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HARVARD UNIVERSITY
LIBRARY
or TRI
PEABODY MUSEUM OF AMERICAN
ARCHAEOIXJGY AND ETHNOLOGY
BOUGHT FROM
J. WALTER FEWKES FUND
Recciv^d DeceEitoer 38,1931
EXPLORATION DU SAHARA
TOME PREMIER
PARIS. — IMPRIMERIE DE J. CLAYK.
KUB SAINT-BKNOIT, 7.
EXPLORATION DU SAHARA
LES TOUAREG •
DU NORD
HENRI DUVEYRIER
CHEVAI.IBR DK L'OBDRB IMPÉRIAL DB LA LMOION d'hONNEUK
MRUBRE BTRANOER DE LA SOC'IBTB ROYALÇ
DR OKOOHAPHIB DB BBRLIN
PARIS
CHALLAMEL AÎNÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
foM Ml.SSlONN AIRK POIR l'aLOKKIK F.T l'kTKXNUKK
30., RilK PKS HOIII.ANCÎKRS
186/i •
l'ouî* droit. s rpsurv»'*>.
^^^^ V-
PI. 1.
Fig. l.
HENRI DUVEYRIBR.
NK A PARI8, LK 1 fi VKVKIBR 184 0.
D'après une photographie de M. Bertall.
■^^^
EXPLORATION DU SAHARA
LES TOUAREG •
DU NORD
HENRI DUVEYRIER
CHRVALIKK DK L'OKDRE IMPÉRIAL DB LA LKOION D' H O N N K U K
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DB OBOORAPHIB DR BKHLIK
PARIS
CH\LLAMEL AI\IÎ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
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30., RUK DK» HOITI.AKG KRf»
I86/1 '
l'ous droits réservo>.
O^^Vii
A LA MÉMOIRE
DE MA MÈRE,
MADAME C. DUVEYRIEK, NEE CLAIRE DENIE,
HOMMAGE DB PIÉTÉ FILIALE ET D'ÉTERNEL SOUVENIR
DK8 SOINS DOnT TU AS KNTOURK MON KNKANCK.
A MON PERE,
CHARLES DUVETRIER.
Que la publication des travaux de mon exploration soit la récompense de la
sollicitude que tu as eue pour moi pendant toute sa durée, et des soucis qu'une
séparation prématurée, un voyage lointain, les dangers d'une maladie mortelle, ont
pu te causer.
A M. LE DOCTEUK
AUGUSTE WARNIER,
OFFICIBK DB LA LÉGION D'hONNBUR, MBDBCIN MILITAIRE KN RBTRAITK,
ANCIEN MKMBRB DB LA COMMISSION SC I B NT I Kl (^ U E DB I.'ALOéRIB,
\îfCIBN DIRECTEUR DBS AFFAIRES CIVILES DB LA PROVINCE d'oRAN,
ANCIEN UBMBRB DU CONSEIL DU OOUVBRNBMBNT DB l'aLOKKIR.
Vous avez guidé et protégé, à distance, mon exploration du Sahara, pendant
les vingt-neuf mois de sa durée ;
Vous avez eu pour moi les soins attentifs d'une mère dans la cruelle maladie
qui m*a atteint au retour de mon voyage;
Depuis , pendant que vous suiviez , comme médecin , les progrès de ma longue
convalescence, vous avez consacré près de deux années au dépouillement de mes
Notes et Journaux de voyage , ainsi qu'à la rédaction d'un premier volume : Les
Touareg du Nord , et d'un second : Le Commerce du Sahara et de l'Afrique centrale.
Acceptez, avec ceux qui me sont le plus chers au monde, la dédicace de ces
deux volumes.
Je ne puis les placer sous un patronage plus dévoué.
Henri DUVEYHIER.
AVANT-PROPOS
Le voyage d'exploration que j'ai accompli entre El-Golêa'
à rOuest, Zouîla à l'Est, Biskra au Nord et Rhàl au Sud,
avait le triple but de recueillir sur le Sahara des don-
nées géographiques qui manquaient à nos connaissances;
d'ouvrir avec les peuplades de cette région intermédiaire des
rapports indispensables avant de nouer des relations poli-
tiques et commerciales entre l'Algérie et l'Afrique centrale ;
enfin, de me préparer moi-même, par une longue épreuve
de la vie africaine, par l'étude des hommes, des mœurs et
des dialectes, à un second voyage ayant pour objet plus
spécial l'exploration des régions soudaniennes.
J'ai voulu avancer avec lenteur, afin d'opérer plus sûre-
ment ; je n'ai pas craint de séjourner sur les points où je
le jugeais nécessaire pour assurer le succès de mon entre-
prise, et je me suis toujours efforcé d'élargir ma zone d'ac-
tion, en visitant les pays situés à l'Est et à l'Ouest de la
ligne embrassée par mes études. Avant de pénétrer plus
dans le Sud , j'ai donné à mes travaux une base large et
Il AVANT-PROPOS.
solide , par une reconnaissance nouvelle du Sahara alo;é-
rien, tunisien et tripolitain.
Commencée dans les limites modestes d'un voyage privé,
avec des ressources dues à la libéralité de mon père, de
M. Arlès-Dufour et de M. Isaac Pereire, mon exploration
n'a pu prendre le caractère étendu qu'elle devait avoir, pour
donner des résultats^ utiles, qu'à l'aide du bienveillant et géné-
reux appui du gouvernement.
Sous le puissant patronage de Son Excellence M. le ma-
réchal duc de MalakofT, si bien secondé, dans sa sollici-
tude, par M. le général sous-gouverneur de Martimprey,
ma mission fut entourée d'une protection et d'encouragements
qui ont rendu tout facile et qui me feraient craindre d'être
resté au-dessous de la responsabilité que j'ai acceplée, si je
n'avais l'avenir devant moi pour répondre aux espérances du
gouvernement.
Sa Majesté l'Empereur Napoléon III, souverain éclairé et
jaloux de l'extension de l'influence civilisatrice de la France,
a voulu que les subsides accordés fussent à la hauteur des
besoins.
Mes très-humbles et très-respectueux remerciements Lui
sont tout d'abord acquis.
Je ne dois pas oublier, dans les témoignages de ma
gratitude, Leurs Excellences M. le maréchal Vaillant, M. le
maréchal comte Randon, M. Rouher, M. le comte de
Chasseloup-Laubat, M. Thouvenel , ministres de Sa Majesté
l'Empereur, qui, tous, dans la limite de leurs attributions,
ont prêté à ma mission le concours le plus efficace.
M. le général Desvaux, commandant supérieur de la
AVANT-PROPOS. m
province de Constanline, a droit aussi à toute ma reconnais-
sance, car c'est à lui que je dois le précieux appui du mara-
bout Sîdi-Mohammed-el-'Aïd , clief de la confrérie religieuse
des Tedjâdjna, qui compte tant d'affiliés dans le Sud.
Aux postes officiels dont ma mission relevait, j'ai eu le
bonheur de rencontrer partout des homme de cœur :
A Tripoli de Barbarie, M. P. E. Botta, consul général de
France, et ses collaborateurs, M\I. Gauthier et Lequeux;
En Algérie, MM. les colonels Séroka, Lallemand, Wolf,
Marguerite, le commandant de Forgemol , le lieutenant Auer,
commandant la garnison de Tougourt, qui, tous, m'ont honoré
de la même bienveillance alTectueuse et ont aplani, autant
qu'il dépendait d'eux , les difficultés de mon entreprise.
Des savants français et étrangers, les uns, dans la phase
préparatoire de mon exploration, les autres dans la partie
active, ont éclairé ma jeunesse des lumières de leur science :
les docteurs H. Barth et A. Petermann; les professeurs
Fleischer, A. Duméril et Cherbonneau; MM. Renou, Yvon-
Villarceau, Malte-Brun et 0. Mac-Carthy.
Je dois à M. le docteur Milon, l'un des chefs du service
de santé de l'armée d'Afrique , un protectorat plus personnel.
Plusieurs chefs indigènes m'ont également secondé de
tout leur pouvoir : Sîdi-Hamza, khalîfa du Sud de la province
d'Oran; Sîdi-Mohammed-ei-'Aïd, grand maître de la confré-
rie des Tedjâdjna; le marabout Si-'Othmàn-ben-el-Hâdj-el-
Bekri, chef de la tribu des Ifôghas; l'émîr El-Hâdj-Moham-
med-Ikhenoûkhen, chef des Touareg Azdjer; le marabout
Sîdi-el-Bakkày, cousin du célèbre cheikh de Timbouktou;
Si-Selimàn-el-'Azzàbi, moûdîr de Faççâto, dans le Djebel-
tripolitain.
IV AVANT-PROPOS.
Que tous reçoivent, ici, mes sincères remerciements.
Qu'il me soit aussi permis de donner un témoignage pu-
blic de l'inaltérable dévouement d'Ahmed -ben-Zerma , du
Soùf, homme droit, intelligent, énergique, qui fut mon
compagnon pendant la partie la plus difficile de mon voyage.
Parti de la province de Constantine, en mai 1859, je me
dirigeai d'abord sur le pays des Benî-Mezàb, dans l'espoir de
trouver chez les Cha'anba des guides pour aller au Touàt.
L'état politique du pays, la présence du chérîf Moham-
med-ben-'Abd-Allah à Tn-SAlah ne me permirent pas de réa-
liser ce projet.
Après plusieurs mois consacrés à l'étude de l'intéressante
contrée qu'habite la confédération Me^âbite, je risquai , muni
d'une lettre de recommandation impérative du khalîfa Sîdi-
Hamza, une reconnaissance aventureuse sur El-Goléa', ville
dans laquelle aucun autre Européen n'a encore pénétré.
J'y fus très-mal accueilli, mais probablement un voya-
geur qui s'y rendrait aujourd'hui serait mieux reçu. Désor-
mais nous connaissons les deux routes qui y conduisent de
Methlîli.
Le reste de l'année 1859 fut consacré à des reconnais-
sances dans les différentes parties du Sahara dépendant des '
provinces d'Alger et de Constantine, de Laghouât au Soùf,
et de Biskra à Ouarglâ.
La sécurité dont jouit le voyageur, même le voyageur
privé, européen ou indigène, dans ces contrées gouvernées, à
de grandes distances, par l'autorité française, est digne de
remarque et fait un contraste frappant avec la situation qui a
précédé leur soumission.
AVANT-PROPOS. v
Les six premiers mois de Tannée 1860 furent employés à
explorer le Sahara tunisien : le Djérîd, le Nefzâoua jusqu'à
Gâbès sur la petite Syrte. Protégé par des amer du Bey
Sîdi-Sàdoq, obtenus par la bienveillante entremise de
M. F. de Lesseps et de M. Léon Roches, consul général de
France à Tunis, je fus toléré partout; mais je dois à la
vérité de constater les préventions et la lierté blessante
dont les sujets algériens sont victimes dans le Sud de la
Tunisie.
En juin , j'étais de retour à Biskra. C'est là que je reçus
des instructions et des subsides du gouvernement, ainsi que
de nouveaux instruments, pour entreprendre l'exploration du
pays des Touareg. La saison des plus grandes chaleurs était
arnvée; elle rendait pénible la traversée d'EI-Ouâd à Ghadà-
mès, mais Texpérience du marabout targui Si-'Othmân et
des guides Souâfa me fit surmonter cette difficulté, non sans
fatigues, car j'étais à peine convalescent de fièvres contrac-
tées dans l'Ouàd-Rîgh.
A Ghadâmès, je reconnus bientôt la nécessité de m'ap-
puyer sur l'autorité et le crédit dont jouit dans toute la Tripo-
litaine le consul général, M. P. E. Botta, et, après une courte
station dans l'antique Cydamus, je me rendis sur le littoral,
en prenant, à l'aller et au retour, des routes différentes,
notamment celle, jusqu'alors inexplorée, qui longe le Djebel-
Nefoûsal
Sur la demande de M. Botta, Son Excellence Mahmoud
Pacha, gouverneur de la Tripolitaine, voulut bien me déli-
vrer un bouyourouldi ^ ou ordre général à tous les fonction-
naires relevant de son autorité de me protéger et de me
donner l'hospitalité.
VI AYANT-PROPOS.
Cet appui inespéré me fut très-utile dans la suite de mon
voyage.
Rentré à Ghadâmès, je dus bientôt partir pour Rhàt,
avec rémîr Ikhenoùkhen, qui regagnait sa tribu. Ayant ren-
contré les campements des Oràghen dans rOuàdi-Tikhàm-
malt, au milieu de bons pâturages, nous y séjournâmes pour
refaire les chameaux ; aussi , les premiers jours de j 861 nous
trouvèrent-ils à l'entrée du pays habité par les Touareg.
Après bien des retards, dus h dilTérentes causes, mais très-
précieux pour mes études, je pus atteindre Rhât, où je ne
séjournai que quinze jours , extra nniros.
A Rhât, je me trouvais au foyer des ardentes rivalités
d'intérêt qui divisent les commerçants de ce grand marché et
les Touareg maîtres des routes qui y aboutissent; je crus pru-
dent de ne pas m'immiscer à leurs querelles, et je m'em-
pressai de continuer à explorer le Nord du pays des Azdjer.
Diverses raisons m'engagèrent à aller à Mourzouk, siège
d'un kâïmakàmlik turc, d'où je pouvais me mettre plus faci-
lement en relation avec le consulat général de France, h
Tripoli; je déterminai Ikhenoùkhen à m'y accompagner. Ce
n'était pas chose facile. Le chef targui n'avait pas mis les
pieds dans cette ville depuis l'occupation du Fezzàn par les
Turcs.
Nous fîmes le voyage de Rhàt à Mourzouk très-lentement,
ce qui me permit d'aller visiter les lacs si curieux de Man-
dara, Gabra'oûn et autres.
Une réception très-honorable nous fut faite à Mourzouk
par l'autorité politique de cette ville.
Je venais de passer plus de six mois sous la tente; je pris,
dans la capitale du Fezzân , un repos devenu nécessaire;
AVAiNT-PROPOS. vu
malheureusement, je n'avais pas le choix d'un lieu plus sa-
lubre.
Pour m'accompagner, Ikbenoûkhen avait négligé ses inté-
rêts; d'ailleurs, dans l'Ouest, Mohammed-ben-'Abd-Allah,
aujourd'hui interné à Bône, préparait une nouvelle attaque
contre le Sahara algérien ; le chef targui sentait la nécessité
de se rapprocher du centre des intrigues , pour préserver ses
sujets de la contagion. Nous nous séparâmes.
Je crois que mon voyage à Mourzouk, en compagnie
d'ikhenoùkhen, servit notre influence et nos intérêts, plus que
tout ce que j'avais pu faire jusque-là.
Bientôt, je fis une nouvelle excursion dans l'Est, vers
Zouîla, petite ville de chorfa, marabouts très-fanatiques.
Knfin, je revins à Tripoli par la longue route de Sôkna.
Les difficultés qui se sont présentées à moi sont de deux
ordres : les unes tiennent à la nature des lieux parcourus; les
autres, au caractère particulier des hommes avec lesquels je
me suis trouvé en contact.
Les premières, inhérentes au climat, au manque d'eau, à
la stérilité du sol, aux fatigues et aux privations du voyage,
sont de beaucoup les plus faciles à surmonter, avec de la pré-
voyance et une bonne santé.
Les secondes, de natures essentiellement variables, sont
dues à des circonstances que le voyageur doit préalablement
connaître et apprécier, pour ne pas les voir se transformer en
insurmontables écueils. Ici, ce sont des zâouiya, communautés
religieuses, les unes passives, les autres militantes. Là, prin-
cipalement dans les centres commerciaux, on a à lutter contre
des intérêts mal compris, placés entre les mains de gens
VIII AVANT-PROPOS.
méfiants et égoïstes, qui trouvent un point d'appui dans Tinto-
lérance religieuse.
Tous ces obstacles, il faut l'espérer, disparaîtront gra-
duellement avec l'élément indispensable du temps et la puis-
sance de la vérité.
Dans cette dernière voie, je crois avoir avancé l'état des
choses , en procédant à des levés topographiques qui permet-
tent de donner plus d'exactitude au tracé des routes; en ap-
puyant sur mes propres travaux de nombreux renseignements
oraux, recueillis avec le soin le plus scrupuleux; en étudiant
la nature des lieux, le caractère des hommes; en aiTermissant
des relations déjà préparées ou en en créant de nouvelles;
enfin, en faisant partout une étude spéciale du commerce et
des moyens d'échange.
A mon retour à Alger, après un voyage qui avait duré près
de trois ans, j'allais rentrer en France pour me mettre en
mesure d'utiliser les bonnes dispositions de Sîdi-Mohammed-
el-Bakkây et aller avec lui à Timbouktou.
Mais le gouvernement de l'Algérie m'avait demandé au-
paravant de m'occupe r, à Alger, de l'impression d'un rapport
sommaire, avec une Carte à l'appui, sur les résultats de mon
voyage.
Déjà la Carte était gravée et mon manuscrit en partie
imprimé, lorsque tout à coup je tombai gravement malade,
atteint d'une fièvre typhoïde compliquée d'accidents perni-
cieux.
Dans mon malheur, j'avais heureusement trouvé l'hospi-
talité chez un second père, M. Warnier, lequel, assisté du
concours dévoué de MM. les docteurs Léonard et Dru et de
AVANÏ-PROPOS. IX
tous les membres de la bonne et excellente famille Bougenier,
parvint à m'arracher à la mort.
Que tous, y compris les Sœurs de l'Espérance, qui veillè-
rent au chevet de mon lit, reçoivent ici le témoignage de ma
plus affectueuse reconnaissance.
Après trois mois de maladie et de traitement j'étais sauvé,
grâces à Dieu , mais je n'étais que convalescent et j'avais le
plus grand besoin d'être en parfaite santé, car un Traité de
Commerce allait être conclu avec les Touareg, un appel était
fait à toutes les Chambres de commerce de France, en vue
de l'organisation de caravanes d'essai à expédier dans l'inté-
rieur de l'Afrique, et la publication des études faites pendant
mon exploration était considérée par le gouvernement comme
urgente.
La Providence, qui m'avait fait airiver à Alger pour y
trouver les soins que ma santé allait réclamer, permit qu'après
ma guérison M. le docteur A. Warnier pût mettre à ma dis-
position, avec le temps nécessaire pour la rédaction de deux
volumes, l'expérience spéciale qu'il avait acquise en Algérie
par vingt-huit années de séjour et d'études.
Grâces à ce concours, je pus faire marcher de front la
partie littéraire avec la partie graphique de mon œuvre.
Mais mon exploration embrassait une contrée presque
inconnue, et toutes les collections que je rapportais ne pou-
vaient être classées avec précision et certitude que par les
maîtres de la science ; de môme toutes mes observations , soit
astronomiques, soit météorologiques, avaient besoin d'être
comparées aux observations correspondantes faites dans d'au-
tres contrées.
A l'honneur des savants de notre pays, je dois le décla-
X AVANT-FROPOS.
rer hautement, tous ceux dont j'invoquai l'expérience répon-
dirent avec une bienveillance extrême à mes demandes.
MM. Des Cloizeaux, de Verneuil, Deshayes, le docteur
Mares , pour la géologie ; Berthelot , pour la^ minéralogie ;
Renou , pour la météorologie ; le docteur Cosson , Kralik ,
pour la botanique; A. Duméril, pour Ticlithyologie et l'erpé-
tologie; Léon Rénier, pour l'archéologie; H. Zotenberg ,
pour la linguistique; Vivien de Saint - Martin, pour la géo-
graphie ancienne; Radau, pour les calculs de quelques po-
sitions astronomiques , furent assez bons pour m'éclairer ou
me guider, chacun dans leur spécialité , et chaque fois que
j'eus recours à l'autorité que leur donne leur haute position
dans le monde savant.
Pour la réduction de mes itinéraires et le dressement de
mes cartes, deux habiles dessinateurs, MM. E. Dubuisson et
Picard, ont bien voulu me prêter leur concours, le premier
pour la Carte du pays des Touareg qui accompagne ce vo-
lume; le second pour la Carte commerciale du Sahara et de
l'Afrique centrale destinée au volume relatif au commerce.
Enfin , aujourd'hui, je puis répondre à tant de sollicitude,
en livrant au public le premier résultat de mes travaux.
Puisse-t-il Taccueillir avec indulgence et bienveillance,
en raison des difficultés de l'entreprise!
Peut-être ai-je trop présumé de mes forces en abordant
des questions dont la solution eût demandé plus d'expé-
rience. Le désir d'être utile sera mon excuse.
Henri DUVEYRIER.
INTRODUCTION
L'étude complète de toute société humaine est inséparable
de celle du milieu habité, car souvent les conditions de Texis-
tence, la raison des mœurs, sont fatalement subordonnées à la
loi des nécessités de la nature.
Quand le milieu est une contrée exceptionnelle, comme le
plateau central du Sahara, inhospitalière, même pour la plupart
des végétaux et des animaux, réputée avec raison inhabitable
pour rhomme, il devient indispensable de faire préalablement
connaissance intime avec elle, avant de parler des peuplades
qui, après de nombreuses migrations, Font adoptée pour patrie
et s'y trouvent tellement heureuses, dans une indépendance à
Fabri de toute convoitise, que, pour rien au monde, elles
n'échangeraient leur sort contre celui de tout autre peuple.
Ces quelques lignes suffisent à l'exposé des motifs de la
division de cet ouvrage :
Un premier Livre fait connaître le milieu habité ; terre et ciel,
géographie physique, hydrographie, géologie, météorologie,
positions astronomiques;
XII INTRODUCTION.
Un second donne T inventaire de la production dans les trois
règnes de la nature : minéral, végétal et animal;
Un troisième Livre, intermédiaire entre les précédents et le
suivant, consacré aux centres de rayonnement, autour desquels
gravite toute société nomade, ajoute un complément à Tinfluence
du milieu matériel, celui de deux attractions sociales : les centres
commerciaux et les centres religieux ;
Enfin un quatrième et dernier Livre, exclusivement consacré
aux Touareg du Nord, traite en autant de Chapitres particuliers
de leur origine, de leur division en tribus, de leur constitution
sociale, de Thistorique des tribus, de leurs caractères distinctifs,
de leur vie intérieure et extérieure.
Un Appendice très -succinct, sous forme de simples notes ^
répond à un des vœux de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres : rapprocher et comparer les connaissances des anciens
avec celles que les explorations modernes ajoutent aux notions,
de plus en plus positives, sur la géographie du iNord de
TAfrique.
J'espère que cet ordre logique obtiendra l'approbation du
lecteur, car il procède du connu à Tinconnu.
Contrairement à Tusage généralement adopté par les voya-
geurs, de publier d'abord les résultats de leurs explorations sous
forme de Jounml dei^oyagey j'ai préféré l'ordre méthodique des
matières, pour ne pas compliquer un sujet, déjà abstrait par lui-
même, de questions qui lui sont étrangères, bien qu'elles ajoutent
souvent beaucoup d'intérêt au récit.
Si les circonstances le permettent, je publierai ultérieurement
ce Journal ; mais , avant , j'ai à donner satisfaction aux besoins
du gouvernement.
La question commerciale du Sahara et de l'Afrique cen-
INTRODUCTION. xiii
ti-ale n'est pas traitée dans cette première partie. Elle fornie
la matière d*un second volume, qui paraîtra prochainement.
La transcription, en caractères romains, des lettres ou des sons
des langues sémitiques et africaines est un point qui embarrasse
toujours les travailleurs consciencieux. Plusieurs systèmes ont été
adoptés; je ne citerai que celui de la Commission scientifique
de r Algérie et ceux des diverses Sociétés asiatiques de l'Europe.
Malheureusement, tous ont le défaut de n'être pas applicables
à l'usage général, à cause des caractères spéciaux, pointés ou
accentués, que les imprimeries ne possèdent pas. D'un autre
côté, les accents employés dans les transcriptions ont le défaut
de dérouter le plus grand nombre des lecteurs, qui ne tiennent
pas à une accentuation aussi scrupuleuse.
Voici à quoi je me suis borné :
Les voyelles longues ont été distinguées par un accent cir-
conflexe;
Le O arabe est rendu par th qui a le son de la même lettre
en anglais;
Le ^ et r» sont rendus par Vh;
Le ^ par kh ;
Le L et le w^ par / ,•
Le ^ , le ji» et le i par dh ;
Le j^ presque toujours par ç ;
Le ^par '^, '^, '«, 'o;
Le ^ tantôt par rh , tantôt par gh y selon que la prononcia-
tion se rapproche plus de Yr ou du g, ce qui varie suivant les
dialectes ;
Le ^par<7;
Le j par le iv anglais , quand la prononciation oblige à lui
garder sa valeur comme consonne;
Le ^ tantôt par y, tantôt par i.
XIV INTHODIJCTION.
Provisoirement, j*ai transcrit les nonis de la langue temâhaq
comme s ils étaient écrits en arabe.
Pour les noms de lieux, d'hommes et de choses, dont Tor-
thographe, en français, est consacrée par un long usage, j'ai
respecté, dans le texte, le fait accompli, mais, dans \ Erratum^
je restitue à chacun de ces noms sa véritable orthographe.
De môme, poiH* les noms de la nomenclature géographique,
soit arabes, soit berbères, je les ai écrits tels qu'ils sont en usage
dans les contrées dont je parle. Ainsi, j'ai appelé, en arabe, les
rivières tantôt ouâd^ tantôt ouâdij et, en berbère, les montagnes
adghagh et adrar^ suivant que les indigènes se servent eux-
mêmes de ces différentes expressions.
Les gravures qui accompagnent cet ouvrage ont été dessinées
par M. Bertall, soit d'après des photographies \ soit d'après des
croquis pris sur les lieux, souvent à la hâte et sans aucune pré-
tention artistique. Dans la reproduction des types originaux par
la gravure, j'ai tenu essentiellement à ce que l'art ne pût pas les
modifier, quoique je reconnaisse mon infériorité comme dessi-
nateur.
La Carte que je livre à la publicité comprend une partie posi-
tive et une partie hypothétique.
La partie positive est la réduction de mes itinéraires , avec
tous les détails que la vue peut embrasser à droite et à gauche
4. Quelques-unes des photographies dont je me suis servi ont été prises
dans le Sahara algérien par M. Puig, pharmacien militaire. Quelques autres
ont été exécutées à Paris par divers artistes, quand les marabouts Touareg
y sont venus; enfin, d'autres ont été prises par moi , sur les lieux, malgré
la difficulté de modifier l'instrument suivant l'intensité de la lumière. La
plupart de mes épreuves sont brûlées, mais lisibles cependant.
INTRODUCTION. xv
des lignes parcourues, (les lignes sont indiquées. Les routes des
autres voyageurs ont été fidèlement tracées.
La partie hypothétique est basée sur de nombreux itinéraires
recueillis à diverses sources. Pour me guider au milieu de ren-
seignements qui ne concordaient pas toujours entre eux, j'ai été
assez heureux pour obtenir du Cheikh- Othmân qu'il me fît, sur
le sable, le plan en relief des parties du territoire des Touareg
que je ne pouvais explprer, et quand j'étais bien d'accord avec
mon informateur sur l'ensemble et les détails de sa composition,
je la dessinais et j'en faisais ensuite la critique avec lui.
Cette manière de procéder m'a permis de contrôler d'une
manière plus certaine les divergences de mes itinéraires par ren-
seignements.
Pour la construction des routes que j'ai levées, chemin faisant,
j'ai souvent vérifié les distances parcourues. J'y suis arrivé en
mesurant la longueur moyenne du pas de chaque monture, et la
moyenne du nombre de pas faits en une minute. Une réduction
était faite ensuite pour les petits détoui-s de la ligne droite et pour
les facilités ou les difficultés de la marche, d'après la nature des
terrains, dont il est impossible de tenir compte avec la boussole.
La moyenne des distances, entre une observation et une autre,
est de 2,000 mètres; dans les terrains accidentés, elles ont été
multipliées, quelquefois, de 200 en 200 mètres.
Pour les itinéraires par renseignements, les distances géné-
rales sont prises par journées de marche de caravane, estimées
suivant la nature des lieux , entre 24 et 32 kilomètres et subdi-
visées, autant que je l'ai pu, en demies et en quarts de journée.
Souvent , j'ai été assez heureux pour obtenir de mes informa-
teurs des détails de 4 en 4 kilomètres.
Je ne publie pas ces itinéraires, mais la Carte en donne le
tracé fidèle, avec les corrections qu'un contrôle sévère a dû
faire subir à chacun d'eux.
XVI liNTRODLCTION.
Partout où j*ai pu appuyer mes renseignements sur des itiné-
raires relevés par mes devanciers, je Tai fait, eii donnant tou-
jours religieusement la préférence à leurs indications, sur celles
fournies par les renseignements des indigènes, si précis qu*ils
aient été.
Ces itinéraires sont également indiqués sur la Carte avec les
noms de leurs auteurs.
Tous les travaux graphiques préparatoires de la Carte sont
mon œuvre, mais le dessin définitif a été confié à M. E. Dubuis-
son, dont la réputation, comme cartographe, est faite depuis
longtemps. L'ouvrage tout entier a été rédigé sur cette base
fondamentale.
La Carte a été gravée après l'impression du texte, afin qu'il y
eût harmonie parfaite dans les deux ordres de travaux.
En résumé, en publiant les nombreux matériaux recueillis
pendant la durée de mon exploration, j'ai compris que le sujet
était neuf pour beaucoup de personnes, et, tout en restant dans
les limites d'une exposition scientifique, j'ai fait mes efforts en
vue d'être clair et intelligible pour le plus grand nombre.
Puissé-je avoir atteint le but proposé !
RAPPORT
PRIX ANNUEL POUR LA DECOUVERTE LA PLUS IMPORTANTE
EN GÉOGRAPHIE
KV NOM D'UNB COMMIBSIOM DB LA BWllÉri DE OâoaRAPHIB DB PAB18
et composée de
MM. D'AVEZAC, J. DUVAL, V. MALTE-BRUN, QUATRBFAOES,
et VIVIEN DE SAINT-MARTIN, Rapporteur.
Messieurs,
Le 8 mai 1859, un jeune voyageur, un Français, débarquait à
Philippeville, cette antique station maritime de l'Algérie orientale,
qui est rede>renue, sous son nom moderne, le port de Constantine.
Ce voyageur était M. Henri Duveyrier.
A rage où, parmi ceux que la fortune n'a pas astreints aux rudes
nécessités du labeur quotidien , tant d'autres préludent par une oisi-
veté périlleuse aux devoirs sérieux de la vie, M. Henri Duveyrier avait
conçu le projet d'une grande et difficile entreprise. 11 voulait péné-
trer dans les contrées , peu et mal connues , qui bordent au Midi nos
trois provinces algériennes; il voulait étudier, sous la tente, au milieu
de leurs habitudes à demi nomades, les populations indépendantes
de ces contrées incultes qui ne sont pas encore le Désert, mais qui déjà
en offrent l'image; il voulait, en poussant, aussi loin que possible,
dans toutes les directions, rattacher par une série d'observations phy-
siques et astronomiques ces plaines du Sahara algérien et leurs nom-
breuses Oasis aux positions extrêmes oii s'arrêtait alors l'action poli-
tique et militaire de l'autorité française ; il voulait étendre par les
conquêtes de la science les conquêtes du drapeau.
XVIII RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
Telle était la tâche que le jeune voyageur n'avait pas craint de se
proposer.
Il ne s'en dissimulait ni les difficultés, ni les dangers; mais pour
ceux dont une éducation virile a développé de bonne heure les forces
morales, les difficultés et les dangers deviennent un stimulant de plus,
quand il s*agit d'atteindre un but utile ou d'accomplir un devoir.
M. Duveyrier, d'ailleurs, s'y était fortement préparé. 11 possédait
les connaissances qui permettent d'étudier utilement le sol et ses
productions naturelles; il s'était rendu familier l'usage des instru-
ments qui déterminent avec précision les phénomènes physiques et
les conditions climatologiques, ou qui fixent par l'observation des
astres les positions terrestres; il avait acquis la pratique de la langue
arabe; il s'était rompu, en un mot, à ces études préalables sans les-
quelles on a des touristes, mais qui, seules, font l'observateur exact,
le véritable voyageur.
11 n'a pas été donné à M. Duveyrier d'accomplir, dans son im-
mense étendue, le plan qu'il s'était tracé. L'état du pays ne lui a pas
permis de pénétrer dans les parties du Sahara algérien qui prolon-
gent au Sud notre province d'Oran *, encore moins d'arriver jusqu'au
Sahara marocain, qui jusqu'à présent est resté fermé aux chrétiens.
Il n'a guère dépassé, à l'Ouest, le prolongement du méridien d'Alger.
Mais s'il a dû laisser en dehors de ses courses (et peut-être faut-il
nous en féliciter) une partie de son plan, la moitié occidentale, l'autre
moitié, la partie orientale, celle qui embrassait les contrées situées au
Sud de nos provinces d'Alger et de Constantine, en poussant plus à
l'Est encore, jusqu'au Sahara tunisien et tripolitain ainsi qu'au Fez-
zân , toute cette partie orientale, dis-je, a été admirablement remplie,
avec une intelligence, une intrépidité, une persévérance, et aussi avec
un succès qui font de ce voyage une des plus belles et des plus fruc-
tueuses explorations du continent africain.
M. Duveyrier avait donc pris pied à Philippeville au mois de
mai 1859. 11 se dirige immédiatement au Sud, pour atteindre au plus
vile le champ projeté de ses opérations. 11 traverse Constantine,
coupe le plateau, touche aux ruines de Lambèse que nos archéologues
ont si heureusement explorées, traverse les gorges du mont Aurès,
qui domine de son massif élevé toute l'Algérie orientale, et de là
1. El-Golèa\ MethlUi , le pays des Cha*anba explorés d*abord par M. Dnveyrier,
relèvent, il est vrai , de la province d'Oran.
RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. xix
descend à Biskra, qui est, de ce côté, la porte du Désert. C'est là que
commence pour notre voyageur le travail topographique. A partir de
ce point, toutes les routes parcourues sont relevées à la boussole, les
détails en sont fixés comme sur nos reconnaissances militaires, les
positions sont fréquemment corrigées par des hauteurs méridiennes,
et, toutes les fois que cela est possible, par des observations de longi-
tude. Et ainsi se forme, d'heure en heure, jour par jour, presque sans
interruption, pendant vingt-neuf mois, un large réseau de lignes bien
étudiées, à travers des pays dont une partie considérable n'avait été
vue jusque-là par aucun Européen, et dont la carte nous est mainte-
nant parfaitement connue, au moins dans ses traits essentiels.
Je ne veux ni ne puis suivre ici M. Duveyrier dans ses courses
multipliées. Il nous faudrait sillonner, à diverses reprises, une vaste
étendue de plaines arides, semées d'Oasis et coupées d'Ouâdi, en nous
portant alternativement : de Biskra sur El-Golêa' par El-Guerâra et
Ghardâya, en remontant de là sur Laghouât; puis, de nouveau, de
Biskra sur Ouarglâ par Tougourt ; sur Ghadâmès, par la dépression
marécageuse du Meighîgh; sur Gâbès, en Tunisie, par la longue
ligne de Sebkha ou lacs temporaires que l'antiquité a connus sous
le nom de lac Triton. Il nous faudrait, en outre, rayonner de tous
les points principaux sur les positions intermédiaires; il nous fau-
drait enfin suivre, plus à l'Orient, les longues lignes qui relient
entre elles les positions de Tripoli et de Ghadâmès, de Ghadâmès et
de Rhàt, de Rhàt et de Mourzouk, de Mourzouk et de Tripoli. C'est
sur la Carte qu'il faut étudier ce vaste réseau, dont les points extrêmes
laissent entre eux un intervalle de plus de deux cent cinquante
lieues, soit qu'on le mesure de l'Ouest à l'Est, soit qu'on se porte du
Nord au Sud. Ajoutons que, dans ce réseau, une dizaine de points des
plus importants, et, parmi ceux-là, EI-Golêa', Ghardàya, El-Ouâd et
Ghadâmès, sont fixés par des observations directes de latitude et de
longitude ; et que, pour une trentaine d'autres points au moins, no-
tamment pour Ouarglâ, Tougourt, Tôzer et Rhât, le voyageur a rap-
porté de bonnes latitudes. Quelques-unes de ces positions, Ghadâmès,
par exemple, et celles qui se rapprochent de nos frontières, ainsi
que les points principaux de la grande ligne du Fezzàn parcourue par
la mémorable expédition de 18^9, étaient déjà connus d'une manière
exacte ou très-approximative ; mais d'autres, particulièrement dans
l'Ouest, éprouvent un déplacement considérable. Et d'ailleurs, des
XX RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
observations répétées , dans une géographie qui , comme œlle-ci , est
encore en voie de formation , sont toujours extrêmement utiles, ne
serait-ce qu'à titre de contrôle et de vérification. En résumé, les tracés
de routes de M. Duveyrier constituent une véritable triangulation qui
couvre de ses lignes croisées toute la partie orientale du Sahara algé-
rien, triangulation dont la base, dans le sens des parallèles, s'étend
de Ghardâya à Ghadâmès, et qui se prolonge au Sud jusqu'aux oasis
d'El-Golêa' et d'Ouarglà, en se rattachant, vers l'Est, aux positions
déjà fixées de Ghadâmès, de Mourzouk et de Tripoli.
Les détails topographiques de cette vaste reconnaissance, je veux
dire les itinéraires du voyageur, relevés à la boussole et au chrono-
mètre, et rectifiés fréquemment par des observations astronomiques
dont les éléments et le calcul ont été soigneusement vérifiés, ces
détails, dis-je, sont contenus dans une longue suite de feuilles tracées
jour par jour sur le terrain, dont elles expriment tous les accidents.
Le nombre de ces feuilles, y compris les études par renseignements
qui s'y rattachent, ne s'élève pas à moins de 7/4. Ce sont ces mi-
nutes, ces feuilles de détail, remises à Paris entre les ihains d'un
habile dessinateur, qui ont servi à la construction de la Carte défini-
tive où vient se résumer la partie la plus importante des travaux de
M. Henri Duveyrier,
Le temps n'a pas permis encore d'achever la gravure de cette
grande et belle Carte; mais le dessin terminé a été communiqué à
votre commission, qui a pu en apprécier la construction selon la na-
ture des matériaux sur lesquels elle repose dans ses diverses parties.
M. Duveyrier, se prêtant au désir que nous lui avons exprimé, a
mis aujourd'hui ce beau dessin à notre disposition, pour le placer ici
même sous les yeux de l'assemblée.
Il faut y distinguer deux ordres de matériaux différents : ceux qui
proviennent des reconnaissances directes et personnelles du voyageur,
et ceux qui proviennent , soit de reconnaissances européennes anté-
rieures, soit de renseignements reçus des indigènes.
Ces différentes sources de documents n'ont pas, on le conçoit, une
valeur égale au point de vue de l'exactitude absolue. L'immense
Ouâdi qui s'étend de Tougourt à Rhât sur une longueur de près de
trois c nts lieues, et que les Touareg désignent sous le nom d'ighar-
ghar (ou Igharghâren à la forme plurielle, et qui signifie les Rivières),
cet Ouâdi qui, à certains moments, offre dans quelques parties l'as-
RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. xxi
pect d'un grand fleuve , avec ses débordements , a été tracé , partie
d'après Jes relevés de M. Boû-Derba en 1858, document précieux,
bien qu'il n'ait pas la précision rigoureuse des levés de M. Duveyrier,
partie d'après une reconnaissance personnelle de ce dernier voya-
geur, dans une exploration spéciale de la vallée basse, entre El-Ouâd
et Ouarglâ. A l'Ouest et au Sud de Tlgharghar, à l'exception des lignes
parcourues par M. Boû-Derba , M. Colonieu ^ et M. Henri Duveyrier,
tout repose sur les informations indigènes. Je n'ai pas besoin d'insis-
ter sur l'importance de cette distinction.
Cette réserve faite, embrassons d'un coup d^œil l'ensemble de la
Carte de M. Henri Duveyrier.
Ce qui nous frappe tout d'abord, c'est l'aspect du pays.
Voici une vaste région, une région presque égale en étendue à la
France ou à l'Espagne, et qui était, il y a cinq ans à peine, absolu-
ment en blanc sur nos cartes; aujourd'hui, non-seulement elle nous
apparaît couverte d'une multitude de noms et de détails, mais ces
détails renversent toutes les idées que l'on se formait naguère de ce
qu'on nomme, d'un terme générique, le Sahara. Il n'y a pas long-
temps, nous étions encore, sur l'intérieur du Nord de l'Afrique, à la
notion des anciens poétiquement exprimée par . un de leurs géo-
graphes : une plaine toujours unie, partout sablonneuse, a dont les
vents du Midi fouillent et tourmentent les flots arides pareils aux
vagues de la mer *. » Nos idées se sont déjà bien modifiées. Le Sahara
est toujours un immense désert, sans doute, et il reste comme le type
et le point de départ, à la fois , de la longue zone de pays incultes
qui court à travers l'ancien continent, depuis l'Atlantique jusqu'au
fond de la Tartarie ; mais ce n'est plus le désert monotone et nu que
notre imagination se représentait avec terreur. Déjà, l'expédition
anglo-allemande de 1849, par la découverte de la vaste oasis d'Aïr
que le docteur Barth décrit comme une véritable Suisse, entre le
Fezzân et la Nigritie, aussi bien que les explorations de plusieurs de
1. M. ]e commandant Colonieu a bien voulu communiquer à M. Duveyrier la
carte itinéraire inédite de son voyage de Géryville aux oasis septentrionales du
Touàt ; les renseignements fournis par les indigènes sur les contrées à TOuest de
llgharghar, s'appuyent donc sur trois reconnaissances levées avec soin : par M. Boû-
Derba , entre Ouarglâ et El-Beyyodh ; par M. Colonieu , entre Géryville et le Bâten
du Tâdem&yt; par. M. Duveyrier, entre Methlîli et El-Golôa'.
2. Auster immodicus exsurgit , àrenasque quasi maria agens , siccis ssvit fluc-
t!l)ii6.» (tf«Ia, I, 8).
XXII, RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
nos officiers dans le pays des Maures, entre le bas Sénégal et le
Maroc, nous avaient pu donner une première impression de la diver-
sité qui se rencontre au sein de ces solitudes africaines; cette notion
est singulièrement agrandie par les informations de M. Duveyrier, et
enfin par la Carte qui les résume. Là où nous n'imaginions que des
sables éternellement arides, nous avons sous les yeux d'innombrables
Ouâdi ou cours d'eau temporaires, et parmi ces Ouâdi, nous l'avons
déjà vu, le lit tantôt à sec, tantôt rempli, d'un fleuve de trois cents
lieues; bien plus, nous voyons là des lacs nombreux, des sources et
de véritables rivières, des rivières permanentes avec de vraies cas-
cades, au rapport des indigènes, et, à l'origine de ces rivières, des
massifs élevés, des groupes de hautes montagnes surmontées de pics
sourcilleux, et, sur plusieurs de ces pics, des neiges qui se maintien-
nent durant plusieurs mois de Tannée, tout comme dans les gorges
de TAurès. Des lacs , des neiges et des rivières, dans le Sahara I il était
impossible de nous apporter un tableau plus inattendu. Là où se
présente cette nature alpestre, la vie est répandue à profusion. La flore
et la faune ont fourni au voyageur les éléments d'une longue nomen-
clature, et encore n'en a-t-il pas vu les centres les plus actifs. L'ob-
servation personnelle de M. Duveyrier a confirmé ce que d'autres
témoignages avaient déjà fait connaître. «J'ai vu, nous dit -il, au
moment où des pluies abondantes venaient d'arroser la terre , se pro-
duire sous mes yeux le miracle de vastes espaces, nus la veille, trans-
formés instantanément en pacages de la plus belle verdure. Sept jours
suffisent pour que l'herbe nouvelle puisse nourrir les troupeaux. »
Le noyau principal, le centre où vient aboutir cette configuration
si remarquable du Sahara intérieur, et qui la détermine en quelque
sorte, est un massif situé à environ quinze journées vers l'Ouest de
Rhàt. Les informations de M. Duveyrier le représentent comme un
plateau échelonné, coupé de nombreuses vallées, hérissé de sommets
élevés, et d'où rayonnent, en diverses directions, de vastes Ouâdi
dont le lit large et profond se remplit à certaines époques de l'année
d'un volume d'eau considérable. Le principal de ces Ouâdi, ou du
moins le mieux connu , est celui qui se porte droit au Nord sur Tou-
gourt : c'est Tlgharghar que nous avons déjà nommé et dont une
branche considérable vient de Rhàt. Les informateurs de M. Duvey-
rier (car il n'a pu pénétrer jusque-là) lui désignèrent cette région
montagneuse sous le nom d'Ahaggâr. Elle avait été déjà signalée par
RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. xxiii
le docteur Barth, mais d'une manière moins circonstanciée, d'après
ce qu'il en avait appris à Rhât et à Timbouktou. Le nom, chez
M. Barth, est écrit Hogàr ou Hâgara; mais ces formes, dit-il, sont
des formes arabes, et le véritable nom indigène, c'est-à-dire le nom
berbère, sera Atakôr *. C'est le siège d'une des quatre grandes divi-
sions entre lesquelles se partage la nation des Touareg. M. Barth
ajoute : a Mon intelligent ami , le Cheikh-Sîdi-Ahmed-el-Bakkày de
Timbouktou, qui avait vécu quelque temps chez les Hogâr, ainsi que
chez les tribus du pays d'Aïr, m'assura de la manière la plus positive
que ce groupe de montagnes, et en particulier une longue chaîne qui
en fait partie, est beaucoup plus élevé que les montagnes d'Aïr, et
que les rochers, dont la couleur est rougeâtre, en sont très-escarpés.
On voit, dans l'intérieur de ces montagnes, de très-belles vallées et
des gorges pittoresques, et quelques-unes de ces vallées, où il y a de
belles eaux courantes qui ne tarissent jamais, produisent des figues et
du raisin *. »
Ces informations, on le voit, viennent complètement à Tappui de
celles qu'a recueillies M. Duveyrier; seulement ces dernières sont
infiniment plus détaillées. Elles mettent hors de doute qu'au centre
même du Grand Désert, sous le méridien de Sétif et vers le 25* degré
de latitude, c'est-à-dire à mi-distance environ entre l'Algérie orien-
tale et le grand fleuve de Timbouktou, il existe une région monta-
gneuse très-abrupte, très-variée, très-pittoresque et d'une étendue
considérable; que dans cette région, habitée par une forte et belli-
queuse fraction de Touareg, il y a des montagnes assez hautes pour
y conserver de la neige durant trois mois de l'année; qu'on voit là,
comme dans l'oasis d'Aïr décrite par le docteur Barth, de belles et
firaîches vallées avec des sources vives et des eaux courantes; et
qu'enfin des Ouâdi larges et profonds, qui seraient de grandes
rivières, si les pluies, dont le Désert est privé, leur apportaient des
eaux permanentes, divergent de ce noyau montagneux en se portant
vers tous les points de Thorizon, au Nord (c'est l'igharghar), à l'Ouest
et au Sud. Tel est, dans son expression générale, le résumé des infor-
mations recueillies par M. Duveyrier, et qui sont parfaitement d'ac-
cord avec celles du docteur Barth.
1. AtakAr signifie faîte, Atakôr-n-Àhaggàr, fatte du Ahaggàr.
S. D* Barth, Travels in Centrai Africa , 1 , 567.
XXIV RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
Si M. Duveyrier avait pu s'avancer jusque-là; s'il avait pu exami-
ner de près et de ses propres yeux cette curieuse région, en étudier
la structure géologique et la conformation extérieure, se rendre pré-
cisément compte, par des observations directes, des conditions clima-
tologiques particulières au pays, du régime de ses eaux permanentes
et de la direction de ses vallées sèches; si M. Duveyrier, disons-nous,
avait pu faire cela, il aurait ajouté une conquête bien précieuse à
toutes celles qu'il a rapportées de son beau voyage. Ce n'est pas
faute d'y avoir aspiré assurément, et d'y avoir fait tous ses efforts;
c'est une tâche dont lui-même ne se tient pajs quitte envers la science,
car son plus vif désir est de retourner promptement sur le théâtre de
ses premiers travaux, et d'y poursuivre ses explorations si bien com-
mencées. En attendant, il a étudié et combiné avec une profonde
attention la masse considérable de renseignements qu'il a pu recueil-
lir de la bouche des Arabes et des Touareg, et en les rapprochant du
précieux itinéraire de M. Boû-Derba, il en a tiré toute la partie infé-
rieure de sa Carte à l'Ouest de Rhât. C'est une acquisition déjà fort
importante, quoique provisoire, pour cette région intérieure du
Sahara. Si votre commission, messieurs, avait à faire une observa-
tion sur cette partie de la Carte qui repose, non sur les reconnais-
sances personnelles de M. Henri Duveyrier, mais sur la combinaison
de renseignements, cette observation porterait seulement sur l'aspect
net et précis que le dessin leur donne. Peut-être y pourrait-on dési-
rer, dans l'intérêt de la vérité rigoureuse, un aspect et des contours
moins arrêtés. Ce qui appartient en propre au voyageur se distin-
guerait mieux de ce qui n'a qu'une valeur de combinaison. Quand on
sait à quel point les renseignements indigènes les plus dignes de
confiance se sont, pour la plupart, profondément modifiés lorsqu'ils
ont subi le contrôle direct de l'observation européenne, on éprouve
le besoin d'apporter une grande réserve dans l'emploi de cette nature
de documents. Notre remarque, au surplus, ne porte en aucune
façon sur la valeur spéciale des informations réunies par M. Duvey-
rier, ni sur l'application générale qu'il en a faite : c'est une question
de mesure dans l'expression du dessin, rien de plus.
En définitive, il y a un grand fait qui ressort de la vue de cette
Carte , au total si remarquable, aussi bien que de l'ensemble des
informations déjà nombreuses que les observateurs européens nous
ont apportées dans ces derniers temps sur les diverses régions du
RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE. xxv
Grand Désert : c'est la diversité d'accidents et de configuration que
présente sa surface dans toutes les parties jusqu'à présent visitées.
Une carte qui représenterait, dès à présent, ce qu'on en connaît au
Centre, au Nord et à l'Ouest, une carte surtout, telle que la marche
aujourd'hui si active des explorations permettra de la construire d'ici
à moins de dix ans peut-être, présenterait, au lieu de cette immense
étendue de plaines uniformes qui occupe la moitié du Nord de
l'Afrique sur nos cartes actuelles, presque autant de particularités de
configuration, sauf l'absence Mes villes et de rivières permanentes ,
qu'une région quelconque de l'Asie et de l'Europe. La nature ne fait
rien d'inutile, rien qui n'ait sa cause. Ces Ouâdi sans nombre, ces
rivières sans eau qui sillonnent le Désert comme les rivières et les
ruisseaux sillonnent nos campagnes, indiquent évidemment, dans le
passé sinon dans le présent, un état de choses que la pensée a peine
à concilier avec la privation presque absolue d'eaux courantes qui
caractérise le Désert. C'est là un sujet d'études déjà plus d'une fois
touché sans doute, mais qui appellera de plus en plus l'attention des
voyageurs instruits et des géologues.
De tous ces grands Ouâdi intérieurs, le plus étendu et maintenant
le plus accessible, l'igharghar, devra être, dans son immense déve-
loppement, l'objet d'une investigation et d'une étude toutes spéciales.
Il y aura là, sans aucun doute, des questions du plus haut intérêt à
examiner et à résoudre. Cet objet seul justifierait et récompenserait
pleinement une expédition spéciale.
Au point de vue physique, cette immense vallée de Tlgharghar.
presque partout à sec ou qui n'a que des eaux temporaires, mais qui
présente, selon l'expression de M. Duveyrier, l'aspect du lit d'un
grand fleuve, offre un curieux phénomène. Partant de la région
élevée de Rhât et de TAhaggâr, et recevant de droite et de gauche, à
mesure qu'elle avance dans le Nord, un grand nombre d'Ouâdi secon-
daires pareils aux affluents de nos fleuves, elle vient enfin se perdre,
au Nord de Tougourt, dans une large dépression marécageuse qu'on
appelle le Chott-Melghîgh , où vient aussi aboutir un grand courant,
une véritable rivière, le Djedî, qui a ses sources à l'Ouest, dans le
Djebel- Amour, et longe, depuis Laghouât, le pied des montagnes.
Les premiers observateurs qui de l'Algérie descendirent au Melghîgh,
il y a une dizaine d'années, reconnurent avec étonnement, aux indi-
cations concordantes de leur baromètre , que le sol où reposent ces
XXVI RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
vastes lagunes s*enfonce au-dessous du niveau de la mer. M. Paul Mares
a trouvé une altitude de — 1 3 mètres pour le fond du Chott dans sa par-
tie Nord-Ouest. Ces observations seront-elles confirmées par celles de
M. Duveyrier *? Si Tlgharghar fut autrefois un véritable fleuve, il n'a
donc pu, comme le pense M. Duvoyrier, aller déboucher dans le fond
de la petite Syrte par le fleuve Triton , à moins d'un changement com-
plet dans la configuration et le niveau du pays, changement qui ,
dans tous les cas , serait antérieur aux temps historiques.
Cette condition physique, particultère à la région orientale du
Sahara algérien, de deux longues vallées parties des deux points
opposés, l'une de l'Ouest, celle du Djedî, Tautre du Sud, celle de
righarghar, et venant l'une et l'autre aboutir à la même dépression
du sol, le Meliîhîgh, celte particularité physique, dis-je, nous fournit
l'explication d'un ancien texte géographique dont la rédaction avait
d(\ jusqu*à présent paraître assez bizarre. Je veux parler de la des-
cription du cours du Gir dans Ptolémée. Le Gii\ ou, comme le nom-
ment les auteurs latins, le Niger, a été longtemps une pierre d'achop-
pement pour les criti(iues. Trompés par les énormes aberrations des
latitudes du géographe alexandrin, on voulait retrouver très-loin dans
le Sud une rivière qui appartient à la région de TAtlas; on allait la
chercher jusque dans le Soudan, où les anciens n'ont jamais pénétré.
C'est de là qu'est venue l'application que l'on fait encore tous les jours
du nom de Xigcr au Dhioliba ou Kouàra, c'est-à-dire au grand fleuve
deTimbouktou, application qui se perpétue même après que Terreur
est reconnue; car, en géographie, comme en bien d'autres choses,
rien n'est plus diflicile à déraciner qu'un abus. Habituellement, il y
a dans une rivière doux choses assez distinctes, une source et une
embouchure; dans Ptolémée, le G/rn'a pas de débouché, et il a deux
sources opposées, deux sources placées aux deux extrémités du fleuve,
l'un au Nord-Ouest dans l'Atlas, l'autre au Sud-Est dans une vallée
nommée la Gorge garamantique, c'est-à-dire au voisinage du Fezzàn
qui est le pays des Garamantes. Rapproché des notions actuelles, des
l. Les observations barométriques publiées par M. Duveyrier pour déterminer
les altitudes des points de son exploration du pays des Touareg du Nord, commencent
à El-Ouâd. Celles faites dans l'Ouàd-Rlgh , sur les bords du Chott-Melghîgh, et dans
le Nefzàoua , c'est-à-dire entre le point où righarghar se perd dans les lagunes et le
golfe de Gâbès, seront publiées ultérieurement dès que le voyageur pourra les calcu-
ler au moyen des observations correspondantes faites sur le littoral , à Alger, par
M. O. Mac-Garthy.
RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE, xxvii
notions fournies par M. Boù-Derba et complétées par M. Duveyrier,
tout cet agencement devient parfaitement clair, et, qui plus est, par-
faitement exact; ce qui nous montre une fois de plus qu'en bien
des cas le progrès de nos propres découvertes confirme, en les
appliquant, celle des anciens. L'identité du Niger avec les deux
vallées confluentes du Djedî et de l'Igharghar, identité que votre
rapporteur a le premier nettement affirmée, même avant le voyage
de M. Duveyrier, est désormais un fait hors de discussion.
Ce n*est pas seulement dans sa Carte que M. Duveyrier a con-
densé les résultats physiques et mathématiques de ses vingt-neuf
mois d'explorations, il les a développés dans un volume d'une éten-
due considérable auquel s'ajoutera plus tard un complément qui sera
consacré à la partie commerciale du voyage. Ce premier volume se
compose tout entier de faits et d'observations. L'hydrographie, la géo-
logie, la climatologie, les déterminations astronomiques, Thypsomé-
trie, l'histoire naturelle et l'ethnographie, y sont l'objet d'une suite de
chapitres d'un grand intérêt scientifique, sans préjudice de l'archéo-
logie monumentale et épigraphique, sans oublier non plus les infor-
mations utiles au commerce. Une notice très-détaillée sur les Touareg
ajoute bien des particularités importantes, bien des faits nouveaux, à
ceux que d'autres investigateurs, M. Carotte, iM. Daumas, M. Devaux,
le docteur Barth, M. Hanoteau, nous avaient déjà donnés sur ce peuple
remarquable, qui garde au cœur du. Sahara, où Tinvasion arabe du
XI* siècle l'a repoussé, la pureté du sang berbère et l'idiome inaltéré
de sa race.
Dans cet aperçu encore bien restreint, malgré son étendue, du
caractère de cette exploration et de l'importance extrême de ses résul-
tats, j'ai eu surtout pour objet, messieurs, comme organe de votre
commission, d'exposer les raisons qui, d'une voix unanime, nous ont
fait décerner à M. Henri Duveyrier la grande médaille d'or que la
Société a jusqu'à présent consacrée chaque année à la découverte la
plus importante en géographie. Nous n'avons pas oublié non plus,
messieurs, que les longues investigations de M. Duve^Tier, en même
temps qu'elles ont puissamment servi la science, ont eu aussi des
résultats fort importants pour l'extension de nos rapports avec les
tribus intérieures. Servir à la fois l'honneur scientifique et les inté-
rêts de son pays est un double titre que réunit M. Duveyrier.
Je n'aurai pas à m'étendre beaucoup, messieurs, sur les voyages
XXVIII RAPPORT DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE.
qui auraient pu, en dehors de celui de M. Duveyrier, balancer les
suffrages de votre commission. Il est une classe de travaux et d'ex-
plorations d'une nature tellement spéciale, tellement circonscrite dans
leur nationalité et dans les intérêts qu'ils représentent, les explora-
tions australiennes, par exemple, et celles des Russes dans l'Asie
centrale, qu'elles restent nécessairement en dehors de nos concours.
Parmi les explorations d'un caractère plus général qui auraient pu
entrer cette année en balance avec celles de notre jeune compatriote,
il n'en est qu'une, une seule, sur laquelle a dû se porter l'attention
de votre commission : c'est le voyage si important du capitaine Speke
et de son compagnon le capitaine Grant à travers la région des
sources du Nil. Les capitaines Speke et Grant ont été les intrépides
pionniers de cette difficile exploration de l'Afrique équatoriale, qui
attend maintenant des investigations plus approfondies. Ils ont, pour
la première fois, traversé la zone inexplorée où se trouvent les
sources encore inconnues du fleuve d'Ég^Tpte ; leur voyage restera
toujours comme une des entreprises mémorables de notre époque,
comme un des faits importants de l'histoire des découvertes. Mais,
d'une part, les droits de M. Henri Duveyrier avaient été réservés
Tannée dernière; d'autre part, c'est un devoir pour votre Société
d'attendre, avant de prononcer ses jugements, qu'une lumière com-
plète se soit faite sur les questions. 11 est d'ailleurs permis d'espérer
que les deux voyageurs anglais ne s'arrêteront pas en si brillant che-
min, et qu'ils auront quelque jour de nouveaux titres à ajouter à
celui que nous avons cru devoir ajourner pour cette fois.
Déterminée par ces considérations, messieurs, votre commission
décerne sa grande médaille d'or de 1861 à M. Henri Duveyrier, pour
ses explorations du Sahara algérien, tunisien et tripolitain, ainsi que
du pays des Touareg. Nous honorons ainsi tout à la fois et l'impor-
tance des résultats obtenus, et la rare énergie en même temps que
les hautes qualités scientifiques dont le voyageur a fait preuve, à un
âge où il est si rare de trouver de tels mérites développés à ce point.
En décernant ce prix si bien acquis, votre commission, messieurs, a
obéi à une double pensée : c'est une récompense pour le passé; c'est
une espérance pour l'avenir.
TECHNOLOGIE INDIGÈNE
ARABE OU BERSkRE
DONT IL B8T FAIT U0AOB
DANS CET OUVRAGE ET SUR LA CARTE QUI L'ACCOMPAGNE
SOL.
Outa, Ouotia; plaioe.
Reg ; plaine aride et déserte.
Hofra ; dépression.
Hamâda, pi. Ham&d; plateau, plaine
unie.
TasUi^; plateau.
B&ten ( litt. ventre); montagne ou colline
allongée.
Koudiya ; mamelon isolé ( montagne ,
dans rpuest).
Toùmia, pi. Toûmiftt (litt. jumeaux) ;
mamelons doubles.
Dra' (litt. bras); coteau, colline allongée.
R&s (liu. me) ; cap.
Khechem (litt. nez); pointe de rochers,
cap dans le Désert.
Châreb ( litt. lèvre) ; crête.
Kâf ; rocher.
Djebel; montagne.
Djebil; petite montagne.
Adràr, Adghâgh; montagne.
Tadràrt; petite montagne.
G&ra, gàret, pi. Goûr; élévation isolée,
témoin géologique du sol primitif.
Fedjdi]; col.
Thenîya ; col.
Téhé; col.
Khenga, Kheneg; défilé, passage étroit.
Khoneïg; petit défilé.
Aghelàd ; défilé , passage étroit
*Aqba; montée.
Menzel; descente.
1. Les Boms écrits eo lattrts italiques appartiennent à la nomendatare berbère.
XXX
TECHNOLOGIE INDIGÈNE.
Sables.
Remel , Ramla ; sable , plaine de sable.
Ghoûrd, pi. Aghrâd ; haute dune ou mon-
tagne de sable.
Zemla, pi. Zemoûl ; dune allongée.
Sif (litt. sabre); dune allongée à pente
roide.
Guelb, pi. Goloûb; dune en forme de cœur.
Guelib; petite dune en forme de cœur.
'Erg, 'Aregî collection de dunes, région
des dunes.
'Al îg; petite collection de dunes.
Adehi, p\. Édeyen; sables, collection de
dunes.
Iguîdi J, Idjtdi; collection de dunes.
Kheit (litt. cordon); cordon de dunes.
Dourîya; passage tournant autour d'une
dune.
Sahan ; dépression plate.
Haoudb; bassin entre des dunes.
Hafir; dépression.
EAUX.
filr, pi. Abiàr ( mot oriental ) ; puits,
puits profond.
Bouîr, pi. Bouîrât; puits petit.
Mouî^ Mouîa (litt. eau); puits.
Hàssi (mot occidental ) ; puits , puits pro-
fond.
Hessî; puisard.
•Ogla (dans l'Ouest]; puits. (Dans TEst) ;
puits avec un camp permanent, et
siloa à provisions.
Guettàr, Guettàra; puits alimenté par
des suintements.
Sânia; puits à bascule souvent entouré
d'un jardin ; jardin.
Souiniya; petit puits à bascule.
Themed; puisard, puits qui se des-
sèche.
Anou; puits.
Tânoût, Tdnit; puits, petite source.
Màssfn : puits qui donne peu d'eau.
Fogfira ; puits à galeries d'écoulement ho-
rizontales.
Sâguia; canal d'écoulement des eaux.
'Ain (litt. œt7), pi. 'Aioûn ; source.
'Aouîna, pi. 'AoulnM; petite source.
Tâla; source.
TU, pi. Tittaoutn (litt. œil); source.
Temàssint ; petite source.
Rliedîr; flaque d'eau persistante.
Abankôr; flaque d'eau persistante.
Bahar (litt. mer); lac permanent.
Adjelmam; lac.
Chott (litt. rive, rivage); lac salin des-
séché.
Sebkha; lac salin desséché, quelquefois
submergé en hiver.
Dhâya; grande mare d'eau douce dessé-
chée.
Guera'a; grande mare d'eau douce dessé-
chée.
Gueràra, pi. Guerâir; bas-fond dans le-
quel se perd un Ouàd.
Guercyyir; petit bas-fond dans lequel
se perd un Ouàd.
Ouâdl, Ouàd, pi. Ouidiân; rivière, lit
de rivière.
Aghahar; rivière, lit de rivière (mot
ancien).
Aghezer ; rivière , lit de rivière ( mot
moderne.)
Cha'aba, pi. Cha'ab; ravin.
Tàlat; ravin.
Menkcba; point où cesse un ravin.
Defa'a; point où se perd un ravin.
1. Mot des Berâber du Maroc
TECHNOLOGIE INDIGÈNE.
XXXI
HABITANTS.
Ouled, pi. Ool&d; fils.
Ou, pi. AU y i4t;flls.
Ould-Sldi, Oulâd-Sldi; fils de monsei-
gneur.
Ou-Stdi; fils de monseigneur.
Hâdj, Hadjdji, pi. Hadjâ^j; pèlerin, ce-
lai qui a fait le pèlerinage de la Mekke.
Ben^ pi. Benl; fils, descendants de.
Ahel; gens.
Kél ; gens.
Tédjéhé; confédération.
Meràbot , pi. Meràbotln ; marabout, ma-
rabouts.
Cheikh, pi. Chioûkh; vénérable, chef.
HABITATIONS.
Dâr, pi. Di&r; maison.
Haouch; ferme, maison.
Zeriba, pi. ZeriUb; cabane en bran-
chages.
Kheima; tente.
Ehen; tente.
Hoûma; quartier, village. (Mot de Tile
de Djerba. )
Bordj; fort, château.
Qaçar, pi. Qeçoûr; village fortifié.
Qaçba; citadelle.
Zâouiya; couvent musulman, école, ville
religieuse.
Belâd; ville, village, pays.
Kherba, pi. Khoroûb; ruine.
Kantara; pont.
DIVERS.
Ghàba; verger de dattiers, forêt, oasis.
Ghoût; petite oasis.
Soùk; marché.
Mersa, Mers; port.
Mi'a&d; lieu de réunion.
Hammam ; bains d*eaux thermales.
Cherg ; Est.
Chergui, Chergulya; oriental.
Gharb , Ouest.
Gharbi, Gharbtya; occidental.
Gaebla; Sud.
Guebli, Gucbllya; méridional.
Dahra; Nord.
Dahràni, Dahrântya; septentrional.
Lefia'âya ; séjour des vipères cérastes.
Boû (litt. père) ; possesseur de.
Oumm, pi. Oummât (litt. mère); pos-
sesseur de.
Gober, pi. Gueboûr ; tombeau , cime-
tière.
Moqsem ; partage d'eaux.
Dan; fils de, issu de.
In, En, Wdn, Ouàn, Owen; celui de,
c'est-à-dire, endroit de.
T(n, Tân; celle de, localité de.
El,Ed, Edh, Bt, Eth, Es, En, Ez, re-
présentent l'article: le, la, les, du,
au, des, aux.
D, Ed: et.
XXXIl
TECHNOLOGIE INDIGÈNE.
PRINCIPAUX ADJECTIFS QUALIFICATIFS
Djedid, DJedida; nouveau, nouyelle.
Qedlm , Qedlma; ancieu , ancienne.
Ahmar, Hamr&; rouge.
Abiodh, Beîdha; blanc, blanche.
Mellen, Mellet; blanc, blanche.
Kahal, Kâhela; noir, noire.
Asoued, Souda, S6da; noir, noire.
Azreg, Zerga; bleu, bleue.
Keblr, Keblra; grand, grande.
Seghtr, Seghira; petit, petite.
Tout!, Touila; long, longue, profonde.
Asfer; Jaune.
ERRATA.
CORRECTIONS GÉNÉRALES.
Au limi de : 'Abd-el-Kader, Adrar, Afahlehlé, Axel, Cheikh, Chorfa, Fez, Golea\
In-Exxao, In-S&lah, Ismayl, Kadbi, Kasba, Mehyaf, Sahara, Sanh&dja,
Soadan, Targui, Tittaouin» Tlemsen.
Un : 'Abd-el-Qftder, Adràr, Afahlèhlé, Azhel, Cheikh, Chorfà, F&s, Golèa*a, In-
Esz&o, In-Çàlah, Isma^yl , Q&dhi, Qaçba, Mebyàf, Çahara, Çanb&dju,
Soudan , Tài^i, TiUaouIo, Tlemsâa.
CORRECTIONS PARTICULIÈRES.
PàGES. Au lieu de :
Lire :
III HiloD,
Millon.
6 Caillé,
Caillié.
6 à 87 Marrés,
Mares.
40 il y a retrouvé les iofusoires.
il y a retrouvé quelques infusoires.
43 pyrogénique.
pyrogène.
58 redhir.
rhedlr.
75 Massif de HàroûdJ,
Massif du H&roûdj.
76 Freudeubourgb ,
Frendenburgh.
80 Gharbia,
Gharblya.
m 2 décembre.
20 décembre.
112 il y en a 325,
il y en a 335.
U9 Kerchoud,
Kerchoud.
161 CrOTOLABU SAUARiB,
CaOTALAEIA SaBARA.
160 au Sud de Maroc ,
au Sud du Maroc.
183 i mètre.
1/2 mètre.
190 Var,
var
m ibvA,
Akrya.
XXXI V ER
RATA.
Pages. Au lieu de :
Lire .
4»l Abesgui,
Abezgui.
in Ouâdi-Sa*adan,
Ouàdi-Sa*adÀna.
494 T!n-FedjacuÎQ,
Tln-Fedjaouin.
203 Comme le dis du Tell,
Comme le gueçob du Tell.
225 begueur,
beguer.
225 ihinkad.
ihinkàd.
226 meçici,
meçtçt.
227 arUtâ,
arhàta.
255 Abou l"Abbàs ,-
AboûM 'Abbàs.
262 (voir la planche ci-contre).
(voir la pi. XI, fig. 1, page
252)
277 toi.
voit.
290 ouasifl.
oasis.
339 du ménage, elle,
du ménage, si elle.
388 (PI. XXI)» iod, tegherit, iar,
iod, teghêrtt, iar.
390 (PI. xxn), n° ,
n-'so.
403 temankart,
temankait.
404 taftak,
taftaq.
405 takkaouit,
takhaouit.
405 iméki.
imeki.
408 tàserhmâlt,
tàurhàll.
427 tekMrmit,
tekôrmit.
440 amadjedol.
amadjedàl.
448 amârhslai.
amârhelài.
458 passait par Telizzarhôn , Anaï ,
passait par Anai.
458 et conduit par,
et conduits par.
463 Aiele,
Alele.
490 Taibu des Ibèguelàn,
Tribu des Ibôguelàn.
ADDITIONS.
Page 45 Planorbis Duvkyrieri. Voir au supplément : Mollusques fos^les, page 25.
09 Douôssa est un point à l*Ouest de la route de M. le docteur Barth , entre
El-Hesl et rOu&di-ech-Cbi&ti , au Sud de la Hamâda-el-Homrik , dans
la Tripolitaine.
150 DrPLOTAxis Ddvetiierana. Voir sa description au supplément : Plantes
nouvelles, page 31.
161 Crotaiwiria SAHARiB. Voir sa description au supplément : Plantes nou-
wlles , page 33.
182 Htosctamus Falezlbz. Voir sa description au supplément : Plantes nou'
velles, page 35.
229 Mollusques rivants déterminés après Timpression des Tottàreff du Nord.
Voir leur description au supplément, page 1 et suivantes.
458 La route garamantique qui passait par Telizzarhfin était une autre voie
que celle passant par Anal.
TOUAREG DU NORD
LIVRE PREMIER.
DIVISIONS NATURELLES ET POLITIQUES.
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. — SOL ET CLIMAT.
CHAPITRE PREMIER.
DIVISIONS ET LIMITES GÉNÉRALES DES CONFÉDÉBATIONS TOUAREG.
Cette étude est restreinte aux Touareg du Nord ; mais, pour la
circonscrire dans les limites que je lui assigne, quelques lignes sur
Tensemble de la nationalité targuie S sur ses divisions territoriales
et politiques, semblent un préliminaire indispensable.
Sous le nom général de Touareg, nom d'origine arabe et adopté
par les Européens , quoiqu'il soit repoussé par ceux auxquels il
s'applique, on comprend quatre grandes divisions politiques corres-
pondant à quatre grandes divisions territoriales, savoir :
La confédération des Azdjer ou Kêl-Azdjer*, au Nord-Est, avec le
plateau du Tasîli du Nord et dépendances, pour patrie;
La confédération des Ahaggar ou Kêl-Ahaggàr. au Nord-Ouest, dans
le mont Ahaggâr ou Hoggâr des Arabes;
I^ confédération d'AïR ou Kêl-Aïr, plus généralement connue
i. Touareg, au singulier Targui, au féminin tàrguia, en français targuie.
*i. Kû signifie gens de; souvent, dans le discours, on dit Azdjer, Ahagg&r, Air,
pour dire gens d* Azdjer, gens d'Ahaggâr, gens d'Air. Pour simplifier, j'imiterai
l'exemple des indigènes.
I. I
2 TOUAREG DU NORD.
sous le nom de Kêl-Ouï, au Sud-Est, dans le massif iïAïr, égale-
ment appelé Azben;
La confédération des Aouéummiden, au Sud-Ouest, dont le territoire
comprend une portion montagneuse, VAdghagh^, et une portion plane,
ÏAhâouagh.
Les Azdjer et les Ahaggâr constituent les Touareg du Nord,
comme les Aïr et Aouélimmiden ceux du Sud.
Ces derniers ayant été visité? et étudiés avec beaucoup de soin
par mon savant ami et protecteur, M. le D' Barth*, je n'ai pas à
m'en occuper, estimant assez belle la part qui m'est dévolue, si je
parviens à combler la lacune de l'exploration de mon illustre de-
vancier.
Quoi qu'il en soit, je constate d'abord un caractère commun aux
quatre confédérations des Touareg ; c'est que chacune d'elles a
adopté comme centre de sa vie politique un système isolé de mon-
tagnes , refuge de son indépendance et foyer de ses libertés.
Deux de ces massifs isolés , ceux occupés par les Touareg du
Nord, embrassent les points culminants du plateau central du Sahara
et les points de partage des eaux entre le bassin de la Méditerranée
et le bassin de l'Océan Atlantique; les deux autres, à un gradin in-
férieur du plateau , appartiennent au bassin du Niger.
Entre les quatre massifs, s'étendent de vastes plaines, véritables
déserts arides, tantôt sablonneuses, tantôt rocheuses, tantôt à sol
crayeux, parfois affectant la formation alluvionnaire des bassins salins
des Sebkha, le plus souvent se présentant sous la forme d'un sol cail-
louteux, très-dur, d'où le nom arabe de Sahara qui signifie terre dure.
S'il est permis d'assigner à chaque confédération, comme étant
son patrimoine propre, le massif de montagnes qu'elle occupe, il
devient impossible d'indiquer, dans les plaines, là où commence, là
où finit le territoire de chacune d'elles et de préciser les limites qui
les séparent de leurs voisins non Touârcg.
Le droit de premier occupant, le seul à invoquer dans ces im-
menses terres de parcours, n'a de valeur sérieuse que s'il est appuyé
sur une force capable de le faire respecter. Néanmoins, sous la
1 . Forme emphatique du mot adrar, montagne.
2. Voir le grand ouvrage de M. le docteur Barth , tomes I, IV et V des éditions
anglaise et allemande.
DIVISIONS ET LIMITES GÉNÉRALES. 3
réserve d'éventualités qui souvent substituent le fait brutal de l'in-
vasion à la pratique pacifique d'usages consacrés par le temps, on
peut assigner comme limites générales aux territoires occupés par
les quatre confédérations Touareg, savoir :
Au Nord, 1® une ligne droite partant d'El-Hesî dans le Hamàda-
el-Homra de la Tripolitaine et allant à Ghadâmès; 2<> une ligne,
également droite, partant de Ghadâmès et aboutissant à la limite
Nord de la confédération indépendante du Touât;
A l'Ouest, les rebords oriental et méridional du plateau de
Tàdemâyt et la route des caravanes d'Aqabli à Timbouktou;
Au Sud, une ligne partant de Timbouktou et aboutissant à
Oungoua-Tsammit, au Nord de Zinder;
A l'Esl, d'abord une ligne parallèle à la route de Koûka à Mour-
zouk, mais d'un quart de degré à l'occident, puis la route directe
de Mourzouk à Tripoli jusqu'à El-Hesî, où nous retrouvons le point
de départ.
La limite septentrionale, sur laquelle je devrai revenir, sépare les
Touareg du Nord des tribus algériennes, les Souàfa, les Rouâgha et
les Chaânba, avec lesquelles ils sont aujourd'hui en bonnes relations
après de longues luttes que l'administration française a fait cesser.
La limite occidentale sépare d'abord les Ahaggâr des oasis du
Touât ainsi que des tribus nomades qui en dépendent , entre autres
les Oulâd-Bà-Hammou ; puis elle place d'immenses déserts entre les
Ahaggâr, les Aouélimmiden et les tribus nomades, arabes et ber-
bères des rives de l'Océan Atlantique. Maigre la barrière d'affreuses
solitudes que la Providence a placées entre des ennemis irréconci-
liables, ils parviennent néanmoins à se rencontrer quelquefois les
armes à la main.
La limite méridionale, telle que je l'ai indiquée, est celle qui
séparait autrefois les Touareg du Sud de l'ancien empire de Zonghay ;
mais, depuis quelques années, les Aouélimmiden ayant reconquis sur
les Fellàta les deux rives du Niger, jadis occupées par les Zonghay, la
limite doit être reportée plus au Sud.
La limite orientale sépare les Touareg d'Aïr du peuple Teboû, et
les Azdjer du Pachalik du Fezzân. En cette dernière partie, les
Azdjer occupent des territoires appartenant à la Turquie, mais sans
subir.sa domination.
Dans ces limites, l'ensemble des territoires des quatre grandes
k TOUAREG DU NORD.
divisions du peuple targui forme , entre l'Afrique septentrionale et
l'Afrique centrale, un immense quadrilatère que le tropique du
Cancer partage en deux moitiés à peu près égales, et que les géo-
graphes connaissent sous le nom de plateau central du Sahara.
Les Touareg donnent à leur pays le nom général û'Adjema, syno-
nyme de Sahara.
D'après eux, les points de Timissaosur TOuâdi-Tarhît, d'Asiou et
d'In-Guezzam sur TOuàdi-Tàfasàsset sépareraient les Touareg du
Nord de ceux du Sud et les deux grandes gouttières d'écoulement des
eaux de leur pays, l'Ouâdi-lgharghar et l'Ouâdi-Tàfasàsset, l'une au
Nord, l'autre au Sud, seraient généralement acceptées, mais non
sans quelques exceptions particulières, comme lignes de démarca-
tion entre les confédérations orientales et les confédérations occi-
dentales.
Ces divisions générales posées, je rentre dans l'objet spécial de
ce travail : les Touareg du Nord.
CHAPITRE IL
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE.
La géographie physique du grand plateau central du Sahara offre
à l'observation deux phénomènes caractéristiques qui appellent au
même degré l'attention du voyageur et l'obligent, à son insu, à
rechercher la cause d'exceptions aussi considérables : d'un côté,
d'immenses plateaux dénudés, où la roche, continuellement balayée
par les vents, n'est recouverte de terre végétale que dans les parties
abritées; d'un autre côté, d'immenses bas-fonds, envahis par les
sables, de manière à faire disparaître le sol primitif et dans lesquels
s'amoncellent, en véritables montagnes, des dunes de 100 mètres et
plus de hauteur.
Quoique les dunes occupent peu d'espace dans les territoires
parcourus par les Touareg du Nord, je ne crois pas pouvoir m'abs-
tenir, avant de pénétrer dans les régions élevées du plateau central
du Sahara, de chercher à donner une idée, aussi nette que possible,
de la zone qu'elles forment entre la chaîne atlantique et les massifs
de l'intérieur.
Ce chapitre comprendra donc deux paragraphes : l'un spécial à la
zone des dunes, l'autre exclusivement consacré aux parties surélevées
des plateaux, dont les détritus jouent un si grand rôle dans la géo-
graphie physique du Sahara.
S !•'. — ZOWB DES DUNES.
Les noms suivants ont été donnés aux diverses parties de cette
zone par le^ populations qui la traversent :
'Erg, 'Arg, 'Areg (veines), par les Arabes * ;
Adehî, au plur. Edeyen (dunes), par les Touareg;
1. CaiUé écrit Helk, mais, par la description de la contrée à laqueUe il donne
ce nom , il est facile de reconnaître quMl a mal entendu le mot *Erg.
6 TOUAREG DU NORD.
Iguidi, Igdia, K-Ci^rféo (dunes), par les Berbères marocains et
sénégaliens.
Cette zone a été reconnue ou traversée, par des voyageurs euro-
péens, sur différenls points de son immense étendue, savoir :
Au Sud de VOuâd-Noûn, entre le Sénégal et le Maroc, du 22^ au
230 latitude N. par M. Panet, en 1850; par M. le capitaine Vincent,
en 1860;
Au Sud du Maroc, par René Caillé, en 1828, du 22« au 28'»
latitude N.;
Au Sud de l'Algérie, entre les montagnes des Oulâd-Sîdi-Cheïkh
et le Touât, par MM. de Colomb, Colonieu et Marrés ; entre El-
Golêà et le plateau de Tàdemàyt, par moi, en 1859 ; entre Ouarglâ et
la Zaouiyade Timâssaiiîn, par M. Ismayl-Boû-Derba, en 1858; entre
El-Ouâd et Ouarglâ, par moi, en 1860 ;
Au Sud de la Tunisie, entre El-Ouâd et Nafta, par moi, en 1860;
entre El-Ouâd et Ghadâmès, par M. le capitaine de Bonnemain,
en 1858; par moi, en 1860; par la mission placée sous la direction
de M. le lieutenant-colonel Mircher, en 1862 ;
Dam la partie Sud de la Tripolitaine, entre El-Hesî et TOuâdi-el-
Gharbi, par M. le docteur Barth, en 1850; entre le plateau de
Tînghert et la vallée des Igharghâren, par moi, en 1860; entre
rOuâdi-el-Gharbi et les lacs du Fezzân, par moi, en 1861.
De plus, j'ai recueilli, par renseignements, de nombreux itiné-
raires traversant F 'Erg dans toutes les directions : trente-trois, pour
la zone comprise entre Ouarglâ, Gâbès, Ghadâmès et ïimâssanîn ;
trois entre El-Golêà et le Touât; quatre entre le Beni-Mezâb et le
Maroc; trois entre Geryville et le Gourâra; enfln des détails très-
circonstanciés sur la limite des dunes au Nord et à l'Ouest des mon-
tagnes des Touareg.
Avec ces éléments, complétant ceux fournis par les autres voya-
geurs, on peut aujourd'hui estimer, au moins approximativement,
l'étendue et la direction générales de la zone des dunes, entre la
Méditerranée et l'Océan Atlantique.
Si je ne me trompe, cette zone s'étendrait, avec ou sans interrup-
tions, du Nord-Est au Sud-Ouest, sur une longueur de 2^0 myriamètres
environ, du golfe de Gâbès, dans la Méditerranée, au cap Barbas,
sur l'Océan Atlantique, en suivant une direction qui semble comman-
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 7
(lée par la disposition réciproque de la chaîne atlantique et du massif
des montagnes des Touareg. Le plus grande largeur de cette zone
serait de 50 myriamètres; la plus petite, de 5,
Les causes constitutives d'un phénomène géologique aussi étendu
seront étudiées ultérieurement; pour le moment je me borne à
constater ce que j'ai vu et ce que j*ai appris.
Les indigènes distinguent quatre variétés de formes de dunes :
La Gara (plur. Goûr), sorte de témoin, rocheux ou terreux» qui
marque l'ancien niveau du sol primitif:
LeGhourd, vraie montagne de sable qui atteint parfois les dimen-
sions des montagnes ordinaires;
La Zemla, dune allongée, régulière, affectant la forme d'un dos
d'âne, avec pente normale sur ses deux principales faces;
Le Si/; dune comparée à la lame d'un sabre, semblable à la
précédente, mais en différant par la paroi verticale de Tune de ses
faces.
La Gara n'est pas une dune proprement dite, car sa base est la
roche ou une terre compacte ; le Ghourd, la Zemla, le Sîf ne sont que
des masses de sables.
Ces différentes formes de dunes sont séparées entre elles par des
dépressions parmi lesquelles les indigènes distinguent aussi quatre
variétés : le Thenîya, YOuâd, le Haoudh, le Saimn.
Le Thenîya est un col oblong, étroit, resserré entre deux dunes,
servant généralement de passage aux caravanes, mais dont la tra-
versée ne s'opère pas toujours sans difficulté, car, en raison de leur
étroitesse, ces défilés sont souvent barrés par des amas de sable pro-
venant d'éboulements ou accumulés par les vents. Alors on doit
parfois s'ouvrir un sentier à lacets en pratiquant à la main un plan
incliné qui permette aux chameaux de prendre pied.
L'Ouàd est une vallée, plus large que le Thenîya, toujours ouverte
dans la direction des vents régnants et formée par eux. Son bas-
fond sert de réservoir aux eaux pluviales, d'où lui a été donné le
nom d'Ouâd (lit de rivière).
Le Thenîya et l'Ouâd prennent le nom de Dourîya (tournant),
quand une dune circulaire oblige la dépression à prendre la forme
d'un labyrinthe.
Le Haoudh est un bassin d'une certaine étendue qui laisse quel-
quefois plusieurs kilomètres d'intervalle entre une dune et une autre;
8 TOUAREG DU NORD.
Le Sahan est une dépression plate, dont le palier est générale-
ment composé de sable en mélange avec du plâtre cristallisé.
C'est dans les bas-fonds des Thenîya, des Ouâd, des Dourîya, des
Haoudh, des Sahan, comparés par les Arabes à un réseau de veines,
(*Erg, 'Areg) que se trouvent les chemins et les puits sans lesquels
les dunes seraient infranchissables.
On aura une idée approximative de l'aspect général des dunes en
se figurant une mer en courroux qu'un miracle aurait instantané-
ment solidifiée. Les Goûr seraient les pointes de rochers montrant
leurs létes au milieu des eaux; les Ghourd, les Zemla et les Sîf, les
vagues que les vents auraient soulevées et dressées au-dessus du
niveau général ; les Thenîya, les Ouàd, les Dourîya, les Haoudh et les
Sahan, les dépressions houleuses séparant les vagues.
Mais quelle que soit la puissance de l'imagination de l'homme,
elle ne peut pas plus se figurer l'émouvant spectacle du chaos des
dunes que celui des mers de glaces à leur dégel. Il faut avoir vu, et,
quand on a vu, renoncer à reproduire ses impressions.
Plus de détails sont nécessaires sur les dunes, les chemins et les
puits de l"Erg.
Si la pente de quelque Zemla est assez douce pour qu'un homme,
s'aidant de ses mains et de ses pieds, puisse,* à la rigueur, la gravir,
on peut affirmer que, ni homme ni animal d'aucune espèce, n'a pu
lutter contre les pentes de quelques Ghourd.
La hauteur des dunes, comme leurs formes, varie 5 l'infini, de-
puis celle d'un petit tertre de 1 à 3 mètres, jusqu'à celle du pic s'éle-
vant à 150 et même 200 mètres.
Ici, la base d'une dune présentera un développement de 4 à
6 kilomètres; là, elle n'aura pas une centaine de mètres.
Dans les parties de T'Erg que j'ai parcourues, il n'y a pas une
dune importante qui n'ait un nom propre que tous les bons guides
connaissent.
Bien que les vents régnants déplacent continuellement les sables à
la superficie des dunes et en modifient nécessairement la forme, les
proportions, par rapport à la masse, dans lesquelles ont lieu ces
changements sont tellement minimes et inappréciables à l'œil , qu'il
faut la vie d'un homme pour constater quelque différence sensible.
Cela se comprend : le vent opposé remet en place, le lendemain, le
grain de sable déplacé la veille. Cependant, il est incontestable que
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 9
les dunes marchent dans la direction des vents alizés, du N.-E. au
S.-O.
Il est plus facile de constater le déplacement continuel des sables
sur le terre-plein du sol. En marche, par exemple, lorsque le vent
souffle, un voyageur ne peut suivre la trace des pas de son compa-
gnon, si ce dernier le devance de quelques mètres seulement.
Comme le navire à la mer qui ne laisse de trace de son sillage que
par les résidus de Toffice surnageant à la surface des eaux, de même
la caravane ne marque souvent son passage sur les sables que par
les crottins de ses chameaux.
L'absence de tracé de route, l'obligation de cheminer dans des
dépressions sans horizons, le changement d'aspect des lieux, font
que les voyages à travers T'Erg présentent toujours des difficultés
sérieuses.
Avant d'entrer dans l"Erg, le Cheikh-'Othmân, chargé de me
conduire chez les Touareg, me fit quatre recommandations :
a M'armer de beaucoup de patience et de résignation;
« Ne pas intervenir dans les discussions des guides ou khebh\
relativement à la marche de la route ;
(t Faire provision de beaucoup d'eau ;
« Être libéral envers les guides, envers mes serviteurs et mes
compagnons de voyage. »
L'expérience avait dicté ces conseils à la sagesse du Cheikh-
'Othmân.
Mes compagnons de voyage, connaissant les dangers de la tra-
versée, recommandèrent leur âme à Dieu, au prophète, à tous les
marabouts, en réclamant leur puissante intervention pour les faire
sortir sains et saufs d'un pays qu'ils qualifiaient de champ de la mort.
Des guides sont indispensables pour voyager dans T'Erg; quand
je quittai El-Ouâd, l'autorité locale exigea que j'en eusse deux,
comme garantie de sécurité.
La profession de guide est héréditaire dans certaines familles et
elle constitue chez elles une sorte de sacerdoce, car de l'expérience
du guide dépend souvent le salut ou la perte d'une caravane. On
juge de l'importance de cette profession par le respect dont tous les
khebîr sont entourés et par les honneurs qui leur sont rendus au
départ et à l'arrivée de chaque caravane.
La marche à travers les sables n'est pas sans difficultés pour les
10 TOUAREG DU NORD.
chameaux eux-mêmes, et, pour les surmonter, il faut qu'ils y soient
habitués dès leur enfance, si la distance à parcourir est un peu
considérable. L'habitude des sables donne aux pieds de l'animal une
conformation appropriée aux besoins : élargissement de la surface
plantaire, à la façon des palmipèdes, pour ne pas enfoncer; ongles
aigus et longs, pour éviter les glissements aux montées et aux
descentes.
Quoique les sables soient des éponges qui absorbent les eaux plu-
viales et les conservent à l'abri de l'action solaire, la question des
puits a une importance réelle par la profondeur à atteindre pour
trouver l'eau, par la nécessité de les coffrer dans la partie sablon-
neuse et mouvante des terrains traversés , par l'obligation d'entre-
tenir ces coffrages et de couvrir les orifices, si l'on veut prévenir les
éboulements et les ensablements, qui transforment les puits vivants
en puits morts, pour me servir de l'expression caractéristique des
indigènes.
Entre El-Ouâd et Gbadâmès, j'ai mesuré la profondeur des puits
des stations de ma route ; elle s'élève successivement de 8" 55 à 22"30,
dernière limite que les indigènes, avec les moyens dont ils disposent,
puissent atteindre.
Le coffrage est fait au moyen de poutrelles de palmier et de
fascines en branchages.
Généralement, on trouve l'eau dès que la pioche du puisatier a
traversé la couche de sable qui recouvre le sol primitif, et générale-
ment aussi elle est de bonne qualité. Cependant il y a quelques
puits dont l'eau est saumâtre.
L'absence de seuil à l'orifice des puits, malgré le soin de les cou-
vrir, fait que les vents y amoncellent des sables et des crottins de
chameau qui les comblent ou altèrent la qualité de leurs eaux. Quel-
quefois l'abondance des matières étrangères est assez considérable
pour qu'à l'arrivée des caravanes il faille les nettoyer avant d'avoir de
l'eau potable; pour éviter ce travail très-fatigant et très-pénible, les
khebîr ont toujours le soin d'ordonner de recouvrir les puits d'une
couche de branchages; mais jamais ce travail n'est fait avec assez de
soin pour empêcher les sables d'y pénétrer. Comment le pourrait-on,
quand on ne peut éviter leur introduction dans les chronomètres les
mieux fermés?
Le fascinage qui couvre l'ouverture des puits n'est réellement
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. H
efficace que pour prévenir les chutes d'hommes ou d'animaux.
Pour abreuver les chameaux, on a des auges en terre argileuse
pratiquées dans les déblais qui ont été tassés à cet effet au moment
de l'ouverture des puits.
Dans toute la région de T'Erg, le maximum de profondeur des
puits paraît être de 22 à 25 mètres. Quand il y a lieu à creuser plus
profondément, on s'abstient, sans doute à cause des difficultés de
forage et de coffrage; aussi, dans les parties que j'ai parcourues, les
puits sont limités à la zone la plus rapprochée des lignes de fond des
oasis algériennes. Le reste est complètement dépourvu d'eau.
Sur la carte qui accompagne ce travail, je comprends la presque
totalité de la partie orientale de T'Erg dans les limites frontières de
rAlgérie. Voici les raisons sur lesquelles s'appuie cette délimitation
nouvelle :
Tous les puits de cette partie de T'Erg ont été creusés et sont entre-
tenus par les Souâfa, les Rouâgha et les Ghaânba, tribus soumises
au gouvernement de l'Algérie.
Ges tribus sont les seules dont les chameaux aient la pratique de
TErg; enfin, elles sont les seules chez lesquelles on trouve deskhebîr
pour guider les voyageurs.
Les puits de Berreçof, de Bîr-Ghardâya et de Bîr-Djedîd, ainsi que
les territoires de parcours qui en dépendent, appartiennent incontes-
tablement aux Souàfa, à l'exclusion de tous autres, car toujours les
bergers et les chasseurs de cette tribu y ont leurs campements.
Ges faits, dont l'authenticité est irrécusable, portent dans l'Est la
limite méridionale de l'Algérie, au delà du Sahara tunisien, jusqu'aux
territoires de la Tripolitaine et des Touareg.
Le nom d'un de ces puits rappelle celui d'un gouverneur de
Conslantine, Sàlah-Bey, dont le règne a laissé dans toute la pro-
vince, par des institutions et des travaux remarquables, les traces
évidentes d'un grand génie.
Au Sud de Methlîli, sur la ligne que j'ai reconnue en 1859, la
limite est celle des terres de parcours de Ghaànba d'El-Golêà, limite
qui, à peu de distance au Sud de cette ville, vient se confondre avec
celle des terres de parcours des Touareg et des Oulàd-Bâ-Hammou,
arabes nomades de la confédération indépendante du Touât.
Les chefs Touareg, dont j'ai pris l'avis, assignent à leur territoire,
comme limite Nord, les points suivants :
12 TOUAREG DU NORD.
Tin-Yagcuin, sur la route de Ghadâmès à In-Sàlah, par la voie
d'El-Beyyodh ;
*AïN-irr-TAÏBA, sur la route d'Ouarglâ à Timâssanîn ;
HamÂd-el-'Atchan*, sur TOuâd-Mîya, entre les Touareg et les
Chaénba d'El-Golêa*.
La localité de Tigmi, disent-ils, est aux Touareg.
A moins d'admettre qu'entre ces points et ceux occupés par nos
tribus, il y ait une zone n'appartenant à personne, la presque totalité
de T'Erg au Sud et au Sud-Est de nos possessions fait partie de
l'Algérie.
D'ailleurs, dès que les Touareg veulent généraliser leurs détermi-
nations, ils disent : « Les Dunes (El-'Erg) sont aux.Souâfa et aux
Chaânba, et les Plateaux au Sud (Hamàd) aux Touareg, w
Ces derniers revendiquent, comme leur appartenant, le plateau
de Tâdemâyt, quoique les arabes d'In-Sàlah et d'El-Golêà y mènent
paître leurs troupeaux.
J'aurai, dans la suite de ce travail, l'occasion d'apporter un nou-
veau témoignage à l'appui de celui des Touareg, en constatant que
Ghadâmès faisait partie de la Numidie et que sa garnison lui était
fournie par la III® Légion Auguste, dont le dépôt était à Lambèse.
\ l'époque romaine, comme aujourd'hui, la propriété des puits
entraînait celle de la contrée qu'ils pourvoyaient d'eau.
Je terminerai ce que j'ai à dire de la zone de T'Ergen signalant
au Sud-Est d'Ouarglà et à l'Ouest de Ghadâmès les ruines d'El-
Menzeha et d'Es-Sohoûd, sur l'emplacement d'une ville fort
ancienne, qui, d'après la tradition, aurait eu jadis une certaine
importance, mais dont les chroniques arabes ne font aucune
mention.
J'ignore en quoi consistent ces ruines, à quelle ci\nlisation elles
appartiennent ; je sais seulement qu'elles sont au milieu des dunes
et que l'abandon de la ville est attribué à l'invasion des sables.
1. Hamàd-el-'Atchàn est situé près de Tln-Fedjaouin ; c'est un point très-facile à
trouver, car on y signale des peupliers blancs {safsaf)^ arbres exceptionnels à cette
latitude.
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 13
S 11. — MASSIF TOUÂHEG.
Vu de haut et d'ensemble, le massif Touareg offre une série de
plateaux superposés, s'élevant graduellement, par étages, de hau-
teurs de 500 à 600 mètres au-dessus du niveau de la mer jusqu'à
2,000 mètres environ d'altitude.
Le Ahaggâr est le point culminant; viennent ensuite, en contre-
bas, le Tasîli* du Nord et la chaîne d'Anhef qui atteignent des alti-
tudes de 1,500 à 1,800 mètres ; sur la circonférence de ces trois points
surélevés on trouve, à un gradin inférieur, le plateau d'Eguéré, la
chaîne de TAkàkoûs, la chaîne de TAmsâk, la Hamàda de Mourzouk,
la Hamàda-el-Homra, la Hamàda de Tînghert, le plateau de Tàde-
màyt, celui du Mouydîr, le Bàten Ahenet, le Tasîli du Sud et une
Hamàda innomée, à l'Est du Tâfasâsset, séparative du pays des
Touareg du Nord de celui des Teboû.
Tout ce pâté constitue, sinon en totalité, du moins en partie, ce
qu'on appelle, en géographie, le plateau central du Sahara.
Dans son ensemble, il présente trois versants qui forment trois
grands bassins, vallées ou gouttières d'écoulement des eaux pluviales
vers la mer : un versant méditerranéen qui embrasse toutes les têtes
de l'Ouàdi-Igharghar ; un versant nigritien, à l'opposite du précédent,
dont toutes les eaux se réunissent dans l'Ouâdi-Tâfasàsset, affluent
du Niger; enfin un versant occidental que j'appellerai atlantique,
parce que, malgré l'obstacle des dunes d'Iguîdi, ses eaux doivent
aboutir à l'Océan Atlantique par l'Ouâdi-Drâa.
Quelques lignes sur les principaux reliefs de ce pâté doivent com-
pléter cette énumération.
Ahaggâr : Le Ahaggâr est le point le plus élevé du plateau central
du Sahara, dont il forme la tête occidentale. D'après un plan en
relief dressé dans le sable par le Cheikh-'Othmàn lui-même, ce
serait un immense plateau, de forme circulaire, se prolongeant vers
le Nord, sous le nom de Tîfedest, en forme de promontoire, jusqu'au
mont Oudân que les indigènes qualifient de nez du Ahaggâr, Ce
1. Tastti signifie p/ateau élevé et accidenté; /iamdda désigne un plateau large,
plat et bas ; bàten est une expression géographique propre au Sahara, qui corres-
pond au mot colline.
14 TOUAREG DU NORD.
massif s'élève par gradins supeqwsés, œuronnés eux-mêmes par un
dernier plateau, TAtakôr-n-Ahaggâr {faite du Ahaggâr), au centre
duquel se dressent deux pics jumeaux, Ouâtellen et Hîkena, que je
n'hésite pas à considérer ainsi que TOudàn comme des puys volca-
niques analogues à ceux de l'Auvergne. D'autres puys ou pics isolés,
volcaniques ou non, existeraient aux étages inférieurs de la mon-
tagne, ceux d'Aheggar, d'ilamân, de Tahàt, sur le gradin intermé-
diaire; ceux de Tasnao, de Téhé-n-Akeli, de Tâhela-Ohàt, de Serkout,
sur le gradin inférieur.
Tasili du Nord : Ce tasîli, généralement connu sous le nom de
TaMli des Azdjer, pour le distinguer d'un autre tasili sis au Sud du
Ahaggâr, est un grand plateau, ainsi que l'indique son nom, mais
très-accidenté, car de nombreuses vallées, étroites et encaissées, le
découpent en caps allongés, surtout sur son rebord Nord. Son rebord
Sud, plus élevé que le précédent, est comme le Ahaggàr couronné
d'un plateau supérieur, l'Adrar, dominé lui-même par le pic d'In-
Esôkal, certainement un puy volcanique. Divers plateaux secon-
daires ou pitons isolés marquent le relief de ce massif. Je cite entre
autres: Takarâhet, Asàdjen,Tàfelàmin, Atafeyfagh, Tinaorherh, Têlout,
Eselî, Aderedj, Mezzerîren, Tahônt-Terohet, Eguelé, Adjer. A l'aval
de ces points culminants et dans les lignes de fond des ouâdi sont de
nombreux lacs persistants dont l'existence, en pareil lieu, ne s'ex-
plique que par la transformation d'anciens cratères en réseiToirs d'eau.
La forme du Tasîli du Nord est celle d'un grand carré long,
isolé, dont les murailles s'élèvent presque verticalement à pic au-
dessus du milieu environnant.
Chaîne d'Anhef : Cette chaîne, entièrement isolée aussi, semble
un coin jeté entre le Ahaggàr et le Tasîli du Nord. M. le docteur
Barth , qui a traversé son faîte entre les origines du Tâfasâsset, la
représente couronnée de pics, comme le Tasîli et le Ahaggàr. Sans
doute, cette chaîne est aussi due à la même formation volcanique.
Ce qu'on dit de la localité de Tâdent, campement renommé pour
l'abondance de ses eaux et la richesse de sa végétation, l'assimile
encore davantage au Tasîli et au Ahaggâr.
Plateau d'Eguéré : Plus encore que l'Anhef, le petit plateau
d'Eguéré ressemble à un coin, interposé entre le Tasîli, le Mouydîret
le Ahaggàr, comme pour les séparer. On le prendrait volontiers
pour un fragment détaché de l'un de ces trois massifs, au moment
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 15
de la dislocation, par l'action souterraine du feu, du grand plateau
central du Sahara.
Chaîne de rAkâkoûs : Presque parallèle au rebord oriental du
Tasîli dont la gorge d'Ouaràret la sépare, la chaîne de TAkâkoûs,
peu large, mais étendue du Nord au Sud, est un massif de rochers
infranchissable et peu connu, même des indigènes, car ils redoutent
de s'y égarer. Ils citent cependant la localité de Tâderart comme
ayant du être un ancien centre d'habitation, car on y remarque des
myrtes, nécessairement introduits par la culture, et des sculptures
rupeslres importantes, indices d'une civilisation disparue.
Chaîne de l'Amsâk : Je donne ce nom, en cela d'accord avec les
indigènes, au rebord rocheux du grand plateau de Mourzouk, parce
que sa traversée, dans certaines parties, offre les diflBcultés d'une
véritable chaîne de montagnes. L'Amsàk nous est connue dans sa
partie Ouest par le voyage de M. le docteur Barth et dans sa
partie Nord par mes reconnaissances, entre le désert de Tâyta et
rOuâdi-ech-Chergui. Ses prolongements au Sud et à l'Est sont encore
inconnus.
Hamâda de Mourzouk : Quoique de nombreux voyageurs aient
traversé ce plateau dans toutes les directions, ses limites orientales
et méridionales sont vaguement indiquées, sans doute parce qu'il
se continue sans ligne de démarcation tranchée jusqu'au Hâroûdj-el-
Abiodh dans l'Est, et vers le Sud jusque dans une partie du Sahara
encore inexplorée.
Le caractère de ce plateau est d'être uniformément plat, sauf
quelques dépressions, bas-fonds d'anciens lacs desséchés, dans les-
quelles sont les oasis de l'Ouâdi-'Otba, de la Hofra et de la Cher-
guîya. .
On pourrait à la rigueur considérer cette hamàda comme une
prolongation orientale du plateau du Tasîli des Azdjer.
Hamàda-el-Homra : Partie seulement de cette hamâda, nommée
le plateau rouge à cause de sa couleur, appartient aux Touareg,
mais, géographiquement, elle ne saurait en être distraite, car elle
sert d'assise inférieure aux massifs du Sud et les relie aux forma-
lions volcaniques du Hâroûdj-el-Asoued, de la Soda, de la Syrte et
du Djebel-Nefoûsa.
Rien ne donne l'idée du désert, dans sa monotone nudité, comme
cette hamâda : ni une goutte d'eau, ni une plante, ni un insecte ne
16 TOUAREG DU NORD.
s'y rencontreQl. La puce elle-même ne peut y vivre, et la limite
Nord de ce plateau est la limite méridionale de ce parasite. A la place
de tout ce qui réjouit la vue du voyageur en d'autres pays, on a là
la roche nue, une chaleur réfractée accablante, des vents que rien
ne brise, pas même d'horizon, tant la hamâda est grande, de sorte
que l'uniformité de la désolation est absolue.
Hamâda de Tinghert : Tînghert signifie pierre à chaux. Cette
hamâda, sur laquelle est assise la ville de Ghadàmès, n'est, en
réalité, qu'une continuation à l'Ouest de la Hamâda-el-Homra, sous
un nom différent, l'un arabe, l'autre berbère, à cause de la nature
différente de la roche de sa base. Au Nord-Est, ce plateau commence
au pied du Djebel-Nefoûsa, pour finir au Sud à la dépression
d'Ohânet, tête des eaux de Timàssanîn. Dans l'Ouest comme dans
l'Est ses limites sont indéterminables, car tout indique qu'il se con-
tinue sous les sables de l"Erg jusqu'aux plateaux de Tàdemàyt, des
Cha'anba et des Benî-Mezâb, dans le Sahara algérien.
Plateau de Tâdemâyt : Ce bas plateau, compris entre l"Erg, le
Touàt et les étages supérieurs du massif des Touareg, joue un cer-
tain rôle dans l'hydrographie de cette partie du Sahara. Par son
rebord occidental, qui porte le nom de Bâten, et par sa tête (Ràs
Tâdemâyt), sise à l'angle Sud-Ouest du vaste quadrilatère qu'il
forme, il donne au Touât les eaux qui alimentent ses trois cents
villages et arrosent les forêts de palmiers qui les environnent; par
l'éventail de son versant Nord-Est, il fournit à l'Ouâd-Mîya, la
rivière des cent sources, les nombreuses origines qui lui ont valu ce
nom.
Un rebord nettement accentué limite ce plateau sur ses quatre
faces et protège la partie du Touàt qu'il abrite contre l'invasion des
• sables de 1' 'Erg.
Plateau du Mouydîr : Ce plateau, qui semble former dans le Nord-
Ouest le pendant de la chaîne d'Anhef dans le Sud-Ouest, est remar-
quable par sa forme oblongue, concave sur un de ses rebords, con-
vexe sur l'autre, et surtout par le pic d'Ifettesen qui en occupe le
centre, probablement un puy volcanique aussi', et d'où partent.
1. Je suis d*aatant plus disposé à croire à la formation volcanique du pic
d'Ifettesen , que dans la plaine d'Adjemôr, au pied du plateau, se trouve une source
sulfureuse, Dhàyâ-el-Kâhela.
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 17
dans trois directions opposées, rOuâdi-Rharîs, affluent de l*lgharghar,
rOuàdi-Tîrhehêrt et l'Ouâdi-Akâraba, qui vont se perdre dans les
sables de TOuest.
Bâlen Ahenet : Bàten est une expression technique de géographie
saharienne, comme hamâda, tasîli, adrar; elle indique un relief du
sol, allongé et peu considérable. Celui d' Ahenet, orienté Sud-Est et
Nord-Ouest, occupe le centre d'une hamàda entre le Ahaggàr, le
Mouydîr, le Touât, les dunes d'Iguîdi, le Tànezroûft et le Tasîli
du Sud.
Tasîli du Sud : Le Tasîli du Sud, qu'on désigne aussi sous le nom
de Tasîli des Ahaggâr, pour le distinguer de celui des Azdjer, est
un plateau rocheux, sans eau, sans végétation , presque inconnu
des indigènes eux-mêmes, tant il est inhospitalier. Les chameaux
qui s'y égarent, disent les Touareg, ou périssent ou deviennent
sauvages, car personne ne veut exposer sa vie pour aller les
rechercher.
Ce tasîli sépare le Ahaggâr de l'Adghagh des Aouélimmiden.
De ces détails, je passe à l'examen de la cause qui a déterminé
ces reliefs.
J'ai attribué à ufi soulèvement volcanique la formation isolée
de chacun de ces plateaux; mon opinion à cet égard est basée,
pour les points les plus remarquables, sur des témoignages géolo-
giques.
La présence certaine de roches pyrogènes * dans les massifs du
Ahaggâr et du Tasîli, ainsi que dans les montagnes de la Soda au
Sud de Sôkna et du Hâroûdj à l'Est d'El-Fogha ; la situation de ces
quatre massifs, sur une même ligne courbe, me portent à penser que
le soulèvement de ces montagnes peut très-bien être dû au même
effet volcanique, quoiqu'elles soient à de grandes distances les unes
des autres. Cette appréciation , si elle était confirmée, s'accorderait
parfaitement avec les nouvelles découvertes sur l'action circulaire des
tremblements de terre.
La distribution géographique des roches volcaniques dans cette
partie du continent africain nous montre l'action du feu souterrain
commençant à la grande Syrte où l'on connaît des mines de soufre,
se continuant à Ghariân où percent quelques roches de basaltes et se
t. Le massif d'Air aussi renferme des roches pyrogènes.
I. «
18 TOUAREG DU NORD.
prolongeant jusqu'à la Soda et au Hàroûdj, pour reparaître dans le
Tasîli et le Ahaggàr chez les Touareg.
La zone de ces formations est d'autant plus large qu'elle s'avance
plus vers le Sud-Ouest.
Telle est la charpente du pays des Touareg du Nord, je devrais
dire son squelette, car les plateaux et les montagnes sont presque
toujours décharnés.
Entre ces montagnes et au pied de leurs versants , se trouvent
des plaines et des vallées qui complètent l'ensemble du territoire.
Ces plaines sont ; Amadghôr, Admar, Ouaràret, Tàyta, Ouàdi-
Lajâl, Igharghâren et Adjemôr.
Plaine d' Amadghôr : Cette plaine, connue Sous le nom de Reg
(la plaine), est un long couloir entre le Ahaggàr, la chaîne d'Anhef et
le Tasîli du Nord ; elle appelle l'attention à plus d'un titre.
Au centre est une sebkha ou lac salin desséché qui donne, en
grande abondance, un sel excellent, jadis utilisé, mais dont l'ex-
ploitation est aujourd'hui abandonnée, par suite de l'insécurité qui
règne dans la contrée.
Jadis aussi une foire annuelle, remplacée depuis par celle de
Rhât, se tenait sur les bords de la saline,* et une grande voie
de communication directe entre Ouraglâ , Agadez et le Soudan ,
très-fréquentée par les caravanes , la traversait dans toute sa lon-
gueur.
Comme il n'y a, dans le Sahara occidental, que quatre salines pour
alimenter de sel cinquante millions de nègres qui en ont le plus
grand besoin, il y a lieu d'espérer la réouverture prochaine du mar-
ché d' Amadghôr, car, au dire des indigènes, le sel de cette contrée
est aussi beau que celui de la sebkha d'Idjîl, et supérieur à ceux de
Taodenni et de Bilma. C'est au gouvernement de l'Algérie, qui a le
plus grand intérêt à rétablir des relations directes avec le Soudan, à
hâter le moment où la paix permettra de reprendre l'exploitation aban-
donnée. Les quatre confédérations des Touareg le désirent vivement;
déjà les Kél-Ouï de l'Aïr, dont les caravanes ont souvent été pillées
à Bilma , sont entrés en pourparlers avec les Azdjer et les Ahaggàr
à cet effet.
La plaine d* Amadghôr doit être ti'ès-élevée au-dessus du niveau
de la mer, car elle est, avec le Ahaggàr et le Tasîli des Azdjer, un
des points de partage d'eau entre le bassin du Niger et celui de
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 19
la Méditerranée. La ligne séparative des deux bassins est jalonnée
par une série de petits monts isolés qui semblent relier le pic
ahaggârien du Serkoût au mont tasîlien d'Ounân et servir de trait
d'union entre les volcans éteints du Ahaggâr, ceux du ïasîlr et môme
de TAnhef.
La sebkha d'Amadghôr ne paraît plus communiquer aujourd'hui
avec le lit de Tigharghar, mais, si elle ne lui fournit plus d'eau,
elle donne encore à tout le bassin les principes salins qui sont un
des caractères communs des puits et des chott échelonnés sur tout
le parcours de l'ouàdi.
Piaille d'Admar : Resserrée entre le Tasîli et la chaîne d'Anhef, la
plaine d'Admar aboutit, par son extrémité occidentale, à celle
d'Amadghôr et, par son extrémité orientale, elle va se confondre
avec un désert sans nom, une hamàda, qui sépare le pays des
Touareg de celui des Teboû.
Vallée dOuarâret : Une partie porte le nom d'Aghelad-wàn-
Azàrif , dè^ de Calxm, parce qu'on y trouve des affleurements de
ce sel. Cette vallée n'est en réalité qu'une large gorge qui sépare le
Tasîli de l'Akâkoûs et par laquelle passe la route de Ghadàmès à
Rhàt. En raison de cette grande voie de communication, elle a une
importance réelle dans la géographie physique du pays.
Plaine de Tàyta : Aride, sans aucune végétation, couverte de
cailloux, elle est plutôt un désert séparatif, participant de la nature
des hamàd, qu'une plaine proprement dite, car les indigènes ne ré-
servent ce nom qu'aux parties abritées de leur territoire et dans
lesquelles les alluvions des plateaux environnants permettent à la vé-
gétation de s'y développer. J'ai considéré ce désert comme une plaine
parce qu'il est dominé par l'Akâkoûs et l'Amsâk entre lesquels il
est situé.
Vallée de VOvÂdi-Lajâl: Cette vallée, comprise entre l'Amsâk et
les dunes d'Edeyen , est couverte d'oasis , de forêts de palmiers et
de gommiers. Dans sa partie occidentale, par laquelle elle com-
raiAique avec la plaine de Tâyta, elle prend le nom d'Ouâdi-el-
Gharbi, et, dans sa partie orientale, celui d'Ouâdi-ech-Chergui.
La nature de son sol rappelle celle des terres alluvionnaires de
rOuâd-Rîgh, terres légères, un peu salines, parfaitement propres à la
culture.
Au Nord et au Sud de cette vallée principale on trouve deux
20 TOUAREG DU NORD.
petites vallées isolées, de même nature, rOuâdi-ech-Chiati et TOuâdi-
'Otba.
La Hofra (dépression) de Mourzouk et les oasis de la Cherguiya
rentrent aussi dans le même système de formation.
Plaine des Igliarghâren : igharghâren *, les rivières, est le plu-
riel d'Igharghar, nom que porte la grande vallée d'écoulement des
eaux de tout le versant méditerranéen du massif des Touareg. On a
appelé ainsi la vaste plaine qui longe le pied Nord du Tasîli , de
Tîterhsîn à Timàssanîn, parce qu'elle reçoit toutes les rivières qui
descendent du plateau et forment la tête orientale de Tartère prin-
cipale du pays.
Cette plaine basse, abritée des vents du Sud, riche en alluvions
et en eaux à peu de profondeur, est le refuge des Touareg Azdjer
dans les années calamiteuses , c'est-à-dire dans lès périodes de lon-
gues sécheresses.
Sa pente générale est du Sud-Est au Nord-Ouest, mais cette
pente semble ne plus être continue aujourd'hui; dans le haut,
des amas d'alluvions, arrêtés à mi-chemin de leur course, ont
transformé cette vallée en plusieurs bassins ; dans le bas , des
dunes de sables la barrent et l'empêchent de communiquer à
ciel ouvert avec le lit de l'Igharghar, mais la communication
souterraine des eaux a toujours lieu comme dans les temps
anciens.
La nature de son sol est une terre sablonneuse, micacée.
Plaine d'Adjemôr : La plaine d'Adjemôr, orientée Est et Ouest,
avec pente à l'Ouest, est comprise entre les plateaux de Tàdemâyt
au Nord et du Mouydîr au Sud. Par son extrémité occidentale, elle
aboutit au Tidîkelt, l'une des confédérations du Touât.
Cette plaine est, dans l'Ouest, pour les Ahaggàr ce que celle des
Igharghâren, dans l'Est, est pour les Azdjer, c'est-à-dire un lieu de
refuge dans les années de sécheresse, car l'Ouâdi-Akâraba, avec
ses nombreux affluents du Sud et du Nord, est réputé pour l'abon-
dance de ses eaux souterraines. On dirait que, dans le Sahaîra,
la Providence ait voulu soustraire les eaux à l'action dévorante du
1. Le radical ghar, ghor, ghir, gher, signifie eau qui ruisselle. Dans le mot
Igharghar on a répété deux fois le radical pour produire le son imitatif de Peau
quand elle coule avec rapidité.
GÉOGRAPHIE PHYSIQUE. 21
soleil en remplaçant les rivières à ciel ouvert de nos climats par
des rivières souterraines. Cette particularité, bien connue des indi-
gènes , est appelée par eux Bàhar-taht-el'Ardh , mer sous terre. Le
géographe doit tenir compte de cette particularité dans la détermina-
tion des lits de ces rivières.
CHAPITRE III.
HYDROGRAPHIE.
Du Ahaggâr et du Tasîli descendent trois longues vallées : Tune
au Nord, TOuâdi-Igharghar ; Tautre au Sud, rOuàdi-Tâfassàset; la
troisième à TOuest, rOuâdi-Tîrhehêrt. Elles méritent une attention
particulière comme principales gouttières d'écoulement des eaux de
cette partie du Sahara. Les lits de ces ouâdi , aujourd'hui à sec, ont
dû être autrefois des rivières importantes.
Ouâdi'IghargJiar : L'Ouâdi-Igharghar, sorti d'un des points culmi-
nants du Ahaggàr, reçoit une grande partie des eaux de ce massif
et de celui du Tasîli du Nord ; à son issue des montagnes, il traverse,
du Nord au Sud , l'extrémité occidentale du plateau de Tînghert, la
région des dunes de T'Erg, passe un peu à l'Est d'Ouarglà et vient
se perdre à Goûg , village le plus méridional de l'Ouàd-Rîgh , après
un cours de 1,000 kilomètres au moins.
A l'endroit où le lit de l'Igharghar se perd dans la dépression de
rOuâd-Rîgh, qui, en somme, n'en est que la prolongation, il existait
jadis un petit hameau , celui de Sîdi-Boû-Hûnia , aujourd'hui ruiné,
près duquel on trouve encore une Ghàba (forêt) de palmiers dans
le bas -fond d'une sebkha et la Goubba où est enterré le marabout
qui a donné son nom à la localité.
Sur tout le cours de cette longue vallée, les puits creusés dans
son lit ne fournissent qu'une eau salée et amère comme celle de la
sebkha de Sîdi-Boû-Hânia et d'une partie des puits artésiens de
rOuâd-Rîgh, tandis que les puits creusés en dehors du lit, sur les
berges de la vallée , en donnent de bonne qualité.
La direction générale du bassin de l'Igharghar, du Sud au Nord,
la cessation de son lit à l'entrée de la dépression de l'Ouâd-Rîgh, la
nature similaire des eaux des puits creusés dans son lit avec celles
des eaux souterraines de Tougourt permettent de conclure que la
HYDROGRAPHIE. 23
nappe artésienne constatée dans la ligne de bas-fonds de TOuâd-
Rîgh est alimentée par les eaux du Ahaggâr et du Tasîli.
Cette nappe artésienne, qu'on croyait, jusqu'à ce jour, limitée aux
bassins des oasis de rOuâd-Rîgh et d'Ouarglâ, paraît se prolonger
plus au Sud au delà de la zone de F'Erg; car,àTimâssanîn, à l'extré-
mité occidentale de la dépression d'El-Djoua, existe un puits arté-
sien, aujourd'hui très-mal entretenu et à peu près comblé, mais
dont M. Ismayl-Boû-Derba a constaté l'existence en se rendant à
Rhât. C'est avec les eaux de ce puits que les serviteurs de la Zaouiya
de Timâssanîn arrosent leurs cultures.
Ce fait, conûrmatif d'ailleurs d'autres indications, me porte à
croire que des forages artésiens pourraient être tentés, non sans
chance de succès, au delà de T'Erg, notamment dans la dépression
d'El-Djoua, vers Ohânet, et sur toute la ligne de la grande vallée des
Igharghâren, entre Timâssanîn et Rhât, au pied des versants du
Tasîli.
Dans la vallée d'Ouarâret, à Ihanàren, et au delà de l'Akâkoûs, à
Serdélès, à la tête même des eaux du bassin, des puits artésiens
existent; on peut donc, sans trop de présomption, espérer le succès
de semblables puits en contre-bas.
L'intérêt géographique qui s'attache au passage de TOuâdi-Ighar-
ghar à travers les dunes de l"Erg m'a engagé à recueillir le plus de
renseignements possibles sur le cours de cette rivière dans cette ré-
gion. Voici ceux qui m'ont été fournis par le Ckeikh- Othmân, pro-
priétaire et chef de la Zaouiya de Timâssanîn :
A une grande journée de marche de Timâssanîn, droit au Nord,
un puits a été creusé sur la rive droite de Tlgharghar, par El-hâdj-
el-Bekri, père du Cheikh-'Othmân. Ce puits porte le nom de Tànez-
roûft , du nom de la localité.
A six journées au Nord de ce puits, dans le lit de la rivière,
se trouve la source salée d"Aïn-El-Mokhanza.
En aval, en un point où l'ouâdi prend le nom arabe d'Ouâdi-es-
Sâoudy, est un second puits, celui de Meggarin.
A six kilomètres en descendant le cours de l'ouâdi, est le puits
d'EI-Khadràya.
A trois kilomètres, dans le thalweg même, se trouve la source
d'EI-Khadra; là encore, la rivière change de nom et devient l'Ouâd-
Chegga.
24 TOUAREG DU NORD.
A El-Metekki, à douze kilomètres d"Aïa-El-Khadra, est un qua-
trième puits.
A égale distance, un cinquième se nomme Bey-Sâlah.
Entre ce point et Sîdi-BoiVHânia, se trouve un dernier puits,
celui de Matmata.
En allant d*El-Ouâd à Ouarglâ, j'ai traversé le bas-Igharghar,
au puits de Bey-Sâlah, et je lui ai trouvé un lit large et profond,
sur la nature duquel il n*est pas permis de se tromper, car on
y reconnaît facilement des alluvions provenant de contrées autres
que celles de l"Erg.
Un intérêt géographique, non moins .grand, s'attache à la déter-
mination précise des origines de cet immense bassin. Ma confiance
dans les renseignements que m'ont fournis les Touareg à ce sujet est
égale à celle en mes observations personnelles, car tous les Saha-
riens sont d'excellents hydrographes.
Voici les déterminations que je considère comme exactes :
La source la plus méridionale de l'Igharghar, celle qui fournit
des eaux à la ville d'idèles, sort de TAtakôr-n-Ahaggâr.
Du flanc Nord-Est de cette montagne naissent d'autres affluents
qui, après avoir longé ou traversé la plaine d'Amadghôr S viennent
se réunir au lit principal.
Le Mouydîr et le rebord occidental du Tasîli, entre lesquels
righarghar marche dans une vallée encaissée, y déversent les eaux
de leurs nombreux ravins.
A la hauteur d'El-Bîr, au Sud-Ouest de Timàssanîn, on reconnaît
l'amorce de la tête orientale, celle alimentée par les nombreux
Igharghâren qui descendent des points les plus élevés du Tasîli et
donnent leur nom à la plaine qu'ils traversent.
Cette tête se prolonge dans l'Est au delà du Tasîli, car la vallée
d'Ouarâret, celle du Tânezzoûft, celle de l'Ouâdi-Serdélès et la partie
occidentale du désert de Tâyta, appartiennent aussi au même bas-
sin, bien que des barrages d'alluvions et de dunes en fassent autant
de bassins secondaires fermés aujourd'hui.
Indépendamment de ces deux têtes principales, l'Igharghar
reçoit ; sur sa rive droite, à travers les sables, toutes les gouttières
1. Ama^ en temâhaq, indique la possession. Ghdr est synonyme de ghar, rivière,
Amadghôr ne serait-il pas un mot technique équivalent de tête de la rivière ?
HYDROGRAPHIE. 25
du plateau de Tînghert et de Timmense bassin de T'Erg; sur sa rive
gauche, les eaux du Tàdemâyt par l'Ouâd-Miya, celles du plateau
des Chaa'nba par de nombreux ravins, celles du plateau des Benî-
Mezàb par TOuâd-Mezâb, celles de la chaîne atlantique môme par
rOuàd-Djedi. Il est vrai que tous ces ouâd, aujourd'hui envahis
par des sables ou des alluvions, n'envoient plus leurs eaux au lit
principal du bassin que par des filtrations souterraines qui ont
transformé un grand fleuve en nappes artésiennes, alimentant ou
des puits jaillissants ou des lacs vaseux successivement échelonnés
jusqu'à la mer sur le parcours de l'ancien lit.
Nous verrons plus loin que cette situation ne date pas d'hier.
Ouâdi-Tâfasâsset : A quelques kilomètres au Sud des points où
l'Igharghar prend ses nombreuses sources, on est à peu près certain
de trouver autant d'origines du Tàfasâsset.
Ses affluents supérieurs partent, les uns du Ahaggàr, les autres
du Tasîli , et voyagent isolément dans deux lits séparés jusqu'en un
désert, au Sud-Ouest des puits d'Asiou, où ils se réunissent.
La branche orientale, après avoir reçu tous les ouâdi qui des-
cendent du plateau de Tasîli et de la chaîne d'Anhef, en longeant
le pied de cette chaîne, change de direction à partir du puits de
Falezlez pour prendre celle du Sud; à la hauteur des puits d'Asiou,
elle se détourne vers le Sud-Ouest pour se joindre à la branche occi-
dentale, l'Ouâdi-Tin-Tarâbin, dont la direction générale est Nord et
Sud, et gagner l'Ahaouagh, au centre du pays des Aouélimmiden.
D'après leCheikh-'Othmân, l'Ouâdi-Tâfasâsset, dans son cours infé-
rieur, recevrait sur ses deux rives de nombreux affluents venant des
montagnes de l'Adghagh dans l'Ouest et de celles d'Azben dans
l'Est.
Je n'ai pu savoir de mes informateurs si cette rivière atteignait
le Niger, dont le pays d'Ahaouagh est limitrophe. Cela est très-pro-
bable, même dans l'état actuel, quoique, faute d'un courant d'eau
qui l'entretienne, le lit des rivières sahariennes ne soit pas toujours
nettement marqué. M. le docteur Barth indique au Sud et à l'Est de
Saï des ouâdi dont l'un pourrait bien être le confluent du Tàfasâsset
dans le Niger. Une étude spéciale du pays des Touareg du Sud pourra
seule nous apprendre si la communication existe d'une manière
continue.
Quoi qu'il en soit, un fait important est désormais acquis à la
26 TOUAREG DU NORD.
géographie physique du Sahara : c*est que les massifs du Ahaggâr et
du Tasîli ont formé jadis un partage d'eau entre la Méditerranée, par
le golfe de Gabès, et l'Océan Atlantique, par le Niger et le golfe de
Bénin.
Ouâdi'Tirh^hért : Selon toute probabilité, une troisième grande
vallée formée à son origine des bassins de l'Ouâdi-Tîrhehêrt et de
rOuâdi-Akâraba, partirait du Mouydîr pour aller, dans l'Ouest,
aboutir au lac Debaya et, de là, déverser les eaux du versant occi-
dental du massif du Ahaggur dans l'Océan Atlantique par le canal
de l'Ouâd-Drâa.
Mais, pour arriver à l'Ouâd-Dràa, ces eaux auraient à traverser
les dunes d'iguidi, et le bassin môme de la vallée disparaîtrait sous
des masses de sables.
Dans cette h}T)othèse, les eaux qui descendent de l'Atlas maro-
cain par les lits de TOuâd-Messaoura, de l'Ouâd-Guîr, de l'Ouâd-
Tafilelt, et qui se perdent aujourd'hui dans les sables, se réuniraient
souterraînement à celles de l'Akâraba et du TîrhehArt pour aller ali-
menter le grand lac du Sahara marocain, comme celles de l'Igharghar,
après de nombreuses disparitions et réapparitions, se retrouvent
dans le Rîgh, le Melghîgh et les chott du Sud de la Tunisie.
Malheureusement, les déserts compris entre le pays des Touareg
et le grand lac de TOuàd-Drâa n'ont été explorés par aucun euro-
péen et sont même très-peu connus des indigènes, et à défaut d'in-
dications plus précises, je ne dois pas aller au delà des informa-
tions des hommes qui connaissent le mieux la géographie de cette
partie du Sahara.
D'après le Cheikh-'Othmàn , « l'Ouâdi-Tîrhehêrt, que les Touareg
u du Ahaggâr appellent Tîrhejîrt et les Aouélimmiden nomment
« Teghâzert, prendrait sa source au point culminant du Mouydîr,
« dans la grande montagne d'ifettesen qui donne aussi naissance
« à rOuàdi-Akàraba et à l'Ouâdi-Rharis; puis, dès sa sortie de la
« montagne, il se dirigerait droit à l'Ouest, pour aller passer entre
« In-Zîza et Ouâllen en coupant le Bâten Ahenet. Il entrerait dans
et le Tânezroûft en un endroit appelé Sedjendjànet et de là toume-
<( rait au Nord pour aller se perdre dans les dunes d'Iguîdi en se
« dirigeant vers le bassin de l'Ouâd-Drâa où les sables l'empêchent
« d'arriver.
« Au delà de Sedjendjànet, le cours de cet ouâdi est peu connu.
HYDROGRAPHIE. 27
« car il traverse alors des terrains inhabités et parcourus seulement
« par les voleurs de grands chemins. »
Omdi'Akâraba : Parallèle à rOuàdî-Tîrhehêrt, TOuâdi-Akâraba
naît comme lui dans le Mouydîr et comme lui se perd dans les
sables d'Iguidi. •
Le point du pic d'Ifettesen, où se trouve sa source, se nomme
Immahegh.
D'après les indigènes, cet ouâdi apporte souterrainement aux
oasis du Tidîkelt et d'Aqabli les eaux d'alimentation de leurs puits
à galeries , comme Tlgharghar fournit à rOuâd-Rîgh celles de ses
puits artésiens.
Ainsi, quoique le nom d'ouâdi, dans le Sahara, soit à peu près
s)Tionyme de lit de rivière sans eau , les lignes de bas-fonds qui les
caractérisent n'en ont pas moins d'importance, car leurs eaux d'in-
filtration y alimentent, ou des puits ordinaires, ou des puits à
galeries, ou des puits artésiens, quelquefois des lacs temporaires,
Rhedîr ou Abankôr, même des lacs permanents, Adjelmâm, et enfin
des sources assez communes dans les montagnes.
L'eau ne manque donc pas d'une manière absolue sur le plateau
central du Sahara, ainsi qu'on le croit généralement ; cependant elle
y est rare, parce que les habitants de cette contrée, ou faute de
temps ou faute de moyens industriels suflSsants, n'exécutent pas les
travaux qui la leur donneraient en plus grande abondance.
Quelques mots sur ces divers compléments de l'hydrographie
saharienne.
Puits ordinaires : Permanents, on leur donne, suivant leur pro-
fondeur, les noms de Mouï, 'Ogla, B\r ou Hàsi; temporaires, ils por-
tent celui de Themed,
Rarement, les puits sahariens atteignent une grande profondeur,
car on s'abstient d'en creuser là où le forage et le puisage de l'eau
demanderaient trop de travail.
On s'abstient également d'en ouvrir partout où ils pourraient
devenir des points de station et de refuge pour des maraudeurs.
Souvent le besoin de sécurité pour les voyageurs ou pour les tribus
les a fait combler sur des routes qui en étaient abondamment
pourvues.
Sur tout le plateau central, les puits sont encore moins profonds
que dans les plaines et dans les hamâd : ainsi dans le bas des val-
28 TOUAREG DU NORD.
lées, ils n'ont guère plus de quatre à cinq mètres, et, dans les par-
ties supérieures, on trouve Teau presque à fleur de terre. L'eau de ces
puits est généralement bonne.
Fogâr ou puits à galeries : Près des centres d'habitation ou de
culture, quand, à l'amont des terrains susceptibles d'être arrosés,
on a reconnu, au moyen de puits verticaux, l'abondance d'une
couche aquifère, on les réunit entre eux par des galeries horizon-
tales, à pente réglée et inclinée vers le terrain à arroser, de manière
à avoir un courant continu.
Ce procédé ingénieux pourrait recevoir plus d'une application
utile en Algérie, et même dans certaines contrées de la France.
Ainsi sont arrosées la plupart des oasis du Touàt, et quelques-
unes de celles du Fezzân.
Puits artésiens : Des puits artésiens ont été creusés avec succès
sur cinq points différents du versant méditerranéen du Sahara.
On en compte 335 dans TOuâd-Rîgh; un grand nombre, dont le
chiffre est inconnu , dans l'oasis d'Ouarglà ; un à Timàssanîn ; une
dizaine à Ihanâren ; deux à Serdélès.
Les indigènes donnent le nom d"i4m (fontaine) à ces eaux jaillis-
santes.
Avant l'occupation française, ces puits artésiens étaient creusés à
main d'homme, comme les puits ordinaires, et, quelquefois, les
puisatiers payaient de leur vie la richesse donnée à leur pays ; autre-
fois aussi des éboulements les comblaient et rendaient inutile un
travail très-pénible ; aujourd'hui notre industrie a introduit dans le
Sahara des appareils de forage et de coffrage qui simpliûent beau-
coup l'opération, et il ne paraît pas douteux (si les tremblements de
terre ne viennent pas rompre les tuyaux en fonte dont nous nous ser-
vons) qu'avec le temps, le nombre des puits artésiens ne soit consi-
dérablement augmenté dans tout le Sahara.
Rhedir ou Abankôr ; On donne, dans le Sahara, le nom de rhedîr
soit à des puits, à fleur de sol, creusés dans le lit d'un ouâdi et
alimentés par des eaux d'infiltration, soit à des flaques d'eaux pluviales
persistantes, ici dans les dépressions des plaines ou des plateaux, là
dans les trous des lits desséchés des ouâdi.
En langue temâhaq, les rhedîr des Arabes se nomment abankôr.
Ils sont nombreux; je me borne à signaler les importants :
Ceux de Tirhorwîn, de Toursêl, sur les sommets du Tasîli ;
HYDROGRAPHIE. 29
Ceux de Sâghen, dans la plaine des Igharghâren ;
Celui de TOuâdi-Ohânet, sur le plateau de Tînghert ;
Celui de Meniyet, sur la tête de rOuâdi-Tîrhejîrt.
Toujours un fond d'argile est nécessaire pour la conservation des
eaux.
Lacs {Âdjelmâm en langue temâhaq) : De véritables lacs existent
en assez grand nombre sur deux points différents de mon explora-
tion : les uns sur le plateau du Tasîli des Àzdjer, les autres dans les
dunes d'Edeyen, au Nord du Fezzân.
D'après les Touareg, il y aurait une quarantaine de lacs dans le
Tasîli, sur le parcours de rOuâdi-Tikhàmmalt, mais il est probable
que, dans ce nombre, ils doivent comprendre quelques rhedîr. Les
plus importants sont ceux de Mîherô, dont le principal porte le nom
de Sebbarhbàrhet. Un autre lac, également considérable, se trouve
sur le versant Sud du Tasîli, à la tête de l'Ouâdi-Tanârb , affluent du
Tàfasàsset.
Ces lacs, très-profonds, sont probablement alimentés par des
sources assez fortes, car ils ne dessèchent jamais, et des crocodiles y
vivent, ce qui implique que le cube de la superficie aquifère est
considérable.
Les débordements de TOuâdi-Tikhâmmalt, au moment de mon
passage dans le Tasîli, m'ont empêché d'aller reconnaître ces lacs et
de constater à quelles causes était due leur formation. Plus heureux,
j'ai pu visiter un certain nombre de ceux du Fezzân et apprendre, de
visu, ce que j'ai à en dire.
Ils sont au nombre de dix, savoir :
Le lac de Mandara,
— de Oumm-el-Mâ,
— de Tâzeroûfa,
— de Mâfou,
— de Bahar-ed-Doûd ou Gabra'oûn,
— de Bahar-et-Trounîa,
— de Oumm-el-hasan,
— de Nechnoûcha,
— de Ferôdrha,
— de Tademka.
Le Bahar-et-Trounîa ayant été visité par le docteur Vogel , qui
30 TOUAREG DU NORD.
avait dans son bagage une petite barque, je me suis abstenu de renou-
veler une exploration faite par un voyageur plus compétent; mais
j'ai reconnu avec soin ceux dont je vais parler.
Le lac de Mandara peut avoir environ de deux à trois cents mètres
de large ; sa forme est circulaire ; il est peu profond. A Tépoque où je
le visitai (28 mai 1861), il était presque entièrement desséché et
les riverains étaient occupés à exploiter le sel qu*il produit. Toute sa
circonférence est enveloppée par une ceinture de palmiers à l'ombre
desquels on cultive un sorgho appelé gueçob et quelques légumes. En
hiver, il y a dans le lac de Mandara des vers comestibles comme ceux
que Ton pèche dans le Bahar-ed-Doûd.
Le lac d*Oumm-el-Mà est intarissable et ses eaux sont vives , ainsi
que rindique son nom; il a la forme d'une nappe étroite, serpentant
au fond d'une vallée ombragée par de très-grands palmiers.
Le lac de Tazeroûfa n*est guère qu'une grande mare qui se des-
sèche au commencement des chaleurs; il est entouré d'une double
ceinture de palmiers et de tamarix ethel.
Le lac de Mâfou est également petit, mais il ne dessèche jamais
et il est très-profond. Sa nappe d'eau bleue, qui miroite à travers le
feuillage des palmiers, engage au repos sur ses rives. On pêche dans
ce lac des vers de qualité inférieure et des fucus comestibles.
Le Bahar-ed-Doûd est circulaire; il a environ 300. mètres de lar-
geur; le sondage en a été fait par le docteur Vogel. Son eau est
très-amère et très-salée, tellement saturée de sel, qu'elle a presque
l'aspect du sirop. Les fiévreux de tout le Fezzàn viennent demander à
sa vertu la guérison de leurs maladies. Voulant apprécier par moi-
même l'eflScacité de cette pratique, je me suis baigné dans le lac et
je m'en suis bien trouvé. A deux ou trois mètres de son bord
Sud, existent de petits puisards d'eau douce dans lesquels les bai-
gneurs se plongent pour dissoudre la couche de sel qui recouvre
leur peau.
Les étoffes de coton, trempées dans l'eau de ce lac, si on ne les
a pas débarrassées des matières salines qu'elles contiennent, en les
lavant dans l'eau douce avant de les laisser sécher, se brisent et se
déchirent sous le moindre effort; elles ont la propriété de s'en-
flammer comme de l'amadou ; aussi les emploie-t-on à cet usage.
De même que les lacs précédents, le Bahar-ed-Doûd est entouré
de palmiers et de dunes de sables.
HYDROGRAPHIE. 31
Pendant que je prenais un dessin de la vue du lac, j'entendis sous
Teau , et dans la direction de TEst, une détonation semblable à un
coup de tonnerre lointain. Un des indigènes présents ayant entendu
comme moi ce bruit, s'emporta en injures contre le lac. Je lui
demandai ce que c'était. Il me dit que ce phénomène se reproduisait
souvent et que le bruit souterrain venait presque toujours du côté
£st ou Sud-Est du lac, c'est-à-dire du côté où les hautes dunes s'élè-
vent à pic au-dessus des eaux. Je compris alors que le roulement
entendu ne pouvait provenir que de Téboulement des dunes de sables
dans le fond du lac. Pendant les détonations, il ne parait cependant
aucun signe d'ébranlement extérieur, soit à la superflcie des eaux,
soit dans les dunes.
On donne à ce lac le nom de Bahar-ed-Doûd (la mer des vers),
et aux riverains celui de Douwâda (hommes des vers), parce qu'on
y fait une pêche de vers et de fucus comestibles dont j'aurai à m'oc-
cuper dans le chapitre III du Livre suivant.
Les lacs de Nechnoûcha et de Ferôdrha, le premier au Nord-Est,
le second au Nord-Ouest du Bahar-et-Trounîa, contiennent du natron
comme celui qui en porte le nom.
L'eau d'Oumm-el-Hasan est amère et ne nouiTit pas de vers.
Le lac de Tademka, autrefois producteur de vers, n'en donne
plus depuis quelque temps.
Tous ces lacs, situés au milieu d'un dédale de dunes de sables,
sont alimentés d'eaux par elles.
M. Ismayl-Boù-Derba a constaté le même mode d'alimentation pour
la mare d"Aïn-et-Taïba, dans l"Erg, à l'Ouest de Tlgharghar.
Sources : Les sources les plus considérables sont celles de Gha-
dàmès*, de Rhàt, de Ganderma, d'Idélès, de Djànet, de Temàssînt,
L M. Lefranc, pharmacien militaire., a analysé i kilogramme de l'eau de
Gbadàmès rapporté par M. le capitaine de Bonnemain. Voici le résultat de son opé-
ration (année 1858, Nouvelles AnncUes des Voyages) :
Gr. milligT.
Chlorure de sodium >» 800
Sulfate de soude »> 250
— chaux )» 750
Carbonate de chaux » 200
— ma^ésie » 100
Chlorure de magnésium » 250
2 350
32 TOUAREG DU VORD.
de Tlt-en-Afara, d'Aherêr, de Tànout, de Tidîdji, d'Aharhar, de
Tàzeroûk, de Dhâyet-el-Kàhela, d'Ahêr, de Tadjenoût, etc.
11 est bien entendu que je n^lige d'éûumérer toutes celles qui
n*ont pas une importance réelle.
Les abords de celles citées ci-dessus sont occupés ou par des
villes, ou par des villages, ou par des campements permanents. Par-
tout où les eaux sont abondantes, on les emploie à l'arrosage des plan-
tations de palmiers.
Les eaux de la source de Ghadâmès sont thermales * ; elles ont 29® 6
dans le vaste bassin qui les reçoit (observation du 9 décembre 1860);
celles de Sebbarhbàrhet, à Mîherô, ont aussi une température élevée,
du moins, l'eau sort en bouillonnant et en soulevant des sables.
Cependant les Touareg s'y baignent malgré sa chaleur.
La source de Dhàyet-el-Kàhela, au Nord de l'Ouàdi-Âkàraba, est
également thermale et probablement sulfureuse, ainsi que l'indique
son nom. Les Ahaggâr, qui en font usage, ont reconnu son efficacité
contre les fièvres intermittentes contractées au Touàt.
i. Une seconde analyse de Teau de Ghadâmès, faite en d863, au laboratoire
des mines d*Âiger {Mission de Ghadâmès, Alger, 4863, p. 260), a donné par
iOOO grammes les résultats suivants :
Grammes.
Chlorure de sodiunL 0,6210
— potassium 0,0200
Sulfate de chaux 0,9000
— magnésie 0,3860
— soude 0,3424
Acide azotique .... : traces. . »
Carbonate de chaux 0,1013
— magnésie 0,0975
Silice 0,0060
Oxyde de fer 0,0050
2gr-,4792
CHAPITRE IV.
GÉOLOGIE.
Ce chapitre comprendra cinq sections :
1*» Ma route d'El-Ouâd à Ghadâmès, du Nord-Ouest au Sud-Est;
2** Ma route de Ghadâmès à Rhât, du Nord au Sud;
3° Ma route de Tîterhsîn à Zouîla, de TOuest à l'Est;
4<* Ma route de Mourzouk à Bondjêm, du Sud au Nord;
5® Divers renseignements sur le Tasîli et le Ahaggâr, de TEst à
rOuest.
PREMIÈRE SECTION.
D*EL-ODÂD A GHADÂMÈS.
Toute cette section, sur un parcours de trente-sept myriamètres,
est un amas de dunes de sable, qui, à très-peu d'exceptions près,
couvrent la surface du sol primitif et laissent peu de place à aucune
observation géologique autre que celle de la formation des dunes
elles-mêmes.
Le sable de ces dunes, fin, jaunâtre, varie dans ses caractères
physiques, comme aussi probablement dans ses caractères chi-
miques, suivant les localités.
J'ai rapporté plusieurs échantillons de ces sables; je regrette de
n'avoir pu en faire l'analyse. Ils figureront dans ma collection géolo-
gique sous les numéros 1, 2, 3 et 4.
On s'est livré à beaucoup d'hypothèses pour expliquer l'accumu-
lation d'une aussi grande masse de sables sur une aussi immense
étendue; je ne crois pas que, dans la limite des observations exactes,
incontestables, faites dans les dunes sahariennes, il soit encore
34 TOUAREG DU NOKD.
permis de déduire la loi générale d'un fait géologique aussi consi-
dérable.
M. le docteur Mares a vu dans l'Ouest, autour delà Dhâya-Hàbessa,
des dunes qui contenaient des coquilles fossiles du terrain sur lequel
elles reposaient , et , avec raison , il a conclu de son observation per-
sonnelle que ces dunes avaient été formées sur place.
M. F. Vatonne, ingénieur des mines, qui, comme moi, a traversé
r'Erg entre El-Ouàd et Ghadâmès, mais à petites marches et de
jour, et qui a pu étudier cette région avec plus de temps et de com-
pétence, termine son excellent mémoire* en émettant l'opinion qii'il
ne peut exister aucun doute sur la formation des dunes sur place,
formation due à la destruction des éléments constitutifs de la roche
primitive.
« Cette destruction, dit-il, est due à la dilatabilité des roches, à
« la présence du gypse, à l'action des agents atmosphériques, notam-
« ment de l'eau, qui a amené à l'état farineux, c*est-à-dire à un état
« de désagrégation complet, les roches de carbonate de chaux et de
« g>'pse; cette désagrégation de la roche amène un foisonnement,
« développe une pression intérieure sous laquelle les couches dures
« des plateaux sont complètement brisées, etc. •
M. Vatonne, convaincu que la formation des dunes est due à
cette cause unique, conclut de leur fixité, de l'absence de sables
dans certaines cuvettes, de l'inégalité même de la surface des sables,
que l'action des vents n'a d'autre effet que de déterminer les formes
de quelques dunes, et ne peut être invoquée comme cause générale
de formation.
Comme M. Vatonne, et quoique voyageant dans les dunes, à
grande vitesse, nuit et jour, j'ai constaté des goûr rocheuses à côté de
ghourd exclusivement composés de sables ; comme lui, j'ai aussi été
frappé du grand nombre de roches à l'état de décomposition. Tou-
tefois ce fait de désagrégation des roches n'est pas une exception
limitée à la région de T'Erg, mais l'effet d'une loi générale, com-
mune à toutes les parties du Sahara que j'ai visitées.
Dans l'ensemble de mes études, j'ai été beaucoup plus frappé de
la dénudation complète des hamâd et des montagnes à l'amont
des bassins des dunes.
1. Mission de Ghadâmès. Alger, 1863. — Études sur les terrains et sur les
eaux des pays traversés , par M. F. Vatonne, ingénieur des mines.
PI. II.
Page 35.
Fig. 2, 3, 4, 5,
Fig. 1. — - GARA DE TlSFlN.
Fig. 2. — PROFIL OU MONT IDINBN.
Fig. 3. — BLOCS DF TAKARÂHET.
Fig. 4. — BERGES d'iNGHER ET ASOUiTAR.
Fie:. .\ — \<;HFI.ÀI) HF TARÂT.
GÉOLOGIE. 35
J'ai été beaucoup plus surpris de l'élévation de ces témoins géo-
logiques de l'ancien niveau du sol, que les indigènes appellent gara
(pi. goûr) et qu'on trouve, de distance en distance, dans chaque
hamâda.
(Voir figure n« i de la planche ci-contre.)
J'ai été non moins étonné, dans les massifs montagneux, de ren-
contra, indépendamment de roches entièrement dénudées, ici, à
Idînen, par exemple, une sorte de squelette décharné affectant les
formes et les découpures les plus bizarres; là, à Takarâhet dans le
Tasîli, des blocs titaniens, supportés sur une base étroite et repré-
sentant l'action érosive des eaux sur les parties les plus tendres de
la roche; ailleurs, dans la presque totalité des ouâdi, des berges de
soixante à cent mètres de hauteur, taillées à pic comme des
murailles, tantôt assez étroites pour qu'un chameau avec sa charge
y passe difficilement, tantôt larges de plusieurs kilomètres, disposi-
tion géographique que les Touareg désignent sous le nom spécial
d'aglielâd, correspondant au khanga des Arabes.
(Voir figures n<»* 2, 3, 4 et 5 de la planche ci-contre.)
Quand, par la pensée ou la plume à la main, j'additionne une à
une la superficie des espaces dénudés autour de chaque groupe de
dunes, quand j'établis le cube du vide que laissent entre eux tous
les témoins géologiques du niveau de l'ancien sol et quand je com-
pare la masse des matériaux enlevés ici et apportés là, soit par les
pluies, soit par les vents, je me demande ce qu'est devenu le cube
du vide, si les dunes sont formées sur place, car je ne retrouve pas
le total des déblais dans l'ensemble des remblais , si considérable
qu'il soit.
La carte qui accompagne le deuxième volume de cette étude
comprend la totalité des divers groupes de dunes du Sahara occi-
dental, entre le golfe de Gàbès dans la Méditerranée et le Sénégal
sur la côte de l'Océan Atlantique.
Ces groupes sont au nombre de sept :
Celui d'Edeyen, du 27*» au 28« latitude N. et du 6» au 12*» longi-
tude E.;
Celui de l"Erg, du 20® au Zlx"* latitude N. et du 7® longitude E. au
3Mongitude 0.;
Celui d'Iguîdi, du 2/i°au 30« latitude N. et du 3« au 5<> longitude 0. ;
36 TOUAREG DU NORD.
Celui de Maghtir, du 22« au 27<» latitude N. et du 5® au ik^ longi-
tude 0. ;
Celui d'Adâfer, du 20*> au 23*» latitude N. et du i<> au 13^ longi-
tude 0. ;
Celui d'Akchçir, du lO*» au 23<» latitude N. et du 16^ au IS*» longi-
tude 0. ;
Celui d'Iguîdi des Tràrza, du 16<> au 18« latitude N. et du 17<> au
19® longitude 0.
La superficie des espaces que ces groupes de dunes couvrent
(superficie très-approximative, bien entendu, hypothétique même
dans beaucoup de cas), est de 45,000,000 d'hectares, savoir :
Nomb. d'hecU
Édeyen 2,000,000
'Erg 12,000,000
Iguîdi 8,000,000
Maghtîr 12,000,000
Adâfer 10,000,000
Akchar 500,000
Iguldi des Tràrza. 500,000
Ensemble 45,000,000
A chacun de ces groupes de dunes correspondent des plateaux
alimentateurs dont la superficie est triple environ, savoir :
Nomb. d*hect.
Le Hàroùdj 3,000,000
Pour Edeyen ) ^ plateau de Mourzouk. . . . 6,000,000
Le désert Qe Tâyta 2,000,000
L'Akâkoùs 1,000,000
Total 12,000,000
/
Le plateau de la Syrte 6,000,000
La Uamàda-el-Homra 8,000,000
Le plateau de Tînghert. .... 2,000,000
Le TastU du Nord 4,000.000
Pour l"Erg ( Les versants N. et E. du Ahaggàr. 4,000,000
La chebka du Mezàb 2,000,000
Le plateau des Cha*anba. . . . 3,000,000
Le plateau des O.-S. Cheikh. . 2,000,000
Le plateau de T&demàyt. . . . 2,000,000
Total. 33,000,000
PODIt IcOlDI.
GÉOLOGIE. 37
Nomb. d'hect.
Le plateau de Groûz 2,000,000
La plaine d*Adjemôr 1,000,000
Le plateau du Mouydlr 1,000,000
Le versant 0. du Ahaggâr. . . 8,000,000
Le Biiten Ahenet 6,000,000
Total 18,000,000
Le versant S. du Abaggàr. . . 2,000,000
Le TastH du Sud 4,000,000
Poim MaghtIr / ^ dés&ci de Tftnezroûft. . . . 4,000,000
Le désert d*Ouarân 4,000,000
Le plateau des *Arlb 2,000,000
Le plateau de rOuftd-Dria. . . 4,000,000
, Total 20,000,000
Pour AdAfer..
UAdghagh de Kidal 8,000,000
L'Azaouad 6,000,000
Le désert d*Oualàta 6,000,000
Total. 20,000,000
Pour Akchar | ^ plateau des 0. Dellm. . . . 6,000,000
I L'Adrar de Bafour 2,000,000
Total 8,000,000
Pour IgdÎdi desTrArza. | ^ ?>**«»" ^^ Tâgant 2,000,000
Le désert d'Aftot 6,000,000
Total 8,000,000
L'ensemble général de ces plateaux, dont la superOcîe a été plutôi
diminuée qu'augmentée, donne un total de 119,000,000 d'hectares.
Bien entendu, ces chiffres ne représentent ni la superficie ftelle
des bassins des dunes ni celle des plateaux qui les alimentent, mais
seulement les surfaces que je suppose couvertes de sable d'un côté
et celles dénudées de l'autre.
L'observation de la totalité des dunes sahariennes nous les
montre suivant une direction générale, du Nord-Est au Sud-Ouest:
elle nous les montre sur une ligne plus étroite dans le vaste couloir
entre le relief atlantique et le plateau central du Sahara, puis
s'élargissant et s'étendant vers le Sud dès que les assises du Ahag-
gâr s'abaissent.
La disposition réciproque des montagnes du Nord et des mon-
tagnes du Sud ne permet pas d'assigner une autre direction gêné-
38 TOUAREG DU NORD.
raie aux vents, du moins à celle de leurs couches qui se rapproche le
plus de terre.
De là, une première indication qui permet, sans trop sortir du
domaine de l'observation scientifique, d'attribuer à l'action domi-
nante des vents combinée avec l'action secondaire des eaux, la dis-
tribution générale des masses de sable telle que nous la constatons
dans la partie occidentale du Sahara.
Examinons maintenant la question de production.
En tout pays, la source de production des sables la plus consi-
dérable, si ce n'est l'unique, est la désagrégation des roches.
Dès que cet itinéraire géologique atteindra les parties rocheuses
de mon exploration, j'aurai soin de signaler les matériaux en dé-
composition spontanée , et on verra qu'ils sont relativement nom-
breux.
Toutefois, il est une cause générale et permanente de désagréga-
tion de la partie superficielle des roches, qui me paraît avoir une
grande part dans la production des sables ; je veux parier de l'action
atmosphérique.
En général, la surface rocheuse des hamàd, des tasîli, des
adrar, en un mot de toutes les parties relevées du relief saharien ,
est à nu et n'est garantie contre les influences atmosphériques exté-
rieures, ni par des terres, ni par des produits végétaux.
Par suite, la lumière, la chaleur, le froid, les pluies torren-
tielles, l'électricité agissent directement sur la surface extérieure des
roches.
Il est diflîcile d'apprécier l'action de la lumière, mais la plaque
phoft)graphique nous révèle que la lumière solaire modifie les points
par elle atteints en raison de son intensité; or, dans le Sahara 1?
lumière est intense , et nous avons la preuve de son action directe
par la coloration bronzée, noirâtre, brûlée, de la superficie de la
presque totalité des roches.
La lumière lunaire, dont l'influence sur la décomposition de
certaines pierres est démontrée, agit dans le Sahara encore plus
qu'ailleurs, car les nuits y sont d'une pureté admirable.
Les extrêmes de la température, atteignant souvent au soleil de
65 à 70 degrés dans le jour et descendant quelquefois à 5 degrés
au-dessous de zéro pendant la nuit, amènent inévitablement à la
superficie des roches des dilatations et des condensations dont
GÉOLOGIE. 39
Teffet immédiat est la désagrégation de la partie la plus friable de
leurs éléments.
L'électricité, assez abondante souvent pour que le moindre
frottement dégage des étincelles des vêtements, a bien aussi sa
petite action perturbatrice, action inconnue, inappréciable, mais
qu'on n'oserait nier.
Adviennent, pour compléter la série de ces agents de décompo-
sition , l'action dissolvante et la force impétueuse des pluies torren-
tielles, et l'on comprendra que la production quotidienne des sables
dans le Sahara a dû , avec le temps, donner des masses aussi consi-
dérables que celles des dunes, quel que soit le cube qu'elles repré-
sentent.
J'ai eu l'occasion, le 30 janvier 1861, étant à Oursôl, au pied du
Tasîli, d'observer le débordement d'un des nombreux torrents qui
descendent de cette montagne. La rapidité du courant était d'un
mètre à la seconde et les eaux charriaient des alluvions dans des
proportions telles que je l'egrette de ne pas en avoir constaté la
quantité. Toutefois, on en aura une idée par ce fait, qu'après leur
dépôt les Touareg ont pu ensemencer des céréales là où la veille il
n'y avait pas de terre végétale.
Ajouterai-je que, dans les temps antérieurs à l'histoire, l'action
volcanique attestée dans le Djebel-Nefoûsa, la Soda, le Hàroûdj, le
Tasîli et le Ahaggàr, a dû contribuer, dans des proportions consi-
dérables, à la dislocation des roches et à la désagrégation de leurs
éléments constitutifs?
Le Sahara, en son entier, est donc un foyer de grande production
de sables, et ces sables, s'ils ne restent pas sur place, doivent se
retrouver ailleurs.
De la production des sables, je passe à leur circulation.
Les deux grands moteurs de la circulation des sables sont les
courants atmosphériques et les torrents.
Pour les sables chajrriés par les courants atmosphériques, voici ce
qui est démontré :
M. Ehrenberg a eu l'occasion d'analyser des sables et des terres
de divers points du bassin du lac Tsàd qui lui avaient été envoyés
par les docteurs Barth et Vogel, et dans ces sables et terres il a
reconnu Cent trente-trois formes d'animaux infusoires qu'il a dé-
terminés.
ÙO TOUAREG DU NORD.
Le savant professeur a fait aussi recueillir sur la côte occidentale
d'Afrique, en pleine mer, à bord des navires, les matières charriées
par les pluies de sable qui y sont communes, et, en analysant ces
matières, il y a retrouvé les infusoires des sables du bassip du lac
Tsâd.
Or, entre le lac Tsàd et la côte occidentale d'Afrique, il n'y a pas
moins de 30 degrés de longitude.
M. Ehrenberg explique ces transports de sables à de si grandas
distances par la grande raréfaction de l'air échauffé dans le Sahara.
Pendant mon voyage, j'ai pu constater, plusieurs fois, des faits
de circulation de grandes masses de sables par des courants atmos-
phériques. Je cite, entre autres, les observations suivantes extraites
de mon journal :
20 FÉVRIER 1861. — Campement de Tîterhsîn. — Observations de
9 heures 15 minutes du matin : Bar. aner. 713-50. — Therm. fr.
25<>8. — Ciel voilé. — Vent du Sud modéré.
Observation de i heure 30 du soir : A 1,500 mètres dans le N.-E.
trombe de sable, haute de 50 mètres au moins, chassée par un vent
du S.-E.
Observations de 3 heures du soir ; Bar. aner. 704-10. — Therm.
fr. 3.0<>75. — Ciel nuageux. — Vent du Sud assez fort.
28 AVRIL 1861. — Même campement. — Observations de 6 heures
du matin : Bar. aner. 704-65. — Therm. fr. 22<>3. — Ciel couvert.
— Vent E. faible.
Observation de i heure 30 du soir : Pluie par intervalle; un
immense nuage de sable, rougeàtre, semblable à l'aspect d'un vaste
incendie, passe à l'E., à fleur de terre, en s'élevant vers le ciel. Sa
marche, du S.-O. au N.-E., est rapide comme celle d'un vent vio-
lent.
Observations de 3 heures du soir : Bar. aner. 699-50. — Therm.
fr. 31^4. — Ciel couvert. — Vent du S.-O. fort. — Pluie froide.
30 AVRIL 1861. — En routed'Iferdjanàln-Lêlen. — Oftserua^'orw de
6 heures 30 du matin : Bar. aner. 704-60. — Therm. fr. 21*8. —
Ciel couvert. — Vent E. presque nul.
Observation de 3 heures du soir : Un coup de vent terrible du S.
amène un nuage de sable, rouge, comme s'il était chargé de flammes.
11 se rue sur notre caravane, accompagné de grosses gouttes qui res-
semblent à de la neige fondue.
GÉOLOGIE. 41
Observations de 7 heures du soir : Bar. aner. 697-10. — Therm.
fr. 31*>7. — Ciel couvert. — Vent du Sud modéré.
3 MAI 1861. -—Campement de Serdélès. — Observation de 2 heures
du soir : Coups de tonnerre prolongés, lointains, au S. magnétique.
Observations de 3 heures : Bar. aner. 694-40. — Therm. fr. 34**.
— Ciel couvert. — Vent 0. faible.
Observation de 3 heures 45 : Une trombe de sable importante,
rouge comme les précédentes, passe au S.-E. Sa marche est vers TE.
Quelques gouttes de pluie.
Observations de 7 heures 30 : Bar. aner. 700-00. — Therm.
fr. 27*5. — Ciel couvert. — Vent du S.-S.-O. modéré. — Quelques
gouttes de pluie.
D*où provenaient les sables dont ces trombes étaient chargées? où
sont-ils allés se fixer? Je l'ignore. En reproduisant ces observations,
j'ai voulu constater leur fréquence et préciser les conditions dans
lesquelles elles se produisent.
J'ai choisi à dessein la période de février à mai, parce qu'alors je
me trouvais à la ligne de partage des bassins méditerranéen et
océanien, et sous le vent des plateaux alimentateurs des dunes.
Si les vents soulèvent les sables sur les plateaux, les réunissent
en trombes pour les transporter à de grandes distances, ce sont
incontestablement les courants d'eau qui les fixent dans les bassins
où nous les trouvons. Du moins, cela est exact pour le bassin de
r'Erg que j'ai plus particulièrement observé et étudié. L'hydrogra-
phie de cette immense cuvette nous la représente, en effet, comme
l'aboutissant des eaux de toutes les montagnes environnantes.
En est-il de môme ailleurs? C'est probable, mais je ne puis
l'affirmer.
On jugera de l'action des eaux par les faits suivsgits :
Au printemps de 1862, une pluie d'orage tombée sur le versant
Ouest du Ahaggâr amena de telles quantités d'eau dans les vallées
d'Idjeloûdjâl et de Tarhît qu'elles entraînèrent une partie de la
montagne. L'action des eaux fut assez prompte pour qu'une nezla
(tribu) entière, campée au débouché des deux vallées, pérît corps et
biens. Trente-quatre personnes et un grand nombre de chameaux
furent noyés. Une chamelle qui paissait tranquillement sur la portion
de la montagne emportée par les eaux, fut retrouvée saine et sauve,
trois jours après l'événement, à une très-grande distance, sur le
42 TOUAREG DU NORD.
terrain même où elle avait été surprise et qui, après une longue
navigation, était venu échouer sur une des berges de l'ouâdi.
Avant 1856, sur la rive gauche de TOuàdi-Tîterhsîn, existait une
ligne de dunes, du nom d'Azekka-n-Bôdelkha, assez hautes pour
que les chameaux ne pussent les franchir. Advint alors une crue
accidentelle dans Touàdi, et elle eut la puissance de faire disparaître
toute la masse de sable qui composait ces dunes.
La force motrice des eaux, dans le Sahara, n'est pas seulement
démontrée par les déblais qu'elles produisent sur certains points;
elle Test aussi par les immenses barages que leurs alluvions créent
sur d'autres et qui, de siècle en siècle, modifient les cours des
ouâdi.
Le bassin de l'igharghar offre de nombreux exemples de ces bar-
rages. Jadis il communiquait avec la mer par le golfe de Gàbès et y
portait les sables qu'il charriait. Aujourd'hui une barre de terre et
de sable de dix-huit kilomètres sépare le Chott du Nefzaoua de la
mer. C'est à peine si on reconnaît dans la ligne de bas-fonds de
rOuàdi-Akarît l'amorce de l'ancienne communication.
Jadis, à l'époque de Ptolémée, le Chott-el-Kebîr du Nefzàoua, sous
le nom de lac Triton, le Chott-el-Djerîd, sous celui de PcUlas, le
Chott-Melghlgh, sous celui de Libye, communiquaient entre eux, ou
ne formaient, comme à l'époque d'Hérodote, qu'un seul lac, sous le
nom de Triton; aujourd'hui ces anciens lacs, sans affluents, ne
sont même plus des lacs, mais des bas-fonds de chott, submergés
en hiver, desséchés en été. Toutefois, il ne serait pas prudent de
s'aventurer à les parcourir sans guide, car sur certains points,
notamment dans le Chott-Melghîgh, on disparaîtrait sans laisser trace
de son passage.
Jadis, la tête orientale de l'igharghar, formée de l'Ouàdi-Serdélès,
de rOuàdi-Tànezzoûft, de l'Ouàdi-Ouaràret, de l'Ouàdi-Tîterhsîn et
de rOuâdi-Tikhâmmalt qui les réunissait tous, communiquait avec
la tête occidentale venant du Ahaggàr; aujourd'hui, chaque affluent
de la tête orientale forme un ouâdi distinct, aboutissant à des sables
qui absorbent leurs eaux et les rendent souterrainement à l'an-
cien lit.
La fantaisie de l'igharghar de couler, tantôt à ciel ouvert eu
rompant les barres qu'il s'était formées, tantôt souterrainement en
se creusant un lit sous les sables, ne date m* d'aujourd'hui ni
GÉOLOGIE. 43
(l*hier, car déjà, du temps du roi Juba, au commencement de notre
ère, le grand fleuve saharien avait de pareils caprices, à ce qu'il
parait.
D'après les Lihyques du roi Juba citées par Pline, le grand fleuve
de la Libye, « indigné de couler à travers des sables et des lieux
« immondes, se cache l'espace de quelques journées. Absorbé de nou-
tt veau par les sables, il se cache encore une fois dans un espace de
« \ingt journées de désert. »
Cette citation, que j'emprunte au gi'and ouvrage do M. Vivien de
Saiot-Martin, le Nord de l* Afrique dans l*antiquité, me permet de con-
stater, tout d'abord, combien le savant géographe a été heureusement
inspiré en assimilant le Niger de Juba et de Pline avec l'Igharghar ^
moderne des Touareg, le Ouàdi-es-Sàoudy des Arabes.
Au fur et à mesure que cette étude se complétera, on retrouvera
les poissons du Nil et les crocodiles dont l'existence faisait croire au*
roi Juba que le grand fleuve d'Egypte avait une de ses origines
dans ses états.
Quoi qu'il en soit, par ce témoignage de Juba, confirmé par Pline
et par d'autres encore, il devient évident que la partie du Sahara dont
je m'occupe était déjà , il y a dix-huit cents ans, sinon sous le rap-
port de la quantité des eaux, du moins sous le rapport des sables et
de leur circulation, telle qu'elle s'est présentée à mon observation.
Si, depuis cette époque, une partie du Sahara a pu être protégée
contre les influences atmosphériques qui désagrègent les roches
noéme les plus solides, c'est incontestablement celle qui est abritée
contre le froid, la chaleur, la lumière, l'électricité, par une couche
épaisse de sables.
Sans doute, dans T'Erg, avant l'invasion des sables, quelle que
soit la date éloignée du commencement, les parties solides de cette
contrée avaient, comme celles de l'universalité du plateau central du
Sahara, subi les influences destructives de l'atmosphère, et tout indi-
que qu'il y avait de nombreuses goûr en décomposition coinme partout
1. Avant de posséder des notions certaines et complètes sur le désert de Libye,
incooiplétement connu des anciens , on ne pouvait que commettre des erreurs en
cherchant à faire TappUcation de leurs récits. Et la plus grande erreur des géogra-
phes modernes était de leur attribuer une valeur scientifique réelle. Au contraire,
en les réduisant au seul mérite qu'ils ont, celui de renseignements puisés à toutes
le» sources et non contrôlés , on arrive à de meilleurs résultats.
hh TOUAREG DU NORD.
. #
ailleurs. Ces goûr, plus ou moins nombreuses, sont restées en place,
devenant le noyau de dunes, à côté de ghourd exclusivement com-
posés de sable de la base au sommet. Mais ces noyaux solides de
quelques dunes, constatés par M. Vatonne, n'inûrment pas la loi gé-
nérale de l'amoncellement des débris des roches des plateaux supé-
rieurs dans les bassins qui leur servent de réceptacle. Partout, sur
la surface du globle, les alluvions, qu'elles soient de sables ou de
terres, qu'elles soient charriées par les vents ou par les eaux, obéissent
aux lois de la pesanteur.
Si les alluvions sablonneuses des dunes n'ont pas obéi à la loi
ordinaire des nivellements des autres alluvions, la cause très-com-
plexe de ce phénomène n'est pas encore sur le point de recevoir sa
solution, car ce n'est pas en Afrique seulement que la circulation et
la fixation des sables déjouent la sagacité des plus habiles ingé-
nieurs.
Quoi qu'il en soit, les excellentes et minutieuses observations
de M. Vatonne conservent toute leur valeur et contribueront, avec
celles qui pourront être faites ultérieurement, à la solution du pro-
blème.
bans ma collection géologique sont indiqués comme étant de la
provenance de l"Erg :
1<> Un échantillon de sulfate de chaux très-pur* ;
2<* Un échantillon de terre blanche, fine, calcaire, donnant une
très-forte effervescence à l'acide chlorhydrique *.
Cette terre, trouvée sous les sables àGhourd-Maàmmer, contient,
en grande quantité, une espèce de coquille fossile nouvelle *, que
M. Deshayes a décrite et à laquelle il a bien voulu donner mon nom.
« M. Duveyrier, écrit M. Deshayes, mérite bien l'honneur d'être
signalé à la reconnaissance des naturalistes, car pendant toute la
durée d'un périlleux voyage dans une région de l'Afrique que per-
sonne n'avait visitée avant lui, il n'a cessé de recueillir des matériaux
propres à enrichir les diverses branches de l'histoire naturelle. !l
nous a donc paru équitable d'attacher le nom de l'intrépide et sa-
vant explorateur à une espèce de mollusque qui nous paraît entiè-
rement nouvelle. »
i. Échantillon n<> 5.
2. — n« 6.
3. — n» 7.
PI. m.
Page 45.
Fig. 7 et 8.
•
Wg. \.
PLANORBIS DUVEYRlEni.
Dessiné d'après nature, p«r M. Delahaye, sur les coquilles rapportées
par M. n. Duveyrier.
Fig. 2. — D|}NES DANS L' 'ERG.
D'après un croquis de M. H. Duvoyrier.
GÉOLOGIE. 45
Voici la description de cette coquille, telle que M. Deshayes a
bien voulu la rédiger :
PLANORBIS DDTBTRIERI. { Desh.)
PI. testa orbiculato-discoidea, crassiuscuU, utroque latere inequaliter ambiU-
*cata, supni profundiore; anfractibus quaternis, rapide crescentibus, convexis, invol-
Teotibos, sutura profuoda Junctis, interne, ad perîpfaeriam umbilici obtusissime
aogulatis, tenue et irregulariter striatis; ultime anfractu minore, cylindraceo, crasse,
adaperturam dilatato; apertnra magna, dilatata, lunari, paulo obliqua; marginibus
tenuibus, acutis disjunctis.
« Le planorbe de Duveyrier est d'une taille médiocre, discoïde
assez épais et rapproché par sa taille et l'ensemble de ses caractères
d'une variété petite du planorbis Dufourii de Graels. Discoïde subor-
biculaire assez épaisse, elle est ombiliquée de chaque côté, mais plus
profondément en dessus qu'en dessous. Elle est formée de quatre
tours de spire , dont les deux premiers sont fort étroits , les deux
autres s'élargissent rapidement. Ils sont en partie enveloppés les uns
par les autres, mais le dernier est très-grand, épais et s'accroît rapi-
dement, il est même un peu dilaté vers l'ouverture. Les tours sont
convexes de chaque côté et réunis par une suture simple et assez
profonde; du côté inférieur, l'ombilic est circonscrit par un angle
très-obtus. Toute la surface estchargée de fines stries irrégulières d'ac-
croissement, et l'on remarque, de plus, à des distances inégales des
temps d'arrêt dans l'accroissement qui ont produit des angles obtus.
L'ouverture est assez grande, dilatée, peu oblique et suborbiculaire,
modifiée par l'avant- dernier tour dont elie embrasse le diamètre.
ce Le plus grand échantillon a 7 millimètres de diamètre et
3 d'épaisseur. » (Voir la planche ci-contre.)
IP SECTION.
DB guadAmès a rhAt 1.
Cette section comprendra ;
i4. — Le plateau de Tînghert, de Ghadâmès à Ohânet;
L La route que J*ai suivie pour aUer de Ghadâmès à Rhàt, du moins Jusqu'à
Tlterhsln, n'est pas celle que prennent les caravanes , beaucoup plus directe et sise
i6 TOUAREG DU NORD.
B. — La traversée des dunes d'Edeyen, entre Ohànet et la Ha-
màda d'Eguélé;
C. — La Hamâda d'Eguélé, des dunes d'Edeyen à la plaine des
Igharghâren ;
D. — La plaine des Igharghâren, de Sâghen à Tàdjenoût;
^. — Le Tasîli des Azdjer, de Tàdjenoût à Tîterhsîn ;
F. — La vallée d'Ouarâret, de Tîterhsîn à Rhàt.
A. — Plateau de Tfnghert.
Le plateau de Hnghert commence vers le Nord-Est au Djebel-
Nefoûsa; dans le Sud-Est il vient se confondre avec la grande
Hamâda-el-Homra , dont il n'est séparé par aucun relief apparent ;
dans le Sud, sa limite est marquée par un rebord sous lequel sont
les points d'El-Hesî, de Tambalout et d'Ohânet qui le séparent des
dunes d*Edeyen; dans l'Ouest, un rebord, assez caractérisé en quel-
ques endroits, le sépare de la région de l"Erg. La ville de Ghadàmès
est bâtie sur ce rebord.
Ce plateau a 185 kilomètres du Nord au Sud; son étendue de
rOuest à l'Est ne peut être précisée, car nul ne connaît le point de
séparation entre la Hamâda de Tînghert et celle d'El-Homra. On sait
seulement qu'entre l"Erg à l'Ouest et le Djebel-es-Sôda à l'Est, il y a
600 kilomètres sans eau et sans végétation ; ce qui interdit à qui
que ce soit d'aller faire la reconnaissance de cette immense soli-
tude. Entre Ghadàmès et Ohànet, ce plateau s'appelle Hamâda de
Tînghert; entre Ghariân et El-Hesî, il s'appelle Hamâda-el-Homra,
noms différents, l'un berbère, l'autre arabe.
Les Sahariens appellent Hamâda tout plateau élevé, uni, pierreux,
sans végétation, sans eau, quelle que soit sa formation géologique.
Du Djebel-Nefoûsa aux environs de Ghadàmès, le calcaire est de
couleur grise ; aux environs de Ghadàmès, la coloration, du moins
à la surface du sol, devient plus uniformément sombre; au delà de
Ghadàmès, les dolomies prennent les différentes couleurs des mi-
néraux qui se trouvent dans le voisinage.
dans TEst. J'eus Theureuse chance de trouver la tribu de Témir Ikhenoûkhen près
de Ghadàmès, et je la suivis dans ses pérégrinations, ce qui m*a permis de beau-
coup mieux connaître le pays.
GÉOLOGIE. 47
Les environs immédiats de Ghadâmès offrent à l'observation du
géologue :
Le sol même de Toasis, léger, sablonneux et calcaire, fécondé
par les nombreux engrais de sa propre végétation ;
Les eaux de la source, dont j'ai fait connaître la température et
l'analyse au chapitre précédent, et sur laquelle je reviendrai au
paragraphe spécial à Ghadâmès, du Livre IIP;
Une carrière de plâtre exploitée près du cimetière du Dhâhara et
qui fournit un sulfate de chaux cristallisé, blanc, presque pur, quoi-
que mélangé à un peu de sable ^ ;
La roche du plateau qui entoure la ville ;
Enûn la gara ( témoin ) de Tîsfîn , à sept kilomètres E. de la
ville.
La roche du plateau de Ghadâmès *, est un calcaire crétacé, de
formation marine, jaunâtre, avec grands fragments d*inoc^ames et
quelques petites bivalves indéterminables, identiques comme aspect
aux calcaires jaunâtres coquilliers de la Chebka du Mezâb. Ce calcaire
donne une effervescence bien marquée à l'acide chlorhydrique, mais
paraît contenir une quantité assez notable de magnésie, comme la
plupart des roches du Mezâb.
La gara de Tîsfîn a 90 mètres de hauteur environ.
Elle repose sur une roche siliceuse, grisâtre, homogène, ne
donnant aucune trace d'effervescence à l'acide '.
Elle est couronnée, à son sommet, par une roche superficielle,
calcaire, rougeâtre, composée de fragments très-brisés de coquilles,
dans lesquelles; on distingue quelques petites limnèes et des traces
nombreuses de zoophytes. Cette roche, très-compacte, rend un son
semblable à celui de la poterie cuite *.
Entre les deux, l'intérieur de la gara est formé d'un calcaire ten-
dre, jaune, blanc, marneux, d'une pâte très-homogène '*.
Ce dernier calcaire apparaît aussi dans les ravins des environs de
la gara.
La gara de Tîsfîn est entièrement isolée, mais à peu de distance
i. ÉchantUIon n*" 8.
1 — n» 9.
3. — n« 10.
4. — n" a.
5. — n» 12.
i8 TOUAREG DU NORD.
on voit, dans différentes directions, des goûr d'une élévation beau-
coup moindre et qui doivent appartenir à la même formation.
A k kilomètres au Sud de Ghadâmès. on entre dans la petite dé-
pression de Kaboû, formée par un lit d'alluvions sablonneuses et
terreuses, au milieu duquel on trouve des sables et du carbonate de
chaux agrégés à la façon des grès de Fontainebleau. Ces agréga-
tions sont évidemment une création des eaux.
Les bords de cette basse dépression sont d'un calcaire spathique,
rougeâtre, très-compact *, dans lequel on trouve accidentellement de
la chaux cristallisée; dans le lit même sont des concrétions composées
d'éléments calcaires en mélange avec le sable.
A 15 kilomètres de Kaboû, on traverse FOuâdi-Mâreksàn dont la
direction est Est-Ouest. Son lit est de sable, graveleux à la surface,
caillouteux au fond. Sous le sable apparaissent des couches de sable
marneux , contenant de petits fragments de plâtre *. Les berges
latérales, qui ont 8 mètres de hauteur au-dessus de l'ouâdi, sont
d'un calcaire semblable à la roche du plateau de Ghadâmès.
Entre l'Ouâdi-Mâreksân et la dépression d'El-Gafgâf (48 kilom.),
le plateau se présente sous forme d'un chaos monotone de pierres
calcaires anguleuses, tantôt amoncelées sur le roc calcaire, tantôt
enchâssées dans des filons de terre sablonneuse.
De distance en distance, apparaissent dans l'Ouest, à 16 kilomètres
environ, les rebords d'un gradin plus élevé sur lequel se dressent
des goûrs calcaires indiquant l'ancien niveau du sol primitif; eu égard
à leur distance, ces goûr doivent atteindre à une altitude assez
grande.
Avant d'arriver à El-Gafgàf , pendant toute une journée de mar-
che, le sol est couvert de petites pierres noires qui donnent au
paysage une teinte funèbre.
Entre Mâreksân et El-Gafgâf on rencontre les lits des Ouâdi-Amàli
et Imoûlay qui vont se perdre dans T'Erg.
El-Gafgâf est une petite dépression circulaire, à fond alluvionnaire,
d'un kilomètre environ. Du côté du Sud, ce bas-fond reçoit les pe-
tites ravines d'Imozzelaouen (c'est-à-dire, petites ravines étroites)
qui traversent un sol calcaire à affleurements plus ou moins dété-
riorés.
1. ÉchantiRon n^" 13.
2. — ii« 14.
GÉOLOGIE. 49
Au delà de ces ravines, la surface du plateau se nivelle et pré-
sente une formation de graviers et de petites pierres.
Entre El-Gafgàf et Tifôchayen, la distance est de 34 kilomètres;
peu avant ce dernier point, le plateau est couvert de pierres dé-
tachées.
Tifôchayen est une large vallée dont la direôtion générale est du
Sud-Est au Nord-Ouest. Le sol de cette vallée est sablonneux; il
provient des sables de T'Erg que les vents y ont apportés.
Entre Tifôchayen et Timelloûlen (12 kilomètres), le plateau re-
prend son caractère précédent. La vallée de Timelloûlen consiste en
un large ouâdi dont le sol, comme celui de Tifôchayen, est formé de
sables de l"Erg apportés par les vents. On y trouve l'eau à 1"50 de
profondeur.
Le plateau reparaît sur une étendue de 12 kilomètres et se montre
couvert d'affleurements de calcaire décomposé ; après quoi on arrive
à la dépression circulaire de Tahâla, qui a 5 kilomètres de diamètre
et est bordée de hautes berges à pic très-déchirées.
Du bas de la dépression, sur une épaisseur de 1">50 à 2 mètres,
la berge consiste en assises marneuses d'un blanc légèrement ver-
dàtreS avec des veines et des noyaux de gypse blanc, pur, com-
pact et excessivement fin *. Cette roche ne contient pas de fossiles.
Le sommet de la berge est un calcaire rougeâtre, identique à
celui qui couronne la gara de Tîsfin.
Au centre de la dépression est une gara à formes bizarres.
De Tahâla à Ahêdjren (20 kilomètres), le sol est alternativement
un fond de sable ou un fond de gravier solide, recouvert de petites
pierres et d'affleurements calcaires mêlés à des marnes vertes dé-
composées.
Avant l'arrivée à Ahêdjren, le flanc des hauteurs qui bordent la
route à l'Est est d'un calcaire blanc, exactement semblable à la craie
de Meudon, solide par endroits, friable dans d'autres.
Dans la partie friable , je détache facilement cinq échantil-
lons de coquilles moyennes ^ qui ont été reconnus être Yostrea
columba (Desh) et appartenir au terrain cénomanien de d'Orbigny
i. Échantillon n» 16.
2. — n° 17.
3. — n» 18.
I.
50 TOUAREG DU NORD.
et aux grès verts supérieurs ainsi qu'à la craie chloritée du terrain
crétacé.
Dans la partie compacte de la base de la roche sont d'autres co-
quilles qui, à la vue, me paraissent de la même espèce que les
précédentes, mais grandes comme le creux de la main. La dureté
de la gangue ne me permet pas d'en prendre de spécimens.
Quoique le fond de cette roche soit blanc, elle est teinte de taches
brunes ou roussâtres en plusieurs endroits.
Sur toute la route, j'ai commencé à trouver des débris informes
d'ammonites au milieu des graviers.
Ahédjren est un ouâdi à direction Sud-Est et Nord-Ouest et à lit
sablonneux. Ici, comme dans les vallées précédentes, la présence
du sable s'explique par le voisinage de l"Erg.
De Ahédjren à Ohânet, le plateau de Tînghert continue avec ses
mômes caractères généraux sur une étendue de 25 kilomètres. Là, il
finit et contribue par son flanc méridional à former, avec le rebord
septentrional des dunes d'Edeyen, la longue dépression d'Ohànet
dont la direction générale est Est et Ouest.
Cette dépression d'Ohànet est appelée par les Arabes El-Djoua
(le fourreau), parce qu'elle ressemble à un couloir par lequel les
eaux, conservées comme dans un réservoir au milieu des dunes, s'écou-
lent dans un lit pour aller rejoindre l'Igharghar au Sud de Timâssanîn.
La largeur de la vallée est de 12 kilomètres; son fond est allu-
vionnaire : sables et graviers mêlés.
Au centre est un abankôr ou rhedir, bassin argileux, qui, d'après
les Touareg, conserve quelquefois l'eau pendant 2 ou 3 ans après
les pluies.
Entre Ahédjren et Ohânet, sur tout le parcours du trajet, les am-
monites continuent au milieu des pierres parsemées à la surface de
ce désert. Elles sont nombreuses, brisées en fragments. C'est avec
grande peine que je puis en trouver deux entières.
Les géologues à l'examen desquels ces ammonites ont été sou-
mises, les ont trouvées trop frustes pour pouvoir être sûrement déter-
minées*. Ils les croiraient volontiers nouvelles, mais se rapprochant
de Vammonites Mantellii du terrain cénomanien de d'Orbigny ou
des grès verts supérieurs, de la craie tufifeau ou de la craie chloritée.
i. ÉcbantUlon n» 19.
GÉOLOGIE. 51
La pâte de ce fossile est un calcaire d'un blanc jaunâtre, compact,
légèrement saccharoîde, parsemé de quelques mouchetures de man-
ganèse.
B. — Dunes d'Èdêyen.
Entre Ohânet et Âbrlha, sur un parcours de 75 kilomètres, s*étend
une région de sables, continuation occidentale des dunes d'Edeyen,
groupe séparé de celui de T'Erg par un prolongement du plateau de
Hnghert.
A peu près à égale distance des points extrêmes de cette zone
sablonneuse, on trouve dans TEst la ligne des goûr noires d'Ay-
derdjân, au Nord de laquelle est un puits comblé, tandis qu'au Sud
on trouve accidentellement des flaques d'eau dans une dépression
peu profonde à fond d'argile.
Sur toute l'étendue de ces 75 kilomètres, les sables recouvrent le
sol qui apparaît de temps en temps, soit sous forme d'un calcaire
noirâtre ou violet, compact et solide, soit sous forme de graviers
quartzeux arrondis; quelquefois ces graviers ont été cimentés avec
le sable par les pluies au moyen d'une substance calcaire agré-
geable, et alors ils forment un poudingue.
On rencontre aussi parfois dans ce parcours des places couvertes
d'une aiple violette solide et lisse, mais fendillée par l'action du
soleil; ces couches d'argile représentent les lits de mares desséchées,
et expliquent jusqu'à un certain point comment les graviers et le
sable ont pu se souder ensemble de manière à former la roche dont
je viens de parler.
C. — Plateau d'Êguélé.
Je donne le nom de plateau d'Eguélé à une région mouvementée,
partie hamàda, partie dunes, qui sépare la région des dunes d'Edeyen
de la vallée des Igharghàren. Ce plateau bas a 106 kilomètres du
Nord au Sud dans la partie où je l'ai traversée. Sa longueur, de l'Est
à l'Ouest, est encore inconnue.
Entre Abrlha, point où les sables cessent, et Tâdjentoûrt, est une
hamàda plate, couverte de petites pierres.
Tâdjentoûrt , qu'il ne faut pas confondre avec Touàdi de ce nom
52 TOUAREG DU NORD.
situé plus au Sud, est une dépression circulaire comme on en re-
marque si souvent dans les régions sahariennes.
Au delà , sur une étendue de 9 kilomètres , ma route parcourt la
continuation du plateau au milieu de pierres calcaires et d'affleure-
ments de même nature. Çà et là apparaissent des sables mêlés à du
gravier et formant un terrain solide.
Eguélé est une chaîne de hauteurs de pierres calcaires noires, d'où
leur nom Eguélé (le coléoptère*), et dont la direction générale est
du Nord-Est au Sud-Ouest. Cette chaîne coupe la route et marque le
point culminant de cette section ; c'est pourquoi , à défaut d'un nom
indigène applicable à Tensemble du plateau, je donne au tout le
nom de sa partie la plus" remarquable.
Au Sud du point où je traverse la chaîne d'Eguélé , on rencontre
rOuàdi-Tâdjentoûrt, ravin sans eau qui a ses origines dans une ligne
de hauteurs que la route suit sur une étendue de 35 kilomètres ;
ligne qu'on laisse dans l'Est, et qui est la prolongation Sud de la
chaîne d' Eguélé.
Le trajet s'effectue au milieu des rochers, et on arrive à la dé-
pression d'Aseqqîfâf, réceptacle des eaux pluviales de la chaîne, mais
à sec, hors les temps de pluie.
Entre Aseqqîfâf et Isaouan (35 kilomètres) est le plateau calcaire
de Timozzoudjên, recouvert dans sa partie Nord, sur un parcours de
12 kilomètres, de petites dunes de sables auxquelles on donne le nom
d'Isoûlan-n-Emôhagh et vis-à-vis desquelles on voit dans l'Ouest les
sables de Tedjoùdjelt.
Ce plateau, dans son entier, est de môme formation que celui de
TInghert; sa pente générale est légèrement inclinée vers le Sud.
Isaouan est le nom*donné à la partie de la plaine des Ighar-
ghâren dans laquelle se trouvent les grands rhedîr de Sàghen, ali-
mentés par l'Ouâdi Tikhâmmalt.
Le rebord méridional du plateau de Timozzoudjên termine la
série des calcaires sur lesquels est assise la route de ce point à Gha-
dàmès.
D. — Plaine des Fgharghâren.
La plaine des Igharghàren est une grande vallée de 320 kilo-
L Presque tous les coléoptères du Sahara sont de couleur noire.
GÉOLOGIE. 53
mètres de l'Est à l'Ouest, et d'une largeur moyenne de 35, formée au
Nord par le rebord méridional du plateau de Timozzoudjên et au Sud
par les versants septentrionaux des montagnes du Tasîli. Sa prin-
cipale largeur est dans l'Est.
Cette grande vallée d'alluvîons sablonneuses est découpée du Sud
au Nord en forme de larges plates-bandes par les nombreux ouâdi
du Tasîli, qui tous viennent se réunir au pied du plateau d'Eguélé en
un lit unique prenant le nom de son principal affluent, TOuâdi-Tikhâm-
malt, et qui, après avoir suivi une direction générale Sud et Nord,
du sommet du Tasîli à Sâghen, tourne brusquement à l'Ouest pour
aller se jeter dans TOuâdi-Igharghar à El-Bîr, au Sud-Ouest de Timâs-
sanîn.
Cette grande vallée , couverte d'arbres dans toutes ses lignes de
bas-fonds, fait un contraste très-remarquable entre l'aspect monotone
des plateaux du Nord et de ceux du Sud.
' Elle pourrait être facilement transformée en une série d'oasis, avec
des eaux courantes, si les forages artésiens y réussissent, ainsi que
tout l'indique. Dans tous les cas, avec des puits ordinaires, on y
aurait l'eau à peu de profondeur, surtout dans les lits des principaux
onâdi.
Je reviens à mon itinéraire.
Les rhedîr de Sàghen ne sont ordinairement pleins qu'après les
grandes pluies, mais à environ un mètre du sol on trouve toujours
l'eau nécessaire à tous les besoins.
Au milieu des alluvions qui' entourent les rhedîr, on remarque
des laves* noires, poreuses et légères, charriées, du sommet de
l'Adrar, point le plus élevé du Tasîli , par les eaux de débordement
de l'Ouâdi-Tikhâmmalt.
Les Touareg trempent quelquefois ces laves dans l'huile, qu'elles
absorbent comfne le ferait une éponge ; après quoi ils y mettent le
feu; l'huile brûle. Ce fait mal expliqué a fait croire à l'existence de
la houille dans les montagnes des Touareg. Lorsqu'on leur deman-
dait : « Avez-vous dans votre pays des pierres noires qui brûlent? »
ils répondaient': « Oui, nous en avons, » mais sans ajouter: «Nous
les imprégnons d'huile pour qu'elles puissent brûler. »
i. Échantillon n° 20, déterminé, ainsi que tous ceux ayant une origine pyro-
génique, par M. Des Cloizeaux; conséquemroent on ne peut craindre d*erreur.
5h TOUAREG DU NORD.
Déjà M. Ismayl-Boû-Derba avait trouvé dans rOuàdi-Igharghar,
mais provenant du Ahaggâr, des laves dç même nature.
Ces deux constatations, conûrmatives d'autres indications données
par les Touareg, ne laissent aucun doute sur la formation volcanique
des points culminants du Ahaggàr et du Tasîli.
Husloin, j'aurai l'occasion de constater la présence de pierres
de même nature dans le Djebel-es-Sôda (la montagne noire) que j'ai
pu étudier avec plus de soin, mon itinéraire traversant ce massif de
montagnes.
Le fond du sol de Sâghen est un composé de sables et d'argile
apportés par les eaux d'inondations; dans les sables, on trouve une
grande quantité de mica. Les pierres roulées par les eaux sont des
grès ou des détritus de roches plus grossières, formés de grains de
quartz agglomérés.
De Sàghen à Tâdjenoût, la route suit la vallée de l'Ouâdi-
Tikhâmmalt, tantôt sur une rive, tantôt sur une autre. En remontant
le lit de cette rivière, on remarque sur le sol des affleurements d'un
grès grisâtre, noirci à la surface.
A Tâdjenoût, pour la première fois depuis mon départ de Gha-
dàmès , je rencontre des sources d'eau vive et je dois faire observer
que, des puits de Timelloûlen jusqu'à Tâdjenoût, sur' un parcours
de 310 kilomètres, l'eau ne se trouve qu'accidentellement dans les
rhedîr; ce qui rend cette route difficile en dehors des années de
grandes pluies.
La route orientale, celle des caravanes, est plus riche en eau,
car en tout temps on est certain d'en trouver dans les puits sur six
points différents.
De Ghadâmôs à Tâdjenoût , mon itinéraire avait suivi une direc-
tion générale Nord et Sud. Tout à coup, il tourne à l'Est et longe
le versant Nord du Tasîli jusqu'à l'Ouàdi-lzêkra.
Entre Tâdjenoût et l'Ouàdi-Izékra, la distance est de i6 kilo-
mètres. Au Nord de la route, le terrain conserve les caractères
généraux de la plaine des Igharghàren; au Sud, apparaissent en
affleurements les grès siliceux , Ans, très -durs, gris jaunâtres du
Tasîli *.
Au point où rOuâdi-lzékra sort du Tasîli pour déboucher dans la
1. ÉchaDtUloa n*" 21.
GÉOLOGIE. 55
plaine, le sol est recouvert par une couche de sable, en mélange avec
de la terre végétale.
Il n'y a d'eau dans cette rivière qu'après les grandes pluies. En
temps ordinaire il faut aller s'abreuver au puits d'In-Hemoûl , à i ki-
lomètres en aval dans le lit de l'ouâdi.
De rOuâdi-Izêkra à TOuâdi-Târat (30 kilomètres), la route con-
tinue, comme la précédente, à suivre le pied du Tasîli en conservant
les mêmes caractères.
La vallée de Tarât forme une large coupure dans la montagne; à
l'Est et à l'Ouest, elle est bordée 4e pics de grès noir. La largeur de
l'ouâdi est de 800 mètres environ; la hauteur des berges. est de
90 à 100 mètres. Cette sorte de col porte le nom (ÏAghelàd (pas-
sage).
Dans l'Est, sur la rive droite de l'ouâdi, apparaît le haut pic de
Mârhet, qui domine le niveau moyen du plateau du Tasîli dans lequel
on va entrer. Dans le bas de la vallée, est une ligne de hautes dunes
de sables qui se prolongent dans l'Est jusqu'à Tânit-Mellet.
Sur la rive gauche de Tarât, on trouve un énorme tamarix appelé
Azel-en-Bangou.
Près de ce point, dans le fond de la vallée, je remarque des
grès ferrugineux sensibles à l'aimant*, pierres détachées provenant
de la partie supérieure de l'ouâdi. Plusieurs de ces pierres me pa-
raissent avoir été soumises à l'actiofi du feu ; j'en demande ^expli-
cation aux Touareg qui nie répondent avoir l'habitude de les faire
rougir et de les jeter ensuite dans le lait afin d'en assurer la conser-
vation.
Sans s'en douter, les Touareg préparent ainsi un lait ferrugineux
et devancent, sous ce rapport, les peuples civilisés qui, jusqu'à ce jour,
se sont bornés à l'usage de l'eau ferrugineuse.
E. — TasUi des Axdjer,
Le Tasîli du Nord ou des Azdjer, dont il est ici question, est un
immense gradin de 500 kilomètres de longueur et de 130 kilomètres
de largeur moyenne, orienté du Sud-Est au Nord-Ouest, et dont le
point le plus élevé porte le nom d'Âdrar.
1, ÉchanUUoD n» 22.
56 TOUAREG DU NORD.
Ce plateau, à l'exception des vallées, est complètement dénudé;
on n*y trouve pas même d'herbe.
A partir de Tarât, pendant l'ascension, ma boussole perd mo-
mentanément sa direction vers le Nord. Ne pouvant attribuer cet
affolement aux grès ferrugineux d'Azel-en-Bangou, j'interroge les
Touareg sur l'importance et l'étendue des gisements de fer dans leurs
montagnes, et j'apprends que je devais en trouver sur plusieurs
points de mon itinéraire jusqu'à Rhàt.
Le ravin de l'Ouâdi-Alloûn me conduit sur les hauteurs du Tasîli.
Les berges de cet ouâdi constituent de chaque côté des murailles
de grès, noircis à la surface, dont la hauteur augmente à mesure
qu'on monte.
L'assise inférieure de ces murailles présente, au niveau du lit, un
sable jaune grisâtre, légèrement concret*, au milieu duquel je trouve
des veines spathtiques* qui se prolongent en affleurements dans
le lit. La masse, jusqu'au sommet de la berge, est un grès sili-
ceux^, compact, très-dur, dont la couleur varie suivant les minéraux
dont il est imprégné.
Sur la rive droite de l'Ouàdi-Alloûn, au fond d'un ravin affluent,
jaillit la source de Ahôr, dans un bassin à fleur de sol, d'un
mètre carré à peu près, mais dont le réservoir est couvert par un
rocher sous lequel résonne l'écho quand on plonge les seaux dans la
source
Sa température est de 19<> 8, celle de l'^ir étant de 26°.
Le sol, autour de la source, porte des traces de dépôts salins.
Les rochers des environs forment des blocs anguleux détachés,
des grottes ou abris sous lesquels vivent des pigeons et autres
oiseaux.
Dans une de ces grottes, et sur un des rochers voisins, je trouve
douze inscriptions en langue temâhaq que je copie.
A la sortie du ravin par lequel la source d'Ahêr débouche dans le
lit de l'Ouâdi-Alloûn, je rencontre, sur la route, des traces de construc-
tions régulières dont je lève le plan et qui me paraissent appartenir
à la civilisation berbère. Les Touareg, que j'interroge sur l'origine
de ces constructions, me disent que ce sont les tombeaux des gens
i. Échantillon n*" 23.
2. — n° 24.
3. — n« 25.
GÉOLOGIE. 57
d'autrefois qu'on appelait Jabbâren ou géants. Il existe dans le pays
un certain nombre de ces tombeaux.
Après le ravin desséché de TOuâdi-Alloûn, le plateau est hérissé
de rocs énormes, séparés les uns des ai^utres par de grandes crevasses.
Ces rocs ont souvent une forme curieuse qui rappelle les pierres
levées des anciens Druides; mais, ici, l'origine de ces pierres étranges
est toute géologique.
Ce sont d'immenses blocs aplatis^ dans leur partie supérieure
et tenus en équilibre sur une base étroite comme le pied d'une
coupe, mais assez haute pour qu'un cheval et son cavalier puissent
circuler sous le plateau supérieur. (Voir page 35.)
Ces formations bizarres sont dues à l'action des eaux diluviennes
qui, en respectant la partie supérieure et la plus dure de la roche,
ont rongé la partie la plus tendre du piédestal.
Le point du plateau qui supporte ces témoins géologiques, en
nombre assez considérable, s'appelle Takarâhet. Plus loin, dans l'Est,
le même plateau prend le nom significatif de Teroûrit (le dos), parce
qu'il devient le point de partage des eaux qui se rendent du côté de
l'Ouest dans le bassin de l'Igharghar, et dans l'Est, vers 'fîterhsîn,
d'où elles vont se perdre dans le bassin des dunes d'Edeyen.
• Entre Takarâhet et Teroûrit, la route traverse successivement
trois basses dépressions : celle de l'Ouâdi-Tîn-Array, de l'Ouâdi-Tîn-
Têrdja, de Tîn-Tâkelît, qui portent les eaux du plateau aux sables de
Tànit-Mellet, d'où elles vont rejoindre l'Ouâdi-Târat.
Les rochers nus qui séparent ces trois dépressions sont tellement
hérissés et distribués sans ordre, qu'un excellent guide est néces-
saire pour ne pas perdre la route. Ces rochers sont toujours de
grès siliceux, dur, compact, noir à la surface, gris cendré à l'in-
térieur'.
Après de nombreux détours au milieu de ces rochers, le
chemin atteint la tête de l'Ouâdi-In-Ezzân, affluent du bassin de
Tlterhsîn.
Le ravin assez large de cet ouàdi est bordé de chaque côté de
hautes murailles formées de deux assises bien distinctes : la supé-
rieure, composée d'un grès-quartzite*, compact, blanchâtre à l'inté-
1. Voir la page 35.
2. ÉchantUlon n^" 26.
a. — n» 27.
58 TOUAREG DU NORD.
rieur, avec coloration brune ferrugineuse à la surfaoe; rînférieure,
composée d'un grès grossier, siliceux, de couleur jaune sale*.
Ce ravin conduit directement à Titerhsîn. Dans sa partie haute, il
porte le nom d*In-Akhkh; dans sa partie basse, celui de Timsen-
nanîn.
Au confluent de l'Ouâdi-Tiferghasln dans Timsennanîn, je trouve
une pierre roulée*, noire, à grain très-fin, lourde, qui, à Texamen, a
été reconnue être du fer oligiste de la plus grande richesse.
Timsennanîn est séparé du bas de la vallée par une dépression
du nom de Takhôba, au delà de laquelle on entre sur un terrain plus
élevé, couvert de blocs de grès de formes accidentées ; après quoi on
descend par une pente insensible dans le fond de la vallée.
Sur la rive gauche de Touàdi, à peu de distance de la route, est
une petite ligne de sable, encore appelée Azekka-n-Bôdelkha, dernier
vestige d'une chaîne de dunes dont j'ai déjà parlé (voir page 42) et
qui tend à se reconstituer.
La vallée de Tîterhsîn, à fond alluvionnaire, est à l'extrémité
orientale du Tasîli ce que la vallée des Igharghâren est à son versant
Nord, c'est-à-dire le réceptacle des eaux pluviales qui, avec celles
venant de l'Ouest de la plaine de Tâyta, vont se perdre dans les
dunes d'Edeyen. Avant l'obstacle apporté par les sables, toutes ces
eaux se réunissaient à celles des Igharghâren pour aller grossir
l'Igharghar. Elles doivent s'y rendre encore, mais souterrainement.
La vallée de Tîterhsîn cesse d'avoir un bassin tracé à partir de sa
sortie des montagnes ; de là jusqu'aux dunes, elle offre l'aspect d'une
vaste plaine de sable.
Malgré le rôle hydraulique qu'elle joue, on n'y trouve de puits
qu'à Tàdjenoût, au pied des dunes et à Tarz-Oûlli, dans la vallée.
Ce dernier est comblé. Après les grandes pluies, il est vrai, il existe
dans le lit de la rivière un endroit appelé Amezzien, où l'eau s'accu-
mule et forme un rhedîr qui persiste pendant deux ans.
En tout temps, les sources de Tihôbar, dans l'Ouâdi-Taouezzak,
affluent de llterhsîn, suffisent aux besoins des voyageurs.
Pràs de ces sources sont des cultures de blé.
Sur les rives desséchées du redhîr d' Amezzien, je trouve des
1, ÉchantiUon n<» 28.
2. — u» 29.
GÉOLOGIE. 59
coquilles d'eau stagnante, mortes depuis longtemps, et qui ont été
reconnues par M. Deshayes pour être la physa contorta (Michaud) et la
bithinia dupoUHana (Forbes).
F. — Vallée d'Ouaràret.
Cette vallée porte communément et indistinctement les deux noms
d'Ouarâret et d'Aghelâd.
Ouarâret est le nom particulier du principal ouâdi de la vallée.
Aghelâd signifle passage. En effet, la vallée est un vaste couloir
entre le Tasili et ridînen , par lequel passe la grande route de Gha-
dâmès à Rhât.
A 7 kilomètres de Tarz-Oûllî , on remarque sur le rebord rocheux
du Tasîli le mont Télout, entièrement isolé aujourd'hui, mais dont la
constitution est tout à fait semblable à celle du Tasili dont il semble
détaché.
A quelques kilomètres, à gauche, en entrant dans la vallée, au
sortir de llterhsîn, on aperçoit un petit plateau allant de l'Ouest à
l'Est, du nom de Tizoûl (même racine que tazôli, fer). La couleur
de la roche me paraît, de loin, noirâtre avec des nuances jaunes. Je
ne tarde pas à être fixé sur la nature de sa formation.
En effet, à 20 kilomètres de Tarz-Oûllî, je trouve les puits arté-
siens d'Ibanâren, nouvellement curés, et, autour de ces puits, prove-
nant des déblais, des dépôts de §ables ocreux, contenant des débris
végétaux, mai^ surtout remarquables par la quantité de fer qu'ils
renferment *.
Ces puits, au nombre d'une dizaine environ^ ont été creusés à la
façon de ceux de l'Ouàd-Rîgh et, comme eux, donnent des eaux jail-
li^antes servant à l'irrigation des terres voisines, au moye» de
canaux et de réservoirs en maçonnerie.
Le 12 mars 1861, jour où je rencontrai ces puits, la température
des eaux était de 2k^k au fond des bassins, celle de l'air extérieur
étant de 8**. Je dois -ajouter que les outres contenant nos provisions
d'eau avaient gelé dans la nuit du 11 au 12 et dans les deux pré-
cédentes.
La profondeur moyenne des puits est de 1» 50 à 2 mètres envi-
1. Échantillon n<> 30.
60 TOUAREG DU NORD.
ron. Leurs orifices sont entourés de branchages pour éviter que les
animaux y puissent tomber; c'est pourquoi, sans doute, les déblais
provenant du curage contiennent des matières végétales.
La vallée qui conduit à Rhàt a kk kilomètres de longueur, sur
une largeur moyenne de 7. Sa direction générale est Nord et Sud.
Dans la vallée est une source, celle de Tinoûhaouen, appartenant
à une dame de Rhât et exploitée pour l'irrigation.
Cette source, connue des anciens Touareg, avait depuis long-
temps disparu sous des masses de sables; on l'avait déblayée en
1858.
Le sol de cette vallée, là où il n'est pas recouvert par des sables,
est composé d'argiles roses, micacées, tantôt terreuses *, tantôt schis-
teuses*, qui se montrent sous forme de veines.
Les parties les plus basses de ces veines sont sillonnées d'affleu-
rements d'alun qu'on exploite'.
Sous les grès quartzites des berges de la vallée, sont des grès
micacés*, rougeâtres, très-fins et très-compacts, lamelles, se détachant
en couches de 8 à 9 millimètres d'épaisseur.
Le mont Idînen, qui marque le côté oriental de la vallée d'Oua-
ràret, est réputé par les indigènes être le séjour mystérieux d'esprits
surnaturels, Idinm, d'où lui est venu son nom.
La forme d'Idînen est celle d'un fer à cheval, du centre duquel
part un ravin aboutissant au Tanezzoûft. M. le docteur Barth, qui a
visité ce mont, s'exprime ainsi sur sa nature: « J'atteignis enfin la
crête qui s'élève semblable à une muraille au sommet de la côte. Je
constatai que ce massif se composait généralement de couches hori-
zontales de marne reposant sur un lit de pierres calcaires ; sur le
versant, je découvris un vaste chaos de blocs de rochers tombés du
haut de la montagne, n
Rhât est adossée à une chaîne de collines peu importantes qui
portent le nom de Koukkoûmen.
Autour de Rhât, on retrouve la terre végétale des oasis, légère-
ment sablonneuse et arrosée par de nombreuses sources qui sourdent
de tous les points.
L Échantillon n^ 31.
2. — n» 32.
3. — n° 33.
4. — n° 34. •
GÉOLOGIE. 61
IIP SECTION.
DE tITERHSIpI a ZOtiLA.
Cet itinéraire géologique comprendra les divisions suivantes :
A. — Passage de TAkàkoûs, entre Tîterhsîn et Serdélès;
B. — Désert de Tàyta, entre Serdélès et Oubâri ;
€. — Parcours de rOuàdi-Lajâl, entre Oubâri et le plateau de
Mourzouk ;
Z). — Dunes d'Edeyen ;
E. — Hamâda de Mourzouk ;
F. — Dépression d'El-Hofra ;
G. — Cherguîya;
H. — Massif du Hâroûdj.
A. — De Titerhstn à Serdélès.
La distance entre ces deux points est de 80 kilomètres.
Jusqu'à rOuâdi-Tanezzoûft, qui vient de Rhât et dont la vallée
sépare le plateau d'Idînen de la chaîne de TAkàkoûs, la route ne tra-
verse guère que des sables et quelques petits plateaux pierreux entre
des dunes de sables.
AAmarhîdet, je retrouve les argiles schisteuses* de la vallée
d'Ouarâret, avec des colorations qui varient du rouge lie de vin au
blanc pur en passant par les nuances intermédiaires du violet, du
rose et du jaune, suivant les diverses stratifications.
Au delà du Tanezzoûft est le passage de TAkâkoûs, d'abord par
nn plateau inégal, ensuite par un dédale de collines, de pitons et de
ravins successivement échelonnés dans le plus grand désordre.
Sur un parcours de l\ kilomètres, la roche est nue, sans végétation
et composée d'un grès fin, micacé, de couleur rosée, stratifié, très-
solide *.
1. Échantillon n° 35.
2. - n« 36.
62 TOUAREG DU NORD.
La chaîne de l'Âkâkoûs est tellement abnipte, dressée en forme
de muraille, que c'est à peine si, une fois en dix années,, il se ren-
contre parmi les Touareg un homme assez adroit pour pouvoir en
opérer l'ascension, par un unique escalier très-étroit, Abarqa-wân-
dârren (chemin des piétons), et qui va chaque jour en se dégra-
dant. On cite dans le pays les rares individus qui ont gravi ce rempart
de roches dénudées, dont les pointes, dressées vers le ciel, présen-
tent l'aspect le plus bizarre.
Le versant méridional de la montagne conduit, par une pente
insensible, à Serdélès.
Ce point, que les Arabes appellent aussi El-'Aonïnât, est certaine-
ment l'un des plus remarquables du Sahara.
Si l'artiste peut, dans un seul coup d'œil, embrasser trois des
grandes horreurs de la nature : le squelette dénudé de la chaîne de
l'Akâkoûs, le désert de Tàyta, les dunes d'Edeyen ; si Tarchéologue
trouve dans les ruines du château d'Aghrem matière à exercer sa
sagacité ; si l'attention du botaniste est appelée par un arbre gigan-
tesque, Vacacia albida de Delille, unique de son espèce dans tout le
pays d'Azdjer, celle du géologue est bien plus surexcitée encore par
la constatation d'une série de faits, tous nouveaux pour lui.
D'abord, il est au point de partage des eaux entre le bassin de la
Méditerranée et celui de l'Océan ; ensuite, au lieu d'une nature aride,
sans eaux, comme celle des contrées environnantes, il trouve dans
l'enceinte du château une source remarquable par son volume et, à
côté, deux puits artésiens, alimentant de leur jet continu divers
bassins aménagés pour l'irrigation des terres ; enûn, il est là sur le
terrain le plus ancien connu sur tout le continent africain, le ter-
rain devonien, immédiatement inférieur aux dépôts houillers, et ce
terrain apparaît dans des conditions qui ne laissent aucun doute sur
son identification.
M. de Vemeuil, celui de nos professeurs le plus versé dans l'étude
des terrains anciens, a bien voulu déterminer la nature des échan-
tillons de roches que j'ai rapportés de cette contrée. Voici textuel-
lement les notes qu'il a bien voulu rédiger à ce sujet.
« 11 y a dans les échantillons de grès argileux de Serdélès soumis
à mon observation deux espèces de coquilles fossiles reconnaissa-
bles : un spirifer et le chonotes crmvXaXa.
« La plus abondante des deux espèces est un spirifer strié, à
GÉOLOGIE. 63
sillon lisse, appartenant au groupe des osliolati de de Buch. C'est
peut-être même le spirifer ostiolatus (Schlotheim) qu'on. réunit au-
jourd'hui généralement au spirifer Icevicosta (Valencienne).
tt 11 y en a deux variétés, Tune plus courte , l'autre plus trans-
verse. Ces deux variétés s'observent dans le spirifer Icsvicosta tel que
Ta flguré M. Schur. (Brachiopoden von derEifel, pi. 32 bis, fîg.3 a-h.)
a Un des échantillons de Serdélès représente un are^ assez élevé
qui pourrait le rapprocher du spirifer sxûfcuspidatus (Schnur) de
VEifel.
ce Enfin on peut aussi comparer cette espèce au spirifer medialis
(Hall), qui est abondant dans le Hamilton Group ou terrain dévonien
de l'État de New-York.
« Quelle que soit l'espèce à laquelle on rattache le spirifer de
Serdélès, c'est toujours avec une espèce caractéristique du terrain
dévonien qu'il sera identifié, et c'est là le point capital.
c( L'autre, brachiopode que je distingue dans les deux échantillons
qui m'ont été soumis est le chonoles crenvXaia (Rômer). C'est une
coquille exclusivement dévonienne et caractéristique surtout de
l'étage moyen ainsi que la précédente. Elle a beaucoup de ressem-
blance avec le chonoles slricUdla du système silurien , mais elle a
Yarea un peu moins développé et sa plus grande largeur est au
milieu des deux valves, ce qui lui donne une forme légèrement ar-
rondie.
tt Le terrain dévonien est aujourd'hui connu dans le Nord de
l'Afrique sur ti'ois points:
(( 1» Dans le Maroc, où il a été découvert et décrit par M. Coquand,
professeur à Marseille (voirie Bulletin de la Société gèoloffique,\o\, IV,
page 1204) ;
a 2*» Dans le Fezzân, où le docteur Overweg l'a trouvé en traver-
sant l'Amsâk à 80 kilomètres environ à l'Est de Serdélès (voir Zeits-
chrift der deutschen geologischen Gesellschaft , IV Band. — Berlin ,
1852) ;
et 3^ Enfin, à Serdélès, d'où proviennent les deux échantillons
.soumis à mon examen par M. Henry Duveyrier*.
1. M. Vatonne, dans le Mémoire géologique dont j*ai déjà parlé, nous apprend
queBL Ismayl-Boû-Derba a également trouvé le terrain dévonfen, au pied du l'astii,
non loin de Timà86anln,prè8 de la source de Touskirin, et de nombreuses empreintes
64 TOUAREG DU NORD.
« Dans le Sud de l'Afrique, ce même terrain dévonîen se repré-
sente près du cap de Bonne- Espérance, dans la montagne de la
Table.
(( Le terrain silurien et le terrain carbonifère , le premier au-
dessous, le second au-dessus du dévonien, n'ont pas encore été
signalés en Afrique, que je sache au moins.
« Cependant, au Maroc, M. Coquand croit pouvoir rapporter au
terrain silurien les calcaires à bronleus et à orlhoceras qui sont au-
dessous des grès dévoniens. (Voir le Bulletin, vol. IV. p. 120/|.)
« Des grès argileux, assez semblables à ceux de Serdélès, se
trouvent aussi à Almaden, en Espagne, dans le terrain dévonien. Ils
abondent également en moules de spirifer dont quelques-uns sont
voisins de l'espèce que nous venons de mentionner. »
Les échantillons soumis à l'examen de M. de Verneuil figurent
dans ma collection sous les n*»» 37 et 38. Ils proviennent d'une roche
près du château.
La même localité me fournit encore un grès ferrugineux* pré-
sentant quelques traces de coquilles indéterminables paraissant se
rapporter aux grès précédents.
Mais, chose curieuse, près de la source, je retrouve le calcaire
crétacé*, jaunâtre, avec Inocerames et bivalves, du plateau sur lequel
est bâti Ghadâmès.
La source du château sort d'un bassin de 3 à /i mètres de long,
sur 1 mètre 50 de large. De là, les eaux s'écoulent, par un canal
profond creusé dans la butte sur laquelle est bâti le château, pour
aller arroser des cultures de céréales dans les environs.
A Serdélès, pour atteindre la nappe d'eau jaillissante, il faut creuser
à la profondeur de trois hauteurs d'homme; mais, disent les habi-
tants, pour y arriver on a à percer une couche de roche très-dure, dif-
ficulté devant laquelle on recule pour augmenter le nombre des
puits. D'ailleurs à quoi bon? La nature du sol environnant, imprégné
d'alun et de sel, n'est pas favorable à la culture, et son infertilité ne
sollicite pas à entreprendre des travaux pénibles pour le féconder.
L'eau de la source, comme celle des puits, est excellente. L'une
de spirifer dans les quartxites du ravin de l*Ouàdi-Ilèzi. Les échantiUons de M. Boù-
Derba ont été déterminés par M. le professeur Coquand.
1. Échantillon n» 39.
2. — n» 40.
GÉOLOGIE. 65
et l'autre sont employées aux irrigations. Les puits son particulière-
ment affectés à l'arrosage des palmiers.
A h kilomètres au Nord-Ouest, avant d'arriver au château de Ser-
délès, on trouve la source de l'alun, Tîn-Azârif, près de laquelle,' en
effet, de beaux affleurements d'alun blanc* me permettent d'en faire
provision.
B. --Désert de Tâyta.
Dès la sortie du bassin de l'Ouâdi-Serdélès, on entre sur un
terrain plus élevé, à gradins successifs, le tout de la plus grande
aridité et recouvert de grès noirâtres. Bientôt on atteint une plaine
unie, de gravier solide; c'est le commencement du désert de Tâyta
qui présente une formation géologique nouvelle; ici, de grandes par-
lies calcaires qui m'ont paru dolomitiques , sur et dans une pâte
de grès avec laquelle elles forment corps ; là, des pierres détachées,
d'un calcaire gris compact à grain très-fm*; ailleurs, des rognons
d'un conglomérat composé de grains quartzeux blancs réunis par
une pâte rouge complètement siliceuse^; à droite, du gravier pur; à
gauche, une terre rougeâtre tendre, avec ou sans gravier; enfin, une
roche composée de divers .éléments : dolomies, quartz, silex, agglo-
mérés ou plutôt fondus les uns dans les autres.
Le désert de Tâyta occupe l'espace compris entre le.s chaînes de
l'Akàkoùs et de l'Âmsâk, les oasis de l'Ouâdi-Lajâl, les dunes d'Edeyen
et la plaine des Igharghâren.
Sur toute son étendue la végétation est nulle.
Sa largeur, entre l'Akàkoùs et l'Amsâk, c'est-à-dire de l'Ouest
à l'Est, est de 65 kilomètres, et sa longueur, du Nord au Sud,
est de 160.'
Ma route coupe ce désert dans sa plus grande largeur, en me
rapprochant du coude de l'Amsâk et en m'éloignant des dunes
d'Edeyen.
J'aperçois de loin, dans le Sud-Est, la coupure de l'Amsâk, que
M. le docteur Barth a traversée pour passer de l'Ouâdi - Aberdjoûch
1. EchantiUon n° il.
2. — n« 42.
3. — n» 43.
I.
66 TOUAREG DU NORD.
dans le désert de TAyta. Elle est appelée Aghelâd par les Arabes et
Alfao par les Touareg*.
« Des deux côtés de Tétroit passage , dit le célèbre voyageur,
s'élevaient à une hauteur de cent pieds , des murailles de rochers à
pic, composées d'énormes couches de marne et de grès , qui se rap-
prochaient quelquefois au point de ne plus laisser entre elles qu'un
espace de six pieds. »
A sa sortie du défilé, M. le docteur Barth a trouvé le sol du désert
aride, couvert de grès et de pierres calcaires.
Sous le même méridien, à 33 kilomètres dans le Nord, le sol
se présenta à moi sous forme d'une terre rougeâlre et tendre, mais
toujours recouvert de graviers et de pierres.
Plus on se rapproche de l'Amsâk, plus le plateau, tout en conser-
vant ses caractères généraux, est jonché de pierres détachées, de
grès ordinaire.
Au pied d'un des nombreux caps de l'Amsâk, apparaît une pro-
fonde caverne , avec une ouverture assez large pour donner passage
à un chameau ; cette caverne est une ancienne carrière de pierres
meulière*s, appelée Ouideréren (les meules).
Sur un autre point, nommé lln-Aboûnda, surgissent des affleure-
ments de calcaire blanc détérioré.
Avant l'arrivée à Tîn-Aboûnda, le désert perd son aspect désolé:
à un sol nu, aride, sans végétation, sans eau, succède une forêt de
gommiers, celle dite d'Oubâri, qui sépare le désert de Tà^Oa des
nombreuse^ oasis de l'Ouàdi-Lajàl.
Deux puits, celui d'Essàniet et d'In-Tafarat, peu éloignés l'un de
l'autre, témoignent aussi que la nature du sol a changé.
Le puits d'In-Tafarat, d'une profondeur de 4" 50, est creusé
dans une terre ocreuse.
La pente générale du désert de Tâyta est du Sud-Est au Nord-
Ouest. Toutes les eaux des versants de l'Amsâk, après avoir traversé
la plaine de Tâyta dans des dépressions à peine marquées, vont se
perdre dans les dunes d'Edeyen.
Le plateau sur lequel s'élève la forêt de gommiers est le point
de partage des eaux entre le bassin de Tâyta et celui de l'Ouàdi-
Lajâl.
i. Mais ces deux noms sont de la langue temâhaq.
GÉOLOGIE. 67
C. — Ouâdi-Lajài.
On donne le nom commun d'Ouâdi-Lajàl à une vallée de 190 ki-
lomètres de longueur dans sa partie habitée et cultivée, et d'une
largeur moyenne de 8 kilomètres.
Cette longue vallée, dont la direction et la pente générale sont
de rOuest à TEst, est bornée au Nord paf le bourrelet méridional
des dunes d'Edeyen et au Sud par la prolongation de la chaîne
de TAmsàk.
Au Nord, les dunes forment une ligne à peu près droite, tan-
dis qu'au Sud la chaîne de TAmsâk offre de nombreux caps et de
nombreux golfes , sortants et rentrants , qui découpent inégalement
ce côté de Touâdi.
La partie Ouest de cette vallée porte le nom de Ouâdi-el-Gharbi
(vallée de TOuest) ; la partie Est, celui de Ouâdi-ech-Chergui (vallée
de l'Est); elles sont séparées l'une de l'autre par deux promontoires:
l'un (Je dunes, du côté du Nord; l'autre de rochers, du côté du Sud.
Mais géologiquement, ces deux vallées n'en font qu'une; car elles
ont la même pente à l'Est, la même nature d'eau et de sol.
Le sol, à la superficie, est un terrain de heycha, c'est-à-dire une
terre alluvionnaire, légère, saturée de sel et boursouflée par l'action
combinée des eaux et de la chaleur.
Ce terrain de heycha, on le retrouvera, plus au Sud, dans TOuâdi-
'Otba, dans la Hofra ou dépression de Mourzouk, et dans la Cher-
gulya, autour de Zouîla.
Cette nature de terrain est aussi celle des oasis septentrionales
du Nefzâoua, d'El-Faïdh, de l'Ouâd-Rîgh , du bassin de Ouarglâ et
même du Touât.
Le sous-sol est un terrain d'alluvion jaunâtre, calcaire, mélangé
de petits grains quartzeux très-roulés *.•
Dans cette grande vallée de l'Ouâdi-Lajâl , il n'y a pas de lit de
rivière proprement dit; mais, sur toute l'étendue de la vallée, on
trouve, à une profondeur moyenne de 3" 60, une couche aquifère
dont l'eau est amenée à la surface du sol au moyen de puits et d'ap-
pareils en charpente qui ne sont pas sans quelque analogie avec
1. ÉchantiUon n*" 44.
(38 TOUAREG DU NORD.
ceux usités en Egypte pour Tarrosage des terres. J'en donne un dessin
ci-contre.
Toute la vallée est couverte de villages et de forêts de palmiers,
à Tombre desquels on cultive des plantes maraîchères et des arbres
à fruits de diverses espèces.
J'ai à signaler comme dérogeant à l'uniformité générale de la
vallée les objets suivants :
i^ Une carrière d'argile à poterie, encore exploitée aujourd'hui,
au pied du Djebel-Tîndé , l'un des caps de TAmsâk qui dominent
Oubâri ;
2^ A Djerma, les grandes pierres de taille du monument romain,
extraites des carrières de l'Amsàk, en grès rose, analogue à ceux des
édifices de l'ancienne Egypte ;
3° Une mine de sel, de qualité inférieure à cause de son mélange
avec une terre rousse, et située au milieu de l'Ouâdi-El-Gharbi, entre
la chaîne de l'Amsâk et les dunes ;
4<» Un système de puits à galeries, fogârât, creusé sur le flanc du
versant Sud de l'Amsàk dans un golfe vis-à-vis l'ancienne Garama.
Me trouvant à Djerma, je ne pus m'empêcher de penser aux éme-
raudes garamantiques jadis si célèbres à Rome. Sur les lieux, on ne
m'a donné que des renseignements négatifs; mais les Arabes no-
mades de l'Ouàdi-ech-Chiati, à 120 kilomètres au Nord de Djerma,
m'assurèrent que Ton trouvait chez eux de ces émeraudes enchâssées
dans des bagues provenant des fouilles des anciens tombeaux.
D'autre part, on sait que des émeraudes ont été découvertes dans le
Tooât, qui devait être compris- dans le pays des Garamantes, dont
la domination s'étendait dans l'Ouest jusqu'à l'oasis du Tafilelt,
l'ancienne Sedjelmàssa. 11 est donc possible que les émeraudes de
l'antiquité aient été trouvées ailleurs qu'aux environs de Djerma.
Le nombre des villages de l'Ouâdi-El-Gharbi est de onze,
savoir :
Oubâri, Ghoreyfa, Touech, Djerma, Teouîoua, Berêg, El-Fogâr,
Tekertîba, El-Kharâig, Garâgara, El-Fejîj.
Je ne puis indiquer ceux de l'Ouâdi-Ech-Chergui, n'ayant pas
visité cette partie de la vallée.
PI. IV.
Page G8
Fig. 9.
APPAREK. A ELEVFR L FAt DANS LES OASIS DL FEZZAN.
D'après un dessin de M. H. Duveyrier.
GÉOLOGIE. 69
D. — Ikines d'Édeyen.
Edeyen, en langue temâhaq, signifie dunes. Je donne ce nom à
toute une région de sables, courant de TOuest à TEst, que j*ai tra-
versée entre les plateaux de Tînghertet d'Eguélé, puis longée dans la
traversée du désert de Tâyta, et que je retrouve au Nord de TOuâdi-
el-Gharbi en visitant les lacs de Gabrâoûn et de Mandara. M. le
docteur Barth Ta parcounie dans sa plus grande largeur entre
rOuâdi-ech-Chiati et TOuâdi-el-Gharbi , en se rendant directement
de Tripoli à Mourzouk.
La longueur de cette zone de sables, de TEst à TOuest, est de 800
kilomètres environ.
Sa largeur moyenne est de 80.
Dans mon itinéraire géologique de Ghadâmès à Rhât, j'ai indiqué
la nature de cette zone entre Ohânet et Abrîha.
Un itinéraire de Ghadâmès à Rhât, recueilli par renseignements,
me donne sa largeur entre Tâghma et Tidjedakkannin, avec un puits
au milieu, celui d'El-Mîsla.
J'extrais de l'itinéraire du docteur Barth, entre l'Ouâdi-ech-Chiati
et l'Ouâdi-el-Gharbi, les renseignements suivants :
« Notre routé, extrêmement pénible, nous conduisit presque sans
cesse entre de hautes et roides collines de sable. Il s'élevait encore
dans certains endroits des groupes de palmiers. Le plus important
est rOuâdi-ech-Chiouch , enseveli entre deux hc^utes dunes de sable
blanc mouvant.
« Dans notre seconde journée de marche, les collines de sable
étaient si escarpées qu'il nous fallait, de nos mains, en aplanir les
côtés pour que nos chameaux pussent y avoir pied; l'un de nos cha-
meliers me dit que cette zone de sable s'étendait, du Sud-Ouest au
Nord-Est, depuis Douessa jusqu'à Foukka. »
J'ignore quelle est la position de Douessa, mais je connais celle
de Fogha, à l'Est de ma route de retour par Sôkna, et je crois de-
voir ne pas prolonger jusque-là la zone de ces dunes, bien qu'en effet
les sables s'y montrent encore, mais non plus sous la forme de dunes
compactes et pressées les unes sur les autres.
« Notre troisième journée de marche, ajoute M. le docteur Barth.
continua à travers des collines de sable. Après avoir traversé l'Ouâdi-
70 TOUAREG DU NORD.
Djemmal, nous arrivâmes à la pente la plus escarpée de ce désert de
sable^.
« Nous campâmes dans TOuàdi-Tiguidéfa, près de deux palmiers
plantés Tun à côté de Tautre et d'une source abondamment pourvue
de fort bonne eau.
« Après douze heures de marche dans les dunes de sable, nous
arrivâmes, le quatrième jour, dans TOuàdi-el-Gharbi. »
En allant visiter les lacs de Mandara, de Gabràoûn, de Bahar-ed-
Doûd et autres, situés dans ces dunes, au Nord de TOuâdi-el-Gharbi,
j'eus l'occasion de les reconnaître de nouveau. Je les trouvai dépour-
vues de végétation, d'un accès difficile, tantôt formant des chaînes,
tantôt s'élevant, à de grandes hauteurs, en pitons isolés taillés
presque à pic.
Un des caractères distinciifs de cette région est d'être abondam-
ment pourvue d'eau, car indépendamment des dix lacs salés ou
d'eau douce dont il a été question au chapitre précédent, il en est
encore d'autres que je n'ai pas cru utile d'aller visiter, parce qu'ils
m'ont paru tous de même nature.
M. le docteur Barth constate aussi la présence de l'eau en plu-
sieurs points.
On dirait donc que cette immense région de sable a pour mission
de conserver les eaux des hauteurs qui les bordent.
E. — Hamâda de Moursouk.
Entre l'Ouâdi-el-Gharbi et Mourzouk s'étend un plateau que les
indigènes appellent hamâda, sans le différencier par un nom parti-
culier des autres hamâd, mais auquel je donne le nom de la
capitale du Fezzân , afin de le distinguer de ses homonymes.
En sortant de l'Ouâdi-el-Gharbi, on doit traverser la chaîne de <
l'Amsâk par un col étroit, difficile à gravir, à cause des pierres glis-
santes qui obstruent le passage; puis on entre dans la hamâda, dont
le sol, dépourvu de végétation, est couvert d'un gravier mélangé de
terre formant un tout solide. Cette contrée me rapi3elle, malgré moi,
la hamâda entre Laghouat et le pays des Beni-Mezâb, avec cette dif-
férence que les pistachiers du Sahara algérien sont remplacés dans le
Fezzân par des gommiers.
GÉOLOGIE. 71
Oq me signale à peu de distance, dans TOuest de la route, un
puits de 45 mètres de profondeur; plus loin, je trouve dans le lit de
rOuâdi-er-Resiou un autre puits qui n'a plus que 18 mètres; il
s'appelle Bîr- Amrân. La hamâda conserve toujours l'aspect d'un
désert sec et aride jusqu'à l'Ouàdi-'Otba.
L'Ouâdi- Otba est une longue vallée qui prend son origine dans
la chaîne de l'Amsâk et se prolonge dans l'Est jusqu'au delà de
la route de Mourzouk à Sôkna. 11 ne forme oasis que dans sa partie
centrale, là où des alluvions sablonneuses permettent la culture des
palmiers et des autres arbres.
On y compte cinq villages, savoir :
Tessâoua, Agâr, Tiggerourtîn , Marhaba, Doûjàl, tous rapprochés
les uns des autres et réunis ensemble par des plantations de pal-
miers.
Grâce à l'altitude du plateau, on trouve dans cette oasis des
végétaux des zones les plus différentes, entre autres l'olivier à côté
du palmier, le pommier et le pécher à côté du gommier et d'autres
arbres de l'Afrique centrale.
L'Ouàdi-'Otba, comme l'Ouâdi-el-Gharbi , n'est alimenté d'eau
que par des puits. La nature du sol est la même, mais moins saline.
Entre l'Ouàdi-'Otba et la dépression de Mourzouk, on traverse la
suite de la haraàda, couverte de gravier en tout semblable à celui
qu'on a rencontré dans la partie Nord ; quelques petites dunes de
sable viennent de temps en temps atténuer la monotonie du pay-
La distance entre l'Ouâdi-el-Gharbi et l'Ouâdi-'Otba est de 55 kilo-
mètres, celle de l'Ouàdi-'Otba à Mourzouk est de 45; ensemble
100 kilomètres. *
Ce plateau, que j'ai traversé obliquement, est limité au Nord et
dans l'Ouest par la chaîne de l'Amsâk ; mais dans le Sud et dans
l'Est, il se prolonge indéfiniment jusque dans le pays des Teboû ; ce
qui rend les routes méridionales de ce côté si pauvres en eau.
F. — Dépression de la Bofra.
La dépression dans laquelle se trouve Mourzouk, et que les indi-
gènes appellent Hofra (bas-fond), est une surface unie de 110 kilo-
72 TOUAREG DU NORD.
mètres de long sur 15 de large environ, divisée en deux parties
inégales, Tune de 30 kilomètres à TOuest, l'autre de 80 à TEst de la
capitale du Fezzân.
Son fond est par excellence une terre de heycha, c'est-à-dire un
terrain alluvionnaire salin, à couches aquifères à peu de profondeur.
Les alluvions de la Hofra sont de sable mêlé d'argile, formant un
tout assez solide, mais facile à travailler.
La terre est tellement saline que les briques, avec lesquelles la
ville de Mourzouk est construite, se fondent à la pluie comme le sel
lui-même.
La profondeur moyenne des puits est de quelques mètres ; Teau
qu'ils fournissent est un peu saline comme le sol et d'une diges-
tion difficile.
Aux environs de Tràghen, existe une source, celle de Ganderma,
Tune des plus belles qu'on puisse trouver dans la région saharienne.
La fontaine est entourée d'une muraille d'enceinte assez vaste,
mais très-mal conservée. Cette construction est défendue, sur toute sa
circonférence, par un fossé qui porte le nom de gandô. Il servait
autrefois de réservoir, d'où les eaux se rendaient par trois canaux
aux plantations de palmiers jusqu'à Ghoddoua, à 2 kilomètres de la
source. Ces canaux, dont on peut encore suivre le tracé, avaient
de 0"70 à 1 mètre de largeur; ce qui témoigne d'un débjt consi-
dérable. •
Au moment de la conquête arabe, la source fut, dit-on, bouchée
avec des coins en pierre; seul moyen que trouvèrent les conquérants
pour réduire à leur discrétion la ville païenne de Trâghen. Depuis
cette époque, la plus grande partie des eaux se perd dans le sol.
Toute l'étendue de la dépression de la Hofra' est couverte, de
l'Ouest à l'Est, de villages, de plantations de palmiers et de cultures
de toute nature.
Au Sud-Ouest de Tràghen, à 2 kilomètres environ, s'étend une
sebkha autour de laquelle on rencontre des pierres bizarres appe-
lées merch ou fordogh.
Ces pierres, de nature calcaire, ont subi une sorte de cristallisa-
tion, mais, au lieu de prendre des facettes régulières comme celles
des cristaux, elles montrent les formes les plus étranges, cependant
toujours terminées par des lignes courbes; ce sont probablement des
concrétions accidentelles des particules calcaires dont les terrains
GÉOLOGIE. 73
voisins des sebkha sont comme imprégnés. Les produits naturels
auxquels on peut le mieux les comparer sont les stalactites.
Touîla est dans l'Est le dernier village de la Hofra; il est bâti
au pied d'un petit plateau pierreux qui forme la limite orientale du
bassin. Sur l'un de ses versants, on a construit un puits à galerie
ou fogâr, qui amène l'eau dans les réservoirs échelonnés servant à
l'arrosage.
G. — La Cherguiya,
La Cherguîya est séparée de la Hofra par une petite hamâda,
continuation probable de celle de Mourzouk et entrecoupée de
dépressions alluvionnaires salines de même nature que la Hofra
elle-même.
En quittant Touîla pour aller dans la Cherguiya, on gravit
immédiatement le petit plateau pierreux auquel cette ville est
adossée.
Ce plateau est composé d'un grès* quartzeux, brun lie de vin,
probablement chauffé par les anciens volcans, et d'un grès grossier,
très-siliceux, blanchâtre" dans certaines parties, jaunâtre' dans
d'autres.
A l'extrémité orientale de ce plateau, on trouve Maghoua, petit
village bâti dans une dépression saline dont l'eau a un goût de sel
très-prononcé.
En continuant la route dans l'Est, le sol est recouvert de buttes
de terre couronnées de tamarix ethel qui portent à croire que ces
arbres auraient protégé de leurs racines la partie d'un terrain autre-
fois plus élevé. Une inondation formidable et récente aura proba-
blement ravagé celles de ces terres que les tamarix ne cou-
vraient pas.
Dès qu'on quitte ce sol végétal, on rentre dans la hamâda
avec son fond pierreux. Au milieu est bâti le petit et misérable vil-
lage de Tha'aleb. Au delà, la hamâda recommence, d'abord avec un
sol de sable et de gravier, puis avec un sol pierreux. Enfin elle
1. Échantillon n° 45.
2. — n«> 46.
3. — n° 47.
74 TOUAREG DU NORD.
finit, et on arrive à Oumm-el-Arâneb, village encore bâti sur le
plateau.
Sur la droite de la route, on a laissé une dépression légère
appelée El-Guerâra, et plus loin une haute gara ou témoin isolé.
En quittant Oumm-el-Arâneb, une longue colline rocheuse, de
20 kilomètres environ, reste dans le Nord; le sol devient sablonneux
sans être mouvant jusqu'au village d'El-Bedîr; au delà on continue
à voyager sur un fond de sable mélangé à de la chaux; après quoi
on traverse un petit plateau pour descendre dans une dépression
riche de végétation dont le village d*Oumm-es-Sougouîn occupe le
centre.
Après cette dépression, couverte de palmiers sur une étendue de
plusieurs kilomètres, reparaît une hamâda sablonneuse plus élevée
que Toasis.
Je dois faire remarquer ici que, depuis l'entrée dans la hamâda
séparative de la Hofra, des sables se montrent toujours dans le Sud,
parallèlement à la route suivie. Au delà de la hamâda d'Oumm-es-
Sougouîn, les dunes se prolongent à 2 kilomètres de la route avec
une bordure de palmiers , puis on monte un nouvel échelon de la
hamâda redevenue pierreuse, et sur ce gradin, qui permet de do-
miner les dunes de droite, on aperçoit une longue ligne de hauteurs
bleues à 14 kilomètres environ. Je suppose que c'est le rebord du
plateau sur lequel on trouve Gatrôn etWao.
Le village de Medjdoûl, qui fait partie de la Cherguîya, est situé
entre la ligne des sables et celle des hauteurs bleues.
Des points élevés de la hamâda d'où je plonge mes regards vers
le Sud, on descend par une pente douce dans les terres de culture et
les plantations de Zouîla.
De Touîla à Zouîla, la distance est de 70 kilomètres. Je n'ai pu ni
entrer ni séjourner dans cette dernière ville, et j'ai dû la quitter
quelques heures après avoir atteint ses jardins.
Tout ce que j'en sais, c'est que l'oasis de ce nom est considé-
rable comme étendue et couvre le bas-fond d'une dépression entre
une ligne de dunes de sables au Sud et une ligne de collines rocheuses
au Nord. L'eau qui alimente la ville est fournie par des puits.
Ici se termine ma reconnaissance à l'Est des montagnes occupées
par les Touareg.
Je m'étais proposé, en m'avançant dans l'Est du Fezzân, d'aller
GÉOLOGIE. 75
jusqu'au massif du Hâroûdj, sur la route de TÉgypte, pour embrasser
dans son ensemble le mouvement géologique auquel est due la for-
mation des montagnes de cette partie du Sahara ; mais, à la résis-
tance que je rencontrai à Zouîla , malgré l'appui du gouvernement
turc, je reconnus que je ne serais pas mieux accueilli chez les fana-
tiques des villes de Fogha et de Zella et chez les Arabes nomades de
)a montagne ; je me bornai donc à recueillir des renseignements qui,
complétés par ceux du voyageur Hornemann et de M. de Beurmann,
ne laissent aucun doute ni sur la nature volcanique de ce massif, ni
sur sa position.
H. — Massif de Ràroùdj.
Construit d'après mes renseignements combinés avec ceux du
voyageur Hornemann, le massif volcanique du Hâroûdj constitue
un grand système de montagnes entièrement isolé, de 22& kilo-
mètres du Nord au Sud,. sur une largeur moyenne de 170 de TOuest
à l'Est, traversé obliquement par la route des caravanes du Fezzân
en Egypte, entre 2touîla et Aoudjela, route que Hornemann a par-
courue à grandes marches en 5 jours 1/4.
Sa principale altitude, de 800 mètres environ au-dessus du niveau
de la mer, est indiquée à l'angle Nord-Est, à peu de distance de
Zella ; de ce point, la montagne s'incline graduellement vers le Sud?
Ouest, de manière à venir se confondre avec les collines de la
hamâda calcaire qui l'enveloppe, de Zella à Fogha, de Fogha à Temessa,
de Temessa à Wao, ce qui a fait distinguer un Hâroûdj noir (el-Asoued)
au Nord et un Hâroûdj blanc (el- Abiod) diU Sud.
J'estime à 600 mètres l'altitude moyenne du plateau sur lequel se
développe le Hâroûdj. , .
D'après Hornemann, la surface générale du pays présenterait des
chaînes continues de collines courant dans diverses directions , de
8 à 12 pieds seulement au-dessus du niveau intermédiaire, et entre
ces coteaux (sur une surface parfaitement unie) s'élèveraient des
montagnes isolées à rampes extrêmement escarpées ; l'une d'elles, le
Stres, était fendue depuis le haut jusqu'au milieu ; une autre, depuis
le pied jusqu'au sommet, était couverte de pierres détachées de
même nature que les collines.
Fsiire les collines basses et les pics surélevés, il y a de petites
76 TOUAREG DU NORD.
vallées couvertes de sables et de végétation, dont quelques-unes
de k kilomètres de largeur. Au milieu de ces parties planes seraient
épars des blocs de pierre, de même nature que celle des pics des
montagnes.
La roche du Hâroùdj est moitié rouge , moitié noirâtre; la partie
rouge, plus poreuse, plus spongieuse, plus légère, est moins dense
que la noire. Dans ces scories, Hornemann n'a pu découvrir aucune
matière ou substance étrangère.
La couche de terre servant d'assise à ces masses de verrues ro-
cheuses lui a paru des cendres sorties d'un volcan.
La stratification des pierres est horizontale, mais souvent dé-
rangée : une partie du premier lit s'enfonçant et se mêlant avec celles
du second et celles du second avec celles du troisième.
Quelquefois, ajoute le voyageur, il ne paraît pas du tout de strata
et une suite de collines basses est formée d'une masse solide de ro-
chers, avec des crevasses dans la direction du Nord.
Hornemann rencontra une caverne de 9 pieds de profondeur et
de 5 pieds de largeur; il éprouva, dit-il, des sensations telles que
s'il avait vu l'entrée des enfers.
Son interprète, Freudenbourgh, en vit une autre dont les esca-
liers étaient noirs jusqu'à une profondeur considérable et dont le
stratum était de pierre blanche.
Pour Hornemann, il n'y a pas de doute, la formation du Hâroûdj
est due à un soulèvement volcanique.
Dans sa partie occidentale, à une journée de marche dans l'inté-
rieur du massif, le cheikh de Fogha indique une source sulfureuse,
nouveau témoignage de l'action volcanique.
A part cette source, impropre à l'alimentation, mes indicateurs ne
me signalent aucune eau' dans toute cette région.
Après les pluies, on en trouve dans des rhedîr; c'est là que
s'abreuvent les bergers et les troupeaux des tribus nomades des
Riah, des Oulâd-Khérîs et de la Cherguîya, qui, seuls, dans la saison
des pâturages, fréquentent cette contrée désolée.
Ce que Hornemann appelle le Hâroûdj blanc n'est qu'une partie
de la hamâda de la Cherguîya soulevée, mais non atteinte par l'action
du feu souterrain.
Dans les roches blanches et calcaires de cette contrée, dit-il,
6n trouve des squelettes entiers de gros animaux marins pétrifiés.
GÉOLOGIE. 77
des têtes de poissons qu'un homme pourrait à peine porter, des
coquillages, des conques variées et en grand nombre.
11 est regrettable que le fanatisme des habitants de la ville
de Zouîla ne permette pas à un géologue expérimenté d'aller
explorer librement les deux Hâroûdj ; car on pourrait y faire une
ample collection de grands fossiles. Le meilleur moyen de pénétrer
avec sécurité dans cette contrée est de se placer sous la protection des
Riah, Arabes nomades des environs de Sôkna, habitués aux rela-
tions avec les Européens et qui vont chaque année faire paître leurs
troupeaux dans le Hàroûdj.
J'aurai l'occasion de signaler un gisement de grand fossile dans
le Àhaggâr.
D'ailleurs, les fossiles ne paraissent pas rares dans certaines par-
ties de l'Afrique centrale; car un de mes informateurs qui a fait
de fréquents voyages au Kânem m'indique de grands animaux fossiles
dans les roches des ravins du Bahar-el-Ghozàl.
IV SECTION.
DE MOURZOUK À LA MER PAR LE MASSIF VOLCANIQUE DE LA SODA.
Dans cet itinéraire géologique, accessoire à l'objet principal de ce
travail, je me bornerai à décrire à grands traits ma route, en n'appe-
lant l'attention que sur les points justificatifs de ma carte et sur ceux
dans lesquels l'action du feu souterrain se révèle.
De Mourzouk à la Soda, on ne quitte guère qu'accidentellement
les terrains pierreux des hamâd , d'abord celle à laquelle j'ai donné
le nom de Hamâda de Mourzouk, puis la grande Hamâda-el-Uomra,
comprise entre 'Ghàdamès et Sôkna de l'Ouest à l'Est, et entre El-Hesî
et Gueria du Sud au Nord.
Je me limiterai donc aux constatations suivantes :
Traversée de la Hofra, au Nord de Mourzouk ;
Rencontre successive d'une petite sebkha, produisant un peu de
sel, à la hauteur de Gheggoua; d'un second bas-fond couvert de
palmiers brouss^lles; d'une dépression à sol de sebkha humide; du
lit de rOuâdi-'Otba qui se prolonge encore dans le Nord-Est;
Entre ces bas-fonds, terrains couverts tantôt de pierres de grès-
78 TOUAREG DU NORD.
quartzite grossier S tantôt d'un simple gravier, alternant entre eux ;
Entre le puils de Néchoûà et le village de Delôm, un fragment
roulé de lave* dont la couleur varie du vert au noir;
De ces points à Ghoddoua, gravier solide, semé de pierres noi-
râtres ;
Au Nord de Ghoddoua, terrain sablonneux couvert de tamarix
ethel et de palmiers broussailles qui indiquent la présence de l'eau à
peu de profondeur ;
Dans rOuâdi-Néchoûà, Bîr-el-Wouchka (puits entouré de palmiers
broussailles) au fond d'une petite grotte creusée dans l'argile ;
Gravier solide, avec affleurement de pierres;
Fin des collines rocheuses signalées au Nord de ma roule de
Mourzouk à la Cherguîya ;
Dépression d'El-Mehyaf, à sol nu, à bords déchiquetés et hérissés
de pitons ;
El-Bîbàn (les portes), petit col entre le dernier contre-fort onental
de la chaîne de l'Amsak et les hauteurs rocheuses du Nord de la
Cherguîya qui n'en sont que la continuation atténuée;
Terrain sablonneux, prolongement des dune5> d'Edeyen , dans le-
quel des palmiers à haute tige et en broussailles se succèdent d'El-
Gordha à la ville de Sebhâ ;
Au Nprd de Sebhâ, continuation des sables avec palmiers; hau-
teurs de 20 mètres composées de grès noir; dépression pierreuse de
Hadjâra (les pierres), avec palmiers; plaine de Ouâsâà-Khanga (large
défilé), à sol de gravier et de pierres et bordée à l'Est et à l'Ouest
par des hauteurs qui se prolongent jusqu'à Hotîyet-el-Ghazi (la plaine
des maraudeurs), où les sables reparaissent ;
A la sortie des sables, puits de Sâlah-ber-Rekheyyis, avec une
eau puante impossible à boire ; sol de gravier avec sables, devenant
argileux à l'approche des palmiers de Temenhent.
Les eaux de cette oasis sont douces ou salées, suivant les puits
d'où on les tire.
En continuant la route au Nord de Temenhent : d'abord terre
argileuse et palmiers avec dunes à 2 kilomètres au Nord ; ensuite sol
1. ÉchaDtiUon n» 48. «
2. — n" 49. Cet échantillon , déterminé par M. Des Cloizeaux , porte
la mention suivante : lave d*un volcan qui a fait irruption, mais qui peut être éteint
aujourd'hui»
GÉOLOGIE. 79
couvert de pierres noires et d'affleurements de calcaire blanc; puis
dépression riche en végétation et dans laquelle se trouve le puits
de Gourmêda.
Après Gourmêda, sol pierreux, ligne de petites montagnes cou-
pant la route. A l'Est apparaissent les plantations de Semnou et celles
de l'oasis de Zîghen.
A la sortie des palmiers de Zîghen, le sol s'élève par gradins
superposés; à 10 kilomètres au Nord, les sables réapparaissent, et
plus loin, de leur milieu, se dressent des hauteurs noires ; entre les
sables et le plateau est la source d' 'Aouînet-Tittaouin. Toujours le
voisinage des sables donne de l'eau. On en retrouve encore au puits
d'Oumm-el-'Abîdetà unfogàr, ou puits à galerie horizontale situé sur
la route, et creusé dans le rebord occidental d'une petite dépression,
lequel rebord est composé d'argile feuilletée, recouverte de pierres de
grès noir et gris.
Entre ces puits et la montagne volcanique de la Soda, la route est
tout entière dans une hamâda qui d'abord porte le nom de Serîr-
ben-'Afin, puis celui de Boû-Hogfa.
Serîr est synonyme de hamâda.
Mais cette hamâda n'est pas un plateau uni : d'abord elle est
coupée par la ligne de collines de Mehyaf, de 10 mètres de hauteur
environ, composée d'une roche blanche analogue au plâtre sablon-
neux; puis viennent deux petites ligues de sable et une dépression,
El-Hofer ; et enfin la ligne des collines blanches du Gàf que la route
traverse entre deux mamelons symétriques.
A l'Ouest de Mehyaf se dresse la gara ou témoin d"Ameyma qui
en est détachée.
A l'Est de la route, mais entre El-Hofer et le Gâf , sont les hautes
dunes de Remla-el-Kebîra.
Au delà du Gâf, on aperçoit les hauteurs de la Soda, et le sol, com-
posé d'un gravier rougeâtre, commence à être parsemé de pierres
basaltiques que l'on trouvera en plus grandes quantités dans le ravin
de Màitbât, au pied même de la Soda.
Le Djebel-es-Sôda, ou montagne noire, est un massif volcanique
comme le Hâroûdj, isolé comme lui, au milieu d'une hamâda de cal-
caire blanc.
Sa longueur est de 110 kilomètres environ de l'Est à l'Ouest, et de
55 environ du Sud au Nord. Une sorte de col formé par une' série
80 TOUAREG DU NORD.
successive de ravins le traverse dans cette dernière direction, et le
divise en deux sections, la Sôda-Gharbia et la Sôda-Cherguîya. Cest
dans ce col que passe la route.
L'altitude moyenne de la Soda est de 736 mètres au dessus du
niveau de la mer ; les sommets les plus élevés sont le Dhâharet-es-
Sôda dans TOuest, et la Gâret-Tefîrmi dans TEst.
A partir du ravin d*El-Mâitbât, en continuant la route, on com-
mence à gravir les pentes méridionales du massif, au milieu d*amas
de grosses pierres basaltiques.
DansTOuest, au loin, est une montagne importante, Gâra-el-
Kohela (le témoin noir), isolée comme toutes les goûr, mais, par sa
nature noire, appartenant au massif de la Soda.
Les échantillons des roches que j*ai rapportés de cette contrée ont
été déterminés par M, Des Cloizeaux, ainsi qu'il suit :
Èchanlillon n° 50. « Roche volcanique amygdaloïde basaltique,
remarquablement lourde, contenant probablement du fer et du
péridot. Cette roche indique presque certainement un épanchement
volcanique sous-marin. »
Échantillon n^ 51. « Amygdaloïde basaltique avec géodes remplies
de calcaire et d'une substance brune paraissant analogue à l'hyalosi-
dérite. Cette roche se retrouve dans les volcans éteints de l'Islande
et de l'Auvergne. »
Les Arabes qui m'accompagnent, et qui sont des Riah de Sôkna,
dont les troupeaux, après avoir consommé les pacages de la Soda,
vont dans le Hâroûdj , m'affirment que les pierres de ce dernier
massif sont de môme nature que celles de la Soda.
Hornemann, qui traversa la Soda après avoir reconnu le Hâroùdj,
fit la même constatation.
Le point culminant de la route, celui qui forme le partage des
eaux, est Dhâharet-Moûmen {le dos de Moûmen), plateau uni, très-
vaste, couvert de grosses pierres.
Au centre de ce plateau est une légère dépression à sol de gravier;
elle se nomme El-Mejnah.
De Dhâharet-Moûmen, la route continue par une succession de
ravins et de vallées jusqu'à Sôkna, au pied du versant Nord de la
montagne.
Dans cette seconde partie de la route, la nature des roches s'est
modifiée: les pierres basaltiques n'occupent plus que le haut des
GÉOLOGIE. 81
berges; celles qu'on trouve dans le lit de Touâdi ont toutes été
roulées; le fond des roches est un calcaire coquillier, de couleur rou-
geàtre, qui repose lui-môme sur des argiles.
Les ravins successivement suivis ou traversés sont :
Au Sud de Dhâharet-Moûmen,
L'Ouàdi-Temechchîn, très-étroit, qui se dirige vers l'Est ;
L'Ouàdi-Fonguer;
L'Ouàdi-Ouiddegànen (les lits de ces deux ouâdi se creusent de
plus en plus et ont des berçes très-marquées) ;
Megrîz-es-Sâmeha;
Megrîz-el-Ghârega ;
L'Ouâdi-'On-Guezzin, assez vaste et profond;
L'Ouâdi-Boù-l'Hàchem;
L'Ouâdi-Boû-lTerêa'a ;
Au Nord de Dhàharet-Moûmen :
L'Ouàdi-Tef îrmi, profond ;
L'Ouàdi-Zeggàr, qui se dirige dans l'Est ;
L'Ouâdi-el-Wouchka;
L'Ouàdi-BoiVSouwàn ;
L'Ouàdi-el-Afenàt.
Le nombre considérable d'ouàdi rencontrés ou traversés indique
combien la Soda est ravinée et accidentée, et, bien certainement, la
route la parcourt dans sa partie la plus accessible.
Une argile verdàtre*, imprégnée de sel marin, et parsemée de cris-
taux de gypse lamellaire, sert de base au calcaire de l'Ouàdi-el-Wouchka.
Ce calcaire, crétacé*, gris, jaunâtre, saccharoïde, contient des
moules de cardium et de turritella indéterminables.
L'Ouâdi-TIn-Guezzîn a des puits-citernes {ihemed) dans le haut ;
mais le seul puits réel de la route est celui de Gottefa, dans la vallée
de Boû-Souwân.
Un pacha du Fezzân, Moukkeni, avait entrepris d'en faire creuser
dans le ravin de l'Ouâdi-Temechchîn ; il a dû abandonner cette entre-
prise; depuis, les travaux ont été continués par un riche marchand
de Sôkna, Makersou, mais sans plus de succès, malgré la grande
profondeur du forage.
i. Échantillon n° 52.
ti. — n« 53.
82 TOUAREG DU NORD.
Sur la .périphérie du massif, on me signale tuit puits, savoir:
Wenzeref, Oumm-es-Slàg, Moguettem, 'Açîla, 'Aâûa, Zâkeia, Ferdjân,
Zemâmîya.
J'ignore queJle est la qualité des eaux de ces puits, mais celles de
Sôkna se troublent beaucoup par Taddition du nitrate d'argent, qui
ne s'y dissout pas complètement, ce que j'ai pu constater en cherchant
à préparer un collyre. Celle de la petite ville de Hôn, à 12 kilomètres
Est de Sôkna, est amère et encore plus désagréable au goût; enfin
celle de Zemâmîya, que j'ai eu l'occasion de goûter, en allant de
Sôkna à Bondjêm, est aussi amère et mauvaise, comme celles de toute
cette région.
Je ne continuerai pas cet itinéraire dans les détails qu'il com-
porte jusqu'à la mer. Je me bornerai à dire qu'au Nord de Zemâ-
mîya, les sables disparaissent, le sol devient calcaire, et toutes les
montagnes sont de calcaire blanc compact. La seule exception à
cette loi générale est à quatre journées de marche de Tripoli , dans
les berges de l'Ouàdi-Nefîd : on y retrouve la même structure géolo-
gique que sur le flanc Nord de la Soda, notamment dans le Chaa'bt-
es-Sôda, où des pierres basaltiques sont éparses sur une assez grande
étendue de terrains calcaires *.
Toutefois, je ne puis m'abstenir de parler de la grande Hamàda-el-
Homra (la rouge), dont les quatre points cardinaux sont marqués par
Ghadâmès à l'Ouest , Gueria-el-Gharbîya au Nord , Sôkna à l'Est et
Ïl-Hesî au Sud.
M. le docteur Barth l'a parcourue du Nord au Sud sur une étendue
de 215 kilomètres. De l'Est à l'Ouest, eUe en a 690. Dans cette der-
nière direction, aucune route ne la traverse, parce qu'aucun animal
ne peut supporter la faim et la soif assez longtemps pour entreprendre
un pareil voyage.
D'après le savant voyageur, l'altitude moyenne du plateau est
de 451 à 486 mètres. A son point le plus élevé, Redjem-el-Erha Qe tas
de pierres meulières), il atteint 511 mètres.
Le caractère général de cette hamâda est d'être totalement
dépourvue d'eau et presque totalement de végétation et d'animaux.
Les oiseaux eux-mêmes n'entreprennent pas sa traversée sans dan-
1. Échantillon n° 54.
GÉOLOGIE. 83
ger ; aussi, tjomme en mer, leur présence signale-t-elle le vdsinage
d'une terre habitable.
Une tranchée, profondément creusée dans le roc, permit à
MM. Barth et Overweg de constater la formation géologique de ce
plateau. *
« La ma§se générale des pierres de l'escarpement, dit le docteur
fiarth, se compose de grès que Ton prendrait, au premier abord, pour
du basalte, à cause de la surface complètement noire qu'elles offrent,
ainsi que des blocs détachés qui gisent à leur pied.
« Au dessus de cet immense lit de grès, recouvert à certains
endroits d'une couche d'argile mêlée de gypse, reposait une autre
couche de marne au-dessus de laquelle se trouvait une croûte supé-
rieure de calcaire et de silice. »
Les renseignements particuliers qui m'ont été donnés par les indi-
gènes me permettent d'ajouter que le niveau uniformément plat de
la hamâda n'est interrompu que par quelques dunes, des goûr et de
légères dépressions.
M. Francesco Busettil, officier de santé de la garnison de Mour-
zouk, qui a parcouru la hamàda, m'a remis plusieurs fossiles trouvés
sur sa route, entre autres :
1® Vostrea larva^ (Lamk), de l'étage sénonien ded'Orbigny, de
la craie blanche à silex, de la craie de Maëstricht ;
2° Une osirea*, du groupe de Vostrea frons, du terrain crétacé
sénonien, dont une identique a été trouvée par M. Hébert, à Aube-
terre (Charente), mais qui n'est pas encore décrite;
3<> Des baguettes d'oursins'* qui devaient être énormes;
4"* Plusieurs coquilles univalves* indéterminables;
5® Enfin une concrétion curieuse * qui ressemble à l'agate.
Quand on constate l'état actuel de ce désert, nu, aride, sans eau,
on se demande comment les armées romaines ont pu le traverser à
une époque où le chameau n'était pas encore introduit dans le pays;
car l'assiette des ruines romaines sur cette route, à l'exclusion de
1. ÉchantiUon n? 55.
2. — a» 56.
3. — n° 57.
4. — n° 58.
5. — u«» 59.
84 TOUAREG DU NORD.
celle par Sôkna, ne laisse aucun doute sur la voie suivie pour aller
d'OEea (Tripoli) à Garama (Djerma). D'ailleurs le passage suivant de
Pline ne laisse aucune incertitude sur la préférence donnée à la voie
directe : « Jusqu'à ce jour, le tracé de la route des Garamantes fut
inexplicable. Dans la derilière guerre que les Romains entreprirent
avec le concours des Œensiens, sous les auspices de l'empereur Ves-
paâien, le total de la route fut diminué de quatre jours. Ce chemin
est appelé : par la tête de la montagne, PRytTER caput saxi. » (Liv. V, 5.)
Aujourd'hui, avec le concours du chameau, les caravanes tra-
versent péniblement la hamâda; une armée, fùt-elle exclusivement
indigène, ne le pourrait pas.
V« SECTION.
DE RHÂ^ À IN-SALAH.
La présence de Mohammed-ben-'Abd-Âllah au Touàt, avec des
contingents qui devaient bientôt arborer l'étendard de la guerre sainte'
et envahir le Sahara algérien, m'a empêché d'aller de Rhàt à In-Sâlah
par les montagnes d'Azdjer et du Ahaggàr, et de prolonger dans l'Ouest,
comme je l'ai fait dans l'Est, de Tîterhsîn à la Cherguîya, l'étude géo-
logique du plateau central du Sahara, mais de nombreux renseigne-
ments me permettent de suppléer à l'exploration personnelle.
Cette section comprendra, de l'Est à l'Ouest :
A. — Le plateau du Tasîli des Azdjer;
B. — Le plateau d'Éguéré ;
C. — Le plateau du Mouydîr;
D. — Le massif du Ahaggâr.
A. — Plateau du TasUi.
Je résume succinctement les indications géologiques sur le Tasîli
que me fournissent mes observations et mes itinéraires par rensei-
gnements.
La masse du plateau est de grès, noir à la surface, mais sem-
blable aux échantillons de ma collection pris entre l'Ouàdi-Tàrât et
rOuâdi-Tîterhsîn. — Le nom d'Éguélé (le coléoptère), donné à un pic
GÉOLOGIE. 85
isolé du rebord Sud du Tasîli , indique que cette roche se retrouve
dans le Sud-Ouest comme dans la partie Nord-Est du plateau que j*ai
traversée.
Sur plusieurs points, des roches blanches, probablement des cal-
caires crayeux, sont signalées, notamment à Tâfelâmt-Tamellet et à
Tiôkasîn. L'informateur qualifie ce dernier point de hamâda à sol blanc.
Après les grès, les roches de formation volcanique, semblables à
celles que j*ai trouvées à Sâghen et dans la Soda, les -unes poreuses
et légères, les autres compactes et pesantes, semblent être fré-
quentes, notamment dans TAdrar, dont la longueur est de quatre
jours de marche et la largeur de deux.
Le point culminant d'In-Esôkal est-il le seul volcan éteint d*où
sont sorties toutes ces roches volcaniques ? Je Tignore , mais je suis
tenté de lui assigner ce rôle en commun avec d'autres pics isolés qui
me sont signalés sur toute l'étendue du plateau, car la dissémination
des laves démontre que le feu souterrain a dû se faire jour en plus
d'un endroit.
Un long ravin , tellement profond et encaissé que le soleil y pé-
nètre à peine quelques heures par jour, coupe le Tasîli par son
milieu, du Sud au Nord , du pic d'In-Esôkal à la vallée des Ighar-
ghâren. Ce ravin, qui porte le nom d'Ouâdi-Afara dans sa partie supé-
rieure et d'Ouâdi-Sâmon dans sa partie inférieure, peut être consi-
déré comme une fracture du plateau , contemporaine sans doute de
l'action volcanique.
La force du feu épuisée pour soulever la portion orientale du
Tasîli a laissé en contre-bas la portion occidentale; de là la brisure,
de là le niveau différent des deux parties du plateau, l'une suréle-
vée, l'autre plus basse et s'inclinant en pente douce vers le bassin de
1 Igharghar.
Après ces indications générales, mes renseignements me donnent
comme détails les faits géologiques suivants :
Carrière de serpentine dans le ravin de Tehôdayt-tân-Hebdjân,
ainsi appelé parce qu'on en tire la pierre dont on fait les anneaux de
bras que portent les Touareg ;
Débris d'un grand mammifère fossile* dans le ravin de Tehôdayt-
tàn-Tamzerdja;
1. D*aprè8 les Tou®, une femme peut s'asseoir à Taise dans la cavité de Var-
ticulation coxo-fémorale de ranimai.
86 TOUAREG DU NORD.
Sebkha ou saline à laquelle aboutit ce dernier raviq ;
Mine de bon alun à Tifernîn sur la; route d"iJn-eI-Hadjàdj à
*Apuînet-Tîn-AbderkcIi ;
Fer oligiste semblable à l'échantillon n» 29, et grès ferrugineux sur
plusieurs points du plateau ;
Roches bouleversées en un grand nombre d'endroits.
D'après les remarques et tes échantillons de M. Ismayl-Boû-Derba,
l,es grès et la rraie blanche du Tasîli reposeraient sur le terrain dé-
Yoiûen.
Indépendamment des lacs de Mlherô, assez riches en eaux pour
nourrir des poissons, mes informateurs me signalent dans Amguîd,
sur le rebord occidental du Tasîli , une source du nom de Tîn-Sel-
makin , dont le bassin est assez grand pour que de gros poissons y
vivent aussi.
B. — Plateau cTÈguéré.
Le petit plateau d*Éguéré semble être une seconde fracture du
Tasîli, mais la fracture, au lieu de s'étendre sur toute sa largeur
comme celle d'Afara, est restreinte à l'angle Sud-Ouest du plateau.
La séparation, au lieu d'une ravine profonde et étroite, forme ici une
plaine ou large vallée parcourue par TOuâdi-Tôdjert, prolongement
Nord de la plaine d'Amadghôr.
Je n'ai aucune indication sur la nature de la roche d'Éguéré, mais
tout me porte à croire que la masse est de grès.
C. — Plateau du Mouydtr,
La forme particulière du Mouydir, la situation du point dominant,
rifettesen, par rapport aux trois points culminants du Ahaggàr, le
prolongement de ses assises caractérisé dans l'Est par des pitons
isolés : Tisellêlin, Afisfés, Sakkàya, le voisinage de la source sul-
fureuse de Dhâyet-el-Kâhela, tout semble indiquer que la for-
mation de ce plaleau est due à l'action volcanique. Cependant, je
dois le dire, aucune indication précise de mon journal de voyage
ne justifie cette opinion ; j'ai négligé d'interroger les indigènes à ce
sujet.
« •
GÉOLOGIE. 87
Mes note» se bornent à signaler la présence du fer à Tlwonkenîn,
appelé par les Arabes Kheng-el-Hadîd.
L'abondance relative des eaux dans le Mouydlr est aussi un fait
confirmé par tous les informateurs.
D. — ^fassif du Ahaggàr.
Le soulèvement du massif du Ahaggèr par l'action du feu souter-
rain n'est pas seulement attesté par la forme de son relief et par les
témoignages nombreux des indigènes, il est encore affirmé par les
laves roulées que M. Ismayl-Boû-Derba a trouvées dans le lit de
righarghar à son débouché des montagnes, dans un endroit où les
sables ne sont pas venus cacher la nature des alluvions.
Voici ce que dit ce voyageur :
5 Septembre. « Vers les quatre heures du matin, nous gagnâmes
« rOuâdi-lgharghar. Une grande vallée unie venant du Sud-Ouest et
« se dirigeant vers le Nord -Est forme le lit de la rivière. De gros
« cailloux roulés , en pierre ponce, semblent indiquer l'origine de cet
<i ouâdi.
« Les Touareg, en me montrant cette pierre, me dirent qu'elle est
« tout à fait semblable à celle dbnt est formé le pâté de montagnes
« du Ahaggâr. Elle est très-légère, celluleuse, d'une couleur noirâtre,
H et affecte l'apparence d'une éponge. »
M. le docteur Marrés, qui a vu les échantillons de M. Ismayl-
Boû-Derba, les a trouvés identiques à ceux que j'ai rapportés de
Sâghen et que M. Des Cloizeaux a reconnus être de la lave de volcan
éteint.
Ces laves ne peuvent provenir du même point, car les sables de
la plaine des Igharghâren empêchent aujourd'hui et depuis longtemps
la communication de FOuâdi-Tikhâmmalt avec l'Igharghar. Ainsi la
certitude scilhtiflque est absolue.
Voici maintenant les indications particulières que me donnent
mes renseignements.
Tout FAtakÔr-en-Ahaggâr est en pierres noires. Du côté du Touât,
elles s'étendfent jusqu'à l'Ouâdi-Idjeloûdjâl. De ce point à Menîyet, la
roche est blanche , mais elle redevient noire lorsque l'on monte le
Mouydlr.
Le promontoire du Tîfedest est aussi noir: tout indique qu'il a dû
88 TOUAREG DU NORD.
être couvert par les laves du puy d'Oûdân, comme TAtakôr par celles
des puys de Ouâtellen et Hîkena.
Quoi qu'il en soit, si Tidentification des trois monts ci-dessus nom-
més avec d'anciens volcans est permise , celle des cônes des gradins
inférieurs, quoique possible, est moins probable.
Le Ahaggâr doit à son altitude et à sa constitution géologique une
richesse de sources d'un débit assez abondant, car elles suQisentaux
besoins de l'irrigation. On y cite des ruisseaux à eaux courantes, ceux
d'Idélès, de Tàzeroûk et deïazoùlt, très-grande rareté dans le Sahara.
On parle même de la cascade d'un ouâdi du nom d'Adjellal , descen-
dant du Tîfedest; ce serait la seule peut-^tre entre la vallée du Nil
et rOcéan Atlantique.
CONCLUSION GÉOLOGIQUE.
J'ai donné à ce chapitre un développement considérable , sans
craindre môme de suppléer à l'investigation personnelle par de nom-
breux renseignements glanés ça et là auprès des indigènes ou dans
les travaux de mes devanciers, parce qu'il m'a semblé important de
fixer d'une manière plus nette l'opinion sur la constitution géologique
de la partie centrale du Sahara, la moins connue jusqu'à ce jour.
Désormais des faits importants me paraissent acquis à la science:
Jusqu'au versant Nord des montagnes des Touareg, la nature du
sol reste la même , sans changements appréciables , et nous présente
toujours le terrain crétacé comme au Sud de l'Algérie , de la Tunisie
et dans la Tripolitaïne.
Dans la montagne apparaissent des terrains paléozoîques reconnus
d'abord par le docteur Overweg sous le versant occidental du plateau
de Mourzouk , puis par M. Ismayl-Boû-Derba dans le Tasîli du Nord,
et enfin par moi, au pied de l'Akâkoûs, en un point inteifnédiaire aux
gisements précédents.
Désormais, la production, la circulation, l'amoncellement des
sables sont circonscrits dans les limites que la nature leur a as-
signée s, et la comparaison du Sahara à une peau de panthère, faite
par Strabon, cesse d'être le dernier mot de nos connaissances sur
des oasis disséminées dans un désert de sables.
Enfin nous savons qne le soulèvement du Tasîli et du Ahaggâr, et
GÉOLOGIE. 89
probablement des plateaux secondaires qui en dépendent, est dû
à une action volcanique définie , comme le Djebel-Nefoûsa , la Soda ,
le Hàroûdj et le massif d*Aïr.
Ces connaissances sommaires ont besoin d'être complétées, cela
est certain; mais en attendant, nous avons la satisfaction d'être arrivé
à un résultat qui nous permet de contrôler les récits fort obscurs des
anciens sur une contrée qui a excité la curiosité du monde depuis
l'antiquité.
CHAPITRE V.
MÉTÉOROLOGIE.
Hérodote nous fait connaître (livre IV, §§ 173, 184 et 185) ce
qu'était, il y a deux mille trois cents ans, le climat du pays qu'em-
brasse mon exploration. Voici ce qu'il en dit :
«
Température : « Les Atarantes maudissent le soleil qui passe au-
« dessus de leur tête et lui adressent toutes sortes d'outrages, parce
« que sa chaleur consume les hommes et la contrée.
Vents : u Le souffle de Notus (S.-E.) dessécha tout ce qui conle-
« nait de Teau. D'après les Libyens, les Psylles marchèrent en armes
« contre Notus. Or, quand ils arrivèrent au désert de sable, Notus
« souffla de plus belle et les ensevelit tous.
EauXy pluies : « Le pays est désert, sans eau, sans bétes fauves,
« sans pluies, sans arbres ; on n'y trouve nulle humidité. »
Les observations que j'ai faites pendant les trois cent dix jours
consacrés à l'étude de la région qu'Hérodote appelle le désert de
Libye permettront d'apprécier quelles modifications le temps a
apportées au climat de ce pays.
Pour ne pas abuser de la patience du lecteur, je limite le tableau
ci-après au pays des Touareg et à une gbservation quotidienne ou
locale (total : 330 observ.), me réservant de publier dans un recueil
spécial l'ensemble de toutes celles faites pendant les vingt-neuf mois
de mon voyage.
Quant aux diverses séries d'observations qui n'ont pu trouver
place dans ce tableau, je les résume à la suite.
MÉTÉOROLOGIE.
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106 TOUARRG DU NORD.
Températures,
Inslruments employés : Les divers thermomètres dont j'ai fai( usage
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Des thermomètres Baudin : n® 204, n<> 329, n® 660, n^ 663;
n^ 665 pour les minima, et n® 662 pour les maxima;
Des thermomètres Salleron : n^» 300 et 302;
Un thermomètre Fastré, qui m'a été envoyé par M. Mac Carthy
avec la note très-bon.
En voyage, le 18 décembre 1860, à Timélloûlen, j'ai pu contrôler
la marche de ces divers instruments au moyen de la glace fon-
dante. De plus, j'ai comparé tous mes thermomètres avec l'étalon
Baudin, une première fois à Tougourt, le 29 février 1860, et une
seconde fois à Serdélès, le 2 mai 1861.
Température de l'air : L'ensemble de mes observations sur la
température de l'air donne les constatations suivantes :
Marche diurne : Dans la journée, le plus grand abaissement de la
température a lieu le matin avant le lever du soleil, et la plus grande
élévation entre deux et trois heures de l'après-midi.
Un tableau, ci-après (voir le § Pression atmosphérique, page 121),
indique la marche des différents thermomètres, de 15 en 15 minutes,
entre le lever et le coucher du soleil. 11 peut être considéré comme
donnant approximativement la marche diurne moyenne.
Variations suivant les saisons : Quelles que soient la latitude et
l'altitude, dans tout le Sahara, du moins sur le versant Nord du
plateau central, les températures les plus basses sont obtenues de
décembre à mars, et les plus hautes de juin à septembre. C'est ce
que démontre le journal météorologique de mon voyage , complété
par celui que tient M. J. Auer à Tougourt.
Influences : L'altitude et Téloignement de la mer, bien plus que
la latitude, exercent une influence sur le thermomètre.
METEOHOLOGJIv
107
Si Ton compare la température du plateau du Tasîli des Azdjer,
d'un degré et quart au Nord du tropique du Cancer, avec celle de
Tougourt, ville située à huit degrés plus au Nord, et sous l'influence
probable de la Méditerranée, on trouve rarement chez les Azdjer les
fortes chaleurs de l'Ouâd-Rîgh, mais, en revanche, on constate même
dans les vallées abritées du Tasîli des gelées inconnues ou excep-
tionnelles dans rOuâd-Rlgh.
Chez les Touareg même, suivant l'altitude des lieux, il y a de
grandes différences : entre la température du Ahaggàr, où les neiges
persistent pendant trois mois de l'année, et celle du Tasîli, où elles
durent à peine quelques jours; entre les plateaux élevés, où Ton
retrouve la végétation de la côte européenne de la Méditerranée, et
les basses dépressions des plaines, en contre-bas des montagnes, où la
végétation désertique s'allie à celle des tropiques.
Extrêmes de température : Ils sont fournis par les deux chiffres
suivants :
Maximum + 44°,6, à Mourzouk , les 5 et 26 juillet 1801;
Afinimum — 2°,1, à Timelloûlen, le 18 décembre 1860.
La plus gi*ande amplitude des oscillations thermométriques con-
statée dans mon voyage chez les Touareg a donc été de /i6<>,7. •
Maxima (saison d'été) : Les observations comprises entre les
dates du 7 juin au 7 juillet et du 27 juillet au 11 août 1861 ont été
faites à Mourzouk, les autres en route sur divers points. (Voir, pour
les stations correspondantes, le tableau général qui précède.)
1860.
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1861.
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108
TOUAREG DU NORD.
1861.
28 juin 42o,5
29 n 39 ,4
30 >. 39,0
i juillet 40,0
2 I) 41 ,3
3 .. 42 ,4
4 n ...... 44 ,3
5 juillet 44«,6
16 » 40 ,6
17 » 40 ,5
18 « 41 ,7
26 « 44,6
27 ». 42 ,6
28 .. 42,6
Maxima (saison d'hiver) : Je regrette de ne pas avoir de série
d'observations maxima pour la sai.son d'hiver. 11 sera facile d'y sup-
pléer approximativement par les indications du thermomètre fronde,
dans les observations générales quotidiennes.
Minima (saison d'hiver) ; Je n'ai que peu d'observations de
minima de la tenffpérature en hiver. Je donne ci-dessous le nombre
des jours où j'ai observé la congélation de l'eau.
1860.
1861.
17 décembre. . . .
. . — 2°,0
14
janvier. .
. . Eau gelée.
Id.
18
. . - 2 ,1
15
28 ..
. . + i ,»
16
n
Id.
20
»»
Id.
1861.
22
)i
Id.
11 Janvier
Eau gelée.
10
mars. . .
Id.
12
Id.
il
))
Id.
13
Id.
12
n
Id.
Minima (saison d'été) : Ces observations appartiennent toutes à
Tannée 1861, savoir :
20 juin 18»,6
21 .. 19 ,7
22 » 20 ,9
23 » 19 ,2
24 n 17 ,5
20 .. 16,6
27 .. 17 ,6
30 » 22 ,4
2 juillet 23 ,6
3 » 28,6
4 juillet 23%4
5 .. 24 ,4
25 tt 21 ,6
26 » 25 ,2
30 n 23 ,1
7 août 20 ,6
8 « 22 ,4
9 » 20 ,0
10 .. 21 ,2
MÉTÉOROLOGIE.
109
Si, pour la saison d'été, je compare le chiffre le plus bas de la
température de Tair, 16**,6, obtenu le 26 juin à Mourzouk, avec le
chiffre le plus élevé, hh^fi, constaté dans la même localité et dans la
même année, les 5 et 26 juillet, je trouve une différence de 28® à
quelques jours d'intervalle.
Température du sol : Les observations relatives à la température
du sol ont été prises à l'ombre et au soleil, en hiver et en été.
Maxima à l'ombre : Pendant le jour, pas d'observations faute de
temps, mes instants étant pris par d'autres études.
Minima à Vombre : Toutes les observations qui suivent ont été
faites, le thermomètre étant recouvert d'une légère couche de sable
ou de terre.
1860.
Saison d'hiver.
1861.
U décembre.
28 >.
1861.
10 janvier.
12 »
13 M
3^0
1,4
1,4
0,4
0,4
16 janvier.
19 »
22 »
25 »
26 n
27 n
30 »
— 2°,4
— 2,2
— 4,7
-3,2
-3,2
4-1,3
+ 1,1
Saison d'été. — 1861.
12 août .
13 »
14 •>
15 »
16 »
19 »
20 ..
21 »
22 M
2i »
25 »
26 »
27 ..
28 ..
20«,8
30
18,3
1
18,9
2
23,3
3
21 ,5
4
19,6
5
23,6
7
20,6
8
21,6
9
18,6
10
20,6
11
18,1
12
20,8
13
19,6
15
30 août 19«,9
septembre 18 ,7
» 19 ,1
16 ,6
19,8
18 ,6
» ..... 14,2
15 ,1
). 21 ,6
» 13 ,3
14 ,0
18 ,1
16 ,3
19 ,8
Maxima au soleil : L'ombre n'existant pas dans le Sahara, ni
110 TOUAKEG DU NORD.
pour le sol ni pour les plantes qu'il nourrit, ni pour les hommes ni
pour les animaux qui Thabitent, il était imporunt de déterminer,
dans les différentes saisons, la température du milieu au soleil.
(Test à ce besoin que correspondent les deux séries d'observations
qui suivent :
Saison d'hiver, — 1861.
18 janvier. 29°,00, la température de Tair à Tombre étant 17<»,8
19 » 26 ,05 » » » 17 ,35
22 » 30,15 n I* » 16,6
31 !> 19,8 » m • 14,0
14 février. 39 ,65 » » » 29 ,35
Saison d'été. — 1860 et 1861.
13 avril. . 42°,55, la température de Pair à Tombre étant 3I^85
20 juin. . . 58 ,22 » » » ' 42 ,52
28 » 63,12 » M .. 38,62
20 juillet.. 65,12 .. » » 37,50
» « 66,42 « .. M 38,32
La moyenne de la différence des températures est de 9<>,89 pour
la saison d'hiver et de 23o,l pour la saison d'été.
Si, à défaut d'observations quotidiennes de la température du sol
au soleil, j'ajoute la moyenne différentielle de 23®,i aux tempéra-
tures de l'air pendant les journées des 5 et 26 juillet 1861, soit
hh^fiy = 67**,7 ; si j'augmente ce dernier chiffre de — 4*»,7, mini-
mum du sol le 22 janvier, j'obtiens un total de 72*^,4 représentant
l'écart annuel entre les extrêmes de la température du sol , et cet
écart ne saurait être un maximum.
On s'étonne moins alors si la flore et la faune d'un pareil climat
sont limitées à des espèces créées pour lui; on comprend comment
Hérodote a pu dire que la chaleur consume les hommes et le fonds
même de la contrée, 11 faut, en effet, des roches très-dures et très-
compactes pour résister à des dilatations de — 5® à + 67®,7. Bien
certainement, les extrêmes constatés dans une seule année ne
représentent pas les extrêmes absolus d'une période centenaire.
Probablement Técart est souvent de 75** et peut-être de 80**.
Température des puits ordinaires : J'ai apporté le plus grand soin
MÉTÉOROLOGIE. 111
à la constatation de la température des puits et de leur profondeur^
en vue d'aider-à la détermination de la moyenne de la température
annuelle de chaque contrée.
Voici, pour chaque région, les résultats constatés :
Dunes de V'Ery.
renip<^- Profon-
rature. deur.
Bîr-es-Soùk 23%5 i2-,5
BIr-el-Djàma' 23 ,2 10 ,2
Bir-Ôulâd-Khalifa 23 ,5 12 ,1
Bîr-el-Azàzla 23 ,4 14 ,6
El-Ou&d { 16 Juiu) .
/ Bîr-djâma'-el-Gharbî 21 ,9 7 ,3
(
Gomàr (19 juin) J Bîr-djàma^-el-Akhouàn 21 ,7 6 ,2
' Bir-8ldi-'Abd-er-Rahman 22 ,2 6 ,5
Bîr-i&bet-Cheria'a 21 ,6 6 ,6
{Premier puits (14 Juillet). ... 22 ,7 3 ,9
Deuxième puits (id.) .... 22 ,6 3 ,4
Premier puits (21 juin) 21 ,7 3 ,9
Mouïet-el-Kàid (15 juillet) 22 ,3 6 ,5
Choûchet-el-Guedhàm (28 juillet) 23 ,1 13 ,7
B!r-ez-Zouâit (29 juillet) 23 ,5 14 ,8
Màleh-ben-'Aoùn (30 juillet) 22 ,7 13 ,3
Moùî-er-Rebah (31 juillet . . . . '. 21 ,8 8 ,8
El-'Ogla ( id.] 22 ,8 10 ,4
Ma*atîg (1" août) 23 ,7 20 ,6
Berrcçof (2 août) 23.,2 23 ,0
Plateau de Tinghert.
Timelloùlen ^ Premier puits (16 décembre). . 17 ,7 1 ,3
/ Deuxième puits (2 décembre) . 17 ,3 3 ,3
Vallée des Igharghàren.
Asoultar (26 janvier) 11 ,4 4 ,0
Vallée de l'Ouàdi-el-Gharbi.
lo-Tafarat (15 mai; 22 ,7 4 ,2
Oubàri (18 mai ) ' 20 ,3 2 ,5
Brèg (20 mai ) 24 ,2 1 ,2
( 21 mai 23 ,4 j
TakerUba ! 22 mai 25 ,7 } ^^ i^
( 27 mai 23 ,8
112 TOUAREG DU NORD.
Dunes (VEdeyen, Tempe- profon-
rauire. dcur.
Mandata (28 mai ) 23S5 ?
Gabr'aoûn \ ^ "^^ ^2 ,4 4»',0
I 30 mai 22 ,5 1 ,8
Bîr-en-Nechoûa' 22 ,4 2 ,4
Bîr-el-Wouchka 23 ,7 2 ,5
Bîr-Sâlah-ber-Rekheyyis (16 août) 25,5 2 ,9
Gourmèda (i9 août) 22 ,0 2 ,8
Oumm-el-'Abîd ( 21 août) 24 ,9 1 ,2
Gottefa (26 août) 24 ,7 3 ,7
'Ain-el-Hamàm (2 septembre) 24 ,2 1 ,5
Température des sources : Je donne comparativement la tempé-
rature de l*air au moment de Tobservation.
Ghadàmès (9 décembre). 30o,15 , la température de Tair étant. . i7«,7
Tàdjenoùt (29 janvier).. . 11 ,95 » h » 13,1
Ahèr (23 février) 20 ,35 h » » 26 ,6
Serdélès (4 mai) 25,55 » ., » 21 ,4
Ganderma (11 juillet). . . 22,55 .. » « 24,4
Ayàl-Slîmàn (irf.). . . . 25,05 .h » .. 24,4
Bel-Hasan (13 juillet) ... 23 ,95 n » » 37 ,0
M. IsmayJ-Boii-Derba avait antérieurement constaté les tempéra-
tures de trois autres sources, au pied N. du Tasîli, que je n'ai pas
visitées, savoir :
'Aîn-Tabelbâlet (iO septembre) 23°,0 , Tair étant 30«,0
'Aîn-el-Hadjâdj (12 trf. ) 24 ,0 » 35 ,0
Tihoùbar (24 id, ) 26 ,0 ». 35 ,0
La source de Ghadâmès est thermale ; il y en a d'autres d'ailleurs
dans le pays.
Température des puits artésiens : Dans le voisinage des dunes les
puits artésiens sont très-nombreux, car dans le seul district de
rOuâd-Rîgh, il y en a 325 qui arrosent 600,000 palmiers; dans
Toasis d'Ouarglà, il y en a aussi en quantité. Pour le groupe de
rOuàd-Rîgh , je me bornerai à donner la température de quelques
puits seulement.
MÉTÉOROLOGIE. ' 113
Tempe- Profon-
raturo. deur.
,.- «. w ... ( Premier puits.. . 24°,7l 5T,0
'Ain-Bâ-Mendll . . l ^ -x •. ai nt, to \a
( Deuxième puits. . 24,75 58,10
'Aîn-el-Amîra 24 ,83 57 ,95
Tougourt / 'Ain-Boû-'Alem. . .^ Premier puits. . . 24 ,40 M ,0
/ Deuxième puits. . 24 ,82 52 ,0
'Aîn-Azai 24 ,75 53 ,0
'Ain-el-Bîr 23 ,85 64 ,0
'Aîn-es-Soûk 2i ,65 55 ,0
Merhayyer \ 'Ain-Mellàha. 24 ,85 39 ,0
I 'Ain-Battàh 24 ,91 39 ,0
Ouarglà (nombreux puits, pas d'observations).
Ihanàren (Tun des puits) 24 ,95 1 ,25
Serdélôs ) Un puits 26,42 5 ,50
( Un autre puits 26 ,52 5 ,50
M. Ismayl-Boû-Derba a trouvé, le 25 septembre, une température
de 26*» pour le puits dMhanâren et le même chiffre pour le puits
artésien de Timâssanîn (6 septembre) ; mais j'ignore s'il a tenu
compte des corrections à faire à son thermomètre.
Température des eaux pluviales : Le 25 août 1861, à Gottefa, la
pluie qui tombait me paraissant aussi chaude que celle des bains
ordinaires, j'en déterminai la température, qui se trouva être à
29M, celle de l'air étant seulement de 25<>,52.
Température des rhedîr ou flaques d'eau : Le 3 juin , la tempé-
rature de l'air étant 29*»,95, le thermomètre plongé dans l'eau du
Rhedîr de Setîl marqua 21^,8.
Température moyenne mensuelle de l'air a Tougourt. — M. le
lieutenant J. Auer, commandant supérieur de la garnison indigène de
Tougourt, fait des observations thermométriques depuis son instal-
lation dans la capitale de l'Ouàd-Rîgh. Amon arrivée dans le Sahara ,
j'ai calculé les moyennes de /i2 mois de ses observations, et je crois
utile de les publier pour permettre la comparaison entre un climat*
encore sous l'influence maritime de la Méditerranée et celui tout
continental des hauts plateaux qu'habitent les Touareg.
Le thermomètre à alcool de M. Auer était exposé an Nord, à l'ombre,
dans un courant d'air. M. Renou, secrétaire de la Société météorolo-
gique, craint qu'un thermomètres alcool, exposé dans une embrasure
de fenêtre, ne donne des chiffres trop élevés de plusieurs degrés.
114
TOUAREG DU NORD.
MOIS.
1855.
1856.
Septembre .
Octobre. . . .
Novembre. .
Décembre. .
Janvier. . . .
Février
Mars
Avril
Mai
Juin
Juillet
Août
18.57
■I
1858.
Septembre .
Octobre. . . 1
Janvier . . . .
Février . . . .
Mars
Avril
Mai
Juin
Juillet
Août
Septembre .
Octobre. . . .
Novembro. .
\ Décembre. .
Janvier . . . .
Février
Mars
Avril
Mai
Juin
\
1850.
I
Juillet
Août
Septembre .
Octobre . . .
Novembre. .
Décembre. .
Janvier . . . .
Fé\Ticr . . . .
Mars
Avril
55
■ ^
Vi
•*
ç6
o «
26,7
41,6
35,8
20,1
32,7
28,8
10,3
20,2
17,7
7,8
15,6
12,5
9,3
18,8
15,9
10,1
19,4
16,5
11,8
23,3
i8,9
10,3
29,6
25,4
21,7
36,7
31,9
25,8
39,3
33,7
27,3
46,6
27,9
23,3
41,3
35,5
24,8
38,2
34,1
i6,7
27,1
23,1
8,6
18,2
13,8
8,6
18,2
13,7
i2,5
21,4
16,0
17,8
28,4
23,2
19,0
38,2
25,7
24,0
41,3
36,3
27,8
45,2
39,2
28,8
45,9
40,6
21,2
40,0
36,0
18,5
32,5
26,1
13,3
24,9
21,4
7,4
14,6
11,6
4,3
12,3
9,2
8,7
19,6
H,7
lî,0
24,4
19,8
17,7
32,1
23,7
22,4
29,8
27,7
26,6
34,8
32,7
29,1
39,1
35,4
29,2
38,2
35,0
23,5
32,8
29,6
20,2
29,4
26,5
14,1
21,9
18,7
8,9
14,7
12,0
5,9
12,2
8,8
8,0
14,5
14,6
12,3
':o,8
16,1
18,3
28,3
23,7
PRINCIPAUX
PHéNOIlfeNES ATtfOSPHéBlQUKS.
4 siroccos, 2 petites pluies.
4 siroccos.
3 pluies.
5 pluies, 1 tonnerre.
1 pluie.
3 pluies.
7 pluies, 1 orage, 1 sirocco.
1 petite pluie, 6 siroccos.
2 orages, 1 pluie , 8 siroccos.
1 petite pluie, 7 siroccos.
1 tempête avec pluie, 10 sir.
1 tempête, 2 orages, 2 petites
pluies, 7 siroccos.
1 orage avec petite pluie, 7 sir.
0 siroccos.
2 petites pluies, 1 avec orage.
1 orage.
1 orage.
3 orages, 1 tempête, 1 sirocco.
2 pluies, 1 orage, 10 siroccos.
18 siroccos.
1 petite pluie, 3 siroccos.
3 pluies.
4 pluies.
4 petites pluies.
9 pluies.
4 pluies.
1 pluie, 1 orage.
3 pluies, 1 orage.
1 sirocco.
1 pluie avec tempête , 3 ora-
ges , 5 siroccos.
1 pluie, 2 orages, 4 siroccos.
5 siroccos avec 4 orages.
1 petite pluie.
^ pluie.
2 pluies.
4 pluies.
6 pluies.
9 pluies.
3 pluies.
3 pluies, 0 siroccos.
MÉTÉOROLOGIE. 115
Les deux extrêmes constatés ont été : minimum + 2, maxi-
mum + 51 = 49, chiffre supérieur de 2" 3 à celui que j*ai trouvé
sur le plateau central du Sahara.
Les variations, suivant les saisons, diffèrent peu : les plus basses
températures , sur le plateau central , ont lieu de décembre à mars;
la même période, dans les bas fonds de rOuâd-Rîgh, est limitée à
décembre, janvier et février. Les hautes températures, sur le plateau
central, se répartissent sur quatre mois : juin , juillet, août et sep
terabre; dans rOuâd-Rîgh, juin et juillet sont les deux mois les plus
chauds.
Mais quelles différences dans les extrêmes : ici H- 2*>3, là — 2°
pourmimmum; ici 51^9, là hk°à pour maximum.
Ajoutons l'influence d'une quantité de journées de pluies, dans
toutes les saisons , sur un sol alluvionnaire empreigne de divers sels,
pendant que la même période ne compte pas une seule pluie sur le
plateau centra), et on comprendra comment les hommes de race noire
peuvent seuls supporter le climat de rOuâd-Rîgh , pendant que les
blancs jouissent d'une santé florissante dans le Sud.
Hygrométrie,
Au moment de mon arrivée chez les Touareg, il y avait neuf
années qu'aucune pluie sérieuse n'était tombée sur leur territoire ;
mais à peine étais-je entré dans leur pays (décembre 1860), que les
pluies commencèrent : conséquemment, la série de celles de mes
observations destinées à faire apprécier la sécheresse ou l'humidité du
climat peut être considérée comme représentant une période relati-
vement humide.
Vapeur d'eau de Vatmosplière, — Les observationsont été faites au
moyen de deux thermomètres stables : l'un mouillé, l'autre sec; elles
embrassent deux périodes : Tune du 16 août au 15 septembre 1860,
l'autre du 26 juin au 5 juillet 1861. A mon grand regret, j'ai dû
négliger ce genre d'observation en route, faute de temps suffisant.
A défaut de tables de réduction s'appliquant au climat saharien,
je ne puis calculer ni la force élastique de la vapeur d'eau ni l'humi-
• dite relative pour quelques-unes de mes observations : je me borne
donc à livrer les expériences elles-mêmes, en indiquant les différences
entre les deux thermomètres.
116
TOUAREG DU NORD.
PREMIÈRE PÉRIODE (GHADAMÈS).
OBSERVATIONS
OBSERVATIONS ||
DATES.
DE 6 A 7
HBCIIBS DU MATIN.
DB 2 A J
HEURES 1
DU SOIR.
Différence.
Thermom.
sec.
Thermom.
mouillé.
Différence.
Thermom.
sec.
Thermom.
mouillé.
Août.
16
23*77
16*64
7*13
40*57
24*64
15*93
17
27,47
19,94
7,43
»
»
»
18
24,47
18,84
5,63
39,77
29,14
10,63
19
23,67
19,04
4,63
37,97
24,54
13,43
20
24,07
19,14
4,93
39,37
26,34
13,03
21
24,07
19,34
4,73
39,47
27,14
12,33
22
22,67
16,94
4,73
38,97
25,54
13,43
23
23,27
16,94
6,33
38,07
25,14
12,93
24
23,67
18,24
5,43
40,47
26,34
14,13
25
22,87
17,04
5,83
37,37
26,04
11,33
20
»
»
»
39,07
28,M
10,53
27
22,47
18,64
3,83
. 36,87
28,14
8,73
28
»
»
M
35,77
23,84
11,93
29
20,17
15,34
4,73
30,77
25,74
H. 03
30
20,17
15,24
4,93
37,87
23,24
14,63
31
22,07
15,44
0,63
38,37
22,94
15,43 :
Septembre.
1
23,97
17,14
0,83
39,17
24,84
14,33 1
2
»
n
u
38,87
20,84
18,03 1
3
24,47
18,94
5,53
38,77
21,84
16,93
A
23,07
14,54
8,43
•39,67
22,34
17,33
5
22,87
. 14,74
8,13
37.97
22,14
15,83
6
23,47
17,84
5,63
37,77
21,54
10,23 1
7
20,97
17,14
3,83
n
n
« 1
8
»
»
»
36,87
21,94
14,93
9
24,57
15,04
9,53
38,67
21,34
17,33
10
24,07
21,14
2,93
37,47
21,74
15,73
11
23,87
18,74
5,13
35,17
24,64
10,53
12
21,07
17,14
3,93
36,07
20,14
15,93
13
19,37
13,04
5,73
37,57
22,14
15,43
14
22,17
15,14
7,03
39,27
22,84
16,43
15
22,77
15,44
7,33
39,07
22,84
16,23
Je ne dois pas négliger de faire remarquer que
est une des plus riclies en eaux de tout le Sahara
Foasis de Ghadâmès
, et qu'elles y circu-
METEOROLOGIE.
117
lent en ville et dans les jardins, la nuit et le jour, dans des conditions
qui, sous une température élevée, permettent une grande évaporation.
DEUXIÈME PÉRIODE (MOURZOUK).
DATES.
OBSERVATIONS
DE 6 HEURES DU MATIN.
OBSERVATIONS 1
DE 2 A 3 HEURES DU SOIR. 1
Thermom.
sec.
Thermom.
mouillé.
Différence.
Thermom.
sec.
Thermom.
mouillé.
Différence.
1 Juin.
26-
27
29
30
Juillet.
2
3
4
5
1
36*32
37,32
38,32
36,22
37,72
39,92
40,77
40,62
41,72
16»02
17,22
17,52
17,22
16,82
18,52
18,82
17,92
18,52
20»30
20,10
20,80
19,00
20,90
21,*0
21,95
22,70
23,20
H
20,22
»
n
n
1»
30,12
28,47
» .
»
9,22
II
n
n
»
14,57
14,52
»
»
11,00
»
n
n
15,55
13,95
>»
L'altitude et la latitude de Mourzouk expliquent seules la diffé-
rence hygrométrique des observations de cette dernière station com-
parées à celles de Ghadàmès, car Mourzouk comme Ghadâmès est
assise au milieu de plantations de palmiers arrosées deux fois par
mois, au moins. 11 est vrai que Teau est moins abondante à Mourzouk.
Par comparaison, je donne les différences constatées sur d'autres
points du Sahara, mais plus au Nord.
A Mouï-€l-Ferdjàn , près de rOuâd-Rîgh, par un violent vent du
Sud, j'ai constaté, les 20 et 21 juin 1860, des différences de 19«4
et21*>5.
A Tougourt, dans TOuàd-Rîgh, du 22 juin au 1" juillet inclus,
même année, j'ai constaté les différences suivantes : 6*» 7, 6° 9,
7«5, 7«7, 10^8, 10°9, 12*»5 et ISMô.
Antérieurement, en juillet et août 1859, j'avais obtenu sur le
plateau des Benî-Mezâb des différences de 16<>20, 16«>99, 17^68,
18«28, 19<>05, 19°56 et 19'>71.
Malheureusement, mes observations n'embrassent que la saison
d'été et ne comprennent pas les parties les plus arides du Sahara,
celles où la sécheresse de l'atmosphère est la plus grande.
118 TOUAREG DU NORD.
Rosée. — Dans la série de 310 jours d'observations applicables au
pays des Touareg, je n'ai constaté de rosée que les jours suivants :
22 et23 décembre 1860, 23, 2/i, 26 août, et l^^ 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11,
12 septembre 1861. En tout H rosées sur 310 jours. Les cinq pre-
mières suivaient des journées de pluie; les autres coïncidaient avec
un abaissement notable de la température du sol , sous l'influence
des vents.
Gelée blanche, — Quoique la température de Tair ou du sol, du
14 décembre au 12 mars, soit descendue 26 fois au-dessous de zéro,
je n'ai jamais constaté ni gelée blanche, ni rien qui pût y ressembler,
et je m'autorise de cette observation négative pour conclure que
Tair atmosphérique, sur les grands plateaux sahariens, ne contient
pas plus d'humidité en hiver qu'en été.
Brouillard. — Deux fois seulement j'ai vu le brouillard se pro-
duire: d'abord le 30 août 1860, dans les jardins de Ghadâmès, mais
limité aux jardins; puis dans les sables d'Eguélé, après deux jours de
pluie, le matin du 30 décembre de la même année. Cette fois le
brouillard était épais et paraissait embrasser tout le pays. Une heure
après le lever du soleil, il était dissipé.
Pluie. — Depuis longtemps, les pluies semblent être devenues plus
rares dans la partie centrale du Sahara habitée par les Touareg. La
dernière période de sécheresse, qui a cessé vers le milieu de Tété
1860, avait duré neuf ans. Elle avait été précédée de plusieurs autres
de dix à douze années. A In-Sàlah, au pied du Ahaggàr, on avait
même, dit-on, traversé une série de vingt années sans qu'une seule
pluie y eût été constatée.
Mon journal de voyage, d'El-Ouàd à Tripoli, signale comme jour-
nées dans lesquelles il est tombé plus o\i moins de pluie celles des
31 juillet, 20 et 21 décembre 1860, 27 et 30 janvier, 28 et 29 avril,
6, 7, 9 et 25 mai, 21 et 25 août 1861.
Au dire des Touareg, la quantité d'eau tombée dans les monta-
gnes, en 1860 et 1861, avait été considérable et, depuis mon retour,
j'ai appris que les pluies avaient continué jusqu'au printemps de 1862.
Je dois faire remarquer que l'ouverture de cette période de
pluies a coïncidé avec une humidité excessive en France, et avec les
crues extraordinaires du Nil en 1860 ; ce qui implique que le
METEOROLOGIE. 119
Sahara central n'est pas complètement en dehors de l'action des
{grands mouvements atmosphériques qui ont lieu dans les autres
contrées et particulièrement dans les régions tropicales.
La coïncidence des pluies sur le plateau central du Sahara avec
les grands débordements du Nil d'Egypte a été constatée par d'autres
et ne paraît pas dater de nos jours seulement, car Pline, qui vivait
au commencement de l'ère chrétienne , en fait mention dans deux
passages de son Histoire 7ialurelle,
« La crue du Nigris (l'Igharghar moderne) se fait aux mêmes
M époques que celles du Nil : ilsdem tewporibm aunescit. » (L. V, 8.)
« En outre, on a observé que la crue du Nil correspond à l'abon-
« dance des neiges et des pluies en Mauritanie. PrxUrca obscroatum
« est, proiU in MauHtania nives imbresve sntiaverint, ita Nilum incrcs-
« cere. » (L. V, 10.)
Probablement, nous ne tarderons pas' à apprendre que les pluies
tombées chez les Touareg en 1860, en 1861, en 1862, se sont pro-
longées jusqu'en 1863 sous l'influence des pluies tropicales qui vien-
nent de produire un nouveau grand débordement du Nil.
Les orages qui amènent les pluies, disent les indigènes, se pro-
duisent dans toutes les saisons et viennent indistinctement de tous
les points de l'horizon-, mais, d'après eux, ceux qui donnent de
l'eau en plus grande abondance sont toujours le résultat du choc de
nuages de l'Est contre d'autres venant de l'Ouest.
D'après mes observations personnelles, la pluie du 31 juillet a
été amenée par le vent du N., celles des 21 et 22 décembre par le
vent d'E., celles des 27 et 30 janvier par le N.-E., celles des 28 et
29 avril, des 6, 7 et 9 mai, par une lutte entre les vents de l'E. et
du N.-E. contre le S.-O., celle du 25 mai par le S.-E. et celle du
21 août par le N.-O.
Quand les pluies sont générales et abondantes, les rivières
débordent, couvrant de leurs inondations les vallées dans lesquelles
elles déposent leurs alluvions, seules terres de culture que les
Touareg connaissent.
Presque toutes les rivières des montagnes agissent à la façon des
torrents, ravageant et dévastant tout sur leur passage. Malheur à
ceux que ces avalanches liquides surprennent dans leur chute dés-
ordonnée !
Il ne m'a pas été permis d'apprécier les quanliiés variables d'eau
120 TOUAREG DU NORD.
que donne chaque pluie ; mais, d'après les indigènes, je dois croire que,
dans certains cas, les pluies sahariennes sont de véritables déluges.
Neige. — Non-seulement il tombe de la neige chez les Touareg,
mais encore elle s*y conserve pendant trois mois de Tannée, du mois
de décembre au mois de mars. Les sommets du Ahaggâr, il est vrai,
jouissent seuls de ce privilège. J'ignore si ce bienfait est annuel ou
s'il est limité aux seules années de pluie.
J'ai estimé l'altitude de Ahaggâr à 2,000 mètres au-dessus du ni-
veau de la mer, amené à cette détermination par la comparaison
avec l'Adrar du Tasîli et avec l'Anhef qui ne conservent pas les neiges,
bien qu'atteignant des hauteurs de 1,500 et 1,800 mètres.
Pression atmosphérique.
Observations barométriques. — ^^ Pendant les 29 mois de mon explo-
ration dans le Sahara, j'ai fait chaque jour plusieurs obsei^vations
barométriques, principalement en vue de déterminer les altitudes
des points visités.
Les baromètres dont je me suis servi successivement et quelque-
fois concurremment, pendant toute la durée de mon voyage chez les
Touareg, sont l'anéroïde et un baromètre Fortin, qui m'a été envoyé
en roule par M. 0. Mac Carthy.
Ces deux instruments ont été contrôlés, à mon retour à Alger, par
M. 0. Mac Carthy , et les observations que je publie sont corrigées
de toutes les erreurs constatées.
Quoique des marches et des déplacements journaliers soient peu
favorables pour tirer quelques conclusions sur les variations diurnes,
mensuelles ou annuelles du baromètre dans le Sahara, je trouve
cependant dans mon journal météorologique quelques détails utiles
à publier.
Oscillations diurnes. — A Ghardâya, le 22 août 1859, à la suite
d'un violent orage qui avait duré une partie de la nuit, j'ai consacré
toute la journée, du lever au coucher du soleil, à constater les oscil-
lations barométriques de 15 en 15 minutes.
Pour cette observation spéciale , je me suis servi du baromètre
Fortin n® 892, construit par M. Tonnelol.
Les résultats de cette étude sont consignés dans le tableau qui suit.
MÉTÉOROLOGIE.
121
es
g
m
M
lu
V
i3
S
il
H
1 1'
X
H
ÉTAT DU QEL ET VENTS.
h. m.
6.40
719.38
26«,1
Cumulus pommelés au zénith N.-N.-E. et
au N.-O. sur un quart du ciel.
7.30
719.43
2n«,5
18«,9
28,5
Vent N. frais (force 1); cumulus pom-
7.45
719.60
melés au zénith ; bande de cumulus au
1 8.«
719.62
30,2
18,8
S.-S.-B.; cumulus en bande du N. (du
, 8.15
719.69
N.-O. au S.-B.).
8.30
719.65
31,0
18,2
31 ,8
8.45
719.60
9.»
719.76
31 ,6
18,1
9.15
719.69
9.30
719.68
32,7
18,4
32,8
9.45
719.90
10.»
719.77
33,1
18 ,i
j 10.15
719.65
10.45
710.40
11...
719.31
34,0
18,6
34,3
11.15
719.49
11.30
719.36
34,5
19,4
11.45
719.13
12. «
718.84
35^1
19,2
35,3
Vent N. faible ; cumulus légers sur la
12.15
718.92
moitié du ciel.
12.30
718.93
35,9
19,8
12.45
718,91
l.s.
718.77
35,5
19,0
34,9
*
1.15
718.71
1.30
718.62
1.45
718.52
2. ».
718.08
2.30
717.73
35,3
18,9
3i,9
Cumulus couvrant les 2/3 du ciel.Vent N.
2.45
717.72
toujours très-faible.
3.»
717.60
35,8
18,9
35,0
3.15
717.50
3.30
717.47
36,0
18,7
3.45
717.31
4. »
717.18
36,7
19,8
36,3
4.15
710.92
4.30
717.03
36,2
18,5
4.45
716.89
5.»
716.87
36,3
18,7
36,0
5.15
716.50
5.30
716.75
36,0
19,1
1 5.45
716.46
1 6.»
716.51
35,5
19,0
35,0
Vent trè»-faible, toujours N. ; horizon S.
0.15
716.60
nuageux; petits cumulus au N. et au
N.-E.
122 TOUAREG. DU NOKD.
Dans cette journée, le baromètre atteint son maximum d'ampli-
tude 719,90 à 9 heures 45 minutes du matin, et son minimum 716,46
à 5 heures 45 minutes du soir.
L'oscillation diurne du 22 août 1859 a donc été, à Ghardàya, de
A Tougourt, une période de 21 jours d'observation, du 23 juin au
13 juillet 1860, donne pour maximum des oscillations diurnes 12°"" 22,
le 27 juin, et une moyenne de 2"" 78.
A Ghadâmès, une seconde période de 33 jours d'observation , du
12 août au 15 septembre 1861, donne un maximum de 20"" 41, le
3 septembre, et une moyenne de 5"" 84.
Une troisième période de 16 jours, à Afara-n-Wechcheran, du 6 au
21 janvier 1861, donne un maximum d'oscillation de 12'""'19 pour la
journée du 9 janvier, et une moyenne de 5"" 26.
Une quatrième période de 15 jours, à Toûnîn, faubourg de Rhât,
du 14 au 28 mars, donne un maximum de 10"" 78, le 28 mars, et
une moyenne de 7"" 04.
Une cinquième période de 31 jours, à Tarz-Oûlli, du 8 mars au
29 avril 1861, donne un maximum de 9"" 75, le 25 avril, et une
moyenne de 4°"87.
Enfin, une sixième période de 34 jours, à Mourzouk, du 7 juin au
11 juillet 1861, donne un maximum de 3"" 77 et une moyenne de
l'""73.
La moyenne de ces six séries d'observations est de 4"'" 59; mais,
si on défalque de chaque série les chiffres accidentels et exception-
nels donnés par les maxima, on arrive à une moyenne d'oscilla-
tions diurnes qui se rapproche beaucoup de celle de la journée du
26 août 1859 à Ghardàya.
Extrêmes pour chaque 'période d'observation, — Je prends pour
termes de comparaison les observations du matin, au lever du soleil ;
celles du milieu de la journée, à l'heure où le thermomètre est le plus
haut; et celles du soir, au coucher du soleil.
Les plus grands abaissements de la colonne mercurielle sont
indiqués, dans le tableau qui suit, pour chaque heure d'observation
en regard des plus hautes élévations : la colonne de gauche repré
sentant les minima, celle de droite les maxima.
MÉTÉOROLOGIK.
123
STATIONS.
MATl^.
a K 1/2 S.OIR.
SO.B. 1
Période de Tougourt
— de Ghadàmès
— d'Afara
753,63
730,08
710,71
698,36
696,69
711,67
761,66
737,92
716,93
706,90
709,37
721,97
749,22
731,29
698,61
602,05
691,72
701,21
765,82
748,55
715,32
706,37
707,11
725,39
750,82
728,14
705,16
695,91
693,77
718,96
761,35
738,85
716,25
706,67
707,68
720,19
— de Toûnln
— de Tan-Oûlli
— de Mourzouk
Moyennes pour chaque période. — A défaut d'autres observations
barométriques connues pour la région saharienne, j'ai pensé qu'il
n'était peut-être pas sans intérêt d'établir la moyenne, à diverses alti-
tudes, des 156 jours de stations que comprennent les six périodes.
Voici ces moyennes :
STATIONS.
ALTITUDE.
MATIN.
2fc. l/«SoiR.
SOIR.
Période de Touirourt
89'
351
543
726
766
559
757,15
733,13
715,04
702,55
703,18
720,11
756,06
737,43
710,34
697,70
696,99
719,30
755,49
733,53
711,36
702,22
7C0,94
719,47
— de Ghadâmès
d*Afara
— de Toûotn
— deTarz-OûlU
— de Mourzouk
Instruments, — Quoique je me sois servi le plus souvent du baro-
mètre anéroïde exclusivement, on peut cependant avoir confiance aux
chiffres qu'il a fournis, parce que j'ai pu en faire usage concurrem-
ment avec trois baromètres Fortin, et pendant assez de temps, avant
que ces derniers aient été brisés, pour bien étudier les dilatations de
Tanéroïde et le corriger de ses erreurs.
A dater de Serdélès jusqu'à Tripoli, je me suis servi du baro-
mètre Fortin que j'ai reçu en route.
La marche de cet instrument avait été contrôlée avant son cxpé-
I. Altitude donnée par M. P. Mares pour le premier étage de la Kiieha.
124
TOUAREG DU NORD.
dition par M. Mac Carthy, qui a eu la généreuse obligeance de me
renvoyer pour remplacer ceux que des accidents de voyage avaient
mis hors de service.
Venu.
Le tableau suivant, résumé du tableau général placé en tête de ce
chapitre/ indique la direction principale des vents, suivant les saisons,
et leur force moyenne. Quoique restreint aux observations qui ont
servi à déterminer les altitudes, il n'en représente pas moins la
moyenne de l'état de Tatraosphère.
DIRECTION MENSUELLE ET FORCE MOYENNE DES VENTS.
VENTS.
1
>
S
<
M
'S
7
à
D
6
's
•-»
8
i
<
il
l
1
1
1
1
i
TOTAL
par UMre
de
Tent».
ta c
Calme. . . .
8
c
4
»
»
»
8
58
0,0
N
2
4
n
3
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]
i
5
))
»
n
22
1,8
N.-N.-E . .
2
M
1
n
3
n
i
i
»
»
M
8
3,0
N.-E
5
»
5
3
3
1
4
4
»
1)
1
33
2,7
E.-N.-E. .
2
1
i
i
1
4
4
n
»
»
2
16
2,4
E
2
4
4
4
3
13
9
8
)i
»
2
56
2,3
E.-S.-E...
1
3
1
1
1
M
»
2
»
)i
i
10
2,2
S.-E
3
2
2
2
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8
B
1»
»
25
2,7
S.-S.-E...
1
1
3
i
1
n
1
9
n
M
i
18
2,6
S
1
3
3
4
»
2
»
4
»
n
1
18
i,7
S.-S.-O...
1
1
»
2
n
M
n
3
n
»
1
8
3,2
S.-O
»
3
1
2
»
»
1
»
»
»
3
11
2,5
O.-S.-O..
n
1
n
n
»
»
n
n
n
n
2
4
i,s
0
1
1
2
3
1
i
n
»
»
»
»
9
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O.-N.-O. .
1
»
R
»
»
»
2
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n
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»
3
2,3
N.-O
3
w
5
3
2
\
2
2
»
»
»
18
2,2
N.-N.-O...
»
2
i
1
»
»
))
2
n
M
»
6
2,8
TOTAUX
mensuels.
33
32
33
30
32
3i
3i
59
17
n
n
22
323
La période de mes observations, modifiée par des pluies excep-
tionnelles, ne représente peut-être pas Tannée moyenne, car, d'après
les Touareg, les vents de la partie E., en temps ordinaire, souffleraient,
pendant la saison d*été, avec la constance de vents alises.
MÉTÉOROLOGtE. 125
Cependant, je remarque que les observations faites par M. Boû-
Derba, du 1" août au 3 octobre 1858, c'est-à-dire au milieu de la
dernière période de sécheresse, ne modifient pas sensiblement le
résultat de mes observations personnelles, car sur 94 observations il
constate :
Calme
N
NE
E
SE
S
0
NO
\^t
8f.
8f.
12 f.
5f.
13f.
3f.
4f.
11 est vrai que ces observations s'appliquent à l'automne, et non à
Tété.
Variations suivant les saisons. — D'après les indigènes, le. vent
d'E. serait le vent dominant de l'année. Pendant la saison des chaleurs,
il inclineraitau S.; pendant la saison tempérée, au N. Les vents du N.
et de ro., ceux qui amènent le plus souvent la pluie, ne souffleraient
guère, d'une manière un peu continue, que dans la saison froide.
Variations diurnes. — En général, dans tout le Sahara, le temps
est calme le matin, dans la proportion de 12 à 15 jours sur 30, et dès
que le soleil baisse, le soir, le vent mollit, s'il n'arrive au calme par-
fait.
Par exception, à Bondjôm, dans la Tripolitaine, une brise du N.-E.,
venant de la mer, s'élèverait tous les soirs. J'ai constaté cette brise à
mon passage, les 7 et 8 septembre 186i, mais je n'oserais affirmer
qu'elle est quotidienne, ainsi que le prétendent les indigènes.
Vitesse du vent. — L'échelle que j'ai adoptée pour mesurer la
vitesse du vent est celle de 0 à 10, ce dernier chiffre correspondant
aux vents qui renversent tout sur leur passage.
A défaut d'anémomètre, j'ai estimé toutes les vitesses au jugé.
Sur 310 jours, 8 fois seulement la force du venta dépassé 5, que
j'assimile à la brise fraîche des marins : 2 fois en août, 2 fois en
janvier, 2 fois en mars, 2 fois en avril; 3 fois par le S.-E., 4 fois
par le S.-S.-E., 1 fois par le S.-O., 2 fois par le S.-S.-O., 1 fois par
le vent d'O.
Nos tentes ont toujours été renversées par les vents arrivant à la
puissance de 7. C'est probablement parce que les Touareg ont con-
staté la difficulté de lutter contre pareille force, qu'ils ont générale-
126 TOUAREG DU NORD.
ment renoncé à avoir das tentes en voyage, préférant coucher à la
belle étoile, sous l'abri des ballots qui composent le chargement de
leurs chameaux. D'ailleurs, dans le Sahara, on ne trouve pas toujours
un sol favorable à la tenue des piquets de tente.
Quoi qu'il en soit, à part ces exceptions généralement dues au
sirocco, le pays des Touareg du Nord peut être réputé tempéré, sous
le rapport des vents.
Pluies et trombes de sable. — Les trombes de sable constituent un
des phénomènes caractéristiques de la climatologie saharienne.
Ces trombes sont produites par des vents venant de toutes les
directions, mais principalement par le sirocco.
Le sirocco est un phénomène atmosphérique complexe, qui toujours
a pour origine un vent de la partie Sud, une température élevée et
un soulèvement souvent considérable des parties les plus tenues des
masses de sable.
Les siroccos directs venant du Sud sont les plus fréquents, mais
il y a aussi des siroccos en retour, repoussés par les vents du Nord,
de l'Est et de l'Ouest, quand la force de ces derniers domine la puis-
sance des vents du Sud.
Pendant la durée du sirocco, l'atmosphère est comme embrasée,
rougeâtre, desséchante, obscurcie partiellement par les matières
terreuses ou siliceuses qu'elle tient en suspension.
Sous son influence, la respiration de l'homme est haletante, la
peau, les muqueuses de la bouche et du nez sont sèches et arides, et,
pour peu que pareil état dure , le cerveau ne larde pas à manifester
des symptômes de prostration.
Les animaux, même les mieux acclimatés, souffrent comme les
hommes : quelquefois les chevaux refusent de marcher et tournent
le dos au vent.
Les plantes herbacées, au lendemain d'un sirocco, sont flétries
comme le sont dans nos climats des herbes coupées depuis quarante-
huit heures. Beaucoup de feuilles et de jeunes tiges sont, pour
jamais, privées de vie. Quant aux plantes ligneuses persistantes , or-
ganisées pour vivre sous une température élevée, elles résistent
même aux siroccos les plus violents.
Les trombes de sables m'ont toujours apparu sous forme de
gros nuages de couleur rouge, embrasés, d'une épaisseur de 50 h 60
mètres, marchant à la vitesse des grands coups de vent, tantôt à
MÉTÉOROLOGIK, 127
fleur de terre, tantôt à une certaine hauteur du sol, s'abaissant ici,
s*élevant là, mais s'avançant dans Tatmosphère à la façon d'un corps
étranger, entièrement isolé.
Du mois de février au mois de mai 1861, j'ai observé, à peu de
distance, quatre de ces trombes, et une cinquième a enveloppé de
toutes parts notre caravane sans que nous ayons pu l'éviter.
La première, celle du 19 février, chassée par un vent de S.-O., a
passé à 2 kilomètres N.-E. de notre campement. Elle n'a pas môme
eu d'action sur la température de notre milieu, car le thermomètre
est resté à 29® 95, température ordinaire à pareille heure.
La seconde, du jour suivant, 20 février, et de la même localité,
s'est présentée dans la môme direction, mais à 1 kilomètre 1/2 seu-
lement et poussée par un vent du S.-E. Comme celle de la veille, elle
n'a exercé aucune influence sur mes instruments.
La troisième, du 28 avril , passa à notre E. comme un immense
nuage rougeâtreet tellement semblable au foyer d'un vaste incendie,
qu'on aurait pu s'y tromper, s'il ne s'était successivement élevé et
abaissé au-dessus de l'horizon, en suivant une marche du S.-O. au
N.-O-, avec la rapidité d'un ouragan.
La quatrième , du 3 mai , annoncée par des coups de tonnerre
lointains dans le S. et par une baisse du baromètre, de 15"""20 en
3 heures, passa k notre S.-E., embrassant comme la précédente un
immense espace, rouge, enflammé comme elle, et se dirigeant vers TE.
Le passage très-rapproché de cette masse de sables nous valut
quelques gouttes de pluie et une élévation du thermomètre à 43°.
Le 30 avril, en route, nous avions fait connaissance plus intime
avec pareille avalanche de sables arrivant du S., toujours sous la
forme d'un nuage rouge, et qui se rua sur nous comme un torrent
dévastateur accompagné de grosses gouttes de pluie froide que je
trouvai semblables à de la neige fondue.
Le désordre qui s'était mis dans notre caravane m'empêcha de
constater l'effet de cette trombe sur mes instruments qui n'étaient
pas sous ma main.
Voilà ce fameux Notus d'Hérodote contre lequel marchèrent les
Psylles et qui les ensevelit tous.
Inutile de dire, je crois, que, pendant la durée des grands vents,
du sirocco particulièrement, la marche est très-pénible, surtout dans
la région des dunes. On a parlé de caravanes englouties corps et biens
128 TOUAREG DU NORD.
sous des avalanches de sables; je ne crois pas ce fait bien constaté.
En traversant T'Erg, dans la saison la plus chaude de Tannée et pen-
dant une période constante des vents du Sud, notre caravane, fatiguée
par des tourbillons de sables qui obscurcissaient l'atmosphère et em-
pêchaient les guides de diriger la marche, a dû s'arrêter plusiem's
fois. Alors les hommes se couchaient pour dormir, tournant le dos
au vent et offrant par conséquent un certain obstacle aux sables.
Jamais aucun de nous, quoique enveloppé de toutes parts, n'a
éprouvé, au réveil, aucune difficulté pour secouer son linceul.
Par les vents desséchants du Sud, les provisions d'eau diminuent
rapidement, et quand elles sont épuisées sans pouvoir les renou-
veler, les caravanes périssent de soif. Les indigènes ont conservé le
souvenir de pareilles catastrophes, même sur des parcours de peu
d'étendue et loin des zones sablonneuses. A distance, on a imputé à
l'ensevelissement des sables un sinistre qui ne devait être attribué
qu'au manque d'eau.
Influence des vents sur le thermomètre et le baromètre. — Je n'ai jamais
constaté, sous l'influence des vents du Sud, une élévation des thermo-
mètres proportionnelle à l'action de la chaleur sur la peau ; de même,
par les vents du Nord , l'abaissement de la température est peu sen-
sible, parce que ces vents ont le temps de s'échauffer avant d'ar-
river sur le plateau central du Sahara.
Le baromètre subit davantage l'action des vents; presque toujours
il annonce l'approche du sirocco par une baisse remarquable.
Électricité.
Je n'étais muni d'aucun instrument pour mesurer l'électricité de
l'atmosphère : conséquemment toutes mes observations reposent sur
des faits appréciables à l'œil ou à l'oreille. Toutefois, je n'ai, jamais
négligé de consigner même les plus petits phénomènes que je pou-
vais attribuer au fluide électrique. Voici, à ce sujet, les notes que
je trouve dans mon journal de voyage :
Étincelles cleclriques. — (13 janvier 1861. Vent violent du O.-S.-O.
Température du sable — 1® le matin, celle de l'air = + 12^2 à
9 heures.) — Vers le milieu de la journée et dans la nuit, décharges
d'étincelles électriques dans les vêtements de laine qu'on secoue.
MÉTÉOROLOGIK. 129
«
(30 mars 1861. Vent nul. Température, 13® 7 le matin.) — Le soir,
ma jument fait jaillir des étinoeUes électriques de sa queue en fouet-
tant les mouches.
(13 avril. Vent épouvantable de TO. 1/8 S.) — Toute la journée et
toute la nuit, ciel couvert, sables soulevés. Le soir, électricité dans
les étoffes de soie et de coton.
Éclairs. — (31 juillet 1860. Tempérât, max. de la journée, 33<»8.)
— Dans la nuit des nuages apportés par un vent violent du Nord
lancent des éclairs non interrompus.
(7 mai 1861. Vent fort de S.-O. Pluie d'averse, ciel couvert ;
température, 29^25.) — Au coucher du soleil, éclairs au S.-O. et
à ro.
(8 mai. Vent nul, ciel couvert.) — A 6 heures 10" du soir, éclairs
à l'horizon S.-O., puis à TE.
Tonneire. — (25 avril 1861 . Journée orageuse, vent fort du S.-S.-O. ;
tempérât., 37® 8. ) — Vers 7 heures du soir, un coup de tonnerre très-
lointain.
(2 mai. Vent 0., ciel couvert; tempérât., 34®.) — A 2 heures de
l'après-midi, coups de tonnerre prolongés, mais lointains, au Sud
magnétique.
(8 mai. Vent S.-O., orages la veille, petite pluie le soir.) — Ton-
nerre lointain avant le coucher du soleil.
Orages. — Si, par orage, on doit entendre un grand trouble atmo-
sphérique, principalement dû à Télectricité et se manifestant par une
grosse pluie, avec grand vent, éclairs, tonnerre, grêle, etc., je dois
dire que je n'ai rien vu de semblable pendant les 230 jours consacrés
à l'exploration des hauts plateaux habités par les Touareg, et d'après
mes conversations avec les indigènes , je dois croire que ces boule-
versements de l'atmosphère, très- fréquents au delà du tropique,
assez communs dans les parties septentrionales du Sahara encore
soumises à l'action du climat de la Méditerranée, doivent être
assez rares dans les parties élevées du Sahara central. Des orages
secs, dus exclusivement à l'action des vents et sans le concours
de l'électricité, me semblent plus caractéristiques du climat de ce
pays.
I. 9
130 TOUAREG DU NORD.
Lumière,
IntmsiU, couUeur, transparence, — La lumière, dans tout le Sahara,
mais particulièrement dans les lieux élevés, est tellement intense,
que son action, soit directe, soit réfléchie, ne peut être, ni pendant
longtemps ni impunément, supportée par Foeil : aussi tous les habi-
tants du plateau central , à peu près sans exception , sont obligés de
porter le voile, s'ils veulent conserver la vue, et encore, malgré cette
précaution, la plupart des hommes de /|0 à 50 ans sont atteints d'o-
pacité de la cornée transparente et d'une sorte de paralysie du cercle
ciliaire; .beaucoup sont borgnes ou aveugles, et les vieillards attei-
gnent difficilement le terme de leur existence sans que leur vue soit
beaucoup affaiblie. Les appareils photographiques construits pour nos
climats tempérés ne donnent que des épreuves brûlées.
La couleur bleue de l'air, mais d'un beau bleu indigo clair, est le
fait qui frappe le plus l'Européen dans le Sahara. Cette splendide
coloration s'alliant à une extrême transparence de l'atmosphère fait
qu'on ne peut plus cesser de regretter le ciel du Sahara dès qu'on Ta
connu.
On aura une idée de la transparence de l'air par le fait suivant :
Le 28 décembre, sur le sommet du plateau de Tiraozzoudjén , j'ai pu
distinguer nettement les découpures du Tasîli des Azdjer; cependant
le pied de ces m întagnes est, en ligne droite, à 80 kilomètres de
Timozzoudjên. Bien souvent, pour dresser la carte de mes itiné-
raires, j'ai déterminé, à la boussole et avec certitude, des points à des
distances de 30 à 60 kilomètres.
Les indigènes, dont la vue a reçu l'éducation du milieu atmosphé-
rique, distinguent les objets à de bien plus grandes distances encore,
car souvent, à mon grand étonnement, ils m'ont annoncé la venue
de voyageurs qu'ils avaient reconnus plusieurs heures avant leur ar-
rivée.
Plus on s'élève dans les montagnes, plus le ciel devient bleu,
plus l'atmosphère est transparente et l'air pur.
En parlant du Ahaggâr, point le plus élevé de leur pays, les
Touareg disent : « La quantité de nourriture nécessaire pour nourrir
trois hommes dans la plaine suffit pour en rassasier cinq dans le
Ahaggâr, tant Pair et l'eau y sont fortifiants. »
METKOROLOGIE. 131
Mirage, — Le mirage est un phénomène si commun, sur les hamâd,
dans les plaines et vallées, que nécessairement je ne Tai pas men-
tionné dans mon journal de voyage. J'aurais dû écrire ce mot aussi
souvent que le ciel était pur et la température un peu élevée. Comme
tous les voyageurs en Orient, quoique prévenu, j'ai été victime de
ses illusions. Comment ne pas Tétre dans un pays où Ton désire
toujours l'eau et où, chaque jour, une fée, fille de Tantale, vient
mettre sous votre regard les lacs les plus merveilleux qu'on puisse
imaginer? Souvent le mirage ne se borne pas à tromper, il fatigue
beaucoup la vue et l'esprit par Toscillation continuelle et le chan-
gement de forme des objets bizarres qu'il représente.
Dans le Sahara, comme ailleurs, le mirage cesse dès que le sol
devient accidenté ou dès que le vent entraîne l'atmosphère dans un
courant continu. ,
Aurore et crépuscule. — Plus on avance dans le Sud et moins est
grand l'intervalle qui sépare la nuit du lever et du coucher du soleil.
Sous ce rapport, le Sahara obéit à la loi générale, car l'aurore et le
crépuscule y ont si peu de durée qu'on n'en tient pas compte. Lever
du jour et lever du soleil sont à peu près synonymes.
Au crépuscule, l'horizon 0. prend une teinte rose ou rougeâtre,
que l'horizon général a presque toute la journée, à un degré moindre.
Lueur crépusculaire. — Au campement de Sâghen, le 3 janvier, à
7 h. 30 m. du soir, je remarquai à gauche de la voie lactée, dans
l'Ouest, environ au point où le soleil s'était couché, une lueur blan-
che, partant de l'horizon, et se répandant comme une colonne de
fumée.
A Tarz-OûUi, le 8 mars, à 7 h. 21 m. du soir, j'ai encore observé
dans l'Ouest la même cplonne de lumière, mais, cette fois, elle était
séparée de l'horizon par une bande obscure.
Serait-ce la lueur crépusculaire de Humboldt?
Arc-en-ciel. — Les arcs-en-ciel sont aussi rares que lespJuies dans
le Sahara; cependant, j'ai pu en observer deux : l'un le 8 mai 1861,
consécutif à deux jours de pluie; l'autre le 20 août, précédant la
pluie du lendemain. Le premier se montra vers 5 heures du soir;
ses deux bases seules furent visibles. Le second parut à 4 h. 50 m.
du soir.
132 TOUAREG DU NORD.
Halo lunaire. — Le 19 août 1859, à Ghardâya, par un ciel couvert
de stratus, la lune, au moment où elle approchait du méridien, était
entourée d'un superbe halo.
Le 19 février 1861 , à Azel-n-Bangou, à 8 h. 45 m; du soir, le
ciel étant couvert de cirrhonstratus , je constatai un halo autour de la
lune. Sa distance du bord de la lune, mesurée au sextant, s'est trou-
vée ôtre de 20^30 ^
Lune rouge sang. — Le 21 août 1861, à Oumm-el-Abîd, vers 8 h.
15 m. du soir, la lune, à son lever, se présenta avec une cou-
leur rouge sang, tirant un peu sur le brun. Les indigènes prétendent
que cet aspect de la lune présage le sirocco. En effet, le lendemain 22,
le vent souffla d'abord E.-S.-E., puis S.-E.
Étoiles filantes. — On signale la nuitdulO au 11 août comme l'une
de celles dans lesquelles on observe le plus d'étoiles filantes, et parmi
elles on a cru en reconnaître de périodiques.
Me trouvant le 10 août 1859 à Ghardàya, par une belle nuit, je
la consacrai à observer ces météores ignés. Voici les résultats constatés
dans mon journal :
Vers 8 h. 30 m., à une demi-minute d'intervalle, deux belles
étoiles filantes tombent vers 10® du méridien, au-dessous de la hme,
à une dizaine de degrés au-dessus de l'horizon.
A 10 h. 25 m., une grosse étoile rouge tombe de haut en bas, à
l'Ouest, à peu d'clévation au-dessus de l'horizon ;
A 12 h. 22 m., une belle étoile bleue se montre dans l'Fst, allant
du Sud au Nord.
Je dors de minuit 30 m. à 2 h. 30 m., après quoi, jusqu'au matin,
je compte de nombreuses étoiles filantes, se dirigeant pour la plu-
part de haut en bas dans la direction de Methlîli, c'est-à-dire au Sud.
Antérieurement, dans la nuit du 23 au 24 juillet, à Methlîli, j'avais
constaté de nombreuses étoiles filantes , entre autres une superbe.
Ces météores apparaissent en si grande quantité dans les belles
nuits du Sahara, qu'un voyageur ne peut les noter toutes.
Globe lumineux. — Dans le grand nombre de mes observations
nocturnes, je dois une mention spéciale à un globe enflammé observé
le 21 juillet 1859, vers 9 heures du soir. Ce globe, dès qu'il m' apparut,
s'éleva à quelques degrés au-dessus de l'horizon et retomba en
MÉTÉOROLOGIE. 133
augmentant d'éclat. Je ne puis mieux comparer ce phénomène qu'à
une bombe d'artifice très-brillante et très-forte.
CONCLUSION.
Le climat du pays des Touareg du Nord est essentiellement conti-
nental et parfaitement distinct de celui du bassin de la Méditerranée,
ainsi que de celui du bassin du Niger. Au Nord comme au Sud, des
pluies périodiques divisent Tannée en deux saisons : Tune sèche,
l'autre humide. Chez les Touareg, il y a des périodes d'années, de
6 à 12, sans aucunes pluies, et des périodes d'années, de 1 à 3, dans
lesquelles il pleut en toutes saisons : conséquemraent, il n'y a chez
les Touareg que des saisons chaudes et des saisons froides.
Dans les unes, comme dans les autres, mêmes vents, même séche-
resse de l'air, même électricité, mêmes effets de la lumière.
En somme, le climat du Sahara est très-exceptionnel sur la sur-
face du globe, et c'est à ce climat que le Sahara doit d'être; le
Sahara.
CHAPITRE VI.
OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES.
Le but de ce chapitre est de faire connaître les principaux éléments
d'observations astronomiques d'après lesquels a été dressée la carte
qui accompagne ce volume.
Je ne publie pas les observations elles-mêmes. Je me borne à les
tenir à la disposition des personnes qui auraient besoin de les
contrôler.
Le matériel de mon observatoire ambulant se composait de chro-
nomètres, d'un sextant, d'une lunette astronomique, d'une boussole
avec lunette, c'est-à-dire des instruments les plus simples et les plus
facilement portatifs à dos de chameau.
Le plus grand nombre de mes observations a été calculé, par
moi, pendant mon voyage et depuis mon retour; d'autres, les plus
compliquées, l'ont été par MM. Yvon-Villarceau, Bruhns et Radau, qui
ont bien voulu me prêter le concours de leur longue pratique.
Aucune de ces observations ne donne lieu à des remarques parti-
culières qui méritent d'être consignées ici. Le seul côté par lequel
le Sahara diffère des autres points du globe pour l'étude des phéno-
mènes célestes, est que le ciel y est presque toujours pur, d'une
transparence exceptionnelle, et qu'on y peut presque conlinuellement
suivre la marche des astres dès que l'obscurité se fait : aussi est-il à
regretterqu'aucun observatoire sédentaire ne soit pas établi dans cette
région.
Voici, par ordre de dates, le relevé des observations faites pendant
mon voyage qui ont servi à établir la latitude et la longitude des
principaux points de la carte :
OBSERVATIONS ASTRONOMIQUES.
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138
TOUAREG DU NORD.
Ne sont pas comprises dans ce tableau toutes les observations
faites sur les points intermédiaires. Le détail en eût été trop long. Je
me borne à indiquer les latitudes que j'ai calculées en voyage pour
un certain nombre de ces points secondaires.
LOCALITÉS.
LATITUDES
NORD.
LOCALITÉS.
LATITUDES
NOBD.
Hâssi-Djedtd
320 12' 8"
810 51' 48"
310 32' 47"
310 15' 18"
820 470 25"
840 9' 39"
330 29' 20"
820 45f 38"
820 29' 56"
340 0' 37"
310 26' 32"
330 58' 33"
330 19' 29"
Mottl-erRoba'âya-el-G ueblâoui.
Mâleb-ben-'Aoûn
380 (y 2"
320 51' 1"
300 11' 53"
310 4' 27"
32* 8' 27"
310 59/ 0"
320 3' 43'/
320 39' 32"
320 46' 85"
3Io 54' 2"^
310 51' 89 '
30* 38' 49"
25» 82' 53"
Hâssi-Dbomràn
Hftssi-Bergbàoui
Màtrès
Hâssi-Zirâra
Blr-'AUâg
Bl-Oueràra
Tàredié
Chegga { puite artésien )
Oom&r
Kberbet-Dzîra
Kacar-Yôfren
Hftœi-Stdi-el-fiàchtr
Hâni-Oiilàd-Miloûd
BlivTeiTÎn
Zâouiya-el-Gharbîya (le Bordj).
Tînzegbt
Sedâda (Djérîd tunisien) ....
Gafça (id.)
NemUt (id.)
Sîdi-Ràched (0. Rtgh)
Kûbâo
Cb'aouÀ
Tarz-Oûlli
Les emprunts de positions astronomiques qui ont été faits, pour
la construction de la carte , aux travaux des autres explorateurs ,
sont :
Le tracé de la côte, d'après le capitaine Smith, de la marine an-
glaise;
Les positions du docteur Vogel entre Tripoli et le Bornou ;
Les latitudes de M. de Beurmann, d'après la carte de M. le doc-
teur Petermann, entre Ben-Ghàzi et Zouîla;
Quelques points du Sahara algérien, antérieurement déterminés
astronomiquement par M. le capitaine Vuillemot, et adoptés par le
Dépôt de la Guerre ;
Enfin la position d'In-Sèlah du major Laing.
Deux mots sur réclipse du 18 juillet 1860 et sur une comète du
\" juillet 1861. Je copie mon journal :
J'étais au lit, atteint d'une violente fièvre contractée dans l'Ouàd-
Rîgh , quand je sortis pour aller observer l'éclipsé. J'avais calculé
OBSERVATIONS ASTRONOMIQLES. 139
l'heure à laquelle elle devait se produire, comme si elle devait être
totale à El-Ouâd ; elle ue le fut pas complètement; aussi, quand j'ar-
rivai à ma lunette, comptant sur dix minutes d'avance, je trouvai
le disque solaire entamé. Je ne puis donc indiquer le moment exact
du premier contact.
Le ciel était pur.
A l'observation, je vis la lune couvrir successivement le soleil,
comme le ferait une tache; à un moment je crus voir certaines mon-
tagnes faire éclipse totale, mais à peine mon œil avait-il quitté la lu-
nette pour prendre l'heure, que l'éclipsé commença à diminuer
lentement.
Le dernier contact eut lieu à ù h. 55 m. 18 s. de mon chrono-
mètre, qui marquait encore le temps de Paris.
La lumière la plus faible a été celle qui, dans cette saison, succède
au coucher du soleil.
Les Arabes me dirent avoir vu des étoiles.
Mieux portant, j'aurais pu apporter une plus grande attention aux
détails de cette éclipse; mais la maladie paralyse les forces de l'esprit
comme celles du corps. Quand je fus me remettre au lit , la fièvre
s'était aggravée et je fus pris de vomissements très-pénibles.
A 2 h. 30 m., le baromètre marquait 7/i9,05, le thermomètre
h^^ 5 ; le vent soufflait du Sud.
A 5 heures, le baromètre était à 7/i0,95 et le thermomètre à 41° 8,
le vent restant le même.
Je me portais heureusement mieux quand, à jMourzouk, le 1*' juillet,
à 7 h. 15 m. du soir, on vint m' annoncer un phénomène astronomi-
que qui remplissait de terreur toute la population.
C'était une comète; on ne l'avait pas vue la veille, elle devait dis-
paraître le surlendemain.
D'après les habitants, elle avait apparu , à leurs yeux , rouge et
très-belle, un peu après le coucher du soleil, vers le méridien Nord.
Quand je l'observai à la lunette, elle était à 5 degrés environ au-
dessus de l'horizon, en ligne à peu près droite sous « de la grande
Ourse ; sa queue, de lumière blanchâtre, se prolongeait jusqu'à p et 7
de la petite Ourse; continuée en arc de cercle, elle eût coupé la voie
lactée par son milieu. Le noyau, très-distinct à la lunette, apparais-
sait comme une étoile de 3® ou de 4® grandeur.
140 TOUAREG DU NORD.
Le lendemain, à la môme heure, ou un peu avant, la comète était
plus haut dans le ciel, mais, probablement à cause des nuages qui
le voilaient en cet endroit, elle paraissait sans queue et sous la
forme de deux disques lumineux juxtaposés. Du moins, c*est l'effet
qu'elle produisait à Tœil. .
Depuis je n'ai plus entendu parler de cet objet d'effroi et je ne l'ai
plus vu.
LIVRE IL
PRODUCTION.
Les productions minérales, végétales et animales d*un pays aussi
peu favorisé sous le double rapport de la constitution du sol et du
climat, ne peuvent êire qu'en 'petit nombre ; cependant elles ne sont
pas complètement nulles, et je ^is les passer successivement en
revue.
CHAPITRE PREMIER.
MINÉRAUX.
Mon exploraticm n'a pas été assez complète, surtout dans la partie
montagneuse du pays, pour que je puisse prétendre connaître toute
sa richesse minérale ; d'un autre côté, les Touareg ne sont pas un
peuple assez industriel pour que j'aie pu suppléer à l'insuffisance de
mes recherches personnelles par une enquête sur les produits miné-
raux qu'ils exploitent. Les besoins des peuples nomades ne sont pas
ceux des nations civilisées et sédentaires: aussi n'est-on pas autorisé
à conclure de l'absence d'exploitations au manque de minéraux
exploitables. Au contraire, en constatant que les Touareg ont trouvé
chez eux tout ce qui est nécessaire à leur existence, on peut croire
qu'il y a beaucoup plus. Quoi qu'il en soit, je signalerai ce que
j'ai vu et ce qui m'a été indiqué par les indigènes.
1/|2 TOUAREG DU NORD.
Métaux et pierres précieuses.
Fei\ (Tazhô)i). —J'ai constaté la présence du fer en plusieurs
endroits : notamment à Azel-en-Bangou , dans les environs du mont
Télout, sur le rebord Nord du Tasîli, dans le ravin d*In-Akhkh, autour
des puits artésiens d'ihanâren, dans la vallée d'Ouarâret. Les rensei-
gnements des indigènes signalent aussi ce minerai sur d'autres points
du Tasîli et du Ahaggâr, en massifs plus ou moins considérables. Mais
à quoi bon ? Le fer fût-il plus riche et plus abondant encore, com-
meet l'exploiterail-on sans combustible ?
Tout le fer employé par les Toaàreg leur est apporté par le com-
merce.
Cuiiyre, (Dârogh).— Les Touareg ne connaissent aucun minerai de
cuivre dans leur pays. Tous les cuivres qu'ils emploient à l'omemen-
tation de leurs armes viennent d'Europe; jadis, quand Mourzouk
entretenait encore des relations commerciales avec leWaday, ils pou-
vaient en recevoir de cette contrée.
Plomb. (Alloûn). — Le nom d'Ouâdi-Âlloûn (rivière du plomb) donné
à l'un des torrents qui descendent du versant Nord du Tasîli rappelle-
t-il la découverte de minerai de plomb dans le lit de l'ouâdi ? Je
l'ignore. i
Les Touareg ne faisant généralement pas usage des armes à feu,
l'emploi du plomb est assez restreint chez eux pour qu'ils n'aient
jamais songé à utiliser les galènes de leur pays, fussent-elles même
riches.
Élain, (?) — Un gisement de ce minerai ou d'un métal analogue
m'a été signalé dans l'Ouâdi-ech-Chiâti (Fezzân). Cette indication
est-elle fondée ou non? L'avenir l'apprendra.
Sulfure d'antimoine. (Tazôlt). — Le sulfure d'antimoine est récolté
aux environs d'El-Barakat, près de Rhât, mais dans la proportion des
besoins locaux, limités à l'application du kohel sur les cils et les
sourcils.
Kohel, en Arabe, signifie tout ce qui noircit. Donc, sous ce nom,
on emploie indistinctement ou le sulfure de plomb, ou le sulfure
d'antimoine, suivant la facilité de se les procurer.
L'emploi du kohel est des plus anciens chez les peuples orientaux.
Jérémie dit, chap. IV, vers. 30 : « Cum slibîo pinxeris ocuhs tuos. » Le
MINÉRAUX. i/i3
prophète Mohammed, copiant Jérémie, répète : « Employez Tantimoine,
il fortifie la vue et fait pousser les cils. »
Sur la foi de ces autorités, l'habitude du kohel est passée dans les
mœurs, surtout dans le Sahara, où la réverbération du soleil affaiblit
si promptement la vue et cause si souvent des oph thaï mies.
Le docteur Bertherand, dans son ouvrage sur la Médecine des indi-
gènes de V Algérie, dit que l'emploi du kohel, dans toute e^èce d'oph-
thalmies, lui a toujours rendu les plus grands services.
Pierres précieuses. — Les Touareg modernes font usage d'une espèce
de serpentine dont ils fabriquent leurs anneaux de bras. On trouve
cette pierre dans le ravin de ïahôdayt-tàn-Hebdjân (rebord méri-
dional du Tasîli),sur la route directe de Rhàt à In-Sàlah, non loin du
ravin de Tadôhayt-tân-Tâmzerdja, où sont les restes fossiles d'un
grand mammifère antédiluvien.
Mais il est hors de doute que les peuples anciens de cette contrée
connaissaient et faisaient usage d'autres pierres précieuses, car on
en trouve dans tous les tombeaux des Jabbâren (géants), nom que
les Touareg donnent à la génération qui les a précédés dans le pays.
Ces pierres sont enchâssées dans les bagues ou dans les boucles
d'oreilles.
J'ai déjà dit qu'on avait trouvé des émeraudes dans le Touât;
moi-môme j'ai rapporté de mon excursion à El-Golêa* des cristaux
qui y ressemblent. Il est probable qu'une exploration complète des
montagnes des Touareg et des bassins qui en dépendent ferait retrou-
ver l'ancienne émeraude garamantique des musées.
Sels divers.
Sel commun. (Tîsemt.)— Une belle mine de sel, longtemps exploitée
et abandonnée pour cause d'insécurité, existe dans la Sebkha d'Amad-
ghôr, sur l'ancienne route des caravanes d'Ouarglâ à Agadez, au
pied d'un des contre-forts orientaux du Ahaggàr. D'après les indigènes,
cette mine serait la plus belle connue dans tout le Sahara. Elle sera
ultérieurement l'objet d'une attention toute spéciale.
Une mine de sel m'est aussi signalée dans la montagne au Sud de
Tikhâmmalt.
Sur beaucoup d'autres points, on trouve du sel de qualité infé-
rieure , mélangé de terre : aux environs de Rhât et à Tekertîba, ou
lU TOUAREG DU NORD.
provenant de révaporatiôti des eaux salines de sebkha desséchées,
notamment sur le cours inférieur de Tlgharghar, à Menkebet-Izîman
et à Sîdi-Boû-Hânia.
Les puits salés, indiquant la nature saline des terres traversées
par les eaux, sont communs. Je citerai entre autres celui de Tînessedj
sur la route septentrionale de Tebalbâlet à In-Sâlah; celui de Harhé,
dans une sebkha, sur la route de Tikhâmmalt à Oubâri.
Je citerai aussi, comme sources salines, celle de Tânout sur la
précédente route, et d"Aïn-el-Mokhanza (la fontaine pourrie, puante),
sur righarghar, sans compter celles que j'ai signalées précédemment
dans mes itinéraires géologiques.
Alun. (Azârîf.) — Après le sel, Talun est la production minérale la
plus commune du pays des Touareg. On en trouve des dépôts, entre
autres, dans la vallée d'Ouarâret, au Nord du Rhât; à Serdélès; à In-
Hâs, dans la plaine d'Adjemôr; sur rOuàdi-Tetch-Oûlh*, affluent de
rOuâdi-Akâraba. Ces deux dernières mines sont situées au Nord de
Mouydîr, et non loin d*In-Sàlah, marché sur lequel on vend leurs
produits.
J'ai rapporté un échantillon des dépôts d'alun de la vallée de Ser-
délès. 11 est pur et de bonne qualité.
Salpêtre. (Tîsemt-n-elbaroûd.) — Tout le salpêtre consommé par
les Touareg vient du Touât, où cette matière paraît très-abondante. 11
n'est pas douteux qu'on en trouve également et en quantité impor-
tante dans les contrées similaires du pays des Touareg, car ces der-
niers m'en signalent un dépôt assez important dans la vallée de
Tikhâmmalt et d'autres dans les ouâdis aux environs de Rhât. N'em-
ployant pour ainsi dire pas la poudre, ne sachant pas la préparer,
ils négligent ce produit et n'y font aucune attention; mais, si le com-
merce français demandait du salpêtre au Touât, les Touareg ne tar-
deraient probablement pas à lui faire concurrence.
Natron. (Elatroùn et Oksem.) — Le natron est récolté en assez
grande abondance dans le Bahar-et-Trounîa au Nord-Ouest de Mour-
zouk. Il est employé par les Touareg en mélange avec la feuille du
tabac, soit pour la prise, soit pour la chique; il est aussi d'un usage
journalier comme mordant dans les préparations tinctoriales. Inutile
d'ajouter qu'il entre dans la matière médicale des indigènes , car, à
défaut de produits européens, ils utilisent tout ce qu'ils ont sous la
main.
MINÉRAUX. U5
J'aurai l'occasion de faire connaître ultérieurement l'importance
commerciale de ce sel.
Soufre (Tazzefrît et Aouodhîs). — Quoique le Ahaggâr, leTasîli, le
Hâroûdj et la Soda, soient le produit de soulèvements volcaniques;
quoique le soufre se montre, au Nord, en assez grande quantité dans
la Syrte, il est à peu près certain qu'il n'existe pas dans le pays des
Touareg, car, s'ils y connaissaient des soufrières, elles seraient exploi-
tées pour les besoins des chameaux, atteints fréquemment de la gale,
que le soufre seul guérit d'une manière radicale. Je conclus donc
de ce que le soufre n'est pas exploité par les Touareg qu'il n'y en
a pas chez eux.
BfAT^RIACX DE CONSTRUCTION.
Pierres et terres.
Bien que des nomades ne tirent aucun parti des matériaux de
construction dont leur pays est doté, je ne crois pas devoir omettre
cette partie importante de la richesse minérale du Sahara.
Pierre calcaire (Tahônt-n-Tînçher). — Tous les plateaux dits ha-
mâd sont généralement recouverts d'une couche calcaire qui donne
d'excellents moellons pour les constructions urbaines. Cette pierre
domine dans celles de Ghadâmès.
Grès (Tîlellît, la pierre noble). — Le grès est la pierre la plus
abondante, surtout dans le Tasîli du Nord. On trouve dans la chaîne
de l'Amsàk le beau grès rose des ruines romaines de Djerma.
Gypse (Têhemaq). — Commun au Nord et autour de Ghadâmès,
où on l'exploite pour les enduits de la ville, il est peut-être plus
rare sur tous les autres points du pays , mais il est hors de doute
qu'on n'a pas dû aller le chercher au loin pour les constructions des
autres villes.
Chaux (Ezzebch). — La pierre propre à la chaux est commune
partout; autour de Ghadâmès, on ramasse les calcaires du plateau
deTînghert et, de leur grillage, on obtient une chaux excellente.
Arg{le (Tabàriq et Telaq). — Tous les enfants des Touareg ont
des poupées et des bonshommes en argile; dans tous les ménages on
trouve des vases en poterie qui doivent être fabriqués sur les lieux,
ce qui prouve que la terre à poterie ne manque pas. Quant à l'argile
propre à la préparation des tuiles et des briques, elle existe dans plu-
I. 10
H6 TOUARKG DU NORD.
sieurs ravins. J*ai déjà dit que les auges dans lesquelles on abreuvait
les chameaux autour des puits étaient en argile provenant des déblais
de ces puits.
Terre à ciment, — Les canaux d'irrigation de Ghadânjès sont ci-
mentés et, d'après les renseignements qui m*ont été donnés, ce ci-
ment était obtenu au moyen d'un mortier fait avec la chaux des
ammonites et les argiles rouges ferrugineuses des goûr.
J'ai rapporté de Ghadâmès et de Djerma des ciments de l'époque
garamantique ; ils sont de la plus grande solidité.
Pierre meulièire (Tasîrt et Tahônt-n-Ezhîd). — L'usage du moulin à
bras, ustensile obligatoire pour chaque ménage, rend la pierre meu-
lière de première nécessité chez tous les nomades. Heureusement,
les carrières qui la fournissent ne sont pas rares. J'en ai déjà cité
une, abandonnée, à l'entrée de l'Ouàdi-el-Gharbî ; on en indique d'au-
tres au Nord et au Sud du Tasîli.
Ocre (Tamâdjohît). — L'ocre est exploitée aux epvironsde Djânet
pour les besoins de la teinturerie, mais surtout pour être employée
avec l'indigo comme cosmétique tinctorial et hygiénique de la peau,
en vue de la préserver, par l'interposition d'un corps étranger, des
influences atmosphériques extérieures.
Combustibles minéraux.
Pendant longtemps, à Alger, on a cru à l'existence de la
houille dans le Aliaggâr, par suite de réponses faites, de bonne foi,
par des Touareg venus en Algérie, qu'il y avait dans leur. pays des
pierres noires qui brûlaient.
J'ai déjà fait connaître comment les Touareg, interrogés à ce
sujet, avaient pu nous induire en erreur sans manquer à la vérité.
Toutefois, la découverte de terrains très-anciens dans la vallée
de Rhàt et du terrain dévonien, inférieur aux terrains houilliers, sur
plusieurs points, permet d'espérer le succès de recherches de gise-
ments de combustibles minéraux, dans le centre du Sahara, ou tout
au moins dans les parties que mon exploration recommande à l'atten-
tion des ingénieurs.
Là se borne, à ma connaissance, la liste des produits minéraux
utilisables dans le pays des Touareg ; mais il n'est pas douteux que
des recherches plus complètes en augmenteraient le nombre.
CHAPITRE IL
VÉGÉTAUX.
Le règne végétal est un peu plus riche que le règne minéral, car,
quoique les sommets des montagnes, leurs versants, ainsi qu'une
partie des plateaux, soient dénudés et entièrement stériles, on trouve,
dans les nombreuses vallées du pays, des points plus favorisés où la
végétation saharienne s'allie avec quelque représentants de celle des
tropiques et du bassin de la Méditerranée.
Les végétaux domestiques sont en très-petit nombre. Si je devais
ne citer que ceux cultivés par les Touareg eux-mêmes, la liste serait
close quand j'aurais nommé le dattier, le figuier, le blé, l'orge, le
sorgho, le millet: en tout six végétaux.
Mais, dans le territoire même des Touareg, sont les oasis de Gha-
dâmès, de Rhât, de l'Ouâdi-Lajâl , de l'Ouâdi-'Otba, de Djânet,
d'Idélès, habitées par des sédentaires dont les cultures sont un peu
plus variées.
Voyageur et non botaniste, j'ai recueilli à peu près toutes les
plantes que j'ai vues et tous les renseignements que pouvaient me
donner les indigènes sur la végétation de leur pays; mais je n'ai
pas la prétention d'avoir rapporté de mon voyage toute la richesse
végétale des contrées traversées, comme eût pu le faire un explo-
rateur exclusivement chargé d'étendre le domaine de nos connais-
sances en histoire naturelle au Sud de l'Algérie.
J'ai scrupuleusement recueilli les noms indigènes, en langue
arabe et en langue temâhaq , parce que je crois la connaissance de
cette double synonymie nécessaire aux personnes auxquelles l'avenir
réserve de voyager avec les caravanes. Cette synonymie n'a pas les
défauts de celle des noms vulgaires assignés aux plantes par nos
paysans en Europe; chez les peuples pasteurs, chacun connaît exac-
m TOUAREG DU NORD.
tement le nom, les stations et les propriétés de chaque plante, et les
noms, quand les caractères distinctifs sont bien tranchés, ne varient
pas d'une localité à une autre, mais se conservent tant que la même
langue est parlée. Or, comme la langue arabe est connue dans tout
le monde musulman , et la langue berbère , dont le temâhaq est un
des dialectes, dans tout le Nord du continent africain, il y a presque
certitude d'être compris des indigènes en leur nommant une plante
dans l'une de ces deux langues.
Dans la classification des plantes, objet de cet examen, j'ai
adopté l'ordre naturel des familles.
Je dois à l'extrême obligeance de M. le docteur Cosson, président
de la Société botanique de France et chargé par le gouvernement de
la publication de la Flore de l'Algérie, la détermination exacte de
toutes les plantes de mon -herbier et même de quelques-unes de
celles dont je me suis borné à mentionner le nom dans mon journal
de voyage, sachant par les comptes-rendus des explorations du savant
botaniste qu'il les avait déjà déterminées.
Je mentionne cet utile concours; autant par reconnaissance que
pour assurer à cette partie de mon travail le caractère sérieux que
lui donne la collaboration de M. le docteur Cosson.
RENONCULACÉES.
Adonis migrocarpa DC?
Boû-garoûna {arabe).
Récolté le 13 mars 1860, dans les environs du Chott-Meighigh.
Sans emploi connu.
RANDIfCULUS MCRICATDS L.
Kosberbîr (arabe).
Récolté le 13 mars 1860, dans les environs du Chott-Melghlgh.
Sans emploi connu. Croît dans les terrains humides.
NiGELLA SATIVA L.
Sahnoudj, Habbet-es-soûda (arabe).
Cultivé dans quelques Jardins des oasis.
«Procurez-vous de la graine noire (mot à mot, habbet-es-soûda) ^
VÉGÉTAUX. 149
a dit le prophète Mohammed : c'est un préservatif contre toutes les
maladies. »
En exécution de cette prescription, les bons musulmans prennent
volontiers, le matin, une pincée de graine de nigelle dans une cuille-
rée de miel, à Tefifet de préparer les voies digestives et d'ouvrir l'ap-
pétit.
fumariacëes.
FUMARIA CAPREOLATA L.
Guerîn-djedey, Sibân (arabe).
Récolté le 13 mars 1860, dans les environs du Chott-Melghtgh.
Cette plante est employée par les indigènes en lotion contre* les
démangeaisons et en fumigations contre les douleurs.
CRUCIFÈRES.
Matthiola livida DC.
Guelguelàn (arabe) d'après M. le docteurCosson ; Tamadé (temâhaq).
Récolté le 2 mars 1861 , à Tln-Arrày.
Cette plante vient dans les sables.
Matthiola oxycbras DC.
Hàrra '(arabe); Tânekfâït (temâhaq).
Récolté le 7 mars 1860, au S.-O. de Nafta, entre Guettàra-Ahmed-Beo-
'Amàra et G&ret-Dj&b-Allah.
Affectionne les terres de heycha.
Anastatica Hibrochuntica L.
Akarba (temâhaq); Kômecht-en-Nebî (arabe fezzanien); Kerchoud
(au Bergau),
Reconnu entre Ghadàmès et Rh&t.
Cette plante est vulgairement connue sous le nom de rose de
Jéricho.
Malcolmia iEoTPTiACA Spreng.
El-Maroûdjé, El-Hamâ (arabe); Almaroûdjet (temâhaq).
Récolté le 2 janvier, les 8, 21 et 29 février 1861 , sur rOuàdi-AUoûn et à
Aghel&d. Reconnu en huit stations entre Ghadàmès et Rh&t.
150 TOUAREG DU NORD.
Celte plante donne un excellent fourrage que tous les animaux
recherchent. Elle vient dans les sables.
Senebiera lepidioides Coss. et DR. in Bull, Soc, bot,
Harharha {arabe et temâhaq).
Récolté à Sàghen, le 1«' janvier 1861.
Peu commun , comestible.
MoRicANDiA suFPRUTicosA Coss. et DR. Brossica suffruticosa Desf.
Foûl-el-djemel, Foûl-el-ibel {arabe) ; Afarfar {temâhaq).
Récolté aux environs de Ghadàmès et sur TOuâdi-TInzeght, les 12 et
13 novembre 1860. Peu commun. Plus abondant dans les montagnes du
Ahaggàr, entre Rhât et In-Sàlah.
Plante recherchée par les chameaux, ainsi que l'indique son nom
indigène : fève du chameau,
Hbnophyton ueserti Coss. et DR. in Bull. Soc, bot.
Alga, Allegommo (araôe).
Récolté dans les dunes de l"Erg, entre 'Erg Boû-Delil et Medhaheb-ech-
Chergulya; sur la route de Merhayyer à Gomàr, le 5 février 1860, et
entre El-Ouàd et Ouarglà, sur rOuàdi-Çtdah, le 16 février 1860.
Cette plante recherche les sables.
DiPLOTAXIS DUVBYRIERANA COSS. Sp. HOVa,
Hârra {arabe); ïânekfàït {temâhaq).
Récolté les 9 et 18 février 1861 , sur l'Ouâdi-Alloûn et rOuâdi-Târât. Ren-
contré en onze stations entre Ghadàmès et Rh&t.
Cette espèce nouvelle, désormais destinée à rappeler le souvenir
de mon voyage, grâce à l'extrême bienveillance de M. le docteur
Cosson, est une de ces nombreuses plantes de la famille des Cruci-
fères dont les Touareg font usage pour leur alimentation. A défaut
d'autres provisions , j'ai été souvent heureux de la mettre à contri-
bution pour l'approvisionnement de ma table et de celle de mes ser-
viteurs. Son usage délassait mon estomac fatigué des légumes secs,
les seuls à la disposition des caravanes. Je ne me doutais pas alors
que je mangeais un plante qui plus tard porterait mon nom.
VÉGÉTAUX. 151
DiPLOTAXIS PENDULA DC.
Récolté le 12. mars 1860, dans les montagnes de Kerlz.
Comestible comme la précédente.
Erdca sativa Lmk. E. stenocarpa Boiss. et Reut.
Hàrra (arabe); Tânekfàït (temâhaq).
Récolté à Sâghen et sur l'Ouàdi-Alloûn , les 1" janvier et 29 février 1861.
Commun.
Cette plante est également comestible et mangée par les Touareg.
La graine et le suc de cet Eruca, concurremment avec les mêmes
parties des deux Diplotaxis ci-dessus , sont employés comme remède
contre la gale des chameaux.
ScHouwiA Arabica DC.
Alouâs (temâhaq).
Trouvé et récolté à Tikh&mmalt, le 27 janvier, et à Tîn-Térdja, le 2 mars
1861.
Plante rare, spéciale aux déserts d'Arabie et non encore trouvée
en Berbérie.
ZiLLA MACROPTERA CoSS. in BulL SoC, bot.
Chobrom, dans TEst; Chebreg, dans TOuest (arabe); Oftozzon
(temâhaq).
Récolté à Aghelâd, le 8 février, et sur rOuàdi-Alloûn , les 28 et 29 fé-
vrier 1861 , entre Ghadâmès et Rhàt; signalé sur le plateau de Tàde-
màyt, entre le Touât et le pays des Benî-Mezâb.
Cette plante épineuse, qui croît en touffes larges, est avidement
mangée par les chameaux.
Brassica Napus L.?
Left (arabe); .Afràn (temâhaq).
Le navet est cultivé dans les jardins de toutes les oasis , où il
vient très-bien.
Sa racine, crue ou cuite, sert à Talimentation.
Sa graine est employée comme médicament.
Brassica olbrageA L.7
Kronb (arabe).
152 TOUAREG DU NORD.
Le chou ne paraît pas très-bien réussir dans les oasis, à moins
que la variété qui y' est cultivée ne soit inférieure à celle de nos jar-
dins d'Europe.
CAPPARIDÉES.
Cleomb Arabica L.
Mekhînza, Oumm-el-djelâdjel (arabe) : le premier usité à Gha-
dàmès, le second au Fezzân; Ahôyyarh, Wôyyarh {temâfiaq).
Récolté le 26 août 1859, dans rOuâd-Mez&b; le 6 septembre 1860, aux en-
virons de Ghad&mès; le 7 février 1861, à Aghelàd ; le 2 mars 1861, àT!n-
Tôrdja.
Cette plante croît dans les sables et dans les pierres.
M^RDA RIGIDA R. Br.
Sarah {arabe); Adjàr {temâhaq).
Récolté le 1" avril 1861, à Ouariret.
Cet arbre, assez rare, vit toujours isolé.
Son tronc a de 3 à 4 mètres de hauteur et de O^TO à 1" de cir-
conférence en moyenne.
Ses branches, noueuses, peu nombreuses, ne retombent pas
comme dans les autres arbres, mais se dressent verticalement vers
le ciel. Elles partent de terre et donnent à l'arbre l'aspect d'une
grande broussaille.
Ses feuilles sont petites.
11 était en fleur le !«' avril.
Par son port et sa taille cet arbre rappelle le Balanites .Egyp-
tiaca, mais il n'a pas d'épines et ses feuilles sont différentes.
Capparis spinosa L. var, coriagea.
Kebbàr {arabe).
Récolté le 24 août 1859, dans une ravine aride montant au Qaçar-Sidi-
Sa&d. Reconnu dans les vallées de TOuàd-Mezàb et entre MethlUi et El-
Golêa*, où il est commun.
Les belles fleurs roses de cet arbrisseau rampant et épineux dis-
traient agréablement la vue de la monotonie des solitudes déser-
tiques.
Les médecins arabes font un grand usage du bois de câprier dans
les maladies chroniques et notamment dans la dyssenterie.
VÉGÉTAUX. 153
CISTINÉES.
HeLIANTHBMCM SESS1L1FL0RUM PCFS.
Semhari, Reguîg (aro^e) ; Tahaouat, Tahesouet {temâhaq).
Reconnu en cinq stations dans la région de r*£rg, entre El-Ouâd et Gha-
dàmès; commun aux environs de Ghadâmès, dans les plaines au pied du
Ahaggàr et entre El-Golêa' et Methllli.
Récolté dans la Hamàda de Tlnghert, près de la Gara de Tlsfln, le 16 sep-
tembre 1860.
Plante de sables, mangée par les chameaux.
Helianthemum Cahiricdm Delile.
Rega {arabe); Aheo {temâhaq).
Récolté dans rOuàd-Mez&b. Commun dans les environs de Ghadâmès.
Plante sans importance.
Helianthemum Tcnetanum Coss. et Kral. in Bull. Soc, bot.
Récolté le 18 mars 1860, entre El-Hàmma et Gàbès, dans un pays aride et
rocheux.
Cette plante est sans importance pour l'alimentation des animaux.
RÉSÉDACÉES.
Reseda stricta Pers.
Récolté dans les montagnes de Keriz, le 12 mars 1860.
Plante sans importance.
FRANKÉNIACÉES.
Frankenia pdlverdlenta L.
Guenoûna, Melêfa {arabe).
Récolté autour des mares des dattiers , dans les jardins de Ghard&ya , en
1859, et dans ceux de Sldi-Khelil, le 5 juin 1860.
Celte plante aime Tombre et les endroits humides. Sans impor-
tance.
Frankenia pallida Roiss. et Reut.
Melêfa {arabe).
Récolté sous les dattiers de Sldi-KhelU, le 5 juin 1860.
Même observation que ci-dessus.
154 TOUAREG DU NORD.
MALVACÉES.
Malva parviflora L.
Khoubbîz {arabe).
Récolté en 1859, dans les jardins de Ghard&ya.
Plante émolliente, employée comme médicament par les indi-
gènes.
Hibiscus escclentus L.
Meloûkhîa (arabe).
Le meloûkhîa (gombo des Européens) est le légume favori des
Orientaux, aussi le cultive-t-on dans tous l'es jardins potagers des
oasis. C*est un fruit très-mucilagineux, sain et d'une digestion facile.
On le mange en ragoût avec la viande.
On l'emploie également cru en salade.
GossYPiLH viTiFOLiuM Lmk.
Koton-bernâoui (arabe) ; Tàbdoûq (temâhaq).
Récolté le 21 Juin 1861, à Mourzouk, où ce cotonnier est cultivé.
Ce cotonnier, cultivé dans tout le Fezzân, a été importé du Bornou
(Afrique centrale), ainsi que Tindique son nom arabe. Il est à courte
soie. Dans les graines que j'en ai rapportées, M. Hardy, directeur du
jardin d'acclimatation d'Alger, a reconnu deux variétés : Tune blan-
che et Tautre nankin.
GOSSYPIUM HERBACEDM L.
Koton-fezzâni (arabe) \ Tàbdoûq (temâhaq).
Récolté le 22 mai, à Tekertiba, oasis de TOuàdi-el-Gharbl, et à Mourzouk,
le 24 juin 1861, où il est cultivé.
Le cotonnier du Sahara ne peut figurer ici que pour mémoire,
en raison du peu d'importance de sa production. Cependant, il y est
cultivé et à très-bas prix; c'est là un point important, car le bas prix
résulte de l'abondance de la main-d'œuvre et des conditions clima-
tériques qui rendent cette culture certaine , sans exiger aucun travail
sérieux autre que celui de la cueillette, conditions qui ne peuvent
être modifiées.
Au Fezzân, j'ai trouvé le cotonnier en fleur au mois de juin, c'est-à-
•jôiaidAna H W ôp uissdp un sjide.a
'vaixuaxaj. aa aovnu aa an.v — ' 'z> '^\A
iOUJ^eAna H *K ^P uissop un sçadE.i]
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•Il 13 01 3\d
CCI D^BJ
A W
VÉGÉTAUX. 155
dire à l'époque où il commence à sortir de terre sur le littoral algérien.
11 en est de même au Touât.
Dans ces deux archipels d*oasis, rien ne sollicite la production,
limitée aux besoins des ménages ; car on y reçoit de l'Europe et de
l'Afrique centrale des étoffes qu'il est plus commode d'acheter. Mais,
dans ces deux districts , il y a un excédant de population qui est
forcé d'émigrer pour aller demander des moyens d'existence à d'au-
tres contrées, et il préférerait trouver sur place l'emploi de ses bras.
Il s'adonnerait donc volontiers à la culture du coton, si ce produit
avait un débouché régulier et assuré.
L'espace non plus ne manque pas, car avec des puits on peut
créer des oasis partout où la terre végétale recouvre la roche et les
sables.
Si le Touât et le Fezzân paraissaient trop éloignés des ports de
l'Algérie, ou si leur situation en dehors de notre colonie devait être
un obstacle à des encouragements directs à une culture développée, il
y a, dans le Sahara algérien même, la zone des puits artésiens, qui
peut produire le coton courte soie dans des conditions climatériques
et de main-d'œuvre analogues à celle du Fezzân et du Touât.
Là, le nègre est dans son climat de prédilection, et dès qu'il saura
qu'un jçouvernement capable de le faire respecter y creuse des puits
pour cultiver le coton, il y viendra, et il suffira de lui donner de bonnes
graines et de lui enseigner les meilleures méthodes de culture.
J'ai rapporté des graines du cotonnier fezzanien et du cotonnier
soudanien, pour être ensemencées au jaMin d'acclimatation d'Alger.
On ne tardera pas à être fixé sur leur valeur comme semences à pro-
pager en Algérie.
A U R A N T I A C É E s.
CllTRUS MEDICA L.
Chedjret-el-Lîm {arabe).
Un seul citronnier existe dans l'oasis de Ghadàmès. Je ne pense
pas qu'il y en ait à Rhàt. Au Fezzân, on en compte quelques-uns.
Au Touât, ils doivent être rares aussi.
Si un arbre , dont le fruit est si précieux dans la saison des
grandes chaleurs, n'est pas plus répandu dans les oasis, c'est que
probablement il y résiste à l'acclimatation.
1&6 TOUAREG DU NORD.
CiTRUS AURANTIUM L.
Chemmâm (arabe).
L'oranger réussit un peu mieux que le citronnier et il y est un
peu plus comniun, sans œsser d*être rare cependant.
Les oranges des oasis, même celles du Zibân , sont loin de valoir
celles du littoral méditerranéen.
âmpélidéës.
VlTIS VlKilFBRA L.
Dâlia (arabe).
La vigne est cultivée dans toutes les oasis. Le 12 juillet 1861, les
' raisins étaient mûrs à Trâghen, au moment de mon passage.
Le raisin frais, *aneb, qui en provient, de qualité inférieure, est
mangé en fruit. Le raisin sec, zebîb, qui entre comme condiment
dans le couscoussou, est tiré du Nord.
D'après les renseignements qui me sont fournis, il existerait dans
les montagnes du Ahaggâr trois variétés de vignes sauvages aux-
quelles les Touareg donnent les noms de tezzebibt, de tâlekat et
telôkat.
Le raisin des vignes sauvages, toujours petit, est de qualité infé-
rieure.
Le Touât paraît posséder quelques bonnes variétés de raisin.
Les musulmans ne font jamais de vin , mais ils conservent des
raisins cuits et confits dans le sucre ; ils donnent à cette prépara-
tion le nom de robb^l-'aneb.
GÉRANIACÉËS.
Erodium glaucophtllum Ait
Sa'adân (arabe).
Récolté le 7 mars, entre Guett&ra-Ahmed-ben-*Amàra et Nafta, et le 12 mars
dans les montagnes de Keriz.
Cette petite plante affectionne les terres de heycha.
ZYGOPHYLLÉES.
Tribdlcs megistoptbrcs Kral. in Ann. se. nat, var. magrocarpus.
Bôriel (iemôhaq).
VÉGÉTAUX. 157
Trouvé et récolté dans une station unique, le 5 mars 1861, à Tiferghaslo,
entre Ghad&mès et Rh&t.
Sans importance.
Zygophtlluh Gesliri Coss. in Bull. Soc, bot,
Bou-grîba, Agga {arabe).
Récolté le 13 mars 1860 sur les bords de laSebkha de Sedàda.
Affectionne les terres salines des sebkha.
Fagonia Sinaica Boiss.
Choreïka {arabe).
Récolté le 12 mars 1860 , dans les montagnes de Kerlz et près de la Gara
de Tisfln^ aux environs de Gbadàmès. Abondant dans les dunes.
Malgré ses épines, les chameaux ne dédaignent pas cette plante.
Fagonia frdticans Coss. in BtUl. Soc, bot,
Chega'a, Reguîg {arabe).
Récolté en septembre 1859, entre Hàssî-Dhomrân et Chaâbet-Timedaqsin ,
sur la route de Metblili à El-Golèa' , et sur la bam&da , près de la G&ra-
Tlfsln, aux environs de Gbadàmès, le 16 septembre 1860. ^
Assez commun, quoique rare dans le Sahara algérien.
Balanitbs iEGYPTiACA Delilo.
Hadjilidj {arabe local), Heglig {arabe d'Egypte), Tebôraq {temâhaq),
Tchaïchot (au Touât), Addaoua (au Haoussa),
Trouvé, chargé de fleurs et de fruits, le 3 mars à In-Ezz&n, et le 4 mai 1861
à Tîterbsîn.
Sa limite Nord est au pied des montagnes du TasUi. On le trouve aussi
dans le Ahaggàr et au Touât , mais à Tétat isolé , sans être rare.
Son tronc, d'une circonférence del"àl"50 environ, s'élève à
5 mètres de hauteur sous branches. Dans les pays où cet arbre est le
plus commun, son bois est employé à faire des planchettes, des
colliers, ce qui indique qu'il est fln et très-dur. Chez les anciens
Égyptiens, on en faisait des statues. On dit aussi qu'il sert à l'éclai-
rage à la façon du bois résineux.
Ses feuilles, persistantes, sont petites et charnues; quand elles
sont nouvelles, on les cueille pour en assaisonner les aliments, sur-
tout dans les contrées où le sel manque. Elles sont aussi employées
pour déterger les plaies de mauvaise nature.
158 TOUAREG DU NORD.
Des épines formidables défendent les feuilles et les branches
contre les attaques de la dont des animaux.
Son fruit, ibcn^â^hen, qui a la grosseur d'une forte jujube allongée,
est enveloppé dans une écorce jaune, mince, qu'il faut enlever pour
arriver au noyau.
Le noyau, de nature cornée, très-dense, jaunâtre, est recouvert
d'une pulpe brune qui s'enlève facilement avec Tongle et se délaye
dans Teau.
L'amande que contient le noyau, de la grosseur d'une arachide
ordinaire, d'un jaune verdàtre, a un goût d'amertume légère.
Avec la pulpe, d'une amertume plus prononcée encore, on prépare
une pâte à laquelle on attribue la propriété de guérir les maladies de
la rate et de tuer le ver de Guinée (vena medensis).
Avec le fruit, débarrassé de son amertume par la macération, on
prépare une pâte, sucrée avec du miel.
RUTACÉES.
RUTA BRACTEOSA DC.
Djell, Jell, Fîdjel {arabe) ; Issîn {temâhaq).
Récolté le 7 novembre 1860, sur l'Ouàdi-Tîji, près de Djàdo.
Dans les oasis, on attribue à l'odeur de cette plante la propriété
d'éloigner les scorpions des habitations.
Ses feuilles et ses graines sont employées comme médicaments.
Haplophyllum tuberculatum Adr. de Juss.
Chedjret-er-rîh (arabe).
Récolté le 17 septembre 1860 sur TOuàdi-Aouàl, au Nord-Est de Ghad&niès.
Cette plante, ainsi que l'indique son nom arabe, Varbre au vent^
est employée contre les douleurs causées par les refroidissements.
Peganum Harmala L.
Harmel {arabe); Bender-tifîn {temâhaq).
Très-commun dans TOuàd-Mezàb, où je Tai récolté. Signalé en plusieurs
stations, dans les montagnes, entre Rb&t et In-Sàlab.
Cette plante, dont « chaque racine, chaque feuille, dit le Prophète,
« est gardée par un ange, en attendant qu'un homme y vienne cher-
« cher sa guérison, »> est très-employée par les indigènes dans tout
le Sahara.
VÉGÉTAUX. 159
Avec sa graine on fait une huile , zH-el-harmel , qui s'exporte au
loin.
J'aurai l'occasion de revenir sur les propriétés de cette plante.
rhâmnéës.
ZiZTPHUS SPIIfA-CHRISTI WiUd.
Zegzeg (arabe), môme racine que zizyphus; Korna (au Fezzân);
Abaka {temâhaq); Nabq {en Egypte); Sidr {traducteurs et commenta-
teurs du Coran),
Cet arbre est cultivé dans le Fezzân , et particnlièremeot daioB TChiàdi-el-
Gharbt, près deDjerma. Cest deTekertiba, dans la même oasis, que
provient l'échantillon de mon herbier. Je Ta! également récolté à Nafta,
le 9 mars 1860.
Ainsi que l'indique son nom scientifique, cet arbre passe pour
avoir fourni la couronne d'épines qui ensanglanta la tête de Jésus.
Pour ce motif et malgré le triste souvenir qu'il rappelle , ce jujubier
est l'objet d'un certain culte chez les chrétiens d'Orient.
Chez les musulmans, il est non moins vénéré, car, d'après le pro-
phète Mohammed, le sidr est un arbre du paradis, et il y en a même
un dont la tête est assez considérable pour qu'un cavalier, en un
siècle, ne puisse traverser l'ombre qu'il projette.
Au chapitre 66, verset 17 du Coran, il est dit :
« Le sidr est un arbre sous lequel les élus du paradis feront leur
u séjour. »
Ainsi, à des titres bien différents, cet arbre se recommande à la
mémoire des hommes religieux de l'Orient et de l'Occident. Les pèle-
rins de Jérusalem en rapportent des branches pour orner leurs ora-
toires, les musulmans en récoltent les feuilles, dont ils font une
décoction pour lotionner les morts, afin de donner à leurs dépouilles
terrestres un avant-goût des jouissances du paradis.
Indépendamment du culte dont il est l'objet , ce jujubier forme
un bel et grand arbre qui contribue à l'embellissement des oasis.
Son fruit est d'un goût assez savoureux quand il est frais. 11 est
recherché comme aliment.
Ses feuilles sont employées comme anthelminthiques.
Le jujubier couronne du Christ est aussi cultivé dans la Tunisie
et môme en Algérie , dans le Zibân. En cette dernière contrée , il
atteint des proportions assez considérables pour être remarqué.
160 TOUAREG DU NORD.
ZizYPHUs Lotus L.
Sedra {arabe); Tâbakat {temâhaq).
Ce Jujubier nain, si commun dans le Tell de TAlgérie et dont les épines
sont si redoutables pour les vêtements, apparaît de temps à autre, jusqu'au
pied des montagnes du Taslli. Près de Djerma, dans le Fezzàn, j'en ai
retrouvé un pied unique, vers la môme latitude que sur la route de Gha-
dâmès à Rhât. Je Tavais également rencontré dans le Mez&b et entre
Methim et El-Golêa*.
Mes itinéraires par renseignements le signalent sur le versant Nord du
Ahagg&r, mais pas au delà.
Son fruit est comestible, il a un goût sucré légèrement acidulé,
agréable pendant la saison des chaleurs, mais pas assez pour faire
perdre aux étrangers le souvenir de leur patrie, ainsi que le dit
Homère.
Ce fruit est-il bien le même que celui qui a donné son nom aux
Lotophages? Il est permis d'en douter, car la description de l'arbre et
du fruit que nous donnent Polybe et Hérodote se rapporte peu à la
baie que les Arabes appellent nabqa et les Touareg ibakâten.
Mohammed (le prophète) , qui devait se connaître en botanique
désertique, autant que les savants qui ont assimilé le nabqa au Lotus
des anciens, ne se trompe pas quand il qualifie le saveur du fruit
du sedra.
Les habitants de Saba s'étant rendus coupables de pacte avec
l'erreur, il les punit en convertissant leurs jardins, couverts de fruits
délicieux, en d'autres jardins produisant des fruits amers, et au
nombre de ces fruits flgure celui du sedra.
TÈRÉBINTHACÉES.
Rhcs dioica Willd.
Djedârîa, Djedâri (arabe); Dezougguert {berbère-nefoûsien); Teh6-
naq {temâhaq).
Récolté le 18 novembre 1860, sur rOuâdi-Tirhît ; le 3 mars 1861, à In-
Ezzàn, affluent du bassin derTUerhsln; trouvé en trois stations entre
Ghad&mès et Rhàt; signalé dans les montagnes entre Rhàt et In-S&lah,
ainsi que sur le plateau de T&demàyt, entre In-Sàlah et Methlili.
Antérieurement, j'avais constaté la présence de cet arbuste dans les vallées
du Djebel tripolitain, dans le Sud de la Tunisie et même autour de quel-
ques rhedtr du Sahara algérien.
L'écorce des racines et de la tige de ce sumac est recherchée pour
VÉGÉTAUX. 161
le tannage des peaux de moutons. On en fait un commerce assez
important par Gâbès. Les Touareg l'emploient aussi aux mêmes
usages. Ils l'appellent aoufar.
LÉGUMINEUSES.
Crotularia SaharjE Coss. sp, nova.
Observé en une station unique, sur la Hamàda de Ttnghert, près Ghadà-
mès, et récolté le 13 septembre 1860.
Cette espèce nouvelle, dénommée par M. le docteur Cosson , n'a
encore été ni décrite ni publiée.
Retaua RiCTAM Webb in Ann, sr. nat.
Retem {arabe); Telit (lemâhaq).
Récolté dans le Sahara algérien ; reconnu sur onze points de ma route, entre
Ghadàmèset Rh&t, où, avec le Calligonum comosuniy il fournit le seul
bois de chauffage à l*u3age des caravanes ; signalé comme étant commun
dans les montagnes dii Àhaggàr.
Cet arbrisseau atteint.de 1 à 2 mètres de hauteur, rarement 3.
Les branches du retem, nous apprend M. le docteur Cosson, ont
été utilisées à Géryville par le Génie militaire pour remplacer les
lattes dans la construction des plafonds et des terrasses.
Ses feuilles recherchées par les chèvres et les chamelles commu-
niquent à leur lait un goût d'amertume prononcé.
Ses racines sont employées en décoction comme vermifuges.
Genista Sahar/E Coss. et DR. in Bull. Soc. bot.
Merkh {arabe).
Récolté dans le Sahara algérien, le 20 février 1860.
Cet arbuste ne paraît pas s'étendre dans le Sud. Dans le Nord, il
forme de gros buissons.
Genista?
Hana {arabe); Asabay {temâhaq).
Sur ma route, de Ghadàmès à Rhàt, de Rh&t à Mourzouk, J*ai rencontré, en
trois stations, notamment le 3 mars 1861, 'à In-Ezzân, un genêt très-
connu des indigènes, sous ses noms arabe et tem&haq. Je ne Tai pas
récolté, parce quMl n'avait ni fleurs ni fruits. On le signale comme étant
plus commun dans les montagnes entre Rh&t et In-S&lah.
J'appelle l'attention des voyageurs sur cette espèce ligneuse , si ,
plus heureux que moi, ils peuvent la récolter dans des conditions qui
permettent de la déterminer.
162 TOUAREG DU NORD.
Par sa forme, cet arbuste rappelle celles du Relania Rœtam et des
Ephedra,
Le 3 mars, les gousses vides tenaient encore à la plante.
Ononis angdstissim a Lmk.
Récolté le 12 mars 1860, dans les montagnes de Keriz.
Plante sans importance.
Trigonella angdina Delile.
Nefel {arabe); Ahazès (lemâhaq).
' Trouvé en sept stations , entre Ghadàmès et Rhàt; récolté le 9 février 1861,
dans rOuâdi-Târat.
Bon fourrage. Quelquefois cette Léguraineuse forme des prairies
dans lesquelles les caravanes font des provisions de route.
Trigonella laciniata L. ixir,*i
Handegoûg { arabe)] Ahazès {teinâliaq).
Récolté à S&ghen, en fleurs, mais sans fruits, le 3 janvier 4861; reconnu
en dix stations, entre Ghadàmès et Rhàt; signalé sur quelques points,
entre RbAt et In-Sàlah.
Cette plante, qui croît volontiers dans les lits des ouâdi après les
pluies, est très-recherchée par les animaux.
LOTCS Creticds L.
Récolté les 17 et 21 mars 1860, aux environs de Gàbès.
Petite plante.
LOTDS corniculatcs L.
Nedjem {arabe).
Récolté dans la Ghâba de Sedàda, aux environs du Ghott-eUDjérld, le
i3 mars 1860.
Petite plante fourragère.
Inbigofera argentea L.
iNîla {arabe); Bâbba {lemâliaq).
Récolté le 4 juin 1861, dans les jardins de Tessâoua. Cultivé dans le Fezzàn
et au Touât.
La culture de Tindigotier n'est pas très-développée dans les oasis,
non qu'elle n'y r/'ussisse, mais parce que les Oasiens, se procurant
facilement Tindigo par les caravanes du Soudan, préfèrent réserver
leurs terres pour des céréales.
VÉGÉTAUX. 163
On prépare l*indigo par la macération de la plante et par l'éva-
poration à Tair de sa partie aqueuse qui surnage au-dessus du résidu.
On verra plus loin quel usage particulier en font les Touareg.
' AsTRAGALus GoMBO Coss. et DR. iD BulL Soc. bot.
Foggoûs-el-Hamîr {arabe).
Récolté dans rOo&d-Mez&b où il est assez commun.
Sans usage.
AsTRAGALus PROLixcs Sieber.
Adreylal (temâfiaq).
Récolté à Tin-Tèrdja, le â mars 1861, sur la route de Ghad&mè» à Rh&t,
reconnu aussi sur deux autres points.
Petite plante fourragère rampante.
ASTRAGALUS HaUARENSIS BoiSS.
Tàmerazraz {temâhaq).
Récolté à Tln-Têrdja, le 3 mars 1861. Station unique.
HippocREPis ELEGANTULA Hochst. m Schimp. PL Arab. eocsicc,
Têskart {temâhaq).
Récolté à Tin-Tôrdja, le 3 mars 4861. Stajtion unique.
Alhagi Maurorum DC.
'Agoûl (arabe).
Reconnue en six stations, dans la Ghergutya, entre Mourzouk et Zoulla, où
cette plante est assez abondante pour qu'elle couvre, sur plusieurs lieues
d'étendue, tous les espaces que la culture ne lui dispute pas.
Elle ne figure pas (fans mon herbier. J'ai cru inutile de recueiUir une es-
pèce dont les caractères sont tellement reconnaissables, qu'elle porte le
même nom indigène dans toutes ses stations , de la Perse au Sénégal. Je
ne crois pas, d'ailleurs, être le premier voyageur qui signale son existence
dans l'Est du Fezzàn, car 1' 'agoûl y constitue un fait de peuplement si
exceptionnel, qu'il a dû appeler l'attention de tous ceux de mes devan-
ciers qui ont reconnu, exploré ou simplement traversé la Chergutya.
Les indigènes du Fezzàn mangent les longues racines de cette
plante. A cet effet, ils les font sécher; après quoi, ils les réduisent en
farine par la mouture.
Tous les ruminants domestiques et même les sauvages, chameaux,
chèvres, moutons, gazelles, mangent les sommités de T'agoûl malgré
les épines qui les défendent. L'àne lui-même ne les dédaigne pas.
Il ne paraît pas que cette plante fournisse aux Fezzaniens la
16Ù TOUAREG DU NORD.
sécrétion qu'on a appelée dans l'Orient la manne des pèlerins; car
cette production ne m'a pas été signalée au nombre des produits
utiles de cet arbuste.
Il était en fleur en juillet.
Ldpinus vabius L.
Djezey-Fôk, regarde soleil (temâhaq).
Récolté le 5 mars 1861 à Titerhsln. Reconnu seulement en deux stations
entre Ghadàmès et Rhàt.
Acacia albida Delile?
Ahadès, Ahatès (temâhaq); Agawô (enhaoussa).
Récolté le 4 mai 1861 près des ruines du ch&teau de Serdélès, sur un arbre
gigantesque, mais unique dans le pays des Touareg Aidjer.
Signalé comme étant plus commun, mais toujours à Tétat isolé, dans 1^
montagnes du Ahaggftr.
La cime de cet acacia atteint 15 mètres au moins de hauteur. Son
tronc colossal, duquel s'élèvent cinq grands rejetons remarquables par
leurs énormes dimensions , semble avoir été couché par les venta
depuis fort longtemps. ( Voir la planche ci-contre.)
D'après la tradition, il y a un trésor enfoui là où s'arrête l'ombre
de l'arbre à T'aser (3 heures du soir); mais on ne l'a pas encore trouvé.
Acacia Arabica Willd.; Benth.
Talha {arabe); Absaq {temâhaq); Guerodh {au Fezzân).
Récolté le 7 mars 1861 dans les Jardins du Fezzàn, mais il croit aussi spon-
tanément en forêts , car j*ai constaté qu'il constitue seize massifs entre
Ghad&mès et Rhàt, et vingt-deux entre Rhàt et Mourzouk, et j*ai déter-
miné sur mes cartes itinéraires l'étendue de chacun des trente-huit bois
qu'il forme.
J'ai acquis aussi la certitude que le talha existe en forêts dans le Taslli des
Azdjer, dans les montagnes du Ahaggàr, sur le plateau de Tàdemàyt et
dans tout le Touàt, ce qui est confirmé, pour cette dernière station, par
M. le commandant Colonieu, qui Ta trouvé dans les oasis du Gouràra.
Plus au Nord, M. Pélissier avait antérieurement constaté son existence au
BoOl-Heudma, dans le Sud de la régence de Tunis, où il constitue une
forêt de plus de 30 kilomètres de longueur.
Ce n'est pas d'aujourd'hui que le talha est signalé dans les mômes
contrées. Voici ce qu'en disait Léon l'Africain il y a trois siècles :
(( Et-talche est un grand arbre épineux, ayant les feuilles comme
« le genèvre, et jette une gomme semblable au mastic, lequel est
« pour les apothicaires africains sophistiqué avec cette gomme,
PI. VI.
Page Ifil.
Fip. 12 et 13.
Fip. 1. — VUE i>ES nriNES t>r cnÀTE\r n'Ar.iiREM, a serdélès
( PHIHK Dl' CÔTli niKSTJ.
D'après ua dessin de M. H. Duvej'rier.
Fig. 2. — AHATès (acacia albida ).
(aubrr nrdAiHTRSQi'R PRfcs' nit châtrât ruink df sp.Rnéi.fcp. )
r)';»pr^«i un dessin H" Nf, lî. OuvovriT
VÉGÉTAUX. 165
« pour ce qu'elle est de semblable couleur et odeur. // s'en trouve an
« désert de la Numidie, de la Libye, et au pays des noirs : mais les
« arbres qui croissent en la Numidie estant ouverts apparaissent
« de telle blancheur au dedans que les autres arbres et ceux de Libye
c( sont violets et très-noirs : mais ceux de "la terre des noirs sont
u très-noirs, et du cœur d'iceus (que les Italiens appellent sangu)
Cl Ton fait de très-beaux et gentils instruments^de musique. Le bois
« violet est aujourd'huy en usage entre les médecins pour guérir le
c( mal de Naples, au moyen de quoy le bois prend son nom de
tt Teffet : bois guérissant de la vérole, »
L'arbre de la Numidie et de la Libye auquel Jean Léon attribue
tant de propriétés est bien le'lalha rencontré par moi dans mon
voyage, mais il ne jouit plus de la même réputation qu'autrefois,
car on se borne à récolter sa gomme, sans exploiter son bois.
V Acacia Arabica des forêts du pays des Touareg atteint les pro-
portions des plus grands amandiers dans le Nord de l'Afrique et en
Provence : 3 niètres environ d'élévation sous branches et 1 mètre de
circonférence. D'après M. Pélissier, ceux de Boû-Heudma seraient non
moins remarquables par leur grosseur et leur grandeur.
La gomme que j'ai récoltée à Oubâri est aussi belle que celle de
la côte de l'Océan. L'échantillon de la forêt du Boû-Heudma, que
M. Pélissier avait envoyé à Marseille, y a été reconnu, par le com-
merce de cette ville , d'aussi bonne qualité que la gomme du Sé-
négal.
La gomme, on le sait, est une production maladive de l'arbre,
provoquée par une haute température et sous l'influence souvent re-
nouvelée des vents du Sud. Elle sort spontanément des gerçures que
la chaleur détermine sur l'écorce de l'arbre; du moins c'est ce que
j'ai constaté dans mon voyage.
On a écrit que la gomme était obtenue par incision ; il est pos-
sible que, pour avoir une plus grande production de gomme\ on se
livre à cette opération , mais elle est inusitée dans les contrées que
j'ai parcourues. D'ailleurs, chez les Touareg, qui manquent souvent
de vivres, la gomme est presque toujours mangée dès qu'elle est
produite, et on ne la récolte, pour le commerce, que dans les oasis
du Fezzân, où l'homme trouve facilement une nourriture plus sub-
stantielle.
J'ai cherché à préciser d'une manière certaine les stations de
166 TOUAREG DU NORD.
V Acacia Arabica dans les parties les plus rapprochées du Sahara algé-
rien, parce que cet arbre est un de ceux que nous avons le plus d'in-
térêt à y acclimater.
Avant moi, M. le docteur Cosson, juge beaucoup plus compétent,
a déjà appelé l'attention du gouvernement sur le choix à faire de
cette essence pour le reboisement des solitudes sahariennes.
D'après les points où sa présence a été constatée ou signalée , il
semble que l'altitude et la qualité du sol lui sojit à peu près indiffé-
rentes. Laf seule condition que réclame cet acacia pour prospérer et
produire de la gomme est d'avoir beaucoup d'air et de lumière.
Dans tous les bois que j'ai parcourus, les arbres sont très-espaces,
ce qui avait déjà été remarqué au Sénégal et au Sud de Maroc.
V Acacia Arabica ne croît pas toujours en arbre : sur la circonfé-
rence des forêts et à l'exposition Nord, il ne forme guère que des
buissons.
Les Fezzaniens et les Touareg considèrent l'acacia broussaille
comme constituant une espèce différente de l'acacia arbre et lui
donnent des noms différents : 'Ankîch (arabe), Tamât (temâhaq); mais
après comparaison des échantillons de V*ankkh récoltés à Ouarâret
avec ceux du guerodh de provenance fezzanienne , les deux ont été
reconnus appartenir à la même espèce.
Les gousses de l"anktch, plus faciles à récolter, sont employées à
la préparation des cuirs.
La broussaille, comme l'arbre, donne de la gomme.
Les fleurs de VAcacia Arabica m'ont paru répandre un parfum
suave qui aurait quelque succès, s'il pouvait être fixé.
Dans l'inventaire des arbres cultivés au Touât figure un acacia
du nom d'aggâra dont les gousses sont aussi récoltées pour la
tannerie.
Cet arbre croît spontanément dans le Ahaggâr où il est connu
sous le nom de Tâdjdjart. 11 m'est indiqué avec la note suivante :
c( Arbre épineux , à graines amères, dont les gousses sont employées
comme tannin. Semblable au talha ou Acacia Arabica y mais distinct
cependant. »
Est-ce, sous un nom différent, une variété de V Acacia Arabica?
Est-ce une autre espèce? Je l'ignore.
Je consigne ici ce détail pour mémoire et à titre de simple ren-
seignement.
VÉGÉTAUX. 167
Cassia obovata Coll.
Senà, Hachîcha, Senà-el-Mekki (arabe); Adjerdjer (lepiâhaq).
Récolté à Oubàri le 17 mai 1861 ; trouvé sur deux points de ma route entre
Ghadàmès et Rhât, sur quatre points différents du Fezzàn, sur un point
entre Methlîli et El-Goléà; signalé comme couvrant de grands espaces à
Wahellidjen et à Arhafra dans les montagnes du Ahaggàr ; très-commun
jdans le pays d'Air.
Le séné pullule partout où les vents portent sa graine. Jadis on le
récoltait en abondance pour le vendre sur les marchés de Tripoli,
mais la concurrence a tellement fait baisser les prix qu'ils ne cou-
vrent plus les frais de transport.
Les Touareg distinguent deux variétés de séné : Vadjerjer-afelâmi
ou séné des autruches, qui est le plus commun, et Yadjerjer-omn-
Anhef, que produisent les montagnes d'Anhef et qui est le séné
noble des Arabes.
Celui du Ahaggâr, qui croît en montagne, est réputé plus actif
que celui des autres contrées.
Les indigènes des pays de production, sur la foi de cette parole
du Prophète : « Procurez-vous du séné ; vous y trouverez des re-
u mèdes contre touteé les maladies, excepté la mort, » en font usage
dès qu'ils éprouvent le moindre mal.
PiSUM SATIVCM L.?
Hammîz, Hommoz, Djeldjelân [arabe).
Cultivé dans les oasis. Près de la source de Tinoûhaouen , entre
Rhàt et le village de Fêouet, j'en ai trouvé un grand champ à matu-
rité le 13 mars 1861. Le propriétaire consentit à m'en vendre. Ce
pois me parut délicieux.
Les indigènes mangent toujours les pois secs et non verts. Les
ménagères aiment à décorer les plats de couscoussou de guirlandes
de pois.
Indépendamment du Pisum salivum, les Oasiens cultivent aussi,
pour le même usage, le Cicer arielinum L., sous le nom de djelbâna.
Lathyrus Ochrds DC.
Garfâla {arabe).
Ce lathyrus est cultivé au Fezzân comme plante fourragère.
Faba vdlgaris Mœnch.
Foula (arabe).
168 TOUAREG DU NORD.
La fève de marais est également cultivée dans les oasis. On la
mange crue ou cuite. Au printemps, les citadins s'en nourrissent
presque exclusivement.
DOLICIIOS...?
Loûbia {arabe).
Le haricot dolichos est plus rare dans les oasis ; cependant il doit
figurer au nombre des plantes potagères qui y sont cultivées.
Medicago?
Guedhob {arabe et lemàhaq).
Sous ce nom, on cultive au Fezzân, comme plante fourragère,
une luzerne qui croît spontanément dans le pays et que j'ai trouvée
en six stations entre Oubàri et Zoulla.
Ne rayant rencontrée ni en fleurs, ni en fruits, elle ne figure pas
dans mon herbier.
Cette plante serait-elle le Medicago pentaajda D G. que Prax a
trouvée dans les cultures tunisiennes?
Trifolu'M?
Foçça {arabt^).
Cultivé au Fezzàn et au Touât comme plauto fourragère, priucipalemeut
pour l'usage des chevaux.
D'après M. le commandant Colonieu, au Touàt, on faucherait
cette Légumineuse tous les vingt jours pour en nourrir les moutons.
Au Fezzân, on vend également cette plante sur tous les marchés.
ROSACÉES.
NEUnAUA PROCUMBENS L.
Saàdân, Kofeïza {arabe) syn. Coss.; Nefel, Anefel (ànefel) ((e-
màhaq),
Ut^colté le 2 mars 1861 à Tin-Tèrdja. Reconnu en huit stations de Ghadà-
mès à Rhàt. Indiqué comme étant commun dans les montagnes entre Rhàt
et In-Sàlah.
Bonne plante fourragère.
AMYGDALÉES.
Amygdalus communis L.
Ghedjret-el-Loûz {arabe); Ibaobaoen {Lemàhaq),
L'amandier, dans le Sahara, rencontre les conditions qui lui con-
VÉGÉTAUX. 169
viennent le mieux, bien qu'il n'existe pas dans les oasis du Nord; on
le trouve à Ghadâmès, àTessâoua et dans les jardins du Fezzân.
Son fruit frais, frek, est très-recherché.
Son fruit sec, loûz, est quelquefois employé en boisson émulsive.
On en extrait une huile, zit-el-loùz, consacrée aux mêmes usages que
chez nous.
L'arbre donne une gomme, ^alk-elrloûz, qui est mangée.
Amygdalus Persica L.
Chedjret-el-Khoûkh (arabe).
Le pêcher réussit mal dans les oasis. Il est rare, ses fruits sont
de qualité médiocre.
La station la plus méridionale de cet arbre est à Tessàoua.
PntNus Armeniaca L.
Chedjret-el-Berkoûk (arabe).
L'abricotier atteint souvent dans les oasis, notamment à Ghadâ-
mès , le développement des plus grands arbres , mais ses friiits per-
dent de leur qualité au fur et à mesure qu'on avance dans le Sud. .
A Tunis et à Biskra, on prépare des abricots secs qui sont vendus
dans le commerce sous le nom de mechmâch.
PRINIS UOMESTICA L.
Chedjret-el-'Aïn (arabe).
Le prunier à fruits oblongs, cultivé dans les oasis du Nord, se
retrouve encore dans les oasis du Sud, mais plus rarement.
POMAGÉES.
Malus commlnis L.
Chedjret-et-Teffàh (arabe).
Le pommier, quoique rare, est aussi acclimaté dans les oasis,
mais ses fruits sont sans goût et mauvais.
Les pommes étaient en pleine maturité à mon passage à Tessàoua,
le 5 juin.
Tous ces arbres importés d'autres climats ne sont pas là dans
leur élément. Sans l'ombre protectrice des dattiers, ils ne pourraient
pas même vivre.
CyDONIA VULGARIS PCFS.
Seferdjel (arabe).
170 TOUAREG DU NORD.
Le coignassier est aussi un des arbres fruitiers cultivés dans les
oasis où il acquiert un développement considérable.
LYTHRARIÉES.
LawSONIA INERlilS L.
Henna (arabe); Anella [temâhaq).
Cultivé dans toutes les oasis, mais particulièrement au Touàt, car on donne
souvent au district qui la produit le nom de Touât-el-Henua.
Le henné affectionne les terres basses, chaudes, humides des
lignes de fonds du Sahara , comme celles de Gâbès , du Nefzàoua ,
du Belâd-el-Djerîd, de TOuâd-Rîgh, d'Ouarglâ et du Touàt, qui con-
stituent une zone de même formation et de môme climat, également
riche en eau et en chaleur, conditions que réclame impérieusement
la culture de cette plante tinctoriale pour atteindre les dévelop-
pements,que désire l'industrie.
Si je suis bien renseigné, le henné peut être cultivé comme
plante herbacée et annuelle, à la façon des plantes fourragères, semé
comme elles, fauch^ comme elles, et séché comme elles.
S'il en était ainsi, le Sahara pourrait produire le henné en grande
quantité et aux conditions de prix fixées par le commerce, qui sont en
moyenne de 1 fr. par kilo.
Au Nord de la ligne des bas-fonds ci-dessus énumérés, le henné
ne vient qu'exceptionnellement à maturité. Aussi, pour toutes les cul-
tures du Tell algérien, il faut demander des graines au Sahara; dès
lors c'est dans le Sahara et non le Tell que le commerce doit aller
chercher le henné dont il a besoin.
Ce que f aurai à dire du henné dans le deuxième volume de cet
ouvrage, au chapitre consacré à la matière commerciale saharientie,
me dispense d'entrer ici dans de plus grands détails sur les divers
emplois de cette plante.
GRANATÉES.
PUNICA Granatdm L.
Roummâna (arabe); Tarroummant (lemâhaq).
Le grenadier est cultivé avec succès dans toutes les oasis.
Son fruit aigrelet convient particulièrement au climat : aussi est-il
très-estimé.
VÉGÉTAUX. 171
Les écorces du tronc et de la racine sont employées comme ver-
mifuges et les feuilles comme hémostatiques.
CUCURBITACÉES.
GccuBiis Melo L.
BetUkha {arabe).
De nombreuses variétés de melons sont cultivéesT)ar les Sahariens.
Celles préférées sont les melons à chair aqueuse, particulièrement
les melons verts d'Espagne.
COCUMIS SATIVUS L.
Foggoûs {arabe): Itekel {lemâhaq).
Le concombre entre pour une part très-considérable dans Talimen-
tation des Oasiens. On le mange généralement avec des dattes, à
rimitation du Prophète, qui disait : « Le froid des concombres com-
pense la chaleur des dattes, et la chaleur des dattes compense le froid
des concombres. »
CUCUMIS GOLOCYNTHIS L.
Handhal {arahe)\ Alkat {tcmâhaq)\ Tajellet {mesabite).
Récollé le 18 janvier 1859 dans l'Ouâd-Mezàb et le 24 août 1861 dans les
montagnes de la Soda.
Croit spontanément partout. Rencontré en cinq stations entre Ghadâmès
et Rhât; en deux de Tîterhsîn à la Cherguîya; indiqué dans les mon-
tagnes entre Rhàt et In-Saïah. Assez commun dans le pays des Teboù
pour que la vente de ses graines, aguellet, soit Tobjet d*un commerce.
Les auteurs grecs et romains ont signalé, comme une très-grande
aberration du goût, l'usage que les Troglodites (ïeboû modernes)
faisaient de la graine de la coloquinte. Cet usage s'est perpétué jusqu'à
nos jours. Les graines de coloquinte, débarrassées de leur principe
amer par Tébullition et torréfiées, sont encore vendues aujourd'hui
sous le nom de taberka par les Teboù sur les marchés et recherchées
comme aliment de^luxe.
A l'imitation de mes compagnons de route, j'ai mangé des graines
de coloquinte et je n'ai pas trouvé qu'elles fussent dignes de la répro-
bation des anciens. J'avoue cependant qu'il faut habiter le pays de
la famine pour avoir l'idée de chercher un aliment dans la graine
d'une pareille plante.
La graine de coloquinte, non débarrassée de son principe amer,
est donnée comme boisson, en mélange avec de l'ail, contre les mor-
sures de vipères.
172 TOUAREG DU NORD.
CCCURBITA MAXIMA Ducll.
Guera'a (arabe); Takasâïm [temâhaq).
Le potiron, qui atteint dans les oasis des proportions gigantesques,
est un aliment très-prise dans le Sahara, comme tous les fruits de la
famille des Cucurbitacées.
• GocuRBiTA Pepo Scringe.
Kâboùïa (arabe); Kabêoua {temâhaq).
La citrouille est cultivée concurremment avec le potiron et est
recherchée comme lui.
CucuMis CiTRCLLus Seiinge.
Della'a {arabe); Tiledjest {temâhaq).
Dans les pays chauds, la pastèque est le sorbet le plus agréable
qu'on puisse trouver. On en cultive, dans tout le Sahara, de nom-
breuses variétés à chair rouge, à chair blanche et à chair jaune!
Toutes sont sucrées et très-rafraîchissantes.
Lagenadia vdlgaris Seringe.
Guera*a {arabe).
Cette courge bouteille est principalement cultivée pour son écorce
solide. On en fait des vases, mais surtout des instruments de inusique
à cordes, compagnons obligés de toutes les femmes et de tous les
nègres qui se vengent de l'infériorité de leur position sociale, en
chantant et en dansant, dès que leurs maîtres leur laissent un instant
de liberté.
TAMARISCINÉES.
TaMARIX ARTICULATA Vahl.
Ethel {arabe); Tabarkat {temâhaq).
Échantillon récolté à El-Bedîr le 20 juillet 1861.
La carte itinéraire de mon voyage indique 65 bois de taoïarix , doct 58
entre Ghadàmès et Rhât et 7 entre Titerhsin et la Ghergulya.
Cl\ez les Touareg, le tamarix éthel est Tarbre le plus important
par son nombre, par les proportions qu'il atteint et par les services
qu'il rend.
Sur la ligne de Rhât à Ghadàmès, la limite Nord de cet arbre est
à Tahâla par le 29® degré de latitude ; à partir de ce point, on le
trouve dans tous les bas-fonds des vallées, où il forme quelquefois,
VÉGIÎTAUX. 173
soit seul, soit mélangé à d'autres tamarix, d'importantes forêts qui
rompent la monotonie saharienne.
Au Sud de TAlgérie, Téthel se montre pour la première fois sur
rOuâd-Nesâ inférieur.
Cet arbre, à moins de mutilation dans son jeune âge, pousse en
un tronc unique, qui s'élève à plusieurs mètres de hauteur et porte
généralement de 1" 50 à 2" de circonférence.
A Azel-n-Bangou, un éthel, celui sous lequel le forgeron Bangou
avait établi son atelier, d'où lui est venu ce nom, mesure à sa base
5" iO de circonférence. Cest un véritable géant pour la région saha-
rienne; mais il n'est pas le seul, car j'en ai remarqué d'autres qui
m'ont paru presque aussi gros.
Souvent cet arbre pousse en groupes de quatre à cinq pîeds, mais
toujours distincts lès uns des autres.
Souvent aussi il se ramifie à partir de terre et projette des branches
tortueuses dans toutes les directions.
Son feuillage, composé de fils articulés, retombe gracieusement
comme des plumes. 11 est d'un beau vert bleuâtre.
Le bois de l'éthel, de couleur jaune rosé, léger, tendre, cependant
solide, fournit à l'industrie locale des planches, des poutres, mais
surtout du bois de tour avec lequel on confectionne des plats, des
vases et môme des selles de dromadaire.
Son fruit , nommé par les Arabes adabeh, paraît jouir de pro-
priétés astringentes et tannantes très-marquées, car on l'emploie con-
curremment avec la galle de cet arbre et celles des autres tamarix
sahariens à la préparation des cuirs.
La galle des tamarix, nommée takaout, est un des meilleurs
tannins connus. J'aurai l'occasion de revenir sur ce produit dans le
deuxième volume de cet ouvrage.
L'éthel n'est pas partout apprécié comme il l'est dans le
pays des Touareg, car on lit dans le Coran, chapitre XXIV, ver-
set 15 :
« Dieu, pour se venger des habitants de Saba, rompit les #gues
« qui les préservaient de l'inondation, et leurs jardins furent envahis
« par l'éthel. »
Arbre de malédiction à Saba, l'éthel est souvent béni dans le
Sahara pour l'ombre qu'il donne aux voyageurs après des marches
pénibles.
174 TOUAREG DU NORD.
Tamarix Gallica L.
Tarfa, Elhel {arabe); Tabarkat (temâhaq).
Échantillons rapportés de la Heycha de Chegga^ le 25 novembre 1859; d'El-
Faidh le 31 mai; de rOuâdi-'l-Ethel, le 17 octobre; de rOuàdi-Tirhît, le
18 novembre 1860; de Tekertlba, le 28 mal 1861.
Les indigènes confondent souvent cette espèce avec la précédente,
parce qu'elles peuplent les mêmes forêts, donnent les mêmes produits
et servent aux mêmes usages. J'ai pu constater cette confusion par
le nom d'Ouàdi-1-Ethel, qu'ils donnent à des vallées dont les lits
sont couverts des deux espèces et quelquefois même du T. Gallica seul,
à l'exclusion de Varliculala.
Le Tamarix Gallica, qui est l'espèce dominante dans le Tell, paraît
s'étendre très-loin au Sud dans le Sahara.
Le bois de cet arbre, presque toujours atteint par la pourriture,
dans le Nord, ce qui le rend impropre à tout usage, paraît conserver
toutes les qualités d'un bois d'œuvre dans le Sud.
Tavarix paugiovulata J. Gay.
Tarfa, Ethel, Azaoua (arabe); Tàzaouat, Tabarkat (temâhaq).
Récolté le 11 décembre 1860, sur rOuàdi-Sodof, et le !«' janvier 1861, à
S&ghen. Parait commun dans les vallées du Âbaggàr.
Mélangé dans les vallées avec les précédents, il est souvent con-
fondu avec eux.
Tamarix Africana Poir?
Tarfa {arabe).
Récolté à 'Aîn-ed-Dowtra le 4 février 1860.
Tamarix Africa?ia var, laxiflora J. G&y.
Tarfa {arabe).
Récolté aux environs de Nafta le 8 mars 1860.
Ces deux dernières espèces, communes sur le littoral, semblent
affectionner des stations septentrionales, car je ne les ai pas trouvées
au delà de la zone de V 'Erg.
PARONYCniÉES.
SCLEROCEPHALIIS ArABICUS Boiss.
Tasakkaroût {leinâluiq).
Récolté à Tiferghasin, entre Ghadàmès et Rh&t, le 5 ma^s 1S61.
VÉGÉTAUX. 175
Cette plante , ainsi que l'indiquent son nom botanique et la sta-
tion dans laquelle elle a été trouvée, appartient aux régions chaudes
du Sahara.
PORTULACÉES.
PORTULAGA OLBRACEA L.
Ridjla {arabe) ; Benderâkech {temâliaq).
Le pourpier est une des cultures des oasis et une de celles qui
réussissent le mieux.
Indépendamment du ridjla, on trouve encore deux autres variétés
de pourpier : le tafrîta et le boguel , ce dernier connu aussi sous le
nom de bortoulâkech , probablement parce qu'il a été importé du
Portugal.
, FICOIDÉES.
AizooN Canariense L.
Taouit (temâhaq).
Trouvé et récolté dans une station unique, à Ttn-Arrày, le i*' mars 1861.
Cette plante est mangée par les Touareg, ce qui implicyie qu'elle
est assez commune dans d'autres contrées de leur pays.
NiTRARIA TRIDENTATA Dcsf.
Ghardek (arabe); Âtarzîm [temâhaq).
Échantillon du Sahara algérien, récolté entre 'Oglat-Setîl et Merhayyer, le
3 juin 1860. Reconnu en six stations entre Tlterhsîn et le Chergutya^
principalement entre Mourzouk et Zouîla, où il dispute le sol à VAlhagi
Maurorum.
(( Le fruit de cet arbrisseau, damouch, est une baie rougeâtre, dit
« M. le consul Pélissier, d'un goût exquis, mélange de ceux de la
« fraise, de la framboise et de la groseille. L'effet de ce fruit sur
« l'organisme, ajoute-t-il, est une fraîcheur viviflante, disposant Tes-
« prit à la gaieté et laissant dans la mémoire de l'estomac une forte
« appétence pour cet aliment suave et presque aérien. »
M. Pélissier, auquel j'emprunte cette appréciation, estime que
c'est là le véritable Lotus des anciens , attendu qu'il croît en abon-
dance dans l'île de Djerba, l'ancienne Lotophagitis,
Adhuc sub judice lis est.
176 TOUAREG DU NORD.
OMBELLIFÈRES.
ÂPIl'M GRAVBOLENS L.
Keràfes (arabe).
Récolté sous les palmiers de Sidi-Khelil.
Plante sans importance.
Dbverra scoparia Coss. et DR. in Bull, Soc. bot.
Gouzzah {arabe).
Trouvé et récolté le 44 novembre i860, dans rOuadi-Tirhît, du plateau
de Tînghert. Reconnu sur la Chebka des Beni-Mezâb. Signalé sur le pla-
teau de Tàdemâyt.
Petite plante, très-odorante, très- commune dans les stations
qu'elle affectionne.
ScANDix Pbcten-Veneris L.
Sennârt-el-Behâïm [arabe).
Récolté dans les environs du Chott-Melghtgh.
. Plante sans importance.
Dadccs Carota L.
Zeroûdïa {arabe); Ezzeroûdîet (temâhaq).
La carotte est cultivée dans les oasis, mais en très-petite quantité.
Cdmiwdm Cyminom L.
Kerouïa (arabe).
Cultivé dans les jardins des oasis comme épice. On mêle sa
graine avec le sel et le poivre pour saupoudrer les alimenls.
Dans les embarras gastriques, on en avarie une pincée matin et
soir.
Dans quelques villes du littoral méditerranéen, on distille la
graine et on en obtient une liqueur, mâ-kerouïa, qui est considérée
comme un spécifique des douleurs intestinales.
Coriandrum sativcm L.
Gouzbîr (arabe).
Cette Ombellifère aromatique est cultivée dans les jardins pour
sa graine connue sous le nom de label.
Le tabel est employé avec le sel et le poivre pour conserver les
VÉGÉTAUX. 177
viandes sèches à Tusage des caravanes. On s'en sert aussi dans les
ragoûts.
La médecine indigène préconise un sirop de graine de coriandre
dans les affections chroniques de poitrine.
COMPOSÉES (CORYMBIPÈRES).
Francgeuria crispa Cass.
Récolté le 20 septembre 1860 à la Guerto de Ben-'Aggiou.
PULICARIA UNDULATA DG.
Ameo (temâhaq).
Trouvé et récolté en une station unique sur TOuàdi-AUoùn le 29 fé-
vrier 1861.
ASTERICUS GRAVEOLBNS DC.
Nogued {arabe); Akatkat {temâhaq).
Récolté sur le sommet de la Gara de Tisfln le 16 septembre 1860 et à
Aghelâd le 8 février 1861.
Reconnu dans les environs de Ghadàmès, en sept stations entre Ghadàmès
et Rhàt. Signalé dans les montagnes entre Rh&t et In-S&lah , ainsi que
sur le plateau de T&demàyt.
Plante sans importance, au point de vue de Futilité.
Anvillba RADIAT a Goss. et DR. in Btdl, Soc, bot.
Chedjret-edh-dhobb, 'Arfej {arabe) ; Tehetit {temâhaq) .
Reconnu dans T'Erg, à Tlterhsln, et à Serdelès.
Récolté le 20 septembre entre Guerâa-ben-*Aggiou et rOu&di-Gober-Sàlah.
Signalé comme étant commun entre Rh&t et In-SâJah.
Cette plante frutescente , qui croît en vastes touffes blanchâtres ,
couvertes de fleurs jaunes au printemps, embrasse souvent de grands
espaces auxquels elle donne un aspect tout particulier.
Gyrtolepis Alexandrina DG.
Récolté dans des lieux incultes à Gâbès^ les 17 et 21 mars 1860.
Sans utilité.
Artbmisia Hbrba-alba âsso.
Chîh {arabe); Azezzeré {temâhaq).
Reconnu de Methlîli à El-Golêà.
Signalé commun entre Rhàt et In-S&lah.
I. 12
178 TOUAREG DU NORD.
Les sommités fleuries de œtte plante sont récoltées, séchées,
réduites en poudre et prises comme digestives.
Quand les Touareg sont venus en France, ils avaient leur provi-
sion de cette poudre et en faisaient souvent usage.
Une décoction de feuilles et de fleurs est donnée aux enfants at-
teints de vers intestinaux.
Artbhisia campestris L.
Chîh (arabe) ; Tiheredjdjelé {temâhaq).
Commun dans le Ahagg&r.
Cette espèce, plus grande que la précédente, sert aux mêmes
usages.
Tanacetuh cinerecm DC.
Robîta {arabe) ; Tâkkilt {Umâhaq).
Récolté le 9 février 4861 sur rOu&di-Taràt. Reconnu en six stations entre
Ghad&mès et Rh&t.
Chlamydophora pubescbns Goss. et DR. CottUa pubescens Desf.
Gartoûfa {arabe), syn. Coss.
Récolté le 7 mars 1860 entre Guettàra-Ahmcd-ben-*Amâra et Gâretr-Djàb-
AUah et le 8 février 1861 à Âghelâd.
Affectionne les terres alluvionnaires salines de heycha. Plante sans
importance.
Senbcio coronopifolids Desf.
Beddâna {arabe) ; Temasâsoui {temâhaq).
Récolté entreGuettâra-Ahmed-bcn-'ÀmàraetGàret-Djàb-ÂUahle 7 mars 1860
et à Sâghen le l**" Janvier 1861.
Croît dans les terrains de heycha.
COMPOSÉES (CHICORAC<BS).
SpiTZBLiA SAHARiE Coss. et Kral.
Tasoûyé {temâhaq).
Récolté sur l'Ouâdi-AUoûn le 29 février 1861.
LOMATOLEPIS CLOMERATA CaSS.
Harchâïa {arabe), syn. Coss.; Rhardélé {temâhaq).
Récolté le 29 février 1861 sur rOuàdi-AUoûn.
VÉGÉTAUX. 179
SONGHDS IfARlTIMUS L.
Sîf-el-Ghorâb (arabe).
Récolté aux environs de Nafta le 8 mars 1860.
Sans importance.
TouRNBCxiA YARiiFOLiA Goss. in BulL Soc. bot.
Récolté entre Hàssi-Dhomràn et Ghâabet-Timedaqsin le 9 septembre 1859.
ZoLLiKOFERiA QCBRCiFOLiA Coss. eiKn\, Sonckus quercifoUw Desf.
Récolté le 12 mars 1860 dans les montagnes de Kerlz.
Petite plante sans importance.
ZoLLiKOFBRiA AN6USTIP0LIA Coss. et DR. Souchus angusHfoHus Desf.
Récolté sur la Hamàda de Tlnghert près de la Gara de Tisfln (environs de
Ghadàmès), le 16 septembre 1860.
ZOLLIKOFBRIA RBSEDiFOLiA Coss. SoTichus chondnUoides Desf.
'Adhîdh (arabe).
Récolté sur TOuàd-Mez&b le 18 juillet 1859 et sur le rivage de la mer à
G&bès les 17 et 21 mars 1860. Gommun dans la partie septentrionale du
Sahara algérien et tunisien.
Recherché par les chameaux.
PRIMULACÉES.
Anagallis arvensis L.
Récolté , le 13 mars 1860, dans les terrains humides aux environs du Ghott*
Melghlgh.
Aime les terrains humides.
Samolds Valbrandi L.
Récolté à Tânout-Tlrekln, près de Djado, le 7 novembre 1860.
OLÉAGÉES.
OlEA EUROPiEA L.
Zitoûna (aroôc) ; Tahatimt (temâhaq).
L'olivier croît spontanément dans toutes les parties de la pénin-
sule atlantique réputées appartenir au Tell {Tellus des Romains),
mais, dans le Sahara, il est toujours une conquête de la culture.
A Tessâoua, capitale de TOuâdi-Otba, ancien centre de civilisa-
tion nègre et Tune des premières villes conquises par les Arabes » on
180 TOUAREG DU NORD.
en trouve d'énormes, à gros fruits, aussi remarquables par leur déve-
loppement que les plus beaux siyets de la même espèce sur le litto-
ral méditerranéen.
Tant à Tessàoua que dans le reste du Fezzân , on en compte une
vingtaine de pieds , tous cultivés pour olives de table. Que je sache ,
ces oliviers doivent être les plus méridionaux de ceux connus sur le
continent africain.
On constate facilement, dans cette localité, qu'on est sur le terrain
d'une zone de transition, car, à côté de cultures soudaniennes, coton
et indigo, croissent l'olivier, le pêcher, le- pommier et le citronnier,
qui appartiennent aux zones plus tempérées du Nord.
ASGLÉPIADÉES.
Periploca angdstifolia LabiU.
Hallâb [arabe).
Récolté dans les ouàdi de la Djef&ra, près de TripoU^ les 18 octobre et
12 novembre 1860.
En 1859^ J'avais rencontré cette plante sur TOuàd-Màssek, entre Methllli et
£l-Golûà.
Cette broussaille est mangée par les chameaux.
Calotropis proceraR. Br.
Korounka {arabe) ; Tôreha {temâhaq).
Récolté à Methllli en joillet et août 1859. Déjà trouvé, en 1858, sur le
même point, par M. le docteur Cosson. Reconnu en quatre stations entre
Gbad&mès et Rhàt. Signalé au Touât.
La limite Nord de cette plante tropicale est à Methlîli, au Sud de
l'Algérie, et dans la Djefàra, plaine au Sud de Tripoli.
La forme et la couleur de cet arbuste rappellent celles du chou
domestique. Sa fleur est blanche à la base et violette au sommet. Sa
tige atteint 2" de hauteur.
Les graines que j'avais envoyées, en 1859, au Jardin d'acclimata-
tion d'Alger, n'ont pas levé, probablement parce qu'elles n'étaient pas
en parfaite maturité. Depuis, je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer
cette espèce en graine.
Les Touareg utilisent la tige de cette plante dans la confection des
selles et des cages de voyage pour les femmes. Au Touât, on l'em-
ploie exclusivement, convertie en charbon, pour la préparation de la
poudre.
PI. VII.
Page 180.
Pig. 14 et 15.
Fig. i. — VUE DE TESSAODA, PRISE DU CÔTÉ NORD.
D'après un dessin de M. U. Duveyrier.
'Vina>»utjji
■Tiiim. ,tniJ
Fig. '2. — i.NScniPTioN colkique sur uime tombe de l/A^CIE^ cimetière
DE TES s VOUA.
U'.iprès un 'sUimpage do M, H. Duvejrior.
. A
VÉGÉTAUX. 181
Les Arabes de la Tripolîtaine, dit-on, s'en servent comme pur-
gatif.
DiBMIA COUDATA R. Br.
Oumm-el-leben {arabe) ; Tellâkh (temâhaq).
Récolté le 24 août 1861 sur TOuâdi-TIn-Guezzln dans la Soda. Reconnu
en deux points do ma route entre Ghadàmès et Rh&t.
GENTIANÉES.
ERYTHRiEA PCLCHBLLA FriOS Vaf.?
Tifechkan (temâhaq).
Récolta près de la source de Serdélès^ le 3 mai 1861.
CONVOLVULACÉES.
Crbssa Crbtica L.
'Achbet-el-mâ {arabe).
RécoUâ sur rOu&di-Aou&I le 17 septembre 1860.
BORRAGINÉES.
Heuotropidm Europ^uh L.
Dhaharet-ech-chems (arabe).
Récolté dans rOu&d-Mezàb, pendant Tété 1859.
ECHIOCHILON FRDTICOSUH Dosf.
Ras-hamrâ (arabe).
Récolté le 7 mars 1860, entre El-Ouàd et Nafta.
Commun dans les terres de heycha.
Sans importance.
Lithospbrmdh callosdh Vahl.
Raima (arabe).
Récolté dans la plaine d'El-Bàla entre Methltli et El-Golèà le 8 sep-
tembre 1859.
Plante des sables, sans importance.
Trichodesma Africanum r. Br.
Tâlkaït (Umâhaq).
Récolté le 1" mars 1861 à Tin-Arrày.
182 TOUAREG DU NORD.
SOLANÉES.
Physalis somnifera L.
Farhaorhao {temâhaq).
Récolté le 17 mai et le 24 juin à Oubàri et à Mourzouk. Commun dans
toutes les oasis du Fezziltn.
Grande plante; narcotique comme les autres Solanées vireuses.
Lycium Mediterranedh Dunal.
Aoused (arabe).
Récolté dans les rochers de DJàdo, le 28 octobre 1860, et à Qaçar-el-IUdJ,
le 18 octobre 1861.
Les Arabes font avec une décoction concentrée de Lycium et le
blanc d'Espagne (Biodh^el-Ouedj) une pâte dont on couvre les yeux,
dans la petite-vérole, pour éviter qu'ils soient atteints.
La même pâte est employée dans les ophtalmies graves,
Hyosctamds Falezlez Coss. sp. nova.
Goungot {arabe tripolitain) ; Falezlez (arabe saharien) ; Afahlehlé
(temâhaq).
Récolté sur l'Ouàdi-Aouâl, le 17 septembre, et sur la Guerâa-ben-'Aggiou, le
20 septembre 1860; commun entre Ghadàmès et Rhftt, dans tout le pays
des Tou® ainsi qu'au Fezzân.
Plusieurs localités, sur le versant nigritien du plateau central du Sahara,
portent le nom de cette plante, Falezlez ou In-Afahlehlé, notamment sur
les routes de Rhàt à Agadez et d'In-S£ilah à Timbouktou.
Le désert de T&oezroûft en est aussi empoisonné, mais elle ne croît plus
au Sud. Cette plante nouvelle parait exclusivement saharienne.
Le falezlez est un poison très-actif pour tous les animaux autres
que les ruminants. Il engraisse les chameaux , les chèvres et les
moutons, et donne la mort, en quelques heures, à l'homme, au cheval,
à l'âne et au chien.
J'ai apprécié les qualités vénéneuses de cette plante dans des
circonstances qui doivent être relatées.
Un jour , mon cheval qui , pour la première fois dans le Sahara ,
rencontrait des feuilles vertes et tendres , se jeta avec avidité sur cet
Hyoscyamus, Les Touareg témoins de son inexpérience m'annoncèrent
la mort très-prochaine de la pauvre béte.
Comme on exagérait toujours à mes yeux les dangers du voyage
d'un chrétien dans le Sahara, je ne voulus pas m'en rapporter au
VÉGÉTAUX. 183
pronostic de mes compagnons indigènes, et, malgré leurs prières de
m' abstenir, je goûtai une feuille de cette maudite herbe et je reconnus
bientôt que les Touareg avaient raison.
Mon cheval mourut en peu de temps et je fus assez gravement
indisposé.
Peu après l'expérience, je fus pris d'un engourdissement et d'un
froid général , avec la vue voilée , tendance et disposition au som-
meil. Je me remis d'abord en prenant quelques gouttes de rhum ,
mais, pendant plusieurs jours, je ressentis les effets de mon impru-
dence.
Mon cheval , qui avait été moins réservé que moi , commença à
se coucher sur le flanc et à donner, de temps à autre, des ruades et
des coups de tête convulsifs. L'œil devint terne tout de suite.
En vain je lui administrai de l'ammoniaque et de l'alcool étendu
d'eau, puis, sur le conseil des Touareg, une boisson faite avec du
poivre rouge et des dattes : rien n'y fit. En quelques heures, l'animal
était ballonné, il n'ouvrait plus les yeux et respirait difficilement.
Dans la nuit il mourut gonflé comme une outre.
Qui le croirait? malgré les dangers de l'usage de cette plante, les
indigènes l'emploient comme aliment et comme médicament! Ses
feuilles récoltées sont transportées , vendues et recherchées sur le
marché de Timbouktou.
Je ferai connaître le mode d'emploi du falezlez en passant en revue
les pratiques médicales des Touareg.
D'après les indigènes, les propriétés toxiques de cette Solanée,
comme celles de beaucoup de plantes, seraient en raison directe de
l'altitude des lieux où elle croît. Presque inoff'ensive aux environs de
Tripoli, déjà dangereuse sur les plateaux du Fezzân, elle devient poi-
son actif dans les montagnes des Touareg. J'ignore si me^ informa-
teurs ne confondent pas des espèces voisines, mais jouissant de pro-
priétés différentes.
Quoi qu'il en soit, dans les cas où cette plante vireuse agit avec
le moins de gravité, elle détermine des accidents cérébraux qui sont
qualifiés de folie par les gens du pays.
VHyoscyamus Falezlez s'élève à 1 mètre de hauteur et met deux
années pour atteindre tout son développement. Il vit pendant 5 ou
6 ans, montrant ses grandes feuilles vertes au-dessus des herbes
sèches de la végétation annuelle.
184 TOUAREG DU NORD.
En attendant la description de cette plante par M. le docteur
Cosson, voici comment elle est définie dans mon journal de voyage :
Racine simple, s'enfonçant verticalement à une certaine pro-
fondeur.
Feuilles larges, charnues, succulentes, d'un vert peu foncé, avec
larges nervures presque blanches;
Calice grand, vert, charnu, à cinq sépales ou échancrures au
sommet ;
Fleur violette;
SoLATiUM Mblougeiva L.
Badîndjâl (arabe).
L'aubergine est encore un des fruits cultivés et estimés dans les
oasis.
Ltcopersigdm escdlbntch Dunal.
Tomâiich (arabe).
La tomate, plus encore que l'aubergine, est commune dans les
jardins des oasis.
Gapsicdm annduh L.
Felfel-el-ahmar (arabe) ; Chitta (temâhaq).
Le piment est le condiment de la plupart des mets africains. On
en cultive plusieurs variétés et en grande quantité, non-seulement
pour l'approvisionnement des citadins, mais encore pour celui des
nomades.
NlCOTlANA RUSTICA L«
Doukhkhân (arabe); Tâba, Tàberha (temâhaq).
La seule variété cultivée dans les oasis est le tabac rustique, qui
est très-fort et dont l'odeur est très-piquante.
C'est au Soûf et au Touàt que les cultures sont les plus étendues.
L'usage du tabac est plus général parmi les indigènes du Sahara
que dans le Tell, et on le prend sous toutes les formes , per fas et nef as.
Chez les Touareg, hommes et femmes fument, et, quoique la fu-
mée du tabac rustique soit très-âcre, hommes et femmes la rendent
par le nez.
Le tabac en poudre est pilé très-fin et mêlé à un huitième de
natron pour lui donner plus de montant. En cet état on le prend par
le nez et par la bouche.
VÉGÉTAUX. 185
Les femmes arabes, mariées à onze ans, mères à douze, vieilles
à vingt , employent le tabac comme aphrodisiaque en s'en saupou-
drant certain organe.
Pour l'honneur de l'humanité, je m'empresse de dire que cet
usage exceptionnel et impudique, inconnu des Touareg, est circonscrit
dans le Sud-Est du Sahara algérien, de Lahgouât au Soûf, particu-
lièrement chez les arabes Nemêmcha. Là , ce mode d'emploi semble
si naturel que la femme n'attend pas, dit-on, d'être hors de la vue de
l'homme pour utiliser la prise qui lui a été offerte.
En raison de ces nombreux usages, le tabac est l'objet d'un grand
commerce dans le Sud.
SCROFDLARINÉES.
LiNARIA FRUTICOSA Desf.
Tâzeret (temâhaq).
Récolté le 4" mars 1861, à Tîn-Arrày.
Plante presque ligneuse.
LlNARIA LAXIFLORA Desf.
Récolté le 1" mars 1860 à Mouî-el-Ferdjân , entre TOuâd-Rlgh et le Soûf.
Commun dans les terres de heycha.
Petite plante sans importance.
OROBANCHACÉES.
Phblipjsa violacba Desf.
Dhânoûn {arabe); Ahêliwen, Timzhellitîn, Fetekchên {temâhaq).
Récolté sur le littoral de Gâbès, les 17 et 21 mars 1860. Signalé en plu-
sieurs stations, dans les montagnes, entre Rhât et In-S&lah.
Cette plante remarquable, à tige unique, sans branches ni
feuilles, haute de 60 centimètres, n'apparaissant que dans les sables,
est mangée dans les temps de disette. A cet effet, disent les indigènes,
on la fait bouillir, puis sécher au soleil, afin de pouvoir la réduire
en farine. La fécule ainsi obtenue est mélangée à d'autres substances
alimentaires.
186 TOUAREG DU NORD.
LABIÉES.
Lavandula multifida L.
Kammoûn-el-djemel , Kerouïet-el-djemel (arabe); Djey (temâhaq).
Récolté sur rOu&di-Arhl&D, près de Djàdo, le 28 octobre 1860; dans le pays
des Harâba, le 42 novembre 1860; à Tîn-Air&y, le 1*' mars 186i. Signalé
comme étant commun dans les montagnes du Âhaggàr.
Cette plante est recherchée par les chameaux à raison de ses pro-
priétés aromatiques.
Thymus hirtds WiUd.
Za'ater {arabe).
Récolté entre H&mma et Gàbès, le 18 mars 1860.
Tous les thyms auxquels les indigènes donnent le nom de za^ater
sont récoltés et employés pour aromatiser les aliments. Les habitants
des pays où ils croissent les échangent dans les oasis contre des
dattes.
Dans la médecine arabe, les thyms sont employés comme sto-
machiques.
Thymus capitatus Link et Hoffm.
Za'ater (arabe).
Récolté sur l'Ouâdi-Tirbît, le 18 novembre 1860.
En général, dans le Sahara, les thyms marquent les lignes des bas-
fonds par lesquelles s'écoulent les eaux pluviales.
SaLVIA iECYPTIACA L.
Récolté sur les berges de TOuM-Mezàb, le 18 juiUet 1859.
Les feuilles et les sommités fleuries de toutes les sauges sont
employées par les indigènes en infusion théiforme, comme excitant
digestif.
Beaucoup d'entre eux mettent volontiers des feuilles de sauge
dans leurs fosses nasales pour y maintenir la fraîcheur.
ROSMARINUS OFPICINALIS L.
Kelîl (arabe); Ouzbîr (berbère).
Récolté dans le pays des Haràba, le 12, et sur rOu&di-Tirblt, le 18 no-
vembre 1860.
Les feuilles de romarin, récoltées dans le Sahara, sont transpor-
VÉGÉTAUX. 187
tées par les caravanes dans l'Afrique centrale comme article d'échange.
On s'en sert pour aromatiser les aliments.
La médecine arabe leur attribue des propriétés vulnéraires : aussi
toutes les plaies récentes sont-^lles couvertes de poudre de romarin.
GLOBULARIËES.
Globdlaria Alypdm L.
Tâselrha (arabe et temâhaq).
Reconnu entre Ghadàmès et Rh&t.
Dans toutes les contrées où pousse cette plante, ses branches et
ses feuilles sont employées en tisane concentrée, et avec succès,
contre les fièvres intermittentes et les éruptions furonculeuses.
PLOMBAGINÉES.
Statigb BoNDDELLii Lestib.
Châchîet-edh-dhobb (arabe).
Récolté sur TOuàd-Mez&b, dans Tété 1859.
StATICE GLOBULARIiEFOLIA Desf.
Messâs (arabe).
Récolté dans l'Ouâdi-Tagotta, le 18 novembre 1860.
Staticb pruinosa L.
Guedhâm-el-ghozâl (arabe).
Récolté dans la heycha de Ghegga, le 25 novembre 1859.
En général, toutes les Statice sont recherchées par les animaux
comme plantes salées.
LiMONIASTRUM GcTONIANUM DR.
Zeïta (arabe); Tafonfela (temâhaq).
Récolté dans la beycha de Ghegga, le 25 novembre 1859; à El-Faîdh, le
31 mai 1860; signalé comme étant commun dans les oasis du Tou&t et
dans les montagnes du Ahagg&r.
Cet arbuste atteint quelquefois les proportions d'un petit arbre et
couvre d'assez grands espaces pour former des bosquets.
Bdbania Feei de Girard.
Melhafet-el-khàdem, Ràs-el-khâdem (arabe).
Reconnu en 1859, entre Methllli et El-Golèà.
188 TOUAREG DU NORD.
L'herbier de cette course, ainsi que d'autres parties de mon bagage,
a été confisqué par les habitants de la ville alors inhospitalière d*El-
Golêa'.
PLANTAGINÉES.
Plantago ovata Forsk.
Halma (arabe).
Reconnu en quatre stations de ma route , entre El-Ouàd et Ghad&mès , du
26 juiUet au 12 août 1860.
Plantago albicans L.
Inem (arabe).
Récolté le 7 mars 1860, aux environs de Nakhlet-eUMengoûb.
Affectionne les terrains de heycha.
Plantago Pstllium L.
Récolté le 13 mars 1860, aux environs du Chott-Mèlghlgh.
La poudre de tous les plantains est employée comme astringent
pour cicatriser les ulcères.
SALSOLACÉES.
Beta vdlgaris L, var. Gicla.
Selk (arabe).
Cultivé comme plante alimentaire dans les oasis.
Atriplbx mollis Desf.
Jell, Djell (arabe).
Récolté dans la heycha de Ghegga, le 25 novembre 1859; reconnu en six
stations, de Titerhstn à la Ghergutya.
Les Arabes attribuent au suc de cette plante la propriété d'amener
la stérilité : aussi les femmes trop fécondes en font- elles souvent
usage.
Atriplex Halimds L.
Guetof (arabe); Aramâs (temâhaq).
Récolté en mai et en octobre 1860, à El-Faidh et à Djàdo. Reconnu en
quatre stations, entre Ghadàmès et Rhàt. Signalé dans les montagnes,
entre Rh&t et In-S&lah, ainsi que sur le plateau de T&dem&yt.
VÉGÉTAUX. 189
Cette plante est recherchée par tous les animaux à cause de la
saveur saline de ses jeunes pousses. L'homme lui-même ne la dédaigne
pas comme aliment. De plus, les Touareg récoltent ses graines qu'ils
mangent en bouillie.
Le bois de sa racine sert de brosse à dent; on lui atttribue des
vertus antiscorbutiques.
On extrait de sa tige une soude que les indigènes appellent melhr
eirguetof. Cette soude, quelquefois employée en médecine, sert prin-
cipalement à la saponification de Thuile.
Cette plante frutescente, qui forme d'énormes buissons, déjà
commune sur les côtes de Provence, s'étend sur le continent africain
du littoral aux confins les plus reculés de mon exploration. Partout où
le sol est un peu salin, on est à peu près certain de la retrouver.
Chenopodium murale L.
Lessîg {arabe); Tîbbi {mezabite).
Récolté à Ghard&ya, en 1859, sur la lisière des jardins et sur les murs
d*enceinte.
Chenopodina tbra Moq.-Tand.?
Souïd {arabe); Tirbâr {temâhaq).
Récolté sur TOuàdi-Tagotta, le 18 septembre 1860.
SUADA VERMICULATA Forsk.
Souïd {arabe); Tirbâr {temâhaq).
Récolté dans les dunes d*El-*Arefdji , près de Negoûsa , le 20 février 1860.
Reconnu aux environs de Gbad&mës.
Traganum nudatcm Delile.
Dhomrân , Souïd-Ahmar {arabe) ; Tirehît {temâJiaq) ; Tâsra {mezor
bite).
Échantillons de rOuâdi-Saâdàna (19 août 1859), entre MethllU et El-Golèà;
reconnu depuis en deui stations, autour de Ghadâmès; en cinq, entre
Giiadàmès et Rhât; en trois, entre Tîterhsîn et la Cherguîya. Signalé
dans le Âhaggàr, plaine et montagne, ainsi qu'au Touàt.
Cette plante frutescente est recherchée avec avidité par les cha-
meaux.
Garoxylom articulatum Moq.-Tand.
Remeth {arabe) ; Ouân-Ihedân {temâhaq).
Récolté, en 1859 et 1860, dans le Sahara algérien et tripolitain, où il est
190 TOUAREG DU NORD.
très-commun. Reconnu en six stations, plus au Sud, entre Ghadàmès et
Rhàt.
Sàlsola vermicdlata L. Var. microphylla. 5. brevifolia Desf.
Guedhâm (arabe); Adjerwâhi (temâhaq).
Récolté dans les sables de Mouî-er-Robââya , le 29 juillet 1860. Signalé
comme étant commun dans les montagnes des Tou® et dans Toasis
du Tou&t
Salsola longifolia Forsk.
Semommed (arabe).
Récolté, le 12 novembre 1860, sur l'Ouàdi-Tlnzeght.
Par l'incinération, cette plante, comme la précédente, donne une
soude employée dans la fabrication du savon.
ÂNABASis ARTiGULATA Moq.-Tand. var, gracilis.
Bàguel, Belbâl, Belbâla (arabe); Abelbâl, Tàza (temâhaq).
Récolté, le 20 novembre 1860, àDhàhar-^l-Djebel, et le 23 novembre 1859,
à El-Mogherreb , au N.-O. d'El-'Aliya. Reconnu en cinq stations, dans la
région de T'Erg, entre £l-Ouàd et Ghadàmès. Commun aux environs de
Ghad&mès.
Cette plante ligneuse, quoique peu riche en matière alimentaire,
est mangée par les chameaux.
Les Sahariens prétendent qu'on peut creuser des puits avec sécu-
rité partout où croît le belbâl, parce qu'on est certain de trouver l'eau
à peu de profondeur.
Ainsi, entre El-Ouâd et Ghadàmès, au milieu des dunes de T'Erg,
mes guides et le Cheikh-'Othmàn ont été unanimes à me signaler
Haoudh-el-Belbâlàt comme un point d'élection pour doter cette route
de l'eau qui lui manque.
La disposition de la localité m'a paru correspondre aux indications
des khebîr.
Cornulaca monacantha Delile.
El-Hâdh (arabe); Tâhara (Umâhaq).
Récolté à ChaÂbet-Lekkàz, le 21 novembre 1859. Reconnu en cinq stations,
entre £l-Ouàd et Ghad&mès; en trois stations, de Ghadàmès à Rhàt; en
deux, de Tlterhsîn à la Chergulya. Indiqué comme étant commun dans
les plaines au pied du Âhaggàr.
Cette plante sous-frutescente couvre de très-grands espaces sur les
VÉGÉTAUX. 191
versants Sud des montagnes des Touareg. Elle constitue un des four-
rages recherchés des chameaux, malgré ses épines.
AMARANTACÉES.
MnYk Jatanica L.
Tamakerkaït, Timekerkest (temâhaq).
Récolté à Aghelàd, le 8 février 1861. Signalé dans les montagnes entre
Rhàt et In-Sàlah.
SALVADORACÉES.
Salvadora Pbrsica L.
Siouâk {arabe vulgaire) ; Irak {arabe littéral) ; Têhaq {temâhaq du
Nord); Abesgui {dialecte d'Aïr); Teguî, Tijat {dialecte de Timbouktou).
Récolté en fleors et en fruits à Afara-n- Wechcber&n , le 1*''' Janvier 1861.
Commun partout au delà de la région de l"Erg.
Cet arbre de la région tropicale, très-répandu dans le bassin du
Niger, vient cependant en troisième ligne comme importance de la
végétation ligneuse de la partie du territoire des Touareg que j'ai
visitée. Toutefois on ne Ty trouve que dans les vallées abritées et de
préférence dans celles où les alluvions sablonneuses abondent.
Cest un bel arbre, de deuxième grandeur, dont le feuillage d'un
beau vert tendre repose agréablement la vue fatiguée de la couleur
sombre du pays.
Son fruit, d'un goût délectable, est employé comme aliment et
comme médicament.
Ce fruit consiste en petites baies, semblables aux raisins de Co-
rinthe , dit M. le docteur Barth, lesquels offrent un léger supplément
au frugal menu du désert ; frais , il a un goût de poivre assez pro-
noncé.
Comme l'illustre voyageur, j'ai mangé ce fruit, et mes impressions
sur son mérite sont les mêmes.
Son bois odorant et solide, susceptible de se diviser en fibres très-
fines, fournit les cure-dents et les brosses à dents si recherchés par les
musulmans pour l'entretien de leur bouche. On sait que pour tous les
peuples d^Orient la question du cure-dents est une grave affaire pour
laquelle il est fait d'importantes recommandations dans les ouvrages
de religion et de jurisprudence.
192 TOUAREG DU NORD.
L'écorce de l'arbre, légèrement épispastique, est appliquée par
les indigènes sur les blessures d'animaux venimeux.
Les chameaux mangent volontiers les feuilles fraîches de cet arbre,
mais mélangées avec celles d'autres plantes à cause de leur goût
d'amertume prononcé.
Dans toute la région où croît ce Salvador a, ses feuilles sont em-
ployées comme antisiphylitiques. A cet effet , on les réduit en poudre
avec les épices connues sous le nom de râs-^l-hânout (tête de la bou-
tique), et chaque matin on en prend une dose en breuvage.
Calligonoh cohosum LHérit.
Arta, Resoû, Ezâl {arabe)\ Aresoû, Isaredj (temâhaq).
Récolté dans rOu&di-Saàd&n, le 21 août 1859; sur POu&di-Izèkra, le 5 fé-
vrier; à Tln-Têrdja, le 2 mars; à Ouar&ret, le 11 mars 1861. Reconnu
en treize stations dans T'Erg, entre El-Ouàd et Ghadàmës; en onze sta-
tions, de Ghad&mès à Rhàt; en trois, de Tlterhsln à la Cherguiya; en
plusieurs stations , de MethlUi à El-Golèâ. Signalé dans les montagnes
entre Rh&t et In-Sàlab, ainsi que dans tout le Tou&t.
Le Calligonum comosum forme d'épais buissons auxquels les cha-
meaux donnent toujours un coup de dent en passant. Le bois de cette
broussaille est souvent la seule ressource des caravanes pour cuire
les aliments. Dans T'Erg , cet arbuste devient un véritable arbre.
POLYGONÉES.
POLYGONCM EQUISETIFORHE Sibth. et Sm.
Récolté dans la Djefâra, 16 octobre 1860.
RUMEX VESICARIUS L.
El-Hommîz (arahe); Tânesmîm {temâhaq).
Récolté au Rhedir de Sàgben, dans TOuàdi-Tikhàmmalt, le 3 janvier, et
dans rOuàdi-Âlloûn, le 19 février 1861.
Plante comestible dont le goût rappelle celui de l'oseille.
THYMÉLÉACÉES.
Thyxeljea hirsuta Endl. Passenna hirsuta, L.
Methenân (arabe).
Récolté dans TOuàd-Biskra, en janvier 1860.
Croît dans les sables. Commune sur le littoral de la Syrte.
VÉGÉTAUX. 193
EUPHORBIâGÉES.
EupHORBiA CALYPTRATA Cos8. et DR. io BulL Soc, bot.
Oumm-el-leben (arabe); Tellâkh {temâhaq).
Récolté le 3 janvier 1861, à Sàgheo.
EuPHORBiA GcYOKiANA Boiss. et Reut.
Lebbîn (arabe).
Récolté dans les sables du Soûf , entre El-Ouàd et Sahéo, le 5 mars 1860.
EUPHORBIA PaRALIAS L.
Lebbîn, Lebeïna (arabe).
Récolté près de GM>ès, les 17 et 21 mars 1860.
Le SUC de ces diverses Euphorbiacées est employé contre les mor-
sures des vipères.
gânnâbinées.
Cannabis sativa L.
Kemeb, Tekroùri, Hachîcha (arabe).
Cultivé dans quelques oasis, notamment dans le Fezzân, à Trâgheo.
Les sommités fleuries de ce chanvre sont fumées dans des pipes
ou mangées en confitures en vue de déterminer une sorte d'extase
que les amateurs de hachîch (hachchâchin) appellent kîf.
L'hébétude résulte souvent de ces pratiques qui heureusement
ne sortent guère du cercle des fainéants ou de ceux qui ont voyagé en
Orient. Les Touareg entre autres ne font jamais usage du hachîch.
MORÉES.
Ficus Carica L.
Kerma (arabe) ; Ahar, Tâhart (temâhaq).
Après le dattier, le figuier est Tarbre le plus cultivé chez les
Touareg. Non-seulement on en trouve quelques pieds dans chaque
jardin des oasis, mais encore on compte çà et là, dans les montagnes,
quelques vergers exclusivement peuplés de figuiers.
Les figues provenant de ces cultures sont généralement mangées
fraîches. Les figues sèches sont principalement tirées du littoral:
cependant, on m'en a donné provenant de Miherô.
I. 18
194 TOUAREG DU NORD.
SALICINÉES.
POPCLCS ALBA L.
Safsaf (arabe).
Signalé sur un point du plateau de Tâdemâyt, à Hamâd-el-'Atchàn, près de
Tîn-Fedjaculn.
Le peuplier blanc, très-commun dans le Tell, est une exception
unique à cette latitude.
CONIFÈRES.
Ephedra alata Dcnc.
'Alenda [arabe) ; Tîmatart {temâhaq).
Reconnu en douze stations, entre El-Ouàd et Ghadàmès.
Les chameaux mangent ses jeunes pousses, à défaut d'autre nour-
riture.
Ses tiges et ses sommités, douées de propriétés astringentes, sont
employées dans la matière médicale indigène.
Ses fruits sont comestibles.
Les branches de cet arbuste atteignent quelquefois trois mètres
de hauteur. Près d'El-Arba-Tahtanîya, M. le docteur Cosson en a
découvert « un magniûque pied dont le tronc, jusqu'aux ramifications
« principales, mesurait au-dessus du sol près d'un demi- mètre et
<( dont la circonférence, prise au niveau du sol, atteignait 48 centi-
« mètres, »
11 y en a de plus grands encore sur TOuâd-el-'Alenda , dans le Soûf.
POTAMÉES.
POTAMOGETON PECTINATUS L.
Récolté dans la source de Tagotta.
Plante aquatique submergée.
PALMIERS.
Phgenix dactylifera L.
Nakhla {arabe)\ Tàzzeït (temâhaq).
Le palmier dattier est, sans contredit, le roi de la végétation
saharienne, non-seulement par le nombre des ghâbâ qu'il constitue,
mais encore par l'importance des services directs ou indirects qu'il
rend à l'habitant de la région désertique*
VEGETAUX. 195
On donne, dans tout le Sahara, le nora de ghâbâ ou forêt à toute
plantation de dattiers, quel que soit le nombre des arbres.
Généralement, les plantations sont agglomérées, autour ou à peu
de distance des habitations. Leur ensemble forme ce qu'on appelle
une oasis.
Dans la partie du Sahara, objet de cette étude, quatre principaux
groupes d'oasis appellent Tattention : celui de Ghadâmès, celui de
Rhât, celui du Fezzân, celui du Touât.
A Ghadâmès, on compte, m'a-t-on dit, 63,000 palmiers; à Rhât,
y compris les plantations des villages voisins , le nombre de ces ar-
bres n'est pas moins considérable; quant à ceux innombrés et pres-
que innombrables du Fezzân et du Touât, ils atteignent peut-être le
chiffre de deux millions de pieds, car, dans ces contrées favorisées,
les oasis se succèdent les unes aux autres sur d'immenses étendues :
cent lieues du Nord au Sud pour le Touât, quarante lieues de l'Est à
l'Ouest pour le Fezzân.
En dehors de ces massifs principaux, il y a encore une dizaine de
petites oasis dans les montagnes des Touareg : à Djânet, à Idelès, et
autres points arrosés par des sources, mais elles ne peuvent pas être
comparées aux premières, car toutes ces plantations ne donneraient
peut-être pas un total de 6,000 palmiers.
Les produits directs du dattier sont les suivants :
La datte, themer des Arabes, teïni des Touareg, aliment fari-
neux et sucré, d'une conservation et d'un transport faciles, immense
ressource pour des populations nomades et voyageuses ;
La palme, djerida en arabe , taratta en temàhaq, comprenant le
pétiole, ahebêr, et la feuille, îakôla des Touareg, employés, l'un
sous forme de lattes, dans les constructions et les clayonnages, l'autre
comme matière textile, à la fabrication de nattes, de paniers, de
sacs, de cordes, en un mot, à la confection de ces mille petits
riens connus sous le nom d'articles de sparterie exécutés ailleurs avec
le palmier nain et le halfà ;
La bourre, sa'af, provenant des feuilles radicales ou du tronc, et
avec laquelle on fait des tissus, des rembourrages de bâts, etc. ;
Le noyau de la datte, a*lef, que l'on écrase et que l'on donne à
manger aux animaux : chameaux, chèvres et moutons ;
La sève, lâgmi, obtenue par incision et de laquelle on retire :
A l'état frais, le lait de palmier, boisson fade, quoique sucrée;
196 TOUAREG DU NORD.
Fermentée, le vin de palmier, dont le goût rappelle celui d'une
jeune bière ;
Distillée, un alcool très-inférieur;
Les fleurs, nouâr, réputées aphrodisiaques;
L'involucre des fleurs, hemmamin, aussi employé en médecine;
Enfin, la tige du palmier, kfiechba, débitée comme le bois des
autres arbres, et qu'à raison de ses services on a appelée sapin du
Sahara. On l'emploie dans les constructions, dans les coffrages des
puits, sous forme de planches, de poutres ou de madriers. Dans la
région saharienne, le dattier est la seule essence qui donne des bois
droits et de longueur.
En présence de tant de produits fournis par le dattier, on ne
peut s'empêcher de reconnaître que, si la Providence a été avare
envers les Sahariens, en limitant à un petit nombre les arbres utiles
de leur pays, elle a tellement prodigué ses faveurs au dattier, qu'à
lui seul il peut remplacer tous les autres arbres.
Mais le dattier n'est pas seulement utile par les produits directs
dont il comble l'habitant des oasis, ill'est encore, au même degré, par
les produits indirects qu'il permet d'obtenir à l'ombre de sa cime pa-
rasolaire qu'on peut comparer, contre la chaleur, à l'effet des serres
contre le froid.
Les extrêmes se touchent en tout: dans nos climats tempérés, les
plantes tropicales ne peuvent germer, croître, fructifier, qu'à l'aide
d'une chaleur factice ; dans le Sahara, les plantes des climats tem-
pérés ne peuvent prospérer qu'à l'abri d'une chaleur excessive et
d'une lumière intense; et cet abri , le dattier le donne en permettant
à l'air de circuler, à la lumière et à la chaleur de pénétrer dans les
proportions réclamées par la végétation sous-palméenne.
Que, dans les oasis, les palmiers soient décapités, le sol qu'ils
couvrent de leur ombre rentre dans les conditions climatériques
des terres voisines frappées de mort, de juin à septembre, par l'excès
de la chaleur, comme ailleurs, de novembre à mars, par l'excès du
froid.
Sous l'abri protecteur des palmiers, l'Oasien peut cultiver une cin-
quantaine de plantes alimentaires ou industrielles dont il serait
complètement privé sans l'auxiliaire que la Providence a mis si libé-
ralement à sa disposition : j'ai donc raison de dire que le dattier
rend à l'habitant du Sahara autant de services par ses produits in-
VÉGÉTAUX. 197
directs que par ses produits directs, si nombreux quMls soient.
On ne sera donc pas étonné d'apprendre que le dattier, dans le
Sahara, soit l'objet de soins qui ne sont donnés à aucun arbre, dans
aucun autre pays du monde.
J'estime à l'égal des plus grandes conquêtes de l'homme sur la
nature les travaux exécutés par les Sahariens pour assurer à cet arbre
les conditions nécessaires à son existence.
Dans l'Ouàd-Rîgh et le bassin d'Ouarglà, des puits artésiens creu-
sés à bras d'homme jusqu'à la couche d'eau jaillissante; dans l'Ouâd-
Mezâb, d'immenses barrages jetés en travers des torrents ; dans le
Fezzân et dans le Touât, des puits à galeries souterraines pour créer
des rivières artificielles ; dans le Soûf et dans les autres oasis de
l"Erg, la lutte de tous les instants contre les envahissements des
sables, constituent des efforts de géants que tout homme impartial
compare, avec la différence des moyens, aux plus beaux résultats
obtenus par la science et l'industrie dans nos États civilisés.
Le dattier, disent les Sahariens, doit, pour produire de bons
fruits, avoir la tête dans le feu et les pieds dans l'eau.
Le soleil africain pourvoit suffisamment aux besoins de sa cime ;
l'homme doit procurer à ses racines l'eau qu'elles réclament. Ce n'est
pas toujours facile, mais, partout où il y a des dattiers, on leur sert,
d'une manière ou de l'autre, l'eau nécessaire.
Dans les oasis pourvues de puits artésiens, de puits à galeries,
de fontaines aménagées, l'irrigation est facile et se pratique à eau
courante ; mais là où il n'y a que des puits ordinaires, l'eau doit être
élevée par des machines ou à bras d'hommes, et l'arrosage , dans ce
cas, impose des peines considérables.
Dans l'oasis du Soûf, où l'eau se trouve au-dessous du sol à des
profondeurs variables de 0"" 85 à 2"" 55 et 4° 10, on plante le dat-
tier de manière à ce que ses racines plongent dans l'eau. Là, du
moins, le planteur est exonéré de l'obligation d'irriguer, mais cet
avantage est chèrement acheté par la nécessité de lutter continuelle-
ment contre l'envahissement des sables et de féconder ces sables par
de nombreux engrais.
La charge d'engrais de crottin de chameaux (150 kilos) coûte,
dans le Soûf, 10 francs, et on n'hésite pas à donner, à un seul pal-
mier, douze charges d'engrais, d'une valeur de 420 francs, ce qui, à
raison d'une fumure tous les huit ou dix ans, porte à 12 et à 15 fr.
198 TOUAREG DU NORD.
par an la dépense d'engrais de chaque palmier. Mais, il faut le dire,
les dattes de cette oasis sont de qualité très-supérieure.
Généralement, dans tout le Sahara, on préfère les plantations par
boutures à celles par noyaux, parce que la bouture produit le môme
fruit que le pied de l'arbre d'où elle a été extraite, tandis qu'avec le
noyau on n'est jamais certain de la qualité du fruit.
Cependant, c'est par les semis de noyaux qu'on a obtenu les nom-
breuses variétés de dattes du Sahara. On n'en compte guère moins
de quarante. Il est vrai de dire qu'elles ne sont pas toutes également
bonnes.
Les boutures provenant d'arbres faibles et maladifs paraissent
mieux reprendre ; on leur donne le nom de arfiedd.
On a remarqué aussi que les boutures tirées de pays lointains
acquièrent en voyage plus d'aptitude à la reprise. Il suffit, pour les
conserver en bon état, de leur enlever leurs feuilles.
Certaines boutures sont obtenues du tronc mère avec des racines ;
elles portent le nom de zalloûch. On se borne à éviter de blesser
les racines en les détachant du tronc. De même, pour les boutures
sans racines, on a soin de faire des incisions nettes, sans màchures
ni déchirures.
On plante les boutures à l'automne, et, pour cette opération, on .
reconnaît plusieurs procédés.
Le plus sûr est celui appelé mechloùla : il consiste à planter les
boutures auprès d'un puits qui en permet l'arrosage. Au bout de six
mois, elles ont pris racine et on les transporte dans des terrains défon-
cés, nommés toloûa\
Au Soùf, on emploie un procédé appelé hachchâna : à cet effet, on
met de suite en place les boutures dans les trous qui leur sont
destinés et qu'on a préalablement creusés jusqu'à apparition de l'eau.
La bouture est plantée de manière à ce qu'elle ait le pied dans l'hu-
midité. Quand elle a réussi, au bout de six mois, elle a poussé trois
petites branches, djeridâi, et, au bout de trois ans, l'arbre est assez
développé pour qu'il puisse être fécondé. Alors on creuse la terre
tout autour pour mettre du fumier de chèvre sous ses racines.
Au Soiif, on a aussi, pour rajeunir les vieux dattiers, un procédé
qui n'est pas usité dans les autres oasis.
Quand un sujet, atteint de vieillesse, ne produit plus, on creuse
le sol sous ses racines, on supporte le tronc pendant l'opération et.
VÉGÉTAUX. 199
sans le faire changer de place, on lui donne un nouveau lit de sable,
de fumier et d'eau, qui ne tarde pas à lui faire recouvrer sa jeunesse.
Les palmiers ainsi restaurés sont appelés meseggueta.
En toute plantation, on distingue les dattiers mâles, dhokhâra, des
dattiers femelles, nakhla. Il suffit de quelques mâles pour féconder une
plantation entière de femelles.
On distingue deux sortes de dattiers mâles : le sersâr, dont les
spathes renferment une semence peu abondante, peu active et qui
tombe dès qu'on la touche ; cette espèce ne féconde pas toujours et
quelquefois même, après la fécondation, on ne récolte que des dattes
avortées, sich. L'autre espèce, appelée khoxvwâr, produit des spathes
d'une farine abondante, tenace et conservant ses propriétés fécon-
dantes pendant deux années. Cette variété est, de beaucoup, la pré-
férée.
Inutile d'ajouter que les Oasiens aident à la fécondation de leurs
dattiers par la caprification.
Dans le Fezzân, on trouve souvent des forêts de palmiers dattiers
qui se sont créées spontanément de graines. Venus sans culture, ne
recevant aucun soin de l'homme, au lieu de s'élever en un tronc
élancé, comme le dattier cultivé , ils se développent en broussailles,
à la façon des palmiers nains {Chamœrops humilis) du Tell. On
donne à ces palmiers le nom de hachchâna. Ils produisent des fruits
maigres et peu savoureux qui sont cependant récoltés par les pauvres,
quand la concurrence des gazelles laisse les régimes intacts.
Cdcifera Tuebaica DeUle.
4
Doûm (arabe) ; Tâgaït {temâhaq).
Ce palmier, dont la véritable région est beaucoup plus au Sud,
est représenté par quelques pieds dans une des oasis méridionales du
Fezzân, celle de Tedjerri.
LILIACÉES.
ÂSPHODELUS TENUIFOLIUS Cav.
Tàzia (arabe); Iziân [temâhaq).
Récolté, le 9 février 1860, dans la vallée de TOuâdi-Tàrât, seule station où
je Taie rencontré.
ÂLLiuH Cepa L.
Boçla (arabe) ; Efelôli (temâhaq).
200 TOUAREG DU NORD.
Cultivé dans les oasis.
L'oignon est non moins nécessaire dans la cuisine monotone des
Sahariens que dans celle plus variée des Européens. Ici, il n'est qu'un
auxiliaire dont on se passe facilement ; là, il est souvent l'unique élé-
ment de la digestion.
Allidm sativum L.
Thoûm (arabe) ; Têskart {temâhaq).
Je n'ai pas pris le soin de constater si l'ail, vendu sur tous les
marchés, était cultivé dans toutes les oasis ou provenait du Nord;
cependant je croîs, sans en être certain, qu'il est le produit des cul-
tures locales. Pour l'oasis de Ghadâmès, je puis l'affirmer.
Toute la matière médicale, à l'usage du chameau, comme applica-
tion interne, se résume dans l'unique emploi de l'ail.
MÉLANTHAGÉES.
Erytheostictus punctatds Schlecht.
Kaïkoût (arabe)] Afahlehlé-n-ehedan (temâhaq).
Récolté entre les dunes d'El-*Arefdji et Hassi-Ma'ammer, le 21 février,
et dans la plaine d'Dian&ren, au pied des montagnes du Tastli, le
1" avril 1851.
L'oignon de cette plante répand une odeur aromatique agréable.
Les ânes fuient cette odeur, d'où son nom, poison des ânes, en
temâhaq.
La fécule de cet oignon est quelquefois introduite dans le pain ou
dans le couscoussou pour l'aromatiser. *
JONCÉES.
Jdngds maritixus Link.
Semâr (arabe) ; Talegguît (temâhaq).
Récolté, le 18 septembre 1860, près la source de Tagotta, et le 8 mai 1861,
près de la source de Serdélès.
Commun autour des sources, mais rare comme elles.
TYPHACÉES.
Ttpha..,?
Berdi (arabe) ; Tahelé (temâhaq).
VÉGÉTAUX. 201
Recouau en beaucoup de points, à peu près partout où il y a de Peau per-
manente. Commun dans les montagnes, autour des lacs et des sources.
Les chaumières des serfs des Touareg sont presque toutes cou-
vertes avec la feuille de cette plante.
CYPÉRACÉES.
Ctpbrus conglomeratus Rottb.
Sa'ad, Se'ad (arabe).
Récolté, le 29 juillet 1860, dans les sables de r*Erg, autour du puits de
Màleh-ben-*Aoûn, entre El-Ouàd et Berreçof ; reconnu sur d*autres points
de ma route, entre Ël-Ouàd et Ghadâmès et autour de Ghadàmès.
GypeRUS nOTUNDUS L.
Azejmîr {mezabite).
Récolté à Gbardâya, dans les mares d'irrigation des dattiers (aoÂt 1859).
Gyperds lavigatus L.
Récolté autour de la source de Tagotta, le 18 septembre 1860.
Gtperus lavigatus L. var, distachyds. Cyperus junciformis Cay,
Merga, le plongeur (arabe).
Récolté dans les sources de TOu&d-Nafta, le 8 mars 1861.
SCIRPUS HOLOSCHGENUS L.
Sommîd (aràbe)\ Iregga, lleg^di (temâhaq).
Récolté près de la source d*Ahêr, le 28 février, et près de celle de Ser-
délès, le 3 mai 1861.
SCIRPDS MARITIMUS L.
Leoulîoua (arabe et temâhaq).
Récolté, le l*' janvier 1861, autour du Rhedîr de S&ghen. Reconnu en trois
autres stations, entre Ghadàmès et Rhftt.
GRAMINÉES.
Lygbch Spartum Lœfl.
Senrha, dans l'Ouest; Halfâ, dans l'Est (arabe).
Récolté dans le Djebel-Nefoûsa et entre Ghefl et Dj&do, le !<'>' novembre 1860.
Au Sud de l'Algérie, le senrha croît dans les mêmes régions que le
halfâ (Stipa tenacissima), et, à première vue, quand les deux plantes
â
202 TOUAREG DU NORD.
n'ont pas atteint tout leur développement, on peut les confondre;
mais dès que Tépi se montre, les deux espèces apparaissent bien dis-
tinctes.
En Algérie, on préfère le halfâ au senrha pour les travaux de spar-
terie, parce que le chaume du premier est trois fois aussi long que
celui du second. En Tunisie, lesenhra est plus estimé, parce qu'on le
croit plus solide.
Les chameliers, conducteurs des caravanes, qui font grand usage
de cordes en sparterie pour l'arrimage de leurs chargements, ne règlent
leur choix entre le halfà et le senrha que par le prix de vente. La
préférence est toujours acquise au meilleur marché.
Phalaris minor Retz.
Seboûs (arabe); Tanâla (temâhaq).
Trouvé et récolté eu une station unique à Sàghen.
Panicum tcrgidum Forsk.
Boû-rekoûba [arabe); Afezô (temâhaq).
Échantillons récoltés surl'Ouâdi-Tîn-Guezzîn et àOuarâret, le !«' avril 1851.
Reconnu en huit stations, entre Ghadàmès et Rhàt, et en six stations,
entre Tîterhsîn et la Cherguîya.
Plante commune dans tout le Sahara central, où elle concourt à la
nourriture des chameaux. Ses graines sont récoltées par les Touareg et
mangées comme celle du drîn (Arthratherum pungens).
Setaria verticillata P.B.
Oulâffa (mezabite).
Récolté dans les jardins de Ghardàya (août 1859), autour des mares for-
mées par les canaux d'irrigation.
Pennisetum dichotomum Delile.
Boû-roukeba (arabe); Tehaoua (temâhaq).
Récolté à Sàghen, le 2 janvier 1861. Reconnu entre El-Ouàd et Ghadàmès,
entre Ghadàmès et Rhàt, entre Tlterhsln et la Cherguîya.
Plante fourragère, mais en général peu recherchée par les animaux.
Imperata cylimorica P.B.
Dis (arabe); Bastô, Taïsest (temâhaq).
Récolté dans la plaine d'nianàren, le 1*»" avril 1861. Reconnu en quatre
stations, entre Ghadàmès et Rhàt; en six stations, de Tlterhsin à la
VÉGÉTAUX. 203
Chergutya. Signalé comme étant commun entre Rhàt et In-Sàlah, dans la
montagne et sur le plateau de Tàdemâyt.
Comme le dîs du Tell {Phragmites communis Trin.), celui du Sahara
croît en touffes épaisses et couvre souvent de grands espaces. Ses
feuilles droites, vertes , servent également à la nourriture des trou-
peaux.
Andropogon laniger Desf.
Lemraâd (arabe) ; Tiberrimt (temâhaq).
Récolté, le 24 août 1859, sur le plateau des Benî-Mezâb , et le l*' mars 1861,
à Tîn-Arrây.
Cette Graminée a une odeur aromatique prononcée.
PiPTATHERUM MiLiACEUM Coss. AgrosOs miliocea L.
Récolté le 27 octobre 1860 dans les rochers de Djàdo.
Stipa tenacissima L.
Halfà, en Algérie; Gueddîm, Bechna, en Tripolitaine (arabe).
Récolté entre Zint&n et Ri&yna, le 27 septembre 1860, et dans les monta-
gnes de Guettàr, le 23 mars 1861.
La solidité des fibres de cette plante textile , avec laquelle on fait
tous les travaux de sparterie dans le Sud de l'Algérie, a l'inconvénient,
comme plante fourragère, de ne pas se prêter facilement à la dige^
tion. Son usage, chez les animaux, amène des constipations qui ré-
clament l'emploi d'eaux laxatives. Ces eaux se trouvent heureusement
être assez communes dans les parties du Sahara algérien où croît le
halfâ. Aussi , tous les quatre ou cinq joure, les bergers de chameaux
et ceux de moutons conduisent-ils leur troupeaux à ces sources pour
combattre les effets constipants du halfà.
La limite méridionale de cette plante, qui couvre de si grands
espaces dans la région des steppes, me paraît être : au Sud de l'Al-
gérie, au point de partage des eaux du bassin de l'Ouâd-Djédi et de
celui de l'Ouâd-Miya; au Sud de la Tunisie, la limite de l"Erg; au
Sud de la Tripolitaine, un point mitoyen entre Chefî et Djàdo.
La connaissance de cette limite a son importance, car souvent les
caravanes qui doivent la franchir sont forcées de changer de relais de
chameaux. La loi de la circulation dans le Sahara, subordonnée à
celle de la végétation, sera l'objet d'un examen particulier dans le
deuxième volume de cette étude, spécialement consacré au commerce.
204 TOUAREG DU NORD.
Aristida àdscbnsionis L.
Neçi-oueddàn {arabe); Arhemmoûd-ouân-ihedân {temâhaq).
Récolté dans rOuàdi-Alloûn, le 29 février 1861. Reconnu entre El-Ou&d et
Gbaâ&mès et entr^ Ghad&mès et Rhàt
àuthratheruh pcngens P.B.
Drîn, en Algérie, Sebot en Tripolitaine {arabe); Toûlloult {temâhaq).
Récolté sur rOuàdi-AUoûn, le 29 février 1861. Reconnu dix-neuf fois entre
El-Ouàd et Ghadàmës, quarante-trois fois entre Ghadàmès et Rhàt, deux
fois entre Tlterhsîn et la Chergulya, en de nombreuses stations entre
Golêa* et Methllli. Signalé comme étant commun entre Rhât et In-Sâlah ,
ainsi qu'au Touàt.
C'est incontestablement la plante la plus répandue et celle qui
couvre le plus d'espace dans la partie du Sahara au Nord des mon-
tagnes des Touareg, car dès qu'il y a un peu de terre végétale sur le
sol, on est assuré de la voir paraître.
C'est incontestablement aussi la Graminée qui rend le plus de
services aux Sahariens, car, si son chaume nourrit les troupeaux, son
grain est souvent le seul aliment de l'homme.
Le grain de VArthratherum pungens se nomme loûl. Chez les Toua-
reg, comme dans tout le Teste du Sahara, on le récolte, et après l'avoir
réduit en farine, on le mange, soit en bouillie, soit en galette. Je me
suis trouvé moi-même, faute d'autres provisions, dans la nécessité
d'en faire usage, et je reconnais volontiers, la faim aidant, que ce
n'est pas un aliment à dédaigner.
Le loûl se vend comme les autres céréales, mais son prix est tou-
jours inférieur. Dans le Sahara algérien, trois mesures de loûl sont
échangées contre une mesure d'orge.
Quand on se préoccupera d'améliorer les voies de communication
dans le Sahara, en y creusant des puits et en créant autour de ces
puits des pacages pour les caravanes, on fera bien certainement des
semis de loûl, car on ne peut trouver une plante qui convienne mieux
au climat du Sahara que VArthratlierum pungens,
ÂITHRATHERUM PLCMOSUM NeCS Vaf. PLOGGOSUM.
Neçi {arabe); Arhemmoûd {temâhaq).
Récolté le 24 août 1861 sur rOuâdi-lln-Guezzîn, dans les montagnes de la
Soda. Reconnu en huit stations, entre Ghadàmès et Rhât, en deux entre
Tîterhsîn et la Chergutya. Signalé en quelques stations, dans les monta-
gnes, entre Rhât et In-Sâlah.
VÉGÉTAUX. 205
Plante fourragère, basse, croissant en touffes, recherchée par les
animaux.
ÂRTHRATHERUM OBTUSCll NOOS.
Récolté^ le 24 août 1859^ sur le plateau des Benl-Mez&b.
ÂRTHRATHERUM BR ACHYATHERCH COSS. et Balausa?
Seffàr {arabe); Imateli {temâhaq).
J*ai reconnu cette plante en cinq stations, dans les dunes de T'Ërg, entre
El-Ou&d et Ghadàmès, mais Je ne Tai pas récoltée, de sorte que sa déter-
mination exacte reste douteuse.
Cette Graminée est mangée par les animaux comme fourrage.
ÂGROSTIS TBRTICILLATA YiU.
Récolté dans rOuàd-Mez&b (août 1859).
POLTPOGOR MONSPELIBNSIS Dosf.
Seboûl-el-fàr, Dheïl-el-fâr {arabe) , syn. Coss. ; Tamatasast {te-
mâhaq).
Récolté près de la source de Serdélès, le 4 mai 1861.
POLYPOGON IIARITIMUS Willd.
Seboûl-el-fâr {arabe).
Récolté, le 5 Juin 1860, sous les dattiers de Sidi-KhelU.
Phragmites cohmunis Trin.
Gueçob {arabe).
Récolté à Hassi-'ArefdJi, le 20 février 1861 , et dans TOuàdi-Tagotta, le
18 septembre 1861.
Gynodon Dactyloh Rich.
En-nedjem {arahe); Ajezmîr {mezabite); Aoukeraz {temâhaq).
Récolté à Ghardàya , autour des dattiers et des petites mares formées par
les canaux d'irrigation. Commun autour des sources, dans les montagnes
des Touareg.
Cette plante toujours verte, parce qu'elle choisit toujours des
endroits humides, est d'une grande ressource pour les troupeaux,
quand tout le reste de la végétation est desséché par le soleil.
Plus d'une fois, les troupeaux de l'Algérie, comme ceux du Sahara,
lui ont dû leur salut dans les mauvaises années.
On en fait des tisanes diurétiques.
i
208 TOUAREG DU NORD.
lette au beurre. Ce mets est considéré comme un spécifique contre
les engorgements de la rate.
FOUGÈRES.
Adiantcm Capillcs-Veneris L.
Rafraf {arabe).
Récolté sur rOuàdi-Arhlàn le 28 octobre 1860. Croit sur les racines des
dattiers et sur les pierres qui bordent les rigoles des canaux d'irrigation.
Les médecins arabes emploient les feuilles de cette plante en
fumigations.
CHARACÉES.
Ghara gtmr ophylla a. Br.
Récolté le 4 février à 'Aîn-ed-Dowwîra, et le 7 novembre 1860 à Tànout^
Tirekîn.
Cette petite plante affectionne le voisinage des sources.
CHAMPIGNONS.
Cheiromyces leonis L.R. Tul. Tuber nitmim Desf.
Terfâs {arabe) ; Tirfâsen {temâhaq).
Commun après les pluies dans tous les terrains sablonneux du Sahara ,
surtout dans les environs de Ghad&mès.
Ben-*Abd-en-Noûri-el-Hamîri-et-Toimsi» auteur d'un traité de géo-
graphie saharienne, prétend qu'autour de Ghadâmès les terfâs de-
viennent assez grosses pour que des gerboises et des lièvres puissent
y aller faire leurs nids.
Pline indique comme originaire de la Cyrénaïque une truffe
blanche, probablement le terfâs, d'un goût et d'un parfum exquis, qui
était très-renommée dans l'antiquité sous le nom indigène de misy.
J'avoue n'avoir jamais trouvé dans le Sahara des terfâs ni aussi
grosses que celles de Ben-'Abd-en-Noûri, ni aussi parfumées que
celles de Pline. Celles que j'ai mangées avaient un goût intermé-
diaire entre la truffe et le champignon, goût agréable, sans doute,
mais perdant beaucoup de sa valeur par le sable qui pénètre dans
la chair du tubercule et qui craque désagréablement sous la
dent.
Quoi qu'il en soit, des tribus entières font une grande consomma-
tion de ce champignon, dès qu'il devient abondant.
VÉGÉTAUX. 209
ALGUES.
Danga {arabe fesxanien).
Parmi les produits rencontrés dans mon voyage, je ne dois pas
oublier une plante Cryptogame qui croît dans les lacs producteurs de
vers comestibles du Fezzân et que les indigènes appellent danga.
On récolte ce fucus, soit seul, soit en mélange avec les vers.
Quand ces derniers sont nombreux, le danga est rare, et vice versa.
Les riverains disent que les vers en font leur pâture. A Tépoque de
ma visite aux lacs, la plupart de ces insectes étant formés en chrysa-
lides, le danga était plus abondant.
Le danga, péché avec les vers, entre dans la conserve alimentaire
préparée avec ces larves. Quand il est récolté seul , on en fait des
petits pains qui, desséchés, ont la couleur brune de Taloès, une cas-
sure vitreuse, et sont employés comme condiment. (Voir page 2^4.)
PLANTES INDÉTERMINÉES.
Aucun échantillon des plantes suivantes n*a été rapporté : par conséquent ,
la détermination scientifique de ces espèces n'a pu être faite.
PLANTES DE HAMADA.
GoçBYBA {arahe)\ Tikamayt {temàhaq).
Entre El-Ouàd et Ghadamès; indiquée aussi dans le Ahagg&r.
Cette plante fourragère est incontestablement une Graminée.
BsnESMOUN {arabe).
Entre Ghadamès et Rh&t.
Probablement un Hypericum, Beresmoun est, en effet, le nom que
les indigènes du Tell donnent au Millepertuis officinaL
'AcGÂYA {arabe)\ Tabelkost {temâhaq).
Trouvé dans le Fezz&n. Indiqué aussi dans le Ahaggâr et au Touàt
Techt-edh-dheba* {arabe).
L'échantillon de mon herbier, après trois années de voyage, est
arrivé dans un état qui n'a pas permis de le déterminer. Heureuse-
ment, c'est le seul.
KhorIdu {arabe).
Reconnu entre Ghadamès et Rhàt.
I. H
210 TOUAREG DU NORD.
SED?iA (arabe).
Reconnu entre Ghadàmès et Rh&t.
GoEçoB (arabe); Tisekdjelt (temâhaq).
Roseau à canne trouvé autour des sources.
Commun au Fezzàn, au Soudan et dans les montagnes des
Touareg.
Probablement le Phragniites communis Trin. ou une espèce voisine.
Gdeçob (arabe)\ Alemès (temàhaq).
Trouvé comme le précédent autour des sources.
Plus grand et plus fort que le tisenguelt, probablement VArundo
donax.
Ces deux roseaux me sont indiqués comme existant sur plusieurs
points du territoire des Touareg.
Comme dans le Tell, ils servent à dresser les murailles et les toi-
tures des cabanes. Les serfs en font des manches de ligne ; les nègres
et les bergers, des chalumeaux.
La tabatière à priser des Touareg consiste en un tube de ces
roseaux, plus ou moins couvert de dessins ou d*inscriptions en langue
temâhaq.
Fers (arabe et temâhaq).
Reconnu en plusieurs points de ma route.
Assimilé à une Anabasis,
Nota : Les neuf plantes indéterminées qui précèdent ont été re-
connues par moi, et leurs stations sont indiquées dans mon journal de
voyage : celles qui suivent me sont connues seulement par les rensei-
gnements des indigènes.
PLAXTES DE MOXTAGNES,
TaroCt (temâhaq).
Thuya articulé? Thuya articulata Desf.?
Forôt sur le versant Sud du Tasîli , entre Rhât et Djànet.
Échantillon de planche rapporté.
La forêt qui produit cette essence paraît considérable, car tous
les bois employés dans les constructions de Rhât et de Djànet en
proviennent.
VÉGÉTAUX. 211
Les dimensions des planches, la couleur, la finesse et la solidité
du bois, rappellent celles du thuya.
Le nom de taroût, forme berbérisée du mot 'ar'ar, employé dans
le Tell pour désigner le Tliuya arliculata, m'engage à identifier, pro-
visoirement, le taroùtdes Touareg avec V'afar des Arabes.
Cet arbre fournit une résine, du' nom de tighanglierl , qui est
employée pour rendre sonores les cordes des rebàza ou violons du
pays.
On en extrait du goudron.
Ces deux faits viennent à l'appui de Tidentification du taroût avec
le Thuya arliculata.
D'après les indigènes, quelques sujets atteignent 24 coudées de
circonférence.
Cet arbre commence à se montrer à Tarharha, dans le haut de
rOuâdi-Tarât, et à Eriey, dans le haut de TOuàdi de Rhàt.
YÂBNOûs {temàhaq).
Grand arbre, probablement Vèbènier, auquel on assigne comme
station plusieurs points du mont Ahaggâr.
Jusqu'à ce jour, le bois d'ébène n'avait été fourni au commerce
que par des plaqueminiers originaires de l'Inde et de l'Amérique du
Sud. D'après M. le docteur Barth, l'ébénier aurait été rencontré par
lui sur son parcours de Kanô à Timbouktou, dans le bassin du Niger,
mais il n'indique pas le nom botanique de l'espèce.
Le Cheikh Mohammed-et-Toûnsi, dans son Voyage au Darfour,
dit que les Fôriens reçoivent l'ébène du Dàr-Fertît.
« Ce qu'on appelle l'ébène, dit-il, est le bois d'un arbre de
« grandeur moyenne, dont l'écorce est d'un vert foncé. Lorsqu'on
u Tenlève, on met à découvert un bois noirâtre qui, par la dessicca-
« tion, acquiert une nuance plus franche et plus noire. La plus
« belle ébène, ajoute-t-il, est celle qu'on retire des racines. »
Mohammed-et-Toùnsi , si scrupuleux pour indiquer le nom indi-
gène de toutes les plantes signalées par lui , ne donne pas celui
de l'ébénier, ou plutôt le traducteur n'aura pas jugé nécessaire
de mettre yabnoàs à côté du mot ébénier, ces deux noms étant les
mêmes.
La synonymie du nom, la découverte de l'ébénier plus au Sud,
la coloration en noir du bois, sa dureté et sa finesse, l'emploi qui en
212 TOUAREG DU NORD.
est fait, permettent de penser que le yabnoûs du mont Oudân (pro-
longement Nord du Ahaggâr) est Tébénier.
Le bois de cet arbre est principalement employé pour faire des
hampes de lance et des manches de poignards.
Le yabnoûs n'existerait pas seulement dans le Ahaggâr; on le
trouverait encore sur le Tasîli, mais toujours isolé et jamais en
massifs.
À LEO {temàhaq).
Grand arbre , dit-on , en tout semblable à l'olivier, à l'exception
que son fruit n'est pas une olive. Il se montre par petits groupes
dans quelques stations du Ahaggâr.
Je suis d'autant plus disposé à identifier l'aleo au Phyllirxa que,
d'après le rapport de Valentin Ferdinand, lephyllirœa existerait dans
une île au Sud de celle d'Arguin sur la côte de l'Océan.
Rien d'étonnant, d'ailleurs, de trouver cet arbre là où vivent le
thuya et le laurier rose. L'altitude explique la présence de ces arbres
dans ces sta^Jons méridionales.
NbRION 0L8ANDBR L.
Defla {arabe); Elel {temâhaq).
En quelques points, sur les rives des ouâdi.
Le delfa est trop facile à reconnaître pour que des Touareg, ayant
beaucoup voyagé, puissent se tromper en assimilant Velel de leur pays
au Nerion si caractéristique des berges des ouâdi du Tell.
ël-iat!m (arabe); âdjâr {temâhaq).
Grand arbre, sans épines, unisexuel, à fruits petits qui n'appellent
pas l'attention. L'arbre mâle se dit adjâr; l'arbre femelle se dit
tâdjarl; ce dernier est toujours moins développé que le mâle.
Les Touareg recommandent de ne pas le confondre avec Vagâr
du Tasîli dont j'ai récolté un échantillon et qui a été reconnu être le
Mœrua rigida.
Les deux noms s'écrivent d'ailleurs avec une orthographe différente.
Cet arbre est commun dans le Ahaggâr; il se montre quelque-
fois sur les points les plus élevés du Tasîli.
On l'exploite comme l'ébénier pour la monture des armes. Son
bois est couleur marron, fin, léger et souple.
VÉGÉTAUX. 213
IsARHÉR {temâhcKi),
L'isarhêr, disent les Touareg, appartient à la même famille que le
tamât et le talha {Acacia Arabica) ^ mais il ne peut pas être confondu
avec cette espèce, parce que, vivant ensemble sur les flancs du Ahag-
gâr, leurs caractères distinctifs sont trop faciles à constater.
Les Arabes donnent à Tisarbôr le nom de talhfi.
Kl NBA (temàhaq).
D'après les Touareg, le kînba est une variété d*acacia (talha)
qui croît plutôt en gaulis qu'en arbre, très-commun dans le pays
d'Aïr, mais qu'on trouve aussi dans le Tasîli et le Ahaggâr et dont les
gaules sont employées, concurremment avec les branches du Mœrua
rigida, à faire les hampes des javelots et des lances.
El-bergou (arabe); Ekaywod {temàhaq).
Roseau, le même que celui du Niger, produisant une sorte de miel.
Il croît autour des sources et des mares.
ÀMATELTEL {Umâhaq),
Plante grasse grimpante.
KerhAyet-edh-dhIb (arabe); Tâhert-n-abeggui (temàhaq).
Plante à fruits en forme de grappe de raisin.
Les Arabes de l'Algérie donnent le nom de kermâyet-edh-dhîb
(petites figues de chakal ) au Solarium nigrum.
Mtrtus commcms.
Rehàn (arabe).
D'après les Touareg, le myrte existe en assez grande quantité sur
le plateau de Tâderart dans TAkâkoûs.
Gaota (fessanien),
A Trâghen, les indigènes cultivent sous le nom de gaota un fruit
légumineux, de la grosseur d'une tomate. On le mange cru. J'en ai
goûté. Il est sucré et légèrement amer. On le dit très-digestif.
WoRTEMfcs (temàhaq),
Broussaille, peu commune dans les montagnes des Touareg, mais
abondante au Touât où elle porte le nom de chaliât.
214 TOUAREG DU NORD.
Aharadj {temâhaq).
Plante herbacée, grimpante, venant mêler ses feuilles jaunes
à la verdure foncée des bois de tamarix, d'où lui est venu son nonj
arabe d'es-soffâr-el-ahrech, le jaunissant les arbres verts. Probablement
une clématite. *
Adal (temâhaq); El-khozz {arabe).
Mousse aquatique.
TÂNEDFEnT (temâhaq); El-'attâsa {arabe).
Commune. Pas de renseignements.
FarsÎga {arabe et temâhaq).
Commune dans les montagnes du Ahaggâr et au Touât.
Akerfal {temâha4]); El-iadh1dh {arabe).
Quelques stations.
PLANTES DE PLAINES.
Tassak (temâhaq); Askâf (arabe).
Commune. S'élève quelquefois dans la montagne.
Afessôr (temâhaq); Et-tolîha (arabe).
Commune.
TameddoCnet (temâhaq); Odmbi-es-sîma (arabe).
Commune.
Tahenna (tetnâhaq); Et-tehenîva (arabe).
Herbe toujours verte. Commune.
Afarfar (temâhaq); El-FoCla (arabe),
Légu mineuse.
Rhassâl (arabe).
Commune sur le plateau de Tàdemâyt.
VÉGÉTAUX. 215
CONCLUSION.
Je le répète, si, dans cet inventaire, figure le plus grand nombre
des plantes qui composent la végétation persistante du pays, celle
sur laquelle comptent ses habitants pour la nourriture de leurs trou-
peaux, il est hors de doute que la végétation annuelle, celle qui
naît, vit et meurt dans une courte saison, n'y est représentée que
pour une très-minime partie. Mon exploration directe ou indirecte
ne comprend d'ailleurs que le versant méditerranéen des montagnes
des Touareg; quand on pourra explorer le versant nigritien de ces
montagnes, quand surtout on pourra pénétrer dans le massif du
Ahaggâr, plus élevé que le Tasîli, plus riche en eau, mieux boisé, il
est probable que la flore du plateau central comprendra presque
autant de plantes que celle du Sahara algérien aujourd'hui parfaite-
ment connue par les voyages botaniques de M. le docteur Cosson et
de ses collaborateurs.
Plus on avance dans l'étude de la région désertique, et plus le
désert, tel que notre imagination l'avait créé, disparaît pour faire
place à une région exceptionnelle, sans doute, mais plus aride par le
fait de l'homme que par l'abandon du Créateur.
Tous les voyageurs chargés d'explorer le Sahara ont constaté que
la morte-saison des végétaux correspondait aux mois des plus grandes
chaleurs, et qu'après chaque pluie le sol se couvrait presque instan-
tanément de plantes qu'on n'aurait pas soupçonnées s'y trouver en
germe. Mon témoignage doit confirmer le leur. J'ai eu l'occasion de
me trouver chez les Touareg au moment où , après neuf années de
sécheresse absolue, des pluies abondantes venaient d'arroser la terre,
et j'ai vu se produire sous mes yeux le miracle de vastes espaces, nus
la veille, transformés instantanément en pacages de la plus belle ver-
dure. Sept jours suffisent pour que l'herbe nouvelle puisse nourrir
les troupeaux. On donne à cette production spontanée le nom d' *acheb
ou celui de rebiàa, printemps.
Mon exploration conOrme aussi une loi bien connue de la géogra-
phie botanique : celle qui subordonne les stations des plantes bien
plus à l'altitude des lieux qu'à leur latitude. Ainsi, alors que dans
les vallées au Nord du Tasîli je trouvais des représentants de la flore
216 TOUAREG DU NORD.
intertropicale, au sommet de la montagne, au Sud, les plantes des
environs de Montpellier n'étaient pas i*ares.
Le lecteur comprendra pourquoi j'ai donné autant de développe-
ment à cette étude :
Le pays, objet de mon exploration, est réputé un désert sans
végétation ; j'ai tenu à constater que la Providence avait, même pour
les lieux les plus arides, des ressources spéciales.
Les botanistes qui avaient exploré le Sahara algérien avaient
prévu , par la comparaison de leurs herbiers avec ceux du Sénégal ,
de la haute Egypte et de l'Arabie, qu'à partir de la zone reconnue par
eux jusqu'à la limite des pluies tropicales, la végétation saharienne
ne pouvait pas se modifier sensiblement ; j'avais à démontrer cette
vérité.
Enfin la marche des caravanes est souvent subordonnée aux lois
naturelles du développement des plantes qui alimentent les cha-
meaux; j'avais à mettre sous les yeux du lecteur les éléments d'ap-
préciation des causes qui règlent les départs et obligent à avoir des
relais d'animaux.
J'ose espérer que ces motifs feront excuser l'aridité d'une nomen-
clature très-étendue.
CHAPITRE III.
ANIMAUX.
La faune du pays des Touareg est en rapport avec sa flore. En
général, les animaux y sont relativement plus rares que dans les
parties du Sahara rapprochées du littoral. Cette remarque s'applique
au^i bien aux animaux domestiques qu'aux animaux sauvages.
S I". — Animaux domestiques.
Les animaux domestiques que possèdent les Touareg sont :
Le chameau,
Amadjoûr * ;
Le cheval ,
ilïs;
Le zébu,
Esoû;
L'âne,
Eyhad;
Le mouton.
Akerêr;
La chèvre,
Tîrhsi plur. Oidli;
Le chien.
Eydi.
On trouve, dans les villes seulement :
Le chat, Akârouch;
Le pigeon, Tidebîrt, plur. IdeMren;
Le coq, Ikahi; la poule, Tikahit.
Inutile de dire que le porc est exclu pour des motifs religieux.
Les Touareg n'ont aucun oiseau domestique, par la raison qu'ils
n'en mangent pas.
1. Nom général de Tespèce.
218 TOUAREG DU NORD.
Chameau,
La vie des Touareg, plus encore que celle des autres Sahariens,
est intimement liée à celle du chameau ; car ce noble animal est non-
seulement sa monture de guerre, la locomotive de ses trains de cara-
vane, Yexpress qui fait disparaître Tespace, ce grand ennemi de l'ha-
bitant du désert, mais encore il est le pourvoyeur de ses principaux
besoins.
Son lait est presque Tunique aliment de la famille dans la saison
des pâturages;
Sa viande est le nec plm ultra de Thospitalité offerte à Uhôte de
distinction ;
Son cuir, l'un des meilleurs qui existe, donne le tissu de Ta tehte,
la matière première des selles, des bâts, des chaussures et de la plu-
part des ustensiles de ménage ;
Son poil fournit la matière textile des cordes d'arrimage des
convois;
Sa fiente, récoltée, sert, ici, d'engrais fécondant pour les pal-
miers; là, dans les grands espaces sans aucune végétation, de com-
bustible avec lequel on fait cuire les aliments;
Enfin, sa trace, interrogée dans toutes les marches, fournit au
voyageur des indications précieuses dont il est toujours tenu compte,
soit qu'elle annonce le voisinage pacifique d'un troupeau au pacage,
soit qu'elle signale le passage d'individus, isolés ou en caravanes,
chargés ou non, amis ou ennemis; car la largeur du pied, la longueur
des ongles, la nature des déjections, révèlent à l'homme expérimenté
tout ce qu'il a besoin de savoir sur les dispositions de ceux qui suivent
la même route ou la traversent.
La nécessité de pourvoir à la nourriture d'un animal si utile, on
le comprendra sans peine, a obligé les Touareg à adopter la vie no-
made pour aller, suivant les saisons, suivant les pluies, chercher, ici
l'eau , là les pacages que le chameau réclame.
On distingue le chameau de selle du chameau de bât, qui diffèrent
l'un de l'autre comme le cheval de course du cheval de trait :
Le chameau de bât {taouti, plus communément amis, fém. tâlamt,
plur. imenâs, hongre, indân) constitue la base des troupeaux, l'élé-
ment des transports par caravanes;
ANIMAUX.
219
Le dromadaire de selle {arhelâm, fém. tarhelâmt, hongre arerfj-
djân) est un animal presque de luxe» que les riches seuls possèdent.
A son défaut, les pauvres montent souvent dans leurs courses des
chameaux dé bât dressés pour la marche accélérée auxquels on donne
le nom spécial de imenâs-wân-terik.
La chamelle laitière, tasaghârt, providence des ménages, et Téta-
Ion, amâli, objet de soins particuliers, représentent encore des indi-
vidualités distinctes, ainsi que le chameau ayant la moitié de la tête
blanche et l'autre moitié noire, azerghâf, considéré avec raison comme
appartenant à une race en dégénérescence.
Tandis que, pour les différents âges de Thomme, on ne connaît
que Tenfance, la virilité, l'âge mur et la vieillesse, pour le chameau
et la chamelle, il y a une série de périodes qui n'en finissent pas.
Voici, par sexes, cette nomenclature :
Mâle. Femelle.
A la naissance. . . Aoura, Taourait.
Avant un an. . . . Asûka, Tesâkaït.
A un an Aledjôd {âledjôd) , Tâledjot.
A deux ans Aleggès ( dleggès ) , Tàleggest,
A trois ans Akkanafoûd, Takkanafoûd.
A quatre ans. . . . Arhâir, Tarhàirt.
A cinq ans Egg-esstn, Ouelt-esstn.
A six ans Egg-ekkâz, Ouelt-ekkôe,
A sept ans Ameçadis {âmeçad(s)^ TâmeçadisL
A huit ans Ouân-taJielât , Tahelât.
Ces distinctions ont leur importance pour la détermination des
charges à mettre sur le dos des animaux. Des proverbes qui, dans le
Sahara comme ailleurs, formulent les préceptes de l'expérience,
règlent les questions de poids à porter suivant l'âge des animaux.
Mon intention n'est pas de faire ici une monographie du chameau,
quoique l'importance du rôle de cet animal dans la vie saharienne
exigerait quelques développements; je me bornerai à dire que le
chameau des Touareg, de selle ou de bât, comparé à celui du Nord,
a généralement les formes délicates, le poil ras, la robe d'un ton
clair, se rapprochant de la couleur des sables ou des plaines jaunâ-
tres au milieu desquels il vit.
Sa sobriété aussi est plus grande, il endure mieux la faim et la
soif; cependant sept journées sont la plus grande limite d'abstinence
qu'il puisse supporter en été, lorsqu'il est en marche et chargé. En
220 TOUAREG DU NORD.
hiver, quand les herbes sont aqueuses, il peut rester au pâturage un
et deux mois, même plus, sans avoir besoin d'être abreuvé.
Par les immenses quantités de chameaux que possèdent les tribus
du Sahara algérien, on serait tenté de croire que ces animaux doivent
être plus nombreux encore chez les Touareg; il n'en est pas ainsi. Le
plus riche propriétaire de chameaux, dans tout le pays d'Azdjer, n'en
a qu'une soixantaine environ. Il y a lieu d'ajouter que la sécheresse et
le manque de pâturages, dans les neuf dernières années, y ont beau-
coup diminué la richesse cameline.
Le chameau, chez les Touareg, est abattu comme bête de bou-
cherie, et sa viande, avec celle du mouton et de la chèvre, est à peu
près la seule qu'ils mangent, soit fraîche, soit salée, soit séchée. J'ai
dû m'en nourrir souvent dans mon voyage et je lui ai reconnu de
bonnes qualités.
Quoique le lait des chamelles soit la principale nourriture des
familles pendant la saison des pâturages, il est toujours rare dans les
tribus, parce que les bonnes laitières, sans pacages suffisants, sont
difficiles à trouver dans l'espèce cameline comme dans toutes les au-
tres races d'animaux : aussi les Touareg croyaient-ils me faire un
grand cadeau en m'envoyant un litre de lait.
Cheval.
Le cheval est aujourd'hui très-rare chez les Touareg, la période de
sécheresse que le pays vient de traverser en ayant réduit beaucoup le
nombre. Jadis quelques chefs avaient des juments poulinières et fai-
saient des élèves, maintenant ceux qui veulent avoir des chevaux les
tirent du Touât où l'espèce chevaline paraît être belle.
En temâhaq, le cheval se dit aïs, la jument tâbedjoût, tâbedjooût,
le poulain ahoûdj, la pouliche lahôk.
Quoique les chevaux soient rares dans le Sahara, et quoiqu'il
soit très-difficile de les y nourrir et de les y abreuver, j'ai acquis, par
expérience personnelle, la preuve qu'un voyageur, avec des provi-
sions d'eau et d'orge suffisantes, n'est pas obligé d'adopter exclusive-
ment la monture incommode du chameau, même dans les régions
sablonneuses.
Si je dois en croire le marabout Sîdi-el-Bakkây et le Cheikh-
'Othmân, deux autorités indiscutables dans les questions sahariennes,
ANIMAUX. 221
les Arabes nomades des rives de l'Océan viennent avec des chevaux,
jusque sur la route d'In-Sâlah à Timboiiktou, pour y piller les cara-
vanes. Des chameaux, chargés d*eau et de suif, accompagnent ces
expéditions. On nourrit d'abord les chevaux avec le suif, et dès qu'un
chameau est déchargé, on le tue, et sa viande est employée à
nomrir hommes et chevaux. Ainsi approvisionnés, ces pillards peu-
vent attendre, pendant des mois entiers, dans les solitudes les^plus
arides.
Des expéditions de cavalerie ont été entreprises par les sultans de
Mourzouk contre le Kânem, dans l'Afrique centrale, et elles ont sur-
monté les difficultés de la nourriture des chevaux.
Le cheval g'habitue très-bien à ne boire que tous les deux jours.
Zébu.
Le zébu ou bœuf à bosse, très-commun dans le Soudan, est repré-
senté, chez les Touareg, par quelques individus dont les habitants de
Rhât font usage pour leurs labours.
On lui donne, dans le pays, le nom d*esoù,, pi. tisita. La vache
s'appelle tésout, le veau tahârhôlt, le veau qui tette alàki.
Cet animal doux, intelligent, sobre, facile à manier, sert mainte-
nant comme bête de somme; autrefois on l'employait comme bête de
trait.
Avant l'importation du chameau dans le Sahara, à une époque
incertaine, mais qu'on peut fixer approximativement du m* au
iv« siècle de notre ère , tous les transports entre le Nord et le centre
de l'Afrique étaient faits par des zébus, non pas à dos, ainsi que cela
se pratique aujourd'hui encore dans la zone des pluies tropicales et à
l'exclusion du chameau, qui n'est même plus connu au delà du Niger,
mais au moyen de chariots que les zébus traînaient.
Sur la route que suivaient les Garamantes, de Djerma au pays
d'Aïr, route encore parfaitement tracée, comme sont les anciennes
voies romaines, on trouve, à la station d'Anaï *, de grandes sculp-
tures sur le rocher, qui représentent très-distinctement des chariots
avec roues, traînés par des bœufs à bosse.
1. Ne pas confondre cette locaUté avec ceUe du même nom, sur la route de
Mourzouk à Koûka.
222 TOUAREG DU NORD.
Je n*ai pas pu visiter cette contrée , mais d'après les renseigne-
ments qui m'ont été donnés, je ne puis douter de la signification de
ces sculptures.
En traversant la vallée de Telizzarhên, sur la roule directe de
Mourzouk à Rhàt, M. le docteur Barth a trouvé plusieurs sculptures
analogues à celles d'Anaï, dans lesquelles le bœuf à bosse joue le prin-
cipal rôle. Il est à remarquer qu'aucune des sculptures de l'époque
garamantique trouvées jusqu'à ce jour ne rappelle le chameau , et
que cet animal n'apparaît, à l'exclusion du bœuf, que dans les épi-
graphies grossières des Touareg modernes.
L'emploi exclusif du bœuf pour les transports, dans les temps
anciens, implique une richesse en eaux et en pâturages beaucoup
plus grande que celle de l'époque actuelle. J'auraf l'occasion de
faire remarquer, dans le cours de ce chapitre , qu'il a dû en être
ainsi.
Ane,
En temâhaq, l'âne s'appelle cyhad, l'ànesse lèihH, Tânon amainoit.
Après le chameau, l'âne est l'animal domestique qui rend le plus
de services aux Touareg, surtout aux serfs, dont le plus grand nombre
est réduit à cette unique bête de somme.
Les ânes du pays des Touareg sont remarquables par leur taille
élevée et leur sobriété, presque égale à celle du chameau. Ils ont le
pelage gris cendré sur le dos, blanc sous le ventre, avec une croix
très-marquée, d'un beau noir, sur les épaules.
L'âne existant encore à l'état sauvage, dans quelques contrées du
pays, il en est beaucoup, parmi ceux domestiqués aujourd'hui, qui
ont été arrachés à la liberté depuis peu de temps : aussi sont-ils gé-
néralement peu dociles et se ressentent-ils de l'état sauvage dans le-
quel ils ont vécu.
Mouton,
Les seuls troupeaux de bétail de rente, chez les Touareg, se com-
posent de chèvres et de moutons à poils comme ceux du Soudan.
Le mouton, en général, s'appelle akerêr en langue temâhaq. Les
Touareg distinguent \q mouton à laine des Arabes du Nord ànmoulon
à poil de leur pays, en donnant au premier le nom d'akerér-âjelbi ou
ANIMAUX. 223
ouân-tedoûft, et au second celui de akerêr-Emmôhagh ou mouton des
Imôhagh,
Cette variété de la race ovine se distingue surtout de ses congé-
nères par la hauteur de ses membres : c*est pourquoi les zoolo-
gistes lui ont donné le nom d*Ovis longipss, ou mouton à longues
jambes.
A la taille il joint un développement considérable de toutes les
parties de son corps.
La tête est allongée, le nez arqué, les oreilles pendantes, la queue
longue et fine.
Sa toison, blanche et noire ou de couleur fauve, à poil long et
rude, ne rappelle nullement celle des moutons à laine.
Le mâle seul a des cornes, et il en a souvent quatre.
La brebis se dit tâheli, l'agneau âbedjoûdj, le petit qui vient de
naître, âkarouât, le mouton bistourné, adjoùr.
Ce mouton supporte la marche du cheval, sans doute par suite de
rhabitude qu'il a contractée de parcourir de grands espaces pour
trouver sa nourriture.
Les ïouâreg n'élèvent le mouton que pour sa viande et son cuir;
sous ce double rapport, l'animal ne laisse rien à désirer, car il donne
autant de viande et un cuir aussi grand que deux moutons de l'Algérie.
J'ai trouvé sa viande bonne : il est vrai que je n'ai pu la juger compa-
rativement.
Chèvres,
Les Touareg distinguent deux espèces de chèvres : celle à poils ras,
tîrhsi, pi. oûlli, et celle à longs poils, iâjelbît. Ils nomment le bouc
ahôlagh, le chevreau aboùlcdj, le petit erheïd ou lirheïdet, suivant son
Les troupeaux de chèvres sont beaucoup plus nombreux que ceux
de moutons, parce que leur aptitude à aller dans tous les terrains et à
vivre de broussailles leur permet de trouver plus facilement leur
nourriture.
Les chèvres du pays des Touareg n'ont rien qui les différencie
sérieusement de celles de l'espèce commune du Nord de l'Afrique;
elles sont d'une grande ressource pour les serfs auxquels elles don-
nent viande, lait, poil et cuir, qu'ils utilisent.
224 TOUAREG DU NORD.
Chiens,
Les Touareg possèdent trois sortes de chiens : le lévrier, ôska, le
chien arabe , à long poil , âbar-hoûh, très-rare, et un bâtard de ces
deux espèces, à poil ras, qui porte le nom commun de l'espèce , eydi
teydît, suivant les sexes. Ce dernier, de beaucoup le plus nombreux,
sert à la fois de chien de garde et de chien de chasse.
Quand j'aurai ajouté à cette liste le chat ordinaire, quelques
poules et des pigeons, mais seulement dans les villes, j'aurai énu-
méré tous les animaux domestiques qui se trouvent dans le pays.
Sans aucun doute le nombre des espèces, et, dans chaque espèce,
le nombre des individus , pourraient être plus considérables malgré
Taridité générale du sol; mais le servage est un obstacle presque
insurmontable à l'accroissement des animaux domestiques. Le serf
n'a aucun intérêt à accroître les troupeaux de son seigneur ; car leur
augmentation doublerait son travail de garde. Quant à ceux qui lui-
appartiennent en propre, il aurait un bénéflce réel à les multiplier, si
le seigneur n'était là, prélevant une sorte de dîme et quelquefois plus
que la dîme, puisqu'il peut prendre tout ce que possède et produit
l'homme attaché à la glèbe.
S II* — ANIMAUX SAUVAGES.
Si la nomenclature des animaux domestiques laisse à désirer,
celle des bêtes fauves, quoique plus riche, dénonce également un
pays pauvre.
Mammifères,
Parmi les mammifères on compte :
La chauve-souris, watwat, thir-el-lîl (ar.);
La hyène, irJienî, bêlfen (tem.), dhebaà (ar.);
Un Carnivore? tahoûri (tem.) ;
Le chacal , âbaggui ( tem.), dhîb ( ar.) ;
Le loup? adjoûlè (le mâle en temâhaq);
Id, tarlisU (la femelle), pi. tirhès;
Le fennec (Fennecus Brucei), akliôr-hi, alzôzhekkal, khônchekki,
arhôleh (tem.), el-fenek (ar.);
ANIMAUX. 225
Le renard, abârrân ( tem.), thaàleb (ar.) ;
Le guépard (Felis jubata) amayâs (tem.), fehed (ar.);
Le chat sauvage (Felis catus) târhda (tem.);
Id. bârheda {tem.);
Id. c^^a«(tem.);
Le rat rayé (Mus barbarus) akoûnder (tem.), djird (ar.);
Le rat ordinaire, akôteh (tem.), fâr (ar.);
Le Ctenodactyle de Masson, télout (tem.), goundi (ar.);
La gerboise, idhaoui (tem.), djerbouà (ar.);
Le lièvre isabelin, tîmerouelt (tem.), ameb (ar.);
L'onagre, ahoûlil ( tem.) ;
Le hérisson, tihanêsU (tem.), ganfoud (ar.);
L'antilope addax, amellâl (m.), tamellâlt (fém. tem.), el^m6to(ar.);
L'antilope mohor, êner (tem.)» eÏHTiohor (ar.);
L'Alcelaphe bubale (ant. orix) tiderit (tem.), fceâfueur-eI-(nkiAcfc(ar.);
Le mouflon à manchettes, oûdad (tem.), laroui (ar.) ;
La gazelle commune, akankôd, pi. iliinkad (tem.), ghozâl (ar.) ;
La gazelle des dunes, tedemît (tem.), er^m (ar.);
Un petit mammifère? akaokao (tem.);
Un rat des champs (au Fezzân), korowmbâko.
Le lion âhar; la panthère, anâba, dâmesâ; le sanglier, azhîbara
(appelé adaouiydaouay dans l'Aïr et aganguera dans le Ahaggâr);
l'éléphant, êlou, le buffle, tahâlmousy ainsi que le rhinocéros et l'hip-
popotame, quoique connus des Touareg du Nord, dans leurs voyages
au Nord et au Sud, ne sont pas des animaux propres à leur pays, trop
pauvre en eaux, en végétaux ou en gibier,- pour qu'ils viennent s'y.
aventurer.
Quelquefois les Touareg rapportent du Soudan , soit comme arti-
cles de commerce, soit comme objets de curiosité, des singes, adâ-
guel (tem.), guerd (ar.), connus sous le nom de Guenon patas (Cerco-
pithecus ruber) ; j'en ai acheté deux qui sont au Muséum dhistoire
naturelle de Paris.
OiseaiUD [iguedàd).
Parmi les oiseaux figurent :
Un aigle noir et blanc, îhadar (tem.) ;
Un aigle à tête blanche, azhizh (tem.);
I. 15
226 TOUAREG DU NORD.
Le néophron, tarhâldji (tem.);
Le gypaète, tamîdda ( tem.) ;
Le faucon, imestarh (tem.);
La chouette, taouîk ( tem.) ;
Le hibou , bôinhên (tem.) ;
Le corbeau, arhâlidj, arhâla (t^m.);
Le moineau des arbrps, çiden-firdzelàn (tem.) ;
Un motteux, belrhô (tem.), boû-bechîr (ar.);
Une berçeronnette, me^ci (ar.) ;
L'hirondelle, améstarh (tem.). hhotteïfa (ar.);
Le pigeon ramier, tîdebirt (tem.);
Le flamant, adjâïs- (tem.);
Le Pteroclurus aldiata, erak (tem.) ;
Le ganga, tîkedouin ( tem.), gatâ (ar.) ;
La bécassine, tenêq (tem.) ;
Le canard sauvage, tenèq-cnrâman (tem.);
La demoiselle de Numidie, arhellendjoiim (tem.) ;
L'autruche, ânhil (m.), tarthîlt (fém.), plur. tînhcU (tem.).
Tels sont, sauf quelques omissions, les seuls oiseaux que nourrit
et que peut nourrir le pays, oiseaux voraces pour la plupart, et qui
trouveraient à vivre là où il n'y a rien.
Quant aux autres espèces, celles qui aiment l'ombrage, les fleurs,
les eaux, le voisinage de l'homme, la vie et le mouvement, que
feraient-elles au milieu d'une nature désolée, aride, où la mort règne
sur d'immenses espaces ?
Un des caractères du' désert, celui qui surprend le plus les voya-
geurs européens, est l'absence d'oiseaux. On peut voyager une se-
maine, dans certaines contrées, sans en rencontrer un seul.
Souvent les caravanes rapportent aussi du Soudan des perro-
quets, akoû (tem.).
ReptUes.
La série des reptiles est plus complète, quoique la famille des
chéloniens manque entièrement.
Parmi les sauriens, on compte :
Le crocodile, arhôchchâf (tem.) ;
ANIMAUX. 227
Le gecko des murailles, amazregga ( tem.) ;
Le gecko des sables, timakouert (tem.), boû-kechâch (ar.);
Un lézard vert et rouge, ametarhtarh ( tem.) ;
Un lézard jaune, tîmekelkelt (tem.);
Le scinque, tân-ahâlmouU (tem.), zelgâg (ar.) ;
Le même (jeune), imechellerh (tem.);
Le fouette-queue (Uromastix), aguezzarâm (tem.), dhobh (ar.);
Le varanus, arhâtâ (tem.), elrourân (ar.).
Les batraciens n'ont que deux représentants : la grenouille, âdje-
rou, autour des sources et des lacs, et le crapaud des joncs, autour
des oasis.
Les ophidiens venimeux sont très-connus, et même au delà du
chiffre-de leur nombre réel , car la nomenclature locale comprend
deux espèces dont l'existence est au moins douteuse.
Voici cette nomenclature :
Vipère cornue, tâchchelt (tem.), lefa'a (ar.);
Vipère des jongleurs, seffeltbs (tem.) ;
Vipère minute, zorreîg (ar.) ;
Serpent fabuleux, âchchel (tem.) ;
Autre serpent fabuleux, tânerhouet (tem.).
Les ophidiens non venimeux, probablement plus nombreux que
les précédents, sont tous confondus sous deux noms communs :
àchchel et emedjel (tem.).
Poissons,
Dans un pays où l'eau manque, les poissons doivent être rares;
cependant on en distingue trois espèces :
Le Clarias lazera, asoûlmeh (tem.);
Une autre espèce, isâttafen (tem.);
Id. imanân (tem.).
Arachnides.
Deux familles de cette classe sont représentées dans le pays par
les scorpions, tâzherdâmt, et les araignées, sârâs, dont l'une, très-
grande, tîn-aghrân, est réputée venimeuse par les indigènes.
228 TOUAREG DO NORD.
In$ect$s.
L'entomologie intéresse assez peu les Touareg pour qu'ils ne
s'amusent pas à donner des noms particuliers aux myriades de petits
êtres qui composent cette classe d'animaux ; ils se bornent à distin-
guer par des noms particuliers les grandes familles qui ont des
caractères bien tranchés. Leur classification peut être résumée ainsi
qu'il suit :
Coléoptères, èguèlê (gros), téguéleyt (petits) ;
Orthoptères (sauterelles), tâhouâlt;
Névroptères (libellules), tâtel'-oùlarhet (mot-à-mot, qui vole
bien).
Hyménoptères (abeilles), tihenhikert-^n-toûraout ;^
Id, id. tihenkêkert'enrtâment;
Hémyptères (punaises du chameau), tacMloûft;
Id. ( id. Sàlàrve), adjôrmel;
Id. (punaises des maisons), bîzbîz;
Lépidoptères (papillons), ehellêloû;
Diptères (moustiques), tadast;
Id. (mouches du chameau), aheb;
Id. (mouches de l'homme), ehi, pi. ehân;
Id. {Arihemia Otxdneii, larve), ed-doùda.
Myriapodes.
Cette classe très-nombreuse d'animaux inférieurs n'est repré-
sentée que par un seul type, la scolopendre, téouânt des Touareg,
sott-^lrkheU des Arabes.
Annélides.
Un seul genre de cette famille , les sangsues, tâdelît, appelle l'at-
tention par les accidents qu'elle détermine sur les animaux qui vont
boire avec avidité dans les eaux troubles.
Le ver de terre se dit tâouhki.
ANIMAUX. 229
Mollwques,
Toutes les coquilles sont confondues sous le nom général d'issinen-
tafoûk {i^m.).
Cependant les Touareg donnent le nom dHzhabi à une volute venant
de la côte de Guinée, et qui est employée comme pendant d'oreille ;
de tâmguelloût à la Cyprea monela, qui sert de monnaie au Soudan;
de ifarghas aux coquilles d'eau douce et particulièrement à celles du
genre Melania.
Parmi les coquilles fluviales ou palustres que j'ai recueillies dans
mon voyage se trouvent :
Une Planorbis nouvelle et la PAj/5a contorta récoltées à Bîr-ez-Zouâït,
région des dunes ;
La Melania fasciolata, commune dans les environs de Ghadâmès
et de Titerhsîn ;
La Melanopsis Dufouri de l'Ouâd-Biskra ;
Une Paludine à déterminer, provenant d'Aîn-Temôguet (environs
de Djâdo).
ParasUes,
L'un est spécial au pays, le ver de Guinée, arhân; l'autre, le pou,
tillik, commun à toute la partie de l'espèce humaine qui vit dans la
malpropreté.
Les vers intestinaux, fréquents chez les enfants, se nomment
achchellen (serpents).
Un parasite des végétaux, donnant un miel de qualité inférieure,
porte le nom de khamît.
ESPÈCES REMARQUABLES,
Cette nomenclature aride exige, comme complément, quelques
lignes sur les espèces qui appellent l'attention.
Tahoûri.
Sous ce nom , les Touareg connaissent un grand Carnivore , de la
taille de la hyène, commun dans toute l'Afrique centrale et qui porte
les noms suivants dans les pays qu'il habite :
230 TOUAREG DU NORD.
Au Haonssa» Kora;
A Timbouktou, Kourou ;
An Touât, Gabou.
D'après les Touareg venus à Paris, il y aurait au Jardin des plantes
un tahoûri originaire du Sénégal.
D'après M. le commandant Hanoteau , il en existerait dans
le Ahaggâr deux variétés : Tune noire, l'autre blanche. Cette dernière
serait très-craintive.
Loup, — Adjoûlé.
Je donne le nom de loup à une espèce très-féroce qui vit dans le
haut du Tasili et dans les montagnes du Ahaggâr. Je n'ai pas vu cet
animal et je n'ose pas affirmer qu'il soit réellement un loup ; cepen-
dant, par les renseignements qui m'ont été donnés, je ne puis que
l'assimiler à cet animal.
« Il ressemble à un grand chien fauve, disent les Touâreg\ et il
« est le seul Carnivore de notre pays qui attaque l'homme sans même
(( être provoqué à la défense. »
Les anciens auteurs avaient signalé la présence du loup dans le
Nord de l'Afrique : il n'est donc pas étonnant qu'il s'y retrouve là où
la présence de l'homme ne lui dispute pas le terrain.
Cette espèce semble d'ailleurs tendre à disparaître des montagnes
des Touareg, comme elle a disparu du Tell, car aujourd'hui, si l'on
en croit les indigènes, elle serait déjà assez rare.
Guépard.
Le guépard est assez commun dans toute la région de l"Erg, au
Sud de la Tunisie, de l'Algérie et du Maroc; il entre peu dans les
montagnes des Touareg.
Les Souâfa le chassent pour sa peau, plus petite, mais aussi belle
que celle de la panthère.
Dans l'Asie méridionale, où cet animal existe, on le dresse pour
la chasse': d'où lui est venu le nom vulgaire de tigreH:hasseur. Dans
les contrées de l'Afrique septentrionale, où on le rencontre, le gué-
pard chasse pour son compte seulement.
ANIMAUX. 231
Onagre.
L'ona^ ou âne sauvage vit en troupeaux dans le Tasîli du Nord ,
dès la plus haute antiquité , car Pline le signale à peu près dans les
mêmes lieux. C'est un bel animal, assez grand, très-rapide, mais
d'une domestication difficile.
Les Touareg ont renoncé à le poursuivre ; ils lui tendent des pièges.
Les jeunes seuls, susceptibles d'être dressés, sont conservés vivants.
On tue les vieux pour avoir leur peau.
AfUUope mohor.
Ce ruminant, si remarquable par ses cornes recourbées en avant,
par la blancheur de son pelage, par la gracieuseté de sa démarche,
vit en grand nombre dans la plaine d'Admar. On commence à le
trouver dans les dunes de F'Erg. Il est très-commun dans le pays
d'Aïr. Les Touareg le chassent pour sa viande et pour sa peau dont
ils font leurs boucliers.
Le cuir de l'antilope mohor est épais et assez résistant pour parer
utilement les coups de flèche, de sabre, de javelot et de lance. 11 peut
dévier la balle, l'amortir, mais non la repousser.
AntUope oryx, *
La viande de cet animal, appelé hosuf sauvage par les indigènes,
sert en grande partie à l'alimentation des Sahariens et des cara-
vanes.
Les Cha'anba et les Souâfa lui font de grandes chasses dans T'Erg
et viennent vendre à Ghadâmès la chair salée et séchée qui en est le
produit.
Pendant mon séjour dans cette ville, j'ai souvent fait usage de cette
viande.
Akaokao,
Les Touareg donnent ce nom à un petit mammifère noir, à peau
excessivement dure, qu'on trouve dans les ouâdi de l'Akâkoûs et du
Tasîli, et qui vit sur les arbres dont il mange les feuilles.
232 TOUAREG DU NORD.
Cet animal est très-craintif et fuit dans les fentes des rocUers dès
qa*il entend venir quelqu'un.
Autruche.
L'autruche est rare dans le pays des Touareg et on ne chasse
même pas celles qui y sont, parce que les habitants de cette contrée,
n'utilisant pas , comme les Arabes , sa graisse et ^a chair, ne trouvent
pas d'intérêt sérieux à la poursuivre. Quant aux plumes, déchirées
par les rochers, elles n'ont aucune valeur.
Celles de la région sablonneuse de T'Ergsont, au contraire, très-
renommées pour leur belle conservation. Les Souâfa obtiennent des
dépouilles de ces oiseaux des prix plus élevés que de celles de toute
autre provenance.
Le 7 mars 1861 , au puits de Tarz-Oûlli, sur la route de Rhât,
j'ai rencontré un marchand deGhadâmès, El-Hâdj-Mohammed-ben-
Deloû, qui suivait une caravane lui appartenant. Il était accompagné
dans son voyage par une autruche femelle privée. On lui mettait des
entraves comme aux chameaux qui vont au pacage. Ce fait ne parut
pas extraordinaire à mes compagnons de route.
Gypaète.
Les Touareg tirent cet oiseau , d'ailleurs commun , pour en avoir
la graisse et la viande. L'une et l'autre sont préconisées contre les
piqûres et les morsures d'animaux venimeux.
CrocodUe.
Je signale la présence du crocodile dans les lacs de Mîherô, et aussi
à la tête de l'Ouâdi-Tedjoûdjelt, en un endroit appelé Tadjeradjeré,
sur le rebord Sud du Tasîli du Nord.
Les grandes inondations qui ont eu lieu à Tépoque de mon pas-
sage àTikhâmmalt m'ont empêché d'aller moi-même constater l'iden-
tité de cet animal amphibie avec ceux du Nil ou du Niger, mais
les renseignements précis et certains qui m'ont été donnés par des
personnes ayant vu le crocodile en Egypte et dans le Soudan ,
l'effroi qu'il inspire aux serfs riverains , la dîme qu'il prélève sur
ANIMAUX. 233
les troupeaux qui vont boire aux lacs, enfin les blessures dont quel-
ques Touareg portent la cicatrice, ne me laissent aucun doute à cet
égard.
D'après les Touareg, ce reptile reste caché dans des grottes sous-
aquatiques pendant l'hiver et il vient à partir du printemps sur le
rivage.
A la saison des amours, disent-ils, les femelles poussent des cris
semblables à ceux des chameaux en rut.
Toutefois, l'existence d'un aussi grand animal dans de petits lacs
de quelques hectares à peine et dans un pays où les pluies sont
rares semble d'abord improbable. Cependant l'histoire et la consta-
tation récente de l'existence du crocodile dans des régions similaires
m'autorisent à maintenir ce saurien dans la nomenclature de la faune
du pays des Touareg du Nord.
Pline nous apprend que le fleuve Nigris (l'igharghar moderne)
était habité par des crocodiles ; que l'éléphant se trouvait à l'état
sauvage sur les bords du Guîr, rivière saharienne qui aboutit au
Touât , et même dans les belles vallées de Ghariân , au pied des
montagnes de la Tripolitaine, au Nord des lacs de Mîherô.
Les historiens, d'accord avec les géographes et les naturalistes,
nous enseignent en outre que les Carthaginois se servaient d'éléphants
domestiques dans leurs guerres.
Pour que des éléphants aient pu vivre en liberté dans le Nord de
l'Afrique, il a fallu que le pays fût alor3 plus boisé et mieux arrosé
qu'aujourd'hui.
Là où il y a assez d'eau pour l'éléphant, il y en a assez pour le
crocodile, car l'un et l'autre se rencontrent à peu près partout dans
les mêmes localités.
On a été aussi surpris en apprenant, par les explorations de
MM. V. Guérin et Roth, que le crocodile se trouvait encore en Pales-
tine dans rOuâdi-Timsah, torrent analogue à ceux du Sahara. Désor-
mais ce fait est accepté par la géographie zoologique.
D'ailleurs, l'existence du crocodile dans les lacs du Tasîli du Nord
ne serait pas une exception dans la région saharienne, car, s'il faut
en croire les Teboû, plusieurs lacs de leurs pays, notamment celui
de Domor, sur la frontière du Borgou, seraient aussi peuplés de cro-
codiles.
L'étonnement du lecteur sera moins grand, s'il se rappelle que les
234 TOUAREG DU NORD.
lacs à crocodiles de Mîherô sont une des têtes de l'igharghar; que,
dans les temps anciens, l'igharghar était, d'après Hérodote, un grand
fleuve « iroTafioç (J^iyaç, » qui, sous le nom de Triton, se jetait dans
la mer après avoir traversé trois grands lacs.
Si le grand fleuve, dont le lit, à sec, n'a pas moins de 6 kilo-
mètres de largeur au point où je l'ai traversé, roulait encore de
grandes eaux, personne ne serait surpris que le crocodile fût un de
ses hôtes; par la même raison, on doit accepter comme vraisemblable,
l'eau à ciel ouvert ayant manqué dans la partie inférieure du fleuve,
que les animaux auxquels il donnait la vie soient remontés jusqu'à
ses sources.
Si le xorajxoç [uyoLç d'Hérodote explique la présence des croco-
diles dans les eaux des petits lacs de Mîherô, au besoin , ces croco-
diles justifient l'identification de l'igharghar moderne avec l'ancien
fleuve Triton.
Avec le temps tout a changé : faute d'eau, le chameau a remplacé
le zébu ; faute d'eau, l'igharghar est devenu un grand ouâdi au lieu
d'être un grand fleuve, et de même qu'il y a encore quelques zébus
dans l'oasis, riche en eau, de Rhât , de même il y a encore des cro-
codiles dans les lacs de Mîherô.
La zoologie, dans ces cas, vient confirmer les traditions de l'his-
toire.
Gecko des sables,
, Les Touareg et les Arabes sont unanimes pour proclamer le gecko
venimeux. Dans le midi de la France aussi le gecko des murailles
est réputé dangereux. Tout au plus peut-on admettre que les plaies
contuses résultant de la morsure de ce lézard ne guérissent pas
comme des plaies simples.
AfMtarhkarh.
Ce lézard, que j'ai rapporté du pays des Touareg dans de
l'alcool, a été reconnu, au Muséum d'histoire naturelle, n'être autre
que VAgama colonorum.
Les Touareg le disent venimeux et prétendent que son virus tue
les chiens et rend les hommes malades.
ANIMAUX. 235
Ce saurien, comme beaucoup d'autres Agames, inspire deTeffroi
quand on le voit, pour sa défense, dresser sa tête et son cou armé de
piquants, mais il n'est certainement pas venimeux.
Autres lézards.
Parmi les lézards dont mon exploration constate de nouveau
l'existence dans le Sud de l'Algérie se trouvent :
L^Acanihodactylus Saviqnyi, ) . , .. . , „ .
^ ^ ^, , ; [ timekelkell des Touareg.
L Acanthodactylus vulgaris , \
UAgama agilis.
Toutes ces déterminations, ainsi que celles des poissons , m'ont
été données par M. le professeur Duméril.
Vipère cornue.
La vipère cornue ou Cérastes jEgyptiaca se trouve dans tout le
Sahara : commune dans les bas-fonds et les vallées, rare dans les
lieux élevés, recherchant les points où le sol est blanc, fuyant ceux
où il est noir.
Plus encore que les autres vipères, ce reptile a besoin d'une
grande chaleur pour être dangereux. En hiver, engourdi, il reste
enfoui sous les sables; en été, il se tient volontiers dans son trou
pendant tout le temps que le soleil n'échauffe pas la terre de ses
rayons. D'ailleurs, craintif, il fuit avec la rapidité de l'éclair au
moindre bruit, de sorte qu'une double surprise est nécessaire pour
qu'un accident ait lieu.
Quoique plus rare chez les Touareg qlie dans les autres parties du
Sahara, cette vipère n'en est pas moins redoutée à cause de la gravité
de sa morsure , et on prend des précautions pour s'en préserver.
Vipère des jongleurs,
La vipère des jongleurs, si remai^uable par sa marche, la tête
relevée et le cou étalé, en signe de menace, lorsqu'elle voit quel-
qu'un, est rare chez les Touareg; on la trouve plus communément
236 TOUAREG DU NORD.
au pied du versant Sud de TÀurès à El-Faïdh et à Chegga, points les
plus chauds et les mieux abrités du Sahara algérien.
Les Arabes de ces deux contrées appellent le mâle tha*abân et la
femelle na'adja, nom conforme à celui sous lequel cette vipère est
connue en zoologie : Naja haje.
Ce serpent, m'à-t-on dit, atteint la grosseur de la cuisse de
l'homme et une longueur de deux à quatre mètres. Il est noir, et,
quand il devient vieux, il porterait sur le cou une touffe de poils I
Il est de remarque générale que Teffroi causé par la vue des
reptiles leur fait attribuer des dimensions en longueur et en grosseur
qu'ils n'ont pas : il y a donc lieu de se tenir en garde contre l'appré-
ciation et les descriptions des gens d'El-Faïdh et de Chegga.
On sait que cette vipère est venimeuse, mais on ne se souvient
pas que quelqu'un ait été atteint par son poison.
Zorréig.
Le zorreîg est la vipère vulgairement connue en Algérie sous
le nom de Vipère minute, par une fausse identification avec la
vipère du cap de Bonne- Espérance, rapportée par Levaîllan t. Son
nom scientifique est Échis carinata ou Vipère des Pyramides de
Geoffroy.
On l'a trouvée aux environs d'Oran, mais elle est plus commune
dans le Sud, sans y être très-fréquente. Elle n'existe pas chez les
Touareg.
Desfontaines, qui, le premier, a signalé l'existence du zorreîg
dans le Sud de l'Algérie, mais sans l'assimiler à aucune vipère
connue , n'ayant pu se la procurer, lui attribue , d'après les indi-
gènes , la faculté de s'élancer comme une flèche contre l'animal ou
l'homme qu'elle veut atteindre. Sans avoir cette faculté au degré
que la peur a peut-être amplifiée, il est incontestable que le zorreîg
se dresse et se lance contre son ennemi, mais toujours à très-faible
distance.
L'identification de VÉchis carinata avec le zorreîg des indigènes
n'est pas douteuse , car, à Biskta, M. le capitaine Pigaiie en possède
un exemplaire trouvé dans la contrée, et les Arabes ne lui donnent
pas d'autre nom.
ANIMAUX. 237
Psammophis punctatus.
Parmi les reptiles que j'ai rapportés du pays des Touareg et
qu'ils confondent avec d'autres sous le nom général d*âchchel, s'en
trouve un petit que j'ai capturé sur un arbre et qui a été reconnu
être le Psammophis punctatus.
En l'examinant, on lui a trouvé à la mâchoire supérieure des dents
cannelées, à venin, et à la base des dents une glande produisant né-
cessairement une sécrétion sur les propriétés toxiques de laquelle la
science n'est pas bien fixée.
Ce reptile- est rangé dans la classe des Opisihoglyphes.
Codopeltis insignitus*
Je signale ici, pour mémoire seulement, une couleuvre trouvée
dans le Sahara algérien, qui a été reconnue être le Cœlopeltis
insignitus.
Serpents fabuleux.
Ils sont au nombre de deux.
Le plus petit, quoique ayant quatre fois la longueur de l'homme,
porte une robe grise argentée avec des taches jaunes rougeâtres.
On l'appelle âchchel.
Cet animal sort peu l'hiver, il craint le froid.
Le plus grand s'appelle tânerhouet; il est rare.
Sa peau est tachetée, sa tête est couronnée de cornes, il crie
comme un chevreau.
Quand ce serpent marche, il laisse sur le sol des traces profondes
de son passage.
Voilà ce que disent les Touareg.
Mais, leur demande-t-on s'ils ont vu ces serpents, de leurs
yeux vu , tous reconnaissent qu'ils en ont seulement entendu
parler.
Rien d'étonnant à ces créations imaginaires. Les ancêtres des
Touareg ont probablement, eux aussi, entendu parler de ce fameux
serpent de Régulus qui anéantit une armée romaine près de
Carthage.
238 TOUAREG DU NORD.
Poissons.
fai déjà dit que les Touareg avaient trois espèces de poissons dans
leur pays : les imanân qui vivent dans quelques rivières, Yasoùlmeh
et Yisattâfen qui se tiennent dans les lacs.
Pendant que je séjournais à Tikhâmmalt, les eaux de déborde-
ment venues du Tasîli, en traversant les lacs, emmenèrent dans la
plaine quelques poissons. Le seul que je pus me procurer est le
Clarias lazera, l'asoûlmeh des Touareg, armé de longues barbes,
comme ceux de la môme espèce trouvés dans le Nil et dans le
Niger *. ( Voir la planche ci-contre. )
D'après les Touareg, les isattâfen atteindraient la grosseur de la
cuisse de l'homme et auraient une longueur de deux à trois
coudées.
Les poissons des lacs de Mîhero donnent lieu à une pêche qui
contribue à l'alimentation des serfs riverains. A cet effet, ils creusent
sur les bords des lacs de petits canaux étroits, aboutissant à des
réservoirs dans lesquels les poissons viennent pour y chercher une
nourriture qu'ils ne trouvent pas dans les profondeurs des lacs.
1. Voici la description de ce poisson, d*après un extrait de VHistoire natwrslU
des Poissons, par M. le baron Cu?ier et M. A. Valenciennes, tome XV, page 372 :
Le Harmoulh lazera {Clarias lazera, Nob.)*
Nous trouvons une figure parfaitement reconnaissable de Tun d'eux dans les
dessins faits dans la haute Egypte par M. Riffaud.
Les caractères tirés de la disposition des dents Yomériennes sont très-sensibles.
Le cr&ne est un peu plus large en ayant , surtout parce que le grand sous-orbicu-
laire postérieur est plus large ; il est un peu convexe transversalement, et sa pointe
mitoyenne, due à la proéminence interpariétale, est un peu plus obtuse; ses barbiUons
beaucoup plus longs. Le maxillaire dépasse la pectorale, et atteindrait à la nais-
sance de la dorsale; le nasal a moitié de sa longueur, le sous->mandibula:re externe
en a les trois quarts , et touche le milieu de la pectorale ; Tinterue est de moitié plus
court que Texteme. Une autre différence bien marquée, c'est que les dents vomé-
rieunes sont mousses, ou comme de peths pavés ronds, serrés, disposés sur un
croissant plus large dans le milieu... *
Le dessus de ce poisson parait cendré , et le dessous blanchâtre. Les nageoires
sont d'un cendré brun. Sur le dos sont de chaque c6té des séries verticales de points
blancs, au milieu de chacun desquels parait un petit pore, elles ne dépassent pas
la ligue latérale , et Ton en compte neuf ou dix depuis la nuque Jusqu'au milieu de
la longueur où elles s'effacent par degrés.
Le cabinet du roi en a un long de trois pieds.
PI. VIII.
Page S38.
Fig. 16.
CLARIAS LAZERA
(poisson db l'ouadi-tikhammalt).
Doasiné d'après nature, par M. Bocourt,
sur le sujet rapporté par M. H. Duveyrier et déposé au Muséum d'histoire naturelle
de Paris.
ANIMAUX. 239
Quand ils y sont entrés, on referme les conduits et on les prend.
La présence des crocodiles dans ces lacs rend ce mode de pêche
difficile et en interdit tout autre.
J'ai rapporté de mon voyage, mais non du pays des Touareg,
d'autres poissons qui ont été reconnus être :
L'un, trouvé dans les fossés de Tougourt, le Glyphisodon
ZUlii. Val. ;
Deux autres, fournis par les eaux artésiennes de l'Ouâd-Rîgh, le
Cyprinodon doliatus et le Cyprinodon cyanogaster.
Enfin, un quatrième, un Chromis^ encore indéterminé, commun
dans les eaux du Belâd-el-Djérîd, oasis de la Tunisie.
Scorpion.
Le scorpion est généralement plus commun que la vipère, mais,
comme ce reptile, il préfère les bas-fonds chauds et humides aux
terrains élevés, froids et secs.
On en distingue deux variétés : le noir et le jaune. On dit le
venin du noir plus dangereux. C'est à vérifier.
Cette arachnide est relativement plus rare chez les Touareg que
dans les autres parties du Sahara, et sa piqûre y est moins dange-
reuse, car on dit qu'elle ne détermine pas des accidents graves. Dans
les maisons des oasis, les piqûres sont plus féquentes, le scorpion trou-
vant un refuge dans les interstices des briques crues des murailles, et
l'obscurité faiforîsant ses attaques. A El-Ouâd, j'ai été piqué ainsi,
dans mon lit, en dormant; heureusement, une légère cautérisation
avec Tammoniaque liquide a aussitôt neutralisé les effets du virus.
Araignée venimeuse.
Cette araignée du genre Galeodes, dont l'Algérie possède plusieurs
espèces, paraît affecter les plateaux élevés , car, dans mon exploration
du Sahara, je ne l'ai trouvée que chez les Beni-Mezâb et chez les
Touareg.
L'exemplaire de cette espèce que j'ai rapporté n'a pu être , faute
de temps, déterminé par M. Lucas, professeur au Muséum d'histoire
naturelle. {Voit Mémoires de r Académie des sciences : Galeodes.)
Le venin de cette araignée ne produit jamais d'accidents sérieux. -
240 TOUAREG DU NORD.
Coléoptères.
D'autant moins nombreux et moins variés qu'on s'avance dans
le Sahara, les coléoptères n'offrent guère à l'entomologiste que les
genres suivants ; cicindèles, graphiptères, carabes, scarites, buprestes,
ateuchus, bouziers, blaps, pimelies.
A peu près tous les insectes du pays des Touareg sont noirs.
Les sujets que j'ai rapportés de mon voyage sont :
Des Cicindèîes, indéterminables par suite d'avaries;
VAnthia venatrix;
VAnthia sexmaculata;
Le Scarites héros ;
La Pimelîa senegalensis;
Une Adesmia, voisine de la montana de Klug;
Le Trachiderma hispida;
Le Scaurus carinatus;
Une Akis indéterminée;
VAgryporus notodenta;
UAteiLchus sacer.
Sauterelles.
Lors de mon séjour chez les Touareg, il y avait plusieurs années
que la sauterelle voyageuse n'avait paru : aussi n'en Paient-ils plus
en provision. Je sais toutefois que l'apparition de ces orthoptères,
calamité pour les habitants du Tell, est pour eux, comme pour
tous les autres Sahariens, une bonne fortune, car elle leur assure des
subsistances pour quelque temps.
On conserve les sauterelles, soit confites dans l'huile, soit dessé-
chées ou réduites en poudre.
D'après la loi musulmane, ces animaux doivent être privés de
la vie par un procédé quelconque, l'asphyxie ou Tébullition, avant
d'être conservés pour la nourriture de l'fiomme, car, si on les laissait
mourir de leur belle mort, ils seraient réputés djîfa et défendus ; mais
il est douteux que cette prescription religieuse soit observée.
Depuis mon retour, on m'a fait part de la bonne nouvelle de
l'arrivée de cette manne du désert.
ANIMAUX. 2ftl
Il faut avoir vu des invasions de sauterelles pour se faire une
idée de l'étendue qu'elles embrassent et des ravages qu'elles cau-
sent.
Quelquefois leurs essaims, aussi épais que des nuages, obscur-
cissent le soleil à plusieurs kilomètres à la ronde et font en volant
un bruit sourd qui s'entend à de très-grandes distances.
Malheur aux contrées sur lesquelles ils s'abattent, car ils y dé-
truisent toute la végétation et dévorent les champs les plus riches,
comme si le feu y avait tout consumé I
Libellules,
Elles n'existent qu'autour des sources, les unes rares comme les
autres. C'est à peine si j'en ai vu quelques-unes pendant toute la
durée de mon voyage.
Abeilles.
L'apiculture est très-restreinte chez les Touareg : l'état nomade
des populations et la pauvreté de la flore la rendent difficile ; néan-
moins, dans les établissements fixes, quelques ruches donnent, dit-
on , d'excellent miel.
Des abeilles sauvages, plus communes que les abeilles domes-
tiques, déposent leurs gâteaux dans les rochers, dans les trous des
arbres. Quand on les découvre, on les récolte avec soin.
Il semblerait que cette abeille, domestique ou sauvage, a été
importée chez les Touareg, soit de Tunis, soit du Soudan, car ils
assimilent l'espèce productive du véritable miel à celle de ces con-
trées, et ils l'appellent tihenkêkert-en-toûrâout (mouche du miel), pour
la distinguer d'une autre mouche indigène à laquelle ils donnent le
nom de lihenhékert-en-tâment (mouche du tâment).
Les Touareg appellent tâment des gouttes de miel ou de résine
mielleuse qu'on trouve adhérente aux feuilles du tamarix éthel.
Cette liqueur, douce, sucrée, que j'ai souvent go(itée, et à laquelle
j'ai trouvé beaucoup des qualités du miel, est-elle produite par l'arbre
ou par une mouche mellifère? Je l'ignore.
Quoi qu'il en soit, jusqu'à ce que le doute ait disparu, je constate
qu'il y a chez les Touareg une mouche spéciale, abeille ou non, à
I. 16
242 TOUAREG DU NORD.
laquelle ils donnent le noin> de mouche d'un miel particulier, autre
que celui de Tabeille ordinaire.
Un troisième miel, fourni par un insecte ou par une larve que les
Touareg appellent khamït, est de qualité inférieure.
Dans la XXVI* surate du Coran, le Prophète s'exprime ainsi sur
le miel :
Verset 70. « Ton Seigneur a fait cette révélation à l'abeille : Cher-
(( che-toi des maisons dans les aK)ntagnes, dans les arbres, dans les
(( constructions des hommes.
Verset 71, « Nourris-toi de tous les fruits et voltige dans les
« chemins frayés par ton Seigneur. De tes entrailles sort une liqueur
(( de différentes e^èces, et elle contient un remède pour les
« hommes. »
Commentant lui-même la parole de Dieu révélée par l'ange Ga-
briel, le Prophète ajoute dans ses Hadith :
« Deux choses sont salutaires et nécessaires : le Coran et le
« miel. »
Et ailleurs, il complète sa pensée en disant : u Quiconque en
« mourant auta du miel dans le ventre ne verra pas le feu de
« l'enfer. »
Es-Sioûti, qui a recueilli en un livre toutes les pratiques médicales
du Prophète, enseigne que le miel détruit la pituite, chasse la trop
grande humidité du corps, déterge les ulcères de mauvaise nature
et guérit les affections dépendantes de l'atrabile.
« Mêlez, dit-il, du sel avec du miel, frictionnez avec ce mélange
a la langue d'un enfant qui n'a^ pas encore parlé : non-seulement
(( cette opération lui donne la parole, mais elle développe extraor-
a dinairement son organe vocal. » Avis aux chanteurs qui voudront
faire usage de la recette ; je la leur livre telle qu'elle se trouve dans
Es-Sioùti.
Recommandé par le Prophète, le miel est le remède par excellence
de tous les musulmans; il joue un rôle d'autant plus grand dans la
vie des Touareg que le sucre leur manque.
Les riches font usage du toûrâout, les moins riches du tâment et
les pauvres duMiamit, mais cet usage est très-limité.
ANIMAUX. 2Ù3
LBpi4optères.
Je n'ouvre îcî un compte aux papillons du Sahara que pour con-
stater leur rareté et leur infériorité sur tous les papillons connus.
A quoi bon des animaux si brillants et si délicats au milieu du
désert et d'une nature désolée?
Mouches et moustiques.
Si les papillons n'embellissent pas le désert, par contre les mou-
ches et les moustiques contribuent à y rendre l'existence de Thomme
très-pénible, surtout dans les parties habitées.
Pendant le jour les mouches, pendant la nuit les moustiques :
c'est à n'y pas tenir. Il faut cependant s'habituer à leurs persé-
cutions.
Les moustiques au moins restent dans les oasis, dans les campe-
ments où il y a de l'eau; mais les mouches suivent les caravanes au
milieu des déserts les plus arides.
Plus d'une fois, dans les villes, pour pouvoir écrire, je me suis vu
dans la néccessité de faire la nuit autour de moi et d'allumer la bougie
en plein jour.
Scolopendre,
Ce myriapode, généralement connu sous le nom vulgaire de mille-
pieds, se trouve dans le Sahara, particulièrement dans les endroits
pierreux.
Ses fourches caudines contiennent un venin subtil assez puissant
pour renverser l'homme, comme pourrait le faire une forte décharge
d'électricité; mais, ce premier effet passé, les traces du virus dis-
paraissent promptement. Cependant il détermine parfois des vomis-
sements et une sorte d'engourdissement général.
Vers comestibles.
Ces vers, que l'on pêche dans les lacs du Fezzân, ne sont autres
que les larves d'une diptère à laquelle on a donné le nom de Ârthemia
Oudneii, en souvenir de l'exploration qui CQÛta la vie ^u docteur
Oudney.
244 TOUAREG DU NORD.
Mouches et larves se trouvent par myriades : les premières sur
les rives des lacs et sur les eaux assez denses pour les porter; les
secondes dans les vases d'où elles sortent à des époques périodiques,
correspondant, pour le printemps, à la maturité de Torge, et pour
l'automne, à la maturité des premières dattes ; époques auxquelles
les lacs sont agités et bouleversés par les tempêtes équinoxiales.
On distingue deux sortes de vers : l'un, rouge-carmin, la doùda
proprement dite, de qualité supérieure; l'autre, brun -jaunâtre, la
tâkeroûka, de qualité inférieure.
Le corps de ces petits animaux a quelques millimètres de lon-
gueur à peine, de la tête à la queue, entre lesquelles est un petit,
canal intestinal tracé en noir. La tête supporte deux antennes ter-
minées par des points noirs qui sont les yeux ; la queue et les flancs
sont armés de petites rames ou nageoires en éventail. Ces vers nagent
indistinctement sur le ventre et sur le dos.
La pêche se fait au moyen d'un sac allongé, tenu ouvert par un
cercle et supporté par un long manche.
Dans le sac de pêche se trouvent aussi, avec les vers, des fucus dont
j'ai déjà parlé. (Voir page 209.) Vers et fucus sont laissés ensemble.
La pêche et la préparation des vers sont dévolues aux femmes.
Après chaque pêche, les vers sont pétris en pains et exposés au
soleil pour être séchés , puis on les met dans des petites bourriches
pour les conserver en silos.
Cette denrée alimentaire se vend dans tout le Fezzân; on la
mange quelquefois seule, bouillie, mais le plus souvent en sauce, avec
d'autres aliments. Le goût de ces vers rappelle celui de crevettes
un peu faisandées ou mal préparées; nonobstant, les indigènes en
font grand cas.
Les vers de première qualité ne se trouvent que dans le Bahar-ed-
Doûd ; ceux de seconde qualité sont péchés dans le lac de Mâfou ; on
en trouve aussi dans le premier lac. (Voir la planche ci-contre.)
Parasites de Vhomme,
Le ver de Guinée est trop connu pour que je le décrive. Je consta-
terai seulement qu'il atteint presque tous les Touareg qui vont au
Soudan, et que cet animal, dont on se débarrasse difficilement, laisse
après lui des traces de cicatrices considérables.
PI. IX.
Page «44.
Fig. n et 18.
Fip. 1. — viTP nu i\ih[ m- Kri- no i i>*
D'après itn d#!S.iin de il. II. Duvnynnr.
LARVÎk, NYMPHK. MOUCHR.
(La taillei^H riniecte «ou» cbaqtiv forme «»t indiqu<^e par un p«tit trait.)
Fig. 2. — ARTHEIIIA OUDNEÎi.
Dessinée d'après nature, par M. Bocourt, sur les insectes rapportés par M. H. Duveyrier
et déposés au Muséum d'histoire naturelle.
H
ANIMAUX. 245
Les Européens qui iront dans l'Afrique centrale doivent s'atten-
dre à subir, sous ce rapport, la loi commune.
Puce.
Je dois constater ici un fait important : la puce n'existe pas sur
le plateau central du Sahara. Elle accompagne le voyageur jusqu'aux
points où l'humidité de l'air lui permet de vivre, mais elle disparaît
dès qu'on entre dans le pays sec.
NOTE.
Tous les échantiUons de roches, de minéraux, de plantes, d*aniniaux, rappor-
tés de mon voyage et classés dans Tordre de cet ouvrage , vont être prochainement
remis au Muséum d'histoire naturelle de Paris, où chaque personne intéressée à
consulter ces collections pourra en prendre connaissance.
Mon registre d'observations météorologiques sera également remis au Bureau de
la Société météorologique de France, qui, je l'espère, le publiera dans son Bulletin,
Quant à l'Atlas original de mes itinéraires, comprenant quatre-vingt feuilles,
il sera déposé soit au Dépôt des cartes de la Guerre, soit à la Bibliothèque de la So-
ciété de géographie de Paris, dès que le dessin et la gravure des diverses cartes de
mon exploration me permettront d*en disposer.
LIVRE 111.
CENTRES DE RAYONNEMENT.
Dans tout le Sahara, l'existence matérielle et morale des nomades
n'est assurée qu*au moyen d'annexés sédentaires, assises dans des
lieux d'élection, au centre de leurs pérégrinations ou sur la périphérie
de leurs terres de parcours.
Ces annexes , organes essentiels de la vie intérieure et des rela-
tions extérieures des tribus, appellent tout d'abord l'attention.
Parmi ces centres, les uns sont exclusivement commerciaux, les
autres exclusivement religieux.
Les centres commerciaux sont des villes : Ghadâmès et Rhât, en
territoire targui ; Mourzouk, Ouarglâ et In-Sâlah, sur les frontières de
leurs parcours , mais dans le rayon des relations journalières des
Touareg.
Les centres religieux, au nombre de quatre, sont ou des confré-
ries organisées en vastes associations ou des familles princières de
marabouts exerçant une sorte de pouvoir spirituel sur leurs clients.
Les confréries sont : celle des Tedjâdjna , dont le siège principal
est à Teraâssîn, dans l'Ouâd-Rîgh (Algérie), et celle des Senoûsi, dont
la métropole est à Jerhâjîb, dans un désert situé entre la Tripolitaine
et rÉgypte.
Les familles princières de marabouts sont les Bakkày, à Timbouk-
tou, et les Oulâd-Sîdi-Cheikh, à El-Abiodh, dans le cercle de Géryville
(Algérie).
Dans les confréries, les chefs sont des cheikh, vénérables, des
moqaddem, gardiens; les disciples sont des Mioxiân, frères.
Dans les familles de marabouts, l'autorité souveraine est exercée
par l'aîné, cheikh, vénérable, mais avec le concours des autres mem-
248 TOUAREG DU NORD.
bres de sa famille, marabouts comme lui ; les clients sont des khod-
dâm, serviteurs.
Ces quatre centres religieux embrassent dans leurs juridictions,
à peu près sans exception, toutes les populations des villes et des
campagnes du Sahara central.
Leur action s'exerce, dans chaque groupe, soit par des zâouiya,
sanctuaires fixes, à la fois églises ou lieux de réunion et écoles ou
académies d'enseignement, vers lesquelles convergent les disciples et
les serviteurs, soit par des missionnaires ambulants qui vont, de tribu
en tribu, pour diriger les consciences et rappeler aux nomades les
liens qui les rattachent à leurs chefs spirituels.
Ce livre sera donc divisé en deux chapitres : les centres commer-
ciaux et les centres religieux ; et chaque chapitre subdivisé en autant
de paragraphes qu*il y a de centres d'attraction.
CHAPITRE PREMIER.
CENTRES COMMERCIAUX.
Je range dans cette catégorie les points d'arrivée et de départ des
grandes caravanes, des caravanes de long cours, à l'exclusion des
points secondaires, dont les opérations peuvent être comparées à
celles du cabotage, parce que, si les Touareg ont des rapports journa-
liers avec les grands centres, ils n'en ont presque aucun avec les
petits.
Je n'embrasse dans ce chapitre que Tétude des rapports sociaux
des Touareg avec ces centres, et non la question commerciale, réser-
vée pour un second volume, dont la publication ne se fera pas attendre.
S l*^ — GhadAmès.
La vrlle de Ghadâmès, quoique située dans les terres de parcours
des Touareg Azdjer et quoique relevant socialement de cette peu-
plade indépendante , est aujourd'hui incorporée politiqiiement dans
la Tripolitaine, conséquemment dans l'Empire Ottoman.
Les nécessités de son commerce l'ont obligée à subir la double
loi du maître du port maritime avec lequel elle opère, et des maîtres
de toutes les routes par lesquelles elle importe ou exporte ses mar-
chandises.
Ghadâmès est une ville fort ancienne : la tradition et l'histoire
l'afllrment; les ruines de différentes époques et de différentes civili-
sations trouvées dans son enceinte confirment, en les complétant, les
renseignements que nous ont transmis à ce sujet les auteurs grecs et
latins.
Le choix de l'emplacement de cette ville fut déterminé par la pré-
sence d'une source d'eau douce des plus abondantes presque à égale
250 TOUAREG DU NORD.
distance de quatre points que nous trouvons être des centres d'habi-
tation fixe de rhomme, dès les premiers âges de l'histoire :
Djerma (Garama), dans le Sud-Est;
Ouarglâ , dans TOuest-Nord-Ouest ;
Gâbès (Tacape) et Tripoli Ifiea), dans le Nord, sur le littoral médi-
terranéen.
De plus, cette source placée entre deux barrières que les sables
opposent à la circulation: les dunes de T'Erg, dans l'Ouest, les dunes
d'Édeyen dans le Sud-Est , était située sur la grande voie commerciale
de la Méditerranée à la région mystérieuse de la Nigritie, voie dont
la fréquentation était consacrée par le temps et sur laquelle circu-
laient des produits alors fort recherchés.
Il fallait tous ces avantages de position pour décider des hommes
entreprenants à venir s'établir au milieu de la plus aride des solitudes,
loin des points plus favorisés auxquels ils ont dû, doivent et devront
toujours demander les denrées nécessaires à leur consommation.
D'après les habitants de Ghadâmès, l'origine de leur ville remonte
au temps d'Abraham.
L'Ég^'pte était en pleine prospérité à l'époque des patriarches bi-
bliques et Ghadâmès a conservé jusqu'à nos jours un bas-relief que
j'y ai découvert et qui ressemble trop aux productions si caracté-
risées des anciens Égyptiens pour qu'on puisse lui assigner une autre
origine. On en jugera par la planche ci-contre. (Fig. n® 1.)
Ce fragment, ainsi que d'autres objets que Ton met à nu, de temps
à autre, en creusant les fondations de nouvelles maisons, semble
être la preuve qu'il florissait là, dès la plus haute antiquité, une
civilisation sœur de celle des rives du Nil , quoique moins avancée
et moins parfaite.
Pline nous apprend qu'au commencement de l'ère chrétienne et
dans la contrée où se trouve aujourd'hui Ghadâmès vivaient des Liby-
Égyptiens *, c'est-à-dire des Libyens d'origine égyptienne.
Le témoignage de Pline, confirmé par le bas-relief libyco-égyptien
1. Dans rintérieur de l'Afrique, dit Pline, du côté du Midi, au-dessus des Gé-
tules, et après avoir traversé des déserts, on trouve d*abord des Liby-Égyptiens, puis
les Leuc-Éthiopiens ; plus loin des nations éthiopiennes... Tous ces peuples sont bor-
nés du côté de l'Orient par de vastes solitudes, jusqu'aux Garamantes, aux Augyles
et aux Tro^odytes.
^1. x«
Page 250.
Fig. 19 et 20.
si
S •
I
ce
A o
» •
f
CENTRES COMMERCIAUX. 251
dont je reproduis le dessin exact, semble donner quelque valeur à
la tradition locale : car, pour que des colons égyptiens soient devenus
Libyens au commencement de notre ère, plusieurs générations avaient
dû se succéder dans le pays.
Mais à Ghadâmès il n'y a pas que des ruines libyco-égyptiennes :
à 250 mètres environ, au Sud-Ouest de Toasis, sur le plateau d'El-
Esnâmen (les idoles), on remarque des ruines 5iii gen^ris, postérieures
à répoque égyptienne et antérieures à l'époque romaine et auxquelles
je n'ai pu assigner de caractère, avant d'avoir visité en détail les
ruines de l'ancienne capitale des Garamantes. Aujourd'hui le doute
n'est plus permis pour moi : les débris auxquels les indigènes donnent
le nom d'idoles, parce que leur construction est due à des peuples idolâ-
tres, ces débris, dis-je, composés des mêmes matériaux, liés entre eux
par un même ciment, appartiennent à l'époque garamantique, époque
d'une civilisation indigène qui a laissé plus d'une trace dans le Sahara.
M. Vatonne, membre de la mission de Ghadâmès (1862), dans
son remarquable Mémoire déjà cité, nous fait connaître un autre
monument de la môme origine.
« Une autre construction analogue, ditril , est assez éloignée des
« six idoles; elle se trouve à un des angles du rempart de Ghadâmès,
« du côté Nord-Ouest. C'est une tour carrée, en matériaux du pays,
« grès, gypse et dolomie ; les pierres ont été choisies de forme plate ;
« on y a fait entrer quelques briques. L'une de ces pierres plates, en
« grès rouge, nous a été apportée par un indigène et donnée comme
a provenant de cette tour. Quelques caractères étaient tracés dessus ;
« nous les reproduisons sans savoir quels ils sont ni IHntérét quHls
« peuvent avoir. A la partie inférieure, il y a une chambre dans
{( laquelle on pénètre par une porte basse. Dans le fond, il y a une
« saillie de mur formant banquette sur laquelle on peut s'asseoir ou
u s'étendre; au-dessus est un emplacement qui a dû être voûté.
u La voûte est aujourd'hui détruite; il y a une ouverture ou sorte de
« fenêtre par laquelle nous avons pu pénétrer. La destination de
« cette tour, dont la construction doit remonter à une époque très-
« reculée, est complètement inconnue des indigènes. A côté de celle
(t encore debout, il y a les ruines d'une autre petite tour dont les
« débris sont épars sur le sol. D'autres inscriptions ont-elles été trou-
ce vées en ce point? Nous l'ignorons, mais il nous a été dit que le
252 TOUAREG DU NORD.
(f vice-consul anglais se rendait très-souvent à cette tour; peut-être
tt y a-t-il trouvé quelque chose de plus intéressant que la dalle qui
« nous a été donnée. »
Je cite ce passage du Mémoire de M. Vatonne parce que sa des-
cription me rappelle celle du Qeçîr-el-Watwat ou châtelet des chauves-
souris de Djerma-el-Ked!ma, et constate l'origine commune des deux
monuments et de leurs similaires. (Voir la planche d*El-Esnâmen , ci-
contre, et celle du Qeçir-el-Watwat, page 279.)
Quant à l'inscription trouvée dans la tour décrite par M. Vatonne,
elle est bilingue : moitié en caractères grecs , moitié en caractères
inconnus, peut-être ceux de la langue garamantique. Dans la partie
grecque de l'inscription on lit distinctement les mots suivants :
EAKAREAI
ENZVAN^^EV,
soit elkaredi enzulnuchen, qui n'ont aucune signification en grec,
mais qui peuvent être la transcription de mots étrangers en carac-
tères grecs.
Ce petit détail offre beaucoup d'intérêt à l'archéologue, car il té-
moigne d'un certain contact , à Ghadâmès , entre la civilisation grec-
que et une civilisation indigène inconnue de nous. A quoi eût servi
une inscription grecque dans une ville où nul Grec n'aurait pu la lire ?
Mais les Égyptiens, les Garamantes et les Grecs ne sont pas les
seuls parmi les grands peuples de l'antiquité qui aient laissé à
Ghadâmès des indices certains de leur passage.
Par Pline, nous savions qu'au nombre des lieux subjugués par
les armes romaines, sous la conduite de Cornélius Balbus, figuraient
les villes importantes de Cydamus et de Garama ; par un passage
des Fastes capitolins, nous savions que cette expédition avait été en-
treprise en l'an de Rome DCCXXXIV (19 avant J.-C.), mais nous igno-
rions si la ville de Cydamus avait été occupée par les conquérants,
si leur occupation avait été temporaire ou durable.
Une inscription romaine *, enfouie jusqu'au moment de la dé-
couverte que j'en fis en 1860, à la porte des jardins, en venant
de la Zàouiya de Sîdi-Maâbed, et probablement placée à l'entrée du
1. Cette inscription a été envoyée à Tougourt, pour de là être expédiée au Mu-
séum d'Alger, mais elle ne parait pas être encore arrivée à destination.
PI. XI
Page 202.
Pig. «I et «.
Fig. 1. — VCB DE l/OASIS DE GHADÂMÈS
( PRISE DU BHAHARA).
D'après un dessin de M. H. Duveyrier.
Fig. "2, — VIE DES RIIXES DES ESNÂMEN. \ Gll^nÂVÈS.
D'après un dessin de M. H. Durerrier.
Af
PI. XII.
Page 258.
Kg. fa.
• 1.
CENTRES COMMERCIAUX. 253
jMirap fortifié qui protégeait la ville, non-seulement assigne une longue
durée à l'occupation de Cydarae par les Romains , mais encore nous
révèle des détails importants sur cette occupation.
Bien que cette inscription ait déjà été publiée dans l'Annuaire de
la Société arclUologique de Comlaniine (1860-1861), je la repro-
duis ici. (Voir sur la planche ci-contre.)
M. Léon Régnier, membre de Flnstitut, auquel des connaissances
spéciales assurent une incontestable autorité dans toutes les questions
d'archéologie africaine, a bien voulu, sur ma demande, contrôler
Tinterprétation de cette inscription telle qu'elle a été faite à Constan-
tine par M. Cherbonneau. Voici son avis à ce sujet :
« L'inscription latine trouvée à Ghadâmès par M. Henri Duvey-
« rier n'est pas du règne de Caracalla, mais de celui d'Alexandre
<( Sévère (221-235). Les noms qui ont été effacés avec intention dans
« l'antiquité sont ceux de ce prince et de sa mère Julia Mammxa.
« Le nom de Julia Domna n'a jamais été effacé sur les monuments.
« Le monument a été élevé, non par un vexillaire, mais par une
« vexillatio, c'est-à-dire par un détachement de la Légion///* Augusta
« commandé par un centurion dont le nom a disparu, mais dont le
« titre subsiste dans les sigles :
.>.LEG.E1VSDEM
(t c'est-à-dire :
Centurio Legionis ejusdem.
« Cette inscription est très-importante, parce qu'elle prouve que le terri-
ce toire de la province de Numidie s'étendait alors jusqu'à Ghadâmès. n
D'après la nouvelle interprétation de M. Léon Régnier, l'occupation
de Cydamus par les Romains aurait eu une durée minimum de 250 ans,
et comme il n'est pas probable que le monument orné de cette inscrip-
tion ait été élevé au moment de l'évacuation de la ville, on est auto-
risé à donner à l'occupation une limite beaucoup plus considérable.
La rectification de l'honorable membre de l'Institut, indépen-
damment du fait considérable qu'elle constate , — l'extension de la
province de Numidie au delà de la zone des sables de T'Erg, —
apporte une nouvelle preuve matérielle à l'appui de l'opinion una-
nime des indigènes, qui fait arriver la frontière actuelle de la pro-
vince de Constantine jusqu'aux portes même de Ghadâmès.
De plus, elle fait pressentir que les Romains, pour leurs relations
264 TOUAREG DU NORD.
commerciales avec l'intérieur du continent, avaient considéré la voie
indirecte par Girta, Lambesse et Cydame, préférable à la voie directe
par Sabrata ou Oea, car ce n'est pas sans motif sérieux que, maîtres
de tout le littoral, ils ont rattaché l'administration de Cydame à
celle de Lambesse et non à celle de toute autre métropole plus rap-
prochée soit de la Province d'Afrique, soit de la Tripolitaine. La ques^
tion de production ne doit pas être étrangère à ce choix.
Enfin, la subalternisation de Gydame à Lambesse implique que
les Romains avaient pu surmonter les difficultés de la communica-
tion, car un détachement de la III* Légion Auguste, dont le dépôt
était en deçà de l'obstacle des sables et de la chaîne de l'Aurès, ne
pouvait pas être isolé de son quartier-général , des magasins et du
siège administratif de la Légion.
Mes études personnelles sur 1' 'Erg, ainsi que celles plus complètes
de la mission qui avait pour chef M. le lieutenant colonel Mircher, dé-
montrent que, sur le parcours des différentes routes entre El-Ouàd et
Ghadâmès, on pourra, avec des moyens plus puissants que ceux dont
disposent les indigènes , multiplier les puits autant qu'on voudra.
D'autres traces de l'occupation romaine se retrouvent encore à
Ghadâmès : ainsi , sur la place d'El-'Aouïna , j'ai vu des débris de
chapiteaux et de colonnes, témoignage d'un luxe d'une autre nature.
(Voir page 250 , figure 2 de la planche.)
Si je suis bien informé, la charpente de la principale mosquée
de la ville est supportée par des colonnes romaines et les murs de
l'édifice sont en matériaux de même origine. On comprendra que je
me sois abstenu de chercher à constater ce fait.
Dans l'immense nécropole, dite le cimetière des Benî-Ouazît, on
remarque des tombes de tous les âges, depuis l'époque païenne
anté-islamique jusqu'à nos jours. Il est possible qu'on y retrouverait
des inscriptions tumulaires romaines, si on pouvait fouiller les tombes
les plus anciennes.
Ghadâmès est donc autorisée à revendiquer une origine antérieure
à l'histoire, et tout porte à croire qu'elle n'a cessé d'être habitée
depuis sa fondation.
Le général arabe 'Amrou-ben-el-'Aâçi , qui fit la conquête du Sud
de la Tripolitaine sur les Romains *, obligea, dit la tradition, les habî-
i. J*ai rapporté de mon voyage la copie d*un livre d'histoire sur ces contrées
CENTRES COMMERCIAUX. 255
tants de Ghadàmës à embrasser rislamisme, et cette conversion
forcée ne paraît pas s'être réalisée sans difficulté, car il y a encore
aujourd'hui dans la ville une rue, celle d'El-Wahchi, appelée aussi la
rue du NON, c'est-à-dire de ceux qui refusèrent d'accepter tout d'abord
la religion de Mohammed.
Avant la conquête musulmane, quelle religion professaient les
* Ghadâmèsiens : païenne ou chrétienne? On n*a malheureusement
aucun renseignement précis sur la population de Ghadàmës dans ces
temps reculés.
Au moyen âge, les doctrines hérésiarques de la secte des Ouaha-
bites, qui paraissent avoir été embrassées avec tant d*ardeur par les
Berbères, firent à Ghadâmès de nombreux prosélytes, et, pour les
docteurs musulmans des rites orthodoxes, les Ghadâmèsiens ne sont
pas encore aujourd'hui purs de l'accusation d'hérésie.
Sidi-Mohammed-el-Bakkây, de Timbouktou, qui était à Ghadâmès,
de passage, en même temps que moi, avait résumé ses impressions
sur l'orthodoxie des modernes habitants de cette ville dans le qua-
train suivant :
Traduction mot à mot :
« Je n*ai pas va parmi les hommes qui surpassent, eu manque d'hospitalité,
« (ceux de) Ghad&mës : aussi je n'emporte de chez eux que la certitude qu'en fait
« de religion ils sont schismatiques. »
Les Ghadâmèsiens font partie de la section des Berbères que
les géographes arabes appellent molâthemîn, c'est-à-dire les voilés,
au moment de la conquête musulmane. Il a été écrit par Aboû l"Abbfls-ben-Sa*î d
cch-Gbemàkhi, et a pour titre Kitàb fi Sahâib-el-Gholoûb , ou Livre sur les conqué-
rants. Je n'ai eu, jusqu'à présent, ni le temps ni la santé nécessaires pour le tra-
duire, mais un jour viendra, je l'espère, où je pourrai extraire de cet ouvrage
tout ce qail contient d'important.
256 TOUAREG DU NORD.
parce que , comme les Touareg, Us portent un voile sur la figure.
Mais, quoique voilés, quoique Berbères, ils ne sont pas Touareg,
car ils diffèrent d'eux par leur origine, par leur dialecte, par leurs
vêtements, par leurs habitudes urbaines, enfin par leur aptitude
spéciale à Tindustrie et au grand commerce.
Quatre groupes distincts d'habitants constituent la population de •
Ghadâmès :
Les Benî-Ouazît , Berbères, se prétendant nobles et descendants
des fondateurs de la ville ;
l^s Benî'Oulid, également Berbères, également nobles, également
anciens habitants de la ville ;
Les Oalâd'BellU, Arabes, nobles, originaires de Sinâoun, ville
voisine ;
Les 'Atriya, mélange de nègres affranchis et des enfants de sang
mêlé que les Ghadàmèsiens ont eus de leurs rapports avec des
négresses.
Pendant longtemps, les Benî-Ouazît et les Benî-Oulîd ont été en
guerre entre eux, et les quartiers qu'ils habitaient étaient isolés les
uns des autres; aujourd'hui, quoique en meilleur intelligence, ils
évitent réciproquement de prendre demeure en dehors du quartier
de leurs tribus.
Les Oulâd-Bellîl n'ont qu'un rang secondaire dans une ville prin-
cipalement berbère.
Les 'Atrîya, attachés en qualité de clients aux familles de leurs
anciens maîtres, comme autrefois les affranchis chez les Romains,
n'ont aucune influence, malgré leur grand nombre, car il leur est
interdit, par les coutumes locales, de franchir l'échelon social qui les
sépare de la classe noble.
Au Sud-Ouest de Ghadâmès est un plateau, celui de Dhâhara, où
campent les Touareg qui viennent en ville. Quelques-uns même y sont
à résidence fixe. C'est une sorte de faubourg targui.
Bien que les Ghadàmèsiens parlent l'arabe avec les Arabes qui fré-
quentent leur ville, le temâhaq avec les Touareg, hhaoussa avec leurs
esclaves, ils font usage entre eux d'un dialecte berbère particulier qui
tient le milieu entre celui des Nefoûsa et celui des Touareg. L'isolement
absolu de leur ville explique la conservation d'un idiome propre.
CEJ^TRES COMMERCIAUX. 257
Les femmes n'ayant aucune relation avec les étrangers, ne parlent
que le dialecte ghadàmèsien.
Elles sont rigoureusement cloîtrées. 11 ne leur est permis de sortir
dans les rues que voilées et le soir seulement, pour aller chercher
de Teau à la fontaine, pendant que les hommes sont à la mosquée.
Mais, pendant le jour, les terrasses des maisons leur sont exclusive-
ment abandonnées, et comme ces toitures communiquent toutes
ensemble, elles peuvent se visiter entre elles, aller faire leurs em-
plettes, sans affronter des regards indiscrets. Cependant presque
toutes sont instruites dans leurs devoirs de religion, prient aux heures
prescrites et vont même à la mosquée, qui reste ouverte pour elles
seules après la prière du Maghreb.
Le voile des habitants de Ghadâmès est toujours blanc; presque
tous leurs vêtements viennent du Soudan, et ils choisissent de préfé-
rence ceux d*une couleur claire.
Le costume des femmes consiste en une longue gandoura, dalma-
tique orientale, qui couvre tout le corps, et leur coiffure en une sorte
de diadème qui donne un air de grandeur à leur physionomie. Les
femmes d'origine noble sont toujours voilées; les *Atrîyât seules sor-
tent au dehors le visage découvert.
Comme les nomades Touareg, les Ghadâmèsiens sont souvent sur
les routes pour leurs affaires: mais rencontre-t-on une ville, ces der-
niers saisissent, en vrais citadins, l'occasion qui leur est offerte
d'aller chercher un abri sous un toit protecteur, tandis que les
Touareg semblent tenir à honneur de ne jamais accepter l'hospitalité
dans l'enceinte d'une ville, dans l'intérieur d'une maison. On dirait
qu'ils craignent de ne pas avoir assez d'air à respirer ou assez d'es-
pace pour se mouvoir, s'ils interposent quelque obstacle entre eux et
l'immensité du ciel et de la terre.
Le caractère des Ghadâmèsiens est grave et réservé; il se
ressent de la position exceptionnelle de leur ville au milieu d'un
désert improductif qui les oblige à ne voir de la vie que le côté
sérieux, et à s'ingénier à remédier par le commerce et l'indus-
trie à l'extrême pauvreté et à l'isolement du milieu qui les a vus
naître.
Leur aptitude au grand commerce est surtout digne de remarque.
Il n'est par rare de trouver à Ghadâmès des maisons ayant des suc-
cursales à Kanô, à Katsena dans le Soudan, à Innbouktou sur le
258 TOUAREG DU NORD.
Niger, à Rhât et à In-Sâlah dans le centre du Sahara , à Tripoli et à
Tunis sur le littoral de la Méditerranée.
En voyant, au milieu d'un désert, dans une ville sans gouverne-
ment sérieux, sans autres lois que celles du* Coran, sans garanties
pour les personnes et pour les marchandises, sans routes autres que
des sentiers dont la trace, comme celle du sillage du navire, se
perd à l'instant du passage ; en voyant, dans de semblables condi-
tions, des maisons de commerce embrasser des marchés si nombreux
et si .différents, et à des distances aussi considérables, on se demande
si le mirage saharien ne grossit pas un peu trop les objets et ne mul-
tiplie pas les relations. Cependant le doute ne peut être permis,
car le contrôle le plus sévère démontre que le commerce du littoral
méditerranéen avec l'Afrique centrale et les villes intermédiaires,
sauf la portion dévolue au Maroc, est en presque totalité aux mains
des Ghadàmèsiens ou de leurs correspondants.
La priorité et la fidélité des relations, le génie commercial, de
grandes richesses acquises et multipliées par la plus sévère économie,
une prudence consommée, des alliances solides avec les Touareg, ne
suffisent pas pour expliquer comment une bourgade, isolée de l'uni-
vers par la solitude des déserts, a pu perpétuer, à travers tant de
siècles et au milieu de tant de révolutions, des entreprises aussi con-
sidérables; il a fallu encore que le besoin de rapports entre le Nord
et le Sud fût une nécessité impérieuse, et que le commerce, objet de
ces rapports, fût lucratif, respecté et non soumis aux avanies et aux
risques de perte qui ont valu aux pirates du Sahara la réputation
dont ils jouissent parmi nous.
Je n'anticiperai pas, pour démontrer qu'il en est ainsi, sur une
matière qui ne peut être traitée incidemment; cependant je crois
utile de prouver immédiatement, par des faits authentiques, que les
bénéfices du commerce saharien sont énormes, et que les risques
sont à peu près nuls, si le commerçant se soumet aux coutumes res-
pectées du pays.
Peu de temps après mon arrivée à Ghadâmès, je reçus la visite
d'un marchand qui, à Kanô, avait prêté à M. le docteur Barth, lors de
son retour deTimbouktou, de l'argent au taux fabuleux de 100 pour %
pour quatre mois. L'ayant dérisoirement complimenté sur sa libé-
ralité , il me répondit : « Mais , je ne lui ai demandé que ce que
m'eût rapporté, dans le môme laps de temps, pareille somme em-
CENTRES COMMERCIAUX. 259
ployée en achat d'ivoire et sans courir l'ombre de chance de perte. »
Il est d'ailleurs accepté par tous les Sahariens, comme axiome
proverbial, que, pour s'enrichir, il suffît de faire un voyage au
Soudan.
Mais voici d'autres faits qui éclairent encore mieux la ques-
tion :
M. le capitaine de Bonnemain ,, dans le compte rendu de son
voyage à Ghadâmès en 1856, dit : « La plupart des caravanes qui
« arrivent à Ghourd- Taferiest (environ moitié chemin entre El-Ouâd
« et Ghadâmès) ont l'habitude d'y déposer, à ciel ouvert, une partie
a des provisions qui doivent leur servir pour le retour; il n'y a pas
« à craindre que d'autres voyageui^s songent à s'en emparer.
« Au retour, ajoute M. de Bonnemain, la caravane reprit les vivres
« qu'elle avait déposés à son passage. »
Sur la même ligne, mais par un chemin différent, en 1860, j'ai
aussi trouvé des marchandises ainsi confiées à la garde de Dieu.
M. Ismayl-Boû-Derba, entre Ouarglâ et Rhât, a, comme M. de
Bonnemain, déposé et retrouvé des provisions de retour à mi-chemin ;
comme moi, il a remarqué en route des ballots abandonnés par
d'autres caravanes.
Sur les routes de Mourzouk et de Rhât au Soudan , tous les voya-
geurs européens ont rencontré sur leur passage des charges de mar-
chandises attendant le retour de leur propriétaire pour être rendues
h destination.
Dans les caravanes, disent tous les indigènes, il n'y a pas de
bêtes de somme de rechange. Quand un chameau vient à périr ou se
trouve dans l'impossibilité de continuer à porter son fardeau, on
laisse sa charge sur la route, avec la certitude de la retrouver intacte,
attendît-on une année pour venir la chercher.
Je ne cite pas ces faits pour en tirer la xîonclusion que toutes les
routes sahariennes offrent plus de sécurité que les routes euro-
péennes. Non. Il y a dans le Sahara des roules protégées par des
populations auxquelles les caravanes paient un faible droit de pas-
sage pour prix de leurs services. Ces routes, généralement suivies
par les caravanes, offrent les exemples de sécurité que je viens de
rapporter. D'autres, celles qui traversent des territoires en proie à
l'anarchie, ne sont plus dans les mêmes conditions; les caravanes
fortes et armées, seules, peuvent les parcourir, cx)m me les navires
260 TOUAREG DU NORD.
pourvus de moyens de défense peuvent, seuls , fréquenter certaines
mers.
L'industrie, ai-je dit, est aussi un des éléments d'activité de Gha-
dàmès. En effet, on y trouve tons les corps de métiers qu'exige l'iso-
lement de la ville : tailleurs, tisserands, cordonniers, tanneurs, for-
gerons, selliers, bijoutiers, menuisiers, maçons, et ces professions
sont généralement exercées de père en fils dans la même famille.
Déjà, au xi« siècle, Ghadàmès était renommée pour le travail des
cuirs ^ et elle a conservé cette réputation justement méritée, car
nulle part, en Afrique, on ne fait d'aussi bonnes chaussures.
L'industrie agricole, quoique limitée à la culture des jardins
compris. dans le mur d'enceinte de l'oasis, occupe un certain nombre
de bras, l'isolement de la ville obligeant ses habitants à y pratiquer
la culture la plus intensive possible. Les engrais et les irrigations n'y
sont pas négligés.
Les eaux d'irrigation sont fournies par des puits et par la source
qui donne des eaux alimentaires à la population.
Le débit total de la source est divisé, sur une rotation de treize
jours, en 925 dermîsa, subdivisées elles-mêmes en 6,&75 qâdoûs,
qu'un fonctionnaire répartiteur distribue à tous les ayant droits
d'après un règlement municipal religieusement observé.
Le qàdoûs étant la 500« partie du volume des eaux fourni par la
source dans les 2k heures, correspond à une part journalière de
2" 53* du débit total, soit, en nombre rond, trois minutes.
La dermîsa se composant de sept qâdoûs, représente 20" !!■ du
volume total fourni en treize jours, soit 20" 11* répartis sur 18,720",
La dermîsa arrose, en moyenne, une superficie indéterminée
couverte de 64 dattiers*, à l'ombre desquels sont cultivés d'autres
arbres et toutes les plantes maraîchères que consomment les habi-
tants de l'oasis.
Toutes les eaux d'irrigation appartiennent au gouvernement, qui
en aliène la jouissance perpétuelle aux familles propriétaires des jar-
dins. La dermîsa est louée 80 riâl sebili par an, soit 55 fr. 20. L'en-
^ ■ i. Voir : Description de V Afrique, par un anonyme, texte arabe publié à
Vienne , par M. A. de Kremer, 1851.
2. D*après les habitants, le nombre des palmiers de Toasis s'élèverait à 63,000,
mais j'ignore si cette estimation est le résultat d*an dénombrement régulier, ancien
9)1 moderne.
CENTRES COMMERCIAUX. 261
semble des eaux rapporte donc à TÉtat environ 50,000 fr. par an*.
L'usufruitier d'une dermîsa ainsi que ses héritiers en disposent
comme s'ils en étaient propriétaires, sous la réserve qu'à l'extinction
de la famille du tenancier le droit de libre disposition fait retour à
rÉtat.
Cette sage mesure, conforme aux règles de l'islamisme sur l'ap-
propriation des eaux, a pour but de prévenir l'accaparement d'un
produit naturel indispensable à tous et inséparable de la terre qu'il
doit féconder.
Les eaux de la source sont recueillies dans un vaste bassin, de
construction ancienne, assez étendu et assez profond pour qu'on y
puisse nager à l'aise; de ce bassin, elles sont réparties dans l'oasis^
par cinq canaux également de construction ancienne.
En langue temàhaq , cette source porte le nom d!arhechchoùf, mot
dont la racine est la même que celle de arhôchchâf, crocodile; non
que le crocodile y ait jamais existé, mais parce que le nom temôhaq
du crocodile signifierait Vanimal des sources ou des eaux vives.
L'étude des terrains environnants et des puits de l'oasis, ainsi que
la température* élevée des eaux de la source, paraissent à M. Vatonne
des indications suffisantes pour faire espérer qu'avec un sondage de
120 mètres on pourrait atteindre la nappe qui alimente la source
actuelle et augmenter dans des proportions considérables le volume
des eaux de Ghadâmès et des environs.
Je m'assode volontiers à ces espérances, non-seulement pour
Ghadâmès, mais encore pour beaucoup d'autres points du Sahara.
Pour Ghadâmès en particulier, la question des relations commer-
ciales avec l'Algérie serait bien simpliûée, si, à la limite de notre
frontière, des forages artésiens permettaient d'y établir une coloniie'.
de Souâfa, succursale d'El-Ouàd, le plus avancé de nos marchés dans
le Sud-Est.
Un entrepôt de marchandises françaises, installé dans cette co-
lonie, offrirait au commerce de Ghadâmès beaucoup de produits qui
lui manquent aujourd'hui , et entre autres ceux d'Alger et de l'indus-
trie orientale des Maures d'Alger.
1. Ces cbiffireft sont ceux qui m'ont été donnés en 1860. Ceux foamis, en 1862 ,
à M. le lieutenant-colonel Mircher, sont plus élevés.
2. Voir, pour la température et Tanalyse des eaux de la source , liv. I, chap. iii ,
pages 34 et 32.
262 TOUAREG DU NORD.
En attendant que Tavenir réalise ou démente ces espérances, je
reviens à l'état actuel du principal centre commercial de la ïripoli-
taine.
La physionomie de la ville de Ghadâmès répond très-bien au degré
de développement industriel et commercial de ses habitants, à leur
richesse, à leur intelligence et à leur moralité.
Les maisons vastes, bien aérées, blanchies à la chaux, sont sou*
vent à plusieurs étaglss.
Les rues sont presque toutes couvertes, pour leur conserver le
plus de fraîcheur possible.
Dans les rues principales, des boutiques de détail, boutiques
à la façon de Berbèrie, bien entendu, consistant en un étal et uo
siège pour le débitant , pourvoyent aux besoins journaliers des cita^
dins.
Un marché hebdomadaire, qui se tient tous les vendredis sur la
place d'El-'Aouîna, supplée, par des apports étrangers, aux approvi-
sionnements quotidiens des boutiquiers ordinaires. Là, comme sur la
plupart des marchés de consommation deTintérieur, les denrées sont
vendues à l'encan. L'importance de ce marché varie suivant les sai-
sons, les arrivées ou les départs des caravanes. Pendant mon séjour,
on y vendait, par marché, environ 300 moutons destinés à la bou-
cherie.
Des boucheries, des boulangeries et des biscuiteries, à l'usage de
la population flottante, remplacent pour les étrangers les abatages et
la fabrication de pain qui, pour les habitants sédentaires, s'effectuent
dans l'intérieur de chaque famille.
Des fontaines, dans chaque quartier, donnent abondamment l'eau
à tous.
Enfin, ce qui ne se voit dans aucune autre partie du Sahara, l'en-
semble des plantations de palmiers est entouré d'un mur de défense,
en ruines, il est vrai, sur plusieurs points, quoiqu'il porte des traces
de différentes reconstructions. ( Voir la planche ci-contre.)
Sans doute , Ghadâmès, ville souvent réédiûée, n'offre ni la régu
larité ni le confortable des cités européennes modernes ; mais dans
le jugement que je porte sur son assiette, je ne puis raisonnablement
que la comparer aux autres centres sahariens, et je n'hésite pas à lui
accorder un rang distingué entre toutes ses rivales.
Les principaux quartiers de la ville sont : In-Djoûra, Taskô, Tin-
CENTRES COMMEaCIAUX. 3Ô8
Guezzîn, Taferfar, El-Aouîna ou Benî-Màzigh, Amaendj, Aydrâr,
Djer-Essân et Oulâd-Bellîl.
7,000 habitants environ peuplent ces divers quartiers.
La population flottante varie avec les départs et les arrivées des
caravanes.
Une seule grande porte donne accès dans la ville, ce qui rend la
surveillance des entrées et des sorties plus facile.
A l'époque de mon séjour à Ghadâmès (1860), l'autorité politique
et administrative des Turcs y était représentée par un moûdîr, assisté
d'un kaououâs.
La fonction de moûdîr correspond à celle de k^^d des tribus algé-
riennes.
La force publique mise à la disposition de cette autorité supérieure
consistait en quelques Arabes du Djebel-Nefoûsa , quelquefois au
nombre de quatre seulement, envoyés en corvée pour trois mois, par
le kâïmakâm du Djebel, duquel Ghadâmès dépendait. Pour empêcher
cette garnison temporaire de rentrer dans ses foyers avant l'expi-
ration du délai fixé, le moûdîr était obligé de prendre en gage ses
fusils.
La mission de ce simulacre de gendarmerie, sans armes, était de
garder la porte de la ville, de prêter main-forte au chef de la douane,
pour l'acquittement des droits, et de servir de chaouch ou agents de
police au moûdîr.
A la fin de 1862, quand une mission française s'est rendue à
Ghadâmès pour y conclure un traité de paix avec les Touareg, cette
ville ayant été, par un édit de la Porte Ottomane, placée sous le régime
de la liberté commerciale, la garde protectrice de la douane avait été
supprimée avec elle, et Ghadâmès offrait le spectacle, peut-être unique
dans le monde, d'une ville relevant d'une autorité étrangère repré-
sentée par un seul agent, le moûdîr.
Mais, depuis, cet âge d'heureuse quiétude a disparu. Le kaîd
algérien, 'Aly*Bey, ayant franchi les dunes de F'Erg avec une troupe
(goûm) de cavaliers Souâfa et Rouâgha, pour venir faire escorte aux
missionnaires officiels à leur retour, la paisible population de Gha-
dâmès s'est crue menacée de conquête et a obligé le gouvernement
de Tripoli à prendre des mesures pour la défendre au cas de néces-
sité.
Au moûdîr a succédé un pacha; une garnison de Turcs (redîf).
264 TOUAREG DU NORD.
envoyée. d'Europe et renforcée de cavaliers du Sàhel [hacki-bouzouk]^
est venue occuper la place.
Désormais Ghadâmès est devenue le chef-lieu d'un kâïmakâmlik
saharien relevant de Tripoli, et embrassant, dans sa circonscription ,
une partie du Fezzàn.
Cette organisation, fondée sur la peur, n'est-elle que transitoire?
Je rignore. Quoi qu'il en soit de craintes sans motifs *, je ne puis que
me réjouir de voir un nouvel élément d'ordre introduit dans le pays.
De 1850 à 1858, le gouvernement anglaisa entretenu à Ghadâmès
un vice-consul, probablement en vue de surveiller le commerce des-
nègres. Ce consulat est aujourd'hui supprimé, ainsi que celui de
Mourzouk.
La création d'une agence consulaire de France, beaucoup plus
nécessaire, est à l'état de projet depuis plusieurs années. Elle ne
tardera pas, sans doute, à être installée, car les intérêts des Touareg,
devenus aujourd'hui nos alliés, ainsi que ceux de notre commerce,
réclament cette institution.
La cité est administrée par un cheikh, avec le concours d'une
assemblée libre des notables {djema*a), suivant les anciennes cou-
tumes municipales des Berbères.
Ce fonctionnaire, nommé par l'autorité politique locale, est le
véritable magistrat de la ville.
La justice est rendue, au nom du sultan de Constantinople , par
un kâdhi, qui reçoit son investiture de l'autorité judiciaire de Tripoli.
Un imâm est le chef de la religion , en même temps que le sup-
pléant du kâdhi.
L'instruction publique est représentée par un mouderris ou maître
d'école.
En 1860, le moûdîr seul recevait un traitement de l'État.
La garde n'était ni payée ni nourrie.
Le cheikh , le kàdhi et l'imâm n'avaient d'autres honoraires que
ceux inhérents à leurs fonctions et payés directement par les admi-
nistrés.
Le maître d'école et les amîn des corporations avaient, pour
toute rétribution, la jouissance d'une portion d'eau.
1. Pendant quinze jours., les Turcs de Tri poU ont cru qu* 'Aly-Bey s'était em-
paré de Ghadâmès , et on affirmait que des Français déguisés , venus avec lui, con-
struisaient un fott près du bassin de la source.
CENTRES COMMERCIAUX. 265
Dans 6es condidoDs, le budget des dépenses s'élevait à 3,500 fr.,
chiffre du traitement du moûdîr.
Le budget des recettes, non compris les produits de la douane et
des locations d'eau, s'élevait à 2,500 mitkhal d'or, soit 30,937 fr.
50 c, au taux du change de l'époque.
11 parait que, nonobstant la levée des droits de douane, l'impôt
mobilier et immobilier a aussi subi une réduction, car, d'après M. le
lieutenant-colonel Mircher, en 1862, il avait été fixé à 21,000 francs
seulement.
L'érection du moùdîrît en kàïmakâmlik, avec des charges in-
connues jusque-là, aura probablement fait augmenter la part d'impôt
de Ghadâmès, car les Turcs ont pour habitude de mettre au compte
des populations les dépenses que leur protection occasionne.
Quel que soit l'avenir réservé au nouvel ordre de choses, la
force de l'habitude, comme celle de la nécessité, maintiendra l'ad-
ministration intérieure de la ville aux mains des notables com-
merçants du pays et le gouvernement des relations extérieures au
pouvoir des chefs Touareg, car, sans une alliance intime des maîtres
des routes et des propriétaires des marchandises qui alimentent le
commerce de la place, Ghadâmès, déjà en décadence depuis l'aboli-
tion de la traite, ne tarderait pas à devenir une ville morte, inhabi-
table môme pour ses habitants, en raison du haut prix de toutes les
denrées de consommation.
En vain le drapeau de la Porte Ottomane, dans les circonstances
solennelles, est hissé à Ghadâmès, sur une maison à loyer qu'y occupe
un gouverneur turc; en vain l'acquittement volontaire d'un faible
impôt, tribut religieux autant que politique, semble sanctionner la
reconnaissance d'une autorité étrangère : Ghadàmèsiens et Touareg
Azdjer, unis entre eux par les liens du sang et de l'intérêt, se consi-
dèrent réciproquement comme faisant partie de la môme confédé-
ration. En frères associés à la môme entreprise, les uns, maîtres de
l'espace, forts, actifs, protègent sur les routes les convois de leurs
clients; les autres, maîtres de la fortune et des relations qui permet-
tent d'acheter des vivres et des vêtements au dehors, donnent libé-
ralement à leurs protecteurs ce qui est nécessaire à leur existence.
La sollicitude et les égards des commerçants de Ghadâmès pour
les Touareg, grands et petits, révèlent combien est intime l'union des
deux populations.
266 TOUAREG DU NORD,
Que chaque maison de commerce pourvoie aux besoins de la
famille de son protecteur particulier et prévienne môme ses désirs:
rien de plus naturel que la réciprocité des services rendus.
Mais là ne se bornent pas les bons offices des citadins envers les
nomades.
Un chef targui tombe- 1- il dans la misère, la corporation des
marchands l'invite à venir habiter la ville , l'entretient et le nourrit.
L'un des Touareg, homme libre ou serf, vient-il en ville pour ses
affaires, le repas de l'hospitalité lui est donné pendant toute la durée
de son séjour.
Des mendiante se permettent-ils d'enfoncer les portes d'une mai-
son qui ne s'ouvrent pas assez vite, on s'excuse de n'avoir pas deviné
qu'ils étaient Touareg.
Par extraordinaire, des Touareg ont-ils quelques démêlés avec
l'autorité turque, aussitôt les notables habitants interviennent pour
éviter tout conflit en prenant à leur charge la responsabilité des
fautes commises, et l'autorité s'associe à la prudence de^ habitante.
Ghadàmès, nominalement vassale de la Porte Ottomane, obliga-
toirement tributaire de Tripoli pour ses besoins commerciaux, est donc
bien plus une ville neutre qu'une ville d'État, et si elle était mise en
demeure d'arborçr le drapeau d'ime nationalité, tout l'obligerait à
adopter celui des Touareg.
De cette situation, je conclus que la convention commerciale signée
à Ghadàmès le 26 novembre 1862, par les principaux chefs des Toua-
reg Azdjer et les délégués du gouvernement général de l'Algérie, engage
aussi bien la corporation des commerçante de Ghadàmès que les
Touareg eux-mêmes, quoique la convention n'en fasse pas une mention
spéciale, mais les deux parties contractantes l'ont explicitement com-
pris ainsi.
S II. — RhAt.
Rhât est une ville berbère, indépendante des Touareg, quoiqu'elle
soit assise au milieu jie leurs campemente et quoiqu'elle relève de
leur protectorat.
Sa position, au débouché de la gorge d'Ouaràret et de la vallée
du Tânezzoûft, sur la grande voie commerciale de Tripoli au Soudan,
en un point riche en eaux de sources et en terres susceptibles de
CENTRES COMMERCIAUX. 267
culture, semble Tavoir prédestinée au rôle qu'elle joue au milieu de
populations nomades.
D*aprës la tradition locale, la fondation de Rhât daterait de quatre
ou cinq siècles au plus , ce qui explique le silence des auteurs arabes
du moyen âge à son sujet.
Mais la môme tradition lui donne pour fondateurs une tribu
berbère noble, les Ihâdjenen, avec le concours des Kêl-Rhâfsa, des
Kêl-Tarât, des Tél-Telaq et des Ibakammazôn, également Berbères,
mais d'origine moins noble que les Ihâdjenen.
La coopération des Kêl-Rhâfsa à la restauration de la ville mo-
derne permet de lui assigner une origine ancienne et de retrouver
l'emplacement d'un des centres de population vaincus par les armées
romaines dans l'expédition de la Phazanie.
En effet, Pline {Hist. natur., Lib. V, c. 6) nous apprend, d'après
les auteurs du temps, que parmi les peuples, les villes et les lieux
dont la conquête a valu les honneurs du triomphe à Cornélius Balbus,
figure le nom de Rapsa, qualifiée oppidum.
V oppidum des Romains était une ville, avec enceinte fortifiée, dans
une position stratégique.
Sans doute, cet oppidum commandait le 4>apaY^ Fapapuxvrixi
de Ptolémée, comme Rhât moderne commande VAghelâd d'Ouarârel.
Les noms ont changé, mais les hommes et les choses sont restés
les mêmes. Les gens de l'antique Rapsa, les Kêl-Rhàfsa de l'époque
moderne, trop faibles pour défendre par leurs seules forces une posi-
tion qui peut à juste titre être considérée comme une des clefs du
plateau central du Sahara, auront du s'associer avec les seigneurs
Ihâdjenen et leurs serviteurs, pour restaurer leur ville sous un nom
dont l'étymologie nous échappe, Kêl-Rhât, gens de Rhât, mais qui doit
être emprunté à des circonstances locales, car trois des portes de la
ville, contre l'habitude, portent le nom commun de Tœmelrhàt, et
une quatrième celui de Tafelrhât.
Une exploration spéciale permettrait peut-être de retrouver dans
les constructions modernes de Rhât des traces de l'ancienne Rapsa;
il est regrettable que la jalousie superstitieuse de ses habitants n'ait
pas encore permis de rechercher si l'emplacement de Yoppidum des
Romains était là , ou dans quelque autre ville du voisinage habitée
jadis par les Kêl-Rhâfsa.
La petite confédération à laquelle la Rapsa des anciens dut sa
268 TOUAREG DU NORD.
résurrection porta d'abord le nom deKêl-Rhât, qu'elle conserva jusqu'à
ce jour, concurremment avec le nom arabe de Rhâtïa. Mais ce n'est pas
leseul changement à noter dais l'histoire de cette petite agglomération.
Les Ihàdjenen, frères consanguins des Touareg, liés d'une étroite
amitié avec eux, ont longtemps conservé leur autonomie sous le pro-
tectorat dévoué de leurs puissants alFiés. La bonne harmonie entre
deux pouvoirs indépendants l'un de l'autre s'explique, d'un côté, par
la répulsion instinctive des Touareg pour l'habitation dans les villes,
par le besoin qu'ils avaient d'un centre commun d'intérêts, et, de
l'autre côté, par la nécessité qu'il y avait pour les Ihàdjenen d'être en
relations amicales avec des peuplades les environnant de toutes parts
et pouvant ouvrir ou fermer les routes aboutissant à leur ville.
Dès le début, la cité de Rhât s'est d'ailleurs signalée par une con-
stitution administrative et gouvernementale fort simple, mais très-
bien entendue :
Pour les affaires intérieures, une municipalité élective, issue de la
tradition berbère, administrait sans contrôle;
Pour les affaires extérieures, un cheikh héréditaire, sorte de sul-
tan, comme ceux deTougourt, d'Ouarglà etd'Agadez, gouvernait, sous
le titre d'amghâr, et défendait l'indépendance des Ihàdjenen.
La tradition a conservé les noms de ces anciens sultans; les voici
dans l'ordre chronologique :
Khammadi ,
Ahmâdou ,
EI-Hâdj-Mohammed-Settaqa,
El-Hàdj-Arhdâl ,
Arhdâl,
El-Hàdj-Khatîta,
El-Hâdj-Bel-Qàsem , qui régnait au commencement de ce siècle,
Enûn, Mohammed-Ould-Arhdâl.
Mohammed-ould-Ardhâl devait clore la série des sultans d'origine
Ihàdjenen pure, par application d'une loi locale sur les successions à
laquelle les Ihàdjenen doivent la fondation d'une dynastie et Rhât le
développement de sa prospérité, mais qui, par un retour des choses
d'ici-bas, pourra bien faire perdre à cette ville son indépendance, si .
ce n'est sa fortune.
CENTRES COMMERCIAUX. 269
Dans le Sahara, les tribus d'origine berbère, suivant l'ordre de
succession en usage, sont ou Ebna-SÎd {fils de leur père) ou RenÎ-Oum-
MÏA {fils de leur mère).
Les Ihâdjenen étaient Benî-Oummïa et, à Rhât, comme chez les
Touareg, comme dans d'autres tribus berbères, la transmission du
pouvoir n'a pas lieu, ni d'après la loi musulmane, ni d'après la
coutume générale des autres peuples, en ligne directe, du père au
fils, mais par voie indirecte, du défunt au fils aîné de sa sœur aînée.
Dans le Livre suivant, exclusivement consacré aux Touareg, cette
loi sera l'objet d'un examen tout particulier; toutefois, je dois dire,
avant de passer outre, que, par ce mode de succession, les Rerbères
Benî-Oummïa croient mieux assurer la transmission du sang. En
effet, la sœur, fille d'une mère consanguine, transmet certainement à
son fils une parcelle du sang de son frère, quel que soit le père, tandis
que l'épouse infidèle introduit un sang étranger dans la famille.
Comme complément de cette loi, les mariages avec des étrangers
sont interdits, mais quand les familles s'éteignent, résultat presque
inévitable des alliances trop rapprochées; quand les seuls survivants
sont des femmes, il faut bien que ces femmes aillent chercher des
époux en dehors de la famille.
C'est ce qui est advenu aux princes Ihâdjenen. La sœur de
Mohammed-Ould-Arhdàl a du se marier avec un riche négociant du
Touât, et de ce mariage est né un fils, El-HâdjrAhmed-Ould-es-Saddîq,
et à la mort du dernier amghàr, le fils du touâti s'est trouvé, par
droit de naissance, cheikh héréditaire de Rhât.
Depuis longtemps, les descendants des fondateurs de Rhât étaient
en minorité — tant il est vrai que des nomades se perpétuent diffi-
cilement dans l'enceinte d'une ville — et ils avaient été remplacés
par une nouvelle génération d'enfants issus du mariage des Rhâtiennes
avec les nombreux marchands de Ghadâmès, du Touât, de Sôkna et
de Djâlo, venus à Rhât pour profiter des avantages de son commerce.
Quand s'est produit le fait nouveau d'un fils de touâti arrivant
au pouvoir, les nombreux étrangers, composant aujourd'hui la grande
majorité de la population de la ville, ont trouvé tout naturel qu'un
étranger comme eux fût le souverain du pays, et El-Hâdj-Ahmed fut
accueilli avec faveur. Toutefois, il ne prit que le titre de cheikh et
non celui d'amghâr.
Mais cette substitution d'an Arabe touâti à un Berbère ihâdjeni
270 TOUAREG DU NORD.
blessait Tamour-propre berbère des Touareg, et, depuis lors, à de
bons rapports entre les Rhàtiens et les Azdjer a succédé une rivalité
dont les causes sont nombreuses.
L'avènement du ûls d*un Arabe à Tautorité souveraine dans une
ville berbère devait surtout blesser les chefs des Oràghen, véritables
sultans du pays.
Il y a deux siècles environ, les Imanân, rois des Touareg du Nord,
avaient à peu près usurpé le pouvoir des amghâr Ihâdjenen dans la
ville de Rhât et tenaient ses habitants sous le joug de leur oppression.
Une révolution, dont les détails seront racontés ci-après, mais
faite par les Orâghen, détrôna les Imanân et permit à la ville de
Rhât de recouvrer son ancienne indépendance sous la protection de
ses libérateurs.
De plus, il y a cinquante ans environ, sous le règne de Tamghâr
Bel-Qâsem, Rhât fut inopinément attaquée par une armée du sultan
du Fezzân, qui, déjà alors, convoitait la domination ou la destruction
de la rivale du commerce de Mourzouk.
Rhât, réduite aux seules forces de ses habitants, eût peut-être
succombé, mais les chefs des Orâghen vinrent à son secours et, sous
leur bannière, les Fezzaniens, battus par les Adzjer, laissèrent entre
les mains de leurs vainqueurs 2,000 chevaux chargés de bagages,
ce qui ne les engagea pas à renouveler leur audacieuse entreprise.
Après cette victoire,, comme après celle qui avait mis en leurs
mains le pouvoir des Imanân, les Orâghen auraient pu s'emparer
de Rhât et y commander en souverains. Ils ne l'ont pas fait, par respect
des droits héréditaires des Ihâdjenen.
11 ne pouvait donc pas leur convenir de voir les destinées d'une
ville affranchie par eux, défendue par eux, et de la prospérité de la-
quelle dépend la leur, passer aux mains d'étrangers, ûls d'Arabes,
c'est-à-dire d'hommes auxquels les Berbères reprochent d'être tou-
jours prêts à accepter toutes les dominations, pourvu qu'on leur
donne un beau burnous dMnvestiture.
Rhât est loin d'avoir comme ville l'importance qu'elle a comme
marché, car elle compte à peine 600 maisons et /i,000 habitants;
mais elle s'agrandit tous les jours, par la création de villages voisins
qui, par leur accroissement successif, pourront devenir de nouveaux
quartiers de la ville primitiv<a. L'un deux, Tâderâmt, est à 600 mètres
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D'aprài un Aesmn do M. IL Duvoyricr.
Fig. 2. — VUE nv pic dk télout dans la vallée df TlTEnnsl!^
( VOIU PAOK 58 1.
D'après un dessin de M. H. Duveyrier.
CENTRES COMMERCIAUX. 271
du mur d'enceinte de Rhât; l'autre, Toûnîn, est à 800 mètres en-
viron. Toûnîn, de fondation toute récente (douze ans) , compte déjà
500 habitants : c'est là qu'est le château particulier d'El-Hâdj-
Ahmed-Ould-es-Saddîq.
Rhât, Tâderàmt, Toûnîn, marquent trois côtés d'un vaste espace
sur lequel se tient le grand marché annuel, source de la fortune de
cette contrée.
La ville a une forme circulaire. Au centre se trouve une petite
place nommée Eseli, de laquelle rayonnent six rues qui divisent la
cité en six massifs de maisons et vont aboutir à six portes ouvertes
darîs le mur irrégulier qui sert d'enceinte.
Trois des portes sont désignées sous le nom de Tâmelrhât, qui
est celui d'un quartier, une quatrième s'appelle Tafelrhât, la cinquième
est Bàb-Kelâla, la sixième est Bâb-el-Kheïr.
La construction dominante de la ville est le Mesid ou école ;
l'unique mosquée a un minaret assez élevé.
Les maisons sont à deux étages comme celles de Ghadâmès, mais
dans des dimensions moins vastes.
Vue du dehors, Rhât semble et est en effet bâtie sur un petit
mamelon qui domine le pays circonvoisin du Sud-Sud-Est au Nord-
Nord-Ouest. Elle est elle-même dominée, à peu de distance du mur
d'enceinte, par les derniers contreforts de Koukkoûmen, petite ligne
de collines, entre le Tasîli et l'Akâkoùs, qui sépare la vallée d'Oua-
râret de celle du Tànezzoûft. (Voir la planche ci-contre.)
L'eau abonde autour de Rhât, et c'est à cette circonstance, comme
à sa position au débouché d'un large col, que cette localité doit
l'avantage d'avoir toujours été recherchée par des populations sé-
dentaires.
Les plantations de dattiers forment au Sud des bois ou des
groupes de jardins isolés, dont quelques-uns, ceux d'iberkân et de
Temattîn, sont à 2 et 3 kilomètres.
Plus au Sud encore se trouve la petite ville targuie d'El-Barkat,
qui a une existence indépendante.
La population de Rhât est aujourd'hui un mélange de toutes
les populations qui, depuis sa fondation, s'y sont donné rendez-
vous dans un intérêt commercial : blancs, noirs, métis, hommes
libres, esclaves, Arabes, Berbères, gens du Sud, gens du Nord, gens
de l'Est, gens de l'Ouest.
272 TOUAREG DU NORD.
Les femmes seules représentent la tribu primitive des Ihâdjenen, et
comme le droit berbère leur réserve, même dans le mariage, l'admi-
nistration de tout ce qu'elles possèdent, elles seules disposent, en
qualité de propriétaires, des maisons, des sources, des jardins, en
un mot, de toute la richesse foncière du pays. Ce fait a contribué à
conserver à Rhât sa physionomie propre, ses mœurs, son idiome par-
ticulier.
11 en est résulté aussi, au profit des femmes, un développement
d'intelligence et un esprit d'initiative qui étonnent au milieu d'une
société musulmane.
Le costume des Rhâtiens est, en général, celui des Touareg : voile,
blouse, longs pantalons, vêtements de couleur provenant du Soudan.
La langue de Rhât, quoique parente de celle des Touareg, con-
stitue cependant un dialecte à part.
Comme chez les Touareg, la femme est respectée.
Comme chez tous les Berbères, Tesprit municipal est développé
au plus haut point.
Tout en conservant des traces aussi importantes de leur origine
berbère, les Rhàliens ont largement emprunté aux nègres leurs su-
perstitions; ils croient aux sorciers, amchsahhâr, et leur attribuent
le pouvoir de préserver des balles, du fer, des maladies, de la dent
des bêtes fauves; mieux encore, de métamorphoser un homme en une
bête quelconque.
Beaucoup de Rhâtiens, ennemis des chrétiens, ennemis surtout des
Français, coupables d'avoir conquis une terre de l'Islam, avaient crié,
tempêté, juré, avant mon arrivée, que, si je foulais le sol de leur
territoire, ils me feraient regretter mon imprudence.
Parmi eux, quelques-uns, les plus audacieux, voulurent voir de
leurs yeux ce chrétien tant redouté, tant maudit.
Grand fut leur désappointement : le chrétien était un jeune
homme, parlant une langue qui leur est familière, causant de tout,
s'enquérant de tout, passant son temps à écrire, à dessiner, à obser\-er
les étoiles.
A leur rentrée en ville, ces visiteurs avaient de l'infidèle, cause
de tant d'agitation, une opinion toute différente.
Il n'en fallut pas davantage pour me transformer en sorcier aux
yeux des plus récalcitrants. N'avais-je pas, d'ailleurs, guidé par mes
observations météorologiques, prédit des changements de temps?
CENTRES COMMERCIAUX. ' 273
Aussi El-Hâdj-el-Amîn, cheikh actuel de la ville, Thomme le plus
opposé à ma venue à Rhàt, prit-il toutes les précautions pour éviter
mon regard : il craignait que je ne l'ensorcelasse.
Rhât a tenu à poser vis-à-vis de moi, chrétien, en ville musul-
mane, fanatique de sa religion. On serait dans une grande erreur, si
Ton imputait cette attitude à une ferveur religieuse exceptionnelle. Il
n'en est rien. La religion n'est qu'un masque, l'intérêt est le seul
mobile de cette conduite.
Le Cheikh-el-Hàdj-el-Amîn , dévoré d'ambition, pétri d'intrigues,
a forcé son frère aîné, El-Hàdj-Ahmed-Ould-es-Saddîq, le successeur
du dernier amghàr, à lui abandonner la souveraineté de la ville.
Cela ne lui suflit pas. Il voudrait qu'une investiture de la Porte Otto-
mane vînt ratiûer, en sa personne, la substitution, sur le trône de
Rhât, d'un Arabe à un Berbère, d'un touàti à un ihàdjeni, d'un frère
cadet à un frère aîné encore vivant, et, dans ce but, depuis qu'il est
au pouvoir, il travaille à amener les Turcs à Rhât, d'abord pour faire
consacrer son usurpation, ensuite pour n'avoir plus à compter avec
les Oràghen, ses voisins.
L'éventualité possible de l'occupation de Rhàt par les Turcs est
envisagée par les Tonàreg comme un des plus grands malheurs qui
puissent leur arriver : nobles et serfs y perdraient le plus net de leurs
moyens d'existence , car le monopole du protectorat du marché de
Rhàt donne aux premiers une partie des revenus qui les font vivre,
et aux seconds des transports pour leurs chameaux. Puis, il n'est pas
de targui, petit ou grand, qui n'ait, en quelque sorte, le droit
d'exiger, de temps à autre, des Rhàtiens, soit un déjeuner, soit un
dîner, soit quelque bagatelle, et dans un pays où tout manque, c'est
là une ressource in extremis qui n'est pas dédaignée.
Il est vrai que les^ rapports fraternels qui existaient autrefois
entre les Ihâdjenen et les Touareg ont cessé , et que les Rhàtiens ont
souvent aujourd'hui de légitimes motifs de se plaindre des avanies et
des exigences de leurs voisins, mais l'appel fait aux Turcs* par le
cheikh actuel de la ville ne me paraît pas une solution heureuse, car
leur arrivée à Rhàt, fût-elle possible devant la résistance des Touà-
1. Depuis la conclusion d*un traité de commerce entre la France et les chefs
Touareg, le cheikh de Rh&t, appuyé par une partie des habitants de la ville, a
renouvelé avec plus d*ardeur ses instances près des Turcs pour Tannexion de Rhàt à
la Tripolitaine.
I. 18
27i • TOUAREG DU NORD.
reg, aurait pour résultat immédiat de ruiner le commerce local.
On comprend dès lors pourquoi les chefs des Touareg, bénéû-
ciaires de ce commerce, se sont montrés aussi favorables «à une
alliance française. Ils ont le sentiment instinctif que, de tous les gou-
vernements avec lesquels ils peuvent être en relations, celui de T Al-
gérie est le seul assez éclairé et assez puissant pour sauvegarder leurs
intérêts menacés.
Ainsi , à Rhàt, il y a deux partis en présence : celui des Turcs et
celui des Français, représentant tous deux des intérêts rivaux; le
parti français, composé de la grande majorité des Azdjer et de quelques
marchands de la ville, est le plus puissant. Grâce à son appui, j*ai
pu arriver sous les murs de RhâtS y séjourner quinze jours, lever
une esquisse du plan extérieur de la ville et de ses environs, recueillir
tous les renseignements dont j'avais besoin, faire toutes mes obser-
vations, malgré les imprécations du parti adverse.
Inutile de dire, je crois, que les gouvernements d*Alger et de
Tripoli sont étrangers à la création de ces deux partis nés des circon-
stances et d'intérêts en conflit. J*en ai trouvé la preuve dans Taccueil
qui m'a été fait à Mourzouk, ainsi qu'aux Touareg qui m'accompa-
gnaient, et dans une lettre que le pacha de Tripoli a écrite aux Rhâ-
tiens pour les engager à m'accueillir convenablement.
Peut-être les deux gouvernements amis devront-ils intervenir de
leur influence réciproque pour faire cesser pacifiquement les rivalités
qui divisent les Rhâtiens et les Touareg. La France, puissance chré-
tienne, aurait un beau rôle à jouer, en prenant l'initiative au Maroc,
à Tunis, à Tripoli, à Timbouktou môme, d'une sorte de médiation
générale, à l'effet de résoudre toutes les difficultés qui tiennent en
conflit toutes les peuplades du Sahara, les unes vis-à-vis des autres.
Le commerce en gros pour les riches, en détail pour les pauvres,
est la principale source de richesse des Rhâtiens ; cependant l'in-
dustrie y a quelque importance, quoique limitée aux besoins de la
localité. On y fait des pelleteries, des vases en bois, des montures ou
des étuis pour armes : poignards, sabres, fusils, etc., etc.
1. Malgré mon grand désir d*entrer dans Rhàt pour visiter la vîUe, j'ai dû
m'abstenir par respect pour rémir des Touareg, Ikhenoûkhen, qui, pour rien au
monde, n'aurait consenti à exposer son hôte aux avanies d*un fanatique. Campé avec
lui sur le marché même de la ville, dont la police appartient aux Tou®, je n'avais
à redouter aucun danger.
CENTRES COMMERCIAUX. 275
Les principaux commerçants de Rhàtsont : El-Hàdj-el-Amln, cheikh
de la ville, dont la richesse paraît considérable; Ei-Hâdj-Ahmed, frère
aîné et prédécesseur du cheikh actuel/fondateur de ïoùnîn, qui peut
devenir une rivale de Rhât; un jeune marchand, originaire de Djerba,
nommé Yoûnis, fort entreprenant.
El-Hàdj el-Amîn , protecteur avoué de la zâouiya de la confrérie
d'Es-Senoûsi , contiguë à la ville, et foyer d'un fanatisme exalté, est
le chef du parti hostile à l'extension de l'influence française.
El-Hàdj-Ahmed conserve une sage neutralité entre les partis.
Yoûnis, dévoué à notre cause, aurait déjà tenté d'ouvrir des rela-
tions entre Rhât et Alger, si le Cheikh-el-Hâdj-el-Amîn ne menaçait
de l'expulser de la ville.
S III. — MODRZOUK.
Mourzouk est la capitale du Fezzân, groupe d'oasis au Sud de
la Tripolitaine , érigé, depuis 18/»1, en kâïmakâmlik de l'Empire
Ottomai^.
Je n'aurais à m'occuper ni de Mourzouk, ni du Fezzân, si tout ne
se liait dans la vie saharienne, si d'importantes fractions des Touareg
Azdjer, quoique indépendantes des Turcs, n'étaient comprises dans le
kâïmakâmlik du Fezzân, notamment celles qui habitent l'Ouâdi-el-
Gharbi et l'Ouâdi-'Otba, aux portes mêmes de Mourzouk ; si je n'avais
à appeler l'attention sur Djerma, la Qarama des anciens, et sur une
civilisation antérieure à la conquête romaine, dont le type se trouve
à Djerma; si, enûn, je n'avais à constater, par l'exemple du Fezzân,
que le Sahara n'est pas un pays à exploiter comme source de revenus
gouvernementaux, mais à féconder par l'ordre, la paix et des insti-
tutions libérales.
Le Fezzân actuel comprend des oasis et des terres de parcours.
Dans les oasis, on distingue les groupes du Sud qui représentent
l'ancienne Phazania, et un groupe au Nord, celui d'El-Jofra, qui a
pour capitale Sôkna, sous la dépendance de laquelle se trouvent deux
villes isolées : Fogha et Zella.
Le groupe des oasis du Sud a eu successivement pour capitale :
Djerma, sous les Garamantes;
Garama, sous les Romains ;
276 TOUAREG DU NORD.
Trâghen, sous la dynastie des Nesoûr;
Zouîla, sous les conquérants arabes;
Mourzouk, sous les dynasties des Oulàd-Mehammed et des Kara-
manli, sous 'Abd-el-Djelîl et sous les Turcs.
Les Oasiens, tous sédentaires, habitent des villes et des villages
au milieu de forêts de dattiers; ils appartiennent, en très-grande
majorité, à un type nègre que j'appelle sub- éthiopien; quelques-uns
sont Teboû, également nègres; d'autres sont Touareg, blancs ou de
sang mélangé.
Les terres de parcours sises entre les oasis sont occupées par
trois grandes tribus arabes, savoir :
Les Hotmân et les Megâr-ha, qui rayonnent autour de TOuâdi-ech-
Chiâti, dans les dunes d'Edeyen, la Hamâda de Mourzouk et une
partie de là Hamâda-el-Homrâ ;
Les Rîah, qui campent alternativement dans la Hamàda-el-Homrâ
et dans les massifs volcaniques de la Soda et du Hàroûdj.
La capitale des Garamantes se retrouve, sous le nom de Djerma-
el-Qedîma, au Sud de la Djerma moderne, dans une sorte de baie que
forme la montagne de TAmsàk. Le principal caractère de ces ruines
nous est transmis par le Qeçîr-el-Walwat ou châtelet des chauves-souris.
La capitale des Nesoûr est représentée par les ruines de Yancien
château de Trâghen, qui ont quelque rapport avec celles de Djerma-el-
Qedîma.
De la Garama des Romains , il ne reste plus aujourd'hui qu'un
monument carré, très-bien conservé, au milieu de pierres de taille,
couvrant une superficie de 60 mètres environ , ainsi qu'un amas de
pierres de taille très-étendu au Sud de la Djerma moderne. (Voir la
planche ci-contre).
Zouïla, ville de Chorfâ, est le chef-lieu de la Cherguîya.
Mourzouk, capitale actuelle, est le siège du kàïmakâmlik.
La tradition, d'accord d'ailleurs avec l'histoire, nous apprend ce
qui suit :
Les plus anciens habitants des oasis étaient des Berâouna , nom
sous lequel les Arabes confondent tous les nègres du Bornou , aussi
bien que les Teboû.
La dynastie la plus ancienne qui ait gouverné les Berâouna est
PI. XIV.
Page 276.
Fig. «6.
MONIMENT nOIIAIN DE LANCIENNE CARAMA.
D'après un dessin de M. H. Duveyrier.
CENTRES COMMERCIAUX. 277
celle des Nesoûr, originaire du Soudan. Elle régnait à Tràghen. On
y voi encore les ruines du château des sultans et le tombeau de Tun
d'eux, Maï'Ali (le sultan 'Ali).
Les Nesoûr régnèrent longtemps, mais ils furent vaincus et dé-
trônés par une tribu arabe, les Khormân, qui réduisirent les Fezza-
niens à l'état d'esclaves et les accablèrent d'injustices.
Sous le gouvernement des Arabes Khormân, Zouîla était la capitale
du Fezzân.
Pendant que le peuple opprimé souffrait, passa un chérîf du Ma-
roc, allant au pèlerinage de la Mekke. On lui raconta tous les mal-
heurs du pays et on le supplia de venir le délivrer. Ce chérîf, au
retour de la ville sainte, obtint de son père l'autorisation de secourir
les malheureux Fezzaniens, ce qu'il fit avec le concours d'hommes
dévoués qui le suivirent.
Ce chérîf s'appelait Sîd-el-Monteser-ould-Mehammed.
Il ne tarda pas à vaincre les Khormân et à les expulser.
Par reconnaissance, les Fezzaniens élurent sultan leur libérateur.
Ainsi fut fondée la- dynastie des Oulàd-Mehammed.
Si l'on s'en rapporte aux souvenirs des indigènes, cette dynastie,
qui régna 550 ans environ, fit le bonheur du pays et agrandit le
Fezzân, peu à peu, par de sages conquêtes, jusqu'à Sôkna, vers le
Nord.
Voici les noms de quelques-uns des successeurs de Sîd-el-Mon-
teser :
Sultan Djeheïm ;
— Mehammed ;
— Mehammed ;
— Ahmed, qui régnait en 1747 ;
— Mehammed ;
— El-Monteser.
Le dernier de ces sultans fut tué aux environs de Tràghen , où
l'on voit son tombeau, en 1811, par El-Moukkeni, l'un des lieutenants
de Youçef-Pacha, le dernier souverain de la dynastie indépendante
des Karamanli de Tripoli.
El-Moukkeni, devenu sultan du Fezzân , se rendit célèbre par les
expéditions qu'il fît en Nigritie, et dans lesquelles il emmena, non-
seulement beaucoup de chevaux, mais encore de petits canons. Dans
Pi. XV.
Page 27U.
Fi({. ï7, 48 et 4».
— ^f
mt.. -:
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Fi«. I. — nt'INES D15 qeçIb-el-\vatwat.
D'après un dessin de M. H. Duveyrier.
Fig. 2. — TOMBKS DE l'aNCIENNE N^.CROPOI.fi DE QEÇl B ÂT-KR-ROt M.
D'après un dessin de M. H. Duveyrior.
Fig. 3. — TOMBES DBS JABBArEJ«« DANS l/Ot'.\ DI - ALLOCN.
D'après un croquis de M. H. Duveyrier.
CENTRES COMMERCIAUX. 279
Nord, dans les villes habitées par la même race, le doute n'est plus
permis, et Ton est porté à admettre que Garamantes, Berâouna et les
sujets des sultans Nesoîir appartiennent à cette race noire qui eiuste
encore aujourd'hui sur les lieux.
Dans le Fezzân méridional, d'ailleurs, on retrouve, à chaque pas,
des noms de lieux appartenant à la langue du Bornou (le kanôri) :
Ngouroutou, Karakoura, Kerekerimi, Kangaroua, tous noms de puits
anciens de Toasis de Trâghen.
Ainsi, il est désormais à peu près certain qu'à une époque très-
ancienne a régné dans tout le Sahara une civilisation nègre très-
avancée pour l'époque, et que cette civilisation a doté le pays de
travaux hydrauliques remarquables, de constructions distinctes de
toutes les autres, de tombeaux qui ont partout le même caractère, de
sculptures sur les rochers qui rappellent les faits principaux de leur
histoire.
A cette civilisation appartiennent :
1® Les forages des puits artésiens de rOuâd-Rîgh et d'Ouarglâ;
2° L'aménagement des eaux de Ghadâmès et de Ganderma ;
3® Les puits à galeries, fogâràt, communs au Fezzân et au Touât;
ù® Le chàtelet des chauves -souris (Qeçîr-el-Watwat), de Djerma-
el-Qedîma;
50 Les ruines de Serdélès et de l'Ouàdi-Takarâhet;
6® Les Esnàmen de Ghadâmès ;
7<> Les chapiteaux de la place du marché de la même ville , s'ils
ne sont pas d'origine romaine ;
8° La nécropole de Oeçîràt-er-Roûm à Djerma ;
9** La grande nécropole isolée, entre Garàgara et Kharâig, à l'Est
de Djerma;
10® Les anciennes tombes du cimetière de Ghadâmès;
11*» Celles des Jabbâren, que j'ai trouvées sur ma route, en allant
à Rhât;
12<> Celles de Djelfa (Algérie) et d'El-Fogâr (Fezzân), qui ont des
liens de parenté;
13® Les sculptures de Bordj-Taskô à Ghadâmès;
li** Les sculptures d'Anaï;
15® Les sculptures trouvées par M. le docteur Barth dans la
vallée de Telizzarhên ;
280 TOUAREG DU NORD.
16® Les sculptures de Moghar et d*'Asla, dans le cercle de Géry-
vîlle;
Enfin, tant d'autres monuments d'origine incertaine, mais très-
ancienne, qu'on retrouve dans le Sud de l'Algérie, de la Tunisie et
delà Tripolitaine.
La description, la filiation de tous ces débris de la civilisation
garamantique, ne peuvent trouver place ici, mais, pour qu'on en puisse
saisir les caractères généraux, je reproduis les dessins de ceux de
ces types qui m'ont paru les plus remarquables.
Mon but principal est de constater que des nègres, dont quelques-
uns sont encore sur place, mais dont la masse a été refoulée, ont
occupé le Sahara avant toute autre race, et qu'ils y ont atteint un
degré de civilisation qui n'a jamais été dépassé depuis par leurs
successeurs. La constatation de ce fait a une grande importance pour
la colonisation ultérieure du Sahara, si la France croit devoir s'en
occuper.
A Djerma, à Tràghen, dans toutes les parties du Fezzân où j'ai
été admis à rendre visite aux djema'a, ou assemblées municipales
de notables, je me suis informé si l'on possédait des archives relatives
à l'histoire ancienne.
A Djerma, les vieillards disent que leurs chroniques ont été per-
dues, mais qu'elles assignaient aux Teboû la possession originaire de
leur pays et même la fondation de leur ville; leur langue primitive
était le tedâ,
A Tràghen , de vieux titres conservés par la famille des Thâmer
donnent le Bornou pour origine aux habitants de cette ville.
Interrogé sur le même sujet, Boû-Beker-Effendi , l'un des princi-
paux officiers civils du gouvernement turc à Mourzouk, répond : « Du
temps des Oulâd-Mehammed, tout était à la mode du pays des nègres.
Le sultan avait une ganga, une garde-noire; la langue était presque
le kanôri, et tous les noms donnés aux lieux et aux choses étaient de
cette langue : ainsi le boulevard commercial de la ville s'appelait le
dendal, comme dans les villes de la Nigritie. »
Abba-Serki, le dernier descendant des Oulâd-Mehammed, ajoute
à ces renseignements un témoignage très-remarquable : « Sous ses
ancêtres, il était permis aux marchands de race blanche de rester à
Mourzouk, pour leurs affaires, pendant les trois mois de l'hiver seule-
ment. Dès que les chaleurs commençaient, le sultan faisait annoncer
CEiNTRES COMMERCIAUX. 281
par un héraut que les blancs eussent à se retirer, sous peine d'amende
et d'expulsion, parce que les blancs étaient toujours malades et com-
muniquaient leurs maladies aux autres habitants. » Donc, l'expérience
avait démontré qu'il fallait être noir pour supporter impunément
l'insalubrité du climat pendant les grandes chaleurs.
Serait-ce cette insalubrité qui aurait conservé au pouvoir de la
race primitive les contrées insalubres du Fezzân, du Nefzâoua, de
rOuàd-Rîgh, d'Ouarglâ et du Touàt? Il est permis de le croire, car
on remarque que les populations blanches intercalées entre ces con-
trées insalubres habitent toutes des territoires plus sains. Encore un
fait d'observation pratique à noter pour la colonisation du Sahara.
Je résume le résultat de toutes ces informations : Les Fezzaniens
sont unanimes à attribuer le premier peuplement de leurs oasis à
des nègres païens, djohâla.
De ces préliminaires je passe à la ville de Mourzouk.
Elle fut fondée par les Oulâd-Mehammed, il y a environ cinq
cents ans, vers 1310. Le chérîf, qui devint plus tard sultan, trouva
là quelques zerâïb ou chaumières en palmes. 11 en fit sa demeure, et,
comme c'était ua saint homme, il ouvrit une école, laquelle attira
beaucoup de gens autour de lui.
Une des premières constructions fut celle de la Qaçba , dans la
partie Oues^de la ville. Les Turcs l'ont restaurée , ainsi que le mur
d'enceinte de la ville, qui a la forme d'un carré presque parfait, avec
de petits bastions en saillie.
Les constructions particulières de Mourzouk ont un type uni-
forme : toutes sont en briques d'une terre crue, tellement riche en
sel et tellement pauvre en argile, que les pluies, heureusement fort
rares, les dégradent beaucoup. Les habitations ordinaires n'ont qu'un
rez-de-chaussée ; celles des riches marchands de Sôkna et d'Aoud-
jela ont un étage ; ces dernières sont vastes et bien aménagées pour
le climat et pour les besoins des habitants.
La ville est coupée en deux par une sorte de large boulevard, le
dendal, garni de boutiques de chaque côté et aboutissant par ses deux
extrémités aux deux portes principales : celle de TOuest, près de la
Qaçba, celle de l'Est, entre un corps-de-garde et le poste de la douane.
Au dendal arrivent toutes les rues latérales, qui divisent la ville
en quartiers.
282 TOUAREG DU NORD.
Contrairement à ce qu'on observe dans les villes arabes et ber-
bères, les rues sont larges, droites et découvertes, comme dans les
villes nègres, ce qui n'est pas le plus agréable, car la chaleur y est
accablante.
La ville est alimentée par des puits dont l'eau est lourde.
La salubrité locale laisse à désirer, surtout pour les individus
originaires des climats tempérés. Jusqu'à ce jour, tous les gouver-
neurs, d'origine turque, envoyés au Fezzân , y sont morts, à l'excep-
tion de Mehemed-Bey, qui gouvernait le pays à mon arrivée et qui
était tout nouvellement installé.
L'insalubrité doit être attribuée à ce que Mourzouk est bâtie dans
le bas-fond d'une sebkha, saline desséchée.
La langue aujourd'hui parlée à Mourzouk et même dans la plus
grande partie du Fezzân est l'arabe.
L'esprit religieux est celui des centres dans lesquels des fonc-
tionnaires, une garnison et des commerçants étrangeis dominent.
Cependant il y a une mosquée à la Qaçba et une autre dans la ville.
Mourzouk est assez bien approvisonnée en viande, légumes, fruits,
car les environs sont productifs.
Pendant longtemps, les gouverneurs turcs ont craint d'habiter la
Qaçba, parce qu'elle avait la réputation d'être hantée par de mauvais
esprits. Cependant le kâïmakâm militaire actuel , Moustafa-Agha, y
est établi. «
Autour de la citadelle sont des casernes et des magasins, récem-
ment construits à l'européenne.
L'établissement militaire et administratif de Mourzouk com-
prend :
1" Une garnison de 250 hommes environ de troupes régulières
(redîf), presque tous indigènes du Fezzân ou nègres;
2** Quatre pièces d'artillerie de campagne avec une vingtaine de
chevaux pour les traîner;
3° Des magasins réputés approvisionnés pour une année;
ù*» Un hôpital dirigé par un médecin européen;
5** Environ 50 cavaliers arabes irréguliers {bachi-bouzouk) que les
tribus de la côte, Mesrâta et Mesellâta, sont tenues de renouveler tous
les ans. Les irréguliers sont commandés par un bâch-agha arabe.
Jusqu'au moment de mon arrivée à Mourzouk et depuis l'érection
CENTRES COMMERCIAUX. 283
du Fezzân en kâïmakâmlik, le gouvernement avait été confié à deux
chefs, indépendants Tun de l'autre, le kâïmakâm civil (bey ou pacha),
le kâïmakâm militaire (agha ou bey), suivant le grade du titulaire.
Le chef civil gouvernait et administrait toutes les populations du
kâîmakâmlik, le chef militaire s'occupait exclusivement de la force
publique. Mais, pendant que j'étais à Mourzouk, tous les pouvoirs
ont été concentrés entre les mains du chef militaire, et le chef civil
lui a été subalternisé. Ces deux fonctionnaires supérieurs nommés
par le gouvernement de la Porte^ttomane ne peuvent être changés
que par un ordre de Constantinople. A part cela, ils sont les subor-
donnés du moûchîr, pacha de Tripoli.
Les autorités secondaires du pays sont :
Pour le civil: le kâieb-el-mâl, administrateur des finances; le bach-
cheikh, chef de la ville de Mourzouk; les kaïd et cheikh des différentes
oasis , qui demeurent au milieu de leurs administrés.
Pour le militaire : les officiers des redîf et des bachi-bouzouk ,
dont les titres varient suivant leurs grades.
De tous ces fonctionnaires, civils ou militaires, huit à peine sont
d'origine turque.
Je serai sobre de remarques sur l'administration du Fezzân. En
ce qui concerne les impôts et accessoires de l'impôt , je me bornerai
à constater que le sultan *Abd-el-Medjîd, avant sa mort, après avoir
apprécié les raisons de la dépopulation du Fezzân et de l'anéantisse-
ment de son commerce, a cru devoir abolir les droits de douane
et réduire l'impôt du quart, soit de 175,000 piastres.
Pendant longtemps, l'occupation du Fezzân a coûté des sommes
importantes à l'Empire Ottoman ; on m'a assuré que les recettes cou-
vrent aujourd'hui les dépenses.
Les personnes qui, par expérience, savent combien on s'était
trompé, au début de la conquête de l'Algérie, en voulant estimer en
bloc le chiffre de sa population indigène avant que des recensements
réguliers et généraux eussent éclairé la question, comprendront pour-
quoi je m'abstiens de dire quel est, même approximativement, le
chiffre de la population de Mourzouk et du Fezzân.
L'infortuné Vogel, qui séjourna à Mourzouk, du 5 août au 19 oc-
tobre 1853, donne à cette ville un chiffre de 2,800 habitants, et au
Fezzân une population totale de 5/i,000 âmes. J'accepte ces chiffres
284 TOUAREG DU NORD.
sans les approuver, sans les infirmer, jusqu'à plus ample informé
d'un recensement réel.
Ce que je sais, pour l'avoir vu et constaté, c'est que le Fezzân est
en grande voie de décadence. Les travaux de culture sont délaissés,
les villages tombent en ruines, la partie mâle adulte de la population
émigré vers le Soudan ou vers le littoral, partout où elle espère
trouver des conditions meilleures d'existence. 11 y en a môme en
Algérie, entre autres à Guelma, où Ton paraît très -content d'eux,
puisqu'on provoque de nouvelles immigrations. Lès femmes seules
restent, et il est facile de prévoir que, si cet état de choses continue,
le Fezzân changera totalement d'aspect.
Dans un village où j'ai vu cent personnes au moins, il n'y avait
qu'une dizaine d'hommes ; dans tout l'Ouâdi-el-Gharbî, vaste agglo-
mération de villages et de forêts de dattiers, il n'y a que cent dix
hommes adultes.
Cependant la fécondité du Fezzân est incontestable. J'y ai vu la
moisson mûre et récoltée en mai, les cotons en fleur en juin; j'y ai
mangé , à la même époque, presque tous les fruits de l'Europe méri-
dionale. A côté de dattiers cultivés , d'autres poussent en broussailles,
sans soins, et donnent encore des fruits ; l'olivier lui-même, cet arbre
du littoral, s'y trouve. Dans toutes les oasis, à côté des légumes des
climats tempérés, on voit les légumes et les céréales de l'Afrique cen-
trale. Une population, sobre d'ailleurs, devrait être heureuse dans
un tel pays.
Faut-il imputer à l'abolition du commerce des esclaves la ruine
d'une contrée naguère si prospère? Sans doute, ce sacrifice fait aux
grandes puissances de l'Europe occidentale y a une grande part, car
il n'entrait pas moins de 2,500 à 3,000 esclaves par an à Mourzouk:
mais est-ce là la seule et unique cause du mal? L'examen de la situa-
tion commerciale de Mourzouk dans le second volume de ce travail
éclairera la question.
S IV. — OUARGLÀ.
Ouarglâ est bien certainement l'une des villes les plus anciennes
du Sahara algérien, sans qu'il soit possible d'assigner à son origine
une date certaine.
On n'y trouve aucune trace de l'occupation romaine, et il y a peu
.CENTRES COMMERCIAUX. 285
de chance pour qu'on en découvre, car celte occupation paraît s'être
arrêtée beaucoup plus au Nord, aux versants méridionaux du Djebel-
'Amoûr et de l'Auras.
Cependant cette ville semble avoir été connue d'Hérodote, car il
décrit exactement son site (1. 11, 32) comme point extrême de la
reconnaissance des Nasamons au delà des sables de T'Erg.
Les Romains, qui tenaient à la vie autant que nous, ont évité avec
le plus grand soin la ligne des bas-fonds insalubres du Touât, d'Ouar-
glà et de rOuâd-Rîgh.
Alors cette ligne, tout l'indique, était occupée par la race sub-
éthiopienne, dont le type se retrouve sur les lieux et à laquelle on
doit ce remarquable aménagement des eaux souterraines qui est un
des caractères généraux de cette contrée.
Ultérieurement, environ vers le ix« siècle de notre ère, toute cette
région fut envahie par la race berbère, et c'est de cette époque que
date ou la restauration ou la prise de possession d'Ouarglâ par les
Benî-Ouarglâ, de la grande famille des Zenâta.
Ebn-Khaldoûn nous apprend que les Benî-Ouarglà n'étaient primi-
tivement qu'une faible peuplade qui, d'abord, habita plusieurs bour-
gades voisines les unes des autres et qu'ils réunirent pour former une
ville considérable.
En 325 de l'hégire, les Benî-Ouarglà étaient assez forts, d'après
le même historien, pour donner refuge au sectaire khâredjite, Abou-
Yezîd, dont le père visitait souvent le pays des noirs pour y faire le
commerce.
Bientôt après, les Benî-Ouarglâ fortifièrent leur ville, et quand
l'émîr Aboù-Zekerîya (de 1319 à 1366 de J.-C.).fut devenu souverain
del'lfrikïa, il fut si émerveillé de l'importance d'Ouarglâ, que pour
ajouter à sa splendeur il y fit bâtir une mosquée.
« De nos jours, dit Ebn-Khaldoûn, Ouarglâ est la porte du désert
(( par laquelle doivent passer les voyageurs qui veulent se rendre au
« Soudan. Son chef porte le titre de sultan. 11 descend d'Abou-Tha-
« boul , de la famille des Benî-Ouagguîn , personnage dont la posté-
« rite, en ligne directe, a toujours exercé la souveraineté.»
En 1353, Ebn-Khaldoûn vit à Biskra un ambassadeur du seigneur
de Takedda, ville importante de l'Afrique centrale, avec laquelle
Ouarglâ faisait un grand commerce.
A l'époque de Jean Léon (xvi« siècle), il y avait à Ouarglâ « des
286 TOUAREG DU NORD.
« marchands étrangers, même de Tunis et de Constantîne , qui fai-
« saient arriver en la cité la marchandise de Barbarie , laquelle ils
« troquaient avec le produit de la terre des noirs. »
Takedda ayant alors disparu comme place commerciale, Ouarglâ
commerçait avec Agadez.
Elle avait un roi avec 2,000 chevaux de garde et 150,000 ducats
de revenu.
De l'époque de Jean Léon à nos jours, les documents historiques
manquent sur Ouarglâ. Pour suppléer à leur absence, on pouvait
compter sur les chroniques de la ville, conservées précieusement par
la municipalité, mais, quand j'ai visité Ouarglâ en 1860, elles avaient
été enlevées quelques années auparavant par Mohammed-ben-'Abd-
AUah , alors que cette cité est tombée en son pouvoir.
Aujourd'hui on est réduit à consulter les souvenirs des vieillards
pour combler cette lacune.
Voici ce que j'ai appris :
Ouarglâ a toujours conservé, jusqu'en ces derniers temps, et ses
sultans et sa municipalité. J'ai même pu connaître et interroger le fils
du dernier sultan.
Depuis longtemps des rivalités de pouvoir entre les sultans et la
djema'a avaient amené le désordre dans l'administration des intérêts
publics.
A une époque que nul ne peut préciser et pour des causes mul-
tiples, mais toutes rapportées à la décadence du pouvoir local, le
grand commerce avec l'Afrique centrale avait cessé; la ville s'était
dépeuplée; les maisons, la Qaçba, le mur d'enceinte, étaient tombés
en ruines; les eaux n'avaient plus été aménagées, et l'insalubrité,
avec la maladie, était venue substituer la désolation à une situation
jadis prospère.
A Ghadàmès et à Rhât, j'ai pu compléter, par des renseignements
plus précis, ce que la notoriété publique et la vue des lieux m'avaient
appris à Ouarglâ.
Entre Ouarglâ et Agadez existe une grande voie dont les traces
sont parfaitement conservées, et que de vieux Kêl-Ouï, Touareg d'Aïr,
se rappellent avoir parcourue.
Je donne le tracé de cette route sur mes cartes, et des détails
complémentaires dans la partie commerciale de cette étude.
Les sultans d' Agadez, ceux des Touareg du Nord et d'Ouarglâ,
CENTRES COMMERCIAUX. 287
souverains jadis puissants, assuraient la sécurité de cette route, et elle
était le passage d*un très-grand commerce.
Agadez a commencé par tomber en décadence par des causes
qui seront indiquées ailleurs.
Le commerce, dont cette ville était le point de départ au Sud, ne
donnant plus de revenus aux sultans des Touareg et d'Ouarglâ, ceux-
ci n'en continuèrent pas moins à vivre dans le luxe aux dépens de
leurs sujets qui , eux-mêmes , souffraient de la cessation du négoce.
Les exactions amenèrent la révolte, et rois d* Agadez, rois des Toua-
reg, rois d'Ouarglâ, disparurent les uns après les autres, entraînant
dans leur ruine commune un commerce dont ils étaient les créateurs,
les soutiens et presque les maîtres.
Le principe d'autorité avait créé Tordre et, à sa suite, de grandes
relations commerciales : l'anarchie a amené le désordre et, à sa suite,
la situation que nous constatons aujourd'hui :
Le commerce d' Agadez s'est réfugié à Katsena et à Kanô dans le
Soudan ;
Celui d'Ouarglâ , qui s'opérait par la route directe de la Sebkha
d'Amadghôr, s'est détourné sur Rhât, sur Ghadàmès et sur El-
Ouâd ;
Le pouvoir du roi des Touareg du Nord a été remplacé par celui
du cheikh des Azdjer, en laissant la confédération du Ahaggâr daqs
l'anarchie ;
Dans cette révolution, Ouarglâ a sombré, corps et biens, ne lais-
sant à El-Ouâd que quelques bribes de son grand commerce ;
Ghadàmès a tout absorbé, môme le commerce qui s'opère par les
routes aboutissant à In-Sâlah.
On se demande si , avec le rétablissement de l'ordre au Sud
de nos possessions, Ouarglâ peut recouvrer son ancienne splen-
deur.
L'état présent de cette ville, hommes et choses, répondra à cette
question.
Quatre groupes d'habitants composent la population d'Ouarglâ :
Les Benî-Ouagguîn,
Les Benî-Brahîm,
Les Benî-Sisîn,
Des Beni-Mezâb qui, d'après un document que j'ai trouvé à Ghar-
288 TOUAREG DU NORD.
dâya, confirmé d'ailleurs par E2)n-Khaldoûn, sont probablement les
contemporains des Benî-Ouarglà dans l'oasis à laquelle ces derniers
ont imposé leur nom.
Les Benî-Mezâb confondus aujourd'hui avec les Benî-Sisîn habitent
le même quartier.
En réalité, les quatre groupes d'habitants d*Ouarglà n'en font
que trois, et, par suite de leurs prétentions réciproques, ils ne sont
jamais d'accord; ce qui fait que, quoique constituant un chiffre total
de 4 à 5,000 habitants, ils ont souvent succombé dans leurs luttes
contre la petite ville voisine de Negoûsa (1,000 âmes environ) et
contre les Arabes qui les enveloppent.
Les rivalités qui divisent les habitants d'Ouarglà sont déjà une
première cause de faiblesse.
De plus , quoique les membres des quatre groupes berbères com-
posant la population d'Ouarglà soient autorisés à revendiquer une
origine blanche, tous, à peu près sans exception, appartiennent au
type sub-éthiopien du Tafîlelt, du Touàt, de TOuâd-Rîgh, du Nef-
zàoua et du Fezzân. Par leurs traits, .ils se rapprochent des Cauca-
siens ; par la coloration de la peau, ce sont des noirs.
Les Ouargliens attribuent leur teint noir au mélange de leur sang
avec celui des nombreuses esclaves que leurs ancêtres ont achetées
aux caravanes du Soudan.
11 est possible aussi que les Berbères Benî-Ouarglà, très- peu nom-
breux à leur origine, ainsi que le constate Kbn-Khaldoûn, et rencon-
trant de grandes difficultésd'acclimatation dans le bas-fond de la cuvette
de rOuâd-Mîya, aient cherché dans une fusion de leur sang avec celui
des noirs de la race garamantique, qui s'étendaient jusque dans ces
parages, l'unique chance qu'ils avaient de se reproduire dans une
contrée où la race blanche ne peut vivre.
Une étude complète du Sahara nous montre toutes les régions
basses des lits des anciennes sebkha habitées par des noirs et toutes
les régions élevées et sèches environnant ces bas-fonds, peuplées de
blancs. 11 y a dans ce cantonnement général autre chose que le fait
de l'importation d'esclaves noirs, car les tribus des hauts plateaux ont
reçu autant d'esclaves que celles des bas-fonds. Je ne puis m'empêcher
d'y voir l'application d'une des lois les plus simples de la nature. Le
sang nègre a vaincu le sang blanc dans les lieux où le climat se rap-
proche de celui de la Nigritie ; le sang blanc a dominé le sang nègre
PI. XVI
Pafçe 2m.
Fig, 30.
^:
TYPES KK&ilMNS DE L\ HACK S t B - ÉTII 10 PI E\ % E 0( G \ l; A U ATS Tl Ql K
( <» LAD -Rio H ).
IVaprim^dos photographies Me M. H. Duvcyrier^
*»t ii«» M. Puig.
CENTRES COMMERCIAUX. 2f89
partout où la race blanche a retrouvé les conditions du climat ori-
ginel.
Les plantes ne se conduisent pas autrement. La plus vivace étouffe
la plus faible.
L'impossibilité, pour les blancs, de vivre et de se reproduire
à Ouarglà, crée donc une seconde cause de faiblesse pour cette
ville.
Enfin, tout est en ruine à Ouarglâ : habitations, habitants, moral
même.
La Qaçba que j'ai visitée en détail et qui était une petite ville
fortifiée au milieu de la grande est aujourd'hui inhabitable : à peine
pourrait-on en dresser le plan.
Les maisons de la ville, quoique bien bâties, à plusieurs étages,
avec des portes encadrées et décorées d'arabesques, sont mal entre-
tenues ou en ruines. On voit cependant qu'elles ont été construites
par des propriétaires riches, car elles offrent le luxe de passages
voûtés qui donnent, pour l'été, d'agréables lieux de repos pendant la
chaleur du jour.
Les mosquées sont à peine en meilleur état que la Qaçha et les
maisons.
Le fossé, large de douze mètres environ, qui enveloppe exté-
rieurement le mur d'enceinte de la ville et qui sert d'exutoireà toutes
les immondices et à l'excédant des irrigations des jardins, est aujour-
d'hui un immense cloaque infect , sans issue , dont les émanations
empoisonneraient l'air le plus pur.
Aussi, au printemps et à l'automne, la fièvre paludéenne atteint-
elle tous les habitants.
Déjà bon nombre d'entre eux ont émigré à Tunis; ce qui reste ne
sait que se plaindre et accuser.
Aujourd'hui, à Ouarglà, il n'y a plus un riche négociant, mais
des propriétaires mal aisés et des khnmmâs^, qui vivent du cinquième
des produits des jardins qu'ils cultivent.
On dit qu'il y vient encore quelques caravanes de Rhàt, d'El-
Golêa', d'In-Sâlah, mais, évidemment, ce ne peut être que pour
1 . Le kbammàs, c'està-dire cultivateur au cinquième, est un engagé à la dispo-
sition duquel les propriétaires mettent tout ce qui est nécessaire à la culture : sol,
plantations, semences, eaux, instruments, et qui donne gratuitement sa main-d'œuvre,
moyennant le cinquième de la récolte.
290 TOUAREG DU NORD.
échanger des marchandises sans valeur contre des dattes, seule pro-
duction sérieuse de Toasis.
Aujourd'hui Ouarglâ est une ville morte, et nul ne la ressuscitera,
je le crains; cependant la belle ceinture de 60,000 palmiers qui Ten-
virônne, ses eaux artésiennes, sa situation à l'embranchement d'une
route sur Timbouktou par In-Sàlah, et sur le Soudan par les mines de
sel d*Amadghôr, les nombreux Cha'anba avec leurs chameaux qui
peuplent sa banlieue, lui donnent une grande valeur comme station
de caravanes, entre le plateau rocheux des Benî-Mezâb et la zone des
dunes qui la séparent des montagnes des Touareg.
Conservons à Ouarglâ ce rôle dans l'avenir et cherchons au Nord
un endroit plus salubre pour servir d'entrepôt à notre commerce.
Methlîli , Ghardâya et Laghouât ne laissent que l'embarras du choix.
Ouarglâ a encore un autre rôle à jouer : c'est le point de nos
possessions le plus rapproché des Touareg du Nord, notamment des
Ifôghas qui viennent quelquefois camper à très-peu de distance de
• cette ville. De bons rapports entre un centre soumis à notre domina-
tion et des peuplades indépendantes peuvent être un excellent trait
d'union. Mais, pour cette mission spéciale, il faudrait que le chef
d'Ouarglà fût en même temps le représentant des intérêts de la France
près des Touareg et non un personnage exclusivement préoccupé d'in-
térêts personnels ou locaux.
S V. — In-SAlah et le TocAt.
Cinq groupes d'oasis constituent l'archipel auquel on donne le
nom collectif de Touât, forme berbère du mot Ouasis,
Le Tidîkelt est le plus méridional de ces groupes. In-Sâlah * en
est le chef-lieu. En même temps, cette ville est le principal centre
de commerce de la contrée, dans ses rapports avec l'Afrique centrale,
l'Algérie, la Tunisie et la Tripolitaine.
In-Sâlah est , à vol d'oiseau , à peu près à une égale distance de
Timbouktou, de Mogador, de Tanger, d'Alger et de Tripoli. Par sa
position centrale, cette ville devait devenir et est devenue un centre
1. In-Sàlah doit être écrit en deux mots et non en nn seul comme on le fait or-
dinairement. Ce nom est composé du pronom démonstratif temàhaq, In, celui de, et
du nom propre arabe SAlah, c'est-à-dire l'endroit, la yiUe de Sàlah.
PI. XVII.
Page «90.
Fig. 31.
.TYPE MASCOLIN DE LA RACE SU B - KTHIOPI EiN \ E OU G A R AM AN Tl QU E.
(OUAD'Btau).
D'après une photographie de*M. II. Duveyrier.
ï %
CENTRES COMMERCIAUX. 291
commercial important. Tune des clefs du commerce du Nord avec
Timbouktou.
Le Touât est une confédération indépendante de trois cents à
quatre cents petites villes ou villages, à quelques journées do marche
au Sud de nos possessions, et qui embrasse , du Nord au Sud, une
longueur de 300 kilomètres et, de l'Est à TOuest, une largeur de
160 kilomètres, entre les méridiens d'Alger et d'Oran, sur la route
directe de l'Algérie au Niger moyen.
Par sa situation, cette confédération se trouve dans le rayon
naturel d'attraction de notre colonie.
Elle est, en outi^, dans notre dépendance immédiate pour ses
besoins de première nécessité : la viande et le blé dont elle se nourrit,
la laine dont elle fait une partie de ses vêtements. Ces denrées sont
portées annuellement par nos tribus algériennes du Sahara occidental
dans les divers oasis du Touât qui ne pourraient se les procurer ail-
leurs, car l'anarchie, qui est l'état normal du Maroc , ne leur permet
pas de compter, pour leurs approvisionnements, sur la production,
d'ailleurs très-restreinte, de cet Empire.
Le Touât reconnaît la souveraineté religieuse des chorfa, empe-
reurs du Maroc, et, à ce titre, lui envoie des présents en argent,
quelque chose comme le denier de saint Pierre de l'Europe catholique;
mais là se bornent ses rapports avec les souverains de Fez. Au même
titre, le Touât fait des dons aux marabouts de Timbouktou, les
Bakkây, et les Touâtiens ont bien le soin de faire remarquer que ces
témoignages de déférence religieuse ne s'adressent pas au î)ouvoir
temporel, mais au pouvoir spirituel dont ces marabouts sont revêtus.
Jaloux de leur indépendance politique, même vis-à-vis -des souve^
rains musulmans, les Touâtiens le sont, à plus forte raison, vis-à-vis
de la France, puissance chrétienne.
Instinctivement, appréciant mieux leur position que nous ne l'avons
fait nous-mêmes, ils ont le pressentiment que tôt ou tard ils tombe-
ront sous notre influence, si ce n'est sous notre domination.
L'occupation de Laghouât et de Géryville, l'extension donnée à
nos possessions du Sénégal, ontrépandu chez eux de grandes craintes :
aussi, quand simultanément, en 1861, M. le commandant Colonieu et le
khalîfa Sîdi-Hamza se sont avancés , le premier jusqu'à Timmîmoun
avec une caravane d'essai, le second jusqu'à El-Golôa', où il a des
292 TOUAREG DU NORD.
propriétés, a-t-OQ vu tous les Touâtiens trembler comme si leur indé-
pendance politique avait été menacée et songer à fuir dans les monta-
gnes des Touareg Ahaggàr.
Alors , en quelques jours , le prix des chameaux s'est élevé de
200 à 500 francs.
Une ambassade a été envoyée à l'empereur du Maroc pour le prier
d'intervenir, probablement par la voie officieuse de la diplomatie; des
supplications ont été adressées au marabout de Timbouktou à l'efTet
de rendre favorable à la cause du Touât l'influence qu'il peut exercer
à Londres et à Constaniinople.
Avant d'implorer l'intervention de leurs chefs religieux, les Touâ-
tiens s'étaient jetés dans les bras d'El-Hâdj- Ahmed, le moqaddem
de la confrérie hostile des Senoûsi, et dans ceux de Mohammed-ben-
'Abd-Allah, qu'on a vu , les armes à la main , nous disputer la domi-
nation du Sahara algérien.
Ainsi, pendant qu'on s'occupe peu du Touât en Algérie, on ne
pense qu'à nous, on ne parle que de nous au Touât, et, je le répète,
cette agitation est due à la conviction que cette contrée est naturelle-
ment destinée à subir la loi du maître d'Alger.
Convaincus de leur impuissance à nous résister, ces Oasiens ont
adopté contre nous la politique de l'isolement et de l'abstention de
tout rapport, dans l'espoir que l'ignorance de leur position favorisée
les protégera mieux que la lumière.
Cependant tous les hommes intelligents comprennent le côté
faible de cette tactique et le danger que court l'indépendance de leur
confédération en accueillant les prédications des Senoùsi, en donnant
asile à des Mohammed-ben-'Abd-Allah, en refusant toute relation de
commerce avec nous.
Les principaux propriétaires, les riches commerçants, les capita-
listes, en un mot, tous ceux qui ont voyagé, devinent qu'une puissance
comme la France ne peut pas permettre au commerce de Timbouktou
de longer toute la limite Sud de ses possessions, pour aller gagner le
port de Tripoli, sans être tentée d'y prendre une part quelconque.
11 est vrai qu'à côté de ces hommes sensés il y a la classe turbu-
lente et inquiète des tolba ou gens lettrés vivant aux dépens de
la crédulité publique et exploitant l'ignorance des Sahariens. Cette
classe a le sentiment instinctif que son règne cessera le jour où notre
influence se fera sentir au Touât.
CENTRES COMMERCIAUX. 29^
En attendant, elle va partout semant les plus grandes absurdités
sur notre compte et recrutant des auxiliaires aux Senoûsi et aux agi^
tateurs comme Moharamed-ben-'Abd-Allah.
Néanmoins, la lumière se fait, et, peu à peu, les préventions dis-
paraîtront.
Au nombre de ces préventions, il en est une que le gouvernement
doit dissiper : c*est qu'il n*a aucun intérêt à grever son budget des
dépenses d^ Toccupatipn du Touât, si de bons rapports avec ses
habitants permettent au commerce de l'Algérie, comme à celui de
Malle et de Gibraltar, de prendre part aux échanges avec l'Afrique
centrale, mais que, si les Touâtiens continuent à vouloir fermer aux
marchandises françaises la route de l'Algérie à Timbouktou, au profit
exclusif des marchandises anglaises, il se verra contraint ou de con*
quérir le Touât, ce qui n'est pas diflScile, ou de rouvrir Tancienne
route rivale par Ôuarglà,: El-Beyyodh, Aghelâchchem , Timîssao et
Mabroûk, entreprise réalisable, qui enlèverait au Touât et à In-Sâlah
tout le commerce qui les enrichit.
Malheureusement, la république touâtienne n'a, ni un pouvoir
central pour la totalité de la confédération, ni un pouvoir local pour
chaque groupe. Au contraire, chaque centre a son autorité distincte :
ici, dans les villages berbères, la municipalité démocratique; là, dans
les villages arabes, le pouvoir héréditaire de familles nobles ou reli-
gieuses; ailleurs, dans les villages où le sang noir domine, la muni-
cipalité aristocratique, et partout pour couronnement de l'édifice
anarchique deux partis politiques : les Sefiân et les Ihàmed; deux
partis religieux : les Senoûsi et les Tedjâdjna, qui achèvent de diviser
les populations.
Sans cette division à l'inflni du pouvoir et des partis, le Touât,
placé comme il l'est sur une grande route commerciale, favorisé
d'un territoire fertile et bien arrosé, serait un pays très-riche.
Comme ancre de salut apparaît dans le lointain l'intervention
efficace du marabout Sîdi-Ahmed-el-Bakkày de Timbouktou, qui, solli-
cité par son intérêt personnel de propriétaire de plusieurs zâouiya au
Touât et de maître du marché alimenta teur de celui d'In-Sâlah, semble
aujourd'hui disposé à entrer en rapports avec le gouvernement de
FAIgériç.
Le désir du marabout de Timbouktou est le même que le nôtre :
développer les relations commerciales de l'Afrique centrale avec
294 TOUAREG DU NORD.
l'Europe, sans que Tocccupation du Touàt par des chrétiens soit né-
cessaire.
L'intérêt des commerçants de l'Afrique centrale dans la question
est encore plus grand que celui des Algériens, car, si l'Europe peut,
à la rigueur, se passer des produits de la Nigritie, la Nigritie ne peut
guère rester privée des produits de l'Europe.
Le gouvernement marocain pourrait aussi être sollicité, par l'in-
termédiaire de notre consul général de Tanger, à éclairer le Touât
sur ses véritables intérêts, et ce gouvernement peut le faire : car la
route du Maroc à Timbouktou est indépendante de celle d'In-Sâlah,
et il importe peu au souverain de Fez que les marchands du Touât
scHent les intermédiaires du commerce d'Alger ou de celui de
Tripoli.
Trois races distinctes peuplent le Touât i les Noirs, les Berbères et
les Arabes.
Les Noirs sont les plus nombreux et les plus anciens habitants du
pays. Le Gourâra et l'Aougueroût paraissent ne pas en avoir d'autres.
Les auteurs grecs et latins indiquent le Tafilelt (la Sédjelmàssa du
moyen âge) comme limite Ouest au territoire des Garamantes. Les
Noirs du Touât , d'après cette indication , auraient la même origine
que leurs frères du Fezzân. L'usage commun des puits à galerie (fogà-
rât des Garamantes) confirme cette assimilation.
Plus au Nord, à Moghàr et à 'Asla, les rochers portent des sculp-
tures sui generis rappelant la civilisation garamantique.
On est donc autorisé à considérer les Noirs du type sub-éthio-
pien du Touât comme ayant appartenu primitivement au groupe ga-
ramantique.
L'historien Ebn-Khaldoûn nous fait connaître quelles tribus ber-
bères sont venues envahir le Touât : les Benî-Yaleddès, fraction des
Ouemmanou avec des Benî-Ourtatghîr, des Benî-Mezâb, des Benî-
Abd-el-Ouâd et des Benî-Merîn.
On comptait à cette époque, au Touàt, deux cents bourgades,
plus cent dans le Gourâra , ce qui correspond assez exactement au
nombre actuel des Qeçoûr. *
Tementît et Bouda étaient alors les centres commerciaux, points
d'arrivée et de départ des caravanes de l'Afrique centrale.
Avant l'invasion de ces Berbères dans le Touàt, les Touareg du
CENTRES COMMERCIAUX. 295
Ahaggâr auraient étendu leur domination 8ur les oasis méridionales
de Tarchipel, mais Ebn-Khaldoûn n*en fait pas mention.
Depuis, des tribus arabes nomades, dont quelques essaims se sont
stabilisés en élevant de nouveaux villages, sont venues ajouter un
nouvel élément de population , sinon de discorde, aux éléments ber-
bères et noirs qui , jusque-là , semblent avoir vécu en assez bonne
intelligence.
Cependant le berbère est resté la langue nationale du Gourâra, de
l'Aougueroût et du Tîmmi, quoique Varabe soit devenu la langue
écrite, commerciale et religieuse de tout le louât.
Si de l'origine des habitants je passe aux détails de leur assiette
sur le territoire qu'ils occupent, je trouve chaque groupe d'oasis
installé sur le versant Ouest, à pente douce, du plateau du Tàdemâyt,
et tirant de ce plateau ses eaux d'alimentation et d'irrigation, au
moyen de travaux hydrauliques particuliers, inconnus des Berbères et
des Arabes, mais communs partout où j'ai constaté la préexistence du
type sub-éthiopien. Ces travaux étaient nécessaires pour que le Touât
fût habitable, car il y pleut rarement, et souvent, à l'époque actuelle,
on y traverse des périodes de vingt-cinq années sans pluies.
Quoique sur le versant d'un plateau , le territoire du Touât peut
être considéré comme se rapprochant beaucoup de la nature des
bas-fonds de sebkha d'Ouarglâ, de rOuàd-Rîgh, du Nefzàoua et du
Fezzân, occupés par leurs frères noirs de même race. On dirait que
ces enfants de l'Afrique centrale ont partout recherché , dans le Nord
du continent, les régions dont le climat ressemblait le plus à celui de
leur patrie originelle. 11 est vrai qu'ailleurs ils s'acclimatent et se
reproduisent difïlcilement.
La population surabonde au Touât, aussi a-t-elle dû recourir à
l'émigration pour faire cesser le trop-plein. On rencontre desTouâtiens
partout : à Timbouktou, à Agadez, à Rhât, à Ghadâmès, à Tripoli, à
Tunis, à Tlemsen, dans toute la partie occidentale du Sahara algérien
et dans les principales villes du Maroc. Dans les centres commerciaux,
ils s'adonnent au commerce; dans les tribus, ils sont instituteurs.
Comme les Benî-Mezàb et les Biskri, dès qu'ils ont gagné un petit pé-
cule, ils rentrent dans leur patrie.
Bien que la fertilité du Touât soit grande, sa production est infé-
rieure à ses besoins : aussi est-il tributaire des provinces d'Alger et
296 . TOUAREG DU NORD.
d'Oran, pour là partie de sa consommation qui ne consiste pas en
dattes et en légumes frais.
Les vêtements, la plus grosse affaire après Talimentation , sont
par moitié en coton venant de Timbouktou ou du Soudan , par moitié
en laine dont la matière première vient de l'Algérie.
Plusieurs villes de la confédération touâtienne ont une certaine
importance commerciale, les unes comme centres d'un commerce
local : Tîmmi, Timmîmoun, Tabalkosa; les autres comme centres
d'échange entre les produits de l'Europe et ceux de l'Afrique centrale :
In-Sâlah et Aqabli, Ces deux dernières villes doivent aux relations
journalières qu'elles entretiennent avec les Touareg d'avoir mono-
polisé en leurs mains un commerce qui exige de bons rapports avec
les maîtres des routes. Jadis Aqabli avait la prédominance, aujour-
d'hui c'est In-Sàlah.
In-Sàlah est une des villes les moins anciennes du Touàt, car
aucun document ne la mentionne avant le xv^ siècle, et ses habitants
ne font remonter sa fondation qu'à deux cents ans. Néanmoins elle
est aujourd'hui l'une des plus grandes, des plus peuplées et incon-
testablement la plus riche.
11 faut, toutefois, s'entendre sur ce qu'on est convenu d'appeler
la ville d'In-Sâlah.
In-Sâlah est un nom collectif donné à quatre qeçoûr ou centres
d'habitation qui se touchent et sont échelonnés à l'Orient l'un de
l'autre.
Ces quatre qeçoûr sont :
Qaçar-el-'Arab ou Qaçar-el-Kebir ;
Qaçar-Bel-Qàsem ;
Qaçar-Oulâd-el-Hâdj ;
Qaçar-ed-Derhàmcha.
De ces quatre qeçoûr le plus important, celui auquel pourrait
s'appliquer le titre de ville portant le nom d'In-Sàlah, est Qaçar-el-
Keblr(le grand centre) ou Qaçar-el-'Arab (le centre des Arabes): mais,
je le répète, In-Sàlah n'est pas une ville dans le sens que nous atta-
chons à ce mot : c'est une collection de quatre bourgades fortifiées,
ayant chacune leur vie propre.
Autour de ce point central , capitale du Tidîkelt, convergent d'au-
tres qeçoûr : Ej-Jedid , Ez-Zàouiya , Es-Souâhel , Meliàna , Hâss-el-
CENTRES COMMERCIAUX. 297
Hadjâr, Igueston, Oaçbet-Oulâd-Zommît, Fogâret-ez-Zouâ, Ez-Zâouiyet-
Mouley-Heyba, Sillâfen, Fogâret-Oulâd-elrHàdj-Badjoûda, Fogâret-
Oulàd-el -Hâdj-'Ali , Fogâret-Oulâd-el-Hâdj- Mohammed , Sâhel,
EI-Barka. Ces quinze villages fortiûés peuvent être considérés comme
formant une grande banlieue autour des quatres qeçoûr constituant
In-Sâlah.
La portion la plus active de la population d'In-Sâlah est arabe;
quelques étrangers , particulièrement les Ghadàmèsiens , y ont des
établissements. Plusieurs des chefs Touareg y tiennent en dépôt tout
ce qu'ils possèdent: ainsi le Cheikh- Othmân y a maison, magasins,
jardins de dattiers. C'est là qu'il emmagasine tout ce qu'il a de pré-
cieux, et il se considère autant habitant d'In-Sâlah que de Timâs-
sanîn.
En cela, In-Sàlah, quoique centre d'un grand commerce, conserve
le rôle dévolu à tout qaçar, celui de servir de lieu de dépôt à la
partie de la fortune des nomades qu'ils n'emportent pas avec eux dans
leurs pérégrinations.
Une municipalité ou djema'a gouverne la ville.
Les familles les plus influentes sont les Oulâd-Badjoûda et les
Oulàd-el-Mokhtâr.
Ce qui assure la prospérité d'In-Sâlah est la solidarité d'intérêts ^
qui existe entre les commerçants de cette ville, d'un côté avec les '
chefs des Touareg Ahaggàr, de l'autre , avec les marabouts de Tim-
bouktou ; solidarité que le courage de ses habitants, appuyé sur le
concours de la tribu belliqueuse des Oulâd-Bà-Hammou, a toujours
su maintenir.
In-Sâlah est aux Touareg Ahaggàr ce que Rhàt et Ghadâmès sont
aux Azdjer, c'est-à-dire un marché sur lequel ils peuvent, à peu
près sans bourse délier, s'approvisionner de tout ce qui leur manque
dans leurs montagnes.
Sans les coutumes, les présents, les victuailles que les gens d'In^
Sâlah donnent aux Ahaggàr, ces derniers seraient souvent exposés à
mourir de faim ; sans la protection que les Ahaggàr donnent aux ca-
ravanes d'In-Sàlah sur les routes, le commerce qui fait la richesse de
la ville ne serait pas possible.
La même solidarité existe entre les marabouts de Timbouktou et
les commerçants d'In-Sâlah. Sur le Niger, les marabouts appuient de
leur toute-puissance les commerçants du Touât, et les commerçants
298 TOUAREG DU NORD.
d*In-Sâlah font respecter et entretiennent au Touât les trois zàouiya
des marabouts El-Bakkây.
Les gens d'In-Sâlah sont réputés excellents guerriers : montés sur
des chevaux, armés de fusils et de pistolets, ils ont sur leurs ennemis
Favantagc de ne paî? fuir devant les armes à feu.
Les Oulâd-Bâ-Hammou , leurs parents et leurs alliés, sont aussi
très-braves et très-redoutés.
Un mot sur cette tribu qui pèse d'un si grand poids dans les
destinées d'In-Sâlah, car elle lui permet de faire respecter ses cara-
vanes et même de réduire les exigences des Touareg Ahaggàr à de
légitimes proportions.
Les Oulâd-Bà-Hammou sont d'origine arabe, ils parlent Tarabe et
vivent de la vie des nomades ; mais, depuis longtemps, ils ont adopté
toutes les coutumes des Touareg.
Comme eux, ils portent des vêtements bleus en coton du Soudan,
le voile, le poignard de bras et la lance.
Comme eux, ils ont des imrhâd (serfs), Arabes ou Touareg, et les
uns et les autres, propriétaires de chèvres et de chameaux, habitent
avec les tribus imrhâd des Touareg dans les montagnes du Ahaggâr
et même de TAdzjer les plus rapprochées du Touàt.
Cette similitude de vie les a souvent fait appeler Touareg blancs,
Touâreg-el-biodh, parce qu'ils portent généralement le voile blanc.
D'ailleurs, les Touareg, sans les considérer comme des frères,
ne les tiennent pas pour étrangers, car ils regardent le territoire
de leurs parcours comme faisant partie du domaine national de leurs
confédérations.
A une époque, diflBcile à préciser, les Touareg auraient abandonné
aux Touâtiens et aux Oulàd-Bà-Hammou le territoire qu'ils occupent
aujourd'hui, mais sans renoncer aux droits que la conquête leur avait
conférés.
Les Oulâd-Bâ-Hammou ont un village leur appartenant dans la
banlieue d'In-Sàlah, celui d'Igueston, où ils tiennent leurs approvi-
sionnements sous la garde de quelques-uns d'entre eux; mais la
tribu mène la vie nomade sur le grand plateau de Tâdemâyt, entre
les dunes de 1' 'Erg, les oasis de la confédération touâtienne et les
montagnes des Ahaggâr.
Les Oulâd'Bâ-Hammou sont assez forts pour se faire respecter
CENTRES COMMERCIAUX. 299
des Touareg. En 1860, ils sont même venus faire un rhezî sur les
Azdjer à Tikhâmmalt : mais généralement ils préfèrent vivre en bons
rapports avec eux, parce qu'ils ont à défendre les caravanes d*In-Sâlah
contre d'autres ennemis, notamment contre les Beràber, les Douï-
Menîa* du Maroc et les Oulàd-Moûlât des rives de l'Océan.
Ainsi que je l'ai déjà dit, les Douï-Menîa' et les Oulâd-Moûlàt
viennent à cheval , de deux cents à trois cents lieues , enlever les
chameaux des Touâtiens jusque dans les pâturages de leurs oasis.
Pour résister à des adversaires aussi audacieux, le commerce d'In-
Sâlah avait besoin de trouver dans la tribu des Oulâd-Bà-Hammou
une force qui ne le laissât pas complètement à la discrétion des
Touareg Ahaggâr. Là est peut-être le secret de la puissance d'In-Sâlah
et de sa supériorité sur Aqabli, Tementît et Bouda.
Un petit district du Tidîkelt, celui d'ingher, est habité, partie par
des Arabes, partie par des Touareg.
Deux villages du district d' Aqabli : El-Mançoûr et Arrekâch , sont
occupés par une tribu targuie, les louînhédjen, qui antérieurement
habitait les environs d'El-Barkat, au Sud de Rhàt, mais qui a été for-
cée d'émigrer par les anciens sultans des Touareg. Les Arabes don-
nent le nom de saltâf^ à ces Touareg.
Ces deux groupes, devenus Touâtiens, servent de trait d'union
entre les oasis et les Touareg Ahaggâr et Adzjer.
i. Corraption da mot temàhaq isattafentn, les noirs, c'est-à-dire ceux qui por-
tent le voile noir. Les habitants du Tidîkelt ont ordinairement des voileà blancs.
CHAPITRE II.
CENTRES RELIGIEUX.
Je l'ai déjà dit, deux grandes confréries et deux grandes familles
de marabouts tiennent sous leur dépendance religieuse la presque
totalité des populations du Sahara.
L'une des confréries, celle des Tedjâdjna, la plus ancienne, con-
stituée, il y a un siècle environ, en dehors de toute influence de
l'antagonisme de la religion chrétienne et de la religion musulmane
et basée sur les vraies lumières de Tlslâm, semble avoir été créée par
son fondateur dans un but de rapprochement et de lien entre toutes
les peuplades divisées du Sahara et de l'Afrique centrale.
L'autre, celle des Senoûsi, organisée depuis la conquête de TAl-
gérie, depuis que la question d'Orient est devenue l'objet permanent
des préoccupations des puissances chrétiennes, s'est, au contraire,
proposée pour but spécial de lutter contre l'influence toujours crois-
sante de la .politique européenne sur les États musulmans et de pré-
server les populations du Sahara et de l'Afrique centrale de tout
rapport avec jes Européens.
La première, par ses actes, par son exemple, prêche la tolérance;
la seconde enseigne le fanatisme le plus exalté et, dans sa carrière
active et militante, cherche à opposer une barrière matérielle à une
fusion d'intérêts entre des peuples qui ne peuvent vivre séparés les
uns des autres.
Les représentants de la première , pendant toute la durée de ma
mission, ont été mes protecteurs dévoués; ceux de la seconde, infé-
rieurs en nombre et en puissance, ont été partout mes adversaires
les plus redoutables.
Je dois à la reconnaissance de signaler la conduite tolérante des
Tedjâdjna, et à la vérité d'éclairer le gouvernement sur l'hostilité des
CENTRES RELIGIEUX. 301
Senoûsi et sur les obstacles qu'ils peuvent opposer à l'extension de
nos rapports avec le Sahara et TAfrique centrale.
Les deux familles de marabouts que je considère comme des
centres religieux sahariens doivent être aussi connues, car celle des
Bakkây, toute-puissante à Timbouktou et chez les Touôreg Aouélim-
miden , peut exercer une grande influence sur l'avenir de nos rela-
tions avec les populations du Niger, et celle d'Oulàd-Sîdi-Cheikh doit
encore nous rendre d'importants services au Touât,
La face politique des deux congrégations étant la seule qui doive
m'occuper, je m'abstiendrai Saborder le côté religieux de ces deux
institutions.
L'ordre méthodique de ce travail m'impose l'obligation de mettre
d'abord en scène les Senoûsi , nos ennemis, avant de m'occuper de
nos amis, les Tedjàdjna, les Bakkây et les Oulâd-Sidi-Cheikh, afin de
mieux démontrer que , si le fanatisme aveugle peut nous créer des
embarras, la raison éclairée est assez puissante pour nous aider à les
surmonter.
S l*^ — CONFRéRlB DES SeNOCSI.
Es-Senoûsi, originaire de Djàlo (Tripolitaine), disent les uns, de
la tribu algérienne des Benî-Senoûs, au Sud-Ouest de Tlemcen, disent
les autres, était un savant et pieux musulman qui a longtemps sé-
journé dans les villes saintes de la Mekke et de Médine et qui, dans
l'Orient asiatique comme dans l'Orient africain, notamment en Egypte,
a toujours recherché la société des champions les plus exaltés de l'isla-
misme, de ceux surtout dont l'orgueil était blessé de voir les gouver-
nements de Constantinople et du Caire adopter toutes nos coutumes ,
copier toutes nos institutions, subir notre influence.
En homme éclairé, il avait pu constater dans ses voyages, avec
la décadence toujours progressive de la puissance politique de l'Islàm,
des injustices nombreuses, des exactions fréquentes, plaie fort an-
cienne des gouvernements de l'Orient, et naturellement il avait attri-
bué tous ces vices à l'abandon de la morale islamique et à l'invasion
de l'esprit nouveau de progrès venu de l'Occident.
De là au projet de former un rempart derrière lequel pourrait
se réfugier l'indépendance politique et religieuse des vrais musul-
302 TOUAREG DU NORD.
mans il n'y avait qu'un pas. Ce pas , il le franchit en instituant la
confrérie à laquelle il donna son nom.
La pensée fondamentale de cette association est donc une triple
protestation : contre les concessions faites à la civilisation de FOcci-
dent; contre les innovations, conséquences du progrès, introduites
dans divers États de TOrient par les derniers souverains; enfin, contre
de nouvelles tentatives d'extension d'influence dans les pays encore
préservés par la grâce divine.
Mais, dans l'état des rapports qui existent aujourd'hui entre tous
les gouvernements, il était difficile d« trouver, à l'abri de la sur-
veillance des chancelleries, un point où un tel projet pût être mis en
pratique.
Entre le Nil et l'Océan, enti'e l'Afrique septentrionale et l'Afrique
centrale , s'étend un vaste désert où , jusqu'à ce jour, de rares voya-
geurs, à la discrétion des populations qui l'habitent, ont seuls pu
pénétrer, où même plus d'un point reculé a été à l'abri de la souillure
des pas de l'infidèle : c'est ce désert qu'Es-Senoûsi choisira pour champ
d'application de ses projets; c'est ce désert sans eau, dévoré par un
soleil ardent , qu'il opposera comme un cordon sanitaire à la conta-
gion européenne.
Donc , pendant que d'autres fanatiques préparent les massacres
de Djedda et de Damas, protestation directe, mais impuissante,
Es-Senoûsi dresse le plan de la conquête du Sahara par une propa-
gande active, y fonde des zâouiya successivement échelonnées de
manière à ce que la dernière, la plus isolée, la plus éloignée, puisse
encore servir de refuge, in extremis, aux derniers éléments d'une foi
déjà atteinte par l'indifférence religieuse.
Le Djebel-el-Aklidar, situé à environ 20 kilomètres à l'Est de Ben-
Ghàzi et se prolongeant jusqu'à Derna, habité d'ailleurs par des tri-
bus arabes turbulentes qui causent souvent des difficultés au gouver-
nement de Tripoli, devient d'abord le berceau et le siège central de
l'institution nouvelle.
Bientôt l'ordre d'Es-Senoûsi est accueilli avec faveur dans tout le
Sahara, où il recrute de nombreux khouân. Une circonstance, née en
Algérie de la lutte soutenue contre l'émîr 'Abd-el-Kâder, doit contri-
buer à lui donner une certaine importance.
Mohammed-ben-'Abd-Âliah, aujourd'hui interné à Bône, avait été
notre kbalîfa dans la subdivision de Tlemsen. Gompronûs, destitué
CENTRES RELIGIEUX. SOS
et exilé à la Mekke, il avait eu occasion de rencontrer Es-Senoûsî dans
rOrient; et comme les projets du novateur s*alliaient aux vues de
haine et de vengeance de notre ancien serviteur, une sorte d'alliance
s'établit entre eux.
Peu de temps après, Mohammed-ben-*Abd-Allah, qui avait emporté
de TAlgérie une grande fortune (500,000 francs environ), était de
retour à Ouarglâ et au Touàt où il prenait le titre de ch^rîf et arbo-
rait un drapeau hostile dans le Sud de nos possessions. «
Alors vivait au Tidîkelt, dans la plus profonde obscurité, un tâleb
de troisième ordre sous le rapport de Tintelligence et de Tinstruclion,
mais animé d'un fanatisme aveugle et d'une ambition sans bornes.
Homme actif d'ailleurs, audacieux et entreprenant. Son nom estEl-
Hàdj-Ahmed-et-Touâti, plus connu aujourd'hui sous le surnom d'El-
'Aàlem (le savant), qu'il s'est donné et que ses partisans illettrés lui
conservent respectueusement.
Par Mohammed'ben-'Abd-Allah, ce tâleb est adressé à Es-Senoûsi
et, sur sa recommandation, il est investi du titre de moqaddem , ou
vicaire général de l'ordre pour la région à l'Ouest du Djebel-el-
Akhdar, c'est-à-dire le Fezzân, le pays des Touareg et le Touàt.
A partir de ce moment, le therîf Mohammed-ben- Abd-Allah et le
moqaddem El -Hàdj -Ahmed ne poursuivent qu'un même but. L'un
recrute des khouân, l'autre les enrôle sous sa bannière pour la guerre
sainte. On sait comment Mohammed-ben-'Abd-AIlah paie de sa liberté
ses tentatives contre notre domination.
Cependant la propagande mettait de grandes ressources à la dis-
position du chef de l'ordre, de nouvelles zàouiya s'élevaient à Sôkna,
à Zouîla, à Mourzouk, à Ghadâmès et à Rhât.
Quand M. le capitaine de Bonnemain vint à Ghadâmès, il n'y avait
qu'une zàouiya de marabouts, celle de Sîdi Ma'abed, fort ancienne,
inoffensive, à laquelle le gouverneinent turc a conservé son indépen-
dance. Aujourd'hui, à côté» une nouvelle zàouiya, plus grande et plus
belle, a surgi sous la baguette miraculeuse d'Es-Senoûsi.
Quand M. Ismayl-Boû-Derba visita Rhàt, il n'y avait pas de zàouiya;
aujourd'hui, à la sollicitation et avec l'appui du cheikh de la ville,
El-Hâdj-el-Amîn , un autre fanatique, le moqaddem de l'ordre, en a
construit une sous les murs de la ville. On y travaillait activement
pendant mon séjour à Rhàt (avril 1861).
Cependant Es-Senoûsi, sentant la mort venir et trouvant le Djebel-
304 TOUAREG DU NORD.
el-Akhdàr encore trop rapproché des Turcs de Ben-Ghâzi et des con-
suls qui y résident, ordonna la création d'une nouvelle zàouiya à
Jerhâjîb, dans un désert, un peu au Nord de la route de Sîoua à
Aoudjela.
A Jerhâjîb, il n'y avait qu'un seul puits d'eau amère, dans une
vallée, au milieu du vide ; de nouveaux puits y ont été creusés, et la
zàouiya s'est élevée comme par enchantement. Au printemps 1861,
OQ y plantait des dattiers.
Aujourd'hui la zàouiya de Jerhâjîb est la métropolitaine de
Tordre.
En même temps on bâtissait une autre zàouiya , en plein désert, à
Wao, ancienne plantation de palmiers, abandonnée sur la frontière
du pays des Teboû, à 208 kilomètres au Sud-Est de Zouîla,
Ainsi, dans une période fort courte, moins de quinze années,
voilà huit centres de fanatisme créés, organisés et pourvus de moyens
d'existence par les tributs volontaires des khouàn.
Mais, en 1859, l'homme qui avait conçu et improvisé de si grandes
choses meurt; son fils lui succède comme chef de l'ordre : le rempla-
cera-tTÎl comme continuateur de son œuvre?
A la mort d'un homme comme Es-Senoûsi, surtout quand cette
mort arrive avant que l'institution dont il est le fondateur ait jeté
de profondes racines, il est rare que la pensée mère du créateur soit
adoptée sans modification par ses héritiers ou ses lieutenants. Au res-
pect pour les lois du maître succède l'esprit d'innovation chez les
uns, de relâchement chez les autres. Ce double effet me semble s'être
produit.
Au rôle passif et purement défensif de l'institution ; à la création
de zàouiya, à la fois refuges et centres d'un enseignement réputé
plus orthodoxe, les plus ardents ont tout d'abord cherché à substituer
l'action offensive. Kl-Hàdj-Ahmed-et-Touàti, le moqaddem de l'Ouest,
devait naturellement se trouver à leur tête.
En effet, dès que la mort du chef de l'ordre lui permet de prendre
une plus grande initiative, on le voit aller, de ville en ville, prêchant
la guerre sainte, ordonnant à ses partisans d'acheter des armes et des
munitions, poussant Mohammed -ben-'Abd- Allah à entrer en cam-
pagne, enûn, organisant ce mouvement qui a agité et troublé tout le
Sahara algérien dans le cours de l'été 1861 et auquel la capture de
Mohammed-ben-'Abd-Aliah a mis fin.
CENTRES RELIGIEUX. 305
PeDdant ce temps, le jeune fils d'Es-Senoûsi semblait se borner à
jouir, dans la zâouiya de Jerhàjîb, de l'héritage de fortune, d'hon-
neurs et de respect que lui avait laissé son père : aussi voit-on les
quatre premières années de son règne s'écouler sans que la création
d'aucune nouvelle zâouiya soit entreprise.
Un fait plus significatif démontrerait que le chef actuel de l'ordre
serait disposé à se contenter des résultats acquis. Si mes informations
sont exactes, il aurait, en 1861, mandé près de lui le moqaddem de
rOuest pour le rappeler aux principes expectants du fondateur.
Sur toute ma route, à Rhât, à Mourzouk, à Trâghen, à Zouîla, j'ai
rencontré cet homme, suivant lentement mes pas, me créant des em-
barras partout où il le pouvait.
11 se rendait à Jerhàjîb, pour comparaître devant le grand maître,
mais il cheminait comme un coupable qui n'est pas pressé d'arriver,
prétextant de la nécessité de me surveiller, de faire obstacle à mes
desseins, pour retarder le moment des explications. Peut-être atten-
dait-il, avant de recevoir l'ordre de remettre l'épée dans le fourreau,
que Mohammed-ben-'Abd-Allah eût jeté dans la balance le poids d'un
fait accompli.
Une circonstance imprévue, la mort du sultan 'Abd-el-Medjîd , au-
quel les musulmans reprochent trop de condescendance pour les chré-
tiens , et son remplacement par le sultan 'Abd-el-'Azîz, paraissaient à
El-Hàdj-Ahmed-et-Touâti un signe providentiel justificatif de ses me-
nées et de l'initiative belliqueuse qu'il avait prise.
Dans tout le Nord de l'Afrique , l'avènement du nouveau sultan
de Constantinople a été l'occasion d'une grande agitation.
Quoi qu'il en soit des dispositions respectives du chef de la con-
frérie et du moqaddem de l'Ouest, du désaccord qui a pu exister
entre eux sur l'attitude expectante ou militante à prendre, il est cer-
tain que dans l'état actuel des choses les zâouiya de Sôkna , de
Zouîla, de Rhât et de Ghadâmès, forment déjà les quatre points cardi-
naux d'un immense quadrilatère élevé pour la défense du fanatisme
dans cette partie de l'Afrique.
Je n'ai pas à apprécier, au point de vue théologique musulman,
l'orthodoxie des enseignements de cette confrérie ; néanmoins je ne
puis omettre de signaler la lutte qui s'est engagée à mon sujet, pen-
dant mon séjour à Rhât, entre le moqaddem d'Es-Senoûsi et le mara-
bout très^pieux, très-instruit, très-éclairé de Timbouktou, Sîdi-Mo-
L 10
3d6 TOUAREG DU NOKD.
hatnméd-él-Bakkây. Le môqaddetti, sur rautôrité d'un livre doHt il
m'a été iiîipossible de connaître mêhié le titre , enseignait qu'il était
non-seulement perinis, mais encore louable, de me Voler et d'assa*sl-
lier tnôi et mes serviteurs musulmans. A ces prédications fanaticjuefe
Sîdi-el-Bakkây opposait Taulorité des |)rincipalJX docteurs de IMsIÔm el
la correspondance que son oncle, le grand marabout de Tîmbouktou,
avait adressée au roi fanatique des Fellàta, qui voulait S'opp(>ser hit
séjour de M. le docteur Barth dans son Kmpire. La Copie de cette cor-
respondance si remarquable , véritable manifesté de tolérance * a été
laissée aux habitants de Rhât pbur qu'ils poissent là méditer-
Grâce à Tappui moral de Sîdi-el-Bakkâ^i' et à Fautorité louté^puis-
sante de Fémîr Ikhenoûkhen, j*ai pu bravfer» pertdant qulWîe jours,
sur le marché extra muros de Rhât, la colère des khouân d*Es-Senoûsi,
mais je n'ai pu pénétrer en ville, et ceux de mes serviteurs musul-
mans qui y sont allés pour faire des provisions de bouche y ont été
maltraités.
L'opposition que M. tsmayl-Boû-Derba, quoique musulman, a ren-^
contrée à Rhàt, n'a eu d'aUtre cause que la résistance des sectàlewre
d*l£s-Scnoûsi.
Tout Voyageulr européen qui parcourra les moines contrées, sur-
tout s'il est Français, doit s'attendre à rencontrer le môme obstacle.
La conclusion de ce qui précède est qu'il est nécessaire de sur-
veiller cette confrérie religieuse et de s* opposer à son développemertt
partout où on le pourra.
S H. ~ GoNFb^iiife t>Bs TbdjAdjna.
Celte confrérie fut fondée, vers 1775, par Sîdi-Ahmed-et-Tidjéni,
de la famille des marabouts d"Aïn-Màdhi.
Par les exemples de vertu et de piété ée son pète, pat les le^ns
de ses professeurs, par les connaissances acquises dans des voyiages
à Fez et à la Mekke, et de longs séjours auprès des savants les plus
renommés de l'islamisme, Sîdi-Ahmed était l'homnnie de son époqtre et
de son pays le mieux préparé à fonder une confrérie reitgieuëc sur la
double base du triomphe du droit par le droit et de la tolérakce tktjtis
la voie de Dieu^,
i. Mot à mot: le droit suit le droit; tout ce qui vient de Dieu doit être respecté.
Telle est la /bimnle dt la profession de foi des Tedjftdji^tt.
CENTRES RELÏOIEUX. 307
La réputation de sainteté de SJdi-Ahrped, le libéralisme die ses
doctrines, attirèrent autour du roarabout beaucoup de disciples» au-
tour du fondateur d'une confrérie beaucoup d*adeptes. pe son vivant,
il ne recueillit que des témoignages éclatants d'un souverain respect,
taint de la part des rois que de I4 part des peuples. Les cours de Fez,
de Tunis, avaient prodigué toutes leurs faveurs à Tapôtre des nouvelles
idées; seule, l'oligarchie des janissaires d'Alger lui gardait ses ran-
cunes. On comprend pourquoi : le triomphe du droit par le droit
devait amener l'abolition de la piraterie à l'intérieur et à l'extérieur,
seul mode de gouvernement que connaissaient les pachas d'Alger.
Aussi était-il réservé aux deux fils du fondateur de l'ordre d'assis-
ter à de grands événements.
Ces fils avaient tous deux le même nom : Mohammed. Pour les
distinguer, on appela : l'aîné Mohammed-el-Kebîr (le grand), et le cadet
Mohammed-esSeghîr (le petit).
Mais à la mort de leur père, ces deux fils étant trop jeunes pour
administrer les intérêts de la confrérie, Sîd-el-Hàdj-'Ali-ben-el-Hàdj-
'Aïssa, marabout de Temàssîn, fut, par testament, institué grand
maître des khouàn. Peut-être le fondateur de la confrérie naissante,
prévoyant l'avenir et connaissant la jalousie des Turcs, espérait-il, en
se dom^ant pour successeur un marabout qui ne fût pas en même
temps héritier de son nom, détourner de la tête de ses fils les coups
dont ils étaient menacés.
Mais la voie de Dieu est impénétrable aux hommes, et pendant que
le marabout de Temàssîn gouvernait la confrérie, Mohammed-el-Ke-
bîr, le fils aîné, était appelé, en 1822, à défendre 'Aïn-Màdhi contre les
Turcs et périssait en 1827, dans la plaine d'Eghréis, sous Ma'askara,
trahi par les Hàchem, en prenant lui-même l'offensive contre le pou-
voir que nous devions détrôner trois ans plus tard.
Le sang versé alors séparait à jamais les Tedjâdjna de la cause
des Turcs et de celle des Hâchem, tribu qui, en 1808, avait donné le
jour à *Abd-el-Kàder, également fils d'un chef de zàouiya.
Bientôt après la chute des Turcs, en 1832, les Hâchem avaient élu
sultan l'un d'eux, 'Abd-el-Kàder, fils de Mahi-ed-Dîn, et le premier
acte du nouvel Emir-el-Moùmemn avait été de proclamer la guerre
sainte contre les Français nouvellement débarqués à Oran.
Si alors 'Abd-el-Kâder avait appelé le cadet des fils de Sîdi-
Ahmed-et-Tidjâni à lui prêter son appui dans la lutte qu'il allait
308 TOUAREG DU NORD.
soutenir contre les chrétiens, peut-être eût-on vu Mohammed-es-Se-
ghîr oublier la trahison des Hàchem et renouveler la tentative auda-
cieuse de son frère, en venant, avec *Abd-el-Kâder, mettre le siège
devant Oran.
Alors du sang eût été mis entre nous et les Tedjàdjna , comme il
y en avait entre eux et les Turcs.
Mais dans la voie de Dieu tout est impénétrable , répéterai-je avec
l'auteur du Kounnâch, le guide des khouân Tedjàdjna. Non-seulement
*Abd-el-Kàder, le commandeur des croyants, ne réclame pas le con-
cours de Mohammed-es-Seghîr contre les chrétiens, mais encore, en
1838, après avoir fait la paix avec eux, il va mettre le siège devant
'Ain-Mâdhi, où il tient bloqué, pendant neuf mois, mais sans résul-
tat, rhéritier d'un nom vénéré.
Dans cette lutte impie et que rien ne justifiait, *Abd-el-Kàder com-
promet son titre de marabout, ses finances et tout le prestige de ses
réguliers.
De plus, il met de nouveau du sang entre les Tedjàdjna et les
Hàchem.
Pendant qtio ces faits s'accomplissent dans l'Ouest, El-Hàdj- Ali,
le maraboui. d^ Temàssîn, le chef de la confrérie, est attaqué dans
l'Est par les frères d'une autre confrérie, les Mouley-Tayyeb, nos enne-
mis achiiniés, sous la conduite de Ben-Djellâb, sultan de Tougourt,
autre ennemi do notre drapeau.
Dans l'Est comme dans l'Ouest, les Tedjàdjna avaient donc été
amem% à mettre du sang entre eux et tous nos adversaires, sans le
moindre conûn avec nous. A notre insu, nous étions devenus amis
les uns d«*s antres, par l'audacieuse imprudence des mômes ennemis
que nous avions eus à combattre.
Ce qui précède explique la réponse du chef des Tedjàdjna, El-Hàdj-
'Ali, aux gens du Zibàn, de l'Ouàd-Rîgh et du Soûf, qui vinrent en
1844 lui signaler notre marche sur Biskra et lui demander quelle
conduite il fallait tenir.
Voici cette très-remarquable réponse :
« C'est Dieu qui a donné aux Français FAIgérie et toutes les pro-
« vinces qui en dépendent; c'est Lui qui veut les y voir dominer.
« Restez donc en paix et ne faites pas parler la poudre contre eux.
« Dieu a changé ceux qui, jadis nos maîtres, n'avaient d'autre loi
« que l'oppression , d'autre règle que la violence , qui sans cesse
^
>•
^
PI. XYIII.
Page 309.
Fig 3S.
SiDI-M0IIA1IMeP-EL-*Ail),
O RAND-.MaItKR DR LA CONFHKRIF n«S TKnjAHJNA.
D*apr«''s un" photo|?raphio do M. Puip
CENTRES RELIGIEUX. 309
(( faisaient le mal et portaient le trouble avec eux. Laissez donc
« faire aux Français ce qu'ils veulent , car ils paraissent avoir pris
(( un chemin juste et sage , qui doit faire fructifier le bien de tous. »
M. le colonel de Neveu , auteur des Khouân , livre auquel j'em-
prunte cette réponse, en garantit Texactitude.
Elle doit être authentique, en effet, car elle n'est que la paraphrase
du mot de passe de la confrérie : triomphe du droit par le droit, tolé-
rance dans la voie de Dieu.
Un an après cette réponse, qui nous livrait sans résistance tout le
Sud de la province de Constantine , le marabout de Temâssîn mou-
rait et la grande maîtrise de la confrérie passait aux mains du fils
cadet du fondateur de Tordre, Sîdi-Mohammed-es-Seghîr-ould-Sîdi-
Admed-et-Tidjàni, l'adversaire d"Abd-el-Kâder.
Ce grand marabout, notre ami comme son prédécesseur, laissa
prendre Laghouât, ville voisine d"Aïn-Mâdhi où il résidait, d'abord,
en 1866, par M. le général Marey-Monge, puis en 1851 par M. le géné-
ral Pélissier, sans sortir des limites assignées aux khouân de Tordre
par la réponse antérieure du marabout df^ Temâssîn,
A la mort de Mohammed-es-Seghîr, a<ivf?nue peu de temps après
la dernière prise de Laghouât, le gouvei'nemcnt dp la confrérie re-
tourna aux mains du marabout de Temâssîn. Sîdï-Mohammed-el-Âïd,
fils d'El-Hàdj-' Ali, encore en possession aujourd'hui du litre d'ouâlL
C'est à lui que je fus recommandé pnv M. le général Desvaux ,
commandant supérieur de la province de Constantine; c'est à Taide
de son concours que j'ai pu pénétrer, avec séciirité, chesî les Touareg,
malgré l'opposition des khouân et du moqaddem des Senoûsi.
Sîdi-Mohammed-el-'Aïd , fidèle à la tradition de la confrérie, est un
excellent homme, instruit, bienveillant, charitable et conséquemment
très-vénéré. ( Voir son portrait ci-contre. )
Pour mieux me protéger à distance, par un signe visible émanant de
lui, il me conféra le titre de frère et me revêtit du chapelet de Tordre.
Ainsi, quoique chrétien, quoique Français, titre aggravant pour
tous ceux qui croient leur indépendance menacée, j'ai voyagé comme
frère de Tordre des Tedjâdjna, et j'ai été accueilli comme tel par tous
les khouân.
11 est de croyance dans la confrérie que les prières de Sîd-€l-Hadj-
'Ali , père de Sîdi-Mohammed-el-'Aïd , ont fait tomber Alger au pou-
voir des Français pour punir les Turcs, coupables d'avoir tué son fils.
Mo ïdUAREG DO NORD.
La 2fâouiya de Temâssîn est probablement la plus iitiportàfttB de
toute TAlgërie. En y entrant, on sent qu'on est là au éiége d'une im-
poltante institution, d'un grand gouvernement : mosquée pour le
culte ; nombreux logements pour les disciples et les serviteurs ; pa-
lais somptueux pour le maître, avec glaces de Venise et fauteuils
dorés à l'européenne, le tout d'un luxe qu'on ne souprjonnerait pas
dans une ville saharienne. (Voir la planche ci-contre. )
C'est qu'en effet cette zàouiya est un grand centre : protégée par
les souverains de Fez , de Tunis , dans les meilleurs rapports avec
l'autorité française, elle étend ses ramifications jusqu'à Timbouktou,
jusqu'au Soudan, jusqu'en Egypte et à la Mekke. Des rois nègres,
affiliés à la confrérie des Tedjâdjna, font une active propagande
contre le paganisme dans l'Afrique centrale.
Une zâouiya secondaire de l'ordre, celle de Timâssanîn^ dont le
marabout Si-'Othmân est le moqaddem, assise entre les Touareg Azd-
jer et les Touareg Ahaggâr, exerce son influence conciliatrice sur ces
deux peuplades.
Accompagné jusqu'à Ghadâmès par le mrtqaddem des Tedjâdjna,
confié par lui à la vigilance d'ikhenoûkhen» remis par ce dernier au
gouverneur de Mourzouk, j'étais donc en mesure de faire face à la
malveillance des Senoùsi.
La zâouiya de Timâssanîn a été fondée par El-Hàdj-el-Faqqi, an-
cêtre de Si-'Othmân, il y a environ 160 ans. Depuis sa fondation, la
zàouiya n'a eu que trois moqaddem : Et-Hàdj-el-Faqqi , El-Hâdj-el-
Bekrî et Si-'Othmân. Il est vrai qu'El-Hàdj-el-Bekrî, mort en 1831 ,
était âgé de 108 années lunaires.
Une aulre zâouiya secondaire de la confrérie existe au Gourâra,
dans le Touât. El-Hâdj-Mohammed-el-Feguîgui en est le moqaddem.
Il y a des khouân Tedjàdna dans toute l'Afrique Centrale, au Bof-
nou, à Timbouktou, dans le fond du Foî^ta; mais là où l'ordre compte
le plus de frères, c'est à El-Ouâd, à Temâssîn et à Chinguît dans l'Adrar,
entre Timbouktou et l'Océan Atlantique.
S IIÏ. — - ZÂOCïYA DBS BAKKÂY.
Avec les Senoùsi, avec les Tedjâdjna, une troisième grande in-
fluence, plus grande peut-être que celle de ses rivales, règne dans
tout le Sahara et dans toutes les parties de l'Afrique centrale où le
PL XIX.
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CENTRES RPLIQIEUX. 311
npffi d^ TimJxHiktoq eM connu. Cette troisième antprit^ est celle des
D'fiprès soa art)re généalogique , celte famille descendrait de
'Oqb»-ebB-Nàfti'-el-F«^hn , le conquérant de l'Afrique oçcidentfde^ ce
général arabe qui n'arrêta ses conquêtes que dans les flols de i'Océan
Atl,apM<ïue.
'Oqba, dao9 sa première incursion, s'était avancé jusqu'à Djaojuàja,
au centre du pays des Teboû ; dans la seconde, jusgu'ajj grand désert
habité par les l^eoitoûna , entre le Maroc et le Niger. Par la renom-
mée que se$ succès Jih avaienjL acquise dans des contrée^ ii?abiordé(5s
jusque-là , il avait préparé à ses laitiers le cbemia de l'Afrique
;Ge«Ftra]e.
L'ftrriyée des Bakkày à Timbouktou date de^cette époque de pro-
sélytï8#ae religieuse qui anaena les Almoravides jusiqu'au centre çle
la Nigritie, apostolat glorieux, qui fit ,de 'l'imbouktou un foy^r
-de lumières et de lettres, dont les ouvrages bistoriques du Cheikh-
Ahmed-Bàba, le ïimbouktien, analysés par M. le docteur Barl^ pt
M. le professeur Cherbonneau , nous ont dernièreïaeïnt révélé Texis-
lence.
Ues jBakkAy ont perpétué ce mouvement à tr^ivers les générations
depuis te ?cn^ siècle jusqu'à nos jours, bravant toutes les révolutions
qui (mi altePïttttivement mis le pouvoir aux mains des Berbère^., des
Arabes ou des Nègres.
A«ÎQurd'ihui encore la zàouiya des Bakkây à ïimjbouktou feçoit de
nombreux «disciples , telâmid, qui, du Maroc, du Touât, du Sénégjil
et des divers États nègres, vieoinent y puiser tous Jes gei^re? d'in-
struction de la civilisation musulmane : l'étude de l'arabe ancieo et
tnaderne, la grammaire, la rhétorique, la versification, l'histoire, la
jurisprudence et surtout la théologie.
Souverains religieux , indépendants de l'empire des Fellâta et des
autres États nègres qui les ^nveloippeat, les Bakkây représentent
encore aujourd'hiû la plus grande .puissance morale de tout le conti-
nent africain.
Alliés des souverains du Maroc, dont ils reconnaissent la supré-
matie religieuse et pour lesquels ils font la prière officielle; amis des
rofc de Sokkoto et do Bornou , ils n'ont d'autres adversaires que le
chef de Hamd-Allâhi, capitale du nouvel Empire des Fellâta.
Mais, sans armée, sans autre appui que l'autorité qu'ils exercent
312 TOUAREG DU NORD.
comme marabouts sur les tribus arabes de TAzaouad , sur les TràrzaS
les Brâkna et autres Maures du Sénégal , ainsi que sur les Touareg
Aouélimmiden, sur les Ahaggâr, sur les Azdjer et le Touât, ils tiennent
tête aux Fellâta et les empêchent de soumettre toute l'Afrique centrale
à leurs lois.
Les revenus de ces marabouts sont considérables : d'abord, ils
possèdent de grands troupeaux de chameaux, de zébus, de moutons
et des chevaux que gardent de nombreux esclaves et leurs serviteurs,
les Machrhoûfa, Tune des tribus arabes de l'Azaouad; ensuite, toutes
les caravanes et toutes les populations de leur dépendance religieuse
leur paient volontairement tribut.
Les Bakkây ont aussi des zàouiya importantes et de grandes
propriétés au Touât*; ce qui fait qu'ils sont autant Touâtiens que Tim-
bouktiens. Cette circonstance nous explique pourquoi ils tiennent à
l'indépendance politique de éette confédération.
Les représentants de cette grande famille sont au nombre de
huit.
Sîdi-Ahmed est leur chef.
Sîdi-Mohammed, son fils et successeur; Sîdi-Mohammed, son ne-
veu, celui que j'ai rencontré dans mon voyage» et Sîdi-Alaouété, sont,
après le cheikh souverain , les personnages les plus influents.
Jusqu'à ce jour, ces marabouts ne nous sont connus que par leur
tolérance envers les chrétiens.
Ils avaient bien accueilli le major Laing et ils n'ont pas encore
voulu accorder le pardon aux Berâbtch qui l'ont assassiné.
Grâce à eux, M. le docteur Barth a pu rester sept mois à Timbouk-
tou, malgré l'opposition des chefs politiques du pays.
Sîdi-Mohammed, le neveu, a été pour moi plus qu'un protecteur,
un véritable ami. Mon cheval étant mort, il m'a imposé, avec une
extrême délicatesse, l'obligation d'accepter la jument qu'il montait;
service énorme, car, dans tout le pays d' Azdjer où je me trouvais, il
était impossible de me procurer un nouveau cheval.
i. Les Trtrza, diaprés Stdi-Mohammed-el-Bakkày, enverraient annueUement à
la zftouiya de sa famiUe, à Timboaktoa, à titre dMmpôt religieux, cent pièces d*iD-
dlenne et neuf fusils.
Le roi Mohammed-el-HabIb et autres chefs des Trârza seraient des tdàmid des
Bakkày.
2. Les Bakkày prétendent être propriétaires d*Âqabli , de Zàouiyet-Kounta et
de Djedld, dans le Tidikelt.
CENTRES RELIGIEUX. 31S
Les Bakkày seraient entrés plus tôt en relations avec nous, s'ils ne
s'étaient crus engagés par l'alliance que M. le docteur Barth a négo-
ciée avec eux au nom de l'Angleterre, et s'ils n'avaient supposé, à tort,
la France, sinon en hostilité, du moins en continuelle rivalité avec le
gouvernement de la Grande-Bretagne : mais la lettre de pressante
recommandation que M. le docteur Barth m'avait donnée pour le
Cheikh-Ahmed, et que je lui ai transmise par son neveu, a dû faire
disparaître l'erreur, accréditée d'ailleurs dans tout le Sahara et dans
toute l'Afrique centrale, que, pour conserver de bonnes relations avec
les Anglais, il faut refuser tous rapports avec les Français.
La seule pierre d'achoppement entre les Bakkây et le gouverne-
ment de l'Algérie est le Touât. Les fanatiques dé cet archipel d'oasis
nous représentent comme convoitant l'occupation de ce point, bien
que notre conduite témoigne que nous ne voulons pas avancer notre
ligne d'occupation au delà de Laghouât et de Géryville. Mais Tim-
bouktou est loin de nous et la vérité y arrive difficilement, surtout
par la bouche des indigènes. Pour mettre fin à l'incertitude, donnons
aux Bakkây toute sécurité de ce côté, et immédiatement les résis-
tances tomberont entre l'Algérie et Timbouktou, et Timbouktou et le
Sénégal.
Sîdi-Mohammed m'avait offert de me conduire près de son oncle,
en me faisant traverser le Touât; je n'ai pu accepter cette proposition
parce qu'après un voyage de deux ans j'étais démuni de tout ce qu'il
faut à un explorateur pour entreprendre utilement une semblable
course, et parce que le marabout, retenu par des affaires de famille,
n'était pas libre de reprendre tout de suite le chemin de son pays :
mais, si le gouvernement daigne agréer la continuation de mes ser-
vices, j'espère pouvoir mettre à profit les bonnes dispositions de Sîdi-
Mohammed pour moi.
\\
S IV. — ZÂOIIITA DBS OuLÂD-SlDI-CHBiKH.
S'il faut en croire la tradition , la partie de l'Algérie sise sur la
frontière du Maroc, et connue aujourd'hui sous le nom de Sahara des
Oulâd-Sîdi-Cheikh , était, il y a environ 500 ans, un véritable désert,
théâtre des incursions des nomades du voisinage.
Un marabout, de la descendance du Prophète par les femmes,
homme sage, instruit, tolérant, chassé de Tunis par des discordes de
al/| TOUAREG DU WORD,
• famille, choisit cette solitude pour y vivre en paix. Sa réputation de
sainteté commença par attirer quelques ser^tem» à la sàouiyii qu*i\
avait fondée è El-Àbiodh.
Ses enfants, héritiers de ses vertus, avaifint déjà conquis une
grande influenoe, lorsque la prise de possession d*Gmn par les Fispt-
gnols , la destruction du pouvoir des Benî-Ziàn de TieHiS6n î»r tes
Turcs, rétabiissemeat à main armée d'une 4omination nouvelle, vin-
rent jeter la plus grande perturbation au milieu des tribus de la pro-
vince de i*Ouest.
Alors la famille des marabouts d'£l-Abiodh avait pour chef Thomnie
dont la réputation, surpassant celle de ses aooêtres, donne encore au-
jourd'hui du prestige à ses descendants. La commune renommée hii
avait décerné le titre de Sîdi-<]heikh , Monseigneur ie vénértxtfie.
Tous les malheureuic, victiufMS ^ies diseonies politiques qui agi-
taient alors le pays, vinrent chercher un refuge près de Jui, et iJ fut
charitable , consolateur pour tous. Sa zâoiuya devint i'asile de la
proscription,
La dientèJe formée par Témigration s'acorot encore de oeffle des
gens généreux dont Vdtxàe est toujoirrs à la disposition des makis
appelées à centraliser Tassistance dans les malheurs publics.
Les aumônes, d*abord temporaires, que des cireonstances excep-
tkmneîles rendaient nécessaires, devinrent, en se reiouvelant, défi-
nitives , et aujourd'hui elles sont transformées en redevances rdi-
fieuses, volontairement acquittéesientre les mains des successeurs du
marabout par les filsdfôconrtemporwnside Nîdi-€beifch.
M. le colonel 'de Colonnb, ancien conowandant supérieur <tu cercle
de Géry ville, n*estime pas à moins de :80,(H)0 fj^ttcs fimpèt annuel
versé par les clients de Sidi'^^heikli au m<K|adâem de sa z&eiiiya.
Quand un établissement religieux dispose, pendant écs isàèdes,
d*un pareil revenu ; quand, d'ailleurs, la famille qui dirige cet éta-
blissement possède de grandes rioUes^E^ pefsoniïdles, ils peuvent
produire beaucoup de bien; malheureusement, les Oulâd-Sîdi-Cheikh
sont devenus depuis longtemps des a^bnifiistnateurs temporeis, laissant
à leurs esclaves aiTranchis les devoirs «le la zàatûya, et l'ifistituliton
religieuse est un peu en décadoace.
Cependant Sidi-Mamsa, chef de cette 'fanHile, tétevé, sous notre
gouvernement, à la dignité de khafifa du Sud de la province d'Oran,
a contribué puissamment à la soumission des tribus de sa dépan-
CENTRES RELIGIEUX. 315
dance religieuse, embrassant tout le pays compris entre la frontière
du Maroc à l'Ouest, Ouarglâ et El-Golêa* au Sud-Est. Son fils, Sîdi-
Boû-Beker, nous a rendu un plus grand service encore en capturant
le perturbateur Mohammed-ben-Abd-Allah, qui agita si profondément
le Sahara, au nom de la confrérie des Senoûsi.
Quand, en 1859, au début de mon exploration, je partis pour El-
Golêa' (la Tâorert des Berbères), le khalîfa Sîdi-Hamza m'avait envoyé
une lettre de recommandation pour la djema'a ou assemblée des no-
tables de cette ville. El-Golêa*, quoique appartenant aux Cha'anba,
administrés de Sîdi-Hamza, élevait la prétention de ne pas dépendre
de l'Algérie et de ne relever que de sa municipalité; Thospitalité m'y
fut refusée, avec accompagnement de beaucoup de menaces, qui au-
raient été suivies d'exécution, si je n'avais pris le parti prudent de
la retraite. El - Golêa' a payé sa conduite de son indépendance , car
Sîdi-Hamza a reçu l'ordre, en 1861, de prendre possession de cette
ville au nom de la France, et aujourd'hui le gouverneur général de
l'Algérie nomme directement les chefs de cette petite cité.
Parmi les clients des Oulàd-Sîdi-Cheikh, on compte, indépendam-
ment de la plupart des tribus du cercle de Géry ville et. des Cha'anba
d'Ouarglà, de Methlîly et d'El-Golôa', les Oulàd-el-Mokhtâr, d'origine
arabe, qui constituent la population active d'In-Sâlah. Quelques au-
tres groupes arabes du Touât relèvent aussi de l'autorité religieuse de
la zàouiya d'El-Abiodh.
Ainsi, aux services que la famille de Sîdi-Hamza nous a déjà rendus
elle peut encore joindre celui d'établir de bons rapports entre nous
et le Touât. Cette tâche lui est facile, car les Oulâd-Sîdi-Cheikh com-
mandent toutes les routes par lesquelles le Touât tire ses approvi-
sionnements de l'Algérie.
En terminant ce paragraphe sur les centres religieux sahariens, je
ne puis m'empêcher de constater que quatre marabouts m'ont prêté
le plus grand appui dans mon voyage: Sîdi-Hamza, Sîdi Mohammed-
el-'Aïd, le Cheikh-'Othmân et Sîdi-Mohammed-el-Bakkây. Il est vrai
que ces marabouts sont des hommes éclairés, et non des ignorants
obligés d'abriter la pauvreté de leur esprit et de leur cœur sous le
manteau si facile à porter du fanatisme.
LIVRE IV.
touAreg proprement dits.
Sans aucun doute, plus d*un des nombreux détails qu'embrasse
ce Livre peut s'appliquer à Tensemble des quatre confédérations ber-
bères connues sous le nom général de Touareg, mais je tiens à avertir
de nouveau le lecteur que mes observations et mes recherches ont
été limitées aux Touareg du Nord, Azdjer et Ahaggâr, et que si, acci-
dentellement, je parle des Touareg d'Aïr et des Aouélimmiden, je
n'entends pas les comprendre dans cette étude.
CHAPITRE PREMIER.
ORIGINE DES TOUAREG.
A quel peuple primitif, à quelle langue primordiale rattacher les
Touareg et le dialecte qu'ils parlent ? Comment établir leur filiation ?
L'opinion des Touareg sur ces diverses questions a l'avantage d'être
unanime.
u Nous sommes Imôhagh, disent les Azdjer ; Imôcharh, disent les
Ahaggàr et les Aouélimmiden; Imâjirhen, disent les Touareg d'Aïr.
« La langue que nous parlons s'appelle temâhaq ou temâcheq , sui-
vant les dialectes.
« Les Arabes ont donné à nos tribus le nom de Touareg et à notre
langue celui de târguïa, du participe arabe târeh, au pluriel tou®,
318 TOUAREG DU NORD.
qui signifie \qs abandonnés a de Dieu, » sous-entendu, parce que nous
avons, pendant longtemps, refusé d'adopter la religion que les Arabes
nous apportaient, et parce que, après l'avoir embrassée, nos pères ont
souvent renié la foi nouvelle. Mais ce nom, qui rappelle une situation
ancienne dont le souvenir est aujourd'hui injurieux pour nous , n'a
jamais été celui de notre race.
« Les cinq mots, Imôhagh, Imôcharh, imajirhen, temàhaq, temâ-
cheq, qui sont les noms de notre race et de notre langue, dérivent
de la même racine, le verbe iôhagh, qui signifie : il est libre, il est
fraiic, il est indépendant, il pille. »
La signification historique de cette racine sera ultérieurement
précisée.
Quant à la filiation des Touareg du Nord, elle a été dreseée, pour
chaque tribu noble, par le Cheikh-Brahîm-Ould-Sîdi, réputé l'homme
le plus instruit parmi les Touareg, ses contemporains, dans une Note
adressée à Sîdi-Mohammed-el-'Aïd, le grand maître de Ja confrérie
des Tedjàdjna, note qui m'a été remise en original et qui est acceptée
par les Touareg comme étant l'expression de leurs communes opi-
nions.
Voici l'analyse de cette pièce :
« Tu nous demandes des renseignements sur notre origine. Je ré-
ponds : Notre descendance la plus générale est celle des Êdrisides
de Fez; quelques-uns viennent d'Ech-CMngult, entre Timbouktou et
l'Océan ; d'autres sont des gens de l'Adghagh, entre le Niger et nos
montagnes.
« Nous descendons des Êdrisides par un chérîf qui fut tué par le
roi Ourmîn, et ce çhérîf est à la fois l'ancêtre commun des chorfa
d'Azdjer, des chorfa de Kerzâz* et des chorfa d'Ouazzân*.
« Ainsi nos chorfa Ifôghas et Imanân sont de la même lignée que
les plus grandes familles du Maghreb.
i. Les chorfa de Kerzâz existent encore à TabalbfUet, entre le Touàt et le Tafî-
lelt Us y possèdent une iâouiya qui jouît de la plus grande réputation.
Ceux qui y entrent ignorants, malades, affamés, nus, attristés, en sortBtttiB-
fttruits, guéris, rassasiés, habillés, coosolés. 0u moins, c'est ce qu'^n disent les indi-
2. Les chorfa d'Ouazzân habitent une ville du Maroc , entre Fez et Tanger. Ils
sont les chefs de la grande confrérie des Mouley-Ti^eb, et, à ce tidne, ils consacrent
l'ioTestHure des empereurs du Maroc à chaque changement de réigne.
ORIGINE. 5t^
« Si tta nous demande» de ihre^i caractériser les origines de cha-
que tribu et de distinguer les nobles des serfs , nous te dirons que
Botre ensemble est mélangé et entrelacé comme le tissu d'une tente
dàffô lequel entre le poil du chameau avec la laine du mouton. 11
faut être habile pour établir ane distinction entre le poil et la laine.
Cependant nous savons que t:hacune de nos nombreuses tribus est
sortie d'tin pays différent. »
Après ces considérations générales, te Cheikh -Brahîm-Ould -
SMi passe en revue cha<|ue tribu d'origine noble, en commençant
par les Aidj^t* et en unissant par les Âhaggàr. Il continue en ces
termes :
lOWâfifw des tf%us du pays éCÂzdjtr.
îmawé^: « Les !manân ou Es^Solatin (les sultans) î^ont de vrais
chorfa , moitié Édrisiens de la famille régnante de Pez , moitii^
'Alou^iettSs descendant de Stdna-Aly, peiit-fils du Prophète, h
Ûrâghtri : « Ils sont lUs de sultans par leurs pères, mais vilains
]f»r leurs mères, car elles ne sont pas .toutes de nobïe origine. >>
Imanghasâten: « Ils sont issus des Arabes de l'Est fArab-ech^
Cheiig). Ni leur roture, ni Jeur noblesse n'est bien démontrée. S'il y
a parmi eux des ûls de sultans, ils ne sont pas bie» nombreux. »
ffôghas: « Dans l'origine, les Ifôghas we faisaient qu'une seciie
tribu avec les louadàJen, tes f gaouaddàren , les Idaoara'a et tes AheU
ë^oôki et toutes ces fractions constituaient la population de la viUe
d'ËS-Soûk. 1»
t( Es-Soûk, ajoute un commentateur, -était mie ville trè&^g^aDde et
trè&-peâplée, située à moitié chemin entre *n-Sâlato et Gôgio, sur la
m&{JB qui relie ces deux points, à peu près à i" ancienne limite de k
race blanche et de la race noire.
u Les Noirs ont bâti E&^ùk;
*« bftS Touareg l'ont conquise, occapée, agrandie, ejnbe^ie ;
h Elle ^ 'été àémiite à trois iTgprisftB différentes :
A Une première fois par r^vie;
« Une seconde fois par des plantes épineuses, tellement épaisscB
qu'on ne pouvait trouver une place pour prier Dieu (probablement
l'hérésie)^
(( Une troisième Ibis par rennômi ;
S22 TOUAREG DU NORD.
Tâïtoq : « Partie de cette tribu est de la race des Imanân d'Azdjer,
c^est-à-dire de la descendance des Édrisiens; partie est originaire des
Ahel-Fadày, du pays d'Aïr, où la souche de leur tribu existe encore.»
(Ce sont les Kêl-Fadày de M. le docteur Barth.)
tt Mais tous sont d'origine noble; on le reconnaît à leur science
et à leur manière de vivre.
« Cependant, parmi eux, a côté des Aheè-Bît'êl-Bîdh (gens de
maison blanche ou de sang blanc), il y a des Àhel-BihâS'So&d (gens
de maison noire ou de sang noir). »
Kèl^Rhelà : u Ce sont des Ebna-^ld, c'est-à-<tire des /Us d« kurs
pères , qui tous avaient pour aïeul le sultan £l^'Alouî.
« Parmi eux sont des fils de Hatîta ;
« D'autres sont des fils d'Kl-Mahoûk, targui, ayant du sang de
chorfa. »
Ikadèen : u Ils sont originaires d^Bs-Softk, mais de famiRes
blanches. »
Irhechchoùmen : « Aussi originaires d'Es-Soûk.
« Une partie de la tribu descend des Édrisiens et une autre par-
tie a pour pères des Ikadéen.
« Je ne sais si cette dernière partie est un essaim détaché de
la tribu paternelle ou bien si elle est née de la prostitution de leurs
mères. »
Tèdjèhè-n-oU'Sxdi : « Ceux qui restent des Oulâd-Aoused ont des
pères sultans, et ils ne font qu'une même tribu avec les Imanân des
Azdjer. Leur séparation n'indique qu'une bifurcation du même arbre.»
Tédjélié-MeUen ou Oalâd-Meçaoud : «Ce sont des nobles; huit
d'entre eux, les Ouggoûg, ont trace du sang de chorfa. »
Le commentateur ajoute : « Ils sont très-forts et très-hauts de
stature*. »
Autres tribus : « Elles sont originaires de Es-Soûk, mais de familles
Bîl-esSoùd, c'est-à-dire mulâtres. »
Celte Note^ 9^e j'ai ^n^lysée^, pour qq pa$ fatiguer te lecteur, aY^He
un grand mélange de sang, et assigne comme dernière station à la
presque totalité des Azdjer et dtes Ahaggâr, avaint leur fixation dans les
montagnes dont ils ont pris le nom, une ligne circulaire de l'Ouest au
1. Les Ghorfe du Tafllelt (Maroc) sont aussi remarquables par leur tiôlle
élevée.
ORIGINE. 323
Sud, jalonnée par les points de Fez, capitale du Maroc, deGhinguîl,
ville de TAdrar, et d'Ks-Soûk, ville de rAdghagh. Cette ligne est aussi
celle assignée par tous les historiens du moyen âge au mouvement
de migration des Berbères Lemtoûna et Sanhàdja, vers le pays des
iNoirs. Une expansion politique les avait portés du iNord au Sud, uqe
réaction les refoula du Sud au Nord.
La préiention à une descendance édriside qui donnerait aux
principales familles des Touâifeg une origine arabe et leur conférerait
le titre cje chorfa est à peu près celle de toutes les grandes familles
berbères, et elle serait presque justifiée par les nombreuses alliances
çiiatrimoniales que les souverains de Fez ont contractées avec les
familles des chefs dont ils ne pouvaient obtenir la soumission par la
force des. armes.
Aujourd'hui encore, au Maroc, les unions de l'empereur avec les
filles des chefs de Berbères indépendants du trône temporel sont
érigées à Tétat de système gouvernemental. Quand, dans une pro*
vince -rebelle, un Berbère peut faire échec au pouvoir du souverain
nominal, on fait tomber sa résistance en offrant à l'une de ses filles
une place au harem. Cet honneur est toujours accepté, parce qu'il
confère le titre de chérîf aux enfants qui naîtront de cette union,
et \3i répudiation presque immédiate qui réintègre femme et en-
fant dans la famille maternelle , loin d'être considérée comme un
affront, est acceptée comme un titre autorisant à faire souche.
Les deux derniers souverains du Maroc, Mouley-'Abd-er-Rahmân
et Mouley-Slîmân , pendant la durée de leurs longs règnes, ont auto-
risé, par ces sortes d'unions, plus de cinq cents familles berbères à
revendiquer pour leurs héritiers la descendance édriside ; et si leuif^
prédécesseurs, depuis le ix® siècle de notre ère, ont procédé de mêi^e |i
l'égard des grandes familles berbères du Maghreb, — ce que l'histoire
semble démontrer, — il devient très-probable que les nobles Touareg
d'Azdjer et du Ahaggàr, soit par des alliances directes, soit par des
alliances indirectes avec les chorfa de Kerzàz et d'Ouazzân, sont
aussi autorisés à revendiquer la même descendance.
Quoi qu'il en soit, les Touareg, mal^é le mélange de leur sang
avec celui des Édrisiens arabes, sont restés Berbères, et, comme
fX^çtjiOû du peuple berbère, leur origine est loin d'être incertaine.
^a tradition populaire, chez les Azdjer, ajoute à la Note de Bra-
32i TOUAREG DU NORD.
hlm-Ould-S!di quelques détails sur la formation de la confédération
et sur le partage des terres entre les différentes tribus.
D*après cette tradition, les premiers Touareg qui prirent pos-
session du pays d*Azdjer furent les chorfa Imanân et Ifôghas; puis,
successivement, d'autres tribus vinrent se ranger autour d'eux.
Un beau jour, le chef dès Imanàn invita à sa cour les femmes
douairières des autres tribus, c'est-à-dire celles des dames nobles dont
le ventre avait le privilège de donner naissance aux chefs , et , mu
par un généreux sentiment de galanterie , il affecta à chacune d'elles
un douaire foncier.
La dame douairière des Orâghen reçut en apanage la plaine des
Igharghâren ;
La dame douairière des Imanghasâten eut pour lot la vallée de
Tikhàmmalt;
Chaque tribu fut dotée de la même manière.
Ce qui frappe dans cette tradition, comme dans toutes celles
relatives aux origines des coutumes exceptionnelles des Touareg,
c'est le rôle principal qu'y joue la femme.
A Ghadàmès, cherchant la lumière sur cette question d'origine,
je m'adressai au kâtlhi, l'homme 'le plus instruit de la ville; il me
répondit en ouvrant un livre qui fait autorité dans le Sahara.
11 a pour titre : Roudli-el-ino'altâr, fi aktibâr-el'aqtâr (ou Le Jardin
parfumé par les nouvelles des pays), et pour auteur : Ebn-'Abd-en-
Nour-el-Hamîri , de Tunis.
Ce livre assigne pour origine aux Berbères musulmans voilés qui
habitent l'espace compris entre Ghadàmès et Tademekka (espace de
quarante jours de marche) les tribus de Lemtoûna, Massofifa et autres.
Ebn-Khaldoûn est plus explicite encore.
Les Molâthemîn ou les voilés, dit-il, qui habitent la région stérile
au Midi du désert sablonneux, entre Barka, Ghadàmès, à l'Orient, et
l'Océan Atlantique, à l'Occident, proviennent des tribus de Guedàla,
de Lemtoûna, de Oiitzila, îîe Tàrrja, de Zegâoua et de Lemta, tous
descendants des Sanhâdja de seconde race.
Ainsi les Târga ou Touareg modernes sont Sanhâdja, c'est-à-dire
de la race de ces Almoravides Lemtouniens qui, selon l'expression
d' Ebn-Khaldoûn , « après avoir soumis le désert et forcé les nègres à
•
ORIGINE. 325
devenir musulmans, fonda un Empire en Espagne et dans le Nord
de TAfrique, et, épuisée à force de dominer, consumée dans de loin-
taines expéditions et ruinée par le luxe, disparut exterminée par les
Alraohades, » sauf les fractions restées dans \e désert et représentées
aujourd'hui par les Touareg, dans le Sahara central, par les Maures
de la côte de l'Océan Atlantique, débris de ces Sanhâdja qui ont
donné leur nom au Sénégal.
Ebn-Khaldoûn nous éclaire encore sur beaucoup d'autres points.
«Les Sanhâdja, d'après lui, forment la majeure partie de la popu-
lation de l'Afrique occidentale, au point que bien des personnes les
regardent comme formant le tiers de toute la race berbère.
« Primitivement ils occupaient la presque totalité du littoral médi-
terranéen.
« De temps immémorial, — bien des siècles avant l'islamisme, —
les voilés parcouraient la région qui sépare le pays des Berbères de
celui des Noirs, » c'est-à-dire le plateau central du Sahara, entre le
bassin de la Méditerranée et celui du Niger.
(( Ils ne cessèrent de se tenir dans ce pays et de le parcourir avec
leurs troupeaux qu'après la conquête de l'Espagne par les Arabes,
moment où ils abandonnèrent le magisme pour embrasser l'isla-
misme. » C'était dans le troisième siècle de l'hégire.
« D'abord les Sanhâdja se rangèrent parmi les clients de la famille
d"Ali-ben-Abî-Tàleb , gendre de Mohammed, mais leur conversion
fut suivie de retours fréquents au paganisme.
« Ce fut un missionnaire de Sédjelmâssa, envoyé par Aggâg, de la
tribu de Lemia, » — probablement celui dont les nobles des Ahaggâr
prétendent descendre, — « qui les ramena dans la bonne voie en leur
enseignant la vraie religion.
«Au iv** siècle de l'hégire, un des plus illustres de leurs rois,
Tinezwa, étendait sa domination sur une région longue de deux
mois de marche et large d'autant. Vingt rois nègres reconnaissaient
son autorité, mais, sous ses fils, l'unité de la nation sanhâdjienne
se brisa, et chaque tribu, chaque fraction de tribu eut un roi. »
Dans le milieu du vui" siècle de l'hégire, à l'époque où Ebn-
Khaldoûn écrivait son Histoire des Berbères, « les Sanhàdjiens porteurs
du voile, soumis à l'autorité du roi des Noirs (Mâlek-es-Soûdân), lui
payaient l'impôt et fournissaient des contingents à ses armées. »
Ce roi des Noirs doit être le sultan de Gôgo qui détruisit la ville
328 TOUAREG DU NORD.
Màzigh des généalogistes et des Maz^es ou Maziqfies de l'antiquité,
je dirai que désornaais Tétude de la langue temâhaq, comparée aux
autres langues africaines et asiatiques, peut seule jeter quelque lu-
mière dans la question.
En vue de fournir mon faible contingent à ces recherches, j'ai
recueilli, avec le soin le plus scrupuleux, toutes les inscriptions, tant
anciennes que nouvelles, en caractères tefinagh, que j'ai trouvées sur
les rochers , et j'ai réuni, en un vocabulaire, environ 1,500 mots de
la langue temâhaq, surtout de ceux dont j'ai pu contrôler la véritable
signification , et j'ose espérer que ce travail ne sera pas sans quelque
utilité pour établir la filiation anté historique des Touareg modernes.
D'un autre côté, M. le docteur Barlh , qui a longtemps vécu
parmi les Touareg du Sud, a recueilli un riche vocabulaire du dia-
lecte temâcheq, dialecte aussi étudié par M. le chef de bataillon
Hanoteau K
Avec ces éléments modernes, comparés avec les éléments anciens
de l'inscription bilingue de Thugga, dont la partie gauche reproduit
la presque totalité de l'alphabet teviâhaq ou temâcheq, il est impos-
sible qu'on n'arrive pas prochainement à rattacher les Imôhagh et
leur langue à l'une des souches primitives de l'antiquité.
1. Essai de grammaire de la langue temâchek\ par M. A. Hanoteau, chef de
bataillon du génie. (Paris, Imprimerie impériale , iSCO.)
M. Hanoteau écrit femàchek* par un k suivi d'un accent; j'ai préféré représen-
ter la môme lettre de récriture teflnagh par un q. Voilà la raison des différences de
transcription , l'orthographe du mot restant la même.
CHAPITRE II.
DIVISIONS ET CONSTITUTION SOCIALE.
Les Touareg du Nord se divisent en deux grandes sections : les
Azdjer à l'Est, les Ahaggâr à l'Ouest.
Les Ahaggàr, je l'ai déjà dit, sont les Hoggàr des Arabes et des
Européens.
Chacune des deux sections se subdivise en tribus.
Les unes sont nobles et prennent le titre de ihaggâren; les autres
sont serves et placées dans la dépendance absolue des nobles; on les
appelle imrliâd. Quelques-unes ne sont ni nobles ni serves, mais
rayonnent dans le cercle d'action d'une tribu noble à laquelle elles
payent impôt ; d'autres, enfin, sont des tribus de marabouts rem-
plissant le rôle de modérateurs, de conciliateurs et d'instructeurs,
rôle important au milieu d'une société qui n'est soumise à aucune
forme de gouvernement régulier, mais qui, grâce à une certaine
force de cohésion, traverse la série des siècles, sans subir de modi-
fications sérieuses, malgré ses nombreuses pérégrinations, ses
guerres intestines et les luttes qu'elle a dû soutenir pour conserver
son indépendance.
Dans la section des Azdjer, les tribus nobles sont :
Les Imanân ,
Les Orâghen ,
Les Imanghasâten ,
Les Kêl-Izhabân,
Les Imettrilâlen ,
Les Ihadhanâren.
Les tribus de marabouts sont :
Les Ifôghas,
Les Ihôbaouen.
330 TOUAREG DU NORD.
Les tribus mixtes sont :
Les Ilemtln,
Les Kê)-Tln-Alkoum.
J'indiquerai les noms des tribus serves au chapitre suivant en fai-
sant l'historique des tribus nobles auxquelles elles appartiennent.
Dans la section des Âhaggâr, il n'y a que des nobles et des serfs.
On pourrait considérer comme tribus mixtes celles qui habitent les
villages du Touât, mais elles ne sont plus considérées par les Touareg
comme faisant partie de leurs confédérations.
Primitivement, les Âhaggâr ne constituaient qu'une seule tribu,
celle des Kél-Ahamellen ^ divisée en un grand nombre de filetions :
mais l'accroissement de la population , l'obligation de se disperser
sur d'immenses espaces pour assurer la subsistance des troupeaux,
probablement aussi la rivcilité de familles à fattailles, ont amené les
fractions de la tribu tnère à se constituer en tribus indépendantes,
et aujourd'hui, au lieu d'uhe seule tribu, on en compte quatonse,
savoir t
Les Tédjéhé-Mellen,
Les Tédjéhé-n-oû-Sîdi,
Les Ennîtra,
Les Tàïtoq,
Les Tédjéhé-n-Eggali,
Leslhembà,>^>-^"^^^^^^
àbà, j
Kôl-Tahât,
Les Kêl-Rhelà ,
Les Irhechchoûmen,
Les Tédjéhé-n-Esakkal,
Les Kêl-Ahamellen,
Les Ikadéen,
Les Ibôguelân,
Les Ikerremôïn.
Comme pour les Azdjer, je ferai connaître, au chapitre suivant, les
tribus serves de la dépendance de chaqut trilm oob^i
De la division des tribus je passe à quelques considëffitions géné-
rales sur chacun des organes constitutifs de cette société»
DIVISION* ET CONSTITUTION SOCIALE. 331
Du Pùuvoit «otttwfdin. ^ AmanOkal et, Àtnghâr.
Il y a environ deux siècles, une famille, réunissant à la noblesse
de race la hoblesse religieuse des chorfa, celle des Imanàn, dominait
au dessus des Azdjer et des Àhaggâr, nobles, marabouts et serfs,
et son chef* sous le titre (ïamanôkal^, nom berbère synonyme de
sultan, représentait le roi d'une monarchie féodale.
Par suite d'une révolution, les Imanân, vaincus par leurs sujets,
(avec le concours d'un élément étranger, les loûrâgheli, sont, depuis,
réduits à l'état de simple tribu noble, et les deui groupes des Azdjer
et deB Ahaggâr, constitués en confédérations aristocratiques, recon-
naissent l'autorité supérieure de cheikh héréditaire^ , sous le nom
d'amghâr, synonyme de cheikh.
Malgré sa déchéance, l'héritier du litre d'amanôkal continue à le
porter, et on le lui accorde par déférence pour sa qualité de chérîf,
mais ce titre est purement nominal. Aujourd'hui, les deux amghâr
exercent dans chacune des deux confédérations les pouvoirs autrefois
dévolus à l'unique souverain.
(iCS pouvoirs, on le comprend, ne sont définis par aucune charte,
et ils varleht, dans les limites de la loi musulmane, suivant l'auto-
rité ou le crédit personnel dont jouit Vamghâr.
De$ NMts.
Les nobleë, ihaggârerii sont seuls en possession des droits politiques
dans la confédération et seuls ils exercent le pouvoir dans la tribu*
Tous* dès qu'ils ont atteint leur grande majorité, Sont appelés à
faire partie des mia^âd^ oU assemblées, dans lesquelles se discutent
les intérêts communs.
Un seul* dans là tribu, par une sorte de droit d'aînesse spécial,
gouverne et administre, avec ou sans le conoourls des autres membres
de sa famille^
L'occupation ordinaire des nobles est de faire la police du terri-
toire de la tribu, d'assUrer la sécurité des routes, de prot^er les
caravanes de leurs clients, de veiller sur l'ennemi , de le coknbéttre
1. Mot à tnM c amà péè^^sMùt H du, aktti pays.
332 TOUAREG DU NORD.
au besoin, et, au cas d'une guerre qui appelle tout le monde sous les
armes, nobles et serfs, de prendre le commandement des serfs.
Tout travail manuel est considéré par les nobles comme indigne
de leurs seigneuries; ils seraient même disposés, en leur qualité de
gentilshommes, à n'apprendre ni à lire ni à écrire, si l'obligation de
suppléer par la correspondance aux relations orales, que l'espace à
parcourir rend souvent impossibles, n'imposait au plus grand nombre,
nobles ou serfs, hommes ou femmes, la nécessité de la lecture et de
l'écriture.
D'ailleurs, la vie des nobles est loin d'être inactive, car, pour
remplir les devoirs qui leur incombent, ils sont toujours par voies et
par chemint, par monts et par vaux. L'espace que chacun d'eux par-
court dans une année dépasse tout ce que l'imagination la plus
féconde peut supposer. Chez les Touareg, une femme franchit à mé-
hari 100 kilomètres pour aller à une soirée, et un homme sera quel-
quefois dans la nécessité de voyager vingt jours pour aller à un mar-
ché. L'immensité du désert dévore la vie des nobles.
Des Marabouts.
Les marabouts, inislimin, sont des nobles qui ont abdiqué tout
rôle politique dans la gestion des affaires des confédérations pour
conquérir une plus grande autorité religieuse, autorité nécessaire
dans une société où la justice n'est représentée par aucun pouvoir et
où la loi de la force est souvent la seule invoquée, où enûn l'instruc-
tion publique, civile ou religieuse, serait délaissée sans leur puissante
intervention.
Les marabouts, chez les Touareg, sont donc à la fois ministres
de la religion, ministres de la justice et ministres de l'instruction
publique.
Prêtres, ils veillent au maintien de l'orthodoxie musulmane et
prêchent la vertu et la morale par l'exemple de leur vie autant que
par leurs paroles, car, chez les nomades, il n'y a ni mosquées ni lieux
de réunion pour la prédication.
Juges, ils interviennent, comme amiables compositeurs, dans
toutes les querelles d'individu à individu, de tribu à tribu, de confé-
dération à confédération, de Touareg à étrangers. Souvent ils sont
assez heureux pour faire entendre le langage de la saine raison , mais
DIVISIONS ET CONSTITLTIOIS SOCIALE. 35S
ils n'ont d'autre pouvoir que celui d'hommes à l'estime desquels on
tient généralement.
Professeurs, ils enseignent, suivant le degré de leur instruction,
tout ce qu'ils savent eux-mêmes : la lecture, récriture, le Coran, aux
enfants; l'histoire, le droit, la théologie, l'astronomie, le calcul, à
ceux qui se constituent leurs disciples, telâmid, et, par ces disciples,
marabouts comme eux de naissance, ils font pénétrer l'enseignement
dans toutes les classes de la société.
A la différence des marabouts arabes, qui attendent leurs clients à
domicile, les marabouts des Touareg, pour peu qu'ils veuillent exercer
de l'influence sur leurs contribules*, sont obligés, comme des mis-
sionnaires, de se rendre partout où leur intervention est nécessaire.
Un marabout, le Cheikh-'Othmàn entre autres, est souvent forcé
d'être, pendant des mois, des années entières, absent de sa zàouiya.
Ne l'a-t-on pas vu venir en France chercher à établir de bons
rapports entre nous et les peuplades dont il est le chef religieux I
Dans une sociiié comme celle des Touareg, sans l'intervention des
marabouts dans tous les actes de la vie privée et publique, le désordi^e
et l'anarchie n'auraient plus de limites. Des hommes qui remplissent
' la mission si difficile de maintenir dans les bornes du devoir un élé^
ment aussi mobile et aussi passionné méritent, au plus haut degré,
la considération de toutes les personnes de cœur de toutes les reli*
gions et de toutes les civilisations. Aussi le gouvernement français
doitril être félicité d'avoir accueilli le Cheikh-'Othmân et ses deux
disciples, avec la distinction dont il les a entourés pendant leur voyage
en France, et je ne doute pas que la bienveillance dont ces ma-
rabouts ont été l'objet ne produise les meilleurs effets chez les
Touareg.
Une leçon du Cheikh-'Othmân à ses disciples, à sa sortie des Tui-
leries, mérite d'être consignée ici :
a Chacune des religions révélées, leur dit-il, peut élever la pré-
tt tention d'être la meilleure: ainsi, nous, musulmans, nous pouvons
a soutenir que le Coran est le complément de l'Évangile et de la
« Bible, mais nous ne pouvons contester que Dieu ait réservé pour
(c les chrétiens toutes les qualités physiques et morales avec lesquelles
« on fait les grands peuples et les grands gouvernements. »
i. Contribule , de la même tribu. Ce mot a pour les tribus la même valeur que
le mot concitoyen pour les habitants de la même ville.
S3ft TOUAREG DU NOBD.
Cette Femargue. dans ia bouche d'ua oif^abauti oms^vd^, révèle
une haute philosophie en même temps qu'une instruction solide: ear
les fanatiques n'admettent, pour les chrétiens, de supériorité que par
rintervention du diable, et seulement pour égarer les mMSulmans.
Des Tribus mixtes.
Je donne ce nom, à défaut d'autre, à des tribus qui ae sont ni
nobles, ni serves, mais qvii achètent cependant la liberté en payant
un impôt aux nobles.
Cet impôt est celui de la gharâma, qui existait autrefois ea Algérie
sous la domination des Turcs.
Cette classe correspond à celle des ra'aya de l'Orient.
Dês Serp.
J'ai longtemps hésité à traduire le mot amrhid, pi. imrhâd, par le
mot français serf, par la raison que les Touàrçg, à défaut d'un laot
spécial, traduisent le mot temàhaq amrhid^ par oelui de ra*0Ufa en
arabe, lequel correspond au mot sujei de aotr^ langue : mais V\^^ '
tation a cessé a partir du moment où j'ai su que les tribus mixtes
représentaient les vrais ra'aya et que la religion musulmane défen-
dait aux marabouts d'avoir des imrhâd.
Le ra'aya des Arabes et des Turcs est un sujet, plus ou moins cor-
véable, plus ou moins contribuable, mais ce n'est qu'un ra'aya poli-
tique, tandis que ramrhîd est un ra'aya social, c'est-rà-dire un serf
dans la pire acception du mot, serf duquel on peut exiger non-seuler
ment des corvées et des contributions, mais encore Tabandoii aJi^Iii
de tout ce qu'il possède.
En droit, l'amrhîd plaidant devant u^ kâdhi contre son maître
ne lui doit rien, parce que la loi musulmane, qui admet l'escla-
vage, repousse l'inféodation de l'homme à l'homme : mais^ en fait,
chez les Touôreg, l'amrhîd doit tout, parce que, dans ce pays, l'auto-
rité du sabre remplace souvent celle de la Icii.
Cependant, avec le droit de la force, comme avec tous les autres
droits, il y a des accommodements.
Dans la pratique ordinaire, le droit du maître restant absolu sur
les biens du serf, le maî|r^ aime guç! le §ç^f soit riçh^ ^ a^g^m, ep
DIVISIONS FÎT CONSTITUTION SOCIALE. âlfl
troupeaux, en eficlaves, en jnobilier, et il lui laisse toute liberté pour
arriver à la fortune, parce qu'il sait devoir trouver )à, en cas de
besoin, des ressources qui ne lui seront pas refusées, mais dont il
n'usera qu'aveo discrétion pour ne pas décourager le serf, pour ne pas
tuer la poule aux œufs d'or.
Le noble, je l'ai déjà dit, ne se livre à aucun travail manuel ; sa
grande occupation est d^assorer la séeurité des routes au proQl du
commerce.
 répoque des récoltes, il se rapproebe des eaais habitée^ par les
commerçants doat il protège le$ intérêts) là, ses clients lui font une
part sur les produits de leurs jardins, et il vit temporairement dç
cette Ame.
A l^poque où les caravanes marcbenl, il oampe sur tes routes et
il se nourrit des dMfa que lui offrent les voyageurs.
Entre temps, il vieat s'^installer ches ses serfs, et oeux-^çi Talir
mentent.
F^r ces demierii, exolosivemeal oeoupés de pourvoir à leurs pro-
pres besoins, et d^ailleurs beaucoup plus nombreux que les nobles,
la charge est lourde, sans doute, car le pays est pauvre, mais eUe
n^exoède pas leurs forces.
Parfois t quand le noble a perdu ses chameaux, soit par excès ëe
fatigue, soit par manque de nourriture, il se remontera chez ses
serilB, et ces derniers trouveront cet impôt presque légitime: car., si les
nobles usent des chameasx pour assurer la séourité du pays, les
serfs n'ont guère d'autre besogne sérieuse que d*en élever, et , pour
eela, l'espace leur est abandonné en pacc^ge, et ils savent toujours
ehoîsh*, pour y conduire leurs troupeaux, les vall^ les plus ptantit^
reuses.
Les redevances ordinaires ées imrbàd envers leurs miû^res ooDsis»
tent à leur donner annuellement un chameau , une botta ou pot de
beurre, à leur réserver le lait de dix brebis ou chèvres et à garder
leurs troupeaux. De cette fonction spéciale leur esc venu le surnom de
kilrêéUh gens de bétail.
Il feut bien que les nobles n^abusent pas trop de leurs serb, car
il en est qnelque-uns plus riches que leurs maîtres. De ce non^bre
est un nommé Ël-Hàdj -Mohammed, die la tribu des Iworworen, serf
de r^mîr Ikbenoûkhen, dont la fortune est égale à celle de son
nM^tre, incontestablement le plus riobe des Touareg du Nord. Ce
336 TOUAREG DU NORD.
Hâdj-. Mohammed, qui doit sa position à^son kiteUigence, est très-
coDsidéré, et il n'est pas rare de voir Ikhenoûkhen prendre ses con-
seils.
Le serf se transmet par héritage ou donation, mais ne se vend
pas , condition qui le distingue de l'esclave.
Quelle est l'origine de l'asservissement des imrhâd?
Plusieurs réponses sont faites à cette question.
Chaque noble possède, suivant sa fortune, un nombre plus ou
moins considérable d'esclaves noirs qui souvent, à la mort dé leurs
propriétaires, sont affranchis. C'est une œuvre pie chez les musul-
mans. Dans la société targuie, l'esclave affranchi nç peut trouver à
louer ses bras pour vivre; fatalement il est amené à transformer son
affranchissement en servage , car souvent son retour dans sa patrie
est impossible. Ainsi se recrutent journellement les tribus d'imrhâd
noirs désignés sous le nom d*ikelân.
Les imrhàd blancs sont de même origine que les autres Touareg
et proviennent de tribus congénères asservies par la force des armes,
ou qui ont réclamé le protectorat des nobles.
Quelques-uns attribuent le servage à la position exceptionnelle de
la femme chez les Touareg. Les extrêmes se touchent, et souvent ,
comme dit le proverbe, le mieux est l'ennemi du bien.
Chez les Berbères sahariens, la femme dispose de la plus grande
partie de la richesse. Or, il s'est trofivé, dans les temps anciens, dit
la tradition , des femmes non mariées possédant de nombreux trou-
peaux, et qui, dans l'impossibilité de les défendre par elles-mêmes
Contre le vol et le pillage, ont réclamé le protectorat de familles prin-
cières et ont consenti à leur payer tribut. Plus tard, ces femmes se
sont mariées et leurs enfants ont constitué le noyau des premières
tribus serves.
Mais ce ne peut être qu'une des origines nombreuses du servage.
Dans V Histoire des Berbères d'Ebn-Khaldoûn , l'exemple de l'asser-
vissement des vaincus ou de leur réduction en servage est souvent
mentionné. Si le servage ne s'est pas maintenu comme fait plus gé-
néral dans l'Afrique septentrionale , c'est qu'il a été aboli ,• comme
chez les marabouts Touareg, au nom de la morale islamique.
Mais les Touareg ne sont pas les seuls à ^voir des serfs : les Ou-
làd-Bâ-Hammou , Arabes nomades du Touât , ont aussi des imrbâd ,
DIVISIONS ET CONSTITUTION SOCIALE. 337
les uns Arabes, les autres Berbères. Il est vrai de dire que les Oulâd-
Bà - Hammou , comme les Touareg , appartiennent à une confédéra-
tion indépendante de tout gouvernement régulier.
Au Nord du Sénégal aussi, plusieurs tribus arabes ou berbères
tiennent sous leur dépendance d'autres tribus dont l'état social me .
paraît correspondre à celui des imrhâd chez les Touareg*
D'après les hommes les plus éclairés dont j'ai pris l'avis, le ser-
vage, pour quelques tribus imrhâd des Imanân, daterait du règne
du dernier amanôkal, Gôma, qui tuait impitoyablement ceux qui
résistaient à ses volontés, et qui, pour ses méfaits, fut tué lui-même
par Bîska , l'un des principaux chefs des Azdjer.
Déjà, à cette époque, la réduction des faibles en servage parais-
sait un fait tellement monstrueux, tellement contraire à la morale du
Coran , qu'un homme de haute lignée n'a pas craint de se dévouer
pour débarrasser son pays d'un tel monstre.
Quant aux autres imrhâd , leur asservissement est antérieur à la
conversion des Touareg à l'islamisme, ou doit dater de la dispersion
des Kêl-es-Soûk par le roi de Gôgo.
On comprend qu'alors des familles faibles, étrangères au métier
des armes, et voulant échapper à la mort ou à l'esclavage qui les
attendait en tombant au pouvoir du roi noir et païen , aient acheté la
protection des nobles en se constituant leurs serfs.
D'ailleurs , font remarquer les nobles , la plupart des imrhâd ont
eu pour mères des esclaves noires; s'ils fussent restés dans la condi-
tion que leur créait le ventre de leurs mères , d'après la coutume
targuie, ils auraient dû être esclaves. En devenant serfs, ils ont con-
quis la liberté personnelle et ont pu épouser des femmes blanches , ce
qui est à la fois un grand avantage et un grand honneur pour eux.
L'enfant, chez les Touareg, suit le sang de sa mère;
Le fils d'un père esclave ou serf et d'une femme noble est noble ;
Le fils d'un père noble et d'une femme serve est serf;
Le fils d'un noble et d'une esclave est esclave.
u C'est le ventre qui teint l'enfant, » disent-ils dans leur langage
primitif.
Et, ajoutent-ils, «l'amrhîd, quels que soient son intelligence,
son instruction, son courage, sa force, sa richesse, ne peut s'affran-
chir du servage.
338 TOUAREG DU NORD.
« Il ne peut ni se racheter, ni fuir, car son maître a sur lui un
droit imprescriptible. »
Cependant , quand il y a mélange successif et prolongé de sang
noble avec le sang serf dans la même famille, on admet que l'amrhld
puisse devenir un demi-noble. On en cite quelques rares exemples.
En général, les imrhâd sont aussi fiers d'être Touareg que les
nobles, et, pour défendre l'honneur de leur nom, ils font merveille
quand ils sont appelés au combat, surtout quand ils se battent contre
les Arabes, ces grands mangeurs, qu'ils accuseraient volontiers d'af-
famer la terre , tant ils envient même leurs plus modestes repas.
On a écrit que les imrhâd, par mesure de prudence, n'étaient
pas armés , et que jamais ils n'étaient appelés à combattre, dans la
crainte qu'ils n'apprissent à tourner leurs armes contre leurs maî-
tres.
C'est le contraire qui est presque la vérité, car tous les imrhâd ont
le sabre, la lance, le poignard, le bouclier, et quelques-uns même
des'fusils achetés, quand les nobles n'ont que des fusils donnés.
Dans toutes les guerres, les imrhâd sont les premiers en avant, et
ils se croiraient déshonorés si on ne les appelait à défendre la cause
de leurs maîtres.
Souvent ils entreprennent des rhezî pour leur compte ou avec le
concours des nobles, et, dans ces expéditions périlleuses, ils se mon-
trent audacieux comme des hommes qui ont à racheter leur infé-
riorité sociale par une supériorité dans la profession qui a ennobli
leurs maîtres.
Quand des contestations s'élèvent entre des tribus imrhâd , elles
les vident les armes à la main.
M. le commandant Hanoteau , dans son Essai de grammaire temâr
chek\ raconte longuement une querelle entre les Isaqqamâren et les
Kêl-Ouhât, deux tribus serves du Ahaggâr.
La tradition n'a transmis la mémoire d'aucun fait ressemblant à
une coalition des serfs contre leurs maîtres , quoiqu'il y ait parfois
des actes de rébellion d'individus assistés des membres actifs de leurs
familles. Mais le respect du maître est si grand que , par l'interven-
tion des autres imrhâd, tout rentre bientôt dans l'ordre.
On cite le cas d'un amrhîd, maltraité par son maître, qui alla se
plaindre à Tripoli. 11 y a longtemps de cela. Le sultan de cette ville,
DIVISIONS ET CONSTITUTION SOCIALE. 339
croyant à une révolte des serfs qui lui permettrait d'avoir raison des
nobles Touareg, envoya contre eux une armée, laquelle arriva jus-
qu'à Djânet. On lui permit de mettre à mort le coupable, et l'armée
rentra à Tripoli. Les descendants du noble et de l'amrhîd, acteurs
dans ce petit drame, existent encore aujourd'hui et vivent dans de
bons rapports.
Des Esclaves,
Presque tous les Touareg nobles et riches ont des esclaves nègres
du Soudan amenés par les caravanes , et aujourd'hui vendus à vil
prix dans le pays. Quelques serfs en possèdent aussi.
Les oègres servent de domestiques, gardent les troupeaux, font
des convois; les négresses, quand elles sont des concubines, accom-
pagnent leurs maîtres dans leurs longs voyages; autrement, elles
remplissent le rôle de servantes dans les ménages et permettent aux
dames de bonne famille de vaquer à leurs plaisirs avec une liberté
que ne connaissent pas les femmes arabes.
L'esclavage, chez les Touareg comme chez tous les peuples mu-
sulmans» est très-doux et n'a rien de commun avec le travail forcé
des colonies* Dans la famille musulmane , l'esclave est traité par ses
maîtres avec les plus grands égards, et il n'est pas rare de vcir l'es-
clave se considérer comme un des enfants de la maison.
De la Femme.
S'il est un point par lequel la société targuie diffère de la société
arabe, c'est par le contraste de la position élevée qu'y occupe la femme
comparée à l'état d'infériorité de la femme arabe.
Chez les Touareg, la femme est l'égale de l'homme, si même, par
certains côtés, elle n'est dans une condition meilleure.
Jeune fille, elle reçoit de l'éducation.
Jeune femme, elle dispose de sa main, et l'autorité paternelle
n'intervient que pour prévenir des mésalliances.
Dans la communauté conjugale, elle gère sa fortune personnelle
sans être jamais forcée de contribuer aux dépenses du ménage,
elle n'y consent pas : aussi arrive-t-il que, par le cumul des produits,
ta plus grande partie de la fortune est entre les mains des femmes.
340 TOUAREG DU NORD.
A Rhàt, la presque totalité de la propriété foncière leur appartient.
Nous Tavons déjà vu.
Dans la famille , la femme s'occupe exclusivement des enfants,
dirige leur éducation.
Les enfants sont bien plus à elle qu'à son mari , puisque c'est
son sang et non celui de Tépoux qui leur confère le rang à prendre
dans la société, dans la tribu, dans la famille.
£n dehors de la famille, quand la femme s'est acquise, par la
rectitude de son jugement, par l'influence qu'elle exerce sur l'opi-
nion, une sorte de réputation, on l'admet volontiers, quoique excep-
tionnellement, à prendre part aux conseils de la tribu. Libre de ses
afctes, elle va où elle veut, sans avoir à rendre compte de sa conduite,
pourvu que ses devoirs d'épouse et de mère de famille ne soient pas
négligés.
Son autorité est telle que , bien que la loi musulmane permette
la polygamie, elle a pu imposer à l'homme l'obligation de rester
monogame, et cette obligation est respectée sans aucune exception.
Pour que la femme targuie ait pu se placer ainsi au-dessus de la
loi, de la religion et des passions, il lui a fallu plus que la puissance
attractive du sexe féminin sur le sexe masculin.
Cette puissance, quelle qu'elle soit, elle l'a exercée, et les résul-
tats attestent son heureuse influence, car, dans le même milieu,
quelle différence entre la famille arabe polygame et la famille targuie
monogame !
Dans cette dernière, malgré de grands éléments de dissolution ,
la monogamie a retenu autour du foyer domestique de très-beaux
restes de ces vertus qui ont fait jadis la gloire de la race berbère.
Dans la famille arabe, au contraire, du moins dans certaines tribus
du Sahara, malgré de meilleures conditions matérielles d'existence ,
la polygamie a fait descendre assez bas le niveau de la morale pu-
blique pour que le père, avant de marier sa fille, puisse exiger
d'elle le remboursement, prélevé sur son corps, de ce qu'elle a coûté
à sa famille, et pour que la fille, déshonorée selon nous, rachetée
suivant les idées locales, soit d'autant plus recherchée en mariage,
qu'elle aura eu plus de succès dans le commerce de ses attraits. La
conséquence de ces prémices est que la femme arabe , tombée dans
la décrépitude à l'âge où la femme monogame brille de tout son
éclat, descend au rang des bêtes de somme pour servir son père, son
DIVISIONS ET CONSTITUTION SOCIALE. 341
mari, ses enfants, voîre même la femme qui l'a remplacée dans les
faveurs de l'époux et qui partagera bientôt avec elle le fardeau de la
domesticité.
Que d'enseignements découlent de ces constatations !
Dans la société targuie, le rôle du marabout et celui de la femme
semblent plutôt procéder de la civilisation chrétienne que des insti-
tutions musulmanes. Paut-il voir dans ces deux exceptions un reste
d'une tradition ancienne? Rappelons-nous que les Touareg portent ce
nom pour avoir longtemps repoussé et renié l'islamisme. Parmi eux
il y a eu lutte et lutte prolongée entre une foi antérieure et la religion
nouvelle. Mais, quelles que soient les causes de la résistance des Touâr
reg à l'islamisme, il est hors de doute que leur société exception-,
nelle, au milieu de tant d'éléments de destruction, s'est maintenue,
telle que nous la retrouvons, par la femme et par le marabout.
La civilisation française, dont nous sommes fiers à si juste titre,
n'est-elle pas aussi l'œuvre de la femme chrétienne et des évêques
éclairés du moyen âge?
CHAPITRE 111..
HISTORIQUE DES TRIBUS.
Le but de ce chapitre est de faire connaître Timportance relative
de chaque tribu, ses chefs, sa force, ses ressources, ses principaux
lieux de campement, en un mot, le rôle qu'elle joue dans chaque
confédération.
On ne s'attend pas, sans doute, à ce que je donne ici la mono-
graphie des diverses Jribus ; pareille tâche ne ponrrait être remplie,
même par l'amghâr de chaque confédération, tant l'espace occupé
par les Touareg du Nord est considérable, tant il existe de divisions
dans les différentes confédérations, tant le caractère particulier de
chaque tribu diffère, tant il est difficile, enfin, de suivre, dans leurs
pérégrinations, des tribus qui se mêlent à tout instant ou se disper-
sent de manière à ne jamais se rencontrer. Puis, chacun des groupes
se divise en plusieurs partis, et les renseignements qu'on obtient de
chaque parti rival sont souvent contradictoires. Démêler l'erreur de
la vérité dépasse les forces d'un étranger auquel on ne confie pas
tous les secrets de la vie intérieure des tribus.
4insi, quel chiffre donner à la population , quand jamais aucun
recensement n'a été fait? Quelle richesse lui attribuer, quand aucun
impôt n'est prélevé? Quel territoire assigner à chaque tribu, quand
chaque saison, chaque querelle amène des déplacements; quand,
surtout, après les pluies qui ont fécondé un territoire, toutes les
tribus s'y rendent avec leur bétail, et se mélangent entre elles
comme leurs troupeaux?
Sous la réserve de ces difficultés à surmonter, j'enti'een matière,
avec la conviction cependant d'apporter quelques lumières dans des
questions jusque-là fort obscures.
HISTORIQUE DES TRIBUS. 343
^ }*^. — CONF#.Df^.RATION DBS AZDJER.
Dans l'ordre hiérarchique des confédérations des Touareg, celle
des Azdjer me paraît occuper le premier rang , non par sa force nu-
mérique, car elle est une des plus faibles; non par sa richesse, car
elle est une des plus pauvres, mais par le degré de civilisation qu'elle
a atteint, par Tordre qui y règne, par la réputation dont elle jouit au
dehors, par l'influence légitime qu'elle exerce sur les autres confé-
dérations, par la part qu'elle prend au commerce du Sahara avec
l'Afrique centrale, enfin, par le caractère éclairé, conciliateur et ferme
en même temps des hommes qui la dirigent.
C'est par le pays das Azdjer et avec le concours de leurs chefs que
les Européens ont pu, jusqu'à ce jour, pénétrer dans l'Afrique cen-
trale et l'explorer; c'est dans le pays des Azdjer que les routes com-
merciales sont les plus sûres et les plus suivies ; c'est sous le pro-
tectorat des Azdjer que Ghadâmès, comme entrepôt, Rhât, comme
marché, ont pu atteindre le degré de prospérité que leur envient les
autres villes commerciales du Sahara; enfin, c'est par les Azdjer
seuls que l'Europe, les États du Nord de l'Afrique , communiquent
avec les autres Touareg et une partie des peuplades nègres de l'Afrique
centrale.
Cette puissance morale est le résultat, du moins dans ces deux
derniers siècles, de la prépondérance politique des Orâghen dans la
confédération, et aussi de l'influence religieuse des marabouts Ifô-
ghas sur tout ce qui les environne. Le voisinage des populations
sédentaires de Mourzouk, de Rhàt, de Ghadâmès, de cette dernière
ville, surtout, l'un des plus anciens foyers de civilisation dans le
Sahara, a contribué puissamment à préparer la facilité des relations,
qui est le caractère dominant des Azdjer.
Dans cette confédération, il y a lieu aussi à signaler une tendance
à la stabilisation : ainsi les Touareg Fezzaniens sont tous sédentaires,
vivant de la vie des Oasiens, dans des villages entourés de forêts de
dattiers; les habitants de Rhàt sont d'anciens nomades, de même
ceux d'El-Barkat et de Djànet, petites villes situées au Sud de Rhàt; à
Ghadâmès, les Touareg ont, extra miAros, un faubourg qui leur ap-
partient. La seule zàouiya bâtie dans l'immensité des parcours des
Touareg, celle de Timâssanîn, est sur le territoire des Azdjer, et il ne
344 TOUAREG DU NORD.
faudrait pas faire beaucoup d^efforts pour décider le Cheikh- Othmân
à donner plus d'importance à ses constructions.
Parmi les nomades mêmes, on remarque que leurs tribus tendent
à se renfermer dans des limites définies de territoire, ce qui n'a pas
lieu, au même degré, dans les autres confédérations, car déjà les
imrhâd des Azdjer semblent rechercher des résidences fixes qui leur
permettent de donner plus de développement à la culture.
Le maintien de la paix, l'appui moral que le gouvernement de
l'Algérie donne aux principaux chefs des Azdjer, l'introduction de
quelques appareils de sondage artésien , contribueront puissamment
à développer, dans les limites du possible, ces tendances à la stabi-
lisation.
Tribu des Imanân,
Imanân signifie sultans. En effet, jadis la famille des Imanân
tenait sous son autorité souveraine tous les Touareg du Nord.
Rhât était le lieu ordinaire de la résidence du sultan , et la tribu
des Imanghasâten formait la garde et la force armée de cette famille.
11 y a deux cents ans environ régnait l'amanôkal Gôma. Ses pré-
décesseurs avaient désolé le pays par des guerres intestines et ruiné
le commerce de Rhât par des avanies faites aux caravanes, qui fré-
quentaient son marché.
Gôma, plus injuste que ses devanciers, voulut, à leur imitation,
anéantir ou réduire en servage ceux de ses sujets qui n'acceptaient
pas son despotisme sans protestation.
De ce nombre, entre autres, était un petit essaim des Orâghen \
venant du Niger et depuis peu arrivé dans le pays.
En leur qualité d'étrangers, ces Orâghen étaient principalement
l'objet des persécutions de Gôma , mais ils étaient braves et pouvaient,
au besoin, compter sur l'appui de leui's contribules, voisins de
Timbouktou. Ils ne se laissèrent pas entamer.
Cependant la mesure de l'iniquité fut bientôt à son comble et la
mort de Gôma résolue par ses malheureux sujets.
1. Le nom de la partie de cette tribu restée sur les rives du Niger est gramma-
ticalement un peu différent : il s'écrit et se prononce hûrâghen.
HISTORIQUE DES TRIBUS. 345
Bîska, l'un des nobles des Azdjer outragés par le roi, le tua, aux
applaudissements de ses victimes.
Sur ces entrefaites arriva un chef des loûrâghen du Niger, du nom
de Mohammed-eg-Tînekerbâs, homme de guerre, juste et estimé, qui
venait à Rhât demander réparation de dommages causés à ses frères,
devenus Azdjer, et à d'autres loûrâghen du Sud, appelés sur le marché
du Rhât pour affaires de commerce.
Dieu aidant, il acheva de renverser la dynastie des Imanân, fort
compromise par l'assassinat de Gôma et généralement détestée de
tous les Touareg.
Cette révolution sera racontée, ci-après, daps ses détails légen-
daires.
De cette époque date la séparation des Ahaggâr et des Azdjer en
deux confédérations indépendantes.
Cependant les Imanân continuèrent à donner à leur doyen d'âge
le vain titre d'amanôkal.
Les successeurs de Gôma furent :
Mahâoua, réputé un géant*,
Ouân-Alla,
Hamma,
Jebboûr,
Mohammed-eg-Jebboûr, l'amanôkal actuel.
Chez les Imanân, pour hériter du titre d'amanôkal, il faut être
issu de père et de mère originaires de la tribu.
Les Imanân ont la prétention d'être chérîfs : mais quelle est la
famille africaine un peu puissante et un peu ancienne qui ne reven-
dique pas l'honneur de descendre du Prophète?
Là Note de Brahîm-Ould-Sîdi sur l'origine des Touareg, analysée
au chapitre I*' de ce livre, leur accorde cette descendance; tous les
Touareg sont unanimes pour la leur reconnaître, et c'est à cette con-
sidération que les anciens sujets des Imanân leur portent encore
quelque respect. Je ne leur contesterai donc pas le seul mérite qui
leur reste.
1. A Gbadàmès, dans le quartier de Ttn-Guezzîn, un clou planté dans le mur
indique à quelle hauteur arrivait la tête de Blahàoua quand il se tenait debout.
346 TOUAREG DU NORD.
Aujourd'hui il n'y a plus que cinq hommes Imanân, mais beau-
coup de femmes.
Ennemis naturels d*Ikhenoûkhen, coupable, à leurs yeux, d'avoir
usurpé un pouvoir qu'ils ont laissé tomber de leurs mains impuis-
santes, les Imanàn sont le centre de toutes les intrigues contre ce
grand chef, et conséquemment contre l'influence française. Heureu-
sement, ils ne jouissent pas de grand crédit dans le pays, quoiqu'ils
aient encore conservé le tambour, tqbol, symbole de leur ancienne
royauté.
Rois fainéants, les cinq représentants de cette race déchue mè-
nent la vie sédentaire des Arabes, comme s'ils n'étaient pas Touareg,
habitant tantôt à Rhât, où ils négocient avec El-Hâdj-el-Amîn la ces-
sion du pays aux Turcs, tantôt à Djânet, où ils se trouvent au milieu
de leurs serfs.
Comme moyens d'existence, les Imanân ont les redevances de
leurs serfs et les coutumes de leurs clients étrangers.
Leurs serfs sont :
Les Ibattanâten,
Les Ikourkoumen,
Les Ikendemân,
Les Kél-el-Mîhân,
Les Kêl-Ahérêr.
A l'exception des Kêl-Ahérêr qui habitent d'une manière fixe le
village d'Ahérêr, à la tête de l'Ouâdi-Tikhâmmalt, les autres serfs des
Imanàn cultivent et parcourent, partie dans le Tasîli, chez les Azdjer,
partie chez les Kêl-Ahamellen, dans le Mouydîr.
Leurs ikelân, serfs noirs, sont également répandus sur les terri-
toires des deux grandes sections des Touareg du Nord, mais surtout
dans le Ahaggâr, témoignage de leur ancienne autorité sur les Ihag-
gâren aussi bien que sur le^ Azdjer.
Les Imanân ont encore en commun avec les Orâghen les tribus
serves suivantes :
Izedjazâten,
Kêl-Djânet,
Kêl-Farhî,
Kêl-Tamelrhik,
Kêl-Tazoùlt.
HISTORIQUE DES TRIBUS. 347
Djânet est un village important, au pied du versant Sud du
Tâsîli, sur TOuâdi-Titsîn, affluent du Tàfassâset, à 125 kilomètres
Sud-Ouest de Rhât. Des sources y arrosent quelques cultures et des
plantations de dattiers.
Farhî, Tamelrhik et Tazoûlt sont des points de résidences fixes
d'imrhâd, où ils ont des zerâïb ou chaumières. Je ne connais pas la
position exacte de ces campements.
En leur qualité de rois déchus, les Imanân n'ont pas le droit d'en-
traîner leurs serfs à la guerre, mais, si les nobles des autres tribus
les appellent sous les armes , ces derniers doivent obéir, même mal-
gré l'opposition de leurs maîtres.
La galanterie targuie a conservé aux femmes des Imanân le titre
de timanôkalm , femmes royales, à cause de leur beauté et de leur
supériorité dans Fart musical. Souvent elles donnent des soirées où
les hommes viennent de très-loin et parés comme des mâles d'au-
truche , delîm. Dans ces soirées, les femmes chantent en s' accompa-
gnant du tambour (tobol) et d'une sorte de violon {rebâza).
Le sang des Imanân, par leurs femmes, est très-répandu chez les
Touareg ; on les recherche volontiers en mariage, en raison du titre
de chérîf qu'elles confèrent à leurs enfants.
Tribu des Oràghm,
Elle s'appelait autrefois loûrâghen.
D'après la tradition , cette tribu est originaire des environs de
Sôkna. Avant de se fixer là où nous la trouvons aujourd'hui , elle
habita successivement le Fezzân, le pays de Rhât et l'Ahâouagh, ter-
ritoire situé sur la rive gauche du Niger, à l'Est de Timbouktou.
A cette dernière station, la tribu se divisa : une fraction, celle
dont il est ici question, revint aux environs de Rhât; Fautre, la plus
nombreuse, resta dans l'Ahâouagh, où elle compte, dit-on, 1,200 com-
battants réputés pour leur valeur guerrière.
Autour de Rhât, les Orâghen eurent à conquérir l'autorité dont ils
jouissent aujourd'hui.
Voici comment la légende raconte les hauts faits auxquels ils
doivent la suprématie dans le pays :
« Il y a deux cents ans environ, vivait Mohammed-eg-Tînekerbâs,
grand seigneur des loûrâghen.
348 TOUAREG DU NORD.
w Son père était originaire de TAhâouagh et sa mère était née
dans le pays des Azdjer.
(i Eg-Tînekerbâs eut Tidée de venir visiter le pays maternel , et
comme un noble Amôhagh ne voyage jamais seul, il emmena avec l^i
des compagnons.
« En passant à Djânet, petit village appartenant aux Imanân, Eg-
Tînekerbâs y trouva une pauvre femme en pleurs, à laquelle les sul-
tans venaient de prendre son maigre dîner, et , dans ses lamenta-
tions, elle invoquait le nom de Mohammed-eg-Tînekerbâs, comme
étant le seul assez vaillant pour venger tous les aiïronts subis par les
Azdjer.
« Étonné que son nom fût connu, si loin de sa patrie, Eg-TInekerbâs
s'approcha de la femme, lui demanda la cause de son chagrin. Celle-ci
lui raconta en détail tous les malheurs de ses frères maternels. E^-
Tînekerbâs la consola.
« Les plaintes de la bonne femme rappelèrent à la mémoire du
voyageur quelques avanies dont les loûrâghen, ses contribules,
avaient été Tobjet de la part des Imanân, sur le marché de Rhât
qu'ils fréquentaient, et des plaintes récentes adressées à la tribu
métropole par une petite colonie d'Orâghen établie depuis peu chez
les Azdjer.
a Tel était alors le despotisme des Imanân, qu'un nommé Bîska
venait de tuer le sultan Gôma, et cet événement n'était pas étranger
aux motifs qui avaient déterminé Eg-Tînekerbâs à venir dans le pays
de sa mère»
(( En ce temps-là, Kôtika était le chef des Imanghasâten. Jeune, il
avait joui d'une grande réputation de bravoure et était très-considéré.
Alors il était vieux et aveugle.
u Pour lui permettre d'aller faire ses ablutions, une corde avait
été tendue entre sa maison de Rhât et son jardin, voisin de la ville,
où il y avait un puits appelé Tânout-lmanân.
« L'aveugle, guidé par la corde, se rendait à son jardin, lorsque
les loûrâghen, qui de Rhât allaient au village de Fêouet, le virent, et,
sans autre motif que celui de chercher une querelle aux Imangha-
sâten, amis et complices des Imanân, le jetèrent dans le puits.
« Une chienne, qui était dans le jardin, se mit à aboyer. Un des
loûrâghen la perça d'une lance, mais elle ne fut pas tuée sur le coup
et se sauva dans Rhât, emportant, accrochée dans son ventre, l'arme
HISTORIQUE^DES TRIBUS. 349
qui Tavait blessée, pièce de conviction qui devait révéler aux Iman-
ghasâten les noms des auteurs du crime commis.
« La ville fut bientôt en émoi , et chacun de dire : « Yoûdjer âdjen
« Orâghen tenerhîn en teydit — ce sont les Orâghen armés qui ont tué
« la chienne. » On ignorait encore la mort de Kôtika.
« Le lendemain, un homme très-redouté parmi les Imanghasâten,
et qui se nommait Edôkân , sortit de la ville et trouva la trace des
meurtriers de la chienne. 11 la suivit jusqu'au village de Fêouet.
(( Les loûrâghen , venus des environs de Timbouktou , faisaient
route pour rentrer chez eux.
« Edôkân, qui avait reconnu les voyageurs, avertit ses frères les
Imanghasâten et les Imanân, qui se mirent à leur poursuite.
<( Une rencontre eut lieu. Eg-T!nekerbâs tua de sa main Edôkân,
au pied del'arbre, azhel, encore appelé aujourd'hui Azhel-n-Edôkân.
C'est un Acacia Arabica situé près de Fêouet.
a La mort d'Edôkân jeta la terreur parmi les Imanghasâten; ils
prirent la fuite. Quant aux Imanân, ils furent battus à plate cou-
tur»
La défaite des forces réunies des Imanân et des Imanghasâten par
une poignée d'hommes est due à ce que les loûrâghen, comme tous
les Touareg du Sud, avaient quelques chevaux et des dromadaires de
race supérieure à ceux de leurs ennemis.
Et puis, sdns aucun doute aussi, les Orâghen d'Azdjer n'avaient
pas ignoré la visite d'Eg-Tînekerbâs et ses projets de vengeance, et,
en bons frères, ils étaient là, embusqués dans quelque petit ravin,
pour lui prêter appui en cas de besoin.
La légende n'entre pas dans ces détails, mais ils sont faciles à
deviner.
L'effroi causé dans le pays par une pareille victoire fut si grand
que le vide ne tarda pas à se faire.
Les Imanân, parents et alliés des souverains d'Agadez, allèrent se
placer sous leur protection.
Les Imanghasâten se réfugièrent chez les Arabes Megâr-ha, leurs
cousins, dont j'ai déjà fait connaître la station autour de l'Ouâdi-ech-
Chiati. (Voir page 276.)
Les Ihadhanâren se sauvèrent dans le pays d'Aïr, chez les Kél-
Fadây.
350 TOUAREG DU NORD.^
D'autres Touareg se rendirent au Fezzln , où ils habitent encore
aujourd'hui.
Les Kêl-Tln-AJkoum, dont le berceau est voisin d'El-Barkat, les y
avaient précédés, fuyant les injustices des Imanân : aussi ont-ils été
les premiers et sont restés les plus fidèles alliés des Oràghen.
Seuls, les habitants de Rhât, fixés au sol par le lien de la propriété
et ennemis des Imanân, restèrent dans le pays; ils s'empressèrent de
faire leur soumission à E^-Ttudcerbâs.
Ce chef, pour utiliser sa victoire et se ncieUre à Tabri des retours
offensifs, fit venir près de lui les membres de sa famille restés sur le
Niger, et quand son pouvofr fut bien assis, il autorisa les flrgitifs à
rentrer dans leurs anciens campements.
C'est ainsi que les Oràghen conquérirent le premier rang chez les
Azdjer, en réduisant les Imanân au rôle de rois sans sujets, en subal-
ternisant les Imanghasâten et en s'emparant des campements qui
commandent les positions de Rhât et de Ghadâmès, les deux clefs de
voûte de la contrée. Ils complètent aujourd'hui leur mission en cher-
chant de nouvelles destinées pour leur patrie adoptive.
Je l'ai déjà dit, il y a deux cents ans environ que cette révolution
eut lieu.
La reconnaissance a conservé les noms des successeurs de Mô-
hammed-eg-Tînekerbàs; ce sont :
Alghoùd,
Sîd-el-Uàdj-Saddîq,
llbak, '
Mohammed-eg-Amîdi ,
Integga,
Eg-es-Saghâda, père de la mère d'ikhenoûkhen ,
Akkeya,
Et-Tafrîs ,
Mohammed-Châffao ,
Mohammed-eg-Khatîta , chef actuel des Oràghen.
A la mort de Châffao, il y a environ quarante ans, Ikhenoûkhen,
(ils de la sœur aînée de Châffao, devait, d'après la coutume des Toua-
reg, hériter .du titre d'amghâr, mais il renonça à ce droit en faveur
de son cousin , Mohammed-eg-Khatîta , époux de sa sœur, ne voulant
HISTORIQUE DES TRIBUS. 351
pas se soumettre à l'obligation de rester sédentaire comme il con-
vient à un amghâr des Azdjer.
Eg-Khatîta est donc le chef couvert de l'investiture, mais El-Hàdj-
Mohammed-Ikhenoùkhen a la puissance de fait , comme il l'avait par
droit de naissance.
Ikhenoûkhen est fils d"Osmân,
Petit-fils de Dembalou,
Arrière-petit-fils de Koûsa , qui quitta les rives du Niger avec Eg-
Tînekerbâs pour conquérir le pays d' Azdjer.
Ikhenoûkhen a pour frères Edegoum et 'Omar-el-Hàdj; la seule
de ses sœurs actuellement existante est Zahra, mariée à Mohammed-
Eg-Khatîta.
Ses fils sont : Es-Senoûsi , 'Omar-el-Hàdj , Mohammed.
Il a pour filles : Fadhimàta, mariée à Sîdi-Mohammed-El-Bakkây;
Toûraout et Khadîdjet,. encore demoiselles.
Le fils de sa sœur, héritier de sa puissance, en vertu du droit
berbère local, est Ouitîti.
Les fils tf'Osmàn ont été chantés par par un poëte indigène , et
les vers consacrés à leur louange ont été cités à titre d'exemple par
M. le commandant Hanoteau, dans sa Grammaire temâchek'. J'en ex-
trais les passages suivants qui reproduisent fidèlement l'opinion des
Orâghçn et de leurs alliés sur Ikhenoûkhen et sa famille :
« Les fils d"Osmân * sont des hommes forts et braves , qui ne se
souillent pas du sang de leurs parents et ne mesurent pas le grain à
leurs hôtes, à petite mesure ou par poignée.
« Si un homme vient les chercher, ils lui font tàter du combat.
« Leurs chamelles de race ne viennent ni d'Adher, ni d'Aïr, ni de
chez les Arabes , qui paient l'impôt!!! et si l'une d'elles s'égare, ne
croyez pas que ce soit pour s'enfuir et retourner dans son pays.
« Leurs chameaux de charge ont le pied aussi large qu'un tam-
bour, et les fardeaux qu'ils portent sont comme des sommets de
montagnes.
« Ils ont des juments, avec une belle crinière, dont les reins sont
larges comme des dalles : nuit et jour elles sont sellées.
i. Les TouÀreg prononcent souvent ce nom comme s*il était écrit Hhosmàn ,
parce qulls n*ont pas dans leur langue les sons de V^cun et du tha arabe.
352 TOUAREG DU NORD.
« Dieu a réuni dans leurs méharis les qualités nécessaires pour la
course et la marche du voyage.
« Ce n'est pas d'aujourd'hui que les fils d"Osmàn brillent de cet
éclat; tout FAhaggâr et TAzdjer le savent. »
D'après ses contribules , Ikhenoûkhen est arrivé au degré de puis-
sance qu'il a atteint parce qu'il est de tous les Touareg celui qui ma-
nie le plus habilement le glaive et le bouclier. Ainsi doivent raison-
ner des hommas pour lesquels la force matérielle est tout. Quant à
moi, qui, pendant près de sept mois, ai vécu avec Ikhenoûkhen,
l'observant attentivement, je suis convaincu que les qualités de son
cœur et de son esprit, la générosité et la droiture de son caractère,
ont autant contribué à son élévation que son habileté à manier les
armes. Ikhenoûkhen a aujourd'hui soixante-seize ans, mais il sup-
porte encore les fatigues de la vie nomade comme le plus jeune de
ses fils. Tout, dans ses allures, dans sa voix, dans sa manière de
commander, révèle l'homme d'une civilisation encore barbare, mais,
au milieu des défauts inhérents à sa race , on ne tarde pas à recon-
naître en lui une grande solidité de principes, un dévouement sans
bornes à ce qu'il croit son devoir, et un respect inaltérable pour la
foi jurée.
Après l'émîr Ikhenoûkhen et l'amghâr, Mohammed-eg-Khatîta,
les principaux chefs des Orâghen sont : Djebboûr, Kelâla et Elegoui,
également Orâghen , mais d'une autre souche.
En effet, on distingue les Orâghen en grands, Oui-ldjdjeroûtenîn,
et en petits, Oui-Djezzoûlenîn.
Les fils d"Osmân sont les grands ; les autres chefs appartiennent
à la fraction des petits.
Les tribus serves des Orâghen sont :
Les Idjerâdjrtwen avec les Kêl-Tândjet,
Les Kêl-Tôberen avec les Oui-Ihaggârhenîn ,
Les Iworworen avec les Kél-Abâda ,
Les Ifilâlen ,
Les Kêl-Intoûnôn ,
Les Kôl-Arâs ,
Les Kêl-Aharhar,
Les Kêl-Errekhmet ,
Les Kêl-Djahil ,
HISTORIQUE DES TRIBUS. 353
Les Kêl-FadhnoÛD,
Les Kêl-Medak,
Les Imekkerasen ,
Les Chêt-Ihemma ,
Les Kêl-Kelouaz. •
A cette liste il faut ajouter les tribus serves qui appartiennent en
commun aux Imanàn et aux Orâghen , savoir :
Les Izedjazâten ,
Les Kêl-Djânet,
Les Kêl-Farhî,
Les Kêl-Tamelrhik.
Les Kêl-Tazoûlt.
Les nobles Orâghen parcourent les vallées des Igharghâren , de
Tikhâromalt, le pays de Mîherô et les environs de Djânet.
Leurs serfs habitent le Tasîli.
Parmi les chefs Orâghen, celui qui a le plus de serfs est Kelâla,
quoiqu'il n'appartienne pas à la famille la plus puissante.
Ikhenoûkhen abandonne aux autres membres de sa famille les
redevances des serfs, remplaçant, par le droit général qu'il s'est attri-
bué sur les Azdjer et sur les voyageurs, le droit personnel que sa
naissance lui donnait sur les serfs.
J'ai cherché, par tous les moyens possibles, à me rendre compte
de la force et de la richesse des Touareg, et je dois avouer n'être pas
arrivé à un résultat très-satisfaisant.
Cependant je suis à peu près certain des chiffres suivants :
Ikhenoûkhen, avec tous les nobles de sa famille, les Oui-Idjdje-
roûtenîn , et leurs serfs, peut avoir à sa disposition une force de
100 combattants à dromadaire.
Les chefs des Oui-Djezzoûlen!n , ayant ensemble une force à peu
près égale, la tribu en son entier, et la plus puissante des Azdjer, au-
rait environ 200 guerriers.
Pour des Européens, 200 hommes armés sont un bien faible con-
tingent. Pour le désert, c'est beaucoup, car il est peu de puits qui
puissent abreuver rapidement 200 chameaux, et, entre une étape de
puits et une autre, il y a quelquefois 200 et 300 kilomètres d'intervalle.
354 TOUAREG DU NORD.
La force des Orâghen est donc en harmonie avec les difficultés
militaires du pays.
Ikhenoûkhen est F un des plus riches des Azdjer, si même il n'est
le plus riche , et sa richesse consiste principalement en chameaux. Il
en a une soixantaine environ, sans*compter les chamelles.
Après Ikhenoûkhen, le plus puissant personnage est Tamghàr.
Pendant que j'étais là, il eut une mission de pacification à aller rem-
plir à une certaine distance. Eh bien I un étranger au pays dut lui
prêter un chameau de selle , le seul que l'amghâr possédait devant
être affecté à porter ses provisions.
Voilà un exemple de la force et de la richesse des Touareg.
Ils sont tellement pauvres , les malheureux , que souvent, quand
ils ont des courses à faire , ils doivent, pour avoir des montures ,
arracher avec la main les fœtiis du ventre de leurs chamelles, mu-
tilation qu'ils ne pratiqueraient pas, s'ils avaient des montures de
rechange.
Et cependant, telle est la valeur des Touareg, que deux grandes
tribus tunisiennes du Ncfzâoua : les Ghorlb et les Merâzig, payent
tribut, la gharâma, les premiers à Ikhenoûkhen, les seconds au
Cheikh-'Othmân, pour n'avoir pas à redouter leurs attaques.
Tribu des fmanghasàten.
Les Touareg tiennent pour un fait de notoriété publique que les
Imanghasâten descendent des Arabes Megâr-ha, qui habitent aujour-
d'hui rOuâdi-ech-Chiati , dans le pachalik du Fezzân.
Brahîm-Ould-Sîdi, dans sa Note sur les origines, d'accord avec
l'opinion générale, les dit issus des Arabes de l'Est.
Eux-mêmes avouent leurs liens de parenté avec ces Arabes et se
réfugient sur leur territoire, comme on Ta vu, dans les mauvais
jours.
Comment des Arabes ont-ils pu devenir Touareg?
La réponse à cette question est bien simple. Les Imanghasâten
constituaient le makhzen, ou force armée, des Imanân, et, pour ces
fonctions, les anciens sultans ont préféré des étrangers, et les étran-
gers ont accepté cette position en raison des avantages attachés à la
qualité de défenseurs du pouvoir.
Comme noblesse , comme puissance et comme importance numé-
HISTORIQUE DES TRIBUS. 355
rique, les Imanghasâten contre-balanceût la suprématie des Orâghen.
Eg-ech-Chîkh est leur chef . C'est un homme âgé , de haute sta-
ture et très-influent.
Dans toutes les afTaires où l'esprit de parti est en jeu, les Iman-
ghasâten sont de l'opinion des Imanân contre les Orâghen , mais à
part les questions qui réveillent d'anciennes rivalités, leurs chefs se
mettent facilement d'accord avec ceux des Orâghen.
L'un des chefs des Imanghasâten, du nom de Hatlta, aujourd'hui
décédé , a accompagné le docteur Oudney et le capitaine Clapperton
dans leur voyage de Mourzouk à Rhât, et de plus il a protégé la mis-
sion dont M. le docteur Barth faisait partie. Par ces précédents, les
Imanghasâten se considèrent les alliés des Anglais, de même que les
Orâghen et les Ifôghas, pour m'avoir protégé ainsi que M. Ismayl-
Boû-Derba, sont désignés par tous comme les amis des Français*. Il
est probable que, si la route de Rhât était ouverte au commerce euro-
péen , ces tribus prétendraient au droit respectif de prélever l'impôt
de protection sur les voyageurs de ces deux nationalités. Cependant
M. le docteur Barth constate, dans son grand ouvrage, que le chef de
la mission anglaise , pour avoir pris au sérieux le titre d'amanôkal
du doyen des Imanân et réclamé l'appui de son parti dont les Iman-
ghasâten sont les principaux soutiens, n'a pas trouvé chez les Toua-
reg les facilités d'exploration qu'ils eussent eus, s'ils avaient demandé
le protectorat des nobles Orâghen.
Les Imanghasâten se divisent en trois fractions :
Les Tédjéhé-n-Abbâr,
Les Inannakâten,
Les Tédjéhé-n-Bedden.
Leurs serfs sont :
Les Isesmodân,
Les Ikêlezhzhân ,
Les Kél-Touan.
De plus ils ont encore , comme les Imanân et les Orâghen , une
partie des Kôl-Tamelrhik.
1. Le traité de Ghadàmès confère à la famille d'Ikhenoûkhen la protection des
voyageurs français, à charge par eux d*acquitter des droits qui ne sont pas encore
déterminés.
356 TOUAREG DU NORD.
Les nobles habitent alternativement la vallée de Tikhâmmalt et le
Fezzàn.
Les serfs ont pour campement les vallées du Tasîli, dans le paj-s
d'Azdjer, et TOuâdi-el-Gharbi dans le Fezzàn.
Pendant mon séjour chez les Touareg, quelques Imanghasâten
avaient pris dans un rhezî vingt chameaux aux Oulâd-Bâ-Hammou
d*In-Sâlah. Ces derniers vinrent les réclamer. Ikhenbûkhen, Sîdi-
Mohammed, Tamghàr, le marabout Si-'Othmân et Eg-ech-Chlkh , chef
des détenteurs des chameaux, intervinrent pour faire restituer cette
prise, mais tous leurs efforts furent impuissants.
La résistance des capteurs était fondée sur ce que le propriétaire
des chameaux volés avait autrefois tué l'oncle de l'un d'eux, et qu'à
ce crime il avait ajouté l'immense injustice de payer ses coutumes,
non à l'alné des neveux, selon l'usage targui, mais à son frère cadet.
Le détenteur des chameaux pardonnait bien l'assassinat de son oncle,
crime un peu oublié , mais il ne voulait pas entendre raison sur la
violation des règles relatives aux coutumes.
Ikhenoûkhen se fâcha, renonça à maintenir l'ordre et la paix dans
le pays, et menaça d'abandonner les Azdjer à leur mauvais génie.
Le marabout Si-'Othmân jura que, si je n'étais pas là, et s'il n'avait
pris l'engagement d'être à ma disposition, il serait déjà parti pour
ne jamais revenir chez les Azdjer.
Eg-ech-Chîkh était résolu à se séparer de pillards incorrigibles ,
et à les abandonner à la vengeance de leurs ennemis.
Tous ^es grands des Imanghasâten témoignèrent de leur désir de
rendre les chameaux à tout prix.
Un mia'âd fut tenu. Nobles Orâghen et nobles Imanghasâten y
assistèrent. 11 dura toute la journée, sans solution.
Les Oulâd-Bâ-Hammou offrirent de racheter leurs chameaux à un
prix double de leur valeur; leur proposition fut repoussée.
Ikhenoûkhen passa la nuit en conciliabule, parlant de manière à
être entendu de tout le camp.
Au point du jour, furieux de voir son autorité méconnue, il sella
son dromadaire et partit pour Rhât.
Effrayés du départ de leur émîr, les Imanghasâten se décidèrent
enflnà rendre aux Oulâd-Bâ-Hammou deux chameaux et un chamillon
(hâchi).
Ainsi se termina cette grande querelle, dont j'ai reproduit toutes
HISTORIQUE DES TRIBUS. 357
les péripéties afln de permettre de mieux apprécier ce qu*est la vie
au désert.
Tribu des Kél-hbobân.
Satellite des Orâghen , cette tribu n'a pas d'importance. Ses serfs
sont les Ikelzen.
Nobles et serfs vivent sur les mômes territoires que les Orâghen.
Tribu des lmeUrU(Uen,
Cette tribu est un composé de petits groupes, ayant pour ainsi
dire renoncé à la vie politique des Touareg et vivant entre Rhât et
Mourzouk dans le Fezzân, à la manière des Fezzaniens, c'est-à-dire
plus adonnés à l'agriculture et à l'horticulture qu'à l'art pastoral.
Quoique habitant un territoire nominalement rattaché au pacha-
lik du Fezzân, les Imettrilâlen, comme les autres Touareg de la môme
contrée, ne relèvent pas du gouvernement turc.
Dans des vues politiques que je n'ai pas à apprécier ici, les Turcs
tolèrent cette situation pour n'avoir pas à lutter contre les Touareg.
Tribu des Ihadhanâren,
Cette tribu est à la fois la plus turbulente et la plus nomade des
Azdjer. Heureusement elle est peu forte, très- pauvre, mais son au-
dace supplée au nombre de ses guerriers.
Tantôt les Ihadhanâren campent dans la plaine d'Admar sur le
territoire des Azdjer ; tantôt ils vivent avec les Kôl-Ahamellen , chez
les Ahaggâr, suivant que leur conduite leur a valu l'amitié ou l'ini-
mitié des uns ou des autres.
Dans toutes les guerres entre les Azdjer et les Ahaggâr, ils ont
toujours trahi les premiers au proflt des seconds.
En 1860, dix hommes de cette tribu sont allés dans l'Azaouad ,
près de Timbouktou , à 1,200 kilomètres de Djânet , d'où ils étaient
partis, pour opérer une rhezî sur les serviteurs de la zâouiya des ma-
rabouts El-Bakkây. Leur entreprise réussit : trois cents chameaux ,
358 TOUAREG DU NORD.
disent les victimes, deux cents, disent les capteurs, sont devenus leur
proie.
C'est cet acte de piraterie qui avait amené le marabout Sîdi-Mo-
hammed-El-Bakkây chez les Azdjer pendant mon voyage.
D'abord il s'était rendu personnellement chez les Ihadhanâren ,
espérant que sa qualité de marabout et de bonnes paroles les enga-
geraient à une restitution.
A l'acte coupable qu'ils avaient déjà commis les Ihadhanâren joi-
gnirent l'insulte en offrant au marabout, pour dhîfa, la viande d'une
de ses chamelles. Cette dhîfa, ou repas de l'hospitalité , fut refusée, la
viande d'un animal volé ne pouvant pas être ludâl , c'est-à-dire per-
mise, suivant la loi musulmane. Tout ce que put obtenir le marabout
fut la restitution de sept chameaux.
Mécontent de l'insuccès de sa démarche paciflque , Sîdi - Moham-
med-el-Bakkây vint demander justice à l'amghâr des Azdjer.
Celui-ci , accompagné d'autres nobles , se rendit chez les Ihadha-
nâren, pour convoquer un mia*âd et obtenir une solution amiable à
cette affaire. Les délégués furent aussi repoussés.
Un recours aux armes étant devenu nécessaire, Sîdi-Mohammed ,
l'amghâr, envoya l'ordre à tous ses sujets, Ikhenoûkhen compris, de
se rendre à Rhât, pour de là aller reprendre aux Ihadhanâren le butin
capturé.
Mais , pendant que les Azdjer se préparaient à entrer en cam-
pagne, les Ihadhanâren se dispersaient dans le Sahara, emmenant
avec eux tout leur butin.
Cette circonstance m'a permis de connaître exactement la force
des Ihadhanâren , qui est de quarante hommes pouvant entrer en
ligne de lîombat.
Sidi-Mohammed-el-Bakkày, quoique marabout, quoique appuyé
par tous les chefs des Azdjer, dut, comme les Oulâd-Bâ-Hammou du
Touât, renoncer à obtenir justice.
Les Ihadhanâren n'ont pas de serfs. Avant le rhezî dont il est
ici question, ils n'avaient que très-peu de chameaux et peu ou pas de
troupeaux de chèvres ou de moutons.
Nobles, sans serfs, sans coutumes, ne pouvant travailler pour
vivre, leurs titres de noblesse le leur défendant, ils devaient natu-
rellement demander au vol et au pillage les moyens d'existence qu'ils
HISTORIQUE DES TRIBUS. 359
n'avaient pas autrement. En tout pays, la faim chasse le loup hors
(Ju bois. Pui3se la richesse qu'ils viennent d'acquérir si illicitement
les rendre meilleurs!
La tribu des Ihadhanâren comprend trois fractions :
Les Oui-Sattafenîn,
Les Ouî-Temoûlat,
Les Dergou.
Quoique la qualiOcation adjective de Sattafenin, noirs, soit appli-
quée à Tune de ces fractions, tous les Ihadhanâren sont blancs. Cette
épithète doit se rapporter à la couleur du voile qu'ils portent.
Tribu des Ifâghas.
Les Ifôghas comprennent trois fractions :
Les N-Ouqqirân,
Les N-Iguedhâdh,
Les N-et-Tobol.
Les deux premières sont des marabouts, de descendance de
chorfa ; la dernière se compose de gentilshommes , jadis au service
des rois Imanân, près desquels ils remplissaient le rôle d'officiers
du palais et de tambours, en battant la marche sur le passage de
leurs maîtres : d'où leur est venu le surnom d'Et-Tobol, Ifôghas du
tambour.
Les trois fractions sont oViginaires de la ville d'Es-Soûk, dernière
station de la plupart des tribus Touareg, avant leur installation dans
les lieux qu'elles occupent aujourd'hui.
Les Touareg contestent aux Ifôghas le titre de nobles ou Ihaggà-
ren, tout en leur reconnaissant celui de marabouts. Cependant, quand
un Fâghîs (singulier d'Ifôghas) des fractions de N-Ouqqirân ou de
N-Iguedhâdh se présentait devant les anciens sultans, ceux-ci se
levaient et allaient eux-mêmes dresser le tapis et la natte sur les-
quels le visiteur était invité à s'asseoir. Cet honneur exceptionnel
n'était jamais rendu aux ihaggâren , quels que fussent leur rang et
leur puissance. Le sultan restait assis à leur entrée et les laissait
s'installer où ils voulaient.
360 TOUAREG DU NORD.
Les N-OuqqiràQ sont répandus :
Chez les Azdjer, dans le Tasîli, à Mîherô et dans le Bas-Igharghar;
Chez les Ahaggâr, dans le Haut-Igharghar;
Au Touât, dans les oasis méridionales de cette confédération ;
En Algérie môme, dans la région des dunes, au Sud d'Ouarglâ et
de rOuâd-Rîgb.
La zâouiya de Timâssanîn, établissement secondaire de la con-
frérie des Tedjâdjna, dont Si- Othmân est le moqaddem, est le centre
de réunion de toutes les familles de la fraction.
Rapprochés des Arabes Cha'anba, les N-Ouqqirân ont été souvent
exposés à leurs coups, avant l'incorporation de ces tribus dans le
cercle d'action de l'administration française et leur soumission à un
régime gouvernemental.
Si- Othmân raconte que sa zâouiya, malgré le caractère religieux
qui la protège, a été pillée par les Cha'anba, en l'absence de ses
Séfenseurs, et que sa mère, tombée au pouvoir des profanateurs d'un
lieu sacré, a subi de leur part les plus mauvais traitements.
Les marabouts N-Ouqqirân, et particulièrement ceux qui habitent
la zâouiya de Timâssanîn, ont donc beaucoup gagné à la soumission
des. Cha'anba à notre domination. Depuis cette époque, ils peuvent
s'adonner plus librement au commerce.
La route si fréquentée de Ghadâmès à In-Sâlah est placée sous
leur protectorat et leurs chefs y perçoivent les droits de protection en
usage dans le pays.
Toutes les matières précieuses qui sont expédiées sur cette route,
notamment l'or en poudre et en lingots, sont confiées exclusivement
aux marabouts et aux chameliers de la zâouiya de Timâssanîn.
Chaque caravane allant d'In-Sâlah à Ghadâmès, à destination de
l'Europe, compte, m'a-t-on dit, dans sa cargaison, deux, trois, quatre
et môme quelquefois cinq charges d'or.
La charge étant de 150 kilos, en supposant une moyenne de deux
convois par an et de trois charges par convois, In-Sâlah opérerait an-
nuellement, d'après le Cheikh-'Othmân, sur une moyenne de 900 à
1,000 kilogrammes d'or, qui, au cours actuel de Paris (août 1863),
représentent une somme de 3,265,100 francs.
Si-'Othmân fait remarquer que les convois d'or entre In-SâFah et Gha-
dâmès sont moins fréquents depuis que M. le gouverneur Faidherbe
a donné aux routes du Sénégal une sécurité qu'elles n'avaient jamais
HISTORIQUE DES TRIBUS. 361
connue jusque-là, et il craint que la concurrence de nos possessions sé-
négaliennes n'achève de priver les routes du Nord de ce riche produit.
Les marabouts N-Ouqqirân vivent en grande partie, soit comme
négociants, soit comme convoyeurs, du trafic des routes qui traver-
sent leurs territoires.
Cest par eux que le gouvernement français a pu entrer en rela-
tions avec le reste des Touareg; c'est encore par eux qu'il main-
tiendra de bons rapports, car ils se distinguent par leur loyauté, par
leur tolérance et par l'exercice professionnel de la conciliation.
Les Ifôghas-n-lguedhâdh sont ainsi appelés parce que, comme
des oiseaux (Iguedhâdh), ils voyagent continuellement, ne se fixant
nulle part. Dans leurs courses, ils s'étendent du Tasîli du Nord au
Soudan, campant tantôt au milieu des Touareg Âzdjer, tantôt au
milieu des Touareg d'Aïr, suivant que les pluies ont fait pousser
l'herbe nécessaire à la nourriture de leurs troupeaux.
Marabouts ambulants, parcourant des parages tous situés au Sud
des points occupés par leurs frères N-Ouqqiràn, les N-Iguedhàdh sont
un trait d'union entre les Touareg du Sud et ceux du Nord, comme
les N-Ouqqirân sont un lien entre les Azdjer et les Ahaggâr et entre
ces deux confédérations et les Algériens.
Les N-lguedhâdh, protégés contre les dangers de la piraterie par
leur caractère religieux, autorisés à user des meilleurs pâturages
pour leurs troupeaux, trouvent dans la production pastorale les res-
sources nécessaires à leur existence.
En pays targui , les amulettes sont très-recherchées, car tous en
sont couverts, et ce sont les marabouts qui les rédigent. Ils ne les
vendent pas, moyen d'en tirer un prix plus élevé, car chaque amu-
lette augmente au moins d'une chèvre ou d'un mouton le troupeau
de celui qui la délivre.
Les Ifôghas-n-et-Tobol , restés fidèles à leurs anciens maîtres, les
Imanân, et à la tradition qui les a pourvus de tambours, continuent à
constituer la cour et le corps de musique des sultans déchus. Ils
vivent avec ces derniers entre Rhât et Djânet, partageant leurs reve-
nus et aussi leur haine contre les Orâghen et leurs amis. Les reve-
nus sont-ils insufiisants pour subvenir aux besoins de tous, l'exaction
y supplée.
Le rôle des Ifôghas-n-et-Tobol se borne donc à faire du bruit.
362 ' TOUAREG DU NORD.
Quant aux marabouts N-Iguedhâdh et N-Ouqqiràn, franchement
dévoués aux Oràghen, ils suivent en toutes choses la bannière d'ikhe-
noûkhen ; mais il y a lieu d'ajouter que le chef des Azdjer croirait
manquer à ses devoirs en ne prenant pas leurs conseils dans toutes
les affaires de quelque importance. Ainsi, Ikhenoûkhen est notre ami
parce que les Ifôghas lui ont conseillé de rechercher notre alliance.
Les Ifôghas constituent une tribu très-importante, non par leur
valeur militaire, car les marabouts ne portent les armes que pour
leur défense personnelle, mais par leur caractère religieux, qui les
rend arbitres de toutes les contestations, par leur aptitude au com-
merce, par leur dispersion, qui les. met en contact avec les différentes
confédérations, sauf celle des Aouélimmiden des environs de Tim-
bouktou , qui reconnaissent les Bakkây pour leurs marabouts.
Le chiffre de la population des trois fractions réunies est, assure-
t-on, égal à celui des autres tribus d'Azdjer. Leur dispersion et leur
qualité de marabouts font qu'on n'en tient pas compte dans l'éva-
luation des forces du pays; autrement, si tous les Ifôghas étaient
réunis sous la main d'un chef militaire, ils pourraient, à eux seuls,
constituer une confédération égale, en force et en nombre, à celles
de leurs voisins de l'Est et de TOuest : car, quoique marabouts,
quand la nécessité les oblige à armer en guerre, ils se battent brave-
ment. Le Cheikh-'Othmân est même réputé pour sa valeur militaire
à l'égal des premiers guerriers de sa nation.
Les Ifôghas n'ont pas de serfs, par la raison qu'ils sont mara-
bouts et que la religion musulmane ne permet pas le servage ; mais,
comme tous les marabouts, ils ont des serviteurs attachés librement
h leurs personnes et qui, de père en fils, tiennent à honneur d'être
leurs khoddâm. Des esclaves nombreux, sous la direction de ces ser-
viteurs , sont chargés des troupeaux et des travaux domestiques.
Les dames Ifôghas sont renommées pour leur savoir-vivre et leur
habileté en toutes choses. Mieux que les femmes des autres clans
targuis, elles savent jouer de la rebâza, sorte de violon avec lequel
elles accompagnent leurs chants improvisés. Dans l'art musical, elles
ne sont surpassées que par les princesses Imanân. Mieux que toutes
leurs rivales, elles savent monter à méhari. Huchées dans leurs cages,
elles soutiennent la course des plus intrépides cavaliers, — si on peut
donner ce nom aux chevaucheurs de dromadaire : — aussi, pour
HISTORIQUE DES TRIBUS. 363
conserver l'habitude de ce genre d'équitation, se réunissent-elles
pour faire de petits voyages, allant où bon leur semble, sans être
accompagnées d'aucun homme. La liberté dont elles jouissent est
grande^ et elles ne paraissent pas en abuser.
Si- Otbmân est le chef des trois fractions des Ifôghas. Ce mara-
bout est, avec l'émir Ikhenoûkhen, la plus grande figure des Touareg
du Nord.
Son père, El-Hàdj-el-Bekrî-ben-el-Hâdj-el-Faqqi a vécu cent huit
années lunaires, entouré de la vénération publique. On lui doit la
construction de plusieurs puits sur les principales routes du pays.
Yamîna, frère d'El-Hàdj-el-Bekrî et oncle d"Othmân, jouissait
d'une réputation de sainteté dans tout le Sahara et du plus grand
crédit, môme chez les Cha'anba, ennemis nés des Touareg. Par sa
pieuse intervention bien des effusions de sang ont été prévenues.
Héritier de l'auréole de réputation de ses ancêtres, 'Othmân, dès
son enfance, s'est fait remarquer par sa perspicacité.
Jeune encore", à l'époque des grandes guerres du premier Empire
français, il était à Ghadâmès au milieu d'une réunion d'hommes graves,
lorsqu'on apporta la nouvelle d'une reprise d'hostilités entre les chré-
tiens.
« Tant mieux! dit un yieux marchand, puissent-ils s'entre-tuer
jusqu'au dernier!
« Tant pis ! dit l'imberbe 'Othmân, au grand étonnement de tous,
car, si les chrétiens se font la guerre, le commerce en souffrira. »
Le lendemain, une caravane , chargée de produits soudaniens,
partait pour Tripoli et devait, en retour, prendre des marchandises
d'Europe.
A Tripoli, la caravane ne trouva ni acheteur ni vendeur.
On se souvient encore à Ghadâmès de la prédiction du jeune
'Othmân.
Pourquoi, à cet âge, un jeune targui se préoccupait-il, instinc-
tivement, des affaires des chrétiens? La suite de sa vie va nous révé-
er sa prédestination providentielle.
De 1826 à 1827, arrive à Ghadâmès un chrétien recommandé par
le consul général d'Angleterre à Tripoli. C'est le major Alexandre
Gordon Laing. Il veut se rendre à In-Sâlah et de là tenter d'arriver à
Timbouktou.
364 TOUAREG DU NORD. ,
Mais In-Sàlah est encore plus inabordable aux chrétiens que Tim-
bouktou. Qui Vy conduira?
'Othmân.
Seul entre tous ses coreligionnaires, il a assez de crédit pour faire
accepter un chrétien dans une ville où nul autre n*a pu pénétrer
depuis.
Pendant le voyage, 'Othmân apprend quelques mots d'anglais
que sa mémoire avait fidèlement conservés jusqu'en 1862.
A son retour de Timbouktou, le major Laing est assassiné. L'An-
gleterre et sa famille ont intérêt à retrouver ceux de ses papiers qui
n'ont pas été détruits.
Mais qui osera aller, sur la trace d'assassins, s'intéresser aux notes
d'une inûdèle victime du fanatisme musulman ?
Encore 'Othmân.
Par ses soins, le consul général d'Angleterre à» Tripoli recevra reli-
gieusement tout ce que des recherches de plusieurs années peuvent
reconquérir sur la cupidité de barbares.
Enfin, l'heure est venue où les Touareg et les Français ont besoin
de se connaître.
'Othmân fait d'abord trois voyages en Algérie et, entre chacun de
ces trois voyages, il conduit des explorateurs français dans son pays;
enfin , pour couronner ses efforts , tendarjt à des ouvertures de rela-
tions, il vient, en 1862, à Paris, ville où jamais un targui n'avait mis
les pieds et à près de trois mille kilomètres de son pays.
Homme d'une haute intelligence et d'un grand sens pratique,
'Othmân a surtout remarqué en France ce qui contraste avec le
désert : le nombre considérable des habitants, l'abondance des eaux,
la richesse et la variété de la végétation, la rapidité et la sécurité
des communications, enfin la généreuse hospitalité qu'il y a reçue.
Au milieu de toutes les merveilles qui ont captivé son attention,
il a choisi, pour les reporter dans son pays, les choses les plus
utiles : une collection de médicaments, un choix de livres arabes sur
la religion, le droit, l'histoire et la littérature, un assortiment d'ou-
tils de professions les plus ordinaires et spécialement des instru-
ments agricoles, des pelles et des pioches pour creuser des puits et
des poulies pour en tirer l'eau.
Le Cheikh-'Othmân n'a pas d'enfants. Son ambition, avant de
mourir, après avoir accompli le pèlerinage de la Mekke, est de con-
HISTORIQUE DES TRIBUS. 365
sacrer sa fortune à poursuivre l'œuvre commencée par son père :
doter les routes de son pays de puits utiles aux voyageurs.
En tout lieu, le Cheikh-*Othmân serait un homme remarquable,
par son instruction, par la douceur de ses mœurs, par sa bonté et sa
franchise ; mais quand on rencontre un tel ensemble de qualités chez
un enfant du désert, on ne peut se défendre d*un certain étonne-
ment.
J'aime le Cheikh-'Othmân, par reconnaissance des services qu'il
m'a rendus pendant mon voyage, mais je l'aime surtout parce qu'il
sait se faire aimer.
Son nom complet est u 'Othmân-ben-el-Hâdj-el-BekjJ-ben-el-Hâdj-
el-Faqqi-ben-Mohammed-Boûya-ben-Si-Mohammed-ben-si-Ahmed-es-
Soûki-ben-Mahmoûd.
Tribu des Ihéhaouen.
Les Ihéhaouen sont les marabouts des Touareg Fezzaniens. Excel-
lentes gens, hospitaliers, communicatifs, ils n'ont d'autres défauts
que celui d'être un peu mendiants. En cela ils ressemblent à tous
ceux de leur caste qui répudient le sacerdoce du marabout pour
exploiter le titre qu'ils portent.
Les Ihéhaouen habitent entre fthât et Mourzouk dans les oasis,
notamment à El-Fogâr où je les ai rencontrés.
Par une particularité caractéristique de la position exceptionnelle
de la femme chez les Touareg, les marabouts Ihéhaouen d'El-Fogàr
ont pour chef une cheikha qui a la réputation d'être fort belle. En
son honneur, Ikhenoûkhen, mon compagnon de voyage, revêtit ses
plus beaux habits, témoignage d'un très-grand respect.
Les Ihéhaouen sont peu nombreux, mais ils jouissent d'une cer-
taine aisance.
Quoique marabouts, ils ont des serfs, les Isourekkien, qui, comme
tous les autres Fezzaniens , se livrent à la petite culture dans les
oasis.
Je dois dire que la tribu des Isourekkien n'est pas considérée par
tous les Touareg comme étant serve, mais comme une tribu de ser-
viteurs {khoddâm), des marabouts Ihêhaoune.
366 TOUAREG DU NORD.
Tribu des Kél-Tin-Alkoum,
Il y a deux siècles, avant la révolution qui enleva^aux Imanân le
pouvoir souverain, les Kêl-Tîn-Alkoum habitaient le qaçar Tîn-Alkem,
dont on voit encore aujourd'hui les ruines au Sud d'El-Barkat, sur la
route de Rhâtà Djànet. Après de longues luttes contre des maîtres trop
avides, ils prirent le parti d'émigrer au Fezzân où ils habitent des
oasis dont ils sont propriétaires et qu'ils cultivent. Ces Touareg sont
donc sédentaires et cultivateurs quand les autres sont nomades et
pasteurs. ^
Les Kêl-Tîn-Alkoum se distinguent encore des autres Azdjer en
ce qu'ils ne sont ni nobles ni serfs, mais libres comme on Test dans
les tribus arabes ou dans l'intérieur des villes : cependant ils recon-
naissent la souveraineté des nobles Orâghen , leur payent tribut, les
traitent en sultans quand ils passent sur leur territoire.
G)mme tous les Oasiens, les Kôl-Tln-Alkoum sont aussi commer-
çants, entrepreneurs de transports, industriels même. Les plus pau-
vres vont vendre des légumes, des fruits, du beurre, de la viande,
du bois à brûler, à Mourzouk et à Rhât. Les plus riches font pour leur
compte le commerce avec le Soudan. D'autres louent leurs chameaux
aux caravanes et les accompagnent. Les explorateurs anglais, qui ont
voyagé dans l'intérieur, du moins ceux qui ont choisi le Feziàn pour
point de départ de leurs explorations, ont toujours pris des Tîn-
Alkoum comme chameliers. D'autres se livrent au tannage des peaux
et à la préparation des outres, industrie importante dans un pays où
tout voyageur doit emporter avec lui sa provision d'eau, .
Par suite de leurs rapports avec de nombreux étrangers, les Tîn-
Alkoum sont devenus des hommes presque civilisés. Beaucoup d'entre
eux savent lire et écrire ; tous parlent l'arabe en même temps que le
temâhaq; quelques-uns même comprennent le haoussa.
Leurs habitations, construites en branches de palmiers, ressem-
blent à nos chaumières ordinaires. Assez vastes pour loger une
famille, avec tout son mobilier, elles abritent bien contre le froid, le
chaud et même la pluie.
Pour arroser leurs cultures, généralement entourées de haies
sèches en djerîd ou palmes, ils ont au-dessus des puits un appareil
en charpente, dont la hauteur est égale à la profondeur des puits et
HISTORIQUE DES TRIBUS. 367
qui supporte un système de cordages et de poulies, au moyen duquel,
par un simple va-et-vient, l'eau est amenée à fleur de terre, d'où elle
est conduite dans les cultures. (Voir la planche, page 68.)
Le travail a donné aux Kêl-Tîn-Alkoum une aisance relative ; mal-
heureusement, le pays qu'ils habitent, s'il est productif , n'est pas
très-sain : aussi ont-ils toujours beaucoup de malades. Les ophthalmies
régnent endémiquement chez eux ; moi-même, j'en ai été atteint en
traversant leur territoire.
La tribu des Kêl-Tîn-Alkoum est très-nombreuse ; elle est généra-
lement armée de fusils qui servent plus à la chasse qu'à la guerre.
Bien que Touareg Azdjer, et sous la dépendance des Orâghen, les
Kêl-Tîn-Alkoum, comme les autres Touareg Fezzaniens, prennent une
part très-minime à l'agitation des Touareg nomades. Leurs intérêts
et leur genre de vie sont trop distincts pour que l'assimilation soit
complète entre eux.
Tribu des Ilemtin,
Les Ilemlîn habitent la petite ville d'El-Barkat, à 10 kilomètres de
Rhàt, et le village de Féouet, dans la vallée d'Ouaràret.
Leur chef est El-Khabîd.
Us ont pour serfs la tribu des Ifarqanen , qui réside hors la ville,
dans des cases en palmes, au milieu des cultures.
Les llemtîn Sont des citadins, cultivateurs, commerçants, consé-
quemment gens paisibles, qui n'auraient de, commun avec les Touareg
nomades qu'une même origine, s'ils ne payaient tribut, la gharâma,
aux chefs Oràghen.
Assise au milieu d'une belle oasis, El-Barkat est une jolie petite
ville, de 200 maisons à plusieurs étages, entourée d'un mur d'en-
ceinte et construite , comme toutes les villes de cette «contrée, en
briques d'argile cuites au soleil.
Les plantations de dattiers et les cultures de plantes alimentaires,
aux produits desquels ils trouvent un débouché certain sur le marché
de Rhât, à l'époque de la foire, constituent la principale richesse de
la tribu des llemtîn et de leurs serfs, les Ifarqanen.
368 TOUAREG DU NORD.
S II. — Coq FéDÉRATION DES AhAGGÂR.
Dans le classement des quatre confédérations des Touareg, j'ai
donné le premier rang aux Azdjer, mais je suis forcé d'assigner le
dernier aux Ahaggâr.
Depuis la révolution, qui a réduit à néant le pouvoir des anciens
rois Imanân et permis aux deux groupes des Touareg du Nord de se
gouverner eux-mêmes, la plus grande anarchie règne chez les
Abaggâr.
A l'autorité de Tamghâr, souvent contestée, s'est substitué un
gouvernement à quatorze têtes, représenté par les quatorze chefs des
tribus nobles, qui, dans toutes les contestations, ont pour habitude
de recourir à la force des armes.
La tribu des Kêl-4\helâ, la plus importante de Ja confédération , a
le droit, comme celle des Orâghen chez les Azdjer, de conférer le
titre d'amghâr à son chef héréditaire : mais autant vaut l'homme,
autant vaut la chose.
Malheureusement, le chef actuel des Kêl-Rhelâ, par droit de nais-
sance, est Guemâma, le doyen des centenaires du Sahara, depuis
longtemps aveugle et depuis longtemps dans l'impuissance de gou-
verner.
Cependant le besoin d'une autorité supérieure .se faisait sentir,
non-seulement chez les Ahaggâr, mais encore à In-Sâlah, à Tîm-
bouktou, pour la sécurité des routes, et dans les autres confédéra-
tions Touareg, pour les rapports de bon voisinage.
Que faire? Ouvrir la succession de Guemâma, de son vivant, était
contraire à la loi du pays. L'héritier d'aujourd'hui transmet le pou-
voir dans une branche de la famille, tandis que l'héritier de demain
pourra le transmettre dans, une autre, le droit de succéder étant
réservé au fils de la sœur. Quand l'oncle est vieux comme Guemâma,
les neveux utérins doivent être bien près de la tombe.
Donner à Guemâma un successeur, par droit de naissance, la mort
n'ayant pas saisi le vif, n'était pas une solution, car c'était allumer le
feu de la guerre civile entre toutes les familles des Kêl-Rhelâ et autres
ayant épousé des sœurs, peut-être dés nièces ou des petites-nièces de
l'amghâr vivant.
HISTORIQUE DES TRIBUS. 369
On tourna cette diiliculté en trouvant miraculeusement réunies
sur la tête d'un homme trois conditions importantes :
Le titre de marabout, qui imposait le respect;
La qualité d'étranger, qui anéantissait toutes les rivalités locales;
La condition de fils d'une sœur de Guemâma.
Cet homme est le marabout El-Hâdj -Ahmed, frère du Cheikh-
'Othmân, de la tribu des Ifôghas, de la confédération des Azdjer,
mais appartenant aux Ahaggàr et aux Kôl-Rhelâ par sa mère.
Ce choix, dicté par la sagesse, fut au moins une solution provi-
soire. Pour la faire accepter, le marabout Sîdi-el-Bakkây, de Tim-
bouktou, dut envoyer un de ses frères sur les lieux : mais Dieu seul
sait quelles prétentions rivales vont surgir à la mort de Guemâma.
En attendant, le nouvel amghàr, par l'intermédiaire de son frère
Si- Othmân , a donné aux Ahaggâr une sorte de sécurité du côté des
Cha'anba, leurs plus redoutables ennemis.
De même, le voyage d"Othmân à Paris, les présents qu'il en a em-
portés pour El-Hâdj-Ahmed, contribueront à consolider son autorité,
et peut-être à amener paciûquement dans la confédération des Ahag-
gâr une révolution analogue à celle qui, chez les Azdjer, a transporté
le pouvoir des anciens sultans aux mains des Oràghen. L'appui d'un
gouvernement fort exerce un grand prestige sur des populations
comme les Touareg.
Par son esprit conciliateur, par l'autorité que lui donnent son âge
et son titre de marabout, El-Hàdj- Ahmed, s'il n'est pas encore par-
venu à rétablir la paix, l'ordre et l'harmonie entre toutes les tribus,
a au moins conjuré la guerre civile et établi de meilleurs rapports
entre les Ahaggâr et leurs voisins. Déjà même quelques heureux
symptômes de progrès matériel, fruits de la sécurité pour les biens
et les personnes , commencent à se manifester. Ainsi, le village
d'Idélès, situé dans le Haut-Igharghar, et qui date d'une vingtaine
d'années à peine, voit chaque jour augmenter ses constructions et
tend à devenir une petite ville. Au Sud- Est de cet établissement se
trouve un autre village, celui de Tàzeroûk, où il a été entrepris,
en 1861, des cultures de céréales assez importantes pour donner, à
la récolte, environ 350 charges de grains.
Les Touareg Ahaggâr jouissent, généralement, de la réputation
d'avoir un caractère indépendant, irascible et emporté, qui rend les
I. S4
370 TOUAREG DU NORD.
relations très-diflBciles avec eux, et ils avouent mériter cette répu-
tation, même dans leurs rapports entre eux, et ils s'en vantent de
manière à laisser croire qu'ils tiennent à honneur de se montrer in-
traitables en toutes choses.
Ce caractère indompté, qui fait des Ahaggâr des hommes redoutés
dans le Sahara, est, en dehors de la situation anarchique du pays, le
résultat de nombreuses causes matérielles, parmi lesquelles je signale
en première ligne : l'habitation dans un pâté de monlagnes déchi-
rées, dénudées et d'une sauvagerie exceptionnelle, ou dans des déserts
arides dont presque toutes les plantes sont épineuses; l'impossibilité
de vivre des produits de leur sol, à moins d'avoir la sobriété du cha-
meau ; enfin l'abandon des routes commerciales qui longent ou tra-
versent leur territoire et qui, jadis, suppléaient, par les bénéfices
retirés du passage des caravanes, à l'improductivité de leurs mon-
tagnes ou de leurs déserts. En tout pays, le caractère et la nature de
l'homme subissent Tinduence du milieu qu'il habite. Les autres peu-
plades Touareg, quoique de même race, ont un caractère plus souple
et plus docile, parce que le pays habité par elles est moins sauvage et
plus clément. Sans aucun doute , l'introduction possible de quelques
cultures dans les vallées et le rétablissement des roules abandonnées,
en améliorant l'existence matérielle des Ahaggâr, contribueront aussi
à adoucir leurs mœurs.
Probablement ils valent mieux que leur réputation. Partout on
m'a dit et répété qu'ils n'avaient jamais permis à un étranger, même
musulman, de visiter leurs montagnes, parce qu'ils voulaient réser-
ver pour eux seuls le secret du dédale de leurs repaires. Cependant
tous mes rapports avec eux protestent contre cette assertion.
Ils m'ont donné, sans réserve, tous les itinéraires à l'aide des-
quels j'ai dressé la carte de leur pays.
Aûnguenân, l'un de leurs chefs, que je rencontrai à Methlîli,
en 1859, à l'époque de la plus grande puissance de notre ennemi
Mohammed-ben-'Abd-Allah, accepta, si je voulais me confier à lui et
payer, suivant la coutume, sa protection la somme de 1,000 francs,
de me conduire au sein de leurs tribus et de me mettre en rapport
avec tous les chefs.
Le Cheikh- Othmân, auquel je demandai, en 1861, si, avec sa pro-
tection et celle de son frère El-Hâdj-Ahmed, je pourrais visiter le
Ahaggâr avec la même sécurité que le pays des Azdjer, me répondit
HISTORIQUE DES TRIBUS. 371
comme Afinguenân ; u Tout Français qui voudra explorer le Ahaggâr
sera bien accueilli, s'il se conforme aux usages. »
Donc, si je n'ai pas traversé ce pâté de montagnes, par la route
de KtïM à In-Sàlah, comme j'en avais le désir, ce n'est pas que les
Ahaggâr s'y soient opposés, mais parce que les gens sages qui avaient
répondu de ma sécurité au gouvernement français, connaissant les
intentions de Mohammed-ben-'Abd-Allah de tenter un coup de main
contre nos établissements, ne voulurent pas m'exposer à être capturé
par lui en arrivant à In-Sâlah, où cet agitateur avait établi son quar-
tier général.
Les Ahaggâr ont aussi la réputation d'être batailleurs, querel-
leurs, par un amour particulier de la guerre, du sang et du carnage.
Ils avaient une magnifique occasion de satisfaire cette passion en
s'enrôlant sous le drapeau de Mohammed-ben-'Abd-Allah. Ils y ont
été vivement sollicités et par les promesses de riches captures et par
l'exemple des Touareg à voiles blancs du Touât, mais pas un d'entre
eux n'a succombé à la tentation. Le veto des marabouts Ifôghas a
suffi pour maintenir leur neutralité.
U est cependant vrai qu'ils ont à peu près pour ennemis tous
leurs voisins : ainsi, ils ne peuvent se rencontrer, ni avec les Berâber
du Sud du Maroc, ni avec les Beràbîch du Nord de Timbouktou, sans
que du sang soit versé. Avec les Touareg Aouélimmiden, les Kél-Ouï
et les Azdjer, il y a, en ce moment, trêve d'hostilités, parce que les
intérêts de chacune des confédérations se meuvent dans des cercles
distincts, mais il y a abstention presque complète de rapports et
plutôt tendance à l'antipathie qu'à la réconciliation.
Par unique exception, les Ahaggâr sont les alliés des Touâtiens et
les amis des commerçants d'In-Salâh, et cette exception donne la
raison de leur attitude hostile vis-à-vis de leurs autres voisins. In-
Sâlah a aujourd'hui le monopole du commerce de Timbouktou avec
le Nord; ses caravanes ont besoin de la protection et du concours
des Ahaggâr, et In-Sâlah, ainsi que les autres villes du Touât, les
fait vivre par les coutumes qu'elle paye aux chefs et les transports
qu'elle procure aux serfs.
Le commerce, en donnant d'une main, reprend de l'autre, car
les Touareg du Ahaggâr, en raiîSon de leur isolement, sont forcés
d'acheter au Touât, au poids de l'or, tout ce dont ils ont besoin, et
d'y vendre, à vil prfac, tout ce qu'ils produisent.
372 ÏOUAUEG DU NORD.
En dehors de l'influence de celui qui remplit leurs ventres, pour
me servir d'une expression consacrée, les Ahaggàr en subissent peu
d'autres, même quand elles se présentent au nom des principes de
la religion. Le grand marabout de Timbouktou, El-Bakkây, qui a
passé une partie de sa jeunesse dans leurs tribus, est bien un peu
écouté quand il fait entendre de sages conseils; le chef de la con-
frérie des Tedjâdjna, qui compte beaucoup de khouàn chez les Ahag-
gàr, jouit bien aussi d'un peu de crédit, mais il ne faut pas que la
faim^ cette mauvaise conseillère de tous les peuples, ferme les oreilles
et empêche d'entendre le langage de la raison. Le Cheikh- Othmàn
seul est apprécié des Ahaggàr, non parce qu'il est marabout, chef
d'une tribu puissante et frère de leur amghàr, mais parce qu'il a
contribué, par ses relations avec les Français, à rendre la sécurité à
la route de Ghadàmès et à faire arriver à In-Sâlah plus de marchan-
dises.
A donneur donnant. Les Ahaggâr ne connaissent pas d'autre poli-
tique, et c'est la seule à suivre avec eux.
A nombre égal, les Ahaggâr, habitués à une lutte constante,
triomphent toujours de leurs ennemis, mais leurs forces collectives
sont de beaucoup inférieures à celles de leurs voisins. En bloc, le
chiffre de leur population est d'un tiers inférieur à celui des tribus
des Azdjer; du moins, c'est l'opinion générale.
Mais, protégés par leurs montagnes, inaccessibles aux chameaux
habitués à vivre dans les plaines, ils n'ont pas à redouter, dans une
guerre offensive, l'enlèvement de leurs familles ou de leurs trou-
peaux. Dans la guerre offensive, au contraire, ils sont redoutables,
parce que, sans inquiétude pour ceux des leurs qu'ils abandonnent,
ils peuvent aller au loin porter la ruine et la désolation.
A part quelques jardins autour d'In-Sâlah, d'idélès et de Tâze-
roùk , quelques champs ensemencés exceptionnellement au débouché
des vallées, après les inondations, les Ahaggâr ne cultivent pas.
Les seules industries qu'ils connaissent sont celles de la fabrica-
tion des armes et de la préparation des vêtements de peaux, le tout
à leur usage.
Exclusivement pasteurs, ils pratiquent l'art pastoral dans les con-
ditions les plus défavorables du monde : au sein de leurs montagnes
abruptes, où il y a des eaux et de la sécurité, l'herbe manque; dans
HISTORIQUE DES TRIBUS. 373
les plaines où les pâturages sont plus abondants, Teau et la sécurité
font souvent défaut.
Cette obligation de sortir des montagnes pour nourrir les trou-
peaux entraîne les Ahaggâr à errer dans les plaines et h changer de
campements chaque fois que les eaux et les pâturages sont épuisés.
La famille est obligée de suivre le bétail, d*abord parce que le bétail
la nourrit de son lait, ensuite parce que des bras sont nécessaires
pour abreuver les bêtes et repousser les attaques de l'ennemi.
Il résulte de Tétat continuellement nomade dans lequel vivent
quelques-unes des tribus de cette confédération qu'on ne peut leur
assigner de territoires. Toutes ont, dans la montagne, des asiles pour
le cas de nécessité, mais, dans les terres de parcours, elles vont là où
une pluie accidentelle peut leur assurer de Teau et de Therbe pen-
dant quelque temps.
Dans un pays où Ton a vu des périodes de douze ans sans pluies,
les habitants sont quelquefois amenés à mettre fin à toutes leurs dis-
cordes et à se grouper, amis et ennemis, autour du seul point où les
puits donnent encore un peu d'eau. Ainsi, pendant la période con-
temporaine, Azdjer et Ahaggâr ont dû abandonner complètement
leur pays et venir partager, avec les Touâtiens, le peu d'eau qui res-
tait dans les bas-fonds de leurs oasis, et si la sécheresse eût continué,
les Touareg eussent dû émigrer, soit vers le littoral méditerranéen,
soit vers le bassin du Niger.
Dans le climat où nous vivons, nous ne saurions nous rendre
compte de ce que peut être un pays, sous le tropique, après une
sécheresse de douze ans. Faute d'eau, les plantes meurent; faute de
plantes, les animaux meurent, et l'homme, malgré son intelligence, a
bi soin d'êlre fabriqué avec du bronze pour résister aux causes qui
détruisent tout autour de lui.
En de telles conditions on ne vit pas, on ne peut pas vivre, et,
pour ne pas périr, il faut nécessairement, faute d'autre moyen d'exis-
tence, piller ceux que le ciel a plus favorisés.
Je ne me sens pas le courage de jeter la pierre à des gens qui,
s'ils n'existaient pas, devraient être inventés : car, sans eux, les
déserts qu'ils habitent et qui séparent la race blanche de la race
noire seraient infranchissables.
Chez les Touareg du Ahaggâr, il n'y a que des tribus jlobles et
374 TOUAREG DU NORD.
des tribus serves. Quand les conditions de l'existence sont aussi dif-
ficiles, on est fatalement sollicité à asservir, si on n'est pas soi-même
asservi. Inutile d'ajouter que les serfs sont beaucoup plus nombreux
que les nobles. Si, chez les Azdjer, quatre serfs sont nécessaires pour
nourrir un noble, il en faut au moins huit chez les Ahaggâr.
Pendant la durée de mon exploration, j'ai toujours espéré pouvoir
visiter les Ahaggâr et prendre sur place les renseignements indis-
pensables à rétablissement de l'historique de chacune de leurs tri-
bus. On sait pourquoi j'ai dû m'abstenir : on ne sera donc pas étonné
si je n'entre pas dans de plus grands détails sur chaque tribu , mais
on peut considérer comme exact ce qui va suivre.
A l'origine, tous les Ahaggâr ne formaient qu'une seule tribu,
celle des Kêl-Ahamellen , divisée en quatorze fractions, mais, par
suite de l'impossibilité de vivre réunies, chacune des divisions a dû
se séparer de la souche mère et se constituer à l'état de tribu indé-
pendante, avec son autonomie spéciale. Les fractions qui avaient des
imrhâd se sont réservé pour leurs besoins des territoires particuliers
dans les parties protégées de la montagne; celles qui ne possédaient
pas de serfs ont adopté la vie errante des nomades dans les déserts
qui les séparent de leurs voisins.
De ces généralités je passe aux détails.
IW6ti des Kél'Ahamellen proprement dits.
Cette tribu , qui a d'abord embrassé quatorze fractions , en com-
prendrait encore trois aujourd'hui, d'après quelques Touareg, savoir :
Les Tédjéhé-n-Esakkal ,
Les Tédjéhé-n-Eggali ,
Les Kêl-Ahamellen-wân-Taghert.
Selon cette version , la confédération des Ahaggâr ne compren-
drait que douze divisions.
D'après d'autres Touareg , les Essakal et les Eggali constitueraient
des tribus ayant une vie propre, et les Kél-Ahamellen-wàn-Taghert
seraient aujourd'hui les seuls représentant la tribu mère. J'adopte
cette dernière version.
Cette tribu vit dans le Mouydîr, entre Ïn-Sâlah et le Ahaggâr.
HISTORIQUE DES TRIBUS. 375
De tous les Touareg de TOuest, elle est la plus rapprochée de TAl-
gérie et celle qui fréquente le plus souvent nos marchés.
Elle n'a pas de serfs.
Le voisinage d'In-Sâlah, la fertilité relative de son territoire, assez
abondamment pourvu d'eau, permettent à cette tribu de vivre dans
de meilleures conditions d'aisance que les autres.
On est généralement d'accord pour donner le titre d'hommes sages
à tous ses membres, première preuve à l'appui de l'opinion que tous
les Ahaggâr abandonneraient la carrière des aventures, si, comme les
Kêl-Ahamellen, il pouvaient ajouter aux produits de leurs troupeaux
quelques bénéfices réalisés par le commerce.
Tribu des Tédjéhé-Mellen,
Son chef est Mohammed-eg-Brahîm.
Cette tribu, faible par le petit nombre de ses nobles, a une impor-
tance réelle par les serfs dont elle dispose et par la position qu'elle
occupe sur la frontière du territoire des Azdjer, dans la partie occi-
dentale du plateau de Tasîli.
Les serfs des Tédjéhé-Mellen sont :
Les Kôl-Ouhàt (fraction des Isaqqamâren),
Les Aït-Lôahen (une partie).
Les Kêl-Taroûrit.
On accorde aux Tédjéhé-Mellen un esprit de conciliation utile
aux bons rapports entre les deux branches de la grande famille des
Touareg du Nord.
Tribu d$s Kél'Rhêlà.
La plus puissante de la confédération par le nombre de ses
hommes nobles, de ses serfs et des tribus satellites qui gravitent
autour d'elle, la tribu des Kôl-Rhelà est aux Ahaggâr ce que celle
des Orâghen est aux Azdjer. La position qu'elle occupe à la tôte et au
centre du plateau, citadelle de la confédération, lui assigne aussi le
rang de tribu capitale. On sait déjà, parla Note de Brahîm-Ould-Sîdi,
que l'aïeul des Kôl-Rhelà est un sultan du nom d'El-'Alouï.
A tous ces titres, cette tribu donne à la confédération son amghâr
ou chef des chefs.
376 TOUAREG DU NORD.
J'ai dit que le centenaire Guemâma était en possession de cette
dignité , par droit de naissance, mais que, par suite de nécessité ma-
jeure, on avait dû en conférer les fonctions à El-Hâdj-Ahmed, de la
tribu des Ifôghas, et frère du Cheikh-'Othmân. Je ne reviendrai pas
sur cette transaction.
Ahitârhen est le chef particulier de la tribu.
Les serfs des Kêl-Rhelâ sont :
I^s Imesselîten (un tiers),
Les Kêl-Rhâfsa (la moitié),
Les Isaqqamâren (une partie),
Les Kêl-Ingher,
Les Kôl-Rhârîs,
Les Kêl-Tesôka,
Les Kôl-Adenek,
Les KôMIfedest,
Les Kél-Tâzhôlet,
Les Kél-Tahât,
Les ïsândaten, - ^ oV c - v . c^ ^^ ^ - ■» ' " * '^^ * -
Les Martamaq,
I^s Dag-wân-Taouât.
J'ai à faire ici plus d'une remarque sur le rôle, l'importance et la
position des tribus imrhâd de la dépendance des Kêl-Rhelâ.
In-Sâlah est le marché des \haggâr; les Kôl-îngher habitent le
petit village de ce nom dans le Tidîkelt ef servent de point d'appui
aux nobles quand ils se rendent au marché.
La route de Rhât à In-Sâlah est la principale artère qui traverse
les montagnes; les Isaqqamâren dans le Tasîli et les Kél-Rhârîs dans
le Mouydîr en commandent les principaux passages.
Sur cette route s'effectuent de nombreux transports ; les Isaqqa-
mâren, riches en chameaux, en ont le monopole.
La seule production de quelque valeur commerciale dans le Ahag-
gâr est celle du séné ; lesKêl-Ihàfsa occupent les territoires de Wahel-
lidjen et d'Arhafra qui le produisent.
les nobles seigneurs peuvent redouter des surprises dans leur
citadelle du Ahaggâr; quatre tribus serves, sédentaires, veilleront,
sentinelles vigilantes, aux quatre points cardinaux de leur territoire :
HISTORIQUE DES TRIBUS. 377
les Kél-Tahût au Sud Ouest, les Kêl-Tazhôlet au Sud-Est, les Kêl-
Tîfedest et les Kêl-Adenek au Nord. Par ces deux dernières tribus, les
Kêl-Rhelà commandent les deux routes d'Idélès à In-Sâlah, et d'Idëlès
à Ouarglà.
A ces signes, on reconnaît une tribu qui domine et qui veut con-
server SI prépondérance.
M. le commandant Hanoteau, dans sa Grammaire temâ>chek\
donne quelques détails sur les Isaqqamâren ; je les consigne ici :
« Les Isaqqamâren comptent deux douars de quarante tentes cha-
cun. Ils ont beaucoup de chameaux.
a Leur territoire est compris entre Tiferkan du côté du Touât, Tîn-
Zaouâten du côté de Rhât et Tîn-Gharest du côté du Ahaggàr. »
L'esclave duquel M. le commandant Hanoteau a obtenu ces ren-
seignements se souvenait encore d'un chant sur les Isaqqamâren; il
le cite comme exemple de poésie temàchek*. Je le copie, car il repro-
duit l'opinion des Touareg sur eux-mêmes :
« Les Isaqqamâren, dit-il, ne sont pas des hommes, car ils n'ont
ni lances en fer, ni lances à hampe de bois, ni harnachements, ni
selles, ni boucliers, rien, en un mot, de ce qui rend l'homme joyeux,
pas même de chameaux gras et bien portants.
M Cependant ne portez pas sur eux un jugement trop absolu, car
ils sont très-méi anges, et l'on trouve chez eux des gens de toute
condition.
<( Quelques-uns n'ont que leur bâton pour tout bien; d'autres
sont pauvres , mais à l'abri du besoin ; d'autres sont possédés du
démon.
« II y en a qui font le pèlerinage de la Mekke et le renou-
vellent; il y en a qui savent lire le Coran et qui l'apprennent par
cœur.
« 11 y en a, enfin, qui ont aux pâturages des chamelles avec leurs
petits et des lingots d'or bien envelopf)és dans des chiffons.
^ « Quant aux armées, ils ne se joignent pas à elles : c'est pour-
quoi les pointes de leurs lances sont aussi aiguës et leurs boucliers
si beaux. »
Nonobstant le dire du poëte , les Isaqqamâren passent pour des
convoyeurs de caravanes très-braves, et même on les accuse d'aimer
un peu trop les querelles.
378 TOUAREG DU NORD.
Tribu des Irhechchoûmen,
Petite tribu, satellite des Kêl-Rhelâ, vivant comme ces derniers
sur les plateaux les plus élevés du Àhaggâr.
Son chef est Ouân-Sella.
Trthu des Ibôguelàn.
Le nom d'Ibôguelân est un objet d'effroi dans tout le Sahara , car
cette tribu ne vit que du produit de ses courses.
Nomade, elle n'a pas de territoire, si ce n'est un centre de réunion
entre le Tîfedest et les sommets du Ahaggâr, chez les Kôl-Rhelâ» leurs
parents et alliés.
Assurée de sa retraite et certaine d'être protégée au besoin, en cas
de revers, elle ne craint pas de s'aventurer au loin, et même d'aller
en course jusque dans l'Azaouad, au Nord de Timbouktou.
Les autres indigènes, Arabes ou Touareg, ne pouvant s'expliquer
comment les Ibôguelàn ne succombent pas au rude métier qu'ils font,
prétendent très-sérieusement qu'ils sont fils d'un djinn ou génie et
d'une fille d'Eve. Le généalogiste Brahîm-Ould-Sîdi s'abstient même
de les mentionner.
Leur chef est Akourzelli.
Leurs serfs sont les Imesselîten (un tiers) et les Iberbêren.
Ce dernier nom, comme celui des Iworworen, tribu serve des
Orâghen, rappelle celui de Berbères que nous donnons à toute la race.
Tribu des TàUoq.
Cette tribu, à peu près égale en forces à celle des Kêl-Rhelâ, leur
sort de contre-poids, dans le Ahaggâr, comme les Imanghasâten con-
tre-balancent la puissance des Orâghen chez les Azdjer.
File ocx:upe le versant Ouest du massif du Ahaggâr, position qui
la rapproche de la route d'In-Sâlah à Timbouktou.
Son chef est Si-Mohammed.
Leurs serfs sont :
Les Kêl-Ahenet, placés en sentinelle avancée entre la route de
Timbouktou et la montagne;
HISTORIQUE DES TRIBUS. 379
Les Kêl-Rhâfsa (par moitié avec les serfs des Kêl-Rhelâ), dans la
contrée productrice du séné;
Les Imesselîten (un tiers);
Les Ikelàn, tirant leur origine de nègres affranchis;*
Les Tédjéhé-n-Afîs.
Ces deux dernières tribus serves sont nomades et chargées de la
garde des troupeaux.
Les principales familles des TAïtoq passent pour avoir conservé
des traces de leur noble origine et pour mener une existence moins
matérielle que celle des autres tribus.
Dribu des Tie^éhé-n-EgotUi.
Tribu nomade, satellite des Kôl-Ahamellen.
Pas de territoire propre, pas de serfs.
Son chef est El-Ouahâb.
Tribu des Ikcuiéen,
Autre satellite des Tâïtoq, habitant le versant occidental du
Ahaggâr.
Cette tribu a pour serfs les Eharhân.
Son chef est Mohammed-Eg-Semâna , sorte de géant, redouté à
cause de sa bravoure.
Tribu dês InembA-KH-Tahât.
Le mont Tahât, que cette tribu habite, est un des points les plus
élevés du Ahaggâr.
Ces montagnards ont peu d'importance ; un tiers de la tribu serve
des Imesselîten leur appartient.
Leur chef est Ourzîg.
Tribu des Inembâ-Kél'ÊmoghH.
Les vallées d'Ouâdinki et d'Emoghrî, qui descendent du versant
Nord-Est du Ahaggâr, pour aboutir à la Sebkha d'Amadghôr, sont les
lieux de résidence de cette tribu, peu importante d'ailleurs.
380 TOUAREG DU NORD.
S'js serfs sont :
Les Aït-Loâhen (une partie)»
Les Ehen-n-Ehôlagh ,
Les Aï^-Loâhen-kél-Tazhôlet.
Son chef se nomme Oû-Rhalla.
Tribu des [kerrêmôtn.
Petite triba sans importance, n'ayant pas de serfs, vivant à
Tazhoûlt.
Elle a pour chef El-Kounti-eg-Findeguema.
Tribu dês Tédiéhé-n^ùdi-Stdi,
La tribu qui porte ce nom n'a aucun point de résidence fixe"; elle
erre dans le désert, sous la conduite de Mettoûk.
Tribu des Ennitra.
Autre tribu nomade qui , de même que la précédente , parcourt
rimmensité du Sahara.
Son chef, Eg-Anléouen, a la réputation d'être un brigand.
Tribu des Tédjéhé-n-Esakkal,
Encore une tribu, annexe des Kêl-Ahamellen, qui a pour chef
Afinguenàn, et sur laquelle, comme pour les trois précédentes, il
m'a été impossible d'avoir des renseignements.
On les connaît de nom , on sait quels sont leurs chefs» Que peut-on
savoir de plus de tribus n'ayant ni feu ni lieu, et dont toute l'exis-
tence se consume à suivre dts troupeaux et à disputer des puits et
des pâturages à leurs voisins?
Sans aucun doute, ces tribus trouvent beaucoup de charmes dans
leur vie vagabonde, mais il faudrait se faire nomade comme elles
pour pouvoir les apprécier.
CHAPITRE IV.
CARACTÈRES DISTINCTIFS DES TOUÀRKG.
Le mouvement de migration des Touareg, du Nord au Sud, s'est
opéré avant les grandes conquêtes qui ont amené tant de peuples dif-
férents dans le Nord de TAfrique.
Refoulant une race inférieure, beaucoup d'entre eux, les nobles
surtout, paraissent avoir mis un point d'honneur à s'abstenir de toute
union avec les vaincus.
Préservés, depuis leur implantation au centre du Sahara, de toute
invasion : du côté du Nord , par la zone défensive des dunes de
l"Erg ; du côté du Sud , par la barrière que leurs frères d'Aïr et les
Aouélimmîden ont opposée à la réaction de la race noire contre la
race blanche, les Touareg du Nord semblent devoir, au plus haut
degré, représenter le type primitif de la race berbère, si ce type peut
être retrouvé en toute pureté.
Seuls, du haut de leurs montagnes, ils ont pu contempler toutes
les révolutions qui ont tant de fois bouleversé l'Afrique occidentale ,
sans jamais être atteints par elles.
On ne sera donc pas étonné que je consacre un chapitre spécial à
l'étude des caractères qui distinguent les Touareg du Nord des autres
peuplades qui les environnent.
Caractères physiques.
En général, les Touareg sont de haute taille, quelques-uns même
paraissent de vrais géants.
Tous sont maigres, secs, nerveux; leurs muscles semblent des
ressorts d'acier.
382 TOUAREG DD NORD.
Blanche est leur peau, dans reirfaoce; mais le soleil ne tarde pas
à lui donner la teinte bronzée ^)éda]e aux habitants des tropi-
ques.
Chez les serfs, une teinte plus foncée de la peau est souvent due
au mélange du sang noir avec le sang blanc.
.JLe type caucasique est celui de leur ûgure : face ovale et allongée
chez les uns, ronde chez les antres : front large, yeux noirs, nez
petit, pommettes saillantes, bouche moyenne, lèvres fines, dents
blanches et belles, quand ellfs n'ont pas été cariées par l'usage du
naCron , barbe noire et rare, cheveux lisses et noirs. Quelques-uns
ont des yeux bleus, mais cette nuance se rencontre peu fréquem-
ment.
Les yeux, chez toutes les personnes qui ont dépassé quarante ans,
paraissent voilés et obscurs. Cet effet est dû à l'intensité de la lumière
et à l'action de la réverbération solaire. Beaucoup deviennent borgnes
ou aveugles avant l'âge de la vieillesse.
Le tronc, aussi bien chez l'homme que chez la femme, est lar-
gement développé.
Les membres supérieurs et inférieurs, allongés, musculeux, se
terminent par des mains petites et bien faites et par des pieds qui
seraient égalenSent beaux, si le gros orteil, effet ou cause de la chaus-
sure employée, ne faisait une saillie désagréable à l'œil.
Les hommes sont généralement forts, robustes, infatigables,
quoique leur alimentation moyenne soit de beaucoup inférieure à
celle de l'Européen; chez eux, pas d'individus chétifs, rachitiques.
Le climat fait rapidement justice de tout ce qui est mal constitué.
Les femmes, grandes aussi, au port altier, sont généralement
belles , mais de cette beauté à laquelle l'éducation ne donne pas de
distinction. Leur physionomie les rapproche cependant beaucoup plus
des femmes européennes que des femmes arabes.
Un des caractères physiques auxquels un targui peut se reconnaître
entre mille, est l'attitude de sa démarche grave, lente, saccadée, à
grandes enjambées, la tête haute, attitude qui rappelle un peu celle
de l'autruche ou du chameau en marche, mais qui est due principa-
lement au port habituel de la lance.
Cette démarche a été remarquée par tous les Algériens, chaque fois
que des Touareg sont venus dans la colonie.
Pour l'ensemble , voir la planche ci-contre.
TYPES TOUAnEG.
Daprès Jes photographies de M. Crémière.
1-.*^
'4
-y
m^ ft
-► ^
CAHACTÈRES DISTINCTIFS. 383
Caractères moraux,
Ebn-Khaldoûn , dans son Histoire des Berb>res^, trace» en ces
termes, les caractères moraux de cette race :
« Citons, dit-il, les vertus qui font honneur à Thomme et qui
a étaient devenues, pour les Berbères, une seconde nature : leur em-
« pressement à s'acquérir des qualités louables, la noblesse d'àme
« qui les porta au premier rang parmi les nations, les actions par les-
« quelles ils méritèrent les louanges de T uni vers : bravoure etpromp-
« titude à défendre leurs hôtes et clients; fidélité aux promesses , aux
« engagements et aux traités; patience dans l'adversité, fermeté dans
« les grandes afflictions, douceur de caractère ^ indulgence pour les dé-
« fauts d' autrui, éloignement pour la vengeance, bonté pour les mal-
« heu^reux, respect pour les vieillards et les hommes pieux, empresse-
« ment à soulager les infortunés y industrie, hospitalité, charité, magna*
« nimité, haine de l'oppression, valeur déployée contre les empires qui
M les menaçaient, victoires remportées sur les princes de la terre, dé-
a vouement à la cause de Dieu et de sa religion : voilà, pour les Ber-
ce bères, une foule de titres à une haute illustration, titres hérités
« de leurs pères et dont Texposition, mise par écrit, aurait pu servir
« d'exemple aux nations à venir. »
Les Touareg ont encore, au plus haut degré, quelques-unes des
belles vertus assignées à leur race, il y aura bientôt six siècles, par
un historien impartial, car il était Arabe.
La bravoure des Touareg est proverbiale. Quoi qu'on en ait dit, ils
n'empoisonnent jamais leurs flèches oi leurs lances; entre eux ils
dédaignent l'emploi des armes à feu , qu'ils appellent armes de la
traîtrise, parce qu'un homme embusqué derrière une broussaille peut
tuer son adversaire sans courir aucun danger.
La défense de leurs hôtes et de leur clients est encore la vertu
par excellence des Touareg, et, si elle n'était érigée chez eux à l'état
de religion, le commerce à travers les déserts du Sahara serait
impossible.
i. Traduction française par M. le baron deSlane. Alger, 1852. Tome I, p. 199
etSUO.
384 TOUAREG DU NORD.
La ûdéiité aux promesses, aux traités, est poussée si loin par les
Touareg, qu'il est difficile d'obtenir d'eux des engagements et dan-
gereux d'en prendre , parce que , s'ils se fout scrupule de manquer
à leur parole, ils exigent l'accomplissement rigoureux des promesses
qui leur sont faites. Il est de maxime chez les Touareg, en matière de
contrat, de ne s'engager que pour la moitié de ce qu'on peut tenir,
afin de ne pas s'exposer au reproche d'infidélité. Comme tous les
autres musulmans, ils subordonnent bien leur exactitude à la volonté
de Dieu, mais ils ne spéculent pas sur cette réserve.
Quand un targui quitte sa famille pour aller en voyage , il confie
à son voisin l'honneur de sa maison, et le voisin venge les affronts
faits à l'absent avec plus de rigueur que s'il s'agissait de lui-même.
La patience, la résignation et la fermeté des Touareg dans la
misère , peuvent être égalées , mais non surpassées : car, sans ces
vertus, comment pourraient-ils vivre au milieu de déserts où Ton ne
voit souvent ni une plante, ni le plus petit des animaux?
Je n'ose pas affirmer les qualités du cœur des Touareg , dans les
tertiies qu'Ebn-Khaldoûn employait en parlant des Berbères, au temps
de la plus grande puissance de cette race, parce que, dans plus d'une
circonstance, je les ai vus emportés, vindicatifs, indifférents aux
souffrances des autres. Cependant, au fond, il faut que les nobles
soient bons envers leurs serfs et leurs esclaves, pour que ceux-ci ne
se révoltent pas, ne les abandonnent pas. Et puis, là où il n'y a
rien, la charité, comme le roi, perd ses droits. Chez les Touareg,
nobles et serfs, riches et pauvres, se serrent le ventre avec une
ceinture quand il n'y a plus de vivres au logis, et vont dans les
champs disputer aux troupeaux les quelques plantes qui peuvent
entretenir leur existence. La générosité, dans ce cas, serait une vertu
plus qu'humaine.
Les capacités industrielles des Touareg sont encore à la hauteur de
celles des autres Berbères. Ils ne sont pas riches en matières premières,
mais ils approprient à leurs besoins tout ce qu'ils ont sous la main.
Quant à la haine de l'oppression, elle est encore aussi vivace chez
eux qu'aux plus beaux jours de la puissance des Berbères, car c'est
leur amour de l'indépendance qui les a conduits et les maintient au
désert.
11 est une qualité, spéciale aux Touareg, qu'Ebn-Khaldoûn ne
mentionne pas et qui a une valeur réelle pour des hommes perdus dans
CARACTÈRES DISTINCTIFS. 385
rimmensité des déserts ; je veux parler de leur aptitude aux grands
voyages, au milieu de dangers de toute nature. Essentiellement cos-
mopolite, le targui passe sans transition du climat sain de ses mon-
tagnes dans les marécages de l'Afrique centrale, d'une température
quelquefois au-dessous de zéro à celle de la zone torride, d'un pays
où il pleut rarement dans des contrées où les pluies tropicales amè-
nent des déluges d'eau. Dans ces pérégrinations, il résiste à des
épreuves qui tuent les animaux les plus robustes.
J'ajouterai encore que le mensonge, le vol domestique et l'abus
de confiance sont inconnus des Touareg.
Un targui a-t-il commis un crime, il fuira; mais, s'il est pris, il
l'avouera, dût sa vie dépendre de son aveu.
Un targui arme-t-il en course et fait-il huit cents kilomètres pour
aller enlever au pâturage du bétail appartenant à une* tribu enne-
mie; s'il rencontre en chemin des marchandises ou des vivres
déposés par une caravane , il les respectera. Jamais il ne pénétrera
dans une tente ou dans un bivac pour y prendre quoi que ce soit.
Conûe-t-on à un targui des marchandises, de l'argent, pour* les
porter d'une ville dans une autre , il aura beau, à mi-chemin, séjour-
ner dans sa tente; ni lui, ni sa femme, ni ses enfants, fussent-ils
dans le plus grand dénûment, n'y toucheront.
Prête-t-on sur parole, même sans témoin, de l'argent à un targui,
il le rendra, fût-ce vingt ans après, s'il lui a fallu ce temps pour
réaliser la somme empruntée, et il passera trois mois sur les routes
pour aller la restituer. Si le prêteur est mort, la dette est remboursée
à ses héritiers, et si l'emprunteur meurt insolvable, ses enfants tien-
nent à honneur de payer dès qu'ils pourront.
11 est bien entendu qu'il ne s'agit pas ici de ces dons, déguisés
sous le nom de prêts, que les Touareg sollicitent soufrent de leurs
clients, voyageurs ou commerçants, en sus du prix de protection
stipulé.
Un targui meurt-il en voyage, ses compagnons de caravane accep-
tent, ipso facto, le mandat de gérer ses affaires au mieux de ses inté-
rêts, et, au retour, ils rendent un compte fidèle de leurs opérations
à ses héritiers.
Un peuple qui a de telles qualités, au milieu de quelques défauts
inséparables de l'humanité, ne mérite pas la réputation que lui ont
faite des écrivains renseignés par ses ennemis.
I. «6
W6 TOUAHEG DU NORD.
Conservation de l'écriture berbère.
(Teftnagh.)
Depuis longtemps on savait que les plus anciens habitants de
l'Afrique septentrionale se servaient de différents dialectes d'une
langue à laquelle, sans la connaître, on avait donné le nom de
langue berbère, comme on avait appelé Berbères ceux qui la par-
laient. Des vocabulaires de divers dialectes avaient même été publiés,
avant et depuis l'occupation de l'Algérie, par Venture, MM. Delaporte
et Brosselard.
On savait aussi par Ebn-Khaldoûn que le Coran avait été traduit,
au Maroc, de l'arabe en berbère, mais que cette traduction, écrite
d'ailleurs avec les lettres de l'alphabet arabe, avait été détruite, la
parole de Dieu ne pouvant, sans profanation, être exposée à être alté-
rée^ par des traducteurs.
On savait, enfin, par la narration du voyage de Denham et Clap-
perton dans l'Afrique centrale, que le docteur Oudney, leur compa-
gnon d'exploration, qui succomba dans le Soudan, avait recueilli,
en 1822, un alphabet de dix-neuf lettres, au moyen duquel les Toua-
reg représentaient les mots de la langue de leur pays.
Depuis, nos découvertes en cette matière ont beaucoup progressé.
Aujourd'hui nous possédons une Grammaire de la langue temâcheK,
par M. le chef de bataillon du génie, A. Hanoteau, avec un recueil de
fables, d'histoires, de poésies, de conversations et de fac-similé d'écri-
ture iefinagh et, de plus, les caractères typographiques qui ont été
fondus pour composer ce remarquable ouvrage. Aussi quand, l'année
«
dernière, les marabouts Touareg furent conduits à l'Imprimerie impé-
riale, ont-ils été émerveillés de voir sortir des presses un magnifique
tableau commémoratif de leur visite, imprimé en français et en
tefinagh.
Plus récemment (1862), l'imprimeur Harrison, de Londres, a pu-
blié une seconde grammaire du même dialecte , Grammatical sketch
of the temâhuq, par M. Stanhope Preeman, gouverneur de Lagos,
ancien vice-consul britannique à Ghadâmès.
Antérieurement, la Société biblique de Londres avait aussi publié
dans la même langue quelques fragments des Écritures, d'après
CARACTÈRES IDISTINCTIFS. 987
James Richardson, mort depuis dans l'exploration dont M. le docteur
Barth est le seul survivant. ^
Par quelle exception les Touareg, ces enfants perdus dans le dé-
sert, avaient-ils conservé récriture de leur langue, quand toutes les
autres peuplades berbères du littoral méditerranéen avaient môme
perdu le souvenir de son ancienne existence?
L'invasion par les Arabes de tous les pays berbères, la conversion
forcée à l'islamisme, la substitution de la langue du Coran à toute
autre, la destruction même des traductions berbères du Livre saint,
l'ardeur avec laquelle quelques-uns des nouveaux convertis se mirent
à la tête du prosélytisme religieux, expliquent comment la langue
arabe a partout remplacé, comme langue écrite, toutes celles anté-
rieurement en usage dans le Nord du continent africain.
Garthage aussi avait vu de même sa langue et son écriture na-
tionales, qui étaient celles des Phéniciens, effacées par le fanatisme
politique, terribles exemples de ce que peut Thomme en matière
de destruction quand la passion l'anime. Toutefois, au centre du
Sahara, dans un de ces lieux arides où des hommes simples abri- '
tent leur indépendance et où l'ambition des conquérants ne pénètre
pas, il y avait des peuplades de la race vaincue, mais non asservie,
qui purent conserver et transmettre à la postérité ce qui avait été
anéanti avec tant de soin partout ailleurs.
Au nombre de quatre, ces peuplades, représentant les quatre frac-
tions des Touareg, ont conservé la même écriture malgré la diver-
gence de leurs dialectes parlés. Il y a bien quelques différences dans
la forme donnée à certaines lettres, suivant les contrées; mais ces
variantes n'ont rien d'étonnant. Dans toute langue écrite, quand
l'imprimerie n'est pas là pour rappeler au type primitif, la forme
des lettres varie à l'inûni, suivant le caprice des maîtres et des
copistes. Sous ce rapport, le tefînagh offre moins de types différents
que les écritures de nos anciennes chartes, car les lettres modernes,
à quelques exceptions près, sont les mêmes que celles de l'Inscrip-
tion de Tugga, contemporaine de l'époque carthaginoise.
Tout est exceptionnel dans la conservation de cette écriture; car
c'est principalement aux dames targuies que nous sommes redevables
de ce miracle.
Miracle en HSeil dans tout le continent africain « les femmes let-
388 TOUAREG DU NORD.
trées se comptent par unités, tandis que chez les Touareg presque
toutes les femmes savent lire et écrire, dans une proportion plus
grande même que les hommes.
Dès mon arrivée au milieu de leurs tribus , je manifestai le désir
d'apprendre le temâhaq, et je demandai qui pourrait m*enseigner la
lecture et l'écriture de cette langue. A mon grand étonnement, on
m'apprit que l'enseignement du tefînagh était réservé exclusivement
aux fenmies, et quelques-unes s'offrirent pour me donner des leçons.
Pour me guider dans mes études, j'avais un exemplaire de la Gram-
maire temâchek' de M. Hanoteau. Cette circonstance me ût trouver,
en station comme en voyage, autant de professeurs que je pouvais
le désirer; car toutes les dames targuies voulaient voir, examiner,
contrôler cette œuvre merveilleuse. Jamais livre en Europe n'a ou
plus de succès. D'abord , il flattait l'amour-propre national ; puis , il
témoignait du grand intérêt que nous portons à tout ce qui concerne
les peuples conservateurs de la langue temâhaq; il était imprimé
sur beau papier, avec le luxe typographique de l'imprimerie impé-
riale ; enfin , il contenait un recueil de fables, de poésies, d'histoires
qui n'étaient pas toutes connues dans le pays et qui apportaient une
grande distraction dans la vie monotone du désert.
J'ai lu la Grammaire de M. Hanoteau avec les Touareg, et je dois
dire que le contrôle des linguistes du pays est tout en faveur de ce
travail. Le seul reproche qu'on puisse lui adresser est d'avoir été fait
loin des lieux où l'on parle le temâhaq, ce qui n'a pas permis à
l'auteur de distinguer les différences propres à chaque dialecte.
D'ailleurs le nom de temâchek* qu'il donne à l'idiome objet de ses
études témoigne que M. Hanoteau a puisé principalement ses con-
naissances dans le dialecte du Sud; car celui du Nord porte le nom
de temâhaq.
Chez les Azdjer, presque toutes les femmes savent lire et écrire,
tandis qu'un tiers des hommes à peine est arrivé à ce degré d'in-
struction. La majorité sait mal, et il est facile, même à un Européen,
de constater beaucoup de fautes ; mais quelques-unes écrivent cor-
rectement et paraissent être guidées par de véritables règles.
On a publié plusieurs alphabets tefînagh plus ou moins complets.
Les plus corrects sont ceux de MiM. Richardson, Hanoteau et Free-
man. Nonobstant, je crois utile de donner ici celui que j'ai recueilli
dans mon voyage, en faisant remarquer toutefois que les différences
PI. XXI.
Page 388.
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CARACTÈRES DISTINCTIFS. 389
les plus importantes tiennent à la forme variable de quelques letr
très.
J'ajouterai à ce qu'ont dit mes devanciers, savoir :
1** Que le tefînagh s'écrit à volonté, horizontalement ou vertica-
lement ;
2*» Que, dans l'écriture horizontale ou verticale, les caractères
sont tracés indistinctement de droite à gauche, de gauche à droite,
de haut en bas , de bas en haut, bien que la manière arabe ou hé-
braïque, de droite à gauche, soit la plus généralement adoptée;
3° Qu^ les lettres n'ont pas, comme dans nos caractères, d'une
manière absolue, un haut, un bas, un côté droit et un côté gauche,
mais s'emploient à volonté dans tous les sens ; ainsi, la lettre iedh,
correspondant à notre dh, s'emploie indistinctement comme il suit:
D'après le Cheikh-'Othmân, guide excellent dans toutes les recher-
ches spéciales à l'étude de son pays, il existerait un livre de droit,
traduit en bon temâhaq , mais écrit en lettres arabes. Un exemplaire
de ce livre existe à Aqabli , et un autre entre les mains de Brahtm-
Ould-Sîdi , le savant des Ifôghas. Le brave cheikh m'a promis d'en
faire prendre une copie.
Autrement , on ne trouve écrits en tefînagh que des inscriptions
sur les rochers, sur les armes, sur les anneaux de bras, les bracelets,
les instruments de musique, les lanières de cuir, les boucliers ou
des broderies sur les vêtements. Tous les écrits sérieux, les livres, les
chroniques, la correspondance, les amulettes sont en arabe, langue
que beaucoup parlent, mais que les lettrés seuls savent écrire.
Les inscriptions sur les rochers sont les unes anciennes, les
autres modernes; les unes gravées en creux au burin, les autres en
relief et exécutées au moyen d'un mastic auquel le goudron sert de
base et qui a la double propriété, comme l'encre des transpositions
lithographiques, de faire corps avec la pierre et de se conserver plus
ou moins longtemps.
Sur les rochers aussi, on trouve souvent, soit isolées, soit rap-
prochées, des sculptures, des gravures, informes bien entendu, mais
qui, quelquefois, ont la prétention de représenter des scènes all^o-
riques.
390 TOUAREG DU NORD.
M. le docteur Barth a déjà livré à la publicité quelques fac-similé
dç tableaux rupestres qu'il a rencontrés sur sa route. Moins heu-
reux que lui, je n'ai pas eu la chance d'en trouver d'assez impor-
tants pour mériter la reproduction; mais, par contre, ma collection
d'inscriptions est plus riche, et j'en donne, dans la planche ci-contre,
quelques-unes, principalement celles qui ne me paraissent pas se
borner à de simples noms d'hommes ^
Tôt ou tard, l'examen comparé des sculptures et des inscriptions
rapportées par les divers voyageurs pourra donner lieu à d'impor-
tantes remarques ethnograptiicfues.
En général, les lettres des inscriptions sur les rochers ont envi-
ron 6 centimètres de hauteur; le trait se ressent de l'inhabileté des
graveurs. Quelques-unes sont frustes et d'une lecture diflficile.
Les Touareg disent que les inscriptions en creux sont anciennes,
car les modernes se bornent aux inscriptions en relief, en noir avec
le charbon, ou en rouge avec l'ocre .
U$age du voUe,
Si, pour les hommes de science, la conservation de l'écriture,
d'une écriture perdue, et qui fut jadis celle exclusivement en usage
dans tout le Nord du continent africain, est un fait capital qui per-
1. NOTES EXPLICATIVES DE Là PLANCHE CI-CONTRE.
Les inscriptioDs da n^ 1 au n^ 12 inclusivement ont été copiées sur des blocs
de grès détachés de la berge de rOu&di-Tamiouttn. Elles doivent être anciennes et
sont peut-être incomplètes, car il est facile de reconnaître des brisures dans les
pierres. Les quatre premières appartiennent à un bloc, et les huit dernier» à un
second bloc. Les lettres ont 6 centimètres de hauteur en moyenne , le trait en est
large et peu profond. Le dessin de chameau qui figure au bas de la planche a été
copié sur un bloc voisin des inscriptions.
Les inscriptions du n» 1 3 au n°24 sont de la source d*Ahèr ou des grottes et des
rochers environnants. Parmi un très-grand nombre, ]*ai choisi les moins frustes, et
Je doute encore qu'elles soient toutes complètes. L'une d'elles, le n» 15, Ouinek otiw-
lim (moi, musulman), semble révéler une origine ancienne, car il y a longtemps
déjà que les Tou® n'ont plus besoin d'attester leur foi par des témoignages exté-
rieurs. Des sujets, représentant des autruches et des chameaux, appellent mon atten-
tion ici comme dans l'Ouàdi-Tamiouttn.
Les inscriptions du n* 25 au n^ 28 et celles du n^ 29 au n<^ 32 proviennent : les
premières de l'Ouàdi-AHoûn , les secondes du monument romain de DJerma.
Ces sortes d'inscriptions sont tellement communes dans certaines parties du
pa3rs des Touareg que, si on allait à leur recherche, en en trouverait en très-grand
nombre, surtout dans les lieux qui sont d'anciens centres d'habitation.
P!. XXII.
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CARACTÈRES DISTINCTIFS. m
mettrait de donner aux Touareg le surnom de Conservateurs du tef\r
nagh, l'usage du voile est pour 1q vulgaire un signe plus caractéris-
tique encore; car, dès leur arrivée en Afrique, les Arabes ont
immédiatement appelé ces peuples : Molâthemin, les voilés , ou Ahôl-
el'lithâm, les gens du voile; et les historiens arabes leur ont depuis
conservé ce surnom.
Le voile, en effet, est d'usage général chez les Touareg, et ils ne
le quittent jamais, ni en voyage, ni au repos, pas môme pour man-
ger, encore moins pour dormir; de là, grande difficulté pour voir le
visage d'un targui.
Quoique, par imitation, les chefs arabes de Timbouktou, les
princes Fellâta, les gens d'Jn-Sâlah, de Ghadâmès, de Rhât, les
Arabes nomades du Touât, et les Teboû, aient aussi la figure voilée
ou couverte, les Touareg sont réellement les seuls chez qui l'usage
du voile est général et passé dans les mœurs.
11 est difficile de remonter à l'origine de cette coutume et de lui
assigner une cause.
L'usage du voile est hygiénique, dit-on. Il préserve les yeux de
l'action trop intense du soleil, le nez et la bouche de la poussière fine
des sables et il entretient l'humidité à l'entrée des deux principales
voies respiratoires, ce qui est important sous un climat où l'air est
excessivement sec.
Mais , si une raison exclusivement hygiénique a fait adopter le
voile, pourquoi les femmes ne le portent-elles pas? pourquoi les
hommes ne se débarrassent-ils pas la nuit, au repos, quand il n'y a
ni soleil, ni sables, ni air chaud et sec, d'un vêtement toujours gê-
nant, malgré la grande habitude de le porter?
Un targui, quel qu'il soit, croirait manquer aux convenances en
se dévoilant devant quelqu'un, à moins que ce ne soit dans l'ex-
trême intimité ou pour satisfaire à la demande d'un médecin à l'effet
de constater la nature d'une maladie. A part ces cas exceptionnels,
le voile doit toujours couvrir le visage.
A Paris, j'ai vainement sollicité le Cheikh-'Othmân et ses deux
disciples de laisser tomber leur voile devant l'appareil photographi-
que, en leur affirmant que ce n'était à autre fin que d'avoir une image
fidèle des traits d'hommes aimés; je ne pus obtenir cette faveur.
Ce n'était pas affaire de religion , car le Cheikb^'OthmÂn i^aiC
3M TOUAREG DU NORD.
SQus les yeux les photographies d"Abd-el*Kâder et du chef de la con-
frérie doDt il est un des principaux dignitaires, et il ne les blâmait
pas de leur condescendance; mais sa qualité de targui lui faisait
considérer comme une sorte de profanation de se dévoiler, en dehors
de tout regard, même devant le miroir d*un appareil.
On a cru, d'après des informations inexactes, que les Touareg
portaient le voile parce qu'ils ne voulaient pas être reconnus comme
auteurs des cruautés qu'ils exercent sur leurs ennemis.
Cette interprétation est fausse pour trois motifs : d'abord les Toua-
reg ne sont pas cruels; puis, malgré leur voile, ils se reconnaissent
entre eux comme s'ils n'étaient pas voilés; enûn, ils repoussent les
armes à feu, qu'ils appellent armes de traîtrise, considérant comme
seul honorable le combat à l'arme blanche, corps à corps, face à face.
Parmi les porteurs de voile, on distingue ceux qui font usage du
voile blanc de ceux qui ont le voile noir.
Par un contraste fréquent dans la nature, les Touareg à figure
blanche, aux traits caucasiques, les nobles en particulier, ont adopté
exclusivement le voile noir; au contraire, les hommes de race infé-
rieure, ceux chez lesquels le sang du nègre se manifeste, ont donné
la préférence au voile blanc. Ce dernier, plus facile à laver, d'un
prix inférieur, est aussi préféré par un grand nombre des habitants
des villes de Rhàt, de Ghadàmès et d'In-Sâlah.
De là, deux classes de Lithâmiens : les blancs et les noirs.
Dans le langage vulgaire, et par abréviation, les Arabes disent
quelquefois aussi Touareg blancs pour Touareg serfs et Touareg noirs
pour Touareg nobles.
Ceux qui ont fait de cette division en blancs et en noirs, d'après
la couleur du voile , une division basée sur la couleur de la peau ,
ont donc commis une erreur.
Anneau de pierre au bras.
Tous les Touareg, dès que leur âge leur permet de prendre les
armes, portent au bras droit, entre le ventre du biceps et l'attache
inférieure du deltoïde, un anpeau en pierre qui, une fois mis en
place, n'est jamais enlevé.
Le but de cet usage, disent les Touareg, est de donner plus de
force au bras pour assener un coup de sabre.
CARACTÈRES DISTINCTIFS. 393
Dans les combats corps à corps, quand deux champions se tien-
nent enlacés de manière à ne pouvoir plus faire usage de leurs
armes, chaque combattant cherche à écraser les tempes de son ad-
versaire sous Tanneau de son bras.
Ces anneaux, en serpentine, de couleur verte, avec des raies d'un
vert plus foncé, sont larges et arrondis, de manière à ne pas blesser
celui qui les porte, On les fabrique dans les contrées où se trouve la
serpentine, chez les Aouélimmiden et chez les Azdjer.
Quoique chaque targui, à l'exception des marabouts, ait un
anneau à son bras, cet article est assez rare dans le pays pour que
je n'aie pas eu l'occasion d'en acheter un pour mes collections.
Seuls, au milieu de tous les peuples qui les environnent, les
Touareg portent l'anneau de pierre au bras droit.
Poignard d*avanUbrai.
Il est une arme aussi dont un targui ne se sépare jamais; c'est
un poignard plat, de la longueur d'une coudée, fixé par un large
bracelet en cuir à la face interne de Tavant-bras gauche, de manière
que la poignée soit toujours à la disposition de la main droite, sans
gêner aucun mouvement.
Cette arme exceptionnelle, portée d'une manière si exception-
nelle, n'appartient encore qu'aux Touareg seuls.
Succession maternelle, — Droit d*atn$sse politique au profit du fils de la scBur ainée,
( Bent-Oummîa. )
Déjà , la Note de Brahîm-Ould-Sîdi sur leurs origines a fait con-
naître que les Touareg attachent un aussi grand prix à la filiation
maternelle qu'à la descendance paternelle, et qu'entre eux ils distin-
guent les tribus qui suivent l'ordre de succession maternelle , par le
nom de Beni-Oummïa , de celles qui , exceptionnellement , et depuis
l'introduction de l'islamisme, ont adopté la succession paternelle , et
qu'ils appellent Ebna-Sîd.
Déjà, dans le paragraphe consacré à Rhât, j'ai été amené à constater
chez les Berbères Ihàdjenen, fondateurs de cette ville, une constitu-
tion de la famille et une loi d'hérédité différentes de celles des autres
peuples de religion juive, chrétienne ou musulmane.
398 TOUAREG DU NORD.
. Dans les temps très-anciens, dit la tradition, un de leurs sultans
se trouva atteint par le mauvais œil.
Le mauvais œil, quelque chose comme la jeUatura des Italiens!
L'effet du mauvais œil fut que la première femme du sultan
conçut de lui un djinn ou génie qui, aussitôt entré dans ce monde,
alla rejoindre ses frères dans le royaume des esprits.
Le sultan, comme il arrive toujours en pareil cas, accusa sa
femme et la répudia.
11 prit une seconde femme. Même résultat, avec cette différence
que le produit de leurs amours fut un inn, autre être surnaturel,
au lieu d'être un djinn.
Nouveau divorce, nouveau mariage, renouvelé une troisième,
une quatrième, une cinquième fois.
On dit même que le sultan eut la vertu d'aller jusqu'au chiffre de
soixante femmes sans pouvoir obtenir, pour héritier de son royaume,
autre chose que des inn ou des djinn qui, tous, à leur naissance,
disparaissaient, laissant en deuil père et mère et tous ceux intéres-
sés à leur malheureux sort.
Pendant toute cette série d'épreuves, le sultan était devenu vieux
et, le chagrin aidant, il ne pouvait songer à convoler à de nouvelles
noces.
Quel parti prendre en telle occurrence?
En homme sage, désireux d'épargner à ses sujets les malheurs
de la guerre civile, inévitable à sa mort, pour le partage de ses
biens et de son pouvoir, le sultan réunit, de son, vivant, une assem-
blée générale de tous ses sujets, masculins et féminins, et leur
demanda leur opinion sur les mesures à adopter pour assurer la pai-
sible transmission de son héritage : grave question, souvent agitée
dans le monde.
Beaucoup d'avis furent ouverts. Chaque opinant, voulant être
sultan, présentait une solution favorable à ses prétentions. Après de
longs et vifs débats, les concurrents au trône allaient en appeler à la
force des armes, lorsqu'un des assistants, silencieux jusque-là, parce
qu'il ne voulait pas changer sa modeste condition contre un trône ,
demanda et obtint la parole.
Ce sage était un savant marabout, très-versé dans les sciences
occultes : la magie, l'astrologie, la sorcellerie et la connaissance des
génies.
CARACTÈRES DISTINCTIFS. 399
Il rappela à l'assemblée les malheurs adveaus à un homme aussi
respectable que le sultan régnant et à ses soixante femmes, toutes
choisies parmi l'élite des plus nobles familles; il disculpa ces der-
nières, une à une, des soupçons qui avaient injustement pesé sur elles,
— tactique habile pour se rendre favorable la plus belle moitfé de
rassemblée et tous ceux de Tautre moitié qui, en galants chevaliers,
avaient pris les couleurs de leurs belles, pour assister à la délibé-
ration.
Après l'exposé d'une infortune sans précédents dans l'histoire, il
démontra que le Grand-Maître des hommes et des choses, celui par
la volonté duquel tout arrive, n'avait pas voulu, sans motifs, sou-
mettre le peuple des Imôhagh à une pareille épreuve, et qu'au lieu
de se disputer la succession d'un trône qui , grâce à Dieu , n'était
pas encore vacant, il était bien plus conforme à la raison 'de recher-
cher le motif pour lequel le Grand-Maître avait refusé au sultan un
fils, héritier de son sang et de son pouvoir.
C'est ce que fît le marabout en interrogeant successivement toutes
les probabilités des secrets desseins de la Divinité.
L'énumération des causes possibles ou probables fut longue ; la
critique de ces hypothèses fut plus longue encore. Pendant ce temps
la passion des prétendants s'était calmée , et l'assemblée , subjuguée
par l'éloquence d'un homme qui savait se taire , quand il savait si
bien parler, attendait avec impatience la conclusion d'un discours qui
révélait une si grande connaissance de choses mystérieuses pour tout
le monde.
La conclusion tant attendue arriva.
Dans le cas particulier. Dieu n'avait pas voulu que la transmission
du pouvoir s'effectuât par le ventre des épouses ; c'était incontestable.
Cependant, un peuple ne pouvait rester sans sultan, et sans sul-
tan de sang royal ; c'était incontestable encore.
Alors, il fallait chercher ce sang dans le ventre où on était assuré
de le trouver, avec le plus de garanties de consanguinité.
La sœur du sultan se trouvait naturellement indiquée, non pour
régner, mais pour donner la couronne à son fils aîné.
On le croira sans peine , les femmes applaudirent à une solution
qui donnait tant d'importance à leur sexe ; les chevaliers Imôhagh
saisirent avec empressement l'occasion de donner une nouvelle preuve
de leur galanterie > et la loi Benî-Oummia , proposée par un saint
40S TOUAREG DU NORD.
mais qu'ils s'en abstitonent comme tous les bon» musulmans, eux
compris, s'interdisent l'usago de la viande de porc.
Cependant, tous les Touareg me partagent pas la répugnance
oommune; ainsi, les marabouts., qui ont le plus complètement rompu
avec les anciennes traditions du paganisme, mangent-ils du poisson,
de la volaille, des oBuis, oomma de tous les autres aliments que le
Coran n'interdit pas.
Les s&rfs et les esclaves ausm, à l'imitation des marabouts, man-
gent les poissons qu'ils pécbeiit dans les lacs de leurs montagnes.
Mais» malgré ces temples, les nobles des Azdjer et des Ahaggàr,
chez lesquels la tradition des cultes antérieurs à l'islamisme est plus
wvaoe^ s'abstiennent et croiraient faillir à leurs quartiers de noblesse
en ne se conformant pas à la tradition.
CONCLUSION D£ CE CHAPITRE.
Sans doute, ces caractères ne suffisent pas encore pour autoriser
le classement des Touareg dans l'une ou Tautre des races de la grande
famille humaine, mais déjà ils fournissent à l'observation des élé-
ments de comparaison assez nombreux pour guider les recherches
ultérieures.
J'ai attaché une grande importance à l'étude de ces caractères
distinctîfs , parce que les Touareg, surtout ceux du Nord , me parais-
sant avoir le mieux conservé, à travers les âges , les coutumes, les
mœurs et les habitudes des anciens Berbères; parce que la connais-
sance du type le plus pur me semble un commencement sérieux de
conquête sur l'inconnu.
CHAPITRE V.
TOUÂaKG DANS LEUR VIE INTéRIBURB.
Les Touareg étant nomades, pasteurs, musulmans, et habitant le
désert, leur vie intérieure a beaucoup d'analogie avec celle des Arabes
nomades de la même région. La manière de vivre de ces derniers
étant connue, je la prendrai pour terme de comparaison.
J'entrerai peut-être dans des détails qui, au premier abord, peu-
vent paraître surabondants. J'ai eu l'heureuse chance de voyager en
tribu, de voir, d'observer la vie du peuple targui; je puis donc es-
sayer de la raconter, ce qui n'a pas encore été foit.
Campements, — Habitations.
Les Touareg ont des campements de station et des campements
de marche.
Dans leurs campements de station, toujcM;irs choisis près des points
les plus riches en eaux et en pacages, les nobles habitent la tente,
les serfs la chaumière.
Un grand camp de tentes est un âmexzâgh; un petit eamp, un
irhéouen.
L'habitation, qu'on appelle tente , comprend :
Un vélum ou abri contre les intempéries des saisons, tantôt en
tissu de. chaume, êhm, tantôt en peau, ehakit, tantôt en laine,
abirdjen;
Un pilier, support de la couverture, témankart;
Des piquets, âmauïté.
Un groupe de chaumières, au nombre de six à douze environ, dans
lequel les familles consanguines se concentrent pour se protéger en
cas d'attaque, mais pas assez pour se gêner, ccmstitue une taousit ou
triba.
404 TOUAREG DU NORD.
^'l^ Généralement, les réunions de tentes sont disposées en rond,
comme les doaâr des Arabes; l'espace circulaire qu'elles laissent
entre elles, la cour, dans laquelle on réunit les troupeaux pour la
nuit, porte le nom de*lasaguîft.
La tente a la forme de la hheïma arabe ; mais elle est beaucoup
plus petite.
Les peaux de Vehakît sont tannées, peintes en rouge et bien
cousues.
La chaumière, tikaberty dont les murailles sont en branchages et
les toits en roseaux et en paille de marais, ressemble assez au gourbi
des indigènes de l'Algérie, quoique généralement plus grande.
Pour le climat du Sahara, ces deux habitations sont d'assez
médiocres abris.
Dans les campements fjxes des serfs, chaque habitation a souvent
son petit jardinet, avec une haie sèche en palmes, dans lequel on
cultive quelques légumes. Ce petit potDger porte le nom d'âfaradj.
En marche, à l'exception des nobles et des riches, qui ont des
tentes, la masse campe en plein air, sans ordre, au milieu des ba-
gages, en se servant de ces bagages, kâya, comme abri contre le
vent.
Quoique voyageant avec les chefs, et pendant huit mois, je n'ai
peut-être pas vu dix tentes.
Mobilier. — Ustensiles.
Le mobilier d'un ménage targui comprend :
Des nattes en sparterie, éfim, tenant lieu de plancher;
Des nattes paravent, âsalâ;
Des tapis en laine, de diverses couleurs, tâhouârt, très-rares;
Des tapis en laine, rouges, tâgdoùmfest, également rares;
Des peaux de bœuf tannées, îserkow, servant de table à manger;
Des matelas, ettorâh; des oreillers, âsâmou; des couvertures,
elbottânîet; des lits, là;tak; mais ces objets de luxe sont à peine
connus même des chefs, la plèbe se contentant de Vâdebénou lit
creusé dans le sable avec la main ;
Des coussins en cuir, âdafôr;
Des corbeilles en sparterie,- tar/iéennat;
Des sacs en peaux, âdjerâ ou ârheredj, tenant lieu d'armoires et
VIE INTÉRIEURE. 405
fermés à l'aide d'une clef, asârou, au moyen d'un cadenas, tenâst;
Des cages à dromadaire, takkâouit, avec leur couverture, âhenneka,
pour abriter les dames en voyage;
Des bâts d'âne, eroùkkou ;
Des outres, abeôq, pour les provisions d'eau;
Des seaux en cuir, adjâ , et des cordes , erhorêfi , pour puiser
l'eau ;
Des outres, tânouart, pour le lait ;
Des gourdes, titahalt, tenant lieu de vases;
Des cruches en terre, iméki;
Des cruches en bois, tahatiint, pour le beurre;
Des vases en bois, akoûs, pour boire;
Des tasses, tébènt;
Des plats en bois, târhelâlt : grands, ârhelâl; petits, târhehoût;
Des vases en fer battu , êrhér : ceux pour manger, irhér-wânr
efoûs; ceux pour se laver, êrhér-wân-emoùd ;
Des cuillers en bois, tesôkall;
Un mortier en bois, âkabar, pour remplacer le moulin à bras des
Arabes, avec un pilon en pierre, tindi, pour écraser les grains dans le
mortier;
Une lampe, tâflilt;
Des miroirs, thit;
Des violons, atnz/idd (la reMza des Arabes), avec leur archet,
tadjegnlié;
Si, à ces principaux ustensiles, on joint quelques menus objets, on
aura l'inventaire de tout le mobilier d'une famille targme; cepen-
dant il ne faut pas que j'oublie Técuelle, ébedjî, du chien, ce fidèle
gardien de la maison.
Vêtements, — Coiffures. — Chaussures, — Parures,
Les Touareg, nobles et serfs, portent les mômes vêtements, plus
ou moins beaux, plus ou moins nombreux, suivant leur richesse res-
pective.
Presque tous ont une chemise longue, tihamist, à manches, then-
fâssen, le tout en toile de coton blanc.
Ceux qui n'ont pas la chemise portent une blouse large, refirha,
également en toile de coton blanc, mais très-forte.
ft«6 TOUARSa DU NORD.
Un loog pantaJon lange, karteba, h la fa^n de ceux des aacjaiis
Gaulois, ^D toile décote bleue» lustrée, provenant du Soudan^ couvre
la partie inférieure du corps , de la ceinture à la cheville du pied.
Une longue blouse, tikamist-korè (le lob des Arabes), eo toile de
coton bleue, teinte à Tindigo, lustrée, sert de pardessus.
Des broderies, iihiren, décorent ce vétemeat; des pocbes, aihîh, .
le rendent utile pour serrer le mouchoir, elmakharmet, la tabatière,
la pipe et ses accessoires.
Une ceinture en coton bleu^ tâmeruiia, ou tachirbU <|uaQd elle est
en laine rouge, fixe ce pardessus au niveau de la taille et donne de
la tournure à ce vêtement
Quelques-uns ont le pardessus en peau; c'est même un vêtement
estimé.
Ceux des Touareg qui ont dies relations avec las Arabes portent
quelquefois, par fantaisie, différentes pièces de leurs vêtements : la
gandoura, qui est une longue robe, akbbay; le haïk, longue pièoe
d'étoffe de laine , elhaouli, ordinairement blanche , mais quelquefois
teinte en bleu ; alors elle prend son nom de isa couleur, enniL
Une longue calotte rouge de Tunis^ tekowmbout, avec un gland en
soie, sert de coiffure.
Le voile, tiguêlmoust, couvre la tête, le front, la nuque, la figure
et le cou. C'est une longue pièce de toile de coton, peu large, teinte
à l'indigo et lustrée d'un côté, qu'on arrange de façon que les yeux
seuls soient visibles, et encore sontrils masqués par un large pli
qui forme en avant une sorte de visière. Le tiguélmou$t est fabri-
qué au Soudan.
La partie du voile qui recouvre la tête s'appelle îtelli.
Ceux trop pauvres pour acheter cette pièce se voilent avec de la
gaze blanche d'Europe, achchâch^ qu'ils roulent autour de la tête en
forme de turban.
Pendant la saison des ^ndes chaleurs , les voyageurs sahariens
portent volontiers un grand chapeau de paille parasol. Mi, mm cette
coiffure est rarement adoptée par les Touareg.
La chaussure consiste en une forte et large semelle oomposéo de
quiutre épaisseurs de cuir de chameau, kabilement cousues avec des
lanières de cuir, et en œe bride à trois attaches, poafe sur te
VIE INTÉRfEURE. &IT
semelle, seus forme de trépied ; deux des attaches, plalts* posées laté-
ralement comme les brides de nos sabots déeoufepts^ sm*v«it à main-
tenir le cou-de-pied ; la troisième, arrondie, de la grossesr du petit
doigt, est fixée sur la ligne médiane de la semelle, en un point tm^
tral. à peu près à égale distance de son reberd circulant. Cette tniîr
sième attache, introduite entre le gros orteil et le premier doigt, »rt
à asseoir l'ensemble du pied sur la semelle. Le dessus de la semelle
et les brides soQt en peau de chèvre iparoquiné^^ do couleur rouge,
avec des dessins variés. (Voir planche XXIV, fig. 9.)
Les chaossures ou sandales faites à Kanô (Soudan) sont appelées
irhâtimen, celles fabriquées dans le pays, tmerkedm.
Les chefs ont quelquefois des bottes molles en maroquin > ibôi-
La chaleur du sol, sa nature pierreuse et sablonneuM empftçhopt
les Touareg de marcher pieds nus comme les Arabes.
Les pauvres seuls n'ont pas de chaussure*
Tel est, avec un chapelet, ifedhenen, autour du cou, le CQttil9f
national.
Les chefs y ajoutent quelquefois, à la manière arabe, m g^,
une veste à manches, un burnous en drap de couleur reuge on bien
elair. Le rouge est préféré.
Le costume des femmes est plus simple encore.
il eomi^rend une, deux ou trois longues blouses decpton^ êikamist-
horé, serrées autour de la taille par une ceinture du UÎM rougi,
tadUrbU.
Par-dessus ces blouses, une longue pièce de laine, tantôt bll4ie]MI»
alliaouli, iantôt rouge, taharrakamt, tantôt à bandes rouges et blan-
ches, tâbrogh, dans laquelle elles se drapent à la (hçM orientale,
achève de couvrir leur corps.
La coiffure consiste en bandeaui^ faits avec les cheveux, qn'eHii
recouvrent d'une pièce d'étofie, ikar-hay, plus ou moiitt riehe, en
laine ou en coton, et dont elles encadrent leur face.
La chaussure est la même que celle des hommes, mais plus iëgève
et plus ornementée.
Les seuls objets de panne à leur ue^ sont :
Des bagues, tUak;
&0S TOUAREG DU NORD.
Des bracelets en verre, tihokaouin, ou en argent, iouoki;
Quelques grains de verroterie, tâserhmâlt.
Avec d'aussi minces éléments de toilette, les femmes trouvent
cependant le moyen de rappeler la pose allière des déesses de l'anti-
quité. Le mariage de couleurs tranchantes se prête à de nombreuses
combinaisons qui sont étudia avec soin.
AUmmU, — Boissons. — Thé. — Café. — Tàbae.
Jamais peuple ne fut plus pauvre en ressources alimentaires;
aussi, à l'exception d'une bouillie, asink, ne trouve-t-on pas chez les
Touareg, comme ailleurs, un mets national, base de leur nourriture.
Chacun mange ce qu'il trouve ou ce qu'il peut se procurer au plus
bas prix possible, généralement en petite quantité et tout juste ce
qu'il faut pour ne pas mourir, excepté dans le cas où l'occasion se
présente de manger gratuitement; car alors l'appétit, surexcité parla
gourmandise, ne connaît pas de limites.
Les Touareg, comme tous les animaux de leur pays, supportent
admirablement la faim et la soif. Il est de notoriété publique parmi
eux qu'un homme, contraint par la nécessité, peut voyager sans
boire ni manger pendant plusieurs jours. Alors, pour supporter plus
facilement la privation, on se serre le ventre avec une 2x)urroie ou
avec une ceinture.
En voyage, les Touareg ne mangent qu'une fois, quand la marche
de la journée est terminée. L'unique repas se dit azhebri.
En station, ils font deux repas : le déjeuner, âmekli; le dîner,
amedjin.
Par le nombre des matières premières qui entrent dans l'alimen-
tation, il est facile de se convaincre que le pays ne suffît pas aux
besoins de ses habitants. •
Je les énumère ici par ordre de nature :
Graines : blé, orge, sorgho, millet, toîiUoùlt (graine de Varthra-
therum pungens);
Fruits : dattes, figues, raisin sec, jujube sauvage, fruits du Sa^
vadora Persica;
Légumes domestiques : oignons, tomates, aubergines, melons, pas-
tèques, concombres, courges, citrouilles, polirons;
VIE INTÉRIEURE. 409
Légumes sauvages : les principaux sont connus sous les noms
indigènes de tânekfâït, harharha, tanesmym , ineMin , azezzedja ; ils
sont principalement fournis par la gi*ande famille botanique des Cru-
cifères ;
Viande d animaux domestiques : chameau, mouton, chèvre;
Viande d^ animaux sauvages : mouflon, antilope, gazelle, gerboise,
rat des champs , sauterelles, vers ;
Condiments: lait, beurre, huile, graisse, suif, miel, cassonade,
gomme, ail, poivre, poivron, sel et un piment du Soudan, la
chitta;
Des fromages, importés du pays d'Aïr, complètent la liste des
ressources alimentaires des Touareg.
Le riz, tâfarhat, abondant dans tout le Soudan occidental, est
quelquefois acheté par les caravanes comme provisions de retour; on
le mange cuit et assaisonné comme le pilau dans le Levant.
Avec les farines du blé, de Torge et du toûlloûlt, soit prises iso-
lément, soit mélangées, on fait quelques galettes, mais principale-
ment une bouillie cuite, grossière et épaisse, qui rappelle le brouet
des anciens Spartiates.
Cette bouillie, qui est la base de la nourriture des Sahariens,
porte, suivant les contrées, les noms d'asînk, tàraouit, en temâhaq,
eid**aç1da, en arabe.
La même bouillie, non cuite, la mohamsa des Arabes, est appelée
tihhammazm par les Touareg.
Le kouskousou, mets national des Arabes, apparaît quelquefois,
mais en de rares circonstances, sur la table des nobles et des mara-
bouts; on lui a conservé son nom, kaskasoû, ce qui constate son ori-
gine étrangère.
Dans les jours de fête aussi, on prépare une pâtisserie, alkâk,
sorte de gâteau à base de farine, lait, beurre et miel.
Avec les farines du gâfoûli et du gueçob, on fait aussi des bouillies,
mais principalement des crêpes, el fêlât, que les Arabes appellent
cherchich.
Dans les villes seules on fabrique du pain :
Frais, on le nomme takeïa et tadjella;
Biscuité, pour 1* usage des caravanes, takeïa-taqqôret.
La datte {âheggarh pi. îheggarhen), la figue et la jujube sont
&10 TOUAREG DU NORD.
souvent mangées en nature ; le raisin sec est mis dans les ra^ts.
La datte, pilée dans de Teau et du beurre, constitue le târekU;
Pétrie avec la farine du gueçob et du piment, et mise en gâteaux
crus, sous forme de petits bondons, elle constitue le takodart, con-
serve que Ton mange ensuite en la délayant dans de l'eau.
Les légumes de jardins ne se trouvent que près des villes ou des
campements fixes des serfs ; ils sont assez peu abondants pour qu'on
ne les mange jamais secs; les légumes sauvages constituent souvent
la principale ressource des malheureux.
On les cuit à Teau et au sel, avec ou sans beurre ou graisse.
Ordinairement, on ne tue d'animaux domestiques que pour célé-
brer la bienvenue d'un hôte.
Le repas de l'hospitalité, âmadjârou, doit toujours être assez co-
pieux pour rassasier trois ordres de convives : l'hôte, âmadjâr; le
voisin, anâradj, qui, sous prétexte d'honorer l'étranger, ne manque
jamais l'occasion de remplir son ventre ; et le mendiant, dadâla, au-
quel reviennent de droit les miettes du festin.
Suivant le rang du visiteur et la fortune du visité, c'est tel ou tel
animal qui est égorgé : la jeune chamelle grasse est le grand extra
de l'hospitalité; viennent ensuite, par ordre de mérite, le chamillon,
le chameau, le mouton, la brebis, le chevreau et la chèvre.
Les viandes de ces animaux sont mangées en rôti ou en ragoût.
Les Sahariens excellent dans l'art du rôtisseur, quoiqu'ils n'aient
pour tout appareil qu'une broche en bois, deux piquets fourchus,
plantés au-dessus de tisons ardents.
Bien que les viandes des animaux nourris avec les plantes odorantes
du Sahara aient généralement du goût, on augmente encore leur
fumet en les garnissant des mêmes espèces odorantes.
Les viandes en ragoût sont ou pilées dans du beurre, ou découpées
en petits morceaux et cuites, avec assaisonnements, dans des vases
en terre ou en fer étamé. Les ragoûts de la première espèce sont des
tâlebadjdjat, les seconds des ikerrâyen.
Quoique cette cuisine ne ressemble pas à la nôtre et se recom-
mande surtout par les épices, elle est cependant bonne, et ceux qui
sont admis à la goûter la trouvent délicieuse.
Mais voici le revers de la médaille!
Pendant que le grand seigneur, âfuiggar, le mattre, mess, se réga-
lent d'une manière aussi soimptoeuse, il n'est pas rare de voir la
VIE INTÉRIEURE* 411
plèl)r des ptuTres, tatekki, prendre leur part de la fête en mangeant
la peau de l'animal sacrifié, si cet animal est un mouton 'ou une
eàè¥re. A cet effet, après avoir ébouillanté la peau pour en détacher
te poiU on la découpe en petites lanières, sous forme de vermicelle,
puis on la fait cuire ou frire, suivant qu'elle est supposée dure ou
tendre.
J'ai été initié à ce détail de mœurs d'une assez singulière façon.
En roule, à l'occasion, j'achetais quelquefois une chèvre ou un mouton
pour ma nourriture et celle de mes serviteurs. D'après l'usage, la
peau de ces animaux revient de droit à celui qui a eu la peine de le
tuer, le nettoyer et le dépecer. Un beau jour, une béte ayant été
abattue, un de mes serviteurs, qui n'avait pas droit au pourboire de
la peau, vint me la demander, au détriment d'un de ses camarades.
A ma question : a Pourquoi il voulait me faire commettre une injus-
tice? n il me répondit : « J'ai une femme et des enfants qui souffrent
peut-être de la faim, moi absent, et je la leur enverrai pour la
manger^ *» Je me fis expliquer comment on faisait du vermicelle avec
la peau d'un mouton, et, en homme qui n'avait jamais été réduit à
un tel mets, je payai la leçon le prix d'un mouton, pour que la pauvre
femme et les pauvres enfants pussent qu moins en goûter la viande ,
ce qui* leur était arrivé bieti peu souvent. Probablement ma charitaé
n'H pas reçu sa destination, car mon malheureux serviteur aura en-
glouti mon argent dans son escarcelle, et j*en suis i me demander si
je n'ai pas commis une mauvaise action , en refusant à une pauvre
famille le régal d'une peau de mouton.
La viande des mouflons , des antilopes et des gazelles , chassés
dafM les dunes pour les besoins de la boucherie, est séchée et gardée
précieusement pour les voyages. Cet article est l'objet d'un commerce
assez important à Ghadâmès.
La chair de ces animaux sauvages est excellente, et serait très-
appréciée si elle pouvait arriver sur nos marchés.
Les sauterelles, considérées comme un fléau dans le Tell, sont une
bénédiction de Dieu dans le Sahara. On les sale, ou on les confit dans
rhaile pour les conserver.
Le f)Ot89on, fbtimi par les laos du platean du Tastti, a^ mangé
frais, mais par tes serfs et les nègres seulement.
Avec les vers des lacs du Fezzân, on fait une pâte alimentaire dont
le goût rappelle celui des crevettes^ c'est presque une flriandMe dans
ki2 TOUAREG DU NORD.
un pays si dépourvu, mais les Fezzaniens seuls en font usage, en
délayaift cette pâte dans leurs sauces.
Le lait est la base essentielle de la nourriture des Touareg; dans
la saison des pâturages , ils ne consomment guère autre chose. En
toute saison, il fournit le principal condiment de l'alimentation.
Le lait pur se dit akh ou akh^wâkafâyeny le lait aigre ahh-iDân-
tmomrt, le lait caillé et écrémé aoulîs.
On fait peu de beurre, oudi, le lait étant presque tout consommé
en nature.
Par la même raison, le caseum manque pour les fromages. Ceux
que l'on consomme chez les Touareg du Nord, fromages secs, tikam-
marin, viennent du pays d*Aïr et du Soudan.
L'huile, ahalhn, le suif, tâdent, et la graisse (suif fondu), isim,
viennent du Nord.
Avec le beurre, ces trois matières grasses, toujours rares, sont les
seuls assaisonnements de la nourriture.
Les Touareg ont, pour remplacer le sucre, trois sortes de miel : le
toùraout, de qualité supérieure, le tâment et le khamU, de qualité
inférieure. (Voir liv. M, chap. m, page 261.)
La gomme, tahaha, produite par Y Acacia Arabica, est souvent man-
gée, à défaut d'autre aliment, avant qu'elle soit concrète.
Tout le sel, tîsemt, employé dans les aliments, vient de la sebkha
d'Amadghôr, ou des salines du Fezzân.
Les boissons en usage chez les Touareg sont :
L'eau, le lait pur, le lait coupé, le lait aigre et le lait caillé.
Ils font une boisson rafraîchissante avec de la farine de sorgho,
du fromage du Soudan, du poivre et des dattes; elle se nomme
aghâhara.
Dans les oasis, à l'occasion, ils font usage de la sève de palmier,
le lâgmi des Arabes, qu'ils appellent ilâjbi; mais ils ne la boivent pas
fermentée.
Le thé en infusion, le café en décoction sont des boissons de luxe
que les chefs seuls connaissent. Ces articles, de provenance étrangè^e,
sont à un prix si élevé que la masse, trop pauvre, ne peut s'en pro-
curer.
L'usage du tabac, tâberha, taba, est presque général chez les
VIE INTÉRIEURE. 41S
•
Touareg, car, àTexception des marabouts, hommes et femmes fument
et prisent ou chiquent, les femmes moins que les hommes cependant.
Le tabac employé vient du Fezzân , de Tripoli, du Soûf ou du
Touât, contrées où on le cultive en assez grande quantité. Il est d'une
qualité très-inférieure.
L'arsenal du fumeur se compose d'une blague en peau, abelboûdh,
et d'une pipe composée d'un fourneau, tchougna, et d'un tuyau, an-
nefèr. Un chapeau en cuivre, dxé au tuyau par une chaînette, couvre
le fourneau, précaution très-utile pour éviter les incendies et qui
devrait bien être imitée en Algérie.
La tabatière consiste en un segment de roseau. Le tabac prisé est
en poudre très-fine.
Le tabac de chique est toujours mélangé avec du natron, pour
atténuer les effets de l'àcreté du tabac, mais le correctif est loin
d'ôtre innocent, car son usage gâte promptement les dents.
Religion, — Superstitionê,
Les Touareg sont musulmans, mais à l'exception des marabouts
et de quelques hommes pieux, ils ne pratiquent pas.
L'islamisme impose aux vrais croyauts de nombreuses obliga-
tions : la prière, précédée d'ablutions, le jeûne du ramadhân, le pèle-
rinage à la Mekke, l'aumône, etc.
Gomment les Touareg pourraient-ils s'acquitter de ces prescrip-
tions?
La prière et le pèlerinage exigent du temps, le jeûne et l'aumône
supposent le superflu, et ils n'ont ni l'un ni l'autre.
A peine compterait-on chez les Touareg du Nord une trentaine \
d'individus ayant visité le tombeau du prophète, quoique le titre de
hâdj soit très-cousidéré chez eux; c'est que, pour aller à la Mekke,
il faut être riche et avoir quelqu'un qui, en l'absence du chef de la
famille, réponde de sa sécurité.
L'aumône ne saurait être pratiquée dans un pays qui semble avoir
pour loi générale de vivre aux dépens d'autrui.
'Ainsi, les principales prescriptions de l'islamisme ne sont pas ob-
servées.
D'ailleurs, rien au milieu d'eux qui rappelle aux devoirs reli-
gieux : pas d'imàm, pas de mufti, pas de mosquées, pas de chapelles.
kik TOUAREG DU NORD.
«
La zâouiya de TimàssanîD est une exception comme le ourabciit
Si- Othmân , qui en est le chef; aussi les Arabes diseotrils des Toaâh
reg : « ma' andhoMm-eârdin, ils tfont pas de religion. »
Le reproche d'impiété que les Arabes formalistes adressent aux
Touareg n'est cependant pas complètement fondée car si, commd
tous les hommes aux prises avec les difficultés matérielles dé l'exis-
tence, ils sont forcés de négliger la forme , ils pratiquent la morale
mieux que les Arabes.
Néanmoins, les Azdjer reconnaissent l'autorité spirituelle du sultaû
de Gonstantinople, et les Ahaggâr, comme les Touàtiens, cdle dé
l'empereur du Maroc, pour lesquels ils font la prière officielle dans
les grandes solennités.
Si on interroge les croyances, les superstitiùiis des Toaàrag, on
retrouve vivantes enoore dans leurs amas les traces dos divtrses
religions qu'ils ont professées.
Leur Dieu est imanaï (l'Adonaï de la Bible); il est unique;
Le ciel, adjenna, le paradis, idjennaoum, où l'homme reçoit la
récompeo$e de ses bonnes actions après la mort, est habité par les
anges, andjeloûs pi. cmdjeloûsen (ayyeXoç, angelw);
L'enfer est tîmsi-tm'elâkhcbrt, le dernier feu;
Le diable, iblîs, y règne.
La croix se trouve partout : dans leur alphabet, sur leurs armes,
sur leurs boucliers, dans les ornements de leurs vétementSi Le seul
tatouage qu'ils portent sur le front, sur le dos de la main, est une
croix à quatre branches égales; le pommeau de leurs selles, les
poignées de leurs sabres, de leurs poignards, sont en croix.
Les selles des chameaux sont garnies de clochettes, quoique par-
tout l'islamisme ait détruit et repoussé la cloche comme une sorte
de cachet du christianisme.
Dans les mœurs, les traces du christiaoisme sont encore plus évi-
dentes : la monogamie, le respect de la femme^ l'horreur du vol, du
m^songe, l'accomplissement de la parole donnée, etc., etc.
Quoique musulman, le targui n'a jamais qu'une femme $ quoique
musubociane, la femme est l'égale de son mari en toutes choses.
Ebn-Khaldoûn semble douter que les Sanhâdja Lithâmiens aient
jamais été chrétiens, et il afi^rme môme qu'iie professaient le ma-
gîsme quand ils oui été si diAcitomaiu ooa^ertîi k Tidamime ; ear«
VIE INTÉRIEURE. 415
d'après les historiens do temps, ils ont renié quatorze fois leur nou-
velle religion.
Probablement, ils n'ont pas été meilleurs chrétiens qu'ils ne sont
aujourd'hui bons musulmans. Les traditions païennes devaient, à cette
époque, comme de nos jours, dominer dans leurs croyances.
Souvent, soit pour le commerce, soit pour le pillage, les Touareg
vont en expéditions lointaines et, pendant ces longues absences, leurs
familles sont privées de leurs nouvelles. Pour se mettre en commu-
nication avec ceux qui leurs sont chers, les femmes, parées de leurs
vêtements et ornements les plus riches, vont se coucher sur les
anciennes tombes, où elles évoquent Tàme de celui qui les rensei-
gnera. A leur appel, Idebni, un esprit, se présente sous la forme d*un
homme. Si Tévocatrice a su plaire à Tesprit, Idebni lui raconte tout
ce qui s'est passé dans l'expédition ; dans le cas contraire, il l'étrangle.
Il va sans dire que les femmes, connaissant les exigences d'Idebni,
font si bien qu'elles reviennent toujours avec des nouvelles qui,
dit-on, sont conûrmées par les voyageurs à leur retour.
Pomponius Mêla {Afrique intérieure, ch. tx) constate la haute
antiquité de cette superstition : u Les Augiliens, dit-il , ne recon-
« naissent d'autres divinités que les âmes des morts. Ils ne jurent
<c que par elles et ils les consultent comme des oracles; à cet effet,
« après avoir expliqué leur demande, ils se couchent sur quelque
(c tombeau et reçoivent la réponse en songe. »
Àugilx mânes tantum Deos putant; per eos dejurant; eos ut oror
oula consulunt : precatique qux volurU, ubi tumulis incubuere, pro
responsis ferunt somnia.
L'oasis d'Aoudjela^ où les mânes étaient consultés comme des
oracles, est la première station que l'histoire et la tradition assignent
aux peuples objet de cette étude.
La perpétuité de cette superstition est d'autant plus étrange, qu'à
part cette évocation exceptionnelle des âmes les Touareg ont horreur
de tout ce qui leur rappelle le souvenir des morts. Ils n'en parlent
jamais, ne veulent pas qu'on en parle devant eux, qu'on prononce
leurs noms, et^ quand une tombe se rencontre sur leur route, ils
l'évitent avec le plus grand soin.
Mais rien n'est comparable à la croyance aux génies, âlMn,
416 TOUAREG DU NORD.
âlhinen, êtres surnaturels, auxquels l'ima^nation donne la forme
humaine, avec des cornes, une queue et du poil pour vêtements.
D'après la tradition orientale, les génies sont partout, mais chez
les Touareg Azdjer, les âlhînen occupent un pâté de montagnes isolées
qui leur est entièrement abandonné et où nul n'oserait pénétrer.
Cette montagne est située sur la roule des caravanes de Gha-
damés à Rbàt, près la chaîne de YAkâkoûs, à 30 kilomètres au Nord
de Hhât. Les Arabes l'appellent Qaçar-el'Djenoûn, les Touareg Idinen.
Ce palais enchanté, dont on distingue tous les détails de la route,
est composé d'une série d'énormes blocs de pierres lavées par les
eaux et représentaat ,les formes les plus bizarres. Pour peu que
Fimagination vienne viviûer ces masses inertes, on y voit des
temples, des fortifications, des tours, des châteaux, tout ce que l'on
veut. (Voir la planche ci-contre.)
On raconte qu'un individu ayant cherché à y entrer par la
gouttière d'écoulement des eaux, y trouva, au centre, un cimetière
de grands tombeaux de païens, djohàla, qui lui inspira une frayeur
à le faire rebrousser chemin.
Une plantation de palmiers, affirme-t-on, existerait dans Tinté-
rieur de ces montagnes qui ont la forme d'un fer à cheval. On aurait
la preuve de ce fait par les troncs de palmiers trouvés, à l'époque des
grandes pluies, dans les eaux qui descendent d'idlnen dans le lit. du
Tânezzoûft.
M. le docteur Barth a entrepris d'explorer la montagne d'Idinen,
mais nul targui n'a voulu 1 y accompagner. Sans guide, il s'est
perdu, et, sans eau, sans vivres, sous un ciel aident, il a failli périr
de soif et de faim, à ce point qu'il a dû ouvrir une de ses veines
pour en boire le sang. Bien qu'il n'y eût rien que de naturel dans le
grave danger couru par l'intrépide vo^'ageur, les Touareg y voient
une preuve de plus de l'impossibilité de pénétrer impunément dans
le domaine des génies.
Quand j'ai témoigné à Ikhenoûkhen le désir de visiter la mon-
tagne d'idînen, il en fut aussi effrayé que s'il s'était agi de la chose
la plus difficile du monde. Je n'insistai pas.
Inutile de dire que M. le docteur Birth, qui a parcouru en détail
les monts Idinen, n'y a trouvé ni cimetière, ni palmiers.
Chez les Ahaggâr, le mont Oudân est aussi abandonné aux âlhî-
nen et nul n'y pénètre. Les génies qui l'habitent auraient, dit-on»
. PI. XXllI.
Page 410.
Fig. 37 et 38.
■t''*»
^ ** r .Rt*p«I^ la 'Infnaurejdpj esprit-^ cti** t» AkdJF-r. *
l'ig. 2. — VIE DE L id1m:n ft de l'akâkoîs.
D'après les profils relevés à Li boussole par M. H. Duvoyrior.
VIE INTÉRIKURE. M7
l^humeur batailleuse , car on raconte qu'ils viennent attaquer leurs
frères, chez les Azdjer, et qu'on entend parfois le bruit de leurs com-
bats.
Chez les Touareg d'Aïr, les génies occupent une oasis enchantée
que personne ne connaissait lorsque la découverte en fut faite de la
manière suivante :
Un targui de la vallée de rOuàdi-Tâfasàsset, après avoir abreuvé
ses chameaux aux puits de son campement, les conduisit au pâtu-
rage dans un désert du côté du pays des Teboû, où il les abandonna,
selon rhabitiide, les chameaux revenant toujours vers les puits quand
ils ont soif. Cette fois , les chameaux furent très-longtemps à repa-
raître, et quand ils rentrèrent leurs crottins étaient pleins de noyaux
de dattes.
D'où venaient-ils donc? on ne connaissait pas de dattiers dans
le pays.
Intrigué de cette découverte, le propriétaire des chameaux sirivit
leurs traces. Elles le conduisirent au milieu des sables, à une plan-
tation de dattiers arrosés par des sources. 11 mangea des dattes, en
remplit une outre, après quoi il monta un de ses chameaux pour
regagner sa demeure.
Quel ne fut pas son étonnement, quand, après avoir voyagé
toute la nuit, il se retrouva, au point du jour, à la source qu'il avait
quittée la veille !
f eut-être l'obscurité l'a-t-elle empêché de rernnnaîlnt sa miH*^?
11 se remet en marche et voyage tout le jour. Au soir, il est
encore au même point.
A bon entendeur, salut l Notre targui a n.mi|inîî qiu* k* gt%ip
conservateur de la plantation ne veut pas qu'il Huiporfr iIcs (lattes.
Il vide donc son outre et repart; mais, après une longue marche, la
source fatale est encore là. Alors le targui fouille son bagage, et il y
trouve une datte oubliée. C'est là la cause de l'enchantement. Il la
jette, se remet en route et arrive enfin pour raconter à ses contri-
bules l'histoire de ses mésaventures.
Personne n'a mis en doute son récit, mais nul n'est allé à la
recherche de l'oasis enchantée.
Il y a probablement aussi un territoire réservé aux alhînen chez
les Aouélimmiden, de sorte qu'il y aurait, dans chaque grande frac-
tion targuie, une tribu de génies correspondant à chacune d'elles.
/,18 TOUAREG DU NORD.
En voyant, au xix*" siècle, les Touareg assigner, an milieu de leurs
campements, un territoire aux génies, et raspecter ce territoire
comme inviolable, on est tout étonné de retrouver une tradition qui
remonte aux premiers âges de l'histoire.
Pomponius Mêla place dans les montagnes, aujourd'hui occupées
par les Touareg, « des peuples plus qu'à demi sauvages, qui méri-
« tent à peine qu'on les mette au rang des hommes et qu'on nomme
u les Égipanes, les Blemyens, les Gamphasantes et les Satyres, qui,
(( n'ayant ni feu ni lieu, ne font qu'errer d'un endroit à l'autre sans
c( s'arrêter nulle part.
a Les Gamphasantes sont bus; les Blemyens n'ont pas de tête,
« leur visage étant placé sur leur poitrine : les SatA res n'ont rien
« de l'homme que la figure. Les Égipanes sont faits comme on le
<( dit communément. »
Depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, la somme des connaissances
sur ces êtres surnaturels s*est beaucoup agrandie , car on ne serait
pas embarrassé de trouver aujourd'hui dans les bibliothèques des
zâouiya bien des volumes, œuvres d'hommes graves, qui donnent
les détails les plus intimes sur la vie des génies, leurs divisions en
nations, en tribus, leurs mœurs, leurs coutumes, etc., etc. L'imagi-
nation de l'homme ne recule devant rien, quand il s'agit de mystères.
Dans toute l'Afrique, il n'y a pas un individu, éclairé ou ignare,
instruit ou illettré, qui n'attribue aux génies tout ce qui arrive d'ex-
traordinaire sur la terre.
Chez les Touareg, cette croyance est tellement puissante qu'ils ne
veulent jamais passer la nuit sous un toit, dans la crainte de s'y
trouver emprisonné par les alhînen : aussi , mettre un targui en pri-
son est presque le condamner à mourir de peur.
Toute maladie nerveuse : épilepsie, catalepsie, convulsion, etc.,
est réputée prise de possession par les génies; pour les conjurer
d'évacuer la place, on a recours aux exorcismes les plus étranges.
Lf s Touareg croient aussi aux sorciers, aux enchanteurs, aux-
quels ils attribuent le pouvoir de métamorphoser les hommes en
bêtes. Tout voyageur européen, par le seul fait qu'il ose aborder des
pays inconnus, tsi réputé quelque peu sorcier. Aussi El-Hàdj-el-Amîn,
le cheikh de Rhât, évitait-il mes regards avec le plus grand soin,
dans la crainte de tous les dangers possibles.
VIE INTÉRIEURK. M9
L'ignorance des peuples barbares, qui transforme les voyageurs
européens en êtres surnaturels et les fait apparaître comme
dangereux, a souvent créé de grands dangers à de nobles martyrs
de la science. Peut-être la mort de Vogel est-elle due à cette cause.
C'est pourquoi les voyageurs agiront toujours prudemment en ne
s'avançant dans des contrées où ils sont inconnus que sous la cau-
tion des hommes qu'ils viennent de quitter et qui ont eux-mêmes
expérimenté la limite tout humaine de la puissance de l'étranger.
En raison de ces terreurs et superstitions, Tamulette joue un
grand rôle chez les Touareg , car on lui attribue la propriété de pou-
voir préserver de tout, excepté de la mort. Et comme les Touareg
craignent beaucoup de choses, ils ont la tête, le cou et la poitrine
couverts d'amulettes.
Les amulettes des Touareg ressemblent à celles de tous les autres
musulmans : elles consistent en petits sachets de cuir, plus ou moins
ornementés, ajustés sur une lanière également en cuir, de manière à
former des colliers. Dans ces sachets sont enfermées des feuilles de
papier couvertes de versets du Coran ou de signes cabalistiques.
11 y a deux classes bien distinctes d'amulettes : celles destinées
à appeler sur la personne qui les porte toute la série des biens que
l'homme peut désirer; celles appelées à éloigner toute la série des
maux qu'il peut redouter.
Les marabouts qui les fabriquent ont chacun leur spécialité.
L'Islamisme, en son entier, est mis à contribution pour constituer
la collection de chaque croyant.
Instruction.
La langue parlée dans chaque confédération constitue un dialecte
propre.
Bien que les Touareg des quatre confédérations se comprennent
entre eux, il y a cependant des différences notables dans chaque
dialecte, surtout dans ceux du Sud qui ont donné l'hospitalité à
beaucoup de mots des diverses langues nègres de l'Afrique centrale.
Ceux du iNord paraissent plus purs de mélange. Si on y trouve
quelques mots arabes, nécessairement importés avec la religion mu-
sulmane, du moins, les mots d'origine nègre ne les ont pas envahis.
420 TOUAREG DU NORD.
Pour la prononciation des mots, la principale différence entre les
dialectes du Nord et ceux du Sud est que , dans les premiers , Vh est
aspirée, et que, dans les seconds, cette lettre est remplacée par un
ch ou par un z, ce qui rend la prononciation plus douce*.
En général , hommes et femmes savent lire et écrire , mais les
femmes plus que les hommes, surtout dans la classe des nobles.
La lecture et l'écriture du tefînagh sont enseignées dans la fa-
mille par les femmes : c'est pourquoi, sous ce rapport, le degré de
leur instruction est supérieur à celui des hommes.
La connaissance de la langue arabe écrite est restreinte à une
minorité d'élite. Un plus grand nombre se sert de la langue arabe
parlée.
La langue arabe est enseignée par des tolba du Touâl, qui entre-
prennent l'éducation de toute une famille, filles et garçons. Les
familles un peu aisées, celles des chefs, ont un maître qui les accom-
pagne partout où elles vont, tant qu'il y a un enfant à instruire.
Comme les filles sont moins distraites de leurs travaux que les gar-
çons, elles profitent mieux qu'eux des leçons de leur instituteur.
Les livres arabes qu'on trouve chez les Touareg sont le Coran et
ses commentaires. Ils sont rares.
«
Ceux des Touareg qui parlent la langue arabe s'expriment en
termes bien plus corrects que les Arabes de l'Algérie, mais au bout
de cinq mots on reconnaît qu'ils sont Touareg, car ils ne peuvent
prononcer Vh dur, et remplacent cette lettre par un kh : ainsi ils ne
disent pas hânoût, halxb, mais khânoût, khaUb,
Parmi les femmes, il en est de véritablement instruites et qui
feraient honte aux femmes des Arabes de l'Algérie. Aussi, quand on
constate quel degré d'influence l'éducation a donné à la femme tar-
guie dans la famille, on regrette d'apprendre que, sur la proposition
de quelques membres musulmans des conseils généraux de l'Algé-
rie, on ait renoncé à enseigner la lecture et l'écriture aux jeunes
filles mauresques qui fréquentent les écoles d'Alger, surtout quand
on avait surmonté les premières difficultés du professorat.
1. M. le docteur Henri Barth, qui a étudié surtout les Touareg du Sud, écrit
le nom de ce peuple Imàcharh d'après le dialecte des Âouélimmiden. J*ai adopté
dans cet ouvrage la forme Imôhagh , qui est celle usitée dans le Nord. Le même
changement de lettre*^ se trouve dans un grand nombre de mots de nos deux voca-
bulaires.
VIE INTÉRIEURE. /j21
Dans cette circonstance, on a trop subi Tinlluence d'hommes habi-
tués à considérer la femme comme un être inférieur qui doit, en
toutes choses, être subordonnée aux caprices de T homme.
Les connaissances en calcul sont à peu près nulles, si ce n'est
chez les marchands des villes de Ghadàmès, de Rhàt et d'In-Sâlah.
Quant aux Touareg nomades, ils comptent sur les grains de leurs
chapelets, ou au moyen de points marqués sur le sable.
Cependant, à la différence des Arabes, la plupart des Touareg
savent leur âge, en années lunaires.
La division de Tannée est la môme que chez les Arabes.
Voici, en temàhaq, les noms des mois :
Azhofim (âzhoûm) . . correspondante Ramadhân.
Tesesî — à El-fotor.
Djer-moCihadan. ... — à Ei-foior-elh-lhâni.
Tafàski — à El-ditL
Tàmessadaq — à 'Achoùra.
Tâllit-sattafet — à Sefer.
Tàllit-àrarhet — à El-mouloàd.
Aouhêm-iezzàren. . . . — k Teba'at-monloûd-el-ooueL
Aouhêm-ilkemen. ... — à Teba'nt'mouloûd'eth-thàni.
Saret — à Chaa'bân-el-ooneL
Tîn-tenslemîn — à Chaaban-clhrihâni,
lln-tenslemîn-imezzehêl — à Chaa'ban-ethrthàleth,
Les noms dos jours de la semaine sont :
Vendredi El-djcmet,
Samedi Es-sebcl,
Dimanche ENiâd ,
Lundi Elr-îtni,
Mardi El-tenâta ,
Mercredi Enârda ,
Jeudi El-rhamts,
tous empruntés à la langue arabe et dénaturés.
En dehors de la géographie de la partie de l'Afrique comprise
entre le Niger et la Méditerranée, de celle des pays de TOrient sur
la route de la Mekke, qu'ils connaissent bien, les Touareg savent
422. TOUAREG DU NORD.
tout au plus qu'il y a des pays qui s'appellent l'Angleterre , la France,
la Russie, et que le premier de ces pays est séparé des deux autres
par des mers. A cela se borne la science géoi^raphique du peuple
le plus voyageur du monde.
Mais on peut dire que le dernier d'entre eux connaît son pays,
dans ses détails, comme peu d'entre nous connaissent le leur.
A Texceplion de quelques faits conservés par les légendes et la
tradition, l'histoire est un livre clos pour eux.
Cependant, par la Note de Bràhîm-Ould-Sîdi, par les listes de
sultans, de cheikh, qui m'ont été données et qui embrassent plu-
sieurs siècles, on voit que les Touâi*eg, comme tous les Orientaux,
tiennent à la conservation de leurs généalogies.
En botanique, les Touareg défieraient les plus érudits : ils savent
le nom de toutes les plantes du Sahara, leurs propriétés utiles ou
nuisibles, les terrains qu'elles préfèrent, les époques de leur floraison
et de leur fructification. On reconnaît en cela qu'ils sont essentielle-
ment pasteurs.
En zoologie, ils sont moins instruits, mais tous connaissent les
grands animaux de leur pays, leurs mœurs et leurs habitudes. Quel-
ques-uns possèdent traditionnellement, en médecine et en art vété-
rinaire, des connaissances qui suffisent à leurs besoins.
En minéralogie , leur science se borne à distinguer entre elles les
substances minérales qu'ils emploient.
Ils savent aussi discerner, par l'observation, les terrains dans les-
quels il y a chance de trouver de l'eau pour le forage des puits.
Dans le forage des puits, ils tiennent compte des couches traver-
sées, leur donnent des noms et attachent la plus grande attention à
bien reconnaître celle qui précède immédiatement l'eau.
Sur tous les points du Sahara, on trouve des mineurs et des pui-
satiers qui ont une certaine expérience. Quelques-uns même préten-
dent être hydroscopes et reconnaître les couches d'eau souterraines
que les Arabes appellent Baliar-taht-el-ardh, mer sous la terre.
Les marabouts ont des notions de théologie et de droit. Malheu-
reusement les marabouts instruits sont rares chez les Touareg :
obligés d'être continuellement sur les routes pour les devoirs de leur
VI K INTÉRIKURE. /i23
ministère, ils ne peuvent consacrer aux études sérieuses le temps
qu'elles réclament.
Les controverses religieuses ont pour thèmes, d'un côté, le fana-
tisme le plus exalté prêché dans les zàouiya de la confrérie des
Senoûsi, de l'autre, la tolérance et la conciliation recommandées par
les zàouiya des Tedjâdjna et des Bakkày.
Pour renseignement du droit, on suit les préceptes du Traité de
jurisprudence de SUli KhelU, modifiés par les Coutumes de Fez. Dans
la pratique, chez les Touareg, les coutumes locales ont la préférence
sur les décisions des plus savants jurisconsultes.
I.e maximum de la science, pour ceux qui ont des prétentions à
l'érudition, est de se proclamer savants en sorcellerie et en alchimie.
Mais, quand on les interroge sur ces sujets, ils évitent habilement
toute discussion. Les sciences occultes aiment le secret.
Mais là où excellent incontestablement les Touareg , c'est dans
l'astronomie.
Un peuple qui voyage toujours dans des déserts, et qui, pour
éviter la chaleur, préfère les marches de nuit à celles du jour; ce
peuple, s'il n'a pas de boussole, est obligé de guider sa marche sur
celle des étoiles. L'esprit d'observation a dû bientôt suppléer chez
lui à l'enseignement méthodique, et si ce peuple, comme tout l'in-
dique , a des liens de parenté avec les anciens Égyptiens, la tradition
vient en aide à l'observation.
Je n'ai pas la prétention de donner ici une situation des connais-
sances des Touareg en astronomie : il eut fallu, pour cela, consulter
un grand nombre de guides des caravanes et contrôler les unes par
les autres leurs informations ; je me borne donc à constater ce que
j'ai appris, en conservant autant que possible à la poésie saharienne
tout son caractère.
Le Firmament est Erlier.
Le Soleil est Tafoûk, et la Lune Ayôr.
Quand il y a éclipse, c'est une rhazia que l'un des deux astres
opère sur l'autre.
L'éclipsé de Soleil ou la rhazia de la Lune sur le Soleil est Tafoàk-
leméhagh.
L'éclipsé de Lune est Ayôr'ïemèliagh.
h2k TOUAREG DU NORD.
La nouvelle Lune s'appelle TâllU;
La pleine Lune, Afaneôr;
La Lune avec halo , Ayôr-ieffrâdj ;
Les Étoiles, en général, Itrân, au sing. àtn:
l>a Voie lactée , Mâhellaou.
Vénus est TâtriHan-toùfat {Vétoile du matin), comme l'appellent
aussi nos bergers.
Orion est Amanâr (celui qui ouvre), étymologie qui rappelle celle
du nom classique.
Le Baudrier d'Orion, Tàdjebesl-en-Amanâr (mot à mot ceinture de
celui qui ouvre), est une traduction plus complète encore.
Rigel est Adâr-n-elâkou ou le Pied datis la vase.
Sinus est Eydi, le Chien, c'est-à-dire le chien du chasseur Amanâr,
D'après les uns, Orion (Amanâr) sort d'un puits vaseux, et Rigel
(Adàr-n-elâkou) est le dernier pied qu'il sort de la vase, c'est-à-dire la
dernière étoile qui apparaît lorsque la constellation monte dans l'Est.
D'après d'autres, Amanâr est un Chasseur ceint de sa Ceinture;
il est suivi par un Chien, Eydi (Sirius), et précédé par des Gazelles,
Ihenkâdh, qui sont les étoiles de la constellation du Lièvre.
A l'époque où Adâr-n-elâkou (Rigel) paraît au firmament, les
fruits du Zizyphus Lotus, arrivés à maturité, sont déjà tombés à terre.
L'apparition de cette étoile est donc à la fois une époque astrono-
mique et botanique.
La grande et la petite Ourse est une Chamelle avec son Chamillon,
Tâlemt-de-rôris.
Le Chamillon, sans sa mère (la petite Ourse), s'appelle Aourâ,
L'Étoile Polaire est dite Lemkechen, mot à mot, tiens, c'est-à-dire
qu'une Négresse est supposée recevoir l'ordre de tenir le Chamillon
Aou7^â, pour qu'on puisse traire sa mère, Tâlemt, la Chamelle (c'est-
à-dire la grande Ourse).
Les étoiles de la même constellation vj;, X, jjl, v, Ç, qui forment
un triangle, figureraient une Assemblée, El-Djema'al, qui délibérerait
pour tuer Lemkechen (la Négresse); c'est pourquoi cette dernière,
saisie d'effroi, ne bouge pas et cherche à se cacher.
Les Pléiades sont les Filles delà Nuit, Chét-AMdh; chacune des
six principales étoiles de cette constellation a son nom propre; la
septième est l'œil d'un garçon , qui, après avoir quitté l'orbite ocu-
laire de son propriétaire terrestre, est allé se fixer au ciel.
VIK INTÉRIEUR!:. 425
Cela est expliqué dans les cinq vers suivants :
Chôt-Ahadh essa hetisenet
Màtoredjrè d-Erredjeâut ,
MiUeseksck d-Essekâot ,
Màtelarhlarh d-EIIerl»àol,
KttàH djenen, baràd, lit-ennit abâtet.
Ce qui mot à mot signifie :
« Les Filles de la Nuit sont sept :
« Màleredjré et Erredjeàot,
(( Mâteseksek et Essckàot,
« Mâtel'irhlarh et Ellerhàot,
« La septième est un garçon dont un œil s'est envolé. »
Le Scorpion est tantôt désigné sous le nom de Tâzherdamt (scor-
pion), tantôt sous celui de Tâzzeït (palmier). Cette dernière désigtia-
tion convient très-bien à la figure de cette constellation.
Un jeune homme, du nom d*Amrôt {Anlarès), disent les astro-
logues Touareg, veut monter sur le Palmier, Tâzzeïl, mais arrivé à
mi-hauteuf de farbre, il aperçoit de belles jeunes Filles, Tiharadhi,
revôtues de haoulis rouges, venant de la Mare, appelée Tesâhak, et
se dirigeant vers lui; il reste alors à mi-hauteur du Palmier pour les
comtempler. Sans doute cette image peut s'expliquer, mais je ne veux
pas me risquer à appliquer ces dénominations à telles ou telles étoiles
voisines de la constellation du Scorpion.
La constellation du Lièvre est désignée sous le nom d'ihmkâdh,
les Gazelles.
La constellation du grand Chien ( e <î et v) ) est appelée Jfarakfa'
rciken, mot qui sert ordinairement à indiquer le bruit que fait un
éventail agité dans Tair, ou le vol d'un oiseau à son passage, parce
qu'à répoquc où parait celte constellation des vents violents agitent
toujours l'atmosphère.
P du grand Chien est Aoulièm, le petit de la Gazelle.
Les étoiles de la constellation du Navire sont désignées : S, sous
le nom de Tenâfelit, la Richesse, l'Opulence; o, sous celui de Tôzzert,
la Misère, le Besoin, la Pauvreté.
Quand on traverse le désert de Tànezroûft, de Ouâllen à Am-Rhan-
nàn, ces deux étoiles servent à indiquer la direction en prenant le
426 TOUAREG DL NORD.
point central entre celui de leur lever et celui de leur coucher, c'est-
à-dire droit ao Sud. Ces étoiles étant près de Thorizon, il est lou-
jonrs facile de se guider sur leur passage au méridien. Flntre leur
coucher et leur lever, les guides disent qu'il y a la longueur de rem-
placement de la ville d*Araouân.
Mdébaran est Kôkoyyodh.
Canopus est Ouâdet,
Une Comète se dit Aharôdh. Comme chez tous lf*s peuples, l'ap-
parition inattendue de ces corps lumineux étonne et effraie.
Le Soleil et les Étoiles servent aux Touareg à distinguer les quatre
points cardinaux :
Le Nord se dit : Fôy,
Le Sud : , Anthôi,
L'Est LeqqâbUl,
L'Ouest Idjedel-en-Tafoùh.
Les divisions du jour, Ahel, sont:
Le matin Toùfat,
Le midi Imogkri, ^
L'après-midi (trois heures) Takkâst,
Le soir Tadeggat,
La nuit EhadJi.
Tout le temps de la grande chaleur, la Gnïla des Arabes, celui
pendant lequel les caravanes se reposent, se dit Taroût.
Les Touareg, comme tous les Arabes du Sahara, pour avoir
l'heure du midi, planieot un piquet dans le sable et calculent la
projection de l'ombre suivant la saison.
La boussole, aussi utile dans les voyages sahariens que dans la
navigation maritime, étaitentièrement inconnue, non-seulement chez
les Touareg, mais encore dans toute l'Afrique centrale. On n'en savait
, même pas le nom.
Par mes soins, les Touareg la connaissent désormais. Le marabout
Sîdi-el-Bakkây attachait le plus grand prix à en avoir une; j'ai pu
satisfaire ce désir. Ikhenoûkhen aussi en désirait une , mais il a dû
attendre. Le Cheikh -'Othmân en a fait ample provision à Paris.
J'estime donc que la boussole est un des présents les plus utiles
VIE INTÉRIEUHt:. Ù27
qu'on puisse faire aux chefs du Sahara, à la condition que l'instru-
ment sera portatif et leur sera remis par une personne qui leur
indiquera la manière de s'en servir.
A Ghadâmt'S, on m'a parlé de deux Traités d'astronomie, en
langue arabe, qui existeraient dans la bibliothèque de la mosquée,
preuve incontestable de l'importance que les Sahariens attachent à
la connaissance de la marche des astres.
Je ne puis terminer ce que je viens dé dire sur l'instruction des
Touareg sans faire remarquer que la somme de leur savoir se trans-
met, traditionnellement, de père en fils et avec le concours d'une
seule famille : celle des marabouts de Timâssanîn.
Droit. — Justice, — Police.
Le droit écrit n'est invoqué qu'à défaut du droit coutumier, pour
les contestations exceptionnelles. Alors, on ouvre le Traité de juris-
prudence du grand légiste Sîdi-Khelîl.
Le droit coutumier, 'Aâda, conservé traditionnellement dans la
mémoire des anciens, doit être une émanation de l'ancien droit ber-
bère. Pour en avoir une idée nette, il faudrait vivre pendant plu-
sieurs années chez les Touareg, tenir note des solutions données à
tous les litiges et demander aux juges la raison de leurs jugements.
Un voyageur ne peut entrer dans de pareils détails.
Les Touareg n'ont pas de kâdhi dans leurs tribus, et on n'a
recours à ceux de Rhàt, de Clhadàmès et d'In-^âiah, que très-excep-
tionnellement.
Le chef de famille supplée à leur absence dans la famille, comme
les chefs de tribus dans les tribus. Quand il y a lieu, les marabouts
interviennent.
La police intérieure est faite par les chefs de tribus. Les peines
qu'ils appliquent sont l'amende, isekkeser, la bastonnade, tibodren, et
la mise aux fers.
La peine de la prison , tekhôrmit, et la peine de mort, tâmattant,
ne sont jamais appliquées. La punition des crimes, assez graves pour
emporter l'une ou l'autre de ces deux peines, d'après nos lois, est
réservée aux représailles des parents des victimes.
i28 touari:g du nord.
Q'pendant, quand, pour un crime particulier, on a recours à Fin-
tervention de Vam^jhàr, en vue d'éviter des guerres de tribu à tribu ,
il prononce la peine du talion, conformément aux prescriptions du
Coran : œil pour œil, dent pour dent, coup pour coup.
Dans ce cas, ks plus proches parents de la victime décident du
sort du criminel : ils peuvent accepter le rachat du sang, moyennant
une somme d'argent, ou désigner celui d'entre eux qui remplira les
fonctions d'exécuteur des hautes œuvres de la justice.
Si le prix du sang n*est pas accordé , malheur, malheur au cou-
pable! 11 subira, en présence de témoins, de sa propre famille et de
celle de sa victime, le plus terrible des supplices, car TenixTement
de la vengeance ne se contente pas d'un œil pour un œil, d'une dent
pour une dent.
Quel affreux spectacle que celui de cette justice patriarcale!
Dans toutes les sociétés musulmanes, l'absence d'une justice offi-
cielle est une des principales causes qui entretiennent les haines et
les divisions entre les familles et entre les tribus.
Cependant, les crimes ayant un caractère individuel sont rares :
l'infanticide , à la suite des grossesses illicites, est assez commun.
Dans ce cas, le père de la coiipable est juge de l'offense faite à sa
maison et généralement il cache sa honte.
Naissancfs. — Mariages. — Décès.
A ma connaissance, les naissances, chez les Touareg, appellent
peu Tattention. Un fils est toujours le bienvenu parce qu'il augmente
le nombre des défenseurs de la tribu. A Tàge ordinaire, il est cir-
concis, suivant la coutume musulmane.
Chez les Touareg, à la différence des Arabes, les jeunes gens ne
sont pas admis à prendre part à la gestion di^?^ affaires publiques. La
grande majorité pour eux ne commence pas avant quarante ans;
jusque-là, on est admis à l'action, pas au conseil.
La longévité des Touareg explique cette longue durée de la mino-
rité comme aussi le retard apporté au mariage, car les centenaires n'y
sont pas très-rares. On cite môme des. individus qui ont atteint cent
trente et cent cinquante ans; entre autres celui qui m'a conduit à la
sculpture Lybico-égyptienne de Bordj-Taskô, à Ghadâmès, auquel on
donne plus de cent cinquante ans. Il est vrai qu'il est actuellement
VIE INTÉRIEURi:. 429
en enfance. Les auteurs arabes du moyen âge avaient déjà constaté
ce fait exceptionnel. Ebn-Khaldoôn, entre autres, dans sa notice sur
les Molâthemîn, dit : « Dans le pays habité par ce peuple, on vivait
ordinairement jusqu'à Tàge de quatre-vingts ans. » J'ai constaté
qu'il en est encore de même aujourd'hui.
Les mariages donnent lieu aux remarques suivantes : la femme
se marie rarement avant vingt ans, l'homme avant trente. Un targui
n'a jamais qu'une femme. 11 peut divorcer, mais il n'introduira pas
une nouvelle épouse au foyer conjugal avant d'avoir réglé le sort de
la femme répudiée.
La femme mariée jouit d'autant plus de considération qu'elle
compte plus d'amis parmi les hommes, mais, pour conserver sa répu-
tation, elle ne doit en préférer aucun. Une femme qui n'aurait qu'un
ami ou qui témoignerait plus d'affection pour l'un de ses adorateurs
serait considérée comme pervertie et montrée au doigt.
Les mœurs permettent, entre hommes et femmes, en dehors de
l'époux et de l'épouse, des rapports qui rappellent la chevalerie du
moyen âge : ainsi la femme pourra broder sur le voile ou écrire sur
le bouclier de son chevalier des vers à sa louange, des souhaits de
prospérité ; le chevalier pourra graver sur les rochers le nom de sa
belle, chanter ses vertus, et personne n'y voit rien de mal. « L'ami
et l'amie, disent les Touareg, sont pour les yeux, pour le cœur, et
non pour le lit seulement, comme chez les Arabes. »>
Presque tous les soirs, les femmes chantent en s' accompagnant
de la rebâza; elles improvisent généralement leurs chants, à la façon
des anciens trouvères.. Les hommes font cercle, accroupis autour des
chanteuses, et, pour honorer la réunion, ils revêtent leurs plus beaux
habits.
Au milieu de ces mœurs patriarcales, la femme demanderait
immédiatement le divorce, si elle avait une rivale, et l'homme aurait
le droit de tuer sa femme, sans avoir à rendre compte de sa vie à sa
famille, si elle commettait une inûdélité.
Est-ce à dire pour cela que les mœurs soient d'une pureté irré-
prochable? Je ne le crois pas. 11 y a près de Ghadàmès un campe-
ment de targuies qui rappelle les Nâylîyàt de Biskra et de Tougourt,
et plus d'une jeune fille est accusée d'être devenue mère avant le
mariage.
Dans les rapports de l'homme avec la femme, en mariage, la for-
430 TOUARKG DU NORD.
mule du Code Napoléon est la règle : « La femme doit obéissance
au mari et le mari doit pourvoir aux besoins de la femme dans
la limite de ses ressources, n La délaisser même est un motif à
reproche.
Les Touareg mangent en compagnie de leurs épouses ; ce qui est
contraire à l'usage des autres musulmans; la meilleure part du repas
leur est donnée. Toutefois, il est, dans les aliments, des parties exclu-
sivement réservées à l'un ou à l'autre : le cœur, les intestins des
animaux, ne sont mangés que par Thomme; le foie et les rognons
reviennent aux femmes. Le café et le thé ne peuvent être bus que
par les hommes.
La tenue des dames Touareg est toujours décente et convenable.
Une sorte d'étiquette préside à tous leurs mouvements quand elles
sont en société. Une grande marque de leur respect pour Thomme
auquel elles parlent est de lui cacher leur figure, quoiqu'elles ne
portent jamais le voile, et, à cette fin, elles tournent le dos à leur
interlocuteur, ou bien elles ramènent un coin de leur par-dessus sur
leur figure.
Le sentiment de la pudeur, inconnu et impossible au milieu des
familles polygames, recouvre tous ses droits dans les ménages mo-
nogames des Touareg.
Plus heureuse que la femme arabe, la femme targuie n'est obli-
gée ni à moudre le blé, ni à aller chercher sur son dos l'eau et le
bois, ni à faire la cuisine; les esclaves pourvoient à tous ces besoins,
de sorte que, comme les dames des contrées civilisées, elles peuvent
consacrer du temps à la lecture, à l'écriture, à la musique et à la
broderie. Ce n'est pas sans quelque émotion, qu'après avoir traversé
quatre cents lieues de pays dans lesquels la femme est réduite à
l'état de bête de somme, on constate, en plein désert, une civili-
sation qui a tant d'analogie avec celle de l'Europe chrétienne au
moyen âge.
La célébration du mariage, chez les Touareg, ressemble beaucoup
à celle des autres pays musulmans, avec cette différence que, les
armes à feu étant inconnues ou à peu près chez les nomades, on n'y
fait pas parler la poudre. Chez les nobles, la fantazia à dromadaire
remplace la fantazia à cheval ; on chante, on joue de la rebâza ; chez
les serfs et chez les esclaves, on danse à la mode de Nigritie, au son
de la derboûka.
VIE INTÉRIEUIIE. m
Un marabout préside à la bénédiction nuptiale et rédige les con-.
ventions particulières des époux, quand il y a lieu à contrat.
Les morts sont enterrés conformément aux prescriptions de la
religion musulmane ; lavage du corps à Teau chaude, linceul neuf,
prières pour tous, aromates pour les riches. Mais on ne les pleure pas,
et dès qu'on leur a rendu les derniers devoirs de la sépulture, après
un repas propitiatoire, on évite tout ce qui pourra ressusciter leur
souvenir. Ainsi, on change de campement, on ne prononce jamais
leur nom, et, afin qu'ils disparaissent du milieu des vivants, on n'ap-
pellera pas leurs enfants, comme chez les Arabes, tel fils d'un te!,
on leur donnera un nom qui vivra et mourra avec eux. Il n*y a
d'exception à cette règle que dans les familles des marabouts, ou
dans les familles princières dont le nom est intimement lié à l'his-
toire de la tribu *. Cet oubli apparent ou réel des morts a sa cause
dans la crainte des revenants, crainte générale et qui fait éviter tout
ce qui pourrait être considéré comme une évocation.
Pratiqwds hygiéniques.
L'hygiène est en grand tionneur chez les Touareg, et ses pré-
ceptes, plus ou moins orthodoxes, plus ou moins rationnels, sont re-
ligieusement suivis.
Jamais un targui, à moins d'une circonstance exceptionnelle, ne
se lave ni la figure, ni les mains, ni les pieds, à plus foile raison
les autres parties du corps, parce que l'eau est réputée rendre la
peau plus impressionnable au froid et au chaud. Les ablutions
prescrites par la religion sont faites avec du sable ou avec un
caillou.
Toujours en vue de soustraire la peau aux influences extérieures,
les Touareg se teignent les mains, les bras et la figure, avec de l'in-
digo en poudre. Le reste de leur corps, également couvert d'indigo
par la déteinte continuelle de leurs vêtements, est soumis aux mêmes
effets.
1. Le» auteurs de l'antiquité gi'ecque et romaine parlent d*hommes habitant le
pays actuel des Tou® qui ne portaient pas de noms propres. Sans doute il est
question de noms patronymiques et d'un usage analogue à celui que je constate, car
il est douteux que des hommes aient Jamais pu vivre en société sans avoir un nom
personnel.
Ù32 TOUAREG DU NORD.
Les femmes emploient souvent, mais sur leur visage seulement,
Tocre au lieu de l'indigo.
Ainsi, quoique blancs, les Touareg paraissent bleus, et leurs
femmes jaunes, ce qui contribue à leur donner un aspect si étrange.
il va sans dire que jamais on ne lave les vêtements teints à Fin-
digo, attendu que, par le lavage, ils perdraient leur propriété essen-
tielle, qui est de déteindre sur le corps.
La conséquence de pareilles habitudes est que ceux des Touareg
qui n'ont pas une garde-robe de rechange sont largement pourvus de
parasites.
Gomme les Arabes, les Touareg se rasent la tête, mais, au
lieu de se borner à laisser une simple mèche de cheveux, iahoqqàt,
pour que l'ange puisse les enlever de terre au ciel , le joiur du juge-
ment dernier, et les faire comparaître convenablement devant le
Grand Maître, ils conservent, du front à la nuque, une sorte de crête
de cheveux, ahoqqél, qui ressemble assez à celle de certains casques,
et, en attendant que ces cheveux servent à l'usage commun aprës la
mort, ils en tirent un parti hygiénique dans cette vie. A cet effet,
cette crête est tressée en petites mèches, réunies les unes aux autres,
de manière à former une charpente pour supporter la calotte et per-
mettre à l'air de circuler entre le cuir chevelu et le tissu de laine qui
recouvre la têle.
Les enfants et les jeunes gens portent à une oreille un grand
anneau, tantôt en métal, tantôt en corne, tantôt en bois. Est-ce là
aussi une pratique hygiénique pour préserver, pendant le jeune
âge, par un dérivatif continuel, des nombreuses maladies. auxquelles
les yeux sont exposés?
L'usage du sulfure d'aniimoine, le kolui des Arabes, sur le bord
libre des paupières, a incontestablement ce but. Cette poudre est
appliquée avec délicatesse au moyen d'un stylet en bois, tâfendil.
Mais la pratique hygiénique par excellence des Touareg est la
religion du voile, pour préserver leurs organes extérieurs les plus
délicats, yeux, oreilles, fosses nasales et bouche, de l'action des
sables, du soleil , des vents et de la sécheresse extrême de l'air ;
jamais coutume ne fut mieux appropriée au climat, aussi tous les
étrangers qui voyagent dans leur pays s'empressent-ils de l'adop-
ter. Moi-même j'ai suivi la mode générale et je n'ai qu'à m'en féli-
citer.
VIE INTÉRIEURE. i33
Maladies et pratiques médicaies.
Le genre de vie menée par les Touareg est promptement fatal aux
constitutions faibles, et la sélection opérée par la mortalité ne laisse
dans la population que des sujets forts et robustes.
D*un autre côté, le climat est sain, et la sobriété, commandée par
Taridité du sol, contribue puissamment à maintenir la santé.
Les maladies sont donc rares, quoique les voyageurs étrangers
soient assaillis par des demandes de médicaments; mais ces
demandes ne font que révéler l'impuissance des pratiques médicales
en usage dans le pays.
Les maladies les plus graves et les plus générales sont les oph-
talmies, les rhumatismes, les fièvres intermittentes, les engorge-
ments des viscères consécutifs aux fièvres, la variole, les affections
cutanées, les maladies de la vessie, le ver de Guinée, enfin le boûri
chez les nègres.
11 est peu de Touareg dont les yeux n'aient été le siège d'oph-
talmies les plus graves , probablement d'ophtalmies purulentes si
communes en Egypte, sous l'influence des mêmes causes; car, chez
un grand nombre, la cornée transparente est devenue opaque; beau-
coup sont aveugles ou ne voient que pour se conduire.
La réverbération solaire, les sables charriés par les vents; les
variations extrêmes de température, entre la nuit et le jour; la
sécheresse de l'air ; les effluves salines qui se dégagent du fond des
lacs desséchés ; la contagion elle-même, sont les causes de ces oph-
talmies endémiques. Au Fezzân, j'ai trouvé une grande partie de la
population atteinte de maux d'yeux.
Les remèdes empiriques qu'emploient les indigènes sont plutôt
de nature à aggraver qu'à guérir.
Un des plus grands services qui puisse être rendu auxTotiàreg,
serait d'introduire chez eux, à titre de complément de l'usage du
voile , la coutume de conserves à verres bleus avec œillères. Il suffit
pour cela d'en donner en cadeau aux principaux chefs, — c'est ce
qui a été fait, — et d'introduire cet article dans les pacotilles des
caravanes à des conditions de prix qui le rendent abordable à toutes
les bourses.
Les Anglais ont bien opéré un plus grand miracle, en remplaçant
I. 28
/i3(i TOUAREG DU NOIU).
l'usage du café par celui du thé. Ils ont commencé par en faire pro-
sent aux chefs, et, par esprit d'imitation, tout le monde a voulu en
goûter. Aujourd'hui le Maroc, presque tout le Sahara et une partie
de l'Afrique centrale sont tributaires de l'Angleterre pour le thé.
Au-dessus de trente ans, peu d'hommes ou de femmes sont
exempts de rhumatismes; quelques-uns en sont perclus. Le coucher
sur le sable refroidi pendant la nuit, et l'usage exclusif des vête-
ments de coton expliquent la multiplicité et la gravité de ces affec-
tions. Parvenons à livrer aux Touareg des vêtements de laine, che-
mises, blouses et pantalons, à des prix peu supérieurs à ceux de
coton, et nous verrons le coton abandonné pour la laine ; car déjà
les chefs recherchent les tissus en laine des Arabes. Mais le prix
élevé de ces derniers est un obstacle réel à leur adoption, tant le
peuple est pauvre.
A l'exception de quelques liniments et du feu appliqué à la ma-
nière arabe, par la cautérisation transcurrente, les Touareg n'ont
aucun moyen curatif ou palliatif rationnel contre les rhumatismes.
Ceux qui en sont atteints souffrent jusqu'à leur mort.
Les Oèvres intermittentes, tàzzaq, contractées dans le pays, sont
rares, mais comme les Touareg voyagent beaucoup et sortent souvent
des régions saines de leurs montagnes, ils rapportent de leurs voyages
des fièvres persistantes auxquelles le changement de climat met
quelquefois Qn, mais qui souvent se transforment en engorgements
chroniques et incurables du foie et de la rate.
Les seuls renijJes connus sont des tisanes laxatives ou purgatives
préparées avec des plantes du pays ou des médicaments tirés du
Soudan. Notre commerce pourrait substituer à ces préparations, sans
valeur sérieuse, les principaux fébrifuges, les purgatifs et les vomitifs
de notre matière médicale, dont l'emploi deviendrait bientôt général,
si la vente de c(îs médicaments était accompagnée de notices simples
rédigées en langue arabe.
La variole, âchek ou bedi, vient périodiquement décimer ces mal-
heureuses populations; à mon passagti à Ghadàmès, une épidémie y
régnait et n'épargnait ni jeunes ni vieux. Klle avait antérieurement,
au printemps 181)0, exercé ses ravages sur les Ifôghas du Cheikh-
'Othmàu. Contre ce terrible fléau on ne connaît ni la vaccine ni
même l'inoculation du virus variolique, en usage chez les Arabes.
Sans doule, un jour , grâces aux relations que nous sommes ap-
VIK INTÉRIEURE. 435
pelés à entretenir avec les peuplades du Sahara et de l'Afrique cen-
trale , elles nous seront redevables de Tinlroduction de la vaccine, et
de ce moment datera pour elles une ère nouvelle qui fera époque
dans leurs souvenirs historiques; jusque-là, nous sommes impuis-
sants à leur venir en aide.
La rougeole, loùmet, ainsi que les autres maladies de Tenfance,
n'épargnent pas plus les Touareg que les autres peuples.
On comprendra facilement que les maladies de la peau , du cuir
chevelu, de la paume des mains et de la plante des pieds, soient fré-
quentes et presque incurables chez un peuple^ dévoré de vermine et
qui redoute de se laver avec de Teau, dans la crainte de rendre la
peau plus impressionnable au froid et au chaud. L'importation par le
commerce des préparations sulfureuses et mercurielles peut donc, en
attendant mieux, devenir un objet d'échange utile et lucratif.
Les dartres, ânerhoû, sont communes.
Les voyages fréquents, Tallure fatigante du chameau, la dureté
des selles, en vue de prévenir le sommeil, déterminent souvent des
maladies chroniques de la vessie, dites tezhaggâlt, qui, d'après les
symptômes indiqués, pourraient bien être la pierre.
Contre cette maladie les Touareg n'ont aucun remède.
Les hernies, âmokketes, suites de longues marches, sont aussi fré-
quentes. Des bandages, plus ou jjioins grossiers, les maintiennent
réduites.
Généralement, les Touareg qui vont au Soudan en rapportent le
ver de Guinée, farentîl, parasite qui vit entre cuir et chair, cause
d'atroces souffrances, et revient pendant longtemps, tous les ans, à
la môme époque.
En langue temâhaq, la maladie que donne le ver de Guinée est
appelée âlleb.
Les Européens, comme les indigènes, paient le tribut au farentît.
M. le docteur Barth en a été atteint et ne s'en est débarrassé qu'avec
peine. '
Le suc laiteux du Calotropis procera (voir page 180) est le seul
remède connu à ce mal.
Probablement, notre matière médicale, si riche en toxiques, aura
à donner aux habitants de l'Afrique centrale un sj ('cifique plus puis-
sant que le suc de ce Calotropis. Ln débouché certain est assuré à ce
médicament, dès qu'il sera trouvé.
430 TOUAREG DU NORD.
Le bouri est une affection vertigineuse du cerveau, qui atteint
spécialement les nègres dans la période d'acclimatation, et les rend
fous à lier. Cette maladie se présente sous forme d'accès. On se
borne, pour tout traitement, à séquestrer les malades.
La syphilis, tàlaouaït, héréditaire ou acquise, vient couronner
la série des maladies qui atteignent les Touareg , quoique ce mal
soit moins commun que dans les populations sahariennes du Sud
de l'Algérie et de la Tunisie. La sévérité des mœurs explique la
préservation plus générale et aussi la gravité moins grande des acci-
dents.
Les symptômes les plus ordinaires de cette affection sont des
ulcères , amaluir.
Des tisanes et des poudres de diverses plantes sont d'abord em-
ployées à l'intérieur et à l'extérieur contre les premiers symptômes de
cette maladie, et quand elles n'ont pas amené la guérison, on a recours
au traitement traditionnel par la salsepareille, el-acJieba, qui est très-
compliqué.
La salsepareille, qui vient d'Europe, est l'objet d'un commerce
important dans le Sahara. Les préparations mercurielles, employées
avant tant de succès par nos médecins sur les indigènes de l'Algérie,
peuvent très-bien prendre place avec la salsepareille dans les paco-
tilles à destination de l'intérieur.
Les Touareg se plaignent souvent d'ulcères, dans les fosses nasales,
déterminés probablement par les sables ou l'excessive chaleur; ils
donnent à cette maladie spéciale le nom de fandhefir.
Les bronches elles-mêmes ne paraissent pas toujours à l'abri de
la pénétration des sables, malgré l'usage du voile; ils provoquent la
toux, tisoût, mais ne déterminent pas d'autres accidents.
Dans les cas de piqûre d'animaux venimeux, vipères ou scorpions,
les Touareg étranglent par une ligature le membre ou la partie at-
teinte, pour faire obstacle à la transmission du venin par la circula-
tion; après quoi, ou ils appliquent le feu, ou ils font des lotions
oléagineuses, ou ils mettent en contact avec la plaie la chair san-
glante et encore vivante d'un animal quelconque, poulet, mouton ou
chèvre, en attribuant aux chairs vivantes la propriété d'absorber le
virus.
La seule chose rationnelle dans ces pratiques est la destruction
des parties atteintes par le cautère incandescent; mais on pourra
VIK INTÉRIL:URE. /i37
utilement substitue!' à cette méthode douloureuse remploi de Tam-
moniaque liquide à Tintérieur et à Textérieur.
Est-il nécessaire de constater que les 'Aïssâoua, qui prétendent
charmer les vipères et affronter impunément leur morsure , ne vont
jamais dans la contrée où leur prétendue exemption anti-septique
pourrait être mise à l'épreuve? Us sont même inconnus chez les
Touareg.
Dans quelques tribus du Sud de la province d'Oran, quand la gale
du cheval ou du chameau a résisté au traitement par le goudron, on
détruit YAcarus ou insecte de la gale par le virus du scorpion; à cet
effet, on fait piquer l'animal galeux au-dessous de la croupe, et on
affirme que les Acarus sont bientôt tués. Celte pratique n'est pas en
usage chez les Touareg, quoique la gale du chameau y soit fréquente
et difficile à guérir.
Dans le Tell algérien et tunisien, on fait quelquefois aussi, dit-on,
un coupable usage de viandes présentées à la dent des vipères et
empoisonnées par leur venin. Je dois dire que les Touareg sont trop
honnêtes et trop loyaux, même vis-à-vis de leurs ennemis, pour em-
ployer de tels moyens.
La seule plante vénéneuse que produise le pays des Touareg
est VHyosajamus Falezlez (Voir page 182). On ne s*en sert pas comme
poison , mais comme aliment et comme médicament.
L'observation a appris aux Touareg que Vafahlehlé engraissait
les chameaux, les moutons et les chèvres (tous ruminants), et
ballonnait, avant de les tuer, les chevaux et les ânes qui en avaient
mangé.
Leurs femmes, pour lesquelles l'embonpoint est le suprême de la
beauté, ont voulu savoir si la susdite plante agirait sur elles, soit en
les engraissant, soit en les ballonnant, et, en vraies filles d'Eve, elles
ont touché au fruit défendu, sans qu'il leur soit advenu trop grand
mal, en prenant certaines précautions, toutefois.
Donc, les femmes maigres qui veulent devenir grasses mangent de
la viande assaisonnée avec une petite quantité d'afahlehlé, puis elles
se couchent en ayant soin de se couvrir de manière à appeler à la
peau une abondante transpiration. Pour la provoquer, elles boivent,
par gorgées, de grandes quantités de lait aigre. Si la médication
réussit, la peau se dilate, et, après quelque temps de ce régime,
l'embonpoint se développe. Dans le cas où, au lieu de la chaleur, sur-
438 TOUARKC; DU NORD.
vient le froid, alors il y a folie momentanée, quand des accidenLs
plus graves ne se manifestent pas.
Comme médicament, l'extrait d'afahlehlé, incorporé à du beurre
fondu, est employé en frictions dans les douleurs rhumatismales.
Dans les maladies de Tutérus, les femmes font usage de tampons
en coton recouverts de beurre chargé de la même substance. Celte
pratique rappelle l'usage que les dames romaines faisaient de la bel-
ladone, dans les mêmes cas.
Je suis entré, à dessein, dans ces détails, pour faire comprendre
quelle importance le commerce des médicaments, asafar, avec- le
Sahara et l'Afrique centrale peut acquérir un jour. Quoique fatalistes,
les musulmans n'hésitent pas à acheter des drogues pour calmer leurs
souffrances et prolonger leur existence.
Un médecin, âdliabîb, qui accepterait avec dévouement la mission
d'aller passer quelques années au milieu des Touareg, non-seulement
serait considéré par eux comme un personnage sacré, mais encore y
exercerait la plus heureuse influence pour l'avenir de nos relations
commerciales ou politiques.
Quand la France aura un agent consulaire à Ghadâmès ou à Rhàt,
on pourra utilement confier cette glorieuse mission à l'un de ces nom-
breux officiers de -santé de l'armée pour lesquels l'occasion de rendre
des services est toujours une bonne fortune. Si ce médecin parlait
l'arabe et avait le goût des voyages, le Sahara n'aurait bientôt plus
de secrets pour nous.
Travail.
Le Touareg n'ont pas d'habitation , ils ne produisent ni les vête-
ments qu'ils portent ni les aliments qu'ils consomment; à les juger
par leur impuissance à suffire à leurs premiers besoins, surtout quand
on sait qu'ils ont des vallées où la terre est profonde et l'eau presque
à la superficie du sol, on est, à première vue, disposé à les classer
parmi les peuples paresseux, dignes de toutes les misères qui les
atteignent.
Il n'en est rien cependant, car le targui est un homme actif,
toujours occupé ; mais l'immensité de l'espace dévore son temps et ne
lui laisse, après chaque course, que trop peu d'intervalle pour vaquer
à d'autres soins.
VIE INTEHIEURE. 439
Ou se rendra compte de la lutte de Thomme contre l'espace en rap-
prochant deux chiffres: celui de la population, environ 30,000 âmes,
pour la totalité des Touareg du Nord; et celui de la superficie occu-
pée, 100 millions d'hectares environ, probablement plus, dont ils
doivent faire la police, soit pour protéger les caravanes de leurs
clients, soit pour surveiller les mouvements de leurs ennemis.
Pour aller à un marché, vendre ou acheter, ce qui, partout ailleurs,
n'exige qu'un jour au plus, demande souvent un mois à un targui, et
ainsi de tout.
Dans cette situation, les Touareg ne peuvent êire ni agriculteurs,
ni industriels, mais seulement pasteurs des très-maigres et des très-
petits troupeaux indispensables à leur existence, à leurs courses, à
leurs transports. Néanmoins la surveillance de leur territoire, la garde
de leurs troupeaux, les voyages, les déplacements fréquents que la
transhumance impose, obligent les Touareg à un travail continu qu'une
race forte et robuste peut seule supporter.
A part les oasis de Ghadàmès, de Rhât. du Fezzân, de Djânet et
d'Idélès, qui ne produisent même pas tout ce que leui^s habitants con-
somment, on ne trouverait j)eut-ôtre pas 1000 hectares cultivés dans
les 100 millions occupés par les nomades. Du moins, je suis autorisé
à tirer cette conclusion de ce que j'ai vu et des renseignements qui
m'ont été donnés. On cite, chez les Azdjer, trois groupes de dattiers
et deux groupes de figuiers, et à peine un plus grand nombre chez
les Ahaggàr.
D'ailleurs, les Touareg n'ont ni bœufs, ni chevaux, ni cliarrues
pour abréger le travail de la terre; ils sont donc fatalement con-
damnés à ne. cultiver que les rares petits jardinets qu'ils peuvent
piocher avec leui-s bras.
On cite cependant un fait exceptionnel de culture que je dois
mentionner. Sur l'un des points culminants du Tasîli, à Harêr, il
n'y avait qu'un plateau dont la roche était à nu. Les serfs y ont
apporté de la terre végétale à dos d'hommes et d'animaux, et ils y
cultivent aujourd'hui des dattiers, des vignes et des céréales.
Ce point est assez élevé au-dessus du niveau général du plateau
pour que , du pied de la montagne , un homme placé à son sommet
ne paraisse pas plus grand qu'un corbeau.
L'industrie est un peu moins bornée que l'agriculture, sans
cependant dépasser les limites imposées par la stricte nécessité.
iùO TOUAREG DU NORD.
Des forgerons, inat, réparent les armes; après les nobles, ces
artisans sont les principaux personnages de la tribu.
Des tanneurs, sefel, préparent les peaux de tous les animaux
tués : chameaux, moutons, chèvres, mouflons, antilopes.
Des selliers, des cordonniers mettent ces peaux en œuvre.
Quelques-uns font des travaux de sparterie et de poterie en argile.
D'autres travaillent le bois, tournent des plats et des sébiles,
préparent des arcs et des flèches, des hampes de lance, des manches
de sabre et de poignard.
D'autres sont vétérinaires, saignent, bistournent les animaux,
leur appliquent le feu.
Enfin quelques-uns se hasardent à faire du goudron, matière
indispensable au chameau.
Je dois dire que les ouvriers de ces professions ne manquent pas
d'adresse. J'avais perdu la clef de mon chronomètre; un forgeron
targui d'El-Fogâr, où cet accident est arrivé, a pu m'en faire une.
Le travail de la pelleterie, de la cordonnerie et de la sellerie a atteint,
notamment à Ghadâmès, un assez haut degré de perfection pour
pouvoir rivaliser avec les produits des mêmes industries du Maroc ,
qui n'ont pas encore été surpassés pour la force, la souplesse et la
couleur des cuirs, par les imitateurs européens. Quelques échantil-
lons de fine sparterie témoignent d'une supériorité réelle sur les
produits similaires du Sud de l'Algérie et de la Tunisie.
L'intelligence qui distingue le peuple targui ne saurait lui faire
défaut en industrie; malheureusement il n'a ni le temps, ni les res-
sources suffisantes pour l'appliquer.
Les professions autres que celles ci-dessus dénommées sont celles
de marchand, ajiesfear/wr; guide, âkhaMr; chamelier, âmakân; voya-
geur, amesôkal; chasseur, amacljedôl; berger de chameaux, amadân;
berger de moutons, amaouâL
La garde des troupeaux et les soins à leur donner occupent beau-
coup de bras, car l'eau qu'ils consomment doit souvent être tirée
de puits profonds.
CHAPITRE VI.
TOUAREG DANS LEUR VIE EXTÉRIEURE.
La conservation de leur indépendance au milieu de voisins de
races différentes, leurs ennemis ou leurs rivaux, a exigé des Touareg,
souvent affaiblis par leurs divisions intestines, toujours à la discré-
tion d'étrangers pour les besoins de leur consommation, un grand
déploiement de vitalité extérieure, ici pour conserver de bonnes
relations, là pour défendre leur territoire. L'examen des procédés
par lesquels ils font face aux besoins de leur politique n'est donc
pas sans intérêt.
Ces procédés sont ceux des nations civilisées : les négociations
amiables ou la lutte à main armée. A l'exception de rares moments
de trêve, la vie des nobles se passe ou à prendre part à des assem-
blées, mia'âd, ou à faire la guerre, âmdjer, sous la forme de course,
êdjen,
«^ I•^ — Assemblées or Mia'Ad.
Je suppose le cas, journalier d'ailleurs, où s'élèvent des contes-
tations, soit entre Touareg, soit entre Touareg et étrangers. On
essaie d'abord les voies de la conciliation. A cet effet, un miaâd est
proposé et presque toujours accepté, parce que si les Touareg tien-
nent à leur réputation d'hommes de guerre, ils aiment aussi à faire
preuve d'habileté diplomatique, à se montrer éloquents, mais sur-
tout à prendre leur large part des repas homériques qui ouvrent et
terminent les assemblées publiques.
Le choix du lieu de la réunion est toujours une affaire impor-
tante, car chaque parti élève ordinairement la prétention de placer
son adversaire dans des conditions défavorables pour sa défense , si
le démon de la traîtrise venait à s'introduire dans l'assemblée.
kk2 ÏOIAHKG nu NORD.
Quand les circonstances sont délicates, on choisit ordinairement
un terrain neutre et on détermine à l'avance le nombre d*hommes
armés qui pourront, de part et d'autre, assister à la réunion.
Une fois les préliminaires réglés et le lieu de la réunion fixé d*un
commun accord, les chefs, les hommes graves, s*y rendent avec
Tescorte convenue.
La politesse la plus exquise préside à la rencontre. Les saluta-
tions, les compliments durent le temps nécessaire à la cuisson d'un
chameau et de plusieurs moutons.
« Quand le ventre est satisfait, dit un proverbe local, le cerveau
est bien près de l'être aussi. »
Conformément aux habitudes musulmanes, la première entrevue
s'effectue -sans qu'il soit question de l'objet de la réunion.
En attendant, chaque parii scrute les regards de l'autre, sonde
les dispositions hosliles ou favorables des hommes influents et de*
mande à la nuit quelque bon conseil.
Le lendemain, la conférence s'ouvre.
Ces congrès, inutile de le dire, ont toujours lieu en plein air et
en présence de tonte l'assistance.
Deux arcs de cercle concentriques, formés vis-à-vis l'un de l'autre
par les plénipotentiaires, gravement assis à la façon orientale et rou-
lant leurs chapelets dans leurs doigts, marquent la limite de l'en-
ceinte réservée aux orateurs.
Autour, deux autres arcs de cercle réunissent la foule des audi-
teurs, debout ou assis, qui écoutent, dans le plus grand respect,
toutes les raisons pour ou contre, aûn d'en rendre un compte exact
aux absents.
Toujours le silence est rompu par une imprécation contre le dé-
mon :
« Que Dieu éloigne ses mauvais conseils! »
« Amîn, ainsi soit-il, » répondent tous les assistants.
Chacun prend la parole, à tour de rôle, les chefs des chefs,
ceux qui doivent tirer la conclusion, se réservant de parler les der-
niers.
L'habitude, dans ces réunions, est de parler lentement, distinc-
tement, sobrement, après avoir pesé, avec une grande réserve, les
arguments de la partie adverse.
Aucun secrétaire ne dresse procès-verbal de la séance, mais per-
VIE EXIÉinKURE. ii3
sonne n'a d*effort de mémoire à faire pour se rappeler tout ce qui a
été dit, tant il y a de calme dans toute la délibération.
Rien n'est simple, mais rien n'est majestueux comme ces as-
semblées d'hommes voilés, aux vêtements noirs, désarmés pour
délibérer, mais dont les lances et les javelots, plantés en terre, se
dressent en faisceaux derrière eux. ^
Enfin le moment solennel de la conclusion est arrivé.
La conclusion ordinaire d'Ikhenoûkhen peut se résumer eh ces
quelques mots :
u Tout ce que vous venez de dire n'a pas le sens commun. Voilà
ce qui sera, quia ego nominor ko, »
Chez les Touareg, comme ailleurs, la raison du plus fort est sou-
vent la meilleure.
• Cependant, comme la diplomatie saharienne ne se tient pas pour
battue apràs un insuccès, elle en appelle d'un premier mia'âd à un
second, même à un troisième. Souvent, dans l'intervalle, les pas-
sions s'appaisent, la réllexion l'emporte sur la colère et un marabout
arrive à point pour tout concilier.
Dans ces cas heureux, on ne se sépare pas sans sceller l'alliance
nouvelle en mangeant le même pain et le même sel, avec l'accom-
pagnement obligatoire de chamelles et de moutons rôtis, eî, souvent,
pour perpétuer la mémoire d'un aussi heureux résultat, on dresse
une pyramide en pierres séchas sur le point où le mia'àd a été tenu.
Mais quand, de chaque côté, il y a un Ikhenoîikhen, malgré les
efforts des marabouts, malgré l'intérêt général qui réclame la paix,
il faut avoir recours à la force des armes.
§ II. — Guerre.
Les Touareg distinguent la guerre , dmdjer, de la course , êdjcn
(le rkezl des Arabes), quoique le plus souvent la course soit l'unique
manifestation d'un état hostile après une déclaration de guerre.
La guerre offensive et défensive n'est qu'exceptionnellement pos-
sible de nomade à nomade. La surprise ou la fuite constitue la seule
tactique dans le Sahara, aussi les Touareg doivent-ils toujours veiller
et être prêts à lever leurs camps.
Mais avant d'arriver sur le champ de la lutte, il y a lieu de
kkk TOUAREG DU NORD.
faire connaître, de pied en cap, le chevalier targui, son armement,
son équipement, sa monture, en un mot tous les détails d'une guerre
exceptionnelle.
Armetnent.
•
L'armement complet d*un targui comprend un sabre, un poi-
gnard, une lance, un javelot, un arc, des flèches, un anneau de
pierre, un bouclier, quelquefois un fusil et des pistolets.
Le sabre, takôba, est un glaive droit et long, tranchant des deux
bords; les plus estimés s^ont fabriqués dans le pays; le plus grand
nombre vient de Solingen en Allemagne. (Voir planche XXIV, fig. 2.)
Le fourreau du sabre, partie en fer ou cuivre et partie en cuir,
s'appelle tsdoummân. 11 est toujours un produit de l'industrie locale.
Le poignard, télaq, porté sur la face interne de l'avant- bi^s
gauche, est tantôt un long couteau de chasse droit, tantôt un large
poignard qui représente en petit le sabre actuel de notre infanterie.
Cette arme, que le targui ne quitte jamais, comprend une poi-
gnée, une lame, un fourreau et un bracelet.
La poignée est en bois d'ébène , avec des incrustations en
cuivre ;
La lame est en acier à trempe douce;
Le fourreau, en cuir rouge avec des garnitures en cuivre feston-
nées à l'emporte-pièce, peut être considéré comme un ornement;
Le bracelet, en maroquin rouge avec des broderies de soie ou de
cuir jaune, permet tous les' mouvements sans les gêner. 11 fait corps
avec le fourreau.
Le tout, sauf la lame, est de fabrication locale. (Voir fig. 8.)
La lance, âllârh, de 2" 70 centimètres à 3 mètres de hauteur envi-
ron, est une verge en fer, de quatre centimètres de circonférence,
fabriquée dans le pays avec du fer tendre de première qualité. Laté-
ralement, sur ses quatre faces, au-dessous du fer tranchant destiné
à ouvrir la voie, elle est armée de crochets comme les harpons,, de
sorte qu'en la retirant du ventre ou de la poitrine de l'ennemi, on
ramène au dehors une partie des intestins ou des poumons. ( Voir
fig. 1.)
Le javelot est une arme de jet, sous forme de lance, avec hampe
en bois et pointe en fer à crochets. Un petit javelot se dit târhda, un
PI. XXIV.
Page 444.
Fig. 39.
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%
VIE EXTÉRIEURE. Ù45
grand, âdjedeL Cette arme ne peut être lancée qu*à une distance
très-rapprochée. (Voir fig. 1 bis.)
L*arc, tanâchchabt, faite avec un bois léger nommé kinba, est
plus en usage chez les Touareg du Sud que chez les Touareg du
Nord. (Voir fig. 3.)
Les flèches, emlerbâ, sont en roseau ou en bois léger avec pointes
ailées en fer. (Voir fig. ù.) Jamais elles ne sont empoisonnées.
L'anneau de bras, âJiabedj, a un double but : donner plus de
force pour porter le coup de sabre ; offrir un point d'appui solide
pour écraser la tête de son ennemi, en cas de prise de corps. Cette
manière de tuer prend le nom de temârhait.
Cette arme, je Tai déjà dit, est portée au bras droit, entre Fat-
tache inférieure du deltoïde et le ventre du biceps.
Le bouclier, ârhar, est la seule arme défensive des Touareg. C'est
un grand disque, en peau épaisse, qui couvre tout le corps, moins la
tête et les pieds.
La peau adoptée pour la confection des boucliers est celle de Vm-
tilope mohor, très-commun dans le pays d*Aïr.
Impuissant contre la balle, le bouclier résiste aux flèches, amor-
tit les coups de sabre et de lance. On voit qu'ils sont utiles, car
beaucoup sont couverts d'honorables cicatrices.
Les armes à feu, très-rares chez les Touareg nomades, sont plus
communes chez les serfs pacifiques du Fezzàn, qui s'en servent prin-
cipalement pour la chasse; cependant quelques chefs ont des fusils
et des pistolets à pierre, du même modèle que ceux des Arabes du
Sud de l'Algérie.
Les noms donnés à ces armes témoignent du peu d'habitude de
s'en servir :
On appelle : un fusil albârôd, du mot arabe qui signifie poudre;
un pistolet elrhodnyet, d'un mot également arabe qui signifie traî-
trise; la poudre, etoû; la balle, tabellàlt; la pierre à fusil, tafarâst; la
corne à poudre , attelkhîg,
A la joie qu'lkhenoûken a éprouvée en recevant de moi une paire
de pistolets, et de M. le gouverneur général de l'Algérie un magni-
fique fusil, je dois croire que les Touareg apprécient à- leur valeur
les armes à feu, et que, s'ils n'en sont pas tous pourvus, il faut l'im-
puter à la difficulté de s'en procurer.
(Cependant, la substitution des armes à feu aux armes blanches
/i46 TOlJAnKG DU NORD.
mettra le pouvoir aux mains du premier groupe qui pourra faire en-
tendre la poudre. S'il entrait jamais dans la politique française de
constituer un makhzcn targui, pour la protection de notre commerce
et la sécurité des routes, ainsi que l'a proposé M. le commandant
Hanoteau, la délivrance de quelques centaines de fusils à ces auxi-
liaires les aurait bientôt rendu les arbitres des destinées du pays.
En rétat de l'armement, les rencontres ont lieu de très-près,
presque corps à corps, mais, en somme, elles sont lrè5r-peu meur-
trières. Le combat cesse dès qu'il y a quelques liotnmes tués ou blessés
de part ou d'autre.
En 1860, les Azdjer et les Ahaggâr en sont venus aux prises en-
semble; les premiers ont eu quatre hommes tues.
Antérieurement, les Cha'anba avaient opéré une grande rhazia
sur les Azdjer, au pied du Tasîli; la perte a été de quelques hommes
seulement.
Dans leurs rencontres avec les Teboû, les Touareg sont exposés
aux blessures très -dangereuses du changuomanguer, à la fois arme
de jet et d'escrime. (Voir planche XXIV, fig. 5.)
Équipement.
Le méhari, aredjdjân, est, par excellence, l'animal de guerre, car
on n'en connaît pas d'autre. C'est à peine si, dans la totalité des tribus
des Azdjer, on trouverait une dizaine de chevaux de selle.
Le méhari est au chameau porteur ce que , chez nous , le cheval
de selle est au cheval de trait. Autant l'un est lourd et lent, autant
l'autre est léger et vif.
Le méhari marche, trotte et galope, mais ses allures accélérées
sont très-dures. Généralement, on le tient au pas.
Comparé au cheval, il peut faire une plus longue marche sans
boire ni manger; il peut porter un poids plus lourd, mais il a moins
de vitesse, il est moins docile; quand le méhari est en fureur, ce qui
arrive souvent, c'est un animal terrible. Parfois il jette à terre celui
qui le monte, et les chutes sont suivies d'accidents graves.
Pour monter un méhari ou pour en descendre, il faut qu'il se soit
rais à genoux, et un long dressage est nécessaire pour qu'il se prête à
cette manœuvre. Par précaution, les chefs sont assistés d'un homme
à pied chaque fois qu'ils veulent monter ou descendre.
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PI. XXV.
Page iV
Fig. 40 i SI.
ARMEMENT ET II ARN ACH BM EMT.
N« 7, fouet. — N» 9, sandale. — N» 11, coussin. — N» 15, boîte en cuir.
VIE EXTÉRIEUR!:. khi
L'équipement du méhari esta peu près celui du cheval.
La selle ordinaire, ârlhozer {rihla des Arabes), la sellé de luxe des
chefs, âiarâm, sont construites sur le modèle de celles de nos spahis.
Le dossier en est moins large et moins élevé, le pommeau est en croix
au lieu d*être rond. En somme , ce serait un bon siège de marche s'il
était rembourré. (Voir planche XXIV, fig. 6 et planche XXV.)
A la différence de la selle du cheval, la selle du dromadaire n'a
pas d'étriers, Uekif, support inutile, les pieds du cavajier à droma-
daire, cg-emU, étant croisés sur le cou de la bête. Mais, en revanche,
elle est ornée d'une masse de lanières en cuir, de toutes couleurs,
qui tombent sur les jambes de l'animal et le sollicitent à la marche.
Des groupes de clochettes, anaïna, en cuivre et étain, Fixées à
l'avant et à l'arrière de la selle, servent de parure et tiennent conti-
nuellement le dromadaire en éveil.
La selle est posée sur le garot, à Tendroit où le cou s'attache au
corps, en avant de la bosse. Elle est fixée au moyen d'une sangle en
fines lanières de cuir tressées à plat. Ce genre de sangle, à la fois
souple et solide, doit avoir une très-grande durée.
Entre la selle et le dos de l'animal, un feutre épais, isâtfâr, pré-
vient les blessures.
La bride, tîrhounîn, est aussi une corde tressée, en cuir, qui s'at-
tache à un anneau en métal fixé au nez de l'animal, et qui le fait
obéir à la main du cavalier. (Voir planche XXIV, fig. 10.)
Les accessoires de la selle sont considérables , car ils doivent
contenir tout ce que l'homme de guerre emporte avec lui. Ils con-
sistent :
1** En un grand sac de cuir, ârheredj, orné de lanières, de franges
et de dessins, dans les divers compartiments duquel entre tout l'ar-
senal du cavalier : sabre, fusil, javelot, arc, flèches, pistolets, quand
on ne les porte pas à la ceinture; en un mot, les armes et les muni-
tions. Ce sac est à droite, pour être toujours à la disposition de la main.
Il est recouvert et proto<,^é par le bouclier. (Voir planche XXIV, ^\^. 12.)
2® En un second sac en cuir, servant de pendant à Vârl^redj, et
contenant les provisions de bouche : farine de gafoûli , farine de
gueçob, tabac à fumer, tabac à chiquer, natron, pipes, etc., etc., le
tout dans des compartiments séparés. ( Voir planche XXIV, fig. H.)
3° En une ou plusieurs outres, aheôq, ou peaux tannées, dans les-
quelles est la provision d'eau.
/i/i8 TOUAHEG DU NORD.
Les chefs ont quelquefois la djebira des Arabes, pour y serrer
leurs objets Tes plus précieux. (Voir planche XXIV, fig. 13.)
A part ce qui est sur le méhari, les guerriers Touareg n'ont pas
d'autres bagages, ni tentes, ni vivres, ni bêtes de somme.
Si l'expédition est heureuse , les chameaux conquis sur l'ennemi
porteront les prises. En cas de revers, on ne veut pas d'embarras.
Rencontres.
Les éclaireurs, amârhelat, jouent un grand rôle dans les guerres
de surprise; c'est par eux que la proie est signalée, guettée, livrée
aux capteurs. Si tous les Touareg, en général, ont la vue et l'ouïe
d'une délicatesse qui les fait voir et entendre à des distances incroya-
bles, les éclaireurs ont ces qualités au suprême degré. Devançant la
troupe au loin, pour observer, ils savent toujours où ils retrouveront
leurs amis. La subtilité de leurs sens est pour eux un guide certain.
Les interrogatoires que les Touareg font subir à tous les étrangers
traversant leurs territoires sont aussi un moyen de savoir ce qui se
passe autour d'eux, car on s'expose peu à les tromper.
La rapidité de la transmission des nouvelles par les voyageurs est
quelque chose d'incroyable. Pendant mon séjour dans le Sahara, j'ai
toujours appris les événements importants longtemps avant d'en avoir
été avisé par ma correspondance; ainsi l'entrée de notre khalîfa Sîdi-
Hamza à El-Golêa', la marche de M. le commandant Colonieu sur
Timmîmoun, la mort du sultan 'Abd-el-Medjîd, ont été connues très-
rapidement.
L'ennemi découvert, on cherche toujours à l'aborder en le sur-
prenant.
Les hommes montés se battent du haut de leurs chameaux; les
serfs, qui n'ont pas de méharis, se battent à pied.
L'armement exige qu'on s'aborde de très-près, à la distance d'un
fer de lance.
Chaque targui, dit M. le commandant Hanoteau, tient le bouclier
de la main gauche et le javelot de la droite ; le sabre est suspendu au
côté. Le combat commence en lançant le javelot, dont on pare les
coups avec le bouclier, puis on s'aborde au sabre.
L'agilité des Touareg, leur habileté à manier le bouclier, le long
apprentissage qu'ils ont fait de l'escrime, font qu'ils peuvent se
VIE EXTÉRIEURE. /i49
battre longtemps sans résultat. Tant que Tun des deux partis ne
tourne pas le dos, il n'y a pas d'action décisive. Mais, malheur à celui
qui est obligé de battre en retraite, car il est poursuivi, la lance dans
les reins. Quoique les combats, nkennâs, cessent dès que l'honneur
peut être réputé satisfait et dès qu'il y a un certain nombre de tués
ou de blessés, on cite cependant des batailles qui ont été très-meur-
trières et dans lesquelles la destruction du parti vaincu a été la con-
séquence de la victoire.
Mais, généralement, on préfère la surprise à la rencontre. Voici
ce qui a lieu dans ce cas. Les tribus enveloppées n'opposent pas de
résistance el fuient, abandonnant tout ce qu'elles possèdent. De leur
côté, les assaillants, plus préoccupés de piller que de poursuivre leur
ennemi, se hâtent de s'emparer au plus tôt du butin, dans la crainte
d'un retour offensif, qui est à redouter, même après quatre et cinq
jours de capture.
C'est dans les retours offensifs que les Touareg paraissent redou-
tables.
Les pillés, imViaghen, (sing. amîliagh), réunissent leurs méharis,
font appel à leurs amis et alliés, et quelle que soit la célérité que les
pilleurs, imôliagh, apportent à la retraite, on se met à leur poursuite.
On tâchera de les devancer aux premiers puits où ils doivent
abreuver leurs montures et leurs bêtes de somme, et là, on est sûr
que le besoin de boire amènera toutes les bêtes de prise au pouvoir
de leurs anciens maîtres.
Les capteurs, chargés de butin, traînant à leur re norque des bêtes
de somme, au pas lent, et obéissant mal à la voix de nouveaux con-
ducteurs, n'ont d'autre expédient, pour échapper à la poursuite d'en-
nemis légers et résolus à reconquérir leurs biens, qu'en dérobant leur
marche de retraite, ce qui n'est pas facile avec des rôdeurs comme
les Touareg.
On cite un retour offensif d'ikhenoiikhen contre les Cha'anba, où
après quatre grands jours de marche forcée ces derniers ont été
obligés d'abandonner toutes leurs prises, en perdant beaucoup de
monde.
Par nature, par tempérament, les Touareg sont constitués pour
être de braves guerriers, et ils le sont, sans quoi ils eussent déjà été
dévorés par leurs voisins, bien plus nombreux, bien mieux armés
qu'eux, surtout ceux du Nord, les Cha'anba et autres. Mais indépen-
I. 29
450 TOUAREG DL NORD.
(iamment de leurs dispositions naturelles à la bravoure chevale-
resque, les Touareg sont encore sollicités à l'héroïsme par leurs
femmes qui, dans leurs chants, dans leurs improvisations poétiques,
flétrissent la lâcheté et glorifient le courage. Un targui qui lâcherait
pied devant l'ennemi et qui, par sa défection, compromettrait le
succès de ses contribules, ne pourrait plus reparaître au milieu des
siens. Aussi est-ce sans exemple.
Entre Touareg, quand deux partis en sont venus aux mains, et
que l'un des deux est battu, les vainqueurs crient aux vaincus, de
ce cri sauvage particulier aux Touareg :
Hia hia! hia hia!
Il n'y aura donc pas de rebàza!
Le rebâza est le violon sur lequel les femmes chantent la valeur
de leurs chevaliers.
A la menace du silence des rebàza, les vaincus reviennent à la
charge, tant est grande la crainte du jugement défavorable des
femmes.
Chants de guerre.
Comme tous les peuples guerriers, les Touareg ont leur chants de
guerre.
Les Arabes, ces grands mangeurs, qui vivent dans une abon-
dance enviée et enviable , ont surtout excité la verve de poètes affa-
més. Voici leur Marseillaise contre les Cha'anba, jadis leurs plus
intimes ennemis :
Ab& mak, Ma'talla, alhîn, keihânî
Midden dlh souort arhèledh iyyàn
Ezzâiii asikel aked aoudân
Ezzàin înnen inhâyen ôdouàn
Kzzâin iddàsin aies insân
Nanesberhôr sàdhittes telâ djân
Tckenâs atiti âberdjen Ikenàn
Tekenâs làftaq imôzhen îmedàn
letkàr derhôred idemànen ingngàn
Dakh-an-tlemîn sîkid izzedj edsân
Sarhtîn des àllarh ioulân desennân
leqqân isifef âttedjmodan raân
Nellilouet ournoûye oualâmAn
Mkît tckhamkliàm iôkày ezegzân.
VIF. IvXTÉRIF.URK. 451
Voici la traduction, mot à mot, de ce chant. Les mots en italiques
sont sous-entendus dans le texte original.
« Que Dieu maudisse ta mère, Ma^taUa i, car le diable est en ton corps!
M Ces hommes, les Touareg^ tu les prends pour des lâches;
M Cependant , ils savent voyager, et même guerroyer ;
o Ils savent partir de bon matin et marcher le soir ;
« Ils savent surprendre, dans son lit, tel homme couché;
« Surtout le riche qui dort, au milieu de ses troupeaux agenouillés;
« Celui qui a orgueilleusement étendu sa large tente;
« Celui qui a déployé, en leur entier, et ses tapis et ses doux lainages;
«Celui dont le ventre est plein de blé cuit avec de la viande,
« Et arrosé de beurre fondu et de lait chaud sortant du pis des chamelles;
« Us le clouent de leur lance, pointue comme une épine,
« Et lui se met à crier, jusqu'à ce que son âme s'envole.
(( Nous le laverons de son bien, sans môme lui laisser d'eau;
« Sa gourmande de femme • ne pourra plus supporter son désespoir '. »
La traduction est impuissante à rendre et Tharmonie imitative et
le laconisme de cette poésie sauvage.
Que de choses en peu de mots!
La guerre est sainte, car Ma'talla est un suppôt de Satan.
Elle est juste, car MaHalla traite de lâches des hommes qui sont
les plus braves de la terre.
Puis vient l'appel à toutes les passions qui remuent le cœur d'un
targui :
Ma'talla dort.
Sur de moelleux tapis.
Dans une large tente.
Entourée de gras troupeaux!
Ma'talla a le ventre plein :
De blé cuit.
Avec de la viande.
Et cet assaisonnement n'a pas suffi à sa gourmandise; il a encore
arrosé son blé et sa viande de beurre fondu et de lait chaud.
1 . Ma'talla est le nom d'un chef arabe.
2. Jii traduis le mot tekhamkhâm , par sa gourmande de femme, à défaut d'un
mot dans notre langue pour signifier celle qui, devant un bon mets, fait lien, hen ,
hen^ comme le cheval auquel on apporte sa musette pleine d'orge,
3. M. Hanoteau, dans son Essai de Grammaire tamdchek', donne, livre VI,
pages 209, 2i0, 211 , une variante de ce chant.
J'ai tout lieu de croire que l'auteur doit mieux se rappeler son œuvre que ceux
qui réiitent un chant, en le molifiant au gré de leurs caprices; c'est pourquoi j'en
donne ici une seconde édition conforme à l'origina'.
452 TOUAREO DU NORD.
La femme de Ma*talla,
Celle qui Tait tekhamkhâm en mangeant.
Elle est là aussi.
Avec le ventre plein.
Toutes ces jouissances, inconnues des Touareg, car ils n'ont ni
lits, ni tapis, ni tentes ; car leurs troupeaux maigres ne donnent pas
assez de lait pour faire du beurre;
Toutes ces richesses, dont leurs femmes, à l'estomac vide, sont
toujours privées;
Un coup de lance les leur donnera.
Quel bonheur pour un targui d'aller sonder un ventre si bien
plein, avec une épine bien pointue et armée de harpons I
Et ce coup de lance lui donnera, non-seulement la vie de Ma'talla,
mais encore tous ses biens.
Et oû emportera tout, même Teau.
Quant à la tekhamkhâm, en lui épargnant la douleur de la lance,
on lui réserve un supplice bien plus cruel : celui de vivre avec rien,
comme les femmes des Touareg. Mais elle ne résistera pas , parce
qu'elle n'est pas habituée aux privations.
D'où la conclusion, sous forme de morale, que les femmes tar-
guies doivent apprécier le mérite de leur misère habituelle, puis-
qu'elle les préserve du sort de la tekhamkhâm.
Mais, quelles que soient les chances diverses de la lutte, quel
que soit le parti qui entonne les chants de victoire, il y aura tou-
jours lieu à traiter de la paix. Alors recommence la série des mia'ad.
S'ils sont vainqueurs, les Touareg se montrent de bonne composition,
car ils sont généreux dès que leur amour-propre est satisfait. D'ail-
leurs, il est à remarquer, quoiqu'ils soient souvent en guerre, qu'ils
font tout leur possible pour l'éviter.
VIE EXTÉRIEURE. /j53
CONCLUSION.
Dans leurs rapports avec les Français, les Touareg se sont mon •
très, jusqu'à ce jour, fort dociles. On leur a demandé de venir à
Alger; ils y sont venus. On m*a envoyé au milieu d'eux, ils m'ont
bien accueilli. On a invité leur principal marabout à visiter la France;
malgré l'imprévu de la demande, malgré l'inconvénient d'abandon-
ner sa famille, pendant plusieurs mois, sans avoir pourvu à tous ses
besoins, le Cheikh-'Othmàn s'est rendu à nos désirs. En vain Mo-
hammed-ben-'Abd-Allah a sollicité le concours des Touareg dans la
prise d'armes qui l'a fait tomber en nos mains, les Touareg se sont
abstenus.
Espérons qu'il en sera toujours ainsi. D'ailleurs, en terminant,
je constate un fait capital : jusqu'à ce jour, aucun des voyageurs
européens qui ont exploré l'intérieur de l'Afrique n'a été victime
d'un acte de brutalité ou de fanatisme, ni sur le territoire des Toua-
reg, ni de la main d'un targui.
Cette honorable exception répond à toutes les calomnies que les
Arabes, leurs ennemis, avaient propagées sur leur caractère indomp-
table.
APPENDICE.
G K (> G R A F II I E ANCIENNE.
La partie aujourd'hui explorde du Sahara était comprise dans la
Libye intérieure des géographes grecs et romains.
Les documents anciens sur cette contrée sont vagues et, jusqu'au
moment de la publication du dernier ouvrage de M. Vivien de Saint-
Martin : le Nord île l'Afrique dans l'antiquité grecque et romaine,
leur interprétation prématurée est venu jeter la confusion au milieu
d'erreurs originelles, inévitables pour des compilateurs qui n'avaient
pas vu le pays, qui ne connaissaient ni les langues ni la technologie
géographique locales et qui, pour la plupart, se sont faits les échos
des dires des indigènes, sans pouvoir les contrôler. On ne sera donc
pas étonné que je ne laisse pas à d'autres, beaucoup plus érudits,
sans doute, mais qui ne peuvent s'inspirer de mes appréciations per-
sonnelles, le soin de comparer les éléments de la géographie moderne
avec ceux de la géographie ancienne que le hasard a fait arriver jus-
qu'à nous.
Dans l'état actuel de nos informations sur le Sahara, je me crois
autorisé à conclure :
1° Qu'h l'exception de l'oasis, jadis éthiopienne, d'Aïr, identifiée *
avec raison à VAqisymba regio des expéditions de Septimius Flaccus
et de Julius Maternus, les anciens n'ont pas connu le plateau central
du Sahara au delà du tropique du Cancer qui correspond, à peu
près, à la limite de la Libye intérieure avec l'Ethiopie intérieure;
L M. Vivien de Saint-Martin est le premier, et peut-être le seul encore aujour-
d'hui, qui ait établi cette correspondance dont Timportance est fondamentale, car
cite marque, sur ce point, la limite extrême de la mappemonde ancienne.
/j56 APPENDICE.
2° Que, restreintes à cette limite méridionale, leurs connaissances
se bornent :
A la topographie des masses montagneuses qui séparaient la
Libye intérieure des autres contrées au Nord et au Sud;
A la division de l'espace intermédiaire en deux grands bassins;
A la présence d'immenses masses de sables dans les bas-fonds de
ces bassins ;
3° Que les détails donnés par Pline, Ptolémée et autres, détails
résumés en des noms de lieux, de peuples, quelques distances et
orientations — à supposer que, primitivement, ils fussent tous exempts
d'erreurs et de confusions, ce qui n'est pas, — ne peuvent être vrai-
semblablement retrouvés aujourd'hui, après les changements surve-
nus depuis dix-huit cents ans, à l'exception, toutefois, des centres
les plus importants qui semblent être restés comme des points
géodésiques pour guider et diriger les recherches.
Cet Appendice n'a d'autre but que de démontrer ces trois pro-
positions.
Agisymba regio.
VAgisymba regio est le point le plus méridional du Sahara que
les anciens puissent revendiquer à leur avoir géographique. Voici,
en résumé, à quoi se borne ce qu'ils nous apprennent sur cette
contrée.
« Septimius Flaccus faisant une expédition contre les Éthiopiens
« était arrivé chez ceux-ci, en trois mois, à partir du pays des Gara-
(( mantes, en se ponant dans la direction du Sud,
« Julius Maternus qui avait rejoint, à Garama, le Roi des Gara-
« mantes pour opérer avec lui contre les Éthiopiens, avait mis quatre
« mois, en marchaîit constamment au Sud, pour atteindre le pays
(c éthiopien ô* Agisymba. »
C'est Marin de Tyr qui nous révèle ces faits.
Ptolémée, en reproduisant ces extraits, critique les appréciations
de son informateur quant à la latitude donnée à Agisymba, mais y
ajoute deux détails importants.
« Les Éthiopiens contre lesquels l'expédition de Maternus est
« dirigée sont, dit-il, les propres sujets du Roi des Garamanles. »
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. 457
VAgisymba re(jio, d'après le géographe grec, est une région de
montagnes, dans laquelle il place « les monts Mesche, Zipha et
Bardetus, »
La distance de Garama à Agisymba, Torientation de la marche,
la nature montagneuse de la contrée, but de l'expédition, ont paru
à M. Vivien de Saint-Martin des motifs suffisants pour identifier
VAgisymba regio de Ptolémée au pays d'Aïr ou Azben, patrie des
Touareg Kêl-Ouï.
Mes recherches personnelles me permettent d'appuyer ces déduc-
tions de l'autorité d'un fait matériel important dans la question.
Ce fait matériel est celui de la route de Garama à Agisymba, car
des armées romaines, à une époque où le chameau n'était pas encore
introduit en Afrique, ne se portaient pas en avant, à trois et quatre
mois de leur point de départ, sans avoir des masses de bagages,
attendu que, dans le désert, les besoins du retour doivent être pré-
vus à l'avance, et, sans que ces masses de bagages eussent une route
carrossable pour y circuler, car, à défaut d'animaux porteurs, des
voitures étaient indispensables.
La date probable des expéditions de Flaccus et de Maternus est
de la On du i®'' siècle de Tère chrétienne.
A cette époque vivait Pline, mort en 81 de J.-C.
Or, Pline qui énumère tous les animaux de l'Afrique ne men-
tionne pas le chameau, mais parle des bœufs des Garamantes qui
paissent à reculons (Liv. Vlll, 70), reproduisant en cela une notion
tirée d'Hérodote (Liv. IV, 183).
Le même Pline nous révèle en outre (Liv. V, 5) une préoccupation
de son temps, au sujet du parcours entre Œa (Tripoli) et le pays
des Garamantes (Fezzân), et nous apprend que, dans la dernière
guerre, on a enfin trouvé une route, celle qu'on appelle : par la tête
du rocher. « Hoc iter vocalur : PRifrreR caput saxi ^ »
Pourquoi cette préoccupation?
C'est qu'à l'époque de Pline, comme à l'époque d'Hérodote, les
transports, dans le pays des Garamantes, se faisaient en chars qui
1. Traduisons Viter prœter caput saxi do Pline, par le mot à mot arabe : terîq-
*ala Ms-el-Hamâda et nous aurons le nom de la route directe de Tripoli à Mour-
zouk par Djerma, celle suivie par M. le docteur Barth.
458 APPENDICE.
exigent des routes, et non à dos de bêtes de somme qui passent
partout.
uLes.Garamantes chassent en chars à quatre chevaux, «dit Héro-
rodote. (Liv. IV, 183.)
La seule différence, entre l'époque d'Hérodote et celle de Pline,
consiste en ce que les chevaux ont été remplacés par des bœufs à
bosse, zébus.
Une route était donc nécessaire aux armées romaines pour le pas-
sage de leurs trains de chars, non -seulement entre OEa et Garama ,
mais encore pour aller de Garama à Agisymba.
Cette route, carrossable, si son tracé existe encore, nous appren-
dra où était Agisymba.
Or, ce tracé existe, très-reconnaissable sur plusieurs points de
son parcours.
Comme Yiter prœler capul saxi du Nord, et pour éviter les reliefs
des montagnes qui eussent barré le passage, il travei^sait la hamâda
plate qui sépare le pays des Touareg de celui des Teboù, à peu près
à égale distance des deux routes modernes suivies par les dernières
missions anglaises.
Cette route passait par Telizzarhên, Anaï et Tîn-Telloust.
A Anaï, — point qu'il ne faut pas confondre avec TAnaï au Nord
de Bilma, — la voie, avec ses anciennes ornières, est encore assez
caractérisée pour que des Teboù, mes informateurs, qui en arri-
vaient, n'aient laissé dans mon esprit aucun doute à ce sujet.
D'ailleurs, ajoutaient-ils, pour qu'on ne puisse se tromper sur la
destination de cete artère, les anciens ont pris la peine de buriner,
dans le roc , sur une des berges de la voie, des tableaux représentant
un convoi de chars, avec des roues, traînés par des bœufs à bosse et
conduit par des hommes.
Ce tableau rupestre, très-lisible encore aujourd'hui, même pour
des Teboù, est interprété unanimement par eux dans le sens que je
viens de dire , car je traduis ici leur paroles presque textuellement.
A Telizzarhên d'ailleurs, M. le D»" Barth a vu lui-même sur le
rocher des sculptures analogues à celles d'Ânaï; il en donne la des-
cription et le dessin au chap. ix, tome l" de son grand ouvrage *.
1. Voir lieisen und Entdêckungen in Nord und Central-Afrika , von doctor
H. Barth. T. 1, p. 207-217. Gotha. Justus Perthes, 1857.
GEOGRAPHIK ANCIEN NK. 459
On y reconnaît facilement les bœufs à bosse, dont parlent les
Teboû.
Cette voie, qui serait peut-être encore accessible aux voitures, est
abandonnée aujourd'hui faute d'eau. Sans doute, à une époque an-
cienne déjà, on aura dû en combler les puits, pour des motifs de
sécurité. Dans tout le Sahara, dans les temps de trouble, des routes,
avec puits, sur la frontière de deux peuplades, sont un danger pour
chacune d'elles. Mieux vaut une hamâda déserte.
Déjà, du temps de Pline, les Garamantes eux-mêmes, pour éviter
la conquête de leur pays par les Romains, avaient comblé les puits
des routes qui y conduisaient. On en trouve la preuve dans les
lignes suivantes : « Ad Garamantas lier inexplicabile adhuc fuit,
lalronibus genlis ejvs puteos {qui sunl non alte fodicndi, si locorum
notitia adsit), arenis apprienlibus, »
Ainsi, plus de doute, une route carrossable ouverte par les an-
ciens Garamantes unissait Tancienne Phazanie à Agisymba , et cette
route conduisait directement à l'oasis d'Aïr ou Azben.
Limite séparât ive de ta Libye et de r Ethiopie,
La Libye des Grecs était l'Afrique des Romains :" Africam Grseci
Libyam appellavere (Pline, Liv. V, 1).
La limite méridionale de la Libye sera donc celle de l'Afrique.
Quelques lignes des documents anciens résument toutes nos con-
naissances sur cette limite :
u Le fleuve Nigris sépare l'Afrique de l'Ethiopie. » (Pline,
Liv. V, 10.)
« La Libye intérieure a pour limite méridionale la région incon-
u nue, désignée sous le nom d'Ethiopie intérieure , dans laquelle est
« le pays d'Agisymba. » (Ptolémée, Liv. IV, 4.)
« Au Midi de la Mauritanie de Sétif sont les montagnes Uzzar, au
« delà desquelles on ne trouve plus que des nations d'Éthiopiens. »
(Paul Orosius.)
« Au Midi de la Mauritanie de Sétif se trouve le mont Suggar, au
« delà duquel il n'y a plus que des Éthiopiens. )> (Éthicus.)
Un nom de fleuve, le Nigris; un nom de montagne, écrit Suggar
et Uzzar; une direction, le Sud de la Mauritanie de Sétif; tels sont
les seuls éléments qui doivent guider les recherches.
460 APPENDICE.
Heureusement le relief du plateau central du Sahara étant aujour-
d'hui mieux connu , il n'est pas nécessaire d'un bien grand effort
pour trouver la synonymie moderne des noms anciens.
Si Pline, Orose et Éthicus nous ont transmis des indications con-
cordantes entre elles, la montagne servant de limite doit également
donner naissance au fleuve séparatif des Libyens et des Éthiopiens.
La raison l'indique.
Ce premier point établi, vérifions la valeur de la direction con-
forme donnée par Éthicus et Orose.
Droit au Sud de Sétif, au delà de la Mauritanie, le premier nom
de montagne rencontré sur ma carte, nom de notoriété publique et
correspondant à un relief qui appelle l'attention, est celui du AJiaggàr
des Toiiâreg ou Hoggâr des Arabes, identique à ceux de Suggar et
Uzzar.
Sèlifei VAtaJiôr-n-Ahaggàr sont exactement sur le même méridien.
Cette première constatation nous conduit à une seconde qui la
confirme.
Le Ahaggâr donne naissance au plus grand fleuve du Nord de
l'Afrique, après le Nil, à l'îgharghar {le courant en murmurant) des
Touareg, rOuâdi-es-Sâoudy [la rivière noire) des Arabes.
Ce fleuve serait-il le Mgris, de Pline, le fameux ;4/'n'cam ab .€tJiio-
pia dispescen^ ?
Le doute n'est pas possible , quelque soit le radical, latin ou liby-
que, adopté comme origine du mot Nig^ris, car, en libyen, Mgris et
Igharghar sont identiques, — ce qui va être bientôt démontré — et
en latin, Flumen Nigrum est exactement traduit par Ouâdi-esSâoudy.
Bientôt aussi il sera démontré que les expressions géographiques
de reip, Niyetp des Grecs, Niger, Aigris des Romains , doivent être
entendues, non dans un sens appellatif, restreint à la désignation spé-
ciale d'un fleuve ou d'une rivière, mais dans un sens qualificatif plus
général correspondant au bassin d'un fleuve, d'une rivière.
Pris dans cette dernière acception, le Nigris dispescens Afrimm
ab Mhiopia a un sens, tandis que dans l'autre il n'en a pas.
En effet, les origines du bassin du Nigris (l'îgharghar) embrassant
quinze degrés, de l'Ouest à l'Est, séparent très-bien les Libyens au
Nord, des Éthiopiens au Sud, tandis que le cours principal du Nigris,
à direction Sud et Nord, pourrait tout au plus séparer la Libye en
occidentale et en orientale.
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. /|61
De ces faits acquis, je tire la conclusion que la limite séparalive
de la Libye et de l'Ethiopie était au point de partage des eaux de la
Mt^diterranée avec celles de TOcéan, limite naturelle, si jamais il
en fut.
Si ma conclusion est rigoureuse, les anciens ont dû connaître le
versant méditerranéen du massif aujourd'hui habité par les Touareg
du Nord. L'occupation de Cydamus, de Garama, ne pouvait laisser
aucune incertitude à cet égard.
. Voyons quelle était l'étendue de leurs connaissances, restreintes
dans ces limites.
Mons ater ou Massif des Touareg,
Pline dit: (Liv. V, 5.)
« De la Phazanie s'étend, sur un long espace, du Levant au Cou-
ce chant, une montagne noire que les NOTRES ont appelée Mons aiei\
« soit que naturellement elle semble brûlée, soit qu'elle doive cette
« apparence à l'action du soleil.
(c Au delà de cette montagne sont des déserts. »
L'orientation, l'étendue, la couleur de la montagne, partie brûlée
par le soleil , partie vulcanisée par le feu , sa situation par rapport aux
vrais déserts, ne permettent pas l'hésitation. Le massif des Touareg
du Nord, Tasîli et Ahaggâr compris, avec leurs dépendances, est bien
le Mons ater de Pline.
Antérieurement et successivement, ce Mons ater avait été identifié
au Djebel-Nefoûsa, à la Soda, au Hâroùdj-el-Asoued , en raison de la
nature volcanique de ces montagnes, parce qu'on ne connaissait pas
les contrées au Couchant de la Phazanie; mais, aujourd'hui, tous les
géographes seront unanimes pour reconnaître que le massif des
Touareg, seul, répond à toutes les exigences du texte de l'encyclopé-
diste latin.
Mais répétons- le : Mons ater est un nom romain, et Pline ne
paraît pas connaître le nom indigène, unique ou multiple , que ce
massif portait alors.
Toutefois, Pline ne se borne pas à constater l'existence du Mons
ater et des déserts qui l'environnent; il ajoute :
« Toutes ces contrées ont été subjuguées par les armées romaines;
« Cornélius Balbus en a triomphé. »
^62 APPKNDICF..
Pour ces conquêtes, Balbus a obtenu les honneurs du char triom-
phal, et, à son triomphe, — qui eut lieu en Tan hf\ de J. -C, — il fit
porter les noms et les images de toutes les nations et villes qu'il avait
soumises.
Pline donne, d'après les auteurs du temps, Tordre dans lequel
ces trophées suivaient le char triomphal. Cet ordre n'ayant rien de
géographique, il n'y a pas à en tenir compte. J'aime mieux les classer
suivant leur désignation.
Vi7/e5: Cydamus, Gararaa, Tabidium, Negli^çemela, Thuben, Ni-
tibrum, liapsa , Débris, Thapsagum, Boin, Pège, Baracum, Buluba,
Alasi, Balsa, Galla, Maxala, Zizama;
Nations : Niteris, Bubéium, Enipi, Discera, Nannagi;
Montagnes : Niger, Gyri, — cette dernière, avec une inscription
portant qu'on y trouve des pierres précieuses.
Rivières {([umin^) : Nathabur, Dasibari.
Indépendamment de cette nomenclature décorative, riche en noms
de lieux, mais pauvre en détails, Pline cite encore, comme apparte-
nant à la contrée conquise par les armes romaines, des noms de
peuples et de villes, sur lesquels il possède des renseignements per-
sonnels, dont il fait usage pour déterminer, aussi approximativement
que possible, leurs stations ou leurs emplacements.
Voici ces noms , avec les renseignements qui les accompagnent :
Peuples : Les iNasamons, sur la côte de la Syrte, appelés aupara-
vant par les Grecs, Mesammons, à cause de leur situation au milieu
des sables;
Les Asbystes ,
. après les Nasamons ;
Les Maces, ) *
Les Hammanientes, au-delà des Asbystes et des Maces, à douze
journées de marche de la grande Syrte, vers l'Occident, et entourés
eux-mêmes de sables de tous les côtés:
Les Troglodytes, à quatre journées de marche des Hammanientes,
du côté du Couchant d'hiver;
Les Phazaniens, du côté des déserts d'Afrique, au-dessus de la
petite Syrte;
Los Garamantes , dont la ville célèbre de Garama est la capitale.
Villes ; Alele et Cillaba, villes des Phazaniens; Matolgœ, ville des
GEOGRAPHIK ANCIKN^E. 463
Garamantes; Débris, où est une fontaine dont les eaux sont bouillantes,
de midi à minuit, et glaciales, de minuit à midi.
Cette double nomenclature, en partie étrangère à la région monta-
gneuse du Mons ater, mais s'en rapprochant cependant, laisse à dé-
sirer, car, à Texception de Cydamus, de Garama, deRapsa, de Boin,
qu'on retrouve dans les villes modernes de Ghadâmès, de Djerma, de
Rhât (Kêl-Rhàfsa*) et de Bondjêm, quatre des points les plus impor-
tants (lu pays, il est vrai, le reste a moins de valeur * ; on en jugera
par les noms de montagnes.
Mger, sous sa forme latine, synonyme de ater, est aussi, sous sa
forme libyque, identique au nom Nigris, donné au fleuve qui a ses
sources dans le Mons ater.
1. Voir Livre III, Centres commerciaux^ page 267 et suivantes.
2. M. Vivien de Saint -Martin, convaincu qu'après le» reconnaissances do
MM. Bapth, Overweg, Richardson et Vogel, on pouvait ajouter quelque chose aux
identifications déjà constatées, n*a pas hésité, dans ce but, à se livrer à un long et
pénihie travail dont voici le résultat :
Matelgœ Assimilé à Ouâdi-Talha,
Débris — à Éderi,
Tabidium — à Tabounîyé ,
Thapsagum - à Tessàona,
Nannagi - - à Denhadja,
Maxala — à Mechaal,
Zizama - à Ouàdi-Zemzpm ,
Gyri, Girgyris — à Djebel-Ghariàa ,
Cillaba — à Z)uila ou Zeila ,
Aiele — à Hall ou HoU ,
Mons Ater et Niger ~ au Djebel-Nefoùsa.
Sans contester la valeur critique des motifs sur lesquels s'appuie M. Vivien de
Saint^Martin, je ne puis m'empêcher de constater que Talha (Acacia Arabica), Zem-
zem (nom d'un puits très-vénéré de la Mekke) et Ghariàn (cavernes^ sont trois
dénominations arabes, introduites dans la nomenclature géographique moderne, seu-
lement depuis la conquête arabe, et, que, pour les autres points, aucune raispn réel-
lement déterminante ne légitime Tassimilation.
On conteste, il est vrai, au Djebel-Ghariân sa signifîcation arabe, parce que les
Berbères de la contrée prononcent plus ou moins correctement le nom que les
Arabes ont donné à leur montagne; mais ce point n'est pas le seul dans le Nord de
l'Afrique où des cavernes servent de refuge aux populations, et partout le même
nooi arabe est employé pour caractériser ce mode d'habitation. En Algérie, au Nord
de Frenda, dans le pays de Sedama. il y a des tribus qui habitent des cavernes et les
Arabes les ont appelées Ahel-el-Ghlràn (les gens des cavernes), comme ils ont appelé
la montagne des cavernes, au Sud de Tripoli, Djebel-Ghariân.
464 APPENDICE.
Gyri ^ autre mont, est en double emploi, car la racine des mots
Niger, Mgrls et Gyri est la même; mais ce double emploi est justifié
par le besoin de compter au nombre des conquêtes du triomphateur
les pierres précieuses du susdit mont.
Sans doute, les pages de Pline sur les conquêtes des Romains,
dans le Sud de la Tripolitaine, ont leur valeur, mais ce n'est que dans
Ptolémée qu'on trouve , au milieu de nombreuses confusions , des
détails relatifs au massif des Touareg du Nord , ou Mons ater des
Romains, détails que la géographie moderne confirme.
Orose, Éthicus, Corippus, de beaucoup inférieurs en mérite et en
savoir, donnent aussi cependant quelques indications utiles.
Ptolémée connaît aux deux extrémités du massif deux points im-
portants , car ils sont deux têtes de bassins :
La Gorge Garamantique , 4)àpaY^ rapaaavrtV/î , dans TEst, ori-
gine du grand fleuve oriental de la Libye, le Tsip ;
Le Mont Thala, GaXa, dans TOuest, origine d'un fleuve occiden-
tal, le Ntyetp, qui, avec le précédent, constituent les deux seules
1. M. Vivien de Saint-Martin, assimile les Gyri montes du triomphe de Balbus
au rîpyupi; ou Tipyipi de Ptolémée et les place dans les montagnes de Ghariàn ; dans
ce cas, il n'y aurait pas double emploi.
Mais M. Vivien de Saint-Martin a été amené à cette détermination parce que
Ptolémée place la source du fleuve Cinyps dans le Tipy^piç et parce que Tembou-
chure de ce fleuve étant bien connue, d'après les indications d'Hérodote et de Scylax,
sa source ne peut être, en effet, que dans la chaîne de montagne du littoral tri-
politain.
Toutefois, si Ptolémée (Liv. IV, chap, vi) place la source du Cinyps dans le
Girgyris, il la fait sortir aussi (Liv. IV, chap. m) du mont Zuchabari ou Chusambari.
Entre ces deux indications contradictoires, laquelle choisir?
Ptolémée ne laisse aucune incertitude à cet égard. La position qu'il donne au
Zuchabari correspond aux sommets du versant maritime du Djebel tripolitain, tan-
dis que celle du Girgyris , dans le Sud-Ouest de Garama , correspond au massif des
Touareg.
D'ailleurs, la position vraie du Girgj'ris, au Sud de Lynxama, sur le Gir, est
encore mieux fixée par celle de Lynxama elle-même.
En identifiant le Girgyris à une partie du Djebel tripolitain, il devient impos-
sible de placer le Gir, Lynxama et les Lynxamatae comme ils doivent l'être.
L'analogie de nom entre Girgyris et Ghariàn a doublement trompé M. Vivien
de Saint-Martin, car le nom de Ghariàn lui-même, limité à la partie de la chaîne
dans laquelle existent des cavernes , n'est pas celui de la chaîne et ne donne nais-
sance à aucun fleuve qui puisse être le Cynips.
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. 465
grandes rivières qui coulent dans Tintérieur du pays (Liv. IV, 5).
Le premier de ces points, que M. Vivien de Saint-Martin a iden-
tifié d*une manière certaine avec TAghelâd (gorge) d'Ouarâret ou
vallée de Rhât, et le second, qui a conservé son nom ancien : làhela-
Ohàt, mont d'où sort TOuâdi-In-Amedjel, nous serviront de jalons
principaux.
Entre ces deux repères est un troisième point, le lac Nouba,
Nouêa 7.i[x.v7), situé à la tête des eaux du Gir (Liv. IV, chap. vi), à
rOuesf de la montagne appelée la Gorge, tx; <î>apayyoç opoç, et au
Sud du mont Girgyris, dans la direction des Garamantes (même
Liv., môme chap.).
Il m'est bien difficile de ne pas identifier le lac Nouba, si bien ca-
ractérisé par Plolémée, avec la plaine d'Amadghôr, Tune des origines
de righarghar, sise à l'Ouest de la gorge de Rhât et au Sud du Tasîli
des Azdjer, et dans laquelle est une sebkha ou lac desséché qui doit
être connue de toute antiquité. (Voir Liv. I", chap. u, pages 18 et 19 ;
et chap. m, page 2/j.)
Ptolémée connaît encore, dans la même contrée, un mont Girgyris,
rtpyuptç ou ripytpi, sis au Sud de Lynxama, ville sur la rivière du
Gir, et au Nord du lac Nouba.
11 m'est encore impossible, en tenant compte de la position abso-
lue que Ptolémée donne à son Girgyris, et de sa position relative par
rapport au lac Nouba et à la ville de Lynxama , de ne pas assimiler
le plateau riche en eaux du géographe alexandrin avec le plateau
que les Touareg nomment simplement tasUi, plateau , mais qui donne
naissance aux nombreux ighargfiâren (les ruisseaux ruisselants) qui,
avant les barrages des dunes, formaient autrefois la tête orientale de
righarghar.
J'ai déjà dit pourquoi je n'acceptais pas l'identification du mont
Girgyris avec le Djebel-Ghariân , mais je conserve comme étant hors
de contestation la remarque de M. Vivien de saint-Martin, à savoir
que Girgyris, Djerdjera ou Djurjura, sont absolument identiques, et
j'ajoute que les noms d'îgharghar, d'igharghâren, ont aussi la même
signification dans la nomenclature géographique des Berbères.
Le radical de tous ces noms indique une contrée riche en eaux ,
mais s'applique aussi bien aux rivières par lesquelles elles s'écou-
lent qu'aux montagnes dans lesquelles elles prennent naissance.
Les Berbères de la grande Kabylie algérienne ont donné au massif
I. 30
660 APPENDICE.
des montagnes qu'ils habitent le nom général de Djerdjera, parce que
l'eau y idjerdjère sur toute son étendue , et parce que , sous ce rap-
port, il est le point le plus favorisé du Tell. De même, les Berbères
Touareg ont donné le nom d'igharghar à la principale gouttière d'écou-
lement des eaux de leur pays, et dMgharghàren à la plaine, au pla-
teau et aux ravins, tête du bassin, parce que les eaux y itjhargharent,
et parce que, dans tout le Sahara, il n'y a pas un autre point aussi
riche en eau.
Le Girgyris de Ptolémée est aussi un mot imitatif qui dcfit avoir
la même signification.
On me pardonnera, je l'espère, la création des verbes idjerdjerer
et ighargharer. Pour bien faire comprendre des choses nouvelles, le
plus simple souvent est de créer des mots nouveaux.
La signification réelle du radical ne tardera pas à être pré-
cisée.
En attendant, je considère comme exactes les indentifications sui-
vantes :
Celle de TAghelàd d'Ouaràret, avec le <t>apaY$ FapafjiavTUTi ;
Celle du Tàhola-Ohât avec le 0a>.a;
Celle de la î^ebkha d'Amadghôr avec le Nouêa \iuMr\ ;
Celle du Tasîli des Azdjer ou plateau des Igharghàren, avec le
ripyupt; ou rtpyipi.
Mais avant de demander aux documents grecs et romains plus
qu'on ne doit ail adre d'eux, je tiens à faire une autre constatation
importante, en remontant du présent au passé.
Aujourd'hui , deux confédérations politiques, composées de tribus
diverses, occupent le Mons atcr des Romains, et, entre les deux, est
une grande tribu de marabouts, aussi nombreuse, et occupant autant
d'espace que leurs voisins de l'Est et de l'Ouest.
Nous savons par Ebn-Khaldoûn et par la Sole sur les oingints de
Brahîm-Ould-Sîdi que ces trois grandes fractions des Touareg du
Nord n'occupaient pas le Mons atcr à l'époque romaine, et qu'avant
leur dernier mouvement de migration elles portaient d'autres noms
qu'elles ont échangés contre celui des contrées nouvelles qu'elles ont
définitivement adoptées pour leur patrie.
Ainsi, les Kêl-Ahamellen se sont transfigurés en Kèl-Ahaggàr,
gens du Ahaggàr, comme leurs devanciers , de l'époque romaine.
GKOGRAPHIE ANCIENNE». 467
sN'taient appelés ,€zarêe, Uzzarœ, Suggarœ *, suivant les époques et
la manière de prononcer les noms d'une langue étrangère, et aussi
suivant la pureté ou la corruption des textes.
De même les loarâghen, des environs de Timbouktou, sont deve-
nus les Kél-Azdjery pour perpétuer jusqu'à nous le souvenir des Asta-
curi, AdTaxoOpoi , de la Gorge Garamantique;
De même encore les marabouts d'Es-Sofik, anciennement Kéi^s-
Soùk, ont pris le nom d*Ifôghas, afin qu'on ne perde pas le souvenir
des Ifxifaces de Corippus.
Maintenant, étant connu le massif occupé par les Touareg du
Nord, est il nécessaire de torturer les textes pour retrouver les noms
des anciens et faire justice des doubles emplois de leurs nomen-
clatures?
Non.
S'agit-il de noms généraux de races?
On n'est pas étonné de voir, pêle-mêle, des Libyens, des Mélano-
Gétules, des Éthiopiens rouges et noirs, en un point de contact, alors
contesté et disputé, entre les descendants de Sem et de Cham. Sui-
vant les chances heureuses ou malheureuses de la fortune, on trou-
1. Je sais que les monts Uzzar» et Suggar» d'Orose et d'Éthicus sont consi-
dérés comme représentant les monts Usarpala et Buzara do Ptolémée, monts qui
donnent naissance à l'Ouâd-Seggeur des modernes, ce qui semble confirmer leur
identification avec la partie occidentale du Djcbel-'Amoûr.
Je me garde de contester le mérite de cette identification, mais je pense qu'on
peut, sans audace, faire appel à un plus ample informé.
L'identification ancienne repose, d'abord sur une ressemblance de noms, puis
sur une limite.
Ressemblance pour ressemblance, j'aime mieux celle qui compare Uzzarœ et
Sugj;arîB à Hoggàr et à Ahaggàr que celle qui transforme , sans preuves , Uzzarse
et Suggarœ en Usargala et Buzara , pour les identifier à une portion du Djebel-
'Amoûr.
La limite donnée par Orose et Éthicus est celle de la race blanche avec la rare
noire, et non celle de la Mauritanie ou de la Numidie avec la Libye, et tout le
monde est d'accord aujourd'hui que, si quelques infiltrations de noirs ont pénétré
dans quelques parties du Sahara , en deçà des points culminants du massif des
Touùreg, la limite vraie a été au point de partage des eaux entre le bassin médi-
terranéen, occupé par la race blanche, et le bassin nigritien, occupé par la race
noire.
Enfin , il faut lire les textes tels qu'ils sont : c'est au Midi de la Mauritanie de
Sétif et non au Midi de la Mauritanie Césaréenne que sont les monts dont parlent
Orose et Kthicus.
Donc, jusqu'à preuve contraire, je maintiens, provisoirement, l'identification
des monts Uzzane et Suggare avec le Hoggàr ou Ahaggàr.
668 APPENDICE.
vera les uns ou les autres tantôt au Sud, tantôt au Nord du tropique
du Cancer, mais on peut être assuré que, dans les moments d'armis-
tice, les hommes de race noire prendront position dans les bas fonds,
où la fertilité est plus grande, et les hommes de race blanche sur les
hauteurs, là où la salubrité convient mieux à leur tempérament.
S'agit-il de noms particuliers de tribus, que les anciens appe-
laient des Nations?
D'abord, pour retrouver leurs anciens campements, on a désor-
mais une base géodésique : naturellement les Tluilœ, qui avaient pris
le nom de leur montagne, se mettront au lieu et place des Kél-Ohât,
tribu serve du versant Ouest du Ahaggàr qui, eux, par un retour des
choses d'ici-bas, ont ajouté leur nom propre à celui de la montagne
pour en faire Tâkela-OluU. De même les Xoubx, les Mgritœ, les
Asararœ, rcprendronl leur ancienne position, les premiers autour de
la saline d'Amadghôr, les seconds sur les rives de l'Igharghar, Ks
troisièmes dans la Gorge d'Ouarâret.
Puis, autour des territoires de ces anciennes tribus, aujourd'hui
retrouvés, viendront se ranger comme autant de satellites, et dans
l'orientation donnée par Ptolémée, toutes les autres tribus dont il
nous transmet les noms.
On préviendra toute erreur en assignant comme campements pro-
bables à ces dernières tribus les points du territoire actuel des
Touareg les plus riches en eau et eh pâturages, car, dans tout le
Sahara, hier comme aujourd'hui, ces points ejcceptionnels ont tou-
jours été des lieux d'élection pour l'habitation de l'homme.
Maintenant, si, ce placement de détail opéré, nous voulons consti-
tuer des groupes généraux, d'après la circonscription territoriale
habitée, nous aurons des Uzzarœ, des Saggane, dans lesquels seront
compris les Tlmlx cl leurs voisins ; des Ifuracœ qui engloberont les
Sigrilse, les Noubœ el autres; enOn des Aslacarœ, avec leurs subdivi-
sions, comme nous avons aujourd'hui des Kêl-Ahaggâr, des Ifôghas, des
Kél-Azdjer embrassant, sous ces dénominations générales, des tribus
nobles et serves, des tribus à sang blanc et à sang noir, sans comp-
ter les mélanges, et des tribus de race arabe, de race berbère et de
race éthiopienne.
Dans les circonscriptions territoriales modernes, nous retrouvons
donc, comme dans les anciennes, des Mélano-Gètules, des Libyens, des
LibO'Égyplicns, des Élhiopiem blancs, rouges et autres, suivant Ton-
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. /|69
gine ethnographique des populations ou la variété des langues
qu'elles parlaient, mais dont la nomenclature fait doifble emploi avec
celle qui a pour base la division du territoire ou les confédérations
politiques de groupes.
S'agit-il de noms de lieux?
L'identification d'un grand nombre est certaine, notamment pour
les montagnes et les fleuves.
Si je sors de la limite de mon exploration, le Daradus et le Uufus-
Campus, dont on retrouve les noms anciens dans la synonymie
moderne, viennent, comme de nouveaux jalons, servir de guide dans
le placement des tribus.
Les nouvelles conquêtes de la géographie nous ont donc, enfin,
affranchi des erreurs de longitude et de latitude de Ptolémée. C'est
là un point capital.
De l'orographie je passe à l'hydrographie.
Des Xùjer de /a Libye.
Je dois rappeler au lecteur qu'en langue libyque, berbère ou
temàhaq, le radical fjJiar, gJier, (jhir, (jhor, signifie eau qui coule, sans
distinction entre l'eau superficielle ou souterraine, et par extension
BASSIN HYDROGRAPinOlE.
Je dois ajouter aussi que, dans tout le Nord du continent africain,
le mot JSU est employé pour désigner tous les grands fleuves; enfin
que, depuis la plus haute antiquité, les indigènes ont toujours con-
sidéré les grandes rivières de leur pays comme étant autant de
sources du Nîl d'Egypte.
La description des Niger de la Libye, par Pline et Ptolémée, n'étant
que la reproduction des dires des indigènes de leur époque, on doit
tenir compte de ces manières de voir les choses, si l'on veut com-
prendre leurs récits.
Pline connaît deux grandes rivières dans la Libye :
Le Nigris ou Niger, dans l'Est; le Ger ou Gir, dans l'Ouest.
Sa description du Niger est empruntée aux Libyques du roi Juba ,
celle du Ger aux Mémoires de Suetonius Paulinus, ouvrages aujour-
d'hui perdus.
Ptolémée est plus explicite : il n'y a, dit-il , que deux grandes
470 APPKNDICE.
rivières dans riiilérieur du pays : le Ghèr (Feip) et le Nighèr
(Niyeip)l; • -
Le Ghèr, à TEst, aboutissant d*iin côté au Mont Lsargala et de
l'autre à la Gorge Garamantique ;
Le Nighèr, à l'Ouest, aboutissant d'un côté au Mont Mandnis et
de l'autre au Mont Thala.
En apparence, Pline et Ptolémée ne sont d'accord ni sur les noms
ni sur la situation respective de chacune de leurs deux rivières,
mais, si on fait abstraction de la différence des noms, identiques
d'ailleurs entre eux, pour ne tenir compte que des détails de leurs
descriptions, on reconnaît que l'un et l'autre ont voolu parler des
mêmes bassins.
Le Nigris ou Niger de Pline, comme le Ghèr de Ptolémée, prend
sa source, au Nord , dans la région orientale de l'Atlas, et se dirige
au Sud, vers la partie orientale du Mons nier, pour aller séparer la
Libye de l'Ethiopie ;
Tous deux traversent deux lacs dont les noms sont différenLs, il
est vrai, mais tous deux placés aux mêmes étages du bassin :
Les premiers, A7//5 de l'un, Taç yç^e^wvt^aç de l'autre, dans les
bas-fonds de l'Ouàd-Hîgh ;
Les seconds, Sigris dans Pline, Nôjêa dans Ptolémée, sur la
ligne de partage des eaux de l'Océan et de la Méditerranée;
L'un comme l'autre, absorbés par les sables qu'ils traversent .
disparaissent pour réapparaître et disparaître encore.
Je ne poursuivrai pas plus loin ces comparaisons, j'aime mieux
expliquer comment le radical libyque gher, qui suivant les dialectes
s'écrit et se prononce aussi ger, guir, djir, righ, s'est transformé
sous la plume de Pline, de Ptolémée ou de leurs copistes, en Mger
ou Ntyetp.
La démonstration est facile.
Dans certains dialectes libyques, un I préfixe est souvent ajouté au
radical ; exemples : i GliaVghar, iAhaggâren, Ainsi <jer et yeip sont
d'abord devenus i Ger et t reip.
Puis, souvent une N , conjonction, lie le mot qui précède au mot
qui suit; exemples: Atakôr-N-Ahaggâr, Adehî'X'Oaaran , Afara-X-
Wechcheran. Ainsi iOer et t Teip sont devenus X-Ignr et N-lysip ,
i. Les Grecs modernes prononceraient ces mots GlUr et Nighir.
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. /»71
et par abréviation on aura écrit Niger et Niyctp, en retranchant le
trait d'union.
Enfin, clans la langue berbère, beaucoup de noms géographiques
sont précédés du technique In, qui signifie endroit de ; exemple : In-
Gher ou In-Ghar, endroit de l'eau, noms que portent un point de la
vallée des Igharghàren et un village du Touât. Souvent, même au-
jourd'hui, et c'est ce que j'ai fait, on écrii Ingher et Inghar, sans trait
séparatif. Entre Ingher et Ntyeip ou Niger, la seule différence con-
siste dans le déplacement d'une lettre, faute qu'un copiste aura bien
pu commettre. ,
La signification latine du mot Niger, correspondant à la couleur
des habitants, a dû contribuer à la propagation de l'erreur.
En Algérie, nous inventons aujourd'hui encore de semblables assi-
milations.
Quelle que soit la version adoptée, on se rend compte désormais
comment les Grecs ont donné indistinctement les noms de icoTajjioç-
v-iFeip ou TTOTapLo; Tcip, ou 7roTa(JLOç Nîyeip, et les Romains ceux de
(lumen-n'iGer ou flumen Ger ou flimun Niger à tout endroit du terri-
toire libyque où il y avait de l'eau, sans faire attention que Tcorap;
et flumen étaient synonymes de Niger ou Ger,
Comment les Grecs et les Romains auraient-ils évité ces erreurs,
quand nous, Français, éclairés sur toutes ces questions beaucoup
mieux qu'on ne pouvait l'être dans l'antiquité, nous sommes forcés,
pour être compris, d'écrire chaque jour : le bassin de l'Ouâd-Rîgh, la
rivière de l'Ouâd-Igharghar, le plateau du Tasîli, la montagne du
Djebel-Adrar, la fontaine d"Aïn-Thâla?
Les Arabes et ies Turcs se rendent aussi coupables de pareils pléo-
nasmes dans leurs nomenclatures géographiques. La responsabilité
en incombe à l'ignorance des masses.
Sans doute, les hommes de science ont tort de ne pas s'affranchir
des lois que leur imposent ceux qui ne savent pas. Mais quel but se
propose-t-on en écrivant? Éclairer. Et pouB éclairer, il faut d'abord
être compris.
M. le commandant Hanoteau a pu intituler Grammaire temâchek*
son étude sur la langue que parlent les Touareg et donner le nom
d'Imôcharh aux peuples qui la parlent, parce que tous ceux qui doi-
vent lire son livre savent préalablement quelle est la valeur des
termes dont il se sert. Si j'avais intitulé ce livre : Imôhagh, au lieu de
./i72 x\PPENDICE.
Touareg du Sord , aucun de ceux auxquels il est destiné n'auraii su
de qui je veux parler.
Mais je dois revenir aux Niger.
Les géographes du moyen âge n'ont donc pas commis une erreur
en donnant le nom berbère de Mger au grand fleuve du Soudan occi-
dental, en tant que la signiûcation de ce nom est restreinte à celle de :
eau qui coule, fleuve, cette désignation n'ayant pas plus de valeur que
celle de : Ml des noirs. Mais ils se sont grossièrement trompés, si,
induits en erreur par la latitude de Ptolémée, ainsi que Ta victorieu-
sement démontré M. Vivien de Saint-Martin, ils ont cru retrouver
dans le fleuve deTimbouktou Tun des Niger de la Libye.
Ce point acquis aux débats, j'ai à démontrer que, pour ks anciens,
les mots Mger ou Ger signiûaient moins un fleuve qu'un bassin hy-
drographique.
J'en trouve la preuve dans les textes mêmes de Pline et de Pto-
lémée.
Pline (L. V, 10) nous donne, d'après le roi Juba, un exemple bien
remarquable du peu de respect des indigènes de son temps pour les
lois physiques de la circulation des eaux. Son Niger naît dans une
montagne de la Mauritanie, probablement le Djebel-'Amoûr des mo-
dernes; de là, il descend dans un bas-fonds, où il forme le lac Nilis,
comme l'Ouàd-Djedî , auquel il est assimilé dans cette partie de son
cour?, va se perdre dans le Chott-Melghîgh. Mais, du lac Nilis, au lieu
d'aller déverser ses eaux à la mer, au golfe de Gâbès, comme l'exige
le sens attaché au mot flamen, son fleuve, devenu, dans son imagi-
nation, une des têtes du Nil d'Egypte, va gravir des pentes de 1,000 à
1,500 mètres environ, à l'inverse du cours de l'igharghar, mais,
comme lui, à travers de nouvelles lagunes et de^ masses de sables
qui se succèdent et l'absorbent, pour arriver au sommet du massif
des Touareg, où il sépare l'Afrique de l'Ethiopie. « Là, sans doute ^
ajoute Pline, d'après le roi Juba, jaillissant de cette source qu'on a
nommée Mgris, il s'élance^,, )> probablement au-dassus du point de
partage des eaux !!! Pline n'ose pas l'écrire, mais il le laisse deviner,
car son fleuve, jusque-là renfermé dans le bassin libyen de la Médi-
terranée, va passer dans le bassin éthiopien de l'Océan, « sous le nom
d\islapus, pour séparer, par le milieu, le pays des ÉMopiens, Astapus
medios ^thiopas secat. »
Cette description, contraire aux lois naturelles, si le mot Niger est
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. i73.
restreinte la signification de fleuve, devient, au contraire, d'une exac^
litude remarquable, si l'on généralise le sens de ce mot en le considé-
rant comme l'équivalent du mot bassin dans nos langues modernes.
En effet, non-seulement la description du Niger de Pline est con-
forme à celle de l'Igharghar, que j'ai faite dans le livre I®"^ de cet ou-
vrage ; non-seulement la communauté des origines de l'Igharghar et
du Tàfasàsset, symbolisée dans la source que Pline nomme Nûjris,
est une réalité incontestable, mais encore VAslopus^ sépare parle
mih'eu les peuplades éthiopiennes, comme le Tàfasàsset isole les
Touareg d'Aïr des Touareg Aouélimmiden.
Le Niger de Pline est donc un bassin et non un fleuve.
Ptolémée appuie d'une autorité indiscutable la nouvelle interpré-
tation donnée au mot Niger.
Ses deux Niger, celui de l'Est comme celui de l'Ouest, marchent
du Nord au Sud, à la façon des siphons. Nés tous deux dans l'Atlas,
par des altitudes de 700 à 1,000 mètres, ils descendent dans des bas-
fonds de 90 à 200 mètres, au maximum, et viennent aboutir, en
remontant dans le massif dos Touareg, à une altitude de plus de
700 mètres pour la Gorge Garamanlique, et de 1,000 à 1,200 pour le
Mont Thala.
Cette constitution n'est pas celle des rivières ou des fleuves, dans
le sens ordinaire des mots flumen et TroTarjio;, mais celle des bassins
de tous les cours d'eau.
Pline et Ptolémée, en traduisant les récits des indigènes, par l'in-
termédiaire d'interprètes illettrés, n'ont pas compris le sens du mot
libyque Aigrr; nous< nous devons lui restituer sa véritable significa-
tion, autrement, il est impossible de faire l'application des récits des
anciens auteurs aux lieux tels que nous les retrouvons aujourd'hui.
Maintenant abordons la délimitation des bassins des deux Niger
de la Libye et indiquons les noms de la nomenclature, grecque et
romaine, qu'on peut, avec autorité, identifier avec ceux de la nomen-
clature moderne.
1. Pour les anciens Africains, la plupart des grandes rivières de rint(*riLMir du
continent africain étaient des embranchements du X\\ d'Egypte qui y allaient di^v^r-
ser leurs eaux sous le nom d'Astapus, qui est, en eflfet, le nom ancien d'une tb*
branches supérieures du ^iil.
Cette erreur, née chez les indigènes, est acceptée sans contradiction par Héro-
dote et par Plino, qui nous transmettent leurs traditions.
lillx APPENDICE.
Niger orient<U.
Dans I*état actuel de nos connaissances géographiques, les limites
du bassin du Niger oriental de la Libye peuvent être déterminées,
sinon mathématiquement, du moins très-approximativement.
Au Sud, les points culminants du Ahaggàr, de la plaine d'Amad-
ghôr, du plateau dit le Tasîli des Azdjer, de TAkâkoûs, de TAmsâk et
de la forêt de gommiers séparative du désert de Tûyla et de TOuàdi-
Lajâl, jalonnent une longue ligne de partage d'eau entre le bassin
éthiopien de TAstapus (Tâfasâsset moderne) et le bassin libyen du
Niger oriental (Tlgharghar des Touareg).
A TEst, une ligne droite, de la tête occidentale de l'Ouâdi-Lajàl à
Gàbès, par le caput saxi de la Hamàda-el-Homra et les sommets du .
Djebel-Douîrât, marque aussi exactement que possible un second par-
tage d*eau , peu caractérisé , il est vrai, sur sa plus grande étendue,
entre la Hamâda-el-Homra et les dunes de T'Erg, sorte d'épongé qui
rend souterrainement au principal thalweg du bassin, Tlgharghar, les
eaux qu'elles ont absorbées.
Au Nord, le versant méridional de la chaîne atlantique, de Gàbès
au Djebel-'Amoùr, l'Aurès compris, ferme le bassin de ce côté, d'une
manière plus accentuée, à raison de son imposant relief.
A l'Ouest, la limite séparative du Niger oriental avec le Niger occi-
dental, peu caractérisée dans le Sahara algérien, où elle est d'ailleurs
bien connue, se relève dans le Sud, où le Bâten de ïâdemâyt, l'ifet-
tesen du Mouydîr ainsi que le Tîfedest et TAtakôr du Ahaggàr, lui
donnent des points de partage d'eau nettement définis.
Dans ces limites, l'étendue du bassin oriental embrasse près de
20 degrés, du Nord au Sud, et 16 de l'Est à l'Ouest, et comprend,
indépendamment de Tlgharghar, aboutissant de tous les affluents:
d'abord les igharghâren de sa tête orientale, puis les ouâdi de sa tête
occidentale, qui descendent du Ahaggàr, du Mouydîr et de la plaine
d'Amadghôr, enfin l'Ouâd-Mîya, l'Ouâd-Mezâb , l'Ouâd-Nesâ, l'Ouàd-
Djedî, plus les nombreux torrents du versant Sud de l'Aurès.
De cet immense réseau de gouttières d'écoulement des eaux qui,
toutes, venaient aboutir aux lagunes du Rîgh, d'Ouarglà et du Mel-
ghîgh, et, de là, déversaient leur trop-plein dans le golfe de Gàbès par
les Chott du Djerîd et du Nefzàoua, les anciens ne connaissaient, en
GEOGRAPHIE ANCIKNiME. 675
réalité, que fort peu de chose; du moins, ce qu'ils nous en ont trans-
mis laisse beaucoup à désirer :
Une dizaine de noms de centres d'habitation fixe de l'homme
pour représenter les districts formés par huit groupes d'oasis ; les
Qeçoûr de T'Amoûr, le Mezàb, les Zibân, Ouarglâ avec son annexe
d'El-Golêa', le Rîgh, le Soûf, le Djerîd et le Nefzâoua, districts qui
alors devaient être très-peuplés, car l'occupation romaine, étendue
jusqu'à la limite de ces oasis, n'aurait pas eu sa raison d'être sans de
nombreux indigènes à dominer au Sud;
Quelques noms de tribus nomades, parmi lesquels des doubles em-
plois, pour occuper l'espace que les Larba'a, lesCha'anba, lesOulàd-
Bà-Hammou, les Kôl-Ahaggàr, les Ifôghas, les Kêl-Azdjer, les Rouâgha,
les 'Arab du Zibân, les Souàfa, les Ourghamma et autres, couvrent
de leurs campements;
Quelques noms généraux ou particuliers de montagnes, au lieu
de milliers que nous connaissons aujourd'hui d'une manière certaine ;
Quelques détails sur les bas-fonds, sur les sables, sur le cours
souterrain des eaux, sur les plantes et les animaux exceptionnels de
cette contrée qui, heureusement, sont très-exacts, quoique leur men-
tion repose sur Terreur qui attribuait à cette partie de la Libye l'hon-
neur d'appartenir au bassin du Nîl d'Egypte;
Enfin des noms de lacs et celui du bassin dans son ensemble
complètent tout ce que les anciens. Grecs et Romains, y compris le
très-savant roi Juba, nous ont transmis sur une contrée d'autant plus
intéressante pour eux, qu'ils lui attribuaient un rôle fabuleux.
L'a comparaison des noms 'de villes, de montagnes, de rivières, de
lacs, de tribus, donnés par les nomenclatures anciennes, avec ceux
beaucoup plus considérables de la nomenclature moderne, autorise,
d'une manière certaine, les identifications suivantes :
La ville de Cydamas avec Ghadàmès;
WOppidnm Rapsa avec Rhàt, reconstruite par les Kêl-Rhâfsa;
A(jar Selnepte avec Nafta; ^
Tysunis avec Tôzer;
Capsa avec Gafça ;
Tacape avec Gâbès;
Le }fons aler avec le massif des Touareg, Tasîli et Ahaggàr com-
pris ;
/»76 APPENDICE.
Le 0apay^ rapa|xavTtx7i avec l'Aghelàd d'Ouaràret ;
Le pays des Astaciiri avec celui des Azdjer;
Celui des Ifaraœs avec le territoire des Ifôghas ;
Le mont des Suggar, des Uzzar, des .£zar, avec la patrie actuelle
des Ahaggâr ou Hoggàr;
Le mont rîpyipi avec le Tasîli du Nord, dans lequel naissent de
nombreux ighargliâren ;
VAurasim avec la chaîne de TAurès;
Le Niger avee righarghar;
VAstapus avec le Tàfasâsset;
Le lac Nigris avec les lacs de Mîhcrô ;
Le lac Nouba avec la Sebkha ou saline d'Amadghôr;
Le lac de Libye ou Palus Chelmides avec le Chott-Melghîgh ;
Le lac Pallas avec le Cliott-el-Djerîd ;
Le lac Triton avec le Chott du Nefzâoua;
Vile de Phla avec Toasis du Nefzâoua.
Toutes ces identifications sont justifiées ou par la similitude des
noms, ou par des rapports de position, ou par des détails qui excluent
toute incertitude.
Ptolémée cite dix noms de villes dans le bassin du Gir, savoir :
Au Sud, Cira, métropole, Fetpa (xr,Tp07:Xi$ ,
Au Nord , Thykimath , 0uxtjAà6 ,
— Ghéoua , F'/io-Ja ,
— Badiath , Ba.îiàO ,
— Iskhérî, l(7)^£p£i/
— Toucroumouda, Touxpo'j(xouSa,
— Thoûspa , 0oO'7ira ,
— Artaghîra, Aprayeipa ,
— Rhoubounê, PooêouvYi ,
— Lynxama , Auy^apia.
Je néglige les longitudes et les latitudes, qui ne peuvent qu'in-
duire en erreur.
M. Vivien de Saint-Martin constate avec raison que Thykimath ,
Ghéoua, Iskhérî, s'échelonnent sur la rive Nord du Gir, comme Tadje-
mout, Laghouât et Biskra sur la rive gauche de rOuâd-Djedl,
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. 477
L'assimilation de Gira, métropole, avec Guerâra, admise sous ré-
serve par M. Vivien de Saint-Martin, me paraîtrait plus heureuse avec
Tougourt, car cette ville est encore la ville principale de la contrée,
tandis que Guerâra située hors centre, dans un pays aride, sans voies
de communication, n'a jamais pu être une métropole.
D'ailleurs , d'après les chroniques de cette ville qui m'ont été
communiquâmes, Gueràra a été fondée par les Benî-Mezàb, en l'année
1589 de notre ère.
Les détails que Pline (Liv. V, 10) donne d'après Juba, sur les
intermittences du cours de son Niger, sur les animaux qu'il nourrit,
sur les plantes spontanées de ses rives, sur ses débordements corres-
pondant avec les crues du Nîl, non-seulement sont plus exacts, mais
suffiraient à eux seuls pour justifier son identification avec l'Igharghar.
(( Sorti du lac Nilis, dit Pline, le fleuve s'indigne de couler à tra-
ce vers des lieux sablonneux et arides et il se cache pendant un trajet
<t de quelques jours de marche ; puis traversant un plus grand lac
« dans la Massaesylie, portion de la Mauritanie Césaréenne, il s'élance
u et jette pour ainsi dire un regard sur les sociétés humaines; la
« présence des mêmes animaux prouve que c'est toujours le même
« fleuve. Reçu de nouveau dans les sal)les, il se dérobe encore une
« fois dans des déserts de vingt journées de marche, jusqu'aux con-
« fins de l'Ethiopie, et lorsqu'il a reconnu derechef la présence de
« rhomme, il s'élance, sans doute jaillissant de cette source qu'on a
« nommée le Nigris. Là, séparant l'Afrique de l'Ethiopie, les rives
« en sont peuplées, sinon d'hommes, du moins de bêtes et de
« monstres ; créant des forêts dans son cours, il traverse l'Ethiopie
« sous le nom d'Astapus. »
Tout cela est encore exact aujourd'hui; pour le constater ouvrons
la Carte qui accompagne ce volume, et suivons le cours de l'Ighar-
ghar, de l'aval à l'amont, comme le fait Pline.
Du lac Meighîgh, où le Djedl s'est perdu et d'où il est réputé
sortir, il traverse souterrainement les bas-fonds sablonneux du Rîgh
(150 kilom. environ); puis, traversant la Sebkha de Sîdi-boù-IIàniya,
probablement réunie autrefois aux sebkha voisines de Negoûsa pour
former le grand lac de la Massaesylie, il s'élance de nouveau sur la
Hamàda desCha'anba et, après avoir attesté qu'il est toujours le môme
fleuve, se dérobe de nouveau dans les dunes de l"Erg et sans doute
aussi sous les sables de la vallée des Igharghâren (ensemble 380 kilo-
478 APPKNDICE.
mètres, correspondant à vingt journées de marche dans les sables;.
Après quoi , dans la montagne, sont les sources d*eau vive.
Dans ce fleuve et dans les lacs qu'il alimente, ajoute Pline , « on
« trouve, en fait de poissons, des alabètes, alabetœ^, des coracins,
« coracini *, des silures, siluri '; un crocodile, crocodilus, en a été
« rapporté et consacré par Juba même, — preuve que c*fôt bien le
« Nîl — dans le temple d'Isis à Césarée (la moderne Cherchel), où
« on le voit encore aujourd'hui. »
Chose curieuse, les Touareg connaissent encore trois espèces de
poissons dans les lacs et sources de leurs montagnes, savoir : les
imcuiân, Yasoûlmeh et les isattâfen.
J'ai rapporté de leur pays, comme pièce justificative, le Clarias
lazera, l'asoùlmeh des Touareg, aussi un poisson du Nîl. (Voir Liv. II,
chap. ni, page 238.)
Quant au crocodile, il s'est perpétué, depuis 2,000 ans, dans les
lacs de Mîherô et de Tanàrh. ( Voir page 232. )
« En outre, ajoute Pline, on a observé que la crue du Ml corres-
pond à l'abondance des neiges et des pluies en Mauritanie. »
Moi-môme j'ai constaté la même coïncidence, en 1861 et 1862,
après neuf années de sécheresse absolue. (Voir Liv. l*^^ chap. w
page 119.)
Avant (même Liv. V, 8), Pline avait dit :
« Le Nigris a la même nature que le Nîl; il produit le roseau,
« le papyrus, calamus et papyrus, et les mêmes animaux; la crue
« s'en fait aux mêmes époques ; il a sa source entre les Éthiopiens
« Tareléens et les Œcaliqucs. »
Encore aujourd'hui on trouve dans les lieux humides du pays
des roseaux et des typha, voisins, sinon identiques au roseau et au
papynis d'Egypte.
Cette dernière citation me permet, en terminant ce que j'ai à
dire du Niger oriental, de constater que Pline savait exactement où
le Mgris avait sa source dans le massif des Touareg, ce qui ne l'a
pas empêché, dans la description générale de ce fleuve, d'intervertir
1. On ne sait pas au juste ce qu*est ce pois^^on. D*ordinaire on le prend, soit
pour un gadus Iota L., soit pour unpeiromyzon fluviatUis L. (Note de M. E. Littr^,
traducteur de Vffistoire naturelle de Pline. Paris, 1859.)
'2. Le coracinus de Pline est le labrus niloticus L
3. Le silurusde Pline est le silurus glanis L, poisson ti-ès-gros qui habite le Ml.
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. fi79
l'ordre naturel de son cours, par respect pour les idt^es des indi-,
gènes, tant il est vrai que son Niger n'était pas seulement un fleuve,
mais un bassin.
Niger occidental.
Le bassin du Niger occidental, séparé du Niger oriental comme il
a été dit ci-dessus, est délimité au Nord par la chaîne atlantique, à
rOuest par TOcéan, au Sud par les reliefs du Sâguiet-el-Hamrâ, du
Djebel-Azour et du plateau du Tânezroûft. Sauf la partie du littoral
océanien, sur laquelle les documents abondent, ce bassin a été connu
des anciens d'une manière plus vague encore que celui de l'Est.
Bien qu'aucun explorateur moderne n'ait encore étudié le Sahara
marocain comme nous pourrions le désirer, nous le connaissons
assez cependant par les voyages de René-Caillié, de Robert Adams,
de Davidson, qui y a été assassiné, de MxM. Léopold Panet, Si-Boû-
l'Moghdad et Gerhard Rohlfs, par les écrits des Arabes, par les ren-
seignements verbaux des indigènes, par les travaux de M. Renou, de
M. le capitaine Beaudouin et de M. le général Faidherbe, pour ne
pas commettre de grandes erreurs en comparant les connaissances
des anciens avec l'état actuel du pays. Le champ possible des erreurs
est d'ailleurs très-rétréci depuis la publication du .\ord de VAfrique
dans i antiquité, par M. Vivien de Saint-Martin.
La critique de ce savant géographe resterait complète, si je n'avais
à apporter à l'appui de son exposé des éléments nouveaux qu'il a
soupçonnés, mais qu'il ne pouvait inventer. Ces éléments sont :
D'abord, une portion entiènîment inconnue de la tête du bassin,
celle du versant océanien du Ahaggâr, dont un des contreforts, le
Tâhela-Ohàt, perpétue jusqu'à nos jours le nom du Mont Thala de
Pîolémée et d'où descendent dos ouàdi dont le principal m'est indi-
qué comme se dirigeant vers l'Oufidi-Dra'a. (Voir Liv. !«•■, chap. m,
page 26.)
Ensuite, entre le Haut-Niger occidental et la vallée du Daradus,
les masses de dunes d'iguîdi qui, comme celles de l"Erg pour le
Niger oriental, absorbent les eaux des affluents supérieurs et ne les
restituent que .sou terrai nement à la vallée exutoire. (Voir Liv. l«^
chap. II, pages 5 et G , et chap. iv, pages 35, 30 et 37.)
480 APPENDICE.
Ces éléments nouveaux permettent de mieux apprécier les con-
naissances des anciens sur cet immense bassin.
Topographiquement, les dunes de riguîdi le diviseut en deux
sections, Tune supérieure, Tautre inférieure, mais hydrographique-
ment la capillarité des éléments constitutifs des dunes permet aux
eaux des affluents supérieurs de se rendre au lit inférieur, surtout
quand elles sont abondantes, ce qui a toujours lieu après les grandes
pluies périodiques.
Des affluents supérieurs du Niger occidental, les anciens n'ont
connu que la branche du Ger de Suetonius Paulinius ou Ntysip de
Ptolémée, qui prend sa source dans la partie de l'Atlas marocain où
naît aussi le Malua (lumen: mais è la manière dont Ptolémée consti-
tue son Ntyetp, on voit qu'il réunit les eaux du versant saharien de
l'Atlas à celles du versant océanien du massif des Touareg.
Voici sa description :
« Le fleuve Nigir (Ntyetp) aboutit d'un côté au mont Mandrus et
« de l'autre au mont Thala, et forme le lac Nigris.
« Deux embranchements qui descendent du Nord, l'un du mont
« Sagapola, l'autre du mont Usargala, viennent se réunir au Nigir;
« ce dernier forme un détour à l'Kst pour aller se terminer au lac
« Libya,
« Au Sud, dans la direclion du Daradus, le Nigir reçoit un em-
« branchement. »
Sauf les latitudes et les longitudes, dont je ne tiens pas compte,
parce qu'elles sont erronées, toutes ces indications, quoique très-
vagues, sont conformes à la vérité.
Au Mandrus et au Thala correspondent :
Le Djebel-Aït-'Aïach de l'Atlas marocain ;
Le Tàhela-Ohât du versant occidental du Ahaggàr.
Le lac Nigris auquel aboutissaient les 'eaux des monts Mandrus et
Thala, assis vis-à-vis l'un de l'autre , mais à i5 degrés de distance,
est le bas-fonds desséché du Touùt, aujourd'hui couvert d'oasis;
Le lac Libya, dans lequel allait se perdre l'affluent de l'Usargala,
se retrouve dans la Sebklia du Gouràra, encore aujourd'hui le récep-
tacle des eaux de l'Ouàd-Seggeur, malgré le barrage des dunes de
TErg;
GÉOGRAPHIK ANCIENNE. ÛSI
Le Nigir est cetouâdqui porte actuellement le nom de Guîr, dans
sa partie supérieure, et de Messâoura, dans son cours inférieur;
Nous connaissons déjà son affluent de l'Est, TOuâd-Seggeur, qui
vient du Djebel- Amour, l'ancien Usargala;
L'affluent oriental correspond à rOuàdi-Tafîlelt, comme le mont
Sagapola, d'où il sort, nous représente ce point de l'Atlas marocain,
d'où descendent les principales rivières du bassin océanien du
Maroc;
La tête des eaux venant du Sud et se dirigeant vers le Daradus
est encore plus facile à déterminer, car, grâce à la loyale franchise
des Touareg, nous sommes mieux renseignés sur les détails du
Ahaggâr que sur ceux de l'Atlas marocain ;
L'identification du Tàhela des Ohât avec le Thala des Thaï» de
Ptolémée ne laisse que l'embarras du choix entre les nombreux ouâdi
fournis par l'Ifettesen, le Tîfedest et le Ahaggâr, pour avoir un em-
branchement dans la direction du Daradus;
L'Ouâdi-Tîrhehért, par son importance, par la notoriété dont il
jouit, semble le mieux répondre aux indications de Ptolémée.
En analysant la description du géographe grec, je ne puis m'em-
pêcher de faire une remarque qui révèle une connaissance complète
de la limite des bassins des deux Niger : entre l' Usargala et le Thala,
quoique l'intervalle soit de 16 degrés, Ptolémée ne fait arriver aucun
aflluent à son Niger occidental. Il savait donc que toutes les eaux de la
région intermédiaire se déversaient dans le Niger oriental.
Malgré l'exactitude des informations topographiques de Ptolémée,
il était probablement moins bien renseigné sur le nombre des centres
de populations situés sur son Niger, car il ne cite que dix-sept noms
de villes ou villages là où nous en comptons plus de quatre cents
aujourd'hui.
Faut-il admettre que le pays n'avait alors que de rares habitants?
Pline l'affirme. Voici ce qu'il dit :
« Suetonius Paulinus, le premier des généraux romains qui ait
« dépassé l'Atlas, rapporte qu'au delà, jusqu'à un fleuve qui porterait
« le nom de Gcr, on traverse des déserts couverts d'un sable noir, au
« milieu duquel s'élèvent, d'intervalle en intervalle, des rochers
« comme brûlés; que ces lieux sont inhabitables à cause de la chaleur,
« même en hiver, et qu'il l'a éprouvé. » (Pline, Liv. V, 1.)
I. 31
f^&2 APPENDICE.
Puis, si le lac Nigris occupait, comme tout T indique, l'emplace-
ment actuel du Touàt, les 300 centres de population qui constituent
cette agglomération d oasis ne pouvaient alors exister.
La tradition locale, d'accord avec le rapport de Suélonius Pau-
linus, nous représente la première population du Touàt réduite à
quelques colonies de nègres, asservies postérieurement et succe-ssive-
ment par les Berbères et les Arabes. (Voir Liv. III, chap. v, page 294.)
Quoi qu'il en soit, des dix-sept noms de villes donnés par Plolé-
raée deux siulemeni peuvent être identifiés avec les noms modernes:
Taloubath, Ta>ouoaO, avec F oasis de Tabelbàlet;
Toukabat, Touxaéa6, avec la ville de Tci^àbit.
Cependant, je serais tenté de croire que, dans le dénombrement
et la dénomination des villes du Niger occidental, Ptolémée aurait éié
mal informa, car il lui donne, pour métropole, Ntyeipa MTÇTpoicdXt;,
nom identique à celui de la capitale du Niger oriental, Teipa
Mr.Tporo>.i;. 11 est douteux que deux centres, devant avoir des rela-
tions entre eux, aient porté le même nom, bien que l'un et l'autre ne
signifient que ceci : métropole du bassin.
D'autre part, les noms des lacs Nigris et de Libve, donnés aux
principaux réceptacles du bassin, noms identiques à ceux d'autres
lacs du Niger oriental, attestent une confusion très-grande dans les
éléments dont Ptolémée s'est servi pour dresser sa carte de la Libye.
Je ne poursuivrai pas l'étude critique de ce bassin jusqu'à la mer;
ce serait sortir du domaine de mes investigations personnelles.
Mais avant de clore cet examen sur les deux Niger de la Libye,
je ne puis me défendre de le résumer en constatant que, si, jusqu'à
ce jour, les documents anciens sur la Libye nous ont paru obscurs,
la faute n'en est pas seulement imputable à leurs auteurs, mais
encore et bien plus à ce que nous manquions nous-même du premier
élément de critique : la connaissance des lieux, des hommes et des
choses de ce pays. Sans doute, ni les Grecs ni les Romains n'ont pos-
sédé des détails très-circonstanciés sur la topographie de cette con-
trée, mais, du moins, leurs idées sur ses principaux caractères ont
été nettes et exactes : montagnes au Nord et au Sud; bassin oriental
et occidental, al) )utissant tous deux à la mer; sables dans les bas-
fonds intermédiaires; oasis disséminées çà et là, mais principalement
sur le versant méridional de l'Atlas, lesdites oasis ressemblant, par
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. 483
l'éclat de leur verdure, sur un fond jaunâtre, aux maculatures d'une
peau de panthère; populations sédentaires dans les oasis, nonaades
dans les déserts; voire même quelques fables pour que la compa-
raison avec la situation actuelle soit plus complète.
Toutefois, on reste étonné que les Romains, qui ont possédé tant
d'établissements sur les limites de cette région, se soient contentés
de documents aussi sommaires sur sa constitution, sur ses produc-
tions et sur sa population si variée.
Peuples (le la Libye.
Les anciens donnaient le nom de peuples on nations h ce que nous
appelons tribus.
Voici d'abord la liste la plus moderne, celle du géographe
d'Alexandrie.
Les peuples les plus considérables de la Libye et les positions
qu'ils occupent sont, dit-il :
Les Garamantes, du Bagradas au lac Nouba;
Les Mélano-Gétules , entre les monts Sagapola et Lsargala :
Les Éthiopiens-Rouges, au Sud du Gir;
Les Éthiopiens-Nigrites, au Nord du Nigir;
Les Daradae, sur le Daradus;
Les Perorses , écartés de la mer, à l'Oriept de Tlieôn Okhêma;
Les Éthiopiens-Odrangides , entre les monts Caphas et Thala ;
Les Mimak, au Sud du Thala;
Les Noubae, entre le lac Nouba et la Gorge Garamantique;
* Les Derbik, à l'Ouest du mont Aranga,
Viennent ensuite d'autres petits peuples, savoir :
Les Autololes, ) ^ , , , ^^ ,.
/ au Sud de la Gétulie, entre la mer et le
LesSirangaB, ^, ,
\ montMandrus;
Les Mausoli , )
Les Rhabii, j , ,. , , ^
,, , f entre le mont Mandrus et le fleuve Da-
Les Malcoœ ,
Les Mandori , )
Les Sophucaei , après ces derniers ;
V^'i APPENDICE.
Les Leucapthiopiens, séparés des Pérorses par le Rufus-Campus ;
Les Pharusii, entre le Rufus-Campus et le mont Sagapola ;
Les Naiembes, au Nord du mont Usargala;
Les Lynxamatse,
Les Saman
Les Salthi,
[au Nord du Girg\Tis;
Les Samamycii , )
Les banni, i , „ , ^ .
^ . . } entre les monts Mandrus et Sagapola:
Les DaphnilaB, ) ^ ^
Les Zamazii , i
Les Arocca* , > entre ces monts et le fleuve Nigir ;
Les Cetiani, »
Les Suburpores, au Sud du mont Usargala;
Les Maccoi 1
(au Sud du mont Girgvris, entre les Gara-
Les Daucnitae, ) , .
^ , l mantes et le lac Nouba ;
Les Calelœ, )
Les Macchurebi, à TF-st des Darad»;
Les Soloëntii, à l'Est des Sophucaei ;
Les Anticoli, K i,r^ , j ^ .•.
. là lEst des deux précédents jusqu au raont
Les L<nurii3& , i ^ i
Les Stachirae, )
* Les Orpheis, entre le Caphas et le Theôn Okhéma;
* Les Tarvaltae , j
* Les Maltitae, | au Sud des Orpheis;
* Les Africerones, )
Les Achaemae , au Sud des Éthiopiens-Odrangides ;
Les Gongalaî, v o i i n- i
, . ; au Sud des Mimak ;
Les Nanosbeis, >
* Les Nabathrae, entre le mont Thala et le mont Arvaltes;
Les Alitambi , j . ^. . , . , .,
[ entre le mont Thala et le lac Libyque ;
Les Maurali, )
Les Harmiae, \
LesThalae, /entre le lac Libyque, le lac Nouba et la
Les Dolopes, l Gorge Garamantique ;
Les Astacuri ; '
* Les Arocc«, au Nerd du mont Aranga;
* Les Asaracae, à TKst du susdit mont ;
* Les Dermoncnses, entre le mont Aranga et le mont Arvaltes;
* Les Éthiopiens-AganginaB, entre le mont Arvaltes et le mont
Aranga, au Sud-Ouest des Africerones;
GÉOGRAPHIE ANCIENNE. 485
* Les Éthiopiens -Xyliccenses, ^ au Sud du mont Arvaltes, à
* Les Éthiopiens -Uchaliccenses, \ l'Est des Agangines.
Pline nous transmet aussi sa nomenclature des peuples ; la voici
avec les positions données par le naturaliste :
Les Marmarides, au cap Chersonèse;
Les Araraucèles , sur la côte de la Grande Syrte ;
Les Nasamons ou Mésammons , au milieu des sables, sur la côle
de la Petite Syrte:
Les Asbystes et les Maces , après les Nasamons ;
Les Hammanientes , au delà des Asbystes et des Maces, à douze
journées de marche de la Grande Syrte, vers UOccident, et entourés
eux-mêmes de sables de tous les côtés ;
Les Troglodytes, à quatre, journées de marche des Hamma-
nientes, du côté du Couchant d'hiver;
Les Phazaniens, sur la route de TÉthiopie;
* Les Niteris ou Nitiebres,
* Les Bubéium , nation ou ville ,
* Les Enipi , ) sans désignation d'habitat;
* Les Discera ,
* Les Nannagi ,
Les Éthiopiens - Taréléens ,
,^ ,. . sur la source du Nigris;
Les Œcahques , )
Les Éthiopiens-Nigrites, sur le Nigris;
Les Liby - Égyptiens , j au-dessus des Gélules, par delà
Les Leucéthiopiens , S les déserts ;
Enfin , les Garamantes, séparés des précédents, du côté de l'Occi-
dent, par de vastes solitudes.
Je renonce à énumérer les noms de peuples ou de nations des
autres auteurs grecs ou romains, les nomenclatures de Pline et de
Ptolémée les comprenant à peu près tous avec plus de précision. Je
préfère constater qu'à l'exception des noms de peuples précédés du
signe * dans les deux listes ci-dessus, tous peuvent être rationnelle-
ment placés sur une carte moderne, grâce aux nombreuses identi-
fications de noms de lieux qui ne peuvent plus être contestées.
Je remarque également que, le placement fait, suivant les indica-
tions de Pline et de Ptolémée, toutes les populations indiquées
486 APPENDICK.
comme étant de sang noir on occupent les lignes de bas-fonds du
Sahara ou sont transférées au delà de la limite de la Libye avec
rÉthiopie.
Quant à Tassimiiation des noms des peuples anciens avec ceux
des tribus modernes, il faut être très-prudent, car les tribus berbères
ont bien souvent changé de noms depuis Tantiquité, les unes ayant
entièrement disparu, les autres ayant été complètement transformées.
D'ailleurs, tous les noms grecs et romains reproduisent très-
inexactement l'ethnique indigène. Pour les noms dont rideniification
est la plus certaine, ne constatons-nous pas des différences trop
grandes, entre les uns et les autres, pour ne pas reculer devant une
assimilation impossibl.e?
Mieux vaut terminer cette étude comparée en la complétant
par l'exposé des renseignements, non écrits dans les livres, mais
nettement tracés sur le sol, que nous fournissent les ruines de Toc-
cupation romaine sur la frontière de la Libye.
Limites méridionales de l'occupation romaine.
Les reconnaissances de MM. les ofliciers d'éiat-major et de M. Vic-
tor Guérin, complétées par les miennes, assii^nent comme limite à
l'occupation romaine au Sud des Mauriianies, de la Numidie, de la
Province d'Afrique et de la Cyrénaïque, savoir : une ligne suivant le
bassin de l'Ouàd-Djedî, de Laghouàt à Biskra ; le versant saharien
de la chaîne aurasique, de Biskra à Mîdàs; le rebord méridional
des Chott-el-Djerîd et Chott-el-Nefzàoua , de Mîdàs à Gàbès ; le ver-
sant occidental du Djebel-Douîrât, de Gàbès à .Nàloût; enfin, Ghadà-
mès et Djerma, de Nàloùt au Fezzàn.
A l'exception des bas-fonds, au Sud de la Tunisie, les Romains
semblent avoir arrêté leur ligne d'occupation à la limite des terres
habitables pour des hommes d'origine européenne.
Les ruines de leurs établissements-frontières sont indiquées sur
la Carte dressée pour l'intelligence de cet ouvrage par le signe ordi-
naire (IL R.) des ruinas romaines.
Ces ruines, autant que j'ai pu en juger par l'espace qu'elles cou-
vrent, sont celles de petits postes d'observation, de centres de com-
mandement, peut-être de comptoirs-entrepôts pour les relations com-
mercial avec les populations indépendantes du Sud.
GÉOGUAFHIE ANCIENNE. hSl
Rien n'indique que les Romains aient tenté par eux-mêmes des
entreprises de commerce au delà de la limite que j'assigne à leur
occupation, car, au Sud de cette ligne, aucun monument ne révèle
leur présence, et leurs écrits attestent que leurs connaissances géo-
graphiques elles-mêmes avaient pour limite le versant méditerra-
néen du Mons ater,
A rOuest du Djebel-' Amour, sur tt)ut le versant de TAtlas maro-
cain, les ruines romaines paraiss'^nt fort rares, car aucun de mes
informateurs indigènes ne m'en a signalé. Peut-être, dans les ruines
de Sedjelmâssa, dont la position m'a été bien précis'^? au centre des
qerour du Tafîlell, retrouverait-on quelques débris de la grandeur
romaine, mais c'est encore très-douleux.
Les Touareg, que j'ai souvent interrogés sur les ruines de con-
structions qui pouvaient se trouver dans leur pays, se sont bornés
à me signaler les vestiges des tombeaux des Jabbàren , comme ceux
que j'ai trouvés près de la source d'Ahêr (voir Livre l®^ chap. 4,
pages 56 et 57) et qui m'ont paru destinés à des hommes qu'on en-
terrait assis; plus, les ruines d'un monument religieux, probablement
une mosquée, dont la construction est attribuée aux Sohâba ou com-
pagnons du* prophète Mohammed, qui s'étaient avancés en conqué-
rants dans le pays pour le convertir à l'islamisme et qui ont perpétué
jusqu'à nos jours le souvenir de leur passage à Timissao, au moyen
d'inscriptions, en arabe coufique , encore très-lisibles aujourd'hui,
dit-on.
Ainsi, au delà de la ligne que j'ai tracée, les indigènes eux-mêmes
ne connaissent aucune ruine de l'occupation romaine.
CONCLUSION DK L'APPENDICK.
Dans ce travail de géographie comparée, je ne me suis pas pro-
posé une étude critique des textes, œuvre délicate qui exige une
expérience que je n'ai pas; j'ai seulement voulu exposer comment j'in-
terprétais les récits des anciens, en procédant de la connaissance des
lieux à l'inconnu des origines et des sources des textes parvenus jus-
qu'à nous; je me suis principalement propose pour but de démontrer
que la dernière exploration du Sahara confirmait dans son ensemble
et dans ses principaux détails le dernier exposé d(» nos connaissances
488 APPENDICE.
sur la Libye des Grecs et des Romains, d'après M. Vivien de Saint-
Martin, dont Touvrage si remarquable. Le Nord de l'Afrique dans
L'antiquité, a été couronné par l'Académie des inscriptions et belles-
lettres.
Sans doute, dans les détails secondaires, quelques identifications
ne sont pas les mêmes, mais il était inévitable qu'il n*en fût pas ainsi.
L'honorable géographe ne pouvait pas connaître le massif des Toua-
reg avant qu'il eût été étudié, exploré, reconnu.
Pour mon compte personnel, je m'estimerai heureux, si, par les
preuves nouvelles que j'apporte à l'appui de ses déductions, je con-
tribue à accroître l'autorité dont le livre de M. Vivien de Saint-
Martin doit jouir.
Si je n'avais eu pour guide une critique aussi sûre, cet Appendice,
rédigé pendant l'impression de ce volume, n'aurait probablement pas
vu le jour.
FIN DU TOME PREMIER.
TABLE.
AVANT-PROPOS.
Pages.
But de TexpéditioD. — Patronage gouvernemental et scientifique. — Les
diverses reconnaissances exécutées. — Difficultés surmontées et résultats
acquis. — Maladie grave à Alger. — Concours obtenu pour la rédaction de
mes travaux i
INTRODUCTION.
Division de l'ouvrage. — Sa raison. — Transcription des noms indigènes. —
Des gravures. — De la caste. — Sur quelles bases elle a été établie. ... xr
LIVRE PREMIER.
Divisions naturelles et politiques. — Géographie physique, sol et cliuat. 1
Chapitre prbuier. — Divisions et limites générales des confédérations Touareg. 1
Divisions en quatre confédérations 1
Patrimoine de chaque confédération 2
Limites générales 3
Limites particulières 3
Chap. II. — Géographie physique 5
S i*"'. — Zone des dunes 5
Étendue de cette zone 6
Variétés de dunes 7
Voyages dans les dunes , 0
Puits dans les dunes U)
Limite de l'Algérie dans les dunes. . . » 11
/i90 • TABLE.
S 2. — Massif des Touareg 13
Tasili du Nord. — Chaîne d*Anhef. — Plateau d'Eguéré. U
Ghaine de TAkàkoûs. — Chaîne de rAms^Lk. — Ham&da de Mourzouk.
— Ham&da-el-Homra 15
Hamàda de Tînghert. — Plateau de Tàdemâyt. — Plateau du Mouydir. 16
Bâten Ahenet. — Tasili du Snd 17
Plaine d'Amadghôr 18
Plaine d'Admar. — Vallée d'Ouarâret. — Plaine de Tàyta. — Vallée de
l'Ouâdi-Lajâl 19
Plaine des Igharghàren. — Plaine d'Adjenaôr 20
Chap. m. — Hydrographie fî
Ouàdi-Igharghar 22
Ouàdi-Tâfasàsset 25
Ouâdi-Tirhehôrt 26
Ouâdî-Akâraba. — Puits ordinaires 27
Puits à galeries. — Puits artésiens. — Rhedîr 28
Lacs 20
Sources 31
ChÀp. ÏV. — Géologie 33
i"" section. — D'El-Ouâd à Ghadàmès 33
Formation des dunes 33
Dénudation des plateaux et des montagnes en amont des dunes 35
Groupes de dunes entre la Méditerranée et le Sénégal 35
Superficie des plateaux alimentateurs 37
Influences atmosphériques sur les roches. — Production des sables. . . 38
Circulation des sables 39
Trombes do sables 40
Fixation des sables par les eaux 41
Formation des dunes sur place et formation par amoncellement des sables
étrangers 43
Planorbis Dtiveyrieri 44
2« section. — De Ghadàtnès à Rhàt 45
A, Plateau de Tînghert 46
B. Dunes d'Édeyen 51
r. Plateau d*Éguélé 51
D. Plaine des Igharghàren 52
E. Tasîli des Azdjer 55
F. Vallée d'Ouarâret 50
3e section. — De Titerhsin à ZouUa 6!
A. De Tîterhsîn à Serdélès 61
B. Désert de Tàyta 65
C. Ouàdi-Lajâl # 67
D. Dunes d'Édeyen G9
E. Hamàda de Mourzouk 70
TABLK 191
F. Dépression de la Hofra 71
G. La Cherguîya 73
H. Massif du Hâroùdj 75
4* section. — De Mourzouk à la mer 77
Djebel-es-Sôda » 79
Hamàda-el-Homra 82
5« section. — De Rhât à In-Sàlah 84
A. Plateau du Tasili 84
B. Plateau d'Éguéré 86
C. Plateau du Mouydîr 86
D. Massif du Ahaggàr 87
Conclusion géologique . , 88
CuAP. V. — Météorologie 90
Tableau résumé des observations météorologiques faites du 26 juillet 1860
au 20 septembre 1861, à l'effet de déterminer les altitudes de chaque
station 91
Température de Tair 106
— du sol 109
— des puits ordinaires 110
— des puits artésiens 112
— des eaux pluviales et des flaques d'eau 113
Température moyenne meusuelle de l'air à Tougourt*( série comprenant
tout ou partie des années 1855, 1856, 1857, 1858 et 1859) 113
Hygrométrie. — Vapeur d'eau de l'atmosphère 115
Rosi^e. — Gelée blanche. — Brouillard. — Pluie 118
Neige 120
Pression atmosphérique, — Observations barométriques 120
Oscillations diurnes 120
Extrêmes des oscillations , 1 22
Moyennes des oscillations 123
Vents. — Direction mensuelle et force moyenne 12 i
Variations diurnes et suivant les sais^ons 125
Vitesse du vent 125
Pluies et trombes de sable. 126
Influence des vents sur le thermomètre et sur le baromètre 128
Électricité. — Étincelles électriques 128
Éclairs. — Tonnerre. — Orages 129
Lumière. — Intensité. — Couleur. — Transparence 130
Mirage. — Aurore et crépuscule. — Lueur crépusculaire. — Arc-en-ciel. 131
Halo lunaire. — Lune rouge sang. — Étoiles filantes. — Globe lumineux. 132
Conclusion météorologique 133
Ch\p. VL — Observations astronomiques 134
Tableau résumé des observations faites pour établir la latitude et la lon-
gitude des principaux points de la carton 135
Éclipse de soleil du 18 juillet 1860àEl;Ouâd 138
Comète à Mourzouk le l'"^ juillet 1861. '. 139
m
TABLE.
LIVRE II.
Production.
Chapitre prbmier. — Minéraux.
141
Métaux et matières précieuses i 42
Sels divers H3
Matériaux de constructions. — Pierres et terrefi i 45
Combustibles minéraux 146
Chap. II. — Végétaux 147
Renonculacées 148
Fumariacées 140
Crucifères 149
Capparidées 152
Cistinées 153
Résédacées 153
Frankéniacées. .• 153
Malvacées 154
Aurantiacées 155
Ampélidées 156
Géraniacées 156
Zygophyllées 156
Rutacées 158
Rhamnées 159
Térébinthacées 160
Légumineuses 161
Rosacées 168
Amygdalées 168
Pomacées 169
Lythrariées 170
Granatées 171
Cucurbitacées 171
Tamariscinées 172
Paronychiées 174
Portulacées 175
Ficoidées 175
Composées (corymbifères). 177
Composées (chicoracées). . 178
Primulacées 179
Oléacées 179
Asclépiadées ^180
Gentianées 181
Convolvulacées 181
Borragînées 181
Solanées 182
Scropbularinées 185
Orobanchacées 185
Labiées 186
Globulariées 187
Plombaginées 187
Plantaginées 188
Salsolacées 188
Amarantacées 191
Salvadoracées 191
Polygonées 192
Thyméléacées 192
Eupborbiacées 193
Cannabinées 193
Morées 193
Salicinées 194
Conifères 194
Potamées 194
Palmiers 194
Liliacées 199
Mélanthacées 200
Joncées 200
Typhacées 201
Cypéracées 201
Graminées 201
Balanophorées 207
Fougères 208
Characées 208
Champignons 208
Algues 209
Plantes Indéterminées. ... 209
Conclusion botanique. ... 215
TABLE.
/|93
Chap. m. — Animaux.
Si«'. — Animaitx domestiqties . . . .
Chameau 218
Cheval 220
Zébu 221
Ane 222
Page».
217
. 217
Mouton 222
Chèvre \ 223
Chien 224
S 2. — Animaux sauvages 224
Mammifères {nomenclature).
Oiseaux —
224
225
226
227
227
228
228
228
229
229
Reptiles —
Poissons —
Arachnides —
Insectes —
Myriapodes —
Annelides —
Mollusques —
Parasites —
Espèces remarquables : Tahoûri. 229
Loup 230
Guépard 230
Onagre 231
Antilope mohor 231
Antilope oryx 231
Akaokao 231
Autruche 232
Gypaète 232
Crocodile 232
Gecko des sables 23 i
Agama colanorum 234
Acanthodxictylus Savignyù, 235
Acanihodactylus vulgaris, . 235
Agama agilis 235
Vipère cornue 235
Vipère des jongleurs. . . . 235
Vipère des Pyramides. . . . 236
Psammophis punctatus. . . 237
Cœlopeltis insignitus 237
Serpents fabuleux 237
Poissons^ (C/anVw lazera). . 237
Scorpion 239
Araignée venimeuse 239
Coléoptères 2i0
Sauterelles 240
Libellules 241
Abeilles 241
Lépidoptères 243
Mouches et moustiques. . . 243
Scolopendre 243
Vers comestibles 243
Parasites de l'homme. . . . 244
Puce 245
Dépôt des collections minéralogiques, géologiques, botaniques, zoologi-
ques, ainsi que des cartes itinéraires 245
LIVRE m.
CeNTAES de RATONNEMBirr 2-^7
Chapitre premier. — Centres commerciaux 2V9
S l«^ — Ghadâmès 249
Motifs du choix de cet emplacement 249
Ruines liby- égyptiennes 250
Ruines garamantiques 251
Ruines grecques 252
Ruines romaines 253
Conquête arabe 254
Population de la ville • 256
Dialecte particulier 256
m TABLE.
Costume. •— Mœin-s 257
Commerce. — Ses bénéfices 2;)8
Industrie. — Horticulture 260
Eaux dMrrigation 260
Habitations. — Quartiers. — Marchés 262
Gouvernement et administration. 263
Rapports avec les TOuâreg 265
S 2. — Rhât 256
Ancienne Rapsa des Romains 267
Sa restauration par les Ihàdjenen et les Kêl-Rhâfsa 268
Sultans Ihàdjenen 268
Loi particuli6re de succession 269
Substitution d*un Arabe tou&d à un Berbère ih&djeni dans le gouverne-
ment de la ville 269
Motifs de mécontentement des chefs Touareg 270
Détails sur la ville de Rhât 27i
Pourquoi l'entrée de la ville m*a été refusée 272
Parti des Turcs. — Parti des Français 274
S 3. — Mourzouk 275
Le Fezzân moderne 275
Le Fezzân ancien 276
Civilisation garamantique 279
Ville de Mourzouk 28i
Gouvernement. — Administration. — Garnison 282
Décadence du Fezzân 281
S A,—Ouargîd 284
Ce qu'on sait de sa fondation, de son histoire, de son ancienne prospt^
rite, des causes de sa décadence 285
Celte ville peut-elle recouvrer son ancienne splendeur? 287
Rôle que lui assignent les circonstancps 290
S 5. — In^Sàlah et le Touàt 290
Le Touàt, confédération politique indépendante, mais dépendant de
l'Algérie pour ses besoins matériels 291
Du pouvoir et des partis au Touàt 293
Noirs. — Berbères. — Arabes du Touàt 294
Assiette de tes populations 295
In-Sàlah. — Ce que ce nom comprend 296
Causes de la prospérité de ce point 297
Tribu des Oulâd-Bâ-Hammou 298
Cbap. il — Centrer religieux 300
% 1". — Confrérie des Senoûsi 301
Es-Senoùsi. — Le but qu'il s'est proposé en instituant une confrérie. . . 301
Pourquoi il choisit le désert. 302
Moqaddem de l'Ouest et Mohammed-ben-'Abd-Allah 303
TABLE. ^95
p*g*».
Jerhàjlb, métropolitaine de Tordre 30i
Avènement du fils d*Es-Senoûsi 305
Opposition de cette confrérie à ma mission 30G
S 2. — Confrérie des Tedjâdjna 306
Profession de foi tolérante 306
Luttes contrs les Turcs, contre *Abd-el-Kâder et les Mouley-Tayyeb. . . 307
Rapports de bonne amitié avec les Français. 308
Protection que m'a donnée cette confrérie 309
Son influence dans le Sahara et l'Afrique centrale ; 310
S 3. — Zàouiya des Bakkây 310
Les Bakk&y descendent du conquérant 'Oqba 311
Leur puissance morale 311
Composition de cette famille 312
Sldi-Mohammed offre de me conduire à Timbouktou 313
S 4. — Zàouiya des Oulàd-S(di'Cheikh, 313
Fondée pour devenir Tasile de la proscription 314
Son chef me recommande aux habitants d'EI-Golêa* 315
Services que nous a rendus et que peut nous rendre encore la ftimille
des Oulâd-Sldi-Cheikh 315
LIVRE IV.
TouArbg proprbmknt dits 317
CHâprrns premier. — Origine des Touareg 31 7
•
Opinion des Touareg sur leur origine 317
Analyse d'une Not^ sur les origines des diverst^s tribus TouArog, par le
Cheikh-Brahîm-Ould-Sidi 318
Origine des tribus du pays d'Azdjer 310
Origine des tribus du Ahagglr 32 1
Justification des prétentions de la Noie 323
Partage des terres chez les Azdjer 32i
Opinion d'Ebn-'Abd-en-Nour-el-HamIri sur la question des origines. . . 32i
Opinion émise, sur le même sujet, par Ebn-Khaldaûn dans son Histoire
des Berbères 325
Résumé de ces opinions 326
Les Touareg sont les Mazyes d'Hérodote. '. 327
L'étude de la langue temàluiq peut seule éclairer l'ethnologie des Touareg. 328
Chap. h. — Divisions et constitution sociale .329
Divisions des Azdjer 320
Divisions des Ahaggûr 330
Du pouvoir souverain .331
Des Nobles ^ . . . . 331
Des Marabouts 332
tx% TABLK.
Des Tribus mixtes 334
Des Serfs 334
Des Esclaves 339
De la Femme 339
Chap. m. — Historique des tribus 342
S 1". — Confédération des Azdjer 343
Tribu des Imanàn 344
Tribu des Orâghen 347
Tribu des Imanghasâten 35i
Tribu des Kèl-lzhabân 357
Tribu des Imettrilâlen 357
Tribu des Ihadhanâren 357
Tribu des Ifôghas . 359
IS-Ouqqirân 360
N-Iguedh&dh 361
N-et-Tobol : . . . . 361
Le Cheikh-'Othmàn 363
Tribu des Ihèhaouen 365
Tribu des Kôl-Tîn-Alkoum 366
Tribu des Ilemtîn 367
S 2. — Confédération des Ahaggâr 368
Tribu des K6l-Ahamellen 374
Tribu des Tédjéhé-Mellen 375
Tribu des Kôl-Rhelâ 375
Tribu des ïrhechclioûmen 377
Taibu des Ibôgueiàa 378
Tribu des Taitoq .* 378
Tribu des Tédjéhé-n-Eggali 379
Tribu des Ikadécn 379
Tribu des Inembà-Kêl-Tahât 379
Tribu des Inembà-Kêl-Emoghrî 379
Tribu des Ikerremôîn 380
Tribu des Tédjéhé-n-oû-Sldi : . . . 380
Tribu des Ennltra 380
Tribu des Tédjéhé-n-Esakkal 380
Chap. IV. — Caractères distinctifs des Touareg 381
Caractères physiques 381
Caractères moraux 383
Conservation de l'écriture berbère * 386
Alphabet tefînagh 388
inscriptions rupestres ; 389
Usage du voile 390
Anneau de pierre au bras 392
Poignard d'avant-bras 393
Succession inalemelle. — Benl-Oummia 393
TABLE. Ù97
Pafcrs.
Exemples de ce mode de succession chez d'autres peuples 394
Loi spiiciale aux Touùreg 31)0
Origine de cette loi 398
Part faite à la femme dans toutes les institutions des Touareg 400
Abstinence de la chair de poissons et d'oiseaux 401
Conclusion du chapitre IV 402
Chap. V. — Touareg dans leur vie intérieure 403
Campements. — Habitations 403
Mobilier. — Ustensiles 404
Vêtements. — Coiffures. — Chaussures. — Parures 405
Aliments. — Boissons. — TM. — Café. — Tabac 408
Religion. — Superstitions 413
lYaces du christianisme 414
Évocation des âmes 415
Croyances aux génies 416
Préjugés sur la sorcellerie 418
Amulettes 419
Instruction 419
Lecture. — Écriture 420
Connaissances en calcul 421
— en géographie 421
— en histoire 422
— en botanique 422
— en zoologie 422
— en minéralogie 422
— en théologie 423
— en droit 423
— en astronomie 423
Droit. ^ Justice. — Police i27
Droit écrit et coutumier 427
Police intérieure. — Peines 427
Peine du talion 428
Naissance. — Mariages. — Décès 428
Circoncision. — Majorité. — Longévité 428
Position de la femme dans le mariage 429
Célébration du mariage 430
Morts. — Enterrement. — Noms personnels 431
Pratiques hygiéniques 431
Peinture du corps à Tindigo 43l
— — à l'ocre 432
Coupe des cheveux 432
Boucles d'oreilles hygiéniques 432
Csage du sulfure d'antimoine 432
Voile 432
Maladies et pratiques médicales 433
Ophthalmies 433
Rhumatismes 434
Fièvres intermittentes 43i
I 32
498 TABLE.
Variole 434
Rougeole 435
Maladies de la peau 435
Ver de Gainée 435
Boûri des nègres 435
Sjrphilis 436
Piqûres et morsures d^animaax venimeux 436
Emploi médical de VHyoscyamus Falezles 437
Travail 438
Agriculture et horticulture 439
Industries professionnelles 440
Chap. m. ~ Touareg dans leur vie extérieure 44t
Assemblées politiques 4H
Convocation. — Réunion 441
Tenue de ces assemblées 44i
Conclusions ordinaires 443
Guerre 443
Armement • 444
Équipement 446
Rencontres 445
Chants de guerre 450
Conclusion du chapitre VI i^d
APPENDICE.
GéOGRAPDIE ANCIEJlIfE 455
Objet de TAppendice 455
Agisymba regio 450
Identification avec Toasis d'Aîr 457
Route qui y conduisait 458
Limite séparative de la Libye et de P Ethiopie i5î»
Concordance des documents anciens avec les connaissances modernes. 460
Afons ater 461
Identification avec le massif des Touareg 46t
Connaissances des anciens sur cette région 462
Pline 462
Ptolémée 464
Identification de la Gorge Garamantique avec l'Aghelâd d'Ouarârct, du
mont Thala avec le Tàhela, du lac Nouba avec la Sebkha d'Amadghôr,
du Girgyris avec le Tasili des Azdjer 465
Identification des Uzzar ou Suggar aux Ahaggilr, des Astacuri aux Azdjer,
des Ifuraces aux Ifôghas 466
Des Niger de la Libye 469
Deux Niger 470
Éthymologie du mot Niger 471
Sa signification : bassin et non fleuve 472
TABLK. 499
Niger oriental 474
Ses limites 474
Ce qu'en connaissaient les anciens 475
Identifications possibles 475
Niger occidental 479
Ses limites 479
Nouveaux éléments de critique 479
Description de Ptolémée. — Assimilation des points connus du géo-
graphe grec 480
Le Niger occidental était à peu près un désert à l'époque de Ptolémée. 181
Résumé des connaissances des anciens sur les deux bassins de la Libye. 482
Peuples de la Libye 483
D'après Ptolémée 483
D'après Pline 485
Assimilation des peuples anciens aux tribus modernes 480
Limites méridionales de Voccupaiion romaine 486
Ruines romaines 486
Ruines indigènes 487
Conclusion de l'appendice 489
Vl^ DE LA TABLE.
TABLE DES PLANCHES.
Pagw.
Planche I, M. Henri Duveyrier i
— Il, flg. 1, Gara de Tîsfîn ; fig. 2, Profil du mont Idinen ; fig. 3, Blocs
de Takar&het; fig. 4, Berges dlogher et Asouttar; fig. 5, Aghelàd
de Tarât 35
— 111, flg. 1, Planorbis Duveyrieri; fig. 2, Dunes dans T'Erg 45
— IV, Appareil à élever l'eau 68
— V, fig. 1, Zâouiya du Cheikh-el-Hoseyni, à Oubàri; fig. 2, Tekertîba. 155
— VI, fig. i , Château d'Aghrem, à Serdélès ; fig. 2, Ahatès {Acacia albtda). IM
— VII, fig. 1, Tessâoua; fig. 2, Inscription coufiqne 180
— VÏII, Clarias lazera 238
— IX, fig. I, Bahar-ed-Doûd ; fig. 2, Arthetnia Oudneii 2i4
— X, fig. 1, Bas-relief libyco-égyptien ; fig. 2, Colonnes et chapiteaux
d'El-'Aouîna 250
— M, fig. 1, Oasis de Ghadàmès; fig. 2, Ruines des Esnâmen 252
— XII, Inscription romaine trouvée h Ghadàmès 253
— XIII, fig. 1, Mlle de Rhât; fig. 2, Pic de Têlout 271
-— XIV, Monument romain de l'ancienne Garama 276
— XV, fig. 1, Ruines du Qeçir-el-Watwat ; fig. 2, Tombes de Qeçirat-
er-Roûm ; fig. 3, Tombes des Jabbàren 279
— XVI, Types féminins de la race subéthiopienne 288
— XVII, Types masculins de la race subéthiopienne 288
— XVIII, Sîdi-Mohammed-el-'Aîd 300
— XIX, Temâssîn 310
— XX, Types Touareg 382
— XXI, Alphabet Tefînagh 388
— XXII, Inscriptions Tefînagh 390
— XXIII, fig. 1, Vue isolée de l'Idînen; fig. 2, Vue de l'Idtnen et de
l'Akâkoùs 416
— XXIV, Equipement de marche des Touareg 444
— XXV, Armement et harnachement 447
IAR18. — IMPRIUKKIB DK J. CLAYB, HUB S A IN T- D BN O IT, 7.
SUPPLEMENT
TOUAREG DU NORD
SUPPL.
MOLLUSQUES
TERRESTRES ET FLUVIATILES
RECUEILLIS PAR M. HENRI DUVEYRIER
DANS LE SâHâRA
ET DÉCRITS PAR M. J.-R. BOURGUIGNAT
lo_ ESPÈCES VIVANTES.
ZONITBS GANOIDISSIMUS.
Hélix candidissima, Drapamaud, Tabl. moll., p. 75. 1801.— Et Hist. moU.
France, p. 89, pi. y, f. 19. 1805.
Zonites candidissimus , Moquin- Tandon, Observ. mach. Hel.
in Mém. acad. Toulouse (3* série), t. IV, p. 374. 1848.
Espèce abondante à Biskra, Laghouàt, Tougourt, Ghardâya, etc.
dans le Sahara algérien.
Environs de Tripoli, sur les vieux murs.
MOLLUSQUES.
Hélix apbrta.
Hélix aperta, Bom, Ind. mus. Ces. Vindob. test., p. 399, tabl. xv,
f. 19-20. 1778.
Hélix neritoides, Chemnits, Conch. cab. ix (2« partie ), p. 150,
pi. cxxxm. f. 1204-1205. 1786.
Hélix naticoidcs, Drapamaud, Tabl. moll., p. 78. 1801.
Cantareus naticoidet , Risso, Hist. nat. Eur. mérid., t. TV, p. 64. 1826.
Pomatia aperta, B€ck, Ind. moll., p. 44. 1837.
Oenatoria naticoides , Held, in Isis, p. 911. 1837.
Sous les pierres. Oasis d'EI-Kantara. Environs de Biskra.
Cette espèce s'enfonce sous terre pour résister aux chaleurs.
Helix Warnieriana.
Testa perforata, carinata, globoso-conica, solidula, cretacea, pas-
sim subpellucida, albido-lutescente, maculis corneis subtransi ucidis
irregulariter variegata , ac striata obscureque passim malleata ; spira
parum elata, conica; apice minuto, levigato, niiidissimo, fulvo; —
anfractibus 6i/2 vix subconvexiusculis, carinatis (carina ad periphe-
riam èvanescens), regulariter crescentibus, sutura paululum impressa
separatis; uliimo majore, basi rotundato, ad insertionem labri externi
paululum descendenle; — apertura obliqua, lunato-rotundata ; peri-
stomate acuto, recto, intus remote albo-incrassato prœsertim ad basio;
margine columellari ad partem superiprem reflexo ; marginibus callo
tenu] junctis.
Coquille perforée, carénée, de forme globuleuse-conoîdale. Test
solide, crétacé, d'une teinte jaune blanchâtre parsemé çà et là par de
petites taches cornées un peu translucides, et orné de striations
grossières, interrompues par des malléations plus ou moins pronon-
cées. Spire peu élancée, conique, à sommet petit, lisse, fauve, très-
brillant. Six tours et demi à peine convexes, s'accroissant avec régu-
larité, munis d'une carène qui disparaît vers l'ouverture et séparés
ESPÈCES VIVANTES. 5
par une suture peu profonde. Dernier tour plus grand, bieû arrondi
à sa base, offrant vers Pinsertion du bord externe une direction des-
cendante régulière. Ouverture oblique, échancrée, arrondie. Péri-
stome droit, aigu, encrassé à l'intérieur, surtout vers la base de l'ou-
verture, par un léger bourrelet blanchâtre peu saillant, assez enfoncé.
Bord columellaire réfléchi surtout à sa partie supérieure. Bords
marginaux réunis par une callosité délicate.
Hauteur 8 millimètres.
Diamètre 10 -^
Espèce abondante dans le Sud de la Tunisie, surtout aux alentours
du petit village de Kerîz , près du Chott-el-Djérîd.
Cette hélice , que nous dédions au docteur A. Warnier, se ren-
contre également dans les briques de tov^, dont les habitants se ser-
vent pour construire leurs demeures.
Hélix agrioica.
Helîx agrioica, Baurguignat , Blalac. Alg., 1. 1, p. 20i, pi. xxn,
flg. 1-6. 1863.
Testa anguste umbilicata, depressa, cretacea, albida, maculis
comeis translucidis irregulariter (supra vel subtus) passim sparsis,
munità, supra costulis distantibus sulcata, subtus crebre obscureque
subcostulata; — spira convexa; apice minuto, levigato, corneo; —
anfractibus feex convexis , regulariter crescentibus , sutura impressa
separatis; ultimô paululum majore, obscure subcarinato (carina ad
peripheriam evanescens), ad aperturam subito deflexo; — apertura
obliqua, lunata, oblonga; peristomate recto, acuto, intus valide albido-
labiato; margine columellari paululum patulo.
Coquille étroitement ombiliquée, déprimée, subcarénée, à test
crétacé, solide, blanchâtre, moucheté, en dessus ou en dessous, par
quelques petites taches cornées, translucides, d'inégale grandeur et
irrégulièrement espacées les unes des autres. Côtes émoussées (surtout
sur le dernier tour), espacées en dessus et devenant en dessous
beaucoup plus petites, plus serrées et moins saillantes. Spire convexe;
6 MOLLUSQUES.
à sommei petit, lisse et corné. Six tours convexes, à croissance régu-
lière, séparés par une suture prononcée. Dernier tour proportionnel-
lement plus dilaté, subcaréné (la carène disparaît vers le péristome),
et offrant à l'insertion du bord externe une petite déflexion subite.
Ouverture oblique, échancrée, oblongue. Péristome droit, tranchant,
intérieurement épaissi par un fort bourrelet blanchâtre. Bord colu-
mellaire légèrement évasé.
Hauteur 4 millimètres.
Diamètre 7 —
Au pied des arbrisseaux, sous les touffes d'herbes, dans les en-
droits arides, à Methlîli.
Hélix Rebouduna.
Hélix Reboudiana, Bourguignat , Malac. Alg., 1. 1, p. 212, pi. xxi,
fig. 19-30. 1863.
Testa, anguste umbilicata, depressa, solida, cretacea, griseo-albida,
fulvo-flammulata , praesertim supra ; eleganter irregulariterque costu-
lata (costis albidis); — spira depresso-convexa ; apice fulvo, levigato,
obtusissimo ; — anfractibus sex convexiusculis, celeriter crescentibus,
sutura impressa separatis; ultimo majore, dilatato, subrotundato,
supra convexiusculo, subtus exacte convexo, ad aperturam regulariter
valde descendente ; — apertura obliqua, vix lunata, rotundata; peri-
stomate recto, acuto, intus paululum labiato; marginibus {columellari
reflexo, basait subpatulo) approximatis.
Coquille étroitement ombiliquée, déprimée, à test solide, crétacé,
opaque, terne, d'un blanc grisâtre, flammulé, surtout en dessus, par
de petites taches fauves peu prononcées. Striations en forme de côtes
élégantes, irrégulières, assez espacées et se détachant en blanc plus
vif sur le fond de la coquille. Spire convexe, peu élevée, à sommet
fauve, lisse et très-obtus. Six tours peu convexes, à croissance rapide,
séparés par une suture assez profonde. Dernier tour dilaté , propor-
tionnellement beaucoup plus grand, faiblement convexe en dessus,
bien arrondi en dessous, présentant, vers l'insertion du bord ex-
ESPÈCES VIVANTES. 7
terne, une déclivité régulière, assez forte. Ouverture oblique, à peine
échancrée, arrondie, à péristome droit, aigu, épaissi par un faible
bourrelet blanchâtre. Bord columellaire réfléchi. Bord basai légère-
ment évasé. Bords marginaux assez rapprochés.
Hauteur 6 millimètres.
Diamètre 10 —
Var. B. — Zonata, Coquille bien costulée, de petite taille, ornée
de cinq zonules, dont deux en dessus (une suit la suture) et trois en
dessous (celle du milieu est la plus large et la mieux colorée).
Mechoûnêch.
Var. C. — Subcostulata. Coquille à stries émoussées en dessus ,
d'un blanc sale, avec une zone noire interrompue sur le milieu du der-
nier tour. El-Kantara.
Var. D. — Subcarinata. Coquille plus déprimée, à carène obsolète
peu sensible, ornée, en dessus, d'une série de flammules grisâtres
également espacées, et ceinte, sur le milieu du dernier tour, d'une
bande noire assez large, interrompue par des fascies blanchâtres.
Mechoûnêch.
Au pied des touffes d'herbes, sous les pierres dans l'oasis de
Mechoûnêch, sur TOuâd-el-Abiadh à 24 kilomètres de Biskra, ainsi
qu'à El-Kantara... Espèce abondante.
Hélix rvpolabris.
Hélix rufolabris, Benoit, mss.
Hélix nifôlabris, L Pfeiffer, in Malak. Bmtt., p. 184. 1856.
— Et Monogr. Hel. viv., t. IV, p. 132. 1859.
Helix rufolabris, BourguignoUf flialac. Alg., 1. 1, p. 210,
pi. XXIV, flg. 11-16. 1803.
Espèce abondante dans la partie Sud de la Tunisie, à Gâbès, sur
les herbages du littoral; à Kerîz, à Nafta, sur le bord du Chott-el-
Djérîd.
Cette hélice se trouve fréquemment dans la terre qui sert à fabri-
quer les briques de toùb, employées dans les constructions.
8 ^ MOLLUSQUES!
Hélix livbat4.
Hélix lioeata, OUvi, Zool. ÂdriâU, p. 177. 1792.
Hélix omritima, Drapamaud , Hîst moll. France, p. 85, pi. y, f. 9-10. 1885.
Theba maritinm, Beck, Ind. moll., p. 12. 1837.
Espèce commane sur toute la côte méditerranéenne. Environs de
Tripoli ; alentours de Gàbès, de Keriz, de Nafta, au Sud de la Tunisie.
Hélix lacta.
Hélix Urata i, Lxnoe , Primit. faune Blader., p. 53 , n<^ 43, pi. v, f. 9. 1831.
Hélix sabmaritlma, DesmotUins, in Jhssmdssler, ieonogr. IX et X,
pi. xun, f. 575 (optinui). 1839.
Helix yariabilis, varietas, plur. auct., etc.
Se rencontre avec la lineata sur les plantes du littoral, sur les
murs, etc., à Tripoli, à Gâbès, à Kerîz, etc.. Espèce très-abondante.
Helix Pisana.
Helix Pisana, Miiller, Verm. hist II , p. 60. 1774.
HeUx zonaria, Pennant, Biit. zool., p. 137, pi. lxxxv, f. 133. 1777.
Helix petholata, 0/tin, Zool. Adriat., p. 178. 1792.
Helix rhodostoma, Drapamaud, Tabl. moll., p. 74. 1801.
Theba Pisana, Risso, Hiat. nat. Enrop. mérid., t. rr, p. 73. 1826.
Xerophila Pisana, Hêld, in Isis , p. 913. 1837.
Euparypha rhodostoma, Hartmann, Gasterop. Schw. 1, p. 204,
pi. Lxxix et lxxx. 1840.
Hélice commune à Tripoli, à Gâbès, à Keilz, à Nafta, etc...
1. Non Helix lanta de LodêU R$eve , Goncb. icon., t. CXL, f. 891 , qoi est une
antre espèce.
ESPÈCES VIVANTES.
Hélix Tbrvbri. ^
Hélix Terveri, Michaud, Compl. Drap^, p. 26, pi. xiv,f. 20-21. 1831.
Hélix Terveri, Bourguignat, Malac. Âlg.vt. I, p. 249, f. xxiXv^g. ^-^* ^S63.
Voici les caractères de cette hélice peu connue, qui jusqu^à pré-
sent a été confondue par presque tous les auteurs avec une quantité
d'autres espèces voisines : /
"^ Testa mediocritêr umbilicata, globoso-depressa , vel depresâa, so-
lida, subopaca, subnitida, albida, saspius fulvo-vel-nigro-purpuras-
cente, multifasciata et saepe quasi maculata aut tœniata, regulariter
striatula ; — spira convexa ; apice minuto , levigato, nitido, comeo ;
— anfractibus 6 convexis , primo lente , deinde celeriter crescenti-
bus, sutura impressa sépara tis; ultimo maxiino, globoso-rotundato ,
anticenon descendente; — apertura obliqua, lunato-rotundata ; peri-
stomate recto, acuto, intus albo-vel-fulvo-labiato ; margine columellari
vix reflexiusculo.
Coquille déprimée, ordinairement assez globuleuse, solide, légère-
ment transparente, assez brillante, finement striée avec régularité et
pourvue d'une perforation ombilicale profonde, étroite et non évasée.
Test blanchâtre, orné, le plus souvent, de zonules fauves ou d'un
pQurpre noirâtre, interrompues et flammulées. Spire convexe, à
sommet petit, lisse, brillant et corné. Six tours assez convexes, à
croissance d'abord lente, ensuite plus rapide, séparés par une suture
prononcée. Dernier tour proportionnellement bien dilaté, globuleux,
arrondi et rectiligne vers l'insertion du bord externe. Ouverture
oblique, échancrée, arrondie. Péristome droit, aigu, intérieurement
bordé par un renflement blanchâtre ou fauye. Bord columellaire peu
réfléchi.
Hauteur 9— 12 millimètres.
Diamètre .... 13— IB —
Environs de Methlîli, au Sud de la province d'Alger.
10 MOLLUSQUES.
Hélix ericetorum.
Hélix ericetorum , Mûller, Verm. hist. U, p. 33. 1774.
ZoDites ericetorum, Leach, Brit. moU., p. 101. 1818.
(Teste, Turton, 1831.)
Oxychilut ericetorum, Fitzinger, Syst. Verzeichn, p. 100. 1833.
Theba ericetorum, Beck, Ind. moll., p. 13. 1837.
Xeropliila ericetorum, Ifeld, in Isis, p. 913. 1837.
Environs de Methlîli. — L'on rencontre également dans cette
localité une variété zonulée, dont le dernier tour est légèrement sub-
caréné.
Hélix ptramidata.
Hélix pyramidata , Z^rapomatid , Hist. moll. France, p. 80,
pi. V, f. 5-6. 1805.
Theba pyramidata, Eisso, Hist. nat. Europ. mérid., t. iv, p. 74. 1826.
Xerophila pyramidata, Beck, Ind. moll., p. 11. 1837.
Espèce commune sur les plantes du littoral, sur les rochers, etc.
— Tripoli; Gâbès; Kerîz,'près du Chott-el-Djérîd.
On trouve dans cette dernière localité une petite variété dont le
test est élégamment sillonné par des costulations serrées, assez
saillantes, surtout sur le milieu du dernier tour.
Hblix Dcvetrieriana.
Hélix Duveyrieriana, Bourguignat , Malac. Alg., t. I, p. 265,
pi. XIX, fig. 30-35. 1863.
Testa aperte perspectiveque umbilicala, lenticulari-depressa,
supra subtusque convexa, subcarinata, parvula, solidiuscula, cre-
tacea, subopaca, griseo-albida, irregulariter corneo-marmorata,
ESPÈCES VIVANTES. 11
crebre costulata; — spira convexiuscula ; apice obtuso, levigato,
nitido, corneo; — anfractibus 5 convexiusculis, regulariter crescen-
tibus, sutura impressa separatis; — ultimo vix majore, compresse,
subcarinato (carina ad peripheriam evanescens), antice recto; —
apertura obliqua, parum lunata, transverse subangulato-oblonga;
peristomate recto , acuto , intus non labiato ; margine columellari
superne reflexiusculo; marginibus approximatis.
Coquille petite, déprimée, de forme lenticulaire, convexe en
dessus et en dessous, subcarénée, assez solide, crétacée, un peu
transparente, d'un gris blanchâtre et irrégulièrement mouchetée,
surtout en dessus, de petites taches cornées peu foncées. Test
sillonné de côtes serrées, régulières, saillantes, surtout sur la carène,
et pourvu d'un ombilic très-évasé, en entonnoir, laissant voir facile-
ment Tenroulement intérieur des tours. Spire peu élevée, convexe,
à sommet obtus, lisse, brillant et corné. Cinq tours, faiblement
convexes, à croissance lente, régulière, et séparés par une suture
très-prononcée. Dernier tour à peine plus développé que Tavant-
dernier, comprimé dans le sens de la hauteur, rectiligne vers l'in-
sertion du bord externe et subcaréné (la carène disparaît vers le
péristome). Ouverture oblique, peu échancrée, transversalement
oblongue, subanguleuse, convexe à la base. Péristome droit, aigu,
non épaissi à Tintérieur. Bord columellaire court, légèrement réfléchi
à sa partie supérieure. Bords marginaux rapprochés.
Hauteur 3 1/2 millimètres.
Diamètre. ..... 6 —
Oasis de Mechoûnêch, près de Biskra, sous les pierres, au pied
des arbrisseaux sur les coteaux arides.
Hélix aguta.
Helix acuta, Millier, Verm. hist. II, p, 100. 1774.
Bulimusacutus, Bruguière, in Encycl. méth., t. YI (1« partie),
p. 323. 1789.
Très-abondante aux environs de Tripoli, de Gâbès, de Kerîz, etc.
12 MOLLUSQUES.
BCLIMCS BECOLLATVS.
Helii deo^lata, Unnœus, Sys. nat. (éd. x ,, 1, p. 773. 1758.
Balimus decolUtas, Bruguière, in Encyd. méth., l. VI ';!'• p«rtie^,
p. 326. 1789.
RmniBa decoUata, Atsso , Hitt. nat. Earop. mérid., t. I¥, p. 79. 1826.
Obeliscuft dixollatos, Beck, hid. molL, p. 61. 1837.
Alentours de Laghouât, de Biskra, de Toagourt, de Ghardâya.
dans le Sahara algérien.
Environs de Tripoli.
Ferlssacia chabopia.
Ferussacia charopia, B(mr{fuigf%at , Malac. Alg., t. II, p. 54, pi. nr, f. 8-10.
(Janvier.) 1854.
Testa cylindrico-lanceolata, sat solidula, pellucida, nitida, polita,
levigata vel sub lente obsolète striatula , pallide cornea ; — spira
elongata; apice pallidiore, obtuso; — anfractibus septem vix subcon-
vexiusculis, gradatim crescentibus, sutura pallidiore, obscure super-
ûciali, duplicata, sépara tis ; ultimo 1/3 altitudinis paululum supe-
rante; — apertura oblonga, infus albidula, in medio ventre penultimi
lamellifera (lamella valida, crassa, albida); columella alba, valida,
contorta, callosa; peristomate recto, leviter crassiusculo; margine
externo regulariter antice arcuato; raarginibus callo albidulo junctis.
Coquille cylindrique-lancéolée, assez solide, transparante, bril-
lante, polie, d'une teinte cornée, lisse ou paraissant, au foyer d'une
loupe, ornée de petites striations émoussées. Spire allongée, à som-
met plus pâle et obtus. Sept tours à peine convexes, s' accroissant peu
à peu, avec régularité, et séparés par une suture superficielle, ceinte
inférieurement p$ir une seconde ligne ressemblant à une rainure sutu-
rale. Dernier tour dépassant un peu le tiers de la hauteur. Ouverture
oblongue, blanchâtre à l'intérieur et offrant, vers le milieu de la
ESPÈCES VIVANTES. 13
convexité de Tavant-dernier tour, une forte lamelle épaisse, blanche,
saillante et plongeant à Tintérieur. Colamelle blanche, forte, con-
tournée et calleuse. Bord externe arqué en avant avec régularité.
Bords marginaux réunis par une callosité blanchâtre.
Hauteur 10 millimètres.
Diamètre 3 --
Hauteur de Touverture. .3 1/2 —
Sous les pierres et les touffes d'herbes dans l'oasis d'El-Kantara
et aux environs de Biskra.
Pdpa grandii.
Pupa granum, Drapamaud, Tabl. moU., p. 59. 1801. — Et Hist. moU.
France, p. 63, pi. ni, flg. 45-46. i$05.
TorquUla granum, Studer, Kurz. veneichn., p. 89. 1820..
CUondrus granum, Hartmann y m Neue-Alpin., p. 219. 1821.
Hélix granum, Ferussac, Tabl. System., p. 64. 1821.
Jaminia granum, Risso, Hist. nat. Europ. mérid., t. IV, p. 00. 1826.
Stomodonta granum, Mermet, Hist. moll., Pyr.-occid., p. 52. 1843.
Testa rimata, subcylindrica, sat tenui , subpellucida , cornea, ac
subtilissime costulato-striata : — spira attenuata, plus minusve acu-
minata; apice obtusiusculo; — anfractibus 7-8 convexiusculis, lente
regulariterque crescentibus, sutura impressa separatis; ultimo paulu-
lum majore, basi rotundato, ac ad aperturam ascendente; — aper-
tura semi-ovata, septemplicata; plica parietali unica, valida; duabus
plicis columellaribus, approximatis, dentiformibus ; plicis palatalibus
i valde immersis (tértia plica validior) ; — peristomate expansiusculo,
acutiusculo; marginibus conniventibus, valde approximatis, tenui
callo junctis.
Coquille presque cylindrique, allongée, assez fragile, faiblement
transparente, légèrement brillante, d'une teinte cornée uniforme,
sillonnée par de petites côtes délicates, fines, serrées, régulières , et
U MOLLUSQUES.
pourvue d'une fente ombilicale assez prononcée. Spire atténuée, plus
ou moins acuminée, suivant les échantillons. Sommet assez obtus,
lisse et d'une nuance généralement plus pâle. Sept à huit tours assez
convexes, à croissance lente et régulière, séparés par une suture
bien marquée. Dernier tour un peu plus grand, arrondi à sa base et
offrant vers l'insertion du bord externe une direction ascendante. Ou-
verture échancrée, semi-ovale, ornée de sept plis ainsi placés : un pli
pariétal, fort, saillant, sur la convexité de l'avant-demier tour; deux
plis columellaires, rapprochés, dentiformes, dont l'inférieur est le
plus petit; quatre plis palataux n'atteignant pas le péristome, dont
le troisième est le plus grand. Péristome légèrement évasé, mince,
tranchant. Bords marginaux convergents, très-rapprochés, réunis par
une faible callosité.
Hauteur 4-5 millimètres.
Diamètre 1 3/4-2 —
Hauteur de l'ouverture. .11/2 —
Oasis d'El-Kantara, de Mechoûnêch près de Biskra, ainsi qu'aux
alentours de cette ville au pied des arbres, dans les anfractuosités
des rochers ou sous les pierres.
LlMNiCA TRDNCATDLA.
BuceiDum truncatalum , MiUler, Verm. hisu n, p. 130. 1774.
Hélix truncatola, Gmelin, Sy3t. nat., p. 3659. 1788.
Bolimus truncatus, Bruguière, Encycl. méthod., vers. 1, p. 310. 1789.
Limneus minutas, Drapamaud, Tabl. moU., p. 51. 1801.
LymiMBa minuta, Lamarck, An. s. vert., t VI, (2* partie), p. 162. 1822,
Limnœus truDcatuIus, Jeffreyss, Syn. test, in trans. Linn.,
t. XVI (2« partie), p. 377. 1830.
Limnœa tnincatula, Beck, Ind. moU., p. 112.1837.
Abondante dans rOuâd-Mezî, près de Laghouât Se rencontre dans
ESPÈCES VIVANTES. • 15
presque tous les fossés d'irrigation pratiqués pour Tarrosement des
palmiers dans les oasis du Sahara.
Htdrobia Peraddibri.
Hydrobia Peraudieri, Bourguignat, in Spicil. malac, p. 108. 1863.
Et Paléont. Alg., p. 94, pi. v, f. 12-15. 1862.
Testa rimata, elongatissima, turriculato-conica, pallide comea,
striatula, ac saepe passim spiraliter paululum lineolata; — spira lan-
ceolata; apice obtusiusculo ; — anfractibus 7 1/2 convexis, superne
paululum subangulatis , regulariter crescentibus , sutura profunda
separatis; — ultimo rotundato; — apertura recta, rotundata; peri-
stomate acuto, recto; margine columellari reflexiusculo ; marginibus
subcontinuis.
Coquille pourvue d'une fente ombilicale assez ouverte. Test très-
allongé, turriculé, conique, d*une teinte pâle cornée, un peu trans-
parent, strié et quelquefois sillonné çà et là par de petites stries spi-
rales. Spire lancéolée, à sommet un peu obtus. Sept tours et demi
convexes , un peu subanguleux vers la suture, qui paraît , par cela
même, profonde. Accroissement spiral des plus réguliers i Dernier
tour parfaitement arrondi. Ouverture droite, presque ronde, à pé-
ristome aigu et droit. Bord columellaire légèrement réfléchi. Bords
marginaux presque continus. Callosité blanchâtre. Opercule d'un
brun rouge.
Hauteur 6-7 millimètres.
Diamètre 11/2 —
Hauteur de l'ouverture. . 2 —
Cette magnifique espèce habite dans le gouffre froid à Bis-
kra
1. Le gouffre froid de Biskra est un bassin, appelé El-Bourma par les Arabes, et
ainsi dénommé par les Européens pour le distin^er de la source thermale de Ham-
m&m-Sàlahin , qui est dans le voisinage.
16 « MOLLCSQCES.
Ht»bobia Bbob»bli.
Palodinft acou <, Porbes, On tbe land md fresfaw. molL Alg. ia Ana. aat.
or Maeaz. zool., etc., p. ÎM. 1838.
Ptlodina acota, Terver, Cat. moU., Nord de r Afrique, p. 71. 1839.
Palodisa acott, itos9fiid«si«r, in Wagner, Beise in der Bcgemath. Alg.,
p. 251. 1841.
Palndina acnla, MareUt, io Jotmi. eonch., t. IV, p. 396. It^.
Hydrolna Brondefî, Bourguignat, in Spidl. malac^ p. 110. 1802.
Et PaléoQt. Alg., p. 96. 1802.
Testa rimata, obeso-conoidea , nltidiila, sat soltdula, eomea vel
fusco-luteola, fere lasvigata; — spira obesa; apice obtuso; — anfrac-
tibus 5 convexiusculis, celeriter crescenta)us; — penultimo ultimoqoe
magnis, rotundatis, sutura profooda separatis; — apertura oblonga:
peristoraate recto, continuo, ad columellam paululum reflexiuscuk)
ac incrassato; margine externo antrorspm paululum arcuato.
G>quille pourvue d'une faible fente ombilicale. Test crf)èse,
conoïde, assez solide, un peu brillant, tant soit peu transpareoU
presque lisse, d'une teinte cornée ou d'un brun jaunâtre. Spire
courte, trapue, à sommet obtus. Cinq tours convexes, s' accroissant
avec rapidité; les deux derniers sont grands, arrondis, plus convexes,
par conséquent séparés par une suture plus profonde. Ouverture
oblongue, à péristome droit, continu, un peu réfléchi et épaissi à
l'endroit de la columelle. Bord externe légèrement arqué en avant
Hauteur U millimètres.
Diamètre 2 —
Hauteur de Touverture . . 1 3/i — •
Dans le gouffre froid à Biskra.
L'Uydrobia Brondeli diffère de VHydrobia Peraxidieri, par sa
taille plus petite, plus trapue; par son test presque lisse; par son
sommet obtus; par ses tours qui sont moins convexes et qui ce
1 . Non Paludina acuta , des auteurs français.
KSPÈCES VIVANTES. 17
s'accroissent point avec régularité; par son ouverture plus grande;
par son bord externe arqué en avant et non droit.
Hydrobia arenaria.
Uydrobia arenaria, Bourguignat , in Spicil. malac., p. 111*1862.
Et Paléout. Alg., p. 97. 1802.
Testa oblongo-pyramidali, corneo-viridescente, laevigata; — spira
conica; apice obtuso; — anfractibus 6 fere planulatis vel paululum
convexiuscuiis, c(^leriter crescentibus, sutura marginata parum im-
pressa scparatis; — penuliimo ultimoque magnis ; — apertura oblongo
piriformi; peristornate aculo, recto; margine extemo antrorsum ar-
cuato; marginibus callo junctis.
Coquille oblongue, pyramidale, lisse, d'une teinte cornée ver-
dâtre. Spire conique, à sommet obtus. Six tours presque plans ou à
peine convexes, s' accroissant avec rapidité, séparés par une suture
marginéc, peu profonde; les deux derniers sont grands et un peu
plus convexes. Ouverture oblongue, piriforme, à péristome droit et
aigu, seulement réfléchi au bord columellaire. Bord externe arqué en
avant. Bords marginaux réunis par une callosité.
Hauteur 4 l//j millimètres.
Diamètre 2 —
Hauteur de Touverture . . 2 —
Habite à Tougourt, dans les eaux des sources artésiennes.
L'Hydrobia arenaria diffère de YHyd, Brondeli, par sa forme plus
pyramidale, moins obèse; par ses tours moins convexes; par sa suture
moins profonde ; par ses deux derniers tours proportionnellement plus
forts et surtout ventrus à leur partie inférieure, ce qui est l'inverse
chez la Brondeli; par son ouverture plus oblongue; enfin, par son pé-
ristome non continu, mais dont les bords sont réunis par une callosité.
Uyorobia Duveyribri.
Testa lanceolato-turrita, solida, subpellucida, cornea, vel corneo-
viridescente, argutissime sub lente striatula; — spira elato-acumi-
nata; apice minuto, obtusiusculo; — anfractibus 7 convexiusculis
SUPPL. S.
18 MOLLUSQUES.
(prope suturam planiosculis), paulatim crescentibus, sutura lineari
separatis; — ultimo rotundato, sat ventroso, 1/3 altitudinis paululum
superante; — apertura ovata, superne angulata, inferne rotundata;
peristomate acuto, intus albido-incrassato; margine columellah
leviter exBansiusculo; margine externo praesertim ad partem ex-
teriorem valde antrorsum arcuato; marginibus callo valido junctis.
Coquille lancéolée, turriculée, à test solide, bien qu'un peu
transparent, d'une teinte cornée uniforme, passant quelquefois à
une nuance cornée -verdâtre. Striations excessivement délicates,
visibles seulement à la loupe. Spire allongée, diminuant peu à p^
et terminée par un sommet petit, un peu obtus. Sept tours faible-
ment convexes, légèrement aplatis vers la suture qui est linéaire,
et s'accroissant peu à peu. Dernier tour arrondi, assez ventru, dé-
passant le tiers de la hauteur. Ouverture ovale, anguleuse à sa partie
supérieure, bien arrondie à sa partie inférieure. Péristome droit,
tranchant, muni à l'intérieur d'un bourrelet blanchâtre. Bord coluoiel-
laire légèrement évasé. Bord externe arqué en avant, surtout à sa par-
tie inférieure. Bords marginaux réunis par une callosité assez épaisse.
Hauteur 5 millimètres.
Diamètre 2 —
Dans la rivière d'eau tiède de Kerîz (Djérîd), au Nord du Chott-
el-Djérîd (Sud de la régence de Tunis).
Btthinta similis.
Cyclostoma simile, Drapamaudf Hist. moU. France, p. 34,
pi. l,f. 15. 1805.
Valvata similis, Hartmann , Syst. Gasterop., p. 57. 1821.
Paludina similis, Michaud, Compl. Drap., p. 93. 1831.
Bithinia similis, Dupuy, Cat. extram. GaUie, etc., n*" 48. 1849.
Bythinia similis, Stem, Schneck. Berl., p. 93. 1850.
Hydrobia similis, Dupuy, Hist. moU. France (5* fasc.), p. 553,
pi. xxvu, f. 9,1851.
Dans les eaux à Laghouât.
ESPÈCES VIVANTES. 19
Btthinia Ddpotetiana.
PaludioaDopotetiana, Forbes, On the landand freshw. moU. of Algien and Bougia,
in Ann. oat. Hist, or magaz. zool., etc., p. 254, pi. xii, f. 3. 1838.
Bythinia Dupotetiana, Bourguignatf in Spicil. malac, p. 116. 1862.
Ruisseau de la fontaine chaude de Biskra, où cette espèce est très-
abondante.
M. H. Duveyrier a encore recueilli cette bythinie en très-grand
nombre dans la vase des rigoles de la source d"Aïn-Temôguet, près
de Djâdo, dans TOuàdi-Arblân (Djebel-Nefoûsa).
Btthinia ptcnogheila.
Bythinia pycnodieila, Bourguignat, in Spicil. malac,, p. 117. 1863.
Testa vix rimata, ventricosa, solida, crassa, levigata, virides-
cente; — spira brevi, acutiuscula ac apice obtusiusculo ; — anfrac-
tibus 5 convexis, celeriter crescentibus, sutura bene impressa sepa-
ratis; — penultimo ultimoque maximis, rotundatis; — apertura
parum obliqua, ovata, inlus albidula; peristoniate continuo, acuto,
intus undique valde incrassato. ,
Coquille à peine pourvue d'une fente ombilicale, ventrue, à test
solide, épais, lisse et verdâtre. Spire courte, conoïde, à sommet un
peu obtus. Cinq tours convexes, séparés par une suture bien mar-
quée et s'accroissant avec rapidité; les deux derniers tours sont
arrondis et proportionnellement très -grands. Ouverture à peine
oblique, ovale, intérieurement blanchâtre, ornée d'un péristorae
continu, aigu et fortement épaissi à l'intérieur. Opercule d'un rouge
orangé.
Hauteur h millimètres.
Diamètre 3 —
Hauteur de l'ouverture ... 21//» —
Espèce abondante à Temâssîn , près de Tougourt.
20 MOLLUSQUES.
BTTHIFIIA SEMIfllDlf.
Paludina seminiam, Morelet, Append. conch. Âlg., in journ. conch..
t. VI, p. 376, pi. xn, f. 10. 1857.
Bythinia seminium, Bourguignat , in Spicil. nulac., p. 121. 1862.
Cette charmaDte espèce microscopique est très-commune dans
l'oasis d'El-Outâya, près de Biskra.
Melania tubercdlata.
Nerita tuberculata, MuUer, Verm. hist. Il, p. 191. 1774.
Strombus costatus, Schrôter. FIusscoQchyl., p. 373, pi. vui, f. 14. 1779.
Melanoîdes fasciolata, Olivier, Voy. emp. Oit., vol. II, p. 10,
pi. x\\i,f. 7. 1804.
Melania fasciolata, Lamarck, An. s. vert., vol. VI (2* partie ),
p. 167, n« 16. 1^22.
Melania tuberculata, Bourguiynat, Cat. rais. moU. Or., p. 65. 1853.
Testa conico-oblongoque-turrita, tenui, plus minusve diaphana,
comeo-fusca ac sappe flammulis luteolis vel ca.staneis longitudinal ibus
aut inlerrupiis, ornata; eleganlissime spiraliter costulis numerosis
sulcata, vel tenuissime decussata, aut saepe transverse tubercuioso-
coslata; — spira acula ; apice acuto; — anfractibus 10-12 vel li
convexiusculis, sat regulariter crcscentibus , sutura bene impressa
separatis; — apertura ellipiica, basi fere rotundata; peristomate
recto, acuto; columella albidula, ad basin paululumeffusa; margine
extcrno antrorsum arcuato; marginibus callo junctis. .
Coquille allongée, conique-luiriculée, assez fragile, plus ou moins
transparente, d'une teinte fauve cornée, quelquefois ornée de pe-
tites flammules jaunes ou d*un brun -marron, longitudinales et la
plupart du temps interrompues. Test sillonné, d'une manière déli-
cate et élégante, par une foule de stries spirales plus ou moins
fortes et saillantes. Quelquefois ces stries sont interrompues par
ESPECES VIVANTES. 21
d'autres transversales, ce qui donne au test une apparence treillis-
sée, ou, lorsque les stries sont fortes, une apparence tuberculeuse.
Spire aiguë, à sommet petit et aigu. 10 à 12, quelquefois jusqu'à
Mi tours plus ou moins convexes, s'accroissant assez régulièrement,
et séparés par une suture bien marquée. Ouverture elliptique, à
base presque arrondie. Péristome simple et aigu. Columelle blan-
châtre, un peu réfléchie vers la base. Bord externe arqué en avant.
Bords marginaux réunis par une callosité.
Hauteur 15-35 millimètres.
Diamètre 6-10 —
Espèce des plus communes dans presque toutes les eaux du
Sahara. M. Henri Duveyrier Ta notamment recueillie dans la fon-
taine chaude de Chetma et dans rOuàd-Melîly, près de Biskra; —
aux environs d'Ouarglâ ; — dans les eaux de l'oasis de Merhayyer,
près de Tougourt*; enfin dans les eaux lièdes de Djérîd, au Nord du
Chott-el-Djérîd (Sud de la Tunisie), ainsi qu'au fond du Désert dans
rOuàdi-riterhsîn, au Nord de Rhàt.
Melanopsis Maroccana.
Buccinum Maroccanum, Chemnitz, Conch. cab. (éd. 1), t. XI, p. 285,
pi. ccx, fig. 2080-2081. 1795.
Melanopsis Dufouri, Ferussac , Monogr. Mel. in. Mem. soc. d*Hist. nat.
Paris, 1, p. 153, pi. vu, f. 16. 1823.
Melanopsis Dufourei, Deshayes, in Lamarok, An. s. vert. (2* éd.),
t. Vni , p. 493. 1838.
Melanopsis Buccinoidea « , Michaud, Cat. test. vi?. Alg., p. 11. 1833.
Melanopsis Maroccana, Morelet, Cat. moll. Alg., in Journ. conch.,
t. IV, p. 297. 1853.
Espèce abondante dans la fontaine chaude de Chetma, près de
1. Où se trouvent des échantillons magnifiques qui atteignent 55 millimètres
de hauteur sur 15 de diamètre.
2. Non Melanopsis buccinoidea, de Ferussac, 1814 (Melania buccinoidea, d'Oli-
vier. 1804 ), qui est la Melanopsis prœmorsa de Dupuy. 1851.
22 MOLLUSQUES.
Biskra; dans tes eaux d'Ouarglâ et de Tougourt (Ouàd-Rlgh) ; enfin,
dans les petits ruisseaux d'eau tiède de Nafta et de Kerîz (Djérîd), an
Nord du Chott-el-Djérîd.
Melanopsis pramorsa.
Buccinum prœmorsum, Linnams, Syst. nat. (éd. Hal»), p. 740. i760.
Buccinum prseroftum, Linnœus, Syst. nat. (éd. xn), p. 1203. 1767.
Melania buccinoidea, Olivier, Voy. emp. Ott., 1. 1, p. 297,
pi. XVII, f. 8. 1801.
Melanopsis buccinoidea» Ferussac, in Mém. géol., p. 54. 1814.
Melanopsis prœrosa, Bossmâssler, Iconogr. IX et X, pi. l, f. 677. 1839.
Melanopsis prœmorsa, Dupuy, Hist. nat. moll. France (5« fasc.),p. 450. 1851.
Cette mélanopside a été recueillie dans les eaux, aux alentours de
Biskra et d'Ouarglâ.
Melanopsis Maresi.
Melanopsis Maresi, B(mrguignat, Paléonto). Alg., p. 106 «
pi. VI, f. 1-4. 1862.
Testa ovato-conica, solida, opaca, comeo-viridula, vel fusco-comea,
costis crassis (sub sutura nodosis) numerosisque sulcata; — spira
acuto-acumfnata ; apice levigato, acuto; — anfractibus 7 subplanu-
latis, gradatis, sutura lineari separatis; ultimo maximo, ad partem
superiorem impresso, ac dimidiam altitudinis paululum superante;
— apertura ovato-lanceolata ; columella recta, truncata; sinu colu-
mellari e margine exteriore valde retroQexo; — margine exteriore
in medio antrorsum paululum arcuato; callo sat valido.
Coquille de forme ovalaire-conique, aiguë, solide, opaque, d'une
teinte cornée-verdàtre, ou brune-cornée, et munie de grosses côtes
transverses, assez espacées les unes des autres, présentant vers la
suture un renflement tuberculeux. Spire aiguë-acuminée, terminée par
ESPÈCES VIVANTES. 23
un sommet lisse et aigu. Sept tours presque plans, comme étages les
uns sur les autres, séparés par une suture linéaire. Dernier tour
très-grand, offrant vers sa partie supérieure une inflexion prononcée
et dépassant la moitié de la hauteur. Ouverture ovale -lancéolée,
très-rétrécie à sa partie supérieure, très-dilatée à sa base. Columelle
forte, droite, nettement tronquée, dont la base se trouve un peu
infléchie en avant et séparée du bord extérieur par un sinus profond,
parfaitement arrondi. Bord droit, légèrement arqué en avant. Bords
marginaux réunis par une callosité assez forte.
Hauteur 15-20 millimètres.
• Diamètre 8-9 —
Cette mélanopside, recueillie à Tétat fossile par M. Mares, dans la
Dhâya de Hâbessa *, a été retrouvée vivante dans le petit ruisseau de
Kerîz, qui se perd dans le Chott-el-Djérîd (Sud de la Tunisie). 11 est
à présumer que cette espèce doit vivre dans tous les cours d'eau du
Nord du Sahara.
La Melanopsis Maresi est très-voisine, par sa forme et l'apparence
de ses costulations, des Melanopsis costata du Jourdain * et cariosa
d'Espagne ^; mais notre espèce diffère complètement de ces mollus-
ques par sa columelle droite (et non courbe), plus allongée et inflé-
chie en avant ; ce qui est le contraire chez les costata et cariosa ;
enfln , par son sinus columellaire plus profond , plus arrondi et
presque fermé, tandis que chez les costata et cariosa le sinus, com-
parativement plus profond, est très-ouvert.
t. Ancien lac desséché dans la région de l"Erg, au Sud de la province d*Oran.
2. Melanopsis costata, Femssac, in Monogr. mélan., p. 28, n* 6, pi. i, f. 14-15.
1823. — Melania costata, Olivier, Voy. emp. Ottom., t. II, p. 294, pi. xxxi, f. 2.
1804.
3. RossmOssler, icono^r. IX et X, pi. 42, f. 680. 1839. — (Murex cariosus, de
LinnœuSf Syst. nat., p. 1220. — Et Melania Sevillensis de Grateloup. )
2ft MOLLUSQUES.
î« — ESPÈCES FOSSILES.
PlANORBIS ArCAPITAlNIA^^I vs.
Testa sat inflata, supra profonde umbiiicata, subtus concava, fra-
gili, striatula ac irrec;niariter sulcis incrementi siïbdefomnata ; — an-
fraclibus 5 convexis (supra rotundalis, subtus ad unibilicum obscure
subangulatis), celeriter crescentibus, sutura (in prioribus lineari, in
ultimis impressa) separatis: ultimo maximo, dilatato, rotundato-subj-
compressiusculo, supra antice descendente; — apertura valde obli-
qua, parum iunala, subrotunda; peristomate recto , expansiusculo:
margine supero diiatato, arcuato; marginibus callo junctis.
Coquiile assez renflée, discoïde, profpnde'ment ombiliquée en des-
sus, concave en dessous, fragile, finement striée et la plupart du temps
déformée par quelques bourrelets du^ au temps d'arrêt de raccroisse-
ment. Cinq tours convexes, arrondis en dessus, subanguleux en dessous
vers l'ombilic, à croissance rapide et séparés par une suture, d'abord
linéaire vers le sommet, puis devenant de plus en plus prononcée.
Dernier tour très-grand, dilaté, arrondi tout en étant lég^remem
comprimé dans le sens de la hauteur, et offrant en dessus vers l'in-
sertion du bord externe une direction descendante très-marquée.
Ouverture oblique, peu échancrée, presque arrondie. Péristome droit,
aigu, légèrement évasé. Bord supérieur dilaté, projeté en avant et ar-
qué. Bords marginaux peu écartés, réunis par une callosité.
Diamètre 11 millimètres.
Hauteur 6 —
Cette nouvelle espèce se trouve à Tétat fossile dans un dépôt de
terre blanche savonneuse, près de Ghoûrd-Ma'ammer, grande dune,
sur la route d'El-Ouâd à Ghadàmès , sur la section de cette artère ,
à laquelle aboutissent tous les chemins venant du ISord-Ouest.
ESPECES FOSSILES. 25
PlANOHBIS DUVETRIBRI.
Planorbis Duvejrrieri , Deshayes , in Duveyrier ,
Touareg du Nord. (Voy. p. 45, pi. m, f. 1.)
Testa supra profunde infundibujiformi , subtus late umbilicata,
crassiuscula, eleganter arguteque strialula; — anfractibus 4 1/2 con-
vexis, supra rotundatis, paululum involveiitibus, subtus ad piMÎphe-
riam umbilicalem subangulatis, celeriter crescentibus, sutura impressa
separatis; ultimo maximo, dilatato praîsertim ad aperturam , con-
vexo-rotundato , supra antice recto; — apertura* obliqua, maxima,
dilatata, lunata, semi-rotundata, superne convexa, inferne subangu-
lata; peristomate recto, acuto, intus remote labiato; marginibus
tenui callo junctis.
Coquille discoïde, de taille médiocre, infondibuliforme en dessus,
largement ombiliquée en dessous, à test assez épais et élégamment
sillonné de striations fines et régulières. Quatre tours et demi convexes,
arrondis, s'enroulant légèrement les uns sur les autres en dessus, et
présentant en dessous, vers le pourtour ombilical, une partie anguleuse,
imitant une carène obsolète. Accroissement très-rapide. Suture pro-
noncée. Dernier tour très-grand, développé surtout vers Touverture,
convexe-arrondi et offrant en dessus, vers l'insertion du bord externe,
une direction rectiligne. Ouverture oblique, très-grande, dilatée,
échancrée, semi-arrondie, bien convexe à sa partie supérieure, angu-
leuse jëL sa partie inférieure. Péristome droit, aigu, épaissi intérieu-
rement par un bourrelet assez enfoncé. Bords marginaux écartés,
réunis par une callosité délicate.
Diamètre 7 1/2 millimètres.
Hauteur 3 1/2 —
Ce planorbe a été récolté avec Tespèce précédente dans les cou-
ches de terre blanche savonneuse près de Ghoùrd-Ma'ammer, sur la
route d'El-Ouâd à Ghadâmès.
Le Planorbis Duveyrieri diffère de V Aucapitainianm par son test
plus petit, plus délicatement strié, plus fortement ombiliqué en dessus
26 MOLLUSQUES.
et en dessous; par ses tours plus convexes, plus arrondis en dessus et
plus anguleux en dessous vers la concavité ombilicale ; par son der-
nier tour rectiligne vers l'insertion du bord externe, et non descen-
dant comme celui de VAucapitainianus; par, son ouverture plus obli-
que, anguleuse à sa partie inférieure, plus haute que large ; par son
péristome intérieurement bordé; enfin par son bord externe non
arqué et ne se projetant pas en avant à sa partie supérieure comme
celui de VAucapitainianxis.
Planorbis varesiarcs.
Testa utrinque umbilicata (umbilicus inferus profundior, pervior),
fragili, translucida, argute striatula; — anfractibus 5 convexo-rotun-
datis, utrinque prope umbilicum subangulatis, celeriter crescentibus,
sutura impressa separatis; ultimo paululum majore, rotundato, ad
aperturam supra non subangulato, ac antice lente descendente; —
apertura obliqua, leviter lunata, oblonga; peristomate recto, acuto;
marginibus callo junctis.
Coquille fragile, transparente, finement striée, pourvue en dessus
et en dessous d'une dépression ombilicale très-prononcéei L'ombilic
inférieur est plus profond et plus en forme d'entonnoir.Cinq tours con-
vexes arrondis, présentant en dessus et en dessous vers le pourtour de
l'ombilic une partie anguleuse. Croissance rapide. Suture bien mar-
quée. Dernier tour un peu plus grand, bien arrondi, surtout en des-
sus (la partie anguleuse disparaît vers l'ouverture) , et, offrant une
direction descendante lente , et si prononcée que l' avant-dernier tour
paraît plus proéminent que le dernier. Ouverture oblique, faiblement
échancrée, oblongue. Péristome droit, aigu. Bords marginaux réunis
par une callosité délicate.
Diamètre 11 millimètres.
Hauteur ù —
Cette espèce a été recueillie à l'état fossile dans une couche
sablonneuse près du puits de Bîr-Ez-Zouâit entre ENOuàd et Ber-
reçof.
ESPÈCES FOSSILES. 27
Phtsa contorta.
Physa contorta, Michaud , Desc. coq. viv. in Act. soc Linn.
Bordeaux, in, p. 268. 1829.
Fossile dans les sables d'un bas- fond, près du puits de Btr-E2-
Zouâit, entre El-Ouàd et Berreçof.
Physa Brocciiii.
Isidora Brocchii, Ehrenherçy Symb. phys. moU. 1831.
Physa Brocchii, Bowguignat, in Amén. malac., 1. 1, p. 169. 1856,
Et Paléont. Alg., p. 84, pi. v, f. 20. 1862.
Dans les mêmes sables que l'espèce précédente.
Physa truncata.
Physa truncata, Ferusêac, mss.
Physa truncata, Bourguignat, in Amén. malac, 1. 1, p. 170, pi. xxi, f. 5-7. 1856.
Et Paléont. Alg., p. 85, pi. v, fig. 19. 1862.
Dans les sables de Bîr-Ez-Zouâit, avec les précédentes.
Toutes ces espèces fossiles, que nous venons de signaler, des sa-
bles de Bîr-Ez-2ouâit, ou des terres savonneuses de Ghoûrd-Ma'ammer
près de Ghadâmès, sont des espèces de l'époque contemporaine. Les
couches où ces mollusques ont été recueillis sont également de for-
mation moderne.
Ces fossiles sont une preuve nouvelle que la région de T'Erg du
Sahara, qui était , il y a quelques mille ans , une vaste et profonde
mer, s'est, depuis l'apparition de l'homme, élevée lentement, gra-
duellement, puisque les fossiles de ses dépôts sont tous des espèces
de l'époque contemporaine.
PL.XXVII.
Mollusques, Page 29.
Ti^JB à 104.
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PL. XXVI.
Mollusques. Page 29. Hg. 55 à 78.
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24
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EXPLICATION DES PLANCHES
PLANCHE XXVI.
1. Hbux agrioig\. Coq. grossie vue en dessus. — 2. La môme, de grand, nat.,
vue de face. — 3. La même grossie, vue de face. — 4. La même, de grand,
nat., vue en dessous. — 5. La même grossie , vue en dessous.
6. Heijx Du\ byriertana. Coq. grossie vue en dessus. — 7. La même, de grand,
nat, vue de face. — 8. La môme grossie, vue de face. — 9. La môme, de
grand, nat, vue en dessous. — 10. La même grossie, vue en dessous.
11. Heux Reboldiana. Coq. de grand, nat., vue de face. — 12. La môme, vue en
dessus. — 13. La même, vue en dessous. — li. Variété « subcostulatat »
coq. vue de face. — 15. Variété « subcarinata, » coq. vue de face. — 16. Va-
riété M zonata, » coq. vue de face. — 17. Môme variété , vue en dessous.
18. Ueux WARNiEBiA'<tA. Coq. de grand, nat., vue de face. — 19. La même, vue en
dessous. — 20. La même, vue en dessus.
21. Helu Terveri (type). Coq. de grand, nat, vue de face. — 22. La même, vue
en dessous. — 23. La même, vue en dessus. — 2i. Variété, vue en dessus.
PLANCHE XXVIL
1. Heux ericetordm. Coq. de grand, nat., vue de face. — 2. La même, vue en
dessous. — 3. La môme, vue en dessus. — 4. Variété a subcarinata, » de
Methllli , vue de face.
5. Ferdssacia charopia. Coq. grossie vue do face. —6. La même , au trait, vue de
face, de grand, nat — 7. Dernier tour grossi, vu de profil.
8. Pdpa graiidm. Ouverture très- grossie vue de face. — 9. Coq. au trait, vue de
face, de grand, nat — 10. Dernier tour grossi , vu de profil.— 11. Coq. gros-
sie , vue de face.
12. Htdrobia Brondbli. Coq. grossie vue de face. — 13. La même, au trait, vue
de face, de grand, nat. — 14. Dernier tour grossi, vu de profil.
30 EXPLICATION DES PLANCHES.
15. HTsmouA PE&ADMmi. Coq. aa trmit, foe de fKe, de grand, nat.— 16. La même
grossie, roe de face. — 17. La même, au trait, de grand, nat., Toe de profil.
18. Htmobu Dcveranai. Coq. an trait, de grand, nat., vue de face. — 19. Dernier
tour grossi, to de profil. — 20. Coq. grossie, vue de Cue.
il. Htmobu aeenakia. Coq. grossie, Tue de face. — 22. La même, de grand. oïL,
Tue de face.
23. BrraniiA Dopotbtiaiu. Coq. grossie, vue de face. — 24. La même, de grand,
nau, vue de face.
25. Btthuiia PTCNOcueiLA. Coq. de grand, nat., vae de face. — 26. Coq. groeiie,
vue de face.
PLANCHE XXVin.
t. Planobbis ALCAPiTAi^nANDS. Coq. grossie, vue en dessus. — 2. La même, de
grand, nat., vue en dessus. — 3. La même, vue de face. — 4. La même, fœ
en dessous. — 5. La même grossie, vue en dessous.
6. Pla!ioibis DuvETRiEti. Coq. grossie , vue en dessus. — 7. La même, de grand,
nat., vue en dessus. — 8. La même, vue de face. — 9. La même, vue en des-
sous. — 10. La même, grossie, vue en dessous.
11. PLANoaus Mabesiarus. Coq. grossie, vue en dessus. — 12. La même, de grand,
nat, vue en dessus. — 13. La même, vue de face. — 14. La même grossie,
vue en dessous. — 15. La même , de grand, nat., vue en dessous.
16. Melahia TCBEikCULATA. Variété maxima (d*après un échantillon de Toasis de
Merbayyer). Coq. de grand, nat, vue de face. — 17. (d'après un autre échan-
tillon du Djérid). Coq. de grand, nat., vue de face.
18. Melanopsis BIaresi. Coq. de grand, nat., vue de face. — 19. Dernier tour vu es
dessous. — 20. Dernier tour grossi, vu de face. — 21. Coq. de grand, nat,
vue par le dos.
PI,.XXVI1I.
MoUuscjUcs ,Page 30.
Fi^ 105 à 125.
5
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DESCRIPTION
DES
PLANTES NOUVELLES DÉCOUVERTES PAR M. HENRI DUVEYRIER
PAR M. E. COSSON
-«>«*»«*e»»».ft''»-
DlPLOTAXIS DUVEYRIERANA COSS. Sp. nOt\
Planta annua, Radix indurata, fusiformis, fibras paucas emittens.
Gaulis erectus, robustus, subangulatus, in specimine corapleto suppe-
tente Circiter 5 decim. iongus et subsimplex, pilis longis rigidulis al-
bidis patentibus praesertim in parte inferiore hispidus. Folia alterna ,
oblonga vel obovato-oblonga, inœqualiter et grosse sinuato-lobulata
vel inferne pinnatiûda, inferiora in petiolum elongatum atténua ta ,
superiora sœpius subsessilia , praesertim in .petiolo et in pagina infe-
riore ad nervos densius pilis rigidulis longis hispida. Flores magni,
17-27 millim. longi, in racemum aphyllum primum confertum dein
laxiusculum dispositi, siliquas juniores superantes. Pedicelli sub
ànthesi 15-20 dein 25-35 millim. longi, \xietipeiio\ipate7iter tongeque
hispidi, erecto-patuli. Calyx dense patenterque hispido-villosus, sepa-
lis oblongis erectis lateralibus basi subsaccatis. Petala lUacina inter-
dum alba venis saturatioribus picta, limbo obovato integro, in unguem
calycem subaequantem attenuata , calycem duplum subaequantia.
Glandulse hypogynae k i 2 trapezoideae staminum lateralium insertio-
32 PLANTES NOUVELLES.
nem circumvallantes, 2 ovato-lanceolata^ intra staminum longioram
inserlionem. Slaniina tetradynama, filamentis linearibus, membra-
naceo-complanatis, edentulis, liberis. SiLiquœ in pedicdlis ascendeiiUs,
glabrae, circiter 65-68 miHim. longae, 2-3 millim. latae, pedicellum
subduplum longae, elongato-lineares, compressœ, slipitalae stipite cir-
citer 2 1/2 raillira. longo, valvis membranaceis tenuibus unineniis
subtorulosis venulis lateralibus obsoletis; septo membranaceo; stig-
mate subsessiii , tereti - compresse , obscure bilobo. Semina plurima,
minima, biseriata, pallide fuscescentia, ovato-subglobosa, compressa,
immargiuata, laevia. Cotyledones obovato-suborbiculatae, transverse
latiores , conduplicatœ , radiculam in plicatura foventes. — Mense
Februario florifera et jam fructifera lecta.
In Sahara per 26° lat. sept., ad septentrionem urbLs Bhât in pla-
nitie excelsa Tasili ad alveos OuâdiTâi^at et Ouàdi-Alloùn, ubi ab
indi^enls A zezzedjn et Tànikfâït nuncupatiir, a clarissimo peregrioa-
tore et indefesso Saharae scrutatore H. Duveyrier lecta cui lubentis-
sirao animo dicatam voluimus. Locis alteris undenis inter Gliadàmès
et Rliàl visa (H. Duveyrier).
EXPLICATION DES FIGURES DE LA PLANCHE XXIX.
i. Partie supérieure de la plante, de grandeur naturelle.
2. Fragment de la grappe fructifère, de grandeur naturelle; Tune des siliquesett
figurée après la chute des valves.
3. Fleur de grandeur naturelle.
4. Pétale vu de face, grossi.
5. Fleur grossie et dont les sépales et les pétales ont été enlevés pour montrer les
étamines et l'ovaire.
6. Embryon fortement grossi.
7. Le même , les cotylédons étaq^ écartés artiflciellement.
PI \ll\
tu",.t'/A4, Paee '\l
*i)aHÙ.i MruitÙ/j. Fig 126al32
DIPLOTAXIS DlVRYRItRANA iCKk>
PLANTES NOUVELLES. 33
Crotalaria Sahara Coss. sp, nov.
Planta dumosa, erecta, indurato-frutescens, divarîcato-ramosa, ra-
mis elongatîs teretibus haud striatîs pube densa brevi patente incanO"
tomenlosis. Folia peliolata, palmatim composita, 4-5-rarius abortu
3'foliolata, folîolis cum petiolo articula tis, oblongis, obtusis, petiolo
multo longioribus, utrinque pube sericea canescentîbus vel pagina
superiore minus pubescente virentibus. SUpuUe minuUe, lineares vel
subulatae. Racemi pluriflori (sub-lO-flori), caules terminantes vel
oppositifolii, laxiusculi. Braclex anguste lineares pedicello paulo Ion-
giores, demum deflexae. Flores médiocres, circiter 1 centim. longî,
nutantes, breviter pedicellati, pedicello tubo calycis brevîore, bibrac-
teolati, bracteolis calyci adpressis minimis linearibus. Calyx deme
sericeo-vUlosus , tubo campanulato, limbo bilabiato, labio superiore
bipartito, inferiore tripartito, ladniis lanceolatis subaequilongis vel
inferiore paulo longiore, tubi longitudinem subaBquantibus. Corolla
flava, vexilli dorso excepto glabra, calyce subdimidio longior. Vexillum
venis fuscescentibus saturatioribus pictum , magnum, alas et carinam
subaequilongas subaequans, late obovato-subcuneatum , ascendens et
inde limbi basis quasi cordata, in unguem latum intus incras-
sato-callosum callo villoso calycis tiibum subaequantem contractum.
AI© liberœ, oblongo-obovatae , obtus», plurinerviae, extus in parte
inferiore inter nervos corrugatae , in unguem abrupte contractée ,
demum ascendentes et carinam nudantes. Carina e petalis in dimi-
dia longitudine superiore adnatis formata, ovato-insequilatera dorso
arcuato margine superiore recto, acutiuscula, petalis abrupte in
unguem contractis et supra unguem late emarginatis. Stamina 10,
altematim inaequalia longiora antheris minoribus suborbiculatis bre-
viora antheris majoribus ovato - oblongis , filamentis elongatis fili-
formibus, in longitudine dimidia inferiore complanatis et in tubum
superne fissum coadunatis. Ooarium dense sericeo-villosum, stipi-
tatum , oblongo-inaequilaterum ventre convexo , a lateribus compres-
sum, in stylum sensim attenuatum, stylo tereti arcuato- asc^nden te
ovarium subaequante apice et in latere superiore usqve ad mediam
longitudinem barbato, sub-G-ovulatum y ovulis ad basim suturae ven-
tralis insertis. Legxmen nutans, brevissime stipîtatum, dense serieeth
34 PLANTES NOUVELLES.
tomentosum , calyceni plus qoam duphim superans^ Mongo-obovatum
lurgidum dorso gibbum, sotara Yentrali basi styli mucronata obtosîs-
sime carinata, vatvis valde inflato-ventricosb induraU>-^artilagmeis
intus lana destitutis, abortu subdispermum. Semma (iuunatora) sd-
borbicalato-reniformia, compressa , lama.
la Sahara per 27<* lat. sept, inter Ouarglâ et RhéU loco dicto 'Ain'
el-Hadjâdj a cl. Ism'ayl Boû-Derba 2^ die octobris 1858 florifera
iBventa« per 50* haud procul a Ghadâmès in planîtie excelsa Hamâda-
Tînghert 13* die septembris 1860 a cl. H. DaveyrierflorifCTa et fructi-
fera lecta*
Le C* Saharx dans Tordre artificiel ad<q>té par De Gandolle dans
le Prodromus doit être placé à côté da C. quinquefolia (L. Sp. 1006;
DC. Prodr. 11, 135.— C. heteraphylla L. f. Suppl. 323 et DC. ProdrAl
131 sec. Benth.) dont il est très-différent par le calice velo-soyeax,
par les légumes tomenteux, etc. Dans la classification pins ration-
nelle adoptée par M. Bentham (Benth. in Hook. Lond.joum. II, ^72,
et in Walp. Repert. V, &35), il doit être rapporté à la sons-section des
PolyphylUs, caractérisée par les feuilles toutes ou la plupart à 5-7
folioles articulées an sommet du pétiole, par la tige souvent frutes-
cente à rameaux divergents, par les stipules très-petites ou indis-
tinctes, par les fleurs en grappes lâchement pluri-multiflores, par le
calice ord. profondément fendu à divisions lancéolées.
EXPLICATION DES FIGURES DE LA PLANCHE XXX.
1. Rameau de la plante de grandear natarclle.
S. Fleur grossie, vue de profil.
3. Étendard étalé artificiellement. Ta de face, grossi.
4. Aile Toe par la face extérieure, grossie.
5. Carène grossie.
6. Étamines groMîes ; le tube résultant de la soadure de la partie inférieure des
filets a été fendu en dessus et étalé artificiellement.
7. Ovaire grossi.
8. Le même, coupé longitodinalement , vu à un phi^ fort grossiA^mcnt.
9. Graine iroparftûtement mûre , grossie.
VI x\\
l'noc V.
:'h^.'/r:> }iai,x((ù^ Ti- 13:^.1 141
CROTALAKIA SAIIAR \. (,■>
PLANTES NOUVELLES. 35
Hyoscyamus Falezlez Coss. sp, nov.
Planta indurato-perennans, plus minus pubescenti-viscidula, pal-
lide et sordide virens. Radix fusiformis elongata, indura to-sublignosa.
Caulis herbaceus crassus demum indura tus, fistulosus, albidus, teres,
erectus, in speciminibus junioribus vix florigeris s»pe 1 decim. non su-
perans, demum saepius 1 metr. et ultra longus, subsimplex vel superne
ramosus. Folia crassiuscula ; infima rosulata, 6-20 centim. longa,
13-35 millim. lata, oblonga vel ovato-acuminata, in petiolum longius-
culum marginatum attenuata vel contracta, intégra, sinuato-repanda
vel utrinque grosse angulato-dentata dentibus 2-3, petiolo cum nervo
medio et primariis albidis; caulina média ovato- vel oblongo-lanceo-
lata, brevius petiolata ; bractecUia multo minora, sessilia, oblongo-lan-
ceolata vel oblongo-linearia, intégra, basi apiceque attenuata, pleraque
calycibus fructiferis breviora. Flores extra-axillares, singuli folio brao-
teali lateraliter sufTulti, sub anthesi in racemum scorpioideum spici-
formem secundum densum primumcircinatum dein erecto-arcuatum
dispositi, inferiores interdum longe superiores breviter pedicellati. Ca-
lyx pubescenti-viscidulus, 10-costatus, campanulatus, irregulariter ad
tertiam partem 5-iîdus, dentibm laie ovato-triangularibus acutis saepe
mucronatis inferiore minore, sub anthesi viridulus, post anthesin
accrescens, frvbctifer 20-28 millim. longus indurato-coriaceus et costis
venisque prominentibus reticulato-venosus, marcescenti-persistens
demum albidus tubo vix inflato campanulatus limbo ampliato erec-
tiusculo hiante. Corolla sub anthesi calyce non latior et vix longior,
infimdibuliformi-subcampanulata a basi ad apicem sensim ampliata,
ad quartam partem superiorem inaequaliter 5-loba, inter lobos 2 infe-
riores minores profunde fissa , lobis late ovato-triangularibus obtusis,
extus pubescenti-viscidula et albido-virens , intus superne atro-viola-
ceus absque venis purpureis, demum marcescens albida intus apice
tantum violacea ovario crescente soluta et calycem longius superans.
Slamina declinata, superiora subinclusa, inferiora exserta, filamen-
tis albis filiformibus inferne complanatis ibique' pubescenti-viscidis,
antheris violaceis oblongis paulo infra médium in filamento insertis
lobis infra insertionem discretis. Stylus longe exsertus, arcuato-decli-
natus, stamina inferiora subaBqiians vel superans. Capsula calyce
36 PLAiNTES NOUVELLES.
abscondita, ejusque tubo brevior, ovatooblonga basi haud ventricosa,
chartacea , bîlocularis, paulo supra médium circumscissa , operculo
mocronato mcomplete biloculari. Semina Dumerosa , subreniformia
vel suborbiculata , contacta mutuo angulata, luteolo-fuscescentia,
crebre reticulato-punctata.
lo Sahara austral! et australiore , ubi ab iadigeols Goungot , Fa-
texlez et Afahlèhlé nuncupatur, late ut videtur dispersa : per 30^ lat.
sept, in provinda Tripolitana ad orientem uii>is Ghadâmès loco dkto ^
Guera'orbenr'Aggiou et ad alveum Ouâdi Aouâl (H. Duveyrier); per
27^ ioter Ouarglâ et Rkât ad septentrionem planitiei excelss TasUi,
ad fontem Touskirin (Ism'ayl Boû-Derba). Inter Ghadâmès et Rhât
nec noo in ditione Fezzân vulgaris (sec. H. Duveyrier). Lod plures
Id declivitate Sahara australiens ad regionem nigritarum versa a
planta nomen Falezlez aut In-AfahUhlé mutuantur, praesertim inter
Rhâl et Agadez et inter In-Sâlah et Timbouktou (confer supra p. 182).
Bien que notre plante soit surtout voisine, par la forme de son
calice et de sa capsule et par la plupart de ses caractères, des H. mu-
ticus L. et Daiora Forsk., rapportés par Dunal à sa section Datera du
genre Scopoiia, je crois devoir la rattacher au genre Hyosq^amxa. En
effet, notre espèce et celles qui composent la section Daiora de
Dunal me paraissent être de véritables Hyoscyamus; elles en pré-
sentent le calice et la corolle irréguliers et n'en diffèrent que par la
forme de la capsule et la hauteur à laquelle a lieu sa déhiscence. —
Le H. Falezkz diffère du H. nxuticus (L. Mant. 45; Jaub. et Spach
llluslr. pi. Or.V, t. 415. — H. beUsfolius Lmk Etmfcl. mélh. III,
329 excl. var. p. — H. Datora Delile Èg, lllustr. n. 212 non Forsk.
— Scopolia mutica Dun. in DC. Prodr. XIII pars i, 552) par le port
moins robuste, par les grappes fructifères plus serrées, par le calice
fructifère plus brièvement pédicellé, de moitié plus petit, à limbe beau-
coup moins ample à réticulations plus prononcées, par la cofolle
moins ample et par la capsule plus petite et plus courte. Le H. mu-
ticus n'a encore été observé que dans TÉgypte inférieure aux environs
du Caire, où il est abondant, et dans l'Égyple supérieure (Lippi! in
herb. Mus. Par., Delile!, Olivier et Bruguière!, Wiest! PL .€g. earsicc.
un. it. [1835] n. 518 sub nomine H. mulicus, Aucher-Éloyî PL exsicc,
fl837] n 2!\1\ in herb. Mus. Par., Boissinr!, Kralik!). Les échantil-
PLWXI
'Y,//v,-.' f\.'.y •///•,'. Paiic 37
M/ v//if ftCN. .à^<r T^»fif. i42* ir
HVOSCÏAMUS FALEZLEZ . .»
Iv.'KTCUt (1^1
PLANTES NOUVELLES. 37
loDS recueillis, dans la Perse méridionale « à Géré entre Abouchir
et Chiraz, par M. Kotschy {PL Ptrs. Austr. exsicc. éd. 1845, n. 38)
paraissent appartenir à une espèce nouvelle distincte des H. muHcus
et Datora, ainsi que Tont fait remarquer MM. Jaubert et Spach (loc.
cit.). A cette même espèce devraient être rapportés les échantillons
reciieillis par Aucher-ÉIoy en Perse (Aucher-Éloyl PL exsicc. n. 5040
in herb. Mus. Par.) et en Cappadoce (Aucher-Éloyl PL exsicc. n. 2478
in herb. Mus. Par.). — Le H. Falezlez diffère du H. Datora Forsk.
(Descr.pL yEg.-Arab. p. 45, loco natali forsan excludendo?; Jaub et
Spach. loc. cit. in adnot. — Scopolia Datora Dun. in DG. Prodr. XIII
pars I, 553. — Se. Boveana Dun., loc. cit., discrimine certo nullo dis-
tinguenda sec. Jaub. et Spach, loc. cit.) par les fleurs plus briève-
ment pédicellées, par le calice beaucoup moins grand à limbe moins
dilaté, par la corolle dépassant à peine le calice lors de la floraison,
et non pas longue de plus de 5 centimètres et environ deux fois aussi
longue que le calice. Tous les échantillons de Y H. Datora que j'ai pu
.observer dans Therbier du Muséum proviennent de la péninsule du
Sinaî (Bové! PL exsicc. n. 78 sub nom. H. mulicus; Bottai; Aucher-
Éloy ! PL eocsicc. [1837] n. 2472). — Consulter sur les propriétés
vénéneuses de VH. Falezlez l'article publié dans ce volume p. 182 par
M. H. Duveyrier.
EXPLICATION DES FIGUBES DE LA PLANCHE XXXL
1. Plante jeune, de grandeur natureUe.
2. Fleur vue de profil , un peu grossie.
3. Corolle fendue par le côté inférieur, et étalée artificiellement pour montrer la
forme des lobes et Tinsertion des étamines, un peu grossie.
4. Calice fructifère, de grandeur naturelle.
5. Le même, coupé longitudinaicment , pour montrer la capsule,
ti. Graine fortement grossie.
TABLE DU SUPPLÉMENT
MOLLUSQUES.
!• — ESPÈCES VIVANTES.
Zonites candidissimus 3
Hélix aperta 4
— Warnieriana. 4
— agrioica 5
-— Reboadiana. 6
— Tufolabris 7
— lineata 8
— laata 8
— Pisana. 8
— Terveri 9
— ericetorum iO
— pyramidata ' 10
— Daveyrieriana iO
— acuta il
Bulimiis decollatus '. . . 12
Ferussacîa charopia 12
Pupa graouin 13
Limnœa truncatula 14
Hydrobia Peraadieri 15
— Brondeli. 16
— arenaria 17
— DuTeyrieri 17
Bythinia Bimilis 18
— Dapotetiana 19
— pycDocheila. 19
— seminium 30
Melania tnberculata 20
Melanopsis Ifaroccana 21
— pnemona 22
— Maresi 22
2« — ESPÈCES FOSSILES
Planorbis Aucapitainianus 24
— Duveyrieri 25
— maresianns 20
Physa contorta 27
— Brocchii 27
— tnmcata 27
Kxplication des planche;» \xvi , xxvii , xxviii 29
PLANTES NOUVELLES.
Diplotaxis Duveyrierana 31
Explication des flg. de la xxix^ pi. 32
Crotalaria Sahara; 33
Explication des fig. de la xxx* pi. . 3i
Hyoscyamus Faleziez 35
Explication des flg. de la xxxi* pi. 37
PARIS. — J. Cr.AYE, IMPRIUKIK. RVK S A INT-B KNO IT, 7.
I
^
: i
3«-
EXPLORATION DU SAHARA
I*- i* ••
LES TOUAREG
DU NORD
Henri DUVETRIER
Membre honora iro de la Société de géographie de Paris
Membre étranger de la Société royale de géographie de Berlin
Membre correspondant honoraire de la Société royale de géographie de Londres
Membre correspondant de la Société archéologique de Constantine
Chevalier de Tordre impérial de la Légion d^toonenr.
AVEC 31 PLANCHES ET UNE CARTE
OUA'BAfiJt Vir k VALU A L'aUTRI'I La GH.iNDB MEDAILLE l/OR DR LA SOCIlh-é DE uéOGRAPHIE
IIR l>ABI<(. R7« 1R64.
-^HH$-
PARIS
CHALLAMEL AÎNÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
COMMISSIONNAIRE POUR L'aLOÉRIR ET L'éTRANORR
30, RUE DES BOULANOERS
m^
CBEZ CHALLAMEL AIXE, LIBRAIRE-EDITEUR
COMMISSIONNAIRE POUR l' ALGÉRIE, LES COLONIES ET l'ORIENT
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RECHERCHES SUR L'ORIGINE ET LES MIGRATIONS DES PRINCIPALES TRIBUS DE UAFRIQUE
SEPTENTRIONALE, et particulièrement de TAlgérie, par E. C4iirrTE. Paris, 1853.
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LES KABYLES ET U COLONISATION DE L'ALGÉRIE. Études sur le passé et Tavenir des
Kabj^les, par le baron Henri Aucapitaine, sous -lieutenant au 36* de ligne.
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MISSION DE GHADAMÈS. Septembre, octobre, novembre et décembre 1862. MM. Mim-
cnER,chef d'escadron d'état major, chef de la mission; de Pougnac, capitaine
d'état major, Vatonivb, ingénieur des mines; Hoffmann, docteur; Boc-Debba,
interprète. Rapports officiels et documents à l'appui, publiés avec l'autorisation
de S. Kx. le maréchal duc de Malakoff, gouverneur général de l'Agérie. ln-8°,
planches et cartes. — Alger, 1863.
, / >>V ' .
PAUIP. — J. rt, \VK, I M PKI M KIR, /, RUK SAINT-BENOIT
AFRjSAH. D flir •
3 2044 043 363 " 076 "
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