes, dans le droit donné à chaque citoyen ou à son
mandataire, d'interroger le pouvoir exécutif sur ses actes au
moment même de leur accomplissement. À Rome, au contraire,
le magistrat était inattaquable tant qu'il n'était pas sorti de
charge^ ; alors, seulement, l'appréciation de sa conduite politique
appartenait à ses concitoyens, dont il était redevenu l'égal. Son
pouvoir, essentiellement absolu, n'avait eu pour limite que la
brièveté de sa délégation, et le conflit que pouvait amener
l'exercice aussi souverainement indépendant des autres magistra-
tures. Le peuple prolongeait-il les pouvoirs dévolus à un magis-
trat*, ou bien celui-ci venait-il à usurper cette prolongation^,
par là même était ajournée d'autant l'époque où les citoyens pour-
introduction, p. 5.) Cette définition, lumineuse et complète, permet
enfin de louer tout à son aise ce qui est louable, de blftmer ce qui est
blftmable dans ces quatre siècles, et débarrassera le teiTain de rhistoire,
on peut l'espérer, des réquisitoires et des panégyriques innombrables
et inutiles qui l'obstruaient.
1. Pendant ce temps, il était sacrowMiui (v. T.-Live, IX, 9). Quand il
faUut poursuivre Lentulus, complice de Catilina, on l'obligea à se
démettre de la préture, et Gicéron fit remarquer au peuple que son
arrestation devenait alors parfaitement légale {CatiUn.y 111, 6). Sur cette
inviolabilité des magistrats, voir Laboulaye, Lois criminelles des Romains,
p. 149-150. On ne pouvait même les poursuivre pour des crimes les plus
étrangers à Tezercice de leur charge, tel qu'un adultère ou un assas-
sinat (p. 151).
2. P. Philo fut le premier auquel on accorda une prolongation de ce
genre en 327 av. J.-G.
3. (Test ainsi que les dècemvirs refusèrent de se dessaisir de leur
pouvoir, qu'Appius Glaudius refusa d'abdiquer la censure après dix-huit
mois révolus, comme le demandait la loi Aemilia (T.-Live, IX, 23-24).
— 78 —
raient lui demander des comptes. Or, le pouvoir impérial n'est
autre chose que le cumul des magistratures républicaines confé-
rées à vie. Ce terme détruit toute responsabilité effective, puisque
l'empereur, ne rentrant plus dans la condition privée, n'est
jamais justiciaMe de l'opinion publique, et en même temps la
réunion dans ses mains de toutes les fonctions fait disparaître les
garanties que la séparation des pouvoirs assure et peut seule
donner*.
Les vices du régime impérial tiennent donc à ce que la révolu-
tion faite au vin^ siècle de Rome fut incomplète. La délégation du
pouvoir était modifiée, sans qu'on changeât rien aux formes de
son exercice. Il nous est facile, à la distance où nous sommes, de
voir le mal et d'indiquer le remède. Mais on ne se défait pas, en
un jour, d'habitudes contractées pendant plusieurs siècles. Or,
l'obéissance aux magistrats établis est le sentiment romain par
excellence ; il avait fait la grandeur delà famille et delà cité, et il
survivait aux circonstances qui l'avaient rendu légitime.
D'après cela on comprend comment, même à cette époque heu-
reuse où chacun pouvait « penser ce qu'il voulait, dire ce qu'il
pensait, » nul n'imagina de limiter ou de diviser Tautorité de
l'empereur. Dans le Panégyrique prononcé par Pline, équiva-
lent de ce que l'on appellerait aujourd'hui une Adresse du sénat
à Trajan, on ne trouve qu'une vue nouvelle qui ne fait pas grand
honneur à la sagacité politique des patriciens. Ils accueillirent
favorablement, et demandèrent à voir consacrée pour l'avenir, la
mesure inaugurée par Nerva : que le prince, dans le choix de son
successeur, déférât au vœu public. « Regardez comme votre plus
proche parent, dit Pline*, celui que vous jugerez le meilleur et le
plus semblable aux dieux. C^est entre tous qu'il faut choisir celui
qui doit commander à tous. > Tacite place les mêmes pensées
dans la bouche de Galba adoptant Pison. < Nous inaugurons le
« principe électif, qui remplacera la liberté. La maison des Julii,
€ celle des Qaudii sont éteintes ; l'adoption ira chercher le plus
€ digne. Naître d'un prince est un fait du hasard qui échappe à
« tout examen ; mais celui qui adopte sait ce qu'il fait et il a,
« pour le guider dans son choix, la voix publique ^. »
1. Voir Laboulaye {Lois eriminedes, préface, p. xzii, et dans l'ouvrage,
p. 390).
î. Panég,, 7.
3. Tacite, HisL, 1, 16. Tacite a imité Pline, car le Panégyrique Ait pro-
noncé Tan 100 de notre ère, et les ffUtoiret furent composées vers
Tan 106 (Mommsen, Etude, etc., p. 82).
— 79 —
En théorie, cette combinaison, qui ferait toujours passer le pou-
voir aux mains du plus capable, est excellente ; en pratique, elle
est difficilement applicable. Sous quelle forme, à quel moment
devait s' exprimer le vœu public ? Pline n'en dit pas un mot. Puis ce
vœu n'est pas toujours très-clair : Trajan, qui ne demandait qu'à
9*y conformer, mourut sans avoir désigné son successeur, et
Hadrien témoigna plus d'une fois l'embarras qu'il éprouvait à
choisir le sien *. Pline (qui n'eut jamais d'enfants) est d'ailleurs
fort à l'aise pour conseiller à l'empereur de déshériter un fils
méchant ou incapable, et il ne suppose pas qu'un conflit soit pos-
sible entre l'amour paternel et les nécessités de la politique. Un
tel conflit était cependant inévitable. Le hasard, qui laissa sans
postérité Trajan, Hadrien et Antonin, l'ajourna près d'un siècle
pour le bonheur du monde, mais le sacrifice que Pline jugeait si
simple parut impossible à Marc-Aurèle.
Ainsi, ce qui caractérise la période Antonine, ce n'est pas une
révolution ou une modification radicale des lois ou des mœurs,
que ne comportaient ni la fatigue des esprits, ni les préjugés
politiques. Mais une évolution, commencée longtemps avant cette
période, prit alors une marche plus rapide et plus décidée. Ce
progrès est dû, uniquement, au caractère des empereurs qui ont
régné pendant cet heureux siècle, et donné d'immortels exemples
de désintéressement ou de probité sur le trône. Loin de profiter de
ce que leur laissait prendre et leur offrait l'apathie de leurs con-
temporains, ils ont tenté de relever la vie publique, et d'associer
le sénat et tous les hommes éminents de l'époque à l'œuvre admi-
nistrative et législative qu'ils édifiaient. Cette œuvre, ébauchée
par Nerva et Trajan, agrandie par leurs successeurs, traversa
sans dommages l'anarchie du m* siècle. Bien ébranlée au rv®, elle
était du moins assez solide pour ne pas périr tout entière, et le
fond romain sur lequel nous vivons en a gardé la meilleure
part.
Étudions ses humbles commencements sous le règne de Trajan ;
voyons s'opérer la conciliation qui a réjoui la vieillesse de
Tacite.
1. Spart., Àelhu Venu, c.6.
CHAPITRE VI.
ÎM PRINCE, LE SÉNAT, LES CHEVALIERS, LE PEUPLE.
Le Prince. — La puissance impériale, telle que l'avait faite
la constitution habilement élaborée par Auguste et silencieuse-
ment acceptée du monde lassé, n'était autre chose, nous l'avons
dit, que le cumul de plusieurs magistratures républicaines :
pontificat souverain, censure, puissance tribunitienne, imperium,
puissance proconsulaire , droit d'initiative (jtis relationis) * .
C'est ainsi que se décompose, naturellement, l'examen que nous
avons à faire de la politique personnelle de Trajan.
Nous possédons peu de renseignements sur la manière dont il
exerça le souverain pontificat. Il fit décerner à Nerva les
honneurs, devenus assez insignifiants, de l'apothéose', et créa
pour le nouveau culte un collège de fiamines ^. Sa sœur Marciana,
son père Ulpius Trajanus^ furent mis également au rang des Dieux.
Conformément à la loi qui voulait que le pontifex maximtis
habitât in publico^, il laissa toujours ouverte une partie du
palais impérial®, à l'exemple d'Auguste et de Nerva, fidèles
observateurs de cette prescription. Refusant d'ailleurs des hon-
1. Yopiscus (Prob,, c. 12).
2. Panég., 11.
3. Orelli, 65, 73, 3836, 3898.
4. Voir rappendice, 11.
5. Suet., C<ies.f 46.
6. Dion, LIV, 27. Panég., 47.
— 8< —
oeurs que ses prédécesseurs avaient obtenus facilement de
l'adulation publique, Trajan ne soufirit pas que son nom fut
donné à Tun des mois * ; il interdit également de placer sa statue
parmi celles des Dieux, et ne voulut être représenté qu'en bronze,
sans permettre que des vœux fussent adressés à son génie tuté-
laire devant ces statues devenues des objets de culte'. Il consultait
fort sérieusement les auspices^. Un passage du Panégyrique
donne lieu de croire que Trajan bannit de Rome les astrologues ^,
mesure prise bien des fois avant lui, toujours inutilement. Il se
montrait, du reste, équitable et peu formaliste dans l'interpré-
tation des questions relatives au culte ^; ce n'est pas conmie
sectateurs d'une religion non reconnue, ni comme adonnés à la
magie, que les Chrétiens furent en butte à quelques mesures de
rigueur sous son règne. #
En l'an 100, suivant Pline, Trajan n'avait accepté ni la
censure, ni la préfecture des mœurs ^, et l'écrivain lui fiait un
grand mérite de ce refus. La censure de Vespasien, celle de
Domitien avaient été très-sévères '' et les patriciens craignaient
le retour de semblables rigueurs * : il était d'une bonne politique
de les rassurer à ce sujet. Mais c'est à titre de censeur que
Trajan conférait le droit de cité, qu'il nommait les sénateurs,
qu'il accordait le privilège du jus liherorumy qu'il avançait
pour ses protégés l'âge des honneurs. Comment concilier ces &its
certains, et dont Pline témoigne en partie^, avec l'assertion du
même Pline que nous venons de citer, je n'en vois pas le moyen*
Ce que nous pouvons assurer, c'est que Trajan se montra très-
réservé dans la concession du droit çle cité*®, et qu'il y porta une
réserve tout à fiait républicaine. Quant au/w^ liberorum accordé
k ceux qui n'avaient pas d'enfants pour les faire participer aux
1. Panég,, 54.
2. Panég., 52.
3. Panég., 76.
4. Panég., A9.
5. Pline, Ep. ad Traj., 69.
6. Panég., 45.
7. Dion, LXVII, 13.
8. Voir ce que Tacite dit des défauts qui, à la fin du règne de Néron,
rendaient G. Galpurnius Pison populaire : « ...lenitati ac magnificentiae, et
aliquando luxui, indulgebat. Idque pluribus probabatur qui, in tanta
vitiorum, dulcedine, summum imperium non restrictum nec perse-
verum volunt. » Hist. XV, 48.
9. Panég., 69.
10. On le devine par une lettre adressée à Pline, Ep. ad Traj., 10.
DE U BSB6E 6
— «2 —
avantages politiques et civils que la loi Popaea réservait aux
pères de famille, Trajan promit au Sénat de ne distribuer diaque
année qu'un petit nombre de ces £aveurs, et il tint religieusement
cette promesse ^
La puissance tribunitienne dont il était revêtu lui donnait le
droit de veto ou à'intercessio sur toute mesure prise par le
Sénat, et le rendait inviolable, en attachant à sa personne la
majesté du peuple romain, protégée par des lois exceptionnelles.
Les hommages que Trajan rendit au Sénat, la liberté qu*il laissa
à ses délibérations, Tessor qu'il voulut imprimer à son initiative,
nous permettent d'affirmer qu'il usa peu, qu'il n'usa peut-être
jamais du droit à'intercessio, bien que nous n'en ayons pas de
preuve directe. Quant aux lois de lèse-majesté, elles restèrent
sous ce règne une lettre morte, et I4 plus grande préoccupation
du prince était de convaincre ses sujets qu'il répudiait cette arme
terrible*. Non-seulement il ne voulut pas s'en servir pour sa
défense, mais il chercha à l'émousser pour l'avenir en punissant
les délateurs avec une sévérité dont le souvenir ne s'effacerait
jamais' et en enlevant, dans les procès politiques, toute valeur
au témoignage des esclaves contre leurs maîtres ^
Renoncer aux lois de lèse-majesté I Ces mots caractérisent tout
un règne, car tous les faits sociaux qui lui donnent sa couleur :
intimité plus grande dans la famille, adoucissement des rapports
entre les maîtres et les esclaves, transmission paisible des pro-
priétés, aisance répandue dans toutes les classes de la nation,
sont les conséquences de cet abandon aussi habile que généreux.
A peine délivrées, par cette abrogation tacite, de la crainte
incessante qui pesait si lourdement sur elles, les âmes retrouvent
leur puissance et leur ressort ; la vie, redevenue partout active
et libre, reprend son cours.
Uimperium donnait à Trajan la haute main sur toutes les
affaires de l'armée, le ^oxy^oïv proconsulaire l'investissait d'une
autorité suprême dans les provinces : nous étudierons à part ces
deux branches de son gouvernement. U usa de son droit d'initia-
tive (jv^ relationis) pour soumettre au Sénat un plus grand
nombre d'affaires que ses prédécesseurs, et laissa aux votes de
1. Pline, Ep. ad Traj,, 95.
2. Dès le début de son règne, il écrivit au sénat qu'aucun bon citoyen
n'aurait à craindre, sous son gouvernement, pour sa vie ou pour son
honueur (Uioo, LXVIII, 5).
3. Panég.^ 34 et 42.
4. Panég,, 34.
— 83 —
cette assemblée plus d'indépendance par le rétablissement du
sorutin secret^.
On pense bien qu'un prince aussi désintéressé dans Tejcei^ice
du pouvoir se montrait peu avide des honneurs attribués à son
rang, et en e£fet il fit preuve de la plus grande modestie pendant
tout son règne. Bien qu'il n'eût pas livré dans les Germanies de
cc»nbats proprement dits, il avait pacifié ces provinces, et
plusieurs de ses prédécesseurs avaient célébré des triomphes pour
de moins grands succès : il ne voulut pourtant ni salutation im-
périale* ni triomphe en rentrant dans Rome*. Suivant un usage
constant, l'empereur revêtait le consulat au premier jour de
Tannée qui suivait son avènement. Trajan rrfusa cette dignité
pour l'année 99, parce qu'il était à ce moment hors de Rome :
c'était obéir à une loi observée sous la République*. Dans les
premiers jours de son règne, il se défendit aussi de prendre le
titre de Père de la Patrie ^, et pendant seize ans, il différa de se
parer du surnom d'Optimus • que le Sénat et la reconnaissance
universelle lui avaient donné depuis longtemps.
Dans les honneurs publics qu'il reçut, il se conduisit comme un
simple citoyen aurait pu le faire. Tandis que ses prédécesseurs,
retirés ou plutôt cachés au fond du palais impérial, laissaient
faire leur élection conmieun hommage dû à César, Trajan assistait
aux comices, prêtait serment en entrant en charge et le renou-
velait quand le temps de sa magistrature était écoulé ''. Il
entendait que le pouvoir impérial fut considéré comme une
délégation du peuple, qui cesserait de plein droit le jour où les
espérances qu'on avait fondées sur lui viendraient à être démen-
1. Pline, Ep,, m, 20.
2. Sur une monnaie de Nerva, frappée sous son quatrième consulat, et
par conséquent en 98, sous le double régne, cet empereur est qualifié
dlMPII. Or Trajan ne prend sur les monuments cette deuxième saluta-
tion impériale qu*à partir de Tan 102, lorsqu'il avait personnellement
remporté une victoire dans la première guerre Oacique. C'était montrer
plus de modestie que Titus qui, à dater de son association à l'empire, se
para toujours des salutations impériales que recevait son père.
â. Panég., 22.
4. Pànég,, 57, 58. On peut recueillir dans les historiens un assez grand
nombre de cas où une magistrature fut conférée à un personnage absent
de Rome, mais le fait est toujours exceptionnel et relevé comme tel.
5. Panég., 21. Cependant il porte ce titre sur les monuments gravés
dans les premières années de son règne.
6. Panég., 88. Sur les médaUles, le titre OpUmus Prineeps paraît en
Fan 105. (Ekbel, Doetrina, VI, p. 418.)
7. Pon^^., 63, 64.
— 84 —
lies. En remettant au préfet du prétoire Saburanus le paraxo^
nium^ signe du commandement supérieur de cet officier : Prends
ce glaive, lui dit-il, et ser»-t'en pour moi si je fais mon devoir,
contre moi si j'y manque ^ Dans les vœux adressés annuellement
aux Dieux pour la prolongation de sa vie et de son règne, il
voulut qu'on ajoutât à la forfnule cette clause restrictive :
€ Tant qu'il gouvernera conformément au bien public » '. Avant
de proclamer les consuls qui lui succédaient, il devait, suivant
une antique formule, invoquer les Dieux et appeler sur soi leurs
faveurs. Il changea l'ordre des termes, et ne se nomma qu'après
le Sénat et la République'.
Attentif à soumettre ses moindres actes au contrôle de l'opi-
nion, il publia les dépenses de son voyage depuis la Germanie
jusqu'à Rome^ Le chifire peu élevé de ces frais contrastait
singulièrement avec les provisions de Domitien. Dans sa vie
privée, Trajan se montrait en effet aussi désintéressé, aussi
économe que dans sa vie publique. Les accusations de lèse-
majesté ne protégeaient pas seulement la personne du prince ;
elles servaient aussi à alimenter son trésor particulier : il répudia
cette source de richesses abondante, mais impure, et sut vivre
aussi honorablement que les empereurs les plus rapaces. Le
tribunal du fisc, créé par Nerva pour juger les contestations
entre les citoyens et le domaine privé de l'empereur, fonctionna
avec une activité et une équité dont Pline porte témoignage'.
Enfin, pour couper court à un abus invétéré d'adulation, Trajan
déclara qu'il n'accepterait de libéralité testamentaire que de ses
intimes amis*.
Il se montrait affable et prévenant pour tous. Il appelait ses
« collègues » les consuls nommés en même temps que lui, et
1. Dion, LXVIÏI, 16. Aurai Vict., Cae$, 13. Pline, Panég., 67. — Sur les
monnaies que firent frapper en 1567 pour le couronnement de Jacques VI
(Jacques 1" d'Angleterre) les seigneurs écossais qui avaient arraché à
Marie Stuart son abdication, on lit autour d'une ëpée nue Pro Me. Si
Merear. In Me (Cardonnbl, NumUnuda Scotiae. PI. IX, 12, 3). On reconnaît
le mot de Tri^an. Milton s'appuya sur cette inscription des monnaies
écossaises pour justifier la condamnation de Charles 1*' (Gbpprot, Pam-
phlets de JUiltoUy p. 125).
2. Panég., 67.
3. Panég., 72. Voir dans le Pro Muraena, c. 1, Ja formule de cette
prière.
4. Panég., 20.
5. Panég., 36, 42.
6. Panég,, 43.
— 85 —
aussi, conformément à l'usage républicain, les préteurs élus sous
les mêmes auspices que ces consuls et proclama le même jour au
Champ de Mars^ Pour les citoyens de toute condition, Trajan
était constamment accessible dans son palais ; il sortait dans les
rues de Rome, à pied ou dans une litière, sans appareil et sans
gardes, saluant sur son passage, avec autant d'affection que de
simplicité, tous ceux qu'il connaissait'. Bref, pendant tout son
règne, dans les plus grandes comme dans les plus petites choses,
il écarta ou abaissa les barrières que la défiance^ des autres
princes avait élevées entre l'empereur et la nation. « Je ne veux
« pas, dit-U dans une lettre adressée à Pline, m'attirer le respect
« par la crainte et par la terreur, ou par des accusations de lèse-
« majesté »', et cette règle de conduite fut religieusement
observée par lui. Dès le premier jour, il commit à la foi publique
son flanc désarmé, comme le dit éloquemment son panégyriste^,
et, en retour de cette confiance, il obtint et le respect de ses sujets
et leur amour, sans que la puissance suprême fiit jamais avilie
ou diminuée dans sa personne.
Le Sénat. En montant sur le trône, Trajan avait convié les
sénateurs au partage du pouvoir, les exhortant à ressaisir la
liberté, à veiÛer avec lui aux intérêts publics^. Ce n'étaient
point de vaines paroles : mais il fallait, avant tout, conquérir la
confiance des patriciens, et le nouveau prince leur sacrifia les
délateurs qui les avaient fait trembler si longtemps.
La mort de Domitien fut suivie d'une puissante réaction contre
le régime qui tombait avec lui. Dans les premiers jours où la
liberté nous fut rendue, chacun, dit Pline, s'empressa d'accuser
et d'accabler ses ennemis^. Nerva, bien décidé, comme il le
prouva, à gouverner avec modération, refusa d'exécuter les
mesures violentes que sollicitait le parti vainqueur, et que
condamnaient les gens honnêtes et sensés tels que Frontin, qui
voyant « tout le monde accuser tout le monde, dit en face à
« Nerva : Mauvais prince celui qui ne permet rien, plus mauvais
€ encore celui qui permet tout > ''. L'empereur mit donc un terme
aux récriminations du Sénat, et on s'en plaignit vivement*.
1. Panég,, 77.
2. Panég., 23, 24.
3. Pline, Ep, ad Traj., 82.
4. Panéff., 23.
5. Panég., 66.
6. Pline, Ep., IX, 13.
7. Dion, LXYIil, 1.
8. Pline, Sp., IV, 22.
— 86 —
Plus faible, Trajan livra les délateurs au ressentiment patricien.
Us furent amenés dans lamphithéâtre , enchaînés comme des
assassins et des voleurs, exposés aux insultes et aux quolibets de
Rome entière, puis embarqués sur des navires que l'on abandonna
à la merci des vents et des tempêtes. Pline, en racontant leur
humiliation, rencontre des traits d'une haute éloquence pour
exprimer le plaisir qu'il savoura, et le Panégyrique y si souvent
rebutant par sa fadeur, respire ici une joie débordante et
passionnée 4igne de Saint-Simon ^
Malheureusement, les sénateurs mirent moins de zèle à amé-
liorer la constitution de l'Etat qu'à poursuivre leurs vengeances
particulières et à satisfaire la passion du moment. L'appel fait
par Trajan à leur initiative ne fut pas entendu. Nous avons
essayé plus haut de faire comprendre la cause décisive de cette
inaction, et de montrer conmient les idées •courantes sur l'essence
du pouvoir paralysaient à l'avance toute tentative de ce genre.
En se rappelant la composition du Sénat au \f siècle, et la
manière dont l'empereur le recrutait', on s'explique d'ailleurs
qu'aucun progrès n'ait été réalisé, indiqué ou même entrevu par
cette assemblée. Presque toutes les anciennes familles avaient
péri dans les guerres civiles qui précédèrent l'avènement
d'Auguste, ou par des condamnations à mort pour crime de lèse-
majesté. Les descendants de celles qui n'étaient pas éteintes
traînaient dans Rome une existence oisive et dégradée ; la
plupart, ayant dissipé leur patrimoine, ne pouvaient, faute de
la fortune exigée par le règlement censorial ', siéger au Sénat.
Pour peupler ce grand corps dont le nom était inséparable de
celui du peuple romain, les empereurs choisissaient dans les
provinces les hommes qui senoblaient les plus recommandables
par leur richesse et leur influence. En arrivant à Rome, quelles
idées générales apportaient-ils du fond de leurs municipes?
Quelle vue politique un peu grande avaient-ils pu concevoir en
gérant les affaires de leur patrie ? Ils se trouvaient rassemblés
dans la curie, étrangers les uns aux autres, ignorant même le
règlement intérieur de la compagnie dans laquelle ils entraient^,
1. Panëg,, 34 : nihU gratins, nihil sœculo dignius, quamquod contigit
desuper intueri delatorum supina ora retortasque cervices. Agnosce-
bamus et fruebamur; quum, velut piaculares publicae solJicitudinis vic-
timae, supra sanguinem noziorum ad lenta supplicia gravibresque poe-
nas ducerentur. Cf. Mart., Spigr,, I, 4.
2. Pour entrer au Sénat, il fallait alors possède? un million de ses-
terces iSuét., Ner, 10, Vesp, 17).
3. Pline, Ep., VIll, 14.
— 87 —
et, k pins forte raison, l'étendue de sa compétence. Ils ne possé-
daient plus la tradition de cette politique suivie et savante qui
avait élaboré l'ancienne constitution et oi^anisé le gouvernement
de l'univers. C'est ici que l'on peut voir quelle déplorable lacune
laissait dans le système du principat l'absence d'institutions
provinciales sérieuses. Entre le conseil des décurions d'une
petite viUe et le Sénat qui statuait sur les intérêts d'un immense
empire, il n'existait aucun intermédiaire. Des assemblées provin-
ciales librement élues S dotées d'attributions importantes, fussent
devenues, dans chaque partie du monde romain, l'école où se
seraient formés les hommes politiques, où ils auraient appris à
traiter les grandes affaires, à parler et à délibérer sur des intérêts
oollectifis, où surtout ils auraient pris conscience de leur dignité
et de leur force, et conquis une autorité capable de les maintenir
indépendants en face de l'empereur et du pouvoir formidable
dont il était revêtu.
Mais cette institution, dont le cadre existait, ne prit aucun
développement pendant les quatre premiers siècles de notre ère^,
et le Sénat ne fut guère plus qu'une assemblée de notables,
consultée pour la forme, éblouie par le prestige du principat et
docile à toutes les suggestions de l'adulation ou de la crainte. La
loi. de imperio principis, votée à chaque avènement, resta
dans 'ses mains une arme inutUe. Pendant le règne deTrajan,
l'histoire du Sénat n'offre qu'un échange d'hommages entre
l'empereur et la haute assemblée '.
C'étaient déjà des hommages que la modestie avec laquelle
r^sipereur acceptait les magistratures et les honneurs, aussi bien
que la conscience scrupuleuse qu'il apportait dans l'observation
des règlements constitutionnels. Mais il allait plus loin encore
1. Pour la liberté laissée aux élections municipales, voir les pro-
grammes écrits à la main sur les murailles de Pompéi et la lex Mata-
cHana,
2. Le rôle du eoncUium ou xocvâv de chaque province se bornait à peu
prés à célébrer le culte national et les jeux fondés au temps de l'auto-
nomie et conservés sous la domination romaine. Cette assemblée avait
néanmoins quelques attributions politiques : c'est en son nom et sur son
initiative qu'étaient instruites à Rome les poursuites contre les gouver-
neurs concussionnaires (Pline, Ep.^ VII, 6). Voir aussi l'inscription de
Thorigny {Mém. des Antiq, de France^ VII, 27S). On connaît le tardif essai
de gouvernement représentatif d'Honorius {ScripL Ber. 6aU.y l, 767).
3. Accompagné d'enfantillages, tels que ceux qui se produisirent après
rétablissement du scrutin secret, à la grande indignation de Pline
{Sp., IV, 25).
— 88 —
dans sa déférence pour le plus ancien pouvoir public de Rome.
Ainsi c'est au Sénat que Décébale dut demander la paix ; c'est
seulement après que le même Sénat l'eut déclaré ennemi du
peuple romain que Trajan reprit les hostilités contre le roi dace.
Pendant la guerre des Parthes, Trajan informait [régulièrement
rassemblée des événements militaires et sollicita auprès d'elle les
honneurs du triomphe ^
n avança Tâge des honneurs pour les [fils des sénateurs les
plus illustres, et octroya de préférence cette faveur aux descen-
dants des familles qui avaient marqué dans le parti républicain,
ceux que Pline appelle « les derniers fils de la liberté » ^.
Un des faits qui montrent le mieux la bienveillance de Trajan
pour le Sénat est la restitution, ordonnée par lui, d'un certain
nombre de monnaies émises sous la République. Sckhel pensait
que Trajan avait fait restituer toutes les monnaies de cette
époque' et que le temps nous en donnerait successivement la
preuve. Le sentiment de ce grand numismatiste est aujourd'hui
abandonnés mais par cela même que Trajan a fait un choix
dans les familles auxquelles il voulait rendre cet honneur, ce
choix devient très-significatif. En facilitant la rentrée dans la
circulation générale des pièces où l'on voyait le triomphe de
Paul-Emile*, ou Marcellus offrant à Jupiter Férétrien les
dépouilles opimes ^, il perpétuait simplement des faits célèbres de
l'histoire de Rome. Mais en rétablissant, à côté des monnaies de
Marins, de Jules César, d'Auguste et d'Âgrippa, celles des chefs
du parti aristocratique tels que Sylla vainqueur de Jugurtha et
de Bocchus'', en multipliant TefKgie de Pompée', il faisait voir
qu'il ne répudiait aucun des glorieux souvenirs de la patrie.
Songeons encore au denier restitué de la famille Juma, portant
d'un côté le nom et l'efQgie de la Liberté, et représentant de
l'autre le consul Brutus accompagné de ses licteurs. Comme on
l'a dit^, il fallait chez le prince qui permettait le renouvellement
de ces souvenirs républicains une confiance bien grande dans la
force de son gouvernement et dans l'affection de ses sujets.
1. Dion, LXVili, 31.
2. Panég., 69.
3. Bckhel, DocMna, V. p. tlO.
4. Cohen, MédaiUei romaines de la République, p. 29.
5. FamiUe AenUUa,
6. Famille Claudia.
7. Famille Carnelia.
8. Médaille de Seztus Pompée, famille Ponipeia.
9. M. de Witte, Revue numUtnatique, 18S5, p. 173.
— 8» —
Mais en faisant au Sénat une place plus brillante et plus large
dans l'exercice du pouvoir, Trajan ne voulut pas laisser sans
garantie les intérêts publics dont il se dessaisissait. Aussi fit-il
revivre quelques dispositions empruntées aux lois républicaines
pour réprimer les intrigues des candidats politiques et assurer la
sincérité des élections ^ On se disputait encore, par tous les
moyens, Tombre et le nom de la puissance, quand on était
dépossédé de ses plus importantes prérogatives ; les satis£acr-
tions de l'amour-propre survivaient aux autres et les sup-
pléaient.
Le Sénat témoigna sa gratitude en conférant à Trajan de
nombreux honneurs dont ce prince modeste n'accepta qu'une
partie, et en multipliant sur les monuments publics les témoi-
gnages de la reconnaissance et de l'admiration. Des remerciements
aux Dieux, des acclamations firéquentes au milieu des délibéra-
tions attestaient encore les sentiments du Sénat. Il est permis de
ne pas ajouter une foi entière à Pline quand il assure que jamais
la flatterie ni la peur n'avaient dicté aux sénateurs des éloges
comparables à ceux que méritait et obtenait Trajan ; il me parait
difBcile à croire qu'on n'eût pas déjà épuisé pour Tibère ou pour
Domitien tout ce que l'imagination la plus fertile pouvait inventer
en ce genre. Je crois même que la scène racontée par Pline, où les
sénateurs quittèrent vivement leurs places pour saluer l'empereur,
sans avoir l'air de prendre garde au désordre de leurs vêtements
et de leurs attitudes, je crois, dis-je, que cette scène d'empresse-
ment flatteur avait été jouée bien des fois. Ce joui^là, pourtant, la
sincérité et l'affection vraie donnèrent à ces expressions banales,
à cette manifestation officielle, un accent ému et nouveau, et
quand les patriciens s'écrièrent : « César, nous sommes heu-
reux I » Trajan ne put les entendre sans rougir, et des larmes
montèrent à ses yeux*.
Les Chevaliers, Les textes ne nous apprennent rien sur la
condition de l'ordre équestre pendant le règne dont nous nous
occupons. Cet ordre avait acquis une grande importance sous les
premiers empereurs, attentifs à duninuer les prérogatives sénato*
riales. Autant que nous pouvons en juger, Trajan n'abandonna
pas le système de ses prédécesseurs : car, s'il augmenta la
puissance du Sénat, ce ne fut qu'aux dépens de celle du prince.
1. Pline, Ep, VI, 19. On interdit aux candidats de donner des banquets,
de distribuer de l'argent ou d'en consigner pour le distribuer après
rëlection.
2. Pline, Pixnég,, 73, 74,
— 90 —
n laissa aux chevaliers toutes les fonctioDs que leur avaient
réservées les autres empereurs S et, dans le même esprit, recruta
parmi eux les titulaires des fonctions nouvelles qu'il créait, les
curcUores civitatum et les praefecti vehictUorum.
Spartien dit qu*Hadrien fut le premier empereur qui eut des
chevaliers romains pour secrétaires*. On connaît plusieurs
secrétaires de Trajan qui sont effectivement des affranchis ^, mais
un certain Titinius Capito ^, chevalier romain, fut secrétaire de
Nerva et de Trajan ^. La mesure d'Hadrien fut donc une consé-
cration plutôt qu'une innovation.
Le Peuple. Il ne fut pas un seul instant question, sous ce
règne, de rendre aux comices leur ancienne puissance et de
donner aux plébéiens une part dans le gouvernement de leur
pays. La classe moyenne, celle que Tacite appelle « pars populi
intégra » *, vit sa richesse se développer rapidement, grâce au
rétablissement définitif de l'ordre et à l'essor de la prospérité
g^érale, mais elle n'obtint pas aussi facilement la considération
qu'elle ambitionnait, et par suite elle ne put prendre aucune
j^ce importante dans l'Etat, même conmie puissance d'opinion.
Juvénal et Martial, pleins d'invectives aussi passionnées qu'in-
justes contre les parvenus, montrent suffisamment que les
hommes qui avaient réussi à améliorer leur condition par le
travail ne conquéraient à Rome aucune autorité morale. De
plus, Trajan leur ravit, ou du moins les empêcha de se procurer
un puissant moyen d'action et d'influence en ténu)ignant peu de
faveur aux associations (collegia), où l'industrie aurait trouvé
assez d'assiette et de force pour établir, à la longue, sa prépon-
dérance sur les classes privilégiées. Derrière les motife de police
et d'ordre public qu'il mettait en avant pour justifier sa répu-
gnance '', ne devine~i-on pas quelque partialité, quelques m^-
gements en faveur des patriciens que menaçait, à bien des points
de vue, la concurrence des associations?
Quant à la classe nombreuse qui vit de son travail de chaque
jour, Trajan fit de grands efforts pour améliorer sa condition
matérielle et pourvoir à la satisfaction de ses besoins. Les
1. PraefecU praetario, vigilum, cliusis^ etc.
2. Spart, Hadr., c. 32.
3. Orelli, 1641, 2997. Gruter, 587, 2.
4. Ptine le Jeune parle de lui, £p., 1, 17, Vill, 12.
5. Gruter, 61, 4.
6. HUt., I, 4.
7. Pline, Ep. ad. Traj,y 34, 117.
— 94 —
travaux considérables qu'il exécuta dans Rome fournissaient à
des milliers de bras une occupation lucrative ^ : d'autre part, le
prix des subsistances, rendues plus abondantes, fut abaissé.
Trajan permit la libre circulation des grains dans toute l'étendue
de l'empire ; cela, dit justement Pline, équivalait à un congior-
rium perpétuel', car cette liberté rendue au commerce est
l'expédient le plus efficace pour prévenir les disettes. De plus,
Trajan releva le collège des boulangers^, créé sous Auguste, mais
dont les services avaient cessé peu à peu. Un fragment d'Ulpien,
que Mai a découvert, nous apprend que ce coUége renfermait
cent membres^, et qu'entr 'autres privilèges que lui conféra
Trajan était l'exemption de la tutelle. Le corpus pistorumy
administré par deux questeurs élus par lui, dépendait naturel»
lement du préfet de Vannone^. Probablement, il cédait au
fisc, à un prix très^-bas, une quantité de blé calculée pour que
Rome eût toujours un approvisionnement suffisant, et dans les
années de disette, le fisc revendait ce blé aux citoyens au prix
coûtant. Quoi qu'il en soit, les règlements de Trajan étalent
assez judicieusement combinés pour qu'en tenant la main à leur
exécution, un gouvernement vigilant fût toujours en mesure de
parer, pendant sept ans, aux besoins de la consommation dans la
capitale^.
 cette mesure qui assurait l'alimentation publique, Trajan
ajouta la distribution d'eaux abondantes et salubres. Déjà Nerva
avait fait réparer YAqua Marcia qui était au premier rang,
pour la qualité, de celles qui aiTivaient dans Rome. Trajan
améliora l'eau dite du Nouvel Anio (Anio Novus) en faisant
ouvrir le canal de dérivation plus près de la source du fleuve,
avant qu'il n'eût passé au milieu de terres argileuses qui trou^
blaient sa limpidité. Par là, dit Frontin ^, nous aurons une eau
supérieure à la Marcia, et qui la surpassera par son abondance.
1. Voir un mot de Yespasien dans Suétone, Fesp., 18.
2. Panég., 29.
3. Victor, Caess.y 13.
4. Fragm. Vatican. 5, 233 : c Sed non alios puto excusandoB (a tutela),
quam qui intra numerum constituti centenarium, pistrinum secundum
litteras divi Trajani ad Sulpicium similem exerceant » Il est certain que
dans -une vUie aussi peuplée que Rome, il y avait plus de cent bou-
langers; le corpus pistorum était plutôt une compagnie financière qa*une
corporation d'industriels, et nlnquiétait pas Trajan.
5. Oruter, p. 255, 1.
6. Spartian. Sev,, 23. Lamprid. Heliog., 27.
7. Frontin, Aq.^ 93.
— 92 —
Les aqueducs construits jusqu'alors ne desservaient que les
treize premières régions de Rome : une faible quantité d'eau se
rendait, probablement par le pont Sulpicius, dans la quatorzième
région, au delà du Tibre. Quand le pont était en réparation ou
que le régime des aqueducs diminuait, la région transtibérine
était privée d'eau potable et réduite à se servir de VAqtia
Alsietina^ rare et peu salubre, qu'Auguste n'avait créée que
pour alimenter sa naumachie ^ Trajan pourvut à une meilleure
répartition des eaux nécessaires au Janicule en y &isant arriver
VAqua Trc^ana, prise au lac Sabatinus (lago di Bracdano),
et qui est aujourd'hui, sous le nom à*Aqua Paola, l'une des trois
eaux de la Rome antique utilisées pour les besoins de la ville
moderne*. Une inscription découverte à Gonetta, à dix milles de
Rome, sur le parcours même de VAqua Trajana, prouve que
l'aqueduc fut terminé en 109 de notre ère*.
Deux grands établissements de bains furent aussi créés sous
Trajan. Les thermae Trajanae, voisines des thermes de Titus,
dans la troisième région ^, furent réservés aux fenmies ^;
jusqu'alors les mêmes bâtiments avaient servi aux deux sexes *.
Dans la treizième région, sur l'emplacement de la maison de
Licinius Sura, Trajan fit construire, après la mort de son ami
intime, des thermes appelés Surianae en son honneur ''.
1. Ibid., 18.
2. L'inscription de la fontaine Pauline dit à tort que Peau qu'elle
déverse est VAUieUna. L'aequa Vergine (fontaine de Trevi) est rancienne
Aqua Virgo et VAequa FéUee correspond aux Aquae Marcia et Claudia. Les
papes n'ont restauré que trois aqueducs antiques et pourtant les habi-
tants de Rome ont plus d'eau à leur disposition que ceux de toute autre
capitale de TEurope. Voir la traduction de Frontin par Rondelet.
3. Notre n* 54.
4. Voir Preller, RegUmen, etc., p. 126. Ces bains occupaient remplace-
ment de 8. Martino a Monti. Anastas. VUa S. Sgmmachi : c Basilicam sanc-
torum Silvestri et Martini a fundamento construxit juxta tbermas
Triyanas. •
5. Chronogr., éd. Mùmmsûn, p. 646. Spartien fait honneur à Hadrien
d'avoir exigé cette séparation (Hadr., c. 18).
6. Pline, Hisi. NaU, XXXIIJ, 12. La défense d'Hadrien fut renouvelée
par Harc-Auréle {CapiMin., 23) et par Alexandre Sevére {Lamprld,^ 42),
ce qui prouve qu'on n'en tenait guère compte.
7. Preller, Begionen, p. 201. Ces bains étaient alimentés par TAquA Ira-
jana qui traversait le Tibre. Voir BuUet Inst, Ardi,, 1870.
CHAPITRE VII.
GRANDS TRAVAUX DANS ROMS. ^ SECOURS PUBLICS.
Les aqueducs et les bains furent construits avant les années
109 et 110. D'autres édifices, qui devaient surtout contri-
buer à Tembellissement de Rome, ne furent entrepris qu'à la
fin du règne, à une époque où Tétat prospère des finances et la
paix générale permettaient de consacrer des sommes considérables
à des ouvrages utiles sans doute, mais plus somptueux et moins
indispensables que ceux que nous avons énumérés jusqu'ici. On
sent que nous voulons parler des constructions que Trajan éleva
autour du Forum qui reçut et qui a gardé son nom *.
Mais d'abord, que fau1>-il entendre par ce mot Forum f II ne
s'agit plus d'une place servant de lieu de réunion aux grandes
assemblées politiques : au deuxième siècle, un tel emplacement
n'a plus de raison d'être. Les Fora de César, d'Auguste, de
Domitien, n'ont point la destination de l'ancien Forum. En les
établissant, ces princes voulaient seulement réunir dans une même
enceinte les tribunaux, les bureaux des notaires et des écrivains
publics, les sièges des diverses administrations, en un mot la
plupart des établissements d'utilité générale. L'enceinte choisie à
cet effet était consacrée et un temple en occupait toujours une
1. Les médailles qui représentent les monuments de ce forum sont
datées du 6* consulat, et Tn^an n'y porte pas le titre (Voptimu$, ce qui
fixe leur émission entre tl2 et 114.
— 94 —
partiel Le nombre croissant des affaires qui se traitaient à
Rome nécessitait, de temps en temps, la création d'un forum
nouveau. Tel était le besoin qu'on éprouvait à cet égard au temps
de César et d'Auguste que l'on se réunît sur les places nouvelles
avant même que les constructions fussent complètement ter-
minées*. Depuis cette époque, le seul forum ouvert était celui
de Domitien qui ne pouvait servir de lieu de réunion à cause de
son exiguité et de sa position au croisement de plusieurs rues
animées et populeuses. La création, par Trajan, d'une nouvelle
place publique, cent ans après qu'Auguste avait fait exécuter son
forum, répondait donc à une nécessité véritable et ne doit pas
être considérée comme l'inspiration de la vanité. La plupart des
grands édifices publics étaient échelonnés dans la vallée qui
sépare le Palatin de l'Esquilin et du Quirinal. Les théâtres, le
cirque Flaminius, l'Odéon, le Stade, le Portique d'Octavie, les
bains d'Âgrippa se trouvaient au contraire dans le Champ dé
Mars, dont le sol moins accidenté avait offert plus de facilité
pour les travaux ^. Trajan conçut le projet grandiose de relier les
deux groupes de monuments par son Forum. Mais avant de
déboucher dans le Champ de Mars, la vallée dont nous parlions
était presque fermée par un promontoire que le Quirinal pro-
jetait vis-à-vis du mont Capitolin. La terrain fut nivelé, l'en-
ceinte de Servius, qui s'ouvrait de ce côté parla porte Fontinalis,
fiit abattue et sur le vaste espace devenu disponible entre le
Forum d'Auguste et le Champ de Mars, dans la direction du
N.-O. au S.-E., s'élevèrent les monuments que nous allons énu-
mérer, et qui forent exécutés, dans les années 112 et 113 de
notre ère, par ApoUodore de Damas, l'habile constructeur du
pont de pierre du Danube*. Ce n'est qu'en 1812, pendant l'occu-
pation française de Rome, que forent opérés sur le forum de
Trajan les premiers déblaiements qui ont mis à jour le pavé
antique, dégagé la base de la colonne Trajane, et permis de
1. Temple de Venus Ûenetrix sur le Forum de Jules César, temple de
Mars Ultor sur celui d'Auguste, de Minerve sur celui de Domitien, d*où
le nom de Forum Palladium donné à cette place (Martial, I, 2S) qu'on
appelait aussi Forum Nervae parce que Nerva la termina. Par récipro-
cité, on appelait aussi Forum l'espace consacré mais non bâti (temeiu»)
qui entourait un temple. Ainsi le Templum Pacis de Vespasien (Suet.,
Vesp,y 9) est nommé Forum Pacis par Âmmien (XVI, 10).
2. Pline, Hist, Nat,, XXXV, 45. Suet., Aug., 29. Vell. Paterc II, 100.
3. Voir dans Strabon le beau coup d'œil qu'offrait cette partie de Rome
(V, 3. 8).
4. Oion, LXIX, 4.
— w —
dresser enfin le plan des édifices dont on ne connaissait plus que
les noms donnés par les auteurs et le Régionnaire du quatrième
siècle.
L'œuvre d'Âpollodore se compose de quatre parties :
1* Le Forurn, borné au sud par les Fora de Domitien et d'Au-
guste, au nord par la Basilique Ulpienne, à l'ouest par le mont
Capitolin, à Test par le Quirinal. Ces deux collines avaient été
creusées en demi-cercles, et dans ces excavations avaient été
pratiquées des boutiques disposées ainsi en hémicycles de chaque
côté de la grande place. Devant chaque hémicycle, un portique
rectiligne dessinait Yarea ou platea Tt^ajatU^, pavée en gros
blocs de travertin. Une entrée monumentale donnait accès dans
cette platea, en sortant du forum d'Auguste'. Au milieu de la
place s'élevait la statue équestre de Trajan, dont une monnaie
de grand bronze nous a conservé le dessin : l'empereur tenait-
une haste et une petite victoire^. Constance, quand il la vit,
éprouva le désir de se &ire représenter dans la même attitude à
Gonstantinople. Le Persan Hormisdas lui répondit finement, en
montrant les bâtiments magnifiques qui entouraient le forum :
Il faudra faire au cheval une écurie semblable ; autrement, il sera
mal à l'aise ^ : or , à Constantinople , aucun architecte n'était
capable d'exécuter ni même de concevoir une œuvre aussi gran-
diose que celle d'Apollodore. Mais plus tard , un successeur de
Constance voulant posséder, non pas une statue semblable, mais
la statue elle-même, la fit enlever. On la trouve mentionnée
parmi les œuvres d'art qui décoraient la Rome orientale^.
^ La basilique Ulpienne formait l'un des côtés du Forum :
elle avait la forme d'un rectangle allongé, terminé par deux
1. A. Gell., iV. au., XllI, 24. Ammien, XVI, 10, appelle cette partie
atrium,
2. Voir la représentation de cette entrée sur les mèdailleg à la légende
FORVM TRAIANl (Goben, 95, 350). Les fondations ont été retrouvées du
temps de Flaminio Vacca. Voir ses Memork, n* 9, au quatrième volume
de Nardini {Rofna anUea, 1819) et le bulletin de Vlmt. archeoL, (863,
pp. 78-80. On sait que Tare de Constantin est orné de bas-reliefs arracbés
à un monument élevé sous le règne de Trajan, mais ce n^est pas Tare
placé à rentrée du Forum qui a été ainsi dépouillé. Voir Preller,
ttegianen, p. 62.
3. Cette statue se voit sur une médaille (Cohen, n* 466).
4. Ammian, XVI, 10.
5. £lle fut placée à Constantinople près du MiUiaire d'or. V. Anonyme
de Gonstantinople, et Cedrenus, cités par Qarac, Muiée de SaUptun, III,
CLVI, OLXI, CLXVIL
— 96 —
hémicycles ou absides, prises comme celles du Forum dans la
masse des deux collines. Quatre rangs de colonnes de granit dur
d'Egypte formaient cinq nefs à l'intérieur de ce vaste édifice ^
Il était recouvert de tuiles de bronze.
3^ Derrière la basilique, au centre d'une petite place rectan-
gulaire, longue de 20" et large de 17", s'élevait la colonne
Trajane^ dont la hauteur indiquait précisément à quelle pro-
fondeur il avait fallu creuser le sol pour établir le Forum *. De
chaque côté de la colonne, deux bibliothèques attenantes à la
basilique, et consacrées Tune aux ouvrages grecs, l'autre aux
ouvrages latins ^, formaient les côtés de la petite place.
4® Le fond de cette place, ouvert, laissait apercevoir le temple
non terminé à la mort de Trajan, qui fut achevé par Hadrien
et par lui consacré à son prédécesseur divinisé^.
Tel était le forum de Trajan, qui resta debout jusqu'à la
fin du IX® siècle^. Il est souvent mentionné dans les auteurs
de la décadence, et en effet il fut longtemps un centre de réunions
et de promenades. Bien des souvenirs populaires se rattachaient
à cette place qui portait le nom du meilleur des princes. On
y avait vu Hadrien brûler les créances non recouvrées du
fisc^, Marc-Âurèle vendre les meubles les plus précieux du
palais des Césars pour épargner de nouveaux impôts aux
1. Les deux entrées de cette basilique sont figurées sur des médailles
d*or et de bronze (Cohen, 18, 319). Les tronçons des colonnes sont encore
debout, et les absides en partie conservées. V. AnnàL Inst. arch., 1851,
p. 132. Pour le toit, voir Pausanias, V, 12.
2. Orelli, 29. Cf. Aur. Vict., Ep,, 13. Dion, LXVIII, 16.
3. A. Oeil. (iV. AU., XI, 17) l'appelle Mdiatheca templi Trajani, Vopiscus
{Àurdian., 1 et 8, TacU,, 8) la nomme Ulpia bibUoiheca. Sidoine Apolli-
naire (EjM,, IX, 16) parle des auctores utriusque bibUotheeae. Mais ce sont
les statues d^écrivains gui en décoraient l'extérieur. Les livres* avaient
été transportés dans les thermes de Dioclétien (Vopiscus, Prob., 2).
4. Spart., Hadr., 19. G^est bien ce temple, consacré à Trigau par
Hadrien, qui se trouvait en arriére et au nord de la colonne et des
bibliothèques puisqu'on lit dans la Noiitia : VlIhRegio, Forum... Trajani,
templum divi Trajani et columnam cochlidem, etc. Des colonnes et des
fragments de corniches ont été retrouvés (Winckelmann, Hht. de VAri,
11, p. 449 de la traduction française; cf. Arch. Anxeiçer, 1866, p. 186).
5. Il est décrit dans ÏAnanpne itEvnsieddn, Les anciens en parlèrent
toujours avec la plus vive admiration. Ammien dit que c'est une chose
unique au monde {skiffularem iub caelo structuranif XVI, 10) et Gassiodore
qu'on ne cessait pas d*en être émerveillé (Trc^ani forum vel sub assidui-
taie videre miraeulum est {Variar,, VII, 6).
6. Spart, Badr.j 7.
— 97 —
provinces et défrayer la guerre contre les Marcomans ^ , Aurélien
détruire toutes les tables de proscription '. C'est là que les con-
suls venaient rendre la justice^, c'est là qu'on affranchissait les
esclaves^. D'ailleurs la bibliothèque Ulpienne, riche en docu-
ments de haute importance, attirait les historiens et les philo-
sophes ; sur Varea voisine, Favorinus^ parlait morale ou gram-
maire avec ses amis et Fronton, Dion Ghrysostôme, Hérode Atticus
avaient groupé leurs disciples. C'est sur le Forum de Trajan que
la poésie latine ât entendre ses derniers accents^. Les grands
édifices élevés sur les plans d'ApoUodore avaient été ornés de
statues représentant les hommes de guerre, les légistes, les
littérateurs les plus célèbres ''. Le Romain pouvait être fier, en
jetant les yeux sur ces monuments d'un art original et puissant.
Pausanias, familiarisé avec les merveilles encore debout sur le
sol hellénique, n'a pas refusé son admiration au Forum de
Trajan ; on sait qu'il arracha un cri de ravissement à l'indif-
férence byzantine de Constance, et les débris qu'on y retrouve,
à de longs intervalles, sont placés par les critiques du goût le
1. GapitoliD, H. Awt, Philos., 17.
2- Vopisc., Àwelian., 39.
3. A. GeJl., N. AU., XIII, 24.
4. Sid. ÂpoUin., Paneg. ad Anthem. Carm., II, 544-546. Sur le plan de
Rome qui servait de pavé au temple de Remus, et dont une partie est
conservée au Gapitole, on lit, daus une des absides de la basilique Ulpia
le mot LIBERTATIS. Y. Reber Die Ruinen Ram, Leipzig, iS63, p. tS9.
L'Atrium liberiatis (T.-Live, XLV, 15. Gic, ad AtUc., IV, 16) était en effet
situé près du Quirinal, et il fut englobé dans les constructions de
Trajan.
5. A. Gell., JV. Ait., XIII, 24.
6. Venant. Fortunat. Comt., III, 23.
7. Multi nobiles belle Oermanico sive Marcomannico, imo plurimarum
gentium, interierunt, quibus omnibus statuas in Foro Ulpio collocavit
|M. Aurelius] (Capitol., M. AnU Ph4l,, 22). Statuas summorum virorum in
foro Tn^ani collocavit (Alezander) undique translatas (Lamprid., Sev.
AUx., 25). Parmi les statues de ce forum, on peut citer celles de
M.:GlaudlUB Fronto (Henzen, 547S), M. Bassaeus Rufus (Orelli, 3574),
H. Pontius Laelianus (Gruter, 457, 2), T. Vitrasius PoUio (Or. Heuzen, 5477),
FI. Peregrinus Saturninus (OreUi, 3161), celles des poëtes Numérien (rem-
pereur. Vopisc., Num., 11), Glaudien (Inse. Nap.^ 6794), Merobaudes
(Orelli, ilS3), Sidoine ApoUinaire (Garm., VIII, 8), du rbéteur Victorinus
(Buseb., Chnm. a. 355, p. 195, éd. Schoene). Suivant une tradition
obère aux Romains, et qui aurait dû au moins cmpècber la destruction
du Forum de Trijan, c^est là que Constantin, sous Taiguillon des plus
sanglants remords, et subitement éclairé par les lumières de la foi, fit
profession publique du cbristianisme devant la foule étonnée et encore
terrifiée de ses récentes violences.
DE LA BIR6B 7
— 98 —
plus difficile et le plus sûr, peu au-dessous ou à côté même des
œuvres grecques.
Ces constructions eurent d'ailleurs une influence notable sur
le développement de Rome. La ville, comme la suite du temps Ta
montré, tendait à se porter au nord, le long de la Via Lata *,
vers le Champ de Mars, rendez-vous des plaisirs et de la mode.
Les quartiers montueux du sud *, couverts de petites construc-
tions, de rues irrégulières, n'offrant comme édifices publics que
des édicules consacrés aux divinités étrangères, ou bien des gre-
niers et des magasins 3, répugnaient aux familles riches qui
cherchaient pour leurs somptueuses demeures Tair pur et les
beaux aspects du Quirinal et du Pincio. Aussi, jusqu'au moment
où les empereurs abandonnèrent Tantique capitale, vit-on s'a-
vancer au nord le flot des habitations particulières : les monu-
ments, très-espaces, du Champ de Mars se trouvèrent peu à peu
reliés par des maisons et des rues, les jardins de Salluste et de
Lucullus se couvrirent de constructions ^ Le Forum de Trajan,
dont une moitié dépassait Tenceinte de Servius, était appelé à
devenir le centre de la ville agrandie, et son établissement flt
prendre un essor plus rapide au déplacement général des habi-
tudes et de la vie urbaine.
Outre les monuments que nous avons énumérés, Trajan flt
construire dans le Champ de Mars une basilique à laquelle il
donna le nom de sa sœur Marciana *, et un théâtre qu'Hadrien
ne laissa pas subsister*. Il acheva l'Odéon commencé sous
Domitien pour servir aux concours -de musique des jeux Capi-
tolins' et enfln, ce qui devait plaire particulièrement au peuple,
il agrandit le Orque et en améliora l'aménagement intérieur*.
Comme nous l'avons dit, ces travaux immenses faisaient
vivre dans la capitale un grand nombre d'hommes , et contri-
buaient assurément à y répandre l'aisance.
1. V. BuUet. iMt. Arch.y 1870, 107, 124.
2. Régions XII (Piscina Publica) et XIII (Ayentin).
3. V. les Régionnaires.
4. Capitolin., Gord. TertySI.
5. IX- Région. V. Preller, p. 175.
6. Spart, ffadr.f c. 9.
7. Dion, LXIX, 4.
8. Pline, Panég., 51. Pausanias, V, 12.6. — Un arc de triomphe élevé
en l'honneur de Trajan, près de la porte Gapène, fut détruit sous Cons-
tantin, pour en tirer les sculptures qui décorent le monument de
même espèce, érigé en Thonneur de ce dernier prince. Preller, Regio»
nen, p. 62.
— 99 —
Nous arrivons enfin à cette partie de la population qui
depuis longtemps ne vivait que des subsides de l'Etat ou de ses
patrons. Trajan ne supprima pas la charité légale. Qui pour-
rait le lui reprocher? On ne sait que trop qu'il est impos-
sible de faire disparaître les institutions de ce genre une fois
qu'elles sont enracinées dans les mœurs publiques. Mais Trajan
aurait pu ne pas aggraver le mal, et il l'augmenta. Sa bonté
naturelle, sa déférence pour des usages qu'il avait trouvés éta-
blis à son avènement, sa condescendance pour les préjugés
régnants, le conduisirent à offrir de nouvelles primes à l'im-
prévoyance et à la paresse.
La bienfaisance publique était exercée à Rome sous deux
formes : 1® Les secours fixes donnés aux indigents * ; 2** les
libéralités impériales (congiaria) auxquelles le peuple entier
participait. Trajan porta l'ordre dans le premier de ces services.
Les listes de ceux qui devaient prendre régulièrement part aux
largesses de l'empereur furent dressées et soumises à une révision
permanente*. De plus le prince, à son retour de Germanie,
organisa l'assistance des enfants pauvres de Rome , qui jus-
qu'alors n'avaient eu part qu'aux distributions extraordinaires *.
Pline loue beaucoup la bonté de l'empereur, et à la façon dont
il s'exprime, on voit qu'une pensée politique se joignait ici, dans
l'esprit de Trajan, à des vues charitables, et qu'il espérait remé-
dier au décroissement de la population, idée fixe qui préoccupait
les Césars depuis un siècle. Il va sans dire que ce moyen artificiel
dut réussir aussi peu que des encouragements semblables, vai-
1. Le nombre des individus secourus fut réduit par Jules César de
320,000 à 150^000. Sous Tempire il diminua encore, et il était moins con-
sidérable qu'on ne le croit communément. Une inscription trouvée à
Rome au xvi* siècle^ et aujourd'hui à Naples {Insc, Nap., 6S08), trés-mu-
tilée, et qui, d'après la forme des lettres, fut gravée au commencement
de l'empire, indique, par tribus, le nombre d'bommes qui auront part
aux distributions de blé. Les chifiPtes sont: Tribu Palatina 4191, Sticcu-
9ana 4068, EsquUkia \Tn, ColHna 457, Ronùlia 68, VolHnia 85... Ici le
marbre est brisé, mais les tribus qui manquent sont les tribus rus-
tiques qui nécessairement comptaient peu de citoyens domiciliés à
Rome, on le voit par le petit nombre d'inscrits des tribus Romilia et
Voltinia. Douze mille familles environ, sur plus d'un million d'habi-
tants, recevaient donc des secours publics. Â Paris, la proportion des
indigents assistés est plus forte.
2. Panég,, 25.
3. Panég., 26. Cf. Suet., Oc^., 41. Un bas-relief découvert sur le Forum,
en 1872, se rapporte à cette Institution de Trajan. V. Henzbn Bullet,
Inst. Arch. 1872, p. 280.
— 400 —
nement prodigués dans les temps modernes pour arrêter le même
mal. Cinq mille enfants reçurent du fisc des secours réguliers S
à la condition d'entrer plus tard au service militaire, et ce recru-
tement anticipé de soldats ne laisse pas que de prouver une
certaine inquiétude pour l'avenir.
Nous terminons par les congiaria Texamen rapide auquel
nous avons soumis les mesures prises par Trajan en faveur du
peuple, et ici nous nous trouvons en face de profusions qui
appellent le blâme le plus sévère. Trajan distribua trois con-
giaires, le premier en 99 à son retour de Germanie ', le deuxième
et le troisième en 103 et 106, après chaque guerre Dacique*.
Jusqu'alors ces libéralités extraordinaires montaient à 75, au
plus à 100 deniers par tête ^ Le premier congiaire de Trajan fut
sans doute, comme celui de Nerva ^, de 75 deniers. Mais tout à
coup, après les guerres de Dacie, le montant de la distribution
s'élève à 650 deniers par tête •. On dira que le butin fait au cours
de ces guerres était considérable, que l'on était affranchi du tribut
imposé à Domitien par Décébale, et que le vainqueur voulut faire
profiter le peuple de ces avantages. Malgré ces raisons, on ne
peut que trouver insensée une telle prodigalité, et ce qu'il y eut
de plus funeste, c'est que le chiffre habituel des congiaires ne
s'abaissa plus. Hadrien distribue 1,000 deniers, Ântonin 800,
Marc Aurèle et Commode 850, Septime Sévère 1,100^. On voit
quelles charges écrasantes Trajan léguait à ses successeurs par
sa générosité irréfléchie, et c'est à ce règne qui mérite, sur tant
de points, les éloges de l'histoire, que nous sommes contraints de
faire remonter l'origine d'un des abus les plus criants du bas
empire.
\.Panég,, HB.
2. Pline, Panég., 25.
3. Goben, MédaOies, n- 321, 324, 330. Le n* 324 (GONGtorfom PR<mt»m) est
daté du deuxième consulat, c'est-à-dire de Tan 99. Les deux autres
(GONGlÂRtom SBGVNDum, GONGIÂRIVM TBRTIVM) sont postérieurs au
cinquième consulat, c'est-à-dire à Tan 103, et se réfèrent aux guerres
Daciques.
4. V. le Chronoçrapke de 354, p. 646. Claude donna 75 deniers par tête,
Néron 100, Vespasien, Titus, Domitien, Nerva, chacun 75.
5. En effet, les finances étaient alors un peu obérées puisque les
soldats ne reçurent que la moitié du donaUimm,
6. Cktonogr. 1. 1. Cong, ded. DGL.
7. Chronogr. p. 647.
CHAPITRE VIII.
l'italib sous trajan.
On a souvent cité, et parfois pour en forcer le sens, une phrase
de Tacite exprimant le calme avec lequel les provinces acceptèrent
la chute de la République ^ Si quelque part les revers de l'ancien
gouvernement romain pouvaient éveiller une sorte de joie, c'est
dans l'Italie qu'un tel sentiment devait naître. Depuis trois cents
ans, une destinée implacable pesait sur la péninsule. Pendant
que les soldats italiens faisaient pour le compte de la République
des guerres longues et lointaines, le sol restait sans ciûture, la
petite propriété disparaissait et allait accroître les latifundia
des patriciens et des spéculateurs, les villes voyaient décliner
leur prospérité, la population diminuait de jour en jour. Les
Italiens n'obtenaient même pas l'égalité politique et civile qu'ils
sollicitaient connue la compensation de maux si grands, et comme
la rémunération de leurs services militaires. Loin de là, des
mesures tyranniques et humiliantes venaient s'ajouter aux mi-
sères de leur condition. Ils prirent les armes et succombèrent,
mais la victoire coûta si cher à Rome qu'elle ne put refuser à ses
adversaires abattus le droit de cité revendiqué par eux avec tant
de patience et de courage. Seulement ce privilège leur était con-
féré au moment même où il perdait tout son prix et n'assurait plus
aucune sécurité à son possesseur. Sylla donna le funeste exemple
de récompenser ses compagnons d'armes en leur distribuant les
propriétés confisquées. On vit ainsi, dans le centre et dans le
1. AwMLLy 1, 2. Neque provinciae illum rerum statum abnuebant.
— <02 —
midi de l'Italie, des soldats s'installer dans les villes et dans les
terres des vaincus : incapables de tirer eux-mêmes parti des res-
sources qui leur étaient mises entre les mains, ils pillaient les
champs de leurs voisins et enlevaient les récoltes des malheureux
qui croyaient avoir échappé à la spoliation légale. Au temps de
Strabon, le Samnium ne s'était pas relevé de la victoire de
Sylla*. Puis vint la guerre civile de Jules César : il fallut payer
les vétérans de la même manière : le dictateur, du moins, les
répartit dans toute l'Italie pour rendre la dépossession moins
onéreuse, et contenir, s'il était possible, la turbulence des nou-
veaux colons*. Enfin, dans les déchirements qui précédèrent
l'établissement du principat, les provinces du Nord, restées
étrangères à la guerre sociale, deviennent le théâtre ensanglanté
de luttes sans merci et, à la paix, sont livrées au vainqueur.
Pérouse, Modène, Crémone furent ravagées ou brûlées, les cam-
pagnes distribuées aux vétérans ^. On sait comment ceux mêmes
qui n'avaient pas subi la confiscation en devenaient les victimes,
et tous n'obtenaient pas, comme Virgile, leur grâce avec de
beaux vers ^
Ces longues guerres, étrangères et civiles, avaient porté leurs
fruits inévitables : diminution des produits de la terre, dépopu-
lation, disparition de la classe moyenne. Les blessures de l'Italie
étaient si profondes qu'elle ne se rétablit jamais, malgré l'ordre
et la paix, malgré la bonne volonté des empereurs qui essayèrent,
par tous les moyens, de relever et d'améliorer sa condition ^. Les
efforts de Trajan, dans ce sens, sont très-visibles.
Ainsi il chercha à arrêter la dépopulation en ne prenant point
parmi les Italiens, comme le faisaient ses prédécesseurs, les
colons qu'ils jugeaient à propos d'envoyer dans les diverses pro-
vinces •. D'autre part, il établit plusieurs colonies dans la Pénin-
sule, à ^clanum, à Veies, à Ostie, à Lavinium''.
1. Strab., V, 4, 11. LaLucanie et lefinitium étaient déserts au premier
siècle. Senec, Tranquill. Ânim,y 2.
2. Suét., Caes., 3S. Appian., B, Civ.y II, 94.
3. Octave, disait Antoine, se prépare à faire passer dans d'autres mains
toute» les propriétés de Tltalie (Âpp., B. Civ., V, 5).
4. Eclog,, IX. Cf. Horat., Carm., II, 18.
5. Suét, Oct.y 46; Tib., 34; Calig,y 16; DomiLy 7.
6. Gapitolin., M. Ant Philos., II : Hispaniis exhaustis Italica allectione
contra Trajani praecepta... consuluit.
7. Or., Henzen, n* 6932. LUf, colonkar. (éd. Lachmann), 223, 234, 236.
Hais ces colonies ne réussirent peut-être pas mieux que celles de Néron
(Tacite, Ànn.y XIV, 27). Au nombre des villes italiennes colonisées par
— 408 —
De grands travaux d'utilité publique, destinés à mettre en
relations plus fréquentes et plus faciles les diverses parties de
l'Italie entre elles, et aussi avec Rome et avec le reste du monde,
furent poussés avec activité. L'un des plus importants est celui
qui eut pour objet d'améliorer la navigation du Tibre, de rappro-
cher Rome de la mer, et d'ouvrir près de la capitale une rade
spacieuse et sûre.
Le Tibre se divise avant de tomber dans la mer. Le bras
gauche passe devant Ostie, le droit, ou Fiumicino, aboutit à
Porto. Le premier n'est autre chose que le lit naturel du fleuve,
modifié dans sa direction par les alluvions qui altèrent incessam-
ment la topographie de cette côte *. Le bras droit, au contraire,
a été creusé de main d'homme et cela, conome nous le verrons
plus loin, sous le règne de Trajan. Carlo Fea a, le premier,
établi^ le caractère artificiel du Fiumicino en remarquant :
1^ que le bras gauche coule sur un lit de sable, entre des
rives basses et couvertes de galets, tandis que le bras droit,
presque rectiligne dans sa course, se trouve encaissé entre des
berges verticales telles que celles d'un canal ; 2® que parmi les
auteurs qui écrivaient au premier siècle de notre ère, les uns tels
que Tite-Live, Virgile, Strabon, disent expressément que le Tibre
n'a qu'une seule embouchure, et les autres, Pline et Pomponius
Mêla, ne signalent pas la deuxième^ : l'Itinéraire de Rutilius,
composé au vi*' siècle, est le premier texte qui la mentionne^.
De ces deux ordres de faits, Fea tira justement la conclusion
que le bras droU a été creusé de main d'homme, après l'époque
Trajan, il ne faut pas compter Parentium en latrie, car dans rinscrip-
tion donnée par Orelli sous le n* 3729, au lieu de col. Ulpiae Parent, il
faut lire colon. JtU. Parent. (V. Henzen, vol. III, p. 407.)iEn Sardaigne, Tra-
jan fonda ou agrandit Forum Trajani {Itin. AntorUn., éd. Wessl., p. 82).
1. L'avancement annuel du delta du Tibre depuis 1662 est en moyenne
de 3" 9 (Rozet, Académie des sciences. Comptes-rendus^' 195^, 2* semestre,
p. 961). Les ruines d'Ostie sont actuellement à 4,&00" du point où le
Tibre se jette dans la mer : le port de Claude, devenu un pâturage, est
à 2,500 "> du rivage.
2. Osservûiioni sugli aniichi porii d'Ostia^ ora d$ Fiumieino. Roma, 1824.
Cette opinion fut adoptée par Nibby, Viaggio a Porto. V. Tanalyse de
ces travaux daus les Mémoires de Visconti {AtUddla pontijicia AeademÂa
Romana, VIII, p. 211-233 et 233-257?
3. Parlant du Rhône, Pomponius Mêla dit (II, 5) : Fossa Mariana partem
eju8 amnis navigabili alveo effundit. Gomment n'auruit-il pas signalé la
même particularité à Temboucbure du Tibre si le Fiumicino eût existé
de son temps?
4. Itin., I, 179-180.
OÙ Mêla et Pline composèrent leurs ouvrages, ce qui nous amène
vers le règne de Trajan. Or, Pline le Jeune parle justement d'un
canal creusé par les ordres prévoyants de ce prince pour diminua
la violence des inondations du TibVe*. C'est donc à Trajan que
revient l'honneur d'avoir créé le Fiumicino * et il n'est pas im-
possible de fixer approximativement la date de ce travail.
En 101, le Tibre sortit de son lit et renversa les bornes placées
sur ses rives, car il fallut procéder à un nouveau bornage 3. C'est
sans doute ce débordement qui montra la nécessité du canal et
en fit accélérer l'exécution. D'autre part, le huitième livre de la
correspondance de Pline, où nous lisons la lettre relative au
canal, fut écrit, en 108 et 109 *. C'est donc entre 101 et 108 que
le Fiumicino fut creusé.
Indépendamment de son efficacité contre les inondations dont il
réduisait la hauteur, comme on s'en aperçut au xvir siècle quand
Paul y l'eut débarrassé des attérissements qui comblaient son
lit^, le canal procurait aux Romains cet avantage immense de
mettre la capitale en communication avec le port créé par Claude
cinquante ans auparavant.
Au commencement du premier siècle, le port d'Ostie, partiel-
lement ensablé, ne pouvait plus recevoir les navires d'un fort
tonnage ® et ceux qui amenaient des marchandises encombrantes
qu'on ne pouvait transborder sur des chaloupes se rendaient à
Pouzzoles^, où leur contenu était porté à Rome par voitures.
Pour éviter ce déchargement et la perte du temps qui en résultait,
Jules César avait songé à recreuser le port d'Ostie, puis à relier
Rome à Terracine par un canal * ; mais ce projet, rejeté après
examen, ou interrompu par la mort du dictateur, ne fut jamais
exécuté, et personne, avant Claude, ne songea à créer un port plus
t. Pline, Ep., VIII, 17.
2. Voy. dans un mémoire de Ganina (Mem. délia ponUf. Aead. Arch,,
vni, p. 259 et suiv.) la réfutation de M. Visconti qui sur la foi d'une
inscription mentionnant des fonae Claudianae (Or. Henzen 5098} attribue
à Claude la création du FiumMfio. Ganina démontre que ces fossae ont
disparu dans les travaux nécessaires à rétablissement du port de Trajan,
sauf deux tronçons dont Tun servit de darse, et l'autre de communica-
tion entre le port de Trajan et celui de Claude.
3. Notre n* 24.
4. Hommsen, Etude, etc., p. 23.
5. Ganina, 1. 1., p. 299.
6. Strabon, V, 3, 5.
7. strabon, XVII, 17; Suét., Oct, 98.
8. Plutarch., Caes., 58.
— 405 —
voisin de Rome; enfin ce prince jeta les yeux sur un emplacement
situé lin peu au nord d'Ostie et y fit construire un vaste bassin
qui en peu de tenips remplaça celui que la nature avait jadis
créé à rembouchure du fleuve. Le nouveau port ofiBrait une sur-
face de 70 hectares*, et sa construction excita une vive et légi-
time admiration*. Il communiquait avec Rome par la via Cam-
pana ou Portuènsis, longue de 16 milles^. Comme on compte
138 milles de* Pouzzoles à la capitale *, on voit que la création
du port de Claude réalisait de grands progrès pour la facilité
et la célérité des transports de marchandises à Rome. Mais l'ou-
verture d'une voie navigable, telle que le canal de Trajan grâce
auquel le Tibre redevenait le moyen de transport le plus aisé et
le plus direct ^, était encore plus avantageuse : on en ressentit
rapidement les bons effets, et les navires affluèrent en si grand
nombre dans le port de Claude, qu'il devint nécessaire de l'agran-
dir.
C'est alors que Trajan fit creuser le bassin encore appelé
aujourd'hui Lago Trajano ®, hexagone régulier dont le (Âté a
357 m. 77 et la surface 33 h. 25 a. 33 c.''. Il communiquait par
deux autres petits bassins avec le port de Claude, et l'ensenÂle
cSrBxi aux navires une surface de 113 h. 4 a. 83 c. *. C'est, dit
Texier^, le plus magnifique ouvrage maritime qui ait jamais été
i. Cb. Texier, Rem» générale d^ Architecture, XV, p. 306-312.
2. Dion, LX, 11. Suët., Claud.y 20. Quintil, Institut. Orat., II, 21, III, 8. On
ne 8'explique pas bien pourquoi le port de Claude, au lieu de prendre
le nom de son fondateur, fut appelé porfus Augusti, ni pourquoi il figure
seulement sur les monnaies de Néron (Goben, Néron j 215).
3. Wltin. Antonin. (p. 300, éd. Wessling) donne 19 mUles à cette route,
mais c'est une erreur. V. Nibby, Dintomi, III, p. 624.
4. Par Terracine, lUn. Antonin,, p. 107, 122.
5. Pline {Hist, Nat. III, 9) dit du Tibre : rerum in toto orbe nascen-
tium mercator placidissimus.
6. PORTVM TRAIA. Goben, 365, 366« SeM. JwvencU ad Sat,, XII, 75.
Portum Augusti dicit, seu Tnyani, quia Trajanus portum Augusti (celui
de Claude) in melius et interius tutiorem, et sui nominis fecit.
7. La longueur du côté est donnée par M. Texier : elle répond à peu près à
1200 pieds romains (dont Téquivalent exact serait 355 "20). M. Texier
évalue la surface à 32 hect 19 ares 93 c. Le calcul ne me parait pas
exact. Le même savant, par inadvertance, dit que rapotbème a 150",
cbiff^ impossible géométriquement et que dément d'ailleurs l'Inspec-
tion de la figure jointe à son mémoire. Elle doit être 309" S3. M. Lan-
ciaaî a conservé les cbiffï'es de M. Texier.
S. Port de Claude 69 bect. 79 ares 50 c; port de Trajan 33 hect. 25 ares
33 c; bassins intermédiaires, 10 bect
9. P. 327.
— 406 —
entrepris et exécuté. On ne verra pas d'exagération dans ces
paroles si Ton songe que notre port de Marseille , après tous
les agrandissements modernes, n'offire qu'une superficie de 101 h.
50 a. ^. Des quais, des magasins vastes et commodes entou-
raient le bassin. Entre le port de Claude et celui de Trajan, s'éle-
vait un palais magnifique, où l'on distingue encore des atria,
des portiques, des bains, un théâtre. Par sa situation entre les
charmants pays de Laurente et d'Âlsium, dans une région encore
aujourd'hui renommée pour ses belles chasses, et où les Romains
viennent au printemps respirer l'air de la mer, cette résidence
devait avoir les préférences de Trajan .
Les plus anciennes briques trouvéesdans les ruines du palais por-
tent les dates 114, 115, 116. Ainsi on pressait l'achèvement de
cette splendide demeure, et celui à qui elle était destinée ne devait
jamais la voir. Pendant que les ouvriers se hâtaient, il poursui-
vait en Orient une guerre glorieuse mais stérile, à l'issue de
laquelle une mort prématurée l'attendait. Ce souvenir agit encore
aujourd'hui sur l'esprit de ceux qui visitent ces ruines, et mêle
une impression triste à la sévère grandeur de ce rivage si animé
U y a seize siècles, maintenant désert^.
Trajan créa encore deux autres ports sur les côtes d'Italie, à
Civita-Vecchia ^ et à Ancône^
Sous son règne les grandes voies de la Péninsule furent répa-
rées ou complétées. La mention la plus explicite du £ait se
trouve dans'Galien, où on ne songerait guère à la chercher. Le
médecin de Pergame dit que la grande route de la science,
ouverte par Hippocrate, a presque disparu par l'efiet de
l'ignorance et du temps, et qu'il vient la rétablir. < Ainsi,
ajoute-t-il, parmi les anciennes routes on en voit qui sont
marécageuses, ou obstruées par des pierres et des broussailles ;
d'autres ofirent des pentes diflSciles à gravir ou dangereu-
sement rapides : ici la voie est exposée aux incursions des
animaux sauvages, là elle est interrompue par de larges cours
1. Ancien port, 25 hect. 50 ares; Joliette, 26 hect.; port nouveau, 50 h.
(Dictionnaire universel du Commerce et de la Navigation).
2. Voir sur Porto un mémoire très-intèressant de M. Lanciani, Ricercke
topogra/ichej etc., dans les Annales de VInst. Arch,, 1868, p. 144-195. Les
travaux antérieurs sont résumés et complétés par de nombreux détails.
Un excellent plan y est joint.
3. Pline, Ep., VI, 31 : Habebit hic portus nomen auctoris. Effectivement
Ptolémée (III, i, 4) appelle la ville TpaXavàç Xi|jiiv. V. aussi Butiiius, Itin.,
1, 239 et suiv.
4. Notre n- 78.
d'eau, ou bien trop longue, ou peu praticable. Telles étaient les
routes de l'Italie : Trajan les a rétablies. Par ses soins, les parties
humides et basses furent pavées, celles dont le sol était inégal ou
couvert de broussailles furent nivelées; des ponts fuirent jetés sur
les fleuves. Les distances trop longues furent abrégées par des
coupures, les collines trop hautes furent tournées. Le tracé fut
changé dans les parties désertes ou infestées par les animaux, et
la nouvelle direction choisie de façon à desservir des contrées
populeuses; les passages difficiles furent aplanis ^
n est intéressant de trouver dans les inscriptions la preuve,
par le détail, de tout ce que Galien avance. Il n'est guère de route,
en effet, qui ne porte les marques de la sollicitude impériale :
Via Appia : 1® Pavée depuis Tripontium jusqu'à Forum
Appii, en l'an 100. L'opération avait été commencée par les
ordres de Nerva *.
2" Reconstruction, la même année, du pont de Tripontium^.
3** Rétablissement d'un pont sur le Monticello, entre Terrcudne
et Fondh l'an 109^
4° Pavage entre Forum Appii et Terracine^ sur une lon-
gueur de 19 milles^.
Via Trajana. Elle conduisait de Bénévent à Brindes, et fut
construite aux firais du fisc, c'est-à-dire de l'empereur lui-même.
En réalité Trajan ne fit que la rendre praticable aux voitures,
car elle existait au premier siècle et servait souvent aux voya-
geurs qui se rendaient de Brindes à Rome. Strabon le dit formel-
lement : « Deux routes s'offrent aux voyageurs : l'une où l'on
ne peut cheminer qu'à dos de mulet, traverse le territoire
des Peucétiens Poedicles, celui des Dauniens, et le Samnium '
jusqu'à Bénévent, en passant à Egnatia, Coelia, Netium, Canu-
sium et Herdonia. L'autre prend par Tarente et pour cela
s'écarte un peu sur la gauche, ce qui fait faire un circuit ((ai
allonge la distance d'une journée démarche environ; on l'appelle
la voie Appienne, les chariots y circulent®. »
Ainsi la route établie par Trajan abrégeait d'un jour le
voyage de Rome à Brindes, et faisait pénétrer la vie dans un
pays presque déshérité jusqu'alors par le manque de communi-
1. Galen., Method, medend., IX, 8, p. 632, éd. Kuhn.
2. Notre n* 19.
3. Ghaupy, Maison d'Horace, III, 388.
4. Notre n* 55.
5. Notre n* 60.
6. Strab., VI, 3, 7.
— 108 —
cations. Les travaux commencèrent en 109, comme le prouvent
les bornes milliaires trouvées sur divers points du parcours^ . Dès
l'an 110, les décurions et les habitants de Brindes, pressentant
les avantages qu'allait leur assurer la voie nouvelle, élevèrent
un monument en Thonneur de Trajan ^. Les médailles qui men-
tionnent la Via Trajana furent fi^ppées en 112 ou 113, quand
la voie fut livrée à la circulation^. En 114 enfin, le Sénat et le
peuple romain firent ériger Tare de Bénévent^ au point de départ
de la route.
Sur l'attique nord-est de l'arc de Constantin, à Rome, arc
décoré, comme on le sait, de sculptures arrachées à un monu-
ment de l'époque de Trajan, la Via Trajana est représentée,
comme sur les médailles, par une femme assise, à demi vêtue,
appuyée sur une rotie. Près d'elle on voit l'empereur, debout,
accompagné de deux hommes barbus dont l'un tient à la main
un rouleau. C'est sans doute l'ingénieur qui exécuta ce grand
travail, et comme les Romains ne portèrent pas la barbe avant
le règne d'Hadrien, ce détail de costume indique que l'ingénieur
était un étranger, vraisemblablement un Grec ^.
Via Puteolana. Commencée par Nerva, la route de Naples
à Pouzzoles fut terminée et rectifiée par Trajan en l'an 102*.
Via Salaria. En 111, mur de soutènement construit sur cette
_ f
route entre Interocrium et Forum Decii'^,
Via Latin a. En 105, rétablissement d'un pont sur le Liris,
près de Frègelles*.
Via Flaminia. En 115, pont construit sur le Métaure, près
de Forum 4S'^7npronn® (Fossombrone).
Via Sublacensis (embranchement de la Via Valeria) ,
refaite vers Tan 103**^.
\. Nos n- 56, 57.
2. Notre n*6l.
3. Coben, n** 289, 290, 546, 548. Elies sont datôes du Vl« consulat, mais
Tr^'an ne porte pas le surnom d:OpUmus,
4. Notre n' 75.
5. V. Rossini, Archi trUmfali, Toutefois la Via Appêa, qui menait de
Bénëvent à Brindes par Venouse, Tarante et Uria, ne fut pas complète-
ment abandonnée. On y a trouvé des bornes milliaires qui témoignent
de réparations exécutées par ordre d*Hadrien {In$c, yap., 6287. Cf. BuUeL
Inst Arch., 1848, p. 9).
6. Nos n«* 25 et 26.
7. Notre n»67. — 8. Notre n* 45.
9. Notre n* 79.
10. Notre n* 33. Cette Via Sublaeensis avait été pavée pour la première
fois sous Néron (Front., Aq,, 7).
— 409 —
ViAE IN TusQA. A une époque inconnue, Trajan fit exécuter
en Etrurie une ou plusieurs voies dont la direction n'est pas
connue, mais dont l'existence est attestée par une inscription ^
L'assainissement des parties du territoire occupées par des
eaux stagnantes éveilla aussi son attention ; il entreprit de faire
écouler les eaux du lac Fucin, de dessécher les Marais Pontins.
Ses efforts en ce sens font honneur à sa sollicitude, mais les
moyens techniques dont on disposait alors ne permettaient pas
d'arriver aux résultats cherchés. Pour le lac Fucin, il s'agissait
de couper la montagne qui sépare ce lac (auj . lago Celano) du
Liris (Garigliano), afin de donner issue aux eaux accumulées
dans ce réservoir. L'histoire de ce percement, souvent tenté,
ne nous oSte que des insuccès. Conçu par Jules César^, le
projet parut devoir se réaliser sous Claude^, mais les mesures
furent mal prises et Néron ne voulut pas reprendre et ter-
miner un ouvrage qui aurait fait honneur à son prédécesseur^.
La tentative de Trajan, rappelée par une inscription aujour-
d'hui perdue et mal copiée jadis ^, mais dont l'authenticité est
incontestable aussi bien que le sens, ne réussit pas mieux que
les autres, puisqu'Hadrien dut reprendre encore le travail^.
Les opérations faites dans les Marais Pontins^ ne furent pas,
non plus, trè^-bien combinées. D'après Prony, la position et
l'ouverture du Ponte Maggiore sont mal calculées pour l'écou-
lement des eaux auxquelles il doit offrir un débouché^.
Cette amélioration de la viabilité favorisait déjà le développe-
ment de l'agriculture italienne. Trajan l'encouragea plus directe-
ment encore. H édicta de^ punitions sévères pour ceux qui favo-
riseraient Yabigeat. On nommait ainsi le délit de ceux qui emme-
naient frauduleusement le bétail des pâturages et des étables, et
pratiquaient ce détournement dans des vues commerciales. Ils
t. Oralli, 3306.
2. Siiët., Cae$,, 44.
3, Suët., Claud.y 20. Tacite, Ann., XII, 56, 57.
41 Pline, Hisi. NaL, XXXVI, 24.
5. Notre n* 82. Trajan est dit : TRIB. POT. XXIII... GOS Vi, il faut lire
XX IMP... ou XXI IMP... A la fin on lit : senatus pcpulusque ronumus ob
ree^eratos agrot et passess. quas locus fudni violent[ia inundàveraf\^
6. Spart., Hadr,, 22.
7. Dion, LXVIII, 15. Pour les essais précédents, voir Tite-Live, Ep,^ 46.
Schol. Horat., ad Art Poet., v. 65.
8. V. Prony, DeuèehemerUd€s Marais PonUns^^, 76 et 241, Le TriponUum
ou pont à trois arches de la Via Appia est figuré dans cet ouvrage.
PI. XVI, n- 1.
— -no —
fdrent condamnés au bannissement de l'Italie pendant dix ans^.
Les sénateurs furent contraints d'avoir le tiers de leur fortune
en fonds de terre sur le sol italien*, ce qui augmenta beaucoup la
valeur de la propriété territoriale dans la péninsule.
Enfin, par le système combiné de secours et de prêts, connu
sous le nom i' alimenta y Trajan exerça sur l'agriculture une
action utile et puissante. Grâce aux mémoires de MM. Henzen
et Desgardins, on connaît aujourd'hui les principes et les détails
les plus importants de cette institution. Due à Nerva, comme
l'assure Aurélius Victor • dont le témoignage est confirmé par
une médaille^, elle prit sous Trajan de tels développements que
dans l'antiquité on en faisait déjà honneur à ce prince*^, erreur
que plusieurs auteurs modernes ont répétée.
Le but de cet établissement était double. Nerva voulait fournir
à la petite propriété les ressources nécessaires pour la mise en
culture des terres abandonnées, et en outre aider les citoyens
pauvres en assurant à leurs enfants des secours jusqu'à l'âge où
ces derniers sauraient pourvoir eux-mêmes à leur existence. Ici
encore, on saisit l'intention de favoriser l'accroissement de la
population, mais au moins le mode d'action choisi stimulait la
prudence et l'activité des agriculteurs, et contribuait ainsi à la
prospérité générale.
Deux inscriptions trouvées l'une à Velleia, près de Plaisance,
l'autre à Campolattari, près Bénévent, nous font connaître l'or-
ganisation de ce service, n faut joindre à leur étude celle d'une
lettre de Pline* qui explique comment il établit, à ses frais, des
cdimenta à Gôme, car les particuliers, à l'exemple des empe-
reurs, se signalèrent souvent par des libéralités de ce genre''.
Ces documents nous montrent que les sommes données par l'em-
pereur pour venir en aide aux indigents étaient remises à des
cultivateurs et imputées sur des fonds de terre déterminés, grevés
dès lors, et à perpétuité, d'une hypothèque égale au montant de
la soname reçue. La rente de cette hypothèque, calculée d'après
un taux variable suivant les localités, était distribuée aux enfants
1. Dig. XLVII, 14, 3, 5, 3.
2. Pline, Ep., YI, 19, Marc-Aurèle réduisit cette proportion au quart
(Capitol., if. ArU. PkU.j 11).
3. Epitotn,, 12.
4. Cohen, n* 121.
5. Par exemple Capitolin., Pertênox^ 9,
6. Pline, Ep., VII, la
7. Voir Borghesi, Œuvres. V : Iseriskme alimeniaria di Terraeêna.
— 4i4 —
pauvres de la cité. Le fonds de terre servant de garantie était
choisi de façon que la rente de Thypothèque ne fût qu'une
très-faible partie du revenu que le fonds convenablement cultivé
pouvait fournir. Il y avait donc toujours des acquéreurs disposés
à prendre le domaine, même sous cette condition, d'autant moins
onéreuse d'ailleurs que la culture était plus savante et plus
soignée, et que les avances mêmes, faites par l'empereur S per-
mettaient d'améliorer cette culture*.
L'inscription de Velleia est gravée en sept colonnes, sur une
grande table de bronze. Elle donne les détails de deux opéra-
tions distinctes, de deux libéralités impériales.
On lit d'abord : Obligaiio praediorum 6b sestertium
deciens quadraginta quattuor milia ut ex indulgentia
optimi maœimique principis imp. caes. nervae trajani,
aug. germanici dacici pueri puellaeque alimenta accipiant
legitimi n^ CCXL Vin singulos lis XVI * n^f^ Ts XL Vil XL
n, legitimae n. XXXIV sing fis XUn.f.hsTV DCCCXC VI
spurius I hs CXLIV spuria I hs CXX summa hs LUC G
qtcae fit usura ^!£ sortis supra scriptae.
Ainsi les fonds, dont le détail sera donné dans la suite de
l'inscription, sont grevés ensemble d'une hypothèque de 1 ,044,000
sesterces (208,800 fr.) dont la rente au taux de 5 0/0, soit
52,200 sesterces (10,440 fr.), sera distribuée à 281 enfants.
Après ce titre, vient la liste des fonds engagés avec leurs noms
de lieu, leur situation, le nom du propriétaire, celui du pro-
priétaire voisin, celui du fondé de pouvoirs qui a signé le contrat
avec le fisc, la valeur du fonds et enfin la somme avancée, dont
ce fonds est désormais grevé.
On compte quarante-six articles qui remplissent les six pre-
mières colonnes et une partie de la septième. La valeur totale
1 . Les inscriptions montrent que ces libéralités étaient bien faites aux
dépens de l'empereur : guaestar alimentorum Caesaris (Or. Heuzen 6666).
Pueri eî pueltae qui ex liberaUtaie sacratissinti principis alimenta accipiunt
(Oreili 3366). Quaestor taerae pecvbniae alimentorum (Insc. Nap,^ 4771).
2. Faute de capitaux le fermage faisait, presque partout, place au
métayage (Pline, Ep.^ ill, 19).
3. Numéro,
4. Par mois.
5. Numûm.
6. Fiuni.
7. Par an.
— 142 —
des propriétés monte à 13,007,536 sesterces, et l'hypothèque est
de 1,044^000. Elle n'atteint pas le douzième du capital; celui-ci
garantit donc parfaitement la créance, ou du moins le revenu
des terres garantit parfaitement le paiement de la rente aux
281 enfants.
Un seul article suffira pour donner une idée des autres :
CaitiS VolumniuLS Memor et Volumnia Alce per Volum--
nium Diadunienum libertum suum professi sunt fundum
Quintiacum Aurelianum, collem Muletatem cum silvisj qui
est in Veleiate, pago Anibitrebio; adfinibtts Marco Mom-
meio Prisco, Satrio Severo et popiUo hs CVIII; accipere
débet hs VIII DCLXXXXII numum et fundum supra-
sariptum obligare.
Ainsi le fonds Quintiacus Âurelianus, avec la colline Muletas
et les bois qui le couvraient, valant ensemble 108,000 sesterces,
le propriétaire reçoit 8,692 sesterces dont il servira la rente à
5 0/0 (434,6 sesterces). Ici, comme nous l'avons dit pour le
total des biens-fonds, la somme avancée est moindre que le dou-
zième de la valeur du fonds. La possession dudit fonds, par
héritage ou par achat, ne deviendra donc jamais onéreuse malgré
la rente à servir.
Voici le titre de l'obligation dont le détail remplit la septième
colonne de la table de Yelleia, et se continuait sur les parties de
cette table actuellement perdues : Obligatio praediorum facta
per Comelianum Gallicanum ob hs LXXII ut ex indul--
gentia optimi yncuvimique principis imp. caesaris nervae
trajani augitsti germanici pueri puellaeque alimenta acci-
piant legitimi n. XIIX in singulos hs XVI n. fiunt 7ïs
ITlCCCCLVI légitima hs XII fit summa utraquehsIÏIDC
quae fit usura ^<? summa s.s. *.
Suivent cinq articles, analogues aux quarante-six de l'autre
opération. Mais ici, la liste n'est pas complète. Cette libéralité
est antérieure à l'autre, puisque Trajan ne porte pas, dans
l'inscription initiale, le titre de Dacicus, qu'il reçut, comme nous
le savons, en Tan 103.
Le titre de l'inscription de Campolattari est* :
1. Pour le texte de l'inscription Yelleia, voir Brn. Desjardins: De (afndU
àUmentariis,
2. Môme ouvrage, et Henzen, 6664.
— 443 —
[Imp Caes] Nerva Trajano Aug [germanic]o IlII
[q\ artic[u]leio Paeto [cos]
[ob tiheralitatem optim]i maœimiq principis obligaverunt
pra [ediaeœ propos\ito Ligures Baebia\niet Comeliani u\t
ex indulgentia ejus pueri puellaeq al[imenta a]ccipiant.
Ce consulat indique Fa nnèe 101 de notre ère. L'inscription étant
mutUée, nous ignorons le chiffre total de Tavance faite aux agri-
culteurs, aussi bien que celui du secours alloué à chaque enfant.
L'intérêt est payé ici sur le taux de 2,5 0/0.
Les enfants ne recevaient pas partout la même somme. Tandis
qu'à Velleia le secours mensuel est de 16 ou 12 sesterces suivant
le sexe, à Terracine il monte à 20 et 16 sesterces. Le prix du blé
devait être en effet plus élevé dans une ville importante comme
Terracine, au voisinage de Rome*. Le taux de l'intérêt varie
aussi avec les localités, et en effet il était dicté, dans chacune,
par les conditions courantes du crédit. A Côme*, il est de 6 0/0,
à Velleia de 5 0/0, chez les Ligures Baebiani de 2,5 0/0. Gela
s'explique par la distance qui sépare ces points de Rome. Plus
l'on s'en éloigne, moins les capitaux sont abondants, et plus le
prix de leur location s'élève. La main-d'œuvre est moins chère
aussi, et dès lors il est plus facile au cultivateur de servir sur
la valeur de ses récoltes une rente élevée.
La mention de deux subventions sur la table de Velleia prouve
que l'empereur faisait jouir plusieurs fois un même pays de ses
largesses. Il y a plus, un seul et même propriétaire pouvait rece-
voir des avances successives du fisc, tandis que les charges dont
sa propriété était grevée n'étaient pas telles que la régularité du
payement des alimenta à faire par lui fût compromise. Le cas
se présente plusieurs fois à Velleia, où l'on marque que la valeur
assignée à la propriété est calculée en en déduisant les charges
et les avances précédentes 3.
Dans l'inscription des Ligures Baebiani, nous trouvons la
trace d'un fait analogue. Dans la colonne 3®, ligne 17, on lit
(debentur) Ts LXXXVIIS (a) C. Valérie Pietate {obliga-
tione) fundi Heradeiani, ad fine Caesaren{ostro)^ aestimati
hs XXV, in hs II; item obligatione V IlII fundi Vibiani
pago suprascripto, ad fine Marcio Rufino, aestimati XV,
in hs^D\ fiunt hs XXXX in hs III D, On voit que C. Valerius
t. Borghesi, 1. 1.
2. Pline, Ep. VII, 18.
3. Tdb. Velleia, col. II, 1. 37. M. Mommeius Perskui ftrofetsus est praed,
DB LA BERGE 8
Pietas reçut deux avances, Tune de 2,000 sesterces sur le fonds
Herculeianus, Tautre de 1,500 sesterces sur le fonds Yibianus,
en tout 3,500 sesterces pour lesquels il avait, à partir de
Tan 101, à payer un intérêt de 87 sesterces et demi. Mais
qu'est-ce que cette obligatio nona qui grevait le fonds Vibia-
nus? Admettons que deux fois par an, après une enquête faite
par les agents du service des alimenta^, une répartition de la
somme donnée par l'empereur se fit entre les différentes villes
de ritalie. V obligatio de Campolattari, qui fait suite à l'obli--
gatio nona y sera la diadème et si elle a été réglée dans le
deuxième semestre de 101, la première en date remontera au
commencement de Tannée 97 : en effet la médaille TVTELA
ITALIAË, que nous avons citée plus haut, est des premiers
mois de cette année'.
Je dois renvoyer, pour la connaissance plus détaillée de cette
institution, aux deux mémoires que j*ai cités ^. Si Ton connais-
sait les dates des libéralités faites successivement par Trajan à
tous les civitates de lltalie, et les sommes données dans chaque
localité, nous aurions les éléments d'un intéressant tableau, sta-
tistique et économique, de la Péninsule au conmiencement du
n^ siècle. Malheureusement, ici encore, une des plus belles pages
du règne dont nous esquissons l'histoire est déchirée, et nous
sommes réduits à énumérer les faits suivants dont les découvertes
ultérieures augmenteront sans doute la signification et le
nombre :
100(?)ap. J.-C. Libéralité faite aux Ligures Baebiani {men--
tionnée incidemment sur la table de Campo-
lattari).
101 — Libéralité au même peuple (table de Campo^
lattari) .
102 — Décret des décurions de Ferentinû en l'honneur
ruiUea tn Valeiatê et Place nUno dedueto veeUg àli et eo fuod CcmeUm GùUé-
eanus obUçavtt [X\ CLXXX DCN, acc^. débet luXCIIII D CCIXV. Cf. COL III>
]. 53 et suiv., col. V, l. 38 et suiv., col* VI, 1. 57 et suiv.
i. Praefecii, procuratores, quaestores alimentcrum,
2. On lit au droit de cette pièce : IHP : NEAVA* GâBS* AVG* P- M* TR-
P* ces* III- P* P. Or sur les monnaies émises à la fin de 97, Nerva porte
le surnom de Qermanicus et il est qualifié d'IMP. II. V. Cohen, n* 36.
Nous devons dire que la pièce TVT£LA fFALIB a été publiée par Bckhel
d'après Tristan, et qu'eUe n'existe dans aucun cabinet
3. Uenzen., Annal. Inst. Arch, 1844, p, 1 et suiv. Desjardins, De foMit
(UimentarUs. Paris, 1854, in-4*.
— 445 —
de T. Pomponius Bassus, chargé delà répar-
tition des alimenta.
id. — Diverses libéralités à Velleia (mentionnées inci-
demment dans les six premières colonnes de
la table),
id. — Libéralité de 72,000 sesterces à Velleia (co-
lonne vn de la table).
103 — Libéralité de 1,044,000 sesterces à Velleia
(colonnes i-vu de la table).
1Û5-111 — Monnaies à la légende ALIM(enta) ITÂL(iae)
sur lesquelles Trajan est dit optimus prin^
ceps et consul pour la cinquième fois, ce
qui leur assigne une date comprise entre ces
années^.
111 — Monnaie à la légende ALIM(enta) ITAL(iae),
où Trajan est dit œSVDES VI '.
av. 112 — Libéralité à Osimo, dans le Picenum*.
112-114 — Monnaies à la légende ALIM(enta) ITAL(iae),
où Trajan est dit COS Y I mais ne porte pas
le surnom d'Oprtmtt^*.
On ne connaît pas de monnaies rdatives aux alimenta frap-
pées dans les trois dernières années du règne, ce qui donne à
penser que la munificence impériale fut suspendue pendant
la guerre des Parthes.
Nous devons louer sans réserve toutes ces mesures prises dans
Fintéret de la malheureuse Italie. La dernière dont nous ayons à
parler, utile encore, éveille néanmoins un sentiment d'inquiétude,
à cause des conséquences qu'elle entraînait. Sous Trajan parais-
sent les pruniers curatores civitatum ^, créés vraisemblablement
par lui et chargés de surveiller Tadministration financière des
oolonies et des municipes, ces villes ne pouvant, sans leur aveu,
aliéner leurs propriété ni entreprendre des travaux considérables.
L'établissement de cette fonction extraordinaire fut motivé, à
coup sûr, par des abus qui firent sentû* la nécessité d'un contrôle
actif de l'empereur, et d'une sorte de tutelle qu'il exercerait sur
les communes. On doit croire que les premiers curatores agirent
avec circonspection et n'outrepassèrent pas les limites de leur
1. Cohen, n** 13, 299, 300, 303, 304.
2. Cohen, Supplément n' 2.
S. Or. Henien, 5444.
4. Cohen, n*« 301, 302. Supplt. 31, 32.
5. Hensen, Annal, ind. Areh,, 1851, p. 5*35:
compétence et de leur mandat. Mais on ne peut se défendre d'un
regret légitime en signalant cette intervention du pouvoir central
danslesintéretsmunicipaux, cette tendanceàune centralisation qui
étouffera plus tard toute initiative et toute vie locale sur les points
qu'elle aura touchés. Trajan, sans doute, ne songeait pas à con-
centrer dans ses mains tous les éléments de la puissance publique,
mais, sous l'impulsion donnée par lui, et par le jeu même d'une
institution dont il ne soupçonnait pas la portée, ces éléments se
réunirent peu à peu dans la main de ses successeurs. Lia création
des curaiores est en effet un acheminement à l'assimilation de
l'Italie aux provinces; dans les règnes suivants, cette surveil-
lance, toujours temporaire, se généralisera dans la péninsules et
déjà nous trouvons sous Trajan un C. Julius Proculus qualifié de
legattis Augusti pro praetore regionis Transpadanae, c'est-
à-dire chargé de surveiller toutes les civitates de la Transpa-
dane'. On connaît trois curateurs délégués par Trajan dans les
cités des Bergomates^, des Âecani^ et des Caerites^ Le dernier
figure dans un document intéressant qui nous révèle la nature
des rapports officiels de la cwitas et du curât or ^ et nous montre
l'effet immédiat et bien connu de la centralisation, c'est-à-
dire le ralentissement qu'éprouve la marche des affaires*. Yesbi-
nus, affranchi de Trajan, offirait aux Caerites de construire à ses
frais un phretrium (salle de séances) pour les Augustales, si le
municipe disposait d'un terrain pour cet objet. Le 13 avril 113,
le conseil des décurions accorda la concession du terrain, mais il
fallut en référer au curateur Curatius Cosanus, Une lettre du
13 août de la même année, adressée à ce personnage, lui fit con-
naître que « le terrain en question ne servait point à la répu-
blique, et n'était d'aucun rapport ^. » Dans ces circonstances,
Cosanus émit un avis favorable, mais il ne le fit connaître que le
13 juin 114, et la dédicace de l'édifice n'eut lieu que le l"* août
suivant. Du 13 août au 13 juin, intervalle écoulé entre la lettre
envoyée à Cosanus et la réponse de ce magistrat sur l'affaire la
plus simple, on compte dix mois.
1. V. Henzen, n* 6482.
2. OrelU 2278.
y (Bergame) Orelli 3S98.
4. (Troja) Orelli 4007.
5. (Cervetri) Orelli 3787.
6. Ce document a été traduit par M. Rgger. Exœnen dn hidorkn$
d'Àuguiie, p. 390.
7. Qui locus rei publlcae in usu non est, nec uUo reditu esse potest.
— H7 —
Mais personne, au temps de Trajan, ne prévoyait les maux qui
pouvaient sortir de l'institution nouvelle ; on n'était sensible qu'à
l'ordre ramené dans les administrations municipales. On achetait
volontiers cet avantage au prix de quelque lenteur, et on rangeait
probablement ces curatelles au nombre des bienfaits dont Trajan
avait comblé l'Italie, et que nous avons essayé de faire con-
naître. Si l'on a bien apprécié la hauteur de vues qui caractérise
ces diverses mesures, et le zèle pour le bien public qui les inspire,
on n'hésitera pas à s'associer à la reconnaissance que les con-
temporains éprouvaient, et dont les monuments, élevés par eux,
per^taentle souvenir'.
1. V. un grand nombre d'inscriptions, et les médailles RFSTUuta ITA-
ÛA (CfOhen, n** 208, 373, 374). Au risque de jeter quelque ombre sur ce
tableau, je dois rappeler que les voyages dans la Péninsule présentaient
alors peu de sécurité. V. Plin. Ep., VI, 25.
CHAPITRE IX.
LES PROYINGES.
Les témoignages anciens sur l'administration de Trajan dans
les provinces sont peu abondants, car la correspondance de Pline
le Jeune avec Tèmpereur n*ofire pas, à cet égard, autant de
ressources qu'on serait tenté de le croire au premier abord. Les
conditions très-spéciales au milieu desquelles l'auteur du Panégy^
rique fut préposé au gouvernement de la Bitbynie ont été souvent
méconnues, et on a tiré de ses lettres, aussi bien que des réponses
de Trajan, des conséquences tout à faitfausses, en y voulant trou-
ver les traits caractéristiques du système politiquede ce prince. La
Bithynie, depuis plusieurs années, était le théâtre de troubles assez
graves. Plusieurs gouverneurs avaient été accusés de concussions,
les poursuites n'avaient marché qu'avec lenteur^, et au milieu de
ces désordres, les finances de la province tombaient en désarroi,
les édifices publics restaient inachevés, l'état même des personnes
perdait toute régularité, en un mot la vie sociale était paralysée
dans tous les membres. Le Sénat, fatigué de discussions qui
s'étaient multipliées à ce sujet, s'en était rapporté, dès l'an 107,
au jugement de l'empereur pour trancher les difficultés survenues
entre les provinciaux et les proconsuls*. Afin de couper court à
une série de procès interminables, un sénatus-consulte autorisa
l'empereur à envoyer en Bithynie, bien qu'elle fût province séna-
1. Plin., Ep.y IV, 9; V, 20; VI, 5 et 13; Vil, 6 et 10.
2. Plin., Bp,, vu, 6. Le livre VII* a été écrit dans l'année 107. Mommsen,
Etude, etc., p. 21.
— U9 —
tonale, un agent qni examinerait la situation et la réglerait avant
qu'un nouveau proconsul j retournât prendre possession du gou-
yernementrégulier. Cet agent fut Pline ^ Antérieurement, Messius
Maximus avait été chargé d'une mission analogue en Achaie ^
et C. Avidius Nigrinus était venu à Delphes régler, au nom de
l'empereur, une contestation pendante entre les habitants de cette
ville et ceux d'Anticyra^. On ne trouve pas^ dans les règnes qui
ont précédé celui de Trajan, trace de missions semblables, ce qui
donne lieu de penser qu'il les imagina le premier ^ : on sent là un
ordre d'idées voisin de celui qui inspira la création des curatores
civitatum; on peut j signaler aussi un danger pareil, cette
intervention de plus en plus fi^équente de l'empereur pouvant
faciliter un jour les empiétements du pouvoir central sur les attri-
butions laissées au Sénat et aux municipes par Auguste ; mais il
n'est pas de' mesure si bonne dont on ne puisse faire sortir de
grands abus, et ces empiétements sont tout à fait étrangers aux
habitudes gouvernementales de Trajan. Ainsi, pour ne pas sortir
de la Bithynie, les droits du Sénat furent absolument réservés, car
on connaît des proconstUs et des questeurs de Bithynie dont
l'administration est postérieure à Trajan ^ ; de plus la correspon-
dance échangée entre Pline et lui nous montre qu'il considérait
1. Son titre est Leçiaius propraetare praninelae P<mU e< BUkffniae eontw-
Imi pùMate <n eam pnnHndam ex i,e. ab imp, cae$, Nerta Ttajano..*
micfitt. Ibid., p. 86.
2. PUn., Bp., VUI, 24.
3. Orelli 3671.
4. Borghesi {Œuvrer, V, 407-415) et M. Waddîngton {Mémohret de VÀca-
demie det ^luaipUoM, XXVI* l*" partie, p. 222-228) ont parfaitement élucida
la nature des fonctions conflées à ces agents. Tiberius JuliasSeverus qui,
BOUS fladrien, fut chargé en Bithynie de la môme mission que Pline, est
qualifie dans une inscription grecque (Corpus 4033) de SiopOwn^c xal
XoyKrr^c* Sous le règne de Septime Sévère, un certain Italicus envoyé en
Grèce avec des instructions semblables, est dit dans une inscription
athénienne Xoymt^c )i«l inocvopOcoT^. Le SiopOwi^ ou iirovopdttm^c {correeior\
mais ce mot désigna plus tard des fonctions très-difrérentes) est chargé
des réformes administratives : on ne le trouve jamais dans les provinces
réservées à l'empereur (Waddington, 1. 1., p. 224). Le Xorurr^c (lofUia^
eurator) réorganise les finances des villes ou des provinces (Orelli-
Benzen, 6483, 6484). Pline et Messius Maximus cumulèrent probable-
ment les fonctions de cotreetor et de curaior, comme cela est dit expres-
sément de Severus et d'italicus.
5. On sait que le gouverneur des provinces impériales se nommait
legatus augusti pro praeiore et qu'il avait sous ses ordres, non pas un
questeur, mais un procurateur. Or L. Goelius Festus fût proconsul de Bi-
thynie sous Garacalla (Orelli, n* 77).
— 420 —
cette modification du régime de la province comme tout h fait
provisoire, et qu'il entendait ne rien innover par des coups d'au-
torité.
Faute de connaître ces missions temporaires données à plusieurs
reprises par les empereurs dans les provinces sénatoriales où il
fallait rétablir l'ordre, on a pris l'exception pour la règle, et on
a supposé que Trajan entretenait avec les gouverneurs des vingt-
neuf provinces, entre lesquelles était alors partagé l'empire, une
correspondance aussi active qu'avec celui delà Bithynie. Comme
on l'y voit autoriser, par des rescrits particuliers, la construction
d'un bain k Brousse, l'achèvement d'un théâtre à Nicée, la cou-
verture d'un égout dans la ville d'AmastrisS on s'imagine qu'il
en était partout de même, et on s'élève contre cette centralisation
excessive, on plaint les peuples soumis à une administration si
lente, si minutieuse et si tracassière, on s'apitoie sur le sort de
Trajan obligé de statuer et de répondre sur tant de questions, et
en effet cette besogne surhumaine provoque autant de commisé-
ration que d'étonnement. Mais une étude plus attentive dissipe
ces illusions, révèle le caractère provisoire et spécial de la
mission confiée à Pline, et explique comment la correspondance
relative à cette mission fut si abondant^ et si détaillée. La situa-
tion de la province était fort embarrassée*, de sorte que des tâton-
nements étaient inévitables, et les pouvoirs du commissaire
n'avaient pu être à l'avance exactement définis : il était obligé
d'en demander, pour ainsi dire, un nouveau pour chaque cas
particulier. Pline n'avait gouverné aucune province jusqu'alors
et n'avait même jamais été attaché à un gouvernement provin-
cial : c'est à Rome qu'il avait rempli toutes ses fonctions politi-
ques, et il n'osait résoudre maint problème courant qui n'aurait
pas embarrassé un homme plus habitué au maniement de ce
genre d'afiaires*. Enfin Trajan comptait principalement, pour
aplanir les difficultés, sur son ascendant personnel, sur la con-
fiance et l'afiection qu'il inspirait aux peuples, et pour cela il
fallait qu'il se montrât constamment derrière son agent ^.
1. Plin., Bp. ad Traj., U, 40, 99.
1. Plin., Ep, ad Traj., 32. Meminerimus idcirco te in istam provinciam
missum quoniam multa in ea emendanda apparuerunt. Cf. ibid., 117.
3. Toutefois il était au courant de la situation géiièrale de la Bithynie
par Tètude qu'il avait dû consacrer aux affaires de la province lors des
procès de Bassus et de Varenus.
4. Provinciales, credo, prospectum sibi a me intelligent, nam et tu
dabis operam ut manifestum sit illis eiectum te esse, qui ad eosdem mei
loco mitterig (Ep. ad Traj., 78).
n ne faut donc pas chercher dans cette correspondance le type
du gouvernement de Trajan. Mais on en tirera des inductions légi-
times si l'on veut connaître Y esprit de ce gouvernement, car cet
esprit assurément n'était pas en Bithjnie autre qu'ailleurs. On
reconnaît alors que bien loin de centraliser, l'empereur se montre
scrupuleusement attentif à ménager les organes de la vie locale.
C'est Pline qui voudrait simplifier, en appliquant un règlement
général à toute la province ; c'est Trajan qui l'en empêche*, qui
le rappelle incessamment au respect des droits anciens, des cou-
tumes, des privilèges de chacun ; lorsqu'une difficulté se présente
il luirecommande l'étude des précédents * ; et c'est seulement quand
elle est absolument nouvelle qu'il la tranche, en basant toujours
ses jugements sur l'équité '.
Le gouvernement de Pline étant ainsi replacé sous son vrai
jour, et le dixième livre de ses lettres reconnu pour n'être qu'un
recueil de pièces concernant l'histoire particulière delaBithynie,
où faut-il chercher les éléments d'un tableau des provinces sous
ce règne ? Il conviendrait d'abord d'extraire du corps des lois
romaines quelques mesures générales auxquelles le nom de Trajan
est resté attaché, puis on devrait étudier à part la condition de
chaque province, Espagne, Gaule, Afirique, Âchaie, etc. , comme
nous avons étudié celle de l'Italie. Mais le manque absolu de docu-
ments semblables à ceux que nous avions sous la main pour cette
partie de l'empire, nous empêche de faire un tel travail pour les
provinces. Çà et là, sur le sol antique, des ruines grandioses
offrent gravé le nom de Trajan et attestent la prospérité dont le
monde jouissait alors, mais ne nous révèlent ni les détails de cette
prospérité, ni les moyens employés pour la faire naître et la
maintenir.
SuivantledeuxièmeAurelius Victor*, Trajan aurait d'abord
montré une étonnante faiblesse pour les mauvais gouverneurs, et
c'est seulement après des avis réitérés de Plotine et sous son
influence qu'il aurait porté un peu d'ordre et de justice dans cette
partie du gouvernement. Les assertions de cet auteur, ou plutôt
de ce compilateur médiocre, vivant à une époque trés-éloignée
des faits qu'il raconte, et comprenant mal les textes qu'il abrège,
sont généralement peu dignes de foi; il est néanmoins difficile de
l.in unîvergum a me non potest statui {Bp. ad Traj,, 113).
2. Sequenda tibi exempla sunt eorum qui isti provinciae praefùeront
{Ep. ad Traj., 68). Cf. 48, 109, 115.
3. Ibid., 55, 68, 84, 109.
4. Spitame, 43, 21.
— 422 —
ne tenir aucun compte de ce qu'il avance ici : car son dire est
ccHToboré en partie par un mot d'HomuUus à Trajan lui-^mema,
mot consigné par l'historien contemporain Marins Maximus dana
son histoire de ce prince, d'où Lampride ^ l'a tiré; le consulaire
reprocha un jour au prince de faire plus de mal que Domitien;
car, lui dit-il, € ce mauvais empereur avait des amis honnêtes,
« et on ne souffirait que de sa méchanceté personnelle, tandis que
€ tu abandonnes ton autorité à des favoris indignes, et l'on te hait
« justement. » On doit croire que ces abus remontent au t^nps
où Trajan, tout entier à la défense de la Germanie, ne pouvait
donner qu'une attention incomplète au reste de l'empire, car dès
l'an 100 le procès de Marins Priscus, jugé et condamné par le
Sénat en présence de l'empereur ', lui indiquait assez clairement
le vœu public, et d'autre part Pline, cette année même, vante
l'administration des provinces'. Or malgré l'exagération concédée
aux pan^yristes, il n'aurait osé se mettre en contradiction si
complète avec ce que les Romains pensaient et disaient tout haut.
La réforme fut donc acc(»nplie dès que Trajan fut rentré dans
Borne.
Au nombre des mesures qui intéressent toutes les provinces je
placerai d'abord la réorganisation du service des postes. Trajan,
comme l'a démontré M. Naudet ^, ne créa pas les postes, ainsi
qu'une phrase d'Âurelius Victor pourrait le £aire croire^, mais
cette plûrase prouve du moins qu'il s'occupa de cette branche des
services publics, et en effet M. Henzen a reconnu que les employés
appdés praefecti vetUculorium paraissent pour la premièare
fois sous son règne*. L'institution du cursus publicus consistait
en l'établissement d'un certain nombre de relais où les courriers
de l'Etat trouvaient des voitures et des chevaux frais en perma-
nence. Ces relais étaient entretenus aux dépens des provinces, et
ces prestations constituaient un lourd impôt, à en juger par la
reconnaissance témoignée aux empereurs qui en allégèrent les
contribuables en le rejetant sur le fisc. Outre les courriers de
l'Etat {tabellarii)y le cursus publicus transportait en eflfet les
1. Lamprid. Sw, Alex.f 65.
2. Plin., Sp., Il, 11.
3. Paneg,, 70, 79.
4. Mémoires de V Académie ifoi inêcriptkm», nouveUe série, XXIII, p. 166
et suiv.
5. Can., 13. Simul noscendis ocius, quae ubique e repubUca gereban-
tur, admota média publici cursus.
6. ÀnndlM de VItut. Àreh,^ 1857, p. 98 et suiv.
— 428 —
fonctionnaires etaussi toute personne pouvant montrerun cUploma
dgné de l'empereur. Les diplômes étaient délivrés par le gouver-
neur de la province, seulement sur un ordre du prince appelé
evecHo. Mais les empereurs en vinrent à accorder cette faveur
avec tant de prodigalité que les provinces furent écrasées sous
des charges que ne compensait aucun avantage. Les particuliers
ne jouissaient pas, pour leur correspondance, de ces communica-
tions rapides et r^ulières, et la décentralisation de cette époque
rendant peu fréquents et peu nécessaires les rapports de la capitale
et des provinces pour la satisfaction des besoins publics, le cursus
publicus n'existait réellement qu'au bénéfice du gouvernement
central, de ses agents et de ses favorisa C'était toutefois un
service indispensable, qu'on ne pouvait songer à supprimer, mais
qu'il £adlait rendre le moins onéreux possible : tel est le but que
poursuivit Trajan en instituant les praefecti vehiculorum qui
veillaient k ce que les prestations fussent équitablement réparties,
et aussi en se montrant fort économe à' evectiones* .
Le Digeste ne contient que trois lois relatives à l'administra-
tion des provinces, édictées sous le règne de Trajan. Elles favo-
risent les civitateSf considérées avec raison comme des personnes
ayant leur vie et leurs intérêts propres, et constituant l'unité
véritable du corps social, et elles tendent à accroître leur richesse
et leur indépendance. Les dispositions légales propres à seconde
de plus en plus l'émancipation des communautés dans l'ordre civil
sont un des traits caractéristiques de l'époque antonine.
Lors des élections municipales, les candidats promettaient à
l'envi à leurs concitoyens des édifices publics, des jeux, des ban-
quets ou même des distributions d'argent'. Mais souvent ces
promesses n'étaient pas tenues; l'édifice commencé restait ina-
chevé, ou bien la construction n'était pas même ébauchée. La
ville n'avait aucun recours contre ce manque de foi^ car la simple
poîîicitatio n'obligeait pas. Trajan voulut que dans ce cas
spécial elle créât un lien de droit, et fit décider que quiconque, en
1. Comme le remarque Hegewisch (p. 203), il eût suffi de permettre
aux courriers de se charger, outre leurs dépêches, des lettres particu-
lières, moyennant une certaine rétribution, pour changer en une source
abondante de revenus pour TEtat, et en un établissement très-commode
pour les citoyens, une institution qui n'était pour eux qu*un fardeau.
2. Plin., Ep. ad TraJ., 44, 45.
3. Ces présents ne doivent pas être confondus avec Vhanorarivm ou
iumma legUima que le nouvel élu était tenu de verser dans la caisse
municipale.
— 424 —
m
vue d'un honneur public devant être déféré à lui ou à d*autres,
aurait promis d'exécuter quelque ouvrage dans une civitas serait
tenu de l'achever. L obligation passait à son héritier ^
Une autre loi de Trajan, favorable à la bonne administration,
nous, a été conservée par une inadvertance de Tribonien, qui
Ta insérée dans le Digeste à côté de disposition^ contraires.
La soustraction de fonds appartenant aux civitcUeSy considérée
jusqu'alors comme un simple furtum et ne donnant lieu qu'à une
répétition civile, fut assimilée au péciUat et punie de l'inter-
diction de l'eau et du feu jointe à la confiscation des biens*. A
l'époque de Marcien, la législation inaugurée sous Trajan était
encore en vigueur, mais plus tard on revint à l'ancien état de
droit ', sans que l'on puisse déterminer les motifs de ce retour.
Enfin le sénatus-consulte Apronien ' autorisa les cités à acquérir
des biens par voie de fidéi-commis. Comme personae incertae,
elles né pouvaient ni hériter ni recevoir de legs* et elles ne furent
relevées de cette incapacité qu'au v* siècle de notre ère •. Jusque-
là, le sénatus-consulte Apronien leur permit de tourner les dispo-
sitions sévères de la loi : on sent assez à quel point cette mesure
leur était favorable.
Le manque de documents nous empêche, comme nous l'avons
dit, de présenter un tableau détaillé de l'état des provinces sous
Trajan. Ainsi nous ne savons rien de l'histoire de la Bretagne,
ni de celle de la Gaule, pendant le règne de ce prince. En Espagne,
les bornes milliaires retrouvées sur le magnifique réseau de routes
qui sillonnait la Péninsule témoigne de la sollicitude avec laquelle
Trajan chercha à porter la vie dans toutes les parties de ces pro-
vinces''. Mais le pont d'Alcantara^ et celui de Chaves* montrent
d'une manière encore plus éclatante de quelle prospérité jouissait
alors le pays, puisqu'ils ont été élevés, en dehors du parcours des
1. Oig.,L, 12, 14,pr.
2. Dig., XLVIII, 13, 4, 57. Cf. eod. tit, l. 3.
3. Et hoc jure utimur, dit Marcien au lieu cité du Digeste. Mais au
livre XLVII, 11, 81 on lit : ob pecuniam civitati subtractam, actionefûrti
non crïmine peculatus tenetur. Gf. 1. 16, { 15 et 16.
4. Dig., XXXVI, 1, 26. Bach, dans l'histoire de lajurisprudence, rapporte
ce sénatus-consulte au régne de Trajan. D'autres auteurs le rattachent
au régne d*fladrien.
5. Ulp., ReguL, XXll, 5; XXIV, 18. Plin.,Jrp., V, 7.
6. Constitution de l'empereur Léon en 469. Cod. Ju$t., VI, 24, 12.
7. Nos n- 5, 7, 13,23,38.
8. Notre n'41.
9. Notre n* 63.
— 425 —
voies romaiBes, aux frais des municipes situés dans le voisinage
et que la communauté des intérêts poussait à se rapprocher. Des
villages du Portugal et de TEstramadure dont on ne retrouve
plus la place ' faisaient construire au-dessus du Tage un pont
magnifique qui domine de soixante mètres les eaux du fleuve^.
On conçoit que de tels monuments aient perpétué le nom de Trajan
dans une contrée qui pouvait d'ailleurs, à juste titre, se montrer
flère de l'avoir vu naître, et on s'explique que la reconnaissance
nationale y fasse attribuer au même empereur, sans preuve suffi-
sante, tous les édifices romains dont la solidité ou la grandeur
éveillent l'admiration ^.
Nous avons étudié plus haut ce qui concerne l'administration
de Trajan dans la Germanie et dans les provinces du Danube.
Dans l'Orient, pourvu depuis longtemps de toutes les ressources
de la civilisation, Trajan eut moins à faire : il y laissa pourtant
des marques de son activité et des fondations généreuses. La statue
que les Grecs lui avaient élevée à Olympie ^ ne parait pas un
honmiage banal, mais bien un remerciement pour quelque bienfait
considérable. L'abondance des capitaux dans la Bithynie^ témoi-
gne de l'état fiorissant dont jouit la province dès que les abus les
plus criants eurent été réformés, et nous sommes autorisés à
croire que toutes les provinces asiatiques étaient dans une situa-
tion également heureuse. Ântioche fut dotée de monuments
somptueux et utiles ^.
L'Egypte vit s'étendre et s'améliorer la navigation du canal
qui reliait le Nil à la Mer Rouge. Créée sous Cambyse et Da-
rius^, délaissée par les derniers Achéménides, rétablie par Ptolé-
mée Philadelphe^ et soigneusement entretenue par les premiers
Césars, cette voie navigable ne fat abandonnée qu'au uf siècle
de notre ère ^. Trajan en agrandit l'embouchure : de plus, il
porta la prise d'eau du Nil à Babylone, c'est-k-dire à soixante
1. Sur onze peuples dont les noms sont inscrits sur le pont d'Alcan-
tar% deux seulement ont pu être identifiés.
2. fiûbner, Corpus, p. 90. Delaborde, Itinéraire de VEtpagne, II, p. 116.
3. Par exemple le pont de Salamanque et l'aqueduc de Ségovie* Hûbner,
Corpuiy etc., p. 110, 379.
4. Pausan., V, 12.
5. Plin., ad Trai,, 54.
6. Halalas., éd. Bonn., p. 276.
7. fièrod., Il, 15S.
8. Pline {Hist, NaL, VI, 29) rappelle PtoUmaeus amnis.
9. Letronne, Inscriptions de V Egypte, I, p. 296. Ptolémée nomme le canal
Tportfltvoc IIotflqMc
— I» —
kilomètres en amont de Bubaste, où le canal commençait au
temps d'Hérodote; cette modification, qai augmentait la pente du
canal, augmentait aussi la durée du temps pendant lequel il était
ouvert à la navigation ^ Ce grand travail se rattachait d'ailleurs
à l'exploitation des carrières de granité et de porphyre, décou-
vertes sous le règne de Claude, mais qui ne furent pas fouillées
activement avant celui de Trajan*. Ainsi son nom parvenait
jusqu*au fond de la Haute-Egypte', accompagné d'un tel prestige
que les Ethiopiens envoyèrent une ambassade à Rome^. L'éleva*
tion, au rang de colonies, de villes telles qu'Hadrumète, Sétif et
Thamugas ^, nous montre enfin lès efibrts de Trajan pour étendre
et consolider la puissance romaine dans le nord de TAfirique.
Au milieu de cette prospérité, les provinces n'étaient pas, ne
pouvaient pas être, à l'abri des malversations d'un administra-
teur; sous Trajan même, l'ÂMque, la Bétique, la Bithynie eurent
à demander justice de leurs proconsuls *. Mais ces &its graves
devenaient plus rares à mesure que le principat se consolidait.
La correspondance de Pline nous ofire les traits principaux de la
chronique de Rome depuis l'an 97 jusqu'à l'an 109'. Dans cet
intervalle, Fauteur ne cite que quatre procès de concussion. Dans
tous il prit la parole : mais il rendait à ses amis un compte si
suivi et si détaillé de toute séance du Sénat un peu intéressante,
qu'U n'eût certainement point passé sous silence le récit d'une
affaire criminelle par la raison qu'il n'y aurait joué aucun rôle.
On peut donc affirmer que les procès de Marins Prisons, de
Caecilius Classicus, de Julius Bassus, de Yarenus Rufus sont
les seuls qui aient été portés devant le Sénat dans ces douze
années : or sous Néron, dans l'espace de six ans. Tacite n'énumère
pas moins de onze procès de ce genre *.
1. Le nouveau canal fut terminé vers 109 (an XII de Trajan). Letronne,
l. l., p. 424.
2. Letronne, Mi., p. 189.
3. Le nom de Trajan est inscrit en caractères hiéroglyphicrues dans les
temples de PhUae, d'Omtos (Champollion, Fréciâdu vfttèmehiéroglifpkUiue,
pi. 148, 148a), de Denderah, d'Esnek (id., Lettres, VII, p. 75; XII, p. 165).
4. Dion, LXVIII, 15. Il les appelle 'Iv6o0<.
5. OrelU 3058.
6. Le procès de Harius Priscus fut jugé dans les premiers jours de
Tan 100, celui de Classicus dans Fautomnede 101, celui de Julius Bassus
en 103 ou 104, celui de Varenus Rufùs en 106, U durait encore en 107.
Hommsen, Etude, 12-22.
7. Mommsen, Etude, 1** partie.
8. En 56, ceux de Vipsanius Lenas, de Cestius Proculus (iliMi.,Xin, 30);
— «7 —
L'accusation était portée devant le Sénat par le cùncilium '
de la province^ dont les envoyés recevaient k ce sujet un mandat
impératif*. Pour que le procès suivit son cours, il iEallait que le
Sénat autorisât Tenquête^, ce qui donnait Ueu à une première
discussion et opposait à l'accusation un premier obstacle. Tou-
tefois on ne rapporte pas que cette enquête ait jamais été refusée.
Elle se faisait même dans des conditions assez favorables aux
provinciaux, car Taccusateur seul pouvait forcer les témoins à
comparaître. Lors du procès de Yarenus Rufus, Pline fit rendre
un sénatus-^consulte qui conférait les mêmes droits à l'accusé. On
ne conçoit pas comment cette mesure équitable fut prise aussi
tard, ni pourquoi elle suscita de violentes clameurs^.
Les procès de concussion tombaient sous le coup de la loi
Julia^, justement vantée par Cicéron ®. L'Empire n'apporta
aucune modification essentielle à cette œuvre d'une politique à la
fois habile et généreuse, qui résumait et consacrait tous les
efforts tentés depuis un siècle pour améliorer la condition des
peuples vaincus. Mais la nouvelle composition des tribunaux pro-
mettait une justice plus impartiale, car ce n'était plus seulement
parmi les sénateurs ou parmi les chevaliers, ou sur une liste
comprenant les noms des membres de ces deux ordres, que le
préteur choisissait les juges. Auguste avait rétabli la troisième
décurie supprimée par Jules César (celle des tribuni aerarii) ;
il en avait ajouté une quatrième '', Caligula^ créa la cinquième.
Ainsi le jury se trouvait recruté dans toutes les classes, et la
classe moyenne y dominait.
Malheureusement les affaires de concussion durent être portées
en 57, ceux de P. Geler, de Gossutianus Gapito, d'Eprius MarceUus (iM .,
xm,33); en 58, ceux de Suilius (Mi., XHI, 43), de Sulpicius Gamerinus,
de Pomponius Silvanus (ibid,, xni, 52); en 59, celui de Pedius Blesus
(<M., XIV, 18); en 60, celui de Vibius Secundus (<M., XIV, 28); en 61,
celui de Tarquitius Priscus (<M«, XIV, 46).
1. Plin., Bp., VII, 6.
2. PMn., Bp,, III, 9. La môme marebe était suivie pour raccusation du
gouverneur d*une des provinces rôeervées à Gôsar. V. l'inscription connue
sous le nom de Marbre de Thorigny, Bev. archéoi,^ 1864, l, p. 9,
3. Plin., jrp.,V, 20; VI, 29.
4. Bp., VI, 5, Yl, 13.
5. Laboulaye. Lois eHmêMllei det Bomainêy p. 419.
6. Optima lez. Pro Sextf 64. Lex Gaesaris justissima atque optima. In
Pi9on, 16.
7. Suët, œt, 32.
8. Suét., CaUg., 16. V. dans les inscriptions, pasOm.
— 428 —
devafit le Sénat ^ qui se rendit maître absolu des procédures et de
la peine. Tous les abus, tous les entraînements que favorise la
mise de la justice dans les mains d*un corps politique ne tar-
dèrent pas à se Caire sentir, et le règne de Trajan, comme nous
Talions voir, en fournit plus d'une preuve.
En dehors des envoyés de la province, des sénateurs seuls pre-
naient la parole dans ces affaires. Le Sénat désignait ceux de
ses membres qui soutiendraient l'accusation, et ceux qui défen-
draient l'accusé et ses complices : dans ce choix, on se confort
mait généralement aux désirs exprimés par les parties.
Le renvoi, devant les juges ordinaires, du gouverneur accusé
exposait celui-ci à des restitutions pécuniaires et à la perte de
ses dignités. C'est ici que le Sénat usait de son pouvoir discré-
tionnaire pour adoucir ou pour aggraver la peine*. Ainsi Julius
Bassus, n'ayant donné et reçu que des présents peu considé-
rables, parut plus imprudent que coupable. Le Sénat décida que
l'accusé conserverait son rang, quelle que fut la décision des
juges devant lesquels il le renvoyait^. D'autres fois, la déchéance
n'était que partielle : ainsi Hostilius Firminus, légat de Marius
Priscus, ne fut pas exclu du Sénat, mais seulement privé de
prendre part au tirage au sort des gouvernements. Pline relève
avec vivacité ce qu'il y avait de contraire au bon sens et à
l'équité dans cette demi-mesure : « Que peutK)n imaginer de plus
bizarre et de plus indécent que de voir siéger au Sénat un homme
que le Sénat a flétri, de le voir au niveau de ses propres juges?
de le voir, exclu du proconsulat pour cause de prévarication
dans ses fonctions de légat, juger lui-même des proconsuls ? de
voir enfin un homme, condamné pour un crime honteux, con-
damner ou absoudre les autres ^ ? »
Un épisode du procès de Classicus offre un exemple révoltant
d'arbitraire et de partialité. Au nombre des complices poursuivis^
était Casta, la femme du proconsul. L'accusation, néanmoins,
1. Dion, Ll,21. Sur cette question et les développements qu'elle com-
porte, voir Laboulaye, ouv. cit. pp. 413-428, 438-444.
2. Pline, Ep., IV, 9. Gaepio q^^um putaret licere Senatui, sicut licet, et
mitigare leges et intendere...
3. Julius Bassus fut môme consul suiFect^ en 105. Les actes de son gou-
vernement furent cassés [ad Traj.y 56, 57).*
4. Ep., 1, 12. Il supporte plus patiemment rinconséquence dont profita
son client fiassus, mais il convient qu*elle causa beaucoup de méconten-
tement dans le Sénat et dans Rome {Ep, IV, 9). Le Sénat abusait un peu
de la liberté que lui laissait Trajan.
5. Â la demande de Pline, m, 9. Cf. VI, 31.
— 429 —
n'avait produit contre elle que des indices de culpabilité. A la
surprise générale, un témoin, en déposant, insinue que Tun des
accusateurs, Norbanus Licinianus, est peut-être coupable de
prévarication * en faveur de Casta. Or Norbanus avait été non-
seulement désigné comme accusateur par la province, mais
encore nommé par le Sénat commissaire dans l'enquête prépara-
toire. Malheureusement pour lui il s'était montré, sous Domitien,
l'adversaire de plusieurs sénateurs. Aussitôt le ressentiment
patricien se déchaîne et l'accable. La loi exigeait que l'accusa-
tion principale fut jugée avant la prévarication : au mépris de
la loi, on décide que la prévarication sera jugée inmiédiatement.
Licinianus demande au moins un délai d'un jour pour qu'un
acte d'accusation soit dressé et qu'il puisse en prendre connais-
sance : on passe outre, pour l'empêcher de rassembler les
éléments de sa défense. Mais, par sa présence d'esprit, il répond
de manière à confondre son accusateur. Alors on le charge à
l'envi de griefs particuliers, tous étrangers à la cause. Deux con-
sulaires rappellent que, sous Domitien, il eut part à la condam-
nation de Salvius Liberalis*. La rélégation est prononcée contre
Norbanus : et de l'aveu de Pline, cette condamnation était, au
fond, motivée par des inimitiés particulières beaucoup plus que
par la prétendue prévarication, mise en avant par un témoin
irrité ou suborné, et visée dans l'arrêt. Pline, qui accusait Casta
et se trouvait gêné par l'insuffisance des indices qu'on alléguait
contre elle, retient alors le fait de prévarication qui la compromet
aussi bien que son complice, et il s'efiForce d'en tirer parti en
exposant que la condamnation qui vient d'être prononcée est
inexplicable si l'on n'admet pas que Casta est en effet coupable
de feits graves, que la connivence de Norbanus dissimulait. Cette
logique se trouve en défaut: les sénateurs ont assouvi leurs
vengeances particulières, ils ne veulent pas frapper une claris--
sima feminay Casta est acquittée ! Dans la même affaire, le
gendre de Classicus est absous, mais un oflScier, autrefois sous
ses ordres, et qui n'a que le rang de chevalier, est banni de
l'Italie pour deux ans^.
Au sortir du règne de Domitien, où le Sénat avait été si cruel-
lement éprouvé, ses membres évitaient de se frapper les uns les
1. On appelait praevaricatio la collusion démontrée de Taccusateur avec
l'accusé pour procurer à celui-ci un acquittement frauduleux.
2. Rappelé d*exil par Nerva, Liberalis siégeait en ce moment même au
Sénat.
3. Ep., m, 9.
1>B LA BBBGE 9
— 130 —
autres, etreculaiaiit devant des accusations ou des condamnations
qui pouvaient rappeler, même de bien loin, les manœuvres et
Tacharnement des délateurs. Aussi Pline s'efforçait-il, autant qu'il
le pouvait, de faire agréer par le Sénat ses excuses pour décliner
le rôle d'accusateur ^ Il hésita longtemps à se charger des intérêts
de la Bétique dans le procès que cette province intentait à Glas-
sicus. Il s'y décida parce que « le proconsul étant mort avant l'ou-
verture des débats, ce qu'il y a de plus affligeant dans ce genre
d'affaires, le péril où on expose un sénateur, se trouvait écarté'. »
Au cours du procès de Marius Priscus, il éprouva une faiblesse
véritablement surprenante, dont le devoir triompha du reste.
Il avait cherché à établir que les abus de pouvoir dont Priscus
s'était rendu coupable dépassaient la mesure des crimes compris
dans l'accusation ordinaire de concussion, puisque le gouver-
neur avait reçu de l'argent pour condamner et faire périr des
innocents : il obtint que la question fût divisée. Sur le chef des
malversations, Priscus renvoyé devant les juges ordinaires
et condamné comme concussionnaire, perdit son rang de
sénateur et toutes ses dignités. A l'égard des meurtres juri-
diques, les habitants de la province, qui en avaient payé le
prix au proconsul, furent mandés devant le Sénat qui s'était
réservé le jugement de cette seconde partie de l'accusation et
Priscus fut amené, avec ses complices, dans cette enceinte où
longtemps il avait siégé près de ceux qui allaient statuer sur son
sort. Pline ne put voir, sans se troubler, cet ancien consulaire
dépouillé de son titre et de ses insignes^; il se sentit rempli de
compassion et, de son propre aveu, les moyens oratoires forent
sur le point de lui manquer au moment où il s'agissait de ùire
prononcer contre le coupable un châtiment exemplaire et mérité
que lui, Pline, réclamait naguère avec énergie^.
1. Ad Trajan,, 3. Ep., III, 9.
2. Amotum erai quod in ejusmodi causis solet esse tristissimum, péri-
culum Benatoris. N'oublions pas qu'il ji^oute avec ingénuité : Videbam
ergo advocationi meae non minorem gratiam quam si viveret ille pro-
positam, invidiam nullam. •
3. Stabat modo consularis^ modo septemvir epulonum, jam neutrum.
Erat ergo perquam onerosum accusare damnatum quem, ut premebat
atrocitas criminis, ita quasi peracte damnationis miseratio tuebatur.
4. MarcuB Priscus dut verser dans le trésor public les sept cent mijle
sesterces qu'il avait reçus pour faire mettre à mort un chevalier romain,
et il fut banni de Rome et de l'Italie. Quelques sénateurs demandaient
qu'indépendamment du versement au trésor, aucune peine ne fût ajoutée
à la condamnation pour concussion. Ils jugeaient sans doute que cette
— «4 —
Il est curieux de voir un esprit de corps si vif et si inquiet se
développer dans le Sénat à une époque où la communauté du
titre liait seule encore ses membres, appelés k Rome de toutes
les parties du monde connu et étrangers les uns aux autres par leurs
origines comme par leurs intérêts domestiques, et l'on voit que,
sans avoir dicté des acquittements scandaleux comme au septième
siècle de Rome, cet esprit inspira néanmoins des décisions assez
critiquables. L'étude des procès analysés dans la correspondance
de Pline ne me paraît donc pas justifier Topinion qui accuse les
empereurs d'avoir travaillé, d'une façon méthodique, à l'abaisse-
ment du Sénat et k la réduction de ses privilèges : on peut regretter,
au contraire, qu'ils lui en aient laissé d'exorbitants. Cette étude
me semble également peu favorable au préjugé qui attribue aux
Césars l'établissement de mesures plus propres que la législation
républicaine à garantir la sécurité des provinces : cette législation
fut conservée et inopportunément adoucie ^ En même temps que
l'ordre s'établissait dans le vaste empire romain, Téquité s'intro-
duisit, il est vrai, dans le gouvernement des provinces, miais
ce fut moins l'effet de réformes législatives qu'un résultat général
dû à l'apaisement des compétitions politiques* et surtout au déve-
loppement croissant du travail, à la diffusion de la richesse et
au progrès des classes moyennes signalé, à toute époque, par une
probité plus grande apportée dans la gestion des affaires publiques.
condamnation s'appliquait au meurtre juridique, la loi de repehMdii
ayant en effet prévu cet abus de pouvoir : ne quis... ob hominem con-
demnandum... aliquid acceperit (ZN^., XLVIII, tit. XI, 1. 7 pr.). Au com-
mencement du règne de Vespasien, Antonius Flamma, proconsul de
Gyrènaique sous Néron, fut condamné aux mêmes peines que Harius
Priscus c damnatus lege repetundarum et ezsilio ob saevitiam (Tacite,
HM,' IV, 46).
t. Juvénai, SaL, I, 49 :
et hic damnatus inani
Judicio (quid enim salvis infamia nummis?)
Bxul ab octava Harius bibit, et ft'uitur Dis
Iratis : at tu victrix provincia ploras.
% Sous la République les proconsuls pOIaient les provinces pour
refaire leur patrimoine dissipé dans les dépenses électorales et surtout
dans les frais énormes de Tédilité.
CHAPITRE X.
LEGISLATION CIVILE ET CRIMINELLE.
Il reste peu de vestiges des lois dues à l'initiative de Trajan ou
inspirées par ses conseillers. Le code Grégorien, dont la subs-
tance a passé dans celui de Justinien, ne renfermait pas de cons-
titutions impériales antérieures à celles d'Hadrien, de sorte que
Tœuvre législative de Trajan se trouva rejetée hors du cercle
habituel des études et exclue des grandes collections juridiques ^
Mais heureusement les Pandectes renferment un certain nombre de
décisions rendues par lui, qui sufiSsentpour nous donner une idée
de l'esprit dont il était animé.
Elles sont dignes du prince que nous connaissons déjà, et con-
firment ce que ses autres actes nous ont appris de son caractère.
Sa droiture naturelle, sa grande bonté, l'habitude de la vie mili-
taire où tout doit être clair et précis, en un mot chacune de ses
qualités propres l'invitait à porter la simplification dans les lois
romaines^ et la rapidité dans les lenteurs compliquées de la procé-
dure. D'autre part nous savons que parmi les jurisconsultes dont
il s'entourait, ceux aux avis desquels il déférait le plus volontiers
étaient Juventius Celsus et Neratius Proculus. Or, tous deux
appartenaient à la secte des Proculéiens qui prenaient le bon sens
et l'équité pour guides, et qui, sous l'influence des principes stoïciens
1. Justinien avait môme défendu de citer, dans les plaidoiries, les
constitutions anciennes qui ne seraient pas incorporées dans son code
{de Just. eod. ctm/irmando). Sans la publication du Digeste, postérieure à
cette mesure, on aurait donc perdu à peu près complètement le sou-
venir des lois de Trajan.
— 433 —
qu'ils avaient embrassés avec ardeur, s'écartaient volontiers des
opinions anciennes et des routes frayées, pour atténuer la rigueur
des vieilles lois en y portant des vues plus larges et plus hu-
maines. Aussi, bien que les Sabiniens aient encore joui d'une
grande autorité sous le règne de Trajan, alors que Javolenus,
Julianus et Yalens illustraient leur école, la tendance procu-
léienne de la législation que nous allons examiner n'est-elle pas
méconnaissable. Mais d'un autre côté, Trajan nous a montré,
dans sa conduite politique, une réserve et une prudence qu'on est
parfois tenté d'appeler de la timidité. Il n'abandonnera pas non plus,
dans ses réformes législatives, cette circonspection si conforme
au vieil esprit romain, et tout en réalisant des progrès désirables,
il ne prendra aucune de ces mesures générales qui font date,
il n'y apportera ni cette largeur de conception ni cette
supériorité dans les vues d'ensemble qui caractérisent les réformes
de ses successeurs, Hadrien et Antonin, et ont motivé leur intro-
duction dans les collections classiques des lois.
Avant d'aborder l'étude des constitutions de Trajan qui nous
ont été conservées, il faut examiner une phrase énigma tique de
Capitolin. Suivant cet auteur, Trajan ne consentit jamais à don-
ner de rescrits de peur qu'on n'étendît à tous les cas, en leur
communiquant la force légale, des décisions accordées seulement
comme des faveurs *. Le Digeste contient trop de rescrits de Tra-
jan pour que ces paroles puissent être prises à la lettre ; aussi les com-
mentateurs Godrfroy*, Schulting^, Bach*, pensent-ils queles^iôe/W
dont il est ici parlé sont les pétitions adressées par des particu-
liers, que l'empereur voulut, par une marque nouvelle d'affabilité,
recevoir de vive voix et non par écrit comme l'exigeaient ses pré-
décesseurs ^. Mais cette interprétation n'est pas admissible, attendu
que nous avons des réponses écrites faites par Trajan à des pétitions
sur des objets d'intérêt privé, également écrites^. L'état des manus-
crits ne suggère aucune correction au texte de Capitolin ; je pense
1. Capitol.. Maer,^ 13.... Quum Trajanus nunquam libellis responderit,
ne ad alias causas facta praeferrentur quae ad gratiam composita
viderentur.
2. Âd leg. 9. Cod. Theod {dedhersis rescripUs),
3. Dissertatio pro rescriptis dans CommeniatUmes Academieae^ 1770,
p. 193.
4. Legei divi Trajani praef., p. XI. —Montesquieu, probablement pour
tourner la difficulté qui nous arrête ici, a traduit : c Trajan refusa iont'
vent de donner de ces sortes de rescrits etc. » {Esprit des luis, XXIX, 17).
5. Suôt, Ner., 15.
6. Pline, ad Traj. 2, 48, 107, etc.
qae cet auteur 8*est trompé et s*est fait l'écho des traditions qui
avaient cours k son époque sur les habitudes et les sentiments de
Trajan, auquel la vénération populaire attribuait une équité et
une bonté contrastant avec la morgue et le formalisme des autres
empereurs.
Revenons maintenant aux textes épars dans le Digeste, etd'abord
à ce qui touche la législation civile. Nous signalerons en premier
lieu l'adoucissement du pouvoir monstrueux que le droit ancien
donnait au père sur ses en&nts. Papinien rapporte que Trajan
força un père qui maltraitait son fils, contre toute affection natu-
relle, à émanciper le jeune homme, et celui-ci étant venu à mou-
rir quelque temps après, le père fut exclu de la succession,
conformânent à l'avis de Neratius Priscus et d'Âriston ^
Le prince veilla aussi aux intérêts des mineurs. Les exemptions
de tutelle furent strictement bornées aux cas que les lois avaient
spécifiés'; et tandis que la gestion des biens du mineur était sou-
mise à des règles plus sévères', on donna recours au pupille contre
le magistrat qui, dans la tutelle dative, n'aurait pas exigé du
tuteur qu'il désignait et des fidéjusseurs , garants de l'obligation
du tuteur, des cautions su£Bsantes'. En revanche, les actes
d'administration du tuteur, &its de bonne foi, furent rendus inat-
taquables et lièrent le pupille, mesure d'ailleurs favorable à ce
dernier, car s'il en eût été autrement, personne n'aurait voulu
traiter avec son tuteur*^.
Une lettre de Trajan à Pline nous &it connaître le sentiment
de l'empereur sur les enfants abandonnésdeleurs parents, recueillis
par des étrangers, et élevés par ceux-ci dans la servitude •. La
coutume barbare de l'exposition était si générale dans le monde
ancien^ que dans chaque pays le législateur avait dû toucher à
la question, et partout où Rome avait trouvé des lois établies sur
ce sujet, elle les avait respectées et les faisait observer par le
proconsul, mais en Bithynie rien de tel n'existait, et Trajan pou-
vait y faire prévaloir ses vues propres. U se montre complètement
favorable à l'enfant, qu'il déclare apte à réclamer la liberté sans
être tenu à la racheter par le remboursement des aliments qu'on
1. Dig., XXXVIl, 12, 5.
2. Fragm. Valican., 233. Dig., XXVII, 1, 17, } 6.
3. Dig., XU. 4, 25S.
4. Cod. Jtut., y, 75. 5.
5. Dig., XXVI, 7, 12, l 1.
6. Pline, ad Traj. 6S.
7. y. Denis, Hitt des Idées morales, il. 108 et suiy.
lui aura fournis. Cette décision, très-équitable en soi, ne ren-
férme-tr-elle pas quelqu' imprudence? Constantin s'en écarta, et
déclara que quiconque aurait recueilli et élevé un en&nt aban-
donné, acquerrait sur cet enfant le droit de la puissance pater-
nelle, dont la revendication même du père véritable ne pourrait
plus le dépouillera Justinien, au contraire, voulut que l'enfant
fut libre et maître de sa personne, pour déjouer les desseins de
ceux qui l'auraient recueilli dans des vues de spéculation*.
C'était revenir à la doctrine de Trajan, mais après plus de
quatre cents ans, et alors que, sous l'influence dominante du
diristianisme, les expositions étaient devenues beaucoup plus
rares, et que s'étaient éveillés, dans le cœur des riches, des sen-
timents de commisération et de dévouement sur lesquels le légis-
lateur pouvait compter. Au premier siècle, il était bien téméraire
de s'appuyer sur des sentiments de cet ordre, et la doctrine de
Trajan, enlevant tout avantage à ceux qui recueillaient les
enfants, exposait ces derniers à périr dans l'abandon. U est
presqu'impossible qu'il n'ait pas vu cet écueil; peut-être vou-
lait-il mettre à la charge des villes l'entretien et l'éducation des
enfants délaissés sur leur territoire, ou bien se proposait-il de
fonder dans les provinces, et d'y encourager l'établissement,
d'institutions analogues aux alimenta d'Italie. Nous ne savons
rien à cet égard, mais la loi de Constantin prouve au moins que
les vues de Trajan ne furent pas susceptibles d'une application
générale et prolongée.
Bien que cet empereur n'ait accordé le droit de cité qu'avec
beaucoup de réserve, c'est néanmoins à son règne qu'on rapporte
la loi de Vettius Publions (?), aux termes de laquelle tout esclave
d'une cité italique recevait, par le seul fait de son affranchisse-
ment, le droit de cité romaine '.
Trajan facilita les affranchissements par voie de fldéicommis,
moins, à ce qu'il semble, par un sentiment de justice et de pitié
pour les esclaves que par le désir de faciliter l'exécution des
1. Cod. Theod.,1. I| deexpositU.
2. Cod. Just, VIII, 52, 3 et 4.
3. God. Just., Vil, 9, 3. Si itaqtêe iecundum legem VectilnUici {cujus potes-
totem senatus-cansuUe Jubentio CéUo Uer, et Neratio MarceUo co«. facto
(a. R. 882 » p. Cor. 129) ad provincias porrectam constUit) manumissus es,
etc. Pitiscus, sub\* suppose qu'il faut lire VectU |etj Puhlieii) cçb noms
seraient ceux des consuls de Tan 97. Mais cette indication de Pitiscus est
erronée : ce collège de consuls n'est cité nulle part. U faut lire sans
doute VêttiBolani. Vettius Bolanus fut consul ordinaire en lii ap. J.-G.
— 436 —
volontés des morts. Ainsi, par le sénatus-consulte RubrienS il fat
décidé que quand ceux qui étaient chargés de donner les libertés
refuseraient de se rendre au tribunal du préteur chargé des fldéi-
commis, et que ce préteur jugerait que les libertés étaient dues,
les esclaves seraient considérés conune affranchis directement. Le
sénatus-consulte Dasumien ^ étendit, au cas de l'absence justifiée,
cette mesure que le Rubrien limitait à la contumace intention-
nelle, et enfin le sénatus-consulte Articuléien donna aux gouver-
neurs de provinces le droit, jusqu'alors réservé au préteur des
fidéicommis à Rome, de prononcer ces manumissions^.
C'est encore par respect pour les dernières volontés des mou-
rants que Trajan rendit souvent au fidéicommissaire, lorsque
l'héritier était chargé de lui remettre la succession sans en rien
retenir, le quart des biens que le sénatus-consulte Pégasien
réservait à cet héritier Ml est intéressant de voir le nom de Trajan
mêlé souvent à cette matière des fidéicommis, expédient par lequel
les esprits libres et généreux éludaient la rigueur de l'ancien droit,
tout en en respectant les antiques formules et les prescriptions
inflexibles. Ce mélange d'innovation et de respect du passé carac-
térise bien le règne dont nous nous occupons ; la même tendance
équitable se retrouve dans un rescrit aux termes duquel une forme
insolite de rédaction ne dût plus entraîner la nullité d'un testa-
ment *.
En revanche, les droits souvent excessifs des patrons furent
maintenus avec rigueur. On ne peut blâmer le rescrit qui ordonne
que le magistrat suspendra sa décision sur une mise en liberté
réclamée aux termes d'un testament, quand ce testament est atta-
qué en justice*, mais on lit avec peine un édit de Trajan qui
paralyse, dans les mains de l'affranchi latin, auquel le prince
même aurait accordé le droit de cité, tous les effets utiles de ce
droit, si cette faveur a été obtenue contre le gré ou à l'insu du
patron ; édit dans lequel, reprenant d'un côté ce qu'il donne de
l'autre, il privait le nouveau citoyen d'avantages que la loi Aelia
Sentia lui assurait. Il fallut que, dès le règne d'Hadrien, un séna-
tus-consulte adoucît ces dispositions peu équitables'.
Ces fragments constituent ce qui nous reste de la législation
1. Dig., XL, 5, 26, i 7, an 100 ap. J.-G.
2. Dig.. LX, 5, 51, n 4-6.
3. Ibid., i 7.
4. Dig., XXXVI, 1, 30, : 5.
5. Di^;., XXVIII, 5, l. - 6. Dig., V, 3, 7.
7. Gaius, Comment,, 111, 72, 73. Cf. InsUiut., III, 7, 4.
— ^37 —
civile de Trajan. On n'y trouve aucune disposition tendant à
améliorer le sort des esclaves ou à relever la condition légale de
la femme, et cette lacune n*est pas, je crois, imputable au hasard,
mais bien au respect superstitieux de l'empereur pour le droit et
les préjugés anciens. Hadrien, heureusement, montrera une ini-
tiative plus courageuse, et va bientôt inaugurer dans cette voie
de sérieux progrès.
En vue de rendre plus sûres les transactions privées, des peines
sévères forent édictées contre ceux qui se serviraient de mesures
fausses ^ Trajan voulait d'ailleurs diminuer autant que possible
le nombre des procès, et, à cet effet, un sénatus-consulte fixa des
limites aux honoraires des avocats '. Au début de toute contesta-
tion judiciaire, les parties durent affirmer par serment qu'elles
n'avaient rien donné ni promis à leur défenseur, et celui-ci, les
affaires terminées, ne pouvait jamais recevoir plus de dix mille
sesterces (2,000 fr.). La mesure, inspirée par un bon sentiment,
était assez peu équitable ; d'ailleurs, elle fut sans doute aussi
vaine que toutes celles qu'on avait prises si souvent sur le même
sujet ^. Du reste, une fois les contestations engagées, Trajan exi-
geait qu'elles fussent suivies jusqu'au bout, et il appliqua rigou-
reusement à la tergiversatio le sénatus-consulte Turpilien*,
dans les détails duquel il porta plus de précision ^.
En ce qui concerne la législation criminelle, nous trouvons
d'abord un rescrit ordonnant d'interroger les' criminels même les
jours de fêtes, où le barreau vaquait ^, ce qui abrégeait d'autant
la détention préventive. Trajan voulut aussi qu'en interrogeant
les témoins, le juge ne posât pas les questions sous une forme qui
suggérait des réponses dans un sens déterminé, et dictait en quel-
que sorte la déposition"'. Mais on ressent une impression pénible
1. Dig., XLVII, 11, 6, § 1. Ces peines furent celles que la loi Gornelia
édictait contre le faussaire, déportation pour les honeslioreSy mines ou
mort sur la croix pour les /lumi/iores (Paul. ^^nt. Rec^t, V, 5). Hadrien
adoucit ces peines. Dig., I. 1.^ } 2.
2. Pline, Ep, v, 4. C'est le motif qu'on invoquait, sous Claude, pour la
remise en vigueur de la loi Gincia ne fidem quidem integram manere, ubi
magnitwio quaestuum spectetur; qtuxl si in nulUtu mercedem negotia iuean-
tWj pauciora fore ; nune inimicitias, accusatianes, odia et injurias foveri, ut,
quomodo vis morborum pretia medentibus^ sic fari tubes pecuniam cuivocalis
ferai,.. Tacit., Ann.. XI, 6.
3. T. Liv., XXXIV, 4. Dion, LIV, 18. Tacit., Ann,, XI, 5-8; XUl, 42. Suôt.,
iVcr., 17.
4. Pline, Ep., VI, 31.
5. Dig.. XLVIII. 16, 10, 8 î.
6. Dig., II, 12. 9. - 7. Dig., XLVlll, 18, 1, S M.
— \M —
en trouvant, à la suite de ces innovations libérales, des ordon-
nances qui multiplient la torture et l'introduisent dans des cas de
procédure d'où l'ancienne législation l'excluait *. Par une incon-
séquence dont profitait l'humanité, . les esclaves n'étaient jadis
soumis à la torture que pour fortifier les dépositions faites en
faveur de leur maître, et jamais pour le charger*. Trajan décida
que lorsque, dans un procès, un maître serait incidemment chargé
par ses esclaves mis à la question, le juge pourrait tenir compte
de cette accusation '; et, par une interprétation sophistique de la
loi, les esclaves d'un condamné purent être mis à la question
contre lui, parce qu'ils avaient cessé de lui appartenir^. L'esdave
du mari put être mis à la question contre la femme accusée^.
Enfin l'afiranchissement ne sauvait pas toujours ces malheureux
de la torture. Quand un maître avait été assassiné dans sa mai-
son, elle servait à arracher les aveux de ceux qui avaient été
afiranchis par testament : sous Trajan, la loi fiit modifiée, pour
que la question pût être appliquée également aux esclaves affran-
chis du vivant du maître*.
Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que les intentions de Trajan,
alors qu'il aggravait les conditions déjà si dures de la procédure
antique, étaient excellentes, et qu'il ne cherchait là que des
moyens d'arriver plus sûrement à la connaissance de la vérité.
Par ces voies atroces, que la philosophie ne condamnait que timi-
dement, il marchait, ou croyait marcher, au but le plus louable,
celui de ne faire prononcer que des jugements qui ne laisseraient
aucune place au doute. Son époque tout entière encourt le reproche
d'avoir pris pour un instrument eflScace de conviction les supplices
au moyen desquels on obtenait des aveux '' . Mais c'est au seul
t. Ce qui enlève à raccusé tout le bénéfice de la recommandation pré-
cédente, car comme l'a dit Beccaria (ebap. X), est-il une interrogation
plus suggestive que la douleur ?
2. Laboulaye, LoU cfimhtdle$ des Romains, p. 154. V. dans Tacite,
Ann.j n, 30, comment Tibère tournait la loi.
3. Dig., XLVIU, 18, 1, i 1».
4. Ibid., S 1^-
5. Ibid., 2 11.
6. Dig., XXIX, 5, 10, } 1. Cf. Pline, Bp,, VIII, 14, et Mommsen, Etttd^y
etc., p. 23.
7. Encore n*avait-on pas une foi entière dans cette efficacité. Ce qu'il y
a de plus révoltant dans l'usage de la torture chez les anciens, c'est que
les objections qu'elle soulève dans l'ordre logique aussi bien que dans
Tordre moral, avaient été faites sans émouvoir personne. Biles servaient
aux avocats qui avaient besoin de discréditer ce genre de preuve, dans
un cas donné. Ils avaient d'ailleurs des réponses toutes faites à ces cri-
Trajan que revient l'honneur d'avoir posé ces trois principes
que l'assentiment des criminalistes modernes a consacrés :
1* Rejet pur et simple de toute dénonciation anonyme *.
2** Ne condanmer que sur des indices dont le nombre et l'im-
portance produiraient la certitude, ou au moins une grande pro-
babilité *. n vaut mieux, ajoute Trajan , dans le rescrit qu'il
donne à ce sujet, laisser un coupable impuni, que de frapper un
innocent. Ces belles paroles, qui expriment brièvement la pensée
la plus équitable et la plus humaine, et caractérisent tout un sys-
tème de droit criminel, suffiraient à la gloire d'un souverain.
3^ Laisser à l'accusé qui s'était dérobé aux poursuites le droit
de se représenter devant les juges, et, comme on le dit aujour-
d'hui, de purger sa contumace. Alors seulement, quand U avait
présenté sa défense, le jugement rendu en sa présence devenait
définitif'. Sous la République, on procédait au jugement même
en l'absence de l'accusée Le progrès inauguré par Trajan a été
accueilli par toutes les nations civilisées, et il est inscrit dans nos
lois.
tiques^ pour le cas inverse, où les aveux arrachés par la torture étaient
favorables à leur cause. Aristote, BkeL, i, 15, 4. Gic, Herenn,, II, 7.
Quintil, Inst. oraL, V, 4.
1. Pline, ad Tntf., 97.
2. Dig., XLVIII, 19, 5. Absentem in criminibus damnari non debere,
divus Triganus Julio Frontlno rescripsit : sed nec de suspicionibus debere
aliquem damnari divus Trajanus Assidus Severo rescripsit. Satius enim
esse impunitum reliqui facinus nocentis, quam innocentem damnari.
3. Dig., XLVIII, 17, 4, i 2.
4. T. Liv., XXV, 4. Cic, in Verr. Il, 17, 38, 40. Plutarch., Brut.y 27.
CHAPITRE XL
FINANCES.
Trajan supprima ou réduisit un grand nombre d'impôts, et
chercha dans l'ordre et dans l'économie les moyens de subvenir
aux besoins publics de son inunense empire. Au début de son
règne, il renonça à Yaurum coronarium, tribut que les pro-
vinces payaient à chaque avènement *. Par l'abandon des pour-
suites de lèse-majesté *, il s'était fermé une des sources qui alimen-
taient le plus abondamment les finances impériales, et il se priva
volontairementd'un revenu presqu'aussi considérable, en déclarant
que les biens des condamnés à la rélégation ne feraient plus retour
au fisc^. Le tribunal, institué à Rome pour juger les contestations
qui s'élèveraient entre le domaine du prince et les particuliers,
jugeait souvent en faveur de ces derniers^, et, dans les provinces,
aucun contrat passé avec le fisc ne fut valable qu'après avoir été
soumis au procurateur du prince ^, ce qui garantissait les parti-
culiers contre la cupidité et la mauvaise foi des agents subal-
ternes de cette administration redoutée.
1. Ce tribut se nommait aussi colUUianes, Pline, Panég,, 41. Auson.,
ad GraUanum pro consulatUf p. 299, éd. Bipon tin. Suivant la chronique
Paschale (p. 472, éd. fionn.), Trajan remit encore des impôts dans
Tannée 106, peut-être à Toccasion de ses decennalia.
2. Pline, Panég., 42.
3. Dig., XLVIII, 22, 1.
4. Pline, Panég,, 36.
5. Fragm. de jure /isei, S 6. Edicto Divi Trajani cavetur ne qui proTin-
cialium cum servis fiscalibus contrahant, nisi adsignante procuratore.
Quod lactum dupli damno vei reliquorum ex solutione pensatur.
Pour faire cesser les troubles que les délateurs jetaient dans
toutes les familles en dénonçant les successions irrégulières que
le fisc devait recueillir comme bona caduca^ et rendre moins
vexatoire la perception de cette branche de revenus, à laquelle il
ne pouvait renoncer absolument, Trajan décida que ceux qui
déclareraient spontanément qu'une telle succession leur était
échue, conserveraient la moitié de cette succession *. Le Digeste
renferme plusieurs constitutions relatives à cette prime à allouer,
en vertu du beneficium Trajani, à ceux qui auraient eux-
mêmes dénoncé leur propre incapacité de recueillir *.
L'empereur allégea considérablement les impôts établis sur les
successions. D'après les règlements institués par Auguste, les
anciens citoyens romains étaient dispensés de payer au fisc le
droit du vingtième sur les successions qui étaient peu importantes,
ou passaient à de proches parents, mais ceux qui entraient dans
la cité romaine par le droit du Latium ou par un décret impé-
rial ne jouissaient pas, lorsqu'ils héritaient des biens de leurs
parents r^iès peregrini, du même avantage. Nerva prit quel-
ques mesures pour rendre la transmission de biens moins onéreuse
aux nouveaux citoyens. Il exempta du vingtièmelesenîsinisqui
succédaient à leur mère, les mères à leurs enfants, et les fils qui
succéderaient à leur père, pourvu qu'ils fussent sous la puissance
paternelle. Trajan étendit le privilège au père succédant à son
fils, puis au frère et à la sœur, à l'aïeul ou à l'aïeule, au petii-flls
ou à la petite-fille, héritant réciproquement les uns des autres ;
en ce qui concerne le fils héritant de son père, il leva l'interdic-
tion que Nerva avait posée, en déclarant que le fils émancipé
jouirait également de l'immunité.
L'exemption d'impôt accordée en principe aux successions de
peu d'importance, fut réglée et vraisemblablement étendue ; enfin
là où le fisc percevait encore une partie des biens transmis, c'est^
&-dire dans les successions collatérales, l'assiette de l'impôt fut
assise plus équitablement, car le vingtième ne fut plus perçu que
sur la valeur de la succession, déduction faite des frais funéraires
qui, conmie on le sait, s'élevaient assez haut chez les Romains en
raison des cérémonies et des banquets périodiquement renouvelés
au tombeau de &mille. Le prince, en publiant des édits si popu-
laires, remit d'ailleurs aux débiteurs du fisc l'arriéré des sonunes
1. Dig., xux, 14, 13, i 1.
2. V. le titre XIV du XLIX livre (d« ivre /Esd), fouim.
— 44Î —
dues pour racquittement du vingtième, selon la législatioii qui
cessait d'être en vigueur '.
On voit aisément quelle diminution dans les recettes amenaient
ces changements dans l'administration de l'impôt. D'autre part,
les dépenses augmentèrent, car indépendamment des travaux
publics et des grandes constructions qu'il fit exécuter sur tous les
points de l'empire, nous avons vu que Trajan se montrait extrê-
mement généreux envers les villes, et il ne laissait pas que d'être
assez libéral envers ses amis ^ Comment put-il faire &ce à ces
charges croissantes sans pressurer ses sujets ?
Le domaine privé des empereurs, démesurément agrandi par
les moyens les plus despotiques, était encore considérable malgré
les restitutions que Nerva avait faites en prenant le pouvoir'.
Aussitôt qu'il fut de retour à Rome, Trajan aliéna avantageuse-
ment une grande partie de ce qui restait '.
Puis cette réduction fut bientôt compensée par des accrois-
sements très-légitimes. Trajan avait déclaré qu'il n'accepterait
aucun legs dicté par la crainte ^, mais qu'il recueillerait ceux que
ses amis lui auraient faits librement. Or il faisait naître autour de
lui tant d'affection et il avait répandu tant de bienfaits, que presque
toujours les mourants pensaient à lui^, et, si petite que fût la
valeur du legs qu'on lui laissait, à titre de souvenir et comme
témoignage de reconnaissance plutôt qu'en vue de l'enrichir, le
total de ces faibles sommes pouvait atteindre un chiffre élevé.
Ainsi sa bonté et sa justice lui étaient aussi avantageuses qu'à
Tibère et à Domitien leur rapacité.
La conquête de la Dacie enrichit le fisc d'une manière extraor-
dinaire^, à cause des mines que renfermait le sol de ce pays. Or,
1. Pline, Panég., 37-40. Une note de M. Solvet, traducteur d'Hegewisch
{Btsai sur V époque, etc., p. 71), explique trôs-clairement la question.
2. Pline, Panég., 50. Voyez dans le testament de Dasumius, publié par
Rudorff dans Zettschrift fur gueMekt. Rêchttwissefnehaft, XII, p. 370, un
don de Trtûan à ce personnage.
3. Dion, LXVIII, 2.
4. Pline, Panég., 50.
5. Pline, Panég,, 43.
6. TeitamerU de Dasumhu^ 1. 1., p. 3S9.
7. Dans Jean le Lydien, De Mag., II, 2S, on lit, comme tirés des tnvtà
de Griton, ces chiffires fantastiques qui montrent au moins quelle idée
on se faisait des ressources de Ja Dacie : Ayant vaincu Décébale, Trajan
rapporta cinq millions de livres pesant d*or, dix millions de livres d'ar-
gent, sans compter les vases précieux; il emmena prisonniers cinq cent
mille hommes, avec quantité de bétail:
— 4ÂS —
les mines appartenaient presque toujours au prince, qui bénélS-
ciait des produits chaque jour croissants de l'industrie extrao-
tive^ . Trajan parait avoir donné des soins très-attentifs à cette partie
de ses biens. Des recherches plus approfondies, faites dans les
contrées danubiennes, permirent d'extraire du sol une plus grande
quantité de métal ^ L'exploitation des carrières de marbre et de
porphyre, à une époque où l'état, les villes et les particuliers
rivalisaient dans le goût et, on pourrait dire, dans la manie des
constructions, était encore pour le prince une source de bénéfices
considérables ^.
La monnaie d'or ne fut pas altérée. Son poids est le même sous
Trajan que sous Néron. Conformément aux prescriptions de cet
empereur^, on taillait 45 aurei à la livre (de 326 gr. 33). Mais
la refonte des deniers anciens usés par le temps, et néanmoins plus
pesants encore et à titre plus élevé que ceux qui avaient cours
alors, procura quelque profit^.
La mesure qui attribuait la moitié des successions indues à ceux
qui en feraient la loyale déclaration, fit cesser probablement beau-
coup de fraudes, tant de la part de ceux qui cachaient leur situa-
tion véritable en courant le risque d'une dénonciation, que de la
part de ceux qui achetaient le silence des délateurs ®, de sorte que
le fisc y perdit peut-être moins qu'on ne le croirait au premier
abord.
L'allégement de certains impôts facilita la rentrée des autres,
et surtout celle des impôts indirects. L'histoire moderne prouve
assez clairement que la gêne pour le contribuable se mesure non
pas au chiffre de l'impôt, mais à la difficulté qu'il rencontre à
gagner l'argent sur lequel l'état prélève une part. Lorsque cha-
cun se sent en sécurité, que la richesse circule, quela consomma-
1. V. Annal, InU. Arch,^ 1870, p. 120.
2. Les médailles qui offk'ent son efQgie avec les légendes MetalU
V^ni, MetalU Vlpiani DelmaUci, Metalli Pannonid, Metatli Dardaniei,
paraissent être les premières qui furent fabriquées avec le métal de ces
nouvelles mines. On trouvait aussi de l'or dans ces régions. Pline, HUt.
Naty XXXin, 4 et 12.
3. Annal,, 1. 1., p. 122. Sous son règne sont mentionnées pour la pre-
mière fois dans les inscriptions les exploitations de porphyre en £gypte.
4. Pline, Bist. liai., XXXIII, 13. V. La Nauze, Mém. eu BdUM-Uttreê,
XXX, p. 392, et Mommsen, Monnaie nnnaine, p. 756.
5. Mommsen, 1. 1., p. 758. L'opération n'est pas antérieure à Tan 103,
puisque sur les monnaies restituées, Trajan porte le surnom Daeieus.
6. Les délateurs n'avaient que le qvuirt des sommes qu'ils faisaient
rentrer dans les caisses du fisc. Suèt., Ntr,, 10.
— 444 —
tion augmente, le paiement de Timpôt se fait vite et aisément. II
devait donc être perçu sans difficulté au sein de la tranquillité
profonde et de la paix générale dont jouissait l'univers au com-
mencement du deuxième siècle.
Mais les moyens les plus eflScaces qu'employa Trajan pour évi-
ter à ses sujets l'imposition de nouvelles charges, furent assuré-
ment l'économie sévère à laquelle il soumit toutes ses dépenses,
et l'ordre rigoureux qu'il introduisit dans l'administration. Juste-
ment fier de ses efforts et de ses succès dans une œuvre aussi
laborieuse, il publia des états comparatifs de quelques-unes de ses
dépenses avec celles de Domitien ' dans des circonstances iden-
tiques. Nous avons perdu tous les détails de cette réforme impor-
tante : le fait seul nous est attesté, et dans la gloire qui rejaillit
sur Trajan, une part devrait revenir aux ministres qui l'aidèrent
à faire le bonheur de ses peuples. Quel Sully, quel Turgot firent
taire les privilégiés, chassèrent les agents coupables, déracinèrent
des abus invétérés, et mirent au service d'un prince passionné
pour le bien public leur énergie et leur intelligence des affaires ?
Ni les textes ni les monuments ne nous font connaître leurs noms
ensevelis à jamais dans un oubli irrévocable.
1. Panég,, 20.
CHAPITRE XII.
ARMEB.
Voici la partie du gouvernement à laquelle Trajan, par une
prédilection naturelle, et par le sentiment des nécessités impé-
rieuses de son époque, donna les soins les plus assidus. Il avait
écrit sur ce sujet des règlements que Végèce utilisa pour composer
le livre où il présente à Yalentinien les traditions de l'ancienne
discipline et par là, croilr-il, les moyens de rendre à l'empire sa
force et sa vitalité compromises '. Malheureusement nous ne pou-
vons isoler dans VEpitome rei militaris la part de Trajan, qui
s'y trouve mêlée aux prescriptions de tous les écrivains classiques
sur la matière, et aux coutumes en vigueur au quatrième siècle.
Quelques faits, épars dans le Digeste et dans les auteurs contem-
porains de Trajan, nous montrent qu'il ne comptait pas seulement,
pour avoir une bonne armée, sur la vertu d'une organisation
élaborée avec tous les soins possibles, mais qu'il voulait et savait
agir sur les honmies. Préoccupé de former une armée à la fois
nombreuse et solide, il se montra fort difficile sur les exemptions
du service militaire, les refusa à ceux que leurs infirmités ne
rendaient pas absolument incapables de ce service', et punit de
la déportation les pères qui affaiblissaient leurs fils pour les sous-
traire à ce devoir public^. Mais en même temps, une revue sévère
et incessante des honomes incorporés dans les légions lui permet-
1. Lib., I, cap. 8.
2. Oig., XLIX, 16, 4 pr.
3. Ibid., I 12.
DB LA BBRGB 'lO
— 446 —
tait d'éliminer ceux dont le caractère ou les mœurs menaçaient
d'exercer sur leurs compagnons une influence fâcheuse ^ Il crai-
gnait pour les soldats le séjour des villes, les habitudes du bien-
être qu'ils y pourraient prendre, et Q s'attachait à les écarter le
moins possible de leurs camps, même pour les besoins d'un service
public*. Jusque dans ces camps il redoutait l'oisiveté, et la pré-
venait par des exercices continuels, que les jours fériés ne devaient
pas interrompre, alors que les affaires civiles étaient suspendues'.
Il ne donnait les grades qu'à des hommes dont il avait apprécié
la fermeté et la bravoure S mais l'épreuve une fois faite et la
nomination signée, il respectait le pouvoir qu'Q leur avait conféré
et n'y portait aucune atteinte détournée ou directe ^. Sa présence
aux armées ne changeait rien aux habitudes du service, et les
officiers conservaient toute leur autorité sur les soldats.
Domitien, cédant à la jalousie et à la crainte que lui inspiraient
les généraux les plus capables, leur faisait mauvais visage et
leur témoignait peu d'égards, tandis qu'il se montrait tolérant
pour les infractions à la discipline, afin de mettre en perpétuelle
opposition les soldats et les chefs, et d'enlever à ceux-ci leurs
moyens d'action et les forces qu'ils auraient pu tourner contre le
prince. Trajan, au contraire, leur prodiguait les marques de sa
confiance, récompensait magnifiquement leurs actions d'éclat,
leur faisait décerner par le Sénat les distinctions les plus bril-
lantes*. Toute l'armée se sentit honorée dans ses chefs ; un nouvel
esprit la pénétra et la releva. Les soldats redevinrent déférents et
dociles*^. Pline insiste avec raison* sur cette réforme si bien
conçue qui assurait l'efficacité du commandement et l'autorité
hiérarchique des oflSciers en rétablissant leur autorité morale.
Trajan en recueillit bientôt les fruits ; il ne fit que des guerres
heureuses, car les revers qu'offre celle des Parthes sont dus,
comme nous le verrons, à des fautes politiques plutôt que mili-
taires, et la bonne organisation de l'armée en restreignit les
1. Ibid., s 5. PIÎD., Sp. ad Traj., 30.
2. PUn., Ep. ad Traj., 20, 22.
3. Dig., II, 12, 9.
4. Lettre de Marc Aurèle à Cornélius Balbus... tuum est Mtender$, hami-
nem {Pescennium Nigrum) non ambUêone... ied vkiute venis$e ad eum loewm
quem avus meu$ Hadrianus, quem Trajanus prooviM non nisi explorât!»-
simis dabat.
5. Plin., Panég., 18, 19.
6. Nos numéros 85, 86, 100. Henzen, 5450.
7. Dion, LXVm, 7.
8. Plin., Panég., 1. 1.
— 447 —
conséquences. Mais dès Tan 99, un fait caractéristique nous
montre à quel point Trajan se sentait déjà maître des soldats.
A son retour de Germanie, il jugea, en jetant un coup d'œQ sur
la situation de ses finances, qu'il ne pourrait donner à la fois au
peuple un congiarium, à l'armée un donativum aussi élevés
que ses prédécesseurs. C'est sur le donativum que la réduction
porta, et les soldats ne reçurent qu'une partie de ce qu'ils atten-
daient ^ Il n'est pas besoin d'une profonde connaissance de
l'histoire de l'empire pour apprécier ce qu'il y a de hardi dans
une telle mesure, et de surprenant dans le calme au milieu duquel
elle reçut son exécution.
Pour accomplir ces changements considérables*, Trajan trouva
son point d'appui dans l'amour même qu'il inspirait à toute
l'armée, depuis les généraux jusqu'aux derniers soldats. Il avait
conquis leur affection par une patience infatigable et un dévoue-
ment à toute épreuve, mis au service d'une idée bien arrêtée.
Cette idée, la voici exprimée par Dion Chrysostôme dans un de
ses discours, écho des propos qui s'échangeaient autour de la
table de l'empereur, quand il causait sans réserve avec ses amis
et sollicitait leurs conseils avec autant de bonhomie que de
sagesse : « Le prince qui dédaigne les soldats, qui ne va pas ou
« va rarement les visiter au milieu des périls et des fatigues qu'ils
« endurent pour défendre l'empire, et qui réserve son affection
« pour la populace, agit comme un berger qui ne connaîtrait pas
« ceux qui gardent son troupeau, ne leur donnerait pas à man-
€ ger, ne songerait pas à veiller quelquefois avec eux. Et alors
« il persuaderait, non-seulement aux bêtes sauvages, mais aux
« chiens eux-mêmes que le troupeau ne mérite pas d'être ménagé.
« Celui qui efféminé les soldats par des délices, ne les exerce ni
« ne les fatigue, celui-là ressemble à un pilote qui corrompt ses
« matelots en les laissant dormir et manger tout le jour, sans
« souci de la cargaison ni du navire qui va périr » *. Tel, en
eSei, se montra toujours Trajan pour les soldats. Vis-à-vis d'eux,
il était bon sans faiblesse, mais toujours affable. Il accueillait
leurs requêtes avec bienveillance^. Il facilita les formalités du
1. Plin., Panég.y 25.
2 te conditorem disciplinée militaris firmatoremque. Plin., Ep. ad
Trqf., 29.
3. De reçTw, Orat, II.
4. ... Quum scirem quantam soleres militum precibus patientiam
humanitatemque praestare. Plin., £[p.. X, 106.
— 448 —
testament militaire, en y introduisant cependant quelques garan-
ties dont l'inexpérience des testateurs avait besoin ^
En campagne, il vivait au milieu des troupes, et comme elles ;
mangeant gaiement leur nourriture grossière, buvant leur
piquette', souffrant même avec elles la faim et la soif.
Au bout de quelques jours, U connaissait les noms de ses com-
pagnons d'armes, leurs surnoms et leurs sobriquets, et il s*en
servait, avec bonne grâce, pour leur adresser la parole*. Il
venait voir comment on exécutait les travaux qu'il avait com-
mandés, il prenait part aux jeux militaires, lançant et se faisant
lancer des javelots, donnant et recevant des coups. Au milieu de
ces rudes divertissements, il se couvrait de sueur et de poussière,
et bientôt on ne le reconnaissait plus dans la mêlée qu*à sa force
et à son habileté supérieures ^.
Dans les batailles, il renvoyait ordinairement son cheval*,
courait se mettre à la tête de la légion la plus exposée et chargeait
avec elle. L'action finie, il ralliait les troupes et veillait à ce que
tout rentrât dans Tordre ; puis il visitait les ambulances, encou-
rageait les blessés, prenait soin que rien ne leur manquât, et
après une inspection minutieuse et complète il retournait dans sa
tente, seule ouverte encore, car tous commençaient déjà à se
délasser de leurs fatigues quand l'empereur songeait à prendre
un peu de repos^. Ceux qui, dans la journée, l'avaient vu risquer
dix fois sa vie et l'entendaient le soir, au milieu du camp silen-
cieux, regagner à pas lents le pra^toriumy lui vouaient un atta-
chement sans limites et chérissaient sa bonté autant qu'ils avaient
admiré son courage.
1. Dig., XXIX, t, 1. 1 et 24. InstUuU, II, 12.
2. Spart., Hadr., 10.
3. Plin.. Panég,y 13.
4. Frontonis, EpUi.^ éd. Naber, p. 205.
5. Plin., Panég., 13.
6. Plin., Pan^., 14.
7. Plin., Panég, f 13.
CHAPITRE XIII.
6UBRRB EN ORIBNT.
Jusqu'ici Trajan n'a pas cessé de mériter l'éloge que lui
adressait Pline au commencement de son règne : « Ce qui rend
€ votre modération plus admirable, c'est que vous aimez la paix,
« vous, nourri dans la gloire des armes... Vous ne redoutez la
« guerre ni ne la provoquez > *. Gomme nous l'avons dit, en effet,
les expéditions dirigées contre les Daces étaient commandées par
une nécessité impérieuse, elles assurèrent la sécurité de l'empire
sur la frontière la plus souvent menacée au premier siècle et
procurèrent l'heureuse extension delà civilisation occidentale au-
delà du Danube. L'assujétissement de l'Arabie était également
nécessaire, et ne fut ni long ni difficile. Maintenant, après sept
ans d'une paix glorieuse et féconde, Trajan éprouve ce vertige
qui troublera si souvent ses successeurs, les jettera contre les
Parthes ou les Perses, et causera les guerres les plus inutiles et
les plus longues qui aient ensanglanté Tempire jusqu'à son
déclin.
Depuis longtemps déjà, les Romains songeaient à porter la
guerre dans le Haut-Orient. A peine remis des discordes civiles, ils
demandèrent à Auguste d'attaquer et d'assujétir les Parthes, et
après plus d'un siècle ils ne se lassaient pas de répéter leur vœu.
On peut, je pense, assigner trois causes à ce désir irréfléchi dont
la réalisation était impossible et dont la poursuite devait coûter
si cher.
1. Panég., 16.
— <50 —
En premier lieu, la défaite de Crassus avait extraordinaire-
ment frappé les esprits. La destruction presque complète de son
armée, la perfidie des vainqueurs, leur joie insultante après le
triomphe, laissaient une impression mêlée d'épouvante et d'hu-
miliation. La restitution des étendards pris à Carrhes et à Sinnaca,
ces batailles néfastes comparables aux journées de TAllia et de
Cannes, n'apaisa qu'à demi le sentiment public, si haut qu'Au-
guste ait voulu la faire sonner. Ce que réclamait la nation,
c'était une vengeance éclatante qui fit oublier aux autres peuples,
conmie à elle-même, un des souvenirs les plus amers de son
histoire.
D'autre part, on sait combien les produits de l'Orient furent
recherchés à Rome à la fin de la République et pendant les pre-
miers siècles de notre ère. Mais les épices, les aromates, la soie,
les perles, n'étaient à cause de leur prix, réservés qu'à un petit
nonibre de personnes opulentes : le transport de ces précieuses
marchandises était soumis à beaucoup de chances défavorables.
On ne se rendait pas un compte exact de la situation géogra-
phique des pays où elles étaient recueillies, ni des conditions qui
les rendraient toujours assez rares : des récits merveilleux sur la
richesse inépuisable de ces contrées lointaines, la douceur de leur
climat, l'aspect bizarre des animaux qui leur étaient propres et
les mœurs étranges de leui*s habitants, circulaient dans Rome,
y excitaient dans toutes les classes la curiosité et la convoitise et
poussaient aux entreprises aventureuses. Or, malgré la décou-
verte d'Hippalus, la navigation des mers de l'Inde et des golfes
Arabique et Persique était pleine de périls pour des marins aussi
peu habiles que les Romains^ et les caravanes qui traversaient
les déserts de la Mésopotamie^ étaient continuellement pillées ou
rançonnées par les Arabes et les Partlies. De là un désir immodéré
d'incorporer à l'empire ces régions vantées, ou au moins de se
t. Robertson, dans ses Recherches sur VInde, note 19, remarque juste-
ment que malgré la découverte d^flippalus, les Romains n'osèrent pas
se lancer souvent en pleine mer d^Ocelis à Musiris, puisque le périple
de la mer Erythrée ne décrit que Tancienne route côtoyant tous les
golfes et tous les rivages. Et nous savons maintenant que ce périple fut
rédigé eu 246 ou 247 de notre ère (Reinaud, Mém, de l'Acad. des inscr.,
XXIV, 2* partie, p. 232).
2. Les navires des Gerrhéens (Strab., XVI, p. 766) transportaient les
marchandises à Scenae sur l'Eupbrate, au-dessous de Dabylone. De là
les caravanes, en vingt-cinq jours, les amenaient à Anthemusias, près
de la frontière de Syrie (Strab., XVI, p. 748), V. la carte n* xri jointe au
Strabon de Gb. Millier, éd. Didot
rendre maîtres des routes suivies par les marchands qui les
▼isitaient.
Enfin, et cette dernière raison me paraît la plus puissante, les
politiques romains étaient fort jaloux de la gloire d'Alexandre. Les
Grecs s'étaient consolés de leur assujétissement en vantant outre
mesure la puissance et la sagesse du héros macédonien, et le moins
grec de tous les grands hommes nés dans la péninsule hellénique
devint la personnification glorieuse des races que ses ancêtres et
lui-même avaient abaissées et maltraitées : on lui prêta des
projets immenses pour le bonheur de l'humanité, on lui attribua
des qualités militaires qui le rendaient invincible et qui lui
auraient assuré l'empire du monde si une mort prématurée n'eût
dissous, au moment même où il la constituait, la monarchie uni>-
verseUe qu'il avait conçue. Les Romains, qui avaient à demi
réalisé le plan supposé d'Alexandre, ne pouvaient, sans être
froissés^ entendre incessamment cet éloge du fils de Philippe.
Leurs succès, suivant les Grecs, n'étaient dus 'qu'à la fortune,
ceux d'Alexandre avaient été obtenus par l'intelligence et la
vertu. Heureux les Romains que le Macédonien ne se fut pas jeté
sur l'Italie! Rome disparaissait avant d'avoir fait parler d'elle.
Le Parallèle que nous lisons dans Plutarque se traitait depuis
longtemps dans les écoles, et Tite-Live n'a pu s'empêcher d'y
répondre en quelques mots dans son histoire, bien que cette
digression soit peu conforme à la manière habituelle de ses
récits. Et il nous apprend, ce qui est important ici, que les Grecs
vantaient la gloire des Parthes aux dépens de celle des Romains * ,
on comprend assez de quelle manière. Alexandre, disait-on, a
vaincu les Perses en trois années*, et vous, Romains, vous avez
toujours reculé devant les Parthes, qui ne font qu'une faible
partie des peuples soumis jadis au grand roi. Pour mettre fin à
ces bavardages grecs, il fallait soumettre définitivement les
Asiatiques, installer des colons légionnaires dans les villes fon-
dées par les soldats macédoniens et clore la discussion sur les
mérites comparés d* Alexandre et de Rome en incorporant à
1. IX, 18. Leviseimi ex Oraecis, qui Parthorum quoque contra nomen
Romanum gloriae favent
2. BataiUe du Granique, mai 334, d'Ârbôles, octobre 331. Je crois voir
une trace du même sentiment dans Plutarque, Antoine, dans une
retraite malheureuse où il était poursuivi par les Parthes, s^ëcria, dit-
on, à plusieurs reprises : c dix mille! témoignage d'admiration pour
c les compagnons de Xénophon qui revinrent de Babylonie par un cbe-
c min beaucoup plus long, et en combattant contre des ennemis beau-
c coup plus nombreux. « Àni., c 45.
l'empire tous les pays que le héros maoédonieD avait traversés et
possédés un instant et ceux mêmes dont il avait seulement médité
la conquête* : les limites du monde habitable alors connu devien-
draient celles de Yorbis RomanuSy et la monarchie universelle
serait réalisée par les Romains, et à leur profit'.
Sous l'action combinée de ces trois mobiles se forma le vœu
qu'on lit chez tous les poètes du premier siècle, en termes pres-
qu'identiques, d'une guerre à entreprendre en Orient^. Ces poètes se
&isaient-ils l'écho fidèle d'une préoccupation nationale toujours
vivace, ou bien, ce qui est plus probable, ne devons-nous signa-
ler ici qu'un lieu 'commun, et le procédé d'une poésie de jour en
jour plus artificielle? On conviendra que, dans les deux cas, cette
répétition assidue de la même pensée devait déterminer un cou-
rant assez puissant de l'opinion publique pour agir à la longue
sur la politique impériale^.
Montesquieu, qui souvent pense en Romain^ s'est fait, après
dix-huit siècles, le complice et le flatteur de ce préjugé propre au
peuple qu'il a tant étudié, en écrivant : « Les Parthes et les
« Romains furent deux puissances rivales qui combattirent non
« pas pour savoir qui devait régner, mais exister »*. Un passage
1. V. ses projets dans Arrien, VU, 1.
2. On finit par croire que Jules César avait eu ce dessein extravagant
Plutarch., Câes., 58.
3. Horat, Carm.^ III, 3, 43-45. Triumphatisque possit Roma ferox dare
jura Médis. Cf. Carm,y I. 12, 53-56. Propert., Eleg,, III, 4 ; III, 12; IV, 3. Lu-
can., PharstU., I, 8-20. Stat, Sylv,, III, 2; IV, 1. Martial., Epigr., XII, 8.
4. Dans un ouvrage intitulé : Relations politiques et commerciales de
V Empire romain avec VAsie orientale, Paris, 1853, M. Reinaud amis en
lumière ce fait peu remarqué Je crois, avant lui. Mais il a presque com-
promis la démonstration d'une tbèse juste en voulant tirer des poètes
latins ce qu'ils n'ont pas dit, en cberchaot dans leurs vers, non pas des
tendances de l'esprit public mais de véritables documents géograp biques
historiques ou politiques. Par exemple, A propos des formules peu
variées dont se servent Horace, Properce, Tibulle, en parlant des Parthes
ou des Sères, l'auteur écrit (p. 85) : < On ne peut pas supposer qu'ils se
fl sont copiés les uns les autres ; probablement ces sortes de rencontres
c proviennent de certaines expressions employées dans les dépèches
c officielles et dans les journaux du temps. > Dans ce Mémoire, utile A
consulter pour connaître un côté de l'histoire romaine, on regrette
aussi de voir contesté le fait, reconnu depuis longtemps et mis hors de
doute par Letronne, que dans les auteurs latins India désigne très-
souvent l'Rtbiopie.
5. Esprit des Lois, XXI, 16. Gela est vrai à l'égard des derniers, dit Sainte-
Croix {Mém. de l'Aead, des Inscript., L, p. 62), mais faux par rapport aux
Romains, qui furent les premiers à se mêler des aff^ûres des Parthes.
— <53 —
des « Considérations sur la grandeur des Romains » nous permet
de réfuter Montesquieu par lui-même. « Il y a, dit-il avec raison,
de certaines bornes que la nature a donnée» aux états pour mor-
tifier Tambition des hommes. Lorsque les Romains les passèrent,
les Parthes les firent presque tous périr. Quand les Parthes
osèrent les passer, ils furent d'abord obligés de revenir ; et de nos
jours les Turcs qui ont avancé au-delà de ces limites ont été con-
traints d'y rentrer » * . La vérité est que les Parthes n'ont été réelle-
ment menaçants pour Rome que pendant les guerres civiles, alors
que, sous la conduite de Labiénus, ils occupèrent les provinces de
Syrie et d'Asie. Chassés de ces régions par L. Yentidius Bassus qui
remporta une brillante victoire le jour anniversaire de la bataille
de Carrhae*, ils repassèrent l'Euphrate et ne firent plus aucune
tentative de conquête vers l'Occident. Si la position géographique
des deux empires les maintenait dans une réciproque indépen-
dance , la constitution politique du gouvernement parthe était
d'ailleurs tout à fait impropre à servir les desseins d'un peuple
conquérant. Cette constitution était essentiellement féodale^ : la
diversité de races et de religions des nations groupées sous le
sceptre des Arsacides ne comportait pas une union plus complète.
Chaque peuple était gouverné par un prince ou chef tiré de son
sein, et conservait son autonomie avec une indépendance pres-
qu'absolue. Ces grands vassaux du roi des Parthes sont appelés
par les historiens grecs taparques* on phylarques^, dénomina-
tions qui mettent en relief le caractère local et très-limité de leur
. puissance. Ils recevaient l'investiture du roi des Parthes^, mais,
Jamais ceux-ci n'étendirent leurs vues sur rBurope et ne cherchèrent
à troubler ce peuple ambitieux sur ses foyers ; ils eurent au contraire à
défendre les leurs; s'ils passèrent l'Euphrate et envahirent la Syrie, ce
fut moins par esprit de conquête que par représailles, et sans intention
de la conserver.
1. Grandeur des Romains^ c. 5.
2. 38 av. J.-C, V. Corp. Insc, Laty I, p. 461. Butrop., VII, 5. Flor., II, 19.
Plutarque {Anton., c. 34} dit qu'au moment où il écrit, Yentidius est le
seul général qui ait triomphé des Parthes, ce qui prouve, comme l'a
remarqué Mommsen (iTenites, IV, p. 297), que \e^ biographies furent com-
posées avant la mort de Trajan. Le triomphe de ce prince fut, comme
nous le verrons, célébré après sa mort par les soins d'Hadrien.
3. V. Sainte-Croix, Mém. de VAcad. des Belles- LetlreSf L, p. 75.
4. Auyoepoc ^ tk év toTç &vtt> xpovoiç (du temps d'Auguste) 'EMaainç Toicàpx^c
(oûxfli> yàp Touc xQLxA iOvo; ^aaiXetç TrtvtxaOra âxoXoûv. Procop., Bell. Persic, II, 12).
5. <l>vXapxoc, nom que donne Dioo à Mannus et àSporacés (v. plus loin).
6. C'est ce qui se voit bien par Thistoire d'izates, roi d'Adiabène.
Joseph, Antiq.y XX, 3, 5-8. Sur leurs monnaies, les rois d'Bdesse et de la
— 454 —
cette cérémonie une fois accomplie, le gouvernement de
Gtésiphon n'intervenait plus dans leurs affaires. Chacun de
ces phylarques fournissait, en temps de guerre, un contingent
déterminé. Mais il n'y avait point d'armée permanentes les
troupes ne recevaient pour solde que leur butin, et n'emportaient
jamais de vivres et de bagages que pour quelques jours'. Cette
organisation mUitaire, suffisante pour la défense du territoire,
rendait impossible une guerre lointaine et prolongée ; plus d'une
fois les Parthes abandonnèrent leur roi après quelques jours de
campagne, lorsqu'il eût fallu profiter de la victoire et poursuivre
des avantages obtenus'; on les vit aussi déposer leur chef,
craignant qu'il n'entreprit de guerre étrangère.
Rome n'avait donc rien à craindre de ces barbares tant qu'elle
n'allait point les provoquer au-delà de l'Euphrate. D'ailleurs la
suprématie qu'elle recherchait, à tort ou à raison, dans le Haut-
Orient, pouvait être acquise par la diplomatie ou par la conquête.
Les. premiers Césars employèrent exclusivement la diplomatie.
Ils mirent à profit les guerres civiles, si fréquentes dans les
annales Ârsacides, pour susciter à leurs adversaires des embarras
permanents, tantôt en soutenant les révoltes des grands vassaux,
et en particulier les revendications des rois d'Arménie, tantôt en
accueillant à Rome les princes dépossédés, et en menaçant tou-
jours les usurpateurs d'une restauration violente. Ils avaient
embrassé cette opinion de Tibère « qu'il faut employer dans les
affaires du dehors la finesse et la politique, et n'y point engager
ses armées » ^, et, en lisant dans Tacite les détails de la diplo-
matie impériale en Orient, on n'y peut méconnaître la continua-
tion très-réfléchie de ceUe que le Sénat, jadis, avait si habilement
mise en œuvre dans l'Asie Mineure^.
Avec Trajan tout est changé, et cette histoire prend un carao-
Gharacène prennent le titre de pa<nXeOc, les rois parthes celui de pouriXEuc
Po/fftXicav OU de tiiyac poatXe^};.
1. Hérodîen, m, 1.
2. Dion, XLI, 15.
3. Tacit., Annal, XI, tO : Longinquam militiam aspemabant. Cf.
ibid.. XII, 14.
4. Tacit., Annal., VI, 32.
5. Montesquieu, Grandeur des Rom., chap. 6. c Lorsqu'ils accordaient la
c paix à quelque prince, ils prenaient quelqu*un de ses frères ou de ses
c enfants en otage, ce qui leur donnait le moyen de troubler son
fl royaunie à leur fantaisie. Quand ils avaient le plus proche héritier,
c ils intimidaient le possesseur; s'ils n'avaient qu'un prince d'un degré
c éloigné, ils s'en servaient pour animer les révoltes des peuples. »
tère nouveau. Le dessein poursuivi avec persévérance par les
premiers Césars est abandonné. Trajan inaugure la politique de
conquête aunlelà de TEuphrate. La soumission des rois barbares
ne lui suffit plus, il veut étendre les limites du territoire romain,
y faire entrer de nouvelles provinces ^ U obtint, au début de son
expédition, depuis longtemps combinée, des succès éclatants et
rapides, dont les Romains, malheureusement, ne perdront plus le
souvenir ; la légende va bientôt pénétrer et défigurer cette glo-
rieuse guerre parthique, et multiplier les exploits du nouvel
Alexandre. Hadrien, averti par les défaites que Trajan subit au
lendemain même de ses victoires, reprend l'ancienne limite de
l'Euphrate, traite avec les Arsacides et cherche à renouer la tra-
dition diplomatique interrompue : Topinion s'en irrite et s*en
indigne et bientôt la guerre recommencera. Trois siècles de revers
n'éclaireront pas les Romains sur l'impossibilité de leur entreprise,
et les forces de l'empire s'useront dans une lutte sans issue. Nous
allons assister au commencement de cette période fatale, et suivre
Trajan dans ces plaines où iront mourir après lui Macrin,
Gordien le Pieux, Valérien, Carus, Constance, Julien.
§1-
Trajan ne fit qu'une seule expédition en Orient,
Pour le récit des guerres de Trajan dans l'Orient, les sources
sont aussi peu abondantes que pour la guerre dacique. L'histoire
des guerres parthiques avait été écrite par Arrien*. En songeant
à l'exactitude bien connue de cet auteur, à sa critique judicieuse,
b}x% moyens qu'il avait eus, pendant qu'il gouverna la Cappadoce,
d'être bien instruit sur des faits encore tout récents, on sent vive-
ment la perte des UapOixi: nous essaierons de tirer parti des
très-courts fragments de cet ouvrage conservés dans Malalas et
dans Etienne de Byzance. Xiphilin, complété par Suidas qui a
puisé dans le livre même de Dion, reste notre garant principal et
presque unique^. Malalas donne quelques détails intéressants,
1. Dion, LXVIH, 17, dit qu'il fit la guerre sous prétexte que le roi
d'Arménie ne lui avait point demandé l'investiture, mais en réaUté pour
satisfaire son désir de gloire, t^ ô>àXY)6ei^, d6h]ç iiciOv|iCf .
2. Photius, Bm. Cod. 58, cité par Mueller, Fr. Hist. Gr., 111, p. 586.
^Av6yvco<tOv) 'Apptovoû IlapOixà iv ^iSXCok iC'..« Aie^éTai dé èv TauT\} x^ icpaY(iat£(o^
ToO; ico/ifjLOuç oO; iiuoXé(iT)(Tav *P(i)(&a7oi xai IldpBoi, *P(o(&aCb>v aÙToxpàxopoc 5vtoc
TpaïocvoO.
3. Sur plusieurs points on a le texte même de Dion, dans les extraits
d'Orsini.
noyés dans une narration prolixe, confuse et mêlée de circons-
tances £abuleuses^
Nous devons d'abord élucider brièvement un point important
de chronologie.
On a beaucoup discuté sur la date à laquelle il faut rapporter
le départ de Trajan pour l'Orient, et le commencement de la
guerre des Parthes.
Tillemont veut que l'empereur ait fait en Orient deux guerres,
l'une en 106 après J.-C., l'autre en 114*.
Les autres historiens et chronologistes n'admettent qu'une
guerre, commencée en 112 selon le P. Pagi', en 113 suivant
Borghesi et Noris*, en 115 suivant Eckhel, suivi par Francke*^.
Etablissons d'abord contre Tillemont^ qu'il n'y eut qu'une
seule guerre parthique. Les raisons qu'il a invoquées à l'appui
de son opinion sont : 1® la chronographie de Malalas ; 2^ les
actes du martyre de saint Ignace ; 3^ des médailles; 4^ des ins-
criptions.
1® Suivant Malalas, Trajan, provoqué par Meerdotes, roi des
Parthes, quitta Rome, la xir année de son règne, au mois d'oc-
tobre, et entra à Antioche le jeudi 7 janvier suivant '. Tillemont
ne s'attache qu'à cette dernière circonstance, et fixe dès lors l'en-
trée de Trajan dans la capitale de la Syrie à l'année 107 ; car,
dit-il, « cette rencontre du jeudi avec le septième jour de janvier,
« qui convient à l'an 107 et qui ne convient à aucun autre durant
c tout le reste du règne de Trajan, semble ne se devoir point mé-
1. Il faut lire dans l'ouvrage de M. Dierauer, p. 155, une note impor-
tante, rédigée au moyen de communications de M. Gutscbmid sur les
sources de Malalas qui sont : 1* une histoire abrégée des empereurs;
2* une histoire de TEglise; 3* et surtout la Chronographie de Domninos,
écrite vers 528 et composée elle-même à l'aide : 1* d'Ârrien, 2* d*une
histoire d'Ântioche , 3* de traditions locales. Celles-ci entrent dans le
récit pour la proportion la plus considérable. M. Gutscbmid pense que
Malalas n'a connu Arrien que par les citations et extraits que Domninos
en avait faits.
2. Histoire des Empereurs^ notes sur Trajan, XVII, XXII et XXV.
3. Ad Ann. Baron,, a. 107, p. 40, éd. de Lucques.
4. Œuvres complètes, V, p. 21. Noris, Epoch. Syromaced., p. 183.
5. Doctrin. Num, Vet,, VI, p. 453. — Zur Geschichte Trajans, p. 261.
6. Et contre M. de Champagny qui l'a suivi très-docilemcot (Les Anto-
ninSj l, p. 350, 3* éd.).
7. Chronogr., XI, p. 270, éd. Bonn. Tpaïav6ç imtrz^Tzwjt Tcjl ij^ Ixzt t^ç
•Pw|jiTiç..., p. 272. •
— 457 —
« priser '. » En acceptant comme exacte cette indication du jour,
Tillemont est contraint de rejeter l'indication de Tannée donnée
par rhistorien byzantin, puisque l'empereur aurait quitté Rome
en octobre 106, et l'an 106 n'est pas le douzième de son règne'.
Mais par cette exclusion même, il discrédite l'autorité sur laquelle
il s'appuyait.
2° Suivant les actes du martyre de saint Ignace, l'évêque
d'Antioche fut victime de persécutions commencées contre les
chrétiens la neuvième année du règne de Trajan^; et, suivant
saint Jérôme, il serait mort effectivement en 107 de notre ère'.
Mais d'autre part la chronique Paschale rapporte ce martjnre à
l'an 105^, et l'on a, somme toute, de fortes raisons de croire que
ces dates ont été déplacées. On sait que dans la correspondance
échangée entre Pline et Trajan, le gouverneur de Bithynie
demande à l'empereur conmient U doit traiter les chrétiens de
sa province, ajoutant qu'il n'a jamais vu juger de semblables
affaires ; l'empereur lui fait une réponse que nous apprécierons
plus loin, et qui prouve, à première vue, qu'aucune persécution
n'avait encore eu lieu sous le règne. Ni l'un ni l'autre des corres-
pondants ne font allusion au supplice infligé à Ignace dans le
cirque de Rome, et il est évident que ce supplice est postérieur à
la légation de Pline, laquelle, comme il ressort des lettres mêmes,
dura deux ans et demi. Aussi Tillemont met-il cette légation en
103-104. Mais nous verrons qu'elle eut lieu en 111-113. Il faut
donc retarder de plusieurs années la date du martyre d'Ignace,
et il est très-vraisemblable, en effet, qu'il eut lieu après le trem-
blement de terre d'Antioche (décembre 115), que suivirent plu-
sieurs manifestations de paganisme accompagnées de cérémonies
superstitieuses •.
3* Les médailles datées du 5*" consulat de Trajan (103 à 112),
qui portent les légendes INDIA, TIGRIS, REX PARTAIS
DATVS, et sur lesquelles Tillemont s'est également appuyé, sont
de l'invention de Mezzabarba '.
4® Enfin les inscriptions, antérieures à l'an 116, dans lesquelles
i. Note XVII.
2. Comme nous le disons plus loin, le chififre t^* doit être modifié.
3. Ruinart, Acta Skic., p. 696.
4. Hieronym., Chron,, ëd. Scbœne, p. 163.
5. Bd. Bonn, p. 472.
6. Halalas, Ckran,, XI, p. 276, place le martyre d'Ignace à l'époque du
tremblement de terre-
7. Bckhel, Doctrina, VI, p. 452.
— 45S —
Trajan porte le surnom de Parthicus^^ sont reconnues fausses
depuis longtemps.
Il faut donc abandonner l'idée de deux guerres parthiques : il
nous reste à fixer le commencement de celle qui ne se termina
qu'avec la vie de Trajan.
Eckhel avait très-bien vu qu'une médaille d'or, portant au
revers les mots AVGVSTI PROFECTIO *, devait marquer le
départ de Trajan pour l'Orient, et qu'elle ne pouvait être ni
antérieure à l'an 113, puisque le prince y porte le surnom
ôiOptimiAS qui manque dans l'inscription de la colonne trajane
dédiée cette année même, ni postérieure à l'an 115, puisque
Trajan était à Antioche pendant le tremblement de terre.
Mais, à l'époque où écrivait Eckhel, on ne possédait pas de monu-
ments épigraphiques qui permissent de fixer avec précision le
début des opérations militaires en Orient. Nous sommes en mesure
de le faire aujourd'hui. En effiet, une borne milliaire de la voie
latine, conservée à Ferentino, porte l'inscription Imp. Caesar
Dim Nervae F. Nerva Trajanus trib, pot, XVIII imp
VIIII cos VI '. Le chiffre de la puissance tribunitienne indique
l'année 114 ; et, puisque dans cette année, Trajan avait été trois
fois acclamé imperator, il est manifeste que la guerre était
engagée depuis un temps assez long. C'est donc à la fin de l'an-
née 113, vers le mois de septembre ou le mois d'octobre, époque
habituelle des départs pour l'Orient^, que Trajan quitta Rome :
on peut le conclure aussi d'un passage de Malalas, en contradic-
tion avec celui que nous avons cité plus haut, mais ofirant plus
de garanties d'exactitude^. C'est également en 113 que fut frap-
pée la médaille dont nous avons parlé, et que Trajan reçut du
Sénat le surnom d!Optimus,
Nous pouvons maintenant aborder le récit des campagnes de
114, 115, 116 et 117, après avoir, au préalable, reconstitué l'ef-
fectif de l'armée romaine. Elle se composait, cette fois encore, de
trois légions : la VF" Ferrala, la Z* Fretensis, la XVI^ Fia-
via Firma *. Trajan y joignit un certain nombre de corps de
cavalerie qu'il fit venir d'Europe et qui étaient absolument néces-
1. Gruter, p. t47, 3. Reinesius, /ruer., LXXX^ Glas., II.
2. Bckbel, Doetrina, VI. p. 452. Cohen, n* 16.
3. Borghesi, Œuvres complètes, V, p. 22. Notre n* 77.
4. Pline, ad Traj. 15.
5. Il dit que le tremblement de terre eut lieu deux ans après Tarrivèe
de Trajan en Orient Chron,, XI, p. 275.
6. Nos numéros 104, 105, 106.
saires pour combattre les Parthes, dont cette arme constituait la
principale force. Ainsi YAla I^ Flavia Auguata Britannica
miliaria civium Romanorum fut détachée de l'armée de Pan--
Donie^ Une inscription de Byllis, en Epire, parle aussi de cava-
liers tirés de corps auxiliaires, envoyés en Mésopotamie à la même
époque '. Quant aux légions que nous avons citées, elles étaient
depuis longtemps cantonnées en Orient, savoir : la F/* en Syrie,
la X^ à Jérusalem, et la XV P^ à Samosate^. C'est donc bien faus-
sement, et dans l'intention trop visible de flatter Lucius Yerus,
que Fronton a écrit : « Trajan partit pour la guerre avec des
« soldats qu'il connaissait, qui méprisaient le Parthe, et se mo-
« quaient des coups de flèches après les grandes blessures faites
« par les faux des Daces^. » Aucune des trois légions n'avait fait
la guerre en Dacie et n'était plus aguerrie que celles de Yerus.
En l'an 111 après J.-C., Chosroès (Arsace XXVII) succéda
sur le trône des Arsacides à Pacorus ^, son firère aîné, bien que
celui-ci eût un fils nommé Parthamasirus^ d'âge à régner. Le
nouveau roi, pour dédommager son neveu, et pour éviter une
guerre civile, donna à Parthamasirus la couronne d'Arménie,
après avoir dépossédé Exédarès qui régnait dans cette contrée,
ayant succédé à Tiridate et reçu à son avènement l'investiture
romaine. Trajan saisit avidement ce prétexte, et déclara la guerre
aux Parthes. N'avait-il pas contre eux quelqu'autre sujet de plain-
tes ? Xiphilin ne parle que d'une guerre faite à Chosroès, pour la
cause que nous venons d'énoncer. Mais il semble que déjà, sous
Pacorus, quelques difiicultés s'étaient élevées enixeles deuxnations.
Suidas, au mot émxXfj^iA, nous apprend que Pacorus se plaignait à
1. Henzen, 6857 a.
2. Annal, de PInst Arch.^ 1863, p. 267. M. ValerHu Zotttonus..... praepo^
tUtu in Mesopotamia vexUlationibus equiium electorum alarum praetoriae
Auçfwiaôy Syriacaef Affrippianae, Herculianae, Singularium. Des cohortes
auxiliaires mentionnées dans la môme inscription portent les noms de
Flavia et û'UlpIa, mais aucune n*offlre celui d'AeUa, ce qui prouve que
llDScription est contemporaine de Trajan.
3. V. Grotefend dans Pauly, Real Encffcl. v* Legio,
4. Principia historiae, éd. Naber, p. 205.
5. La date de Tavénement de Ghosroès est connue avec précision. Une
petite monnaie de bronze de Pacorus, conservée au Musée Britannique,
porte la date FKY (423 des Séleucides = Ut de notre ère}^et une monnaie
de Chosroès, également de bronze, faisant partie du Musée de rBrmitage,
porte la môme date TKY (De Longpérier, Mémoire sur la Ohronologk des
rois Parthes Arsacides, pp. 134, 143).
6. C'est l'orthographe des auteurs latins Fronton et Butrope. Dans Dion
et Suidas on lit 1I«pOa|Adiaipic.
— 460 —
Trajan de T inobservation d'une trêve de trente jours, pendant
laquelle le commandant des troupes romaines s'était fortifié, au
mépris des conventions stipulées. Suidas tire évidemment cette cita-
tion de quelque passage de Dion, non résumé par Xiphilin, ou bien
d'Arrien; et, par conséquent, elle a une certaine valeur histo-
rique. N'oublions pas non plus que, pendant la guerre dacique,
Pacorus avait entretenu des relations avec Décébale*. Il ne serait
donc pas impossible que les Parthes eussent réellement violé la
lErontière romaine, et que Trajan eût été contraint de faire la
guerre ou au moins une sérieuse démonstration militaire : ce
n'est pas cette détermination même que nous avons blâmée, mais
seulement la politique de conquête qui fut adoptée après les pre-
mières victoires.
Avant de commencer ses opérations, Trajan avait noué d'im-
portantes alliances en Orient. Depuis Tavénement de Chosroès
jusqu'à l'automne de l'an 113, il échangea de nombreuses et impor-
tantes communications avec le roi du Bosphore cimmérien Sau-
romates IP, et nous allons voir, dès la première année de la guerre,
tous les rois des peuples habitant le Caucase se ranger autour de
l'empereur, ce qui suppose des négociations engagées avec eux
depuis un certain temps.
§2.
Conquête de V Arménie,
Ainsi que nous l'avons dit, Trajan, à l'automne de l'an 113,
quitta Rome où il ne devait plus revenir ^. Il se rendit d'abord à
Athènes et y trouva une ambassade de Chosroès, qui cherchait à
se mettre en règle au moment où il apprenait la résolution de
l'empereur. Le roi parthe déclarait avoir pris sur lui de déposer
Exédarès, parce que ce souverain avait manqué à la fois, envers
les Romains et envers les Parthes, aux douLles devoirs qui lui
incombaient : quant à Parthamasirus, il ne songeait pas à régner
sans le consentement des Romains, et Chosroès priait Trajan de
lui donner l'investiture*. L'ambassade était chargée de riches
i. Pline, Ep ad Traj., 74.
2. Pline, Ibid.y 63, 64, 67.
3. Il existe une monnaie d'argent au type de Mars Gradévus, dans la
légende de laquelle Trajan est qualifié de GOS VI et porte le surnom
û'ùpUmus (Cohen, n* 60).
4. Dion, LXVIII, 17.
— 464 —
présents pour Tempereur ^ ; mais Trajan ne voulut pas les rece-
voir, n répondit brièvement qu'à tous ces arrangements il fallait
pour garantie des actes, et non des paroles, — qu'il allait se
rendre en Syrie, — qu'il verrait là et ferait voir ce qu'il jugerait
le plus convenable'. En effet, U traversa rapidement la province
d'Asie', la Lycie, gagna Séleucie sur TOronte, et enfin Antioche.
Là il consacra dans le temple de Jupiter Kasios une partie du butin
fait dans la guerre dacique^ et on peut lire dans l'Anthologie les
vers que le bel esprit Hadrien composa pour accompagner
l'offrande impériale :
€ A Jupiter Kasios, au maître des Dieux, Trajan, descendant
« d'Enée, maître des mortels, a dédié cette offrande : deux coupes
« artistement ciselées, une corne d'unis ^ travaillée et rehaussée
€ d'or. U les prit aux Gètes superbes, qu'il terrassa de sa lance.
« Dieu, dont la tête se cache dans les nuages, accorde-lui la vic-
« toire dans la guerre achéménienne, et ton cœur se réjouira à
« la vue des doubles dépouilles, celles des Gètes et celles des
< Arsacides ^. »
L'empereur fit plus encore : pour flatter les superstitions
locales, il alla consulter l'oracle d'Héliopolis sur l'issue de la
guerre qu'il entreprenait^. Il soumit d'abord la science du dieu
à une épreuve peu respectueuse. Les prêtres lui avaient dit
d'écrire sa demande sur un billet qu'il remettrait cacheté, et lui
avaient promis une réponse dans la mêmeforme"^. Trajan remit un
1. Rntr'autreB des étoffés de soie et des sabres appelées sampsère$. Les
£aii4r^pat étaient réservées aux souverains (Joseph., AnU Jud., XX, 2, 3)
Dans cet envoi de présents, on reconnaît un usage oriental. On en offirait
toujours au roi des Parthes quand on l'abordait (Senec, Bpitl,, 17).
2. Dion, 1. c.
3. Probablement il vint par mer jusqu'à Bphése, comme Pline, Bp, ad
Traj. 17.
4. Suivant Malalas, Chron., XI, p. 271, il était à Séleucie en décembre.
5. Anihol, Palat,. VI, 332. poÀç o6pou àoxTix^ XP^V iraiifovâiavTi lUpaç.
Vurui est le bœuf sauvage des forêts de la Germanie, appelé aussi
bubalui (Pline, BUt. NaU, VIII, 15). Avec les cornes de Vunu, qu'ils gar-
nissaient d'argent, les Germains faisaient des coupes à boire (Gaes.
B, GaU., y, 28). Vawroch» (ums des classificateurs modernes) s'appelait
chez les anciens bUan (Pline, 1. 1. Martial, Spectac, 23). V. Boulin, art
Aurochs et Bison dans le DicU Univ. ^Hist. Nat. de d'Orbigny. — Suidas^
au mot Kdunov ftpoç, nous apprend qu'Hadrien composa les vers, et que les
coupes étaient d'argent
6. Macrob., Satum., I, 23.
7. Âu sixième siècle, on voit Hilpérik consulter saint Martin d'une
façon analogue (Âuo. Thisrrt, troisième Récit des temps mérovingieM).
hE Là BJSEGB 4i
billet blanc, mais en onvrant celui qui lui était rendu, il ne trouva
qu'une feuille blandie. Il prit alors une haute opinion de la diTi-
nité qui répondait avec tant d'esprit, et il Tinterrogea de bonne
foi. Le Dieu ordonna de couper en morceaux le cep de vigne d'on
centurion déposé parmi les ofirandes, et de remettre à Trajan ces
éclats de bois rassemblés dans un sudarium. On ne comprit rien
à la réponse : plus tard, dit Macrobe, quand les os de Trajan
furent rapportés à Rome, on reconnut comblai elle était juste. U
était difficÛe, ainsi que Ta remarqué Van DaleS qu'une réponse
aussi vague ne pût être adaptée à l'événement, quel qu'il fût.
Après s'être mis en règle avec les Dieux, Trajan s'avança vers
l'Arménie, sans doute vers le mois d'avril 114, quand les neiges
ne fermaient plus les passages de cette montagneuse région. Par-
tbamasirus lui écrivit, espérant détourner le danger qui le mena-
çait, et qui, chaque jour, devenait plus visible et plus prochain.
Mais dans sa lettre, il eut la maladresse de prendre le titre de roi :
elle resta naturellement sans réponse. Il en écrivit une seconde,
dans laquelle, mettant de côté toute prétention et se faisant aussi
humble qu'il le pouvait, il demandait simplement à conférer avec
le gouverneur de la Cappadoce, Marcus Junius*. Trajan ne sus-
pendit pas sa mardie : il envoya au prince arménien le fils de
Junius, chargé probablement de promesses vagues. Quant à lui,
il s'avança jusqu'à Samosate, en côtoyant l'Euphrate, sans être
inquiété par les Parthesun seul instant ', et il arriva ainsi à Satala,
vers l'extrémité septentrionale de la Petite Arménie ^ Il y trouva
h De €NMwiK, p. 170. éd. 1700. Ainsi traduit par Fontenelle (cb. XVi) :
c L*oraele emt Tesprit de lui rendre une réponse allégorique, et si générale
c qu*elle ne pouvait manquer d'être yraie. Car que Trajan retournât à
c Rome victorieux mais blessé, ou ayant perdu une partie de ses sol-
c data ; qu'il fût vaincu, et que son armée fût mise en fuite ; qu*il y arri-
f vftt seulement quelque division ; qu'il en arrivât dans celle des Partbes ;
c qu'il en arrivât même dans Rome en rabsencedeTempereur; que les
c Partîtes fussent absolument défaits; qu'ils ne fussent défaits qu^n
c partie; quils fussent abandonnés de quelques-uns de leurs alliés, la
c vigne rompue convenait merveilleusement â tous ces cas diiTérents;
c il y eût eu bien du malheur s'il n'en fût arrivé aucun; et je crois qae
c les 08 de l'empereur reportés â Rome, sur quoi l'on fit tomber Texpli-
€ cation de l'oracle, étaient pourtant la seule chose â quoi Foracle n*avait
c point pensé, i
2. Dion, LXVIII, 19.
S. C'est ainsi, je pense, qu'il faut entendre les mots «ftt^ 3è yJjpt
£a|&09àTiAv iipox(»pT]9ac, xal &|Mtxel ttitxà 9rapaXa6iov de Dion, car Trajan n'avait
pas â faire la conquête de Samosate, cette capitale de la Gomagéne
étant, comme la province^ incorporée depuis Tan 73 à l'empire romain.
4. Auj. Bns-lngbla» (Jaubert, Voffage de Ptne et <F Arménie, p. 101). Beau-
— 4 6g —
les rois des nations qui habitaient les bords de TEuxin et de la
mer Caspienne, et la région du Caucase, venus là pour rivaliser
d'empressement et de soumission. Tous n'avaient pas d*abord
montré un zèle égal : Trajan récompensa ceux qui, comme
Anchialos, souverain des Hénioques et des Machélons, avaient
donné, en temps opportun, des témoignages d'adhésion à la poli-
tique romaine. Les autres rencontrèrent un accueil plus froid,
mais en furent quittes pour de sévères reproches*.
Eutrope dit que Trajan donna un roi aux Albaniens, qu'il
reçut rhommage des rois des Ibères, des Sarmates, du Bosphore,
des Arabes, des Osrhoéniens et des Colchiens ^. Il mêle ici des faits
appartenant à plusieurs époques : toutefois son énumération est
exacte. L'Albanie, l'Ibérie et la Colchide constituent, par leur
réunion, l'isthme du Caucase. Les deux premiers pays formaient
chacun un état puissant. Les Albaniens étaient divisés en vingt-
six hordes qui, jadis, avaient eu chacune leur chef, mais, du
temps de Strabon, elles étaient déjà soumises à un seul souverain ^.
Les Ibères étaient également groupés sous le gouvernement d'un
chef unique, comme le prouve une inscription de l'an 75, trouvée
près de Tiflis, et faisant connaître que Yespasien avait aidé le roi
des Ibères Mithridate, fils de Pharasmane, à fortifier contre les
Parthes la ville principale de ses états ^. Quant aux Colchi,
qu'Eutrope désigne ici par leur nom générique, ils se divisaient
en plusieurs tribus indépendantes dont chacune avait son roi, et
qu' Arrien énumère avec détails ; il les nonmie dans l'ordre sui-
vant, en remontant la côte au nord-est depuis Trébizonde : les
Sanniy les Machelanes, les Heniochi, les Zydritae, les Lasi,
les Apsilae, les Abasd, les Sanigae^. En 132, quand le périple
fut composé^, Anchialos régnait sur les Machelones et les
Heniochi qu'il gouvernait déjà du temps de Trajan, au témoi-
gnage de Dion'', et Julianus, roi des Apsilae^ avait également
coup de routes s'y croisaient, v. la carte Jointe à Vliin. AnUm, de Par-
they et Pinder. et Tab. Peuting, segm. X.
1. Dion, LXVIII, 19.
2. VIII, 3. Âlbanis regem dédit Iberorum regem et.Sauromatorom.et
Bosporanorum et Ârabum et Osdroenorumet Goichornm in fldem accepit.
3. Strab., XI, 4, 6.
A, Journal asiatique, 1859, t. IX, p. 93.
5. Ârrian., PeripL Euxin,, 15.
6. Ârrien, c. 26, dit qu'il fit son voyage autour de la mer Noire quand
il apprit la mort de Gotye. roi du Bosphore Gimmèrien. Cette mort
arriva en 132 (Kœhne, Musée Kotschoubey, n, p. 261).
7. Dion, LXVIII, 19.
— 164 —
reçu de Trajan l'investiture*. Les Saî-mates, dont parle
Ëutrope, sont ceux de l'Asie, qui s'étendaient depuis le Caucase
jusqu'au Palus Méotide, et dont Pline a nommé quelques tribus'.
D'après Ârrien, Stachempax, roi des Zilcfd ou Zinchi au moment
où fut écrit le Périple, tenait sa couronne d'Hadrien ^ : nous
ignorons conmient s'appelait celui qui régnait sur ce petit peuple
au moment de la guerre Parthique. Le roi des Bosporani est
Sauromatès II, roi du Bosphore Gimmérien, qui régna de 93 à
124 ap. J.-C.^ Il avait effectivement reçu l'investiture de Trajan,
mais au commencement du règne et non pendant la campagne
d'C)rient^ Quant aux Osrhoéniens et aux Arabes, c'est plus tard
que Trajan reçut la soumission de leurs che&. Gonmie on le
voit, il prenait pied partout en Asie , en se mêlant aux affaires
de ces peuples dont les Romains, cinquante ans plus tôt^, con-
naissaient à peine les noms.
La soumission ou l'amitié des peuples du Caucase était un
intérêt militaire de premier ordre. Trajan, en effet, attaquait les
Parthes en suivant le plan, attribué à Jules César', de prendre
la Petite-Arménie pour base d'opérations afin d'éviter le désert
si fatal à Crassus". En adoptant ce plan, une partie des appro-
visionnements nécessaires à l'armée devait venir par le Pont-
Euxin*, puis être transportée à travers le Taurus, par la route
extrêmement difficile qui relie Trébizonde à Erzeroum. Or
l'expérience acquise démontrait que sur cette route, qui n'est
d'ailleurs praticable que quelques mois de l'année et pré-
sente en toute saison de grands obstacles, les convois ne
cheminaient que lentement, et qu'un petit nombre d'hommes
connaissant le pays et placés à des endroits favorables, les
auraient enlevés aisément si les défilés n'avaient été occupés
à l'avance par des troupes romaines immobilisées pour ce ser-
vice'. La neutralité des contrées voisines rendit ces troupes
disponibles pour la guerre active : de plus, une grande partie
1. Arrian., 1. 1.
2. Pline, Hist. NaL, VI, 7.
3. Arrian., Peripl. Euxin., c. 27.
4. Kœbne, Musée Kotschoubey, 1. 11^ pp. 237-254.
5. A chaque avènement d*un nouvel empereur, le roi du Bosphore
Gimmérien envoyait son hommage à Rome (Kœbne, 1. !.)•
6. V. Pline, 1. c.
7. Suôt., JtU, Caei., 44.
8. Plutarch., Crau,, 19. Sur les avantages de la route suivie par Trajan,
V. Arrian., Anab.y III, 7, 3.
9. Cf. Tacit., iinn., XIII, 39 (campagne de Gorbulon).
— 465 —
des réquisitions, surtout en chevaux et en fourrages, fut jfaite
probablement dans ces contrées mêmes, d'après des arrange-
ments conclus entre Trajan et les petits rois qu'il avait rendus
ses tributaires.
L'empereur, continuant sa marche vers le nord, arriva à
Elegia^ où sans doute il rallia une partie de ses forces*. Là,
Parthamasirus obtint enfin l'entrevue qu'il avait si instamment
sollicitée. Il vint plier le genou devant l'empereur assis sur un
suggestus, dans tout l'appareil de sa puissance', au milieu des
troupes sous les armes. Il voulait demander l'investiture, et
se conformait au cérémonial accoutumé, mais les soldats prirent
cette humble posture pour un acte de recours en grâce et un témoi-
gnage de repentir : persuadés que l'Ârsacide renonçait à son
royaume sans avoir livré une seule bataille, ils ne purent con-
tenir leur joie et ils acclamèrent Trajan comme imperator.
Parthamasirus, e&ayé des cris poussés de toutes parts, crut
sa vie en danger et se retira précipitamment. Mais des soldats
le poursuivirent, se saisirent de lui, et le ramenèrent près de
l'empereur, sans lui épargner les mauvais traitements ni les
1. Auj. Ilidjab, à trois lieues d*Erzeroum et à cinq journées de Satala
(Brz Ingbian], Jaubert, 1. c. il ne faut pas confondre cette localité avec
un autre Jlidjab,à 15 lieues S. de Maden, située au coude de i'Bupbrate,
prés du déâlé de Nuchar. Jaubert, ibid. Celle-ci se nommait également
Blegia dans l'antiquité. Pline, Hitt, naL, V, 20. La route suivie par Trajan
est la plus directe pour se rendre de Syrie en Arménie, comme en
témoigne Tacite, racontant la marcbe de Gorbulon quand il alla au
secours de Gaesennius Paetus : c qua proximum et commeatibus non
egenum, regionem Gomagenam, exin Gappadociam, inde Armenios
petivit (Annal. XV, 12). Dans les fragments des IlapOixà on lit : *EXéxita,
XupCov iclpov EvçpdTov. 'Appiavàc èv IlapOixôv v)'. (Muller, Fragm. HUL Or, III,
p. 587 et suiv.). Le récit de Texpédition de Trajan comprenait donc les
livres VIII-XVII des PaHhica.
2. Voici comment Kinneir, Vogage dans l'Asie Mineure, en Arménie^ etc.
tr. par Perrin, 1818, apprécie au point de vue militaire la topographie de
cette localité : c Dans le cas où une puissance européenne entrepren-
• drait une invasion en Perse ou dans Tlnde, il n'y aurait aucun point,
c à TE. de Gonstantinople, plus favorable qu'Brzeroum à servir de lieu
« de rassemblement pour de grandes forces. Les chevaux et le bétail y
c sont en abondance et à bon compte. Le fourrage 8*y trouve partout
« au printemps et en été, et il est facile de rassembler des provinces
c voisines une quantité considérable de blé. Les routes sont excellentes
« en ces deux saisons, etc. i Cité par Letronne, Jowmal dês Savants, 1819»
p. 143.
3. La scène est représentée sur une beUe médaille d*or, à la légende
RBX PARTflVS. (Gohen., n* 376.)
— 4M —
insultes. Le malheureux, ne comprenant rien à ce qui se passait,
attendait toujours le moment de faire hommage à Trajan :
s'imaginant que la cérémonie pourrait avoir lieu, sans être
troublée, dans la tente impériale, il y pénétra. Au bout d'un
instant on Ten vit sortir, et l'^npereur reprendre sa place sur
son suggestus. D'une Toix impérieuse et brève, il ordonna à
l'Arménien de s'expliquer devant tous, afin que jamais les parolea
qu'ils allaient échanger ne pussent être dénaturées. Les troupes,
silencieuses cette fois, se pressaient autour d'eux : Partha-
masirus sentit qu'il était perdu. En cet extrême danger, ni sa
sincérité, ni sa noblesse ne l'abandonnèrent. Il dit, aussi haut
qu'on l'exigeait, et avec autant de simplicité que s'il eût parlé
à Trajan dans le tête-à-tête ou en présence de son conseil,
que la souveraineté d'Arménie lui appartenait légitimement
à la seule condition de recevoir le diadème des mains de Trajan,
comme Tiridate avait reçu le sien des mains de NéronS qu'il
venait se soumettre à cette investiture, que sa personne et sa
liberté ne devaient souffrir aucune atteinte. Trajan fit alors
connaître ses desseins, ^déclara, en deux mots, que l'Arménie
serait désormais une province romaine. Il permit à Partha-
masirus de se retirer avec quelques cavaliers qui l'avaient
accompagné, mais il leur donna une escorte chargée d'em-
pêcher qu'ils communiquassent avec personne, et de sur-
veiller tous leurs mouvements. A d'autres Arméniens qui avaient
suivi le prince , il enjoignit de retourner chacun dans sa ville,
sans aucun délai, et avec défense expresse d'en sortir.
Quelques amis fidèles attendaient-ils Parthamasirus en dehors
du camp ? Les appela-t^il à son secours ? Ou bien essaya-t-il de
se débarrasser, soit par la fuite, soit par une lutte désespérée, des
gardes que Trajan avait placés près de lui ? On ne sait, mais ce
qui n'est que trop certain, c'est qu'il fut mis à mort par son
escorte. De son court règne de trois ans, on ne connaît que cette
fin sanglante, qui marque tristement la nouvelle politique de
Trajan et le début de ses conquêtes^.
1. Suét, Ner.y 13. Dion., LXII, 23. LXIII, 4 et 5.
2. Dion, LXVIII, 20. dit seulement que Tng'an ixt\uùçii9axo napOaiui-
(Tipiv sans indiquer la nature de la punition. Dans Butrope, VIII, 3. on
lit : Armeniam... recepit Parthamasiro occiso, qui eam tenebat. Un
fragment de Fronton confirme la dernière version : c Persoune, dit-il,
t n'eut à se repentir d'avoir confié à Lucius [Verusl son royaume ou
« ses biens : Trajan n'est pas complètement excusable du meurtre de
c Parthamasirus qui était venu l'implorer. Bien que celui-ci ait été Jus-
— 4«T —
UArménie entière ne fiit pas réduite en province, et la seule
partie incorporée se composa sans doate du bassin supérieur de
TEuphrate et des districts voisins du Pont-Polémoniaque. En
effet, si Ton compare au texte de Dion Cassius , des chapitres
correspondants de Thistoire d'Arménie de Moïse de Khorène, on
sera frappé de ne trouver aucun rapport entre les deux récits.
Suivant Thistorien arménien, Ardachès, roi d'Arménie, aurait
d'alK)rd refusé le tribut aux Romains et battu les légions de
Domitien, mais quand Trajan arrive en Asie, Ardachès cède à
son ascendant, lui remet l'arriéré des impôts qu'il devait, et
obtient son pardon ; Trajan le défend même contre les entreprises
de son frère Majan, et Ardachès reste, sous Trajan et sous
Hadrien, l'ami fidèle de Rome^
Ainsi c'est au moment où, d'après Dion, les Arméniens perdirent
leur indépendance, que se placerait le règne de leur plus grand
prince, car Ardachès, sauvé miraculeusement d'un massacre par
sa nourrice, reconquiert son royaume, donne et ôte les couronnes
chez les Alains et chez les Perses, encourage l'agriculture, les
arts libéraux, les sciences '. Malgré le caractère poétique de ce
récit, il serait téméraire de le rejeta absolument. Moïse^ tout
en convenant qu'il a résumé d'anciens chants épiques, déclare
qu'il avait eu sous les yeux, pour écrire l'histoire d' Ardachès,
des livres grecs tels que celui d'Ariston de Pella^. On conciliera
ce qu'il peut y avoir ici de réel, avec les renseignements donnés
par Dion, en admettant comme l'a £ait M. DierauerS que Tin-
date, Exedarès et Parthamasirus n'avaient régné que sur une
partie de l'Arménie, et que cette partie seule fut réduite en
province : en effet, les villes que, d'après Moïse, Ardachès a
détruites, fondées ou embellies, sont toutes situées au centre de
c tement tuè {merUo interfectus) dans un tumulte qu'il avait excité,
c mieux valait pour l'bonneur romain qu*il s'en fût allé impuni ».
{Prineijpia kMoriae, éd. Naber, p. 209). Du reste Trajan prit sur lui la
mort de Parthamasirus, et ne soufPHt pas qu'on y vtt une instigation
d*Sxedarè8, mais il déclara avoir ainsi puni le manque de parole de
TArsacide (Suidas, v* f^at^).
1. Moïse de Khoréne, Uv. II, cbap. 54, 55. Traduction de Levaillant de
Florivai, vol. I, p. 278-279.
2. Ibid., p. 285-2S7. La numismatique des rois Arsacides de TArménie
cesse trente ans après Tére chrétienne (lianglois, Numism, de l* Arménie
dam FantiquUëf p. 44) ce qui nous prive, pour la période dont nous nous
occupons, d*un utile moyen de contrôle.
3. Ibid., p. 287.
4. P. 161.
— 168 —
rArménie, dans le district d'Ârarad. D'après cela il faudrait
compter Ârdachès au nombre des princes qui se soumirent à
Trajan, et probablement il vint aussi à Satala^
Trajan prit rapidement les mesures propres à consolider la
domination romaine dans le pays qu'une politique habile, plutôt
que le sort des armes, venait de mettre dans ses mains. Les
postes les plus importants de la nouvelle province furent garnis
de troupes' ; la ville de Mélitène, qui commande un passage
important de TEuphrate, fut agrandie et fortifiée', et des détache-
ments furent échelonnés sur la côte du Pont-Euxin^, afin de
maintenir toutes les nations barbares dans Tobéissance pendant
que le gros de l'armée agirait contre les Parthes : Trajan, comme
on voit, ne les attaquait point avant de s'être assuré tous les
moyens de les vaincre.
Pendant qu'il réglait d'une manière si avantageuse les affaires
d'Arménie, l'heureux et entreprenant capitaine dont nous avons
raconté les exploits dans la guerre Dacique, Lusius Quietus,
acquérait de nouveaux titres à la reconnaissance de l'empereur
et à l'admiration des Romains. Se portant rapidement à l'Est,
au-delà du cours de l'Araxe, il était allé attaquer, dans l'Atro-
paténe, la belliqueuse nation des Mardes, et l'avait vaincue^.
L'Atropatène, ou comme l'appelaient les Romains, la Médie®, fut
le prix de sa victoire. Puis, par une de ces pointes qui plaisaient
et réussissaient à son audace, il se rendit maître sans coup férir
de Singara, et de quelques autres petites places du voisinage^.
1. M. Dierauer, p. 163, fait remarquer avec raison qu'une partie des
médailles de Trajan à la légende R£GNA ADSIGNATA, où le prince ne
porte pas le surnom de Parthieus (Cohen, n** 206 et 372), n*a pu être
frappée qu*à propos de ces investitures de Fan 114.
2. Dion., LXVill, 21 : 9poupàc iv iicixaCpoK xotraXiicûv.
3. Procop., De Aedi/U,, lU, 4. Cf. Tacit., Ann. XV, 26, 27. Plutarch.,
LucuU,, 32. Sext. RufuB, De VictorUs, 15.
4. Procop., BelL Gothic,, IV. 2. A<YOu<n \tjht 6(iN &ç xaxâ touç Tpaîovov toO
Pcd{iaMiiv ouToxpàTopoc xp^vo^ xoràXoYoi 'PcûtiaCuv frrpaTiwTôv évraOOa tc xai
(tlXpt ^ AdUlovç xal Zovi^o; Ifipuvro.
5. Themistius orat., XVI, de Saturnino ad Theodos (éd. fiarduin, p. 205).
6. Tacit., Annal, XIV, 23. Anquetii Duperron, Mém. de VAcad. des B.
lettres, XLV, p. 143. Ces conquêtes de Lusius Quietus ont peut-être
servi de base à la tradition suivant laquelle Trajan aurait poussé ses
conquêtes jusque dans la Grande Tartarie (v. Nicolas Gostin dans Notices
et Extraits des Manuscrits, XI, p. 331). Lusius a pu traverser TAraxe prés
de sa source^ aux environs d'Brzeroum, comme Kinneir, dans son
voyage (trad. Il, p. 127).
7. Telles que la position nommée Castra Maurarum (Ammiep, XXV, 7).
— 469 —
Or Singara (auj. Sindjar) est une position de premier ordre, qui
domine la route d'Orfa à Mossoul, et sans laquelle on n*est
jamais assuré de posséder la Mésopotamie^
En consultant une carte de ce pays, on sera tenté, au premier
abord, de juger sévèrement le coup de main de Lusius sur Sin-
gara. Il se jetait au milieu de tribus non soumises, et ne pouvait
recevoir aucun secours de Trajan, dont l'armée n'avait pas
encore franchi l'Euphrate. Mais une connaissance plus détaillée
des lieux fait comprendre comment l'occupation de ce poste se
rattachait aux opérations ultérieures, et montre que l'imprudence
n'est qu'apparente. La chaîne du Sindjar est une forteresse natu-
relle presque imprenable et toujours bien approvisionnée par la
nature, ce qui a permis aux Yézidis qui l'habitent de défier jus-
qu'ici les efforts des pachas qui ont essayé de les réduire. « Ils
< habitent, dit Kinneir*, des villages ou plutôt des cavernes
« souterraines pratiquées dans le flanc des montagnes. Le sol
« qu'ils cultivent est assez fertile pour les mettre en état de se
« passer du blé de leurs voisins. Leurs montagnes abondent en
« sources et en pâturages : leurs chevaux sont excellents. »
D'après cela, il avait fallu autant de hardiesse que de bonheur
pour s'emparer de la position, mais une fois qu'on en était maître,
quelques hommes déterminés et industrieux suffisaient à la
garder et pouvaient attendre, en parfaite sécurité, l'arrivée du
reste des troupes.
La conquête de la Médie et celle de Singara valurent à Trajan
sa huitième et sa neuvième salutation impériale*. Sur un
diplôme militaire du 31 août 114, il ne porte encore que la sep-
tième^, reçue à Elegia, ce qui prouve que son séjour en Arménie
prit la plus grande partie de l'année, et que les opérations de
1. C'est sans doute dans le récit de la campagne de Lusius Quietus
qu'Arrien mentiotinait : Ai^ovai, Tc6Xtc £vpCac, TaTc 'Arpatç YeiTviàÇouaa.
nopOtxwv èwàT(]), identique avec la Ai6à de Poiybe (V, 51), comme l'a
conjecturé Gh. Mûller. Liba était située entre I^isibe et le Tigre. Enfin c'est
encore à la guerre d*Arménie que se réfèrent ces mots d'Eu trope (VIII, 3) :
« très provincias fecit [TrajanusJ... cum iis gentibus quae Madenam
c attiugunt i car la Madéne était une fertile province de TArménie
(Sext Rufus, de Victoriis, c. 15).
2. Voyage cité, trad. fr., t. II, p. 220.
3. Comme nous l'avons dit, la neuvième figure parmi les titres de
Trajan, sur une borne milliaire de la voie latine, encore en place à
Ferentino, et gravée sous la 18* puissance tribunitienne, en 114 (notre
n» 77).
4. Henzen, n* 6857 a.
— 470 —
Qtttetuâ se firent en automne. CoHime récompense de ses services,
ce brave officier obtint l'entrée au Sénat avec le rang d'ancien
préteur, et fut désigné consul pour l'année suivante^ Trajan
revint passer l'hiver à Antioche, où il entra en grande pompe,
couronné d'olivier, le 7 janvier 115*.
§3.
Campagne de Van 115. — Conquête de la Mésopotamie.
Le texte de Xiphilin devient ici tellement court et même vague,
qu'on ne peut émettre que des conjectures sur les événements de
cette campagne et l'ordre dans lequel ils se suivirent. Trajan se
rendit d'abord dans l'Osrhoène, dont le roi Âbgare offrait depuis
longtemps sa soumission^ et dont les ambassades avaient été
éconduites. Il consentait à céder à Rome la souveraineté qu'il
tenait de Chosroès et qu'il lui avait payée d'une grande somme
d'argent. Comme l'empereur allait entrer dans Edesse, il rencontra
le phylarque qui venait à sa rencontre, renouvelant sa soumission
et accompagnant cet hommage de présents considérables. C'étaient
deux cent cinquante chevaux, avec les armures pour chaque
cheval et le cavalier qui le monterait, et soixante mille flèches.
Avec un désintéressement assez fastueux, Trajan n'accepta que
trois armures, à titre de curiosités, et dit au phylarque de garder
le reste. Mais Âbgare tenait en réserve un moyen de suocès
infaillible. Il connaissait les penchants du vainqueur de l'Ar-
ménie, et il s'était fait accompagner de son fils Arbandès, jeune,
bien fait, et dans toute la fleur de sa beauté. Arbandès plut à
Trajan, qui le combla de caresses, et traita le père avec une dou-
ceur dont cette guerre n'ofire pas un autre exemple et dont la
raison est facile à pénétrer^.
On passa quelques jours en fêtes et en banquets ^, puis la
campagne commença, sur le conseil même d' Abgare*, par l'in-
1. Tbemistius, 1. c.
*2. Cette date sera prouvée plus loin.
3. Suidas, v^ 'Ëde<r<ra, 9vX£px^c, cbvnTi^, lxéTeutio^ àxpa. Dion, LXVIIl, li. Je
crois reconnattre cette scène sur un bas-relief de l'arc de Constantin où
un homme Agé, revêtu d*un costume barbare, amène un jeune homme
semblablement vêtu en présence de Trajan assis sur une estrade. L*em*
pereur étend vers eux le bras droit, avec un air de protection et d'en-
couragement. Rossini, gU archi trionfali, tav. LXXI.
4. Suidas, v* 'EXX66ta.
5. Suidas, V* ^(frrrffivwxan.
— 474 —
vasion de rAnthemusias, dont le phylarqae Sporacès se rendit
aux Romains. L'armée, avançant à l'Est, s'empara de Batnae,
o^tre d'un commerce considérable avec l'Inde et la SériqueS
puis de Nisibe, où les armes romaines n'avaient pas paru depuis
LucuUus'. La prise de Thebidha', château fort placé entre Nisibe
et Singara, permit enfin de donner la main aux compagnons de
Lusius, qui occupaient la dernière ville depuis Tannée précédente,
et l'assujétissement de la Mésopotamie fut complet. Enchantés de
ce succès rapide, les soldats, dès ce moment, décernèrent à
Trajan le surnom de Parthicus, mais il ne voulut pas le prendre
sur les monuments avant de l'avoir reçu du Sénat et justifié par
des conquêtes plus étendues^.
Dans le même temps , les Parthes étai^t en proie à la guerre
civile. Un chef arabe, Manisarus avait attaqué Chosroès et ce
dernier était en fuite^. Manisarus proposa à Trajan de partager
les dépouilles de l' Arsacide. Il se désistait de toute prétention sur
les parties de l'Arménie et de la Mésopotamie dont les Romains
étaient maîtres^, et il entendait régner sur le reste. Il va sans
dire que Trajan n'accepta point, et il refusa même de conférer
avec les ambassadeurs de Manisarus. Celui-ci conclut alors une
alliance avec Mannus, autre roi arabe, que menaçait l'approche
des Romains^, et il semble même, autant que permet d'en juger le
désordre des textes, que Manisarus avait négocié des deux côtés
à la fois^. Trajan ne s'en préoccupa point : il n'était pas encore
en mesure d'attaquer l'Assyrie. Il fallait franchir le Tigre et
s'engager dans un pays inconnu ; la saison était trop avancée
pour commencer des opérations aussi longues. Il les remit donc à
Tannée suivante, et ordonna de prendre, dans les forêts voisines
1. Âmmien MarceU. XIV, 3, 3. Il ne faut pas confondre Batnae de
Môsopotamie avec la petite ville syrienne du môme nom, dont Julien
{Ep. 27) fait une description charmante.
2. Dion, XXXV, 7. Plut, LucuU., 32. Sext. RufuB, de Vtctor.y 15.
3. OE6tOd 99o0piov Heao7roTa(i(ac- 'Appiocvàç IvdsxaTC)). Tab. Peuting, XI, B :
Nisibi, XXXIII. Thebeta, XVill. Baba, XXXIII. Singara,
4. Dion, LXVIII, 23. Le nom de Parih4eus ne figure positivement que
sur les monuments datés de la XX* puissance tribunitienne. Llnscrip-
tion de Gruter, 248, 2, où il accompagae le XIX* tribunat, est fausse ou
mal copiée (Borghesi, Bull, de l'Inst, areh,, 1859, p. 116).
5. Dion, LXVIil, 21. Et. de Byzance, Xidxi^, xwjitq «pà« ^y Ttypt^i noratJi^.
'Apptavàc 8ExdT(|>. xai ^aiXiiic 8'î^8Xoc6vsi i% £eXeuxe(ac où icpoaw toO irotaiioO
Tou TiYptSo^ èç xc&(iir}v Yi Tcvi Xtùxh 6vo|ia. Ce roi est Ghosroès, et non Trajan.
6. Dion, LXVIII, 21.
7.1d.
8. Ibid., cf. Suidas, v* Mdcwoç.
de Nisibe, les bois nécessaires à la construction d'un pont de
bateaux. On peut croire aussi qu*il était bien aise d'attendre
le retour de Lusius Quietus, retenu à Rome, cette année même,
par l'exercice de son consulat.
Malgré les facilités que Trajan avait rencontrées dans cette
conquête, rendue si rapide et si aisée par la désunion des Parthes
et la rivalité des phylarques, il ne laissa pas s'affaiblir la dis-
cipline et la vigilance de ses soldats ^ Â soixante ans passés, il
conservait l'activité et les habitudes de sa jeunesse, marchant à
la tête des troupes , passant les gués à pied , partageant les
fatigues et contenant l'ardeur de ceux qu'il commandait. Parfois
il feignait de tenir de ses espions de mauvaises nouvelles et mul-
tipliait les précautions; il répandait de faux bruits ou bien il
ordonnait des marches et des contre-marches inutiles en appa-
rence, mais propres à tenir en haleine des troupes déshabituées
de la grande guerre' et placées en face d'ennemis dont les allures
désordonnées et les attaques imprévues inspiraient toujours un
certain effroi.
L'empereur revint prendre ses quartiers d'hiver à Ântioche,
comme à la fin de la précédente campagne. Mais celle qu'il ter-
minait avait été moins longue, puisqu'il était déjà rentré dès
l'automne dans la capitale de la Syrie. La prise de Batnae et
celle de Nisibe lui valurent ses X*^ et XP salutations impériales*.
C'est, je pense, à cette époque qu'il constitua et organisa la
province d'Arabie, laissée jusqu'alors sous l'administration du
légat de Syrie^. En même temps il ordonna de construire, pendant
l'hiver, une flotte qui devait descendre l'Euphrate l'année sui-
vante, et servir ses projets dans le haut Orient. Dion ne dit rien
de cette construction, mais il me semble en trouver des traces
dans les fragments conservés des Ilapdixà, et aussi dans les événe-
ments de l'an 116. Arrien racontait certainement des faits que
Dion, ou plutôt son abréviateur, a passés sous silence. Ainsi, au
X® livre, il mentionnait OaXfa; ce ne peut être qu'à propos d'un
1. Dion, LXVIII, 23. Extrait par Suidas au mot irpo<jx6ic«iv.
2. Les légions de Syrie n'avaient pas fait campagne depuis la prise de
Jérusalem, en 70.
3. Il n'a encore que la neuvième dans PinBcription de Tare d'Ancône
(notre n* 78) érigé en 115. La onzième se trouve dans rinscription du
pont du Métaure (notre n* 79) construit la môme année.
4. Âmmien Marcellin, XIV, 8. Hanc [Ârabiaro] provinciae imposito no-
mine rectoreque attributo, obtemperare legibus nostris Trsyanus corn-
pulit imperator, incolarum tumore saepe contuso, cum glorioso Marie
Mediam urgeret et Parthos.
— I7S —
passage de troupes^ Or ^ik^a ou ^iXqa se trouvait, suivant les
Stathmes Parthiques d'Isidore, au voisinage immédiat de
Nabagath, et au confluent du Chaboras et de l'Euphrate'. Au
livre XP, Arrien parlait de Niapîa sur FEuphrate^. Cette
ville, trës-importante et habitée par de nombreux israéiites,
ne pouvait être nommée ici à propos de la révolte des Juifs
de Mésopotamie , qui eut lieu en 116 ou 117 et n'était, dès lors,
racontée qu'à la fin des OapOtxa, au XVP ou au XVIP livre. Au
livre XIIP enfin, Arrien parle encore d*une satrapie baignée par
TEuphrate^
D'autre part nous allons voir Trajan naviguer sur le golfe
Persique avec une escadre de cinquante navires. Où les aurait^
il pris? Quand Alexandre projeta une expédition maritime en
Arabie*, U fit construire sa flotte partie en Syrie (les navires
démontés avaient été transportés par pièces à Thapsaque),
partie autour de Babylone, avec les cyprès qui entouraient la
ville. Mais ces cyprès n'existaient déjà plus du temps de Strabon,
qui dit que les Babyloniens employaient le palmier dans leurs
constructions, faute de tout autre bois. Ce n'est donc pas à Baby-
lone que Trajan trouva les éléments de la flotte dont il avait
besoin. Tout porte à croire que ce fut en Syrie, et que les pas-
sages cités d' Arrien se réfèrent au voyage de cette flotte le long
de l'Euphrate *.
Enfin la campagne de Julien chez les Perses jette quel-
que jour sur la guerre parthique de Trajan. Or Julien opérait
avec deux armées ; la plus considérable, à la tête de laquelle il
se plaça, descendit le cours de l'Euphrate; la deuxième, sous les
ordres de Procope et de Sébastien , devait traverser la Mésopotamie
au nord et rejoindre le corps principal à Ctésiphon^. Cette
deuxième armée ne se trouva pas au rendez-vous. Je pense que
ces deux attaques convergentes sur la capitale de l'Assyrie se
iv i* napOuU&v.
2. Isid., Siathm. Parih. éd. Didot, p. 248. C'est là que Dioclétien fonda
plus tard Gircësium.
3. NdbpSa, icéXic SupCoïc icpèc xt^ EOfpdxip, &ç Xppiovàç IlapOixâv lv8exàTi)>.
4. XctZryfï' H y a ici une erreur de copiste, car suivant Strabon la
Xùûirrffi était au delà du Tigre, dans le voisinage d'Arbèles.
5. Arrien, Anabas,, VII, 19, 3 et 4.
6. Ritter, Erdkunde, X, p. 120. admet que Trajan eut une flotte sur
rSuphrate, probablement pour les raisons ici déduites.
7. Ammien, XXIV, 7.
— 474 —
retrouyaient dans le plan de campagne de Trajan, qui dut rester
classique.
Pendant le séjour de Trajan à *Antioche, un effiroyable trem-
blement de terre désola cette riche capitale de la Syrie. Depuis
quelques années, des fléaux semblables avaient ravagé l'Asie, la
Grèce, la GalatieS mais la catastrophe d'Antioche paraît avoir
été plus terrible que les autres^. Elle est aussi mieux connue ,
Dion l'ayant racontée en détail, à cause de la présence de Tem-
pereur et des dangers qu'il courut. Pendant plusieurs jours, on
entendit des roulements souterrains^, préludes du tremblement de
terre proprement dit. Le jeudi 13 décembre 115, après le chant
du coq^, on éprouva la première secousse ; d'autres lui succé-
1. Hieronym., Chron,, p. 162, 165, éd. Schoene.
% Bile s'étendit jusqu'à Rhodes (Malalas, Cknm., p. 275, éd. Bonn).
3. Que Oion, LXVIII, 24, appelle xepouvoC.
4. Malalas, 1. 1. C'est ici qu'il convient de discuter les renseignements
chronologiques fournis par Malalas. Dans le chapitre de sa Chronogra-
phàe consacré à la guerre Parthique, il a donné quatre dates :
p. 270. Tpalotvàç... iireffTpdteuae t^ i^' IrfiTilc paaiXe(oic eeùroO é^XOàrv xact* oOtûv
lujv) dKTo6pU^ T^ XM 0icsp6epcTai(|> àir6 *Pio|i9)c
ibid. xaréfOoiacv h £eX£uxf(q^ x^ç ZvpCaç |lt)vI àsKtÙaU^ x^ xoU 5exe(ib6p(<p
p. 272. eloijXOev év j^vrioxt^^ Tf); £vp(oic |&t)vI aOdiivaCcp rcp xal lavouflip(y l^o|i;^
fjfiip^ t' ^M^pivÇ V
p. 275. licaOcv 'Avri^xeia icàOoc tivivC àits^XaUp t^ xal 8ex2|i;6picp vf, 4t^P9F >%
laxd àXfXTpudya, Irouc x^H^^^^^<^ pC^* iMxé. toùc cCrroùç ^vrtoxetc, lurà 8e
P' Iti) xf^c icopouoioc Tou Oetordiou ^oaiXée^c TpaîocvoO tijc èici xfjv dcvoctoXi^.
Gomme il a été établi plus haut, la date t6* (» XII) de la page 270 est
fausse. Il faut la changer en iç^ seule indication qui convienne & Tan
113. Il y a ici une faute de copie évidente, sur laquelle tout le monde
est d'aecord.
Il n*y a aucune observation à faire sur la dernière indication de la
môme page.
Celles des pages 272 et 275 sont liées. Voici comment. L*an 164 d'An-
tioche commença à l'automne de 115 ap. J.-G. L'indication de l'année est
donc exacte, et elle répond bien au consulat de M, Vergilianus Pedo,
comme l'exige le récit de Dion. Mais le 13 décembre 115*nit un jeudi
et non un dimanche. Il est vrai que Pagi (ap. Baron., Annal, EecUt., ad.
a. 117) a proposé de lire %f au lieu de if, le 23 au lieu du 13. Mais M. Gut-
schmid a fait sur ce point une remarque très-ingénieuse (dans Dierauer,
p. 156) et qui nous semble décisive. Malalas, dans les documents païens
qull avait sous les yeux, ne trouvait que le quantième des mois syriens.
Il a voulu y ajouter le rang des jours de la semaine, pour donner plus
de précision à son récit, et il s'est trompé dans les calculs que néces*
sitait cette addition, ou en consultant les tables de concordance qu'il
possédait. Justement, le 7 janvier 115 est un dimanche, et le 13 décembre
de la môme année un jeudi. On voit qu'une simple interversion dans
les chiffi^s qui indiquent les jours rétablit les fiôts, sans qu'il soit
— #TS —
dèrent avec une rapidité étourdissante. C'étaieat des osciUationB
verticales qm ébranlaient les édifices les plus solides et poussaient
les autres hors de terre. Le fracas de leur chute, les dâ)ris qu'en
s'écroulant ils projetaient de tous les côtés, un nuage de pous-
sière remplissant les rues et les places, causaient un efiroi et un
désordre indicibles. On ne pouvait, selon les paroles de Dion, ni se
voir, ni se parler, ni s'entendre. Comme le fléau se fit sentir
pendant plusieurs jours, il fut impossible de porter secours aux
malheureux ensevelis sous les décombres de leurs maisons, et lors-
qu'enfin ceux qui s'étaient dérobés par la fuite à une mort cer-
taine risquèrent leurs premiers pas sur le sol rafiermi, on ne
retrouva vivants qu'une femme qui allaitait un enfant et un
autre enfant attaché, dit-on, au sein de sa mère déjà morte.
Trajan courut les plus grands dangers : il allait être écrasé
sous les ruines du palais qu'il habitait lorsqu'un personnage de
taille surtiumaine vint, à ce que l'on raconta, l'arracher à ce lieu
funeste et, le faisant passer par une fenêtre, le porter au milieu
du cirque, dans un vaste espace découvert où il put attendre en
sécurité le raffermissement du sol. Mais dans le cirque même,
Trajan et les siens étaient à peine rassurés, tant le mont Casius
nécessaire de changer les chiffres, et nous donne en même temps la
date de la rentrée de Trajan à Antioche au commencement de Tannée 115.
11 y vint donc trois fois : l*' au début de la guerre. C'est alors qu'il fit une
offîrande à Jupiter Kasios; 2* après la campagne d'Arménie; 3* après la
campagne de Mésopotamie, et c'est alors qn*eut lieu le tremblement de
terre. Les souvenirs qu'il avait laissés dans cette ville, et autour des-
quels se formèrent plusieurs légendes rapportées par Malalas, s'expli-
queraient mal, en effet, si on n'admet point qu'il y passa un temps
assez long.
Bckhel {ùodrina, VI, p. 453], Borghesi {(Bu/v,, V, p. 22), Noël des Ver-
gers (CompteS'Rendm de VAcad. des InserifiL 1866, p. 85), placent la catas-
trophe au commencement de l'année 115. Pourtant le témoignage si
précis de Halalas est confirmé par une chronologie grecque publiée par
Scaliger (v. Pagi dans Baronius, An, Eccl, an. 117) qui rapporte le tremble-
ment de terre à la 3* année de la 223* olympiade, laquelle court de juillet
115 & Juillet 116. Eckhel dit que ces sortes de chronologies offrent peu de
garanties. Cependant elles sont quelquefois exactes, et quand elles se
trouvent, comme ici, corroborées par d'autres documents, il n'est pas
permis de les rejeter. Gomme Dion rapporte que le consul Pedon faillit
être victime de la catastrophe (et non qu'il en fut victime comme le
ditN. des Vergers l. c), et que ce personnage^ consul ordinaire, fut en
charge au commencement de Tannée, on veut que le tremblement de
terre ait eu lieu pendant sa magiatrature. Mais au contraire, puisque
Pedon était à Antioche, c'est qu'il n'était plus en fonction : pendant
l'exercice de sa charge il ne pouvait quitter Rome. M. Oierauer (p. 167)
adopte avec raison la date donnée par Malalas.
— ne —
semblait yaciUant et prêt à tomber sur la ville pour en achever
la mine. Le pays fut complètement bouleversé : des coUines
s'afiaissèrent ; des cours d'eau s'engouffrèrent dans le sol, d'autres
jaillirent tout à coup à la sur&ce de la terre ^. L'empereur
en fut quitte pour quelques contusions légères. Mais sa présence
avait amené en Syrie une foule d'étrangers, et cette circons-
tance augmenta le nombre des victimes. Beaucoup de sénateurs
et d'hommes politiques avaient reçu l'ordre ou obtenu la permis-
sion de venir à Antioche conférer avec lui des affaires générales ;
les députations des villes s'y étaient rendues pour le féliciter de
ses victoires, enfin de simples curieux y affluaient, en grand
nombre, de tous les points de l'empire. Au lieu des fêtes projetées
pour la célébration de tant de victoires, on n'y trouva qu'une
catastrophe terrible, qui jetait le deuil dans toutes les parties
du monde romain.
Avant de reprendre ses opérations militaires, Trajan voulut
soulager les maux qu'il laissait derrière lui. Il ordonna la répa-
ration d'un très-grand nombre d'édifices et fit reconstruire
somptueusement ceux qui n'existaient plus'.
§4.
Campagne de Van 116. — Conquête de V Assyrie. —
Révolte des Juifs.
Au printemps, Trajan reprit ses opérations et se disposa à
envahir l'Assyrie proprement dite ou Adiabène, située au delà du
Tigre. Il se dirigea vers Nisibe. Les ordres qu'il avait donnés
pour la construction de bateaux qui permissent à l'armée de
franchir le fleuve avaient été exécutés'. Ces bateaux, probable-
ment décomposés en plusieurs pièces, furent transportés sur des
chariots jusqu'au bord du Tigre, remontés sur place, et l'établis-
sement du pont commença. Les habitants du pays, stupéfaits de
1. Dion, LXVIII, 24 et 25.
2. Malalas, p. 277.
3. D'après Ritter, Erdkunde, X, p. 120, il y a près de Nisibe, À la source
du Chaboras, des forêts qui fournirent les bois nécessaires. Le passage
eut lieu sans doute près de Gezireh Ibn Omar, localité ainsi nommée
d'une lie qui se trouve au milieu du fleuve et qui facilita rétablisse-
ment du pont de bateaux. C'est toujours un passage important au point
de vue miUtaire. Les Romains y établirent plus tard la forteresse de
Bexabde.
— 477 —
voir oei^ embarcations sui^ir, en quelque sorte, au milieu d'un
pays déboisé, s'enfuirent à l'exception d'un petit nombre d'arr-
chers Carduques qui , avec une bravoure égale à celle que leurs
ancêtres avaient déployée jadis contre Xénophon et ses compa-
gnons, essayèrent de s'opposer au passage ^
Mais la hardiesse de quelques barbares ne pouvait arrêter une
armée romaine pleine d'élan, munie de puissants moyens d'action
et habile à les mettre en œuvre. Le nombre des barques dont on
disposait dépassait celui qui devait entrer dans la composition du
pont. Pendant que les soldats le construisaient avec cette promp-
titude surprenante qu'admiraient les hommes du métier^, d'autres
légionnaires et des auxiliaires légèrement armés traversaient le
Tigre sur différents points, forçant les Carduques à courir de
l'un à l'autre, et couvrant ainsi les travailleurs par plusieurs
attaques, réelles ou feintes, exécutées dans le même moment. Les
barbares furent balayés, le pont s'acheva et bientôt l'armée tout
entière, transportée sur la rive gauche, devint presque immédia-
tement la maîtresse du pays. Dans des pourparlers engagés l'année
précédente, Mebarsapès^ avait traîtreusement fait prisonniers un
centurion nommé Sentius et quelques soldats. Il les retenait
dans la ville fortifiée d'Àdenystra^; ces Romains, pendant un
long séjour, avaient pu étudier les moyens d'introduire leurs
compatriotes dans la place, et ils les aidèrent effectivement à s'en
emparer*. La prise d'Adenystra les rendit maîtres du pays sans
coup férir. Après cette facile et rapide conquête, Trajan se
dirigea vers Babylone, en suivant le chemin qu'avait pris
Alexandre quatre siècles auparavant. On peut croire qu'il ne
manqua point de visiter le champ de ba taille. d'Arbèles : en
traversant ces plaines à jamais célèbres, il put songer à la des-
tinée du fils de Philippe sans être écrasé parles souvenirs qu'évo-
quait naturellement un tel parcours. Aux exploits si vantés du
héros grec, le capitaine romain pouvait opposer cette guerre,
aussi heureuse et aussi rapide, qui assurément avait jusqu'ici
coûté moins de sang. Il vit aussi les sources de bitume de Mem-*
nis, et les flanmies qui s'échappent du sol à Kirkuk^. Repassant
1. Dion, LXVllI, 26.
Arrian., Anaà., V, 7, 3.
3. Roi d*Âdiabône.
4. Dion, LXVllI, 23. Localité inconnue.
5: Dion, 1. c.
6. *El9aioT0u v9J0Oi, tiSc Aôia6T]v9ic. 'Appt«v6c ly' IlapOtxâv. cf. Strabon, XVI,
DS LA BBBGB 42
— 178 —
anfln le Tigre à la hauteur d'Opis, il rencontra le grand,retnui-
chement haut de 25 pieds (7°'75),large de 50 (15*50), construit,
disaitr-on, par SémiramisS sur une longueur de 200 stades
(37 kilomètres), et il le longea jusqu'à son extrémité qui aboutit
à TEuphrate. L'armée, qui venait de conquérir l'Âdiabàne, y
rencontra la flotte qui avait descendu le fleuve depuis Phalga.
Dans une plaine voisine des sources de bitume qui offirirent aux
Babyloniens le ciment nécessaire à leurs constructions gigan^
tesques, à Ozogardana', au pied du mur de Médie, Trajan passa
en revue toutes ses troupes. Il les vit défiler, assis sur un siège
de pierre que Ton montrait encore plus de deux siècles après, et
qui avait gardé son nom ^, Puis, descendant le fleuve avec ses
soldats^, il entra à Babylone, abandonnée en grande partie à
cause des guerres civiles auxquelles le pays des Parthes était en
proie ^. On ne laissa pas néanmoins d'y faire un certain nombre
de prisonniers, parmi lesquels se trouva le précepteur du roman-
cier Jamblique '.
Trajan disposait maintenant de la totalité de ses forces ; il pou*
vait porter aux Arsacides des coups décisifs et marcher à la con-
quête de pays plus éloignés vers TOrient. La capitale des rois
Parthes, Ctésiphon, n'était pas encore en sa puissance. Il s'agissait
de faire passer la flotte de l'Euphrate sur le Tigre, qui baignait
les murs de cette riche cité. Le Naharmalcha ou fleuve royal,
canal réunissant les deux grands cours d'eau qui arrosent et
1, 4 (p. 738) nepi !àp6T)Xa ^l 2<m xai AT)|&YiTp(a< icoXk ' clO* ii toù vd^Oa ic^pii, x«i
Td icvpd... Ces feux sont très-bien décrits par Ainsworth, Jawmen from
Bagdad to ConstantinopU via Kurdistan (1437), dans GhesDey, Narrative
of the Etiphraies Expédition, 1868, in-8% p. 497. Les environs de Kirkuk
sont coupés par beaucoup de canaux : d'où le nom de Wloot.
1. Suidas, V* x^^l^- ^^ chififres montrent qu'il s'agit du ^wtuxda^
nommé plusieurs fois par Strabon, et reliant Babylone à Séleucie (II, 1,
26. XI, 14, 8).
2. Ammien, XXIV, 2, trajecto fonte scatenti bitumine Ozogardana
occupavimus oppidum... in quo principis Trajani tribunal ostendebatur.
V. la carte jointe au mémoire de d*Annlle, l'Euphrate et le Tigre, 1775.
in-4v
3. Au passage d'Ammien, ajouter celui de Zozime, III, 15. p^ya, H^w
ex XCOou iceicoiT)|iivov ô TpcfîavoO xoXetv slci^Ooiacv ol ijyuiapwu Zozime appelle la
localité Zaragardia.
4. Peut-être la flotte ne descendit- elle pas au-dessous de Massice,
embouchure du Nabarmalcha dans TEuphrate (Plin., Hi$L naL, V, 21).
5. Oion, LXYIII, 26.
6. Fabricius, Bibl, Gr., YIII, p. 153. Tngan célébra un sacrifice en
rhonneur d'Alexandre, dans la maison où il était mort.
limitent la Mésopotamie, débouchait en tetce de Gtésiphon
même : IL eût été imprudent d'essayer le passage sur ce point.
Un nouveau canal, creusé par les ordres de l'empereur, sur une
longueur de 30 stades (5548* 50), fit tomber le Naharmalcha
dans le Tigre, au^essus de Gtésiphon : les Romains purent
ainsi tourner la place et l'investir*.
Elle ne tarda pas à tomber entre leurs mains. Chosroès s'en-
fuit : mais sa fille ne put échapper à la captivité *. Le trône doré
sur lequel s'asseyaient depuis tant d'années les ennemis déclarés
de Rome, ceux qui, suivant l'expression des écrivains latins,
partageaient le monde avec elle ', fut saisi avec bonheur par les
soldats et réservé pour orner plus tard le triomphe de Trajan .
Celui-ci traversa le Tigre avec la flotte, en bel ordre'*, pour entrer
t. On ne comprend cette opération qu*en se reportant au récit de la
guerre faite par Julien, deux siècles et demi plus tard, dans le môme
pays. Dion ne donne que des détails manifestement inexacts. Suivant
lui, l'empereur songeait à joindre les deux fleuves par un canal, et il
dut renoncer à ce projet en s'apercevant que le niveau de TEuphrate
était bien plus élevé que celui du Tigre, et que la dérivation aurait
rendu impossible toute navigation sur le bas Buphrate. Dès lors on
aurait transporté les navires d'un fleuve à l'autre sur des chariots
(LXVIIl, 28). Mais qui ne sait que la Mésopotamie était, depuis la plus
haute antiquité, sillonnée de canaux qui réunissaient TEuphrate et le
Tigre? Hérodote, Strabon, Pline, Ptolémée nomment tous le plus impor-
tant de ces canaux, le Naharmalcha, que sa largeur faisait considérer
comme un bras de TBuphrate, et qui s'étendait de Massice à Séleucie.
Âmmien, à son tour, dit (XXIV, 6) que le Naharmalcha était l'œuvre
de Trajan, que les Perses l'avaient comblé, et que Julien, en le rouvrant,
put faire franchir à sa flotte une distance de trente stades. Mais le Nahar-
malcha est bien antérieur à Trajan : sa longueur était de neuf schoenes
ou parasanges (Ibid., Staihm. Parih,, éd. Didot, p. 249), qui correspondent
à vingt-sept milles romains ou quarante kilomètres. Gomment pouvait-
on exécuter rapidement un tel travail? Zozime au contraire (111, 24)
explique très-bien qu'il s'agit d'un canal reliant au Tigre le Nahar-
malcha, et non l'Buphrate. Le chiffi^e trente stades (5548 m. 50), donné
par Ammien, devient alors intelligible, môme en y voyant des stades
olympiques, les plus grands de tous. Le canal de Trajan dut être creusé
au commencement de l'été, la crue de TEuphrate ayant lieu en juillet
et août (Pline, HM. nat., V, 21).
2. Spartien, Hadrian, 13.
3. Ibid. et Capitol. AnUm. Plus, 9.
4. Suidas, V* NocO< c Trajan f^nchit le fleuve avec cinquante navires :
< quatre d'entr'eux portaient les insignes impériaux et tiraient par de
f longs câbles la galère prétorienne. Celle- ci avait la longueur d'une
< trirème, la largeur et la profondeur d'un vaisseau de charge, telle que
t la grande Nicomêdis ou VAeçffpda. On y avait pratiqué pour l'empereur
c des chambres en assez grand nombre. Elle portait Taplustre, au haut
— 480 —
dans Ctésiphon, la merveille de la Perse Ml y reçut sa XIP sa-
lutation impériale^, et le titre de ParthicuSj que l'enthousiasme
des soldats lui avait conféré l'année précédente, fut officiellement
décerné au vainqueur par le Sénat. La prise de Ctésiphon assurait
en effet, ou du moins paraissait assurer l'assujétissement du grand
royaume Arsacide. C'est ce qu'exprime, avec autant de concision
que d'éloquence, la légende d'une médaille frappéeàcette occasion:
PARTHIA CAPTA \
De Ctésiphon Trajan, avec une flotte de cinquante navires,
descendit le cours du Tigre jusqu'à XipaÇ Sicaa(vou , près de l'embou-
chure du fleuve, dans le golfe Persique, non sans courir quelques
dangers, à cause de la rapidité du courant et de la violence des
marées ^ Attambêlos^, roi de la Mesène et de la Characène, ne fit
pas attendre sa soumission et accepta sans murmurer l'imposition
d'un tribut^. La mer des Indes s'étendait enfin sous les regards
c de la voile le nom du prince, et tous ses insignes sculptés en or. La
c flotte était divisée en trots escadres, de peur de confusion dans la
c marche si les navires s'étaient tenus trop prés les uns des autres,
c Tiré d'Arrien. i
1. Ammien; xxm, 6.
2. Il la porte avec le surnom de Parthàeus sur une inscription de Pous-
zoles de l'an 116 (notre n* SO).
3. Cohen, n* 97.
4. Dion, LXXVIII, 2S.
5. Attambélos est Torthographe des monnaies frappées par d'autres
rois de la Mesène, du même nom. Celui-ci est Attambélos IV. (Wadding-
ton. Mélanges de NumUnuitique , II, p. 104.; L'étude de ces monnaies
présente une difficulté. On possède trois pièces du roi Théonnesés,
datées suivant Tére des Séleucides, Tune de 421 » 109 ap. J.-C, la deu-
xième de 423 == 111, la troisième de 431 ou 434 = 119 ou 122 (on hésite
entre les lectures YAA et YAA). Les deux premières ont été frappées
du temps de Trajan, avant la guerre Parthique, la troisième est con-
temporaine du règne d*Hadrien. La parfaite identité des portraits sur
ces trois pièces ne permet pas d'admettre qu'elles appartiennent à deux
princes ayant porté le même nom. Gomme, suivant Dion, la Characène
était en Tan 116 gouvernée par un Attambélos, M. Waddington émet la
supposition très-vraisemblable que cet Attambélos, à la faveur de la
guerre Parthique, détrôna Théonnéses, et que le prince dépossédé
ressaisit son pouvoir au commencement du règne d'Hadrien. Alors en
effet les conquêtes de Trajan furent abandonnées, et son œuvre détruite
par les peuples auxquels il l'avait imposée.
6. Dion, 1. c. Butrop. VIII, 3 : Messenios vicit ac tenuit La conquête de
la Mesène valut sans doute & Trajan sa XIII* salutation impériale qui
figure dans ses titres sur un diplôme militaire du S septembre 116.
(notre n* S) on lit dans les Parthica : 'Axpa, irlpecv tou T(y(>t)to<. 'Appiocvèc
ixxaifiexd'nd. X>paOa, 1r6X^ i^ç iv Ttypi^i Meoi^<. ^pptovèc ocxaiScxéq). On
ne connaît pas la position de ces localités. Gh. Muelier propose d'iden-
— 484 —
ravis de Trajan . Des projets vagues et grandioses occupèrent et
amusèrent quelque temps son imagination. Il demanda de nom-
breux renseignements sur ces pays célèbres et songea aux moyens
de faciliter le commerce et les relations de l'ancien monde avec
ces régions lointaines. Toutefois, il n'eut jamais, conome on Ta cru
plus tard, le dessein d'y conduire ses armées ; au contraire, voyant
un vaisseau qui appareillait pour les Indes, il exprima le regret
que son âge ne lui permît pas d'y aller chercher les traces
d'Alexandre*. Mais les relations qu'il fit passer en Italie n'étaient
pas empreintes de la même sagesse, et il osa écrire au Sénat
qu'il avait porté ses pas plies loin que le héros macédonien *. On
voit que son esprit si ferme et son caractère si modeste s'étaient
altérés sous la grandeur et la rapidité des succès. On souffre
aussi d'avoir à rapporter que le vainqueur de Décébale, donnant
le change sur ses promenades et les faisant passer pour autant de
conquêtes, poussait l'enfantillage au point d'envoyer à Rome
courrier sur courrier, avec des bulletins de victoires remportées
sur des peuples qu'on cherchait péniblement sur la carte, et dont
les noms, choisis à dessein, étaient si bizarres qu'on ne parvenait
tifier "OpaOtt avec YUr d*Ammien Marcellin (XXV, 8). C'est impossible : le
contexte d'Ammien montre clairement qu'Or était entre Atra et Nisibe.
1. DiOD, LXVlll, 29. "IvSouc Te y^ ivevoet, xai xà ixeCvcov irpdcYt&aTa èiroXu-
icpaniAvei Tâv T8 'AXé^QcvSpov é|AaxàpiCe. Voilà le noyau de la légende gui
étendit les conquêtes de Trajan jusqu'aux limites de Flnde. Aurelius
Victor [C€tes., 13) dit seulement : < ad ortum solis cunctae gentes, quae.
c inter Indum et Bupbratem, amnes inclitos^ sunt, concussae belle i ;
mais Eutrope (VIII, 3) est plus affirmatif : f Usque ad Indiae fines
poit Àlexandrum accessit ». De môme, sur un mot de Cbarlemagne à
des ambassadeurs grecs, rapporté par le moine de Saint-Oall (I, 28) :
c utinam non esset ille gurgiculus inter nos! forsitan divitias Orientales
c aut partiremur, aut pariter participando communiter baberemus »,
rimagination populaire édifia Tbistoire d'un voyage de cet empereur à
Constantinople et en Terre sainte (Gaston Paris, Histoire poétique de Charte*
magne, p. 41). Fréret a justement contesté l'expédition de Trajan dans Tlnde
(ÀcaéL des B. Lettres, XXI. Hist,, p. 55), mais il invoque à tort un passage de
Lucien comme témoignage des récits fabuleux qui avaient cours sur la
guerre des Partbes. c Le Philopafris, attribué communément â Lucien et
c composé, selon toute apparence, sous le régne de Trajan, fait men-
€ tion d'une prétendue victoire remportée sur les Partbes et de la
c prise de Suse dont les armées romaines n'approcbôrent jamais. > Le
Pkilopatris fut composé vraisemblablement au iv* siècle, et les vers
relatifs à la prise de Suse (cb. XXVII) sont tirés d'une tragédie grecque
aujourd'hui perdue.
2. Dion, LXVIII, 29. KaCrot IXsye xal ixeCvou nepattépo» icpoxex«i>pY)x^>ii xal
toOto xai t^ pouXj éireoTsTXe.
— 4»a —
pas à les prononcer distinctement ; de sorte que le Sénat, étourdi
de ces dépêches, aussi nombreuses que difficiles à transcrire, lui
permit, une fois pour toutes, de triompher d'autant de nations
qu'il le voudrait ^ N'insistons pas sur ces faiblesses passagères
d'un grand homme, qui va cruellement expier quelques mouve-
ments d'abandon et de vanité.
Pendant qu'il naviguait à l'embouchure du Tigre, il apprit, en
effet, qu'une insurrection formidable avait éclaté dans la Gyré-
naïque, dans l'Egypte ' et à Chypre. Les Juifs très-nombreux dans
ces contrées^ furent probablement maltraités après le tremblement
de terre d'Antioche. Une grande partie de l'Orient avait souffert
du même fléau ; l'esprit superstitieux des populations dut attribuer
ce malheur à l'irritation des Dieux, mécontents de la liberté
laissée par les Romains aux cultes étrangers. Il est certain que
les Chrétiens furent inquiétés à cette époque, et, selon toute vrai-
semblance, pour cette cause : or, les Juifs et les Chrétiens étaient
si souvent confondus par les anciens que la persécution constatée
des uns nous autorise à penser que les autres n'échappèrent pas
aux mêmes rigueurs *, D'autre part, les zélotes n'avaient point
cessé, après la destruction de Jérusalem, de revendiquer l'indé-
pendance nationale. La guerre commença'^ en Cyréuaïque, là où
1. Dion, LXVIII, 31.
2. BuBébe, HUt, ecclés., IV, 2. P. OroBe, VII, 12.
3. ÀcL, VI, 9, XI, 20, XÏII, 1. Joseph. Ànt Jud., Xl\, 7, 2, Àdv, Ap.,
II, 4.
4. Sur les mauvaises dispositions des habitants d*Antioche envers les
Juifs, V. Joseph., B. Jud., VII. 5, 2.
5. On ne saurait déterminer avec une grande précision le moment où
les Juifs commencèrent à se soulever, non plus que la date de leur
répression définitive. M. Dierauer p. 1S3 place en Tan 117 toute cette
insurrection juive, parce qu*on en lit le récit dans Xiphilin, après celui
du siège d'Atra, siège qui eut lieu certainement en 117, puisqu'il forme
un épisode de la retraite de Trajan. Mais l'abréviateur a pu faire quel-
que transposition dans le texte de Dion, et il ne semble pas permis de
s^ëcarter des indications précises d'Busèbe HUt Eccl. iV. 2 i^dv) yauv roO
flcÙTOxpàTopoç el{ ivtOEUT^ ôxTwxaiiéxaTov iXoeâvovroc aSOtç loudauov xCvqfftc
27Tava<rrâaa, et plus loin t^ iicidvri àviocur^ icoXspLOv où ftixpov awii4/oev. La
xviii* année de Trajan correspond à Tan 1 15 après J.-G. : c'est donc l'année
suivante que la guerre aurait pris tout son développement. M. Graetz
Gesch. der Juden 2* édit. IV p. 125 place cette insurrection dans Tau-
tomne de 116 et l'hiver (premiers mois) de 117. 11 resterait encore à
répartir entre ces deux années le petit nombre des faits relatifis à l'insui^
rection que nous connaissons. 11 paraît naturel d'admettre que la
terrible répression de Quietus eut lieu en 117 : d'une part elle mit fin
à la révolte, et de l'autre elle se rattache aux dernières opérations
— 4«a —
avait en lieu le dernier soulèvement de ce malheureux peuple S
après la prise de la ville sainte. La province, étant sénatoriale,
ne renfermait pas de troupes, ce qui permit au chef des rebelles,
Lucuas, d'obtenir d'abord de rapides succès'. Le mouvement se
cornlHuait avec une révolte des Juifs d*Egypte, et là encore les
insurgés exécutèrent si bien le plan convenu, qu'en un instant ils
furent maîtres de tout le pays depuis Thèbes jusqu'à la mer, à
l'exception d'Alexandrie. Ils n'avaient point oublié le premier
Romain qui viola leur sanctuaire et pénétra armé dans le
Saint des Saints : ils détruisirent un petit temple consacré par
Jules César à Némésis, à l'endroit même où Pompée avait été
mis à mort, et ils s'y retranchèrent. Appien ^ ne parle de cette
{Hrise de possession que conmie d'une nécessité de la défense,
mais j'imagine que la haine très-naturelle des Juife pour Pompée
entra pour quelque chose dans le choix de cette espèce de
forteresse. Ils promenèrent la dévastation et la mort dans la
province entière ; de tous côtés, on fuyait devant leur farouche
et implacable vengeance : un fragment d' Appien, récemment
découvert^, peint vivement la terreur qu'ils inspiraient. Dion^
rapporte avec une exagération évidente les atrocités qu'ils com-
mirent, mais cette exagération même est une preuve de l'efiroi
partout ressenti. Le préfet d'Egypte, Rutilius Lupus, n'ayant
pris, au début de la rébellion, aucune mesure conservatrice, se
trouvait complètement débordé, et enfermé dans Alexandrie,
n est vrai que les habitants de cette viUe immense, dont le
nombre s'était encore accru de tous les fugitifs des environs,
s'étaient débarrassés par un massacre de tous les Juifs restés dans
ses murs*. Mais les communications avec l'extérieur étaient tou-
militaireB des Romains en Môsopotamie, avant que Tn^an reprit le
chamin de Rome.
1. Joseph., B, Jud., VII, 11.
2. Euseb., 1. 1. Dion appelle ce chef Andréas.
3. Appian., B. Civ,, 11, 90.
4. Publié et traduit par M. Miller, Rewê archéologique^ février 18G9.
5. Dion, LXVIII, 32, Toi»c ts *PM|&aCouc xa( touc 'fiXXir)va« irOeipov, xal Tdc
aéçKMLi aOxâv étrtTouvxo, xal ta fvrepa ivedoûvro, tc^ ts aX[um iQXeiçovro, xal Ta
àicoXi(LtJATa ivtduovTo. Ils auraient aussi scié leurs captifs, les auraient
livrés aux bêtes féroces, ou torcés de combattre les uns contre les
autres. Dion évalue à deux cent vingt mille le nombre de ceux qu'ils
firent mourir.
6. Derenbourg, Essai sur Vhistcire et la géographie de la Palestine, 1867,
in-8', p. 410l Gf. Busèbe, 1. 1. — La magnifique synagogue d'Alexandrie
fut détruite dans cette lutte acharnée.
— 484 —
jours impossibles, et ils attendaient avec anxiété qu'on vint les
délivrer. Lupus fut remplacé par Q. Marcius Turbo S homme
énergique que Ion vit encore sous le règne d'Hadrien, chargé de
missions périlleuses dans des provinces soulevées' et qui réussit
toujours à les faire rentrer dans l'ordre. Des forces considé-
rables en infanterie, en cavalerie, en marine même, furent mises
à sa disposition; il écrasa les Juifs et en ât un carnage con-
sidérable'.
 Chypre enfin les rebelles, sous les ordres d'un chei nommé
Ârtémion, s'étaient rendus maîtres de l'île et en avaient détruit
Salamine la capitale, après l'avoir saccagée. Là aussi ils furent
vaincus, après une lutte terrible qui laissa derrière elle deux cent
quarante mille victimes. Les Juifs furent bannis de Chypre à
perpétuité^.
Mais, le péril n'était pas complètement conjuré : les Juifs de
la Mésopotamie intervenant au moment convenu dans l'insurrec-
tion, ou se soulevant spontanément à la nouvelle des premiers
succès de leurs coreligionnaires, avaientégalement pris les armes,
et comme les provinces d'Orient avaient été dégarnies de troupes
pour composer l'armée de Q. Marcius Turbo, les peuples récem-
ment subjugués revendiquèrent dans le même temps leur indé-
pendance^. Ainsi, depuis la mer Egée jusqu'au Tigre, tout était
en feu.
§6.
Campagne de Van 117. — Soulèvement des Parthes, —
Mot't de Trajan.
Les villes principales avaient chassé leurs garnisons romaines
1. D'après une inscription de Toasis de Thèbes (Letronne, n* XIV, I,
p. 121), Lupus était encore en charge le 30 du mois de pachon de
l'an XIX de Trajan, soit le 24 mai 116. L'an XfX de Trajan commence
pour les Egyptiens le 29 août 115.
2. Spart., Hadr,j 5.
3. Buseb. I. 1. dit qu*il en tua c beaucoup de myriades i iioXX^ ftvpiàtec.
Le massacre en Bgypte fut tel que suivant les traditions rabbiniques
le sang traversait la mer et allait jusqu'à Chypre. Derenbourg, p. 411.
4. Dion., LXVill, 32. Oros., VII, 12. Les Juifs étaient très-nombreux
à Chypre. Act, XIII, 4. Joseph., Awt. Jvd., XIII, 11, 4, XVII, 12, 1, 2.
Phil. Ifg, ad. Caium. i 36.
5. Les Juifs étaient nombreux dans les pays soumis aux Arsacides ; ils
y vivaient tranquilles et considérés. L'intérêt politique, au moins autant
que le sentiment religieux, les arma pour venger leurs maîtres de la
veille.
— 485 —
et s'étaient mises en état de défense. Il fallait les assiéger une à
une, et agir sur tous les points à la fois. Comme aux beaux
temps de la République, on vit les Romains déployer les qualités
supérieures par lesquelles ils se sauvaient au moment où ils sem-
blaient le plus abattus. L'obéissance des soldats, l'intelligenoe
des officiers, la résolution du commandant en chef, les tirèrent de
cette position désespérée. Lusius Quietus fut nommé gouverneur
de la Mésopotamie et rétablit l'autorité impériale, non sans de
grands et sanglants efforts. Il assiégea Edesse et Tincendia, il
reprit NisibeS enfin, ayant en secret rassemblé des forces consi-
dérables, il vainquit complètement les Juife mésopotamiens, et
mit fin au soulèvement gigantesque qu'ils avaient tenté ^.
Séleucie s'était également soulevée contre les Romains. Elle
fat, dit Dion ^, prise et incendiée par les légats Erucius Clarus et
Julius Âlexander. Ces personnages étaient évidemment légats
légionnaires. Ainsi, deux légions au moins farent employées à la
réduction d'une seule ville, ce qui donne une idée de la résistance
désespérée qu'opposa l'insurrection et des forces qu'elle avait
mises en mouvement. Les Romains ne furent même pas heureux
dans toutes les rencontres, puisque l'histoire mentionne, sans
détails, malheureusement la mort du consulaire Maximus^.
1. Dion, LXVIII, 30. D'après la chronique de Denys de Thelmar, citée
par Lang]ois (Numitm. de Vandenne Arménie, p. 53), il y eut un change-
ment de règne en Osrhoène l'an 116. Le nouveau souverain était moins
bien disposé pour Trigan qu'Abgare.
2. La terrible énergie qu'il déploya frappa tellement les vaincus que
toute la guerre juive, sous Tri^'an, fut plus tard appelée c guerre de
Quietus » Polemos Schel Quietoi, (Derenbourg p. 404). La question de
savoir si Tinsurrection s'étendit à la Palestine est très-controversée
parmi les hébralsants. M. Derenbourg et M. Renan se sont prononcés
pour la négative, en raison du silence gardé sur ce point par Dion,
Busèbe et Orose. M. Graetz admet au contraire que la Terre-Sainte fut,
sous Trajan, le théâtre d'une lutte entre Romains et Juifs. Le passage
de Spartien (Hadr, 5) f Lycia ac Palaestina rebelles animes efTerebant t
appuie cette manière de voir, que M. Dierauer a adoptée. Mais ce pas-
sage, dans lequel il faut changer Lycia en lÀbya, ne saurait prévaloir
contre Dion et Busèbe. Dans le même ordre d'idées, M. Volkmar £étt-
UHunç in die Apocrypken a soutenu que le Uvre de Judith est un récit
poétique de la campagne de Quietus en Palestine; cette opinion est
abandonnée aujourd'hui.
3. Dion, LXVIII, 3a
4. Fronton {Prineipia histariae, p. 209, éd. Naber) donne au personnage
ainsi appelé par Dion un nom presque complètement elAicé dans le
manuscrit, mais terminé en cet.
C'était probablement le prédécesaear de Lnsius Quietus, dans le
gouvernement de la Mésopotamie.
Ce n'était pas seulement un ensemble de révoltes locales que
les Romains avaient à réprimer : il ne s'agissait de rien moins
que d'uneguerre à recommencer contre les Parthes. Sanatrucius,
roi d'un pays où Trajan n'avait pas encore porté ses armes, fut
mis à la tête des forces nationales, et bientôt son cousin-germain
Parthemaspatès, âls du roi d'Arménie dépossédé Exedarès, lui
apporta le secours de sa personne et d'une puissante armées On
voit que le danger croissait rapidement pour Rome, mais Trajan
le conjura en alliant heureusement la diplomatie à la guerre.
S'apercevant que les Parthes étaient, comme Ta écrit Tacite,
aussi prompts & regretter leurs rois qu'à les trahir', il jugea
vite qu'il ne sauverait une partie de ses conquêtes qu'en sacri-
fiant l'autre.
La reprise de Séleucie, de Nisibe et d'Edesse le remettait en
possession de la Mésopotamie ; il pensa que cette province, jointe
à l'Arménie, constituait un accroissement de territoire suffisant
pour sa gloire et qu'on pouvait rétablir un royaume Parthe, en
lui donnant le Tigre pour limite occidentale *. Quelques dissen-
timents étaient survenus entre Sanatrucius et Parthemaspatès :
l'empereur en fut informé et se hâta d'en profiter. 11 ofirit le trône
à Parthemaspatès, qui accepta, en trahissant son cousin et ses
soldats. Sanatrucius, obligé de fuir devant les Romains, fut pris
au moment où il leur échappait et mis à mort. Trajan écrivit
alors au Sénat : « Qu'il était impossible de tenir assujéties des
régions inunenses, si éloignées de Rome, qu'il semblait prtférable
d'en faire un royaume dépendant de l'empire, dont le souverain
recevrait l'investiture de l'empereur, et qui serait maintenu par
la reconnaissance, l'intérêt ou la crainte. » Le Sénat répondit, avec
une docile déférence, que l'empereur était le meilleur juge des
intérêts de Rome, et qu'il agît de la manière qui lui paraîtrait la
1. Fragment d'Arrien, dans Malalas, p. 274, reproduit par Gh. Mûlier
comme ayant fait partie des Parihiea [Pr. Bist. Gr., III, p. 590).
Ce Sanatrucius était fils d*un roi BCitbridate (Meerdotes dans Malalas)
dont on a des monnaies. V. de Longpërier, Mém. mut la chron. dm Arta"
eidêt p. 140. — Au lieu d'Bzedarès, on lit dans Malalas : Osdroes; sur
cette différence d'orthographe, v. de Longpërier ibid.
%, Tacit., Annal^y VI, 36.
3. Cependant d'après Butrope (VIII, 3) on aurait formé une province
d'Assyrie, c très provincias fecit, Amieniam, Assyriam, Mesopota-
miam i. Mais sur la médaille contemporaine on lit seulement: ARMBNIA
ET MBSOPOTAMIA IN P0TE3TATEM P. R. RBDAGTAE. Ck»hen it 318.
— 187 —
plus conforme k ces intérêts. Alors Tirajan réunit son armée, et
des députations des divers peuples Parthes, dans une grande
plaine voisine de Ctésiphon, et en leur présence, après avoir rap-
pelé ses victoires des années précédentes, de façon à donner à ce
qui se passait l'apparence d'une concession gratuite et d'une
&veur absolument spontanée, il attacha le diadème sur le fi*ont
de Parthemaspatès ^
La cérémonie est représentée sur une médaille de bronze por-
tant la légende : REX PARTHIS DATVS^ On y remarque
Parthemaspatès revêtu, non plus de son costume national, mais
d'un vêtement romain (cuirasse et paludament), ce qui marquait
encore plus visiblement sa dépendance. Trajan régla aussi la
constitution de quelques autres royaumes tributaires^. Après
avoir donné ces légères satisfactions à sa vanité, il pouvait son-
ger au retour, et au triomphe, moins brillant sans doute qu'il ne
se l'était promis, qu'on lui réservait à Rome. Mais en dépit des
efforts héroïques de ses officiers, une petite ville de Mésopotamie
résistait encore. C'était Atra, qui plus tard offrit le même
obstacle à Septime Sévère S et grâce à sa position naturellement
forte, au désert qui l'entoure et au courage de ses habitants, se
maintint libre sous tous les empereurs qui prirent le titre de
Part/Ucits, comme pour montrer que ce titre serait toujours vain.
L'armée romaine mit donc le siège devant la place et réussit^
malgré de grandes difficultés, à détruire une partie des murailles.
Mais quand on voulut pénétrer par la brèche, les troupes furent
repoussées avec des pertes sensibles. Trajan se mit à la tête de sa
cavalerie, après avoir ôté le paludamentum de pourpre qui le
désignait aux flèches des Arabes : on le reconnut néanmoins à sa
chevelure blanche, à la majesté de sa taille et de son maintien.
Une pluie de traits fut lancée sur lui et un cavalier fut tué à ses
côtés*. Les Romains se replièrent en désordre jusqu'à leur camp.
Leurs souffrances devenaient intolérables ; le pays manque de
bois et de pâturages, l'eau y est rare et insalubre, les
1. Dion, LXVIII, 30. — L'histoire ne signale aucune relation entre
Trajan et un autre Arsacide contemporain, Vologèse, dont les monnaies
se suivent, sans interruption, de 77 &'i48 ap. J.-G. De Longpérier,
Mémoire etc. p. 118.
1. Cohen, n* 375.
3. MédailiejÀ la légende REGNA ADSIGNATA, où Trajan porte le surnom
de Partbicus. Cohen, n* 207.
4. 'ATpai, icoXk {AeTO^ E^^dxou xat TCypriToc. 'Apptav6< éicraxaiiexdT^ IlafOtxâfv.
Cf. Ammien, XXV, 8.
5. Dion, LXVUI, 31.
— 488 —
orages de grêle y sont continuels, et enfin des nuées d'insectes,
dont il est impossible de se garantir, vous y tourmentent jour et
nuit et tombent jusque dans les aliments ^ Il fallut partir et com-
mencer une retraite pénible, car on prit sans doute la route la
plus courte, à travers ce désert qu'Ammien parcourut plus tard
avec l'armée en retraite de Jovien, « soixante-dix milles de pays
« plat et aride, où l'on ne trouve à boire qu'une eau jaunâtre et
« fétide, à manger que des plants d'aurone, d'absinthe et de ser^
« pentaire, et d'autres herbes amères, où on ne se procure une
« nourriture, peu saine encore, qu'en tuant les chameaux et les
< autres bêtes de somme '. * Et, ce qui devait mettre le comble
à la tristesse de ce retour, Trajan avait ressenti les premières
atteintes du mal qui allait l'emporter. Il luttait courageusement
contre la mauvaise fortune et contre la souffrance ; à peine arrivé
en Syrie, il songeait à réorganiser son armée et à repartir pour
la Mésopotamie, avec des troupes ft^aîches ou reposées*, car son
dernier échec l'irritait sans l'abattre, et il ne voulait rentrer dans
Rome qu'après l'avoir effacé. Les progrès de la maladie ne lui
permirent pas d'accomplir son dessein : il remit les troupes au
commandement d'Hadrien, alors gouverneur de Syrie. A Rome
pourtant, on ne se préoccupait pas autant qu'il le craignait du
revers d'Atra : l'annexion de deux provinces suffisait à l'orgueil
national. D'ailleurs on attendait avec une certaine impatience le
retour de l'empereur ; on signalait quelques mouvements chez les
peuples à demi-barbares des firontières, en Maurétanie, en Bre-
tagne, sur le Danube^. On considérait donc la guerre d'Orient
comme terminée, on préparait des monuments destinés à té-
moigner de l'allégresse publique et à en perpétuer le souvenir 5,
on songeait à renouveler pour Trajan les marques de déférence
données jadis à Auguste^. Mais l'empereur s'était arrêté à Séli-
nonte, en Cilicie, et ne devait pas aller plus loin. Le mal dont il
1. On lira avec intérêt deux explorations des ruines d*Âtra faites par
J. Ross et Ainsworth, Jowm, of thé Roy. Geog. Society of Lond,, 1S39,
p. 453, et 1841, p. 9. Ross y rencontra les mêmes difficultés que les
soldats de Trajan, orages, insectes, etc. V. aussi Ritter, Erdkunde, X,
p. 126.
2. Ammien, XXV, S.
3. Dion, LXVIII, 33.
4. Spart., Hadr., 5. Âurelius Victor, Caess., 13, rogatu Patrum militiam
repetens, morbo periit.
5. Dion, LXVm, 29. On vota rèrection de plusieurs arcs do triomphe.
6. Ibid. On se disposait à aller au-devant de lui aussi loin que possible,
à son retour. Cf. Monum, Ancyranum Gr. VI, 15-18. Ed. Mommsen, p. 30.
— f89 —
sonffirait faisait des progrès extrêmement rapides, au milieu des-
quels, di1r-on, 'la pensée d'un empoisonnement traversa son
esprit. Le troisième jour des ides d'août de l'an de Rome 870
(11 août 117) il expira *.
Comme Alexandre, il n'avait pas voulu désigner son succès^
seur*. Le Sénat apprit la mort de Trajan par une lettre de
Plotine, et reçut à la fois plusieurs nouvelles graves. L'impéra-
trice écrivait que Trajan, avant d'expirer, avait adopté Hacfrien;
mais cette adoption n'avait pas eu de témoins. Dans le même
temps, Hadrien écrivait au Sénat pour s'excuser « d'avoir pris
« l'empire sans attendre le vote des pères conscrits — les soldats
€ l'avaient proclamé d'abord — l'État ne pouvait rester sans
« chef pendant plusieurs jours ^. » Il n'est guère possible de
douter que l'adoption n'ait été supposée par Plotine, et même
que la mort de Trajan n'ait été cachée quelque temps pour donner
à Hadrien le temps de venir d'Antioche à Sélinonte, et de prendre
les mesures propres à déjouer les desseins de prétendants mieux
autorisés*. La conduite ultérieure d'Hadrien suffirait à démon-
trer ce dont toute l'antiquité l'accuse. Trajan, dans l'intimité,
avait déclaré plusieurs de ses amis dignes du pouvoir suprême :
un à un , ils payèrent de leur vie , sous le nouveau règne, ce
glorieux témoignage. Mais nous ne devons rappeler ici que les
faits immédiatement postérieurs à la mort de Trajan et qui con-
cernent sa personne. Attianus, Plotine, Matidie veillaient près
des dépouilles mortelles. Avant leur rentrée dans Rome, Hadrien
sollicita du Sénat, et obtint facilement, l'apothéose pour celui
qu'il appelait son père adoptif^. Il refusa, du reste, de triompher des
1. Dion, LXVIIJ, 33, dit qu'il mourut à Sélinonte. Butrope (Vni, 5)
suivi par Orose, VII, 12, fait mourir l'empereur à Séleucie d'Isaurie.
Busôbe (ap. Sync,, 657, 15) et saint Jérôme {Chron,, éd. Schoene, p. 165)
hésitent entre les deux villes. — Les symptômes de la maladie dont
mourut Trajan sont décrits assez exactement par Xiphilin. Dion eut
peut-être sous les yeux quelque procès- verbal dressé par les médecins
du prince et publié par les soins d'Hadrien quaud des rumeurs d'em-
poisonnement coururent au milieu du désespoir public. M. Littrè,
consulté par moi, a eu la bonté de me répondre qu'aucun poison connu
ne cause les troubles décrits par l'historien. La suppression brusque
d*un flux hémorrhoïdal habituel amena chez l'empereur une congestion
suivie immédiatement d'hémiplégie (eyévcTo {t^ -ràp xal àicoicX^toç, ûors
xal ToO aco(MtT6< Tt icapeOfjvaO, et & la suite de l'hémiplégie il y eut une
inQltration séreuse (t6 8*5Xov OSjximCaae).
2. Spart i/odr., 4. — 3. Spart., Hadr., 6.
4. V. surtout le commencement du livre LXIX de Dion.
5. Spart., Hadr., 6.
— 4fO —
Parthes en son propre nom, et voulut que Trajan seul eût la
gloire des sucoès dus à ses efforts. Dans le char /que précédaient
le sénat et l'armée, et qui parcourait la Via Sacra au milieu de
la foule attristée, se dressait la statue du grand hommes Ses
cendres, renfermées dans une urne d'or, furent placées sous la
colonne qui porte encore son nom*. Il est le seul empereur dont
les restes aient reposé dans l'enceinte de la Ville Etemelle^.
1. V. la médaille TRIVHPHVS PARTHICVS (Gohen, 280). Pour perpétuer
le souvenir des victoires de Trajan, Hadrien institua des hM parthiei
auxquels présidait un prador parOUcarhu {Corp. intc. lai,, I, p. 378, II,
n* 4110). Célébrés pendant quelques années, ces jeux étaient, au mo-
ment où Dion écrivit, tombés en désuétude. V. dans la Gazette archéo-
logique {\^ année, 1875), des fragments de vases en terre cuite publiés par
11. de Witte où parait représenté le triumphiu partMcus.
2. Butrop., VIII, 5. On ignore quand cette urne fut enlevée.
3. Par une dérogation à la loi des Douze tables (tab. X, iVagm. I.),
dérogation dont il y avait d^ailleurs quelques exemples (Gic. De legib.y II,
58). L'assertion de Servius ad Aen,, XI, v. 206 est erronée.
CHAPITRE XIV.
LA SOGlérÉ ROMAINS SOUS TRAJAN.
Dès le commencement du deuxième siècle l'empereur a pris et
va garder, dans le monde romain, une si grande place que l'his-
toire entière paraît se réduire au récit de sa vie et à Texposé de
son système de gouvernement. Tacite n'aura pas de continuateur.
Les biographies composées par Suétone et Marins Maximus ou,
pour mieux dire, les anecdotes et les menus détails qu'ils ont
compilés suffiront, aussi bien que les maigres notices postérieures
de Spartien et de Lampride, à satisfaire la curiosité de sujets de
plus en plus dévoués à leurs maîtres et habitués à voir en eux les
arbitres tout puissants de leur destinée^ Mais nous ne saurions
nous contenter de ce point de vue auquel les anciens, par le peu
de répugnance qu'ils témoignent à l'adopter, semblent nous
inviter à nous placer avec eux. A toute période, l'historien doit
s'enquérir de la condition et de la vie morale des gouvernés, et
les aller chercher à l'arrière-plan où les ont relégués les mal-
heurs des révolutions ou leur propre indifférence sur leurs intérêts
véritables. Nous ne pouvons donc nous dispenser de jeter un
rapide coup d'œil sur la société au temps de Trajan.
Malheureusement, les documents où l'on puise l'intelligence de
cette époque sont fort rares, et leur emploi ne laisse pas que
d'ofl&ir quelque danger. C'est chez Pline, chez Juvénal, chez
Martial qu'il faut aUer chercher les traits caractéristiques des
mœurs et de l'esprit du temps. Or Pline, qui ne vécut guère que
1. Sunt cuBCta sub unius arbitrio, qui pro utiiitate communi solus
omnium curas laboresque suscepit. Piin., Ep,, 10, 20.
— 492 —
pour les lettres, aborde rarement un autre sujet avec ses corres-
pondants. Juvénal et Martial ont peint exclusivement, et avec
complaisance, les travers et les vices de Rome : la loi même du
genre de poésie qu'ils cultivent les oblige presque à laisser de
côté tout ce qui n'est pas débauché, escroc ou poète ridicule, et
par conséquent ils ne nous offrent qu'un tableau fort incomplet,
et nécessairement inexact , de la société au milieu de laquelle ils
ont vécu. Les inscriptions qui jettent tant de lumière sur l'histoire
politique nous aident peu à connaître les mœurs, la classe des
sepvlcralia ne renfermant & peu près que des épitaphes où les
vertus des défunts et les regrets des survivants sont exprimés avec
l'emphase banale que la langue épigraphique offre sur ce cha-
pitre, en tout temps et en tout pays. Ainsi réduit aux témoignages
que fournissent les œuvres littéraires, et surtout les satires et les
épigrammes, l'historien qui essaie de dessiner le tableau du
deuxième siècle, en n'omettant aucun des détails et des faits trans-
mis par les auteurs, ne peut répandre également la lumière sur
tous les points de ce tableau. U n'en éclaire qu'un côté qui est
précisément le côté blâmable et fait à la critique une part trop
belle. C'est ainsi que la lecture du bel ouvrage de M. Friedlaen-
der, si attachant et si complet^ donne parfois une impression
ûicheuse de l'époque Antonine, malgré les réserves que stipule
l'auteur en se servant de documents d'un emploi si délicat et si
difficile. Il faut nécessairement consulter Juvénal et Martial avec
beaucoup de circonspection et de défiance. £n éliminant tout ce
qui, dans leurs vers, est sensiblement exagéré ou déclamatoire,
en les contrôlant, là où ce contrôle est possible, par les écrits de
Dion, de Pline et de Plutarque, on se fait de leur époque une idée
meilleure et, je crois, plus exacte que celle qu'ils ont voulu en
donner.
Il est vrai qu'elle présente un caractère frappant de décom-
position où l'on verra, si l'on se reporte aux anciens principes et
aux anciennes mœurs, un commencement de décadence. Mais
sommes-nous en présence d'un mal contre lequel il faut s'indigner
avec Juvénal, ou bien devons-nous reconnaître ici la condition
inévitable du progrès, les symptômes et le commencement d'un
ordre nouveau et meilleur? C'est assurément la dernière manière
de voir que l'on adopte si on étudie le sens et la nature des altéra-
tions que subissait chacun des éléments de la vie sociale.
1. Darstellungen atis der SiUengeschichte Roms, Leipzig, 1862 et suiv.
3 vol. in-8*. Depuis, M. Duruy dans le cinquième volume de son
Histoire des Romains a traité le môme sujet avec équité et avec largeur.
— 493 —
Bien que la religion gardât encoi'e les apparences de la soli-
dité, que les cérémonies du culte fussent aussi magnifiques et aussi
firêquentes que par le passé ^ et que le langage officiel ne laissât
apercevoir aucun affaitlissement des croyances^, il est certain
que le polythéisme grec et romain avait déjà perdu touteinfluence
sur les esprits éclairés , et qu'il ne conservait quelque crédit sur
les autres qu'en se rajeunissant par l'admission de dogmes égyp-
tiens ou asiatiques, et en se dénaturant de plus en plus par ce
mélange. Cette introduction de dieux et de rites étrangers, systé-
matisée plus tard, était alors absolument spontanée et se déve-
loppait au gré de l'instinct populaire, car les philosophes
essayaient à peine de soumettre à leurs interprétations savantes
et à leurs combinaisons ingénieuses la masse incohérente des
traditions de toute provenance répandues dans l'ancien monde,
et les politiques ne songeaient pas encore à sauver, par ce rajeu-
nissement artificiel et par un appel désespéré aux vieilles croyan-
ces, des cérémonies et des dogmes dont la fin devait coïncider
avec celle de la civilisation antique. A cette époque, les uns et les
autres n'éprouvaient guère que du mépris pour les religions venues
d'Orient et applaudissaient aux mesures prises de temps en temps
par les empereurs pour en arrêter la diffusion. En dépit de toutes
les entraves, elles recrutaient des adhérents chaque jour plus
nombreux, tant les âmes étaient à ce moment emplies d'aspira-
tions religieuses et tourmentées de l'infini. Peu de périodes de
l'histoire offrent, au même degré que le second siècle, les ardeurs
et les inquiétudes de la piété ; jamais peut-être l'homme n'a res-
senti des élans plus vifs vers la conquête d'un nouvel idéal et ne
s'est cru plus près du succès. Le sentiment religieux débordait avec
violence, emportant les digues qu'on lui opposait et bouleversant
le lit dans lequel on voulait enfermer et régler son cours. Plu-
tarque, qui cherche, en bon prêtre d' Apollon, à maintenir l'inté-
grité des croyances anciennes, se montre plus préoccupé de la
superstition qui les envahit chaque jour, que du scepticisme', de
même que, dans un autre domaine, les pères apostoliques s'in-
quiètent moins du rationalisme que de l'hérésie. Lucien et Celse
n'apparaîtront que dans un demi-siècle ; actuellement le danger
n'est pas là. Le polythéisme ancien, et surtout la religion étroite
1. V. les Actes des Frères Arvales.
2. Plin., Paneg,, passim.
3. Il ne combat, sous ce rapport, que les Épicuriens. Dans un passage,
il va jusqu'à dire que Tathéisme vaut mieux que la superstition.
DE LA BERGE 43
— 494 —
et fonnaliste de Rome, ne pouvait sufSre aux besoins nouveaux
de la conscience et du cœur. Les Eleusinies, demeurant exclu-
sivement athéniennes, restèrent fermées à un grand nombre
d'àmes avides de consolations et d'espérances; celles-ci se
rejetèrent vers les cultes mystérieux de l'Asie et de l'Egypte ,
et apaisèrent leur soif aux eaux de l'Oronte et du Nil. Je ne
puis me jeter incidemment dans une question aussi vaste*. Je
rappelle seulement que Juvénal trouve une source inépuisable
de lamentations ou de plaisanteries dans les détails de ces cultes
dont le savant auteur de la Mythologie romaine a dit sévère-
ment qu'ils n'avaient apporté ni enseignement ni consolation*.
On peut, je crois, répondre au satirique que la chiromancie n'est
pas plus ridicule que les sorts de Préneste, et que les astrologues
chaldéens ne le cèdent en rien aux haruspices toscans et aux
augures dont Ennius et Cicéron avaient fait rire depuis long-
temps. Quant au reproche de sécheresse et d'absurdité adressé
aux religions qui prirent dans le monde romain un dévelop-
pement si puissant et si rapide, il tombe devant le fait même
de ce développement dont, sans doute, on ne voudra pas
faire honneur à la sotte crédulité des adeptes ou au charlatanisme
audacieux des prêtres, et qui demeurerait inexplicable si l'on
n'admettait que ces religions ouvraient quelques vues larges et
élevées à ceux qui les embrassaient avec tant d'ardeur. Et, en
effet, si nous mettons à part le culte bizarre et peu connu de la
Déesse phrygienne et celui de Sabazius qui s'y rattachait^, il est
certain que les religions monothéistes de Sérapis et de Mithra,
qui comptent alors le plus grand nombre d'adhérents, sont fort
supérieures à l'ancien polythéisme, au point de vue logique. Au
point de vue moral, la première nous donne dans le 125® chapitre
du Rituel Funéraire^ les préceptes les plus élevés et les plus
purs qu'ait jamais enseignés aucune école philosophique, et la
deuxième, au témoignage même des Pères, offrait dans ses dogmes
et dans ses cérémonies plusieurs points communs avec le chris-
tianisme. Que cette coïncidence soit fortuite ou vienne d'un em-
1. V. rintéressant ouvrage de M. A. Boissier, La ReUgUm rotnaifut d'An^
gtute aux Antonins,
2. Preller, p. 711. Keine Belehrung, keine Beruhigung.
3. V. Heuzey, La vie future dans ses rapports avec le culte de Baechus,
d'après une inscription latine en -vers de la Thrace. Comptes-Rendus de
VAcad. des Inscript,, 1865, 372-78. Cf. Garrucci, Mystères du syncrétisme
phrygien,
4. Trad. par M. Maspero, Revue CriUquet 1872, 2, p. 341.
— 495 —
prunt fait par les sectateurs de Mithra, peu importe ici ; ce qu'il
faut reconnaître, et ce qui n'est guère contestable, c'est qu'une
doctrine qui enseignait la rémission des péchés, la purification de
rame par les épreuves et le repentir, l'intervention d'un média-
teur entre l'homme et la Divinité, dut avoir une heureuse influence
sur ceux qui ne pouvaient connaître les livres juifs ou la prédi-
cation chrétienne. Nous voyons donc un progrès dans la diffusion
de ces cultes, qui coïncide avec la déchéance des religions de la
Grèce et de Rome*.
A la même époque la famille se modifie ; les relations rigou-
reuses que la loi romaine établissait jadis entre ses membres com-
mencent à se détendre et à s'adoucir. En ce qui concerne le
pouvoir paternel, nous avons vu poindre ce progrès dans une loi
édictée sous Trajan, et la littérature contemporaine en fournirait
d'autres témoignages. Par exemple, l'admirable lettre que Pline
adresse à un père trop sévère pour son fils- nous fait sentir quels
changements s'opéraient dans des esprits ouverts à des idées plus
généreuses et plus humaines.
La façon dont cet écrivain traitait ses affranchis et ses esclaves
n'est pas moins remarquable. Ni la négligence de ses serviteurs,
ni les vengeances cruelles dont quelques mauvais maîtres étaient
les victimes, et qui excitaient un sentiment d'effroi universel,
n'altéraient ses dispositions bienveillantes. La douceur qu'il por-
tait dans l'exercice de son autorité, les soins qu'il prenait de ses
gens dans leurs maladies, le chagrin qu'il ressentait à leur mort
nous touchent profondément ; mais la ponctualité avec laquelle il
exécutait leurs volontés dernières et les ménagements dont il en-
tourait leur dignité révèlent une délicatesse plus surprenante
encore que la bonté, eu égard à l'époque où vivait Pline^. Plu-
tarque à la même époque recommandait et pratiquait la bonté en-
vers les esclaves; Pline et lui se montrent ici, par le cœur, fort
supérieurs aux philosophes contemporains; car on a fait honneur
au stoïcisme entier de- la fameuse lettre de Sénèque, mais cet hon-
neur est immérité. La lettre de Sénèque est une exception dans la
littérature des deux premiers siècles* : Epictète et Dion parlent
très-philosophiquement de l'esclavage et de la liberté et ils émettent
1. Le plus ancien monument mithriaque connu est du temps de
Claude, Henzen, 5844. Les monuments relatifs aux religions phrygiennes
ne commencent qu'avec Hadrien.
2. Plin., Ep,, IX, 2. Cf. Plutarcb., De putfr. edw., 18.
3. PUn., Ep., I, 4, n, 6, vin, 16.
4. Sauf Juvénal, VI, 223.
— 496 —
à ce sujet des théories fort belles, mais peu propres à déterminer
uu changement dans les lois si dures établies au profit des maîtres.
Ces lois vont être bientôt modifiées en faveur des esclaves, sous
Hadrien et ses successeurs, mais cette amélioration est due bien
plus à Tinfluence de quelques maîtres semblables à Pline qu'aux
remontrances du Portique*.
La condition des femmes s'élève dans les lois comme dans les
mœurs. Depuis plus d'un siècle, elles avaient montré dans les
troubles civils autant de prudence, de ^courage et de fermeté que
les hommes, et fait voir que le temps de leur émancipation était
venu. Avant que les incapacités légales qui les frappaient dis-
parussent peu à peu des codes (ce qui n'eut lieu qu'après le règne
de Trajan), on leur vit prendre dans la société une place de plus
en plus considérable. Que des inconvénients graves fussent mêlés
à ce progrès aussi incontestable que nécessaire, nul ne songe à
le nier. Moins surveillées dans leur intérieur, moins contenues au
dehors par l'esprit public, les femmes abusèrent plus d'une fois
de cette liberté et se dédommagèrent bruyamment de la sévérité
des anciennes mœurs. Elles reçurent plus d'instruction, et quel-
ques-unes ne surent pas se garantir du pédantisme. Elles dispo-
sèrent de leurs biens et n'en firent pas toujours un usage irrépro-
chable ; plusieurs se montrèrent odieusement avares ou scanda-
leusement prodigues. Ces maux et ces travers sont inséparables
de toute société où la femme n'est pas complètement subordonnée
et parquée dans l'enceinte de la maison conjugale ; aussi plus d'un
trait de la satire de Juvénal trouve-t-il son application dans les
temps modernes, mais il faut remarquer en même temps que
beaucoup de ses plaintes ne sont que des redites ; depuis les pre-
miers essais de la littérature latine, la femme dotée est un thème à
doléances. Il n'y a donc pas là de vices propres au ii* siècle. En
revanche, ce qu'on y trouve pour la première fois, c'est un mé-
nage comme celui de Pline et de Calpurnie, type accompli de
profonde et vraie tendresse. Calpurnie fut véritablement la com-
pagne de Pline, associée à tous les événements petits ou grands
de son existence. Son inquiétude quand Pline devait parler, son
anxiété pendant que, loin d'elle, il prononçait le plaidoyer dont
elle avait vu la composition laborieuse et suivi les ébauches suc-
cessives, sa joie dès qu'elle recevait les premières nouvelles du
succès, allaient vivement au cœur de son mari. Elle lisait tous
ses ouvrages, en apprenait quelques-uns par cœur, chantait en
■
1. Wallon, Histoire de VEêclavage, III, p. 35-44.
— 497 --
s'accompagnant de la lyre des vers composés par celui dont elle
partageait le sort et la gloire. Pline lui portait l'affection la plus
vive, et ne pouvait supporter sans chagrin les courtes séparations
que le hasard leur imposait. « On ne saurait croire, dit-il, k
« quel point je souffre de votre absence, d'abord parce que je
« vous aime et ensuite parce que nous n'avons pas l'habitude
« d'être séparés. Aussi, je passe une grande partie des nuits à
« penser à vous ; le jour, aux heures où j'avais l'habitude de
« vous voir, mes pieds me portent d'eux-mêmes à votre chambre
« vide, et j'en reviens chagrin et abattu comme si la porte
« m'eût été refusée*. > « Votre absence, dit-il, dans une autre
« lettre, votre maladie me jettent dans l'anxiété. Je crains tout,
< je me figure tout, et comme tous ceux qui ont peur je me
« figure surtout ce que je redoute le plus. Je vous le demande
« en grâce, calmez mes craintes en m'écrivant une fois, deux
« fois même par jour. Je serai plus tranquille pendant que je
« lirai, et je recommencerai à trembler quand j'aurai lu*. »
Nous voilà loin du fameux billet de Cicéron à Terentia^ et des
scènes de Quintus avec sa femme. Dans le monde grec on aper-
çoit en parcourant les opuscules de Plutarque un progrès sem-
blable. Tandis que Thucydide pose en principe que la fenune la
meilleure est celle dont on n'a jamais parlé, que Xénophon res-
serre le cercle de la vie conjugale dans la direction matérielle du
ménage, Plutarque écrit un livre sur les actions éclatantes des
femmes, dans l'intention avouée de venger leur sexe d'un mépris
injuste et il révèle, dans les écrits qu'il adresse à son épouse, les
habitudes d'une communauté morale de tous les instants. Ainsi,
dès le début du ii^ siècle, nous trouvons réalisé le type du mariage
tel que le définiront si heureusement les juriconsultes^.
Toute inégalité réelle avait, on peut le dire, disparu de la
société antique le jour où la puissance politique passa tout entière
aux mains du prince, qui pouvait élever aux positions les plus
élevées et les plus considérables ceux qui avaient conquis sa
faveur ou sa confiance. On était arrivé à l'égalité par une voie
regrettable, mais elle était atteinte. Il ne servait plus de rien,
conune le remarque mélancoliquementlepoète, d'avoir respiré l'air
1. Plin., Ep., VII, 5.
2. Id., ibid, VI, 4. Comparez Stacê et Claudia., Silv» III, 5.
3. Ep, famU., XFV, 12.
4. Nuptiae sunt conjunctio maris et feminae, consortium omnis vitae,
divini et humani juris communicatio. Dig., XXIII, 2.
— ^98 —
de rÂventin et mangé l'olive de la Sabine^ L'ancienneté de la
famille, l'origine romaine ou italique perdaient beaucoup de leur
prestige sous le règne de Trajan , homme nouveau, né dans une
province assez éloignée, et parvenu au rang suprême en fran-
chissant successivement tous les échelons de la hiérarchie sociale.
Cette hiérarchie, sans doute, consacrait encore plusieurs classes
dans l'état, mais ces classes ne sont plus rigoureusement fermées
comme autrefois : elles ne sont constituées que par des différences
dans la richesse, et les fortunes se faisaient et se défaisaient alors
avec une rapidité que plusieurs trouvaient scandaleuse, mais qui
facilitait le nivellement de toutes les conditions et le mélange de
toutes les couches sociales. Quelques différences dans le costume,
et des places marquées au théâtre , voilà ce qui reste à Tordre
sénatorial et à l'ordre équestre de leurs antiques privilèges.
Entre les riches et les pauvres il n'y a plus, comme jadis, un
abîme infranchissable et un contraste démoralisateur : une grande
aisance régnait dans la classe moyenne, active et éclairée, gran-
dissant en nombre sous l'influence des progrès successifs de l'in-
dustrie et de la richesse. Elle s'augmentait de tout ce que perdait
l'esclavage, car le travail commençait à devenir libre. Sur
plusieurs points, les sources de l'esclavage étaient directement
atteintes ; la pacification générale fermait la source la plus
abondante du recrutement servile , une police plus active
restreignait la piraterie et la traite à l'intérieur , enfin la loi
diminuait le nombre des malheureux condamnés à la servitude
par leur naissance même. D'autre part, les affranchissements
inspirés tantôt par la vanité, tantôt par l'intérêt bien entendu,
devenaient plus fréquents et la jurisprudence, réagissant contre
la politique d'Auguste, tendait comme nous l'avons vu à les
faciliter. Aussi voit-on, dès le commencement du ii® siècle, le
nombre des travailleurs libres gagner sur celui des travailleurs
esclaves dans toutes les branches de l'activité productrice, à la
ville comme à la campagne, au service de l'État comme dans les
maisons particulières*. Chaque jour le mouvement se dessinait
davantage et se régularisait en s'accélérant : il semblait que
l'abolition de l'esclavage, réservée à un temps bien éloigné, allait
s'effectuer sous l'action des causes profondes et puissantes qui
transformaient l'ancien monde. Malheureusement, avant que
cette évolution fût terminée, le travailleur, affranchi d'hier,
1. Usque adeo nihil est quod nostra infantia coelum
Hausit Àventini, bacca nutrita Sabina. (Juven. Sat., III, 83.)
2. WalJon, Histoire de l'esclavage, III, p. 93-313.
— 499 —
devint esclave de l'État qui Tenchaîna à sa profession, et par
rimpôt lui extorqua son salaire avec des raffinements de sévérité
et de rigueur que n'avaient pas imaginés les maîtres au temps de
leur plus complète puissance : l'infortuné ne put même plus se
former un pécule. Mais gardons-nous de confondre l'état du tra-
vail à la fin du iii® siècle, au milieu du plus effroyable désordre
que le monde ait connu, quand l'empire menacé aux frontières,
déchiré à l'intérieur, s'effondre sous les calamités de l'anarchie et
de la guerre ; quand le prince, ne sachant où trouver les ressources
nécessaires pour parer aux besoins les plus pressants, essaie à la
fois ou tour à tour du maximum, de l'altération des monnaies,
des corporations, du privilège, multiplie le nombre des fonction-
naires pour assurer le recouvrement des impôts et compromet
encore plus ses finances par ces créations d'emplois parasites ;
gardons-nous de confondre ces temps déplorables avec la période
Antonine, avec ce siècle heureux et trop court où la richesse
croissait au sein de la paix, sous le double stimulant de l'intérêt
privé et de la concurrence, sous la protection d'un gouvernement
solide et facile.
Ce fut l'âge le plus brillant de l'industrie antique ; elle multi-
plia ses chefs-d'œuvres pour satisfaire les fantaisies exaltées par
le sentiment de la puissance. En même temps que l'architecture
civile prenait, ainsi que nous le verrons, le plus remarquable
développement, les fabricants de meubles, de voitures, d'ustensiles
de toute sorte s'ingéniaient à donner à leurs produits des formes
élégantes, à les relever par l'emploi de matières rares et pré-
cieuses. Les contemporains nous parlent d'argenterie ciselée du
plus beau travail, de meubles tirés des bois étrangers les plus
renommés par leur odeur ou le dessin gracieux de leurs veines,
d'objets incrustés d'ivoire, de métaux précieux, d'écaiUes. Ces
belles choses, avidement recherchées, ne restaient pas toujours
dans les mains de leurs premiers possesseurs ^
A Rome conmie dans toutes les grandes villes (et la civilisa-
tion antique est surtout une civilisation urbaine, où le progrès se
fait au sein des villes et pour leurs habitants), le développement
de l'industrie et du commerce était la condition d'existence d'une
population immense et toujours croissante ^. De maigres sportules.
1. Ventes aux enchères. Martial, Epigr., IX, 60. V. ibid., XII, 102, la
boutique de Milon.
2. Preller pense que la population de Rome s'élevait sous Trajan à
deux millions au moins d'habitants. Pauly's EncycL, v Roma.
— ÎOO —
péniblement arrachées à des parvenus tiraillés entre la vanité et
l'avarice, de chiches soupers, continuation risible et vraie parodie
du patronage antique, alimentaient quelques parasites éhontés,
de plats bouffons et de pauvres poètes. Mais la grande masse
gagnait courageusement le pain de chaque jour, et passait sa vie
au travail. Car les largesses du prince et celle des magistrats
municipaux dans les provinces pouvaient bien permettre de passer
dans l'oisiveté un ou deux jours de fêtes, mais ne dispensaient
pas sans doute des millions d'hommes de tout effort pendant toute
l'année. Tous les pays connus alors envoyaient à Rome, à Car-
thage, à Antioche, à Alexandrie, à Corinthe, à Cordoue, à Lyon
les produits de leur industrie et de leur sol, et là, ces produits
dont la recherche ou la création avait fait vivre une quantité de
travailleurs, dont le transport avait occupé nombre de voituriers,
de bateliers, de négociants, d'armateurs, recevaient de nouvelles
formes*.
L'admirable réseau de grandes routes qui reliait toutes les
parties du monde romain était le théâtre d'une circulation inces-
sante d'honmies et de marchandises. Les fleuves et les voies navi-
gables artificielles facilitaient les échanges, et les voyages sur
mer, sans danger depuis que l'établissement de flottes perma-
nentes empêchait le développement de la piraterie, rapprochaient
et mêlaient les peuples de tout l'univers. Le bien-être croissant
dans toutes les classes avait multiplié les goûts de luxe et les
loisirs, et les professions que nous nommons libérales avaient
pris un essor considérable. Laissons Juvénal et Martial plaindre
tant d'avocats qui ne trouvent pas à plaider et concluons que si ces
malheureux ont embrassé cette carrière c'est qu'ils y ont vu des
exemples tentants et des chances de fortune. Et en effet Tacite
nous apprend que les honneurs, comme l'opulence, affluent aux
mains de ceux qui se sont voués au barreau*. Non-seulement les
avocats trouvaient une profession lucrative dans l'exercice de
leur art, mais les praticiens eux-mêmes', à défaut d'une parole
exercée et éloquente, se créaient des ressources en appliquant
leur sagacité et leur expérience à des questions de droit devenues
très-complexes dans une société aussi avancée que celle du
If siècle, où la vie présentait des rapports si multipliés et si déli-
1. Galien, Prolegom., XIV, cite la profession de négociants importateurs
comme une de celles où l'on fiait le plus rapidement fortune.
2. DieU., c. 8.
3. Juvén., VII, m. Martial, XII, 72.
— 204 —
cats. Au milieu des agglomérations considérables des villes, les
médecins trouvaient une clientèle nombreuse et productive. Le
goût de l'instruction se répandait chaque jour, sa nécessité était
mieux sentie, les parents à qui elle avait manqué faisaient tous
les sacrifices possibles pour que leurs enfants en profitassent, les
personnages influents de chaque petite ville y fondaient des écoles,
et les professeurs gagnaient facilement de l'argent et delà gloire*.
Enfin les artistes étaient constamment occupés, non-seulement
aux monuments publics que Trajan et Hadrien multiplièrent, et
que toutes les villes de l'empire élevaient avec profusion, mais
aussi par les particuliers qui voulaient des demeures somptueuses
dignes de leur fortune acquise ou héréditaire, et ornées avec une
magnifique élégance.
Ainsi ceux qui embrassaient les professions que nous appelons
libérales étaient presque sûrs d'arriver à la fortune ou à l'ai-
sance, et nous devons ajouter, à l'honneur des classes riches,
qu'elles faisaient les plus louables efforts pour améliorer la con-
dition de ceux que n'avait pas favorisés le hasard delà naissance.
La correspondance de Pline, aussi bien que les nombreuses ins-
criptions du temps, témoignent de l'emploi le plus noble de la
richesse*. Aussi ne voit-on plus, pendant la durée de l'empire, la
moindre trace de ces luttes de classes qui avaient désolé Rome
sous le régime républicain. Ce fut une compensation, insuffisante
à quelques égards, heureuse à beaucoup d'autres, du changement
de régime inauguré par Auguste.
Trajan ne changea rien aux conditions essentielles de ce
régime, mais pourquoi l'eût-il modifié? Tout le monde, on peut
le dire hardiment, était satisfait d'une forme de gouvernement
qui lui donnait l'ordre et la paix. Ce qu'on demandait, au
II** siècle, c'était un « système politique basé sur l'égalité du
citoyen devant la loi, une royauté plaçant le respect de la liberté
des gouvernés au premier rang de ses devoirs*. » Cette idée, il
1. Suét., Rhet, I. Juvënal se tire singulièrement d'affaire, quand une
exception trop forte pour être passée sous silence vient déranger sa
thèse. Il a recours à la Fortune (dont il se moque ailleurs) :
Unde igitur tôt
Quintilianus habet saltus? Ezempla novorum
Fatorum transi
Ventidius quid enim? quid Tullius? Anne aliud quam
Sidus, et occulti miranda potentia fati. (VU, 188-200).
2. Plin., Ep,, m, 7, IV, 13, V, il, IX, 39.
3. Marc Âurèle, Pensées, l, 14. Uaçk toO iSeXçoO (mu Eeov^pou... focvroaCav
— 202 —
&ut bien le reconnaître, fait le fond de toute la philosophie poli-
tique des anciens. Xénophon et Platon, Socrate et Dion Chrysos-
tôme, appellent de leurs vœux une forme politique où le prince
conquerra le dévouement de ses sujets par l'ascendant de sa
vertu : Cicéron avait présenté plus d'une fois la même idée aux
esprits de ses compatriotes. Le principat des Antonins ne fut pas
autre chose. Peut-on citer une circonstance dans laquelle les
empereurs du n^ siècle aient refusé de réaliser une amélioration
demandée par l'opinion, ou méconnu volontairement le vœu
public? On n'en trouvera pas. Dès lors il serait puéril et injuste
de leur reprocher de n'avoir pas fondé un Etat reposant sur les
bases politiques que nous jugeons essentielles aujourd'hui. L'his-
toire n'offire plus qu'une suite de non-sens dès que l'on ne veut
pas admettre que les principes de l'ordre politique ne se décou-
vrent qu'un à un, et que la science politique, à cause de la com-
plication propre à son objet, est condamnée à une marche moins
assurée et à des progrès plus lents que toutes les autres. Faire
un crime, à Trajan et à Marc Aurèle, de n'avoir pas inauguré le
régime représentatif est aussi absurde que de reprocher à Ptolé-
mée d'avoir mis la terre au centre du système planétaire, et à
Galien d'avoir ignoré la circulation du sang.
Ti|uoaTK fcdcvTwv yÂXiaxoL xif^ iXsuOepiov tùv àpxovMt^vu>v.
CHAPITRE XV.
LE GHR[STIANISMB^
Les historiens modernes de l'Eglise considèrent habituellement
Trajan comme Fauteur de la troisième Persécution et le ran-
gent avec Néron, Dèce et Galère, au nombre des ennemis acharnés
du Christianisme. Telle n'était pas l'opinion des contemporains,
et celle qui prévaut aujourd'hui ne parait pas s'être formée avant
la fin du iv^ siècle'. Les pères qui ont vécu à l'époque Antonine,
ou peu d'années après, ne comprennent point Trajan dans Ténu*
mération qu'ils font des persécuteurs de la foi. Il n'est cité comme
tel ni par Méliton ^ ni par TertuUien ^ : Lactance omet également
son nom^. Un examen, même très^sommaire, de l'histoire de
l'Eglise sous le règne de Trajan, prouve, en effet, qu'il n'y eut
pas alors de persécution proprement dite.
U faut d'abord éliminer de cette histoire un certain nombre de
mart}nres non authentiques ou indûment placés à cette époque.
Au nombre des premiers est celui de saint Clément. Exilé en
l'an 100 dans la Chersonnèse Taurique, il aurait réussi à y fonder
1. V. Aube, Histoire des Persécutions de Vtfjftse, cbap. V.
2. Mon multo deinde intervallo terUa persecutip per Trajanum fuiL
Sulp. Sév., Hist. Sacr., II.
3. Euseb., Hist. EccL, IV, 26.
4. Apol., c. 5.
5. De morte persec, rescissîs actîs tyranni [se. DomitianiJ non tantum
in statum pristinum Bcclesia restituta est, sed etiam multo ciarius ac
floridius enituit. Lactance ne cite pas d'empereur persécuteur entre
Néron et Trajan Dèce.
. — 204 —
70 églises, et expié par son supplice le zèle qu'il témoignait pour
la foi et les succès rapides qu'il avait obtenus*. Tillemont, depuis
longtemps a émis des doutes sur l'exactitude de ce fait' dont per-
sonne ne parle avant Ruôn*. Baronius lui-même a reconnu
que les actes de ce martyre ont été composés d'après la tradition,
à une époque tardive^ et, ce qui doit nous suffire, ils sont implici-
tement démentis par Irénée. Ce père atteste, en eflfet, que parmi
les douze évêques de Rome qui s'étaient succédé depuis saint
Pierre jusqu'à lui, Télesphore seul avait souffert une mort vio-
lente*.
Tillemont fait également justice des martyres de onze mille
soldats égorgés à Mélitène, de ceux de saint Césaire, de saint
Hyacinthe, de saint Romule, de saint Eudoxe. Il écarte aussi
l'idée d'une persécution exercée alors en Asie par le proconsul
Arrius Antoninus. Il donne les raisons qui doivent faire rejeter
comme apocryphe la lettre de Tibérien, gouverneur de Palestine,
à Trajan, et le rescrit de ce prince ordonnant la suspension des
poursuites que Tibérien avait commencées^. Ainsi, bien que tous
ces faits aient été récemment admis comme authentiques et
imputés au fanatisme de Trajan'', nous nous en rapporterons
au pieux historien du xvii® siècle; nous n'admettrons comme
réels et nous n'étudierons que les événements relatifs à Ignace
évêque d'Antioche, à Siméon évêque de Jérusalem, et aux
chrétiens de Bithynie contre lesquels Pline informa.
En ce qui concerne les deux premiers, nous avons déjà laissé
entrevoir que leur mort se rattache aux faits de la guerre Par-
thique et à la révolte juive qui s'y mêla : la condamnation qui
frappa ces deux pasteurs offre un caractère aussi politique que
religieux. A l'égard de Siméon, qui descendait de David et dont
le nom pouvait, à ce titre, rallier les Juifs qui revendiquaient
leur indépendance, cette manière de voir est presque formellement
appuyée parla Chronique Paschale*, laquelle atteste qu'il fut
condamné non-seulement comme chrétien mais comme descendant
1. Suriug, 23 nov.
2. Tillemont, Mémoiretj II, 173, 174. Note xu, p. 605.
3. Ad Orig., t. I, p. 778 b. Cf. Greg. Turon. GUn, confess,, 1. 35, 36,
4. Bd. Lucq., II, 6.
5. Adv, Hcteres,, III, 3.
6. Histoire des Empereurs, II, p. 578.
7. Champagny, les AntoninSj 3* éd., I, pp. 347 et suiv., 381 et suiv.
8. (S>c où |iâvov xpi<rriav6(, àXXà xal (oç dnc6 tâv toO y^ou; Aa6C6 Oiràpxc>>V} p. 471,
é4. Bpm-
— 205 —
de David. Il est vrai que son supplice, si l'on adopte la date à
laquelle le rapporte la chronique, ne pourra être expliqué conune
une mesure d'intimidation vis-à-vis des rebelles, puisqu'il aurait
précédé leur prise d'armes de plusieurs années, mais cette date,
très-voisine de celle que la même chronique assigne au martyre
d'Ignace, doit être déplacée aussi bien que cette dernière, et leur
rapprochement prouve simplement que les deux évêques furent
mis à mort à peu près à la même époque. Hégésippe, cité par
Eusèbe S rapporte que Siméon fut dénoncé par des hérétiques qui
périrent eux-mêmes peu de temps après, et cette allégation offre
tous les caractères de la vraisemblance.
Le supplice d'Ignace, mis à mort sous le règne deTrajan, n'est
pas contestable, mais on n'en peut indiquer avec précision ni les
circonstances ni la date, caries actes de son martyre ne présentent
aucun caractère d'authenticité. La rédaction la plus anciennement
connue, et qui est aussi la plus chargée d'interpolations, met la
mort d'Ignace « consulatu Attici et Marcelli » (lisez Attii [Su-
burani II, Asinii] Marcelli) Kalendis februarii^ (c'est-à-dire
en l'an 104). La Chronique Paschale rapporte cet événement à
l'an 105 (consulat de Candidus et de Quadratus); la version plus
courte des Actes, découverte par Ruinart et seule défendue aujour-
d'hui, au 23 décembre 107^. Enfin, Malalas, ainsi que nous l'avons
dit, place ce martyre au moment du tremblement de terre d'Antioche
(décembre 115). Ces divergences dans les dates jettent déjà un cer-
tain discrédit sur l'autorité des Actes. L'année 107 ne saurait être
acceptée. D'abord il faut admettre, puisque Ignace aurait com-
paru devant Trajan, à Antioche, au moment de la guerre Par-
thique, que cet empereur aurait fait deux expéditions en Orient,
et nous avons démontré le contraire. En second lieu, il est clair
que le martyre d'Ignace n'aurait pu passer inaperçu à Rome, et
pourtant Pline, qui était à Rome en 107, déclarait quatre ou
cinq ans après ne pas savoir comment procéder contre les chré-
tiens, et semble n'avoir même jamais entendu parler d'eux ^. A
1. Hist Eccles,^ III, 33. Les dénonciateurs de Siméon furent peut-être
des Ebionites^ qui détestaient Oavid et sa race (Bpipban., Haeres,, XXX,
18.)
2. BoUand., 1 febr.
3. P. 4?2, éd. Bonn.
4. Ruinart, Aeia Hneera, p. 696.
5. L'époque de la légation de Pline, trés-discutée autrefois, est aujour-
d'hui fixée par la découverte faite en Mésie d'un monument élevé en
rbonneur de Trajan, l'an 112 de notre ère, par Galpurnius Macer qui
— 206 —
ces présomptions défavorables tirées de raisons extérieures, joignez
la conversation absolument invraisemblable de l'empereur et de
révêque, le libellé bizarre de l'arrêt*, l'itinéraire incroyable
suivi par Ignace pour aller d'Antioche à Rome, et il sera bien
difficile de méconnaître le caractère apocryphe de cette produc-
tion. Notons aussi qu'elle était inconnue à Eusèbe, qui, parlant
d'Ignace comme d'un personnage toujours célèbre en Orient, et
citant ses lettres, ne possède sur sa fin que la tradition orale*.
Assurément l'auteur de Y Histoire ecclésiastique qui aime à
baser ses assertions sur des pièces écrites, et les transcrit volon-
tiers, n'aurait pas négligé un document de cette importance. C'est
donc seulement dans les Lettres d'Ignace qu'il semble permis de
chercher quelques détails sur les événements qui précédèrent im-
médiatement sa mort. Nous y lisons que, pendant que l'évêque
se rendait à Rome, l'église d'Antioche avait retrouvé la paix*,
ce qui prouve qu'il n'y eut pas en Syrie de persécution systéma-
tique ; on y voit également Ignace très-effrayé à l'idée que les
Romains pourraient obtenir sa grâce en la demandant à l'empereur,
ce qui le priverait, lui Ignace, d'une mort glorieuse et désirée^.
Cette crainte ne fait pas supposer chez Trajan une rigueur
inflexible ni un esprit bien prévenu. Nous ne pouvons donner les
raisons précises de la condamnation, puisque nous ignorons quels
furent les rapports de l'évêque avec l'empereur : il est probable
qu'il le brava dans un moment où toute hardiesse de langage était
périlleuse, alors que les superstitieux habitants d'Antioche *,
émus du tremblement.de terre qui avait presque détruit leur riche
cité, demandaient la mort des chrétiens, qu'ils considéraient
comme les auteurs de la catastrophe. En envoyant Ignace à
Rome, Trajan voulut sans doute le soustraire k l'irritation de
ses concitoyens et le mettre en face de juges plus équitables. Mais
le ton de la lettre aux Romains nous indique assez quel dut être
gouvernait cette province pendant la mission de Pline enBithynîe. Voir
notre n* 71. Cf. Pline, Ép, ad Draj.y 4î, 61, 62, 77.
1. c Nous ordonnons qu'Ignace, qui prétend porter en lui le Crucifié,
f soit enchaîné et conduit sous bonne garde dans la grande ville de
f Rome pour être la proie des bêtes féroces et servir de divertissement
f au peuple, i
2. Ad^oc 8'lxet toOtov &irà SupCo; £icl t^ 'P&>{&aîaiv iréXiv àvoncsiJLçOivTa dvipCuv
Yevio6ai ^pdv Tfic sCc Xpuiràv i&aprvpCoc Ivexev. Hi$i, Eccl,, 111, 37.
3. PhUadelph., 10, Smym., Il, Polye,, 7.
4. Rom,, 24.
5. V. Renan. Note sur les sculptures colossales du mont Siavrtn à An-^
Uoehe (Gompteë-renduB de TÂcad. des Inscr., 1865, 372-378).
celui de l'apologie d'Ignace devant le préfet de la ville, et explique
comment il fut enfin livré aux bêtes féroces ^ Toutefois, la mort
de cet éminent chrétien ne constitue pas, à elle seule, une persé-
cution contre l'Eglise.
Nous arrivons à ce qui concerne les chrétiens de Bithynie :
là il y eut réellement, vers 111 ou 112, plusieurs victimes. Les
célèbres lettres qu'échangèrent Pline et Trâjan nous montrent les
chrétiens examinés pour la première fois par des hommes d'intel-
ligence et de cœur qui, par delà les bruits répandus par la mal-
veillance et la crédulité populaire* cherchent la vérité et la jus-
tice. Pline se montra d'abord trop docile aux suggestions et aux
préjugés de l'époque en condamnant au supplice des hommes qui
n'étaient convaincus d'aucun crime et dont U ne trouvait à punir
que la fermeté inébranlable dans leur conviction^. Cette constance
au moins lui donna à réfléchir ; il s'enquit de ce que faisaient et
pensaient les chrétiens ^ Devant la nature des renseignements
qu'il recueillait, il suspendit les poursuites et il avoua ingénument
ses doutes et ses embarras à l'empereur, guide habituel de sa con-
duite et juge souverain de toutes les difficultés alors pendantesen
i. M. Aube (1. c. p. 244) émet l'opinion qu'Ignace mourut àAntioche, et
non à Rome. Les citoyens romains pouvaient en appeler du gouverneur
à l'empereur et étaient alors menép dans la capitale (Act,^ XXV, 12. Pline,
ad Traj,, 97); mais Ignace avait comparu devant Trajan : l'afifàire
était jugée sans appel. Pourquoi retarder sa mort? Le voyage d'Antioche
à Borne, par Smyme, Alexandria Troas, Neopolis, Pbilippi, est aussi bien
singulier. — Et pourtant si on fait mourir Ignace à Antiocbe, toute sa
correspondance est non avenue, car cbaque lettre implique, aussi bien
que la Lettre aux Romains que M. Aube sacrifie pour ce motif, le voyage
à Rome, entrecoupé de séjours prolongés dans diverses villes d'Asie. Les
mentions de la captivité font bien corps avec le texte de cbaque lettre
et ne peuvent être considérées comme des interpolations.
2. Gomme Ta remarqué M. Littré, Barbares et Moyen âge, p. 23, la
pbrase célèbre : baud perinde in crimine incendii quam odio generis
bumani convicti (Tacite, Ann,, XV, 44), doit être traduite c non pas tant
convaincus du crime d'incendie que condamnés par la baine du genre
bumain ». Le nom de la faute se met à l'ablatif avec de ou <n, ou bien
au génitif. L'ablatif absolu désigne l'autorité qui prononce. V. Forcellini.
Du reste Bossuet (Disc, sur l'HisL univ., II, 26) traduit c secte convaincue
< de baïr le genre bumain ou de lui être odieuse i.
3. Suppiicium minatus... persévérantes duci jussi. Neque enim dubi-
tabam, qualecunque esset quod faterentur, pervicaciam certe et inflexi-
bilem obsiinationem debere puniri.
4. La torture à laquelle il soumit deux diaconesses ne peut être
regardée comme un supplice, puisque c'était alors un moyen d'informa-
tion juridique.
— 208 —
Bithyhie. La lettre de Pline démontre qu'il y avait eu à Rome
quelques chrétiens punis (c'est sans doute à la persécution de
Domitien qu'il faut rapporter les cognitiones de Christianis),
mais que ces poursuites n'avaient été confiées qu'à la police et
qu'elles avaient fait si peu de bruit qu'un personnage, préteur en
ce temps-là, et lié avec les hommes les plus haut placés de l'admi-
nistration, n'en avait pas eu connaissance ^
La réponse de Trajan ofifre un caractère de mansuétude et
d'équité impossible à méconnaître. On ne saurait, dit-il, prendre
en cette matière une décision générale, qui serve de règle absolue.
Il ne faut pas rechercher les chrétiens : s'ils sont amenés au tri-
bunal et s'ils sont 'convaincus, il faut les punir ; toutefois, celui
qui niera être chrétien et prouvera son dire en adorant nos Dieux
obtiendra sa grâce par cette manifestation de son repentir, quel-
que suspect que le rende son passé. Les écrits anonymes ne pour-
ront servir de base aux accusations ; la chose est du plus mauvais
exemple, et indigne de notre époque.
On connaît le fameux dilemme de Tertullien « Arrêt contra-
dictoire ! Trajan défend de rechercher les chrétiens comme inno-
cents, et ordonne de les punir conune coupables... Si vous con-
damnez les chrétiens pourquoi ne pas les rechercher? » Si vous ne
les recherchez point, pourquoi ne pas les absoudre*? Il a déjà été
répondu à la fougueuse apostrophe du docteur Africain que Tra-
jan en interdisant les poursuites d'offlice, ne préjugeait en aucune
façon l'innocence des chrétiens, mais indiquait simplement qu'il
1. Cette ignorance de Pline a fait penser à M. Aube qu'il n'y avait pas
eu de persécution sous Domitien, mais la conclusion ne me paraît pas
rigoureuse. Les exécutions ont pu être faites par les iriumviri capitales
sans que la haute société s'occupât de ces criminels obscurs. M. Bois-
sier au contraire {Revue archéologique, février 1876), admet qu'il existait
déjà des édits rendus contre Je christianisme, et que Pline sollicite de
l'empereur une interprétation de ces édits qu'il connaissait, mais dont
le texte lui aurait paru obscur et vague. M.iis alors il est singulier que
Pline, et surtout l'empereur dans sa réponse, ne fassent aucune allu-
sion à de pareils édits. On a récemment élevé des doutes sur l'authenti-
cité de la lettre de Pline. M. Aube, après avoir développé les raisons
qui pourraient, à première vue, la rendre suspecte, se prononce néan-
moins pour Tauthenticité. M. G. Boissier a soutenu la môme thèse, par
des raisons très-judicieusement développées et très convaincantes, à
ce qu'il me semble. Toutefois il reste des points difficiles à expliquer
dans cette lettre et surtout dans la réponse de Trajan.
2. sententiam necessitate confusam! negat inquirendos ut inno-
centes; et mandat puniendos, ut nocentes... Si damnas, cur non et
inquiris? si non inquiris, cur non etabsolvis? Apol.^ 2.
— 209 —
ne les considérait pas, à priori, comme des ennemis publics ;
cette opinion, émanée de si haut, devait nécessairement mettre
un frein aux accusations privées et inspirer une certaine cir-
conspection au gouverneur devant qui elles seraient portées.
L'obligation imposée à Taccusateur de signer sa dénonciation et
de se porter partie, en courant le risque des peines édictées contre
les calomniateurs, devait aussi prévenir beaucoup de procès et
mettre obstacle aux vengeances poursuivies sous le manteau de
la loi par des inimitiés particulières. Ainsi le rescrit que nous
avons sous les yeux est plutôt favorable que répressif. Mais, en
outre, je ne pense pas qu'il nous livre la pensée de Trajan tout
entière, et je suis porté à croire que le court billet qui forme au-
jourd'hui la réponse à la consultation si minutieusement détaillée
de Pline* n'est que l'extrait d'une lettre plus longue ou de plusieurs
lettres émanées de la chancellerie impériale^. Cette réponse est en
effet insuffisante et dans les cinq ou six lignes qui la constituent,
on se heurte à une contradiction manifeste. Elle est insuffisante,
car Trajan ne répond pas à toutes les questions posées par Pline ;
il ne dit pas si l'enfant sera puni comme l'homme fait, ni de quelle
peine l'un et l'autre seront frappés. Il n'explique pas, et c'est là
le point important, qui embarrassait Pline, si le nom seul de chré-
tien est un crime ou si l'on doit poursuivre uniquement les crimes
que le Christianisme comportait, aux yeux de la loi romaine. Dans
toute la correspondance de l'empereur et de son agent, il n'y a pas
d'exemple, même sur les sujets les moins graves, d'une réponse
aussi sonunaire, aussi incomplète et aussi vague. Quant à la contra-
diction, comment concilier : « Neque enim in universum aliquid,
« quod quasi certam formam habeat, constitui potest» avec ce qui
suit immédiatement : « Conquirendi non sunt : si deferantur et
1. Peut-être avons-nous perdu aussi une lettre de Pline sur cette
affaire. Tertullien {Apol.j 2) rapporte que quelques chrétiens de Bithynie,
poursuivis par le gouverneur, ont été déchus de leur rang (quibusdam
gradu pulsis]. Ce fait ne se retrouve pas dans ia lettre que nous possé-
dons et il nous semble difficile que le timoré Pline ait pris une pareille
mesure sans en référer à Tempereur. Mais peut-être aussi, comme l'a
supposé M. Leblant {CompUs-rèndyA^ Acad.desInscr,y\SQ6, p. 365), Tertul-
lien a-t-il c prêté à des temps plus anciens ce qu'il voyait s'accomplir
sous ses yeux. »
2. Le début: Actum quem debuisti.., secutus es est bizarre. De plus Trajan
appelle ici Pline miSecunde; c'est la seule fois. Dans les autres lettres
on lit: mi Secunde carissime ou Seeunde earUsimê. Cette omission de
carisslme s'expliquerait facilement en supposant un remaniement ou une
réduction du document original.
DR LÀ BKRGR ^4
— 240 —
arguantur puniendi sunt. » Mais, en yérité, peut-on imaginer ou
fonnuler un principe plus général que celui-ci : l'aveu du Christia-
nisme entraîne la condamnation? Quoi de plus simple que la pro-
cédure qui ne consiste qu'à poser la question : êtes-vous chrétien?
Quel délit mieux caractérisé que celui qui ne repose que sur un
aveu au devant duquel couraient la plupart des accusés? Je conviens
qu'à lire Justin, Athénagore et TertuUien, il semble que les chré-
tiens ont été souvent punis sans qu'on eût à leur reprocher aucune
infraction à la loi ; mais il s'agit de savoir si ces condamnations
étaient conformes aux instructions des empereurs, ou au con-
traire prononcées malgré ces instructions par des gouverneurs
timides et accessibles aux suggestions de la populace. La seconde
opinion me parait seule exacte. En soutenant que, pendant le
deuxième siècle les vexations ne sont jamais venues des empereurs
mais du peuple, et que, si le Christianisme a pu durer et grandir
en dépit de la malveillance des populations, c'est grâce aux res-
crits impériaux qui mettaient fin à l'arbitraire et aux dangers
dont la fureur populaire menaçait les partisans de la religion
nouvelle, on n'avance qu'un £siit basé sur les documents que Jus-
tin et Eusèbe nous ont transmis ^ Hadrien, Antonin, Marc Aurèle
ont déclaré que les chrétiens ne devaient être poursuivis que
quand ils étaient accusés d'infractions aux lois existantes, et ce
n'est pas une grande témérité de supposer que tel était le sens du
rescrit de Trajan. La marche que l'empereur indiquait à Pline
nous paraît donc celle-ci. Aucune recherche instituée d'office
contre les chrétiens. Toute dénonciation anonvme écartée. A la
suite de dénonciations signées et articulant des faits délictueux,
comparution des accusés devant le gouverneur, qui les invite à
adorer les Dieux de l'empire. S'ils y consentent, il n'est plus donné
1. Voir les rescrits rapportés par Justin à la fin de la l'* apologie et par
Eusôbe, HUU EccL, IV, 9 et iV, 13. Le premier est d^fladrien. Rufin, dans
sa traduction latine d*Eu8èbe, paraît avoir copié Toriginai. Le deuxième
adressé par Antonin le Pieux au Koiv^ 'A(r(ac ne parait pas authentique,
mais on lit dans Tapologie adressée par Méliton à Marc-Aurèle (Buseb.,
IV, 26) : 6 8è icax^p oou — xaXç icoXéiri icepi toû |iv)8ivve(OTCp(2;etv9rKpl •9i\uiiv lYpa<|/ev.
Dans les colonies, la police et la liturgie du culte public appartenaient
aux décurions. V. Lex GeneUva LXIV. Giraud, Nouveaux bronjtes d^Osuna,
p. 24. La protection des chrétiens par Marc-Aurèle est attestée dansTertul-
lien [Àpol.^ 5). M. Aube, toutefois, doute de Tauthenticité du rescrit
d'Hadrien {HisUHre des PersécutUrnSy p. 273). Il fait valoir, outre plusieurs
raisons tirées du texte lui-même, le silence gardé par TertuUien dans
son Apologétique sur ce document favorable aux chrétiens, et ce silence
est, en effet, difficilement explicable.
— 244 -
suite à l'affaire*. S'ils refusent, le gouverneur commence son en-
quête sur les faits avancés par l'accusateur, et s'il les trouve
exacts, punit les coupables dans la mesure que comportent leur
âge, la nature des délits et les circonstances au milieu desquelles
ils ont été commis ^.
Mais en quoi consistaient ces délits? De quels crimes les chré-
tiens étaient-ils coupables. M. Edm. LebJant a complètement
élucidé la question dans un savant mémoire^. Au témoignage de
Lactance, c'est dans le VIP livre du traité d'Ulpien de officio
proconsulis que les gouverneurs trouvaient les armes redou-
tables dont ils jfrappaient l'Eglise*. De nombreux passages de ce
VIP livre sont conservés et ont passé dans le Digeste, car à partir
de la paix de l'Eglise, ces textes que Lactance nonune encore
impia jura devinrent, sans aucun changement, des lois toutes
faites contre le paganisme et l'hérésie. En les rapprochant des
sentences de Paul, et en relevant dans les Actes des Martyrs les
accusations portées contre les confesseurs de la foi et les
peines qu'ils ont subies, la comparaison des données ainsi
recueillies permet de fixer les bases des poursuites dirigées
contre les chrétiens pendant les trois premiers siècles. On voit
qu'ils encouraient plusieurs accusations : celles de lèse-majesté, de
sacrilège, d'association illicite, de magie, de recel de livres dé-
fendus, d'introduction d'un culte étranger, tous crimes sévèrement
punis.
Or en nous reportant à l'époque de Trajan, nous trouvonsd'abord
que la littérature chrétienne était encore trop peu développée pour
que les fidèles eussent entre les mains beaucoup de livres; ils
pouvaient mettre bien facilement à l'abri ceux qu'ils possédaient,
et échapper ainsi à l'une des incriminations de leurs adversaires.
1. On savait en effet, par le bruit public, que les chrétiens ne recon-
naissaient pas les mêmes dieux que les paKens et par conséquent le
refus d'adorer les dieux de Tempire constituait une préemption de
christianisme.
2. C'est encore une question fort controversée de savoir si la profes-
sion de cbristianisme constituait & elle seule un crime au second siècle
de notre ère (V. Boissier, 1. c). Mais M. Kdm. Leblant me paraît avoir
très-bien montré dans le Mémoire dont nous allons utiliser les
conclusions, que les poursuites exercées contre les chrétiens se justi-
fient au point de vue légal romain, sans recourir à une procédure ou &
une pénalité extraordinaires.
3. Sur les bases juridiques des poursuites dirigées contre les martyrs.
Comptes-rendus de l'Académie des Inscriplions, 1866, pp. 358-373.
4. Divin. In$t.,\, 11.
— 242 —
Nous savons que Trajan refusa d'accueillir les accusations de
lèse-majesté ^. Le sacrilège ne consistait point alors dans Tomi»-
sion ou la violation de la loi divine *, mais seulement dans le vol
d'objets consacrés au culte, ou le pillage des édifices religieux. Ce
dernier fait, seul, a pu être relevé à la charge de quelques chré-
tiens, et cela à une époque postérieure à celle que nous étudions.
Les actes semblables à celui qu'un zèle ardent inspira à Polyeucte
ne se rencontrent pas dans l'histoire primitive de l'Eglise et, à
cause de cela même, étaient interdits aux fidèles ^. Restent les
faits d'association illicite et de magie. Les gouvernements s'in-
quiétaient surtout du premier, tandis que les bruits de magie et
maléfices effrayaient les peuples. On voit précisément que les in-
formations de Pline s'étaient portées sur ces deux points *.
C'étaient là deux inculpations redoutables, châtiées avec une
rigueur qui nous révolte*; mais qui pourrait reprocher à Trajan
1. H. Aubô {Histoire des PersécutUmSy p. 424) a fait remarquer avec raison
qu'au II* siècle le crime de lèse-majesté s'appelait impfotos (Pline, Pon^^.,
33; Suét., DomU,, tO). Cette observation est importante pour l'histoire des
premières persécutious chrétiennes.
2. Cic, de legià., 11, 16. Quintii., InsUL Oral., VII, 3, 21. Dig., XLVIII,
13, 9. Paul, Sent. Rec., V, 19. Tertuil., ad Scapul.y t. Comme Ta remarqué
H. Aube (l. 1. p. 191), la constitution de 380 : c qui divinae legis sancti-
tatem autnesciendo omittuot aut negligendo violant et offendunt,8acri-
legium committunt i émane d'un prince chrétien et a été édictée pour
la défense de la religion chrétienne. Bile ne saurait donc être mise à la
charge du paganisme et servir à expliquer les poursuites dirigées contre
les chrétiens.
3. Concil. lliberitanum, c. LX (Labbe, Coneil., J, p. 987 et 1222).
4. La question relative aux associations revient si souvent dans la
correspondance de Pline avec Tragan {Ep., 34, 93, 11} que le gouverneur
en était nécessairement préoccupé, et il est & croire que c'est de ce
côté qu'il envisagea la question chrétienne. — II se formait continuel-
lement des associations non autorisées, et dés qu'il s'agissait de rétablir
l'ordre dans quelque partie du monde romain, on commençait par les
dissoudre. C'est ce qui arriva à Pompéi en 812^59 après le tumulte qui
s'était élevé entre les habitants de cette ville et ceux de Nuceria (Tacit,
Ann., XIV, 17).
5. Le crime d'association illicite était assimilé à celui de lèse-m£uestô
(Uig., XLVUI, 4, 1, i 1) et puni de la décollation si les coupables apparte-
naient aux premiers rangs de la société; ceux de condition inférieure
étaient exposés aux bètes ou brûlés vifs (Paul., Sent. Rec., V, 29, 1). Les
accusés étaient tous soumis à la torture, sans qu'on eût égard à leur
rang. Les coupables de magie étaient brûlés vifs; leurs complices
exposés aux botes ou mis en croix (Paul., Sent., V, 23, 17). L'introduc-
tion d'un culte étranger était punie de la déportation pour les honestioreg,
de la mort pour les humiliores (PauL, Sen^, V, 21,2).
— 243 —
de n'avoir pas dominé entièrement les préjugés de son époque ?
Aujourd'hui encore, en tout pays, on poursuivrait une association
qui propagerait certaines idées émises par Tertullien*. La liberté
des cultes est fort récente*, et on brûlait encore chez nous les
sorciers au siècle dernier '. Ne nous montrons donc pas si sévères
pour la législation romaine du deuxième siècle, et reconnaissons
que Trajan porta une grande modération dans l'exercice de son
pouvoir. C'est, nous le répétons, ce qu'ont reconnu les chrétiens
d'alors, en ne le plaçant pas parmi leurs persécuteurs, et en de-
mandant mainte fois l'application de rescrits semblables à celui
qui fut envoyé au gouverneur de Bithynie^
Assurément, ces préventions de magie et d'association illicite,
constituent pour l'Eglise des conditions défavorables. Puis les
chrétiens commencent à être connus des gouverneurs et des juges.
Longtemps confondus avecles Juifs, les chrétiens, méprisés comme
eux, avaient du moins partagé leurs privilèges, et ils n'en étaient
distingués aujourd'hui qu'aux dépens de leur première liberté.
Mais malgré ces entraves, il y avait encore moyen de se réunir et
de propager la foi. Sous le règne de Trajan qui aimait peu les
associations, rien n'empêcha les chrétiens de s'assembler dans
quelques cimetières, autour des tombeaux des apôtres et des pre-
miers fidèles, sous la protection même de la loi*. Car le législateur
romain avait consacré, d'une manière absolue, la religion des
tombeaux et n'admettait ni exception ni distinction de personnes
en ce qui concernait leur inviolabilité. Le sol où un mort était
inhumé, l'espace occupé par le monument funéraire, et même le
terrain, ordinairement planté d'arbres,qui entourait ce monument
étaient sacrés par le fait seul de leur destination ®. Celui à qui
appartenait le terrain, et qui en avait fait choix pour sa sépul-
ture, y laissait ensevelir qui il voulaif. Lesrepasftmèbres faisaient
1. De caronaj c. xi.
2. Une déclaration de Louis XIV du 1«' juillet 1686 punit de mort ceux
qui seront surpris faisant des exercices de religion autre que la religion
catholique (Isambert, Anciennes Lois françaises, XX, p. 5).
3. Sorcier brûlé en 1718 par arrêt du Parlement de Bordeaux (Adaury,
Magie et Astrologie, etc., p. 2^2).
4. Tertullien, ad ScaptUam, 4, montre que ces rescrits protégeaient les
chrétiens à certains égards.
5. Voir de Rossi, Bullet. tJPArch. christ,, avril et août 1864, décembre
1865.
6. Cet espace s'appelait area. D'où le cri des païens : areae eorum non
sint (Tertull., ad SeajmL, 3). Cf. dans les Acta purgationis Gaeciliani :
Area ubi orationes faeiiis (S. Optati opéra, p. 170].
7. Religiosum locum unusquisque sua voluntate facit, dum mortuum
aussi partie de la religion des tombeaux, et personne ne pou-
vait mettre obstacle aux dispositions prises par le testateur, en
vue de leurs règlements. On s'explique ainsi conament, dès les
deux premiers siècles, les chrétiens eurent leurs sépultures spé-
ciales, soit par acquisition personnelle, soit par la générosité de
quelque riche personnage ayant embrassé la foi nouvelle et don-
nant asile à ses frères dans la vaste enceinte de sa dernière de-
meure, et l'on comprend qu'ils purent, sans être inquiétés, se réunir
autour des tombes de leurs confesseurs tant pour les agapes que
pour la célébration des mystères.
L'antiquité connaissait les associations de secours mutuels,
alimentées à la fois par la générosité de riches patrons et par la
cotisation mensuelle de leurs membres. Au temps de Tertullien,
les chrétiens formaient un de ces collegia tenuiorum qui pos-
sédait une caisse et une organisation propre, et peut-être un
édifice destiné à ses réunions : l'association n'était nullement
clandestine, car Tertullien en parle avec détails *. Marcien atteste
que Septime Sévère étendit aux habitants de l'Italie et des pro-
vinces la faculté que possédaient déjà les Romains de former des
associations de ce genre '. Mais rien ne nous apprend s'il en exis-
tait à Rome au temps de Trajan, et par conséquent nous ne pou-
vons rien tirer du fait cité par Marcien au sujet de la situation du
Christianisme au commencement du second siècle. Si les collegia
tenuiorum existaient déjà dans la capitale, Trajan, malgré sa
répugnance, dut les respecter comme celui d'Amisus^, mais s'ils
n'étaient pas constitués à son avènement, il est douteux qu'il les
ait autorisés*. En somme, l'histoire de la communauté romaine,
infert in locum suum. Dig., I, 8, 6, i 4. Cf. Gaius, Comment. Inst,, II, 6.
1. Tertullien énumère les divers emplois de la somme constituée par
la stipes menstrm : £genis alendis humandisque, et pueris ac pueliis re
ac parentibus destitutîs, jamque domesticis senibus, item naufragis; et
si qui in metallis, et si qui in insulis vei in custodiis, duntaxat ex causa
Dei sectae, alumni confessionis suae fiunt {Apol., c. 39.)
2. Permittitur tenuioribus stipem menstruam conferre, dum tamen
semel in mense coeant, ne sub praetextu bujus modi illicitum coUegium
coeat. Quod non tantum in Urbe sed et in Italia et in provinciis locum
habere Ûivus quoque Severus rescripsit. — Les collèges des Culiores
Deorum, qui sont en léalité des associations funéraires, commencèrent
sous Nerva (Boissier, Rev. Arch., nouv. série, XXV, p. 84). La loi voulait
que l'argent provenant de la contribution mensuelle ne fût employé
qu'à la sépulture des associés, mais on ne se préoccupait guère de cette
défense.
3. Pline, Ep,, ad Traj,, 93.
4. Ce qui pourrait faire penser que l'association n*était pas encore
— 245 —
dont un demi-siècle auparavant, la foi était déjà renommée par
tout le monde S reste fort obscure au commencement du deu-
xième siècle. Quelques-unes de ses traces, écrites sur la pierre,
se retrouvent dans les cimetières situés aux abords de la capitale,
tels que celui du Vatican, celui de Fia via Domitilla découvert
en ces dernières années, et ceux de Lucine et de Priscille*.
Rome était encore le point le plus occidental qu'eût touché le
Christianisme, car l'histoire positive ne connaît rien des églises
de la Gaule avant la fin du troisième siècle ; alors seulement on
entend aussi parler de celles de l'Afrique, et en Espagne la foi nou-
velle ne laisse pas de traces authentiques avant la fin du troisième
siècle.
Mais en Grèce, en Asie, en Syrie, en Egypte, les chrétiens
trouvaient sans doute plus de facilités pour se réunir et entendre
la prédication de l'Evangile, en raison de la liberté de par-
ler et de s'assembler consacrée dans ces pays par un long
usage et, jusqu'à Trajan, tolérée par le gouvernement central'.
C'est donc en Orient que sous Trajan s'élevait le foyer le plus
actif et le plus brillant du Christianisme; en revanche il y
courait, au contact du judaïsme et de l'hérésie, un double
danger. Pendant le siège de Jérusalem, les fidèles de l'église
établie dans la ville sainte avaient dû s'enfuir et se retirer à
Pella, au delà du Jourdain. Isolés des autres communautés chré-
tiennes et rapprochés des Esséniens, ils ne tardèrent pas à oublier
formée au temps de Trajan, c'est que le cimetière appartenant au col-
lège des chrétiens, cimetière auquel Galliste fut préposé sous le ponti-
ficat de Zéphirin et qui fut consacré aux sépultures des papes juBqu*à
la paix de l'Église, ne semble pas avoir été ouvert avant le ni* siècle.
1. Ad RofU.f I. 8.
2. Les deux inscriptions chrétiennes datées des années 107 et 110 ont
été trouvées dans le cimetière de Lucine (Rossi, Inscr. Christ. Antiq.,
n** 1 et 3). L'architecture des cimetières du Vatican, de Lucine, de Pro-
cessus et Hartinus, de sainte Agnès, de Plavia Domitilla indique, aussi
bien que le style des peintures qui les décorent et les noms des person-
nages qui y furent inhumés, un âge très-voisin des temps apostoliques
(Bossi, Borna Sott, I, 164-194).
Les premiers évèques de Rome furent enterrés dans le cimetière du
Vatican (Rossi, ibid., 198). Une salle souterraine, décorée de peintures et
de stucs qui peuvent remonter au second siècle, et qui forme l'étage
inférieur de la basilique de Saint-Clément, a peut-être servi à la célé-
bration du culte chrétien. On rappelle Oratoire de Saint-Glément {Beo.
Arch,, nouv. série, XXIV, 1872, août).
3. A Euménie de Phrygie, le collège des chrétiens s'appelait xoivèv tôôv
àfteXçûv. Corp. Inser. Gr., IV, 9266.
— 246 —
les enseignements du Sauveur, etils se rattachèrent étroitement aux
pratiques de la loi mosaïque, dont ils ne s'étaient jamais affranchis
complètement. Telle fut l'origine de la secte des Ebionites, qui
tout en regardant Jésus comme le Messie, refusait d'admettre sa
divinité*. D'autre part, chaque église d'Asie s'était vue, à peine
fondée, assaillie et circonvenue par le gnosticisme. Sans doute la
phase brillante de cette théosophie est postérieure au règne de
Trajan, puisque c'est de 120 à 140 que Saturnin et Basilides pro-
fessèrent leur doctrine et formèrent les disciples dont la réputation
devait un joureffacerceUedes maîtres. Al'époque où noussommes,
les grandes lignes du gnosticisme n'étaient pas encore arrêtées ;
les questions sont cependant déjà posées et agitées par des esprits
hardis, Cérinthe, Dosithée, Ménandre, qui exercent une séduction
dangereuse sur des âmes encore mal affermies dans lafoi nouvelle.
Le quatrième évangile est à la fois un avertissement et un préser-
vatif contre les tendances de ces docteurs, et les lettres d'Ignace
marquent une continuation du même effort pour soutenir les dé-
faillances et maintenir l'intégrité de la croyance chrétienne*.
A la même époque, suivant Origène et Epiphane, commencèrent
à se montrer les Elxaïtes^. Par eux se consomma l'union des gnos-
tiques avec les communautés chrétiennes encore engagées dans le
judaïsme et déjà en lutte avec l'église apostolique. Leurs ten-
dances dissidentes, fortifiées par le secours inattendu de la philo-
sophie orientale, se prononcèrent nettement et caractérisèrent des
sectes désormais bien déterminées. Mais les hérésies alors domi-
nantes et contre lesquelles Ignace multiplie ses avertissements,
sont celle des Ebionites dont nous avons dit quelques mots, et
celle des Docètes, qui ne reconnaissaient dans la personne du
Sauveur que la nature divine, et, pour sauvegarder le principe
de l'immatérialité de Dieu, expliquaient par la supposition d'un
corps apparent les faits de l'incarnation et de la mort de Jésus-
Christ. Contre les premiers, l'évêque d' Antioche défend la divinité
du Christ ^ et contre les seconds, son humanité ^ Les difficultés
i. Bpiphan., Haeres,, XXX.
2. Suivant saint Jérôme (ÇaUUog, Scripior. eceles., c. 9) ce fut à la demande
des évoques d'Asie que l'apôtre Jean composa son évangile, et Irënêe
m, il) dit que le commencement de cet évangile est une réfutation de
Cérinthe.
3. Bpipb., Haeres,, XIX, 1 et 6. Philosaphutnena, IX, 13-15, X, 20. Busébe,
Hist, EceL, VI, 3S, place l'apparition de cette secte non pas sous Trajan,
mais un peu avant Trajan Dèce.
4. Àd Maçn.y 7-8; ad Philadelph., 6-9.
5. AdSmym., 1-5; ad Trall., 6-10. Le milléDarisme, qui certainement
— 247 —
relatives à rincarnation sont ainsi touchées dans les cinq lettres
qu'Ignace adresse aux églises d'Ephèse, de Magnésie, de Tralles,
de Philadelphie et de Smyrne, et dans celle qu'il écrivit à Poly-
carpe. Elles se rattachent directement, par le fond du sujet comme
par la langue, aux épîtres johanniques, et nous offrent, au milieu
du tableau animé de la vie chrétienne en Asie, un sommaire des
questions qui s'agitaient autour de l'Eglise et dans son sein, et
des moyens que les successeurs des apôtres employaient pour pré-
server leur troupeau de l'erreur et pour réduire leurs adversaires.
Ignace procède plutôt par exhortations et par conseils que par ré-
futation en forme, et le ton de ses épîtres, bien qu'impératif,
reste constamment affectueux. On sait que des objections ont été
élevées autrefois contre l'authenticité de ces lettres en raison
même de la polémique qui y est contenue et qui, pensait-on, ne
pouvait avoir eu lieu au commencement du second siècle puisque
le gnosticisme était né au milieu de ce même siècle. Mais cette
critique, dont l'effet devait être de faire descendre également dans
la moitié du deuxième siècle la composition de tous les écrits du
Nouveau-Testament où la présence du gnosticisme se feit sentir,
est abandonnée depuis que l'histoire des hérésies est mieux connue.
La précision même qui caractérise les doctrines de Valentin et de
Marcion suppose une longue série d'efforts antérieurs, une pé-
riode initiale et nécessairement obscure, d'élaboration et de dis-
cussions préparatoires. Les Philosophumena nous ont appris,
d'ailleurs, que les systèmes des premiers gnostiques étaient plus
riches et mieux dMnis qu'on ne l'avait d'abord soupçonné*.
Enfin une étude patiemment poursuivie de ces systèmes a
montré que la philosophie grecque, qui eut plus tard une action
considérable sur leurs développements, fut étrangère à leur début
et qu'ils ont pris naissance au milieu des idées esséniennes *. On
comprend donc très-bien comment les idées gnostiques étaient
déjà, au premier siècle, en possession d'une autorité assez grande
pour troubler l'enseignement chrétien.
En £ace du nombre croissant des hérésies, de la propagande
active de leurs docteurs et du prestige que quelques personnalités
comptait déjà des partisans, puisque Papias est cité comme en étant
pénétré, ne comptait cependant pas autant d'adeptes à ce moment qu'il
en eut plus tard; il ne semblait pas alors bien dangereux puisque Ignace
n*y fait aucune allusion dans ses lettres.
t. Philosophum., VI, 18. Cf. Ignace, adMagn.yS, rapprochement indiqué
par Freppel, Pères aposioUques, p. 346.
2. Michel Nicolas, Rev. germaniÇM, III, 468.
— 248 —
remuantes et hardies revêtaient aux yeux de populations extrê-
mement mobiles, dociles à tous les entraînements de l'esprit,
avides de nouveautés et de discussions philosophiques, la paix et
l'avenir de la communauté chrétienne étaient menacés, et chaque
jour les problèmes de théologie venaient se mêler plus bruyam-
ment aux œuvres de charité et à la prière. Il devenait donc utile
d'apporter quelques changements à l'organisation de la primitive
Église, et, avant tout, de s'entendre sur l'autorité dont les déci-
sions feraient loi sur les points débattus. La doctrine du Sau-
veur et les récits de sa vie n'étaient consignés que depuis peu de
temps dans des livres à peine répandus parmi les fidèles, car
l'enseignement de la vérité chrétienne s'était fait exclusivement
à l'origine par la prédication, par les communications orales *■ et
plus tard par les épîtres des apôtres. Maintenant que les apôtres
étaient morts, que les derniers contemporains du Christ dispa-
raissaient, que le nombre de ceux qui pouvaient se dire garants
de la vérité diminuait de jour en jour, les chefis des églises se
demandaient avec anxiété comment ils assureraient la transmis-
sion fidèle de l'héritage sacré, qui mettrait fin aux contestations
inépuisables journellement suscitées par le vague et la flexibilité
des doctrines, qui jugerait l'authenticité d'épîtres ou d'évangiles
qui circulaient sous des noms révérés? Dans ces conjonctures
périlleuses, et sous la pression d'une nécessité vivement sentie,
les églises d'Asie Mineure et de Syrie se donnèrent une constitu-
tion plus solide que cela n'avait paru nécessaire au temps des
apôtres, organisèrent leur hiérarchie avec plus de précision et
attribuèrent à l'un des anciens la puissance de juger en dernier
ressort les questions de doctrine et celles de discipline intérieure.
Ainsi se dégagea, grandit et se développa le pouvoir supérieur et
spécial des évoques, pour l'établissement duquel Ignace, chef de
l'églised'Antioche, déploya un zèle persévérant. Ici se présente de
nouveau la question, toujours débattue*, de Tauthenticitédes lettres
d'Ignace. On a renoncé, comme nous l'avons dit, à invoquer
contre cette authenticité la polémique antignostique dont ces
lettres sont pleines, mais l'on fait plutôt valoir, pour ébranler
leur autorité^, le silence que les pères contemporains d'Ignace,
1. Irën., III, 2. Non enim per litteras traditam eam (veritatem), sed
per vivam vocem.
2. On a tiré moins de parti qu*on ne l'espérait des fragments de la
traduction syriaque publiée par Cureton. Sur l'état actuel de la ques-
tion, voir B. Renan, Journal des Savants, janvier 1874.
3. On ne conteste plus l'authenticité de la lettre d'Ignace aux Romains.
— 249 —
ou immédiatement postérieurs, ont gardé à leur égard : ils ne
paraissent pas les avoir connues. Il y a sans doute un intérêt de
premier ordre à savoir si cette correspondance assez considérable
doit, ou non, prendre place au nombre des monuments de la
littérature chrétienne primitive, mais la controverse est sans
importance au point de vue de l'histoire générale de l'église,
car on peut déterminer, indépendamment de toute opinion sur
Tauthenticité des lettres ignatiennes, les grands faits de cette his-
toire à répoque dont nous nous occupons, et en particulier la
date à laquelle fut constituée la hiérarchie ecclésiastique. En effet,
si l'authenticité est admise, il faut reconnaître aussi que la viva-
cité et surtout la fréquence des recommandations d'Ignace pour
assurer la prépondérance de l'évêque ne se concevraient pas si
cette prépondérance eût été, au moment où il écrivait, aussi
solidement établie qu'elle le fut par la suite : le ton et la forme de
ses conseils indiqueraient plutôt qu'elle naissait à ce moment
même, au milieu de véhémentes contestations. D'un autre côté,
ceux qui refusent à ces lettres toute autorité doivent pourtant
admettre que le faussaire, en les attribuant à Ignace plutôt qu'à
tel autre de ses contemporains aussi célèbre. Clément, Polycarpe
ou Papias, suivait une tradition conservée en Orient, et d'après
laquelle le chef de la communauté d'Ântioche aurait fait, pour
la constitution de l'épiscopat, des efforts actifs, demeurés de
notoriété publique. En tout état de cause, on se retrouve en
présence du célèbre passage de saint Jérôme, que nous citons en
note, et duquel il ressort que l'évêque reçut uneautoritésupérieure
à celle des prêtres ou anciens, afin d'opposer aux développements
de l'hérésie un effort plus immédiat et plus direct. Ce changement
date donc du moment où les hérésies se multiplièrent, c'est-à-dire
du commencement du second siècle. Du reste. Clément, dans
sa lettre aux Corinthiens, Polycarpe, dans celle qu'il adresse
aux habitants de Philippi, ne connaissent encore que la hiérar-
chie à deux degrés de l'âge apostolique S et dans la lettre
1. Giem. Rom., ad Corinth,, 42. Polycarp., ad Philipp., 5, Oitota(r(TO(&évou;
TOiç ?rpe(T6vTépoiç xal 6iax6voic d)ç Bzt^ xal Xpt(rrS>. Cf. Ad, Apost, XX, 17.
Timoih., l, 3. Tit, l, 5, 7. Saint Jérôme sur ce passage : Idem est près-
byter qui episcopus : et antequam, diaboii instinctu, studia in reiigione
fièrent, et diceretur in populis : ego sum Pauli, ego Apollô, ego autem
Gephae, communi presbyterorum concilie ecclesiae gubernabantur.
Postquam vero unusquisque eos quos baptizaverat suos putabat esse,
non Gbristî, in toto orbe decretum est ut unus de presbyteris electus
superponeretur ceteris, ad quem omnis Bcclesiae cura pertineret et
scbismatum semina toUerentur.
— 220 —
d'Ignace aux chrétiens de Rome, il n'est pas question du pou-
voir supérieur de leur évêque : sa personne n'est même point
mentionnée, ce qui conduit aussi à penser que les églises
d'Europe n'avaient pas encore senti la nécessité de chan-
ger leur constitution ^
En effet les questions périUeuses posées en Orient n'étaient
même pas soupçonnées sur les bords du Tibre. N'ayant à craindre
le contact d'aucune hérésie, l'église de Rome trayaiUait, sans
disputes, à changer les cœurs. Les écrits composés, au second
siècle, dans son cercle d'action, montrent déjà, si on les compare
aux lettres d'Ignace, la diversité d'aspects que présentera l'église
dans les deux grandes divisions du monde chrétien. La Lettre
de Clément aux Corinthiens, le Pasteur d'Hermas ne renfer-
ment aucun enseignement dogmatique, aucun avertissement pour
préserver les fidèles des erreurs de doctrine. C'est à l'homme
intérieur que s'adressent les auteurs de ces écrits qui jouirent,
dès leur apparition, d'une grande faveur et prirent une autorité
considérable. Ils ne parlent que de notre fragilité et de notre
faiblesse, nous montrent dans l'humilité, la charité, la repen-
tance, les seuls moyens que nous possédions d'atteindre le salut
promis aux efforts et à l'espérance du chrétien. Le ton en est
persuasif et affectueux. Hermas raconte ses propres égarements
pour faire servir au bien d'autrui l'exemple de ses fautes : Clément
s'associe à ceux auxquels il écrit et prend sa part des conseils
qu'il leur donne. L'étendue de sa lettre, l'ordonnance et le déve-
loppement des preuves, la grave simplicité du style, aussi propre
à convaincre qu'à émouvoir, annoncent l'esprit pratique et
disciplinaire qui caractérisera les pères de l'église latine. Par
des dSbrts obscurs, silencieux, mais ininterrompus, cette église
avait déjà jeté les bases de sa puissance, et pendant que les
chrétiens d'Orient se disputaient sur les dogmes, elle avait gagné
au Christ des serviteurs jusque dans le palais des Césars.
1. Les difficultés relatives aux pontificats de Lin, de Glet, d'Anaclet et
de Clément, demeurées jusqu'ici insolubles, disparaîtraient du moment
où plusieurs de ces saints ont pu être simultanément évoques à Rome.
CHAPITRE XVI.
LES LETTRSS^
Une appréciation complète des manifestations de l'esprit humain
sous le règne de Trajan est étrangère au plan de cet Essai et
dépasserait les limites de ma compétence. C*est un chapitre de
rhistoire littéraire qu'on ne saurait isoler sans lui faire perdre
la plus grande partie de son intérêt. Les auteurs de cette époque
ont été d'ailleurs soumis plus d'une fois à un examen scientifique
approfondi ' et ont servi d'objet à des critiques pleines de finesse
qu'il me serait impossible de surpasser et qu'il est inutile de
reproduire. Je me bornerai donc à de rapides indications propres
à faire sentir comment le caractère des lettres, des sciences et
des arts à cette époque se rattache à l'état, esquissé plus haut,
des institutions et des mœurs.
Au commencement du second siècle, les deux littératures qui
servent d'expression à la pensée du monde civilisé présentent un
frappant contraste. Celle des Grecs est vivante et riche : dans
tous les genres, elle est représentée par des œuvres qu'on ne peut
assurément placer au premier rang, mais qui offrent encore un
sérieux intérêt à l'étude et qui témoignent d'une grande activité
et d'une émulation singulière dans le domaine entier de nos
connaissances. Celle de Rome, à la même époque, est artificielle
et mesquine, et porte les signes d'une irrémédiable et prochaine
t. La dissertation de J. G. Uuiiemao, de Litterarum praesertim lati-
narum apud Romanos studii Nerva Trajano imperatore n'ofihre que des
aperçus sommaires et ne donne pas tout ce que le titre fait espérer.
2. V. p. ex. Bernliardy, Grwndriss der Rœmischen Liiteraiwr,
— 222 —
décadence. Elle est, en effet, bien voisine de sa fin, puisqu'après
Trajan on ne compte guère comme écrivains, à peu près dignes
de ce nom, que Fronton et Apulée. Le contraste s'explique aisé-
ment : la littérature grecque s'adresse à un peuple entier au sein
duquel elle puise sa substance et sa force, et dont elle exprime
les sentiments collectifs, tandis que Tautre n'est plus que l'œuvre
de beaux esprits et le passe-temps de quelques oisifs.
Le monde hellénique conservait presque tous les traits de sa
physionomie primitive, moins saiDants sans doute et moins
caractérisés qu'à la belle époque de son histoire, mais très-
reconnaissables encore. Ce fut une bonne fortune pour la Grèce
d'être arrachée par Rome au joug macédonien avant que les
successeurs d'Alexandre n'eussent fait disparaître sous le niveau
de leur lourd despotisme l'originale variété de ses mœurs, de ses
institutions et de ses souvenirs. Chaque ville, rendue libre aux
termes du fameux décret de Flaminius, put reprendre sa marche
dans la voie d'une tradition non encore effacée et se rattacher à
son passé d'une manière étroite. Le don octroyé par les Romains
à leurs nouveaux sujets ne me parait donc pas si insignifiant
qu'on le dit communément, et la joie manifestée par les Grecs
n'était pas sans motifs. La vie politique n'eut plus et ne pouvait
plus avoir la même intensité qu'au temps de Périclès ou de
Démosthènes, et les intérêts n'ayant plus la même importance, le
jeu des institutions devint, en quelque façon, moins dramatique :
mais aucun élément de cet admirable organisme respecté par les
Romains n'avait péri, et dans ses manifestations plus calmes il
gardait son harmonieux caractère. On ne discutait plus sur
l'Agora la paix ou la guerre, les lois qu'on y proposait n'avaient
pas grande importance, et la comptabilité dont le peuple y
prenait connaissance était réduite à la mesure de sa puissance.
Mais enfin, chaque cité possédant son autonomie et sa vie propre,
il y surgissait fréquemment, à propos de l'élection des magistrats
et de l'administration de la fortune publique, des questions qui,
après tout, ne se tranchaient que par le vote des citoyens assem-
blés, et autour desquelles se soulevaient et grondaient les passions
d'un peuple mobUe : comme autrefois, la foule tumultueuse
entourait, interrompait, menaçait l'orateur qui devait faire appel
à toutes les ressources de son art et souvent à son courage
personnel et à son sang-fix^id pour la convaincre et pour la
calmer*. Les relations d'Etat à Etat étaient restées les mêmes,
1. Dion, Diseoursy XL VI.
— 223 —
avec l^urs formes solennelles, et si les guerres entre Grecs
n'étaient plus possibles (ce dont plusieurs se réjouissaient ouver-
tement, et avec raison), on s'envoyait encore des ambassades,
on concluait des traités d'alliance ou d'amitié, on conférait à des
étrangers le droit de cité ou la proxénie, tous motifs à discus-
sions et k déploiements d'éloquence ^ Les habitudes communes k
tous les Hellènes, les goûts qui, leur étant exclusivement propres,
ont constitué par leur ensemble une sorte de nationalité pour
cette race si peu disposée d'ailleurs à former un groupe compact,
ces habitudes et ces goûts ne souffraient sous l'empire aucune
atteinte. Les fêtes religieuses les plus anciennes étaient toujours
célébrées, avec le rituel consacré, dans les temples restés debout,
entourés d'une vénération universelle et enrichis par des dona-
tions incessantes*. Les combats gymnastiques, si chers aux
Grecs, s'étaient multipliés dans toutes les parties du monde où
Alexandre avait fondé des établissements, et ils commençaient à
se répandre dans les provinces romaines*, sans que les quatre
grands jeux de l'âge héroïque eussent rien perdu de leur vogue
et de leur éclat. La gloire de l'athlète vainqueur était aussi
enviée et aussi magnifique que par le passé. Les souvenirs patrio-
tiques qui intéressaient chaque république, ou bien la Grèce
entière, étaient, les uns comme les autres, perpétués par des céré-
monies de l'ancien temps, pieusement maintenues ^ Sur la mon-
naie enfin, signe visible d'une souveraineté locale dont les
Romains n'éprouvaient nul ombrage, chaque petit Etat repro-
duisait avec orgueil les monuments célèbres qui le décoraient,
les divinités qui le protégeaient, les portraits des grands hommes
qu'il avait vus naître. Ainsi, pour un Grec, la patrie était, à
peu de chose près, la même sous Trajan que quatre ou cinq
siècles avant Jésu&-Christ.
Dans de telles conditions, l'orgueil national restait entier, et
comme si rien de nouveau ne s'était passé dans le monde depuis
tant d'années, les Grecs continuaient à ne s'intéresser qu'à leur
histoire et à ne s'occuper que d'eux-mêmes. Ils jetaient à peine
les yeux sur la littérature latine, et ignoraient même ou feignaient
d'ignorer la langue de leurs vainqueurs ^. Trouvant dans leur
1. Bgger, Traités. publics, p. 187. ~ 2. Pausanias, passim.
3. La répugnance de Tesprit romain pour les exercices athlétiques est
exprimée par Sénèque (Epist., 89), Pline (H, N., XXIX, 16), Tacite (Jlnn.,
XIV, 20), JuTénai (111, 68), Silius Italicus (XIV, 136).
4. Bgger, tôid., p. 186.
5. Bgger, Mémoires d^BisMre ancienne, chap. x.
— 224 —
propre pays les satisfactions de Tintelligence et celles du cœur,
ils ne l'abandonnaient pas volontiers ; quand ils quittaient le
bassin de la mer Egée, ce n'était jamais sans esprit de retour.
Ainsi nous voyons Plutarque, bien accueilli à Rome, lié avec les
personnages les plus considérables, rentrer dans sa petite ville de
Chéronée pour s'y marier et y passer la deuxième moitié de sa
vie. Les Hellènes qui se fixaient en Italie étaient en général la
partie la plus misérable et la moins estimée de chaque nation.
Leurs compatriotes les plaignaient si cet exil était forcé, et les
accablaient de leur mépris quand il était volontaire ^. De tout
ceci résultait que les Grecs restaient dans leur pays, que les
grandes familles, les gens aisés y vivaient à côté du peuple
et se mêlaient à lui, et que dès lors la littérature demeura
vraiment et profondément nationale, n'ayant à changer ni de
sujets ni de formes pour être comprise et goûtée du grand public.
Les genres secondaires alors cultivés se rattachent, en effet, à
des types consacrés par le temps et par la gloire. Les divertissements
laborieux de la pléiade Alexandrine avaient cessé ; on ne versifiait
plus guère que de petites pièces, qui venaient prendre naturelle-
ment leur place dans cette immense Anthologie dont la formation
remonte au plus ancien âge de la littérature grecque et qui a
marché d'un mouvement parallèle à celui de cette littérature,
se ralentissant et se développant aux mêmes époques, et reflétant
fidèlement les variations de la langue et du goût. C'était bien la
forme de poésie la mieux appropriée aux esprits contemporains
de Trajan' et d'Hadrien, raffinés, instruits et sceptiques, mais en
même temps elle pouvait être universellement goûtée et amuser
toutes les classes de la société grecque, mérite qui manqua
toujours aux poèmes savants et tourmentés d'Apollonius, de
Callimaque, de Lycophron et autres oiseaux de la volière des
Muses ^. Dans la prose, les sophistes d'Athènes, de Laodicée et de
Smyrne, les Hérode, les Polémon, les .Mius Aristide sont les
héritiers directs de ces XoYo5ai8aXoi qui avaient charmé les contem-
porains de Thucydide et dont Platon s'était moqué tout en prenant
t. Voir le traité de Lucien Sur les gens de lettres à la solde des grands,
2. Il y avait en Grèce, au commencement du second siècle, des con-
cours û^épigrammes (Miller, Irucription aganisliqite de Larisse dans les
Mém, de VAcad. des Inser., XXVil, % p. 62), et c'est précisément sous
Trajan que Philippe de Tbessalonique paraît avoir composé son Antho-
logie, peut-être en vue de fournir des modèles à ceux qui voudraient
ahorder les concours de ce genre.
3. Timon, SUl., fragm. 2.
— 225 —
la grâce de leur langage et quelquefois le tour subtil de leur
esprit. Les défauts mêmes de la littérature du second siècle sont
des défauts grecs. Ainsi les tours de force du genre épidictique,
les paradoxes historiques ou philosophiques, si multipliés en ce
temps, ont leurs modèles au berceau même de Tart oratoire et
leurs règles tracées dans les plus anciens enseignements de
l'école *. Mai», remarquons-le, en traitant ces sujets puérils, les
sophistes dont Philostrate a écrit les biographies ne sortent jamais
du domaine grec : c'est dans la mythologie, dans l'histoire des
guerres médiques, dans le répertoire tragique ou comique
d'Athènes, en un mot dans le fonds familier à tous les hommes
de leur race qu'ils puisent leurs inspirations et leurs idées, qu'ils
vont chercher les souvenirs et les images propres à enrichir leur
matière et leur style. Les détails mêmes des voyages de ces
virtuoses de la parole, le cortège de disciples enthousiastes qui
les accompagne en tous lieux, les villes mises en rumeur par
l'annonce de leur arrivée prochaine, l'appareil théâtral au milieu
duquel ils déploient leur éloquence, les défis qu'ils proposent à
tout venant, l'admiration mêlée de discussions qu'ils excitent,
sont des traits qui ne conviennent pas mieux au siècle de Trajan
qu'à celui de Socrate, au bel âge de la philosophie, quand le fils
d'Apollodore venait dès l'aube éveiller son ami pour lui annoncer
d'une voix coupée par l'émotion que Protagoras était dans
Athènes, et le pressait avec tant de zèle et d'ingénuité d'aller,
sans perdre un instant, demander à l'étranger des leçons de haute
sagesse*. On le voit, le goût des choses de l'esprit a gardé, après
un si long intervalle, toute sa vivacité, toute sa fièvre, et il court
aux mêmes objets pour se satisfaire. Mais cette analogie entre
les époques n'est pas le résultat d'une imitation de parti-pris ;
c'est YeSei et le signe d'une activité littéraire paisiblement
prolongée à travers les siècles. Et comme pour prouver que la
force d'invention n'est pas épuisée après ce long parcours, voici
quelques genres nouveaux qui surgissent : une dernière floraison
nous donne le roman d'amour que Dion encadre dans un récit
touchant et simple, puis le roman d'aventures, mêlé à une intrigue
mouvementée et complexe dans les Babylonica de ce Jamblique
que les conquêtes de Trajan amènent dans le monde occidental.
Bientôt le dialogue sera créé et porté à la perfection par Lucien .
t. Âristote, JUteior., I, 9, t. Gh. Benoît, Essai sur les premiers manuels
d'ifwerUkm oratoire, p. 34.
2. Début du Protagoras.
DE LA BKRGE 45
— 226 —
Enfin, l'esprit de liberté qui ennoblit les productions classiques
du génie grec, anime encore celles du temps qui nous occupe ;
les compatriotes de ces malheureux dont Juvénal censure si
amèrement la servilité font entendre k la cour même du prince
des vérités hardies et des paroles généreuses S et opposent la
majesté de la loi et l'idée de la justice au caprice de César et h
son arbitraire si aisément acceptés des Romains.
Tandis que la Grèce restait ainsi fidèle à elle-même, l'Occident
avait été bouleversé. La civilisation italique et romaine avait
disparu pour faire place à la civilisation européenne. D'autres
besoins, d'autres sentiments étaient nés et avaient créé d'autres
mœurs. C'était un peuple absolument nouveau qui couvrait
l'Espagne, la Gaule, la Bretagne, l'Italie et l'Afrique, les
Romains d'alors ne ressemblant pas plus aux contemporains de
Scipion et du vieux Caton que les Espagnols et les Gaulois civi-
lisés du second siècle aux soldats de Yiriathe et de Brennus.
Pour cette nouvelle société, il fallait une nouvelle littérature, et
ceUe-ci ne naquit point, ou du moins avorta. Ici se marque bien
l'infériorité du génie littéraire de Rome vis-à-vis de son génie
politique. Il s'est trouvé, pour défendre et organiser le monde
nouveau, des Trajan et des Papinien ; il n'y eut ni un historien
pour le raconter, ni un poète pour le chanter et le faire vivre
dans le souvenir des hommes, et on chercherait vainement dans
la littérature contemporaine l'expression animée ou le tableau
fidèle d'une société dont l'érudition seule peut reconstituer péni-
blement quelques traits.
Au stoïcisme, pourtant, revient l'honneur d'avoir essayé la ré-
forme littéraire qu'appelait le nouvel état du monde. A une époque
de civilisation avancée et de fusion des peuples, en face de rindifié-
rence qui gagnait toutes les parties du poljrthéisme, on attendait
une littérature plus dégagée des traditions myttiologiques et
nationales, qui manifestât, dans le choix des sujets et dans la
manière de les traiter, des qualités d'universalité plus grandes,
qui fît au monde historique et réel une plus large place. Sénèque
et Lucain comprirent les besoins de leur temps et donnèrent à
leurs écrits ce caractère d'universalité. Lucain, en écartant la
mythologie de son poàme, en n'y faisant intervenir le merveil-
leux que sous la forme toujours acceptable de songes, de pressen-
timents, de superstitions populaires que le poète rapporte sans
les partager, en substituant à la lutte des Dieux le conflit des
1. Oion, DUeawn, l, IV. Detc., LXII.
— 227 —
pâmons humaities et des intérêts politiques, en analysant plus
profondément que ses devanciers le caractère des 'personnages
qu'il met en scène, Lucain innovait dans la voie de la raison et
de l'avenir. Sénèque, dans ses tragédies, avec un mérite littéraire
infiniment moindre, laisse voir des préoccupations analogues et
se tient dans le même ordre d'idées. On ne conçoit donc pas
comment ces deux écrivains, chargés de l'épithète de « poètes de la
décadence », ont été rapprochés de Stace, de Silius Italiens, de
Yalerius Flaccus, et enveloppés dans le même dédain et la même
réprobation, comme s'ils étaient coupables des mêmes fautes.
Leurs vues cependant diffèrent absolument de celles qui dirigeaient
les versificateurs de la péiîode fia vienne. Ceux-ci, sous une
inspiration réactionnaire, imitent Virgile et les classiques et se
rei]îerment à dessein dans les limites anciennes de l'art, tandis
que les premiers se lancent hardiment dans le nouveau et dans
l'inconnu. La diffusion et le style tourmenté de Stace sont le
produit de ses efforts pour couvrir sous un certain édat de
forme la pauvreté irrémédiable du fond, mais l'enflure et la
subtilité des contemporains de Néron trahissent les tâtonne-*
ments inévitables des créateurs qui rompent décidément avec le
passé. Ces derniers défauts pouvaient disparaître comme l'extra-
vagance et le mauvais goût de Hardy et de Mairet, qui ont fait
place k la grandeur naturelle et simple du siècle de Louis XIV.
Mais laissons cette discussion littéraii*e et revenons aux faits.
Quand la tentative stoïcienne eut avorté sous l'action de causes
qui ne me paraissent pas être encore bien définies, et dont la
recherche serait intéressante, la littérature latine prit une direc-
tion qui devait la mener rapidement à la décadence. En renon-
çant à se faire l'écho des mœurs, des passions et des idées
contemporaines, les écrivains pseudo-classiques de l'époque fla-
vienne et du règne de Trajan se plaçaient du premier coup sur
un terrain où le grand et vrai public ne devait pas les suivre.
Tout donne lieu de penser qu'ils se résignèrent aisément à cette
séparation, et qu'ils envisagèrent sans déplaisir l'idée de faire des
lettres et de leur culture le privilège de quelques esprits, dont le
petit nombre assurerait d'autant mieux la communauté d'action
et l'énergie réformatrice. Il s'agissait de ramener l'âge d'or des
lettres romaines en ne prenant de sujets que dans le domaine
exploré par les grands maîtres et en glanant après eux, en copiant
leurs procédés et leur style et, comme on disait alors, en marchant
avec respect et adoration sur leurs traces. On croyait ainsi les
continuer, et cette tentative, aussi vaine dans son objet que dans
; — 228 —
ses moyens d'exécution, se produisait dans un temps où les écri-
vains du siècle d'Auguste étaient eux-mêmes devenus une autre
antiquité qui avait besoin de commentateurs et de scholiastes. Les
travaux de ValeriusProbus,deTerentiusScaurusétaient déjà in-
dispensables pour assurer le texte et le sens de Virgile et d'Horace,
et Ton ne voit que trop, en lisant dans Aulu-Gelle les doutes des
plus savants hommes sur les antiquités et sur la langue, quels
progrès rapides faisait l'ignorance du passé. Ainsi, sous Trajan,
les auteurs latins écrivaient, pour ainsi dire, dans une langue
morte. Ce sont des érudits, travaillant pour d'autres érudits. Au
reste, leur science n'était pas d'une nature bien relevée ni d'une
acquisition fortdifficile. Quiconque avait reçu l'éducation générale
de l'époque en était suffisamment pourvu : tout homme considé-
rable était lettré, et tout lettré était poètes Mais qui pouvait
s'intéresser aux œuvres plus ou moins correctes, toujours préten-
tieuses et complètement dénuées d'inspiration, que composaient ces
pédants? Personne, excepté les amis de l'auteur, le plus souvent
auteurs eux-mêmes et formant tous ensemble une petite coterie.
Chacun à tour de rôle, dans des réunions concertées longtemps à
l'avance, formées d*un public de choix sur les bonnes dispositions
duquel on pouvait compter, écoutait et lisait*. Grâce à cet arrange-
ment, le plus mince écrivain était sûr d'obtenir des applaudisse-
ments. Les complaisances de son auditoire surexcitaient sa
vanité. Mais le talent véritable et original, soustrait au contrôle
périlleux et salutaire du vrai public, se déshabituait de tout effort
et se contentait d'une certaine habileté technique acquise sur les
bancs de l'école et entretenue par un continuel exercice. Ce que
deviennent dans de pareilles conditions les hommes de lettres et
les lettres elles-mêmes, Sainte-Beuve l'a dit avec sa finesse
incomparable, et son étude sur les Soirées littéraires^ , où il
visait un autre temps et d'autres périls, se trouve être le meilleur
tableau de la littérature latine au second siècle. Les esprits
médiocres se complurent dans les succès faciles et les créations
banales du dilettantisme ; les mieux doués se gâtèrent vite sous
cette influence énervante, et le niveau général des productions
de l'esprit baissa avec une effrayante rapidité. Au milieu des
1. Pline, Ep,, I, 10, 1, 13.
2. Les recitaiiones ou lectures publiques, bornées à la poésie au temps
d'Ovide, se multiplient au ii* siècle et s'étendent à tous les genres, à
rhistoire (Pline, Ep., lll, 10, Vlll, 12, IX, 27), aux discours prononcés dans
le Sénat (/Md., III, 18) et même aux plaidoyers (/M., II, 19).
3. PortraUs, I, 424435.
— 229 —
compliments qu'ils échangeaient, les auteurs ne laissaient pas
que de s'apercevoir du déclin général ^ et ils en cherchaient la
cause avec une certaine anxiété. On agitait la question des
anciens et modernes. Pline s'en montre fort préoccupé*. Quinti-
lien l'avait traitée en se bornant à ce qui regardait l'éloquence ^,
et nous possédons la plus grande partie du Dialogue que Tacite a
composé sur ce sujet ^. Plusieurs contestaient la supériorité des
anciens, mais, à ce qu'il semble, plus pour fau*e briller les
ressources de leur esprit en soutenant une cause visiblement
perdue que par l'effet d'une conviction réfléchie et profonde.
Ceux qui reconnaissaient l'infériorité des modernes en cherchaient
l'explication dans la transformation des mœurs, le plan d'études
imposé à la jeunesse ou le régime politique ; personne n'accusait
les lettrés qui ne songeaient qu'à bien écrire au lieu de se mêler
à leurs contemporains pour se faire les interprètes de leurs idées
et de leurs passions, et donner aux œuvres d'imagination un but
intéressant et un fond solide.
Telle est, suivant nous, la cause décisive et profonde de la
décadence des lettres latines, déjà visible dès le commencement
du second siècle. Comme cette décadence apparaît au moment
même où la chute des institutions républicaines est tout à fait
consommée, beaucoup de critiques ont considéré le premier fait
comme une conséquence du deuxième et imputé le déclin des
lettres au régime du principat. C'est ce qu'on appelle juger
l'arbre par ses finiits : il est sous-entendu que la littérature est
un fi*uit, un produit direct du gouvernement. Les gens de lettres
ont trop souvent avancé la même thèse et même elle est, pour le
cas qui nous occupe, en partie soutenue par Tacite'^. Mais l'histoire
montre assez clairement que dans tous les temps et chez toutes
les nations, les révolutions de l'art et du goût sont indépendantes
des révolutions politiques pour que nous ayons nul besoin de
réfuter longuement une opinion trop facilement accréditée.
Pendant la période Antonine, les empereurs ne firent sentir
leur action sur les lettres que par leurs ^orts pour les protéger.
L'intention était bonne, le résultat fut insignifiant et devait l'être
1. Pline, Ep., VIII, 12 : Litterae jam senescentes.
2. Pline, Ep., I, 16, 6, 21.
3. Dans son livre intitulé : Causoê corruptae doquenUae {Inst. Orat,
VIII. 6. 76).
4. Dial., c. 2S. Messalla dit que Unu les arts sont en décadence comme
Tart oratoire.
5. A.çirtC'f 3.
— 230 —
à l'égard des œuvres produites ; les auteurs, du moins, en retirèrent
quelques avantages. Loin de contribuer à leur fortune privée, la
ràgime des cénacles leur imposait certaines dépenses. Pour
chaque lecture publique , ils devaient emprunter une maison ,
faire arranger une salle, louer des banquettes, distribuer des
annonces ' . Ces obligations onéreuses, dont Hadrien lesafiranchit',
ajoutaient & la situation déplorablement précaire de ceux qui ne
possédaient point de patrimoine, car l'usage ne permettait pas à
récrivain de tirer profit de ses ouvrages^, et son existence dépen-
dait absolument d'un patron dont il fallait payer en flatteries les
cadeaux et les pensions. Aussi vit-on le protectorat littéraire, et
l'adulation qui en est inséparable, prencbre au second siècle un
développement prodigieux.
Sous la République, quand un Fulvius^ un Scipion admettaient
dans leur intimité Ennius ou Térence, la faveur de ces grands
personnages se bornait à une sympathie affectueuse : ils ne
subvenaient pas aux besoins de ces protégés illustres plus large-
ment qu'à ceux de leurs autres clients. Mais alors la vie était
simple et peu coûteuse à Rome. Naevius et Plaute se passèrent
fort bien du patronage patricien ; le théâtre, d'ailleurs, offrait
aux poètes une source de revenus assez élevés et, en même temps,
un moyen toujours prêt de sauver leur indépendance. Quand
l'art dramatique fut délaissé, les nécessités de la vie pesèrent plus
durement sur les écrivains pauvres ; or, à ce moment même,
Auguste voyait ^se consolider sa puissance. On sait comment il
modifia le patronage des gens de lettres, conunent U les rapprocha
de lui et se les attacha par des liens plus solides qu'on n'avait
fait jusqu^lors. Le système qu'il avait ébauché se développa
après lui. À mesure que les grandes fortunes patriciennes dispa-
rurent, que Rome se peupla d'étrangers plus indifférents à la
littérature latine et moins capables de la goûter, les protec-
teurs des lettres et des lettrés devinrent plus rares. D'ailleurs ils
se mêlèrent aussi d'écrire, et là jalousie de métier vint aigrir les
relations entre patrons et clients ^ Les écrivains se tournèrent
donc vers le prince et réclamèrent instamment son appui. Les
Flaviens se rendirent k ces vœux pressants ; la dynastie qui
donna à l'instruction publique une dotation régulière est aussi
1. Tacite, JHalog,, 9.
2. £n faisant construire pour eux VAthenaeum,
3. Géraud, Essai sur les livres dans V Antiquité,
4. Juvénal, Sat, VU.
— 884 —
celle qui systématisa les subTentions aux gens de lettres. Les
encouragements donnés à la littérature étaient de deux sortes: tan-
tôt personnels et accordés à l'auteur, par exemple l'exemption de
certaines charges ou un don pécuniaire ; tantôt Us s'adrêssaient
aux productions mêmes de l'esprit : c'était alors une récompense
décernée au meilleur des ouvrages composés sur un sujet mis au
concours. Ces concours littéraires dont on saisit déjà la trace sous
Augustes et que Néron voulait développer, prirent sous Domitien
une forme plus arrêtée. Â l'époque de Trajan, ils étaient dans
leur période la plus active. L'institution éveilla plus d'ambitions
impuissantes qu'elle ne suscita de talents réels. Certes on ne man-
quait pas d'esprits médiocres prêts à traiter le sujet banal perpé-
tuellement offert à leur zèle, et trouvant à leur service, au
moment voulu, l'inspiration nécessaire à une œuvre telle que
l'éloge du prince ou cdui de Jupiter Capitolin '. Mais il esta croire
que l'émotion et la conviction manquaient souvent aux ouvrages
couronnés : un poète, un orateur, dignes de ces noms, eussent-ils
répondu à l'appel de l'empereur ou aux instructions de son
secrétaire ? Le fait qu'un enfant de quatorze ans pouvait obtenir
la couronne poétique dans ces joutes quinquennales' montre
assez qu'on n'y requérait que l'habitude de l'amplification et un
certain talent de versificateur. Toutefois aucune œuvre récompen-
sée dans le concours capitolin n'est venue jusqu'à nous: gardons-
nous de porter sur ces pièces perdues un jugement absolument
défavorable, et rappelons-nous que plus d'un nom célèbre des
lettres anglaises figure sur la liste des poètes lauréats.
Maladroite imitation des classiques, développement des cote-
ries littéraires, institution des concours, tels sont donc les trois
grands faits qui dominent la littérature latine au second siècle et
qui ont rendu plus rapide la décadence à laquelle la séparation
des lettrés et du public la vouait infailliblement. Mais les mêmes
faits, envisagés au point de vue de l'histoire générale, prennent
un autre caractère et deviennent d'heureux événements pour
l'avenir des lettres. Les cénacles ont eu pour conserver une
puissance qui leur manquait pour créer : les défauts que nous
avons relevés dans leurs tendances, le souci exagéré du détail,
la préoccupation du style, la manie de l'érudition, la vénération
superstitieuse ou puérile pour les œuvres et les procédés des
1. Horace, An poel., 386.
2. Quintil., m. 7, 4.
3. Imcript Keap.y 5252.
anciens maîtres, se trouvèrent d'excellentes qualités pour main-
tenir en son intégrité le trésor des lettres latines ; le pédanUsme
de ces petites sociétés a sauvé les ouvrages écrits en de meilleurs
temps, en a perpétué l'admiration et l'étude, en a assuré la
transmission à la postérité au milieu des invasions du quatrième
et du cinquième siècle. Les amis de Pline forment le premier
noyau d'une aristocratie que Ton retrouve autour de Symmaque
et d'Âusone, aristocratie un peu dédaigneuse, à vues étroites,
mais ayant voué un respect inaltérable au passé lorsque tout
changeait et chancelait autour d'elle, et donnant ainsi un utile
exemple moral en même temps qu'elle rendait à la civilisation
de vrais et mémorables services. La protection des empereiu^
fut également profitable et même nécessaire à la cause des lettres.
Assurément le pouvoir était incapable de faire éclore le génie ou
de susciter de grandes œuvres d'art : alors, conmie en d*autres
temps, il n'a guère inspiré que des vers médiocres et de fades
panégyriques. Mais après que la littérature eût été classée parmi
les afihires d'Etat, elle devint inséparable de l'idée qu'on s'était
formée d'un grand établissement politique. Même dans les temps de
misère générale et d'ignorance publique, nulle puissance, privée
de l'ornement des lettres, n'eût été pleinement acceptée des
peuples : on eût jugé que quelque chose manquait k sa constitu-
tion définitive et à sa complète consécration. C'est pour obéir à
ce vœu de l'opinion, mal défini mais réel, que les rois goths de
Toulouse et de Ravenne eurent des poètes attachés à leurs per^
sonnes, et Sighebert, en commandant un épithalame à Fortunat,
se piquait de reproduire le cérémonial usité à la cour des empe-
reurs de l'Occident. Ce n'est pas le lieu de poursuivre dans
l'histoire cette destinée singulière de la littérature, encore pro-
tégée quand personne n'en sentait plus l'utilité ni le charme, et
prolongeant son existence parla seule vertu delà tradition romaine
et du caractère administratif qu'elle avait pris sous les Césars.
Qu'importe la médiocrité des œuvres écloses à la cour, aux
frais de princes ignorants, dirigés par une bienveillance aveugle
ou une vanité prétentieuse? Au milieu de l'abandon universel des
arts et des sciences, les lettres, ne périrent pas : on continua
d'écrire quand on avait cessé de sculpter et de peindre. Voilà
ce qui était utile et nécessaire, pour que, jusqu'à des temps meil-
leurs, les droits de l'intelligence fussent maintenus au sein de
systèmes établis par la conquête et la violence et que, même
vide ou mal remplie, leur place y demeurât marquée.
Nous ne devons pas perdre de vue ce côté de la question, au
— 283 —
moment d'aborder l'étude individuelle des auteurs, où nous aurons
à faire à la critique une large part.
C'est dans la poésie dramatique de ce temps que se marque le
mieux la séparation des lettrés et du grand public. On y dis-
tingue deux genres bien tranchés : les pièces réellementdestinées
k la scène, et celles qui n'étaient faites que pour la lecture. La tra-
gédie scénique était réduite tantôt à un monologue lyrique écrit
en langue grecque, chanté par un personnage qui ne rappelait
plus que par son costume les habitudes de l'ancien théâtre, tantôt
à un ballet ou pantomime où les poses et les gestes d'un seul
acteur devaient rendre visibles et lEaire suivre les péripéties d'un
épisode emprunté le plus souvent à la mythologie grecque*. La
musique faisait le plus grand intérêt de la tragédie chantée.
Quant à la pantomime, le témoignage des auteurs, particulière-
ment de Suétone et de Macrobe, et plusieurs anecdotes qu'ils nous
ont rapportées, montrent jusqu'à quel degré de finesse et de pré-
cision Bathylle et Pylade, puis leurs successeurs, avaient poussé
ce genre d'interprétation, quels efibrts continuels exigeait leur
art, quelle science même était nécessaire à ceux qui l'exerçaient
pour exprimer, sans le secours de la parole, des idées de tout
ordre et de toute nature. Sous aucune de ces deux formes la tra-
gédie ne produisait l'émotion dramatique; mais depuis longtemps
le public était devenu indifierent à cette émotion^. Les deux
formes de pantomime que Pylade et Bathylle avaient spécialement
cultivées et développées en deux branches distinctes étaient encore
en honneur sous Trajan, puisque Plutarque les mentionne et les
apprécie l'une et l'autre'. Mais la pantomime comique disparut
bientôt, car Lucien ne parle que de la pantomine tragique. Les
Romains aimaient passionnément la saitatio qui, comme les
combats de gladiateurs, avait en Etrurie sa lointaine origine,
et qui prit sous Auguste un caractère nouveau, et un dévelop-
pement qui ne devait plus s'arrêter jusqu'à la chute de l'empire.
Les mauvaises mœurs des histrions et les désordres de tout genre
qu'ils provoquaient éveillaient de temps à autre la sévérité du
pouvoir, mais l'expulsion de ces favoris du public n'était jamais
bien longue. Domitien les ayant renvoyés, Nerva les rappela, un
peu par politique d'opposition ^. Trajan, qui les avait chassés au
1. Boissier. Sur la significaUondes mots SALTARE et GANTARE iragaedkm
Rev. Arch. Nouvelle série, IW, 333-344.
2. Migravit ab aure voluptas. (Horace.)
3. Quaest, Conviv,, VII, 8, 3.
4. Paneg, 46.
— 234 —
oommencement de son règne S ne tarda pas à les Caire revenir,
car il partageait à leur égard le goût général et très-vif des
Romains *.
Les pièces de Sénèque nous donnent une idée des tragédies de
cabinet, qui furent composées sous Trajan. Ce n'était, comme on
le sait, qu'un étalage de sentiments dédamatoires et d'invectives
politiques. Après Sénèque, on ne sait guère des auteurs tragiques
que leurs noms, sauf pour Curiatius Maternus dont plusieurs tra-
gédies nous sont, grâce à Tacite, connues au moins par leurs
titres; dans Médée, dans Thyeste^ et aussi dans quelques sujets
romains : Domitius, Coton, Néron il fit tenir à ses personnages
un langage hardi qu'il paya de sa tête ». Après lui on trouve
cités dans Martial un Canius Bufus, un Yarron, un Scaeva
Memor, frère de Turnus le Satirique ^, auxquels l'histoire litté-
raire ne donne pas de successeurs. Quand on songe k ce qu'était
cette tragédie, on conçoit que la satisfaction générale qui régna
pendant la période Antonine ait mis fin k cette forme d'opposition
politique et enlevé toute raison d'être à ces pamphlets versifiés.
La comédie ofire également deux groupes de pièces composées
lés unes en vue de la scène, les autres pour la lecture. A la scène
règne presqu'exclusivement et régnera jusqu'à la fin de l'empire
la mime qui conserve son caractère agressif et oSre toujours aux
Romains un vif attrait par son mélange de grossièreté et d'él^
ganoe. Latinus, Panniculus et Thymele étaient alors les meilleurs
interprètes de ce genre dramatique^. Un passage de la vie de
Domitien, dans Suétone*, donne lieu de croire que les atel-
lanes étaient encore représentées à la fin du r** siècle. Pour
les lettrés, Yirginius Romanus continuait à écrire des comé-
dies imitées de Ménandre ^ et des autres auteurs de la nou-
velle comédie athénienne, des palliatœ, qui ne pouvaient plus
être, comme on l'a très-bien senti, que d'ingénieuses et élégantes
redites ® ; toutefois cet exercice littéraire se prolongea jusqu'au
siècle suivant comme en témoigne l'inscription tumulaire de
Pomponius Bassulus, lequel mit fin à ses jours sous le règne
1. Ibid.
2. Dion. LXVIII, 10. Gruter 331, 6.
3. Dion. LXVII, 12.
4. Martial, III, 20, V, 20, XI, 9.
5. Juvénal, 1, 35, VI, 44, 66, VIII, 197, Martial, I, 5, II, 72, 111, 86.
6. Suét., DtmU, 10.
7. Plin. i?p., VI. 21.
8. Patin. Etudes sur la poésie latine, II, 302.
— 285 —
d'EIagabale'. Virginius, dans sa lutte contre les modèles grecs,
prit aussi pour modèle Aristophane, c'est-à-dire que dans les
compositions qu'il lisait à un petit cercle d'intimes, il eut l'audace
de nommer des personnages viTants. On peut affirmer que la
satire, tempérée d'éloges, que Pline entendit avec tant de plaisir,
ne toudiait pas à la politique et ne rappelait que de très-loin les
libertés du théâtre athénien.
Le temps n'a pas épargné les (Buyres lyriques composées par les
successeurs d'Horace. Quintilien en a fait un bel éloge', mais il a
dit aussi que les lettres romaines avaient beaucoup perdu à la
mort de Valerius Flaccus *, et un tel jugement, sur un tel poète,
décèle une bienveillance qui s'étendait probablement k tous les
contemporains et qui est bien propre à modérer les regrets que
pourrait exciter la perte de leurs ouvrages. D'ailleurs, deux Silves
de Stace^ nous donnent une idée sans doute assez exacte des
compositions disparues de Saturninus, de Spurina, d'Âugurinus,
de Paulus, de Serenus, de Stella ^. Ces silves ressemblent plutôt à
des exercices de versification sur les mètres alcaïque et sapphique
qu'à des œuvres réellement inspirées par des sentiments dont ces
formes eussent été l'expression naturelle et nécessaire. Le Pervi"
giltum Veneris, ce petit poème composé dans le même temps et
dont P. Ânnaeus Florus est vraisemblablement Tauteur, ofire
une profusion de couleurs qui éblouit à la première lecture et qui
passait sans doute au n® siècle pour le produit d'une imagination
riche et puissante ; nous n'y voyons aujourd'hui qu'une œuvre
froide et laborieusement composée. h&sSilveSy qu'on peut ranger
dans la classe des œuvres lyriques, puisque plusieurs offrent une
évidente imitation d'Horace, fatiguent et ennuient par l'abus de
la mythologie et l'emploi, naïvement étalé, de toutes les
ressources éprouvées et connues de l'industrie poétique. Ici
encore rien d'inspiré ni de vivant : tout sent l'artifice et la ma-
nière. Seuls les hendécasyUabes de l'époque montrent une verve
facile, et ont pu distraire et intéresser des lecteurs de toutes les
classes; comme Sidoine Apollinaire range sur la même ligne les
petits vers de Martial, ceux de Serenus et ceux de Stella •, on peut
admettre que ces trois poètes avaient un mérite à peu près é^al,
1. Irueript. Neap, 1137.
2. Inst, Or. X, I, 94.
3. Ibid., 90.
4. SUv. IV, 5; IV, 7.
5. Plin. Ep. I, 16; III, 1 ; IV, 27; IX, 22.
6. Cami. IX.
— 236 —
ou du moins que les anciens les tenaient tous les trois en même
estime.
Nous arrivons aux poèmes épiques dont les deux espèces S
épopées mythologiques, épopées historiques, sont largement repré-
sentées dans la période qui nous occupe. Ces froides imitations
d'une poésie plus solide et plus brillante ne sont guère lues et
citées aujourd'hui que comme des témoignages de décadence.
Pourtant les mythologues, en les compulsant, peuvent y puiser
la connaissance de quelques traits des fables grecques dont les
récits plus anciens ont péri ; par exemple on ne trouve que dans
VAckilléide les traditions relatives à Tenfance du fils de Pelée et
à son séjour au milieu des filles de Lycomède. Une des meilleures
preuves qu'on puisse apporter du goût déplorable de l'époque est
ce fait, que le plus mauvais poème de Stace est aussi celui qu'il
avait le plus assidûment travaillé et que ses contemporains pri-
sèrent davantage. Les Silves qu'il a publiées sans rien changer
à son improvisation, YAchilléide, ébauche inachevée et inter-
rompue par la mort, valent mieux que la Thébaïde. Il n'avait
pas fallu moins de douze années pour élaborer ce plan médiocre,
accumuler et combiner ces images et ces épithètes sonores,
recoudre ces lambeaux du répertoire épique. Dans la masse
considérable d'hexamètres que nous ont laisâès YaleriusFlaccus,
Stace et Silius Italiens, on ne rencontre jamais ni l'intervention
personnelle du poète, avec ses illusions, ses chagrins ou ses sou-
venirs, ni une description touchante de la nature, ni une peinture
des détails familiers de la vie, ni un trait propre à l'époque et au
pays de l'auteur. L'histoire générale n'a rien à y recueillir. Au
même moment, lorsqu'il s'agit de célébrer des domestica
factay des guerres qui avaient ému les contemporains, et des
victoires qui rappelaient les beaux siècles de Rome, c'est à
l'idiome grec qu'a recours un Caninius Rufus*, donnant par
là, et à son insu, une preuve bien manifeste de la déchéance des
lettres latines.'
La seule poésie puissante encore au n* siècle parce qu'elle
a sa raison d'être et son intérêt dans tous les temps, la seule
aussi où l'on trouve les traces d'une inspiration libre et person-
nelle, appartient au genre que les Romains revendiquaient comme
national et auquel, en effet, ils avaient toujours apporté une
aptitude bien marquée depuis les antiques dialogues fescennins.
1. Patin. Etudes sur la poésie laUne, I, p. 178.
2. Plin. Ep., VIII, 4.
— 237 —
premiers essais de leur littérature, jusqu'au règne de Néron. Il
s*agit de la poésie satirique, traitée sous Trajan, par Turnus et
Juvénal, dans la forme trois fois consacrée par le génie deLucile,
d'Horace, de Perse. Ce qu'avait écrit Turnus est perdu. Quant à
Juvénal, on s'aperçoit trop, en le lisant, qu'il s'était assis sur les
bancs des écoles de déclamation et que lui-même déclama la moi-
tié de sa vie. L'exagération de ses doléances et son indignation à
fit)id nous rebutent firéquemment. Les divisions si nettement accu-
sées de chacune des Satires décèlent une composition laborieuse
et montrent la trace de procédés appris : nous sommes loin de cet
enjouement avec lequel Horace, planant au-dessus du sujet qu'il
traite, quitte et reprend sa thèse, et touche mille objets dans son
vol capricieux et toujours sûr. Juvénal s'enferme rigoureusement
dans son sujet et l'expose d'après un plan très-arrêté : chaque idée
est développée jusqu'à ce qu'elle soit épuisée, chaque type est des-
siné jusqu'à l'achèvement complet; rien n'est laissé à la sagacité
ni à l'imagination du lecteur. Bref, un des esprits les plus origi-
naux et les plus vigoureux du siècle ne pouvait ou n'osait se déga-
ger des préceptes de la rhétorique. Mais, par une heureuse com-
pensation, ces mêmes divisionspermettentde suivre sans efforts la
pensée de l'auteur; chacun des morceaux est composé avec art,
et bien qu'on puisse reprocher à Juvénal plus d'une longueur, il
faut reconnaître qu'il tombe rarement dans la banalité ou le lieu
commun. Il exprime les idées morales avec une précision incom-
parable et une rare énergie. La langue, correcte et pleine, est
digne des meilleurs temps. Enân on a affaire à un vrai poète qui
anime tout ce qu'il touche et dessine chaque passion, basse ou
noble, chaque sentiment, profond ou fugitif, en traits qui se gravent
d'une manière ineffaçable dans le souvenir. Ses vues générales
sont ordinairement empruntées au stoïcisme, et le vers prend
alors une tournure fiière et puissante conune la doctrine dont le
poète s'inspire. En appréciant, avec une amertume voisine de
l'injustice, le changement moral qui s'opérait au sein du paga-
nisme, il a bien reconnu et montré les symptômes de ce change-
ment : invasion des cultes étrangers, déchéance du patriciat, rôle
plus considérable pris parles femmes, déplacement de la richesse,
en un mot la disparition du monde latin et italique. Tacite n'a
pas £ait ressortir ce grand fait avec la même netteté et ne l'a
peut-être pas aussi bien senti que Juvénal, car à côté de Rome il ne
voit que les Barbares et ne paraît pas soupçonner ce qui reste de
vivace dans la Grèce et dans l'Orient; c'est justement là ce
qui frappe et importune le poète satirique. On a dit que Juvé-
— «88 —
ual arait contribué, par quelques détails obscènes de ses pein-
tures et de son langage, à propager la corruption dont il se
plaint. Mais il ne donne ces détails que pour être complètement
vrai et produire chez le lecteur une impression forte ; il ne se
propose évidemment aucun but excitant ou voluptueux. Echo
fidèle de ce temps où il vit et dont il médit, il en découvre, à son
insu, quelques beaux côtés : il se laisse aller, par moments, à la
pitié et à la tendresse qui gagnaient ses contemporains et il trouve
alors, en touchant les fibres les plus secrètes du cœur, des accents
digues de Sophocle et de Térence. N'eût-on conservé de son osuvre
que le vers où il dit que le don des larmes est ce qu'il y a de
meilleur en Thomme S il ferait honneur à son siècle et à son
pays.
En quittant Juvénal pour Martial, on descend dans la littéra-
ture de deuxième ordre, et pourtant Martial fut l'interprète le
plus fidèle et le peintre le plus exact de la société polie sousDomi-
tien et sous Trajan. La Rome des Césars semblait vraiment faite
pour le tempérament et les mœurs de ce poète, pour sa curiosité
malicieuse, ses penchants communicatifs et moqueurs ; là seule-
ment son talent pouvait naître et grandir, et se faire pleinement
goûter. Favorablement accueillies dès leur apparition, les Epv-
grammes ne paraissent avoir procuré à leur auteur ni la richesse
ni même l'aisance, mais elles lui donnèrent, dès son vivant, une
gloire que l'envie, disait-il, ne cesse ordinairement de contester
aux poètes qu'après leur mort*. Tant qu'il vécut à Rome, Mar-
tial put entendre et savourer les éloges décernés à son talent et
assister à l'insuccès de ses imitateurs. Dans un moment de fatigue
et d'humeur il quitta la grande ville où l'intérêt de sa réputation,
autant que la reconnaissance, aurait dû le retenir; grâce à la
générosité de PUne, il put regagner Bilbilis sa patrie ; au bout
de quelques années, il y mourut de nostalgie et d'inaction '. La
faiblesse des pièces qu'il y composa, et qu'il envoya dans la capi-
tale pour ne pas s'y laisser oublier, montre à. quel point la vie
romaine soutenait son inspiration et combien elle lui était néces-
saire pour exciter sa verve, et renouveler ses sujets. En effet,
Martial ne tire presque rien de lui-même, ni d'une étude profonde
de l'homme ; il ne peint que ce qu'il voit et n'aspire qu'à rendre la
réalité sensible, mais il la reproduit avec un dessin si net et un
1. SaU XV, 133.
2. Epigr., I. 1.
3. Vers ran 101. Cf. la préface du XII* livre.
— 239 —
relief si puissant qae ses petits tableaux intéresseront dans tous les
temps par le mérite du style et par les applications particulières
qu'ils suggèrent ^
Il fut le créateur d*un genre nouveau de poésie, car c'est vrai-
ment créer qu'agrandir et régulariser, comme il le fit, le cadre
ancien des petites pièces latines plus ou moins analogues à son
épigramme. Il nomme avec respect ses prédécesseurs : Catulle,
Pédon, Marsus et Gaetulicus ; mais, ainsi que Ta remarqué
Lessing', Martial est le premier qui se soit fait de l'épigramme
une idée bien nette et bien circonscrite, qui l'ait considérée
comme un genre littéraire particulier, méritant qu'un écrivain
s'y adonnât exclusivement. Il est donc le premier en date des
épigrammatistes, et grâce à cette priorité, il put travailler
librement sans que rien vînt contrarier son génie ou limiter son
caprice dans ces productions dont la forme n'était réglée ni par
la tradition ni par les théories littéraires. La matière des J?jt>t-
grammes est toujours prise dans la vie quotidienne et réelle.
L'heureuse précision du détail, attrait principal de ces poésies,
en rend parfois l'intelligence assez dif&cile, mais leur donne
une grande valeur comme documents historiques. Tout ce que dit
Martial de la topographie de Rome, des costumes, des repas, de
mille petits faits de la vie privée, oflfre à l'archéologie des élé-
ments précieux d'étude ou des problèmes bien définis à résoudre.
En outre on trouve ici, comme dans l'œuvre d'Horace, les éléments
épars d'une biographie du poète assez complète^. Martial
éprouvait un mépris profond pour ces ennuyeux poèmes mytho-
logiques dont les bons esprits étaient déjà las sous Auguste et
que des écrivains impuissants ou maladroits offraient sans relâche
à un public indifférent^. U dédaignait aussi les nugae difficiles^ ^
tours de force littéraires très-goûtés alors, et auxquels ses
1. Menagiana, L 332, éd. 1662 : Il n'y a point de poète latin où il y ait
plus de choses qui puissent tomber dans la conversation que dans
Martial. On y trouve tout. Là dessus, une personne me demanda un
jour si J'y trouverais le manteau de M. de Varillas, de qui on venait de
parler. Je répondis sur-le-champ, et sans hésiter :
Dimidiasque nates gallica palla tegit [1. 92]
2. Ed. Gœdecke, IX, p. 47.
3. V. dans rBncyclopédie de Pauly l'article Mariialis par M. Walz.
4. IV, 49: Illa tamen laudant omnes, mirantur, adorant.
Gonfiteor : laudant illa, seîd ista legunt
5. Il, 86: Turpe est difficiles habere nugas
Bt stultus labor est ineptiarum.
— 240 —
confrères de la schola poetarum^ consacraient leurs veilles
laborieuses. Désireux de se rendre intelligible au savant conune à
Tignorant', il fuyait avec un soin extrême le pèdantisme et tout
ce qui peut lui ressembler. Lessing a remarqué qu'il n'est pas de
poète latin des œuvres duquel on puisse extraii*e un aussi petit
nombre de maximes générales. Mais les faits particuliers y
abondent, aussi bien que les peintures de mœurs et de caractères.
Toute la société du temps vit et s'agite dans ces petits poèmes
courts et bien tournés, toutes les conditions y figurent, toutes les
passions s'y expriment. Bref cette poésie, peu idéale, est tou-
jours humaine^. Les sentiments les plus délicats^ s'y font jour
à côté des manifestations les plus grossières; parfois même
une note mélancolique résonne au milieu des propos joyeux ou
libres, et entre deux plaisanteries on rencontre une inscription
composée pour être gravée sxu* un tombeau. La variété des
mètres est heureusement appropriée aux sujets, et la langue
familière et simple de Martial leur convient aussi beaucoup
mieux que le ton magnifique et tendu de Juvénal, prenant sa
grande voix pour attaquer des gens et des choses qui ne méri-
taient qu'un bon mot.
Cette recherche du vrai dans les sujets et dans le style, cet
abandon calculé des thèmes habituels et des formes savantes
révèlent chez Martial des vues bien difiérentes de celles qui diri-
geaient les écrivains contemporains, et sont les traits caracté-
ristiques de son originalité. Le contraste frappant qu'ofliraient les
épigrammes avec les poèmes du même temps ne contribua pas
moins à leur succès que les observations piquantes et les mots
heureux dont elles fourmillent. Elles remplacèrent l'ancien
théâtre comique, les togatae, les trabeatae, les tabe7mariae ^,
t. Local particulier où se réunissaient les poètes de Rome, Epigr. TU,
20; IV, 6t. Ils avaient formé une espèce d'académie qui remontait
peut-être à Tépoque républicaine. Valére Maxime parle déjà d'un eoUegium
pœiarum, III, 7, 2.
2. X, 21 : mea carmina, Sexte,
Grammaticis placeant, et sine grammaticis.
3. X, 4 : Hoc lege quod possit dicere vita : c Meum est t.
Non hic Centaures, non Gorgonas Harpyiasque
Invenies : hominem pagina nostra sapit.
4. IV, 13; VI, 11 et surtout II, 55 :
Vis te, Sezte, coli : volebam amare.
Parendum est tibi; quod jubés, coleris :
Sed si te colo, Sezte, non amabo.
5. Patin. Etude» sur la poésie UUine, II, p. 303.
peintures de toutes les classes du peuple romain , qu'on applau-
dissait cent ans plus tôt. Ayant de (quitter Rome, le proconsul
que ses devoirs appelaient pour trois ans au fond d'une province,
l'officier qui allait s'enfermer dans un camp sur les bords du
Danube ou dans les montagnes de l'Ecosse S ne manquaient pas
d'emporter le petit volume, et au loin, quand ils le rouvraient, la
ville, à regret quittée, apparaissait à leur imagination et se dessi-
nait à leur souvenir, animée et vivante, avec ses aspects pitto-
resques, ses palais, ses temples, ses rues immenses, sa population
cosmopolite et affairée et tout le pêle-mêle de ses habitudes jour-
nalières et de ses bruyants plaisirs. A Rome, aussi bien que dans
les grandes cités qui se modelaient sur la capitale, Martial était
dans toutes les mains ^. Un succès aussi éclatant et aussi rapide
ne s'expliquerait pas si le génie de l'auteur et l'esprit général de
son œuvre n'eussent répondu, dans une certaine mesure, au goût
de ses contemporains, ou du moins au goût de cette partie du
public qui lit beaucoup et qui détermine le ton habituel et les
tendances de la littérature courante ^. En demandant à la lecture
préférée de la société d'alors quelques révélations sur son caractère
et sa vie intime, on ne sort donc pas des limites d'une induction
permise. Mais si nous apportions dans cet examen la sévérité et
la délicatesse modernes, il faudrait reconnaître que la société du
n* siècle, envisagée par ce côté, mérite un jugement rigoureux, et
peu compatible avec celui que nous avons émis plus haut en nous
appuyant sur un autre ordre de faits. Quatre ou cinq défauts
énormes nous firoissent péniblement dans son livre favori et ont
empêché qu'il ne prît place au nombre de ceux qu'on relit sans
cesse. L'obscénité des sujets et du langage * y dépasse tout ce
qu'a osé la littérature antique, pourtant si peu scrupuleuse à cet
égard, et décèle des mœurs restées étrangement grossières au
milieu des élégances d'une civilisation très-avancée. Par des
affinités que le moraliste explique aisément cette grossièreté
touche à la cruauté, et Martial ne prend pas la peine de se
cacher à cet égard; la compassion qu'a ressentie Juvénal,
et qui lui a dicté des vers si touchants sur le sort des pauvres
et celui des esclaves, semble étrangère à l'auteur des Epi-
1. Martial, XI, 3.
2. Martial, VI, 61 ; VII, 88.
3. Martial, XII, praef. : Si quid est enim quod in meis libellis pLaceat,
dictavit auditor.
4. II, 31 ; III, 81.
DE LA BERGE 46
— 242 —
fframmes : les supplices lents et raffinés, qae subissent les
criminels condamna à jouer dans ramphithéâtre des r61es mytho-
logiques ou historiques entraînant la mort, ne lui inspirent que
des propos agréables et des traits d'esprit ^ La bassesse et l'indé-
cence des flatteries qu'il adresse à l'empereur', et les adulations
dont il accable ses patrons, ne sont pas moins choquantes que les
violentes invectives qu'il lance à ses adversaires '. Que dire enfin
de ses perpétuelles et impudentes demandes d'argent^, de sa
mauvaise humeur quand il ne reçoit pas ce qu'il espérait, des
menaces qu'il £ait entendre àses amis lorsqu'ils ne s'exécutent pas
assez vite <^? Certes la littérature française n'a pas toujours reculé
devant les sujets scabreux, et nos grands poètes se sont montrés
assidus courtisans et intrépides solliciteurs, mais chez eux, au
moins, le tour ingénieux de la pensée, la finesse et la grâce du lan-
gage déguisent ce qu'il y a de répréhensible ou de blâmable au
fond, et forcent presqueà pardonner ces attaques aux bienséances
et à la dignité humaine. Si Martial n'a pas soulevé chez ses con-
temporains de répugnances pareilles à celles qu'il nous fait éprou-
ver, on en doit conclure que les défauts dont son livre témoigne
étaient fort communs dans la société au milieu de laquelle ila vécu.
Cependant il ne faut pas oublier que chez les anciens, à Athènes
comme à Rome, la littérature fut habituellement plus immodeste
que les mœurs ; pour ne pas sortir du temps dont nous nous occu-
pons et delà société quefréquentait Martial, nous savons que Pline
(lui-même nous l'apprend) composait par passe-temps des vers
assez licencieux sans se compromettre aux yeux de ses amis ni
aux siens propres ^ : on se référait à la distinction queCatulleavait
nettement posée entre le caractère de l'auteur et les allures de
l'écrivain^, et l'honneur était sauf^. Extrêmement éloignés de
notre politesse, les anciens ignoraient d'aiUeurs les ménagements
à garder vis-à-vis d'un adversaire quand on prend le public pour
t. Spect. 7, 21; VIII, 30; X, 25. Sur ces représentations sanglantes, voir
fienan, Antéchrist, p. 168.
2. I, 78; VU, 5 ; VIII, 54 ; IX, 64, etc.
3. 1, 37 et 83 ; II, 37 et 87; III, 17, 28, 78, 89 ; IV, 4, 87; IX, 29; XU, 61.
4.11,30; VI, 30; VIII, 71.
5. IX, 88.
6. IV, 15.
7. Nam castum esse decet pium poetam
Ipsum, versiculos nihii necesse est. (Gatull. XVI.)
8. G^est ce que Martial appelle latine loqtU (I pr,) et il met tranquille-
ment ses obscénités sur le compte de la romana simplieitas (XI, 20).
— 243 —
juge d'un désaccord : en ce cas, ils s'exjn'imaient ayec une sincé-
rité et une passion qui nous révoltent, mais qui ne produisaient
pas alors un aussi grand effet. Martial fut même yanté pour la
douceur de son commerce : c'était, dit Pline, un homme de talent
fin et passionné, qui écrivait d'un style piquant et amer, mais
sans méchancetés Ainsi la violence de son langage n'implique
nullement les habitudes grossières qu'elle caractériserait au-
jourd'hui. Quant aux formes adulatrices qui nous blessent,
elles ne dépassent guère, il faut aussi le reconnaître, celles que
le style officiel de ce temps-là avait rendues obligatoires et
banales, et qu'on rencontre en maint passage du Panégyrique
et de la correspondance de Pline. En somme^ Martial n'est pas
une exception parmi les hommes de son époque, ni ceux-ci ne
sont une exception dans la société antique. Le livre où nous les
voyons peints sous le jour le moins favorable est un témoignage
précieux, auquel son mérite littéraire assigne un place très en vue
parmi les documents contemporains ; mais l'histoire ne doit pas
le consulter à l'exclusion de tous les autres témoignages, et
l'équité exige d'ailleurs qu'on se place, pour le juger, au point
de vue où se plaçaient les Anciens.
L'époque dont nous nous occupons est pour la philosophie une
période d'amoindrissement et de langueur. Chaque école avait
épuisé son principe et cessé de chercher la vérité ou de combattre
méthodiquement les écoles rivales : celle d' Aenésidème demeurait
seule active au milieu des ruines amoncelées de toutes les autres.
Le célèbre sceptique était mort dans le courant du i^^ siècle,
et ses disciples perfectionnaient les objections qu'il avait imagi-
nées contre le dogmatisme, objections que Sextus Empiricus
devait systématiser cent ans plus tard et que Lucien a revêtues
de formes si mordantes et si ingénieuses. Toutefois le discrédit
jeté par le scepticisme sur tous les essais spéculatifs provoquait,
par une réaction naturelle, un courant de mysticisme déjà sensible.
Les parties les plus téméraires de la philosophie de Platon étaient
en faveuv, et la vogue était surtout au Pythagorisme. Les progrès
des sciences mathématiques et de l'astronomie, le goût chaque
jour plus répandu de la musique ramenaient à cette école de
nombreux disciples ; le régime bizarre qu'elle leur imposait, le
mystère et les formes symboliques dont eue enveloppait son ensei-
gnement, exerçaient une séduction facile à concevoir sur les
esprits curieux et inquiets de la génération contemporaine de
t. Plin. m, 21.
— 244 —
Trajan. On comprend quelle influence exerça dans cet état parti-
culier des âmes Apollonius de Tyane dont la vie, à peine éteinte,
prit immédiatement une couleur légendaire ^
Si Ton voulait rattacher Plutarque à une école déterminée, il
faudrait le ranger au nombre des platoniciens; maison ne saurait^
en vérité, voir de la philosophie dans ce déploiement d'une érudi-
tion abondante et diffuse, où les contradictions fourmillent, où
aucune doctrine ne domine les faits. Le recueil des Œuvres
Morales du philosophe de Chéronée, précieux par les milliers de
renseignements, de traditions, de citations qu'il fournit, offire,
dans son désordre même et dans son incohérence, une représenta-
tion fidèle de la crise que traversait la philosophie et laisse
deviner à quel résultat cette crise devait aboutir : la curiosité
universelle et mal réglée de Tauteur, l'interprétation allégorique
des mythes, l'addition au fond grec de notions égyptiennes et
orientales, les détails fabuleux mêlés à Thistoire des anciens phi-
losophes, nous montrent dans quel sens seront dirigés les efforts
des fondateurs de l'éclectisme, sur quel terrain sera semée la
nouvelle doctrine et quelle physionomie elle revêtira.
Mais au moment où nous sommes, l'étude des grandes questions
était abandonnée. L'école du Portique, la mieux goûtée à Rome et
dans les grands centres, repoussait de plus en plus cette étude
pour borner la philosophie à l'amour et à la pratique de la vertu,
et réduire le rôle des philosophes à celui de prédicateurs popu-
laires de morale'. S'adressant à des hommes qu'avaient lassés les
argumentations subtiles des philosophes spéculatifs, ainsi ^e
leurs disputes stériles et scandaleuses, les stoïciens proclamaient,
avec trop de zèle peu^-être, l'inutilité des discussions approfondies
et des lectures étendues. Ëpictète dissuade ses auditeurs de passer
trop de temps et de donner trop d'attention à la méditation et à
rintelligence des œuvres de Chrysippe. Dion ^ déclare que c'est
la raison naturelle, et non le savoir, qui constitue le philosophe.
Euphrate, au grand étonnement et presqu'au déplaisir de ceux
qui l'écoutent et aimeraient à trouver dans la philo^phie un
prétexte à de nobles et studieux loisirs, enseigne que la plus belle
partie de la vertu est de travailler à l'intérêt public, et de réaliser
dans toutes lesbranches de l'activité humaine ce que l'on croit juste
1. Damis, disciple d'Apollonius, dut composer sous Trajan la biogra-
phie de son maître, qui servit de canevas à Philostrate.
2. Martha. MoralisUs sous F empire romain.
3. Disc, LXXI.
— 245 —
et vrai *. Plusieurs de ces sages refusaient de publier leur doctrine,
et nous ne connaissons leur enseignement que grâce au zèle de
leurs disciples. Encore les traitas dogmatiques avaient-ils fait
place aux 'AxojjiviQpLoveùfjLaTa '. Le goût de la prédication populaire
devint si vif que Plutarque composa un traité pour rappeler aux
philosophes que les princes et les grands ne méritaient pas, après
tout, d'être absolument délaissés^. En rendant leur doctrine
humble et aisément accessible, en élaguant toute matière sujette
à controverse, les stoïciens pouvaient agir sur un grand nombre
d'âmes. Ils frappèrent, en effet, les imaginations parle tour hardi
de leur parole, par leur vie errante, par leur costume pittoresque ;
ils s'ouvrirent les cœurs par leur éloquence Éamilière. ilsremuèrent
dans toutes ses profondeurs le monde civilisé et firent passer dans
les idées courantes, dans les institutions et dans les lois un esprit
nouveau et des vues fécondes*. Malheureusement leurs allures
avaient ainsi revêtu un air de charlatanisme qui empêchait de
distinguer les jongleurs impudents et paresseux des amis de la
vérité : le paphlagonien Alexandre est contemporain de Démonax.
Le mépris que les premiers inspiraient à tout homme de bon sens
et d'honneur finit par atteintre injustement les autres : Lucien les
confondit dans ses attaques, et s'dSbrça de les discréditer tous à la
fois.
Les discours de Dion Chrysostôme sont , pour une bonne moi-
tié, œuvre de philosophe plus que d'orateur; il y faut voir des
essais sur divers sujets de morale et de goût traités sous la forme
d'allocution fictive^. Mais plusieurs furent réellement prononcés
sur des places publiques et dans des théâtres , en présence d'au-
diteurs nombreux et attentifs. La réputation immense de Dion,
attestée par ses biographes, et le surnom même que l'admiration
publique lui avait décerné, nous autorisent à le regarder comme
le premier orateur grec du deuxième siècle. Au reste nous pou-
1. Plin. Ep, 1, 10.
2. Sous ce titre, Pollion avait écrit un livre où étaient consignés les
enseignements de Musonius Rufus son maître et, à ce qu'il semble, le
maître de tous ces nouveaux stoïciens : il avait débarrassé la doctrine du
Portique de toutes les subtilités de Ghrysippe, et il inclinait vers celle
des Cyniques ; Diogône est, au n* siècle, Tidéal du philosophe, comme
Socrate au temps de Platon. Ârrien publia renseignement d*Epictète
sous le titre de Aiarpi^aC.
3. Cum principibm philosophandum esse,
4. Denis^ Histoire des théories et des idées morales dans l'antiquité.
5. Quelques-uns de ces essais sont môme traités sous la forme du
dialogue.
— 246 —
vons contrôler les éloges que Philostrate ^ et Synesius ' ont faits
de lui : ses harangues aux habitants d'Alexandrie, de Tarse, de
Nicomédie, aussi bien que les discours apologétiques qu'il pro-
nonça devant les Prusiens, ses compatriotes, pour justifier divers
actes de son administration et de sa vie publique, nous offirent
des accents d'émotion vraie, des mouvements passionnés et une
dialectique pressante qui assignent à Dion la première place
au-dessous des orateurs d'Athènes. Mais on se tromperait en
étendant aux œuvres perdues de ses contemporains l'impression
favorable que Ton emporte de cette lecture, car les circonstances
avaient singulièrement contribué à la formation du talent de Dion,
et furent ses vrais maîtres d'éloquence. A l'école des sophistes, il
avait appris à discourir éléganunent sur toutes choses, et il était
devenu le premier d'entr'eux par le tour ingénieux qu'il donnait
à ses éloges fictifs et à ses paradoxes^, lorsque la philosophie,
s'emparantde lui, vint donner à sa vie et à sa pensée une direction
plus sérieuse et un but plus noble. Bientôt la persécution deDomi-
tien le jeta hors de l'Italie, les fortunes diverses de l'exil le con-
duisirent chez les nations les plus éloignées, le mirent en contact
avec toutes les classes sociales, le réduisirent à gagner sa vie par
le travail de sesmains. Puis l'amitié de Nerva et Trajan le rappela
à Rome : il fut admis dans l'intimité de ces princes passionnés pour
le bien public , il entra dans leurs conseils et il y prit l'habitude
et le goût des grandes affaires. Enfin il retourna dans sa patrie :
là, il lui fallut combattre l'ingratitude de ses concitoyens, la
haine d'ennemis acharnés et puissants, et répondre chaque jour à
la calomnie par des faits précis et des exposés exacts. Sous le
sentiment de ces nécessités impérieuses, son éloquence se dégagea
naturellement de l'emphase et du mauvais goût et prit quelque
chose de plus mâle et de plus serré. Mais dans les cas où il a
abordé un sujet ne comportant qu'un intérêt littéraire et philo-
sophique, il n'a pas su, ni peut-être voulu, s'affranchir complè-
tement des défauts de son temps, bien qu'ici encore il joignît à
l'habileté oratoire et à la facilité de parole qu'il devait à son éduca-
tion première, un fonds d'expérience personnelle et de connais-
sances positives qui manquaient nécessairement à Isée et à
Nicétès *.
1. Soph., I, 7.
2. Vie de DUm.
3. Eloçieê 4e la puee^ du perroquet, de la chevelure. Harangues contre les
phUosophei. DeteriplUm imaginaire de la vaUée de Tempe.
4. Philostrat Sopk. 1, 19, 10, Plin., Ep., II, 3.
— 247 —
Sauf le Panégyrique dont nous parlerons plus loin , les mo*
numents de Téloquence latine sous le principat de Trajan ont péri.
Nous ne pouvons donc nous rendre un compte bien clair de cette
décadence qu'ont déplorée les contemporains. L'intéressant Dia-
logue où Tacite en décrit les effets et en recherche les causes est
lui-même mutilé ; ainsi les pièces du procès nous manquent et
l'acte d'accusation est incomplet. Tacite ^ explique avec autant
d'élévation que de justesse comment les nouvelles conditions de la
vie sociale et du r^ime politique rendant le talent de la pa-
role moins nécessaire à quelques égards, sa puissance fut par
là même amoindrie. J'oserai dire, pourtant, que dans le résumé
de la question £ait par Matemus, les différences entre les temps
anciens et celui où il vit me semblent un peu exagérées. Par
exemple ce droit d'accuser les hommes les plus puissants' qui,
au septième siècle de Rome, stimulait l'orateur et enflanmiait son
génie, n'était pas perdu cent cinquante ans plus tard : on connaît
assez l'efiroyable usage qu'en ont fait les délateurs. Ceux-ci, à
leur tour, n'avaient souvent pour arme défensive que leur parole
quand, à l'avènement d'un nouveau prince, chacun se mettait en
mesure de venger ses amis ^. Les procès politiques avaient autant
de retentissement que par le passé; malgré les réformes appor-
tées dans le gouvernement des provinces, Cicéron aurait encore
trouvé l'occasion de prononcer des Verrines sous les Césars, et
Pline compte quatre beaux procès de concussion parmi ses triom-
phes ^ Ainsi, les grands sujets ne manquaient pasàréloquence,et
sa décadence n'est pas imputable à la pauvreté du fond. Mais, ce
que Maternus ne dit pas, elle était énervée et dénaturée par l'effet
de cette séparation entre les lettres et le peuple qui stérilise alors
toutes les branches de la littérature latine. Cicéron s'adressant à
des auditeurs de toutes conditions et de tous métiers, à des
esprits très-inégalement cultivés , ne pouvait agir sur une pareille
foule, la saisir et l'entraîner, que par la lucidité de son plan, la
clarté de ses récits, l'ordre logique de ses preuves, l'appel
réitéré aux grandes passions , en un mot par l'emploi de tout
ce qui fait la véritable et solide éloquence. Quel que fut son
penchant naturel à faire valoir sa science et son esprit^ l'ora-
teur devait rester dans les hautes régions de l'art ; les longues
1. Je suppose que Tacite a mis ses opinions personnelles dans la
bouche de Maternus, qui a la parole le dernier.
2. Accutaiiones potentium reorum, c. 36.
3. Suet TU. 8. DomU. 9. Plin. Ep. IX, 13.
4. Ep. VI, 29.
— 248 —
études préparatoires auxquelles il s'était livré ne tendaient
qu'à le rendre maître de moyens puissants et simples pour con-
vaincre et pour toucher. Quand ces grandes luttes oratoires
furent portées dans la curie, il semble que les cinq ou six cents
sénateurs S spectateurs et juges du combat, formaient encore un
public assez imposant pour donnerduprix au succès: les orateurs
modernes ont rarement un plus nombreux auditoire. Mais si leur
voix s'arrête matériellement à l'enceinte du parlement et du tri-
bunal, elle finit, au moyen de la presse, et grâce au développe-
ment de l'instruction générale , par arriver jusqu'au peuple, et
ils se retrouvent ainsi, comme l'orateur antique^ placés au milieu
de conditions difficiles^ mais salutaires, où leur talent, soumis aux
jugements les plus divers et contraint à de perpétuels efiforts pour
ne pas déchoir, va grandissant et se fortifiant. Au contraire,
les discours prononcés dans le Sénat par Pline ou Tacite pas-
saient ensuite sous les yeux des lettrés : tous, orateurs, audi-
teurs et lecteurs, avaient fait les mêmes études sous les mêmes
maîtres et vivaient ensemble, dans une communauté complète
d'habitudes, de goûts et de préjugés. L'orateur était donc dis-
pensé de tout efibrt pour amener ceux qui l'écoutaient ou le
lisaient à partager ses sentiments ou ses idées : il n'avait plus
, de principes à développer, de grandes passions à soulever, de
convictions rebelles à forcer, et il ne pouvait atteindre le succès
auquel il aspirait qu'en flattant le goût du jour, en multipliant
les pensées ingénieuses, les tours de phrase élégants, ces fleurs,
ces beautés de langage ' qu'admiraient et que demandaient les
connaisseurs.
Messalla, dans le Dialogue, assigne d'autres causes au déclin
de. son art. Il incrimine la paresse des jeunes gens, la négligence
des parents, l'ignorance des maîtres, l'oubli des anciennes mœurs.
Ici, j'oserais encore dire que ces accusations un peu vagues, et déve-
loppées d'une manière inégale, ne me paraissent pas suffisamment
prouvées. Que les mères aient cessé d'allaiter leurs enfants, ce
fait est étranger aux diverses formes d'éloquence. Ces en&nts
songeaient aux courses de chevaux, aux gladiateurs, aux panto-
mimes plus volontiers qu'à leurs études : il n'y a là rien de bien
extraordinaire et je cherche conunent une disposition si naturelle
put exercer une influence décisive et funeste sur les destinées de
l'art. Leurs études manquaient de solidité : ici nous touchons au
1. Auguste fixa leur nombre à 600. Dion, LIY, 14.
2. Tacit. DUa, 20.
— 249 —
point essentiel et nous nous trouvons en présence d'un fait im-
portant : Suétone * se plaint aussi de l'abaissement ou plutôt
de la disparition des études de grammaire ^ c'est-à-dire
des études littéraires méthodiques et approfondies : le temps qui
leur était judicieusement réservé dans l'ancien système d'éduca-
tion était maintenant consacré à l'exercice abusif et prématuré
de la déclamation. Cette substitution n'est pas le fait des élèves,
mais celui des parents et des maîtres , et elle est imputable plutôt à la
vanité de ceux-là et à la condescendance de ceux-ci au goût du
jour, qu'à leur négligence ou à leur ignorance*. La déclamation,
d'ailleurs, n'entraînait pas toutes les conséquences funestes dont
se plaignent habituellement les historiens de la littérature. Ils ne
sont, dans ce cas, que les échos des anciens ; mais le témoignage
de ceux-ci ne doit pas être accepté sans réserves. Les sujets des sua-
soriœ et des controversiœ n'étaient pas toujours ridicules comme
ceux qu'allèguent à l'appui de leurs plaintes Pétrone et Tacite. Les
questions débattues n'étaient pas nécessairement fictives, et les
discussions relatives au dessèchement des marais Pontins, à la
création d'un port à Ostie, au percement de l'isthme de Corinthe
pouvaient éveiller des idées justes et provoquer d'utiles recherches;
elles répandaient dans le public des notions utiles sur l'opportu-
nité et sur les difiScultés de ces entreprises, et l'on doit croire
qu'elles furent prises en considération dans les mesures prises sur
ces divers sujets, par le Sénat ou l'Empereur. Dans les Contro-
versiœ se présentaient souvent, comme on l'a remarqué ^, des
points de droit où il devenait nécessaire de remonter à l'esprit
d'une loi, d'en peser les termes ou d'en provoquer la réforme : les
déclamateurs ont pu travailler ainsi à la diffusion des doctrines
philosophiques et déterminer ce courant d'opinion publique sous
la pression duquel les jurisconsultes des deuxième et troisième
siècles commencèrent à tempérer la rigueur et l'âpreté de l'an-
cien droit. Enfin, il y a de l'exagération à soutenir, comme l'ont
fait les anciens, qu'un jeune homme, pour avoir traité des sujets
fictifs sous la direction d'un maître, sera, plus tard, incapable
d'aborder et de traiter des sujets réels. C'est un apprentissage
auquel tous les orateurs de l'époque républicaine s'étaient sou-
mis sans compromettre leur talent ni leur gloire *, Seulement, la
déclamation était l'essai et non l'emploi de leur force. À qui im-
1. lU, gramm. 4. ,
2. Tacit. nicd, 28.
3. Denis. Histoire des idées morales dans VantiqtUté, II, 117.
4. Gic. Brut, 90. Sue t. Wiet, I.
— î5d —
puter le changement snnrenu à cet égard dans l'opinion et dans
les habitudes? sinon aux lettrés, qui se donnaient pour les inûta-
teurs des anciens, et pourtant osaient dire que ces exercices
d'école constituaient un usage de la parole plus noble et plus raf-
finé que son emploi à la défense des intérêts privés et publics.
C'est Pline qui loue Isée de ce qu'à l'âge de soixante ans il n'avait
pas quitté les bancs de l'école : on le félicitait de n'avoir pas dé-
floré sa délicatesse au contact des réalités ^ Qu'on s'étonne, après
cela, de l'importance que les parents et les maîtres attachaient à
faire acquérir aux en&nts une élocution brillante et un débit
facUe, seules qualités prisées des amateurs d'éloquence. Tout cons-
pirait à dégoûter les jeunes gens des études solides et à leur faire
perdre de vue les règles et le but de l'art qu'ils cultivaient.
Pline déclare que l'éloquence judiciaire est perdue et anéantie*.
Il nous dévoile les manœuvres de certains parleurs du barreau :
on entendait là des jeunes gens qui venaient plaider sans prépa-
ration, sans connaissances juridiques, ne se souciant point,
d'ailleurs, de l'intérêt de leur client et ne mettant au service d'au-
cune conviction leur faconde retentissante. Us ne cherchaient
qu'un succès bruyant, et cela par des moyens étrangers à l'art
oratoire. Us achetaient, à beaux deniers comptants, des auditeurs
qu'un entrepreneur se chargeait de recruter par la ville et de réu-
nir dans la basilique où se jugeait le procès. A son signal, les
approbateurs enrôlés faisaient retentir les voûtes de leurs applau-
dissements et de leurs cris. Leur enthousiasme troublait tout un
quartier et empêchait l'audition des affaires dans les tribunaux
du voisinage. Assurément , ce charlatanisme perdait l'art : mais
étaientp-ils bien propres à le maintenir dans sa voie véritable,
ceux qui, pour s'acconunoder au goût du jour, mettaient de la
poésie dans leurs plaidoyers et y enchâssaient des morceaux
brillants et des pensées ingénieuses que l'auditeur pouvait retenir
et citer'? Certes, ils ne le compromettaient pas moins grave-
ment.
De cette ^que, il ne reste aucun morceau du genre que
les anciens appdaient délibératif. PUne, dans sa correspondance,
X^Bp, II, 3. Annum sezagesimum ezcessit et adhuc scholasticus tan-
tum est : quo génère hominum nihil aut simpUcius aut sincerius,
aut melius. Nos enim, qui in foro verisque iitibus terimur, multum
malitiae, quamvis nolimus, addiscimus.
2. Ârtificium... nunc prope funditus extinctum et eversum est. Bp.
II, 14.
3. Tacit. Dtol. 20.
— 254 —
n'apprécie littérairement aucun discours prononcé dans le Sénat
sur les questions administratives et politiques : il est donc à sup-
poser que les orateurs qui traitaient alors les affaires publiques
ne se préoccupaient pas, autant que les avocats, des recherches
du style, et qu'ils avaient conservé ce tour de parole naturel et
simple, ce minor apparatus qui, au temps de Cicéron, carac-
térisait l'éloquence sénatoriale S et que l'on retrouve encore dans
le discours de l'empereur Claude *.
Dans le genre épidictique^ les éloges funèbres avaient gardé
leur physionomie antique, cette brièveté excessive qui leur donne
un cachet incomparable et tout romain de sévère grandeur'.
Mais le Panégyrique, qui occupe une si grande place dans
la vie littéraire et politique de Pline, et qui, lu devant les
meilleurs juges du temps , fut refondu et travaillé avec tant
de persévérance, ofifre un tout autre caractère. Il y faut dis-
tinguer la forme et le fond. On croirait difficilement, si l'au-
teur ne nous l'attestait, que nous devons y chercher les
marques à'une tentative faite en vue de ramener l'éloquence
au bon goût et à la simplicité. Il paraît que les endroits traités
avec le style le plus sévère sont ceux qui furent aussi le plus
approuvés des connaisseurs ^ : Pline est à la fDis étonné et fier
de son succès. Nous avons peine à retrouver ces beautés sévères et.
nous sommes choqués, au contraire, des flagorneries énormes,
des louanges monotones, du style artificiel et maniéré. Il ne faut
pas oublier, toutefois, que le discours prononcé au Sénat devant
Trajan n'était qu'un remerciement fort court : ce que nous lisons
est une amplification de l'original, qui fait peu d'honneur au
goût de Pline et aux habitudes littéraires du temps, mais qui du
moins laisse intactes la dignité de l'auteur et celle de l'em-
pereur. Il faut reconnaître aussi que l'intention de l'orateur était
bonne : il met presque toujours un conseil sous la louange et tem-
père les flatteries par des leçons. La manière dont il parle de
Domitien faisait comprendre à Trajan comment il serait lui-même
traité, le lendemain de sa mort, s'il gouvernait despotiquement.
n fallait assurément une certaine hardiesse pour dire à un prince
tout puissant : « Souviens-toi de ce que tu pensais, de ce que tu
« disais quand tu étais comme nous, sujet d'un maître absolu, et
1. De araiare, II, 82.
2. iDscription de Lyon.
3. Oraison funèbre de Matidie par Hadrien.
4. Ep. III, 18.
— 252 —
€ vivant dans les alarmes. » Car Pline ne cache pas à Trajan
qu*il prétend lui donner des conseils * et que l'audition par le
prince de son propre éloge constitue, entre lui et le Sénat au nom
duquel parle Torateur, une espèce de contrat. Le panégyrique,
compris de cette façon , devenait donc une sorte d'Adresse, sou-
vent renouvelée *, dans laquelle, en gardant les ménagements
nécessaires, on pouvait faire entendre à l'empereur des récla-
mations et des remontrances. Les flatteries prodiguées par l'ora-
teur devaient ainsi faire passer des vérités importantes, et
consolider une utile institution politique. Par ces ingénieux dé-
tours, un prince libéral et un bon citoyen faisaient tourner à
l'avantage public un usage fondé par l'esprit de courtisanerie et
perpétué par la servilité. On . peut facilement croire que jusqu'à
la mort de Marc-Âurèle, Vactio gratiarum de chaque nouveau
consul servit ainsi d'expression au vœu public. Mais, depuis
Commode, les progrès du despotisme s'unirent à ceux du &ux
goût pour dénaturer le caractère et la forme de ces discours.
Les empereurs n'acceptèrent du panégyrique traditionnel
que le tribut d'éloges invariablement décerné au prince ré-
gnant, et ils n'auraient pas souffert les leçons discrètes et les
vœux respectueux qui s'y joignaient dans les temps de liberté
publique : les auteurs du iv^ siècle n'imitèrent, de Pline, que les
éloges hyperboliques et le style ampoulé, et se gardèrent de lui
prendre la hardiesse civique et les courageuses inspirations.
Les Lettres de Pline offrent , il en convient lui-même, moins
d'intérêt que la correspondance de Cicéron ^. Celui-ci, nous dit-il,
indépendiônment des ressources de son génie, trouvait dans la
diversité des événements et dans leur importance une matière
abondante. Il n'a pas relevé une autre différence, encore à l'avan-
tage de Cicéron et qui consiste en ce que les lettres de celui-ci,
non destinées à la publicité, ont un cachet de franchise et une
saveur de sincérité que la moindre préoccupation littéraire eût
fait disparaître. Au contraire , les préoccupations de cette espèce
dominent entièrement Pline quand il écrit à ses amis. Il avait
formé le dessein de réunir et de publier sa correspondance * ; et l'on
sait à quelles révisions scrupuleuses et répétées il soumettait ses
1. Paneg,, 53.
2. La durée du consulat varia de quatre à deux mois jusqu'au com-
mencement du règne d*Hadrien où elle fut régulièrement fixée à deux
mois (Henzen dans Borghesi, VII, 394).
3. Ep. IX, 2.
4. Ep. I, 1.
— 253 —
moindres ouvrages avant de les abandonner à leur destinée. Nous
pouvons donc affirmer que chacune des lettres fut copiée en autant
d'exemplaires que Pline comptait d'amis parmi les gens de goût,
que chaque copie lui fat renvoyée avec des observations critiques,
et que la forme définitive sous laquelle nous la lisons ne fat
adoptée qu'après de longs et consciencieux débats ^. Quoi qu'il
en soit, la Correspondance est, dans la pénurie des témoignages
historiques contemporains, un document de grande importance et
un type intéressant de la prose latine. Elle jette peu de jour sur
les affaires du temps, mais elle £ait très-bien connaître Pline, qui
s'y dévoile ingénument. L'homme s'y montre bien supérieur à
l'auteur. Sa vanité est souvent ridicule : il ne nous laisse ignorer
ni ses succès littéraires , ni les bontés que l'empereur a pour lui,
ni les bienfaits dont il comble ses amis et ses compatriotes ; mais
il est aussi heureux des succès d' autrui que des siens propres,
il loue les autres aussi volontiers qu'il se loue lui-même, il n'é-
pargne pour les obliger ni son argent, ni son temps, ni sa peine,
ne voulant pour récompense que le droit et le plaisir de s'en vanter.
Personne ne s'est jamais intéressé plus vivement aux lettres et à
ceux qui les cultivent, et pour les maintenir florissantes il a dé-
ployé tous les moyens, malheureusement peu efficaces, que son
temps comportait. Dans l'expression des sentiments intimes, il
montre d'aiUeurs une délicatesse étudiée qui a souvent bien du
charme, et son style même devient quelquefois rapide et simple, à
force d'étude.
Nous arrivons enfin, pour épuiser cette revue des genres litté-
raires, à l'histoire, qui fat sous Trajan l'occupation favorite de
maint écrivain, à Rome et dans la Grèce. Mais aucun d'eux n'y
apporta la méthode sévère et les précautions scrupuleuses qu'on
y requiert aujourd'hui. Les anciens concevaient l'histoire autre-
ment que nous, et ils y cherchaient un autre plaisir. Quintilien -
trouve qu'eUe présente des rapports étroits avec la poésie :û assi-
mile les compositions historiques à des poèmes en prose où l'écri-
vain doit s'efforcer, par la recherche des mots et la hardiesse
des figures, de prévenir l'ennui inséparable de longs récits. Une
teUe manière de voir nous explique immédiatement le caractère
de bien des livres de ce temps ; les pauvres auteurs que Lucien a
1. C'est d'ailleurs le moment où le genre épisiolaire prend sa place et
son rang dans le domaine de la littérature, et où Démôtrius en édicté
les lois.
2. Inst, Orat. X, 1, 31.
— i54 —
raillés d'une &çon si mordante, et qui offiraient au public des récits
romanesques où ils rivalisaient d'exagérations, de mensonges et
de mauvais style S n'avaient fait que suivre à la lettre lesconseils
donnés par le plus célèbre des critiques contemporains, pour exci-
ter et entretenir la curiosité du lecteur. Sous l'empire de cette
théorie littéraire, ceux mêmes qui traitèrent l'histoire avec un
esprit plus droit et plus ferme et un goût plus pur , ne laissèrent
pas que de poursuivre l'agrément aux dépens delà vérité. Ni Tacite
ni les historiens contemporains ' ne songèrent à abandonner
l'usage ancien et consacré des harangues fictives qui, en inter-
rompant le cours delà narration, y jetaient une variété alors
agréable à des lecteurs peu soucieux de l'exactitude scrupuleuse
et de la couleur locale. Tacite soignait beaucoup ces morceaux
d'apparat : il mettait dans la bouche de Galgacus des maximes
politiques et des phrases brillantes qui durent ravir les amateurs
de beau style et qu'assurément les collecteurs de Concianes insé-
rèrent de suite dans leurs recueils'. Il changeait aussi, pour les
accommoder au goût du jour, les discours ofSciels tels que celui
de Claude en faveur des Eduens, discours dont le texte vrai dif-
fère tellement de la harangue insérée au xi® livre des Annules
qu'on a pu se demander si ces deux morceaux se rapportaient
bien à un seul et même sujet. Obéissant à la même tendance,
rhist(»ien, en racontant des guerres malheureuses , taisait le
nombre des Romains tombés sur les champs de batailles pour ne
pas produire chez son lecteur une émotion pénible, et ne voulant
pas, sans doute, heurter les préjugés dominants, il ne se don-
nait pas la peine de prendre sur les juifs et sur les chrétiens des
informations plus pnk^ises que les propos moqueurs des cercles
lettrés de Rome, ou les récits malveillants de la populace. Il
est vrai que parfois, avec une apparente indépendance, il rejette,
aussi bien que Suétone, des fables chères au patriotisme et dont
Tite-Live s'était fait le garant, mais cette élimination n'est pas le
résultat d'une étude approfondie des sources, ni un aveu arraché
à l'impartialité scientifique ; il n'y faut voir que le symptôme d'un
scepticisme croissant qui s'étend au passé de Rome aussi bien qu'à
son avenir^. Quant à Plutarque, il raiUe ceux qui cherchent l'exao-
1. Ghassang. Hittoiredu roman, p. 166.
2. Bgger. Examen dei MUorient dPAugwU. Appendice I*\
3. Pline, Ep.^ I. 16, admire beaucoup les dm/dùnsi que son ami Pom-
peius Saturninos mollit à ses récits historiques. Pour la formation de
recueils de discours fictifs, v. Suétone, DùmU. 10.
4. Orose. HUt Vil, 10. — 5. Egger. Mémoires dChitloire ancienne, p. 303.
— 855 —
titude àtiùê la duronologie S et il se montre si peu soucieux d'indi-
catioiis géographiques un peu précises quil ne nomme pas les
lieux où se sont livrées des batailles dont il raconte les péripéties*.
Cependant il serait injuste de ne voir dans les historiens du
second siècle que des rhéteurs ou des artistes. Ils prirent de l'his-
toire une idée plus élevée que celle qu'en avait donnée Quintilien,
et ils la regardèrent comme le mode le plus efficace de renseigne-
ment moral ^ et comme une sanction définitive des gloires ou des
flétrissures prononcées par les cont^nporains ^ Thucydide et Po-
lybe, qui Tout considérée comme la science sociale par excel-
lence, chargée de recueillir les fsiits pour fournir à la politique une
base expérimentale, s'en faisaient sans doute une idée plus haute et
plus juste. Notre siècle, qui n'assigne plus à l'histoire d'autre but
que l'histoire elle-même, ni d'autre tâche que de faire revivre
aussi fidèlanent que possible les hommes qui furent avant nous,
et auxquels nous relie une solidarité chaque jour mieux sentie,
notre siècle s'est placé à un point de vue plus large encore, et
duquel la théorie de Plutarque et de Tacite nous paraît insuffi-
sante et mesquine. Mais qui ne sent ccHnbien cette théorie dépasse
celle de Quintilien? Sa conception seule est déjà un retour aux
vraies conditions du genre historique. En dressant un tribunal
du haut duquel il jugerait les faits et les personnages qu'il évoque,
l'historien s'engageait, en effet, à se montrer strictement impar-
tial , et la recherche de la vérité devenaitle premier de ses devoirs.
Tacite le comprit : s'il se mit à l'œuvre, ce fut pour rétablir la
vérité que l'adulation ou la haine avaient altérée ^, et il la pour-
suivit avec une entière bonne foi*. Nous avons relevé plusieurs
fautes où l'entraînèrent des défauts de méthode et des préjugés lit-
téraires communs à tous les écrivains de l'époque, et dont le génie
le plus puissant et le plus original ne pouvait complètement s'af-
franchir. Mais ces éiiblesses de l'esprit n'ont pas gagné son
1. ViedeSoUm. G. 27.
2. Vie d'Artaxerce : il ne nomme pas Gunaxa. Il était incapable de rap^
porter un mois macédonien au mois athénien correspondant (Préret,
Mém. de VAead, des Inscript. XXVII, 141).
3. Tacit. Ann.y IV, 32, 33. Plutarch. Pau/. Aemtf., I.
4. Tacit. Ann., Ili, 65. Plin. Ep.y IX, 27. Cf., T, S. Plutarque ne s'étant
plfleê qu'au t^remier de ces points de vue, prend indifféremment ses
exemples dans les époques historiques ou dans les temps fabuleux.
5. Ann., I, 1. Ifiif., I, t.
6. Rien de plus simple et de plus loyal que ia manière dont il emploie
les témoignages historiques : Nos, consensum auctorum secuti, quae
diversa prodiderint sub noroinibus ipsorum trademus.
— 256 —
cœur ; la passion qui a coloré son style n'a jamais dicté ses juge-
ments, et il n'a prononcé aucune condanmation sans avoir fait,
quand il y avait lieu, la part du bien et du mal. L'histoire ces-
sant d'être un art d'agrément , la question de style, qui pri-
mait si mal à propos toutes les autres, perdit son importance
et fut résolue aussitôt d'une manière conforme au bon goût. Rien
n'est plus démonstratif à cet égard que la lettre de Pline à Capi-
ton où sont comparées la langue de l'historien et celle de l'ora-
teur. Les qualités qu'il assigne à l'une sont précisément, et
dans les deux cas, celles que Quintilien recommandait pour
l'autre *. On ne peut imaginer deux doctrines plus directement
opposées, et on mesure avec surprise quel étonnant progrès
avait fait en quinze ans l'esprit critique *. Ainsi, du règne de
Trajan, date un changement capital dans la conception de
l'histoire, mais la décadence des bonnes études fit bientôt avorter
les fruits de cette heureuse révolution.
Cette époque offre trois genres de compositions historiques :
l'histoire générale, que l'œuvre de Tacite représente seule aujour-
d'hui ', puis les biographies morales * dont VAgricola et les Vies
de Plutarque fournissent les types caractéristiques, et enfin les
1. Plin. Ep., V, 8 : Orationi et carminiparva gratia, nisi eloquentia est
summa; historia, quoquo modo scripta, delectat.
2. Les écrits de Tacite montrent les progrès d*un goût toujours plus
pur. Ses premiers ouvrages renferment beaucoup de tournures poéti-
ques : on y reconnaît les verba remoUora, les figurae liberiores de Quinti-
liea Le style plus sobre et plus clair des Annales offte les ossa, mus-
culi, nervi de Pline.
3. Arrien et Appien ont vécu sous Trajan, mais écrit après sa mort;
aussi bien que Florus, dont le meilleur manuscrit (à Bamberg) porte : c sub
Trajano principe movU lacertos et praeter spem omnium senectus impe-
rii quasi reddita retintit. Ed. Halm., p. 4. i
4. Les biographies composées sous Trajan par des écrivains latins
étaient généralement inspirées par un sentiment de vengeance poli-
tique. On entreprit de raconter les beaux trépas des règnes précédents :
G. Fannius, (Plin., JSjp., V. 5) ceux des malheureux condamnés par
Néron; Titinius Gapito, ceux des victimes de Domitien (Plin., 17p.,
VIII. 12). La vie d'Agricola appartient, comme celle de Vestricius Cot-
tius composée par Pline {Ep., III, 10), à cette classe d'ouvrages qu'on
peut considérer comme un développement de la laudatio funebrit.
(V. sur cette question fluebner., Hermès, I, 43S-448. Cf. Revue critique^
IV, 2 p. 51.) Ce que dit Pline des biographies composées par Capiton en
montre assez le caractère : Scribit exitus Ulustrium virorum, in his
quorumdam mihi carissimonim. Videor ergo fungi pio munere, quo-
rumque exequias celebrare non licuit, horum quasi fùnebribus lau-
dationibus, seris quidem, sed tanto magis veris ioteresse.
— 257 —
compilations anecdotiques dont Suétone a donné les premiers
modèles ^ . Dans aucune de c^ catégories on ne trouve le récit
de faits appartenant au règne de Trajan : nous devons donc nous
borner à une appréciation très-sommaire^. Contentons-nous de
marquer un trait commun aux historiens que nous avons nom-
més. Tous les trois sont des psychologues : les individus tiennent
plus de place dans leurs œuvres que la société, et l'étude des pas-
sions y est développée à l'exclusion et aux dépens des événements
historiques un peu complexes et à grande portée. L'idée d'une
histoire pragmatique était définitivement abandonnée : d'une part
les hommespolitiques s'exagéraient l'impuissance des gouvernés à
prendre part à la direction des affaires publiques , et les gouver-
nés, comme nous l'avons dit, s'étaient paisiblement désistés
de toute participation à ces affaires ; de l'autre côté, les histo-
riens exagéraient les difficultés qu'ils devaient rencontrer dans
leurs investigations ^ . Les archives impériales n'étaient pas aussi
impénétrables qu'ils l'ont dit, ni le secret des délibérations prises
dans le conseil des princes n'était aussi bien gardé; quand même
quelques documents leur eussent été refusés, la succession et la
nature des faits suffit dans bien des cas pour éclairer leurs causes^.
i. Egger. Examen des historiens d'Auguste, 265, 278.
2. On peut dire que la critique commence à peine pour Tacite, car ce
n'est que tout récemment qu'on a entrepris de distinguer ce qui lui est
personnel et ce qu'il doit à ses devanciers, de déterminer les sources où
il a puisé, de décrire ses procédés d'emprunt. Pour ses rapports avec
Gluvius Rufus, V. Mommsen, Hermès, IV, 295-325. Le nom de Tacite
a trop longtemps servi à défrayer les discussions de politique contem-
poraine ; il n'est que temps d'entrer dans l'examen direct de son œuvre.
Quelques pages excellentes de M. E. Despois (Revue nationale, XXIII,
101-106) auraient dû mettre fin aux éloges hyperboliques et aux colères
puériles qui s'exhalent & propos des Annales, L'auteur a parfaitement
reconnu et montré que Tacite est absolument sceptique en matière poli-
tique, mais il attribue cette indifférence à la misanthropie. Après avoir
partagé cette opinion, développée avec une ardeur de conviction et une
vigueur de style qui forcent d'abord l'assentiment, je m'en sépare et je
crois que l'indifférence de Tacite n'est pas d'une autre nature que celle
de ses contemporains; on ne songeait pas aux questions de gouverne-
ment : voilà tout. Le pessimisme de Tacite me paraît d'ailleurs un peu
exagéré dans cet article ; Tacite a méprisé beaucoup d'hommes, et son
mépris reste légitimement attaché à leur mémoire, mais pas un mot
de lui ne donne à croire qu'il ait méprisé Vhomme. Sa mélancolie est
celle qu'Aristote a signalée chez tous les grands génies.
3. Dion, LUI, 19.
4. Tacite a senti (Hist., I, A) qu'il fallait montrer comment les événe-
ments se rattachent à leurs causes ; mais il ne dit pas que cet enchaî-
nement puisse servir de base à une prévision rationnelle de l'avenir.
DE LA BKBGE 47
De plus les écrivains du second siècle, entraînés dans une
évolution dont ils ne connaissaient ni la marcdie ni l'importance,
ne pouvaient émettre des vues d'ensemble comme le firent Tite-
Live, quand se fermait une période nettement définie de l'histoire,
ou Paul Orose, au moment où la civilisation antique allait diqf^-
raître en laissant la place à un ordre de choses tout nouveau.
Uhistoire devenait donc nécessairement psychologique et dès lors
se trouvait amenée à recueillir les petits faits et les détails fami-
liers dans lesquels se dévoilent les passions et les caractères. Plur-
tarque les a ramassés avec bonheur et racontés sans scrupules,
attendu qu'il n'écrivait ses biographies des honmies célèbres que
pour son plaisir et celui de quelques amis ; mais Tacite ne se con-
solait pas de traiter des sujets que ses prédécesseurs auraient trou-
vés mesquins ; il exprime plusieurs fois à ce propos son embarras
et ses craintes ^ Vaines en ce qui concerne la gloire de Tacite
lui-même, ces craintes n'étaient pas sans fondement à l'égard
des destinées de l'art qu'il avait porté si haut, car Suétone aUait
montrer bientôt à quoi se réduit l'histoire psychologique traitée
par un esprit ordinaire et laborieux, recueillant les petits faits
sans les choisir ni les ordonna.
1. Ann., IV, 32. XIII, 31.
CHAPITRE XVII.
LES SCIENCES.
L'histoire nous amène, par une transition naturelle, auxsciences
dont la culture prit, vers cette époque, une certaine importance.
Les loisirs de la paix, le déyeloppement de la richesse, avaient
déterminé un mouvement général de curiosité, et le goût des
études de toutes sortes s'était répandu dans la classe moyenne.
La nécessité de mettre rapidement les esprits au courant des
résultats acquis dans les différentes branches des connaissances
humaines, et de classer les faits recueillis depuis tant de siècles, se
&isait donc impérieusement sentir : à ce besoin répondirent de
nouveaux traités élémentaires, résumés qui n'ajoutaient rien à la
science, mais qui la propagèrent et qui ont servi de bases aux
recherches ultérieures. Dansle naufrage deslettres antiques, quel-
ques-uns de ces manuels, sauvés par leur petit volume, ont pris
une importance hors de proportion avec leur valeur réelle, en
devenant les anneaux de la chaîne qui a relié les deux grandes
périodes de la civilisation et préservé d'un anéantissement total les
efforts des générations anciennes. Ainsi, les cinquante premières
années du deuxième siècle virent éclore, sur chaque art et sur
chaque science, des traités techniques ^ , des commentaires, des Ins^
titutiones. En même temps les encyclopédies et les lexiques met-
1. On admet généralement que le TerentianuB Maurus, auteur du De
literU syllabiê^ etc., est eelui dont parle Martial (I. 87). Héphestion, qui
fut précepteur de Lucius Verus, et dont on a un manuel de métidque
grecque, doit avoir vécu sous Trajan.
— 260 ^
talent à la portée de tous, sous une forme concise, les grands faits
et les noms célèbres de la littérature etderhistoire. Dans la foule
des compilateurs qui travaillaient alors, Suétone mérite une place
à part, en raison du nombre et de l'importance de ses ouvrages :
la liste qu'en donne Suidas témoigne d'une érudition variée et
d'une activité infatigable. De ces ouvrages presque tout a péri, mais
saint Jérôme et Isidore en avaient fait heureusement passer la
substance dans leurs compilations, de sorte que les fruits du tra-
vail de ce diligent explorateur de l'antiquité n'ont pas été com-
plètement perdus, et sont venus jusqu'à nous, sans que nous
sachions toujours à quel point nous lui sommes redevables. Ce
goût d'érudition provoqua chez les grammairiens un redouble-
ment d'activité *. Valerius Probus se signala entre tous par
l'exactitude de ses recherches ; il donna une base solide aux études
littéraires en établissant les textes authentiques des principaux
auteurs latins ^. Mais la science du temps ne se borna pas à cette
tâche utile et modeste; elle visa plus haut, et créa des méthodes :
Apollonius Dyscole établit les lois philosophiques de la syntaxe et
tenta de donner une forme scientifique à la grammaire ^. Le livre
de Quintilien précéda de si peu l'avènement de Nerva * qu'il se
rattache véritablement à l'époque dont nous nous occupons. La
difiërence des temps et des civilisations a rendu inutiles pour les
nations modernes la plupart des préceptes développés dans Y Ins-
titution oratoire. C'est l'œuvre d'un esprit plus laborieux qu'é-
levé : on n'y rencontre aucune de ces vues de génie qu'un Aristote
et un Cicéron jettent sur la nature de l'art et les conditions du
beau. Mais une douce influence morale anime l'ouvrage d'un bout
à l'autre : d'ailleurs les deux premiers livres seront toujours lus
avec admiration et médités avec profit. La pédagogie, dégagée
des préjugés politiques et des traditions locales qui, en Grèce,
pesaient sur elle jusqu'à la fausser , apparaît ici fondée sur des
vues plus larges et plus humaines, qu'avaient développées les stoï-
ciens. Le livre de Quintilien en ofire le premier traité méthodique,
et par son double caractère d'universalité et d'utilité pratique,
il mérite d'être rangé au nombre des plus belles productions du
génie romain.
Le goût de vulgarisation que nous avons signalé se marque
1. Velius Longus est de cette époque.
2. Suèt., lUust, gramm.y 24. Cf. Pauli, Real-Encycl,, VI, p. 59.
3. Egger, ApoUonius Difseole, 236, 246.
4. En 95.
— 264 —
surtout dans les sciences exactes et dans les sciences naturelles.
Dans les Mathématiques nous trouvons d'abord le pythagoricien
Nicomaque de Gérasa , auteur d'une 'AptOjj.iQTtx'îî Eica-Yo-rt qui est
plutôt un traité spéculatif sur les nombres qu'un ouvrage pra-
tique ^ Mais son influence dans les âges suivants fut considérable
puisque Y Arithmétique de Boèce n'est qu'une traduction libre
et paraphrasée de Nicomaque *. Les « Notions mathématiques
utiles pour la lecture de Platon , » composées vers le même temps
par Théon de Smyrne^, n'offrent dans la partie arithmétique
que des vues philosophiques analogues à celles qui constituent le
fond de l'ouvrage de Nicomaque. Ces»spéculations transcendantes,
inspirées par des conceptions étrangères à l'esprit mathématique,
ont eu cependant une action réelle, quoiqu'indirecte, sur le déve-
loppement de la science, en entretenant l'ardeur des recherches et
en faisantdécouvrir quelques propriétés intéressantes des nombres*.
Les livres sur le Calcul des Cordes, qu'avait composés Mé-
nélaus ^, ont péri : en revanche nous avons ses trois livres de
Sphériques. La première proposition du troisième livre était le
fondement de la résolution des triangles sphériques chez les an-
ciens^ et elle a servi aux Arabes pour l'élaboration de leurs théo-
ries astronomiques. Mais les mathématiques ne furent guère cul-
tivées sous Trajan qu'en vue de leurs applications. La science
moderne trouve peu de chose à recueillir dans les écrits des
Agrim.ensores, bien que plusieurs des artifices qu'ils employaient
pour résoudre les problèmes de leur art aient paru dignes d'étude
à un maître''. Les progrès de l'architecture à la même époque
supposent une connaissance assez avancée de la géométrie et de
la mécanique. Les ingénieurs ont relevé quelques bonnes re-
1 . Une lettre de Pline, VI, 33, montre que dans la pratique on calculait
avec des jetons.
2. Th. -H. Martin, Rev. Arch., anc. série, XIIl, 511.
3. Th.-H. Martin, Theonis Smymaei liber de Astronomia, 1849, p. 11. Pto-
lemaeo item Smyrnaeus fuit aut coaevus aut paulo anterior. On con-
naît un buste de ce personnage (Visconti, leon, Gr. PI. XIX).
A. Ârcbytas, pythagoricien latén auquel Boèce emprunta VAbacui, ori-
gine de notre système de numération écrite, fut sans doute contempo-
rain de Nicomaque et de Théon.
5. Interlocuteur du dialogue de Plutarque sur la Face de la Lime.
6. Delambre, Histoire de V Astronomie ancienne, I, 245.
7. Biot, Journal des Savants, 1849, p. 247. Il faut remarquer d'ailleurs
que ces artifices se trouvent déjà consignés dans le icepl SioicTpoç d'Héron,
composé un siècle avant notre ère. Th. -H. Martin, Recherches sur Héron,
163-176.
— 262 —
marques dans les recherches hydrodynamiques de Frontin '. Enfin
l'art militaire eut aussi ses traités didactiques '.
La partie de Touvrage de Théon consacrée à V Astronomie
n'offre que des vues spéculatives qui ont peu servi au progrès de la
science^. On cite des observations astronomiques faites par Méné-
laus, la première année du règne de Trajan^. Peut-être Agrippa
de Bithynie * vivait-il encore, peut-être aussi le Théon dont
Ptolémée relate quatre observations faites sous Adrien * avait-
il commencé ses investigations dans le ciel. Mais la création de
la Géographie Mathématique, la plus belle application de
l'astronomie, appartient bien au règne de Trajan. Hipparque
avait senti la nécessité de rattacher la géographie à l'astrono-
mie, et montré comment l'observation du ciel permettait de
fixer la position des lieux sur la terre. Il mesura, dans quelques
villes, la hauteur du pôle au-dessus de l'horizon '', égale à la lati-
tude, et il expliqua comment on pouvait déterminer les longitudes
par l'observation des éclipses de lune *, mais ni lui ni ses succes-
seurs ne songèrent à utiliser ces vues fécondes. Personne ne
recueillit les éléments constitutifs d'une bonne carte du monde
connu avant Marin de Tyr, prédécesseur immédiat de Ptolémée,
qui vécut à la fin du premier siècle ou au commencement du
deuxième. Ce géographe s'attacha à donner la position de chaque
lieu par sa latitude et sa longitude. Les observations directes étant
presque toujours impossibles dans ce temps-là *, Marin compulsa
tout ce que les anciens géographes avaient écrit. Il y joignit la
lecture d'un grand nombre de relations de voyages anciennes et
modernes, discuta toutes les valeurs numériques qu'il en dédui-
1. Bossut, Traité d' Hydrodynamique , dise, préliminaire, pp. iv et v.
c On lui doit (à Frontin) les premières notions de la théorie du mouve-
ment des fluides. » Dans Tart de conduire les eaux il fit c des observa-
tions vraies, » bien qu'on ne trouve aucune précision géométrique dans
ses résultats, et qu'il ait ignoré la loi des vitesses.
2. Celui d'flygin.
3. Biot, Journal des Sawints, 1850, p. 196.
4. Ptol., Syntax. VII, 3.
5. Ptol., Syntax. ibid,
6. SynJtax. IX, 95, X, 1 et 2. — Letronne a prouvé que Cléomède, au-
teur de la théorie circulaire des corps célestes, ne peut avdîr écrit qu'a-
près Ptolémée. Journal des Savants, 1821, p. 712.
7. Ptolémée, Geogr., 1, 4, { 2.
8. Strabon, I, 12.
9. Les instruments étaient alors si imparfaits que Strabon accordait
moins de confiance à leurs indications qu'aux documents fournis par les
voyageurs, n, 1, il.
— 263 —
sait, et construisit sur ces données une carte accompagnée d*un
ouvrage auquel il donna le titre modeste de Correction de la
Carte géographiqiie ^ A mesure que le temps lui apportait des
renseignements plus exacts, que l'étude lui suggérait des correc-
tions, il donnait une nouvelle édition de son livre, et ne cessa de
Taméliorer jusqu'au jour où la mort le surprit au milieu de ce
travail immense et pénible. Malgré ce zèle opiniâtre et cette vigi-
lance toujours éveillée, Marin ne laissait pas un ouvrage com-
plètement satisfaisant. Son esprit paraît avoir été plus laborieux
que méthodique. Ainsi, il avait dispersé à divers endroits de la
Hiàp^iàGiq les indications relatives à un même lieu, ce qui rendait
l'usage de ce livre fort difficile et avait même entraîné
l'auteur dans plusieurs fautes. Il avait adopté pour la longueur
du degré une valeur fausse. Enfin, ayant fait choix d'un mau-
vais mode de projection, il donnait inexactement la figure de la
terre. Le travail de Ptolémée ne consista guère qu'à améliorer le
livre de. Marin en y introduisant quelques corrections et en y
ajoutant ce qui lui manquait sous le rapport de l'ordre et de la
méthode : les vues générales de Marin furent conservées. Ici
comme ailleurs, Ptolémée, doué d'une grande érudition et d'une
activité prodigieuse, n'a guère été que le diligent metteur en
OMivre des résultats trouvés par les vrais investigateurs de la
science antique. On peut donc affirmer que sans les travaux de
Marin la ')fs«*ïpa?*^'h '^çi^iTQ^tÇ n'existerait pas ; quand on songe à
l'importance capitale de cet ouvrage et à tout le profit qu'en
ont tiré les voyageurs jusqu'à l'époque où fut découvert le Nou-
veau-Monde, on sent vivement le service que nous a rendu Marin
de Tjnr, et la reconnaissance qui lui est légitimement due *.
1. AtopOcoat^ ToO fecoypa^ixoO TC{vaxoc> Ptol.j I, 6, § 1. Notts ne connaissons
Marin de Tyr et son œuvre que par Ptolémée. Les passages, fort diffi-
ciles, relatifs à Marin ont été traduits par Letronne, Journal des Savants,
1831, pp. Î39-248, 305-314.
2. Outre la traduction fragmentaire de Letronne, il faut lire Gosselin,
Recherches sur le système géographique des anciens, II , 31-74. Il rend justice à
Marin, mais en faisant porter sur Ptolémée une accusation absolument
imméritée, c C'est en s'appropriant Touvrage de cet auteur, en le présen-
tant sous une forme plus ordonnée, plus rapide et plus imposante, que
Ptolémée a usurpé une partie de cette grande célébrité qu'il a conservée
jusqu'à nous. C'est ce larcin qui a fait croire pendant plus de quinze
siècles qu'on lui devait toutes les connaissances accumulées dans son
livre, tandis qu'elles ne sont dues qu'aux recherches de Marin. 11 est
donc juste de détruire une erreur trop longtemps accréditée, et de
rendre à la mémoire de cet homme laborieux la portion de gloire qu'il
s'est acquise par ses utiles et pénibles travaux. » Ptolémée n'a rien dé-
— 264 —
Le règne de Trajan est encore une époque remarquable dans
l'histoire de la médecine. En premier lieu, la pratique de l'art mé-
dical ât nécessairement des progrès considérables au milieu d'une
civilisation aussi avancée, et dans les conditions variées de la vie
romaine. Dans toutes les grandes villes exerçaient des spécia-
listes dont les observations avaient éclairé la structure et les rela-
tions des organes : le conmiencement du second siècle marque en
effet une renaissance de Tanatomie *. Mais il y a ici une observa-
tion plus importante à faire. A cette époque, où florissaient les
maîtres dont Galien allait recueillir, discuter et résumer les en-
seignements, les systèmes avaient à peu près achevé de se for-
muler et ils se heurtaient avec une animation et une vivacité dont
l'écho est resté dans les ouvrages du médecin de Pergame. Dog-
matiques et pneumatiques, éclectiques et méthodiques se dispu-
taient avec un zèle ardent. La victoire resta au méthodisme qui
reçut sa constitution définitive au milieu de cette mêlée. Créé par
Thémison * au commencement du premier siècle, compromis sous
Néron par le charlatanisme de Thessalus, ce système prit dans
les mains de Soranus une dignité et une valeur qu'il ne devait
plus perdre et qui lui assurèrent un prestige de plusieurs siècles.
Il survécut, en effet, aux attaques passionnées que lui avaient
portées Galien, et il se perpétua sous la forme que Soranus lui
avait donnée. Au sixième siècle, Cassiodore ' recommande aux
moines l'étude de Caelius Aurelianus, et Ton sait que les livres
de ce médecin latin ne sont que la traduction ou la paraphrase
des ouvrages de Soranus. En outre M. Daremberg a mis hors de
doute un des faits les plus intéressants de l'histoire des sciences
au moyen âge, à savoir l'esprit exclusivement méthodique de
l'école de Salerne jusqu'au xi® siècle où elle connut Galien par les
robe et nous ne connaissons Marin que par les extraits qu'il en a loya-
lement donnés.
1. Le résultat le plus marquant de cette renaissance, dont Galien (éd.
Kiihn, V, p. 650) fait honneur à Marinus, est le petit traité de RufUs
d'Ephése. Peut-être ce Marinus est-il celui qui guérit Pline, Ep. ad Traj.
11. Le chirurgien le plus célèbre de Rome était Héliodore, Juvén. VI, 273.
Griton^ médecin de Trajan, qui l'accompagna dans la guerre Dacique, avait
composé un traité de matière médicale Ilepl tûv ànXâv çaptxixcov et un
autre sur les cosmétiques, résumant tout ce qui avait été écrit jusqu'a-
lors sur ces deux sujets. Âsclépiade le Jeune, ou Pharmacien, est du
même temps.
2. Ne pas le confondre avec un Thémison nommé par Juvénal, X,
221.
3. De insf, divin, litter, c. 31.
— 265 —
Arabes. Les écrits de Soranus, traduits par Caelius Aurelianus,
remaniés par les professeurs de Técole*, défrayèrent seuls l'ensei-
gnement pendant cette première période qui a reçu le nom de
néo-latine '. Ainsi un contemporain de Trajan a été l'initiateur
et le maître de l'éducation médicale en Europe pendant des siècles;
les observations, les études faites à l'époque qui nous occupe ont,
durant une longue suite d'années, servi au soulagement d'un
.grand nombre d'hommes ou soutenu leurs espérances.
Malheureusement, nous devons faire remarquer qu'à côté de
ces efforts pour acquérir et propager les vérités scientifiques,
l'ignorance et la superstition multipliaient les idées fausses et dan-
gereuses. Le deuxième siècle est pour l'astrologie une époque
florissante; c'est alors qu'on rencontre sur les monuments les
plus nombreuses représentations du thème natal ^. Au moment
où paraissent les éditions les plus soignées de la Ai6p0(i)(7(ç de Ma-
rin , la géographie romanesque inspire une quantité de livres
mensongers et puérils *, et dans le temps même où l'anatomie
révèle ses secrets à des investigations médicales mieux dirigées,
EHien rassemble les détails fabuleux donnés par divers auteurs
sur les animaux peu connus; il ajoute de nouveaux contes à ceux
dont ses devanciers s'étaient faits les garants, et il donne un corps
à cette zoologie fantastique dont s'amusera ou s'efiraiera le
moyen âge. La critique scientifique ne peut, en effet, commencer
qu'après la création des méthodes, et les anciens n'ont atteint la
vérité que par des conjectures heureuses, ou par la voie lente et
détournée de l'érudition, qui transmet le vrai en le laissant mêlé
d'erreurs. Mais cette faveur même que rencontraient les traités
de fausse science est un nouveau témoignage de l'esprit de curio-
sité que nous avons signalé.
L'extension du conmierce de la librairie et la fondation de
nombreuses bibliothèques en sont encore les indices et les résul-
tats. Au temps de Cicéron ^ il fallait, pour faire entrer un
ouvrage dans sa bibliothèque, l'emprunter à l'auteur et le
faire transcrire. Atticus, qui comptait parmi ses gens d'excellents
1. Le Passionaritu, composé vers 1040, est encore une traduction latine
de Soranus.
2. Littrè, Eiiides sur les barbares et le moyen âge, 241-280.
3. Letronne, ObsenoatUms sur les représentations zodiacales,
4. Ghassang, Histoire du Roman, chapitre VI : Romans Kur la géographie
pendant l'époque des Antonins.
5. V. Boissier, Atticus, éditeur de Cicéron (Revue Archéologique. Nou-
velle série, VII, 96).
— 266 —
copistes formés par lui, publia les ouvrages de Qoèron, mais c'é-
tait là une spéculation particulière qui ne parait pas avoir été
imitée immédiatement. Les libraires du Forum ne vendaient que
des débris de bibliothèque, composés suivant le hasard ou le goût
particulier des premiers possesseurs : nulle part on n*était sûr de
trouver un livre au moment où il paraissait. Sous Auguste, les
choses ont déjà changé. Les frères Sosies , éditeurs d'Horace ,
exercent une industrie spéciale et sont toujours prêts à satisfaire
les demandes d'un public avide et curieux de nouveautés. Un
siècle après, nous voyons Tryphon , l'éditeur de Quintilien et de
Martial, en relation d'amitié avec les écrivains dont il publie les
ouvrages, leur donnant des conseils, leur suggérant des correc-
tions, et stimulant leur activité quand le livre annoncé se fait
trop attendre. Il nous donne assez bien l'idée de l'éditeur moderne,
de même que l'impatience des lecteurs nous révèle une société
analogue à celle au milieu de laquelle nous vivons, où le livre
devient aussi nécessaire à la vie que les aliments. L'industrie de
ceux qui se chargeaient de satisfaire cet impérieux besoin,
ressenti dans les provinces comme à Rome, était d'ailleurs
largement rémunératrice. Aucune relation d'intérêt n'existait
entre les auteurs et les libraires ^ ; aucune loi' ne garantissait la
propriété intellectuelle, de sorte que les libraires seuls bénéfi-
ciaient de la vente des livres : Tryphon tirait des JEpi'-
grammes de Martial un profit de 100 pour 100 *. Malgré ces prix
élevés, les particuliers se composaient de riches bibliothèques.
Ainsi M. Mettius Epaphroditus, sous Nerva, réunit trente mille
volumes, bien choisis et des plus rares ^. Généralement, les heu-
reux possesseurs de ces richesses en laissaient aux curieux le
libre accès : d'autres hommes de lettres, allant plus loin, fon-
dèrent des bibliothèques publiques qu'Us dotèrent de rentes desti-
nées à leur entretien et à leur accroissement régulier ^ Depuis
i. Qér^uû, Essai sur les livrés dans Tan^i^j^^ (Bulletin de Techener, 1839,
p. 1061).
2. Martial, XIII, 3. Martial nomme quatre libraires : Secundus (I, 2),
Atrectus (I, 117), Q. Pollius Valerianus (I, 113), Tryphon (IV, 71, XïII, 3).
Les boutiques des libraires , au deuxième siècle, étaient principalement
dans VArtfiUtum (Martial, I, 118) et au Vicus sandalarius (Galien, delibrU
suis, iV, p. 361. A. GelL, XVIII, 4).
3. Suidas, sub v*. On a une statue de ce personnage (Visconti, Jam.
Gr. PI. XXXI).
4. Pline donna à la ville de Gôme une bibliothèque publique dont la
construction ne coûta pas moins d'un million de sesterces (200,000 fr.), et
il affecta à l'entretien {Jtuida) de sa fondation un capital de 100,000 sester-
— 267 —
longtemps, les empereurs avaient pris souci de ces établissements
indispensables à l'élaboration et à la diffusion de la science. Tra-
jan ne manqua pas à ce noble devoir : aux grands dépôts publics
institués par ses prédécesseurs il ajouta la Mbliotheca Ulpiana,
logée sur le Forum, dans deux bâtiments symétriques qui for-
maient les limites de la petite place au centre de laquelle la
colonne était érigée. L'un renfermait sans doute les livres grecs,
et l'autre les livres latins ^ .
Tels sont les grands traits du tableau de la littérature et des
sciences sous le règne de Trajan. Si nous le mettons en regard de
celui qu'elles présentaient sous Auguste, leur affaiblissement
saute aux yeux; il n'est pas moins i&rappant quand on compare
l'ensemble des œuvres produites à un siècle et demi d'intervalle
que quand on considère ces œuvres une à une. Après la bataille
d'Actium, la littérature latine se trouve portée, par le cours régu-
lier de son progrès, au terme du mouvement ascendant qui carac-
térisait son développement depuis deux cents ans. Chaque genre
constitué , perfectionné par une série ininterrompue d'efforts , a
reçu de quelques esprits d'élite une forme définitive, et s'est em-
preint du génie national qui donne à tous les ouvrages composés
à ce moment heureux une profonde et saisissable unité. En même
temps que se formait cet accord, tous les pouvoirs, originairement
indépendants, que la démocratie romaine avait créés, viennent se
réunir sur la tête d'Auguste , qui saisit habilement la marche de
cette double convergence et, liant les lettres à la politique, forme
du tout un système au centre duquel il se place ; système qui
semble graviter autour de lui et qui prend son nom. A sa mort ,
ce système se désunit. Lente et longtemps inaperçue , la disso-
ciation devient visible sous Trajan. Le principat consolidé se
développe indépendamment du régime intellectuel contempo-
rain. Les œuvres de l'esprit ne sont plus inspirées par une idée
générale, ni déterminées par un courant commun d'opinion.
Elles naissent, brillent ou avortent au hasard des circons-
tances ou des vocations peu décidées auxquelles ont obéi des
écrivains cherchant péniblement leur voie. Ici on constate un
retour vers le passé, et là des essais d'innovation; des efforts sin-
cères pour arriver à la précision scientifique se manifestent à côté
ces (20,000 fr.). Mommsen, inscript. n* 4 et p. 86 de la traduction. Cf. p. 75-
V. fleuzey (Rev. Arch., nouvelle série, VI, 322), sur une inscription rela-
tive à une bibliothèque publique fondée à Dyrrachium, sous le régne de
Trajan.
1. A. Gell., XI, 17. Vopisc, Prob. 2.
— 268 —
de Tadhésion la moins réfléchie aux superstitions et aux récits
colportés par l'ignorance ou la mauvaise foi ; le goût de l'érudi-
tion règne en même temps que celui du roman. Bref, cette période
présente tous les caractères d'une époque de transition. Mais l'état
régulier qu'on attendait à l'issue de cette période ne s'étant pas
établi, par des causes dont la recherche n'appartient point à mon
sujet, la transition devint une crise, dans laquelle la littérature
latine a péri.
CHAPITRE XVIII.
LES ARTS.
Voici encore un chapitre qui, faute de documents assez nom-
breux et assez positifs, sera nécessairement très-incomplet. Que
dire, par exemple, de la musique au deuxième siècle? On sait
combien l'histoire de cet art chez les anciens est obscure , même
aux époques pour lesquelles le nombre des témoignages écrits est
le plus abondant. Les auteurs où Ton pourrait puiser des con-
naissances à cet égard sont des philosophes qui dissertent à perte
de vue sur les principes de la musique et sur Tinfluence qu'elle
peut exercer sur les mœurs. Mais à l'égard de ce dernier point qui,
traité avec précision et appuyé d'exemples, fournirait des élé-
ments intéressants à l'histoire générale, on ne faisait au second
siècle que répéter et commenter ce qu'avaient dit les anciens
sages, attendu que, de l'aveu même de Plutarque*, la musique
d'éducation n'avait laissé aucun souvenir, et on ne concevait
même pas ce qu'elle avait pu être au moment où elle florissait.
Chaque addition de cordes à la lyre, chaque effort des musiciens
pour donner à leurs auditeurs un plaisir plus intime et plus vif,
avait provoqué les plaintes déclamatoires des philosophes contre
la témérité des novateurs et la mollesse des nouvelles générations
qui dédaignaient la belle simplicité et la gravité majestueuse de
la musique primitive, et se laissaient aller aux séductions d'un
art plus riche et aux émotions produites par le génie plus hardi des
artistes. Plutarque a repris, pour son compte, les antiques do-
1. Piutarch., de Mtuic., 27.
— 270 —
léances, et fait coDsciencieusement l'éloge de cette musique que
personne ne connaissait ^ Depuis longtemps, les musiciens ne
tenaient aucun compte de ces anathèmes rebattus cent fois. S'é-
mancipant de la tutelle des mathématiciens comme de celle des
pédagogues, ils écoutèrent enfin leurs inspirations, étudièrent
par eux-mêmes les conditions et les ressources de leur art, et ne
prirent pour guide que le public dont ils épièrent les impressions
et dont ils suivirent docilement le goût. La musique grecque fit
ainsi des progrès rapides, surtout dans la partie instrumentale, et
elle était déjà bien riche et bien variée quand Rome et toutle cor-
tège *des peuples qu'elle avait vaincus et civilisés, auxquels elle
avait fait partager son goût récent et passionné pour les arts,
vinrent grossir les rangs du public grec. Pour émouvoir et ravir
ces foules immenses, il fallut recourir à des moyens d'action plus
puissants, et l'^ort des compositeurs se concentra sur la produc-
tion d'efiets capables d'impressionner les masses. Plutarque nous
apprend que de son temps, tous ceux qui s'occupaient de musique
se tournaient vers la musique de théâtre'. C'est la seule notion utile
que renferme son livre, mais elleest précieuse à recueillir, et s'ac-
corde bien avec ce que nous apprennent d'autres témoignages. Py-
lade se vantait de l'heureux complément qu'il avait apporté au jeu
un peu froid de l'ancienne pantomime par l'addition delà musique
instrumentale et chorale ^, et en efiet le nombre des choristes du
canticum s'était tellement accru qu'ils se répandaient jusque sur
la cavea et qu'au dire de Senèque on comptait , de sou temps ,
plus de chanteurs que de spectateurs au temps passé^. Le nombre
des instrumentistes augmenta nécessairement en même temps que
celui des chanteurs, et il fallut même employer des instruments
plus puissants et plus sonores. L'orgue, considéré jusque là comme
une curiosité scientifique, devint un élément nécessaire de la
nouvelle musique. Suétone ^ nous apprend que Néron en avait
étudié les effets et qu'il projetait de le faire entendre au théâtre.
Bien qu'il n'ait pas eu le temps d'exécuter son dessein , son
nom resta associé dans le souvenir des Romains à l'histoire de
cet instrument. Un orgue est figuré sur des médaillons contor*
niâtes à l'effigie de Néron, et la même représentation accompagne
1. V. les notes de M. Jullien dans la traduction des Œwvres morales de
M. Bètoland.
2. Plutarch., De Mtuic., 27.
3. Macrob., SatumaL^ II, 7.
4. Senec, Ep,, 84.
5. Suét., Nero, 41 et 54.
— «4 —
qadques oontorniates de Trajan * . Bien qae cas monuments n'aient
été fafariquég que vers le r^ne de Yalentinien III, on ne saurait
leur refuser une certaine valeur historique en ee qui oonœme le
détail des arts et des jeux sous le haut empire, et il n'est peut-être
pas trop hardi d'int^préter ce double fait numismatique en sup-
posant que le projet conçu par Néron trouva son exécution sous
Trajan.
Les concours de musique , inaugurés par Néron , furent systé-
matisés par Domitien et devinrent partie intégrante des fêtes de
Jupiter Capitolin et de Minerve. Domitien fonda un prix pour
ceux qui diantaient en s'accompagnant de la cithare, un autre
pour ceux qui accompagnaient les chœurs avec cet instrument et
un troisième enfin pour ceux qui jouaient de la cithare sans chan-
ter *. Des prix furent ajoutés dans la suite pour les joueurs de
flûte ^. L'audition des morceaux composés en vue du concours et
exécutés par les concurrents avait lieu dans l'Odéon, théâtre cir-
culaire contenant dix à onze mille places, que Domitien fit cons-
truire ^ mais qui probablement ne fut terminé que sous Trajan
puisqu'on lui a rapporté l'honneur de l'avoir fondé ^.
Les progrès de la musique dramatique et instrumentale carac-
térisent donc particulièrement cette phase de l'histoire de l'art.
La musique religieuse ne dut subir aucune modification, car le
nombre et l'emploi des instruments et des voix était soumis depuis
longtemps à des règles dont on n'aurait pas cru pouvoir s'afii^an-
chir sans impiété ^. Quant à lamusique de chambre, sa vogue, au
commencement du second siècle, devint plus grande que jamais. A
défaut de témoignages directs, l'activité littéraire des poètes lyri-
ques pourrait être invoquée pour nu)ntrer à quel point ce genre
de musique était en faveur, car il est reconnu aujourd'hui que les
Odes d'Horace, aussi bien que celles de ses imitateurs , furent
composées en vue du chant, et efiectivemeut mises en musique et
chantées ''. Mais Pline lui-même nous parle d'accompagnements
de cithare pour ses hendécasyllabes*. En Grèce* comme en Italie^^
1. Sabatier, Médaillons eaniomkUes, pi. X.
2. Suét, DonUi., 4.-3. Corp. Insc, Gr. 1720.
4. Suôt, Dom«., 5. Eutrop., VHI, 15.
5. Pausanias, V, 12.
6. Les chants d'église des premiers chrétiens sont mentionnés par
Pline. Ep. ad TraJ., 96.
7. 0. Jahn, Wie wurden die Oden des fforaUus vorgettagen? {Hermès
vol. II, p. 418).
8. Ep., VII, 4.
9. Plutarcb., Quaest. Conviv., VU, 8.- 10. Plia., Sp., l, 15; IX, 7.
— 272 —
la musique était désormais une partie essentielle de tout banquet
et du repas même le plus simple. A l'époque dont nous nous
occupons, cet art devint, pour les femmes de condition libre et
de mœurs honnêtes, un passe-t^ps permis : elles purent donner,
par leur talent, un nouvel attrait aux réunions de famille et de
société. Il semble qu'au temps d'Auguste les bienséances ne l'au-
raient pas souffert : les maîtresses d'Horace qui chantaient ses
poèmes en s'accompagna nt de la lyre ou de la cithare, Lydie,
Chloé S sont des courtisanes habiles à saisir un moyen d'atti-
rer, par l'attrait d'im plaisir plus délicat et plus raffiné, des
oisifs et des artistes. Mais cent ans plus tard, la musique entre
dans l'éducation des jeunes filles'; la femme de Pline chantait les
vers de son mari en s'accompagnant de la lyre '. Il n'y a pas à
s'étonner de ce changement de mœurs qui se lie d'une éiçon toute
naturelle à l'établissement des salons où nous avons vu les femmes
prendre part à des discussions littéraires et philosophiques; le
droit, pour elles, de manifester leur talent musical n'est après
tout qu'un effet et un signe de l'indépendance qu'elles acquéraient
dans les mœurs et dans la loi.
Sur la PEINTURE au second siècle, nous avons encore moins de
renseignements que sur la musique. Toutes les œuvres de cette
époque ont péri ; quelques noms propres conservés par hasard ne
nous apprennent que bien peu de chose. On peut croire que si un
artiste eût manifesté quelques éclairs de génie, ou donné les
preuves d'un talent véritable, les écrivains contemporains ou
postérieurs ne l'auraient pas absolument passé sous silence. Mais
il semble qu'en ce moment la peinture fut devenue un passe-
temps de dilettanti ou un gagne-pain pour des barbouilleurs de
métier. Parmi les amateurs il faut ranger Hadrien qui du reste
avait des prétentions de connaisseur en tous les genres, et dis-
cutant un jour avec Âpollodore, en présence de Trajan, une ques-
tion d'architecture, reçut de son interlocuteur l'avis, peu chari-
table et peu ménagé < d'aller peindre ses citrouilles ^, » paroles
dures, et probablement méritées, qu'ApoUodore paya de sa vie
quand le méchant peintre fut devenu le maître du monde. Cette
anecdote nous apprend qu'Hadrien, si on veut à toute force le
considérer comme artiste, doit être classé au nombre des Rhopo-
graphes. Un autre amateur, Publius, possesseur de la chienne
1. (7om. II, 11, Î2; m, 9,10.
2. Stat., SUv., m, 5, 64.
3. Ep, IV, 9.
4. Dion, LXIX, 4.
— 273 —
Issa, fit de cette bête un portrait qui décelait un talent véritable,
si les éloges de Martial sont sincères ' ; mais la chienne , en cette
même pièce, est louée avec une effusion telle que le petit poème
est visiblement un appel, finement tourné d'ailleurs, à la géné-
rosité de Publius flatté dans ses deux passions: il n'y a rien ici
pour l'histoire de l'art. Dans le même temps, Artémidore abor-
dait la grande peinture', mais il manquait le succès en choisissant
des sujets peu appropriés à son tempérament. Après ces trois
personnages, vient la foule innombrable des faiseurs de portraits
à la douzaine^, des brosseurs de naufrages pour tableaux votifs^.
Ils pouvaient aussi gagner quelqu'argent en faisant des copies,
par exemplepour les libraires qui vendaient, enrichi du portrait de
l'auteur, tout exemplaire soigné d'un classique ^. D'autres fois ils
travaillaient pour d'opulents amis des lettres qui voulaient déco-
rer leurs bibliothèques avec les portraits des écrivains célèbres.
Ainsi Pline écrit à un habitant de Pavie de faire copier, pour un
amateur de ses amis, les portraits de Cornélius Nepos et de Titius
Severus sur les originaux conservés dans la ville, en exigeant du
peintre chargé de ces copies une exactitude scrupuleuse : qu'il se
garde bien de rien changer à son modèle, même pour l'embellir*.
On poussait loin, en effet, le respect de la peinture ancienne, jus-
qu'à ne plus aimer que l'archaïque , comme il arrive à toutes les
époques où la force d'invention et d'exécution diminue. On se
passionnait pour les écoles primitives ; quelques amateurs ne fai-
saient cas que des monochromes de Polygnote et d'Aglaophon ^.
Comme preuve du goût très-général alors pour cettte branche
de l'art, et pour montrer à quel point était répandue la connais-
sance des diverses écoles, on peut invoquer les nombreuses com-
paraisons que Quintilien y va chercher pour caractériser les
génies oratoires et les œuvres d'éloquence. On sent que la langue
de la critique d'art est faite, et que ses jugements sont familiers à
tous les esprits*. Le goût du public pour les descriptions et les
1. Epigr., I, 109.
2. Epigr., V, 40.
3. Juvénal, IX, 145.
4. Id,iai, 29: Pictores quis nescit ab Iside pasci.
5. Martial, XIV, 186.
6. Plin. Ep,, IV, 28.
7. Quintil., XII, 10.
8. D'ailleurs cette critique ne raisonnait pas toujours mal, à en juger
par cette remarque de Pline {Ep. IV, 28) qu'une bonne copie est, à cer-
tains égards, plus difficile à exécuter qu*un bon tableau , opinion beau-
coup moins paradoxale qu'elle ne le semble au premier abord.
DE Là beege 48
— 274 —
critiquas de tableaux alla même si loin qu'on vit naître, vers ce
temps-lk , un nouveau genre littéraire : des catalogues raisonnes
de galeries réelles ou fictives, dont les Imagines de Philos-
trate sont un spécimen bien connu ^
Pour L'ARGHirECTURE, le règne de Trajan fiit une époque de
puissance et d'éclat. Bien que presque tous les monuments alors
édifiés soient détruits , l'étude de ceux qui restent , et la distribu-
tion intérieure de ceux dont les fondations subsistent, distribu-
tion facile à reconnaître, en plusieurs cas, quand on fouille le
sol à une faible profondeur, permettent de porter un jugement
sur le goût général de l'époque et les principes qui dirigèrent les
artistes contemporains.
On l'a dit * avec une part de vérité : ce qu'on appelle l'archi-
tecture romaine n'est que de l'architecture grecque de décadence.
Mais ce sévère arrêt n'est applicable qu'aux édifices élevés en
vue d'un usage commun aux deux peuples, ou empruntés par
Rome à la Grèce : temples, théâtres ou g3annases, édifices dont
la forme, l'aménagement intérieur, le caractère, l'ornementation
étaient depuislongtemps réglés dans les moindres détails, et dont
les types nombreux, tant de fois étudiés, ne laissaient plus d'issue
à l'originalité créatrice, et ne pouvaient plus être modifiés que
par des combinaisons nouvelles d'éléments traditionnel , combi-
naisons presque fatalement malheureuses puisque les meilleures,
et les meilleures après celles-ci, déjà moins bonnes, avaient été
réalisées. Mais à Rome, où les architectes grecs et asiatiques se trou-
vèrent en face de besoins nouveaux et d'idées particulières pour
la satisfaction et l'expression desquelles leur tradition était muette
et leur doctrine insufSsante, ils retrouvèrent les facultés créa-
trices dont le développement était étoufie ou paralysé sur le sol
natal : ils dépouillèrent le faux goût, le sentiment maniéré et
mesquin qui déparaient les monuments élevés par eux dans leur
pays, et ils donnèrent à l'arc de triomphe et à la basilique la
solidité , la hardiesse et l'harmonie sévère qui caractérisent
le génie littéraire du peuple pour lequel ils travaillaient. Au ser-
vice de la pensée romaine, ils se sont montrés virils, austères et
forts comme les Romains pour qui et chez qui ils ont bâti.
1. V. Matz. De imaginUnu PhUostratorwn. Bonnae, 1867, p. 8. La sophis-
tique pénétra vite dans ces petites compositions. Elien (Hisl. For., Ili, 1)
et Himerius (Or. XXV, 1 ) mettent déjà le talent du descripteur de ta-
bleaux au môme niveau que celui de Tartiste. D'après M. Matz, Nicostraie
serait l'inventeur de Tixf poaic-
2. E. Guillaume. Temple d'ÀuffUsie à Ancyre, p. 18.
— Î75 —
Ainsi l'architecture du règne de Trajan est grecque, si l'on n'a
égard qu'à la patrie des maîtres : Temponeur lui-même nous ap-
prend qu'il faisait venir de l'Orient les artistes auxquels il devait
confier le plan et l'exécution des travaux immenses qu'il proje-
tait *. Mais elle est romaine si, comme il est juste, on ne s'attache
pour la définir qu'à son esprit général, à l'espèce des monuments
qu'elle a laissés sur le sol italique, au caractère des sculptures
conçues en vue de la décorer. Depuis Néron, l'architecture ro-
maine ofirait deux particularités caractéristiques : l'énormité des
proportions et l'emploi de substances rares et précieuses. Cet
emploi fut continué sous Trajan, quand il ne devenait pas une
prodigalité ruineuse. Ainsi Pline charge l'architecte Mustius de
se procurer des marbres pour le revêtement des parois du temple
qu'il veut agrandir*; les colonnes intérieures de la basilique
Ulpienne sont en granit dur d'Egypte, et celles qui formaient le
portique du côté du Forum étaient en marbre jaune de Numidie.
Mais par un retour au bon goût, les proportions colossales furent
abandonnées, au moins pour les édifices d'Italie. Leurs dimen^
sions n'excèdent pas les limites de l'utile et du beau. La longueur
considérable du pont du Danube, la hauteur extraordinaire du
pont d'Alcantara furent conmiandées par des conditions topogra-
phiques. En Orient seulement, je retrouve un de ces édifices im-
menses qu'afiiBctionnait la génération précédente : c'est le tom-
beau célèbre de Pétra, dont la construction, à en juger par la
perfection du travail, remonte au conmiencement du deuxième
siècle, et dès lors dut suivre presque immédiatement la conquête
de l'Arabie par Coruelius Palma. Ce monument gigantesque,
dont les dimensions le cèdent à peine à celles de l'Arc de l'Etoile
à Paris, offre deux étages : le premier, consacré proprement à la
sépulture, présente l'aspect d'un temple hexastyle ; au-dessus s'é-
lève un édifice semi-circulaire, sorte de temple monoptère flan-
qué de colonnes qui supportent l'entablement général. L'histoire
de l'art n'offre rien d'analogue à cette combinaison hardie de
deux temples superposés, jusqu'au xvi® siècle où Bramante sus-
pendit une coupole au-dessus de l'immense basilique de Saint-
Pierre*.
Trajan fit peu construire au début de son règne. Les profu-
1. Plin., Ep,, ad Traj,, 40.
2. Plin., Ep., IX, 39.
3. Hittorf, Mémoires de V Académie des Inscriptions, nouvelle série, XXV,
2* partie.
— 276 —
sions monumentales de Néron , celles des Flaviens, de Donatien
surtout, avaient épuisé le trésor public. En Tan 100, Pline
loue chez l'empereur sa réserve à entreprendre des bâtiments
nouveaux, et sa diligence à conserver les anciens ^ Douze ans plus
tard, Trajan ne méritait plus les mêmes éloges, mais comme
nous l'avons fait remarquer, les grandes constructions du Fo-
rum ne furent entreprises que quand plusieurs années de bon
gouvernement avaient constitué de bonnes finances, et que la
guerre heureuse faite aux Daces avait fait affluer dans le trésor
public des ressources considérables. La même remarque s'ap-
plique à l'arc d'Âncône, contemporain de la guerre des
Parthes, et aux deux arcs placés sur la Via Appia, l'un à
Rome *, l'autre à Bénévent, à la même époque et après que le
pavage de la route, partie utile du travail, était terminé.
Parmi les architectes de ce temps dont les noms nous ont été
conservés, on cite C. Julius Lacer, l'auteur du pont d'Alcantara
et du temple voisin ^ ; Rabirius, à qui étaient dues la plupart des
grandes constructions du règne de Domitien ^; Mustius, dont
Pline loue la science et le goût, et qu'il chargea de reconstruire et
d'agrandir un temple de Cérès dans l'une de ses terres^. C'est
peut-être ce même Mustius qui avait donné les plans des belles
villas du Laurentin et de la Toscane dont nous aurons à parler
tout à l'heure. Mais le plus grand de tous ces artistes est Âpol-
lodore de Damas qui, après s'être montré dans la guerre Dacique
un ingénieur militaire habile et résolu, révéla les facultés puis-
santes et les dons brillants du génie architectonique dans le plan
du Forum Trajanum, dans les immenses travaux prépara-
toires que ce plan rendit nécessaires, dans le dessin correct,
l'exécution soignée, l'achèvement rapide des monuments projetés.
Nous avons déjà indiqué ces monuments : Arc de triomphe à
l'entrée du Forum, — Bibliothèques, — Basilique, — Colonne
Trajane, — Temple que Trajan voulait sans doute consacrer à
Nerva, mais qui fut dédié par Hadrien à Trajan lui-même. Les
témoignages anciens ne laissent aucun doute sur le sentiment
d'admiration que produisait ce bel ensemble, et la longue exis-
tence du Forum Trajani atteste la solidité des édifices qui
1. Panég,y 51.
2. On le détruisit au iv* siècle pour faire servir ses bas-reliefs à la
décoration de Parc de Constantin.
3. Corp. Inse, Lai., Il, 759.
4. Martial, VII, 56, X, 71 .
5. Plin., Ep., IX, 89.
— 277 —
l'entouraient et l'embellissaient ^ Tout a disparu sauf la colonne,
dépouillée de la statue du vainqueur des Daces', et quelques
piliers tronqués d'une des cinq nefs de la basilique. Des médailles
d'un dessin excellent et très-exact comme l'ont démontré les
fouilles, ces fouilles elles-mêmes heureusement exécutées, ont
permis néanmoins de reconstituer l'œuvre d'ApoUodore d'une
manière à peu près certaine. Nous en avons décrit plus haut les
parties subsistantes, et nous n'avons pas à revenir sur ce sujet.
D'après une opinion récemment émise par M. Froehner^, le
Forum d'Apollodore aurait été conçu sur le plan des grandes
constructions égyptiennes, et rappellerait notamment le tombeau
d'Osymandias qu'a décrit Diodore^. Je ne saurais partager cette
manière de voir. En premier lieu la comparaison, telle qu'elle a
été présentée, implique l'existence de ce tombeau extraordinaire.
Or on n'a aucun motif pour abandonner les arguments que
Letronne a si bien fait valoir^ en vue d'établir la nature fabuleuse
du récit débité par les ciceroni thébains. Il est vrai que la dispo-
sition générale commune à tous les temples de la Haute-Egypte,
et qui a servi de canevas au conte fait à Diodore, ofire de loin-
taines ressemblances avec le Forum : par exemple, dans l'un des
temples récemment explorés d'Edfou^, on rencontre une salle
hypostyle placée entre une grande cour carrée et un sanctuaire
comme ici la basilique est entre le temple du fond et Yarea Tra-
jani. Il ne serait pas impossible non plus, d'une manière absolue,
que le goût égyptien qui devint à la mode sous Hadrien, eût com-
mencé à se répandre vingt ou vingt-cinq ans plus tôt qu'on ne
l'avait cru jusqu'ici. Mais en quoi son influence se fait^-elle sentir
ici, dans ce groupe de monuments dont chacun, pris à part, est
romain, et dont l'assemblage n'offre rien de nouveau ni d'extraor-
dinaire? Vitruve avait construit à Fano^ une basilique à double
entrée située, comme la basilique Ulpienne, entre un forum et
un temple ; si on ne veut pas qu' Apollodore ait imaginé la dis-
position des édifices dont il dirigea la construction, n'est-ce pas
1. Il existait encore au viii* siècle, quand l'Anonyme d'Binsiedeln
écrivit son Itinerarium, Urlichs, Codeo' urbis Romae Topographicw, p. 74.
2. Buried in air, the deep blue sky of Rome,
And looking to the stars, etc.
Byron, CkUd-Harold, IV, cxi.
3. Colonne Trajane, p. 49.
4. Diod., I, 46-50.
5. Monument d'Osymandias, Paris, 1831, in-4*.
6. Revue archéologiqite, nouvelle série, t. XI, pi IX.
7. Vitruv., De architecte V, I.
— 278 —
dans le traité classique de son art, plutôt que dans la vallée du
Nil, qu'il sera allé chercher l'inspiration qui lui manquait ? Il
avait tout près de lui, et sur le sol et dans les livres, des modèles
d'arcs de triomphe, de temples, de basiliques, de bibliothèques :
la colonne au contraire est en son genre le premier monument
connu, et paraît bien de l'invention d'ApoUodore. M. Froehner
croit y reconnaître une imitation du Panium d'Alexandrie' et
ici encore je me sépare de son opinion. Le Panium était-il pourvu
d'un escalier intérieur et décoré de bas-reliefis sur sa surface
extérieure? Rien n'autorise à le croire et l'on ne trouve rien de
tel dans la description que Strabon nous en a laissée'. L'art
grec ofiErait déjà des exemples de statues posées sur des colonnes ^
et c'est là, peut-être, qu'Apollodore prit l'idée du monument
à élever en l'honneur de Trajan ; quant à l'invention de l'escalier
intérieur, il lui appartient bien légitimement.
Nous pouvons étudier d'autres édifices de la même époque,
tels que les arcs de Bénévent et d'Ancône, et le tombeau des rois
de la Comagène, à Athènes ^ Ils offrent un caractère commun de
simplicité et de sévère élégance, un peu altéré pourtant à Béné-
vent, où la construction prend déjà quelque chose de lourd dans
son aspect. Les surfaces extérieures y sont couvertes de sculptu-
res, ce qui est aussi un symptôme de décadence : offusqué, égaré
par l'abondance des détails, l'œil du spectateur ne saisit pas
nettement l'idée première de l'architecte, qui a laissé envahir son
domaine par les décorateurs.
Les grandes villes que possédait Pline, et dont il a si complai-
samment développé les descriptions, nous fournissent d'excel-
1. Colonne Trajane, p. 50.
2. ndvsiov, ij^oç Te x^^po^o^^'^^v, (TTpoêi6Xo£i5èc, é(i^epèc 6x0 (|> iCETpuôei, Stà
xoxX^ov tVjv àvdéounv Ixw. Strab. XVU, I, 10, traduit par Letronne : c colline
c factice qui a la forme d'une toupie, on dirait une roche escarpée; un
c escalier en limaçon conduit au sommet. >
3. G. Mûller, Manuel d'archéologie, i 286, 5 de la 3* édition allemande. Ce
rapprochement est indiqué par M. Dierauer. D'ailleurs la statue élevée
en 439 av. J.-G. à L. Minucius devant la porte Trigemina reposait sur une
colonne, comme le prouvent les médailles de la famille Minucîa (Cohen,
Monn. de la Rép., pi. XXVIII, n* 7 et 13). Le Maenianum paraît avoir été
aussi une colonne surmontée d'une statue, v. Mommsen, Bist, de la
Monnaie Romaine, traduct. fr., t. II, p. 431. Ici encore, Apollodore pouvait
B*inspirer de monuments romains.
4. Stuart, AnUq. d*Aih,, pi. 29-34. Sur plusieurs médaillesde Trajan, en
bronze, on voit une colonne surmontée d'une chouette qui paraît bien la
représentation d'un monument alors existant (H. de Longpérier, Rev,
Num., 1868, p. 475 et suiv.).
— 279 —
lents types de rarchitecture civile sous le règne de Trajan. Elles
appartiennent à la classe de bâtiments que Vitruve appelle aedi-
ficia pseudo-urbana^ y qui ne différaient des habitations urbai-
nes sur aucun point essentiel. Félibien' a fait remarquer^ que
dans Tune de ces lettres^ considérée « plutôt comme une pièce
d'éloquence que comme une description régulière, le Laurentin
est pourtant décrit si exactement que les mesures mêmes de
chaque partie principale des bâtiments s'y trouvent en quelque
sorte déterminées par la comparaison de chacune de ces parties
les unes aux autres, et par la nécessité d'y conserver toutes les
vues, les expositions et les commodités que Pline leur attri-
bue ». n fait^ la même observation pour la lettre relative à la
villa de Toscane^. Mais l'habile historien des arts s'est mépris
sur les facilités que pourraient offrir ces pages célèbres aux archi-
tectes qui voudraient entreprendre la restauration dès villas. Les
plans qu'il en a dressés avec leur secours sont fort discutables :
d'autres artistes en ont proposé de tout différents' en s'appuyant
sur les mêmes textes. Ces divergences ne doivent pas surprendre :
qui ne sait combien l'interprétation du vi* livre de Vitruveest restée
conjecturale jusqu'à ce que le déblaiement de Pompéi eût mis les
architectes en présence d'édifices analogues à ceux dont Vitruve
avait parlé? Et pourtant on avait entre les mains un ouvrage
écrit par un homme du métier, habitué à la précision scientifique
et fidèle à la rigueur du langage technique, tandis que Pline, en
maint endroit, sacrifie cette précision à l'élégance. Ainsi la décou-
verte des ruines de ses villas pourrait seule rendre tout à fait
intelligibles les descriptions qu'il en a données, et on ne peut
guère compter sur une pareille découverte *. Mais les lettres en
question n'en sont pas moins des documents extrêmement précieux
pour l'histoire de l'architecture : si l'ordonnance et la distribution
des bâtiments ne sont pas connues avec une entière certitude,
1. Vitr., De archit., V, 6.
2. Les plans et les descriptions de deux des plus béUes maisgns de cam-
pagne de Pline, le consul, Paris, 1699.
3. Page 6.
4. C'est la 17« du II* livre.
5. Page 82.
a La 5« du VI« livre.
7. V. P. Marquez : Dette ville di Plinio U Giovans, Roma, 1796, in-4*.
S. Le site de la villa de Toscane n^est nullement indiqué. Au
xvm* siècle on crut retrouver les vestiges de la villa Laurentine, à Gastel-
Fusano, mais c'était une erreur. V. Fea, Relazione di nn viagglo ad Osiia
ed aUa viUa di Plinio. Roma, 1802, in-8% pp. 67-68.
— 280 —
nous sommes du moins assez bien instruits de leur composition,
et nous possédons des éléments d'étude plus décisifs peut-être que
ceux que fournirait la description d une maison bâtie dans Rome,
l'architecte ayant pu, en Toscane comme dans le Laurentin,
réaliser ses plans sans être gêné par les obstacles que lui oppo-
saient un sol partout bâti et des règlements multipliés de voirie
et de police.
C'est en effet au point de vue de la vie urbaine, de ses besoins
et de ses plaisirs, qu'il faut se placer pour juger les plans de
l'architecte qui a construit les villas de Pline : ils nous paraî-
traient mal conçus si nous songions à la vie de campagne telle
que nous l'entendons aujourd'hui. Il faut dire ici quelques mots
du sentiment de la nature qu'éprouvaient les anciens et qui diffé-
rait absolument du nôtre. En quittant la ville, nous cherchons
une diversion à la civilisation rafiSnée qui nous entoure et qui a
pénétré et déterminé toutes nos habitudes : nous voulons trouver
à la campagne un contraste aussi net, aussi tranché que possible
avec ce que nous avons abandonné. En conséquence, nous donnons
à nos habitations rustiques un aspect modeste et simple, et tout
ce qui en dépend comme ameublement ou comme décoration porte
l'empreinte du même goût. Si l'importance de l'habitation exige
un certain développement monumental, on adoptera une archi-
tecture ancienne, et le château semblera une création et un
témoin du passé, oublié au milieu du mouvement général de
l'industrie et de la transformation des mœurs. Son air de vétusté
produira l'illusion cherchée du lointain, et appellera notre ima-
gination hors du cercle de la vie quotidienne. Cette même lassi-
tude, un peu affectée, de la civilisation, nous a donné le goût des
beautés pittoresques et romantiques de la nature, et nous fait
trouver du charme à ses aspects les plus sévères et les plus désolés.
On veut retrouver un ordre d'émotions pareil dans les parcs ou
les jardins qui entourent les maisons de campagne et les efforts
de l'art tendent à y faire disparaître toute symétrie. On respecte
les inégalités du terrain, on conserve ou on crée des massifs qui
seront des forêts en miniature, traversées par des allées étroites
et sinueuses qui doivent rappeler les sentiers à peine fi^yés au
milieu des bois. Que nous sonunes loin des anciens, et surtout des
Romains du second siècle! Ils ne pensaient nullement comme nous à
cet égard et ils n'avaient pas la moindre idéedu plaisir que peut faire
naître un tel contraste. Us aimaient, au contraire, à se sentir près
de l'homme, à retrouver toujours près d'eux les traces de son acti-
vité et de ses passions. Les Géor gigues sont pleines de nos joies
— 284 —
et de nos douleurs : le héros du poème est la race humaine, labo-
rieuse et persévérante, qui a dompté les forces naturelles et appris
à prévenir ou à réparer les ravages de leur élan funeste et désor-
donné. Les animaux y deviennent sympathiques, non par leurs
qualités propres, mais par la quasi-humanité que leur confère
Virgile, et à laquelle ils se sont élevés en s'associant à nos tra-
vaux et en se mêlant à notre existence. Le seul Horace, parmi
les poètes latins, semble avoir aimé la nature pour eUe-même, et
encore n'a-t-il guère été séduit que par ses côtés gracieux. Il s'est
amusé des accidents de lumière et de lignes que lui offrait la cam-
pagne romaine, il a connu les rêveries et la mélancolie douce où
l'aspect des champs et des bois nous fait tomber. Mais c'est un
sentiment délicat et passager qui n'envahit jamais son âme tout
entière, qui ne s'exalte pas au point de la tourmenter et de la
troubler, et qui n'influe même pas sur le tour habituel de sa
pensée. En somme, les forêts ne produisaient sur l'esprit des
Romains qu'une impression de mystérieuse terreur, les montagnes
leur semblaient des obstacles permanents aux relations des peu-
ples, et ils n'y voyaient que des repaires de brigands ou des déserts
jetés entre les nations policées ; la mer seule, avec sa physionomie
changeante et son langage retentissant qui semblent les manifes-
tations d'une vie intense et puissante, la mer qui réunit les hom-
mes plutôt qu'elle ne les sépare, a inspiré à leurs poètes et leurs
artistes des sentiments analogues à ceux qu'elle nous fait éprouver.
D'autre part, les contemporains de Trajan n'étaient nullement fati-
gués de leur civilisation. Ce n'est pas pour l'oublier, mais bien
au contraire pour en jouir à l'aise, qu'ils quittaient Rome. Ce
qu'ils fuyaient c'était la vie forcément collective, et cette pro-
miscuité perpétuelle et fatigante de la capitale à laquelle les
empereurs seuls, avec dix ou douze possesseurs de grands jardins,
pouvaient se soustraire sans quitter l'enceinte des sept collines.
Dans les logements étroits qu'on louait à grand prix dans Rome,
la vie semblait comprimée, les réunions un peu nombreuses étaient
gênées, le recueillement nécessaire à Tétude était impossible à
obtenir ^. Quant aux besoins essentiels de la vie antique, liss bains,
les exercices gymnastiques, les jeux, les promenades, on ne trou-
vait à les satisfaire que dans des établissements somptueux sans
doute, et incessamment agrandis pour donner place à une popu-
lation croissante, mais toujours encombrés néanmoins par une
foule bruyante et tracassière.
1. Ju vénal, III, 233. Martial, XII, 57.
— 2S2 —
On conçoit maintenant ce que Pline aimait tant dans ces mai-
sons de campagne ; on s'explique le bonheur mêlé de vanité qu'il
éprouve à décrire à ses correspondants ces bains si bien installés
et si agréables quand on les OMnpare aux piscines publiques de
Rome, et ces longues allées de platanes et de vignes où le maître,
promené en litière, entend à peine le bruit des pas de ses porteurs,
et ce jeu de paume que personne ne vous dispute, où l'on entre et
que Ton quitte au gré de sa fantaisie, et ces bibliothèques, et ces
cabinets d'étude où l'on se recueille en silence, et ces triclinia
d'où la vue s'étend sur la campagne, et ces salons spacieux où,
loin de la présence importune des esclaves, on donne aux épan-
chements de l'amitié un libre cours, où une société nombreuse
peut prendre place commodément pour s'entretenir d'art et de
lettres, et pour entendre la lecture du nouvel ouvrage. Nous
sommes bien ici dans une maison de ville, plus grande, plus con-
fortable et plus ornée que celles de Rome. Rien n'est trop beau,
ni trop rare, ni trop cher pour la décorer : les mosaïques, les
marbres précieux revêtent les planchers et les murs. On prend
une haute idée du talent des architectes qui avaient su aménager
si ingénieusement la distribution de ces grandes villas, donnant
à chaque pièce l'exposition la plus convenable et le jour le mieux
approprié à sa destination, et élisant servir au bien-être de la vie
quotidienne les découvertes les plus récentes de l'industriel Ces
efforts de l'art pour introduire l'agrément et la magniâcence dans
les habitations particulières, jettent un jour instructif sur l'état
des mœurs et sur les habitudes domestiques au deuxième siècle,
chez un personnage de la classe moyenne, jouissant d'une fortune
ordinaire. Ils sont aussi les témoignages intéressants de l'activité
créatrice que la vie romaine avait éveillée chez les artistes, car
la simplicité de la vie grecque ne comportait pas un tel dévelop-
pement de l'architecture civile, et ne l'aurait jamais suscité. Des
maisons de campagne semblables à celles de PUne se multiplièrent
dans l'Occident; au cinquième siècle on en trouve le type à peine
altéré sur le sol des Gaules ' et, à la Renaissance, elles ont servi
de modèles aux villas italiennes quand Scamozzi et San Gallo se
mirent à l'école des anciens.
Le peu de goût des Romains pour les beautés pittoresques de la
1. Remarquer surtout les grandes plaques de pierre spéculaire qui
fermaient les spacieuses fenêtres des œci Cyzicenit et les caiorifôres qui
répandaient dans toute la maison une chaleur réglée au moyen de
bottches (angustae fenestrâe).
2. Villa de Sidoine Apollinaire, décrite par lui, Ep., H, 2.
— 283 —
nature se fait sentir dans le dessin des jardins de Pline, tracés au
cordeau et au compas. Simple auxiliaire de rarchitecte, le topior-
rius avait, sous sa direction, aplani le sol et mutilé les arbres.
Le buis, par sa docilité à garder les formes que lui a données la
taille, était l'essence préférée pour ces jardins : il y formait des
lignes droites ou courbes, il encadrait des parterres contournés
en figures d'animaux ou bien dessinait sur le terrain des lettres
composant le nom de Pline ou celui de Mustius ^ Â chaque pas,
d'ailleurs, on rencontrait une statue, ou une colonnade, ou des
eaux jaillissantes. Nous voyons déjà régner ce goût puéril de
S3anétrie et de décoration monumentale qui caractérise les jardins
dits italiens ou français *. Il n'est pas jusqu'à certains enfantil-
lages des villas romaines ou génoises qu'on ne retrouve dans
celles de Pline; ainsi, au moment où on s'asseyait sur le banc
semi-circulaire du stibadium^ on faisait jaillir un jet d'eau sur
la table de marbre'. Les descriptions laissées par Pline ont, en
effet, servi longtemps de préceptes aux dessinateurs de jardins.
Les rapports étroits qui lient l'architecture à la sculpture ne
se manifestent jamais avec une clarté plus grande qu'aux époques
où elles se transforment, car les transformations des deux arts
sont constamment corrélatives. Au temps de Périclès comme au
siècle d'Alexandre, au Moyen Age aussi bien qu'à la Renaissance,
leurs progrès, leurs ralentissements, leurs retours en arrière,
leurs changements de tendances, sont toujours simultanés et
décidés par un seul et même ordre d'idées ou de sentiments. Nous
ne serons donc pas surpris de trouver une école de sculpture flo-
rissante à côté de l'école d'architecture dont nous avons indiqué
l'esprit général et dont nous avons énuméré les créations princi-
pales. Comme celle-ci, elle modifie la tradition grecque pour
l'accommoder au génie romain.
Au huitième siècle de Rome, trois grandes écoles se partagent
le domaine de la statuaire, savoir : l'école d'Athènes, celle
d'Asie-Mineure et ceUe à qui nous donnerons le nom de
romaine pour spécifier le caractère des œuvres qui en sont sor-
ties. La nouvelle école Attique qui a produit tant de monuments
célèbres et signés, parmi lesquels il suffit de citer le Torse, la
Vénus de Médicis, l'Hercule Farnèse, le Germanicus, est carao-
1. DescriptioD de la villa de Toscane (£p., VI, 5).
2. On a voulu trouver Torigine des jardins anglais dans cette phrase de
Tacite : Golunt (Germani) discreti ac diversi, ut fons, ut campus, ut
nemuB placuit (Germ, 16).
3. Villa de Toscane.
— 2S4 —
térisée par sa prédilection pour les sujets religieux et pour les gra nds
personnages de la mythologie. Par là, au moins autant que par le
lieu de naissance des artistes qui l'illustrèrent pendant deux siè~
des, elle se rattache directement à l'ancienne école d'Athènes. La
nature des sujets traités comportait une certaine tendance à
l'idéal : aussi tant que les sculptures de Phidias n'ont pas été
accessibles à l'étude, les Apollonius, les Cléomènes, les Glycon
ont été placés à la tête des maîtres anciens. Mais les marbres du
Parthénon ont fait descendre au second rang ces productions si
admirées il y a moins d'un siècle. Malgré d'éminentes qualités,
on reconnaît aujourd'hui que l'invention y manque et que la
plupart de ces œuvres rappellent des types déjà consacrés par
l'art *. On constate chez les artistes de cette école des tendances
modérées à l'archaïsme ou à des essais de combinaison entre les
principes posés par diverses écoles ; mais ces tentatives de restau-
ration et de rajeunissement du passé, témoignages honorables des
aptitudes d'un peuple admirablement doué pour les arts, ne pou-
vaient se prolonger longtemps. Cette école disparaît à peu près
au milieu du premier siècle de notre ère.
L'école d'Asie-Mineure procède de l'école Rhodienne qui a
déployé dans le Laocoon, dans le Taureau Farnèse, un réalisme
puissant et une grande habileté dramatique. Mais quand la force
d'invention commença à s'épuiser, les qualités des Asiatiques se
réduisirent de plus en plus à l'habileté technique. Elle est admi-
rable dans le Gladiateur où une science anatomique irréprocha-
ble fait ressortir tous les muscles ; elle n'est plus que surprenante
dans les Centaures de la villa Hadriana, où l'effet est poursuivi
jusque dans les détails les plus délicats. Probablement exécutés pour
Hadrien, c'est-à-dire peu de temps après la naort de Trajan, les
Centaures nous donnent une idée exacte de ce qu'était sous ce
dernier prince l'école d'Asie-Mineure. La dextérité avec laquelle
les artistes modelaient les matières les plus rebelles dut leur
valoir de nombreuses commandes des amateurs curieux, mais elle
n'était pas de mise dans la sculpture monumentale ^
1. On l'a reconnu par Tëtude des médailles qui nous ont conservé les
représentations de statues célèbres.
2. L'enseignement et les procédés de Técole d'Âsie-Mineure devaient
maintenir à une grande hauteur Tartde la gravure sur gemme qui o£bre
en effet, à Tëpoque de Trajan, des monuments comparables, pour la
beauté du style et la finesse du travail, à ceux qui datent du règne
d'Auguste; v. à la Bibliothèque Nationale, n* 240, le beau portrait de
Trajan en camée. Trajan scellait ses lettres et ses rescrits tantôt avec le
— 285 —
Celle-ci trouva de dignes interprètes dans la troisième école,
qu'on peut faire remonter à Pasitelès ^ , artiste d'une activité sur-
prenante, doué d'une merveilleuse variété d'aptitudes, prêt, comme
les maîtres de la Renaissance, à traiter toute matière et à essayer
ses forces sur tous les points et dans toutes les directions. De
Pasitelès à Stéphanos, de Stéphanos à Ménélas, l'art resta k la
même hauteur, et on vit se déployer chez ces artistes des qualités
communes aux deux écoles dont nous avons parlé plus haut :
retour aux bons modèles, respect et imitation intelligente des
œuvres anciennes comme dans l'école Attique ; efforts pour saisir
la réalité vivante- et soins scrupuleux de la forme comme dans
l'école Asiatique, sans pourtant que cette poursuite dégénère
jamais en tours de force et en manifestations inopportunes d'habi-
leté. A cette école appartiennent certaines créations tout à fait
inspirées par Rome, telles que les quatorze statues de peuples
vaincus que Coponius exécuta pour le théâtre de Pompée ^ et qui
servirent de types à ces représentations de ces prisonniers bar-
bares si nombreuses au second siècle ; c'est à elle aussi que nous
devons tant de belles statues d'empereurs et d'impératrices, où la
réalité de la physionomie et du costume s'allie si heureusement
à la noblesse du maintien et à la vérité de l'attitude ; tant de bustes
où Ton trouve à la fois le caractère individuel et l'élévation
idéale, admirables commentaires des historiens et des mora-
listes contemporains, éloquents démentis à la prédiction que
Virgile avait mise dans la bouche d'Anchise^.
On voit se développer sous l'empire une branche encore
plus importante de la sculpture. Nous voulons parler du basH
rdief, conçu à Rome tout autrement que dans la Grèce. Là, les
superficies monumentales décorées par ce procédé n'offrent que
des silhouettes de personnages placés à la suite les uns des
autres dans une procession ou une cérémonie religieuse, ou
bien prenant part à un banquet funèbre, scène si calme qu'on
a pu se demander si on était en présence d'un sujet allégorique
portrait d'Auguste (Henzen, Scavi nel bosco degli Arvali, p. 59), exécute par
Dioscoride (Suet. Oct 50), tantôt avec une intaille représentant Marsyas et
Olympus (Henzen, ibid., p. 67), sujet souvent traité par les anciens en
sculpture et en peinture.
1. Sur cette école v. Brunr, GesehicMe der gr, KUnsUer, 1, 595-600. Ovbr-
BSCK, Geschichte der OriecMschen Plastik, II, 340-349. KftKULÉ. Die Gruppe des
KUnsUers Mendaos in vUla LudoviH.
2. Piin., HisU Nat, XXXVI, 41.
3. Aeneid, VI, 848.
ou d'une représentation (fe la Tie rédle^. Â Rome, au contraire,
nous trouvons de véritables scènes historiques, dont la complica-
tion est rendue sans embarras : les groupes de personnages sont
formée natui'dlement, les mouvonents sont rendus avec franchise,
toute la composition oifre un caractère à la fois exact et pittores-
que, et l'artiste sait y jeter la variété, le mouvement et la vie. Cette
branche toute romaine de la sculpture commence vers Auguste,
et au temps même où s'élevèrent les premiers arcs de triomphe.
Dans le bas-relief de Ravenne qui représente l'apothéose de la
famille Julia, onsaisitdéjà le germedes qualités qui vont se déve-
lopper rapidement ; bientôt, sur les fragments conservés de l'arc
de Claude, l'art s'enhardit : il touche à la perfectiondans les deux
grandes compositions qui décorent les parois intérieures de l'arc
de Titus et enfin, sous Trajan, il atteint le plus haut point où la
sculpture historique soit parvenue. Laissant aux historiens de
l'art la tâche intéressante de faire ressortir, par une étude appro-
fondie', l'habileté d'agencement dont les sculpteurs inconnus de
cette époque ont fait preuve en imaginant de ranger, sur des plans
situés à difiérentes profondeurs, les personnages qui prennent part
à l'action (artifice de perspective grâce auquel chacun, comme
dans la peinture, prend son rôle et sa place), qu'il nous sufiise
de rappeler ici les basp-reliefs récemment découverts sur le Forum',
qui représentent la fondation par Trajan des institutions alimen-
taires, et la remise qu'il fait au peuple des impôts arriérés dont
les créances sont brûlées sous ses yeux, puis la magnifique bataille
des Romains et des Daces, coupée d'une manière inintelligente et
barbare pour décorer l'arc de Constantin, et enfin la spirale sculp-
tée qui décore du haut en bas la colonne Trajane. Malgré quelques
détails oiseux, et d'assez fréquentes négligences, on ne saurait y
méconnaître un art réel pour reproduire les scènes militaires :
marches, campements, allocutions, batailles, ambulances, convois
de prisonniers, scènes de pillage ou de triomphe, tout est rendu
avec une précision isurprenante et un talent de composition in-
contestable. Le spectateur ne pouvait manquer de s'intéresser à
ces représentations de faits auxquels il avait pris part, ou dont il
1. Discussion entre Letronne et Pb. Lebas.
2. V. un excellent travail de M. Ad. Pbilippi, Ueber dieromischen THuoi-
phalreliefè, Leipzig, 1872, gr. in-8*, où la question a été abordée pour
la première fois.
3. Henzen, BulkiUno di CorrUp. Areh., 1872, 273-282. Montun, Ined.
vol. IX, tav. XLVIl, XL VIII.
— 287 —
avait entendu le récit, et que la littérature oont^nporaine était
loin de retracer avec une aussi pittoresque vivacité ^
Après Trajan, la sculpture en bas-relief resta florissante jusqu'à
la mort de Marc Âurèle ; puis elle tomba rapidement, comme on
s'en assure par un simple coup-d'œil jeté sur l'arc de Septime
Sévère. Bientôt, à mesure que l'architecture périclitait, la sculp-
ture déclina, et quand le sénat voulut élever un arc de triomphe
au vainqueur du Pont Milvius, on l'orna de reliefs arrachés
à l'arc construit sous Trajan à l'entrée de la Via Appia, res-
taurée par lui. A l'époque de cette sauvage destruction l'art du
bas-relief n'était cependant pas perdu absolument, mais il ne
s'appliquait plus qu'à la décoration des sarcophages : d'ingénieux
motifs décomposition, et une habileté persistante s'y retrouvent,
jusqu'à la fin, comme pour témoigner de la puissance de l'école
romaine à son origine. Puis on cessa d'orner les monuments funé-
raires, païens ou chrétiens, et ceux qu'avait embellis le ciseau
des derniers^ sculpteurs furent brisés ou négligés jusqu'au jour
où Nicolas de Pise y vint chercher des modèles et puiser l'inspi-
ration qui devait renouveler l'art moderne.
1. Nous possédons au Louvre plusieurs bas-reliefs provenant de monu-
ments construits sous Trajan. Glarac, pi. 144, n* 326, pi. t51, n^* 300, pi. 216,
n» 323, pi. 219, n- 312, pi. 221, n» 313.
CHAPITRE XIX.
DÉTAILS PERSONNELS SUR TRAJAN. LÉGENDES.
Revenons à Trajan, que nous avons un peu perdu de vue pen-
dant que nous suivions le développement et l'activité de l'intelli-
gence humaine au début de la période Antonine. Après le prince
nous devons faire connaître Thonmie, en réunissant quelques
traits que nous ont transmis les anciens sur sa physionomie et
son caractère.
Trajan était grand et bien proportionné : il avait les yeux pro-
fonds et très-ouverts, les lèvres serrées, la barbe épaisse, le teint
brun. Ses cheveux, qu'il portait courts, étaient devenus blancs
de fort bonne heure. On remarque dans ses bustes un développe-
ment extraordinaire de la partie postérieure de la tête : le visage
respire une certaine gravité et le regard, empreint de résolution,
semble dur; mais les biographes nous apprennent que la blan-
cheur de sa chevelure adoucissait la majesté naturellement impo-
sante de sa physionomie. Le marbre ne saurait d'ailleurs traduire
l'affabilité inaltérable et la bonne humeur qui détendaient ces
traits énergiques *.
Son tempérament très-robuste lui permettait de supporter de
grandes fatigues. Il dormait peu et se contentait de la nourriture
la plus simple. Mais cette sobriété n'avait rien d'affecté, et il n'en
1. Paneg. 41. Dion LXVIII, 31. Malalas XI, p. 269. M. Ravaisson a
fait remarquer {Reçue des deux Mondes^ mars 1874, p. 236) qu'une
statue d'homme assis dénommé Trajan , au musée du Louvre , est un
composé d'une tête de Trajan et du corps de quelque personnage grec
comme l'indiquent le costume et la chaussure.
— 289 —
faisait preuve qu'autant que l'exigeaient les circonstances. Dès
qu'elles le permettaient, il savait s'en départir : il se livrait alors
sans ménagements aux plaisirs de la table , et se montrait assez
gominet. Apicius, qui lui fit passer jusque chez les Parthes des
huîtres auxquelles il avait su, par un procédé particulier, con-
server toute leur firaicheur, n'ignorait pas sans doute que son
présent serait bien accueilli ^
Tous les témoignages s'accordent à signaler chez Trajan un
goût pour le vin dépassant les limites habituelles et permises ^.
Après avoir bu copieusement pendant le souper, il portait encore
cinq santés au dessert^. Tous ses amis n'étaient pas en mesure de
lui faire raison ; et c'est en lui tenant tête à table qu'Hadrien
triompha des mauvaises dispositions qu'il rencontrait dans son
esprit prévenu, et devint son favori. Au moins Trajan recomman-
dait-il qu'on ne lui parlât pasd'afifairesavantlelendemain, quand
le sommeil lui aurait rendu tout son sang-froid^. L'histoire excu-
serait aisément un travers qui à Rome n'était ni rare ni très-
mal vu,
Narratur et prisci Gatonis
Saepe mero caluisse virtus ^.
et auquel Nerva fut aussi enclin •. Malheureusement, certain vice
dépare le caractère de Trajan et amoindrit la sympathie qu'ins-
pire sa personne'' ; en ajoutant, comme Dion n'a pas manqué de
le faire, qu'il n'affligea qui que ce fut pour satisfaire sa passion,
on fournit une nouvelle preuve, après tant d'autres, de l'équité et
de la modération de Trajan, mais on n'introduit aucune circons-
tance qui atténue la seule flétrissure dont sa mémoire reste char-
gée.
Sans que l'éducation de Trajan eût été négligée, il n'avait pas
une instruction aussi complète que les hommes de la classe so-
ciale à laquelle il appartenait par sa naissance. Son éloquence
était médiocre ^ et son savoir assez borné : il suppléait à ce qui
lui manquait par l'emploi judicieux de ses facultés naturelles et
par la fréquentation et la conversation des lettrés dont il aimait
1. Athénée., DdpnoMoph. I. p. 7, d. Suidas, v* d<rrpea.
2. Dion, LXVIII, 7. Victor, Caess., 13.
3. Lamprid., Sev. Alex,, 29.
4. Victor, Caess, XIII, 9.
5. Horat., Carm, III, 21.
6. Victor, 1. 1.
7. Dion, LXVIII, 7. Julien, Caess. 8.
8. Julien. Caess. 22, attribue à la paresse son manque de talent pour
la parole.
DE LA BERGE 49
— 290 —
et rediercbait la compagnie. Pline a parlé des entretiens savants,
des conversations intéressantes et pleines d'un aimable enjoue-
ment, qui s'engageaient à la table de l'empereur, des ioLpod^una qui
suivaient le repas ^ Quelques discours de Dion Chrysostôme'
peuvent nous donner une idée de ce qu'étaient ces propos de
table, de Tordre d'idées que Trajan aimait à entendre développer.
On y parlait souvent d'Alexandre, son héros préféré^, et d'Homère,
le poète favori d'Alexandre et le grand éducateur de toute l'anti-
quité. Le vers qui désigne Agamemnon :
trouvait une application directe et bien naturelle à un souper du
Palatin ou de Centum Cellae. Trajan se montra bienveillant pour les
philosophes ^ que les Flaviens avaient traités assez mal. Il prêtait
l'oreille à leurs discours, mais n'en comprenait pas toujours la sub-
tilité: il se tirait avec finesse de l'embarras qu'il éprouvait à leur
répondre. Quand il revint de la guerre de Dacie, il permit à Dion
de prendre place à côté de lui sur le char de triomphe. Le philo-
sophe développait des théories assurément très-profondes : « Je
« n'entends pas du tout ce que tu me dis, répondit à un moment
4c l'impérial auditeur, mais ce que je puis t'afflrmer, c'est que je
« t'aime comme moi-même^. »
n fut pourtant écrivain ou , pour mieux dire, quelques ouvrages
portent son nom. Les conunentaires sur la guerre des Daces
étaient probablement l'œuvre de Licinius Sura qui l'accompagna
dans les deux expéditions et qui rédigeait ordinairement ses dis-
cours et ses messages '^. Les lettres adressées à Pline, dont Yi-
gneul de MarviUe a loué Vimperatoria brevUas et le style d'une
précision noble et sévère, furent sans doute écrites par Hadrien
qui succéda à Sura comme secrétaire intime de Trajan. C'est
Hadrien qui composa les vers grecs qui accompagnaient les
offrandes de Trajan à Jupiter Casios, et où l'empereur parle en
son nom. Est-ce aussi à lui, est-ce réellement à Trajan qu'il faut
attribuer un distique conservé dans l'Anthologie^? Cette mauvaise
pointe ne fait guère honneur à celui qui l'a composée.
1. Panég. 49, Ep. VI, 31.
2. Les quatre premiers.
3. Julien. Caess., 2S, 30.
4. JUad., III, 179.
5. Panég.; 47, Julien.
6l Philostrat., 5op^., 1, 7.
7. Julien, Caess., 22; Spartian., Hadr., 3.
8. XI, 418 : 'Avt(ov ^Cou oti^aoc ptv« xal <n6\kOi x^itf)(A»v
6eC$eiC Tac &^OLi vwri iraipepxo(jivoic.
— 294 —
Trajan aimait avec passion les exercices du corps , et il y ex-
cellait. Conduire des embarcations, faire de longues marches à
pied, chasser, étaient ses plus grands plaisirs. Une expédition
militaire était pour lui la réunion de ses passe-temps préférés, et
il se déterminait £acilement à l'entreprendre. En attaquant les
Parthes, il cédait sans doute aux entraînements de sa passion et
poursuivait des succès plus glorieux pour sa personne qu'utiles à
l'Etat. Mais, en revanche, un prince pacifique n'eût pas osé
engager une lutte corps à corps avec Décébale : il eût cherché à
améliorer les conditions imposées à Domitien, il eût obtenu pour
l'amour-propre national quelques satisfactions vaines, et cette
politique prudente laissait grandir à côté de l'empire le peuple le
plus audacieux, et le mieux préparé à des envahissements qui
pouvaient être décisifs dès le second siècle.
L'immense impulsion que Trajan donna aux travaux publics
révèle un goût prononcé pour la magnificence, et le soin qu'il
prenait de £aire inscrire son nom sur les édifices qu'il avait fait
élever prouve qu'il mettait là une bonne part de sa gloire. Mais
ces constructions étaient faites dans des vues d'utilité générale
et ont favorisé le développement du grand art. Ainsi, bien qu'il
ait aimé « les bâtiments et la guerre, » ses prédilections ne
furent point onéreuses à ses peuples, et contribuèrent au con-
traire à la prospérité universelle.
Mais les provinces qu'il avait conquises furent abandonnées,
les lois qu'il avait fait rendre furent modifiées ou fondues dans les
Codes de ses successeurs, les somptueux édifices qui portaient son
nom tombèrent en ruines sous l'action du temps et la main des
hommes. Sa gloire, pourtant, brilla de l'édat le plus vif jusqu'à la
fin de l'empire romain, et survécut longtemps à sa chute. Avec le
cours des siècles, elle se transforma : le renom du grand capitaine
s'affaiblit S et on continua de vanter les qualités privées du souve-
rain. Toutes les espérances conçues au début du règne avaient été
réalisées ; la toute-puissance n'avait altéré aucune des solides qua-
lités d'esprit et de caractère du fils adoptif de Nerva . Sa modération
dans l'exercice du pouvoir, la simplicité de ses manières, la sûreté
de son commerce, l'aménité de son accueil, restèrent profondé-
ment empreintes dans le souvenir des peuples, car aucun de ses
prédécesseurs n'avait déployé ces vertus au même degré ni avec
1. Sauf dans rOrient européen, où rbistoire de ses conquêtes a pris
un caractère légendaire, visible dans Nicolas Gostin, dans Jean le Lydien
et dans les chants valaques.
— 292 —
autant de suite, et les empereurs qui vinrent après lui en don-
nèrent rarement l'exemple *. Ainsi le nom à'Optimi^ que lui avait
de bonne heure décerné la reconnaissance de ses sujets, et dont il
ne toléra qu'au bout de quatorze ans l'addition officielle sur les
monuments publics, servit d'expression au jugement de l'histoire.
Tout concourut à perpétuer le souvenir de sa bonté. A chaque
nouvel avènement, on souhaitait au prince d'être « plus heureux
qu'Auguste, meilleur que Trajan. » Sa bonté était prise pour
terme de comparaison, soit pour flatter, soit pour décerner un
éloge sincère '. La banalité même de ces louanges finirait par
leur ôter du prix et laisserait planer des soupçons sur leur légi-
timité, mais nous pouvons nous rassurer à cet égard : c'est le
plus implacable des polémistes, le plus amer contempteur des
Césars, qui fait décerner à Trajan le prix de la clémence dans
l'assemblée des Dieux ^.
Ce type d'un prince équitable et puissant, que l'esprit cons-
truit à l'aide de quelques grands faits bien constatés, ne saurait
suffire à l'imagination populaire. Elle invente, ou elle emprunte
ailleurs, des traits caractéristiques pour arrêter les contours in-
décis des figures qui se détachent sur le fond de l'histoire positive.
Dès fe troisième siècle, on saisit autour de la personne de Trajan
les traces d'un semblable travail. Tous les traits un peu remar-
quables de bonté lui sont attribués. Alexandre Sévère tire d'un
conspirateur une vengeance généreuse accompagnée dans l'exé-
cution d'une certaine espièglerie* : on en fait honneur à Trajan.
Lampride discute la version populaire et montre qu'elle n'est pas
fondée, mais il ne se cache pas qu'il est trop tard pour ébranler
une tradition déjà invétérée.
On relève un trait d'équité dans la vie d'Hadrien '^, on l'embellit,
on lui donne une couleur chrétienne : alors il devient digne de
Trajan, et Trajan à son tour peut prendre place au milieu des
chrétiens. On racontait donc qu'au moment où, partant pour une
expédition militaire, il allait quitter Rome et marchait à la tête
1. Marc-Aurôle pourrait seul être mis sur la môme ligne que Tngan ;
peut-être môme éprouvait-il pour les hommes une sympathie plus
tendre et plus vive; mais l'austôrité philosophique écarte la familiarité
de sa personne, et on ne trouve pas chez lui cette bonhomie qui 8*al-
liait chez Trajan à la grandeur.
2. Eutrop., VIIl, 5.
3. Julien, dans les Césars, c. 22.
4. Lamprid., Sev. Alex., 48.
5. Dion, LXIX, 6.
— 293 —
de l'année qui défilait sous les yeux d'un peuple immense, une
femme se précipita à la tête de son cheval ^ C'était une pauvre
veuve dont le flls unique avait été tué, et les meurtriers n'étaient
pas encore punis. Seigneur, criaitrelle, venge mon flls. — A mon
retour, dit l'empereur, continuant sa marche. — Et si tu meurs?
— Mon successeur te fera justice. — Quel finiit tireras-tu de la
vertu d'un autre? demanda la veuve. Trajan rentra en lui-même,
reconnut son devoir, et, l'accomplissant aussitôt, fit procéder,
toute afiaire cessante, aux informations nécessaires, sans rougir
de paraître céder aux injonctions d'une pauvre fenune : il ne
quitta Rome qu'après s'être assuré qu'il ne laissait derrière lui
aucune partie de sa tâche. Cette simplicité loyale, cette liberté
laissée au plus humble sujet d'arriver jusqu'au maître du monde,
cet amour scrupuleux de la justice, ce sentiment profond et déli-
cat des devoirs de la puissance envers la faiblesse sont des traits
qui, réels ou inventés, devaient frapper les esprits dans des siècles
de malheurs publics , d'anarchie et de violence. On dit que saint
Grégoire, en pensant à ce trait de la vie de Trajan, se sentit ému
au point de demander à Dieu de retirer des enfers l'âme du grand
empereur, et sa prière, croyait-on, fut exaucée. Privé des monu-
ments littéraires de l'antiquité, le Moyen Age n'a guère connu
Trajan que parce trait légendaire, devenu inséparable de son
histoire depuis qu'il a été deux fois consacré par le génie *.
1. Ed una vedovella gli era al freno
Di lagrime attegiata e di dolore.
Dintorno a lui parea calcato e piano
Di cavalieri, e Taquile deiroro
Sovr'esso in vista ai vente si movieno.
Dante (Purg., X, 77 et suiv.)-
2. Dante et Eugène Delacroix (tableau du Musée de Rouen). Dante
raconte qu'il a vu cette histoire sculptée sur un rocher de marbre blanc
par la main divine. — Au moyen ftge, les Romains montraient la place
où la scène avait eu lieu : sunt praeterea alii arcus qui non sunt trium-
phales sed memoriales, ut est arcus Pietatis ante sanctam Mariam
rotundam, ubi cum esset imperator paratus in curru ad eundum extra
pugnaturus, quaedam paupercula vidua procidit ante pedes ejus, etc.
De MirabUilnu civiiatts Romanx, dans Urlichs, Codex Urbis RanuB topogra-
phieus. Wirceburgi, 1871, p. 129. — Suivant M. de Rossi (Bulletino <U
Corrisp. Arch., 1871, p. 6), le bas-relief décrit par Dante aurait été réel-
lement sculpté sur Tare de la Piété dont parle Fauteur des MirabiUa.
f La sculpture qui décorait cet arc représentait certainement une nation
f vaincue, suppliante, et demandant grftce à l'auguste triomphateur,
c L'ignorante imagination des hommes du moyen ftge y vit la fameuse
c légende de Trajan, etc. i Le passage cité plus haut des MirabUia ne
me paraît pas impliquer absolument l'existence d'un tel bas-relief sur
— 294 —
•
rare en question. Jean Damaflcène, au viii* siècle, est le premier qui ait
parle de Fintercession de Grégoire en faveur de Tnyan, mais il ne cite
pas le trait de justice qui aurait motive cette intercession. (V. le passage
dans Baronius, XI, p. 62, éd. Luc.) Ge trait est raconté par Jean le Diacre
dans sa vie de Grégoire-le-Grand (II, 5), et en termes un peu différents
par le biographe anonyme du môme pape. Jean de Salisbury (PoUera-
iieus, V, 8), Vincent de Beauvais (Specul. hUtoriale, X, 47, 48), Dante
(Purg., X, 73-93), Tont pris dans Jean le Diacre. Ailleurs, le poète toscan
compose avec Pâme de Tnqan et celles d'Ezèchias, de Constantin, de
Guillaume n roi de Sicile, et de Riphée, le sourcil de Taigle merveilleux,
symbole de l'empire universel, qui vole devant la planète de Jupiter
(Farad., XX, 43-45). Saint Thomas a touché deux fois à la question du
salut de Tr^an (QuaesUones DUputatae, VI, 6, 9, 4, et ad Ubr. IV Senien-
tiarum, Distinct., XLV, 2, 9, 5). Dans le dernier passage, il Texplique en
admettant que TÂme de Trajan, tirée de Tenfer, anima un nouveau corps
dans lequel elle vécut chrétiennement et mérita le paradis. C'est la doc-
trine qu*a développée Dante (Farad., XX, 100-117).
CHAPITRE XX.
Après avoir recueilli, dans les documents mutilés qui nous
restent du second siècle, les éléments d'une histoire de Trajan et
reconstitué de notre mieux cette histoire, nous arrivons, ce me
semble, à nous faire de son gouvernement et de sa personne une
idée peu différente de celle que les contemporains en avaient con-
çue : nous trouvons les mêmes raisons qu'eux pour aimer et pour
admirer le fils adoptif de Nerva.
Au moment où il fut appelé à prendre possession du pouvoir
suprême, le principat existait depuis plus d'un siècle : il avait
supporté l'épreuve du temps et il était désormais assez universel-
lement accepté des peuples, il était entré assez profondément dans
leurs habitudes, pour n'avoir plus à redouter aucune opposition
à Rome ou dans les provinces, au Sénat ou à l'armée ^ Mais
cette lente consolidation ne l'avait pu soustraire au double dan-
ger qui le menaça dès le premier jour, et qui ne fut jamais écarté
jusqu'au moment où l'Empire romain fut dissous : aux frontières,
l'invasion barbare ; au dedans, la rupture des ressorts politiques
tendus à l'extrême par une puissance absolue, à laquelle on
n'avait donné aucun contrepoids.
Trajan a vaincu les barbares : il a exercé avec modération
l'immense pouvoir que la constitution mettait dans ses mains.
Tel est le double aspect sous lequel sa politique s'est offerte à
notre étude. Dès lors, nous pouvons le ranger au nombre des
1. V. le beau livre de M. 6. Boissier : L'Opposition sous les Césars.
— 296 —
meilleurs empereurs et des plus éminents promoteurs de la civili-
sation.
En caractérisant ainsi son règne, on trouvera peulr-etre que
nous ne le distinguons pas assez nettement de ceux de Nerva,
d'Hadrien, d'Antonin le Pieux, de Marc Aurèle, r^nes pendant
lesquels la sécurité fut aussi maintenue au dehors tandis que le
régime intérieur recevait d'incessantes améliorations. Oui, il est
vrai que tous les empereurs désignés par le nom collectif et peu
exact, mais consacré, d'Antonins ont eu les mêmes vues et en
ont poursuivi l'accomplissement avec un zèle égal pour le bien
public ; mais l'histoire peut décerner à tous de légitimes éloges
sans que la gloire de Trajan en soit diminuée. Il aura du moins,
par ses guerres heureusement conduites, par ses réformes com-
mencées sur tous les points importants, facilité grandement la
tâche de ses successeurs, et l'on éprouve une satisfaction véri-
table à se dire que le système habile et modéré, équitable et géné-
reux dont nous avons étudié les premiers développements va se
continuer après lui, et durer près d'un siècle pour le bonheur du
monde. Si pourtant on veut absolument donner des rangs aux
Antonins, Nerva est mis immédiatement hors de cause, la briè-
veté de son règne ne lui ayant pas permis de laisser dans l'his-
toire de Rome une trace profonde. Si maintenant nous comparons
Trajan à Hadrien, je pense que le premier obtiendra aisément la
préférence; esprit ouvert et cultivé, animé de vues larges et
généreuses quand son intérêt personnel n'est pas enjeu, Hadrien
décèle, au premier obstacle que ses passions rencontrent, un cœur
méchant et une âme vindicative : le commencement et la fin de
son règne sont tachés de sang. Antonin le Pieux a gouverné
l'Empire comme un père de famille gouverne sa maison ; il a fsiit
preuve de droiture, de modération, de sagesse ; il a montré
qu'il possédait toutes les qualités de l'honnête honune. Mais
il n'a pas eu de guerres à soutenir; y eût-il déployé le cou-
rage et la résolution de Trajan? on ne sait. Tel que nous le con-
naissons, il ne peut prétendre au même rang que celui qui a
trouvé dans des victoires utiles à Rome et à la civilisation la par-
tie la plus brillante de sa gloire. C'est donc à Marc Aurèle seul
que Trajan doit être comparé : ici l'empereur philosophe aura
certainement la première place. Egal à Trajan pour la bravoure,
pour la bonté, pour l'attachement invariable à ses devoirs, il le
domine de très-haut par son étendue d'esprit, par sa grandeur
d'âme, par son amour tendre et profond de l'humanité. Pourtant,
si nous quittons ]a. philosophie pour descendre dans le domaine
— 297 —
politique» il sera peulr-etre permis de dire que les qualités
moyennes de Trajan ont servi plus efficacement les intérêts
romains que les dons supérieurs de Marc Âurèle. Sa prudence
dans les innovations était moins dangereuse que l'amour impa-
tient du bien dont Marc Âurèle était possédé ; sa bonté mieux
réglée a fait aimer l'autorité sans la compromettre, tandis que la
générosité de Marc Âurèle, poussée jusqu'à la faiblesse, a favorisé
bien des désordres ^ Quoiqu'il soit né loin de Rome, Trajan, dans
ses qualités comme dans ses défauts, est essentiellement romain.
C'est peut-être là ce qui lui a valu de la part de Montesquieu ce
bel éloge :
< Nerva adopta Trajan, prince le plus accompli dont l'histoire
ait jamais parlé. Ce fut un bonheur d'être né sous son règne ; il
n'y en eut point de si heureux ni de si glorieux pour le peuple
romain. Grand homme d'état, grand capitaine, ayant un cœur
bon qui le portait au bien, un esprit éclairé qui lui montrait le
meilleur, une âme noble, grande, belle; avec toutes les vertus
n'étant extrême sur aucune ; enfin l'homme le plus propre à hono-
rer la nature humaine, et à représenter la divine*. »
1. N. DBS Vbaobrs : Essai sur Marc- Aurèle, p. 99L
2. Grandeur des Romains, cbap. XV.
APPENDICES.
I.
Les auteurs et les monuments anciens donnent avec précision
le jour et le mois de la naissance de Trajan, mais n'en font pas
connaître aussi exactement Tannée.
Dans le calendrier composé sous le règne de Constantin II, par
Furius Philocalus*, on lit, à la date du 18 septembre (XIV des
calendes d'octobre) :
Xlin KAL N TRAIANI TRIVMPHALES. CM. XLVm»,
et cette mention est répétée dans le petit tableau des Natales Cœ-
sarumy extrait par Philocalus lui-même de son calendrier^. Deux
passages de Pline conJ6b:'ment cette date^.
Selon Eutrope ^, Trajan vécut 63 ans, 9 mois, 4 jours (obiit
aetatis anno LXIII mense nono et die quarto) : les chiffires désignent
bien les années, mois et jours écotdéSy car l'indication de la durée
du règne, qui est donnée d'autre part chez Xiphilin, est exprimée
dans Eutrope sous la même forme « imperii XIX mense VI
die XV. » De la date 11 août 117, jour où mourut Trajan, si
nous retranchons 63 ans, 9 mois, 4 jours, nous arriverons au
7 novembre 53 : mais nous ne pouvons admettre cette date en face
1. Corpus InscripUonum Latinarum,
2. 7«d, p. S22.
3. Ibid., p. 350.
4. Ep, ad TraJ., 17. Panég., 92. Cf. Suét. Damit, 17.
5. VIII, 5, éd. Dietsch, mais dans quelqueg manuscrits, on lit mense
uno die quarto (Bibl. nat., 5795), mense primo die quarto {ibid,, 7240), ce
qui mettrait le jour de la naissance de Trajan au 7 juillet 54.
— 300 —
des indicatioDs si précises, du 18 septembre, que nous avous
notées plus haut.
Dion dit que Trajan parvint à l'empire au cours de sa
42® année, SeÙTepov xat Teaaapoxoarbv Itoç «ycov ^pÇev ^, et le chiffre
est bien celui que donnait Dion, puisqu'on le retrouve dans Zona-
ras. (Suidas, au mot icovetoOai, dit par erreur à 40 ans.) Le
27 octobre 97 Trajan, s'il était né le 18 septembre 53, avait
44 ans. Il faudrait donc £aire descendre la date de sa naissance
au 18 septembre 55, pour conserver le nombre donné par Dion,
mais les indications des autres écrivains nous engagent à la
déplacer dans un autre sens.
Saint Jérôme donne le même chiffre qu'Eutrope '.
Le deuxième Aurélius Victor dit que Trajan vécut 64 ans ^,
la chronique Paschale le fait mourir à 65 ans^, Malalas à 66 ^.
M. Noël Desvergers (Comptes-Rendus de V Académie des
inscriptions, 1866, p. 74), et M. Dierauer {Beitraege, etc. , p. 9) ,
donnent l'an 53 comme date de la naissance de Trajan, préoccu-
pés sans doute de s'écarter aussi peu que possible du chiffre qu'on
lit dans la plupart des auteurs pour la durée de la vie de l'empe-
reur. Mais si on fait naître Trajan en 53, il n'est pas possible de
combiner ses dix ans de tribunat militaire, attestés par Pline,
avec la durée légale des charges exercées avant 85, année de sa
préture. Ces auteurs ont admis que dans le texte de Spartien
decimo anno (au sujet d'Hadrien) signifiait l'an 86, bien qu'à
traduire exactement, la dixième année d'Hadrien s'étende du
24 janvier 85 au 24 janvier 86 ; j'ai compris ces mots de la même
manière parce que le biographe d'Hadrien dit, quelques lignes
plus loin : « quinto decimo anno ad patriam redit ac statim mili-
tiam iniit. >► Or cette entrée au service militaire suppose nécessai-
rement au préalable la prise de la toge virile, et dans les deux
premiers siècles, cette cérémonie avait lieu quand le jeune homme
était âgé de quinze ans accomplis (V. Suétone, Galba 4, com-
biné avec Dion LVI, 29; Capitolin, Af. Ant. Phil. 4, etc.).
1. LXVÏII, 6.
2. Chnm,y éd. Schoene, p. 165 : extinctus est anno aetatis LXIII mense
nono die quarto.
3. EpUam,, 13. — Aurélius Victor, dans les Césars (cb. 13), dit seule-
ment « grandœva astate i.
4. Bd. Bonn, p. 473.
5. Bd. Bonn, p. 277.
6. Haâr,, c. I.
7. Dion, LU, 20, <rrpary)YËCTo>9Qcv Tptocxouvrai YSv6|jievoi.
— 304 —
IL
FAMILLE DE TRAJAN.
M. Ulpius Trajanus
mort avant l'an 100.
Trajan Marciane
53-117
épouse Plotine
morte vers 129.
Matidie
Sabine. Matidie la jeune.
TRAJAN PERE.
Les noms du père de Trajan (Marcus-Ulpius Trajanus) sont
connus par une inscription trouvée à Cuicul S postérieure au
sixième consulat de l'empereur, c'est-à-dire à Tan 112.
Le radical du gentilicium Ulpius (vulpes, wolf), appartient
très-visiblement aux langues indo-européennes et doit être ancien
dans le latin, bien qu'on n'en connaisse pas d'exemple un peu
antique vu l'obscurité dans laquelle resta longtemps cette famille.
La forme du cognomen Trajanus suppose un gentilicium
Traius qui, bien que fort rare, se rencontre effectivement dans
une inscription de la Bétique'.
Dans Gruter^, on lit les noms de M. Ulpius Sulpic[ianus ?]
empreints, dit^-on, sur un tuyau de plomb portant aussi les noms
des consuls de l'an de Rome 681 , mais ces derniers noms sont
mal donnés, et l'inscription est fausse. Elle a été fabriquée d'après
une inscription sur brique, actuellement conservée au musée de
Naples, MVLPSVCCESS SVLPICL^NI ^
1. Auj. Djémilah. L. Renier, /tisc. rom, de l'Alg., 2524<
2. Corp. Insc, Lot,, n* 1065.
3. 182, 11.
4. Mommsen, Inte. Nap., 6306, 156.
— 802 —
Trajan père commandait la légion X^ Fretensis pendant la
guerre de Judée, dirigée par Yespasien. Il se distingua au si^e
de Joppé* et de Taricheae*. Vespasien, pour récompenser le
courage qu'il avait montré dans cette guerre et les services qu'il
avait rendus, Téleva au consulat vers 70 ou 71 (c'est un consÎQat
subrogé) .
n fut ensuite légat propréteur de Syrie^ comme le démontre
une médaille d'Antioche savamment conunentée par l'abbé
Belley 8 : IMP : PON Tête laurée de Titus Rev. EDI
TRAIANOY ANTIOXEûN ET EKP, le tout dans une couronne.
L'an 125 d'Antioche conunença à l'automne de 76 ap. J.-G.
(829 de Rome). Trajan, pendant son gouvernement, préserva
la province d'une invasion des Parthes * et reçut les ornements
du triomphe ^, bien que ce succès paraisse dû à son habile poli-
tique plutôt qu'à des opérations militaires.
Plus tard, il devint proconsul d'Asie. Il est nonuné, en cette
qualité, sur une inscription de Laodicée, gravée en 79*. A
Smyrne, deux autres inscriptions^ mentionnent un aqueduc con-
struit pendant son proconsulat et appelé Tf8(op Tpatavov. Renversé,
probablement par un tremblement de terre, fléau habituel de ces
contrées, cet ouvrage fut relevé vers 115 par un autre proconsul,
Baebius Tullus, mais le nom de celui qui l'avait £ait construire
fut maintenu ^.
Trajan était mort vraisemblablement avant que son fils n'eût
été élevé à l'empire : en tout cas il ne vivait plus en l'an 100
quand Pline prononça le Panégyrique ®. Toutefois il ne reçut
les honneurs de l'apothéose que sous Hadrien **^.
On a son effigie sur des médailles ^S sur un fragment de camée
où sa tête est couronnée de lauriers en souvenir de son succès
sur les Parthes ^', et sur un buste de marbre, autrefois dans la
1. Josepb., B. Jud., III, 7, 31.
2. Ibid.y III, 9, 8 et 10, 3.
3. Mém, de VAcad, des Inscript j Ane. Sêr., XXX, p. ^71. fickhel, VI, p. 434.
4. Aurel. Vict., Caets., IX, 10, EpiUm., IX, 12.
5. Plin., Panég,y 9.
6. C. I. Gr., 3935.
7. Ibid,, 3146, 3147.
8. fiorgbesi, I, p. 459 et suiv.
9. Panég., 89.
10. Rev. Numism., 1859, p. 140.
11. V. à ce sujet une discussion entre MM. Deville et Â. de Longpérier,
Berne Numismatique, 1859, pp. 124-147.
12. Gbabouillet, Catalogue des Camées de la Bibliothèque Nationale, n* 239.
— 803 —
collection B^, aujourd'hui au cabinet des Antiques^. Ses
traite ont, ayec ceux de l'empereur Trajan, une ressemblance
marquée *.
PLOnNE.
Plotine, que le deuxième Aurelius Victor appelle Pompeia
Plotina', était fille d'un certain L. Pompeius dont nous ne
connaissons d'ailleurs ni le cognomen ni l'histoire ^. Tous les
auteurs ont loué les vertus de Plotine et témoigné de la bonne
intelligence dans laquelle elle vécut avec Trajan. Elle mourut
vers 129 ^. Hadrien, qui lui devait l'empire, rendit de grands
honneurs à sa mémoire et lui fit décerner l'apothéose ®.
MARCIANE.
Ulpia Marciana, née à une époque inconnue, épousa C. Mati-
dius Patruinus, qui fit partie du collège des frères Arvales et
mourut en 78 de notre ère^. Quand Pline prononça le panégy-
rique, Marciane, aussi bien que l'impératrice Plotine, avait re-
fusé le titre à!Augv^ta * que leur avait déféré le Sénat : mais
toutes deux le portent sur une inscription de Sarzane , gravée en
l'an 105 ®. Cette même année commence à paraître sur les mon-
naies de Trajan la légende OPTIMVS PRINCEPS*^ et c'est sans
doute au moment où l'empereur consentit à se parer publique-
ment de cette dénomination que sa sœur et sa femme prirent le
titre d^AugiLStae.
Une médaille où elle porte ce titre A^Augustay et qui a été frap-
pée de son vivant, est datée du vi® consulat de Trajan, et le
prince n'y porte pas le surnom à^Optimus^^ : die est donc des
1. N* 4684.
2. V. sur Trajan le père, Waddington, FmUt des provinces AskUiiiues,
p. 152, 153.
3. EpU., 42.
4. Borghesi, VIII, p. 494.
5. Dion, LXIX, 10.
6. Bckhel, Doet, Num. Vei,, VI, p. 466. Cf. Mongbz, leonog. Ram,,
pi. XXXVII.
7. Marini Àrv., tav. XXn.
8. Panég., 84.
9. Orelli, 786.
10. Bckhel, DoeL num. vet,, VI, p. 418.
11. Cohen Marciane, n* 1.
— 804 —
années 112 ou 113. Une inscription d'Âpamée Cibotos de Phry-
gie, où Marciane est qualifiée de 2€6mrcil2, fut gravée dans le même
temps ^
Mais cette princesse était morte en 115, lorsque fut érigé Tare
d'Âncône, et elle avait déjà reçu les honneurs de l'apothéose, puis-
qu'elle est appelée cfo't^a dans l'inscription encore subsistante sur ce
monument, et que surmontait sa statue aujourd'hui détruite*.
Une inscription de Lyttus de Crète ^ paraît de la même époque.
Plusieurs bustes^ et la médaille que nous avons citée font con-
naître le visage de Marciane,qui ressemblait à l'empereur son fràre.
BIATIDIB.
Matidie, fille de G. Matidius Patruinus et de Marciane, épousa
L. Yibîus Sabinus^; de ce mariage naquirent Sabine, femme
d'Hadrien, et Matidie la jeune.
Elle reçut le titre à'Augitsta en même temps que sa mère,
c'est-à-dire, comme nous l'avons supposé, vers 105. Ce titre est
joint à son nom dans une inscription de Lyttus de l'an 107 '.
Matidie est nommée sur la médaille de Marciane frappée en
112 ou 113, dont nous avons parlé plus haut. Avec Plotine et
Âttianus, elle rapporta les cendres de Trajan de Sélinonte à
Rome'''. Elle mourut sous le règne d'Hadrien qui lui rendit de
grands honneurs, prononça son oraison funèbre ^, et la fit mettre
au rang des Divinités*.
SABINE.
Sabine, fille de Matidie, née à une époque inconnue, épousa
Hadrien vers l'an 100 ^^. On sait que cette union, arrangée par
t. C. LG,, 3958.
.2. Orelli, 792.
3. CL a, 2576.
4. MoN&EZ, Iconogr, Rom.,p\. XXX YII.
5. Borghesi, III, p. 240 et suiv.
6. C. /. G,, 2577.
7. Spart, Hadr., 5.
8. Quelques fragments de cet èloge funéraire sont venus jusqu'à
nous : [Vixit marit|o carissima, post eum longissimo viduvio in eximio
fio[re aetatis et] summa pulcbritudine formae castissima, matri suae
[obsequ]exiti88ima, ipsa mater indulgentissima, cognata piiB[Bima, omnes
ju]Yan8, nulli gravis, nemini tristis. (Mommsen, Mém, de VAead. de
BerUn, 1863, p. 485.)
9. Bckhel, Doet, N%m. Vei., VI, p. 471.
tO. Spart, HadT., 10.
— 805 —
Plotine contre le gré de Trajan, ne fut pas heureuse. Tandis
qu'Hadrien se plaignait du caractère acariâtre de Sabine, Sabine
de son côté se vantait de n'avoir pas voulu, pour le bonheur du
genre humain, qu'Hadrien fût père ^ Elle mourut, volontairement
ou empoisonnée, en 136 ou 137. Son mari la fit mettre au rang
des Déesses.
MATIDIB JEUNE.
Matidie la jeune, sœur de Sabine, a laissé peu de traces dans
l'histoire. Quelques inscriptions gravées en son honneur ont été
trouvées à Suess^ et à Minturnes '. Elle mourut, fort âgée, sous
le r^ne de Maro-Âurèle. Faustine hérita de ses biens ^.
On connaît un C. UlpiusFronto qui fut, sousDomitien, viator
d'un questeur^. Il appartenait à une autre branche de la gens
Ulpia, de laquelle sortirent également les Ulpii célèbres du second
et du troisième siècle^.
Cette gens avait voué un culte particulier à Hercule ®, ce
qui a fourni à Pline un rapprochement délicat entre Trajan et
Hercule d'une part, Domitien et Eurysthée de l'autre''.
m.
C'était un principe bien arrêté du gouvernement impérial de
changer le moins possible les cantonnements des légions, qu'on
ne pouvait faire voyager qu'à grands frais, en compromettant la
santé des hommes habitués à un climat déterminé, et en rompant,
à leur grand déplaisir, les liens de parenté et les relations de tout
1. Âurel. Victor, Epitome, 14.
2. Hommsen, /. iV.4022, 4029, 4030, 4031, 4055.
3. Fronton, BpisL ad M. Antonin,, II, 12.
4. Gruter, 50, 3. L'inscription est de l'an 81.
5. Ulpius Marcellus, jurisconsulte, conseiller d'Antonin le Pieux ; Ulpius
Marcellus, son fils, légat propréteur de Bretagne, sous Commode; Ulpius
Julianus, préfet du prétoire sous Macrin; Ulpius Crinitus, général sous
Valérien, père adoptif d'Âurélien ; et d'autres moins célèbres.
6. Inscription de Gruter citée et une autre, 45, 10. Herculi conservaiori
domus Ulpiorum siicrum
7. Panég., 14.
DE LA BCBRE 20
— 306 —
genre qu'ils entretenaient avec les habitants de la province ^ Ainsi
les auteurs et les monuments démontrent que la légion III^ Au-
gusta resta en Numidie depuis Auguste jusqu'à la fin de l'empire ;
la //'' Augusta ne quitta pas la Bretagne depuis qu'elle y eut été
envoyée par Claude. Cette règle, toutefois , pliait naturéllement
devant les nécessités militaires : les historiens qui racontent les
guerres avec quelque détail indiquent les noms des corps qui y
prirent part ; quand les textes manquent, les inscriptions peuvent
souvent les remplacer, et pour le règne de Trajan elles seules
nous permettent de dresser le tableau de la puissance militaire de
Rome.
. Tacite nous apprend que la neuvième année du règne de Tibère,
il y avait sur la frontière du Rhin huit légions ' dont il donne
ainsi le détail :
Germanie inférieure : légions I* (Germanica), V* (Alaudae) ,
XX» (Valeria), XXP (Rapax) ^
Germanie supérieure : Légions II* (Augusta), XIII* (Gemi-
na), XIIIP (Gemina), XVP (Gallica)^
Claude envoya en Bretagne les XX* Valeria, II* Augusta,
XIIII* Gemina qu'il remplaça par les XV* Primigenia et XXII*
Primigenia qu'U créa, et par la IIII* Macedonica qu'il fit venir
d'Espagne^. A une époque et pour une cause inconnue, la XVI*
Gallica permuta avec la XXI* Rapax. Un peu plus tard , Néron
détacha de l'armée de Germanie supérieure la XIII* Gemina en
vue de l'expédition qu'il allait entreprendre contre les Albaniens
quand il fut renversé ^ : c'est probablement pour la remplacer au
bord du Rhin qu'il avait décrété la levée de la I* Italica, en for-
mation à Lyon au moment de sa mort. A ce moment donc, c'est-
à-dire en l'an 68, les légions de Germanie, au nombre de sept,
étaient :
Germanie inférieure : I* Germanica, V* Alaudae, XV* Pri-
migenia, XVI* Gallica "';
Germanie supérieure : IIII* Macedonica, XXII* Primigenia,
XXI* Rapax».
1. Tacit., Hist., II, 80.
2. Tacit, Annal., IV, 5.
3. Ibid,, l, 31.
4. Ibid., 1, 37.
5. Où elle était au commencement de Tempire. Bckhel, Doet Num.
vet, I, p. 38.
6. Borghesi, IV, p. 234.
7. Tacit., Bisi., I, 55.
8. IM.y I, 55, 61, 67.
— 307 —
Toutes prirent parti pour Vitellius, et envoyèrent des détache-
ments plus ou moins considérables au-delà des Alpes. La XXP
était même tout entière sous les ordres de Cecina *. Victorieuses
des Othoniens, ces troupes furent écrasées à Crémone et à la
deuxième bataille de Bédriac par les légions de Pannonie et de
Mésie dévouées à Yespasien. Les dépôts laissés en Germanie
furent défaits par Civilis et contraints de reconnaître l'empire
gaulois.
Lorsqu'un corps avait démérité, ou péri dans des circonstances
funestes, on ne le reconstituait pas afin de ne point laisser sur les
contrôles de l'armée ces numéros qui rappelaient des souvenirs
néfastes. C'est ainsi que les trois légions de Varus, la XVIP, la
XVIIP et la XIX*, anéanties dans les défilés de Teutoburg, n'a-
vaient pas été rétablies'. Yespasien laissa se perdre de même les
P Gennanica, V* Alaudae, XV* Primigenia dont toute trace
disparaît à dater de cette époque. Il reconstitua les IIII» et XVI*,
en leur donnant son nom (Flavia) et les envoya de suite sur le
Danube et dans la Cappadoce où on les retrouve cantonnées plus
tard '. Des légions tirées de toutes les parties de l'Occident furent
mises sous les ordres de Cerealis : « Legiones victrices XI** et
« VIII*, Vitellianarum XXI*, e recens conscriptis II* [Adjutrix]
« Poeninis Cottianisque Alpibus, pars monte Graio traducuntur.
« XIIII* legio e Britannia, VI* [Victrix] et X* [Gemina] ex His-
« pania accitae^. >► Jointes à la XXII* Primigenia restée dans la
province* et moins éprouvée que les autres, les sept légions énu-
mérées par Tacite dans le passage que nous venons de citer re-
constituaient l'armée normale du Rhin.
Le fin des Histoires de Tacite étant perdue, nous ignorons si
ces corps restèrent dans le pays pendant toute la durée de la dy-
nastie flavienne : on est d^séà le croire en présence des mo-
numents nombreux qu'ils ont laissés en Germanie et qui supposent
un séjour de quelque durée '', Si, comme l'a admis Borghesi, la
1. Tacit., Hist., II, 43.
2. Borghesi, IV, p. 242 et suiv.
3. Grotefend, art. Legiones dans Pauly, Beal Enq/clopaedie.
4. Il faut lire Xi* et non VI*, y. Borghesi, rv, p. 227.
5. Tacit., Hist,, IV, 68.
6. Id. IV, 24.
7. V. Brambach, Corpus InscripUonum Rhenanarwn à l'Index. Seule, la
II* Adjutrix n'a pas laissé de monument et sans doute elle partit, peu de
temps après la soumission de Civilis, pour la Bretagne où elle était can-
tonnée à la fin du règne de Domitien. (V. Borghesi, GEuyres, IV, p. 206,
note 11.)
— 308 —
XXI* Rapax fut complètement détruite par les Sarmates sous le
règne de Domitien*, c'est pour la remplacer que cet empereur
créa la 7^ Minervia^y afln de maintenir au complet la défense
du Rhin.
Au milieu du deuxième siècle, quand Ptolémée compose sa
géographie, tout est changé, l'armée de Germanie est réduite k
quatre légions : OôéTepa XrfCwv V Oi'hzia^ eiTa 'AYpticxtvtjaiç, sÏtœ
Béwa XrfCwv a' 'AOT^vaix*^, eTta Tpaï(ivti Xqf^wv*, eTxaMoxovttaxov'....
'Apf evTopiTov Xs^im tj' SeSaon^ •, et ce nombre restera le même
jusqu'à la fln du quatrième siècle. Au contraire la firontière du
Danube, que six légions suffisaient à garder au commencement du
règne de Tibère ''f nous en o&e diœ échelonnées le long du
fleuve :
I* Adjutrix, à Bregentium (Comorn). Ptolém., II, 14.
I* Italica, à Dorostorum (Silistrie). Ptolém., III, 10. •
IP Adjutrix, à Aquincum (Bude). Ptolém., II, 15.
IIIP Flavia Félix, en Mésie-Supérieure, Orelli, n®* 3049,
3455.
V* Macedonica, à Troesmis (Mésie-Inférieure). Notre n* 88.
Cf. Renier, Inscriptions de Troesmis, p. 10.
VIP Caaudia, à Viminacium (Kastolatz). Notre n« 89. Ptolém. ,
III, 9.
X* Gemina, à Vindobona (Vienne). Ptolém., H, 14.
XI^ Claudia, en Mésie-Inférieure. Henzen, Annal. Inst,
Arch., 1854, p. 69.
XIIP Gemina, notre n® 101 , En Dacie depuis la conquête.
XIIIP Gemina, à Camuntum (Haimburg). Ptolém., II, 14.
Ce changement correspond à une modification essentielle dans
les rapports de Rome avec les barbares et indique sur quels points,
et dans quelle mesure, les besoins de la défense se faisaient alors
sentir. J'ai attribué aux efforts de Trajan, ainsi qu*au choix judi-
cieux des positions où il établit ses fortifications et ses redoutes, la
1. Œuvres, IV, p. 251.
2. Dion., LV, 24.
3. Ptolémée, Qéog., U, 9, i 14. (Bd. Nobbe, I, p. 108.)
4. Il y a ici une erreur évidente. La II* Trajana ne quitta pas Tfilgypte
où elle fut formée. Il s'agit de la XXII* Primigenia.
5. Ptol., iMd., I 16.
6. Id., ibid., { 18.
7. Tacit., Annal,, IV, 5. Ripam Oanubii legionum duae in Pannonia
duae in Moesia attinebant : totidem apud Delmatiam locatis, quae positu
regionis a tergo illis ac, si repentinum auxilium Italia posceret, haud
procul accirentur.
— 309 —
paciflcatioD des pays du Rhin. C'est grâce à lui que Rome put ne
laisser que qticUre légions au lieu de huit sur cette fix)Dtière. Mais
la réduction n'eut pas lieu tout d'un coup. Une inscription, trou-
vée dans les carrières de BrohlS prouve que pendant la guerre
Dacique, il y avait encore trois liions dans la Germanie infé-
rieure. La garnison de la province supérieure était sans doute
égale au même moment, et la nouvelle répartition dut avoir lieu
lorsque Trajan organisa la province de Dacie et le système de
défense du Danube. Quoi qu'il en soit, ni Hadrien ni Antonin,
sous le règne duquel écrivit Ptolémée, n'ont fait la guerre en
Germanie, de sorte que l'état de sécurité, que marque la réparti-
tion des légions indiquée par Ptol^ée , ne saurait être considéré
comme le résultat d'opérations militaires postérieures à celle de
Trajan, et il appartient réellement à la politique de ce prince.
1. Brambach, Corp, Inse, Rhen., n* 662.
TABLE.
P«ge«
PRfcFAGB 1
Ghap. I. Histoire deTrtuan jusqu'à la mort de Nerva 9
Ghap. II. Trajan seul empereur. Pacification de la Germanie. . . ^
Ghap. III. Guerres Daciques 29
i 1. Origine des Daces 29
i 2. Rapports entre les Romains et les Daces jusqu'à Trajan. 33
i 3. Première guerre 3S
{ 4. Deuxième guerre 48
i 5. Organisation*de la province de Dacie 55
{ 6. Les Romains sur le Danube 62
{ 7. Les Roumains 68
Ghap. IV. Conquête de l'Arabie Nabatèenne 71
Gbap. V. Gouvernement intérieur. Esprit général 74
Ghap. VI. Le Prince, le Sénat, les Ghevaliers, le Peuple 80
Ghap. VU. Grands travaux dans Rome. — Secours publics ... 93
Ghap. VIII. L'Italie sous Trajan 101
Ghap. IX. Les Provinces 118
Ghap. X. Législation civile et criminelle 132
Ghap. XI. Les Finances 140
Ghap. XII. L'Armée 145
Ghap. XIII. Guerre en Orient 149
i 1. Trajan ne fit qu'une seule expédition en Orient . . 155
{ 2. Campagne de l'an 114. — Conquête de l'Arménie . . 160
I 3. Campagne de l'an 115. — Conquête de la Mésopotamie. 170
{ 4. Campagne de l'an 116. — Conquête de l'Assyrie.
Révolte des Juifs 176
i 5. Campagne de l'an 117. — Soulèvement des Parthes.
Mort de Trajan 184
Ghap. XIV. La Société romaine sous Trajan 190
Ghap. XV. Le Christianisme 203
Ghap. XVI. Les Lettres 221
Ghap. XVII. Les Sciences 259
Ghap. XVIII. Les Arts 269
Ghap. XIX. Détails personnels sur Trajan. Légendes 288
Ghap. XX. Conclusion 295
APPENDICES.
I. Naissance de Trajan 299
II. FamUle de Trajan. . 301
III. Légions du Rhin et du Danube 305
CORRECTIONS ET ADDITIONS.
P. 2, 1. 39. Au lieu d'Ekchel lisex Eckhel.
P. 9, 1. 25. Au lieu de GXVIII lisez LXVUI.
P. 11, 1. 33 et 34 lisez che i figli dei Senatori, o prima o dopo etc.
P. 12, 1. 21. Au lieu de Mœsie lisez Mésie.
Ibid. 1. 28 et p. 13, 1. 1. Supprimez les mots en Gaule.
P. 18, 1. 35 Au lieu de God. Inst. lisez God. Jast.
P. 20, 1. 22. Au lieu de Malaga^ lisez Malaga*.
Ibid. 1. 25. Supprimez le chiffre de note*.
P. 25, 1. 38. Au lieu de Ll lisez T. f.
Ibid. ]. 44. ilu lieu de Appolin lisez ApolUn.
P. 27, 1. 28. Au lieu de inducem lisez inyicem.
P. 29, 1. 3. Remplacer le sous-titre par Origine des Daces.
P. 30, 1. 44. 6|iOYX(ibTTov ToT< Op^tv lOvouc lisez Sgtfiw SOvouç.
P. 31, 1. 3. Au lieu de Dyonisos lisez Dionysos.
Même page. Supprimer la première note, et diminuer d'une unité le
chiffre de toutes les autres.
P. 32, 1. 28. Au lieu de, dOavaTC2;ovTec lisez àOavarCCovTeç.
P. 33, 1. 8. Ajouter en sous-titre: Rapports entre les Romains et les Daces
jusqu'à Trajan.
P. 40, 1. 11. Lisez qui cessa, en 274, de faire partie de l'empire. Nous
savons etc.
P. 42, 1. 31. Lisez ne figurant pas dans Tinscription : on sait en effet etc.
Ibid. 1. 41. Au lieu de irovyipc^ lisez Trovrip^.
P. 43, 1. 18. Au lieu de Tubiscum, Barsobis lisez Tibiscum, Berzobis.
P. 49, 1. 23. Au lieu de du fleuve de i'Aluta lisez du fleuve Aluta.
P. 52, 1. 37. Au lieu de de Schyul lisez du SchyuL
P. 55, 1. 10. Au lieu de § 4 lisez % 5.
P. 62, 1. 18. Au lieu de^b lisez § 6.
P. 68, 1. 15. Aulieudel^ lisez § 7.
P. 69, 1. 28. Au lieu de touraniens lisez magyares.
— 842 —
P. 73, note 1. Lisez Waddington, Comptes rendus etc.
P. 81, 1. 8. Au lieu de les astrolognes lisez les sectateurs des cultes
étrangers.
Ibid. 1. 41. Au lieu de Hist. lisez Ann,
P. 112, 1. 37. Au lieu de inscription Yelleia lisez inscription de Yelleia.
P. 113, 1. 3. Au lieu de ob tiberalitatem lisez ob liberalitatem,
P. 114, 1. 40. Au lieu de nous devons dire lisez nous devons dire, tou-
tefois.
P. 122, 1. 26. Au lieu de vehi(Àilorium lisez vehicularum.
P. 125, 1. 43. Au lieu de Tpatavoc lùez Tpaîov^.
P. 128, 1. 6. Au lieu de des Sénateurs lise* les sénateurs.
P. 184, 1. 3, ajoutez une virgule après encore.
Ibid. 1. 24. Au lieu de %^ lisez § 5.
P. 196, 1. 20. Au mot pédantisme ajoutez en note : dès le temps de
Néron, le salon littéraire de Pamphila était célèbre.
P. 208, 1. 21. Supprimez le guillemet après rechercher.
Ibid. 1. 22. Fermez le guillemet après absoudre.
P. 223, 1. 9. Au lieu de compact lisez compacte.
P. 226, 1. 41. Au lieu de Detc. lisez Disc.
P. 249, 1. 2. Remplacez : par ;
P. 261, 1. 41. Au lieu de SCompoc lisez 8idirrpac.
P. 301, 1. 6. Au lieu de 53-117 lisez 52-117.
P. 303, 1. 1. Après des Antiques ajoutez et un buste de bronze au
Musée de Belgrade. (A. de Longpérîer. Comptes rendus de VAcad. des
Insc. 1869, p. 167.)
Imprimerie Goovemeury 6. Daopeley à Nogeat-le-Rotrou.
^/'
u^h
SEP 1 3 1939