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Full text of "Essai sur les rapports de l'Église chrétienne avec l'État romain pendant les trois premiers siècles; suivi d'un memoire relatif à la date du martyre de Sainte Félicité et ses sept fils et d'un appendic épigraphique"

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ESSAI  SUR  LES  RAPPORTS 


;EGLISE  CHRETIENNE 

AVKC 

L'ÉTAT  ROMAIN 

PENDANT    LES    TROIS    PREMIERS    SIÈCLES 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

Univers ity  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/essaisurlesrappoOOdoul 


ESS/lî  SUR  LES  RAPPORTS 

DE 

L'ÉGLISE  CHRÉTIENNE 

Avrc 

L'ÉTAT  ROMAIN 

PENDANT    LES    TROIS    PREMIERS   SIÈCLES 

SUIVI  D'UN  MÉMOIRE 

RELATIF   A   LA    DATE    DU    MARTYRE    DE    SAINTE    FÉLICITÉ 
ET    SES    SEPT    FILS 

ET  D'UN  APPENDICE   ÉPIGRAPHIOUE 


THESE 

PRÉSENTÉE    A    LA    FACULTÉ    DES    LETTRES    DE    PARIS 

PAR  HENRY  DOULCET 

ANCIEN    ÉLÈVE    DE    L'ÉCOLE   DES    C.VRMES ,    LICENCIE    EN    DROIT 


Ea  qu?p  facilius  est  sentire  qiiam  dicere 
et  argiimentis,  et  exemplis,  et  leclio- 
num  aiictoritatibus  adornare. 
MiNUCius  Félix,  Oclavius,  c.  xxxviii. 


PARIS 
TYPOGRAPHIE  DE   E.   PLON  et  C" 

RUE    GARANCIÈRE,    8 

1882 


m 

8 


\^' 


I  Z9 


.1  LA 

MÉMOIRE 

DE   MA    GRAND'MÈRE 
CHARLOTTE-FÉLICITÉ  LALANNE  DOULGET 


A   MA   lAJÈRE 


AYANT-PROrOS 


«  Qu'avaient  à  craindre  les  rois  de  la  terre  de  l'Enfant  Jésus? 
Ignoraient- ils  qu'il  était  un  roi  dont  le  royaume  n'est  pas  de 
ce  monde?  Cependant  Hérode  le  craint,  le  hait  dès  sa  naissance  : 
cette  haine  est  héréditaire  dans  sa  maison ,  et  on  y  regarde  Jésus 
comme  l'ennemi  de  la  famille  royale.  Ainsi  s'est  perpétuée  de 
prince  en  prince  la  haine  de  l'Église  naissante.  Ainsi  s'est  élevée 
contre  l'Église  une  double  persécution  :  la  première,  sanglante, 
comme  celle  d'Hérode;  la  seconde,  plus  sourde,  comme  celle 
d'Archélaûs,  mais  qui  la  tient  néanmoins  ôan^  l'oppression  et  la 
crainte  :  et  cette  persécution,  durant  trois  cents  ans^  ne  s'est 
jamais  ralentie.  »  Afin  de  mieux  saisir  les  éléments  de  ce  pro- 
blème historique,  que  Bossuet  expose  avec  autant  de  précision 
que  d'éloquence  (1),  je  me  suis  déterminé  à  l'envisager  dans 

(I)  Elévatiuiis  sur  les  mystères,  di\-ncuviùm'^  scauuae,  sixième  élévat'on. 

-zs\ 


toute  sou  cteudue  et  à  examiner  l'ensemble  des  relations  de 
l'Église  chrétienne  avec  l'État  lomain  pendant  les  trois  pre- 
miers siècles. 

Je  dis  l'Étal  romain,  pax  Romana,  selon  rijeurcuse  expression 
des  anciens;  et  en  etret,  l'unité  du  monde  romain  était  accom- 
[)lie  au  commencement  de  l'ère  chrétienne.  Qu'on  se  représente 
le  spectacle  qu'offrait  à  cette  époque  la  capitale  de  l'empire.  Le 
citoyen  qui  dès  son  enfance  avait  respiré  l'air  de  TAventin  et 
avait  été  nourri  des  fruits  de  la  Sabine,  s'indignait  de  ne  pouvoir 
faire  un  pas  sur  la  voie  Sacrée  sans  élre  coudoyé  par  les  Grecs 
et  les  Syriens.  Aucune  distinction  n'est  maintenue;  Rome  adore 
les  divinités  monstrueuses  de  l'Egypte  qu'elle  avait  vaincues  à 
Actium;  rOronte  se  déverse  dans  le  Tibre  (!  ).  Au  milieu  d'une 
pareille  confusion,  il  y  avait  moins  de  singularité  à  propager  le 
culte  de  Jésus-Christ  crucifié  par  un  gouverneiii-  romain  (2)  qu'à 
s'abstenir  de  solliciter  pour  lui  une  place  au  Panthéon  à  côté  de 
tous  les  autres  dieux.  Cette  abstention  était  cependant  un  des 
traits  caractéristiques  de  l'attitude  des  premiers  fidèles,  lellequ'ils 

(1)  JuvÉNAL,  Sat.  111,  V.  59  ei  suiv.  : 

Non  possum  ferre,  Quiriles, 

Graecam  Urbetn  :  quamvis  quota  porlio  fœcis  Acbœao? 
Jampridem  Syrus  in  Tiberim  drfluxit  Oronles. 

Usque  adeo  nihil  est  quod  noslra  infanlia  cœluni 
Hausil  Avcntinum,  bacca  nulriia  Sabina. 

(2)  TACiTt:,  Ann.,  1.  XV,  c.  lxiv  :  Auclornominisejus  Christus,  Tiberio  imperi- 
lante,  per  procura'orcm  Ponlium  Pilalum  supplicio  aiïeclus  erat.  Reprcssaque  in 
prœsens  exiliabilis  superslilio  rursus  crumpcbal,  non  modo  per  Juda^am,  origineni 
ejus  mali,  sedperUibcm  ctiam,  quo  cunctaundiquealrocia  aul  pudendaconfluunt 
relebranlurque. 


II!    — 


la  décrivaient  eux-mêmes  :  «  Les  chrétiens,  disent-ils,  liabileni 
les  villes  des  Grecs  ou  des  barbares  (1),  selon  qu'il  est  échu  à  cha- 
cun d'eux;  ils  se  conforment  aux  habitudes  du  pays  pour  le  vête- 
ment, la  nourriture  et  le  reste  de  la  vie,  et  néanmoins,  de  l'aveu 
de  tous,  leurs  manières  présentent  je  ne  sais  quoi  de  remarquable 
et  d'extraordinaire.  Us  habitent  les  patries  qui  leur  sont  propres, 
mais  comme  des  gens  de  passage;  ils  ont  le  droit  complet  de 
citoyens  et  sont  absolument  traités  en  étrangers.  Toute  terro 
étrangère  leur  est  patrie ,  et  toute  patrie  leur  est  comme  étrangère. 
Ils  se  marient  à  l'exemple  de  tout  le  monde  et  donnent  le  jour  à 
des  enfants,  mais  ils  n'exposent  jamais  leurs  nouveau-nés.  ils 
prennent  part  à  des  repas  communs,  mais  sans  se  livrer  au  désor- 
dre. Ils  mènent  dans  la  chair  une  vie  non  charnelle;  ils  séjour- 
nent sur  la  terre,  et  leur  conversation  est  dans  le  ciel.  Ils  obéissent 
aux  lois  établies  et  les  dépassent  parleur  morale.  Ils  aiment  tous 
les  hommes  et  sont  attaqués  par  tous.  On  ne  les  connaît  pas,  et  on 

les  condamne Les  Juifs  leur  manifestent  une  hostilité  nationale, 

et  les  Grecs  les  persécutent;  leurs  ennemis  oublient  de  dire  le 
motif  de  leur  haine.  »  Conformément  à  cette  peinture,  nous  les 
verrons  ignorés  d'abord ,  mais,  à  cause  de  la  noble  originalité  de 
leur  conduite,  viclimes  désignées  par  lajalousie des  Juifs  au  caprice 
vindicatif  d'un  despote,  puis  mis  hors  la  loi,  et  sitôt  que  l'occasion 
s'offrait ,  punis  du  dernier  supplice  ;  enfin  devenus  assez  nombreux 

(I)  Barbares,  peuples  autres  que  les  Grec^.  —  En.  ad  Diugn  ,  c.  v,  i-M  : 
Kaxo'.xoOvTî;  ok  to),eiç  'E),).rjVÎoa;  te  xai  PxpSdtpoy;,  w;  é'xa(jTo;  £y.),r,p(oQ/),  y.a\  mlç 
zjy_(ùp'ioiz  ïOsciv  axoAO'jQoOvTî;  sv  te  ccrOriTt  xa^  otatr/j   y.où   tm  lomiù  péa),  ^TJiJ.'xnvr,v    y.y.\ 

ô[j.o).oyo'jaiv(i);  7:2pd(Oo?ov  svoîr/.vjvTXi  Tr,v  y.'xxâ.atu.'jv/  Tr,;  Itjtcov  T.olixzrxz TrEcOovcat 

Toîç  topiTijivotç  vôfi-ot;,  xa\  xoî;   tot'otç   pîoi;  viy.toirt   touç   v6[j.oyç iiizo    'lo-joaîcov  w; 

à).),6çu).oi  TtoXsjjLoOvToti  xa\  vcîtô  'EaaV|VMv  oiwxovTa'.  •  y.o(\  Tr,y  alxi'av  ttiÇ  s-/Opa:;  c'ctteÎv  o\ 
(j.tToOvT;;  o'jy.  e'/o'jt'.v. 


—    IV    — 

pour  se  faire  accepter  par  l'autorité,  ou  pour  exciter  ses  craintes 
et  s'attirer  une  içuerre  générale  et  acharnée. 

Je  n'avais  pas  à  m'arrêtera  l'antique  énumération  de  dix  per- 
sécutions portant  chacune  le  nom  d'un  empereur,  quoiqu'elle  ait 
été  reçue  de  bonne  heure  chez  les  historiens  ecclésiastiques.  Déjà 
saint  Augustin,  se  plaçant  au  point  de  vue  général,  en  contestait, 
non  sans  raison,  la  justesse.  «  Pourquoi  donc,  s'écrie-t-il  (1), 
commencer  par  Néron,  puisqu'avant  lui  le  développement  de 
l'Église  avait  rencontré  des  obstacles  terribles  dans  le  détail 
desquels  il  serait  trop  long  d'entrer?  Que  si  l'on  ne  tient  compte 
que  des  persécutions  suscitées  par  les  princes,  Hérode,  qui  était 
un  prince,  après  l'Ascension  du  Seigneur,  fut  également  l'auteur 
d'une  très-sérieuse  persécution.  Et  que  dire  de  Julien  que  l'on 
oublie  de  joindre  à  ses  dix  prédécesseurs?  N'a-t-il  pas,  lui  aussi, 
persécuté  l'Église,  alors  cpi'il  interdisait  aux  chrétiens  de  donner 

et  de  recevoir  l'enseignement  libéral? »  Il  poursuit  de  la  sorte 

et  montre  que  la  liste  des  persécuteurs  n'était  pas  encore  close  de 
son  temps.  Rejetant,  à  son  exemple,  cette  division  factice,  j'ai 
préféré  la  simple  exposition  des  faits  dans  leur  suite  chronolo- 
gique. 

(1)  Civ.  Dei,  I.  XVllI,  c.  lu  :  Cur  ergo  eis  a  Ncrono  videlur  ordiendum,  quum 
ad  Ncronis  tempora  inter  atrccissimas  perseculioncs,  de  quibus  nimis  longiim  cîl 
cuncla  diccrc,  Ecclesia  crescendo  pcrvenerit?  Quod  si  a  rcgibus  fadas  pcrsecutio- 
nes  in  numéro  existimanl  esse  debere,  rex  fuit  Ilerodes  qui  cliani  post  ascensiim 
Domini  gravissimam  fecit.  Dciiide  quid  rcspondent  eliom  de  Julinro  quem  non 
numorant  in  decem"?  An  ipse  non  est  Ecclesiam  pcrseculus,  qui  clirislianos  libé- 
rales lilteras  docere  ac  discere  veluit?  —  Les  auteurs  ne  sont  n-.ême  pas  d'accord 
entre  eux.  Sur-p.  Sévkiie  attribue  le  quatrième  rang  t^  la  pcrsécuti'  n  dlladrien, 
et  met  celle  de  Maximin  hors  rang  [Chron.,  1.  II,  c.  xxxii),  tandis  que  I'aiil 
OnosE  (Hist ,  1.  VII,  c.  xix)  compto  celle  do  Maximin  la  sixième,  et  omet  celle 
d'Iladrion. 


Von  Wicterslicim,  dans  son  Histoire  de  la  migralion  des  'peu- 
ples (1),  remarque  que  la  situation  des  chrétiens  vis-à-vis  de 
l'État  romain  a  passé  par  trois  phases  correspondant  à  peu  près 
aux  trois  siècles  :  «  1"  Celle  d'une  existence  ignorée  officiellement 
jusqu'en  96;  2'  celle  de  la  répression  légale,  différente  de  la  persé- 
cution haineuse  et  systématique,  jusqu'en  %\  \  ;  3'  celle  de  l'alterna- 
tive entre  la  faveur  croissante  et  la  persécution  systématique,  jus- 
qu'à l'adoption  du  christianisme  comme  religion  d'État.  »  Pour 
ma  part,  j'ai  distinguéunepériode  intermédiaire  entre  la  deuxième 
et  la  troisième;  en  effet,  après  l'état  de  non-légalité  absolue 
(9G-1 80),  l'Église  traversa  un  temps  de  transition  où  la  tolérance 
atteignit  son  maximum  (180-235).  A  partir  de  cette  dernière 
époque,  j'ai  pu  abréger  mon  récit  :  bien  que  trois  quarts  de  siècle 
dussent  s'écouler  encore  avant  l'édit  de  Milan  (313),  l'issue  finale 
n'était  dès  lors  plus  douteuse.  L'assurance  d'Origène  à  ce  moment 
même  est  très-frappante.  A  Celse  qui  avait  dit  :  Les  barbares  vien- 
dront, et  ils  détruiront  païens  et  chrétiens,  il  répondait  :  «Qu'arri- 
verait-il si  les  barbares  se  convertissaient  (2)?  Tous  les  cultes 
païens  seraient  détruits;  le  culte  chrétien  subsisterait  seul;  or, 
c'est  lui  seul  qui  triomphera  un  jour,  car  sa  doctrine  gagne  de 


(1)  Geschichte  der  Vôlkencanderung  (Lei[zig,  1859-l8G'i);  le  dix-reiivième  cha- 
pitre du  IIl«  vol.  (1862)  est  iiitilulé  :  Vas  Christe7Uhu7n  und  der  Romische  Staat. 

(2)  Les  barbares,  celle  k  is,  ceux  qui  sont  aux  frontières  de  l'empire.  — ■  C.  Cels., 

1.  VIII,  c.  LXVIII  :  Ar,)/jvoT(  v.yX  o\  pâpoapot,  xôj  >,ôy(,)  xoO  OsoO  TrpoaîAOôvTî;,  vo[j.t[J.(oTaTcn 
k'ffOVTX'.  xa't  r|[A3p(ijxaT0'.,  -/a\  Ttàcra  \iïy  6pr,o-/.£ta  y.aTa).'jOr|'7Exa'.,  [iciv/]  oï  r,  -/pKTXiavwv 
Y.poLTr^lJV.  •  fJTt;  v.'x:  (AÔvy;  TtOTs -/paTriTSt,  xoO  ),ôyo'j  àît  ir/îîova;  vz[).o\).ivo'j  •l-jyxç.  C.  LXX  : 
Kx\  r,jj.£t;  Se,  ox£  [XiV  ETî'.xpfiTSi  ô  0$()ç  xùi  TCEipdtî^ovxi  oo'j;  zivjnly.v  xrjv  xoO  omov-Siv  r^\t.ÔLZ, 
5to)-/Ô!J.ï0a  •  oxs  ô'  6  Qzhc,  po'j),£xat  xciO0'r|[j.5ç  [vi]  ti'j.'ï'/zvi ,  xa\  èv  [;.t<70'jvx'.  "OiJ-â;  XfT)  y.'ji7[;.fi) 
TTapxcôEwç  £Îpr|V/iv   aYO|j.£v,  y.a\  OappoO[JLîv  h\\  tm  eÎuÔvti  •  Gap(T£Îx£,  eyio  v£vixr,y.a  xbv 


VI    — 


plus  en  plus  les  âmes.  »  Kt  il  ajoutai!  :  «  Lorsque  Dieu  permet 
que  nous  soyons  persécutés,  nous  le  sommes,  et  lorsqu'il  ne  le 
permet  plus,  au  milieu  du  monde  qui  continue  à  nous  haïr,  nous 
gardons  une  sérénité  merveilleuse,  croyant  à  cette  parole  : 
«  Ayez  confiance,  car  j'ai  vaincu  le  monde.  »  La  foi,  voilà  donc 
le  secret  de  la  victoire  du  christianisme.  Cependant  les  persécu- 
teurs étaient  plus  que  jamais  décidés  à  en  finir  avec  la  religion 
nouvelle  :  il  suffit,  pour  le  prouver,  de  nommer  un  Dèce,  un 
Valérien,  un  Galère!  Aussi,  malgré  la  réalité  des  trêves  dans 
celte  dernière  crise,  trop  prolongée  pour  être  constamment  vio- 
lente, le  sang  chrétien  a-t-il  abondamment  coulé. 

Pendant  la  troisième  période,  au  contraire,  l'Église  s'épanouit 
presque  librement.  Ce  contraste  paraît  étrange  quand  les  souve- 
rains s'appellent  Commode,  Caracalla  ou  Héliogabale;  mais  ces 
empereurs  portaient  de  préférence  leurs  coups  sur  leur  propre 
entourage.  En  même  temps  le  nombre  des  fidèles  s'était  accru, 
et  de  nouvelles  mesures  devenaient  nécessaires  pour  les  atteindre 
avec  efficacité.  Or,  c'était  précisément  l'instant  où  les  juriscon- 
sultes romains,  soit  par  un  progrès  naturel  du  droit,  soit  sous  la 
pression  d'une  nécessité  sociale,  inclinaient,  sans  se  l'avouer, 
vers  la  liberté  d'association  en  consacrant  d'importants  privi- 
lèges en  faveur  des  collèges  funéraires.  Comment  les  chrétiens 
n'auraient-ils  pas  profité  de  ces  facilités  accordées  surtout  aux 
classes  moyennes  et  inférieures,  teniiiores?  Leurs  croyances, 
assurément,  restaient  frappées  d'interdit,  et  ils  devaient  toujours 
être  prêts  à  faire  pour  elles  le  sacrifice  de  leur  vie;  mais  l'opinion 
publique  ne  pouvait  guères'émouvoir  du  spectacle  de  «  ccsmorfs 
rntrrrnni  Iriin^  vinrts  )•> .  11  osl  donc  vraisomblablo,  sinon  certiiin, 


VII   — 


que  l'assimilation  fut  lacitement  admise.  De  là  à  faire  paiticiper 
la  société  des  fidèles  au  bienfait  de  l'existence  légale,  il  n'y  avait 
qu'un  pas,  que  franchit  en  fait  le  bon  vouloir  personnel  de  plu- 
sieurs princes,  entre  autres  ,  d'Alexandre  Sévère. 

A  ce  double  titre,  on  se  trouvait  loin  de  la  fin  du  premier 
siècle,  où,  d'une  part,  la  législation  était  très-rigoureuse  contre 
(ouïe  espèce  de  sociétés,  et  où,  d'autre  part,  le  gouvernement 
avait  à  peine  une  notion  claire  de  ce  qu'était  un  chrétien.  En 
effet,  le  caractère  dominant  de  cette  époque  primitive  (je  laisse 
momentanément  de  côté  celle  qui  suivit),  c'est  qu'aux  yeux  de 
l'autorité  il  n'y  a  pas  de  distinction  entre  les  Juifs  et  les  chré- 
tiens. Ces  derniers  forment  une  secte  que  dédaignent  les  gouver- 
neurs romains  (comme  Gallion  à  Corinthe,  Festus  à  Césarée,  et 
même  à  Rome  le  conseil  de  l'empereur),  plutôt  qu'ils  ne  la  con- 
damnent. Ce  ne  sont  pas  assurément  les  accusateurs  qui  font 
défaut,  mais  tous  les  fonctionnaires  n'ont  point  la  coupable  fai- 
blesse d'un  Pilate.  Cependant  la  vérité  perce  peu  à  peu,  et  le 
gros  du  peuple  appelle  les  chrétiens  par  le  nom  distinctif  qu'ils 
avaient  reçu  pour  la  première  fois  à  Antioche,  à  la  suite  de 
l'augmentation  de  leur  nombre(l).  C'en  est  assez  pour  que  Néron 
imagine  de  faire  de  l'Église  naissante  le  bouc  émissaire  de  ses 
infamies;  plus  tard  Domitien,  cette  moitié  de  \éron,  comme  l'a 
qualifié  Tertullien  {portio  iSc rouis  de  crudclitate),  complétera  son 
œuvre  par  de  méfiantes  et  cruelles  investigations.  On  peut  re- 
marquer qu'il  était  honorable  pour  l'Église  d'avoir  été  persécutée 
à  l'origine  par  de  pareils  tyrans.  Celte  dernière  considération,  et 

{\)  Actes  des  Apôtres,   C.  XI,  V.  26:  'EyÉvôto    èï    ol-I-zoI;...    o-.oâÇai    o-/>,ov    cV.avbv, 


—    Mil 


il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner,  devait  peser  sur  l'esprit  de  Lac- 
tance,  le  premier  écrivain  (jiii  put  embrasser  d'un  coup  dœil 
les  persécutions.  D'après  lui  (l),  leur  auteur  responsable  est 
Néron,  effrayé  des  progrès  du  christianisme;  peu  après,  Domi- 
tien  veut  marcher  sur  ses  traces,  mais  la  réaction  se  [)roduit  avec 
tant  d'énergie,  que  le  règne  de  Nerva  inaugure  une  paix  de 
plus  de  cent  cinquante  années,  pendant  lesquelles  fleurit  la 
religion;  c'est  Dèce  qui  renouvelle  la  tradition  sanglante,  per- 
pétuée depuis  lui,  de  prince  en  prince,  jusqu'à  la  paix  de 
Constantin.  —  On  s'aperçoit  qu'il  manque  bien  des  traits  à  ce 
tableau;  il  ne  faut  pas  oublier  seulement  que  Lactance  n'a  en 
vue  qu'un  objet,  mettre  en  relief  le  châtiment  exemplaire  dont 
furent  atteints  certains  empereurs,  ennemis  des  chrétiens;  il  se 
taira  donc  sur  ceux  dont  la  fin  ne  rentre  pas  dans  son  cadre,  et 
qui  ont  néanmoins  fait  acte  de  rigueur  contre  l'Église.  De  là  son 
erreur,  plus  ou  moins  volontaire  (2),  relativement  à  l'apprécia- 
tion de  la  seconde  période,  laquelle  a  dii  particulièrement  attirer 
mon  attention. 

Souvent  appelée  Tàge  d'or  de   l'empire  romain,  elle   porte 
aussi  le  nom  de  siècle  des  Antonins  :  temps  heureux,  a-t-on 


(1)  il  écrivait  à  Nicomédie,  à  !a  lio  de  l'année  313,  De  mort.  pers.,c  ii,iiieliv  : 

(Nero)  primus  omnium  pcrrcculus  Dci  sorvos Posl  hune  inierjeclis  aliquot 

annis,  aller  non  miner  tyrannus  orlus  est  (Domilianu?) Rescissiâ  igilur  aclis 

(yranni,  non  laiUma  in  sialuin  piisliniim  Ecclcsia  rcslilula  est,  sed  eliam  mullo 
clariuà  ae  fluridius  etiiiuit,  scculis^iue  Icinporibus  quibus  multi  ac  boni  principei 

Romani  imperii  clavum  regimenque  tcnueruut,  nullos  inimicorum  impetus  passa 

Sed  enim  poslea  longa  pax  rupla  est.  ExsUlil  enim  |)osl  annos  plurimos  Docius,  c'.c. 

(2)  Son  conUniporain,  lirsiiitL;,  cloil  mieux  inl'ornié,  pui-(pi'il  avait  en  main  les 
pièces  dont  il  nous  a  laissé  do  nombreux  el  préci'^ux  ix'ra  Is  dans  son  Hisloirc 
ccch'siaslique. 


IX 


dit,  puisqu'il  n'a  pas  eu  d'histoire.  Oui,  mais  les  monuments, 
encore  debout  dans  Rome ,  témoignent  du  passé  avec  une 
éloquence  qui  s'impose.  Ces  honnêtes  souverains,  qui  se  succé- 
dèrent de  Trajan  à  Marc-Aurèle,  avaient  leurs  palais  au  sommet 
du  Palatin  ;  autour  et  au-dessous ,  les  demeures  de  leurs  fami- 
liers ,  les  temples  de  leurs  dieux;  plus  bas,  le  Cotisée,  oi^i  ils 
convoquaient  le  peuple  tout  entier,  pour  lui  donner,  à  la  fois 
comme  un  divertissement  et  comme  une  leçon,  le  spectacle  du 
mépris  de  l'humanité.  «  Ici,  observe  M.  Taine  (1),  s'achève  le 
monde  antique  :  c'est  le  règne  incontesté,  impuni,  irrémédiable 
de  la  force.  »  L'homme  qui  célébrait  son  triomphe  cent  vingt- 
trois  jours  durant,  en  faisant  combattre  dix  mille  gladiateurs 
dans  le  cirque  (2),  dicta  le  rescrit  qui  devint  l'arrêt  de  mort  de 
tant  de  martyrs,  je  veux  parler  de  la  lettre  de  Trajan  à  Pline. 
Un  gouverneur  de  province,  indécis  sur  la  conduite  à  tenir  à 
l'égard  des  chrétiens ,  consulte  l'empereur ,  qui  lève  tous  ses 
doutes  en  posant  le  principe  que  tous  ceux  qui  seront  amenés 
à  son  tribunal ,  à  moins  qu'ils  ne  renoncent  à  leur  foi ,  devront 
subir  la  peine  capitale  (3).  On  comprend  que  M.  Renan  ait  pu 


(1)  Voyage  en  Italie,  t.  I,  ch,  ii. 

(2)  Dion  Cassius,  Épît.,  1.  LXYIII,C.  XV  ;  Kai  novot^â'/oi  iJ.vptoi  riywvtaavxo. 

(3)  Lacordaire  a  écrit  quelque  part  :  «  Dès  que  l'homme  exerce  un  pouvoir 
absolu  et  n'a  contre  les  erreurs  de  son  intelligence  ou  de  sa  volonté  aucune  barrière 
sérieuse,  il  est  impossible  qu'il  ne  tombe  pas  un  jour  ou  l'autre  dans  quelque  acte 
de  démence.  Alexandre  assassine  ses  plus  chers  amis  ;  Hadrien  fait  un  dieu  d'An- 
tinous; Trajan  persécute  les  chrétiens  et  écrit  à  Pline  à  leur  sujet  une  lettre  qui  est 
un  monument  de  délire  impérial;  Théodose  fait  massacrer  tout  un  peuple  à  Thes- 
salonique;  Louis  XIV  révoque  l'édit  de  Nantes  et  chasse  de  son  royaume,  par  des 
supplices  barbares,  des  hérétiques  qui  y  vivaient  paisibles  sous  la  foi  d'un  traité 
séculaire.  Je  ne  nomme  que  les  meilleurs  princes,  et  même  les  plus  grands,  tant  le 
pouvoir  absolu  a  de  prise  contre  la  raison  !  »  —  Compte  rendu  de  l'ouvrage  du 

b 


dire  (1)  ;  »  Le  régime  Irès-légal  des  Trajau,  des  Antonins,  fut  ainsi 
plus  oppressif  pour  le  christianisme  que  la  férocité  et  la  méchan- 
ceté des  tyrans La  persécution  à  l'état  permanent,  telle  est 

donc  l'ère  qui  s'ouvre  pour  le  christianisme  avec  le  deuxième 
siècle.  »  Du  reste,  les  rares  documents  ecclésiastiques  de  cette 
époque  sont  unanimes  à  reproduire  le  souvenir  de  la  persécution. 
M.  Gaston  Boissier  a,  dans  une  page  émue,  fort  bien  montré  (2) 
comment  a  les  ouvrages  qui  conservent  ce  souvenir  ne  sont  pas 
de  ceux  qui  sont  composés  pour  la  postérité  et  qui,  n'étant  vus 
que  par  elle,  peuvent  mentir  impunément.  Ils  étaient  destinés  à 
des  contemporains,  quelquefois  même  ils  s'adressaient  à  des  en- 
nemis. Il  n'est  pas  possible  qu'on  ait  osé  y  raconter  des  violences 
imaginaires  et  des  supplices  de  fantaisie.  »  — Et  puis,  ici  a  été 
appliqué  le  contrôle  que  réclamait  Pascal  :  «  Histoire  de  la  Chine. 
Je  ne  crois  que  les  histoires  dont  les  témoins  se  feraient  égorger.  » 
(Pe/isees.)  C'est  donc  avec  respect,  disons  mieux,  avec  amour, 
qu'il  convient  de  recueillir  ces  histoires;  j'ajoute  que  la  tache  a 
tenté  les  plus  savants,  et  leurs  soins  sont  récompensés  chaque 
jour  par  la  restitution  de  quelque  nouveau  fragment  d'écrits  ré- 
putés perdus,  des  Pères  apostoliques,  des  apologistes  ou  des 
hérésiologues. 

Sans  remonter  aux  célèbres  publications  du  cardinal  Pitra,  de 


prince  Albert  de  Broglie,  l'Kylise  et  Vempire  romain  au  qualriéme  siècle,  dans  le 
Correspondant  du  2j  sept.  iSSG,  p.  906. 

(1)  Journal  des  Savants,  1876,  p.  724.  Les  cahiers  de  novembre  et  décembre 
contiennent  deux  articles  dans  lesquels  sont  résumés  les  scpl  volumes  de  l'auteur 
au  point  de  vue  de  la  thèse  traitée  ici,  et  où  l'on  retrouvera  les  idées  générales  que 
j'énonce,  bien  qu'il  y  ait  désaccord  sur  maintes  questions  particulières. 

(2)  Revue  des  Deux  Mondes,  n"  du  15  avril  1876,  p.  816. 


—  XI   — 

M.  Miller,  de  ïischendorf  et  de  Cureton,  en  1875,  c'était  l'épî- 
tre  intégrale  de  saint  Clément  de  Rome  qu'un  métropolitain 
grec,  Philotheos  Bryennios,  découvrait  à  Gonstantinople.  L'année 
suivante,  une  traduction  syriaque  de  la  même  épître,  également 
complète,  était  acquise  par  l'Université  de  Cambridge.  En  1878, 
les  Pères  Mékhilaristes  de  Venise  tiraient  d'un  couvent  de 
l'Arménie  une  partie  de  l'apologie  d'Aristide,  qui  prendra  place 
au  Corpus  apologetarum  d'Otto  (léna,  187^2  et  suiv.).  Depuis, 
Usener  trouvait  à  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris  les  actes 
originaux  des  martyrs  Scillitains  (programme  de  l'Université  de 
Bonn  pour  le  deuxième  semestre  de  1881);  M.  l'abbé  Duchesne 
éditait  pour  la  première  fois,  d'après  un  manuscrit  de  cette 
bibliothèque,  le  texte  grec  de  la  Vila  Polycarpi;  en  même  temps, 
les  compatriotes  de  saint  Polycarpe,  les  saints  Carpus  et  Papylus 
avaient  leurs  actes  publiés  par  M.  Aube  dans  la  Revue  archéo- 
logique de  décembre  1881.  Enfin,  Funk  vient  de  donner  une 
nouvelle  édition  des  Opéra  Patrum  aposiolicorum  (Tûbingen, 
1878-1881),  en  bénéficiant  des  recherches  critiques  de  Zahn, 
Harnack,  Gebhardt  et  Hilgenfeld.  Je  me  suis  appliqué  à  traduire 
moi-même  les  citations  que  j'ai  multipliées  à  l'appui  de  ma 
démonstration,  car  la  lecture  des  œuvres  de  la  littérature 
chrétienne  primitive  a  formé  le  fond  du  présent  travail.; 

Le  commentaire  indispensable  de  cette  lecture  m'était  fourni 
par  les  résultats  récents  et  déjà  admirablement  féconds  de  l'ar- 
chéologie chrétienne ,  que  M.  de  Rossi  personnifie  avec  éclat 
sur  le  sol  qui  l'a  vue  naître,  et  que  son  collègue  de  l'Institut, 
M.  liC  Blant,  a  tant  contribué  à  propager  en  France.  Les  décou- 
vertes archéologiques  ne  sont-elles  pas  en  effet  d'une  ressource 

b. 


—    XII   — 

précieuse  et  d'un  emploi  légitime  pour  rintelligence  d'une  épo- 
que où  l'histoire  profane  elle-même  est  moins  constituée  par 
des  textes  que  par  des  monuments?  En  outre,  les  renseigne- 
ments qu'elles  apportent,  étant,  pour  ainsi  dire,  involontaires, 
ont  l'avantage  incontestable  de  rimpartialilé.  Que  réclamer  de 
plus,  lorsqu'une  méthode  sûre,  une  critique  sagace,  une  compa- 
raison exercée,  ont  servi  à  en  fixer  la  valeur  (1)?  C'est  un 
devoir  pour  moi  d'associer  à  M.  de  Rossi,  dans  l'expression  de 
ma  gratitude,  M.  l'abbé  Duchesne,  disciple,  puis  maître  à  son 
tour   (2).   Son    enseignement  profondément  scientifique,    non 
moins  en  garde  contre  les  tendances  systématiques  des  historiens 
allemands  qu'au  courant  de  leurs  érudites  productions,  a  été 
mon  principal  guide  (3).  Le  secours  de  ces  deux  savants  n'aura 
pas  laissé,  je  l'espère,  de  me  rendre  profitables  plusieurs  séjours 
dans  la  Ville  éternelle. 

Écrivant  ces  lignes  à  Rome,  je  mentionnerai,  à  titre  de  sou- 
venir, l'impression  qu'éveillent  par  leur  aspect  bizarre  les  hautes 


{i)  Les  ouvrages  fondamentaux  de  M.  deRossi  soûl  le  Bullettino  di  archcologia 
crisliana  à  partir  de  4863,  recueil  où  j'ai  constamment  puisé,  et  la  Roma  sotter- 
ranea,  t.  I,  1864;  t.  II,  1867  ;  t.  III,  1877,  Sa  méthode  a  été  parfaitement  mise  en 
relief  par  les  Nouvelles  Études  sur  les  catacombes  romaines  de  M.  Desbassayns  de 
RiciiEMONT  (Paris,  1870).  On  peut  voir  comment  M.  Beulô  a  apprécié  ce  livre  dans 
la  Kevuearchéologique,  1870,  t.  I,  p.  355;  c'est  un  de  ceux  qui  font  le  mieux  sentir 
le  progrès  réalisé  dans  celte  branche  de  la  science. 

(2)  Professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'Institut  catholique  de  Paris,  ancien 
membre  de  l'École  française  d'archéologie  à  Rome.  Je  ne  veux  pas  omettre  celte 
occasion  de  rendre  grâces  à  M.  Geffroy,  l'éminent  directeur  de  l'École,  de  son 
aimable  accueil. 

(3)  Un  élève  de  l'école  des  hautes  éludes,  professeur  lui-même,  M.  l'abbé 
Beurlier,  m'a  été  un  conseiller  aussi  utile  qu'obligeant  M.  Samuel  Berger,  secrétaire 
de  la  Faculté  de  théologie  protestante  de  Paris,  m'a  ouvert  avec  une  libéralité  peu 
commune  la  bibliothèque  confiée  à  ses  soins. 


—   XIll   — 


colonnes  (colonnaccé)  à  demi  enterrées  sous  les  rues  du  quartier 
des  Monts,  et  l'immense  mur  en  bloc  de  pépérin  contemporain 
de  notre  ère,  dont  l'alignement  irrégulier  atteste  le  respect  de 
l'empereur  Auguste  pour  la  propriété  privée  (1).  Ce  sont  les  im- 
posants débris  du  forum  de  Mars  et  du  temple  consacré  aux 
mânes  vengeresses  de  César.  M.  de  Rossi  a  signalé  l'appellation 
de  «  boucherie  des  martyrs  »  {in  macello  martyrum)  conservée 
à  une  église  voisine,  grâce  à  la  ténacité  de  la  mémoire  popu- 
laire (2).  L'endroit  apparaît  en  effet  aux  actes  de  la  passion  de 
sainte  Félicité,  dont  l'authenticité  a  été  mise  en  question  par 
l'auteur  de  VHisloire  des  persécutions  de  l'Église  jusqu'à  la  fin 
des  Antonins  (Paris,  1875)  (3).  Je  me  suis  proposé  dans  un  cha- 
pitre spécial  de  contrôler  la  date  de  ces  actes,  et  d'établir  que 
le  martyre  de  l'illustre  veuve  romaine  et  de  ses  sept  fils  appar- 
tient décidément  au  deuxième  siècle.  11  m'a  semblé  intéressant 
de  réunir  également  à  la  fin  de  ce  travail  les  épitaphes  des 
papes  des  cinq  premiers  siècles  qui  ont  pu  être  retrouvées,  un 
recueil  analogue  ayant  été  entrepris  par  l'historien  allemand 
Gregorovius  pour  leurs  successeurs  (4). 

En  résumé,  la  transition  ne  s'est  point  opérée  pacifiquement 


(1)  V.  dans  V Exploration  de  la  Galatie,  par  M.  Perrot,  l'inscription  d'Ancyre  : 
Privato  solo  comparato  Martis  ulloris  templum  forumque  Augustum  exslruxi.  Cf. 
SoÉTONE,  Oct.  vit.^c.  Lvi  :  Forum  angustius  fecit,  non  ausus  eitorquere  possesso- 
ribus  proximas  domos.  Les  trois  colonnes  qui  subsistent  ont  17'", 50  de  hauteur. 

(2)  Bullettino,  1877,  p.  54.  —  C'est  l'église  S.  M.  degli  Angeli  aile  colonnaccé,  à 
l'angle  de  la  via  Alessandrinaet  delà  via  di  Croce  bianca. 

(3)  P.  345.  —  Si  je  l'ai  souvent  contredit,  que  M.  Aubé  veuille  bien  ne  l'attribuer 
à  aucun  sentiment  personnel,  dont  nul  plus  que  moi  ne  sentirait  l'inconvenance;  je 
répéterai  seulement  pour  mon  excuse  :  AmicusPlato,  magis  arnica  veritas. 

(4)  Voir  l'Appendice. 


—   XIV  — 

des  temps  anciens  aux  temps  nouveaux  inaugurés  par  le  chris- 
tianisme. Depuis  le  moment  où  les  apôtres  commencèrent  à 
répandre  la  bonne  nouvelle,  jusqu'à  la  reconnaissance  du  libre 
exercice  de  la  religion  au  quatrième  siècle,  la  prédication  de 
l'Évangile  rencontra  une  vive  opposition  de  la  part  du  gouverne- 
ment le  plus  fort  que  nous  présente  l'histoire.  L'Église  ne  fut  pas 
plus  tôt  connue  de  l'État,  qu'il  lui  refusa  le  droit  d'exister. 
Réduite  à  grandir  en  dehors  de  la  scène  apparente  de  la  société, 
elle  continua  du  moins  à  affirmer  sa  vitalité  par  le  martyre.  C'est 
ainsi  qu'elle  conquit  enfin,  au  prix  de  souffrances  extrêmes,  sa 
place  au  soleil,  et  ce  jour-là  elle  vit  reculer  devant  elle  la  puis- 
sance qui  avait  voulu  l'anéantir  :  ce  qui  prouve  que  la  lutte, 
imprudemment  engagée  par  l'État  romain,  était  impossible  à 
soutenir  (1).  L'empire  se  retira  à  Byzance,  et  la  papauté  resta 
seule  à  Rome. 

Telle  est  la  conclusion  de  cet  essai,  qui,  exempt  des  préten- 
tions d'un  livre,  se  devait  borner  aux  exigences  d'une  thèse. 
Je  remercie  mon  père  à  qui  je  dois  d'avoir  pu  entreprendre,  et 
toutes  les  personnes  dont  la  sympalhie  m'a  aidé  à  mener  à 
bonne  fin   ce  labeur  de  quatre  années. 

Rome,  7  mars  1882. 

Henry  Doulcet. 


(<)  Tertullien  en  211,  ad  Scapul,  c.  iv  :  Monendo   pi,  O;o[j.a/£îv.  —  01  iih, 

discours  (I'Euskbe  pour  la  dédicace  de  la  basilique  do  Tyr  au  lendema  n  de 
la  paix,  en  314.  Jlisl.  ecclcs.,  1.  X,  c.  iv,  31. 


SOURCES    PRIINCIPALES 

CONSULTÉES    POUR   CET    ESSAI 


Adon,  Martyrologe  (édition  Giorgi);  Rome,  1745. 

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tiennes; Lille,  1881. 

Annales  de  la  j)ropagation  de  la  foi;  Lyon,  1879-1882. 

Aristide,  Œuvres  (édition  Dindorf);  Leipzig,  1849. 

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persécutions  de  l'Église  jusqu'à  la  fin  des  Antonins;  Paris,  1875.  —  La  Polé- 
mique païenne  à  la  fin  du  deuxième  siècle;  Paris,  1878.  —  Les  Chrétiens 
dans  l'Empire  romain,  de  la  fin  des  Antonins  au  milieu  du  troisième  siècle; 
Paris,  1881.  —  Étude  sur  un  nouveau  texte  des  actes  des  martyrs  Scilli- 
lains;  Paris,  1881.  —  Un  texte  inédit  d'actes  de  martyrs  du  troisième 
siècle,  Rerue  archéologique  de  décembre  1881. 

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15  avril  1876.  —  C.  r.  du  2«  vol.  de  M.  Aube,  Revue  des  Deux  Mondes,  1"  jan- 
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BoLLANDiSTES,  Acta  sanctoruiîi  (édition  d'Anvers). 

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Bouche-Leclercq,  les  Pontifes  de  l'ancienne  Rome  (thèse);  Paris,  1871. 


—    XVI     — 

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—   XVII   — 

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—  Der  Bekenncr  Achatius  unter  Decius;  ibid.,  1879.  —  Christenverfolgung 
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1877.  —  Das  Christenthum  und  der  romische  Staat  zur  Zeit  des  Scpti- 
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~  Le  Tombe  dei  Papi  (trad.  Ambrosi);  Rome,  1879. —  Die  Grabdenkmàler 
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ESSAI  SUR  LES  RAPPORTS 

DE 

L'ÉGLISE  CHRÉTIENNE 

AVEC 

L'ÉTAT  ROMAIN 

PENDANT    LES    TROIS    PREMIERS    SIÈCLES 


PREMIERE  PARTIE 

RAPPORTS    DES   JUIFS   ET    DE   L'ÉGLISE    CHRÉTIENNE 
AVEC    L'ÉTAT   ROMAIN   JUSQU'EN   96 


Le  christianisme  n'a  pas  eu  Rome  pour  berceau  :  il  est  sorti  des 
entrailles  du  judaïsme.  De  cette  origine  est  re'sulte'e  aux  yeux  des 
Romains  la  confusion  des  chre'tiens  avec  les  Juifs  dans  les  premiers 
temps  de  l'Église.  Nous  avons  donc  d'abord  à  déterminer  le  moment 
où  cette  confusion  cesse.  Tel  est  l'objet  de  notre  première  partie,  où 
nous  suivrons  pas  à  pas  le  développement  exte'rieur  du  christianisme. 

C'est  en  qualité'  de  Juif  que,  dès  sa  naissance  à  Bethle'hem,  le  divin 
Fondateur  de  l'Église  eut  affaire  à  l'État  romain  dans  la  personne  de 
C.  Sentius  Saturninus,  charge'  d'ope'rer  le  recensement  de  la  Pales- 
tine (1).  Saint  Luc,  dans  son  Évangile  (2),  place  cette  opération  sous 

(1)  Teutullien,  Adv.  Marc,  1.  IV,  C.  xix  :  Sed  et  census  constat  actos  sub  Augusto 
tune  in  Judaea  par  Sentium  Saturninum.  Cf.  c.  vu  :  De  censu  denique  Augusti  queni 
testem  fidelissimum  Dominicae  nativitatis  Roniana  archiva  ciistodiiint. 

(2)  C.  II,  V.  2  ;  AuTY)  ■/]  âTvoypaç"^  TTpwr/)  èyEvsTo,  yiYcjj.ovcOovto:  tv;:  lupîa;  Kuprivîou. 

1 


le  jjoiivernement  de  P.  Sulpicius  Quirinius,  qui  fut  le'gat  proprëtcur 
de  Syrie  dés  Tan  5  avant  notre  ère.  Le  même  personnage  gouverna 
une  seconde  fois  cette  province  de  Tan  C  à  l'an  10  après  Je'sus-Christ  (1  ) , 
et  à  son  entre'e  en  charge,  il  établit  un  chevalier  romain  à  la  tête  de 
Tadininistration  de  la  Jude'e  avec  le  titre  de  procurateur  cum  jure 
(jladii.  il  est  facile  dès  lors  d'entendre  la  pensée  du  Samaritain  saint 
Justin,  lorsqu'il  dit  à  propos  de  Bethléhem,  dans  sa  première  Apologie  à 
l'empereur  Antonin  (2)  :  «  C'est  une  bourgade  du  pays  des  Juifs, 
éloignée  de  trente-cinq  stades  de  Jérusalem,  dans  laquelle  est  né 
Jésus-Christ,  comme  vous  pouvez  l'apprendre  par  les  registres  du 
cens  confectionnés  sous  Quirinius,  votre  premier  procurateur  en 
Judée.  « 

Le  prompt  accomplissement  d'une  formalité  requise  par  le  pouvoir 
romain  avait  donc  marqué  le  premier  pas  de  Jésus-Christ.  La  doctrine 
qu'il  prêcha  plus  tard  à  ses  disciples  ne  devait  pas  démentir  ce  pré- 
sage. Mais  telle  n  étaitpointl'attitude  delà  nationjuive  toutentière.  Les 
pharisiens  surtout  se  signalaient  par  leurs  tendances  anti-romaines, 
et,  chose  curieuse,  c'est  précisément  au  sujet  de  la  formalité  dont  nous 
venons  de  parler  que  Josèphe  nous  les  a  dépeints  :  «  Il  y  avait, 
dit-il  (3),  une  portion  des  Juifs  qui  se  vantaient  de  leur  exactitude  à 
observer  la  loi  de  leurs  pères,  qui  feignaient  de  jouir  de  la  faveur  di- 
vine, et  ils  avaient  pour  eux  le  monde  des  femmes;  ce  sont  les  pharisiens, 
gens  très-capables  de  résister  aux  rois,  pleins  de  circonspection,  d'ail- 
leurs cédant  ouvertement  au  désir  de  lutter  et  de  nuire.  Alors  que  tout 

(1)  Ttcrtim  Suriam  [opiinuii],  dit  une  inscription  trouvée  à  Tivoli  et  aujourd'hui  au 
musée  du  l.atéran. 

(2)  I.  Apoh,  c.  XXXIV  :  Kw[i.v]  51  Tt;  èaiiv  èv  xrj  yûn^o.  'louSatwv,  àiiéyo'jija.  crTaôiouç 
TpiâxovTa  Ttevie  'lepo(ro),ij[J.wv,  èv  ■^  èYEVvriOYi  'IritroO;  X^kitô;  w;  xal  ixaQsïv  ôOvaaOe  Èx 
Twv  àiroypaçwv  xwv  yevoiiEVtov  èni  Kuf>Yivîou,  to"j  0[A£ii(>oy  èv  'louSaîa  TipwTOy  yEvofAc'vou 
ÈTTiTpânou,  p.  104  de  réd.  Otto  (léna,  1876).  Un  peu  plus  loin,  c.  xlvi,  il  ajoute  qu'il 
parle  moins  de  cent  cinquante  ans  après  l'événement. 

(3)  Josèphe,  Ant.  Jud.,  1.  XVII,  c.  il,  4  :  Kal  ï)v  yàp  |j.rjptov  xi  'louSaïxwv  àvOpw;twv 
ÈTi'  è?axpi6wi7£i  (JLÉyaçpovoOvTOÙ  Ttarpi'ou  vô(jLoy,  xaîpeiv  (aCiToTç)  tô  ôeïov  itpodTîOtouixÉvwv, 
oî;  U7:r,-/.T0  r,  yuvxixwvÎTi;.  <I>apt(Taïoi  xa),oOvTat,  pairO.EÙcri  Sjv(X|A£vrn  jiâÀiaTaàvTtTrpàaffeiv, 
TipopTiOEiç,  xàx  TO\i  Tipo'jTtTou  etç  TÔ  7ro>.EiA£Ïv  TE  xal  pXâTTTEiv  è7ryip[i.£vot.  IlavTè;  yoûv 
ToO  'lo'JoaïxoO  p£6ai(.')'7avTo;  ôi' ô'pxwv  f,  ij.yiv  EÙvo-^Tai  Kawapt  xal  xoïç  pairOio);  7ipây|J.a<ii, 
o'ioE  cl  àvopEç  o'jx  ('.')|A0(7av,  ôvte;  CiTcÈp  é^axia/'^ioi.  Ce  fait  est  distinct  de  l'insurrec- 
tion  de  Judas  le  Caulanitc,  ibid,  1.  XVIII,  c.  i. 


—  3  — 

le  peuple  juif  prêta  serment  de  fidélité  à  Tempereur  et  au  gouverne- 
ment du  roi,  ces  hommes,  au  nombre  de  plus  de  six  mille,  refusèrent 
de  jurer.  «  Et  l'historien  rapporte  qu'à  cette  occasion  ils  répandaient 
le  bruit  de  l'avènement  d'un  roi  prédit  à  l'avance,  devant  régner 
sur  l'univers,  et  qu'Hérode  inquiet  fit  périr  tous  ceux  de  sa  maison  qui 
avaient  cru  à  leur  parole  (1).  11  est  difficile  de  ne  pas  rapprocher  ces 
différents  faits  des  recherches  que  les  mages  provoquèrent  dans  les 
hvres  des  prophètes  au  sujet  du  Messie,  ainsi  que  du  massacre  des 
Innocents  qui  s'ensuivit  (2). 

Cependant  Hérode  était  mort  en  avril,  quatre  ans  avant  notre  ère; 
son  fils  Archélaiis,  confirmé,  malgré  les  Juifs,  par  Auguste  en  Judée, 
y  fut  remplacé,  dix  ans  après,  comme  nous  l'avons  vu,  par  un  procu- 
rateur romain.  Hérode  Antipas,  son  frère,  sut  l'ester  plus  longtemps 
tétrarque  de  Galilée.  Ce  fut  lui  qui  ordonna  la  décollation  de  saint 
Jean-Baptiste  (3),  populaire  parmi  les  Juifs,  quoique  ennemi  de  l'astuce 
des  pharisiens,  et  digne  sous  tous  les  rapports  d'être  appelé  le  précur- 
seur du  Christ.  Cet  Hérode  le  tétrarque,  joua  un  rôle  dans  la  Passion 
à  Jérusalem,  et  fut  plus  tard,  l'an  30  après  Jésus-Christ,  exilé  par  Ca- 
ligula  à  Lyon  avec  sa  femme  Hérodiade  :  tous  deux  allèrent  mourir 
en  Espagne  (4).  C'est  aussi  afin  de  plaire  aux  pharisiens  qui  avaient 
lapidé  le  diacre  Etienne  après  la  destitution  de  Pilate  en  l'an  36,  qu'Hé- 
rode Agrippa  I",  arrivant  de  Rome  où  Claude  venait  de  lui  conférer  le 
titre  de  roi,  s'empressa  de  faire  périr  par  le  glaive  saint  Jacques  le  Ma- 
jeur, frère  de  saint  Jean  et  fils  de  Zébédée  (5).  Il  ne  survécut  que  deux 

(1)  Est-ce  à  cette  date  que  doit  se  placer  la  plaisanterie  d'Aiif^uste  jouant  sur  les 
mots  ylôv  et  uv  que  raconte  le  prœfecius  cubicuU  de  Thcodose  II,  Macrobe,  Saturn., 
1.  U,  c.  IV?  La  certitude  n'est  jjuère  possible  avec  un  prince  aussi  peu  ménager 
que  l'Iduméen  du  sang  de  sa  famille.  M.  de  Saulcy,  Hist.  d'Hèrode  (Paris,  1867),  p.  371 , 
n'a  pas  dit  quelles  raisons  il  avait  de  considérer  l'auteur  des  Saturnalia  comme  chré- 
tien. 

(2)  Saint  Matthieu,  c.  ii. 

(3)  JOSÈPHE,  Ént.  Jud.,  1.  XVni,  c  V,  2. 

(4)  JosÈPHE,  Ant.Jud.A.XVm,  c  VII,  2,  et  B.Jud.,\.n,c.i\,&.  L'abbé  Fouaud,  fïerfe 
Jésus-Christ  {Vâvh,  1880),  t.  I,  p.  432,  propose  une  autre  conciliation  des  deux  textes 
en  plaçant  le  lieu  d'exil  à  Lugduimm  Com-cnamm  (aujourd'hui  Saint-Bertrand  de  Com- 
ininges),  qui,  en  effet,  est  près  de  la  frontière  d'Espagne. 

(5)  Actes  des  Apôtres,  c.  xii,  y.  3  :  'Jôwv  ott  àpEaTOV  ègii  xoÎ;  'louSatoi;*. .  Cf.  Anl. 
Jud.,  1.  XIX,  C.  VII,  3  :  'Hû6(i.evoç  Tw  /apîÇtcOat  xat  xàJ  [Bioùv  èv  £Ùç-/i!J.!qf  ^(aipwv. 

1. 


—  4  — 

ans  à  sa  victime.  Les  donne'es  assez  détaillées  de  Josèphe,  qui  concor- 
dent du  reste  avec  le  récit  des  Actes  (1),  permettent  de  fixer  sa  mort  à 
Césarée  après  le  troisième  anniversaire  de  F  avènement  de  Claude, 
janvier  44.  Le  jus  ^/«</«  échappa  alors  aux  Juifs  par  le  rétablissement 
des  procurateurs,  et  la  persécution,  d'abord  forcée  de  suivre  les  voies 
légales,  comme  le  remarque  justement  M.  Wallon  (2),  s'en  affranchit 
à  la  faveur  d'un  interrè[;ne  dans  l'administration  romaine,  dont  le  grand 
prêtre  Anan,  sadducéen  farouche  nommé  par  Hérode  Agrippa  H  (3), 
profita  pour  faire  mourir  eu  02,  avec  quelques  autres,  saint  Jacques  le 
Mineur,  évêque  de  Jérusalem  et  parent  de  Jésus-Christ.  Josèphe  et 
Hégésippe  (4)  rapportent  qu'il  fut  lapidé,  mais  Ilégésippe  ajoute  qu'il 
avait  été  précipité  du  haut  du  Temple;  ils  s'accordent  également  sur 
son  titre  de  Juste^  et  sur  le  mécontentement  que  sa  mort  causa  chez 
une  partie  du  peuple  (5).  Les  mécontents  reçurent  satisfaction  lors 
de  l'arrivée  du  procurateur  Albinus,  qui  destitua  le  grand  prêtre. 

En  effet,  à  l'origine,  les  gouverneurs  de  province  ne  devaient 
pas  être  mal  disposés  vis-à-vis  des  gens  qui  leur  étaient  dénon- 
cés sous  l'aiipellation  de  chrétiens.  En  112,  le  légat  propréteur 
de  la  province  de  Bithynie,  Pline  le  Jeune,  hésitait  encore  sur  la  con- 


(1)  Ant.  Jud.,  1.  XIX',  C.  VIII,  2.  et  Actes,  c.  xii,  v.  21-23. 

(2)  De  la  croyance  due  à  l'Évangile  (Paris,  1866),  p.  109. 

(3)  Ant.  Jud.,  1.  XX,  r.  ix,  1. 

(4)  HÉGÉSIPPE,  dans  VHist.  cccUs.  d'Eusèb-,  l.  i\,  c.  xxiii.  Cet  auteur  du  second  siè- 
cle, originaire  de  Palestine,  donne  certains  détails  représentant  saint  Jacques  comme 
un  Nazaréen  et  provenant  dune  tradition  conservée  par  la  secte  des  Nazaréens 
dont  il  faisait  partie  lui-même.  On  appelle  ainsi  la  continuation  de  l'H^lisc  de 
Jérusalem,  qui,  restant  orthodoxe,  mais  se  recrutant  exclusivement  parmi  les  Juifs, 
et  continuant  à  observer  les  préceptes  de  la  loi  après  la  destruction  du  temple,  se 
retira  en  Batanée.  Les  singularités  et  l'isolement  de  cette  communauté  au  milieu 
de  la  civilisation  gréco-romaine  introduite  par  la  conquête  de  Cornélius  Palma  en 
105  dans  lArabie  nabatéenne  ont  contribué  à  la  faire  confondre  avec  Us  héré- 
tiques ébionites.  Cf.  saixt  Jlstin,  /^ial.  citm  Tnjph.,  c.  xlvii,  p.  156  de  l'éd.  Otto 
(lena,  1877)  :  de  même  Ouichne,  ContmCch.,  \.  V,  c.  lvi. 

(5)  Nous  savons  d'ailleurs  que  plusieurs,  parmi  les  prêtres  juifs,  s'étaient  con- 
vertis à  la  foi  chrétienne;  seulement,  en  se  convertissant,  ils  n'avaient  pas  dépouillé 
leurs  préjugés  nationaux  contre  les  hellénisants.  Actes,  c.  vi,  v.  7  :  llo'/j;  te  ôx).oî 
■twv  lepÉwv  ÛTTYjxouov  T/|  TiîiîTci.  —  V.  1  .'  èyÉvETO  Y^YY^'^t'-^Ç  'f'^v  â),).y,vio":wv  Trpôç  xoùç 
éêpatov;.  L'attachement  des  chrétiens  de  Jérusalem  aux  usages  mosaïques  s'ex- 
plique assez  par  ce  fait  que  les  lois  cérémonielles  avaient  aussi  chez  eux  le  carac- 
tère de  lois  civiles. 


—  6  — 

duite  à  tenir  à  leur  e'gard.  Mais  en  53,  époque  vers  laquelle  saint  Paul 
comparut  à  Corinthe  devant  le  frère  de  Se'uèque,  Gallion,  proconsul 
d'Achaïe,  ce  dernier  refusa  d'entendre  les  plaintes  des  Juifs,  ses  accu- 
sateurs, en  se  fondant  sur  ce  qu'il  n'avait  commis  ni  délit,  ni  quasi- 
délit  (1).  Pilate  à  Jérusalem  n'avait  pas  fait  d'autre  constatation  au 
sujet  de  Jésus-Christ  (2),  et  s'il  agit  en  contradiction  avec  ses  paroles, 
c'est  qu'il  eut  peur  de  la  foule  et  craignit  de  se  compromettre  auprès 
de  l'empereur.  H  ne  devait  pas  nécessairement  être  indifférent  ou 
hostile,  comme  il  a  été  dit  récemment  (3)  ;  il  lui  était  permis  de  se 
montrer  bienveillant,  ainsi  que  le  fit  Festus  envers  le  même  saint 
Paul  à  Césarée  (4). 

Si  les  Romains  subissaient  partout  plus  ou  moins  l'influence  des 
Juifs  (5),  ceux-ci  ne  leur  étaient  pas  tellement  sympathiques  qu'ils  se 
crussent  obligés  d'épouser  leurs  querelles  intestines.  Ce  peuple  sa- 
vait au  besoin  invoquer  les  édits  (G)  qu'à  différentes  reprises  il  avait  fait 


(1)  Aclcs,  c.  XVIII.  V.  14,  15  :  El  [lèv  ouv  r,v  à5ixr|U.â  ti  ?i  paSioupyvitxa  Trov/ipàv... 
xpiTT,!;   yàp  èyà)  toOxwv  où  Po'J),oij.at   etvat, 

(2)  Ses  ennemis  le  présentaient  à  Filate  comme  voulant  se  faire  roi  des  Juifs  : 
«  Ce  mot  seul,  dit  M.  Dl'kuy,  Hist.  rom.,  t.  V,  p.  95,  constituant  ù  ses  yeux  un  crime 
qui  relève  de  la  loi  de  majesté,  il  ratifie  la  condamnation.  »  Mais  Home  n'excluait 
pas  tous  les  rois  des  pays  conquis,  et  cette  accusation  pouvait  ne  pas  paraître  suffi- 
sante à  un  magistrat  romain;  aussi  Pilate  précise-t-il  davantage  :  Tï  èiToîr.aa;;  ... 
'lîyà)  oOosjji'av  alxiav  ejptrr/.w  èv  aOTÔi.  Saint  Jean,  C.  xviii,  V.  33-38.  M.  Duruy  re- 
connaît lui-même  que  l'affaire  ne  regardait  point  d'abord  les  Romains. 

(3)  M.  AuBÉ,  Histoire  des  persécutions  de  l'Eglise  jusqu'à  la  fui  des  Anionins,  p.  41. 

(4)  Hist.  desperséc.,  p.  57.  Quoiqu'il  en  soit,  il  dut  rester  des  traces  de  sa  sentence 
au  greffe  du  prétoire.  Est-ce  à  un  témoignage  de  cette  provenance  que  saint  Justin 
(A'  Apol.,  c.  XXXV  et  xlviii)  et  Teutl-llien  Apologei.,  c.  v)font  allusion,  ou  bien  au 
document  légendaire  qui  le  suppose  et  qui  se  trouve  dans  la  collection  de  Tischen- 
dorf?  Consulter  à  ce  sujet  VHist.  des  Évangiles  apocryphes,  de  l'abbé  J.  V.yriot  (Paris, 
1878). 

(5)  A  Rome,  le  sabbat  était  observé  par  le  populaire.  Horace,  sat.  IX,  liv.  I,  en  fait 
un  trait  du  caractère  de  son  Fâcheux.  Sénèole,  D;  supcrstitione  (cité  par  saint  Augustin, 
Cif.  Dei,  1.  VI,  C.  XI),  s'en  plaint  amèrement  :  Ouum  intérim  usque  eo  sceleratis- 
simap  gentis  consuetudo  convaluit  ut  per  oinnes  jam  terras  recepta  sit,  victi  victo- 
ribus  leges  dederunt.  Stracon  constate  aussi  d'une  manière  générale  cette  domi- 
nation de  la  ra  e  juive  :  Avi-Yi  ô'  eU  Tvàirav  tiôÀ'.v  r|Çvi  -af£/,r,)û'jct,  xal  tôuov  oùk  sdii 
paôîio;  sûpîïv  xr;;  oî/.ouu.Jvri;,  6;  oO  TiapaôÉoîXTat  tojto  tô  yOXov,  \i.rfi'  è-'.xpaTsTTxi  du' 
aOioO,  apud  .IoSiÈpht.,  Ant.  Jud.,  1.  XIV,  C.  vii,  2. 

(6i  Ils  réclamèrent  par  exemple  auprès  de  P.  Pétronius,  légat  de  Syrie,  contre  les 
habitants  de  Dora  en  Phénicie,  qui  avaient  introduit  dans  la  synagogue  une  statue 
de  Claude. 


_  G  — 

renouveler  par  les  empereurs,  sans  être  pour  cela  à  l'abri  de  leurs 
capiices.  Ainsi  Claude,  dont  Josèphe  nous  a  conserve' l'ëdit  (1)  rendu 
l'an  42  en  faveur  des  Juifs  d'Alexandrie,  puis  étendu  à  ceux  de  tout 
l'empire,  n'en  chassa  pas  moins  les  Juifs  de  Rome  en  49. 

Si  nous  considérons  la  teneur  du  décret  impérial,  nous  y  trouvons 
deux  choses  :  1°  une  simple  tolérance,  2° une  condition  apportée  à  cette 
tolérance.  «  11  est  juste,  disait-il,  que  les  Juifs  dans  le  monde  entier 
soumis  à  nos  ordres,  gardent  librement  leurs  usages  nationaux-,  je  les 
avertis  aussi  par  la  même  occasion  de  ne  pas  abuser  de  ma  condescen- 
dance et  de  ne  pas  mépriser  les  croyances  des  autres  peuples,  mais  de 
s'en  tenir  à  leurs  propres  lois.  »  Et  il  fondait  sa  décision  sur  l'exem- 
ple d'Auguste  qui,  en  effet,  avait  permis  à  Rome  l'établissement  de 
synagogues.  Philon  (2)  nous  fait  assister  aux  débuts  de  la  commu- 
nauté juive  dans  le  Transtevère  :  «  La  plupart  des  prisonniers  de  guerre 
amenés  en  Italie  (après  les  guéries  de  Pompée),  ayant  été  affranchis, 
étaient  devenus  citoyens  romains;  ils  avaient  reçu  de  leurs  maîtres  la 
liberté,  sans  qu'on  les  forçât  de  renoncer  à  aucun  des  usages  de  leur 
pays.  L'empereur  savait  qu'ils  avaient  des  proseuqucs  où  ils  se  réunis- 
saient, surtout  les  saints  jours  de  sabbat,  et  faisaient  publiquement 
profession  de  la  religion  de  leurs  pères;  il  savait  qu'ils  recueillaient 
des  prémices  et  envoyaient  des  sommes  d'argent  à  Jérusalem ,  par  des 
députés  qui  les  offraient  pour  les  sacrifices.  Cependant  il  ne  les  chassa 
pas  de  Rome,  il  ne  les  déjiouilla  pas  du  droit  de  citoyens;  il  voulut 
que  leurs  institutions  fussent  maintenues  aussi  bien  dans  ce  pays  qu'eu 
Judée;  il  ne  fit  aucune  innovation  contre  nos  proseuques,  il  n'empêcha 
pas  les  assemblées  où  s'enseignent  nos  lois,  il  ne  s'opposa  pas  à  ce  qu'on 
recueillît  les  prémices...  Aussi  tous  les  peuples  de  l'empire,  même  ceux 
qui  nous  étaient  naturellement  hostiles,  se  gardaient  de  toucher  à  la 
moindre  de  nos  lois.  » 

(1)  Ant.  Jud.,  1.  XIX,  C.  V,  2-3  :  Ka/û;  o5v  ëxeiv  xai  'louSatou;  toùç  èv  TtavTt  tû 
ûç'  f||xà;  x6iT|j.(j)  xà  Ttârpia  eOr;  àv£7iixu)).0Ta)î  ipu).â<7<retv,  0Î5  xxi  aùxoT;  f,or,  vOv  Tiapay- 
Yé).).w  (Aou  Ta'JTT)  T^  9i),av9pioTr!a  eTtiet/.eo'CEpov  -/(;T;(70ai,  xai  (xr,  xà;  tcôv  àX/wv  èOvwv 
5î'.'jtox'.[JLOvîac  è;o-j5£vi!j£tv,  xoù;  '.oîou;    ôè  vô[ji&-j;  5y>,i'7(7£iv. 

(2)  Légation  à  C«ïii?  fir.idnclion  Delaunay),  p.  .323.  —  Sur  roryaiiisation  intérieure 
des  .luifs  à  Itoiiie,  coiisuiier  I  intprcssaiil  uiéinoire  de  ScutUER,  Die  Gtmciitdcverfussung 
der  Judeii  in  Jlom  in  der  Kiiisiinit  (Leipzi}},  1879),  41  p.  in-4». 


—  7  — 

Ces  Juifs,  qui  portaient  le  nom  de  libertini  (1),  avaient,  nous  le  sa- 
vons par  saint  Luc,  une  synagogue  à  Je'rusalem.  Dès  l'origine,  ils 
montrèrent  avec  ceux  de  Cyrène,  d'Alexandrie  et  d'Asie  Mineure  (2), 
une  hostilité'  particulière  aux  chre'tiens  de  Je'rusalem.  La  même  hosti- 
lité accueillit  les  fidèles  qui  introduisirent  le  christianisme  à  Rome. 
C'est  ce  que  nous  conclurons  le'gitimement  en  rapprochant  un  texte  de 
Sue'tone  d'un  passage  des  Actes,  qui  fait  mention  de  l'expulsion  des 
Juifs  par  Claude  (3),  et  nomme  en  particulier  Aquila  et  sa  femme 
Priscille  que  saint  Paul  rencontra  à  Corinthe.  Dion  Cassius  assure,  il 
est  vrai,  qu'à  cause  du  nombre  des  Juifs,  l'empereur  se  borna  à  inter- 
dire leurs  re'uuions  (4).  Nous  pouvons  admettre  qu'un  certain  nombre 
seulement  d'entre  eux  dut  s'éloigner.  Le  témoignage  de  Suétone 
confirme  d'ailleurs  le  dire  des  Actes  et  indique  le  motif  de  cette  expul- 
sion :  "  Claude,  dit-il  (5),  chassa  de  Rome  les  Juifs,  parmi  lesquels 
Chrestus  excitait  de  fi'équents  tumultes.  »  Dans  ce  Chiestus  il  est  facile 
de  reconnaître  le  nom  défiguré  des  chrétiens.  Les  troubles  causés 
par  la  prédication  de  l'Evangile  dans  la  capitale  de  l'Empire  avaient 
amené  Claude  à  sortir  de  sa  bienveillance  habituelle. 

S'il  y  avait  déjà  des  chrétiens  à  Rome.,  moins  de  vingt  ans  après  la 
mort  de  Jésus-Christ,  quel  messager  leur  avait  apporté  la  bonne  nou- 
velle? Il  est  bien  question  de  voyageurs  romains  juifs  et  prosélytes 
parmi  les  auditeurs  de  saint  Pierre,  le  jour  de  la  Pentecôte  (6);  mais 
ont-ils  suffi  à  fonder  une  communauté  chrétienne?  Les  contempo- 
rains eux-mêmes  ne  le  pensaient  pas  :  car   «  comment  croire  qui  l'on 


(1)  Annal.,  1.  IF,  c.  Lxxxv  :  Factumqiie  patrura  consultura  ut  quatuor  raiUia  liber- 
tini gcneris  ea  superstitione  infecta,  quis  idonea  aetas,  in  insulani  Sardiniani  vehe- 
rentur. 

(2)  Actes,  c.  VI,  V.  9. 

(3)  Ibid.,  C.  xviii,  V.  2  :  Aià  tô  ô'.'X-.zxy.yvjM  K)aOotov  y_wpîΣ(76ai  TiivTa;  toù;  'lo-joatoui; 
èx  tri;  'Pto[ir|Ç.  La  Priscille  des  Actes  cat  sans  doute  la  même  que  le  chrétien 
Priscus  de  M.  Aube,  Hist.  des  persécutions,  p.  82. 

(4)  Hist.,  liv.  LX,  c.  VI  :  Toùç  tô  'lo-jôaîov;  7t>,£ovxTavTai;  aùOiç  w;t£  ■/a).c7iàJ;  àv 
av£'j  Tapa/.rj;  ûitô  toû  Ô'/}^o\)  crçùv  Trj;  Tr6).£to;  £ip/0?)vat,  oùx  i\-i\\:».az  [J.èv,  xt»)  Se  ôv)  TraTpitij 
^Im  /j>oj[j.£vo'u;  è)i£),£V)(7£  (irj  cuva'Jpo''î(£(î9ai. 

(5)  Claud.  lit.,  C.  xxv  :  Judœos,  irapulsore  Chresto  assidue  tuinultuantes,  Roma 
expulit. 

(6)  Actes,  C.  II,  V.  10  .  '£Ttiûri[AoOvT£;  'Pw[ji,xïoi  'louôatot  t£  xal  7tpo<7/;),yiot. 


n'a  pas  entendu?  et  comment  entendre  sans  un  prédicateur?  et  qui 
donc  peut  prêcher  s'il  n'est  apôtre  (1)?  « 

L'apôtre  n'est  pas  saint  Paul;  il  n'arriva  à  Rome  qu'en  61,  et  nous 
savons  dans  quelles  circonstances.  Son  e'pître  aux  Romains,  écrite  de 
Corinthe  en  janvier  ou  février  58,  constate  que  leur  Éfî-lise  e'tait,  dès 
cette  époque  (2),  pleine  de  foi,  de  perfection  dans  l'accomplissement  des 
préceptes  évangcliques,  de  soumission  vis-à-visde  l'autorité  religieuse. 
Saint  Paul  ajoute  qu'il  ne  veut  pas  bâtir  sur  le  fondement  d'autrui  (3), 
mais  il  ne  nomme  point  celui  qui  a  posé  ce  fondement.  Était-ce  saint 
Pierre?  La  tradition  universelle,  très-ancienne  (et  qui  ne  se  rattache 
à  aucune  légende),  des  vingt-cituj  années  de  sen  pontificat  (4),  le  ferait 
venir  à  Rome  peu  après  l'avénenient  de  Claude,  24  juin  41 ,  s'il  est  vrai 
qu'il  dut  la  palme  du  martyre  à  Néron,  qui  mourut  le  9  juin  08.  Les 
Actes,  racontant  sa  mise  en  prison  par  lïérode  Agrippa  lors  de  l'arrivée 
de  ce  dernier  à  Jérusalem,  disent  seulement  que,  quand  il  fut  miracu- 
leusement délivré,  il  s'en  alla  dans  un  autre  lieu  (5);  or,  ce  que  nous 
savons  d'ailleurs  des  dispositions  tiès-favorables  aux  Juifs  que  Claude 
manifesta  au  début  de  son  règne,  nous  permet  d'adopter  la  fin  de  l'an- 
née 42  comme  date  probable  de  sa  venue  en  Italie.  Après  avoir  profité 
de  l'édit  de  tolérance,  il  dut  être  atteint  par  l'ordonnance  d'expulsion, 
et  prendre,  comme  Aquila  et  Priscille  en  49,  le  chemin  de  l'Orient. 

Celte  dispersion  des  Juifs  nous  ramène  naturellement  à  Jérusalem, 
où  les  Actes  montrent  les  apôtres  réunis  en  l'an  50  pour  trancher  une 
question  dont  la  solution  s'imposait  à  ce  moment.  11  s'agissait  de  savoir 
dans  quelle  mesure  la  religion  nouvelle  devait  se  dégager  des  obser- 
vances judaïques  (G).  Les  Juifs,  en  effet,  avaient  vu  de  mauvais  œil  les 


(1)  Ep.  aux  Bomains,  c.  x,  V.  14  et  15  :  llo);  ôà  àxoûcroyff'.  xwpU  xripÛTcyovTo;  ;  Triôç  6è 
•/.r,p'j^o'jc<iv,  èàv  |j.ri  i7xo(7Ta),w(7i  ; 

(2)  Ibid.,  C.  I,  V.  8  :  'H  7:î<m;  0(awv  y.aTayyE/ÀETai  sv  q).u)  tô»  xÔit(jlo).  —  C.  XV,  v.  19  : 
oîôa  ôà  ÔTt  £p./ô[j.Evo;  Tipôç  Oixâç  êv  7r/7)[/WiJ.aTi  eO).oyiaç  toO  EOaYyeXtou  toû  XptaToû 
ÈÀÊ'J'JOiJ.at.  —  C.  XVI,  y.  19:  r,  yàp  OiJ.tôv  vTraxo-À)  et;  Trivra;  à^îxsTo. 

(3)  Ibid..  C.  XV,  V.  20  :  "Iva  [xr]  in'  à/,)ÔTf.i'>v  Oc|i£/,tov  oîxoûo[j.w. 

('«)  Cf.  Die  iiliestcn  riimischen  Bischo/slislen^  à  la  suite  de  l'ouvrage  d'IIarnack,  Die  Zeil 
des  Iijnulius  (Leipzig,  1878). 

(5)  Actes,  c.  XII,  V.   18  ;  Kai  £|£)6wv  ÈTiopeùOr)  el;  ETepov  tottov. 

(6)  Ihid.,  c.  XV. 


—  9  — 

chrétiens  (le  JëriisalenuV abord,  et  ceux  de  Rome  ensuite,  se  montrer  de 
plus  en  plus  infidèles  aux  usages  de  leurs  pères.  La  de'cision,  qui  fut 
prise  sur  l'avis  de  saint  Pierre,  de'lia  en  principe  la  doctrine  nouvelle 
de  ces  usages,  mais,  accordant  la  liberté' dans  la  pratique  à  la  con- 
science de  chacun,  elle  ne  trancha  pas  bien  des  difficultés  qui,  en  re'alite', 
ne  manquèrentpas  de  surg'.r.  Nous  avons  le  texte  de  la  décision  :  saint 
Paul  allait  i)lus  loin  que  la  lettre,  quand  il  pei  mettait  de  manger  de  la 
chair  immolée  aux  idoles  à  la  seule  condition  de  ne  point  causer  de 
scandale  (1).  Saint  Pierre  restait  en  deçà  ([cXesprit,  lorsqu'à  Antioche 
il  se  l'etira  d'avec  les  gentils  par  crainte  des  réflexions  de  quelques 
chrétiens  circoncis  (2).  Tous  deux  faisaient  ainsi  usage  de  la  liberté, 
mais  les  Juifs  regardaient  surtout  la  première  partie  de  la  décision  :  la 
coniiiiunauté  chrétienne  s'était  aifiauchie  de  la  loi;  elle  était  désor- 
mais une  ennemie  qu'il  fallait  poursuivre  à  outrance. 

C'est  contre  saint  Paul  que  furent  dirigés  les  premiers  coups,  et, 
chose  curieuse,  contre  saint  Paul  usant  delà  liberté  potir  accomplir 
une  observance  légale.  11  revenait  en  effet  de  Corinthe  pour  un  vœu 
de  nazaréat,  lorsque  les  Juifs  l'attaquèrent  dans  le  temple.  Il  ne  leur 
échappa  que  par  les  vigoureux  efforts  du  tribun  Lysias,  chef  du 
détachement  romain  à  la  tour  Antonia.  U  fut  envoyé  au  procurateur 
Félix,  résidant  à  Césarée,  qui  le  retint  deux  ans  prisonnier,  espérant 
en  tirer  de  l'ai-gent.  Le  successeur  de  ce  dernier.  Porcins  Festus,  arriva 
dans  l'été  de  l'année  60,  et,  dès  son  arrivée,  les  Juifs  l'importunèrent 
pour  qu'il  prononçât  la  condamnation  à  mort  de  l'apôtre;  alors  celui- 
ci,  citoyen  i-omain,  en  appela  à  César.  Cependant  Festus  ne  com- 
prenait rien  à  l'accusation  portée  contre  saint  Paul  et  ne  savait  quel 
rappoit  joindre  à  l'appel  (3),  11  écouta  avec  une  curiosité  étonnée  sa 
défense  débitée  pour  la  forme  en  présence  du  dernier  roi  de  la  dy- 

(1)  /"  Ép.  aux  Corinthiens,  c   viii,  V.  7-11,  et  C.  X,  V.  23-29. 

(2)  Ep.  aux  Galaics,  C.  U,  V.   12  :  'XiziG-zti'iz  zai   àfwpt^îv  la-jTÔ-/,   ço6o'J[X£vo?  t'/u:   èx 
ireptTOM.y,ç-  Écoutons  Tertullien,  dont  1  indulgence  est  peu  suspecte.  De  prœscr. 
c.  xxiii  :  Ceteium  si  reprehensus  est  Petrus  quod,  quuni  convixisjct  etlinici;,  postea 
se  a  convictu  eorum  separal)at  personarum  lespcctu,  utique  conversationii  fuit 
vitium,  non  prœdicationis. 

(3)  Actes,  c.  XXV,  V.  18  :  O0Ô£fj.îav  ahiav  ÈTisiepo'/  un  ûtïîvôouv  èyà).  —  Y.  26  :  7r£f.l 
oî»  à(Tya),t'(;  Ti  Ypâ'J/at  xw  y.upîw  oùx  iyjM. 


—    10  — 

nastio  iiliimcenne,  Iléiodo  Agrippa  II  (1),  et  de  la  célèbre  Bc'renicc, 
et  (lut  en  somme  mettre  une  note  favorable,  qui  fit  acquitter  le  pre'venu, 
lorsque,  deux  ans  après  son  arrive'e  à  Rome,  Cl-63,  vint  le  tour  de 
son  jugement. 

L'empereur  en  eut-il  connaissance?  Savait-il  ce  que  c'e'tait  que  les 
chre'liens?  La  se'paration,  clairement  faite  aux  yeux  des  Juifs,  existait- 
elle  déjà  pour  l'Etat  romain?  Cette  question  est  capitale,  parce  que  si 
les  chre'tiens  formaient  purement  une  secte  judaïque,  ils  avaient  une 
situation  le'gale,  nous  l'avons  vu  plus  haut;  si,  au  contraire,  ils  e'taient 
les  adeptes  d'une  religion  nouvelle,  leurs  rapports  avec  l'autorité 
devenaient  tout  diffe'rents,  et  quelle  que  fut  l'attitude  du  gouverne- 
ment à  leur  e'gard,  une  chose  est  ne'anmoins  hors  de  doute,  ils 
n'e'laient  plus  garantis  par  l'immunité' juive.  De  fait,  la  solution  paraît 
aussi  complexe  que  controverse'e,  et  nous  nous  trouvons  en  face  des 
opinions  les  plus  diverses,  quant  à  l'e'poque  de  la  distinction  et  à  ses 
conse'quences. 

Si  nous  prenons  les  e'crivains  allemands,  par  exemple,  il  est  difficile 
de  rencontrer  deux  systèmes  plus  oppose's  que  celui  du  D""  Over- 
beck  (2)  dans  sa  dissertation  «  sur  les  e'dits  des  empereurs  romains 
contre  les  chre'tiens  depuis  Trajan  jusqu'à  Marc-Aurèle  « ,  et  celui  du 
D'  Wieseler  (3)  dans  son  «  examen  chronologique  et  historique  des 


(1)  Il  avait  ol)tenu  en  52  de  la  libéralité  de  Claude  les  tétrarcliies  de  Lysanias  et  de 
Philippe,  comprenant  la  Traclionite,  l'Auranito,  l'AUilène  et  la  Batanéc;  ces  pays 
furent  réunis  à  sa  mort,  en  l'an  100,  à  la  province  romaine  de  Syrie. 

(2)  Siutlicn  zur  Ginchiclilv  (1er  «//t«  AV/r/uiSchloss-Cheninitz,  1875,1,  p.  93-157.  Overbcclc, 
professeur  à  Bûle,  ne  cite  pas  l'étude  approfondie  de  François  Baudouin,  Commcn- 
tarii  ail  cdicta  vclcrum  priiicipum  Itomaiwium  de  christianis,  "  BasileJV  per  Joaiilicm  Opori- 
num  ^,  petit  in-S",  132  p.,  sans  date  :  l'année  1557  est  indiquée,  p.  xiu  de  la  préface, 
à  la  réimpression  complète  de  ses  œuvres,  par  Heineccius,  Juriiprudeniia  Romana 
et  Auica,  t.  I  (Leyde,  1778).  Baudouin,  né  ù  Arras  en  1520.  étudia  le  droit  à  Louvain 
et  l'enseigna  successivement  à  Bouryes,  Strasbourjï,  Ileidclbcrg  et  Paris,  il  mourut 
dans  cette  ville  au  collège  d'Artois  en  1583,  et  fut  enterré  in  perisiyUo  Mathurinorum, 
couvent  voisin  de  l'iiotel  de  Cluny. 

(3j  liic  Chrislenrcrfolrjuiujcn  der  Ciisaren  bis  zum  drilten  .lahrhundcri,  hislorisch  und  chroiiolo- 
giscli  unieisuclu  Giitersloli,  1878;,  x-140  p.  te  serait  inutile  de  nommer  les  autres  au- 
teurs allemands  dont  les  systèmes  sont  résumés  par  les  deux  précédenis;  mais  il 
p;irdi[  juste  d'indiquer  dès  à  présent  une  série  d'articles  de  Fr.  (ioRREs  qui  se  succè- 
dent sans  ordre  dans  HilgcnJ'tld's  Xeiischrift  J'iir  wisscnschdfilichc  TUcvloijiv  (Leipzig;',  1876 
et  suiv.i,  et  qui  traitent  des  diverses  persécutions.  Cf.  le  S  Chrisiciii-ei/olgungen  du 


—  11  — 

persëciilions  des  chrétiens  parles  Ce'sars  jusqu'au  troisième  siècle  « .  Ce 
deruier  système  se  re'sume  dans  les  trois  points  suivants  :  1"  déjà  lors 
du  jugement  de  saint  Paul,  la  communauté  chrétienne,  connue  du 
gouvernement  impérial,  tombait  sous  le  coup  de  la  loi  des  associations 
et  de  la  loi  de  majesté  ;  2°  un  édit  de  Domitien  en  aurait  ordonné 
contre  elle  l'application  ;  3°  depuis  Trajan  et  sous  les  Antonins  sa 
situation  légale  se  serait  améliorée, 

Overbeck,  au  contraire,  voit  les  chrétiens  confondus  avec  les  Juifs 
aux  yeux  des  Romains,  même  après  la  prise  de  Jérusalem  par  Titus  ; 
à  son  avis,  les  persécutions  de  Néron  et  de  Domitien  ont  un  caractère 
purement  accidentel  et  local  ;  la  persécution  légale  ne  commence 
qu'avec  Trajan.  M.  Aube  est  du  même  sentiment  dans  la  conclusion 
de  son  Histoire  des  persécutions,  page  393  ;  cependant,  il  adopte  suc- 
cessivement les  deux  opinions  dans  le  corps  de  l'ouvrage.  11  n'admet 
pas,  page  180,  que  les  accusations  de  lèse-majesté,  de  sacrilège,  de 
magie,  d'association  illicite,  etc.,  fussent  applicables  aux  chrétiens. 
'i  S'il  en  était  ainsi,  dit-il,  on  ne  comprend  guère  qu'un  seul  chrétien 
ait  survécu  dans  l'empire.  •>'  Mais  il  admet,  page  340,  que  (^  les  textes 
de  la  loi  de  majesté  [lex  Julia  niajestatis),  de  la  loi  de  venejtciis,  de 
la  loi  contre  les  conjurations,  de  la  loi  contre  les  auteurs  des  tumultes 
populaires  et  de  tant  d'autres  encore  dans  la  forêt  touffue  de  la  légis- 
lation pénale  des  Romains,  pouvaient  être  directement  ou  indirectement 
tournés  contre  les  chrétiens  ".  M.  Gaston  Boissier,  qui  fait  ressortir 
cette  contradiction,  penche  pour  la  dernière  thèse,  qui  est  celle  de 
M.  Edmond  Le  Blant  (1),  et  de  plus,  il  donne  raison  aux  écrivains 
ecclésiastiques  qui  affirment  que  Néron  et  Domitien  publièrent  contre 
le  christianisme  des  édits  de  proscription  (2)  ;  ce  qui  implique  une 

même  dans  la  Rcal-encijclopiidlc  du  docteur  Kr.vus  (Fribourg  en  Brisgau,  1880).  Enfin, 
dans  le  recueil  cité  ci-dessus,  1881,  p.  291-331,  il  a  paru  un  article  de  Rudolf 
HiLGENFELD,  iutitulé  l'erhulliiiss  des  rômischen  Slaates  zum  Cltrisicnihuiiie  in  den  heiden 
erslcn  Jahrhundcrlcn, 

(1)  Voir  le  travail  de  M.  G.  Tolrret  sur  la  Siluation  ligah  du  christumisme  pendant  les 
trois  premiers  siècles,  dans  la  lievui'  calhoUque  des  inslilulions  et  du  droit,  juin  et  juillet  1878. 

(2)  Les  Premières  Persécutions  de  l'Eglise,  dans  le  n°  du  15  avril  187G  de  la  Ilevue  des 
Deux  Mondes.  —  Au  contraire,  M.  Ferdinand  Delaunay  nie  l'existence  de  ces  lois 
dans  sa  communication  à  l'Académie  des  inscriptions  et  belles  lettres,  séance  du 
28  février  1879,  sur  la  silualion  lèijale  des  chrétiens  en  112. 


—   12  — 

distinction  absolue  d'avec  le  judaïsme.  Il  oppose  à  bon  droit  ceux  qui 
veulent  la  date  de  68  pour  l'Apocalypse,  où  il  est  question  de  martyrs 
en  Orient,  à  ceux  qui  ne  veulent  pas  que  la  perse'cution  de  Néron  se 
soit  étendue  en  dehors  de  Rome  :  deux  propositions  également  chères 
à  iM.  Aube,  qui,  sur  la  dernière  en  particulier,  a  prétendu  perfec- 
tionner l'opinion  de  M.  de  Rossi  lui-même  (1).  Quant  au  savant 
archéologue  romain,  en  rendant  compte  du  Mémoire  de  son  collègue, 
M.  Le  Blanl,  sur  les  bases  juridiques  des  poursuites  dirigées  contre 
les  martyrs  (2),  il  s'est  vu  forcé  de  n'en  accepter  les  conclusions  que 
sous  bénéfice  d'inventaire  (3),  toutes  ses  découvert  s  aboutissant  à  un 
résultat  quelque  peu  différent.  C'est  sur  les  données  de  l'archéologie 
mises  par  lui  en  si  vive  lumière  qu'il  s'appuie  naturellement.  Tous  ceux 
qui  connaissent  la  longue  carrière  fournie  dans  la  science  par  M.  de  Rossi 
comprendront  que  non-seulement  son  témoignage  vaut  la  peine  d'être 
discuté,  mais  encore  qu'il  ne  saurait  être  infirmé  par  de  simples  points 
d'interrogation.  L'étude  des  antiquités  chrétiennes  (4)  lui  a  donc 
permis  de  constater  une  période  de  confiance  et  de  sécurité  assez 
longue  pour  n'admettre  d'autre  explication  qu'une  confusion  persis- 
tante aux  yeux  du  gouvernement,  et  par  suite,  la  participation  dans 
une  certaine  mesure  aux  privilèges  de  la  synagogue  (5).  Les  protes- 
tations des  Juifs  ne  réussissaient  pas  encore  à  en  exclure  complètement 
les  cln-étiens.  Ce  motif,  joint  peut-être  à  d'autres  considérations, 
contribua  à  l'acquittement  de  saint  Paul.  Son  appel,  nous  l'avons  vu, 


(1)  De  la  légalité  du  christianisme  dans  l'empire  romain  pendant  le  premier  siècle,  dans  les 
Comptes  rendus  de  l'Académie  des  inscriptions,  1866,  p.  187,  et  à  la  fin  tie  l'Histoire  des 
persécutions. 

(2)  Comptes  rendus  de  l'Aral,  des  imcript.,  mémo  année,  p.  358. 

(3)  Bullettino  di  archcologia  crisliuna,  1867,  p    28. 

(4)  Voici,  énumérés  par  M.  de  Riclicmont,  dans  les  Xomelles  Etudes,  les  principaux 
élénienls  d'appréciation  dont  M.  de  Hossi  s'est  servi  pour  fixer  la  clironolojîie  des 
calaconilies  :  «  Les  dispositions  de  la  maçonnerie,  les  marques  et  les  noms  daiil  les 
briques  portent  l'estampille,  la  nature  et  la  teinte  des  enduits,  le  mode  d'exécution 
et  le  style  artistique  des  peintures,  le  choix  et  l'interprétation  des  sujets,  l'emploi 
des  stucs  ou  des  mosaïques,  l'usage  des  toml)eaHx  de  marltre,  déterre  cuite  ou  de 
loculi  taillés  dans  le  tuf,  l'épijjrapliie  dans  toutes  ses  jjranclies,  la  lanyue,  le  style, 
les  symboles,  la  nomenclature,  la  paléo{;r.ipliie  des  inscriptions  ;  enfin  l'auteur 
ajoute,  •  les  formes  architectoniques  des  galeries  souterraines  ".  [Loc.  ci/.,  p.  112.) 

(5)  Bullettino,  1865,  p.  90  et  SUIV. 


—  13  — 

le  conduisait  devant  le  conseil  du  prince  (1),  qui  se  composait  de  séna- 
teurs pris  parmi  les  amis  de  l'empereur  et  des  deux  consuls  eu  chaige. 
A  ce  conseil  appartenait  certainement  Se'nèque,  l'ancien  pre'cepteur 
de  Ne'ron,  le  frère  de  celui  qui  avait  refuse'  de  juger  l'apôtre  à 
Corinthe. 

C'e'tait  du  reste  au  ce'lèbre  collèg'ue  de  Senèque,  Burrhus,  préfet 
du  prétoire,  que  saint  Paul  dès  son  arrivée  avait  été  remis  par  le 
centurion  qui  l'accompagnait  depuis  la  Palestine  (2)  ;  ce  que  lui-même 
confirme  dans  son  épitre  aux  Philippiens,  lorsqu'il  dit  que  ses  chaînes 
étaient  devenues  une  manifestation  pour  le  Christ  dans  le  prétoire 
entier  et  aux  yeux  de  tous  (3). 

La  confiance  avec  laquelle  il  annonce  à  ses  correspondants  sa  visite 
prochaine,  l'interruption  soudaine  du  livre  des  Actes  qu'un  départ 
seul  explique  d'une  manière  satisfaisante,  enfin  les  conditions  mêmes 
de  l'affaire,  tout  fait  présumer  une  solution  favorable  à  laquelle 
ne  dut  pas  rester  étrangère  la  bienveillance  de  Sénèque  (4).  Mieux 
qu'un  autre,  il  pouvait  distinguer  Paul  d'un  Juif  ordinaire.  Depuis 


(1)  Sur  cette  institution,  v.  Dion  Cassius,  Hist.,  liv.  LUI,  c.  xxi,  pour  Augfuste; 
liv.  LVn,  c.  A  II,  pour  Tibère;  liv.  LX,  c.  iv,  pour  Claude;  cf.  Suétone,  Tiber.  vit., 
c.  LV. 

(2)  .Ides,  c.  XXVIII,  v.  16  du  texte  grec  :  "Gts  oè  r;),eo[iîv  eîç  'Pwjj.yiv,  ô  ÉxaTÔv- 
Tap-/o;  TTapîOwxs  to-j;  SeafAioy;  tw  (jTpaTOTtîoâp/Y;. 

(3)  Ep.  aux  Philippiens,  c-  I,  V.  13  :  "Ciq-z  toÙî  G3(7[jio-J;  iiou  çavEpo-jç  £v  XotT-rw  ysvî'ffOai 
Iv  o/w  Tw  ■:TfiaiTop''w  •/.cti  toïî  ).oitcoî;  Tràai. 

(4)  Une  preuve  de  ces  bons  rapports,  dont  Frieolender,  Siitcngcschlchtc  lioms 
(Leipzig,  18711,  t.  m,  p.  ô35,  reconnaît  la  possibilité,  résulte  de  l'inscription  sui- 
vante d'un  descendant  de  la  Gens  Annan  ou  d'un  de  ses  affranchis,  trouvée  au 
cominenceinent  de  18G7  dans  les  fouilles  d'Ustie,  et  reproduite  par  M.  de  llossi  dans 
son  Bulkuino,  même  année,  p.  13  : 

DM- 

MANNEO- 

PAVLO-PETRO- 

M-ANNEVSP.AVLVS- 

FILIOCARISSI.MO- 

I,e  prwnomen  de  Marcus,  qui  était  celui  du  frère  de  Sénèque,  joint  aux  cognomma 
relrus,  et  Paulus  deux  fois  répété,  ne  saurait  être  un  jeu  du  hasard,  surtout  quand 
on  se  rappelle  l'habitude  des  anciens  de  prendre  les  noms  et  prénoms  des  per- 
sonnes avec  qui  ils  avaient  des  relations  d'affection.  Ce  fait  doit  être  rapproché  de 
la  littérature  apocryphe  qui  circulait  au  temps  de  saint  .Jérôme  et  de  saint  Augus- 
tin. Du  reste,  une  seule  chose  importe  à  notre  sujet  :  le  conseiller  de  l'empereur 
(nous  ne  nous  inquiétons  pas  du  philosophe)  a  connu  l'apôtre  de  l'Évangile. 


—   14  — 

longtemps,  en  effet,  ile'tait  au  courant  des  doctrines  et  des  usages  des 
Hébreux.  Pendant  sa  jeunesse  à  Alexandrie,  il  avait  failli  être  con- 
fondu avec  eux  (1).  Plus  tard,  dans  un  passage  de  ses  traités  per- 
dus (2j,  il  reprenait,  entre  autres  superstitions  sociales,  les  rites 
mosaïques  et  surtout  le  sabbat  dont  il  établissait  Tin  utilité  sur  ce 
que,  revenant  tous  les  sept  jours,  il  faisait  perdre  la  septième  partie 
de  la  vie  à  cbômer,  et  que  bien  des  choses  pressantes  pour  le  temps 
souffraient  de  cette  inaction. 

Mais  Sénèque  faisait  exception  à  la  jdupart  des  honuiies  de  son 
temps.  Quand  nous  voyons  les  absurdités  racontées  par  Tacite 
sur  les  Juifs,  au  début  du  cinquième  livre  de  ses  Histoires^  on 
peut  s'imaginer  facilement  combien  l'opinion  publique  devait  à  plus 
forte  raison  être  peu  au  courant  de  ce  qui  concernait  les  fidèles. 
Suétone  n'avait  que  des  renseignements  défavorables  sur  leur 
compte,  loi'squ'il  écrivait  au  commencement  du  deuxième  siècle,  et 
Pline  à  la  même  époque  s'éloignait  du  Forum  romain,  emportant 
une  appréciation  analogue  du  nom  chrétien ,  et  de  la  réputation  qui 
y  était  attachée.  Ce  qu'il  nous  apprend  de  plus,  il  Ta  entendu  depuis 
en  interrogeant  les  chrétiens  de  Bithynie.  Quant  à  Tacite,  l'infor- 
mation précise  qu'il  a  recueillie  sur  l'origine  du  christianisme  semble 
extraite  de  quelque  rappoi-t  administratif  concei-nant  la  Judée  et  dé- 
posé aux  archives  de  l'empire  :  elle  porte  que  l'auteur  du  nom  chré- 
tien avait  été  condamné  à  mort  sous  Tibère  par  le  procurateur  Ponce- 
Pilate  (3).  Ces  simples  détails,  combien  peu  de  beaux  esprits  ou  de 
lettrés  les  connaissaient  en  l'an  C4,  ainsi  que  le  remarque  avec  raison 
M.  Aube  (4j  !  Cependant,  ce  sera  pendant  bien  longtemps,  aux  yeux 
des  païens,  le  plus  clair  de  l'histoire  du  christianisme,  et  si  l'on  consi- 


(1)  Ad  Lucilium,  ép.  108. 

(2)  De  sufcrslilionc,  ap.  Civ.  Dci,  liv.  VI,  C.  Xl  ;  Hic  ir.lcr  alios  cirilis  iheologiœ  sit- 
pcrslilioiies  rcprclirndil  eliam  sacratnenta  Judœnrum  cl  maxime  sabbala,  inutililer  eos  fticcrr  <i£n'- 
mans,  quod  pcr  illos  singulos  seplem  i/ilerpositos  dics  septimam  fere  parlcni  œlatis  suw  perdant 
vacando,  et  mulla  in  Icmpore  urgentia  non  agendo  lœddntur.  —  I>'exemple  de  rAn;;leterre, 
la  nation  du  monde  aujourd'hui  la  plus  coninierçanle,  nous  prouve  le  contraire. 

(3)  Ami.,  liv.  XV,  c.  xLiv  :  Auclor  noniinis  ejus  Clirislns,  Tiberio  imperilanle,  per 
procuratorein  l'onliuni  Pilaluiii  supiilicio  aflecliis  erat. 

(4}  Hist.  des  peiscc,  p.  97. 


15    - 


dère  Timportance  de  la  chose  juge'e  en  droit  romain,  on  ne  pourra 
s'empêcher  d'être  frappé  de  l'influence  qu'une  pareille  mention  a  du 
exercer  sur  la  situation  légale  de  la  secte  nouvelle  (1),  Un  des  der- 
niers actes  de  l'Etat  persécuteur  a  précisément  consisté  à  refaire 
calomnieusement  l'histoire  du  procès  de  Jésus-Christ  par  Pilate,  afin 
d'exciter  les  populations  contre  l'Eglise  chrétienne  (2). 

Néron  ne  demanda  pas  tant  d'informations  lorsque  l'opinion  l'accusa 
du  grand  incendie  de  Rome  en  C4.  Il  avait  pu  être  le  seul  de  son  pa- 
lais à  ne  pas  voir  saint  Paul,  car,  bien  que  celui-ci  eut  converti  des 
gens  de  la  maison  de  César  (3),  ce  n'était  pas  une  raison  pour  que 
César  le  connut  ;  il  arrive  le  plus  souvent  aux  princes  d'ignorer  ce 
qui  se  passe  auprès  d'eux.  Le  vulgaire,  plus  avancé  que  les  lettrés, 
était  parvenu  à  distinguer  nettement  les  Juifs  des  chrétiens;  il  n'avait 
pas  tardé  à  frapper  d'une  note  infamante  ces  gens  d'une  détestable 
réputation,  comme  parle  Tacite,  et  qu'il  connaissait  par  leur  vrai 
nom;  aussi  est-ce  dans  ses  rapports  avec  le  bas  peuple  que  Néron 
apprit  à  les  distinguer  à  son  tour.  Il  les  considérait  comme  des  mau- 
dits avant  de  les  traiter  comme  des  coupables,  et  il  n'eut  pas  de  peine 
à  les  sacrifier,  lorsqu'il  lui  fallut  des  victimes. 

Mais  comment,  aune  date  si  reculée,  etparmiles  deux  millions  d'ha- 
bitants de  la  ville  de  Rome,  mit-on  la  main  sur  un  grand  nombre  de 
chrétiens  (4)? 

Les  recherches  de  la  police  n'auraient  pas  été  si  fructueuses,  si  elles 
n'eussent  été  secondées  par  la  vieille  haine  des  Juifs.  Grâce  à  l'impé- 
ratrice Poppée  (5),  ils  avaient  l'oreille  de  l'empereur,  et  longtemps 
après  que  l'incendie  fut  éteint,  ils  purent  encore,  sous  le  prétexte  de 
christianisme,  satisfaire  leurs  rancunes. 

(1)  Tertullien,  m  Mat.,  Uv.  I,  c.  iv  :  Sed  dicitis  sectam  nomine  piiniri  sui  auc- 
toris...  in  solum  nomen  impingitis,  quasi  in  iUo  detinentes  sectam  et  auctorem 
quos  omnino  non  nostis. 

(2)  EusÈBE,  Hist.  eccL,  Uv.  IX,  c.  v. 

(3)  Ep.  aux  Philippieiis,  c.  iv,  V.  22  :  'AdTiâ^ovTai  û[J.a;  TravTe;  oi  àytot,  [AotXKjTa  5à  ot 
£x  Tï)?  KaÎTapoç  oixîaç. 

(4)  ânn.,  I.  XV,  C.  uv  :  igitur  primo  correpli,  qui  fatebantur,  deinde  indicio 
eorum,  mullitudo  ingens.  — Les  dénonciations  dont  parle  Tacite  proviennent  pUitôt 
des  Juifs,  qu'on  était  exposé  à  confondre  avec  les  chrétiens. 

(5)  JosÈPHE,  Ant,  Jtcd.,  1.  XX,  c.  viii,  11  :  ©coasêv^ç  yàp  fjv.  M.  Aube  signale  son 


—   10  — 

a  Prenons  les  nobles  exemples  de  notre  temps,  dit  le  plus  ancien 
document  qui  subsiste  relativement  à  la  persécution  de  Néron  (1),  c'est 
par  la  jalousie  et  par  Tenvie  que  ces  hommes  très-g^rands  et  très-justes, 
les  colonnes  (de  l'Ej^lise),  ont  été  persécutés  et  ont  eu  à  lutter  jusqu'à 
la  mort.  Considérons  les  généreux  apôtres":  Pierre,  à  qui  une  injuste 
jalousie  a  imposé  non  pas  une  ou  deux,  mais  beaucoup  d'épreuves,  et 
qui,  après  avoir  ainsi  rendu  témoignage,  s'en  est  allé  à  la  place  qu'il 
avait  méritée  dans  la  gloire.  C'est  par  suite  de  la  jalousie  et  de  la  con- 
tradiction que  Paul  a  remporté  la  palme  de  la  patience;  sept  empri- 
sonnements, les  expulsions,  la  lapidation,  son  apostolat  en  Orient 
comme  en  Occident,  ont  valu  à  sa  foi  une  renommée  illustre  ;  ayant 
prêché  la  justice  au  monde  entier,  pénétré  jusqu'à  l'extrémité  de  l'Oc- 
cident, rendu  témoignage  devant  les  magistrats,  et  étant  ainsi  sorti  du 
monde,  il  s'en  est  allé  dans  le  lieu  saint,  idéal  accompli  du  courage 
patient.  A  ces  hommes  d'une  conduite  si  vertueuse  furent  adjoints 
un  grand  nombre  d'élus  qui  endurèrent,  à  cause  de  la  jalousie,  des 
supplices  et  des  tourments  nombreux,  et  laissèrent  un  magnifique 
exemple  parmi  nous.  A  cause  de  la  jalousie,  on  vit  des  femmes  subir 
le  traitement  de  Danaïdes  et  de  Dircés,  soumises  à  d'atroces  et  d'abomi- 
nables outrages,  et,  après  avoir  parcouru  d'un  pas  assuré  le  stade  de  la 
foi,  obtenir,  si  frêles  que  fussent  leurs  corps,  une  glorieuse  récompense. 
La  jalousie  a  aliéné  des  épouses  à  leurs  maris  et  a  démenti  la  parole  de 
notre  père  Adam  :  Voici  la  chair  de  ma  chair  et  l'os  de  mes  os.  La  jalou- 
sie et  la  contradiction  ont  renversé  de  grandes  villes  et  détruit  de 
grands  peuples.  Nous  vous  écrivons  ces  choses,  frères  bien-aimés, 
non-seulement  pour  vous  faire  réfléchir,  mais  aussi  pour  réveiller  nos 
propres  souvenirs,  car  nous  nous  trouvons  dans  la  même  arène,  et  le 
même  combat  nous  est  proposé.  » 

influence  probable  clans  cette  affaire.  Hist.  des  pcrséc,  p.  101  et  p.  421  en  note. 
M.  huruy,  Hist.  rom.,  t.  IV,  p.  52,  est  dii  même  avis.  VVieseler,  loc.  cit.,  p.  11,  fait  remar- 
quer de  plus,  d'après  Tacite,  qu'elle  formait  avec  le  préfet  du  prétoire  le  cabinet 
secret  de  l'empereur  :  Poppa-a  et  Tigellino  coram,  quod  erat  sa;vienti  principi 
intimum  consiliorum.  Ann.,  1.  XV,  c.  lxi. 

(1)  L'éplire  de  saint  Cléme.nt  df.  Homf.  aux  Corinthiens,  qui  fut  écrite,  ainsi  que 
nous  le  verrons,  en  l'année  96. 


—  17  — 

Quelle  était  cette  jalousie  dont  saint  Clément  de  Rome  parlait  aux 
Corinthiens  (1)  ?  Evidemment  c'était  celle  des  Juifs;  eux  seuls,  comme 
on  le  voit  par  les  Actes  et  les  Épitres,  ont  ainsi  maltraité  saint 
Paul  (2).  Voltaire  les  soupçonne  même  d'avoir  fourni  à  l'accusation 
d'incendie  la  direction  qu'elle  prit  en  effet,  et  il  ajoute  (3)  :  a  II  était 
aussi  injuste  d'imputer  cet  accident  aux  chrétiens  qu'à  l'empereur;  ni 
lui,  ni  les  chrétiens,  ni  les  Juifs  n'avaient  intérêt  à  brûler  Rome;  mais 
il  fallait  apaiser  le  peuple  qui  se  soulevait  contre  des  étrangers  égale- 
ment haïs  des  Romains  et  des  Juifs.  On  abandonna  quelques  infortu- 
nés à  la  vengeance  publique.  Il  semble  qu'on  n'aurait  pas  dû  compter 
parmi  les  persécutions  faites  à  leur  foi  cette  violence  passagère.  Elle 
n'avait  rien  de  commun  avec  leur  religion  qu'on  ne  connaissait  pas  et 
que  les  Romains  confondaient  avec  le  judaïsme,  protégé  par  les  lois 
autant  que  méprisé.  « 

Ce  jugement,  qui  repose  sur  un  fond  de  vérité,  se  ressent  de  la  légè- 
reté de  l'auteur,  et  trahit  une  préoccupation  insolite  chez  lui,  celle  de 
prendre  la  défense  du  bourreau  contre  les  victimes;  mais  Tacite  est  ici 
d'accord  avec  saint  Clément  pour  le  rectifier.  «  Les  exécutions,  dit-il, 
étaient  accompagnées  de  divertissements  (4)  :  on  couvrait  les  uns  de 
peaux  de  bêtes  afin  de  les  faire  dévorer  par  des  chiens,  d'autres  étaient 
mis  en  croix,  d'autres  enfin  étaient  rendus  inflammables,  et,  à  la  fin 
du  jour,  devaient  brûler  pour  éclairer  la  nuit.  Néron  avait  ouvert 
ses  jardins  pour  cette  représentation,  et  il  donnait  des  jeux  dans  le  cir- 
que (voisin)  (5),  où,  vêtu  en  cocher,  il  se  mêlait  à  la  foule  ou  se  tenait 


(1)  /'<:  El).,  c.  V  cl  VI  :  Aâ6a)|Jcv  Ty;ç  yzveài  Y)!j.ôJvTà  yevvat'a  Û7ro5£{y(i.ara.  Atà  ^f,).o'/  xai 
fOôvov  oi  jj.ÉYfjTot  xal  ôixaiôxaToi  aT'J)ot  iZKÙi-fjyr^n:*.-'!  xai  ïw;  OaviToy  rfi^riGcnv,  xt),.  Edi(. 
Funk,  p.  66. 

(2)  Cf. /Ich's,  c.  i\',  V.  25,  30;  xiii,  50;  xiv,  5,  18;  //"  Ep.  aux  Corinlhuns,  c.  xi, 
V.  24-26. 

(3)  Essai  sur  les  mœurs,  c.  viti,   De  l' Italie  ei  de  l'Église  ;  cité  par  Ovf.ubiîCK,  p.  98. 

(i)  L'histoire  de  Dircé  et  celle  des  Danaïdes  devaient  être  fifïiirées.  —  Tvc, /ot-.oV.; 
Et  pereiintihus  addita  hulibria,  lit  ferariiin  terjjis  contecti  laniatu  cauiiin  inlc- 
rireiit,  aiit  crucil)iis  affixi,  aiil  flaniiiiandi,  atqiie,  iibi  defecissct  dies,  in  «suin  noc- 
turni  himinis  urerentur.  Ilortos  snos  ei  spectaculo  Nero  obUilerat  et  circense 
hidicruin  edel;at,  liabitu  anriiïcT  perinixtiis  plei)i,  vel  curricnlo  insistens. 

(5)  Les  jardins  et  le  cirqne  se  trouvaient  sur  les  pentes  de  la  colline  du  Vatican  ; 
ce  sont  aujourd'hui  les  jardins  dont  l'usage  a  été  laissé  au  Pape,  et  la  colonnade  de 
Saint-Pierre. 


sur  sou  char.  Si  bien  que  ces  cninincls,  qui  méritaient  les  derniers  chà- 
timeuts,  ne  laissaient  pas  d'exciter  la  pitié',  comme  si  c'e'tait  moins  en 
vue  du  bien  général  que  par  la  fantaisie  sanguinaire  d'un  seul  qu'on 
les  exterminait.  "  Voilà  pour  la  part  personnelle  de  l'empereur;  mais 
Voltaire  a  raison  de  ne  pas  lui  attribuer  toute  la  responsabilité,  car  de 
même  que  la  jalousie  des  jdiarisiens  de  Jérusalem  avait  trouvé  un  com- 
plice dans  le  faible  Pilate,  de  même  la  jalousie  de  la  synagogue  de 
Rome  trouva  un  complice  dans  le  cruel  Néron,  et  les  Juifs  ont,  selon 
l'énergique  expression  de  Bossuet  (1),  immolé  saint  Pierre  et  saint 
Paul  par  le  glaive  et  les  mains  des  gentils. 

Cependant  les  disciples  français  et  allemands  de  l'école  de  Baur 
voudraient  que  ce  fut  saint  Pierre,  ou  son  parti,  qui  eût  immolé  saint 
Paul.  En  effet,  d'après  eux,  la  communauté  chrétienne  fondée  à  Rome 
resta  à  l'origine  attachée  aux  pratiques  judaïques,  et  lorsque  l'apôtre 
saint  Paul  y  vint  plus  tard  prêcher  l'affranchissement  de  la  loi,  il  y  trouva 
des  ennemis  aussi  acharnés  qu'à  Jérusalem.  Partout  où  le  roman  clé- 
mentin  montre  Simon  le  Magicien  poursuivi  par  saint  Pierre,  ces  criti- 
ques veulent  substituer  le  nom  de  saint  Paul(2j.  Du  reste,  ils  ont  soin 
de  couronner  leur  système  par  une  réconciliation  posthume  des  deux 
apôtres.  Mais,  en  58,  saint  Paul,  écrivant  aux  Romains,  s'adressait  à 
des  chrétiens  qui,  sans  l'avoir  jamais  vu,  étaient  en  parfaite  communion 
d'idées  avec  lui.  En  02,  il  se  plaint  que  quelques-uns  profitent  de  sa 
captivité  pour  prêcher  l'Evangile  par  esprit  de  contestation,  mais  pour- 
quoi ferait-il  là  allusion  à  saint  Pierre  plutôt  qu'à  des  prédicateurs  sans 
mission  (3),  comme  ceux  qui  avaient  troublé  naguère  l'Eglise  d'An- 
tioche?  D'ailleurs,  le  témoignage  de  saint  Clément,  ainsi  que  le  fait 

il)  Discours  sur  riiisioiie  unii-erscllc,  cleuxiùiiie  partie,  S  viii. 

(il  Ils  prcHent  à  rÉfjlise  de  Home  des  tendances  judéo-clirétiennes  sur  la  foi  d'un 
seul  passaye  de  VEpiire  aux  l'hitippiens,  c.  I,  V.  16  :  01  (jÈv  i%  èpiOsta;  tôv  XpiuTov 
xaTayYÉX/oyjiv  où-/  ôtyvw;,  cilô[j.£voi  6),î(j>tv  cTtiçc'peiv  xotç  6£(7|j.oï;  [xom. 

(3)  Saint  Paul,  dans  son  Kp.  aux  Calâtes,  c.  n,  v.  12,  les  nomme  ^  xivà;  àTco 
'laxwoou  »,  mais  ils  n'avaient  pas  été  envoyés  par  lÉylise  de  Jérusalem.  Actes, 
c.  XV,  V.  24  :  ïivÈ;  è;  r,|j.(j)v  îU'Oovte;  £Tif.a:av  b[>i:  ).ÔYOt;.  .  .  ol;  où  ôieuTci) iixsôa. 
Quant  à  la  prétendue  dissension  entre  saint  Jacques  et  saint  Paul,  YEpttrc  du  pre- 
mier, c.  ii,v.  17, relève  seulement  une  fausse  interpr.naiion  d'un  passage  de  VKpitre 
du  second  aux  livmains,  c.  m.  V.  28,  où  il  esl  parlé  des  ouvres  mosaïques  et  non 
désœuvrés  charitables.    Cf.   Kp.  uus  Gulatcs,  c.  \,  v.  G  :  IIIcti?  6i"  iyàTtï-iî  èveoyûuti.ivr,. 


—  19  — 

remarquer  M.  l'abbe'  Duchesne  (1),  est  de'cisif,  puisqu'il  nous  montre 
saint  Paul  comme  saint  Pierre  victimes  de  la  mêmejalousie. 

Furent-ils  enveloppe's  tous  deux  dans  le  massacre  qui  suivit  immé- 
diatement l'incendie?  M.  Aube'  se  croit  force'  de  l'admettre (2;,  à  cause 
du  texte  que  nous  avons  cite'.  C'est  tirer  une  conclusion  trop  rigoureuse 
d'un  simple  rapprochement  dans  une  e'nurae'ration  de'monstrative.  Le 
même  texte,  au  contraii'e,  nous  oblige  à  retarder  le  martyre  de  saint 
Paul,  car  il  affirme  expressément  le  voyage  en  Espagne  (3),  dont  l'apô- 
tre formait  déjà  le  projet  dans  l'Epître  aux  Romains  (4),  et  qui  ne  peut 
se  placer  qu'à  la  fin  de  sa  première  captivité.  Nous  avons  vu  aussi  qu'il 
se  proposait  de  retourner  en  Macédoine  dès  qu'il  serait  libéré,  et  tout 
donne  à  penser  qu'il  était  absent  de  Rome  en  64.  Lorsqu'il  revint, 
peut-être  deux  ans  après,  il  suffisait  qu'il  y  eût  encore  des  Juifs  dans 
le  Transtevère  pour  qu'il  y  trouvât  des  accusateurs. 

Quant  à  saint  Pierre,  une  ancienne  tradition,  remontant  au  moins  à 
la  fin  du  deuxième  siècle,  puisqu'elle  est  mentionnée  par  Origène  (5),  le 
représente  s' éloignant  de  la  ville  pendant  la  persécution,  et  ramené,  par 
la  vision  de  Jésus  portant  sa  croix,  à  la  mort  qui  lui  était  réservée.  Ce 
qu'il  y  a  d'incontestable,  c'est  sa  présence  dans  la  capitale  de  l'empire, 
jtuisque  son  martyre  était  de  ceux  dont,  à  peine  trente  ans  plus  tard, 
l'Eglise  de  Rome  se  glorifiait,  tandis  que  jamais  aucune  autre  église, 
même  rivale,  n'a  seulement  songé  à  le  revendiquer.  Ainsi  il  est  fait, 
sans  indication  de  lieu,  allusion  à  son  genre  de  supplice  dans  l'Evan- 
gile de  saint  Jean  (6)  rédigé  àEphèse,  centre  delà  tradition  asiatique. 
La  tradition  syrienne,  par  la  bouche  de  saint  Ignace,  évêque  d'An- 
tioche,  de  la  ville  où,  comme  le  remarque  M.  Aube,  saint  Pieri-e  appa- 
raît pour  la  dernière  fois  dans  l'histoire,  place  cet  apôtre  à  côté  de 


(1)  Bévue  du  monde  catholique,  10  juin  1877. 

(2)  Hist.  dcsperséc.,  p   127. 

(3)  /"  Ep.  de  sailli  Clément,  c.  V  :  'Ettî  tô  TÉpfjia  tïjç;  ôu(J£w;  è),6wv. 

(4)  Ep.  aux  Romains,  c.  xv,  V.  28  :  'A7:£),£Û<T0(J.at  ôt'  Op-ôiv  sîç  ttjv  'IdTraviav. 

(5)  Comm.  sur  l'Ev.  de  saint  Jean,  t.  XX,  C.  xii.  Il  s'appuie  sur  les  «  ITpà^Et; 
nau)ou« ,  écrit  hérétique  très-ancien,  qu'Eusèl)e  cite(iï.  e.,  1.  m,  c,  xxv)  comme  étant 
apocryphe,  quoique  lu  dans  certaines  églises. 

(6)  Sai.xt  Jean,  c.  xxi,  v.  19.  —  La  1"  EpUre  de  saint  Pierre  est  datée  de  Babylone 
ce  que  V Apocalypse  nous  apprend  à  traduire  par  Rome. 

2. 


—  20  — 

saint  l'aul  à  Rome  (Ij.  Saint  Denys,  ëvéquede  Corinthe,  dans  sa  lettre 
au  pape  Soter,  vers  170,  ne  les  sépare  pas  davantage  (2).  Enfin 
saint  Ire'ne'e,  e'vêque  de  Lyon,  en  180,  insiste  sur  ce  qu'ils  sont  tous 
deux  les  fondateurs  du  sie'ge  même  de  l'orthodoxie  (3). 

Depuis,  le  consentement  universel  n'a  pas  e'të  interromj)u,  et  tou- 
jours, comme  au  temi)s  de  Caïus  (^),  les  tombeaux  de  saint  Pierre  et 
saint  Paul  sont  restés  la  barrière  [ad  Umina  apostolorum)  contre  la- 
quelle viennent  se  heurter  toutes  les  hérésies,  grâce  à  la  fidélité  de 
l'Église  romaine  à  conserver  la  mémoire  du  magnifique  exem})le  laissé 
chez  elle  par  la  prédication  et  le  martyre  de  ses  apôtres (5). 

Nul  doute  que  les  événements  qui  suivirent  le  désastre  du  11)  juil- 
let 64  n'aient  eu  un  grand  retentissement  dans  tout  l'Empire;  mais 
u'eurent-ils  pas  aussi  des  conséquences  jdus  durables?  Voyons  si  leur 
contre-coup  ne  devait  pas  continuer  à  faire  des  victimes.  INI.  Aube 
admet  qu'ils  furent  d'un  exemple  fâcheux  à  l'égard  des  provinces, 
sans  toutefois  créer  un  précédent  de  droit:  «En  fait,  dit-il,  dans  l'Asie 
proconsulaire  (6),  le  sang  des  chrétiens  fut  largement  répandu  >; ,  mais 
il  se  refuse  à  imaginer  des  décrets  spéciaux  émanés  du  pouvoir  central. 
Cependant,  d'après  le  même  auteur,  Néron  avait  comme  décrété  la 
culpabilité  des  chrétiens  de  la  capitale,  et  l'incendie  de  Rome  lui  fut 
un  prétexte  de  sévir  administrativement(7). 


(1)  Ep.  rie  saint  lijnace  aux  Romains,  c.  IV,  3  :  Oùy^  w;  IlÉTpoî  xal  naù),oç  SiatâiJdO- 
|jiai  OfAîv,  èxtïvoi  ànouTo/oi,  èyw  xaxâxpiTo;.  Ed.  Funk,  p.  218. 

(2)  H.  e.  dEusÈBE,  I.  II,  c.  xxv,  8  :  'Oixoto);  Ssjxal  £1;  Trjv  ^'Ita/i'av  Ô[xoit£  ôiôàïavxe; 
è[j.aj;n)pr|i7av  xarà  tôv  aÙTOv  xaisôv. 

(3)  Saint  Irkmîe.  /idv.  hœr.,  I.  III,  c.  111  :  Maxiina-,  et  aiitiqiiissim<T,  et  oiniiil)us 
coî^nilae,  a  }îloriosissiniis  duobiis  apostolis  Peiro  et  Paiilo  hoiiKT  fiindala'  et  consli- 
lula- Erclesia' cain  qiiam  liabet  al)  apostolis  traditionein.  et  aiiiiiiiitiatani  homiiiibus 
fidem  pcr  successioiics  episcoporiiiii  pervenieiiteiii  iisque  ad  nos  iiuiicaiites,  coiifun- 
diiiius  omiics  eos  qui,  etc. 

(4)  H.  e.,  loc.  cit.  Sa  lettre  au  inontaiiisie  Proelus  est  de  la  fiu  du  deuxième  siècle  : 
'Eàv  yàp  {)z).r,nriC  àTiÊ/.Oeïv  £7:1  tov  liaTtxavèv,  7^  inl  ttiv  o&ov  rriv  'iiaTÎa'^  £'jpri<îci;  xà 
xpÔTraia  tùv  Tav-/iv  !ûpûcra[jL£vwv  xr)-/  £zx).r,(T£av.  (V^oir  l'appendice  sur  le  cimetière 
du  Vatican  et  la  chaire  de  Saint-Pierre.) 

(ù)  J"  Ej).  saint  C'icm.,  c.  vi  :  To'Jxoiç  xoï;  àv5pac7iv  ÔTitoç  7To),iT£\j(Ta(x£voi;  ffuvYiOpoîdOrj 
7to).ù  7r).jj6oç...  OTtoÔEiYtia  xâ^iTTOv  Èyévovio  èv  r|(AÏv.  E;d.  Funk,  p.  68. 

(6)  Le  nom  d'un  martyr  de  Pergame  est  resté  dans  Y  Apocalypse ,  c.  11,  v.  13  : 
'AvxÎTra;  ô  (j.âpTu;  |j.oy  ô  Tiicxo;  ô;  airExxâvOr,  Ttap'  Op.ïv.  Cf.  Teut.,  Scorp.,  c.  xii. 

(7)  Hist.  despcrséc,  p.  110,  120  et  104.  Cette  contradiction  a  été  aussi  relevée  par 


—  21   — 

L'opinion  d'Overbeck  est  plus  catëg^orique.  Selon  lui,  l'entreprise 
de  Néron  contre  les  chrétiens  a  été  entièrement  localisée  dans  son 
origine  et  dans  ses  limites,  et  ne  décide  absolument  rien  par  elle-même 
quant  à  la  situation  qui  sera  faite  désormais  au  christianisme  dans 
l'Empire  (1). 

11  s'autorise  de  Tertullien  pour  restreindre  à  Rome  la  persécution; 
mais  dans  le  passage  qu'il  cite,  les  martyrs  de  cette  ville  sont  simple- 
ment opposés  à  ceux  de  Jérusalem (2),  et  là,  comme  dans  un  autre 
passage,  Tertullien  tient  surtout  à  invoquer  la  foi  des  historiens  profanes 
qui  avaient  mentionné  les  événements  dont  la  capitale  avait  été  le 
théâtre.  S'il  ne  fallait  pas  s'interdire  de  demander  au  fougueux  Africain 
une  trop  grande  précision,  celui-ci  semblerait,  au  contraire,  croire  à 
une  proscription  aussi  générale  que  le  comportait  l'application  des  lois 
existantes.  Tel  est  aussi,  comme  nous  l'avons  dit,  le  système  de  Wiese- 
1er (3),  qui  estime  que  déjà, à  cette  époque,  les  chrétiens  formaient  aux 
yeux  de  l'État  une  société  distincte.  11  s'appuie  sur  le  t^xte  de  Sué- 
tone, lequel  rapporte  la  répression  de  leur  "  secte  nouvelle  et  malfai- 
sante (4)  '  ;  toutefois,  les  termes  dont  se  sert  l'historien  latin  n'auto- 
risent pas  à  la  classer,  comme  voudrait  l'auteur  allemand,  parmi  les 
associations  non  reconnues,  mais  la  font  plutôt  rentrer  dans  le  nombre 
des  religions  étrangères,  qui  depuis  longtemps  pullulaient  à  Rome,  et 
qui,  en  effet,  avaient  été  l'objet  de  lois  très-sévères  (5). 

Fr.  GÔRRES,  p.  273-276   de   son    article,  Antiijas   von    Pcrgavium,  dans  Hl/f/en/ehis   Znl- 
schri/t,  1878;  lui,  pour  la  lof^ique  du  système,  supprime  ce  marlyr. 

(1)  Loc.  cil.,  p.  97:  Ist  durchaus  local  veranlassl  yewesen  und  local  heschninli 
{jeblieben,  und  entsclieidet  iiber  die  stellung,  wclclie  das  Chrislenllnim  im  Reiclie 
einnehinen  sollle,  an  sich  selbst  durchaus  nicht.  - 

(2)  Scoiy.yC.  XV  :  Et  si  fidem  commentarii  voluerit  ha^relicus,  instrumenta  im- 
perii  loquentur  ut  lapides  Jérusalem,  cl  Apologet.,  c.  v  :  Consulile  commentarios 
veslros  :  illic  reperietis,  etc. 

(3)  Die  Chrisienverfolgungen,  p.  8:  Dass  cs  beim  Eintritt  der  Neronisclien  Verfol- 
{jung  nocli  keine  speciell  auf  die  Christen  bezusjiichen  gesetzlichen  Bestimmungen 
•gab.  Im  Allgemeinen  fielen  die  christen  indess  unter  das  (Jesetz  iiber  die  lollegia.  » 

(4j  Xer.  rit.,  c.  xvi  :  AfHicti  suppliciis  christiani,  genus  hominum  superstitionis 
novae  ac  maleficae.  —  C'est  ce  que,  cent  ans  après,  on  disait  des  chrétiens  de  Lyon  : 
?£vr|V  Ttva  /.ai  xxtvr)v  r,(j.îv  Etaây'J'-"^'-  0[>viT/.£tav,  H.  e.,  1.  V,  C.  CLXiii;  et  Galère,  dans 
redit  de  313,  qui  mettait  fin  à  la  persécution,  répétait  encore  la  même  chose  :  [,\c- 
TANCE,  De  mort,  persic.,  c.  xxxiv. 

(5)  Voici  les  vieux  textes  conservés  dans  Cicéuon,  De  kg.,  1   H,  c.  viii  :  Separaliin 


—  22  — 

Tour  se  rendre  compte  de  la  rigpueiir  avec  laquelle  on  appliquait  ces 
lois,  à  l'époque  où  nous  sommes,  nous  ne  pouvons,  ce  semble,  mieux 
faire  que  d'examiner  un  procès  intente'  peu  de  temps  auparavant,  et 
qui  portait  prëcise'ment  sur  ce  chef  d'accusation. 

jNous  savons  par  Tacited)  qu'une  femme  de  ranfj  se'natorial,  Pom- 
ponia  Gra^cina,  mariée  au  vainqueur  de  la  Grande-Bretagne,  T.  Aulus 
Plautius,  fut  dénoncée  comme  professant  un  culte  étranger  et  remise, 
suivant  l'antique  usage,  au  jugement  de  son  mari  assisté  de  ses  pro- 
ches. Sa  réputation,  sa  vie  étaient  enjeu;  mais  elle  fut  acquittée.  Ceci 
se  passait  en  l'année  58.  Cette  Pomponia  vécut,  au  dire  du  même  his- 
torien, dans  une  perpétuelle  mélancolie  jusqu'en  84.  Pendant  quarante 
ans,  depuis  la  mort  de  Julie,  fille  de  Drusus,  elle  n'avait  point  quitté 
son  air  de  tristesse  et  ses  vêtements  de  deuil  (2).  De  telles  manières, 
jointes  à  des  pratiques  religieuses,  ont  été  souvent  considérées,  jusque 
dans  ces  derniers  temps,'comme  un  indice  de  christianisme  (3).  Mais 
cet  indice,  ]M.  Aube  demande  «  pour  qu'il  prenne  cité  dans  l'histoire 
et  ait  la  valeur  d'un  fait  (4)",  autre  chose  que  les  quelques  lignes  de 
Tacite.  Ses  vœux  sont  remplis  par  la  découverte  au  cimetière  de  Cal- 
liste  de  l'inscription  chrétienne  d'un  nOMn^NIOG  rPHKElN0G(5). 

nemohabessit  deos,  neve  novos  sive  advenas  nisi  publiée  adscitos  privatim  eolunto. 
Cf.  TiTE-LivE,  1.  XXV,  c.  I  :  Neii  quis  in  publieo  saerove  loeo  novo  aut  externo 
ritu  saerifiearet.  Ce  qui  aurait  Tair  de  ne  pas  interdire  le  culte  privé  des  divinités 
étrangères. 

(1)  Ann.,  1.  xin,  c.  XXXII  :  Et  Pomponia  Gra^cina,  insignis  feinina,  Plautio  qui 
ovans  se  Britanniis  retulit  nupta,  ac  superstitionis  externae  rea,  inariti  judicio  per- 
missa.  Isque  prisco  instituto,  propinquis  coram,  de  capite  famaqiie  conjugis  cogno- 
vit  et  insontem  iiuntiavit. 

(2)  "Avant  d'entrer  dans  notre  mission,  nous  di\mes  revêtir  l'habit  de  deuil  des 
nobles  Coréens...  parce  que,  en  Corée,  un  noble  en  deuil  ne  doit  être  vu  de  per- 
sonne. »  Lettre  du  30  sept.  1878,  dans  le  numéro  de  nov.  1879  des  Annales  de  la  pro- 
pagation de  la  foi. 

(3)  V.  après  la  dissertation  de  De  swctis,  sur  le  Sépulcre  de  Plautius  (Ravenne, 
1784),  la  réponse  à  FiufdL/ENDER,  De  Pomponia  Grœcina  superstitionis  exlernœ  rt-alKÔnigS- 
berjj,  18C8),  par  Wandingeb,  Pomponia  Grœcina  Munich,  1873)  M.  Di  UIIY,  qui  (t.  IV, 
p.  50  de  son  Hisi.  rom)  admet  qu'elle  •  était  probablement  aussi  chrétienne  ou 
juive  -,  écrit  en  note  à  la  p.  476,  t.  V  :  "  Je  ne  puis  partager  les  idées  de  M.  de 
Rossi  sur  l'importance  de  la  communauté  chrétienne  de  Rome  dès  le  temps  de  Né- 
ron, et  sur  ses  progrès  dans  la  noblesse  romaine.  On  ne  saurait  dire  que  Pomponia 
Grapcina  fiU  chrétienne.  ■ 

(4)  Hisl.  des perséc,  p.   18(. 

(5)  liomasolt.,  t.  Il,  pi.  XLix,  n"  27 


~  23  — 

Le  voisinage  d'autres  e'pitaphrs,  tant  païennes  que  chre'tiennes ,  de 
Pomponii  Bassi,  et  de  Cœcilii,  et  d'Attici,  qui  e'taient  allie's  aux  Pom- 
ponii,  donne  de  la  force  à  l'hypothèse,  antérieurement  proposée  sous 
toutes  re'serves(l)  par  M.  de  Rossi,  d'après  laquelle  le  surnom  de 
Lucine,  attache'  à  la  proprie'taire  du  terrain  où  le  cimetière  fut  creuse' 
sur  la  voie  Appienne,  aurait  e'te'  reçu  au  baptême  (cpwTi(7t/.a (2) ,  illumina- 
tion) par  Pomponia  Grœcina.  Sectatrice  d'Isis  et  de  Se'rapis,  Pomponia 
n'eût  guère  inspire'  les  soupçons.  La  de'nonciation  dont  elle  fut  l'objet, 
et  qui  ne  semble  pas,  à  en  croire  Tacite,  provenir  de  la  famille,  non 
plus  que  du  mari  (3),  ainsi  que  le  fait  s'est  pre'sente'  cent  ans  après,  du 
temps  de  saint  Justin,  a  pu  être  l'œuvre  de  quelque  affranchi  juif  irrité 
de  sa  conversion.  Aussi  croyons-nous  devoir  rapprocher  le  texte  cité 
plus  haut,  où  saint  Clément  (4),  parlant  des  fâcheux  effets  de  la  jalousie 
des  Juifs,  signale  le  trouble  qu'elle  avait  causé  dans  certaines  familles, 
en  aliénant,  dit-il,  des  épouses  à  leurs  maris.  Quoi  qu'il  en  soit,  Pom- 
ponia Grœcina  sortit  indemne  de  son  procès.  Pourquoi  fut-elle  ac- 
quittée? Comme  la  suite  nous  montre  bien  qu'elle  ne  changea  pas  de 
vie,  il  paraît  que  Plautius  ne  trouva  pas  la  conduite  de  sa  femme  cou- 
pable; telle  n'eût  pas  été  sa  sentence,  si  les  anciennes  lois  contre  les 
cultes  étrangers  avaient  conservé  toute  leur  vigueur,  et  rien  n'indique 
que  Néron  les  ait  jamais  fait  revivre. 

Mais,  à  défaut  de  textes  spéciaux,  comme  dans  cette  circonstance 
le  gouvernement  romain  avait  à  son  service  cette  arme  de  tous  les 
gouvernements,  la  raison  d'Etat,  que  Tacite  nomme  utilitaa  puhlica, 
Wieseler  croit  trouver  dans  les  paroles  de  l'historien  un  nouvel  argu- 
ment en  sa  faveur,  lorsque  celui-ci  impute  aux  chrétiens,  non  des 
actes  définis  par  une  loi,  mais  des  crimes  compromettant  l'ordre  public. 


1}  Roma  sott,,  t.  I,  p.  319.  Cf.  t.  lU,  p.  467. 

(2)  Clément  d'Alexandrie,  Po?d.,  1.  I,  c.  vi,  §  26.  Cf.  Svint  Jlstin,  l"  Apol.,  c.  lxiii, 
p.  168  de  réd.  Otto  :  ô  çtuti^ôfj.îvo;  Ào-JeTott. 

(3)  //«  Apol.,  c.  II,  éd.  Otto,  p.  198.  Dans  ce  cas  comme  dans  l'autre,  la  dénonciation 
ne  fut  pas  suivie  d'effet,  mais  pour  un  motif  différent.  La  femme  accusée  de  chris- 
tianisme en  160  par  son  mari  demanda,  avant  d'être  jup,ée,  à  exercer  les  reprises 
dotales  auxquelles  elle  avait  droit,  comme  séparée  de  corps  et  de  bien  :  to  ),£y6[ievov 
TTap' ûiJ.Tv  psTtoùôtov  ôoOffa  ê}(fop((76Yi . 

(4)  I'^  Ep.,  c.  VI  :  Zri).oi;  âuYi».0Tpîw(T£v  yaïAîTà;  àvôpôiv.  Ed.  Funk,  E.  70. 


-    21  — 

entre  autres  le  flag^rant  délit  de  haine  du  genre  humain  (1).  Ce  dernier 
grief  ne  leur  est  cependant  pas  particulier,  et  après  saint  Paul,  Tacite 
l'avait  déjà  dénoncé  ailleurs,  comme  caractéristique  des  Juifs  (2j. 
Aussi  n'y  a-t-il  là  qu'une  preuve  de  la  confusion  des  tendances  juives 
et  chrétiennes  dans  l'idée  de  la  jdupart  des  contemporains.  Seulement, 
comme  pour  l'instant  on  faisait  moins  des  procès  de  tendances  que  des 
exécutions  sommaires,  les  Juifs  avaient  une  garantie  individuelle 
qu  eux  seuls  pouvaient  invoquer,  leur  nom  même  reconnu  par  l'auto- 
rité, et  nulle  part  on  ne  voit  qu'ils  aient  été  impliquée  dans  les  sup- 
plices des  chrétiens.  Les  chrétiens,  eux,  n'avaient  aucune  qualification 
légale,  ni  bonne  ni  mauvaise,  a  l'origine.  Lorsqu'ils  lurent  poursuivis, 
la  procédure,  d'après  Tacite,  se  borna  à  obtenir  un  aveu  ;  après  tout, 
on  ne  leur  demanda  ni  s'ils  avaient  brûlé  Rome,  ni  s'ils  haïssaient  le 
genre  humain,  mais  simplement  s'ils  étaient  chrétiens.  Fatehanlur, 
voilà  leur  crime  fondé  sur  le  caprice  cruel  du  prince  et  les  calomnies 
perfides  des  Juifs.  Ces  calomnies  et  ce  caprice  cessèrent-ils  avec  l'oc- 
casion qui  leur  avait  servi  de  prétexte?  Ainsi  se  pose  en  résumé  la  ques- 
tion. D'abord,  il  serait  inouï  qu'il  n'en  fut  pas  resté  quelque  chose. 
Ensuite,  Suétone  ne  rattache  nullement  la  persécution  des  chrétiens  à 
l'incendie  de  Rome;  il  en  parle,  au  contraire,  parmi  les  institutions  du 
règne  de  Néron,  et  Ruinart  a  raison  d'insister  sur  ce  point  (3).  D'un 
autre  côté,  Sulpice  Sévère,  qui,  à  la  fin  du  quatrième  siècle,  se  servait 
d'un  exemplaiie  complet  de  Tacite,  après  le  passage  relatif  aux  sup- 
plices où  il  le  copie  (4),  ajoute  :  Hoc  initio  in  christianos  sœvirl  cœp- 
tum.  Post  etiam  datis  legibus  relifjio  vctahatur  :  palamque  edictis 
propoaitis,  christUnuim  esse  non  licehat.  Tum  Pauhis  ac  Petrus  ca- 

(1)  Jy/».,  1.  XV,  c.  M.iv  :  Taiiquj'iii  non  nlilil:ile  pul)lica  aljsnnurentiir...  liaud 
perinde  in  criinine  incendii  qnain  odio  liuniani  ijeneris  convicti  siint. 

(2j  Hisi.,  I.  V,  c.  V  :  Apud  ipsos  fides  ()l)stinata,  misericordia  in  promptu,  sed 
adversus  omnes  alios  hostile  odiuni.  —  /'*  Ef.  nm  Tlusmlonicivns,  c.  ii,  v.  15  :  Kai 

(3)  Prœfalio  grneralis  in  Acta  mnrhjrum,  ^  lU,  26  (éd.  de  Ratisbonne,  1859).  C'est  du 
reste  l'expression  même  dont  se  sert  Tr:nTt;Li,iEN,  .idnai.,  \.  \,  c.  vu  :  Et  tamen  per- 
mansit,  erasis  oninil)us,  hoc  solnm  institntiim  Neroniannm. 

(4)  «  Ca'terum  illnd  non  pii-jeljit  faleri  me  ..  nsnm  esse  historicis  elhnicis,  afque 
ex  his,  qu.T  ad  snpplementum  cof^nitionis  deerani  iisnrpasse  »,  di(-il  au  dél)uf  dn 

livre  \"  de  sa  Chronique. 


—  25  — 

pitis  damna ti;  quorum  uni  cervix  gladio  dcsecta,  Petrus  in  crucem 
suhlatus  est[\). 

Il  est  difficile  de  comprendre  ce  texte,  avec  Overbeck,  comme  se'pa- 
rant  la  perse'cution  de  Ne'ron  de  celles  de  ses  successeurs.  Le  sens 
obvie  est  que  les  exe'cutions,  ordonne'es  d'abord  arbitrairement  par 
l'Empereur,  s'effectuèrent  ensuite  d'après  un  ordre  constant,  et  qu'à 
cette  seconde  pe'riode  appartient  la  mort  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Paul.  Nous  ne  pre'tendons  pas  que  les  apôtres  fussent  nomme's  dans 
Tacite;  mais  nous  voulons  faire  remarquer  que  si  Sulpice  Se'vère 
parle  d'une  mesure  plus  géne'rale,  rien  ne  nous  prouve  qu'il  n'a  pas  em- 
prunté ce  renseignement  à  l'historien  profane  (2),  car  depuis  le  milieu 
del'anne'e  67  jusqu'au  9  juin  08  les  manuscrits  des  Annales  nous  font 
de'fant.  Etant  admis  que  le  mot  d'e'dit  est  impropre  en  cette  occasion, 
encore  faut-il  savoir  jusqu'où  pouvaient  s'étendre  les  mesures  admi- 
nistratives, et  si  la  police  impériale  n'avait  aucune  ramifications  en 
dehors  de  la  circonscription  urbaine  (3).  Oi'  du  préfet  du  prétoire 
dépendaient  des  agents  secrets  dans  tout  l'empire  (4);  c'était  un  in- 
strument tout  indiqué  contre  les  chrétiens.  11  fut  naturellement  mis  en 
action  là  surtout  où  ceux-ci  étaient  plus  nombreux,  en  Asie,  par 
exemple.  A  quelle  marque  devait-on  reconnaître  ces  coupables  signalés 
aux  recherches?  Il  n'y  en  avait  qu'une,  le  nom  même  qu'ils  se  don- 
naient. Paul  Orose,  malgré  son  exagération  notoire,  ne  semble  pas 


(1)  Chiou.,  I.  n,  C.  XXIX. 

(2)  Est-ce  Tacite  que  Tertiillien  avait  lu?  Scoip.,  c.  xv  :  Vitas  Caesaruin  lej^imus  , 
orienteui  fidem  Koma^primus  Nero  cruentavit.  Tune  Petrus  ah  altero  cin;;itur.  Tuuc 
Paulus,  etc. 

(3)  On  n'ignore  pas  que  la  juridiction  criminelle  en  Italie  appartenait  au  préfet 
de  la  ville  jusqu'au  centième  mille  de  Home  {f)i</.,  liv.  I,  lit.  XII,  frag.  i,  §  4i,  et  au 
delà  au  préfet  du  prétoire. 

(4)  Epictète,  qui  vécut  à  Rome  s  .us  Néron  et  sous  Domitien,  témoigne,  Diss., 
1.  IV,  c.  xm,  5,  que  des  soldais  habillés  en  l)ouri',eois  (sv  a^^rjuan  iouotixw)  servaient 
d'agents  provocateurs.  Les  milites  frumeiUarii  sont  connus.  M.  Dksjardins,  Mém.  de 
l'Acad.  des  inscr.,  t.  XXVIII,  If  part.,  p.  278, ne  met  pas  en  doute  •  que  ces  peregrini, 
devenus  a\n&\  fiuincntarii,  après  un  séjour  plus  ou  moins  long  à  Rome,  fussent  en- 
voyés ensuite  dans  les  provinces  avec  un  service  de  police  >.  Philostr.vte,  lie 
d'Apollonius,  1.  IV,  C  xLiii,  dit  du  préfet  du  prétoire  de  Néron,  Tigeilinus  : 
IlEpiriOpîi  Tcàcriv  ôî^Qa).[J.ot;  ôuôaoi;  r,  àp;^/]  p>é7:£t.  Cf.  I)io\  C\s.sii;s,  1.  LU,  c.  xxxvii  ; 
mais  l'empereur  Caracalla  fit  relever  de  lui  seul  :  xoù;  çTpaTiwTa;  wTazouorToOvTa; 
T£  xat  SiouTEÛovxai;.  Ibid.,  1.  LXXVII,  c.  xvii. 


—  2G  — 

s'ëloignei'  de  la  vëritë  lorsqu'il  fait  porter  la  persécution  sur  le  nom 
chrétien  (1).  Et  c'est  ce  qu'exprime  naïvement  lîermas  quand,  dësi- 
{j^nant  dans  une  de  ses  visions  les  martyrs,  il  demande  (2)  :  «  Qu'ont- 
ils  eu  à  supporter?  Écoute,  lui  est-il  rëpondu  :  le  fouet,  la  prison,  les 
tribulations  les  plus  grandes,  la  croix,  les  bêtes  féroces,  voilà  ce 
qu'ils  ont  souffert  à  cause  du  nom;  voilà  pourquoi  la  droite  leur 
appartient  dans  la  gloire,  à  eux  et  à  quiconque  souffrira  à  cause  du 
nom;  la  gauche  est  pour  les  autres,  « 

Les  disciples,  du  reste,  en  avaient  été  prévenus  par  leur  Maître  (3)  : 
«  Alors  vous  serez  livrés  à  la  tribulation,  et  ils  vous  tueront,  et  tous 
les  peuples  vous  haïront  à  cause  de  mon  nom.  »  Ce  nom  s'est  retrouvé 
sur  une  muraille  à  Pompëi,  où  il  n'était  assurément  pas  pris  en  bonne 
part  (4)  ;  malheureusement  le  reste  {\\\grnf/ito  n'a  pu  être  déchiffré  d'une 
manière  certaine  (5).  On  a  fait  un  crime  à  M.  de  Rossi  de  voir,  par 
conjecture,  dans  cette  première  mention  des  chrétiens  par  une  main 
païenne,  un  écho  de  la  persécution  de  Néron  (G).  Cependant  l'Italie, 
qui  n'avait  pas  de  gouverneur,  n'était  pas  soumise  à  un  autre  régime 
que  celui  de  Rome,  et  l'on  sait  que  l'Empereur  fréquentait  en  parti- 
culier les  bords  du  golfe  deNaples.  D'ailleurs,  la  présence  constatée  à 
Pompëi  d'une  synagogue  influente  (7)  est  très-apte  à  expliquer  cette 
hostilité.  M.  Aube  est  d'avis,  il  est  vrai,  que  les  .hiifs  n'ont  eu  le 

(1)  Hht.,  1.  VU,  c.  vu  :  (Nero)  primus  Roin?e  christ ianos  suppliciis  et  niortil)iis 
affecit,  ac  per  omnes  provincias  pari  perseciilione  exrruciari  imperavit;  ipstimqiie 
nonien  exslirpare  conatus  beatissimos  Christi  apostolos,  Petriiin  criice,  l'aiiliim 
gladio  occidit. 

(2)  Past.,  lis.  IIi,  c.  II  ;  Tt,  çr|[x(,  ÛTtriveyxav  ;  axoue,  çriat'v  [xaaTi'yaç,  çy),ay.i?,  0).ii|/£t; 
|j.eYâ).aç,  ffraufoûî,  Or^pia  eïvexev  toO  ôvôfjiaTo;'  ô'.à  toûto  exei'vwv  ecttIv  xà  SëEià  \>.içy\  toO 
âY'XTI^XTo;  xxl  îî  Èàv  ;raOr)  Sià  ro  ôvojj.a'  twv  ôe  ).oitc(3v  xà  àp'.ijTEpà  [iépr,  Èaxîv.  Éd. 
Funk,  p.  35i. 

(3)  Saint  Matthieu,  c.  xxiv,  v.  9  :  Tôte  TtapaSwTOJTiv  ôiiâ;  eiç  6>.!i}/tv  xai  àiro- 
XTEvoOTtv  -jijiàç  x-^l  eireirOs  |iiiToû[j.Evot   Ottô  irâvTwv  twv  èOvwv  ôtà  tô  ôvofix  |xou. 

[\)  M.  DE  liossi,  liull..  l8Gi,  p  93,  dit  qu'à  lui  personnellement  il  ne  reste  aucun 
doute  à  cet  éfîard,  mais  il  ne  prétend  empêcher  qui  que  ce  soit  de  douter,  ainsi 
qu'à  tort  le  donne  à  entendre  M.  Aube,  Hist.  desperséc,  p.  il8,  en  note. 

(5)  Corp.  inscr.  lat.,  v.  iv,  n.  G79. 

(G)  Hu/l..  186Î.  p.  72,  et  ISGrj,  p.  93.  Cf.  le  mémoire  de  M.  Aiiu':  sur  la  Ugnlitc  duchns- 
linnisme  nu  premier  siècle,  présenté  à  l'Académie  des  inscriptions  en  I86G,  et  reproduit 
dans  Vf/i.st.  desperséc.,  p.  407-439. 

(7j  Kull.,  1864,  p.  70,  OÙ  est  cité  leprinceps  liberttnoriim  appuyant  une  candidature  à 

édilité. 


—  27  — 

pouvoir,  ni  peut-être  même  le  dessein  d'attirer  le  me'pris  et  Texe'cra- 
tion  publique  sur  les  chre'tiens  (1).  Mais  saint  Justin  affirme  le  con- 
traire quand  il  leur  reproche  d'avoir  envoyé' de  Je'rusalem  des  mes- 
sagers par  tonte  la  terre,  charge's  de  répéter  que  la  secte  chrétienne 
était  ennemie  des  dieux,  et  d'avoir  mis  en  circulation  les  accusations 
que  reproduisaient  contre  ses  membres  tous  ceux  qui  ne  la  connais- 
saient pas  ;  il  les  rend  ainsi  responsables,  non-seulement  de  leur 
propre  injustice,  mais  encore  de  celle  des  autres  hommes,  et  leur 
applique  cette  parole  tirée  d'Isaïe  :  C'est  par  vous  que  mon  nom  est 
blasphémé  chez  les  gentils  i2).  A  son  tour  Tertullien,  s' adressant  aux 
gentils  de  son  temps,  leur  cite  un  exemple  tout  récent  de  ces  calomnies 
dont  la  race  des  Juifs,  dit-il,  est  la  pépinière  (3). 

Pour  résumer  en  quelques  mots  l'impression  que  nous  laisse  la  per- 
sécution de  Aéron,  nous  répéterons  que  les  Juifs  ont  désigné  eux- 
mêmes  à  l'Empereur  les  victimes  sur  lesquelles  il  devait  exercer  sa 
cruauté,  sans  que  le  monde  officiel  eut  encore  appris  à  reconnaître 
dans  les  chrétiens  autre  chose  qu'une  secte  juive  mal  vue  de  leurs 
coreligionnaires.  Les  dernières  luttes  du  peuple  d'Israël  et  les  relations 
qui  naquirent  de  là  entre  les  vainqueurs  et  les  vaincus  laissèrent  appa- 
raître plus  nettement  la  distinction,  qui  ne  fut  complète  que  sous 
Domitien.  Mais,  outre  la  prise  de  Jérusalem  par  Titus,  nous  avons 
à  noter  deux  circonstances  importantes  pour  le  christianisme,  le  chan- 
gement de  dynastie  dans  la  personne  de  Vespasien,  et  la  conversion  à 
la  foi  nouvelle  de  plusieurs  membres  de  sa  famille.  Prenons  ces  trois 
faits  dans  leur  ordre  chronologique. 

L'année  C9  avait  vu  la  mort  des  trois  augustes  Galba,  Othon, 
Vitellius,  et  dans  la  prise  du  Capitole  qui  précéda  la  fin  de  ce  dernier, 
18-20  décembre,  périt  aussi  le  préfet  de  Rome,  T.  Flavius  Sabinus, 
qui  se  trouvait  avoir  déjà  occupé  la  même  charge,  lors  du  grand 
incendie  de  G4.  Tacite  nous  le  dépeint  comme  un  homme  doux,  ennemi 

(1)  Mémoire  cité,  p.  411. 

(2)  Dial.  c.    Tryh.,  c.  xvir,   éd.    Otto,   p.    62  :    Kat  otxaîw;  Poà  'Haa-'a;'  A-.'  ùaà;  tô 
ôvofjiâ  (J.OU  (iÀa(7;r,[j.îÏTat  èv  toi;  sÔvîti. 

(3)  Ad  nat.,  1.  I,  c.  XIV  :  Et  credidif  vulgus  .ludaeo  :  quod  enim  aliiid  genus  semi- 
narium  est  infamiae  nostrae? 


—  28  — 

des  exécutions  et  des  meurtres;  à  la  fin  de  sa  sa  vie,  dit-il,  quelques- 
uns  le  crurent  sans  courage,  le  plus  grand  nombre,  modère'  et  ménager 
du  sang  des  citoyens  (1).  Un  tel  homme  ne  paraissait  pas  fait  pour 
s'acharnera  la  persécution,  si  d'ailleurs  elle  n'avait  e'te' interrompue 
par  les  troubles  politiques.  Il  est  remarquable  que  nous  allons  ren- 
contrer des  chre'tiens  parmi  ses  descendants,  tandis  que  le  chef  de  la 
seconde  branche  flavienne,  son  propre  frère  Vespasien,  va  monter 
sur  le  trône. 

Tacite  (2),  Sue'tone  (3),  le  juif  Josèphe,  qui  justifie  son  nom  de 
Flavius  {4},  s'entendent  pour  montrer  dans  cet  e've'nementlare'alisation 
de  la  croyance  répandue  alors  en  Orient  que  des  hommes  partis  de  la 
Judée  devaient  conquérir  le  monde.  En  ce  temps  de  compétition 
politique,  les  aspirants  au  pouvoir  étaient  heureux  de  faire  tourner  à 
leur  profit  les  bruits  populaires.  Ainsi  ne  faut-il  pas  s'étonner  que 
Vespasien,  encore  simple  général,  ait  rendu  hommage  à  un  culte  local 
en  allant  sacrifier  sur  l'autel  du  mont  Carmel  (5)  au  moment  où  il  était 
chargé  de  châtier  les  Juifs  révoltés.  11  quitta  bientôt  l'armée  pour 
prendre  possession  du  pouvoir,  et  ses  flatteurs  crurent  donner  raison 
à  l'oracle.  En  partant,  il  laissait  à  son  fils  le  commandeuient  de  cette 
guerre,  qui  favorisa  indirectement  l'Église  chrétienne  par  l'anéantisse- 
ment de  la  nationalité  juive. 

Ce  fut  dans  l'automne  de  70  que  Titus  s'empara  de  Jérusalem. 


(1)  Hist.,  1.  III,  c.  Lxv  et  Lxxv  .  Miteni  virum  abhorrentem  a  san{;uine  et  caedi- 
bus.  —  In  fine  vitae  alii  segnein,  inulti  inoderatuni  et  civiiim  sanguinis  parcum  cre- 
didere. 

{2)  Hift.,  I.  V,  C.  XIII  :  Pluribus  persuasio  inerat,  antiquis  sacerdoliim  lilteris  con- 
tineri  eoipso  lenipore  fore  ut  valesceret  Oriens,  profeclique  .liida-a  reruiii  poliren- 
tur  :  qua-  ainliages  Vespasianiiiii  ac  Tiluin  pra'dixeral . 

(3)  l'espas.  vit.,  c.  IV  :  rercrel)iierat  Oriente  toto  velus  et  constans  opinio,  esse 
in  fatis  ut  eo  Icinpore  Juda'a  profecli  rerum  potirentur.  Id  de  iinperalorc  lioinano, 
quantum  pnslea  evenlu  paruit,  pra-diclum. 

{■i)  licll.  Jud.,  I.  VI,  c.  V,  4  :  'Ilv  XpriijjjLÔ;  àpL^i'ôo^o;  ôjjloîo);  bi  toï;  kooti  r|ûpr||j.£vo; 
Ypa!J.(j.a7iv  ôj;  xaià  tôv  xaipôv  èxetvov  kno  tyj;  x*^P«î  '^'î  aOtôiv  apEet  Tfj;  oixo-jp-Évr,;. 
'Eôvou  S'  apa  Ty;v  OÙEaTraffiav&O  tô  J.ôyiov  rjeiioviav  àTioOEiyOivTo;  £7tt  'loyÇaia;  avTO- 
xpâtof-o;. 

(5)  Tac,  Hist.,  \.  n,  c.  Lxxvm  :  Est  Judapam  inler  Syriamque  r.arnu'Iiis,  ita 
vocant  montem,  deumquc  :  nec  simulacrum  dco,  aut  tcmpluin,  sic  Iradidere  ma- 
jores, ara  taiilum  el  revcrentia.  Cf.  Slkt.,  l'espas.  vit.,  c.  v  ;  Apud  .luda'am  carmeli 
dei  oraculum  consulenlem. 


—  29  — 

M.  Léon  Renier  (1)  nous  a  présente',  d'après  Josèphe  et  les  inscriptions, 
les  officiers  qui  assistèrent  au  conseil  de  guerre  tenu  devant  celte  ville 
au  moment  de  livrer  le  dernier  assaut.  Sulpice  Sévère  (2),  reproduisant 
un  passage  de  Tacite  que  l'on  dirait  composé  sur  les  notes  d'Antoninus 
Julianus  (3),  aide  de  camp  de  Titus,  attribue  à  ce  dernier  l'avis  de  la 
destruction  du  temple  pour  frapper  plus  au  cœur  les  sectes  juive  et 
chrétienne.  A  ses  yeux,  en  effet,  celle-ci  était  un  rejeton  de  celle-là, 
et  le  coup  poi'té  à  la  racine  serait  mortel  au  tronc.  La  distinction 
légalement  définie  des  deux  religions  n'existait  donc  pas  encore; 
cependant  leur  antipathie  était  connue  sans  qu'on  crût  devoir  en  tenir 
compte.  De  même  qu'elles  avaient  paru  associées  dans  la  haine  du 
genre  humain,  de  même  Titus  prétendait  les  confondre  dans  la  révolte, 
et  par  suite  dans  le  châtiment.  Il  se  trompait  pour  les  chrétiens,  à 
la  foi  desquels  il  rendit  sans  s'en  douter  un  éclatant  témoignage,  et 
qui  d'ailleurs  ne  se  trouvaient  plus  à  Jérusalem  (4).  Les  troubles  et 
les  schismes  qui  déchiraient  cette  ville,  prédits  par  J\otre-Seigneur(5), 
avaient  été  pour  eux  le  signal  de  la  retraite  dès  68.  C'est  un  fait 
curieux  que  l'émigration  de  l'Eglise  de  saint.Iacques,  ou  plutôt  de  saint 
Siméon,  son  successeur,  à  Pelia  au  delà  du  Jourdain  (G).  Déjà  son 


(1)  Mvm.  de  V Acculèmie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  t.  XXVI,  première  partie,  p.  294. 

(2)  Chron.,  1.  II,  c.  XXX  (le  texte  de  Tacite  n'existe  plus  au  V^  livre  des  Histoires)  : 
Fertur  Titus  adhibito  consiiio  prius  délibérasse...  at  contra  alii  et  Titus  ipseever- 
tendum  templum  in  prijnis  censebant,  quo  plenius  Judaeorum  et  christianoruni  re- 
ligio  tolleretur;  quippe  bas  religiones,  licet  contrarias  sibi,  iisdem  auctoribus  pro- 
fectas  :  christianos  ex  ,luda?is  exstitisse  :  radice  sublata,  stirpein  facile  periturani. 

(3)  Mi.NuciLS  Félix,  Octmius,  c.  xxxii  :  Scripta  eoruni  rele{;e,  vel  si  Romanis  magis 
gaudes,  ut  Irauseamos  veteres,  Flavii  .loscplii,  vel  Autonini  .Iuliani,  de  Juda'is  re- 
quire  :  jam  scies  nequitia  sua  banc  eos  meruisse  fortunam. 

(4)  ¥.vs.,Hist.  eccl.,Uv.  III, c.v,  3.  C'est  ce  qu'oublieM.Diniv,  écrivantdansson  t. IV, 
p.  49,  en  note  :  »  Même  à  Jérusalem,  la  communauté  chrétienne  était  assez  faible 
et  obscure  pour  que  .losèphe  ne  la  cite  pas  dans  lénumération  des  partis  religieux 
existant  dans  la  ville.  Juste  de  Tibériade,  qui  avait  aussi  écrit  une  histoire  du  siège, 
ne  paraît  pas  non  plus  l'avoir  mentionnée.  » 

(5)  Saint  Matthieu,  c.  xxiv,  V.  16-25  ;  Tôts  ol  èv  tv)  'louSata  çeuyï'Twtjav  èn\  xà 
ôpr).  Jérusalem  était  citée  à  titre  de  leçon  par  saint  Clément  aux  Corinthiens  divi- 
sés, l'^Ep.,  c.  VI  :  Zr/),oç  xat  epi;  tto/.ei;  |j.£Yà),a;  xateaipE^'Ev  -/.ai  eàvr,  (leyiXa  è^epptÇioaev. 
Éd.  Funk,  p.  70. 

(6j  Dissertatio  historico-theologica  de  Christianoruni  migrutione  in  oppidum  Pellam  imminente 
Hierosolijmorum  excidio,  thèse  soutenue  à  léna  le  21  juin  1694,  sous  la  présidence  de 
J.  Guill.  Baïer,  par  J.  J.  Feuerlein,  réimpr.  en  1712,  petit  in-i",  30  p. 


—  80  — 

(levcloppciiieiit  à  l'oiiibre  du  temple  lui  avait  imprimé  un  caractère 
|)arliciilier  (1)  et  l'avait  singularise'e  pour  ainsi  dire  entre  les  autres 
Eg-lises;  ses  membres,  continuant  à  se  recruter  parmi  les  Juifs  de  nais- 
sance et  d'observance,  joignaient  à  une  certaine  fierté' d'origine  l'esprit 
exclusif  de  leur  race,  même  vis-à-vis  des  fidèles,  dont  ils  furent  souvent 
distingues  par  l'appellation  de  .Nazare'ens  (2j.  Tandis  que  saint  Sime'on, 
suivi  de  quelques-uns,  rentrait  dans  Jérusalem  dévastée,  les  autres  se 
transportèrent  à  Kochaba,  au  royaume  d'Agrippa  II,  et  l'éloignement 
ne  fit  qu'accroître  ces  tendances.  Toutefois  leur  orthodoxie  est  attestée 
par  le  voyage  qu'entreprit  de  chez  eux,  pour  venir  à  Rome  vers  150, 
Hégésippe,  partout  si  curieux  de  la  vérité  apostolique. 

Au  troisième  siècle,  Jules  Africain  signale  encore  dans  leur  scindes 
^ecjTrodûvoi  OU  parents  du  Seigneur,  descendants  de  ces  petits-fils 
de  Jude,  que  Donatien  fit  venir  à  Rome  (3)  lorsqu'il  se  préoccupa  de 
rechercher  tous  ceux  qui  étaient  issus  de  la  race  de  David.  A  la  vue 
de  leur  pauvreté  et  de  leurs  mains  durcies  par  le  travail,  et  sur  la 
réponse  que  le  royaume  de  Jésus-Christ  n'était  pas  de  ce  monde,  les 
soupçons  du  nouvel  Hérode  s'évanouirent,  il  se  moqua  d'eux  et  les 
renvoya  en  Palestine  sans  leur  faire  de  mal.  Une  fantaisie  du  même 
genre  amena  vers  la  même  époque  (4j  devant  lui  saint  Jean,  qu'a- 
vaient pu  désigner  ses  relations  personnelles  avec  le  Sauveur.  11  est 
d'ailleurs  incontestable  que  ce  dernier  survivant  des  apôtres  jouis- 
sait d'une  grande  influence  dans  les  différentes  Eglises  de  la  pro- 

(1)  Voir  plus  haut,  pajje  4,  note  4. 

(2)  Un  (le  leurs  livres,  le  TisUiment  des  XII  ■patriarches  ou  JîU  de  Jacob,  représenlc  la 
mission  de  saint  Paul  chez  les  {ïentils  comme  la  compensation  du  territoire  qui 
manquait  à  la  tribu  de  Benjamin. 

(3)  IIkcésippe  les  nomme  Zocher  et  Jacques  dans  un  frafjment  (ed  loan  cramer, 
m  Anecdotit  Grœcis,  vol.  \\,  Oxford),  1839,  p.  88).  Cf.  la  citation  de  ses  commentaires, 
Hisl.  eccL,  liv.  III,  c.  xix  et  .\x. 

(4)  Tertullien,  De  prascr.,  c.  xxvi,  place  après  ceux  de  saint  Pierre  et  de  saint 
Paul  le  martyre  de  saint  .lean  à  Home  :  Ubi  aposlolus  .loannes,  posteaquam  in  oleum 
igneumdemersus  nihil  passus  est,  in  insulam  relegatur.  Svint  .If.rome,  .Wp. /o»/nifl«., 
c.  XIV,  veut  que  par  lu,  ce  fait  soit  rapporte  au  rèf^ne  de  Néron:  mais  ailleurs, 
lui-même  nomme  Iiomilien.  Ceux  qui  adoptent  la  première  opinion  attribuent  l'exil 
de  Patnios  aux  maî(islrats  municipaux  d'Kplièse:  Oiu(;i;m;  rependant  l'attribue  à 
un  empereur  romain,  sans  spécifier  lequel  (Com.  in  Mai.,  i.  \II,§  2;.  (juani  à  saint 
.Ievn,  Apoc,  c.  I,  V.  9,  il  dit  seulement  :  'EyevôixriV  èv  ty]  vriaw  tt)  xa"/.oyp.ivT]  Ilâtjxw 
ôià  Tov  Xôyov  ToO  t)£OÙ  xal  Sià  Trjv  [xapTyç-i'av  'Ir,(jû-j  XpiatoO. 


—  31  — 

vince  d'Asie.  L'épreuve  de  la  chaudière  bouillaDte,  que  la  tradition  lui 
fait  subir,  re'pond  assez  à  un  passage  d'une  lettre  de  Se'nèque,  où  le 
philosophe  proposait  ce  genre  de  supplice  pour  quelque  esclave  (I). 
Saint  Jean,  eu  ayant  triomphé,  ne  rentra  à  Ephèse  qu'après  avoir  été 
soumis  à  la  relégation  dans  une  île  (2j,  peine  équivalente  à  notre 
bannissement. 

Titus,  les  délices  du  genre  humain,  ne  s'était  pas  montré  si  doux 
vis-à-vis  des  Juifs  révoltés  ;  il  faut  lire  dans  Josèphe,  qui  n'est  pas 
suspect  de  partialité  en  faveur  de  ses  compatriotes,  l'évaluation  des 
victimes  de  la  guerre  et  du  siège,  ainsi  que  le  récit  des  massacres  qui 
accompagnèrent  la  prise  de  la  ville,  et  dans  lesquels  furent  enveloppés 
un  grand  nombre  d'étrangers  au  pays  venus  pour  célébrer  la  pâque. 
Toutefois  la  situation  légale  de  leurs  coreligionnaires  restés  au  dehors 
n'était  pas  changée,  et  Titus,  par  exemple,  refusa  d'accéder  au  désir  des 
habitants  d'Antioche  (3j  qui  voulaient  expulser  les  Juifs  de  leur  ville, 
conduite  diamétralement  opposée  à  celle  que  devait  tenir  Maximin, 
après  la  dernière  persécution  de  Dioctétien,  au  sujet  d'une  requête 
analogue  contre  les  chrétiens  (4).   Une  seule  mesure  fut  prise  par 
Vespasien,  qui  s'étendit  à  tout  l'empire,  et  qui  consista  à  faire  acheter 
aux  Juifs  la  continuation  de  la  reconnaissance  de  leur  culte  fondée  sur 
les  édits  de  ses  prédécesseurs.   Ils  durent  payer  annuellement  au 

(Il  Ep.  86  ad  Lucil.  :  Non  hai)c  (balnei  lemperaturaiu)  qiiae  nuper  inventa  est  si- 
milis iiicendio.  aileo  qiiidein  ut  convictuni  iii  aliqiio  scelere  serviim  viviiin  lavari 
oporteat.  Autémidore  parle  d'une  femme  brûlée  dans  la  chaudière  publique  destinée 
à  cet  usage,  Oneirocrit.,  liv.  V,  c.  xxv. 

(2)  D.,  liv.  XLVHF,  tit.  XH.  fr.  xiv,  §  1  :  Magna  dift'erenlia  est  inter  deporlatio- 
nem  et  relegationem;  nam  deportatio  civitatem  et  bona  adimit,  relegatio  neutrum 
tollit,  nisi  specialitcr  bona  pulHiceiitur.  — Fr.vi,  §  1  :  Deportandi  autem  in  insulani 
jusprsesidijjusprovincia'  non  est  dalum,  licet  praefecto  urbi  detur.  —  Fr  vu,  §  1  :  In 
insulam  relegare  pra'sides  provincial  p  issunt.  Mais  cela  ne  veut  pas  dire  que  les 
municipalités,  même  des  civituies  lilnrœ,  comme  Éphèse,  eussent  le  droit  den  faire 
autant.  Lors  du  tumulte  suscité  par  l'orfèvre  Demetrius  contre  saint  Paul,  qu'in- 
dique le  secrétaire  de  la  cité?  Jict.,  c.  xix,  v.  38  :  'Ayopaîoi  à'yovTai  xal  àvOjTiaxoî 
eî-jiv.  C'est  aussi  la  compétence  du  proconsul,  qu'établit  en  un  cas  analogue  le  res- 
crit  d'Hadrien  au  gouverneur  de  la  province  d'Asie. 

(3)  Bell.  Jud.,  liv.  VII,  c.  v,  2  ;  SuveyYiç  o  y;v  aJTwv  Ttapà  Tiirra;  «(i.a  xà;  £03ï];xtai 
oir^ij'.c.  cxêx/Etv  xf),  Tzh'nMc,  roù;  'louoai'o'j;.  Ils  n'avaient  donc  pas  le  droit  de  le  faire 
par  eux-mêmes;  or,  c'est  précisément  à  cette  époque  que  Pline  l'Ancien  écrit,  Hi$i. 
nat.,  liv.  V,  §  79  :  "  Antiochia  libéra.  » 

(4)  ElsÈbe,  Hist.  eccL,  I.  IX,  c.  ii. 


—  32  — 

Capitole  la  contribution  du  didrachrae  dont  ils  étaient  redevables  au 
temple  de  Je'rusalcm  (1).  L'empereur  romain,  qui  e'iait  en  quête  d'im- 
pôts nouveaux,  comptait  trouver  là  une  mine  abondante.  L'impôt  du 
didrachme,  en  effet,  n'était  pas  payé  seulement  par  les  .hiifs  de  nais- 
sance; les  prosélytes  concouraient  aussi  à  cette  offrande  (2),  et  ils 
étaient  nombreux.  On  les  divisait  en  deux  sortes  (3)  :  les  prosélytes  de 
justice,  qui  ne  différaient  des  Juifs  purs  que  par  la  naissance  et  par 
l'incapacité  de  remplir  certaines  charges,  et  les  prosélytes  de  la  porte, 
qui  n  étaien^  pas  astreints  à  la  circoncision,  ni  aux  autres  rites  mosaï- 
ques, mais  seulement  à  ce  minimum  de  préceptes,  presque  abso- 
lument le  même  que  celui  qu'exigeait  le  concile  de  Jérusalem  d<  s  gen- 
tils convertis  au  christianisme.  Les  Juifs,  nous  l'avons  montré  ample- 
ment, étaient  loin  de  prendre  les  chrétiens  pour  des  prosélytes,  mais 
le  nouvel  impôt  devait  faire  envisager  les  choses  sous  un  tout  autre 
aspect  au  gouvernement  impérial.  Sans  doute,  à  l'origine,  tout  ce  qui 
n'était  pas  juif  de  naissance  put  chercher  à  échapper  à  la  contribution 
et  y  réussir  pendant  quelque  temps.  Mais  avec  Domitien  il  n'en  fut  plus 
de  la  sorte.  Suétone  (4)  cite  comme  exemple  de  la  tyrannie  de  cet  em- 
pereur la  rigueui'  avec  laquelle  fut  poursuivie  sous  son  règne  la  ren- 
trée de  la  taxe  du  didrachme  par  le  fisc,  qui  s'en  prenait,  dit-il,  tant  à 
ceux  qui,  sans  s'être  fait  inscrire,  suivaient  la  mode  juive,  qu'à  ceux 
qui,  dissimulant  leur  origine,  n'acquittaient  pas  la  contribution  levée 
sur  leur  nation.  Dans  la  première  catégorie,  il  y  avait  évidemment  un 
certain  nombre  de  prosélytes  :  n'y  trouvait-on  pas  aussi  les  chrétiens? 


(1;  Bell.  Jud.,  liv.  VU,  C.  VI,  G  :  <I>ô&ov  Se  toï;  ottou  o>î  tiot'  oSijiv  'loyôat'oi;  iniè(x\t 
ùvo  Spaxf-àç  ExaiTOv  xe^eûdaç  àvà  ;râv  ëtoî  el;  tô  KaTiexwXiov  9cpEiv,  waTtep  Tipôtepov  £t; 
TÔv  èv  'JepoffoXûjj/n;  vswv  <jyveT£),oyv.  Cf.  Dion,  Epist.,  liv.  LXVI,  c.  vu  —  Kal  vOv 
'louôat'wv  TÔ  mç'jLyy.w  a'jxoïç  t£).oûvtwv,  dit  Okigkne,  Kp.  ad  Africnn.,  c.  xtv,  rappe- 
lant combien  à  ce  prix  le  fjouverneinent  des  Romains  leur  laissait  d'autonomie  à 
Alexandrie  de  son  temps.  Voir  aussi  .\ppii;\,  -fj/r.,  c.  l. 

(2)  .losKPnr,  .î«'.  Jud.,  liv.  \VIII,c.  m.  5,  raconte  l'histoire  d'une  illustre  prosélyte 
de  lionie  nommée  Fiilvic,  qui  envoyait  de  la  pourpre  et  de  l'or  ;iu  temple  de  Jéru- 
salem, (  t  dont  les  offrandes  détournées  furent  l'occasion  de  l'expulsion  des  Juifs 
sous  Tibère. 

(3)  M\M.iCiil,  Origines  et  mitifjiiitfitcs  chrisliunœ.  t.  I,  p.  7.1  (Rome.  1719). 

(4)  Domit.  rit.,  C.  xîi  :  Pra'tcr  ca'Ieros  Jiidaiciis  fiscus  acerljissime  actus  est  :  ad 
qucm  deferebanlur,  qui  vcl  improfessi  Jndaicam  viverent  vitam,  vel  dissiinulala 
oriyine  imposita  genli  tribula  non  pependissenl. 


—  33  — 

Assurément  ils  ne  devaient  pas  l'impôt;  vu  la  proportion  rapidement 
pre'poude'rante  parmi  eux  des  gentils  convertis  (1),  ds  avaient  dû  cesser 
de  très-bonne  heure  de  payer  le  didrachmeau  temple  (2).  Une  collecte 
au  profit  des  pauvres  de  TEglise  de  Je'rusalem,  telle  que  nous  voyons 
saint  Paul  la  faire  avec  soin  (3)  à  Antioche,  à  Corinthe,  dans  la  Ga- 
latie  et  dans  la  Mace'doine,  en  tint  lieu.  D'ailleurs  les  Juifs  e'taient  là 
pour  exclure  leurs  ennemis  du  be'néfice  de  la  reconnaissance  le'gale, 
qui  à  leurs  yeux  compensait  largement  un  impôt  odieux.  Aussi  bieo 
la  de'claration  n'e'tait  guère  satisfaisante  pour  la  conscience  chre'- 
tienne.  Mais  en  même  temps  que  les  chre'tiens  ne  faisaient  pas  de  dé- 
claration {tmprofessi),  ils  rentraient  dans  la  catégorie  de  ceux  qui, 
au  jugement  des  païens,  suivaient  la  mode  juive.  De  là  des  diffi- 
cultés multiples  de  perception.  Comment  fallait -il  traiter  ces  hommes 
réunissant  d'une  part,  toutes  les  apparences  du  judaïsme,  et 
de  l'autre,  se  proclamant  étrangers  à  la  synagogue  (4)?  Le  gou- 
vernement, qui  devait  se  refuser  d'abord  à  admettre  la  distinction, 
fut  obligé  de  se  rendre  à  l'évidence,  et  pour  la  première  fois,  la  ques- 
tion de  la  légalité  du  christianisme  se  posa  juridiquement  devant 
lui.  C'est  ainsi  qu'on  peut  comprendre  l'assertion  émise  par 
Voltaire  (5)  :  "  Aucun  des  Césars  n'inquiéta  les  chrétiens  jusqu'à 
Domitien.  Dion  Cassius,  ajoute-t-il,  dit  qu'il  y  eut  sous  cet  empereur 
quelques  personnes  condamnées  comme  athées  et  comme  imitant  les 


(1)  Saint  Justin,  /  Apol.,  c.  lui  :  nXeîovài;  ts  xai  xkrflen-téçiovc  toù;  èÇ  èQvûv  tûv 
aTrà  'iouSaîwv  xat  Ia[Jiap£tov   yptaTiavoû;.  Éd.  Otto,  p.  142. 

(2)  Jésus-Christ  Tavait  payé  pour  lui  et  ses  apôtres,  tout  en  les  eu  déclarant  affran- 
chis. Saint  Matthieu,  c.  xvii,  v.  24  et  suiv.  :  llpoayj/Ôov  ol  xà  ôîôpaxna  >a[j,gàvovx£ç 
Tw  IlÉTpw  y.at  eTttov,  'O  ôtôàaxaXoç  û|j.àjv  où  teXeT  xà  6iopa-/[jia  ;...  "Iva  oè  [li]  (7xav6a),tc7a)iJ.sv 
aùxoû;,...  ôôi;  aùxoî;  âvx' £(j.oû  xal  aoO. 

(3)  Epît.  aux  Galiites,  c.  il,  V.  10  :  Môvov  Se  xwv  ttxw/wv  ïva  |J.vr|[;.ov£Ûa)[X£V  o  xai 
£ff;toûôa<ja  aOxo  xoOxo  Tioivic^at.  Cf.  Actes,  c  xi,  V.  30;  1  Epit.  aux  Corinth.,  c  xvi,V.  1; 
//  Epit.,  c  VIII,  V.  1  et  4. 

(4)  M.  DuRUY,  t.  IV,  p.  236,  en  note  :  «  Cependant  un  crime  nouveau  était  inscrit 
au  code,  celui  de  judaïser,  ce  qui  conduira  à  en  établir  bientôt  un  autre,  celui  de 
christianiser,  et  dans  quinze  ans  cela  sera  fait.  » 

(5)  Essai  sur  les  mœurs,  c.  VIII,  De  l'Italie  et  de  l'Église.  —  Cf.  BAUDOUIN,  Commcn- 
larii  ad  edicia,  etc.,  p.  25  :  Nero  aliud  quoddain  criinen  confinxerat  abs  reliyione 
alienuin.  Domitianus  agit  apertius,  christianos  eniin  non  alio  nomine  quam  quod 
christiani  siut  in  jus  capitisque  judiciura  vocat. 

3 


—  34  — 

mœurs  des  Juifs.  11  parait  que  cette  vexatiou,  sur  laquelle  ou  a  d'ail- 
leurs si  peu  de  lumières,  ue  fut  ni  lougfuc,  ni  {je'nérale.  On  ne  saitjtre- 
cise'mcnt  ni  pourquoi  il  y  eut  quelques  chrétiens  bannis,  ni  pourquoi 
ils  furent  rappele's.  « 

Le  texte  auquel  il  fait  allusion  est  justement  celui  qui  nous  fait 
conuaitre  le  troisième  point  dont  nous  avons  sig^nale'  T importance, 
l'introduction  du  chrislianisme  dans  la  famille  impériale  :  "  En  95, 
Domitien  fit  pe'rir  un  grand  nombre  de  personnes  parmi  lesquelles 
Flavius  Clemens,  consul  de  celte  aunée,  quoiqu'il  fût  son  cousin,  et 
de  plus  son  allié  par  sa  femme,  Flavie  Domitille.  Tous  deux  furent 
accusés  d'athéisme,  et  pour  le  même  motif  beaucoup  d'autres ,  qu'a- 
vaient séduits  aussi  les  mœurs  juives,  furent  punis  les  uns  de  la  mort, 
les  autres  de  la  confiscation.  Domitille  fut  seulement  reléguée  dans 
l'ile  de  Pandatarie  (1).  ^^  C'était  la  propre  nièce  de  Domitien  (2), 
comme  nous  l'apprend  une  inscription  où  elle  est  appelée  petite-fille 
de  Vespasien  (3)  : 

{Flavia  Doniitilla)  FILIA   FLAVIAE    DOMITILLAE 
{dici?  Vespasi)  ANI   NEPTIS   FECIT 

L'historien  païen  (4)  qu'Eusèbe  cite  sans  le  nommer  dans  son  His- 
toire ecclésiastique,  1.  111,  c.  xvni,  mais  dont  il  donne  le  nom  dans  sa 
chronique,  confirme  les  rigueurs  de  la  persécution  :  Scrihit  Bruttius 
plurimos  christianorum  sub  Domitiano  fecisse  martyrium  (5)^  inter 
quos  et  Flaviam  Domitillam,  Flavii  démentis  consuUs  ex  sorore 
neptem,  in  insidam  Pontiam  relegatam  quia  se  christianam  esse  tes- 
tata  sit.  Saint  Jérôme,  dont  nous  avons  reproduit  la  traduction  latine, 

(Ij  Efll.,  I.  LXVIl,  C.  VIII  :  'E7rvî/6y,  ôà  àiAçioiv  i'yxyofAa  à'Jcô'niTo;  0?'  r^z,  xai  a).).oi 
iç  xà  Tôjv 'Irjuôai'trtv  f,8r]  £5oxé),),ovT£;  7io),),ol  xaieSixàffOyiirav  xat  ot  (lèv  àuéôavov,  ol  ôè 
Tôiv  yoOv  oiiaiwv  è'jTepïiOyjTav  r,  ôè  Ao(AiTt/.).a   uTieptopîaôiri  \i.wv^  eî;  llavôaTÉfiSiav. 

(2)  PuiLOSTKATE,  VU.  AiwUon  ,  I.  VIll,  C.  xvv  :  AoaETiavo;  ët'j/£  K).intA£vTa  àne- 
Tovtb;,  avôpa  ùnàtov  (Ij  ttiv  àôî^çifjv  xrjv  éayxoù  èôù)X£i.    U  faut  lire  :  tviv  àG£),yiôriv. 

(3)  Corp.  inscr.  lat.,  vol.  VI,  n"  948.  Cf.  le  Bull.   1865,  p.  21,  de  M.  de  Uossi. 

(4)  MULLER,  t.  IV,  p.  352  des  Fragmcnla  historicorum  Grœcorum  dc  l'édit.  Didot,  a  re- 
fusé de  l'insérer  sous  prétexte  qu'il  était  chrétien. 

(5)  Cf.  Chion.  paie,  édit.  lîonn,  p.  468  :  'i'jTOf/£r  ô  BpoOrTio;  no).lo\);y_^ia-c\.'xyo\Ji  xarà 
Tû  tô'  ËTo;  Ao|j.£TiaMoO  iJ.£|j.apvjpr|X£vat.  —  Saint  Jérôme,  Chrun.  ann.  .\brah.  2112; 
Epitl.  XXI  JI,  ad  Ëmlochium. 


parle  ailleurs  de  cette  même  île  qui,  de  son  temps,  était  visitée  pour 
ce  souvenir  :  Delà  ta  est  Paula  citm  filia  Eustochio  ad  insulam  Pon- 
tiam  quam  clarissimœ  quondam  feminarum  sub  Domitiano  principe 
pro  confessione  nominis  christiani,  Flaviœ  Domitillœ ,  nobilitavit 
exsilium.  Cette  île  et  l'île  Paudatarie,  pour  être  voisines,  n'en  sont  pas 
moins  différentes  (1)  :  toutes  deux  servaient  de  lieu  de  bannissement. 
Y  a-t-il  donc  eu  deux  Fia  vie  Domitille?  M.  Aube  (2)  n'admet  que  cellb 
de  Dion  Cassius  et  préfère  mettre  une  erreur  au  compte  de  son  abré- 
viateur,  le  moine  Xiphilin.  Mommsen  (3),  sacrifiant  à  la  fois  celle  de 
Dion  et  celle  d'Eusèbe,  en  avait  imag^iné  une  troisième.  M.  de  Rossi  (4) 
a  maintenu  contre  les  deux  opinions  la  tradition  ecclésiastique  formelle 
des  Flavie  Domitille  distinctes. 

Nous  aurons  occasion  de  revenir  sur  la  question. 

Ce  que  l'on  ne  peut  nier,  c'est  que  le  christianisme  avait  pénétré 
dans  la  famille  impériale,  et,  chose  plus  étrange,  Domitien  lui-même 
allait  le  faire  monter  sur  le  trône  par  l'adoption,  que  rapporte  Sué- 
tone (5),  des  deux  fils  de  Flavius  Clemens  et  de  sa  nièce,  élèves  de 
Quintilien  (C).  Ils  disparurent  sans  doute  avec  leur  père  dans  la  tour- 
mente qui  marqua  la  fin  du  règne,  et  à  laquelle  Tacite  félicite  Agricola 
de  n'avoir  pas  assisté,  tôt  consularium  cœdes,  tôt  nohilissiniaruin  fe- 
minarum eœsilia  et  fiigas  (7).  Assurément  l'historien  a  en  vue  de 
nobles  victimes,  telles  que  Fannia,  Arria,  Gratilla,  Herennius  Se- 
necion,  Helvidius  Priscus,  mais  il  serait  puéril  de  croire  qu'il  oublie 
les  propres  parents  de  l'empereur. 


(1)  Strabon,  I.  V,  c.  iir,  6  :  Aôo  vi^aoi  Ttî/àyiai,  llavoaxapta  t£  |xai  HovTÎa,  (xixpal 
[xÉv,  olxoij(A£vai  ôè  xa).à)ç,  où  tto/ù  au'  à)).r;/.tov  OKi-/o-oa'XK,  Trj;  r)7T.'!pou  ôè  TiEVTi^JcovTa 
iTti  Totç  ôiaxofftoi;  (crraSîotç)  ,  13  lieues  environ  de  Terracine  sur  la  côte. 

(2)  Hist.  des  posée.,  p.  178  et  429. 

(3)  Corpus,  loc.  cit.  —  Dans  la  deuxième  partie  du  vol.  VI,  qui  doit  paraître  bien- 
tôt, Mommsen  renonce  à  son  système. 

(4)  BuUeltino,  1875,  p.  69-77. 

(5)  Domii.  vit.,  c.  XV  :  Flavium  Clementem  patruelem  suum,  contemptissimse 
inertiae,  cujus  filios  etiam  tum  parvulos  successores  palam  destinaverat,  et  abolito 
priore  nomiue,  alterum  Vespasianum  appellari  jusserat,  alterum  Domitianum, 
repente  ex  tenuissima  suspicione  tantum  non  in  ipso  consulatu  inleremit. 

(6)  Inst.  orat.,  liv.  IV,  C.  i  :  Ouum  vero  raihi  Domitianus  Augustus  sororis  suae  ne- 
potum  delegaverat  curam. 

(7)  Vit,  AgricoL,  c.  XLV. 

3. 


—  36  — 

u  il  y  a  en,  selon  M.  Aube  (1),  sous  Doniitien,  une  perse'cution 
très-violente  :  c'est  la  philosophie  qui  l'a  souifeite.  «  On  pourrait 
re'poudre  avec  M.  Duruy  (2j  :  «  Comme  sous  JNéron,  et  par  les  mêmes 
causes,  la  pense'e  lihre  fut  re'pute'e  séditieuse  ;  le  prince  chassa  de 
Rome  les  philosophes;  il  aurait  voulu,  dit  Tacite,  en  chasser  toute 
vertu  et  toute  science.  Doniitien  u  e'tait  pas  fou  à  ce  point ,  et  son 
de'cret  d'exil  n'était,  vu  la  dureté  des  temps,  qu'une  mesure  analofjuc 
à  nos  lois  sur  la  presse."  On  ne  nie  point  que  Civica  Cerealis,  Salvi- 
dienus  Orfitus,  Acilius  Glabrion  (3)  aient  pu  être  condamnés  quasi 
moUtores  novarum  rerum  (Suétone  serait  disposée  en  penser  autant 
de  Flavius  Clemens)  (4),  mais  cela  n'empêche  pas  l'empereur  d'avoir 
frappé  le  judaïsme  irrégulier  là  où  il  le  trouvait,  et  il  le  trouvait  pré- 
cisément chez  les  chrétiens  (5).  Une  allusion  curieuse  à  leur  fausse  situa- 
tion perce  à  travers  le  langage  d'un  contemporain.  Epictète,  expulsé 
avec  les  autres  philosophes,  s'était  retiré  à  INicopolis  (6);  dans  un 
entretien  familier  prenante  partie  l'un  de  ses  disciples,  il  disait  (7)  : 
a  Pourquoi  jouer  au  Juif,  puisque  tu  es  Grec?  Ne  sais-tu  point  dans 
quelles   circonstances  on   passe   pour  Juif,    Syrien  ou  Egyptien? 

(1)  Hisl.  des  perscc,  p.  182. 

(2)  Hisl.  rom.,  t.  IV,  p.  229.  —  MOMMSEN,  Elude  sur  la  vie  de  Pline  le  Jeune,  p.  59  de 
la  trad.  Ch.  Morel,  qui  a  été  revue  par  lauteur  (Paris,  1873),  dit  de  même  :  •  C'était 
une  mesure  de  police  succédant  aux  poursuites  judiciaires.  Toute  celte  persécution 
frappait  l'opposition  politique,  qu'elle  se  manifestât  dans  la  littérature  ou  dans 
l'enseignement.  » 

(3)  Ce  consulaire,  d'après  Dion  Cassius,  fut  aussi  l'objet  d'une  accusation 
d'athéisme,  Baudouin,  loc.  cil.,  a  raison  de  juger  d'un  souverain  si  soupçonneux  : 
«  Quanquam  non  solum  religionis  odio,  sed  et  rerum  novarum  metu  commotus 
fuisse.  " 

(4)  Klopstock,  Dcr  Messias,  chant  x,  V.  310,  a  de  beaux  vers  pour  le  justifier  de 
"  l'oisiveté  indigne  de  Rome  "  qui  lui  était  imputée. 

(5)  M.  Ars.  Dahmkstetir,  dans  la  Revue  des  éludes  juives,  \m\\ei-st^\..  1880,  signale  un 
curieux  passage  d'un  ancien  récit  relatif  à  saint  Jean  {AcUi  .Ijjosiulorum  apocnjpha,  éd. 
Tischendorf,  Lcipzi.ç,  1851,  p.  267),  où  les  .luifs,  afin  de  détourner  les  coups  de  Do- 
niitien, dénoncent  eux-mêmes  les  chrétiens  en  ces  termes  :  "Ecttiv  6è  /laivôv  xai  ?£vov 
eOvo;,  (xiQT£  toï;  étépoi;  ëOvEaiv  ÛTraxoOov,  (xr/te  Taî;  'louSaîwv  6fir,(ïxeîat;  cruvEyooxoOv, 
à7r£ptT[j.ïiTov,  aTiivOptoTTOv,  àvofxov,  oXout;  otV.ouc,  àvaTpsTCfjV,  avOpwuov  Wsov  xaTayy£>),ovT£;. 

(6;  Aulu-Gi:lle,  A'oci.  allie.,  1.  XV,  c.  xi  :  Qua  tempestate  Epicietus  quoque  philo- 
sophus,  propter  id  senatusconsultum,  Nicopolin  Homa  decessit. 

(7)  Biss.,  1.  II,  c.  IX,  20  :  Tt  ÛTTOxpîvr)  'louôatou;  wv  "EXV/jv  ;  Oùy^  ôpà;  tïw;  ïxacrro; 
).£YeTat  'louSaïoç  ;  tiwç  lûpoç  ;  Ttw;  AlyÛTTTio;  ;  xal  Stav  xivà  è7îa[jiçoT£p(ÇovTa  £i'ôw(X£v, 
eltô6a[j:£v  XÉ^eiv,  OOx  £C7Tiv  'louSatoî,  à)X  ÛTioxpîvETat  '  ôtkv  6'  àva)à6irj  tô  TrâOoç  xô  toû 
fΣêa|jL;i£vou  xaî  y)p-/i|ji£vo'j,  tôte  xai  Efftt  Toi  ôvxt,  xat  xa).£ÏTai  'louSaïo;. 


—  37  — 

Quand  nous  voyons  quelqu'un  embarrasse,  nous  avons  coutume  de 
nous  écrier  :  Il  fait  le  Juif,  mais  il  ne  l'est  pas.  Celui-là  en  porte  le 
nom,  et  l'est  re'ellement  qui  a  l'esprit  du  baptise'  et  du  ne'ophyte.  » 
Cette  distinction  en  effet  avait  alors  la  plus  grande  importance. 

Mais,  reprend  M.  Aube'  (1)  :  'i  L'adhe'sion  au  christianisme  fut  taxe'e 
d'impie'te' ,  c'est-à-dire  de  crime  de  lèse-majeste'.  »  Ici  il  confond  le 
crime  de  lèse-majeste',  terrible  instrument  entre  les  mains  des  de'la- 
teurs,  avec  le  crime  d'athe'isme  qui  fut  le  pre'texte  de  la  perse'cution. 
Dion  Cassius  distingue  les  deux  choses  :  d'une  part  l'aasoa'x,  dont  il 
marque  la  suppression  par  Vespasien  et  Titus,  et  le  re'tablissement  par 
Domitien,  d'autre  part  l'EyxXriua  àOsoTYi-oç,  invente' par  cet  empereur. 
Lorsque  l'historien  met  au  nombre  des  premiers  actes  de  Nerva  la 
suppression  des  crimes  d'impie'te'  et  de  vie  judaïque,  il  se'pare  plus 
clairement  encore  l'accusation  politique  de  l'accusation  religieuse, 
out' àdEëciaç,  ouT  'louoaixoîi  piou  (2).  Ccllc-ci  Constituait  un  grief  à  part  ; 
on  possède  une  monnaie  du  vieil  empereur  avec  l'exergue  :  Fisci 
Judaïci  calumnia  suhlata  (3). 

A  partir  de  ce  moment,  les  Juifs  cessèrent  de  voir  soupçonner  la 
le'galite'  de  leur  existence,  tandis  que  celle  du  christianisme  devenait 
ille'gale.  De'sormais ,  il  sera  de  moins  en  moins  exact  de  conside'rer  la 
religion  nouvelle  comme  croissant  à  l'ombre  d'une  religion  déjà  bien 
connue  et  parfaitement  licite  (4),  et  l'Etat  romain  saura  distinguer  et 

(1)  Hist.  desperséc,  p.  424.  Wieseler,  p.  4  et  12,  confond  aussi  athéisme  et  lèse- 
majesté,  n  faut  en  dire  autant  de  l'arlicle  sur  Vespasien  et  Titus  {Hilgvnfeld's  Zeit- 
schrift.  1878,  p.  492  et  S.),  de  Gorres,  qui  du  reste  ne  s'est  jamais  nettement  expliqué 
au  sujet  de  Domitien.  Cf.  Rudolf  IIilgenfeld,  même  Zeitschrift,  1881,  p.  310  :  ■  Die 
wirklichen  .luden  wurden  nie  von  den  Ileiden  als  ■  àOsoi  »  bezeichnet  ;  dieser 
Vorwurf  geht  nur  auf  die  Christen.  '  —  Cela  est  vrai;  aussi  voulait-on  signifier 
surtout  que  ceux-ci  n'étaient  ni  .luifs,  ni  païens. 

(2j  Épit.,  1.  LWl,  C.  IX  et  XIX  ;  1.  LXVUI,  C.  i. 

(3)  EcKQEL,  Doctr.  num.  vet.,  t.  VI,  p.  405.  L'impôt  du  didrachme  n'était  pas  aboli, 
comme  le  veut  M.  Albé,  p.  196,  puisqu'il  existait  encore  du  temps  d'Orifjène,  mais 
seulement  les  vexations  qui  en  avaient  signalé  la  perception  pendant  le  règne  pré- 
cédent. f:f  Suétone,  Doniit.  vit,  c.lxmi.  IM.  Duriy,  t.  IV,  p.  712  (édit.  iliustr),  donne 
le  revers  de  la  médaille  en  question.  S'il  avait  reproduit  également  la  face,  il  au- 
rait vu  qu'elle  est  de  Nerva  et  non  de  Domitien,  et  il  n'aurait  pas  écrit  que  la 
légende  «  rappelle  les  efforts  du  fisc  déjouant  les  supercheries,  calumnia  y\\,  ima;',i- 
nées  par  les  .Juifs  et  les  .ludaïsanls  pour  échapper  à  l'impôt  '. 

(4j  Tert.,  Apol.,  c.  XXI  :  Sub  umbraculo  insignissim^p  religionis  certe  licitan. 


—  38  — 

punir  le  nom  chrétien  (1),  né  sons  Auguste,  révèle'  au  monde  sous 
Tibère,  proscrit  sous  Néron,  avant  d'être  jugé  sous  Domitien. 

(1)  Tert..  Ad.  liai.,  c.  VII  :  Principe  Aufïiisto  nomen  hoc  ortumest,  Tiberio disci- 
plina ejus  inuxit.sub  Nerone  dainnalio  invaluit.  Pline  à  Trajan,  Kp.  XCVII  :  Cogni- 
tionibusde  chrislianis  interfui  niinquam.  —  -  Cette  i{;norancc  de  Pline,  dit  C.  de  l\ 
Berge,  dans  son  Kssai  sur  le  règne  de  Trajan,  p.  208,  a  fait  penser  à  M.  Aube  qu'il  n'y 
avait  pas  eu  de  persécution  sous  Domitien,  mais  la  conclusion  ne  me  parait  pas  ri- 
goureuse. Les  exécutions  ont  pu  élre  faites  par  les  niumriri  capitales  sans  que  la 
haute  société  s'occupât  de  ces  criminels  obscurs.  »  On  sait  qu'à  cette  époque  le  cé- 
lèbre avocat  fuyait  plutôt  le  barreau;  comment  d'ailleurs  son  attention  ertt-elle 
été  attirée  par  ces  sortes  de  procès  d'où  la  plaidoirie  était  absente? 


DEUXIEME  PARTIE 

RAPPORTS   DE    L'ÉGLISE    CHRÉTIENNE    AVEC    L'ÉTAT    ROMAIN 
DE    96  A   180 


Domitien  périt  assassiné  le  18  septembre  96,  et  Nerva  lui  succéda. 
Par  une  réaction  naturelle ,  les  exilés  du  règne  précédent  furent 
ramenés  à  Rome  (1),  et  la  masse  des  chrétiens  obtint  momentanément 
l'oubli  sous  le  gouvernement  débile  de  cet  empereur.  Tous  sans  doute 
ne  profitèrent  pas  de  ce  répit  (2).  Le  début  de  l'Épître  de  saint  Clément 
aux  Corinthiens  est  l'écho  d'un  état  encore  troublé  et  porte  avec  lui 
sa  date.  11  fait  allusion  en  effet  aux  derniers  temps  de  Domitien,  quand 
il  dit  (3)  :  «  A  cause  des  malheurs  imprévus,  et  des  accidents  qui  nous 
sont  survenus  coup  sur  coup ,  nous  retournons  bien  tard  à  notre  gré, 
nos  chers  frères,  aux  affaires  qui  nous  préoccupent  chez  vous.  "  Et 
plus  loin,  il  ajoute,  après  avoir  rappelé  la  persécution  de  Néron,  que 

(1)  PhiLOSTUATE,  lie  d'Apollonius,  \.  VUI,  C.  V,  §  4  :  Wi-ripeiç  al   vf)(70i  çnyàSov,    yj  S' 
T^ireipoi;    rji[j.u>yric, .   DlO\  Cassius,    Epit.,  I.  LXVHI,  C.  i    :  toùç   çsùyovTa;  xaiViyaye.    Cf. 
Lactance,  De  morte perscc,  c.  m  ;  Resrissis  igilur  actis  tyranni.  —  On  ne  sait  pour- 
quoi Tf.rtullien,  Apologet.,  c.  v,  et  Uégésippe,  ap.  Hist.  eccles.,  l.  UI,  C.  xx,  font  fini 
la  persécution  par  Domitien  lui-même,  ce  qui  est  peu  vraisemblable. 

(2)  Pline,  dans  son  Panégyrique  à  Trajan,  c.  xlvi,  dit  en  parlant  des  mimes  ex- 
pulsés par  Domitien  ;  »  Nam  et  restitui  oportebat  quos  suslulerat  malus  princeps, 
et  tolli  restitutos.  »  A  quoi  Bvldomn  remarque,  loc.  ci/.,  p.  26  :  «  Sic  et  de  chris- 
tianis  tum  Romani  judicasse  videntur. 

(.3)  /.  Ep. ,  c.  I  :  Aià  ■zàç  aîçviSi'ou;  xal  £7ra).).yi).ou;  yEvofjieva;  r,(j.ïv  a\)\j.'fopàc.  xal 
TteptuTwaeti:,  àôeXçoî,  Ppàoiov  vo|j.ii^o!J.ev  é7tiaTpoqpr)v  TteTioirjcOai  uepl  twv  ÉTtiÇrjToujxévtov 
■KCLÇi'  û|jLÏv  7ipay[xàTwv,  àyaTryixoi',  éd.  Funk,  p.  60.  Cf.  SuÉtone,  Domil.  vit.,  c.  xi  ;  Erat 
autem  non  solum  ma  ;nae  sed  eliam  callidae  inopinataeque  saevitiae.  —  Voici,  pour 
la  date  de  l'épître,  un  témoin  qui  se  trouvait  à  Corintbe  au  milieu  du  deuxième 
siècle  :  Kai  qti  ye  xarà  rèv  8yiXoÛ[j.£vov  rà  x^ç  Kopiv6i'wv  xexfvyjTo  oTàfretoç  à^iô^pewç 
(làpTUÇ  ô  'Hyi^ffiTTiToç.  Hist.  eccles,,  1.  HI,  c.  xvi. 


—   40-  — 

pour  l'instant  il  se  trouve  dans  une  situation  analogue  (1).  Pour  un 
groupe  de  chre'tiens  du  moins,  les  circonstances  elles-mêmes  fournis- 
sentie  commentaire  de  l'exception  dont  ils  furent  l'objet.  Nous  voulons 
parler  de  ceux  de  la  gens  Flavia. 

Les  pre'toriens  exigèrent  dans  une  e'meute  la  mort  des  meurtriers 
de  Domitien  qu'ils  regrettaient.  Or,  on  n'ignore  pas  que  parmi  les 
conjurés  e'tait  un  affranchi  de  la  femme  de  Flavius  Clemens,  nommé 
Steplianus  (2).  Quelque  chose  de  l'antipathie  que  celui-ci  avait  suscitée 
devait  rejaillir  sur  la  famille.  C'est  aux  événements  qui  affligèrent 
maîtres  et  serviteurs,  que  se  rapjiorte  la  légende  manichéenne,  dé- 
signée sous  l'appellation  d'actes  des  saints  JNérée  et  Achillée.  iNous 
savions  l'exil  de  Flavie  Domitille,  la  nièce  du  consul,  dans  l'ile  Pontia. 
Le  récit  en  question  nous  apprend  qu'elle  y  avait  été  accompagnée 
par  deux  serviteurs,  à  la  garde  desquels  elle  se  trouvait  confiée  depuis 
la  mort  de  sa  mère  Plautilla,  mais  que  ceux-ci,  ayant  été  convaincus 
de  chi'istianisnie,  furent  ramenés  sur  le  continent  et  décapités.  11 
ajoute  qu'après  leur  supplice,  Nérée  et  Achillée  furent  enterrés  in 
prœdio  Domitillœ  in  crypta  arenaria^  in  via  Ardeatina,  a  muro 
Urhis  milliario  uno  semis,  juxta  sepulcruni  in  qiio  sepulta  fuerat 
Petronilla  apostoli  Pelrifilia  (3). 

Voici  maintenant  ce  que  nous  apprennent  les  monuments.  D'un 
côté,  en  38G,  on  voyait  encore  à  Pontia  (4)  les  chambres  qu'avait 
occupées  Flavie  Domitille  pendant  son  exil,  95-99  (environ).   De 


(1)  /  Ej).,  c.  VII  :  'Ev  yàp  tw  avràî  è(7(iàv  dxàaaaTt,  xxi  ô  aùxôç  viuïv  àywv  èTrîxEixat. 
Ed.  Funk,  p.  70. 

(2)  Philostrate,  1.  VIII,  c.  xxv.  Au  désir  que  cet  affranclii  pouvait  avoir  de  ven- 
ger ses  patrons,  Suétont:,  Domii.  vit.,  c.  xviii,  ajoute  un  motif  personnel  :  Stepha- 
nus  DoiiiilinaR  procurator,  et  tune  interreplarum  pecuniaruni  reus,  consiliuui  ope- 
rainque  obtulit.  S'il  n'eiU  point  été  païen,  Tei\tillien  ne  l'aurait  pas  nommé  pour 
prouver  resprit  de  soumission  des  chrétiens  :  Unde  qui  armali  paiatium  irrum- 
punt  omnibus  Stephanis  atque  Partheniis  audaciores?  de  Romanis  (ni  fallori,  id  est 
de  non  christianis.  Apologet.,  c.  xxxv. 

(.3)  Acta  snnciorum,  t.  \\\  de  mai,  p.  11  (éd.  d'.Anvers).  Suivant  ces  actes,  Nérée  et 
Achillée  avaient  été  baptisés  par  saint  Pierre,  l'année  même  de  son  martyre;  pareil 
lien  spirituel  unissait  ce  dernier  à  un  autre  membre  delà  famille,  la  célèbre  Petro- 
nilla, qui  devait  conserver  le  nom  de  fille  de  l'apôtre. 

(i)  .Saint  If.home  dit  en  rapportant  le  voyage  de  sainte  Paule,  A'/>.  27  ml  Eustnchium 
Vidensque  cellulas  in  quibus  longum  illa  martyrium  duxeraf. 


—  41  — 

l'autre,  depuis  1874,  grâce  à  la  ge'ne'rosite'  de  feu  Mgr  de  Me'rode  et 
aux  travaux  de  M.  de  Rossi,  nous  pouvons,  tout  autant  que  les 
pèlerins  du  quatrième  au  huitième  siècle  (1),  visiter  à  un  mille  et 
demi  des  murs  de  Rome  sur  la  voie  Arde'atine,  dans  la  crypta  arenaria 
jadis  transforme'e  en  basilique  souterraine,  l'emplacement  du  tombeau 
des  saints  Ne're'e  et  Achille'e,  indique'  par  une  inscription  du  pape 
Damase,  c'est-à-dire  antérieure  à  384,  et,  comme  le  font  remarquer 
les  actes,  voisin  de  celui  qu'occupa  le  sarcophage  de  sainte  Pe'tro- 
nille  avant  sa  translation  au  Vatican ,  en  avril  757. 

Qu'à   cet  endroit    nous  soyons   in  prœdio  Domitillœ ,   plusieurs 
concessions  de  terrain  (2)  nous  1  apprennent  : 

FLAVIAEDOMITIL/te 

{divi)  VESPASl  ANI-N  EPT  IS 
EIVS-BENEFIC10H0CSEPHVLCRV?« 
MEIS-LIBERTIS-LIBERTABVSPOjî/2 


EX  INDVLGENTIA 

FLAVIAE     DOMITILL 

IN   FRPXXXV 

IN    AGRPXXXX 

Ces  inscriptions,  rapproche'es  de  celle  que  nous  avons  cite'e  plus 
haut  (3),  et  qui,  quoiqu'on  n'eu  ait  pas  directement  la  preuve,  doit 
avoir  la  même  provenance,  se  rapportent  bien  à  Flavie  Domitille, 
l'e'pouse  de  Flavius  Clemens,  dont  l'intervention  s'explique  par  sa 
qualité  de  proprie'taire.  En  effet,  parmi  les  fragments  qui  jonchaient 
le  sol  de  la  basilique,  l'un  d'eux  conservait  gravées  des  lettres  de 

(1)  L'ancien  index  des  cimetières  subur))ains  donne  la  dénomination,  «  cœmete- 
rium  Domilillae,  Nerei  et  Achillei  ad  S.  Petroniîlam  via  Ardeatina  ».  C'est  dans  cette 
basilique  hors  les  murs  que  saint  Grégoire  le  Grand  improvisa  une  homélie,  que 
nous  avons,  en  Thonneur  des  SS.  Nérée  et  Achiilée  le  jour  de  leur  fête,  Moral,  in 
Eoang.,  1.  II,  hom.  28  :  «  Isti  sancti  ad  quorum  tuuibam  consistinius.  ■•  L'huile  de  la 
lampe  qui  brûlait  devant  cette  tombe  fut  recueillie  à  la  même  époque  par  rabl)é 
Jean  pour  la  reine  des  Lombards,  ïhéodelinde,  ainsi  qu'il  le  nota  lui-même  sur  le 
papyrus  de  Monza,  reproduit  dans  RiiNART^éd.   de  Ratisbonne),  p.  635. 

(2)  Inscr.,  Orelli-IIenzen,  n°*  5423  et  5422,  trouvées  vers  le  domaine  actuel  de  Tor- 
Marancia,  l'une  en  1772,  l'autre  en  1817. Cf.  Bull.  1865,  p.  23. 

(3)  Page  34. 


12  — 


type  antique;  la  terminaison  du  pluriel  indiquait  une  sépulture  de 
famille,  une  ancre  e'tait  le  symbole  chrétien  primitif  si  connu.  M.  de 
Rossi ,  ayant  calculé  la  longueur  de  la  lacune,  proposa  comme  sup- 
plément très-probable,  —  SepulcMM  FlaviOR\y\. 


Cette  lecture  a  été  justifiée  depuis  par  la  découverte  au  même 
endroit  de  nouveaux  exemples  de  ce  gentiliciuni ;  et,  entre  autres, 
d'une  tombe  du  deuxième  siècle  dont  le  marbre  porte  inscrit  en  belles 
lettres  grecques  : 

a>A  •  i:abeino2  •  kai  • 

•  TITIANH  •  AAEA^OI  • 

Ce  nom  est  le  même  que  celui  du  préfet  de  Rome  en  64  et  en  69, 
Flavius  Sabinus,  l'ancêtre  de  toute  la  branche  chrétienne  de  sa  famille; 
nous  avons  vu  déjà,  d'après  Tacite,  combien  ses  tendances  étaient 
éloignées  de  celles  de  ISéron,  qui  répugnaient  aux  gens  honnêtes 
jusque  dans  les  rangs  inférieurs  de  la  garde  impériale.  C'est  en  effet 
là  que  nous  devons  chercher  Nérée  et  Achillée,  depuis  qu'un  fragment 
notable  de  leur  marbre  tumulaire  autorise  la  restitution  complète  de 
l'éloge  damasien  connu  jusqu'alors  seulement  par  les  manuscrits  (1)  : 

Militifp  nomen  dederaut  sœvum  Q.  gerebant 
Officium  pnriter,  spécialités  jussK  TYRr///n/, 
Prœceptis  puisante  metii  *er^^RE  VkKnti. 
Mira  fides  rerum,  subito  ;;o.s-.vMfRE  FVROREwi. 
Conversi  fiigiuut,  ducis  iiiipia  castrk  RELINQVVNT 
Projiciunt  ch/pcos,  Jahras,  telAQ.  CRVEMA 
Coiifessi  gaudent  C/iristi  portrirE  TRIVMFOS 
Crédite  per  Damasum  possit  quid  GLORIA  CHRISTI. 

(1)  Bull.,  1874,  p.  20  et  suiv.,  pi.  i.  —  V.  Bull,,  1875,  p.  8,  pi.  IV,  les  débris  des  deux 


—  43  — 

On  a,  il  est  vrai,  discuté  la  question  de  savoir  si  les  soldats  romains 
pouvaient  être  employe's  aux  exe'cutions  (1),  mais  elle  ne  fait  pas  de 
doute  quant  à  cette  e'poque  ne'faste,  dont  parle  Juve'nal  (2),  où  la 
cohorte  tout  entière  des  pre'toriens  servait  d'instrument  à  la  volonté' 
despotique  de  Ne'ron.  Car  on  reconnaîtra  en  lui  le  tyran  dont  parle 
l'inscription ,  et  le  préfet  du  prétoire  [diicis  impia  castra)  dans  Tigel- 
linus,  qui  était  le  digne  ministre  de  ses  cruautés  :  c'est  seulement  à 
la  fin  de  l'année  Q^  que  parut  son  émule  Nymphidius  (3). 

C'est  aussi  à  ce  moment  que  Flavius  Sabinus  cessa  sa  première  pré- 
fecture urbaine.  Aucun  témoignage  formel  ne  nous  autorise  à  ad- 
mettre ici  sa  conversion  au  christianisme  (4);  mais  ce  n'est  pas  une 
raison  pour  rejeter  celle  de  sa  fille  Plautilla,  dont  Nérée  et  Achil- 
lée,  sans  doute  afin  de  tromper  les  poursuites  dirigées  contre  eux, 
étaient  devenus  alors  les  serviteurs.  D'un  autre  côté,  en  1854, 
en  1855  et  depuis  encore,  des  monuments  païens  des  Bruttii  ayant 
été  trouvés  mêlés  aux  monuments  chrétiens  des  Flavii,  on  en  a 
conclu  à  bon  droit  que  leurs  tombeaux  étaient  situés  à  proximité 
l'un  de  l'autre.  Or,  c'est  sur  la  foi  d'un  Bruttius  païen  qu'Eu- 
sèbe  a  rapporté  l'exil  à  Pontia  d'une  Domitille  qui  s'était  déclarée 
chrétienne  :  le  voisinage  des  propriétés  n'explique-t-il  pas  que  son 
attention  se  soit  portée  plutôt  sur  cette  condamnation  que  sur  une 
autre?  Par  contre,  s'il  ne  mentionne  pas  l'exil  à  Pandatarie  de 
la  femme  de  Flavius  Clemens,  qui  s'appelait  aussi  Domitille,  c'est 


colonnes  sur  lesqueUes  était  sculpté  leur  supplice,  conforme  d'ailleurs  à  ce  qu'en 
disaient  les  Actes  :  Capite  caesi  sunt.  Cf.  ibid.,  p.  40,  pi.  v. 

(1)  Voir  le  mémoire  de  M.  Le  Blant  intitulé  :  Recherches  sur  les  bourreaux  du  Christ, 
qui  ne  l'admet  pas,  et  celui  de  M.  îValdet  (lui  faisant  suite  dans  le  t.  XXVI,  2"  partie, 
des  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions)  OÙ  est  soutenue  l'opinion  contraire  pour  la 
période  de  l'empire. 

(2)  Sat.  X,  V.  15-18  : 

Temporibus  diris  igitur,  jussuque  Neronis 
Longinum  et  magnos  Senecae  praedivitis  hortos 
Clausit,  et  egregias  Lateranorum  obsidet  aedes 
Tota  cohors. 

(3)  Tac,  An.,  1,  XV,  c.  Lxxii  :  Consularia  insignia  Nymphidio,  de  quo,  quia  nunc 
primum  oblatus  est,  pauca  repetam. 

(4)  iD.,  Hist.,  1.  m,  c.  Lxxv  :  In  fine  vitae  alii  segnem,  multi  raoderatum  et  civium 
sanguinis  parcum  credidere. 


—  44  — 

qu'ellp  lui  parut,  comme  à  la  plupart  Hes  contemporains,  impli- 
que'e  dans  la  disgrâce  de  son  mari,  et  celte  disgrâce  pouvait  avoir  une 
appai'ence  politique  autant  que  religieuse  :  ex  tenuissimn  suspi- 
cione,  se  contente  d'e'crire  Suëtone.  Les  actes  apocryphes  ne  nous  ont 
pas  trompés  sur  l'identité  de  >>érée  et  d'Achillée;  ce  serait  agir  arbi- 
trairement que  de  les  récuser  sans  motif  sur  celle  de  Plautilla  et  de  la 
seconde  Domitille.  Il  convient  également  de  signaler  l'accord  de  ces 
sources,  plus  ou  moins  troubles,  avec  les  monuments,  accord  qui  sug- 
gère à  M.  de  Rossi  quelques  réflexions  très-justes  sur  le  suhstratum 
historique  dont  elles  dénotent  la  présence  :  a  Cela  est  si  vrai,  dit-il  (1), 
qu'au  sixième  et  au  septième  siècle  des  recherches,  des  fouilles  et  des 
études  archéologiques  eussent  été  nécessaires  pour  qui  aurait  voulu 
emprunter  aux  monuments  la  matière  des  légendes  et  procurer  à 
celles-ci  la  créance  et  la  vraisemblance  chronologique,  comme  aussi 
pour  éviter  de  placer  au  temps  de  Dioclétien  les  martyrs  tués  par 
Néron  et  réciproquement,  ou  de  confondre  les  conditions  de  la  sépul- 
ture chrétienne  qui  furent  différentes  dans  les  différentes  persécu- 
tions. «  Ce  dernier  point  importe  évidemment  à  l'étude  des  rapports 
du  christianisme  avec  l'autorité  publique,  et  nous  devons  chercher 
sous  quel  aspect  la  question  funéraire  se  révèle  au  moment  où  nous 
nous  trouvons,  c'est-à-dire  à  la  fin  du  premier  siècle. 

Sans  nous  engager  dans  les  innombrables  réseaux  de  la  Rome  sou- 
terraine (2),  prenons,  par  exemple,  le  groupe  des  tombeaux  dont  nous 
venons  de  parler  et  qui  a  formé  le  noyau  du  cœmeterium  Domitillœ. 
Cette  dénomination  nous  fournit  déjà  un  principe  assez  commun,  c'est 
que  les  cimetièi^es  étaient  désignés  ])nmitivement  par  leur  nom  local, 
ou  par  celui  des  anciens  fondateurs  (3),  avant  de  porterie  vocable  des 
principaux  martyrs  qui  y  étaient  enterrés.  Us  ont  commencé  en  effet 

(1)  Bull.,  1869,  p.  15. 

(2i  Voir  Pintéressant  ouvraîje  de  M.  l'aiil  Allard  (Paris,  1877,  2''  éd.)  qui,  sous  ce 
titre,  a  résumé  les  trois  volumes  de  la  Itomc.  soiierranea  italienne:  comparer  le  ré- 
sumé anfilais  du  D'  Nouthcote,  qui  était  le  premier  en  date  (Londres,  18G9  et  1879, 
2«  éd.),  et  le  résumé  allemand  du  n'  Knvrs  (Fribourf;  en  Brisjïau,  1S79,  2'  éd.). 

i'3)  Il  est  remarquable  que  les  noms  de  femmes  reviennent  souvent  :  CommodillΠ
sur  la  voie  dOstie,  Priscillœ  sur  la  voie  Salaria,  Cijn'acœ  sur  la  voie  Tiburtine,  etc. 
M.  Le  Blànt  a  constaté  aussi  leur  zèle  à  donner  la  sépulture  aux  martyrs. 


—  45  — 

par  être  domaine  particulier  {prœdium);  puis,  affecte's  par  les  proprié- 
taires convertis  ou  déjà  chrétiens  à  la  sépulture  de  leurs  coreligion- 
naires [ad  reJigionem  jJertinentes  meam,  dit  une  inscription)  (1),  ils 
ont  fini  par  passer  entre  les  mains  de  la  communauté  ecclésiastique 
{ecclesia  fratrum)  (2).  Mais  l'Eglise  ne  les  a  pas  possédés  ainsi  dès 
l'origine,  ce  n'est  que  })lns  tard  que  la  propriété  collective  a  succédé  à 
la  propriété  individuelle.  Une  personne  d'abord  ou  une  famille  étaient 
seules  en  nom,  et  rien  ne  distinguait  extérieurement  des  sépultures 
païennes  les  sépultures  chrétiennes  qui,  en  temps  de  persécution  même, 
étaient  respectées.  D'ailleurs  la  religion  des  tombeaux,  l'un  des  carac- 
tères les  plus  frappants  de  l'antiquité,  avait  son  expression  formelle 
dans  la  loi  romaine  (3).  Aussi,  à  côté  du  titre  reconstitué  Sepul- 
crum  Flaviorum,  a-t-on  retrouvé  une  formule  païenne  destinée  à  pro- 
téger la  sépulture,  locvs  sacer  sacrilège  cave  malv(/«),  inscrite 
sur  deux  faces  d'un  cippe  qui  peut-être  en  gardait  l'entrée.  Cette 
entrée  même  n'était  nullement  dissimulée.  Nous  avons  une  preuve  de 
la  sécurité  qui  entourait  alors  les  tombes  chrétiennes  dans  la  façade 
architecturale  et  le  vaste  vestibule,  naguère  remis  au  jour  avec  le 
concours  de  M.  le  comte  de  Richemont  (4),  et  par  lesquels  le  cimetière 
de  Domitille  s'ouvrait  sur  la  voie  Ardéatine.  Le  caractère  classique  des 

(1)  Bull.,  1865,  p.  54;  eUe  provient  du  cimetière  de  Saint  Nicomède,  in  horto  Jnsti 
(auj.  villa  Palrizij  sur  la  voie  Nornentane.  En  1853  fut  découverte  précisément  au  ci- 
metière de  Domitille  l'inscription  suivante,  Borna  soit.,  t.  I,  p.  109  : 

M  ANTOM 
VS  RESTITV 
s  FECIT  YPO 
GEV  SIBI  ET 
SVIS  FIDENTI 
BVS  I\  DOMINO 

(2)  M.  r.éon  Renier,  mscr.  d'Algérie,  n"  4035.  Voir  notre  troisième  partie. 

(3)  Maucien,  D.  liv.  I",  fraff  vi,  ,§  4  ;  Relijjiosum  locum  unusqiiisque  sua  volun- 
late  facit,  dum  niortuum  infert  in  locum  suuni.  Toutefois  il  n'était  pas  permis  d'en- 
terrer, sauf  de  rares  faveurs,  dans  l'enceinte  de  Rome  :  «  Hominem  mortuum,  in- 
quit  lex  in  \II  tahulis,  in  urbe  ne  sepelito,  neve  urito.  ■  Et  même  au  dehors,  le 
domaine  pul)iic  était  à  l'abri  de  cette  sorte  de  prescription  :  Statuit  enim  colle- 
gium  (pontiticum)  locum  publicum  non  potuisse  privata  religioue  obligari.  CicÉ- 
RON,  De  leg .,  c.  xxin. 

(4)  Bull.,  1865,  p.  23  et  96.  M.  de  Rossi  avait  déjà  insisté  dans  le  t.  I  de  la  Roma  sot- 
terranea  sur  ce  fait,  capital  pour  la  chronolojïie  des  catacombes,  que  plus  les  tom- 
beaux sont  anciens,  plus  la  structure  est  parfaite  et  la  décoration  soignée,  ce  qui 


—    16  — 

constructious  et  le  style  délicat  des  stucs  peiuts  qui  en  revêtaient  les 
voûtes  les  font  remonter  à  la  fin  du  premier  siècle;  du"  reste  les 
empreintes  de  briques,  dont  les  dates  permettent  de  suivre  le  dévelop- 
pement successif  de  rhy[)ogëe,  s'arrêtent  à  Marc-Aurèle.  Dans  la 
partie  plus  ancienne,  c'est-à-dire  voisine  de  la  porte,  étaient  repré- 
sentées, sans  aucunes  précautions,  des  scènes  bibliques,  et  au-dessus 
de  l'ouverture  extérieure,  se  voit  encore  la  place  d'une  large  inscrip- 
tion qui  indiquait  aux  yeux  de  tous  le  nom  du  propriétaire  (1).  Tout 
témoigne  donc  de  l'état  de  légalité  de  celle  sépulture,  et  même  d'un 
état  de  tranquillité  lors  de  sa  prcmièie  origine.  Après  que  Domilien 
eut  sévi  contre  les  membres  chrétiens  de  sa  famille,  les  fidèles  ne  con- 
nurent plus  assez  de  paix  pour  élever  un  pareil  monument  :  depuis 
lors  il  fut  juste  de  leur  appliquer  ces  épilhèles,  que  Minucius  Félix 
met  sur  les  lèvres  du  païen  Caecdius(2),  d'habitants  de  terriers  et  d'oi- 
seaux de  nuit. 

Nous  n'avons  pas  de  renseignements  précis  sur  la  fin  de  saint  Clé- 
ment. Saint  Jérôme,  qui  avait  quitté  l'Italie  en  385,  écrivait  dans  son 
De  viris  illustribus,  ch.  xv  :  Nominis  ejiis  memoriam  usque  hodie 
Romœ  exstructa  Ecclesia  custodit.  C'est  la  basilique  inféiieure  décou- 
verte en  1858;  comme  elle  est  située  dans  l'intérieur  de  Rome,  une 
loi  connue  (3)  nous  interdit  de  songer  ici  à  son  tombeau.  Deux  cham- 
bres, restes  d'une  habitation  particulière,  ornées  de  stucs  très-anciens, 
etdécouvertessouslesolde  la  basilique  inférieure,  ont  fait  penser  qu'il 


ne  s'explif|iierail  pas  si  tous  les  premiers  rhréliens  avaieiil  été, selon  les  expressions 
favorites  des  écrivains  modernes,  un  gibier  de  police,  la  lie  de  la  cité. 

(1)  V.  Bull.  1881,  pi.  iir-vi,  une  inscription  analogue  qui  vient  d'être  retrouvée  à 
sa  place  dans  un  hypogée  particulier  du  cimetière  de  Doniitille,  et  portant  cette 
seule  mention  :  AMl'I.l.MI.  Les  peintures  qui  ornent  l'hypngée  sont  contemporaines 
de  celles  de  l'entrée  du  cimetière  et  n'offrent  même  que  des  motifs  décoratifs  d'ar- 
chitecture et  de  paysages  étrangers  au  symbolisme  chrétien.  Or  un  des  plus  anciens 
convertis  an  christianisme  fut  cet  Amplialus,  que  saluait  en  58  saint  Paul  parmi  les 
fidèles  de  l'Église  de  Rome,  lip  ,  c.  xvi,  v.  8  :  'AoTtitrocrOs  'A[jnt).iaTov  tov  o.^a.-nt\ifn 
(i.oy  èv  Kupito. 

(2,0cTAVits,c.  VIII  :  I.alebrosa  et  lucifugax  natio.  Celse(Ouic..c  Cds.,  1.  IV,  c.  xxiii) 
les  comparait  à  des  vers  tenant  conciliabule  au  coin  d'un  l)Ourl)ier  :  ly.oô).Y;5iv  èv 
Poiêôpou  yiovîa  iyt.yùrin\.'xC,'j\irn. 

(3)  V.  la  page  précédente,  note  3.  .1.  Capitolin  fait  étendre  par  Antonin  la  prohi 
biliouaux  autres  villes  ;  Inlra  urbes  sepeiiri  morluos  vetuit.  lit.  Am.,  c.  xii. 


—  47  — 


s'agissait  plutôt  d'un  eudi'oit  où  il  avait  demeure.  Se  rattachait-il  par 
un  lieu  de  parenté  à  Flavius  Clemens  (1),  ainsi  que  le  veulent  les  actes 
des  saints  Nére'e  et  Achillée?  Du  moins  on  pourrait  admettre  entre 
f  ux  des  rapports  de  client  ou  d'affranchi  :  ce  qui  conviendrait  aux 
difficultés  de  sa  situation  après  la  mort  du  consul  de  l'an  95,  et 
aux  débuts  du  règne  de  Nerva.  Que  saint  Clément  ait  quitté  Rome 
alors  soit  librement,  soit  forcément,  cela  est  vraisemblable  et  mo- 
tive l'absence  d'indication  romaine  de  sa  sépulture.  La  tradition, 
représentée  par  ses  actes  légendaires,  qui  le  fait  travailler  dans 
les  mines  de  la  Chersonèse  Taurique,  puis  précipiter  dans  la  mer, 
était  connue  de  Grégoire  de  Tours  (2).  On  en  rencontre  des  traces 
dans  le  Missale  Gothicum,  manuscrit  du  Vatican  que  JNI.  Léopold 
Delisle  date  du  septième  siècle,  et  deux  listes  des  sépultures  des 
papes  que  M.  l'abbé  Duchesne  a  démontré  avoir  été  extraites  du 
Liher  pontificalis  au  commencement  du  sixième  siècle,  mentionnent 
également  le  Pont-Euxin  (3).  Nous  savons  de  plus  qu'en  867, 
saint  Cyrille,  apôtre  des  Slaves,  vint  avec  son  frère  saint  Méthode 
à  Rome,  apportant  des  reliques  découvertes  par  lui  en  Crimée, 
qu'il  disait  être  celles  de  saint  Clément  et  qui  furent  déposées 
dans  l'église  portant  déjà  ce  nom,  où  lui-même  fut  enterré  peu 
après  (4j.  11  est  certain  d'un  autre  côté  que  le  nom  de  saint  Clément 
n'a  pas  tardé  à  être  entouré  d'une  considération  exti-aordinaire  en 
Orient.  Comment,  seul  des  premiers  successeurs  de  saint  Pierre,  sans 

{\)  Le  roman  des  Rccogniiiones  donne  sa  généalo.'ïie  avec  des  noms  des  Antonins,  tout 
en  le  rangeant  dans  la  famille  des  Césars,  ce  qui  est  encore  différent  des  Flaviens. 

(2)  V.  ces  Actes  dans  le  loinc  II  des  Opéra  Patmm  aposlolicum  (Tiiliingen,  1881), 
éd.  Funk.  p.  40  et  s.  Cf.  Grec.  Tlr.,  />f  glor.  mart.,  c.  xxxv,  xxxvi.  Déjà  Rufin 
dans  saint  Jérôme.  Apol.  ado  Ru/.,  1  II,  et  le  pape  Zozime,  en  407,  dans  une 
lettre  aux  évéques  d'Afrique  que  reproduit  Baronius  à  cette  année,  lui  donnaient 
le  titre  de  martyr.  M.  de  llossi ,  réunissant  les  fragments  épars  dans  les  deux  basili- 
ques superposées  d'une  inscription  pliilocalienne  (fin  du  iv«  s.),  l'a  reconstituée,  sur 
des  exemples  connus,  de  la  manière  suivante  :  -  Salvo  SlRicio  eplSCopo  ECCLesiœ 
stinclœ  G\....  PRAESBYTEK  sancto  MARTYRi  Clemenli  AOC  VOLVIT  dedicatum.  .  Bull. 
1870,  p.  148. 

(3j  Thèse  sur  le  Liber  ponUJicalis,  soutenue  en  1877,  p.  164.  l.'un  des  Ms.  i  Vatican, 
n"  3764  porte:  •  in  pontu,  in  mari;  l'autre  iBibl  nat.,  n"  3140.)  a  la  variante 
plus  grammaticale,  mais  moins  fidèle  ;  '  in  porlu,  inmari.  - 

(4)  Bull.,  1863,  p.  9;  1864,  p.  I  et  suiv.  Voir  aussi  la  thèse  de  M.  LÉgku,  soutenue 
eu  1866,  sur  la  Conversion  des  Slaves  au  christianisme,  p.  103. 


—  48  — 

avoir  siégé  très-longtemps  (1),  a-t-il  pu  ainsi  frapper  au  loin  les  ima- 
ginations? 11  s'était  adresse'  aux  Corinthiens  sur  un  ton  d'incontestable 
supériorité  (2)  : 

't  Vous  nous  remplirez  de  satisfaction  et  de  joie,  leur  dit-il  à  la  fin 
de  rÉpitre,  si,  vous  montrant  soumis  à  ce  que  nous  vous  écrivons  au 
nom  du  Saint  Esprit,  vous  arrêtez  le  débordement  injuste  de  votre 
jalousie,  selon  l'exhortation  à  la  pacification  et  à  l'entente  que  nous 
vous  avons  faite  dans  la  présente  lettre.  INous  avons  aussi  délégué 
des  hommes  sûrs  et  graves,  ayant  vieilli  parmi  nous  sans  reproche, 
qui  seront  témoins  entre  vous  et  nous.  JNous  en  avons  agi  ainsi, 
pour  vous  montrer  que  notre  unique  et  constante  préoccupation  est 
que  vous  ne  tardiez  point  à  rentrer  en  paix.  ^  Et  un  peu  plus  haut  : 
«  Si  quelques-uns  n'obéissent  pas  à  Jésus-Christ  qui  leur  parle  par 
notre  bouche,  nous  les  avertissons  qu'ils  s'exposent  à  tomber,  et  qu'ils 
encourent  un  péril  sérieux.  » 

Cette  lettre,  on  la  lisait  encore  dans  l'Église  de  Coriiithe  en  170, 
comme  l'écrit  l'évêque  Denys  au  pape  Soter,  et  déjà  saint  Ignace 
d'Antioche,  dans  son  Epître  aux  Romains,  y  avait  fait  allusion  (3).  Les 
deux  évêques  et  saint  Clément  lui-même  témoignent  assurément  de 
l'autorité  de  son  siège.  Mais  il  y  a  plus  :  comment  rendre  compte, 
en  dehors  de  son  prestige  personnel,  de  la  diffusion  si  rapide  des 
romans  clémentins  éclos  en  Syrie  au  commencement  du  troisièuie 
siècle?  C'est  également  sous  son  nom  que  circula,  vers  la  fin  de  ce 
siècle  et  dans  le  même  centre,  la  plus  grande  partie  des  canons  dits 


(1)  Toutes  les  listes  épiscopales  lui  attribuent  un  pontificat  de  neuf  années;  voir 
le  tableau  dans  Hvu.nack,  l>ie  Zeitdes  Jgnatius,  p.  73. 

(2)  /  Ep.,  C.  Lxiii  :  Xapàv  yàp  xat  àyaÀXi'aatv  f,!J:tv  Tiaf/ÉçÊXt,  èàv  Û7ty)xoot  ye.'/OiiZMOi 
Toïç   uç'   r,|AÛ)V  Yey(;a[j.[j.£voiç  ôtà  toO  âyiou  nv£Û[i.aTo;...  iné\L<\i'x\i.s.y  6à  xaî  à'vSpaç  ttkttov; 

xai  ffwçpovaç oÏtive;  xai  \i.ipi\J^eç  ecfovxai  [ASTa^O  ù[j.(jjv  xat  T;(jlwv.  Ed.  Funk,   p.    142 

(cf.  p.  134K  Ces  personnages,  qu'il  nomme  ensuite  claudius  Hphcbus  elValerius 
Viton,  seraient,  d'aprfs  une  conjecture  du  D'  Liylilfoot,  les  gens  de  la  maison  de 
César,  mentionnes  à  côté  de  saint  Clément  par  s.vi.nt  l'xvi,  t!p.  aux  Philippicm,  c.  iv, 
V.  3  et  22 

(3)  Hisl.  eccl.,  1.  IV.  C.  XXIII,  11.  —  Ep.  aux  liom.,  c.  m  :  OùôiTioxe  è6aaxâvaT£  oùÔéva" 
a).>,ov;  èo'.Sà^aTE  ;  el  il  ajoute  :  'Eyw  ôè  6£).o),  tva  xàxEÏva  péêaia  ^  a  |J.aOriT£\JovT£;  evté),- 
)£i70£.  Éd.  Funk,  p.  214.  Ce  qui  équivaut  ù  la  formule  de  notre  acte  de  foi  actuel  : 
Je  crois /crmimcnl  tout  ce  que  l'Egluc  romaine  m'ordonne  de  croire. 


—  49  — 

apostoliques,  quand  déjà  à  Alexandrie  il  avait  reçu  le  titre  d'apôtre  (I). 
De  la  sorte  s'e'tait  re'alise'e  la  parole  du  Romain  Hermas  (2)  :  't  Clément 
enverra  le  livre  aux  villes  du  dehors,  car  ce  soin  lui  est  confie'.  "  Par 
cette  mention,  il  plaçait  son  livre  sons  un  patronage  illustre,  etl'on  sait 
en  effet  quelle  faveur  l'ouvrage  d'Hermas  rencontra  chez  les  Églises 
orientales,  dès  son  apparition  (3).  Eu  re'sume'  :  1°  maigre'  la  jdace  con- 
sidérable que  saint  Clément,  pontife  de  Rome,  occupe  dans  la  tradition, 
il  ne  reste  à  Rome  ni  document  sur  sa  mort  (4),  ni  monument  de  sa 
sépulture;  2°  l'explication  de  ce  fait  nous  est  fournie  par  la  légende, 
qui  nous  semble  renfermer  un  élément  traditionnel,  le  souvenir  de  son 
exil  dans  la  Chersonèse  Taurique,  sans  que  nous  en  puissions  déter- 
miner les  circonstances  précises. 

JNous  remarquerons  finalement  que  dans  les  parages  où  l'exile  la 
tradition,  c'est-à-dire  en  Crimée,  on  a  découvert,  avec  les  traces  de  la 
présence  de  Juifs  hellénisants  (5),  des  preuves  d'un  développement 
précoce  du  christianisme  (6). 

En  même  temps  que  ces  chrétientés  éloignées  s'organisaient,  le 
pays  environnant  Ephèse  avait  vu,  par  les  soins  de  saint  Jean,  se  mul- 
tiplier les  Eglises  (7);  aussi  avons-nous  lieu  d'être  moins  surpris  que 
Pline,  qui,  arrivant  comme  légat  propréteur  dans  une  province  située 
entre  ces  deux  régions,  constatait  avec  étonnement  que  les  villes  et 

(1)  ClÉm.  d'Alexandrie,  Sirom.,  I.  IV,  c.  xvii,  init.  :  '0  aTiôcrTo/o;  K)r,!xri:. 

(2)  Past.  Vis.  II,  C.  IV,  3  :  ll£[n}/îi  ouv  KV^avi;  et;  Ta;  £?w  ir6).£iç,  iv.d'iM  yàp  £tcit:- 
TpaTTTat.  Éd.  Funk,  p.  350. 

(3)  Une  homélie  nous  est  aussi  parvenue  avec  Tintituié  de  deuxième  épttre  de 
saint  Clément,  qui  est  précisément  contemporaine  du  Tvre  du  Pasteur. 

(4)  Les  chroniques  s'accordent  pour  la  placer  immédiatement  après  celle  de  saint 
Jean  qui  arriva  vers  l'an  100  d'après  saint  Irénée  et  Jules  Africain.  Cf.  Malalas  l  \I, 
éd.  de  Bonn,  p.  261.  —  M.  Renan,  Journal  des  Stuanis,  janv.  1877,  p.  13,  dit  de  saint 
Clément  :  >  Son  autorité  passa  pour  la  plus  grande  de  toutes  en  Italie,  en  Grèce,  en 
Macédoine,  durant  les  dix  dernières  années  du  premier  siècle. 

(5)  FRIEDL.CNDEU,  Siltcngeschichle  lioms,  t.  III,  p.  508  (Leipzig,  1871). 

(6)  Bull.,  1864,  p.  5.  —  DE  KdEHNE  ,  Description  du  Musée  A'oitchoubey  (Saint-Péters- 
bourg, 1857)  :  t.  Il,  p.  348,  360,  416,  monnaies  portant  la  croix  des  la  fin  du  troisième 
sièile;  t.  I,  p.  448,  basilique  du  quatrième  siècle,  découverte  à  .Sébastopol;  p.  172, 
il  résulte  d'une  pierre  tumulaire  que  Trajan  avait  dans  cette  ville  une  garnison  qui 
fut  retirée  par  Hadrien. 

(7)  Clément  d'Alexandrie,  Quis  die.  salv.,  §  42  :  'ATnjet  napaxa/.oùjJ.£voç  xai  inl  rà 
ii),Yi(Tiô-/(i)pa  Tûv  eOvôiv,  onou  (làv  èmay-ônovi  xaTao'Triffwv,  ouou  Se  xXrjpo)  eva  yé  xiva 
xXripwffwv  Tôiv  ÛTtô  xoO  Ttviû[AaTo;  (7ïip.aivo(xévwv. 

4 


—  ô(i 


les  campagnes  de  la  Bithynie  et  du  Pont  étaient  remplies  de  chré- 
tiens, ïrajan  en  tiouvera  autant  en  Syrie  lorsqu'il  viendra  à  Au- 
tioche ,  et  de  même  plus  tard  Hadrien,  visitant  la  Palestine  et 
l'Egypte,  à  Alexandrie  et  à  Jérusalem.  Au  milieu  des  ruines  de  cette 
dernière  ville,  à  côté  des  campements  de  la  legio  X'  Fretensis,  s'éle- 
vaient encore  sur  la  niontagne  de  Sion  (1)  quelques  pauvres  ma- 
sures échappées  à  la  destruction  :  dans  le  cénacle  de  l'une  d'elles, 
les  apôtres  s'étaient  réfugiés  après  l'Ascension,  et  là  se  réunissait 
maintenant  la  petite  communauté  chrétienne  (2) ,  qui  obéissait  au 
vénérable  évêque  Siméon  et  devait  donner  d'autant  moins  d'om- 
brage aux  soldats  romains  que,  par  son  retour,  elle  avait  répudié  les 
tendances  juives  de  la  branche  nazaréenne  demeurée  au  royaume 
d'Agrippa  H.  Cependant  sous  l'administration  d'Alticus,  légat  con- 
sulaire de  Palestine,  105-107  (3),  saint  Siméon  fut  dénoncé  tant 
comme  chrétien  que  comme  descendant  de  la  race  de  David  par  des 
sectaires  juifs  dont  parle  Hégésippe  (4),  très-capables  de  continuer 
contre  ce  vieUlard  de  cent  vingt  ans  la  tradition  impitoyable  de  leurs 
frères  eu  Israël. 

Eusèbe  lui  donne  comme  successeurs  jusqu'en  189,  d'abord  treize 
évêques  de  la  circoncision ,  puis  quinze  de  la  gentilité ,  plaçant  le  pre- 
mier de  ceux-ci  après  la  dernière  révolte  des  Juifs  (5),  en  136,  ce  qui 
raccourcit  singulièrement  la  moyenne  de  leur  longévité.  Aussi  les 


(1)  Ce  coin  des  remparts  avait  été  épargné  par  Titus  pour  donner  ù  la  postérité 
une  idée  de  la  résistance  qu'ils  avaient  oppos'e.  B.  Jud.,  1.  VU,  c.  i. 

(2)  S.viNT  Épiphane,  De  mensnn's  et  ponderibtis,  c.  Xiv  :  Kai  iy\z  toO  W£oO  £/.x),r,iTta; 
[jLixpâ;  oùcr/;;*  ev6a  07ro<JT(i£(]^avT£;  oî  jj.a6riTai,  ote  6  Iio-ir,p  àv£/T,çOif)  ■mh  xoO  'EXaiwvo;, 
àv£êr,uav  eIç  tô  ÛTtepwov.  'Ey.£Ï  vàp  wv.ooo[xriTO,  toutecttiv  èv  Tto  [A£p£i  ïtwv,  y^Ti;  àTtô  tt); 
Èpriiiw<T£wç  7tap£)et;6ri,  xai  [x£fïl  oixr-ffEwv  it£pi  aÙTrjv  tr.v  Siwv.  C  XV  :  (01  naOr,Tai  twv 
[iaQ/iTÙv  Twv  à7io(jXo),wv)  r,(7av  yàp  ÛTC0TT[i£4'avT£;  àuo  lié),).?;;  xiô;  it6).ew?  eU  'l£poij(7a).ri(A 
■/.al  ô'.oâazovTE;. 

(3J  W.vuDiXGTON,  Faslet  des  piorhices  asiatiqws  (Paris,  1872),  §  126. 

(4)  Hist.  eccL,  1.  III,  c.  xxxii,  3  :  'Attô  toOtwv  ôr]).aôr;  tûv  aipETixwv  v.n.Ttr{oç(i\)<si.  Tive; 
Su|i.£wvo;  îoO  K)(.)7ià,  ùk  ôvto;  k-nb  Aaêto  xai  ypiffTiavoO,  xal  oûtw  [j.apTvp£Ï  £tû)v  ôjv  éxaxôv 
EcxoTiv,  STti  Tpaïavoù  Kadraso;  xat  Onatixc/O  'AttixoO. 

(5)  I.a  défaite  de  Bar  ochebas  fut  suivie  de  linierdiclion  aux  Juifs  de  l'entrée  de 
Jérusalem  (saint  Jlstin,  I  Apol.,  c.  47,  éd.  Otto,  p.  131;  AnisTo\  de  Pella,  vol.  IX, 
Corp.  Apol.,^.  356-3591,  et  de  la  circoncision  ^ainsi  doit  être  rectifié  Spahtien,  lit 
Hadr.,v,  xiv).  Cette  dernière  défense  fut  en  partie  levée  par  Anlonin  :  I).,  liv.  XLVIII, 
lit.  VIII.  fr.  11  :  circumcidere  Juda-is   filios  suos  lantum  rescripl(t  divi  Pii  permit- 


—  51  — 

appelle-t-il  Ppa-xu^iou;,  mais  il  avoue  en  même  temps  qu'il  n'a  trouvé 
aucun  renseignement  chronologique  sur  leur  compte  (1).  On  a  bien  vu 
là  deux  listes  e'piscopales  distinctes,  l'une  appartenant  à  l'Eglise  des 
Nazare'ens,  l'autre  à  l'Eglise  de  Je'rusalem,  qui  seule  avait  vu  d'un 
œil  indiffe'rent  fonder  la  ville  païenne  d'^lilia  Capitolina.  Sulpice- 
Se'vère,  ne  marquant  l'installation  d'une  garnison  en  cet  endroit  que 
sous  Hadrien,  fait  élire  alors  le  premier  évéque  incirconcis  Marc, 
et  prête  au  fait  une  signification  favorable  au  christianisme  (2). 
Overbeck  acce|)te  la  date  tardive  de  cette  coïncidence,  qui  n'est  due 
cependant  qu'à  la  conjecture  d'Eusèbe,  et  renchérissant  encore  sur 
l'historien  Sulpice-Sévère,  voit  dès  ce  moment  poindre  clairement  à 
l'horizon  la  future  alliance  de  l'Église  avec  l'État  romain  (3). 


1.   LE  RESCRIT   DE  TRAJAN. 


L'État,  à  défaut  du  public  lettré,  avait  fini  i)ar  se  rendre  compte  que 
l'Église  chrétienne  ne  partageait  point  les  aspirations  de  la  synagogue 
juive;  mais,  loin  de  lui  en  savoir  gré,  il  commença  par  la  mettre  hors 
la  loi,  comme  nous  Talions  voir,  tandis  qu'il  laissait  à  la  nation  israélite, 
vaincue,  il  est  vrai,  et  dispersée,  tous  ses  privilèges,  l^a  vérité  exige 
donc  que  nous  fassions  précéder  le  traité  de  paix  par  une  guerre  sans 
merci,  sinon  sans  trêve,  dût-il  plaire  à  quelques-uns  de  ne  considérer 
les  persécutions  de  Néron  et  de  Domitien  que  comme  des  escarmou- 
ches. Le  premier  instrument  authentique  de  l'état  des  hostilités  est 

titur;  in  non  ejusdem  religionis  qui  hoc  fecerit,  castrautis  pœua  irrogatur.  Cf. 
Orig.  c.  Cels.,  liv.  II,  c.  xin  :  'AxpwTYiptàÇovTEç  Tiapà  toùç  xaOeffTÛTaç  v6[J.ou;  xaî  ta  'lou- 
Sai'otç  ffuyxïxwpYifiÉva  [xôvoii;. 

(1)  Hisi.  eccl.,  1.  I.V,  C.  V,  et  1.  V,  C.  XII. 

(2)  Chron.,  \.  II,  31  ;  Nimiriim  id  Domino  ordinante  disposituin,  ut  legis  servitus 
a  libertate  fidei  atque  ecclesia?  toUeretiir. 

(3)  Studien,  p.  103  :  -  So  dass  inan  sclion  an  diesem  Punkte  den  spateren  Bund  der 
Kirche  und  des  rômischen  Staates  deutiicli  keinien  seheu  kann.  » 

4. 


—  52  — 

le  resciit  de  Trajan  en  lëpoiise  au  rapport  que  Pline  lui  adressa,  pro- 
bablement d'Amisus,  en  112,  dans  sa  tourne'e  administrative  du 
Pont  (1).  Ainsi  l'ont  pensé,  après  le  perspicace  jurisconsulte  Bau- 
douin (2),  M.  Aube  (3)  et  Overbeck  lui-même  (4j.  Seul  peut-être 
dans  ces  derniers  temps,  Wieseler  se  refuse  à  admettre  que  la  si- 
tuation du  christianisme  dans  F  État  ait  e'te',  suivant  son  expression  (5), 
rendue  objectivement  plus  de'favorable  par  Trajan ,  autrement  dit  en 
français,  que  de  ce  prince  date  une  loi  expresse  qui  ordonne  de  frap- 
[ler  de  la  peine  capitale  les  chrétiens  fidèles  à  leur  foi. 

En  effet,  dans  ce  texte  il  pose  trois  régules  dont  nous  n'avons  ni  à 
défendre,  ni  à  contester  la  logique  (C)  :  1»  il  est  interdit  aux  mafjislrals 
de  prendre  l'initiative  des  poursuites;  2°  le  simple  foit  de  professer  le 
christianisme  est  punissable;  3°  les  apostats  doivent  être  absous. 
Voilà  la  jurisprudence  fixée  pour  tout  le  second  siècle,  sans  doute 
malgré  l'empereur,  qui  a  soin  de  protester  qu'il  ne  veut  pas  définir 
d'une  manière  trop  précise  la  question  ni  en  apporter  une  solution 
générale.  Sa  répugnance  d'ailleurs  à  user  de  décisions  par  rescrit 
nous  est  connue  (7j,   et  cependant,  chose  étrange,  c'est  à  partir 


(1)  MOMMSEN,  Etude  sur  Pline  le  Jeune,  p.  30. 

(2)  Commentarii,  p.  27:  Atque  lioc  quideni  pritiiiiin  rescripto  lex  Romana  de  Chris- 
tianis,  certaque  constitutio  aliqua  édita  fuisse  videtur. 

(3)  Saint  Justin,  philosophe  et  martijr,  thèse  soutenue  eu  1861,  p.  XLVi;  cf.  Hist.  des 
perséc,  p.  225. 

(4)  Sludien,  p.   115. 

(5)  p.  2  :  '^  Dass  die  Christeu  seit  und  durch  Trajan  lui  Staate  objecliv  ungunsliger 
gestellt  wurden.  » 

(6)  /)p.  Pline,  iiv.  X,  Ep.  cxxviii  :  Conquirendi  non  sunt  :  si  deferantur  et  arjjuan- 
lurpuniendi  sunt,ita  lainen  ut  qui  negaverit  se  christianum  esse  idque  reipsa  niani- 
festum  fecerit  id  est,  supplicando  diis  nosirisi,  quamvis  suspectas  in  pra-tcri- 
tum  fuerit,  veniani  ex  i)œnitentia  impeiret.  —  .Si  Ion  doutait  de  l'autlienticité  de 
la  correspondance,  nous  renverrions  non-seulement  à  la  thèse  approfondie  de 
M.  l'abbé  Variot  sur  le  sujet  (v.  Bévue  des  questions  historiques,  l»"^  juillet  1878),  mais 
encore  à  la  note  de  VHisi.  des  perséc.  au  bas  de  la  page  218,  où  M.  Aube  se  rend  au 
sentiment  de  M.  G.  Boissier,  juge  délicat  en  cette  matière;  cf.  Bévue  archéologi- 
que. 1876,  t.  I,  p.  114. 

(7)  Loc,  cit.  :  Neque  eniui  in  universum  aliquid,  quod  quasi  certam  formam  habeat, 
constitui  potesl.  Cf.  J.  Capuolin,  Macrin.  lit.,  c.  xiit  ;  Fuit  in  jure  non  incallidus, 
adeout  statuisset  omnia  rcscripla  vet<:rum  principum  tollere,ut  jure,  non  rescriptis 

agerelur quum  Trajanus  niinquam  libcllis  responderit  ne  ad  alias  causas  facta 

pra-ferrentur  qna'  ad  gratiam  composita  vidercnlur.  —  Momesquieu,  Espnt  des  lois, 
I.  XXIX,  c.  XVII,  intitulé  :  Mauvaise  Manière  de  donnir  des  lois. 


—  53  — 

de  lui  que  le  courant  de  l'opinion  juridique,  l'emportant  sur  sa  vo- 
lonté ,  créa  cette  nouvelle  source  du  droit.  Il  ne  voulait  pas  que  l'on 
invoquât  à  titre  de  pre'ce'dent  ce  qui  avait  été'  statué,  dans  un  cas 
donné,  par  faveur  :  le  cas  des  chrétiens  n'était  guère  favorable, 
néanmoins  ils  durent  préférer  à  l'arbitraire  de  l'autorité  centrale, 
ou  provinciale,  des  formes  certaines.  Encore  la  première  règle  qui 
exigeait  plus  qu'une  délation  anonyme  (1)  fut-elle  constamment  vio- 
lée, soit  par  l'animosité  personnelle  des  gouverneurs,  soit  par  la 
haine  populaire,  malgré  les  réclamations  des  apologistes  chrétiens. 
Ceux-ci,  dans  leurs  plaidoyers,  n'avaient  garde  d'incriminer  les  inten- 
tions de  Trajan  et  cherchaient  au  contraire  à  se  prévaloir  de  son  carac- 
tère équitable  contre  sa  loi  même;  ce  n'était  du  reste  que  justice  de 
faire  peser  sur  ses  prédécesseurs  la  responsabilité  de  la  persécution.  Que 
dira  en  172  l'évêque  Méliton  de  Sardes  à  l'empereur  Marc-Aurèle  (2)? 
«  Seuls  de  tous  tes  prédécesseurs,  Néron  et  Domitien,  trompés  par  des 
gens  envieux,  ont  voulu  qu'on  accusât  la  croyance  chrétienne,  et  depuis 
eux  jusqu'à  nos  présents  calomniateurs  a  couru  une  injustifiable  prescrip- 
tion de  dénonciations  fondées  sur  le  mensonge.  C'est  afin  de  redresser 
une  telle  erreur  que  tes  pieux  ancêtres  se  sont  opposés  par  plus  d'un 
rescrit  à  toute  innovation  contre  nous.  "  Tertullien,  vers  200,  s'ex- 
prime de  même  au  sujet  des  précédents  introduits  dans  la  légis- 
lation par  la  cruauté  de  ces  deux  princes,  précédents  que,  d'après 
lui,  Trajan  n'annula  qu'en  partie  en  prohibant  la  poursuite  d'of- 
fice (3).  Une  telle  explication  des  choses  était  vraie,  mais  incom- 
plète. Si  Trajan  i)artageait  moins  que  son  légat  certains  préjugés 
du  temps  contre  le  christianisme  (4),  son  rescrit  ne  présente  pas  seu- 


(1)  Loc  cit.  :  sine  auctore  vero  propositi  libelli  in  nullo  crimine  locum  habere 
debent  :  nam  et  pessimi  exempli  nec  nostri  sa^culi  est. 

(2)  Corp.  Apol.,  éd.  Olto,  vol.  IX,  p.  412  :  Môvot  màvTwv  àvaTTEidOÉvxei;  \)Tzq  tivujv 
Paaxivwv  âvôptioTcwv  tôv  xaO'  /i[j.à;  bi  6iaoo)y)  xaTairtviffat  )xiyov  y)9£>>yia'av  Nspwv  xat  Ao- 
fiETiavoç,  ày'  wv  xai  tô  Tyj;  «ruxoyavTÎaç  à),6Yw  (jvivrjQîiqt  TTEpt  toCi;  TOtoÛTOu;  puyjvat 
ffuiAoéêyixe  '|/cùôoç'  à/.Xà  Tr]v  èxstvwv  ayvo'.av  oi  trot  eùaeêst;  7iax£f)£;  èTnQvwpôwffavTo,  tio).- 
),âxi;  7To),),oïç  £7rt7r),Yi^avTeç   èyYP'^?'»'?'   '^'^^^  Tit^i  loùrM^  vEwieptija'.   èTÔ)[AYi'7av. 

(3)  Apol.,  V.  V  :  Ouales  erf^o  leges  ist?p quas  Trajanns  ex  parte  frnstratns  est 

vetando  inquiri  Christianos. 

(4)  Pline,  liv.  X,  Ep.  cxxvii  :   An  flafïitia  cohaerentia  nomini  pnniantur. 


—  51  — 

lement  un  côté  prohibitif  :  la  partie  impérative  laisse  entrevoir  une 
préoccupation  religieuse  autant  que  politique,  11  savait  avoir  af- 
faire à  une  doctrine  oppose'e  au  culte  national;  aussi  n'he'site-t-il 
pas  à  récompenser  de  riiiimuuité  ra|)ostasie,  c'est-à-dire  le  retour 
à  ce  culte,  id  est  sujrpUcando  dits  nostris  :  et  sa  propre  divinité 
n'était  pas  hors  de  cause,  puisqu'il  approuvait  la  conduite  de  Pline 
qui  faisait  brûler  de  l'encens  devant  ses  statues.  Mais  on  pourrait 
estimer  qu'il  tenait  surtout  à  l'observation  de  son  ordonnance  sur  les 
associations  ou  hétéries(l)  non  reconnues,  qu'il  avait  sévèrement  pro- 
scrites. Cette  ordonnance,  que  Pline  avait  promulguée  dans  sa  pro- 
vince par  son  édit  d'entrée  en  charge,  n'atteignait -elle  pas  indirec- 
tement les  chrétiens  à  cause  de  leurs  assemblées  que  l'autorité  ne 
pouvait  plus  confondre  avec  celles  des  Juifs? 

Quoique  les  apôtres  arrivant  dans  une  ville  commençassent  jadis  par 
prêcher  à  la  synagogue,  rien  n'indique  qu'ils  l'eussent  prise  pour  mo- 
dèle dans  l'organisation  des  communautés  primitives  (2).  Saint  Clé- 
ment, amené  à  traiter  de  la  hiérarchie  chrétienne  (3),  la  compare  bien 
à  la  hiérarchie  mosaïque,  mais  telle  qu'elle  existait  à  Jérusalem  seu- 
lement, et,  au  moment  où  il  écrivait,  elle  venait  avec  le  temple  de 
disparaître  sans  retour  :  aussi  avait-il  pris  précédemment  l'image  de  la 
hiérarchie  militaire,  image  plus  familière  à  la  généralité  (4).  Ce  n'était 


(1)  Gaïus,  D.  liv.  XLVII,  tit.  XXII,  fr.  4  :  Sodales  sunt  qui  ejusdem  coUegii  sunt, 
quam  Grspci  Étaipiav  vocant.  —  Pline,  loc  cit.  :  Post  edictuin  meum  quo  secundiiin 
mandata  tua  hetaerias  esse  vetueram. 

(2)  A  Jérusalem,  les  premiers  chrétiens  priaient  ensemble  dans  le  temple.  Actes, 
C.  V,  V.  12  :  Kal  ri^av  6|j.o6'j[Aaôov  àTravte;  bi  ir,  crxoà  io),oiJ.wvo;,  twv  ôè  ),ot7;(J5v  oùoel;  £To),(xa 
xo),/.à<j6at  aÙTOÏ;. 

(3)  I  Ep.,  c.  XL-XLii  :  Kaxà  "/wfa;  ouv  y.al  Ttô/ei;  xr,f.yiTaovT£;  xaOîiTTavov  rà;  àTixp/.à; 
a'JTôJv,  ôoxiiiaTavTei  xw  7tv£'j|JiaTi,  cl;  ÈTitaxÔTioy;  xai  ôiaxivoviç  xùv  |i£),>,ôvTwv  TriffTeOetv, 
Éd.  Funk,  p.  112.  —  A  l'origine,  chaque  Église  constituée  avait  son  évêque,  lequel 
était,  suivant  les  besoins,  assisté  de  prêtres  :  tous  étaient  désignés  parfois  sous  le 
nom  collectif  de  TifE^êOTepoi,  comme  on  comprend  maintenant  le  curé  et  ses  vicaires 
en  parlant  du  clergé  d'une  paroisse.  La  division  d'Alexandrie  en  Ttapoixiat  et  de 
Rome  en  lituU  fut  un  fait  tardif  et  isolé  avant  de  devenir  la  règle  générale. 

(1)  Ibid.j  c.  XXXVII  :  KaTavorjTw^j.ev  xoy;  aTpxTEuouEv&y;  to?;  Y)Yov)[ji£voti;  ri|xwv,  xx).. 
Éd.  runk,  p.  106.  La  manière  dont  saint  Clément  s'exprime  sur  l'armée  romaine  est 
un  argument  entre  bien  d'autres  contre  son  prétendu  judaïsme.  Plus  tard,  Origcne 
emploiera  à  ))ropos  des  chrétiens,  mais  dans  un  sens  particulier,  l'expression  :  ioiov 
oxpaxÔTitSov  sùocêîia;.  6'.  Celi.,  I.   Vlll,  c.  LXXlli. 


pas  cependant  la  forme  exte'rieure  d'une  arme'e  que  devait  revêtir  au 
premier  abord  la  communauté'  des  fidèles;  un  rapprochement  tout 
naturel  se  pre'sentait  à  l'esprit,  nous  voulons  parler  des  associations 
connues  sous  le  nom  de  colle'ges  (1). 

L'Etat  romain,  maigre'  sa  centralisation  politique,  s'accommodait 
parfaitement  pour  les  inte'rêts  locaux  de  la  de'centralisation  adminis- 
trative. De  même,  au  point  de  vue  social,  un  système  ennemi  par 
principe  des  individiialite's  pre'ponde'rantes  comportait  dans  une  large 
proportion  l'usage  du  droit  d'association,  combiné  toutefois  avec  une 
certaine  dose  de  surveillance.  Ce  que  nous  apprenons  tous  les  jours, 
par  les  monuments,  de  la  vie  publique  des  Romains  ne  fait  que  confir- 
mer de  plus  en  plus  ces  ide'es.  Les  coUe'ges  e'taient  innombrables  dans 
l'empire,  et  avaient  les  buts  les  plus  divers.  La  majorité'  se  recrutait 
parmi  la  classe  populaire  qui  formait  des  associations  de  me'tiers,  de 
commerce,  de  secours  mutuel,  ou  même  de  religion;  mais  il  ne  fallait 
pas  que  l'objet  invoqué  ne  fût  qu'un  prétexte:  ne suh pi-œtextu  hujus- 
modi  collegium  illicitum  coeat  (2). 

Le  collège  était  licite  lorsqu'il  était  autorisé;  il  devenait  illicite, 
1°  lorsque  l'autorisation  demandée  avait  été  refusée;  2"  lorsque 
le  but  pour  lequel  l'autorisation  avait  été  accordée,  était  dénaturé. 
Une  grande  partie  des  collèges  n'étaient  pas  autorisés,  on  en  peut 
juger  par  le  petit  nombre  dont  l'autorisation  est  mentionnée  sur  les 
inscriptions  (3).  Quelle  était  alors  leur  situation?  ils  possédaient  des 


(1)  On  ne  peut  s'empêcher  de  citer  à  côté  du  ■^  collegium  quod  est  in  domu 
Sergiae  Paullinae-,  Inscr.  Orelli,  n"  2414,  ce  passage  de  saint  Paul  dans  \'Ep.  mix 
Romains,  c.  xvi,  V.  5,  où  il  salue  Aquila  et  Priscille,  ■  xai  xr]/  xax'  oUov  aÙTwv 
èxyJïiTiav  -  .  Voir  dans  Hilgcn/eld's  ZeUschrift  (1876,  p.  464,  et  1877, p.  89)  deux  savants 
articles  du  prof.  [Iei.nrici,  où  il  silforre  de  démontrer  que  les  Églises  fondées  par 
saint  Paul,  et  celle  de  Corinthe  en  particulier,  furent  organisées  sur  le  type  des 
collèges.  Cf  pour  les  synagogues  elles-mêmes  Schlreu  ,  Die  Gemeindeverfastung  dcr 
Judin  in  Rom,  p.   10. 

(2)  D.,  liv.  XLVII,  lit.  XXII,  fr.  1.  Le  collège  n'est  pas  une  simple  réunion,  mais 
une  association  permanente;  on  comprend  que  pour  la  discipline  une  interdiction 
catégorique  frappât  les  militaires  :  Neve  milites  colleg'a  in  castris  halieant,  —  et 
même  livre,  lit.  XI,  fr.  2  :  Sub  praetextu  religionis,  vel  sub  specie  solvendi  voti, 
cœtus  illicitos  nec  a  veteranis  tentari  oporlet.  Cf. pour  toute  la  matière  Mommsen, 
I)e  coUegiis  et  sodaliciis  Romanorum  (K.iel,  1843). 

(3)  Une  des  formules  les  plus  complètes  est  celle  du  -  coHegium  symphoniaco- 


—  56  — 

droits  restreints  (1),  ils  n'étaient  pas  nécessairement  dissous,  seule- 
ment ils  se  voyaient  expose's  à  l'être  s'ils  s'attiraient  les  soupçons  de 
l'État  (2).  Comme  l'autorisation  était  spéciale,  la  suppression  devait  être 
spéciale.  Ainsi  l'immense  développement  des  collèges  et  la  force  des 
choses  avaient  arraché  comme  une  sorte  de  concession  générale  (3)  à  la 
répugnance  des  empereurs;  ce  qui  ne  les  empêchait  pas  d'avoir  l'œil 
sur  eux,  car  leur  grand  souci  était  qu'ils  ne  dégénérassent  pas  en  sociétés 
secrètes.  Déjà  César  avait  soumis  ceux  de  Rome  à  une  épuration  (4), 
Auguste  renouvela  cette  mesure  (5),Trajan  est  le  premier  qui  l'étendit 
aux  provinces.  Cependant  la  question  de  l'assimilation  de  celles-ci  à 
la  capitale,  en  ce  qui  concernait  les  assemblées  religieuses  des  Juifs, 
avait  été  tranchée  à  Dé!os  peu  après  la  bataille  d'Actium.  Le  vain- 
queur, s'appuyant  sur  la  décision  de  son  oncle,  les  autorisa  d'une 


rum...  quil)us  senalus  c{oire)  c(onvocari)  c(o{i;i)  permisit  e  lege  Julia  ex  auctoritate 
divi  Aufjusti  .  Inscr.  Orelli-Henzen  ,  n"  6097.  —  Deux  iriS' riplions  de  Lyon  (de 
BoissiEC,  p.  160  et  206)  portent  :  «  Corpora  omnia  Luffduni  licite  coeunlia  s  '•  y  en 
avait  donc  d  autres  -  non  licite  eoeuntia  •. 

(1)  Un  texte  du  jurisconsulte  Pail  au  titre  De  rébus  duhiis  est  formel  sur  ce  point, 
D.  liv.  XXXIV.  tit.  V,  fr.  20  :  Nulla  dubitatio  est  quod,  si  corpori  cui  li  et  coirc 
legatum  sit,  deb(  atur;  cui  auiem  non  Ucei  si  legetur,  non  valebit,  nisi  singulis  legetur; 
hi  enim,  non  quasi  collegium,  sed  quasi  certi  honiines,  adinittentur  ad  legatum. 
L'association  non  reconnue  n'était  pas  personne  civile,  elle  subsistait  néanmoins 
sans  privilège.  Cf.  au  Code  une  loi  postérieure  :  C,  liv.  VF,  tit.  XXIV,  1.  8  :  Col- 
legium  si  niillo  speciali  privilegio  sul)nixum  sit,  ha'redilatem  capere  non  posse, 
dubium  non  est.  —  D.,  liv.  XL,  tit.  III,  fr.  ),  et  liv.  L,  tit.  VI,  fr.  5,  §  12. 

(2)  I).,  liv.  XLVII,  tit.  XXII,  fr.  3  :  Collegia  si  qua  luerunt  illicita  m.mdatis  et 
constitutionibuset  senatus-consullis  dissolvunturiTiTE-LivE,  1.  XXXIX,  c.  wiii,  nous 
a  conservé  le  texte  du  sénalus  consulte  interdisant  les  réunions  du  culte  de  Bac- 
chus  en  186  avant  Jésus-Christ).  Un  peu  plus  loin,  M.^rcien  émet  une  opinion  rigou- 
reuse relativement  à  l'association  non  autorisée,  sans  oser  en  déduire  les  consé- 
quences, loc.  cit.,%  1  :  In  summa  autem,  nisi  ex  senatusconsulti  auctoritate  vel 
Caesaris  collegium,  vel  quodcumque  taie  corpus,  coierit,  contra  senatusconsuUum 
et  mandata  et  constitutiones  collegium  célébrât. 

(3)  Gau.s,  d.,  liv.  III,  tit.  IV,  fr.  f,  semble  dire  le  contraire  :  Neque  societas, 
neque  collegium,  neque  liujusmodi  corpus,  passim  omnibus  haberi  conceditur. 
Mais  la  suite  du  texte  et  l'intitulé  même  Qund  eujuscumquc  unireisitatis  nomine  agitur 
indiquent  qu'il  a  surtout  en  vue  la  personnalité  civile  :  Paucis  admodum  in  causis 
conressa  sunt  liujus  modi  corpora...,  et  il  cite,  à  litre  d^xcmples,  le  fermage  des 
impôts,  l'exploitation  des  mines  d'or  ou  d'argent  et  des  salines. 

(4j  Slétone,  Cas.  vit.,  c.  xLii  :  Cuncta  collegia  prêter  antiquitus  constituta 
distraxit. 

(5)  II).,  Oci.  vit.,  c.  XXXII  :  Et  plurim*  factiones,    titulo  ollegii  novi,  ad  nullius 

non    farinoris    socielatem    coibant collegia    pra'ler  anliqua  et   légitima   dis- 

solvit. 


—  57 


manière  générale,  touto  ttoieiv  aùxwv  [jiviS'Iv  'Piout]  x£xo))vu[x£viov  (1)  :  un 
pareil  décret  ne  fut  rendu  en  taveur  des  chre'tiens  que  par  Constantin, 
car  l'e'dit  de  Gallien  en  259  n'était  point  encore  une  reconnaissance 
le'gale.  Aussi  a-t-on  dit  avec  raison  que  sous  les  empereurs,  le  ju- 
daïsme, à  l'inverse  du  christianisme,  a  eu  des  rëvolte's,  mais  non  pas 
des  martyrs.  La  correspondance  avec  Trajan  ne  fait  nulle  mention 
des  Juifs,  et  nous  savons  que  le  nombre  en  était  grand  en  Bithynie  dès 
le  temps  de  Cice'ron  ;  mais  en  même  temps  Pline  envoyait  au  supplice 
les  chre'tiens  qui  n'e'taient  pas  moins  nombreux;  à  l'en  croire  (2), 
il  y  en  avait  de  tout  âge,  de  tout  rang,  dans  les  deux  sexes.  Tels 
apparaissaient  les  progrès  de  la  secte  nouvelle,  dont  la  destine'e  e'tait 
de  se  heurter  aux  fantaisies  de  certains  princes,  non  moins  qu'à 
l'esprit  d'ordre  des  autres. 

K  C'est  alors,  observe  M.  Villemain,  que,  maigre'  cette  surveillance 
inquiète  et  continue,  la  plus  grande,  la  plus  intime,  la  plus  irre'sistible 
des  associations  se  propageait  avec  une  incroyable  rapidité',  d'un  bout 
de  l'empire  à  l'autre.  C'est  alors  que  les  préjugés  de  race,  les  bar- 
rières des  conditions  libres  ou  serviles  tombaient  de  toutes  parts,  et 
que,  dans  le  sein  de  la  grande  hétérie  chrétienne,  il  se  formait  inces- 
samment des  assemblées,  des  Eglises,  unies  entre  elles  d'un  même 
lien,  obéissant  à  la  même  foi,  et  s' écrivant  l'une  à  l'autre  :  L'Église 

de  Dieu  qui  est  à  Rome  à  l'Eglise  de  Dieu  qui  est  à  Corinthe Et 

c'est  ainsi  sans  doute  que,  tardive  en  apparence  et  longtemps  cachée, 


(1)  JosÈphe,  Jlnl.  jnd.,  1.  XIV,  C.  X,  8  ;  Kai  yàp  Faio?  KaÎTap  ô  r|U.£T£po;  TTpaTriYo; 
y.at  uTtaTo;  xw^ywv  Otiaou;  (jyvâYEcOai  xarà  TtoViv,  povou;  toûtouc  oùx  ÈxoV/uaev  oOte 
XÇTi^s.a.xa.  (7'jv£i09Ep£iv,  oûtE  cîûvôetTtva  TTOiEÏv  ôfxotw;  Sa  xàyw  toÙ;  a).),&\j;  ôtàaou;  xw).Oa)v, 
ToÙToy;  |j.ôvciu;  èTri-tpÉTTaj  xarà  xà  Tiâipia  I'Oy)  xat  vôfj.ijxa  (juvâveaBaî  t£  xai  ÏTTaaOat, 
Celte  reconnaissance  ne  comportait  pas  d'abord  le  droit  de  recevoir  des  legs, 
comme  le  prouve  un  rescrit  d  Antonin  au  Code,  liv.  I,  tit.  IX,  1.  1  :  Ouod  Cornelia 
Salvia  universitati  Judseorum  qui  in  Aniiochiensiumcivitate  constituti  sunt  legavit, 
peti  non  potest.  Cf.  le  commencement  du  texte,  cité  plus  haut,  du  jurisconsulte 
Paul  :  Quum  Senatus  temporibus  divi  Marci  permiserit  coUegiis  legare,  nuUa 
dubitatio  est,  etc. 

(2)  toc.  cit.  :  Multi  enim  omnisaptatis.omnis  ordinis,  utriusquesexus  etiam  vocan- 
tur  in  periculum,  et  vocabuntur  :  neque  enim  civitates  tantum,  sed  vicos  etiam  at- 
que  agros  superstitionis  istius  contagio  pervagata  est.  Origène  avait  donc  bien  le 
droit  de  dire  vers  235  :  "Oti  ijlèv  ouv  Guyxpto-et  toO  é^yj;  7t).Tî6-ju;  ôXîyoi  rjcrav  àp^ôfAEvoi 
*/pi(TTiavoî,  SrjXoV  xaÎTOi  où  Trivtiri  •^o'av  ô)îyot.  C.  Ceh.,  I.  III,  c.  x. 


—  58  — 

une  Église  d'Afrique  parut  à  la  fin  du  second  siècle,  forte  de  tant 
d'e'vêques,  disse'mine'e  sur  tant  de  points,  invincible  dans  sa  re'sistance, 
et  de'fendant  la  cause  commune  pour  l'Italie  même,  comme  pour 
l'Afrique.  «  Nous  ignorons  e'galement  les  origines  de  cette  Eglise  de 
Bithynie  à  laquelle  déjà  saint  Pierre  e'crivait  (1),  et  comme  pour  les 
Eglises  de  Gaule,  ce  sont  les  martyrs  qui  nous  en  re'vèlent  les  pre- 
miers l'existence.  jNous  ne  connaissons  pas  non  plus  le  motif  précis  de 
la  persécution  que  Pline  suscita  contre  elle  ;  ses  membres  seulement 
auraient  perdu  leur  temps,  si  alors  ils  lui  eussent  tenu  ce  langage (2)  : 
ti  Vous  dites  que  nos  re'unioiis  ne  sont  pas  re'gulières,  et  vous  nous 
faites  un  crime  de  notre  nombre  ;  vous  auriez  dû  bien  plutôt  recon- 
naître notre  société'  religieuse  qui  reste  étrangère  à  tout  ce  que  vous 
redoutez  des  associations  illicites.  »  11  s'était  enquis  des  assemblées 
chrétiennes,  et  la  description  qu'il  en  fait  est  remarquable;  lui-même 
avait  constaté  par  la  torture  qu'il  ne  s'y  commettait  rien  de  mal,  et  il 
ne  croyait  pas  trouver  là  une  application  directe  de  son  édit  contre 
les  hétéries(3),  puisqu'il  en  référait  à  l'empereur.  Tout  au  moins,  s'il 
avait  cet  objet  en  vue  et  se  jugeait  insuffisamment  armé,  eiit-il  du  lui 
demander  un  sénatus-consulte  ou  un  décret  spécial  de  dissolution  du 
collège  des  chrétiens. 

On  a  pensé  que  le  refus  des  chrétiens  d'abjurer,  cette  obstination 
inflexible  que  Pline  déclare  avoir  voulu  punir  (4),  constituant  une 


(1)  I Ep.,  c.  I,  V.  1  :  IlÉTpoç  àTv6(7To)oc  'Irisoû  XpiiTToO  £x),exToïç  7rapeui8T)[ioiî  ôtaduo- 
pâ;  nôvTou,  ra).aTÎaç,  Ka7r:ra5ox£a:,  'Affia;  xat  BiÔuvi'a;...  C.  v,  V.  12:5ià  -O.ouavoù 
û(itv  ToO  TrtiTT'jù  àoEÀçoO,  w;  ),oYÎî!o(xai,  Si'  oÀi'ywv  Ëypavl/a.  Cf.  Pline,  loc.  cit.:  (Christian!) 
fuisse quidein, sed  desiisse  quidam  ante/^/M'cv  nmws,  non   nemo  anle  vigiuti  quoque. 

(2)  Dicitis  enim  quoni;iin  incoiidite  roiivenimus  et  compluresconcurrimus  in  ei  cle- 
siam..  proinde  nec  paulo  leiiius  iiiter  lirilas  factioiies  sectam  istain  deputari  opor- 
tebat  aqua  niiiii  laie  coininittitur,  quale  de  iilicitis  factionibiis  tiinerisolet.  Ti:i\t., 
Apol.,  c.  xxxvm,  cl  De  j'agn  in persec,  C.  iii.  AiUeurs,  Adnai.,  1. 1,  c.  xx,  il  demande  en 
plaisanlanl  s'il  n'y  a  point  au  fond  de  celle  question  une  jalousie  de  métier  :  Aut 
numquid  ipso  vos  coilcîjio  offtiulimus?  Solet  a-qualilas  a-mulalionis  maleriam  sub- 
ministrare  :  sic  fifjulus  fijjnlo.  faber  Faliro  invidcl. 

(3j  II  est  bon,  du  reste,  de  remarquer  que  les  chrétiens  u'avaienl  pas  cessé  les 
réunions  religieuses  du  dimanche  malin,  mais  les  a;;iipe.s  du  soir,  repas  en  commun 
qui  figuraient  parmi  les  privilèges  des  associations  reconnues  ;  •  quod  ipsum  de- 
siisse  ■■■ ,  dit  Pline 

(4)  Loc.  cit.  Neque  enim  dubitabam,  quaiccumque  esset  quod  faterentur,  pervi- 
caciam  cerle,el  inilexibilem  obstinalionem  debere  puniri. — Voir  aux  Comptes  rendus 


—  59  — 

sorte  de  délit  d'audience,  pouvait  servir  à  caracte'riser  leur  crime  ; 
mais  il  a  e'te'  re'plique'  avec  beaucoup  de  justesse  qu'il  e'tait  difficile 
d'admettre  que  Pline  eût  cre'e'  un  de'lit,  que  le  délit  ou  le  crime  était 
antérieur  à  la  proce'dure,  qu'il  existait  dans  le  fait  du  christianisme 
des  accuse's.  Le  corps  du  délit,  Pline  l'a  défini  lui-même  :  Nomen 
ipsunij  sijlagitiis  careat ,  anjlagitia  cohœrentia  nomini i)iiniantur  ; 
or,  l'alternative  est  clairement  résolue  (1)  par  le  rescrit  de  Trajan  qui 
ne  parle  pas  d'infamies  commises  en  particulier  ou  en  commun.  Pour 
lui  comme  pour  son  légat,  la  question  dépasse  le  cercle  de  l'association 
et  atteint  l'individu;  soit  qu'il  fréquente  ou  non  les  assemblées,  sa 
qualité  de  chrétien  est  illégale,  c'est  le  nom  seul  qu'il  faut  punir. 
Dion  Cassius  nous  a  fourni  sous  Claude  un  exemple  de  suspension  du 
droit  de  réunion  à  Rome  pour  les  Juifs,  cependant  légalement  recon- 
nus et  autorisés  à  conserver  leurs  usages  nationaux  (2).  Le  Sénat, 
lors  de  l'affaire  des  Bacchanales,  après  avoir  interdit  les  réunions  des 
initiés  dans  toute  l'Italie,  se  détermina,  plus  par  superstition  que  pav 
tolérance,  à  permettre,  moyennant  certaines  formalités,  le  culte  privé  : 
il  réserva  ainsi,  comme  dit  M.  Aube  (3),  le  droit  de  la  conscience. 

En  fut-il  jamais  de  même  pour  le  christianisme?  Aujourd'hui,  nous 
ne  savons  quelle  fausse  pudeur  en  face  de  la  vérité  nue  empêche  de 
répondre  négativement;  on  plaide  les  circonstances  atténuantes  en 
faveur  de  l'honnêteté  relative  des  empereurs  ;  on  parle  beaucoup  de 
leur  philanthropie,  et  l'on  ne  considère  point  quelle  était  leur  dureté 
vis-à-vis  des  chrétiens.  «  Oui,  vous  êtes  vraiment  durs,  lorsque  vous 
prononcez  qu'il  ne  nous  est  pas  permis  d'exister  «,  s'écriait  Tertul- 


de  l'Académie  des  inscrqjtions,   1879,   p.  30,  la  communication  intéressante  de  M.  Fer- 
dinand Del\un\y. 

(1)  Elle  avait  été  prévue  et  résolue  également  par  s\i\t  Pierre,  J  Ep.,  c.  iv,  v.  15 
et  16  :  Mf,  yâp  ii;  •j\).û)^  Traij/sTco  (b;  cpoveù;,  r^  xÀÉTirtr];,  y\  xaxoTtotô:,,  ^  (I);  à).).OTpio£7iîff- 
xoTto;'    el  ôè  w;  -/(itaTiavô;,  [ir,  ata -/u /É<76w,  ôoEaÇî'To)  ôà  tôv  (-)eôv  èv  tw  (lépst  toûtw. 

(2)  Hist.,  I.  LX,  C.  VI  :  Toû;  te  "lo-joaiovi;  ..  oOx  èlr^'/OLac  jj.£v,  tiô  ùï  or)  TraTpio»  pîw 
-/pa)[x='voy;  èxélevit  [i.r,  auvaÔpoi^eoQai.  M.  Del.vlnay  ne  rend  pas  toute  la  pensée  en 
traduisant  :  »  Mais  il  ne  permit  pas  les  réunions  que  leur  loi  commande.  '  Philon 
d'Alexandrie  Varis,  1867),  p.  198,  en  note. 

iS)  Hist.despLTséc.p.  l91.TiTE-LivE,  I.  XXXIX,c.xvni  :  Ne  quaBacchanalia  Roma'neve 
in  Italia  essent  :  si  quis  taie  sacrum  sokmne  et  necessar.um  duceret,  necsiiie  reli- 
gione  et  piaculo  se  id  omiitere  posse,  apud  prœtorem  urbanumprofiteretur,  etc. 


—  60  — 

lien  (1),  embrassant  dans  cette  parole  toute  l'histoire  du  second  siècle. 
On  insiste  encore  sur  l'adoucissement  du  droit  romain,  et  l'on  ne 
tient  pas  compte  de  cette  consultation  contre  notre  culte  qu'L'lpien 
avait  re'dige'e,  au  te'moifjnag^e  de  Lactance  (2),  'i  arsenal  de  vieilles 
ferrailles  •'  qu'il  lëffuait  aux  futurs  préfets  du  prétoire,  et  que  mal- 
heureusement le  musée  de  Justinien  ne  nous  a  pas  conservé.  Quant 
aux  sentiments  personnels  du  jurisconsulte,  nous  ne  saurions  les 
méconnaître;  il  est  resté  de  lui  un  |)assage  où  il  désigne  les  chré- 
tiens par  le  nom  d'imposteurs  (3).  Aussi  à  quoi  bon  une  procédure 
à  leur  égard?  il  ne  pouvait  y  en  avoir,  ou  plutôt  il  fallait  plier  la 
procédure  commune  aux  contradictions  de  l'arbitraire.  La  torture, 
qui  partout  ailleurs  avait  pour  but  d'arracher  un  aveu,  devait  ici 
amener  sur  les  lèvres  une  négation  (4).  En  tout  autre  cas,  le  crime 
une  fois  constaté,  la  tâche  du  juge  était  achevée;  dans  cette  espèce, 
elle  commençait  (5).  Enfin  la  sentence  de  condamnation  ou  d'abso- 
lution se  trouvait  entre  les  mains  du  coupable,  puisqu'il  cessait  de 
l'être  à  son  gré.  Et  l'on  voudra  inscrire  ensuite  les  chrétiens  sous 
la  rubrique  complaisante  d'accusés  politiques  :  on  oublie  de  citer  un 
reus  majestatis  à  qui  il  ait  suffi  de  détester  sa  conspiration  pour  être 
acquitté.  Si  l'orateur  africain  (6)  base  quelque  part  sur  les  accusa- 
tions de  sacrilège  et  de  lèse-majesté  le  résumé  de  la  cause,  il  montre 
ailleurs  combien  l'application  était  loin  de  répondre  à  la  définition 


(1)  Apol.,  c.  IV  :  .lampridem  quam  dure  defînitis  dicendo,  Non  licet  esse  nos. 

(2)  Imi.  dir.,  1.  V,  c.  XI.  Quin  eliam  sceleratissimi  homicidae  contra  pios,  jura 
impia  condiderunt,  nain  Doinilius,  de  officio  proconsuUs  lihro  seplimo,  rescripta  prin- 
cipuin  nefarJa  coHegit,  ut  doreret  quibus  pœnis  affici  oporteret  eos  qui  se  cuUores 
Dei  coiifilerentur. 

(3)  I).,  liv.  L,  lit.  XIII,  fr.  1,  §  3  :  Non  lamen  si  incantavit,  si  imprecatus  est,  si 
(ut  vuigari  verbo  inipostorum  utarjexorcizavit. 

(4)  Tekt.  Ad  nul.,  I.  I,  c.  II  :  Nain  nocentes  quidein  perductos,  si  adinissuin  negent, 
tormenlis  urgetis  ad  confessionein,  christianos  vero  sponle  confessos  tornienlis 
compriinitis  ad  negationem.  —  Mi\.  Ff.lix,  Ociav.,  c.  xxvu  :  Quasi  ratio,  non  insti- 
galio  da-monis  judicaret  urgendi  magis,  non  ut  diffiterentur  se  christianos,  sed 
ut  de  incestis,  stupris.  de  iinpiatis  sarris,  de  infantibus  iinmoiatis  falcreiitur. 

(5)  Lactance,  loc  cit.  :  Vidi  ego  in  Bithynia  pra-sidein  gaudio  iniral)ililer  elatum, 
tanquain  barbarorum  {jenfem  aliquain  sul)egisset;  quod  unus  qui  per  bienniuin 
inajina  virtule  resliterat  postremo  cedere  visus  esset. 

(6)  Apot,,  c.  X  :  Sacrilegi  et  majestatis  rei  convcniinur  :  suinma  ha'C  causa,  inio 
iota  est. 


—  61   — 

légale  (1).  Une  seule  chose  est  admissible,  c'est  que  les  magistrats 
romains  aient  emprunte'  à  cette  cate'gorie  de  crimes  leur  mode  d'in- 
struction comme  e'tant  le  plus  large,  et  leur  pénalité  comme  étant 
la  plus  variée  (2)  :  ce  qui  les  y  autorisait,  c'était  la  véritable  mise 
hors  la  loi  dont  le  nom  chrétien  était  l'objet,  et  que  déguise  à  peine  le 
titre  de  crimen  exlraor dinar ium  suggéré  par  la  législation  elle-même 
à  Baudouin,  non  sans  quelque  vraisemblance  (3).  On  ne  peut  nier 
que  nous  nous  trouvions  ici  en  face  de  la  persécution  religieuse. 

Doit-on  renoncer  à  se  procurer  une  notion  exacte  des  sentiments 
qui  animaient  l'État  romain  contre  l'Église  chrétienne?  INous  ne  le 
croyons  pas.  A  toutes  les  périodes  de  son  histoire,  l'Église  en  quelque 
pays  se  présente  à  l'observateur  dans  une  situation  analogue  à  celle 
que  lui  créait  le  paganisme  antique.  Souvent  il  a  été  objecté  qu'une 
telle  situation  ne  saurait  être  comprise  à  la  lumière  de  nos  idées  mo- 
dernes, taudis  qu'on  jugeait  inutile  de  signaler  la  coïncidence  de  la 
propagation  de  ces  idées  dans  le  monde  avec  la  prédication  du  chris- 
tianisme. Mais  on  n'ignore  pas  qu'il  y  a  des  parties  de  notre  globe 
où  le  christianisme  est  apporté  en  ce  moment  comme  il  l'était  à  la 
Grèce  ou  à  Rome.  Là,  précisément,  malgré  une  civilisation  incon- 
testable, les  idées  qu'on  appelle  modernes  n'existent  pas.  L'homme 
païen  est  vivant  sous  notre  regard;  si  nous  l'interrogeons,  il  nous 
dira  ce  qu'il  pense  de  la  religion  chrétienne,  et  sa  réponse,  comme 
il  est  naturel,  nous  paraîtra  identique  avec  celle  d'unRomain  du  second 
siècle.  «  Depuis  les  derniers  jours  de  janvier  1878,  nous  sommes  sous 
le  régime  de  la  persécution,  dit  une  lettre  de  Corée  datée  du  12  avril 

de  cette  même  année Ce  n'est  point  encore  une  persécution  gêné 

raie.  Les  arrestations  sont  faites,  dirait-on,  par  accident,  sans  ordre  du 

(1)  n.,  liv.  XLVUI,  tit.  XHl,  fr.  ix,  §  1  :  Sunt  autem  sacrilegi  qui  publica  sacra 
compilaverunt.  —  Teut-  M  Scap.,  c.  ii  :  Nos  quos  sacrilegos  existimatis  nec  in  furto 
unquam  deprehendistis,  neduin  sacrileîjio.  Omnes  autem  qui  templa  despoliant,  et 
per  deos  jurant,  et  eosdeui  colunt,  christiani  non  sunt. 

(2)  D.,  tit.  cit.,  fr.  iv  et  vi;  tit.  XVHI,  fr.  x,  §  1  ;  tit.  XI\',  fr.  xiii  :  Hodie  iicet  ei 
qui  extra  ordinem  de  criniine  cognoscit  quani  vult  sententiam  ferre,  vel  graviorem 
vel  leviorem  :  ita  tainen  ut  in  utroque  modo  rationem  non  excédât. 

(3)  Commeniaiii,  p.  33  :  '  Krant  capitales  quaedam  quaestiones  cognitionis  extraor- 
dinariae,  ut  et  crimen  extraordinarium  abs  jureconsuUis  appellatur.  Ejus  generis 
videtur  Roraa*  fuisse  crimen  religionis  cliristian*.  •' 


—  62  — 

gouvernement  central.  «  En  particulier,  l'e'vêque  français,  de'couvert, 
est  jeté  en  prison,  puis  au  bout  de  cinq  mois  reconduit  à  la  fron- 
tière (1).  Le  {jouvernement  japonais,  qui  était  intervenu,  reçoit  alors 
le  rescrit  suivant  du  roi  de  Corée  :  "  Depuis  les  premières  origines 
de  notre  royaume,  nous  observions  les  bienséances  et  la  justice,  nous 
empêchions  et  écartions  toute  aulre  doctrine.  Aussi,  s'il  se  trouvait 
quelqu'un  qui  s'éloignât  de  la  voie  droite  et  se  montrât  rebelle,  sans 
considérer  s'il  était  de  notre  propre  royaume  ou  d'un  royaume  étran- 
ger, faisant  notre  possible  pour  le  retrancher,  nous  ne  faisions  grâce 
à  personne  dès  qu'd  était  pris.  Il  en  était  ainsi  lorsque  inopinément 
l'hiver  dernier  un  étranger  fut  arrêté  à  la  capitale.  Interrogé,  il  dit 
qu'il  était  Français.  Etant  assis  dans  un  endroit  secret  et  jyrenant  un 
livre,  il  enseignait  aua:  gens  chantes  à  être  audacieux.  A  cause  de 
cela  il  aurait  dû,  suivant  les  lois  du  royaume,  être  mis  à  mort.  Seu- 
lement, comme  nous  avions  aussi  arrêté  plusieurs  hommes  de  notre 
royaume,  nous  nous  disposions  à  exécuter  cette  œuvre,  et  différant 

d'un  jour  à  l'autre,  nous  les  retenions  en  prison »  ]\e  pourrait-on 

pas  se  croire  transporté  1706  ans  en  arrière,  et  de  l'extrémité  orien- 
tale à  l'extrémité  occidentale  de  l'Asie? 

Pline,  qui  lui  aussi  se  préoccupe  de  mettre  à  part  les  citoyens 
romains  (2),  ne  se  montre  pas  plus  vague  et  plus  précis  à  la  fois  :  plus 
vague  sur  les  chefs  d'accusation  qu'il  relève  contre  les  chrétiens  et 
sur  la  procédure  qu'il  emploie  à  leur  égard,  j)lus  précis  sur  la  condam- 
nation qu'il  leur  inflige.  Le  rescrit  cité  vaut  bien  celui  de  Trajan  ;  il 
contient  même  un  sous-entendu  qui  achève  la  ressemblance  :  en  Chine, 
comme  jadis  à  Rome,  il  y  a  toujours  moyen  d'avoir  la  vie  sauve, 
ce  n'est  que  volontairement  qu'on  est  martyr.  Mais  si  l'apostasie 

(\)  Annales  tlf /a  propagation  (le  lafoi,  n"' de  mars  1871)  à  mars  1880.  Cf.  la  lellre  du 
i"'  mai  1879  dans  ce  dernier:  «  l,e  même  jonr,  une  vin;;taine  de  voleurs  et  une 
dizaine  de  eliréliens  ont  été  élran;;lés  seerélement  en  prison,  et  leurs  cadavres  jetés 
hors  des  portes  de  la  ville.  Les  chrétiens  de  la  capitale,  avertis  de  ce  dénoilment 
trafique  et  inattendu,  se  sont  hâtés  d'aller  recueillir  les  corps  de  leurs  frères, et  ils 
leur  ont  donné  une  sépulture  honorable  sur  la  montaj;iie  où  déjà  reposent  les  restes 
précieux  des  martyrs  de  18CG.  • 

(2)  Lac.  cit.  :  Fuerunt  alii  similis  ameutia>,  quos  quia  cives  Homani  eranl,  anno- 
tavi  in  Urbem  remit tendos. 


—  63  — 

a  lies  exemples,  ils  lie  sont  pas  plus  fréquents  qu'autrefois,  et  il  est 
juste  de  re'pe'ter  à  l'honneur  de  ces  chre'tiens  ce  qui  a  e'të  dit  de  leurs 
pre'deVesseurs  dans  la  foi  :  et  Obe'issaut  aux  lois  tant  que  leur 
conscience  pouvait  y  obéir,  ils  attendaient  le  jour  où  on  leur  deman- 
dait de  briller  un  grain  d'encens  devant  l'image  de  rem[)ereur  :  alors, 
sans  haine,  sans  violence,  que  l'empereur  lût  bon  ou  mauvais,  ils 
refusaient,  et  la  dignité  humaine  était  sauvée  (1).  »  Et  qu'on  ne  pré- 
tende pas  que  nous  leur  prétons  après  coup  un  rôle  dont  ils  étaient 
les  acteurs  involontaires.  Déjà  vers  176,  l'un  d'eux  (2)  protestait 
contre  cette  injuste  allégation  :  «Si  nous  repoussons,  dit-il,  les  reliefs 
des  sacrifices  et  les  coupes  qui  ont  servi  aux  libations,  nous  ne  con- 
cédons rien  pour  cela  à  la  crainte,  mais  nous  affirmons  la  véritable 
liberté.  ^î  Oui,  c'est  vraiment  dans  le  sang  des  martyrs  chrétiens  qu'a 
germé  pour  le  monde  moderne  la  liberté  de  conscience.  C'est  à  leur 
exemple  que  l'on  arrête  tout  pouvoir  civil,  toute  action  de  la  force 
au  seuil  de  son  âme. 

jNous  ne  parlons  pas  assurément  du  principe  de  l'égalité  des  cultes 
introduit  de  nos  jours,  à  la  faveur  de  l'émancipation  politique,  dans 
un  petit  nombre  de  pays.  Il  ne  pouvait  en  être  question  à  Rome, 
Cicéron,  plaidant  pour  Flaccus  contre  les  Juifs,  formulait  ai)isi  la 
théorie  religieuse  de  la  République  :  A  chaque  État  sa  religion,  l'Etat 
romain  a  la  sienne  (3).  «  Les  Romains  ne  connaissaient  que  la  religion 
de  l'Etat;  toutes  les  formes  du  sentiment  religieux  autres  que  celle-là 
leur  paraissaient  du  superflu  isiiperstilio),  une  superfétation  qui  trou- 
blait l'ordre  établi  (4).  "  Sous  l'Empire,  tandis  que  d'Auguste  à  Dio- 
clétien  se  poursuivait  lentement,  mais  sûrement,  l'œuvre  si  merveil- 
leuse de  l'unification  administrative,  que  devinrent  les  différentes 
superstitions  étrangères,  ainsi  qu'on  les  appelait  alors  (5)?  On  leur 
permit  de  vivre  en  les  emprisonnant  dans  un  culte  officiel  rendu  au 

(1)  J.  J.  Ayipknh,  l'h'mpiie  romain  à  Home  {Varia,  18(j7j,   l.  I,  p.   lôO. 

(2)  Miv.  Félix,  Ociav.,  c.  xxxvii  :  Ouod  vero  sacrificionim  reliqiiias  et  pocula 
delibata  conlemnimus,  nou  confessio  tiiiioris  est,  sed  vera*  libcrtalis  asserlio. 

(3)  Pro  Flacco,  c.  xxviii  :  Sua  cuiqiie  civitati  reliyio  est.  nostra  iiobis. 

(4)  M.  A.  BouchÉ-LeCLERCQ,  les  Pontifes  de  l'ancienne  Rome,  thèse  soutenue  en  1871, 
p.  310. 

(5)  Il  y  en  avait  d'anciennes  et  de  nouvelles,  d'innocentes  et  de  malfaisantes  :  le 


—  64  — 

gouvernement  personnifie'  par  les  empereurs,  et  Ton  peut  dire,  en 
ce  sens,  que  le  Panthe'on  cV Agrippa  servit  de  vestibule  au  temple 
de  Rome  et  d'Auguste  (1). 

Dès  le  commencement,  le  petit  troupeau  des  fidèles  (2)  s'obstina  à 
rester  dehors;  c'est  pour  cette  raison,  et  non  pour  une  autie,  que  pen- 
dant trois  siècles  le  nom  de  chrétien  fut  synonyme  d'athe'e.  «  C'est 
cette  obstination  à  s'isoler  ainsi  du  reste  du  monde,  à  garder  leur  foi 
pure  de  tout  mélange  e'tranger,  pense  avec  raison  M.  Boissier  (3),  qui 
peut  seule  expliquer  le  reproche  singulier  et  si  injuste  qu'on  leur  faisait 
de  détester  le  genre  humain,  et  la  violence  des  persécutions  dont  ils 
furent  victimes  pendant  tiois  siècles  de  la  part  d'un  peuple  qui  avait 
accueilli  avec  tant  de  bienveillance  toutes  les  autres  religions.  «  Il  ne 
faut  cependant  pas  se  faire  illusion  sur  la  générosité  politique  des 
Romains.  ^  Si  une  chose  doit  être  louée  chez  eux,  observait  un  écri- 
vain grec  du  deuxième  siècle  (4),  c'est  que  leur  amour-propre  national 
ne  les  a  pas  empêchés  de  trouver  leur  bien  partout  autour  d'eux  et  de 
se  l'approprier.  Aux  uns  ils  avaient  emprunté  leurs  armes,  qui  aujour- 
d'hui sont  appelées  romaines  à  cause  de  l'excellent  usage  qu'eux- 
mêmes  en  ont  fait;  à  d'autres  ils  ont  emprunté  leurs  exercices 
militaires,  à  d'autres  encore  les  sièges  de  leurs  magistrats  et  la  robe 
bordée  de  pourpre.  Us  ont  été  jusqu'à  prendre  les  dieux  des  uns  ou 
des  autres  pour  leur  rendre  un  culte  comme  à  leurs  dieux  propres.  « 

Ce  syncrétisme  peu  désintéressé  mérite-t-il  le  beau  nom  de  tolé- 

chrisliaiiisme  était  traité  par  l'opinion  de  «superstilio  nova  ac  malefîca  "  (Suet  ),  ou 
•  prava  et  immndica  -  (Pi.i\.),  ou  •  exiliabilis  >  (Tac.)- 

(1)  M.  Di  ivLY,  dans  son  travail  sur  les  asseml)lées  provinciales  au  siècle  d'Aujjusle, 
C.  r.  de  l'Acad.  des  sciences  morales,  1881,  p.  238  et  suiv.,  dit  :  '  Tes  idées  ne  sont  pas 
les  nôtres,  mais  elle?  étaient  celles  des  anciens,  et  l'IiiNloire  serait  souverainenienl 
injuste  si,  tout  en  trouvant  ce  culte  sacriléye.  elle  reprociiait  ù  un  contemporain 
d'Auguste  de  n'avoir  point  pensé  comme  un  contemporain  de  Voltaire.  •  Soit,  seu- 
lement ce  ne  serait  que  justice  h  l'Iiisiorien  de  nommer  ici  les  hommes  qui,  il  y  a 
dix-huit  siècles,  nous  ont  appris  à  penser  comme  eux  ;  nous  voulons  parler  des 
disciples  de  Jésus  Christ. 

(2)  Saint  Llc,  c.  xii  :  M/)  çoêjù,  tô  [Aixpôv  iïùi'[J.vtov,  ôti  eùoôxriaev  o  TratTiÇi  ûjaûv  ôoOva 
ûjxïv  Tr;v  paoOeiav. 

(3)  La  Religion  romaine  d'Auguste  aux  Aiiioniiis  (Paris,  1874),  t.  I,  p.  450. 

(4)  AiilUEN,  Tactique,  c.  xxxiir,  4  :   01  oï  -/.ai  Oeo-j;  aÙToù;,  à'),).ou;  Tiap'  a).)wv  /aêovTE., 

w;  ov/.£toyi;  ffeêouTiv.  Cf.  Octar.,  c.  VI  :  Sic  dum  universarum  genliura  sacra  susci- 
piunt,  etiam  régna  nieruerunt. 


—  Ga- 
rance? Ici  nous  nous  séparons  de  l'auteur  qui,  par  ailleurs,  a  su 
comprendre  avec  tant  de  pe'ne'tration  le  vieil  esprit  the'ocratique  des 
Quirites,  et  nous  ne  nous  demanderons  pas,  surtout  à  propos  du 
plus  sage  des  Antonins,  si  'i  ce  ne  serait  pas  au  nom  de  cette  tole'rance 
qu'il  en  vint  à  violer  la  tole'rance  elle-même  en  perse'cutant  les  chre'- 
tiens  "  (1).  (i  Le  Dieu  des  chre'tieiis,  dit  JM.  Villemain  (2),  le  Dieu  imma- 
te'riel  et  pur  e'tait  par  lui-même  la  négation  et  la  ruine  de  tout  autre 
dieu.  Mais  ce  motif  qui,  vaguement  senti,  excitait  la  colère  de  la 
foule,  pouvait-il  irriter  JMarc-Aurèle  ?  »  Si  tel  eût  e'te'  son  sentiment, 
Marc-Aurèle  devrait  être  mis  sur  la  même  ligne  que  le  célèbre 
Philippe  II,  car  que  Ton  impose  une  seule  religion  ou  qu'on  les 
impose  toutes,  l'intolérance  consiste,  suivant  la  juste  remarque  d'un 
apologiste  (3j,  à  exiger  par  la  contrainte  ce  qui  n'est  compatible 
qu'avec  la  persuasion.  D'ailleurs,  la  distance  n'est  pas  si  grande  de 
Sa  Majesté  Catholique  à  l'empereur  philosophe  :  les  martyrs  de  Lyon, 
par  exemple,  n'ont  rien  laissé  à  envier  aux  auto-da-fé  de  l'inquisition 
espagnole  (4),  et  les  choses  répondent  aux  mots,  puisque  le  conqui- 
rendi  non  sitnt  de  Trajan  fut,  comme  nous  le  montrerons,  pratique- 
ment abrogé.  C'est  ce  que  constate  Eusèbe,  après  avoir  cité  seulement 
d'après  TertuUien  le  rescrit  impérial ,  dont  il  ne  saisit  pas  pour  cela 


(1)  Les  Pontifes  de  l'ancienne  Rome,  p.  372.  —  M.  Ern.  DeSJArdiNS  a  écrit  dans  le 
Moniteur  de  rEmpire,  31  janvier  1861,  p.  137  :  "  Les  persécutions  ont  été  souvent  mal 
appréciées;  leur  histoire,  pour  avoir  été  mal  comprise,  nourrit  une  étrange 
illusion.  Il  faut  s'en  délivrer,  et  voir  que  l'esprit  d'intolérance  n'était  pas  d'abord 
du  côté  des  païens,  qui  ouvraient  le  Panthéon  à  tous  les  dieux,  mais  du  côté  des 
chrétiens,  qui  ue  voulaient  point  de  partage,  méprisaient  l'Olympe  et  pensaient 
changer  la  face  du  monde  en  appelant  les  esclaves  à  la  liberté,  et  tous,  les  hommes 
devenus  libres  à  l'égalité.  - 

(2)  De  la  philosophie  slolquc  et  du  christianiswe. 

(3)  Teut.,  Ad  Scap.,  c.  II  :  Tainen  humani  juris  et  naturalis  potestatis  est  unicuique 
quod  putaverit  colère,  necalii  obest  aut  prodcst  alterius  religio.  Sed  nec  relifjioiiis 
est  cogère  religionem  qua>  sponte  suscipi  debeat,  non  vi,  quum  et  hostiae  ab  animo 
libenti  expostulentur 

(4)  ^  Même  dégagées  des  exagérations  de  la  légende,  les  persécutions  de  l'Église 
restent  une  des  pages  les  plus  sombres  de  l'histoire.  Certes,  d'après  nos  idées, 
ajoute  M.  Re.\.\n,  Trajan  et  Marc-Aurèle  eussent  mieux  fait  d'être  tout  à  fait  libé- 
raux... Le  système  libéral  est  le  plus  srtr  dissolvant  des  associations  puissantes. 
Voilà  ce  que  de  nombreuses  expériences  nous  ont  appris.  Mais  Trajan  et  Marc-Au- 
rèle ne  pouvaient  le  savoir.  »  Jouviud  des  Samius,  dée.  1876,  p.  731. 

5 


—  66  — 

aussi  bien  que  nous  la  portée  (t)  :  «i  Le  danger  de  la  perse'culion  qui 
se'vissait  si  fort,  dit-il,  fut  alors  conjure' ;  il  n'en  resta  pas  moins  de 
mauvais  prétextes  à  ceux  qui  voulaient  nous  nuire,  les  populations  en 
certains  endroits,  et  en  d'autres  les  gouverneurs  des  provinces,  ma- 
chinant contre  nous,  si  bien  qu'à  défaut  d'une  proscription  déclarée, 
des  persécutions  locales  s'alluuièrent  suivant  les  pays,  et  de  nom- 
breux fidèles  souffrirent  diversement  le  martyre.  i' 


iï    11.    —    LES    APOLOGISTES. 


A  côté  de  l'étude  juridique  que  nous  venons  d'essayer  sur  les  pro- 
cédés du  gouvernement  vis-à-vis  des  chrétiens,  il  sera  bon  de  résumer 
les  protestations  que  ces  mêmes  chrétiens  adressèrent  successivement 
à  Hadrien,  à  Antonin,  à  Marc-Aurèle,  semblables  à  un  écho  qui  se 
prolonge  jusqu'à  la  fin  du  siècle.  En  effet,  la  défense  comme  l'accusa- 
tion nous  servira  à  délimiter  le  terrain  au  procès.  Nous  noterons  à 
leur  date  les  rescrits  des  empereurs.  Ceux  qui  portaient  la  parole  de- 
vant eux  étaient  des  Grecs  et  des  philosophes  ;  ils  étaient  fondés  à 
espérer  le  succès, à  une  époque  où  la  i)hilosophie  grecque  se  trouvait 
sur  le  trône.  Du  moins,  ces  princes  étaient-ils  capables  d'entendre  le 
langage  élevé  et  courageux  qui  leur  était  adressé. 

Hadrien  avait  fait  ses  preuves  comme  lettré,  et  possédait  avec  la 
même  perfection  le  grec  et  le  latin.  Successeur  de  I.icinius  Sura  dans 
la  faveur  et  la  confiance  de  Trajan,  ce  fut  lui  qui  dut  écrire,  si  l'on 
admet  l'opinion  très-plausible  de  C.  de  la  Berge  (2) ,  les  lettres  adres- 
sées à  Pline,  dont  on  a  loué  Ximperatoria  brevitas  :  devenu  lui-même 


(1)  Hisl.  ecclcs.,  J.  III,  c.  xxxm,  2  :  ITpô;  à  tov  Tpaïavov  ôôy(j.a  TotovSe  T£0£ixe'vai,T6 
•/piiitavôiv  çù)/jv  (j.-/;  èy.î^riTEÏcOxc  jxèv,  È|j.7I£(jôv  ôè  xoXâ^effOai  '  ow  yevonjvûy,  xt),. 

(2)  Élude  sur  Trajan,  p.  290. 


—  67  — 

empereur,  il  ne  laissa  pas  à  un  autre  le  soin  de  composer  ses  réponses  (1). 
il  se  trouvait  à  Antioche,  loi-squ'il  fut  proclame'  en  Cilicie  par  les  soins 
de  Plotine  le  11  août  117.  Il  gagna  alors  la  capitale,  mais  eu  partit 
dès  119  pour  visiter  le  nord  et  l'ouest  de  son  empire.  Traversant 
Rome  vers  le  milieu  de  121,  il  repartit  pour  l'Orient,  où  il  séjourna 
quatre  ans  etdemi.  Ce  n'est  pas  en  Grèce  qu'il  aborda,  mais  dans  la  pro- 
vince d'Asie,  qu'il  visita  curieusement,  ainsi  que  toutes  ses  îles,  après 
avoir  commencé  sans  doute  parla  ville  d'Éplièse,  suivant  l'usage  (2). 
Partout  du  reste,  sur  le  passage  du  voyageur  impérial,  les  vieilles  cités 
relevaient  leurs  monuments  et  célébraient  des  jeux  (3).  Ce  pays  avait 
été  jadis  évangélisé  trois  ans  (54-57)  par  saint  Paul,  et  plus  tard, 
plusieurs  de  ses  lettres  avaient  circulé  parmi  les  Eglises  d'Eplièse, 
de  Colosse  et  de  Laodicée.  Ensuite  était  venu  de  Jérusalem  à  Ephèse 
saint  Jean,  qui  y  mourut  très-vieux;  la  vénération  qui  entourait  son 
tombeau  vers  195  (4)  donne  une  idée  de  l'impression  profonde  qu'il 
laissa  après  lui.  A  la  même  époque,  on  montrait  encore  à  Hiérapolis 
de  Phrygie  le  tombeau  du  diacre  Philippe  et  de  ses  quatre  filles  pro- 
phétesses  (5),  dont  Papias,  leur  contemporain,  disciple  de  saint  Jean 
et  évêque  de  cette  ville,  a  rapporté  les  miracles,  en  particulier  la 

(1)  Julien,  Cœsares,  c.  xx.yiii  :  At'SoTai  (xeTà  toùtov  tw  Tpatavw  xoO  )iY£iv  £|ou(TÎa"  ô 
ÔÉ,  xaÎTrep  8vivx(/.£voi;  ),£y£iv  (ûttô  pa9u[AÎa;  ÈTiiTpÉTtEiv  yàp  eIûOsi  xà  •7ioX),à  Ttji  -oypa 
ypà?£iv  uTTÈp  a-jToO),  ç6£yy6[1£voç  [Aà).)ov  r,  liyiù^.—  Spart.,  Vit.  Hadr.,  c.  m  :  Quuin  ora- 
tiouem  iniperatoris  in  seiiatu  agrestius  pronuntians  risus  esset,  usque  ad  sunimam 
peritiam  et  facundiam  latinis  operam  dedil;  et  defuncto  quidem  Sura  Traj;!iii  ei  fa- 
miliaritas  crevit  causa  praecipue  orationuiii  qiias  pro  imperatore  dictaverat.  Cf. 
c.  XX  :  Nain  ipse  et  orationes  dictavit  et  ad  omnia  respondit. 

(2)  Ihid.,  c.  xiii  :  Post  haec  per  Asiam  et  insulas  ad  Achaiam  iiavijjavil.  Cf.  1».,  liv.  I, 
tit.  XVI,  fr.  IV,  §  5  :  Proconsul!  necessitatcm  impositam  per  mare  Asiam  applicare 
xal  TôJv  (j(,r|Tpo7i:6>,£wv  'Eçesov  primam  atlini',ere.  L'abljé  Greppo,  Mémoire  sur  les  voya- 
ges de  l'empereur  Hadrien  (Paris,  18i2),  p.  1C7,  signale  de  beaux  médaillons  d'argent  frap- 
pé   à  son  arrivée. 

(3)  Loc.cit.,  c.  XIX  :  In  omnibus  pa'ue  urbibus  etaliquid  a-dificavit  et  ludosedidit. 
Dion  Cassius,  Ep.,  1.  LXIX,  c.  x  :  'Ettoiei  8s  xaî  Ôs'atpa  y-aî  àywvxç,  uspwopsyôjjievo;  ta; 
7r6),£ii;  av£y  ty)ç  PaffO.ix^;  (Aéviot   irapaaxEu^;*  oùSè   yàp   ë?w   tt;;  'Pwjjlvi;  é'/p/juaTO   7roT£ 

(4)  Hisi.  eccl.,  1.  V,  C  xxiv,  3  :  lettre  de  l'évéque  d'Éphèse,  Polycrate,  au  pape  saint 
Victor. 

(5)  Ihid.,  1.  ni,  c.  XXXI,  4,  le  prêtre  C.4IUS  de  Rome,  dans  son  dialogue  intitulé 
Proclus,  dit  :  M£Tà  toOtov  5e  TtpoçvÎTiOE;  TÉtrcrapEç  al  <ï>iXt7niou  y£y£'vr|VTat  Èv  'l£pa7vô),£t 
TT]  xaxà  Triv  'Affîav  ô  xàçoç  a'jTc5v  Èaxiv  £X£t  xal  6  toO  uaxpô;  aÙTwv.  Cf,  /Ictes,  c.  xxi, 
V.  8. 

5. 


—  68  — 

résurrection  d'un  mort.  Non  loin  de  là,  à  Magnésie  sur  le  Méandre, 
un  autre  disciple  des  apôtres,  twv  à7rojTo)o)v  (xxou'îT-/i(;,  Qnadratus,  et  lui 
aussi  prédicateur  de  l'Evangile,  avait  dépassé  le  règne  de  Trajan. 
L'auteur  anonyme  d'un  écrit  contre  l'hérésie  desmontanistes  (de  la  fin 
du  deuxième  siècle)  le  nomme  parmi  les  chrétiens  célèbres  doués  de 
l'esprit  prophétique,  aprèsles  filles  de  Philippe  et  à  la  suite  d'Ammia, 
originaire  de  Philadelphie  (1).  Il  vit  Hadrien  et  lui  remit  un  placet  en 
faveur  de  la  secte  nouvelle,  qui  se  voyait  alors  plus  spécialement 
inquiétée  par  la  malveillance  locale:  c'est  la  premièie  afiologie  (2). 
Elle  ne  nous  a  pas  été  conservée,  mais  Eusèbe,  qui  l'a  eue  entre  les 
mains,  cite  un  passage  (3)  où  Quadratus  parle  des  miracles  du  Sau- 
veur, des  guérisons  opérées,  des  morts  ressuscites  et  encore  vivants  à 
son  époque,  c'est-à-dire  vers  123.  Dans  le  cours  de  son  voyage,  l'em- 
pereur, qui,  après  avoir  peut-être  prêté  l'oreille  un  instant,  avait  passé 
outre  avec  un  sourire  pareil  à  celui  qui  accueillit  saint  Paul  à  l'Aréo- 
page (4),  reçut  précisément   du  proconsul  de   la  province    d'Asie, 
Q.  Licinius  Silvanus  Granianus  (5),  sur  la  fin  de  sa  charge,  une  lettre 
exposant  les  troubles  qui  se  produisaient  au  sujet  des  chrétiens  et 
demandant  si  le  cri  populaire  constituait  une  accusation.  Ce  fut  sou 
successeur,  C.  Minicius  Fundanus,  124-125  (6),  qui  reçut  la  réponse. 
Elle  était  en  latin,  mais  nous  n'avons  plus  que  la  traduction  grecque 
qu'eu  fit  Eusèbe,  xaxà  ouva(j(.iv  (7),  sur  l'exemplaire  authentique  repro- 


{\)Hist.  ceci.,  l.V,c.  xvii,  3  :  Ouïs 'Ayaêov.oÛTe'IojSav,  oùte  2î),av,  oûxs  xàç  «iJO-iTiTrou 
ôuyaTÉpotç,  ouTî  Tr)v  èv  <I>i),a5E).3£(a  'A[X[jiiav,  oOre  Koôpàxov.  —  Une  inscription  du 
Louvre  (n"  66  du  catalogue  de  Froehner)  conserve  le  souvenir  du  passage  d'Hadrien 
à  Magnésie,  Mâyvr|T£;  o\  tt^o;  tw  Ma'.âvSjxo...,  fiwfiîôjv  ÈçaipîTwv  t'j/ovte;  Onô  Oeoû 
TpaïavoO  'ASpiavoù.  Cf.  le  Corp.  insc.  Greec.  de  Berlin,  n"  2910,  où  elle  est  attribuée 
à  Magnésie  en  Carie. 

(2)  Ibid.,  1.  IV,  C.  III  ':  To-jtw  Koopàxoç  Xôyov  Ttpoaçwvria'x;  àvxotowciv,  aTioXoyîav 
o-yvToi^aî  ûitàp  tÎ);  xaO'  TQ[J.àç  ÔEOffEoEca;  oxt  or\  uovïjpotxtvEç  àvopEç  touç  T||X£T£poy<;  EvoyAslv 

ETTEtpWVTO. 

(3;  Corput  apologet.,  éd.  Otlo,  V.  IX,  p.  339. 

(4)  Actes,  c.  XXVII,  V.  32  :  'AxoûaavxEç  5k  àvâcrxaaiv  vExpwv,  o't  (xèv  £-/)vEy3(^ov  ot  Se 
Eiiiov,  cxxou(jô|j.£0(i  croy  Trâ/.tv  7t£p\  xoûxou. 

(5)  Tels  sont  ses  noms  d'après  les  inscriptions;  cf.  WAnDi\GTo.\,  Fastes,  %  128.  Eu- 
sèbe écrit,  au  lieu  de    Af/twioç,  ilEpÉvvtoç.     , 

(6)  BORGHiiSi,  ORwres  complètes,  t.  VIII,  p.  464,  et  Waudington,  Fastes,  §  129.  Le 
grec  porte  :  MtvoOxio;.  Minucius  se  confondait  souvent  avec  Minicius. 

(7)  Hisi.  eccl.,  1.  IV,  c.  VIII,  8.—  ÛTTO,  vol.  I,  p.  190  (3*  éd.),  donne  le  texte  latin  de 


—  69  — 

duit  par  saint  Justin  à  la  fin  île  sa  première  Apologie.  Hadrien  veut 
que  les  provinciaux  affirment  devant  le  tribunal  du  gouverneur  leurs 
pre'tentions  contre  les  chre'tiens,  de  manière  qu'ils  aient  à  en  re'- 
pondre  et  qu'ils  ne  se  contentent  pas  de  recourir  à  des  requêtes 
tumultuaires  et  à  des  clameurs  (1).  Il  ajoute  qu'il  eût  e'té  préférable 
que  quelqu'un  eût  présenté  une  accusation  en  règle  (2)  dont  on  aurait 
pu  connaître.  Puis  il  trace  la  marche  à  suivre  pour  l'avenir  (3)  :  l'ac- 
cusateur qui  apportera  la  preuve  d'une  contravention  aux  lois  devra 
obtenir  une  sentence  conforme  à  l'étendue  de  la  contravention;  mais 
celui  qui  sous  ce  prétexte  se  ferait  l'auteur  d'une  dénonciation  calom- 
nieuse, serait  pour  ce  méfait  jugé  et  puni. 

Overbeck,  après  le  théologien  Keim  (4),  a  nié  l'authenticité  de  ce 
rescrit  (5).  Hadrien,  dit-il,  n'a  pas  pu  abroger  la  loi  de  Trajan,  puis- 
que nous  la  voyons  appliquée  au  delà  même  du  règne  de  Commode 
jusque  sous  Septime  Sévère;  il  ne  l'a  pas  voulu,  puisqu'il  était  per- 
sonnellement hostile  aux  chrétiens  et  a  permis  que  plusieurs  martyrs 
souffrissent  de  son  temps.  M.  Aube  insiste  sur  deux  autres  considéra- 
tions (6):  l»  le  silence  de  l'orateur  africain  dans  son  Apologétique  : 
(i  Comment  admettre,  si  la  pièce  était  authentique,  ou  seulement  — 
car  la  critique  de  Tertullien  n'est  pas  sévère  —  si  elle  était  composée 
à  la  fin  du  deuxième  siècle,  que  Tertullien  ne  l'ait  pas  connue,  ou  que. 


Rufin  comme  l'original,  sur  la  foi  de  Kimmel,  De  Rufino  Eusebu  ïnterpreie  (Gerae,  1838), 
p.  175.  Overbeck  et  M.  Aube  l'admettent  également  sans  discussion.  IVlais  que  l'on 
compare  la  version  latine  d'Eusèbe,  très-exacte,  qui  se  trouve  dans  Mamachi,  Ori- 
gines christ.,  t.  I,  p.  431,  en  note,  et  l'on  sentira  la  différence  des  deux  textes. 

(1)  Ceci  rappelle  le  tumulte  de  l'année  57,  à  propos  de  saint  Paul,  à  Ephèse,  dans 
ramphilhéâtre,  et  le  renvoi  des  mécontents  aux  sessions  du  proconsul. /îc/m,  c.  xix. 

(2)  Veulogium  remis  au  proconsul  Pudens,  à  Carthage.  Tkrt.,  AdScap.,  c.  iv. 

(3)  Ei'  Tiç  O'jv  xaTrjyopsî  xolk  ôecxvuat  Tt  Tiapà  Toùç  vôfAouç  TtpaTxovTaç,  outwç  ôtôpi^s 
itaTa  Tïiv  8yva[itv  xoO  ôtjjLapnQf/.aTOç-  wç  [jià  tov  'HpaxXIa,  eî' xn;  auxoçavxtaç  ^dtpiv 
Toùxo  Ttpoxeîvot,  Sta>,d(jj.6avs  -juàp  xriç  Setvôx'oxoi;,  xa\  çpovxiÇe  ottwç  av  èxStxYJastaç. 

(4)  Bedenhen  gegen  die  Echtheit  des  Hadrian  schen  Christenrescripts,  dans  les  Theologische 
Jahrbiicher  de  Baur  (Tiibingen,  1856),  p.  387  et's. 

(5)  Siudien,  p.  134-148  :  "  Es  bildet  jetzt  nur  ein  Glied  in  einer  Kette  von  lilusio- 
nen  der  alten  christlichen  Apologeten,  und  ist  darin  nicht  einmal  das  auffallendste 
Glied.  . 

(6)  Hist.  des  perséc,  p.  271  ;  les  objections  portant  sur  le  style  tombent,  s'il  est  de 
Rufin.  C'est  ce  que  répond  Funk,  qui  défend  l'authenticité  du  rescrit,  Theologische 
Quartalschrifi  (Tiibingen,  1879),  p.  111  et  s. 


—  70  — 

la  connaissant,  il  no  s'on  soit  pas  servi  et  nVn  ait  pas  même  fait  men- 
tion? "  2°  La  place  de  la  lettre  dans  \ Apologie  de  saint  Justin,  «  dont 
elle  lie  fait  pas  partie  intégrante,  où  elle  vient  à  la  fin,  comme  un 
appendice  qui  ne  s'y  rattache  que  d'une  manière  artificielle  et  gauche, 
et  pourrait  être  supprime'e  sans  que  rien  parût  manquer  « .  Pour  ce 
dernier  point,  en  effet,  c'est  une  affaire  de  goût,  et  M.  Aube'  lui-même 
avait  trouvé  ailleurs  (1)  ^  que  c'était  d'une  habile  politique,  et  qu'il 
e'tait  bien  permis  à  l'avocat  du  christianisme  d'employer  ce  dernier 
moyeu  de  défense  après  avoir  épuisé  tous  les  autres  " .  Quant  au  pre- 
mier point,  M.  Aube  se  charge  également  de  démontrer  (2)  que  le 
document  en  question  était  à  tout  le  moins  composé  une  trentaine 
d'années  avant  la  fin  du  deuxième  siècle,  puisque,  vrai  ou  faux,  il  est 
mentionné  par  Méliton,  évéque  de  Sardes,  dans  son  Apologie  à  JMarc- 
Aurèle,  vers  172;  sans  compter  que  ce  témoignage  est  plutôt  une  ga- 
rantie d'authenticité,  en  ce  qu'il  représente  la  tradition  locale.  (Sardes 
est  une  ville  de  la  province  d'Asie.)  11  n'y  aurait  que  le  silence  du  pays 
intéressé  au  rescrit,  qui  pourrait  valoir  contre  celui-ci  (3);  car  il  règle 
une  difficulté  jusque-là  plus  particulièrement  propre  à  cette  province, 
et  ce  n'est  certes  pas  la  dernière  fois  que  nous  y  entendrons  les  cris  de 
l'amphithéâtre  demander  la  mort  des  chrétiens.  Tertullien  peut  donc 
bien  n'avoir  pas  connu  le  rescrit,  et  son  authenticité  reste  intacte. 
Wieseler  (4)  remarque  très-justement  qu'Hadrien  n'accorde  pas  aux 
chrétiens  une  reconnaissance  légale  :  l'empereur  se  contente  de  s'en 
référer  aux  lois  existantes,  et  loin  d'abroger  la  loi  de  Tiajan,  comme 
le  veut  Overbeck,  ill' applique,  en  décidant  que  les  réclamations  de  la 
foule  sont  une  dénonciation  anonyme.  Et  comment  aurait-il  agi  d'une 
façon   différente,    si    c'était  lui   qui  avait  tenu  la  plume   |)our  la 

(1)  Saint  Justin,  philosophe  et  martyr,  p.  LI. 

(2)  Saint  Justin,  p.  61  ;  cf.  Hist.  desperséc,  p.  302.  —  Corp.  apol.,  vol.  IX,  p.  413  :  'O  \iïw 
TtaTiTtoç  ffO'j  'Aopiavoç  7to/,).oî;  (xàv  v.où  a).).oiç,  xa\  4>0'jv5avâ)  oï  tû  àvOuitâtto,  r|you|i£vw 
ôè  Tf|Ç  'Aaiy.Q  ypâ:f.(i)v  cpaivETat. 

(3)  «  Les  traviiiix  de  M.  Waddinglon  sur  les  légats  impériaux  de  la  province  d'Asie, 
en  fixant  la  date  des  proconsuiats  de  Granianus  et  de  Minicius  Fundanus,  et  en  don- 
nant les  lignes  essentielles  de  leur  carrière  politique,  ont  ajoute  à  l'opinion  tradi- 
tionnelle sur  ce  point  beaucoup  de  solidité-  "  M.  Rk.vav,  Journal  des  Savants,  déc.  1876, 
p.  729. 

(4)  "  Das  Kdict  gewa'hrt  den  Cliristen  keine  geselziiche  Rcligionsfreilieit.  -  P.  18. 


—  71  — 

rédaction  du  décret  de  son  prédécesseur?  11  ne  le  cite  point,  il  est  vrai, 
mais  il  se  sert  d'une  expression  plus  vague,  qui  ne  l'exclut  pas. 
Cela  étonne  M.  Aube  :  «  Rien  d'équivoque,  dit-il,  comme  la  partie 
positive  de  la  lettre  «  ;  et  il  cherche  à  préciser  les  cas  où  il  y  aura 
(Tuy.ocpavTi'a,  mais  il  en  oublie  un,  toujours  possible,  le  seul  probablement 
qu'Hadrien  ait  eu  en  vue  :  un  chrétien  est  accusé  d'être  chrétien,  et 
cependant  il  sacrifie  aux  dieux  —  voilà  la  calomnie  (1),  l'accusateur 
devra  être  puni.  Cette  disposition  n'est  que  le  corollaire  de  l'immunité 
accordée  par  Trajan  à  l'apostasie.  Rigoureusement  appliquée,  elle 
eût  pu  diminuer  le  nombre  des  accusations,  si  la  plupart  des  fidèles  de 
ce  temps  ne  s'étaient  montrés  tels  que  Pline  les  a  vus  (2),  aussi  l)ien 
que  Marc-Aurèle,  obstinés  dans  leur  foi. 

Hadrien  cependant  avait  d'eux  une  opinion  moins  favorable.  Voici 
ce  qu'il  écrivait,  en  131,  au  sortir  d'Alexandrie  à  son  beau-frère  Ser- 
vien  (3)  :  «  Cette  Egypte  que  tu  avais  coutume  de  me  vanter,  je  la 
sais  maintenant  par  cœur,  avec  sa  légèreté,  sa  mobilité,  son  empoi- 
tement  facile  à  toutes  les  impressions  du  moment.  Là,  les  adoi'ateurs 
de  Sérapis  sont  aussi  chrétiens,  et  ceux  qui  s'intitulent  évêques  du 
Christ  n'en  sont  pas  moins  dévots  à  Sérapis.  Là,  tout  Juif  chef  de 
synagogue,  tout  Samaritain,  tout  prêtre  des  chrétiens  est  en  même 
temps  astrologue,  devin  ou  charlatan.  Le  patriarche  lui-même  venant 
en  Egypte  se  voit  obligé  par  ceux-ci  d'adorer  Sérapis,  par  ceux-là 

le  Christ Bref,  ils  n'ont  qu'un  dieu,  l'argent  :  c'est  à  lui  que 

chrétiens,  Juifs  (4),  et  les  autres,  de  quelque  race  qu'ils  soient, 
rendent  leurs  hommages.  «  Nouvel  exemple  d'une  Eglise  sur  les  ori- 


(1)  Par  analogie,  un  exemple  pris  clans  Spautien,  Vit.  Ser.,  c.  m  :  Reus  factus,  sed 
a  praefectis  prsetorio  quibiis  aiuliendiis  ftierat...  absohitiis  est,  calumnintnrc  in  criicem 
acto. 

(2)  Quorum  nihil  cogi  posse  dicuntur  qui  sunt  rêvera  christiani.  —  Com.,  1.  XI, 
c.  m  :  Kaxà  4"^'^'  itapaTalw,  wç  o\  ^(ptaTtavot. 

(3)  Vopisc  ,  lit.  Saturniiii,  c.  viii,  dit  qu'il  tire  cette  lettre  des  livres  de  Plilégon, 
l'affranchi,  et  même,  selon  Spartien,  le  prête-nom  littéraire  d'Hadrien. 

(4)  Unus  illis  deus  nummus  est  :  Ininc  christiani,  hune  JudtTi,  hune  omnes  vene- 
rantur  et  gentes.  Loc.  cit.,  éd.  Peter.  D'autres  éditeurs  récents  des  Scrij}ioreshis- 
loriœ  Augnstœ,  Jordan  et  Eyssenhardt,  ont  bien  imprimé  cette  étrange  note,  p.  208, 
t.  II  (Berlin,  1874)  :  «  Ilic  et  alibi  fraudem  prodit  homo  christianus  Iladrianum 
ementitus.  » 


—  72 


gines  de  laquelle  nous  somiius  ppu  renseifjne's  (1),  et  qui  se  révèle 
à  nous  pleine  de  vie  avant  le  milieu  du  deuxième  siècle.  La  descrip- 
tion peu  flatteuse  qu'en  fait  l'empereur  re'pond  fort  bien  à  la  tour- 
nure sceptique  de  son  esprit,  et  à  l'impression  que  Tetat  religieux 
d'Alexandrie  pouvait  produire  sur  un  profane.  Cette  population  ser- 
vile  et  turbulente,  que  gouvernait  un  chevalier  romain  avec  les  fonc- 
tions de  vice-roi,  devint  dès  le  principe  le  foyer  de  toutes  les  agita- 
tions he're'tiques ,  et  pre'cise'ment  à  l'e'poque  d'Hadrien,  elle  était  en 
proie  aux  sectes  varie'es  et  bizarres  du  gnosticisme  (2).  Mais  ce  n'était 
pas  sous  cet  aspect  qu'il  avait  d'abord  connu  la  religion  chrétienne, 
lorsque  celle-ci  lui  fut  exposée  par  Aristide  à  Athènes  pendant  son 
séjour  de  l'hiver  125-12G. 

A  cette  date,  Hadrien,  qui  venait  de  se  faire  initier  aux  mystères 
d'Eleusis,  présidait  dans  la  capitale  de  l'Attique  des  concours  de  toute 
sorte  (3).  Le  jihilosophe  chrétien,  lui  adressant  la  parole,  emjirunta 
certaines  notions  du  Timée  et  s'en  servit  pour  arriver  à  la  conception 
d'un  Dieu  unique;  cette  conception,  par  l'énumération  des  différentes 
races,  il  la  montra  commune  à  tous  les  peuples,  et  revendiqua  alors 
pour  la  religion  nouvelle,  dont  il  glorifia  le  divin  Fondateur,  le  droit 
à  l'existence.  Il  dénonça  enfin  à  l'équité  de  l'empereur  la  mise  à  mort 
de  saint  Denys  l'Aréopagite  ,  premier  évêque  d'Athènes,  converti 
par  saint  Paul  en  52  (4).  Telle  est  l'idée  imparfaite  que  nous  pouvons 


(1)  La  situation  d'Alexandrie  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée,  son  importance, 
ses  rapports  fri'quents  avec  la  Jndée,  donnent  lieu  de  faire  remonter  à  la  fin  des 
temps  apostoliques  la  f  >ndation  de  son  Église  La  tradition  qui  l'attribue  à  saint 
Marc,  disciple  de  saint  Pierre,  et  qui  est  consignée  dans  la  Chronique  d'Euscbe,  se 
trouve  corroborée  par  l'existence,  au  sud-ouest  de  la  ville,  d'un  cwmeteiium.  S.  Marci 
ciangclis/œ  in  loco  qui  dicitur  Bucoliii,  dont  M.  Wes"her  a  retrouvé  quelque  hypogée. 
Cf.  Bull.  1865,  p.  .07  et  S.  L'Epitre,  dite  de  saint  Barnabe,  qui  allégorise  l'Ancien  Tes- 
tament, est  un  écho  des  controverses  avec  les  Juifs,  et  a  drt  émaner  de  cette  Kglise 
vers  l'année  97. 

(2)  Saint  .Ikuômf,  De  vir.  ill.,  c.  xxi  :  Moratus  autem  est  Basilides,  a  quo  gnoslici, 
in  Alexandria  temporibus  Hadriani;  qua  tempestate  et  Cochebas,  dux  Judaïcan  fac- 
tionis,  christianos  variis  suppliciis  enecavit. 

(.3;  Dion  Cassils,  Ep.,  I.  I.XIX,  c.  xi  :  'Aç'.xÔ|j.îvo:  o£  s;  tv  'E/.Xioa  ÈitwTîTcVTe  Ta 
|jL'j'7T-/-,p'.a.  Spautif.n,  lit.  Hadr.,  c.  xiii  :  Et  Eleusinia  sacra  exemplo  Merculis  Philip- 
pique  susccpit,  inulta  in  Athenienses  contulit  et  pro  a;;onolhcia  resedit. 

(4j  Hist.rccles.A.  IV,  C  \xiii,  .3  —  Corp.  Apol.,  vol.  IX.  p.  .3f  f,  mention  dupelit  Mar- 
tyrologe romain  du  8  octobre  :  Athenis  Dionysii  Areopagita?,  sub  lladriano  diversis 


—  73  — 

nous  faire  de  son  apolo{jie,  qui  ne  nous  est  parvenue  qu'à  Telat  de 
frag^ment.  Elle  e'tait  encore  Irès-re'pandue  au  quatrième  siècle;  Eusèbe 
nous  le  rapporte  (1),  et  saint  Je'rôme  te'moigne  de  sa  haute  valeur  litte'- 
raire  (2).  Ce  que  Ton  en  possède  aujourd'hui  a  e'te'  retrouve'  en  1878 
dans  un  manuscrit  arnie'nien  ;  nous  avons  eu  occasion  de  discuter 
ailleurs  la  question  d'authenticité',  depuis  reprise  en  Allemagne  et 
re'solue  affirmativement  (3).  Nous  avons  expose'  e'galement  alors  quelles 
raisons  pouvaient  faire  attribuer  à  Aristide  l'Epitre  à  Diognète  (4). 

La  situation  violente  au  milieu  de  laquelle  vivaient  les  fidèles  ne 
devait  pas  changer  de  sitôt;  c'est  pourquoi  les  protestations  continuè- 
rent à  se  produire.  La  démarche  d'Aristide,  et  aussi  son  e'crit,  furent 
imite's  par  saint  Justin  au  commencement  de  l'anne'e  139.  Nous  ap- 
prendrons par  la  suscription  même  delà  nouvelle  apologie,  les  qualite's 
de  son  auteur.  —  «  A  l'empereur  Titus  JE\iu&  Hadrianus  Antoninus 
Plus,  Ce'sar-Auguste,  et  à  son  fils  Verissimus,  philosophe,  etàLucius, 
pliilosophe  (5),  ne'  de  (Ve'rus)  Ce'sar,  adopte'  par  Pius,  ami  de  l'instruc- 
tion, ainsi  qu'au  Sacré  Sénat  et  à  l'universalité  du  peuple  romain, 
pour  les  hommes  de  tonte  race  injustement  haïs  et  persécutés  :  moi 
l'un  d'eux,  Justin,  fils  de  Priscus,  petit-fils  de  Bacchius,  citoyen  de 
Flavia  Neapolis,  ville  de  la  Syrie  Palestine,  j'ai  rédigé  cette  adresse 


tormentis  passi,  ut  Aristides  testis  est  in  opère  qiiod  de  christiana  religione  coni- 
posuit. 

(1)  Hist   cccles.,  c.  III,  3  ;  Sto^sxat   5£  ys  et;  SîOpo  uapà  TÙ.zla-zoï^  -/«'i  r)  xoûxou  ypaçri. 

(2)  De  vir.  ill.,  c.  XX  :  Quod  iisque  hodie  perseverans  apud  philologos  iiigenii  ejiis 
indicium  est.  —  Ep.  83  (ad  Magnum)  :  Apologclicnm  pro  christianis  obtiilit,  contex- 
tum  philosophoruin  sententiis,  quem  iniitatus  postea  Juslinns  et  ipse  philosophus. 

{S)  Sancii  hisiidis philosopki  Aiheiiieiisis  scnnorws  duo  (Venetiis,  in  nionasterio  s.  r.a- 
zari,  1878).  —  De  ârislidis  philosophi  Alheniensis,  etc.,  dispuUwit  L.  RiuniLER  (Posen 
1881,  17  p.  in-i"). 

(4)  Revue  des  questions  historiques,  1"  octo))re  1880  :  TApologie  d'Aristide  et  rÉpître  h 
Diognète.  Cf.  Bulletin  critique,  1"  janvier  1882,  p.  310  et  s.  Cette  Épître  est  une 
réponse  à  la  demande  d'éclaircissements  formulée  par  Diognète,  probablement  l'un 
des  maîtres  du  jeune  Marc-Aurèle.  D'après  le  manuscrit  unique,  elle  était  attribuée 
à  saint  Justin,  faussement  de  l'avis  de  tous,  mais  le  plus  grand  nombre  des  critiques 
l'ont  reconnue  pour  être  de  son  époque.  Telle  est  aussi  la  conclusion  de  l'élude 
récente  du  D'  .(.  Dhaeseke,  Der  Brie/  an  Diognctos  (Leipzig,  1881),  p.  130. 

(5)  Cette  qualification  équivaut  à  étudiant  en  philosophie,  et  ne  peut  s'appliquer 
qu'à  l'extrême  jeunesse  de  Lucius  Verus;  pius  lard  elle  n'eût  été  qu'une  ironie.  W 
était  né  en  130,  et  Capitolin,  lit.  Ver.,  en,  dit  :  Post  septimum  annum  in  familiani 
Aureliam  traductus  Marci  moribus  et  auctoritate  forinatus  est. 


—  74  — 

et  cette  requête.  "  La  famille  de  Justin,  quoique  habitant  la  Saniarie, 
était  g^recque  d'origine  et  païenne.  Si  d'abord  il  entendit  parler  de  la 
doctrine  chrétienne,  ce  dut  être  par  les  guostiques  de  son  pays,  dis- 
ciples de  Simon  le  Magicien  et  de  Ménandre(l).  11  se  voua  à  la  philo 
Sophie  et  passa  successivement  par  les  e'coles  stoïcienne,  péri|)ate'ti- 
cienne,  pythagoricienne  et  platonicienne;  il  trouvait  renseignement 
des  deux  premières  à  Tarse  ou  à  Antioche,  celui  des  autres  à  Alexan- 
drie. Mais  après  la  re'volte  des  Juifs  sous  Barcochebas  (133-135), 
dont  il  parle  comme  y  ayant  assisté  de  près,  il  se  rendit  à  Ephèse,  et 
c  est  alors  que,  par  sa  conversion  au  christianisme  en  136  (2),  il  dé- 
clare être  devenu  vraiment  philosophe. 

A  la  mort  d'Hadrien,  il  crut  le  moment  favorable  pour  prendre  la 
défense  de  ses  frères.  Sa  profession  de  foi  était  fière,  son  attitude 
n'était  pas  exempte  de  danger  :  le  premier  venu  pouvait  l'amener 
devant  le  juge  et  le  faire  condamner,  car  la  jurisprudence  consacrée 
depuis  Trajan  continuait  à  être  appliquée,  et  c'est  contre  elle  qu'il 
élevait  la  voix.  Un  simple  nom  déclaré  ou  renié  ne  donnait  lieu  qu'à 
des  débats  sommaires  et  préjudiciels  (3).  11  demandait  que  l'instance 
fût  engagée  sur  le  fond,  c'est-à-dire  sur  les  crimes  des  chrétiens  (4), 
et  il  répondait  par  avance  de  leur  innocence  en  les  lavant  de  ces  abo- 
minables imputations  que  l'opinion  mettait  à  leur  compte  :  ils  étaient, 


(i;  lApol.,  c.  XXVI,  éd.  Otto,  p  80.  Saint  Justin  oppose  à  ces  deux  imposteurs  dé- 
funts Marcion  de  Sinope  qui  était  vivant  de  son  temps  :  "O;  xat  vOv  ïti  îti'i  oioâcry-wv, 
soit  qu'il  ftU  alors  à  Rome,  soit  qu'il  l'eût  rencontré  en  Asie  où  Marcion  commença 
par  enseigner.  En  effet,  l'évéqne  de  Smyrne,  saint  Polycarpc,  voyant  celui-ci  vers 
154  à  Rome,  où  il  avait  repris  l'école  de  Cerdon,  lui  dit  :  'Kt^'.yivojct/.w  tôv  zpw-ÔToxov 
ToO  XxTa/â.  Saint  IrÉnÉe,  .idr.  hœr.,  1.  HI,  C.  m,  i. 

(2)  Le  futur  empereur  Antoiiin  était  à  cette  date  proconsul  d'Asie,  Waddingto.n, 
Fastes,  §  135. 

(3)  Ann.  (Iv  la  j)ropag.  de  h  foi,  n»de  jaiiv.  1881,  lettre  de  Mandcliourie  du4  août  1880: 
J.  B.  Ouang,  âgé  de  trente-deux  ans,  a  été  admirable  par  sa  constance  et  sa  foi 

devant  les  bourreaux  :  • Je  n'ai  pas  beaucoup  parlé  devant  ic  mandarin,  dil-il; 

je  n'avais,  du  reste,  qu'à  répondre  oui  ou  non.  Quand  il  voulait  me  forcer  à  exécuter 
quelque  chose  qui  me  conduisait  à  l'apostasie,  j'ai  toujours  dit  :  Xon;  ainsi  devez- 
vous  faire,  quoi  qu'il  arrive.  - 

(4)  \oir  I  .Ipol.,  c.  IV  tout  entier,  p.  12,  et  c.  vu,  p.  24  :  "OOev  Tcdtvxwv  xwv  xotTay- 
Ye)v).0|j£vwv  ûjjLtv  xàç  Tipâ^ei?  xpivecrUai  à%iO\i\itv,  i'va  ô  ÈaeyxOe'k;  tiç  aoixoç  xoXâÇrjtat, 
à).),à  |ir)  (iç  xpiG-cioL^ôz  •  èàv  et  xt;  àvéXeYxxo;  çâvrixai,  ànoXyrjxai  dç  -/piaxtavô;  oOôèv 
aoixtôv. 


—  75  — 

disait-on,  les  corrupteurs  de  la  morale  publique.  Cependant,  pour 
arriver  à  discuter  ces  charges,  il  fallait  permettre  aux  accuse's  d'exis- 
ter, ce  qui  leur  e'tait  refuse'.  En  vain  un  jurisconsulte  moderne  a-t  il 
pu  appliquer  à  une  situation  analogue  cette  distinction  subtile  que 
«  la  loi  reconnaît  son  existence  de  fait  pour  produire  son  néant  juri- 
dique ».  il  s'agissait  au  deuxième  siècle  d'un  ane'antissement  bien 
autrement  effectif,  celui  qui  résulte  de  la  mise  hors  la  loi.  Aussi 
saint  Justin,  citant  à  la  fin  de  sa  supplique  le  rescrit  d'Hadrien,  a-t-il 
raison  de  n'en  user  que  comme  d'un  apparent  te'moignage  de  bien- 
veillance, et  de  faire  appel  uniquement  aux  sentiments  de  justice  de 
son  successeur,  La  bienveillance  platonique  d'Antonin  ne  fit  sans 
doute  pas  défaut,  mais  sa  justice  fut  toute  négative.  Soit  à  Rome, 
soit  eu  Orient,  où  il  parut  entre  152  et  156  (1),  il  eut  à  se  prononcer 
sur  la  question  en  répondant  aux  assemblées  provinciales,  qui  jouis- 
saient alors  d'une  assez  grande  initiative.  C'est  Méliton  de  Sardes  qui, 
dans  son  Apologie  adressée  à  Marc-Aurèle  en  172,  lui  rappelle  (2) 
que,  tandis  qu'il  partageait  l'administration  de  l'empire  avec  son  père 
adoptif,  celui-ci  écrivait  aux  Larissiens,  aux  Thessaloniciens,  aux 
Athéniens  et  à  tous  les  Grecs  de  ne  pas  introduire  de  nouveautés  de 
procédure  vis-à-vis  des  chrétiens,  c'est-à-dire  qu'il  permettait  de 
continuer  à  les  poursuivre  dans  les  formes  jusque-là  usitées. 

Ces  formes,  ou  plutôt,  cette  absence  de  formes  est  alors  signalée 
comme  générale  dans  l'empire  par  la  seconde  Apologie  de  saint  Jus- 


(1)  V.  Mémoires  de  l'Académie  des  mscnpltous,  t.  XXVI,  T"  partie,  OÙ  M.  Waddi.ngton, 
Vie  du  rhéteur  Mlius  Aristide,  discute  successivement  (p.  259-263)  le  téuioij'piaye  de  son 
auteur  et  celui  de  Malalas  (éd.  de  Bonn,  p.  280i.  Antonin  aurait  apaisé  une  révolte 
eu  Eyypte,  conclu  la  paix  eu  Syrie  avec  Vologèse  IV,  roi  des  Partlies,  visité  l'Asie 
récemment  bouleversée  par  des  tremblements  de  terre;  nous  ajouterons  :  et  jugé 
les  différends  de  plusieurs  princes  orientaux,  entre  autres  de  Rhœnietalces  et  d'Eu- 
pator  au  sujet  du  royaume  du  Bospliore.  Cf.  Cap.,  Vit.  Ant.,  c.ix;  deKoehne,  Descrip- 
tion du  inusée  k'olsc/wubeij,  t.  II,  p.  163. 

(2)  Corp.  Apol.,  vol.  IX,  p.  413  :  'O  oà  uaTr,p  ao\),  xa't  (toO  xà  itâvTa  auvototxoùvxoç  aO- 
xô),  xaî;  TiÔAEcri  iiep'i  xoO  jx-r)0£v  vewxepti^etv  7tEp"i  rijAiôv  ëypa^}/cv,  èv  otç  •/.où  Ttpb; 
Aapt(7craco'jç  xa\  Tipbç  0£(T(7a).ovixîi?  xai  'A8r,vaiouç  xai  Ttpôç  lïdtvxaç  "EVA/^va;.  On  a 
d'ANTO.MN  dans  le  Digeste  deux  rescrits,  l'un  au  :  xotvbv  x&v  9£(7aa>,cov,  liv.  XLVIII, 
tit.  VI,  fr.  V,  §  1  ;  l'autre  au  :  xotvov  xwv  Wpaxwv,  liv.  XLXIX,  tit.  I,  fr.  i  ;  mais  ceux 
dont  parle  Méliton  n'ont  pas  été  conservés;  c'est  peut-être  pour  cette  raison 
qu'OvEUBECK  ne  fait  aucune  difficulté  d'en  admettre  l'authenticité,  Studien,  p.  146. 


—  76  — 

tin  (1),  qui  fut  le  prëliido  do  son  martyre.  Ecrite  après  la  mort  du 
préfet  de  Rome,  Q.  Lollius  Urbicus,  et  un  peu  avant  celle  d'Antonin, 
c  est-à-dire  dans  les  premiers  mois  de  ICI,  elle  est  adressée  plus  spé- 
cialement au  Sénat,  que  devaient  présider  les  consuls  de  l'année, 
Marc-Aurèle  et  Lucius  Verus  (2).  L'état  de  choses  est  plus  que  jamais 
présenté  comme  le  résultat  d'un  malentendu;  il  paraissait  dur  qu'une 
classe  d'hommes  fût  seule  exclue  de  la  félicité  universelle  que  dispen- 
sait au  monde  le  plus  pieux  des  païens.  Aussi  que  veut  avant  tout 
saint  Justin?  Éclairer  l'opinion.  Que  réclame-t-il?  La  rectification 
publique  d'opinions  calomnieuses,  quelque  chose  comme  l'insertion 
au  Journal  officiel  de  l'Empire  (3)  d'un  paragraphe  intitulé  :  la  Vérité 
sur  les  chrétiens.  Cette  réhabilitation,  elle  existe  précisément  sous 
forme  d'un  rescrit  d'Antonin  :  xto  xoivco  tîîç  'Actaç  (4),  contenant  l'éloge 
de  leur  constance  dans  leur  religion,  interdisant  de  les  inquiéter  à 
raison  de  leur  foi  et  déclarant  passibles  de  peines  leurs  accusateurs. 
Rufin  va  même  plus  loin  ;  dans  sa  traduction  latine,  il  fait  dire  à  l'em- 
pereur que  les  chrétiens  ont  raison  de  traiter  d'athées  leurs  adversaires, 
et  que  ceux-ci  ont  tort  de  rejeter  uniquement  sur  les  premiers  la  res- 
ponsabilité des  malheurs  communs  (5).  Les  apologistes  ne  parlaient  pas 
autrement,  et  ils  se  seraient  tus,  si  pareille  justice  leur  avait  été  rendue. 


(1)  //  Apol.,  c.  1,  p.  194  de  l'éd.  Otto  :  Kat  xà  yfiïz  oï  xa\  irptiriv  èv  ty)  tôXei  Û(awv 
Y£vô[j.Eva  1'k\  Oypêîxoy,  w  'Pwixaîot,  xa\  xà  itavxaxoO  ô[xoio);  Ûtto  xwv  tiyouhevwv  àl'jjtùz 

TtpOtXXÔjlEVa- 

(2)  Avec  Ueberweg  nous  lisons,  ihid.,  c.  ii,  p.  202  :  Où  Ttplirovxa  EOa-sgsî  AOxoy.pâxopi, 
oyO£  <I>0,o<7Ô?w,  oZôï  KaÎTapoc  iraio\,  oOos  xr,  'hpà  Zyyy.),r|X(.).  Cf.  Capit.,  lit.  Ver., 
C.  III  :  Nec  aliud  ei  honorificenlia'  ad  noinen  adjiincluin  est,  quam  quod  Augusti 
filius  appellaliis  est.En  effet, comment  ei\t-on  omis  l.iicius,  qui  avait  en  161  trente  et 
un  ans?  Il  est  vrai  que  M.  Aini':,  Hist.  des  persèc.  p.  335.  le  rajeunit  de  douze  ans;  ce 
qui  le  ferait  adopter  par  Hadrien  quatre  ans  avant  sa  naissance.  Voir  ihid.,  p.  316, 
en  note. 

(3)  Les  Acia  diurna  jmpidi  7?omanrrccevaient  SOUS  les  empereurs  dos  insertions  offi- 
cielles et  officieuses.  Cf.  V.  LrCLT-nc,  Des  journaux  chez  les  Ihinnins,  p.  217  (Paris,  1838). 

(4)  On  trouve  ce  rescrit  à  la  suite  de  la  1/  Apol.,  édit.  01  to,  p.  211;  Kcsèbe.  Hist. 
eccles.,  1.  IV,  c.  xiii,  en  cite  un  texte  un  peu  différent  portant  le  nom  de  Marc- 
Aurèle.  L'intitulé  corrijjé  par  Monimsen  donnerait  l'année  158.  Il  n'y  a  pas  lieu 
ensuite  de  s'étonner  que  Xipiiilin,  suppléant  au  livre  L\\  de  Dion  Cassiis,  qui  était 
perdu,  ait  cru  devoir  dire  d'Antonin  :  Ka\  xri  xoO  'AopiavoO  xiixr,,  v  èxeîvo;  ëxi(ia 
•/P'.(jXiavo'j:,  TtpoaxtOciç. 

(5)  Baldouin-,  p.  84  :  «  Porro  Rufinus  interprcs  latinus,  deinde  assuit  quod  oraece 
nusquam  est.  •  Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  Rufin  justifie  le  proverbe  italien 


Or  nous  les  voyons  sous  Marc-Aurèle  continuer  à  plaider  une  cause 
qu'ils  n'avaient  pas  encore  gagne'e.  Nous  avons  donc  affaire  à  une  pièce 
apocryphe  (1)  ;  niAntonin,  ni  son  successeur  n'eurent  la  force  de  triom- 
pher, l'un  des  préjug'e's  de  sa  pie'te',  l'autre  de  l'orgueil  de  sa  philosophie. 
C'e'tait  le  moment  où  le  rhe'teur  à  la  mode,  .lilius  Aristide,  raillait 
l'humihté  pre'somptueuse  de  ces  gens  apparentés  par  leurs  manières 
aux  impies  de  la  Palestine  (2),  qui  se  croient  meilleurs  que  n'importe 
qui  et  cependant  ne  sont  bons  à  rien,  qui  excellent  à  troubler  et  à 
diviser  une  maison,  à  exciter  ses  habitants  les  uns  contre  les  autres, 
et  à  pre'tendre  tout  diriger;  qui  n'ont  jamais  rien  dit,  ni  trouvé,  ni 
fait  d'utile;  qui  ne  donnent  pas  de  fêtes  générales,  n'honorent  pas 
les  dieux,  ne  prennent  pas  part  aux  affaires  de  la  cité,  ni  aux  charges 
de  l'assistance  pubhque,  mais  descendent  dans  des  souterrains  pour 
débiter  leurs  merveilles,  et  s'arrogent  avec  tout  cela  le  plus  beau 
des  titres,  celui  de  philosophe.  En  effet,  la  tradition  de  saint  Justin 
était  continuée  par  son  contemporain  ^liltiade,  surnommé  le  sophiste 
des  ÉgHses,  et  par  son  disciple,  l'ancien  rhéteur  Tatien  (3j.  De  son 
côté,  ^lélitou,   philosophe  chrétien  en  même  temps  qu'évêque  de 


Traduttore,  traditore.  Déjà  à  propos  du  rescrit  d'Hadrien,  en  résumant  les  §  6  à  8 
d'Eusèhe,  Hisi.  eccles.,  1.  IV,  c.  m,  il  s'écarte  du  sens  et  prête  à  la  confusion  qui  a  fait 
prendre  sa  version  pour  l'original. 

(1)  l\  faut  en  dire  autant  de  la  lettre  de  Marc-Aurèle  au  Sénat,  après  sa  victoire 
sur  lesMarcomans,  qui  sertdependant  aurescrit  foc.  c/^.,  p.  246.  Les  indications  admi- 
nistratives exactes  que  fournissent  ces  deux  pièces  ("cf.  Borghesi,  OEwrcs  complètes, 
t.  ni,  p.  126,  et  t.  VIII,  p.  i1\;  Waddington,  Fastes,  %  142)  ne  permettent  pas  d'en 
avancer  l'origine  au  delà  de  la  fin  du  deuxième  siècle.  D'ailleurs  Tertullien  fait 
allusion  à  la  seconde  dans  son  discours  apologétique  de  l'an  199. 

(2)  Arist.  oral.  46,  éd.  Dindorf  (Leipzig,  1849),  t.  II,  p.  402  :  A-jo  -oîç  Ècryâ-coi?  y.%\ 
TOÎç  ÈvavTtWTairoiç  evo-/ot  xaxoî;  ovxe;  TxusivÔTrjTt  xa\   a'JÔaoeca,  xotç  £v  iy\   IlaXa'.aTÎvï) 

ô'j(7Ccoé(7i   7rapa7TXr,(Ttot    to'j;    xpoTtouç (ruy^aTaupàlat    (xév  ti    t&v    ôeovtwv    «Ttâvxwv 

à-/pr|iTTÔTaTOt,  oiop-jÇa'.  o'  olxîav  xat  xapâ|at  xa\  JyyxpoOffat  touç  evôov  Ttpbç  aXhr^.o-JZ, 
xa"i  9?i<7ai  lîâvir'  aO-rouç  ôtotxricrsiv  Tidcvctov  osivôxaTO'.,...  y.xiyZ-'rnzz  5a  £i;  xouç  -/r,pa!X0U5 
Ixcî    xà   Oau(j.a(TTà    (Toçtïovxat,...    eïxa    xb     xâ).).KJXov    xwv    ovoixâxwv    ayxoî;    XcÔeîvxat, 

(3)  Or.  adv.  Grœc,  c.  xxxv  :  Taxtxvb;  'jT.\çt  xo-j;  "EXXr.va;,  -jT^kp  xô  auîipov  xtov  ç'./.chto- 
ço'jvxwv  xa'.voxojjLSï  xà  fiapêâpwv  ôÔY(J.axa.  Hisl.  eccles.,  1.  V,  c,  xxviii,  4  :  Ka\  ào£).cpwv 
Ô£  xivwv  £(7x\  ■^ç6.]i.^a.'Z0L...  /.Éyo)  Ô£  'loucrxcvo'j  xa\  M'.Axtdtooy  xxi  TaxiavoO.  Tert.,  Adv. 
Val.,  c.  V  :  Ut  Justinus  philosophus  et  martyr,  ut  Miltiades  ecclesiarum  sophista. 
—  Cf.  Hist.  eccles.,  1.  V,  C.  xvii.  5  :  "Ex-,  oï  -/.-jC:  M;>,x'.dcor,;  7:pb;  xo-j;  xoTiA'.y.ov;  apyo-^xx; 
ÛTîkp  r,:  [;.£xr,£'.  9'.>.or70y;a:  T.iwjir,--j.'.  iTioAoycav.  Ces  gouvernants  du  monde  doivent  être 
Marc-Aurèie  et  Lucius  Verus,  lequel  mourut  en  janvier  169. 


—  78  — 

Sardes,  ne  manque  pas  de  faire  remarquer  à  Tillustre  stoïcien  cou- 
ronne' que  la  re'volte  d'un  compe'titeur  avait  amené  en  Orient  en  172, 
combien  il  est  difficile  de  conduire  à  la  vëiité  un  homme  longtem[>s 
retenu  dans  les  liens  de  l'erreur  (1).  11  espérait  de  lui  une  décision 
plus  philanthropique  et  plus  philosophique  que  les  précédentes  à 
l'égard  de  ses  coreligionnaires,  et  refusait  jusqu'à  plus  ample  informé 
de  lui  attribuer  les  décrets  nouveaux  eu  vertu  des(iuels  étaient  per- 
sécutés ces  hommes  i)ieux  en  Asie,  et  dont  avaient  jtris  i)rétexte  les 
dénonciateurs  sans  pudeur  et  les  amateurs  du  bien  d'autrui  pour  se 
livrer  ouvertement  au  brigandage  contre  des  innocents.  —  L'heure 
de  la  justice  n'avait  pas  encore  sonné. 

Nous  ne  possédons  plus  rien  de  l'apologie  de  Claudius  Apollinaire, 
evêque  d'Hiérapolis  en  Phrygie,  et  nous  n'eo  savons  qu'une  chose, 
c'est  qu'elle  fut  présentée  à  Marc-Aurèle  vers  la  même  époque  que 
celle  de  Méliton  (2).  Déjà  ce  dernier  avait  mentionné  le  fils  du  prince 
comme  destiné  à  lui  succéder  (3),  et  il  attachait  d'autant  plus  de  prix  à 
ce  que  le  christianisme,  qu'il  rappelait  être  né  et  avoir  grandi  avec 
l'Empire,  s'approchât  enfin  des  degrés  du  trône.  C'était  pressentir 
Constantin,  mais  pour  la  seconde  fois  dans  l'espace  d'un  siècle  de 
telles  espérances  devaient  être  déçues.  11  y  avait  néanmoins  une  diffé- 
rence :  ce  que  la  cruauté  soupçonneuse  de  Domitien  n'avait  pas  laissé 
s'accomplir,  la  folie  de  Commode  faillit  le  réaliser.  Ce  prince  n'exerça 
pas  une  grande  influence  du  vivant  de  son  père,  qui  cependant  lui 

(1)  Tel  est  le  début  du  texte  syriaque  publié  dans  le  t.  IH  du  SpicHcgium  Solcsmensc 
du  cardinal  I'itra,  reproduit  à  la  fin  du  Corp.  Apol.  dOTTo,  v.  ix,  p.  423,  et 
qui  n'est  autre  probablement  que  le  traité  :  Ihf)\  àXr/jsix;.  Les  trois  citations  faites 
par  Kusèbe,  élroitemenl  liées  entre  elles,  et  qui  ne  se  retrouvent  pas  dans  le  syria- 
que, appartiennent  à  l'apoloyie  proprenieut  dite,  où  MÉLrroN  expose  ainsi  la  situa- 
tion, loc  cit.,  p.  410  :  Tci  yàp  o'joETtwTtoTE  Y-""^f--''<^"^)  "^^^  ottoxîTai  xb  tôjv  ôîOCTâotùv  yévo;, 
xaivoîç  £),ayvô(Aîvov  oÔY[jLa(7t  xatà  ttiV  'Açtav  •  ol  yàp  «vatosî;  cjy.OydtvTxt  xx\  twv  a).).o- 
iptwv  IpaTTa^;  TTiV  £■/.  Twv  otaTayixcitwv  ïyo-nzç  açop|xr|V,  çavîpto;  "i.r^n-v'jvjrs'. ,  vjxTwp  xxt 
(jieO'  T||jipav  otapTîâ^oMTcç  to'jç  p/riOÈv  àôtxoOvxai;.  Il  est  curieux  d'entendre  Tertullien 
juger  Méliton  :  Hujus  elegans  et  declamatorium  ingeniuin.  Cf.  Saint  Jér.,  De  vir. 
m.,  c.  XXIV. 

(2)  Hist.  eccles.,  1.  IV,  C.  XXVI  :  Oi  v.<x\  xm  or,)Mbhxi  xatà  xouç  -/pôvov;  'Pti)[j.a£a)v  (îxdc- 
).£î   AÔyo'jç   'jTtÈp  TTjç   TîtffTcWç    tôîtoç    IxâxEpoç    aTco/.oytaç  7tpo(is;pwvri(7av. 

(3)  Corp.  Apol.,  V.  IX,  p.  412  :  Tb  'PtojAatwv  t/jEtiO/)  xptxTo;,  oy  au  oi(iôo-/oc  eùxxaloç 
ylyovâç  xe  xa\  ïar^  u.£xà  xoO  uaiSbç,  ç\j).dc<7(jwv  xtj;  pa(7i).£t:(ç  xr,v  trjvxpoçov  xa\ 
av»vapÇa|j.évriv  AOyoOffxio  çiXoaoçtav.  —  Et  ce  passage  du  texte  syriaque,  p.  432  :  Ha^c 


—  79  — 

avait  attribué,  dés  175,  la  puissaDce  tribimitienne  et  se  l'était  associé 
en  qualité  d'Auguste,  à  l'âgée  de  seize  ans,  177.  La  léjjation  d'Athé- 
nagore,  philosophe  chrétien  d'Athènes,  en  faveur  de  ses  frères  dans 
la  foi,  appartient  à  cette  année  (1);  sa  requête,  en  effet,  est  adressée  : 
«  aux  empereurs  Marcus  Aurelius  Antoninus  et  Lucius  Aurelius 
Commodus,  Arméniaques,  Sarmatiques,  et  qui  plus  est  philosophes  " . 
Mais  comme  les  autres  apologies  officielles,  nous  pouvons  le  constater 
ici,  car  c'est  la  dernière  (2),  elle  resta  sans  effet,  à  moins  qu'on  ne 
prenne  pour  une  réponse  la  notification  impériale  adressée  au  légat  de 
la  Lyonnaise  I"  qui  venait  de  consulter  le  pouvoir  central,  en  juin  177. 
Les  deux  documents  concordent  admirablement.  Athénagore  (3)  con- 
state que  l'autorité  permet,  faute  d'une  législation  suffisante,  de  pour- 
suivre, chasser  et  persécuter  des  innocents  auxquels  on  fait  la  guerre 
uniquement  sous  prétexte  de  leur  nom.  Marc-Aurèle,  de  son  côté, 
se  contente  de  rééditer  le  rescrit  de  Trajan  (4)  à  l'usage  des  fidèles 
de  Lyon  et  de  Vienne,  sans  même  tenir  aucun  compte  dans  l'espèce 
de  celui  d'Hadrien.  C'est  à  quelque  procédé  de  ce  genre  qu'avait 
sans  doute  fait  allusion  Méliton,  lorsqu'il  parlait  de  décrets  nouveaux 
dans  la  province  d'Asie. 

Il  est  certain  qu'à  ce  moment,  de  l'Orient  à  l'Occident,  la  foule 
païenne  déchaîne  librement  sa  fureur  contre  les  chrétiens.  Les  bruits 
les  plus  odieux  circulent  à  leur  propos,  et  trouvent  partout  la  même 
créance.  Seraient-ils  propagés  par  le  gouvernement  ou  du  moins  sous 


quum  didiceris,  Antonine  Csesar,  et  filii  quoque  tui  tecuiii,  trades  iis  haereditaleni 
aeternam  qiise  non  périt. 

(1)  Cf.  Leg.  pro  Christ.,  c.  XVIII  :  'O;  yàp  \)\}.Vi  TiaTp\  xa\  utm  Tiâv-ca  xî/£tpwtai,  à'vwOev 

(2)  EusÈBE,  Hisi.  ccclcs.,  1.  IV,  C.  XXX,  parlant  des  ouvrages  de  Bardesane,  cite  : 

'O  Ttpoç  'AvTWvîvov  txavwTaxoi;  ayxoO  uspt  £t[xap[j.Év/];  oiâAoyoç,  oaa  te  a),Xa  cpao-tv  a'jxov 
Ttpo^âffôt  ToO  TOT£  okoy[j.qO  ffuYYpâ'{/ai.  Seulement  il  s'agit  de  la  persécution  suscitée 
à  Edesse,  lors  de  l'occupation  de  cette  ville  située  hors  de  l'empire  romain,  par  An- 
tonin  Caracalla. 

(3)  Lcg.  pro  Christ.,  c.  i  :  'HjjleÎ;  oé  ot  )^£yô;jLSvot  -/ptrrxiavot,  oxi  \p^  TcpovEvoYiffÔE  xa'i 
v|[iwv,  (Tuy/wpstxE  oÈ  (A-^oÈv  àor/oOvT'xç...  èXa'JVEdOat,  xa\  cpÉpEffOat  xa\  otwxEcrOat,  £tc"c 
(j.ôv(|)  ovô[iaTt  Trpo;Tto)vS|j.o'jvxwv  ■r\\).Vi  xor/  ixoXXwv.  —  C.  Il  :  Eî  os  (A£-/pti;  ovôjj.axo;  -t]  xaxr)- 
yopta,...  ûjxcov  rfit\  spyov...  àitoaxEuâuat  -/ijaûv  vojjlw  xvjv  £ix'/)pEtav. 

(4)  Hisl.  ccclcs.,  1.  V,  C.  I,  47  :  'Eniazzily.vzoç  yàp  xoO  Kacaapoç  xouç  [aev  àixoxyixixa- 
viffOrivat,  £1  Ô£  Tiveç  àpvoîvxo,  xoyxouç  à'Ko'k\)br]v ai. 


—  80  — 

son  patronage?  Un  écrit  à  peu  près  contemporain,  YOdavius  de 
Marcus  Minucius  Félix  (1),  jette  quelque  lumière  sur  ce  point.  Ce 
membre  du  barreau  romain  reproduit  les  conversations  de  deux  de 
ses  amis ,  jdaidoiries  en  règle  pour  et  contre  la  religion  incriminée, 
où  ils  visent  en  particulier  (2j  la  harangue  d'un  orateur  natif  de  Cirta 
(aujourd'hui  Constantine  en  Alge'rie),  Cornélius  Fronton,  le  profes- 
seur de  rhe'torique  de  Marc-Aurèle  (3). 

L'élève  avait  comblé  de  dignités  son  ancien  maître,  qui  parcourut 
tous  les  degrés  des  honneurs  publics  et  vint  siéger  au  Sénat,  auquel  il 
ne  dut  pas  ménager  les  productions  de  son  éloquence.  C'est  là,  à  notre 
avis,  ce  serait,  selon  M.  Boissier  (4),  devant  un  tribunal,  et  selon 
jM.  Aube  dans  un  livre,  qu'il  prit  à  parli,  et  crut  devoir  écraser  la 
secte  infâme,  dont  le  nom  était  synonyme  d'athéisme,  d'anthropo- 
phagie et  d'inceste (5).  Un  empereur  avait  bien  ordonné  de  traiter  les 


(1)  M.  AuBÉ,  qui  adopte  la  date  de  176  à  180,  dans  la  PoUmiquc  païenne  à  la  fin  du 
ilctucième  siècle  (Paris,  1878i,  p.  79,  néglige  de  citer  une  indication  se  rapportant  bien 
au  règne  de  Marc-Aurèle.  Minucius  Félix  parle  au  c.  ii  des  vacances  des  tribunaux 
pour  la  vendange;  cf.  D.,  liv.  II,  til.  XII,  frag.  t  :  Ne  quis  messiuni  vindeniiaruinque 
tempore  adversarium  cogat  ad  judicium  venire,  oratione  divi  Marci  expriinitur.  — 
Ce  texte  est  relevé  par  Baudouin  dans  la  préface  de  la  1"  édition  de  VOctavius  au 
vrai  nom  de  l'auteur,  qu'il  donna  à  Ileidelberg  en  1560.  Il  y  dépeint  sous  des  traits 
si  aimables  l'alliance  de  la  science  juridique  avec  celle  de  l'histoire  ecclésiastique, 
que,  même  à  qui  ne  possède  ni  l'une  ni  l'autre,  il  les  fait  désirer. 

(2)  Ociav.,  c.  IX  :  Passim  omnes  loquuntnr  :  id  etiam  cirtensis  nosiri  testatur  ora- 
tio.  C.  XXXI  :  Sic  de  isto  et  tuus  Fronto  non  ut  affirmator  teslimonium  facit,  sed  con- 
viciuin  ut  orator  aspersit.  —  De  ces  deux  passages  il  résulte  que  Ca-cilius  Natalis, 
Finterlocuteur  païen,  était  lui-même  de  Cirta,  et  en  effet  on  a  retrouvé  dans  cette 
ville  des  inscriptions  posées  par  lui  pour  commémorer  ses  honneurs  municipaux. 
I/une  est  de  l'année  210,  d'autres  du  règne  de  Caracalla.  Cela  ne  l'empêcherait  pas,  à 
notre  avis,  d'avoir  pu  se  trouver  à  Rome  sous  Marc-Aurèle  dans  sa  jeunesse.  M  dr 
Rossi  est  d'opinion  que  VOciavius  ne  fut  écrit  qu'au  troisième  siècle,  Studi  e  docu- 
menii  di  sioria  c  din'iio  [[\ome,  1880),  p.  13.  Du  moins  la  scène  relatée  doit  être  de 
beaucoup  antérieure,  sans  quoi  l'allusion  à  Fronton,  mort  avant  Marc-Aurèle,  eût 
été  trop  lointaine. 

(3)  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  saint  Jérôme  rapi)elle  le  fait,  ù  propos  de  l'apo- 
logie de  Mélilon,  De  t^ir.  ill.,  c.  xxiv  :  »  Librum  imperatori  Marco  Antonino  Vcro. 
qui  Frontonis  oratoris  discipulus  fuit,  pro  Christiano  dogmate  dédit-  »  Il  parait  que 
Fronton  lui  enseignait  aussi  la  politique,  puisqu'il  lui  recommandait  une  monar- 
chie parlementaire  et  bourgeoise.  Com.,  1.  I,  c.  xi. 

(ij  Compte  rendu  de  l'ouv.  cit.  de  M.  Aube,  par  .M.  Gaston  Boissiiii,  dans  la  lUme 
des  Deux  Mondes,   i"  janv.  1879. 

(5)  Voir  le  discours  du  païen  CjEcilii  s  dans  VOcianus.  cf.  ATiiÉXACoivr,  Leg.  pro 
Christ.,  c.  III  :  'l'pix  £7iiçr,ij.i;^ov<7iv  riij.îv  lYx)-r,|xaTa  •  àOîôxy,Ta,  0y£(7T£'.a  oîlTîva..  OlomoojtO'j; 


—  81  — 

chrétiens  d'incpiidiaires.  Sans  partir  d'aussi  haut,  ces  imputations,  non 
pa"s  assurément  inventées,  mais  complaisamment  répétées  par  un  per- 
sonnage en  vue,  eurent  un  [jrand  retentissement,  et  en  attendant  que 
la  verve  de  Tertullien  en  eût  fait  une  bonne  fois  justice,  elles  conti- 
nuèrent à  défrayer  la  polémique  païenne  (1),  et  surtout  à  multiplier 
les  exécutions.  Notons  ici  que  ces  accusations  diverses,  qui  étaient  le 
cri  populaire  et  dont  plus  d'un  lettré  se  faisait  l'écho,  se  résumaient 
toujours  dans  un  mot,  le  nom  chrétien.  Nous  venons  de  voir  ce  nom 
défendu  par  les  apologistes,  nous  allons  le  voir  maintenant  dans  les 
procès  mêmes  faits  aux  chrétiens,  objet  des  questions  posées  par  le 
juge,  et  titre  d'honneur  revendiqué  hautement  par  les  accusés.  Les 
documents  que  nous  avons  à  étudier  sur  ce  point  sont  les  passions 
des  martyrs.  Mais  avant  d'en  tirer  des  conclusions  semblables  aux 
précédentes,  il  sera  nécessaire  de  ne  pas  accueillir  sans  discussion, 
à  cause  de  leur  origine  très- variée,  les  textes  sur  lesquels  nous 
appuierons  nos  raisonnements. 


111.    —   LES   MARTYRS. 


Notre  but  n'est  pas  de  réfuter  la  thèse  de  Dodwell  De  paucitate 
martijrum,  mais  de  montrer  comment  il  y  a  eu  des  martyrs,  sans  cher- 
cher à  évaluer  combien.  A  priori,  d'ailleurs,  il  est  clair  qu'il  faut  se 
résigner  à  les  ignorer  en  majeure  partie,  depuis  cette  multitudo  in- 
gens i^),  dont  parle  Tacite  sous  Néron,  jusqu'aux  héros  bien  autre- 


[xc^Etç.  Ces  mêmes  expressions  se  retrouvent  dans  la  lettre  aux  Églises  d'Asie  et  de 
Phrygie.  Hisi.  ccclcs.,  1.  V,  c.  i,  14.  [,es  mystères  chrétiens  mal  compris,  la  croyance 
à  la  présence  réelle  dans  rKucharislie  par  exemple,  l'habitude  des  fidèles  de  s'en- 
tr'appeler frères,  oui  pu  être  l'origine  de  ces  idées. 

(1)  Celse  n'altril)ue  plus  les  scandidcs  qu'aux  sectes  gnostiques;  en  effet,  les  Car- 
pocratiens  jetèrent  beaucoup  de  discrédit  sur  les  chrétiens  de  la  graudejÉglise  TCov 
ành  iJ.eytxXr|(;  'EyLyCkriaMç.  comme  parlait  ce  païen  en  178,  Oric,  <:■.  Ccfs.,  1.  V,  c  lix; 
cf.  iùid.,  c.  LXI    :   Ov;  àito  toO  TC/r/Jo'j;  div {.pvccjcv  ô  KD.to;. 

(2)  La  proportion  devait  être  certainement  très-forte  pour  l'Église  naissante  de 

6 


ment  nombreux  de  la  persécution  de  Diocle'tien.  En  effet,  les  marty- 
rologes et  les  actes  des  martyrs  nous  ont  e'té  transmis  dans  un  état 
déplorable;  mais  souvent  aujourd'hui  on  se  préoccupe  moins  de  dé- 
blayer ces  ruines  que  de  les  faire  entièrement  disparaître.  Le  terrain 
se  trouve  alors  libre,  soit  pour  édifier  un  système  préconçu  (1),  soit 
pour  laisser  régner  un  certain  vague  qui  cache  la  réalité.  Il  y  a  des 
auteurs,  par  exemple,  qui  ont  un  culte  spécial  pour  les  martyrs  incon- 
nus; ils  les  honorent  sur  la  colline  du  Vatican,  comme  dans  le  huis 
clos  des  demeures  privées  (2);  mais  veut-on  spécifier  le  nom  de  quel- 
ques-unes des  victimes,  ils  préfèrent  douter  s'il  y  a  eu  des  persécu- 
teurs, assez  semblables  eu  cela  aux  Athéniens  qui  avaient  élevé  un 
autel  au  Dieu  inconnu,  et  qui,  lorsque  l'Apôtre  leur  dit  :  Ce  Dieu,  je 
vous  l'annonce,  s'écrièrent  qu'ils  l'entendraient  une  autre  fois.  La 
tendance  vraiment  scientifique  n'est  pas  purement  négative,  elle 
cherche  le  positif,  et  sait  discerner  au  milieu  de  documents  de  valeur 
fort  inégale  les  renseignements  utiles  qu'ils  renferment. 

M.  Le  Blant,  le  savant  épigraphiste  de  la  Gaule  chrétienne,  vient 
de  formuler  ainsi  les  règles  d'une  sage  critique  :  «  Une  confrontation 
soutenue  avec  les  enseignements  fournis  par  le  droit  civil  et  criminel, 

Rome.  Mais  bientôt  le  développement  du  christianisme  dépassa  de  Ijeaucoup  la 
moyenne  de  rigueur  de  la  persécution.  C'est  en  présence  de  cet  accroissement,  qui 
paraissait  à  la  fin  du  deuxième  siècle  extraordinaire  aux  chrétiens  mêmes,  qu'Oui- 
gène  signale  c  dise,  1.  m,  c.  viii-x,  et  leur  grand  nombre  dès  l'origine  :  "Oxi  (lèv 
oùv  (7'JY7.ptij£t  ToO  É^r,?  TÙ/rf^o'jç,  o).!'yoL  fiTav  a.y/'j\i.vioi  -/pKjxtavo'i,  orj),ov  •  xxtTOi  ou  îïâvxri 
•/■(Tav  o),tYO(,—  et  le  petit  nombre  /r/rt///"des  martyrs  jusqu'à  son  époque:  'YKoiivrjcrcwç 
yàp  "/dtpiv  (?va  IvopwvTEç  oXiyotç  àyoviÇoiifvotç  "juèp  eOffïoEÎaç  ooy.i[xwTîpot  y'''*^''"*'  ""-^^ 
ÛavcÎTo-j  y.ocTaçpoviôo'iv)  oXiyoi  xaxà  xatpouç  xai  c^pôopa  £'japtO[xr,Tot  'jTiïçi  ttiç  -/piaTjavwv 
OeoiTcêîtaç  TsOvrjxa^i,  xwA'jovto;  ©eoO  to  iràv  £y.7ioy.c|J.ï;0r|Vai  a'jxôjv  k'Ovo;. 

(1)  C'est  le  procédé  favori  de  Fr.  Gurres  dans  ses  éludes  sur  les  persécutions.  Voir 
la  première  en  date  :  i'cbcr  die  Liciidanische  ChrislcnverfoUjung,  ein  Bcilraj  mr  A'cnntniss 
der  Maitijreracte  (léna,  1875). 

(2)  V.  Hist.  despertéc.,  p.  128;  lu  Polémique  païenne,  p.  396,  et  Les  chrétiens  dans  l'empire 
romain,  p.  233.  Cf.  M.  Rex-v.n,  Journal  des  savants,  1876,  p.  697  :  «  Dans  les  premières 
éludes  que  .M.  Aube  publia  sur  les  persécutions,  il  penchait  un  peu  trop  du  côlé  des 
solutions  négatives...  En  lisant  les  premiers  essais  de  M.  Aube,  on  eiU  pu  élre  tenté 
de  croire  que  les  persécutions  furent  en  réalité  peu  de  chose,  que  le  nombre  des 
martyrs  ne  fui  pas  considcral)lc,  et  que  tout  le  système  do  l'hisloirc  ecclésiastique 
sur  ce  |)oint  n'est  qu'une  construclion  artificielle.  Peu  à  peu  la  lumière  s'est  faite 
dans  cet  esprit  jusle  et  sincère.  »  Nous  reconnaissons  bien  volontiers  que  le  dernier 
volume  de  M.  Aube  renferme  des  jugements  historiques  plus  équitables  et  plus  vrais 
que  les  précédents. 


—  83  — 

avec  le  texte  des  meilleurs  actes,  avec  les  points  solidement  e'tablis 
par  le  te'moignag^e  des  anciens,  telle  est  à  mes  yeux  la  voie  ouverte 
pour  établir  le  degré  de  créance  due  aux  récits  hagiographiques.  » 
C'est  aussi  celle  qu'il  a  suivie  pour  son  travail  si  intéressant  sur  les 
textes  non  compris  dans  les  Acta  sincera  de  Ruinart  (1).  Avant  d'exa- 
miner l'origine  des  actes  des  martyrs  en  général  (2),  il  avait  fait  une 
première  étude  sur  les  actes  grecs  de  sainte  Thècle,  la  célèbre  vierge 
d'Iconium  en  Phrygie,  convertie  par  saint  Paul  et  placée  par  la  tra- 
dition en  tête  des  témoins  du  Christ  appartenant  à  son  sexe.  Nous  y 
relèverons  à  la  suite  un  seul  détail,  qui  est  topique  pour  notre  sujet  (3); 
au  moment  où  l'Apôtre  est  censé  traduit  devant  le  tribunal,  ces  paroles 

sont  soufflées  à  son  accusateur  :  Xi^^z  aùxov  ypiTxiavbv  xai  àTCo}v£ÎTat  (7UVT0- 

]jMq.  —Si  deferantur  et  arguantur_,  jmniendi  sunt,  avait  écrit  Trajan; 
ainsi,  des  apocryphes  mêmes  résulte  la  vérité  de  la  situation.  Devrons- 
nous  donc  nous  étonner  de  ce  qu'ailleurs  ^\.  Le  Blant  nous  apprend  (4)  : 
«  Alors  que  le  juge,  au  début  de  l'interrogatoire,  demande  au  fidèle 
quel  est  son  nom,  quelle  est  sa  famille,  sa  condition,  sa  patrie,  au  pre- 
mier comme  au  dernier  âge  des  persécutions,  en  Occident  comme  en 
Orient,  un  grand  nombre  de  martyrs  répondent  par  un  seul  mot  :  Je 
suis  chrétien  (5).  Cette  déclaration  uniforme  à  laquelle  rien  ne  se  réfère 
dans  les  exhortations  connues,  qui  peut  l'avoir  ainsi  inspiré  en  des 
lieux,  en  des  temps  si  divers,  si  ce  n'est  une  série  d'instructions,  per- 
dues pour  nous,  mais  répandues  autrefois  dans  toutes  les  églises  par 


1)  Mém.  de  l'Académie,  des  inscriptions,  i.  XXX,  2"  partie,  p.  4  tlu  tirajje  à  p;irt. 

(2)  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  inscriptions,  1879,  p.  210,  sur  les  sources  des 
Acta  mariyrum.  —  Les  procès  -  verbaux  étaient  écrits  à  Taudience  par  les  maius 
des  notaires  païens,  puis  déposés  dans  les  archives  [.es  clirétiens  faisaient  en  sorte 
d'obtenir  des  copies  qu'ils  reproduisaient  religieusement  ou  développaient  dans 
des  mesures  diverses.  H  est  regrtltable  qu'ils  n'aient  pas  profilé  davantage  des  facili- 
tés qu'accorda  Constantin  pour  consulter  les  documents  originaux,  en  Afrique  par 
exemple,  à  l'occasion  du  schisme  des  Donatistes. 

(3)  Annuaire  de  l'Association  pour  l'encouragement  des  éludes  grecques[  Paris,  1877j,  p.  260- 
272.  Cf.  Mémoire  cité,  p.  41. 

(4)  Mém.  de  l'Académie  des  inscriptions,  t.  XWHI,  Impartie,  p.  72  :  la  préparation  au 
martyre  dans  les  premiers  siècles  de  l'Église. 

(5)  On  lit  dans  la  passion  de  saint  Carpus,  pour  prendre  la  dernière  publiée.  Revue 
archéologique,  1881,  t.  H,  p.  354  :'0  os  àvOjTïaxoç  TipoxafJÎCTaç  k'cpri  •  -rîç  xaXr,  ;  '0  Sk  (xaxâ- 
ptoç  £?Y]  •  xb  TipcoTOv  y.a'i  ï^aipiTOv  ovo[xa  ypiCTTiavo;,  z\  oï  xb  Èv  w  7.6(7|J.(p  'Qr^iiiç,,  Kapuoç. 

6. 


—  84  — 

des  écrits  comme  par  la  parole?  «  —  11  n'y  avait  d'autres  instructions 
que  celles  qui  pre'paraient  les  cate'chumènes  au  baptême.  Du  jour  où 
ils  e'taient  devenus  chre'tiens  par  l'onction  du  Christ  (1),  signum  Christi, 
ils  savaient  qu'ils  encouraient  la  peine  de  la  mort.  La  foi  e'tait  pra- 
tique dans  cestem|)S.  Les  empereurs  se  chargeaient  de  la  rendre  telle, 
non  pas  qu'ils  envoyassent  tous  les  fidèles  au  martyre,  mais  tous  de- 
vaient être  prêts  à  aller  jusque-là.  Ce  sont  les  empereurs  qui  ont  en- 
seigné le  mot  d'ordre  :  Je  suis  chrétien,  en  faisant  du  nom  chrétien  un 
ci'ime.  Ce  qu'il  met  lui-même  si  clairement  en  évidence,  M.  Le  Blant 
ne  l'apercevait  pas  lorsqu'il  voulait  de'terminer  les  crimes  punis  dans 
le  nom  chrétien  (2),  et  les  lois  qu'il  a  invoquées  n'ont  pu  servir  de 
base,  du  moins  à  la  persécution  dont  nous  sommes  uniformément 
témoins  pendant  tout  le  deuxième  siècle. 

11  faut  avouer  que  la  perspective  d'être  appelé  d'un  moment  à 
l'autre  à  témoigner  de  sa  croyance  était  propre  à  tremper  les  âmes. 
Nous  voyons  l'ancienne  homélie,  connue  sous  le  nom  de  II"  épître 
de  saint  Clément,  mêler  aux  exhortations  communes  de  morale  ce 
précepte  d'une  utihté  immédiate  :  N'ayons  pas  peur  de  sortir  de  ce 
monde  (3).  Après  avoir  cité  la  parole  de  Jésus-Christ  à  ses  apôtres  : 
Vous  serez  comme  des  agneaux  au  milieu  des  loups,  l'auteur  trouve 
tout  naturel  d'ajouter  au  texte  sacré  cette  question  de  saint  Pierre  : 
Et  quand  les  loups  auront  dévoré  les  agneaux?  La  réponse  avait 
été  donnée  d'avance  ;  mais  elle  a  rencontré  une  formule  célèbre 
dans  la  lettre  de  l'évêque  d'Antioche  (4)  :   «  Je  suis  le  froment 

(1)  ThÉOPHILK,  âd  Autolyc,  1.  I,  c.  xii  :  ToiyapoOv  ri|A£Îç  to-jtou  etvEXEv  ototXojfX-'Ja 
/pii7T'.avo\,    oTi  7piô|j.£0a  D.atov  ©eoO. 

(2)  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  inscriptions,  18CG,  p.  358-373  :  "  Quelque  nou- 
velle qu'ait  été  l'accusation  de  christi;inisme,  je  n'aperçois  donc  point  que  la  so- 
ciété païenne  ait  dû  clicrclier  des  armes  d'exception.  » 

(3)  U Ep.,  c.  V,  éd.  Funk,  p.  150.  —  On  a  sifjnalé  avec  raison  dans  ce  document  le 
plus  antique  spécimen  de  la  prédicalion  clirélienne,  telle  qu'elle  est  décrite  dans 
SAINT  .Il  STiN,  1  Apol.,  c.  Lxvii,  p.  ISi  dc  l'cd.  OllO  :  Ka\  •:>,  xoO  'ID.to'j  Iz^o^i^tr,  r^\).i^-x 
Tiâvxwv  Y.oL'zà.  Ttô).En;  Tj  ixjÇ/OMc;  (aîvÔvxoiv  kn\  xô  aùxô  (TuvÉAe'jii;  ytyvexai,  y.ai  xà  aTioiAvr^- 
|xov£'j(j.axaxwv  «TtoTxô/.wv  r|xàTvyypd(|j.|AaTaxô)V7tpoq5rjXâ)v  àvayiyvdJTxexai,  jxs'/ptç  Èy/wpeî. 
Eîxa  uocjT'jijj.lvo'j  xoO  avxytyvdjTxovTo;,  ô  TipoEcrxio:  o'.i  /.ôyo'j  xv/  v->-jOî^éav  xa'i  ■rtpôx),r,Tiv 
XTji;  xwv  xx>.à)V  xo'jxiov  [H[Lrf<jZiti(;  Troietxat. 

(-i)  Ep.  de  saint  Ignace  aux  Komains,  C.  IV,  éd.  Funk,  p.  216  :  i^ixo;  z\]}.'.  8coO  xai  oi" 
oSôvxwv  Or,pitov  à/,r,Oo[xat,   l'va  xaûapbç  ôépxoç  eûpeôw  xoO  XpKjxoO. 


—  85  — 

de  Dieu,  moiilii  par  les  dents  des  bêtes  féroces,  afin  d'être  tronve' 
le  pain  Manc  du  Christ.  »  Assnre'ment,  M.  Aube'  est  mal  venu  à 
traiter  ce  langag-e  "d'exaltation  de  cabinet  (1)  « ,  et  s'il  donne  debonnes 
raisons  contre  l'authenticité  des  actes  attribue's  aux  compagnons  de 
saint  Ignace,  c'est  gratuitement  qu'il  nie  celle  de  ses  lettres,  déjà 
citées  par  saint  Irénée  et  Origène.  L'évêque  de  Lyon  savait  que  le 
vaillant  chrétien  pour  avoir  affirmé  sa  foi  avait  été  condamné  aux 
bêtes  (2),  mais  il  n'a  mentionné  ni  l'auteur,  ni  le  lieu  de  la  sentence. 
Le  docteur  Alexandrin  parle  formellement  de  son  exécution  à  Rome  (3). 
Ignace  lui-même,  dans  sa  lettre  aux  Romains,  se  présente  à  eux  comme 
déjà  jugé;  il  les  supplie  de  ne  pas  lui  témoigner  une  bienveillance 
intempestive  en  demandant  sa  grâce  (4)  :  «  Je  ne  vous  commande  pas, 
ajoute-t-il,  comme  Pierre  et  Paul  ;  ils  étaient  apôtres,  je  suis  condamné; 
ils  étaient  libres,  je  suis  pour  le  moment  esclave  [servus  pœifœ]  (5). 
Mais  lorsque  j'aurai  souffert,  je  deviendrai  l'affranchi  de  Jésus-Christ, 
et  en  lui  je  ressusciterai  libre.  A  présent,  j'apprends  à  me  renoncer 
dans  les  liens.  Depuis  la  Syrie  jusqu'à  Rome,  c'est  pour  moi  un  com- 
bat sur  terre  et  sur  mer,  de  jour  et  de  nuit,  enchaîné  que  je  suis  à  dix 
léopards,  je  veux  dire  le  piquet  de  soldats  (6).  « 

C'était  ainsi  que  saint  Paul  avait  accompli  la  traversée  de  Césarée 
à  Rome  ;  seulement,  lui,  en  avait  appelé  au  tribunal  de  l'empereur, 


(1)  Hist.  des  perséc,  p.  247. 

(2)  Saint  IrknÉe,  Adv.  hœr.,  I.  V,  C.  xxviii,  3  :  'Q?  elirf  xt;  twv  rnjLExIpwv  5tà  t/jv  Ttpbç 
©EÔv  [jLapTupcav  xaxaxpiOs'K;  upoç  Or)pta. 

(3)  OrigÈne,  VI  hom.  in  Luc.  :  KaXwç  èv  (xià  xtov  [xdtprjpôç  xtvoç  stuixoXwv  yéypaitxat 
—  xov  '1''{vixt:iov  î^éyo),  xov  |ji£xà  xov  (xa/apiov  Iléxpov  xrjç  'Avxtoystaç  osûxspov  ETitaxoTiov, 
xbv  £v   5io)y[X(î)  ev  'Pcojayi  Oripiotç  \j.'xyriaâ[i.vioy. 

(4)  />.  liv.  XLIX,  tit.  I,  fr.  6  :  Non  tantiim  ei  qui  ad  supplicium  ducitur  provo- 
care  permittitur...  verum  quisquis  alius  provocare  voliierit..-  quid  ergo  si  résistât 
qui  damnatus  est,  atlversus  provocationem  nec  velit  admitti  ejus  appellationem, 
perire  feslinans?  Adhuc  putem  differendum  supplicium. 

(5)  D.  liv.  XLVni,  tit.  XIX,  fr.  29  :  Qui  ultimo  supplicio  damnaiitur,  statim 
et  civitatem  et  libertatein  perdunt;  itaque  praeoccupat  liic  casus  raortem,  et  non- 
nunquam  longuin  tempus  occupât,  quod  accidit  in  personis  eorum  qui  ad  bestias 
daninantur. 

(6)  Loc.  cit.,  p.  218  :  'Exîtvoi  àuôirxoXot,  èyw  xax!iy.p'.xoç  •  Èx-îvot  ÈleuOcpot,  syw  ok  [aÉ'/P' 
vOv  ^oùXoç...  'Atio  Supîaç  p-é'/pt  'P(i)(j.y)<;  ^■qpin[iy.yCo,  ôcà  yviç  xa'i  %akâG(yriQ,  vuxxb;  v.oà 
Tljj,Épaç,  Ô£Ô£[ji£Voç  Si-AOL  X£07tâp5oiç,  0  £(7X1  axpaxttùxixov  xày[/.a  •  oï  y.où  EVEpyexoyjjLSVOt 
XBiçovç  yivovxai.  Cf.  Ep.  aux  Tralliens,  c.  m,  p.  204. 


—  86  — 

tandis  que  saint  Ignace  redoutait  au  contraire  qu'on  fît  en  son  nom 
cet  appel.  Or,  le  recours  n'était  encore  possible  que  sil  avait  comparu 
devant  le  lëgat  propréteur,  et  non  devant  l'empereur,  comme  le  veu- 
lent les  actes  qui  sont  postérieurs  à  Eusèbe.  Du  moins,  la  tradition  gé- 
nérale de  la  fin  du  troisième  siècle  rattache  son  martyre  au  règne  de 
Trajan,  et  une  tradition  particulière,  dont  la  chronique  de  Jean  >la- 
lalas  d'Antioche,  mieux  informée  pour  cette  époque,  nous  a  transmis 
récho(l),  le  place  au  temps  de  la  guerre  des  Parthes,  après  le  terrible 
tremblement  de  terre  de  décembre  115.  Dès  le  printemps  suivant, 
Trajan,  qui  avait  passé  l'hiver  dans  la  capitale  de  la  Syrie,  rentra 
encampagne,marchasur  Babylone  etCtésiphon,  soumit  le  roi  d'Edesse 
et  confia  la  province  de  JMésopotamie  au  célèbre  prince  maure,  Lusius 
Quietus,  honoré  déjà  du  consulat  Tannée  précédente  (2).  A  son  départ, 
il  avait  laissé  en  qualité  de  légat  de  Syrie  Hadrien,  qui,  croissant  tou- 
jours dans  la  faveur  de  l'impératrice  Plotine,  devait  bientôt  lui-même, 
grâce  à  une  adoption  feinte,  porter  avec  la  couronne  le  nom  de  Trajan. 
iVI.  Harnack  fait  valoir,  entre  autres,  cette  considération  pour  re- 
tarder Tépiscopat  du  martyr  jusqu'au  nouveau  règne,  117-138(3). 
Nous  croyons  juste  d'en  tenir  compte ,  mais  sans  attendre  Trajan 
Hadrien  empereur,  il  nous  suffit  que  l'année  116  à  Antioche  ait  vu 
Hadrien  gouverneur,  et  Ignace  condamné  aux  bêtes.  La  lettre 
aux  Romains(4),  datée  du  24  août  (qui  eu  116  était  un  dimanche),  ra- 
mène bien  la  condamnation  vers  l'entrée  en  charge  du  légat  impé- 


(1)  L.  XI,  éd.  de  Bonn,  p.  276.  Sa  principale  source  est,daprès  Gutschmid,  lachro- 
nographie  de  Domninus  écrite  vers  528,  et  composée  elle-même  à  l'aide  :  1"  des 
IlapOi/.â  dArrien,  dont  l'exac  litude  est  bien  connue;  2"  d'une  histoire  d'.\ntioclic  ; 
."î"  de  notices  locales  dans  une  proportion  notable. 

(2)  Un  souvenir  confus  de  ces  faits  se  retrouve  dans  les  Actes  syriaques  de  saint 
Barsamya  {Document»  relative  tn  ihe  earlicsl  establishmenl  of  Cliristianily  in  Edessa,  Lon- 
dres, 1864.  —  Acia  ss.  martyium  Edesscnoium  Sarbelii ,  Barsimœi ,  éd.  Mœsinfjer,  fasc.  I, 
Innspruck,  l874j,  qui  parlent  de  l'an  15  de  l'empereur  Trajan  César  et  d'une  lettre 
d'Alusis  proconsul.  G^rres  considère  cette  dernière  comme  une  édition  remaniée 
de  11  correspondance  de  l'iine.  ainsi  que  la  lettre  apocryphe  de  Tiberianus,  {jouver- 
neur  de  la  Palestine  T";  cf.  Irajanund  die  christliche  Tradition,  dans  Hilgen/eld's  Xeil- 
schrift,  1878,  p.  35. 

(i)  Die  Zeit  des  lynatius,  p.  71. 

(4)  lip.  cit.,  c.  X,  p,  22  :  Tpâçw  oè  û(ilv  xaOTa  oltzo  SjAijpvY);....  Ttepi  twv  itposXOôvTwv 
a£  OLTzh  -ypiaç  eî;  Tw(xr,v...  ïypoL'\iOL  oï  viaîv  TXJTa  TÎj  Tiph  èvvéa  xaXavôwv  SsTtTîiiSpîtov. 


—  «/  — 


rial,  vu  le  temps  ne'cessaire  pour  se  rendre  par  terre  d'Antioclie  à 
Smyrne.  Quant  à  la  sentence  même,  elle  n'a  rien  que  de  conforme 
aux  gfoûts  contemporains  (1);  les  provinces  e'taient  appele'es  à  fournir 
les  amphithe'âtres  de  Rome,  et  cette  habitude  dut  être  re'fre'née  à  la  fin 
du  deuxième  siècle,  sans  doute  parce  qu  elle  exigeait  un  de'placement 
trop  fre'quent  de  troupes  de'tache'es. 

IM.  Aube'  a  de'clare'que  le  chemin  indique'  dans  les  lettres  «  n'est  pas 
un  chemin  raisonnable  (2)  « .  On  peut  s'en  rapporter  cependant  aux  gens 
du  pays;  ils  sauront  mieux  que  d'autres  expliquer  pourquoi,  au  qua- 
trième et  au  cinquième  siècle  notamment,  à  l'âge  par  excellence  des 
conciles  et  de  la  navigation  eccle'siastique,  les  e'vêques  de  Syrie  (3) 
ir'adoptaient  guère  la  voie  de  mer  lorsqu'ils  allaient,  suit  à  Constanti- 
nople,  soit  à  Rome;  le  voyage  de  saint  Paul  offre  un  exemple  de  ses 
inconve'nients.  Du  reste,  l'itine'raire  militaire  qui  reliait  l'Orient  à 
l'Italie  passait  précise'ment  par  le  nord  de  la  Grèce(4),  et  s'ilre'sulte 
des  lettres  que  ce  fut  celui-là  qu'on  suivit,  nous  y  voyons  plutôt  une 
pre'somption  nouvelle  en  faveur  de  leur  authenticité'. 

Saint  Ignace,  prisonnier  pour  le  nom  chi'e'tien  (5),  traversa  donc  à 
pied  l'Asie  Mineure;  les  chre'tiens  qui  n' e'taient  pas  sur  son  chemin  en- 
voyaient des  de'putations  le  saluer,  et  s'efforçaient,  souvent  en  vain, 
d'adoucir  ses  gardes  par  des  pre'sents.  Il  passa  par  Philadelphie,  où  il 

(1)  DiO\  CassiuS,  Ep.  1.  LWin,  C.  XV  :  Ka\  Ôlaç  h  xpi-r'i  xa't  ^ixoTi -/a't  Éx:<TOvr|uipo(t; 
lizolr^nfi,  hi  at;  Oï;pta  te  v.-A  |3oTà  '/p'-i  t^o-j  y.a\  [j-ûpix  ETcpâyr,  y.ai  (jLOvo(j.â-/o'  IJ-Opiot 
viywv!(7avTo.  \\  S'agit  du  triomphe  de  Trajan  sur  les  Daces  en  106.  Cf.  D.,  liv.  XLVIH, 
tit.  XIX,  fr.  31  :  Ad  bestias  damnatos  favore  popiili  prii^ses  dimiltere  non  del;et  : 
sed  si  ejiis  roboris  vel  artificii  sint,  ut  digne  populo  Romane  exlii!)eri  possint,  prin- 
cipein  consulere  débet.  Kx  provincia  autem  in  provinciam  transduci  sine  permissu 
principis  non  licere  divu)  Severus  et  Antoninus  rescripserunt. 

(2)  Hist.  des  perséc,  p.  329,  en  note.  Voir  au  contraire  Z.vhx,  Ignatius  von  Antiochien 
(Gotha,  1873),  p.  250-289. 

(3)  On  se  rappelle  le  concile  d'Éplièse  en  431,  où  le  patriarclie  Jean,  qui,  parti 
d'Antioche  au  commencement  de  mai,  avait  demandé  un  mois  pour  venir,  n'arriva 
que  le  26  juin,  et  les  conséquences  de  ce  retard. 

(4)  T.  L.  F.  Tafel,  /•'e  via  militari  Romanorum  Egnatia  qua  Illyricum,  Macetlonia  et 
Thracia  jungehantur,  rf/'sstTtet/o/tfs  rfu«  (Tubingen,  1837  et  1841).  Cf.  Sr\bo\,  l.VI,  c.  Iii,  7: 
"Eit  oÈ  TOtç  «Tto  Tr|Ç  'EXXotoo;  ■/a\  "zr^c,  'Aorta;,  otaipo'jacv  eOO-JTtXoix  [xâ),),6v  eativ  hCi  to 
BpsvxÉiTtov  (Brindisi),  xa't  ôsOpo  Ttâvxeç  xaxacpouaiv,  olç  sîç  ttiV  'Pco[j.r|V  TrpôxsiTai  ôôoç. 

(5)  Ep.  aux  Ephés.,  c.  i,  p.  174  :  'Axo'jffavxeç  yàp  &e5£[JlIvov  oltio  S-jpta;  ÛTiàp  xoO  y.otvoO 
ovôjAaxoç...  loEÎv  ÈcjTioySâffaxE.  —  Rom.,  c.  ix,  p.  222  :  Kai  yàp  a!  |xy)  ixpocrrixoy'jac  [j.ot 
TÎj  ôoSi,  xï)  xaxàaâpxot,  xaxà  TtoXtv  (xe  -npor^jov. 


—  88  — 

rencontra  dos  hérétiques  vonns  d'Rplièso;  quant  aux  fidôlos  de  celte 
ville,  avec  ceuxde  Magnésie  et  deTralles,  ilsrallèrent  trouvera  Smyrne, 
d'où  il  adressa  une  missive  à  chaque  Eglise;  de  là  également,  il  en  ex- 
pédia une  aux  Romains  par  Éphèse  et  la  mer.  Continuant  ensuite  sur 
Alexandria  Troas,  il  s'embarqua  pour  Neapolis,  après  avoir  éciit  aux 
Philadelphiens  et  pris  congé  par  lettre  des  fidèles  de  Smyrne  et  de 
leur  évêque(l).  On  lui  adjoignit  en  route  deux  confesseurs,  Zozime  et 
Rufus,  et  on  le  fit  entrer  à  Philippes  (2)  dans  la  grand'route  qui,  par  la 
Macédoine  et  l'Illyrie,  conduisait  à  Dyrrachium  en  face  des  côtes 
d'Italie.  Le  maityre  de  ses  compagnons  est  inscrit  au  18  décembre, 
celui  de  l'illustre  évêque(3)  au  20,  jour  de  la  fête  romaine  des  Sigil- 
latia ;  quelques  débris  de  son  corps  échappés  à  la  dent  des  bêtes 
furent  rapportés  à  Antioche  :  saint  Jérôme  les  y  voyait  honorer  au 
cimetière,  hors  la  poi'te  du  faubourg  Daphné(4).  Son  anniversaire 
était  solennellement  célébré  par  son  Église,  et  nous  possédons  une 
homélie  que  pour  l'occasion  prononça  saint  Jean  Chrysostome  :  témoi- 
gnage dont  il  faut  en  somme  tenir  compte,  puisque  c'est  un  successeur 
qui  parle  à  des  concitoyens. 

Il  est  c'irieux  de  trouver,  pour  ainsi  dire,  une  contrefaçon  de  l'his- 
toire de  saint  Ignace  dans  le  récit  qu'a  fait  de  la  mort  de  Pérégrinus 
Lucien  de  Samosate  :  certains  détails  ont  dû  être  pris  par  lui  dans  nos 


(1)  Ép.  à  Polijcarpc,  c.  VIH,  p.  252  :  'E7tE\  o-jv  TidcTa'.;  xatç  sx/XoTtat;  oùx  -r^vjvrfir,^! 
Ypâ-î/at  oià  To  t^y.lz.'iT,ç  tiIevi  |j.s  knh  Tpioâoo;  zlç  NsaTioXiv,  wç  to  6sXr,[j.a  Tzpoazitjati. 

(2)  Ep.  de  saint  Polijcarpe  aux  Philipp.,  C.  I,  p.  266  :  IIpoTil|Aj/a'7:v,  w;  '-.iitooC/.v/  "j(J.Îv,  to-j; 
Èv£t),-/;u.(i.£vo-jç  Totç  âyioTtpiiiitTiv  Ô£(7(aoîi;.  —  C  ix,  p.  276  :  'rito(j.ovT|V  v'  xai  eiosts  xax' 
3çOa/.[/.o\jç  oO  (J.ÔVOV  £v  xoi;  |j.axapîot;  'lyvxTuo  y.y.\  i^ioirîjj.o)  xa\  To-jcpt;).  a/.),a  xai  £v 
a).),ot;  rot?  il  Û|jl&v. 

(3)  Une  recension  différente  des  acies  de  saint  Ijïnace,  qui  n'est  pas  du  reste  plus 
ancienne  que  la  première,  a  été  tirée  d'un  nis.  du  Vatican  par  Dresscl  en  1857.  D'a- 
près eux.  il  aurait  été  non-seulement  exécuté,  mais  ausj.i  jugé  à  Uome.  On  y  relève 
seulement  un  détail  curieux,  Pair,  upost.,  vol.  Il,  p.  242  :  Ol  &£  xaxà  Tr,v  'Pw|ArjV 
àoEAyo'i...  AaoovTcÇ  auToO  xô  (7Ôj|j.a  àTilOïvTO  Èv  xÔTtto  à'vOa  v'  È^ôv  «yxoi;  aOpoi^oiAÉvoy; 
a'tvEîv  TÔv  Heôv.  Le  commentaire  de  ce  passage  nous  sera  donné  plus  loin  par  M.  de 
Rossi. 

(4)  De  vir.  ill ,  C  \vi  :  Ueliquisp  cori)oris  Anliodiia' jacent  extra  portam  Daplini- 
ticam  in  ca-mcterio.  Cf.  />.,  liv.  Xl-VIIf,  tit.  WIV,  fr.  3  :  Corpora  animadverso- 
runi  quihusiibet  pelentibus  ad  sepullur.ini  danda  sunt.  -  Fr.  1  :  Eorum  quoque 
corpora,  qui  exurendi  damnantur,  pcti  possunt  .  scilicct  ut  ossa  et  cineres  collecta 
sepultura;  tradi  possint, 


—  89  — 

lotliY's  mêmrsfl).  11  nous  roprësento  son  hcivs(2)  initie  à  la  doctrine 
des  chre'tienset  jeté'  pour  ce  motif  en  prison,  où  il  resta  tant  qu'il  plut 
au  gouverneur  de  Syrie,  ce  qui  indique  qu'il  avait  e'te'  arrête'  à  An- 
tioche.  Son  arrestation  e'tait  conside'rée  comme  une  calamité  pour  la 
secte  dont  il  avait  e'te'  l'un  des  chefs.  Or,  il  y  eut  plusieurs  de'puta- 
tions  de  la  communauté'  chrétienne  e'tablie  dans  des  villes  d'Asie  qui 
vinrent  le  visiter,  l'encourager  et  lui  apporter,  en  gagnant  les  gar- 
diens, quelque  soulagement.  Après  d'autres  aventures  et  sa  mort  vo- 
lontaire qu'il  décrit,  l'écrivain  païen  ajoute  (3)  :  «  On  rapporte  qu'il 
adressa  à  presque  toutes  les  villes  célèbres  des  lettres  contenant  ses 
dernières  dispositions,  des  conseils  et  des  précei»tes,  et  qu'il  choisit 
dans  ce  but  parmi  ses  compagnons  des  porteurs,  qu'il  appelait  mrssa- 
gers  mortuaires  et  courriers  des  enfers.  «  Saint  Ignace  avait  dit,  en 
effet,  à  l'évêque  de  Smyrne,  que  nepouvantécrire  à  toutes  les  Eglises, 
il  le  priait  d'écrire  à  sa  place  et  de  choisir  parmi  les  frères  quelque 
porteur  actif,  qu'il  conviendrait  d'appeler  le  courrier  de  Dieu.  Saint 
Polycarpe  se  conforma  à  la  volonté  du  martyr  en  réunissant  ses 
lettres,  tant  celles  reçues  directement  que  celles  qu'il  put  recueillir, 
et  en  les  faisant  circuler  selon  les  demandes  qui  lui  furent  adressées  (4) . 
Nous  possédons  encore  le  billet  d'envoi  par  lequel  il  répondit  aux 


(1)  Les  citations  suivantes  sont  relevées  par  Funk  dans  ses  ProUgomines  aux  Lettres 
de  saint  Ignace,  p.  l;  il  suffira  de  les  comparer  aux  précédentes. 

(2)  Lucien,  Pcregr  ,  c.  xi-xii  :  "Otetcîp  v.y.\  Tr^v  Oxjaa(7Tr|V   uocpiav  twv  ypinxiy.vGi'j  ll,i- 

[jLotQs TÔv  [j-lyav  yoGv  ènsîvov  ett  tjioo-jGi  ihv  avOpwuov  tov  sv  tÎ)  IlotXatdxtvYi  àvac-xo- 

lomnfibn'x.  oxt  xottvrjv  Ta-jT"r,v  TE)>£Triv  elariyayEv  Èç  xov  piov  •  tÔte  oti  xx\  cru>.XY)cp0î\i;  z%\ 
ToÛTM  £V£7t£(j£V  elç  TO  S£(j[/.orr|piov.  —  C.  xin  :  Kàx  xwv  èv  'Aaca  Trrj),£o}v  ecttiv  wv  rjxôv 
TtvEç  Ttov  •/ptTTiavwv  CTXsXXôvTwv  oLizo  ToO  xotvoO,' poY)Ôr|(70vx£ç  xa't  ?uvayop£'jffovx£ç  xa'l 
•7ïapa[ji"jOr|ffô(j.£vot  tôv  avopa.  —  C.  IV  :  Tôv  Èv  Svpîa  OEOIvTa. 

(3)  Lucien,  Peregr.,  c.  XLi  :  $a(7\  ôè  Ttâo-atç  a^sobv  xaî;  evôôÇoiç  nôXEo-tv  ÈirtcrxoXà; 
6to<Tii(j.'^at  aOxov,  5ia6r|xaç  Ttvàç  xa\  itapaivIffEiç  X5:\  vôfioyç  •  xat  xwaç  £1t\  xoyxw  TrpE^êE'jxà? 
xwv  Éxaipwv  E-/£'poxôvr)iT£  vîxpayyÉXouç  xa'c  vEpxEpoôpôfiouç  Tipoo-ayopE-jTaç.  —  Ej).  à  Po- 
lycarpe, c.  vu.  p.  252  :  DpÉTisi...  ■X£tpoxovr,(7ac  xtva,  bv  àyaT:-/]xôv  )>tav  e/exe  xa\  aoxvov, 
oç  ôuviri<7£xo((  6Eoopô(jLoç  y.a/EtçOat.  FuNK  fait  remarquer  le  chanj^ement  de  6Eoopô[;.o(;  en 
vEpx£poopô[j.Qç  si  naturel  à  la  tournure  d'esprit  de  Lucien.  Ailleurs  saint  Ignace  s'est 
servi  de  l'expression  HzoïtpzGovjvriÇ. 

(4)  Ep.  de  saint  Pobjc.  aux  philipp.,  C  XIII,  p.  280  :  Tàç  ETtiaxoXàç  'lyvaxtou  xàç  Tr£(ji?9Eiax; 
Tiixîv  \m'  auxoO  xa\  aA),aç,  oaaç  EÎ'y(0|j.Ev  uap'  •■iiaÎv,  È7ilp!/a[x.£v  \)\y.'i  xaQw;  ÈvEXEtXaaQE.  Cette 
collection,  asiatique  d'origine,  ne  comprit  d'abord  que  six  lettres  de  saint  Ignace 
les  manuscrits  fournissent  la  preuve  que  la  lettre  aux  Romains  n'y  fut  jointe  que 
plus  tard. 


—  90  — 

Philippiens,  vers  la  fin  de  116  ou  le  commencement  de  117,  car  il 
considérait  déjà  l'ëvêque  d'Antioche  comme  arrivé  au  lieu  du  repos 
ai)rès  avoir  combattu  le  bon  combat,  mais  il  n'en  avait  pas  eu  la  nou- 
velle, et  il  les  priait  de  s'enquérir  des  détails  de  sa  fin.  En  attendant,  il 
les  confirmait  dans  l'imitation  de  Jésus-Christ  et  leur  répétait  le  mot 
toujours  de  circonstance  :  «  Si  notre  tour  vient  de  souffrir  pour  sou 
nom,  sachons  lui  rendre  gloire  (1).  n 

Cependant  la  paix  régnait  dans  la  province  d'Asie,  que  parcourait 
saint  Ignace  en  allant  sulnr  sa  condamnation.  Au  moment  de  s'embar- 
quer pour  l'Europe,  il  eut  la  consolation  d'apprendre  que  l'orage  qui 
s'était  abattu  sur  son  Église,  et  qui  apparemment  avait  enveloppé  plu- 
sieurs brebis  avec  le  pasteur  (2),  s'était  tout  à  coup  dissipé  :  la  con- 
grégation retrouvait  ses  membres  ;  un  instant  dispersée,  elle  pouvait 
désormais  se  reconstituer  (3). 

Que  se  passait-il  donc  en  Syrie?  C'était  le  contre-coup  des  événe- 
ments de  l'automne  116  qui  se  faisait  sentir.  Profitant  des  circon- 
stances critiques  qu'avait  à  traverser  l'armée  romaine  dans  la  guerre 
contre  les  Parthes,  les  Juifs,  qui  depuis  longtemps  rongeaient  impa- 
tiemment leur  frein,  s'étaient  révoltés  à  la  fois  en  Mésopotamie,  en 
Cyrénaïque  eten^Égypte.  On  peut  avoir  une  idée  de  l'épouvante  dont 
leurs  sanglantes  menaces  frappèrent  ce  dernier  pays,  grâce  à  la  dé- 
couverte laite  par  M.  JMiller  d'un  fragment  intéressant  de  la  fin  du 
vingt-quatrième  et  dernier  livre,  'Apâêioç,  d'Appien,  jusqu'ici  entière- 
ment perdu (4).  Cet  historien,  qui  exerçait  alors  les  premières  fonc- 
tions munici}iales  à  Alexandrie,  nous  raconte  lui-même  sa  fuite  pré- 
cipitée dans    la  baïque  d'un   Arabe,  et  le  danger  qu'il  courut  en 


{\)Ep.  cit.,  C.VIII,  p.  274  :  M'.|j.r,Ta\  o-jv  yévtoiJLEOa  tt,;  'jiiojjiovr,;  aOroO,  y.a\  sàv  ■Ki(jyM\i.f<i 

(2)  Malalas,  loc.  supr.  cil.,  parle  du  martyre  de  cinq  femmes  :  il  n'est  pas  possible 
de  le  contrôler  sur  ce  point. 

(3)  Ep.  de  saint  Igii.  aux  Stiiyrn.,  c.  XI,  p.  242  :  i^-jy/otprivat  a-jToî;  OTt  etpriVîjo-jijiv  xx\ 
àTti/.aêov  TO  iotov  (xéyeOoi;  y.ai  àTrsxaTsaxotO/)  aù-rolç  tô  îotov  ato(AXTe'.ov.  Cf.  lip.  aux  Phila- 
delph.,  C.  X,  p.  232  :  X'jy/aprivat  aùxoîç  eut  xo  aùxô  yavoiAÉvotç. 

(4)  Itivue  archéologique,  1869,  t.  I,  p.  101  :  «tî-jyovxi  \loi  tioxè  xo'j;  'louoatov;  àvi  xov 
•n6).£liov  xbv  Iv  AlyÛTtxo)  y£vÔ[j.E'''^^  ''«"'  '^"^■"^'  ^''^  '^i«  Ilexpata;  'Apaêca;  £tc\  Troxajibv  evOa 
[AS  Txâço;  7tîpt(J.évov  ^ij.£).>.£  otot<7£cv  è;  IIr|),ciû<7cov. 


—  91  — 

s'éf^farant  dans  les  diverses  branches  du  Nil.  Le  savant  e'diteiir(l)  fait 
remarquer  avec  raison  que  re'tat  ainsi  de'crit  du  fleuve  correspond  au 
printemps  ou  à  Tautomne,  c'est-à-dire  avant  ou  après  les  inondations: 
la  seconde  période  convient  mieux  à  la  date  de  la  re'pression,  qui  fut 
imme'diate  et  terrible.  Turbo,  pour  l'Afrique  et  l'île  de  Chypre;  Quie- 
tus,  pour  l'Asie,  parurent  les  sauveurs  de  l'Empire.  En  pareille  con- 
joncture, l'attitude  des  chre'tiens  était  connue,  et,  soit  pour  les  récom- 
penser, soit  pour  les  ménager,  on  les  laissa  tranquilles. 

Ce  parti  convenait  au  caractère  d'Hadrien,  qui  ne  croyait  jamais 
payer  trop  cher  les  avantag'es  de  la  paix.  Le  règne  de  ce  prince  fut 
une  époque  de  jouissance  et  de  prospérité  matérielles.  Dès  le  début, 
il  acheta  la  sécurité  des  frontières  par  l'abandon  des  provinces  mena- 
cées; à  l'intérieur,  l'ordre  ne  fut  troublé  que  par  une  dernière  révolte 
des  Juifs  en  Palestine,  133-136,  dont  nous  avons  déjà  parlé  (2),  et 
qu'il  chargea  ses  lieutenants  S.  Julius  Severus  et  Q.  Lollius  Urbicus 
de  réprimer.  Son  goût  pour  les  voyages  d'un  côté,  son  indifférence 
sceptique  de  l'autre,  favorisèrent  indirectement  le  développement  du 
christianisme  dans  tout  l'empire ,  et  Eusèbe  constate,  en  même  temps 
que  ce  développement  (3),  l'adoucissement  général  des  mœurs.  Nous 
ne  voulons  point  méconnaître  les  causes  complexes  qui  avaient  porté 
la  civilisation  d'alors  à  un  si  haut  degré  de  raffinement,  mais  il  n'en  est 
pas  moins  certain  que  le  monde  païen  se  trouvait,  sans  en  avoir  con- 
science, impi'égné  des  principes  de  l'Evangile,  et  cela  au  moment  où  la 
philosophie  stoïcienne,  ayant  dit  son  dernier  mot,  allait  finir  impuis- 
sante sur  un  trône. 


(1)  Revue  arckéol.,  1869,  1. 1,  p.  108.  —  GR/ETZ,  Geschichtc  derJuden.  place  aussi,  d'accord 
avec  Eu&èht,  Hist.  eccl.  1.  IV,  c.  ii,  l'insurrection  pendantl'autonine  116  et  Thiver  117. 

(2)  V.  page  50  ,  note  5.  A  de  sanglants  massacres  succéda  l'épisode  iinal  du  siéfje  de 
Béther  :  les  Juifs  n'eurent  plus  désormais  de  patrie.  Ils  avaient  profité  d'un  instant 
d'indépendance  pour  satisfaire  leur  haine  contre  les  clirétiens,  comme  eu  témoi- 
gne SAIM  Jlstin,  I  Apol.,  c.  XXXI,  p.  94  de  i'éd.  Otto  :  Ka\  yàp  èv  xwvOv  y£Y£v/;ij.£v<i) 
'lo'jôaVxâ)  7io)i(jL(o  Bxp-/w"/Éêo(ç,  ô  TTiç  'lo'jôaiwv  àTroffxâcfEwç  àp^oyéT/jç,  -/piaxiDcvouç 
[J.CIVOVÇ  £c;  Ti(j.wpiaç  oîtvâ;,  si  jAr,   àpvoivTO  'I/;(joOv  xôv  Xpto-cov  xa'i  [ri>,a(7yr|[i.oîEV;  ÈxiXîusv 

(3)  Prœpai-.  evang.,  1.  IV,  C  XVII,  à  propos  des  sacrifices  humains  :  "Oti  oï)  [AÉ'/pt  toO 
'AôpiavoO  yç^oyuiv  ôtapieîvat  xaOfa...  oûto?  oï)  |j.â),to'xa  r,-/  ô  -/pôvo;  xa6'  ov  -î^  (jwr/"|pioç 
elç  uâvTaç  àvfipojTiouç  ■r,y.\i.oi.<jZ  ô'.oasxa)  ia.  Cf.  le  païen  Pausamas,  1.  I,  c.  v,  5  :  Ka't  /.xt' 


—  92  — 

Ccponrlant,  Iladrini  c'tail  dobaurlie;  ost-co  à  cotte  raison  on  à 
nn  iond  naturel  de  fe'roeite  habilement  dissininle'  (  1  )  (jn'il  faut 
attnl)ner  les  actes  de  cruauté'  (jui  souillèrent  le  commencement  et 
la  fin  de  sou  règne?  Peu  après  son  ari-i\  ëe  à  Rome,  il  avait  fait  met- 
tre à  mort  quatre  persoiinajjes  consulaires  qui  lui  portaient  omhrafje. 
Lorsqu'il  eut  longuement  })arcouru  les  pi'ovinces  les  plus  lointaines  et 
qu'il  revint  malade,  blasé  et  avide  de  repos,  il  s'abandonna  de  nou- 
veau à  ses  instincts  soupçonneux  et  violents.  Ses  coups  tombèrent  sur 
ceux  qui  l'entouraient  et  sur  les  membi-es  de  sa  propre  famille.  C'est 
ainsi  que,  sous  de  futiles  pre'textes,  il  fît  pe'rir  son  beau-frèie  Servien 
et  le  petit-fils  de  celui-ci,  Fuscus,  en  l'an  13C.  Rien  détonnant  qu'il 
ait  alors  ravivé  la  persécution  contre  les  chrétiens  de  la  capitale.  Un 
livre  sorti  de  l'Église  romaine,  très-probablement  vers  cette  épo- 
que, le  Pasteur  d'Hermas,  peint  naïvement  la  terreur  que  devait 
inspirer  aux  fidèles  la  rupture  d'une  trêve  de  plusieurs  années  (2). 
Ileimas  fait  tous  ses  efforts  pour  combattre  en  lui-même  et  dans  les 
autres  la  S^u/ja,  sorte  de  doute  découragé,  dont  l'apparition  laisse 
entrevoir  plus  d'une  défection  chez  les  contemporains  (3).  On  s'accorde 
néanmoins  à  placer  vers  ce  moment  le  martyre  du  pape  saint  Téles- 
phore,  auquel  saint  Irénée  a  rendu  un  éclatant  témoignage  (4),  témoi- 
gnage d'autant  plus  précieux  que  nous  ne  savons  d'ailleurs  absolu- 
ment rien  sur  ce  pontife.  Nous  possédons,  en  revanche,  un  récit 
très-détaillé,  et  par  suite  confus  et  corrompu  (sixième  siècle),  relatif 
à  un  groupe  de  martyrs  de  cette  époque  :  réduits  à  ces  renseignements 
insuffisants,  on  aurait  pu  être  tenté  de  ne  pas  les  nommer  dans  cet 

è[jL£  rfi-ti  pauOiw;  'AoptavoO  Tr;ç  ts  e;  xb  Osîov  ■zi\i.r\ç,  £Tt\  iiXîÎ'jTov  jXOovtoç  xa\  twv  àp-/o(i£vwv 
èç  eOoottjxoviav  Ta  [j-ÉyiiTa  ly.âaToii;  'K:iç%rsyo]s.vihyi. 

(1)  Spart.,  lit.  Hadr.,  c.  xiv  :  In  voUiptatibiis  nimiiis.  —  C.  xx  :  Marins  Maximns 
dicit  eum  natura  crudelem  fuisse  et  idcirro  niulla  pie  fecisse,  qnoil  timeret  ne  sibi 
idem  quod  Domiliano  ac  idit  eveniret. 

(2)  M.  PiF.xvN,  Journal  dis  savants,  déc.  187(),  p.  730  :  ■  A  Home,  le  livre  du  faux 
llermas  nous  apparaît  comme  sortant  d'un  bain  de  saufj.  -  Kn  retirant  une  cer- 
taine ^pithèle  qui  est  de  style  chez  l'auteur,  et  en  renversant  l'imajjc,  nous  sommes 
d'accord. 

(3)  P\ST.,  vis.  Il,  cm,  4  :  'l'jpeî;  oï  Ma|tjX(i)  •  tooû,  OXt'J/tç  ep/sxai  •  èâv  (rot  çavr).  7ïdc),'.v 
à'pvr.Tai.  Kd.  Funk,  p.  318.  Cf.  la  vis.  /f  tout  entière,  qui  est  fort  curieuse,  p.  378. 

(4)  /idt\  hœr.,  1.  III,  c.  m,  3  :  TeXeiçôpo;  oç  xat  ÈvoôÇw;  £|AapTÛpri(Tîv. 


—  93  — 

exposé  historique,  mais  le  silence  u  est  plus  permis  depuis  que  les 
monuments  sont  venus  témoigner  eu  leur  faveur.  PSous  voulons 
parler  des  tombes  d'Alexandre  (1),  de  Théodule  et  d'Eventius,  décou- 
vertes en  1855,  au  septième  mille  de  la  voie  Nomentane,  et  de  celle 
de  Quirinus,  signalée  en  1863,  dans  le  cimetière  de  Prétextât. 

Arrêtons-nous  un  instant  à  ce  dernier  endroit.  Un  ancien  itinéraire 
de  la  première  moitié  du  septième  siècle  enseignait  aux  pèlerins  quel- 
les reliques  ils  avaient  à  y  visiter  :  Ibi  invenies  sanctum  Urhanum 
episcopiim  et  confessorem,  et  in  aller o  loco  Felissimum  et  Agapitum 
martyres  et  diaconos  Sixtij,  et  in  tertio  loco  Cirinuni  martyrem,  et  in 
quarto  Janiiarium  martyremÇI).  M.  de  Rossi  a  retrouvé  différentes 
inscriptions  qui  lui  ont  permis  de  distinguer  trois  des  lieux  de  sépul- 
ture; ^restait  une  crypte,  de  la  construction  la  plus  soignée,  qui  con- 
servait, avec  des  fragments  d'inscription  damasienne,  malheureuse- 
ment très-incomplets (3),  les  débris  d'un  sarcophage  antique  en  marbre 
blanc,  sur  lequel  était  représenté  le  défunt  orné  de  la /«?/?«  patricienne. 
Or,  le  récit  en  question  donne  à  Quirinus  la  qualité  de  tribun  (on  sait 
qu'il  y  avait  des  tribuns  de  raog  sénatorial),  et  il  se  termine  parla 
mention  suivante  :  Corpus  auteni  ejus  christiani  sepelierunt  in  via 
Appia  in  cœmeterio  Prœtextati[A).  L'attribution  de  la  crypte  à  la  sé- 
pulture du  ti'ibun  paraît  rationnelle  ;  aussi  refusons-nous  de  souscrire  à 
cette  sentence  que  :  «  nulle  inscription  n'atteste,  nul  indice  ne  peut  per- 
mettre d'étabhr,  ni  que  les  restes  de  Quirinus  y  aient  reposé,  ni  que  ce 
personnage  soit  mort  martyr,  ni  qu'Hadrien  ait  ordonné  sou  sup- 


(1)  H  y  a  lieu  de  croire  avec  M.  Tabbé  Ducues.ne,  £<«</«  sur  le  Liber  pontificalis,  p.  150, 
que  ce  saint  Alexandre,  quoique  honoré  d'une  vaste  basilique  sur  son  toml)eau, 
n'est  pas  le  prédécesseur  de  saint  Télespbore;  mais  à  cause  de  l'illustration  du 
martyr,  l'endroit  fut  desservi  par  une  série  d'évêques  de  la  campagne  romaine  :  on 
a  remis  au  jour  un  certain  ujmbre  de  leurs  épitaphes,  Bull.,  1864,  p.  ôl. 

(2)  llin.  Salisb.  ap.  Rom.  soit.,  t.  I,  p.  180. 

(3)  C'était  un  éloge  métrique  assez  long  que  M.  de  Rossi,  même  en  y  joignant  un 
autre  fragment  venu  en  sa  possession  vingt  ans  auparavant,  n'a  pu  encore  recon- 
stituer :  les  lettres  YR  {mv.rtyr  ouC'yrinus,  Kjpivo:  sont,  entre  autres,  reconnaissa- 
h\es.  Bull.,  1872,  p.  32,  75,  78. 

(4J  Act.  Sanct.,  t.  III  de  mars  (éd.  d'Anvers),  p.  813.  Quelle  que  soit  la  valeur 
de  ce  texte,  il  est  certain  qu'il  faut  lire  Hadrianus  et  Sabina  à  la  place  de  Aurelia- 
nus  et  Severina. 


—  91  — 

plice(l).  »  Pourquoi  ensuite  M.  Aube'  est-il  dispose' à  admettre  que  le 
même  empereur  a  fait  mettre  à  mort  Getulius,  avec  son  frère  le  tribun 
Amantius,  et  Cerealis  converti  par  eux?  Nous  nous  garderons  de  le  con- 
tredire sur  ce  point,  d'autant  plus  qu'ici  encore  nous  avons  des  mo- 
numents, qu'a  indique's  le  jeune  arche'ologue  romain,  charjje'deTe'tude 
des  cimetières  chre'liens  appartenant  à  la  région  suburbicaire, 
M.  Stevenson  (2). 

Les  condamnations  de  fonctionnaires  (3)  et  d'officiers  que  nous  ve- 
nons d'e'nume'rer  sont  parfaitement  d'accord  avec  les  circonstances  de 
temps  et  de  lieu,  telles  qu'elles  re'sultent  de  l'histoire  d'Hadrien. 
Sjjartien  dit  formellement  que  ce  prince  re'prima  la  violence  de  sa 
cruauté' jusqu'au  moment  où,  dans  sa  villa  de  Tivoli,  la  maladie  le 
conduisit  aux  portes  du  tombeau,  et  qu'alors  il  fit  pe'rir  beaucoup  de 
monde,  soit  ouvertement,  soit  par  des  voies  de'tourne'es  (4).  Tel  est 
le  souvenir  attache'  à  son  séjour  dans  la  somptueuse  re'sidence  que 
sa  fantaisie  originale  s'e'tait  cre'e'e. 

Lorsque  aujourd'hui  on  en  va  visiter  les  restes,  on  aperçoit,  avant 

(1)  Hist.  desperséc,  p.  29!,  L'auteiir  au  même  endroit  prête  {gratuitement  une  er- 
reur à  M.  de  Rossi,  en  disant  :  ".lanuarius,  Agatojms  et  Felicissimus,  martyrisés,  selon 
lui,  avec  sainte  Félicité  l'an  162.  '  l/illustre  savant  a  raconté  plus  d'une  fois  la 
scène  émouvante  du  pape  saint  Sixte  II  frappé  sur  sa  chaire  pontificale,  en  258,  par 
les  soldats  de  Valérien,  dans  le  cimelière  de  Prétextât,  avec  ses  deux  diacres  qui  y 
demenrèrent  enterrés. 

(2)  Il  existe  deux  recensions  de  leurs  actes  :  lune  où  Getulius  porte  son  véritable 
nom,  l'autre  où  il  est  confondu  avec  le  martyr  Zoticus,  très-postérieur  en  date. 
Celte  confusion  s'explique  par  le  fait  que  Getulius  et  son  frère  Amantius  furent  en- 
terrés auprès  de  Gabies  (auj.  Torri)  dans  la  Sabine,  et  Zoticus  avec  un  autre  Aman- 
tius auprès  de  l'antique  Gabies  du  Latiuin;  de  plus,  un  nommé  Primilivus,  qu'on  est 
fondé  à  croire  parent  de  Getulius,  et  arrêté  avec  lui  dans  la  première  de  ces  deux 
villes,  fut  exécuté  et  enterré  non  loin  de  la  seconde  sur  la  voie  de  Préneste.  D'où 
l'importante  disfinclion  réalisée  par  le  travail  de  M.  Knrico  Sttvexson  :  //  cimiicro 
di  Xotico  al  decimo  miglio  ddla  via  Lahicana,  Modène,  1876.  Une  trace  de  la  confusion 
sul)siste  à  Home  dans  des  peintures  du  neuvième  siècle,  à  l'éj^lise  Sainl-Sé!)astien 
sur  le  Palatin,  qui,  destinées  ù  lionorer  le  {i;roupc  Zoticus,  représentaient  le  martyre 
du  groupe  Getulius  :  là  CKHKALIS  est  changé  en  IHENEUS. 

(3)  Cerealis,  /icta  sanct.,  t.  II  de  juin  (éd.  d'Anvers),  p.  26i,  porte  le  titre  de  vica- 
rius,  qui  désigna  quelques  années  plus  lard  le  vice-préfet  de  lîome.  Bouchesi,  OEuv., 
t.  VIII,  p.  62,  remarque,  à  propos  du  mot  diwcetls  trouvé  sur  une  inscription  du 
règne  d'IIadrien,  qu'Ai  iiiLirs  Victoii  pourrait  n'avoir  pas  eu  ton  d'écrire  dans  son 
Epitonie  :  ^  Officia  sane  publica  cl  palatina,  ucc  non  niiliti;c,  in  eam  formam  statuit, 
qua'  pan;  is  per  Gonstanlinum  iminulalis  liodie  persévérai.  • 

(4)  Vit.  Hudr.,  c.  xxni  :   Omueni  quidem  vim  crudelilatis  ingenitœ  usque  eo  rc- 


—  95  — 

d'arriver,  sur  le  bord  de  la  route,  au  neuvième  mille  de  Rome,  d'au- 
tres ruines  qui  imposent  un  instructif  rapprochement.  On  reconnaît  les 
de'bris  d'une  double  basilique  (1),  aux  absides  adosse'es  l'une  à  l'autre 
et  communiquant  entre  elles.  La  plus  petite  basilique,  ou  celle  dont 
l'abside  a  trois  niches,  contenait  une  confession  sous  laquelle  repo- 
saient les  corps  des  martyrs.  L'examen  de  la  construction  prouve 
qu'elle  e'tait  destine'e  à  recouvrir  des  tombeaux  primitivement  à  ciel 
ouvert  etdemeure's  l'objet  d'une  grande  ve'ne'ration  :  c'e'taient  ceux  des 
sept  frères,  fils  de  Getulius,  et  celui  de  Symphorose  (2),  leur  mère. 
Celle-ci  avait  pour  frère  un  des  membres  principaux  du  se'nat  muni- 
cipal de  Tivoli,  et  se  trouvait  par  suite  plus  facilement  exposé  à  être 
accusé  de  christianisme.  Ce  fat  à  l'occasion  d'un  sacrifice  solennel 
païen  qu'eut  lieu  la  dénonciation (3).  On  ne  sait  pas  précisément  le 
rôle  (les  prêtres  d'Hercule  dans  cette  affaire  :  prirent-ils  l'initiative, 
ou  furent-ils  seulement  appelés  à  intervenir  au  procès,  peu  importe. 
M.  Aube  vante  «  leur  esprit  tolérant  et  leur  incrédulité  notoire  (4)  «  ; 
ils  étaient  cependant  pour  quelque  chose  dans  ces  supercheries  où  l'on 


pressit,  donec  in  villa  Tiburtina  profluvio  sanguinis  pœoe  ad  exitum  venit.  Tune 
libère  servianum...  mori  coegit,  multis  aliis  iuterfectis  vel  aperte  vel  per  insi- 
dias. 

(1)  V.  la  description  détaillée  faite  par  l'auteur  de  la  découverte,  M.  Stevenson, 
Scoperta  délia  hasilica  di  Santa  Sinforosa  e  dei  suoi  seile  figli  al  nono  miglio  délia  via  Ti- 
burtina (Rome,  1878).  Cf.  dans  Us  Sludie  documenti  di  storia  e  diritto  (Uorne,  1880),  fasc.  I, 
l'histoire  de  cette  basilique  au  moyen  âge,  par  le  même. 

(21  L'orthographe  véritable  doit  être  Sijmphemsa,  d'après  une  inscription  qui  a  quel- 
que rapport,  ayant  été  tirée  en  1737  de  l'emplacement  même  de  la  basilique  : 
MaFFEI,  Mus.  leroncnse,  p.  CLiii,  1,  CORXELIAE  S'i'MPlIEIlVSAE  CONTVBERNALI... 
ET  CLAVDIAE  PRIMITIVAE  FILIAE.  W  ne  faut  pas  s'étonner  de  la  forme  grecque  du 
nom  S'jijçÉpojTa.  Strabox,  qui  mentionne  l"Hpax>.£lov  de  Tibur  à  côté  du  temple  de 
la  Fortune  de  Préneste,  témoigne  [au  sujet  de  ces  deux  villes,  1.  V,  c.  m,  11  :  <ï>aat 
ô'  'EAAr.vtoaç  àiJ.ç;OT£paç.  Les  Actes  ÙQ  Getulius,  loc.  cit.,  disent  qu'il  avait  converti  au- 
tant de  Grecs  que  d'indigènes  de  cette  contrée  de  l'Italie  :  Tarn  ex  Gra^cia  quam 
ex  Italiae  regione. 

(3)  .^nn.  de  la  propag.  de  la  foi.  num.  de  mars  1879,  lettre  de  Corée  déjà  citée  :  «  Le 
13  mai  dernier  est  morte  la  femme  du  roi  précédent...  A  l'ouverture  du  deuil,  il  y 
a  eu,  à  un  jour  fixé,  lamentation  publique  accompagnée  de  sacrifices  dans  chaque 
ville,  chaque  village,  chaque  hameau  de  tout  le  royaume...  Habiter  avec  des  païens 
un  même  village  et  ne  point  prendre  part  aux  lamentations  publiques,  c'est  faire 
un  acte  de  mauvais  citoyen,  de  rebelle  et  de  chrétien;  y  prendre  part,  c'est  s'asso- 
cier à  un  acte  public  de  superstition..    • 

[i]  Hist.  des  perséc.,  p.  290. 


—  96  — 

persuadait  à  Hadrien  malade  qu'il  gue'rissait  les  aveugles  (1).  Bref, 
la  veuve  de  Getulius  ayant  rappelé  à  l'empereur  la  mort  de  son  mari 
2wur  le  nom  du  CAm/ (2),  et  ayant,  malgre'.les  mauvais  traitements, 
persisté  dans  son  refus  de  sacrifiei-,  fut  ])récipitée  danslefleuve  (l'Ânio) 
qui  passe  à  Tivoli.  Son  frère  Eugène  retira  son  corps,  et,  disent  les 
actes,  in  subiirhana  ejusdem  civitatis  sepelivit.  C'est  un  des  jours 
suivants  que  ses  enfants  :  Crescent,  Julien,  ISemesius,  Primitivus, 
Justin,  Stractée  et  Eugène  furent  conduits  à  leur  tour  au  temple 
d'Hercule,  où  leur  obstination  à  rester  fidèles  à  la  foi  de  leurs  parents 
fut  punie  de  divers  su])plices.  Us  furent  jetés  dans  une  fosse  commune, 
mais  à  un  moment  de  répit,  correspondant  sans  doute  au  dé|>art 
d'Hadrien  pour  Baies,  où  il  mourut  le  10  juillet  138,  les  chrétiens 
leur  donnèrent  une  sépulture  honorable  auprès  de  leur  mère. 

Que  faut-il  penser  des  actes  mêmes  qui  nous  rapportent  ces  faits? 
Les  dernières  opinions,  lesquelles  se  sont  du  reste  produites  en  dehors 
de  la  considération  des  monuments,  ont  varié  suivant  les  systèmes. 
Overbeck,  qui  admet  l'authenticité  des  actes  (3),  tient  surtout  à  prouver 
que  rien  n'a  été  changé  par  le  successeur  de  Trajan  à  sa  politique 
vis-à-vis  des  chrétiens.  M.  Aube,  au  contraire,  rejette  cette  authen- 
ticité, préoccupé  qu'il  estd' atténuer  la  persécution  (4).  Entre  les  deux, 
se  place  Gôrres,  qui  voit  en  sainte  Symphorose  et  ses  sept  fils  des 
personnages  historiques,  et  reconnaît  que  leurs  actes  étaient  déjà 
mentionnés  dans  la  compilation  hiéronymienne  (cinquième  siècle)  (5)  ; 


1)  Spart.,  Vit.  Hadr.,  c.  xxv  :  Quamvis  Marius  Maximus  haec  per  simulationem 
facta  commemoret. 

2,1  Rlinaut,  Acta  mariijrum,  p.  71  (éd.  de  Ratisbonne)  :  Quum  ego  desiderein  cuin 
viro  ineo  Getulio,  quera  pro  Christi  nomine  inlerfecisti,  requiescere. 

3j  Studien,  p.  139. 

(4j  M.  Uluuy  trouve  plus  commode  de  la  nier,  t.  IV,  p,  400  ;  -  Sous  Hadrien, 
nul,  par  ordre  du  prince,  ne  souffrit  pour  ses  croyances  dans  sa  personne  et  dans 
ses  biens.  » 

(5)  Le  Talmud  de  Babylone,  Gittin  67  b  (c'est  à  M.  Bouché-l,cclerrq  que  nous 
sommes  redevables  de  celle  indication),  place  sur  les  lèvres  de  W.  .leliudab  le  récit  de 
la  comparution  d'une  mère  anonyme  avec  sept  fils  anonymes  devant  Hadrien.  Nous 
ne  voudrions  pas  cherclier  là  une  allusion  au  martyre  de  sainte  Symjjhorose.  Par 
son  caractère  vajjue  et  sa  tournure  biblique,  ce  récit  semble  plutôt  se  rapporter  à 
l'histoire  des  Macchabées.  Mais  la  substitution  d'iladri  n  au  roi  Antioclius,  le  plus 
cruel  ennemi  d'Israël,  prouve  au  moins  que  l'empereur  romain  avait  un  renom 


—  97  — 

mais  il  est  d'avis  que  les  actes  que  nous  possédions  sont  poste'rieurs 
en  date  pour  une  double  raison  :  l"à  cause  d'une  certaine  formule 
qui  les  termine  ;  2"  à  cause  de  la  diffe'i'ence  des  noms  des  fils  dans  les 
deux  documents  (1).  A  cette  dernière  objection,  M.  Stevenson  avait 
répondu  en  prouvant  que  la  diversité'  re'sulte  d'une  transposition  dans 
le  texte  si  confus  du  martyrologe  et  en  justifiant  pleinement  le  texte 
des  actes (2).  Quant  à  la  première,  Hilgenfeld  n'a  pas  eu  de  peine  à 
opposer  à  Gbrres  une  formule  analo{jue  appartenant  à  la  passion  de 
saint  Polycarpe  qui,  de  l'aveu  de  tous,  est  du  milieu  du  deuxième 
siècle  (3).  Il  leste  donc  que  les  actes  meutionne's  dans  le  martyrologe 
lui  sont  certainement  ante'rieurs,  et  que  leur  te'moignage  est  digne  de 
foi,  soit  qu'on  ait  al'faiie  à  un  remaniement  d'un  texte  plus  ancien, 
soit  qu'on  y  recueille  l'e'cho  d'une  tradition  sûre  et  imme'diate.  Une 
preuve  que  cette  tradition  est  contemporaine  de  l'e've'nement,  c'est 
l'appellation  païenne  de  l'e'poque  qu'elle  a  conserve'e  pour  le  lieu  du 
martyre  :  Ad  septem  hiotlianatos  (êiatoOavàTou;),  alors  que  cette  autre  : 
Ad  septem  fratres,  ne  tarda  pas  à  lui  succe'der  et  demeura  pendant 
des  siècles. 

Ces  jeunes  enfants  n'avaient  pas  e'te',  selon  l'image  du  livre  du  Pas- 
teur (4),  "  semblables  à  des  plantes  qui  dès  qu'elles  voient  le  soleil  se 
dessèchent  :  ainsi  certains  hommes,  lorsqu'ils  entendent  le  bruit  de  la 
perse'cution ,  ne  prennent  conseil  que  de  leur  lâcheté',  sacrifient  aux 
idoles  et  rougissent  du  nom  de  leur  Maître  ".  D'après  Hermas,  le 
devoir  actuel  du  chre'tien  consistait  à  porter  allègrement  (5)  ce  nom  et 
à  ne  pas  apostasier;  pour  lui,  c'est  la  seule  chose  en  question,  nous 


de  cruauté  l)ien  établi,  et  qu'il  ne   le  doit  pas  seulement  à  son  biographe,  Marius 
Maximus,  comme  on  l'a  prétendu. 

(1)  Hilgenfcld's  Zeitschrift,  1878,  p.  48. 

(2)  Op.  cit.,  p.  84  et  S.  L'auteur  devançait  la  pul)lication  désormais  prochaine,  par 
MM.  de  Rossi  et  Duchesne,  d'une  édition  critique  du  martyrologe  hiéronymienqui 
en  augmentera  singulièrement  la  valeur. 

(3)  Hilgenfeld's  Zeitschrift,  1879,  p.  97. 

(4)  Sim.  IX,  c.  XXI,  3  :  "QaTcsp  yàp  aùxcov  ac  poxâvai  flXtov  looûffc^'.  È^y)pâvOr,(TO(v,  ouxw 
■xa\  ot  Gt'|>u"/oi,  oxav  8Mij/iv  axoûawat,  otà  ttiV  oscXtav  a'jxtov  £!owXo)-c.TpoOcn  y.a'i.  tô  ovo[j.» 
£TïaKT-/uvovTat  xoO  x'jpiou  aijTÙ)v.  Ed.  Funk,  p.  540. 

[il)  Sim.  Vni,  C.  X,  3  :  OuôIuote  àirb  xoO  OsoO  àTrlaxï-.a-av  y.a'i  xô  ''}V\\.-j.  f|ôf(or  ÈgcJo-TtzTOîv. 
p.  49G.  Cf.  notre  première  partie,  p.  26. 

7 


—  98  — 

l'avons  déjà  vu,  et  il  ne  se  lasse  pas  de  le  re'pe'ter.  Le  temps  n'était 
plus  où  l'on  pouvait  rester  dans  la  foi  sans  faire  les  œuvres  de  la 
foi  (1  ) ,  comme  ces  convertis  qui ,  s'e'taut  enrichis  et  ayant  conquis  une 
position  conside're'e  dans  le  monde,  perdaient  par  orgueil  le  souci  de  la 
vérité'  et  quittaient  le  commerce  des  justes  pour  vivre  avec  les  païens. 
11  ne  fallait  plus  de  compromis ,  tels  que  se  les  i)ermettaient  ces  gens 
d'une  foi  mal  assise,  qui  allaient  demander  aux  devins  la  bonne  aven- 
ture et  corrompaient  leur  jugement  au  pied  des  chaiies  des  faux  prophè- 
tes (2).  Cette  dernière  allusion  montre  que  l'Eglise  de  Rome  commen- 
çait à  être  travaillée,  à  l'égal  de  l'Eglise  d'Alexandiie,  par  les  sectes 
gnostiques;  les  relations  des  deux  villes  étaient  si  fréquentes  qu'il 
n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner,  et  nous  avons  été  édifiés  sur  les  chrétiens 
d'Egypte  par  la  cui'ieuse  lettre  d'Hadrien.  L'état  des  esprits  dépeint 
dans  le  Pasteur  paraît  donc  bien  conforme  à  ce  qu'il  devait  être  à  la  fin 
du  règne  de  ce  prince.  La  même  date  nous  est  suggérée  par  quelques 
détails  relevés  au  corps  de  l'ouvrage.  La  naïveté  de  l'auteur  est 
connue;  son  exposition  théologique  s'en  ressent,  surtout  parce  qu'il 
l'accompagne  perpétuellement  de  comparaisons  plus  ou  moins  heureu- 
ses, où  il  se  meut  si  peu  à  l'aise,  que  quelques  commentateurs  y  ont 
voulu  voir  des  visions  véritables.  Daus  l'une  d'elles,  il  s'agit  d'une  vi- 
gne, dont  le  propriétaire,  ayant  à  s'absenter,  remet  la  culture  à  un  indi- 
vidu honoré  de  sa  confiance.  C'était  un  esclave;  à  son  retour,  satisfait 
de  la  gestion  de  cet  homme,  il  parle  à  son  fils  et  à  ses  amis  de  l'adopter 
comme  héritier,  et  lui  envoie  des  mets  de  sa  table  que  celui-ci  partage 
avec  les  auti'es  esclaves.  Les  esclaves  reconnaissants  font  des  vœux 
pour  que  leur  compagnon  continue  à  s'élever  dans  l'estime  du  maître.  Ce 
dernier  apprend  le  fait,  et  le  rapporte  à  son  filselà  ses  conseillers,  qui 
approuvent  de  plus  en  plus  son  choix  (3),  Sans  entrer  dans  l'applica- 


(1)  Sim.  vin,  C.  IX,  1  :  OuToî  eIcti  7:t(rTo\  (jièv  YeyovÔTe;,  TÙ.o'jTr^tjoi.vztz  oï  xa\  Yev6(j.evoi 
£voo|ct  Ttapà  TOÎç  c0v£C7tv...  £Vi(i£tvav  Tïj  utiTTîi.  |j.r,  £pya:;ôp.£vo'.  Ta  È'pya  ttiç  ittaxeo);. 
(P.  494.) 

(2)  Maiid.  XI,  C.  I  :  Kai  ô  xaOr|(jL£vOi;  £7t\  Tr,'/  xaOcOpxv  'ji£yooT:poçr|Tr;ç  ettiv  àitoXXûwv 
TV'  o'.ivoixv  Twv  ooO/.wv  ToO  Oeoû...  o'jToi  O'jv  o't  w)^'jyrj\  w;  etci  [iâvTiv  £py(ovTO(t  xai 
£7i£p(i)TÔji7tv  a'jTÔv,  T(  «pa  cCTTai  aùxotç.  (P.  422.) 

(3)  Sim.  V,  c.  Il,  2-11    :  Et/é  Tt;  àypov  xat    5o-j).o\jç  hoXXouç    xai   [xÉpoç  ti  toû   oypoO 


—  99  — 

tion  de  laSimilitiidecinquième,  nous  nous  contenterons  d'observer  que 
si  certains  termes  proviennent  des  paraboles  de  TÉvangile,  le  sens 
principal  est  diffe'rent  et  se  trouve  tout  entier  dans  l'adoption  propo- 
sée. Or,  à  défaut  de  textes  connus  auxquels  la  comparaison  ait  pu  être 
emprunte'e,  Hermas  ne  l'aurait-il  pas  puise'e  dans  les  circonstances  qu'il 
avait  sous  les  yeux?  Le  choix  d'un  successeur  adoptif  devint  une 
question  brûlante,  lorsque  Hadrien  se  vit  se'rieusement  atteint.  L. 
Ceionius  Commodus  adopte'  sous  le  nom  d'^-Elius  Cœsar,  en  136,  mou- 
rut le  1"  janvier  138.  L'empereur  ne  pouvait  souffrir  ceux  que 
l'opinion  publique  ou  une  position  e'ieve'e  semblait  de'signer;  il  décida 
alors  la  perte  de  son  beau-frère  Servien,  qu'il  honorait  cependant,  et 
à  qui  il  avait  d'abord  songe';  or,  parmi  les  griefs  qui  lui  furent  impu- 
te's  se  trouvait  (1)  celui  d'avoir  envoyé  des  mets  de  sa  table  aux  escla- 
ves du  prince.  D'un  autre  côté,  Dion  Ca^sius  rapj)orte  (2)  qu'Hadrien 
convoqua  ses  })rincipauxamis  et  conseillers  pour  leur  annoncer  que  son 
choix  s'était  porté  sur  Antonin  :  suit  dans  le  texte  l'éloge  que  l'empe- 
reur fit  de  lui  en  cette  occasion.  Voilà  des  traits  caractéristiques  qui 
donneraient,  jusqu'à  un  certain  degré,  à  la  Similitude  d'Hermas  une 
couleur  locale.  On  en  peut  dire  autant  d'un  autre  point,  capital  pour 
qui  a  lu  le  Pasteur.  En  effet,  l'image  qui  revient  le  plus  souvent  dans 
ce  livre,  c'est  une  tour,  figure  mystique  de  l'Eglise  :  Hermas  en  décrit 
la  construction  très  au  long  en  deux  endroits  ;  il  entre  dans  des  dé- 
tails si  naturels,  qu'il  est  difficile  qu'il  n'ait  pas  assisté  à  la  scène  même. 
Elle  se  passe  (3)  sur  un  terrain  submergé,  comme  serait  la  rive  basse 

eç'jT;'j(7£v  a[j.iî£/.ÔL)va...  OS  ok  (yjvoo-j/.ot  xjtoO  \y.oôvTB^  xk  tii'7\iy.Tx  zy'ipr,'jy.v  y.at  rîpEavTO 
£'j-/ST6ai  -jTtîp  aO-ro-j,  t'va  "/âpiv  (Xîc^ova  c'jpr,  Tiapà  xm  czg-kÔ-zi]  Sti  O'jtw;  £-/pr|<javxo 
a-jTO'.ç-"  2'jyxx).£(TâjX£vo;  7tâ).w  xoy;  çîXo'ji;  6  ôsijTOt/;:  ota\  xciv  -jiôv  aOxoO  à7tr,YY£t>.£v 
a'JTOî;  ■ïT,v  TvpîE'.v  «OtoO,  r,-i  £'npaÏ£v  znX  xoXç  c0£<7|j.xtiv  a-jxoO  oh  r/.aêîv  •  o\  ôè  k'xi  (xà>.).ov 
ffvvc'jôôy./jTXV  Y£vfi76xi  Tov  ooO/.o'/  <T'JYxAr,povô[i.ov  Tw  ■j'.ôi  xjxoO.  fP.  450  et  S.) 

(1)  Spart,  lit.  Hadr.,  c.  xxiii  :  Servianum  quasi  affectatorem  imperii,  quod  servis 
régis  cœnam  misisset,  quod,  etc. 

(2)  Épîl.,  l.  LXIX,  C.  XX  :  S"jv£xa>c(7E  xouç  Ttpwxoyç  xa\  à^toXÔYoyç  xwv  jîo'jàc'jxwv  ot'xaoô, 
xa\  xaxax£Î[X£vo;  zl-Kfi  aOxoT;  xâo£  •  ÈfAot,  w  avop£;  ç;Xo'.,  xx)v.  C'est  d'Hadrien  que  date 
la  véritaljle  autorité  du  conseil  du  prince. 

(3)  lis.  III,  c.  U,  4-9  :  Su,  ioov,  ov/  opà?  xaxivavxt  coy  Ti-jpyov  |jL£Yav  oIxoôoiao-j|ji£vov 
£7t\  yoâxtov...  "E6).£irov  ôk  Ixlpouç  Xftoyç  ptirxo[X£voyç  [xaxpàv  àito  xoO  irjpYoy...  IxÉpoyç 
ok  TctTtxovxaç  Iyy^ç  yôâxwv  xa\  (i.r|  oyva[J.£voy;  xy),t(76r|vai  £Î;  xo  yowp,  ■/.'X'.z.i'^  ^Si).vnwi 
xuXiffÔîivat  xat  IXOeiv  ecç  xb  uôwp.  (P.  354.) 

7. 


—    100   — 

d'un  fleuve;  on  voit  apporter  des  blocs  tout  tailles  qui  seront  simple- 
ment pose's  les  uns  sur  les  autres;  d'autres  pierres  demandant  à  être 
travaillées  jonchent  les  abords  ;  celles  qui  sont  rejete'es  comme  impro- 
pres roulent  jusqu'à  Teau,  où  l'on  dirait  qu'elles  veulent  entrer.  Un 
premier  soubassement  en  pierre  formant  un  vaste  carré,  muni  d'une 
ouverture  (1),  et  surmonté  de  quatre  assises,  s'élevait  au-dessus  du 
niveau  de  la  plaine  environnante,  et,  à  travers  l'ouverture,  on  fit 
pénétrerles matériaux  dans  l'intérieur,  par  où  l'on  continua  l'édification 
de  la  tour.  Un  moment  les  travaux  furent  interrompus,  et  le  maitre 
vint  pour  les  examiner  ;  il  vérifiait  chaque  pierre  et  ordonna  d'en 
changer  un  certain  nombre,  puis  il  s'en  alla  avec  son  cortège.  Une 
foule  d'ouvriers  furent  occupés  à  bâtir,  des  femmes  de  la  campagne 
portaient  les  pierres.  Enfin  lorsque  tout  fut  terminé,  la  tour  paiaissait 
d'une  seule  pièce  et  avait  l'aspect  d'un  monolithe.  Ilermas  parvient 
assurément  à  rencontrer  une  application  pour  chacun  de  ces  faits  en 
particulier,  mais  les  applications  ne  seraient  pas  moins  originales  parce 
que  les  feits  lui  auraient  été  fournis  par  la  réalité.  Si  donc  on  songe 
qu'à  l'époque  du  retour  d'IIadrien  à  Rome,  en  135,  celui-ci  s'était  ima- 
giné de  prouver  son  talent  d'architecte,  qu'au  nombre  de  ses  construc- 
tions il  faut  compter  son  mausolée,  tour  gigantesque  qui  subsiste 
encore  aujourd'hui  (2);  que  cette  tour  est  précisément  située  sur  le 
bord  du  Tibre,  à  l'extrémité  du  pont  Jilius  qui  fut  aussi  son  œuvre; 
que  d'ailleurs  Hcrmas  (c'est  lui-même  qui  nous  l'apprend)  avait  occa- 
sion de  longer  le  Tibre,  soit  pour  se  rendre  à  son  champ,  soit  autre- 
ment, on  trouvera  naturel  qu'un  spectateur  simple  et  un  peu  borné  fût 


(1)  Sim.  IX,  c.  II  à  c.  IX.  :  '11  olxoootir)  ôà  toO  n-jpyou  ÈyéveTo  èui  tïiv  Tiérpav  ty-jv  fieyâXrjv 
xai  eTïocvo)  TTiç  ti-jXyjç.  (P.  504.) —  Ka\  èyévc-co  àvo-/Ti  ttjç  oÎxoôo[jlt)ç.  i^P.  508.)  —  Ka-cevôei 
Ô£  à  àvï|p  èxEîvoç  TYiv  oîxoôo|jir|V  àxpiêwç,  wdte  auxôv  xaÔ'  é'va  XtOov  «{/'l^oiçâv.   (P.  510.)  — 

'EooxoOaav  oi  |j.ot   a't  yjvaîxî;   au-uai    aypiai  elvat MovôXiôo?   yâp   (loi   èôôxci  eîvat. 

(P.  516.) 

(2)  On  pourrait  objecter  sa  forme  ronde,  cf.  lis.  III,  c.  ii,  5  :  'Ev  TïTpaywvw  ôà 
ô)xoooiJ.c'.To  ô  Txjpyo;.  (P.  356.)  Or  le  mausolée  se  compo.se  d'une  subslruction  qua- 
dran{;ulaire  de  104  mètres  de  côté,  haute  de  9  à  10  mètres,  laquelle  .supporte 
une  construction  cylindrique  en  travertin,  de  73  mètres  de  diamttre,  jadis  entière- 
ment revêtue  de  murbre  ;  la  hauteur  totale  est  d'environ  50  mètres.  Du  reste,  pour 
une  comparaison,  la  forme  précise  importe  moins  (|uc  l'idée;  par  exemple,  les  deux 
descriptions  de  la  tour  dans  le  livre  même  du  Pasicuv  sont  loin  d'être  identiques. 


—  101  — 

frappé  de  la  masse  de  l'e'difice,  de  la  {j^randeur  de  l'entreprise,  et  s'en 
inspirât  pour  y  trouver  un  symbole  mate'riel  du  dé\elo|)pement  de 
la  religion  chre'tienne. 

Cesconside'rations  trouventleur  place  à  côte'  d'unte'moignage  d'ori- 
gine italienne  ou  africaine,  le  fragment  découvert  par  Muratori  dont 
la  date  est  voisine  de  180,  qui  s'exprimait  ainsi  qu'il  suit  au  sujet 
de  notre  auteur  (1  )  :  «  Le  Pasteur  a  e'te'  écrit  de  notre  temps,  il  y  a 
peu,  dans  la  ville  de  Rome,  par  Hermas,  sous  le  pontificat  de  son  frère 
Pie,  e'vêque  de  l'Eglise  de  Rome.  "  —  Te'moiguage  exactement  re- 
produit par  les  documents  romains,  tels  que  le  poëme  contre  Mar- 
ciou  (2),  et  la  chronique  d'Hippolyte  dans  le  catalogue  Libe'rien  (3). 
Pour  les  raisons  que  nous  venons  d'exposer,  nous  fixerons  seule- 
ment avec  Harnack  la  composition  du  livre  aux  deux  ou  trois  années 
qui  précédèrent  ce  pontificat  (139-154).  Le  pape  qui  avait  succédé  au 
martyr  saint  Télesphore  était  saint  Hygin  (136-139),  lequel,  d'après 
nous,  est  personnifié  dans  la  Vision  deuxième  par  l'évêque  Clément, 
«  chargé  d'envoyer  le  livre  aux  villes  du  dehors  " .  Nous  voyons 
également  dans  saint  Hygin  l'auteur  de  l'homélie,  appelée  à  tort 
déjà  du  temps  d'Eusèbe  (4)  seconde  épître  de  saint  Clément,  et  dont 
le  genre  a  tant  de  rapport  avec  celui  du  Pasteur.  Énonçons  enfin  une 
conjecture  relative  à  Hermas  :  le  succès  de  l'ouvrage  du  vertueux 
laïque  n'a-t-il  pas  pu  contribuer  à  faire  élire  son  frère  Pie,  qui, 
par  une  circonstance  remarquable,  portait  le  même  nom  que  l'em- 

(1)  cit.  dans  les  Prolégomènes  de  Téd.  Funk,  p.  ex:  Pastorem  vero  nuperrime  tem- 
poril)us  nostris  in  urbe  Roma  Herina  conscripsit  sedente  cathedra  urbis  Romœ  ec- 
clesiae  Pio  episcopo  fratre  ejus. 

(2)  Liv.  ni,  V.  284  : 

Constabat  pietate  vigens  Ecclesia  Romae 
Composita  a  Petro,  cujus  successor  et  ipse 
Jamqiie  loco  nono  cathedram  suscepit  Ilyginus. 
Post  hune  deinde  Pius,  Hermas  oui  {jermine  frater 
Angelicus  pastor,  quia  tradila  verba  iocutus. 

(3)  Siib  hujiis  episcopatu  frater  ejus  Ermes  librum  scripsit,  in  quo  mandatur 
contineturque  quod  ei  praecepit  angélus,  quum  venit  ad  illum  in  habitu  pastoris. 

(4)  Hisi.  eccles..  1.  m,  c.  xxxviii,  4  :  AeuTspa  xtç  elvat  ^ÉysTat  toO  KXr|(X£vxo<;  £7ttaT0>r,- 
ou  [J.Y)v  £8'  ÔJJ.OCWÇ  T^  TtpoTÉpa  xo(\  xaiixTiv  YvwptjjLOv  ÈTUdTotjjieOa,  oxc  [x-^ôe  Toùç  àp^atou; 
«ÙtÎ)  x£/;pr|(Aévo"j;  t'(T(ji£v. 


—  102  — 

Itoreiir,  on  face  duquel  il  devait  exercer  la  souveraineté  spirituelle? 
A  l'époque  d'Antoiiiii  le  Pieux,  les  gnostiques  levaient  hardiment  la 
tète  dans  la  capitale  de  l'empire.  C'est  à  Rome,  en  effet,  que  l'hérésie 
vint  elle-même  faire  condamner  ses  doctrines,  et  que  Valentin  origi- 
naire d'Egypte,  et  Cerdon  de  Syrie,  après  avoir  été  quelque  temi)s  to- 
lérés dans  l'Eglise,  durent  s'écarter  de  la  communion  des  fidèles  (1), 
C'est  à  Rome,  que  saint  .lustin,  tout  en  présentant  dès  le  début  du  nou- 
veau règne  sa  première  apologie  en  faveur  de  ses  coreligionnaires  (2), 
avait  ouvert  contre  les  sectes  dissidentes  la  première  école  théologi- 
que, qui  créa  à  côté  des  évêques,  juges  de  la  foi,  l'enseignement  des 
docteurs  :  double  catégoiie  toujours  soigneusement  distinguée  j)ar 
Hermas.  C'est  à  Rome  qu'il égésij)pe  arriva  de  la  Palestine,  vérifiant 
l'orthodoxie  des  différentes  Églises  d'après  la  succession  des  i)as- 
teurs  :  à  Corinthe,  il  rencontra  Primus;  à  Rome,  Anicet  (3).  C'est 
encore  à  Rome  et  sous  le  même  saint  Anicet  que  saint  Polycarpe(4), 
évêque  de  Smyrne  plus  qu'octogénaire,  vint  provoquer  la  solution 
d'une  question  non  ])lus  seulement  de  dogme,  mais  de  discipline,  qui 
ne  fut  tranchée  définitivement  qu'un  peu  plus  tard  par  le  pape  saint 
Victor  (5).  Son  voyage  est  de  l'année  154,  et  correspond  apparem- 


(1)  Saint  IrÉnÉe,  Adv.  hœr.,  1.  ni,  C.  IV,  3    :    0"ja)-£VTtvoç   iikv    yàp    r^^vi    eîç    Ta)|xr,v 

fK\    'Yytvoy.    KépSiov    oï....    xa\    aùxoç   ItCi.    'Yytvoy sic    Trjv    £xx).Y5(7(av    ÈXÔwv    xa\ 

£|o[ioXoyoû[i£voç,  ouTcoç  c,\z-zi\zat,  Ttoxà  jasv  Xa6poStôa(7xa),â)v,  Ttorè  ôÎTtâXcv  £|o[i.oâoyo"j[j.£voî 
•KQ-ù,  G£  £>.£Y'XC)[j.£voç  zo    of?  £Ô£ôa'7X£  xaxiô;  ,xa\  àcptffxajxevo;  tÎ);  tûv  ào£).cpû)v  avvootx;. 

(2)  Il  y  propose,  c.  xxvii,  p.  84  de  Téd.  Otto,  à  leinpereur  un  Syllabus  de  toutes 
les  hérésies  contempor.ines  qu'il  avait  r.  dijjé  :  '^■j'nï-)-\i.yL  xaTi  tz^iw  tûjv  y£y£vr|ijL£v(i)v 
xtp£<7£wv.  Sous  le  même  titre  parut  au  troisième  siècle  le  livre  des  Pkilosophumena, 
quiémaue  de  l'école  de  saint  Ju>tin  et  qui,  d'après  l'iiahitudc  c^immune  des  anciens, 
a  dû  puiser  largement  danN  ce  premier  traité,  comme  il  puise  dans  saint  Irénée. 

(3)  Hist.  celles.,  1.  IV,  c.  XXII,  2  :  Ka"i  £7t£[X£vïv  r\  £xx"/,r,(7ia  r,  KopivOcwv  £v  t(o  op6(o  Xoyw 
|i,£-/pt  IIpc[AOu  £7ti(7xoii£ijovTOç  £v  Kopîv6w,  oî;  ff'jvéïAiEa  Ji/iwv  t\z  'P(i|jLr(V...  r£vô[i£voç  ôè 
£v   'Pw|jLr,  6ia6o/r,v  £7roir,a'â[j.r,v  [J-É/piç  'Avixr,xoy. 

(4)  Sai.NT  IkÉ.NKE,  Adv.  har.,  1.  III,  c.  m,  4  :  "O;  xat  £tî\  'Avt/r|TO'j  £Tttor,|j.r,(73(;  Tr, 
'P(<j|j.r,  Cf.  Hisi.  ccchs.,  I.  V,  c.  XXIV,  14.  C'est  lui  qui,  en  116,  recevait  l'évéque 
d'Antioche  conduit  au  martyre. 

(5  j  Voir  t<ci-ue  dis  qucstiotis  kisluriqucs,  f  juillet  1880:  lu  l'àqtic  au  concilr  de   .Vicée,  où 

M.  l'.ihl  é  Ducliesne  montre  qu'il  ne  s'agissait  plus  à  cette  époque  de  l'opposition  de 
ro!)servani'e  dominicale  à  celle  du  14  nisaii,  mais  de  la  supputation  de  la  l'àque  par 
rapport  à  1  équinoxe,  difliculté  propre  ù  la  Syrie  et  non  à  l'Asie  Mineure.  Du  reste, 
déjà,  vers  230,  les  Philosophumena,  I.  VIII,  C.  v,  rangent  les  quartodécimans  parmi  les 
hérétiques. 


-  103   - 

ment  à  l'entrée  en  charge  de  son  collègue  dans  Te'piscopat;  à  son 
retour,  il  fit  peut-être  la  traverse'e  avec  le  proconsul  d'Asie  qui  de- 
vait le  condamner  à  mort  l'anne'e  suivante.  Ici  nous  adoptons  les 
conclusions  de  M.  Waddington  sur  la  date  du  gouvernement  de 
T.  Statius  Quadratus(l),  maigre'  le  travail  re'cent  de  Wieseler  pour 
de'fendre  l'ancienne  chronologie  (2),  et  nous  allons  analyser  sommai- 
rement au  point  de  vue  qui  nous  occupe,  la  lettre  célèbre  «  de  l'Eglise 
de  Smyrne  à  l'Eglise  de  Philomelium  et  à  toutes  les  portions  de 
l'Église  catholique  résidant  en  divers  lieux  ^î,  texte  bien  fait  pour 
désarmer  la  critique  et  ne  laisser  place  qu'à  l'admiration. 

La  présence  de  l'empereur  en  Orient  (3)  expliquerait  au  besoin  la 
renaissance  de  la  persécution;  elle  ranimait  le  zèle  religieux  de  ces 
populations  dont  l'hostilité  croissait  avec  le  nombre  des  chrétiens. 
Combien  de  fois  l'effervescence  païenne  ne  viola-t-elle  pas  les  con- 
ditions mêmes  posées  dans  les  rescrits  de  Trajan  et  d'Hadrien!  Arres- 
tations par  la  foule,  exécutions  tumultuaires  devenaient  chose  com- 
mune en  pays  grec,  et  le  chef  de  l'État  se  contentait  de  recommander 
aux  cités  de  se  conformer  autant  que  }>ossible  aux  précédents  (4).  Mais 
les  magistrats  se  voyaient  la  main  forcée  et  allaient  plus  loin  qu'ils  ne 
voulaient;  nous  en  trouvons  un  exemple  chez  le  rhéteur  Quadratiis. 
11  avait  condamné  à  différents  supplices  plusieurs  chrétiens  de  la  ville 
de  Philadelphie  :  Germanicus  eu  particulier,  livré  aux  bêtes,  avait 
excité  la  fureur  des  spectateurs  par  son  courage.  Toutefois  un  Phry- 
gien nommé  Quintus,  qui  venait  d'arriver  de  ses  montagnes  et  avait 
persuadé  à  un  ou  deux  autres  de  se  joindre  volontairement  aux  mar- 
tyrs, céda  aux  in^ances  du  proconsul  qui  cherchait  à  le  faire  aposta- 
sier  (5).  Il  devait  êtie  le  douzième  à  verser  son  sang,  une  victime 


(1)  Fastes ,  §  144,  et  le  mémoire  cité  à  notre  page  75,  note  1. 

(2)  Die  Christenverfolgungen,  p.  34-101. 

(3)  Aristid.  orat.,  éd.  Dind.,  t.  I,  p.  453  :  'E-!^zrJj[Lzz:'i  ok  co;  rbv  Èv  zr,  'E.-jç,'.y.  tots 
a-jTOxpâxopa,  et  p.  424  :  'AvtwvÎvo;  ô  ot'jxoy-pâTwp  à  -izpza&j-zzço:. 

f4)  Taîç  ■!îô).£(7t  Tispl  ToO  [ArjoÈv  vîWTîpt^îiv  U£p\  TijjLwv  sypxl/îv.  V.  la  référence 
à  la  page  75,  note  2. 

(5)  Mari.  Polyc,  c.  IT  :  0-jto;  0£  r,y  à  TrapaotaTCtjiîvo;  IxjtÔv  X£  xxî  Tiva;  T;po(7£>,0£lv 
Ixôv-a;  •  toOtov  o  àv6-jT;aTo;  TTo/Xà  £x),t7îapr|<7aç  etteicev  o(i.6ffai  xa\  ETtiOOcrat.  Ed.  Funk, 
p.  286. 


—    104   — 

manquait  à  la  foule.  Elle  réclama,  aux  cris  de  :  »  A  mort  les  athe'es! 
qu'on  cherche  Polycarpe  (1)!  «  Le  ve'uérable  evêque  avait  consenti  à 
sëloifjner  un  peu  de  la  ville,  des  agents  furent  lance's  à  sa  pour- 
suite; le  vendredi  soir,  sa  retraite  ayant  e'te'  découverte,  il  demanda 
aux.  policiers  une  heure  afin  de  teiminer  ses  prières  :  après  quoi  on  le 
fit  monter  sur  un  àne,  et  pendant  la  route,  l'officier  de  paix  Hërode 
qui  s' e'tait  charge'  de  l'amener,  et  son  ])ère  iNicétas  (2),  arrivant  avec 
une  voiture,  le  conduisirent  jusqu'à  ramphithéâtie,  où  il  fit  son  entrée 
le  samedi. 

Jeté'  violemment  à  bas  du  ve'hicule,  Polycarpe  fut  conduit  devant 
le  proconsul  au  milieu  d'un  inuneuse  tumulte.  Quadratus  lui  demanda 
de  maudire  le  Christ.  Le  saint  vieillard  refusa  de  l>las|)hémer  Celui 
qu'il  servait,  dit-il,  depuis  ([iiatre-vingt-six  ans  et  qui  ne  lui  avait 
jamais  fait  de  mal  (3).  Pline  le  Jeune,  lui  aussi,  avait  soumis  à  pa- 
reille exigence  les  pre'venus  de  christianisme,  sachant  bien  que  leur  atta- 
chement au  nom  du  Christ  constituait  tout  leur  crime.  «Je  suis  chré- 
tien», répéta  le  martyr.  Le  proconsul  jugea  la  douceur  impuissante 
comme  les  menaces  et  fit  publier  par  son  héraut  la  sentence  :  Polycarpe 
s'est  avoué  chrétien.  —  Dans  l'amphithéâtre  même,  il  était  inutile 
d'ajouter  quelle  était  la  peine  (4).  La  foule  <lemanda  un  lion.  Cependant 
le  fonctionnaire  qui  donnait  les  jeux,  Philippe  de  Tralles,  déclara  que  le 
tour  des  bêtes  féroces  était  passé.  11  n'y  eut  alors  qu'une  voix  :  a  Que 
Polycarpe  soit  brûlé  vif.  »  Les  Juifs  qui  se  signalaient  par  leur  achar- 
nement, et  qui  étaient  en  grand  nombre  à  cause  du  repos  du  samedi, 

(1)  Aîpe  Toùç  àOcO'jç  •  Çr,T£ÎiTOw  IIoA'jxapTioç.  (P.  28G.) 

(2)  Ka'i  \)■K■'r^■•n■x.  a'jxw  ô  eîp/ivapyoc  'HpwSriÇ  xa\  ô  TraTTip  xjtoO  Nr/./|Tr,ç.  (C.  viii, 
p.  290.)  M.  AuBÉ  en  fait  son  fils,  Hist.  dis  perscc. ,  p.  323  ;  il  pense  aussi  que  les  douze 
cliréliens  s'étaient  livrés  en.semble  :  or,  d'après  les  .^cies,  c.  ii,  p.  284  :  Ma/âpia  [i.h 
o-jv  y.o(\  YEvvaîa  xà  jjiapxjpia  Ttdtvta  -ci  -/.axi  xo  OlÀTjiAa  xoO  OîoO  yîyovôxa,  quelques-uns 
seuls  sont  exceptés;  enfin  ils  ne  périssent  que  onze,  puisque  Ouintus  avait  apostasie, 
et  l'olycarpe  fut  le  douzième  selon  la  meilleure  leçon,  c.  mx,  p.  302  :  XJv  xoî;  àirô 
«l'O.'XOEA'^tocç  otoofxaxo:  Èv  — |j.-jpvïi  iJ-apx'jpriTaç. 

(3j  'OyôoriXovxa  xa\  £?  £xr)  oo-jXs'jw  auxto  xa\  O'joIv  [jlï  r,otxr|iTEV  •  xa\  tiô)?  ôûvaaai 
pî-aTcpriiAriTat  xôv  {ioLCiùI'x  p-o-j  xbv  (TtÔT'xvxâ  p.£.  (C.  IX,  p.  292  )  Pli\e,  Ep.  xcvir  :  Ouum 
pra-vente  me  deo^  appcllarcnl.  et  imajifini  tua-,  qiiam  prv)pter  liocjn<seram  ciim  si- 
niulacris  niiminum  afferi,  Ihurc  ac  vino  supplicarent,  pra'ierea  maledicereni  Clirislo 
(quorum  nihilco;;i  posse  dieu  ntur  qui  siint  rêvera  chrislianii.diinitl  endos  esse  pu  ta  vi. 

(4)  rio/.jxacTto;  ojaoXôyrjTEv  Ixjxôv  -/piTXiavov  eîvai.  (C.  xil,  p.  291.) 


—   105   — 

ne  crurent  pas  violer  le  sabbat  en  apportant  des  ateliers  et  des  bains 
voisins  du  bois  de  toute  sorte  pour  le  bùoher,  et  quand  le  martyr 
achevé  d'un  coup  d'épe'e  eut  rendu  le  dernier  soupir,  ce  furent  encore 
eux  qui  suggérèrent  à  Nice'tas  d'aller  trouvei'  le  proconsul  pour  lui 
faire  refuser  la  faveur  gëue'ralement  accorde'e  d'enlever  le  corps.  On 
le  laissa  consumer  par  les  flammes,  et  les  chre'tiens  ne  recueillirent 
que  des  os  calcine's.  Ceci  se  passait  le  23  février  155,  vers  deux  heures 
de  l'après-midi  (1).  Les  habitants  de  Smyrne  s'étaient  écriés  au  mo- 
ment de  la  condamnation  :  "  C'est  le  docteur  de  toute  la  province, 
le  père  des  chrétiens,  l'ennemi  de  nos  dieux,  qui  enseigne  à  tant  de 
monde  à  ne  pas  leur  sacrifier  et  à  ne  pas  les  adorer  (2).  n  Grâce 
à  cette  grande  notoriété,  qui  s'étendait,  on  le  voit,  jusque  parmi  les 
païens,  nous  possédons  des  détails  sur  la  fin  de  saint  Polycarpe;  mais 
l'auteur  de  la  lettre  ne  daigne  pas  nous  donner  les  noms  de  ses  com- 
pagnons dans  la  confession  de  la  foi.  On  peut  estimer  par  là  combien 
peu  il  serait  légitime  d'inférer  du  silence  des  textes  ou  des  monuments 
l'absence  de  martyrs  au  milieu  du  second  siècle.  Leur  histoire  était 
chose  banale,  tant  que  la  législation  de  Trajan  demeura  en  vigueur. 
Il  l^llait  qu'une  circonstance  nous  fournît  l'occasion  d'en  être  instruits. 
Tel  est  le  cas  de  ces  chrétiens  mis  à  mort  cinq  ans  plus  tard,  en  160, 
par  le  préfet  de  la  ville,  à  Rome,  sous  les  yeux  du  gouvernement  cen- 
tral. Saint  Justin,  étant  présent  dans  la  cajiitale,  prend  la  plume  pour 
dénoncer  au  Sénat  des  faits  qui  datent  d'hier  et  d' avant-hier  (3).  Une 
femme,  séparée  de  corps  d'avec  son  mari,  est  accusée  par  lui  d'être 
chrétienne;  elle  lui  rappelle  qu'il  reste  à  liquider  la  séparation  de 
biens,  et  elle  obtient  à  cet  effet  un  suisis  de  l'empereur.  Le  maii  se 
venge  sur  celui  qui  a  converti  sa  femme;  il  recommande  à  un  centu- 


(1)  MapTupeî  oà  ô  ij.a-/.dcptoç  no),'jxap'!toi:  (irjvbç  2av6t-/.o0  ôs'jTépa  iTtaiAÉvou,  Trp'o  luTà 
■xaXavoiôv  MapTt'wv,  iTaêêâxw  (xeyâXto,  wpa  oyoÔT].  (C.  xxi,  p.  304.) 

(2)  O'jtô;  £(7Tiv  TTiÇ  'Acrtaç  ô  0'.oâ(Txa).oç,  6  TtaxYip  tùv  •/pKTXtaviov,  ô  tôjv  r||j.îxlp(jùv  6swv 
xaÔatpÉTr,;,  à  TtoXXoyç  O'.oâaxojv  [xr,  Oûeiv  [i.r,oï  upoaxuvetv.  (C.  xii,  p;  296.) 

(3)  JI  ApoL,  c.  I,  éd.  Otlo,  p.  194  :  Kx\  xà  •/6à;  oè  -/«'t  Tzpû>T,v  èv  xr,  uô).£t  Oficov  ysvôjxsva 
eii\  O'jpoixoy,  w  'PtojjLxloc,  xat  rà  itavra^/oO  ôjjloÎcoç  ûiro  tûv  riyo-jjjLÉvwv  aXôytoç  TtpxTTÔfxeva. 
Cette  requête,  du  commencement  de  161,  ne  fut  pas  adressée  directement  à  Tem- 
pereur  Antonin,  lequel  devait  être  à  la  campayne,  où  il  mourut  le  7  mars  :  Spi- 
ritum  reddidit  apud  Lorium.  (Capit.  lit.  Ant.,  c.  xii.) 


—    106  — 

rion  de  ses  amis  le  coupable,  nomme'  Ptole'me'e,  qui  après  une  longue 
de'tention  est  traduit  devant  le  préfet,  et  sur  le  simi)le  aveu  de  sa 
qualité'  de  chre'tien,  envoyé'  au  supplice;  un  certain  Lucius  se  re'crie 
à  la  vue  de  cette  proce'dure  sommaire;  le  préfet  lui  demande  s'il  est 
chrétien,  et  le  fait  emmènera  son  tour,  un  autre  passant  de  même  (1). 
Il  n'y  a  donc  aucun  doute,  les  chrétiens  sont  hors  la  loi,  car  dans  ces 
circonstances  il  n'est  invoqué  contre  eux  aucune  disposition  légale  (2), 
et  si  l'on  vient  nous  dire  qu'on  leur  appliquait  la  loi  des  Douze 
Tables,  nous  voudrions  savoir  en  vertu  de  quel  pi'ivilége  ils  étaient 
appelés,  seuls  entre  tous,  à  bénéficier  d'un  texte  qui  du  temps  de 
Cicéron  passait  déjà  pour  suranné  (3).  JNIarc-Aurèle  a-t-il  modifié 
en  quoi  que  ce  soit  cet  état  de  choses?  Saint  Justin  pourra  répondre, 
lui  qui  prévoyait  ce  que  sa  protestation  devait  lui  coûter  (4).  11  l'avait 
terminée  i)ar  un  appel,  empreint  de  découragement,  à  la  pieté  et  à  la 
philosophie  du  gouvernement  (5).  Mais  c'est  précisément  accusé  par 
un  philosophe  qu'il  allait  périr,  condamné  par  un  philosophe ,  sous  un 
empereur  philosophe. 

M.  Aube  a  discuté  et  établi  dans  sa  thèse  sur  saint  Justin,  d'ai)rès 
les  travaux  de  Borghesi  et  de  M.^'  Cavedoni,  la  chronologie  des 
préfets  de  Rome  de  cette  époque  (G).  Q.  Lollius  Urbicus  resta  en 
charge  de  155  environ  jusqu'en  160;  il  était  mort  lorsque  parut  la 


(1)  //  Apol.,  c.  II,  p.  200  :  Te),£'jxxîov  6k,  ote  lui  Oû'potxov  v/6r,  6  àvOpioTtoç,  ojiottoç 
«•JTO  toOto  (Jiôvov  £?r,Tâ<TOri,  £!  eî'r)  y^çn<S'z\.'xvô(i. . .  xa'i  xoO  OOpoixoy  xe/.eyffxvxoç  aOxbv 
aita}(6r|Vat  Ao'jy.'.ôç  xtç,  xa'i  a'jxô;  wv  ■/pio'xiavciç,  ôptov  xr,v  à/.ôywç  o-jxto  y£vo[j.îvr,v  xptffiv, 
itpbç  xbv  Oupêixov  è'çr)  •  Tîç  yj  aîxta;  ...TtdÎAiv  xa\  ocjxôv  aTiayOrivai  ÈxiÀE'jaEv...  xat  à>,Xo; 
Ô£  xpixoç  È7t£).6wv  xo/a<T6r|Vat  upo<TEXt|j.r|Or,. 

(2)  Blxheler,  dans  le  2"=  fasc  du  liheinischfs  Muséum  pour  1880,  n'a  pas  fait  atten- 
tion qu'il  affaiblit  sans  droit  la  thèse  de  saint  Justin,  qui  est  la  nôtre,  en  propo- 
sant de  supprimer  aùxô  xoOxo  (lôvov  devant  le  premier  t\  /pKTxiavôç  kaxK.  Par  contre, 
il  a  raison  de  signaler  comme  des  répétitions  dans  le  texte  ov  U-jpgixo;  ÈxoAacraxo 
et  Et;  6£(7[xà  £|j.ga).ôvxa  xôv  nxo).E|xxtov  quelques  ligne»  plus  haut 

(3)  Cic,  De  kg.,  \.  H,  C.  xxiii  :  Discebaiiius  enim  pucri  XII,  ut  carmen  necessarium, 
quas  jam  nemo  discit. 

(4)  II  Apol.,  cm,  p. 202  :  Ivàyw  o-jv  Tîpoffooxô)  ûtio  xtvo;  -,m'i  wvo(Aai7[xÉvtov  £7r'.6ou).£'jf)r|Vai 
xa\  %\i)m  £[A7rayr|Vat. 

(5j  II Apol.,  c.  XV,  p.  242  :  Ka\  7txj(jô|j.£0a  Xontciv,  odov  Èqp"  r||i.îv  f,v  TtpaÇavxE?,  xa\ 
7tpo(7EiiE-j|d([ji£voi  xî^ç  a).r,6£co(;  xaxaÇtwOr.vat  xo-jç  Ttivxr)  Ttâvxaç  àvOpwiro'j;.  Ei'r)  0"jv  xa'i 
•j|j.âi;  a|t(i);  vjGZoziya;  xat  çiAOTOcptotç  xà  ocxaia  vTièp  Éauxôjv  xpîvat. 

(6^  Saitit  Justin  philosophe  et  martyr,  p.  68  et  S.  Cf.  Bohghesi,  (Xurres,  t.  VIII,  p.  ^45. 


—  107  — 

dernière  Apologie  (1).  Il  fut  remplace'  par  P.  Salvius  Julianiis  (2),  le 
célèbre  jurisconsulte,  rédacteur  de  \ Édit  jjerpétuel,  auquel  succéda,  le 
1"  janvier  163,  Q.  Junius  Rusticus,  pour  la  deuxième  fois  consul 
Fannce  précédente,  et  jadis  précepteur  deMarc-Aurèle.  Il  paraît  assez 
naturel  que  Rusticus  ait  tenu  son  ancien  élève  au  courant  des  affaires, 
d'autant  plus  que  celui-ci  ne  quitta  pas  Rome  tant  que  L.  Verus,  son 
frère  adoptif  et  depuis  le  7  mars  161  son  associé  à  l'empire,  fut  retenu 
en  Orient  par  la  guerre  contre  les  Parthes  (3).  Ce  ne  fut  donc  pas  à 
son  insu  que  saint  Justin,  dont  l'école,  selon  le  témoignage  de  Tatien, 
avait  été  dénoncée  par  un  rival,  Crescent  le  cynique  (4),  que  saint 
Justin,  disons-nous,  comparut  devant  le  préfet  de  la  ville  avec  six 
chrétiens  arrêtés  chez  lui. 

i\ous  avons  leurs  noms  :  Chariton,  Charité,  sans  doute  sœur  du 
précédent;  le  Cappadocien  Evelpistus,  esclave  de  César  ;  Hiérax,  origi- 
naire d'Iconium  et  probablement  aussi  esclave;  Péon  et  Liberianus. 
Dans  leur  interrogatoire  authentique  que  nous  possédons  (5),  Rusticus 
fait  allusion  à  la  réputation  d'éloquence  de  saint  Justin,  preuve  qu'il 
avait  entendu  parler  de  ses  Apologies  (6)  ;  il  s'enquiert  avec  insistance 
de  leur  lieu  de  réunion  et  parait  peu  satisfait  de  la  réponse  de  saint 
Justin,  qui  déclara  qu'on  se  réunissait  où  l'on  pouvait;  que,  quant  à 


(1)  Capit.  lit.  Ant.,  c.  viii  :  Successorera  vivent!  bono  judici  nuUi  dédit  nisi  Or- 
fito  prœfecto  Urbi,  sed  peieiiti. 

(2)  Pour  le  martyre  de  sainte  Félicité  qui  se  place  à  cette  date,  voir  le  mémoire 
annexé  à  ce  travail. 

(3)  Capit.  l  it.  Ant.  lyhil.,  c.  viii  :  Ad  Parthicum  vero  bellum  senatu  consentiente 
Verus  fraler  est  niissus  :  ipse  Romam  remansit,  quod  res  urh.iaa;  imperatoris  pra^- 
sentiam  postiilarent.  —  Ihid.,  c.  m  :  Junium  Rusticum...  cum  que  omnia  commu- 
nicavit  puLlira  privataque  consilia. 

(4)  Or.  adv.  Grœc,  c.  xix  :  Kpt(Txr,;  yoOv.  OavdcTOU  ô  xaxaçpovetv  (7ij(Aêo'j)>£uajv,  o'jxcoç 
aÙTOç  EÔcôiEi  TÔv  OâvaTov,  wç  xa\  'Iou(ttîvov  xaOâTiep  iityocXu  y.axô)  xtî)  OavâTto  TieptoxXsîv 
irpayjj.axe'ja'atJÔat. 

(5J  II  est  resretta!)le  que  la  traduciion  que  M.  Aube  eu  a  donnée,  Hist.  desjnrsi'c, 
p.  346,  n'ait  pas  été  faite  sur  lorij^inal  grec.  La  terminaison  Charit/^a  e^t  une  inven- 
tion du  cardinal  Sirlet,  le  premier  traducteur  latin,  pour  répondre  au  féminin 
XapiTtô.  Les  formes  différentes  prœses  et  prœ/ecius  n'existent  pas  dans  le  texte  qui 
reproduit  invariablement  le  tit  e  correct  suxp/o;.  V.  la  3«  éd.  d'Otto,  p.  266  et  s., 
Corp.  Apol.,  vol.  ni,  in  fine. 

(6)  C.  V,  p.  276  :  "Axous,  ô  ).£yô[jL£voç  Xôyto;,  xai  vo|j.t^wv  àX/)6ivo"jç  ecofvai  ),ôyou;  •  èàv 
(jiaffxcywQe'n;  àuox£ça)-ta6?iç  ..  ce  qui  n'est  pas  la  même  chose  que  :  si  a  capite  per  fotum 
corpus  flagellis  caesus  fueris.  Rli.xart,  Acia  mariyrum,  p.  107  de  l'éd.  de  Ratisbonne. 


—  108  — 

lui,  ses  auditeurs  Tallaient  trouver  dans  son  domicile  privé  aux 
thermes  de  Timothëe  sur  le  Viminal,  et  encore  qu'il  venait  seulement 
d'arriver  pour  la  seconde  fois  à  Rome  (1). 

Etait-ce  curiosité'  de  la  part  du  préfet,  ou  cherchait-il  à  se  rensei- 
gner afin  de  procéder  à  de  nouvelles  arrestations  ?  En  tout  cas,  il  ne 
fait  aucun  crime  à  raccusë  de  ces  réunions,  il  se  repent  presque  de  lui 
avoir  posé  la  question  et  s'écrie  :  «  Du  reste,  es-tu,  oui  ou  non,  chré- 
tien?—  Oui,  je  suis  chrétien  « ,  répond  aussitôt  saint  Justin  (2).  C'était 
là  son  crime.  Rusticus  avait  commencé  par  lui  dire  :  «Obéis  aux  dieux 
et  soumets-toi  aux  empereurs  (3).  "  Il  lui  adresse  en  dernier  lieu  une 
sommation  générale  ainsi  qu'à  ses  comjiagnons  :  ^  Approchez  tous  en- 
semble, dit-il,  et  sacrifiez  aux  dieux.  «  Sur  leur  refus  unanime,  il 
prononce  la  sentence  suivante  :  «  Que  ceux  qui  n'ont  pas  voulu  sacri- 
fier aux  dieux  et  obtempérer  à  l'édit  de  l'empereur  soient  fouettés  et 
emmenés  pour  subir  la  peine  capitale,  conformément  aux  lois  (4).  » 

L'édit  mentionné  est  incontestablement  le  resciit  de  Trajan  (cette 
fois  empereur  est  au  singulier)  :  ce  sont  ses  dispositions  qui  ont  été 
rigoureusement  observées  (5)  ;  pour  ce  qui  est  des  lois  qui  arrivent  à 


(1)  C.  III,  p.  270  :  'Eyw  luavio  |xlvw  (xivbç  Mapxtvoy  paraît  une  fïlose)  toO  TtjxoOtvou 
Pa/.avîîo'j...  STTcorijjLriTa   oÈ  xf,  'Pwjxotfwv  itô),£i  toOxo  oîÛTîpov. 

(2)  Ibid.,  p.  272  :  OOy.oOv  ).o[7rov  -/piaTtavo;  û  ;  'Io-jttÎvo;  zlr^vi  •  va\.  -/piTTiavôç  £Î[xi.  — 
La  compétence  du  préfet  de  Rome,  en  matière  d'associations  non  reconnues,  fut 
proclamée  à  nouveau  par  Septime  Sr\ère,  D.,  liv.  I,  tit.  XH,  fr.  i,  §  H  :  Divus 
Severus  rescripsit  eos  etiam,  qui  iilicitum  collegium  coisse  diciinlur,  apud  pr.Tfec- 
tum  Urbi  accusandos.  Celte  mesure  coïncidait  avec  une  extension  de  la  liberté  d'as- 
sociation. 

(3)  C.  II,  p.  268  :  HpiÔTOv  t.z'kjHt^ii.  toÎç  OcOî?,  y.a'i  yTiâxo-jdov  xoî;  paaiAsOTiv.  Les  deux 
empereurs  sont  Marc-Aurèle  et  Lucius  Verus,  et  il  n'est  pas  question  ici  de  d'édits. 
Le  latin  est  donc  doublement  inexact  :  esto  obediens  imperatoris  edictis.  Rlinart, 
p.  105. 

(4)  C.  V,  p.  278  :  Ot  ]pr\  PouXrjOÉvTî;  OOaai  xoîç  Osoî;,  y.a\  ellai  t'o  toO  aùfOxpocTopo; 
TtpocTiyiiaTt  (A0((7Ttyo)6ÉvTî;  à7ra/;0r|TW<7xv,  y.cçaXtxriV  aitoy.TtvvjvT£;  i5cy.Y;v  xxxà  ty|V  twv 
vô(A(.)v  àxo).o'jOtav. 

(5)  Pli\.  I.  X,  ep.  xcviii.  Si  deferantur  et  ar^juantur,  puniendi  sunt;  ita  tamen 
ut  qui  negaverit  se  christianum  esse,  idque  re  ipsa  uianifestum  fccerit,  id  est  sup- 
plicando  diis  nostris,  qunmvis  in  pr?Pteritum  suspectus  fuerit,  vciiiam  ex  pœni- 
tentia   impetret.  —  MiciirLr.T  est  loin  de  saisir  l.i  portée  du  rcscrit,  lorsqu'il  le 

résume    ainsi    (Fragments    inédits,   Priiii'  historique,   juill  -Sept.    1876i  :     «  KxéculCZ    leS 

lois  de  l'Empire  :  ne  cherchez  pas  les  chrétiens;  seulement  si  vous  les  trouvez,  ju- 
gez-les selon  les  lois.  »  Kt  il  ajoute  :  ■  Ce  mot  est  bien  dans  le  caractère  des  Ro- 
mains, n  y  avait  en  effet  des  lois  contre  des  associations  secrètes,  et  c'est  comme 


—  109  — 

la  fin,  on  ne  leur  a  emprunte'  que  la  pe'nalite',  qui  en  effet  ne  se  trou- 
vait pas  de'termine'e  dans  l'instruction  impériale.  Le  choix  en  était 
laissé  à  l'arbitraire  du  }uge,  exclusivement  toutefois  parmi  les  peines 
capitales,  et  le  magistrat  stoïcien  ne  se  montre  pas  plus  cruel  que  ses 
contemporains  (1).  C'est  à  Marc-Aurèle  qu'il  appartenait  de  réformer 
la  législation  sur  ce  point,  comme  il  le  fit  sur  un  assez  grand  nombre 
d'autres;  mais  il  ne  voulut  pas  connaître  les  chrétiens  (2).  Sa  fai- 
blesse, en  même  temps  qu'un  secret  orgueil  qui  n'était  pas  incompa- 
tible avec  les  opinions  de  l'école,  l'empêchèrent  de  dominer  les  pré- 
jugés de  son  temps.  Après  toui,  on  ne  peut  pas  absolument  lui  repro- 
cher de  n'avoir  point  été  un  Constantin,  mais  on  ne  peut  non  plus  le 
rayer  de  la  liste  des  persécuteurs.  11  l'était  par  tradition,  sinon  par 
instinct;  aussi  bien  le  fut-on  autour  de  lui. 

jNIéliton  de  Sardes  nous  apprend  incidemment  (3)  que  L.  Sei'gius 
Paullus,  proconsul  d'Asie  vers  ICo,  à  l'exemple  sans  doute  d'Urbicus 
et  de  Rusticus  dont  il  devait  occuper  la  place  en  170,  fit  périr  l'évêque 

associations  secrètes  que,  dans  ri^norance  de  la  chose,  les  Romains  devaient  consi- 
dérer les  assemblées  chrétiennes.  "  S'il  eu  était  ainsi,  la  procédure  aurait  di"!  être 
différente. 

(1)  M.  Renan  traite  les  actes  de  saint  .Justin,  Journal  des  Sainints,  déc.  1876,  p.  731,  de 
«  composition  bien  postérieure  à  la  Uïort  du  saint  martyr,  et  où  l'on  prête  à  l'il- 
lustre .lunius  Rusticus  un  rôle  que  l'on  est  tout  à  fait  autorisé  à  regarder  comme 
calomnieux  ".  Nous  nous  demaniions  si  ce  ne  sont  pas  plutôt  les  actes  qui  se  trou- 
vent ici  calomniés.  Cette  fois,  nous  sommes  de  l'avis  de  M.  Albé  et  d'OvctiBECK,  Siu~ 
dien,  p.  118  :  «  .lustins  eigner  Process,  welcher  uns  in  Acten  iiberliefert  ist,  die  zu 
den  glauljwiirdigsten  Dorumenten  dieser  Gattung  gehôren.  • 

(2)  C'est  à  eux  qu'il  semble  faire  allusion  lorsqu'il  dit  que  se  guider  par  la  raison 
utilitaire  est  le  fait  :  Ka\  twv  Osoù;  [ir}  vofxt^ôvTwv,  xai  twv  xr|V  Ttaxpwa  ÈyxaTxXïiuôvxwv, 
xa\  Tcôv  Ttoto'jvTwv,  £7icicàv  xXet'atoai  Taç  ôypaç.  Comm.,  1.  UI,  c  xvi-  Ainsi  il  aurait 
ajouté  foi  aux  calomnies  populaires. 

(3)  Hist.  eccles.,  1.  IV,  C.  XXVI,  3,  début  de  son  livre  sur  la  Pâque  :  'LVt  SspoycXcou 
naûXou  àvOuudtTou  vf\c,  'Adtaç,  w  Sayaptç  xaipw  l]j.%çiv'jçf\(yzv.  Cf.  ibid.,  1.  V,  C.  xxiv,  5, 
la  lettre  de  l'évêque  de  Smyrne,  Polycrate  :  T£  oà  oel  )iy£iv  i^âyaptv  I'k'ktv.otzo-i  xa\ 
[xipxupx,  'oç  hi  Aaoôixeix  xsxoiiJioTat;  —  Le  même  proconsul,  ou  un  autre,  mit  à 
mort  l'évêque  cité  iiiimediatement  avant  par  Polycrate:  Ka\  OpaTsa;  ÈTrîcrxoTroç  xa\ 
[xapTUç  am)  Eijjj.£v£iaç,  oç  hi  Sfxûpvrj  x£xot|j.YiTO(t.  La  l'ita  Polycarpi  récemment  publiée 
par  M  l'abbé  Duchesne  (Paris,  1881),  p.  27,  nous  apprend  l'emplacement  de  son  tom- 
beau :  Ecç  !îl[j.Opvav  sic  xb  irpb  Trjç  'Ecpsataxriç  paTO.sia;  xoifAriTTipiov...  k'vOa  vOv  (j-upiiv^ 
àv£ê>,â(Txr|0-£v  [>.exy.  Tr(V  omôflzavi  toO  crw[i.c<TOç  Wpaaio'j  xoO  |j.c(px-jpo;.  Voici  l'annotation 
du  docte  éditeur,  p.  39  :  Tenipore  Polycratis  SmyrucC  sepulturam  h;il)e])at,  ubi 
étiam  passas  esse  videtur. Translationis  auteni  causa  facile  conjicitur;  saculo  quarto 
Eumenienses  fidèles  exuviis  pra-sulis  sanctissimi  carere  noluerunl  atque  eas  postli- 
minii  jure  repetierunt  a  Smyrnaeis. 


—   110  — 

de  Laodirëe,  Sag^ai-is  ;  peu  iiii[)orlent  les  circonstances  qui  sont  i{jno- 
rées,  il  ai»pliquait  le  rescrit  de  ïiajan. 

On  n'a  aucune  raison  de  croire  que  personne  se  soit  fait  une  arme 
contre  les  chre'tiens  des  précautions  e'dicte'es  par  >larc-Auréle  (1)  en 
vue  d'un  autre  danger  social,  à  savoir  les  progrès  toujours  croissants 
de  la  sorcellerie  dans  la  leligion,  voire  même  dans  la  philosophie 
païenne,  que  M.  Boissier  décrit  ainsi  à  la  fin  des  Anlonins  (2)  :  c.  Elle 
se  réduit  à  n'être  le  plus  souvent  qu'une  casuistique  pédante  ou  une 
déclamation  de  rhétorique.  En  même  tem|>s  elle  encourage  toutes 
les  superstitions,  elle  prend  la  défense  des  oracles  et  des  devins, 
elle  pratique  la  magie  ;  elle  tend  à  devenir  une  théurgie  complitiuée 
et  ridicule.  Elle  s'unit  si  étroitement  à  tous  les  cultes  i)opulaires  que 
ce  nom  de  [)hilosoi»he,  qu'au  dix-huitième  siècle  on  donnait  chez  nous 
aux  incrédules,  est  bien  près  de  ne  désigner  alors  qu'un  illuminé.  « 
Lucien  nous  a  conservé  les  aventures  d'un  proconsul  d'Asie,  P.  Mum- 
mius  Sisenna  Rutiliauus,  dupé  par  rini})osteur  Alexandre  d'Abouo- 
tique  (3),  qui  disait  d'ailleurs  n'avoir  d'autres  ennemis  que  les  épicu- 
riens et  les  chrétiens.  Si  les  mesures  prises  furent  impuissantes, 
en  serons-nous  étonnés,  lorsque  nous  voyons  l'empereur  en  personne 
recourii'  au  magicien  égyptien  Arnuphis  (4)  lors  de  sou  expédition 
contre  les  Quades  en  174?  Nous  voulons  parler  de  cette  pluie  qui 
sauva  l'armée  romaine  exténuée,  et  que  païens  et  chrétiens  ont  re- 
vendiquée comme  obtenue  i)ar  leurs  prières  (5). 

(1)  I)..  liv.  XLVin,  lit.  XXIX,  fr.  30  :  Si  qiiis  aliquid  fecerit,  quo  levés  hominiim 
animi  superstione  numinis  tcrrerentiir,  divus  Marciis  Inijusmodi  homines  in  insu- 
lain  relegari  rebcripsil.  Cf.  Pauli  senteni.,  liv.  V.  lit.  xxi,  §  2  :  Oui  novas  et  usu  vel 
ralinnc  incojjnitas  religiones  intlucuiit  ex  qiiibus  animi  hominnni  nioveantur  hones- 
tiores  deportanlur,  humiliores  oapite  puninntur.  —  M.  Dlrly,  l.  VI,  p.  185  :  -  Ce 
rescrit  ne  désignait  pas  nominalement  les  chrétiens,  mais  ils  étaient  à  coup  sûr 
compris  parmi  ceux  qu'il  devait  frapper.  ^ 

(2)  La  Religion  romaine,  t.  II,  p.  124. 

(3)  V.  son  histoire  racontée  tout  au  long  par  M.  Aube,  la  Polémique  païenne  à  la  fin  du 
deuxième  tiède,  p.  117-125. 

(4)  Dion  Cassius,  Ep.,  1.  LXXI,  c.  vin  :  l\a\  yiç>  xot  Xôyoç  ïyzi  "Apvoyçîv  T-.va  [iiyov 
AiY^ititov  ffuvôvxa  tÔ)  M(ipy.(f)  a/.Aoyç  xé  Tivaç  ôa(i|j.ovaç  y.a\  tov  'EpiirjV  xôv  «Épiov  oxt 
(Xû(/,i(Txa  (j.aYY«v£(aiç  xiitv  £7riy.a>.£i70«<T0at  "/a\  0('  aOxwv  xov  ojjLopov  ÈTriaTrâcraTOxi.  Xiphi- 
lin  prêche  pour  son  saint  lorstpi'il  cherche  à  nier  le  fait,  ibid.,  c.  ix  :  OOôi  yàp  n^ywv 
auvo-j'Ttot'.î  v.y.\  yor|Xîîat;  o  Mâpy.oç  70(ip£tv  t(jTÔpr,Tai. 

(5)  Capit.  lit  Ant.  phil.,  c.  XXIV  :  Fulmen  de  cœlo  prccibus  suis  contra  hosliuin 


-  111  — 

Le  fait,  devenu  l'objet  de  taut  d'explications  diverses,  est  cependant 
fort  simple;  une  chose  est  constante,  l'acte  religieux  des  combattants 
dans  une  situation  tle'sespe'rëe.  Tous  furent  appelés  par  Marc-Aurèle 
à  y  prendre  part  ;  déjà  à  Rome,  au  moment  du  premier  départ  contre 
les  JMarcomaus,  il  avait  agi  de  même,  ajoutant  les  rites  étrangers 
aux  rites  romains,  si  grande  était  la  peur  (1).  Que  parmi  les  soldats 
il  y  eût  des  chrétiens,  rien  d'extraordinaire,  surtout  dans  une  légion 
stationnée  en  un  pays  où,  cinquante  ans  auparavant,  Pline  en  avait 
trouvé  un  si  grand  nombre  (2j.  On  ne  peut  douter  que  la  legio  XII 
fulminaia  n'ait  été  appelée  à  fournir  son  appoint  à  la  défense  du  Da- 
nube (3)  ;  le  danger  pressait,  et  Pertinax  fut  mandé  de  Syrie  en 
cette  occasion.  Lorsque  le  détachement  (4)  regagna  ses  quartiers  de 
Mélitène,  chrétiens  et  païens  racontèrent  l'événement  chacun  à  leur 
façon;  Apollinaire,  évéque  d'Hiérapolis,  nous  a  transmis  la  version 
chrétienne,  apparemment  dans  son  Apologie,  où  Eusèbe  l'a  trou- 
vée (5).  Les  soldats  chrétiens  auraient  mis  genou  en  terre,  selon 
la  manière   de  prier   des  fidèles,  et  l'efficacité    de  leur  démarche 


machinamentum  extorsit  suis  pliivia  irapetrata,  quum  siti  laborarent.  —  La  scène 
est  représentée  sur  la  colonne  Antouine  à  Rome. 

(1)  CvpiT.  lit.  Ant.  phil..  c.  xni  :  Tautus  autem  terror  helli  Marcomannici  fuit  ut 
undique  sacerdotes  Antoninus  acciverit,  pere^i'inos  ritus  impleverit,  Romam  onini 
génère  lustraverit. 

(2)  Lucien  également  fait  parler  ainsi  Alexandre,  c.  xxv  :  Afywv  àOlo)v  1\>.tiz- 
•!Ù.y\ah-JLi  y.-A  ■/p'.o'T'.ctvwv  xôv  IIÔ'/tov. 

(3)  Capit.  Vil.  Pert.,  c.  u  :  Cassiano  motu  composite  e  Syria  ad  Danuvii  tutelam 
profectus  est. 

(4)  Les  chrétiens  pouvaient  y  être  en  majorité,  ou  du  moins  en  grand  nombre  ; 
naturellement  il  nest  pas  question  d'une  légion  entière,  comme  la  légion  thébaine. 
L'envoi  de  troupes  détachées  était  fréquent;  au  siège  de  Jérusaiem,  les  léjjions 
d'Egypte  détachèrent  2,000  hommes.  B.  Jud.,  1.  V,  c.  i,  6.  En  154,  l'empereur  se  trou- 
vant en  Orient  envoya  chercher  du  renfort.  Inscr.  Regn.  Ncap.,  n"  49.37:  -L.  Xeratius 
Proculus...  legatus  legionis  XVI  Flaviae  Fidelis,  item  missusab  imp.  Antonino  Aug. 
Pio  ad  deducendas  vexillationes  in  Syriam  ob  bellum  Parthicum.  -  Il  craignait  la 
guerre,  qui  n'échita  qu'à  l'avènement  de  Marc-.Vurèle.  Alors  nous  avons  un  exem- 
ple tout  à  fait  probant  :  Pub  .Iulius  Geminus  Marcianus,  qui  était  à  Vienne  en  161, 
conduit  en  Cappadoce  des  troupes  provenant  du  Danube  et  du  Rhin.  V.  les  Mélanges 
d'épigraphie,  de  M.  Remer  i  Paris,  1854),  p.  114  et  s. 

{b)  Hist  eccles.,  I.  V,  C.  V,  3  :  Toî;  oi  -(z  T|ixETÉpoiç,  â-ô  iAr,f)£'!a;  çD.O'.c.  Ôltùm  y.x't  àxa- 
•mrfiz\  xpôiTti)  TÔ  Tif  a/Okv  TïapaoÉooTat.  To'jtwv  o  Sv  zvt\  xa\  'ATioXcvoépioi;  k^.  exsivo-j  sr|(Ta; 
TTiV  0'.  vy/r\z  t'o  uxpioolov  irîirof/jx-jîav  XsyEwva  oîxcîav  xù  ysYovÔTt  itpoç  toO  PacriXéw; 
ei).r,ç£vxi  7ipo(7r,yopîav,    xîpa'Jvo6ô).ov    t?,   'Pwaxcwv   £Tîtx).r;QeI(Tav  owvî). 


—   112   — 

aurait  prête  à  une  transformation  du  nom  de  leui  le'{}ion  eu  celui  de 
fulminante.  Ici  ne  voit-on  pas  que  le  grec,  accentue  différemment, 
favorise  la  confusion  du  latin,  y.Bçtoiu^oëôloç,,  fulmina tnx —  xspauvdêo^oç, 
fulmina  la  /  Quelqu'un  sur  le  moment,  peut-être  l'empereur  lui-même, 
aura  fait  le  jeu  de  mot,  qu'ensuite  l'histoire  a  consacré. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  barbares  furent  repoussés,  et  les  chrétiens 
n'en  continuèrent  pas  moins  à  être  persécutés.  Il  est  donc  inutile  de 
faire  observei*  la  fausseté  du  document  qui  se  trouve  attaché  aux  ma- 
nuscrits des  Apologies  de  saint  Justin  (  1  ),  et  qui,  sous  forme  d'une 
lettre  de  Marc-Aurèle  au  sénat,  comme  le  rescrit  sujiposé  d'Ant(uiin, 
interdit  les  accusations  de  christianisme  et  prononce  la  peine  de  mort 
contre  les  accusateurs.  Cette  lettre,  qu'on  le  remarque,  n'est  pas 
mentionnée  par  Apollinaire.  Eusèbe  en  parle  seulement  par  ouï-diieet 
sur  l'autorité  de  Tertullien.  Eu  effet,  l'orateur  afi'icain  la  connaissait 
déjà  avant  la  fin  du  deuxième  siècle  (2)  ;  ce  qui  nous  semble  un  indice 
de  son  origine  exclusivement  occidentale.  Cette  opinion  se  confirme 
])ar  le  fait  qu'elle  omet  précisément  la  légion  de  Mélitène  parmi  les 
détachements  de  troupes  qu'elle  énumère  (3).  D'un  autie  côté,  les 
renseignements  qu'elle  donne  sur  la  présence  et  les  fonctions  de 
T.  Claudius  Pompeianus  (4),  gendre  de  l'empereur,  sur  le  séjour  de 
celui-ci  à  Carnuntum,  sur  la  charge  de  T.  Vitrasius  PoUion  qui 
était  bien  alors  i)réfet  du  |)rétoii-e  (5),  montrent  qu'ils  ont  été  puisés 
à  une  source  authentique.  Aussi  placerions-nous  volontiers  le  lieu  de 
la  falsification  à  Rome  (le  grec  trahit  la  même  provenance);  nous  ajou- 
terons :  sous  le  règne  de  Pertinax,  1"  janvier-28  mars  193  (6). 


1)  Corp.  Apol.,  éd.  Otto,  vol.  I,  p.  246. 

(2)  Apolofjet.,  c.  V  :  Si  litlera*  Marci  Aurelii  {îravissimi  impcraloris  requirantur, 
quiljus  iHani  (;eriiiaDicam  sitim,  christianorum  forle  iiiiiiluiii  precationibus  impe- 
trato  imbri,  disciissam  teslatur. 

(3)  Loc.  cit.,  p  248  •  Kai  çrTpaTc-jiiâTwv  Xeystôvo;  Ttptjxx;,  OExâTr,;,  ysfAivaç,  çp£VT/)Ttac 
(fretensis)  (ilyiJLa  xaTYiptOiAr,|j.évov. 

{i)lbid  :  noiJL7rr,iavoç  ô  r||j.ÉT£po;  ■rto)i|j.o(p-/0(;.  —  Cf.  Spart,  lit.  Ant.  Car.,  c.  m:  Quein 
et  consuleni  bis  fecerat  (Marcus)  et  omnibus  l)ellis  prapposuerat  qu;v  gravissima 
tune  fuerunt. 

(5j  Ibid.,  in  fine:  <tpovTt(7£t  ô  i:pxiç.îy.TOi;  BcTpâfTio;  lIo>,>,co}v  î'i;  Ta;  Ti£pt|£nap7i3(;  itEiJiçOr,- 
vai    Cf.  Waddingto.v,  Pattes,  §  142. 

(6)  V.   page  77,   note  1.  Oveubeck,  Studien,  p.  133,  tendrait  à  attribuer  le   rescril 


—   113  — 

Pertinax,  nous  le  savons,  était  accouru  sur  la  frontière  menace'e, 
il  assistait  à  la  bataille  :  un  te'moignage  non  moins  précis  qu'inat- 
tendu, la  chronique  d'Eusèbe,  à  Tannée  172,  le  mentionne  au  nombre 
des  généraux  de  Marc-Aurèle  (1),  et  des  spectateurs  de  l'événement 
miraculeux,  et  ce  témoignage  est  indépendant  de  la  lettre  où  il  ne 
figure  pas  à  côté  de  son  protecteur  et  collègue  Pompeianus  (2) . 
L'absence  de  son  nom  s'explique,  si  la  lettre  fut  mise  en  circulation 
après  qu'il  était  devenu  empereur.  Mais  dans  ce  cas,  ne  s'exposait-on 
pas  à  voir  le  document  convaincu  de  fausseté  lorsqu'il  lui  tomberait 
sous  les  yeux?  A  cela  il  est  facile  de  répondre  par  l'intérêt  même  de 
la  supposition  de  la  pièce.  Il  y  avait  treize  ans  que  Marc-Aurèle  était 
mort  et  que  Commode  bouleversait  l'empire.  Pertinax  montant  sur  le 
trône  représentait  précisément  une  réaction  contre  ce  gouvernement 
dans  le  sens  des  traditions  de  ÎNIarc-Aurèle  (3).  Or,  les  chrétiens  qui, 
depuis  la  mort  de  celui-ci,  jouissaient  d'une  tranquillité  relative  et 
bénéficiaient  jusqu'à  un  certain  point,  comme  nous  le  verrons,  de  la 
législation  qu'établissait  la  lettre,  avaient  grand  avantage  à  placer 
l'origine  de  cette  législation  du  vivant  de  ce  prince.  Il  n'en  était  déjà 
plus  ainsi  pendant  le  règne  si  court  de  Didius  Julianus,  qui  fut  élu  par 
les  prétoriens  pour  tirer  vengeance  des  meurtriers  de  Commode  (4).  A 
partir  du  2  juin  193,  un  ordre  de  choses  régulier  ayant  recommencé 


d'Antonin  au  règne  de  Marc-Aurèle,  et  la  lettre  de  celui-ci  au  règne  de  l'un  de  ses 
successeurs.  Nous  pensons  qu'une  origine  et  une  date  communes  conviennent  aux 
deux. 

(1)  'AvTWvtvo;  aÙTOxpdtTwp  irjxvw;  xoiç  7to),£[j.totî  ettIxeito  a-JTÔç  tî  Tcapwv  xa\  touç 
7to).e[j,d(px5«;  àTtoCTTÉXXwv  •  xat  IIeptcvîcxi  xa\  xoîç  auv  aCtw  8c'{/£i  mcîîO[X£voi;  oiJ-êpoç  tv 
ToO  ©£oO  ÈyÉvETO  xai  toT?  àvxtTaTffOfxlvocç  rEpjxavoî;  xa\  Saptiâxai;  axriUTo;  ï-Kznz't  •rto).).ouç 
T£  aùxMv  ot£cp6£tpîv.  cit.  au  vol.  IX  du  Corp.  Apol.,Y>.  491. 

(2)  Capit.  lit.  Pert.,  c.  Il  :  Per  Claudium  Pompeianum,  generum  Marci,  quasi  ad- 
jutor  ejus  futurus  vexillis  regendis  adscitus  est.  Cf.  Dion  Cassils,  qui  a  connu  l'un 
et  l'autre,  Ep.,  1.  lxxui,  c  m. 

(3)  HerODIAN.  1.  II,  c.  IV  :  Ka\  x?,;  Mâpxoy  àp/r,;  ^t,),»  x£  xat  [>.t.[ir^rszi  xou;  [ièv  itpEffê'j- 
xÉpou?  •j7:o|xr,!xvr,'Txw/  £vç;paiv£.  —  Capit.  l'it.  Perl.,  c.  v  :  Petenti  signum  prima  die 
tribuno  dédit  »  militemus^,  exprobrans  utique  segnitiera  temporum  superiorum... 
sane  jain  postero  kalendarum  die  cum  statuas  Commodi  dejicerentur  gerauerunt 
milites,  siinul  quia  iterum  signum  idem  dederat  imperator. 

(4)  Spart,  lit.  Did.,  c.  ii  :  Sed  posteaquam  in  castra  ventum  est  quum...  .lulia- 
num  e  muro  ingentia  pollicenteni  nulliis  admitteret,...  scripsit  in  tal)ulis,  se  Com- 
modi memoriam  restiturum,  atque  ila  est  admissus  et  imperator  appellatus. 

8 


—   114   — 

avec  l'Africain  Seplime  Sévère,  Tertullieii  pouvait,  six  ou  sept  ans 
plus  tard,  invoquer  de  bonne  foi  le  texte  apocryphe  en  faveur  du  chris- 
tianisme. 

Qu'on  le  remarque  d'ailleurs,  les  circonstances  n'y  e'taient  pas 
dénaturées,  le  beau  rôle  seulement  était  attribué  aux  soldats  chré- 
tiens. Mais  n'avaient-ils  aucune  raison  d'être  fiers?  Si  peu  nom- 
breux qu'on  les  admette,  ne  s'étaient-ils  pas  agenouillés  en  face 
de  l'armée  païenne  tout  entière  pour  prier  leur  Dieu  (1)  ?  Cela  n'impli- 
quait-il  pas  de  la  part  de  l'empereur  une  reconnaissance  tacite  et  au 
moins  momentanée  de  leur  culte  ?  Telle  est  la  conséquence  que  tirait 
l'auteur  de  la  lettie,  et  il  en  plaçait  l'expression  sur  les  lèvres  de 
Marc-Aurèle  sous  forme  d'une  résolution  à  accomplir  (2).  En  réalité, 
le  prince  n'eut  pas  ce  sentiment  ;  il  était  alors  occupé  à  rédiger  ses 
Pensées  et  songeait  moins  aux  auti'es  qu'à  lui  même.  Comme  écrivait 
Avidus  Cassius,  sou  rival,  tandis  qu'il  philosophait,  les  fonctionnaires 
étaient  maîtres  absolus  des  provinces  (3).  C'est  alors  que  iMéliton  lui 
demandait  avec  une  certaine  ironie  s'il  était  bien  sur  que  les  instruc- 
tions officielles  publiées  en  son  nom  émanassent  authentiquement  de 
lui  (4).  Cependant,  eussent-elles  été  lancées  à  son  insu,  il  ne  les  eût  pas 
désavouées,  car  elles  étaient  favorables  à  la  persécution,  et  les  faits 
prouvent  que  sa  politique  ne  vai'ia  jamais  sur  ce  point.  Le  l'enseigne- 
ment fourni  par  l'évêque  de  Sardes  })our  la  province  d'iVsie  est  con- 
firmé, pour  la  Grèce,  par  Athénagore,  qui  écrivait  sous  Marc-Aurèle 
et  Commode;  pour  l'Orient,  par  Théophile  d'Antioche,  dont  le  troi- 
sième livre  suivit  de  près  la  mort  de  Marc-Aurèle  (5).  Il  doit  êtregéné- 

(1)  Hist.  eccles.y  I.  V,  C.  v,  1  :  'Ev  ttj  Ttpôç  7toX£|xîo"jç  uapaTctU'  yôvy  OÉvtx;  £7i\  yîiv  xaTa 
To   olx£Îûv  r,[jitv   xwv  eÙ^wv  edoç  Itc\  xàç  Ttpoç  ©eov  îxecrtaç  tpaTtscrOat. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  252  :  A'jxÔôev  ouv  àplâiXEVot  G-jy/wp-r,(jw[jiîv  xotç  xotouxotç  eîvat 
-/piTxiavoî;.  —  Tertullie\  lui-même  interprétait  d'une  manière  hésitante  ces  pa- 
roles, Apologet.,  C.  V  :  Qui  sicut  non  palam  ejusniodi  pœnam  dimovit,  ita  alio  modo 
dispersit,  adjecta  etiam  accusatoribus  damnatione  et  quidem  tetriore. 

(3j  VuLCAT.  Gallican.  / //.  Cass.,  c.  xiv  :  Marcus  Antoninus  philosopiiatur  et  qua-- 
rit  de  elemenlis  et  de  animis  et  de  honesto  et  justo,  nec  sentit  pro  republica...  ego 
vcro  Jstis  pra'sidibus  provinciarum,  etc. 

(4)  Corp.  Apol.,  V.  IX,  p.  411  :  El  oè  xai  Tiapà  croO  [xr,  siV,  r^  [Wj\r\  a-jx/j  xxi  xô  xatvbv 
xoOxo  ôtâxaYiAa,  o  (x/jok  xaxà  fiapSdipwv  Tiplîtsi  7ioXî(j.twv,  7to),'j  (xiXXov  ôcOnîOdt  croy,  [at) 
Ttîpuoîîv  riiAÔc;   £v  xoia-jxr,  or,|j.wo£t  XErj/auta. 

(5)  Leg.  pro  chritl.,  c.  I  :  A£Ô(X£Oa  y(i.wv   xai  Ttepi  ti(j.wv  xi  <TX£'{/a(j6ai  otîwî  itaydwjxeOa 


—  115  - 

ralisë,  sur  le  témoignage  du  païen  Celse  (1),  lequel  de'clare,  en  se  mo- 
quant des  chre'tiens,  que  s'il  y  en  a  encore  quelques-uns  qui  se  cachent, 
on  va  les  rechercher  pour  les  condamner  à  mort.  Et  Minucius  Félix 
faisait  re'pe'ter  la  même  chose  à  Caecilius  (2)  :  "  Voici  maintenant  que  les 
derniers  châtiments  vous  attendent  :  les  supplices,  les  croix  que  vous 
adorez  et  auxquelles  on  vous  attache,  le  feu  même  annoncé  par  vous 
comme  si  redoutable.  ^  Nous  possédons  enfin,  pour  un  coin  de  ce  sombre 
tableau,  une  légende  explicative  qui  permet  déjuger  de  la  fidélité  de 
tout  le  reste  (3) .  Ce  coin  si  heureusement  éclairé  est  notre  terre  des 
Gaules,  et  le  rayon  de  lumière,  un  trait  de  filiale  reconnaissance  de 
ses  Eglises  vis-à-vis  de  la  descendance  spirituelle  de  saint  Jean  à  qui 
elles  étaient  redevables  de  l'Evangile  (4). 

Le  récit,  simple  et  éloquent,  commence  ainsi  :  «  Les  serviteurs  du 
Christ  résidant  à  Vienne  et  à  Lyon  en  Gaule  à  leurs  frères  d'Asie 
et  de  Phrygie  dans  la  même  foi  et  la  même  espérance  en  la  rédemp- 
tion, paix,  salut  et  honneur  au  nom  de  Dieu  le  père  et  de  Jésus- 
Christ  Notre-Seigneur  (5).  "  Puis  vient  la  description  de  la  tem- 
pête qui  fondit  sur  les  fidèles  de  Lyon  pendant  l'été  177.  Ils  furent 
d'abord  exclus  des  maisons,  des  bains,  de  la  place  publique  :  on  ne 
voulait  plus  qu'ils  parussent  nulle  part.  La  populace  ameutée  (6)  pous- 


TiOTô  ÛTib   Twv    (Tuxocpâvxwv   (7cpaTTÔ[A£voi.  —  AdAulolyc,  1.  ni,  C.  xxx  :  "Ext  [ayiv  xa\  toùç 
(7£êo[i.£voui;  auTÔv  (©sbv)  soitoÇav,  xa\  xb  xa6'  Y)(i£po(v  otwxoufftv. 

(1)  Or.  c.  Cels.,\.  VHI,  c.  LXix  :  'Vjxwv  ôà  xav  TtXavàxat  xtç  ï-ii  XavOavwv,  àXXà  Çr)X£îxai 
Tipbç  Oavâxou  ôix-r^v. 

(2)  Octav.,  c.  XII  :  Ecce  vobis  minae,  supplicia,  tormenta.  Etiam  non  adoranda?,  sed 
subeundae  cruces;  ignés  etiam  quos  et  pra^dicitis  et  timetis. 

[2>)Hist.eccl.,\.\,  préambule,  où  Eusèbe  parle  d'après  l'importante  collection  mar- 
tyrologique  qu'il  avait  réunie,  et  dont  on  ne  saurait  trop  regretter  la  perte.  Le 
texte  suivant,  c.  i  à  iv,  en  est  extrait. 

(4)  Leurs  rapports  restaient  si  étroits,  que  l'hérésie  de  Montan,qui  prit  naissance 
en  Mysie  sous  le  proconsulat  de  Gralus  (172-173)  (Waddington, /^a«to,  §  15i),  comptait 
déjà  des  adhérents  à  Lyon  trois  ans  après.  Cf.  Hisi.  eccles.,  c.  m,  4,  et  c.  xvi,  7. 
Le  premier  intermédiaire  entre  l'Asie  et  la  Gaule  avait  été  Rom;  v.  la  lettre  des  mar- 
tyrs au  Pape,  ihid.,  c.iv,  2:  Xatp£iv  £v  t)£(ô  az  h  ■K%avi  z\)-ifj\).z^)oL  xa\  ^£'1,  nâxcp  'E),£uf)£pE. 
Celui-ci  servait  de  diacre  à  saint  Anicet,  lorsque  saint  Polycarpe  vint  à  Rome. 

(5)  Oî  £v  BiÉvvYi  xa\  AouySoûvo)  vf\z  raXXiaç  TtapotxoOvxEç  SoOXoiXpiaxoù  xoîç  xaxà  xyjv 
'A(TÎav  xa\  ^puytav  xr|V  aOxYjv  x?,;  aTtoXuxpeoaEwç  yi[Atv  Titdxtv  xa't  èXirtSa  £-/ou(7iv  àoeXçoîç 
eîpY|vo  xa\  "/o'P'Ç  '"■'^  ^Ô%ol  cmo  0£oCi  naxpbç  xa't  XpKTxoO  'lï^aoù  xoû  xupwu  Y)[j,à)v. 

-(6)  Ka\  Ttpwxov  [xàv  xà  aub  xoO  rî^/\r)\) -izi^i^qi^û  atùçt-rfiw  ÈTt(cp£pô|A£va  yEvvat'wç  ûuéjxevov- 
È7tt6oi^<7£ti;  xa\  TiVoyà;  xa\  (jijp(Aouç  xai  oiapixayàç  xal  XîOwv  poXàî  xai  (TuyxX£(a£tç 


—   116  — 

sait  des  cris  contre  eux,  lesfi-appait  et  leur  lançait  des  pierres  ;  par  les 
soins  combinés  de  l'autorité  militaire  et  de  l'autorité  municipale,  ils 
furent  mis  en  prison  en  attendant  l'arrivée  du  légat  propréteur.  Lors- 
qu'on les  amena  devant  son  tribunal,  un  jeune  homme  de  naissance 
illustre,  dévoué  aux  bonnes  œuvres,  Vettius  Epagatlius,  ayant  élevé 
la  voix  pour  prendre  leur  défense,  fut  arrêté  (1),  et  le  légat,  constatant 
simplement  qu'il  était  chrétien,  le  joignit  aux  autres  sur-le-champ. 
Le  premier  jour,  dix  apostasies  remplirent  de  tristesse  les  chrétiens 
non  encore  arrêtés  qui  s'exposaient  à  toutes  les  insultes  afin  d'en- 
courager les  confesseurs  par  leur  i)résence.  On  continua  les  arresta- 
tions dans  les  deux  Eglises  de  Lyon  et  de  Vienne  :  le  légat  avait 
ordonné  de  rechercher  tous  les  chrétiens  (2).  Quelques  esclaves  païens 
subirent  la  question  au  sujet  de  leurs  maîtres,  et  donnèrent  raison 
aux  bruits  infâmes  qui  avaient  cours  parmi  le  vulgaire.  Dès  lors  les 
païens  les  plus  modérés  firent  éclatei-  leur  indignation,  et  la  i)arole  de 
l'Evangile  se  vérifia  :  «  Un  temps  viendra  où  l'on  croira  glorifiei'  Dieu 
en  vous  mettant  à  mort  (3).  "   Les  martyrs  furent  soumis  aux  plus 
atroces  traitements  ;  on  n'épargna  même  pas  les  apostats,  dont  quel- 
ques-uns confessèrent  la  foi,  entie  autres  une  femme  nommée  Biblias. 
Plusieurs  des  victimes,  épuisées  par  les  supplices,  succombèrent  dans 
la  prison  ;  de  ce  nombre   fut  le  vénérable    évêque  de  Lyon,   Po- 
thin  (4).  Lors  de  sa  comparution  devant  le  magistrat,  ce  dernier  lui 
ayant  demandé  qui  était  le  Dieu  des  chrétiens,  le  vieillard  nonagénaire 
dit  :  "  Tu  le  sauras,  si  tu  t'en  montres  digne.  «  Cette  réponse  lui 
valut    d'être    accablé  de  coups    de  pied  et  de  coups  de  poing,  et 

(1)  Tù)v  0£  7tîp\  tô  p"'i[i.a  xaTaooriTâvxcov  aOxoO  (xa\  Y^tp  V^  eTitiriiioç),  y.3t\  toO  r|i'E|j.rjvo; 
\j.r,  avaT/Ofj.évo'j  ttiî  O'jtwç  ûti'  aù-roO  of/otîx;  TipOTaOciTr,;  a^twaewç,  à/Xà  (xôvov  toOto 
TTjOojJiÉvov,  îl  xa\  a-jTÔç  eîV,  -/pto-xtavôç,  xoO  oï  /,a[j.TkpOTâTr,  çwvr,  ô[j.o).oyr|(TavToç,  àvs).r,çOr, 
y.xi  auTO;  ti:  x'ov  xAr.pov  zon  |j.apT'jpo)v  ,  7:apiy./,r,T0;  •/piTTixvfov  •/prifjLotTtTaç. 

(2)  H  faut  noter  qu'il  n'avait  aucune  autorité  sur  Vienne,  qui  faisait  partie  de  la 
province  proconsulaire  de  la  Narbonnaise. 

(3)  To'jTwv  oï  çr,|j.iTO£v'co)v  Tiâvxî;  airEOr,p(wO/i'jav  £i;  CjiJ.âç,  (utte  xa\  £Î' xivî;  xô  ixpôxcpov 
Si'  oIxeiOTVjxa  £[X£xptasOv,  xÔte  [Lzyâltùç  £-/aA£7iaivov  xa\  ôtETipc'ovxo  xaO"  r,}j.ôjv  •  £7;),ï;po0vxo 

Oè  xb  ilTZO  XOO   X-JptO'J  riJlCJV   £ÎpYJ|A£VOV,  xx)>. 

(4)  'O  Ô£  [iaxâpioç  IIoOeivôç,  ô  xr|V  oiaxovcav  xyjç  ÈTtKTXoixïjç  èv  AouySoûveo  7t£itKTX£U|xévoç, 
ÛTtkp  xà  £V£vr|XOvxa  ^x/)  xr,?  rj/.ixtaç  yeyovù);...  àvExaÇôixevo;  oè  (jtzo  xoO  Yiyïjxôvoç  'xî;  eÎt) 
7pi<7xtavibv  ô  ©ebç,  ^9?)  «  Èàv  r,;  aÇioç,  yvoSrrr,  »•  evxeOOev  5f,  à?£t5wç  ÈaûpExo...  xai  iiôyi; 
EUTT^wv  ÈppîçYi  Et;  xr,v  ElpxxT,v  xai  jAExà  ô"jo  r,[AÉpo(?  k%b\i\jley. 


-  117  - 

assailli  de  projectiles  de  tout  g'enre,  si  bien  qu'il  ne  surve'cut  que  deux 
jours.  Un  diacre  oripnaire  de  Vienne,  Sanctus,  fut  torture'  à  deux 
reprises  différentes  :  il  ne  re'pe'tait  qu'une  chose  :  "  Je  suis  chre'- 
tien  î' .  On  le  condamna  aux  bétes,  ainsi  que  le  ge'ne'reux  ne'o- 
phyte  Maturus,  l'esclave  Blandine  et  Attale  de  Pergame,  l'un  des 
plus  connus  du  peuple  païen  :  en  leur  honneur  fut  donnée  une 
repre'sentation  spe'ciale.  Lorsque  vint  le  tour  de  Blandine,  aucun  animal 
n'approcha  du  poteau,  où  faible  et  délicate  elle  était  attachée  les  bras 
en  croix  :  elle  fut  reconduite  dans  sa  prison;  quant  à  Attale  (1),  il 
arriva  à  l'amphithéâtre,  dont  il  fit  le  tour  au  milieu  des  trépignements 
de  la  foule,  précédé  d'un  écriteau  portant  ces  mots  :  Hic  est  Attalus 
christianus ;  mais  le  léguât,  apprenant  qu'il  était  citoyen  romain,  sus- 
pendit l'exécution.  Il  en  référa  à  l'empereur,  tant  pour  lui  que  pour 
le  reste  des  prisonniers.  Ceux-ci  profitèrent  du  délai  pour  réconcilier 
les  apostats. 

Le  rescrit  de  Marc-Aurèle  arriva  à  Lyon  avant  le  1"  août,  date 
de  l'assemblée  des  pro\inces  des  Gaules  auprès  de  l'autel  de  Rome 
et  d'Auguste;  c'est  la  transcription  du  rescrit  de  Trajan  (2).  Le 
légat  ordonna  que  les  chrétiens  citoyens  romains  eussent  la  tête 
tranchée,  et  que  les  autres  fussent  exposés  aux  bêtes.  On  interrogea  à 
part  ceux  qui  avaient  renié  la  foi,  afin  de  les  absoudre  ;  le  médecin 
Alexandre,  d'origine  phrygienne,  mais  depuis  longtemps  fixé  en 
Gaule,  les  encourageait  à  réparer  leur  faute.  11  excita  ainsi  la  fureur 
des  assistants  qui  le  dénoncèrent,  et  le  légat  le  condamna  à  paraître 
dans  l'amphithéâtre  en  même  temps  qu' Attale,  ayant  fait  sur  ce  point 
un  econcession  contraire  à  la  loi,  afin  de  plaire  à  la  multitude  (3).  Attale 
fut  brûlé  sur  une  chaise  de  fer  rougi;  faisant  allusion  aux  festins  de 


(1)  Ka\  7r£pia-/0£\i;  x-jx/.w  toO  àfjLçiOîotTpou,  7tcva-/o;a-jTÔv  irpoiyovroç,  Èv  w  eysypaitTO 
'Pa)(jiaVo'T\  «  otjtÔ;  £(TTtv  "AxTaXo;  o  •/ptTXtavoç  »•  xa\  toù  ôr||j.o"j  «rcpoopa  TçptYtovTOç  ziz 
a-jTw,  (xa6à)v   ô   r,y£[ià)v   oti  'Pwfjixîoç   Èffxtv,   £X£X£'J0'£V   a'JTÔv   àvaXYiçOrjvat  (AcTa  xai  twv 

/OtTtCÔV   XCÔV    £V   tf,  £ipXTf,  OVTWV,  TTEpI   WV   l7l£(7T£t),£  Tfî)    Kat<7apt,  Xx"t  TtEptlfAEVE  TTIV    a7tÔ9a(7tV 
■CT,V    aX    cX£(VO'J. 

(2)  'ETiiffTEÎXavTo;  yàp  toO  Kaiiapo;  to'j;  \Ùm  àTroTUti-TraviTOriva'.,  Et  oÉ  tive;  àpvoîvTO, 
TOÛTO'jç  aTro),uOr,vai,  xvji;  ÈvOciÔE  7îxvr,yjp£w:  (ïT'i  0£  a-JTr,  7ïo)/jâv6pw7:o;  £X  Tiâvxwv  xwv 
eOvwv  (rjvEp70}z,£vtov  Etç  a"JTr|v)  àp70jj.£v/;ç. 

(3)  Ka\  yàp  xa't  tov  "ATTa).ov  xm  o"-/),»;) -/api^ôfXEvoç  o  •r)y£[j.tov  eÇéowxe  TiâA'.v  upoç  ôr^pta. 


—    118  — 

Thyeste  que  Ton  reprochait  à  ses  frères,  il  disait  avec  ve'rite'  aux  spec- 
tateurs :  «  C'est  vous  qui  mangez  delà  chair  humaine.  ^  Blandine avait 
ëtë  réservée  pour  le  dernier  jour,  avec  un  enfant  de  quinze  ans,  Pon- 
ticus,  qui  mourut  regardant  les  païens  en  fece  (1).  Blandine,  comme 
une  noble  mère,  observe  l'auteui-  du  récit,  ayant  exhorté  tous  ses  en- 
fants et  les  ayant  envoyés  victorieux  devant  elle  au  souverain  Maître, 
se  hâtait,  joyeuse  de  les  rejoindre.  Enveloppée  dans  un  filet,  les  cornes 
du  taureau  moins  inhumain  que  la  foule  l'achevèrent.  Un  outrage 
final  fut  infligé  aux  martyrs  :  les  corps  de  ceux  qui  étaient  morts  en 
prison  furent  donnés  à  dévorer  aux  chiens;  les  autres  dépouilles, 
exposées  pendant  six  jours  et  gardées  par  des  soldats,  furent  brûlées 
et  jetées  dans  le  Rhône.  Le  magistrat  avait  fait  preuve  d'autant 
d'acharnement  que  le  peuple,  violant  par  trois  fois  les  instructions  im- 
périales, en  ordonnant  spontanément  les  recherches,  en  ne  relâchant 
pas  les  apostats  (2),  en  méconnaissant  la  dignité  d'un  citoyen  romain; 
il  est  vrai  que  ce  citoyen  était  chrétien,  et  nous  devons  à  cette  circon- 
stance d'ignorer  le  nom  du  nouveau  Verres  (3). 

11  est  peu  probable  qu'au  moment  où  les  chrétiens  étaient  dans 
les  provinces  l'objet  de  telles  rigueurs,  ils  fussent  exempts  de  sévices 
dans  la  cajùtale  de  l'empire.  Aous  lisons  dans  les  actes  de  sainte  Cé- 
cile :  Urbis  prœfectus  sanctos  Deifortiter  laniabat  et  inhumata  cor- 
pora  eorumjubebat  derelinqui  (4j.  Ces  mots  nous  dépeignent  la  situa- 

(1)  'O  [aÈv  y^P  Ilovtiy.ôç  \)i{(j  T?,;  ào£>,çr)(;  •napwpjj.ïijAÉvoç,  wç  xat  Ta  è'Ovr,  fiAÉitsiv... 
irâaav  xôXaatv  yevvatwi;  Û7io[jictva?  anÉowxe  to  TiveOixa.  'H  rA  (jLaxoipta  B),av5tva  TiâvTwv 
io-/6.ve\,  xaOaTtsp  [xrjXrjp  £yy£vr,ç  7tapop[Ar|(7acra  xà  téxvx  xai  vixr,9Ôpoy;  7:pOTî£|X']/a(Ta  Tipô; 
TÔv  padt/la...  £(jii£'JO£  Tipô;  aÙTO'jç  •/atpo-jo'a. 

(2)  'E7i£i  or,(xo(ï:a  IxéXîuffîv  ô  Tiy£[xwv  àvaîr,T£t(jOai  navra;  T,[Aâ;.  —  0\  yàp  xa-cà  Tr,v 
7îpajT/;v  (jû>,Ar,'{/tv  è'Eapvot  y£vcip.£vot  auv£x).£tovTO  xa\  aOxo'i,  xa'i  (aeteî-/ov  twv  Ô£ivù)v  •  oOok 
yàp  £v    (o  xatpw  toûto)  ocpcXô;  xt  a'JTOt:  -^  EÇâpvïjaiç  EytvETO. 

(3)  La  lettre  des  fidèles  contenait  à  la  fiu  le  catalogue  des  martyrs  par  catégories  : 
ceux  qui  avaient  été  décapités,  ceux  qui  avaient  été  jetés  aux  bêtes,  ceux  qui 
étaient  morts  en  prison  et  ceux  qui  y  (  taient  encore  renfermés.  Sans  compter  ces 
derniers,  et  outre  les  dix  nommés  dans  le  corps  de  la  lettre,  cette  li>te  donne  en- 
core trente-huit  noms  qui  se  retrouvent  dans  GrkgoikedeTouhs,  t'Jeijlor.mari.,c.  xLix, 
et  dans  Ai>o.\,  au  2  juin.  On  peut  les  contrôler  par  la  compilation  liiéronymicnne 
(cinquii  me  sieclej  qui  avait  emprunté  directement  la  liste  à  la  collection  dEusi'iiK, 
Hist.  ecclis.,  I.  V,  c.  IV,  3  :  '(  )t(i)  yàp  çtAOv,  xa\  TaOra  pâoto->  Tt),r,p£crTaTa  oiayvw'/at  (j.£Tà 
■/Elpa?  avaXaSôvTt  xb  (iûyypa[j.ixa  o  xai  aijTO  tt;  x'ov  [xapTupiwv  (jUvaYwyï)  TCpb;  r|(j.â>v,  wç 
yoOv  £çr;v,  xaT£t/.£xxai. 

(4)  MoMBRiTius,  r»7«.Ça«c^or«w  (Milan,  1475-1480),  t.  I,  p.  186. 


—  119  — 

lion.  Marc-Aurèle  était  parti  pour  sa  dernière  expeMition  contre  les 
Marcomans  au  commencement  d'août  178,  avec  son  fils  Commode, 
depuis  un  an  revêtu  du  titie  d'Aug^uste.  Minucius  Fe'lix  était  alors 
témoin,  à  Rome,  des  traitements  que  Ton  inflig^eait  aux  saints  de 
Dieu,  et  lui-même  entendait  tourner  en  dérision  la  sépulture  chré- 
tienne. La  lettre  des  fidèles  de  Lyon  dit  formellement  (1)  que  la  pensée 
des  païens  était  d'ébranler  chez  les  martyrs  la  croyance  à  la  résur- 
rection des  corps  :  à  la  même  époque,  Athénagore  mettait  les  païens 
en  contradiction  avec  eux-mêmes,  les  priant  de  concilier  leur  accu- 
sation d'anthropophafjie  avec  l'existence  de  cette  croyance  (2),  et  il 
composait  un  traité  spécial  sur  la  résurrection. 

Cependant  les  actes  déjà  cités  nous  apprennent  que  Valérien  et  Ti- 
burce,  l'époux  et  le  beau-frère  de  l'illustre  Cécile,  tous  deux  convertis 
par  elle,  usaient  de  leur  influence  et  de  leur  fortune  pour  éluder  l'in- 
terdiction inique  du  prélat  de  la  ville  (3).  Ils  recueillaient  les  corps  des 
martyrs  et  leur  donnaient  place  dans  d'antiques  sépultures  de  famille 
le  long'  de  la  voie  Appienne.  Non  loin  du  monument  bien  connu  de 
Caecilia  Metella  commençait  à  se  former  ainsi  le  cimetière  chrétien  dit 
de  Calliste,  dont  l'archéologie  moderne,  reconstituant  les  terrains  dis- 
tincts et  parfaitement  délimités  [areœ),  a  pu  suivre  l'extension  suc- 
cessive (4). 

Les  généreux  chrétiens  furent  dénoncés  au  préfet,  qui  les  fit  compa- 
raître, et  qui,  rappelant  leur  noble  extraction  (ils  étaient  fils  d'un  vii- 
clarissimus),  voulut  leur  persuader  de  sacrifier  au  nom  des  empereurs 
[invictissimi principes).  Comme  ils  n'y  consentaient  pas,  l'assesseur 

(1)  Loc.  cil.  Kai  tocCit'  eupaxT-v  toç  5uva[j.Evoi  ^nv-r^TX'.  rbv  ©eôv  xa\  acpeXIaOai  auxwv  x"^v 
Tia)aYY£v£iTiaVj  tva,  wç  EXsyov  èxsîvot,  \}:rfiï  IX-nloy.  aywni^i  avaTxdcTewç.  Cf.  Octar.,  c.  xi  : 
Exsecrantiir  rogoset  damnant  ignium  sepuUuras.  —  C.  xxxiv  :  Corpus  omne  sive 
arescit  in  pulverem,  sive  in  hunioreni  solvilur,  vel  in  cinereni  comprimitur,  vel  in 
nidorem  tenuatur,  subducitur  nol)is;  sed  Deo  elementoruin  custodia  reservatnr. 
Nec,  ut  creditis,  ullum  damnum  sepulturae  timemus,  sed  veterem  et  meliorem  con- 
suetudinem  humandi  frequentamus. 

(2)  Leg.  pro  christ.,  c.  xxxvi,  OÙ  il  annonce  SOU  traité  plutôt  qu'il  n'y  renvoie  : 
"Iv^  [AT]  Èlocywvtoyç  xoî;  Ttpoxsifxévoiç  tmiGÔiyei^  oo>;ô)jj.£v  )vÔyo'jç. 

(3)  Tiburtiiis  vero  et  Valerianus  ad  hoc  vacabant  quotidie  ut  pretiosas  marty- 
rum  facerent  sepulturas. 

(4)  Les  travaux  techniques  de  M.  Michel  de  Rossi  se  trouvent  publiés  dans  la 

Borna  sotteri-anea  de  SOn  frère. 


—  120  — 

du  préfet  lui  fit  romarqucr  quo  tmit  délai  était  inutile  et  aurait 
l'inconvénient  de  permettre  aux  accusés  de  soustraire  leurs  biens  à  la 
confiscation  :  lorsque  ensuite  la  peine  serait  appliquée,  il  ne  trouverait 
plus  rien  (1).  Alors  la  sentence  fut  piononcée,  et  un  endroit  à  quatre 
milles  de  Rome  désigné  pour  le  lieu  de  l'exécution.  Cet  endroit  est 
connu  ;  c'est  lepagus  Triojdus,  célèbre  par  une  villa  que  le  riche  so- 
phiste maître  de  Marc-Aurèle,  Hérode  Atticus,  venait  précisément  d'y 
faire  construire.  Valérien  et  Tiburce,  emmenés  i)ar  le  greffier  militaire 
de  service,  nommé  Maxime,  l'efusèrent  encore  une  l^)is  de  brûler  de 
l'encens  devant  la  statue  de  Jupiter,  et  s'agenouillèrent  d'eux-mêmes 
pour  qu'on  leur  tranchât  la  tète  (2).  Maxime,  touché  de  leur  fermeté, 
se  déclara  aussi  chrétien  et  subitle  martyre  à  coups  de  fouets  plombés. 
Cécile  ne  les  sépara  pas  dans  la  sépulture  qu'elle  leur  donna  (3) 
auprès  du  cimetière  voisin  de  Prétextât;  leurs  tombes  n'étaient  i)as 
souterraines,  mais  à  fleur  de  sol,  et  lurent  réunies  dans  une  cella 
memoriœ.  Le  Liber  j)oniificcilis  décrit  ainsi  les  travaux  exécutés  à 
cet  endroit  [)ar  le  pape  Adrien  1"  en  772  :  Ecclesiam  heati  Tiburtii 
et  Valeriani  atque  Maximi,  seu  hasilicam  sancti  Zenonis,  una  cum 
cœmeterio  sanctorum  Ui'bani  pontificis,  Felicissimi  et  Agapiti  atque 
Jaimarii  et  Cyrini  [Quirini)  martyrum  foris  portam  Apjriam  uno 
coliœrentes  solOj  quœ  ex  priscis  marcuerant  temporibus  a  novo  res- 
tauravit.  L'évêque  Urbain,  mentionné  ici,  est  celui  par  qui  furent  bap- 


(1)  Nam  si  nioras  feceris  et  de  die  proiraxeris,  omnes  facuUates  suas  erogabunt,  et 
punitis  eis,  tu  iiihil  invenies.  —  Oc  yàp  àvx'.osî;  ffuxoçâvxat,  xa\  xwv  àXÀotptwv  £f/3t(jTa\ 
TT,v  £•/.  Twv  ooyiAâ-ciJV  £//jvte;  a:fOpiJ.T|V,  çotvEpôi;  ^riCTTî-jouTi  vjxTwp  xai  [xeO"  rifjLÉpav  ôtxpuâ- 
î;ovte;  toÙç  iJ.r,0£v  àor/.ojvTxç.  MÉliton,  Curp.  Apol.,  v.  IX,  p.  410.  Cf.  la  lettre  déjù  citée 
d'AviDius  Cassius  :  ,\n  ego  procoiisules,  an  ego  pra-sides  piiteni.  qui  ob  hoc  sibi  a 
senatu  et  ab  Aiiloiiiuo  provincias  datas  credunt,  ut  luxuriciitur.  ut  divites  fiant? 
Audisti  prafectum  pra'lorii  nostri  philosophi  ante  triduuin  qu.ini  fieret  inendicum 
et  pauperem,  sed  subito  divitem  factum. 

(2)  Tune  gloriosi  martyres  teiUi  a  Maximo  corniculario  pra'fecli  ducebaïUur  ad 
paguni.  Locus  igitur  qui  vocal)atur  pagus  quarto  milliario  ab  Trbe  situs  erat...  Ré- 
cusantes ponuni  genua,  feriuntur  gladio.  —  Le  Triopium  appartenait  ù  Appia  Annia 
Kegilla,  femme  dllérode  Atlicus.  Sur  ce  dernier,  voir  la  thèse  de  M.  Vid.\l-L\bl\ghe, 
soutenue  en  I87(. 

(3i  M.  DE  Rossi  a  trouvé  au  cimetière  de  Prétextât  l'épitaphe  d'un  Septimius  Prae- 
textatus  Ca;cilianus,  nom  qui  indiquerait  un  lien  de  parenté  avec  les  Ctcilii.  RulL, 
1872,  p.  48. 


—  121   — 

lises  Valërien  et  Tiburce,  mais  il  avait  fini  par  être  confondu  avec  le 
pape  du  même  nom,  dont  le  jjontificat  dura  de  222  à  230,  tandis 
que  le  pape  contemporain  de  la  fin  de  Marc-Aurèle  se  nommait  Eleu- 
thère,  175  189.  Le  premier  Urbain  e'tait-il  un  e'vêque  e'tranger  éloigne' 
de  son  sie'ge  par  la  perse'cution  ?  On  a  pensé  qu'il  avait  une  juridic- 
tion spe'ciale  sur  le  imgus  Triopius,  où  les  actes  disent  qu'il  se  cachait 
dans  le  cimetière  (1).  Quoi  qu'il  en  soit,  sainte  Ce'cile  fut  arrête'e 
à  son  tour  :  on  la  voit  dans  l'interrogatoire  (2)  traite'e  d'abord  avec 
quelque  e'gard;  de  son  côté,  ses  réponses  dénotent  une  fière  assurance 
digne  de  sa  race,  libre  et  sénatoriale  par  droit  de  naissance.  Le  préfet 
la  taxa  de  hauteur;  elle  répliqua  (3)  :  <■'■  Autre  chose  est  d'être  hau- 
taine, autre  chose  est  d'être  ferme;  je  n'ai  pas  parlé  avec  hauteur, 
mais  avec  fermeté.  "  11  lui  cita  le  rescrit  de  Trajan,  exactement  dans 
la  forme  que  Marc-Aurèle  venait  d'adopter  à  l'égard  des  chrétiens  de 
Lyon  (4),  et  faisant  allusion  au  rescrit  d'Hadrien,  il  ajouta  :  ^  Les 
accusateurs  sont  là  qui  certifient  que  tu  es  chrétienne;  si  tu  renonces 
à  ta  foi,  ils  payeront  immédiatement  les  conséquences  de  leur  accusa- 
tion ".  Sainte  Cécile  n'en  continua  pas  moins  à  professer  son  mépris 
des  idoles.  Alors  le  préfet  s'écria  :  "  J'ai  supporté  jusqu'ici  les  injures 
qui  m'étaient  personnelles  en  philosophe,  je  ne  puis  tolérer  celles  qui 
s'adressent  aux  dieux  »,  parole  bien  placée  sur  les  lèvres  d'un  fonc- 
tionnaire de  l'empereur  stoïcien  (5).  Et  il  donna  ordre,  sans  doute  par 
ménagement,  peut-être  afin  d'éviter  le  bruit,  qu'elle  fût  reconduite 


(1)  Invenit  sanctiim  Urbanum  episcopum,  qui  jani  bis  confessor  factiis  inter  se- 
pulcra  martyriim  latitabat. 

(2j  Cujus  conditionis  es?  —  Ingenua,  nobilis,  clarissima.  Cette  partie,  la  plus  an- 
cienne des  actes,  était  très-altérée  dans  le  texte  donné  par  Bosio,  Hisi.  pas.  s.  Cœcil. 
(Rome,  1600),  et  reproduit  par  Laderchi,  âcia,  etc.  (Kome,  1722). 

(3)  Aliud  est  esse  superbuin,  aliud  est  esse  constantem,  ego  constanter  locuta 
sum,  non  super".; e. 

(4)  Ignoras  quia  domini  nostri  invictissiaii  principes  jusserunt  ut  qui  se  non  ne- 
gaverint  esse  christianos  puniantur,  qui  vero  negaverint  dimittantur...  Accusatores 
prœsto  sunt  qui  te  christianam  esse  testantur;  si  negaveris,  compe.idiosum  dabis 
accusantibus  fineui.  —  V.  supr.,  p.  69  :  Ei'  xtç  auxocpavTtaç  -/âpiv  -coOxo  TipoTst'vot,  ôia- 
>vd([j.êav£  ÛTcep  xr^q,  oeivottitoç  xa^  çpévtt^E  OTtwç  Sv  èxStx^asta;. 

(5)  Meas  injurias  philosophando  contempsi,  sed  deoruin  ferre  non  possum.  Quel 
était  ce  préfet  piiilosophe ?  Les  actes  l'appellent  Almachius.  M.  de  Rossi,  qui  lit 
Amachius,  pense  que  ce  n'est  qu'un  surnom. 


—  122  — 

chez  olle  et  e'toiiffe'e  dans  son  caldariuw.  La  tentative  n'ayant  pas 
réussi,  le  bourreau  envoyé  pour  la  décapiter  frappa  trois  coups  mal 
assurés  qui  ne  l'achevèrent  pas  encore  (1).  Elle  profita  du  temps  qu'elle 
survécut  pour  régler  la  transformation  de  sa  maison  en  éfjlise,  sous  le 
nom  d'un  ami  (2),  et  le  rédacteur  des  actes  ajoute  que  cette  église 
existait  au  moment  où  il  écrivait. 

Nous  répétons  la  remarque ,  moins  à  propos  de  la  basilique  que  tout 
le  monde  peut  voir  au  Transtevère,  qu'à  propos  de  la  date  où  les  actes 
furent  lédigés.  Au  début  du  récit,  il  y  est  clairement  parlé  du  triomphe 
de  la  foi,  qui  suivit  Constantin  :  l'écrivain  piend  la  plume  pour  rajeunir 
les  titres  de  gloire  que  les  martyrs  ont  légués  aux  générations  ulté- 
rieures. Cette  composition  se  place  vers  le  commencement  du  cin- 
quième siècle  et  sert  d'encadrement  à  un  fond  plus  ancien  (3).  Le  pas- 
sage relatif  à  la  sépulture  de  sainte  Cécile  est  intéressant;  il  est  ainsi 
conçu  :  Tune  sanctus  Urbanus  corpus  ejus  auferens  cum  dmconibus 
nocte  sepeliiil  eam  inter  collegas  suos  episcopos  ubi  sunt  omnes 
confessores  et  martyres  collocati.  Or,  dans  la  crypte  des  papes  au 
cimetière  de  Calliste-,  on  a  retrouvé  plusieurs  épitaphes,  dont  celle 
du  pape  Urbain  qui  faisait  partie  d'un  tombeau  construit  à  plat.  INlais 
il  n'avait  été  précédé  à  cet  endroit  que  par  un  seul  pontife,  tandis 
qu'après  lui  les  tombes,  se  multipliant  dans  un  emplacement  restreint, 
durent  être  encastrées  de  chaque  côté  de  la  muraille.  Ceci  nous  prouve 
que  jusqu'au  milieu  du  troisième  siècle,  l'état  des  lieux,  tel  qu'il  nous 
est  présenté  par  les  actes,  ne  se  vérifiait  pas  encore  ;  il  est  donc  per- 
mis de  rejeter  à  une  époque  assez  postérieure  la  confusion  de  l'évêque 
Urbain  (4)  avec  le  pape  de  ce  nom,  lequel  en  réalité  fut  enterré  près 

(1)  Misit  qui  eam  ibidem  in  ipsis  bnlneis  decollarel  :  qiiam  spiculator  tertio  per- 
cussit,  et  capiif  ejus  ampulare  non  potuit. 

(2)  Clarissiinus  vir  erat  uouiiiie  (Jordiaiiiis  Ilic  sul)  umbralione  nominis  sui  do- 
mum  sanctff'  Caeciliae  suo  noniini  diravil,  ut  in  orcuUo  ex  illa  die...  ecclesia  firret. 
—  D(ununi  autem  autem  ejus  in  a-ternum  sanctac  Ecclesia-  nomini  tradidit,  in  qua 
Domini  beneficentia>  exubérant  ad  memoriam  beata*  Ca'cilia'  usque  in  hodiernum 
diem. 

(3)  Romn  snit.,  t.  U,  préf.,  p.  xxw  et  s,  C'est  à  ce  volume  de  M.  de  Uossi  que  nous 
empruntons  la  plus  {grande  partie  de  ce  qui  suit. 

(4)  Celui-ci,  nous  le  savons  par  ses  actes  et  par  les  itinéraires  des  pèlerins  cités 
plus  haut  (v.  p.  93),   fut  enterré  au  cimetière   de  Prétextât,  non  loin  de  là;  les 


—  123  — 

(le  sainte  Cécile,  mais  cinquante  ans  après  elle.  L'hypojj^e'e  appartenait 
à  \a.gens  Cœcilia;  un  de  ses  membres  chrétiens,  dans  l'intervalle,  en 
fit  don  aux  pontifes  romains,  qui  y  établirent  leur  sépulture,  et  dépla- 
cèrent même  plus  tard  à  cet  effet  le  sarcophage  de  la  sainte  en  le 
mettant  dans  une  crypte  continue  et  plus  largue.  C'est  là  qu'en  821  il 
fut  découvert  par  le  pape  Pascal  I",  qui  le  transféra  à  la  basilique  du 
Transtevère,  avec  les  corps  de  Valérien,  Tiburce  et  Maxime  ;  dans 
ses  recherches,  il  avait  pris  les  actes  pour  guide,  et  ceux-ci  reçurent 
alors  une  éclatante  confirmation.  Un  diplôme  manuscrit  du  Vatican 
nous  a  conservé  le  procès-verbal  de  la  reconnaissance  qu'effectua  le 
pape,  omnia  nostris  manihus  per tractantes,  dit-il;  mais  de  plus,  une 
seconde  reconnaissance  eut  lieu,  il  n'y  a  pas  trois  cents  ans,  et  nous 
avons  le  récit  de  témoins  oculaires  tels  que  l'archéologue  Bosio  et 
l'historien  Baronius.  JNous  sommes  donc  sur  un  terrain  aussi  solide 
que  les  savants  de  nos  jours,  lorsqu'ils  exhument  les  pharaons  qui 
vivaient  tant  de  siècles  avant  l'ère  chrétienne.  Le  28  octobre  1599,  le 
corps  de  la  célèbre  martyie  fut  trouvé  intact  comme  au  jour  de  sa 
mort,  16  septembre  178  ;  il  était  renfermé  dans  un  coffre  de  cyprès;  la 
pose  était  celle  qu'une  sculpture  célèbre  a  immortaUsée  (1).  Les 
débris  de  sa  robe  de  soie  et  d'or  étaient  encore  reconnaissables  (2)  ;  les 
actes  rapportent  que,  jeune  fille,  elle  était  déjà  vêtue  delà  sorte,  ce  qui 
est  une  marque  de  sa  haute  naissance  :  du  reste,  ce  luxe  commença 
précisément  à  s'introduire  sous  Marc-Aurèle,  puisque  de  pareils  vête- 
ments ayant  appartenu  à  Faustine  et  à  Commode  furent  vendus  parmi 


restes  d'un  temple  païen  du  pafjus  Triopius  portent  depuis  longtemps  le  nom  de 
saint  Urbain  alla  Caffarella. 

(1)  Le  22  novembre  est  l'anniversaire  de  la  dédicace  de  la  basilique_du  Transte- 
vère. C'est  le  cardinal  Sfondrate,  titulaire  de  cette  église,  qui  procéda  à  l'ouver- 
ture du  tombeau.  Le  sculpteur  Madeino  mit  au-dessus  de  la  statue,  aujourd'hui 
devant  l'autel,  l'inscriplion  suivante  :  "  En  tihi  sanctissiin?p  virginis  Ca^cilise  imagi- 
nem  quam  ipse  integram  in  sepul' hro  jacentem  vidi,  eamdem  tibi  prorsus  eodem 
corporis  situ  hoc  marmore  expressi.  » 

(2)  Baron.  Ann.  ecclcs.,  ad.  ann.  821,  §  xii-xix  :  «  At  quid  acciderit  his  diebus, 
quuni  tomum  hune  .Annalium  prelo  prope  diem  subjirieudum  recognosceremus  in 
Tusculano,  etc..  Ita  invenimus,  nempe  ad  pedesejus,  quœ  fuerantmadida sanguine 
vêla;  et  serica  fila  auro  obducta,  quse  visebantur,  jam  vetustate  solutae  vestis  illius 
auro  textae,  cujus  idem  Paschalis  meminit,  indices  erant.  •<  Ainsi  témoigne  celui 
qui  a  pu  «  corpus  quantumlibet  exsiccatum  inspicere». 


—   124   — 

des  objets  précieux  (1).  A  ses  pieds  e'taient  les  linges  imbibés  de  sangf, 
que,  d'après  les  actes,  les  chrétiens  avaient  employés  pour  essuyer  la 
plaie  de  la  tête  à  demi  détachée  {bibulis  Untenminibus  extergebant)  ; 
un  petit  fragment  du  crâne,  coupé  par  la  hache  du  licteur,  y  adhérait 
encore.  "  La  dépouille  de  Cécile  n'avait  évidemment  pas  été  remuée 
depuis  le  deuxième  siècle  (2).  •>■> 

Si  l'auteur  du  cinquième  siècle  avait  écrit  d'imagination ,  il  se  serait 
vu  convaincu  d'imposture  par  un  contrôle  si  rigoureux.  Il  en  sort  au 
contraire  victorieux  ;  c'est  apparemment  qu'il  s'était  servi  des  docu- 
ments les  plus  autorisés.  Son  ignorance  historique  fournit  même  une 
nouvelle  preuve  de  sa  bonne  foi.  Ainsi  le  martyrologe  qu'Adon  com- 
posa vers  858  en  résumant  les  actes  qu'il  avait  sous  les  yeux  (3), 
termine  la  notice  consacrée  à  sainte  Cécile,  où  il  avait  été  question 
d'Alexandre  Sévère,  par  les  mots  suivants  :  Passa  est  autem  beata 
virgo  Marci  Aurelii  et  Commodi  imperatorum  temporibus.  Ces  mots 
devaient  exister  dans  quelque  texte  primitif;  ils  disparurent  géné- 
ralement depuis  qu'ils  furent  en  contradiction  flagrante  avec  le  syn- 
chronisme adopté  ultérieurement  entre  l'Urbain  des  Actes  et  l'empe- 
reur Alexandre.  Or,  à  l'époque  de  ce  dernier,  l'empire  ne  se  trouvait 
pas  ])artagé  entre  plusieurs,  comme  le  veut  l'interrogatoire,  et  d'ail- 
leurs la  période  qui  s'étend  de  Septime  Sévère  à  Maximin  fut  jdutôt 
une  trêve  à  la  persécution.  Les  princes  d'alors  en  effet  n'éprouvaient 
pas  le  besoin  de  poursuivre  l'Eglise.  PS'ous  avons  constaté  qu'il  n'en 
fut  pas  de  même  des  Antonins.  Ainsi  que  l'a  très-bien  dit  M.  l'abbé 

(1)  Capitol,  lit.  AnC.  phil.,  c.  xvii  :  In  foro  divi  Trajani  auctionem  ornameiitoruiii 
imperialiiim  fecit,  vendiditr|ue...  vesteni  iixoriam  sericam  et  aiiratain.  Id..  lit.  Peri., 
c.  vii!  :  Auctio  sane  reruiii  Commodi  in  his  insiynior  fuit  :  vestis  sublegmine  se- 
rico,  aureis  fiiis,  insigni  opère.  Cf.  les  Actes  :  Subtus  cilicio  induta,  desuper  auratis 
veslibus  tef^ebatur. 

(2)  M.  DE  HiCHEMONT,  Xouveltes  Eludes  Sur  les  catacombes  romaines,  p.  264.  L'auteuP,  dont 
le  chapitre  relatif  à  cette  discussion  est  fort  intéressant,  sif^nale,  après  le  P.  Ton- 
fjiorfîi,  une  peinture  sur  albAtre.  du  musée  Kircher,  qui  reproduit  sainte  Cécile  dans 
la  pose  où  elle  a  été  découverte  et  fournil  un  élément  de  comparaison  pour  la 
description  des  vêtements.  Malheureusement  nous  n'avons  pu  en  jufjer  nous-méme, 
le  musée  étant  fermé  au  public  depuis  tantôt  trois  ans  »  per  ragioni  amministra- 
tive  ». 

(3)  Adonis  Martyrologium,  éd.  Giorgi  (Rome,  1715),  préface  :  -  collecli  uudecumque 
passionum  codices.  -  —  V.  p.  588,  ibid.,  la  notice  du  22  novembre. 


—  125  — 

Duchesne  (1),  "  il  De  faut  pas  prendre  au  se'rieux  la  thèse  de  Ter- 
tullien  et  de  Lactance,  qui  ne  veulent  trouver  d'ennemis  des  chrétiens 
que  dans  les  mauvais  emjiereurs.  C'est  le  contraire  qui  est  vrai.  Les 
meilleurs  empereurs  se  figuraient  qu'ils  sauvaient  l'empire  en  arrêtant 
la  propagande  chre'tienne;  sous  des  fous  comme  Commode  et  Hëlio- 
gabale,  sous  des  étrangers  comme  7\lexandre  Sévère  et  Philippe,  le 
christianisme  put  respirer.  Mais  la  loi  qui  ordonne  de  punir  du  der- 
nier supplice  les  chrétiens  fidèles  à  leur  foi  est  une  loi  de  Trajan,  et 
les  efforts  des  apologistes  ne  réussirent  pas  à  en  entraver  l'exécution.  " 

On  avait  cru  l'Afrique  exempte  de  la  persécution  de  Marc  Au- 
rèle  :  l'opinion  générale  mettait  sous  Septime  Sévère  le  proconsulat 
de  Vigellius  Saturuinus,  qui,  au  témoignage  de  Tertullien  (2),  avait 
le  premier  tiré  le  glaive  contre  les  chrétiens  de  ce  pays.  C'est  donc 
à  cette  époque  qu'était  censé  appartenir  ce  Namphamo,  connu  avec 
ses  compatriotes  de  Madaure,  Miggine,  Lucita  et  Sanaé,  comme  les 
prémices  des  martyrs  sur  la  terre  punique  (3).  Leur  mort,  ariivée 
le  4  juillet,  avait  été  suivie  de  près,  le  17  du  même  mois,  par  l'exé- 
cution d'un  autre  groupe  dont  on  possédait  des  actes  authentiques, 

(1)  Revue  du  Monde  catholique,  10  août  1877,  p.  332.  —  Depuis  que  le  livre  de  Keihi, 
Celsus  irahres  IVori  (Zurich,  1873),  a  fait  son  chemin  outre-Rhin,  il  s'est  produit  un 
revirement  d'opinion,  et  aujourd'hui  plus  d'un  écrivain  allemand  n'hésite  pas  à 
mettre  IMarc-.\urèle  au  nombre  des  plus  farouches  persécuteurs.  "  {Der)  dem  Chris- 
tenlhume  schroffer  alsirgend  ciner  seiiier  l'orgiiiiger  cntgegentral.  Er  verschiirfte  nàmlich  das  bis 
dahin  rechlskraflig  geicesene  Edict  Trajan's  ûher  die  Chrislen  ■> ,  dit  Rudolf  IIilgenfeLD,  dans 
son  article  sur  les  rapports  de  l'État  romain  avec  le  christianisme  pendant  les  deux 
premiers  siècles,  Zeitschrift  fiir  wissenschnfdickt  Théologie,  1881,  p.  325.  Cf.  ,1.  Draeseke, 
dans  les  Juhrhûcher  fiir  proteslanlische  Théologie  de  la  même  année  :  «  .\nders  im  Jahre 
177.  Da  zuckc  zuniichst  vom  Orient  her  cin  gewalliger  gegen  die  Chrislen  unternommcner  ler- 
tilgungsversuch,  ein  furchtlxner  l'erliiufer  der  letUen  uiiter  Kaiser  Deciiis  und  Dioclelianus  irieder 
aufgenonitnenen  und  dann  erslerbei'den  kampfe,  durch  das  ganze  Iteich ;  die  kalastrophc  zu  Lug- 
dunum  ist  wohl  nur  die  von  der  Tradition  am  ousfiihrlichsten  ûberliefertc.  Nicht  mehr  bleibt 
man  bei  den  im  Grossen  und  Ganzen  immer  erfolglos  gewesenen  Einzelanklagen 
nach  Trajanischem  Muster  stehen,  man  schreitet  zu  allgemeiner  Aufsuchung  und 
Verhaftung  der  Christen  fort.  >■ 

(2)  âd.  Scap.,  c.  m  :  Vigellius  Saturninus,  qui  primus  hic  gladium  in  nos  egit, 
lumina  amisit. 

(3)  Le  grammairien  païen  Maxime  de  Madaure  écrivait  à  saint  Augustin,  Ep.  16  : 
Quis  enim  ferai,  quis  ferai  ..  cunctis  prœferri  diis  iminortalibus  archimartyrem  Nara- 
phaniouem  '.' 


—  126  — 

mais  (laus  un  ëtat  «lefectueux;  en  particulier,  la  date  consulaire  ne 
pouvait  être  détermine'e.  Cependant  la  ve'ritable  lecture,  M.  Léon 
Renier  (1)  l'avait  pressentie.  La  publication  toute  récente  par  M.  Use- 
ner  (dans  le  programme  de  l'Université  de  Bonn  pour  le  2"  semestre 
de  1881)  du  texte  fjrec  inédit  de  la  Passio  Scillitanorum ,  vient  de 
lui  donner  entièrement  raison.  Toutes  ces  condamnations,  avec  le 
proconsulat  de  Saturninus  (2),  se  trouvent  reportées  à  l'année  180. 
Marc-Aurèle  était  mort,  il  est  vrai,  depuis  le  17  mars;  mais  le  chan- 
gement de  régime  résultant  de  l'avènement  de  Commode  n'avait  pu 
encore  avoir  son  effet  dans  les  provinces. 

En  conséquence  nous  donnons,  à  sa  place  légitime,  une  traduction 
littérale  du  précieux  document  que  nous  a  conservé  dans  son  inté- 
grité native  (3)  le  ms.  1470  du  fonds  grec  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale : 

«  Pra?sens  étant  consul  pour  la  seconde  fois  avec  Condianus  (180), 
le  16  des  calendes  d'août,  c'est-à-dire  le  17  juillet,  furent  amenés 
pour  comparaître  dans  le  secretarium,  à  Carthage,  S|)eratus  Nar- 
thallus,  Cittinus,  Donata,  Secunda  et  Vestia.  Le  proconsul  Satur- 
ninus dit  :  "  Vous  pouvez  obtenir  le  pardon  de  notre  empereur,  si 
«  vous  venez  à  résipiscence.  »  Le  bienheureux  Speratus  repondit  : 
«  Nous  n'avons  commis  aucune  mauvaise  action,  ni  proféré  aucune 
"  mauvaise  parole,  mais  nous  rendons  grâces  d'être  maltraités  pour 
«  le  service  de  notre  Dieu  et  notre  Roi.  »  Le  proconsul  Saturninus 
dit  :  «  Mais  nous  avons  aussi  un  culte,  et  ce  culte  est  simple  :  nous 
«  jurons  par  le  génie  naturel  de  l'empereur  notre  maître,  et  nous 
Il  prions  pour  sa  conservation  ;  il  faut  que  vous  en  fassiez  autant.  » 


(1)  cf.  la  dernière  lettre  écrite  par  RonciiEsi,  au  t.  VUI  de  ses  OEucres,  p.  6U. 

(2)  "  Qiiem  constat  consuleni  ordinarium  a  CXCV  fuisse  »,  dit  l'auleur  bien  mé- 
ritant de  la  découverte,  loc.  cit.,  p.  i.  il  est  certain,  au  contraire,  que  ce  Saturninus, 
ayant  dû  ol)tenir  le  consulat  douze  ou  treize  ans  avant  son  procousulal,  et  devenu 
aveufjle  peu  après,  180,  ne  peut  être  le  même  que  le  consul  ordinaire  de  198  (non  de 
195),  qui  rétait  d'ailleurs  pour  la  première  fois. 

(3)  A  l'hypothèse  d'un  original  latin  proposée  par  M.  rabl)é  Dicuksnk,  Bulletin  cri- 
tique, 1881,  p.  280,  nous  préférons  l'opinion  de  M.  Ai  ni';,  dans  son  Etude  sur  un  nouveau 
texte  des  actc.i  des  martyrs  Scillitnins  (l'aris,  1881),  où  l'on  trouvera,  du  reste,  réunis  tous 
les  éléments  de  (  omparaison  que  nous  possédons,  y  compris  un  texte  latin  décou- 
vert par  M.  Auhé  lui-même. 


-  127  — 

Le  bienheureux  Speratus  dit  :  (i  Si  tu  me  prêtes  une  attention  calme, 
«  je  te  raconterai  le  mystère  de  la  véritable  simplicité.  »  Le  pro- 
consul Saturninus  dit  :  "  Tu  vas  commencer  à  dire  du  mal  de  notre 
«  religion,  et  je  ne  puis  t' écouter;  mais  plutôt  jurez  par  le  génie  de 
K  notre  maitre.  "  Le  bienheureux  Speratus  dit  :  "  Je  ne  connais  pas 
tt  l'empire  du  siècle  présent;  je  loue  et  j'honore  mon  Dieu  qu'aucun 
«  homme  ne  peut  voir,  car  on  y  est  impuissant  avec  les  yeux  du 
ti  corps.  Je  n'ai  pas  dérobé;  lorsque  j'achète  quoi  que  ce  soit,  je 
"  paye  l'impôt,  et  cela  parce  que  je  reconnais  ISotre-Seigneur  comme 
Il  le  Roi  des  rois  et  le  Maître  de  toutes  les  nations.  ^  Le  proconsul 
Saturninus  dit  aux  autres  :  '^  Apostasiez  la  susdite  croyance.  ■»  Le 
bienheureux  Speratus  dit  :  «  Une  croyance  dangereuse  est  celle  qui 
«  se  permet  l'assassinat  ou  le  faux  témoignage.  «  Le  proconsul  Sa- 
turninus dit  :  "  Gardez-vous  de  tremper  ou  paraître  tremper  dans 
n  une  pareille  folie  et  aberration.  «  Alors  le  bienheureux  Cittinus, 
prenant  la  parole,  repartit  :  «  ISous  craignons  le  Seigneur  notre  Dieu 
«  qui  habite  dans  les  cieux,  et  n'avons  point  d'autre  crainte.  ''  La 
bienheureuse  Donata  dit  :  ■■  Nous  rendons  l'honneur  à  César  comme 
«  César,  mais  la  crainte  à  notre  Dieu.  "  La  bienheureuse  Vestia  dit  : 
«  Pour  moi,  je  suis  chrétienne  «,  et  la  bienheureuse  Secunda  reprit  : 
«  Je  le  suis  aussi,  et  je  me  dispose  à  persévérer.  »  Alors  le  proconsul 
Saturninus  s' adressant  au  bienheureux  Speratus  :  «  Tu  demeures 
«  également  chrétien?  »  Le  bienheureux  Speratus  dit  :  >'  Je  suis 
tt  chrétien.  •'  Tous  les  autres  bienheureux  dirent  de  même.  Le  pro- 
consul Saturninus  ajouta  :  «  Vous  ne  demandez  aucun  délai  pour 
ft  réfléchir?  »  Le  bienheureux  Speratus  répliqua  :  «  Dans  une  alter- 
<■<.  native  aussi  tranchée,  il  n'y  a  pas  lieu  à  délibération  et  à  réflexion.  » 
Le  proconsul  Saturninus  dit  :  ^  Quels  sont  ces  écrits  qui  se  trouvent 
«  parmi  vos  affaires  ?  »  Le  bienheureux  Speratus  dit  :  "  Nos  livres 
tt  sacrés,  et  de  plus  les  épîtres  du  saint  homme  Paul.  «  Le  proconsul 
Saturninus  dit  :  *  Je  vous  donne  un  terme  de  trente  jours  pour  voir 
«  si  peut-être  vous  deviendrez  raisonnables.  ^5  Le  bienheureux  Spe- 
ratus répondit  à  cela  :  «  Je  suis  chrétien  sans  retour  ",  et  tous  les 
autres  ensemble  répétèrent  la  même  chose.  Alors  le  proconsul  Satur- 


—   128  — 

niniis  prononça  contre  eux  la  seDtrnce  ainsi  conçue  :  u  Speratus, 
"  IVarthallus  et  Cittinus,  Donata,  Vestia  et  Secunda,  ainsi  que  les 
«  absents  qui  ont  tous  déclare'  vivre  à  la  façon  des  chre'tiens  :  attendu 
«  que,  un  terme  leur  ayant  e'te'  accorde'  pour  revenir  à  la  tradition  ro- 
(i  maine,  ils  se  sont  obstine's  à  ne  pas  vouloir  chan{jer  d'avis,  sont 
«  condamne's  à  être  de'capite's.  ^ Alors  l'athlète  du  Christ,  Speratus, 
transporte  de  joie,  adressades  remercîments  à  notre  Dieu  qui  les  avait 
appele's  à  mourir  pour  lui.  Et  le  bienheureux  IXarthallus  s'e'cria,  plein 
de  contentement  :  "  Aujourd'hui,  nous  sommes  vraiment  des  martyrs 
«  agre'ables  à  Dieu  dans  le  ciel.  «  A  ce  moment,  le  proconsul  Satur- 
ninus  fit  proclamer  par  le  héiaut  les  noms  des  bienheureux  martyrs  : 
Speratus,  rS'arthallus,  Cittinus,  Veterius,  Fe'lix,  Aquilinus  et  L<Ttan- 
tius  (1),  .lanuaria,  Generosa,  Vestia,  Donata  et  Secunda.  Alors  tous  ces 
bienheureux,  rendant  gloire  à  Dieu,  disaient  d'une  seule  voix  :  «  Nous 
«  te  be'nissons.  Seigneur  trois  fois  saint,  et  nous  t'exaltons,  de  ce  que 
«  tu  as  achevé'  d'une  manière  propice  le  combat  de  notre  confession 
"  et  de  ce  que  ton  règne  s'e'tend  aux  siècles  des  siècles.  Amen.  " 
Et  tandis  qu'ils  disaient  :  <■<■  Amen  t,  ils  pe'rirent  par  le  glaive,  le 
17  juillet. 

«  Les  bienheureux  e'taient  originaires  de  Scilli,  en  Numidie,  et  ils 
reposent  près  de  Carlhage,  la  me'tropole.  Leur  martyre  s'effectua  sous 
le  consulat  de  Prœsens  et  de  Condianus  et  le  proconsulat  de  Satur- 
ninus,  et  pour  nous,  sous  le  règne  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
à  qui  convient  toute  gloire,  tout  honneur,  toute  adoration  avec  l'Esprit 
très-saint  et  vivifiant,  à  présent  et  toujours  et  dans  les  siècles  des 
siècles.  Amen.  « 

(1)  Le  manuscrit  porte  :  Kî),î(7tïvov,  probablement  pour  Ka'./.ataTÎ'/ov,  xal  Aaixivrtov. 


TROISIEME  PARTIE 

RAPPORTS    DE    L'ÉGLISE    CHRÉTIENNE    AVEC    L'ÉTAT    ROMAIN 
DE    ISO   A   235 


L'exemple  particulier  que  nous  venons  d'avoir  sous  les  yeux  appar- 
tient encore,  d'après  la  distinction  e'tablie  vers  la  fin  de  la  partie  pre'- 
ce'dente,  à  la  pe'riode  des  bons  empereurs.  Marc-Auréle  mort,  les 
chre'tiens  respirèrent  un  peu  sous  le  de'testable  gouvernement  de 
Commode,  17  mars  180-31  de'cemhre  192  (1).  Avec  son  règne  com- 
mence l'e'poque  de  transition,  qui  doit  nous  conduire  jusqu'à  la  pro- 
scription du  christianisme  par  e'dits  successifs ,  ou  comme  Ton  dirait 
aujourd'hui,  par  un  motu  proprio  de  chaque  souverain.  Cette  e'poque 
peut  être  triplement  caracte'rise'e  de  la  manière  suivante  : 

1"  Au  fond,  la  situation  officielle  n'est  pas  change'e  ;  le  rescritde 
Trajan  ne  sera  abroge'  en  fait,  sinon  en  droit,  que  sous  Alexandre 
Sévère. 

2"  Des  relations  officieuses  sont  cre'e'es,  tant  par  le  bon  plaisir  du 
gouvernement  que  par  la  bonne  volonté  de  l'Église  à  se  mettre  en 
rapport  avec  lui. 

3°  Une  tendance  se  fait  jour  :  l'Etat,  lorsqu'il  voudra  cesser  les  rela- 
tions, ne  pouvant  plus  reprendre  absolument  la  situation  officielle 
ancienne,  emploiera  de  préférence  des  mesures  spéciales,  adaptées  aux 

(1)  Chron.  pasc,  éd.   de  Bonn,  p.  489  :  Ooto;  ô  Kci[aij.ooo;  ztz\  r/-,;  xJtoO  v.pxvf^'jziai 

9 


—  130  — 

temps  et  aux  lieux,  mais  susceptibles  de  se  géne'raliser  plus  taid 
dans  l'empire  entier. 

C'est  ce  que  nous  allons  vérifier  en  continuant  à  exposer  la  suite 
des  faits. 

Parmi  les  peines,  dites  capitales  endroit  romain  (1),  et  que  le  rescrit 
de  Trajan  donnait  aux  magistrats  la  faculté'  d'appliquer  aux  chi'étiens, 
se  trouvait  la  condamnation  aux  travaux  force's  [ad  tnetalla),  qui  re'- 
duisait  le  condamne'  à  la  condition  d'esclave  et  qui,  conside're'e  comme 
une  commutation  de  peine  du  supplice  delà  croix,  e'tait  ordinairement 
re'servëe  aux  gens  de  condition  infe'rieure.  Nous  ne  l'avions  rencon- 
trée jusqu'à  présent  que  dans  les  actes  légendaires  de  saint  Clément, 
qui  la  font  remont<  r  à  Trajan  lui-même.  Cependant  Pline  ne  semble 
pas a\oir envoyé  les  fidèles  de  Bithynie  aux  cari'ières  de  Ciimée  ;  mais  il 
est  prouvé  que  cette  peine  était  déjà  en  usage  par  une  lettre  de  l'évêque 
Denys  de  Corinthe  aux  Romains,  dont  voici  un  extrait  (2)  :  «  Dès  le 
commencement  votre  coutume  a  été  de  faire  du  bien  de  toutes  les 
façons  à  vos  frères,  envoyant  des  secours  à  beaucoup  d'Eglises  dans 
les  différentes  villes,  allégeant  la  misère  des  indigents,  venant  en  aide 
aux  frères  qui  sont  dans  les  mines  par  les  subsides  que  vous  leur  avez 
toujours  adressés,  fidèles  en  cela  à  la  tradition  de  vos  ancêtres,  tradi- 
tion que  non-seulement  le  bienheureux  Soter  votre  évêque  a  conser- 
vée, mais  qu'il  a  développée.  «  Le  pontificat  de  Soter  se  place  entre 
1C6  et  175.  Comme  à  partir  de  ce  moment  la  charité  du  Pape  eut 
occasion  d'étendre  son  action,  on  peut  en  conclure  que  ces  sortes  de 
condamnations  se  multipliaient,  ce  qui  concorde  avec  ce  que  nous 
savons  du  règne  de  Marc-Aurèle.  Sans  doute  il  faut  voir  là  moins  un 
désir  de  se  départir  de  la  rigueur  primitive  (3)  qu'une  conséquence  du 
nombre  croissant  des  chrétiens,  dont  certains  fonctionnaires  pratiques 

(1)  D.,  liv.  XLVni,  tit.  XIX,  frag.  28  :  Capilaliura  pœnarum  isti  ffradus  sunt.  sum- 
mum supplicium...,  deiiide  proxinia  morli  pci'na,  metalli  cocrcitio.  Cf.  rarticle  de 
M.  iiE  Rossi  sur  les  cliréliens  condamnés  aux  mines,  Bull.,  1868,  p.  17  et  s. 

(2)  Hisl.  ceci.,  liv.  IV,  c.  xxiii  :  'E$  àp-/?,?  yàp  û(iîv  s'Oo^  £(jt"i  toOto,  Trâvrotî  [xàv  àoeX- 
9oy;  TioixîXwc  e'JSf/yîxîîv...  èv  ii£T(i)v),otç  5s  àoE),çoî(;  ûitdtpxovKTiv  £'7ti-/opriyo"jvTaç  ot'  wv 
■5ic[ATi£Tî  àpyriOîv  £:fooéoJv,  TtaTpoTtapâooTOv  k'Oo;  'I'to|j.aî(i)v  'I'to(Aaioî  oixçu/.âxTOvTs;,  o  oy 
jAcivov  otaT£Tr|pr,x£v  ô  jAaxâptoç  'Jixwv  Èntdxono;  Storrip,  à).).à  xa\  £Tcrj'j5r,x£v. 

(3)  Cf.  YEp.  78,  parmi  telles  de  sai.nt  Cypiviln,  où  les  condamnés  aux  mines  de  Nu- 


—  131  — 

aimaient  mieux  pour  l'État  utiliser  le  travail  que  sacrifier  la  vie.  Ce 
nombre  était  tel  qu'un  proconsul  d'Asie  persécuteur,  Arrius  Antoni- 
Dus  (1),  vit  un  jour  son  tribunal  assiégé  par  les  chrétiens  de  sa  pro- 
vince venus  pour  se  livrer  en  masse  ;  il  en  fit  emprisonner  quelques- 
uns,  et  dit  aux  autres  :  «  Insensés  !  si  vous  voulez  mourir,  n'y  a-t-il 
pas  assez  de  cordes  et  de  précipices  (2)  ?  » 

De  fait,  la  persécution  ne  cessa  pas  absolument  dès  les  premières 
années  de  Commode,  et  un  étrange  moyen  fut  adopté  pour  l'arrêter.  Il 
s'agit  d'une  innovation  dans  la  procédure  ancienne  qui  nous  est  révélée 
par  l'affaire  d'Apollonius  :  Eusèbe  avait  eu  les  pièces  entre  les  mains 
et  les  avait  insérées  dans  sa  collection  martyrologique  ;  mais  il  ne 
nous  en  reste  qu'un  court  résumé  dans  XHistoire  ecclésiastique. 
Perennis  étant  préfet  du  prétoire  (183-186),  un  sénateur  chrétien, 
nommé  Apollonius,  distingué  dans  la  science  et  dans  la  philosophie, 
fut  traduit  par  quelque  vil  accusateur  devant  son  tribunal,  pour  cause 
de  christianisme  (3).  Nous  connaissons  peu  de  détails  sur  Perennis, 
mais  sa  conduite  en  cette  occasion  mérite  toute  notre  attention.  Il  com- 
mença par  faire  mettre  à  mort  l'auteur  de  la  dénonciation  (4),  comme 
si  elle  était  fausse;  puis,  ne  pouvant  décider  Apollonius  à  abjurer,  il 
renvoya  la  cause  devant  le  Sénat.  C'était  à  un  moment  où  le  sang 
coulait  à  flots  :  sous  les  prétextes  les  plus  futiles,  les  personnages 
les  plus  illustres  étaient  condamnés  à  périr  (5)  ;  des  femmes  de  fa- 

niidie  décrivent  ainsi  leurs  souffrances  :  »  Fustibus  vulnerata  membra  curasti, 
compedibus  pedes  ligatos  resolvisti,  semitonsi  capitis  capillaturam  ad^quasti,  tene- 
bras  carceris  illuminasii,  montes  in  planum  deduxisti,  naribus  etiam  fragrantes 
flores  apposuisti  et  tetrum  odorem  exclusisti.  =  Qu'on  se  rappeUe  les  Polonais  en 
Sibérie  ! 

(1)  Waddington,  Fastes,  §  157,  donne  l'année  184-185. 

(2)  Tert.,  Ad.  Scap.,  c.  v  :  "'Q   ôsD.o'.,  el  0£).ît£  àuoOvr|C7X£tv,  xpr,[jivovî  "ô  [îpô-/oyî  e-/.£t£. 

(3)  Hisl.  éd.,  liv.  V,  c.  xxi,  21  :  'En't  yoOv  Tr,ç  TwfiaîfDV  to)vS(oç  'Aito>,).(Ôv[ov,  à'vopa 
Twv  tÔtî  TttaTwv  £7t\  itaiOct'x  xKi  çO.oaoçca  (3£oOY)|jivov,  1-k\  ôtxaTTTiptov  a-^ti  (oac[j-wv), 
êva  yé  Tiva  twv  £i;  TaOxa  linirfizluù^i  a-jTw  otaxovwv  £it\  xaT/jyopia  xàvopô;  £y£tpxç. 
Saint  Jéhôme,  De  vir.  ill.,  c.  xlii,  donne  à  Apollonius  le  titre  de  sénateur,  que  justifie 
la  suite  du  récit,  et  il  dit  expressément  que  le  dénonciateur  était  un  esclave,  ce 
qui  résulte  bien  du  genre  de  supplice  qui  lui  fut  infligé. 

(4)  AÙTtxa  xaxâyvuTai  ta  (jxéXy),  n£p£vvwu  SixaffTOÙ  xotauTriv  xa-c'  aù-coO  '];-/i?ov 
àuEvfyxavTOç. 

(5)  Lampr.,  lit.  Corn.,  c.  iv  ;  cf.  c.  v  :  Multique  alii  senatores  sine  judicio  inte- 
rerapti,  feminae  quoque  divites. 

9. 


—    132   — 

milles  riches,  des  sénateurs  avaient  été'  exëciite's  sans  jug^ement.  D'où 
venaient  ces  scrupules  en  faveur  d'Apollonius?  Ils  ne  sauraient 
être  attribue's  à  l'empereur,  qu'absorbaient  entièrement  sa  passion 
pour  les  jeux  du  cirque  et  ses  furieuses  débauches.  Quant  à  Peren- 
nis,  au  lieu  de  contrarier  les  goûts  de  son  maître,  il  avait  pris  en  main 
le  pouvoir,  qu'il  exerçait  avec  vigueur.  S'il  faut  s'en  raj)porter  à 
Dion  Cassius,  alors  sénateur,  qui  représente  l'opinion  des  gens  res- 
pectables de  la  capitale,  il  montra  même  une  certaine  honnêteté  qui 
le  fit  regretter  (1).  A  croire  au  contraire  la  tradition  dont  Lampi-ide 
s'est  fait  l'écho,  le  préfet  du  prétoire,  en  s'arrogcant  toute  l'autorité, 
aurait  fait  périr  qui  bon  lui  semblait,  confisqué  les  biens  d'un  grand 
nombre  et  bouleversé  toutes  les  lois  (2).  Ces  deux  opinions  ne  sont  pas 
en  désaccord  autant  qu'elles  le  paraissent;  en  effet,  le  régime  de  l'ar- 
bitraire prête  toujours  aux  jugements  les  plus  opposés.  Telle  aussi 
apparaît  la  conduite  de  Perennis  vis-à-vis  d'Apollonius  :  c'est  à 
la  demande  du  préfet  que  le  sénateur  chrétien,  chose  inouïe  (3), 
prononça  devant  ses  collègues  sa  défense,  éloquente  apologie  de  la 
l'eligion,  qu'Eusèbe  possédait  encore;  mais  le  Sénat  passa  outre,  et, 
après  les  précédents  de  près  d'un  siècle,  ne  crut  pas  pouvoir  se  dis- 
penser de  le  condamner  à  la  peine  capitale  (4). 

Ainsi  le  dénonciateur  avait  été  puni  malgré  la  véracité  de  sa  dé- 
nonciation, et  le  dénoncé,  s'étant  reconnu  chrétien,  avait  souffert  le 
martyre.  C'est  à  l'application  simultanée  des  rescrits  de  Trajan  et 

(1)  Kpit.,  I.  LXXII,  C.  X  :  '0  jiev  oîiv  o-jtw;  Èacpayo,  rjxtiTTa  or,  toO-co  itaOstv  xa'i  ot'  âauTov 
xai  otà  Tr|V  TrâTxv  xwv  'Pw[j.ato)v  àpxô''  ôq/îiXwv...  loia  [xsv  yàp  oOoèv  TtwTtoxE  o-jte 
Ttpô;  ôô^av  oy'fE  Ttpô;  w.oOtov  TîspieêciXEXo  ,  à),Aà  xa\  àowpôxaTa  xai  awçpovfTTaTa 
otriyayï ,  toO  ôà  Ko[j.|j.cioo'j  xa\  TrjÇ  àp/r;?  tjxvj  uâaxv  ka^iù.V'X'i  STiotîîxo. 

{2)Loc.cii.  :  Tune  lainen  Perennis  cuncta  sihiniet  vindicavit,  quos  voluit  intere- 
mit,  spoliavit  plurimos,  omnia  jura  subvcrlit. 

(3)  Ilo/Xà  )-tiiapù)i;  îxeTeûuavTOç  toO  otxaaToO  xa\  Xôyov  aùxôv  It:\  Tr]ç  o-jyxXriToy 
3o'j).ïiç  alxYiiTavxoç,  Xoytwxâxrjv  uTiÈp  ^ç  èixapxûpsi  7tî(TX£«oç  Ira  Tiâvxwv  'no(paff-/wv  àiroXo- 
ytav...  Ilâffâv  te  xtjv  itpà;  xyjv  (T'jyz),r|XOv  aTtoXoyîav  oxw  otayvwvat  çO.ov,  ex  xr|i;  xû>v 
àp-/atwv  [xotpxupfuv  (7vva-/0£t'(Tr;;  r,iiîv  àvaypscpîic  Ei'cTExat.  Il  résulte  du  texte  fort  confus 
de  Hufin  que,  lui  aussi,  a  eu  récrit  entre  les  mains  :  Hujus  Apollonii  marlyris  de- 
fensionem  fidei  apud  Graecos  passionis  ejus  historiam  copnovi  salis  eleganter 
concionasse. 

(4)  lv£ça).txr|  xoAd((7ci  waàv  àitrj  ooyjj.dtxoç  ayyx),r|XO"j  Xc).E'.oOxo<i,  iir^o  aXXo);  àçEîffOai 
xouç  ôcTta?  Et;  SixaaxTipiov  iiaptivxa;  xa^t  (Ar,02([j.â);  xr,;  irpoOÉdîojç  |X£xa6a)>).o|j.évO'j;  àpxx^'>y 
Tap'  a-jxoî;  vôfjiou  xExpaxr^xôxoî. 


-  133  — 

(VHadrien,  en  une  occasion  où  l'un  excluait  l'autre,  qu'aboutissait  la 
bienveillance  de  Perennis;  elle  avait  du  moins  ce  re'sultat  de  de'cou- 
rager  les  accusations  de  christianisme.  Peut-être  n'avait-il  voulu 
d'abord  que  sauver  Apollonius  ;  mais  de  même  que  la  lettre  à  Pline 
qui  prétendait  statuer  uniquement  sur  un  cas  particulier,  e'tait  devenue 
le  code  de  la  matière  (1),  de  même  la  de'cision  qui  nous  occupe  fit  loi 
quelque  temps  à  Rome,  comme  étant  de  date  récente  et  ayant  e'te'  ap- 
plique'e  dans  des  circonstances  solennelles.  Cette  jurisprudence  nou- 
velle ressort  bien,  par  exemple,  de  la  page  d'histoire  qui  nous  a  e' té 
restitue'e  depuis  peu,  grâce  à  M.  Miller,  par  la  publication  des  Philo- 
sophumena  (2).  On  sait  que  ce  livre,  e'crit  par  un  ennemi  personnel 
du  pape  Calliste,  est  un  violent  pamphlet;  toutefois,  comme  il  s'adresse 
à  des  contemporains,  les  de'lails  mate'riels  n'ont  pu  être  invente's  et 
doivent  être  tenus  pour  vrais  :  c'est  ce  qu'a  parfaitement  de'montré 
M.  de  Rossi  dans  une  se'rie  d'ai'ticles  trop  peu  connus,  sans  doute 
parce  qu'ils  sont  devenus  introuvables. 

Calliste,  esclave  chiétien  d'un  affranchi  chre'tien  de  Marc-Aurèle  et 
de  Commode  nomme'  Carpophore  (3),  place'  par  son  maître  à  la  tête 
d'une  banque,  avait  englouti  dans  la  banqueroute  les  de'pôts  des  fidèles 
et  des  veuves  (4).  Son  premier  mouvement  fut  de  s'enfuir  ;  mais  au 
moment  où  il  allait  s'embarquer  pour  Ostie,  Carpophore  remit  la  main 
sur  lui  et  le  condamna  à  tourner  de'sormais  la  meule.  Au  bout  de  quel- 


(1)  V.  notre  deuxième  partie,  §  i. 

(2)  Origems  Philosophumena,  sive  omnium  hœresium  refulalio  :  nunc  primum  edidit 
Emmanuel  Miller  (Oxford,  1851).  L'attribution  d'auteur,  qui  ne  reposait  que  sur  des 
manuscrits  du  premier  livre  isolé,  a  été  discutée  en  dernier  lieu,  à  la  suite  de  tant 
d'autres  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer,  par  M.  l'abbé  Ducbesne  à  son  cours. 
Après  avoir  rejeté  saint  llippolyte,  dont  l'ouvrage  sur  les  hérésies,  d'après  ce  qui 
nous  en  reste,  diffère  des  Philosophumena,  il  a  conclu  que  l'auteur  devait  avoir 
occupé  un  certain  rang  dans  l'Église  romaine  et  avoir  appartenu  à  l'école  philoso- 
phique de  saint  Justin. 

(3)  Les  citations  des  Philosophumena  sont  empruntées  à  l'édition  de  l'abbé  Cruice 
(Paris,  1860),  p.  436  :  O'.yixr,!;  sT-jy/avs  Kapiroçôpo-j  x'.vôç  àvopô;  TiiaToO  ovto;  sx  tti? 
Kawapoç  olxiotç.  V.  une  inscription  de  Carpophore,  Bull.,  1866,  p.  3  :  M.  Aurelius 
Augg.  lib.  Carpophorus  fecit  sibi  et  Aureliae  Epictesi  conjugi  suse,  etc. 

(4)  Espèce  d'ordre  de  charité  dans  l'Église  primitive.  "Oç /aowvTpânsÇav  £7rc-/£tpr,ff£v 
ev  TÎ)  lByo\t.Éyy\  ntcrxcvr,  Tro'jTrXixY),  w  oùx  oXcyai  Tïapa6r|Xai  tw  XP^^V  £ii:nïT£ij6r|(Tav  ûtto 
^Y;pà)v  xa\  ao£>.yà)v  ■Kpo(j-/-r][i.y.'zi  xoO  Kotpnocpôpo'j  •  à  5ï  ÈÇxçavt'aaç  xà  Trâvxa  r|7:ôp£t.  Éd. 
Cruice,  p.  436. 


—  134  — 

que  temps  les  fidèles  demandèrent  et  obtinrent  sa  grâce.  Rendu  à  lui- 
même,  il  alla  faire  esclandre  chez  les  Juifs  réunis  à  la  synagogue, 
parmi  lesquels  vraisemblablement  il  avait  des  créanciers  plus  ou  moins 
usuriers,  voire  même  les  auteurs  de  son  infortune.  Ces  Juifs,  après 
l'avoir  maltraite',  le  traînèrent  devant  le  préfet  de  la  ville,  Fuscianus, 
et  l'accusèrent,  non  pas  directement  d'être  chrétien,  mais  d'avoir  trou- 
blé leur  assemblée  protégée  par  la  loi  romaine  en  faisant  profession 
de  christianisme  (1).  Celait  une  manière  habile  de  ne  pas  encourir  la 
peine  qui  frappait  les  dénonciateurs,  tout  en  insinuant  que  Calliste 
s'était  déclaré  chrétien.  Là-dessus  Carpophore  survint,  voulant  sauver 
son  esclave  et  assurant  que  celui-ci,  depuis  son  désastre  financier,  cher- 
chait un  prétexte  pour  en  finir  avec  la  vie.  Les  Juifs,  furieux,  n'en 
crièrent  que  plus  fort.  Bref  Fuscianus,  connu  pour  sa  sévérité  (2),  sans 
attendre  une  accusation  en  règle,  substitua  l'affaire  capitale  à  celle  de 
simple  police  et  condamna  Calliste,  pour  sa  foi,  à  la  flagellation  et  aux 
durs  travaux  des  mines  de  Sardaigne.  ïertullieu  rappoite  la  conduite 
opposée  du  proconsul  Pudens  (3),  lequel,  rencontrant  la  preuve  de  me- 
naces intéressées  dans  l'acte  d'accusation  d'un  chrétien,  déchira  cet 
acte,  puis  prononça  qu'en  l'absence  d'accusateur  le  rescrit  du  prince 


(1)  Ot  oï  xaTacjtaatacrOévTE;  ûir'  auToO,  evuêptaavTe;  a-jxôv  xai  nAriyà;  £[x.çopr|<javTî;, 
ëffvipov  Itzi  tùv  'ï>û"j(jxtavc)v  £7iap-/ov  ovxa  Tr^i  tiôXeu);.  'AnexptvavTO  oï  Ta&e  •  'Piojiaîot 
c'jv£yoipr,(7av  r|[xîv  Toyç  TtaxpMO'jç  vô|j.o'jç  ôr,[j.0(7ia  avxytvtijffxîiv  •  o'jto;  oï  £Tt£i(7£A0wv 
ÈxcÔA'jE,  xaxaaTao-iâi^wv  r^\t.ù>y,  çdcaxojv  £tvai  ■/picTtavô?.  Ed.  Cruice,  p.  438.  —  On  peut 
croire  que  Calliste  s'était  exprimé  ainsi  :  «^  Vous  m'avez  ruiné  parce  que  j'étais 
chrétien.  » 

(2)  'O  oï  xiv/jÔe'ii;  'jti  a'jTwv,  lAaffTiyojffaç  aOtav,  £Owx£v  £lç  [X£TaA>.ov  i^xpoovia?.  Ed. 
Cruice,  p.  439.—  Capit.  l'ii.  Periin.,  c.  iv  :  In  qua  praefeclura  (urbis)  post  Kuscianum 
boniinem  severum,  l'ertinax  mitissimus  et  iiumanissiuius  fuit.  Ce  chan^jement  eut 
lieu  au  printemps  189:  la  condamnation  de  Calliste  se  place  un  ou  deux  ans  avant.  Les 
détails  d'une  affaire  que  raconte  Tektllmen,  /Id.  »ai.,  liv.  I,  c.  xvi,  feraient  penser 
qu'il  se  trouvait  à  Rome  sous  Fuscianus.  M.  Aubé,  Revue  historique,  nov.-déc.  1879, 
p.  274,  en  note,  trouve  plus  probable  qu'il  recueillit  à  Carthage  l'anecdote  ayant 
dix  ou  douze  ans  de  date.  Cf.  pour  le  séjour  de  Tertullien  à  Rome,  Apologet.,  c.  x\v 
et  XXXV. 

(3)  Il  fut  proconsul  entre  205  et  211.  Le  n»  2749  des  Inscriptions  d'Algérie,  de  M.  Léon 
Remer,  que  M.  Aube,  loc.cit.,  p.  270,  lui  rapporte,  doit  se  lire  :  Quintus  Servilius  l'u- 
dens,  de  la  tribu  Horatia,  fils  de  Quintus  .Servilius  Pudens,  le  consul  de  166  cl  le 
beau-frère  de  l'empereur  Lucius  Verus.  Cette  dernière  qualilé  résulte  d'une  in- 
scription réremmenl  trouvée  en  Tunisie  par  M.  Cagnat,  lequel  toutefois  a  attribué 
l'inscription  précédente  au  consul,  et  non  au  proconsul-  Acad.  des  Inscr.,  séance 
du  8  juillet  1881. 


—  135  — 

lui  interdisait  de  continuer  Tinformation  (1).  Plusieurs  faits  analogues 
montrent  qu'à  la  fin  du  deuxième  siècle  certains  magistrats  commen- 
çaient à  user  dans  le  sens  de  la  douceur  du  pouvoir  discrétionnaire  que 
leur  conférait  la  mise  hors  la  loi  des  chrétiens,  tandis  que  d'autres  en 
profitaient  pour  accentuer  la  rigueur  et  raffiner  les  supplices. 

Pendant  ce  temps,  la  maison  impériale  recrutait  ses  fonctionnaires 
parmi  les  membres  de  la  rehgion  nouvelle.  Outre  Carpophore(2),  nous 
voyons  encore  à  cette  époque  le  procurateur  Prosénès  (3)  qui  fut 
promu  précisément  par  la  confiance  de  Commode  au  degré  le  plus 
élevé  de  sou  emploi.  C'était  assurément  un  appui  dont  les  chrétiens 
devaient  chercher  autant  que  possible  à  se  prévaloir.  Une  autre  cause 
à  laquelle  il  convient  d'attribuer  une  action  modératrice  à  leur  égard, 
est  l'influence  de  Marcia,  depuis  l'année  183  favorite  du  prince.  Ou 
s'est  préoccupé  de  savoir  si  elle-même  était  chrétienne  (4).  M.  Aube 
a  récemment  lu  une  communication  à  l'Académie  des  inscriptions  sur 
ce  sujet,  et  il  a  conclu  affirmativement  (5).  Mais  l'abréviateur  de  Dion 
Cassius,  Xiphilin,  dit  seulement  qu'elle  se  servit  de  sa  toute-puis- 


(1)  Êd  Scap.,  c.  IV  :  Pudens  etiaiii  missum  ad  se  christianum,  in  eulogio  concus- 
sione  ejus  inteUecta,  dimisit  scisso  eodem  eulogio,  sine  accusatore  negans  se  audi- 
turum  hominein,  secundum  mandatum.  V.  pour  le  sens  du  mot  concussio,  id  ,  De 
fuga,  c.  XII  :  Miles  me  vel  delator  vel  inimicus  concutit,  nihil  Ca'sari  exigens,  inio 
contra  faciens,  quum  christianum  humanis  legibus  rtum  mercede  dimiltit.  Cf. 
D.,  liv.  XLVU,  tit.  XUI,  De  concussione.  —  Ann.  de  la  propag.  de  la  Foi,  numéro  de 
mars  1880,  lettre  de  Corée  du  27  mai  précédent  :  «  La  persécution  vient  de  re- 
commencer. Si  l'on  en  croit  les  bruits  qui  circulent,  l'auteur  de  tout  le  mal  serait 
un  païen  qui  aurait  été  malheureusement  mis  au  courant  de  nos  affaires  et  en  au- 
rait profité  pour  extorquer  de  rarg€nt.  Déçu  dans  son  attente,  il  serait  allé  tout 
raconter  au  maître  du  palais.  » 

(2)  Calliste,  qu'on  a  quelques  raisons  de  croire  né  dans  unebriqueterie  de  la  gens 
Domitia  au  Transtevère,  av;  il  di\  suivre  le  sort  de  la  briqueterie  (v.  les  Inscriptions 
doliaircs  laii/ics  de  M.  Descemet,  Paris,  1880);  celle-ci  échut  comme  héritage  mater- 
nel à  Marc-Aurèle,  dont  Carpophore  fut  de  son  côte  l'affranchi. 

(3)  M.  DE  Piossi,  Inscr.  Christ.,  t.  I,  p.  9,  donne  ses  titres  inscrits  sur  le  sarcophage 
que  lui  avaient  consacré  ses  affranchis'paiens,  ainsi  que  la  mention  ajoutée  au  re- 
tour d'une  mission  par  un  affranchi,  son  coreligionnaire,  absent  lors  de  la  mort 
arrivée  en  217. 

(4)  Les  différentes  opinions  sont  exposées  dans  la  Bévue  des  questions  historiqties 
(l^' juillet  1876),  sous  ce  titre  :  Marcia,  la  farorite  de  Commode,  par  M.  DE  Ceuleneer, 
qui  conclue  négativement.  L'auteur  lui  attriljue  une  inscription  d'Anagni  d'après 
laquelle  son  nom  d'esclave  serait  Demetrias;  ses  noms  d'affranchie,  Marcia  Aurélia 
Ceionia. 

(5)  Comptes  rendus  de  1878,  p.  201, 


—    136  — 

sance  auprès  de  Commode  pour  rendre  plus  d'un  service  aux  clu'ê- 
tieiis,  dont  elle  prenait  les  intérêts  (1).  Les  Philosophiiniena  sont 
venus  nous  expliquer  de  quelle  nature  étaient  ces  services,  et  cela 
même  à  propos  de  Calliste.  Nous  l'avions  laissé  travaillant  dans  les 
mines  ;  heureusement  pour  lui,  il  n'y  resta  pas  longtemps.  Vers  le 
commencement  du  pontificat  du  pape  saint  Victor  189-198,  Marcia, 
désireuse  de  faire  une  bonne  œuvre  (c'est  l'expression  dont  se 
sert  notre  auteur)  comme  preuve  de  ses  dispositions  religieuses  (2), 
demanda  la  liste  des  fidèles  condamnés  en  Sardaigne,  dont  elle  fit 
signer  la  grâce  à  l'empereur.  Elle  confia  au  vieil  eunuque  Hyacinthe, 
qui  l'avait  élevée,  le  soin  de  transmettre  la  décision  au  gouverneur  de 
l'ile,  chargé  de  l'administration  des  mines.  Celui-ci  fit  mettre  les  pri- 
sonniers en  liberté  ;  mais  Calliste  ne  se  trouvait  pas  porté  sur  la 
liste,  soit  i)ar  oubli,  soit  avec  intention,  ainsi  que  l'affirme  l'auteur  des 
Philosophiimeua^  qui  pourrait  avoir  été  pour  quelque  chose  dans  cette 
affaire  (3).  Calliste  réclama,  et  Hyacinthe,  ayant  pris  sur  lui  de  faire 
ajouter  son  nom,  le  ramena  comme  les  autres  à  Rome. 

C'est  en  somme  à  une  fantaisie  de  clémence  inspirée  par  IMarcia, 
et  non  à  un  système  réfléchi,  que  nous  avons  affaire  ici.  A  la  mort 
de  Commode  qui  survint  peu  après,  les  chrétiens  de  Rome  se  retrou- 
vaient, au  point  de  vue  légal,  dans  une  situation  aussi  défavorable 
qu'avant  son  avènement.  Si  notre  conjecture  est  juste  (4),  ils  pré- 
tendirent alors  jdacer  sous  la  })rotection  du  nom  de  Marc-Aurèle 
l'avantage  résultant  pour  eux  de  treize  années  d'une  quasi-tolérance. 
Pertinax,  du  reste,  ne  s'étaitmontréhostile,  ni  pendant  son  proconsulat 
d'Afrique  188-189(5),  ni  pendant  sa  préfecture  urbaine  qui  l'avait 


(1)  h'yit.,  1.  LXXH,  C.  iv  :  'IcTTOpetTai  oï  a-JT/j  izollâ  te  -jnsp  tujv  7pt<TTto(vù)v  UTtouôâaat 
xa\  7:o>.),à  auToùç  EOepyeTrjxévai,  âxz  xa'i  Tiotpà  tm  Koia|j.ôo(;)  nâv  o'jvx(j.Évrî. 

(2j  MsTa  -/pôvov  oï  kspwv  Uti  ovtwv  ixaprjpwv,  0£?,r,(Ta(7a  yj  Mapxîa  È'pyov  xi  àyaOôv 
Ipyâ.tjCi'T'yjn  o-jTa  cfùMeoç  iiaUayYi  Ko[j.[xô5ou,  TrpoffxaXEaaiAÉvr,  tôv  (jLaxâpiov  Ouî'xTopa, 
ovTa  ÈTtÎT/OTrov  -zr^ç  'Ev.y.li](jloLZ  xoc:'  Ixsîvo  xxipoO,  £7t/;pwTa  Ttveç  slev  èv  iiapSovia 
[liçiTjÇit;.  P-d.  Cruice,  p.  439. 

(3)  'O  oï  TiâvTwv  àva^oùç  ta  C)v6|xaTa,  tô  toO  KaXXî(TTOu  oùx  ^6wx£v  eiowi;  xà  tetoX- 
IJ.ï)li.iva  Ttap'  aùxoO  "  Tu-/oOiTa  oîiv  tyjç  àÇiwdew?  y]  Mapxîa  itapà  xoO  Ko|A(a6ôou,  Scôwffi 
xr|V  à7to).'j'7i|i.r;v   Itziij-zo').-^^  TaxtvOw   xcv\   (nrâoovxi  TtpeTouxlpfo,  xx),.  Éd.  Cruice,  p.  440. 

(4)  V.  notre  deuxième  partie,  §  m,  p.  113. 

(5)  M.  AtBÉ,    Kevue  historique,    iiov. -déc.   1879,     p.    25i   :    •   On    peut    croire    qu'il 


—  137  — 

suivi.  Quant  à  Marcia  qui  était  entrée  dans  le  complot  du  préfet  du 
prétoire  Lsetus  contre  Commode,  il  prit  sa  défense  tant  qu'il  fut  sur  le 
trône  (1),  mais  elle  ne  tarda  pas  à  être  livrée  aux  prétoriens  avec 
ses  complices  par  Didius  Julianus.  Il  n  est  point  à  croire  qu'elle  mou- 
rut baptisée  ;  la  qualification  de  c&iXo'Qco;  que  lui  donne  l'écrivain 
chrétien  contemporain  en  la  distinguant  des  fidèles,  tzkjtoî,  ne  peut 
même  guère  s'entendre  du  catéchuménat  proprement  dit.  L'évêque 
Deuys  d'Alexandrie,  en  268,  appelle  l'empereur  païen  Gallien 
^iXoôÉwTepoç,  en  reconnaissance  de  ce  qu'il  avait  accordé  une  paix  mo- 
mentanée à  l'Église  (2).  De  même  Flavius  Josèphe  traitait  l'impéra- 
trice Poppée  de  Oiocior^ç,  parce  qu'elle  plaidait  la  cause  des  Juifs 
auprès  de  Néron  (3). 

Septime  Sévère  (2  juin  193-4  février  211),  «  ce  rapide  destructeur 
de  trois  concurrents  à  l'empire  " ,  comme  l'appelle  M.  Villemain,  savait 
qu'il  ne  trouverait  pas  de  chrétiens  parmi  les  partisans  de  ses  adver- 
saires, et,  pour  cette  raison,  il  devait  leur  être  favorable.  Il  les  connais- 
sait par  ailleurs,  ayant  donné  dès  186  pour  père  nourricier  à  son 
fils  Caracalla  un  affranchi  imi)érial  (4),  Evhodus  Sabinianus  (5),  dont 
la  femme  était  chrétienne.  Lui-même,  dans  une  maladie,  avait  eu 

trouva  humain  et  politique  de  ne  pas  tirer  l'épée  contre  une  secte  qui,  quoi  que 
valussent  au  fond  ses  croyances  et  ses  pratiques,  et  quoique  le  vulgaire  en  pensât, 
était  en  somme  paisible  et  docile  aux  lois,  et  qu'il  savait  peut-être  fortement  et  effi- 
cacement protégée  auprès  de  Commode.  > 

(1)  C\piT.,  l  it.  l'ertin..  c.  \,  réponse  de  ce  prince  au  consul  Falco  :  -  Juvenis  es, 
consul,  nec  parendi  scis  nécessitâtes;  paruerunt  inviti  Commodo,  sed  ubi  habue- 
runt  facultatem,  quitl  semper  voluerint,  ostenderunt.  » 

(2)  Hist.,  eccles.,  1.  VU,  C  xxiii,  4. 

(3)  ânt.  Jud.,  \.  XX,  C.  VIII,  11.  Eusèbe  décerne  le  même  titre  à  Julia  Mainmée,  mère 
d'Alexandre  Sévère,  Hist.  eccles.,  1.  VI,  c  xxi,  3. 

(4)  Inscription  d'Anagni  déjà  citée  à  propos  de  Marcia:  Evhodi  M.  Aurel.  Sabiniano 
Augg.  lib.,  etc.  —  Cf.  Dio\  CaS.sils,  Epit.,  liv.  LXVI,  c.  vi  :  Ihp'i  KatTxpôtoy  àvopô?, 
ainsi  l'appelait  Septime  Sévère  dans  un  discours  au  Sénat,  en  203,  ce  qui  s'entend 
bien  d'un  affranchi  de  ses  prédécesseurs. 

(5)  cf.  Teut.,  Ad  Scap.,  c.  IV"  :  Ipse  etiam  Severus,  pater  Antonini,  christianorum 
memor  fuit;  nam  et  Proculum  christianum  qui  Torpacion  cognominabatur,  Evhodi 
procuratorem,  qui  eum  per  oleum  aliquando  curaverat,  requisivit  et  in  palatio 
suo  habuit  usque  ad  mortein  ejus  :  quem  et  Antoninus  optime  noverat,  lacté 
christiano  educatus,  —  La  maladie  de  Sévère  se  place  vers  194.  Cf.  Sp.\rt.,  Vit.  Pesa. 
Nig.,  c.  IV  :  In  vita  sua  Severus  dicit,  se  priusquain  filii  sui  id  aHatis  haberent  ut 
imperare  possent,  aegrotantem  id  in  aniino  habuisse  ut,  si  quid  forte  sibi  accidisset, 
Niger  Pescennius,  etc. 


—  138    - 

recours  à  un  esclave  chre'tien  «le  cet  affranchi,  Proculus,  surnomme' 
Torpacion,  qui  l'avait  g^uéri  et  que,  par  reconnaissance,  il  voulut  fjanler 
dans  le  palais  jusqu'à  sa  mort.  C'était  sans  doute  aussi  un  frère  de  lait 
que  Caracalla,  âge'  de  sept  ans,  sut  un  jour  avoir  été  battu  à  cause  de 
sa  religion  (1)  :  raison  pour  laquelle  il  garda  rancune  à  son  père  et  au 
père  de  son  camarade  de  jeux,  comme  s'ils  avaient  été  les  auteurs  des 
coups.  Involontairement  ici,  on  se  souvient  de  la  caricature  gravée  à 
la  pointe  sur  les  murs  du  pœdagogium  du  Palatin  :  un  homme  à  tête 
d^àne  crucifié,  recevant  le  baiser  d'adoration  d'un  individu,  au-dessous 
duquel  on  lit  'AXcqotVevo;  c£€£T£  (te  pour  xai)  6£ov,  et  Alexamène,  ainsi 
tourné  en  dérision,  se  contentant  un  peu  plus  loin  pour  toute  réponse 
d'affirmer  sa  foi  en  signant  Wilâ^twc,  fidelis  (2).  D'autre  part,  l'Apolo- 
gétique de  Tertullien,  si  on  le  remarque,  est  adressée  au  Sénat,  100  (3). 
L'orateur  africain  ne  réclame  rien  de  Septime  Sévère,  qui  alors  était 
reparti  pour  l'Orient,  mais  qui,  peu  avant,  en  107,  revenant  de 
vaincre  Clodius  Albinus  à  Lyon,  et  ayant  fait  mettre  à  mort  une  foule 
des  premiers  personnages  de  Rome  (Spartien  (4)  en  nomme  quarante- 

(1)  Spart.,  lit.  Carac,  c.  i  :  Septennis  puer  quum  collusorem  suum  piieruiii  ob 
Judaïcain  reliyionem  gravius  verberatum  audisset,  nequepatrem  suum  neque  pa- 
trem  pueri  velut  auctores  verberum  diu  respexit.  —  M.  de  Rossi,  Bull.,  |8C5,  p.  94, 
voit  là  uu  enf,int  juif;  nous  admettrions  plutôt  une  confusion  de  langafjechez  Técri- 
vain,  car  la  distinction  léyale  alors  était  solidement  établie  en  faveur  des  Juifs. 
D.  liv.  L,  lit.  H,  frag.  3,  §  3  :  Eis  qui  .ludaïcam  superstilionem  sequantur  divi 
Severus  et  Antoninus  honores  adipisci  permiserunt .  sed  et  nécessitâtes  eis  impo- 
suerunt  quae  superstionem  eorum  non  la-derent.  A  ce  texte  d'LLPiEN,  ajouter  celui 
de  MoDESTiN,  D.,  liv.  XXVIl,  lit.  I,  frag.  15,  ,^  6. 

(2)  Les  graffiti  owi  éié  retrouvés,  l'un  en  1856,  l'autre  en  1870.  Dom  Gléranger  les 
reproduit  dans  son  Histoire  de  sainte  Cécile  (éd.  iUustr.,  Paris,  1874),  p.  338,  et  les 
croit  de  la  fin  du  règne  de  Marc  Aurèle.  M.  Aube,  qui  ne  mentionne  que  le  premier, 
la  Polémique  piiienne,  p.  99,  est  du  même  avis.  Ces  auteurs  s'appuient  sur  l'allégation 
contenue  dans  VOciarlus  de  Minucils  Félix,  c.  ix,  et  renouvelée  de  Tvcrri ,  Jfisi.,  I.  v, 
c.  III,  contre  les  .Juifs.  Il  nous  semble  qu'il  faut  se  rapprocher  davantage  pour  la 
date  du  texte  plus  précis  de  Ti  un  lliin,  qui  parle  d'une  caricature  pr.iprement  dite. 
Ad  nat.,  1,  I,  c.  xiv,  et  Apologet.,  i,.  xvi  :  Nova  jam  Dei  nostri  in  ista  civitate  proxime 
editio  publicata  est,  ex  quo  quidem  in  frustrandis  bestiis  mercenarius  noxius  pic- 
turam  proposuit  cum  ejusmodi  inscriptione  DEVS  CIIHISTIANORV.M  OXOKOITHi:. 
Is  erat  auribus  asiuinis,  altero  pede  nngulatus,  librum  gestans  et  togatus. 

(3)  Hisl.  ecel.,  liv.  V,  C.  v,  5  :  'O  TepT-jA/tavo;  tÎ)  'Po)[j.aVxrj  (7'jyy.),T|T(.)  iipoiÇ'ti)vr,<7ai; 
ÛTiàp  TT,;  TitTT£o)ç  àiro),oytav.  Il  avait  même  adressé  cet  appel,  sous  une  première 
forme,  directement  à  la  population  païenne,  .hl  naiioues. 

(4)  Spart.,  lit.Sev.,  c.  xii  :  Interfectis  innumeris  Albini  partium  viris,  inter  quos 
muiti  principes  civitatis,  multae  feminae  illustres  fuerunt. 


—  139  — 

deux),  protég^ea  au  contraire  les  chrétiens  de  grande  naissance,  et  leur 
rendit  publiquement  hommage  malgré  l'hostilité  du  peuple  (1).  Ses 
sentiments  étaient  connus,  car  à  la  prise  de  Byzance  en  195,  le  persé- 
cuteur Cœcilius  Capella,  qui  gouvernait  pour  Pescennius  i^iger, 
s'écria,  dit-on  :  <■<■  Chrétiens,  réjouissez-vous  (2).  » 

Cependant  leur  joie  ne  dut  pas  être  de  longue  durée,  si  nous  en 
croyons  Spai'tien,  qui  rapporte  un  édit  de  l'empereur  rendu  pendant 
son  voyage  en  202,  et  interdisant  sous  peine  de  mort  les  conversions  au 
judaïsme  et  au  christianisme;  mais  le  même  auteur  indique  que  cette 
législation  (3)  s'appliquait  aux  habitants  de  la  Palestine.  11  faut  seule- 
ment admettre  qu'elle  fut  étendue  à  l'Egypte,  où  les  deux  religions 
comptaient  de  si  nombreux  adhérents,  et  même  elle  semble  avoir 
été  faite  surtout  en  vue  de  ce  pays,  dont  on  connaît  le  régime  excep- 
tionnel. C'est  là  que  nous  rencontrons  la  première  de  ces  demi-mesures 
révélant  une  forme  nouvelle,  que,  devant  la  force  des  choses,  affec- 
tera de  prendre  de  plus  en  plus  la  persécution. 

A  Alexandrie,  selon  l'habitude,  la  situation  des  chrétiens  empira 
rapidement,  ainsi  que  l'attestent  les  lignes  suivantes  contemporaines 
des  événements  :  «  Chaque  jour,  dit  Clément  dans  ses  Stromates  (4), 
ouvre  sous  nos  yeux  de  nouvelles  sources  de  martyrs;  on  les  brûle,  on 
les  torture,  on  leur  tranche  la  tête.  »  11  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner, 
puisque  cela  se  passait  sous  l'administration  de  Lœtus,  l'un  de  ceux 
qui  devaient  conseiller  le  plus  instamment  à  Caracalla  l'assassinat 
de  son  frère.  Parmi  ses  victimes,  il  faut  compter  Léonide,  le  père 
d'Origène,  qui  fut  décapité  et  dont  les  biens  furent  confisqués  (5).  Son 

(1)  TEnT.,«rf  Scaj).,  c,  IV  :  Sed  et  clarissimas  feminas  et  clarissimos  viros  Seve- 
rus  sciens  hujus  sectae  esse,  non  modo  non  laesit,  verum  et  teslimonio  exornavit,  et 
populo  furenti  in  nos  palam  restitit. 

(2)  Ibid.,  c.  m  :  Caecilius  Capella  in  illo  exitu  Byzantine  :  Clirisliani,  gaudele, 
exclamavit. 

(3)  Spabt.,  lit.  Sev.,  c.  xvii  :  In  itinere  Palaestinis  plurinia  jura  fundavil,  Judœos 
fieri  sub  gravi  pœna  vetuit,  idem  etiam  de  christianis  sanxit. 

(4)  Strom.,  I.  H,  C.  xx,  §  125  :  'H|iîv  oà  açÔovot  jjLapxûptov  Tir/ya^  IxaTTOÇ  r,[X£paç  Èv 
ôçQa/.fxoîi;    VifjLwv    6£wpoy(ji£vat   TtcfpoTiT-wfAEVwv,    avaaxtvôuXeuoiJLévwv,    xàç    x£cpa).ài;  aTtoxe- 

[JLVO[JL£V(iL)V. 

(5)  Hist.eccl.,  1.  VI,  C.  !  et  suiv.  :  'EvoT;  xai  AEwvtorjç  ô  Xeyôiievoç  'Qptyévouç,  ua-crip  tyiv 
y£<pa>vr,v  airoTiXYiOe'iç...  xr^ç  yE  [Ar|V  xoO  Tiaxpoç  Trepiouirîaç  toÎç  (5a<7iXixotç  xafitecoi;  àvaX-^- 
cpO£iff-/)ç...  ôéxaxov  (xèv  yàp  luer/e  Seêripo;  xti;  patrtXeîa;  exoç,  TiyEîxo  Se 'AXe^avcpsiaç  xa\ 


—   140  — 

fils,  âgé  de  dix-sept  ans,  que  sa  mère  pouvait  à  peine  retenir,  e'crivait 
à  l'illustre  martyr  :  «  Prends  {jarde  de  chanjjer  d'avis  à  cause  de 
nous.  V  Aon  content  de  manifester  ainsi  sa  foi,  en  iléj)it  de  la  prohi- 
bition officielle,  il  rouvrit  l'e'cole  catëclie'tique  que  Cle'ment  d'Alexandrie 
venait  de  quitter  (1),  et  son  jeune  âge,  non  plus  que  les  circonstances, 
ne  rebutèrent  pas  les  auditeurs  païens  qu'attirait  vers  lui  la  soif  de  la 
ve'rite'.  Pamii  ses  élèves  qui  payèrent  leur  courag^e  de  leur  vie,  Eusèbe 
nomme  Plutarque,  He'radide,  Héron,  les  deux  Screnus,  et  une  jeune 
fille  appelée  lierais.  Mais  déjà,  Subatianus  Aquila  avait  succédé  à 
Laetus  comme  gouverneur  ;  c'est  lui  qui  fit  péiir  dans  les  flammes  après 
d'affreux  tourments  la  vierge  Potamienne,  avec  sa  mère  Marcelle,  et  le 
soldat  Basilide  que  ce  spectacle  avait  converti  (2).  Quant  à  Septime 
Sévère,  il  n'avait  pas  tardé  à  rentrer  à  Rome  pour  célébrer  le  dixième 
anniversaire  de  son  avènement,  et  il  est  à  croire  qu'il  ne  fut  jias  témoin 
de  toutes  les  conséquences  de  son  édit.  L'édit  lui-même  resta-t-il  long- 
temps en  vigueur?  Il  est  permis  d'en  douter,  car  nous  avons  le  titre 
d'un  écrit  adressé  par  l'évéque  d'Antioche,  Sérapion  (mort  vers  205),  à 
un  certain  Domninus  qui  ])ar  suite  de  la  persécution  était  passé  de  la 
religion  chrétienne  à  la  religion  juive  (3),  ce  qui  indique  que  les  Juifs 
prosélytes  furent  peu  molestés,  et  qu'après  un  court  malentendu,  on 
rectifia  la  décision  impériale,  et  l'on  se  contenta  d'en  revenir  aux 
anciens  errements  contre  les  chrétiens. 

Les  précédents  laissaient  une  si  grande  latitude  aux  gouverneurs 
des  provinces  (4),  que  leur  véritable  ligne  de  conduite  à  cet  égard 

TTfi  XotTTÎiç  AlyÛTtTou  AaîTo;..  —  Spai\t.,  lit.  Carac,  c.  m  :  Ipse  enim  inler  suasores 
Getae  mortis  primus  fuerat. 

(Ij  clément  se  retira  auprès  d'Alexandre,  évêque  de  Cappadoce  transféré  sur  le 
siège  de  Jérusalem,  et  qui  avait  été  son  élève.  ///«/.  eccles.,  1.  VI,  c.  xi,,6,  et  xiv,  9. 
Celui-ci  le  chargea  tandis  qu'il  se  trouvait  en  prison,  sans  doute  pour  avoir  baptisé 
quelque  néophyte,  de  porter  une  lettre  à  Asclépiade,  élu  évéque  d'Antioche  à  la 
place  de  Sérapion  vers  205. 

(2;  Hitl.  eccl.,  I.  IV,  c.  V  :  Baat/.ciorjÇ  Tr|V  7iîp(6ô/;TOv  lIoTa[j.taîvav  aTtayaywv  nep'i 
/•,;...  (jLETà  0£tvà;  xat  çpixTa;  elueiv   paaâvoyç  a[j.a  t?)  ix/jTp'i  MapxéX/ri  oià  Ttupô;  lù.tW)- 

(3J  Hisl.  ceci.,  1.  VI,  c.  -VU  :  Ta  Ttpô;  Ao[j.vîvov  èxuETtxtoxôxa  Ttvi  Tiapà  t'ov  toO  otwy- 
(xoO  xatpôv  à-KO  Tr,?  elç  XpiUTov  TiiaTEd);  Èti'i  ttiV  'IovoxVxtjV  EOeAoOpriUZEtav. 

(4)  Cf.  ad  Scap.,  c.  m,  où  l'on  voit  le  gouverneur  de  Cappadoce  commencer  à 
persécuter,  parce  que  sa  femme  s'était  convertie  au  christianisme. 


—   141   — 

avait  fini  par  rentrer  dans  le  cadre  gëne'ral  trace'  par  le  guide - 
manuel  d'Ulpien  De  officio  proconsulis  (Ij,  à  savoir,  la  poursuite 
d'office  de  toutes  les  mauvaises  gens.  Les  juges  ne  se  demandaient 
plus  si,  par  les  mots  :  conquirendi  non  sunt,  le  rescrit  de  Trajan 
n  avait  pas  excepte'  les  chrétiens  de  ce  nombre.  Nous  avons  vu  aussi 
quelle  interprétation  large  lui  avait  donnée  le  légat  de  la  Lyonnaise, 
sous  >Iarc-Aurèle;  son  successeur  voulut  apparemment  faire  du  zèle  à 
l'occasion  des  Decennalia  de  Sévère;  car  à  cette  date,  203,  doit  être 
enregistrée  la  condamnation  du  successeur  de  saint  Pothin,  saint  Iré- 
née.  Nous  ne  possédons  malheureusement  aucun  détail  sur  sa  mort  (2), 
et  déjà  le  pape  saint  Grégoire  le  Grand  (3),  après  de  minutieuses 
recherches,  n'avait  pu  retrouver  ses  actes  non  plus  que  ses  écrits. 
Quant  aux  écrits  de  l'illustre  métropolitain  de  la  Gaule  (4),  plus  heu- 
reux que  saint  Grégoire,  nous  possédons,  outre  les  fragments  de  ses 
lettres  conservés  dans  Eusèbe,  une  antique  version  latine  très-fidèle 
de  son  grand  traité  contre  les  gnostiques,  qui  était  intitulé  ïlpo;  rà; 
aiç£<j£t?,  mais  nous  n'avons  que  les  titres  de  ses  autres  ouvrages. 
Haute  avait  été  sa  considéiation  dans  l'Église  entière,  et  non  moins 
profonde  l'affection  que  lui  avaient  vouée  les  fidèles  de  Lyon ,  comme 
le  prouvent  les  termes  avec  lesquels  ils  le  recommandaient  au  pape 
saint  Éleuthère,  dès  177  (5).  Aussi  sa  mort  ne  fut-elle  pas  isolée;  la 
tradition,  représentée  par  l'inscription  de  la  vieille  mosaïque  placée 


(1)  D.,  liv.  I,  tit.  XVni,  fr.  13  :  Congruit  bono  et  gravi  praesidi  curare.,  ut  malis 
hominiljus  proviiicia  careat,  eosque  conquirat  :  nam  et  sacrilegos,  latrones,  pla- 
giarios  fures  conquirere  del)et. 

(2)  Quœst.  etrespons.  ad orthodoxos  c.  cxv  :  XaOwç  ÇYi-yiv  u  [j.a-/ip'.o;  E'.pr,vato;,  o  [xaprj(; 
xa\  £U!(jxo7ioç  Ao'jyoo'jvo'j.  Èv  x'o  TTîp'i  ToO  ïlin/u.  lôyiù.  Cf.  saint  Jei\ome,  Comm.  in 
Isai,  c.  LXIV. 

(3)  L.  XI,  Ëp.  56,  ad  Miherium  Lugdunensem  episcopum  :  Gesta  vcro  vel  scripta  bcati 
Irenaei  jani  diu  est  quod  sollicite  quaesivimus,  sed  hactenus  ex  eis  inveniri  aliquid 
non  valuit. 

(4)  Ka\  Twv  xaTa  FxAAiav  ok  irapoty.twv  a;  E'.pr|VaTo;  Èusay.ÔTtEi.  Ainsi  s'exprime  Eu- 
sÈBE,  Hist.,  eccl.,  1.  V,  c.  xxiii,  3,  énuniérant  les  lettres  collectives  qui  furent  adres- 
sées au  nom  des  différentes  provinces  ecclésiastiques  au  sujet  de  la  pàque  sous  le 
pape  saint  Victor,  189-198. 

(5)  Hist.  eccl.,  1.  V,  c.  IV,  2  :  Kat  irapaxa>.oO[jLcV  è'y.îiv  ai  xj-rôv  Èv  Ttapa6l(7£i  Cl^'^" 
Tr)v  ovxa  vfn  StaOï^xr,;  XptffToO  •  si  yip  f^o£'.(Xîv  toitov  t'.v\  O'.xa'.oo-jvr.v  TtEpntoteîdOai,  (n^ 
7tp£<j6'jTcpov  IxxXViUca;  ouîp  £<7t\v  £7t'  auTÔ)  cv  TipwTOi;  av  uapsOéjxôOa. 


—  142  — 

au-dessus  de  sou  tombeau  (t),  parle  de  milliers  de  martyrs,*  millia 
dena  novemque.  Assure'ment  Lyou  u'eu  était  pas  à  son  premier  soulè- 
vement populaire;  mais  quoiqu'il  soit  difficile  de  préciser,  vu  l'absence 
de  documents,  le  caractère  de  cette  persécution,  à  en  juger  par  les 
renseifjnements  que  Tertullien  nous  fournit  sur  la  persécution  d'Afri- 
que, nous  sommes  en  droit  de  nier  qu'elle  se  fondât  sur  autre  chose 
que  la  longue  jurisprudence  inaugurée  par  le  rescrit  de  Trajan,  et 
renouvelée  à  Lyou  même  par  Marc-Aurèle.  C'est  ainsi  que  Gôrres, 
que  son  système  conduit  à  priori  à  voir  dans  le  règne  de  Septime 
Sévère  uue  époque  de  paix  pour  l'Église  (2),  est  forcé  de  reconnaître 
que  jamais  paix  ne  subit  autant  de  violations  partielles. 

Ouintus  Septiniius  Florens,  })lus  connu  sous  le  nom  de  Tertullien, 
légiste  (3),  rhéteur  et  philosophe  païen,  depuis  sa  conversion  défenseur 
ardent  et  éloquent  du  christianisme,  prêtre  et  finalement  chef  de  secte, 
est  une  figure  curieuse  de  l'époque  où  nous  sommes  parvenus.  11 
semble  personnifier  un  instant  en  lui  la  cause  de  l'Église  en  face  de 
l'État;  sa  hardiesse  est  si  grande  qu'on  s'étonne  qu'elle  ait  pu  être 
tolérée,  et  alors  que  certainement  la  qualité  de  chrétien  dénoncée  au 
juge  suffisait  pour  envoyer  au  martyre,  on  se  demande  pourquoi,  à  la 
différence  de  saint  Justin,  il  n'a  rencontré  aucun  accusateur.  Les 
pièces  à  conviction  ne  faisaient  pas  défaut;  comment  eùt-il  renié  ses 
nombreux  écrits?  Il  n'y  a  qu'une  explication  à  ce  fait  :  les  choses  ne 
se  seraient  pas  passées  ainsi,  en  d'autres  temps  que  ceux  de  la  dynastie 
africaine.  En  effet,  Tertullien  était  Africain  et  fils  d'un  centurion  pro- 
consulaire, comme  nous  l'apprend  la  chronique  d'Eusèbe.  Cette  charge 
subalterne  de  son  père  à  Xofficium  du  gouverneur  de  la  province  ne 


(1)  Saint  GrÉgoiue  de  Toijks,  De  glor.  mort.,  liv.  I,  c.  l,  dit  qu'il  reposait  de  son 
temps  in  crypta  S.  Jonnnis,  où  se  trouvaient  également  les  seuls  corps  de  martyrs 
qui  purent  être  recueillis  à  I.yon  sous  Marc-Aurèle,  ceux  des  saints  Épipode  et 
Alexandre,  mis  à  mort  après  les  autres,  en  178. 

(2)  J)ns  Christenthum  uiid  der  riimischc  Slaal  zur  XciC  des  Kaisers  Septimius  Sercnts,  dans  les 
Jahrhiichcr  fiir protestaniische  y'/ifo/o(/;c  (Leipzij},  1878),  p.  281  :  •  Keiue  FriedensUra  der 
vorconstantinischen  Kirche  ist  durch  vcrhâltnissmûssig  so  bedeukiiche  verein7,clte 
Bedriickunjïen  der  Anhanger  .lesu  so  getrùbt  worden,  wie  die  in  Rede  stehende 
Zeit  der  Huhe.  ■■ 

(3)  Hisi.  ceci.,  1.  Il,  c.  II,  4  :  Toù;  'P(i)|j.ata)v  vôiiouç  rjy.pi6u)xwç  àvrjp.  Ce  renseigne- 
ment est  suffisamment  confirmé  par  ses  ouvrages. 


-  143  — 

s'accorde  guère  en  apparence  avec  le  renseignement,  fourni  par  le 
même  auteur  dans  \ Histoire  ecclésiastique,  où  il  est  dit  qu'aux  autres 
illustrations  de  TertuUieu,  il  convient  de  joindre  celle  du  rang  auquel 
il  avait  droit  à  Rome  (1)  ;  et  d'ailleurs  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  portait 
les  tria  nomina,  mais  le  tout  se  concilie  à  l'aide  d'un  exemple  contem- 
porain. Parlant  du  mariage  de  Julia  Domna,  dont  la  famille,  d'après 
Dion  Cassius  (2),  était  ple'béienne,  M.  Renier  a  pu  dire  que  ^  celle  où 
elle  allait  entrer  e'tait,  par  les  honneurs  qui  avaient  été'  conférés  à 
quelques-uns  de  ses  membres,  une  des  premières  de  l'empire  (3)  " .  Ce 
qui  n'empêche  pas  que  Lucius  Scptimius  Severus  était  de  très-humble 
extraction.  Son  père  Geta,  bourgeois  de  Leptis  Magna  (aujourd'hui 
Lebdah,  dans  la  régence  de  Tripoli),  ne  s'éleva  pas  au-dessus  de  la 
condition  équestre;  aussi  le  fils  dut-il,  lorsqu'il  vint  à  Rome  en  vue 
de  poursuivre  ses  études,  demander  à  Marc-Aurèle  la  faveur  du  lati- 
clave  (4).  C'est  sans  doute  à  Carlhage,  qu'il  avait  appris  les  littératures 
grecque  et  latine  dans  lesquelles  il  était  très-versé;  pendant  son 
enfance,  remarque  son  biographe,  il  n'aimait  à  jouer  qu'au  magistrat 
avec  ses  compagnons.  Qui  sait  si  TertuUien,  qui  n'était  pas  éloigné  de 
son  âge  (5),  ne  se  trouvait  point  au  nombre  de  ceux-ci,  bien  mieux, 
n'était  point  son  parent  plus  ou  moins  éloigné,  comme  l'indiquerait 
leur  gentilicium  commun  Septimius?  La  jeunesse  du  futur  apologiste 
présente  avec  celle  du  futur  empereur  de  grands  rapports  (6).  Lui 


(1)  Hist.  ceci.,  loc.  cit.  :  Ta  te  aW.a  ïvooloç,  xa\  twv  (idcXiaTa  £Tr\  'Pw[1yî?  Xa|jnrptbv. 
—  Chron.,  trad.  de  s.vixT  Jérôme,  ann.  Abrah.  2223  :  TertuUianus  Afer  centurionis  pro- 
consularis  filius- 

(2)  Ep.  1.  LXXVHI,  c.  XXIV  :  Kat  ri  [jlÈv  oy'xw  xi  ex  SriixoTixoO  yévoui;  eit'i  [i-sya  otp- 
Oeîffa. 

(3)  Mélanges  d'èpigraphie,  p.  140. 

(4)  Spart.,  l'itSev.,c.  i  :  Cui  civitas  Lepti,  pater  Geta,  majores  équités  Romani... 
postea  studiorum  causa  Romam  venit,  latum  clavum  a  divo  Marco  petit  et  accepit. 
cf.  c.  II,  riiistoire  de  son  compatriote  que,  devenu  fonctionnaire,  il  fit  l)attre  de 
verges  parce  que  :  ut  antiquum  contubernalem  ipse  plei)eius  amplexus  esset; 
et  c.  XV,  Vhistoire  de  sa  sœur  et  de  son  neveu  qu'il  renvoya  dans  sa  patrie. 

(5)  Septinie  Sévère  était  né  le  11  avril  14G;  la  naissance  de  TertuUien  se  place  peu 
après  150.  —  Spakt.,  loc  cit.  :  In  prima  pueritia,  priusquam  latinis  graecisque  lit- 
teris  iinbueretur,  quibus  eruditissimus  fuit,  nullum  aliuin  inter  pueros  ludum,  nisi 
ad  judices  exercuit,  cum  ipse  prselatis  fascibus  ac  securibus  ordine  puerorum  cir- 
cumslante  sederet  ac  judicaret. 

(C)  Spart.,  c.  ii  :  .luventanî  pleuam   furorum,  noununquam  et  criminum  habuit. 


—    144   — 

aussi  possédait  les  deux  langues  (1),  lui  aussi  alla  à  Rome,  où  il  est 
probable  qu'il  se  convertit,  et  où  il  finit,  selon  saint  Je'rôme,  par  avoir 
des  de'mêle's  avec  les  clercs  de  l'Église  romaine.  Tertullien  paraît  aussi 
connaître  mieux  qu'un  autre  l'inte'rieur  de  la  famille  impe'riale  (2). 
Enfin,  nous  pouvons  ge'ne'raliser  avec  M.  Aube'  une  remanpie  que 
nous  avions  déjà  faite  à  propos  de  son  appel  au  Se'nat  :  «  Dans  au- 
cun de  ses  traite's,  depuis  la  courte  Lettre  aux  martyrsjusqu'àl'Épître 
à  Scapula,  qui  forment  les  deux  limites  extrêmes  des  e'crits  apologe'- 
tiques  et  polémiques  se  rapportant  à  la  lutte  que  nous  e'tudions,  on 
ne  trouve  un  seul  te'moignage  qui  incrimine  directement  Se'vère  (3).  « 
Nous  venons  d'indiquer,  à  notre  avis,  la  raison  de  son  impunité'. 

Tous  les  chrétiens  d'Afrique  n'avaient  pas  les  mêmes  motifs  de  se 
croire  en  sûreté'.  Aux  victoires  de  Septime  Sévère  avaient  succédé 
l'association  de  ses  fils  à  l'empire  (198)  et  les  réjouissances  publiques 
qui  en  étaient  la  conséquence,  moment  toujours  critique  pour  les 
fidèles.  C'est  à  cette  occasion  que  furent  composés  les  traités  De  co- 
rona  militisj  De  idololatria.  De  sjjectaculis  ;  le  premier  en  particulier 
a  trait  à  une  circonstance  qui  signala  la  distribution  du  donativum  (4)  : 
un  soldat  chrétien,  par  bravade  sans  doute,  se  présenta  pour  le  rece- 
voir, la  couronne  de  laurier  à  la  main  et  non  sur  la  tête,  et  ayant  dé- 
claré qu'il  ne  pouvait  faire  comme  les  autres  à  cause  de  sa  religion,  il 
se  vit  arrêter.  Sa  conduite  fut  diversement  jugée.  D'aucuns,  dit  Tertul- 


adulterii  causam  dixit.  —  Tert.,  De  rcmn-ect.  cam.,  c.  li\  :  Ego  me  scio  neque 
alla  carne  adulteria  commisisse,  neque  nunc  alia  carne  ad  conlinentiam  eniti;  et 
alih.  :  Peccalor  omnium  notarum  quum  sim. 

(1)  Tekt.,  De  virg.  vcl.  :  Proprium  jam  negotium  passus  meae  opinionis,  latine 
quoque  oslendam.  cf.  De  baptismo,  c.  xv  :  Sed  de  isto  plenius  jam  nobis  in  Graeco 
digestum  est. 

(2)  Voir  les  passages  cités  plus  haut  de  YEpUre  à  Scapula.  —  M.,  De  pallio,  c.  Ii  : 
Ne  Pœnicum  inler  Romanos  aut  erubescat,  aut  doleat.  cf.  Spaut.,  lit.  Ser.,  c.  i  : 
"  Quum  rogatus  ad  cœnam  imperatoriam  pallialus  venisset,  qui  togalus  venire  de- 
buerat...  •  L'écrit,  cité  plus  haut,  plein  d'une  verve  exubérante,  parait  bien  être 
de  la  première  jeunesse  de  Tertullien  aussitôt  après  sa  conversion. 

(3)  La  Persécution  des  Kfflises  d'A/iique.  article  de  la  Berue  historique,  nov. -déc.  1879, 
qui  forme  le  cbap.  IV  du  volume  intitulé  .les  Chrétiens  dans  l'empire  romain,  de  la  fin  des 
Antonins  aumilieu  du  troisième  siècle  (Paris,   1881). 

(4j  De  Cor.,  c.  i  :  Proxime  factum  est.  Liberalitas  prai'stantissimorum  imperato- 
rum  expungebatur  in  casiris,  milites  laureati  adibant.  etc..  Mussitant  dcnique  tam 
bonam  et  longam  pacem  periclitari. 


—  145  — 

lien,  qui  prend  son  parti,  le  blâmaient  de  compromettre  une  bonne  et 
longfue  paix.  En  effet,  depuis  le  proconsulat  de  Vigellius  Saturninus  en 
180,  rÉg'lise  d'Afrique  ne  paraît  pas  avoir  eu  de  martyrs.  Mais  dès  190- 
192,  les  chre'tiens  de'nonce's  n'e'chappaientquegrâceà  la  bienveillance 
desjuges  (1  ) .  A  Cartilage  comme  à  Rome,  les  passions  s'e'taient  re'veille'es 
chez  le  vulgaire,  l'opinion  était  excite'e,  des  caricatures  circulaient, 
la  persécution  allait  redevenir  à  l'ordre  du  joui-  (2).  Tertullien  rédige 
alors  ses  deux  livres  Adnationes,  et  pour  l'autorité  officielle,  %on  Apo- 
logétique (199-200) .  Ces  protestations  si  vives  sont  datées,  car  elles  con- 
tiennent des  allusions  très-précises  à  la  défaite  des  prétendants  Niger 
et  Albinus  et  à  la  répression  sanglante  qui  suivit  (3).  Elles  n'arrêtè- 
rent rien,  ainsi  que  de  coutume,  et  peu  après,  dans  son  exhortation 
aux  henedicti  martyres  designati,  l'infatigable  écrivain  se  contente 
d'opposer  le  sort  des  gens  qui  ont  péri  pour  une  cause  humaine  à 
l'honneur  de  ceux  qui  servent  de  témoins  à  Dieu  (4).  Ces  martyrs 
désignés,  qui  étaient-ils?  On  ne  prononce  pas  leurs  noms;  il  est 
marqué  seulement  qu'il  y  avait  parmi  eux  des  hommes  et  des  femmes, 
qu'ils  attendaient  dans  la  prison  leur  jugement,  et  que  cette  prison  se 
trouvait  à  Carthage,  puisque  le  magistrat  absent  était  le  proconsul  (5). 
D'ailleurs  ils  recevaient  la  visite  du  clergé  de  la  ville,  et  l'exhortation 
leur  fut  remise,  jointe  à  des  aliments  qu'on  était  autorisé  à  leur  appor- 
ter. Nous  connaissons  plusieurs  personnages  qui  souffrirent  vers  cette 
époque  et  auxquels  toutes  ces  conditions  conviennent  :  les  célèbres 

(1)  Ad.Scap.,  c.  IV  :  Cincius  Severus  qui  Thysdri  ipse  dédit  remediuni  quomodo 
responderent  Christian!  ut  dimitti  possent.  Vespronius  Candidus  qui  christianum, 
quasi  tumultuosum  civibus  suis  satisfacere,  dimisit. 

(2)  Ad.  nat.,  1.  I,  c.  IX  :  Unus  atque  alius  vanissimus  ait,  idcirco  vobis  irascuntur 
(dii),  quoniani  de  noslra  eradicatione  negligitis. 

(3)  Ibid.,  c.  XVII  :  Adhuc  Syriae  cadaveruni  odoribus  spirant;  adhue  Gallia?  Rho- 
dano  suo  non  lavant.  Apologct.,  c.xxxv  :  Sedetqui  nunc  scelestarum  parliuin  socii 
aut  plausores  quotidie  revelantur,  post  vindeuiiam  parricidarum  racematio  su- 
perstes. 

(4)  Admart.,  c.  v  :  Ad  boc  quidem  vel  praesentia  nobis  tempora  documenta  sunt 
quantae  qualesque  personae  inopinatos  natalibus  et  dignitatibus  et  corporibus  et 
aetatibus  suis  exilus  referunt,  honiinis  causa  :  aut  ab  ipso,  si  contra  eum  fecerint, 
aut  ab  adversariis  ejus  si  pro  eo  steterint. 

(5)  Ibid..  c.  IV  :  Ut  vos  quoque,  benedictae,  sexui  vestro  respondeatis.  —  €.  ii  : 
(Mundus)  judicia  denique  non  proconsulis,  sed  Dei  sustinet  :  quo  vos,  ))enedicti, 
de  carcere  in  custodiarium  si  forte  translatos  existimetis. 

10 


—  146  — 

saintes  originaires  de  Tuburbiiim  (aujourd'hui  Tëbourba,  à  peu  de  dis- 
tance de  Carthage)  et  leurs  compagnons,  dont  nous  possédons  des 
actes  authentiques,  recueillis  par  un  contemporain.  La  partie  où  les 
confesseurs  de  la  foi  racontent  leurs  visions  n'était  pas  seulement 
connue  de  saint  Augustin,  mais  elle  se  trouve  citée  par  Tertullien 
lui-même  (1).  Nous  allons  donc  brièvement  analyser  ce  récit. 

Déjà  Jociindus,  Satiirninus  et  Artaxius  avaient  été  brûlés  vifs, 
Quintiis  avait  succombé  en  prison,  sans  compter  un  certain  nombre 
d'autres  martyrs.  Un  nouveau  groupe  de  cinq  fut  arrêté,  tous  fort 
jeunes  et  simples  catéchumènes  :  c'étaient  Revocatus  et  Félicité, 
esclaves,  Saturninus,  Secundulus,  puis  une  femme  de  vingt-deux  ans, 
Vivia  Perpétua,  spécialement  désignée  comme  de  noble  naissance.  Un 
sixième,  non  présent  lors  de  l'arrestation,  se  livra  exprès  pour  les 
rejoindre  (2).  Si  nous  ne  nous  trompons,  ce  Saturus  est  le  mari  de 
Perpétue,  dont  on  cherche  eu  vain  la  mention  dans  les  actes,  tandis 
que  tous  les  autres  membres  de  sa  famille  y  sont  énumérés,  à  savoir  : 
le  père,  qui  seul  était  païen  (3)  ;  la  mère,  qui  gardait  le  petit  enfant 
encore  à  la  mamelle,  puis  le  second  des  frères,  lui  aussi  catéchumène; 
l'autre,  nommé  Dinocrate,  était  mort  à  l'âge  de  sept  ans  d'un  cancer 
à  la  ligure.  Sur  le  point  d'être  détenue,  Perpétue  eut  à  subir  un  pre- 
mier assaut  de  son  père  qui  repartit  chez  lui  sans  succès;  mais  il 
s'écoula  plusieurs  jours  avant  que  les  martyrs  fussent  enfermés 
dans  la  prison  proprement  dite,  et  c'est  pendant  cet  intervalle  qu'ils 
reçurent  le  baptême.  Les  diacres  Tertius  et  Pomponius,  chargés  de  les 
visiter  au  cachot,  obtinrent  pour  eux  à  prix  d'argent  un  séjour  quoti- 
dien de  quelques  heures  dans  un  local  attenant  :  là  Perpétue  allaitait 


(1)  De  anima,  c.  Lv  .  Perpétua  fortissima  martyr,  sub  die  passionis  in  revelatione 
paradisi,  solos  illic  cominarlyrcs  vidit. 

(2j  RuiwfvT,  Acia  mariyrum  (éd.  de  Uatisbonnet,  p.  138  :  Inter  quos  et  Vivia  Per- 
pétua, lionesle  nata,  liberaliter  institula,  matronalilcr  nupta.  —  P.  139  :  Ascen- 
dit  aulcm  Saturus  prior,  qui  postea  se  propter  nos  ullro  tradiderat,  cl  (une  quum 
apprehcnsi  suinus  pra-sens  non  fiierat;  el  pervenit  in  caput  srabT,  et  convertit  se 
ad  me,  et  dixit  mihi  :  Perpétua,  sustinco  te.  ~  M.  Ad.  m-.  (;i:i;Li;Nni;R,  Essai  sur  la  vie 
et  le  r'eijiic  de  Sepiimr  Sérèie  (lîrnxcilcs,  1880),  p.  230,  ne  dit  pas  pour  quelle  raison  il  fait 
de  Saturus  le  frère  de  rerpctue. 

(3)  Ibid.  :  Et  ejjo  dolebam  canos  patris  mei,  quod  solus  de  passione  niea  yavisu- 
rus  non  essel  de  toto  génère  mec. 


-  147  — 

son  fils,  elle  finit  même  par  le  prendre  avec  elle.  Au  bout  de  quelque 
temps,  le  bruit  s'e'tant  re'pandu  de  l'approche  du  ju(jement,  sou  père 
accourut  du  pays  une  seconde  fois,  et  renouvela  par  des  supplications 
inutiles  ses  angoisses  filiales.  Enfin  le  jour  solennel,  qui  s'e'tait  fait 
attendre,  arriva. 

Les  prisonniers  e'taient  à  leur  repas,  quand  on  les  emmena  pour 
comparaître,  non  pas  devant  le  proconsul  Minucius  Timianus,  qui 
venait  de  mourir,  mais  devant  son  remplaçant  extraordinaire,  le  pro- 
curateur Hilarianus  (1).  Celui-ci  nroce'da  à  l'interrogatoire,  et  lorsque 
ce  fut  le  tour  de  Perpe'tue,  son  père  alla  droit  à  elle  avec  son  enfant 
dans  les  bras  et  tenta  nn  nouvel  effort  pour  l'ébranler.  Le  procurateur 
joignit  d'abord  ses  instances,  puis  il  fit  repousser  le  père  parmi  les 
assistants,  et  un  licteur  frappa  ce  vieillard  aux  cheveux  blancs  d'un 
coup  de  baguette  qui  retentit  douloureusement  au  cœur  de  la  jeune 
femme.  Depuis  ce  moment  son  enfant  ne  lui  fut  pas  rendu  :  «  Heu- 
reusement, ajoute-t-elle,  il  ne  demanda  plus  le  sein,  et  je  n'eus  point 
de  fièvre  de  lait.  »  La  sentence  condamnait  les  chre'tiens  à  figurer 
dans  l'arène  au  jour  anniversaire  de  la  proclamation  de  Geta,  le  plus 
jeune  fils  de  l'empereur,  comme  Ce'sar  (2).  En  attendant  ce  jour, 
ils  furent  traités  avec  humanité  parle  gardien  Pudens.  Perpétue  revit 
une  dernière  fois  son  père  désespéré.  Quant  à  l'esclave  Félicité,  en- 
ceinte du  huitième  mois,  elle  accoucha  dans  la  prison  d'une  fille, 
qu'une  chrétienne  adopta.  Secundulus  mourut  avant  le  combat,  mais 
ayant  mérité  les  honneurs  du  martyre.  La  scène  de  l'amphithéâtre  est 
décrite  par  les  actes  dans  le  plus  grand  détail.  Les  hommes  furent  mis 
aux  prises  avec  un  ours  et  un  léopard;  aux  femmes  on  avait  réservé 
une  vache  sauvage.  Nul  ne  périt  sur-le-champ.  La  foule  exigea  qu'on 
achevât  les  martyrs  devant  elle,  tenant,  suivant  l'énergique  expres- 
sion d'un  témoin  (3),  à  rendre  ses  regards  complices  du  fer  homicide. 


(1)  RuiNART,  p.  140  :  Et  Hilarianus  procurator,  qui  tune  loco  proconsulis  Minuci 
Timiani  defuncii  jus  gladii  acceperat. 

(2)  Ibid.  :  Munere  enim  castrensi  eramus  pugnaturi  :  natale  tune  Geta?  Cœsaris. 
Son  anniversaire  de  uaissanee  était  le  27  mai.  Cf.  Spaut.,  l'ii.  Gct.,  c.  ni. 

(3)  Ibid.,  p.  145  :  Et  quuni  populus  illos  in  médium  postularet,  ut  gladio  péné- 
trante in  eorum  corpore  oculos  suos  comités  homicidii  adjungeret. 

10. 


—   148  — 

Saturus  en  cet  instant  suprême  demanda  au  soldat  Pudens  l'anneau 
qu'il  avait  au  doigt,  et  le  lui  rendit  trempé  de  son  sang.  Il  expii-a  le 
premier  sous  le  coup  de  grâce,  car  c'était  à  lui  de  frayer  la  route  à 
Perpe'tue  (1).  Cette  dernière  laissa  échapper  un  cri  perçant  quand  elle 
sentit  la  pointe  de  l'épe'e  pe'ne'trer  entre  ses  côtes,  et  elle  dirigea  elle- 
même  la  main  peu  assure'e  du  gladiateur  novice  sur  sa  gorge.  Ceci  se 
passait  à  Carthage  le  7  mars  202  (2) . 

Était-ce  en  vertu  du  rescrit  de  Trajan  ou  de  l'e'dit  de  Septime  Se'vère? 
Incontestablement  du  premier.  Nous  avons  déjà  noté  que  le  second 
était  spécial  à  la  Palestine  et  à  l'Egypte,  et  nous  n'en  trouvons  pas 
trace  dans  les  provinces  africaines;  Tertullien  même  n'y  fait  jamais 
allusion  dans  ses  écrits.  Si  pour  nos  martyrs  la  qualité  de  catéchu- 
mènes a  été  mentionnée,  ce  n'est  pas  en  elle  que  réside  le  principal 
éclat  de  leur  confession.  Ainsi  l'entendait  l'auteur  de  la  biographie  de 
saint  Cyprien,  le  diacre  Pontius,  qui,  une  cinquantaine  d'années  plus 
tard,  parle  de  leurs  actes  en  ces  termes  :  Quum  majores  nostri  pleheî 
et  catechiimenis  martijrium  consecutis  tantum  honoris  pro  martyrii 
ipsius  veneratione  dederint,  ut  de  possioîiibus  eoruni  multa,  aut  prope 
dixerim,  pêne  cuncta  conscri'pserint ,  ut  ad  nostram  quoque  notïtiam 
qui  nondum  nati  fuimus  pervenirent .  Les  mots  dont  il  se  sert,  prope 
dixerimpene  cuncta,  ont  un  titre  spécial  à  notre  attention  ;  ils  indiquent 
clairement  que  de  son  temps  il  manquait  quelque  chose  au  récit  pour 
être  complet.  En  effet,  alors  comme  à  présent,  l'interrogatoire,  cette 
partie  si  importante  aux  yeux  des  chrétiens,  était  omis.  Interrogati 
ceteri,  dit  Pei'pétue,  confessi  sunt  :  ventum  est  et  ad  me.  Or  il  est 
remarquable  que  M.  Aube  a  rencontré  à  la  Ribliothèque  nationale  un 
texte  différent,  qui  précisément  le  contient;  cette  rédaction  est,  du 
reste,  postérieure  à  saint  Cyprien,  puisqu'elle  introduit  maladroitement 
les  noms  des  empereurs  Valérien  et  Gallienus.  Pour  tous  les  détails  de  la 

(1)  Rdinart,  p.  146  :  Prior  reddidit  spiriium,  nam  et  Perpetuam  sustinebat. 

(2)  Les  PP.  de  Saiiit-F.ouis  espèrent  avoir  retrouvé  l'emplacement  de  la  liasilique 
qui  fut  élevée  sur  le  tombeau  des  saintes  Perpétue  et  Félicité,  et  dont  parle  Vicroii 
DK  ViTi:  au  liv.  I  de  son  Histoire  de  la  persécution  vnndalr.  —  Lettre  de  Mjjr  Lavigerie  à 
l'Acad.  des  inscr.,  sur  l'uliUlé  d'une  jiiission  arclièologiquc  pcrmaiiciilc  à  Carthage  (Alger, 
1881),  p.  51  et  S. 


—  149  — 

captivité  et  de  Texe'cution,  elle  ne  fait  que  re'sumer  les  actes  antérieurs 
eu  les  altérant  souvent,  et  n  a  par  suite  aucune  autorité  propre.  On 
n'en  saurait  penser  autant  du  document  encadré  au  milieu,  c'est-à-dire 
des  questions  et  des  réponses  échangées  entre  le  magistrat  et  les  pré- 
venus de  christianisme.  Répétons  après  M.  Aube  :  «  Si  l'on  pouvait 
parler  de  notes  prises  à  l'audience  ou  de  pièces  de  greffe,  ce  serait  le 
cas  (1).  "  Nous  inclinerions  plutôt  vers  la  seconde  hypothèse,  parce 
qu'elle  explique  comment  le  nom  du  proconsul  défunt  Minucius,  attaché 
au  dossier  de  son  année  de  gouvernement,  a  été  ultérieurement  transcrit 
sans  qu'on  prît  garde  qu'il  avait  fallu  le  remplacer  avant  l'expiration 
de  cette  année.  Il  serait  également  loisible  d'admettre  qu'il  présida 
effectivement  la  comparution  préliminaire.  Minucius  proconsul  dixit 
ad  eos  :  Invictissimi  principes...  jusserunt  ut  sacrijicetis.  Satijrus 
respondit  :  Hoc  non  sumusfacturi,  christiani  enimsumus.  Proconsul 
jussit  eos  recludi  in  carcerem;  siquidem  hora  erat  prope  ter  lia.  Et 
après  le  long  délai  dont  les  deux  rédactions  font  foi,  le  procurateur 
Hilarianus,  faisant  fonction  de  proconsul  par  intérim,  aurait  dirigé 
l'interrogatoire  définitif.  Post  hœc  vero  procedens...  proconsul  et 
sedens  pro  tribunali  eos  exhiberi  j^rœcepit  dixitque  ad  eos  :  Sacri- 
jicate  diis,  sic  enim  jusserunt  perpetui  principes,  jusqu'à  Proconsul 
ad  Perpetuani  dixit  :  Quid  dicis.  Perpétua,  sacrijicas?  Perpétua  : 
Christiana,  inquit,  sum,  et  nominis  mei  sequor  auctoritatem  ut  sim 
perpétua.  Proconsul  dixit  :  Parentes  hahes?  Perpétua  respondit  : 
Haheo.  Ce  passage  se  relie  directement  à  celui  de  l'autre  texte  :  et 
apparuit  pater  illico  cum  filio  nieo,  etc.  Dans  ces  limites,  les  actes 
primitifs  sont  redevables  à  la  découverte  de  M.  Aube  d'un  précieux 
complément. 

Le  successeur  régulier  de  Minucius  fut  Apuleius  Rufinus.  Le  mar- 


(1)  Les  Chrétiens  dans  V empire  rojnam  (Paris,  1881),  p.  224  en  note.—  Le  nouveau  texte 
latin, publié  dans  \es  Comptes  rendusde  l'Acad.des  insc,  1880,  p.  321,  a  été  reproduit  couiine 
appendice  au  volume  cité.  Aux  sept  manuscrits  de  M.  Aul)é,  nous  pouvons  en 
ajouter  un  plus  ancien.  Ce  sont  28  pap^es  du  onzième  siècle,  contenues  dans  le 
n»  13,090  (résidu  du  fonds  saint  Germain).  Le  texte  est  semblable,  il  contient  la 
phrase  dexira  vero  lœvaque,  mais  il  S'arrête  au  milieu  de  l'interrogatoire  de  sainte  Vtr- 
'çélMQ,  audiente  (sic)  vero  parentes  ejus cum  esscnl  de  nobili.  Le  feuillet  suivant  manque. 


—  150  — 

tyrologe  d'Adon  au  18  juillet  |)lare  le  martyre  de  sainte  Guddene  à 
Cartilage  sous  son  administration  (1).  On  ignore  le  nom  des  autres 
victimes.  Ce  qu'on  sait,  c'est  que  la  teiieur  était  grande  et  que  beau- 
coup de  chre'tiens  prenaient  la  fuite.  Deux  ouvrages  contemporains 
l'attestent,  \e  Scorpiace  et  le  Defiiga  inpersecutione.  Dans  ce  pamphlet, 
Tertullien  cite  un  Rutilius,  «  sanctissimus  martyr  «,  qui,  après  s'être 
esquivé  plusieurs  fois,  subit  courageusement  la  peine  du  feu  (2).  Lu 
si  cruel  supplice  était  ajjpliqué  lors  de  la  mort  de  Septime-Sevère, 
4  février  21 1 ,  avec  une  recrudescence  de  fureur  dans  la  province  pro- 
consulaiie  que  gouvernait  Scapula;  car  les  exécutions  s'étaient  ralenties 
sous  Caius  Julius  As})er  (205-20C),  et  l'apologiste  toujouis  sur  la  brèche, 
dans  son  éloquente  épître  au  gouverneur,  lui  (tppose  l'exemple  de  son 
devancier  (3).  La  persécution,  également  rallumée  dans  les  provinces 
voisines  de  JNumidie  et  de  Mauritanie  (4),  s'éteignit  enfin  sous  Cara- 
calla. 

Un  trait  particulier  de  cette  persécution  nous  a  été  conservé  par 
Tertullien  (5j,  et  nous  amène  à  considérer  l'état  de  la  question  funéraire 
à  la  fin  du  deuxième  siècle.  La  foule  païenne  de  Carthage ,  parmi  les 
menaces  qu'elle  proférait,  poussait  ce  cri  :  Plus  de  cimetières  pour  les 
chrétiens,  Areœ  non  sint.  Il  est  curieux  de  rapprocher  de  ce  mot  une 
inscription  découverte  à  Cherchell  en  Algérie  [Cœsarea  Maurita- 
niœ)  (6)  : 


(1)  Adonis  martyrologium  (éd.  Giorgi),  au  18  juillet,  p.  340;  cf.  Ruinaut,  p.  246. 

(2)  De  fuga,  c.  V.  —  Saint  Cyprien,  De  lapsis.  c.  ii,  rappelle  un  fait  correspond.int 
de  la  même  époque  :  Sic  hic  Casto  et  jïmilio  aliquaiido  ignovit  :  sic  in  prima  con- 
fjressione  deviclos  viclores  in  secundo  praMio  reddidit,  ut  forliores  igniljus  fièrent 
qui  ignibus  ante  cessisscnt. 

(3)  Ad  Scap.,  c.  IV  :  Ut  Asper  qui  iiiodice  vexalum  lioniinem  et  slalim  dejeciuin 
nec  sacrificium  compulit  facere,  ante  professus  iiiler  advocatos  et  adsessorcs  dolere 
se  incidisse  in  hanc  causam. 

(4)  Ibid.  :  Pro  Deo  vivo  creainur.  (Scapula  avait  aussi  condamné  aux  bétes  Mavilus 
d'Adrumèle. ).....  Et  nunc  a  pra-side  legionis  et  a  préside  Mauritaniae  vexalur  hoc 
nomen,  sed  gladio  tenus,  sicut  et  a  primordio  mandatum  est.  —  Le  prœ/ccius  de  la 
legio  Ilh  Augusta  était  gouverneur  de  Numidie.  Cf.  Marquaudt  ,  Sitiatmcrwaliung , 
p.  309. 

(5)  Ad  Scap.,  c  m  :  Sicut  et  sub  Uiiariano  praeside,  quum  de  areis  sepulturarura 
nostrarum  acrlamassent  :  aiea'  non  sint.  —  V.  pour  la  fin  du  premier  siècle  notre 
deuxième  partie,  p.  4  4  et  suiv. 

(G)  M.  Léon  Renier,  lusc.  d'.Ugérie,  n»  4025;  cf.  n"  402G. 


—  151  — 

AREAM  AT  (ad)  SEPVLCRA  CVLTOR  VERBI  CONTVLIT 

ET  CELLAM  STRVXIT  SVIS  CVNCTIS  SVMPTIBVS 

ECLESIAE  SANCTAE  HANC  RELIQVIT  MEMORIAM 

SALVETE  FRATRES  PVRO  CORDE  ET  SIMPLICI 

EVELPIUS  VOS  SATOS  SANCTO  SPIRITV 

ECLESIA  FRATRVVM  HVNC  RESTITVIT  TITVLVM 

Un  fidèle  nommé  Evelpius,  prenant  le  titre  de  ciiltor  Verhi,  avait 
affecte'  un  terrain  à  des  sépultures  et  construit  à  ses  frais  un  e'difice  de 
re'union ,  le'g'uant  le  tout  à  Tassemble'e  des  frères  :  celle-ci  faisait  réta- 
blir le  marbre  où  raffectation  avait  été  inscrite  et  qui  avait  i)éri,  sans 
doute  dans  une  persécution.  En  consacrant  une  partie  te  sa  fortune  à 
des  fondations  funéraires,  Evelpius  n'agissait  pas  autrement  que  la  plu- 
part des  Romains,  chez  qui  elles  étaient  l'objet  d'une  très-grande 
préoccupation,  soit  pour  eux-mêmes  et  les  leurs,  soit  pour  eux  seuls. 
Veut-on  un  exemple  de  dispositions  personnelles  :  on  les  trouvera 
tout  au  long  dans  le  testament  de  ce  citoyen  de  Langres,  dont  le  texte 
a  été  conservé  dans  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Bâle  (1)  ;  il  s'y 
réserve  un  vaste  terrain  où  s'élevait  une  cella  memoriœ  (édifice  avec 
son  mobilier  destiné  à  des  réunions  anniversaires)  à  laquelle  on  pou- 
vait accéder  en  voiture,  et  qu'entourait  un  verger  (pomaria).  Les 
termes  techniques  par  lesquels  on  désignait  ces  différents  emplace- 
ments sont  fixés  d'après  les  inscriptions,  entre  autres,  d'après  le  plan 
détaillé  et  fort  curieux  d'une  sépulture  païenne  de  la  voie  Lavicane  (2), 
qui  se  composait,  ov\ive\e  monumentum,  d'une  area  mo?iumenti  com- 
prenant  plusieurs  bâtinir'nts,  exedrœ,  custodia,  et  enfin  ^areœ  adjectœ 
quœ  cedunt  monumentOj  toutes  ces  dépendances  étant  mesurées  géo- 
métriquement le  long  des  routes  publiques.  Mais  le  plus  souvent  les 
sépultures  étaient  communes  à  un  grand  nombre  de  personnes  :  les 
défunts  invitaient  leurs  proches,  leurs  affraucliis,  leurs  amis  à  reposer 


(1)  Ce  texte  a  été  reproduit  par  1\I.  de  Rossi,  Bull.,  1863,  p.  95. 

(2)  Fabretti,  Inscr.  domest.,  p.  223.  Le  plan  est  conservé  au  Musée  d'Urbino. 
Cf.  dans  les  Studi  e  Documeuti  di  Storia  e  Dirillo  (Rome,  1880),  p.  26,  un  article  de  M.  de 
Rossi  qui  attribue  la  sépulture  à  Turia,  femme  de  Q.  Lucretius  Vespilius,  consul  en 
19  avant  Jésus-Christ. 


—  152  — 

auprès  d'eux;  pour  assurer  Texe^ution  de  leur  dernière  volonté  sur 
ce  point,  ils  l'imposaient  aux  he'iitiers,  ou  ils  leur  soustrayaient  cette 
portion  de  l'héritage. 

Un  autre  moyen,  que  re'vèlent  encore  les  inscriptions,  était  la  for- 
mation d'associations  privées  sous  une  appellation  commune,  qui  per- 
mettait de  s'étendre  au  delà  de  Idi  familia  ordinaire.  M.  de  Rossi  a 
réuni  les  exemples  connus,  qui  se  multiplient  tous  les  jours  (1). 
L'inscription  la  plus  topique  est  celle  où  Aurelius  Vitalion  restreint  à 
lui,  aux  siens  et  à  ceux  auxquels  il  a  donné  des  concessions  de  son 
vi\ant,  la  propriété  Syncratioru?)}^  ajoutant  :  Et  hoc  peto  eco  {ego) 
Syncratius  a  bobis  (vobis)  universis  sodalis  [es)  lit  sine  bile  refrige- 
retis.  L'inscription  Pelagiorum,  malgré  l'apparence,  ne  dit  pas  autre 
chose  par  ses  restrictions  :  Ne  qids  a  nomine  nostro  alienare  aii- 

deat ciiicumque  ex  familia  nostra /  seulement  l'association 

avait  pris  pour  appellation  patronymique  le  nom  de  son  fondateur, 
ainsi  que  le  prouve  la  comparaison  d'une  autre  inscription  trouvée  au 
cinquième  mille  de  la  voie  Latine  : 

D  M 

SEPVLCRVM  •  CVM  •  SOLO 

ET  •  OLLARIIS  •  AKNII  •  PHYLLE 

TIS  •  ET  •  COLLEGII  •  PHYLLETI 

ANORVM  •  IN  •  FRONTE,  etc. 

Certaines  familles  chrétiennes  formaient  de  pareilles  associations;  le 
musée  de  Floi'ence  possède  une  lampe  provenant  du  mont  Cœlius  à 
Rome  et  portant  cette  légende  :  Dominus  Icgem  dat  Valerio  Sevcro  — 
Eulropi  vivas,  alors  qu'on  a  deux  pierres  sépulcrales  de  Valerii 
chrétiens  avec  la  mention  Eutropiorum  (2).  Mais  il  était  naturel  que 
la  charité  insjiiiée  par  la  religion  nouvelle,  dont  les  membres  compo- 


(1)  Dans  une  dissertation  faite  à  Toccasion  du  soixantième  anniversaire  des  débuts 
scientifiques  de  M.  Moninisen  :  I  collajH  funcialicii  fumitjliaii  r.  privati  c  le  loto  denomi- 
naziuni  (Konie,  1877). 

(2)  Dans  le  t.  MI  de  la  lioma  soie  ,  p.  38,  M.  de  Kossi  a  nu  ciiapilre  relatif  ù  l'inscrip- 
tion Eutycliiorum. 


—  153  — 

saient  notoirement  une  seule  famille,  groupât  les  fidèles  dans  des 
sépultures  communes.  Psous  connaissons  déjà  à  Rome  des  cimetières 
fondés  à  cet  effet.  La  chronique  de  l'Église  de  Milan  rapporte  que 
le  cimetière  primitif  de  cette  Église  était  la  fondation  d'un  converti 
nommé  Philippe.  Sur  Xhortus  Philijjjn  légué  par  lui,  ses  deux  en- 
fants construisirent  deux  orationis  œdes  qui  conservaient  encore 
le  nom  de  basiliques  de  Porcins  et  de  Fausta  du  temps  de  saint 
Ambroise.  Lorsque  l'empereur  Valentinien  voulut  s'en  emparer  pour 
les  livrer  aux  Ariens,  l'illustre  évêque  défendit  énergiquement  l'hé- 
ritage qui  lui  venait  de  ses  plus  anciens  prédécesseurs  :  Ahsit  ut 
tradam  hœreditatem  latrum,  hoc  est...  omnium  rétro  fidelium  epi- 
scoporum.  C'est  là  qu'il  découvrit,  en  386,  les  restes  des  célèbres  mar- 
tyrs saint  Gervais  et  saint  Protais,  dont  on  ne  sait  pas  exactement 
l'époque  (1);  leur  inscription,  que  quelques  vieillards  se  souvenaient 
d'avoir  vue  —  nunc  senes  repetunt  se  aliquando  horuni  martyrum 
nomina  audisse,  titulumque  legisse,  —  avait  été  brisée  comme  celle 
d'Evelpius,  dans  la  persécution  de  Dioclétien. 

Il  y  a  lieu  de  chercher  à  s'expliquer  la  nature  de  cette  propriété 
des  évêques,  laquelle  remonte  bien  avant  dans  le  temps  des  persécu- 
tions. On  peut  en  juger  d'abord  par  les  édits  qui  ont  mis  fin  à  ces 
dernières,  et  qui ,  en  somme,  ne  font  que  rétablir  des  droits  préexis- 
tants. Les  textes  sont  formels.  Qu'on  prenne  l'édit  publié  fort  à  contre- 
cœur par  Maximin  Daïa  après  sa  défaite  par  Licinius  en  313;  que 
dit-il  (2)?  «  Si  quelques  bâtiments  ou  terrains  se  trouvant  faire  partie 
autrefois  de  la  propriété  des  chrétiens  sont  tombés  par  ordre  de  nos 
ancêtres  (Dioclétien  et  Maximien)  dans  le  domaine  du  fisc,  ou  ont 
été  pris  par  quelque  ville,  ou  bien  aliénés  à  titre  onéreux  ou  gratuit, 
nous  ordonnons  qu'ils  fassent  tous  retour  à  l'ancienne  propriété.  » 


(1)  Saint  Ambroise  les  transféra  dans  la  basilique  qui  porte  son  nom,  et  où  ils 
ont  été  remis  au  jour.  Cf.  Bull.,  1864,  p.  25  et  suiv.,  pour  tout  ce  qui  précède. 

(2)  Hist.  eccles.,  1.  IX,  C.  X,  11  :  Ei'  xtvs;  o'ixtxt  xa\  "/wpîa  a  toO  oixatou  twv  ■/i^ç,i(j-:t.(X^G)'^ 
itpb  TO'jxou  erjy/avïv  ovxa,  ex  tri;  y.s.lfjae.tùz  twv  yovéwv  tùv  Tjixexlptov  el;  xo  oïxatov 
[iSTiTTîffS  ToO  9i<7xo'j,  T,  ÛTtô  Ttvo;  xaTEV/içOr,  Trô),£a)ç,  eîVî  oiaTipactç  xo-jx-tov  Ysyévrjxxt,  etxî 
eî;  yâçnaiLoi.  ôeooxat  xivt,  xaOxa  Ttâvxa  elç  xo  àpx'^'O''  oixatov  xùv  x?^'^'^^'^'^^"*  àvax/r,OTivat 

£X£),EÛ(Ta[J.£V. 


—  154  — 


L'édit  promulgué  au  commencement  de  la  même  année  à  Milan  (1) 
par  Constantin  et  Licinius  n'est  pas  plus  clair,  pour  être  un  peu  plus 
explicite  :  tous  les  immeubles  sont  rendus  au  corps  des  chrétiens, 
même  ceux  qui  ne  servaient  pas  de  lieux  de  réunion;  une  juridic- 
tion est  indiquée  à  laquelle  doivent  s'adresser  les  détenteurs  des  biens 
pour  obtenir  quelque  indemnité.  Mais  il  y  a  mieux;  dès  259,  ces  biens 
avaient  déjà  été  l'objet  d'une  restitution  de  la  part  du  gouvernement; 
n'était-ce  pas  la  preuve  qu'auparavant  ils  étaient  possédés  par  les 
chrétiens?  C'est  le  fils  de  Valérien  qui,  arrêtant  la  persécution  édictée 
par  son  père,  écrit  au  pa|)e  saint  Denys  (2),  successeur  de  saint  Sixte  II, 
martyr  dans  le  cimetière  de  Prétextât,  afin  de  l'avertir  qu'il  a  donné 
l'ordre  dans  tout  l'empire  que  l'on  évacuât  les  lieux  du  culte  qui  avaient 
été  occupés,  «  et  vous  pouvez  vous  servir,  ajoute-t-il,  de  cet  exem- 
plaire de  mon  rescrit  pour  empêcher  que  qui  que  ce  soit  ne  vous  apporte 
du  trouble  «.  Un  second  rescrit  adressé  à  d'autres  évêques  permet- 
tait de  reprendre  les  emplacements  dits  «  des  cimetières  » ,  xà  -rwv  xaXou- 

On  ne  peut  nier  que  les  empereurs  ne  fussent  bien  au  courant 
de  l'administration  de  l'Ég-lise;  aussi  ne  faut-il  pas  s'étonnei-  de  voir, 
lors  de  la  guerre  contre  Zéuobie  en  Orient  (272-73),  Aurélien,  appelé 
à  intervenir  dans  l'affaire  de  Paul  de  Samosate,  qu'un  concile  venait 
de  déposer  de  son  siège  à  Antioche,  et  qui  refusait  de  quitter  la  de- 
meure épiscopale  (3),  s'en  référer  à  la  communion  des  évêques  occi- 


(1)  Comme  Elsèbe,  Hist.  ceci.,  1.  x,  c.  v,  Lactance  reproduit  cet  édit  tel  qu'il  a  élé 
affiché   le   13  juin  à  Nicoinédie,  mais    il    donne  le    texie  latin,   De  morie  perscc, 

C.'XLVIII. 

(2)  Hisl.  ccclcs.,  1.  VII,  C.  XIII  :  AÙTOxpâxoip  Kaîaoïp  IIojtiXio?  Atxtvvto;  ra/.Atrjvfji;,  eù- 
ffcryriç,  eurj-/r|?,  (TcêaTxoç  Atovjc-to)  xa\  Iltvva  xa'i  Ar^ii/^xpio)  xat  toîç  aoitioÎ;  ETtiaxôitot;  • 
TV  £'jEpy£<T(av  Tr,ç  èjAr,;  oojpsâ;  otà  Tiavrâ;  toO  xÔ(T|XOU  ÈxSiSaaOrjvat  TipocrÉxala,  OTtw;  oltzo 
TOTtwv  Ttbv  Opr,TX£'jat|xwv  àTio/wp/iCTtodc  ■  xai  oià.  toOto  xat  ■jjj.eÎ;  ir^z  àvTiypotçr,;  -cr,;  È[t.riç 
TO)  vjTzio  7pr,(jOat  oûva-JÔc,  wtte  (jL/iolva  -jjxiv  Iw/j.zVi.  Le  Liber pantificalis  dit  précisément 
que  le  Pape,  à  la  date  du  28  juillet  259,  parochias  conslituit. 

(3)  Hisl.  cccles.,  1.  VII,  c  xxx,  19  :  'AV/.à  yàp  iJ.r,oaiJ.w;  èxirtrivat  toO  IlajXoy  toO  ttji; 
£xxAr,iTtaç  cic'xou  Ôé/ovxoç  paaiXEuç  £VT£y/0£tç  AOpr,).iavf);  atçrttÔTOiTa  ii£p\  xoO  TtpaxTÉou 
oi£cAr,ç£,  To-jTOiç  v£'.ij.at  TrpoTTâtTwv  Tov  oïxov  ol;  5v  o'i  xatà  i\-t  'IxaXîav  xx\  Tr,v  'Pwiiatwv 
noAtv  ETtiTxoTToi  ToO  5ôy(j.o(To?  £Ttt<TT£t),ai£v.  \.c  Papc  dut  donc  écrire;  nous  n'avons  plus 
sa  lettre  qu'on  lut  à  une  séance  du  concile  d'Ephèse,  le  21  juin  331.  Concil.  Labb.,  t.  III, 
p.  511  :  <l>r,"Aixo;  toO  âyiwTotTou  £7ti<jxôiioy  'l'a)|j.r)!;  xai  ttâprjpo;  £x  xr,;  upô;  Mci$i|xov  xôv 


—  155  — 

dentaux  et  de  celui  de  la  ville  de  Rome  (alors  saint  Félix  l")  à  l'effet 
de  réintégrer  l'Eglise  dans  la  propriété.  Ce  même  Aurélien  citait  les 
assemblées  des  chrétiens  en  plein  Sénat  (1),  et  avant  lui,  Alexandre 
Sévère  proposait,  comme  modèle  de  nomination  des  fonctionnaires, 
les  ordinations  ecclésiastiques  précédées  des  publications  de  bans, 
usage  qui  jusqu'à  ce  jour  n'a  pas  cessé  d'être  observé  par  les  catho- 
liques (2). 

11  ne  faut  pas  s'étonner  non  plus  que  l'Église  romaine,  par  exem- 
ple, quand  elle  se  vit  à  la  tête  de  biens  importants,  commençât  à 
rechercher  des  administrateurs  habiles.  C'est  ce  qui  fait  que,  malgré 
les  insinuations  de  l'auteur  des  Philosophumena,  nous  devons  voir 
dans  Calliste  un  banquier  plutôt  malheureux  que  maladroit  ou  mal- 
honnête; car,  lorsque  celui-ci  revint  de  Sardaigne,  le  pape  Victor 
l'envoya  provisoirement  à  Antiuni  gérer  quelque  intérêt,  moyennant 
quoi  il  lui  servait  une  pension  mensuelle,  et  dès  198,  le  successeur 
de  Victor,  Zéphyrin,  le  rappela  à  Rome  pour  en  faire  son  archidiacre, 
fonction  qu'il  conserva  pendant  dix-neuf  ans,  et  dont  il  s'acquitta  si 
bien  qu'en  217  il  fut  élu  pape  lui-même.  Or  son  administration  va 
précisément  nous  mettre  sur  la  voie  de  ce  que  nous  cherchons,  c'est-à- 
dire  de  l'origine  de  la  propriété  collective  de  l'Eglise.  Son  biographe 
et  son  contemporain  se  sert  à  son  égard  d'une  expression  particulière; 
il  rapporte  qu'en  sa  qualité  de  coadjuteur  de  Zéphyrin,  il  fut  <■'•  pré- 
posé au  cimetière  (3)  « .  Pourquoi  le  cimetière,  et  non  pas  un  cime- 
tière quelconque?  11  s'agit  évidemment  de  celui  dit  de  Calliste.  Mais 


ÈTiîaxoTiov  xa\  tov  xXripov  'AXe^avôpeîaç  ETttffiroXïiç.  A  ce  Maxime,  et  au  prédécesseur 
de  saint  Félix,  saint  Denys,  avait  été  adressée  la  décision  du  concile  d'Antioche. 

(1)  Vopisc.  lit.  Aur  ,  c.  XX  :  Miror  vos,  patres  sancti,  tanidiu  de  aperiendis 
Sibyllinis  dubitasse  libris,  proinde  quasi  in  christianorum  ecclesia,  non  in  templo 
deorum  omnium  tractaretis.  —  Quant  aux  oracles  sibyllins,  saint  Justin  dit  que 
leur  lecture  était  interdite  sous  peine  de  mort,  ce  qui  n'empêchait  pas  les  chrétiens 
de  les  lire.  /  .^pol.,  c.  xliv,  p.  126  de  l'éd.  Otto  :  'Açô,';^;  ^.\^i  yàp  oO  [j.civqv  èvTjy/avofxîv 
a-jTaîç,  à"A>.à  y.a\  'j\>X'i.  w;  cip-âTE,  eîç  Ima-Avln'i  qiépojjiEv.  Apparemment,  la  sibylle  offi- 
cielle du  Capitole  était  jalouse  de  la  sibylle  d'Alexandrie. 

(2)  LvMPR.  lit.  Alex.  Sev.,  c.  XLV  :  .Dicebatqiie  grave  esse  quum  id  christiani  et 
Juda?i  facerent  in  praedicandis  sacerdotibus  qui  ordinandi  suiit,  non  fieri  in  pro- 
vinciarum  rectoribus  quibus  et  fortunse  hominum  committerentur  et  capita. 

(3)  Philos.,  1.  IX,  C.  II  :  ZtyjpXvoz  T-jvapâjxsvov  aOtôv  Gyor/  upoç  tTiV  xa-râTTaTiv  xoO 
x)-r,po-j...  si;  To  xot(irjvripiov  xaTéaroTEv.  Éd.  Cruice,  p.  441.  —  Cf.  Bull.,  1866,  p.  10  et  s. 


—  156  — 

tandis  que  les  autres  cimetières  existant  à  cette  e'poque  s'appelaient  du 
nom  de  leurs  fondateurs,  comme  ceuxdePriscille.de  iMaxime,  au  nord 
de  Rome;  de  Domilille,  de  Prétextât,  au  sud,  quel  titre  avait  Calliste 
pour  attacher  son  nom  à  l'immense  nécropole  de  la  voie  Âppienne  qu'il 
n'avait  pas  fonde'e,  et  où  il  n'eut  pas  son  tombeau?  D'un  autre  côte', 
c'est  là,  chose  importante,  que  depuis  Zëphyrin  jusqu'à  la  paix  de 
Constantin,  les  papes,  à  fort  peu  d'exceptions  pi-ès  et  toutes  motivées, 
furent  enterrés,  ayant  transporté  à  cet  endroit  leur  lieu  de  sépulture, 
qui  se  trouvait  auparavant  dans  les  cryptes  du  Vatican.  Quelle  raison 
donc  avaient-ils  eu  pour  abandonner  ainsi  le  tombeau  de  saint 
Pierre? 

A  ces  différentes  questions  une  seule  réponse  convient.  Le  cimetière 
où  était  enterrée  sainte  Cécile  devint  le  premier  domaine  possédé  en 
titre  par  le  corps  des  chrétiens,  et  cette  propriété  ostensible,  c'est 
Calliste  qui  l'organisa,  en  même  temps  qu'il  dut  en  être  le  représen- 
tant officiel.  En  un  mot,  l'Égalise,  pendant  deux  siècles  proscrite  et 
cachée,  dès  le  commencement  du  troisième,  tenta  de  se  présenter  aux 
yeux  du  gouvernement  sous  la  forme  d'une  société  funéraire.  Comme 
telle,  l'Etat  ne  pouvait  se  refuser  à  lui  reconnaître  certains  droits,  alors 
même  qu'il  contestait  individuellement  le  droit  d'exister  à  chacun  de 
ses  membres.  On  sait  ce  qu'étaient  ces  sociétés,  sortes  d'associations 
de  secours  mutuels  pour  les  pauvres  gens.  Elles  avaient  le  privilège 
de  n'être  pas  tenues  pour  des  collèges  illicites  (1).  Leur  idée  primitive 
avait  été  réalisée  par  les  co/mw6«/7'«  des  esclaves  (2)  :  on  n'a  retrouvé 
ceux-ci  jusqu'à  présent  qu'à  Rome;  tous  ceux  que  l'on  connaît  ont  été 
construits  sous  les  premiers  Césars  et  ont  cessé  d'être  en  usage 
sous  les  Antonins.  Ce  qui  distingue  les  groupes  de  ce  genre,  c'est 
qu'ils  ne  s'ajtpellaient  pas  encore  des  collèges,  et  que  ceux  qui  les 
composaient  se  contentaient  de  prendre  le  nom  de  socii  sans  y  rien 


(1)  D.  liv.  XLVn,  lit.  XXII,  fr.  1  :  Sed  permit ti tu r  tenuioril)US  stipem  menstruam 

conferre,  dura  tamen  semel  in  niense  coeaul sed  religionis  causa  coire  non 

prohibentur.  —  Fr.  3  :  Serves  quoque  licet  in  collegium  tenuiorum  recipi  volen- 
tibus  doininis. 

(2)  On  peut  voir  le  mémoire  de  IIenzen  sur  ce  sujet,  dans  les  Annales  de  l'Institut 
archéologique  de  Rome,  1856. 


—  157  — 

ajouter.  Par  contre,  les  colle'ges  funéraires  proprement  dits  paraissent 
plus  re'cents;  on  n'en  trouve  pas  de  traces  certaines  dans  les  inscrip- 
tions avant  IServa;  leurs  membres  prennent  le  nom  d'un  dieu  dont  ils 
se  disent  les  adorateurs.  11  s'ope'ra  donc  vers  la  fin  du  premier  siècle  un 
changement  dans  l'organisation  des  socie'te's  en  question;  '^  mais,  re- 
marque M.  Boissier,  qui  a  traite'  en  de'tail  de  ces  matières  (1),  il  n'est 
pas  aisé  de  dire  quelle  en  était  la  nature  et  l'étendue  ii .  Henzen,  à 
l'occasion  de  la  dernière  inscription  de  collège  funéraire  décou- 
verte (2) ,  a  exprimé  l'opinion  qu'un  sénatus-consulte  antérieur  à  Ha- 
drien avait  dû  autoriser  ces  associations  d'une  manière  générale 
pour  la  ville  de  Rome.  Ce  fut  Septime-Sévère  qui  étendit  la  mesure 
à  l'Italie  et  aux  provinces  (3),  et  elles  prirent  à  partir  de  la  fin  du 
deuxième  siècle  le  plus  grand  développement  dans  tout  l'empire.  Voilà 
bien  le  moment  où  Calliste  était  préposé  au  cimetière,  et  où  les 
païens  d'Afrique  s'éciiaient  :  Plus  de  cimetière  pour  les  chrétiens  ! 

Le  règlement  des  collèges  funéraires  est  donné  in  extenso  par  une 
inscription  trouvée  à  Lanuviumen  1816.  Les  associés  s'intitulent  cm^ 
tores  Dianœ  et  Antinoi.  On  lit  dans  le  kcqnit  ex  senatus  consuUo po- 
puli  Romani  qui  autorisait  leurs  réunions,  les  mots  suivants  (4)  :  Qui 
stijjem  menstruam  conferre  volent  in  funera,  in  it  {ici)  collegiiun 
cocant. . .  semel  in  mense  coeant  conferendi  causa  unde  defuncti  sepe- 
liantur.  Ces  contributions  étaient  aussi  destinées  à  subvenir  aux  frais 
des  festins  et  des  saciifices  qui  avaient  lieu  à  certains  anniversaires, 
natalitia.  Or  voici  comment  Tertullien  décrit  les  assemblées  chrétiennes 
en  199  (5)  :  Modicam  unusquisque  stlpem  menstrua  die,  vel  quum 
velit,  et  si  modo  velit,  et  si  modo  possit,  apponit.  Nam  nemo  corn- 


(1)  La  Religion  romaine  cC Auguste  aux  Antonins,  t.  II,  p.  307  et  Suiv. 

(2)  Bulletin  de  l'Institut  archéologique  de  Borne,  1879,  p.  70  :  Inscription  retirée  de 
Tibre:  ^  CoHegium  negotianlium  cellariim  vinariarum  ",  sous  la  protection: 
"  Liberi  patris  et  Merciiri  »,  avec  la  date  102. 

(3)  D.,  loc.  supr.  cit.  :  Quod  non  tantum  in  Urhe,  sed  et  in  Italia,  et  in  provin- 
ciis  locum  habere  divus  qnoque  Severus  rescripsit.  —  M.  de  Hossi  remarque  que  ce 
rescrit  est  antérieur  à  ra.-sociation  de  CaracaUa  à  rempire  en  198. 

(4)  Inscr.,  Orelli-Henzrv,  n»  6086.  Cette  inscription  est  de  l'année  133.  L'associa- 
tion, qui  se  conformait  aux  dispositions  du  sénatus-consulte,  était  autorisée  ipsojare. 
V.  iMomrasen,  De  collegiis,  p.  80. 

(5)  Apologet.,  c.  xxxix. 


—  158  — 

pelUtur,  sed  sjjonte  confert.  Hœc  quasi  deposita  pîetatis  sunt.  Mani 
inde  non  ejndis,  nec  potaculis^  nec  iugratiis  voratrinis  dispensniur, 
sed  egenis  alendis  humandisque,  etc.  Nous  pouvons  ajouter  à  cela  le 
rapprochement  naturel  de  la  de'uominalion  chre'tienne,  cidto)'  Veibi, 
que  nous  avous  rencontre'e  (l)avec  la  dénomination  païenne  cite'e  plus 
haut.  Que  l'on  considère  maintenant  qu'au  nombre  des  priviléfjes 
garantis  étaient  des  biens  communs,  une  caisse  commune  (2),  la  facilité 
de  célelirer  des  cérémonies  à  certains  jours,  par  suite  de  tenir  des 
réunions  religieuses,  la  reconnaissance  d'un  chef  commun  à  titre 
d'administrateur,  et  l'on  se  demandera  :  De  quoi  donc  se  compose 
l'EgUse,  sinon  de  tous  ces  éléments?  Assurément,  disait  en  1843 
Mommsen,  frappé  de  cette  ressemblance  (3),  c'est  absolument  le  fonc- 
tionnement licite  d'un  collège  funéraire-,  comment  ïertullien  nel'a-t-il 
pas  compris?  — Aujourd'hui  que  la  lumière  a  été  faite  pai"  les  travaux 
de  M.  de  Rossi,  il  faut  dire  :  Comment  n'a-t-on  pas  compris  plus  tôt 
Tertullien  (4)? 

Cet  ensemble  de  considérations  peut  être  fortifié  par  un  nouvel 
argument.  Parmi  la  collection  de  documents  chronographiques  qui 
porte  le  nom  ^ Almanach  Philocalien,  outre  la  chronique  de  saint  Hip- 
polyte  reconnue  par  Mommsen  dans  le  catalogue  Libérien  des  papes  (5), 
se  trouve  une  autre  liste  des  pontifes  romains,  intitulée  Depositio 
episcoporum,  qui  s'étend  de  254  à  354  et  donne  la  date  de  leur  mort. 
Or,  à  côté,  on  a  une  liste  des  préfets  de  Rome  pendant  la  même 

(1)  Voir  page  151. 

(2)  D'après  Gaius,  D.,  liv.  III,  tit.  IV,  frag.  1,  §  1  :  Quibus  autem  permissum  est 
corpus  liabere  collegii,  societalis,  sive  cujiisque  alterius  eorum  nomiiie  :  proprium 
est  ad  cxeinplum  reipul)Iica3  habere  rcs  communes,  anam  communem,  et  actorcui 
sive  syiidicum  per  quem  tanquam  in  republica,  quod  communiter  agi  fierique 
oporteat,  agatur  fiât. 

(3)  De  collcgiis,  p.  91  :  «  Non  enim  nego  per  se  \iSiv  omnia  licile  fieri  potuisse  et 
sa'pe  facta  a  coliegiatis.  Sed  collegia  his  nominibus  omnibus  licite  instilui  ipse 
Tertullianus  non  sensit;  recipi  ejusraodi  pias  causas  a  collegio  funeraticio,  quam 
causain  animadverlas  aTertulliano  pa'ne  primo  loco  CoUocari,  nuUa  lex  vetal)at.  • 

(4)  M.  BoissiEK,  Promenades  archéologiques  (Paris,  1880),  p.  167,  mettant  en  relief 
l'avantage  qui  résultait  de  cette  assimilation  pour  les  chrétiens,  énonce  ainsi  son 
opinion  :  -  La  façon  dont  s'exprime  Tertullien,  les  termes  qu'il  emploie  quand  il 
parle  des  ass(tciations  chrétiennes,  et  plus  encore  la  raison  et  le  bon  sens,  nous 
engagent  à  croire  qu  ils  ne  s'en  sont  pas  volontairement  prives.  • 

(1)   L'ebcr  den  Chronographen  vom  Jahrc  3^i  (Leipzig,  18ù0j. 


—  159  — 

période  mentionnant  exactement  la  date  de  leur  entrée  en  charge. 
Tout  trahit  leur  provenance  commune,  et  voici  comment  M.  de  Rossi 
l'explique  (1),  11  remarque  que,  pour  be'néficier  de  la  législation  des 
collèges  funéraires,  l'Eglise  avait  dû  remettre  à  la  préfecture  urbaine 
le  nom  d'un  administrateur  responsable;  l'administrateur  indiqué 
était  l'évéque,  et  l'on  renouvelait  la  déclaration  à  chaque  décès.  Pour 
constituer  la  liste,  on  n'eut  qu'à  rechercher  dans  les  archives  de  la 
préfecture;  seulement  alors,  ces  archives  n'existaient  plus  qu'à  partir 
de  l'année  254,  comme  on  le  voit  pour  la  liste  même  des  préfets. 
Bref,  pour  en  revenir  au  point  d'où  nous  étions  partis,  v.  sans  pou- 
voir déterminer  avec  une  précision  absolue  la  mesure  dans  laquelle 
Zéphyrin  et  en  général  les  Eglises  chrétiennes  purent  profiter  du 
privilège  confirmé  et  étendu  par  Septime  Sévère,  nous  avons  le  droit 
de  tenir  pour  assuré  que  l'on  adopta  alors  ou  que  l'on  tenta  quelque 
démarche  afin  de  se  mettre  d'accord,  s'il  était  possible,  avec  la  législa- 
tin  précitée.  Et  c'est  cette  résolution  qui  fit  attribuer  un  caractère 
solennel  et  officiel  au  cimetière  de  la  voie  Appieune  (2).  » 

Calliste,  archidiacre  d'abord,  puis  pape  (217-222),  donna-t-il  son 
nom  à  la  préfecture  de  Rome  en  qualité  cYactor  ou  syndicus  du  corps 
des  chrétiens  (3)?  Pour  nier  qu'il  l'ait  fait,il  faudrait  admettre  qu'il  fut 
nominativement  dispensé  de  remplir  cette  formalité.  Car,  à  défaut  de 
l'initiative  que  n'auraient  songé  à  prendre  ni  l'empereur  Caracalla, 
que  nous  savons  plutôt  favorable,  et  qui  d'ailleurs  préférait  tourner  sa 


(1)  lioma  soit.,  t.  II,  p.  VI-IX. 

(2)  Roma  sou.,  t.  II,  p.  371. 

(3)  On  pourrait  aussi  se  demander  si  les  chrétiens  de  Rome  étaient  regardés 
comme  formant  une  seule  ou  plusieurs  communautés.  Schurer,  Die  Gcmeindever/as- 
sung  dur  Judeii  in  Rom,  p.  15,  a  Considéré  la  question  pour  les  Juifs,  et  a  constaté  d'après 
les  inscriptions  que  leur  situation  dans  la  capitale  de  l'empire  n'était  pas  la  même 
qu'à  Alexandrie,  où  ils  constituaient  un  groupe  compact  et  autonome  :  «  In  Rom 
konnte  niclit  daran  gedachtwerdeu  dernach  ïauseuden  zselilendenJudenschafleine 
so  straffe  Organisation  zu  gestatten.  Hier  mussten  sie  sicli  mit  der  bescheidener 
Stellung  eiuzelner  religiœser  Genossenschaften  {collegia)  begniigen.»  Le  contraire  est 
arrivé  pour  les  clirétiens.  C'est  à  Alexandrie  qu'apparut  la  première  division  d'une 
église  particulière  en  paroisses  urbaine-,  tandis  qu'ù  Rome  l'unité  administrative 
continua  à  prévaloir  par  la  création  de  sept  régions  diaconales  :  les  liiuli,  ou  lieux 
de  culte,  déjà  au  nombre  de  vingt-cinq  avant  la  fin  du  troisième  siècle,  n'eurent 
que  plus  tard  une  existence  indépendante. 


—   IGO  — 

cruauté  contre  son  frère  Geta,  son  préfet  du  prétoire  Papinien,  et  le 
reste  de  son  entourage;  ni  Macrin,  dont  le  rèfjne  si  court,  8  avril 
218-8 juin  219,  se  passa  en  grande  partie  en  Orient;  ni  Hélioga- 
bale,  lequel  à  la  folie  de  la  débauche  joignait  une  espèce  de  folie 
religieuse  et  prétendait  exercer  le  sacerdoce  du  culte  chrétien  aussi 
bien  que  celui  de  tous  les  autres  (1),  il  y  avait  alors  à  Rome  une 
pléiade  des  jurisconsultes  les  plus  illustres,  qui  donnaient  au  droit  de 
l'empire  sa  forme  définitive,  et  qui,  héritiers  des  vieux  préjugés 
romains  contre  le  christianisme,  étaient  tout  disjiosés  à  immoler 
rÉglise  à  rÉtat.  Ulpien,  par  exemple  (2),  rappelait  que  Septime 
Sévère  avait  dit  de  traduire  précisément  devant  le  préfet  de  la  ville 
ceux  que  l'on  soupçonnait  de  former  un  collège  illicite.  Marcien,  de 
son  côté,  rédigeait  cette  formule  à  laquelle  il  était  impossible  d'échap- 
per, du  moins  en  théorie  (3)  :  «  En  somme,  tout  collège  ou  corps 
quelconque,  qui  se  réunit  sans  l'autorisation  du  Sénat  ou  du  prince, 
est  contraire  aux  sénatus-consultes,  rescrits  et  constitutions.  «  Et  les 
chrétiens  connaissaient  ces  textes.  Tertullien,  devenu  chef  de  secte, 
les  oppose  ironiquement  aux  catholiques  (4),  laissant  en  même  tempsen- 
trevoir(ce  qu'à  son  point  de  vue  exagéré  et  hérétique  il  se  permet  de 
trouver  mauvais)  que  l'Église  avait  cherché  à  user  des  circonstances 
pour  ne  pas  heurter  de  front  la  jurisprudence.  Il  voudrait  insinuer  que 
moyennant  une  redevance  certains  chrétiens  étaient  inscrits  sur  les 
registres  de  la  police  en  fort  peu  honorable  compagnie  (5).  Qu'importe, 


(1)  Lamp.,  l'ii.  Heliog.,  c.  m  :  Dicebat  practerea  JudcTorum  et  Samarifanorum 
relij;iones  et  chrislianam  devotionem  illuc  transferendam,  ut  omnium  culturarum 
secretum  lleliogabali  sacerdotium  teneret. 

(2)  I).,  liv.  I,  t.  XII,  fr.  1,  §  14  :  Divus  Severus  rescripsit  eos  etiam  qui  iUicitum 
collegium  coisse  dicuntur  apud  pracfectum  Urbi  arcusandos.  Cf.  idrm,  D.,  liv.  XLVIF, 
tit.  XXII,  fr.  2  :  Quisquis  illicituin  colle{;ium  usurpaverit  ea  pœna  tenetur,  qua 
teneiitur  qui  hominibus  armatis  loca  publica  vel  tenipla  occupasse  judicali  sunt. 

(3)  D.,  ibid.,  fr.  3  :  In  summa  aulem,  nisi  ex  senatusconsuiti  aucloritate,  vel 
Capsaris,  collefïium  vel  quodcuniquc  taie  corpus  coierit,  contra  senatusconsultum 
et  mandata  et  constitntiones,  coilcfïium  ce!el)rat. 

(4)  /Idv.  psych.  sire  de  jejuii.,  c.  xiii  :  Forte  in  senatusronsulla  cl  in  principum  man- 
data coilionibus  opposita  delinquiinus. 

(5)  De  fng.  m  prrsrc,  C.  XIII  :  Nescio  dolcndiim  an  erHl)csccndum  sil,  quuin  in 
matricibus  benefîciariorum  et  curiosorum  iiilcr  hibeniarios  et  Innios  et  fures  bal- 
neorum  et  aleones  et  lenouei;  christiaui  quoque  vecligaies  conliiieiitur. 


—  161  — 

si  cela  devait  les  mettre  en  règle  avec  un  pouvoir  qui  ne  voulait  pas 
les  reconnaître  :  bien  entendu,  l'intégrité'  de  la  foi  e'tant  sauvegarde'e  ! 
On  pouvait  s'en  rapporter  sur  ce  point  à  l'Église,  qui  savait  se  pre'- 
server  avec  un  soin  jaloux  de  tout  contact  compromettant  avec  les 
païens.  Jusque  dans  le  langage,  la  différence  e'tait  maintenue;  les 
chre'tiens  ne  disaient  pas  d'un  lieu  qu'il  e'tait  sacer  ou  religiosus,  mais 
sanctus,  et  ils  ne  se  servaient  pas  du  mot  profane  collegium  (1),  qu'ils 
avaient  remplace'  par  la  belle  de'nomination  ecdesia  fratruni  (2). 
Peut-être  même  avons-nous  là  la  raison  pour  laquelle  leur  assimi- 
lation aux  socie'tés  fune'raires  a  échappe'  à  l'observation,  tant  que 
les  monuments  ne  sont  pas  venus  en  témoigner  expressément. 

Nous  avons  vu  quel  avantage  l'Église  en  retira  pour  ses  biens, 
quand  il  s'agit  de  traverser  les  dernières  persécutions,  et  qu'on 
voulut  l'exclure  du  bénéfice  attribué  à  tous  par  la  léryislation.  C'était 
beaucoup  de  participer  comme  association  au  droit  commun.  Il  est 
vrai  que  ce  n'était  pas  tout,  et  la  paix  accordée  aux  individus  restait 
toujours  précaire.  Un  auteur  oriental  anonyme,  à  propos  de  prophéties 
montanistes  qui  avaient  prédit  des  catastrophes,  et  dont  il  veut 
démontrer  l'imposture,  s'exprime  ainsi  (3)  :  «  Plus  de  treize  ans  se 
sont  écoulés  jusqu'à  ce  jour  depuis  la  mort  de  iMaximilla,  et  il  n'y  a 
pas  eu  de  guerre  partielle,  ni  générale,  dans  l'empire,  et  les  chrétiens 
spécialement  ont  joui  d'une  trêve  prolongée  par  la  miséricorde  de 
Dieu.  "  Il  écrivait  évidemment  sous  Alexandre  Sévère,  11  mars  222 — • 

(1)  Nous  en  avons  la  preuve  chez  Commodiex,  Instruct.  adv.  gent.  deos,  c.  lxxiv  : 
«Incusatus  eris  qui  ol)  ista  coUegia  qua>ris,sub  Vejove  cupis  videre",et  dans  YEp.m 
de  SAINT  Cyprien,  où  il  parle  du  scandale  donné  par  un  chrétien  d'Espagne  qui 
avait  fait  à  ses  fils  un  enterrement  païen  in  collegio.  Voir  par  contraste  Ann.  delà 
propagation  de  la  foi,  n"  de  janv.  1882,  p.  8  :  «  Au  Japon,  les  conversions  continuent, 
le  gouvernement  n'est  pins  hostile,  parfois  même  il  se  montre  favorable.  Toutefois 
les  lois  contre  le  christianisme  ne  sont  pas  abolies,  et  un  tribunal  japonais  vient, 
sur  la  dénonciation  d'un  bonze,  d'en  faire  l'application  à  un  père  de  fauiille  qui 
n'avait  pas  voulu  laisser  ensevelir  selon  les  rites  bouddhistes  sa  fille  morte  chré- 
tienne. Le  père  a  été  puni  de  l'amende,  le  cadavre  de  la  défunte  a  été  déterré  et 
porté  à  la  pagode.  - 

(2)  Cf.  Saint  Cyprien,  Ep.  76  :  Née  quisquam  conturbetur  quod  collectam f rater- 
nitatem  non  videat.   ^ 

(3)  Hist.  eccles.,  1.  V,  c.  xvi,  19  :  YHvm  yàp  yj  Tp'.crxxtôsy.x  ïvt\  zl-  xx'jxr,-i  Tr,v  Tifilpav, 
t\  ou  T£TE).î-JTr,xîv  T,  yjvr,,  -/at  o-jttî  [j.sp'.-/ô;  (j'j-zt  y.aOo/.'.y.o;  xôcrato  yéyovî  7tô>.£;j.o;,  à>.).à 
xat  xpK^T'avoî;  (iâXXov  £lpr,vY)  ôitxjtovoç  k%  èXéoy  0£oO. 

Il 


—  162  — 

19  mars  235 ,  et  avant  la  eauipag'iie  que  cet  empereur  fit  contre  les 
Peises  en  231.  Alexandre  Sévère  avait  appiis  de  sa  mère,  Julia 
JMamme'e,  à  estimer  les  chrétiens.  Celle-ci,  soit  curiosité',  soit  affaire 
de  mode,  avait,  lorsqu'elle  séjournait  à  Autioche  vers  la  fin  du  règne 
de  Caracalla,  mandé  de  Palestine  où  il  se  trouvait,  afin  de  le  voir  et 
rentendie,Orig'ènedéjà  célèbre  à  cette  époque  (1).  Le  docteur  Alexan- 
diiu  y  fait  allusion  dans  son  ouvi  afje  contre  Celse.  «  A  présent,  dit-il  (2), 
le  grand  nombre  de  ceux  qui  se  convertissent  décide  des  gens  riches 
et  des  fonctionnaires,  des  femmes  délicates  et  de  nais^^ance  illustre,  à 
nous  recevoir.  »  Cependant  un  peu  plus  loin,  répondant  à  cette  ob- 
jection du  Discours  véritable,  que  c'était  la  crainte  de  leurs  adver- 
saires qui  donnait  de  la  cohésion  aux  chrétiens,  il  ajoute  (3)  :  "  11  y 
a  longtemps,  grâce  à  Dieu,  que  cette  crainte  n'a  plus  de  raison 
d'être  ;  mais  il  paraît  probable  que  la  sécurité  des  fidèles  va  cesser, 
car  de  nouveau  ceux  qui  nous  calomnient  à  tout  prix  prétendent  que 
le  ferment  des  divisions  actuelles  réside  dans  l'accroissement  des 
chrétiens,  du  lui-même  à  ce  que  le  gouvernement  ne  nous  combat 
})lus  comme  autrefois.  55  Et  eu  effet,  peu  de  temps  après,  il  adressait 
à  ses  amis  Ambroise ,  diacre  d'Alexandrie,  et  Protoctète,  prêtre  de 
Césarée,  une  longue  exhortation  au  martyre  à  l'occasion  de  la  réac- 
tion qui  se  produisit  (4). 


(1)  Hist.  eccles.,  1.  VI,  C.  XXI,  3  :  ToO  oï  ajTOxpdtTOpoç  (J."Otv)P  Map-fiaîa  TO'jvo[jLa,  yuvyj 
^to(jioi<jiâ.vt\  z\  xaî  Tiç  a).).Yi  yeyovjîa  xa\  e'jXaSr,:  tov  TpÔTrov,...  ztC  'Av-to'/Eî'a;  OTiXa 
oiaTptoO'jTa  |J.Exà  eTTpaTtwrtxri;  6opy:pop:a?  a-jxôv  avaxaXeixai. 

(2)  C.  Cels.,  1.  in,  C.  IX  :  NOv  [xàv  o-jv  Ta^a,  oxs  otà  xb  TtXriOo;  xwv  irpoa£p-/o(j.£vwv 
Tw  ).ÔYa>  xa\  7t),oûcriot  xaî  t'.veç  twv  èv  àï'.wixxTt  xa\  yvvaia  xà  àêpà  xa\  eyycvr)  OLTZOOV/oy^OLt 
xoùç  àuô  xoO  ).6yoy.  Il  avait  été  auparavant  mandé  d'Alexandrie  par  le  gouver- 
neur d'Arabie,  Hist.  eccles.,  1.  VI,  c.  xix,  15. 

(3)  lOid.,  c.  XV  :  Ka\  elxôi;  TtaûffETOat  xo  to;  Ttpô;  xbv  ptov  xoOxov  xoîç  îtto'XîûoytTiv 
èyy£vô(i£vov  àSÉEç,  £7tàv  TtdtXiv  ot  7tavx\  xpÔTtw  Sia6â)>Xovx£ç  xbv  Xôyov  xr,v  aîxiav  xt|î  tià 

XOITOOXO  vOv  CxdtCïEWi;  £V  TÙr^^H  libV  7rta'X£UûVXt«)V  VO[Xt(TO)<jlV  EÏvai,  £V  XtO   (JLTI  TtpOO'Tto).£[l£Î(70ai 

a'jxoù;  uTib   xwv    f,you[jivtûv   ô[j.otwç  xoîç  TrdtXat  y^^i^toiç,. 

{4j  Hisi.  eccles.,  1.  VI,  C.  xxviiii.  NOUS  n'avons  pas  cru  devoir  nous  attacher  à  la 
clironologie  d'Kusèbe,  il>id.,  c.  xxxvi,  2,  qui  place  la  réfutation  du  Discours  véritable 
sous  le  rcffne  de  riiilippc  l'Arabe  (2îi-2î9)  :  il  n'y  esl  pas  fait  incnlion  du  chris- 
lianisiMC  de  ce  prince  ni  de  sa  femme  sévéra,  auxquels  Orij^cne  écrivit  des  lettres; 
on  n'y  irouve  pas  non  plus  trace  de  la  persécution  de  Maximin,  qui,  si  elle  fut  courte, 
lrap|)a  cependant  ses  amis.  Il  est  plus  vraisemblable  que  le  livre  de  Celse  fut  en- 
voyé par  Ambroise  d'Athènes  à  Alexandrie,  que  d'Alexandrie  à  Césarée,  où  Orijjène 


—  163  — 

Ulpien  était  déjà  mort  en  228  ;  mais  l'impression  produite  par  la 
consultation  juridique  du  préfet  du  prétoire  contre  le  christianisme  (1) 
survivait  aux  louanges  que  l'empereur  avait  prodiguées  publique- 
ment aux  maximes  de  cette  religion  (2).  Alexandre  Sévère  avait 
eu  occasion  de  traiter  officiellement  avec  le  corps  des  chrétiens  au 
sujet  de  la  possession  d'un  terrain,  autrefois  public,  qu'ils  avaient 
occupé  et  que  des  cabaretiers  leur  disputaient.  On  pense  qu'il  s'agit 
de  l'emplacement  actuel  de  l'église  Sainte-Marie  au  Transtevère ,  et 
que  c'est  dans  une  émeute  relative  à  cette  affaire  que  périt  saint  Cal- 
liste,  le  14  octobre  222,  couronnant  ainsi  par  le  martyre  une  vie  aussi 
pleine  qu'agitée.  En  tout  cas,  la  décision  fut  favorable  aux  fidèles,  nou- 
velle raison  de  croire  qu'ils  avaient  fait  le  nécessaire  pour  qu'on  pût 
leur  donner  gain  de  cause  (3j.  Sous  Alexandre  apparurent  les  pre- 
mières églises  dans  l'intérieur  des  villes  ;  bien  plus,  il  voulait  en  con- 
struire une  lui-même  à  Rome,  mais  il  fut  détourné  de  ce  projet  par  les 
prêtres  païens,  qui  redoutaient  de  voir  se  vider  leurs  temples.  Du  moins 
ils  ne  l'empêchèrent  pas  de  mettre  dans  son  oratoire  privé,  au  mi- 
lieu de  ses  saints,  si  l'on  peut  s'exprimer  de  la  sorte,  l'image  du 
Christ  avec  celle  d'Abraham  (4).  Enfin,  son  biographe  caractérise  en 
deux  mots  très-exacts  sa  politique  à  l'égard  des  deux  religions  mo- 


se  fixa  depuis  231.  Enfin,   l'auteur,   qui  fut  ordonné  prêtre  en  228,  parle  encore 
comme  un  laïque. 

(1)  V.  notre  deuxième  partie,  pas'je  60.  Rappelons  que  M.  Le  Blvnt  sest  efforcé 
d'en  opérer  la  reconstitution,  ConqHcs  rendus  de  l'Acad.  des  inscr.,  18C6,  p.  358  et  s. 

(2)  LvMPR.,  Vil.  Alex.  Seu..  c.  Li  :  Clamaljatque  sa?pius  quod  a  quibusdam  sive.lu- 
daeis  si>e  christianis  audieratet  tenebal,  idque  perpra>conem,quumaliqueui  emeu- 
daret,  dici  jucebat  :  quod  tibi  fieri  non  vi.s,  alteri  ne  feceris. 

(3)  L.vMPU.,  Vil.  Alex.  Sev.,  c.  xLix  :  Ouum  christiani  quemdam  locum  qui  publi- 
cus  fuerat  occupassent,  contra  popinarii  dicerent  si)>i  eum  deberi,  rescripsit  me- 
liu.i  esse  ut  qucmadmodumcumque  illic  deus  colatur  quani  popinariis  dedatur.  — 
C'est  ce  que  ne  comprend  pas  Goi\i\es,  Kaiser  Alexandcr  Severus  und  dus  Christculhum, 
dans  Hilgexfeld's  Zciischrift,  1877,  p.  71  :  «  Die  officielle  staatliche  .\nerkennung  der 
cliristlichen  Vcrsammlunysorte  als  corporatives  Eigentlium  lia-ngt  auf'sEngste  mit 
der  Anerivcnnung  des  christenlhums  als  religio  licita  zusiimmen  :  dièse  erfolgte 
aber  erst  durch  den  Kaiser  Gallienus.  »  Sur  ce  dernier  point  il  se  méprend  égale- 
ment, Juhrb.  fur  prol.  Theol.,  1877,  p.  607  et  S.  :  Die  Toleranzcdicle  des  Kaisers  Gallienus. 

(4)  Ihid.,  c.  xLiii  ;  Omnes  christianos  futuros  si  id  priiiium  fecisset,  et  templa 
reliqua  deserenda.  Cf.  c.  xxix  :  In  larario  suo  in  quo...  et  animas  sanctiores. .. 
et  quantum  scriptor  suorum  temporum  dicit,  Christum,  Abraham  et  Orpheum  et 
bujuscemodi  ceteros  habebat.  ac  majorum  effigies. 

11. 


—  164  — 

Hotheistes  :  il  conserva  aux  .liiifs  reconnus  leur  privile'ges,  il  permit 
aux  chre'tiens  d'exister  (1).  Quel  chemin  ceux-ci  avaient  donc  par- 
couru depuis  le  moment  où  T instinct  malfaisant  de  ISe'ron  retint  leur 
nom  confie'  aux  échos  des  rues  de  sa  capitale,  et  où  Domitien  passa  de 
la  distiuciion  fiscale  (2)  à  la  mise  hors  la  loi  ! 

Pour  re'sumerla  situation  de  l'Eglise  vis-à-vis  de  l'Etat  en  dernière 
analyse,  nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  d'emprunter  les  paroles  de 
M.  de  Rossi,  qui  a  eu  le  talent  de  l'exposer  avec  une  clarté'  irrésistible 
dans  ses  volumes  de  la  Borne  souterraine,  après  avoir  eu  la  gloire 
d'en  découvrir  toute  la  portée.  «  Je  formulerai  seulement,  disait-il 
d'abord  (3),  ma  pensée  ainsi  :  que  ks  associations  funéraires  et  de 
secours  mutuels  furent  l'apparence  sous  laquelle,  avant  même 
Alexandre  Sévère,  les  fidèles  possédèrent  dans  beaucoup  de  villes  de 
l'empire  leurs  cimetières,  et  que,  sous  Alexandre  Sévère  et  ses  succes- 
seurs amis  des  chrétiens,  ce  titre  apparent  fut  légalement  reconnu,  et 
servit  de  prétexte  à  une  plus  grande  tolérance,  qui  s'étendit  même 
aux  lieux  de  réunion  et  aux  édifices  consacrés  au  nouveau  culte.  » 
Puis,  reprenant  dix  ans  plus  tard  la  question  sous  une  forme  plus 
mûrie  et  avec  une  précision  plus  grande,  il  s'exprime  ainsi  (4)  :  «  Cette 
tolérance,  et  quelquefois  reconnaissance  expresse  du  corps  des  chré- 
tiens, était,  si  l'on  peut  dire,  un  modus  vivendi  pratique,  qui  con- 
sistait à  fermer  les  yeux  sur  la  qualité  religieuse  du  collège,  et  qui, 
suspendant  l'effet  de  la  législation  dirigée  contre  la  religion  même, 
laquelle  fi'ai»pait  les  chrétiens  légalement  dénoncés  aux  tribunaux  sui- 
vant le  rescrit  connu  de  Trajan,  laissait  en  paix  et  allait  par  instants 
jusqu'à  protéger  l'Église.  » 


(1)  Lampr.,  lit.  Alex.  Set.,  c  XXII  :  Juda'is  privilégia  reservavit,  christianos  esse 
passus  est. 

(2)  Une  politique  moins  cruelle  et  plus  inlelli^ente  était  suj^gérée  parTEUTULLiEN, 
De/ug.  in  pciscc,  c.  xii  :  Tanla  quotidie  .Trario  aujjendo  prospiciuntur  remédia  cen- 
suum,  vcctifjalium,  collalionuin,  slipcndiorum,  ncc  unquain  usque  adhuc  ex  ebris- 
tianis  taie  aliquid  prospectuni  est  sub  aliquam  rcdemplionem  capitis  et  seclae  redi- 
{jendis  ;  quuin  taiitae  multitudiiiis,  nemini  ijjnota',  fructus  ingens  meti  possit.  — 
C'est  du  reste  ce  qu'on  avait  fait  pour  les  Juifs. 

(3)  liomasott.,  t.  I,  p.  105. 

(4)  Ibid.,  t.  1I[,  p.  511. 


QUATRIÈME  PARTIE 

RÉSUMÉ 

DKS   RAPPORTS    1»E    L'ÉGLISE    CHRÉTIENNE    AVEC    L'ÉTAT    ROMAIN 

DE   235   A  313    —   CONCLUSION 


L'assassinat  d'Alexandre  Se'vère  e'tait  une  de'claration  de  guerre 
aux  chre'tiens,  que  cet  empereur  avait  prote'ge's,  et  qui,  au  dire 
d'Eusèbe,  remplissaient  sa  maison.  De'sormais,  en  effet,  tout  prince  mon- 
tant sur  le  trône  devait  prendre  parti,  et  s'il  ne  se  montrait  pas  hostile 
au  christianisme,  il  lui  e'tait  ne'cessairement  favorable.  Nous  avons 
e'tudie'  les  phases  diverses  que  traversa  l'Eglise  pour  arriver  à  placer 
l'État  dans  cette  alternative.  Une  religion,  lorsqu'elle  n'est  pas  recon- 
nue à  titre  de  culte,  s'impose  au  pouvoir  civil  à  titre  de  société.  Sans 
cesser  d'être  un  culte  non  reconnu,  la  religion  chrétienne  avait  trouve 
moyen  d'afiirmer  son  existence  devant  le  gouvernement  romain.  La 
mise  hors  la  loi  individuelle,  ce  glaive  suspendu  sur  la  tête  de  tout 
chrétien,  ne  suffisait  plus;  chaque  groupe  de  la  société  religieuse, 
depuis  l'évéque  jusqu'au  laïque  —  pour  nous  servir  d'une  expression 
qu'emploie  saint  Clément  à  propos  de  la  hiérarchie  des  fidèles  (1),  et 
qui  de  nos  jours  est  singulièrement  détournée  de  son  sens  primitif  — 
chaque  groupe,  disons-nous,  devait  être  nominativement  dénoncé, 
proscrit,  puni.  Aussi  voit-on,  de  iMaximin  à  Dioctétien,  les  édits  se 
succéder  avec  un  dispositif  de  plus  en  plus  explicite. 

Déjà  Septime  Sévère  avait  distingué  momentanément  et  frapjié  les 

(1)  I  Ep.  aux  Corinthiens,  c.  XL,  5  :  V.  la  note,  éd.  Funk^  p.  111. 


—  166  — 

catéchumènes.  C'est  au  clergé  que  Maximin  s'en  prit,  comme  étant  la 
source  de  la  prédication  de  l'Evangile,  dit  Eusèbe  (1),  qui  avait  sous 
les  yeux  plusieurs  passages  d'Origène  malheureusement  perdus;  et 
le  docteur  Alexandrin  devait  le  savoir,  car,  à  cause  de  sa  n(»toriété, 
il  était  l'un  des  principaux  clercs  visés  par  le  décret  (2).  En  effet,  deux 
de  ses  amis,  le  diacre  Ambroise  d'Alexandrie  et  le  prêtre  Protoctète 
de  Césarée,  furent  emprisonnés  et  faillirent  être  transportés  au  fond 
de  la  Germanie,  où  ce  Thrace  revêtu  de  la  pourpre  se  faisait  amener 
ceux  qu'il  désignait  pour  être  les  objets  de  ses  arrestations  arbi- 
traires (3).  Quant  à  Origène  lui-même,  qui  avait  quitté  Alexandrie 
et  s'était  fixé  en  Palestine,  il  se  réfugia  auprès  d'un  de  ses  disciples, 
Firmilien,  évêque  de  Césarée  en  Cappadoce;  mais  là,  il  rencontra  une 
persécution  locale  très-violente  survenue  à  la  suite  d'un  tremblement 
de  terre  et  ordonnée  par  le  légat  Serenianus  (4).  Au  contraire,  en 
Afrique,  le  proconsulat  de  Gordien  (23G-237)  fut  plutôt  favorable  aux 
chrétiens.  Du  reste,  Maximin  n'eut  que  deux  ans  de  règne  incontesté. 
Quoiqu'il  ne  fût  jamais  venu  à  Rome  depuis  son  avènement,  il  y 


(1)  Hist.  cccles.,  1.  VI,  C.  xxvi  :  Ma^t[J.tvoç  Kataap  oi'xrÂyti'xi,  o;  or)  xaTa  xÔtov  tÔv 
•Jîpbç  tÔv  'A),£Edcvopoy  oixov,  èx  nXetôvwv  Ttiattov  cruvecrTioTa,  ôtwyiiov  èystpac,  toùi;  xtov 
£y.x),r,(7tiôv  apyovTx;  [j-ôvo-jç,  wç  aîfto'jç  ttj;  xaxà  xo  eùayyéXiov  otoaaxaXîaç,  avatpeîaOat 
TipocxaTTît...  ff£ar,[/.sîwTat  Zï  xoutov\  toO  oiwy(jLoO  xôv  xaipbv  ev  te  xw  ôeuxlpw  xai 
eixo<7X(o  xwv  £t;  xb  xaxà  'Iwdtvv/jv  £|r,yr|Xtxwv  xo(\  èv   oiacpôpot;  ÈmirxoXat;  'Optylvr,;. 

(2)  Oros.,  Hist.,  1.  Vil,  c.  XIX  :  Qui  maxime  propter  chrislianam  Alexaiidri  cui 
successerat  et  Mammaea;  raatris  ejus  familiam  persccutioncm  in  sacerdoles  el  cleri- 
cos,  id  est  doctores,  vel  praecipue  propter  Orif^inem  presbyterum  miser.it.  -r-  Cf. 
Capit.,  Vit.  Maxim.,  c.  IX  :  Praeterea  omnes  AlexanJri  ministres  variis  modis  inte- 
remit,dispoiitionil)us  ejusinvidit,  et  dum  suspectes  habet  amicos  ac  ministres  ejus, 
crudelior  factus  est. 

(3)  C'est  ce  que  donne  à  entendre  Origk.\e  dans  V Exhoi laiion  au  martyre  qu'il  leur 
adressait,  à  eux  et  à  leurs  compa{jnons,  c.  xxxvi,  xa\  T-JîxixaprjpoO'jtv,  et  où  il  leur 
rappelle,  c.  xli,  que  de  même  qu'il  s'en  fallut  de  peu  que  saint  Paul  fiU  jeté  aux 
bétes  dans  l'amphithéAtre  ii  liphèse,  I  Ep.  uu.r  Corinthiens,  c.  xxv,  v.  32,  de  même  ils 
pouvaient  dire  :  'Il!J.£'.:  0£,  £-.  xaxà  àvOpwTiov.  àvYjpfOr.v  £v  r£p[j.avta.  —  Cf.  Ukrodien, 
I.VII,  cm,  8  .  'Ex  |Aixpà;  xx'i  sùxîXoOi;  ôiaêoAvi?  àvapuâorxouç  Èîiotet,  xai  £X£A£u<rc  x£  àvsu 
•jTTripEita;  [j-ôvoyç  o-/r,|xa(Ttv  £7i'.x£0Évxaç,  ayeirOai  vjxxwp  xa'i  [xsO'  vifilpav  ôoîûovxa;  èÇ 
avaxoÀôjv  r,  oOtcwç,  z\  xûyot,  «Ttô  x£  [ji£ffE|j.6pcaç,  sic  Ilatovaç  à'vOa  otixpi^î. 

(4)  FiuMiL  ,  l':p.  7r)  (inter  Cyprian.)  :  Ante  vij;inti  enim  el  duos  fere  annos,  tem- 
poribus  post  Altxandrum  imperatorcm...  terra-  etiam  niolus  plurimi  et  frequenles 
exstitcrunt  ut  ptr  Cappadociam  et  Poiilum  mulla  subrucri  nt...  .Serenianus  tune  fuit 
in  nosira  Provincia  pra-ses,  aceri)us  et  dirus  persecutor.  —  cf.  Oiiic.  Comm.  séries 
in  Matth.,  c.  XXXIX. 


—  167  — 

avait  deux  agents  dévoués,  le  chef  des  prétoriens,  Vitalianus,  et  le 
préfet  de  la  ville,  Sabinus,  qui  furent  tués  le  27  mai  237,  jour  où 
le  sénat  proclama  Gordien  empereur  (1).  Cependant  le  décret  de  persé- 
cution y  avait  été  exécuté;  le  pape  saint  Pontien  et  le  prêtre  saint 
Ilippolyte,  selon  la  chronique  de  ce  dernier  (2),  furent  déportés  dans 
l'île  de  Sardaigfne  au  climat  pestilentiel  ;  le  vénérable  pontife  donna  sa 
démission  le  28  septembre  235,  et  un  successeur  lui  fut  attribué  le 
21  novembre  suivant,  dans  la  personne  de  saint  Antéros,  qui  lui- 
même  mourut  le  3  janvier  236,  probablement  en  prison  (3).  Fabien  fut 
élu  à  sa  jTJace,  mais  bientôt  saint  Pontien  vit  sa  peine  s'aggraver,  et 
succomba  sous  les  coups,  le  30  octobre  de  la  même  année.  Son  corps 
fut  ramené  de  Sardaigne  par  les  soins  de  saint  Fabien,  et  celui-ci,  le 
13  août  237,  déposa  son  prédécesseur  dans  la  crypte  papale  sur  la 
voie  Appienne  [4).  Après  avoir  assisté  à  la  mort  violente  d'une  série 
d'empereurs  [les  deux  Gordien  (juillet  237),  Maximin  (mars  238), 
Maximus  et  Balbinus  (juillet  238),  le  troisième  Gordien  (mars  244), 
enfin  Philippe  (10  mars  249j,  il  parvint  jusqu'à  la  persécution  de  Dèce 
dont  il  fut  une  des  premières  victimes,  le  20  janvier  250. 

Nous  serions  entraînés  trop  loin  si  nous  entrions  dans  le  détail  des 
dernières  persécutions  ;  nous  ne  pouvons  qu'en  indiquer  le  caractère 
général.  Celle  de  Dèce  se  présente,  à  l'égal  de  celle  de  Maximin , 
comme  une  réaction  systématique  contre  la  politique  du  règne  précé- 


(1)  Capit.,  lit.  Maxim.,  c.  xiy-xvi. 

(2)  Dans  le  catalogue  Libérien  des.  papes,  d'après  l'éd.  Mommsen  :  .  Eo  tempore 
Pontianus  épis;  opus  et  Yppoliîiis  presbyler  exoles  sunt  deportati  in  Sardinia  in  in- 
snla  nociva,  Severo  et  OuinlJiio  cous.  (235).  In  eadeni  insiila  discinctus  est  IV  kal. 
octobr.  et  loco  ejiis  ordiuatus  est  Anlheros  XI  kal.  dec.  cons.  ss.  •  —  Le  Liber  pimii- 
tijicalis  ajoute  que  Pontien  périt  »  maceratus  festibus  » . 

(3)  Le  catalogue  Libérien  dit  seulement  :  dormit  III  non.  jan.  —  Le  Liber  pontifi- 
calis  rapporte  :  Hic  gesta  martyrum  diliyenter  requisivit  et  in  ecclesia  recondidit, 
propfer  quod  a  Maximo  praefecto  (Pupienus  Maximus,  d'après  Borghesi)  martyr  ef- 
fectus  est. 

(4)  Quant  à  saint  Ilippolyte,  selon  M.  de  Rossr,  il  survécut  à  son  exil,  et  même  à 
la  persécution  de  Dèce;  mais  il  fut  l'un  des  cinq  prêtres  du  clergé  romain  que  nous 
savons,  par  une  lettre  du  pape  saint  Cornélius  à  saint  Cyprien,  avoir  adhéré  au 
schisme  de  Novatus,  puis  il  revint  à  la  communion  catholique  avant  de  marcher 
au  supplice  sous  Valérien.  Cf.  son  inscription  daraasienne  retrouvée  récemment,  Bull., 
1881,  p.  81  et  s. 


—  168  — 

dent(l).  Seulement,  tandis  qu'en  235,  ainsi  que  l'observe  Harnack  (2), 
l'cxe'cution  demeura  au-dessous  de  l'intention,  en  250,  les  effets 
en  furent  universels  et  terribles,  multipliant  à  la  fois  les  martyres  et 
les  apostasies.  A  Rome,  le  sie'ge  apostolique  demeura  vacant  pendant 
onze  mois  :  les  prêtres  et  les  diacres  avaient  e'te' jete's  en  prison.  Saint 
Saturnin,  e'vêque  de  Toulouse;  saint  Babylas,  e'vêque  d'Antioehe; 
saint  Alexandre,  e'vêque  de  Je'rusalem,  marchèrent  à  la  mort.  Il  en 
fut  de  même,  dans  la  province  d'Asie,  de  l'évêqueCarpus  et  de  Papy- 
lus,  diacre  de  Thyatires.  Orl^ène,  alors  âge'  de  soixante-six  ans,  subit 
les  plus  cruels  traitements  (3),  mais  il  ne  mourut  à  Tyr  qu'en  253. 
Saint  Cyprien,  évêque  de  Cartha{je;  saint  Gre'goire  le  Thaumaturge, 
évêque  de  Ne'o-Césarée  dans  le  Pont;  saint  Denys,  évêque  d  Alexan- 
drie, e'chappèrent  par  la  fuite.  Ce  dernier  rapporte  dans  une  lettre  (4) 
que,  chez  lui,  la  perse'cution  commença  par  une  insurrection  populaire 
dès  la  fin  du  règne  de  Philippe;  puis  l'e'dit  impe'rial  vint  rallumer  les 


(1)  Les  saints  Calocserus  et  Parthenius,  exécutés  le  19  mai  250,  étaient  fonction- 
naires sous  Pliilippe.  Le  christianisme  de  cet  empereur  a  été  mis  en  évidence  par 
une  intéressante  dissertation  de  M.  Ai  bé  dans  la  Revue  archéologique  (sept.  1880),  repro- 
duite avec  des  modifications,  p.  467  et  s.  de  son  dernier  volume,  les  Chrétiens 
dans  l'empire  romain. 

(2  Theol.  Liieraiurzeihing  (Leipzig,  1877),  p.  168.  L'auteur,  rendant  compte  d'un 
article  de  YHdgenfeld's  Zeitschrift,  1876,  p.  256  et  S.  :  -  l'el.er  die  Christenverfolgung 
des  rômischen  Kaisers  Maximinus  des  Thraciers  »,  dit  avec  beaucoup  de  justesse  : 
n  Der  von  Gôrres  verachtlich  beurtiieilte  Maximin  ist  aiso  der  erste  gewesen,  der 
die  hohe  Bedeutung  der  christlichen  Hiérarchie  erkannt  hatte  und  der  die  Kirche 
durch  Ausrottung  derseli)en  vernichten  wollle.  Das  zeigt  ei)en  so  viel  Entschlos- 
senheit  als,  um  235,  richtige,  ja  géniale  l'olitik,  gcnialere  jedenfalls  als  die  jenes 
Romantikers  Decius  es  war...  Hatte  Maximin  durchgezetzt  was  er  {fewollt,  so  wiir- 
den  w'w  heute  das  neue  Capilel  in  dem  VerhtTltnisse  von  Staat  und  Kirche  nicht  von 
Decius,  sondern  von  ihm  an  zu  datiren  haben.  •  —  Pour  ce  motif,  nous  avons  cru 
précisément  devoir  choisir  l'année  235  comme  l'une  des  époques  de  notre  expo- 
sition chronologique.  Vo\  Wif.tersheim,  Geschichle  der  l'alkertcanderung ,  p.  152, 
appelle  la  persécution  de  Maximin  •  die  ersic,  das  ist,  grundsStzliche  lerfolgung  ». 

(.'ij  Hisl  fcclet.,  I.  VF,  C.  xxxix,  5  :  Olâxexa'i  oaa  otà  xôv  Xpi<7T0"j  Xôyov  6  àvr,p  •JTrÉ[X£tv£ 
oEffiià  xat  PaTâvovç  xàç  xaxà  toù  (7w|j.aTo;,  xâç  te  iinh  uiSripô)  xXoim  xa\  (j-y/oî;  Etp/Tf,; 
TtiAOjpta;,  v.où  w;  £ti\  TtXEtTTat;  r||j.spo('.;  tou;  irôôa;  'jTià  xlTiapa  toO  xoXaTT.'jpioy  Çy/.O'j 
TtapaxaOc'i;  ôtacr^ifiaxa  xaxaTTiwiiîvo; 

(I)  Hist.  eccles.,  I.  VI,  G.  Lxi,  1-10  :  Oùx  àîto  xoO  paffiXixoO  irpoirxâyjiaxo;,  ô  ôto)Y(i.ôi; 
Tiap'  r||j.îv  r,pEocxo,  c().),à  yip  o/ov  èvtocjxôv  irpoûXa^s...  Ka\  ôf,  y.rti  irapr|V  xô  itpôirxxytia. 
—  M.  I)i:m  V,  Hist.  rom.,  t.  IV,  p.  29î,  en  note,  affirme  que  l'église  d'Alexandrie  ne 
compla  alors  que  dix-sept  martyrs.  Mais  saint  Denys  en  intmine  vingt-quatre;  il  en 
cite  d'autres  dans  sa  lettre  sans  les  nommer,  et  l'on  voit  par  la  suite  qu'il  n'entend 
pas  les  énumérer  tous. 


—  169  — 

violences,  qui  s'étendirent  à  l'Egypte  entière  (1).  Dèce  étant  mort  le 
20  novembre  251,  son  successeur  Trebonianus  Gallus  renouvela  la 
perse'cution  par  un  e'dit  (2)  qui  remplit  l'Afrique  de  troubles  à  cause 
du  grand  nombre  de  lapsi.  Le  pape  saint  Cornélius  mourut  exile'  à 
Centumcellœ  (Civita-Vecchia).  Son  successeur  saint  Lucius  fut  éga- 
lement exilé,  mais  revint  lors  de  l'avènement  de  Valérien,  août  253. 

Cet  empereur  était  entouré  de  chrétiens  quand  il  monta  sur  le 
trône  (3)  ;  ce  fut  tout  d'un  coup  qu'il  se  déclara  persécuteur.  Il  publia 
successivement  deux  édits  :  le  premier  interdisant  les  assemblées 
dans  les  églises  et  les  cimetières,  et  exilant  les  membres  du  clergé, 
et  le  second  postérieur  de  quelque  temps,  ordonnant  de  les  mettre 
à  mort,  et  établissant  pour  les  autres  fidèles  une  hiérarchie  de 
peines.  Ainsi  à  Alexandrie,  saint  Denys  est  arrêté  par  le  préfet 
d'Egypte  et  exilé  à  Képhro  en  Lybie  ;  dans  une  première  lettre, 
transcrivant  le  procès-verbal ,  il  relate  la  pièce  officielle  :  OuoaiJ(.wc  Se 

e^saxai   oute   u^aîv   oots    akkoi^  tictiv    r\   cuvoûouç  TrotEÎaOai,    r\    eiç  xà   )caXou[a.£va 

xoiixYiTïipta  eîcjiÉvai  (4);  dans  uuc  sccondc ,  il  s'attend  d'un  moment  à 
l'autre  à  être  traîné  au  supplice.  De  même  à  Carthage,  les  actes  de 
saint  Cyprien  parlent  de  deux  sessions  :  le  30  août  257,  le  proconsul 
Aspasius  Paternus  lui  signifie  son  exil  dans  la  ville  de  Curubis,  et  il 
ajoute  que  l'ordonnance  impériale  ne  le  concerne  pas  seulement,  lui  et 
ses  prêtres  :  Prœceperunt  etidm,  ne  in  aliquihus  locis  conciliahula 
jiant,  nec  cœmeteria  ingrediantur.  Si  quis  itaque  hoc  tam  salubre 
prœceptum  non  ohservaverit ,  cajpite  plectetur  (5).  Le  14  septembre 

(1)  Hisl.  rccles.,  1.  VI,  C.  LXit,  1  :  "A)>Xot  5a  nktXu'zoï  xaxà  TToletçxat  xcop-aç  Ûtto  twv  èôvwv 
oiEdTrâirOri'jaVj  (Lv  Ivbç,  7iapaoecy[xaTOç  é'vsxev,  £7itpivr|(76-/i'70[xat. 

(2)  Saint  Cypk.,  Ep.  55,  ad  Curmimm:  His  ipsls  etiam  diel)iis  quibus  has  ad  te  Ht- 
teras  feci,  ob  sacrificia  qua-  edicto  proposito  oelebrare  populus  jubel)atur,  clamore 
popularium  ad  leonem  denuo  postulatus  in  circo. 

(3)  Hist.  eccles.,  1.  VII,  C.  x,  3,  lettre  de  saint  Denys  à  Ilermammon  :  Où5è  yàp  aXkoc, 

Tiç  o'JTw  TWV  Ttpo  auToO  |3afft),£(j)v  EU[ji£vtôç  xa\  5e|twç  upbç  auToùç  ùitii%-t\ xa\  Tià;  te  ô 

oixoç  auToO  Ôeoaeo&v  ^z^^zki■^ç^ùxr^,  xa\  rci  Èxx>,-/)i7ia  0£oO. 

(4)  Ibid.,  c.  XI,  10.  Il  faut  noter  que  c'est  la  première  fois  que  les  réunions  chré- 
tiennes sont  interdites,  et  saint  Denys  indique  bien  que  le  préfet,  sans  insister  sur 
ce  chef  nouveau,  en  arriva  tout  de  suite  au  fond  de  la  question.  Loc  cit.,  4  :  Où  yàp 
TTEp'i  ToO  [xri  avjvâysiv  ÉTÉpouç  6.  lôyo;  yjv  auTto,  àXXà  7cep\  xoO  [ir;o'  aùxoù;  '0[J.5ç  Eivai 
-/pifftiavoOç.  Pour  l'autre  lettre,  ibid.,  20. 

(5)  RuiNART  (éd.  de  Ratisbonne),  p.  262, 


—  170  — 

258,  c'est  le  proconsul  Oalerius  Maximus  qui  le  rappelle,  et  le  con- 
(lamneàmort.  SaintCyprien,  dans  une  lettre  de  la  fin  d'août  (1),  nous 
donne  la  teneur  du  second  édit  :  Rescrijisisse  Valerianum  ad  se  na- 
tion nt  episcopi  et  jJreshyteri  et  diacones  in  continenti  animadver- 
tontur ,  senatores  vero  et  egregii  viri  et  équités  Romani,  dignitate 
aniissOj  etiani  bonis  spolienturj  et  si  adeinptis  faciiltatibns  cliristiani 
esse  perseveraverint,  capite  quoque  mulctentur  ;  matronœ  vero 
ademptis  bonis  in  exsilium  relegentur;  Cœsariani  auteni  qnicumque 
tel  prias  confessi /itérant  vel  nunc  confessi  fiierint  conjiscentur  et 
vincti  in  Cœsarianas  possessioncs  descripli  mittantur.  Un  peu  plus 
tard,  les  e'vêques  Agapius  et  Secundinus  e'taient  ramenés  de  l'exil 
pour  être  exëcute's  à  Cirta  (Constantine)  ;  puis,  après  un  certain 
nombre  de  laïques  (2),  les  clercs  Marianus  et  Jacobus  furent  décapités 
le  2  septembre  259  :  leurs  noms  et  ceux  d'autres  martyrs  leurs  com- 
patriotes ont  été  retrouvés,  en  1841,  sur  une  inscription  gravée  à  la 
fin  (lu  cinquième  siècle  au  flanc  du  rocher  qui  surplombe  le  Roummel. 
A  Rome,  le  pape  saint  Etienne,  revenu  d'exil  pour  mettre  la  pro- 
priété ecclésiastique  entre  les  mains  de  son  archidiacre ,  fut  jeté  en 
prison,  où  il  mourut  le  2  août  257.  Son  successeur,  saint  Xyste  II,  fut 
surpris  par  des  soldats  dans  le  cimetière  de  Prétextât,  célébrant  les 
saints  mystères  avec  quatre  sous-diacres  et  les  deux  diacres  Felicissi- 
mus  et  Agapitus,  et  ils  périieut  tous  le  G  août  258.  Le  10,  Tarclii- 
diacre  saint  Laurent  fut  martyrisé  pour  avoir  refusé  de  livrer  les 
biens  de  l'Eglise.  Le  21  janvier  259,  saint  Fructueux,  de  Tarragone 
en  Esjiagne,  fut  conduit  devant  le  magistrat  qui  lui  demanda  s'il  était 
évêque;  il  répondit  :  Je  le  suis;  l'autre  reprit  :  Tu  l'as  été;  et  il  le  fit 
brûler  vif  (3j.  Mais  à  son  tour  l'empereur  Valérien  fut  fait  prisonnier 
et  mis  à  mort  par  les  Perses,  dans  le  courant  de  la  même  année. 
Son  fils  Gallienus  rendit  la  paix  aux  chrétiens  ;  nous  avons  déjà 


(1)  Ep.  50,  ad  Succesmm. 

(2)  •  Nain  ita  inter  se  nostrne  relijfionis  gi-adiis  arlifex  sa-vitia  diviserai,  ut  lairos 
clericis  scparatos  tcnlatioiiil)iJs  sa'ouli  cl  tcnorilnis  suis  putarct  esse  ccssuros  », 
disent  les  Aites.  IUinart  (éd.  de  Uatishonne),  p.  272.  Cf.  Mémoires  de  l'Académie  des  in- 
scriptions (Antiquités  de  la  France),  t.  1,  206-215. 

(3)  KuiNART,  p.  265. 


—  171  — 

examiné  les  termes  de  ses  de'crets  relatifs  aux  cimetières  (1).  Depuis 
l'année  de  sa  mort  268  jusqu'à  l'avènement  de  Dioctétien  en  284,  il 
ne  nous  reste  à  signaler,  en  fait  d'édits  de  persécution,  que  celui  que 
signa  Aurélien  à  la  fin  de  274,  et  auquel  il  ne  survécut  que  deux 
mois  (2)  ;  les  renseignements  précis  font  défaut  sur  les  circonstances 
qui  accompagnèrent  un  certain  nombre  de  martyres  vers  cette  époque. 
Les  dix-neuf  premières  années  du  règne  de  Dioctétien,  qui  furent  paci- 
fiques et  donnèrent  même  à  l'Eglise  une  sécurité  trompeuse,  offrent 
seulement  plusieurs  condamnations  prononcées  contre  des  militaires 
chrétiens,  et  dès  avant  l'année  redoutable  qui  mérita  d'être  appelée 
l'ère  des  martyrs,  une  mesure  générale  avait  été  prise  pour  les  exclure 
de  l'armée  en  298  (3).  Mais  on  doit  penser  que  si  Dioctétien,  par 
exemple,  se  serait  volontiers  arrêté  là,  il  n'en  était  pas  de  même  de 
ses  collègues  (il  y  avait  deux  Augustes  et  deux  Césars  depuis  292), 
surtout  de  Maximien  et  de  Galère.  Celui-ci  pressa  tellement  le  vieil 
empereur  que,  le  23  février  303,  un  bataillon  de  soldats  fut  envoyé 
avec  des  haches  et  des  pioches  pour  démolir  l'église  de  A'icomédie  (4). 
C'était  le  signal  :  le  lendemain  parut  un  édit  qui  ordonnait  de  raser 
les  églises  et  de  brûler  les  Ecritures,  qui  dégradait  les  chrétiens ,  les 

(1)  V.  notre  troisième  partie,  p.  154. 

(2)  Lactance,  De  mort,  persec. ,  c.  iv  :  Aurellanus  qui  esset  natura  vesanus  et 
praeceps,  quamvis  captivitatem  Valeriani  meminisset,  tamen  oblitus  scelens  ejus  et 
pœnae,  irani  Dei  crudelibus  factis  lacessi\it.  Veruiii  illi  ne  perficere  quidem  quae 
cOi'jitaverat,  licuit,  sed  inter  initia  furoris  ex.-.tinctiis  est.  Nonduin  ad  provincias 
ulteriorcj  crucnta  ejus  edicta  pervenerant.  Cf.  Vopisc.  Vit.  Aur.,  c.  xl  :  Ita  ut  per 
sex  nienses  imperatoreui  Romanus  orbis  non  liabuerit  oranesque  judices  ii  perma- 
nerent  quos  aut  senatus  aut  Aurelianus  elegerat.  —  Il  y  aurait  plus  dune  erreur 
à  relever  dans  les  articles  de  Gorres,  Hilge»/eld's  Zeitschrift,  1877,  p.  529,  et  Jahrb. 
fûrprot.  TheoL,  1880,  p.  449. 

(3)  Ihid.,  c.  X  :  Datisque  ad  pra'positos  litteris  etiam  milites  cofïi  ad  nefanda  sacri- 
ficia  praecepit  el  renuentes  militia  solvi.  —  C'est  ainsi  que  saint  Ferréol,  de  Vienne 
en  Gaule,  est  dit  dans  ses  Actes  :  Habitu  solo,  non  officio  militans,  quod  esset  chris- 
tianus  proditus.  Rli>art  (éd.  de  Ratisbonne),  p.  489.  cf.  Hist.  eccks.,  1.  VHI,  c.  iv  : 
IlXscffTO'JC  itapTiV  T&v  ev  (jxpa'TEtati;  opâv  aa-[jL£V£crxaTa  xôv  loiwTtxov  Tïpoacr7:a;jo[A£vo-j? 
piov.  (oç  av  ]t.r\  eÇapvot  yévoivTO. 

(4)  Lactance,  loc.  cit.,  c.  xii  :  Veniebant  igitur  praetoriani  acie  structa  cura  secu- 
ribus  et  aliis  ferramentis,  et  immissi  undique,  fanum  illud  editissimum  paucis  horis 
solo  adaequarunt.  A  Héraclée  en  Thrace,  nous  nous  figurons  facilement  comment 
les  choses  se  passèrent  :  Stationarius  civitatis  advenit,  ut  praesidis  jussu  impressis 
cera  signis  ecclesiam  clauderet  christianis,  acte*  de  l'évêque  saint  Philippe,  dans 
Rlinart  (éd.  de  Ratisbonne),  p.  440. 


—  172  — 

privait  de  toute  action  en  justice,  et  interdisait  l'affranchissement  des 
esclav^es  (1).  Cette  première  pe'riode,  où  les  magistrats  se  faisaient  livrer 
partout  les  livres  saints,  s'appela  dies  traditionis.  Bientôt  un  second 
édit  prescrivit  l'emprisonnement  des  membres  du  clergé,  et  un  troi- 
sième voulait  qu'on  les  forçât  par  tous  les  moyens  à  sacrifier  (2).  Dans 
l'hiver  304,  commença  la  deuxième  pe'riode,  connue  sous  le  nom  de 
dies  tiirijlcationis  :  un  quatrième  e'dit  contraignait  tous  les  chre'tiens 
à  faire  acte  d'idolâtrie.  Alors,  dans  tous  les  lieux  publics  furent  dresse's 
de  petits  autels  avec  du  feu  allume,  et  quiconque  passait  par  là  e'tait 
oblige'  de  jeter  une  pince'e  d'encens  :  ainsi  en  e'tait-il  à  l'entrée  des  bains, 
sur  les  places  de  marchés,  et  non-seulement  pour  les  hommes,  mais 
pour  les  femmes,  les  domestiques  et  jusqu'aux  enfants  à  la  mamelle  (3). 
Il  est  curieux  de  rapprocher  le  récit  d'Eusèbe,  témoin  oculaire,  du 
passage  suivant  de  saint  Jean  (4)  :  «  Et  les  petits  et  les  grands,  et 
les  riches  et  les  pauvres,  et  les  hommes  libres  et  les  esclaves  recevront 
le  caractère  de  la  bête  dans  leur  main  droite  et  sur  le  front  :  et  per- 
sonne ne  pourra  acheter  ni  vendre,  que  celui  qui  aura  le  caractère  ou 
le  nom  de  la  bête  ou  le  nombre  de  son  nom.  «  En  effet,  rien  ne  peut 
mieux  donner  l'idée  de  la  dernière  persécution  que  la  vision  de  l'Apo- 
calypse. Tout  ce  que  la  force  de  l'autorité  suprême  déchaînée,  toutes 
les  cruautés  que  la  haine  jalouse,  tous  les  raffinements  que  la  rage 
impuissante  pouvaient  inventer,  furent  mis  en  œuvre  en  Occident 
pendant  deux  ans,  en  Orient  pendant  dix  ans.  Une  ville  entière  fut 

(1)  cf.  Lactance,  loc.  cit.,  c.  XIII,  et  Hisl.,  eccl.,  liv.  VHI,  C.  il,  4. 

(2)  Hist.  eccles.,  ibid.,  5  :  Ka\  y\  (i£v  TtpwTr)  v.aO'  r|(xà)v  ypaçr)  Totayir)  Ttç  f,v  jxet'  oO  ttoVj 
Cil  £T£pwv  ETtiçotTO'J'âvTwv  Ypa|JL[xâirwv  TipoTîTaTTSTO  Tou;  Tâ)v  £xx)>T,(jîa)v  Tipoéopov;  Ttâvra; 
TO'j;  xaxà  TiivTa  tÔtîov  TTpwTa  \J.ï'i  oîtixoî;  TiapaotooirOat,  eîO'  O-TSpov  7tâ(TY)  p.r)yavf,  O-jsiv 
èÇavay/.â^îTOai. 

(3)  De  marlijribus  Palcslinœ,  C.  IX,  2  :  ITpcKT'ïayiJ.a  v.zt.vJo-i  w;  îiv  (xe-rà  OT^rrj'yr^;,  Tcatar,;... 
Ttdtvxaç  avopa:  «(jlx  yjvat^i  y.a\  oly.ÉTat;  xa\  «•jxoÎç  Û7:o[Aa!Jcot;  iraîTi  OÛEtv  xa\  ffTîÉvoeiv, 
«yrtôv  T£  ay.ptêta):  tô)v  èvayiôv  àTroyîJîTOa'.  Oymtov  £7ri(j.£>,£ç  tîoioîvto,  xa\  xà  [làv  xat' 
ayopàv  w'via  xatç  «Tto  twv  Ô'jatwv  (TTtovoaî;;  xaT3([j.o).'jvotTO,  TvpôffOsv  5k  liov  /.ourptov 
eçEOpot  y.afdtcriTOiVT'O,  ojç  av  to'jç  ev  to'jtoi;  a7roy.aOatpo|j.Évo'j;  Taî;  7rxix[JiiapoK;  (loVjvotsv 
OyiTcatç. 

(4)  Apocalypse,  c.  xiii,  V.  16,  1?  :  Kai  notsî  iravTaç  touç  [xtxpouç  xa\  to'jç  (J.£yâ),0'jç,  xat 
Touç  7r).ouT!0'jç  X5CI  Toy;  ■K^oy/o'jç,  xa\  tou;  eXe'jOépo'j;  xa\  xouç  5o'j).ou;,  tva  ôàxrtv  auTOÎ; 
"/apotyjxaTa  £7tt  -rfiç  7£tpo;  a-jTiôv  tîi;  ôî^iâ;  r|  eti'i  -ctôv  ixETtiTTwv  ocjtwv,  xa\  cva  (ir|  tk; 
ô'jvritat  àyopâcrai  tj  7co),r|0rat  e'c  [ati  ô  ^'/wv  tô  -/âpxyfAx  ?i  to  6'vo(Aa  toO  Or,piou,  ?;  tov 
aptOixôv  xoO  ôvô(jiaTOî  «ÙtoO, 


•—  173  — 

brûlée  en  Phrygie.  Le  sang  coula  à  flots;  et  quand  les  bourreaux  se 
lassèrent,  ils  se  contentèrent  de  crever  un  œil,  ou  de  couper  un  tendon 
des  jambes  aux  chre'tiens  qu'ils  envoyaient  aux  mines  (1). 

Cependant  l'autorité'  changeait  de  mains  sans  que  ses  dispositions 
fussent  modifie'es.  A  la  suite  de  l'abdication  de  Diocle'tien  et  Maxi- 
mien, l^maiSOo,  deux  nouveaux  Césars  avaient  été  choisis,  Sévère 
et  Maximiu  Daïa.  L'année  306  vit  successivement  la  mort  de  Con- 
stance Chlore,  remplacé  par  son  fils  Constantin,  et  la  défaite  de  Sévère 
par  l'usurpateur  Maxence  en  Italie.  Celui-ci,  fils  de  l'empereur  Maxi- 
mien,  combattit  son  père,  qui  avait  voulu  reprendre  la  pourpre  et 
qui  se  tua  à  Marseille  en  310.  11  ne  renouvela  pas  les  édits,  mais 
sa  conduite  à  l'égard  des  évéques  de  Rome  donne  la  mesure  de  ses 
sentiments  envers  les  chrétiens.  Saint  Marcellinus  avait  subi  le  mar- 
tyre en  304;  l'élection  de  sou  successeur  saint  Marcellus  n'eut  lieu 
qu'à  la  fin  de  mai  307  ;  il  fut  dénoncé  par  un  compétiteur,  et  Maxence 
'envoya  en  exil,  où  il  mourut  le  16  janvier  309.  Le  tyran  exila  éga- 
lement saint  Eusèbe,  nommé  le  16  avril,  et  mort  sur  la  côte  de  Sicile 
le  17  août.  Quant  à  saint  Miltiade ,  dont  l'avènement  eu  lieu  le  2  juil- 
let 310,  il  vit  la  paix  de  l'Église.  C'est  à  lui  que  Maxence,  apprenant 
l'arrivée  de  Constantin,  se  décida  à  restituer,  par  l'intermédiaire  du 
préfet  de  Rome,  les  loca  ecclesiastica  en  311  (2).  Mais  ses  prédéces- 
seurs n'avaient  pas  été  reconnus  par  l'autorité  civile  comme  proprié- 
taires, et  ce  fait  vient  à  l'appui  de  ÎM.  de  Rossi,  lorsqu'il  nous  montre 
les  biens  du  corps  des  chrétiens  inscrits  sous  le  nom  des  papes  à  titre 
d'association  funéraire.  Précisément,  l'une  des  listes  qui  proviennent 
de  la  préfecture  de  Rome  porte  la  mention  suivante  à  l'année  304  : 
Cessavit  ejnscopatus  sejjtem  annos^  vacance  qui  correspond  aux  deux 
pontificats  de  Marcellus  et  d'Eusèbe.  De  son  eôté,  l'autre  liste  omet 
le  nom  de  saint  Marcellus,  duquel  Maxence  voulait  obtenir,  d'après 


(t)  Lactance,  De  mort,  persec,  c.  xv,  dit  que  Constance  Chlore  en  Gaule  épargna 
sinon  les  temples  matériels,  du  moins  les  temples  spirituels  qui  sont  les  corps  des 
fidèles. 

(2)  Son  rescrit  se  trouve  mentionné  dans  la  conférence  africaine  des  Donatistes 
avec  les  catholiques  en  3ll,  dont  saint  Augustin  a  fait  un  abrégé,  Brev.  collai.,  liv.  ni, 

c.  XXXV. 


—  174  — 

le  Liber  pontificalis,  ut  negaret  se  esse  episcopum,  tandis  que  celui 
de  saint  Eusèbe  s'y  trouve  re'tabli,  parce  que  l'autorisation  fut  accor- 
dée de  ramener  ses  restes  au  cimetière  de  la  voie  ApjHenne. 

Enfin,  la  même  anne'e,  30  avril  311,  Galère,  atteint  d'une  horrible 
maladie,  publia  dans  la  ville  même  où  la  perse'cution  avait  commence', 
un  édit  pour  la  faire  cesser.  Le  texte  latin  nous  en  a  êle'  conservé  par 
Lactance  (1).  L'empereur  déclare  qu'il  a  voulu  forcer  les  chrétiens  de 
revenir  aux  anciennes  traditions;  comme  ils  ne  s'y  sont  pas  prêtés  et 
(ju'ils  se  trouvent  en  ce  moment  ne  plus  rendre  de  culte,  ni  aux  divi- 
nités païennes,  ni  à  leur  Dieu ,  il  les  autorise  à  exister  de  nouveau,  à 
rétablir  leurs  lieux  de  culte,  et  à  se  conformer  à  leur  doctrine,  et  il 
leur  demande  de  prier  pour  sa  santé  et  le  bien  de  la  République, 
Eusèbe  a  traduit  ce  texte  en  grec  (2),  en  maintenant  l'intitulé,  qui 
présente  cette  particularité  de  contenir  les  noms  de  Constantin  et  de 
Licinius  récemment  associés  à  l'empire,  mais  non  celui  de  Maximin 
Daïa.  La  fureur  de  ce  dernier  n'était  pas  encore  assou\ie;  le  15  mai 
suivant,  Galère  étant  mort,  il  n'osa  })oint,  à  cause  de  ses  collèg^ues,  ne 
pas  tenir  compte  de  l'édit;  mais  afin  d'éviter  de  le  proniul{juer  (3),  il 
ordonna  que  la  substance  en  fût  notifiée  à  ses  fonctionnaires  par  une 
circulaire  de  son  premier  ministre,  et  il  s'ingénia  alors  à  combattre  la 
religfiou  chrétienne  en  demeurant  dans  l'apparence  de  la  légalité.  Il 

(1)  De  mort,  persec,  c.  xxxiv  :  Ut  dcnuo  snit  christiani  et  convenlirula  SUa  compo- 
nant  ita  ut  ne  quid  contra  disciplinam  agant.  —  M.  Boissieu,  Rev.  archéol.,  1876, 
t.  I,  p.  Il9,  rapproche  ces  termes  de  ceux  d'Orijfène,  Nom.  IX,  in  Jos.  .•  .  Convene- 
runt  enim  reges  terrap,  senatus  populusque  et  principes  Romani  ul  expugnarent 
noiuen  .lesu  et  Israël  simul,  decreverunl  enim  legil)us  suis  ui  non  sint  christiani-, 
et  (Pautres  encore  que  nous  avons  rencontrées  plus  haut,  p.  24,  p.  60  en  note,  p.  114 
en  note,  et  il  dit:  '^  Ce  n'est  pas  par  un  simple  effet  du  hasard,  que  tant  d'écrivains 
d'â{je  différent  emploient  des  expressions  entièrement  semblables;  on  est  tenté  de 
voir  dans  ces  expressions  celles  mêmes  d'un  édit  de  persécution,  proi)ablemenl  le 
plus  ancien  de  tous,  de  celui  qui  le  plus  longtemps  a  servi  de  base  à  toutes  les  pour- 
suites. Il  devait  donc  contenir  à  peu  prés  ces  termes  .  -  Non  licet  esse  chrislianos  » , 
et  ne  contenait  guère  autre  chose.  Il  ne  formulait  pas  d'accusations  précises,  il  ne 
s'appuyait  sur  aucun  considérant,  il  n'indiquait  pas  de  procédure  régulière;  c'était 
une  sorte  de  mise  hors  la  loi,  un  décret  brutal  d'extermination.  " 

(2)  Hist.  ecclcs.,  1.  VIII,  C.  xvii,  2  et  S.  :  Tr^v  7:a).iv(;)ô;av  twv  y.aO'  r,iiài;  toOxov  7i£pi£-/ovTa 

TOV    TpÔTTOV. 

(3j  Hist.  ecclcs.,  1.  I\,  c.  I  :  'Aypâq/w  TîpocfTâyixaTt  toTç  ûtc'  a-j-rôv  oipyovci  TÔv  xaO' 
r,|i.wv  ottoyixbv  àveivai  TipoaxcicTTet,  o\  6è  -zk  xyjç  TiapaxeXeydîw;  à/.Xr|>,ûtç  otà  Ypaçr-,; 
"j7tOTr,(j.atvoyatv. 


—  175  — 

excita  par  ses  pre'fets  les  municipalités  des  cite's  principales ,  telles 
qu'Antioclie  et  Tyr,  à  prendre  des  de'libe'rations  pour  expulser  les 
chre'tiens,  et  les  approuva  ensuite  par  des  proclamations  qui  furent 
affiche'es  (1).  On  composa  e'galement  un  manuel  de  l'histoire  de  Pilate, 
rempli  de  blasphèmes  contre  le  Christ,  que  le  gouvernement  fit  col- 
porter dans  les  villes  et  les  campagnes,  et  dont  il  rendit  l'enseigne- 
ment obligatoire  dans  les  e'coles  (2).  Une  hiérarchie  religieuse  païenne 
fut  créée  sur  le  modèle  de  celle  de  l'Eglise  pour  entretenir  le  zèle  des 
populations.  Après  beaucoup  d'autres,  Tévêque  saint  Pierie  d'Alexan- 
drie, surnommé  le  dernier  des  martyrs,  téXo;  jj^apTopcov,  périt  victime  de 
cette  persécution  hypocrite,  26  novembre  312. 

Mais  déjà  le  28  octobre,  une  sanglante  bataille  livrée  au  pont  Mil- 
vius,  à  la  porte  de  Rome,  avait  délivré  cette  ville  de  Maxence,  et 
remis  l'Occident  entre  les  mains  de  Constantin.  Il  rédigea  un  premier 
édit  de  pacification  qu'il  envoya  à  Maximin.  Puis  s' étant  rencontré 
avec  Licinius,  au  commencement  de  313,  à  Milan,  tous  deux  pu- 
blièrent ensemble  le  célèbre  édit  portant  le  nom  de  cette  ville  (3),  qui 
accordait  à  tous  la  liberté  de  conscience  et  prescrivait  la  restitutio  in 
integrum  du  «  corps  des  chrétiens  « .  Alors  Maximin  adressa  une  lettre 
à  son  premier  ministre,  où,  tout  en  justifiant  ses  mesures  précédentes, 
il  recommandait  de  ne  plus  inquiéter  les  chrétiens  (4)  ;  mais  il  déclara 
la  guerre  aux  deux  empereurs,  débarqua  en  Thrace  et  fut  battu  à 
Andrinople,  le  30  avril  313.  Le  13  juin,  Licinius  entra  à  INicomédie  et 
afficha  l'édit  de  Milan.  Enfin,  Maximin,  réfugié  à  Tarse,  sur  le  point 


(1)  Hist.  eccles.,  1.  IX,  C.  il,  m,  IV  et  vu  :  'Avà  (J-liai;  yé  toi  iolç,  izôlziç,  o  [i-qos.  aXXo  xl  tioxs, 
<J>vi9Î-ï[jLaTa  7iô),ew-;  xaO'  y\[L(bv  xa'i  PauO.txwv  Tipôç  -caÛTa  Staroc^Ewv  àvxtypaçat  cn:-r|Xaiç 
evTcXU7tw[/.Éva  yaXxaîç  avwpôoOvto. 

(2)  Ibid.,  c.  V  :  IlXaffâiXEvoi  dr^-coL  IltXdcToy  xat  toO  —unv]z,oç  •rijj.fov  yitO[xv^|J.aTa,  uâar;ç 
ElJiuXea  xaxà  toû  XptffioO  pXaacp-^jxcaç,...  otà  ypa[J.(Jt,âxwv  TtapaxsXsuôjASvot  xaxà  Tiâvxa 
xÔtiov  àypo'jç  te  xa\  hÔXeiç  ev  Èxcpavsî  taCiTa  xoîç  irâdiv  ÈxOsivai,  xoî;  te  iratai  touç  ypajA- 
jjLaTOoioaTxdcXouç  àvT\  [xa6-0!J.ocTwv  TaÛTa  [le^ETàv  xa\  ôià  [).Yl]\j.-q(;  xaT£-/Etv  Ttapaotîovau 

(3)  Ibid.,  liv.  X,  C.  V,  1-15,  et  Lact.vnce,  De  mort,  persec,  c.  XLVii.  Cet  édit  et  ses 
préliminaires  ont  été,  concurremment  à  notre  travail,  la  matière  d'une  étude  très- 
approfondie  par  M.  Paul  Allard,  dans  les  n»»4  et  5  des  Letires  chrétiennes  (Lille,  1881), 
sous  ce  titre  :  Rapports  de  l'Église  cl  de  l'Empire  romain  au  troisième  siècle. 

(i)  Ibid.,  liv.  IX,  C.  IX,  14. 


^  176  — 

de  mourir,  se  résigna  à  publier  1rs  dispositions  de  cet  e'dit  en  son 
propre  nom  et  dans  les  termes  les  plus  formels  (1),  Licinius,  peu  à 
après,  reprit  en  Orient  la  perse'cution  d'une  manière  sournoise  jusqu'à 
sa  défaite  définitive  par  Constantin  en  323.  La  tentative  momentanée 
de  restauration  païenne  par  Julien  l'Apostat  (3G1-363)  ne  devait  plus 
avoir  le  même  caractère  (2). 

Nous  avons  cite  plus  haut  l'Apocalypse;  il  nous  sera  permis  de 
revenir  un  instant  à  ce  livre,  dont  la  j)ensëe  allégorique  trouve  ici  sa 
véritable  place.  Elle  prend  l'empire  romain  au  point  où  il  est  reconnais- 
sable  dans  le  livre  de  Daniel  (3),  c'est-à-dire,  où  ses  dents  et  ses  ongles 
de  fer  ont  tout  dévoré,  et  nous  le  montre  sous  la  forme  d'une  femme 
appuyée  sur  la  béte  à  sept  têtes,  qui  sont  les  sept  collines  sur  les- 
quelles Rome  païenne  est  assise  (4).  A  l'empire  conquérant  a  succédé 
l'empire  persécuteur.  Bientôt  dix  cornes  vont  survenir,  qui  sont  dix 
rois  :  ils  n'ont  pas  de  royaumes  à  l'origine,  et  servent,  en  qualité 
d'auxiliaires,  l'empire  qui  finira  par  leur  devenir  odieux  et  qu'ils 
démembreront.  Et  avant  que  ces  chefs  des  nations  barbares  (5),  d'abord 
ennemis  du  nom  chrétien,  se  convertissent,  ils  réduiront  la  prostituée 
à  la  dernière  désolation ,  ils  la  dépouilleront,  extermineront  ses  habi- 
tants, et  feront  périr  par  le  feu  cette  ville  superbe.  Ceci,  au  témoignage 
de  saint  Irénée ,  était  annoncé  à  la  fin  du  règne  de  Domitien.  Que  les 
sept  têtes,  qui  sont  aussi  sept  rois,  dussent  alors  s'entendre  de  sept 
princes  persécuteurs  à  venir,  nous  en  avons  pour  garant  l'inter- 
prétation donnée  par  l'Africain  Commodien  au  milieu  du  troisième 
siècle  (6)  : 


(1)  Hist.  eccl.,  liv.  IX,  c.  X,  7.  Voir  notre  troisième  partie,  p.  153 

(2)  Pour  cette  période,  il  suffit  de  renvoyer  au  remarquable  ouvrage  du  duc  de 
Broglii:,  l'Eglise  et  l'Evipire  romain  au  quatrième  siècle  'Paris,  1856). 

(3)  Dan.,  c.  vu;  cf  C.  Il,  V.  31-Î5,  pour  la  statue,  dont  les  jambes  étaient  de  fer,  et 
les  pieds  de  fer  et  d'argile,  et  que  brisa  la  pierre  détachée  de  la  montagne. 

(4)  Apocal.,  c.  xiii  et  xvii. 

(5)  Saint  IuÉnÉe,  Adv.  hœr.,  1.  V,  c,  xxvi,  1.  Cf.  c.  xxx,  3  :  OùSk  yàp  upô  Tto),>.oO 
-/pôvo'j  IwpâOr).  a/,),à  rjyiwi  £tï\  t?,;  r^\x.zxiçfxz  yEVcà:,  TCpb;  im  TiXsi  tr,;  Ao(j.sTiavoO  apyr,;. 

(6j  Carmen  Apolngelicum.  v.  800  et  suiv.,  au  t.  I  du  Spicilegium  Solesmense  du  cardinal 
PiTRA,  p.  43.  Cette  expliciition  exclut  celle  de  M.  Roissiiu  dans  la  Ihrue  des  Deux 
Mondes  du  15  avril  187G  :  -  Nous  avons  la  preuve  que  les  persécutions  ont  été  distin- 
guées et  classées  par  les  gens  mêmes  qui  eu  avaient  souffert.  Le  vieux  poète  Com- 


—  177  — 

Sed  quidam,  haec,  aiunt,  quando  haec  ventura  putamus? 

Accipite  paucis  ,  quibus  actis  illa  sequentur, 

Multa  quidcm  signa  fient ,  tantae  termini  pesti  : 

Sed  erit  initium  septima  persecutio  nostra. 

Ecce  janua  pulsatur,  et  cogitur  esse 

QuiB  cito  trajeci.  Et  Gothis  irrumpentibus  aninem, 

Rex,  etc. 

Dans  la  lettre  dite  de  Barnabe'  (1),  au  contraire,  la  prophe'tie  de 
Daniel  est  pre'seute'e  comme  accomplie,  et  les  dix  cornes  signifient  dix 
empereurs  ayant  re'gne'.  Différente  est  donc  l'application  des  paroles 
à  une  situation  passe'e,  telle  que  la  fait  manifestement  l'auteur  de 
la  lettre,  et  l'application  à  une  situation  future,  telle  qu'elle  re'sulte  de 
la  vision  de  saint  Jean.  Il  se  transporte  à  l'e'poque  dont  il  trace  le 
tableau  ;  c'est  sans  raison  et  contre  toute  vraisemblance  que  l'on  vou- 
drait le  confiner  au  temps  où  il  écrivait.  Car,  que  l'on  voie  dans  la  hui- 
tième personnification  de  la  bête,  qui  va  à  sa  ruine,  le  paganisme  du 
peuple-roi,  popiilum  late  regem  (2),  ou  bien  Ne'ron  renaissant,  si  l'on 
a  pu  dire  que  la  clef  du  livre,  c'est  le  nom  de  la  bête,  il  convient 
d'ajouter,  avec  iM.  Aube',  que  la  clef  de  la  clef,  c'est  la  perse'cution. 
Saint  Jean  en  pre'voit  le  terme,  et  il  triomphe  déjà  avec  plus  d'assu- 
rance que  Lactance,  le  jour  de  la  victoire ,  dans  ses  Morts  des  persé- 
cuteurs. Celui-ci  adresse  seulement  une  prière  à  Dieu  pour  qu'il  rende 
son  Église  à  jamais  paisible  et  florissante  (3).  Celui-là  célèbre  avec 
éclat  la  chute  de  la  grande  Babylone  «  où  a  été  trouvé  le  sang  des 
prophètes  et  des  saints,  et  de  tous  ceux  qui  ont  été  massacrés  sur  la 
terre  (4)  " . 

De  pareils  encouragements  n'étaient  pas  inutiles  pour  affermir  les 
martyrs  dans  la  fidélité  à  une  cause  qui,  selon  les  calculs  humains, 
était  si  compromise,  surtout  à  l'origine.  Qui  les  assurait  d'ailleurs  de 


modien,  dans  un  ouvrage  qu'on  a  découvert  il  y  a  quelques  années,  parle  de  celle 
de  Dèce,  dont  il  a  été  témoin,  et  dit  expresséuient  que  c'est  la  septième.  " 

(1)  Ejj.  Barn.,  c.  iv,  3-5;  cf.  les  prolog.  de  l'éd.  Funk,  p.  iv  et  suiv. 

(2)  ViRG.,  JEneid.,  liv.  I,  V.  21. 

(3)  De  mort,  persec,  c.  m  :  Ut  florescentes  ecclesias  perpétua  quiète  custodiat. 

(4)  Apocal.,  c.   xviii,  v.   1-24  :  Koù   sv    aux?)    a^fj-axa  Ttpoçrixôjv  x%\  àytwv    eOpéO/]  xat 
Tiâvxwv  xtbv  edçayjxévcov  ztù  xy];  yv]?. 

12 


—  178  — 

sa  justice?  Aujourd'hui  même,  on  repète  facilement  comme  du  temps 
de  TertuUieu  (1)  :  Les  chrétiens  ont  ëte'  punis,  il  fallait  qu'ils  fussent 
coupables.  Quel  est  donc  leur  crime?  L'attachement  à  leur  religion, 
qu'on  veut  croire  incompatible  avec  toutsentiment  patriotique.  En  effet, 
dit-on,  «  le  prince,  la  patrie,  le  bien  public,  la  civilisation,  la  grandeur 
romaine  ne  sont  pour  eux  que  des  noms  retentissants  ou  de  vaines 
idoles.  L'Eglise  est  leur  patrie,  leur  cité,  leur  camp  (2).  »  Et  afin  de 
préciser  davantage,  «  il  faut  dire  encore  que  le  christianisme,  en  mon- 
trant sans  cesse  la  patrie  céleste  comme  la  seule  véritable,  fera  ouljlier 
celle  d'ici-bas  ;  qu'en  changeant  les  croyances,  il  changera  les  de- 
voirs; qu'en  remjdaçant  le  légitime  orgueil  du  citoyen  par  l'humilité 
du  fidèle,  il  éloignera  celui-ci  des  honneurs  municipaux;  qu'enfin  il 
précipitera  la  décadence  de  la  cité  par  le  dégoût  dont  il  remplira  les 
âmes  pour  des  institutions  nées  autour  des  autels  qu'il  voulait  bri- 
ser (3)  ».  A  ce  reproche,  Origène  répond  :  "  Sachant  que  le  Verbe 
de  Dieu  a  fondé  dans  chaque  ville  une  hiérarchie  parallèle  à  celle  de  la 
cité,  nous  appelons  à  gouverner  les  ÉgUses  ceux  d'entre  nous  qui 
sont  recommandables  par  les  mœurs ,  et  puissants  par  la  parole.  En 
agissant  ainsi,  les  chrétiens  ne  cherchent  pas  à  se  soustraire  aux 
charges  communes  de  la  vie,  mais  ils  se  réservent  pour  le  ministère 
plus  divin  et  plus  nécessaire  de  l'Eglise  de  Dieu ,  en  vue  du  salut  des 
hommes  (4).  «  11  donne  donc  à  entendre  que  les  plus  capables  des 
chrétiens  de  son  temps  étaient  absorbés  par  le  recrutement  du  clergé. 

(1)  Ad  nat.,  liv.  I,  c.  VI  :  Confu}ïitis  snsluantes  ad  arulam  quamdam,  id  est,  leguin 
aucloritalem,  qiiod  utique  non  pleclereut  sectani  istam,  nisi  de  meritis  apud  con- 
ditores  legum  conslitisset. 

(2)  M.  AunÉ,  Hist.  des  pcrsèc,  p.  401. 

(3)  M.  DuRUY,  Hist.  rom.,  t.  V,  p.  167.  Le  môme  auteur  voit  [ib.,  t.  IV,  p.  155) 
"  notre  abominable  Commune  -  dans  ri'glise  primitive  de  Jérusalem,  disant  que  les 
disciples  exigèrent  des  fidèles  la  mise  en  commun  de  tous  les  biens  :  traduction  libre 
des  paroles  de  saint  Pierre  à  Ananias  au  sujet  de  son  champ,  lesquelles  signifient 
précisément  le  contraire.  Actes,  c.  v,  v.  4  :  Où-/'  [J-evôv  (joi  ï\xz-^z  xa\  TvpaOkv  Èv  ty-  crr) 
eÇoufftx  i7ir,p/£.  Déjà  Qlixtilie.v,  Inst.  oral.,  I.  III,  c.  vir,  avait  vu  un  socialiste  dans  le 
Christ  :  Qualis  est  primus  .ludaica'  superslitionis  auctor  et  Gracchorum  leges  invisae. 

(4)  C.  tels.,  1.  VIII,  c.  Lxxv  :  'lI|jL£î;  oï  èv  éxâcTï)  TiôXsi  aÀ).o  <s-jatr,\ioi  TiaTptooç  xtkjOÉv 
Aoyiiï  0£oO  èittjTcijjLEvoi,  Toùç  oyvaTO'jç  Xôyw  xa\  P»;»  ûyiet  •/pWfJi.Évou;  èni  xb  ap-/£iv 
Exx),r,G'sà)v  ■napxxa),oO|j.£v...  xa\  oC  çe-jyovxéç  ye  xà;  xoivoxépaç  xoO  (îwy  ).£ixo\jpyca; 
"/piTxiavot  xà  xotaOxa  Ttcptîo-xavxai,  à).),à  X7)po0vx£<;  âayxouç  O£tox£pa  xa\  àvayxai&xipa 
).£txo'jpyta  £xx>,r,(7ca;  t)îoJ  ln\  ciwxopca  àvOpwTtwv.  C'est  SOUS  la  même  préoccupation 


—  179  — 

Mais  quand  le  service  du  culte  était  pourvu,  jamais  l'Église  ne  pre'- 
tendit  de'tourner  les  fidèles  de  T accomplissement  de  leurs  obligations 
civiques.  «  A  la  ve'rite',  il  leur  e'tait  dur,  s'e'crie  Bossuet,  d'être  traite's 
d'ennemis  publics  et  d'ennemis  des  empereurs,  eux  qui  ne  respiraient 
que  l'obe'issance,  et  dont  les  vœux  les  plus  ardents  avaient  pour  objet 
le  salut  des  princes  et  le  bonheur  de  l'Etat.  i>  Et  il  en  apporte  la 
meilleure  preuve  :  "  Car  qui  ne  s'e'tonnerait  de  voir  que  durant  trois 
cents  ans  entiers  que  l'Église  a  eu  à  souffrir  tout  ce  que  la  rage  des 
persécuteurs  pouvait  inventer  de  plus  cruel,  parmi  tant  de  se'ditions, 
et  tant  de  guerres  civiles,  parmi  tant  de  conjurations  contre  la  per- 
sonne des  empereurs,  il  ne  s'y  soit  jamais  trouvé  un  seul  chrétien, 
ni  bon  ni  mauvais  (1)?  « 

Viennent  les  Barbares,  on  est  tenté  de  mettre  la  défaite  de  Rome 
sur  le  compte  d'une  religion  qui  prêchait  la  désertion ,  et  l'on  renvoie 
au  traité  de  TertuUien  De  corona  militis  (2).  Nous  avons  relativement 
à  ce  point  un  document  que  nous  reproduisons  comme  unique  dans 
son  genre.  C'est  le  procès-verbal  d'un  conseil  de  révision  tenu  le 
12  mars  295  à  Theveste  (auj.  Tebessa)  en  Algérie  (3).  —  Sous  le  con- 
sulat de  Tuscus  et  d'Annulinus,  le  4  des  ides  de  mars,  à  Theveste, 
on  introduit  Fabius  Victor  avec  Maximilien.  Le  commissaire  Pompeia- 
nus  reçoit  la  parole  et  dit  :  a  Fabius  Victor,  chef  du  bureau  de  recrute- 
ment, et  Valesianus  Quintianus,  délégué  de  César  [prœpositus  Cœsa- 
riensis),  se  présentent  avec  le  conscrit  Maximilien,  fils  de  Victor,  et 
comme  il  paraît  bon  pour  le  service,  je  demande  qu'on  le  toise.  « 
Dion,  le  proconsul,  dit  alors  :  «  Comment  t'appelles-tu?  ->^  Maximilien 
répondit  :  «  Pourquoi  veux-tu  savoir  mon  nom?  Je  ne  puis  pas  servir, 


qu'il  revendiquait  rexemption  du  service  militaire  pour  ses  coreligionnaires,  loc  cit., 

C.   LXXIU. 

(1)  Discours  sur  l'histoire  universelle,  deuxième  partie,  §  12. 

(2)  Ce  traité  n'est  qu'une  tliéorie  de  l'auteur.  —  Interrogeons  Tertullien  sur  les 

faits  ;  Apologet.,  c.  xlii  :  Naviganius  et  nos  vobiscum,  et  militamus,  et  rusticamur 

C.  XXXVII  :  Heslerni  sumus  et  vestra  omnia  implevimus,  url)es,  insulas,  castella, 
municipia,  conciliabula,  castra  ipsa.  —  Voir  pour  sa  réfutation  en  général,  par  lui- 
même,  lorsqu'il  n'était  pas  hérétique,  De  Q.  S.  F,  TertulUano,  thèse  soutenue  en  1855 
par  M.  A.  de  Margerie. 

(3)  Traduction    littérale    du   texte   donné   par    Ruinart   (éd.    de   Ratisbonne), 
p.  340. 

12. 


—  180  — 

jiarce  que  je  suis  chrétien.  "  Le  proconsul  dit  :  '^  Qu'on  l'approche 
(le  la  toise.  i'  Et  tandis  qu'on  l'approchait,  Maximilien  lépondit  :  «  Je 
ne  puis  servir,  je  ne  puis  faire  mal,  je  suis  chrétien.  «  Le  proconsul 
dit  :  "  Qu'on  le  toise."  Quand  il  eut  été  toisé,  l'employé  lut  :  «  Il  a 
cinq  pieds  dix  pouces.  "  Dion  dit  à  l'employé  :  «  Qu'on  le  marque.  » 
Et  Maximilien  répondit  :  '^  Je  ne  m'y  prêterai  pas-,  je  ne  puis  servir.  » 
Dion  dit  :  «  Sers,  si  tu  ne  veux  pas  mouiir.  «  Maximilien  répondit  : 
u  Je  ne  servirai  pas,  ti"anche-moi  la  tête,  je  ne  sers  pas  le  monde, 
mais  je  sers  mon  Dieu.  «  Le  proconsul  dit  :  "  Qui  t'a  persuadé  cela?  » 
Maximilien  :  "  Ma  raison,  et  celui  qui  m'a  appelé  à  la  foi.  i'  Dion  dit  à 
Victor  son  père  :  «  Conseille  ton  fils.  «  Victor  répondit  :  "  C'est  à  lui 
de  savoir  ce  qui  lui  convient;  il  a  son  bon  sens.  "  Dion  à  JMaximilien  : 
«  Sers  et  reçois  la  marque  de  la  milice.  «  11  répondit  :  «  Je  ne  recevrai 
pas  la  marque,  je  porte  déjà  le  signe  du  Chiist  mou  Dieu.  "  Dion 
dit  :  «  Je  vais  t'envoyer  à  ton  Christ.  «  11  répondit  :  «  Je  ne  désire 
que  cela,  ce  sera  mon  titre  de  {jloire.  »  Dion  à  l'employé  :  «  Qu'on 
le  marque.  »  Et  comme  il  se  débattait,  il  disait  :  "  Je  ne  recevrai  pas 
la  marque  de  la  milice  du  siècle,  et  si  tu  m'en  revêts,  je  la  briserai 
parce  qu'elle  ne  vaut  rien.  Je  suis  chrétien,  il  ne  m'est  pas  permis  de 
porter  le  collier  de  plomb,  après  avoir  reçu  le  signe  salutaire  de  Xoti'e- 
Seigneur  Jésus- Christ,  fils  du  Dieu  vivant  que  tu  ignores,  qui  a  souf- 
fert pour  notre  salut,  que  Dieu  a  livré  pour  nos  péchés.  C'est  celui-là 
que  nous  tous,  chrétiens  nous  servons;  il  est  le  maître  de  notre  vie, 
l'auteur  de  notre  salut.  «  Dion  dit  :  "  Sers  et  reçois  la  marque  de  la 
milice,  si  tu  ne  veux  pas  mourir  misérablement.  "  Maximilien  répondit  : 
«  Je  ne  périrai  pas,  j'ai  dt^à  donné  mon  nom  à  mon  Seigneur,  je 
ne  puis  servir.  ;>  Dion  dit  :  «  Réfléchis  à  ta  jeunesse  et  sers  à  l'ar- 
mée, cela  est  de  ton  âge.  "  Maximilien  répondit  :  "  Je  suis  au  service 
de  mon  Seigneur,  je  ne  puis  servir  le  monde.  Je  te  l'ai  déjà  dit,  je 
suis  chrétien.  «  Le  proconsul  dit  :   «  Dans  la  garde  sacrée  de  nos 
seigneurs  Dioclétien  et  Maximien,  Constance  (Chlore)  et  Maxime 
(Galère),  il  y  a  des  soldats  chrétiens  au  service  (1).  »  Maximilien  ré- 


(1)  Le  plus  iHustre,  et  celui  qui  est  resté  le  plus  populaire  sans  couircdil,  est 
saint  Sébastien,  martyrisé  à  Rome  par  Maximien. 


—  181  — 

pondit  :  "  C'est  à  eux  de  savoir  ee  qui  leur  convient.  Pour  moi,  je 
suis  chre'tien  et  ne  puis  faire  le  mal.  "  Dion  demanda  .  «  Ceux  qui 
servent,  quel  mal  font-ils?  «  Maximilien  re'pondit  :  «  Tu  sais  bien 
ce  qu'ils  font(l)."  Le  procureur  Dion  dit  :  "Sers,  de  crainte  qu'en 
refusant  le  service,  tu  n'ailles  à  ta  perte.  «  Maximilien  répondit  : 
"  Je  ne  pe'rirai  })as,  et  quand  je  serai  sorti  de  ce  monde,  mon  âme 
vivra  avec  le  Christ  mon  Seigneur.  »  Dion  dit  :  «  Itffacez  son  nom.  » 
Lorsque  son  nom  fut  effacé,  il  ajouta  :  "  Puisque  par  insubordination 
tu  refuses  le  service,  tu  encours  la  peine  de  droit  comme  les  autres.  « 
Et  il  lut  sur  sa  tablette  le  jugement  :  «Maximilien,  qui  a  refusé  par 
insubordination  le  service  militaire,  est  condamné  à  avoir  la  tête  tran- 
chée (gladio  animadverti placuit).  «  Maximilien  répondit  :  «  Deo  gra- 
tias.  »  11  avait  vingt  et  un  ans,  trois  mois  et  dix-huit  jours.  —  Sui- 
vent les  détails  de  l'exécution.  —  Voilà  donc  un  exemple  de  l'appli- 
cation des  doctrines  rigoristes  de  Tertullien  (2)  ;  mais  le  proconsul 
lui-même  indique  qu'il  avait  peu  d'imitateurs,  et  d'ailleurs  nous  igno- 
rons si  des  raisons  légitimes  ne  justifiaient  pas  l'attitude  du  jeune 
homme  dans  cette  circonstance  particulière. 

Une  règle  à  l'endroit  de  laquelle  l'Église  entière  était  unanime, 
c'est  le  respect  du  à  l'autorité  constituée  :  règle  aussi  ancienne  que  le 
christianisme.  Tertullien  nous  l'apprendrait  au  besoin;  avec  lui,  nous 
entendrons  la  série  des  écrivains  ecclésiastiques,  dont  le  témoignage 
ne  pouvait  être  que  désintéressé  aux  siècles  de  la  persécution.  «  JNous 
sollicitons  pour  tous  les  empereurs,  affirme-t-il  (3),    une  longue 


(1)  Us  pouvaientêlre  exposés  à  sacrifierauxidoles,  témoin  le  martyrecontemporain 
de  quatre  greffiers  militaires  de  la  préfecture  urbaine.  La  passio  IV  Coroiuuorum  a 
été  récemment  l'objet  de  nombreux  travaux  en  Allemagne  énumérés  dans  l'article 
que  M.  DE  Rossi  lui  a  consacré,  Bull.,  1879,  p.  45.  —  Le  cas  était  posé  de  la  manière 
suivante  par  Tertullien,  Uc  idololair.,  c.  xix  :  Quœritur  an  fidelis  ad  militiam  con- 
verti possit,  et  an  militia  ad  fidem  admitti,  etiam  caligata,  vel  infcrior  quoque,  cui 
non  sit  nécessitas  immolationum  vel  capiialium  judiciorum? 

(2)  JosÈPHE,  Ant.Jud.,  1.  XVUI,  c.  IV,  5,  rapporte  que  lorsqu'on  transporta.quatre 
mille  de  ses  compatriotes  de, Rome  en  Sardaigne,  sous  Tibère,  tiXeicttou;  èxôXaaav 
(lY)  6éXovTaç  cTTpaTEijEaÙat  otà  cpuXaxr,v  twv  Ttaxpiojv  vofxwv. 

(3)  Apologét.,  c.  xxx-xxxii  :  Oramus  pro  omnibus  imperatoribus  vitam  illis  pro- 
lixam,  imperium  securum,  domum  tutam,  eiercitus  fortes,  senalum  fidelem,  popu- 
lum  probum,  orbem  quietum...  Nos  judicium  Dei  suspicimus  in  imperatoribus,  qui 
gentibus  iilos  praefecit;  id  in  eis  scimus  esse  quod  Deus  voluit,  ideoque  et  salvum 


—  182  — 

vie,  un  règne  paisible,  un  inte'rieur  plein  de  sécurité,  des  armées 
courageuses,  la  fidélité  du  sénat,  la  loyauté  du  peuple,  la  soumission 
du  monde.  «  Et  il  ajoute  que  c'est  chose  très-naturelle  :  «  Car  nous 
voyons  dans  les  empereurs  la  main  de  Dieu  qui  les  a  mis  à  la  tête  des 
nations,  nous  reconnaissons  en  eux  sa  volonté,  et  nous  vouions  que  la 
volonté  de  Dieu  soit  f.iite.  «  Théophile,  s' adressant  à  Autolycus, 
répète  (1)  :  «  Si  tu  me  demandes  pourquoi  je  n'adore  pas  l'empereur, 
je  te  répondrai  qu'il  n'a  pas  été  fait  pour  qu'on  l'adore ,  mais  pour 
qu'on  lui  rende  honneur;  en  effet,  il  n'est  pas  dieu,  mais  homme. 
Honore-le  en  lui  souhaitant  du  bien,  en  lui  obéissant,  en  priant  pour 
lui;  par  là,  tu  accompliras  la  volonté  de  Dieu.  «  —  «  j\ous  n'adorons 
que  Dieu  seul,  dit  saint  Justin  aux  Antonins  (2);  mais  pour  le  reste, 
nous  vous  servons  avec  joie,  vous  proclamant  les  empereurs  et  sou- 
verains des  hommes,  et  faisant  des  vœux  afin  que  votre  jugement 
soit  trouvé  à  la  hauteur  de  la  puissance  suprême.  «  L'évêque  de 
Smyrne ,  saint  Polycarpe ,  recommande  aux  Philippiens  (3)  "  de 
prier  pour  les  empereurs  et  tous  les  détenteurs  du  pouvoir,  pour  ceux 
qui  persécutent  et  haïssent  les  fidèles,  pour  les  ennemis  de  la  croix  « . 
Nous  citerons  enfin  tout  entière  la  prière  que  suggérait  aux  Corin- 
thiens le  pape  saint  Clément;  c'est  la  mise  en  pratique  de  la  recom- 
mandation (4)  :  «  Donne,  Seigneur,  la  concorde  et  la  paix  à  nous  et 
à  tous  les  habitants  de  la  terre,  comme  tu  l'as  donnée  à  nos  pères  qui 
t'invoquaient  pieusement  dans  la  foi  et  la  vérité  ;  car  nous  obéissons  à 

volumus  esse  quod  Deus  voluit.  —  Et  cependant  il  était  loin  de  prévoir  alors  Con- 
stantin, loc.  cit.,  c.  XXI  :  Aut  si  et  christiani  potuissent  esse  Ca^sares  ! 

(1)  Ad  Aulolyc,  1.  I,  c.  xi  :  Tbv  oï  paat)ia  xif^a  vj^/oGiv  «-jtw, 'jTtoTaacôiAîvoç  aCtâ», 
ey-/'^H-£'^0Ç  y'tèp  aùroO  •    toOxo    yàp   notwv,  ■notîîç  tô  bi\i]\i.ci  toO  t)£oO. 

(2)  I  Apol.,  c.  XVII  :  "OÔEv  0£bv  (jlÈv  7tpocrxuvoO|jiev,  û|xîv  ôè  ixpbç  xà  a).).a  xaîpovreî 
•îi7tr,pEToO|x£v,  pafftXeîç  xa\  ap"/ovTaç  avOpwTtwv  6(1.oXoyoOvt£i;  xa\  eu-/ô[i.£voi  [j.£Tà  tïjî 
paaiXixîjç  ouvâ|j.£Wi;  xai  dwçpova  tôv  )-0YK7ixbv  ïyo^i^c,  y|j.â;  £Ûp£0?jvai.  P.  54  de  l'éd.  OttO. 

(3)  Ép.  aux  Philipp.,  c.  xii,  3,  p. 281  de  l'éd.  Funk. 

(4)  /  Ep.,  c.  XL,  4  :  Abç  ô];.civotav  xa\  £lpr|V^(V  TiIxîv  t£  xa\  Ttàdtv  toÎ;  xaroixoOatv  ttjv 
yîjv,  xa6àj;  EÎwxa;  toi;  Traxpâirtv  r,(j.wv,  £7ttxa),ou|X£v(ov  a£  auTtov  àrriioç  £v  :itTT£i  xx\  a),r,0£ia 
■Cnr/jxôo'ji;  yivo(j.£Vouç  t(o  TravToxpâxopi  xa\  TiavapÉTw  ovô[xaT(  aoy,  xoî;  t£  apyouiriv 
xa\  f,yo'j(j.£voti;  r,iJwv  £7c\  tr,;  yr,?,  xx)-.  P.  138  de  l'éd.  Funk.  La  traduction  est  em- 
pruntée à  la  lirvue  du  monde  cntholique,  10  juin  1877,  OÙ  M.  l'abbé  Duciiksne  ajoute  : 
"  Dans  ce  conert  de  voix  si  diverses  et  si  autoiisées,  qui  toutes  prêchent  l'obéis- 
sance à  l'empire  et  à  ses  fonctionnaires,  la  note  affectueuse,  si  je  puis  m'exprimer 
ainsi,  ne  se  rencontre  que  dans  la  bouche  de  Clément.  > 


—  183  — 

ton  nom  tout-puissant  et  parfait,  ainsi  qu'à  nos  princes,  à  nos  magis- 
trats qui  nous  gouvernent  sur  la  terre.  C'est  toi.  Seigneur,  qui 
leur  as  donne'  le  pouvoir  et  l'empire,  par  la  vertu  magnifique  et 
ine'narrable  de  ta  puissance ,  afin  que,  connaissant  la  gloire  et  l'hon- 
neur que  tu  leur  as  de'partis,  nous  leur  soyons  soumis  et  ne  re'sis- 
tions  pas  à  ta  volonté'.  Accorde-leur,  Seigneur,  la  sanle',  la  paix,  la 
concorde,  la  tranquillité'  d'esprit,  pour  qu'ils  puissent  exercer  sans 
obstacle  l'autorité'  que  tu  leur  as  confie'e.  Car  c'est  toi.  Maître  céleste, 
roi  des  siècles,  qui  donnes  aux  enfants  des  hommes  la  gloire,  l'hon- 
neur, la  puissance  sur  les  choses  de  ce  monde;  dirige  Seigneur, 
leurs  conseils  selon  ce  qui  est  bien  et  agre'able  à  tes  yeux,  afin  qu'exer- 
çant paisiblement  et  avec  douceur  la  puissance  que  tu  leur  as  donne'e, 
ils  te  trouvent  propice.  «  Ainsi  parlait  un  e'vêque  de  Rome  au  lende- 
main de  la  mort  de  Domitien.  11  ne  faisait  lui-même  que  se  conformer 
à  la  pre'dication  des  apôtres  sous  iXe'ron.  Saint  Paul  avait  averti  les 
Romains  dès  58  :  «  Les  gouvernements  qui  existent  ont  été'  établis  par 
Dieu,  de  sorte  que  quiconque  leur  est  opposé  est  opposé  à  l'ordre  éta- 
bli par  Dieu  (1).  «  Saint  Pierre  ne  s'était  pas  montré  moins  explicite  : 
V.  Soyez  soumis  à  toute  créature  humaine  à  cause  du  Seigneur,  à  l'em- 
pereur comme  souverain,  et  aux  magistrats  comme  envoyés  par  lui 
pour  juger  les  méchants  et  louer  les  bons  (2).  » 

Le  point  de  vue  auquel  se  place  M.  Fustel  de  Coulanges  est  donc 
exact,  lorsqu' envisageant  les  conséquences  de  l'enseignement  du  Maî- 
tre dans  la  conduite  pohtique  des  disciples,  et  rappelant  la  célèbre 
parole  :  Rendez  à  César  ce  qui  est  à  César  et  à  Dieu  ce  qui  est  à 
Dieu,  il  ne  prend  pas  le  précepte  de  distingue?-  les  rapports  respec- 
tifs des  deux  puissances  pour  synonyme  de  celui  de  les  détruire.  «  On 
peut  d'ailleurs  remarquer,  dit-il,  que,  pendant  trois  siècles,  la  reli- 
gion nouvelle  vécut  tout  à  fait  en  dehors  de  l'action  de  l'État  ;  elle 
sut  se  passer  de  sa  protection  et  lutter  même  contre  lui.  Ces  trois 

(1)  Ep.  aux  liom.,  C.  Xiii,  V.  1-2  :  A\  os  o\)(7oli  è^ouac'ai  xjtzo  toO  ©soO  T£TaY[J.£vat  £c<7sv  • 
(ome  6  avxtxaaTÔfJievoç  xrj  l'^ovui'x,  Tr|  xoO  ©eoO  ôtaxayvi  àvQéax'/ixev. 

(2)  lEp.,  eu,  V.  13-14  :  'Ynoxây^xe  oSvuâff-/!  àvôpwjiwv)  xxtGEt  otàxbv  Kyptov,£Îx£pa(7iX£Î 
toç  Û7t£p£-/ovxi,  £i,'xe  r|Y£[jL6(7tv  wî  ôt'  aùxoO  7t£[i.7to[jt.£vot;  £1;  £xSixY)(7iv  [aev  xaxoTtotwv,  Euatvov 
Se   àyaOûitottùv. 


—  184  — 

siècles  établirent  un  abîme  entre  le  domaine  du  {j-ouveiiienieiit  et  le 
domaine  de  la  religion.  Et  comme  le  souvenir  de  cette  glorieuse  épo- 
que n'a  pas  pu  s'effacer,  il  s'en  est  suivi  que  cette  distinction  est  de- 
venue une  vérité'  vulgaire  et  incontestable  que  rien  n'apu  déraciner  (  I  ) .  » 
Si  l'on  objecte  qu'en  effet  elle  devait  être  bien  ancre'e  dans  rrs|)rit 
de  saint  Augustin  pour  qu'il  en  fit  la  base  de  sa  Cité  de  Dieu,  à  l'in- 
stant où  les  ruines  de  Rome  fumaient  encore,  il  n'est  pas  malaisé  de 
répondre  qu'il  devait  à  ses  contemporains  de  tirer  des  événements  la 
leçon  si  frappante  qui  est  devenue  sous  sa  plume  la  première  et 
l'une  des  plus  éloquentes  pages  de  la  philosophie  de  l'histoire  et 
que,  du  reste,  il  fit  mieux  que  de  répandre  des  plaintes  stériles, 
en  accueillantàHippone  les  fugitifs  de  la  grande  cité  qui  n'était  plus. 
Quant  aux  débris  matériels,  pour  ainsi  dire,  de  la  civilisation  ro- 
maine, nuls  ne  les  recueillirent  et  préservèrent  avec  plus  de  soin  et 
de  dévouement  que  tous  ces  pontifes  romains,  dont  saint  Grégoire  le 
Grand,  le  patricien  de  l'antique  gens  Anicidj,  jieut  servir  de  type  ;  et 
c'est  là  même  leur  véritable  titre  de  succession  à  l'Empire  qui  les  avait 
combattus  si  longtemps,  et  qu'ils  voyaient  présentement  céder  sous 
les  coups  redoublés  des  envahisseurs. 

M.  Le  Blant,  étudiant  le  détachement  de  la  patrie  chez  les  anciens  (2), 
a  montré  comment  le  sentiment  chrétien  d'un  royaume  qui  n'est  j)as 
de  ce  monde  s'alliait  à  l'amoui-  du  sol  natal.  «  Au  moment,  remarque- 
t-il,  où  l'oubli  des  liens  terrestres  semble  avoir  fait  tant  de  progrès 
dans  les  âmes,  saint  Ambroise  dit,  comme  autrefois  les  plus  dévoués 
enfants  de  la  Grèce  et  de  Rome  :  —  Le  citoyen  doit  se  tenir  plus  heu- 
reux de  conjurer  les  dangers  de  la  patrie  que  d'échapper  lui-même  à 
un  péril  (3).  »  Savoir  le  pays  sauvé,  dùt-on  mourir  pour  lui,  tel  est 
le  vœu  d'un  autre  évêque(4).  Les  actes  répondent  à  ces  paroles.  En 


(1)  La  Cité  antiqur^TÇ).  518  (Paris,  186î).  Ce  passagc  d'un  ouvrage  pleiu  de  vues  ori- 
ginales se  couiplèle  par  rol)ser\ation  suivante,  euipriinlc-c  ii  un  livie  non  moins 
profond  en  son  yciire,  le  Doute,  d  II.  m:  Cossolks  (Paris,  1867),  p.  110  :  •  l,'Kg[is,c  ca- 
tholique seule  a  éta!)!!,  seule  a  maintenu  la  distinction  de  l'Évangile  entre  Dieu  et 
César;  partout  en  dehors  d'elle,  la  loi  de  César  est  tenue  pour  la  loi  de  Uieii.  » 

(2)  Comptes  rendus  de  l'Acad.  des  iiiser.,  1872,  p.  372  et  suiv. 
{.'})  Deo/Jic.  ministr.,   1.  III,  c.  m,  23. 

(4)  Synesius,  Epist.  107. 


-  185  — 

même  temps  qu  elle  enseigne  à  lever  les  regards  vers  la  cité  d'en  haut, 
l'Eglise  condamne  et  frappe  les  lâches  qui  abandonnent  les  aigles 
romaines  (1);  quand  viennent  les  jours  de  Tinvasion,  ses  ministres 
s'honorent  de  rester  au  poste  du  pe'ril  dans  les  villes  assiëge'es  (2),  ou 
courent  au  premier  rang  de  ceux  qui  tentent  d'arrêter  les  Barbares  (3). 
—  Et  il  cite  les  exemples  de  Synesius  danslaCyre'naïque.de  Sidoine 
Apollinaire  sur  notre  terre  de  Gaule;  il  est  inutile  de  les  multiplier. 
Lors  même  que  tout  secours  humain  faisait  défaut,  les  pasteurs  des 
âmes  ne  se  considéraient  pas  comme  désarmés,  témoin  saint  Léon  en 
face  d'Attila  (4).  Ils  méritèrent  donc  tout  de  la  confiance  et  de  la  recon- 
naissance des  peuples,  «  Et  s'il  est  vrai,  comme  l'ont  écrit  les  plus 
illustres  historiens,  que  l'Eglise  sauva  le  monde  des  ténèbres  et  du 
chaos  au  lendemain  des  invasions  barbares,  il  faut  reconnaître  que  le 
miracle  du  dévouement  apostolique  fut  alors  soutenu  par  la  sagesse, 
l'expérience  et  la  fermeté  déjà  traditionnelles  d'une  Église  qui  avait 
pris  l'habitude  de  connaître  le  pouvoiretde  rexercer(5).»  Trois  siècles 
de  lutte  l'avaient  préparée  à  l'exercice  du  pouvoir,  quand,  l'Empire 
épuisé  s' étant  transporté  à  Byzance,  elle  se  trouva  seule  pour  recueil- 
lir l'héritage  de  la  puissance  romaine. 

Aujourd'hui  nous  retrouvons  la  papauté  dans  Rome,  réduite  déplus 
en  plus  à  une  autorité  morale  comme  aux  jours  de  la  persécution,  mais 
n'en  sachant  pas  moins  défendre  et  conserver  le  gouvernement  du 
monde,  cette  portion  inaliénable  du  patrimoine  de  saint  Pierre  (6). 


(1)  Conc.  Arelal.,  I,  n"  314,  C.  iii.  Cf.  \e  Manuel  d'épigraphie  chrétienne,  d  M.  L  Blant 
(Paris,  1869),  p.  15. 

(2)  Saint  AuGUST.,  Epist.  228,  §  8. 

(3)  Synes.,  Episi.  88,  108,  113,  125,  etc. 

(4)  Le  Liber  poniijiculis  dit  avec  une  iiinplicité  qui  ne  manque  pas  de  grandeur  : 
»  Hic,  propler  nmien  Roinauuni  suscipiens  legationem,  ambulavit  ad  reyeiu  Uiino- 
rum  nomiiie  Attilam  et  liljeravit  lotam  Italiam  a  periculo  liostiuiii.  " 

(5)  L'abbé  Perreyve,  Entretiens  sur  l'Eylisc  catholique,  cours  professé  à  laSorbonne, 
(Paris,  1865),  t.  II,  p.  323.  L'épitaphe  de  saint  Grégoire  le  Grand,  mort  en  604,  dit  : 

Hisqiie  Dei  consul  factus  Ixtare  triumphis. 

(6)  Cette  pensée  avait  été  très-heareusement  exprimée  par  un  Gaulois  du  cin- 
quième siècle,  SAINT  Prosper  d'Aquitaine,  Oe  ingratis,  v.  40  : 

Sedes  Roma  Petri,  qux.  pastoralis  honoris 
Facta  caput  inundo,  quidquiti  non  possidet  armis 
Religione  leiiet. 


—  186  — 

Tant  il  est  certain  que  la  prédiction  du  vieil  Anchise  à  Ene'e  se  vérifie 
toujours  (1)  : 

Tu  regere  imperio  populos,  Romane,  mémento; 
Hae  tibi  erunt  artcs. 

Virgile  avait  chante',  lorsque  Je'sus-Christ  vint  au  monde.  Trois 
siècles  plus  tard,  le  poëte  florentin,  héritier  de  son  génie,  s'inspira 
de  sa  pense'e  prophétique.  Qu'il  nous  soit  permis,  pour  conclure,  d'em- 
prunter la  réflexion  de  Dante  au  sujet  du  pieux  héros,  père  de  l'État 
romain  (2)  : 

Non  pare  indegno  ad  uomo  d'intelletto 
Ch'ei  fù  deir  alla  Roma,  e  di  suo  'mpero 
Kell'  empireo  ciel  per  padre  eletto  ; 
La  quale,  e  '1  quale  (a  voler  dir  lo  vero) 
Fur  stabiliti  per  lo  loco  santo, 
U'  siede  il  successor  del  maggior  Piero. 


(1)  ^neid.,  1.  VI,  V.  851. 

(2)  Inferno,  cant.  II,  terz.  7-8.  Traduction  de  M.  Ratisbonne,  couronnée  par  l'Aca- 
démie française  . 

Notre  raison  l'admet  sans  beaucoup  de  surprise. 
Dans  les  décrets  du  Ciel,  cet  heureux  fils  d'Anchise 
De  Rome  et  de  l'Empire  était  le  fondateur  : 
\'ille  sainte,  A  vrai  dire,  empire  séculaire 
Fondés  pour  devenir  plus  tard  le  sanctuaire 
Cil  de  Pierre  aujourd'hui  siège  le  successeur. 


MEMOIRE 


RELATIF    A   LA   DATE    DU    MARTYRE    DE    SAINTE    FÉLICIT: 
ET    DE    SES    SEPT    FILS 


Nous  avons  attendu  jusqu'ici  pour  traiter  une  question  spe'eiale, 
qui  paraîtrait  peut-être  moins  importante,  si  elle  n'avait  eu,  la  contro- 
verse s'en  étant  emparée,  le  privilège  d'arrêter  depuis  un  certain 
temps  l'attention  des  historiens.  Cette  dérogation  à  l'ordre  chronolo- 
gique de  notre  thèse  aura  le  double  avantage  de  permettre  de  donner 
à  la  discussion  l'étendue  qui  lui  convient,  et  de  fournir  une  application 
immédiate  aux  idées  précédemment  exposées.  Nous  voulons  parler 
de  la  place  que  sainte  Félicité  doit  occuper  dans  la  liste  des  martyres 
chrétiennes  et  des  femmes  qui  honorent  l'humanité. 

Empressons-nous  de  dire  qu'un  écrivain  de  la  fin  du  siècle  dernier 
ne  lui  a  pas  épargné  ses  sarcasmes,  à  elle  et  à  une  autre  mère  dont 
nous  avons  déjà  feit  mention  (1).  "  Vient  ensuite,  dit  quelque 
part  Voltaire  (2),  une  sainte  Symphorose  avec  ses  sept  enfants,  qui 
allèrent  voir  familièrement  l'empereur  Hadrien  dans  le  temps  qu'il 
bâtissait  sa   belle  maison  de  campagne  à  Tibur(3).  Hadrien,  quoi- 


(1)  V.  notre  deuxième  partie,  §  III,  p.  95. 

(2)  Essai  sur  les  moeurs,  c.  IX.  Ce  chapitre,  relatif  aux  Actes  des  martyrs,  se  termine 
ainsi  qu'il  suit  :  "Tant  de  fraudes,  tant  d'erreurs,  tant  de  bêtises  dégoûtantes,  dont 
nous  sommes  inondés  depuis  dix-sept  cents  années,  n'ont  pu  faire  tort  à  notre  reli- 
gion. Elle  est  sans  doute  dvine,  puisque  dix-sept  siècles  de  friponneries  et  d'im- 
bécillités n'ont  pu  la  détruire;  et  nous  révérons  d'autant  plus  la  vérité,  que  nous  méprisons  le 
mensonge.  » 

(3)  Le  P.  San  Clémente,  qui  avait  trouvé  parmi  les  ruines  de  la  villa  d'Hadrien  un 
grand  nombre  de  briques  de  diverses  fabriques,  mais  toutes  marquées  du  consulat  de 


—  188  — 

qu'il  ne  persécutât  jamais  personne,  fit  fendre  en  sa  pre'sence  le 
cadet  des  sept  frères,  de  la  tête  en  bas,  et  fit  tuer  les  six  autres 
avec  la  mère  par  des  genres  diffe'rents  de  mort,  pour  avoir  plus  de 
plaisir.  —  Sainte  Fe'licite'  et  ses  sept  enfants,  car  il  en  faut  toujours 
sept,  est  interrogée  avec  eux,  juge'e  et  condamnée  parle  j)réfet  de 
Rome  dans  le  champ  de  Mars,  où  l'on  ne  jugeait  jamais  personne.  Le 

préfet  jugeait  dans  le  prétoire;  mais  on  n'y  regarda  pas  de  si  près " 

Aujourd'hui  on  y  regarde  de  plus  près,  et  l'histoire  véridique  a  donné 
plus  d'un  démenti  à  Voltaire.  A  coté  de  la  maison  d'Hadrien  et  à 
l'entrée  de  Tivoli,  se  trouvait  le  temple  d'Hercule,  sous  les  portiques 
duquel  on  sait  que  les  empereurs  tenaient  leur  tribunal(l),  et  c'est  là 
qu'eut  lieu  l'entrevue  «  familière  «  entre  le  prince  païen  et  la  femme 
de  la  ville  voisine  dénoncée  comme  chrétienne.  Si  celle-ci  donna  à  ses 
enfants  l'exemple  du  refus  de  sacrifier,  que  ce  fût  devant  la  statue 
d'Hercule  ou  devant  celle  d'Hadrien,  le  rescrit  deTrajan  était  formel. 
Quant  à  la  torture,  qui  se  persuadera  qu'elle  n'était  pas  en  usage 
avant  le  dix-huitième  siècle  ? 

On  a  pris  garde  aussi  que  le  Forum,  qui  entourait  le  temple  de  Mais 
Vengeur  à  Rome,  n'avait  rien  de  commun  avec  le  champ  de  Mars, 
qu'il  avait  même  été  construit  par  Auguste  pour  rendre  la  justice  (2), 
et  même  mieux,  que  sous  les  Antonins,  û  àYn'itveçnle  secrelarium 
de  la  préfecture  urbaine,  tandis  que  plus  tard  ce  «  prétoire  «  fut  trans- 
porté ailleurs.  C'est  ce  qui  résulte  d'un  travail  allemand  récent  sur  la 

Paetinus  et  Apronianus,  c'est-à-dire  de  Tannée  123,  disait,  De  vulgaris  œrœ  emcndatione 
(Rome,  1793),  p.  159  :  "Habes  itaque  et  villain  Uadrianani  ejus  jussii  niaynis  suinpti- 
bus  sunimaque  celerilate  a-dificari  cœptam  sub  hisce  consiilibus.  •  lui  tenant  compte 
du  texte  de  l'Hue  TAiicien,  I.  XWV,  §  14,  «  adificiis  nonni>i  i)imos  (laleres)  pro- 
bant »,  nous  pensons  avec  M.  Gkffroy  (article  sur  les  Inscriptions  doUaircs  latines, 
de  M.  Descemet,  dans  la  liev.  archèoL,  1880,  t.  II,  p.  96)  que  la  construction  de  lu 
villa  a  coHimencé  probalileuienl  après  le  premier  retour  de  l'empereur  à  Home, 
en  125.  Mais  Hadrien  l'habita  seulement  à  son  retour  définitif  en  135;  et  c'est 
alors  que  se  place  la  prise  de  possession  solennelle,  1  \  dédicace  que  les  actes  don- 
nent comme  l'occ  ision  du  martyre. 

(1)  SuÉroNE,  Oci.  vil.,  c,  Lxxri  :  Tibur  ubietiamin  porticibus  llcrculis  templi  per- 
sa'pe  jus  (lixit. 

(2)  Suétone,  Oct.  vit.,  c.  x.xi.x  :  Fori  exstruendi  causa  fuit  h(tminum  et  judiciorum 
multitudo,  qua;  videbatur,  non  sufficientibus  dnobus,  eliam  lerlio  indi{;ei'e.  Itaque 
festinatitius,  necduni  perfecla  Martis  ade,  publicatum  est  cautuniquc  ut  separa- 
tim  in  eo  publica  judicia  et  sortitiones  Judicum  fièrent. 


—  189  — 

topographie  de  Rome  (1).  M.  de  Rossi,  de  son  côte',  à  propos  d'une  de 
ces  marques  que  Ton  suspendait  au  cou  des  esclaves,  à  rinstai\des  col- 
liers que  nous  mettons  aux  chiens,  a  montre'  que  dès  le  quatrième 
siècle  l'ancien  Forum  d'Aug'uste,  changeant  de  destination,  e'tait 
devenu  le  rendez-vous  des  professeurs  d'e'loquence  classique,  et  des 
copistes  et  correcteurs  de  manuscrits.  La  marque  en  question  ayant 
servi  des  deux  côte's,  voici  celui  qui  nous  inte'resse  (2)  : 

^  TENE  ME  ^ 

ET  REVOCA  ME  IN 

FORO  MARTIS  AD 

MAXIMIANVM 

ANTIQVARI 

VM 

Elle  doit  être  compare'e  à  l'annotation  qui  termine  le  onzième  livre 
des  Métamorphoses  d'Apule'e  dans  un  manuscrit  de  Florence  :  Ego 
Salustius  legi  et  emendavi  Romœfelixj  Olibrio  et  Probino  v.  c.  cons. 
(395),  in  foroMartis,  controversiamdeclamans  oratoriEndelechio,  etc. 
Endelechius  n'est  sans  doute  autre  que  l'ami  de  saint  Paulin  de  Noie, 
Severus  Sanctus,  qui  portait  pre'cise'ment  ce  surnom  (3).  Or  les  chre'- 
tiens  que  nous  rencontrons  là,  pacifiquement  installe's,  n'y  avaient 
pas  toujours  joui  du  même  avantage  (4);  et  un  document  qui  reflète 
l'état  de  choses  primitif  se  recommande  à  nous  par  ce  fait  même. 
Mais  les  actes  de  sainte  Fe'licite',  dont  Voltaire  avait  cru  se  moquer, 
ont  déplu  de  nos  jours  à  un  autre  philosophe  ;  nous  allons  examiner 
si  les  objections  élevées  par  M.  Aube  (5)  contre  leur  témoignage 
paraissent  plus  décisives. 

(1)  Jordan,  Topographie  der  Sladl  Rom  ini  Althcrlhum  (Berlin,  1871-78),  t.  H,  p.  489  : 
■  Unter  den  Antoninen  scheint  er  (pr«fectus  Urbis)  sein  Tribunal  auch  auf  deni  Fo- 
rum des  Augustus  aufgeschlageii  zu  hahen,  unter  Uiocletian  wird  es  bereits  uni 
Tellustempelerwaehnt...  ain  Friedeustempel  in  foro  Vespasiani,  nach  spacter  Bezei- 
chnung.  • 

(2)  Bull.,  1874,  p.  41  et  s.;  cf.  pi.  ii.  Le  monogramme  du  Christ  est  de  la  première 
forme,  dite  constantinienne. 

(3)  Ibid.,  p.  53. 

(4)  V.  l'avant-propos. 

(5)  Du  martyre  de  sainte  Félicité  et  de  ses  sept  fils,  Comptes  rendus  de  l'Acad,  des  iiiscr.,  1875, 
p.  125-138;  et  à  la  fin  de  V  Histoire  des  persécutions,  p.  439  et  S. 


—  190  — 

Il  convient  d'abonl  de  reproduire  ces  actes.  Adon  (1)  en  avait  fait 
un  extrait,  et  Mombritius  (2)  les  avait  abre'ge's.  Depuis,  sans  e'numërer 
toutes  les  publications,  ils  ont  figure  en  entier  dans  lo  recueil  de  Rui- 
nart(3)  et  dans  celui  des  Bollandistes(4j.  Actuellement  on  n'en  compte 
pas  moins  de  trente-quatre  manuscrits  à  Paris,  dont  trente-deux  à  la 
Bibliothèque  nationale  (5),  un  à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève  (6)  et 
un  à  celle  de  l'Arsenal  (7).  Nous  les  avons  tous  vus,  et  nous  donnons 
le  texte  de  celui  qui  se  trouve  être  à  la  fois  le  plus  correct  et  le  plus 
ancien.  C'est  le  manuscrit  n"  5209  de  l'ancien  fonds  latin  (Bibliothèque 
nationale);  il  a  été'  transcrit  au  neuvième  siècle  et  contient,  avec  plu- 
sieurs autres  passions  de  martyrs,  trois  pages  de  notations  grégoriennes. 
En  tête,  il  porte  la  mention  suivante:  Hune  Uhriim  jussit  Arnoldus 
scrihi,  qui  legit  oret  pro  ipso.  11  a  appartenu  à  un  conseiller  au 
parlement  de  Paris,  Claude  Dupuy,  dont  le  fils  Jacques  légua  sa 
bibliothèque   à  celle  du  Roi,  où  il  [)assa  sous  le  u"  4175.  On  y  lit  : 

Fol.  32,  recto.  «  Incipit  passio  sanctae  Felicitatis  cum  septem  filiis  suis  mense  julio 
die  decimo. 
id.,  verso.  «  ïemporibus  Antonini  imperatoris  orta  est  seditio  pontificum,  et 
Félicitas,  inlustris  femina,  cum  septem  filiis  suis  christianissimis  tenta 
est.  In  viduitate  permanensDeo  suam  voverat  castitatem.  Dienoctuque 
orationibus  vacans,  magnam  de  se  œdificationem  castis  mentibus  dabat. 
Videntes  autem  pontifices  praeconia  per  hanc  christiani  nominis  pro- 
fecisse,  suggesseruntde  ea  AntoninoAugustodicentes:  Contra  salutem 
vestram  mulier  haec  vidua  cum  filiis  suis  diis  nostris  insultât.  Quœ  si 
non  venerata  fuerit  deos,  sciât  pietas  vestra  deos  nostros  sic  irasci  ut 


(1)  Martyrologe,  éd.  Giorjïi,  p.  590,  au  23  novembre. 

(2)  lit.  Sanct.,  t.  I,  fol.  306. 

(3)  Actamari.  (éd.  de  Ratisbonne),  p.  72. 

(4)  Acta  sanct.,  t.  III  de  juillet  (éd.  d'Anvers),  p.  12. 

(5)  N"'  3278,  .5271,  5274,  5278,  5280,  529G' ,  .')296r',  5299,  5306,  5308,  5310,  5312,  5324, 
5577,  5593,  5666  de  l'ancien  fonds;  9739,  10362,  10872  du  supplément  ;  11753,  11758, 
11759,  ;1884,  12611  de  Saint-(;ermain  des  Prés;  14363,  14365  de  Saint-Victor;  15437 
de  la  Sorbonne;  16734,  16735  de  Saint-Martin  des  Champs;  17005,  17007  des  Feuil- 
lants, cl  2169  des  nouvelles  acquisitions  (abbaye  de  Silos.  Espagne). 

(6)  N"  Il  8\  provenant  de  l'abbaye  des  Génovéfains. 

(7)  N"996,  ayant  appartenu  aux  Carmes  déchausses. 


—  191  — 

penitusplacarinonpossint.TimcimperatorAntoniniisinjiinxitpr.'çfecto 

Urbis  Publio,  ut  eam  compelleret  cuni  filiis  suis  deorum  suorum  iras 

sacrificiis  mitigare.  Publius  itaque  praefectus  Urbis  jussit  eam  privatim 

adduci,  et  blando  coUoquio  ad  sacrificium  eam  provocans  minatur 

pœnarum  iuteritum.  Cui  Félicitas  dixit:  Nec  blandimentis  tuis  resolvi 

potero,  nec  terroribus  tuis  frangi.  Habeo  enim  Spiritum  Sanclum  qui 

me  non  permittit  vinci  a  diabolo,  et  ideo  secura  sum  quia  viva  te 

superabo.  Et  si  infecta  fuero,  melius  te  vincam  occisa.  Publius  dixit  : 

Misera,  si  tibi  suav3  est  mori,  vel  filios  tuos  fac  vivere.  Félicitas 

respondit:  Vivunt  filii  mei,  si  non  sacrificaverint  idolis.  Si  vero  hoc   foI.  33,  recto, 

tantum  scelus  admiserint,  inœternum  erunlinteritum.  Alianamquedie 

sedit  in  foro  Martis,  et  jussit  eam  adduci  cum  filiis  suis,  cui  et  dixit  : 

Miserere  filiis  tuis  juvenibus  bonis,  et  flore  primée  juventutis  floren- 

tibus.  Respondit  Félicitas  :  Misericordia  tua  impietas  est,  et  exortatio 

tua  crudelitas  est.  Et  conversa  ad  filios  suos  dixit  :  Videte,  filii,  cœlum 

et  sursum  aspicite,  ubi  vos  expectat  xp?  cum  sanctis  suis.  Pugnate  pro 

animabus  vestris  et  fidèles  vos  in  amore  x.P'  exhibete.   Audiens   haec 

Publius,  jussit  eam  alapis  caedi  dicens  :  Ausa  es  me  présente  ista 

monita  dare ,  ut  dominorum  nostrorum  statuta  contempnant.  Tune 

vocatprimumfilium  ejus  nomine  Januarium,  et  infinita  illi  promittebat 

bona  prfesentia,  et  mala  verberum  comminatus  est,  si  sacrificare  idolis 

contempsisset.  Januarius  respondit  :  Stulta  suades,    Nam   sapientia 

Domini  me  conservât,  et  faciet  me  lia^c  omuia  superare.  Statim  judex 

jussit  eum  virgis  caedi,  et  in  carcerem  recipi.  Secundum  vero  Felicem 

ejus  filium  adduci  praecepit.  Quem  cum  hortaretur  Publius  ad  immo- 

landum  idolis,  constanter  dixit  :  Unus  est  Deus  quem  colimus,  cui 

sacrificium  pice  devotionis  offerimus.  Vide  ne  tu  credas  me  aut  aliquem  foI.  33,  verso. 

fratrum  meorum  a  Domini  Jesu  XP'  amore  recedere.  Etsi  immineant 

verbera  et  injusta  consilia,  fides  nostra  nec  vinci  potest  nec  mutari. 

Et  islo  amoto,  jussit  tertium  filium  nomine  Pliilippum  applicari.  Cui 

cum  diceret  :  Dominus  noster  imperator  An toninus  jussit  ut  diis  omni- 

potentibiis  immoletis,  respondit  Philippus  et  dixit  :  Isti  nec  dii  nec 

omnipotentes  sunt,  sed  sunt  simulacra  vana  et  misera  et  insensibilia, 

et  qui  eis  sacrificare  voluerintin  «Bternum  erunt  periculum.  Et  amoto 


—  192  — 

Philippo,  jussit  adesse  quartum  Silanum.  Cui  sic  ait  :  Ut  video,  con- 
venit  vobis  cimi  pessima  matre  vestra  hoc  consilium,  ut  praecepta 
principuin  contemnentes,  omnes  simiil  incurratis  in  interitiim.  Res- 
pondit  Silaniis  et  dixit:  Nos  si  traiisitorium  timiierimus  interitiim, 
sternum  incurremus  supplicium.  Et  quoniam  vere  novimus  quœ 
prœmia  sunt  parata  justis  et  quae  sit  pœna  constituta  peccatoribus, 
idcirco  securi  legem  romanam  contemnimus,  ut  jussa  divina  servemus  ; 

Fol.  34,  recio.  idola  contcmnentes,  ut  Deo  omnipotent!  famulantes  vitam  œternam 
inveniamus.  Adorantes  autem  dai'monia,  cum  ipsis  in  interitu  eruntet 
in  sempiterno  incendio.  Et  amoto  Silano,  jussit  quintuni  pr.Tsto  esse 
Alexandrum.  Cui  dixit  :  ^Miserere  aetati  tuai  et  vitœ  in  inlantia  positœ,  si 
non  fueris  rebellis,  et  secutus  fueris  ea  quae  sunt  régi  nostro  Antonino 
gratissima.  Unde  sacrifica  diis,  ut  possis  amicus  Augustorum  fieri,  et 
vitam  habere  et  gratiam,  Respondit  Alexander  :  Ego  servus  xf  t  sum, 
ore  confiteor,  corde  teneo,  incessanter  adoro.  Infirma  .Ttas  quam 
vides,  canam  habet  prudentiam  et  ununi  Deum  colit.  Dii  autem  tui 
cum  cultoribus  suis  erunt  in  interitum.  Et  isto  amoto,  jussit  sextum 
Vitalem  applicari.  Cui  et  dixit  :  Forte  vel  tu  optes  vivere  et  non  in 
interitum  devenire.  Respondit  Vitalis  :  Quis  estqui  optât  vivere  melius, 
qui  verum  Deum  colit,  an  qui  dœmonem  optât  habere  propitium  ? 
Publius  dixit  :  Et  quis  est  dœmon?  Vitalis  respondit  :  Omnes  dii  geu- 
tium  daemoues  sunt,  et  omnes  qui  colunt  eos.  Et  hune  [a]  amoto  jussit 
septimum  Martialem  ingredi.  Cui  dixit  :  Crudelitatis  vestr.'B  fauc- 
tores  [h)  effecti,  Augustorum  instituta  contemnitis,  et  in  vestram  per- 

Foi.  34,  verso,  niciem  permanetis.  Respondit  Martialis  :  0  si  nosse  poteras,  quae 
pœnae  cultoribus  idolorum  parata^  sunt.  Et  adliuc  non  tardât  Deus 
iram  suam  a  vobis  et  idolis  veslris  demonstrare.  Omnes  enim  qui  non 
confitentur  /pm  verum  esse  Deum,  in  aiterno  incendio  erunt.  Tune 
jussit  et  hune  septimum  amoveri.  Et  gestis  orania  sciipta  per  ordinem 
régi  Antonino  ingessit.  Tune  Antoninus  misit  eos  per  varios  judices, 
ut  variis  suppliciis  laniarentur.  Ex  quibus  unus  judex,  fratrem  pri- 
mum  ad plimibalas  (c)  occidit.  Aller,  secundum  et  tertium  fustibus 
niactavit  Alius,  (jiiartum  per  pra^cipicium  interemit.  Aller,  quintum 
et  sextum  et  septimum,  capitalem  subire  fecit  sententiam.  Et  matrem 


eorum,  capite  tiuucarit  jussit.  Et  yariis  suppliiiis  in  hoc  sseculo  inté- 
remit  eos.  Facti  sunt  universi  victores  et  martires  /.et  qui  cum  matre 
triumphantcs,  ad  «terna  prœmia  convolarunt  in  cœlos.  Qui  pro  Dei 
amore,  minas  hominum,  pœnas  et  veibera  contemnenles,  /.pt  amici 
facti  sunt  in  i  egno  cœlorum,  qui  cum  Pâtre  et  Sanclo  Spiritu  vivit  et 
régnât  in  sœcula  sœculorum.  Amen.  « 

(ff)  Le  Ms.  5310  du  mcnic  fonds  (autrefois,  Colbcrt  3281)  contient,  fol.  78, 
recto,  un  texte  identique  qui  reproduit  les  fautes  cxortatio  et  hune  ;  la  seule 
variante  est  celle-ci  :  jussit  sextuni  ajiplicari  nom'me  Vitalem. 

{h)  (c)  Nous  adoptons  les  leçons  Jauc/orcs  pour  factoir^  et  ad plumbatas,  telles 
qu'elles  existaient  avant  d'être  grattées  et  corrigées  en  fautores  et  plumùads. 
On  les  retrouve  dans  le  n°  5310  et  dans  d'autres  manuscrits  encore. 


Ces  faits  appartiennent-ils  à  la  seconde  anne'e  de  iMarc-Aurèle , 
comme  le  veulent  Borghesi,  Cavedoni  et  JM.  de  Rossi,  tel  est  le  pro- 
blème historique  à  résoudre.  Toutefois,  ÏM.  Aube  demande  avec  raison 
que  Ton  re'ponde  à  cette  question  préalable  :  Que  vaut  en  soi  la  pas- 
sion de  sainte  Félicité  (1)?  Voici  comment  lui-même  y  répond  :  «  Si 
l'interrogatoire,  l'ensemble  des  questions  et  des  réponses  paraissent 
d'une  authenticité  inattaquable,  il  n'en  est  pas  de  même  du  prologue 
et  de  l'épilogue.  —  Dans  ces  limites,  les  Acies  sont  apocryphes  et  leur 
composition  doit  être  reculée  au  delà  du  règne  de  Dioclétien,  vers  la 
première  moitié  du  quatrième  siècle  au  plus  tôt.  "  Le  cadre  de  la  dis- 
cussion étant  ainsi  tracé,  nous  commencerons  par  faire  observer  que 
M.  Aube  tire  néanmoins  de  l'interrogatoire  l'une  des  pi^ncipales  dif- 
ficultés, selon  lui,  puisqu'il  s'en  autorise  pour  substituer  la  personne 
d'Antonin  Caracalla  à  celle  de  ïMarc-Aurèle  Antonin  :  aussi  devons- 
nous  l'écaiier  dès  maintenant. 

Cette  objection  si  considérable  lui  est  fournie  par  a  l'expression 
dominorum  nostrorum  jiissa  (2).  Les  monuments  épigraphiques  , 


(1)  Loc.  cil.,  p.  457-459. 

(2)  Notons,  par  parenthèse,  qu'aucun  des  manuscrits  que  nous  avons  vus  ne  con- 
tient la  \econjussa  que  donne  Ruinart  à  cet  endroit,  et  tous  ont  staïuia  ou  imtituia, 
sauf  deux,  lesquels  ont  moniia,  par  suite  d'une  répétition  erronée  de  ce  mot  qui  ap- 
partient à  la  ligne  précédente. 

13 


•—  19i  — 

ilit-ii,  ueuoiis  la  montrent  employée  qu'à  la  fin  ilu  deuxième  et  au 
commcucemeut  du  troisième  siècle.  »  Or,  il  faut  remarquer  qu'elle 
se  trouve  «  place'e  dans  la  bouche  du  pre'fet  de  la  ville,  et  dans  l'hypo- 
thèse où  ce  pre'fet  serait  Salvius  Julianus,  dans  la  bouche  du  plus 
illustre  jurisconsulte  du  temps,  d'un  homme  qui  devait  savoir  à  fond 
les  tours  du  lauga[je  officiel  et  qui  n'e'tait  pas  de  caractère  à 
innover  dans  l'adulation  (1)".  N'en  de'plaise  à  l'auteur,  l'opinion 
pre'vaut  aujourd'hui  que  cette  expression,  si  flatteuse  qu'on  la  sup- 
pose, est  bien  plus  ancienne.  Fronton  l'emploie  continuellement  dans 
ses  lettres  aux  Antonins,  et  Pline  dans  sa  correspondance  administra- 
tive avec  Trajan.  De  plus,  «  il  semble  e'tabli  que  le  titre  D.  N.  figure 
sur  des  monumentsante'rieurs  à  Domitien(2j  " .  Tel  était,  pour  les  inscrip- 
tions, le  sentiment  de  Marini(3),  et  il  est  certain  que  les  marques  de 
briques  le  portent  fréquemment  depuis  Hadrien.  Letronne  (4)  cite  un 
papyrus  du  Louvre,  daté  du  règne  'Avtwvivou  Kaicapo?  xou  xupi'ou.  Quant 
aux  monnaies,  Eckhel(5)  attribue  la  première  à  ce  même  Antonin,  et  il 
en  signale  une  de  Marc-Aurèle  et  de  Lucius  Verus,  avec  la  légende  : 
VniîP  NIKliC  TiiX  KTPIiiN  CKBACT£2N.  D'ailleurs,  d'après  la  mé- 
thode proposée,  à  quelle  date  faudrait-il  transporter  les  Actes  des 
Apôtres?  En  61,  le  procurateur  Porcius  Festus  s'exprime  ainsi  à  propos 
de  l'interrogatoire  de  saint  Paul  (6)  :  aùtou  os   toutou  lirixaXEdaaévou 

Tov  (JsSaîTOv,  e/.piva    TTiaTTciv  aÙTOv  •    Tcspi   ou    «(T'^aXs;  xi   y^ibxi  tco    xusuo   oO>c 

£/w.  Désormais  enfin,  nous  pouvons  invoquer  le  témoignage  décisif 
de  la  2)assio  ScilUtanorum,  où  le  proconsul  Vigellius  Saturninus  dit 

en  180  :  'H  ^ùoai|;.ovi'a  xou  Segko'tou  i^^JM'^  aÙToy.pàxopoç  (7j. 

La  plupart  de  ces  exemples,  il  est  vrai,  sont  grecs  ;  mais  précisé- 

(1)  Loc.  cit.,  p.  455. 

(2)  M.  LACOL'i.-GAYnT,  Revue  critique  du  27  déc.  1880,  p.  514,  qui  renvoie  à  Labls, 

Marmi  ar.tichi  Bicscinni,  p.    96,  n.  4. 

(3)  Aui  deijli  Aivali  (Rome,  1705),  p.  508. 

(4)  La  Statue  vocale  de  Mcmnon  (Paris,  183G),  p.  189.  —  Il  faut  ajouter  les  nombreux 
graffiti  inscrits  sur  celte  statue  et  portant  le  nom  d'il.idricn  avec  l'épithcte  :  toO 
xupcou  (T£ga<JToO.  Cf.  Corp.  inscr.  grœc,  n»'  4713'',  4722,  4723,  4732,  4736,  4737. 

(5)  Doclr.  num.  vcl.,  t.  VMI,  p.  361. 

(6)  Actes,  c.  XXV,  V.  25-26. 

(7)  Voir  en  effet  les  conclusions  de  M.  Aube,  Etude  sur  un  nouveau  texte  des  actes  des 
martyrs  scillilains  (Paris,  1881),  p.  19. 


—  195  — 

ment,  à  l'ëpoquedont  il  s'agit,  le  fjrec  était  la  langue  parlée  à  Rome, 
et  nos  actes  eux-mêmes  ont  été  écrits  en  grec.  Déjà  Tillemont  (1)  s'en 
était  aperçu  aux  mots  régi  Antonino  qui  reviennent  deux  fois,  et  dont 
on  ne  pourrait  autrement  rendre -compte,  même  au  quatrième  siècle. 
Borghesi  (2)  a  ajouté  à  cette  considération  que,  l'usage  des  Grecs  étant 
souvent  de  ne  désigner  les  Romains  que  par  leur  prénom,  on  s'expli- 
quait que  le  préfet  fût  simplement  appelé  Publius  (3).  De  plus,  en  y 
prenant  garde,  on  retrouve  dans  le  latin  bien  des  héllénismes  traduits, 
et  parfois  mal  traduits.  Qu'est-ce  que  cette  expression  trois  fois  ré- 
pétée :  eriint  in  interitam,  que  certains  manuscrits  corrigent  en  ihunt, 
sinon  le  futur  du  verbe  eTf^-t,  aller,  confondu  avec  slai,  être  ?  Et  cette 
autre:  crudelitatis  vestrœ  factores  effectif  sinon  l'équivalent  de  autoi 
ôp.iv  YiyvouLîvoi  Tioir.Toà  xwv  oeivwv?  Citous  eucorc  la  Iccturc  souvcut  fautivc 
de  5<a\  exi  où  uéXXêi,  et  adhuc  non  tardât  Deus  :  plus  d'un  copiste  sup- 
prime la  négation  comme  contradictoire  en  latin.  'KTncj/avr'ç  eût  été 
rendu  plus  complètement  par  clarissima  que  par  inlustris  à  la  pre- 
mière ligne  (4).  On  aurait  même  un  cas  de  réelle  inexactitude,  si  la 
phrase  orta  est  scditio  jwntijicum  correspond  à  GuataGi;  eyivsxo  xwv 
îepc'wv,  car  cocTaaiç,  qui  a  les  deux  acceptions,  devrait  être  entendu  dans 
celle  de  réunion,  et  non  de  révolte. 

Ici  nous  sommes  naturellement  ramenés  au  prologue,  au  sujet  du- 
quel M.  Aube  fait  la  difficulté  suivante  (5)  :  «  Cette  émeute  et  cette 
requête  en  dehors  de  l'empereur,  dont  parlent  les  Actes,  ne  sont  guère 
admissibles.  »  Sa  formule  est  peu  claire.  En  effet,  une  requête  adressée 
par  les  pontifes  à  l'empereur  se  conçoit  bien  :  reste  seulement  à  ex- 
pliquer leur  action  commune  en  dehors  de  lui.  11  y  a  pour  cela  un  point 


(1)  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  ecclésiastique  (Paris,  1C94),  t.  K,  p.  324. 

(2)  Lettre  à  Cavedoni,  dans  le  t.  VMI  des  OEuvres,  p.  5i5  et  suiv. 

(3)  Un  mannscrit  présente  Tortliograplie  PupUiis,([\n  se  rapprocherait  de  Ilo-juXto;, 
si  eUe  n'était  plutôt  l'effet  d'une  prononciation  gcrnianique. 

(î)  ConcHESi,  loc.  cit.,  p.  133,  traduit  :  clarissimiis puer,  la  qualification  donnée  par 
PnjTAUQiK  ù  Cornélius  Dolabella,  lit.  /Int., c.ixwiv:  'ETitcpavr,;  veavtTxoç.  Tonicfois. 
Tacite,  Ann.,  1.  xi,  c.  xnt,  rapporte  que  Claude,  faisant  fonction  de  censeur,  réprima 
la  tenue  du  peuple  au  théâtre  :  quod  in  Pomponiuni  consularem...  inque  fcminas 
inlusires  proba  jecerat. 

(5)  Loc.  cit.,  p.   460. 

13. 


—  196  — 

qu'il  ne  faut  pas  perdre  de  vue,  c'est  l'e'poque  précise  du  uiartyre,  non 
quantàranne'e,  puisqu'elle  est  en  question,  mais  quant  au  mois  et  au 
jour,  car  il  n'en  est  point  de  mieux  e'tublie  dans  les  fastes  de  l'Eglise 
romaine,  et  cela  indépendamment  des  actes  qui  n'en  parlent  pas. 
Le  plus  ancien  calendrier,  parvenu  jusqu'à  nous,  pre'sentant  les  an- 
niversaires religieux  célébrés  avant  la  fin  des  persécutions (1),  con- 
tient l'indication  :  VI  idiis  julias,  c'est-à-dire  du  10  juillet.  Ce  jour 
était  si  connu  des  chrétiens  de  la  capitale,  qu'ils  l'appelaient  emphati- 
quement le  jour  des  martyrs,  comme  le  prouve  l'inscription  suivante 
qui  fut  trouvée  en  1732  au  cimetière  des  saints  Processus  et  ^larti- 
nien,  sur  la  voie  Aurélia  (2)  : 

PECORI  DVLCIS  ANIMA  BEMT  IN  CIMETERO 
VII  IDVS  IVL.  D(e)  V{ositus)  POSTERA  DIE  MARTVRORVM. 

Or,  c'était  la  date  de  la  mort  d'Hadrien  et  de  l'avènement  d'Antonin. 
Ce  jour  était  nécessairement  fêté  du  vivant  de  cet  empereur  :  nous 
avons  sa  réponse  à  Fronton,  qui  s'était  excusé  une  année  de  n'avoir  pu 
prendre  part  à  la  solennité  (3).  Cessa-t-on  de  le  fêter  à  partir  de  l'an- 
née 161?  Nousavonsdes  raisons  pour  croire  le  contraire.  Marc-Aurèle, 
qui  n'avait  pas  tardé  à  être  associé  à  tous  les  privilèges  impériaux,  fut, 
en  effet,  dès  139,  agrégea  tous  les  grands  sacerdoces  (4)  :  ce  qui  dut 


(1)  Ce  document,  qui  fait  partie  de  la  collection  Philocalienne  sous  le  nom  de  Dc- 
positio  tnariyruiii,  cl  qui  cependant  u'est  pas  uniquciiicnl  un  martyrologe,  puisqu'il 
marque  la  fête  de  Noël  et  celle  de  la  chaire  de  Saint-Pierre,  est  reproduit  dansRLi- 
NAUT  (éd.  de  Uatisbonne),  p.  G31. 

(2)  CoRSiM.  à  la  suite  des  .Vo/te  Grœcorum  (Florence,  1740),  diss.  I,  p.  12.  —  Une 
mention  analogue  a  été  lue  sur  une  épilaplie  à  Sainte-Marie  du  Trausievèrc,  mais 
le  fragment  est  trop  incomplet  paur  qu'on  ait  pu  s'.issurer  de  la  d.Tle,  Bull.,  1871, 
p.  149. 

(3)  Front.  Episi.  (éd.  Nal;er.  Leipzig,  1867),  p.  167  :  Quum  bcne  pcrspeclas  ba- 
beam  sincerissimas  in  me  affeciioncs  tuas,  tum  et  ex  meo  animo  non  difficile 
mihi  persuasi,  mi  Fronio  carissime,  vel  pra-cipue  hune  diem,  quo  me  suscipcre 
hanc  stationcm  (diis)  placuit  a  le  potissimum  vere  religio.sequc  cclebrari.  Et  ego 
quidcm  et  vola  tua  et  te  mente,  ut  par  erat,  repra-sentavi. 

(î)  Capit.,  lit.  Ant.  Phil.,  c.  VI  .  Adliuc  qua-storem  cl  consulem  secum  l'ins  Mar- 
cnm  designavit...  et  sevirum  turmis  cquiluni  Romanorum  jam  consulem  désigna 
tumcreavit,  et  edenli  cum  collegis  ludos  sevirales  asstdit...  et  in  collegia  sacerdo- 
tum  jubente  senatu  rccepit.  La  consiru:  lion  embarrassée  de  ce  pass.ige  n'empêche 
pas  de  placer  la  cooptation  avant  les  jeux  qui  se  célébraient  le  15  juillet.  Con- 
sulter aussi  les  Fasii  iucirJotali  de  BoRCUESi,  t.  III  des  OEurrcs,  p.  420  et  s. 


—  197  — 

arriver  le  10  juillet,  à  cause  de  la  tendance  qu'on  avait  à  rattacher 
ces  coojytaliones  aux  natalUia  des  princes.  S'il  en  e'tait  ainsi,  nul  ne 
trouvera  plus  e'tonnant  que  les  pontifes  se  soient  re'unis,  aux  approches 
de  l'anniversaire,  pour  délibérer  sur  le  nombre  et  la  qualité'  des  victi- 
mes à  sacrifier,  [ht?,  Actes  des  Frères  Arvales,  que  nous  possédions 
inscrits  sur  le  marbre,  sont  les  procès-verbaux  de  délibérations  ana- 
logues.) L'empereur  n'avait  que  faire  d'assister  à  une  telle  réunion. 
D'un  autre  côté,  la  qualité  de  i^ntifex  maximus  donnait  à  celui-ci 
à  Rome,  «  ce  qui  est  grave,  remarque  M.  Boissier,  un  large  accès 
dans  la  vie  privée,  car  le  collège  qu'il  présidait  était  le  juge  naturel 
des  contestations  qui  s'élevaient  sur  la  sépulture  et  les  adoptions  que 
l'on  regardait  surtout  comme  des  actes  religieux,  et  devait  veiller 
au  maintien  du  culte  domestique  (1)  ».  Tacite  et  Dion  Cassius  nous 
montrent,  en  plus  d'une  occasion,  comment  la  surveillance  s'étendait 
aux  sacra  ])rivata  autant  qu'aux  autres  (2),  et  comment  elle  s'exer- 
çait d'une  façon  toute  spéciale  sur  les  personnes  en  vue,  tels  que  les 
sénateurs  et  leurs  enfants (3).  Ainsi  s'explique  fort  bien  la  dénoncia- 
tion à  Marc-Aurèle  d'une  famille  chrétienne  de  haut  rang,  qui 
causait  scandale  :  <-^  Cette  femme  veuve  avec  ses  fils  conspire  contre 
votre  salut  en  insultant  à  nos  dieux  ;  que  si  elle  refuse  d'honorer  les 
divinités,  sache  votre  piété  (4)  que  le  courroux  de  nos  dieux  ne 
pourra  plus  être  apaisé.  » 


(1)  La  Religion  romaine  d'Auguslc  aux  Antomns,  t.  I,  chap.  des  réformes  d'Auguste. 

(2)  Tac,  Ann.,  1.  I,  c.  73  :  llaud  pigebit  réfère  in  Falanio  et  nuljrio  niodicis  equi- 
tibus  praetcnta  crimina...  Falanio  ohjiciebat  accusator  quod,  inler  cultores  Augusti 
qui  per  omnes  domos  in  modiim  coHegiorum  habebantur,  etc.  Cass.,  I.  LI,  c.  xix: 

Kat  £v  Toîç  (jyacrtTtoK;,  oO-/  oxt  tûÎ;  xoivotç,  àXXà  xa\  xoî;  lôiotç  Ttxvcaç  aùxià  ontévoeiv 

EXÉ>v£U(TaV. 

(3)  Tac,  Ann.,  1.  XVI,  C.  xxii  :  Qiiin  et  iUa  ol)jectabat,  principio  anni  vitare  Thra- 
seam  solenne  jusjurandum  :  nuncupationibus  votorum  non  adesse  quamvis  quinde- 
cimvirali  sacerdolio  praedituni  :  numquam  pro  salute  principis  aut  cœlesti  voce  im- 
molavisse.  —  Cass.,  1.  Xf.VII,  c.  xviii  :  Ta  ts  yavéaia  aùxoO  o  açvocpopoOvTaç  xa\ 
£Ù0ufj.O'j(jivou?  udtvTac  lop-câîjïiv  rivacyxaaav,  vo[j.o9£Tr,c7avTE;  Toù;  \Ù.h  aXXo'j;  to'j;  àjXEXriuavTai; 
a-jTcov  STiapâto'jç  tw  tî  Au  xx\  «'jtw  elvat,  xou;  Si  or)  jîo'jXcUTà;  toûç  te  utEîç  ffcpwv  TcévTe 
xa\  sixotn  (■'•''^ptâSa;  ôcplicrxâvEiv.  Cf.  Tert.,  De  idololat.,  c.  xv  :  l'iures  jam  invenies 
elhnicorum  fores  sine  lucernis  et  laureis,  quani  christianorum...  quiderit  Dei,  si 
omnia  Caesaris? 

(4)  C'était  le  style  officiel  de  l'époque;  voir  au  commencement  et  ù  la  fin  de  la 
deuxième  apologie  de  saimJlstin.  On  a  des  inscriptions  où  Marc-Aurèle  est  appelé 


—  198  -- 

Ces  paroles  des  actes  avaient  suggéré  à  Boi'g-hesi  une  remarque 
pleine  d'à-propos.  Estimant  qu'une  rigueur  plus  grande  pouvait  être 
motive'e  par  des  ile'aux,  qui  sont  l'exp;  ession  populaire  de  la  colère  des 
dieux,  il  signalait  une  anne'e  ])articulièremeut  e'prouve'e  par  l'inonda- 
tion et  la  disette  (1),  puisqu'elle  justifia  l'envoi  excei)lionnel  d'un  fonc- 
tionnaire dans  le  nord  de  l'Italie  (2).  Seulement  l'année  162,  qui 
s'impose  par  ailleurs,  comme  nous  Talions  voir,  a  un  tort  aux  yeux  de 
.M.  Aube',  celui  d'appartenir  au  règne  de  IMarc-Aurèle,  et  cela  suffît 
pour  lui  faire  pre'fe'rer  le  commencement  du  troisième  siècle,  où  l'on 
ne  signale  aucune  de  ces  calamités  (3). 

Continuons  à  examiner  le  prologue  et  Tcpilogue.  L'empereur  charge 
le  préfet  de  la  ville  de  faire  une  enquête.  Le  préfet  entend  d'abord  la 
mère  en  particulier,  puis  le  lendemain  la  fait  comparaître  en  public 
avec  ses  fils.  11  prend  acte  de  leur  refus  de  sacrifier,  et  se  contente 
d'ordonner  le  dépôt  au  greffe  du  rapport  qu'il  adresse  à  l'empe- 
reur(4).  Alors  celui-ci,  espérant  sans  doute  qu'en  séparant  ces  obstinés, 
on  en  aura  plus  facilement  raison,  les  envoie  devant  différents  juges, 
qui,  en  face  de  leur  persistance,  appliquent  le  rescritde  Trajan, 

M.  Aube  s'écrie  (5)  :  «  Le  préfet  de  la  ville  n'est-il  pas  la  première 
autorité  de  Rome?  Y  a-t-il  appel  de  ses  décisions  et  l'appel  peut-il 
descendre?  Quels  sont  ces  prétendus  juges  qui  contlamnent  après  lui? 
Cela  est  tout  à  fait  insolite.  »  Assurément  ;  aussi  les  actes  parlent-ils 
d'une  procédure  toute  différente,  procédure  qui  rentre  bien  dans  le 
caractère  de  Marc-Aurèle,  tel  que  nous  l'a  dépeint  Capitolin.  D'après 

Plus  de  son  vivant  :  0i\r,Li.i,  n^a/Jl;  Muratori,  p.  4ôô,  w  2;Cori).  inscr.  lai.,  vol.  U, 
n»  2553. 

(1)  Capit.,  loc.  cit.,  c.  VIII  :  Scd  inlerpeUavit  islam  felicitatem...  prima  Tiberis 
inuiidatio,  qua;  sub  illis  {)ravissima  fuit;  qua*  rcsct  mnUa  Urbis  a^dificia  vcxavit,  et 
plurimum  animaliuiii  inlciTmit,  cl  famem  {^ravissimam  pcperit. 

(2)  OEuvres,  t.  V,  p.  383  Cl  41C,  liibcripliou  de  Coiicordia  ;  »  Anius  Antoninus 
providentia  maximorum  iiiiperalorum  missus  ur(;ciilis  annona;  difficiillales  juvit.  • 

(3)  Quand  TEUTULLitN  dit,  à  la  fin  du  deuxième  siècle,  Apulugvt..  c.  xl  :  Si  Tiberis 
ascendit  ad  ma'uia,  si  ^ilus  non  asccndil  iii  arva,  si  cu-luin  slelit,  si  terra  movit, 
si  famés,  si  lues,  slalim  :  •  ChrisUanus  adleoncm  »,  il  parle  d'une  manière  générale  de 
fails  qui  se  sont  passés  dans  le  courant  du  siècle. 

(i)  Cette  phrase  est  souvent  mallrailée  dans  les  manuscrits;  le  grec  devail  avoir: 
llâvTaÔT)  xatà  tâ^iv  tw  fiaatXîi,  'Avxwvi'vto  Y^Tpî'lAlJ-sva  el;  xà  Yp(X(i[jLaTa  e'iar,veyx£v. 
(5)  Loc.  cit.,  p.  4G1. 


—  199  — 

cet  auteur,  il  était  ordinairement  disposé  à  appliquer  aux  coupables  le 
minimum  de  la  peine,  mais  il  lui  arrivait  parfois  de  demeurer  inexo- 
rable contre  les  accusés  convaincus  sur  un  chef  grave.  !1  intervenait 
lui-même  dans  les  causes  capitales  des  gens  de  qualité,  et  cela  avec 
une  intention  d'équité;  c'est  ainsi  qu'il  reprit  un  jour  le  préteur  de  sa 
trop  grande  précipitation,  et  lui  enjoignit  de  recommencer  à  connaître 
d'une  affaire(l).  Dion  Cassius  ajoute  que,  quand  il  jugeait  en  per- 
sonne, il  multipliait  les  interrogatoires,  autorisait  les  longues  plai- 
doiries et  faisait  durer  l'instance  jusqu'à  onze  et  douze  jours,  tenant 
parfois  des  séances  de  uuit(2j.  Ce  tempérament  scrupuleux,  qui  ne 
pouvait  être  celui  d'un  jeune  homme  de  quinze  à  seize  ans,  tel  que 
Caracalla  vers  l'an  200  et  quelques,  comporte  bien  une  enquête  anté- 
rieure au  jugement,  comme  dans  le  cas  de  sainte  Félicité. 

Quant  au  préfet  Publius  qui,  lui,  n'a  aucune  sentence  à  pronon- 
cer,  Borghesi  l'avait  parfaitement  identifié  avec  Publius  Salvius 
Julianus  (3),  le  célèbre  jurisconsulte,  rédacteur  de  l'édit  perpétuel, 
l'ami  d'Hadrien,  d'Antonin,  de  Marc-Aurèle  et  de  Lucius  Verus,  qui 
fut  préfet  de  Rome  en  161  et  162.  Il  est  vrai  que  IM.  Aube,  voyant 
un  Publius  Cornélius  Anullinus,  consul  pour  la  seconde  fois  en  199, 
se  demande  s'il  n'a  pas  dû  occuper  la  préfecture  urbaine  un,  deux, 
ou  trois  ans  après  (4).  Ici  M.  Aube  aurait  pu  être  plus  affirmatif,  car 
on  possède  une  inscription  qui  lui  attribue  cette  magistrature  (5). 


(O  Capit.,  lit.  Ant.phil.,  c.  xxiv  :  Erat  mos  iste  Antonino  ut  omnia  crimina  mi- 
nore supplicio  quam  legibus  plecti  soient  puniret;  quamvis  nonnunqiiara  contra 
manifestes  et  gravium  criminuin  reos  inexorabilis  permaneret.  Capitales  causas 
liominum  lionestorum  ipse  cognovit,  et  quidem  sumnia  ccquitate,  ita  ut  praetorem 
reprehenderet,  qui  cito  reorum  causas  audierat,  juberetque  illum  iterum  co- 
gnoseere. 

(2)  Epil.,  1.  LXXI,  C.  VI  :  K'x\  Cotop  tzaîI-j-tov  toî;  pr|Xopat  |AîTp£Î(76ai  èxD.sye,  xâ;  tî 
TfjCTTEi;  xa\  Tx;  àvay.p;iT£t;  Èt:\  (j.ay.pÔTEpov  ÈtioieIto,  iogxz  îiavca'/ôOsv  xb  oîxatov  «xpiooOv 
■/.où  xotxà  toOto  EV&ÎX3C  TtoA/.â/t;  xa\  ôwocxa  rjjjiÉpxi;  Tf,v  a'jxr,v  5îxr,v,  xaiii:p  vjxxb;  cffTtv 
OTî  oixâ^wv,  ÎXptVî. 

(3)  Lettre  à  Cavedoni,  mentionnée  plus  haut.  Cf.  Spakt.,  lit.  Hadr.,  c.  xviii;  id.. 
Vit.  Di.'l.  Jul.c.  I.  —  C.  liv.  Vt,  tit.  LIV,  1.  1  ;  et  D.  liv.  XXX VU,  tit.  XIV,  fr.  17  :  Divi 
Fratres(Marcus  et  Lucius)  in  haec  ver;  a  rescripserunt...  plurium  etiam  juris  aucto- 
rum,  sedet  Salvii  Juliani  amici  nostri,  clarissimi  viri,  hanc  senlentiara  fuisse. 

(4)  Loc.  cit..  p.  464. 

(5)  Corp.  inscr.  lut.,  vol.  II,  n»  2073  .  •  Publius  Coinelius  Anullinus,  Publii  filius, 
Galeria  tribu,  Illiberitanus  (de  Grenade),  praefectus  Urbis,  consul,  proconsul,  etc.  » 


—  200  — 

Mais  alors,  une  des  principales  conditions  requises  par  la  partie 
non  contestée  des  actes  cesse  d'être  remplie.  Il  résulte  en  effet  de 
l'interrogatoire  qu'il  y  avait  plusieurs  empereurs,  et  que  celui  qui 
est  seul  nomme'  et  seul  directement  inte'ressé  à  l'affaire  s'appelait  An- 
tonin.  Or,  la  date  de  102  convient  admirablement  ;  car  JMarc-\urèle 
Antonin  et  Lucius  Verus  avaient  succède' ensemble  à  Antonin  le  Pieux. 
et,  avant  la  fin  de  Tanne'e,  Lucius  Yerus  s'était  embarque' à  Otrantc 
pour  aller  repousser  l'invasion  des  Parthes,  comme  en  témoignent  les 
monnaies  et  les  inscriptions  (i),  tandis  que  Marc-Aurèle  ne  quitta 
pas  Rome,  où  les  circonstances  CKigeaient  sa  présence (2).  Aussi  le 
préfet  dit-il  :  «  L'empereur  Antonin,  n(>tre  maître,  a  prescrit  que  vous 
sacrifiiez  aux  dieux  tout-puissants  «  ;  et  ailleurs  :  'i  Si  tu  tiens  la  con- 
duite la  plus  agréable  à  notre  roi  Antonin,  en  sacrifiant  aux  dieux,  tu 
deviendras  l'ami  des  Augustes (3).  «  Pour  les  autresloculions,/3M^î/5/o- 
riim  instifiitaj  prœcepta principum,  dominorum  nostrorum  statuta, 
elles  nous  laissent  dans  l'incertitude  à  l'endroit  des  termes  grecs,  et 
par  suite,  de  l'expression  exacte  du  magistrat.  Kn  1G3,  dans  une  cause 
analogue,  le  préfet  de  Rome,  qui  était  Junius  Rusticus,  prononça 

successivement     selon    to  toïï  auTOxpaxopo?  Tpoa-râyaa ,    et  xa-rà    tviv    -ôiv 

voaojv  àxoÀouOi'av  (uous  avons  VU  (4)  le  sens  que  l'on  doit  alttribuer  à 
ces  mots);  mais  dès  le  commencement  de  la  procédure,  il  avait  signifié 
à  saint  Justin  :  brAv.o'jm^  toTç  pasiXsîîffiv. 

11  faut  dire  que  c'était  la  première  fois  que  deux  empereurs  fonc- 
tionnaient ensemble (5j.  Le  fait  se  rej)roduisit  encore  lorsque  3Iarc- 
Aurèle  s'associa  son  fils  Commode,  juin  177-17  mars  180;  mais 
pendant  ce  temps,  Lucius  Sergius  Paulluset  Caïus  Aufidius  Victorinus 

(1)  CouE.v,  Médaillis  impiriala,  vol.  IH,  l'eius  n»  29,  avcc  la  légende  ;  «  l'rofeclio 
Aufîiisti.  •  —  MoMMSEN,  Iitscr.  rcgn.  Ncap.,  n"  i43  :  «  llydrunluin  in  via  consulari.  • 

(2)  Capit.,  l'ii.  Ani.jihil.,  c.  vui  :  Ad  l'arthicuni  vcro  belluni...  Verus  fraler  est  mis- 
sus  :  ipse  Homam  remansit  quod  res  urlianœ  iinperatoris  pra>senliain  postniarent. 

(.3)  M.  \X  Blant,  Mùm.  sur  les  nclcsdes  maitijrs  non  comprit  dans  Ruinart,  p.  7G  du  tirage 
à  part,  cite  de  nombreux  exemples  de  cette  promesse  :  «  Ce  n'est  pas  lu  une  formule 
vague,  mais  bien  le  nom  d'un  titre  conférant  unesituation  ambitionnée.  »  Kl  il  ren- 
voie à  la  piquante  description  du  Kai^apo;  si/o;  qu'a  faite  EpicTtTi:,  Diis.  1.  IV,  c.  t. 

(4)  Deuxième  partie,  §  IF,  p.  168. 

(5)  CiPiT.,  lit  Ant.  pitll.,  c.  VII  :  Atque  ex  eo  pariter  caeperunt  rempuljlicam  re- 
gere,  tuncque  prinuim  liomanum  impci'ium  duosAugustos  babere  csepit. 


—  201  — 

furent  préfets  de  Rome.  Enfin,  depuis  le  milieu  de  Tannée  198,  Cara- 
calla,  ne' le  4  avril  188,  porta  le  titre  d'Auguste,  quoique  n'ayant  que 
diK  ans;  mais,  durant  la  préfecture  d'Anullinus,  il  avait  accompagné 
son  père  en  Orient,  puisque  le  1"  janvier  202  les  trouva  en  Syrie,  où 
tous  deux  inaugurèrent  le  consulat  (1).  Septime  Sévère  rentra  en  Italie 
vers  le  milieu  d'août,  avec  la  flotte  d'Alexandrie  (2)  qui  apportait  tous 
les  ans  l'approvisionnement  de  blé  de  la  capitale.  C'est  ce  que  nous 
apprend  une  inscription  provenant  de  Porto  Romano  (3).  Un  mois  plus 
tard,  cette  fois  à  Rome,  près  de  l'emplacement  actuel  de  Saint-Jeau  du 
Latéran,  ce  sont  les  équités  singulares  qui  élèvent  un  monument  (4)  : 
Herculi  invicto...  pro  sainte  impj).  Cœsar.  L.  Septim.  Sever.  et 
M.  Aureli  ântonin.  et  Getœ  Cœsari.  et  Jidiœ  aug.  matri.  castrorum 


(1)  Spart.,  lit.  Scv.,  c.  xvi  :  Bassianum  Antoniniim,  qui  Caesar  appellatus  jam  fue- 
rat,  annum  xni  ageiitem  participem  imperii  dixerunt  milites.  (Sevcrus)  dein  quiim 
Anliocliiara  transisset,  data  virili  toga  filio  niajori,  sccmii  eiim  consulein  designavit, 
et  statim  in  Syria  coiisiilatiiin  inierunt.  Post  lioc  dato  stipendio  cuinulatiore  mili- 
tibus,  Alexandriara  petit.  —  Cf.  Heuooien,  Hist.,  liv.  III,  c.  x  :  KaTopOtoo-a?  5è  ira  y.axà 
TTiV  àvatoXr|V    ô   ^îo?ipo;   si;   vr^v  'Poj[j.r,v   rjTiïLyîTO;    à'ywv    v.y.\    to'j;   uaîSa;    eIç  rfAixcav 

(2^  C'est  à  tort  que  M.  Ad.  de  Ceuleneer,  Essai  sur  la  vie  et  le  règne  de  Septime  Sévère 
(BruxeUes,  1880),  p.  131,  invoque  un  texte  du  Code  de  Justinicn,  liv.  II,  tit.  XXXII,  1. 1, 
des  empereurs  Sévère  et  Caracalla,  texte  qui  serait  ainsi  daté  :  P.P.  XV  Kal.  April. 
Sirmii,  A. A.  conss.  Outre  que  le  troisième  c;>nsulatde  Sévère  ne  se  trouve  pas  mar- 
qué [Corpus  jiiris,  éd.  de  Leipzig,  1875,  v.  II,  par  Em.  Heuum.inn,  p.  158,  n.  4),  la  men- 
tion de  Sirmium  est  fautive,  et  a  été  empruntée  à  une  loi  de  Dioclétien  quelques 
lignes  plus  bas  :  XV  Kal.  April.  Sirmii,  Caess.  conss.  En  effet,  les  décisions  de  Sévère 
sont  toujours  données,  au  Code,  sans  indication  de  lieu,  excepté  liv.  IX,  tit.  XII,  loi 
de  205  :  Kal.  Jul.  Romae,  Antonino  Aug.  II  et  Geta  II  [lire  I)  conss.,  qui  semble  con- 
tredite par  liv. VI,  tit.XLVI,loi  de  la  mô:ne  année  205  :  Antiochiœ  XI  Kal.  Aug  ;  mais 
Sévère  ne  retourna  plus  en  Orient,  et,  pour  ce  dernier  cas,  le  nom  d'Antioche  ap- 
partient à  la  décision  suivante  de  Caracalla,  qui  était  bien  dans  cette  ville  en  215. 
D'ailleurs,  les  autres  lois  de  Sévère  et  de  Caracalla  en  202  sont  régulièrement  da- 
tées :  Scvero  III  et  Antonino  conss.  sans  indication  de  lieu.  Cf.  liv.  II,  tit.  I,  1.  3; 
tit.  II,  1.  2  et  3.  —  Liv.  III,  tit.  IX,  1.  1.  —  Liv.  IV,  tit.  XXXII,  1.  2.  —  Liv.  VIII,  tit. 
XIV,  1.  1. 

(3)  Corp.  inscr.  grœc.,  n.  5973  :  'V'iiîp  (7WT/;p;xc  y.a\  Itzol'i'joov,  xqli  atotoy  otajAOVTj; 
tûv  x'jptwv  auToy.paxôpwv  ïlîo'jripou  v.ai  'Aviwvtvoy  y.ol\  'loyXtaç  SeêatrTÎ)!;  v.'yà  toO 
G'j(j.7iavto;  auTcôv  ctxo'j,  v.%\  imïp  sùirXota;  uavTÔ;  toO  axôlov  —  ttiV  'Aôpaaxiav  (TUV  tw 
Tiïp\  a'JTr|V  xôafjLOJ  F.  O-jxAÉpio;  i^eprivoç  vîwxôpo;  xoO  iisydcAoy  Sapâmoo;,  à  em\t.e- 
>,T|Tf,;   TtavTÔç  ToO    'A),î|a-/opîivo'j  (jtÔ).o'j,  etî'i  KX.  'loyXtavoO  lv:âçi-/_o-j  e-jOîvsia;. 

(4)  Corp.  inscr.  lai.,  vol.  VI,  n.  226.  Les  noms  de  Geta,  Plautilla,  Plautien,  ont  été 
grattés.  Le  n"  225  avait  été  élevé  par  les  mêmes  equiics  dès  le  1"  avril  200  :  «  Pro 
salute  itu  reditu  et  Victoria  inipp.  Csess...  »,  ainsi  qu'en  l'honneur  de  leurs  cama- 
rades :  «  et  genio  turrase  pro  reditus  [sic]  eorum  ab  expeditione  Partbica.  ■ 


—  202  — 

et  augg.  et  PlautUlœ  mig.  et  C.  Fulvi  Ploutiani  pr.  pr.  c.  v.  totiusqne 
domus  diiinœ.  La  (laie  de  l'e'iection  est  S])ëcifiée  :  dedik.  idb.  sept. 
Severo  III  et  Antonino  augg.  nn.  eoss.,  et  l'on  voit  que,  clans  Tinter- 
valle,  le  mariage  de  Caracalla  avec  la  fille  du  tout-puissant  préfet  du 
prétoire  avait  e'te'  conclu.  Mais  vers  cette  e'poque,  le  pre'fet  de  la  ville, 
Luciiis  Fabius  Cilo,  entrait  en  chargée  (1),  Ce  ne  serait  donc  plus  dès 
lors  un  Publius  qui  aurait  entendu  sainte  Félicite',  et  auparavant  com- 
ment le  jeune  prince  aurait-il  pu  donner,  sans  l'intervention  de  son 
père,  contre  une  mèi'e  de  famille,  à  Rome,  des  ordi'es  de  l'autre  extre'- 
mité  de  la  Méditerranée  {2j?  Cet  olibi  tranche,  croyons-nous,  la  ques- 
tion, et  nous  restons  en  présence  de  la  solution  de  Borg^hesi  (3), 
solution  qui  reconnaît  aux  actes  la  plus  grande  valeur,  puisque, 
d'après  elle,  ils  représentent  véritablement  un  texte  grec  original. 
Voilà  «  ce  que  vaut  en  soi  le  récit  de  la  passion  de  sainte  Félicité  » . 

De  quand  date  la  traduction  latine?  Ici  l'on  peut  descendre  au  delà 
de  la  date  proposée  par  M.  Aube,  jusqu'à  la  fin  du  quatrième  ou  au 
commencement  du  cinquième  siècle.  Elle  existait  certainement 
dans  sa  forme  présente  au  sixième  siècle,  et  même  déjà  elle  était 
doublée  d'une  rédaction  légendaire,  comme  eu  témoigne  explicitement 

(1)  .Votes  inédites  de  Borguesi  sur  la  série  des  préfets  de  Rome,  dont  M.  Aube  a  eu 
communication,  loc.  c//.,p.  457.  Nous  ne  pouvons,  à  ce  propos,  que  consigner  nos 
regrets  au  sujet  de  la  lenteur  que  la  commission  chargée  de  l'impression  des  pa- 
piers si  précieux  de  ce  savant,  a  mise  jusqu'ici  à  poursuivre  son  œuvre.  Cf.  le  rap- 
port de  M.  Ernrst  I)i  sj.inoiNs  daté  de  lfcC4,  qui  en  contient  l'inventaire. 

(2)  Quant  à  l'opinion  de  M.  .\i  bé,  loc.  cit.,  p.  4G4  :  •  La  dureté  de  Sévère  et  la 
cruauté  de  Caracalla  sont  connues.  Ils  firent  mourir  sans  scrupule  nombre  de  séna- 
teurs, de  consulaires  et  de  personnes  obscures...  Ces  personnes  obscures  et  ces  fac- 
tieux font  penser  aux  chrétiens  »,  il  l'a  rétractée  depuis  dans  la  Polémique païoute  au 
dcuxiime  siècle,  p.  498  :  «  Des  quatre  princes  de  la  dyn;istie  syrienne,  le  premier,  le 
chef,  soldat  énergique  et  rude  pour  tous,  d'ailleurs  exclusivement  occupé  de  politi- 
que et  de  guerre,  et  laissant  à  ,Iulia,  sa  femme,  et  aux  lettrés  de  son  entourage  le 
département  des  idées  et  des  choses  religieuses,  ne  fut  point  l'ennemi  déclaré  des 
chrétiens.  Les  trois  autres  Hottèrent  entre  l'indifférence  ou  une  curiosité  sympa- 
thique. • 

(.3)  OEuvres,  t.  VHI,  p.  547  :  •  Ecco  dunque  l'ignolo  l'uldio,  lulla  cui  prefettura  fù 
coronala  del  martirio  la  célèbre  santa  Feiicitù.  Il  Tillemont  giustamentc  si  accorse 
che  i  suoi  atti  furono  scrilti  originalmentc  in  greco  e  poscia  tradotli  in  latino  de- 
ducendolo  dal  vedervi  usata  la  voce  rex  invece  d'impcrator.  Ed  io  aggiungerô  che 
per  tal  modo  si  spicgapure  felicemenle  corne,  nel  mentovare  il  prefetto,  si  sia  os- 
scrvato  il  costume,  non  insolite  ai  Greci,  d'indicare  uu  Romano  col  solo  pre- 
nomc.  • 


—  203  —  • 

saint  Grégoire  le  Grand,  lorsqu'il  rapporte  le  martyre  delà  sainte, 
sicut  m  gestis  ejus  emendatiorihus  legitur.  LesBollaudistesout  publié 
l'autre  texte(l),  qui  trahit  visiblement  l'époque  tardive  à  laquelle  il  a 
été  composé.  Ainsi,  l'écrivain  décrit  les  lieux  comme  il  les  connaissait 
de  son  temps;  le  Forum  de  Mars  devient  :  locus  qui  dicitur  Martyro- 
lorum  (2)^  uhi  a  cenfiun  columnis  tcmplum  Saiurni  sustentatur  qui 
torque t  numine  hella,  uhi  totidem  fulgentia  simulacra  consistant  (3) 
et  micant  atria  long  a.  La  différence  est  grande  avec  la  concision  et  la 
simplicité  des  actes  originaux.  Cependant,  nous  ne  sommes  pas  ré- 
duits au  récit  de  ces  derniers  ;  il  reçoit  par  ailleurs  une  importante 
confirmation . 

Afin  de  renouer,  en  effet,  le  faisceau  des  preuves  que  M.  Aube  disait 
avoir  délié  (4),  il  nous  reste  encoie  à  parler  de  la  tradition  monu- 
mentale relative  aux  sept  frères  et  à  leur  mère,  que  M.  de  Rossi,  pos- 
térieurement aux  conclusions  de  Borghesi,  a  si  heureusement  ressus- 
citée.  Remarquons  que  cette  tradition  étant  indépendante  des  actes, 
lesquels  se  taisent  sur  les  lieux  de  sépulture ,  s'oppose  au  système 
qui  voudrait  séparer  les  martyrs  arbitrairement.  Ce  système  est  telle- 
ment arbitraire,  que  son  auteur  lui  donne,  à  quelques  pages  de  dis- 
tance, deux  formules  absolument  contradictoires  :  ce  sont,  au  bas  de 
la  page  345,  'i  diverses  condamnations  prononcées  probablement  dans 
le  même  temps  contre  diverses  personnes  dont  les  deux  plus  connues 
sont  sainte  Félicité  et  saint  Janvier  »,  et  à  la  page  403,  où  l'on 
est  renvoyé  :  'i  Nous  admettrions  plus  volontiers  qu'il  s'agit  en  effet 
d'une  famille  unique,  mais  de  condamnations  successives.  » 

Et  d'abord  sainte  Félicité  et  saint  Janvier  ne  sont  pas  plus  connus 
que  les  six  autres  (5).  Sous  saint  Grégoire  le  Grand ,  l'abbé  Jean, 


(1)  Acta  saiicl.,  t.  UI  (le  jlliUet,  p.  15. 

(2)  Le  Ms.  2179  des  nouvelles  acquisitions  à  laBibl.  nat.  porte  pour  les  actes  primi- 
tifs la  variante  :  «  in  foro  Martis  ydolorum.  • 

(3)  Slet.Oc;.  lit.,c.  XXXI  :  Itaque  et  opéra  cujusque  (ducis  Augustus)  manentibus 
titulis  restituit,  et  statuas  omnium  triumpliali  effigie  in  utraque  fori  sui  porticu 
dedicavit. 

(4)  Loc   cil.,  p.  454. 

(5)  On  se  demande  pourquoi  M.  Aube  fait  appel  à  des  martyrs  de  Cordoue,  Faus- 
tus,  Januarius,  Martialis,  auxquels  se  réfèrent  les  n<"  126  et  175  des  Inscriptiones  Hit- 


—  20i   — 

chargé  de  rapporter  à  la  reine  des  Lombards,  Théodelinde ,  des  piin- 
cipaux  sanctuaires  de  Rome,  les  reliques  quon  y  distribuait  alors, 
c'est-à-dire  un  peu  d'huile  de  la  lampe  allumée  en  l'honneur  de  chaque 
saint ,  lui  remit  de  petites  ampoules  qui  existent  encore  au  tre'sor  de 
INIonza  avec  leurs  étiquettes  en  parchemin.  Il  y  avait  annexé  une  liste 
complète  sur  papyrus,  où  se  lisent,  parmi  bien  d'autres  noms,  les 

suivants  (1)  :    ^^  Sanctœ  Felicitatis  ciim  seplcDiJilios  suos  {sic) 

sancti  l'itaUs,  savcti  Ale\andri^  sanctus  {sic)  Mariialis...  sanctiFe- 

licis,    samti  Pliilipjii sancti  Jamiarii.  ••    11  manque   un    nom, 

celui  de  Silanus  ;  mais  nous  avons  l'explication  de  son  absence,  et  la 
raison  de  l'ordre  dans  lequel  les  sept  frères  sont  énumérés,  par  l'an- 
tique calendrier  romain  déjà  cité  et  où  leur  mention  est  inscrite  au 
10  juillet  (2)  :  «  Felicis  et  Philippi  in  Prise illœ ;  et  in  Jordanorum, 
MartialiSj  VitaliSj  Aleaandri ;  et  in  Maximi,  Silani  {Itiinc  Silanuni 
martyrem  Novatiani  furati  sunt);  et  in  Prœtextati,  Januarii.  »  Ce 
qui  signifie  que  ce  jour-là,  on  célébrait  leurs  anniversaires  dans  les 
cimetières  au  nord  et  au  sud  de  Rome,  c'est-à-dire  :  à  Priscille  à  trois 
mille  pas,  aux  Jordani  à  deux  mille  pas,  à  Maxime  à  cinq  cents  pas 
des  murs,  sur  la  voie  Salaria,  et  à  Prétextât  environ  à  quinze  cents 
pas,  sur  la  voie  Appienne  (3).  C'est  dans  le  cimetière  de  Maxime  que 
reposait,  auprès  de  sa  mère  (4),  Silanus,  lorsque  les  Novatiens 
volèrent  son  corps.  Cette  secte,  dont  l'origine  remontait  au  schisme 
de  Novatus  en  251  (5),  avait  ses  églises  à  elle  et  tenait  non  moins 
que  les  catholiques  au  culte  des  martyrs.  Au  commencement  du 
cinquième  siècle  seulement,  le  pape  saint  Innocent  rentra  en  posses- 

paniœ  chrisiianœ  de  Uluner,  et  qui  ont  leurs  actes  propres  dans  Rli.nart  (éd.  de  Ra- 
tisbonne),  p  556. 

(1)  Rl'inart  ,  p.  C35. 

(2)  Ibid.,  p.  632. 

(3)  rarcille  indication  a  été  citée  par  les  BoUandistcs,  qui  provenait  d'un  livre  li- 
tur{;ique  et  que  raltéralion  avait  rendue  méconnaissable  :  «  Scpleni  fratri  Apii  et 
Salaria'.  • 

(4)  Une  tombe  découverte  à  cet  endroit  en  18ô6  portait  les  mots  :  AT  SANCFA 
FEL...  Bull.,  1863,  p.  21.  L'inscription  se  trouve  reproduite  p.  8  de  la  Notice  sur  (Lux 
catacombes  de  la  nomellc  voie  Salaria,  par  Arcli.  ScoG.N.vMiOLio,  imprimée  chez  Laine  et 
Ilavard,  petit  in-^",  Paris,  1863. 

(5j  C'est  à  l'occasion  de  ce  schisme  que  saint  Cyprien  écrivit  son  traité  Deunitate 

Ecclesia;. 


—  205  — 

sion  des  sancîuaires  dont  elle  s' e'tait  emparée  (1),  et  en  effet,  le  Liber 
2)ontificalis  rapporte  d'un  de  ses  successeurs,  saint  Bouiface  :  Hic 
fecit  oratoriinn  in  cœmeterio  sanctœ  Felicitatis  jiixta  cornus  et  or- 
navit  sejmlcrum  sanctœ  martyris  Felicitatis  et  sancti  Liianii  [Sil- 
vani)  (2).  Au  moment  de  son  élection ,  qui  fut  troublée  par  un  com- 
pétiteur ayant  l'appui  du  préfet  païen  de  Rome,  Symmaque  (3), 
29  décembre  418,  il  avait  demeuré  au  cimetière  de  Maxime,  et 
c'est  par  reconnaissance  envers  sainte  Félicité  qu'il  fit  construire 
l'édifice  en  question  ;  on  y  lisait  une  inscription  in  introitu  ec- 
clesiœ  (4)  : 

Intonuit  meluenda  dics;  surrexil  in  hostem  : 

Impia  tcla  inali  vincere  cum  propcrat , 
Carnificis  superarc  vias  tune  mille  noccndi 

Sola  fides  potuit,  (luain  régit  Oninipotcns. 
Corporeis  rcsoluta  malis,  duce  pra'dita  Christo, 

^Ethcris  aima  parens  atiia  cclsa  petit. 
Insontcs  pucros  sequitur  per  amœna  vireta, 

Tempoia  victricis  florea  scrta  ligant. 
Purpuream  rapiunt  animam  coelestia  régna, 

Sanguine  iota  suo  membra  tenet  tumulus. 
Si  tilulum  quœris  merituni,  de  nomiue  signat(5)  : 

Ke  oppriniercr  tenebris,  lux  fuit  ista  mihi. 

Avant  lui,  le  célèbre  pape  Damase  (366-384)  avait  voulu  déposer 
un  homma{je  sur  ce  tombeau;  bâtons-nous  d'ajouter  que,  d'autres 
fois,  il  fut  mieux  inspiré  par  sa  muse  : 

Discite  quid  mcriti  prjcstet  pro  rege  feriri  : 
Femina  non  timuit  gladium,  cum  natis  obivit, 
Confessa  Christum  meruit  per  saecula  nomen. 


(1)  Le  marlyrologe  hiéronymien,  rédigé  vers  cette  époque,  reproduit  la  même 
mention  que  le  calendrier,  en  omettant  la  circonstance  du  vol,  qui  n'avait  plus 
1  eu  d'être  rappelé. 

(2i  On  trouve  les  trois  formes  :  Silvanus,  Siiianus,  Silanus. 

(3)  Celui-ci  écrivait  à  l'empereur  IJonorius  au  sujet  du  Pape,  Ep.  73,  1.  X  : 
Extra  muruin  deductus  non  longe  ab  Urbe  remoratur. 

(4)  Voir  l'arlicle  de  M.  de  Rossi  sur  le  cimetière  de  Maxime,  Bull.,  1863,  p.  41  et  s. 

(5)  Félicitas.  —  Le  pentamètre  incomplet  dans  le  manuscrit  u'est  restitué  que 
par  conjecture. 


—  200  — 

ISatiirellement,  il  n'avait  rieu  écrit  sur  le  tombeau  vide  de  Silanus, 
et  c'est  pour  cette  raison  que  le  nom  est  omis  sur  le  papyrus  de 
Monza.  Quant  à  son  ëloîje  des  martyrs  Vitalis,  Martialis  et  AlexaudiT, 
le  pape  Vigile  nous  apprend  qu'il  avait  été  détruit  par  les  Gotlis,  lors 
du  siège  de  Rome  par  Vitigès  en  537  : 

Dum  pciilura  Gctii'  posuisscnt  castra  sub  uibcm, 

Moverunl  sanclis  bclla  ncfanda  prius. 
Tota  sacrilego  vcrtcrunt  corde,  sepulcra 

Marlyrihus  quondam  rilc  sacrata  piis. 
Quos  nionslranlc  Dec  Damasus  sibi  papa  probalos 

Affixo  monuit  carminé  jure  coli. 
Scd  periil  lilulus  confraclo  niarmorc  sanctus. 

Ncc  tamcn  bis  ilcrum  possc  lalcrcfuit; 
Dirula  Vigilius  iiani  poslbaec  papa  geiniscons 

Hostibus  expulsis  omne  novavit  opus. 

Ainsi,  la  différence  des  exécutions  dont  les  actes  font  foi,  se  vé- 
rifie par  la  répartition  même  des  différentes  sépultures.  Pour  celles 
que  nous  venons  d'indiquer,  situées  à  peu  de  distance  et  du  même 
côté  de  la  route,  elles  étaient  visitées  ensemble,  ainsi  qu'il  est 
marqué  sur  les  itinéraires  des  pèlerins.  Un  objet  d'une  nature  par- 
ticulière fournit  peut-être  un  exem}»le  de  ce  groupement.  C'est  une 
médaille,  frappée  selon  toute  proba])ilité  au  quatrième  siècle,  poilant 
sur  la  face,  outre  le  monogramme  du  Christ,  une  figure  de  femme  orante 
à  côté  d'une  figure  d'homme,  et  trois  auti  es  figures  d'hommes  sur  le 
revers  (1).  S'il  faut  y  reconnaître  d'un  côté  sainte  Félicité  avec  Sila- 
nus, et  Vitalis  avec  Marti.ilis  et  Alexandre  de  l'autre,  on  s'expliquera 
comment  la  proximité  de  leurs  tombes,  jointe  à  la  piété  des  fidèles,  les 
avait  réunis.  D'ailleurs  la  dévotion  s'arrêtait  quelquefois  à  un  seul 
martyr  ;  tel  est  le  cas  du  pape  saint  Symmaque  (498-514),  lequel  ne  se 
contenta  pas  de  réparer  la  basilique  de  sainte  Félicité  qui  déjà,  mena- 
çait ruine,  mais  aussi  -.fecît  cœmcterium  Jordanorum  in  melius  jn-op- 
ter  corpus  sancti  Alcaandri.  Possédons-nous  un  débris  de  son  œuvre 
dans  le  fragment  d'une  belle  inscription  de  marbre,  qui  fut  retrou- 

(I)  V.  Bull..  1869,  p.  45,  et  u»  2  de  la  planche  hors  lexte. 


—  207  — 

vëe  sur  remplacement  eu  1873?  On  ne  peut  suppléer  cet  unique 
fragment  que  par  conjecture  (1)  : 

Rcddit  AlexandRO  SEPTEM  DE  fralribus  uni 
SymmachusobservANS  HVNC  carminé  praesul  honorein. 
RIS  lACTVra 

A  leur  tour,  Félix  et  Philippe  formaient  un  groupe  distinct,  le  cime- 
tière de  Priscille  étant  plus  éloigné  et  sur  le  côté  opposé  de  la  voie. 
Leur  éloge  damasien  était  conçu  en  ces  termes  (2)  : 

Cultorcs  Domini  Fciix  paritt-rque  Phiiippus, 
Hic  virtuto  pares,  contempto  principe  mundi, 
iîltheriain  pctierc  domuni  rignaque  piorum. 
Sanguine  quod  proprio  XPI  nicruere  coronas, 
His  Damasus  supplex  voluit  reddcre  vota. 

Si  nous  nous  transportons  sur  la  voie  Appienne,  plus  heureux 
qu'ailleurs,  nous  serons  en  face  du  tombeau  même  du  dernier  des 
frères ,  à  savoir  de  l'aîné.  C'est  en  1857  qu'il  fut  découvert  (3)  : 
quoique  bien  au-dessous  du  sol,  il  n'était  pas  creusé  dans  le  tuf,  mais 
bâti  en  solide  maçonnerie.  Les  actes  del'évêque  Urbain  enterré  à  Pré- 
textât avaient  décrit  exactement  les  lieux  :  ingens  antrum  quadratum 
et  Jirmissimœfabricœ.  Il  était  relié  à  d'autres  cryptes  et  s'ouvrait, 
comme  celles-ci,  sur  un  vaste  corridor,  qu'au  septième  siècle  on  dési- 
gnait ainsi  :  intrahis  in  speluncam  magnam  (4).  Leurs  façades  monu- 
mentales en  briques  avec  pilastres,  frises  et  corniches,  ne  trouvent 
absolument  rien  de  comparable  dans  tout  ce  que  l'on  connaît  de  la 
Rome  souterraine.  L'entrée  de  la  crypte  de  saint  Janvier  doit  être 
rapprochée,  par  exemple,  du  fronton  du  lararium  qui  a  été  trouvé 
intact  en  1866,  formant  le  fond  de  Y excuhitorium  de  la  septième  co- 


(1)  V.  Bull.,  1873,  pi.  vr,  el  p.  17  et  46;  le  premier  versa  été  suggéré  par  le  P.Toii- 
giorgi,  le  savant  professeur  du  Collège  romain. 

(2)  Bull.,  1880,  p.  i4. 

(3)  Bull.,  1863,  p.  1  et  S.  M.  DE  Rossi  a  inauguré  son  recueil  périodique  par  le  récit 
de  cette  découvert  ;. 

(4)  V.  notre  deuxième  partie,  §  ii,  p.  93  ,  et  Bull.,  1872,  pi.  iv. 


horte  (les  Vigiles  (1)  dans  la  région  du  Transtcvère.  Par  la  correcllon 
des  lignes  et  parle  fini  de  l'exëculion,  la  crypte  lui  est  de'cidement  su- 
pe'rieure  ;  ce  qui  restreint  considérablement  la  latitude  d'appréciation 
que  se  donnait  M.  Aube',  lorsqu'il  disait  que  Tarchitecture  en  «  pour- 
rail  être  aussi  bien  rapportée  à  l'an  220  ou  230  qu'à  l'an  1G2(2)"  .Un 
jugement  compétent  n'a  pas  encore  infirme  celui  de  M.  de  Rossi,  qui 
l'a  déclaré  être  de  la  meilleure  époque  des  Antonins  (3).  La  date 
résulte  aussi  des  stucs  peints  qui  revêtent  les  parois  de  la  crypte,  et 
dont  l'ornementation  présente  les  motifs  les  plus  gracieux.  Il  faut,  si 
l'on  veut  en  rencontrer  de  pareils,  aller,  par  exemple,  à  l'entrée  du 
cimetière  de  Domitille,  où  les  empreintes  de  briques  marquent  irrécu- 
sablement  le  courant  du  deuxième  siècle.  Mais  «  qui  prouvera,  du 
reste,  que  ces  peintures  aient  été  exécutées  par  des  chrétiens?  »  A  cet 
effet,  il  suffit  de  les  regarder  :  outre  la  décoration  de  la  voûte,  comme 
pendant  au  Bon  Pasteur,  l'artiste  a  mis  Moïse  frappant  le  rocher,  et 
Jonas  jeté  à  la  mer  (4),  sujets  apparemment  empruntés  à  la  Bible. 
Enfin,  pour  déterminer  l'attribution  de  celte  crypte,  nous  avons  le 
titre  qu'y  fit  placer  Damase.  Il  est  bref,  cette  fois,  l'aspect  du  monu- 
ment lui  ayant  sans  doute  paru  suffisamment  instructif.  D'après  quel- 
ques morceaux,  dès  l'origine  des  fouilles,  M.  de  Rossi,  l'avait  recon- 
stitué exactem.ent  (5)  : 

BEATISSIMO   MARTYRI 

lANVARIO 

DAMASVS  EPISC. 

FECIT 

(()  M.  Dr.sj.vuDiNS  a  déchiffre  une  partie  des  graffiti  dont  les  murs  sont  couverts, 
et  montre  que  «  leur  date  est  comprise  entre  le  rc{;ne  de  Seplime  Sévère  et  de 
DécillS  »,  Mém.  dcl'Acad.  des  i/iscr.  (187C),  t.  XWIH,  2«  partie,  p.  265. 

(2)  Loc.  cil.,  p.  454. 

(3)  liull.,  18G3,  p.  17  et  S. 

(4)  l'armi  les  nombreuses  i)eiiilures  auxquelles  a  donné  lieu,  dans  les  cala- 
combes,  ee  chapitre  de  la  Bible,  une  des  scènes  qui  reviennent  le  plus  fréquemment 
estcellcde  'lovi;  I-ki  xr,  y.o/oxjvrr,.  Ce  n'est  donc  pas  (else  quii\  ce  propos  »  a  commis 
une  lourde  plaisanterie  " ,  la  l'oléniguc  jir.ïei.nc,  p.  308,  en  note.  —  V.  liom.  soit.,  t.  IF, 
pi.  XIV  et  xx;  cf.  Bull.,  18G5,  p.  4;  1873,  pi.  i  ;  et  M.  Li;  Bl\NT,  Elude  sur  Us  sarco- 
phages chréliens  antiques  de  la  ville  d'Urles  (l'aris,    1878),  J)l.  vi. 

(5)  Ilull.,  1872,  p.  45  et  S.,  OÙ  se  trouve  résumée  l'histoire  du  cimetière  de  Pré- 
textai. 


—  209  — 

Jusqu'ici  donc,  noire  excursion  autour  de  Rome  nous  a  servi  à  re- 
trouver les  tombeaux  des  martyrs,  isole's  ou  g-roupe's  conforme'ment 
aux  donne'es  des  actes.  Mais  il  existe  à  Tintërieur  de  la  ville  un  endroit, 
où  paraît  se  concentrer  leur  souvenir.  A  Tentre'e  des  thermes  de  Tilus, 
en  1812,  on  reconnut  sous  les  de'combres  un  ensemble  de  construc- 
tions compose'  de  trois  pièces.  Celle  du  milieu  e'tait  dispose'e  en  ora- 
toire et  se  terminait  par  une  niche  semi-circulaire  orne'e  de  peintures 
dans  le  style  du  cinquième  siècle.  11  ne  reste  plus  rien  de  ces  peintures 
aujouicVhui,  et  nous  en  empr'intoi.s  la  desciiption  à  un  article  de 
Stefano  Piale,  dans  les  Memorie  cncidopediche  suite  antichità  o  belle 
arti  di  Roma  \\o\xv  l'année  1816(1).  Le  haut  représentait  l'agneau 
sur  la  montagne  entoure'  de  douze  brebis  ;  au-dessous,  e'tait  simulé 
un  rideau  vert,  que  soulevait  un  homme  ayant  toute  sa  barbe,  et 
peint  en  pied,  à  droite;  sur  le  rideau,  une  bande  rouge  avec  cette 
inscription  en  lettres  blanches  :  VICTOR  VOTV{m)  SVLVIT  E{t) 
PRO  î'OT{o)  SVLVIT.  Au  fond,  sainte  Félicité  vêtue  en  matrone 
romaine,  avec  une  tunique  rougeàtre  et  un  manteau  blanc,  au  mi- 
lieu de  ses  sept  entants  portant  chacun  leur  couronne  ;  celle  de  la 
martyre  était  tenue  par  la  main  du  Sauveur  apparaissant  dans  un 
nuage.  Deux  personnages  plus  petits,  des  clefs  à  la  main,  et  se  tenant 
en  dehors  des  deux  arbres  qui  rappellent  la  gloire  du  paradis  ;  sur 
l'un  des  arbres,  un  oiseau  entouré  de  rayons  lumineux,  sans  doute  le 
phénix,  emblème  de  l'immortalité.  Autour  de  la  sainte,  le  monogramme 
du  Christ  (dans  sa  seconde  forme -P)  plusieurs  fois  répété,  et  tandis 
que  les  fils  avaient  chacun  leur  nom  écrit  près  de  leur  tête,  auprès 
de  celle  de  leur  mère  on  lisait  :  FELICITAS  CVLTRIX  ROMAN A- 
RVM,  et  SANCTA  MARTYR  MVLTVM PRAESTAS,  parmi  d'autres 
paroles  surchargées.  Par  devant,  existait  un  petit  autel  composé  de 
trois  morceaux  de  travertin  pour  recevoir  les  offrandes.  L'entrée, 
donnant  sur  la  rue,  avait  un  portique  avec  seuil  en  mosaïque.  ]M.  de 
Rossi  ne  retrouve  pas  dans  tout  ceci  les  caractères  d'un  oratoire  domes- 
tique, mais  plutôt  d'un  sanctuaire  public  destiné  à  perpétuer  quelque' 

(1)  GuATTAM  (Rome,  1817),  p.  153  et  pi.  X\l,  —  L'année  suivante,  p.  133,  contient 
un  plan  des  lieux. 

lî 


—   210   — 

reniiiiisccnce  locale  (1);  daus  son  tome  II  des  Iiiacriptioncs  christianœ 
de  Rome,  où  il  a  promis  de  revenir  sur  la  question,  il  se  propose  de 
démontrer  que  l'on  conservait  là  l'habitation  de  sainte  Félicité.  Pri- 
mitivement en  effet,  cet  endioit  faisait  partie  d'une  maison  privée  ; 
ainsi  la  paroi  intérieure  de  droite  présentait,  g^ravé  à  la  pointe  sur 
une  couche  de  stuc  antérieure  aux  peintures  du  cinquième  siècle  (2), 
uu  calendrier  fort  curieux  contenant  daus  un  cercle  les  si{jnes 
du  zodiaque  accompagnés  de  leurs  initiales  (3)  ;  au-dessus,  étaient 
tracés  les  bustes  des  dieux  qui  ont  donné  leurs  noms  aux  jours  de  la 
semaine,  et,  sur  deux  colonnes,  trente  chiffres  avec  trente  et  un 
trous,  où  l'on  pouvait  marquer  le  quantième  du  mois  ;  au-dessous,  en 
caractères  cursifs,  l'inscription  grecque  suivante  : 

100  sijL'TTCicÀtv  r/,/  tÔ  ci'xatov. 

Alexandre  était  donc  l'ancien  propriétaire;  mais  de  quel  Alexandre 
s'agissait-il?  Aon  pas  d'Alexandre,  l'un  des  fils,  dont  le  nom  était 
écrit  sur  la  muraille  d'à  côté;  plutôt  de  son  père,  qui  avait  pu  porter 
le  même  cognomen  que  lui.  Quant  à  dire  si  celui-ci  était  mort  païen, 
le  peu  de  renseignements  qui  nous  sont  parvenus  sur  sa  famille  de- 
venue chrétienne  ne  nous  le  permettent  pas  ;  nous  savons  seulement 
que  sa  femme  était  veuve,  lorsqu'elle  fut  appelée  à  comparaître  devant 
le  préfet  de  Rome.  Notons  qu'elle  ne  pouvait  avoir  un  plus  court 
chemin  à  parcourir  pour  se  rendre  de  sa  maison  au  Forum  de  Mars. 
En  tout  cas,  l'origine  de  ce  sanctuaire  ne  constituerait  point  un 
exenqde  isolé  :  non  loin  de  là  également,  la  basilii^uc  souterraine  de 


(1)  Bull.,  1870,  p.  47  :  cf.  Bull.,  1869,  p.  45  en  note. 

(2)  Ces  peiulures  représentaient  le  Christ  entre  saint  Pierre  et  saint  Paul,  pres- 
que de  grandeur  naturelle;  puis,  moitié  plus  petits,  Daniel  dans  la  fosse  aux  lions, 
et  les  trois  jeunes  yens  dans  la  fournaise,  sujets  eniprunlés  aux  cataconibcs. 

(3)Gi;att.vm,  lue. cit.,  pi.  \\\\;  Pi.vlh  remarque,  p.  ICI  :  «  Il  Cancer  edil  Capricorne 
liauno  pcr  initiale  il  K  in  luogodel  C,  varielà  clie  sanno  un  poco  di  grecizamento, 
di  cui  non  vi  è  esempio  in  alcuna  parola  délia  niccliia,  la  ([uale  anche  percio  dcvo 
jîiudicarsi  posteriorc  al  calendario,  e  falla  dai  fedeli  Komani  dopo  esscre  liberati 
dai  pcdantismo  de'  Creci.  •  Ce  calendrier  a  clé  reproduit  par  Anl.  de  Ro.mams,  /- 
Tenue  di  Tito  (llomc,  1822),  p.  12;  cf.  p.  21  et  5'J. 


—  211   — 

saint  Clément  conserve  encore  plusieurs  chambres  (Vune  demeure 
particulière  ;  mais  tandis  qu'en  l'absence  d'un  tombeau  de  ce  pape  (1), 
son  culte  y  e'tait  reste'  attache',  —  nominis  ejiis  memoriam  usqiie  hodie 
Romœ  exstructa  ecclesia  ciistodit,  disait  saint  Je'rôme,  —  pour  nos 
martyrs,  la  pie'te'  des  fidèles  les  a  suivis  jusque  dans  la  dispersion  de 
leurs  se'pultures. 

C'est  dans  la  basilique  de  sainte  Félicite',  que  saint  Boniface  avait 
construite  et  où  il  avait  voulu  être  enterre',  que  saint  Gre'goire  le 
Grand  fit  lire  au  peuple,  au  commencement  de  son  pontificat  (590- 
604),  une  home'lie  (2)  qu'il  avait  compose'e  eu  sou  honneur  (3).  Nous  en 
de'tachons  un  ou  deux  passa{jes.  Le  texte  e'tait  de  saint  Matthieu, 
c.  XII,  V.  47-50  :  «  Et  voici  que,  pour  nous  donner  pleinement  rai- 
son, se  pre'sente  la  bienheureuse  Fe'licite',  dont  nous  ce'le'brons  aujour- 
d'huila  naissance  au  ciel,  qui  parla  foi  s'est  montrée  la  servante  du 
Christ  et  par  l'apostolat  est  devenue  sa  mère  (4).  Car  d'après  ce  que 
nous  lisons  dans  ses  actes  les  plus  corrects,  elle  craignit  autant  de 
laisser  ses  sept  fils  vivants  sur  la  terre,  que  les  parents  charnels  re- 
doutent d'ordinaire  de  voir  mourir  leurs  enfants  avant  eux Con- 
sidérez, très-chers  frères,  ce  cœur  viril  dans  un  corps  de  femme  ;  en 
face  de  la  mort  elle  demeure  intrépide.  N'ai-je  donc  pas  le  droit  de 
dire  qu'elle  fut  martyre  et  plus  que  martyre?...  Nous  n'ifj^norons  pas 
qu'il  était  d'usage  chez  nos  ancéti'es  que  tout  personnage  consulaire 
occupât  un  rang  conforme  à  l'ordre  de  date  de  ses  honneurs.  Toute- 
fois si  quelqu'un,  parvenu  plus  tard  au  consulat,  l'obtenait  deux  ou 
trois  fois,  il  passait  avant  ceux  qui  avaient  été  consuls  avant  lui,  mais 

(1)  V.  notre  deuxième  partie,  p.  46. 

(2j  Moral,  in  Ei\,  1.  I,  hoiu.  III,  «  habita  ad  populum  in  basilica  sanctsc  Felicitalis 
martyris  in  die  natali  ejiis  •  :  cette  date,  23  nov.,  est  vraisemblablement  l'anniver- 
saire de  la  dédicace  de  la  basilique. 

(3)  Lettre  d'envoi  de  s  vint  Guéooiue  à  l'évêque  de  Taormine  en  Sicile  :  Easdeni 
quoque  homilias  eoquo  dictac  sunt  ordine  in  duobus  codicibus  pouere  curavi,  ut  et 
priores  viginti  quae  diclatae  sunt,  et  posteriores  totidem  qux  sub  oculis  dicta%  in 
singulis  essent  distinctse  corporibus, 

(4)  Loc.  cit.,  y.  49  :  Et  extendens  nianum  in  discipulos  suos,  dixit  :  Ecce  mater 
mea  et  fratres  iiiei.  —  Nous  citons  l'Évangile  en  latin,  car  s.vint  Grégoire  dit  lui- 
même  dans  une  de  ses  lettres  :  Nos  nec  gra'Ciim  novimus,  nec  aliquod  opus  gra'ce 
conscripsinnis.  On  était  loin  du  temps  où  l'Église  romaine  se  servait  exclusive- 
ment du  grec  dans  la  liturgie. 

14. 


—  212  — 

une  fuis  seiileinent.  Ainsi  la  bicnlieiireusc  Félicité  Teniporle  sur  les 
autres  martyrs,  elle  qui,  par  la  mort  successive  de  ses  fils,  mourut 
tant  de  fois  pour  le  Christ.  " 

Le  pape  Adrien  l''  (772-795)  restaura  encore  le  cimetière  de  la  voie 
Salaria,  qui  fut  abandonne' comme  toutes  les  autres  catacombes,  et  oublie' 
pendant  le  moyen  ag-e.  Au  siècle  dernier,  l'emplacement,  cultive'  en 
vigne,  appartenait  à  l'abbaye  de  Saint-Antoine  de  Vienne  en  Danphiné. 
JMais  longtemps  après  cet  abandon,  les  sacranientaires  romains  conti- 
nuaient à  enregistrer  au  10  juillet  :  «  Hac  die  olini  eraiit  quatuor  sta- 
tioncs  :  via  Appia,  ad  sanctum  Januarium  in  PrœUxtali ;  item  via 
Salaria j  prima  niissa  ad  aquilonem  in  PrisciUœ^  sccunda  missa  ad 
sanctum  Vitalem^  in  Jordanorum  ;  item  ter  lia  missa  ad  sanetam 
Felieitaiem.  « 

JN'est-ce  pas  enfin  le  nom  de  la  sainte  qui  estreslè  sur  les  diptyques 
du  canon  de  la  messe?  11  est  vrai  qu'il  s'y  trouve  dans  le  voisinage 
d'une  sainte  d'Afrique  e'galement  célèbre,  Vivia  Perpétua,  qui  eut 
pour  compagne  de  martyre  l'esclave  Félicité.  Mais  celle-ci,  quoique 
Perpétue  soit  souvent  citée  isolément  à  cause  de  la  relation  partielle  de 
sa  captivité  qu'elle  nous  alaissée  (1),  a  pu  avoir  été  inscrite  concurrem- 
ment avec  son  homonyme,  et  ce  serait  alors  par  omission  que  la 
double  mention  aurait  cessé,  tandis  qu'elle  subsiste  pour  les  deux 
apôtres  Jacques.  La  renommée  d'ailleurs  de  l'illustre  Romaine  n'avait 
pas  tardé  à  s'étendre  au  delà 'de  la  capitale,  et  saint  Pierre  Chryso- 
logue,  évêque  de  Ravenne  (433-452),  s'en  était  fait  le  héraut  (2)  : 
«  Voyez  cette  femme,  dit-il,  cette  mère  que  la  vie  de  ses  fils  remplissait 
d'anxiété,  et  à  qui  leur  mort  remlit  la  sécurité.  Heureuse  celle  dont 
les  fils  lui  seront  dans  la  gloire  future  comme  un  chandelier  à  sept 
branches!  Plus  heureuse  encore  celle  qui  ne  s'est  vu  ravir  par  le 
monde  aucun  de  ceux  qui  lui  apjjartcnaient.  Elle  passait  avec  plus  de 
joie  au  milieu  des  cadavres  transpercés  de  ses  enfants  qu'elle  ne 
le   faisait  auprès  de  leurs  berceaux  si  chers,   parce   qu'avec  les 


(1)  TF.nTiLLiF.N,  T)e  anima,    c.  Lv  :     Perpétua  forlissiiiia    niarlyr,  sub  die  passioni 
in  revclalioiic  paradisi,  solos  iliic  coininartyres  \idet. 

(2)  Scim.  cxxxtv. 


—  213  — 

yeux  de  la  foi,  elle  voyait  une  palme  clans  chaque  blessure,  une  re'- 
compense  à  chaque  supplice,  une  couronne  sur  chaque  victime.  Que 
dirai-jede  plus?  Ce  uest  pas  une  vraie  mère,  celle  qui  ne  sait  pas 
aimer  ainsi  ses  enfants.  « 

a  En  pre'sence  de  ces  te'moignafjes ,  dont  il  serait  facile  d'accroître 
le  nombre,  déclare  M.  Le  Blant(l),  j'hésiterais  à  accepter  l'opinion 
d'après  laquelle  la  de'votion  des  docteurs  de  l'Église  et  de  la  foule 
chre'tienne,  celle  qui  porta  les  catholiques  à  placer  un  sanctuaire,  une 
catacombe  sous  le  vocable  de  sainte  Félicite',  se  serait  égarée  sur  un 
fantôme.  »  Mais  M.  Renan  n'a  pas  tenu  compte  de  cette  considé- 
ration, et,  reprenant  une  conjecture  déjà  émise  dans  le  Mémoire  que 
nous  combattons  (2)  :  «'  Eu  ce  qui  concerne  les  actes  de  sainte  Félicité 
et  de  ses  sept  fils,  dit-il,  la  discussion  de  M.  Aube  est  excellente. 
Ces  actes  n'ont  (juère  de  place  dans  l'histoire;  il  n'y  faut  voir, 
ce  semble j  qu'une  imitation  du  récit  des  sept  frères  Macchabées  (3).  » 
Cette  hypothèse,  proposée  sans  preuves,  et  qui  n'est  qu'une  explica- 
tion cherchée  à  un  document  supposé  apocryphe,  n'a  plus  besoin  d'être 
réfutée,  puisque  nous  avons  démontré  l'authenticité  des  actes.  Mais 
fùt-il  prouvé  que  leur  rédacteur  s'est  inspiré  du  récit  biblique  pour 
composer  son  texte,  ce  qui  serait  plus  aisé  à  examiner  si  l'on  en  pos- 
sédait l'original  grec,  son  témoignage  pour  ce  seul  motif  perdrait-il 
toute  valeur?  Nous  pouvons  aller  plus  loin.  Eussions-nous  dii  renon- 
cer à  ce  témoignage,  celui  des  monuments  suffirait  à  nous  renseigner 
sur  l'histoire  de  nos  martyrs,  et  notre  thèse  subsisterait  tout  entière. 
Chaque  jour  l'épigraphie  et  l'archéologie  sont  appelées  à  suppléer  aux 
documents  écrits,  et  dans  le  cas  présent,  elles  nous  apprendraient,  quoi- 


(1)  Comptes  rendus  de  l'Acad.  des  inscr.,  1875,  p.  141. 

(2)  Hist.  des  perséc,  p.  457.  Dans  son  troisième  volume,  les  Chrcticns  dans  l'empire 
romain,  p.  90,  M.  AunÉ  exprime  le  dernier  état  de  sa  pensée  de  la  manière  suivante  : 
«  Cependant  cet  épisode  de  l'iiistoire  de  TÉglise  souffrante,  tel  du  moins  qu'il  est 
raconté  dans  les  âcia  sincera  de  lîuinart,  demeure  suspect  à  nos  yeux,  encore  que 
l'existence  historique  de  sainte  Félicité  soit  peu  douteuse.  » 

(3)  Journal  des  Savants,  déc.  1876,  p.  731.  M.  DuRUY,  Hist.  rom.,  t.  VI,  p.  199,  en  note, 
n'apporte,  suivant  son  habitude  en  pareille  matière,  que  le  poids  de  son  assertion  : 
»  Je  rejette  donc  cette  légende  du  règne  de  Sévère,  comme  M.  Aube  l'a  rejetée  du 
règne  de  Marc-Aurèle.  >  Il  nous  sera  permis  dans  une  discussion  sérieuse  de  ne  pas 
y  attacher  d'iuiportance. 


-    211   - 

que  (rune  façon  moins  précise,  la  date  que  nous  clierchons.  A'oiis 
ajouterons,  enfin,  pour  e'carter  toute  idée  de  confusion,  qu'en  Italie  ou 
s'est  préoccupé  très-tardivement  des  JMacchabées,  et,  tandis  que  leur 
fête,  populaire  en  Orient,  ainsi  que  l'attestent  les  homélies  des  Pères 
grecs  (1),  était  certainement  mentionnée  comme  ancienne  sur  le  calen- 
drier cartliag^inois  (2)  et  l'almanach  (jaulois  de  Polemius  Silvius  (3), 
ce  n'est  que  vers  le  milieu  du  cinquième  siècle  qu'on  voit  apparaître 
leur  culte  à  Rome.  Voici  à  quelle  occasion. 

Lorsque  l'empereur  d'Orient  Théodose  II  maria  sa  fille  Eudoxie, 
en  437,  à  l'empereur  d'Occident  Valentinien  III,  sa  femme  accomplit 
le  vœu  qu'elle  avait  fait  d'aller  en  Terre  Sainte,  et  la  nouvelle  impé- 
ratrice construisit  à  Rome,  sur  l'Esquilin,  une  église  qui  s'appela  de 
son  nom  la  basilique  Eudoxienne(4).  C'était  à  proprement  parler  une 
reconstruction,  mais  cela  suffisait  pour  nécessiter  une  consécration,  et 
par  suite  le  dépôt  de  nouvelles  reliques.  Le  pape  saint  Xyste  III  fit  la 
cérémonie;  nous  avons  le  texte  de  l'inscription,  qu'il  plaça  alors  au- 
dessus  de  la  porte,  en  mémoire  de  l'événement;  elle  commence  ainsi  (5): 

Cède  priiis  nomcn  novitati,  cède  vetustas, 

Rcgia  hTtanter  vota  dicarc  libet  : 
ILtc  Pctri  Paulique  siniul  nunc  noininc  signo, 

Xystus,  apostoliciç  sedis  honore  fruens,  etc. 

Une  inscription  postérieure  d'un  siècle,  et  destinée  à  rappeler  une 
troisième  consécration,  nous  apprend  quelles  reliques  avaient  été  dé- 


(1)  On  en  a  une,  entre  autres,  de  saint  Gréijoiie  de  Nazianze ,  prononc(^e 
vers  373;  et  avant  lui  0rifi;ène,  en  235,  avait  consacré  î»  leur  souvenir  les  c.  \xiti 
à  XXVII  de  son  Aôyo;  tu  iJ.apT'jptov  TtpoTpïTîTtxô; 

(2)  Saint  Augustin  composa  également  un  sermon  en  leur  honneur.  Saint  Cypricn 
les  citait  en  252  dans  son  exhortation  aux  Thibaritains,  £"/;.  76. 

(3)  V.  ces  deux  textes  dans  IUjinaut  (éd.  de  Ratisbonne),  p.  360  et  s. 

(i)  C'est  l'église  San  Pielro  in  Vincoli  où  se  trouve  aujourd'hui  le  Moïse  de  Michel- 
Ange.  On  y  lisait  jadis  ces  deux  vers  : 

Tlicodosius  palcr  Kudocia  cuiu  conjuge  votuin 

Cumquc  suo  siipplcx  Kucloxia  noinine  sol  vil. 

(5)  Bull.,  18"8,  p.  15,  où  elle  est  confrontée  avec  la  copie  qui  en  avait  clé  faite 

pour  la  dntlicai  e  dune  cjiiise,  reconstruite  au  sixième  siècle,  près  de  Thôveste.  en 

Algérie.  Cf.  Dnlt.,  187î,  p.  Ii7.  pour  l'église  Sainl-l'ierrc  et  Saiul-Paul  au  cimetière 

des  Aliscamps,  près  d'Arles,  dont  la  fétc  était  «  ilie  sanctorum,  Kalcndis  Auguslis». 


—  215  — 

posées  lors  de  la  seconde.  Nous  donnons  en  entier  le  texte,  que  nous 
pensons  avoir  e'te'  mal  lu  jusqu'à  présent,  à  cause  de  la  disposition 
des  lignes  (1).  Voici  la  lecture  que  nous  proposons  : 

HOC  DOMlXi  TEMPLUM  PETRO  FL'IT  ANTE   DIC.VTUM. 

Tertius  anlistes  Sislus  sacraverat  olim,  Civili  bello  destruchim  post  fuit  ipsum, 

Eudoxia  quando'  totuin  renovavit  ibidem,  Pelagiiis  rursiis  sacravit  papa  beatus; 

Corpora  sanctorum  condens  ibi  Macliabreonim,  Apposuit  sancti^  pretiosa  ligramina  ferri, 

lilustris  millier  qune  detulit  ab  Ilieriisalem:  E'^  quibus  est  Petrus,  Neronis  tempore,  vinctns  . 

Aiigiisti  mensis  celebrantur  festa  calendis.  Iluic^  accedenti  pur{jantur  crimina  cuncta  (2). 

'  Au  lieu  de  quidem. 

-  Au  lieu  de  Pétri,  allitération  de^»w/osa. 

^  Au  lieu  de  ei. 

*  Lire  hue. 

Eudoxie  avait  donc  reçu  de  sa  mère  des  reliques  des  JNIacchabées, 
prises  sans  doute  à  Antioche,  qui  était  le  centre  de  leur  culte;  c'est  ce 
qui  explique  le  choix  du  jour  de  leur  fête,  1"  août,  pour  la  dédicace  de 
l'église.  En  effet,  le  successeur  de  Sixte  III,  saint  Léon  le  Grand,  y 
prononça  à  pareille  date  une  homélie,  où  il  s'exprima  à  l'endroit  de 
son  prédécesseur  de  la  manière  suivante  (3)  :  Illiiis  memoriam  justo 
honore  veneramini  qui  hodie  antiquam  festivitatem  hujus  loci  con- 
sacratione  gcminav'it.  L'autique  solennité,  qui  se  célébrait  en  ce  lieu, 
avait  été  doublée  de  l'anniversaire  auquel  se  rattachait  la  fête  des 
Macchabées. 

L'époque  de  cette  innovation  est  confirmée  par  une  découverte  ré- 
cente; des  travaux  exécutés  en  1876  dans  la  basilique  mirent  à  jour 
sous  l'autel  un  sarcophage  du  cinquième  siècle,  divisé  en  sept  compar- 
timents. L'un  d'eux  contenait  une  inscription  sur  lame  de  plomb, 
dont  une  reproduction  fut  trouvée  à  l'extérieur,  et  ainsi  conçue  : 


(1)  MautiXELLI,  Roma  ex  elhnica  sacra  (Rome,  1G53),  p.  28  î. 

(2)  Nous  laissons  de  côté  cette  seconde  colonne,  en  remarquant  que  l'édifice  dédié 
par  le  pape  Pelage,  vers  555,  avait  été  rebâti  snus  son  prédécesseur  Vigile.  Celui-ci  y 
avait  fait  lire  en  544  le  poi-rne  sacré  du  sous-diacre  Arator,  qui  contient  une  allu- 
sion directe  à  la  chaîne  de  saint  Pierre,  liv.  i.  v.  1070.  Patrologie  latine  de  Mtcne. 
t.  LXVIH;  à  partir  du  sixième  siècle  seulement,  la  basilique  fut  dite  ad  Vincula. 

(3)  C'est  l'homélie  LXXXII.  Les  frères  Ballerini,  dans  leur  édition,  l'ont  déniée  ù  saint 
Léon,  sous  prétexte  que,  de  son  temps,  on  ne  célébrait  i  Rome  aucune  fête  des  Mac- 
chabées. 


—  2IG   — 

1NIIISSEPTEML0CV(//J) 
CONDITA-  SVKTOS 


SA-ET  CINERESSCOR 

SEPTEMFRATRVMMA 

CIIABEORET- AMBOR 

PAREKTT  •  EOR • AC   îFv 


MERABILIV- ALIOR  SCOR  (1). 

Que  penser  maintenant  de  ces  faits  positifs  par  rapporta  sainte  Fe'- 
licite'  et  à  ses  fils?  quel  argument  négatif  a-t-on  le  droit  d'en  tii'er 
contre  leur  existence?  Aucun.  Bien  au  contraire;  il  s'élevait  alors  à 
Rome  d'autres  églises  dignes  de  recevoir  les  cendres  des  Macdiabées  (2). 
En  reconstruisant,  pour  les  y  déposer,  la  basilique  de  l'Esquilin,  située 
à  quelques  pas  seulement  du  petit  oratoire  des  Thermes  où  la  tradi- 
tion plaçait  la  maison  des  martyrs  romains,  Eudoxie  n'a-t-elle  jias 
voulu  jdutôt  rendre  à  ceux-ci  un  hommage  ?  Et  quant  à  l'homélie  pro- 
noncée par  saint  Léon  dans  la  basilique,  on  avait  déjà  remarqué  les 
allusions  qu'elle  comportait  en  plus  d'un  endroit,  quoiqu'elle  fût  em- 
pruntée exclusivement  au  récit  de  l'Ecriture.  En  effet,  le  rap|)ro- 
chement  devait  naturellement  frapper  l'esprit  des  auditeurs  qui,  à 
l'issue  de  la  solennité  (3),  allaient  se  retrouver  en  face  de  l'image  de 
leurs  propres  concitoyens. 

11  a  été  observé  plus  haut  que  la  vieille  peinture  de  l'oratoire  avait 
péri  presque  aussitfjt  après  avoir  été  dégagée  des  ruines.  Quelques 
dessins  en  existent  à  Rome  (4),  et,  d'après  eux,  un  fac-similé  a 
paru  dans  la  vaste  publication  du  P.  Garrucci,  Sioria  delV  arte  cris- 

(1)  Ihdl.,  187G,  p.  73  —  L'iioniélie  de  saint  Grégoire  de  Nazianze  considère  le  vieil- 
lard Eléazar  comme  le  père  des  jeunes  martyrs,  ce  qui  n'est  pas  dit  dans  la  Bible, 
JI Macch.,  c.  VI  et  VII,  ni  dans  le  dé\eloppcment  oratoire  alliil)ué  à  lorl  à  Flavius 
Jo^cplie  et  dit  aussi  Vf' /t.  des  Macchabées. 

(2)  Saint  Xyste  III  terminait  le  liaplistère  du  Latcraii,  donnait  à  la  basilique  Libé- 
rienne, Sainte-.Marie-Majeure,  la  forme  qu'elle  conserve  aujourd'hui;  il  ajoutait  une 
seconde  basilique  à  la  basilique  constanlinienne  de  Saint-Laurent  hors  les  murs,  où 
i!  fut  enterré. 

(3)  Gioiici,  dans  ses  notes  du  MnrUjroloijc  d'Ado»,  p.  592,  signale  l'addition  àccrtains 
livres  liturgiques  (mss.  Vatic.  7016  et  4770)  d'un  office  de  sainte  Félicité  pour  le 
1"  aortt. 

(î)  In  notamment  est  conservé  ù  la  bibliothèque  du  Vatican,  un  autre  au  musée 
K  ircher. 


-  217  - 

tiana  (1).  Deux  lignes  du  martyrologe  me'trique,  rédige'  en  842  par 
le  moine  Wandelbert,  nous  fournissent  le  re'sumé  de  la  scène  et  nous 
serviraient,  au  besoin,  de  conclusion  : 

Tum  quoque  septena  genitrix  cum  proie,  beato 
PrœccUens,  radiât  Félicitas  aima,  triumpho. 

Mais  laissons,  en  finissant,  la  parole  à  M.  Aube'  :  «  Cette  sainte 
femme,  dit-il  (2),  dont  l'âme  est  pleine  en  quelque  sorte  du  Dieu  qu  elle 
invoque,  lequel  est  son  espoir,  son  refuge,  sa  force;  ses  encourage- 
ments à  ses  fils  au  pied  même  du  tribunal  et  à  la  face  du  juge  impuis- 
sant et  courroucé,  ces  mots  touchants  et  fermes  :  Portez  les  yeux  au 
ciel,  mes  enfants,  et  regardez  en  haut;  là  le  Christ  vous  attend  avec 
le  chœur  des  saints.  Combattez  pour  vos  âmes,  demeurez  fidèles  dans 
l'amour  du  Christ.  —  Ces  mots,  d'une  si  grande  hauteur  esthétique  et 
morale;  les  courtes  réponses  de  ses  fils  invincibles...  tout  cela  est  à  la 
fois  grand,  vrai,  pur,  authentique,  recueilli,  on  peut  le  dire,  des 
lèvres  mêmes  des  martyrs.  » 

(1)  T.  ni  (Prato,  1876),  pi.  cliv.  —  Nous  devons  à  un  amateur  d'être  à  même  de 
rectifier  la  fausse  indication  d'une  gravure  de  Marc-Antoine,  d'après  Rapliat'l,  qui 
aurait  pour  sujet  le  martyre  de  sainte  Félicité.  Cf.  Adam  B.vktsch,  le  Peintre  graveur 
(Vienne,  1813),  t. XIV,  p.  104,  n»  117  du  §  iv.  Cette  gravure  a  été  restituée  à  sa  véri- 
table signification,  à  savoir  la  mort  de  sainte  Cécile.  En  effet,  le  supplice  de  la  chau- 
dière ne  fut  jamais  assigné  à  sainte  Félicité  par  aucune  légende,  et  les  trois  têtes 
que  l'on  croyait  être  de  trois  de  ses  fils,  sont  celles  de  Valère,  Tiburce  et  Maxime. 
Un  exemplaire  appartenant  à  la  collection  Firmin  Didot  a  été  reproduit  dans  la 
Saillie  Cécile  de  DOM  Gui:i\.v\ger,  éd.  ill.,  p.  388.  Nous  avons  eu  occasion  de  voir  au 
cabinet  des  estampes  du  Musée  de  Dresde  un  dessin  original  de  la  même  œuvre; 
exécutée  en  peinture,  elle  faisait  partie  des  fresques  de  la  Magliana,  dont  le  musée 
du  Louvre  a  acquis  en  1873  les  derniers  débris.  Puisque  nous  avons  été  amené  à 
parler  d'art  moderne,  nous  mentionnerons  encore  la  frise  décorée  de  1855  à  1859  par 
Hippolyte  Flandrin,  dans  le  goiU  antique,  à  l'église  Saint-Vincent  de  Paul  à  Paris. 
Le  long  des  parois  supérieures  de  la  nef,  un  cortège  de  saints  est  en  marche  vers  le 
Christ  représenté  au  fond  de  l'abside.  Dans  la  partie  de  gauche  figure,  au  milieu 
des  martyrs,  sainte  Félicité  précédée  de  ses  sept  enfants. 

(2)  Loc.  cit.,  p.  458. 


APPENDICE 


EPITAPHES  DES  PAPES  DES  CINQ  PREMIERS  SIÈCLES 


Les  ténioi{]^nages  que  nous  avons  apporte's  plus  haut  (1)  de  la  venue 
de  saint  Pierre  à  Rome,  et  qui  se  rapportent  surtout  à  son  martyre  et 
à  sa  sépulture,  sont  majestueusement  résumés  dans  la  basilique  Vati- 
cane,  qui,  depuis  Constantin,  recouvre  son  tombeau.  Non  pas  que 
l'on  contemple,  dans  sa  forme  primitive,  cette  vénérable  construc- 
tion dont  l'histoire  est  inséparable  de  celle  de  l'Église  (2)  ;  mais, 
quelque  jugement  que  l'on  porte  sur  une  transformation  à  laquelle  le 
génie  de  Michel-Ange  n'est  pas  resté  étranger,  la  basilique  actuelle 
de  Saint-Pierre  de  Rome,  par  les  cendres  conservées  en  sa  mystérieuse 
confession  et  sous  sa  coupole  hardie,  comme  par  un  aimant  caché,  de- 
meure le  centre  d'attraction  de  notre  globe. 

Ce  tombeau,  d'ailleurs,  n'est  pas  isolé;  et  l'aspect  singulier  des 
nombreux  monuments  funéraires  qui  se  dressent  alentour  a  inspiré  un 
livre  non  moins  singulier,  les  Tombeaux  des  imiies  romains,  par 
Perd.  Gregorovius  (3),  qui  s'y  est  proposé  «  de  retracer  l'histoire  de 
la  papauté  comme  en  un  bas-relief-' .  Sans  prendre  toutes  ses  esquisses 
pour  des  portraits  définitifs,  on  se  plaira  à  reconnaître  à  son  œuvre 

(1)  V.  notre  première  partie,  p.  19  etsuiv. 

(2)  On  pourrait  aussi  dire,  de  celle  de  notre  pays.  Cf.  un  travail  curieux  de  M.  de 
Rossi  sur  le  tombeau  de  sainte  Pétronille  dans  une  chapelle  de  Saint-Pierre,  placée 
depuis  Pépin  le  Bref  sous  la  protection  des  rois  de  France,  Bull.,  1878,  p.  125,  et 
1879,  p.  5. 

(3)  Die  Grahnuilcr  dcr  riimischcn  Piipste,  hislorischc  Sluilie  (Leipzig,  F.  A.  Brockhaus, 
1857).  —  L'auteur  vient  d'en  faire  paraître  une  nouvelle  édition  à  la  même  librairie 
(1881)  sous  ce  titre  :  Die  Grabdcnl.miilcr  (1er  Piipste,  Marksteine  dfr  Geschichte  des  Papsttums. 


—  220  — 

une  vivacilc  dr  style  qu'il  n'est  pas  ordinaire  de  reneontrer  dans  les 
écrits  allemands,  même  comjmse's  en  Italie.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'au- 
teur, aujoui-d'Iuii  bien  connu  (1),  de  \ Histoire  de  Rome  au  moyen 
âge,  e'tablit  la  suite  des  sépultures  pontificales  à  partir  du  sixième 
siècle,  et  là  où  le  monument  fait  défaut,  il  relate  l'e'pitaphe,  lorsqu'il 
a  pu  la  retrouver  dans  les  livres  (2).  11  nous  a  semblé  intéressant 
de  gi'oupcr  les  matériaux  destinés  à  composer  une  liste  semblable, 
autant  que  le  permettent  les  découvertes  archéologiques,  en  ce  qui 
concerne  les  cinq  premiers  siècles. 

La  Roma  sotterranea  de  INI.  de  Rossi  nous  rend  les  tombeaux  des 
papes  qui  reposèrent  dans  les  cimetières  hors  de  la  ville.  Plus  ancien 
que  la  i)lupart  de  ces  cimetières  est  Tliypogée  du  Vatican,  où  les 
successeurs  immédiats  de  saint  Pierre  furent  déposés  près  de  lui, 
ainsi  qu'en  font  foi  les  itinéraires  des  pèlerins,  si  utiles  pour  reconsti- 
tuer la  topographie  des  lieux  qu'ils  visitaient  :  Petnis  in  occidentali 
parte civilatis  juxta  viam  Corneliam  ad miliarium primum  incorpore 
rcqiiiescitj,  et  jmntificalis  ordo,  excepto  numéro  pauco,  in  eodem  loco 
in  tumbisjn-opriis  requiescit.  Et  ici  il  n'y  a  pas  de  confusion  possible, 
car  ils  savaient  toujours  distinguer  la  crypte,  juxta  corpus  heati 
Pétri,  du  poitique  extérieur  où  l'on  rangea  les  sarcophages  des  papes 
du  cinquième  siècle,  apud  basilicam  heati  Pétri.  Cette  crypte,  qui 
existe  encore  et  forme  l'église  souterraine,  avait  ce])endant  été  boule- 
versée lorsqu'on  jeta  les  fondements  de  l'édifice  actuel  au  seizième 
siècle,  et  quand,  au  dix-septième,  sous  Urbain  VIII,  on  posa  le  sou- 
bassement du  gigantesque  baldaquin  de  bronze,  on  i-encontra  [du- 
sieurs  corps  dans  des  sarcophages.  Torrigio,  témoin  oculaire,  rapporte 
que  sur  l'un  de  ceux-ci  était  écrit  un  simple  nutt:  Linus{S).  M.  de 

(1)  .1.  .1.  Ampèrk  présentait  pour  la  première  fois  chez  nous  Gréiyuroviiis,  en  le 
qualifiant  justement  '  d'homme  de  talent,  de  savoir  et  d'imagination  ,  p.  46  de 
l'Introduction  à  la  traduction  française  (Paris,  Michel  I.évy,  1859). 

(2)  Kncoi'c  dans  la  traduction  italienne  (Uoma,  fratelli  Rocca,  1879),  revue  par 
l'auteur,  celui-ci  disait,  p.  17,  en  note  :  «  Lascio  da  parle  l'epoca  délie  calacomhc, 
coMiincio  la  série  délie  iscrizioni  sloriclic  soltanfo  col  sccolo  seslo.  •  Dans  l'édition 
allemande  de  1881,  les  premiers  papes  ont  clé  ajoutes  à  la  liste  finale. 

(3)  Sagre  tjrolle  iaticanc,  p.  Cl.  —  Si;\T.i\\N(>  mentionne  :  t'na  lavola  cou  l'iscri- 
zione  s.  Linus  ",  mais  cette  manière  de  parler  ne  suffit  pas  pour  détruire  le  lémoi- 
{jnage  de  Tonnicio,  qu'elle  conircdirail  en  deux  points,  (f.  /!ul/..  ISGi,  \^.  50. 


,'\N,Ci[ENNp    BASILIQUE   CONS  TANTINIEXNE    DE    SAIM-PIEP.RE 
D'après  nue  fresque  de  l'ésUse  Sun  KJariino  ai  Jifonii, 


Dessin  de  Vidllet-le-Duj^  re^n'oiluit  dans  la  Home  de  Francis  Wëv. 


—  223   - 

Rossi  fait  remarquer  que  le  nom  est  Irés-rare  dans  l'e'pigraphie,  que 
l'emploi  d'un  sarcopha{je  e'tait  plus  fre'quent  à  l'origine  pour  une 
tombe  de  distinction,  qu'enfin  le  laconisme  même  de  l'inscription  parle 
en  faveur  de  son  antiquité'.  «  Comment  donc  croire,  dit-il,  que  ce 
nom,  dont  les  onze  mille  inscriptions  chre'liennes  de  Rome  pendant 
les  six  premiers  siècles  n'offrent  pour  ainsi  dire  pas  d'exemple ,  ait 
apparu,  par  un  pur  effet  du  hasard,  pre'cise'ment  là  où  la  notice  bio- 
graphique du  pape  saint  Linus  nous  enseigne  qu'il  fut  enterre'?  " 
Benoît  Drei,  employé  de  la  basilique  Vaticane  et  te'moin,  lui  aussi,  de 
la  découverte,  dessinant  en  1G35  le  plan  de  la  crypte,  nota  le  point 
précis  où  fut  trouvé  le  sarcophage.  Il  esta  penser  que  des  fouilles  en 
cet  endroit  le  mettraient  à  jour  avec  ceux  des  autres  papes,  pour  les- 
quels le  Liber ^^onti/icalis  hn\'K[\ie  la  même  sépulture;  car,  si  les  dires 
des  pèlerins,  qui  avaient  vu  la  chambre  papale  du  cimetière  de  Cal- 
liste  sur  la  voie  Appienne,  ont  reçu  de  nos  jours  la  plus  entière  con- 
firmation, pourquoi  seraient-ils  déuientis  quand  ils  ne  sont  pas  moins 
affirmatifs  pour  la  crypte  du  Vatican  (1)  ? 

Une  inscription,  qui  existe  encore  dans  cette  crypte,  fournit  des 
renseignements  sur  les  travaux  importants  dont  la  colline  voisine  fut 
l'objet  dès  le  quatrième  siècle  : 

Cingebant  laticcs  moiilem,  teneroque  meatu 
Corpora  multorum,  cincres  atque  ossa  rigabant. 
Non  tulit  hoc  Damasus,  comiiiuni  legc  sepultos 
Post  requiem  tristes  iterum  persolvcre  pœnas. 
Protimis  adgressus  magnum  superare  laborem, 
Aggeris  inimensi  dejecit  culmina  montis. 
Intima  sollicite  scrutatus  visccra  terrae, 
Siccavit  totum  ([uidquid  madefecerat  humer  : 
Invcnit  fontcm  prœbet  qui  dona  salutis. 
Hi-BC  curavit  Mercurius  levita  (îdelis. 

En  effet,  le  pape  saint  Damase  se  servit  de  cette  source  pour  ali- 

(1)  Il  est  de  bon  ton  chez  certains  historiens  allemands  d'ignorer  ou  de  travestir 

les  monuments  chrétiens  de  Rome.  F.  GÔRHES,  Zcitschriftfûr  iclsscnschaftlichc  Théologie, 
1877,  p.  242,  à  propos  des  épitaphes  de  deux  papes,  place  le  cimetière  de  Calliste  zu 
S.  Gallist  in  Transtcicre,  comme  si,  pour  Paris  par  exemple,  on  transportait  les  sou- 
terrains d'Arcueil  à  Auteuil.  V.  au  sujet  des  ârchœologischc  Studien  iibcr  altchristlichc  Mo- 
immciUe  de  V.  SciiCLTZE  (Vienne,  1880 J,  !e  Bulklm  crtiiquc  du  15  oct.  1880,  p.  203. 


—  221   — 


nieiiler  le  liaplislèrc  qu'il  fit  construire,  cl  au-dessus  de  rcnlrce  du(jiicl 
il  fit  écrire  (Ij  : 

Non  li.i'C  liumanis  opibus,  non  arte  magislra, 


Scd  priPSlanto  Pctro,  cui  iradila  janua  cœli  est, 
Anlistcs  Clirisli  coinposuil  Daniasus. 

L'na  rclii  srilcs,  uniiiii  vcriiniquc  lavaciiiin  : 
Vinciila  niilla  Icncnl  {qiicni  liquor  istc  hu-at). 


Le  deinier  distique  nous  arrêtera  un  instant  par  son  allusion  à  un 
monument  qui  se  l'attache  à  la  mcmoii  e  de  saint  Piei're.  I^' église  de 
Rome  est  une  de  celles  dont  pailait  Tertiillien  (2),  «  où  président 
encore,  et  dans  les  mêmes  jilaces,  les  chaires  des  Apôtres  i'.  Son 
calendrier  primitif  marque  au  22  février  une  fête  dont  l'origine  re- 
monte aussi  haut  que  celle  de  INoOl,  le  Natale  Pctri  de  cathedra  (3). 
Ce  joui-là,  de  temps  immémorial,  comme  au  jour  de  leur  introni- 
sation, il  était  d'usa(je  que  les  papes  s'assissent  sur  un  siège  présen- 
tement conservé  au  fond  de  l'abside  de  la  basilique  Vaticane.  Il  fut 
sorti,  en  1807,  de  l'enveloppe  de  bronze  dans  laquelle  il  était  enfermé 
depuis  deux  siècles  (4),  et  Ton  put  observer  alors,  d'une  part,  sur 
des  revêtements  de  bois  d'acacia ,  des  aj)plications  d'ivoire  dont  les 
plus  modernes  sont  de  l'époque  de  Charlemagne;  de  l'autre,  des  mon- 
tants verticaux  et  horizontaux  en  chêne  clair,  rongés  par  la  vétusté 
ou  tailladés  à  dessein,  mais  nus  et  munis  seulement  de  quatre  an- 
neaux. Cette  seconde  partie  de  la  chaire,  incontestablement  la  plus 
ancienne,  correspond  exactement  à  la  description  qu'en  faisait  en  501 
Kiinodius  de  Pavie,  alors  qu'il  la  voyait  servir  à  administrer  la  con- 
firmation immédiatement  après  le  baptême  (5).  Nous  savons  qu'elle 

(1)  L'inscription  est  incomplète,  la  fin  a  été  suppléée  par  M.  de  Rossi,  Bull.,  1877, 
p.  9.  Cf.  pour  !:i  précédente,  ihid.,  pi.  iii-iv. 

(2;  De  prœ'.cript.,  c.  xvwi  :  l'erciirrc  ccclcsias  apostolicas,  apnd  qnas  ips.r  adhuc 
cjtliedr?e  apostoloriiin  suis  l.xis  pracsident...  si  Itali.r  adjaccs,  liabes  l{omam. 

'3)  r,i  iNAUT  (éd.  de  r.alisbonnc),  p.  C31. 

(i)  n  avait  été  décrit  cii  lOGti  par  I'ii(H:nri  s,  et  fut  examiné  A  nouveau  par  M  nr, 
RO.SSI.  Cf.  //«//.,  1867,  p.  ,'Jî-i2,  d'où  les  détails  suivants  sont  lires. 

(5)  Ecce  nunc  ad  (jcsiaioriam  scllam  apostolicac  confessionis  uda   millunl   liniina 


—  225   — 

était  dans  le  baptistère  depuis  le  pape  saint  Damase;  l'épitaphe  de  son 
successeur,  qui  sera  reproduite  plus  tard  en  entier,  reçoit  de  ce  fait 
une  explication  naturelle  : 

Fonte  sacro  magnus  meruit  sedere  sacerdos. 

Un  Africain  contemporain,  saint  Optât  de  Milève(l),  e'crivant 
contre  les  donatistes  vers  372,  leur  demande  où  sie'ge  leur  e'vêque  : 
Numquid potest  dicere  in  cathedra  Pétri,  quam  nescio  si  vel  oculis 
novitj  et  ad  cujus  memoriam  non  accedit  quasi  schismaticus  ?  Enfin, 
l'auteur  romain  du  poëme  contre  Marcion,  ante'rieur  à  la  dernière  per- 
se'cution,  et  qui  rejoint  presque  Tertullien  à  qui  le  poëme  a  e'te'  attri- 
bue', place  dans  cette  chaire,  non-seulement  Temblème,  mais  encore  la 
réalité'  de  la  succession  pontificale  (2)  : 

Hac  cathedra,  Petrus  qua  sederat  ipse,  locatum 
Maxima  Roma  Linum  primum  considère  jussit. 


Constabat  pietate  vigens  Ecclcsia  Romœ 
Composita  a  Petro,  cujus  successor  et  ipse 
Jamque  loconono  cathedram  suscepit  Hyginus. 

Pendant  les  persécutions,  le  souvenir  d'une  chaire  où  saint  Pierre 
s'e'tait  assis,  se  conservait  dans  la  plus  ancienne  peut-être  des  cata- 
combes de  Rome,  le  cimetière  Ostrien,  situe'  entre  la  voie  Salaria  et  la 
voie  Nomentane.  A  cet  endroit,  de'sig^né  aussi  par  l'antique  appellation 
ad  nymphas  S.  Pétri  ou  ubi  Petrus  baptizabatj  un  hypoge'e,  décrit 
jadis  par  Bosio,  a  été  récemment  retrouvé  par  M.  Mariano  Armellini, 
qui  y  a  déchiffré  les  restes  d'une  inscription  peinte  en  rouge  sur  le 

stuc  (3)  : 

SANC  PET(ri)  (san)C  EMERENTANE. 


candidates;  et  uberibiis,  gaudio  exactore,  fletibus  collata  Dei  beneficio  dona  gemi- 
nantur. 

(1)  Ad  Parmenian.,  1.  II,  c.  IV. 

(2)  Liv.  m,  V.  275  et  S. 

(3)  Scoperla  délia  cripta  di  S.  Emcrenziana  e  di  una  memoria  relaliva  alla  catledra  di  S.  Pic 
tro  nel  cemclero  Oslriano  (Rome,  1877). 

15 


220  — 


Dans  la  liste  des  huiles  de  l'abbé  Jean,  ce  sanctuaire  fi(;ure  avec  la 
mention  suivante (1)  :  ...oleodesede  ubiprius  sedit sanctus Peints.  Ce- 
pendant, l'auteur  d'un  roman  e'bionite  syrien  du  troisième  siècle,  qui 
prend  le  nom  de  saint  Clément,  raconte  dans  sa  lettre-préface  à  saint 
Jacques  que  saint  Pierre  l'installa  lui-même  dans  sa  chaire,  et  le  sa- 
vant professeur  Lipsius  (2)  prétend  sérieusement  renfermer  dans  cette 
allégation  l'origine  de  toute  la  tradition  relative  à  l'épiscopat  romain 
de  saint  Pierre  (3).  Pour  nous,  nous  n'y  trouvons  qu'une  nouvelle 
preuve  de  la  croyance  générale  à  l'existence  d'un  monument  de  ce 
genre  dans  TÉgUse  de  Rome. 

Nous  avons  déjà  vu  (4)  que  saint  Zéphyrin  fut  le  premier  à  renoncer 
à  l'hypogée  de  la  voie  Cornelia  comme  lieu  de  sépulture,  et  qu'après 
ses  dix-neuf  années  de  pontificat,  il  fut  enterré  à  la  métropole  de  la 
voie  Appienne,  qui  ensuite  obtint  la  plupart  des  tombeaux  de  ses  suc- 
cesseurs pendant  le  troisième  siècle,  on  se  rappelle  par  suite  de  quelles 
circonstances.  Il  semble  que  ce  soit  à  lui  que  se  rapporte  un  vers  de 
l'inscription  damasienue  retrouvée  en  une  centaine  de  fragments  dans 
la  chambre  dite  des  Papes,  et  relative  aux  différents  souvenirs  du  ci- 
metière de  Calliste  : 


Hic  congesta  jacel  qua;ris  si  lurba  piorum  : 
Corpora  sanctoruiii  retinent  vcacranda  scpulcra, 
Sublimes  animas  rapuit  sibi  rcgia  cœli. 
Hic  comités  Xysli  portant  qui  ex  hostc  tropa-a  ; 
Hic  numerus  procerum  servat  qui  altaria  XPl; 
Hic  ]}osilus  longa  vixit  qui  in  pace  sacerdos  ; 


(1)  RciNAUT  (éd.  de  Ualisbonne),  p.  G35. 

(2)  Chronologie  dcr  romischfn  IJischo/c  bis  ~ur  Mille  des  vicrlcn  Jahrhunderls  (Riel,  1869), 
p.  167. 

(3)  Il  s'agit  des  Hccounaissanccs  qui,  traduites  en  latin  par  Rliin,  n'étaient  pas 
écrites  en  grec  avant  Tertullien.  Elles  n'ont  rien  de  commun  avec  la  légende  ro- 
maine de  Simon  le  magicien,  dont  le  plus  ancien  témoin  est  l'auteur  des  Philusoplm- 
mcna,  vcrs  le  second  quart  du  troisième  siècle.  Quant  à  saint  .Justin,  qui,  c(>nq)a- 
Iriote  de  Simon,  connaissait  pertinemment  son  histoire,  il  ne  parle  ni  de  saint  l'aul 
ni  de  saint  Pierre,  ni  de  saint  Clément;  on  vient  de  trouver  à  Rome  un  troisième 
exemple  de  l'in-scription  qu'il  cite  dans  la  1"  Apoloijic,  c.  xxvi,  et  qu'il  lui  attribuait 
par  erreur.  V.  la  planche  du  fasc.  3-4  des  Siudi  c  Documcnti  di  sioria  e  diriiio,  1881,  et  la 
note  du  chev.  Visconti. 

(4)  V.  notre  troisième  partie,  p.  li>G. 


Intp.LeintPcici»  &  C"  Pans 


—  227   — 

Hic  confossoros  saiicti  quos  Grœcia  niisit  ; 
Hic  juvcncs  pucri((uc,  scncs  casliquc  ncpotcs 
Quels  mage  virgiiicuin  placuil  rclincrc  pudoreni; 
Hic,  fateor  Damasus,  volui  mea  conderc  menibra, 
Sed  cineres  timui  sanctos  vexarc  piorum. 

Ses  restes  devaient  être  de'pose's  dans  un  sarcophage  qui  a  pe'ri.  11 
existe  une  partie  de  la  pierre  qui  fermait  à  plat  la  tombe  de  saint  Ur- 
bain ;  on  y  lit  :  OïPIiANOG  E^TUGy.or.oç).  Les  autres  épitaplics,  ainsi  que 
les  corps,  onte'té  e'tagés  le  long  des  parois  delà  crypte  :  ANTEPQC-  Efll 
—  tDABIANOC-  Eni  •  MP.  Ces  deux  dernières  lettres  sont  d'une  écri- 
ture poste'rieure.  Pour  le  pape  suivant,  il  repose  un  peu  plus  loin, 
dans  une  se'pulture  de  famille  ;  son  inscription  est  latine,  tandis  que  la 
langue  officielle  de  l'Eglise  romaine  e'tait  encore  la  langue  grecque  : 
CORISELIVS  •  MARTYR  EP.  Après  lui,  la  chambre  des  papes  : 
AOYKIC,  puis  à  un  assez  long  intervalle  :  EÏTrXÏANOG  •  EniG. 

A  cette  pe'riode  appartient  saint  Sixte  II,  dont  la  chaire  se  con- 
servait là,  quoique  son  martyre  eût  eu  lieu  au  cimetière  de  Pre'textat, 
de  l'autre  côte'  de  la  voie  Ai)pienne  ;  on  a  son  e'ioge  damasieu  : 

Tempore  quo  gladius  sccuit  pia  viscera  Matris, 
Hic  posilus  rector  cœleslia  jussa  docebani; 
Advcniunt  subito,  rapiunt  qui  forte  scdentcin 
Militibus  niissis  populi  tune  colla  dedere. 
Mox  sibi  cognovit  senior  ([uis  toUere  vellet 
Palinam,  seque  suumquc  caputprior  obtulit  ipse, 
Impatiens  feritas  posset  ne  hïdere  quemquam. 
Ostendit  Christus,  reddit  qui  prjemia  vitîB, 
Pastois  merituni;  numcrum  gregis  ipse  tuelur. 

Dans  une  partie  diffe'reute  du  cimetière  de  Calliste,  on  a  retrouve 
l'épitaphe  de  saint  Gaïus  : 

VOLIOY     Ellïcx  • 

*  KAT  * 

IlPo     i    KAA  •  MAIiiv 

Ses  deux  successeurs,  sous  la  persécution  de  Dioctétien,  furent  eu- 

15. 


—  228   — 

terrés  au  cimetière  de  Priscille,  qui  n'avait  pas  e'té  confisqué.  Voici 
l'éloge  damasien  de  saint  Marcel  : 

Veridicus  rector  quia  crimina  Acre 
Praedixit,  miseris  fuit  omnibus  hostis  amarus. 
Hinc  furor,  hinc  odiuin  sequitur,  discordia,  lites, 
Seditio,  cœdcs;  solvunlur  fœdera  pacis. 
Crimen  ob  alterius  Christuui  qui  in  pacc  negavit, 
Finibus  expulsus  patriœ  est  fcritate  tyranni. 
Hîec  brevitcr  Damasus  voluit  comperta  referre, 
Marcelli  ut  populus  meritum  cognoscere  posset. 

Saint  Eusèbe,  mort  en  exil,  fut  transporté  dans  une  crypte  à  part 
du  cimetière  de  Calliste.  Son  inscription  existe  en  double  exemplaire. 
De  l'original,  il  reste  quelques  fragments  échappés  à  la  dévastation 
des  catacombes  par  les  barbares  qui  assiégèrent  Rome,  et  elle  fut  re- 
faite sur  le  revers  d'un  marbre  païen  : 


I>  DAMASUS  EPISCOPUS  FECIT  „ 

A  R 

H  I 

A  Heraclius  vetuit  lapsos  peccati  dolore,  " 

•  D 

p  Eusebius  docuit  sua  crimina  flere  :  • 

'  l 

A  Scinditur  in  partes  populus  gliscente  furore,  J 

u  Seditio,  caîdes,  bellum,  discordia,  litcs.  ^ 

L  F 

T  I 

o  Extemplo  pari  ter  pulsi  feritate  tyranni.  '' 

c 

^  Integra  cum  rector  servaret  fœdera  i)acis,  i, 

Q  " 

u  s 

■  Pertuiit  exsilium  Domino  subjudice  lœtus.  s 

G 
A  R 

"  LittoreTrinacrioniundum  vilamquereliquit.  ' 

T  s 

o  I 

a  EUSEBIO  EPISCOPO   ET   MARTYUI  t  (l) 


(1)  On  a  retrouvé  dans  ces  catacombes  le  couvercle  d'un  immense  sarcopliaj^c  qui 
n'a  pu  Cire  descendu  sous  terre  que  depuis  la  paix  de  l'Église  :  condition  qui  con- 
vient à  la  sépulture  du  pape  saint  Miltiacle.  rostérieureuieut ,  on  recouinicnça  à 
enterrer  à  la  surface  du  sole 


—  229  — 

Les  colonnes  late'iales  nous  donnent  le  nom  du  calligraphe  Furius 
Dionysius  Pliiloealus,  auteur  du  type  particulier  d'alphabet  connu 
sous  le  nom  de  damasien,  parce  qu'il  le  consacra  aux  inscriptions  que 
multipliait  le  pape  son  ami.  Quant  à  saint  Damase,  qui  fit  tant  pour 
sauver  de  l'oubli  les  tombeaux  des  autres,  on  n'a  pu  encore  de'couvrir 
le  sien  (1). 

Il  avait  composé  lui-même  son  e'pitaphe  : 

Qui  gradiens  pelagi  fluctus  compressit  amaros; 
Vivere  qui  praestat  morientia  semina  tcrrae; 
Solvere  qui  potuit  Lazaro  sua  vincula  niortis,          * 
Post  tenebras  fratrcm,  post  tertia  luniina  solis, 
Ad  superos  iterum  Mariae  donare  sorori  : 
Post  cineres  Damasum  faciet  quia  surgere,  credo. 

Celle  de  saint  Siricius,  qui  ne  nous  est  aussi  parvenue  que  dans  les 
manuscrits,  paraît  avoir  subi  de  graves  alte'rations  : 

Liberium  lector  mox  et  levita  secutus, 
Post  Damasum  clarus  totos  quos  vixit  in  annos, 
Fonte  sacro  magnus  meruit  sedere  sacerdos, 
Cunctis  ut  populis  pacem  tune  solidam  daret. 
«  Hic  pius,  hic  justus  felicia  tempora  fecit; 

Dcfensor  magnus,  multos  ut  nobilis  ausus 
Régi  sublrahcret  ecclesi.ie  aula  defendens, 
Misericors,  largus,  meruit  per  srecula  nomen. 
Ter  quinos  populum  qui  rexit  in  annos  amore 
Nunc  requiem  sentit  cœlestia  régna  potitus. 

Dans  la  basilique  construite  au-dessus  du  cimetière  de  Priscille  se 
trouvait,  comme  la  pre'cédente,  l'inscription  de  saint  Célestin  (2)  : 


(1)  Il  est  incertain  si  l'inscription  damasienne  commençant  ainsi  :  ...vitafuit  Marci 
quam  novimus  omnes,  appartient  au  pape  saint  Marc,  qui  fut  enterré  sur  la  voie  Ardéa- 
tine.  C'est  é{T;aIement  de  ce  côté  que  saint  Damase  choisit  l'endroit  de  sa  sépulture. 

(2)  Avant  ce  pape  se  place  saint  Zozime,  dont  le  pontificat  dura  moins  de  deux 
ans,  et  qui  mourut  au  temps  de  Noël  et  fut  enterré  dans  la  basilique  de  Saint-Lau- 
rent hors  les  murs.  M.  de  Rossi  vient  de  reconstituer  son  inscription,  Bull.,  1881, 
p.  93  : 

Discere  si  merens  patris  meritum  cupis  almi 
Hune  Petrus  Zosimum  vcrum  secum  ei  sociavit. 
Somnio  praecessis  dénis  vix  raensibus  anno 
Natali  venerando  advenienteque  sacrato 
Laetitiae  populo  ferias  concédera  jussit. 


—  230   — 

Pijpsul  apostolicu'  sodis,  vcncrabilis  omni 
Ouem  rcxit  populo,  decimum  dum  condcrot  annum 
Cœlcslinus  affcns,  vilam  miffravil  in  illam, 
Débita  (iinr  sanclis  iPlcrnos  rcddil  honores. 
Corporis  hic  luniulus  :  rc:|uicscunl  ossa  cinisquc, 
Ncc  périt  hinc  oliquid,  Domino  caro  cuncla  resurgit. 
Terrenum  nunc  terra  régit,  mens  neseia  niortis 
Vivit,  et  aspectu  fruitur  bcne  conscia  XPI. 

Saint  Léon  le  Grand  renouvela  la  tradition,  maintenue  dans  la  suite 
par  l'immense  majorité'  des  papes  (1),  de  se  rapprocher  du  tombeau  du 

prince  des  A])ôtres.  Seulement,  les  se'pulturcs  l'urent  de'sormais  re'srr- 
vées  à  l'atrium  qui  précédait  la  basilique  constantinienue  de  Saint- 
Pierre.  C'est  ce  dont  témoigner  épi  tai)he  de  saint  Anastase  II  : 

Limina  nunc  scrvo,  Icnui  qui  culmina  scdis; 

Ilic  merui  tuniulum  pr.TSul  Anastasius. 
Prcsbytero  genitus,  delegi  dogmata  vitap, 

MiliticTqucDci  natus  in  officiis, 
Pontificum  casto  famulatus  pcctore  jussis, 

Obtinui  magnum  nomen  apostolicum. 

Ici  nous  devons  nous  arrêter.  Avec  saint  Félix  IV,  nous  rejoijjnons 
Gregorovius,  qui  commence  sa  liste  par  l'épitaphe  de  ce  pape,  sans 
donner  toutefois  celle  de  son  successeur  Boniface  II,  laquelle,  d'ail- 
leurs, étant  datée,  a  trouvé  place  au  n"  1020 du  tome  I"  des  Inscrij- 
tiones  christ  ianœ  de  M.  de  Rossi  (2).  Il  y  aurait  plus  d'une  auti(>  omis- 
sion à  signaler.  iNotons  seulement  une  erreur  de  l'historien  allemand, 
lorsqu'il  indique  le  })a])e  Vigile  comme  enterre'  à  Saint-Pierre;  il 
voulut  être  enterré  au  cimetière  de  Priscille,  auprès  de  saint  Marcel, 
dont  îl  transporta  sans  doute  le  tond)eau  de  la  crypte  à  la  basilique 
supérieure  (3).  11  nous  sera  permis  d'ajouter  un  renseignement  com- 
])lémenlaire,  qu'ont  négligé  les  éditeurs  italiens,  ou  qui  leur  avait 


(1)  Saint  Félix  ni  eut  son  tombeau  à  Saint-Paul  hors  les  murs,  où  était  enterrée 
sa  famille.  On  a  l'inscription  de  son  père,  de  sa  femme  et  de  ses  trois  enfants  morts 
lorsqu'il  était  diacre. 

(2)  Les  inscriptions  données  ci-dessns  seront  éditfes  avec  tout  le  soin  désirable 
par  l'illustre  an  liéoioyue  dans  son  tomeU. 

(3)  llull.,  1«80,  p.  M, 


—  231  — 

échappé  (1)  malgré  le  millésime  de  mars  1879.  L'Osservatorc  ro- 
mano  du  17  février  1878  a  publié  l'extrait  suivant  du  testament  de 
Pie  IX  :  'i  jMon  corps  devenu  cadavre  sera  enseveli  dans  l'église  de 
Saint-Laurent  hors  les  murs,  précisément  sous  le  petit  arc  (2)  existant 
à  la  hauteur  de  la  pierre,  appelée  gril,  où  apparaissent  encore  les 
taches  imprimées  par  le  martyre  de  Tillustre  lévite.  La  dépense  du 
monument  ne  devra  pas  excéder  quatre  cents  écus.  v  Voici,  telle  que 
ce  pape  de  glorieuse  mémoire  l'avait  rédigée  lui-même,  son  épi- 
taphe  (3)  : 

OSSA      ET      CIPsERES 
PII      PAPAE      IX 


VIXIT    A   LXXXV    IN    POiMlF     A    XXXI    INI  VU    D    XXI 
ORATE      PRO      EO 


(1)  Cf.  cette  édition,  p.  191,  et  la  deuxième  édition  allemande,  p.  186. 

(2)  A  droite  et  à  sauche  de  ce  petit  arc,  il  en  existe  deux  autres  ;  tous  trois  avaient 
servi  de  sépulture  à  un  pape  :  celui  de  droite  à  saint  Hilaire,  celui  de  gauche  à  saint 
Zozime,  celui  du  milieu  à  saint  Sixte  III.  On  a  retrouvé  les  débris  du  sarcophage  de 
ce  dernier  en  creusant  le  tombeau  du  pontife  défunt. 

(3)  Depuis  que  nous  écrivions  ces  lignes,  la  translation  des  restes  de  Pie  IX  à  leur 
sépulture  définitive  a  eu  lieu  dans  la  nuit  du  12  au  13  juillet  1881. 


LISTE    DES    PAPES 

DE    SAINT    PIERRE    A    SAINT    FÉLIX    IV 


NOMS, 


S.  Pierre 

S.  Lin- 

S.  Clet 

S.  Anaclet .... 
S.  Clément  .... 
S.  ÉVARISTE  . . . 
S.  ALE.XANDRE.  . 

S.  Sixte  I 

S.  TÉLESPHORE  . 

S.  Hygin 

s.  Pie  I 

S.  AXICET 

s.  SOTER 

S.  ÉLEUTHÈRE  .. 

S.  Victor 

*S.  ZÉPHYRIN  (1). 

s.  Calliste 

*S.  Urbain 

S.  PONTIEN 

*S.  Anteros 

*S   Fabiex 

*S.  CORNELIUS..  . 

*S.  Lucius 

s.  ETIENNE 

*S.  Sixte  II.... 

S.  Denys 

S.  FÉLIX  I 

*S.  EUTYCIIIEN.  .  . 

*S.  Gaïus 

S.  Marcellin  . . 

*S.  Marcel 

*S.  Eusèbe  

*S.  Miltiade 


AVÈNEMENT. 

MORT. 

SÉPULTURE. 

42 

67 

A  l'hypogée  du  Vatican. 

67 

79 

Auprèsducorpsdes.  Pierre. 

79 

85 

Ibid. 

85 

93 

Ibid. 

93  —  (eiil)    97 

101 

En  Crimée. 

97 

105 

Auprès  du  corps  de  s.  Pierre. 

105 

115 

Ibid. 

115 

126 

Ibid. 

126 

136 

Ibid. 

136 

139 

Ibid. 

139 

154 

Ibid. 

15i 

166 

Ibid. 

166 

175 

Ibid. 

175 

189 

Ibid. 

189 

198 

Ibid. 

198 

217 

Au  cimetière  de  Callistc, 
chambre  des  papes. 

217 

222 

Au  cimetière  de  Calépode. 

222 

230 

Au  cimetière  de  Calliste. 

230 

—  (déin.)28sept.  235 

30  OCt.  235 

En  Sardaigne. 

((lép.)13  août  237 

Au  cimetière  de  Calliste. 

21  nov.  235 

3  janv.  236 

Ibid. 

236 

20 janv.  250 

Ibid. 

mars  251 

juin  253 

Ibid.,  in  prwdio  Liichiœ. 

juill.  253 

5  mars  254 

Ibid.,  chambre  des  papes. 

25Î 

2  août  257 

Ibid. 

257 

6  août  258 

Ibid. 

22  juill.  259 

27    déc.  259 

Ibid. 

5  janv,  270 

30   déc.  27Î 

Ibid. 

275 

8   déc.  283 

Ibid. 

17  déc.  283 

22  avril  296 

Ibid.,  in  crijpta. 

30  juin  296 

26  avril  30  î 

Au  cimetière  de  Priscille, 

in  cubiculo  ctaro. 

fin  mai  307 

16  janv.  .300 

Ibid. 

1 8  avril  309 

17  août  309 

En  Sicile. 

(dép.)26scpt.  311 

Au  cim.  de  Calliste,  in  crypta 

2  juill.  310 

lOjanv.  314 

Ibid. 

(1)  Les  noms  précédés  d'un  *  soxxi  ceux  qui  se  Irouveut  mentionnés  dans  l'Appendice. 


NOMS. 

AVÈNEMENT. 

MORT. 

SÉPULTURE. 

S.  SlLVESTRE 

31 janv.  314 

31   déc.    335 

Au  cimetière  de  Priscille, 

i?i  basilica. 

*S.  Marc 

ISjanv.  336 

7    OCt.   336 

Au  cim.  deBalbinc,  in  basi- 
lica qua/n  cœmeterium  con- 

• 

stituit. 

S.  Jules 

6  févr.  337 

12  avril  352 

Aucim.deCalépode,  in  basi- 
lica ad  Callistum. 

S.  Libère 

17  mai  352 

24  sept.  366 

Au  cim.  de  Priscille,  in  ba- 
silica ? 

FÉLIX  II 

3Ô5— (eip.)29juill.  358 

11  nov.  365 
(dép.)22  déc.  365 

In  oppido  civitatis  Romœ? 
Sur  la  voie  Aurélia,  in  ba- 

silica. 

*S.  Damase 

366 

10  déc.  384 

Au  cim.  de  son  nom,  in  ba- 
silica. 

*S.  SiRICIUS 

déc.  384 

26  nov.  398 

Au  cim.  de  Priscine,  in  ba- 
silica. 

s.  Anastase  I 

déc.  398 

20  déc.  401 

Sur  la  voie  Portuensis,  ad 
usurn  pileatutn. 

s.  Innocent  I 

402 

12  mars  417 

Ibid. 

*S.  ZOZIME 

18  mars  417 

26  déc.  418 

Auprès  du  corps  de  s.  Lau- 
rent, in  basilica. 

s.  BONIFACE   I 

29  déc.  418 

4  sept.  422 

Auprès  du  corps  de  sainte 
Félicité,  in  basilica. 

*S.  CÉLESTIN  I 

10  sept.  422 

27  juin.  432 

Au  cim.  de  Priscille,  in  ba- 
silica. 

*S.  Sixte  III 

31  juin.  432 

19  août  440 

Auprès  du  corps  de  s.  Lau- 
rent, in  basilica. 

S.  LÉON  I  le  Grand.. 

29  sept.  440 

10  nov.  461 

Dans  la  basilique  de  saint 
Pierre,  in  poriicu. 

*S.  HiLAIRE 

19  nov.  461 

29  févr.  468 

Auprès  du  corps  de  s.  Lau- 
rent, in  basilica. 

s.  SiMPLICIUS 

3  mars  468 

10  mars  483 

Dans  la  basilique  de  saint 
Pierre,  in  porticu. 

*S.  FÉLIX  III 

13  mars  483 

l"mars  492 

Dans  la  basilique  de  s.  Paul, 
hors  les  murs. 

s.  GÉLASE  

8  mars  492 

21  nov.  496 

Dans  la  basilique  de  saint 
Pierre,  in  porticu. 

*S.  Anastase  II 

24  nov.  496 

19  nov.  498 

Ibid. 

S.  Symmaque 

22  nov.  498 

19  juin.  514 

Ibid. 

S.  HORMISDAS 

20juill.  514 

6  aoiU  523 

Ibid. 

S.  Jean  I 

13  août  523 
12  juin.  526 

gie,  jusqu'en  230,  ne  rep 

18  mai  526 

19  sept.  530 

ose  pas  sur  des  ch 

Ibid. 
Ibid. 

iffres  certains,  mais  probables 

S.  FÉLIX  IV 

:V.  B.  —  La  chronolo 

(cf.  Die  iiltesten  rômischcn  i 

hschn/slisten,  à  la  suite  de  1 

ouvrage  déjà  cité 

de  Ilarnack);  depuis  cette  date, 

elle  est  obtenue  en  con 

binant  les  données  fouri 

lies  par  le  Catalogi 

le  libérien,  le  Martyrologe  hiérony- 

mien  et  le  Liber  pontificali 

s. 

TABLE    CHRONOLOGIQUE 


2  septembre  31  avant  J.C.  (723  de  n-i  avant  J.  C.  (748-750  de  Rome).  Premier 
Rome  ).  Octave  vainqueur  ;\  gouvernement  de  P.  Sulpicius  Quirinius 
Actium.  en  Syrie. 

Avril  4  avant  J.  C.  Mort  d'IIérode  l'Idu- 

méen. 
6  à  10  après  J.  C.  Deuxième  gouvernement 
de  Quirinius  en  Syrie. 


19  août  14  après  J.  C.  Mort  d'Oc- 
tave-Auguste. Av.  de  Tibère. 


16  mars  37.  Av.  de  Caligula. 
24  juin  4t.  Av.  de  Claude. 


13  octobre  5î.  Av.  de  Néron. 


9  juin  68.  Av.  de  Galba. 


26-36.  Pilate  procurateur  en  Judée. 
36.  Martyre  de  saint  Etienne. 

39.  Exil  d'Hérode  Antipas  en  Gaule. 

42.  Édit  de  Claude  en  faveur  des  Juifs.  — 
Martyre  de  saint  Jacques  le  Majeur  à 
Jérusalem.  —  Saint  Pierre  en  prison;  il 
s'en  vient  à  Rome. 

Janvier  44.  Mort  d'Hérode  Agrippa. 

49.  Expulsion  des  Juifs  de  Rome. 

50.  Concile  de  Jérusalem. 

52.  Saint  Paul  convertit  saint  Denys  l'Aréo- 
pagite. 

54-57.  Saint  Paul  évangélise  le  pays 
d'Éphèse. 

58.  Épître  de  saint  Paul  aux  Romains. 

58.  Pomponia  Grîecina  est  jugée  et  ac- 
quittée. 

60.  Porcins  Fcstus,  procurateur  à  Césarée. 

61-63.  Saint  Paul  prisonnier  à  Rome.  — 
Épitre  aux  Philippiens. 

62.  Martyre  de  saint  Jacques  le  Mineur  à 
Jérusalem. 

19  juillet  64.  Incendie  de  Rome.  —  Persé- 
cution des  chrétiens. 

67.  Mort  de  saint  Pierre. 

6s.  Les  chrétiens  se  retirent  de  Jérusalem. 


—  230  — 


16  janvier  G9   Mort  de  Galba. 
IG  avril  G9.  Mort  d'Olhon. 
20  décembre  69.  Mort  de  Vitel- 
lius.  Av.  de  Vespasicn. 

24  juin  79.  Av.  de  Titus. 
13  septembre  81.  Av.  de  Domi- 
tien. 


18  septembre  96.  Av.  de  Néron. 
27octobre97.  AdoptiondeTrajan. 
27  janvier  98.  Av.  de  Trajan. 


11  août  117.  Av.  d'Hadrien. 


18-20  décembre  69.  Incendie  du  Capitole. 

Mort  du  préfet  T.  Flavius  Sabinus. 
70.  Titus  s'empare  de  Jérusalem. 


95.  Supplice  de  saint  Jean  à  la  porte  Latine. 
—  Les  petits-fils  de  Jude  à  Rome. 

95.  Martyre  de  Flavius  Clemcns. 

95-99  environ.  Exil  de  Domitille  à  Pontia. 
12  mai  96.   Martyre  des  saints  Nérée  et 
Acbillée. 

96.  Lettre  de  saint  Clément   aux  Corin- 
thiens. 


105-107.  Atticus,  gouverneur  de  Palestine. 

—  Martyre  de  saint  Siméon  à  Jérusalem. 
112.  Rapport  de  Pline  à  Trajan.  —  Rescrit 

de  Trajan. 

éccmbrc  115.   Terrible  tremblement  de 

terre  à  Antioche.  —  Guerre  des  Parthes. 
116.   Hadrien,  légat  de  Syrie,  condamne 

saint  Ignace  aux  bêtes. 
24  août  116.  Lettre  de  saint  Ignace  aux 

Romains. 
20  décembre  116.  Martyre  de  saint  Ignace 

à  Rome. 
116.  Révolte  des  Juifs  en  Mésopotamie,  en 

Cyrénaïque,  en  Egypte. 
116-117.   Lettre  de  saint  Polycarpe   aux 

Philippiens. 

119.  Hadrien  quitte  Rome  pour  le  nord  et 
l'ouest  de  l'empire;  au  milieu  de  121,  il 
traverse  Rome ,  et  repart  pour  l'Orient, 
où  il  reste  quatre  ans  et  demi. 

123.  Apologie  de  Quadratus. 

124-125.  C.  Miniclus  Fundanus,  procon- 
sul d'Asie,  reçoit  le  rescrit  d'Hadrien. 

Hiver  125-126.  Séjour  d'Hadrien  à  Athènes. 

—  Apologie  d'Aristide. 

131.  Hadrien  à  Alexandrie,  lettre  à  Scrvien. 
133-136.  Dernière  révolte  des  Juifs. 
135.  Retour  d'Hadrien  à  Rome. 


—  237  — 


136.    Adoption    de   L,    Ceionius 
Commodus  (.-Elius  Caesar). 


1"  janvier   138.    Mort   d'iElius 

Caesar. 
25  février  138.  Adoption  d'Anto- 

nin. 
10  juillet  138.  Av.  d'Antonin. 


f  mars  161.  Av.  de  Marc-Aurèle. 
Association  de  Lucius  Vérus. 


12  octobre  166.  Commode,  césar. 
Janvier  169.  Mortde  Lucius  Vérus. 


Juin  177.  Association  de  Com- 
mode en  qualité  d'auguste. 


17  mars  180.  Av.  de  Commode. 


136.  Conversion  de  saint  Justin  au  chris- 
tianisme. 

136.  Hadrien  fait  périr  Servicn  et  son  petit- 
fils  Fuscus. 

136-138.  Martyre  de  Getulius,  de  sainteSym- 
phorose  et  de  ses  sept  fils. 


138-139.  Première  apologie  de  saint  Justin. 

150.  Voyage  à  Rome  d'Hégéslppe. 

154.  Voyage  de  saint  Polycarpe. 

23  février  155.  Martyre  de  saint  Polycarpe. 

Lettre  de  l'Église  de  Smyrnc. 
155-160.  Q.  LoUius  Urbicus,  préfet  de  Rome. 

160.  Martyre  de  chrétiens  à  Rome. 

161.  Seconde  apologie  de  saint  Justin. 


161-163. P.  Salvius  Julianus  ,préfetdeRome. 
162.  Martyre  de  sainte  Félicité,  à  Rome, 
l^i"  janvier  163.  Q.  Junius  Rusticus,  préfet 

de  Rome. 
164-165.    L.    Sergius    Paullus,   proconsul 

d'Asie.   —  Martyre  de  Sagaris,  évêque 

de  Laodicée. 
170.  L.  Sergius  Paullus,  préfet  de  Rome. 
170.  Lettre  de  saint  Dcnys,    évêque   de 

Corinthe,  au  pape  Soter. 
172.  Marc-Aurèle  en  Orient.   —  Apologie 

de  l'évêque  de  Sardes,  Méliton. 
174.  Expédition  de  Marc-Aurèle  contre  les 

Quades.  —  Legiofulminata. 

176.  Minucius  Félix. 

177.  Légation  d'Athénagore. 

Août  177.  Rescrit  au   légat  de  la  Lyon- 
naise V^.  —  Martyre  des  chrétiens  à  Lyon. 

178.  Discours  véritable  de  Celse. 

Août  178.  Marc-Aurèle  part  contre  les  Mar- 
comans  avec  Commode. 

16  septembre  178.  Martyre  de  sainte  Cécile. 
178-185.  Caius  Aufidius  Victorinus,  préfet 

de  Rome. 

17  juillet  180.  Martyrs  Scillitains,  sous  le 
proconsulat  de  Vigellius  Saturninus. 


238  — 


31  décembre  192.  Mort  de  Com- 
mode. 

1"  janvier  193.  Av.  de  Pcrlinax. 

28  mars  193.  Mort  de  Pcrlinax. 

I'^'^  juin  193.  Mort  de  Didius  Ju- 
lianus. 

2  juin  193.  Av.  de  Septime  Sévère. 


198.   Association    de    Caracalla. 
Geta  césar. 


4  février  211.  Av.  de  Caracalla. 

212.  Mort  de  Geta. 

8  avril  217.  Av.  de  Macrin. 

8  juin  218.  Mort  de  Macrin. 

H  juillet  218.  Av.  d'IIéliofiabale. 

10  juillet  221.  Alexandre  Sévère, 
césar. 

11  mars    222.    Av.    d'Alexandre 
Sévère. 


183.  Marcia  favorite  de  Commode. 
183-186.  Perennis,  préfet  du  prétoire.  — 

Martyre  du  sénateur  Apollonius, 
188-189.  Pcrlinax,  proconsul  d'Afrique. 


193.  Faux  rcscrits  d'Antonin  et  de  Marc- 

Aurèle. 
193-19G.  Caius  Domitius  Dextcr,  préfet  de 

Rome. 

Vers  19Ô.  Conciles  relatifs  ù  la  PA(|ue. 

197.  Scptimc  Sévère  vainqueur  d'Albinus 
à  Lyon. 

198.  Callislecst  mis  par  saint  Zéphirinà  la 
tète  du  cimetière  de  la  voie  Appienne. 

199.  Deuxième  consulat  de  Publius  Corné- 
lius Anullinus,  préfet  de  Rome. 

199-200.  Ad  naliones  et  Apologétique  de 
Tertullicn. 

1"  janvier  202.  Septime  Sévère  et  Cara- 
calla inaugurent  le  consulat  en  Orient. 
—  Édit  de  Septime  Sévère. 

7  mars  202.  Martyre  de  sainte  Perpétue  [à 
Carihage,  sous  Minucius. 

18  juillet  202.  Martyre  de  sainte  Guddène 
à  Carihage,  sous  Apuleius  Rufinus. 

.4oiU  202.  Septime  Sévère  renlre  en  Italie 
avec  la  flotte  d'Alexandrie;  mariage  de 
Caracalla  avec  la  fille  du  préfet  du  pré- 
toire Plauticn. 

202-21 1 .  Lucius  Fabius  Cilo,  préfet  de  Rome. 

20â-20G.  Caius  Julius  Asper,  proconsul 
d'Afrique. 

211-212.  Caius  Julius  Asper,  préfet  de 
Rome. 


22S.  i'^Iorl  d'LIpicn,  préfet  du  prétoire. 
231.  Expédition  d'Alexandre  Sévère  contre 
les  Perses, 


—  239 


19  mars  235.  Av.  de  Maximin. 

Avril' 237.  Gordien  est  proclame 

empereur  en  Afrique. 
27  mai  237.  Il  est  élu  par  le  sénat. 

9  juillet  237.  Mort  des  deux  Gor- 
diens. —  Élection  de  Pupicnus 
Maximus  et  de  Balbinus. 

Mars  238.  Mort  de  Maximin. 
Juillet   238.   Mort   de   Pupienus 

Maximus  et  de  Balbinus. 
15  juillet  238.  Élection  de  Gor- 

dianus  Plus  Africanus  III. 
Mars  244.  Av.  de  Philippe. 

10  mars  249.  Av.  de  Dèce. 

20  novembre  251.  Av.  de  Gallus. 
Août  253.  Av.  de  Valéricn. 


235.  Décret  de  persécution  de  Maximin. 
236-237.  Gordien,  proconsul  d'Afrique. 


259.  Valérien  pris  par  les  Perses. 
—  Gallien,  seul  empereur. 

268.  Av.  de  Claude  II  le  Gothique. 
270.  Av.  d'Aurélien. 

Mars  275.  Av.  de  Tacite. 

276.  Av.  de  Probus. 

282.  Carus,  Carin,  Kuméricû. 

284.  Av.  de  Dioclétien. 

292.  Deux  augustes  et  deux  césars  : 
Dioclétien  et  Maximien ,  Ga- 
lère et  Constance  Chlore. 


250.  Persécution.  —  Édit  de  Dèce. 

251.  Schisme  de  Kovalus.  —  Édit  de  Gallus. 
253.  Mort  d'Origène  à  Tyr. 

257.  1"  édit  de  Valérien. 

30  août  257.  Saint  Cyprien  exilé  par  le  pro- 
consul Aspasius  Paternus  à  Curubis. 

258.  Second  édit  de  Valérien. 

C  août  258.  Martyre  de  saint  Xyste  II  dans 
le  cimetière  de  Prétextât  avec  quatre 
sous-diacres  et  deux  diacres. 

10  août  258.  Martyre  du  diacre  saint  Lau- 
rent. 

14  septembre  258.  Saint  Cyprien  est  rap- 
pelé d'exil  et  condamné  à  mort  par  le  pro- 
consul Galerius  Maximus. 

21  janvier  259.  Martyre  de  saint  Fructueux, 
évéque  de  Tarragone  en  Espagne. 

2  septembre  259.  Martyre  des  clercs  Ma- 
rianus  et  Jacobus  à  Cirta  (Constantine). 

Fin  de  259.  Édit  favorable  de  Gallien. 

272.  Affaire  de  Paul  de  Samosate. 
Fin  de  274.  Édit  d'Aurélien. 


12  mars  295.  Martyre  de  Maximilien  à 
Théveste  (Tebessa). 

298.  Décret  excluant  les  chrétiens  de  l'ar- 
mée. 


—  240  — 


l^""  mai  305.  Abdication  de  Dio- 
cléticn  et  de  Maximien.  —  Sé- 
vère cl  Maximin  Daïa,  césars. 

306.  Mort  de  Constance  Chlore. 
—  Constantin. 

306.  Défaite  de  Sévère  par  l'usur- 
pateur Maxencc,  fils  de  Maxi- 
mien. 

310.  Mort  de  Maxiinien  à  Mar- 
seille. 

15  mai  311.   Mort  de  Galère.  — 

Licinius,  césar. 
28  octobre  312.  Bataille  du  pont 

Milvius.  —  Mort  de  Maxence. 
313.  Mort  de  Maximin. 

324.  Mort  de  Licinius  défait  par 
Constantin. 


23  février  303.  Démolition  de  l'église  de 
Kicomédie. 

24  février  303.  Premier  édit.  —  Dies  tradi- 
tionis. 

303.  Second,  puis  troisième  édit. 
Hiver  30î.  Quatrième  édit.  — Dies  turifica- 
donis. 


311.  Maxence  restitue  au  pape  saint  Mil- 
tiade  les  loca  ecclesiastica. 

30  avril  311.  Édit  de  Galère  pour  faire  ces- 
cer  la  persécution. 

26  novembre  312.  Martyre  de  l'évèquc 
saint  Pierre  d'Alexandrie. 

313.  Édit  de  Milan. 

13  juin  313.  Licinius  entre  à  Nicomédie  et 
affiche  l'édit  de  Milan. 

361-363.  Dernière  tentative  de  restaura- 
tion pa'ienne,  par  Julien  l'Apostat. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


Pages 

AVANT-PROPOS I 

Sources  consultées  pour  cet  essai xv 

PREAiiÈRE  PARTIE.  —  Rapports  des  Juifs  et  de  l'Église  chrétienne  avec 

l'Élat  romain  jusqu'en  96 1 

DEUXIÈME  PARTiù.  —  Rapports  de  l'Église  chrétienne  avec  l'État  romain 

de  90  à  180 39 

§  I".  Le  rescrit  de  Trajan 51 

§  II.   Les  apologistes 66 

§  in.  Les  martyrs 81 

TROISIÈME  PARTIE.  —  Rapports  de  l'Église  chrétienne  avec  l'État  romain 

de  180  à  235 129 

QUATRIÈME  PARTIE.  —  Résuiîîé  dcs  rapports  de  235  à  313,  conclusion. . . .  165 

MÉMOIRE.  —  Sainte  Félicité  et  ses  sept  fils  martyrs  en  162 187 

APPENDICE.  —  Épitaphes  des  papes  des  cinq  premiers  siècles 219 

TABLE    CHRONOLOGIQUE 235 


Vu    ET    LU , 

eu  Sorbonne,  le  8  juin  1882, 
2)0 r  le  doyen  de  In  Faculté  des  lettres  de  Paris  ^ 

A.  HIMLY. 

Vu    ET    PERMIS    d'imprimer    : 

Le  vice-recteur  de  l'Académie  de  Paris j 
GRÉARD. 

p\t\is.  TYror.r,APHiE  df.  e.  plox  et  c'«    iu  e  g.vuaxciÈue,  8. 


THE  INSTrrUTE  cr  »^fDlAFVAL  S~ 
'0  €LMSLt/  PLACE 
TORONTO  6.   CANADA. 

8  i  â9