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Full text of "Exploration scientifique de l'Algérie pendant les années 1840, 1841, 1842 ..."

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EXPLORATION 



SCIENTIFIQUE 



DE L'ALGÉRIE 



PENDANT LES ANNÉES 1840, 1841, 1842 



• ^ 



GHEZ MM* 

LANGLOIS ET LECLERCQ, 
VICTOR MASSON. 

LIBnAIRES, 

A PARIS. 



EXPLORATION 

SCIENTIFIQUE 

DE L'ALGÉRIE 

PENDANT LES ANNÉES 1840. I8I1I. 1842 

PAR ORDRE DU GOUVERNEMENT 
ET AVEC LE CONCOURS D'UNE COMMISSION ACADÉMIQUE 

SCIENCES HISTORIQUES ET GÉOGRAPBiQUES 
IX 



PARIS 

lUPRIMERIE ROYALE 



"XoTi., d. C| 



1 










MODE DE TRANSCRIPTION 



DES 



MOTS ARABES EN CARACTÈRES FRANÇAIS 

ADOPTE POUR LA PUBLICATION 
DES TRAVAUX DE LA COMMISSION SCIENTIFIQUE D'ALGERIE. 



On a cherché à représenter les mots arabes de la 
manière la plus simple et en même temps la plus con- 
forme à la prononciation usuelle. 

U a paru convenable de rejeter les lettres purement 
conventionnelles, dont l'emploi augmente les difficul- 
tés de Torthographe , sans retracer plus exactement 
Texpression phonique. 

U a été reconnu que, sauf deux exceptions, tous les 
caractères arabes rencontrent des caractères ou iden- 
tiques ou analogues dans Talphabet français. On a donc 
rendu par les lettres françaises simples ceux des ca- 
ractères arabes qui leur sont identiques pour la pro- 
nonciation, et par les mêmes lettres, accompagnées 
d^un accent ^ ceux qui leur sont analogues. 

Lès deux lettres qui nont, dans notre langue, ni 
identiques, ni analogues, sont le ^ et le ^ . La pre- 

' Cet accent est celui qui , désigné en algèbre sous le nom de prime, 
Y est employé comme signe de Tanalogie entre les quantités. 



mière est partout remplacée par une apostrophe, ac- 
compagnée des voyelles que la prononciation rend 
nécessaires ; la seconde , par la double lettre kh , con- 
formément à Tusage. 

Trois autres caractères , qui n'ont pas , dans la langue 
française, d'identiques ou d'analogues simples, ont été 
rendus par des lettres doubles, savoir : le g par dj, 
le ifi par ch, le j par ou. La prononciation arabe se 
trouve ainsi fidèlement reproduite. 

Les avantages qu'a paru offrir ce mode de transcrip- 
tion sont surtout : 

1® De ne point exiger la fonte de caractères nou- 
veaux, et de pouvoir être ainsi adopté, sans aucune 
dépense, dans tous les établissements typographiques; 

2® De fournir un moyen facile de rétablir les mots 
dans leurs caractères primitifs. 



IjCllres. Valeur. 



L* emploi de ces divers caractères est déterminé 
i A É I O. { P^^ ^^ prononciation et Taccentualion de la 

lettre arabe. 



B. 



Ces deux lettres sont gcncralenienl confondues 
dans la prononciation. 



s i)j- 



z 



H'. 



t Kh. 



a 

J 



D Géiiéraicnienl coiilbndtiu.s. 

U. 

z 



\ 



Lclln$. Valiiir. 

S, C , Ç. . . . i L'emploi de ces trois lettrit sera réglé de nia- 

^ ' ' I nière à conserver le son sifflant de TS. 
^jû Ch. 

Qp S , C , Ç . . . . Même observation que pour le ^jt» . 

(j9 I i Ces deux lettres sont confondues par tous les 

K I ^' I Barbaresques dans la prononciation et dans 

' ( récriture. 

t T'. 

L Apostrophe précédée ou suivie de celle des 

£ * l voyelles dont la prononciation nécessite 

( remploi. 



t 



(g 



R*. 



O F. 

iLe g et le ga seront employés dans les mots 
où Tusage attribue au l% la prononciation 



J K. 

J L. 

y* M. 

U N. 

» H. 



uu 1 usage aiinoue au ^ la prononc 
gutturale du g; ex. : Grfs'a, Guilma. 



Ou.Ô. 



OBSERVATIONS. 



1° Dans les mots qui, étant précédés de Farticle, 
commencent par une lettre solaire , on se conformera 
à la prononciation en redoublant la lettre initiale. Ainsi 
on écrira 'Abd-er-Rah'mdn, Nâcer-^dr-Dîn, et non '/46rf- 
eURahlmân, Nâc'er-eUDîn. 

2"^ Les mots terminés par la lettre ï , qui ne prend 
alors que le son de Ta sans aspiration, seront terminés. 



dans la transcription française, par la lettre a simple, 
et non par ah. On écrira donc Miliéna, Blida, et non 
pas Milidnah, Blîdah. 

3^ Les consonnes placées à la fin d^une syllabe ne 
seront jamais suivies de Ye muet. Toutefois il ne faut 
pas oublier que dans la langue arabe les consonnes 
se prononcent toutes distinctement, et qu'aucune ne 
prend le son nasal ni ne s'élide. Ainsi Bîbdn doit se 
prononcer Btbdne; Mans'our, Manns^owr; Tôzer se pro- 
nonce Tôzere; Kouinin, Kouînîne; Zâr'ez, Zâr'ezz; 
Gâhes, Gâbess. 



VOYAGES 

DANS LE SUD DE L'ALGÉRIE 

ET DES ÉTATS BARBARESQUES 

DE L'OUEST ET DE LEST 

PAR 

EL-'AÏACHI ET MOULA-AHM 



TRADUITS 

SDR DEUX MANUSCRITS ARABES DE LA BIBLIOTHÈQUE D'ALGER 

PAR ADWEN BERBRUGGER 



CRETAL1BR DE LA LEGION D*HOHHE0R , MEMBRE CORRE8PORDAIIT DE LUII8TITVT 
MEMBRE DE LA COMMISSION SCIERTIPIQUB D'ALGERIE 
CORSERTATEUR DE LA BIBLIOTHàQOE ET DU MUSEE D'ALGER 

SUIVIS 

D'ITINÉRAIRES ET RENSEIGNEMENTS 

FOURNIS PAR SID^AHMmOUIJD-BÛLU-MEZBAG 

- ET 

DU VOYAGE PAR TERRE, DE TAZA A TUNIS 

PAR M. FABRE 



"v.>V/V>- 



, \^ il 



/ 



- y^ 



M<^(l<^*a sera plut tard la station destinée à assurer les communications et 
le commerce entre le S'al/ra, les Beni-Mzâb et Alger. (Tableau de la situa- 
tion de.% établissements français en Algérie pendant Vannée iSàO, p. 18.) 



INTRODUCTION. 



Si Ton jette les yeux sur les cartes de TAfirique 
septentrionale les plus récentes et les plus esti- 
mées, on sera surpris des lacunes nombreuses et 
considérables qu'elles ofTrent en ce qui concerne 
les contrées situées au Sud de la chaîne du petit 
Atlas, depuis Tocéan Atlantique jusque vers les 
syrtes de Tripoli. Cette vaste zone, dont l'épais- 
seur moyenne peut être d'une soixantaine de 
lieues, ne fournit à nos géographes, dans sa par- 
tie méridionale, malgré son étendue, qu'un bien 
petit nombre de désignations topographiques. 
Quelques personnes se sont expliqué cette absence 
presque complète de noms de localités, en suppo- 
sant que le S ah ra arrive jusqu'au pied de la chaîne 
en question, hypothèse d'après laquelle il n'y a 
plus lieu, en effet, de s'étonner; car rien de plus 



IV INTRODUCTION. 

naturel que de ne pas rencontrer un grand nombre 
de lieux habités dans un espace présumé désert. 
Mais cette supposition, trop généralement adop- 
tée en Algérie, est une grave erreur dont il nest 
pas difficile d'indiquer les causes. On peut dire 
qu en général le désert a commencé là où finis- 
saient les connaissances précises en géographie 
afiricaine. On a aussi mal compris la valeur du mot 
saKra^, qui, chez les indigènes du Nord de Tex- 
régence, na pas le sens que nous y attachons. 
Enfin , par un sentiment de vanité puérile , quel- 
ques personnes ont voulu faire croire au public, 
ou se sont peut-être persuadé à elles-mêmes 
qu elles avaient vu les sables du désert. Si Ton a 
parcouru les relations écrites sur ce pays, depuis 
Toccupation française, on trouvera que dès le dé- 
barquement, en i83o, il fut question du désert, 
à propos du terrain sablonneux de Sidi-Feredj *. 
Plus tard, les sables reculèrent jusque dans la 
Metidja , où , selon l'expression du colonel Pelis- 
sier, on n'en ramasserait pas de quoi poudrer une 

^ > S'ah'ra, dit M. de Sacy {Chresl. arabe, tom. I, pag. 19^) 
signifie en général une campagne déserte ou inculte. • 
^ Ou Féruch , comme on dit ici par corruption- 



INTRODUCTION. v 

lettre. Les dernières courses de notre armée l'ont 
rejeté pour le moment au delà de T aza, Tak'demt, 
Saïda, Zebdou. Enfin, voici deux voyages, ceux 
dont on donne ici la traduction , qui le font reculer 
bien davantage, et qui mettent définitivement le 
S'ah ra à sa véritable place en ce qui concerne l'Al- 
gérie, c'est-à-dire à plus de cent lieues du littorale 
Ainsi nos hommes d'état qui tiennent dans 
leurs mains les destinées de l'Algérie, et qui sans 
doute se sont demandé plus d'une fois si ce pays 
vaut tout ce qu'il coûte à la métropole, peuvent 
se rassurer. Car c'est une chose qui mérite con- 
sid.ération et légitime bien des sacrifices, que de 
doubler la puissance et la richesse de la France 
en doublant son territoire, sa population et sa 
sphère d'activité. Les colons n'ont pas à craindre 
que de longtemps la terre manque ici aux nom- 
breux émigrants que l'Amérique a eu jusqu'à pré- 
sent le privilège d'enlever à l'Europe. Et quand 
le vaste terrain compris entre le littoral et l'inté- 
rieur sera rempli et cultivé , il y aura encore place 

^ Depuis que ceci a été écrit, une nouvelle opinion a été 
émise relativement au désert, c'est qu'il n'existe pas. Erreur d'un 
autre genre, comme le démontrera la lecture de ces voyages. 



VI INTRODUCTION. 

dans bien des endroits du véritable Sah'ra; les 
indigènes, qui ne brillent certes pas par leurs 
connaissances agricoles et par leur ardeur au tra- 
vail, ont bien pu, sur plusieurs points, le forcera 
produire, ainsi qu on le verra dans ce livre; à plus 
forte raison , des hommes intelligents et laborieux 
sauront tirer parti des portions , plus nombreuses 
qu'on ne le pense, où il est susceptible de culturel 
Les autorités auxquelles on doit cette rectifi- 
cation géographique et beaucoup d'autres d'assez 
grande importance sont deux pèlerins arabes qui, 
partis des bords de l'océan Atlantique pour se 
rendre par terre à la Mecque, ont traversé toutes 
les parties méridionales du Maroc, de l'Algérie, 
de Tunis et de Tripoli. Tous deux sont des hommes 
instruits, d'une position élevée, de sorte que par- 
tout sur leur route ils ont été en rapport avec les 
personnes les plus considérables par leur savoir 
et par leur rang , et ils ont pu ainsi , pour chaque 
localité, puiser les renseignements qu'ils don- 
nent aux sources les plus abondantes et les plus 

* On sait que, sous les Turcs, le territoire de la Régence s'é- 
tendait jusqu'aux oasis d'Ouàregla et de Tougourt. C'est seule- 
ment de cette partie du désert qu'on entend parler ici. 






INTRODUCTION. w 

authentiques. Us ont fait chacun trois pèlerinages, 
ont parcouru, Tun six fois, l'autre cinq fois le 
même chemin. L'arabe étant leur langue mater- 
nelle , il n'y a pas à craindre avec eux ces altéra- 
tions de noms de localité qui sont si fréquentes 
dans les récits des voyageurs européens, altéra- 
tions qui sont une source d'embarras pour le géo- 
graphe et l'exposent à commettre une foule d'er- 
reurs. On n'a pas à redouter non plus dans ce qu'ils 
disent de la religion , des mœurs , des lois , de l'his- 
toire, etc. des pays qu'ils visitent, les grossières 
méprises où tombent les auteurs qui ne connais- 
sent qu'imparfaitement (s'ils ne l'ignorent pas tout 
à fait) le langage des populations qu'ils observent. 
Le premier de ces voyageurs, Abou-Salem-el- 
'Aïachi, après être allé à la Mecque, en 1069 

(1649 ^^ J- C-) ^t 1064 (i653 de J. C), entre- 
prend un troisième pèlerinage en 1078 (1661 de 
J. Ç.) ; il part de la tribu berbère des 'Aït-'Aïach \ 
pays situé sur la partie la plus élevée de l'Atlas 
marocain, entre les sources de la Moulouïa et 
celles de l'Ouad-Djîr. Il descend la vallée de cette 

* 'Aït-'Aïach, les fils d'Âîach. Le mot *Aît, chez les Kabiles 
du Maroc, est Téquivalent des mots ouldd et benou. 



>Tii INTRODUCTION. 

dernière rivière, et, passant par les oasis de Touât, 
Ouâregla et Tougourt, il va rejoindre la route or- 
dinaire des caravanes auprès de la grande sebkha , 
dans la régence de Tripoli; à son retour, il passe 
par Biskra, El-Ar'ouât', 'Aïn-Mâd'i, Figuîg, etc. 

Cette simple indication suffira pour démontrer 
l'importance de ce voyage aux personnes qui ont 
remarqué les nombreuses lacunes de la géogra- 
phie afiricaine dans ces régions si peu connues. 

L'autre voyageur, Moula-Ah'med-el-Morerbi, 
part de Tamk'rout dans TOuadi-Darâ, province 
méridionale du Maroc, va joindre la caravane à 
Sedjelmâça; de là, traverse le bassin de TOuadi- 
Djîr pour gagner l'oasis de Figuîg, et, passant 
par El-Ar'ouât', 'Aïn-Mâd'i, Biskra et Kabes, arrive 
aussi à Tripoli. H effectue son retour à peu près 
par le même chemin ; de sorte qu'en comptant l'i- 
tinéraire du retour d'El-'Aïachi, nous avons trois 
récits sur cette importante voie intérieure. 

Pour convaincre le lecteur de la confiance que 
ces deux auteurs ont droit d'inspirer, je vais don- 
ner une courte notice sur leurs personnes et leurs 
ouvrages. 

Le cheikh, l'imam Abou-Salem-es-Sid-ebn-'Abd- 



INTRODUCTION. ix 

AUah-ben-Mohammed-ben-Abou-Beker-el-Aïachi, 
était un personnage recommandable par ses vertus 
et sa science. On voit combien était grande la 
considération dont il jouissait dans son pays par 
ce seul fait que, pour lui complaire, et afin de 
Tavoir pour compagnon de voyage, le prince de 
la grande caravane réunie à Sedjelmâça n hésite 
pas à reculer le moment déjà fixé du départ des 
pèlerins. Le récit de son voyage donne plusieurs 
preuves de l'estime que faisaient de lui les savants 
et les chefs du pays, dont il était déjà connu par 
ses pèlerinages antérieurs , de 1059(1649 de J.C.) 
et de 1064 (i653 de J. €.)• 

On verra cependant, en quelques endroits de 
son livre, qu'il faisait sa route à pied, ce qui ne 
donnerait pas une haute idée de sa position so- 
ciale, si l'on ne savait que les musulmans zélés, 
malgré leur fortune et leur puissance, adoptent 
cette manière de voyager, soit par esprit d'humi- 
lité , soit par l'effet d'un vœu. 

El-'Aïachi est principalement connu par la 
Rah'la * dont je publie ici la partie relative aux 

^ Voyage, excursion. C'est aussi le titre de l'ouvrage du cé- 
lèbre Ebn-Batouta. 



X INTRODUCTION. 

États barbaresques. Il est auteur, en outre, de 
poésies nombreuses, la plupart sur des sujets 
religieux, qu'il a, du reste, insérées, en presque 
totalité , dans le volumineux récit de ses voyages. 
Le manuscrit 87 5 B de la bibliothèque d'Alger est 
une des productions poétiques de cet écrivain : 
c'est une petite pièce de vers en alif. 

Sous le n*" 60 A, la bibliothèque d'Alger pos- 
sède un autre manuscrit, intitulé El-Anoaar-^S" 
Senia-'Ala-el-Oudafat-ez-Zerrokia \ dont l'auteur, 
Sid-Abou-Zid-'Abd-er-Rah'mân-ben-Mohammed- 
ben-'Abd-AUah-ben-Mohammed-ebn-Abou-Beker- 
el-'Aïachi, paraît être un neveu de l'écrivain qui 
a composé la Rahla. 

Le cheikh, l'imâm, le savant, etc. Abou-el- 
'Abbas, notre seigneur et maître, 'Ahmed, fils de 

' Cet ouvrage est le commentaire du poème technique sur le 
droit et la jurisprudence , du cheikh Ez-Zerrok', auteur dont le 
nom est Ah'med-ben-Moh'ammed-ebn-Ah'med-ebn-'Aîça-el-Ber- 
nouci-el Faci. Zerrok' est né, dit Tauteur dun dictionnaire bio- 
graphique arabe (man. i56 A de la bibliothèque d*Alger], un 

jeudi, au lever du soleil, le 28 du mois de 864. Il est mort 

à Tripoli de TOuest en s'afar de Tannée 8gg. Ez-Zerrok' est un 
des écrivains les plus renommés de TAfrique septentrionale. 
Commentaires ou textes , le nombre de ses ouvrages est considé- 
rable, et embrasse toutes sortes de sujets. 



INTRODUCTION. xi 

Taccompli seigneur Moh ammed-ben-Nâc er, était 
des environs de Tamk'rout, ville importante, 
capitale de TOuadi-Darâ. Bien que nulle part dans 
son ouvrage il ne donne le nom de son pays, 
l'assertion que j*émets à cet égard est prouvée par 
la direction de l'itinéraire qu il suit pour aller à 
Sedjelmâça, par plusieurs passages de son récit, 
et par les renseignements que m'ont fournis des 
gens de TOuadi-Darâ. Tai su par ceux-ci qu'il y a 
à Tamk rout une zaouïa célèbre consacrée à Sid- 
Moh'ammed-ben-Nâc'er; c'est la Zaouïa-en-Nas'rïa 
dont paiie Moula-Ah med, et d'où il partit pour 
se rendre à la Mecque. Au reste, notre auteur, 
dans un passage de son livre (vbyez le récit du 
retour, au 2 4 cha'ban), laisse échapper une ex- 
pression que le sentiment patriotique lui inspire, 
et qui prouve ce que j'avance. « Il vint à moi, 
dît-il, une personne de mon pays, Sid-Moham- 
med, dont le surnom est noble, Et-Tamkrouti. » 
Le père de Moula- Ahmed, Sid-Mohammed- 
ben-Nâc'er, était un homme distingué par sa 
science théologique. Il a composé un ouvrage dont 
la réputation est grande dans tout le Mor'reb; 
c'est le Kitâb''el''adjoubât-en'Nasrîa-Ji-bâd'maçâïU 



xii INTRODUCTION. 

el-bddïa, c'est-à-dire, le livre des réponses de Mo- 
hammed-ben-Nâcer à quelques questions des 
gens du désert. Il y traite surtout des matières de 
liturgie, de cérémonies religieuses et de droit, su- 
jets qui sont d'une haute importance aux yeux des 
indigènes. Ce traité a été recueilli par son élève 
Sid-Mohammed-ben-Aboul-Kacem-es-S'enhadji. 
La bibliothèque d'Alger possède, sous les n*"" 1 63 A^ 
281, 290, 63i B, quatre exemplaires de cet ou- 
vrage. Sur deux de ces exemplaires, Mohammed- 
ben-Nâcer est surnommé Ed-Darâï, de l'Ouadi- 
Darâ, contrée habitée par sa famille, ainsi quon 
l'a vu plus haut. 

Sur une des pages de garde, et en tête du ma- 

^ Une note écrite sur une des pages de garde, de la main de 
Sid-Moh^ammed-el-'Arbi , ancien k'àd'i de Constantine, indique 
que le volume i63 contient trois ouvrages, dans l'ordre suivant : 

1® El-Adjoubât-en-Nas^rïa, de Sid-Moh'ammed-ben-Nàc'er; 

2° f/Tanoufr, d'Ebn'At'â-Allah; 

3* ErRaKla-en'Nas'rîa , qui est le voyage de Moula-Ah'med. 

En titre ô^ElAdjoahâi, on lit ces noms : Cheikh Moh'ammed- 
ben-Moh'ammed-ebn-Nàc'er. Le préambule des autres exem* 
plaires manque ici , et les questions résolues ne sont pas iden- 
tiques, n est donc probable que , sous le même titre , Moh'ammed, 
fils de Moh'ammed-benNàc'er et frère de Moula- Ah'med, traite 
des matières différentes. 

Les n"* 281 B, 290 et 63a B, présentent un texte- identique. 



INTRODUCTION. mu 

nuscrit n"" 1 63 , on trouve sous ce titre , Généalogie 
de nos maîtres ou autorités ^ rénumération chrono- 
logique des professeurs ou écrivains suivis par 
Fauteur; cette liste est si mal écrite qu'il est fort 
difficile de la déchiffrer, d'autant plus que , dans 
une pièce de ce genre, le sens ne vient pas en 
aide au lecteur pour lutter contre les imperfec- 
tions graphiques. Voici, néanmoins, ce que j'ai 
pu en tirer : 

Sid-'Abd-el-H'afid'; 

Sid-Ah'med-ben-Nâcer (peut-être un oncle de 
Moula-Ah med) ; 

Sid-Moh ammed-ben-Nâc er (le père de Moula- 
Ah'med) ; 

Sid- Abd-Allah-ben-K'ouceïn ; 

Sid-'Ali-ben-'Abd- Allah ; 

Sid- Ah med-H'adj i ; 

Sid-Aboul-K'âcem-et-Tezi ; 

Sid-Ah'med-ben-Ioucef ; 

Sid-Ah med-Zerrok' * ; 

Sid-Ah med-el-H'ad rami ; 

Sid-Ali-el-K'orafi; 

^ Voyez sa biographie, manuscrit 1 56 A de la bibliothèque 
d'Alger, au commencement du feuillet i5 verso. 



XIV INTRODUCTION. 

Sid-Ah'med- At a- Allah ; 

Sid-Aboul- Abbas-d-Maraci ; 

àSid*Aboul-H acen-ech-Chadili ; 

Sid- Abd-es-Selâm-ben-Mochich ; 

Sid- Abd-er-Rah mân-el-Medni-el- Al'ar ; 

Sid-Tak'i-ed-dîn ; 

Sid-Fakhar-ed-dîn ; 

àSid-Nour-ed-dîn ; 

Sid-Tâdj-ed-dîn; 

Sid-Chems-ed-dîn ; 

Sid-Zin-ed-dîn-el-K'azouani ; 

Sid-Ibrâhim-el-Bas n ; 

Sid- Ah med-el-Merouani ; 

Sid-Sa'ïd ; 

Sid-Feth'-el-Meça oud ; 

Sid-Sa'ïd-el-K azouani ; 

Sid-Djâber; 

Sid-El-H acen-es-Sebt'i, lequel tenait ses con- 
naissances de son père , lequel les tenait du pro- 
phète, lequel les tenait de Tange Gabriel, de la 
Table divine et de Dieu. 

Je n ai traduit de la longue relation d'Ah'med- 
el-Morerbi, et de celle plus longue encore d'El- 
*Aïachi , que la partie intéressante au point de vue 



INTRODUCTION. xv 

de roccupation de l'Algérie. Je n ai donc suivi nos 
voyageurs que jusqu à Tripoli, d'où ils se rendent 
à la Mecque par terre. Je les ai repris tu même 
point, à leur retour, jusque dans le pays natal. 

Dans la partie traduite, il a fallu faire quelques 
coupures, abréger certains passages, ce qui tou- 
tefois na eu lieu qu'à la dernière extrémité, et 
lorsque les détails dans lesquels entraient Moula- 
Ahmed et El-'Aiachi étaient tout à fait inutiles 
par rapport au but que je m'étais proposé, et 
n'auraient pas manqué d'ennuyer le lecteur. Ainsi, 
ces voyageurs n'oublient jamais, lorsqu'ils visitent 
une chapelle de marabout , de raconter longue- 
ment la légende du saint qui y est enterré, ou 
seulement commémoré; ils rapportent, avec une 
complaisance prolixe, excusable chez des hommes 
qui voyagent dans un but uniquement religieux, 
les controverses théologiques qu'ils ont soute- 
nues avec leurs hôtes. Us entremêlent leur récit 
de pièces de poésie religieuse, composées par 
eux, par leurs parents, leurs amis et connais- 
sances. On conçoit que j'aie dû m'abstenir de 
reproduire ces passages dans la traduction. 

Le manuscrit de la bibliothèque d'Alger où 



XVI INTRODUCTION. 

se trouve le voyage de Moula -Ah'med, porte le 
n° i63 G. Je l'ai rapporté de Constantine, lors de 
la prise de cette ville, en octobre 1887. C'est un 
in-8** d'une écriture détestable, à l'exception d'une 
douzaine de pages, recopiées avec soin par une 
main plus habile que celle qui a tracé les autres. 
Aux difficultés occasionnées par la lecture vien- 
nent s'ajouter celles qui résultent des incor- 
rections, des bévues manifestes échappées au 
copiste. 

On conçoit qu'ayant opéré sur un texte aussi 
défectueux, je ne puisse pas affirmer qu'il ne me 
soit pas arrivé de commettre quelques erreurs; 
mais j'ai l'espoir que la partie essentielle, celle 
qui a trait à la géographie, en est à peu près 
exempte, attendu que la répétition des mêmes 
désignations dans le double récit des deux cir- 
constances de l'aller et du retour a fourni les 
moyens de contrôler ce genre de faits, ainsi qu'on 
l'a déjà dit plus haut. Les marges du manuscrit 
en question sont quelquefois chargées de notes, 
dont quelques-unes présentent de l'intérêt. 

Quant au manuscrit d'El-'Aïachi qui est ins- 
crit au catalogue de la bibliothèque d'Alger sous 



INTRODUCTION. xvii 

le n** 4 1 8, et qui a été acheté à un indigène de 
cette ville, c'est un assez gros in-4**, écrit correc- 
tement, mais dont là lecture est parfois assez dif- 
ficile, à cause de certains traits parasites que le 
copiste ajoute aux lettres, dans un but calligra- 
phique. Ce copiste qui, contre l'usage de ses pa- 
reils, garde modestement l'anonyme, assure qu'il 
a achevé son œuvre dans la soirée du mercredi, 
2 1 chaouâl 11 36 (1768 de J. C), c'est-à-dire 
environ cent ans après le dernier voyage d'El- 
'Aïachi. Il a travaillé consciencieusement, et d'a- 
près un bon exemplaire, car on ne trouve pas 
dans sa copie les fautes grossières , les bévues évi- 
dentes qui déparent celle du voyage de Moula- 
Ah'med. Les marges du manuscrit sont quelquefois 
chargées de notes. Malheureusement l'annotateur 
ne s'est guère arrêté que sur les passages où il 
est question de religion et de droit. 

JTai joint au récit des voyages d'Ah'med et d'El- 
'Aîachi un extrait d'une course faite en février, 
mars, avril, mai et juin i838, par un Français 
prisonnier des Arabes, et qui, s'étant échappé 
d'une mine de soufre où on le faisait travailler, 
au sud de T aza, a gagné Tunis par terre. Cette 



XVIII INTRODUCTION. 

narration est loin d'être circonstanciée comme 
celle des pèlerins arabes, et d'offrir les mêmes 
caractères d'exactitude, mais, telle qu'elle est, elle 
pouvait fournir quelques données utiles et inté- 
ressantes sur l'état et la nature des pays situés 
entre la ligne parcourue par Ahmed et la chaîne 
de l'Ouranseris ^ Je n'ai donc pas hésité à fajouter 
à cette publication. L'extrait que j'en ai fait a été 
copié sur l'original écrit de la main du voyageur, 
M. Fabre, adressé par lui au maréchal Valée, et 
déposé aux archives du gouvernement. M. Veuil- 
lot, secrétaire du maréchal Bugeaud, a bien voulu 
m'en donner communication. Enfin, j'ai joint à ces 
trois textes des notes qui m'ont été fournies par 
Ah'med-Oulid-Bou-Mezrag, fils de l'ancien bey 
de Tit'erî. 

A une époque où l'on s'occupe avec ardeur 
d'études géographiques sur l'Afrique septentrio- 
nale, la publication de ces voyages, exécutés au 
delà de l'Atlas, dans la partie la moins connue des 
Européens, et sur une ligne d'environ cinq cents 

^ J'écris ce mot avec l'orthographe adoptée officiellement en 
Algérie; mais je dois avertir que dans plusieurs manuscrits j'ai 
trouvé Oaanseris et même Ouancherich. 



INTRODUCTION. xix 

lieues, de l'Ouest à l'Est, depuis Tamk'rout, dans 
le Maroc, jusqu'à Tripoli de Barbarie, ne peut 
manquer d'être bien accueillie. Outre l'intérêt 
scientifique qui s'attache à un pareil ouvrage, il 
y a un but d'utilité pratique dont l'importance ne 
saurait être contestée. L'une des routes parcou- 
rues par les deux pèlerins est une voie de com- 
munication très-suivie par le commerce indigène; 
elle met en relation, par terre, les deux extrémi- 
tés et le centre des Etats barbaresques ; elle tra- 
verse nos possessions en Algérie, vers El-Ar'ouât', 
Tedjmout, 'Aïn-Mâd'i; et comme, d'un autre côté, 
elle reçoit des rameaux qui partent de l'intérieur 
du continent africain, et dont le principal, pas- 
sant par l'oasis de Touât, vient aboutir à 'Aïn- 
Mâd'i , on conçoit que , notre domination s'établis- 
sant avec solidité sur le littoral, il est permis 
d'espérer la création d'une route commerciale qui, 
par Alger, Médéa, Borar, le cours supérieur du 
Chélif , 'Aïn-Mâd'i , l'Ouadi des Beni-Mzâb et celui 
de Touât \ ouvrirait des relations importantes 
avec le Soudan. 

^ La distance entre R'àrdêia, la ville la plus méridionale de 
rOuadi-Mzâb, et Toasis de Touât, est d'à peu près cent lieues. La 



X* INTRODUCTION. 

Après avoir lu le voyage que nous pablions, 
on conviendra que cette pensée est loin d'être une 
utopie, comme on pourrait Timaginer au premier 
abord. 

Puisque le moment de créer, d organiser paraît 
venu , puisqu'on est en mesure d'obtenir des pro- 
duits qui indemnisent des sacrifices, la question 
du commerce intérieur doit fixer l'attention du 
gouvernement. Dans l'intérêt de la France et de 
l'Algérie, il faut montrer le rôle important que 
le négoce avec les indigènes pourra jouer par la 
suite, soit par les bénéfices qu'il procure, soit par 
les conséquences politiques qui doivent nécessai- 
rement découler des rapports multipliés que ce 
négoce établira entre les Européens et l'Afrique 
septentrionale. 

route passe par Tegoràrin, qui se trouve à environ un tiers du 
chemin. « Les bourgades de Tsàbet (dans Toasis de Touàt) sont, 
dit Ei-'Aîachi , le rendez-vous des caravanes qui viennent de la 
ville de Timbektou, du canton d*Agri et des différentes parties 
du Soudan. On y trouve des étoffes de toute espèce et des mar- 
chandises de tout genre * qui y arrivent en grande quantité. Cest 
Tentrepôt des articles qui arrivent du Maroc, à la demande des 
gens du Soudan , tels que chevaux , vêtements de drap et de soie. 
De sorte qu*une caravane qui se rend à Tsàbet y trouve un 
marché important. » 



INTRODUCTION. xxi 

On a vu, du reste, par l'épigraphe qui figure 
en tête de cet ouvrage, que le gouvernement, dans 
sa prévoyance des intérêts du pays, a songé depuis 
longtemps à ces relations commerciales, et qu il a 
indiqué d'avance M édéa comme devant être « la 
station destinée à assurer les communications et 
le commerce entre le S'ahra, les Beni-Mzâb et 
Alger. » On reconnaîtra , en lisant le voyage d'El- 
'Aïachi et de Moula- Ahmed, que Fespoir conçu 
par le gouvernement est parfaitement fondé. 

L'êmir 'Abd-el-K'âder, auquel on ne peut re- 
fiiser des vues très-élevées, avait parfaitement com- 
pris l'importance de cette voie intérieure, et il 
navait tant tenu à occuper 'Aïn-Mâd'i, ou tout 
au moins à y dominer, que parce que cette posi- 
tion, à portée d'El-Ar ouât' et de Tedjmout, com- 
mande le passage habituel des pèlerins. 

Si les documents sur l'histoire des peuples com- 
merçants de l'antiquité n'étaient pas aussi rares, 
et si l'intérêt mercantile de ces peuples ne les avait 
pas excités à cacher leurs relations de négoce avec 
les nations de l'intérieur de l'Afrique, nous au- 
rions probablement la preuve que la grande voie 
de communication qui court de l'Ouest à l'Est, sur 



XXII INTRODUCTION. 

les limites Sud des États barbaresques, leur a été 
connue. On est d'autant plus fondé à le croire à 
priori, qu Hérodote indique déjà celle qui passait 
dans le désert par les oasis, et qu il fallait beau- 
coup plus d'audace pour se lancer dans cette mer 
de sable que pour parcourir le pied des pentes 
méridionales de TAdas, où presque partout (ainsi 
qu'on en aura la preuve en lisant les relations de 
Moula-Ah med et d'El-'Aïachi) on trouve de l'eau, 
des terrains fertiles, en un mot, un pays habi- 
table et qui probablement a toujours été habité ^ 
Ce n'est cependant que de l'invasion arabe et 
de la conversion de l'Afrique à l'islamisme que 
doivent dater la sécurité et l'importance de cette 
grande route commerciale qui, des bords de l'o- 

^ Le lecteur s'étonnera sans doute en apprenant Texistence 
d'une zone presque constamment peuplée et cultivée à une 
grande distance des points où ont été poussées les excursions les 
plus extrêmes, à propos desquelles il a souvent été question du 
S'ah'ra. Les quelques mots d'explication donnés au commence- 
ment de cette Introduction suffiront pour éclaircir les doutes. 
Les Arabes n'appellent pas seulement le S'ahVa le grand désert 
de sable ; ils donnent ce nom à tout endroit vaste , inculte et inha- 
bité ; de là, ils ont souvent désigné aux Européens, comme étant 
le désert, des localités qui en étaient à une grande distance, et 
séparées de lui par des terrains fertiles. C'étaient des endroits 
déserts et non le désert. 



INTRODUCTION. xxiii 

céan Atlantique, aboutît à la Mecque. La religion 
lui assura ces avantages, et à tel point que, mal- 
gré la turbulence des populations dont elle tra- 
verse le territoire , en dépit des nombreuses révo- 
lutions qui les ont agitées, elle est cependant 
toujours restée libre pour les hommes pieux qui 
allaient en pèlerinage visiter les saintes villes de la 
Mecque et de Médine. Si, dans le cours de cette 
longue pérégrination d'un millier de lieues envi- 
ron, quelques actes de violence sont commis par 
des gens sans foi et sans loi, comme il s'en trouve 
partout, contre les caravanes de fidèles voyageant 
pour l'accomplissement de la prescription la plus 
sacrée de l'islamisme, ce sont des faits exception- 
nels auxquels on peut opposer la règle générale, 
qui est l'accueil le plus cordial fait aux pèlerins 
par la masse des populations, les provisions qu'on 
s'empresse de leur apporter gratuitement, l'en- 
thousiasme qui éclate à leur arrivée, les vœux et 
les bénédictions qui accompagnent leur départ. 

Avant que Mahomet, par une réforme malheu- 
reuse, eût supprimé les jours supplémentaires 
qui mettaient l'année lunaire des Arabes en con- 
cordance avec celle des peuples qui règlent la 



XXIV INTRODUCTION. 

leur sur le cours du soleil, il y avait un mois consa- 
cré au pèlerinage, ainsi que le rappelait son nom 
de doul-hadja ^ Mais, dans l'état actuel du ca- 
lendrier musulman, ce mois, au bout de trente- 
deux ans, a successivement passé par toutes les 
saisons, de sorte que les peuples qui, pour arri- 
ver à la Mecque, sont obligés, comme ceux du 
Maroc, de traverser des pays où il n est pas indif- 
férent de voyager à toute époque de Tannée, ne 
peuvent pas toujours choisir le mois consacré. 
C'est ce qui arrive à 'Ahmed-el-Mor erbi qui part 
en djoumâd-et-tani, un des premiers mois de l'an- 
née arabe; de sorte qu'il ne peut gagner à son 
long voyage que le titre de h'adji ou pèlerin, qu'on 
accorde à celui qui a vu la Mecque seulement, 
tandis que Ton appelle 'amer le musulman qui a 
visité la Mecque et Médine, et cela à l'époque où 
se font les grandes cérémonies, c'est-à-dire en 
doul-hadja- 

C'est à Tâza , dans la province de Fedla , à une 
petite journée Est de Fês, que se fait le premier 

' Le pèlerinage à la k'ab*a, ou maison sacrée de la Mecque, 
est, comme on le sait, bien antérieur à rétablissement de Tisla- 
misme. Mahomet a trouvé cette pratique en vifi^eur, et il Ta ap- 
propriée à son nouveau culte. 



INTRODUCTION. xxv 

rassemblement de pèlerins. Comme c'est la plus 
fertile, la plus commerçante du Maroc, et quil 
est facile de s'y pourvoir de toutes choses, on a 
choisi ce lieu à dessein. La caravane s y organise 
par les âoins d'un chef que Ton appelle émir er- 
rek'eb, mot à mot, prince de la chevauchée. On 
divise ceux qui doivent la former en trois classes, 
les Berbères ou K'baïl, les négociants, les per- 
sonnes attachées à la cour ou qui ont des charges 
publiques. Les individus de la première classe 
n ont pas besoin de permission pour entreprendre 
ce voyage; les seconds se présentent devant les 
gouverneurs des provinces ; quant aux gens en 
place, ils ne peuvent partir qu'avec le consente- 
ment exprès de l'empereur. Ces entraves ont pour 
but principal d'empêcher les gens perdus de dettes 
d'échapper à leurs créanciers , . sous prétexte de 
pèlerinage, et de prévenir l'emploi des moyens con- 
damnables auxquels certains individus pauvres 
pourraient avoir recours, par excès de zèle reli- 
gieux, pour se mettre eti état d'aller à la Mecque. 

Moula - Ah'med , en sa qualité d'imâm , avait 
dû se munir d'une autorisation de l'empereur. Il 
raconte, au commencement de son livre, qu'en 



xixî INTRODUCTION. 

1119 (1707 de J. C), ayant le désir d'aller en 
pèlerinage, il se rendit à Tâza, afin de voir Moula- 
Ism*ail qui. régnait alors, et de solliciter de lui une 
autorisation de se joindre à la caravane : il ne put 
être admis en présence du souverain , et la per- 
mission qu il sollicitait pour lui et ses compagnons 
iui fut refusée pour des motifs qu'il ne fait pas con- 
naître. El- Aïachi éprouve les mêmes difficultés. 

Pour ne pas faire un double emploi, je ne 
donnerai pas ici tous les nombreux détails relatifs 
aux caravanes qui se trouvent en plusieurs en- 
droits des relations de Moula -Ahmed et d'El- 
'Aïachi. Je ferai remarquer seulement que les 
caravanes se divisent en deux classes, d'après le 
mode de transport employé sur chacune de ces 
grandes lignes. Il y a les caravanes du S'ah ra et 
celles du Djerid. Les premières emploient essen- 
tiellement des chameaux; les autres se font surtout 
avec des chevaux; des ânes et des mulets, mais 
seulement jusqu à Tripoli de l'Ouest, où les pèle- 
rins échangent ces montures contre des chameaux. 
La nécessité de traverser le désert de Barka, pour 
gagner le Caire , les y oblige. 

Une caravane en marche présente une organi- 



INTRODUCTION. xxvii 

sation régulière, où Ton retrouve la hiérarchie, 
les chefs, les juges et la police d'un établissement 
fixe. Il y a Têmir er-rek'eb, ou prince de la che- 
vauchée, qui commande à Tensemble des pèle- 
rins, ayant sous ses ordres des amin, qui dirigent 
chaque compagnie des gens d'une même ville, 
d'une même tribu. Un k'âd'i rend la justice ou 
dresse les actes que les circonstances exigent; car, 
dans ce long espace de temps qu'il faut pour ac- 
complir le voyage, des gens meurent, d'autres 
naissent, quelques-uns se marient ou divorcent. 
Cependant, les circonstances particulières dans 
lesquelles se trouvent les caravanes ont introduit 
un principe tout démocratique dans leur organi- 
sation. Les chefs ou fonctionnaires sont quelque- 
fois destitués en route, et remplacés par d'autres. 
L'intérêt général commande parfois ces sortes de 
mesures, dont on trouve un exemple dans le récit 
des voyages de nos deux pèlerins. 

On a déjà vu que les ouvrages de Moula- Ahmed 
et d'El- Aïachi , indépendamment des éléments 
qu'ils fournissent pour apprécier la question du 
commerce intérieur, enrichissent la géographie 
africaine de documents précieux. A la suite du 






XXVIII INTRODUCTION. 

texte des deux Marocains et de ceux d'Ah'med- 
Oulid-Bou-Mearag et de M. Fabre, j'ai placé un 
commentaire explicatif, qui traite du petit désert, 
de la route des caravanes du Djerid et de celles du 
Sahra, trois sujets qui embrassent tout Tespace, 
encore peu connu , de nos possessions algériennes. 
Enfin je me suis efforcé de faire connaître la lit- 
térature particulière au Mor reb, en accompagnant 
de notes puisées à des sources originales les Élo- 
quentes citations d'auteurs ou d'ouvrages qu on 
rencontre dans la Rahla de Moula- Ah med et dans 
celle d'El- Aïachi, On peut dire que cette littéra- 
ture de r Afiîque septentrionale n est pas plus con- 
nue que ne Test le pays lui-même où elle a pris 
naissance. L'ouvrage, si estimable d'ailleurs, de 
d'Herbelot , ne fournit qu'un bien petit nombre 
de notions à cet égard. Heureusement plusieurs 
dictionnaires biographiques ou bibliographiques 
arabes, qui figurent parmi les manuscrits de la 
bibliothèque d'Alger, m'ont permis de suppléer 
au silence du savant orientaliste dont je viens de 
parler. 



OBSERVATIONS 



ou TRADUCTEUR 



SUR LES VOYAGES 



D'EL-'AÏACHI ET DE MOULA-AHMED, 

ET SUB LES AUTRES DOCUMENTS GEOGRAPHIQUES 
PUBLIAS DANS CE VOLUME. 



Le Mor^reb^ se divise naturellement en une certaine 
quantité de zones parallèles au littoral, qui sont le Sah'el, 
El-Oufa, El-Djebel (trois subdivisions du Tell), le K'ibla 
(dont certaines parties portent le nom de Belâd-el-Djerid), 
et le S'ah'ra. 

Sah'ël, qui veut dire « rivage, o s applique en général au 
système de petites collines qui régnent le long de la mer, 
et qui sont ordinairement bornées au Sud par des plaines. 
Quelquefois, de la chaîne du petit Atlas, se détachent des 
chaînons qui arrivent jusqu au littoral. Alors les collines et 
les plaines sont interrompues en ces endroits, qui n'en por- 
tent pas moins le nom de Sah'el. Ces caps avancés de la 

^ Ce mol, qui signifie ■ le couchant, • s'-applique dans le sens le plus étendu 
à tout le continent africain , et dans le sens le plus restreint à TAIgërie et au 
Maroc. C*est avec cette dernière valeur que je remploie ici. 



m OBSERVATIONS 

montagne proprement dite sont habités par les K'haîi. 
Le plus considérable s étend entre le cap de Fer et le cap 
Bengut. 

Oui a. — Ce sont les plaines qui sur plusieurs points 
sétendent au Sud du Sah'el. Ces plaines et les collines dont 
on a parlé tout à l'heure sont essentiellement habitées par 
les Arabes. 

Djebel. — La montagne proprement dite. Cette partie, 
qui sétend jusqu'aux vastes plaines du K'ibla, est habitée 
par les Arabes et par les Berbères; ces derniers se rencon- 
trant surtout dans les lieux les moins accessibles. 

Sah'el, Out'a et Djebel forment le Tell, ou la portion de 
terrain la plus susceptible de culture. On peut lui assigner 
une largeur moyenne de 1 20 kilomètres du Nord au Sud. 

Le K'ibla ou Midi est un ensemble de plaines plus 
ou moins accidentées, coupées longitudinalement par la 
deuxième chaîne de TAtlas. C'est dans la partie la plus mé- 
ridionale de cette zone, et dans les intervalles des chames 
que la montagne détache vers le Sud , qu'on trouve les pays 
de dattes. La largeur moyenne du K'ibla est d'environ 
3oo kilomètres. La partie montagneuse renferme les K'baîl; 
les Arabes se tiennent dans les plaines. 

Le S'ahVa est le désert proprement dit, pays de sables 
ou vastes solitudes dont l'aride uniformité est souvent in- 
terrompue par des oasis, au moins dans la partie septen- 
trionale. 

Les documents géographiques contenus dans cet ouvrage 
ne se rapportent qu*à ces deux dernières subdivisions; je 
me bornerai , pour les autres , aux observations générales 
qui viennent d'être exposées. Mais avant de traiter les ques- 
tions qui se rattachent au K'ibla et au S'ah'ra, je dois dire 



DU TRADUCTEUR. xxu 

quelque chose de la célèbre ville de Sedjelmâça , qui joue 
un rôle important dans les voyages de Moula -Âh'med et 
d'El-'Aïachi. 

SEDJELMÂÇA. 

Lorsqu*en parcourant pour la première fois le manuscrit 
des deux pèlerins arabes, je rencontrai le nom de Sedjel- 
mâça cité comme celui d'ime ville qui existait encore à 
l'époque où ils écrivaient, j'éprouvai quelque smprise; car 
j'avais lu dans les ouvrages de géographie ^ que cette ville, 
déjà ruinée du temps de Léon l'Africain, n'avait pas été re- 
bâtie depuis lors. Cependant les détails donnés par Moula- 
Ah'med et par El-'Aïachi étaient trop nombreux et trop pré- 
cis poiu* qu'il fût possible de conserver le moindre doute 
sur l'existence de Sedjelmâça, au moins jusqu'en lyio de 
notre ère. Ce fait positif, acquis à la science géographique , 
n'infirme pas le témoignage de Léon , la ville ayant probable- 
ment été rebâtie après l'époque dont il parle. 

M. Walckenaer a très-bien établi l'identité des vallées 
de Tafilélt et de Sedjelmâça, et M. d'Avezac a produit de 
nouvelles preuves à l'appui de cette opinion. Il ne reste donc 
plus qu'à préciser la situation de cette dernière ville dans 
la vallée de l'Ouad-Ziz : je crois qu'elle était au Sud-Est et à 

^ Voyei , entre autres géographes, Balbi, tom. I, pag. lz, qui s*exprime en 
ces termes : « Nous n avons pas naentionné parmi les villes les plus remar- 
quables de VÉtat de Maroe, la célèbre Sedjelmâça, parce que nous ne savons 
pas si son territoire, dont Ebn-el-Ouardi-Bakoui, Léon et Ben-Ayas ont tant 
célébré la fertilité et la richesse, appartient encore à cet empire. D ailleurs, 
cette grande ville, qui s'élevait sur les bords du Zîz, et qui a été le premier 
siège de la dynastie des Alftioravides, n'existait déjà plus du temps de Léon; 
elle avait été abandonnée par ses habitants à la suite de nombreuses révo- 
lutions. • 



ittn OBSERVATIONS 

ufie {>#^tite distance de Tafilélt. Voici sur quoi je me fonde : 
f //TMpie Kl '*Alachi arrive h Sedjelmâça il y trouve la ca- 
rH\'4ue. rrmriie et près de partir. Cette caravane, dont le 
fiov^u fiV^tait formé comme d ordinaire à Tâza, dans le Nord 
du M;jroc, ayant à suivre la route du désert, s*était dirigée 
Si*n U*^ Sud. A partir du moment où notre voyageur marche, 
il nous donne fidèlement son itinéraire dans lequel Tafilélt 
tu* figure pas. Cependant, en racontant son séjour à Touât« 
il dit': 

«^ lorsque le change de for s était élevé à Tafilélt, la ma- 
jeure partie des pèlerins avait résolu d*en prendre àTouat/ 
où ce métal est à bon marché. D*ailleurs ils n avaient pas 
fait touUfS leurs provisions à Tafilélt, à cause de la cherté 
des vivres, et il fallait les compléter dans cet endroit.» 

(l'était donc sur la portion de route qu*El-*A1achi navait 
point parcourue avec la caravane, et lorsque celle-ci voya- 
geait du Nord au Sud pour atteindre Sedjelmâça que les 
pèlerins avaient séjourné à Tafilélt. 

l^a narration de Moula-Ah'med fournit une preuve du 
même genre. On sait que, parti de Tamk'rout et marchant 
de rOuest à TEst, il avait joint aussi la caravane à Sedjel- 
mâça. Or, en parlant de son séjoiur à Figuig, il dit' : 

u Les pèlerins achetèrent des vêtements et ils payèrent 
les portefaix arabes qui étaient venus de Tafilélt à Fidjidj. » 

Comme ni avant ni après Sedjelmâça, il ne mentionne 
Tafilélt siu* son itinéraire, il est évident que lorsque les 
pèlerins ont loué les portefaix , il n était pas avec eux et que 
cette location avait eu lieu lorsque la caravane se trouvait 
encore au Nord de Sedjelmâça. 

' Voir pag. a.'î. 
' Voir pag. i9'i. 



DU TRADUCTEUR. ixxiii 

Quant à la distance entre Tafilèlt et Sedjelmâça, voici ce 
qui me fait supposer qu*eile ne pouvait pas être bien consi- 
dérable. Lorsque Moula-Ah'med , de retour de la Mecque , 
est arrivé aux portes de Sedjelmâça, il dit^ : 

«Je pris congé de mes amis de Tafilèlt qui m'avaient 
accompagné jusqu a El-K'ouz^ et qui, avant de partir, nous 
traitèrent dans un repas où chacun apporta sa part, pauvres 
ou riches, chérifs ou autres, chacun selon son pouvoir, n 

Si Ton fait attention à la direction de la route suivie par 
la caravane depuis Fidjidj , on acquerra la preuve que si 
Tafilèlt eût été beaucoup au Nord de Sedjelmâça, la sépa- 
ration de Moula-Ah'med et de ses amis de Tafilèlt aurait eu 
lieu bien avant El-K'ouz et probablement lorsqu'ils étaient 
dans la vallée de TOuad-Djir. 

La comparaison que je vais établir entre une portion de 
l'itinéraire fouKii par le chérif Moh'ammed â M. Delaporte, 
cité par M. d'Avezac^, et un firagment d'itinéraires donnés 
par Moula-Ah'med , achèvera de prouver ce que j'ai avancé. 

ITmiRAlRB DE MODLA-Ah'mBD V ITIN&RAIRE DD CHàRlF MOh'aMMBD. 

ir« • ± { Ouadi-EMîr. Oued-G'vr. ) , . . 

1 journée. { ^,«';^^ ^ ^ ^ M journée. 

( Ouad-Safsaf ^ Esfasef, torrent.) ** 

* Voir pag. 34o. 

* £l-K'ou8 ou Akçuz, comme l'écrit aussi le copiste, est tout près de 
Sedjelmâça. On y trouve la zaouîa d'Abou-el-K'àcem-ben-Mouloud et Sid- 
*Abd-el-Ouah'ed. 

' Etudes de géographie antique, pag. 1 65. 

^ Ce sont les localités ^ntre TOuad-Djir et Sedjelmâça, telles qu elles sont 
indiquées dans les itinéraires de laller et du retour. * 

* Entre cette rivière et la précédente, Moula-Àh'med cite Dâr-el-Hedjâdj et 
Dâr-el-*Aâda. 



XXXIV OBSERVATIONS 



ITlN&aMRE DE MOOLA-Ah'mED. ITHfÊRAIRE DU CHàRIF MQh'amMEH. 

* Ak'la'Hamida-el-Lah'am . 
K'eltet-Abou-El-*Amoud. 



rt 



^ ' El-Mebrih'ia. 



journée.] _ „ 

I Ouellous. 

Sfisfa. Sefsâf , désert avec un grand lac. 



1* jour. 



*Ak'ba-Ouardmis '. 
r* ) Maharas. 



journée, j K'orb-el-Hammâd. 

( Menhal-Telermet. Fidah , en Tarilélt. 1" jour. 

iEl-Medakik. 
Ouadi- Amerfouli' . 
Madjan-el-R'osfa. 
Sedjelmâça. Ayn-el-*Abbas. l*jour. 

L'identité de Ouadi-Djîr avec Oued-G'yr,<le Ouad-Sa&af 
avec ie torrent Esfasef , et de Sfisfa avec Sefsaf apparaît clai- 
rement, malgré quelques variantes qui tiennent surtout à 
une différence de système de ti*anscription des mots arabes 
entre M. d'Avezac et moi. Après trois journées de marche, 
à partir de fOuad-Djîr, le chérif Moh'ammed est arrivé à 
Fidah, en Tafilêlt, son pays. Il faut une journée de plus 
poiu* aller à Sedjelmâça. Enfin Aïn-el-'Abbas, qui est indi- 
qué par le chérif à une journée dans le Sud-Est de Fidah, 
sur la route de Touât, est placé par El-'Aîachi à une jour- 
née dans TEst de Sedjelmâça, sur la même route de Touât. 
En combinant toutes ces données, il me semble fort pro- 
bable que la distance entre Sedjelmâça et Tafilêlt était d'en- 
viron 2 1 milles ou une journée de marche. 

Avant d*avoir suffisamment examiné les textes que j ai 

* Il s'appelle aussi 'Ak'ba-el-R'abila. 



DU TRADUCTEUR. xxxv 

eus à traduire, j*avais ëté tenté de croire que Sedjelmâça 
et Tafilêlt étaient une seule et même ville; mais les pas- 
sages où Moula-Âh'med parle de Moulai-Moh'ammed et du 
chérif Ben-*Âmar comme administrant à la même époque , 
fun à Tafilêlt et l'autre à Sedjelmâça, suffisaient pour me 
prouver que ces deux cités appartenaient à des territoires 
différents, dont chacun avait son gouverneur. D'aillem^s, 
si ces deux villes eussent été identiques comme localité, 
Moula-Âh'med n aurait pas dit qu'il avait pris congé de ses 
amis de Tafilêlt aux portes de Sedjelmâça, ainsi quon a 
vu plus haut. 

Le nom de Tafilêlt est la forme berbérisée du mot Fi- 
lala , qui se trouve dans le passage suivant , extrait du récit 
d'El-'Aîachi » : 

a Le lendemain nous mimes pied à terre au d'ohor avant 
Ell-'Âoulna. Là mourut un de mes amis de Filala (Tafilêlt], 
un des enfants de Timâm des gens de Sedjelmâça. » 

Quand on veut désigner quelque habitant ou originaire 
de cette ville, on dit El-Filali. MarmoP, après avoir dit que 
Tafilêlt a été bâtie par les anciens Âfiricains dans une plaine 
de sable, ajoute qu'il est peuplé de Berbères Filili. 

Le rôle important que devait jouer Sedjelmâça dans la 
construction de la carte motive la longue digression qu'on 
vient de lire. Ceci étant déterminé, ainsi que les points de 
départ de Moula-Ah'med, d'El-'Aîachi et de M. Fabre', je 
reviens aux observations que j'ai promises sur la vaste éten- 
due de pays désignés sous le nom de K'ibla et de S'ah'ra. 
Je commencerai par ce dernier. 

' Voyez pag. i48. 

' Tom. m, pag. 32. 

^ Voir au commenoement de la narration de chacun de ces voyageurs. 



XXXVI OBSERVATIONS 



S'AH'RA. 

La route suivie par Moula-Âh'med entre Tamk'rout et 
Sedjelmâça, celle surtout que parcourut El-*A!achi, depuis 
cette dernière ville jusqu'à Sebkka-el-Kebira, en passant 
par Touât, K'olîa, Ouâregla, Tougourt et Slouf, sont les 
seules qui se rapportent au désert proprement dit. Cepen- 
dant le mot S'ah'ra se trouve plus d'une fois dans la bouche 
de nos voyageurs, à propos de régions situées beaucoup 
plus au Nord; mais alors il faut lui attribuer le sens que 
j*ai indiqué dans l'introduction. 

On se tromperait beaucoup si, même lorsqu'il s'agit 
du vrai désert, on se figurait une immense mer de sable 
dont aucune végétation n'inten^ompt l'aridité , dont aucune 
élévation ne dérange le niveau. Une couite analyse des nar- 
rations d'El-'Aïachi et de Moula-Ah'med donnera le véri- 
table aspect du S'ah'ra , au moins dans sa partie septen- 
trionale. 

Dans le trajet de Tamk'rout à Sedjelmâça, Moula-Ah'- 
med indique presque partout de l'eau en abondance et des 
pâturages. Or il faut remarquer qu'il voyageait à la fin de 
juillet. Ce n'est qu'à la sixième joiu*née de marche qu'il 
parle d'un pays moins favorisé. «Nous abandonnâmes, dit- 
il, la route habituelle, à cause de la violence de la chaleur, 
de la rareté de l'eau, de la sécheresse de la terre et de la 
grande (piantité de serpents qu'on ti*ouve dans ce pays ^ » 
La caravane laisse au Sud Âznatia ^ , lieu où elle avait 

* Voir pag. 177. 

' G est sans doute Tendroit désigné dans la carte de M. d'Avezac, sous le 
nom de Zenétyah. 



DU TRADUCTEUR. xxxvii 

passé dans un précédent pèlerinage, et se dirige veis le 
Nord-Est. On ne peut pas évaluer à moins de 190 milles 
la distance parcourue par la caravane entre Tamk'rout et 
Sedjelmâca. Sur la carte de M. d*Avezac il n*y en a que 1 20 
(même en tenant compte des détours). Si les renseigne- 
ments fournis par nos voyageurs sont exacts , il faut repor- 
ter, Je crois, Tamk'rout plus au Sud-Ouest. 

Pour se rendre à Touât en partant de Sedjelmâca , El- 
*Aïachi pénètre beaucoup plus au Sud que Moula-Ali'med, 
qui a marché à peu près OuestEst La marche de la cara- 
vane se fait sur deux directions, de TOuest à FEst, pendant 
les sept premières journées, et vers le Sud durant le reste 
du voyage. La cause pour laquelle çUe ne va pas immédia- 
tement dans cette dernière direction , qui était la véiitable, 
est qu*on voulait gagner TOuadi-Djir, vallée dans laquelle 
on trouve toujours de leau et des pâturages jusqu'à Touât. 
Contrairement à ce qu'il parait naturel d'imaginer, c'est en 
allant de l'Ouest à l'Est qu'elle rencontre des contrées qui 
ressemblent un peu au S'ah'ra et dont El-'Aîachi dit 
(pag. i3) : «Devant nous se développait une contrée vaste, 
où la population est rare et disséminée, un de ces endroits 
difficiles où chacun ne s'occupe que de soi, de ses bagages 
et de ses bétes de somme. Dans le pays raviné que nous 
parcourions, l'œil n'aperçoit que la poussière soulevée par 
un vent continuel. Les chameaux et les oiseaux du ciel peu- 
vent seuls traverser ces solitudes. » 

La caravane gravit ensuite le H'ammâd-el-Kebir, chaîne 
que le grand Atlas marocain détache vers le désert, et qui 
sépare les vallées de l'Ouad-Ziz et de l'Ouad-Djir. Deux 
jours et demi sont nécessaires pour traverser cette mon- 
tagne qu'El-'Aïachî signale comme un terrain rude, diffi- 



xxxviii OBSERVATIONS 

cile ^ «On ny trouve, dit-iJ, ni arbres, ni broussailles, 
ni herbes. L œil n y aperçoit que des nuages de poussière 
soulevés par des vents continuels qui , dans leur violence , 
effacent les traces de la marche des caravanes, à mesure 
que les pieds des hommes et des animaux les y impriment. 
Uaquilon qui soufflait en ces lieux égalait en froideur ce 
quon ressent en enfer; les mots me manquent pour expri- 
mer cette température rigoureuse. Nous ne nous arrêtâmes 
pour la couchée quau mor'reb, et personne ne put dor- 
mir à cause du froid. » Le pays qui se trouve au pied du 
versant oriental du h'ammâd n*est pas beaucoup plus favo- 
risé. «C'est, dit notre voyageur, un terrain rude, sablon- 
neux, et qui cependant offrit quelque pâtiure aux cha- 
meau^ pâture toutefois aussi insuffisante, pour les rassasier, 
que lest une goutte d eau pour étancher la soif d'un homme 
altéré ^. » 

La description qu'El-'Aïachi fait de FOuadi-Djîr explique 
très-bien pourquoi la caravane a quitté pendant quelques 
jours sa véritable direction afin de gagner cette vallée fa- 
vorisée de la nature , d'où l'on peut conclure que l'Ouad-Ziz 
ne s'étend pas aussi loin qu'elle dans le Sud, ou que ses 
bords sont déserts et arides. 

« L'Ouad-Djîr, dit El-'Aïachi^, est grand, large et bordé 
d'arbres. Les cours d'eau qui y confluent viennent de très- 
loin , et n'y arrivent qu'après quelques jours de marche. La 
source de l'Ouad-Djir est du côté de mon pays ( le pays des 
Aït-'Aîach ) , ses bords sont couverts de cultures et de popu- 
lation. Son cours est dans la direction du S'ah'ra, vers lequel 

' Voir pag. i3. 
- Voir pap. i4. 

' Ibid. 



DU TRADUCTEUR. xxxu 

il coule entre des rives parsemées de villages. Lorsque cette 
rivière arrive vers la partie du H'ammâd-el-Kebir qui est 
entre sa vallée et Sedjelmâça, la population cesse jiisqu*au 
premier village de TOuad-el-Açaouïr ^ endroit où elle recom- 
mence et se continue pendant environ lo journées, jus- 
qu'auprès de Touât. Alors TOuad-Djîr tourne sur la droite 
(au Sud-Ouest ou à TOuest) dans d'immenses sables. » 

On voit par cette description remarquable que h vallée 
de rOuad-Djîr est peuplée et cultivée dans toute son éten- 
due, sauf la lacune de 2 journées et demie environ signalée 
par El-'Âlacbi. Par Tlemsên , Figuîg et K'anadsa on peut 
arriver en lo journées de caravane, en k autres journées 
venir à la bauteiu* de Tafilélt , puis, en descendant pendant 
10 journées TOuad-Djîr, atteindre les bourgades de Touât 
en une somme totale de 2 A étapes. 

El- Aîacbi ne fait aucune remarque particulière sur la 
nature du terrain comprise entre Touât et Aouab'dets, une 
des bourgades du canton d'Aouguert. Entre Âouah'dets et 
£l-K'oiïa se trouve TOuad-Ouamguiden que la caravane 
suit pendant dix journées. On trouve de leau tous les jours 
le long de cette vallée, dans des trous appelés maât'eh; 
cette eau est douce et abondante. Mais après avoir traversé 
le bourg de Ouâlna , la caravane u trouve un pays de sables 
qui étonnait f œil par son étendue. Nous le parcourûmes 
avec beaucoup de peines et de fatigues, dit El-*Aïachi^, et 
nos chameaux eurent encore plus à souffirir que nous. A 
l'aspect de cette immensité de sables, je me rappelai cette 
parole, Bénissez notre seigneur Mahomet autant que le sable 
est étendu, et j'en compris toute la portée. » 

> El-* Aîacbi écrit ailleurs Ouad-es-Saourali. 
* Pag. 28. 



XL OBSERVATIONS 

Cest entre Ouâlna et El-K'ofia que vient s embrancher 
la route de Tegourârîn. 

Après El-K'olîa, la caravane passe une montagne et at- 
teint un pays raviné qu'elle traverse en six jours. Le septième, 
elle commence à gravijr le H'ammâd-el-Kebir, montagne qui 
na pas sa pareille dans tout le pays du R'arb, dit El-*Aîachi; 
or ce voyageur, qui est de la partie la plus élevée du Ma- 
roc, ne peut faire une semblable remarque qu'à propos 
d*ime montagne dont la hauteur doit ctre considérable '. 
Comme il parait peu probable que ce H'ammâd-el-Rebir 
soit une continuation de celui dont il a été parlé plus haut, 
je crois quEl-'Aîachi emploie ici ce mot comme nom com- 
mun et dans la signification de ^V^ que Freytag définit 
finis f terminas. A partir du h'ammâd, on ne trouve plus 
deau ni de pâturages, jusqua Ouâregla, dit notre voyageur, 
sauf à rétape de TOuad-Machoucheb, où l'herbe et l'eau se 
rencontrent. A l'exception de cet endroit favorisé, partout 
sur leur route le terrain est rude , pierreux , sans arbres , 
quelquefois de couleiu* noire , et les animaux n'y trouvent 
absolument rien à pâturer. Le vent qui souffle avec violence 
et la pluie qui tombe par torrents augmentent encore pour 
nos voyageurs les difficultés du voyage dans de pareilles 
contrées. 

El-'Âîachi ne (ait aucune remarque sur le terrain situé 
entre Ouâregla et Maguersâ, espace d'environ dix milles; 
mais en quittant cet endroit, «la caravane marche, dit-il ^, 
sur un terrain de sables , où l'on ne peut se diriger qu'autant 

* Dans un autre endroit, El-'Aîachi, pariant de ce H'ammAd-el-Kebir, dit 
que cette montagne peut passer pour la mère de toutes les montagnes du 
monde, à cause de sa longueur, de sa largeur et de sa hauteur. (Pag. 45.) 

* Pag. 58. 



DU TRADUCTEUR. xii 

qu on le connaît parfaitement. » Son itinéraire , pendant trois 
jours , à partir de celui où il fait cette remarque , n'indique 
ni localités , ni eau , ce qui ferait croire qu on a toujours 
marché dans le sable ; puis , après avoir mentionné Ag^edag, 
première ville de TOuad-Rir', il parle de Temâcen , bourgade 
située à peu de distance de là , et où il y a une grande 
quantité de palmiers. De là à Tougourt, il ne signale rien. 
Dans une lettre que notre voyageur écrit à ses parents, et 
qu'il a intercalée dans son récit , on lit ^ : « Nous partîmes 
d'Ouâregla le 9 de djoumâd-et-tani , nous traversâmes un 
canton rempli de sable, puis nous arrivâmes à Tougourt.... » 
Ce passage autorise à penser que le pay» compris entre 
Ouâreg^a et Tougourt est un terrain de sable dont l'uni- 
formité n'est' guère interrompue que par les petites oasis de 
Maguersâ , Aguedad et Temâcen. 

Entre Tougourt et Souf, il n'y a que du sable; u c'est, dit 
El-'Âîachi ^ un pays qu'on prend ordinairement pour terme 
de comparaison quand on veut désigner un endroit où le 
sable abonde. » La caravane le traverse lestement, en quatre 
jours, parce qu'il y avait plu beaucoup , ce qui avait solidifié 
momentanément le terrain. 

A partir de Souf, la caravane voyage pendant sept jours 
dans les sables, sur uki terrain uni. Dans les derniers joiurs 
deux sebkha, ou lacs salés, rompent la monotonie de ces 
contrées. Le huitième jour, la caravane arrive à la grande 
sebkha qui est entre les régences de Tunis et de Tripoli, 
et elle se trouve tout à fait hors du S'ahVa. 

Il résulte de ceci que dans le triangle dont El-'A'iachi a 
parcouru les côtés Ouest, Sud et Sud-Est, c'est précisément 

< Pag. 59. 
« Pag. 65. 



xLii OBSERVATIONS 

la pointe, la partie la plus méridionale, qui ne présente 
pas de sables, et que ceux-ci ne commencent qu*à Ouâlna, 
doù ils se continuent jusqua la sebkha Kebira, avançant 
d'autant plus vers le Nord qu on se trouve davantage dans 
la direction de TOrient. En appliquant cette donnée à T Al- 
gérie, on peut conclure que la province d'Oran est celle où 
la bande de terre cultivable et habitable présente le plus 
de largeur ^ tandis que la province de Constantine est dans 
des conditions diamétralement opposées. Biskra, qui nest 
qu*à 60 lieues environ de la côte, touche presque au S'ah'ra 
par le Sud; et, par TOuest, à la mefaza de Sidi-Khâled, 
contrée aride et inhabitée , qui est une espèce de sentinelle 
avancée du grand désert ; tandis que Touât, qui est à plus 
de a 00 lieues du littoral, communique avec celui-ci par une 
route où on ne trouve pas de sables, et où les habitants et 
les cultures se rencontrent sans presque aucune solution de 
continuité. La conclusion à tirer de tous ces faits est que 
la route indiquée par la nature des localités, pour com- 
mercer avec Tintérieur de TAinque, est par Tlemsên, Fi- 
guig, etc. ainsi qu*il a été indiqué plus haut; ou, ce qui est 
préférable poiu* beaucoup de raisons, par Alger, Médéa, 
Bor'ar, El-Ar'ouât', et R'ârdêia des Beni-M'zâb. Sur cette 
longue ligne, un tiers des populations est directement ou 
indirectement sous notre influence. Les M'zâbi qui abondent 
dans nos villes, où ils viennent chercher fortune, et qui, 
par leur aptitude pour le commerce , rappellent la nation 
juive , occupent en grande partie le reste de la ligne à par- 
courir. Il serait facile de lier avec eux des relations de 

* Shaw prétend le contraire; mais il est facile de voir que, trompé par le 
sens très-général que les indigènes donnent au mot S'ah'ra , il attribue «a 
désert des terrains qui sont cultivés ou cultivables. 



DU TRADUCTEUR. xi.iii 

négoce, où ils figureraient comme nos intermédiaires : cest 
une entreprise qui mérite detre tentée. 

EL-K'IBLA. 

Ce mot, que les Arabes prononcent Guibla, signifie le 
Midi. De même qu'en France on désigne spécialement par 
cette expression certaines parties du territoire, il est em- 
ployé ici en parlant des contrées situées au delà des mon- 
tagnes du petit Atlas. Il sépare le Tell du S'ah'ra. Le K'ibla 
est coupé par une chaîne de montagnes qui s'étendent de 
rOuest à TEst, sous divers noms, et que j'appellerai mon- 
tagnes bleues, désignation qui a pris spontanément naissance 
dans notre armée , et a été admbe jusque dans des rapports 
officiels. Nos soldats nayant encore aperçu cette chaîne que 
dans le lointain ont été firappés de sa couleur azurée, effet 
naturel de la distance, et lui ont imposé le nom que j'adopte 
ici, précisément à cause de sa signification ti*ës-générale. 
Les montagnes bleues divisent donc le K'ibla en trois par- 
ties distinctes. K'ibla septentrional, K'ibla montagnard et 
K'ibla méridional. Le K'ibla septentrional se compose de 
vastes plaines, légèrement accidentées, sauf dans les endroits 
où des chaînons d'une certaine élévation , se détachant des 
cimes les plus hautes de l'Âdas du Tell , poussent assez avant 
leurs ramifications, qui, quelquefois même, vont se con- 
fondre avec celles que les montagnes bleues envoient vers 
le Nord. Certaines plantes caractérisent ces plaines : ce 
sont le chih', le h'alfa, le guettaf , etc. Le récit de M. Fabre 
et les renseignements recueillis lors de l'expédition du gé- 
néral Marey chez les Oulâd-Nail doivent définitivement en- 
lever à cette contrée le nom de désert , qui lui avait été 



ALiv OBSERVATIONS 

donné si improprement. Le pays est, sinon partout habité 
et cultivé , du moins presque partout habitable et cultivable. 

Le K'ibla montagnard est accidentellement décrit par 
Moula- Ah' med , et par El-*Aîachi à son retour. Ce dernier 
voyageur raconte qu'en quittant une petite ville appelée 
Loua , la caravane apprit , à ime demi-étape de là , à Douîça , 
lieu situé à li milles du bourg des Oulâd-IDjelâl , que les 
Arabes se proposaient de lattaquer. On se jette aloi*s, vers 
le Nord, par le chemin du D'ahra, dans les montagnes 
qui séparent du Zâb le grand Chot, qui est auprès de Bou- 
Sa'da. Ce n est qu'après s être détourné de près de /i o milles 
de la route ordinaire , qu'on atteint le défilé appelé Khouza- 
el-Bot'om, ou le défilé du Térébinthe, d'où les pèlerins 
gagnent 'Abd-el-Medjid , rivière qui est sur le chemin habi- 
tuel des caravanes. El-Aîachi dit que le terrain parcouru 
dans ce détour est très-rude , et qu'on y eut très-firoid ( c'était 
à la fin de mars ) , ce qui ferait penser que la température 
de ces montagnes est à peu près celle de l'Atlas du Tell. 

En quittant El-Ar'ouât', la caravane dont faisait partie 
El-'Aîachi se divise en deux portions : la plus considérable 
prend une route qui incline au Sud , tandb que l'autre va 
par'Aîn-el-Mâd'i. Le chemin suivi par la majorité des pèle- 
rins traverse un pays montagneux et rude , où le fiK)id et la 
pluie accablent les malheiureux voyageurs. Ce n'est qu'au 
Sud-Ouest d'Er-Raçoul qu'ils se retrouvent sur la voie ha- 
bituelle. 

Dans tout le terrain parcouru, soit dans le K'ibla méri- 
dional, soit dans le K'ibla montagnard (que la caravane 
traverse quelquefois pour éviter des détours vers le Sud ou 
pom* d'autres causes) , El-'Aîachi ne fait aucune observation 
qui permette de supposer que ce soit là le désert ; au con- 



DU TRADUCTEUR. xlv 

traire , il parie très-souvent de la bonne qualité et de f abon- 
dance des eaux , de Tétendue et de la richesse des pâturages ; 
il cite parfois des bourgades et des tribus qui se rencontrent 
sur la route ; et s*il paraît résulter de quelques parties du récit 
que la population est faible , on ne peut rien conclure de ceci ; 
car, dans les lieux qui nous sont très-connus , ne trouve-t-on 
pas souvent des contrées fertiles et cependant inhabitées ^ ? 

Dans un des itinéraires de Mouia-Âh'med , ce voyageur 
signale, entre El-Ark et Ouadi-Rir', un grand désert qu*il 
appelle Mor'eran , et un autre , la Mefaza de Sid-Khâled , 
entre Sidi-Khâled et Ouadi-Rir'. La proximité d*Ël- Ark et de 
Sidi-Khâled autorise à penser que le Mor'ran et la Mefaza 
sont luie seule et même chose. Il résulte, du reste, de son 
propre récit , que les pèlerins trouvèrent de leau dans ces 
solitudes , bien qu^on leur eût annoncé qu'il n y en avait pas. 

Il me parait impossible de ne pas reconnaître , après la 
lecture attentive des documents contenus dans cet ouvrage, 
que le désert , ainsi que je lai dit dès Tintroduction , est 
beaucoup plus éloigné du littoral quon ne lavait imaginé 
jusqu'ici , et que les contrées désignées sous le nom de S'ah'ra 
par les indigènes ne répondent nullement à l'idée que ce 
mot nous en avait fait concevoir ; car elles sont générale- 
ment habitées et cultivées ou cultivables. 

Il existe encore , relativement au K'ibla , une opinion que 
je crois erronée. On a dit que cette contrée ne produisait 
pas de céréales : la preuve du contraire se trouve dans le 
récit de M. Fabre. Si donc, parmi les tribus qui l'habitent, 
il en est qui viennent faire des achats considérables de blé 

^ Il faut rappeler, toutefois, qu*El-*Aîachi , lors de son retour par le K'ibla, 
parie de sables entre NeA'a et El-'Ardj ; mais il fait observer à ce sujet que la 
caravane avait alors quitte la route habituelle et avait incliné vers le Sud. 



i 



xivi OBSERVATIONS DU TRADLCTELR. 

rlan<i le Tell , on ne peut tirer de ce £iit la conclusion ab- 
solue dont il vient d*étre parlé. Il me semble que la plupart 
des nomades du K'ibla ne se livrent pas à cette espèce de 
niihire, non point faute de terrains qui y soient propres, 
mnis pour donner moins de prise au pouvoir, quel qull 
/lotf. , qui cherche à les dominer. Sachant que les gens du 
Tf^ll ont besoin des dattes et autres produits de leur sol ou 
drs contr<^e<i situées plus au Sud, ces nomades sont toujours 
fidrn d'i'rtre reçus sur les marchés du Nord, moyennant quel- 
Hiw% mcri(ic(*% pécuniaires, sacrifices inférieurs i ce que 
Irtir rofitoniient les visites de collecteurs armés dont parle 
Vf. K«hrr. 



NOTE SUR LES HEURES. 



^indication des heures, chez les musulmans, se fait à 
l*aide d expressions dont la traduction ne laisse pas d être 
embarrassante, parce quelles ne rappellent pas, comme 
chez nous, des divisions exactes et uniformes du temps, qui 
restent les mêmes dans toutes les saisons, mais quau con- 
traire elles se rapportent à des circonstances essentielle- 
ment variables, selon les différentes époques de Tannée. 
Ainsi, l'heure qu'ils appellent moHreb, par exemple, et qui 
signifie «le coucher du soleil, » nest pas la même dans tous 
les pays ni dans toutes les saisons; de sorte que, traduire 
cette expression par «cinq heures après midi, » cest suppo- 
ser que le soleil se couche partout et toujours à la même 
heiu*e. Pour éviter ces erreurs, peut-être inévitables dans 
la traduction des mots par lesquels les musulmans expri- 
ment les divisions du temps , j'ai conservé les dénominations 
arabes. Je vais ici énumérer toutes celles de ces expressions 
qui se trouvent employées dans El-'Â!achi et dans Moula- 
Âh'med; j'essayerai de fixer leur valeur d'après les meilleurs 
^ossaires, d'après une étude attentive des deux manuscrits 
où elles sont employées, et les explications qui m'ont été 
données par des Algériens instruits. 

j>^ sàh'ar ( dans l'usage vulgaire ) , c'est le temps qui 
précède l'aurore, les premiers rayons du jour; 

j^fidjer, point du jom*, premier rayon de l'aurore; 

(jMb^CuJI 23^ i^ohu ech'chems, le lever du soleil. Cette 
expression emporte avec elle son explication. 

^5^ d'oVa. Ce mot, suivant quelques auteurs, est le 
pluriel de d'ah'oua, qui se dit au moment où le jour est 
élevé; c'est l'instant de la matinée où, après le lever du 
soleil , cet astre est le plus haut. D'oh'a exprime un moment 
encore plus avancé. Il résulte, des divers passages où ce mot 



2 VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 

De retour de ce premier voyage, il compose des 
notices séparées où il consigne le résultat de ses obser- 
vations. Il reproduit ici le préamhule de ce premier 
travail : « Je raconterai, dit- il, les événements de mon 
pèlerinage ; je donnerai les noms des endroits que j'au- 
rai vus , et j'en ferai la description , afin que les fidèles 
qui se rendent à la Mecque apprennent à connaître 
la route et les stations , sachant quels sont les chemins 
faciles, ceux qui ne le sont pas, les endroits où Ton 
trouve de l'eau et ceux qui en sont dépourvus. Je parle- 
rai aussi des marabouts , des savants et des personnages 
considérables que j'aurai eu occasion d'entretenir. » 

A la fin de rebi' io64 ( i653), il part ime deuxième 
fois pour la Mecque. Il se pourvoit de tous les livres 
dont il croit avoir besoin pour composer le récit de ce 
nouveau voyage. A son retour, il réunit les notes sépa- 
rées qu'il avait rédigées la première fois, et il en forme 
un tout. 

En 1069 (i658), il avait l'intention d'aller encore 
en pèlerinage; le mauvais état des chemins le force de 
renoncer à son projet. 

En 1072 (1661), il veut mettre son dessein à exé- 
cution ; mais il n'y eut pas de caravanes pour la Mecque 
cette année , à cause des guerres civiles qui désolaient 
le pays ^ El-'Aïachi se console de ce contre-temps en 
composant une longue pièce de poésie sur le mouloud 
ou nativité de Mahomet. 

* La réyolte de Moula-Rachid contre son frère Moula-Mok'ammed , 
émir de TafiléU. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 3 

L'année suivante , le sultan » voyant que le pays était 
un peu plus tranquille , permit à quelques personnages 
de haute distinction ou à des marabouts d'aller en pèle- 
rinage. Quoique notre vc^ageur ne fût pas du nombre 
des privilégiés et qu'on lui eût refusé le tesrih', ou lettre 
d'autorisation , il consulte la Divinité , au moyen de l'is- 
tikhara\ afin d'être fixé sur l'entreprise qu'il médite. 
« Les hommes intelligents , dit-il , et qui connaissent 
leur religion , ont recours à ce moyen , même pour une 
vente ou un achat, transactions de peu d'importance ; on 
doit, à plus forte raison, l'employer quand il s'agit d'en- 
treprendre un voyage long et dangereux comme celui 
de la Mecque. » Aussi El-'Aïafchi n'y manque-t-il pas ; 
et, ayant obtenu des augures favorables, il prépare tout 
pour partir avec un marabout qui avait un tesrih'. 11 est 
probable , quoiqu'il ne juge pas à propos d'en informer 
le lecteur, que cette autorisation s'étendait jusqu'à lui, 
ou que, par la suite, il en reçut une lui-même. 

Vers le milieu de rebi'-el-oouel ^ de l'année 1078, 

' On appelle istikhara un ensemble de pratiques religieuses par 
lesquelles on consulte Dieu sur les choses que Ton veut entreprendre. 
On se purifie, on fait la prière d'obligation (s'ela), on récite une 
oraison surérogatoire (deker) , après quoi on se couche, et on voit en 
songe ce qu*on doit décider. 

' Le manuscrit dit, « vers le milieu de moh'arrem, » par une erreur 
de copiste sans doute; erreur dont Tévidence ressort du reste de ce 
passage. En effet, El-*Aîachi arrive à Sedjelmâça, peu de jours après 
sa lettre, le jeudi 1" de rebi'-et-tani. Or, si moh'arrem était la leçon 
exacte , il sç serait écoulé la dernière moitié de ce mois , tout safar, 
rebi*-el-oouel tout entier, c'est-à-dire deux mois et demi , entre Tenvoi 
de sa missive et son arrivée au camp de la caravane. 



& VOYAGE D^EL-'AÏACHI. 

El-'Aiachi avait à peu près tout disposé pour son départ. 
La caravane générale, réunie à SedjekBâça, était alors 
sur le point de se mettre en route , la plupart des pèle- 
rins se trouvaient déjà rassemblés dans cette ville , et ils 
se souciaient d'autant moins d'y prolonger leur séjour, 
que tout y était hors de prix. Mais notre voyageur, qui 
avait pour ami intime Témir er-rekeb, ou prince de la 
caravane, Sid-Moh'ammed-el-H'afîân, écrivit à ce chef 
pour le prier de l'attendre pendant quelques jours , lui 
promettant d'être prêt au commencement du mois sui- 
vant. Afin d'être plus certain d'obtenir le délai qu'il 
désire , il envoie des lettres aux principaux de la cara- 
vane, entre autres à Sid-Ahmed-el-Khat'ib, k'âd'i de 
Marrakch (Maroc) et de ses dépendances, afin qu'ils 
appuient sa demande auprès de Sid-Moh'ammed-el- 
Hafïàn. Ses lettres arrivent à propos, car on allait se 
mettre en route ; mais , par une faveur insigne , on re- 
cula pour lui le moment du départ, ce qui contraria 
beaucoup les autres pèlerins. 

El-'Aïachi se hâta d'achever ses préparatifs; et, mal- 
gré les eflbrts de ses parents et de ses amis pour le 
retenir, il part de chez lui le i** de rebi'-et-tani de 
l'année 1078 (2 novembre 1662). Ici, on le laissera 
prendre la parole et raconter lui-même son intéressant 
voyage. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 



DEPART D'EL-AÏACHI. 



RÉCIT DE MON DEPART ; MES ADIEUX k MA FAMILLE , 
À MON PÈRE, À MES ENFANTS. 

Jeudi, i*' rebi*-et-tani 1078 (q novembre 166a). 

Je sortis de chez moi^ le jeudi, au point du jour; 
car le prophète a dit : « Le jeudi serahéni pour ceux qui, 
ce jour, se mettront en route de honne heure. «Aussi, dès 
le mercredi, j'avais fait sortir les tentes et le hagage 
pour être tout préparé à profiter de la bénédiction 
promise par l'envoyé de Dieu. Tallai visiter le tombeau 
de mon père, afin de prendre congé de lui. Ce devoir 
accompli, je fis mes adieux à mon oncle paternel, à 
ma mère, à toute ma famille, et je reçus les leurs. Je 
dis Toraison que Ton récite quand on entreprend un 
voyage, puis je me rendis à la mesdjid^, afin d'obte- 
nir la bénédiction attachée à cet acte. Je me dirigeai 

* Notre auteur n indique pas son point de départ; on verra piu6 
loin que c est le pays des AU-* Aîach , kabiles qui habitent la partie de 
TAtlas comprise entre les sources de la Moulouîa et celles de TOuad- 
Djîr. 

* Mesdjid, à proprement parler, est, par opposition à djâma\ unei 
mosquée où Ton ne fait pas la khot'ba, ou sermon solennel du ven- 
dredi. Cependant je dois avertir que notre auteur ne s'astreint pas à 
observer cette différence, et qu*il emploie, presque toujours le pre- 
mier de ces mots dans le sens de Tautre. Mesdjid, prononcé mesguidj 
dans beaucoup d* endroits , est Forigine du mezquita des Espagnols et 
de notre mot mosquée. 



6 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

ensuite vers le campement des autres pèlerins et visitai 
le tombeau de Sid- Abd-Allah-el-Mazr'i-ed-Dedici, qui 
était à côté du bivac. Dès le lever du soleil, on avait 
commencé à charger dans ce lieu, où j'avais fait porter 
tous mes effets. Là, je me séparai de mes parents, de 
mes amis, et les larmes coulèrent en abondance ^ 

Nous marchâmes toute cette journée jusqu'à l'ac'er*. 
Cependant nous n'arrivâmes ni à Hella (aJ^), ni à 
K'ec'er [jaoà ) , parce que , dans cette saison , les jour- 
nées sont courtes , et que les allées et venues des pèle- 
rins, les adieux, etc. nous avaient fait perdre du temps. 
Nous couchâmes près du défdé' de Toulichât ((^-â^^ 
c;>lûjd3), où nous fumes bien traités par les habitants, 
sous tous les rapports. 

Dans cet endroit , les allées et venues cessèrent ; le 
chagrin du départ conunença à se calmer, et la seule 
chose qui nous occupa était la crainte de nous trouver 
en retard avec la caravane qui nous attendait à Sed- 

' On supprime ici un passage relatif au chagrin du départ, etc. 
On a déjà vu, dans la préface, qu'il y aura souvent lieu de faire de 
semblables suppressions, dont on n'avertira plus, à l'avenir, pour ne 
pas multiplier les notes sans utilité. 

^ Voir la note en tête de l'ouvrage. 

' Khenk' , étranglement, défilé. C'est sans doute de cet endroit que 
Léon l'Africain veut parler, lorsqu'il dit ( tom. I, pag. io3] : «Le 
Cheneg est une province sur le fleuve de Ziz, qui confine avec les 

montagnes de l'Atlas les habitants sont les uns, pauvres 

en toute extrémité, et les autres opulents, parce qu'ils ont le gouver- 
nement du pas qui est entre Fés et Segelmesse, la où ils font payer 
de grosses gabelles aux marchands. Cette proviaoe a ^o milles d'é- 
tendue. » 



VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 7 

jelmàça, et, par conséquent, de manquer le pèleri- 
nage; car, au moment où j'envoyai des messagers pour 
solliciter un délai , j'en recevais qui me pressaient de 
partir. Mon frère Moh'ammed passa la nuit avec moi ; 
il devait m'accompagner à la Mecque ; mais il tomba 
malade subitement, et il lui fallut renoncer à son pro- 
jet et retourner dans notre pays. Ce contre-temps le 
chagrina tellement qu il en répandit des larmes. 

Vendredi, a de rebr-et-tani (3 novembre). 

Nous marchâmes toute cette journée jusqu à la nuit, 
et nous allâmes coucher à Ta'lâlin (0^^^). 

Samedi, 3 de rebi*-et-tani (4 novembre). 

C'était le premier jour de l'hiver. Nous entrâmes 
dans le défilé, et nous descendîmes à K'ec'er-beni- 
'Otsmân ((jL^ <^ j-A^i ^^â^), où nous couchâmes. J'y 
rencontrai mon ami le légiste [faki), Sid-Moh'anuned- 
ben-Es-Souci , qui passa la nuit avec moi , et dont l'inté- 
ressante conversation fît un peu trêve à ma doideur. 

Dimanche, U de rebi'-et-tani (5 novembre). 

Nous partîmes de K'ec'er-beni-'Otsmân, et, dans 
l'après-midi, à Tachia, vers cinq heures du soir, je 
visitai, en pèlerinage, le tombeau de l'imâm |Vfoula- 
'Abd-AUah-ben-T ahar-el-H açani , à Medr'ara ( ijàà^) ^ 

* Cest le chef-lieu du canton que Léon T Africain appelle Matgara, 
lequel est, dit-il, qa autre territoire hors de ce détroit [el-khenk'), 
Moula-Ah'med mentiCRine la tribu des Oulâd-*AbdÂllah ben-*Amar, 



8 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

Je passai la nuit chez le fils de ce saint personnage , 
Moula-Moh'ammed-ben-'Ali, qui me reçut fort bien. 
Il traita aussi les autres pèlerins, et ne négligea rien 
pour nous obliger ou nous être agréable , donnant du 
kouskouçou aux gens , de Torge aux animaux , et , en 
général, tout ce qui manquait aux nécessiteux qui na- 
vaient que peu ou point de provisions. Mon séjour chez 
lui fut des plus agréables. Que Dieu le comble de biens! 
Notre hôte tenait de son père une oraison à Taide 
de laquelle on ne courait aucun danger dans les lieux 
périlleux et on n avait aucun malheur à y redouter. II 
voulut bien me la communiquer. 

Lundi, 5 de rebi*-et-lani (6 novembre}. 

Je partis de chez cet homme généreux , et j'allai visi- 
ter le fak'i « légiste » Sid-Abou-Beker-' Ali-ben-el-H acen , 
qui mourut quelque temps après, au commencement 
de 1 oy^t pendant que nous allions en H'edjâz. Je des- 
cendis, ce jour, vers TOuad-er-Reteb (v*^' c^^'-j) ^ 
chez le raïs el-belàd « chef de canton » Moh'anuned- 
ben-Mor far, où je reçus une hospitalité libérale. 

Mardi, 6 de rebi'-ettani (7 novembre). 

Nous quittâmes TOuad-er-Reteb, et nous descendîmes 
à la zaouïa de Sid-Ah'med-ben-'Abd-^s'-S'adok'. J'y ren- 

comme apparlenant au canton de Medr'ara. (Voyez plus loin un pas- 
sage sur les Madr'ar-ebn-Fatin. ) 

^ Le mot Reteh est écrit Rêtel, par Léon 1* Africain, qui appelle ainsi 
lé canton de 5o milles d* étendue situé entre Medr'ara et Sedjelmâça. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 9 

contrai £bn-'Abd- Allah, fils de ce saint personnage; 
nous nous donnâmes réciproquement la bienvenue. 

Le pays était alors divisé par une guerre acharnée. 
Le parti à la tête duquel était le prince du pays (émir 
el-belàd) avait battu l'autre, avait dévasté son terri- 
toire et avait coupé deux cents palmiers. Que Dieu 
éloigne ce feu de discorde ! 

Mercredi, jeudi et vendredi, 7, 8 et 9 de rebi*-et-tani 
(8, 9 et 10 novembre). 

Nous partîmes au sl)ah'. Je rencontrai , dans le che- 
min , le chérif , le légiste Moula-Moh'ammed-ben- Abd- 
AUah-ben-S'aïd , qui me connaissait depuis longtemps 
et était un de mes amis. Lorsque nous primes congé 
Tun de Tautre, il me donna une oraison pour les en- 
droits périlleux ' . 

Nous marchâmes toute cette journée, et nous en- 
trâmes à Sedjelmâça (iÛMbV^) dans la soirée ('achîa.) Je 
descendis à la mous'alla-el-aïd (l'oratoire de la fête)^, 

* La prière généralement employée , en pareil cas , par les Algé- 
riens, est on verset du K'oran, quils appellent le verset du trône 
(aîat-el-korsi). (Test leur oraison de saint Julien. 

* On appelle ainsi un lieu où la population va faire la prière en 
certaines occasions, notamment le jour de Taîd-el-kebir, ou la grande 
fête, et celui de Taîd-es'-s'er'ir, petite fête à la fin du ramad'ân. Le 
mous'alla d'Alger était hors de la porte dite Bâb-el-Ouad. Dans des 
temps plus anciens , il avait été entre les murailles d'une vaste église 
chrétienne ruinée, sur l'emplacement de la grande mosquée actuelle. 
(Voyez, sur la mous'alla, M. de Sacy, Chresi. arabe, t. V\ p. iQti-) 
Le voyageur espagnol Badia, sous le pseudonyme d'Ali-Bey, dit, 
tom. I, pag. aa6 : «Je rappelle, à cet égard, qu'auprès de toutes les 



10 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

hors de la k'asl)a de cette ville. Je trouvai la caravane 
campée hors de Sedjelmâça, à El-R'orfa (A»yJl), où 
elle attendait depuis longtemps. L'êmir er-rekeb» 
Sid-Moh ammed-ben-Sid-Moh'ammed-el-H'alïân , était 
sorti le jour même de notre entrée , et la caravane se 
préparait à partir le jeudi. Sid-El-H'afïân, ayant appris 
mon arrivée , revint en ville et m'aida à faire mes pré- 
paratifs. Le départ fut, à cause de moi, reculé jus- 
qu'au samedi. Je ne séjournai donc que deux jours, 
temps qui ne suffisait pas pour ce que j'avais à faire. 
J'achetai tout ce qu'il me fallait pour le voyage. Je n'eus 
pas le temps d'aller visiter, en pèlerinage, les mara- 
bouts de l'endroit, ni de voiries personnes pieuses ou 
savantes qui y habitent. Je ne pus aller qu'à la k'oubba 
de Sid-'Abd-Allah-ed-Dek'ak' , ce qui suffira, aux yeux 
du Très-Haut, attendu que, si je n'ai pas fait d'autres 
pèlerinages , ce n'a pas été par un effet de ma volonté , 
mais seulement à cause de la hâte où j'étais. 

Sid-Ed-Dek'ak', dont je viens de parler, est men- 
tionné dans le Kitâb-et-Tchououf d'Et-Tadeli. Parmi 
les gens distingués de Sedjelmâça, ou reconunandables 
par leurs vertus et leur puissance , j'ai vu Moula-Mo- 
h'ammed-ben-Moubarak, dont la bienfaisance s'étend 
à tous les habitants de la ville. J'ai rencontré, en outre, 
le khat'ib de la grande mosquée ^ , M oula-Moh'ammed- 

villes, vers le quart du Sud-Est, il se trouve un endroit nommé El- 
Ëms'alla , qui est destiné à la prière pascale. » Dans cette hypothèse , 
la mous'alla d* Alger eut été mal placée. 

* Khat'ib, celui qui lit la kliot'ba à la mosquée. 



VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 11 

ben- Abd-Allah-ben-es-Sid, lequel est en même temps 
professeur de Fécole supérieiu*e {medreça)^ annexée à 
ladite mosquée. Le vendredi, dans Toratoire de Tê- 
mir, j'ai trouvé Sid-Ah'med-ben-Moh'anuned et son 
frère Sid-Moh'ammed-et-Tedjemouâti^ Je ne fis, faute 
de temps, qu'échanger quelques compliments avec 
eux. Enfin, dans le medjelès^ de ces oratoires , j'ai vu le 
k'àdl Sid-Red'ouân , le mouderris (professeur) Sid-El- 
'Arbi-ben- Abd-el- Aziz , et son frère Sid-Ah'med ; mais 
ce fiit seulement le joiu* de notre départ, et lorsque, la 
caravane étant déjà sortie, ils venaient pour prendre 
congé de nous. 

Pendant les deux jours que je passai à Sedjelmàça, 
je fiis très-bien traité par l'émir el-belàd, qui me donna 
même des provisions pour le voyage. J'avais amené 
trois chameaux avec moi, et j'en achetai un autre à 
Sedjelmàça. Je donnai le meilleur à l'èmir er-rekeb, 
et j'amenai les trois autres à Touàt. L'émir el-belàd 
fit des lettres poiu* tous les pays qui dépendaient de 
lui sur notre route , afin que mes chameaux reçussent 
des rations jusqu'à Touàt. 

Samedi, lo de rebr-et-tani (i i novembre). 

Je quittai Sedjelmàça le samedi lo de rebi'-et- 

' Dans le manuscrit 476 de la bibliothèque d* Alger, il y a deux 
pièces de vers sur des questions théologiques, dont Tauteur, Sid- 
*Abd*el-Mâlek-ben-el-Fak4-Sid-Moh'ammed-et-Tedjemouâti, est peut- 
être le fils du personnage dont parle Moula-Ah'med. 

' Lieu où Ton s*assied. A Alger, on donne ce nom au tribunal 
d*appel formé par les k'âd'i et les muili. 



12 VOYAGE DEL 'AÏACHI. 

tani Y et ne sortis de la ville que lorsque la caravane 
était déjà en route. Quand je passai sur le lieu de 
son bivac, je ny trouvai plus personne. Je suivis leiu*s 
traces, et si Témir er-rekeb n'avait pas laissé, au mi- 
lieu du chemin, quelqu'un pour m'attendre, je n'au- 
rais peut-être point retrouvé la caravane, que je ne 
rejoignis pas avant minuit. Elle était alors au bivac à 
'Aïn-el-'Abbâs (^Wl ^^). 



Dimanche, ii de rebi'-et-tani (la novembre). 

Le lendemain, nous séjournâmes en cet endroit 
pour attendre quelques compagnons qui étaient restés 
à Sedjelmâça, à cause de leiu*s affaires; ils nous rejoi- 
gnirent ce jour même. Là je reçus les adieux des der- 
nières personnes de mon pays qui étaient venues m'ac- 
compagner; et, à partir de ce moment, nous restâmes 
sans nouvelles les uns des autres. Je leur donnai des 
lettres pour mes parents et mes amis ; j'écrivis aussi à 
mes amis de Fês, ne sachant pas si je les reverrais 
jamais. 

Lundi, 12 de rebi*-et-tani (i3 novembre]. 

Nous partîmes d' Aïn-el-'Abbâs ^ , nous dirigeant vers 
une terre étrangère. Ce que nous laissions en arrière 

* M. d*Avezac, dans sa géographie de l'Afrique septentrionale 
(pag. i65), s'appuyant sur Tautorité du chérif Moh'ammed, place 
*Ain el-*Abbâs au-dessous de Fida en Tafilélt, k une journée sur la 
route de Touât. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 13 

cessa de nous occuper, et nous ne pensâmes plus qu'au 
but vers lequel nous tendions. 

Devant nous se développait une contrée vaste, où 
la population est rare et disséminée , un de ces endroits 
difficiles où chacun ne s'occupe que de soi, de ses 
bagages et de ses bêtes de somme. Dans le pays raviné 
que nous parcourions , Tœil n'aperçoit que la poussière 
soulevée par un vent continuel. Les chameaux et les 
oiseaux du ciel peuvent seuls traverser ces solitudes. 
Nous ne nous arrêtâmes qu'à Teucha. Sur l'emplace- 
ment de notre bivac , il y avait des trous creusés dans 
le sable , où nous trouvâmes de la bonne eau , qui va- 
lait celle que nous avions bue jusqu'alors. Nous y fîmes 
nos provisions pour trois jours , afin de traverser le 
h'ammâd (^U^). Chacun visita ses outres et les remplit. 

Mardi, i3 de rebi*-et-tani (i4 novembre). 

Nous partîmes au point du jour, et, vers une heure 
de l'après-midi, nous conunençâmes à gravir le h'am- 
mâd; nous couchâmes près du sommet ^ dans un en- 
droit que l'on appelle Ouad-es-Sebt' (ke^Jt ($5l>). 

Mercredi, 1 4 de rebi*-et-tani (i5 novembre). 

Nous partîmes de cet endroit et nous marchâmes 
toute la journée, jusqu'à la nuit, dans un terrain rude, 
difficile : on n'y trouve ni arbre , ni broussailles , ni herbe. 
L'œil n'y aperçoit que des nuages de poussière soulevés 

* Je traduis ainsi le mot kerh (ojO, que je n'ai trouvé dans aucun 
dictionnaire. La suite du récit indique qu'il ne peut avoir d'autre sens. 



14 VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 

par des vents continuels , qui , dans leur violence , ef- 
facent les traces de la marche des caravanes , à mesure 
que les pieds des hommes et des animaux les y im- 
priment. L'aquilon, qui soufflait en ces lieux, égalait 
en froideur ce qu'on ressent en enfer * ; les mots me 
manquent pour caractériser cette température rigou- 
reuse. Nous ne nous arrêtâmes pour la couchée qu'au 
mor'reh, et personne ne put dormir, de la nuit, à cause 
du froid. 

Jeudi, i5 de rebi*-et-tani (16 novembre). 

Le lendemain nous descendîmes du h'ammàd après 
lo d'ohor, et nous arrivâmes, avant Fac'er, à la couchée, 
Au-desvsous de cette montagne, dans un terrain rude, 
Aahlonneux et qui, cependant, of&it quelque pâtiu*e aux 
chameaux, pâture, toutefois, aussi insuffisante pour les 
raMMa.Hior que Test une goutte d'eau pour étancher la 
Moird'nn homme altéré. 

Vendredi , 1 6 de rebî*-et-Uni { 1 7 novembre) . 

NoiiM paiiimos de cet endroit et nous arrivâmes vers 
r( )iia(l hjir (/H«^ iS^^y)^ * l'heure du doh'a; cette rivière 
iml Kraiidis lai^o, hoixlée d'arbres. Il y a beaucoup de 
iiiniMi^ nt (Parbivs d«^ns les environs. Les cours d'eau 
fiMl y innlhioul >ionnont de très-loin et n'y arrivent 

' I i«« ihM«MlhmM« I i>M<nU «|u il V • en enfer un lieu appelé zenmuuir, 
iiM Im hnitl »««! o\htSui^ LV\|\ro5MiMi familière usitée chei nous (un 
linlil il t>Hh*i 1 \V\is\\ M^mv ^u M a e\i»li^ jadis quelque opinion ana- 



VOYAGE D'EL'AiACHI. 15 

qu^après plusieurs jours de marche. La source de TOuad- 
Djir est du côté de mon pays ^ ; ses bords sont couverts 
de cultures et de populations ; son cours est dans la 
direction du S'ah'ra , vers lequel il coule entre des rives 
parsemées de villages. Lorsque cette rivière arrive vers 
la partie du H'ammâd-el-Kebir qui est entre la vallée 
et Sedjelmâça, la population cesse jusqu'au premier vil- 
lage de rOuad-el-Açaouïr, endroit où elle reconunence 
et se continue , pendant environ dix journées , jusqu'au- 
près de Touât. Alors l'Ouad-Djir tourne sur la droite*, 
dans d'immenses sables. Cette vallée n'est pas d'un 
grand profit et est un lieu d'effroi; cependant, lorsque 
nous la parcourûmes , la paix y régnait ; nous y trou- 
vâmes des juments abandonnées à elles-mêmes, sans 
gardiens, et personne ne songeait à les voler, dans la 
crainte des punitions sévères que l'émir infligeait aux 
malfaiteurs. Ceux-ci, lorsqu'ils tombaient entre les 
mains de ce chef, ne pouvaient échapper au châtiment, 
et c'est à cause de cette justice rigoureuse .que , par la 
grâce de Dieu, le pays se trouvait délivré des mauvais 
sujets. 

Cette extrême sévérité envers les voleurs n'était pas 
conforme à la loi, et souvent elle s'exerçait à tort; mais 
c^était le seul moyen de faire cesser les vols; et, après 

^ Moula-Ah'med, qui a copié ce passage, bl substitué k mon pays , 
ces autres mots : le pays des Aït-'Aîach. Cette circonstance nous fait 
connaître la patrie de notre auteur, laquelle était, du reste, déjà indi- 
quée par son surnom de EÎ-'Aîachi, et par Titinéraire qu*il suit pour 
arriver de chez lui à Sedjelmâça. 

' Au Sud-Ouest ou à l*Ouest. 



I 



I 



16 VOYAGE D'EL-'AÏACHL 

tout , la mort de quelques-uns amenait la réforme de 
tous. 

Nous suivîmes TOuad-Djir jusqu'au moment du 
d'ohor, et nous nous arrêtâmes alors auprès d'un cours 
d'eau, que l'on appelle D'âïa el-H'amâr (jUil M^Mà). 

Samedi, 17 de rebi'-et-tani (18 novembre). 

Nous partîmes de cet endroit, et, après avoir traversé 
un autre h'ammada^, nous descendîmes auprès d'un 
lieu qu'on appelle Es-Sed (jwJt), sur un affluent très- 
abondant de rOuad-Djir. 

Dimanche, 18 de rebi*-el-tani (19 novembre). 

Nous quittâmes Es-Sed, et nous traversâmes, au d'oh'a, 
un lieu qu'on appelle Adjeli ( jLa»-1 ), le premier village de 
rOuad-es-Sàoura (ib^VjyJJ ^^^1^). C'était aussi le premier 
des endroits poxu* lesquels l'êmir de Sedjelmâça m'avait 
donné des lettres; mais là on n'eut pas égard, le moins 
du monde , à sa recommandation. Nous nous arrêtâmes , 
ce jour, dans un village qu'on appelle Fâzzer (j)^)- 

Lundi, 19 de rebi*-et-tani (20 novembre). 

Nous partîmes de ce lieu, et nous descendîmes au 

* Cette expression, un autre h'ammada, ferait supposer que ce mot 
a déjà été employé plus haut, ce qui n*est point le cas. Peut-être faut- 
il lire d! aïa-el-h' ammàà (le lac du h'ammad), au lieu de d' aïa-el-h! am- 
mâr, H'ammada ne se trouve pas dans les dictionnaires. Des indigènes 
de rOuest m*ont assuré que ce mot signifie un terrain sec et élevé , 
par rapport à des contrées basses et marécageuses. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 17 

bourg des Beni-'Abbâs {(j»X^ (^)y qui sont trois villages 
disséminés sur le penchant d'une petite montagne qui 
touche au bord de la rivière. Le canton^ fertile en pal- 
miers, offre beaucoup de beaux jardins fruitiers; on y 
voit aussi un canal d'eau courante et douce. 

Auprès de là, dans un autre village, vivait Sid- 
Ah'med-ben-'Abd-AUah-ebn-Abou-Meh'alli \ personnage 
qui jadis se mit en état de révolte ouverte , et dont la 
sédition avait commencé dans ce bourg. Aujourd'hui 
encore sa maison est connue et on la montre aux voya- 
geiurs. 

Comme nous descendions chez les Beni-'Abbàs, Sid- 
Ibrâhim-es-Souci m'envoya une lettre contenant une 
question; cet homme faisait le pèlerinage avec nous, 
mais je n'avais eu jusque-là aucun rapport avec lui. La 
question, formulée en trois vers, était relative à la poé- 
sie. J'ai oublié ces vers, mais en voici le sens : « Peut- 
on, pour les besoins de la rime, changer les signes, 
voyelles, en retrancher ou en ajouter? » Ceci me fit 
connaître que j'avais affaire à un poëte et je crus devoir 
lui envoyer une réponse rimée, dans laquelle je lui 
disais que cette licence, intolérable dans le langage 
libre , peut être admise en poésie , où la sévérité des 
règles met un auteur fort à l'étroit; mais qu'il fallait 
n'user d'xm pareil moyen qu'à la dernière extrémité, 

* C*e8t probablement le marabout révolté qui s*empara de Maroc , 
au commencement du \i' siècle de Thégire, après avoir battu *Ali, fils 
de loucef-ben-Tachfin , ainsi que le rapporte Léon TAfricain (lom. I, 
pag. 176) « qui rappelle El-Mah'eli. 



18 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

et lorsqu'il y avait impossibilité de faire autrement ^ . 
Nous quittâmes , au d ohor, les villages des Beni-'Ab- 
bâs , et , continuant de suivre la bande de pays habitée , 
nous descendîmes loin de ces villages , sur le bord de 
la rivière. 

Mardi, 20 de rebr-et-tani (22 novembre). 

De là nous allâmes bivaquer auprès d'un village 
quon appelle Bechir (j-a^). 



Mercredi, ai de rebi'-et-tani (aa novembre). 

Nous partîmes de Bechir, et nous laissâmes sur 
notre gauche Er-R'âfa (iC>U)l ) , canton où il y a beaucoup 
de villages qui possèdent des plantations de palmiers. 
Ce lieu est , de tout le Ouâdi , celui qui produit le plus 
de dattes. Une grande quantité d'Arabes le parcourent 
poiu* s'y livrer à la chasse . Nous ne traversâmes pas le 
Lton et nous primes par un h'ammada, que nous 
longeâmes sur son côté gauche , jusqu'à ce que nous 
descendîmes à un lieu appelé Foum-el-Medfa' (^^«xXl ^). 
C'est le point d'intersection de la route que nous venions 
de parcourir, avec le chemin de S'âber (^Uo), lequel 
coupe le H'ammâd-el-Kebir et va jusqu'à Mezer'mour 

^ Le procédé dont parle El-*Aîachi a quelque analogie avec celui 
qu*emploient nos poètes, et dont voici un exemple : 

Ah ! bon Dieu, je/n^mi. 

Pandolfe qui revient! fut-il bien endormi! 

( MoLiàKB , rétourdi . acU II , tcèa* 5. ) 



VOYAGE D'EL- AÎACHI. 19 

Jeudi, a a de rebi*-et*tani (a3 novembre). 

Après avoir quitté Foum-el-Medfa*, nous traversâmes 
un village que Ton nonuneBeni-Khalef (vjJ^ ^); nous 
marchâmes toute cette journée et nous allâmes biva- 
quer à la zaouïa de Sid-Ah'med-ben-Mouça {^^^^x^ isj^t) 
(^j.« (^ <,v,»j>.t). L'amel, ou chef du pays, me traita, 
ainsi que toute la caravane , et il me fournit tout ce que 
Têmir de Sedjelmâça lui avait recommandé , par sa lettre, 
de me donner. 

Vendredi, a 3 de rebr-et-tani (a4 novembre). 

Nous partîmes au s'bah' , après avoir visité , en pèle- 
rinage, le tombeau de Sid-Ah'med-ben-Mouça. Nous 
marchâmes dans le canton qui dépend de cette zaouïa ^ 
jusque dans un lieu qu'on appelle Et'-T'ouïP (J^jUl), 
lequel est à Textrémité méridionale dudit canton. 

Samedi, a/i de rebi*-et-tani (a5 novembre). 

Nous partîmes d'Et'-T'ouïl, et, laissant les bourgs 

' Les tribus désignées sous le nom de zaouïa sont fixées auprès 
de la demeure des marabouts vivants, et des k'oubba ou tombeaux 
des marabouts morts. Les individus qui les composent sont consi- 
dérés comme autant de serviteurs de ces saints personnages. En effet, 
le marabout ou ses ayants droits les commande seul, et perçoit, à 
son profit , toutes les redevances attribuées ailleurs au beylik. Comme 
il y a presque toujours un enseignement dans ces k'oubba, elle» 
prennent le nom de zaouïa. 

' *Ogla-T'ouïla , de Titinéraire du chérif Moh'ammed, cité par 
M. d*Avezac, est peut-être notre T'ouïl. * 






20 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

des Oulâd-Râfia' (^b ^^^0 ^^^ notre gauche, nous tra- 
versâmes un h'ammada, et iious allâmes bivaquersur 
un cours d'eau que Ton appelle FOuad-T'emraoub 
((j^^Uut dl^). Nous y fîmes nos provisions d'eau pour le 
séjour. 

Dimanche, a 5 de rebi*-et-tani (a6 novembre]. 

Nous quittâmes cet endroit, et une partie de la cara- 
vane suivit rOuad, en passant par des villages qu'on 
appelle El-K'as'bât («^Lyâiit). Le reste prit à gauche de 
ce canton , parce qu'il croyait que l'on s'égarerait si l'on 
continuait de suivre l'Ouad. Les deux troupes ne se 
rejoignirent qu'à l'eucha; et nous nous arrêtâmes toiis 
ensemble au coude ^ de l'Ouad, dans un défilé de la 
montagne où la rivière tourne , se dirigeant vers les 
sables. 

Lundi, a6 de rebi*-ettani (27 novembre). 

De là , nous allâmes vers le h'ammâd qui est entre 
Touât et l'Ouad, et nous descendîmes à un endroit 
qu'on appelle Ed-Demirk'a (Xi^jJ! ). Ce mot est un di- 
minutif de dinu*âk' , nom d'un arbre dont les chameaux 
se nourrissent volontiers, et qui a la propriété de les 
engraisser. On appelle ainsi cet endroit parce qu'il y 
croit beaucoup de ces arbres. 

' Le manuscrit porte ici ^^[Jt>kt. La contexture de la phrase ne 
permet pas, il me semble, de donner un autre sens k ce mot que 
celui de coude. Dans tous les cas, ce ne peut pas être fin, puisque 
Tautcur ajouté que là la rivière tourne, se dirigeant vers les sables. 



VOYAGE DTL-'AÏACHI. 21 

Mardi, a 9 de rebi*-et-tani (a8 novembre). 

Nous partîmes de Demirk'a, et nous marchâmes toute 
la journée. Nous n'arrivâmes à Ei-H'aç'oua [^^^yaÂ) que 
vers le premier tiers de la nuit. Ce lieu est un tenïa , ou 
col , à la fin du h'ammâd qui domine le pays de Touât 
(i=»ty). Je n avais jamais fait une pareille étape avec 
autant de fatigues et de faim poiu* les hommes et les 
animaux.. Nous n'arrivâmes au bivac qu'après une 
très-forte journée et une nuit de marche. Dieu veuille 
que ce soit là notre dernière mauvaise journée I 

Mercredi, a 8 de rebi*-et-tani (ag novembre). 

Nous partîmes d'El-H'aç'oua , et nous entrâmes dans 
le commencement du pays de Touât par les boiu^ades 
que Ton appelle Tsâbet ^ (ow^^Uj). 



Jeudi, ag de rebi*-ettani (3o novembre). 

Dans la principale de ces boiugades, je visitai en 
pèlerinage Tami de Dieu, Sid-Moh ammed-S'âlah', élève 
de Sid-Abou-er-Raouaïn , qui est enterré à Meckneça de 
FOuest. Nous y arrivâmes, au d'oh'a, le jeudi , dernier 
jour de rebi'-et-tani ^, et nous y restâmes six joiu^ *. 

* Léon l'Africain (t. I, p. g) , en énumérant les villes ou bourgades 
du S'ah'ra barbaresque occidental , cite Tegyad (Touât), Tsâbit , Tégora- 
rin, etc. n est probable que ce Tsâbit est le Tsâbet cité par £l-*Aîacbi. 

* Après la date de son départ, celle-ci est la seule que donne £1- 
*Aîachi jusqu'à cette époque de son voyage; mais ces deux indications 
ont suffi pour la construction du calendrier de Titinéraire, dont la 
concordance est parfaite. 

' El-*Aîachi ne donne pas ici ie nom de cette bourgade ; mais plus 



22 VOYAGE DEL 'AiACHI. 



Vendredi, samedi, dimanche, lundi, mardi et mercredi, 
1, a, 3, 4« 5, 6 djoomàd-el-ooael (i, a, 3, 4« 5, 
6 décembre]. 

SEJOUR. 

Nous vendîmes dans cet endroit les chameaux et les 
chevaux malades ou fatigués, et nous y achetâmes des 
dattes. Ce fruit oflBre dans ce pays beaucoup d*espèces 
différentes , qui se vendaient à fort bon marché. 

Je ne trouvai point dans cet endroit im seul mara- 
bout, un honmie pieux ou un savant; ce sont tous des 
ignorants qui ne savent pas même écrire, des gens de 
commerce dont les moyens d'existence sont principale- 
ment basés sur la vente des dattes. A la sortie de la 
ville, il y a de beaux pâtiu^ages pour les chameaux ; les 
nôtres s'y reposèrent de leurs fatigues et y engraissè- 
rent pendant le temps de notre séjour. 

La valeur du mitk al ordinaire ^ parmi les gens de 
ce pays , est de vingt-quatre mouzounat. Ils ont encore 
un autre mitk al de quarante mouzounat, qu'ils appellent 

bail, en quittant ce lieu, il dit : « Nous quittâmes Touât, etc. » Dans 
iinif liillre a ses parents, qui est à la page 77 du manuscrit, il dit en- 
tom , à propos de la même localité : « Le 7 de djoumàd-el-oouel , je 
pMrti» iUi Touât, etc. » 

' Mitk' ai Les monnaies ont subi de telles variations, dans les 
rJiitn Httrhantsques , qu'il est presque impossible d*assigner leur va- 
If'iir u iJiM* éptKpjc donnée. Cependant, par des motifs qu*il serait peu 
Mhlf ci fort tofi^ du développer ici, je pense que le mitk'al ordinaire 
» iil.ijt mIoi'a '\ fninr«i 60 centimes, et le mitk'al clierifi, 6 francs. 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 23 

cherif, du nom de Têmir Ech-Cherif, prince de Sedjel- 
mâça , dont leur pays est une dépendance. 

Je fis la prière du vendredi dans cet endroit, le len- 
demain de notre arrivée. Le khat'ib lut la khot'ba siu* 
un papier, ainsi que le sermon. Ce dernier morceau 
était assez bon, et il Tavait sans doute trouvé tout 
fait siu* un vieux livre. Il est permis de le croire, à la 
manière dont il Testropia à la lectiu*e. Quoi qu*il en 
soit , il se bâta d^en finir par la formule : « Ecoutez la 
parole du prédicateur, suivez ses conseils, et que le 
salut soit siu* vous ! » Un homme de la caravane , qui 
assistait à ce sermon, pleiu:*ait abondamment; je crus 
d'abord qu'il en faisait semblant, mais, à ma grande 
surprise, je reconnus, en l'observant avec plus d'atten- 
tion, qu'en efiet ses larmes étaient sérieuses. 

Ce fiit par les motifs suivants que nous séjoiunâmes 
dans ce lieu : lorsque le change de l'or s'était élevé à 
Tafilêlt, la majeure partie des pèlerins avait résolu d'en 
prendre à Touât, où ce métal est à fort bon marché. 
D'ailleurs , ils n'avaient pas fait toutes leurs provisions 
à Tafilêlt, à cause de la cherté des denrées , et il fallait 
les compléter dans cet endroit. 

Les bourgades de Tsàbet sont le rendez -vous des 
caravanes qui viennent de la ville de Timbouktou , du 
canton d'Âgri et des différentes parties du Soudan. On 
y trouve des étoflfes de toutes espèces et des marchan- 
dises de tout genre qui y arrivent en grande quantité. 
C'est l'entrepôt des articles qui viennent du Maroc , à 
la demande des gens du Soudan , tels que chameaux , 



24 VOYAGE DEL-'AÎAGHL 

vêtements de drap et de soie ; de sorte qu^une caravane 
qui se rend à Tsâbet y trouve un marché important. 

Jeudi, 7 djoumàd-el-oouel (7 décembre). 

Nous quittâmes Touât après avoir été rejoints par 
une compagnie de gens de ces endroits , qui voulurent 
faire le pèlerinage avec nous. Laissant derrière nous les 
bourgades de Touât, nous tournâmes, à gauche, vers 
la ville d'Aouguert (o^l), et nous nous arrêtâmes au 
village d'Ed-Der âmcha ( iûâytU jJl ) , près la zaouîa de 
Sid-'Abd-Allah-ben-ramt'am. 

Vendredi, 8 djoumâd-el-oouel (8 décembre). 

Conmie nous partions de cet endroit , Têmir er-re- 
keb alla , avec quelques amis , visiter le marabout. Dieu 
ne voulut pas que je les suivisse , parce que, la caravane 
ayant pris sur la droite , et me trouvant à pied , je ne 
pouvais marcher vite ^ D'ailleurs, le pays que nous par- 
courions était du sable. 

Lorsque nos compagnons nous rejoignirent, ils ne 
tarirent pas en éloges sur le saint homme qu'ils venaient 
de visiter et sur Taccueil hospitalier qu'ils en avaient 
reçu. Il traitait ses hôtes, disaient-ils, avec des niets 
qui , dans ce pays , sont aussi rares et aussi chers que 
des médicaments. 

' On voit, par plusieurs passages, qu*Ei-'Aîachi accomplissait le 
pèlerinage à pied. Comme il avait des chameaux et des chevaux, c^était 
sans doute dans des vues de mortification qu*il agissait ainsi , ou bien 
accidentellement. 



VOYAGE DEL -AIACHI. 2S 

D'après ce qii'on nous rapporta, ce marabout ne per- 
met à aucun .\rabe du pays de venir manger chez lui ; 
et lorsqu'il y a des étrangers, et que quelques-ims de 
ces Bédouins se mêlent à eux. il les fait sortir et dît aux 
hdies : • Je ne veux pas que ces brigands Wennent ici 
prendre des forces avec mon kouskoucou, pour aller 
ensuite attaquer tes musulmans stir les chemins. • Ft 
lonqu'il met ainsi outrageusement dehors ces hommes 
vigoureux, et qui ne reculent devant aucun crime, il 
est à remarquer qu'il n'en est pas un qui ose lui ré- 
sister. 

Un des pèlerins me raconta que , lorsqu'ils prirent 
congé de ce pieux personnage , il leur lut la fath'a', puis 
leur (h rimpositioo des mains. Un homme de la cara- 
vane, qui ne s'était pas trouvé à la prière, vint easiiite 
lui demander de Lre la fath'a pour lui seul. • Une fath'a , 
répondit le marabout à cet importun, suffit pour le 
monde entier. • 

Lorsque nos amis . qui avaient visité le saint homme . 
nous rejoignirent, nous étions arrivés an hour^ qu'on 

L» n>Ol, qui signifie oarerlure. p*l le nom rlu pmnier rhapiir"* 
da K'onw, de cehii qoi oam ou cofiin»eT¥^ ee lÎTrc II mi itevciin , 
poor )» lauHilniaiH, une priire a laquelle iU attrihiiml <in<* srmAf 
è. On T tiiMiTe les sept TerseLi «uWant* - 
s 1 Dieu, MMUfratD de Taniim. 
JjrC rié»ent, le niii^Ticanliein , 
Snoienui ao jour de la létiilMilMo. 
Ceit loi tfut nom adoroM. ce«t tni dnat nmw implnmn* -r -»■•->'• 



26 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

appelle Oulâd-Mah'moud {^y^ ^^^0 * ^^ ^^ ^^^^ partie 
du canton d'Ed-Der'âmcha. 

Samedi, dimanche, lundi 9, 10, 11 djoumâd-el-oouel 
(9, 10, 11 décembre). 

De cet endroit, nous allâmes à Aouguert, où nous 
arrivâmes à Feucha. C'est un assemblage de bourgs nom- 
breux, où il y a des palmiers. Ils font partie du pays de 
Tedjourâren (y;l;>^)- Là on acheta ce dont on avait 
besoin en fait de provisions, pour arriver jusqu'à Ouâre- 
gla ^ Nous séjournâmes deux jours à Aouguert, et nous 
y échangeâmes les chameaux malades ou fatigués *. 

Me trouvant auprès de la zaouïa de Sid-'Omar-ben- 
Moh'ammed-Salah-el-Ans'âri-el-Khazradji-ech-Châmi, 
je rencontrai un fak'i (légiste), Sid-Moh'ammed-ben- 
Moh'ammed-ben-'Ali-ben-Abou-Beker, homme instruit. 
Il m'adressa deux questions, l'une sur les h'abous ou 
sidjstitutions , l'autre siu* la vente. 

J'ai appris, par des gens véridiques, des t'o'lba de 
Touât et de Tedjourâren, une coutume singidière de 
leiu* pays. Si une femme , à la suite d*ime querelle avec 
son mari, force celui-ci à la répudier, il amène deux 
témoins, et leur dit en parlant de sa femme : «Té- 

* Le copiste a écrit %^L^[j, mais Terreur est tellement évidente, 
que l'on n*a pas hésité à rétablir la véritable leçon. 

* Dans une lettre qu El-'Aîachi écrit à ses parents, et qui est à la 
page 73 du manuscrit, on trouve ce passage : «Le 7 de djoumâd-el- 
oouel, je partis de Touât, et descendis à Aouguert, après trois jour- 
nées de marche. J'y restai deux jours; j'y changeai deux chameaux, 
en donnant, par-dessus le marché, environ vingt mitk'al. 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 27 

moins, vous certifiez que je répudiç sa vue, ses ac- 
tions. « Quand la femme, le temps légal étant expiré, 
désire contracter im nouvel hymen, elle ne trouve per- 
sonne qui veuille la prendre avec un pareil acte , lequel 
n exprime pas une intention formelle de divorce , comme 
la loi l'exige; de sorte quelle est obligée de revenir à 
son premier mari. Les t'o'lba qui m'ont raconté ceci 
prétendaient que cette action était basée sur l'autorité 
d'un fetoua ou décision, mais je ne sais où ils ont vu 
ce fetoua ^ 

Mardi, 12 djouiuàd-el-ooue] (12 décembre). 
RÉCIT DE NOTRE DEPART DE AOUAHDETS. 

Aouah'dets est la dernière des villes qui sont sous la 
dépendance de Sedjelmâça. Nous en sortîmes au s'bah', 
le mardi 12 djoumâd-el-oouel , nous dirigeant vers 
Ouâregla ^. Il partit avec nous une compagnie de gens 
du pays, qui allaient en pèlerinage. Nous prîmes le 
chemin de l'Ouad-Ouamguiden (^j«3sa5C«^ àl^), dirigés 

^ On supprime la suite de cette digression, qui n*offrirait aucun 
intérêt, ainsi que des dissertations théologiques qui remplissent de- 
puis la page 20 jusqu à la page 32 du manuscrit. 

* El-*Alachi a oublié de dire que Aouah'dets est la même chose que 
Âouguert, ou que c*est, au moins, une bourgade de cette contrée; 
car, après avoir dit qu il arriva à Aoug:uert le samedi 9 de djoumâd- 
el-oouel, qu*il y séjourna le dimanche 10 et le lundi 1 1, il ajoute qu*il 
part de Aouah'dets le mardi 12, sans autre explication. Il résulte, 
cependant, de la date de Tarrivée, de celle du départ et de l'indica- 
tion du s^our, qu'il est impossible de ne pas admettre une des deux 
hypothèses exprimées ci-dessus. 



28 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

par un Arabe d'Ël^Khonàfsa (iLiMiUâll), que le chef de la 
caravane avait loué poiu* nous montrer la route. U y a 
beaucoup de maYen, ou fosses remplies d'eau, dans 
ce Ouad; on ne fait presque pas une journée de marche 
sans en rencontrer. L'eau est douce , abondante , et les 
Arabes de la contrée disent à ce sujet : « Dans TOuad- 
Ouam^den, on ne s'inquiète pas de l'eau; tous les 
jours on en trouve. » Cependant, lorsque nous y pas- 
sâmes , la plupart de ces fosses étaient comblées , parce 
que les Oulâd-Mah'moud, Arabes de Touât, craignant 
une inciu'sion de la part des Beni-Saïd (oyyun» c^) , leiu^ 
ennemis, avaient bouché toutes celles qui se trouvaient 
sur la route de ces derniers. 



Du mercredi i3 au jeudi ai de djoumâd-el-oouel 
(du 1 3 au ai décembre). 

Nous continuâmes de suivre ce Ouad, et chaque 
jour nous trouvions de l'eau. Le temps était alors très- 
froid, et se maintint d'ime rigueur excessive jusqu'à 
notre arrivée à un boui^ qu'on appelle Ouâlna ((^^Jl^), 
c'est-à-dire le dixième jour depuis notre départ de 
Aouah'dets. 

Après que nous eûmes traversé ce bourg , nous trou- 
vâmes un pays de sables qui étonnaient l'œil par leur 
étendue. Nous le parcoiu:*ûmes avec beaucoup de peines 
et de fatigues, et nos chameaux eiurent encore plus à 
souffrir que nous. A l'aspect de cette inunensité de 
sables, je me rappelai cette parole , «Bénissez notre 



VOYAGE D'EL'AlACHI. 29 

seigneur Mahomet autant que le sable est étendu ; » et 
j'en compris toute la portée ^ 

Le bourg dont j'ai parlé plus haut, Ouâlna, était 
aussi désolé que le désert dans lequel il est situé. Il ne 
mérite même pas le nom de bourg, car on ny trouve 
qu'un petit nombre de palmiers, dont la plupart sont 
morts, et ressemblent à des mâts que le vent balance. 
Le^ huttes sont construites avec les tiges de cet arbre , 
et les poutres des plafonds proviennent de la même 
espèce de bois ; elles sont de la longueiu* d'im homme 
debout. On place les dattes sur le toit qu'elles forment, 
parce que, si on laissait ces fruits à terre, le vent les 
emporterait , ou le sable ne tarderait pas à les couvrir. 

Nous ne trouvâmes qu'un seul homme dans Ouâlna ; 
il était avec des femmes de sa famille qu'il gardait. Il 
descend d'im saint personnage , appelé Sid-Moh'ammed- 
ben-Mouça, lequel est enterré dans une espèce de bâ- 
timent qui, nous a-t-on dit, fut la première construc- 
tion de ce bourg. C'est ce vénérable marabout qui a 
fondé Ouâlna, qui a découvert l'eau que l'on y boit, et 
planté le peu de palmiers qui s'y trouvent. Les Arabes 
de cette contrée qui venaient à s'arrêter dans cette 
solitude protégèrent la bourgade à cause, du saint. 
Dans leurs guerres ou leurs contestations, ils prenaient 
celui-ci pour juge, et ils lui apportaient des provisions 
en offrande. 

^ C*e8t un h'adits, ou tradition, qui a été rendu populaire chez les 
musulmans, par Touvrage, très-répandu, qu*ils appellent Dâleîl-el- 
Kkeïrât (la route du bien], lequel est une espèce d'eucologe. 



30 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

Je trouvai dans la zaouïa de Sid-Mouça , un volume 
du Naouazil d*El-Bourzouli \ de Técriture de rimâm 
Ez-Zerrok'; la pluie avait un peu gâté ce livre. J'y vis 
aussi un idjaza^, ou certificat en écriture orientale. 
Siupris d'une pareille rencontre, je me demandai com- 
ment cette pièce était arrivée dans ce bourg. Après 
réflexion, je pensai que ces objets pouvaient provenir 
de la bibliothèque de Sid-M oh'ammed-ben-Isma'ïl , qui 
était mort à Tegourâren^ en io64 ou io65 (i653- 
i654 de J. C). Ce personnage possédait alors ime 
grande quantité de livres, qu'il légua, par testament, 
aux villes sacrées de la Mecque et de Médine , ajoutant 
qu'il voulait que son corps fût embaïuné , transporté et 

* L*ouvrage dont il est ici question traite du droit, et il est en 
grande réputation. L*auteur, Abou-K'acem-ben-Ah'med-el-Bourzouli, 
a été mufti à Tunis. Le Kefaîa, dictionnaire biographique arabe (ms 
i56 de la bibliothèque d* Alger), le fait mourir en a 4a. La biblio- 
thèque d* Alger possède, sous le n"* iia, une copie du Naouazil. 
Voyez Tintroduction , pour ce qui concerne le cheikh Zerrok'. 

* Idjaza, certificat de capacité qu*un cheikh ou maître délivre à 
son disciple (telmid) , et qui donne à ce dernier un caractère régulier 
et légal pour professer ou pour exercer des fonctions relatives à la 
science qui lui a été enseignée. 

^ On a vu plus haut que ce mot était écrit Tedjourâren. Le ma- 
nuscrit porte tantôt ^j\jyf et tantôt oj^j^' Cependant la pre- 
mière leçon est la plus fréquente. On observe la même variation pour 
Figuig, qui est souvent écrit Fidjidj. Je crois que la prononciation, 
malgré ces divergences graphiques, ne change pas, et que si on 
emploie indifféremment le kaf à trois points ou le djim , c*est que , de 
ce côté, cette dernière lettre se prononce probablement gae comme en 
Egypte, ou que le copiste a oublié de placer, dessous, les trois points 
qui lui donnent la valeur du cé . 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 31 

enterré à la cité sainte. Pour ce dernier objet, il avait 
consacré une somme de plus de trois mille soult'ani, 
destinés à celui qui exécuterait sa volonté. Il donna en- 
core ime jument noire, animal excellent, poiu' qu'elle 
restât à la disposition des moudjihadin (ceux qui font la 
guerre sainte). Enfin, il affranchit ses nègres, et leur 
fit un legs à chacun. 

Après sa mort, les gens de la ville exécutèrent ses dis- 
positions testamentaires, sauf l'article relatif au trans- 
port du cadavre, dont personne ne voulut se charger. 
Comme le défimt était connu siu* toute la ligne des ca- 
ravanes de la Mecque , et qu'il passait pour im homme 
fort riche , on craignait que celui qui transporterait sa 
dépouille mortelle ne fût soupçonné d'avoir commis im 
meiulre, et inquiété au Kaire ou dans le H'edjâz. On 
enterra donc Sid-Moh'ammed à Tedjourâren, et ses 
livres restèrent dans ce lieu pendant plusieurs années. 
On les transporta , par la suite , à El-K'olïa , attendu que 
l'émir de Tedjourâren voulait s'en emparer. Ils demeu- 
rèrent encore quelques années dans cette ville , jusqu'à 
ce queSid-'Ali-ben-Cheikh-el-H'afiân, allant en pèleri- 
nage, les emporta avec lui. Mais, dans tous ces déplace- 
ments, il s'en était perdu la majeiu-e partie. J'en ai vu 
quelques-uns, et, par la connaissance que j'avais du ca- 
talogue de ces ouvrages, je me suis aperçu que la plu- 
part manquaient. Le propriétaire lui-même m'en avait 
dit le compte à Figuig, un an avant sa mort. Il y avait 
alors près de quinze cents volumes; or il n'en arriva à 
la Mecque guère plus de cent soixante et dix. Je les ai 



32 VOYAGE DEL- AÏACHI. 

examinés presque tous; c étaient des livres précieux. Le 
grand vizir du sultan de Constantinople les avait achetés 
poiu* le défiint , par suite d^une circonstance qui vaut la 
peine d'être rappelée. 

Ce vizir, avant d'être arrivé au poste élevé qu'il occu- 
pait, avait rencontré Sid-Moh'ammed à Bagdad (Bar- 
dâd), au tombeau de Sid- -Kbd-el-K'âder-el-Djilâni K II 
était alors 'amel d'un district considérable des posses- 
sions du sidtan. Quoiqu'il ne fût pas en très-bonne posi- 
tion auprès du souverain, le désir d'arriver à la dignité 
de vizir le toiumentait au point , qu'il dit un jour à 
Sid-Moh'ammed : « Priez le Seigneiur pour que je de- 
vienne vizir; et, si vos prières sont efficaces, ce que vous 
me demanderez je vous l'accorderai. Fixez même, dès 
à présent, ce que vous voidez que je vous donne. » 

Le défunt lui répondit : « Il y a dans cette ville des 
livres très-précieux; je n'ai pas assez d'argent pour en 
acheter autant que je voudrais. » Plus tard l'amel, de- 
venu vizir, envoya chercher le crieur de livres, et lui 
dit : « Tout ce qui te viendra de manuscrits entre les 
mains, porte-les à ce savant, afin qu'il les examine ; laisse- 
lui ce qu'il choisira, puis viens recevoir le prix chez moi 
pour le remettre au propriétaire. » La chose s'exécuta 
selon ses ordres. 

' Ce marabout , que les Algériens appellent El-Djîlàli , par corrup- 
tion, est vénéré par eux dans une k'oubba célèbre, qui est située sur 
le bord de la mer, dans le faubourg Bàb-^\zoun. Dans un manuscrit 
de la bibliothèque d^Vlger (n° 69 J), on le trouve désigné sous les 
noms suivants : Abou S'âlali'-Moh'ammed-Mah'i-ed-din-*Àbd-el-K'ader- 
es-Sid-el-Djilàni. 



VOYAGE D'EL- AÏACHI. 33 

Outre que Sid - M oh'ammed était un saint person- 
nage, il possédait une grande instruction sur toutes 
sortes de matières. Il avait voyagé de tous côtés, à l'Est 
et à rOuest , jusque dans le Maroc. Il avait vu le pays de 
Tunis et même le Soudan; il séjourna sept ans au Kaire , 
du vivant du cheikh El-LakTc ani ^ 

Il m'a raconté que pendant son séjour au Kaire il 
avait lu sept fois le Mokhtaç'ar de Sid-Khelil ^, et qu'il 
avait eu des conversations avec tous les savants qui se 
trouvaient alors dans cette ville. Il avait habité aussi, 
pendant longtemps, la Mecque, Médine, et avait voyagé 
dans riémen, où il avait cherché à inculquer aux habi- 
tants une morale un peu sévère ; mais ses exhortations 
restèrent sans effet. Il alla également dans l'Irak', et sé- 
joxuna à Bar'dâd, où il adopta la discipline du cheikh 
'Abd-el-K'âder-el-Djilâni, et apprit sa deker ou oraison 
particidière. De là il se rendit à Constantinople, où il 

' Ce cheikh est très-célèbre, en Afrique, par un ouvrage sur le 
Tonh'id, ou unité de Dieu. La bibliothèque a plusieurs copies du 
texte et des commentaires, sous les n"* 6, 71, 344, 456, 467 et 5o3. 
Le nom plein de cet auteur est 'Abd-es-Selàm-ben-Ibrâhim-el-Mâleki- 
el-Lak'k'ani-el-MasVi. Il est mort le vendredi i5 chaouâl de 1078 
11667 de J. C. ). Une courte biographie de ce docteur se trouve sur la 
page de garde du manuscrit 469 de la bibh'othèque d'Alger. 

^ Cet ouvrage est généralement connu ; il est le code des musul- 
mans qui professent la secte de Mâlek-ebn- Anâs , ce qui est le cas de 
Timmense majorité des indigènes de l'Algérie. Il est à désirer qu*à 
Timitation du gouvernement anglais, qui a fait traduire TMedaîa, le 
gouvernement français fasse traduire le Moklitaç'ar de Sid-Khelil , avec 
les annotations essentielles de ses principaux commentateurs , qui sont 
'Abd-el-Bak'i, ElKharchi et Ech-Chebrakhiti. 



.Vi VOYAGE DEL AiACHI. 

prc'rlia la religion et sa morale à principes rigides, 
HiîUH s'inquiéter de froisser les princes et même le sul- 
tan. Kn 1 060, il vint à Tripoli sur un bâtiment de 
giiorrc, en passant par la Grèce. Je le rencontrai alors 
h M<î(;'ourata, au tombeau du cheikh Ez-Zerrok' \ et il 
in(^ il il ((iril se sentait appelé à exalter la religion et à la 
ineliro en hmiière. 

Sid-Moli'ammed se remit ensuite à voyager par terre , 
on suivant le littoral. Il visita le tombeau de Sid- Abd-es- 
SolAm-ben-Mochich^ où il séjourna longtemps sans 
réussir ])lus qu\iiileurs dans les essais de réforme mo- 
vi\\o. et religieuse. De là il gagna Sous-el-Ak'ç'a , où on 
uo rérouta pas davantage. Puis, par le Djebel-R'omâra, 
il so dirigea vers KoFaïa («V), où il fit un séjour pro- 
longé, l'nfin, il vint à Figuig, où il habita longtemps et 
ou je r«i rtMîcontréen io64. 

Il uu^ raconta alors qu'il avait vu le prophète en songe, 
ol i\\w Touvi^yé de Dieu lui avait dit : « Je t'ai donné la 
H<*ii<iU'o, la richesse et le pouvoir. » Il allait continuera 
nÙMUrcttM\ir sur ce sujet, lorsque je crus devoir lui dé- 
clarer (|uc ces uuUi^ivs n'étaient pas de ma compétence. 
Il se mil alors h ré|>audiT des larmes, se plaignant avec 
auicrluuu' de co qu'une vie aussi longue que la sienne 
cl h«^s voNa^cs continuels ne l'eussent mené à rien. 

IVi'Jionua^t^ \A\\\ itU^iv ciuvre j>ar sa piété que par sa science. 
\ i»Nri, |umv CI» (|ui U» iHnuvvms la biosrniphie de Moula<Ah*iiied , dans 
riiUiHHluclioii. 

• \ 'lnjH^li l.u Ul4iv»ilu\jue d*\îi^*r jK>âys*\le, sous le n* aà A, un 
unuiurMlfMiv d'Kb« MvKliivh» lur lu pri^m* de r<»arer/anp. 



VOYAGE DEL- AÏACHI. 35 

« Tai parcouru toute la terre , me dit- il ; personne 
plus que moi ne chérit les musulmans, et plus que moi 
n'a pleuré sur leurs erreiu^. Cependant je n ai trouvé 
personne qui voulût m'imiter. Il est bien vrai que le 
prophète m'a adressé les paroles que je vous ai rappor- 
tées, mais mon esprit est impuissant à les comprendre. 
Il m'a dit que j'étais savant, il m'a dit que j'étais riche, 
et en effet j'ai toujours eu au moins cinq cents dinars 
sous la main à ma disposition. Mais il m'a dit que 
j'étais sultan ! A-t-il voulu dire par là que j'exercerais 
le souverain pouvoir dans l'autre vie? Quant à moi, j'au- 
rais cru que ce serait dans celle-ci ; mais sans doute je 
me suis trompé, et je ne dois pas aspirer à la souve- 
raine puissance dans ce monde. » 

Sid-Moh'ammed, à la suite de cet entretien, me dit 
qu'il prendrait le parti de faire un dernier pèlerinage, 
puis d'aller finir ses jours auprès du tombeau de Sid- 
'Abd-el-K'âder-el-Djilâni. Je le laissai dans cette inten- 
tion lorsque je quittai Figuig. J'ai su plus tard qu'il alla 
de là à Tegourâren, où il mom*ut. Cet homme connais- 
sait la simîa et la kimîa\ et la science des tableaux talis- 
maniques ('elm-el-djedouâl) ^. 

' Ces mots signifient tous deux la chimie; mais le premier se dit 
de la chimie appliquée aux minéraux, tandis que l'autre se dit de 
la même science s*appliquant aux végétaux. C*est à peu près comme 
alchimie et chimie. Toutes les fois que les Arabes parlent de la chimie 
en général, et des merveilleux effets qu'elle produit, ils joignent tou- 
jours ces deux mots de simîa et de kimïa, pour comprendre toutes les 
opérations qu'on fait, par le feu, sur les différents règnes de la nature. 

* Ces tableaux se font avec des caractères arabes, syriens, etc. Il y 



:i6 VOYAGE DEL AiACHl. 

LorM|u^il entra à Tripoli, le souverain (Talors, 'Ots- 
nién-Pacha, lui dit : • DemandeHnoi ce que tu voudras. > 
« Je désire, répondit Sid-Moh'ammed, que tu exemptes 
de tout impôt les chérifs de ton royaume, et que tu 
acc^jrdes le même avantage aux voisins de la k'oubba 
du cheikh Ez-Zerrok'. • 

Le pacha lit recenser les chérifs et les voisins en ques- 
tions, et vit que cela faisait environ cinq cents maisons. 
Il accorda Texemption, et ceux à qui cette faveur a été 
faite en jouissent encore aujourd'hui. 

Vendredi, 22 djoumàd-el-oouel '22 décembre). 

Nous partîmes de Ouâlna et nous nous arrêtâmes, au 
d olia, entre ce bourg et El-K'olîa\ Nous fûmes rejoints 
par Sid- Ali-hen-Cheikh-el-Halïân, frère du prince des 
croyants, et par Sid-Moh'anrnied, émir de notre cara- 
vane. Ce dernier amenait avec lui des gens de Tegourâ- 
rau qui venaient faire le pèlerinage. 

Samedi, a 3 djoumâd-el-oouel (aS décembre). 

Nous nous mîmes en route, par un vent extrêmement 
viohîfil , qui fit souffrir cruellement les gens de la cara- 
vani». Il était impossible d'entr'ouvrir les yeux, sans les 
avoir la Tinstant remplis de sable. Les cavaliers se ca- 

M n Ia bililiolli(»(|uo d'Alger, entre autres ouvrages qui traitent de celte 
|ir/'ti'ndii(* M'ic'nn', un manuscrit fort curieux où Ton voit, conlraire- 
itwui niix ))n*Nrri|)lions de rislamisme, des figures entières d'bommes 
»•! d'iMiinuiiu. li'nuU'ur dit avoir copié sur des pierres antiques la plu- 
ptii'l di'ii f'ariir(én's (ju'il a produits. 



VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 37 

chaient la figure , et les pèlerins qui allaient à pied se 
mettaient à Tabri , de leur mieux , derrière les chameaux , 
précaution qui ne les empêchait pas d'être aveuglés par 
la poussière. Noujs arrivâmes enfin à El-K'olîa' (iujiUI) et 
aussi axaUJI). Ce mot est im diminutif de k'ala\ qui signi- 
fie forteresse. Cest un bouig assez fort, bâti sur un ro- 
cher de pierres dures, formant une montagne isolée. Il 
y a beaucoup de puits dont Teau est bonne. On y trouve 
des palmiers, mais en petit nombre. Ce lieu dépend 
des possessions du sultan de Ouâregla, qui y entretient 
un 'amel, par lequel il fait exécuter ses ordres. Un pèle- 
rin qui avait vu cet 'amel m'a dit qu'il était noir, sans 
souliers, sans coiflure et les habits sales, ce qui ne 
l'empêche pas de se faire obéir par les gens de la ville , 
lesquels ont grand'peur de lui. 

El-K'olïa' a été habité par le cheikh El-H'adj-Sid-Abou- 
H'afs-ben-el-Ouâh-es'-S'âlah'-Sid-'Abd-el-K'âder-ben- 
Moh anmied-ben - Selîmàn-ben-Bou- Smâh'a , marabout 
qui est connu , dans le pays , sous le nom de Sid-£ch- 
Cheikh , nom par lequel ses enfants sont encore désignés 
jusqu'à présenta Ce saint personnage a eu beaucoup 
d'influence sur ces contrées, dans le Tell comme dans 
le S'ah'ra, et son fils en a encore plus que lui. Ce der- 
nier est un honmie intelligent , vertueux , qui a passé 
presque toute sa vie en pèlerinage, jusqu'en 1 07 1 , an- 
née de sa mort. Il a été enterré auprès de son père , dans 

' Le chef actuel de cette famille est un marabout influent qui , 
presque au commencement de la dernière guerre contre Têmir *Abd- 
el-K'âder, s'est placé sous notre patronage. 



38 VOYAGE DEL-'AÏACHI. 

le cimetière particulier de leur famille , que Ton appelle 
El'Abiod', et qui est auprès de Bou-Semr'oun ^ Je me 
suis trouvé avec lui, en loôg, et nous avons fait route 
ensemble jusqu'à Touzir; je Tai encore rencontré dans 
un autre pèlerinage, en i o65. Son influence spirituelle 
était évidente et sa parole était écoutée. 

Dans la plupart des voyages qu'il fit au H'edjâz, il 
emmena avec lui ses femmes et ses enfants. Partout on 
Taccueillait bien, chacun selon son pouvoir, et ceux qui 
agissaient ainsi s'attiraient des bénédictions ^. 

Dimanche, a& djoumâd-el-oouel (a & décembre). 

Nous partîmes d'El-K'olîa' et nous marchâmes une 
demi-journée , ayant la montagne à notre droite ; le vent 
fut très-violent. Nous gravîmes la montagne ; nous arri- 
vâmes au sommet, à Teucha, et nous y couchâmes. 

Lundi, mardi , 3 5, a 6 djoumâd-el-oouel (a5, a6 décembre). 

Le lendemain nous traversâmes un terrain difficile, 
rude, et où cependant nous trouvâmes de quoi faire 
pâturer les chameaux. Aussi , malgré les obstacles qu'il 

^ Le copiste écrit ce nom de localité tantôt Bou-Sem*aoun, et tantôt 
Bou-Semr'oun. Cette dernière leçon est la bonne. 

* Dans la lettre à ses parents , ErAîachi rend compte, en ces termes , 
de sa route, depuis Aouguert jusqu'à El-K'olîa* : 

« Je partis d'Aouguert, et voyageai dans une contrée qui n* a pas sa 
pareille ; elle n'offre que du sable et de la poussière ; on y souffre de 
la soif, on y est tourmenté par le vent. J'arrivai, après douze étapes, à 
El-K'olîa\ ville qui n'est forteresse que de nom. » On se rappelle que 
ce mot est un diminutif d'el-k'ala', forteresse. 



VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 39 

opposait à notre marche, nous étions plus disposés à 
en faire Féloge qak nous en plaindre. Le chemin était 
en grande partie dans un ravin , quoique la contrée , vue 
de loin , parût très-unie , attendu que les inégalités qui 
Taccidentaient échappaient à Toeil. On n^apercevait que 
les sonunets des marabouts, tous de même hauteur, et 
on ne se doutait pas de Fexistence de ces ravins , qui les 
séparaient les uns des autres. A distance , ce terrain ofire 
une siuface blanche , unie , où nulle solution de conti- 
nuité ne se laisse deviner, bien que , ainsi qu'on Fa déjà 
dit, quand on arrive auprès, on le trouve entrecoupé de 
creux et de saillies qui le font ressembler à cet amas de 
petits nuages que Fon appeUe ciel pommelé. 

Mercredi, 37 djoumâd-el-oouel (27 décembre). 

Le mercredi nous nous arrêtâmes à un endroit où il 
y a de Feau , et qu'on appelle Zirâra ( àjl^ ) . C'est un puits 
très-profond , isolé , situé entre deux montagnes , dont 
Fime est de sable. L'eau en est très-douce ; et les Arabes 
de ce canton ont coutume de dire à ce sujet : « Eau de 
Zirâra, tu serais bien douce, s'il ne fallait pas t'aller 
chercher à une aussi grande profondeur. » 

Après que nous eûmes dépassé cet endroit , la cara- 
vane fut troublée par un bruit qui se répandit, qu'une 
troupe d'Arabes arrivait sur nous pour nous dépouiller. 
Chacim préparait ses armes et se mettait en devoir de 
combattre , mais Fennemi ne parut pas , et ce bruit d'une 
prétendue attaque se trouva sans fondement. 



liO VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

La caravane coucha cette nuit dans un endroit où il 
y a de Peau, et qu'on appelle El-Djedid (JsjiXJl). 

Jeudi, 28 djoumâd-el-oouel (38 décembre). 



Vendredi , a 9 djoumâd-el-oouel (ag décembre). 

A deux jours de là, et le sixième de notre sortie de 
K'oliV, le vendredi 29 djoiunâd-el-oouel, nous nous 
arrêtâmes , au d'oh a, dans un endroit qu'on appelle Zel- 
let-Derir (^^ ^j)- C'est im puits où Teau est très- 
abondante ; il est placé dans im endroit uni , entre deux 
montagnes. Ce lieu n'est pas dépourvu d'habitants, et 
on y trouve presque toujours des Arabes appartenant aux 
tribus environnantes. Celles-ci se composent de gens 
paisibles qui n'attaquent pas les caravanes. 

Samedi, 3o djoumâd-el-oouel (3o décembre). 

Nous partîmes de Zellet-Der ir, après avoir fait la pro- 
vision d'eau pour quatre nuits. Nous traversâmes le che- 
min qui est au-dessous de l'Ouad où nous avions pris 
cette eau. Dans ce Ouad on trouve une colline de sable 
située dans un emplacement uni. On y voit des restes 
d'une mesdjid et de tombeaux ; c'était sans doute un 
lieu de pèlerinage. Nous y fîmes la prière du d'ohor, 
puis nous visitâmes , dans un but religieux , cette mos- 
quée ruinée, sans savoir le nom du saint ou des saints 
qui y étaient honorés. Les vestiges que nous rencon- 
trions nous indiquaient suffisamment que ce lieu avait 



VOYAGE D'EL AÏACHI. kl 

dû être Tobjet de la vénération des fidèles. D'ailleurs, 
dans ces solitudes , il est peu d'endroits où Ton rende 
hommage au Seigneur, et dans celui-ci particulière- 
ment ce genre d'hommage avait dû être rare ; cela seul 
devait nous déterminer. 

Je questionnai ensuite le guide, qui connaissait bien 
ces localités , et il me dit que c'était le mouç ala ou ora- 
toire d'Abou-H'afs', et d'im autre marabout appelé H'adj- 
loucef. A droite de cet endroit, dans un ravin, on trouve 
de l'eau, à un lieu appelé Abou-ez-Zer'âouï. Nous y pas- 
sâmes la nuit au-dessous de la montée par laquelle on 
gravit le h ammâd. 

Le jour la caravane ne fit qu'une demi-étape , parce 
qu'on trouva de l'herbe en abondance pour les cha- 
meaux. 

On laissa les bêtes de sonmie paître en liberté , et les 
pèlerins se mirent de leur côté à dormir. Une troupe ^ 
d'Arabes nous apporta quelques moutons ; on enché- 
rit à Fenvi poiu* avoir de ces animaux , car beaucoup 
d'entre nous n'avaient pas mangé de viande depuis long- 
temps. 

Dimanclie , i" djoumâd-et-lani ( 3i décembre ). 

Nous commençâmes à gravir le h'ammâd; la caravane 
allait doucement, afin de laisser aux chameaux la facilité 
de pâturer tout en marchant. Il arriva que nous fûmes 
en arrière d'une étape , et qu'il nous fallut ensuite forcer 
la marche, pour éviter d'avoir à soufirir de la soif, car 
de l'endroit dont on a parlé plus haut jusqu'à Ouâre- 



42 VOYAGE DEL- AÏACHI. 

gla il ny a pas d'eau. Nous passâmes la nuit dans une 
contrée où le pâturage diminuait déjà beaucoup; et il 
diminua bien davantage lorsque nous approchâmes du 
sommet d'El-H ammâd-el-Kebir, montagne qui n a pas 
sa pareille dans le pays du R'arb ^ 

Lundi, a djoumâd-et-tani (i*' janvier i663). 

Nous commençâmes à gravir le sommet du h ammâd, 
en passant par un terrain rude et exclusivement pier- 
reux. Il n'y a pas d'arbres dans ce pays désolé, et nous 
n*y trouvâmes que le fiel répandu par les pèlerins, dont 
Tamer s'était déchiré en franchissant ces hauteurs à pic , 
ou les aoudjâm^ élevés le long de la route, et qui peu- 
vent remplacer les guides pour les voyageurs attentifs. 
Nous couchâmes, cette nuit (qui était la troisième), à 
rOuad Ma'choucheb ^ [i^ySkM ^t^). Les chameaux se 
reposèrent et se désaltérèrent dans ce Ouad, où nous 
nous arrêtâmes vers l'ac'er. 

Mardi, 3 djoumâd-et-tani (a janvier). 

Nous nous remettons en route par un temps couvert. 
Le vent commence à souffler avec violence , et la pluie 

* Pour comprendre combien cette montagne doit être élevée, il suffit 
de se rappeler que le pays d*El-'Aîachi est dans la partie la plus haute 
de r Atlas ; et que , pour que le H'ammâd-el-Kebir lui produise l^effet 
dont il parle, il faut qu'en réalité l'élévation de cette montagne soit 
bien considérable. 

* ^Ui.jl, pluriel de i^j, se dit d'amas de pierres que Ton élève, 
dans les lieux déserts , pour diriger les voyageurs. 

' Ce mot signifie abondant en herbes. 



VOYAGE D'EL'AiACHI. 43 

tombe par torrents ; les sables s'amoncellent au faite des 
montagnes , et effacent tellement toutes traces des che- 
mins , que la caravane ne sait plus de quel côté tourner. 
La tempête rugit avec une si grande force , que Ton ne 
s'entend plus les ims les autres. Nous marchâmes ainsi 
jusqu'à la nuit. Cette horrible joiumée nous fit oid)lier 
tout le bonheur qui nous avait accompagnés jusque- 
là dans notre voyage et la séciurité dont nous avions 
joui constamment siu* la route. L'eau qui ne nous avait 
jamais manqué, les pâturages presque toujours abon- 
dants, toutes ces faveurs de la Providence s'effacèrent 
de notre mémoire devant les souffrances du moment 
présent. Nous établîmes notre bivac par ime obscu- 
rité complète. C'était la quatrième nuit; toutes les diffi- 
cultés s'y étaient accumulées. 

Mercredi, k djoumâd-et-tani (5 janvier). 

Nous partîmes le lendemain , et nous traversâmes un 
terrain difficile « comparable à celui où le geiu*e humain 
doit rendre compte à Dieu le jour du jugement, avec 
cette différence que ce dernier est blanc , et que celui 
c[ue nous parcoiurions est noir. On n'entendait pas 
d'autre bruit que le bruit de nos pas. Le guide le plus 
exercé ne marche dans ces solitudes qu'avec une ex 
trême précaution. On ne voyait pas les chameaux s'a- 
vancer, comme à l'ordinaire , la tète inclinée vers le sol 
et cherchant de la nourriture , car là il n'y avait abso- 
lument rien à pâturer. Ils allaient don^ la tête haute , 
sans regarder ni à droite ni à gauche , et hâtaient tous 



4/1 VOYAGE DEL- AÏACHI. 

le pas , comme s'ils eussent voulu sortir au plus tôt de 
v.oWvi contrite maudite. 

Le sol était si rude que les chaussures des voyageurs 
Y i^taiiMit promptement coupées; la corne elle-même, 
que la Pnïvidonce a destinée à protéger les pieds des 
c^hamoaux et des midets, était insufiBsante à les garantir 
tlos lilossuros. Nous en fûmes réduits à envelopper nos 
pitHis avoc dos chiffons ou des morceaux de vieux ha- 
bits, ('«iiacun se croyait à la fameuse r azia de Dât-er- 
Uok'{\a' ^; car nous marchions dans un pays comparable 
t\ cobii do Sals'af dont il est question dans le Koran; 
nous n'on axions jamais vu de pareil. 

La noumtuiv ot foau étaient épuisées; au lieu de 
kouskouctm nous axions du sable, et des pierres en 
plaoo do boisson, l-a majoiure partie des pèlerins pen- 
xViil aUoiudiv l^uùiv;:la dans cette soirée; mais ib se 
li>Mn|VMonl « ot nous n\trri\àmes )v^s. Il nous fallut donc 
^^mohor on ivuto^ au mdiou de tous les inconvénients 
do h mut jnxs^slouto. ji^tv addition de la faim et de 

\\H^x iv>^^v> IV î*,"i '",*,><> «r<ï nx;:«r. <^ ixxis descendîmes 
d^i xnmxiuin-^ xÎo U \x>vV.sjr.^,*-i^v ï>.x: striS ùt-c'-ies. un peu 
N^\>^\>t îo >^ ^^^^^^' t\v:; '\^ nwx^^ ttu : nv/*; .:t*. l n de nos 
>N^N ^vx'^'.'x >\vv;\\vt v.^ W V l'vvài- V :-^ .?:Xi\ ^er5 sui- 



VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 45 

Quelque long que soit le h'ammâd , nous voici enfin au 
bout! Dieu veuille que nous ne trouvions pas une autre 
montagne aussi difficile ! S'il lui plait , nous arriverons aisé- 
ment tous , sains et saufs. Puisse-t-il , chaque jour , nous faire 
rencontrer des choses meilleures que la veille et rendre la 
fin de notre voyage aussi agréable que la été le commen* 
cernent ! 

Enfin nous aperçûmes les palmiers de Ouàregla (^l^)' . 
Nous entrâmes dans cette ville aux environs du coucher 
du soleil. Nous descendîmes à la porte qu on appelle 
Bâb-es- Solt'ân. Par une favem* que Dieu voulut bien 
nous faire , il se trouva qu^un peu avant notre arrivée 
une caravane d'Arabes d'Ël-Arbàa' (^t^j^l) était entrée 
et avait apporté beaucoup de beurre salé, des grains, 
et avait amené des moutons et des chameaux. Nos pè- 
lerins s'empressèrent d'acheter selon leurs besoins, ce 
qu'ils firent à bon marché. Il vint le lendemain une 
autre caravane qui apporta autant, sinon plus, que la 

' Dans la lettre À ses parents, document déjà cité, El-*Aiachi rend 
compte, en ces termes, de son voyage, depuis El-K'olia* jusqu'à 
Ouàregla : 

«De là je traversai El-H'ammâd, montagne qui peut passer pour 
la mère de toutes les montagnes du monde , à cause de sa longueur, 
de sa largeur et de sa hauteur. Si Dieu ne nous avait pas fait cette 
grâce que nous y rencontrâmes un peu d'herbe, nos chameaux y se- 
raient tous morts, et autant en serait arrivé à nos pèlerins. J'y perdis 
un de nos meilleurs chameaux. Dans cette partie du h'ammâd, nous 
ressentîmes un grand froid ; jamais , dans notre pays , je n'avais éprouvé 
une température semblable. Par un pareil froid, l'homme le plus sain 
devient nécessairement malade. Enfin, nous arrivâmes à Ouàregla, 
après douze étapes , et nous y rencontrâmes des caravanes d'Arabes. » 



46 VOYAGE D'EL'AÎACHI. 

première. Nos compagnons de voyage se rassasièrent 
de dattes et de bem^re salé. Ils achetèrent aussi beau- 
coup de moutons, de sorte que, pendant notre séjour 
à Ouâregla, on se serait cru à TAïd-el-Kebir ^ 

Nous étions arrivés à Ouâregla dans l'après-midi du 
jeudi, et nous y séjournâmes le vendredi, ainsi que les 
deux jours suivants. Jentrai dans la ville pour assister 
h In prière du vendredi, et j'allai à une mosquée qu'on 
appelle Djâma'-el-MàleLïa. Le khat'ib * estropia singu- 
lièrement la kkotl)a : il en ôtait , y ajoutait ou trans- 
posait sans scmpules, prononçant les lettres d'une ma- 
nière détestable et pai^aissant plutôt les murmurer que 
Itvs dii^* 

Je craignais que s'il altérait ainsi les parties essen- 
tielles de la s ela ou prière obligatoire , nos vœux ne 
fussent p^s exaucés par le Tout- Puissant; mais, grâce 
À Dieu , il s'en acquitta sans erreur. II pria pour l'imâm 
Kl-Molièdi, puis poiu' le grand sultan, le khak'an, etc. 
Moh'amnHHt-ben*Ki*âhim-ben-Moiu^d', enGn pour le 
sultan de son jkus, Moula-Wlàhoum. 

* l«« ^rcnuU" IcI^nCV^I le iK>m d^ la Pique des musulmans, époque 
mi iU Ni»vi iIumU vies UK>utvHi:$^ 

l.e IImI ib e>l ivUù qui iWît :j^ulemeut la prière du vendredi cl 
p4A»av»*KV U llK»t Im ou seriuvHi » À U ilitlereuce de 1 imâm , qui dirige 
U prié IV UHt> leji auli-e* jvur*. 

U *'a^U H'i du itr^iKl S'i^tH'ur. L'jL^sujettissemeut des gens de ce 
l^iXH Au\ Tuix^ ivuKvaUU A une e^xH^ue lort eJoi^ruee; car on trouve 
duUH U>H\lo ^ l\>fKH4fy4;U M i>yKl, cu^it. r//. t'pt^onuf de Am iJow' , que 
S.dA Uaix, vpù i\x«»^(( À Viager, ji^utU Jippris» en 1 33a. que les rois 
ilv t\Hi^\'uri e4 i.k' VKisUv^U iviuviieut de |^»a\er le tril»ut. tit, au com- 



VOYAGE D'EL-'AÏACHL 47 

Lorsqu'il eut terminé , je lui envoyai un de mes amis , 
afin de lui demander ce que c était que ce Mehèdi, 
pour lequel il avait prié. Il se trouva que le khatlb 
n çn savait absolument rien. Toutefois il répondit que 
c'était peut-être notre prophète {^ur qui soit la béné- 
diction et le salut!). J'ai su plus tard qu'il avait trouvé 
cette khot'ba, probablement fort ancienne, ainsi écrite, 
et qu'il l'avait reproduite telle quelle , sauf les altéra- 
tions dont j'ai parlé plus haut, altérations qui prove- 
naient, sans nul doute, de ce qu'il l'avait mal copiée. 

mencement d'octobre, une expédition de ce côté, à la tète de trois 
mille arquebusiers turcs, ou renégats, et de mille cavaliers. Il n'em- 
mena que deux pièces de canon. 

• Après avoir pris et pillé Tougourt (dit Haedo), il alla, k quatre 
journées de là, pour prendre et tuer le roi de Huerguela (Ouâregla), 
pays très-abondant en dattiers ; car celui-là refusait également de payer 
le tribut aux Turcs. En arrivant , il trouva que le roi s'était enfui avec 
quatre mille cavaliers, ses vassaux, et qu'il ne restait, dans la ville, 
que quarante marchands nègres , venus du Soudan , comme d'habi- 
tude, pour vendre des noirs; ceux-ci n'avaient pu s'enfuir avec le roi 
avant larrivée des Turcs. Comme c'étaient des gens riches , S'alah'-Raîs 
les fit venir à composition , et parvint à en tirer deux cent mille écus 
d'or, moyennant quoi il les laissa aller en paix. 

I Le pacha et son armée se reposèrent pendant dix jours à Ouâregla. 
n apprit que le roi de ce pays s'était retiré à sept journées de là, envi- 
ron cinquante lieues, dans une contrée qu'on appelle Alcala (El'K'olîa)^ 
contrée qui est très-près de la terre des nègres. Il lui fit dire de revenir, 
qu'il lui donnait sa parole qu'aucun mal ne lui serait fait , à condition 
que dorénavant il payerait le tribut à Alger, qu'autrement il revien- 
drait le chercher, et qu'il pouvait être certain de ne pas lui échapper. » 

Le roi de Ouâregla ne rentra pas avant le départ des Turcs; mais sa 
crainte avait été telle, qu'il paya le tribut, qui était de trente nègres 
par an. 



^^ \O^Ar,E DEL-AUCHL 

f>rlfc lholT>a était peut-être celle qu'on prononçait du 
lfrfuff% cf El - Mehedî - ben - Toumert , et notre homme 
V/rl;ïit c/mtenté d'y ajouter les noms des souverains 

Spritfi la prière, nous montâmes au minaret qui est 
Hu milieu de la ville et la domine tout entière. Ouàre- 
^^hl, avant ([uc nous Teussions regardé de ce point cen- 
Inil et élevé, nous avait paru petit; mais alors nous le 
IrouydtwtH considérable. 11 a sept portes et est entouré 
iUt palmiers dans im rayon de deux milles. En dehors 
mml (U*H fossés remplis d'eau, de sorte qu'on ne peut 
i'Uttvr que par les portes. 

létï inaj(!urc partie de la ville est inhabitée à cause 
iVmw (tatastrophe qui était siurenue deux mois avant 
iiolro n^^ivé(^ l/émir, soupçonnant une partie des ha- 
ImIiiiiIh d'avoir Tintontion de Tassassiner, avait chaîné 
InM gniiN du dehors de tuer tous ces suspects, sans en 
•'«|MU^iinruii Hoid, jeunes ou vieux.Poxu* cela, il fit fermer 
ln<* jinrh^s de OuAregla, après avoir averti les ;Vrabes 
«|He, H\U voyaient quelqu'un en sortir, ils eussent à lui 
HMiiM^r iuMuêdialement la tète. Toutes ces précautions 
M\\\\\ pri?»e,H, il ttnuha sur ses ennemis à Timproviste, et 
en lll \\\\ mand mass;u iv dans lequel périrent environ 
doux lenlH peiNOuues. Il nVchappa que ceux qui se 
«'«ulh'^leHl HOUN leN ivm|Kirts, ceux que les Vrabes na- 
|M^l\Ulela |M\ el eeu\ qui euivnt le honheiur de se dé- 
\\\W\ MW oiuhuMMdes |vuK s«|uelles Tèmir avait voulu 

\ v\W s^Moxld'Io .^vr.vMi, Miv;v;vr>e à Teniir par son 



VOYAGE D EL- AÏACHI. 49 

mauvais jugement, ternit sa réputation et même dimi> 
nua sa puissance ; avant cela , il jouissait d'une bonne 
renommée. Ses oncles maternels, les fils du cheikh 
Ah'med-ben-Djellâb , qui le protégeaient jadis, et à qui 
il devait d^être sultan de Ouâregla, devinrent ses enne- 
mis à cause de ce massacre. 

Je rencontrai Timâm de la mesdjid, et j'allai chez 
lui. Il mç montra ses livres, parmi lesquels il y avait 
un volume du Maout'a', un autre d'El-Boukhâri^ et 
un du Akmal ^ , quelques commentaires du Mokhtas ar *, 

' El'Maoat'a, ou ]e marche-pied. C'est un recueil de traditions fait 
par Abou -* Abd-AUah-Mâlek-ebn- Anâs-ebn - Abou -* Amar-el - As'behi-el- 
Medeni, chef de la secte dite des mâlékites. Cet ouvrage, fort estimé, 
est la base des croyances religieuses et des coutumes judiciaires des 
musulmans qui suivent le rite de Mâlek. Le khalife Haroun-erRachid 
faisait si grand cas de ce livre, qu*il s*arrêta dans la ville de Médinc, 
ou Mâlek habitait, pour Tentendre lire et expliquer par Fauteur lui- 
même. 

La bibliothèque d'Alger possède trois copies du Maout'a, sous les 
n** i83, aa3, 579 ; et sous les n" ga et i84, Texcellent commentaire 
fait sur cet ouvrage , par Abou-Bekr-el-' Arbi , commentaire qui est connu 
sous le nom de K'abs. 

* El-Boukhâri, nom du plus célèbre compositeur de traditions, 
parmi les musulmans orthodoxes. Son ouvrage, appelé Es' S ah' eh', 
ou le véridique, renferme plusieurs milliers de traditions sur toutes 
les matières ; il est en grande vénération dans TAlgérie. On le trouve 
à la bibliothèque d'Alger, sous le n* a 62. 

^ On donne le nom de Akmal-el- Akmal k un ouv ^ge très - estimé 
d'El - Oubbi , dont il sera bientôt question d'une maf»&re plus parti- 
culière. 

^ Mokhtas' ar, ou abrégé. C'est le nom du code des mâlékites , lequel 
a été tiré du Maout'a et d'autres ouvrages estimés, par Sid-Khelil-ebn- 
Ish'ak'-ebn-lak'oub-el-Màleki. La bibliothèque d'Alger en a cinq copies, 



50 VOYAGE D EL AÏACHl. 

el la Reçàla ^ d'Abou-Zid. Ces ouvrages étaient incom- 
plets pour la plupart. 

L'imâni me retint jusqu'au coucher du soleil, afin 
de me faire prendre part à un repas qu'il avait préparé 
pour moi. Nous allâmes ensuite, vers Fhexu'e du mor- 
reb, prier à la mesdjid, qui est à côté de sa maison. 
Ce bâtiment est d'une jolie construction. Le sol est 
pavé de petites pierres noyées dans du ciment; les 
murs sont peints. Auprès des portes , il y a des niches 
pratiquées dans l'épaisseur de la muraille, et, en outre, 
un endroit pour faire l'ablution , des lieux d'aisances et 
même un fourneau poiu: faire chauffer l'eau. Tout cela 
me fît grand plaisir à voir. 

Le moueddin arriva ensuite et cria Allahou akbar 
(Dieu esl grand), quatre fois au commencement de l'ap 
pol â la prière et quatre fois à la fin. Ceci ne me plut pas, 
car jo savais que les gens de ce pays sont mâlékites ', et 
jo U\s voyais sui>Te une pratique des h'anefites. Mais 
C(' n\\st pas tout ; quand les fidèles arrivèrent pour la 
nriiVo, ils allèrent se frotter les mains contre les miurs 
ilo la nuKstjuoo\ Loiu* action me surprit, et je me di- 
!M\\^ OU inoi-inome : « Est-ce que tous ces gens sont ma- 

m\\\^ lo< ir* H, no, i(>i)% »>77» ^^i Elle possède, en outre, les prin- 
tiUrtiix ootumoiUrtiivs \\\\i oui oie faiissurcel ouvrage. 

' H»^ .l/.f » ou U\M\x\ Nom d'un jx^lil trailé sur les principes du droit, 
iiuî vn\ ilrt^^iijuo ou MgtM^io. L'aulour s'appelle Abou-Zid. La biblio- 
ll^^^^|U^' \V M^oi OU a do5 «vpios, mmis les n*" i il, i-jb. 

• l.oi» ui.Utlilo^ uo rnoul q\io doux fois. 

^ ( ollo pMhtjuo uVm )o4:,'«Io qu'autant qu'on manque d*eau ou 



VOYAGE D'EL-AÏACHI. 51 

lades ou manquent d'eau ? » Il me vint alors à Tesprit 
que ce pouvait bien être de ces hérétiques qu'on ap- 
pelle rouâfed' ^ Je questionnai quelques voisins à ce 
sujet, et j'appris que-cette mesdjid était, en effet, à des 
khouamès, qui seids y viennent prier, et que le fait 
est notoire. 

Ces gens forment une fraction de la secte appelée 
abâdla, dont le chef est' Abd- Allah -ebn-Abâd'. Us s'é- 
loignent de la voie orthodoxe sur la plupart des points 
par lesquels les m'outazila (hérétiques) en diffèrent. 
Par exemple, ils prétendent, comme ces derniers, que 
les croyants ne verront pas Dieu dans l'autre monde, 
et ils disent aussi que le K'oran a été créé. Us détestent 
quelques-uns des compagnons de Mahomet^. La ma- 
jeiure partie des habitants de la ville est infectée de 
cette opinion erronée, qui tire son origine des mon- 
tagnes du Mezâb , où tous sont rouâfed', y compris les 

^ Raouâjed!, pluriel de râfed\ Dans Tusage ordinaire, on se sert du 
mot khamsi, cinquième , pluriel khouamès. On le dit surtout des Beni- 
Mezâb, qui, ne suivant aucun des quatre rites orthodoxes, forment, en 
effet, une cinquième secte. Ces héréliques n'entrent, à Alger, dans 
aucune mosquée. Un moulin , appelé Cha*bân , situé hors de la porte 
Bâb-'Âzoun , leur servait pour les cérémonies du culte. Ils ont, au-des- 
sus de ce moulin, un endroit de sépulture particulier. Les Algériens, 
qui ne négligent aucune occasion de tourner ces sectaires en ridicule, 
prétendent qu ils ôtent leur culotte pour prier, et disent qu'au lieu 
d'employer de Teau dans certain acte de propreté, ils se servent de 
petites pierres. Le docteur des Beni-Mezab est'Abd-er-Rah'mân-ebn- 
Meldjoun, un des assassins d'Ali. 

* En cela, ils ressemblent aux partisans d'Ali, lesquels maudissent 
les trois premiers khalifes, qu'ils regardent comme des usurpateurs. 



52 VOYAGE D'EL'AiACHI. 

ouléma, s' imaginant, dans leur ignorance, que cette 
hérésie est la voie véritable. Les professeurs, auxquels 
nous donnons le titre de cheikli , ils les appellent 'amm 
(oncles), et ils disent : « Ceci, nous le tenons de Toncle 
Dâoud, de Toncle Brâhim. Un individu du pays de 
Rir (j^)\ homme véridique, m'a raconté (et c'était 
un de mes professeurs) qu'un voyageur des environs 
de Bâsra (Bassora), qui se rendait au Mezàb, avait été 
questionné, à son passage, par des gens de l'Ouad-Rir , 
qui lui dirent : D'où es-tu ? — A quoi l'autre répondit : 
de Bâsra, et je suis venu pour visiter^ en pèlerinage le 
pays de Mezâb. 

Que Dieu maudisse le pèlerin et l'objet de son pè- 
lerinage! Certes, il revint chez lui pèlerin , mais à ia 
bénédiction près. 

Je demandai à quelques personnes poiu*quoi l'émir, 
qui ne partageait pas l'hérésie, ne sévissait pas contre 
la portion de ses sujets qui en était infectée. On me 
répondit que ces gens étaient ses meilleurs soutiens 
dans la guerre que lui faisaient ses oncles maternels 
ou les Vrabos qui dépendaient de ceux-ci, et que, par 
00 motif, il no peut entreprendre de détruire leur hé- 
rt'^^sitv Si los autivs musulmans de Ouâregla, lesquels 
so\\{ i\v \rais on>\an(5, se rangeaient franchement du 
parti tlo lour ohof, celui-ci ne serait pas dans la dure 
uAoosNilô d'en agir ainsi; mais, parmi eux, il n'en est 
p«.H un autpiol il puisse so fier. 

* Vm ^lojA (m\ rc\\\M^\\M^r lo mmk |varliculier de ce mot. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 53 

■ 

Le dernier jour que je paissai dans cet endroit, je 
demandai à mon ami Timàm de ia mesdjid en question 
s'il se trouvait une bibliothèque dans la ville. Il me 
répondit qu'il y en avait une chez Têmir, et que ce- 
lui-ci en accordait Feutrée à qui la voulait examiner. 
J'allai donc chez ce prince avec Fimâm, et il nous ac- 
cueillit très-bien. Mon introducteur lui exposa l'objet 
de ma visite, et il nous permit gracieusement de pé- 
nétrer dans l'endroit où étaient les livres. J'y trouvai 
une quarantaine de volumes , parmi lesquels on remar- 
quait le Taoud'eh'^ Et-Tatâî^, Baharâm^, et des gloses 
sur la S'ori ra *. 

L'émir me fit apporter une collation et m'adressa 
quelques questions sur le droit, science qu'il connais- 
sait un peu. Après avoir beaucoup causé avec moi, il 

^ Il y a plusieurs ouvrages qui portent ce titre, lequel signifie 
l'éclaircissement: mais il est probable qu*El-*Alachi veut parler ici de 
celui qui a été composé sur le droit musulman par Ebn-el-H'adjeb , et 
sur lequel Sidi-Khelil a fait un commentaire très-estimé, qui est à la 
bibliothèque d* Alger, sous le n*" 85. 

' Et-Tatàî. Chems-Ed-din-Moh'ammed-ben-Ibrâhim-et-Tatâl est un 
des nombreux commentateurs du Mokbtas'ar de Sidi-Khelil, ouvrage 
qui sert de code aux mâlékites, ainsi qu*on Ta déjà dit plus haut. 
Son commentaire est à la bibliothèque d'Alger, sous le n" 89. 

^ Autre coounentateur du Mokbtas'ar de Sidi-Khelil. Baharam-ebn- 
*Abd-Allah-ebn-'Abd-el-*Aziz, etc. était k'âd'i des k'âd'i au Kaire. Son 
ouvrage est à la bibliothèque d* Alger, sous les n*" 86 et 58o. 

* Es^-S'or^ira, ou la petite. Nom d*un petit traité de Touh'id, ou 
unité de Dieu, composé par Moh'ammed-ebn-Ioucef-ebn-*Omar-ebn- 
Chaîb-es-Senouci. La bibliothèque d* Alger possède des gloses faites 
aux commentaires que El-H'adadi a composés sur cet ouvrage. Voir 
au n** 19a. 



54 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

me demanda mi idjaza \ ou certificat touchapt la façon 
dont il avait discouru sur ces matières. De retour à 
mon logement, je lui en composai un à la manière des 
ouléma , autant que je pus me le rappeler. J y insérai , 
à la louange de cet émir, un apologue, en deux vers, 
qui me lurent inspirés par sa bonne réception ^. 

Renvoyai le tout au prince par Tami qui avait été 
mon introducteur auprès de lui. Ce dernier s^appelle 
Bâsdi , et son frère Sidi-S'enin ; tous deux sont connus 
dans la ville comme les fils du fak'i ( légiste ) El-Man- 
s'our. Us passent pour savants dans ces pays , où Ton 
n^en voit pas d^autres , quoique , dans le fait , ni Tun ni 
Tautre ne connaisse bien aucune partie de la science. 
Mais , comme on dit : « Lorsque , dans une contrée , 
rherbe est séchée et disparue, les animaux doivent se 
contenter d^en flairer la place. » 

Les gens de ce pays sont riches et emploient leurs 
capitaux dans le négoce. La majeiu*e partie de leur 
monnaie est de cuivre ; vingt-quatre pièces de ce métal 
forment un quart de rïal. Pendant quatre jours, ils 
traitèrent les gens de la caravane avec libéralité. 

' Voyez note a, pag. 3o. Ces sortes de certificats sont, chez les 
musulmans , ce que sont , chez nous , les diplômes universitaires. 

* On supprime ces vers , qui se composent de jeux de mots intra- 
duisibles, sur le nom de Têmir *Alâhoum , qui signifie sar eux, et, en 
outre , i7 les a commandés. 



VOYAGE DEL-'AÎACHI. i5 

SINGULARITÉ. 

A la porte de la ville par laquelle nous étions entrés, 
il y avait beaucoup de vêtements de laine et de toile 
qu'on y avait jetés, dont la plupart étaient encore bons, 
et pouvaient être utilisés à différents usages. Or, n ayant 
vu nulle part qu'on rejetât ainsi les effets qui n étaient 
pas hors de service , la quantité de ceux-ci et leur bon 
état m' étonnaient. Je ne comprenais pas qu'on ne les 
ramassât point , et qu'on les laissât abandonnés comme 
du fumier. On aurait bien pu en charger vingt ou trente 
mules. Ces vêtements provenaient, me dit-on, de gens 
qui avaient succombé à différentes maladies. Quand 
quelqu'un meurt à Ouâregla , on a la coutume de jeter 
en cet endroit les habits dans lesquels il a cessé de 
vivre, et personne n'y touche. 

Dieu sait pourquoi ils en agissent ainsi I 

SINGULARITIÊ DES SINGULARITÉS DE CETTE VILLE. 

Pour que l'eau sorte avec force , ils creusent des puits 
à environ cinquante k'ama ^ profondeur à laquelle ils 
atteignent une marne qu'on appelle h'adjera-mousTah' 
ou pierre plate , laquelle se trouve à la surface du noyau 
de la terre. Ils font un trou à cette couche et l'eau en 
jaillit aussitôt avec force et abondance; en moins de 
rien elle arrive à l'ouvertiu^e du puits , d'où elle coule 
et forme un ruisseau. Si celui qui pratique le trou n'est 

* K'ama, juls ; c est une brasse ou i mètre 65 centimètres. 



56 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

pas attentif, il est étouffé par la colonne d'eau. Ceux 
qui nettoient ces sortes de puits ont de grandes diffi- 
cultés à surmonter et des dangers à courir; souvent 
môme , la violence du mouvement d'ascension empêche 
de les curer. Alors le trou finit par se boucher. Un de 
mes amis qui a vu nettoyer de ces puits m'a informé 
d'une chose fort singulière : c'est que les sources de 
l'Ouad-Rir ont cette origine *. 

Lundi, 9 djoumâd-et-tani (8 janvier i663). 

Nous partîmes de Ouâregla le lundi , et nous nous ar- 
rêtâmes à Maguersâ, iM^iU petite ville qui est à une 
demi-étape de là. C'est une dépendance du pays de 
l'Ouad-Rir', et elle n'appartient pas à celui de Ouâregla, 
comme la proximité pourrait le faire" croire. Quand 
nous nous présentâmes , les habitants ne voulurent pas 
nous laisser entrer dans leiur ville. Il parait qu'ils crai- 
gnaient que le sidtan de Ouâregla eût caché de ses sol- 
dats parmi les pèlerins, afin de s'emparer de Maguersâ 
par trahison, prendi^e leurs biens et établir, à leur 
place , les mor rebin de la caravane. De pareils soupçons 

' On voit que les puits artésiens sont connus jusque dans le déserf. 
Si jamais ces oasis étaient habités par des Européens , quel immense 
parti ceux-ci pourraient tirer de cette facilité à obtenir des eaux abon- 
dantes pour modifier la nature de ces contrées si diflBciles à parcourir 
aujourd'hui : avec une ligne de puits artésiens bien tubes , le voyage a 
Tombouctou deviendrait une excursion très ordinaire. Avec des eaux 
trt's-abondantes , on peut cultiver et boiser certaines parties du désert. 
Voyez plus loin, à Tarlicle Sonf, ce que font aujourd'hui les ioditrènes, 
sous ce rap|x>rl. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 57 

prouvaient suffisamment leur peu d'intelligence et leur 
folie. Eh quoi! ils pouvaient craindre que des gens qui 
avaient abandonné leur pays , leurs parents , leurs amis , 
qui avaient quitté leur maison poiu* Tamoiu* de Dieu, 
songeassent à venir demeurer dans une ville où n ha- 
bitent que les malheureux qui n ont pu trouver un gite 
ailleurs ! 

Les gens de Maguersâ montèrent la garde toute la 
nuit, témoignant beaucoup d'irritation contre ceux de 
Ouâregla. Ils n'attendaient, disaient-ils, que l'arrivée de 
leur émir Er^Rir'i , lequel se trouvait alors en expédi- 
tion, pour marcher sur Ouâregla, prétendant qu'il leur 
était licite de prendre les biens et de couper les têtes 
de pareils hérétiques. 

Je leiu* demandai s'il y avait, cette année, quelqu'un 
d'entre eux qui irait en pèlerinage. Ils me répondirent : 
« Qui donc songerait à faire le pèlerinage quand la 
guerre est à sa porte .^ cette année, nous ne faisons que 
la guerre et ne pensons pas à autre chose. » Cette ré- 
ponse me siu*prit beaucoup. L'origine de leiu*s soupçons 
contre nous venait de ce que , parmi les pauvres t'o'lba 
qui marchaient avec la caravane , quelques-uns avaient 
travaiUé , à leur passage , chez le sultan de Ouâregla , et 
que celui-ci leur avait donné des armes en payement. 
Cette nouvelle, parvenue aux oreilles des gens de Ma- 
guersâ, leur avait fait croire que nous étions autant de 
séides du chef de leurs ennemis, et que nous venions 
pour nous emparer de la ville. 



58 VOYAGE D'EL-'AÏ ACHI. 

Mardi, lo djoumâd-et-tani (9 janvier). 

Nous quittâmes ce lieu et marchâmes vers TOuad- 
llir [^j àl^) ^ par un terrain de sable où Ton ne peut 
se diriger qu'autant qu on le connaît parfaitement. 

Mercredi, 1 1, jeudi, 1 a djoumâdet-tani (10, 11 janvier). 

Le ti'oisième jour, au s'bah', il souffla un vent froid. 
La contrée où nous nous trouvions était remplie de 
sable que ce vent chassait siu* nous avec tant de vio- 
lence que l'air en était obscurci, et qu'on ne pouvait 
distinguer ce qui était à côté de soi. Ceci dura jusqu'à 
la nuit, pendant laquelle nous eûmes à souffrir. Il ven- 
lail comme aux jours de beham^. 

Vendredi , 1 3 djoumâd-el-tani ( 1 2 janvier) . 

Nous travoi'sàmcs une bourgade qu'on appelle Ague- 
dng ( *2)*>5t). Cosl la première ville de l'Ouad-Rir ^ puis 
nous allâmes vei^ Temàcen ((j-*mU), autre petite ville 

' Ourtd l\ir\ lWauct>up d iiidigî^nes qui onl Yoya«;é dans ces con- 
liOOH piHMiouivnl ()(iifi/ •/?!(/. On sait que dans TOrient le r'aîn a 
|M^^M|\io U pivuonci.tùon du gue, et c*est même pour cela que les 
ononlali^lo^ lo tiMn>cri>ont |vir </ft. Il est probable que ceUe même 
pu nu MM i(U ton cvi>lo du iH>lo do Tougourt 

* NoKm^ lo K"oi\tu, AU Un«|V5 do Chiddad-ben-Aàd , Dieu détruisit 
lo« uuSli<uU!« |VM' un ^i\uu) vont qui dura sopt nuits et huit jours. On 
i»pp\*Ho »oMo 0|Hsjuo lAmol Ivluiui. 

' V\\\^ \\M\[ ,11' Vuwlu uKÎiquo M,*i:uorsà comme étant une dépen- 
\\a\\\\' \W \y^\\M\ lui I) M^niMir.ut dt> lor* que Asruoilag n'était pas 
Iti puuuOH x^U\' xK TiVtul lur l uo cvnirlo oxplicalion fera dispa- 
\A\\\\ \\\\\ *ppu\0\^ xK \>*n'ï.i>;icti.'« Lo pivmior do ce^ endroits 



VOYAGE D EL-'AÏACHI. 59 

très-peuplée, où il y a iine grande quantité de palmiers. 
Le prince qui y gouverne est le cousin de Témir de 
Tougourt; il est là comme un étranger. Les pèlerins 
ftu'ent parfaitement traités par lui. 

Dans la mesdjid de Temâcen, il y a un minaret fort 
élevé , dont la construction est solide ; il a environ 
mille oudja de hauteur. Sur la porte de ce minaret on 
lit le nom de celui qui Ta bâti : c'est un architecte ap- 
pelé Ah'med-ben-Mohammed-el-Fâci. La date de sa 
construction est 8 1 7 de Thégire ( 1 4i 4 de J. C). 

Samedi , 1 i djoumâd-ct-tani ( 1 3 janvier) . 
SÉJOUR LES 1 5 , 16, 17. 

Nous partîmes de Temâcen et nous arrivâmes à Tou- 
gourt, capitale de TOuad-Rir, et résidence des princes 
de cette contrée, les Oulâd-Djellâb. Nous y arrivâmes 
le samedi 1 4 de djoumâd-et-tani ^ 

Le premier t a'ieb que je rencontrai, après mon arri- 

élait une dépendance seulement, et Tautre reste, en effet, la première 
ville du territoire proprement dit. 

* Dans la lettre à ses parents , El-'Aiachi raconte en ces termes son 
voyage de Ouâregla à Tougourt : 

> Nous partîmes de Ouâre^a le 9 de djoumâd-et-tani, et nous tra- 
versâmes un canton rempli de sable, puis nous arrivâmes à Tougourt, 
capitak de FOuad-Rir' , et résidence du souverain de ce pays. A par- 
tir de cet endroit, je fus obligé d acheter du blé, parce que no!( provi- 
sions étaient épuisées , et qu il ne me restait plus rien de ce que j*avais 
apporté de chez nous. Grâce à Dieu , je trouvai toutes les denrées à 
bon marché. Les dattes y sont à bas prix , comme à Ouâregla ; Torge 
et le blé se payent à raison d*un rlal les neuf ous'eu* ( m[). » 



60 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

vée , fut Sid-Moh'ammed-ben- Abd-el-Kerim-el-Touâti , 
fils de Sid-'Abd-el-Kerim, k'âd'i de Touât. Ce dernier 
était de Temendid'. Lorsque Sid-Moh'ammed fut de- 
venu légiste, il quitta Touât pour aller habiter Ouâ- 
régla, où il demeura longtemps; de là il était venu à 
Tougourt. C'était un lionmie de bien , qui savait le droit, 
la grammaire et la poésie. Il me fit tm bon accueil et 
amena les légistes de la ville pour me tenir compagnie. 
Il m'adressa plusieiu's questions siu* les traditions, et 
les autres tVlba me questionnèrent aussi beaucoup : je 
répondis à tout. 

Le lendemain de notre arrivée à Tougoiut, j'envoyai 
à Sid-Ah'med, frère de l'êmir, des vers, par lesquels je 
demandai à voir la glose faite par El-Oubbi ^ , au com- 
mentaire de Mouslim, sur le recueil de traditions de 
Boukhâri, et, en outre, l'ouvrage d'El-Iâmouri , intitulé 
Es'Sira^. Je promettais de lui rendre ces deux ouvrages 
le lendemain , ne voulant que vérifier un mot sur lequel 

' Cet ouvrage, composé par Abou-Abd-*Allah-el-Oubbi, porte le titre 
de Akmal-el-Akmal , le plus complet des complets (sous-en tendez, 
commentaire). La bibliothèque d* Alger en a un fort bel exemplaire, 
qui provient de Conslantine , où il avait été rendu h'abous , dans Tan- 
née iaa3 de l'hégire (1808 de J. C), par 'Alî-Bey, en faveur d'un 
établissement pieux. 

' Cet ouvrage, intitulé El'*Aîovui'el-Alsar-fi'fonoum'el-m€af^€Lzi'Ou 
ech-Chematl'OU'Es-Sira, est de Feth'-ed-Dîn-Moh'ammed-ben-Moh'- 
anmied-ebn-Moh'ammed-benAh'med-ben-'Abd-Allah-ben-Moh'ammed- 
ben*Iah'!a-ben-Sidi-en-Nas-el-Iâmouri. C'est une histoire de Mahomet, 
de ses contemporains, de ceux qui l'ont suivi, etc. Il en existe une 
fort belle copie à la bibliothèque d'Alger, sous le n** 306. Elle re- 
monte à l'année 999 de l'hégire (1^90 de J. C). 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 61 

j'avais des doutes. Cétait afin de satisfaire les légistes 
et les tVlba qui m'avaient adressé des questions. Ces 
derniers me demandèrent les Keç'âîdi-el-Outsriàt ^ pour 
les copier; et Sidi-Moh'ammed-ben-Ibrâhim me prit 
une keràça ^ du Lou-ech-dhart'ïa * et une autre kerâça 
que j'ai appelée : Tenhi-daouî-eUhemamrel-alîa-ala-ez- 
zedi'fi'^d-deidâ^eh'fânîa ^. Il me donna une medjmou' ^ 
contenant beaucoup d'ouvrages, cadeau dont je fus très- 
satisfait. Sid-Moh'ammed-ben-'Abd«el-Kerim me fit voir 
un conmientaire siu* le poëme d'Abou-el*Faradj-el- 
Achbili , ouvrage qui traite des noms propres mention- 
nés dans les traditions ^. 

Ils me demandèrent s'il leur était permis, théologi- 
quement parlant, de faire la guerre aux habitants de 
Ouâregla. Je leur dis : « Ces gens ne sont pas de votre 
pays , et vous n'avez pas à vous mêler de leurs affaires. » 
Ils me répondirent : « C'est vrai , mais ne peut-on dé- 
truire ce qui est mauvais quand on le rencontre sur 
son chemin? — Oui, leur répliquai-je , pourvu qu'on ne 

' Ceci est probablement un ouvrage d'El-*A!achi. La bibliothèque 
d*Alger possède, de notre voyageur, une petite pièce de vers sati- 
riques (ms. n*" 576) qui n*a pas d'intitulé. 

' On donne ce nom à un cahier contenant dix feuillets ou vingt 
pages. Les manuscrits arabes se composent d*un assemblage de ces 
cahiers. 

' Voyez la note 1 de cette page. 

* Ibidem, 

^ On appelle ainsi un volume qui renferme plusieurs ouvrages dif- 
férents. Nous dirions mélanges, 

* Voyez le poème manuscrit 6, D, bibliothèque d*Alger. 



62 VOYAGE D EL AÎACHL 

remplace pas ce mal par quelque chose de pire. Or, 
vous ne pouvez venir à bout de votre dessein, qu'en 
(uanl beaucoup de monde. Ceci est pour le cas où vous 
Kerez vainqueurs, mais si vous êtes battus? ■ 

I^es princes de Tougourt sont les fils du cheikh 
Ali'mcd-bcn-Djeliàb, et ils tirent leur origine des Beni- 
Merin '; leur père était im prince juste et habile, d'après 
ce ([u'on m'en a raconté; ses fils suivaient ses traces. 
Ils ne Faisaient rien sans consulter les légistes, et 
(^'étaient ces derniers qui leur avaient dit qu'aller tuer 
les gons do Ouâregla était ime action licite; en quoi ces 
logi.slos n'avaient fait preuve ni de droiture, ni de 
.savoir. 

Quant aux fils du cheikh Alimed, s'ils étaient con- 
Hoillés par dos gens qui connussent bien larehgion,et 
(pii Nui>issont le droit chemin, ils ne feraient rien de 
ooulrairo {\ la loi. Je n'ai jamais vu de princes qui leur 
fuH.Houl ot>nqKUMhlos; ils n'avaient point la moi^e de 

* 1.0% Uoiù Morin ou /onala doscoiulonl d'un certain Abou-K'aracl- 
M«u \Us \\\\\ M* iv>ol(»i À TïouWn on lai) <lc Thépre (746 de J. C). 
lU MMUuuM^M^ivMl À iv^jnor sur lo Manx» en (ïjI) (i!i58 de J. C.) dans 
U |>»M*\Mu\o ^r \lvu Ldï Kt-AlHHi-lVkor-lxWAUl-el-H'aï, vers 751 
( » ^M ^ lo *^^^to \lu MvM i\^b ol menu* la province dWfrikja loni- 
I^^M'hl rtu pouwMr do wtto d^UAMîe, jvtr les conquôlos d\Vbou-el- 
M M\'S\ ^\\\ Ivu XMxuMU i oUo ùnxvjo jv%sso |X»ur avoir éïé délniite 
\rM l.\ U\\ \\\\ \\\' xK\V ^W iK^tro oro. Il |\irAÎl, ci|vndant, que la 
dv«lu«\h>^u ^^* {\\{ \\%\ \\nup\';o» pui>^^uo» d\ipn'* le tonioignage 
d I i \\ ^^ \\\ \\>'\ p^n^^v^ sv \v.»o TAxX" r\ov)i*cut cncorv à Tongiiurt en 
\\y\^\ \\\ \ \ \ Vx^u.vî ^^ v^ o M UxVÎx's^ AUvîon ^erroUirc d'AM-el 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 63 

quelques autres souverains ; Têmir sort seul ou accom- 
pagné d'une ou deux personnes, au plus. Lorsqu'il est 
parmi les gens de la ville, il a tout à fait Tair de Fun 
d'entre eux, ne cherchant pas à se distinguer du vul- 
gaire dans la manière de s'asseoir ou de parier. Il est 
accessible à tous. 

Son frère, Sid-Ah'med, connaît un peu le droit et 
fréquente beaucoup les légistes. Sa manière d'être est 
bonne , et son caractère , vertueux. En général , les habi- 
tants de Tougourt , légistes, t'o'lba , ou autres , méritent 
les mêmes éloges; ils ne sont ni vaniteux, ni gonflés 
d'orç;ueil. L'êmir exerce son pouvoir, sans contestation , 
sur Tougourt et ses environs. 

Le jour de notre départ, deux de mes chameaux 
s'égarèrent, et un homme s'offrit de nous les ramener 
moyennant une rétribution. Le sidtan , informé de cette 
circonstance, fit mettre cet homme en prison, et en- 
voya des gens qui nous ramenèrent nos chameaux gra- 
tuitement ' . 

' Je vais donner ici le reste du passage de Haedo. Voyez à l*ar- 
ticle Ouâregla, relatif à Fexpédilion de S'âlah'-Rais sur Tougourt: 

« Dans cette même année de ia53, on apprit que le roi de Ti- 
carte (Tougourt) ne voulait plus payer, conmiepar le passé, certains 
tributs au pacha d* Alger. Ce roi est un More dont les états sont à 
vingt et une journées d* Alger, à cinq de Bescari (Biskra), très-près de 
la Zahara (du S'ah'ra) et du pays des nègres; en tout à cent cinquante 
petites lieues d* Alger. S'âlah'-Rais entreprit une expédition contre ce 
prince, an oommenoement d'octobre ; il emmena trois mille arquebu- 
siers, turcs ou renégats, mille cavaliers et pas plus de deux pièces de 
canon. Il cacha soigneusement le but de sa marche, afm de surprendre 
son ennemi. Aussi il était déjà a quelques lieues de Tougourt, avec 



64 VOYAGE D^EL-'AiACHI. 

L'argent de ce pays se compose de k'aràrit', petites 
pièces dont trente-deux font un quart de rîal. 

son camp , lorsque le roi de ce pays en fut informé. Celui-d , n*osant 
sortir pour le combattre, avec ce qu'il avait de monde, se laissa assié- 
ger dans la ville, qui était très-forte, par le conseil de son gouverneur 
(car ce roi était encore fort jeune). D espérait que ses vassaux ou les 
autres Mores et Arabes, ses voisins et amis, lesquels étaient tous grands 
ennemis des Turcs, viendraient le dégager. 

« S'âlah'-Raîs battit la ville pendant trois jours avec ses deux pièces; 
le quatrième , il donna Tassant et la prit , avec grand carnage de ses 
habitants. Le roi, qui avait été pris vivant, fut amené devant le pacha, 
qui lui demanda pourquoi il avait osé combattre contre la bannière 
du Grand Seigneur, et manqué à la foi qui lui était due. Le jeune 
prince 8*cxcusa sur son gouverneur, qui avait autorité sur lui ; ce der- 
nier, disail-il, était k'âd'i, et, en cette qualité, il avait tout sous la 
main, de sorte que lui, roi de Tougourt, n avait pu faire autrement 
que de suivre ses avis. 

« Alors S'âlah'-Raîs fit venir ce k'âd'i, et la chose se trouva conmic 
le roi la lui avait racontée, avec cette addition, que le susdit k'âd'i, 
en exliorlant les Mores à combattre les Turcs, leur disait que celui qui 
tuait un Turc avait autant de mérite aux yeux de Dieu que celui qui 
tuait un chrétien. Le pacha lui fit alors lier les pieds et les mains et 
le fit placer, en cet état, à la bouche d*un canon auquel on mit le 
feu. L'explosion déchira ce malheureux en pièces. 

« Los habitants de Tougourt et des alentours, au nombre d'environ 
douze mille, de tout âge et condition, furent vendus comme esclaves. 
Lo pays fut pillé et ravagé ; après quoi S'àlah'-Raîs emmena le roi , qui 
avait À peu près quatorze ans. 

« S'âlah'-Rais va ensuite attaquer Ouâregla, comme on Ta déjà ra- 
conté , puis il reprend la route d'Alger. 

• Kn passant par Tougourt, le pacha y laissa le jeune roi, qui s*en- 
gagca, ainsi que les principaux du pays, auxquels on rendit la liberté 
et auxquels on lo confia, de demeurer fidèle et loyal envers les Turcs, 
et (lo leur donner annuellement un tribut de quinze nègres ; lequel 
tribut so paye encore aujourd'hui. ■ 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 65 

Mercredi, jeudi , vendredi , 18, ig, ao djoumâd-et-tani 
(17, 18, 19 janvier). 

Nous partîmes de Tougourt, le mercredi 18 de 
djoumâd-et-tani . Nous marchâmes lestement sur un 
chemin qui traverse un pays de sable, pays qu'on prend 
ordinairement pour terme de comparaison quand on 
veut désigner un endroit où le sable abonde. Heiu'euse- 
ment Dieu nous avait fait la grâce d'envoyer de la 
pluie pendant notre séjour à Tougoiul, afin de rafïer- 
mir le terrain sur lequel nous n'aurions pas pu avancer 
s'il eût été sec , outre que le vent qu'il faisait alors , 
nous soufflant le sable à la figure, nous aurait aveu- 
glés. Mais ce même sable, mouillé par la pluie, était 
plus commode que la terre, car celle-ci, en pareille cir- 
constance, devient de la boue où le voyageur enfonce. 
Noujs cheminions donc avec toute aisance et facilité. 

En voyant cette immensité de sable , et en réfléchis- 
sant à la faveur divine qui nous permettait d'y marcher 
sans obstacles, nous nous mîmes à louer Dieu et à le 
remercier. Sans la bonté qu'il nous témoigna, il nous 
eût été peut-être impossible de nous tirer de ce ter- 
rain. S'il en est ainsi dans la saison des pluies, que 
doit-ce être en été ? Je m'étonnai alors de l'assertion 
avancée par certaines gens , à qui j'avais souvent entendu 
dire : « Les voyages sont faciles dans le S'ah'ra , nous le 
parcoiu'ons tous les ans^ » 

' On trouve dans la lettre déjà citée : « Nous partîmes de Tougourt ; 
nous travers,âme8 des sables dont Timmcnsité est devenue proverbiale. 



66 VOYAGE D'EL-AÏACHI. 

Samedi, ai djouinâd-et-tani(ao janvier.) Séjour, dimanche aa. 

Nous traversâmes ces sables en quatre joiu^ ; mais , 
en général, nous avions marché lentement, si ce n'est 
le quatrième jour , dans lequel nous arrivâmes' à Souf 
[(jiym)\ pays où il y a des palmiers plantés au milieu 
du sable , qui les a recouverts pour la plupart. On trouve 
beaucoup de villages dans ce canton ; Teau y est bonne , 
abondante et très-près de la surface de la terre ^. 

Les gens de la ville me racontèrent aussi leur mé- 
thode de planter les palmiers. Ils creusent d'abord un 
peu le sable , jusqu'à ce qu'ils atteignent l'eau , qui est 
très-près de la surface du sol; puis ils plantent le pal- 
mier de telle sorte que les racines plongent dans l'eau, 
après quoi ils recouvTent celles-ci avec du sable. Ils n'ar- 
wsent jamais. Ils font ensuite im petit fossé au pied de 
l'arbre, et le remplissent avec du crottin de chameau et 
d'aulros animaux. S'ils n'employaient pas ce procédé, 
h' palmier moiu*rait. Us suivent un système analogue 

Prtr îtt IrtNOur do Dion laveur si grande que l*espnt humain ne peut la 
(onooNoir^ il (omKi« |MMuiant notre séjour à Tougourt, une pluie qui 
n Vtoi( PA^ do 1a saison, et qui mouilla le sable et le solidifia au point 
uuo Irt tr;uY do nos |>as no s'y iniprimail plus. De la sorte, nous tra- 
Nor^Ainos iWilomont tYlto rt^gion do sable.» 

* loi lo nvuuiscril donne le mot 0!ï^* tandis que dans la lettre 
d'il \\m\\\ à SOS jMmUi il y a i^jm jX^ (pays de Souf), leçon qui 

ilnl) «*hV |MVtOl>iH\ 

* 1.0 Lo\i\oiuon\onl lun^ d'Algor jx^rcev,\it quarante ou cinquante 
millo biMid|»MiN |Mr ,ui sur lo |vns i\i^ S>uf, mais seulement lorsque ses 
hoMpoi *'\ ^^^VM ut.uont . o,^r aulnnuonl il ne recelait rien. 



VOYAGE D'EL-AÏACHI. 67 

pour la culture des légumes et de tous les autres végé- 
taux qu'ils font venir. 

Ils élèvent avec beaucoup de soin des chiens pour 
la chasse, leur pays étant très-abondant en gibier, ce 
qui , avec les dattes , fait presque leur unique nourri- 
ture. 

Les dattes de cette contrée sont supérieures à celles 
de tous les autres pays. Nous passâmes la journée du 
dimanche à Souf , et nous achetâmes les chameaux et 
les autres objets dont nous avions besoin. 

Les gens de Souf ont leurs habitations dans des haies 
de branches de palmiers; c'est là qu'ils couchent et 
qu'ils se tiennent ^ 

Lundi, a3 djoumâd-et-tani (aa janvier). 

Nous partîmes le lundi , 2 3 djoumâd-et-tani , et nous 
nous arrêtâmes dans un lieu où il y a de l'eau , et qu'on 

* El-*A!achi, dans la lettre à ses parents, ajoute ces détails sur son 
séjour à Souf : 

« Nous descendîmes dans le pays de Souf, après quatre étapes 
(à partir de Tougourt]. J'y achetai trois chameaux, attendu que les 
miens s'étaient affaiblis , et aussi parce que j*avàis acheté des choses 
pesantes qu'ils ne pouvaient suffire à porter. 

«J'achetai à Souf un dernier volume du Naouazil d'El-Borzouli 
(ouvrage de droit), a vil prix. J'avais aussi acheté à Tougourt une 
medjmou', acquisition dont je fus enchanté. Elle contient Ebn-Ech- 
Chot' sur El-Fezaoul, ainsi que l'ouvrage du légiste Rachid, sur ce 
qui est permis et ce qui est défendu. Bref, Dieu m'a favorisé : j'oublie 
toutes mes fatigues et toutes mes peines. Tout le chemin que j'ai fait 
jusqu'ici , je l'ai parcouru en paix ; or, ces chemins , souvent rudes , 
m'ont paru faciles à cause de la sécurité qu'on y rencontre. > 



68 VOYAGE DEL AÏACHl. 

appelle Er-Riàh' (^l»^!)- ^^ ^^^ situé à une demi-étape 
(le Souf, au milieu de sables qui, parleur immensité, 
l'emportent sur ceux de la mer. La plupart des habi- 
tants de Souf nous suivirent , afin de ramasser le crottin 
de nos chameaux , pour l'employer à la culture des pal- 
miers, ainsi qu il a été dit plus haut. Nous rencontrâmes 
à Er-Riâh' des Arabes de T'erdi avec de forts cha- 
meaux à vendre. Les gens de la caravane achetèrent 
selon leurs besoins. 

Mardi, it\ djoumàd - et - tani (a3 janvier). Séjour, 
mercretli a 5 (ai janvier). 

Nous partîmes d'Er-Riàh', et nous allâmes à un en- 
dmit appelé El-\\lnadi ^^^ooXjJI). Là, nous fûmes as- 
saillis par la pluie avec tant de violence, qu'il fallut nous 
> ariH^ler un jour; et cependant nous ne trouvions rien 
t"^ hoiiv, paixe que cette contrée, étant toute de sable, 
no ivtenait pas Toau qui y tombait. De sorte que la ca- 
raxaue. ohlij;[ee de séjourner à cause des torrents de 
pluie qui desi euilalont du ciel , ne pouvait toutefois 
tixnner à son Mxao de Teau jx^ur boire ou pour faire 
les aMutiiMis. Il fallait puiser dans les outres, provision 
spéciale iloMinee a nos be>oins jHMidanl les marches; 
ou Imou ivkiumUu* dau> dos \asos Peau i|ui tombait du 
ou l \ni ooUo qvu doo^^uîlail le loiu: de nos tentes. A 
pi\^|Hv\ do 00 tomjw, j\ù ovnnjx^se , en ^ers, fenigme 
quo \\M\ I 

\u\i vr,> tu vjxi. ic' <r>l u /'.^Mf à.'î*î lAKMulance oblige 
v4 \.ivt\ î.^* oî xju/ xviv',x!tr: vXi :v j>u: trv^u^t^r; la choM* 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 69 

à propos de laquelle on demande le contraire, quoiqu'on 
en ait grand besoin ? 

Jeudi , vendredi , samedi, a 6 , 27, a8 djoumâd - et - tani 
(a5, a6 et ay janvier). 

Nous quittâmes El-' Alnadi , et , doublant l'étape à la 
troisième, nous arrivâmes, vers le d'oh'a, auprès d'une 
sebkha ^ (x^^dM), dans un endroit où il y avait de Feau. 
Notre provision s'étant épuisée en route , nous avions 
commencé à sou£Brir de la soif. On avait même creusé 
sur le chemin, dans Fespoir de trouver de Teau; mais 
cela avait été sans succès. 

Lorsque, dans la matinée, je marchais avec mes com- 
pagnons , nous nous trouvions sur un terrain tellement 
imi que le ciel semblait très-rapproché, et qu'à plus 
d'un mille en tout sens on n'apercevait absolument rien 
qui interrompît l'égalité de la surface. On eût dit que 
le ciel allait tomber, tant il était près de nous. J'ai com- 
posé les vers suivants à propos de cette circonstance : 

Regarde par tes yeux, et tu ne verras rien que le ciel et 
la terre. Celle-ci, honteuse detre si près du firmament, se 
cache sous un tapis de verdure. Les chameaux qui savan- 
cent entre la terre et les cieux semblent autant d'étoiles 
filantes qui descendent avec rapidité siu* le S'ah'ra. Le voya- 
geur n'aperçoit pas autre chose dans toute cette immensité. 

J'ai vu , à cette époque de mon voyage , un exemple 

* Cette sebkha , dont El-'Aîacki ne donne pas le nom , est proba- 
blement le lac qui est désigné sur nos cartes par la dénomination de 
Melguig. Le mot sebkha se dit d*un lac salé. 



70 VOYAGE D'EL'AlACHI. 

remarquable de la toute-puissance du Dieu des inondes. 
Le jour que l'herbe sortit de la terre, dans la nuit où 
Feau tomba avec tant d'abondance \ elle lut visible im- 
médiatement. Je n'ai jamais observé cette rapidité de vé- 
gétation dans aucun pays ; car, d'ordinaire , ce n'est que 
quelques jours après la pluie que l'herbe commence à 
paraître. Comme je m'étonnais de ce fait, le véridique 
Sid-'Abd-er-Rah'mân me rapporta que Sidi-'Abd-er- 
Rahmân-et-Taâlebi^ a dit dans son conmientaire , à 
propos de ce verset du K'oran, « Dieu a fait tomber 
l'eau du ciel , et le lendemain la terre était verte , » J'ai 
vu ceci dans le pays des Saouàken. 

Ce qui se passa sous nos yeux prouve la vérité du 
Hiit avancé |>ar Sid-'Abd-er-Rah'mân. Le pouvoir de 
Dieu Ov^t sans l>omes. 

Dimanche, a 9 djoumâd-et-tani (a8 janvier). 

Nous quittâmes notre bivouac et nous allâmes cou- 
cher aupivs dos limites de la sebkha qui sert de fron- 
tioix^ au Innu^ du canton de Nifzàoua. Je pensai que 
oolto sohkha était mie partie de celle d'Abou-Hellàl , 
Kl pKiîi >avMo do toutes celles qu'on connaît, tant par 
NI ;;i\uulour ot si largeur que par la grande quantité de 

* IN\>K*bU"^\HMU jviKUnI Wur 5»tSHir à El-*AInadi. 

* 1 1 VaàK Im o>l auNSi cx'Uhiv |var « science que par la sainteté de 
\A >^i^ M oM Auîo\»r *W pîusÙMi»^ vHi\rAp[*s llKH>K>pques estimés, qui se 
(uNUxoMi A Ia kî>\,s*H\^î»c d Nîor l.e* \lgt rions lui ont élevé, auprès 
^lo Ia |smIv duv tv^N^-^l i\iMl. une f.>H)i^lie nnisquoequi attire Tatlen- 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 71 

sel qu'elle contient. Mais cette première sebkha , que 
je crois être une partie de la grande, contient peu de 
sel, et celui-ci est mêlé de sable. 

Lundi, l'redjeb (ag janvier). 

Nous entrâmes dans la grande sebkha \ guidés par les 
étoiles, et nous la traversâmes avec beaucoup de peine. 
Ce ne fut qu après plus d'une heure de recherches que 
nous réussîmes à trouver le chemin , lequel n'est autre 
chose qu'un sentier accidenté , étroit comme im cheveu , 
et coupant comme le tranchant d'une épée. Les bêtes 
de somme n'y pouvaient marcher qu'une à une, et si 
quelque chameau ou mule venait à dévier le moins 
du monde, il courait le risque de s'embourber et de 
disparaître. Nous ne sortîmes de là qu'au d'ohor, après 
beaucoup de fatigues et de diffictdtés. 

' 11 existe, sur les frontières (méridionales) de Tunis une plaine 
înmiense, couverte d*une couche de sel qu*on trouve à la surface de la 
terre, en glèbes et en petits morceaux. Ce lieu est rempli de sources ; 
on y rencontre souvent une source d*eau parfaitement douce à quel- 
ques pas d*une source salée. Dans quelques parties, le sel forme 
comme une vaste croûte de plusieurs pieds d'épaisseur; elle estd^une 
telle dureté qu^on ne peut la rompre qu'avec peine, et qu*un cheval 
lancé au galop n*y laisse point la trace de ses pas. (Méditerranée illas- 
trée, pag. 6a.) 

A TEsl, et à environ deux milles de Nifisâoua, se trouve la plaine 
salée, qui brille comme un miroir lorsqu'elle est échauffée par les 
rayons du soleil; la route qui conduit à R'dâmes, ville nègre apparte- 
nant à Tripoli, et autrefois la capitale des Garamantes, la sépare en 
deux parties. (Ihid.) 

Voir, pour plus amples détails sur la sebkha-kebira, le voyage de 
Moula-Ah'med, dans le présent volume. 



72 VOYAGE D EL'AÏACHL 

SINGULARITÉ. 

Nous trouvâmes dans le sable qui est en dehors de 
la scbkha beaucoup de ces arbres appelés retèm ' . Ils 
portent des fleurs blanches ; leiu* aspect est tout à fait 
celui du jasmin, dont ils ont la couleur et Todeur. 

Nous arrivâmes dans un boiu^ qui fait partie du 
canton de Nifzâoua [hb^) ^« C'était le premier jour de 
rodjeb. Le canton renferme beaucoup de villages ; ils 
sont isolés les uns des autres ; tous sont en plaine et 
ontourés de pahniers au milieu desquels il y a de 
grands réservoirs. Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est 
tjuo Toau, qui habituellement descend des lieux très- 

ôlo>és» osl cependant très-abondante dans cette con- 

» 

hvt\ qui est l>as:>e comme le pays de Rif, en Egypte. 
('oHo oau est douce. 

I,0s^ pMoiin.s oiviont quon appelle ce pays Nifzâoua 
iMivo uu il \ %^ mille zaouîa, d^oii, prétendent-ils, on a 

^ Uoiou^ M^ viu \W U tache bUiK-he que certains chevaux ont entre 
Kv^ \h UN iw«iuu^« Au-iic5c>%k5 de U le^re. J'ipoore a quelle plante s*ap- 

• ^V\ \\N»t >Uux u ^x*V ^ie \i*«^>ua une source appelée, en langue 
K »K^»\\ t •nn»'* 4 1 ^xv-^ **L* » q*" ^*t ^^rt larçe, et dont on n'a jamais 
iv« A-ivu^î^v V v.v-, N.-.Kxui «4 enîourve d'un mur construit de 
|V(xk«vx H^ vi^* Nn-'-"^ 1-* ^* ^ * *i^ p^^rtes. une mosqutH?, djâma, 
s\ss\ \K^^'*^\ *^ «rw ï'.vt'X'V '^fîs c*.:^ ir tt< c£Tv:it partout des fontaines 
V* nIv^x •.* V »-x ' b iv-v-* , a*%x'\s^ jMT M Qualremere, dans le 
.vvu\ \iî ,«^\ X^v-sx-^ A-^ ra ■^-- ^ .V *Ji Bill (ht>^ue nnale, pag. 

\>^\>^ ^> ^» N Vn* v« V» r>.x' •' .V .-y r»»i"«. vian* la relation de 



VOYAGE D'EL-*AÏACH1. 73 

d'abord dit Elàfoun-zaouïa , puis, par corruption, Nif- 
zàoua. Mais cette étymologie, qui est arabe, ne parait 
pas exacte, car ce nom de localité est antérieur à ré- 
tablissement de Tislamisme en Afrique , d'après ce que 
j'ai lu dans les livres d'histoire. Or, on ne parlait pas 
la langue arabe dans le Mor'reb avant la conquête mu- 
sulmane. Les historiens sont unanimes à cet égard. 

Mardi, a redjeb (3o janvier). 

Nous partîmes de cet endroit et nous traversâmes, 
siu* notre route, une multitude de boui^ades dont la 
quantité est innombrable. Nous couchâmes à l'extrémité 
de ce canton de Nifzâoua, dans une zaouïa qu'on ap- 
pelle Djemia (a^^ ^^b)- On y voit le tombeau de Sid- 
H'âmid-el-Djemeni , marabout originaire d'En-Nemerïa. 
Je rencontrai dans ce bourg un homme appelé Sid- 
Moh'ammed-ben-Abou-el-K'âcem, un des amis du 
cheikh Sid-Brâham-el-Lak'k'âni. C'était un homme de 
bien, discret, assez instruit en droit. Il possédait 
quelques livres sur cette science, tels que Tatâï-el- 
Kebir^ et autres. Je visitai le tombeau du saint de la 
zaouïa. 

Mercredi, 3 redjeb (3i janvier i663). 

Nous partîmes de Djemïa, la dernière bourgade du 
canton de Nifzâoua, ainsi qu'il a été dit plus haut. 
Nous traversâmes un terrain excellent, rempli de champs 
cultivés et de nombreux pâtm*ages. Nous y trouvâmes 

* Voyez plus haut la note sur cet auteur. 



10 



74 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

des gens , la plupart de Nifzâoua , qui labouraient avec 
des mules ou ensemençaient. 

SINGULARITÉS. 

Parmi ces individus, j'en remarquai quelques-uns qui 
Inboiu^aient avec un seul bœuf, ce qui me surprit, car 
je n'avais jamais vu pareille chose dans aucun pays. Je 
ni\Monnais encore de ceci, lorsque j'aperçus quelque 
choso de plus extraordinaire : c'étaient des laboureurs 
qui faisaient traîner leur charrue par un seul chameau, 
(lotto singularité me fit oublier la première, et il me 
IY\ înt aloi's à l'esprit le dicton généralement répété : 
* Lo labour du chameau gâte plus qu'il ne profite. • 
J\*Miiis oucoiv préoccupé de cette dernière bizarrerie, 
loi^inril s'en présenta ime nouvelle : c'était un homme 
«"^Uolé %\ la chaiTue^ tandis qu'un autre la dirigeait. Mes 
oou^jv^j;nons do xoyajjo et moi, nous ne pûmes nous em- 
i>0\ hor ilo riiv de ces systèmes extraordinaires, et nous 
aU>\uu\^ fùiv cerv le autour de ceux qui les mettaient en 
\v\iM\\ Ou rt^>te, ces gtMis ne peuvent travailler ainsi 
que iv^iw \Ute leur tenrv est excellente, très-meuble 
el u'a iv^N Ivsv^in d\m prv^lond laboiu*. Si Ton essayait 
xmUx u\> do p\0^^\:or de semMiMes méthodes, la se- 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 75 

Jeudi, 4 redjeb ( i" février). 
AUTRE SINGULARITÉ. 

Un homme de ladite zaouïa, lequel savait im peu 
de droit, étant sorti avec moi, ainsi que plusieurs in- 
dividus d'El-H'amâma (ajjU^), venus là pour vendre 
des dattes, Têmir de la caravane les pria de vouloir 
bien nous montrer la route de leur pays, et ils mar- 
chèrent avec nous. Pendant la deuxième journée , depuis 
que nous cheminions ensemble , d'autres personnes de 
leur pays, montées sur des chevaux , vinrent me deman- 
der à la caravane ; elles me cherchaient pour m'adres- 
ser des questions. Après m'avoir trouvé, elles descen- 
dirent de cheval, firent les saluts et les compliments 
d'usage, puis se remirent en selle. Alors le légiste de 
la bande me demanda la permission de me poser des 
questions sur le droit. Sa requête me fut agréable par 
la manière polie et délicate dont elle fut exprimée ; 
mais ce qui me déplut, c'est que, lui étant à cheval et 
moi étant à pied , il aurait dû , d'après les usages et 
les convenances , mettre pied à terre avant de me ques- 
tionner. Cependant je lui dis de m'interroger sur ce 
qu'il voudrait. Il débuta par des questions sur le droit 
théologique proprement dit; et, comme je commen- 
çais à lui répondre, une troupe de lièvres vint à par- 
tir devant nous. Les pèlerins se jetèrent à droite et 
à gauche pour les attraper, et mon homme, oubliant 
la gravité du sujet que nous traitions, se mit également 



76 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

à la poursuite de ces animaux : d^où je vis que c était 
une tête folle, et que les phrases remplies dWbanité 
par lesquelles il m'avait salué ne provenaient pas de 
son fonds, mais que c'était de pure réminiscence qu^il 
les répétait, sans les sentir ou les comprendre, et seule- 
ment pour les avoir entendu dire à d'autres. 

Vendredi, 5 redjeb (a février). 

Le troisième jour depuis notre départ de Nifzàoua, 
nous laissâmes la montagne de Mat mât a (îSloUk*) sur 
notre droite, et nous visitâmes, au d'oha, le tom- 
beau de Sidi-Guenâou {j\i^ c^*^^^^), lequel se trouve 
dans une bourgade déserte, au milieu d'un pays sté- 
rile. Le saint est enterré devant une mesdjid ancienne, 
bien construite. Les gens du pays l'ont en extrême vé- 
nération , et ils attribuent de grandes vertus à son inter- 
cession. Cette réputation y attire, de toutes parts, de 
nombreux pèlerins qui apportent beaucoup d'offrandes 
en grains, dattes, beurre salé, viandes, et les déposent 
dans des chambres qui sont en dehors de la mosquée. 
Los visiteurs qui sm^iennent mangent de ce qui s'y 
rencontre, selon leurs besoins; mais ils ne peuvent rien 
oniporter: quiconque essayerait de le faire tomberait 
malade immédiatement. I^e fait est bien connu des 
wns du pays, des pèlerins, de tout le monde. 

Le pacha de Tunis, M oh ammed-ben-H'amouda , 
bixiuiuait alors, avec son armée, à K'âbes. II avait 
donné l'oixliv de i^hàtir à neuf la mesdjid de Gue- 
iirtou, et d\ creuser un puits, parce qu'il n'y avait pas 



VOYAGE D'EL-'AiACHI. 77 

d*eau en cet endroit. Nous trouvtoies les Tunisiens oc- 
cupés à ce dernier ouvrage. Ils, avaient déjà creusé à 
ime profondeur de cent coudées, en grande partie à 
travers une pierre blanche semblable au marbre , et ils 
n avaient pas encore atteint Teau. Quand nous les quiv 
tâmes, ils continuaient de creuser. 

Samedi, 6 redjeb ( 3 février). 

Ce jour, nous allâmes près de Zerrik' (u^^))- C'est 
ime boui^ade dans laquelle il y a une zaouîa consa- 
crée à Sid-Abd-Allah-ben-'Abd-el-Aziz-ben-Iah'ïa- 
ben- Abd-er-Rah'mân-ebn-Djâbir , un des chérifs du 
canton de H'amàma. Le fils de ce marabout était venu 
avec nous depuis Nifzâoua, puis il avait pris les de- 
vants pour regagner son pays. 

J'ai connu Sid-'Abd-Allah , de son vivant, en 106 5 
(i654 de J. C). Quand je le visitai alors, je le trouvai 
fort malade d'une longue maladie qui datait de vingt- 
cinq ans , espace de temps dont il avait passé la majeure 
partie dans son lit. Voici la cause de l'état dans lequel 
il était tombé : à l'époque où il jouissait d'une bonne 
santé, il s'occupait beaucoup de la science appelée asrâr- 
el-h'orouf, ou mystère des lettres \ et de celle qu'on 

' Il s^agit probablement ici des lettres détachées qui se lisent à la 
tète de plusieurs sourates du K'oran, et qui ont grandement exercé la 
judiciaire des commentateurs. M. de Sacy (voyez Anthologie gramma- 
ticale, pag. VI ) cite, à ce sujet, Topinion du célèbre commentateur 
El-Beid'âouî. Un ouvrage spécial a été composé sur cette matière par 
rillustre prédicateur Kemal-ed-Dîn-H'oceïn-ben-*Ali-el-Harâouï. 



n 



78 



VOYAGE D'EL-'AÎACHL 



nomme el-oufàk' ^- U y travaillait sans cesse et avait ras- 
semblé beaucoup de livres sur ces deux sciences , dont 
on ne peut légalement s^occuper sans avoir reçu d^un 
maître le diplôme appelé idjaza^. Sid-'Abd-Allah avait 
im frère qui s'occupait de Telm-er-remel ', ou divination 
au moyen du sable , et de Felm-ez-zaîrdja ^ , sciences 



* KUniRik'. L*expres$ion la plus ordinaire est 'elm-el-djedoaâl, ou 
»cionci> des tableaux. On l*appelle ainsi , parce qu'elle consiste à faire 
des Uhleau\ talî^iuanîques à Taide desquels les t'o*lba qui les com- 
|HVtoul pivleiuloiit guérir les maladies et obtenir d*autres résultats non 
UHnus uienreiUeux. 

NvhW un ech^ulillvui de ces lableaux; celui-ci est destiné a guérir 
du uwl vW tète ' 



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^.„ ,^^•^vvv % A* ««v^ »-^'^»"' * -^^^ J« ^;-:rî>iues poinU que l'on 



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^ u. ^* «..' K» A» ^-v»iv^ A> ,"rr.i«f*. i.i'.a*ûvHi qui se fait au 
». v.„ ^ >.> 1^ %• - ^ ^*^^ «*«'"* «^^ -=»f TiV-^f-^r^ ietlre5 qui se ren- 

rt^^, -^«xm r» '•*» ^ï^** Àrti»«»e, kIo «ruines rv^es. 



y^\>' • >\«. \^ ••• 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 79 

qu'il avait apprises sans maître , comme avait fait son 
frère. Cependant, quoiqu'il exerçât sans idjaza, ses opé- 
rations étaient efficaces. 

Mon maître, Sidi-Moh'anmied-ben-Mouçâhel , m'a 
raconté, au sujet du frère de ce malade, une chose 
fort remarquable. Dans le temps que Tunis et Alger 
étaient en guerre, cet individu prédit que les Algériens 
seraient victorieux; ce qui arriva en effet. Il s'appelait, 
je crois, Sidi-Abou-el-K'âcem-ben-'Abd-el-'Aziz. Je ne 
l'ai pas connu, car alors il était mort depuis long*- 
temps. Quant à son frère, je pense qu'il cessa de vivre 
vers 1070. Lui et ses enfants, sauf un seul, succom- 
bèrent presqu'en même temps, et il ne resta de cette 
famille que Sid-Moh'ammed-S'âlah'. Ce dernier m'a dit 
que son père, au plus fort de sa maladie, n'avait pas 
discontinué d'enseigner le droit et ne cessait d'écrire ; 
qu'à l'heure de la prière il se levait pour dire ses orai- 
sons. Ce Sid-M oh'ammed était un homme de bien , 
qui suivait les traces de ses ancêtres pour les vertus 
hospitalières. Il vint au-devant de nous auprès de sa 
bom^ade , et il m'apporta , ainsi qu'au cheikh er-rekeb, 
des dattes et de l'orge. Il nous accompagna ensuite 
pendant plusieurs milles, avant de prendre congé de 
nous. 

Dimanche, 7 redjeb (4 février). 

Nous traversâmes un grand nombre de villages dans 
cette journée, et nous couchâmes à 'Arâm ((•Lr*), bour- 
gade peu considérable. On y trouve beaucoup de lieux 



80 VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 

de pèlerinage, lesquels, pour la plupart, appartiennent 
à des chérifs de El-H'amâma; aux quelques tombeaux 
des ancêtres de cette famille sont venus s'ajouter suc- 
cessivement ceux de ses membres qui venaient à moiu*ir 
et qu'on enterrait dans le même endroit , de sorte que 
tous les gens de cette race , lorsqu'ils meurent au loin, 
sont apportés à 'Arâm pour y être inhumés. Il n'y a eu 
d'exception que pour Sid-'Abd-Allah-ben-'Abd-el-'Aziz , 
lequel est enterré à côté de sa zaouîa , à Zerrik' * , ainsi 
que je l'ai dit précédemment. 

Lundi , 8 redjeb { 5 février ). 

Nous partîmes d'Arâm et nous allâmes coucher près 
de l'Ouad-es-Semâr jUwJt ôI^. 

Mardi, g redjeb (6 février). 

Après avoir quitté cette rivière , nous rencontrâmes 
la caravane des gens de Tunis qui allaient en pèleri- 
nage à la Mecque. Je ne connaissais parmi eux per- 
sonne à qui je pusse demander des nouvelles exactes 
et détaillées. J'appris seulement en gros que tout allait 
bien de ce côté. 

Nous allâmes passer la nuit auprès d'un cours d'eau 
qu'on appelle En-Nebch (^ys-uJl). Cette rivière est bor- 
dée , vers sa source , d'un grand nombre de réservoirs ; 
la plupart sont si près du rivage qu'ils se remplissent 

* EIl-*A!achi dît dans sa lettre à ses parents : « J*arrivai à Ni&âoua 
le lundi i" redjeb; puis je me rendis à 'Arâm en cinq jours. Nous y 
trouvâmes la caravane de Tunis qui passait devant nous. » 



VOYAGE D'EL'AÏACHL 81 

facilement de terre quand la rivière monte, et il est 
rare de ne pas les trouver envasés. Les pèlerins ont 
alors beaucoup de peine à les nettoyer. Souvent, après 
avoir enlevé le limon , ils n'obtiennent qu'une eau noire , 
fétide et d'un goût insupportable. 

Lorsque je traversai cet endroit, en io64 (i653 de 
J. C), le premier joiu* de l'été, pendant la journée 
que nous y passâmes, les pèlerins faillirent y moiu*ir 
de soif, parce qu'il y avait fort peu d'eau et qu'elle était 
fétide. Lorsque j'y étais passé précédemment, en io5g, 
( 16^9 de J. C), l'eau était encore plus noire et plus 
puante. Dans mon pèlerinage actuel, j'y arrivai au com- 
naencement du printemps, et il faisait encore froid; de 
sorte que si l'eau était mauvaise , du moins , les gens de 
la caravane , n'étant pas tourmentés de la soif comme 
dans le voyage de io64, en ressentirent moins d'in- 
convénients. 

Mercredi, 10 redjeb (7 février). 

Nous partîmes d'En-Nebch et nous marchâmes toute 
la journée , jusqu'aux environs de l'ac'er. Des malfai- 
teurs attaquèrent quelques-uns des pèlerins qui se trou- 
vaient à l'avant-garde et les dépouillèrent. La nouvelle 
en arriva à l'êmir de la caravane , et il se mit seul à la 
poursuite des voleurs, qu'il atteignit et auxquels il reprit 
leiu* butin. C'était un homme courageux dont l'énergie 
s'accroissait dans les circonstances dangereuses. Que de 
choses de ce genre il a faites! 

Cette affaire fut cause que nous nous arrêtâmes, ce 

]i 



82 VOYA(jiE DEL AÏACFIl. 

jour, avant Theure de la couchée. Nous bivaquâmes 
au bord d'une lai^e rivière * dont les rives étaient bor- 
dées de vastes champs cultivés, mais dont Feau était 
salée et saumàtre, à tel point que, fut-on mourant de 
soif, on ne poiu*rait pas plus s'y désaltérer que dans la 
mer. A l'époque des grandes chaleurs, cette rivière se 
solidifie et devient une sebkha. 

Jeudi , 1 1 redjeb (8 fcvricrV 

Nous nous remîmes en route. Un chameau étant 
resié en amère, mes amis s'arrêtèrent pour le tuer; ce 
délai fut cause que nous ne rattrapâmes la caravane qu'à 
Souâk'i-bcn-Gucrdân (e)'^j^(:r? i^y^)^- On trouve dans 
ce lien beaucoup de puits dont l'eau est abondante; ils 
sont situés dans un terrain uni, où l'on remarque de 
n()nil)reuses cultures, ainsi que les ruines d'anciennes 
])()nr{^n(l(\s , celles d'une mesdjld et de quelques k oubba. 

Il y a loujours beaucoup de monde à Ben-Guerdân; 
Cl» soni, ou des pèlerins qui s'y arrêtent, ou des gens 
d'MI-iraniArna, ou d'autres Arabes de la contrée. Les 
caravanes ont l'habitude de s'y pourvoir d'eau pour deux 
ioiiruées; la notre s'arrêta dans cette intention. On v 
but , on abreuva les animaux, on fit la provision d'eau, 
puis on se remit en route. 

Noms allAines coucher auprès d'un madjen {{j^). ou 

' IVnlmtilriiicnl l'Ouml Fàs ( j.»L5 ^f^). 

* Ici Ir nom Av Itu alilô o>l irril ^jt^^ip ^o Généralemonl le ro- 
|iii(o l't'nil J3^i_» . liUulis «pio Moula \h'mc<l emploie Torlhograplie 



VOYAGE D'EL-'AIACHI. 83 

réservoir, qui est à moitié chemin entre Souâk'i-ben- 
Guerdân et Bordj-el-Melh' (^1 5^). Ce madjen contient 
toujours de Teau de puits ; mais , comme cette route est 
très-fréquentée , nous n'en trouvâmes qu'un peu, au 
tond , ce qui aurait pu suffire à une très-petite quantité 
de gens, mais non à toute une caravane. 

Vendredi. 13 redjeb (9 février). 

iNous quittâmes cet endroit, et, aux environs du 
d'ohor, sur notre gauche , nous aperçûmes la mer, dont 
nous nous approchâmes. Ceux des pèlerins qui n'a- 
vaient jamais vu cette immensité d'eau, commencè- 
rent à se précipiter de ce côté, vers lequel, du reste, 
notre route inchnait de manière à arriver à un jet de 
pierre du rivage, qu'elle touchait presque à l'endroit 
qu'on appelle Bordj-el-Melh'. 

La majeure partie des pèlerins s'arrêta pour faire des 
ablutions et prendre le sel dont ils avaient besoin. Il y 
a là un bon port où les chrétiens , avec le consentement 
de l'êmir-el-belàd , viennent charger du sel de la grande 
sebkha qui est auprès, et dont les excellents produits 
en ce genre sont préférables à tout ce qu'on trouve 
ailleiurs. On traversa cet enchx)it aux environs de l'ac'er; 
l'eau nous manquait , mais on s'en consolait par la pensée 
qu'après le mor reb on atteindrait un lieu où il s'en 
trouverait. 

Il n'y avait pas très-longtemps que nous nous étions 
remis en marche , lorsque les chameaux , pris d'une es- 
pèce de vertige , jetèrent le bagage qu'ils portaient et 



84 VOYAGE DEL-'AÏACHI. 

commencèrent à comir en tous sens , levant la tête vers 
le ciel. On s'épuisa en conjectures sur les causes pro- 
bables de cet étrange accident ; les uns Tattribuèrent à 
l'aspect de la mer, d'autres au passage subit d'un pays 
fertile en pâtiu'ages à des plages sablonneuses , ou bien 
à l'excès de force que ces animaux avaient puisé dans 
la nourriture abondante des jours précédents. Au com- 
mencement de l'accès, les chameaux paraissaient s'é- 
battre seulement ; puis , leur gaieté dégénérant en une 
espèce de folie, ils prenaient la fuite. D'abord, il n'y en 
eut qu'un petit nombre qui firent ce manège; mais le 
reste ne tarda guère à les imiter. En moins de rien , ils 
se débarrassèrent de tout ce qu'ils avaient sur le corps, 
gens et bagages. Ceci nous arriva aux environs du cou- 
cher du soleil. 

On n'entendait à droite et à gauche que les cris des 
pèlerins ; chacun courait après ses effets renversés , et il 
n'échappa à cette confusion que ceux qui , au début de 
l'événement, avaient eu le bon esprit de s'emparer de 
leurs chameaux et de les entraver. Je fus de ces derniers; 
aussi, par la grâce de Dieu, je ne perdis ni bêtes de 
somme, ni effets. La nuit se passa à chercher les ani- 
maux égarés et le bagage renversé. On bivaqua çà et là, 
rharun do son côté, comme une volée d'étoumeaux. 

1 .0 nombre de ceux qui ne perdirent rien dans tout 
II» dôsorchv fut bien petit. Les avis furent partagés siu* 
n« ipril convenait de faire pour réparer le mal autant 
iiUf» po.s,siblo : les uns voulaient gagner un lieu habité 
iMi il V vx\i do fcau, les autres voulaient, avant tout. 



VOYAGE D'EL-'AIACHI. 85 

courir après les chameaux , et proposaient (Tenvoyer des 
gens à Teau, avec des outres. Ce dernier avis prévalut. 
Ceux qui étaient montés sur des chameaux ou des 
mulets allèrent à la découverte. Grâce à Dieu, tout se 
retrouva , sauf deux chameaux ; et quant au bagage , en 
réunissant ce qui manquait à chacun, il pouvait s'en 
trouver deux charges de perdues. C'étaient surtout des 
étoffes qui avaient été ramassées clandestinement par 
des pauvres de la caravane, ce dont on ne s'aperçut 
qu'au Kaire. 

Samedi, i3 redjeb (lo février). 

Quand nous nous remîmes en route, les chameaux 
recommencèrent leiu* manège de la veille. Dans cette 
circonstance, nous nous demandâmes un instant si 
ces animaux n'étaient pas retombés dans l'état sauvage. 
Nous marchions alors au milieu d'abondants pâturages , 
dans lesquels se trouvaient beaucoup de ces plantes ap 
pelées berouâk' \ dont la tige crie sous les pieds qui la 
touchent. Le bruit que les chameaux faisaient en mar- 
chant dessus ef&aya encore un assez grand nombre de 
ces animaux, qui vouliu*ent s'enfuir; mais on les sur- 
veillait, et on se décida à les mener en laisse par le licou, 
jusqu'à ce qu'on fût hors de cet endroit. Heiu'eusement 
nous ne tardâmes pas à atteindre des lieux habités , où nos 
chameaux se calmèrent tout à fait, après que, par suite 
de leur fohe, on eut encore perdu quelques bagages. 

ijf (Vh ' ^*^^^ ^^ plante qu*on appelle asphodèle. 



86 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

Nous descendîmes à Zaouàrât - ei - R'arbïa {^\j^^j 
kKfjjiS), avant rheure du d'ohor. 

Dimanche, i4 redjeb (ii février). 

Ce jour, nous traversâmes Zaouàràt - Ech - Cherk'Ia 
[iJàjjsJ] «^tjt^^)* La caravane passa hors de la ville. Jy 
entrai à pied avec quelques compagnons, et ce ne fut 
pas sans fatigue que je rejoignis la caravane. 

Par la grâce de Dieu , il souffla , dans cette journée , im 
fort vent d'Ouest ; de sorte que , lorsque nos chameaux 
voulaient toiuner bride et s'enfuir en arrière , le vent et 
la poussière venant à les frapper en face, ils étaient 
obligés de se retourner, et, reprenant leur première 
direction, de continuer de marcher en avant. 

Nous couchâmes à côté de la mesdjid qui est entre 
Ez-Zaouârât et Ez-Zaouâr'a. C'est une petite mosquée 
ornée d'un joH minaret, et qui est bâtie sur un ter- 
rain peu élevé. Dans les environs sont des ruines d'an- 
ciennes constructions. Tout à côté on trouve un vaste 
bassin d'eau de pluie. 

La mesdjid est crépie avec un plâtre blanc ; elle a des 
croisées, et son minaret s'aperçoit de loin. De là à la 
mer il y a environ un mille. 

Plusieurs pauvres t'o'lba de la caravane me racontèrent 
que , quelques années auparavant , ils avaient été surpris 
par la nuit en cet endroit, et qu'ils y avaient couché. 
L'équipage d'un bâtiment de chrétiens, venus dans ce 
lieu pour faire de l'eau et du bois, ayant pénétré à 
l'improviste dans la mesdjid, les avaient emmenés en 



VOYAGE D'EL-AIACHI. 87 

esclavage, sans que personne vînt à leur secours, attendu 
que cette localité est éloignée des populations. 

A partir de cette station, quelques-uns de mes com- 
pagnons prirent les devants, afin d'aller à Tripoli se 
pourvoir de tout ce dont ils avaient besoin. J'écrivis, par 
un d'eux, à mon maître Sid-Moh'ammed-ben-Mouçâhel, 
lui annonçant mon arrivée et lui recommandant le por- 
teur de la lettre. 

Lundi, iSredjeb (la février). 

Après avoir quitté la station dont on vient de par- 
ler, nous arrivâmes au commencement du canton de 
Zaouâra (apIj^^); là, nous rencontrâmes une caravane 
de pèlerins du Mor reb , gens du Maroc , arrivant de 
pèlerinage.. Leiu* chef ( cheikh -er-rekeb), qui n'avait 
pas su conserver d'autorité sur les pèlerins, était rem- 
placé de fait par le cheikh 6râhim-el-Ferrân et par 
El-H'adj-Mans our-er-R'eçâl. Cette caravane n'était pas 
nombreuse. 

Ils nous donnèrent des nouvelles des contrées d'où ils 
venaient. Ayant trouvé parmi eux des gens de mon pays , 
j'en profitai poiu* écrire à mes parents des lettres dont 
je parlerai en temps et lieu ^ . Lorsque nos caravanes se 
rencontrèrent, nous étions tous pressés; aussi nous ne 
prîmes pas les nouvelles à loisir, et, comme ils ne s'ar- 
rêtèrent que peu de temps, il n'y eut que ceux qui se 
hâtèrent qui purent écrire par cette occasion. 

^ Cest à une de ces lettres que j'ai emprunté quelques détails sup- 
plémentaires qui ont été donnés successivement dans les notes. 



88 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

Après nous être séparés de ces pèlerins, nous con- 
tinuâmes notre marche, et nous allâmes coucher à la 
zaouïa El-H'armân (e)4r^ ^^b)* 

Mardi, 16 redjeb (i3 février). 

Nous traversâmes de bonne heure la zaouïa El-R'arbîa 
(iU^l iy^'j); nous visitâmes Sid-Iah'ïa-el-Gucmoudi. 
En sortant de sa koubba, nous rencontrâmes la cara- 
vane d'Alger qui revenait de TH'edjâz. Parmi eux, se 
trouvait Sid-'Abd-el-H'afid'-ben-el«Ouali-es'-S'âleh'.Sid- 
Moh'ammed-es'-S'id-et -T'râbleci , qui les accompagnait 
jus([uâ Djerba (iu^). Il était avec son parent par 
alliance, \\n des fils de Sid-H'âmid, habitants de cette 
ilc, dans la famille desquels il avait pris une fenune; de 
sorlo qu^il avait dans ce lieu une maison où il vivait 
(iuoh|uorois. Tout le monde connaît cet honmie de bien , 
tiut^ hvH grands inspectent, et dont chacun parle avec 
i^logo , rioho ou jvuivre. Il sWrèta une heure avec nous. 

1,0 ohoIMo la cai-avane des gens d'Alger était Sid-Mo- 
haïuiuod. fils do Mohammed-el-Meça'oudi, de la ville 
tlo MdoukAL UhjuoI axait des propriélés à Biskra, où 
il rtUiNA jm^lMblomout fini jxir se fixer. Son fils, véritable 
Miul hoiuiuo. iHMuluisvùt tous les ans la caravane au 
p^loiiux^jio IXms 00 xovai::^^ il de\inl ami avec Sid- 
Moh .uuniod ON S ùl 

Jo i^MUHM\tiMi .^uv<i dans ot^llo caravane El-H'adj-Ech- 

(Ihoikh UMàhim Ivu-^joiLib-or-Riri, finre du cheikh 

\hiuo\l. lotjuol ol |viv do rôaiir actuel du pavs de 

rOu.ul Uio i'o ohoilh ot.ùl doxonu habitant des villes 



VOYAGE D'EL -AÏACHI. 89 

saintes, où il avait séjourné plusieurs années; nous nous 
connaissions depuis longtemps. D me donna des nou- 
velles exactes et complètes : j'appris de lui que mon 
maître, le cheikh El-K'echachi, était mort à Médine; 
que le Sid - Moh'ammed - Ba'laouï avait succombé à la 
Mecque, ainsi que le cheikh Abou-el-H'acen-et-T'abri. 
Nous primes congé Tun de l'autre. 

Notre caravane marcha toute cette journée , et nous 
allâmes coucher à Zenzoun ((jj^j)- 

Mercredi, 17 redjeb ( i4 février). 

De là nous nous dirigeâmes , en toute hâte , vers Tri- 
poli, qui est à environ douze milles de Zenzoun ^. J'ar- 
rivai à Tripoli (^jJ^l/l») le mercredi 17 de redjeb, au 
d'ohor. 

TRffOLI ^. 

Nous entrâmes dans la ville de Tripoli , aux environs 
du d'ohor, le mercredi 1 7 redjeb. C'est une ville petite 
sous le rapport de son étendue , mais immense par les 
bonnes choses qui s'y rencontrent. Elle est renommée 

' Les géographes arabes sont loin d*être d*accord sur la valeur qu*il 
faut donner à cette mesure itinéraire. Dans Tusage actuel, le mille est 
environ le tiers de notre lieue commune. 

* Pour n'avoir pas à revenir sur ce qu*Ei-*A!achi dit plus tard de 
cette ville, à son retour du pèlerinage, j*ai réuni les deux récits à la 
suite de la première partie de son voyage ; j'y ai de plus ajouté , et par 
les mêmes motifs , les observations que Moula- Ah med a recueillies de 
son cété sur cette intéressante localité. 



V2 



90 VOYAGE D EL-'AÏACHI. 

par sa vigueur envers ses ennemis ; il y a peu de repro- 
ches à lui adresser. Les constructions y sont belles , les 
remparts élevés, circulaires; les rues larges et faciles. La 
population se conduit fort bien , surtout envers les étran- 
gers; le voyageur qui visite cette ville en sort toujours 
content. L'oreille n'est jamais choquée par une expres- 
sion malséante ; on n'y entend que des paroles polies, et 
celui à qui il arrive de commettre quelques fautes, au 
lieu d'être accablé d'im déluge de reproches grossiers , 
ne reçoit que des réprimandes bienveillantes , formulées 
sur un ton convenable. Les Tripolitains agissent ainsi, 
soit entre eux, soit avec les étrangers, mais surtout 
vis-à-vis des pèlerins, des marabout, etc. Ils les reçoi- 
vent dans leiurs maisons , et les traitent d'une manière 
libérale. 

Tripoli a deux portes : une de terre et une de mer. 
La forme du terrain sur. lequel il est bâti est celle d'une 
presqu'île. Le h'iç'âr \ où réside l'êmir, quoique en 
dehors de la ville, tient à celle-ci du côté de Bâb-el- 
Ber ^ ; et entre lui et la mer il y a toute la laideur de 
ladite ville. De la sorte, en cas de guerre ', les projec- 
tiles de l'ennemi n'arrivent pas à la demeure du souve- 
rain. L'êmir a des vaisseaux excellents, disposés pour 
la course, et qui ne reviennent presque jamais sans 

' y^^^ Sepimentum, munimentam, castellum, dit Freytag dans son 
dictionnaire. C^est ce qu^on appellerait une k'as'ba en Algérie. 

* Porte de terre. 

^ On voit qu*El-'A!acbi n*entend parier que d un bombardement 
maritime. 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 91 

butin. Il est bien rare qu'ils perdent un navire, à moins 
que ce ne soit un bâtiment de commerce. 

L^usage des caravanes qui s'arrêtent à Tripoli, surtout 
de celles qui vont dans TH'edjàz , est d y séjourner deux 
ou trois mois ' , poiu* préparer toutes choses et se dis- 
poser à pénétrer dans cette mefza' ^ , à laquelle peu 
d'autres sont comparables, c'est-à-dire le désert de 
Bark'a. A Tripoli, les pèlerins achètent des chameaux 
et des outres ; en hiver, ils prennent trois mois de vivres 
environ poiu* aller au Kaire ; si c'est en été , ils ne se 
pourvoient que pour deux mois. 

Les chameaux de Tripoli sont excellents; parmi ceux 
des autres contrées , il en est peu qui puissent leur être 
comparés. Us ressemblent à ceux de mon pays, mais ils 
font encore un meilleiur service. Les Tripolitains em- 



' Moula- Ah'med (voyez pag. 38 du manuscrit i63) fait observer, 
à propos de cette partie du récit d*El-*Aiachi, qu'autrefois, en effet, 
les caravanes passaient près de deux mois à Tripoli , parce que alors le 
départ avait lieu avant l'époque actuelle , qu'on cheminait lentement 
et qu'on prolongeait les séjours : 

« Mais maintenant , dit-il , qu'on part en redjeb , il n'y a pas de temps 
à perdre; on marche vite et on s'arrête peu. » 

En effet, les indications fournies par l'ouvrage d'El-'Aiachi mon- 
trent que ce voyageur est toujours parti en rebi-el-oouel , mois qui , 
dans l*usage vulgaire, porte le nom de mouloud, ou nativité (celle de 
Mahomet). Cela faisait près de neuf mois pour arriver à la Mecque 
vers l'époque des cérémonies du pèlerinage, qui ont lieu en h'adja; 
tandis que si l'on part en redjeb il ne reste plus que six mois pour 
accomplir le même voyage. 

* *ijsu^ Res metuenda, dit Freytag. On comprend par quelle ana- 
logie ce mot est employé ici dans le sens de désert. 



92 VOYAGE D'EL-'AlACHI. 

ploient ces animaux à toutes sortes d^ouvrages ; ils s'en 
servent pour labourer et fouler le blé , tourner des mou- 
lins, etc. en un mot, tous les travaux pénibles leur sont 
dévolus. Comme Tair de cette région est excellent, et 
que les pâturages pour les chameaux y sont fort bons, 
ceux-ci n'y souflrent guère de la soif, et ils deviennent 
rarement malades ; c'est par ce motif que l'expression 
« un chameau de Tripoli » est devenue proverbiale pour 
désigner quelqu'un de robuste , de travailleur. C'est un 
proverbe comme cet autre , « une outre du Kaire , » avec 
cette différence , que cette dernière phrase se prend dans 
un sens défavorable , parce que la debbara * qu'on em- 
ploie pour ces outres est mauvaise , que l'eau qu'on y 
conserve prend un goût et ime odeur désagréables , et , 
de plus, que le liquide s'en échappe. Celui qui compte 
sur les outres du Kaire est exposé à soulfrir de la soif. 
Toutefois , il faut reconnaître qu'elles n'ont ces défauts 
que lorsqu'elles sont neuves ; car, en vieillissant, elles 
ne fuient plus. 

Les gens de Tripoli comprennent les bénédictions 
que le passage des pèlerins leur attire ; ils connaissent 
aussi les avantages de la guerre sainte , car leur existence 
en dépend. Bien souvent on y trouve réunies cinq ou 
six caravanes, auxquelles viennent s'ajouter des troupes 
de guerriers pieux, se disposant à partir pour le dji- 
had^ 11 est à remarquer que, malgré cette affluence, 
los denrées restent au même prix, si même elles ne 

' Mélange de lan et de goudron. 

' Guerre sainlc, celle que les musulmans foni aux chrétiens. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 93 

baissent pas; et cependant Tripoli est un lieu où tout 
est cher. U n^y a d'exception que dans les circonstances 
dont on vient de parler. Quand je dis cher, c'est par 
comparaison avec les prix du Rif-en-Nil \ du Sah'el ^, 
du Maroc et des montagnes de cette contrée. Quant 
aux Tripolitains , ils sont habitués à cet état de choses 
et ne s'en étonnent pas. 

Quand les caravanes arrivent, il y a foule dans les 
moulins, et les pèlerins ne laissent pas que d'avoir de 
la peine à faire moudre leur blé. Ils ne réussiraient 
même pas à compléter leurs provisions , surtout ceux qui 
ne veulent pas séjourner longtemps, si les gens de la 
ville n'avaient pas la déférence de s'abstenir d'envoyer 
leurs grains aux moulins à l'époque des caravanes. 

Cette fois, nous ne restâmes qu'environ dix jours en 
ville, selon la coutiune des caravanes à chameaux qui 
viennent parle S ah'ra, lesquelles sont toujours en retard 
et les dernières. Comme elles ont avec elles chameaux, 
outres , etc. elles n'ont besoin de s'arrêter à Tripoli que 
quelques jours, pour renouveler les provisions, et se 
pom^oir d'un petit nombre de choses, tandis que les 
caravanes du Djerid', qui se font au moyen d'ânes et de 
mulets, prolongent quelquefois leur séjour pendant 
deux mois, afin que les pèlerins aient le temps de vendre 

Province d*Egypte. 
* Le littoral de Tempire de Maroc , dans la partie Nord. 

Djerid.ou Belâd-el-Djerid, pays des dattes, portion du K'ibla qui 
est comprise entre le Tell, ou zone cultivable septentrionale, et le 
S'aii'ra , ou désert proprement dit. 



94 VOYAGE D'EL-'AiACHI. 

leurs montures et bêtes de somme , pour acheter des 
chameaux, des outres, et s^organiser un autre système 
de voyage ^ Cest à cause de cela que, pour les gens 
qui n*ont jamais voyagé , le départ de Tripoh est une 
plus grande affaire que la sortie de leur pays. Il en est 
de même du départ du Kaire , qui est encore plus diffi- 
cile que celui de Tripoli. 

Je descendis à Tripoh dans Tendroit où j^avais déjà 
logé, lors d'un précédent pèlerinage, à ime mesrïa^ 
qui est i la porte de la mesdjid appelée Djâma'-el-h'adj- 
Ibrahim , dans la partie la plus reculée de la ville et près 
du tombeau de Sid-Sàlem-el-Mechât\ L'imâm de cette 
mesdjid, le fak'i Sid-Ah'med-ben-Aiça-eUerbouï, un 
des plus honnêtes gens de la ville, était mon ami. Son 
père Sid-Aïça a été k'âd'i de Tripoli pendant fort long- 
temps. Lorsqu'il mourut, son fils lui succéda dans cet 
emploi, où il suivit les bonnes traditions laissées par 
Fauteur de ses jours, en se montrant constanunent juste. 
Il quitta pendant quelque temps ces fonctions , mais on 
les lui fit reprendre malgré lui. Il ne cessa de mériter 
des éloges jusqu à sa mort, qui eut lieu quelque temps 
avant mon arrivée. Cet événement attrista fortement 
le peuple de Tripoli, et, en ce qui me concerne, j'en 

' Le lecteur comprend la cause de ce changement de système. A 
partir de Tripoli, les pèlerins entrent dans le désert de Bark'a, où des 
ânes et des mulets ne pourraient marcher facilement, surtout étant 
chargés. 

* éJij^aA A Alger, on appelle ainsi un logement dont Tentrée est 
dans le vestibule , et qui , séparé du reste de la maison , sert à loger 
les esclaves. 




VOYAGE D'EL-AÏACHI. 95 

ressentis beaucoup de chagrin : je perdais en lui un 
ami sûr et obligeant. 

Après sa mort, les gens du quartier ne trouvaient 
personne de plus vertueux que Sid-Moh'ammed-ben* 
Ah'med, pour exercer les fonctions d'imâm dans la 
mesdjid de H'adj-ftràhim et y donner Texemple de la 
sainteté. Sid-Moh'ammed suivit en effet les traces de 
son père. Informé de mon arrivée, il vint au-devant de 
moi, me fit une réception très-amicale et m^adressa des 
questions semblables, pour la plupart, à celles que son 
père m'avait posées jadis. Il me prépara une maison où 
je demeurai, m'aida de tout son pouvoir à faire mes 
provisions , me facilita les moyens de faire moudre mon 
grain, et me seconda dans tout ce que j^eus à faire. 

Après m'étre un peu reposé dans cet endroit, j'allai 
visiter le mufti Sid-Moh'ammed-ben-Ah'med-ben-el- 
Mouçâïl , qui m'accueillit très-bien et parut fort content 
de me voir. Il venait alors de se démettre de sa place 
de. mufti, et sa démission avait été acceptée. Il n'avait 
plus d'autre affaire que d'aller de chez lui à la mesdjid, 
où il enseignait tous les jours, matin et soir, hiver 
comme été. Il y faisait des lectures sur le droit, la gram- 
maire , etc. et terminait toutes ses leçons par un sermon. 
C'était un homme vertueux et savant, qui était au cou- 
rant de toutes les sciences; il connaissait notamment 
les décisions juridiques , au point de vue des différentes 
sectes, ayant été quarante ans mufti. 

Sid-Moh'ammed-ben-Mouçâïl m'a raconté que son 
maître Sid-Moh'ammed-es -S'îd n'avait jamais manqué 



96 VOYAGE D'EL'AÏACHl. 

une prière du vendredi, à moins de circonstances 
extraordinaires , et cela depuis quarante ans. Il m'a dit 
que, tous les matins, cet homme vénérable allait au 
tombeau du cheikh Et-Tlemsâni-abou-lVraza * dans le 
village appelé El-Henchir, lequel est à six milles de 
Tripoli, qu'il y faisait sa prière et revenait en ville. 

Il y avait, avant M oh'ammed-Pacha , un chérif qui 
régnait sur Tétat de Tripoli , et qui ftit assassiné en i o^o 
(i63o de J. C). Ce prince laissa après lui un jeune 
enfant mâle, dont Moh'anmied-Pacha , son ancien client, 
prit soin. Moh'ammed eut pour successeur 'Otsmân* 
Pacha , qui avait été mamelouk du chérif, et qui rétablit 
le fils de son maître dans une portion de la puissance 
du père. Le jeune honune grandit, voidut régner seul 
et chasser Tusiupateiu*. Il pensa qu à cause de sa nais- 
sance tout le monde l'aiderait dans son entreprise; car 
il n*avait pas encore assez d'expérience pour savoir 
que le monde est poiu* celui qui a le pouvoir en main, 
bon ou mauvais. U conmiença à sonder successivement 
los dispositions de ceux qui Tentouraient. On était alors 

' Il Y « 5ur le Bouxarîa, auprès d* Alger, une k'oubba en Thonneur 
«run mArabi>iil connu par le même surnom, dont les gens du pays 
r\plù|Uont ainsi Torigine. Vn homme à qui on avait volé une chèvre 
(ni^Ann) lit cimii^araitre devant le marabout un individu qti*ii croyait 
("Oupahlo do ce mofail. Celui-ci, sommé d'attester son innocence par 
nrrnuMil, n*hosita |\i$ à jurer; mais aussitôt un cri de chèvre, échappé 
do !«rt poi(rino« vint lo ctnivaincre de mensonge et le forcer d*avouer 
tnril nxAÎt on otVol volo et mange Kanimal en question. Je ne sais si 
lo uïrtrnboul à i\\\\ on a U ri bue ici ce miracle est le même qu*on ho- 
uoiT j\ Tripoli 



VOYAGE D EL-AÏACHI. 97 

dégoûté du prince régnant, que sa tyrannie et ses in- 
justices faisaient haïr ; de sorte qu on prêta Toreille aux 
propositions du jeune honune et qu'on les approuva. 
Les Oulàd-K'ouiroudis, Arabes de la partie occidentale 
de Tripoli , entrèrent dans la conjuration : c^étaient des 
gens fort braves ; ils se montrèrent ennemis déclarés du 
pacha. Bientôt tout le pays se trouva divisé en deux 
partis, aussi bien les grands que les raïa\ et Texemple 
des gens de Tadjoiu*a^ eut de nombreux imitateurs. 
Le mufti des h'anefites entra dans le parti du chérif , 
ainsi qu'une fraction de Tarmée. Enfin, la révolte pre- 
nait des forces, lorsqu'un des conjurés, dans Tespoir 
d'une récompense, écrivit tout au pacha. Celui-ci con- 
çut de vives inquiétudes; cependant il ne se laissa pas 
abattre , et eut recours à la ruse pour déjouer les projets 
de ses ennemis. Ne faisant pas paraître qu'il était infor- 
mé de ce qui se tramait, il sortit avec des troupes, dans 
la direction de Tadjoura, lieu de réunion des conjiu*és 
et rendez-vous de leiu's forces. Avant de partir, il avait 
pris des mesures pour assurer la tranquillité de Tripoli , 
et il avait engagé les partisans qu'il avait dans cette ville 
à s^emparer du chérif, du mufti et de leurs complices , 
s'ils se présentaient de ce côté. Il avait fait savoir aux 
raîa qu'il allait combattre ses ennemis , avec la persua- 
sion qu'ils n'étaient pour rien dans la rébellion et qu'ils 
étaient toujours ses fidèles sujets. C'était une ruse pour 

' Les contribuables ou sujets. 

^ Bourgade située à quelques milles Ouest de Tripoli. C*était sans 
doute le chef-lieu des Oulâd-K'ouiroudis. 

13 



98 VOYAGE DEL- AÏACHI. 

empêcher que tout le inonde ne se soulevât à la fois 
contre lui. Un cheikh , Sid-'Abd-AUah-el-H'afid', Taida par 
ses exhortations à apaiser les mécontents , et ceux-ci , 
voyant le pacha disposé à suivre les avis de ce saint 
homme, commencèrent à se calmer. 'Otsmân tint cette 
conduite adroite jusqu'à la mort du fils du chérif ; mais , 
après cet événement, il n'hésita plus à se débarrasser 
des chefs des raîa et de tous ceux qui avaient conspiré 
contre lui, afin que cette sévérité servît d'exemple à 
d'autres. Depuis lors ce parti cessa d'exister. 

Le pacha chercha ensuite à savoir l'origine de l'affaire, 
par qui , quand et comment elle avait été mise en train 
et conduite. Il apprit que Sid-Moh'ammed-ben-Mou- 
çâïl, dont j'ai parlé plus haut, parent par alliance 
du mufti hanefite, avait dû être au courant de tout, 
parce que le mufti ne faisait rien sans l'en informer. Il 
en conçut du ressentiment contre Sid- Mohammed; 
mais, comme ce dernier était aimé et considéré dans 
la ville à cause de sa science et de ses vertus, il dissi- 
mula ses sentiments. Le mufti, ayant eu connaissance 
des dispositions fâcheuses du sultan à son égard, donna 
sa démission, qui fut acceptée. Il ne sortit plus dès lors 
que pour aller à la mosquée, et ne s'occupa plus que 
de ses devoirs religieux et d'études. 

SINGULARITÉ. 

Le cheikh Sid-Moh ammed-ben-el-Mouçâïl m'a appris 
en 1 1 64 , lors de mon précédent pèlerinage, qu'en i 1 62 



VOYAGE D EL-'AJACHl. 99 

( I 748 de J. C.) des gens lui avaient dit avoir entendu 
un bruit considérable , mais sourd , du côté de la mer, 
comme celui que produirait Texplosion de canons de 
gros calibre, et cela depuis les environs du doha jus- 
qu'à la nuit. On imagina que cela provenait de quelques 
rencontres entre des vaisseaux musulmans et des vais- 
seaiuL clirétiens. Ce bruit, entendu par les gens de Tripoli, 
le fut également dans tout le Sah'el jusqu'à Merçata^ 
On Tentendit aussi dans le Fezzàn , à Alexandrie et du 
coté de rOuest jusqu'à Djerba, Souça et Tunis. Il est à 
remarquer que tous ceux qui entendirent ce bruit le 
crurent très-rapproché d'eux. Après un ou deux mois, 
il vint des bâtiments du pays des Turcs , dont les pas- 
sagers racontèrent un fait surprenant qui se rapporte à 
ce que nous venons de dire. Us assurèrent que dans 
une île de la domination du Grand Seigneur il était 
sorti, d'un certain côté, une pierre qui s'élevait du fond 
de la mer, lançant du feu et faisant entendre le bruit 
dont il vient d'être question. Lorsque la pierre eut jeté 
son feu, elle tomba sur l'eau, et, légère comme une 
éponge, elle siu*nagea. Le phénomène dura jusqu'à la 
nuit. Il sortit de cette pierre une fumée abondante qui 
avait l'odeur du soufre ; mais ce qu'il y a de plus extra- 
ordinaire, c'est que tous les objets d'argent qu'il y avait 
dans l'île se trouvèrent changés en cuivre pendant la 
nuit^. Dieu sait la vérité. 

* Meç'ourata? 

* Ce récit, dégagé des circonstances merveilleuses, se rapporte 
|>eut'élrc à quelque éruption d*uii volcan sous-marin. 



100 VOYAGE D EL-'AÏACHL 

Les gens de Tripoli sont renommés pour leur sincé- 
rité , leur esprit de justice , et aussi , par le grand nombre 
d'individus appelés medjdoubin quil y a parmi eux ^ 
On attribue une grande efficacité à leur intercession, 
et on en fait des récits extraordinaires qui témoignent 
de leur mérite. 

Il y avait autrefois beaucoup de lieux de pèlerinage 
à Tripoli , la plupart des tombeaux de marabouts. Main- 
tenant on n'en connaît plus quun petit nombre, entre 
autres Sid-Sâlem-el-Mechât, qui a une mesdjid dans la 
partie la plus retirée de la ville, et dont la sépulture 
est visitée. La cause de cette diminution vient de ce 
que Tripoli a passé fréquemment des mains des musul- 
mans à celles des chrétiens. Ebn-Bat out a dit, à ce sujet, 
dans sa Rahla : « Les chrétiens prirent Tripoli du temps 
du siJtan Abou- Anàn , qui le racheta moyennant cinq 
cents quintaux d'or non monnayé ^. Ce rachat est une 
des bonnes œuvres de ce sultan. Les chrétiens s'empa- 

^ Moijfioubm se dit d'individus qui tombent, sous l*empire de cer- 
Inino» cim^nstaiiccs , dan» un état qui rappelle tout à fait celui des 
iH)ii\ uUionnaires do Saint-M edard. J*ai donné , dans les légendes algé- 
ricnno5, do5 ronsoignoments détaillés sur les medjdoubin, qui sont 
Toii nonibiTux à Altrer, où on les connaît principalement sous le nom 

d*ii\V<^^^^^^« *'^ aussi, d'anunarin. 

* 1.05 (îom>is vinrv^nt attaquer Tri |X)li, avec vingt vaisseaux et douie 
Lrtli^iv^» ol, Tiuant pris do ^i^e force, ils ûrent tous les habitants es- 
(lii\o« 1.0 i^M do Fès donna aux Génois cinquante mille écus pour 
iilmndonnor la >iUe et UKMIre les habitants en liberté. Mais il paya la 
mtMtiO do «vlto sonuno on fausse monnaie, que les chrétiens reçurent 
pour bonno ^MaiuioL toui, Ihpag. 434.. 

1,0 ^ullrtu Mhhi ' Vn?ni est sans doute Abou-'Anàn-Fares, de lady- 



VOYAÇE D'EL'AiACHI. 101 

rèrent encore de cette ville dans le x* siècle de l'hégire 
(le XVI* et XVII* de J. C). » 

SINGULARITÉ. 

Parmi les gens vertueux et distingués que j'ai vus à 
Tripoli, je citerai Sid-Cha'bân-ben-Mouçâîl, neveu du 
Mouçâîl dont j'ai été le disciple. Ce Sid-Cha'bân était 
versé en histoire , et il connaissait aussi un peu la science 
astronomique. U m'a appris que les Turcs entrèrent à 
Tunis et prirent H alk'-el-Ouad ^ sur les chrétiens, en 
982 (1674 de J. C). Tai su également par beaucoup 
de personnes que M oula-'Abd-el-Màlek , auteur de la 
grande r azïa ^, était avec les Turcs lorsque ceux-ci en- 
trèrent à Tunis , parce qu'il était alors brouillé avec son 
neveu Moh ammed-ech-cheikh , à la suite d'une querelle 
qui s'était élevée entre eux. Après la prise de la Goulette , 
les Turcs lui confièrent le commandement de l'armée , 
parce qu'il leun parut un homme de courage. 'Abd-el- 
Mâlek réussit à triompher de son neveu; c'était un 
homme de bien, qui commença sa vie par la guerre 
sainte et la finit de même. Sid>Cha'bânm'a dit, en outre, 
que les chrétiens prirent Tripoli pour la dernière fois 

nastie des Benou-Merin ou Zenata. Il régnait entre i358 et i36o de 
notre ère. 

' L*embouchure de la rivière , )e lieu que les Européens appellent 
la Goulette. *A]i-el*'Eudj , pacha d* Alger, s*étak emparé de Tunis dès 
1 569, mais ce ne fui qu*en 1 674 qu*il se rendit maître de ]a Goulette. 

' La guerre que nous faisons en Algérie a popularisé la connais- 
sance de cette expression arabe. 



102 VOYAGE D'KL-'AÏACHl. 

en 916 ( i5io de J. C.) le 16 de moharrem. Les iim- 
suimans la reprirent en g56 ( 1 5^9 de J. C), date qui 
est donnée par les mots nokV-k'oulek ' . Ce fut Derr out 
qui la reprit; ce pacha était alors à Djerba. Il fiit aidé 
par Mourâd-Pacha qui se trouvait à Meslata^. La ville 
resta entre les mains de Derr out jusqu'à la mort de 
celui-ci ; on y voit encore son tombeau, qui est un lieu 
de pèlerinage , et auprès duquel on remarque un bel 
édifice. 

Voici de quelle manière Tripoli fut enlevé aux chré- 
tiens : une flotte vint de Constantinople afin d'aider 
Tarniée de terre qui était à la Goulette, auprès de Tunis ; 
lorsqu'^le longeait la côte de Tripoli , les gens du Sali el 
dirent aux Turcs qui la montaient : « Aidez-nous contre 
les chrétiens. » Les Turcs répondirent : « Nous n avons 
ps pour cela d'ordres du sidtan , qui nous a donné une 
auti^ destination. » Le pacha Mourâd leur répliqua : 
« Accoixlez-moi ma demande, et, s'il y a des reproches i 
recevoir, j'en prends la responsabilité. » Alors les Otto- 
ninns tinrent la ville assiégée jusqu'à ce qu'ils s'en empa- 
rèivut; après quoi, Mourad-Pacha alla vers le sidtan, 
rt lui dit : « Si vous avez quelqu'un à punir dans cette 
oiironslanoo, c'est moi et non pas eux. » Mais le sultan, 
Www loin de se fâcher, le remercia , lui et ses compagnons. 

' I.ON lollivs A>aiit une valeur numérique en arabe, on en forme 
iloH mot!^, <)ui, la plu|>art du temps, ne présentent aucun sens, pour 
roirnir \A\\^ lat îlcnient los dates. C*ost un procédé mnémonique qui 
«lonoir Tonraïuv tJo tt*! art clio* les Arabes. 

* 1.0 iioiu do «vito liHalîlo est tantôt écrit Mesratu, et tantôt }ft!S' 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 103 

Les chrétiens s'étaient emparés de Tripoli de la ma- 
nière suivante ^ Autrefois les habitants de cette ville 
étaient fort riches, et tout adonnés au commerce ; ils 
n'étaient nullement propres à la guerre. Les bâtiments 
chrétiens venaient en grand nombre dans leur port, pour 
vendre et acheter. Un jour, un marchand de Tripoli 
avait pris pour son compte toutes les denrées apportées 
par plusieurs navires européens et les avait payées 
comptant. Un autre marchand invita les capitaines des 
bâtiments chrétiens, et, à la suite d'un repas splendide, 
fit piler un gros diamant dans un mortier et en saupou- 
dra un plat. On lui apporta ensuite une pastèque, il 
demanda un couteau pour la partager; mais il se trouva 
qu'aucun des convives n'avait de couteau ; on ne put 
même s'en procurer chez les voisins , et il fallut en aller 
chercher un assez loin. 

Les marchands chrétiens , de retoiu* dans leiur pays , 
racontèrent à leur sultan , qui les questionnait sur Tri- 
poli , que les habitants de ce pays possédaient de grandes 
richesses, qu'ils étaient dépourvus d'armes, et que, 
d'ailleurs, ils ne sauraient pas s'en servir. Le sultan 
envoya une flotte , qui s'empara de Tripoli sans combat ^ 
dans une soirée. Il n'y eut que les habitant» qui parvin- 
rent à s'enfuir qui ne périrent pas dans cette circons- 
tance. 

Les musulmans se réfugièrent à Tadjoiu*a, dans la 
montagne de Rarïân, à Meslat; et Tripoli resta entre les 

* Celle tradition parait se rapporler à la prise de Tripoli par les 
Génois. 



104 VOYAGE D'EL-AÏACHI. 

mains des chrétiens jusqu'à Tépoque dont il a été parlé 
plus haut. 

Le cheikh Mouràd-el-H anbali a dit dans son livre 
intitulé Nouzahat'en-Nad'irin, à Fendroit où il est 
question du sultan Selim-Oulid-solt'ân-Selîmân, Favé- 
nement du sultan Selim est de 974 (i566). Sous son 
règne eut lieu la conquête de H'alk'-el-Ouad (la Gou- 
lette), à Timis, de FOuest, après que les chrétiens s'en 
étaient emparés de la manière suivante : les querelles 
des princes de la famille de H'afez qui se disputaient 
la ville, firent qu'un d'entre eux appela les chrétiens 
à son secoiurs et les introduisit dans la ville. Ceux-ci, 
une fois en possession , fortifièrent la ville , s'emparèrent 
des forteresses du pays et se rendirent puissants peu 
à pou , si bien que lorsque les musulmans s'aperçurent 
de la faute qu'ils avaient commise , il n'était plus en leur 
pouvoir de chasser Fennemi qu'ils avaient appelé. Us 
vécurent donc sous l'autorité des Francs, qui gouver- 
nèiTiU la contrée après s'être débarrassés de ceux qui 
los gonaiont. Quant aux femmes et aux enfants, les 
chivtions se contentèrent de les dépouiller. Lorsque le 
sult«*in Solim connut cet état de choses, il envoya deux 
confît gix>s >tiisscaux de transport chargés de soldats, de 
tMUons et do munillons de guerre. Le chef de l'armée 
luniuo olait Sinàn-P%icha ; cette expédition est une des 
plu.^ oonsiiloraMos qu*aiont faites les Ottomans. Après 
\\\\ xHHW long ot siuiglant et une perte de dix mille 
honuuos do5 doux côtes, les musidmans remportèrent 
Itt \u toiiv.l noohiv^o remarquable , c'est qu'une citadeUe 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 105 

très-forte et très-bien bâtie, que les chrétiens avaient mis 
quarante-trois ans à construire, fut prise en quarante- 
trois jours par Tarmée de Sinân-Pacha. Ceci arriva en 
981 (lôyS de J. C). Le vizir fit abattre toutes les 
forteresses et il n'en resta pas de traces. On dépêcha 
un envoyé au sultan Selim pour lui apprendre ce qiti 
venait de se passer. Ce prince avait la pensée d'entre- 
prendre la conquête de l'Espagne en 982 , mais il mou- 
rut avant d'avoir pu mettre son dessein à exécution. 

Le joiu» que j'entrai à Tripoli, je rencontrai mes 
amis de Fês qui revenaient du pèlerinage en caravane. 
Parmi eux se trouvait Sid-T'ahar-ben-Red'ouân-el- 
Khazradji, qui me raconta ses aventures de route et 
m'apprit la mort d'un frère en Dieu, Sid-Mohammed- 
el-Mank'ouchi , qui avait succombé à une attaque de 
peste à Constantinople. J'écrivis à mes amis de Fês et 
à mes professeurs. Parmi les lettres que je fis partir, il 
y en avait une qui contenait une pièce de poésie taîat ^, 
où je parlais de mon voyage, où je m'occupais de ce 
qu'on faisait à Fês , et du plaisir que j'aurais à me trou- 
ver dans cette ville ^. 

^ En ta, c est-à-dire, dont tous les vers se terminaient par la lettre 
de ce nom. 

* Ceci est une nouvelle circonstance à ajouter à celles qui déter- 
minent la position des Ait-*Aîach auprès de Fés. 



u 



106 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 



OBSERVATIONS RECUEILLIES PAR MODLA-AII MED. 

r 

a a clia'ban 1 1 a i (16 octobre 1 709 ) '. 

Nous descendîmes auprès d'El-Henchir (^*AÂ^!l)^ 

à cause d'une révolte des gens de Tripoli contre leur 

pacha Khelil, homme injuste qui confiait de préfé- 

ronre les premiers emplois aux infidèles chrétiens, 

phitol que de les donner aux musulmans , qu'il vexait et 

tourmentait beaucoup. Aucun des principaux de ce pays, 

savants, marabouts ou honmies vertueux, n avait d'in- 

IhuMico auprès de ce prince. Il ne les aimait pas et ne 

Inur aoconlait aucune considération. Aussi tous ses su* 

\i>\s faisaîont-ils des vœux contre lui, faute de pouvoir 

\\\\ ttMuoi^nor leur haine d'une manière plus ef&cace. 

(lot ôtat do choses finit par échauffer tellement les 

tv^piits t|uo 00 |viclu étant sorti pour aller apaiser la 

iVxoho »u dohoi'ti. les i^ens de la ville lui fermèrent 

lom\x jHMiON et prirent une résolution imanime à son 

O^.M^r 1%'t oxouomont ayant mis le pacha dans Timpos- 

xJ^hto ^fovooutor sos desseins sur les gens de fextérieur, 

d ivxiul \lo^xtnt l^ >îUo. |VMir fassiôger avec son armée 

do M^x^ux.UN NUjOls. U ^in^-.xa de notr^ côté, et nous envoya 

H\^x jMMU ijMU\ \^:V,v:ers et du rii de son camp. Une 

^ M>v\\U V,' *sv. •/ x^ s, ^' :c .v:->rr, mjii* c'e*t une erreur qui est 

^N \^.l<\> \'\ >^> .* X A^.^ v.^ s» »N \^ oa\-./^ *'..?• rieurs. 

^ \\ V'^x ,^- >' ♦ ,VN ,'v :\ ^ - :v.x 4: S, jx%i:. Ô3 , qu'il dît 
\' <s >»*Sx \ X X .s i V \ ,^ .V ï ' ». ., sAr.5 inviî.]uer si c'est à 
\ \ *\ x»\ S i x^ V. \^ X, « ^ . > * V ;^ .;-^,- : ^ ;' ^ a lieu de penser 



VOYAGE D'EL-'AIACHI. 107 

entrevue eut lieu, et le pacha nous dit d'établir notre 
bivac auprès du sien, et de passer cette nuit à côté 
de lui. Nous nous excusâmes de le faire « et, nous étant 
mis en route , nous rencontrâmes les gens du Sah'el et 
d'El-Menchîa ( HajS^M ) qui venaient en foide au-devant 
de nous. Tous se plaignaient du pacha et déploraient 
leur sort. 

Le cheikh Moh ammed-ben-'Ali , auteur du commen- 
taire sur le Chekrat'sïa, a dit, d'après El-Bekri^ : 

« La ville de Tripoli est entourée d'une forte mu- 
raille ; les édifices y sont d'une belle architecture. Elle 
est sur le bord de la mer; ses marchés sont bien four- 
nis ; elle a beaucoup de bains très-beaux. Les couvents 
y sont nombreux et habités par de saints personnages. 
Son port est à l'abri de la plupart des vents. Le terri- 
toire abonde en toute espèce de fruits et de produc- 
tions ; il y a beaucoup de jardins vers l'Est. 

« Auprès de Tripoli est une sebkha très-grande , d'où 
Ton tire une grande quantité de sel. De Tripoli au Dje- 
bel-Nefouça, il y a trois jours de marche. » 

El-Lits-ebn-Sà'ad a dit : « Amrou-ben-Ac'i a conquis 
Tripoli ; il arriva d'abord à l'Est , jusqu'à la k'oubba ou 
chapelle qui est à l'Orient de cette ville. Il avait assiégé 
Tripoli pendant un mois , lorsqu'un Arabe de la tribu 
de Madladj , qui servait dans son armée , étant un jour 
à la chasse avec sept de ses compagnons d'armes, s'a- 

' Le passage est rapporté , avec quelques variantes , dans la notice 
de M. Quatremère, sur El-Bekri. Voyez tom. XII des Notices des ma- 
nuscrits de la Bibliotlièque royale < pag. 45 1 . 



108 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

vança à TOccident de la ville. La chaleur était très-forte , 
et ils résolurent de reprendre le chemin du camp en 
longeant le rivage. D^ordinaire, les flots baignaient ce 
côté de la place , où , pour cette raison , il n y avait pas 
de murailles , de sorte que les bâtiments venaient mouil- 
ler tout auprès des maisons. Les chasseurs s'aperçurent 
que la mer avait baissé et laissait à sec ime portion de 
terrain. Ils pénétrèrent par là dans Tripoli, du côté de 
la grande mosquée , et crièrent à haute voix : « Dieu est 
grand !» A ce bruit , les Grecs se hâtèrent de se réfiigier 
sur leurs vaisseaux. 'Amrou, averti par le tumulte, s'a- 
vança à la tête des troupes. Les Grecs eiurent à peine le 
temps d'emporter une faible partie de leurs richesses. 
Tout ce que la ville avait de précieux tomba au pou- 
voir des Arabes. >• 

La muraille qui défend actuellement Tripoli, du 
côté de la mer, a été bâtie par les ordres de Hartma- 
ben-'Aïan , lorsque cet officier était gouvemeiur de K'aï- 
rouân. 

« 'Amrou-ben-el-Ac'i envoya vers Ouddân ((jlSj) un 
de ses officiers , nommé Bechir-ben-Art'at , dans le mo- 
ment où il tenait encore Tripoli assiégé. Celui-ci s'em- 
para de Ouddân, en 2 3 de l'hégire (64 2 de J. C). Les 
gens de ce pays vivent principalement de dattes ; ils ont 
beaucoup de grains qu'ils arrosent avec des outres. 

« 'Amrou s'empara de Nefouça (iUjyij), où il y avait 
des chrétiens. La capitale des boiu^ades de cette mon- 
tagne s'appelait Cherouïn ( (5^3 #-û ) ; c'était une grande 
ville avec de belles constructions, et qui se trouvait à 



VOYAGE D'EL'AÏACHl. 109 

cinq journées de marche de Tripoli. A mi-distance , il 
y avait mie forteresse très - solide , d'ancienne cons- 
truction, bâtie en briques et en pierres. A côté, on re- 
marquait des ruines fort curieuses et extraordinaires. 
Dans cette place se trouvaient des gens de TOuest , au 
nombre d'environ mille cavaliers , qui étaient en guerre 
continuelle avec les tribus de Berbères des alentours. 
Ceux-ci pouvaient fournir vingt mille soldats, tant à 
pied qu'à cheval. La garnison ne pouvait réussir à les 
dominer ' . Au milieu de la montagne de Nefouça il y a 
des palmiers , beaucoup d'oliviers et des firuits de tout 
genre. Il pouvait y avoir seize mille hommes dans les 
tribus de cette montagne , dont la longueiu*, de l'Est à 
l'Ouest, est de six journées. » 

Lors de mon voyage aux villes sacrées , en 1096 
(1684 de J. C), les chrétiens ont attaqué Tripoli, et 
le siège commença le jour même de l'arrivée de notre 
caravane devant cette place , au moment où nous nous 
arrêtions au bivac des pèlerins, sur le bord de la mer^. 
On aperçut d'abord trois vaisseaux des infidèles, au 
large, puis un quatrième, et, au bout de la joiunée, 
il y en avait vingt-deux en vue. Ils tinrent la ville assié- 
gée, le mercredi, le jeudi et le vendredi; durant ce 
temps, les habitants de Tripoli étaient dans un état 

* Ce passage se trouve, avec quelques différences, dans El-Bekri, 
cité par M. Quatremère. (Voyez Notice des manascrits, etc. pag. A 53.) 
Au lieu de Cherouîn, on y lit Cherouce, 

' Nos historiens placent en i685 le bombardement dont il va être 
question. 



110 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

de trouble et de crainte inexprimable. Us ne savaient 
que faire. Ils se décidèrent à charger leurs effets, et, 
emmenant leurs femmes, ils s'enfuirent dans les jar- 
dins. Voyant cette conduite, qui me parut coupable, je 
parlai à leurs chefs et je leur dis : « Cette manière 
d'agir est mauvaise et annonce de la lâcheté ; Taudace 
des infidèles s'en accroîtra; dissimulez donc vos terreurs, 
et arrangez-vous de telle sorte que les chrétiens ne 
puissent pas s'apercevoir de ce que vous ressentez. » 

Ils me répondirent : « Ce n'est pas la peur qui nous 
fait agir ainsi, mais c'est afin de nous mettre à l'abri de 
leui^ bombes et de leiu^s boulets , contre lesquels nous 
no pouvons rien. • 

Pendant la durée du siège, les musidmans ne dor- 
miivnt pas , étant obligés de veiller pour savoir ce qui 
80 |Kissail sur mer. Nous fîmes la profession de foi, et, 
tout on marchant, nous criions, «Dieu est grand, » et 
nous adiYssions dos prières au prophète. 

A rhoun^ do Toucha, le vendredi, les chrétiens com- 
monoèivnt h^ bomlvinloment, et nous assistâmes à un 
spootaoK> quo nous n'avions jamais vn^ et dont nous 
u\*i>ions mémo |vis ontondu |>arler. Des boulets sor- 
liuout ix>u;jos do la boucho dos canons, et, semblables 
A dos tisons onllammos, ils s'élevaient dans les airs; 
puis À ooux-'oi on suocodaiont d'autres, de plus en plus 
nombivuv. Loi^piils dosoondaiont, ils faisaient, en ar- 
nxant À tonv, un grand bniit à ro'ndi^ sourd, creusant 
Toudi^Ml \n\ il> otaionl tombos, puis ils éclataient. S'ils 
attoïj^uaiout dos odiluos, ils los démolissaient ; s'ils 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 111 

s'abattaient sur des espaces unis, ils les labouraient; 
s'ils frappaient un objet élevé , ils le renversaient à terre ; 
s'ils tombaient siu* des arbres, ils les brûlaient ou les dé* 
racinaient. Lors de leur chute, ils semblaient rester un 
moment en repos , après quoi , ils tournaient sur eux- 
mêmes, puis ils éclataient en produisant im bruit bien 
autrement fort que celui qu'ils avaient fait en touchant 
le sol. Dans ce terrible instant, nous adressions nos 
supplications au Dieu des mondes ; le sommeil avait 
fiii de nos paupières. Il nous paraissait que chaque 
boulet sorti de leiurs canons allait nous firapper. Tantôt 
ces projectiles tombaient auprès de nous^ tantôt ils nous 
dépassaient, mais la majeure partie arrivait sur la ville, 
se perdait dans la mer ou dépassait un peu la miu'aille. 
Pendant une de ces journées mémorables, les chrétiens 
tirèrent toute la nuit, sans interruption , et jusque dans 
la matinée. Un des légistes de l'endroit estima qu'ils 
avaient lancé plus de neuf cents bombes. 

Nous assistâmes alors à une grande confusion; il y 
avait avec nous des enfants , des femmes , et , parmi celles- 
ci, des femmes enceintes. En considérant le spectacle 
qu'elles avaient sous les yeux, nous craignîmes que la 
terreur ne les fît avorter. Nous nous décidâmes à quitter 
ce bivac, pour aller à cet endroit des jardins où il y a 
un rempart. La caravane s'y établit, et nous plaçâmes 
nos femmes dans des maisons qui se trouvaient là. 

Le feu des chrétiens cessait alors et il ne recommença 
quà l'eucha. Un vent très-violent vint à souffler, qui 
gâta leiu*s bombes en éteignant les mèches qxii s'y trou- 



112 VOYAGE D'EL-'AÏACHL 

valent suspendues. Mais le vent ayant cessé, ils tirèrent 
de nouveau jusqu'au d'oh'a. Vers le zaoual, ils essayèrent 
d'entrer dans le port, et ne purent y réussir, à cause des 
deux forts qui en défendaient l'entrée, et qui étaient 
alors remplis de marabouts ^ : ceux-ci se dévouèrent pour 
l'amour de Dieu. Ces hommes généreux forcèrent les 
infidèles de se retirer, par la quantité de boulets qu'ils 
leur envoyèrent , au point qu'ils leiu* coulèrent im petit 
bAtiment. Les chrétiens prirent la fîiite. 

Plusieiu^ avis se discutèrent alors dans la ville. Pen- 
dant ce temps, des musulmans arrivaient de tous côtés, 
à pied ou à cheval, avec des armes et des munitions, 
chacun selon son pouvoir. La colère noircissait leiu* vi- 
sage ; leui^s lèvres étaient blanches par l'excès de l'indi- 
gnation. Tous se préparaient au combat. Les chrétiens, 
vovant cela , conunencèrent i craindre et s'éloignèrent. 
Lo.s fidèles aiuraient bien voulu pouvoir les suivre etar- 
rivor jusqu À eux. Us auraient voulu que l'ennemi revint 
À In chai^\ car ils étaient noerveilleusement disposés, 
c^tnut vomis avec fintentiou de se dévouer. Tous avaient 
Init loui^ testaments les uns aux autres ; tous avaient 
iMXMionco la pivfossion de foi « persuadés qu'ils devaient 
iuouni\ Ou en ctmiptait des milliers ainsi préparés au 
uwrtM*t^. (Vest jHHir cela que les chrétiens n'osèrent pas 
lu^sj^ixlor uuo dosivnte. 

Ou vHMumouvA A parlomonler, et la paix ftit conclue 

* Wvt'uKs* -«T \ V'j^rr. v^ xiîî wwvfCir:*. O $oal des gens cjui, à 
I ^ ^s^vuv s >^ xW^vS'vtv. A us>e nxYt rre*^ue certAÎne, en se chargeant 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 113 

à la condition que les musulmans rendraient tous les 
esclaves chrétiens qu^ils avaient, ce qui fut accordé. Ils 
s'engagèrent aussi à restituer la valeur de leurs prises 
maritimes, ce qui fut estimé cent mille réaux kara- 
malîa ^ 

Après avoir fait ce traité , les chrétiens entrèrent en 
ville pour y conunercer, et ils s'y conduisirent avec ar- 
rogance, parce que le pacha, qui était im renégat, leur 
avait promis de punir sévèrement quiconque les mal- 
traiterait ou les insulterait. Les Tripolitains prirent leiu* 
mal en patience ; mais les pèlerins et surtout les morre - 
bin de la caravane ne se gênèrent pas avec les infidèles, 
et allèrent peut-être jusqu à en frapper quelques-ims , 
sans s'inquiéter des ordres du pacha. Les chrétiens s'en 
étant plaints, le renégat leur répondit : « Ces gens-là ne 
peuvent souffrir les personnes de votre religion ; laissez- 
les, car ils vous tueraient, et je n'ai aucun pouvoir sur 
eux. Ne vous inquiétez pas d'eux, patientez jusqu'à la 
conclusion de vos affaires. » 

Les chrétiens, conformément au traité, commencèrent 
à prendre des grains, des chevaux et des chameaux. A 
ce sujet, je parlai avec des ouléma de la secte de Mft- 
lek , qui convinrent que cela était mal ; mais ils s'excu- 
sèrent sur ce qu'ils n'y pouvaient rien et sur ce que 
c'était l'affaire des Turcs qui les gouvernaient. Les ou- 
léma sortirent de la ville, ne voulant pas assister à ce 
fâcheux spectacle ^. 

* Karamali est le nom d*une famille qui a régné à Tripoli. 

* Le bombardement dont Moula-Ali'med vient de donner la des- 

15 



lu VOYAGE D EL-'AÏACHI. 



RETOUR D'EL-'AIACHI 



ROUTE DE TRIPOLI k AÏT-'AÏACH. 

Lundi, 5 cha*ban 1074 (aa février i663). 

Je quittai Tripoli , après le départ des deux caravanes, 
celle de TEst et celle de TOuest, le lundi, 5 de cha'ban 
1074. La caravane générale se trouva divisée : une 
partie alla avec El - Hadj -Moh'ammed-Nin,etrautre 
avec H'adj-Moh'ammed-ben-'Amran et El-Hadj-Mo- 
h'ammed-Moumen, lesquels commandaient cette der- 
nière fraction. 

Je fus accompagné jusqu*à Troun ((jj^*) par mes 
amis, Sid-Moliammed-ben-Ah'med-ben-Aïça-el-Iep- 
bouï et Sid-Abou-Raoui, ainsi que par une compagnie 
de to'lba. Je trouvai, dans la medreça.ou école supé- 
rieure, mon ami Sid-Moli'ammed-ben-Bil-K'âcem-el- 



cnption est celui que tit le maréchal d*Estrées , en 1 685. Il causa de 
grands dégâts dans la ville, qui ne furent pas promptement réparés, car 
on lit , dans la relation d*un père de la Merci , qui se trouvait à Tripoli, 
eu 1 703, le passage suivant : 

« Les Turcs sont si peu curieux de la propreté de la ville, qu*ils n*ont 
pas encore réparé les ruines du dernier bombardement que M. d*£s- 
trées y fit, en i685. En sorte que la plupart sortent de leurs maisons 
demi -ruinées, comme des renards de leur tanière; n*ayant pas eu Tes- 
prit d*ôler les tas de ruines qui bouchent les rues en plusieurs en- 
droits , et les obligent à prendre des détours , sortant de leurs trous. ■ 
(Voyez Etats des royaumes de Barbarie, pag. 3o.) 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 115 

^Arïani et les savants de Tendroit, qui me donnèrent la 
bien-venue , et me firent servir à manger. Cette medreça 
est la plus belle qu'il y ait dans ces contrées. On y voit 
à la porte le sépulcre d'un saint homme, mort depuis 
peu, et qu'on appelle El-'Arifi, si ma mémoire ne me 
trompe pas. 

Une personne véridique m'a raconté le fait suivant, 
à propos de ce marabout, fait dont elle induisait que 
l'usage du tabac devait être blâmable. Il y avait, disait- 
elle, auprès du lieu où est .enteiTé El-'Arifî, un olivier 
à l'ombre duquel ce pieux santon venait souvent s'as- 
seoir de son vivant. Lorsque El-'Arifi fut mort, un des 
principaux de la ville alla s'étendre dans le même en- 
droit et se mit à y fumer. Cet individu eut la nuit sui- 
vante un songe dans lequel le défunt lui apparut et le 
frappa sur la tête en lui disant : « Un tel , tu es venu faire 
ime action punissable, à là place où je m'asseyais. » Le 
lendemain, en s'éveillant, cet homme se trouva aveugle , 
« et la personne à qui j'ai entendu raconter ceci (ajou- 
tait le narrateur), le tenait de l'aveugle lui-même. » 

La caravane coucha à Troun , auprès de Zenzoun 
iuJÙ^j) ^» ^* ^^^ amis qui m'avaient accompagné pas- 
sèrent la nuit avec nous. 

Mardi, 6 cha*ban (a3 février). 

Le lendemain, nous passâmes, au d'oh'a, par le 
bourg qui est auprès de Zaouïa-el-R'arb (siH^' *^3!))- 
On va ordinairement visiter dans ce lieu un saint homme 

' Moula- Ah 'med écrit Zenzour, 



116 VOYAGE D'EL'AîiACHL 

qui a rhabitude , en bénissant les pèlerins , de leur don- 
ner trois coups sur la nuque. Cest une méthode dont 
il a hérité de son prédécesseur. 

Nous nous arrêtâmes ce joiu* même à la zaouîa, dont 
le mok'addem El-Hadj-'Abd-er-Rah'mân-R'erit'-el- 
Meknaci est mon ami. Cet homme de bien répand 
beaucoup de bienfaits dans le canton; il inspire la plus 
grande confiance aux habitants, qui le croient appelé 
A diriger ses semblables dans la voie spirituelle. 

léiï caravane fut traitée libéralement, pendant la nuit 
<|U*ollo passa en ce lieu, les gens du pays s'eiTorçant 
d'inùlor, |>ar cette conduite généreuse, les vertus hos- 
pitaUt^ivs du cheikh \\bd-er-Rahmân. 

Mercredi, 7 cha*ban (ad février). 

Lo londomain, nous passâmes auprès de la demeure 
do l\uuî do Diou. Sid-Ràchid-el-Kàlili (4X^1; ^^Oyu» 
^Jc»JlOt ^ , \Hnuui |v\r les grâces que son intercession fait 
\v|^^M\ir. Jo doscondis à côté de la zaouîa, et je la 
\i\itu l.\n>quo jo p^^rtis de cet endroit, mon ami Sid- 
\l\vh HMUuu^) bon - Vh mod-ben-\\îça-el-Ierbouï, ainsi 
Niuo vvH\ ivuvut Sid- VKni-K ot taîa *, m'accompagnèrent. 
Vmu uo o.n^ux AnvîAmos qu'a Zaouâra {i^<xO* 

Jeu.îi. 8 chaban -^ a 5 février). 

\ sv Iv i>v;>itM u. ivas doscvndimes à Zaouàr'a - ech- 

V , , \ N X K K-x*> ► .V v^ \rfcNr> ^vxwhrnt a U lotifie de ch« 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI, 117 

Vendredi j g cha*ban (a6 février). 

De là nous allâmes vers Bordj*el-Melh' (^1 ^j»). 

Samedi, lo cha*ban ( 37 février). 

Nous allâmes ensuite jusqu'auprès de Es-Souâk'i 

Dimanche, 11 cha*ban (a8 février). 

Nous traversâmes £s-Souâk'i, dans Tendroit qu'on 
appelle Ben-Kardân (^b^(^), vers Theure du zaoual; 
puis nous descendîmes à Doun « la baie » H'açi-es-Sol- 
t'ân ((^^IkJuJI^U^^d). 

Lundi , 1 3 cha*ban ( 1 " mars ) . 

La caravane alla coucher entre H'aci-es-Solt'ân et 
Ouâd-Asmâr [jUm\ dl^). 

Mardi, i3 cha*ban (a mars). 

Le lendemain elle s'arrêta près d'Arâm (|»l/^). 

Mercredi, i5 cha^ban (3 mars). 

Nous descendîmes à Zerrik' ((5^). Nous trouvâmes 
dans cet endroit notre ami Sid-Moh ammed-es'-S'âlah - 
ben-5id-Abd- Allah -ben-Abd-el-Aziz-el-Hamdouni. Il 
nous fit entrer dans l'oratoire de son père; nous cou- 
châmes chez lui et nous y reçûmes l'hospitalité la plus 

veux qu^ils laissent pousser au sonunet de la tête, quand cette touffe 
a une certaine longueur. 



118 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

complète. Je trouvai dans la maison de cet homme 
de bien une collection de livres, parmi lesquels je re- 
marquai une histoire des marabouts de K airouân , par 
le cheikh En-Nadji. Cet ouvrage, qui est en deux vo- 
lumes , a été compilé , par son auteiu:, du hvre écrit par 
Abou-Zid-ed-Debbar -K'aïrouâni . 

£l-Belàoui raconte, dans son pèlerinage, qu^ayant 
rencontré En-Nadji , il Ta salué et l'a coinplimenté sur 
son œuvre , et que celui-ci lui a dit avoir passé bien des 
nuits poiu* le faire. El-Belàoui ajoute qu il a parcouru le 
livre en une nuit, et qu'il y a vu l'histoire du tombeau 
d\\bou-el-Baba , tombeau qui est à K'âbes. Il assure 
que poi^onne n'a mieux parlé de ce fait qu'En-Nadji. 
(«olui-<ù« dit-iK raconte la légende du saint personnage 
eu détail , et rapporte l'ailirmation des gens du pays, 
oui cortilient que le tombeau qu'on montre à K'âbes est 
biou colui d\Vbou-el-Baba. Le cheikh £l-Bourzouli , 
uuiitiv d*Kn-Nadji, questionné là-dessus par ce dei^ 
iùoi\ ^ iv|HMulu que Tassertion des gens de K'âbes était 
MMU'^ ot b tiédit ion inunémoriale sur laquelle ils se 

\\ Innu^^ouli a dit encore à En-Nadji que si l'auteur 
\lo U U ^^x^nvlo dei^ cv^mjxi^ions de Mahomet * n'a* pas 
uuutKMmo qirVKni-el-RiUi était enterré à K'âbes, 
\ \vvl viuM A ii^tunv U tndllion authentique consente 

M*\ * V V* ^.nnsvaj-^ a V>fr. sous le n* 355, an manuscrit 
^luV ^ * V V V*." v>..'4 j^>*J" . qui coolienl, par ordre aJ- 
|-m\ Ni- n ■ » vvs.v xk-^ <vw;N*dr.x«^ ^^ Malsofiiel. CVsl |)eu(-^lrc 



VOYAGE D'EL 'AÏACHL 119 

dans le pays ; mais qu'il suffît de voir son tombeau dans 
cet endroit et de connaître la tradition qui y a cours, 
pour être convaincu. 

El - Bclâoui raconte qu'avant d'avoir vu le livre de 
En-Nadji, n'étant pas bien sûr du fait, il n'avait jamais 
pu se décider à aller visiter ce tombeau, lequel d'ail- 
leurs était assez loin de son pays; mais qu'après avoir 
pris connaissance des faits, il avait pensé tout autre- 
ment, et s'était hâté d'accomplir ce pèlerinage. Le même 
auteiu* rapporte que H'amouda, émir de Tunis, a fait 
construire un superbe bâtiment dans le^lieu où est 
enterré Abou-el-Baba ^ 

Jeudi, i5 cha*ban (à mars). 

Nous partîmes de Zerrik' et nous arrivâmes à la ville 
de K'âbes ( jm^jU), au d'oh'a. J'allai visiter la k'oubba 
d' Abou-el-Baba. J'y trouvai le k'âd'i de la ville , Sid-'Aïça- 
ben- Ali-el-'Abadi-ed-Doukali-el-Mor'rebi. C'était im 
brouillon qui faisait tout de travers , im menteur et im 
foiurbe. Cependant il était parvenu à tromper les gens 
de la ville , et jusqu'à l'êmir, aux yeux desquels il pas- 
sait pour un saint et pour un savant, renommée qui ne 
fit que renforcer ses défauts. Cet homme ne connais- 
sait absoiiunent rien à fond, ce qui, du reste, ne parais- 
sait guère dans un pays où tout le monde est ignorant. 
Je lui demandai : « Qui t'a enseigné ? quels ouvrages 
as-tu lus."^ où as-tu appris les choses que tu rapportes? » 

' n y a dans le texte une dissertation qu*on supprime ici. Elle roule 
sur cette question : Le K'oran esl-il créé ou incréé P 



120 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

Il ne put rien répondre de satisfaisant, et se contenta 
de me dire qu'il avait quitté le Maroc étant fort jeune, 
et qu il avait fait ses études à Tunis. 

Vendredi , 16 cha'ban ( 5 mars). 

Le lendemain nous quittâmes K'àbes, et le k'âd'i 
nous accompagna jusqu à Ei-H'àmma (iuUL), où nous 
couchâmes dans la maison du vénérable Sid-Abou-el- 
K'âcem-os-Sedidi. Nous y trouvâmes im honune de bien , 
appelé Sid-Moustafa, qui était d'origine chrétienne; il 
avait embrassé Tislamisme par une conversion sincère, 
ot paraissait être, en tous points, un homme vertueux, 
rt^lipioux et fuyant le monde. Autrefois il avait fréquenté 
los jjrands, mais, à l'époque où je le vis, il ne recher- 
chait plus que la société des pauvres. Ce Moust'afa avait 
ivi:u rhospitalité chez Sid-Abou-el-K'âcem , de qui il 
avait appris sa nouvelle religion. En somme, tous deux 
triaient dos gtMïs de bien. 

1 ,0 l Àd i do K àl>os lut , dans cette soirée , quelques 
tiNiditions do Innikhàri, ApK^s cette lecture, il me de- 
m;in\)a do lui dolixrtM* un idjaia^ brevet de science, que 
|o \oulus bion lui donner. 

IX^us ^vl oiuhvit . qui Iquos-uns de mes amis de la 
v.M\^x>M^o .ilivMvnt U\Mi\or Mourad-Oidid-H'amouda, 
oiiMO do 00 jv%>s. Ahn do so pLiindn? Jun vol qui avait 
oto \>MunuN vur ou\ d,uv«^ lo confie de son gouverne- 
^uo^^lv |sn>xi,u\t ^;r.î> otAiont en pèlerinage. Leur dé- 
UM^>ho wVxit Au>v,n rt*>v.-t^1 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 121 

Samedi , 1 7 cha*ban ( 6 mars ). 

Nous partîmes d'El-H'àmma ; la caravane fît une halte 
après avoir passé la rivière. Nous allâmes ensuite cou- 
cher à Nebch-ed-Dinab («^jJt (/^), chez le chaouïa ^ 
Sid-Djemâl-ben-Sid-H'âmid. Je cherchai, dans la ri- 
vière qui est devant Nebch , la mine de verre noir ^ que 
j'avais déjà vue à un précédent voyage ; mais , cette fois , 
je n'aperçus rien , parce que , Tannée ayant été fort plu- 
vieuse, les eaux étaient hautes. 

Dimanche , 18 cha*ban (7 mars). 

Nous descendîmes au K'ec'er-er-Roumân {^Uji^yaà). 

Lundi , 19 cha*ban (8 mars). 

Nous passâmes par la zaouïa Sid-H'âmed («Xjum isi^t) 
j^W), et nous allâmes coucher à la zaouïa Er-Remel 

Mardi, ao cha*ban (9 mars). 

Nous traversâmes Sebkha - el - Kebira {ijJi/Si\ i^^ev^), 
qui n'a pas sa pareille, vers la zaouïa de Sid-Abou- 
Helâl-es-Sedadi (J^^j^l ^XA^iy^l))- J^ dépassai la cara- 
vane avec quelques pèlerins, et nous arrivâmes à la 

' Nom que l'on donne à une fraction des Berbères, lesquels se 
trouvent surtout dans la partie orientale du Mor'reb. 

• iSjiA cl^^Jl 00^ iT^j J^ c5^y f 4 o4ttJ- 

Je rapporte ce passage d*El-' Aiachi , n ayant pas compris ce qu*!! 
veut dire par ■ une mine de verre noir. » 

10 



122 VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 

ville (sans doute Sedada), vers le d'ohor. Nous fîmes la 
sieste aux palmiers , jusqu'à l'heure du d'ohor, où nous 
priâmes. Nous montâmes ensuite, pour visiter le tom- 
beau du cheikh Sid-Abou-Helâl , qui est placé sur un 
contre-fort de la montagne ; on y remarque des meche- 
hed^ Il y a, auprès, une mosquée bien construite, à 
côté de laquelle est un bâtiment inhabité. Les tombeaux 
sont très-nombreux dans cet endroit. On peut, en se 
promenant, apercevoir les linceuls de quelques-uns des 
défunts qui y sont inhumés; il y en a qui sont encore 
intacts. Cette particularité étonne beaucoup les pèlerins, 
qui ignorent que dans FEst on enterre les gens dans des 
chambres fermées, qu'on remplit successivement. En 
voyant les linceuls des derniers arrivés si bien conser- 
vés , ils se figurent que c'est ime faveiu* que Dieu fait à 
ces morts , qu'ils sont disposés , à cause de cela , à con- 
sidérer comme des marabouts. Mais ils se trompent, car 
cette apparente conservation ne tient qu'au mode de 
sépulture. 

Après nous être un peu arrêtés dans cet endroit et 
nous y être promenés , nous revînmes vers la caravane , 
que nous rencontrâmes comme elle arrivait en dehors 
de la zaouîa. Nous passâmes la nuit dans cet endroit. 

Mercredi, ai cha'ban (lo mars). 

Nous quittâmes la zaouîa de Sid-Ah med-bou-Helâl et 

* Pierres qu*on place à la tète et aux pieds des morts, et qui s'appel- 
lent ainsi, parce que sur Tune d*elles est ordinairement gravé le chahad 
ou profession de foi. 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 123 

nous traversâmes la ville de Dak'ïous (crjA»^ tf«>^), qui 
est une des plus grandes de cette contrée. On y re- 
marque un minaret très-élevé. 

Dans la montagne qui domine la ville, est une ca- 
verne qu'on appelle Rar-Ehl-el-Kahaf (la caverne des 
gens de la caverne, c'est-à-dire, des sept Dormants), nom 
qu'on lui aura donné parce que la contrée elle-même 
s'appelle Belâd-Dak'ïous ' . Cette désignation , adoptée et 
répétée par les pèlerins et les gens du pays , a couru de 
bouche en bouche. 

J'ai dans cette ville un ami qui est sincèrement dans 
la voie de sainteté. » Beaucoup de gens de bien, m'a-t-il 
dit, assurent que les sept Donnants sont enterrés dans 
cette caverne. J'ai su d'un certain Ah'med-ben-'Abd- 
Allah, lequel l'avait entendu dire à Sid-Moh ammed-ben- 
Bil-K'âcem-el-Djameni , que ce dernier était entré dans 
la caverne avec im autre homme de bien, et qu'il en 
était sorti saisi d'effroi , car il avait aperçu les sept Dor- 
mants et avait été témoin de choses extraordinaires. » Le 
temps avait manqué à Ah med-ben-'Abd-Allah pour ob- 
tenir de Sid-Moh'ammed-ben-Bil-K'âcem tous les détails 
de ces merveilles. 

Je n'ai cependant pas vu cette localité mentionnée 
dans les commentaires du K oran, quoique ceux-ci dé- 

' Dak'îous est le héros de la légende africaine sur les sept Dor- 
mants. J*ai donné, dans les L^endes algériennes, des détails sur 
cette tradition , très-répandue en Algérie et dans les autres Etats bar- 
baresques, détails trop étendus pour entrer dans cette note. 

Dak'îous est sans doute Tempereur Decius, persécuteur des chré- 
tiens, à qui les musulmans ont emprunté cette tradition. 



n 



124 VOYAGE D'EL-'AiACHI. 

signent une grande quantité d^endroits qui passent pour 
être le lieu de sépulture des sept Dormants, tels que la 
Syrie , Tlrâk', l'Andalousie et aussi le Maroc ' . 

Un fak'ir m'a dit, d'après les légistes : Celui qui pré- 
tend que les sept Dormants sont dans cette caverne de 
la ville de Dak'ïous , qui dit y être entré et les avoir vus, 
celui-là ment ; car Dieu a dit au prophète : « Si tu aper- 
cevais les sept Dormants dans leur caverne , tu fuirais 
épouvanté. » Or, si le prophète n'avait pu soutenir leur 
vue, comment un homme ordinaire la soutiendrait-il? 

Mais on donne une autre explication à ces paroles du 
Seigneiu*; car, disent les conunentaires, il était impos- 
sible que le prophète, qui avait voyagé dans les cieux, 
({ui avait vu l'ange Gabriel, le feu de l'Enfer, etc. eût 
pour do gens Vndormis. 

Nous arrivâmes à Touzer ij)y) le mercredi matin, 
u I do cha'han , et nous y trouvâmes des négociants ve- 
lUi.H do Tunis et une compagnie de gens de Djeii)a, qui 
uvalonl rintontion de se rendre dans le Maroc, avec 
uotiv caravane. Je rencontrai à Touzer mon ami Sah- 
nUmi% qui avait fait le pèlerinage avec nous, mais qui 
nous %Hvaît de\ancôs^ étant parti avec les gens d'Alger. 
(',et houuue de hien avait été le disciple de Sid-Ah'med- 
ed HuiIm. Il ot.ùt originaii^ des tribus arabes de cette 
wmUivo. et halMtait les environs de Touzer. 

Sid ^.duàoui axait jadis accompli le saint pèleri- 
u^^ijv, jMed> nus. et il A\ail visite Jérusalem avec moi. 

\S^ |VMl AhH^ci W CAp M.tîikHi jiupn*^ ir\lf^?r, Nikkoiis dans la 



VOYAGE D'EL'AÎACHI. 125 

Comme notre caravane s'arrêtait hors de Touzer, il vint 
à ma rencontre auprès de Fermitage de Timâm Abou-ei- 
Fad'el-ben-en-Nah'oiii , lequel est à côté de la mesdjid. 
Nous visitâmes beaucoup de tombeaux dans cet endroit. 

Jeudi, 22 cha*ban (ii mars). 

Touzer est une belle ville, abondante en eaux. On 
y trouve beaucoup de jardins et de nombreuses planta- 
tions de palmiers. Il y coule une forte rivière qui vient 
de rOuest. Les Bédouins qui Thabitent sont des Arabes 
agriculteurs; on y achète à bon marché la viande, le 
beurre , et les dattes , qui s'y recueillent en très-grande 
abondance. 

J'ai remarqué parmi les savants de la ville Sid-Ah'med- 
el-Moula, homme de bien, qui m'a adressé beaucoup 
de questions sm* le droit, et m'a interrogé d'une ma- 
nière qui montrait sa science et la sincérité de son âme. 
J'ai visité la bibliothèque de Sid-Ah'med-er-Rebani, chez 
son neveu Sid-SVir, et j'y ai trouvé beaucoup de livres, 
entre autres le deuxième volume du Ketâb-el-Ouah'id\ 
du cheikh 'Abd-el-K'afar-ben-Nouh', livre des plus pré- 
cieux. Je possède le premier tome, et j'avais vainement 
cherché le second, que je n'ai jamais vu ailleurs que 
dans cette bibliothèque. Pour en connaître le contenu, 
j'employai à le lire tout le temps de mon séjoiu» à Touzer. 

* Ouvrage sur Tunité de Dieu, dogme qui forme, chez les musul- 
mans, la brandie importante de leur théologie , qu*on appelle TouhOd, 
D*Herbelot, qui appelle Fauteur de ce livre Abd-al->Gaffar-ben-al- 
Megd-al-G)S8i , dit qu*il fut composé a Alexandrie, en 708 de Thégire. 
( Voyez au mol Vahid. ) 



126 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

Vendredi, a 3 cha*ban (la mars). 

Le vendredi , j'allai , avec mon ami Sid-S'ah râoui , à 
la ville de Neft'a (aLsaj) pour visiter en pèlerinage Sid- 
Abou- Ali-en-Neft'i , im des hommes les plus saints et le 
compagnon d'Abou-el-Fad'el-el-Biskri , mentionné dans 
le Ketâb-et-Tchouf. Tai entendu dire à un fak'ir que ce 
marabout était contemporain de Bou-Helâl-es-Sedadi. 
Nous arrivâmes à Neft a avant le d'ohor; il y a dix-huit 
milles entre cette ville et Touzer. Nous nous y arrêtâmes 
et nous y fîmes la prière méridienne. J'ai trouvé dans 
cet endroit un volume du Charh -ech-Ghek rat'ïa, d'Ebn- 
el-Mas'ri \ livre très-précieux. Je l'ai parcouru pendant 
mon court séjour, et j'en ai extrait quelques citations. 

Le même jour, nous retombâmes à Touzer, où nous 
arrivâmes après le morreb. J'allai vers la caravane, et 
je passai la nuit chez l'oukil de mon ami Sid-S'ah'râoui , 
où je reçus une généreuse hospitalité. 

Samedi, a4 cha*ban (i 3 mars). 



/ 



SEJOUR. 



' Le vrai nom est Charh''K'acida'ech-Chek'rat'tia, Sous le n* a6 1 , 
la bibliothèque d*A]ger possède un commentaire de cet ouvrage. On 
y voit que Tauteur du texte, k'acida ou petit poème en hun, à la 
louange de Mahomet, 8*appelle Abou-Moh'ammed-*Abd-Allah*ebn-el- 
Fak'i-Abou-Zak'aria-Iah'ïa-ben-'Ali-ech-Chok'rat'si-et-Touziri , et que 
Fauteur du commentaire, qui a été composé à Constantine, au mois 
de chaouâl 780 (iSaQ de J. C.) , se nommait Abou-*Ali-*Amar-Ebn-him 
(Ibrahim ?) el-Touziri. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 127 

Dimanche, a 5 cha*ban (i^ mars). 
SÉJOUR. 

Nous restâmes à Touzer jusqu'au dimanche, pour 
laisser aux gens de la caravane le temps d'attendre ceux 
de leurs amis qui étaient allés à K'afs'a (iUaj^); ils n ar- 
rivèrent que le jour de notre départ. Dans cet inter- 
valle, il vint beaucoup de chameaux à Touzer. Il est à 
remarquer que là on ne nourrit ces animaux qu'avec 
des branches d'olivier. 

Parmi les personnes que j'ai rencontrées à Touzer, 
je dois mentionner Sid-Ah'med-ben-'Abd-el-'Aat'i , un 
des amis de mon maître Sid-Moh'ammed-ben-Nâc'er ^ 
et aussi un des miens. Je fus reçu et traité dans sa 
maison. Il me montra im ancien acte de h'abous ^ de 
l'année 820 de l'hégire (i4i7 de J. C), écrit de la 
main de l'imâm Ebn-Marzouk'^; il y avait aussi de l'é- 
criture de l'imâm El-'Ak'bânî \ Sid-Ah'med me donna 

* n résulte de ce passage que Moh'ammed-ben-Nâc'er, père de 
Moula- Ah'med, est un des professeurs d^El-'Aîachi. 

' Acte par lequel on substitue une propriété. 

^ Moh'ammed-ebn-Ah 'med- ebn-Moh'ammed -ebn-Moh'ammed-ebn- 
Moh'ammed-ebn-Marzouk'-el-Khat'ib-et-Tlemçani, auteur célèbre du 
MorVeb. La bibliothèque d* Alger a de lui, entre autres ouvrages , sous 
le n* 95, un commentaire sur le Mokha'çar de Sid-Khelil. Le diction- 
naire biographique, appelé Kefaia (voyez manuscrits delà bibliothèque 
d* Alger, n* i56}, lui consacre un assez long article. (Voyez feuillet 9 5 
du manuscrit arabe, au verso.) 

^ On trouve dans le Kefaia, art. 53, la 1, 171, a88, 38o, 555, les 
biographies de six auteurs de Tlemsén qui ont porté ce surnom. 



128 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

environ un sa a de dattes provenant du jardin auquel 
se rapportait Tacte en question. Je lui dis : « Taccepte 
ces fruits conune une chose qui doit m^attirer les béné- 
dictions. » Ces dattes me restèrent jusqu'au conunen- 
cernent du ramad'ân, et tous les jours de ce mois sacré 
j'en prenais deux ou trois pour rompre le jeûne , action 
qui me parut orthodoxe et même de nature à me con- 
cilier la faveiur divine. Et quelle chose orthodoxe plus 
remarquable pourrait-on rencontrer aujourd'hui , qu'une 
propriété qui est restée dans une famille depuis trois 
cents ans, en vertu d'im acte où un imâm et un ouléma 
ont témoigné pour la vahdité de sa possession ? 

Le joiu* de notre départ , j'entrai dans la vieille ville 
et je visitai encore une fois la k oubba de l'imâm Ech- 
Chek'rat'i; celle de Sid-'Ali-ben-'Amrin , disciple de Sid- 
Abou-'Ali-en-Neft'i et le tombeau d'Ebn-en-Nahoui. 
Dans la vieille mesdjid qui est en cet endroit, j'ai vu ime 
inscription où il est dit que le mirh'ab ^ a été fait vers 
Fan 590 (1 193 de J. C). Nous visitâmes, en outre, 
Tami de Dieu , Sid-Ah'med-ed-Debaci , dont l'interces- 
sion auprès de la Divinité est puissante. Il est auteur 
d'un commentaire sur l'ouvrage intitulé MaKi-et'^Ta- 
rik'a-Jil'BelàiM-Mecherk'la , de Sid-'Ali-ben-Mimoun- 
el-H açani-el-Ediîci-el-Fàci , auteur connu en Syrie, en 
Egypte , et jusque chez les chrétiens. 

Nous quittâmes Touzer le dimanche. La caravane 

* G^té vers lequel l*iinâm se tourne en récitant la khot'ba, et qui 
indique la direction de la Mecque. C*est une espèce de niche pratiquée 
dans la muraille des mosquées. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 129 

commença le voyage en passant par la ville de Neft a 
(idaJL»), après avoir eu Tintention de suivre la route de 
droite par El-H'âmma (i^^), qui est celle qu'on prend 
ordinairement, parce qu'on y trouve toujoiu^ de la popu- 
lation. Cette fois donc, nous allâmes par Neft a, où je 
visitai de nouveau le cheikh Abou-'Ali. Après avoir passé 
la journée en cet endroit, nous gagnâmes H'âmi-es- 
Solt'ân (0LkLJt (^U.), où nous couchâmes. Là se trou- 
vaient des gens de Neft a qui chassaient les sauterelles; 
ils ne réussirent pas à exterminer complètement ces 
animaux, dont les ravages amènent la famine. Du temps 
du mâd'i, il y -eut une grande disette produite par cette 
cause. 

Neft'a est une ville considérable, près de Touzer. 
Elle a une rivière , comme cette dernière ville ; le kha- 
râdj qu'elle paye aux Turcs est le tiers de celui de 
Touzer. 

Lundi, a 6 cha*ban (i5 mars]- 

De H'âmi-es-Solt'ân nous allâmes coucher aux envi- 
rons d'El-Kelâbîa (iu^^l). 

Mardi, 27 cha*ban (16 mars). 

Le mardi, nous traversâmes ce dernier endroit, où 
notre guide eut bien de la peine à nous amener. Nos 
pèlerins avaient été aussi déroutés que lui; ce ne fut 
qu'à force de recherches et après bien des tâtonnements 
que nous y arrivâmes. Nous trouvâmes ce lieu rempli 
de cendres; nous y passâmes ce qui restait de la journée. 

17 



130 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

I^à , on se procure des vivres en abondance ; il y a de 
l'eau et des pâtiurages. 

Un vol de sauterelles passa la nuit à KelAbîa , auprès 
de la caravane ; quelques pèlerins se rendirent à leur 
bivac et en prirent une grande quantité, ce qui aug- 
menta d'autant leurs provisions. Les sauterelles étaient 
à Tépoque de reproduction , lorsqu'elles déposent leurs 
œufs. 

Mercredi, aS ch*aban (17 mars). 

Nous partîmes d'El-Kelàbia , et nous allâmes à El- 
Ouac'if (vjfuuD^I), qui est un grand et beau village dont 
Teau est pure, ainsi que toute celle qui se rencontre 
dans les environs. 

Jeudi, a 9 cha*ban ( 18 mars). 

De là nous gagnâmes un endroit qui est auprès d'El- 
'Ardj (^^1); ce jour, nous quittâmes les sables et nous 
atteignîmes la terre ferme. 

Vendredi (19 mars'). 

Arrivés à Zeribet- Ahmed (*xj^I iw^^)> nous y trou- 
vâmes des Arabes de Nemila (aJ^) et des Oulâd-Sid- 
el-Moubârak-ben-Nâdji (3!* ^^ ^^^')- ^^' j^ rencontrai 
le frère du chérif El-Medjdoub , mon ami , lequel res- 
semblait à son frère. Il m'apprit la mort d'El-M edjdoub 

' Faute d^avoir aperçu )a lune de ramad'an à temps, El-*Aîaclii 
commence ce mois un jour trop tard , ce qui doime trente jours au 
mois do cha^ban. 



VOYAGE D'EL-AÏACHI. 131 

(que Dieu lui soit miséricordieux!). C'était le meilleur 
des medjâdib ' ; son djedeb était énergique , à ce qu'il 
me semble. Je Tavais vu, en 106A (i653 de J. C.) et 
en 1 o65 ( 1 654 de J. C), dans cette ville. Il était le dis- 
ciple de Sid-Moh'anmied-ben-'Ali-el-Biskri. Je trouvai 
encore, en cet endroit, mon ami Sid-'Abd-Allah-ben- 
Moh'anuned-ben-el-Moubârak , et, avec lui, une com- 
pagnie de ses frères et de ses compatriotes. Il y avait 
six joiurs qu'ils nous attendaient, et le jour de notre 
arrivée , ils commençaient à désespérer de nous voir, à 
tel point qu'ils partirent, sur la fin de la journée, et 
s'en allèrent à El-Klianga (iUjLâtI), qui est leiu* pays; mais 
ayant aperçu les étendards de la caravane, ils revinrent, 
et passèrent la nuit avec nous. Je fus traité par eux avec 
ime large hospitalité. Sid-'Abd-AUah envoya chercher 
son père, qui vint de bonne hem*e. Nous nous don- 
nâmes la bénédiction réciproquement, et ils me firent 
des questions sur la religion. C'étaient des gens de bien 
qui aimaient la science et désiraient acquérir des con- 
naissances; malhem*eusement ils vivaient dans un pays 
où il n'y a aucune instruction. Je les saluai de la part 
de mon maître Abou-Méhèdi, avec lequel ils étaient 
liés depuis longtemps ; ils s'étaient beaucoup fréquentés 
du vivant de leiu' grand-oncle, Sid-et-Touâti-ebn-Nadji, 
homme savant parmi les savants. Après sa mort, il y 

* Medjdouh, pluriel medjàdih. Ce mot ne peut guère se traduire que 
par celui de convulsionnaire. Djedeb se dit de la pantomime qui est 
propre à ces énergumènes. J'ai donné , dans les Légendes algériennes , 
des détails circonstanciés sur cette classe d*individus. 



132 VOYAGE DEL-'AÏACHI. 

eut entre eux un peu de refroidissement. Mon maître 
partit ensuite d'Alger, et se mit à voyager de côté et 
d'autre ; il vint enfin chez Sid-et-Touâti , pour recevoir 
ses leçons , et il resta son ami jusqu'à sa mort. Et-Touâti 
étant revenu gravement malade du t'ân \ Abou-Méhèdi 
le soigna jusqu'à son dernier soupir, et l'enterra. Après 
avoir terminé ses funérailles, il alla chez le frère du 
défunt, qui était à El-Khanga; il le salua, et reçut ses 
remerciments. Plus tard, il se brouilla avec les gens 
de cette famille , et les quitta leur laissant ses livres. Il 
m'avait prié de ne point les leur réclamer, et d'attendre 
que la proposition vint d'eux-mêmes, car ils lui avaient 
fait dire que c'était faute d'avoir trouvé quelqu'un de 
sûr, qu'ils ne les avaient pas encore rendus, et que, 
s'il voulait venir, ils les lui remettraient. 

Nous les tix)uvàmes tout pensifs, parce que la peste 
était dans ce canton, et qu'ils craignaient qu'elle vînt 
juwsqu'à leur pays, ils avaient le désir de s'éloigner, et 
mo demandèrent si. légalement, ils pouvaient fuir la 
maladie avant quelle fut arrivée chez eux. Je réfléchis 
à celle queslion, car je n'avais jamais rien vu de précis, 
dans les livivs, à cet égard. Enfin «je leiur répondis, 
n^appuYant sur le sentiment d\m ouléma, qu'il était 
jH^nwis de sVn aller loi^ue la peste n^avait point encore 
|vuni au Itou qu on voulait quitter; mais qu'une fois la 
maK^dio declaive. la retraite nVtait plus permise au point 
de \ue de la loi* J\ijoutai qu^une autre autorité disait, 
eu outiv. quVu jhhivwUI fuir si, en ^igissuit de la sorte. 



VOYAGE D'EL-'AlACHI. 133 

on n'avait en vue que d^éviter le mal ; mais que si par 
cette action on pensait se dérober aux décrets de Dieu 
et se soustraire à la mort, alors cela était défendu. 
D'après cela, je leur déclarai que rien ne s'opposait à 
ce qu'ils s'en allassent , du moment que , parmi ces opi- 
nions traditionnaires , il s'en trouvait une qui admettait 
que la ftdte était permise ^ . J'ai vu plus tard dans les 

' Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver ici ce qu*un au- 
teur arabe, le cheikb Daoud-el-Antaki, dit de cette maladie (voyez 
manuscrit 67 de la bibliothèque d*Âlger, pag. 349) sous le rapport 
purement médical : 

• Le caractère de la peste est d*empoisonner Tair dans les couches 
élevées, lors de la conjonction de deux planètes à branches (JujLâ) , 
et dans les couches inférieures , lorsque la chair des cadavres se gonfle 
au sein des tombeaux, et qu'une vapeur riciée s'en élève. Les causes 
que nous venons d'indiquer pervertissent les saisons , les éléments , et 
bouleversent leurs essences. Les symptômes de la peste sont : la fièvre, 
la petite vérole, le coryza, le prurit de la peau (iJ^)* et la maladie 
appelée el-'aoamm, dans laquelle le corps s'enfle, se crevasse et laisse 
échapper une eau jaune. De ces maladies , lorsqu'elles sont régnantes, 
dérive la peste. Peut-être, dans les années de peste, ces maladies at- 
teignent-elles jusqu'aux animaux, les vaches, les chevaux, avec une 
force proportionnée à l'altération de l'air. Peut-être même les fruits en 
sont-ils susceptibles ainsi que les grains. Quant aux gens, ils sont plus 
ou moins malades, selon le degré de l'altération de l'air. 

• Pour éviter la contagion, si celle-ci arrive au printemps, où le 
sang abonde dans le corps humain , il faut pratiquer la saignée. Re- 
mèdes : on se débarrasse, par un vomitif, de l'humeur qui est en excès; 
on respire des fumigations de storax (iûu^) et de myrrhe ( Jju) ; on 
arrose la chambre avec de l'assa-fœtida ( ^1 ) et de la menthe , et on res- 
pire des oignons ou autres plantes analogues ; on respire aussi de la 
menthe et des coings. Il ne faut pas aller beaucoup aux bains , il faut 
s'abstenir de viandes et de choses sucrées. Cela serait mauvais en toute 
saison, mais surtout lorsque la peste arrive au printemps. » 



134 VOYAGE D'EL'AÏACHL 

livres de rimâm El-Hat't'ab\ au chapitre intitulé, Sur 
les pestes, que cet auteur rapporte ces deux opinions, 
et ajoute que la bonne est celle qui permet de quitter 
im lieu infecté de peste. Dieu sait la vérité. 

Samedi, i*' ramad'ân (30 mars). 

Nous quittâmes Zeribet-Ah'med le premier jour du 
ramad'ân, un samedi; nous traversâmes Zeribet-el-Ouad 
(ôljJl iw^j), vers le d'oh'a; nous allâmes coucher à El- 
Mens'if (vj^jk^ÂlI), qui est à moitié chemin entre les 
Zerâib {f^]j^\)^ et Sid-Ok'ba; nous trouvâmes au 
Mens'if * deux nezla * des Oulâd-S'oula ( siya ^Vj! ) , qui 
étaient venus là poiu* s'emparer d'une nezla des Chorfa 
(ol^^I) ^, nezla qu'ils prirent en effet. 

' Cet auteur est un des commentateurs du Mokhtaç'ar, de Sid-Khe- 
lil (manuscrits de la bibliothèque d* Alger, n*"* 90 et a3a]. Au reste, 
la plupart des ouvrages de droit traitent la question dont parie El- 
*Aiachi. 

* Pluriel de Zeribet; ce mot s*applique aux deux localités appelées. 
Tune Zeribet-Ah'med , et Tautre Zeribet-el-Ouad. 

' Ce mot, qui se trouve appliqué à plusieurs localités, signifie un 
endroit intermédiaire ; de la racine ( tm^ ] , moitié. 

* Fraction de tribu. 

* Chorfa, pluriel de Cherif; très-forte tribu qui se prétend issue du 
prophète. Ils sont une des onze tribus nomades qui passent Vhiver au 
milieu des villes du Zàb de Biskra; au printemps, ils émigrentvers 
le Tell. 

La tradition a fait descendre les Oulâd-S'oula d'une race de géants, 
contre lesquels les Zenata, ancêtres des Chaouîa d'aujourd'hui, eurent 
à soutenir des guerres nombreuses. Les Oulâd-S'oula, vaincus en dé- 
finitive, se réfugièrent dans le S'ah'ra. 



j 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 135 

Dimanche, a ramad'ân (ai mars). 

Le lendemain , comme nous arrivions en face de Sid- 
'Okl)a [Hjm «KftiM»), nous eûmes la certitude que la peste 
était en ce lieu et dans le canton qui en dépend, 
ainsi qu^à Biskra. Cela fut cause que nous n allâmes pas 
visiter la k'oubba , et que nous couchâmes entre elle et 
Biskra. 

Le même jour, nous avions rencontré la nezla des 
Chorfa, que les Oulâd-S'oula avaient prise, hommes 
et femmes. On voyait, à la figure de ces malhem*eux, 
que la faim les totmnentait, ce qui nous brisa le cœur. 
Ce sont, en e£Pet, des Chorfa dontForigine est véritable , 
chose connue dans tout le pays , des citadins comme des 
campagnards. Je savais ceci par mon maître Abou-Mé- 
hèdi, lequel connaît parfaitement toute cette contrée 
et les gens qui Thabitent. Le malheur qui frappait ces 
descendants du prophète tenait à ce qu^ils étaient venus 
dans les cantons des Bédouins. 

Sid-Ok'ba, qui a donné son nom à la ville, est le 
'Okl)a-ebn-Amir, un des Ta'biïn* et le conquérant de 
TAfrik'ïa. C*est lui qui a bâti la ville de K'aïrouân et qui 
a été fort célébré par les historiens. Ebn-Khaldoun , 
entre autres , raconte son histoire avec El-Kahina ^, qui 

' Saivants, ceux qui sont venus après les contemporains de Maho- 
met. 

' Reine des Berbères , dont le vrai nom est Damîa. El-Kahina , qui 
signifie la sorcière ou la prétresse, est un surnom que lui ont donné 
les Arabes. On verra dans le voyage de Moula- Ah 'med des détails fort 
étendus sur cette femme célèbre. 



136 VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 

habitait le Djebel-Aoïirès, la révolte de cette reine et 
beaucoup d'autres choses qui se rapportent à cet évé- 
nement. 

Le même auteur dit ensuite comment Sid-Okl)a, à 
son retour du Mor'reb , fut tué à un endroit qui est au- 
dessous du Djebel-Aoïurès^ et comment il fut enterré 
dans un tombeau que tout le monde connaît et visite. La 
châsse de bois qui recouvre son corps est une œuvre 
d'art très-remarquable. A côté, il y a un grand bouiç; 
au milieu de cet endroit, et dans la mesdjid, est un mi- 
naret élevé , d'une belle construction , sur le haut duquel 
se trouve im pilier en bois. Les pèlerins croient que le 
minaret tremble lorsque quelqu'un touche ce pilier et 
le secoue en disant : « Je jin^e par toi, ô minaret, par 
la vérité de Sidi-'OkT)a et jusqu'à ce que tu remues I » 

Quand j'y suis monté et que j'ai examiné les choses 
de près, je ne l'ai pas trouvé tel qu'on l'a rapporté; 
mais j'ai vu que le fait allégué tient à la hauteur et à la 
légèreté de construction du minaret : de sorte qu'en 
secouant fortement le pilier, on imprime un ébranle- 
ment qui se communique à tout l'édifice , ébranlement 
qui se continue après que la secousse a été donnée ; ce 
que les pèlerins prennent pour im effet de leiur invoca- 
tion. On observe un phénomène analogue dans toutes 
les constructions légères. La plupart des personnes qui 
viennent visiter la mesdjid écrivent leurs noms sur les 
murailles; cette pratique a dégénéré en coutume. Je 
suis entré bien souvent dans cette mosquée; mais cette 

' A Tahouda 



VOYAGE D'EL-'AÏACHl. 137 

fois, à cause de la peste,' nous nous en abstînmes, et 
nous fîmes nos hommages en dehors ^ 

La caravane coucha entre Sid- Okl)a et Biskra. Pen- 
dant la nuit, nous fâmes assaillis par un vent très-vio- 
lent, qui ne nous permit pas d^allumer du feu. 

Lundi, mardi, mercredi, 3,4.5 ramad'ân 
(aa, 93, aâ mars). 

Au sT)ah', je déjeunai, parce que le vent de la nuit, 
en ne nous permettant pas d'allumer du feu , nous avait 
mis dans Timpossibilité de préparer le repas à temps ^. 
Nous arrivâmes à Biskra ( ijLm» ) au d'oh'a , le lundi ; 
nous nous arrêtâmes hors de la ville, vers l'Ouest, à 
cause de la peste. Il fallut cependant se décider à entrer 
pour acheter des provisions. Nous trouvâmes une cara- 
vane qui était arrivée avant nous et qui s'était établie 
dans Biskra même; elle y était déjà depuis deux jom*5. 
Les habitants l'avaient engagée à cela par la crainte des 
Oulâd-Nâc'ep-ben-Bou-Okkâz {j\S^y» (:^,^k:>^^t)^ en 
hii disant de prendre garde à ces Arabes , qui lui au- 

' Cette mosquée fut visitée; au mois de mars i8/li&, par S. A. R. 

• • • ■ 

M"* le duc d*Aumale , lors de la prise de possession des Jibân. Le prince 
fit présent d*un taureau noir aux t'oMbà de la medreça. 

* £l-*Aîachi fait cette remarqué pour qu*on ne Faccuse pas d'avoir 
rompu légèrement le jeûne du ramad'ân, mois pendant lequel un 
musulman doit s'abstenir de manger dès qu il fait assez jour pour dis- 
tinguer un fil blanc d*un fil noir. 

^ Le cheikh Farh'at-ben-S*aid, surnommé le Serpent du désert, par 
nos soldats, était le chef de cette famille en iSSy, lors de la prise 
de Constantine. A sa mort, en i8&3, il a laissé ùri jeune fils, qui vit 
^ous la protection française. 



138 VOYAGE D'EL-'AiACHI. 

raient enlevé ses chameaux. Aussi ne iaissa-t-on pas ua 
seul de ces animaux s'écarter, et on les nourrit avec de 
l'herbe qu on achetait. 

Nous suivîmes cet exemple , subissant la triste néces- 
sité de tenir nos chameaux emprisonnés dans la ville, et 
de dépenser notre argent pour les alimenter. La foule 
qui se pressait aux portes fut cause que je n'entrai dans 
Biskra que le mercredi, vers feucha. J'allai ensuite 
visiter Abou-el-Fad'el, dont le tombeau est en dehors 
de la ville. A côté de ce monument est une mesdjid, 
autour de laquelle il y a des constructions habitées. Je 
pénétrai dans la mosquée, et montai dans le minaret, 
qui est un bel et solide édifice, remarquable par son 
élévation et son étendue. Une mule chargée peut arriver 
jusqu'au sommet, où conduit un escalier de cent vingt 
marches. La mosquée est grande et d'une solide cons- 
truction; mais elle est peu fréquentée et peu habitée. 
Personne ne vient y enseigner ni y apprendre, ce qui 
m' étonna d'autant plus que Biskra peut passer pour une 
belle ville parmi les belles villes, que la population y est 
considérable , le commerce actif, et qvi'il y vient beaucoup 
de monde, soit du Tell, soit du S'ah'ra. On y voit beau- 
coup de palmiers, des champs fertiles, des oliviers aux 
fruits remarquables par leur grosseur et leur bon goût. 

On récolte, dans ce canton, du lin d'une extrême 

» 

finesse. La contrée abonde en eaux courantes, qui font 
aller un grand nombre de moulins ; il y a des cultures 
de h'enna, d'autres graines ou fruits, légumes, etc. On 
trouve dans les marchés beaucoup de bestiaux et de 



VOYAGE D'EL-'AÎACHL 139 

beurre salé. En somme, je n'ai vu nulle part, dans 
l'Est ou dans l'Ouest, aucune ville plus belle que Biskra, 
plus digne d'éloges, et où il y ait plus de commerce et 
d'industrie. Cependant elle a déchu par le mauvais gou- 
vernement des Turcs et par les hostilités des Arabes 
du dehors. Quand les ims l'avaient pressiu'ée par des 
incursions passagères, après lem* départ, venaient les 
Bédouins, qui, à leur tour, exerçaient leurs rapines, 
apportant tout leur tribut de malfaisance envers cette 
malheureuse ville. Cet état de choses dura jusqu'à ce 
que les Turcs bâtirent im château-fort à la source de la 
rivière qui fournit l'eau à la ville, ce qui les rendit com- 
plètement maîtres du pays. Alors ils foidèrent et mal- 
traitèrent les habitants tout à leur aise , leur augmentant 
le kharâdj , dont les gens de Biskra ne pm*ent plus es- 
quiver le payement, comme cela leur arrivait parfois 
auparavant, tenus qu'ils étaient par la nécessité d'avoir 
l'eau dont les Turcs s'étaient rendus maîtres, eau qui 
est la vie de Biskra et de ceux qui y demeiu'ent. Puis, 
au dehors, les Arabes commettaient toute sorte de dé- 
sordres et de violences envers les citadins, tandis que 
les Turcs faisaient la même chose au dedans. Sous l'em- 
pire de cette complication de maux, lapopidation com- 
mença à diminuer, les habitations tombèrent en ruines , 
et, sans le grand commerce qui s'y fait et l'industrie 
dont ce lieu est le centre , ce qui est cause que les gens 
tiennent à y rester, Biskra eût été complètement aban- 
donné. 

Je rencontrai à Biskra, en 1069 (16A9 ^^ ^' ^'')^ ^^^ 



140 VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 

homme de bien qui unissait la science aux bonnes 
œuvres; il s^appelait Sid-Abou-et'-T'aïeb-K'oc'eïr; je n'ai 
jamais vu son pareil. Quand je revins de TH'edjâz, en 
1060, il avait succombé à la peste de cette année, la- 
quelle avait sévi avec beaucoup de violence. Il moiurut 
alors à Biskra de cette maladie, à ce qu'on m'a rapporté, 
environ soixante et dix mille personnes'. Quand nous 
enti\1mes dans la ville , après la fin du fléau, nous la trou- 
vâmes presque vide, et les mosquées étaient désertes. 
Je rencontrai à Biskra, dans mon pèlerinage actuel, 
le vertueux Moh ammed-es'-S'âlah' ; je le trouvai seul, 
dans ime mosquée située à côté de sa maison, où il réci- 
tait Toraison obligatoire. Ses amis se rendaient habi- 
tuelloment dans ce lieu, afin qu'il les dirigeât dans 
r%icto do la prière, ou qu'il leur enseignât les choses de 
la loi di\ine. Je vis aussi un autre légiste de la ville, Sid- 
\\bd-oK)uah'ed-ep-Romani, homme de bien, qui savait 
|>arrailon)ont la roligion et la suivait avec exactitude. 
Il mo Uit« au commencement du S'ahlh' de Boukhâri, 
los traititions rapportées par Abou-Deur. D m'accom- 
|vijjnA dans mon pèlerinage à la k'oubba JAbou-el- 
Fad oK et nous priâmes lacer ensemble, dans lamesdjid 
do ^"^^ saint |vrsonn,^j:o. 

Jrudi 6 FUDAdân ;a5 mars). 

1 .1^ londouMu^ joudi . je partis, après être entré encore 
uno toi> dan> U xïîîo jvmr \i>iter Sîii-Moh ammed-Bou- 

' \\ ,»>Mi > *^\^.^ K"^ v.rw^ frr»;îr *v cvw«iîe. à mc^ns i\ui\ ne s*a^sse 



VOYAGE D'EL *AÏACHi: Uï 

'Ali, que JB trouvai sur la terrasse de sa maison, laquelle 
a vue sur la route. Il ne descendit pas, et se contenta 
de nous lire une fatk'a , du haut de sa demeiu^e , tandi» 
que nous stationnions siu* le chemin. En io65 (i6ô4' 
de J. C), jele vis chez lui; déjà il avait pris l'habitude 
de ne jamais sortir. Il s'occupait à fair^ des vêtements 
de laine, et ne vivait que du produit du travail de ses 
mains. Il nous donna de ses nouvelles , de celles de son 
père, et de toute la ville, qu'il connaissait et dont il: 
était connu. Ce saint homme a vu le prophète en songe,- 
et l'envoyé de Dieu lui a dit que ceux qui viendront le 
visiter (Bou-'Ali) n'iront pas en enfer. 

Nous partîmes donc de Biskra , capitale du pays de 
Zâh, dans la matinée du jeudi. Nous cheminâmes, en 
grande partie, &• pied ^ dah^ la crainte des Oulâd-Nâc'er,' 
dont on nous avait fort efirayés. Les Caravanes se joi- 
gnirent après 1 endroit où Ton traverse lasakm^ « canal, »' 
et elles marchèrent ensemble: Nous traversâmes le bourgs 
deMelîlî ( JuaJU) au d'ohor, puis là zaouïa de Sid-ech- 
Chéikh^Abd-er-RalVmân^l-Akhd'ari {^j ^ ^ VI ib^lj,), 
que nous visitâmes, et dans la mesdjid duquel nous 
fîmes nos prières. El-Akhdari possédait à la fois la 
science divine, celle de$ légistes et des marabouts. Il est 
auteur d'un ouvrage trèis-célèbre , lequel est im poëme 
sur la logique , connu sous le nom de Sellem-el^Morou- 
naV; il a composé aussi ime pièce de poésie sur la vie 
spirituelle, ou soulouk, dans le genre d'El-Mabahit-el- 
Ouslîa, et une mok'adema, ou préface sur le droit, 

' La sak'îa appelée Onmach. 



142 VOYAGE D'EL'AÎACHI. 

ouvrage qui jouit d'une grande réputation dans le pays^ 
C'est, m'a-t-on dit, El-Akhd'ari qui a fait connaître 
le tombeau attribué, dans le pays de Zâb, au prophète 
de Dieu, Klîàled-ben-Senân, monument qui est devenu, 
depuis cette époque , l'objet d'un pèlerinage imiversel. 
Maintenant les caravanes s'y succèdent sans cesse de 
toutes les parties de FAfrik'ïa, et il n'est personne qui 
ne le connaisse, les fous comme les sages, les campa- 
gnards comme les citadins. On y voit une belle mesdjid, 
auprès de laquelle est une medreça, ou collège. Les 
gens fervents viennent en foule prier auprès de ce tom- 
beau miraculeux. J'ai pris, auprès des personnes ins- 
truites, des renseignements sur les vertus qu'on lui at- 
tribue , et leurs réponses ne m'ont pas satisfait. Je n'ai 
rien tix)uvé , à ce sujet, dans les histoires générales ou 
particuHoi^es; cependant j'ai entendu dire à quelques- 
iuu\s que Sid-\\bd-er-Rah'màn-el-Akhd'ari assurait avoir 
vu , pendant tix)is joiurs , ime lumière qui , partant de 
ce tombeau, sêlevait jusqu'au ciel, et qu'à ce signe il 
avait reconnu que khàled était réellement prophète'. 
Si, en otVot. EUAkhdari a dit avoir mi cette lumière, 
connue c'est un marabout, il doit avoir vu; j'abandon- 
nerai donc ce sujet, tout en répétant que je n'ai rien 
tienne dans les Hmvs qui y soit relatif. Au reste , j'ai vu 

* Yo\ e< » jSMir lo«< ce5 iMn mp» , les notes qui accompagnent le texte 
du \o\Aa:x* \ic MouU- \h iiuxi. p'us loin. 

* I O'k ):x u^ «W t^;^krA« en {vinAnt de ce marabout , disent toujoon 
t^ ^^h k\y,nyÀ Je jM\^pho;e KhAlc^i , ce qxii Ehît beaucoup rire les Al- 

K^^nen^. leMiucU iv^riAcv'nt » a ce: «Yarvi, t'inrrvduîite d*EI-'Aiachi. 

* « < % » 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 143 

dans rOrient beaucoup de mecheh'ed^ citées comme 
tombeaux de prophètes ou simplement d'amis de Dieu , 
lesquels passaient pour tels aux yeux des marabouts, 
hommes sincères, et que nous visitions en bonne foi et 
conscience , sur le témoignage de ceux qui affirment le 
fait. C'est ainsi que le tombeau de notre seigneur Moïse , 
qui e^t dans la terre sainte, a été longtemps inconnu, 
jusqu'à ce qu'un marabout le découvrit après l'année 
600 (i2o3 de J. C), ou environ. Il est maintenant un 
des principaux lieux de pèlerinage , et des plus célèbres. 
Selon une tradition, Khàled était arabe et avait été 
envoyé par Dieu, après J. C. et avant Mahomet, dans 
l'H'edjâz. Il y finit ses jours et ordonna à ses enfants, au 
lit de mort, de i'exhumer après une année accomplie, 
et de lui demander ce qu'il voulait, ajoutant à cela 
d'autres prescriptions. Si cela est ainsi, comment est-il 
venu de l'H'edjâz dans le Zâb? D'après une autre tradi- 
tion, il n'a jamais été enterré, et, lorsqu'il mourut, on le 
plaça sur une chamelle qui l'emporta on ne sait où. Si 
le fait est exact, il se peut que l'animal en question l'ait 
porté jusqu'au lieu où l'on voit aujourd'hui son tom- 
beau; cela est cependant extraordinaire. 

Dans tout ceci , l'opinion qu'il me parait raisonnable 
d'admettre , est celle de mon maître Abou-Beker-ben- 
loucef-et-Tedjani. Quand je l'ai questionné à cet égard, 
lorsque nous passâmes ensemble dans ce pays en 1060 
(16^9 de J. C), il me dit : « Khâled n'est pas prophète, 

' Pierres tumulaires, ainsi appelées parce que sur l'une d*elles on 
lit le chahad, ou profession de foi. 



144 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

mais je crois qu'il a pu être im des trois compagnons de 
J. C. dont il est question dans le K'oran, et dont un, dit 
le livre sacré/s'appelle Khâled et était le prophète du 
puits maçonné^; or, les commentateurs du K oran disent 
que le Zâb est Iç pays des genis du puits maçonné. 

C'est dans Tannée 24o (854 de J: G.) que ce tomr 
beau fut connu. 

Après avoir passé par la zaouïa d'El-Akhd'ari , nous 
allâmes coucher dans une petite ville qu^ôn appelle 
Loua (v^). 

Vendredi, 7 ramad'ân (26 mars). 

* 

Nous nous remîmes en route le lendemain, en mar- 
chant en toute hâte et remplis de crainte. Nous fîmes 
halte au d'ohor, dans un endroit appelé Ed-Doulça 
^#M^^oJl\ enU^ lequel et Oïdàd-Djelâl (J^lr^ 0^3! ), il 
y a environ un fersekh '4 milles). Nous sûmes là que 

* r^^ c^l^ oxi. On lit dans le K'amous (manuscrit de la bî<> 
UUv'lh^)uo d'\lg\*r» n* ix^:^ : V. J.j, puits maçonné avec des pierres. 
l'\\xt un puits qui »ip|>arienAil à une |K)rtîon de la tribu de Tsamoud, 
\Uui K\pu'l iU jt*tor\MU leur prophète, après lavoir traité de menteur. 
l.'luxlxM ion Vlvu olF^riidj dit que cette tribu, une des plusandennes 
vio^ Vu^lvx vUu^VArAlni^lVtrw, a péri: et le K'oran 'chapitre Wraf) 
i\*v>^uU^ \pu* K* pivphoîe S À* Ah* leur axant ete envové par Dieu, ils 
\l\^i^^AmU**v«t u« uxirjK îe jxnir pnfu^e de sa mission. Le saint homme 
\\\ w^kUk \{ uuc ï\sS*v qxii sVnîrVnnrit a saTotx, une chameOe vivante , 
>^v\^ uut K%> uu (vu1a:u uuuvcvIUteuient ; mais ces gens ne se rendirent 
j^* js^u \v\^ > iU vv<;ivrynt K>«. qiutnp janih<^ à la chamelle et insui- 

lVu% K^ut s>^4i. %i iii^a KNji< <i|*.>p<it-^n de KhAled, ni du pays de 



'U^ 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 145 

■ 

les Arabes se disposaient à attaquer la caravane, et que 
leiur troupe comptait trois cents chevaux. Us avaient 
quitté leur canton pour venir ^e placer au-dessus de 
rOuad-Sid-Khâled ( jJU. 4X.a^ ^1^), sur le bord du che- 
min. Leur intention était, lorsque la caravane serait ar- 
rivée au milieu d^eux, de se lancer tous sur nous, la 
tribu entière, hommes, femmes et enfants. Les gens 
du pays nous apprirent que les misérables qui médi- 
taient cette attaque étaient mourants de faim , et ils nous 
assurèrent que nous n en viendrions pas à bout, dus- 
sions-nous les tuer presque tous , tant la faim les avait 
poussés au désespoir. Ils nous conseillèrent de les dé- 
router en prenant un autre chemin; et, pour nous faci- 
liter les moyens de le faire, ils nous envoyèrent un 
guide qui connaissait la contrée. 

La peiu* qui toiumentait les pèlerins s^accrut à cette 
nouvelle. La plupart voulaient retourner sur leiu*s pas, 
et s*en aller par le Belâd-Rir ^ ; ceux qui étaient de cet 
avis vinrent me parler pour me le faire adopter, mais 
je refusai de me joindre à eux. Il me semblait dur de 
retourner en arrière , d'allonger le voyage en allant par 
cette route, et de cheminer dans le S'ah'ra, où les 
gens faibles ne peuvent marcher. Je leur dis que si 
leur opinion prévalait, une fois arrivé à Rir, j'y reste- 
rais, et que les gens faibles y resteraient avec moi. Je 
les exhortai de telle sorte et fis si bien , qu'ils changèrent 
d'avis. Alors nous prîmes sur la droite , par le chemin 

' L*Ouad-Rir', dont Tougourt est la capitale. Voyez la première 
partie du Yoyage d'El-*Âiachi. 

19 



146 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

du D'ahra (t^^lâJl), et, arrivés dans cet endroit, nous 
évitâmes Tennemi qui nous attendait. 

Samedi , 8 ramad'ân (27 mars). 

Nous partîmes au milieu de la nuit, lorsque la lime 
allait se coucher, et nous voyageâmes jusqu^au jour, 
sur un terrain rude, au milieu de l'obscurité et agités 
par la crainte. Nous faisions cheminer les chameaux 
doucement, pour qu'on n'entendît pas le bruit de leurs 
pas. Le jour vint, et nous nous trouvâmes sur un che- 
min facile. Il y avait alors entre nous et la montagne 
plus d\m berid ^ Le guide nous avertit que ce lieu 
n'était pas siir, à ce qu'il lui semblait, et la caravane hâta 
le pas jusqu'à ce que nous entrâmes dans le défilé de 
la montagne qu'on appelle Khouzat-el-Botom ['^jj - 
^,uJ\j^ Dans le Djebel-el-Khouzat, il y a beaucoup de 
défilés, et El-Khouzat, dans la langue du pays, se dit 
do tout chemin qui traverse la montagne. 

Nous entrâmes donc dans le défilé, et nous mimes 
U montagne entre nous et les nouveaux ennemis dont 
lo g\ùde nous avait effrayés. Alors la peur commença 
À %ilKindonner la pluprt des pèlerins; au reste, nous 
iTUContrÀmos dans ce lieu de pauvres Arabes qui étaient 
on cr^unto connue nous. Nous trouvâmes chez eux du 
bounv vdo . dont on acheta un peu. Nous passâmes la 
mut Aupivs do ot\^ p^»^- 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 147 



Dimanche, g ramad'ân (a8 mars). 



Le lendemain, nous partimes et inclinâmes sur la 
droite, par im terrain rude, difficile, où nous mar- 
châmes jusque près du morreb. 

Lundi, lo ramad'ân (29 mars). 

Le lendemain, nous arrivâmes, au d'ohor, vers El- 
Djerf (oyti), où il y a de l'eau douce en abondance, 
entre deux montagnes. Nous nous y arrêtâmes, et là 
nous cessâmes de rien craindre des Arabes. Le guide, 
qui était un homme des Oulâd-Djelâl, retourna alors 
chez lui. 

Le bourg des Oulâd-Djelâl est un des plus grands du 
Zâb; il a une mosquée (j^W*)» un collège (iU^J^), 
pour les tVlba , qu'on appelle el-mouhadjerin « les ambu- 
lants, » ou el-r oaraba « les étrangers. » Ceux-ci sont nom- 
breux et pourraient dominer; cependant ils restent tou- 
joiu^s neutres dans les querelles que les Arabes ont entre 
eux; car ils dédaignent toute puissance temporelle. De 
là les gens du pays appellent mouhadjerin tous ceux 
qui évitent de se mêler dans les guerres locales, par 
comparaison avec ces t'o'lba. 

Quand nous arrivâmes à El-Djerf , la jument que je 
montais était malade; elle avait été blessée d'un coup 
de lance le jorn* que nous étions partis de chez les Oulâd- 
Djelâl, et je ne m'en étais pas aperçu. 



148 VOYAGE D'EL'AÎACHI. 

Mardi, ii ramad'ân (3omars). 

Nous partîmes le lendemain, par mi temps très-froid, 
semblable à celui que nous avions éprouvé la veille. 
Nous arrivâmes à 'Abd-el-Medjid ( ^Xjkapi! Ju^) au d oh a , 
et nous nous y arrêtâmes. 

Mercredi, 12 ramad'ân (3i mars). 

Le lendemain, nous mîmes pied à terre, au d'ohor, 
avant El-Aouïna (iujyJI). Là mourut un de mes amis 
de Filala (Tafilêlt) , un des enfants de Timâm des gens 
de Sedjelmâça. Il succomba à la peste. Que Dieu lui 
soit miséricordieux 1 Le défunt avait Thabitude de tou- 
jours réciter ces vers : 

Nous y demeurions, de nuit, en paix, 

Et, de joiu*, à la joie de ceux qui nous voyaient; 

Mais le sort nous en a chassés. 

Nous lavons abandonné à d autres qui sont venus. 

C'étaient les vers que récitait un prince de la dy- 
nastie des Benou-Zïân, en quittant Tlemsên *. Notre 
ami, en les répétant, comparait la sortie de la vie au 
départ de ce prince. 

Jeudi, i3 ramad'ân ( 1" avril). 

Le lendemain , nous allâmes à El-' Aouîna , au d'oh'a , 

' Cette dynastie régnait k Tlemsén au commencement du xvi* siècle 
de notre ère, lorsque les Turcs s*établirent dans rAlgérie. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 149 

puis, nous tournâmes, vers Demer ( y^), à gauche, et 
nous y couchâmes. 

Vendredi , i à ramad'ân ( a avril ) . 

Le lendemain, nous nous mîmes en marche, au 
dWa, par les Oulâd-Sidi-Makhlouf (o^ ^Osx^ :^^^l), 
qui sont des chorfa très-pauvres. Ma jiunent resta dans 
cet endroit. N'ayant plus d'espoir de la guérir, j'en fis 
cadeau à ces gens , qui me dirent que , s'ils ne réussis- 
saient pas à lui rendre la santé , ils la tueraient pour la 
manger. J'ai su depuis , par des pèlerins , que cette der- 
nière hypothèse s'était, en effet, réalisée. 

Ce jour la caravane se divisa; il y eut une querelle 
animée parce qu'on voulut bivaquer dans un endroit 
dépoiuTu d'eau. Or, nous n'en avions pas, et presque 
tout le monde avait jeûné. Four en finir, je commen- 
çai à marcher et on me suivit. Je ne m'arrêtai qu'au 
morreb, à El-Feldja (icJaJl). 

Samedi, i5 ramad'ân (3 avril). 

Le lendemain , quand nous partîmes , il était près du 
d'ohor. Nous allâmes jusqu'auprès d'El- Aouïna (ius?yJl)\ 
qui est dans les environs d'Ël-Ar'ouât'. 

Dimanche, 16 ramad'ân (4 avril). 

Nous traversâmes El- Aouïna au d'oh'a, et nous al- 
lâmes à El-Ax'ouât' (y^^^l), où nous arrivâmes avant 

* El-* Aouîna est un diminutif de 'a!n , qui signifie « source , fontaine ; > 
il n*est pas étonnant que ce nom se reproduise sur plusieurs points. 



150 VOYAGE D'EL-'AÏACHL 

le d'ohor, le dimanche, 16 ramad'ân. Il y avait dans 
la caravane de ces Arabes appelés Souat, nom que Ton 
donne à ceux qui, à Tépoque delà moisson, recueillent, 
pour le beylik, les gerbes dVchour. Ces gens étaient 
de Demer; ils dirent aux habitants d'El-Ar'ouât' de ne 
pas nous laisser entrer en ville , parce que la peste était 
parmi nous; et en effet, pas un d'entre nous n'y put pé- 
nétrer. Nous trouvâmes beaucoup de fruits, blé, etc. 
dans ce pays. Le blé était au prix d'un rïal les deux 
îoum de Fâs (Fés). Il ne vint personne de la ville au 
bivac de la caravane. On jetait le blé que nous ache- 
tions du haut des murailles, et on lavait Taisent que 
nous donnions. On ne prenait rien de nos mains sans 
lui faire subir cette purification. 

Lundi, 17 ramad'ân (5 avril). 

Le lundi , 1 7 ramad'ân , nous partîmes d'El-Ar'ouât'. 
Après avoir discuté sur le chemin à suivre, une partie 
de la caravane prit la route d'Aîn-el-Mâd'i ((5^Ui (^yé^)* 
J'avais envie d'aller avec cette firaction, pour vendre 
des li\Tes dans cette ville et y visiter mes amis; mais 
Dieu en disposa autrement. Une autre partie, et la plus 
grande, se dirigea sur la gauche, parce que cette route 
est pKis courte, plus facile, plus abondante en pâtu- 
rages, d'après ce que nous dirent les gens du pays« 
(|ui nous la vantèrent beaucoup. 

I^a pi^mière fraction de la caravane partit avant 
nous ; nous la suivîmes de près , et nous arrivâmes à 
iVau qui est en bas, entre deux montagnes. 



VOYAGE D'EL'AÎACHL 151 

Nous y trouvâmes ceux qui nous avaient devancés 
occupés à creuser des puits, car ils étaient arrivés là 
sans eau. Quant à nous, nous en étions pourvus. Vers 
le d'ohor, il tonna , éclaira , et plut en abondance , ce 
qui, avec le froid quil faisait, nous empêcha de mar- 
cher. Les averses se succédaient sans interruption. Nous 
nous arrêtâmes donc, et, pendant toute la journée et la 
nuit , la pluie ne cessa de tomber. 

Mardi , 1 8 ramad'ân ( 6 avril ] . 

Enfin nous partîmes; le d'oh'a arriva, et la terre 
conunença à s^échauffer; mais alors les scorpions sor- 
tirent et le sol en était couvert, de telle sorte que, de 
quelque côté que la vue se portât, on n'apercevait que 
ces animaux. Les gens de la caravane se mirent à les 
détruire; quelques-uns en tuèrent plus de cent. Ce phé- 
nomène nous parut fort extraordinaire. Le massacre des 
scorpions dura jusqu'à la couchée. Des personnes pré- 
tendirent qu'ils étaient tombés avec la pluie , de même 
qu'il arrive que des crapauds tombent en pareil cas. 
Dieu sait la vérité. 

Nous établîmes notre bivac poiu* la couchée, et la 
pluie ne cessa pas de toute la nuit. 

Mercredi , i g ramad'ân ( 7 avril ) . 

Nous nous remîmes en route le lendemain , et nous 
trouvâmes l'Ouad-Mouçâ'ïd (j<*Ub* ^^^l^) débordé, et 
le fond de cette rivière rempli de vase. Nous ne la tra- 
versâmes qu'à grand' peine. Nous marchâmes le reste 



152 VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 

de cette journée; nous arrivâmes sur une h'ammada' 
qui est de ce côté, par un vent froid, et nous y biva- 
quâmes ; toute la nuit la pluie tomba. 

Jeudi, ao ramad'ân (8 avril). 

Le lendemain matin, il n^avait pas cessé de pleu- 
voir, et nous séjournâmes. L'étoile appelée Ets-Tsourïa 
se levait alors. Un de mes amis fit des vers à ce sujet, 
vers sur lesquels je composai une réponse rimée. 

Un de mes voisins, du pays de Marrakcfa (Maroc), 
s'éloigna du bivac pour aller chercher ses chameaux, 
qu'il disait s'être échappés ; mais il ne put retrouver le 
campement de la caravane , parce que ce pays est uni 
et oSre partout le même aspect à l'œil. 

Vendredi, 31 ramad'ân (9 avril). 

Le lendemain, les pèlerins allèrent à la recherche 
de cet homme ; le guide le trouva qui marchait au 
hasard. Il croyait aller dans la direction de l'Ouest, 
tandis que, lorsqu'on le rencontra, il suivait celle de 
l'Est. Le guide le ramena à la caravane. Alors nous 
partîmes et nous marchâmes lentement, les chameaux 
étant très-fatigués et exténués ^par le froid et la pluie. 
Nous traversâmes l'Ouad-çl-Aïchour [jyS^^\ 5I3) dans 
la partie inférieiu^e de son cours. Il était alors rempli 
d'eau. Nous bivaquâmes auprès. 

' Nom que Ton donne à un terrain sec et un peu élevé , par oppo- 
sition au sol marécageux et bas. 



VOYAGE D'EL AÏACHI. 153 



Samedi, a a ramad'ân (lo avril ). 



Le lendemain , au s'bah\ nous arrivâmes à un bourg 
appelé El-Mâîa (i^Ut). Il ny avait là que deux ou trois 
honunes à moitié morts de faim et de faiblesse; ils se 
disaient chorfa. La caravane ne trouva à achetei* dans 
cet endroit que du sel, pour lequel on donna du kous- 
kouçou. Dieu avait fait la grâce à ces infortunés qu^ime 
caravane, passée avant la nôtre, avait séjourné un jour 
chez eux à cause de la pluie, et y avait perdu trois 
chameaux, dont la chair les avait fait vivre pendant 
quelque temps. 

En cet endroit, nous eûmes des nouvelles des Arabes; 
noussûmesqu'une troupe de gens de M oulaî-Moh anmied 
(que Dieu lui soit miséricordieux!) avait fait une r'azïa 
sur une partie des Arabes d'El-Akârâkra [ iijS\j}f^\ ) ; 
nous apprîmes aussi qnii était tombé récenunent une 
pluie extraordinaire. 

Dimanche, lundi, a3, a4 ramad'ân ( 1 1 et i a avril ). 

Après avoir traversé le canton d'El-Mâïda ( il Jv^I) 
en deux jours, nous tournâmes à droite, et nous pas- 
sâmes la montagne au tenïa « col » fort difficile que Ton 
y trouve. Le guide nous dit qu'au delà de ce col nous 
nous retrouverions sur le chemin habituel; mais il ar^ 
riva qu il nous avait conduits dans des ravins imprati- 
cables, et dans des endroits où les chameaux ne pou- 
vaient passer. Les gens de la caravane commencèrent 
à s^inquiéter, et cela au moment où la majeure partie 

20 



15/1 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

des obstacles était surmontée. Les uns disaient, «Re- 
tournons sur nos pas pour réprendre Tancien chemin; • 
les autres : « Couchons ici jusqu'à ce que nous ayons 
avisé. » En somme, on s'arrêta avant Tac'er. Le guide 
et le chef de la caravane (cheikh er-rekeb) allèrent en 
reconnaissance pour s'informer de la route ; ils ne re- 
vinrent qu'aux approches de la nuit. 

Mardi, a 5 ramad'ân ( i3 avril). 

Le lendemain, nous eûmes encore une portion de 
terrain difficile, et nous n'arrivâmes en plaine que 
vers le d ohor. Nous passâmes par un bourg sans habi- 
tants , qui était dans un des ravins que nous traversâmes. 
Los maisons y sont élevées, solides; les arbres nom- 
breux , et on aurait dit que la population l'avait aban- 
donné la veille. Nous demandâmes à quelques Arabes 
dos environs la cause de ce fait étrange, et ils nous 
diront quo quelquefois, dans l'hiver, le bourg en ques- 
tion olait habité j>ar de pauvres gens. 

J\ù oublié de rapporter que lorsque nous nous étions 
ti^tMnos connue emprisonnés dans ce labyrinthe de ra- 
xiuvN» Ion ^ons do la caravane, qui ne connaissaient pas 
lo> ohonuus, s\Maiont imaginé que nous n'en pour- 
n\M\> i.unaiN sortir. 

Totto luut , nous allâmes coucher au-dessous de 
W ^\\m\ 00 U h1\VuI , J,^h-*Iï ^V * ^^''^ nous trouvâmes beau- 
ooup %lo jvUuiMjivs, c<* qtii, joint au plaisir d'être dé- 
\^M \\\'^y\'>^ dos nuuxAis chemins, causa une grande joie k 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 155 

Mercredi, a 6 ramad'ân ( i4 avril). 

Le lendemain, nous nous trouvâmes sur le chemin 
habituel des caravanes ; ce fut encore un sujet de réjouis- 
sance pour tout le monde. Nous arrivâmes au bourg qu'on 
appelle El-Akâkra (»^lf^l)\ où toutes les provisions 
de bouche étaient à bon marché. La veille, des cavaliers 
d'El-'Eumour {jy^\) avaient fait une excursion chez 
eux, et avaient enlevé les bestiaux échappés à la r azïa 
des Arabes de M oulaï-Moh ammed , prince de Tafilêlt, 
par qui ils avaient déjà été pillés, ainsi quon Ta dit 
précédemment. Nous fîmes, en cet endroit, notre pro- 
vision d'eau , après quoi nous traversâmes le canton et 
nous ne nous arrêtâmes pour coucher que dans un lieu 
où l'on dit qu'est mort le cheikh 'Abd-el-K'âder-ebn- 
Abou-Smah a. C'est un endroit de pèlerinage. 

Jeudi, 27 ramad'ân (i5 avril). 

Le lendemain, nous rencontrâmes en route des 
Arabes d'El-Ar ouât'-el-R'arbïa ( iUfjil] tl^^^l ) ^ qui 
marchaient devant nous avec précipitation , fuyant les 
'Eumom*. Us s'arrêtèrent auprès des bourgs de Rouba 
( ly ) , et nous fîmes comme eux. C'était alors l'heure 
du d ohor. Il y a beaucoup de beurre salé en cet en- 

* Un peu plus haut, El-*A!achi appelle cet endroit El-Akârâkra. 

' Je ne sais si El-*Aiachi veut dire ici que ces Arabes étaient de la 
partie occidentale du canton d*£l-Ar'ouât', ou 8*il entend désigner 
une des deux tribus qui forment la population de la ville d*El-Ar'ouàt', 
lesquels habitent des quartiers séparés par une muraille. 



156 VOYAGE D'EL'AÏACHI. 

droit; l'es gens de la caravane en achetèrent. Les cha- 
meaux y sont rares. 

Depuis notre sortie d^El-Ar'ouât', les pèlerins avaient 
beaucoup souffert de la faim , parce qu ils s^étaient ima- 
giné que nous parcourrions en cinq jours la distance 
qu il y a entre cette ville et le lieu où nous nous trou- 
vions, et avaient fait leurs provisions en conséquence, 
tandis que nous y employâmes plus de dix jours. 

Pendant notre passage à Rouba, forge monta à un 
rïal le sa'a , et le prix de la farine s^éleva beaucoup plus 
haut. Je laissai une chamelle dans cet endroit, celle qui 
portait mes vivres : je la vendis trois rïal. 

Vendredi, a 8 ramad'ân (i6 avril). 

Le lendemain, au s'bah', nous traversâmes les vil- 
lages de Houba. 

Samedi, ag ramad*ân ( 17 avril ). 

Le lendemain^ nous campâmes i Senir oun ((j^yW^) . 
«u mor'reb* Nous v trou\^mes tout k meilleur marché 
que dans aucune de^ localités que nous avions tra- 
vei^èes» 

Dimanche , 3o ramad an . 1 8 arril ). 

Nous sojouniAmes le dernier jour de ramad'ân, le 
diuuinche. IV U les {vlerîns firent partir des messa- 
gxM^ >\M> leurs jvix's. MArrAioh, Meknàça, Fàz (Fés), 
*rAliU'h. J'onwn^ii axée eu\ un de mes amis« porteur de 
leUivv tiVN^NMuies jvnir mes frères. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHl. 157 

Lundi , 1 *' chaouâl ( 1 9 avril ) . 

Les messagers partirent au sl)ah', le jour de ra'îd, 
avant le lever du soleil. Quant à nous, nous sortîmes 
plus tard avec les gens de la ville , lorsqu'ils allèrent à 
la meç alla. Cest xme coutume générale , chez ces gens , 
de ne sortir jamais sans être armés. Ils s'exercèrent à 
abattre, à coups de fusil des juerres qu'ils avaient 
dressées dans la meçalla. Quant aux oraisons dites 
deher \ peu s'en occupent, la majeure partie s'amusant 
à tirer à la cible. Ce n'est qu'au s'ela, ou prière obliga- 
toire , quand on fait la khotl)a « sermon, » que l'attention 
devient générale. 

Au retour de la meç'alla, nous partîmes ce jour 
même. J'achetai im âne quatre rïal, afin d'avoir une 
monture , car j'étais exténué d'avoir marché à pied. Le 
prince de la caravane ( émir er-rekeb ) loua un homme 
des Oulâd-Sidi-Selîmân {^jl^ ^Jyu- ^^3!), Ebn-Abou- 
Smah'a , qui dirigea les pèlerins sur la gauche , jusqu'à 
la sortie de Figuîg {^jt). C'était une personne habile, 
intelligente , et qui connaissait bien les chemins : il nous 
mena par ime route facile , abondant en pâturages. 

Mardi, a chaouâl (ao avril). 

Le mardi, nous descendîmes à Ouâd-en-Nâmous 
(^^Ut ^t^). C'est une grande rivière dont les bords 
sont garnis d'arbres. En traversant ces lieux, on est 

* On a déjà vu que deker est une prière surérogatoire qui se fait 
sans rika, tout en parlant, tandis que s'da est la prière obligatoire. 



158 VOYAGE D'EL'AÎACHI. 

charmé de Tombrage qu^on y trouve et de la beauté des 
pâturages , qui suffiraient à plusieurs nedjou « tribus 
nomades. » A la source de cette rivière, sur le sommet 
de la montagne d'où Teau sort pour se rendre au S ah ra, 
il y a un bourg, appelé Sendâna (ajI«xjum), dont la popu- 
lation se compose de gens des différents cantons qui 
Tentourent. Le chef actuel, Sid-Moh anuned-ben-Selîmàn, 
est mon ami. Cest un homme sans reproches; il a été 
élève de mon père (que Dieu lui soit miséricordieux!). 

Mercredi, jeudi, 3 et 4 chaouâl (ai, aa avril ). 

Je lui envoyai im message pour qu'il vînt me voir ; 
mais mon envoyé ne le trouva pas, et son frère seul vint 
me visiter dans la nuit, lorsque nous étions campés à 
Ouad-ed-Edbla (iU<ôJl ^^^l^). 

Vendredi, samedi, 5 et 6 chaouâl (a3, a& avril).* 

Ia^ lendemain, nous arrivâmes à Figuig (^^')i cinq 
joules tipros notre départ de Bou-Semr oun. Lorsque nous 
outrAmos dans le chemin de Temzour't (<i*i;^), le ven- 
divdi, au d'ohor, nous trouvâmes des courriers de Mar- 
rakoh ol do Moknâ<;a , qui nous donnèrent des nouvelles 
tlo rt)uost. Nous sûmes par eux que nos messagers 
;i\ aient pris la route dWnouàl (J'y')- 

Nous sojiumKimos i Figiu'g le dimanche, et chacun 
\ lit SCS pi\>Nisions, Je nnicontrai là un des légistes delà 

* l\stv jvArlio du nxnt dTJ-\Vi*chi cs4 un peu confuse. Avec de 
TaMoiXuvu, tM\ xxMt ix'^xMKijinl que le %-cndrpdi il eUit dans le chemin 
<lo l\^\\vxxui i s ^ *^^ï^ prv^Wtmx'nl il entra à Figuig le samedi. 



VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 159 

ville , mon ami Sid-Ah'med-ben-Abou-Bekei^ech-Cherif, 
des Beni-S'ekkoun-bil-Tsimâm (pl^L ^^^ 4^), homme 
intelligent; il était avec les t'o'lba de Figuîg. Notre 
entrevue fut agréable. Il était lié avec mon père, Sid- 
Moh'ammed-ben-Nâc'er. Je ne vis personne des Oulâd- 
Sid-Abd-el-Djebbâr (jU4 *>*Aft ô^^l), si ce nest un 
aveugle, nommé Sid-Abd-el-K'âder, espèce de vaga- 
bond qui ne s^occupe guère de sa famille , insouciance 
qui provient peut-être de ce qu'il est en état de sain- 
teté. Je demandai à examiner la bibliothèque de Figuig, 
mais je ne pus y réussir, celui qui en avait les clefs 
étant absent. Sid-Ahmed-ben-Abou-Beker me montra 
un ouvrage qu'il avait composé : c'était la vie des quatre 
premiers khalifes. Je lui demandai les livres intitulés 
Tis^sireUOas's^oul'ila'Djâma'el'Oass^oal, par le cheikh 
'Abd-er-Rah mân-er-Rabïa', lequel est de la famille de 
mon maître Abou-H'acen-er-Rabïa'. Cet ouvrage est d'un 
grand prix ; il renferme six livres de traditions écrites 
d'un style facile et clair, et il rappelle, par sa forme, 
TAkht aç âr de M obârazi , lequel est appelé El-Moudjta- 
ba , quoiqu'il le surpasse sous plusieurs rapports. On y 
trouve des traditions qui remontent jusqu'à moi, par 
l'intermédiaire d'Abou-el-H'acen mon maître. Ce livre, 
réellement précieux, est rare partout, principalement 
dans le Mor reb. Il était parvenu entre les mains de Sid- 
Ah'med , par Sid-Moh'ammed-ben-Isma'ïl-el-Mesnâoui , 
lorsque ce dernier vint dans son pays. Sid-Moh'ammed 
en avait deux copies; il en donna ime à mon ami, et 
j'ai vu l'autre à Médine , dans la collection des livres 



160 VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 

légués à la ville sainte. C'est de cet ouvrage que Sid-Ah - 
med avait extrait sa collection. Je lui montrai mes livres 
intitulés EUD^ohor-el-Mena^ ce qui lui fit grand plaisir. 
Son œuvre, comparée à la mienne, était conmie une 
goutte d'eau à côté de la mer; je voulais copier le TisVir, 
ainsi qu'une h achïa d'Abou-el-H acen ; mais je ne pus 
terminer que cette dernière, l'autre m'ayant été retirée*. 

Dimanche, 7 chaouâl (a5 avril). 

Nous partîmes de Figuîg le dimanche 7 de chaouâl, 
et comme nous chargions les chameaux, arriva mon ami 
Sid-Moh ammed-ben-Selîmân-es-Sendâni, queje regrettai 
beaucoup de n'avoir pas vu plus tôt; il dit qu'il allait 
chercher une monture pour m'accompagner. Nous mar- 
châmes toute cette joimiée , et nous allâmes coucher 
près de Hella-er-Radjem (^^1 id^). 

Lundi, 8 chaouâl (a6 avril ). 

Nous arrivâmes, au s'bah', à l'endroit ci-dessus dé- 
signé , et là nous nous séparâmes des gens de M arrâkch 

* En réfléchissant au peu de temps qu*El-Aïachi a passé a Figuig, 
on ne comprendrait pas qu'il eût pu tirer copie d*un ouvrage de quel- 
que étendue, si Ton ne savait qu'en ce cas Tusage est de distribuer 
les k'ora, ou cahiers du manuscrit, à divers scribes, qui travaillent 
séparément. U n*y a pas longtemps qu'une chose de ce genre a été 
faite à Alger. Oulid-'Otsman-Khodja allait emporter en Egypte des 
gloses sur le commentaire que Achmouni a composé sur le poème 
grammatical appelé El-Fïa, et il n'y avait pas à Alger d'autre exem- 
plaire de cet ouvrage. Alors les savants de la ville se partagèrent les 
cahiers du manuscrit, et la copie fut faite en deux jours. 



VOYAGE D'EL'AÏACHI. 161 

et de Tafilêlt , au moyen desquels j'écrivis à mon ami 
El-H'adj-M oh ammed-el-Ah'mer-es-Selâoui , aux ouléma 
de Marràkch et au marabout Sid-M oh'ammed-ben-Sâîd, 
après quoi je partis avec les gens de Meknâça (Meqiii- 
nez) et de Fâs (Fês) , au nombre de onze tentes. Nous 
primes à droite du Djebel-' Antar (jUix 4>a:>-), la plus 
haute montagne de cette contrée; nous passâmes, par 
un chemin rude , entre deux montagnes , dont Time était 
le Djebel-'Antar, celle qui se trouvait à notre gauche, 
pour aller déboucher aux Toumïat (c:>LutyiJt). 

Mardi, g chaouâl (27 avril). 

Le lendemain, nous arrivâmes vers Moutmel (Jjty*), 
avant le d'ohor, puis nous dépassâmes cet endroit et nous 
nous arrêtâmes à un bourg appelé El-Menâbha (a^jUII). 
Là, nous cherchâmes un de nos compagnons qui s'était 
endormi au bord de la rivière. Nous l'attendîmes pendant 
une heure, et lorsqu'il fut revenu à nous, nous nous 
remimes en marche jusqu'à la couchée. 

Mercredi , 1 o chaouâl ( 2 8 avri 1 ) . 

Le lendemain, nous arrivâmes à Bou-Kâïs [tj^^ ^) 
au d'oh a. La rivière qui est en cet endroit avait fort 
peu d'eau, et cependant nous savions que d'ordinaire 
il y en a beaucoup. Les gens du pays nous apprirent 
qu'à la source de cette rivière , dans une caverne de la 
montagne , il y a im réservoir dont (par la bénédiction 
jie Dieu) l'eau est excellente. Ils ne savaient d'abord, 
disaient-ils, ni d'où venait cette eau ni où elle allait. Ils 



21 



162 VOYAGE DEL'AÏACHL 

avaient commencé à creuser pour la faire arriver à leur 
rigole d'irrigation, et, après avoir beaucoup travaillé, 
ils y avaient réussi ; mais alors , Teau de la rivière , qui 
venait jusqu'à leur bassin, avait cessé de couler. Ceci leur 
avait fait voir que l'eau qui alimentait la rivière était 
précisément celle de la caverne , d'où il résidtait qu'ils 
avaient travaillé en vain. « Mais Dieu soit loué, disaient- 
ils , de ce que nous n'avons pas perdu toute notre eau. » 
Au reste , ils avaient gagné , à faire cette besogne , que , 
dans la saison des pluies , l'eau venait à la fois , et par 
le canal qu'ils avaient creusé et par le lit de la rivière. 
Nous traversâmes Bou-Kâïs , et nous allâmes coucher 
à Ouad-Zelmou (1^ 5I3). 

Jeudi, 1 1 chaouâl ( 29 avril). 

Le lendemain, nous atteignîmes le boui^ d'El- 
H'adjeri (^^^1), que nous traversâmes vers Ouad-bou- 
'Anàn (^jUft^ à!^), avant l'ac'er. L'eau de cette rivière , 
qui est fort douce , coulait alors. Nous traversâmes l'ouad 
en question, et nous allâmes coucher à Lehab-el-H'ed- 
jâra(»;l^t 4-^). 

Vendredi, la chaouàl (3o avril ]. 

Le lendemain, nous arrivâmes vers El-Saheh(jL^-iJl), 
au d'ohor, et nous visitâmes la k'oubba de Sid-Ben-'Abd- 
er-Rah'mân ; c'est un des disciples de Sid-'Ali-ben- Abd- 
Allah-el-Filali. Nous trouvâmes, dans cette ville, des 
compatriotes qui nous donnèrent des nouvelles de notre 
pays, dont je n'avais pu apprendre rien de positif avant 



VOYAGE D'EL'AÏACHL 163 



ce jour. Nous passsâmes vers Beni-bou-Denib (^ ^ 
uaa33 ) poiur arriver à la couchée. 



Samedi, i3 chaouâl (l'mai). 

Le lendemain , nous allâmes coucher à K'addouça 

Dimanche, 1 4 chaouâl (s mai). 

De là nous marchâmes sur Toulâl (J^y), où nous 
descendîmes au d'oh'or, parce que les chameaux des 
pèlerins étaient fatigués. Des chorfa qui étaient venus 
dans cet endroit traitèrent la caravane. Je croyais qu on 
viendrait au-devant de moi à Toulâl; mais, ne trou- 
vant personne , je pensai que ceux que j'attendais avaient 
suivi un autre chemin. Renvoyai donc un autre mes- 
sager. 

Lundi, i5 chaouâl (3 mai). 

Le lendemain, nous arrivâmes à Tekouïm (^;^y3), 
au d'ohor; nous le dépassâmes pour aller à la couchée. 

Mardi, i6 chaouâl (à mai). 

Le lendemain, nous sortîmes de Foum-et-T'ifel [^ 
JkjJeJI). Ce joiur-là je rencontrai mes frères, qui pas- 
sèrent la nuit avec moi et avec des pèlerins de mes 
amis. 

Mercredi, 17 chaouâl (5 mai). 

Le lendemain, je me séparai des pèlerins. Nous leur 



lO^J VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 

donnûmes^quelquun pour les diriger vers Atat' (UILI). 
Enfin, j'arrivai dans mon pays le mercredi 17 de 
cliaouâl de Tannée 107^ (i663 de J. C). 



Kl-'Aïachi termine son voyage par des actions de 



grâces. 



Le copiste ajoute cette note au manuscrit de l'auteur : 
« Fin du li\Te intitulé, Er-Rah!la (le voyage), par le 
légiste, rimàm, l'habile, l'intelligent, l'ami de Dieu, le 
pieux Sid-'Abd-Allah-ebn-Abou-Beker-el-'Aïachi. Ce 
livix* a été achevé de copier dans la soirée du mer- 
credi i\ chaouàl 1 i36 1776). • 



M\ m \O^A(.E D'hL-'ViVCHI. 



VOYAGE 



DE MOULA-AH'MED. 



VOYAGE 



DE MOULA-AHMED, 



DEPUIS LA ZAOUlA EN-NAS'RIA JUSQU'A TRIPOLI 



ET RETOUR, 



DO 31 JUILLET I709 AD I7 OCTOBRE I7IO. 



Le cheikh , Timâin , Fhahile, le savant Âhou-el- Ahhas- 
Moula -Âh med-hen - el - K'ot'ob-el-Kâmel- Sid-Moh am- 
med-ben-Nâc'er, connu sous le nom d^£l-M or'erbi , a dit : 

En 1 1 1 9 ( 1 707 de J. C), par Teffet d'une inspira- 
tion irrésistible, j'éprouvai un violent désir de réjouir 
ia pupille de mes yeux par la vue des deux villes sacrées. 
J'eus recours à l'épreuve de l'istikhara ^ et je suppliai 
le prophète de m'envoyer un augure , conformément à 
ce qui m'était nécessaire et devait m'être profitable. 

Puis, je m'empressai de réunir le bagage et les cha- 
meaux dont j'avais besoin ; et , quand vint le moment 
du départ, tout se trouva prêt pour le voyage. Je quit- 

' Quand un musulman veut entreprendre quelque chose d*impor- 
tant , il prie avant de 8*endormir, et il doit voir en songe ce qu'il a à 
faire. Cette pratique s'appelle istikhara. 



168 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

tai mon pays^ avec une grande quantité de mes parents 
ou de mes amis , venus de tous côtés pour aller en pèle- 
rinage au lieu noble, seul objet de mes pensées. 

Nous arrivâmes à Sedjelmâça (iU4c^), où nous nous 
reposâmes un peu ; après quoi , nous étant munis de 
toutes les choses qui pouvaient nous être nécessaires, 
nous résolûmes de quitter cette ville. Mais il survint un 
obstacle à la continuation de mon voyage. Le sultan 
d^alors, Moulaï-Ism'aïl, me fit connaître par lettre qu'il 
voulait que j'allasse le trouver, afin de prendre congé 
de lui. Cette circonstance me contraria beaucoup, car 
je désirais conunencer le plus tôt possible l'entreprise 
|K)ur laquelle j'étais parti de chez moi, et je gémissais 
de me voir arrêté au début, soit que le souverain me 
fît appeler par un motif réel d'amitié, soit parce qu'il 
voulait se moqiier de moi. Cependant mes amis furent 
d'opinion qu il fallait exécuter l'ordre, et ils me dirent 
qu*ils iraient tous avec moi. Nous prîmes donc la route 
de Tà/a ^*y^\ avec la caravane de Fês. 

Ce n était pas mon avis, et j'eus recours à l'istikhara, 
qui m\ipprit que je devais aller auprès du sultan, mais 
avec peu de monde. Je laissai, en conséquence, les gens 
de la caravane, les<]uels, du reste, s'étaient divisés sur 
cette aflaliT. /arrivai à la résidence du prince sept jours 
après avoir quitté Sedjelmâça. 

Je fis halte au tombeau de Sidi-'Abd-er-Rah màn-el- 
Modjiloub. par un ordi^ de Moulaï-Ism'aïl. Je restai là 
plusieui^ joui^ dans fattente, sans pçuvoir être admis 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 169 

en présence de l'empereur. Las courriers c[u*il m'en- 
voyait ne faisaient qu'aller et venir. Us me répétaient • 
que, cette année, personne n'irait en pèlerinage, le 
sultan ayant jugé convenable que le pèlerinage n'eût 
pas lien. Peut-être le sultan avait-il raison ; mais moi , 
qui n'entrais point dans ses motifs, je n'étais pas de 
cet avis. 

Un employé du gouvernement, qui devait faire partie 
de notre caravane, arriva alors. J'allai au-devant de 
lui et le rencontrai dans la galerie de la mesdjid. Il m'ex- 
pliqua que la prohibition faite par le sidtan était dans 
l'intérêt général, car, le pays n'étant pas tranquille, il 
valait mieux que tant de gens considérables, au lieu 
d'aller voyager au loin, restassent pour aider l'autorité. 
A la suite de cet entretien, j'allai rejoindre mes amis 
qui étaient restés à Sedjelmâça. 

Je leur fis connaître la prohibition, et ils en con- 
çurent un vif chagrin. Je leur fis comprendre que cela 
arrivait par la volonté de Dieu. Ceux qui étaient accou- 
rus de tous côtés , pour faire partie de notre caravane , 
répandirent des larmes. Je parvins à les consoler, et ils 
retoiunèrent chez eux ; puis je m'en allai dans mon 
pays, avec mes parents et mes amis. 

L'année d'après, en 1 120, je reçus du prince une 
lettre qui me fut apportée par quelques-uns de mes 
amis. Elle contenait ceci : « Si tu veux aller visiter la 
Mecque et Médine, mon fils ira comme émir er-rekeb\ 
afin de commander la caravane. Fais-nous connaître tes 

' Prince de la caravane. 

22 



170 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

intentions à cet égard , et il n'en résultera que du bien. » 
• Si je n avais pas reçu cette missive , j'aurais peut-être 
espéré d'aller en pèlerinage cette année ; mais , après 
en avoir pris connaissance , je pensai que personne ne 
ferait le voyage de la Mecque. Au reste, me dis-je, il en 
sera selon la volonté de Dieu. 

Quant à mes amis , ils se réjouirent de cette com- 
munication et ils en conçurent de l'espoir. L'époque 
de me mettre en route étant arrivée , le fils du sultan 
vint à nous de la part de son père, et nous dit que 
cette année personne n'irait en pèlerinage. « La lettre que 
tu as reçue, me dit-il, n'est pas de l'empereur; elle est 
l'œuATe de quelque individu qui a voulu se moquer de 
toi. » Ces paroles firent évanouir toutes les espérances, 
et on n'imagina pas qu'il fût possihle, de longtemps, 
d'aller visiter les villes sacrées. Dans cette circonstance , 
j'eus , selon ma coutume , recours aux pratiques de fis- 
tikhara. 

Cependant, je faisais peu à peu des préparatifs de 
départ. J'atteignis ainsi l'année liai ( 1 709 de J. C), 
011 un vent de miséricorde, venu je ne sais d'où, souf- 
fla enfin sur les fidèles. En recevant l'autorisation de 
partir, j'éprouvai une grande joie de cette faveur, sur 
laquelle j'avais cessé de compter. J'achevai mes prépa- 
ratifs de départ, et me disposai à me séparer de ma 
famille. J'écrivis à ceux de mes amis chez lesquels se 
irouvaient mes chameaux. J'envoyai aussi des lettres à 
mos amis de Sous, de Marràkch (Maroc), de TafJélt, 
c\ autres endroits, où je les informai exactement du 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 171 

sujet de notre futur voyage. Peu d^entre eux crurent à 
la réalisation de notre entreprise, et la plupart suppo- 
sèrent qu'il en serait comme précédemment. 

Mes parents voulaient me retenir; mais leurs prières 
ne purent ébranler ma résolution. Je pris la détermina- 
tion d'écrire le récit de mon voyage , en suivant le plan 
adopté par Abou-Sâlem (El- Aïachi) ; je me proposai 
de faire connaître les lieux par lesquels je passerais, de 
parler des populations dont je traverserais le territoire, 
en un mot , de noter tout ce qui me paraîtrait digne de 
remarque. 

Jeudi, 3Â djoumàd-el-oouel iiai (ai juillet 170g). 



Je partis de la zaouïa En-Nasrïa (j^r^Ul ^^\j) le 
jeudi , a 4 djoumâd-el-oouel 1 1 2 1 . Je choisis le jeudi , 
parce que le prophète a dit que ce jour serait béni 
pour celui qui s'y mettrait en route de bonne heure. 
Par ce motif, je me hâtai de faire sortir, le jeudi , ma 
famille et mes bagages. Quant à moi , je ne partis qu'a- 
près la prière de l'ac'er, et après avoir visité mon père ^ 
ma mère et mes autres parents dans leur k'oubba , afin 
de recevoir leur bénédiction et de prendre congé d'eux. 
J'en fis autant avec mes fi:*ères , mes domestiques et mes 
esclaves. Je commençai ensuite la lecture de l'oraison 
qu'on a coutume de réciter en pareille circonstance, 

' Cest-a-dire le tombeau de mon père. 

La formule, « Que Dieu lui soit miséricordieux I ■ employée par 
Moula-Ah'med dans le cours de Touvrage, toutes les fois qu'il parle 
de son père, montre que celui-ci était mort à Tépoque de son départ. 



172 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

d'après Tautorité des traditions. Enfin , le dernier lieu 
que je quittai fut la mesdjid, afin de me conformer à 
ce que faisait le prophète lorsqu'il partait en voyage, 
ainsi qu'on le voit dans la Sonnai Je partis ensuite, et 
allai coucher à Acef-Azâr (ctjJ sjuJ)^. 

Vendredi, 36 djoumâd-el-oouel (aa juillet). 

Le lendemain, nous nous mîmes en route après la 
prière du d'ohor. Dans cet endroit, je pris congé de 
beaucoup de parents et d'amis , qui m'avaient accompa- 
gné à la distance d'un fersekh ^, ou davantage. 

Lors de mon pèlerinage de 1096 (i684 de J. C), 
j'étais descendu dans ce lieu le 16 de rebi'- et-tani , 
après l'ac'er. J'y avais également campé dans mon pèle- 
rinage de 1 109 ( 1697 de J. C. ). Là, j'avais sorti les 
tentes et commencé mon voyage le dimanche 1 ^' djou- 
màd-el-oouel ; mon campement était à côté de la grange 
de la zaouïa. Le mercredi, j'avais sorti les provisions 
et tout le bagage, ainsi que mon h'arem, et j'étais parti 
au doh'a, le jeudi. Je fis de même dans le bienheureux 
pèlerinage actuel, sauf que mon départ eut lieu à l'ac er, 
comme je l'ai dit. 

Mon oncle paternel, dans son premier pèlerinage, 

* Nom que l*on donne aux traditions considérées comme articles 
de foi. 

* Plus loin, il appelle ce lieu AsJi-el-Azar^a, une des stations du 
pèlerinage. Il ajoute que dans ce ouâdi il y a Dàr-el-H'edjadj « sta- 
tion du pèlerinage. » Asfi, en chloueu*h\ a la même signification que 
ouàdi en arabe. 

^ Fersekh , parasangc ; quatre milles arabiques. 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 173 

a célébré ce ouàdi en ces termes : « Toi couché une 

nuit dans le ouâdi de Asfi-el-Azar a , une des stations 

du pèlerinage , etc. » 

11 ajoutait ensuite , à propos de ces lieux : 

« Aujourd'hui je couche ici en pèlerinage ; qui sait 

si j'y reviendrai ? » 
Et plus loin : 

* L'amour de Tout'an (de la tribu) est un article de 
foi, etc. » 

Jai fait ces vers sur le même sujet : 

Dans ce ouâdi est le Dâr-H'edjadj (fj^^ ) ^ la première 
station des pèlerins, (ainsi nommée) parce quelle est près 
de leur camp, et que ceux qui veident prendre congé d'eux 
viennent les trouver en cet endroit. 

Mon père ( que Dieu lui soit miséricordieux ! ) ^ a 
dit, k propos de son pèlerinage de io46 (i636 de 
J. C.) : 

« Nous sortîmes de la zaouîa avant Fac'er, le vingt- 
troisième jour de rebi -et-tani , un jeudi, et allâmes 
coucher à Tourioiuna-Nedjlâbik ( ^^ILa^ My^j^s). On ne 
descendit pas au ouâdi (Asii-el-Azara), comme c'est la 
coutume aujourd'hui. Nous marchâmes à la grâce de 
Dieu et & sa garde, etc. » 

Nous descendîmes à El-Mousrâzket ((â^t^^XI), après 
la prière du mor reb. Dans ce lieu se firent les der- 

* La maison des pèlerins. 

* Cette formule indique que le père de Moula-Ah'med était mort au 

moment où il parie de lui , ainsi que je Tai déji fait remarquer. 



174 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

nières séparations , et il ne resta plus que les pèlerins. 
Nous étions alors dans la saison des longs jours. 

Pendant cette station, Ah med-ben-Moh'ammed, fils 
de mon frère aine, nous abandonna et se cacha, je ne 
sais par quel motif. On le chercha en vain ; depuis lors 
on n a plus entendu parler de lui. Cette fuite m'affli- 
gea beaucoup, 

Samedi, a 6 djoumâd-el-oouel ( 23 juillet). 

Partis de cet endroit, nous allâmes faire le kiloula ^ 

à El-Koutrima ( a cyclfl ). On coucha à Tâdjmechat 

( «:MA.g:k ). Là, le bruit se répandit dans la caravane 
que le prince de ce pays, un fils du sultan, avait reçu 
de son père Tordre de nous faire retourner sur nos 
pas, et de nous empêcher d'accomphr le pèlerinage. 
Dieu sait la vérité I 

Cependant il se trouva que le bruit était mal fondé. 
Je récitai , à cette occasion , plusieurs prières pour ob- 
tenir de Dieu qu'un pareil malheur ne nous arrivât pas. 

Dans cette situation, je fus rejoint par mon frère et 
ami , le fak'ir loucef-el- At ouï ^ , qui me ramenait une 
de mes juments. Pendant le désordre des adieux à Dàr- 
el-H edjadj , cette bête s'était échappée et était retour- 
née à la zaouïa. 

^ L*heure de la plus grande chaleur, celle où les hommes et les 
troupeaux cherchent le repos à Tombre. 

* On lit en marge du manuscrit : « Du nom d*une tribu appelée 
El-Ita t'i. . 






VOYAGE DE MOULAAH'MED. 175 

Dimanche , a 7 djoumâd-el-oouel ( a 4 juillet ) . 

Nous partîmes après le sl)ah', et je remerciai Dieu 
du bonheur et des bénédictions qu'il avait accumulés 
sur moi dans le commencement de notre voyage , pen- 
dant les marches et pendant les séjours. Nous traver- 
sâmes le Foum-Aktourzi [jj^^ ^►*),et, au doh'a, nous 
descendîmes dans une grande plaine , où la vue s'éten- 
dait au loin et consolait Tàme des chagrins de l'absence . 
Les animaux eux-mêmes participaient à notre satisfac- 
tion; car ils trouvaient dans ces lieux d'excellents pâtu- 
rages en attendant les fatigues, la seide chose qu'ils 
devaient rencontrer plus loin. Ils n'étaient pas encore 
éloignés de leurs maisons, qu'ils semblaient quitter avec 
peine. 

Les pèlerins qui voidurent déjeuner s'arrêtèrent 
dans ce lieu. La chaleur commençait alors à se faire 
sentir. Je montai dans une cage à chamelle, préparée 
à cet effet, comptant y être plus à mon aise ; mais comme 
il n'en lut pas ainsi, je retournai vers le mulet que j'a- 
vais laissé , et dont l'allure me parut plus commode que 
celle du chameau, quoiqu'elle ne fût pas des plus 
agréables. 

Nous allâmes coucher à Omm-el-Djirân ( ^|^ Il ) , 
où nous arrivâmes au d ohor. Les pèlerins se désalté- 
rèrent avec l'eau qu'on trouva en cet endroit, et en firent 
provision. Les tentes établies, on déchargea les cha- 
meaux, qui purent se reposer. Il y avait là de l'herbe 
et des pâturages; nous y passâmes la journée du di- 



176 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

manche , exempts de misères et d^ennuis. Quoique cet 
endroit soit connu pour être fréquenté par les voleurs , 
et qu'il faille s^y tenir sur ses gardes , il ne nous arriva 
rien , et nous n eûmes qu'à remercier Dieu. 

Lundi, a 8 djoumâd-el-oouel ( a 5 juillet). 

Nous quittâmes cette station au fadjer, nous dirigeant 
en toute hâte vers El-'At'chàna (JuL&kjJt). Je visitai 
plusieurs de mes amis, qui, en signe de réjouissance, 
se mirent à tirer des coups de fusil : un d'eux oublia 
une balle dans le canon , et cette balle atteignit à la fesse 
mon ami El-Hadj-Ah'med-ben-'Ali-es-Selâoui. Je fus 
très-peiné de cet accident ; mais je me dis que cela était 
écrit par le Dieu des mondes. Fort heureusement, du 
reste , la blessure , qui paraissait incurable , guérit tout 
à coup et se ferma entièrement. 

Nous étions arrivés à El-'At châna av^t le d'ohor, 
au puits que Ton cherchait. Les pèlerins n eurent qu'à 
creuser un peu pour trouver à boire, se désaltérer, 
abreuver les animaux et faire les provisions. Cette eau 
était conune celle du Sourat (rivière du Soudan). On 
revint ensuite au bivac; les tentes furent dressées aux 
environs du d ohira ' . On décida de suivre la route or- 
dinaire, et de passer par El-Hafira [bj^âÂ), A El-At- 
châna, Teau et Therbe n'étaient pas en quantité suffi- 
sante pour les chameaux. Nous passâmes la nuit dans 
cet endroit. 

' Diminutif de d'ohor. 



VOYAGE DE MOULA-AHMED. 177 

Mardi, a g djoumâd-el-oouel (a6 juillet). 

Nous nous mimes en route au sl)ah\ le mardi, der- 
nier jour ^ de djoumâd-ei-oouei. Nous arrivâmes à El- 
H'afira, lieu où Teau est très-douce et abondante. Nous 
abandonnâmes la route habituelle, à cause de la vio- 
lence de la chaleur, de la rareté de Teau, de la séche- 
resse de la terre et de la grande quantité de serpents 
qu'on trouve en ce pays. 

Lors de mon pèlerinage de 1 1 09 , nous n avions pas 
couché à El-At'châna; nous y avions déjeuné, puis 
nous nous étions réunis à Aznâtïa (iU^fb;!), et avions 
couché à Textrémité de ce canton. 

Mercredi, 1" djoumâd-et-tani (37 juillet). 

Nous étions arrivés, au d'oh'a, à Bir-el-T'orfa (jju 
U^l ) , où j'avais rencontré mon ami Sid-M oh ammed- 
ben-El-H'acen-el-Iouci , qui venait au-devant de moi , et 
m'apportait du riz, du beurre et du sucre. Je mangeai 
de ses provisions, il mangea des miennes. Que Dieu 
augmente son bieni Nous fîmes quelques milles, et 
nous rencontrâmes nos frères de Sedjelmâça, en grande 
quantité; d'autres arrivèrent sur leiurs traces, soit en 
troupe, soit isolément. 

' Moula-Ah'med ne donne que vingt-neuf jours à djoumâd-el-oouel , 
qui devrait en avoir trente. C*est sans doute pour réparer cette faute 
qu*il donne trente jours au mois suivant au lieu de vingt-neuf. On a 
vu déjà que ces erreurs proviennent de ce que le commencement du 
mois, chez les musulmans, est déterminé par Inobservation directe de 
la lune , et non par des calculs astronomiques. 

23 



178 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

Jeudi et vendredi, 3 et 3 djoumâd-et-tani ( aS et 3g juillet). 

Nous quittâmes le canton d^El-Hafira avec deux 
guides intelligents qui connaissaient bien les chemins ; 
c'étaient des Arabes de Beni-Mohammëd («^.tttf (^). 
Nous arrivâmes à Es'-S'ouïrha (Irfy^AâJt), au doh'a; là 
un de mes chameaux étant sur le point de mourir de 
fatigue , je le fis tuer ; il me venait des Oidâd-Adlim 
(l<vlâl â^^l). Je rencontrai mes frères de Sedjelmâça, 
El-Hadj-Hacen-el-Houâri et sa compagnie. 

Samedi 4i dimanche 5, lundi 6, mardi 7, mercredi 8, 
jeudi 9, vendredi 10 djoumâd-et-tani (3o, 3i juillet, 
1, a, 3,4, 5 août). 

Nous nous mîmes en route le samedi , avec l'inten- 
tion de marcher sur Sedjelmâça , et de visiter les gens de 
bien de cette ville. Nous rencontrâmes, dans le chemin, 
une compagnie du pays de Dérapa (i^^) ; ils me rappe- 
lèrent le passé , et me remirent en mémoire mes frères 
et mes amis que j'avais laissés derrière moi^ 

Nous visitâmes Timâm, le magnifique, le pieux, Til- 
lustre seigneur El-R'âzi. La caravane marcha en dehors 
des palmiers, pour la plus grande commodité des cha- 
meaux. Nous fîmes aussi le pèlerinage obligatoire du 
chérif à Akouz (j^), Sid-Abou-el-K'âcem-ben-Mou- 
loud , et de Sid-' Abd-el-Ouah ed et de leur famille , puis 
nous partîmes après les avoir visités. Je rencontrai Sid- 

' Ce passage est un de ceux dont il résulte que le Ouâdi-Dera*a 
est bien le pays de Moula-AI/med. 



VOYAGE DE MOULA AHMED. 179 

Meça^oud*ben-el-Bekri , maître de la zaouïa d' Akouz , avec 
tous ses parents et amis. Ils voulaient que je descendisse 
chez eux, pour coucher; je ne pus y consentir, et nous 
nous séparâmes, dallai ensuite chez Timâm Abou-el- 
H'acen, cheikh des cheikh, Sid- Ali-ben- Abd-Allah , et 
j'eus heu d'être satisfait de cette visite. 

Nous prîmes congé de lui , et nous nous dirigeâmes 
en hâte vers le bivac de la caravane. Accompagné de 
mes amis, je visitai le tombeau de Timâm Ahou-el- 
K'âcem-el-R azi , lieu vaste et magnifique. Nous rendîmes 
les mêmes honneurs à Sidi-'Abd-el-Kerim et à ses voi- 
sins du canton. 

Les chameaux étant arrivés , on les déchai^ea. Je fis 
entrer mon h'arem dans la maison du frère de Hadj .... 
el-Zakzouti, qui avait demandé à me donner l'hospita- 
lité . La caravane descendit à l'Ouest de Sidi-Ioucef 
{sjLmyit «>'^uw) ', OÙ je fus visité par des amis. On fit im- 
médiatement des dispositions pour le voyage. Ce n'était 
qu'allées et venues vers la k'oubba de l'imâm El-R'âzi. 
Il me vint beaucoup d'amis de la ville. 

La caravane séjourna dans cet endroit , d'où les pèle- 
rins allaient en ville , afin de compléter les achats qui 
leur étaient nécessaires. Je fis l'acquisition, moyennant 
trois mitk'al , d'un chameau que mon frère avait amené 
de l'Ouest. 

Je passai huit jours en ce lieu, jouissant de l'hospita- 

' Ak'ouz ou Akouz et Sidi-Ioucef sont aux portes de Sedjelmâça. 
Ainsi Moula-Ah'med se trouve alors dans cette ville, quoiqu*il ne le 
dise pas explicitement. 



180 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

iité de rimâm El-R'ftzi, que je visitai jour et nuit. Pen- 
dant ce temps , nos pèlerins se hâtaient de terminer leurs 
affaires. Je fus traité avec cordialité parles marabouts et 
par mes amis, qui me donnèrent du petit-lait, du kous- 
kouçou , etc. quoique tout fut cher dans le pays. 

Je rencontrai là le chérif Ben-'Âmar, chef de cette 
contrée , et d^autres personnages. Sidi-Ah'med-el-Mech- 
touk , qui faisait partie de la caravane , composa des 
vers à la louange de Sedjelmâça , vers dans lesquels il 
célèbre les gens de cette ville , et le bon accueil que la 
caravane en a reçu. 

Dans mon pèlerinage de i 109 (1 697 de J. C. ) , 
j'avais visité, à Sedjelmâça, Moidana-Âli-Chérif, avec 
plusieurs de mes amis; j'avais également visité Moulana- 
Abou-Zakarïa , et le cimetière des chérifs. Mais, dans ce 
dernier voyage , je n ai pu faire de pèlerinage qu'aux 
enfants d'El-R'âzi, son maître et ses compagnons d'Â- 
kouz , à cause de la presse où j'étais. 

J'ai été fort aidé dans l'expédition de mes affaires , à 
Sedjelmâça , par Ah med-et-Tedjmouâti , qui me seconda 
de toutes ses forces. 

Pendant mon séjour à Sedjelmâça, un de mes amis 
m'apporta le reste de mes provisions, que j'avais laissé 
chez moi à la zaouîa. Il m'envoya mon oukil, Sid- Abd- 
el-' Aziz , avec quelques serviteurs de la zaouîa , mon 
ami le fak'ir loucef-el-' AtWi , et une de mes négresses 
qui voidaît aller à la Mecque. Je renvoyai cette fenrnie, 
les deux négresses que j'avais emmenées me suffisant. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 181 



Samedi ii, dimanche la, lundi i3, mardi i4« djomnâd- 
et-tani (6, 7, 8, 9 août). 

Les gens de ia caravane firent toutes leurs disposi- 
tions pour le départ, et nous quittâmes notre station 
le samedi 1 o de djoiunftd-et-tani ^ et nous allâmes des- 
cendre à Mâdjen-el-R'orfa {^j^^ iù^^)^ ^^ nous fumes 
rejoints par le guide Djâb-Allah-el-Djâbouc'i , et des 
gens de sa tribu. Ceux-ci venaient de l'Ouest et s'étaient 
mis en route au reçu des lettres que j'avais envoyées de 
ce côté. Ils cherchaient à louer des chameaux, et s'en- 
tendirent, à cet effet, avec les pèlerins. Les arrange- 
ments retardèrent un peu le départ, et nous restâmes à 
Mâdjen-el-Rorfa le dimanche, le lundi et le mardi. 

Le jour même de notre départ, il nous arriva un 
envoyé de Sid-Hamza-el- Aïachi , avec la nouvelle qu'une 
compagnie de gens de Aît-'Aïâch (ijftl^ (^^1)^, et de 
Aît-Ouâflâ (^1^ i^u^l ) désiraient faire le pèlerinage. 
Grâce à Dieu, ils m'amenèrent des chameaux. Nous 
fumes rejoints par eux à El-R'orfa. J'achetai une tente 
pour mes livres, moyennant quinze mitk'al, à des ma- 
rabouts du pays de Madr'ara [ijà^^ J^\ ), de la tribu des 
Oulâd-Sid-'Abd-Allah-ben-'Omar {j^^M\o^:,:iy\). 

' Moula- Ah'med se trompe; car, diaprés ses calculs antérieurs, le 
samedi tombe ici le 1 1 . 

* On explique ici, en mai^, que ait, en chloueu*h' [Aji% signifie 
Vohila, ou tribu, et que c'est comme s'il y avait K'obilat-'Aîach ou 
K'obilaOu^â. 



182 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

SINGULARITÉ. 

Lors de mon pèlerinage de iog6 (i684 de J. C), 
j'ai trouvé à Sedjelmâça, dans le Ketâb-el-Adkêr « livre 
des souvenirs » d'El-Merïouni , que le nom de Abou- 
el-H'acen-ech-Châdli doit être prononcé Ech-dhâdouli , 
contrairement à Tusage général'; de plus, j'ai lu les 
préceptes suivants dans ce livre : 



CHOSES DONT ON DOIT S* ABSTENIR 



2 . 



Brûler des pelures d*oignon ou d*ail; 
Dormir sur la face ; 
Balayer ime chambre la nuit; 
La balayer avec un linge ou chiffon quelconque ; 
Laisser dans la chambre les ordures qu on a balayées ; 
Se laver les mains avec de la terre ou du son ; 
S asseoir sous l'arcade dune porte, soit de chambre, 
soit de maison ; 

Appuyer le dos sur le ventail de la porte ; 
Faire les ablutions dans les lieux d'aisances; 
Raccommoder ses habits sur soi ; 
Essuyer sa figure avec ses vêtements; 

' Dans Touvrage intitulé, j^o^^l c^j^i manuscrit 77 B de la 
bibliothèque d'Alger, on trouve en effet le nom de Châdli, écrit de la 
manière indiquée par El-Mer!ouni, c'est-à-dire ^^L^|. Les savants 
indigènes disent que Chadli , ainsi qu'ils prononcent son nom , est un 
célèbre marabout de Tunis. D'Herbelot (voyez Schadeli] dit qu'il est 
auteur d'une vie des saints musulmans. L'éloge en vers de Cbadli se 
trouve dans le manuscrit 18a I de la bibliothèque d'Alger. 

' Ces préceptes sont connus et suivis , en grande partie , à Alger. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 183 

Placer la main sur la hanche ; 

Uriner étant nu; 

Quitter la mosquée avec empressement, après la prière 
dnfedjer; 

Sortir dans la rue de trop bonne heure , y rester tard ; 

Acheter des morceaux de pain aux mendiants ; 

Exprimer de mauvais souhaits contre son père ou sa 
mère; 

Laisser la vaisselle sale; 

Eteindre la lumière avec son souffle; 

Jeter des poux vivants; 

Se laver les talons avec la main droite; 

Uriner dans leau courante ; 

Mettre sa culotte étant dehout; 

Faire dans les latrines la djenaba, ou ablution obliga- 
toire après le coït ; 

Mâcher les aliments des deux côtés de la mâchoire à la fois ; 

Se faire saigner le 7 du mois; 

Caresser sa barbe; 

Faire claquer les dents les unes contre les autres; 

Prendre les genoux entre ses mains; 

Tenir ses doigts écartés ; 

Placer la paimie de la main sur le nez; 

Couper ses ongles avec les dents; 

Se déshabiller au soleil ou à la lune; 

Faire ses nécessités tourné du côté de la Mecque ; 

Balayer pendant la prière obligatoire ; 

Cracher dans les lieux d'aisances ; 

Cracher sur du sable ; 

Mettre les joues dans la paume des mains, à moins de 
souffrances dans cette partie; 



184 VOYAGE DE MOULA-AHMED. 

Jouer pendant la prière obligatoire ; 

Laisser par terre ce qui tombe de la table pendant le 

repas; 

Manger sans employer la formule bismillah ^ ; 

Mentir p^idant le repas; 

Commencer à se chausser par le pied gauche ; 

Laisser le tebok' ^ retourné ; 

Refuser de leau ; 

Refuser du levain ; 

Refuser du sel ; 

Refuser du feu ; 

Celui qui contreviendra à ce qui précède héritera le 
malheur. 

Mercredi, i5 djoumâdi-et-tani ( lo août). 

Nous partîmes le mercredi , ayant été traités en frères 
par les gens d'El-R'orfa (que Dieu augmente leur bien!), 
et nous allâmes à El-Medàkik ( jL^STo^t). Quelques-uns 
de mes amis de Sedjelmâça, qui étaient venus pour 
m'accompagner, couchèrent avec nous en cet endroit. 

Lors de mon pèlerinage de Tannée i log, je ren- 
contrai, avant cette station, le grand, le savant, Téru- 
dit, rimàm, le précieux, le k'âd'i de la mosquée de 
Sedjelmàça et de toute cette contrée, Sid-'Abd-el-Mâlek- 
et-Tedjmouâti ', venu dans Tintention de m'accompa- 

^ En commençant le repas, les musulmans disent bismillah (au 
nom de Dieu) , et h'amdoalillah (Dieu soit loué) en terminant; ce qui 
répond au henedicite et aux grâces des chrétiens. 

' Plateau en palmier, etc. où on place les mets. 

^ Le manuscrit 676 C de la bibliothèque d* Alger contient une petite 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 185 

gner; car il était de mes amis les plus sûrs. Ce savant 
était instruit dans les traditions; il possédait la gram- 
maire, la logique, la littérature, etc. bref, il connais- 
sait toutes les sciences. Il est auteur d'un commentaire 
incomparable sur Moaçùadat-el-Akhouân, livre écrit 
par son père. Cet ouvrage a été également commenté 
par Sid-Embârak-ben-Moh'ammed-el-R'arbi, ami de 
mon père et son élève , et aussi par Sid-Hourakou-ben- 
'Abd-AUah-ben-Iakoub-es-Semlali. Il Ta été, en outre, 
par mon ami, le légiste Abou-el- Abbas-Sid-Ahmed- 
ben-Moh'ammed-el-Mechtouki . 

Sid-Ah med-ben-Abou-Zïân-el-R ouâti ^ m'a raconté 
qu'il avait commencé. à commenter cet ouvrage, et que 

ses explications étaient fort étendues ^ 

Le k'âd'i 'Abd-el-Màlek a fait en vers l'éloge de mon 
père , l'année de notre dernier pèlerinage *. 

En 1 109, lorsque je me trouvai à El-Màdjen, ce 
même k'âd'i, accompagné d'amis, de grands et de sa- 
vants de la contrée d'Aït-'Aïâch (tels que Sid-Hamza, 
ses parents et les gens de sa tribu) , vint pour prendre 
congé de moi. En même temps que lui, vint alors Sid- 
Ah med-ben-'Abd-el-Kerim , etc. * 

pièce en vers du cheikh el-k'âd'i Sid-'Abd-el-Màlek-et-Tedjmouâti. 

' Peut-être faut-il lire El'Ar^oaât'i. 

"* n y a ici une lacune d'environ deux mots dans le manuscrit, 
lacune dont le sens ne paraît nullement affecté. 

^ Ces vers sont aux pages 11 et 1 a du manuscrit. 

* Ici Moula-Àh'med cite in extenso une k'ac'ida du k'àd'i sur 'Elm- 
el-Bedîeu\ ou la science des choses spirituelles. Cette pièce de poésie 
remplit les pages la, i3 et i4 du manuscrit. 

24 



186 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

Jeudi, 16 djoumâd-et-tani ( 1 1 août). 

Nous séjournâmes le lundi. Le pays de Sedjelmâça 
subissait alors une extrême sécheresse. L'oi^e y était 
montée à six mouzouna la mesure ^ , le blé à neuf, les 
dattes à quatre et demi. Le teber^ était au change d'un 
mitkal et demi et trois mouzouna. Tachetai là une 
bonne jument de selle pour dix-neuf mitk'al moins un 
quart. 

A El-Medâkik , je pris congé du reste de mes amis, 
qui étaient venus m'accompagner. A partir de ce mo- 
ment, nous restâmes sans nouvelles les uns des autres. 

En même temps les dernier, pèlerins que nous at- 
tendions de Sedjelmâça arrivèrent. 

Vendredi , 1 7 djoumâd-et-tani (laaoût). 

Nous partîmes d'El-Medâkik le vendredi, et nous 
traversâmes M enhal-Teler ma ( JUJds J4JU ) , dont Teau 
est douce. Nous y fîmes nos provisions d'eau, puis, 
après avoir récité la prière du d ohor, nous montâmes 
à Korb-el-H'ammâd ( ^Uit c^^S ) ; nous dépassâmes un 
peu ce point, et nous établîmes notre bivac par un 
froid excessif. 

Samedi, 18 djoumâd-et-tani ( i3 août). 

Le samedi, nous nous remîmes en route, toujom^ 
avec une température rigoureuse. Jamais je n'avais res- 

' El-*aouïna. 

' Teber, poudre d'or. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 187 

senti pareille chose; c était un vrai froid d'enfer'. Nous 
commençâmes à hâter notre marche , et nous arrivâmes 
à im endroit d'où nous aperçûmes devant nous des con- 
trées vastes , imies , vides de population , un de ces pays 
difficiles où chaque voyageur ne s'occupe que de ce qui 
le concerne. Cette région désolée n'est hahitée que par 
des vents impétueux ; les êtres qui ont de la corne aux 
pieds ou des ailes aux flancs peuvent seuls la traverser. 
C'est ime terre rude, difficile, et les poëtes qui l'ont 
chantée disent que les chameaux n'y trouvent rien à 
paître, pas même un hrin d'herbe , et que la seule eau 
qu'on y boit est celle ! que les pèlerins ont apportée 
d'ailleurs dans deis outrés. 

Cette nature -cdê* sol se prolongea jusqu'aux environs 
de la montée dé Ouârdmès {^f^^j^^ M^); ^ ce dernier 
endroit, nous tournâmes sur la gauche, dirigés par 
un homme des Oulâd-Djerïouk'i ( i^/^ ^^^' ) t un 
nommé Moh'ammed-ben-Hedân-Djeridi. Il nous con- 
duisit par ime montée facile, qui n'est véritablement 
montée que de nom ; puis nous descendîmes à Es'-S'e- 
fisTa ( iûUAAjuâJI ) , aux environs de Tac'er. La queue de 
la caravane n'arriva qu'au coucher du soleil ^. 

Dimanche, ig djoumâd-et-lani ( i4 août). 

Nous partîmes le dimanche. Notre guide perdit la 

^ Voyez, dans le voyage d*El-*Aiachi , page i^, à la note, ce qui a 
été dit sur cette expression. 

* Moula-Ah'med reproduit ici des vers composés sur le mont H'am- 
mâd, vers qui ontd^à été cités par El-*Aiachi. (Voyez pag. 1 13.) 



188 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

route, et il fallut nous arrêter au sommet d'une mon- 
tagne tellement abrupte que Ton ne pouvait descendre. 
Les pèlerins étaient dans la désolation; ni hommes, ni 
chameaux, n osaient se hasarder. Cependant, par la 
grâce de Dieu, nous nous en tirâmes, mais nous eûmes 
des fatigues et des peines inouïes. Les chameaux ne 
faisaient que tomber, et se relever pour retomber en- 
core. Toutefois, par Tintercession de Bou-Zïân^ et de 
notre seignem* Mohammed, les choses se passèrent 
sans trop de dommage. 

Il avait fallu ôter les haoudedj^ de dessus les cha- 
meaux et les placer sur les mules. Je m'arrêtai un peu 
avant que toute la caravane fût descendue. La majeure 
partie des pèlerins s'étaient égarés : ils avaient marché 
sur la droite , abandonnant la route de gauche ; mais 
on pensait que ces deux chemins se rejoindraient avant 
la couchée. Ceux qui prirent à droite passèrent par 
Ouâd-San (^^ ^1^ ou u^ ^1^); et nous, nous descen- 
dîmes à El-Mebri-Fahm (iUjl:^t), après IWer. La 
queue de la caravane n y arriva qu'après l'eucha. 

Il y avait, en cet endroit, une grande plaine remplie 
d'arbres et beaucoup de pâturages ; on n'y trouvait pas 
de pierres comme dans le terrain que nous venions de 
quitter. On y rencontrait une eau douce et abondante , 
dont les chameaux purent se désaltérer, et qui rendit 
des forces aux chevaux et aux mulets. 

' Célèbre marabout de K'onadsa. 

* Loges où l*on place les femmes ou les personnages importants 
en voyage. 



VOYAGE DE MOULA AHMED. 189 

Plusieurs de nos bêtes de somme s^enfuirent, et 
quelques-imes revimrent ; mais , au bout du compte , il 
manqua quatorze juments et deux mulets. Sept de ces 
juments étaient aux Bédouins, deux appartenaient à 
Moula-el-'Arbi , deux au marabout Sid-Ahm.ed-ben- 
*Abd- Allah, une à Moula-el-Mâmoun. Un des mulets 
égarés était la propriété d'El-Hadj-Moh'ammed-ben- 
Abou-Zîàn-el-Djaboimi , et un autre était à un pèlerin 
de Tafilêlt. 

Les Bédouins coururent après leurs juments et les 
rattrapèrent. Nous louâmes deux de ces individus pour 
la sonune de trois mitk'al, et alors ils retrouvèrent 
deux mulets et deux jmnents, qui appartenaient à Sid- 
Moh'ammed-ben- Ali-el-Arizi et à son frère. Il en man- 
quait encore cinq. 

JTenvoyai le guide- Moh'anuned avec El-Hadj-Ram- 
d'àn-el-Djâbouc'i, pour charger de Teau sur nos cha- 
meaux, moyennant un mitkal. 

Lundi ao, mardi ai djoumàd-et-tani ( i5, 16 août). 

Nous séjoiunàmes dans ce lieu le lundi , et nous en 
partîmes le mardi. Nous rejoignîmes ceiix de nos compa- 
gnons qui s^étaient trouvés séparés de nous , pour avoir 
pris sur la droite loin de la montée de Ouârdmès. Ils 
avaient ensuite descendu le long de rOuad-Djir(j.Aa>* ^1^), 
pour aller nous attendre. De notre côté, nous leur 
avions envoyé un honune des Sa^ïd-Roubàh' (^l^ «^y^tAM) , 
pour leur donner de nos nouvelles. Tous réunis avant 
Tac'er, nous priâmes et marchâmes ensemble. 



190 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

Cette rivière est forte et grande ^ ; la vallée qu^elle 
arrose est plantée de beaucoup dWbres; les pâturages 
y sont nombreux et les pierres très-rares. La rivière, 
qui est profonde, reçoit plusieurs cours d'eau qui 
viennent de fort loin, et ne se mêlent à ses eaux quV 
près plusieiu*s jours de marche ; elle a sa source au 
pays des Ait- Aîàch ( ^U« OHtI ) . La vallée est peuplée 
et cultivée ; elle s'étend jusque vers le S'ah'ra , et les 
populations y sont nombreuses et rapprochées jusqu'à 
la partie du H'ammàd-^l-Kebir {^m^\ ^UJI) qui se trouve 
entre lui et Sedjelmâça. Là, cesse toute population 
jusqu^aux boui^des de TOuad-el-Açâoura [ij^im^] ^l^)^. 
A partir de ce point, on commence à trouver des vil- 
lages pendant dix journées et jusqu'aux environs de 
Touàt. La rivière se dirige ensuite à droite, dans des 
sables considérables. C'est le plus grand cours d'eau du 
Mor'reb en longueiur, avantage bien stérile ; car cette 
contrée est la plus redoutable de toutes par le peu de 
séciurité qu'on y rencontre. 

Nous arrivâmes à Msouêr-er-Rîân (uk^' jly*^) vivant 
le coucher du soleil , et la queue de la caravane n'y par- 
vint qu après feucha. Nous y rencontrâmes une troupe 
d'amis dWin-el-Konadsa ( * — ^^ ^ ^^< usb^)« ^^ Mk'il 



' Dan5 co |Mssago , copié presque mol pour mot dans El-*Aîachi , 
MouIa-Ali'uHHi a oublié de mentionner le nom d*Ouad-Djir, auquel 
5e rap|H>rte celle description. En revanche, il nous fait connaître que 
re\prt*s5ion mon /><iv5, par laqueUe El-'Aîaehi désignait le Heu d'où 
sort rOuad-l>jir, est le pavs des Aît-'Aiàeh. 

* El-\Aiachi e**nl OiuKl-el-Acàour. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 191 

( J**a), de Ben-Kîs (y^^ y^), de Djtr (j«-), de Nouai 

(J'y)- 

Mercredi , a a djoumâd-et-tani ( 17 août). 

Nous partîmes de Msouêr-er-Rïân le mercredi, et 
nous allâmes à El-Âouna (iUyJt)^, où nous arrivâmes 
au d'oh a. Nous descendîmes à côté de la maison de 
notre ami Sid-Moh ammed-ben-Abou-Zïân , et nous y en- 
trâmes avec toute notre société ; nous y mangeâmes à 
discrétion le kouskouçou et de la viande (que Dieu Ten 
récompense ! ). Une troupe de pèlerins se joignit à nous 
dans cet endroit. On institua mok addem ^ de la cara- 
vane, pour les afiaires du voyage, Moula-el-'Arbi-ben- 
loucef-el-H'aceni. Cétait le meilleur agent qu'on pût 
choisir, Thomme le plus loyal. 

A cet endroit, le guide nous revint avec le reste des 
jimients qui s'étaient égarées à Merbah'îa^. Nous nous 
remimes en route, et nous arrivâmes à Bichâra (l;Uk^) 
à rheure du zaouâl. Là est la source d'une fontaine 
considérable, dont Teau abondante, douce et pure, 
est d'un goût excellent ; nous y fîmes nos ablutions et 
nous nous y reposâmes , puis nous allâmes à im endroit 
élevé, où la caravane s'établit, et où nous campâmes. 
Les gens du pays, jeunes et vieux, les uns à pied, les 

' Terre de palmiers. 

' On donne ce nom au chef d'une corporation religieuse , comme 
sont les *Aiçâoua, les *Ammârin, etc. En général, c'est un fondé de 
pouvoirs. 

' Plus haut, il a écrit Mehri-Fah'ïa. 



192 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

autres montés , accoururent en foule pour nous voir, et 
ils nous apportèrent beaucoup de fruits. 

Jeudi, a 3 djoumâd-et-tani ( 18 août). 



Le jeudi, nous allâmes à Ouaknâ (Uâ»^ ou lôsâ»^), 
où nous Hmes notre provision d*eau, et où nous cou- 
châmes à l'Est d'El-Toumïat ( a^^I ) et à FOuest de 
Tenfesri ( ç^m,%iy ) . 

Vendredi, a 4 djoumâd-et-tani (ig août). 

Nous marchâmes le vendredi jusqu'à Ez-Zerrik' 
(^^jj^t). Là, nous toiunâmes du côté où se trouve 
Teau. Les pèlerins abreuvèrent les animaux et emplirent 
les outres. L'eau n'y était pas très -abondante, et il 
falKit se contenter du peu qu'on y rencontra. Je suivis 
l'ouad, paixre qu'il me sembla d'abord que c'était une 
route bien frayée; mais bientôt il se présenta des 
ravins, des endroits difficiles, et je vis alors qu'on ne 
passait pas de ce côté. Je m'étais engagé sur ce sentier 
parce que j'avais vu une mule qui y marchait; mais je 
m'y égarai comme elle. 

A l'heure du d'ohor, nous fîmes la prière, et mes 
compagnons se séparèrent pour chercher une bonne 
route; mais ils n*en trouvèrent point, si ce n'est en 
suivant la crête d^s montagnes, direction que nous 
primes en effet. Du sommet de ces hauteurs, nous 
apeix:iunes la cai*avane qui, de loin, semblait un vais- 
seau. Nous la rejoiguimes, grâce à Dieu, et nous al- 



VOYAGE DE MOULA-AHMED. 193 

lames coucher dans un lieu qu'on appelle Dâr-el->Kbiça 



Samedi , a 5 djoumâd-et-tâni ( a o août ) . 

Nous partîmes le samedi. En approchant d'Omm- 
el-Iâs ( (^UJl f»l ) 1 nous fûmes joints par une petite 
troupe d'amis, des gens de Fidjidj {^jii)^ lesquels 
sont 'Abid; avec eux était Sid-Ah'med-ben-Abou-K'â- 
cem-el-Bouîh'adoiu^i. Nous passâmes le moment de la 
grande chaleur du joiu* à Onun-el-Iâs , et nous y fîmes 
la prière du d'olior, après quoi nous nous remîmes 
en route. 

Les gens de Fidjidj venaient en foule au-devant de 
nous, jeunes et vieux ; ils nous apportaient des raisins, 
des dattes et des pèches. Que Dieu les comble de 
grâces I Nous faisions route avec les habitants de cette 
ville, qui continuaient d'affluer à notre rencontre. En 
vue de Fidjidj, nous trouvâmes le k'âïd Moh'anuned* 
es'-SVir-ed-Dra'ï-el-Djezri, khalifa de notre souverain 
'Abd-el-M âlek-ben-Ism'ail , le pieux, lequel était alors 
en voyage. 

Nous mimes pied à terre au bivac des pèlerins , et 
nous y passâmes la nuit du samedi. 

Dimanche et lundi, a 6 et 27 djoumâd-et-tani 
(ai et aa août). 

Nous séjournâmes le dimanche, pour arranger nos 
affaires. Tachetai de l'orge meilleure que celle de Ta- 
filêlt, moyennant trois mouzouna le meud. Leur meud, 

25 



194 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

suivant ce que j'ai appris, vaut trois oussouêu. Dans ce 
pays, il n'y a que le poids léger qui ait coiurs, et ce 
poids est encore accidentellement diminué, selon le 
caprice des gens du cheikh. 

Grâce à Dieu, nous pûmes nous procurer tout ce 
qu il nous fallait. Les pèlerins achetèrent des vête- 
ments, et ils payèrent les portefaix arahes qui étaient 
venus de Tafilêlt à Fidjidj. 

Je trouvai dans cette ville le conunentaire de Delàîl- 
el-Kheïrât^ et celui de Tenbi-el-Anâm^, de Sid-Ah'med- 
ben-Abou-Beker-ech-Chérif-el-F^ouni-el-Fidjidji. Ta- 
chetai du papier, et le donnai au frère de Sid-'Ali-ben- 
Moh'ammed-ben-Ah'med-er-Râchidi, poiu* qu'il me 
copiât cet ouvrage; il ne voulut pas recevoir d'argent 
pour ce travail. Cet homme était de la famille du k ad'i 
Sid-Moh'ammed, lequel se trouvait alors absent. Notre 
seigneur 'Abd-el-M âlek , lui ayant pris ses biens, l'avait 
destitué, et il avait quitté le pays. Le kad'i actuel, Sid- 
Moh'ammed-es -S ah râouï , de la tribu des Beni-Tsour 
(jj^ 4^ ), a commenté habilement, à ce qu'on m'a rap- 
porté, l'ouvrage appelé EsSor^a^. Il m'a fait deux vi- 
sites, et m'a traité avec cordialité. SDn père était ami 
du mien. Il est auteur d'un conunentaire sur le Delâîl- 

* Espèce d'eucologe musulman dont il a été déjà question. 

' Espèces de litanies en Thonneur de Mahomet. D y en a un exem- 
plaire à la bibliothèque d* Alger, sous le n* 338. L'auteur est connu 
sous le nom d*El-K'aîrouâni. 

^ Cet ouvrage traite de Tunité de Dieu. Sous le n"* i ga B, la biblio- 
thèque d*Âlger possède une glose ou commentaire qu El-Had*âdi a 
composé sur la s'or'a d*Es-Senoucî. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 195 

el-Kheîràt et d'une mand'ouma ou pièce de poésie sur 
la s'or'a d'Es-Senouci. 

Il était instruit en jurisprudence , mais il ne savait 
pas le nahW^ Un homme qui ne connaît pas cette 
dernière science ne peut guère écrire d'ouvrages ; aussi 
le k'âd'i en question n'avait pu surmonter cette diffi- 
culté que grâce à Dieu et au moyen de la grande quan- 
tité de livres qu'il possédait, et qui lui venaient de 
son aïeul 'Abd-el-Djebbàr. J'entrai dans sa bibliothèque 
en 1109, dî^sî qu'avait fait mon père ; et les enfants 
d'Abd-el-X)jebbàr nous montrèrent les certificats de 
capacité (»>W-') de leurs ancêtres. J'ai vu là des livres 
fort anciens et très-curieux. Nous louâmes im guide 
pour nous mener à Abou-Semr'oun ((j[yUw 45^1) ^, moyen- 
nant un mitk'al. Cet homme se nommait Moh'ammed- 
ben-'Aïça, et était d' Abou-Semr'oun. 

Mardi, a 8 djoumâd-et-lani (a3 aoiîl). 

Nous nous remimes en route le mardi, et nous arri- 
vâmes à Dormel (J^^) après le d'ohor; la queue de 
la caravane n'y parvint qu'après l'ac'er. L'eau est en 
petite quantité dans cet endroit; cependant elle suffit 
aux pèlerins. Nous y trouvâmes une flaque récente d'eau 
de pluie. Du reste, la localité abonde en eau vers la 
partie supérieure de la rivière; mais la caravane n'eut 
connaissance de ce fait qu'au moment où elle était sur 
le point de partir. 

' La grammaire. 

' Ailleurs il écrit Bou-Sem aoun;le vrai nom est Bou-Semr'oun. 



196 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

Mercredi, ag djoumâd-et-tani (a4 août). 

Pailis de là , nous allâmes , à Theure du sl)ah\ aux 
puits qui sont au milieu du canton d^Omm-ei-K'arftr- 
el-R'arbîa {u^jii\j\jÂi\ J)\ Nous y abreuvâmes nos 
animaux et nous nous remîmes en route. Quand nous 
fûmes au milieu du défilé , nous rencontrâmes les gens 
d*Omm*-el-K'arâr-el-R'arbïa, qui venaient au-devant de 
nous en grand nombre, apportant des pèches, dont 
chacun de nous put manger à satiété et même em- 
porter. J'en envoyai aux enfants. Us nous apportèrent 
aussi des aubei^ines et des courges. (Que Dieu les ré- 
compense ! ) Leiurs pèches sont de la meilleure qualité. 

Nous maixrhâmes ensuite jusqu'après Fheure du d'o- 
luu\ Nous finies les ablutions, la prière, et la caravane, 
dont pUisieui^ pei^onnes s'étaient éloignées pour aller 
iichotor à U ville, se réimit. 

Nous iHMUiuuàmes ensuite notre route et nous ren- 
oontrAmos dos gtMis dX)imn-el-K'arâr-el-K oblîa {j\jii\ pi 
vX^O^^^. Us so (ilui^iirent des ravages annuels que la 
li^\iv e\ei\\ùt ^vinuî eu\* Nous leur dimes. Que Dieu 
WHis guérisse ! puis nous allâmes jusqu'auprès d'une 
luii^iv. Nous Avions cru pouvoir coucher à l'Ouad-el- 
K \\\U^ vV^*^^"^ ^'^V ' '^ rivière des roseaux; • mais nous 
ivuvvutiÀmcs lo fivr^ de Sid-Moh'ammed-ben-Abou- 
Nv^Uxt^ vjui wous |Hv\iut que ct?tte rivière était loin en- 
Ksuv; 4U0 w^vuvUut^ tout près du lieu où nous nous 

V^tUU v'i k A vil A* • V^«.o< 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 197 

trouvions, il y avait un cours d'eau appelé H'edjâdj (ç^) , 
assez abondant pour abreuver les animaux. Nous allâmes 
nous y établir, et il s^y rencontra de quoi faire paître 
nos chameaux. 

Sid-Moh'ammed-ben-Abou-Noua m'apprit que son 
père était Fami du mien, et qu'il avait trouvé une 
source de bénédictions dans cette amitié. La famille de 
Sid-Moh'anmied tire son origine des Oulâd-Sid-Dekheil 
(Juv^d«>uuii d^^i),quihabitentà'Aîn-es'-S'ofrâ(l^juJl ^a^). 
Ils m'apportèrent beaucoup de raisins, du beurre salé, 
de l'oi^e , de la farine et sept moutons. Ils passèrent 
la nuit avec nous , au nombre d'environ cinquante indi- 
vidus, y compris les enfants. 

Jeudi, ' (a5 août). 

De là nous allâmes à l'Ouad-el-K'oç'ob, où nous nous 
arrêtâmes; les bêtes et les gens se rafraîchirent, puis 
nous nous remîmes en route, et ne finies de halte 
qu'au défilé d'Abou-^emr'oun , où nous arrivâmes après 
l'ac'er. U y a là d'excellents raisins, qui n'ont pas leurs 
pareils pour la douceur et la grosseur. Je n'en avais pas 
trouvé d'aussi bons depuis que j'avais quitté mon pays. 

Vendredi, samedi, i*' redjeb (36, 27 août). 

De là nous allâmes à Abou-Semr'oim , où nous arri- 
vâmes avant le d'ohor. Les gens de cet endroit étaient 
venus en grand nombre au-devant de nous loin de chez 

' Il y a ici une de ces erreurs de date provenant de causes qui ont 
été indiquées plusieurs fois. 



198 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

eux , et ils nous apportaient des raisins. Je devins Thôte 
de Hadj-ech-Cheikh-ben-Marabout-Meftâh', ami de 
mon père. Lors de notre retour du pèlerinage de 1 1 09, 
nous avions déjà logé chez lui. Il me donna du kous- 
kouçou, dans lequel il y avait la moitié diun mouton, 
et il fit porter trois plats de kouskouçou aux autres 
pèlerins. Que Dieu augmente le bien de tous les gens 
de ce pays , qui nous ont accordé une si généreuse hos- 
pitalité pour Tamour du Seigneiu*! 

Ce pays a pris son nom du premier qui s^y établit, 
El-Ouali-es'-S àleh'-Abou-Zem^aoun^ Quand ce saint per- 
sonnaî^e moiurut « on Tenterra dans cet endroit. 

Dimanche, a redjeb (a8 août }. 

Nous |virtime5 le dimanche 2 de redjeb, et nous ar- 
n\Amos, apro5 le ddior, à \\în-el-Mes'bâh' (^UuâXI ^^j 
♦ lomissoaudeU lampe. •àr£std'Ech-Chelâlât(c:>^^ILâJl). 
iiraiuls ot ix'tits, tous les habitants vinrent au-devant 
do nous« et nous accueillirent avec une grande joie. 
U V A^Ait |vinni eux les enfants de Sid-Moh'anuned- 
lvn-\\iv\t et ses frères, tous gens de bien et remphs de 
bioux^nlUnoe. Leur pore a^*ait été fami du mien. 

Jo do\ius rhôto des gens de Ech-Chelàlât , qui me 
fuvut 04vlojiu Jo quAtpe nK>uton5, de beurre salé , d'orge , 
ol \vn^piotortM\t ce qui n^ manquait. Que Dieu le leur 
ivïulo ! 

l\v^ <^ *i;v ïfc^.N.i^r-.W ^-Arun^e «in ok^ Sfmr'oun; la négligence 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 199 

Lundi, 3 redjeb (ag août). 

Partis de là, nous allâmes faire la prière de Tac'er 
sur le ruisseau appelé ^Aîn-Lâh'ak' {^^^^ (jxs^), àRebâouât 
(i^l^l^). Nous nous arrêtâmes au morVeb, et la queue de 
la caravane ne vint qu'après l'heure de Teucha. 

Mardi, 4 redjeb (3o août ). 

On marcha ensemble , ^t je rattrapai la caravane, 
qui était alors en avant. Les guides prévinrent les pèle- 
rins qu'il n'y avait pas d'eau devant eux. Les uns vou- 
laient retourner à Rebâouât, pour s'en approvisionner ; 
d'autres n'étaient pas de cet avis, prétendant qu'on en 
trouverait en continuant la marche; la majorité fut 
pour le retour. Ceux qui manquaient d'eau retour- 
nèrent donc sur leurs pas, pour se pourvoir. Quant à 
moi, en les attendant, je me dirigeai vers un immense 
térébinthe à grandes branches, qui donnait beaucoup 
d'ombre, où je me tins jusqu'à ce que, la provision 
d'eau étant faite et tout le monde réuni , on se remit 
en marche, pour aller descendre à El-Hadits(e^«xiL), 
où l'on arriva après l'ac'er. 

Mercredi, 5 redjeb {3i août). 

De là nous allâmes à El-Karâkid (o^};Xll), où l'on 
arriva au d'oh'a. Les animaux purent se rassasier en 
cet endroit. Les gens du pays vinrent vers nous et se 
réjouirent beaucoup de notre arrivée. Us me donnèrent 
des figues, du raisin, du beurre salé et un mouton. 



200 VOYAGE DE MOULA AHMED. 

Je fis part de leurs libéralités aux pèlerins nécessiteux. 

Nous nous remîmes en route, et nous arrivâmes à 
El-R'ftçoul ( J^UJt) à Tacer, le mercredi, sixième jour 
de redjeb\ qui répond au dernier joiur de r'oucht^. 
Les gens du lieu furent très-contents de notre arrivée , 
et m'envoyèrent deux moutons. Sid- Abd-el-K erim-et- 
Tou&ti m'en donna neuf à lui seul, ce qu'il accom- 
pagna d'un peu de beurre salé. Je partageai ces choses 
entre tous les pèlerins. 

Nous fîmes la rencontre d'un honune d'Er-Ràchdîa 
(isiO^I^I), de la tribu d'El-R'eris (cr^l J^<)^ ^"^^ 
son fils. Il s'appelait Sid-'Abd-Allah-ben-Sah'noun et 
son fils Sid-£1-Hàchemi. Ils avaient l'intention d'aller à 
Ia Mecque , et nous attendaient pour partir avec nous, 
ou\ et leur famille. Leur pays était sous la domination 
dovS Turcs. 

Jo louai un honmie dWbou-Semr'oun ^ , qui se 
clu^iyi\t« moyennant deux mitk'al, de nous conduire 
x^ur hi nnito dXk\r'ouàt\ U s'appelait Sid-Moh'am* 
mod-<^)-MolluAr. Cêtait un sa^-ant, qui connaissait le 
KoiMU |Mr cxvur. Il avait visité Alger, Tlemsén, avait 
.insJnIo au ^op* JWan\ U avait passé cinq ans à Fês 
ot ot.iit >tUo À MorÀljich^ à Taroudant et à Tâdiâ. 

IX^us mon |vlorinApt* de i 109, nous n'avions pas 

l'^A^vv* W iw^yr>r oàVo;d *V ^vXi:*-Ah'in«l, ce doit être le 5. 

K Vx; W iK^nx ^^x >ni Vnk!y^ Ok^cncnt a notre mob d'aoûL 

r*r U iv^\c>^ïv>f »î;; \'v>c^>;e cr hkM est écrit ici Abou-Bem- 



% X 



Tm V ^,-^ï,»N-it'^; ,»v. cvK^Sfc ,^ Kyr^. M^ JLinmed-ben-IUkdach, 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 201 

voulu prendre cette route, parce qu il y faisait très-froid, 
qu'elle était couverte de neige et fort exposée au vent 
des montagnes. Nous avions appuyé sur la droite, di- 
rigés par un homme des Oidâd-Sid-Ech-Cheikh (^^^1 
^jsJ] Oyuw), que nous avions pris à loyer. Une nuit, 
nous fûmes abîmés de neige; elle était tombée en si 
grande quantité quelle surchargeait nos tentes, cou- 
vrait là route , le dos des chameaux et des autres ani- 
maux. Cette circonstance nous obligea à séjourner 
jusqu'au d'ohor du lendemain. Les pèlerins commen- 
çaient à invoquer le Dieu des mondes pour lui deman- 
der d'avoir pitié d'eux et de les tirer de ce mauvais 
pas. Alors le guide nous mena sur la route du S ah ra , 
attendu que de ce côté il n'y avait pas à craindre de 
neige. Nous marchâmes donc dans le désert, et ne 
reprimes la. route des montagnes qu'à El-Ar'ouât'. 

Jeudi, 6 redjeb ( i" septembre). 

Nous partîmes d'Er-R'âçoul le jeudi 7 ^ redjeb, et le 
i*' de chitenber (septembre). Aux environs de l'ac'er, 
nous arrivâmes à Mokhlîk {^^AJ^). 

Vendredi, 7 redjeb (a septembre). 

Nous nous remîmes en route le lendemain , et nous 
arrivâmes de bonne heiu*e sur le Metsbour (^y^ ^t^). 
Nous y abreuvâmes les chameaux et autres bêtes. C'est 
une rivière où il y a beaucoup d'eau. On trouve là de 
l'herbe très-haute. 

* Moula- Ah'med continue l*erreur de date signalée plus haut. 

•26 



202 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

Samedi, 8 redjeb (3 septembre). 

Nous reprîmes notre marche après avoir rempli les 
outres et nous être désaltérés. 

Dimanche, 9 redjeb (4 septembre). 

De là nous allâmes à 'Aïn-el-M âd'i ( ^^Ul (^jv^) , où 
nous arrivâmes le dimanche 9 de redjeb , ou le 4 chî- 
tenber (^septembre), à Theure de Tac'er. La popula- 
tion en masse vint au-devant de nous. 

Lundi , 1 o redjeb ( 5 septembre ) . 

Nous séjournâmes le lundi, afin de laisser reposer 
les chameaux et de ferrer les mides. 

I^ population d'Aln-el-Mâd'i est en grande partie 
com|M>sée de tVlba ou savants. Ils lisent Sid-Khelil ^ 
Leur chef est Sid-Ah med-el-Dahs'àî , nom qui s'écrit 
avec un Jal surmonté d^unfafh'a, un hé avec un se- 
ioNit» un sad^ et qiii rime avec h'amrdï. Ce personnage 
ost d\m %^ge avancé ; il est infirme et ne peut marcher. 
Qu.uid il sort« cVst i faide d^une monture, qui est 
hAbitucUomeut un âne* Il a trois enfants, Sid-Moh am- 
«uhK Sivl-*AlvWr4\jih'nvui et Sid-Zerrok'. Tous les 

I e^ hv^mmo^ remArquables de cette ville , sous le 
ix^PjsMi àe U ivnnJi;>csxnof du droit, sont Sid-Abou-el- 
K^i\V*^K Sut- VKWr-l\Ahnv3in-Ber\lelis, Sid-Wïça-ben- 

^ vV * ^^ \s\vwvciv,v«^; ^je 5i*i-RVi^:iî ert Fjiuieur d'un rookht«- 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 203 

lah'ïa , Sid-Abou-el-K'âçem-ben-'Aïça et Sid-'Aïça-Abou- 
'Âkkâz. Ce dernier se livre uniquement à Tinstruction 
des jeunes gens. 

Les gens de cette ville sont bienveillants et justes. 
Le sultan 'Abd-el-Mâlek ^ les a maltraités et humiliés. 
Il leur a pris ce que les Arabes laissaient en dépôt 
chez eux, et a enlevé de leurs maisons les grains, le 
beurre salé ; il les a frappés en outre d'une contribu- 
tion de mille rîaP; bref, il ne leur a rien laissé. La 
considération dont ils jouissaient auparavant leur ren- 
dit ce traitement d'autant plus pénible. Je les engageai 
à prendre leur mal en patience, et ils patientèrent, se 
conformant à leur destin. 

A partir de ce moment, leurs femmes fiu*ent obli- 
gées de se montrer au dehors , et de travailler comme 
celles des Arabes, c'est-à-dire comme des bêtes de 
somme. Je leur fis des représentations à cet égard, et 
renvoyai toutes celles qui circulaient parmi les gens 
de la caravane. Que Dieu les amende, et nous aussi! 

L'eau de cette ville est fraîche et excellente ; elle 
vient des gorges de la montagne, et se répand dans 
les jardins. Les habitants traitèrent la caravane avec 
hospitalité. Que Dieu augmente leurs biens! 

En l'année 1096, les gens d'Aïn-el-Mâd'i me de- 
mandèrent de leur laisser le manuscrit d'El-'Atîma, 
ouvrage de mon père, afin d'en prendre copie ; je le leur 

' Un des fils de Mou]a-Isina*ïl , empereur de Maroc, dont il a été 
question précédemment. 
* Environ 3,5oo francs. 



204 VOYAGE DE MOULA-AHMED. 

laissai y pour que cet œuvre leur profitât. Dieu récom- 
pense les bonnes intentions, dans sa bonté généreuse. 

Les habitants de cette ville se conduisirent fort bien 
à mon égard et envers les miens. Un d'entre eux me 
demanda la permission de m'enunener chez lui : j y 
allai avec plusieurs amis; il nous fit accepter un repas. 

Je visitai leiur mesdjid, et y fis la prière du doha, 
alin de pix>fiter des bénédictions attachées à leur mos- 
quée, et de celles qui avaient été obtenues par les 
fidèles qui y ont prié jadis. Les gens d'Aïn-el-Mâd'i 
disent que leurs savants sont tous des chérifs; ceux-ci 
vivent entre eux, toujours occupés de Tétude du droit. 
(\nnme ils ont la même origine, ils ont de Tautorité 
sur les enlants les uns des autres; ils ne connaissent 
ni la jalousie, ni les inimitiés. Toutefois ils permettent 
t|ue leui^ femmes, jeunes ou vieilles, sortent à visage 
découvert, et fassent le conunerce avec les pèlerins. 
IXms mon pèlerinage, en 1096, je leur fis des repro- 
ches à ctMte occasion: il> me répondirent : «Telle est 
notiv ivutume à nous autres Arabes dWigine bédouine. 
lV;uUeui>. Ivi jvunivte de la pluprt d'entre nous nous 
N ol^lii^e, et quant à ceux qui ont de l'argent , ils font 
de nuMue, a cause de la rareté des étoffes. » 

Ku ouhv, les fenunes ne font pas fablution appelée 
djcnàki \ ni celle qui est connue sous le nom de h eïda*, 
non plus que Pal lution qui est de rigueur après Ten- 
lautcuicur ( onuue je les en n^primandais, ils s'ex- 

* * 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 205 

cusèrent en disant que ces ablutions donnaient des 
coliques à leurs femmes. Cependant plusieurs pèlerins 
virent celles-ci qui lavaient de la laine dans une eau 
courante et froide. Prions le Dieu des mondes, afin 
que nous ne fassions rien que de droit et de juste, eux 
comme nous ! 

Dans ce pèlerinage actuel , je vis encore les femmes 
d'Aïn-el-Mâd'i qui faisaient le commerce avec les pèle- 
rins, et je m'en plaignis à leurs maris, qui, tout confus, 
gardèrent le silence. 

Pressé par le temps , je n'entrai pas dans la bour- 
gade, et, par le même motif , je n'allai pas à Misra 
( BjM^JiA ) , à l'imitation des gens de bi^fi qui visitent ce 
lieu. Il y a, dans ce dernier endroit, une mesdjid cons- 
truite sur une colline , avec de grandes pierres qu'on 
dirait avoir été travaillées par un tailleur de pierre, 
quoique cependant elles se rencontrent ainsi naturel- 
lement. 11 y a beaucoup de tombeaux autour de cette 
mosquée. Au bas de la colline est un ruisseau d'eau 
courante , siu* les bords duquel on remarque une grande 
quantité de figuiers. Le sol de la mesdjid est couvert 
de ces tapis qu'on appelle kWîfa, qui sont faits de 
laine et de l'espèce de jonc appelé h'alfa. Il y a aussi 
de belles nattes et des lampes. 

Auprès de la mosquée, il y a une cuisine où l'on 
Fait du kouskouçou; elle est construite en forme de 
chambre, et elle est pourvue de marmites et de s ah'fa '. 

^ Grands plats en bois, dans lesquels on prépare et l'on sert le 
kouskoiiçoti. 



206 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Cet endroit est visité par les Arabes nomades et les 
gens des environs , qui ont une grande vénération pour 
la mesdjid, siutout les Bédouins. Quant aux habitants 
d'Aïn-el-Mâd'i , ils ont ce pèlerinage en aversion, pré- 
tendant qu'on ne doit visiter que trois mosquées, et 
que celle-là n est pas du nombre. Je les repris au sujet 
de cette assertion, et ils ne trouvèrent rien à répondre. 
J'ai fait jadis ma prière en cet endroit; mais, dans ce 
pèlerinage, ainsi que je Tai déjà dit, je n'y allai pas. 

Mardi, ii redjeb (6 septembre). 

Nous partîmes d'Aïn-el-Mâd'i , le mardi et nous arri- 
vâmes à Tedjmout (c^jy»^) au d'ohor; les habitants vin- 
rent en foule au-devant de nous, grands et petits, à 
pied et à cheval , et ils furent extrêmement satisfaits de 
nous voir. Leur imàm, Sid-Ah med-ben-Barkàt, homme 
très-{\gé, sortit également. Il me donna trois moutons; 
une autre personne m'en donna un. Je partageai ces 
présents. 

Tedjmout est une assez belle bourgade : il y a des 
jaixlins et des maisons de campagne : nous ne voulions 
ps d*aboixl Y aller, de peur de la drîas *, herbe qui 
iXMid les chameaux malades ; mais les gens du pays nous 
diriMU que dans cette saison il n\ en avait pas. Nous 

* C t>l une pi An te do U tAnùUe des oiubellifores, que M. le docteur 
( % u\ o« crvnf ètrv W >. V "'. m« dos- Grec* , ou le serpittum des Latins ; à Alger, 
on r,%pj><lW K^fcx '11, \o\ei, ci->»pres. la note i de la page a84.) Les 
tVn«ne> ilHhi^MH>s prvniH^nl une sorte de contilure faite avec celte 
pU^nU\ Aî»n tW devenir eiKx'intes plus facilement. 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 807 

crûmes à leur parole, et, en effet, nous n'en trouvâmes 
point. 

Mercredi, la redjeb (7 septembre). 

De là nous allâmes à El-Ar'ouât' (Isl^^^l), où nous 
arrivâmes à Tac'er. La queue de la caravane n y par- 
vint qu'aux environs de l'as'lirâr ( un peu avant le cou- 
cher du soleil). Les gens du pays, en masse, vinrent 
au-devant de nous , se réjouissant de nous voir, et nous 
témoignèrent beaucoup d'amitié. 

J'avais rencontré à Tedjmout Sid-Moh'ammed-ben- 
Ab'med-ben-Iah'ïa et Sid-Ah'med-ben-Abou-Zïàn , qui 
sont mes amis, et dont les pères étaient amis du mien. 

Parmi les légistes d'El-Ar'ouât', on remarque M oh am- 
med-ben-Abou-Kesmîa , Sid-Ah'med-ben-Edrîs , Sid- 
Moh'ammed-ben-Khalîfa , Sid-'Abd-er-Rah'mân-el-Fedji- 
dji, et Sid-Isma'îl d'Aïn-el-Mâd'i. 

Je reçus l'hospitalité des gens d'El-'Ar'ouât', qui me 
traitèrent avec du kouskouçou, des figues, des fruits, 
entre autres des pèches. 

Jeudi, i3 redjeb (8 septembre). 

Nous séjournâmes le jeudi 8 de chitenber, ou 1 4 ^ de 
redjeb. 

El-Ar'ouât' est une ville considérable , qui possède 
un immense territoire bien cultivé, et qui produit des 
fruits de tous genres. Mais il fait beaucoup de vent dans 
cette contrée, et il y a beaucoup de sable. Un de leurs 

' Cest la continuation de Terreur déjà signalée. 



20» VOYAGE DE MOULA-AHMED. 

fak'i, vieillard de quatre-vingt-seize ans, Sid-Ah'med- 
ben-Abou-Zïân , m'a raconté que jadis les vents avaient 
détruit de fond en comble un bourg qui était près d'El- 
Ar'ouât'. On ne sait où le vent a emporté ce bourg 
ainsi que ses habitants, dont il ne reste pas même de 
traces. On assure que cette catastrophe arriva, parce 
qu un marabout les avait maudits. Le tombeau de ce 
saint personnage est encore en ce lieu, et ii y a un 
bâtiment auprès. Cest un endroit généralement connu. 
Que Dieu nous protège par sa bonté ! 

Vendredi, i4 redjeb (9 septembre ^ 

Nous partîmes d'El-Ar'ouât' le vendredi 1 5 de redjeb 
ou 9 de chitenber, et nous allâmes à El-'Açâfîa ( iU»L«jJt), 
où nous nous arrêtâmes. On y abreuva les animaux de 
K^i cciravane. et les pèlerins se désaltérèrent. Un de mes 
chameaux étant devenu malade, je le laissai chez un 
\\^ mes amis qui s'appelait , je crois, Sid-Iah'ia. 

Nous bi vaquâmes à K'atsil ( J^) \ où nous étions 
.uTixes apiV5 l\tsliràr. Là est une rivière dont Teau est 
wuiMute. 

Samedi . 1 ^ redjeb ' 1 o septembre . 

\ou^ stlLum^ vie b i Démet ^^iiM»a\ boiug situé sur 
Jv >uK vlo b UKnxîJi^ie. à miroite de celui qui se dirige 
A rr^K Nur ur^-e rt^ùre ou II v a\"ait de Feau courante 
\^ \Uv\ sti^u>s tvtxvtrv::;jirce5 par leurs firuits. Nous yarri- 
\ Uu>vx A Tk cr I Ji ivocJvi:-.'»©. ocH^.Julte par son imâm 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 209 

Sid-Moh'ammed-ben-M eça'oud « vint au-devant de nous , 
et nous accueillit avec joie. Ils nous dirent qu ils per- 
sistaient dans la bonne voie , et qu ils ne volaient plus 
les caravanes. Il me parut qu^en effet ils disaient la 
vérité; car, pendant la nuit que nous passâmes en cet 
endroit, nous n eûmes aucune tentative coupable à 
réprimer. 

Dimanche, 16 redjeb (11 septembre). 

Nous allâmes à un endroit nommé El-Bordj ( ^^i). 
On s'y désaltéra et on fit la provision d'eau, puis on se 
remit en route. Un de mes chameaux, appartenant aux 
Oulâd-el-Hadj-Moubârak (^>Im ^ll ^^^0^ ^^ fatigua, 
et fut placé chez un individu des Oulâd-ben-Herz- Allah 
(aMI^^t^ {^ d^^t), lequel s'appelait Sid-Mohanuned-ben- 
'Aiça-ben-Iah'ïa-ben-H'erz-Allah . Il savait lire le K'oran; 
son fi^ère me dit qu'il voudrait bien faire le pèlerinage 
avec nous, mais que Sid-Moh'ammed étant, pour le 
moment , en voyage dans le Tell , il ne pouvait mettre 
aussitôt son projet à exécution; qu'il attendrait son 
retoiu» et partirait avec la caravane de Fês. 

Nous descendîmes à El-R'izân ((^^j^^lji â l'as'firâr. 
Il y avait un peu d'eau , qu'on se partagea et dont on 
abreuva les animaux. 

Lundi, 17 redjeb (la septembre). 

De cet endroit, nous allâmes à 'Abd-el-Medjid 
( Jyy?^! JyL^) , OÙ nous arrivâmes vers le matin. C'est 
une rivière où il y a de l'eau. Nous mimes pied à terre 



27 



210 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

afin de faire boire nos bêtes et de remplir nos outres; 
car nous allions entrer dans la Mefâza (i(>Uut) d'Ouadi- 
Sidi-Khâled, pays immense, difficile , rude , desséché , 
sans eau, dangereux, effrayant pour les pèlerins qui 
le parcourent. 

Il n y passe pas ime caravane qui n^y laisse quelqu'un 
de vivant, homme ou bête. Il court, à ce sujet et sur 
cette contrée , le proverbe suivant : « Il faut toujours que 
la Mefâza prenne sa part. Mais tout est dans la main de 
Dieu, et si Dieu ne veut pas, il n'en est pas ainsi. » 

Les gens d'A'moura {'^jy^), dont le village est sur la 
montagne qui est auprès d'Abd-el-Medjid, vinrent faire 
le commerce avec les pèlerins, selon la coutume de 
Fendroit, et ils apportèrent des poules. Nous conti- 
nuâmes notre route , et nous allâmes coucher près 
d'Ouad-et-Toumïât (c:*WyJl ôÏ^). 

Mardi, 18 redjeb (i3 septembre). 

De là nous allâmes à El-R'a(ïk ( JuuuJt) au roroub, 
où nous fûmes pris par la pluie. 

Mercredi , 1 9 redjeb ( 1 4 septembre ) . 

D'El-R'afik nous nous rendîmes à Sid-Khâled 
(jJl^ ù^^f^)^ où nous arrivâmes à Tas'firâr, le mercredi 
20 redjeb ou i4 chitenber. Grâces soient rendues à 
Dieu de ce que nous avons pu parcourir cette distance 
sans accident, sans avoir eu à souffrir de la soif! 

* Mor^reh , as'Jirâr et r'orouh ont à peu près la même signincation , 
et se disent du moment où le soleil se couche. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 211 

Nous passâmes la nuit en cet endroit. Le lendemain 
matin, je voulais aller visiter la zaouîa du prophète de 
Dieu, Sid-Khâled-ebn-Senân ; mais les Arabes des en- 
virons, qui avaient promis de ne rien faire de mal à la 
caravane, manquèrent à leur parole. Un de mes amis 
étant sorti avec deux chevaux qu'il voulait abreuver 
auprès de la zaouîa, un parti d'Arabes, qui avaient mis 
pied à terre près de là, le rencontrèrent et lui enle- 
vèrent les chevaux de vive force. Mon ami revint se 
plaindre ; mais nous ne pûmes avoir les chevaux. Alors 
nous connûmes que nous avions affaire à des ennemis. 
Cela ne m'empêcha pourtant pas de faire un pèlerinage 
à Sid-Khâled. J'y allai avec toute la caravane. On 
marcha tous ensemble, et, arrivés en face du marabout, 
on se tourna vers la k'oubba, et, de loin, on lut un 
fatli'a. Une autre fois, s'il plaît à Dieu, je ferai le pèle- 
rinage plus complètement ^ 

Jeudi, ao redjeb (i5 septembre). 

On se mit en route au s'bah'; nous traversâmes le 
pays des Oulàd-Djelâl (J^k:^ ^^(^t). Je rencontrai mes 
amis Sid-M oh'anmied-ben-el-H adj , Sid-'Abd-el-Bâk'i, 
Sid-Moh'ammed-ben-'Aïça et Sid-Moh'anuned-ben-Sa'ïd. 
Ils m'accompagnèrent pendant quelques milles, après 
quoi nous nous séparâmes. 

La bourgade des Oulâd-Djelâl est une des plus con- 
sidérables du pays de Zâb. Elle est fort peuplée; on y 

' Ici Moula-Ah'med cite ce qu'El«*Aîaclii rapporte du prétendu 
prophète Khâled. 



212 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

remarque une medreça, ou école supérieure pour les 
t'o'iba-mouhdjirin, nom que les gens de cette contrée 
donnent aux savants réfugiés. Ceux-ci sont puissants 
et ne craignent pas les Arabes, dont ils ne sMnquiètent 
guère. De là vient qu'on appelle mouhdjirin, dans ce 
pays, tous ceux qui vivent indépendants des Arabes. 

Nous nous remîmes en route et nous arrivâmes, 
après Tac'er, à El-Ark {àjjà\). Nous couchâmes dans 
cet endroit, où il nous survint une pluie peu considé- 
rable. Là une troupe d'Arabes se présentèrent, et nous 
rendirent les deux juments qui avaient été enlevées à 
mon ami, auprès de Sid-Khâled. Que Dieu les récom- 
pense de cette bonne œuvre ! 

Vendredi, ai redjeb (16 septembre). 

Nous partîmes, et nous traversâmes l'ermitage de 
l'ami de Dieu, Abou-Zid-Sid-'Abd-er-Rah'mân-el-Akh- 
d'ari [^^yà^^\ *s?^b)- (Q^® toute bénédiction lui arrive!) 
C'était un imâm qui savait l'elm-ed -d'âhir « la science 
écrite » et l'elm-el-bât'en « la science révélée. » Il a com- 
posé des ouvrages connus, remarquables, qui sont 
demeiu*és dans la mémoire des hommes. Il a fait : 

1° Sur la logique, la mand'ouma ou poëme appelé 
Selloum-el-Moronnak . Tous ceux qui lisent cette œuvre 
en retirent de l'instruction; 

2^ Un autre poëme sur la vie spirituelle, qui res- 
semble à El'MahâK etz-el'Oac elîa , ouvrage dont la poé- 
sie est agréable; 

3*^ Un formulaire de lettres (incha), qui toutes sont 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 213 

remarquables par renchaînement des Idées, Téléganceja 
pureté des expressions, la beauté et la douceur du style ; 

4® Un commentaire sur un traité relatif à l'emplace- 
ment où est bâtie la Mekke ; 

5^ Une introduction à la législation, qui est fort 
connue des gens de cette contrée; 

6° Un traité des successions et des fidéiconunis, 
quil a commenté lui-même; 

7° Un poème sur la rhétorique et sur la partie de 
cette science qu'on appelle hedîa\ ou connaissance de 
l'emploi des allitérations du Parammaseis, etc. Il a aussi 
commenté cet ouvrage; 

8® Une pièce de poésie sur l'histoire du tabac ; 

9** Un poème sur la magie, appelé le Flambeau, qu'il 
a commenté lui-même; 

10® Un poème sur le testament de Mahomet ^ 

Les gens d'El-'Ark sont instruits, et leurs habita- 
tions sont l'asile de la science et de l'honnêteté. 

Nous arrivâmes à Melila (aXaJU) au d'ohor; nous 
couchâmes en cet endroit, où il tomba une pluie assez 
forte, qui dura jusqu'au lever du soleil. 

Samedi, a a redjeb (17 septembre). 

De là nous allâmes à Biskra-en-Nokhel (cMsUl 'ij^^^ 
• Biskra aux palmiers , » où nous arrivâmes , après l'ac'er, 
le samedi 2 3 redjeb ou 1 7 chitenber. 

' Ici on a joint au texte la substance d'une note marginale qui com- 
plète cette notice bibliographique. 



214 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Dimanche, a3, lundi, aâ redjeb (18 et 19 septembre). 

Nous y séjournâmes le dimanche et le lundi. Cette 
fois, pressé par mes affaires , je n entrai pas dans la ville. 

Dans un pèlerinage de 1 109, j'y étais entré, j'avais 
visité sa mesdjid, et j'étais monté dans le minaret. Ce 
minaret est solidement bâti, élevé, vaste; l'escalier a 
cent vingt-quatre marches, et une mule peut arriver 
jusqu'au haut avec sa charge. La mosquée est très- 
spacieuse et parfaitement construite , mais elle n'est ni 
fréquentée ni habitée. On n'y trouve personne occupé 
à lire ou à enseigner. 

Biskra est une belle et grande ville , où il se gagne 
beaucoup d'ai^ent , parce que la population y est nom- 
breuse , le commerce actif et l'agriculture florissante. 
Sa position , entre le Tell et le S'ah ra , contribue beau- 
coup à sa prospérité. On y voit un grand nombre de 
palmiers , de grands oliviers ; il s'y recueille du lin très- 
fin. Il y a abondance d'eaux courantes , sur lesquelles 
on trouve une multitude de moidins. On y voit des 
champs de h'enna, des pâturages, et on y récolte des 
fruits et des légumes. Les bestiaux et le beurre salé 
abondent sur le marché ^ 

Dans ce pèlerinage, je visitai les Oulâd-Sid-Moh'am- 
med-es'-S'âlah'; le fils du marabout m'apporta des dattes 
et du petit-lait. Mes amis mangèrent et burent à vo- 
lonté. Je visitai aussi Sid-K'âcem. Le frère de Sid- 
Moh'anuned-ben-'Abd-el-Ouah'ed-er-Roumâni me ra- 

* On supprime ici un passage emprunté à Ei-*A!achi. 



VOYAGE DE MOULA AHMED. 215 

conta que ce marabout était un saint homme , et que 
jadis il avait été émir er-rekeb « chef de caravane. » Sid- 
'Abd-el-Ouahd et Sid-Moh'ammed , oukil de Sid-K'âcem, 
étaient des amis de mon père. Us vivaient encore en 
1096. Que Dieu leur soit miséricordieux! 

Le fils de Sid-Moh'ammed-ben-S'âlah' me mena visi- 
ter tous les marabouts de son endroit. Je visitai aussi 
Sid- Abd-er-Rah'mân , Sid-Abou-el-Fad el , Sid-Moham- 
med-el-Moufik', Sid-S emmabi , Sid-Moh'ammed-ben- 
Abou- Ali et Sid- Ali-el- Aoudâni. 

Le frère de Sid-Moh ammed-ben-'Abd-el-Ouah'ed m'a 
raconté qu'Abou-el-Fad'el était disciple d'Abou-el-Fad'- 
el-en-Nemaoui , et qu'il est enterré dans une ville située 
à deux joiunées de Biskra, derrière la montagne. Je le 
questionnai au sujet du savant connu sous le nom d'Ël- 
Biskri, celui qui a composé une h'achïa « des gloses » sur 
El-Mouràdi ; il me répondit qu'il était enterré dans le Zâb. 

Mon oncle paternel Huceïn m'a assuré que Sid- 
M oh'ammed-ben-Abou-'Ali était encore vivant , l'année 
de son pèlerinage. Il ajoutait que, lors de son arrivée à 
Biskra avec la caravane , Sid-Ah'med-ben-'Abd-el-Mâlek- 
el-Sedjelmêci, disciple de mon père, et mok addem, de 
la corporation des fak'ir dans son pays, leur avait dit, 
« Allons visiter ce marabout et portons-lui nos offrandes, 
selon la coutiune du pays , afin qu'il nous protège dans 
notre voyage ; » qu'il avait suivi ce conseil , et qu'en effet 
lui et ceux qui avaient rendu cet honunage au mara- 
bout accomplirent le pèlerinage sans accident. Us avaient 
passé environ une heure chez Sid-Moh ammed-ben- 



216 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Âbou-Ali, qui leur avait donné du kouskouçou, des 
dattes /de Teau. 

Quand j^entrai dans la mesdjid de ce saint person- 
nage, je ne trouvai personne occupé à lire ou à instruire, 
si ce n'est un homme couché à côté d'un autre qui était 
assis, auquel il lisait quelque chose, sans convenance 
et sans méthode. Cependant quelques amis m'ont assuré 
y avoir vu im individu qui lisait seul les traditions de 
Boukhàri. 

Il \ a, dans le pays de Biskra, un canton appelé 
Koiuti , qui se compose de beaucoup de boui^ades. Le 
k'àd'i de cette contrée réside à Biskra. 

On a déjà vu que Biskra abonde en palmiers, en 
oliviers et en fruits de toute espèce. Cette ville est 
entoiurée de murs et possède un fossé. On y remarque 
une djàma\ des mesdjid et beaucoup de bains. Les 
jaixlins potagers et fruitiers lui forment une ceinture 
dan^ une étendue d'environ six milles. 

Panui les espèces de dattes, il y a celles qu'on ap- 
pelle el-kenbà ou es-simàni, la meilleure de toutes ^ 
lue auti'e espèce « qu ib nonunent el-bâzi, est blanche 
et moIK\ Le chi'ite 'Obeïd-AUah avait donné l'ordre 
au\ gt^ns de ce pin*s de ne vendre qu à lui les dattes 
do cette dornièi-e espèce. Il y a bien d'autres espèces 
que je n\ii jvis le tenq>5 dVnumérer. 

Ce ^vAssji^ e*l e> kù*nuiï<?nt cop»^ tUiis El-Bekri (vovox la note 
dv* M i^utrvuH'rv. ^v^l vW'j ctt*». jm^: 5k>5 . Salement , comme dans 
W uvAiui^^rtt kI^t MoaU- \h luevl Kr* p^ntits dlicntkiue^ wnl marqué». 



VOYAGE DE MOULA AHMED. 217 

A côté du fossé dont il est question et hors de 
Biskra, il y a des jardins de fleurs (rïàd'). Uy a beau- 
coup de grands édifices dans cette ville. Les savants y 
sont nombreux et ils suivent, de même que le reste 
des habitants, la secte appelée Moutîa. Une des portes 
de Biskra s'appelle Bâb-el-Mok'bara, a porte du cime- 
tière ; » une autre Bâb-eMl'ammftm, « la porte des bains, » 
et une troisième, Bàb-el-M ouldoun ^ Les puits sont 
nombreux et Feau en est douce ; il y en a un , dans la 
mosquée principale, qui est inépuisable. Dans Tinté- 
rieur de la ville, on trouve des jardins où l'eau de la 
rivière n'arrive pas. 

Dans les environs, est une montagne de sel d'ex- 
Tcellente qualité. Le chi'ite 'Obeïd-Allah et ses enfants 
employaient ce sel poiu* leur cuisine. 

L'eau que l'on boit à Biskra provient d'une rivière qui 
descend du Djebel-Aourês, et vient arroser ces contrées. 

Les gens du pays disent qu'il y a , sur le chemin de 
Biskra, une montagne appelée Zinik' ou, peut-être, 
Zinklr , laquelle renferme une caverne où se trouve le 
cadavre d'un homme qu'on dirait mort de la veille, et 
sur lequel l'action du temps est insensible ; les bles- 
sures laissent encore échapper du sang. Or la présence 
de ce cadavre en cet endroit date d'un temps inuné- 
morial, sans que l'on connaisse l'auteur du meurtre, 
ni à quelle époque ce meurtre a été commis. Les gens 
de la contrée avaient enterré cet- homme dans le cime- 
tière, afin qu'il devînt pour eux une source de béné- 

' A Alger, on donne ce nom aux mulâtres. 

28 



218 VOYAGE DE MOULA AH'iMED. 

dictions; mais, au bout de quelques jours , il se re- 
trouva dans la cavemel Xai appris ceci par des gens 
véridiques de ce canton. Dieu fait ce qu'il veut. 

Moh'ammed-ben-Ioucef a écrit dans son ouvrage : 
« Il y a un homme tué dans une caverne qui est à TEst 
des 'Aïn-Aoubân, entre K'art'âdjena et Sbiba. » Il dit 
qu'on le croirait égorgé du jour même où on le voit , 
quoique cependant il soit dans ce lieu depuis une époque 
antérieiu^e à la conquête de l'Afrique par les Arabes. Il 
ajoute qu'il n'a pas entendu dire qu'on ait essayé de 
l'enterrer ni qu'il soit revenu à sa caverne. Dieu seul 
sait la vérité dans tout ceci. 

Mardi, a 5 redjeb (ao septembre). 

Lorsque les pèlerins eiurent terminé leurs affaires, 
que chacun eut acheté et vendu selon ses besoins et 
qu'on eut fait des provisions, nous partîmes de Biskra 
au d'oh'a, le mercredi 26 redjeb, ou le 30 chiten- 
ber^ Nous allâmes à Sid-'Ok'ba (iUà^ (^«Xju»), où nous 
arrivâmes à l'ac'er. 

Celui qui a donné son nom à cette localité est Sid- 
'Ok'ba-ebn-Nâfï'a-el-Fahari-el-Têba'ï* el-K'oreichi, qui 
est venu au monde du vivant de Mahomet. Pour cette 
raison, quelques auteurs le mettent au nombre des 
s'ah'âba, c'est-à-dire, compagnons ou contemporains 

* Ici Moula- Ah'med corrige Terreur d*un jour, qui a été signalée 
plus haut. 

* On donne ce nom aux personnages de la génération qui a suivi 
celle contemporaine de Mahomet. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 219 

du prophète. Mâ'ouïa-ebn-Abou-Sefiân le fit émir d'Afri- 
k'ïa\ et l'envoya dans cette contrée avec mille musul- 
mans. 'Ok'ba fit la conquête du pays, tua la plupart des 
chrétiens qui s'y trouvaient; beaucoup de ceux qui 
échappèrent au massacre embrassèrent l'islamisme; 
mais, après le départ des Arabes, ils retournèrent à 
leur religion. Les musulmans, voyant que- leur conver- 
sion n'avait été qu'une ruse , résolurent de bâtir devant 
Afrik'îa une ville toute musulmane et qui demeurât tou- 
jours telle. 'Okl)a en fit la proposition, et ses gens y 
consentirent. On établit donc une commission chargée 
de faire évacuer Afi:ik'îa , poiu* placer dans la nouvelle 
ville les chrétiens qui se convertiraient, et on décida 
d'abord que cette nouvelle ville serait édifiée sur le 
bord de la mer, position qui paraissait la plus favorable 
dans l'intérêt de la guerre sainte. Mais quelqu'un fit 
observer que, dans cette situation, elle serait exposée 
aux attaques maritimes des Grecs. Ceci fut cause qu'on 
choisit un emplacement éloigné du littoral, de peur 
des entreprises de l'empereur de Constantinople. On 
dit aussi qu'il fallait la bâtir auprès de la sebkha^; car, 
les Arabes. ayant beaucoup de chameaux, ce lieu ofiri- 
rait une abondante pâture à ces animaux , aux portes de 
la ville et dans un endroit où on n'aurait rien à craindre 

' Le mot Afriyîa signifie tantôt une province, tantôt une ville de 
Tancienne Africa des Romains. D est pris ici dans ce dernier sens. 

' Les cartes n*indiquent aucune sebkha de ce côté ; mais Pe]fsson- 
nel (tom. I»pag. ii3 et ii4) mentionne un étang salé, auquel il 
donne 20 lieues du Sud au Nord, eti 4 lieues deFEst à TOuest. Il ditque 
K'aîrouân est dans cette plaine salée. 



220 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

des Berbères et des chrétiens. Cet avis fut encore 



agréé, 



L^emplacement de la ville future était couvert de 
broussailles qu^il fallait brûler^ ce qui entraînait la des- 
truction du gibier et des animaux de toute espèce qui 
s'y trouvaient. 'Okl)a s'adressa à ces animaux, et leur 
dit : I Je suis le compagnon du prophète , sur qui soit le 
salut et la bénédiction; je veux bâtir ici une ville, et il 
faut que nous brûlions ces broussailles. Sortez d'ici par 
Tordre de Dieu. » Et tous les animaux qui s'y trouvaient 
se retirèrent. On discuta ensuite pour savoir de quel 
côté était le k'ibla^ On examina les étoiles à cette in- 
tention , pour bien déterminer la vraie direction. Pen- 
dant la nuit , 'Okl)a pensait à cette affaire ; il vit en 
songe un honune qui lui dit : « A l'heure du s'bah', 
prends un étendard à la main, et quand tu entendras 
crier, Allah ou akber, et que toi seid entendras ce cri , 
suis la direction de la voix. Lorsqu'elle cessera de se 
faire entendre , tu seras arrivé à l'endroit du k'ibla. • 
'Okl)a suivit cette instruction. 

En l'année & i ( 6 7 1 de J. G. ) , Mâ'ouïa rappela 'Okl)a , 
et mit à sa place M eslama-ben-Mokhled , qui fut chargé 
du gouvernement de l'Egypte et de l'Afrik'îa. Celui-ci 
résida en Egypte , et se fit représenter dans l'autre pro- 
vince par un lieutenant qui se nommait Dinàran, et 
dont le surnom était Abou-el-Mouhêdjir. A son arrivée 

On donne ce nom à l'endroit vers lequel on se tourne pour faire 
la prière. Il indique la direction de la Mecque, et est déterminé par 
une niche qu'on appelle mehrab. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 221 

en Afrik'îa , Dinâran ne voulut pas résider dans la ville 
où avait halnté ^Ok'ba, et il s^établit à deux milles de 
là, du côté de Tunis, où il fonda une nouvelle ville 
qu'il appela El-Berber de Takidouàn. Celle-ci com- 
mença à se peupler, et Fautre ( El-K'aïrouàn ) devint 
déserte. *Ok'ba, qui fut informé du fait, s'écria : « Dieu 
veuille qu un jour cet homme se trouve sous ma main. » 
Or, ce quOk'ba demandait, Dieu le lui accorda; et 
quand Abou-el-Mouhêdjir en eut connaissance, il re- 
douta la colère d'Ok'ba. 

Du temps de cet Abou-el-Mouhêdjir, les musul- 
mans s'emparèrent de Cherîk, qui est auprès de Tunis. 
Une. des portes de cette ville en a pris son nom. Cherîk 
était remplie de grands édifices, et renfermait d'im- 
menses richesses. 11 y avait beaucoup de terres en cul- 

tiu*e dans les environs. 11 fut pris par H'ench-ben-'Abd- 

■ 

AUah-es -S'enâni , lequel était envoyé par Abou-Mou- 
hcdjir. Es -S enâni tua les gens de là ville. 

'Okl)a se trouvait alors en Orient ; il se rendit auprès 
de Mâ'ouïa , et lui fit des reproches , lui disant : « J'ai 
conquis le pays d'Afrik'ïa, et tu m'en as exilé pour y 
envoyer un enfant qui m'enlève ma gloire. » Mâ'ouïa 
évita de répondre à ces plaintes, et se contenta de lui 
rendre son gouvernement ; mais l'affaire traîna en lon- 
gueur jusqu'à la mort du khalife, qui arriva en 6 o ou 
6i (68o de J. C). Son fils lezîd, qui lui succéda, 
renvoya 'Ok'ba en Afrik'ïa, et il ne laissa que l'Egypte 
à Meslama-ben-Mokhled. 

'Okl}a partit, en 6a , pour T Afrik'ïa, fort mal disposé 



222 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

pour Abou-el-Mouhêdjîr. A son airîvée, il le fil jelcr 
dans les fers, et força la population d*abandonner la 
ville d'El-Berber et de retourner à £l-K'aîrouân. 

*Ok'ba annonça ensuite que son intention était de 
faire la guerre sainte sans relâche, pour Famour de 
Dieu. II laissa Zouhaîr-ebn-K'is-el-Belaouî à £1-K'aî- 
rouan, et, prenant congé de ses enfants, il leur dit : 
« Je me suis donné au Dieu des mondes; vous autres, 
faites comme vous Tentendrez. > Il se dirigea alors, 
avec imc puissante armée, sur la ville de Bârîa, où 
les chrétiens s'étaient rassemblés. Il les attaqua vigou- 
rcusenient , les battit, et leiu* prit beaucoup de cha- 
nienux. Les musulmans n'avaient jamais livré une bataille 
semblable, et n avaient jamais eu affaire à des guerriers 
aussi braves, La ville était auprès du Djebel-Aourès, 
(|ui lu dominait entièrement. 

UAr u\ était une cité principale fort belle. Un fleuve 
Y ooulo; il Y avait beaucoup de fruits, de cultures et 
tio pAturagos. Le mont Aourès est auprès, et cette 
luouliigno s'étend, sans interruption, jusqu'au pays de 
SoUvH» Api^^s avoir battu vigoureusement les gens de la 
coiUiHH\ 'Okl>a s'en alla, ne laissant pas de garnisons 
dorii^^iv lui , de peur d'affaiblir son armée et de ne 
pouNoir )^ us suivre son système de razîa générales et 
\HM\liuuolh\s« 

Il <^ILi onsuîto j^ Kl-Mîs, qui était alors une des villes 
|mhui|mU\s dos< liiws^ l*es gens d'El-Mîs marchèrent à 
îi.^ iH^uv \mUiv, t^t ou se Kittil avec ardeur. Peu s'en fallut 
\juo lo> xluvlioUv^ no rtnu|H>rtassent la victoire; cepen- 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 223 

dant ils finirent par succomber. Les musulmans les 
suivirent jusqu'à la porte de la forteresse. Le butin 
fut immense. 'Ok'ba ne s'arrêta pas de ce côté et il s'en 
alla vers le pays de Zàb. Il demanda quelle était la 
ville la plus forte de cette contrée ; on lui dit que c'était 
Danâa \ où il y avait un roi , chef des chefs chrétiens 
du Zâb , pays qui comptait trois cent soixante bour- 
gades ayant chacune leur émir. 

El-Ia'k'oubi dit qu'Adanâa ^ est la plus grande ville 
du pays de Zâb , vers l'Ouest ; qu'il y a beaucoup de 
rivières et de sources d'eau douce. 'Ok'ba rencontra 
les gens du pays , et un grand combat s'engagea , dans 
lequel les musulmans eurent d'abord le dessous ; mais 
Dieu leur vint en aide , et ils triomphèrent des chré- 
tiens, dont la majeure partie fut détruite. Le pouvoir 
de ces derniers cessa dans cette province , et ceux qui 
siurvécurent tombèrent dans l'abaissement. 

De là 'Ok'ba s'en alla vers Tâhart ^. Les chrétiens de 
cette région, informés de ses récentes victoires, appe- 
lèrent les Berbères à leur secom^. Ceux-ci consentirent 
à les seconder, et se hâtèrent de leur venir en aide. Un 
grand combat eut lieu, dans lequel les chrétiens, bat- 
tus par les musulmans, furent poiu*suivis et perdirent 
beaucoup de monde. Les Berbères se séparèrent d'eux, 
et partout où les musulmans trouvaient ces derniers , ils 
les tuaient, s'emparant de leurs biens et de leurs enfants. 

' L*ancienne Diana. 

' Plus haut. Moula- Ah'med écrit Danâa. 

' Aujourd*hui Takdemt. 



224 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

De là 'Ok'ba alla jusqu'à la ville de Tanger, où ré- 
gnait un roi grec y qui était fort puissant. Ce chef envoya 
vers le général musulman pour pariementer, et il finit 
par se placer sous la domination mahométane. 'Okl)a 
s'informa du pays des Andalous (Espagne ) , et on lui dit : 
« Il est au delà de cette mer qu'on ne peut traverser. • 
Il demanda au prince chrétien de Tanger de lui faire 
connaître les principaux d'entre les Berbères et les 
chrétiens. Le prince lui répondit : « Tu as laissé der- 
rière toi le pays des chrétiens , et tu n'as plus devant 
toi que des Berbères , dont la quantité est tellement 
innombrable que Dieu seul en sait le compte. Ce sont 
des gens sauvages. » 'Okl)a demanda où ils se tenaient : 
« A Sous-el-Adnâ \ répondit le prince ; ce sont des gens 
qui n'ont pas de religion; ils mangent les morts et 
boivent du sang ; ce sont de véritables animaux : ils ne 
connaissent pas Dieu. • 

'Ok'ba marcha jusqu'à ce qu'il les rencontra près 
de Fés. Il leur livra une sanglante bataille, dans laqudle 
il en fit un grand carnage. Ce qui put échapper à la 
mort prit la fuite. La cavalerie des musidmans suivit 
leur trace et alla jusque dans la région de Sous-el- 
AkVa^, au pays de Dara'a. EUe descendit même jus- 
qu'au désert de Lamtouna. 'Okl>a fit im grand butin 
sur les Berbères ; il y avait des objets d'un prix inesti- 
mable en Orient, entre autres, des peHes, dont ils 
eurent pour une valeur de plusieiu^s millions. 

* Sous le rapproché. 
' Sous Téloigné. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 225 

La population fuyait devant les guerriers musulmans , 
sans pouvoir se rallier, et ^Ok'ba arriva ainsi jusqu^à la 
grande mer, la mer de ceintiu*e. Il entra à cheval dans 
les flots , et dit : « Sur vous soit le salut ! » Ses compagnons 
lui dirent : « Qui salues-tu, ami de Dieu ? — La com- 
pagnie de Jouas , répondit-il , et si la mer ne s y oppose 
pas, j'irai jusqu'à eux. » Il dit encore : • Dieu, tu sais 
ce que je te demande , ce que t'a demandé Iskander- 
dou-el-K'orneïn ^ » Ses compagnons lui dirent : « Et 
qu'a demandé Alexandre ? — Il a demandé à Dieu de 
ne pas honorer un autre que lui , » dit 'Ok'ba ; puis il 
ajouta : « Dieu, j'aime ta religion et je déteste ceux 
qui ne croient pas en toi. » Ses compagnons lui dirent : 
« Allons-nous-en avec la bénédiction du Seigneur. » 

En voyant les musulmans revenir, les Berbères s'en- 
fuirent de tous côtés sur le chemin qu'il suivait. Cet 
événement eut lieu en 63 de l'hégire (882 de J. C). 
'Okl)a, en arrivant auprès de Tanger, ordonna à ses 
compagnons de prendre les devants pour annoncer les 
nouvelles aux gens de la ville et leur dire, de sa part, 
qu'après avoir abattu les gens de l'Afrik'îa et avoir 
vaincu les Berbères de Sous il allait attaquer Tahouda 
et Bâdès , afin qu'il ne restât aucun pouvoir debout , 
dans tout le pays, autre que celui de l'islam. L'armée 
partit d'abord, et il ne resta que peu de monde avec 
'OkTîa, qui se remit ensuite en route pour Tahouda, 

* Alexandre aux deux cornes; surnom que les Arabes donnent à 
Alexandre, roi de Macédoine, parce qu il a subjugué les deux cornes 
ou extrémités du monde, TOrient et TOccident. 

29 



226 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

afin d'y laisser la cavalerie dont le pays avait besoin. 
Il arriva donc avec son escorte, qui était peu nom- 
breuse. Les Grecs , s'aperce vaut de la faiblesse de ce 
détachement, conçurent la pensée de s'en emparer; ils 
fermèrent la porte de leur citadelle, et commencèrent 
à insulter 'Ok'ba, et ils lui jetèrent des pierres. Celui-ci 
leur fit des reproches de leiu* conduite et leur dit : 
n Vous vous êtes faits musulmans, restez musidmans. • 
Il entra ensuite dans la ville. 

Les Grecs envoyèrent vers Kacila El-Bemouci , chré- 
tien qui était devenu musulman à l'instigation d'Abou- 
el-Mouhêdjir, dont il avait été bien traité. Quand ce 
dernier fut remplacé , il avait recommandé Kacila à son 
successeur 'Ok'ba, qui, cependant, ne fit rien pour lui. 
Bien plus, 'Ok'ba ayant amené beaucoup de bestiaux, 
ordonna de les égorger pour les distribuer à l'armée, 
et il dit à Kacila de se mettre à les dépouiller avec ses 
bouchers. Kacila lui répondit : « Que Dieu vous protège ! 
mes serviteurs égoi^eront à ma place. » Mais 'Ok'ba, 
en colère , lui ordonna d^obéir sur-le-champ. Kacila 
exécuta cet ordre avec indignation. Au commencement 
il essuya sa barbe avec ses mains. Les Arabes se mo- 
quèrent de lui, disant : «Que fais-tu là. Berbère .'^» 
Kacila leur répondit : « Ce que je fais est bien , peu 
importe. » Ils se turent, et un chef qui vint à passer 
leur dit : « Craignez ce Berbère ; car, si vous tombez 
plus tard entre ses mains, il vous rendra ce que vous 
lui faites. * 

Ahou-el-Mouhêdjir lit de vifs reproches à 'Ok'ba, au 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 227 

sujet de sa conduite envers Kacila. «Tu n imites pas, 
lui dit-il, la conduite du prophète envers les grands 
de TArabie qui se convertissaient, tels que El-Ak'ra'- 
ebn-H'âber et Aouïaïna-ben-H'ac'en, toi qui maltraites 
ainsi un homme depuis longtemps converti ; un homme 
puissant, et cela, dans son pays, au milieu des siens. » 
'Ok'ba ne fit pas attention à ces paroles. 

Lors donc que les Grecs envoyèrent à Kacila le mes- 
sage dont on a parlé plus haut, ils le trouvèrent dis- 
posé à la révolte. Kacila leva l'étendard de l'insurrec- 
tion, et souleva tout le pays. Abou-el-Mouhèdjir, informé 
de ceci, engagea 'Ok'ba à aller attaquer cet homme 
avant qu'il eût le temps de réimir de grandes forces. 
Le général musulman se mit effectivement en campagne. 
Les Berbères dirent à Kacila : « L'ennemi n'a que cinq 
mille hommes à nous opposer; nous en avons cinquante 
mille. » Kacila leur répondit : « Attendons ; nous ne pou- 
vons qu'augmenter en nombre, tandis qu'eux, au con- 
traire, s'affaiblissent. » 

'Okl)a se dirigea vers Afrik'ïa , et les Berbères mar- 
chèrent contre lui. En ce moment, la majeiu'e partie 
des musulmans était à K'aïrouàn, avec Zouhir-ebn- 
K'îs. Kacila rencontra 'Ok'ba dans les environs de Ta- 
houda. 'Ok'ba descendit de cheval, pria deux rikat' et 
donna l'ordre de délivrer Abou-el-Mouhêdjir, qui était 
aux fers, ordre qu'on exécuta. Il envoya ensuite cet 
homme vers le gros des musulmans , avec des instruc- 
tions sur ce qu'ils avaient à faire , lui disant qu'il com- 

' Parties dans lesquelles se divise la prière légale. 



228 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

battrait en attendant. Moiihédjir lui répondit : « Je 
resterai pour combattre à tes côtés. » Tous deux bri- 
sèrent le foiureau de leur sabre , et cette action fut imi- 
tée par tous les autres musulmans. 

^Okl)a donna Tordre à tout son peuple de mettre pied 
à terre. Alors se livra ime sanglante bataille , qui dura 
jusqu'à ce que Texcès de la fatigue et le nombre des 
blessures empêchèrent les musulmans de continuer la 
lutte. D'aiUeurs, Tennemi ne cessait d'augmenter. 'Ok'ba 
et Abou-el-Mouhêdjir moururent, et, avec eux, tous les 
musulmans, sauf Mohammed-ben-Aoumen-el-Ans'àri 
et im petit nombre d'autres, qui furent faits prisonniers. 
Ils fiu^nt rachetés ensuite par le prince de K afs'a, qui 
les envoya à Zouhîr-ebn-K is. 

Zouhir voidait aller en Egypte pour amener des 
fnnipos. Il avait avec lui Rabîà, beau-fils de Kàb-el- 
Aah Ivir. Zouhir lui dit : • Qui crois-tu que l'on mette 
à la place dOL'ba. » Uautre répondit : • Je crois qu'on 
Uii donnei^ pour successeur un honune de Bali , et toi, 
tu es ini honune de Recàn. • • Dieu est grand! s'écria 
/ouhir : je suis, en eflet, de Bali-khoula; mon grand- 
pèiv est ne dans cette tribu, quoique plus tard il ait 
\ecu chei les l\ei\în. • 

I .es sjens du Mor rvb se rassemblèrent sous le drapeau 
de K.U lia , qui se prt^|\ira à marcher sur K'aîrouàn. La 
ivxohe ga:;ua jusque TAfrikTa, quand on y connut qu'il 

/imhir haran;:tu les nul^ulman^ et leur dit : ■ Nos 
\auKua^)e> qxu ouf tixMoe la nK»rt a côté d'Ok'ba sont 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 229 

entrés dans le paradis , sMl a plu à Dieu , et ils ont reçu 
la palme du martyre. Les portes du paradis vous sont 
ouvertes, entrez où sont entrés vos amis, et si vous 
restez vivants, que ce ne soit que parce que le Sei- 
gneur vous aura accordé la victoire. » 

H ench-^s-S'enâni se leva et dit : « Non, nous ne 
suivrons pas ton avis; nous ne sommes pas sous tes 
ordres et tu n'as pas de commandement à exercer sur 
nous. Nous ne voulons pas mourir, mais bien nous re- 
tirer avec cette armée de musulmans qui restent. » 
H'ench criait de toutes ses forces et avec la voix reten- 
tissante diua crieur public : « Que celui qui veut se 
sauver me suive I Après quoi , il se mit en route et alla 
à K'eç'ar-el-Mâ « le château d'eau. » Tout le monde l'y 
suivit, et il ne resta avec Zouhir que sa famille, qui 
était peu nombreuse. Zouhir, voyant cela, se décida à 
suivre la masse. 

Kacîla arriva avec son armée auprès de K'aïrouàn. 
Les Arabes de cette ville, se sentant trop peu nom- 
breux pour combattre cette troupe immense de Ber- 
bères et de Grecs qui venaient les attaquer, prirent le 
parti de se retirer et d'abandonner K'aïrouàn , où il ne 
resta que le bagage, les enfants, les malades ou infirmes. 
Ceux-ci envoyèrent demander l'amàn à Kacila, qui le 
leur accorda. Ce chef des Berbères fit ensuite son en- 
trée dans la ville en moh'arrem de 64 (883 de J. C). 

Zouhir resta à Bark a jusqu'à la mort de lezid-ben- 
Mâ'ouïa, vers le milieu de s'afer 64. Mâ'ouïa-el-As'r'ar 
fut alors salué khalife, puis il mourut, au bout de deux 



230 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

mois et dix jours. On choisit en Syrie Merouàn-ebn- 
el-Hakem, lequel mourut en ramad'ân 65; son fils, 
'Abd-el-Mâlek, lui succéda. Ce prince prépara ses forces, 
consolida sa puissance , et ayant assemblé les grands de 
rislamisme , il leur dit : « Il faut s^occuper de TAfrik^îa 
et chercher à délivrer les musulmans qui s*y trouvent 
entre les mains de Kacila. » Il ne voulut envoyer dans 
ce pays qu'un général d'un zèle religieux égal à celui 
d'Okl)a. On lui conseilla de prendre Zouhîr-ebn-K'îs- 
el-Belaouî, qui était, disait-on, un ami d'Okl)a, con- 
naissait son système plus que personne, et pourrait, 
mieux que qui que ce fût, suivre ses traces. 

'Abd-el-Mâlek lui envoya donc Tordre de se rendre 
en Afrik'îa , afin de délivrer ceux des musulmans qui 
étaient à K'aîrouân. Zouhîr écrivit à ce prince pour 
lui donner des détails sur Kacila et siu* les Berbères 
qui lui obéissaient. 'Abd-el-Mâlek lui envoya ensuite 
des troupes de Syrie et de l'argent, de sorte que Zou- 
hîr se trouva à la tète d'une armée considérable, avec 
laquelle il entra en Afi:*ikm dans l'année 69 (688 de 
J. C). Il s'approcha de Kacila, qui venait au-devant 
de lui. Le chef des Berbères appela les grands qui 
marchaient à sa suite , et leur dit : « 11 me semble qu'il 
faut quitter cette ville (K aïrouân) ; car je ne veux pas 
maltraiter les musulmans qui l'habitent et qui ont fait 
un traité avec moi; mais, d'un autre côté, je crains 
qu'ils se réunissent à leurs compatriotes qui arrivent. 
Nous irons donc à Mêmes , où il y a beaucoup d'eau et 
de quoi suffire aux besoins de notre armée. Si nous 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 231 

battons ces Arabes, noiis les poursuivrons jusqu à Tri- 
poli ; nous les détruirons radicalement , et TAfrlk m nous 
restera jusqu à la fin des siècles. S^ils nous battent, la 
montagne est proche; nous y trouverons ime retraite 
et nous nous fortifierons à El- Arîch. » 

Kacila quitta K'aïrouân et alla camper à Mêmes, 
où il rencontra Zouhîr, qui marchait sur K aïrouân. Le 
chef arabe s'arrêta à Bâb-Sela\ où il demeura trois 
jours poiur faire reposer son armée. Il se remit en 
route un mercredi , et marcha jusqu'à ce qu il aperçut 
Kacila, ce qui arriva vers la fin de la journée. Les 
deux armées firent halte et bivaquèrent en vue Tune 
de Tautre. 

Au s'bah\ Zouhir fit la prière , puis marcha à Ten- 
nemi, et le combat s'engagea. Kacila fut vaincu et tué 
à Mêmes, qu'il ne put traverser. Pendant que les mu- 
sulmans poursuivaient vigoureusement les Berbères, 
Zouhir alla à Kaîrouftn. Les gens de TAirik'ïa, redou- 
tant ce général , se retirèrent dans leur forteresse. Pen- 
dant ce temps , Zouhir voyant la beauté de ce pays , et 
combien la vie y était séduisante, résolut de n'y pas 
rester, lui qui était venu pour faire la guerre sainte. 
Il alla donc à Barka, où il y avait, en ce moment, des 
chrétiens qui , lors de son passage vers l'Afrik'ïa, ayant 
su sa marche vers l'Ouest, étaient venus dans cette 
ville sur des navires, et y avaient exécuté une razïa, 
enlevant hommes, femmes, enfants, dépouillant ou 
tuant les fidèles. Zouhir, en approchant de Bark'a, ap- 
prit que les chrétiens y étaient encore. Il ordonna à 



232 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

son armée de suivre le chemin, tandis que lui, avec 
un détachement, marchait par le Sah el. U pensait que 
cette disposition suffirait pour faire fuir Tennemi et dé- 
livrer les musulmans. Il arriva en vue des chrétiens, 
qui étaient nombreux. Ceux-ci ne piurent revenir sur 
Bark'a , et gagnèrent le littoral , au grand déplaisir de 
Zouhîr, qui voyait sa prise siur le point de lui échapper. 
Mais lorsque les fuyards eurent embarqué le produit 
du pillage, Tarmée clu'étienne reçut Tordre de débar- 
quer, ce qu'elle exécuta. Les musulmans se précipi- 
tèrent sur eux, et on combattit corps à corps. Zouhîr 
y périt avec tous ceux qui raccompagnaient , et les chré- 
tiens enlevèrent tout leur butin , le portèrent dans leurs 
vaisseaux , et prirent la route de Constantinople. Quand 
'Abd-el-Mâlek reçut cette nouvelle, il s'affligea svay 
tout de la mort de Zouhîr, homme très-pieux et qui 
avait eu la même fin qu Okl)a. 

Les grands de Tislamisme s'affligèrent de cette mort. 
'Abd-el-Mâlek leur demanda qui il devait envoyer en 
Afi:'ik'ïa. Ils répondirent qu'ils ne connaissaient personne 
qui méritât plus cet honneur que H acen-ebn-en-Neu- 
mân-el-R'oçâni , qui se trouvait alors en Egypte avec 
un corps d'armée d'observation fort de quarante mille 
hommes. En conséquence le khalife écrivit à H acen de 
se mettre en route. Celui-ci distribua des gratifications 
à ceux qui le suivaient en Âfrik'îa , et il se trouva à la 
tête d'ime forte armée ; on n'en avait jamais vu une 
pareille en ces contrées. Son départ eut lieu en 69 
(688 de J. C). H'acen marcha jusqu'à El-K'aïrouân; 



VOYAGE DE MOULAÂH'MED. 2^ 

là , il demanda aux gens d'Afrik'îa où se tenait leur 
principal chef. On lui répondit que c'était à K art'â- 
djenna \ grande ville dont les murailles sont battues par 
les flots de la mer, et qui est à douze milles de Timis 
et à cinq milles d'Ei-K'aïrouàn. H'acen se dirigea de 
ce côté : il y avait une population nombreuse à K ar- 
t'âdjenna , parce que c'était la résidence des rois d'A- 
frik'îa. 

H acen fît avancer sa cavalerie. La mer ne pénétrait 
pas alors dans les terres comme aujourd'hui. Cette 
ville était devenue un arsenal. Là se rencontrèrent les 
armées, et le combat commença. -H'acen obligea les 
ennemis à rentrer derrière leurs murailles, et il les 
assiégea. Un grand nombre de ces chrétiens étaient 
morts dans le combat ; lem* chef et les gens employés 
par le gouvernement impérial résolurent de s'enfuir. 
Ils avaient des bâtiments tout près, sur lesquels ils 
partirent, emportant leurs richesses. Les ims allèrent 
à Djezira-S'ek'ila (la Sicile); d'autres gagnèrent le pays 
des Andalous. 

Après la retraite de ces gens, H'acen retourna sur 
ses pas, et marcha sur les indigènes de la campagne 
( Ahl-el-Badïa), lesquek vinrent se réfugier dans K'ar- 
t'âdjenna. Alors le général musulman revint en faire le 
siège, qu'il poussa vigoureusement jusqu'à ce qu'il la 
prit d'assaut. Il y périt beaucoup de monde. H acen 
avait détruit les édifices de là ville et l'aqueduc qui y 
conduit l'eau. Il apprit que les chrétiens rassemblaient 

' Carthage. 

30 



t 



234 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

du inonde pour le venir combattre , à Tinstigation des 
Berbères. Il marcha à Tennemi, le mit en déroule, el 
les Berbères s'enfuirent jusqu'auprès de Bark a. 

H acen alla ensuite à El-K a ïrouân , où les musulmans 
prirent quelque repos, t Quels sont, demanda leur gé- 
néral, les principaux chefs qui nous sont hostiles en 
Afrik'îa, afin que j'aille les détruire pour épouvanter 
les chrétiens et les Berbères? » Les gens d'El-K aïrouân 
lui répondirent qu'il n'y avait personne de plus puis- 
sant en Afi:ique qu'une femme appelée Kâhina ^ , qui 
commandait dans le Djebel-Aourês, et se faisait obéir 
et craindre des chrétiens et des Berbères. 

H acen résolut d'aller combattre cette femme. Celle- 
ci , qui en fut informée , partit du mont Aourês ( JkA> 
ijé\j^\ ) à la tête d'une forte armée , et se dirigea vers 
la ville de Bâr aia (jUpL ) ^. Les Grecs en sortirent, et elle 
la fortifia soigneusement, de peur que H acen ne prit 
l'avance et ne s'emparât de ce lieu, important par sa 
force, dont il ferait une base d'opérations. 

Lorsque les deux armées se trouvèrent en présence , 
c'était vers la fin du jour. H'acen ne voulut pas que la 
rencontre eut lieu à cette heure avancée. Il ordoqna 
toutefois à sa cavalerie de laisser les chameaux sellés 
pendant la nuit. 

' J*ai déjà fait remarquer qu^ElKâbîna n*est qu'un sobriquet, et 
que le vrai nom de cette reine est Damîa. 

' L*auteur anonyme du traité de géographie, n* 1^6 A de la biblio* 
thèque d* Alger, dit qu^il y a huit jours de marche entre Bougie et Râ- 
r'aïa, dont il écrit le nom ainsi ajU^ • 



VOYAGE DE MOULA-AHMED. 235 

Dès le matin du jour suivant, le combat s^engagea; 
il fut terrible, et les Arabes y firent des pertes énormes. 
£1-Kâhina fit prisonniers trente des compagnons d'f ezid, 
parmi lesquels se trouvait Khâled-ebn-Iezid-el-Abbaci ; 
il y avait aussi des chérifs. La reine des Berbères pour- 
suivit Tarmée arabe jusqu à ce que celle-ci eût dépassé 
le pays de K'âbes, et qu'elle eût évacué rAfrik'ia. 

H acen fit part de ces nouvelles à 'Abd-el-Mâlek ; le 
khalife lui répondit : « Arrête-toi dans le lieu où ma lettre 
te parviendra. » Ce fut dans le pays de Barka; il resta 
cinq ans en cet endroit, dans un lieu qui a pris de lui 
le nom de R'eçour-H'acen ((^^^Mb»» j^^âi)/ Abd-el-Mâlek 
avait cherché un général pour envoyer en Afrik'ïa , et il 
avait consulté les grands à cet égard ; mais on n'en avait 
pas trouvé de meilleur que H'acen. On envoya donc à 
celui-ci une puissante armée , de l'argent et des armes. 

El-Kâhina avait mis en liberté les compagnons de 
H'acen , après les avoir bien traités , et n'avait gardé que 
Khàled-ebn-Iezid. Elle dit à celui-ci : « Je veux t'allaiter 
comme j'ai allaité mes deux fils. — Comment cela se 
pourrait-il, répondit l'Arabe; car tu n'as plus de lait, 
et moi je ne suis plus d'âge à sucer le sein d'une femme. 
— Chez nous autres Berbères , répliqua-t-elle , on con- 
naît des moyens de faire revenir le lait quand il a cessé 
de couler. » Elle fit alors apporter de la farine d'orge, 
la fit cuire dans l'huile, et plaça le tout sur son sein; 
elle ordonna à ses fils et à Khâled de venir teter, ce 
qu'ils exécutèrent. Quand la chose fut accomplie , elle 
leur dit : « Maintenant vous voilà devenus frères. » 



236 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

H'acen, ayant reçu les renforts qu^on lui accordait, 
chai^ea un Arabe d'aller porter une lettre à Ebn-Iezid , 
dont la constance et les principes religieux lui étaient 
parfaitement connus. Son messager parvint, en se fai- 
sant passer pour un mendiant, auprès de Khâled, qui, 
en Tapercevant, vit que c'était un envoyé, et lui dit : 
« Que Dieu t'assiste 1 va-t'en et reviens plus tard. » 

Lorsque l'assemblée où se trouvait Khâled se fut 
séparée, celui-ci prit les lettres de H'acen et y écrivit 
sa réponse. «Les Berbères, disait-il, sont disséminés, 
sans force et sans conseil. Si je reste parmi eux, ce n'est 
pas que je ne puisse m'échapper, mais c'est par la vo- 
lonté de Dieu, et pour être utile à mes frères. » Il plaça 
ensuite la missive au milieu d'im pain qu'il fit cuire et 
qu'il donna au courrier. 

£1-Kâhina eut connaissance du fait ^ Elle dénoua ses 
cheveux, qui tombèrent en désordre , frappa sa poitrine, 
et dit aux siens : « Des nouvelles qui vous concernent 
viennent d'être envoyées dans un mets. • Alors les grands 
se dispersèrent dans tous les sens, afin de saisir l'en- 
voyé; mais, par la grâce de Dieu, ils ne le trouvèrent 
pas, et il arriva auprès de Hacen. Lorsqu'on retira la 
lettre , il se trouva qu'elle était brûlée ; le général arabe 
dit alors à l'envoyé de retourner une autre fois; mais 
celui-ci ne voulut pas, parce que, disait-il, El-Kâhina 
était magicienne. 

Cependant Hacen lui donna une nouvelle lettre, 
qu'il cacha dans le bois du pommeau de sa selle, eu 

* Par son savoir dans Tart de la divination. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 237 

un trou dont on boucha Tentrée avec de la cire.* Le 
messager arriva sain et sauf, remit sa missive , et reçut 
de Khàled une réponse qui fut placée dans la même 
cachette. 

£1-Kâhina sortit encore cette fois tout échevelée , et 
cria : ■ Des nouvelles qui vous concernent viennent d'être 
emportées, et sont cachées dans une chose qui pro- 
vient de la terre ^ et je les vois entre deux planches. 
Il y avait alors cinq ans que cette femme gouvernait 
rAfrik'ïa, c'est-à-dire depuis que H'acen en était parti. 
Quand elle vit que les Arabes ne revenaient pas, elle 
dit aux Berbères : « Ces gens^là ne veulent en Afrik'ïa 
que les villes , For, Taisent , les arbres ; et nous autres , 
nous n'avons besoin que de champs ensemencés et de 
pâturages. Il me semblé donc qu'il faut détruire les 
cités, afin que nos ennemis oublient ces contrées, et 
qu'ils cessent de désirer d'y venir. » Alors elle envoya 
l'ordre de couper les oliviers et tous les arbres à fruits , 
et de démolir tous les édifices et bâtiments. 

Les gens versés dans la connaissance des anciennes 
chroniques disent , d'après 'Abd-er-Rah mân-ebn-Ziâd- 
ebn-Ana'm , que l'Afrik'ïa , depuis Tripoli jusqu'à Tan- 
ger, était un ombrage continuel, et qu'il s'y trouvait 
une multitude de lieux très^^peuplés. Il ajoute que c'est 
El-Kâhina qui a détruit les arbres auxquels on devait 
cet ombrage, et fait démolir les villes où étaient ces 
populations. 

^ Le bois de la selle, lequel provenait d*un arbre. 



238 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

Le cheikh Moh'ammed-ebn- Ali , auteur d'un com- 
mentaire sur Chek'rât'sîa ^ , prétend avoir entendu dire 
qu'il y avait autrefois, en Afrik'Ia, cent mille lieux for- 
tifiés, châteaux ou villes. Lorsque le sultan qui com- 
mandait k cette contrée voulait faire la guerre , il tirait, 
de chacim de ces endroits, un dinar et un cavalier; de 
sorte que, sans grever personne, il avait un trésor de 
cent mille dinars et une cavalerie de cent mille hommes. 
Dieu connaît la vérité de ceci. 

Celui qui examine la quantité de villes et de châ- 
teaux ruinés qu'il y a en Afirik'îa, et qui les suppose 
habités, éprouve un grand étonnement. Il en conclut 
nécessairement que la popidation a dû être considé- 
rable jadis. Si on examine aussi les arbres de ce pays , 
on voit qu'ils ont été plantés par la main des hommes , 
et ne sont pas, comme ailleurs, un produit spontané de 
la natiu^e. Ces térébinthes, si nombreux en Afrikm, 
étaient autrefois des fest'ek^; mais, n'étant plus culti- 
vés, ils ont dégénéré à la longue. On n'a qu'à goûter 
les baies vertes du térébinthe , on y reconnaît un goût 
de pistache. 

Sitôt que la lettre de Khâled fut parvenue & H'acen, 
celui-ci se mit en route avec son armée. Il rencontra 
ti\>is mille chrétiens, lesquels cherchaient à échapper 
à Kl-Kàhina « qui avait ordonné la destruction de leurs 
maisons et de leiu^s culliu^s. Le général musulman mar- 
cha dix>it sur K àWs ; les gens de la ville vinrent au-de- 

\ o\e4» plus Iwut, U note sur col ouvra^. 
IS>LHhier Cel jirlMr\» eM Ju çenredes tert^binllie*. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 239 

vant de lui, demandant Tamân ^ Jusqu'alors, se fiant à 
leurs fortifications, ils avaient soutenu la guerre contre 
les musulmans, et on ne les avait jamais attaqués im- 
punément. H'acen leur donna im 'amel ^, et fixa le tribut 
qu ils devaient payer annuellement ; puis , abandonnant 
le chemin d'El-K'aïrouân , il tourna vers le K'eç'our- 
Kafsa (jUâjijyâi) et s'y arrêta. Le roi de Kafs'a lui 
apporta le cadeau de bienvenue, et lui demanda, de 
concert avec les rois de K'oust'abîla ( i^li>»b^>É<^ ) ' et de 
Nifzàoua , de les délivrer d'El-Kàhina , demande qui fit 
grand plaisir à H'acen. 

La reine des Berbères , informée de l'arrivée de ses 
ennemis, descendit du Djebel -Aourês poiur aller les 
combattre à la tête d'ime puissante armée. Lorsque la 
nuit fiit venue , elle appela ses enfants et leur dit : « Je 
suis une femme morte : il me semble voir deux cava- 
liers qui firappent sur ma tête du côté de l'Ouest; il me 
semble aussi voir ma tête entre les mains du sidtan des 
Arabes, de celui qui a envoyé le messager. » 

Khàled lui dit : « S'il en est ainsi , fuyons , et aban- 
donnons le pays aux musulmans. >» Ses enfants lui don- 
nèrent le même conseil; mais El-Kâhina leur répondit : 
« Ce n'est pas la coutume des rois de fîiir devant le dan- 
ger; après avoir commandé aux Berbères, aux Arabes et 
aux chrétiens, je ne saurais prendre la fuite. Si je fuyais, 
on parlerait mal de moi jusqu'au jour du jugement. » 

' Sauf-conduit, protection. 

' Espèce de k'aîd. 

^ Il faut lire , je crois , K'astil'îa. 



240 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

Ses enfants lui dirent : « Est-«e que tu es en crainte 
pour ton armée? — Que m^importe, répliqua-t-elle , 
quand je serai morte ! — Que ferons-nous ? reprirent- 
ils. — Toi, Khâled, lui dit-elle, tu seras un grand per- 
sonnage auprès du roi des rois ; et quant à vous , mes 
enfants, vous serez aussi élevés en dignité auprès de 
ce sultan ; vous deviendrez les principaux des Berbères, 
auxquels vous conunanderez. > 

La reine ordonna ensuite ii Khâled et à ses fils de 
monter k cheval et d*aller demander Famân à H acen , 
ce qu ils exécutèrent. Khâled raconta toutes ces cir- 
constances à son général, et lui présenta les enfants 
JEl-Kàhina, qui iîurent bien traités. Quant i Khâled, 
il deWnt ^néral de la cavalerie. 

El-Kâhina se présenta à son aimée les cheveux en 
désordre, et leiu- cria : « Prenez garde i vous, car elle 
est tuée. • Alors des deux paris on en vint aux mains, 
et le combat fut terrible. Le nombre des morts, de 
chaipie côte, derint considérable, et il y avait cepen- 
dant un tel acharnement qu^on conmiença à croire 
qu^aucun des deux partis ne remporterait la victoire 
t.tnt qu il y aiuait un adversaire vi^^anL Dans ce mo- 
ment d'incertitude. EJ-Ràhina fut tuée; H acen Tavait 
Mii^ie jusipra ce qu'il la ^~it tomber et qu^on lui eût 
CinijH^ U tôle. Fbns Fendroit où ced airiva, il y avait 
un }nùts. qui e>t connu sous le nom de Bir-el-Kâfaina 

I \ 4^vn axvcrviji ranvin aux fils de cette reine , à con- 
^^ti\M^ qu'*U t^Min*.*.mîent ^loiue mille Berbères pour 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 241 

faire la guerre sainte avec les Arabes. Ceux-ci y con- 
sentirent, lis devinrent les chefs de leurs compatriotes , 
et ils embrassèrent Fislamisme. Ce corps de douze mille 
Berbères iut partagé en deux parties égales, qui furent 
commandées par chacun des fils d'El-Kàhina. 

Ces nouveaux auxiliaires allèrent en A£rik'îa avec les 
Arabes qui faisaient la guerre sainte pour Tamour de 
Dieu, et ils tuèrent les infidèles, Berbères ou Grecs. 
H'acen alla enauite à £l-Kaïrouân. Ces événements ar- 
rivèrent en 7 4 de Thégire (ôgS de J. C); et dès lors 
rAfiîk'îa fiit soumise aux musulmans. 

On fixa le tribut ( kharàdj ) que payeraient les chré- 
tiens du pays, les Berbères de leur religion et les autres. 
La paix se maintint jusqu'au départ de H acen , qui fut 
rappelé et remplacé par Mouça-ebn-Nâc'er. 

Ici finit le morceau abrégé, extrait du CharK-Chek- 
rât'sîa du cheikh Moh'ammed-ben-'Ali , et dont le sens 
est analogue, quoique les expressions ne soient pas tou- 
jours les mêmes ' . 

A Tas'firâr, j'entrai, avec beaucoup de mes amis, 
dans la zaouîa deSid-0kl)a(A4Ju ^^Jsa^ '^^b)- L.^ tom- 
beau de ce saint personnage est dans un lieu qui se 
trouve au-dessous du Djebel-Aourês, à Tendroit où il 
a été tué, et qui est un lieu de pèlerinage. On y trouve 
une mosquée remarquable , et , à côté , im joli bourg. 

' J*ai conservé, dans la traduction, cette digression historique 
malgré sa longueur, à cause des détails intéressants qu*elle renferme 
sur la conquête de rAfrik'ïa septentrionale par les Arabes sur les Ber- 
bères. Voyez, à la fin de Touvrage, Textrait de Chat'ibi sur ces derniers. 

SI 



242 VOYAGE DE MOULA AH MED. 

Le minaret est trèfi-élevé et bien construit. On y voit 
deux piliers, et les pèlerins croient que si on les secoue 
un peu en disant, « Par la grâce de Sid-Okl)a, re- 
mue, » le minaret tout entier tremble. 

Dans mon pèlerinage de 1096, quelques-uns de mes 
amis allèrent le visiter, entre autres le k ad'i Sid-Ah med- 
el-Marrâkchi , le légiste Sid-Abd-Allah-ben-Ibrâhim- 
es-Semlâli, imâm de la mosquée de T elh a (mU9)\ et 
Sid-Moh ammed-ben- Abd-el- Aziz-er-Rosmouki . Tous 
ont témoigné de ce fait et Tout cru; mais notre cheikh 
El-Aïachi le conteste^. 

Mercredi, 26 redjeb (ai septembre). 

Nous quittâmes cet endroit emmenant un Arabe 
appelé Moh ammed-el-Mabrouk, qui devait nous con- 
duire sur le chemin des Zerârib (*?*^l2>^'). Nous des- 
cendîmes à Mens ef ( uuojM ) longtemps après Tac'er, et 
nous y trouvâmes les résenoirs pleins d^eau de pluie. 
1*0 nom de cet endroit, Mens'ef, vient de ce qu'il est à 
moitié dis'^tance entre les Zerârib et Sid-0kT3a. 

Jeudi, 37 redjeb (a a septembre). 

IV l;\ nous allâmes à El-Khefef { oul^ ) , où Ton fit 
une haho pour déjeuner et se poimoir d'eau. Vers 
riuMUV ihi dohor, nous arrivâmes à Zeribet-el-Ouadi 
{^iiyi AAM\^ : nous nous y arrêtâmes et y fîmes le k'i- 

• IVul tMiv, »u lù*u do éji^^ ûul-il Hn? AjfrJr* 

* \o\0i d.i«N Fi-'VKwli k» jviv^ig^ auquel Moula -Ah'med fail 
aUumoii 



VOYAGE DE MOULA AHMED. 243 

loula dans la k'otibba de Tami de J)ieu , le chérif Sid~ 
H acen-el-Koufi. Les gens du pays pensent que ce saint 
homme est venu de Koiifa (**^), parce que Tinscrip- 
tion qui se lit sur son tombeau est en caractères kou- 
fiques. On disait un jour à Sid-H acen : « Prouve-nous 
que tu sois chérif. » Pour toute réponse , il se leva , fit 
quelques pas et revint à sa place. Il tenait à la main un 
cylindre dans lequel était sa chedjera ou arbre généa- 
logique. Cette pièce, quoique écrite en caractères kou- 
fiques, paraissait cependant toute récente. On rapporte 
qu avant l'arrivée de Sid-H acen, le ouadi n avait pas 
d'eau courante, et que les habitants se plaignaient de 
cela. « Donnez-moi une récompense , leur dit le mara- 
bout, et le mal cessera. » On fit droit à sa demande, et, 
depuis lors, la rivière coule. Je tiens ceci de gens véri- 
diques qui appartiennent à une fraction des Oulâd- 
Sidi-Nâdji (^b ^^Ovu- à^^l). 

Après avoir fait nos dévotions sur le tombeau du 
saint, jusqu'aux environs de l'ac'er, nous nous remîmes 
en route, et nous allâmes descendre à Omm-el-Kheir 
ij^ J ) , avant le mor reb. 

Vendredi, 28 redjeb (a3 septembre) 

Je rencontrai beaucoup d'amis en cet endroit , et j'y 
vis plusieurs marabouts ainsi que leur imâm et leur 
professeur Sid-Ah med-ben-'Amar. Nous séjoiunâmes 
le vendredi , pour donner aux pèlerins le temps d'acheter 
aux Arabes ce qui leur était nécessaire en chameaux, etc. 



244 VOYAGE DE MOULA AU'MED. 

Quant à moi, jy £« Facquisitioo de cinq chameaiu, 
outre les trois que j^avais achetés i Zeribet-el-Ouadi. 

Samedi , ag redjeb ' a^ sepiembre * 

Le samedi, nous partîmes après avoir loué un guide 
pour nous mener sur la route de Touzer (j^\^ ) , moyen- 
nant un rîal; il s^appelait Meça Wd4>en-S àlah'. Arant 
d^arriver à Mens'ef [sjuoà^]^ où Ton coucha, nous 
trou\-àmes des réservoirs Jeau de pluie. 

Dbaincbe. i*' chalian aS septembre . 

NoiiscvHichimesà FOue^ d*Ouad-er-Jlatam [*3^ ^1^' . 

Landi, a cha'ban 1 6 septembre 

I.JI cjuravajie coucha à Ras'rin-Ka'mran (^1 



^«^i»«j& *. de rOue^t- On v trouve de Feau courante 

Virii. 3 ciulxin 37 septembre . 

\vHi5 jMrSJsîuies» U cuit de ce jour à Ech-Chehika 
^jO^nmàJ* . v^u uca5 irri^ime:^ aux environs du mor'reh. 

V i L'vf ^è r. 4 cLiImh îS septembre 

V^u> vVv;vrJ*A>f> 1 Fi-cl imnu â*^. • ou Ton arriva 

U*,s* st V » ^iNV ^x-uiiv 4JI % or ie m:i2^ 1 r«iiVb, sans doute pour 

^ s\«.K> N* >»vm\v^«v' •a**:t. **v '««.•a ••.-'•nrf. V *c'i*- \ii med apf»el]e 
>>■• ^"*K,»*x'** N %kX •■ \»# v\tritit' \ tir ut. 



VOYAGE D£ MOULAAH'MËD. 245 

Jeudi, 5 clia*ban (ag septembre). 

Nous arrivâmes à Touzer {jjp ) , au d'oh'a , le mercredi 
4 de cha'ban et le 24 de chitenber^ Je laissai trois 
chameaux chez Sid-el-Hâni-ben-el-H'afiàn , et il m'en 
mourut un de maladie. Un autre mourut également à 
la sebkha ( iui^^ ) , avant d'arriver à El-H'âmma. Nous 
séjoiumâmes le jeudi. 

Vendredi, 6 cha*ban (3o septembre). 

Touzer est la capitale du Belâd^el-Djerid ( Os^j d^), 
et dépend de la région de Tunis. Dans un pèlerinage 
antérieur à celui-ci , j'y trouvai Têmir de Timis, Ram- 
d'ân-Bey, qui était venu avec un camp percevoir le 
kharàdj dont il avait frappé ce pays, selon l'usage. Que 
Dieu les délivre de cette coutume , et la fasse dispa- 
raître bientôt de la terre de l'islam , et la remplisse, à 
tout jamais , de justice, de paix et de religion véritable ^! 

Je n'ai pas vu dans le Belàd-el-Djerid de ville plus 
abondante en palmiers que Touzer. Elle possède les plus 

* n résulte du calcul antérieur de Moula-Ahmed et de ce qui va 
suivre, qn*il a mis ici mercredi U au lieu de jeudi 5, et 2à septembre au 
lieu de 29. Peut-être est-ce au copiste qu*il faut attribuer cette erreur. 

' Ce passage, et quelques autres du même genre que le lecteur a pu 
rencontrer, prouvent que le kharâdj était considéré comme une véri- 
table exaction par les musulmans rigides , et non comme un impôt 
régulier perçu en vertu de la loi. 

Le kharâdj-er-rous était une capitation, et le kharâdj-el-ard' un 
impôt foncier. C'étaient deux branches diverses du tribut général de la 
conquête. 



246 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

beaux bâtiments de la contrée, est plus grande que 
Biskra et est bien arrosée. Elle est plus belle que cette 
dernière ville, parce que ses constructions sont en 
briques. Je ne reviendrai pas sur les mosquées et les 
minarets , dont j'ai déjà parlé. 

Touzer possède, en quantités innombrables, des 
fruits de toute espèce ; des milliers d'individus en man- 
geraient à satiété et en emporteraient à discrétion, 
qu il en resterait encore. Ses dattes sont les meilleures 
du Djerid. Les jardins sont nombreux et les eaux abon- 
dantes. Une grande rivière traverse la plupart des ver- 
gers, et a sa source à TOuest de la ville. 

Les .\rabes de cette contrée sont des Bédouins la- 
boiureurs et pasteurs. Là , tout se trouve à bon marché , 
graine, viande, et les dattes plus que toute autre chose. 
Bref, le bas prix des denrées à Touzer rappelle le 
Ouadi-Dara^a et autres lieux semblables. 

^L1is un gouvernement injuste a gâté ce pays au point 
dVu amener la destruction , et les habitants se sont vus 
ivduits à la misère par finiquité de leiu^ chefs *. 

Mohammed-Bev y a fait bâtir une belle medreça 
|H>ur les t o'ilva, à colé d^une mosquée solidement cons- 
truite : toutes les colonnes sont en marbre, il a été 
olo>é à KVibos une autre école supérieure semblable, 
.sinon plus belle. Que Dieu fasse miséricorde à ce 
prince et à nousî 

Les *ruiYs ont établi le réirime de la violence dans 

MouU- \K uu\l \iHil jvirlor ici du svsleiuc turc, qui appliquait aux 
uuivuluv^n^ ^V w< *>sitr\v< U*s Kh5 no^ur\*u5«i du vainqueur, lois qui 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 247 

ce pays, et il en est résulté Tinjustice et la corruption. 
On m'a dit qu'on leur payait sixnaouâc'er^ pour chaque 
palmier et quatre par olivier. Le nâs'ri est une mon- 
naie connue dans ce pays, et qui a la valeur d'un cin- 
quante*deuxième de rïal. Dans mon pèlerinage pré- 
cédent , des chert abin ou collecteurs m'ont appris que 
leur kharâdj était de cinq mille rial par an pour le 
Djerid, depuis Neft'a jusqu'à K'âbes, et que le kha- 
râdj ^ total s'élevait à soixante mille rïal , outre la monna 
ou approvisionnement qu'on doit aux cavaliers du bey- 
lik en blé, riz, grains, vinaigre, huile, viande. Que Dieu 
les délivre de ces iniquités qui pèsent siu* eux, et ne 
permette pas la continuation du règne des gens pervertis I 

Neft'a ( Mh^j ) est une grande ville près de Touzer, 
qui est aussi arrosée par une rivière. On dit que le 
kharâdj qu'elle paye est le tiers de celui de Touzer. 

Nous partîmes de Touzer et nous arrivâmes le ven- 
dredi 6 de cha'ban à Sedâda (il^t43^dui), dans le pays 
de Sid-Abou-Helâl ( J^K^ ^1 ^^ Jyu*») , sur les bords d'une 
sebkha (a^^Siam ). J'y achetai deux chameaux, l'un pour 
vingt et un rial moins un quart, l'autre pour dix-neuf; 
enfin j'échangeai deux mides pour deux chameaux. 

Sid-Helâl est enterré sur un mamelon de la mon- 
tagne. Son tombeau est célèbre; il est accompagné 

n avaient été faites que contre les chrétiens et autres peuples subjugués 
étrangers à Tislâm. 

^ Pas tout à fait douze centimes. 

* Le mot est surchargé dans le manuscrit. Je crois qu*il faut lire : 



248 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

d'une mosquée bien construite, auprès de laquelle il 
y a des bâtiments inhabités et beaucoup de sépultures. 

Samedi, 7 cha*ban (1" octobre). 

Nous partîmes de Sedâda le samedi, septième jour 
de cha'ban , 1 " octobre ; nous entrâmes dans la sebkha 
El-Kebira-el-Hâïla {'i)<^\^\ ày^\ k^^)^ * la gronde, la 
difficile ; » nulle part on n'en trouve une pareille pour 
la longueur et la laideur. Avant d'entrer dans cette 
sebkha , nous rencontrâmes quelques pauvres t o'iba du 
pays de Tougourt\ qui revenaient de pèlerinage, et 
nous donnèrent de bonnes nouvelles de nos amis. 

La caravane était inquiète en traversant cet étang 
salé, où les chameaux peuvent s'engloutir d'un mo- 
ment à l'autre. L'imam El-'Aiachi raconte le fait rela- 
tif à une troupe de pèlerins qui y furent ensevelis , à tel 
point qu'il n'est resté d'eux ni traces ni nouvelles. 

Nous nous arrêtâmes à FOuest de la zaouîa Er-Remel 
(Ju^t Aj^lj) avant l'as'fîrâr. Conune il ne se trouve pas, 
dans cette sebkha, de pierres pour faire le& ablutions*^, 
ceux qui a^Tiient l'expérience des localités avaient fait 
leurs provisions à l'exemple de tout homme intelligent. 

Par une faveur divine, tout le pays de Tunis était 
alors ime contrée siire, où Ton n'avait rien à craindre, 

' Co nom 051 ecril ici c^j^Jo. 

* I/islibrà, ahlulion des parties génitales après avoir unné, et Pis- 
t<\ljomer, ct^Ue de Tanus, après avoir satisfait à un autre besoin na- 

(>n a liejà vu que, lorsque Veau manque, on peut faire les ablutions 
a\ec do la ton^, du sahle et môme dos pierres. 



i 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 249 

ni vol , ni aucun des actes de violence habituels aux 
Arabes. Les méchants s'abstiennent d'attaques à main 
armée , de peur que leiu* action n'arrive à la connais- 
sance du gouvernement, qui, sans s'inquiéter des 
formes prescrites par la loi , punit sur-le-champ et sans 
plus ample information. 

Quant aux fifenteries individuelles, c'est à chacun 
de se mettre en garde pour n'en pas être victime; 
c'est un inconvénient qui règne partout, mais princi- 
palement à Touzer, pays de vols et de rapines. Par la 
grâce de Dieu , ces petites déprédations n'ont pas attiré 
de catastrophes éclatantes sur les peuples qui s'en ren- 
dent coupables, car le Créateur est indulgent et misé- 
ricordieux; autrement il aurait déjà détruit cette race 
de gens qui volent la nuit et escroquent le jour. 

Peu de pèlerins échappent à leurs entreprises, surtout 
ceux ({ui ne sont pas au fait de ces habitudes de larcin. 
Dans mon pèlerinage de 1 1 09, lorsque nous commer- 
cions avec eux, ils nouft volaient ce que nous avions 
dans les mains et disparaissaient avec. On arrêtait peu 
de ces misérables, à cause de l'encombrement et de la 
foule. Les pèlerins lavaient eux-mêmes leurs habits, les 
étendaient pour sécher et restaient auprès , afin de les 
surveiller; si leur attention se relâchait un instant, s'ils 
venaient à tourner la tête , toute leur garde-robe dispa- 
raissait en un clin d'oeil. Ceci est arrivé fort souvent. 

Dimanche, 8 cha*ban (8 octobre). 

Nous nous remimes en route, le dimanche , et nous 

32 



250 VOYAGE DE MOULA AH'xMED. 

allâmes à Keç'ar-er-Roumân ((^U^l^yo»), où nous étions 
arrivés i Tac er. Je trouvai , hors de cet endroit , un de 
mes amis , Ebn-et-Toiuni , qui m'hébei^ea et me régala 
de ce qu'il possédait dans son habitation. 

Lundi , g cha*ban ( 3 octobre ' . 

De là nous gagnâmes Ouadi-Nokhela (MXà^ i^^^^)^ où 
nous arrivâmes avant Tas^firâr; la queue de la caravane 
n'y parvint qu'à l'eucha. 

Mardi, lo cha*ban (4 octobre). 

Nous arrivâmes à H'âmma-K'àbes ( jm^jU iuV». ) après 
le d^ohor, le mardi i o chal>an ou ^ octobre. Il me 
moiuiit im chameau à cette station. 

Lors de mon précédent pèlerinage, j'étais arrivé à 
cette étape en passant par les Oulàd-el-H'âdj [^\Â ^^1^), 
que nous avions trouvés enchantés de la venue des pè- 
lerins , et offrant leiu^s tentes , qu^ils dressaient pour nous 
au milieu du chemin. Ces braves gens nous appor- 
tèrent dans des outres des flots de leben « petit-lait > , 
et nous comblèrent de bons procédés et d'égards. Quand 
le lait qu'ils avaient apporté fut consommé, ils en 
achetèrent de nouvellement trait , et abreuvèrent ainsi 
les pèlerins jusqu^à satiété. Us réunirent ensuite leiu^ 
bestiaux et botes de sonune , et prièrent les pèlerins 
de passer entre les rangs de ces animaux qu'ils avaient 
alignés. Us espéraient attirer ainsi la bénédiction de 
Dieu sur leiu^ troupeaux. Nous nous rendîmes volon- 
tiers à leur prière. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 251 

L'eau de cet endroit (H'àmma) est très-chaude, ab- 
solument comme celle qui a été mise siu* le feu; à tel 
point qu on ne peut s'y tenir, de sorte qu'il a fallu cons- 
truire , pour les baigneurs , de petites chambres où Teau 
arrive im peu refroidie. A côté de ces bains est une 
petite mosquée. 

Mercredi, ii cha*ban (5 octobre). 

Enfin, nous arrivâmes à K'âbes (cr^U), le mercredi 
1 1 de cha'ban. J'allai visiter le tombeau d'Abou-el- 
Bâba et prier dans la mosquée qui y est jointe ; après 
quoi, je m'assis en dehors; je rencontrai, en cet en- 
droit, le frère de Sid- Ali-el-Ferdjâni , qui me traita 
hospitalièrement , et me fit donner du kouskouçou à la 
viande en abondance , libéralité dont les chérifs et les 
t o'iba eiu*ent leiu* part. 

La caravane fit halte en cet endroit, et y dressa ses 
tentes. 

Mon hôte avait été ami de mon père, de qui il te- 
nait ime oraison d'après Sid-Râoui-el-Edjeliti , de la 
famille d'Abd-es-Selâm , autre grand ami de l'auteur 
de mes jours. Il fut très-satisfait de me voir. Sid-el- 
Ferdjâni était un homme très-savant en jurisprudence. 
Il avait étudié auprès du cheikh Sid-Ibràhim-el-Djerbi. 
On ne disait que du bien de lui ; il n'était pas infecté 
des opinions hérétiques qui régnent à Djerba, dont les 
habitants ne suivent pas la voie traditionnaire (souna) 
et inclinent vers les idées des Râouafed' ^ . Que Dîeu 

' Hérétiques qu'on appelle khouâinès dans le langage vulgaire. On 



251 VOYAGE DE MOLLA-AH'MED. 

parîfie cette ile de semblables hérésies! Sîd-Abou-el- 
Eiba v^UA ^)^ dont Jai parié plus haut» était un des 
€oaipa^:nons du prophète. Cest ce que raconte Elm- 
Nàiijî dans son Ikktiçâr-^'adiim-el'ImaMh-ou-Raud^dt'er- 
RedomsM. ouvrage en un seul Yolume, qui contient la 
\îe des hoaimes illustres de Kaîrouân, et qui a été 
compilé d'Abou-Zid-ed-Debbir'el-K'airouâni. El-Belaoui 
ncoate. dans sa Rahla ou voyage, quil a vu Fauteur 
de ce lî%Te Elbn-Nidjî), qu'il Ta complimenté sur son 
ceuvre « et que celui-ci lui a donné de vive voix , sur 
Abou-el-Baba , des détails qui ne sont pas dans Fouvrage. 
11 lui a affirme que« de temps immémorial, le tombeau 
dont il est question a êtè appelé tombeau d*Abou-el-* 
lUba: qu^il a^^t interrc^ là-dessus son maître £1- 
Bounoiili« lequel a\^t ete de cet avis, et avait ajouté 
qu'une tradition immenxnale et non interrompue 
constituait une ver^taUe preuve, El-6ourzouli disait que 
si Fauteur de la vîe des compagnons de Mahomet ne 
parie pas dTAbou-ei-Soba. c'est uniquement parce qu^il 
n'a pis eu cocâaisssance de ce saint personnage. 

L'emlr de Tunis a £iit coo^truire un bel édifice à 
côte du tombeau dr.\!xHF-el-6Ji>a : sa medreca, qui se 
trvMn^ ax;{MV5. a ete faatie pur Mohammed, bey de 
Txini;*^^ aitisi qtie la n»!quee quVile accompagne. Le 
ly^> a rxHKva la n>fvir>ev3i h a2x>us , et t a attaché vingt 
t o Uvji roîr.biifts. îetftr-;?is ont droit chacun à un rial 
iv^r wvix Vai \x:v:>^. d >:xvir.u un Cil î [Nxir enseigner 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 253 

la loi aux tVlba et diriger les cinq prières de ladite 
mosquée. 

Un de mes parents « Abou-el- Abbàs-el-Bemouci-ech- 
Chefchaouftni , a composé , lors de mon pèlerinage de 
1 109, une pièce de poésie sur la visite au tombeau 
d'Abou-el-Bâba. 

J^ai su que la medreça de Ejerba, dont le professeur 
est Sid-Ibràhim-el-Djemmi , a été construite par le même 
Moh'ammed-Bey. 

Je fis la prière du d'ohor, à Abou-el-Bâba , et celle 
de Tacher» au bivac de la caravane. Cest le dernier 
endroit où Ton trouve des eaux courantes ; il y a , sur 
celles-ci « des moulins à eau très^bien faits , mais qui ne 
fonctionnent pas. 

Jeudi, 13 cha*ban (6 octobre). 

Nous partîmes de K'âbes le jeudi. 'Ali-el-Ferdjâni 
m'accompagna pendant quelques milles. Ayant appris 
par Selîmân, esclave de mon frère, que mon neveu 
Moh'ammed-ben-Moh'anuned était resté en arrière, je 
priai mon ami de s'informer de ce dernier que, du 
reste, je rencontrai, à la couchée, à Mârts (^U). Je 
trouvai également, dans cet endroit, Sid-'Abd-et'-T'âhar- 
ben- Amar, gendre de Sid-ben-Djàber, lesquels m'ac- 
compagnèrent vers Tripoli. 

Vendredi, i3 cha*ban (7 octobre). 

Nous partîmes de Mârts le vendredi , et nous allâmes 
coucher devant Abou-R'arâoua ( ijUjÀ j) ). 



254 VOYAGE DE MOULA AHMED. 

Samedi, i4 chalMn (8 octobre). 

Noii5 mimes pied à terre à TEst de Nebcb-ed-Dib 
(.^jJt J^) avant Tas^firâr. Tétais aussi accompagné 
par Sid-Abd-et'-T aîb , des Ottiâd-ben-M erîam ( ^^ ^ï^l 
M^), im des amis de Sid-Moh'anmied-el-Makni. Je 
reiKH)ntrai le marabout Sid-M oh ammed-el-H amrouni , 
aiiu>î que les enfants de Sid-'Abd-Allah et de Sid-\Abd- 
el-Kerim, Quel homme que ce dernier! Je n^ai pas \ii 
^on pareil parmi les cher ifs d^Ël-H'ammàma (âj^UJI), 
:^ous le rapport de la religion, de la science et de la po- 
litesc>e* 11 me donna plusieurs rerâra* d'oi^e, un mou- 
ton et une r enlra de ces petites dattes appelées belah'. 

(*e dî^ne houuue m^accompagna jusqu'à un boui^ 
qui $e trouve à TEst de' Zerrîk' {Uujj); nous primes 
congé Tun de Tautre^ dans la koubba de Tendroit. 

Dimanche, i5 cha*ban (9 octobre). 

On m'a dit que le personnage auquel cette k'oubba 
est consacrée est un élève du célèbre imàm Abou-el- 
'Abl>às-Sid-Ah med-el-Bedoui.Nous nous arrêtâmes, vers 
ras'firàr, à Ben-K'ardàn [J^^^j^ ^ji)^ endroit où il y a 
beaucoup de norias et des ruines importantes. 

Lundi, 16 cha*ban (10 octobre). 

Nous y séjournâmes le Imidi. On commerça avec les 
Arabes d'Akâra (»;<&), avec les Oïdàd-Sid-Abd-en- 
Nobi ( çsJi\ «XAft 4^«xjm» ^X>1 ) . les Oidâd-ben-Meriam 

* Sac$ qui se |K>rtenl à dos de cliauieaux. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 255 

((•^r* {:X^ ^^-^0 ®^ ^^® Oulâd-Nouîr (^y ^^^')' lesquels 
avaient amené beaucoup de chameaux, dont les gens 
de la caravane achetèrent. Poiu; mon compte, j^en 
achetai quinze, au prix d'environ deux cent quatre* 
vingtnlix rîal et demi. « 

Je reçus l'hospitalité chez Sid-Abou-el-K'âcem, oncle 
de Sid-Ah med-ben- Abd-el-Lat'if. D me donna une 
charge de blé, une d'orge, deux de dattes, quatre 
outres remplies de lait de chamelle et quatre moutons. 
Il était gendre de Sid-Ah'med-el-Mekni , dont la sœur 
moiuiit chez lui. 

Je laissai ces chameaux chez Sid-' Abd-el-Lat'if , et lui 
reconmiandai de prendre celui qui était chez les^Akâra, 
ce qui faisait huit en tout. J'en laissai un chez El- 
H'oceïn-ben-Ah'med, et une chamelle dbez El-Hadj- 
Ahmed-Sât'a. Il me mourut un chameau à Ben-K'ardàn. 

Mardi, 17 cha*ban (11 octobre). 

Le mardi , nous allâmes coucher à l'Ouest du Bordj- 
el.Melh'(^lg^). 

Mercredi, 18 cha'ban (la octobre). 

Le mercredi , nous nous arrêtâmes entre les zouârtïn 
{(jj:^lj^l)\ après l'as'fîrâr. L'eau de la Zaouâra est des 
meilleiures, tandis que celle de Ben-Kardân était des 
plus mauvaises. 

* Les deux Zaouâra. 



256 VOYAGE DE MOULA-AR'MED. 

Jeudi, ig cha*baii (i3 octobre). 

On 8*arréta k Meltit (o^^gJu) , où nous arrivâmes aux 
environs de Tac'er. 

Vendredi, ao cha*ban (i4 octobre). 

Nous partîmes de Meltit^ aux 

environs du coucher du soleil. Je confiai deux chameaux 
à Sid-^Abd-el-D'àhar. 

Samedi, ii cfaa*ban (i5 octobre). 

Nous arrivâmes à Zenzour (j^j) ^ vers le mor reb. 
Des individus volèrent ce qu^ils purent à des pèlerins ; 
quelques-uns des nôtres, s*étant éveillés, blessèrent un 
des voleurs à la tête et reprirent le butin. Nous fumes 
tranquilles ensuite, grice à Dieu. 

Dimanche, a a cfaa*ban (16 octobre). 

De là nous allâmes à Tripoli , ville entre laquelle et 
notre bivac il avait plu à Dieu de ne mettre que 
la milles. Nous y arrivâmes le dimanche 2 a cha'ban, 
ou 1 9 octobre'. 

* Lacune dans le manuscrit. 

* Zenioun , selon El-*A!achi. 

' Il faut lire 16 au lieu de ig. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 257 



RETOUR DE MOULA-AHMED, 



DE TRIPOLr AU MAROC. 



Jeudi, 18 djoumâd-et-tani (3 août). 

Je partis le jeudi 18 de djoumâd-et-tani 1 122 de 
rhégire ( 1 7 1 o de J. C. ) , après m'être pourvu de la 
plupart des choses qui m^ étaient nécessaires pour les 
chameaux, le tout moyennant 36 rïal k'arâmali, mon- 
naie tripolitaine. Les pèlerins achetèrent, vendirent 
ou louèrent selon leiurs hesoins ; puis on alla à T'ora- 
el-D'onu*a [iij.^\ Hj^), lieu qui est à quelques milles 
de la ville. Il y a là des norias qui procurent une eau 
très-douce ; on y trouve des champs cultivés et des pal- 
miers, quoique la population ne soit pas nombreuse. 
Nous y rencontrâmes des pèlerins , de ceux qui n'étaient 
pas allés en ville. 

Vendredi, 19 djoumâd-et-tani (4 août). 

On séjoiuna le vendredi, pour attendre que tout le 
monde fut réuni, ce qui eut lieu dans la soirée de ce 
jour, vers Fac'er. Il ne resta plus en arrière que quel- 
ques personnes qui voulurent demeurer à Tripoli jus- 
qu'au samedi matin , et qui partirent alors, accompagnées 
d'un grand nombre d'amis qui les suivaient pour leur 
faire leurs adieux. 



33 



258 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

Samedi, ao djoumâd-et-tani ( 5 août). 

Nous partimes de T'ora à ras^firâr, laissant à notre 
bivac les gens montés sur des mulets , afin qu'ils atten- 
dissent ceux qui étaient en arrière de la caravane; el, 
nous joignant à nos amis, nous traversâmes Kerkich 
( ifi^J^) ' l^^^^g où il y a des oliviers. Là , parmi les 
saints, on cite Sid-H amid, mort il y a nombre d'années; 
il est enterré au bord de la mer. Dans la mesdjid, on 
honore Sid- Ali-el-Kerkâchi. Puis nous arrivâmes à Zen- 
lour (^j), grande ville qui possède plusieurs zaouîa. 
Cest un pays cultivé; on y trouve une medreça, la 
nieilleiu^e de cette contrée ^ 

Les amis qui nous avaient accompagnés s'arrêtèrent 
sur une colline, auprès de quelques ruines ombragées 
|KU' dos |Kilmiers ; puis ils nous quittèrent après avoir 
lait toutes sortes de souhaits pour Fheureuse issue de 
notiv vovaw. 

Nous lunes hahe auprès d'une noria, afin de dire la 
prît^iv do Tai or; la caravane dressa ses tentes, et nous 
thvs.v\iuos los notivs. On coucha dans cet endroit, et 
nous iVunos tounnontos par im vent très-fix)id. 

l'hiiMnche, ai djoumàd^t-Uni ^6 août). 

Nous |virtinu^:^ do cotte noria après le doh'a; nous 
luuos h.iUo À U «Aouu Er-Rarbîa [ié»jj^\ *ol>}* P^y^ 
\lv\v jmUuum'S^ iVrtiîo on ir\ut5 do tous genres, et qui 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 259 

possède des arbres, des champs cultivés. Il compte 
beaucoup d'habitants. Je fus rejoint en cet endroit par 
mon ami Sid-Moh'anuned-el-Mekni. Nous rencontrâmes 
les gens de la zaouîa , qui venaient de tous côtés ; ils 
étaient ravis de nous voir, et nous comblèrent de béné*- 
dictions. Nous fîmes tous ensemble la prière du d'o- 
hor, après quoi El-Mekni et les gens de la zaouîa qui 
étaient venus avec lui prirent congé de nous. 

Nous continuâmes notre marche, et descendîmes à 
Dah mân ( y It'^ ) , entre le d'ohor et Tac'er. La tête et 
la queue de la caravane arrivèrent successivement jus- 
qu'à Tac er. Nous couchâmes en cet endroit. 

Au s'bah', je saluai les amis qui étaient venus m'ac- 
compagner jusque-là , et leur souhaitai bon voyage. 

J'instituai mok addem de la congrégation des fak'ir 
de la ville , mon frère et ami Sid-Ah med-es'-S'ah'li et 
Sid-Aba-Allah-ben-Iahïa-ben-Sâleh', etc. 

Lundi, 22 djoumâd-et-tani (7 août). 

La halte du doha se fit à Om-el-Khelouf (o>Jil J), 
sur ime colline au bord de la mer et auprès d'un cours 
d'eau douce où nous fîmes la prière du d'ohor. Nous 
arrivâmes à Melita (iuJU) avant l'ac'er; l'avant-garde de 
la caravane y parvint en même temps que nous, et le 
reste vers le mor'reb. On bivaqua dans un endroit 
où il y avait de l'eau en quantité; mais elle était salée. 
On se mit en quête de puits, et, par la grâce de Dieu, 
il s'en trouva où l'on put faire la provision. La nuit se 
passa heureusement à Melita. 



260 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Mardi, a3 djoumâd-et-tani (8 août). 

Nous passâmes par Zaouîa-ech-Cherkîa (&ii^t Ai!^!)), 
où nous rencontrâmes les habitants de ce lieu, qui, 
montés sur des juments, venaient nous offirir du lait 
de chamelle. Ce sont des Arabes tVlba, gens de bien, 
et favorisés de la bénédiction divine. Nous noiis assîmes 
pendant quelque temps avec eux, et ils nous témoi- 
gnèrent beaucoup d'amitié. Nous étant ensuite remis 
en route , nous rencontrâmes le père de ces tVlba , 
homme d'un âge avancé : il montait une jument. On le 
nomme Sid-El- Achek'. 

Nous continuâmes de marcher et nous descendîmes, 
après le zaoual, dans un endroit de ce même canton à 
côté d'Ouizder {j^j^) et à TOuest de Zaouârât-er-R'arbïa 
(iC^k^l i»l;Jjj;). Le rba'a-el-moudjîb * marquait alors vingt 
degi'és après-midi ; on trouve dans ce lieu de Teau douce 
et fraîche. 

Zaouârât-ech-Cherk'Ia ( m^ H <=>j;>3j ) s'appelle encore 
El-Kebira (445;.AAjri) et aussi Kout'i ( Jo^ou Jo^)^. C'est 
un boiu^g plus considérable que Zaouârât-el-R'arb!a , et 
qui surpUvS^e ce dernier en étendue. Les habitants sont 
braves, d'im caractère énei^ique, et, de fait, ils n'o- 
bélsvsenl à pei^sonne. Siu* leur frontière et à une dis- 

Ul^*a el-iiu>Uiljib, c'est le quart de œrcle horodictique , instni- 
inoiU U'uiie i;:i\inile situ pi ici te, dont on fait usage pour connaître Theure 
jmr U luuitvur du «ioloil. Il v a, à la btbliotl)èt|ue dWlger, sous le n* 83, 
un uuuuiM rit araho qui traite sjHX*ialeuieut du rba'a-el -moudjib. 

i>n |Knit liiv t^aloinent Lort'i, le mot étant fort mal écrit. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 261 

tance de vingt-sept milles , il y a le i)ourg de M ouloul 
(JjJLt)', qui ressemble à Zaouârât-ech-Cherk'ïa. Ouloid 
forme la limite du canton de Zaouàrât du côté de TEst ; 
Teau y est douce. On y trouve des restes d'anciennes 
constructions. Son nom vient de ce que les Arabes qui 
Fhabitent s'appellent Beni-Ouloul (J^^ ^}. Comme 
ils s'y sont fixés à une époque éloignée, le pays a fini 
par prendre leur nom. Quelques-uns prétendent que 
c'est seulement parce qu'ils tenaient ce pays sous leur 
dépendance. Il n'y a nulle part plus de gazelles que 
dans cette contrée. Les habitants aiment beaucoup la 
chasse au collet, et ils tendent de ces pièges de tous 
côtés. Aussi sont-ils connus pour ce genre de chasse. 

Quant à Zaouârât-er-R'arbïa, on l'appelle encore Es- 
SVira [ç^yààoi]) « la petite » et aussi Belâd-el-Merâbt'in 
(ci^^^i^l «>^) ^ p^^ys des marabouts. » C'est un bourg où 
il y a beaucoup de palmiers très-élevés et fort droits. 
L'eau y est d'une douceur remarquable. Lorsque j'ai 
vu ce boiurg , il était ruiné ; on n'y trouve que très-peu 
d'habitants. 

Devant Zaouârât-er-R'arbîa , il y a un cimetière où 
l'on avait bâti un château appelé Ouïzdir (j^j^); cette 
construction est détruite, et le nom seul a subsisté. Les 
nombreux bâtiments qui se trouvent dans cet endroit 
sont également ruinés ; il n'y a plus que quelques ha- 
bitants. 

Ce lieu est fort connu, parce que jadis les gens qui 
y demeuraient saisissaient les pèlerins au passage, les 

* Il écrit ailleurs OulouL 



262 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

dépouillaient et les vendaient aux chrétiens. Aussi les 
caravanes ont-elles soin de l'éviter, ou, lorsqu elles y 
passent, elles sont continuellement sur le qui- vive, de 
peur qu on ne leur enlève du monde pour les vendre. 
Quand elles sont parvenues à le traverser sans accident, 
les pèlerins se félicitent mutuellement, comme des gens 
qui viennent d'échapper à un grand danger. 

Us ne nous firent aucun mal , parce que , ainsi qu^on 
Ta déjà dit, leur population actuelle est peu considé- 
rable; mais le fait que je rapporte est bien connu de 
toutes les caravanes. Autrefois, ce genre de brigandage 
était fort commun de la part de ces misérables, qui ne 
s'inquiétaient pas si leurs victimes étaient des musul- 
mans. Depuis que faction du gouvernement se fait 
mieux sentir, le mal a diminué. Tous les gens qui ha- 
bitent entre K'âbes et Tripoli, jusque vers Tunis, font 
ce métier. 

La totalité du canton demeura au pouvoir de ces 
misérables jusqu'à la mort d'Abou-Zîd\ leur chef, 

^ Le mont Aourês, dit El-Bekri (pag. 5g5), s*étend Tespace de 
sept journées , et renferme un grand nombre de châteaux habités par 
des tribus de H'aouâra et de Meknâça , qui professent les dogmes hé- 
rétiques des Abad'îa. Ce fut de cette montagne que sortit Abou-Zîd- 
Moukhallâd-ben-Kendàd, qui prit les armes (333 de l'hégire, g44 
de J. C.) contre le khalife fatimite K'àlm-Bamrillah-Abou-el-K'âcem- 
Moh'ammed-ben-*Obeîd- Allah. La plaine de Ternout, à six milles de 
Madïa,fut le théâtre des attaques multipliées d'Abou-Zid pour prendre 
cette ville. C'est là que le mercredi, dixième jour du mois de rebi'-el- 
oouel 333 , il défit Moissera-Alfa , qui y fut tué ; exploit célébré par le 
poète * Ali-ben* Ali. Ce révolté ne fut pas aussi heureux devant S'ou^a , 
qu'il était venu assiéger à la tête d'une armée où l'on comptait quatre- 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 263 

époque vers laquelle Dieu permit qu'ils fussent disper- 
sés en tous sens, quelques-uns vers Bougie, d'autres 
du côté de Constantine et jusque dans la direction de 
Bône. Il y en eut qui allèrent dans le Belâd-el-Djerid, et 
formèrent des tribus à Neft'a , à Nifzâoua , et en d'autres 
lieux où il leur plut de se fixer. 

Ces mauvais sujets sont en même temps des héré- 
tiques qui pensent qu'il suffit de boire du vin, de se 
livrer à la fornication et même de fumer, pour devenir 
infidèle. Un célèbre cheikh de Tripoli a soutenu une 
controverse avec les docteiu's de ces hérétiques et les 
a battus. 

Après avoir échappé à ces brigands, on but, on 
abreuva les animaux et on fit la provision d'eau pour 
arriver jusqu'aux norias de Ben-K'ardân (yJ^^ ^^ AJ^). 

Mercredi , 34 djoumâd-et-tani (9 août). 

En quittant ces lieux, je fus accompagné par mon 
frère en Dieu Abou-R'erara-et-Tedjouri. Il fut le dernier 
des habitants de Tripoli par qui j'avais été escorté, 
qui se sépara de moi. 

On fit la halte du matin ( d oh'a ) siu* une colline 
élevée, qui est à l'Est, à quelques milles de Bordj-el- 
Melh' (^1 gw). La caravane s'y rallia, puis on se re- 
vingt mille chevaux. Après plusieurs mois d*attaques infructueuses, il 
fut obligé de se retirer. 11 réussit mieux à Tebs'a, dont il détruisit en 
partie les murailles. 

En 33Â (Bekri dit en 344)i Mans'our-Billah-Abou-T'âber-Isma*îl, 
troisième khalife fatimite, avait encore à combattre Abou-Zid. 



264 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

mit en marche. Nous trouvâmes une grande quantité 
de k'aouârib^ auprès du Bordj. Elles servaient à trans- 
porter du sel. Nous y vîmes aussi plus de trente cha- 
meaux qui étaient employés au même service. 

Le sel de la sebkha qui est en cet endroit a la 
réputation d'être préférable à tout autre. Les gens du 
pays chrétien viennent s'y approvisionner. Elle est pro- 
bablement la prolongation de celle de Touzer. 

Les gens de Bordj-el-Melh' prétendent qu'il y a sept 
couches de sel dans leur sebkha, de sorte que, si Ton 
enlève ia croûte qui est à la superficie , on trouve la 
terre, puis, en continuant de creuser, une deuxième 
couche de sel, et ainsi de suite, par bancs alternatifs. 
Les chrétiens , qui achètent de préférence le sel de cette 
sebkha, en donnent un prix élevé, et ils disent qu^ils 
font encore de grands bénéfices. 

\ rOuest et à quelques milles du Bordj , vers l'heure 
du gaîla , moment où les hommes et les animaux se 
retirent à l'ombre (ik'ilou), à cause de la chaleur du 
soleil, nous fimes la prière du dohor. La caravane 
étant ralliée, on se remit en marche, et nous fîmes la 
prière de l'acer sur une colline auprès de Dâren (^j^l^), 
à l'Est, et à quelques milles de ce lieu, dans un en- 
droit qu'on appelle Mâdjen-bèi>Redja ^ (U?^l# (ja^-U ). 
La queue de la caravane n'arriva qu'au coucher du 
soleil. 

Pendant cette nuit, on vola les effets du chérif Mou- 

* Grandes barques. 

* Espèce de réservoir, d*étang. 



VOYAGE DE MOULA AHMED. 265 

lâï-el- Arbi-Moh ammed-ben-Ioucef. On ne put rien 
retrouver. 

Jeudi, a 5 djoumâd-et-tani (lo août). 

De là nous allâmes aux norias de Ben-Kardân 
(u'^ (j^) avant Tac'er. On y trouve beaucoup d'eau, 
mais elle est un peu saumâtre. Ces norias dépendaient 
alors de la zaouïa 'Okâz ( jK^ A^^tj ) ; il y a des puits 
d'eau assez douce. Nous y arrivâmes le jeudi, 26 de 
djoumâd-et-tani (10 août). Nous y reçûmes les adieux 
de Moh'ammed-ben-Ah med-el-Ouarer mi-el-Djelît'i , 
qui s'en retourna chez lui, au Djebel-Ourda ( i^j^ Jlj^ ) . 
C'était un homme de bien, instruit, etc. 

Ce Djelît'i, pour éprouver ma science, avait posé 
la question suivante : Le prophète, quand il montait 
à cheval , mettait-il d'abord le pied droit ou le pied 
gauche dans l'étrier ? Je ne pus répondre à cela * . 

Vendredi, a 6 djoumâd-et-tani ( 1 1 août). 

Partis de là , nous fîmes la halte du matin à l'Est du 
Ouadi-Fas ( j»^ c^^'^)) P^^ nous descendîmes sur 
rOuad-en-Nebch ( j^aJI :>\^ ) , après l'ac'er, à 'Adouat- 
ech-Cherk'ïa ( &.>.i^H i^^y^)- La tête de la caravane 
ne nous rejoignit qu'au coucher du soleil , et l'arrière- 
garde n'arriva que deux ou trois heiu^es après. Nous 
couchâmes en cet endroit , où nous trouvâmes de 
bonne eau, plus douce que celle de Ben-K'ardân. 

* Un lecteur a ajouté, en marge du manuscrit, une note d*oii il 
résulte que Mahomet montait comme tout le monde, c'est-à-dire du 
pied gauche. 

3V 



266 VOYAGE DE MOULA-AHMED. 

Samedi, 27 djoumàd-et-tani (la août). 

De là nous allâmes faire la halte du matin, le sa- 
medi, 27 de djoiunàd-et-tani ( 12 août), à 'Adouat- 
er-Rarbïa (aaj^I iyOs^), près de rOuad-Abou-H'âmid 
(j^U- j^l ^\j)y puis nous mîmes pied à terre , vers le 
d'ohor, auprès de rOiiad-es-Semâr( jUwJt ^l^), « rivière 
des joncs. » 

Nous fîmes le gaîla à *Adouat-ech-CheriL'îa ' et nous 
y trouvâmes un parti nomade d'El-H anmiârina(j(i^UJL), 
et Sid-Moh'ammed-ben- Ali et son fils, qui me donna 
deux pastèques et une tasse de lait. 

La caravane descendit au bord de la rivière , pour 
boire et abreuver les animaux aux puits d^eau douce. 
Nous Y fîmes la prière du d'ohor, puis nous marchâmes 
jusque près de Tac er, et nous mimes pied à terre à 
Kl-Wbà'ab («^IfiJl ). Ce mot est le pluriel de ^Aba^oub , 
mol qui rime avec *AsTour'. La caravane rallia le bivac 
^'ipiv^ l\^cVr. On coucha dans cet endroit. 

Dîmancfae, a8 djooinâd-et-tanî ( i5 aotil). 

Nou."^ Cmo5 U halte du matin à Ech*Chekâla ( ill^l), 
sur doux ivUino5* d*où nous voyions ^Aràm (p^). Nous 
\ UvunJIuh^ des norias dTeau douce, dont on arrose 

^ i\v^ o( SASfc^ vkx±î«r uae erreur da copiste. <{ui aura mis Cheri'îa 
«M l^*« xW K atKji ^xx W K>ai s«fn* rùgre. 

^ ' \!i KHtr. w.'tM ^u\>» ikXLae a loos W» petits oiseaux. GMmne on 
M iN^t* jva» sw-'vjiinfttvttC V* iv^rti». co indkpie parfois la pronon- 
%^%«K*« xi un Ms>t <« W- cctrtMr&ai a «a autre d'un usage plus vulgaire. 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 267 

un petit nombre d^arbres et de palmiers qui sont de 
ce côté. Xy rencontrai Sid-Moh'ammed-es-S'âleh' et 
quelques autres amis. 

Nous nous arrêtâmes un peu et fîmes la prière du d'o- 
hor, puis nous nous remimes en route , et nous traver- 
sâmes K'eç'ar-Arâm ( Jj^j^ai)^ où il y a un cimetière. 

Nous nous arrêtâmes à Mârts (v^u) avant Tacher, et 
nous y couchâmes. La queue de la caravane n'arriva 
qu'au coucher du soleil. On vola un pèlerin de mes 
amis , et on ine put rien retrouver de ce qui lui avait 
été enlevé cette nuit. 

Mârts est ime petite ville où il y a des jardins finii- 
tiers et des palmiers, auprès d'une fontaine abondante. 

Lundi , ag , mardi , 3o djoumâd-et-tani ( 1 4 et 1 5 août). 

Nous partîmes le matin , lundi , 2 9 de djoumâd-et- 
tani, et nous passâmes par Zerrik' (v5^)i endroit où 
demeure Sid-Moh'ammed-es-S'âleh' et sa famille , et 
où il a un cimetière particulier , les autres habitants 
étant enterrés à 'Arâm. Son fils m'apporta des pas- 
tèques. Autrefois Zerrîk' était sous la dépendance d'El- 
Mioiirk'i , lequel voulait gouverner les gens de K'âbes 
et leur envoyer des ordres; mais je parlerai de ceci â 
propos de K'âbes. 

Nous arrivâmes à K'âbes ( j^^U) vers l'eulam moins 
dix deroudj. Et-Tedjâzi a dit dans sa Rahla : « Il n'y 
a pas de plus belle ville que K'âbes ; ses feuilles sont 
toujours vertes , son eau est toujours bonne ; c'est un 
paradis. Il n'y a pas de broussailles dans les alentours ; 
le terrain y est uni ; et celui qui a dit que c'était le 



268 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

paradis du monde n^a point menti. C^est mi diaûnutif 
de Damas ; c est une ville du S'ah ra et de la mer. Le 
S ah'el est tout près d'elle , et elle est à 3 milles de 
la Méditerranée. Elle a un château et une rivière que 
tous les étrangers voient avec admiration. La rivière 
coule , les chameaux sont sur ses bords ; les gazelles « 
les chamelles, les laboureurs et les conducteurs de 
chameaux s y rencontrent. » 

El-Khelil-ebn-Ah'med a dit : « paradis , le meilleur 
des paradis, et dont le prix est inestimable! Le rou- 
coulement de tes pigeons consolent les affligés. Vous 
pouvez répondre de la vérité de toutes ces choses ; et 
si je voulais en ajouter beaucoup d'autres, je le poiu*- 
rais. Les vaisseaux qui y abordent ressemblent de loin 
aux autruches agitant leurs ailes dans le désert , et , du 
côté de la terre , les autruches qui arrivent ressemblent 
h des vaisseaux voguant à pleines voiles. Y a-t-il , conmie 
elle, une ville qui offre toute espèce de choses; les 
poissons de la mer, les animaux de la terre, toutes 
sortes de récoltes , les fruits , etc. ? » 

K'àbes a un beau rempart, d'anciennes constructions 
cl de grands jardins firuitiers; les rues sont belles et 
lai^os. Au delà du fossé, quon remplit d'eau lorsque 
Ton craint Tenuemi (et c'est leur meilleure défense), 
il ) u une muraille. Une rivière arrose les jardins, les 
cham|)s , et distribue l'abondance de tous côtés ; puis 
elle entix^ dans les rues et jusque dans les maisons. 
(^Mlo rivièi-e tire son origine d'une fontaine qu'on ap- 
pelle ' \ïii<-Kheràra ^»;[;ii^ cj^)' •'a fontaine murmu- 

* M OurtUvnuuv , \\>\oi MoUcts des mttnuMrriU , t. Xll, p. 46a ) a lu : 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 269 

rante , • dans une montagne qui est entre le Sud et 
rOuest. Les jardins sont en plus grand nombre du côté 
de la mer, où il y a im endroit que Ton appelle SâhW 
'Anber-Khâl (JU-j^Ji^ ^^t^i), sur lequel 'Omar-ben-et- 
Tedjâzi a fait les vers suivants, dont voici la substance : 
Tedjàzi a passé ime soirée à Sâh'at-'Anber-Khâl, 
lieu où règne la sécurité; il compare la brise de mer 
qu on y ressent à Todeiu* de Tambre ; les palmiers lui 
rappellent les fiancées; ils semblent timides comme 
elles ; Therbe verte et jaime qui entoure ces arbres est 
comme le tapis de la mariée. « Le soleil, dans cette 
soirée , honteux de paraître devant nous , dit-il , se 
coucha derrière les nuages , de même que la mariée qui 
dérobe son visage. Les chamelles semblaient de Tor 
ou des émeraudes , et la rivière , qui coulait autour de 
nous y était conune une armée qui nous protégeait. La 
mer nous envisageait de son œil vert , et la terre nous 
regardait de son œil jaune. Ce lieu serait le paradis, 
si Ton y pouvait rester et si Ton n y mourait pas. Dans 
ces prairies, dans ces jardins, où Ton jouit d'une vue 
admirable , il ne se rencontre pas d'importims. Pendant 
cette soirée, nous conversâmes siu* toutes sortes de 
sujets. Notre intelligence semblait agrandie et éclairée. 
Nous parlâmes de nos amantes , de notre jeunesse , et 
nous étions heureux comme celui qui tient à sa portée 
du vin, des coupes, etc. Nous étions ivres, mais de 

ojt^^ (JVC dans le MasUk d'El-Bekri, où ces deux raots étaient écrits 
sans points diacritiques. Nous trouvons, dans Ah'med-el-Mor'erbi , 
j\j^ ^J^ écrit distinctement. 



270 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

cette ivresse qui n est pas défendue , puisqu'elle n est 
point produite par le jus du raisin. Cela dura jusqu'au 
morVeb , où nous montâmes sur nos mules pour entrer 
en ville. Nous partîmes; mais nous laissâmes nos cœurs 
dans cet endroit charmant. . 

Mais , comme toute chose a son mauvais côté , K'âbes 
est sujet à la peste, dont ses habitants sont toujours 
malades , et les gens de ce pays prétendent que la cause 
en est dans la grande quantité de lauriers-roses ^ En 
respirant sans cesse Tamertume de cette plante, ils 
deviennent malades , disent-ils ; et c'est pour cela qu'ils 
ont tous le teint jaune. U y a encore un autre inconvé- 
nient dans cette ville ; l'eau y est mauvaise et semble 
croupie. Cette eau est lourde , sauf l'eau de la fontaine 
connue sous le nom d'El-'Aîn-el-Amir (^^^1 C:}^)^ ^^ 
celle de 'Ain-es-Selâm (p^luJt (j!b^), dont les eaux sont 
toujours bonnes , parce qu'elles ne passent pas entre 
les lauriers roses. 

I^ première fontaine était sous la dépendance de 
Fèmir^ coimu sous le nom de Ben-es-SVir, et la 
deuxième^ dans les anciens actes, porte le nom d*Ain- 
t\s-^Miâm ^« On a fait sur elle les vers suivants : 



^ <^icK]u«>$ personnes oat attribué rextrênie insalubrité du canton 
iHi iMi a\aîl établi le camp derH'amch à la même cause. 

lui ()U4intite «rarbustos de ce genre qui se trouTent aux enrirons 
t^sl iniuvA^nnAble, i^i $aîl quel caractère de malignité avaient les ûèyres 
e^MUrjH^Uv» tUn* cvt einlrvùt, 

* ^U«J' q|^^« \\iiM»<>eiiJuu , par corruption d*jEls-Sclâm. Voyei 
le |VArA^rA|>lH^ |Mrwe\leiU. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 271 

Salut précieux à la fontaine du salut, car son eau est 
douce et bonne. Les lieux queUe arrose sont toujours 
verts. Ceux qui viennent y boire ne sont jamais malades. 
Son eau est fraicbe comme de la neige , plus douce que le 
miel , et quand la chaleur me chasse de ma maison, je vais 
me coucher auprès dé cette fontaine. 

Les gens de K'àbes racontaient cette anecdote , à ce 
que rapporte El-Bekri, qui le leur a entendu dire : 
« Autrefois il n y avait pas de peste dans la ville ; mais 
les habitants firent un fossé dans un endroit où ils 
croyaient qu'ils trouveraient de Targent caché. Quand 
on sortit la terre de ce trou , la peste , dont ils attri- 
buent rînvasion à cette excavation, commença à se 
faire sentir. » 

K'âbes a été chanté par Abou-el-Mout'arref-ben- 
'Omira, qui en a fait la description, lorsquil y fut 
k'àd'i au commencement du règne du khalife El-Mos- 
tans'er dans la ville de R'out'îr : 

Il y a des oliviers, des figuiers à figues vertes, d'excel- 
lents palmiers qui donnent des fruits à petits noyaux, les- 
quels s*élèvent comme une fiancée ou un prince sur son 
trône. Les rues sont larges , et on y circiile facilement. G est 
un lieu où on trouve toujours de lombre, et où il ny a 
point de méchants. C'est en vérité un paradis, mais -qui 
laisse tm vampire dans le cœm* lorsqu'il faut le quitter. 

En somme, tout est extraordinaire dans cette ville. Il y 
a là un compagnon de Mahomet enterré, et personne ne 
sait où. 

El-Bekri , dans un autre traité , dit : 



272 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

Cette ville est en proie à la peste et aux scorpions. L air 
y est mauvais : à quoi bon dès lors les dattes, les raisins et 
autres fruits qu*on y trouve. Il n y demeure que ceux qui 
nont pas trouvé de gîte ailleurs, et son eau n'est bue que 
par ceux qui meurent de soif. Il y a toujours deux marches 
élevées à leurs chambres, pénibles à monter, comme pour 
vexer celui qui est pressé de voir un ami ou de visiter une 
connaissance. Letranger qui vient à K'âbes ne sy attache 
pas, car il na rien de bon à y espérer. Enfin on y trouve 
Tassemblage de ce qui est nuisible et désagréable, etc. 

Abou-el-Mout'arref assure avoir entendu dire que 
Âbou-el-Bâba-el-Ans'âri , compagnon du prophète , est 
enterré à K'âbes, et que les habitants connaissent le 
lieu de sa sépulture. 

Il y a aussi à K'âbes une mesdjid, qu'on appelle de 
son nom Abou-el-Bâba. Je n'ai cependant trouvé chez 
aucun historien que cet Abou-el-Bàba fût venu dans 
rAfrik'ïa; c'est probablement à cause de Fincertitude 
de Texistence de sa sépulture en ce lieu, qu'on ne l'a 
pas mentionné. 

Abou-el-Bâba s'appelle Bechir^ben-'Abd-el-Moundir. 
Ce personnage est mort sous le khalifat d'Ali. Il était 
venu en Afrik'ïa par pénitence, pour se punir de n'avoir 
pas obéi à im ordre du prophète. 

Il y avait à K'âbes un endroit appelé El-Menâra « le 
phare, » où se trouvait im feu très -élevé, qu'on aperce- 
vait tout d'abord de trèa-loin et avant de voir la ville. 
Il est tombé maintenant, et il n'en reste plus de traces. 
El-Bekri rapporte ceci à propos des chameliers. Quand 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 273 

ceux-ci venaient d'Egypte vers FAfrik'ïa , ils avaient 
coutume de dire : « Il n'y a pas de sommeil , il n'y a 
pas de repos, jusqu'à ce que nous apercevions K'àbes 
et son phare. » 

Dans l'intérieur de la ville, on voit une grande mes- 
djid dont le minaret, très-élevé, est un peu penché et 
hors d'aplomb, mais la construction en est si bonne que, 
malgré ce défaut, on ne craint pas qu'il tombe. Auprès 
de cette djâma' est la k'as'ba de K'âbes. Il n'y en avait 
pas de plus solide, de plus grande dans toute l'Afrik'ïa. 
On y trouve un édifice , connu sous le nom d'El-'Arou- 
ceïn , dont la solidité et la beauté étaient sans pareilles. 
Mais, à l'époque où nous y passâmes , ces deux monu- 
ments étaient ruinés. El-'Arouceïn a été bâti par celui 
qui a construit la djâma' El-Helâlin » les deux limes. » 
C'était un émir de K'âbes. Les gens de K'âbes disent 
que c'est Rachîd-ben-Medâta'-ben-Djâmïa', un des émirs 
de leur ville. En examinant une des portes du k'eç ar, 
j'ai vu ceci écrit sur la pierre : 

Celui qui a fait cette porte est le prince illustre Râfia'- 
ben-Émir-el-Amrâ « émir des émirs » Beker-ben-Kâmil-ben- 
Djâmîa', en redjeb 5oo. 

Si ce que les gens de K'âbes m'ont dit sur Rachîd, 
à qui ils attribuent la construction d'El-' Arouceïn et de 
la k'asTja , est vrai , alors le prince dont il est parlé dans 
l'inscription a bâti seulement la porte. 

Je tiens de quelques-uns de leurs t'o'Iba qu'il est 
dit dans l'histoire que ce sont les S'enhâdja qui ont 

35 



274 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

commencé ce monument et qui Tout continué jusqu'au 
tiers. Ensuite les Benou-DjâmiV-el-Helâlïoim le termi- 
nèrent. Tous ces édifices, dont je viens de parler d'après 
les récits des gens de K'âbes, le temps les a détruits; il 
n'en reste pas de traces, et le souvenir même en est 
presque eflacé. 

Où sont les 'Arouçân? Il nen reste ni vestige ni mé- 
moire. Où sont les princes qui y promenaient leur gran- 
deur; où est le conseil qui s'y tenait jadis; où est le minaret 
penché , etc. ? Le temps a fait justice de tout cela ; tout 
passe, excepté Dieu. 

Je visitai la k'oubba d'Ahou-el-Bâha , et y trouvai mes 
compagnons. Nous apprîmes que la caravane était alors 
près de se mettre en route. Je fis mes ofiBrandes à la 
chapelle du saint. 

Je rencontrai dans ce lieu quelques amis, avec les- 
quels je m'arrêtai un peu. Chacim donna pour la cha- 
pelle. J'allai ensuite me reposer jusqu'au dohor, où 
nous f imes la prière dans la mesdjid qui est auprès de 
la koubba, lieu où, dit-on, est enterré Abou-el-Bàba. 
Oulàd-Sid- Ali-en-Nouri m'envoya deux plats de kous- 
kouçou et un couffin de raisin. Mes compagnons de pè- 
lerinage partagèrent avec moi. Je trouvai là mon ami 
Sid- Ali-el-Ferdjànl avec sa compagnie, après la prière 
de Tacer. La caravane n'étant arrivée qu'à la nuit, 
nous couchâmes en cet endroit. Nous tâchâmes de 
voir la lune * ; mais elle ne parut pas. Nous restâmes 
là lui jour pour louer ou acheter des chameaux, parce 

' Pour lî\er \v ixmiineiicoiiuMil ilu mois dt» redjeb. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 275 

que les chameliers que nous avions pris au Kaire ne 
nous accompagnèrent que jusque-là , et voulurent s'en 
retourner avec la caravane de Tunis. Je fus hébergé 
par Sid- Ali-el-Ferdjâni , qui me fit donner un plat de 
kouskouçou. Les enfants de Sid- Ali-en-Nouri m'en 
donnèrent deux, que les tVlba mangèrent. 

Mercredi, i" redjeb (16 août). 

Nous partîmes le mercredi, 1*' redjeb (16 août). Je 
fus accompagné par les fils de mon ami Sid-'Ali-en- 
Nouri jusqu'à une plaine cultivée, où il y avait beaucoup 
de champs ensemencés. Là je pris congé d'eux. Dans 
l'année 1110, quand je revenais de mon précédent 
pèlerinage, Sid-'Ali était encore vivant. Il est mort de- 
puis cette époque. Un de ses amis a composé une 
k'acida en l'honneur du prophète. 

Je fiis accompagné jusqu'à El-H'âmma-Mat'mât'a 
(id,Ui^iuUt)i par Sid-el-H'âdj-Ah'med, Sid-'Ali-er- 
R'erâb , gendre du cheikh 'Ali-en-Nouri , et Sid-'Ali-ben- 
Selâma-el-Mahdi , originaire de Mahdîa , par Sid-'Abd- 
el-Kerîm-el-K'oçant'ini , et, en outre, par dest'o'lba. Ce 
Sid- Ali-en-Nouri était un homme saint, un savant, et 
dont les actions étaient en harmonie avec la science. 
C'était un ami de mon père. Il l'avait rencontré au 
Kaire en 1076. Je lui avais été reconunandé, ainsi que 
mon frère Moh'ammed, par notre père. 

Nous fîmes la prière de l'eucha à El-H'àmma, où je 

' Ainsi surnommé à cause de la montagne de Mat'mat'a, et pour 
le distinguer d*un autre IVâmma , qui est auprès de Touzer. 



276 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

trouvai mon ami Abou-Moh'ammed-Sid-'Al>d-Allah-ben- 
Ah'med-el-Mokhzoumi-el-Medjdoub. A cause de ceci, 
je prolongeai un peu mon séjour. Je partis au d'ohor, 
par une grande chaleur qui brûlait la figure; je n^ai^ 
chai un peu jusqu à une station ( iiI)Jut ) , où j'attendis la 
caravane. J'y trouvai des gens de ce pays, avec lesquels 
je mangeai et me divertis. La caravane arriva après 
Fac'er, et s'arrêta hors de la ville d'El-H'âmma , auprès 
de norias qui donnaient une eau fraîche comparative- 
ment avec l'eau d'El-H'âmma , où il n'y a pas de noria 
et où l'on creuse des puits dans les endroits qui ne sont 
pas sebkha. Mais l'eau d'El-H'âmma est douce et celle 
de la station «menzila» est saumâtre. A El-H'âroma, 
on fait rafraîchir l'eau après l'avoir puisée, puis on la 
boit. Je m'arrêtai chez l'ami dont j'ai parlé, et j'attendis 
que la chaleur fût un peu passée. La caravane reçut 
l'hospitalité. On lui apporta cinquante et un plats de 
kouskouçou à la viande, deux peaux remplies de beurre , 
une charge de chameau en orge. On m'apporta des 
dattes fraîches. Après la prière de l'eucha, je pris 
congé de Sid- Abd-er-Rah'mân-ben-'Abd-AUab , des 
Oulâd- Abd-en-Nebi-el-AsTer (^^Ai^^t ^1 J^ ^^^^O- ^^ 
pris aussi congé de Sid-'Abd-el-Kerîm-el-H'amrouni- 
Ouhd-Sid-Moh'ammed-es'-S'âlah' et de Sid-'Abd-el-T'â- 
bar, gendre de Sid-Ah med-ben-Djâber. 

Cet endroit s'appelle El-H'âmma-Mat'mât'a {&a\â 

nLi^h^), pour le distinguer d'El-H'âmma-Touzer [slAÂ 

jji^), connu sous le nom d'El-H'ânuna-el-Hâlil (juli 

JiJl^Jl). On les désigne ainsi parce que l'eau y est 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 277 

chaude, et qu'en arabe littéral H'âmma se dît pour 
une source thermale. On lit dans les h'adits : 

Les savants sont comme les eaux thermales. 

El-Heraoui a dit, dans son livre appelé Rarib: 
El-H'âmma, source chaude, où les malades guérissent. 

Aboli 'Obeïd a écrit, dans son livre El-Amtsâl: 

Pourquoi un homme savant est-il comme une source 
chaude? Parce que, de même qu*elle, il attire une foule de 
gens de prés comme de loin, qui viennent y chercher la 
guérison. 

'Obeïd n'ajoute rien à ceci , car c'est un h'adits. 

Abou-'Abd- Allah-Moh'ammed-ben -'Ali-el-Mes'ri , 
dans son SelaK^UAsmot\ dit avoir appris d'un homme 
d'El-H'ânuna , dont la famille était ancienne dans ce 
pays, que la peste y était fort rare. 

Il y a, à El-H'âmma, un rempart élevé. J'y observai 
des endroits démolis , et comme je le faisais remarquer 
aux habitants , ceux-ci m'ont répondu que leurs véri- 
tables remparts étaient leurs épées. Les constructions 
qui se trouvent dans la ville sont élevées, et les gens 
de la ville les vantent beaucoup ; et le poëte a dit : 

Ave^vous vu dans la k'as'ba lendroit où résidait Têmir, 
et les restes qui en indiquent la magnificence ? Mais main- 
tenant presque tout cela est en ruine. 

Cette k'as'ba est traversée par un aqueduc très-solide. 



278 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

sur lequel est bâtie une pièce d'une belle construction, 
qui ressemble à un bain. 

Jeudi, la redjeb (17 août). 

Nous partîmes d*El-H'ânuna le jeudi, 12 de redjeb 
( 1 7 août) , le premier jour du printemps \ selon le cal- 
cul des cultivatem*s , et nous trouvâmes Sid- Abd-Allah- 
el-Medjdoub sur ime jument, avec ses amis venus pour 
nous accompagner. Et conune je me reposais sur le 
penchant de la montagne qui domine El-H'ânuna, en 
attendant la caravane qui avait pris à droite , on m'ap- 
porta un couffin de dattes, que je partageai avec les 
chérifs, les t o'iba et les pèlerins qui se trouvèrent pré- 
sents, gardant le reste pour ma famille, à qui le présent 
avait été fait. 

Sid- Abd-AUah-el-Medjdoub était un honune saint, 
un honmie de bien. U tirait son origine de K'aîrouân 
et était venu habiter El-H'ânmia, dont il devint ci- 
toyen. Sa présence avait eu une heureuse influence 
siu* les gens du pays , qui , avant son arrivée , maltrai- 
taient les pèlerins et les volaient. Sid- Abd-AUah était 
sujet au djeddeb et à ^oudjed^ Il restait trois, cinq 
ot jusque sept jours comme endormi, sans connaissance 

' Il V A $;\n$ doute ici une erreur du copiste. Cest automne qu*il faut 
1iiv« iùiisi (|u ou le tnmve plus loin, à la page a63 du manuscrit. 

* KIhhkIj^xI 05l Total d'e\Use dans lequel rameur de Dieu, poussé 
*Uu* ses doriiiorvs limites, amène un homme; el -djeddeb, c*est la 
dauM\ lo> g\*stos, enlîu les actes matériels par lesquels cet état se ma- 
uitVxle, jvuw que, dit MouLi-Ali mt*d. on cn>it que c'est une espèce de 
Vsitalopsuv 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 279 

aucune , sans mouvement , comme un morceau de bois ; 
alors il ne mangeait ni ne buvait ; il ne priait pas , il 
ne remuait pas, il pouvait rester un mois ou quarante 
jours dans cet état sans dormir; alors il demeurait seul, 
sans aucim rapport avec qui que ce fût. Il avait Thabi- 
tude de ne jamais prendre de nourriture de personne , 
et , quand il allait chez ses amis , on lui apportait ses 
repas de sa maison. Il persista dans cet état jusque vers 
1016; je ne sais s'il s'y trouve encore maintenant. Il 
ne mangeait alors que juste ce qui était indispensable 
pour vivre. 

Le neveu de Sid-Medjdoub nous envoya deux 
hommes pour nous montrer le chemin de Mâkès 
(jMbâ>U), où il m'accompagna et prit congé de moi. 
Je ne voulus pas qu'il allât plus loin, dans la crainte 
que l'extrême chaleur qu'il faisait ne le fatiguât. Il me 
quitta donc, mais bien malgré lui. On se remit en 
marche , emportant de l'eau d'El-H azâmi ( ^^t^il ) , provi- 
sion pour le bivac, où nous savions qu'il y avait peu 
d'eau. Cette eau qu'ils emportèrent était assez bonne 
et presque douce. Nous fîmes la prière du d'ohor dans 
cet endroit; puis nous arrivâmes à celle de l'ac'er à 
rOuad-en-Nokhla (iddpJl ^^^t^), où nous trouvâmes de 
l'eau un peu saumâtre. La caravane n'arriva qu'à la nuit 
auprès d'ime mesdjid, qui est non loin de l'Ouad-en- 
Nokhla et à côté de Sah-el-'Arfedj (^^t g*). Pendant 
la nuit , un vent violent soufBa ; il faillit déchirer nos 
tentes, et enleva les habits de dessus le corps des gens. 

Parmi les choses à remarquer dans le pays de Nif- 



280 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

zâoua ( i^IjAi ) , il faut mettre en première ligne la force 
du vent , qui surpasse tout ce qu'on peut éprouver ail- 
leurs. Ici, ce nest pas (comme dans les autres pays) 
seulement en hiver que le vent soufSe , c'est en toute 
saison. 

Et-Tedjâni a dit à ce sujet : 

Les gens de Nifzâoua expliquent ce fait en disant qu*il 
y avait autrefois un talisman enterré dans leur ville. Quei- 
quun rayant tii^é de terre, l'ouvrit, et de l'excavation sortit 
le vent qui les tourmente actuellement. 

Le même auteur ajoute : 

Les gens de Nifzâoua croient que, lorsqu'ils sont mena- 
cés d'une attaque, le vent redouble de force; ils regardent 
cet avertissement comme un signe de la protection du ciel ; 
alors, disent-ils, le vent emporte les bagages de l'ennemi. 

Il y a, dans cet endroit, une fontaine connue sous 
le nom dWîn-T'ora (i^ <j^)- En sortant de terre, elle 
forme comme un étang d'un aspect agréable, qui ré- 
jouit Fàme. Les animaux qui y vont boire , s'ils s'avancent 
au delà d'im certain endroit connu, tombent dans un 
abime sans fond. Les gens de Nifzâoua prétendent que 
cotte fontaine doit tous les ans engloutir un homme. 
La victime est toujours un étranger à la ville. Cest de 
cotte fontaine que les teinturiers de Nifzâoua prennent 
louroau, qui donne beaucoup d^éclat et de solidité aux 
o\>uloui':fi» * Vin-T ora est siu* la fix>ntière du canton de 
\if;àoua, ontn* co canton et Morra-el-Bicher(^^-&AJI t^y^)- 
Totlo loul^uno est entourée de palmiers qui produisent 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 281 

d'excellentes dattes, supérieures à celles de tous les 
autres pays ; auprès de là , on voit les ruines de Tan- 
cienne k aslia , maintenant détruite jusqu'au niveau 
du sol. 

n y a hors de la ville une espèce de palmiers qui 
diffèrent de ceux qu'on observe auprès de la fontaine ; 
on les appelle ^m'oan. Ce nom fait croire aux gens de 
la ville que ces arbres ont été plantés par Pharaon. Ces 
palmiers n'appartiennent à personne, et sont à la dis- 
position de tous les passants ou étrangers. Il y a encore 
à Nifzâoua une sebkha dont je parierai. 

Vendredi, 3 redjeb (18 août). 

Nous partîmes de Nifzâoua par un temps couvert et 
un vent fix)id de médiocre force. Nous fîmes la halte 
du matin poiu* nous reposer un peu à Er-Rah'ila 
(iUU*^t). Ceux qui le voulurent y déjeunèrent. Nous 
passâmes par En-Nebch , et les pèlerins biu*ent de l'eau 
de cette rivière. Nous arrivâmes à l'Ouest de Nebch- 
ed-Dîb (c^oJi (j&ifÂlt) vers le zaouâl, et nous y fîmes 
la prière du d ohor. Dans l'Ouad qui est devant Nebch- 
ed-Dîb, on trouve du verre noir. Nous descendîmes 
à l'acer à Mâkès ( j-5u), qui est le K'eç'ar-er-Rou- 
mân [^jl9ji\ jAoi). Nous y couchâmes, et nous y trou- 
vâmes nos compagnons, qui avaient des dattes et des 
grenades. Mon ami Oulid-el-Tsoumi apporta des plats 
de kouskouçou. Le reste de la caravane n'arriva qu'à 
l'eucha. 



56 



282 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

Samedi, i redjeb ( ig août). 

Nous partîmes de là, après avoir congédié les deux 
guides qui nous avaient amenés d^El-H'âmma; nous 
primes avec nous Abou-el-K'âcem-ebn- Amâra , pour 
qu^il nous conduisit ; nous fîmes la halte du matin à 
El-H alfïâïa ( a^^aUI), et le gaîla devant la zaouîa d'Abou- 
'Abd-AUah [M\ ôu^ j^I iû^lj); puis nous fîmes la prière 
du d'ohor, après quoi nous descendîmes auprès de la 
sebkha quon appelle Et-Tàkerma (iU^UJl mss^). La 
caravane tourna les palmiers de la zaouîa Er-Rebâbcha 
(iUUjI^t A^^lj), et nous rencontrâmes les marabouts de 
la zaouîa Er-Remel (J^i ^3^j)> ^t de la zaouîa El- 
Menchîa ( m aâII a^^j,), Oulâd-Sid-Amar, Sid-H'âmid 
et leiu^s firères. Nous louâmes un honmie pour nous 
conduire siu* la sebkha El-Kebira-el-Hâîla-el-Ketsîra 
( il^l iJ^\^\ ij^\ U:^), « la grande, la forte, Tabon- 
dante, » moyennant vingt ' nâs ri ^ monnaie de Tunis. 
Ces nâsVi ont cours dans tout le royaume de Timis, 
depuis le Djerid, de K'âbes à Touzer^ et ils passent â 
raison de (seize?) au rial. 

Dimanche, 5 redjdb (ao août). 

Nous partîmes, quittant le pays de Nifzâoua, pour 
outJvr dans celui de Touzer. 

^ N»'n« Ia soiiit'iiie partie du rial, ou piastre de Tunis. Cette mon- 
iKtie vaut à peu prvs 8 centimes i/a. 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 283 



PARTICULARITE. 

Nifzâoua a pris son nom d^une tribu qui y demeu- 
rait jadis, les Benou-Nifzâ des El-Akbar-ben-Ber-ben- 
K'îs-ben-Elïâs-ben-Mod'er-ebn-Nazâr. 

Ech-<]herif a dit dans son livre : « Djàlout (Goliath), 
que David a tué, était Oulid-Nifzâ. Il s'appelait Daris, 
et était des Ben-cl-AsVai>ben-Nifzâ, Des Benou-Nifzâ sont 
sortis tous les Zenàta ; ils ont une origine arabe , mais 
ils sont devenus Berbères par leurs mélanges avec ces 
peuples, qui étaient en relation continuelle avec eux. 

On peut, sur le premier noan de ce nom, placer 
ou im fath'a ou im kesTa, et prononcer Nafzâoua ou 
Nifzâoua. 

Nous entrâmes dans la sebkha, où des chameaux 
ont été noyés dans la boue, ainsi que des hommes. 
Le guide précédait la caravane, et nous marchions 
doucement, avec les plus grandes précautions, sur une 
ligne donnée , étroite , où les chameaux ne passaient 
qu'un à im. Nous trouvâmes le chemin bordé par des 
broussailles et des palmiers à droite et à gauche, et ne 
laissant qu'un étroit passage, et celui qui se hasarde à 
droite ou à gauche est aussitôt submergé dans la boue. 
Celui qui ne connaît pas cet endroit ne peut s'en 
tirer. 

El-Bekri a dit dans son M açâlek ^ : 

Les caravanes ou les armées s*y enfoncent quand elles 

' Ce passage, cité comme extrait du Maçàlek d*El-Bekri, s*il se 



284 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

ignorent le vrai chemin. Sitôt que quelqu'un a disparu, 
lendroit où il a été submergé est aussi uni quavant, et il 
ne reste pas la moindre trace. C'est bien autre chose en 
hiver. 

£t*Tedjâni a écrit dans sa Rahla : 

J ai appris ceci d'un homme qui le tenait de Moh'ammed- 
ben-Ibrâhim-ben-Djâmïa'-el-Merdâci. 

Notre caravane de mille chameaux traversait cette seb- 
kha. Un chameau s'étant un peu écarté du chemin, les 
autres le suivirent , et tous disparurent dans la boue , sans 
laisser ni traces ni trous après eux. Il est extraordinaire que 
les gens qui s'occupent d'histoire ne parlent pas de cette 
sebkha , qui est une chose si étrange. Elle est inunense par 
son étendue et forme une vaste plaine, dont aucune inéga- 
lité n'interrompt la surface ; elle est d'une blanchem* écla- 
tante , comme une feuille d'ai^ent laminé. Cette blancheur, 
pareille à l'écume qui sort de la bouche des chameaux, 
est telle que les yeux ne peuvent la fixer sans en être 
éblouis. 

Nous y arrivâmes le matin, et la caravane y marchait 

encore On y fit la prière sur un sol qui paraissait 

xm tapis de camphre ou une terrasse d'albâtre. Le terrain 
est si peu soHde, qu'un endroit d'environ cent coudées près 
* du continent , et sur lequel on avait été et venu beaucoup , 
s'y enfonça tout à coup, et engloutit les hommes et les 
animaux qui s'y trouvaient Les chameaux se mirent à 
beugler, puis il ne resta plus d'autres traces d'eux que leur 

li\>u\o iUns lo texte ilu manuscrit dont M. Quatremère a donné la 
notiiY ylom. XI! iîc5 Notiin» des manuscrits K viendra a fappui de* 
«!i5ci tiini» de ce savant ivîeiitaliste. 



VOYAGE DE MOULA- AHMED. 285 

fiente , qui monta à la surface. Cet accident ruina ceux qui 
avaient leurs effets ou leurs marchandises sur ces bêtes de 
somme. Ceci arriva vers Theure du d'ohor. J*ai vu alors un 
homme qui, avec une longue lance, sondait Tendroit où 
tout avait disparu, et il enfonça sa lance jusquà la main 
sans trouver le fond. 

Quelques arbres que le vent avait déracinés dans les en- 
droits solides, amenés par les raSales vers ce lieu, ont 
disparu en ma présence. Nous avons vu des os d*hommes 
dans ce terrain, et, à côté d'im arbre, nous avons trouvé 
une femme avec son enfant quelle serrait dans ses bras, 
et tous deux étaient morts. On disait quayant eu une que- 
relle avec son mari à Nifzâoua, elle avait juré daller cou- 
cher cette nuit à Touzer. Elle se querella encore avec lui 
à Touzer, et elle jiu*a qu'elle irait coucher à Nifzâoua. Elle 
sortit aussitôt avec sa fille, et mourut dans la sebkha. Chose 
extraordinaire, on ne peut, sur cette sebkha, boire de 
l'eau douce , car Pair est tellement imprégné de parties sa- 
lines , que celle qu'on y apporte d'ailleurs paraît salée quand 
on la boit. El-Abou-Ibrâhim-ben-H'acina a fait là-dessus, et 
sur ce qui lui est arrivé au passage, une agréable pièce de 
vers. 

Nous traversâmes Et-Tekâmert ( s^^UoIt ) , et nous 
marchâmes toute la matinée jusqu^au zaouâl. Je vais 
dire tout ce que j^ai vu de mauvais dans cette sebkha , 
les inquiétudes, les appréhensions que j'y ai éprou- 
vées. Le cœur se serre en entendant ces choses. La 
nuit na pas d'étoiles en cet endroit; elles se cachent 
derrière les montagnes. Le vent y souffle à rendre 
sourd, et souffle à la fois et de droite et de gauche, 



286 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

au point de vous faire sortir de votre chemin; il 
vous jette le sable à la figure ; on n*y peut ouvrir les 
yeux qu*en prenant de grandes précautions. Je m'ef- 
forçai de penser pour bannir le sommeil, et par là 
éviter d'être englouti ou de perdre le chemin. A me- 
sure que nous avancions, tous ces inconvénients aug- 
mentaient. Cependant , vers le d'ohor, nous aperçûmes 
les broussailles du terrain solide , et Touzer commença 
à poindre au loin. Alors les gens de la caravane se fé- 
licitèrent les \ms les autres , et dès que nous vîmes la 
sebkha en arrière , nous conunençâmes à respirer. 

Nous marchâmes dans cette sebkha jusqu'au milieu 
du jour et à l'heure du k'iloula; nous mimes pied 
à terre dans im endroit où nous fîmes la prière du 
d'ohor et celle de l'ac'er. Je me promenai dans toutes 
les directions, et le terrain me parut solide. Je ne pus 
trouver ces gouffres qui engloutissent les voyageiurs ; 
sans doute le terrain mouvant dont on parie est d'un 
autre côté. La caravane étant arrivée, nous nous re- 
mimes en marche et allâmes descendre à Sedâd (^Ij^m), 
près de la zaouîa d'Abou-Helâl ( J^^ ^\ i^^lj) , où nous 
nous établîmes avant le soir. La caravane n'y vint qu'au 
coucher du soleil. Les gens du lieu commercèrent avec 
la caravane, et lui vendirent des dattes, du zahar-el- 
h elou. On coucha dans cet endroit. 

C'est là le pays de Dak'îous {^yh^^ ^)^ le plus 
considérable de cette contrée. Il y a une grande ville, 
et sur la montagne qui est au-dessus de cette ville une 
caverne, qu'on appelle la caverne des gens du rocher. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 287 

C'est peut-être parce que ce pays s'appelle Belâd- 
Dak'ïous que les habitants ont eu Tidée de. nommer 
ainsi la caverne qui est au-dessus d'eux, et, sans plus 
de réflexion, ils ont ensuite répandu cette croyance 
parmi les pèlerins et les voyageurs. 

L'imâm Abou-Sâlem-el-'Aïachi dit : « J'ai appris, 
relativement à cette caverne, par des personnes de ce 
pays et gens de bien , que les compagnons de la caverne 
étaient enterrés dans cette grotte. Un autre individu, 
un certain Ah'med-ben-'Abd-Allah , m'a dit avoir en- 
tendu raconter à Sid-Mohammed-ben-Abou-£l-K'âcem- 
El-H'ameni (des gens de H'amena) , qu'il avait été avec 
un autre honune de bien vers l'entrée du rocher; qu'il 
y avait pénétré et en était sorti changé de couleur, par 
l'étonnement et la crainte ; qu'il y avait vu les sept Dor- 
mants et des choses extraordinaires. Le temps manqua à 
Ah'med-ben-'Abd-Allah pour aller demander en détail à 
Sid-Moh'ammed-ben-Abou-El-K'âcem ce qu'il avait vu 
de merveilleux. Je n'ai pas vu, reprend Abou-Sâlem, 
dans les commentaires du K'oran, que cette localité 
soit mentionnée. Ceux-ci désignent cependant une 
grande quantité d'endroits : la Syrie, l'Irak', l'Anda- 
lousie, le Maroc. 

Lundi, 6 redjeb (31 août). 

Nous partîmes de là, et arrivâmes à TouzeivOuzân- 
Djouhar {j^yr ub^JJiy^ ) ^^ niatin du lundi 6 de redjeb, 
et le cinquième jour de l'autonme , selon le calcul des 
cultivateurs , et le 21 août. La caravane acheta beaucoup 



288 VOYAGE DE MOULA-i^H'MED. 

de raisins, des dattes fraîches, du zahar, des pêches 
et des grenades. Nous trouvâmes les grands de la ville 
partis pour Tunis, où ils vont tous les ans rendre hom- 
mage au bey. Nous séjournâmes à Touzer le mardi. 

Touzer est la capitale du pays appelé Belâd-el-Dje- 
ridia (a^«x^^ jX) , et il n y a pas d'endroit plus boisé 
dans le Djerid, ni qui soit mieux arrosé. L'eau de ses 
fontaines jaillit du sable, et, en se réunissant, forme 
une rivière très-lai^e hors de la ville, rivière qui se 
subdivise ensuite en plusieiu^ bras, qui procurent de 
tous côtés une irrigation abondante, étant partagée 
entre tous les terrains cultivés dans la proportion de 
son étendue. Des grands, honunes de bien, ont la 
fonction de présider à ce partage, qui se divise en 
heures du jour et de la nuit, d'après un calcul déter- 
miné par l'usage. Sur ce cours d'eau, il y a beaucoup 
de moulins édifiés. Ce sont les paroles d'Et-Tedjâni , 
lequel ajoute : « Et parmi les choses extraordinaires il 
y a ceci : Quand la rivière s'enfle, soit par la crue des 
fontaines d'où elle sort, soit par la pluie qui tombe, 
l'eau arrive à l'endroit où elle se divise, se rend dans 
les réservoirs des particuliers , le partage se faisant de 
hii-méme. J'ai vu la chose de mes yeux. » 

La majeure partie des habitants demeure dans les 
jardins, peut-être parce que les constructions y sont 
beaucoup meilleures que celles de la ville. Dans la 
ville il y a deux mosquées (djâma'), un bain. Le point 
de vue {^jJiSJ»)^ se trouve à Bâb-el-Menchar, porte où 

' On dit À Alg^r yWrehflFerdja. 



VOYAGE DE MOULA-AHMED. 289 

Ton étend le linge : elle offre une des plus belles vues 
qu^on puisse imaginer, parce que c'est là que les soiu^ces 
se réunissent pour former la rivière, qui se divise 
presque aussitôt , conmie on Fa dit. Là sont les teintu-* 
riers, occupés à étendre les étoffes quils ont teintes 
de toutes couleurs, étoffes précieuses, dont ils cou- 
vrent tout le terrain; ce qui produit à Toeil Feffet de 
prairies émaillées de toutes espèces de fleurs épanouies. 
On y entend le miumure de Teau. Il n y a pas de plus 
bel endroit à Touzer. Il est en dehors des jardins, 
lesquels touchent aux remparts de la ville. Cette jolie 
ville s'embellit encore par l'entourage de ses char- 
mants jardins. Un de ses habitants, un poëte, a fait 
une longue pièce de vers où il a décrit et énuméré ce 
que Touzer a de bien et de digne d'éloge. 

Il vante les oiseaux qui chantent sur les arbres, les 
roses et les orangers, les palmiers, etc. 

Les gens de Touzer sont un reste des chrétiens qui 
étaient autrefois en Afrik'ïa, avant que les musulmans 
en fissent la conquête; la plupart des habitants du 
Djerid ont cette même origine , parce que , lorsque les 
Arabes s'emparèrent du pays , les vaincus se firent mu- 
sulmans pour sauver leurs familles et leurs biens. Il 
y a aussi parmi eux des tribus arabes qui s'y sont éta- 
blies avant la conquête. On y trouve encore des Ber- 
bères qui s'y étaient fixés il y a fort longtemps , lors de 
l'émigration de leurs ancêtres, sortis du pays qui est 
connu sous le nom de pays des Philistins, et aussi 
d'autres endroits de la Syrie. Ces Berbères avaient pour 

37 



290 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

roi Djâllout, dont il est question dans le K'oran. David 
ayant tué ce prince , les Berbères se dispersèrent dans 
toutes les contrées , et la majeure partie vint en Afrik'îa 
ou dans le Mor reb. L'Afirik'ïa était alors au pouvoir des 
Grecs, que les Berbères chassèrent dans les îles de la 
mer, KasVilïa et autres. Les Grecs revinrent une autre 
fois en A£:îk'îa avec sauf-conduit , et firent la paix avec 
les Berbères, lesquels choisirent d'habiter les mon- 
tagnes , les déserts ( JU^ I ) , et les environs des villes. 
Les Grecs se fortifièrent dans les villes et dans les en- 
droits habités, jusqu'à ce que vint Tislàm, qui s'empara 
du pays. Alors les Grecs s'en allèrent, sauf ceux qui 
se firent musulmans et ceux qui payèrent le djezïa 
conune les gens du Djerid. Ceux-ci ont une chose sin- 
gulière : ils vendent leurs excréments, et on les vili- 
pende k ce sujet, comme on vilipende les gens de 
K'àbes. On les blâme encore , parce qu'ils mangent des 
chiens. Ceux qui sont ouvertement adonnés à cette der- 
nière pratique sont les tribus des Arabes Benou-Açad 
( OmmI ykf) et les Fokli açan (^^^^m^ ). Je n'ai pas vu ces 
derniers « j'en ai seulement entendu parler; mais de 
temps immémorial on leur adresse ce reproche. A ce 
sujet « El-Ferozdok' a dit : 



Si un Açadi a faim pendant un jour dans la ville , et qu il 
ait un chien fp& , il le mange nécessairement. 

Et Meçàouai4>en-Hind a dit : 

Quand une fe nune des Açad enfante un garçon , on lui 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 291 

dit : tt Pourquoi as-tu enfanté un garçon ?» et c*est pour se 
dispenser de lui ofifirir le plat de couches ( El-Khers' ). 

Le même a dit encore : 

Les Benou-Âçad , quand leurs femmes accouchent , ainsi 
que les Fok'h'açan , disent : « Ce sera Tannée aux chiens. » 

H'açàn-ben-Tsàbet se moque de leur goût pour la 
chair des chiens et même pour celle des gens; et il dit 
en résumé : 

Ceux de cette tribu qui passent pour poltrons , quand un 
voisin meurt, ils le mangent s*ils peuvent; et, pour eux, la 
chair de mouton , celle de chien et celle d*homme , c est 
tout un. 

Je ne crois pas qu'il me soit tombé dans les mains 
aucun ouvrage où il soit question des anciens édifices 
qu'on voit à Touzer, édifices qui remontent à une haute 
antiquité; mais on prétend qu'ils ont été construits 
vers l'époque du déluge, du temps de Noë. La ville a 
été conquise , puis reçue à composition pour les Arabes , 
par HWen-ben-el-Neu'mân, en 79 de l'hégire, à son 
retour de la conquête de Bark'a , par les ordres d' Abd- 
el-Mâlek. 

J'ai vu, dans une histoire de l'imâm El-H'âfid'-Abou- 
T'àhar-es-Sefli , siu: la conquête de Touzer : 

a On dit que Sid-Ok'ba-ben-Nâlïa'-el-K'orichi avait con- 
quis Touzer ; mais ce n*est pas certain : Tépoque de f avène- 
ment d*Ok'ba au gouvernement de TAfirique est & 6 de fhé- 
gire. » 



292 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Si ce récit d^Abou-T'fthar est vrai, la conquête de 
Touzer a été faite du temps de Mâ^ouïa-Abou-Sefïân. 
Quant au premier récit, sMi est vrai, ce serait, comme 
je Fai dit, du temps d'Abd-el-Màiek. Peut-être conci- 
lierait-on ces deux versions contraires, en admettant 
qu après la conquête d'Ok'ba les anciens maîtres du 
pays en avaient repris possession , et qu'alors une 
deuxième conquête eut lieu du temps de H'acen-ben- 
Neumân. Quoi qu'il en soit, en voyant encore de nos 
jours les anciennes églises chrétiennes qui tombent en 
ruines, et qu'on n a pas employées à d'autres usages, on 
devine, sans que les historiens le disent formellement, 
que les musulmans prirent possession de ce pays par 
capitulation. 

Quant à l'orthographe du mot Keniçat (pliu*iel Ka- 
ndïs)y il me semble qu'il faut l'écrire avec \ux fatKa 
sur le ta final et dire Keniçat; d'autres y mettent un 
d!omma, et prononcent Keniçatou : mais ceci n'est pas 
fondé, parce qu'il est de principe, dans notre gram- 
maire, en ce qui concerne les mots étrangers, de les 
écrire comme nous les entendons prononcer, sans rien 
ajouter ni retrancher à ce que les anciens Arabes nous 
ont transmis à ce sujet. 

A Touzer, je reçus la visite des principaux tVlba 
de Neft'a, et celle de Sid-D^if-Allah-ech-Cherif-el- 
Edrici, qui prit la rose (ouerd-ou-djeker) , de Sid- 
Abou-Bekr-ben-'Abd-er^Rah mân à la zaouîa El-Mîàd. 
J'allai , après la prière de l'ac er, visiter l'ancienne ville 
et les marabouts qui s'y trouvent, tels que l'imâm Ech- 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 293 

Chek'ràt'si, Ben-Bechbàt'a, Ez-Ze&àfi et Abou-el- 
Fad'el-ebn-eB-Nah'ouî, disciple de Fauteur du Moun- 
faridja^ Nous leur demandâmes le chemin de Biskra 
ou celui de Zorâîb; mais nous ne nous mîmes pas 
encore en route. 

Mercredi, 8 redjeb (a3 août). 

Nous partîmes le mercredi 8 redjeb (23 août), de 
bonne heure, conmie d'habitude. El-H'adj-el-Ah'midâ 
me traita chez lui, ainsi qu'une compagnie de pèle- 
rins; il nous fit apporter beaucoup de kouskouçou. 
Sid-D'if-Allàh-ech-Cherif marcha avec nous, ainsi que 
quelques-uns de ses amis , jusqu'à El-H'âmma [jji^ iuUI). 
n écrivit cette espèce de talisman , qu'on appelle sif-en- 
noac'er ou eln^uactla, ou sekibat-^n-nottrânia. Nous des- 
cendîmes dans cet endroit, et nous y restâmes jusqu'à 
ce que la caravane eût chargé et que la provision d'eau 
fût faite à une certaine fontaine, dont l'eau est plus 
douce que nulle autre part dans les environs. Sid-EVif- 
Âllah-ech-Cherif-el-Edrici et ses neveux prirent congé 
de nous. Cet homme a le cœur excellent ; il avait de 
l'amitié pour moi. Nous arrivâmes vers l'eulam à im 
endroit imi , où nous (unes la prière du d'ohor ; puis 
nous nous remîmes en route, et nous fîmes la prière 

' Le MoonCmdja est un poème de Moh'aimned-beii'Ioucef-et'Toa- 
ziri, sar Diea, le prophète, etc. Ce poème, dont tons les yem se ter- 
minent par un djim, a été commenté par loucef-ebn-Moh'ammed-ebn' 
louoef-Abonel-Fad'el, dit En-Nah'ooi. La bibliotlièque d* Alger a, sous 
les n*' 4 A, 3a6 1 , 35o C, le texte et deux commentaires de ce poème. 



294 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

de Tacer à Touest de Radjem (^yt)« V^ ^^ ^^^ ^^ 
chemin auprès de Tamaris, et nous descendîmes près 
et à TEst de Chebika ( X^u^xâ ) , vers le mor'reb. La ca- 
ravane n^arriva qu'après le coucher du soleil ; on coucha 
dans ce lieu. 

En 1 1 1 o , lorsque je revenais du pèlerinage , je ren- 
contrai en cet endroit une caravane qui venait de mon 
pays. L'êmir de cette caravane , Sid-el-H adj-el-H'aceni- 
el-Fâci, me donna des lettres de mes parents et amis, 
et mon ami Sid-Moh'anuned-ben-el-H'ocein-el-Liouci 
m'envoya une lettre dans laquelle était une pièce de 
vers de sa composition. 

Jeudi, g redjeb (a& août). 

Nous partîmes de ce lieu , et nous marchâmes avec 
promptitude , afin que la caravane pût arriver jusqu'à 
rOuad-R'as'rân {{j}y^ c^^l^)) ^^ nous craignions que, 
si elle ne parvenait pas jusque-là , elle fût obligée de 
passer la nuit sans.eaù. Nous rencontrâmes le fils de 
Sid-Nâcer-el-Ferdjâni, qui faisait route sur Biskra. H 
nous montra le chemin et marcha avec nous. 

Nous descendîmes à RWrân-Ouzân-Amrân {{jij*^ 
ub^ ub^)^^ entre le mor'reb et Teucha; le reste de 
la caravane n'arriva qu'à quatre heures dans la nuit. 
On bivaqua à côté de l'eau courante. Les pèlerins 
burent, firent leur provision d'eau et se lavèrent toute 
la nuit : ils oublièrent alors toutes les mauvaises eaux 

Dans la première partie de son voyage, Moula- Ahmed appelle cet 
endroit R'asVân-KaWân. Voyei ci-dessus, pag. aay. 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 295 

dont ils avaient bu eh route. Les gens du pays ne 
s'éveillèrent pas à Tairivée de la caravane , et il ne se fit 
pas un seul marché. 

Ce pays dépend de Tunis. Nos chameaux étaient 
fatigués de Tétape; mais, parla grâce de Dieu, Fherbe 
et Teau qu'ils trouvèrent en abondance leur rendirent 
les forces, car il y avait dans ce lieu beaucoup de pâtu- 
rages et de broussailles. 

Vendredi, lo redjeb (a5 août). 

Partis vers huit heures du matin, au d'oh'a» nous 
nous arrêtâmes siu* une colline , devant un des bourgs 
El-Hadjel (J^), devant Ferka (i^^); nous descen- 
dîmes ensuite à £l-Mofd'!a (â^u^aII), où nous cou- 
châmes sans autre eau que celle que les chameaux 
avaient apportée, car il ny en a quen hiver. Cest un 
endroit uni , bien exposé et où Ton trouve des champs 
cultivés très-étendus. L'eau de la montagne y coule à 
l'époque dont on a paiié, et arrose alors la contrée. 

Samedi, 1 1 redjeb (a6 août). 

Nous arrivâmes à Zeribel-H'âmed (o^U. ^jj) ^ 
l'ac'er, et nous y fhnes cette prière. La caravane nous 
rejoignit avant le coucher du soleil. A ce bivac, la 
maladie de notre frère Ah'med-el-Hand'ifi s'augmenta 
(que Dieu le protège!). Il donna par testament à la 
zaouîa En-Nas'rîa le tiers de ce qu'il avait de son bien 
avec lui dans ce voyage. Il était malade depuis le Kaire. 
Son mal avait eu des alternatives jusqu'à cet endroit, 



296 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

où il s'accrut considérablement. La caravane coucha 
auprès diua radîr\ qui avait procuré de Teau douce 
très-abondante. Les gens du pays avaient creusé ce 
réservoir pour y conserver l'eau de pluie tombée pen- 
dant rhiver et s^en servir diu*ant Tété, cette eau étant 
la seule qu'il y ait dans leur pays. C'est donc auprès 
de ce r'adîr qu'ils ont construit leiu: bourg. Quand 
vient le temps des pluies, les torrents des montagnes 
s'augmentent, coulent et descendent jusque de leur 
côté. Us s'en servent pour irriguer leurs champs, et 
ils en emplissent les réservoirs afin d'arroser leurs 
terres; car chacun en fait un grand ou un petit qu'il 
emplit. Quand l'eau cesse de couler durant l'été, ils 
trouvent alors celle qu'ils ont amassée dans leiu^ ré- 
servoirs : ils s'en servent pour boire, abreuver leurs 
animaux, et pour tous les autres usages de la vie. Nous 
les trouvâmes en prières et demandant de l'eau. Que 
Dieu les exauce ! Il me vint, pendant cette nuit, quel- 
qu'un des Oulâd-Sidi-Nâdji , le Sid-El-Hâni-ben-el- 
H afiân ; il m'apprit des nouvelles de mes chameaux , qui 
étaient restés chez eux : il y en avait un de mort. Je 
fis venir ceux qui restaient. Il nous apprit, ce qu'on 
nous avait déjà dit, que les Oulâd-Sidi-Nadji (^^3! 
(s^^ 4^0hu»#) étaient brouillés avec les Oidâd-Tsâbet (^^^\ 
oi^b), qui sont à El-Iâna (iuWt)i et que ceux-ci les fai- 
saient espionner dans l'intention de les attaquer à leur 
avantage. Sid-El-Hâni avait été suivi par des espions 

' Réservoir creuse pour recevoir les eaux pluviales, comine Tau- 
leur IVxplique plus bas. 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 297 

de ce genre dans son voyage. Que Dieu le délivre d^ ce 
danger ! 

Dimanche, la redjeb (3700111]. 

Quand nous partimes de là et que nous marchâmes 
devant la caravane, nous entendîmes- en arrière des 
cris et du bruit; nous demandâmes ce que c'était, et 
on nous apprit que la troupe des Oulâd-Tsâbet, qui 
avait suivi les gens des Oulâd-Sidi-Nâdji, comme on 
Ta dit tout à Theure , combattaient avec 'Âbd*el-H afid' 
et sa compagnie. Mais ils ne purent rien faire et f lurent 
obligés de se retirer. Que Dieu accorde la victoire aux 
Oulâd-Sidi-Nâdjil Nous fîmes la halte du matin à 
Omm-el-Kheïr [j^ J), où je rencontrai Sid- Abd-el- 
H afid', qui m'apportait une charge de dattes , des pas- 
tèques et des poules. Nous fîmes quelques milles, et 
nous aperçûmes au loin, autant que la vue pouvait 
s'étendre, un grand nombre de cavaliers au galop qui 
couvraient le pays. Quand ils furent plus rapprochés , 
nous reconnûmes Abou-D'ïâf, le chef des Oulâd- 
S'oula (a1>0 ^^3!)^ avec une compagnie des grands 
du pays : ils venaient pour nous donner la bienvenue. 

* Le cheikh des Oulâd-S'oula payait une contribution annuelle de 
quatre mille bacita (10,000 francs); mais la soumission de ces tribus 
était purement nominale , 6t elles n^avaient pas de relations régulières 
avec le cheikh El-*Arab, encore moins avec le pacha. Une tradition 
populaire fait descendre les Oulad S'oula d*une race d'hommes athlé- 
tiques, contre lesquels les Zenâta (représentés comme les pères des 
Chaouia d'aujourd'hui) eurent à soutenir des guerres nombreuses. 
Après des succès partagés , qui rendaient alternativement les deux partis 

38 



298 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Ce chef est un homme vertueux, qui aime ce qui est 
juste , chérit les gens de bien et déteste le mal , ainsi 
que celui qui le fait. Comme nous savions qu^il aime 
les pèlerins et les voyageurs du Mor'reb , nous n'eûmes 
aucune crainte en le voyant arriver. Nous allâmes des- 
cendre à Zeribet-el-Ouadi ( ^^^ly I iu^ ) au d'oh a , et 
cela bien malgré nous. On coucha dans cet endroit, 
où les Arabes de la caravane achetèrent des chameaux. 
J'en achetai aussi; mais, n'ayant pas lieu d'être con- 
tent du marché, je les rendis. J'avais cependant besoin 
de ces animaux ; mais à la volonté de Dieu ! Je voulus 
faire ce marché, parce que j'avais appris qu'un cha- 
meau qui m'appartenait, et que j'avais laissé chez Sid- 
el-Hàni était alors malade. Je craignais qu'il ne pût 
faire le voyage. Je voulais donc entamer un autre 
marché ; mais on m'avertit que l'animal qu'on voulait 
me proposer avait été volé, ce qui fit que je revins 
sur ma parole et repris mon aident. 

Lundi, i3 redjeb (a8 août). 

Nous partîmes longtemps après le d'oh'a. La terre 
était sèche , et on allait de côté et d'autre pour trouver 
un endroit où il y eût de quoi donner à manger aux 
chameaux. Il s'en présenta un enfin. Pendant que nous 
y faisions la prière de l'ac'er, il monta un nuage au ciel , 
du côté de la montagne, par un vent violent, qui jeta 
les tentes à bas; puis il tonna, éclaira, et une forte 

maîtres et sujets, les ancêtres des Oulad-S'ouia furent enfin vaincus 
et obligés de se réfugier dans le S'ak'ra. 



VOYAGE DE MOULA-AHMED. 299 

pluie tomba sur la caravane : les cataractes du ciel pa- 
raissaient ouvertes. La force des averses était telle, 
que nous nous trouvâmes presque inondés , et que les 
chameaux disparurent. Nous priâmes , nous invoquâmes 
le prophète, et le mauvais temps finit aux approches 
du mor reb. Alors chacun se mit en quête de son ba- 
gage. Quelques-uns le retrouvèrent; d'autres n'eurent 
pas le même bonheur, et ne piu*ent remettre la main 
sur leur propriété engloutie dans la boue. Ce fut, du 
reste , le plus petit nombre. Cette pluie fit gi*and plai- 
sir aux gens du pays, à qui elle annonçait une année 
productive. Sid-el-Hâni , ses amis et sa société , prirent 
congé de moi. Nous fîmes la halte de midi à TOuad-el- 
H alef ( ud ^dl^ ) , et nous trouvâmes cette rivière 
remplie d'eau, ainsi que les citernes et les réservoirs. 
Nous y fîmes la prière, après quoi nous marchâmes 
de nouveau. Vers Tac'er, nous vîmes au ciel, au-dessus 
de la montagne, une espèce de nuage qui s'agrandit; 
puis il tonna, éclaira, et il tomba une forte pluie qui, 
frappant les bêtes de somme au visage , les empêchait 
de marcher : elles s'arrêtaient et ne bougeaient plus. 
Cette pluie cessa un peu, et nous fîmes la prière de 
l'ac'er; puis elle recommença à tomber, amenant le 
froid avec elle, et cela dura jusqu'aux environs de 
l'eucha. Nous descendîmes à l'Est de l'Ouâd-el-Mensif 
(uuaUI ^^I^), et la caravane coucha sur une colline 
élevée, afin que, si la pluie reprenait, nos bagages 
ne restassent pas dans la boue, comme cela était déjà 
arrivé. A ce bivac moui^t mon ami Sid-Ah'med-el- 



300 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Hand'ifi, pendant la nuit du mardi 1 4 redjeb (29 août). 
Que Dieu lui soit miséricordieux! Nous le lavâmes, 
rhabillâmes, nous priâmes pour lui dans la matinée, et, 
avant le coucher du soleil, nous Tenterrâmes en face 
du campement, jetant seulement de la terre sur son 
corps, parce que nous ne trouvâmes pas de planches, 
de pierres plates ou rondes, ni de roseaux. 

Mardi, i4 redjeb (39 août). 

Dans Tendroit où nous fîmes la halte du midi , nous 
fûmes joints par les Oulâd-S'oula avec les chérifs qu'il 
y avait alors à Sid-Okl)a. Quelques-ims d'entre eux 
étaient de mes amis, Moh'ammed-ben-Mans'our-el- 
Mekâdi, En-Nedjâri, et Zouâoui d'origine. Nous fîmes la 
prière du d'ohor, puis nous nous remimes en marche, 
et je rencontrai mon frère en Dieu Sid-Moh'ammed- 
bcn-Mansour susdit, lequel vint au-devant de nous et 
me mena à Sid-'Ok'ba , où ils m'attendaient depuis quinze 
joiurs. Nous descendîmes à Sid-'Okl)a à l'ac'er, le mardi, 
i4 de redjeb (29 août); nous y couchâmes. L'orge 
y était À meilleiur marché qu'à Biskra, et chacun en fit 
provision tant qu'il voidut. Je trouvai à Sid-'Okl>a Sid- 
Abmi-eUK'àcem-el-Bechîr-el-Biskri, alors mufti de 
Biskra , qui venait de s'enftiir de cette ville , en crainte 

dos chefs, et 'Ali-hen-Moh'ammed un des 

chefs de cotte contrée, qui était aussi en fuite. 11 me fit 
c«^doau d'un mulot, que je donnai à Moula-el-'Arbi- 
hon-Ah aunUuMi-loucof Que Dieu rende à El-Bechîr 
SOS hious ot sa place! 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 301 

Mercredi , jeudi , vendredi , 1 5 , 16, 17 redjeb 
(3o et 3i août, 1" septembre). 

De là nous allâmes à Biskra-en-Nokhêl (Ju^l 'ij^), 
où nous arnvâmes environ 10 degrés^ avant le zaouâl 
du mercredi, 1 5 redjeb ou 3o août. La rivière était en- 
flée ; nous la traversâmes dans un endroit difficile ; mais 
Dieu nous tira de ce mauvais pas. Nous séjournâmes 
à Biskra le jeudi et le vendredi , jusqu'à ce que les gens 
de la caravane eussent acheté ou préparé leurs provi- 
sions de bouche. 

Samedi, 18 redjeb (a septembre). 

Nous partîmes le samedi, 18 de redjeb, 2 de sep- 
tembre. Je pris congé de Sid-'Abd-el-H'afid'-ebn-et- 
T'aïeb, des Oidâd-Sidi-Nâdji et de ses amis, et des 
amis de la compagnie de Moh'ammed-ben-Mans'our-el- 
Mekâdi, lequel continua encore de marcher avec moi. 
Nous fîmes la halte du d'oh'a près d'im réservoir appelé 
Sâk'îa-Oumâch {^\^^\ M^)) sur le chemin. Nous fûmes 
obligés d^arranger cet endroit, qui était difficile, pour 
que la caravane pût passer; enfin on s'en tira heureu- 
sement. Deux chameaux seulement tombèrent dans le 
réservoir, mais on les retira sains et saufs. Nous tra- 
versâmes Melila (iUuJLt). La population, grands et pe- 
tits, vint au-devant de nous. Nous traversâmes l'Ouad- 
el-Djeddi (^^^M^ (^*b)» ^* ^^^^ descendîmes sur le 
bord de cette rivière à TOuest, sur des collines, pour 

' Ce degré comprend quatre ïninutes. 



302 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

avoir du frais. On m'apporta des chaînes de melons; je 
les partageai avec mes compagnons , avec les légistes et 
les chérifs. Leur fak'i Sid- Ali- Abd-el-JVTat'i , qui était 
venu au-devant de moi à Sid-'Okl)a, me fit alors ses 
adieux. La caravane coucha en cet endroit. 

Dimanche, ig redjeb (3 septembre). 

Nous allâmes faire la prière de Tac er auprès de l'er- 
mitage de Sid-'Abd-er-Rah'mân-ben-es -SVir-el-Akhd'ari 
((<g^jtâÂ.^I «y^); nous le dépassâmes de quelques milles 
pour descendi'e à Mor'rân (yîy«^) , grand désert qui 
s'étend du côté du k'ibla « midi » jusque vers les vil- 
lages de rOuad-Rîr . 

Lundi, ao redjeb (4 septembre). 

Nous fîmes une petite halte sur le chemin, et je mis 
pied k terre, vers le doha, en avant de la caravane, 
pour me reposer. Je vis im corps de cavaliers des Ou- 
lâd-Selâni (>%^)u* ^^^1) montés siu* des juments, qui 
venaient de notre côté conduits par leur chef (raïs) 
T'âmir. Ils me prièrent de séjoiuner un peu en cet en- 
droits pour qu'ils pussent m'offrir à manger et leurs 
bénédictions* Comme il ne m'était pas possible d'ac- 
coptor^ ils dmTUt se contenter de me faire cadeau d'un 
béhor. que je donnai aux chérifs. Nous nous remimes 
en UKirche et allâmes nous arrêter sur un mamelon 
<|ui domine la rivière « du côté des broussailles. Nous 
\ fime^ la pinore du d'ohor et celle de l'ac'er près des 
(^ulÀiH>jold yj^^ à^y \ dans des champs ensemencés. 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 303 

auprès de nombreuses liorias. H y avait de Teau sau- 
mâtre et amère comme le jus de la coloquinte. Nous 
nous assîmes en cet endroit jusqu'à ce que la caravane 
fût passée et que Tarrière-garde nous eût rejoints. Puis 
nous nous remîmes en route et trouvâmes les pèlerins 
occupés à dresser les tentes (après Tac'er) chez les 
Oulàd-Djelâl, le dimanche, 19 de redjeb^ Entre le 
morreb et Teucha, il vint un de mes amis, Sid-Abd- 
el-Bâk'i , accompagné de Sid-Moh'ammed. Par la grâce 
de Dieu, ils me donnèrent im mouton. Il apporta une 
planchette d'école (iU-^J), poiu* que j'écrivisse dessus 
quelque chose qui portât bonheur à son fils, lei|uel 
n avait pas encore conmiencé à apprendre à lire. Je lui 
écrivis la première leçon. Il me donna un plat copieux 
de kouskouçou; puis tous retournèrent à leiu* tribu. 

Mardi, 21 redjeb (5 septembre). 

Nous partîmes accompagnés par les gens, du pays , 
petits et grands, qui nous demandèrent de prier pour 
eux. Je trouvai hors de la ville leurs ouleraa, leurs 
marabouts et Sid-Moh ammed-el-H'âdj . Celui-ci m'ap- 
portait trois moutons , que je donnai à mes compagnons. 
Après avoir pris congé de nous, tous ces gens s'en 
retournèrent, sauf Sid-Moh'ammed, qui vint avec moi 
jusqu'à la k'oubba de Sid-Khâled («xJU. (^«Xju« >^) 
Ben-Senân, lieu où il me fit ses adieux et retourna 
chez lui. Nous mimes pied à terre à l'Ouest de la ville 

' Le manuscrit porte 9 de redjeh, maïs c'est une erreur évidente 
du copiste. 



304 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

de Sid-Khàled, siir une hauteur, en attendant la cara- 
vane. Nous nous informâmes de Tétat du chemin, s'il 
y avait de Teau dans quelques endroits par où la cara- 
vane devait passer, afin de coucher dans ce lieu; si 
Ton pouvait boire, abreuver et faire la provision d'eau, 
pour traverser la mefâza qui était devant nous , désert 
où il n y a point d'eau. La caravane devait aloi^ en faire 
provision poiu* trois jours et deux nuits. Nous reçûmes 
toutes informations à cet égard par im Arabe qui con- 
naissait le pays. La rivière, disait-il, était à sec en ce 
moment, mais il y avait sur la route deux grands r adir 
« réservoirs » qui suffiraient aux besoins de la caravane, 
et qui auraient pu abreuver une armée. Nous remer- 
ciâmes Dieu de cette heureuse circonstance , qui nous 
dispensait d'emporter de l'eau dans la mefâza (i[>UU 
oJl^ «>ysM»)> 6t nous nous réjouîmes de n'avoir pas à 
redouter la soif dans ce désert; car les outres de la 
caravane étaient vieilles et déchirées, vu qu'elles ser- 
vaient depuis le Kaire, et celui qui y avait mis le de- 
bâr a et le k'et'rân « le tan et le goudron « ne s'en était 
pas bien acquitté. Mais nous n'en avions pas trouvé 
d'autres au Kaire. Loi^sque nous eûmes ces informa- 
tions, la caravaiie se mit en marche, et nous descen- 
dîmes vers le k'iloula • midi > à im r adir, près de la 
rivière; nous y fîmes k prière du dohor, et nous al- 
lâmes faiix^ celle de fac'er sous un térébinthe, auprès 
<run autre r adir. Nous trouvâmes, devant le r adir. Es- 
Selmîa (a^^JuJO, douar de nomades arabes de ces 
contrées « gens puissants qui étaient en recherdie d'eau 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 305 

et de pâturages. Nous desceudimes sur le terrain des 
Oulâd-Sid- Aïça ((^un^ (S^^*^ ^^3* ) ^ auprès d'un r'adîr 
grand , enflé comme une mer (j^s^ùm^) par les eaux de 
la rivière. Nous couchâmes avec les Selmïa, nos bêtes 
de somme mêlées avec les leiu*s. Leurs chefs, leurs 
grands vinrent nous voir, ainsi que tout le reste. Ils 
nous dirent qu'ils ne ressemblaient pas aux anciens Es- 
Selmïa , qui pillaient et volaient les caravanes des pèle- 
rins, et ({u'eux ne leur faisaient que de bons traite- 
ments et étaient les serviteurs des pèlerins. Ils rendirent 
ensuite à mon ami Sid-Ibrâhim ce qui lui avait été 
volé au passage , quand nous allâmes à la Mecque. 

Mercredi, a a redjeb (6 septembre). 

Nous partîmes lorsqu'on eut pris au r'adîr la provi- 
sion d'eau nécessaire poiu* tout le jour. Nous fîmes la 
halte du matin auprès d'un térébinthe , dans un endroit 
uni, lai^e, où nous attendîmes les gens de la cara- 
vane. Il y vint une troupe d'Arabes de Rah'mân (yl?:;), 
amenant un grand nombre de chameaux qu'ils vou- 
laient vendre aux pèlerins. Par la grâce de Dieu, ils me 
donnèrent une jeime chèvre, et je leiu» donnai ce qu'il 
leur fallait. Puis nous chevauchâmes, et il nous vint 
deux cavaliers montés sur des juments, qui faisaient la 
fantazïa, lesquels nous apportaient des outres pleines 
de beurre fondu que nous donnaient les fak'i. Nous 
fîmes la halte du midi sur les bords de l'Ouad-es-Senouf 
(ojjuJl t^^t^), à l'ombre des térébinthes, et nous y 
trouvâmes des r'adîr pleins d'eau, où nous abreuvâmes 

39 



306 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

nos animaux et où- les gens de la caravane burent et 
firent leurs provisions et leurs ablutions. Nous fîmes 
la prière du d'ohor en cet endroit, et celle de Fac'er à 
un r'out'^ sur le chemin de R'îkef [uSUà). On se remit 
en marche, et nous allâmes descendre , vers IWfiràr, sur 
un autre r out' étendu en tous sens auprès d'un réser- 
voir d'eau. Nous fûmes excessivement joyeux, car on 
n avait plus beaucoup d'eau, n'en ayant pas trouvé à 
l'endroit désigné par le guide. On voidut coucher de- 
vant le r adîr que Dieu nous avait envoyé ; nous y cou- 
châmes en effet, et chacim usa de cette eau à son gré. 
Une chamelle s'enfuit, et, pendant que le conduc- 
teiu* la cherchait, elle fut trouvée par le camarade de 
celui-ci, lequel ne sachant pas cela, continua ses in- 
vestigations, et fiit attrapé par des bandits, de ceux 
qui volent les pèlerins ; ils le battirent et lui enlevèrent 
ses habits. Son père, ne le voyant pas revenir, se mit 
en quête de lui, et fut aussi attrapé. On le ramena au 
bivac movennant la promesse de donner im midet pour 
sa rançon et celle de son fils, ce qui lut fait. En outre, 
les bandits trouvèrent moyen de voler un autre midet. 
Le maître de ce dernier s'éveilla, et suivit leurs traces 
|X>ur ravoir son mulet. Il les atteignit; mais il ne put 
réussir^ et vopnt qu'il avait affaire à trop forte partie, 
il les quitta et revint au bivac. 

* S*lon lo Kaukhis, ce mot signifie un raslc es|>ace de lerniîn en 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 307 

Jeudi, a 3 redjeb ( 7 septembre). 

Nous partimes, et trouvâmes de Teau dans un Ouadi 
qui est à TEst desTouraîât (v;;9U^yJl), où quelques-uns 
emplirent leurs outres. Nous finies la halte du matin à 
'Arit'â (Ik^), à TOuest et à quelques milles des Tou- 
mïât, et la prière de l'acer à côté d'im radîr, près de 
rOuad-'Abd-el-Medjîd ( Oy^^Jl 4>^Aft :>]^ ) , et nous descen- 
dîmes à TEst, à quelques milles de cette rivière, après 
Tac'er. La queue de la caravane an-iva entre le cou- 
cher du soleil et Teucha. Il souffla un grand vent, qui 
renversa toutes les tentes; la pluie tomba, et il fit très- 
obsciu*. On entrava les chameaux, le lieu étant connu 
pour les vols et les pillages auxquels se livrent les gens 
des tribus environnantes, gens d'Eûmoura [ij^i]^ dont 
les villages sont siu* la montagne qui est devant El- 
R'irân ( ^ j^AiJt ) , pays où il y a beaucoup de fruits de 
tous genres, mais point de dattes. Les habitants volent 
les pèlerins, venant la. nuit en cachette au bivac des 
caravanes; dans le jour, ils apportent des poules, des 
fruits, et font le commerce. C'est là leur usage; que 
Dieu le leiu* ôte! Auprès d'Eûmoura, et à quelques 
milles vers TËst, est R'omara (^)i dont les habitants 
ne font point parler d'eux dans un mauvais sens. Dieu 
sait s'ils valent mieux que les autres. Nous couchâmes 
en cet endroit, et pendant toute la nuit la pluie tomba 
jusque près de l'aïu'ore. Il n'arriva néanmoins aucun 
accident. Dieu nous gardait. 



308 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Vendredi, aâ redjeb (8 septembre). 

Nous traversâmes rOuad-'Abd-el-Medjîd vers huit 
heures du matin. Personne n'alla y puiser. Dieu nous 
ayant fait la grâce de rencontrer deux r adir bien rem- 
plis d'eau, où chacim avait pris ce qu'il lui fallait. 

Nous descendîmes pour reprendre haleine à FEst 
d'El-R'irân, en attendant la caravane. Nous ne la vîmes 
pas arriver, et on nous dit qu elle avait pris à gauche. 
Après nous être mis en marche, nous trouvâmes un 
homme de Nâîla (i^b) qui amenait le mulet volé dans 
une nuit précédente ; il nous dit que le voleur était 
un S'ah'râoui, ou homme du désert; que les Oulâd- 
Nâîl lui avaient repris son butin, qu'ils nous renvoyaient 
par lui. Le maître de la bête reçut son bien, fort joyeux 
de l'événement. 

Nous descendîmes, vers le d'ohor, à l'Ouest et à 
quelques milles d'El-R'irân, sur une colhne, pour faire 
la prière et attendre la caravane, qui arriva. Après avoir 
fait la prière du d'ohor, nous marchâmes avec célérité , 
afin que la caravane pût atteindre un endroit où il y eût 
de l'eau, car on n'en avait plus; mais on n'en trouva 
jKis. L'ac'er étant arrivé, nous fîmes cette prière à la 
hâte, et nous descendîmes un instant dans un lieu en- 
Mmiencé . dans le pays des Oulâd-H erz-AUah [j^ ^X^' 
M\ devant une zaouîa de Bédouins. J'en connais quel* 
que^Mms, gens de bien. Un d'eux avait fait le pèle- 
rinaj;^^ %\\ec moi. II s\^ppelail Sid-et -T aïeb-ben-'Aîça : 
c'otjiit un houimo religieux et probe. Devant la zaouîa 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 309 

était un bâtiment adossé à la mesdjid, que les pèlerins 
appellent El-Bordj (gj-fJt)' Le gros de la caravane ar- 
riva entre le mor reb et Teucha , et la queue , après que 
nous eûmes fait la prière de Teucha. 

On prit des précautions contre les vols des gens de 
R omara et autres qui auraient pu suivre la caravane ; 
mais, par la grâce de Dieu, il n^avint rien de fâcheux. 

Samedi, a 5 redjeb (9 septembre). 

Nous fîmes halte à Demmet ( os^^ ) avant le milieu 
du jour, et nous y couchâmes pour reposer les cha- 
meaux et guérir leurs pieds enflés par la marche. Nous 
trouvâmes les gens du pays, qui furent très-satisfaits 
de nous voir, à en juger d'après les apparences. C'étaient 
de braves gens et non de ceux qui maltraitent et dé- 
pouillent les pèlerins , ni de ceux qui dérobent la nuit. 
Cependant ils avaient autrefois commis ce genre de 
désordre; mais ils s'étaient enfin amendés. Que Dieu 
les laisse dans cette nouvelle disposition ! Us firent le 
commerce avec la caravane , apportèrent du beurre , de 
forge et des moutons; ils ne nous présentèrent pas 
autre chose, parce que les sauterelles avaient dévasté 
leur pays. Entre le mor reb et feucha, il éclaira à éblouir 
les yeux, et nous fumes arrosés par une petite pluie qui 

cessa bientôt. Vers minuit , TOuad-Demmet (oJià ^^^Ij) 
commença à s'enfler, et la caravane craignit qu'il n'y 
eût plus moyen de le traverser, et qu'il fallut attendre 
qu'il diminuât. 



310 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Dimanche, a 6 redjeb ( lo septembre). 

Après la prière du matin , nous envoyâmes examiner 
la rivière ; grâce à Dieu , elle était guéable , et nous ia 
passâmes lorsque, pour la deuxième fois, elle recom- 
mençait à monter. Ce fut avec peine que bêtes et gens 
la traversèrent ; on était obligé de ménager les cha- 
meaux , car ils étaient fatigués et avaient beaucoup de 
chemin à faire. Mais Dieu nous favorisa, et le passage 
se fit sans encombre ; personne ne tomba dans Feau ; 
pas un paquet ne se perdit et aucun chameau ne glissa, 
à Fexception d'im seul qui tomba dans la rivière , mais 
il fut sauvé. Quand nous arrivâmes sur Fautre rive, 
nous attendîmes que toute la caravane eût passé. On 
se remit alors en marche après la prière du d ohor, et, 
lorsque nous avions déjà fait quelques milles, nous 
aperçûmes comme un nuage blanc devant nous, puis 
nous entendîmes de violents coups de tonnerre, et il 
tomba une forte pluie, qui arrivait d'abord des mon- 
tagnes et des collines, puis qui se répandit sur la 
plaine. Elle persista, et le ciel, ouvrant ses cataractes 
sur nous, la caravane fut dans Fimpossibilité de con- 
tinuer sa route. Les chameaux, les mulets, les ânes et 
les hommes tournaient la tête à cause de la pluie qui 
leur venait dans la figure. Il semblait qu on nous versait 
des outres sur la tête. 

Nous fûmes rencontrés par un homme des Oïdàd- 
IFerz-AUah ; il nous apprit que le chemin que nous 
suivions était très-difficile , et que ni hommes, ni cha- 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 311 

meaux n y pourraient passer. U nous conduisit alors 
sur la gauche , et nous passâmes par un chemin sa- 
blonneux qui ne s'imprégnait pas beaucoup de la pluie, 
parce qu il était en même temps pierreux. Il continua 
de pleuvoir jusquà Tac'er. Nous fîmes cette prière, 
nous nous reposâmes un peu, puis nous nous mimes 
en route. Une autre averse commença à tomber et nous 
nous arrêtâmes sur un endroit élevé , pour être à l'abri 
des eaux. La pluie ayant cessé*, la caravane arriva au mor - 
reb. Alors il recommença à pleuvoir jusqu'au matin, où 
la pluie ne tomba plus que par intervalles. Mon ami Sid- 
El-H adj-Ah'med-ben-'Ali-es-Selaoui se trouva avoir une 
charge dont il ne savait que faire , parce qu'une de ses 
chamelles, ayant mangé de cette herbe qu'on appelle 
driâs^^ tomba comme morte. Un autre fut moins heu- 
reux : son chameau se trouva tellement malade par la 
même cause, qu'on fut obligé de le tuer. Le foie de 
cet animal, décomposé par le poison, descendait avec 
les excréments. La chamelle revint un peu à elle ; mais 
elle ne pouvait rien porter et marchait tout au plus. 
Encore était-il à craindre qu'elle ne rejoignit son com- 

' C*est ce qu*oii appelle à Alger ftoa-no/à. Les Arabes s*en servent pour 
prendre les poissons, comme nous nous servons de la coque du Levant. 
Voyez la note de la page ao6 ci-dessus, et les pages 3ia, 3]4«3i5, 
3i 6 ci-après. Selon le dictionnaire de Freytag, v* /rLjj3, cette plante 
appartient au genre thapsia de la famille des ombellifères. Viviani a 
décrit, sous le nom de thapsia sylphiam, une plante de la Cyrénaîque 
qu*il croit être celle dont la racine était célèbre pour son suc dans Tan- 
tiquité, sous le nom de sylphim, et qui avait valu à cette contrée le nom 
de rtgio sylphifera. 



312 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

pagnon, car le drïâs est un poison qui produit un vio- 
lent effet sur les chameaux et les tue assez souvent. 
Aussi les gens sensés font-ils grande attention dans les 
endroits où il s*en trouve , poiu* que les chameaux ne 
mangent pas de cette herbe. On m^a dit en route que 
les endroits où il s^en trouve sont Ouadi-Chebour , 
Tedjemet (Tedjemout), Ouadi-Demmet , à côté de la 
ville et dans les champs ensemencés, et Dem'a, près 
de Bark a. Nous envoyâmes un homme pour sMnformer 
de rOuad-el-Fedj ( ^^t ^^^l^ ) , et nous attendîmes son 
retour. 

Lundi, 37 redjeb ( 1 1 septembre). 

Nous partîmes et nous trouvâmes notre messager, qui 
revenait nous annoncer que cette rivière était guéable 
et qiril n y avait que peu d^eau. Nous la traversâmes et 
allâmes descendre près de là, en attendant le passage 
do ta caravane. Nous laissâmes sécher nos effets et 
^ nous fîmes la prière du dohor à TOuad-en-Nebilâ 
( iJift^jbU ^^t^ ou *i«M}. Le mounâdi ' cria : • Faites votre 
provision dVau pour la couchée ; ne vous imaginez pas 
que vous Irouverex des puits ; car plusieiu^s fois il y 
on a ou beaucoup qtii ont cm cela et qtii se sont cou- 
chos SAUS boire* • 

Noxis prîmes congé de 1 homme des Oulâd41erz-Allah , 
qui iHMis a\;iiit conduits jusqu'à cette station, où on ne 
|>eut AtrixTr «ns guide. Nous rencontrâmes detix cava- 
liei^ r,th nviîn^ qui axaient appris Tarrivée de la caravane 

* t^W^ïr r^uKÎH" ^«\>« âiMv^îW Kfrmi' » \l^r. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 313 

et étaient venus avec Fintention de nous offrir l'hospi- 
talité , nous féliciter et commercer avec nous en cha- 
meaux, etc. ; mais Dieu ne voulut pas qu'il en fût ainsi. 
Nous descendîmes après Tac'er à la couchée , ayant 
tourné vers le chemin d'El-Ar'ouât\ qui est sur la droite, 
à cause de la guerre que faisaient alors de ce côté les 
Oulâd-Ia'k'oub ( vy^ ^^^1 ) aux Rah'mân , à qui ils cou- 
pèrent des têtes, quils pillèrent et chassèrent de chez 
eux pour certaine inimitié. Nous couchâmes dans un 
endroit qu'on appelle El-Moutec'ea (i(,jr^yll). On vola 
beaucoup la caravane pendant cette nuit, et de tous les 
cotés. On prit le mulet de Sid-Moh ammed-er-Rekhîs- 
ech-Chek'rouni , et un âne à Sid-Moh anuned-ben-Zer- 
rok -el-M aràkchi , et un objet appelé maVachi ( IA^jm ) 
à Ebn- Ali-el-Filâli ^-el-Manoudji. Lorsque le jour com- 
mença à paraître , les auteurs de ces soustractions nous 
app.^.. perchi, ,ur la .nonUgne eo^^e une volée 
d'oiseaux. Quelques pèlerins les suivirent, leur tirant 
des coups de fusil , ce qui les fit battre en retraite avec 
la rapidité d'une troupe de gazelles fuyant devant un 
lion. Que Dieu retranche de ce monde les malfaiteurs 
qui tuent et volent leurs semblables ! 

Mardi, 28 redjeb (la septembre). 

Nous fîmes la halte du matin à Dakhlet-el-Ar ouât' 
(y^)(tid».d). La caravane passa et nous la suivîmes, 
laissant sur notre gauche El-Ar'ouât\ dont les bâtiments 
paraissaient. La halte du midi eut lieu dans le S'ah'ra 

' Filâli, deFilâtoouTaBléU. 

40 



314 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

{Hj^), à côté de l'Ouad-Metlili { JUXi* ,s^\^). Nous fîmes 
la prière du d'ohor, puis nous nous dirigeâmes sur 
rOuad-Abou-Drim {f^j:> jj <^^'^)» où nous arrivâmes 
à Tac'er. 

Nous campâmes avant el- as'firâr, devant un cours 
d'eau. 

Mercredi, ag redjeb (t3 septembre). 

De là nous allâmes faire la halte du matin à Dra^- 
khorouf ( 03j^.e jâ ). Nous nous y reposâmes un instant; 
nous y rencontrâmes les grands de Tedjemet (<,m.»,^)\ 
qui arrivèrent en faisant piaffer leurs juments ; ils nous 
engagèrent à aller bivaquer chez eux; nous ne vou- 
lûmes pas , parce que le drîâs , qui empoisonne et tue 
les chameaux , est très-abondant dans leurs pâturages. 
Ils nous dirent qu'ils nous conduiraient dans im lieu 
où il n'y en aurait pas, et nous nous rendîmes à leurs 
inv^lanoes. Mais l'endroit où ils nous avaient dit qu'il 
n y uvalt pas de drîâs en était rempli. Nous leur dîmes 
aloi^s : « \olre conduite fait paraître ce qui est caché 
au fond de vos cœiu^ ; pour faire quelque bénéfice de 
conuuon^e avec la caravane, vous vous êtes peu souciés 
do voir n^om^ir tous nos chameaux. » Puis nous les 
<|uittàmes ^ nous dirigeant sur la gauche. Nous poiis- 
sÀmes vigoureusement les chameaux, afin qu'ib ne 
m^n^v'iHs'ieul pas de drîâs, préférant les rendre malades 
|Kir K^i fiiligue plutôt que parle poison. Au dohor, nous 
dossooudimes sur fOuad - Amsinâh' ( gU.i^.#l ^^^1^ ) , où 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 315 

nous tFOuvâmes que Teau abondait, à cause des nom- 
breux ruisseaux qui se jettent dans cette rivière. Nous 
ne fîmes la prière du d'ohor que lorsque les chameaux 
nous rejoignirent, ce qui ne fut pas aussitôt que de 
coutume, à cause de la marche forcée que nous leur 
avions fait faire. 

Nous arrivâmes à 'Aïn-el-Mâd'i (^5-»ê>UI c^jv^) avant 
ras'firâr. L'avant-garde de la caravane arriva peu après , 
et le reste au mor'reb. C'était le mardi 28 de redjeb 
( 12 septembre )^ Les gens d'Aïn-el-Mâd'i , petits et 
grands , vinrent au-devant de nous près de la ville , en 
dehors de laquelle nous descendîmes auprès d'un cours 
d'eau. Louange à Dieu, qui a préservé nos chameaux 
du drîàs ! 

PARTICULARITÉ ( AaX!> ). 

En voyage , pour empêcher les chameaux de manger 
le drîâs , on leur met ime espèce de muselière dans 
les lieux où croit cette plante vénéneuse. Si, malgré 
cette précaution , ils en mangent , voici un remède que 
je tiens d'im Arabe qui a eu la preuve de son efficacité : 
on prend du blé que l'on fait frire dans du beurre 
salé jusqu'à coction complète, puis on le laisse refroidir 

' D*après les indications fournies par Moula-Âl/med lui même pré- 
cédemment, ce dut être le mercredi 3g redjeb, ou i3 septembre, que 
la caravane arriva à ^Aîn-el-Mâd'i. L* erreur signalée ici se continue 
jusqu'au paragraphe du 5 cha*ban, où Tauteur se retrouve d'accord 
avec ses indications primitives. 



316 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

et on le donne à manger aux chanaeaux. Et combien 
faut-il de blé pour cela ? CArabe nous a dit une poignée 
ou deux, pas moins d'une, pas plus de deux. Ou bien 
on prend de la bouse de vache, qu'on met dans Feau 
que Ton donne à boire aux chameaux. Ce dernier re- 
mède ne s'emploie que dans le cas où les chameaux 
viendraient de manger du drîàs tout récemment (depuis 
un ou deux jours par exemple). On leiu* donne encore 
de la pâte de pain pétrie aved du beurre salé. 

Nous restâmes tout le mercredi à 'Aïn-el-Mâd'i. La 
lune de cha'ban parut dans la soirée du mercredi. Je 
fus visité à Tas^firâr par mon ami Sid-Abou-Moh'am- 
med-ben-Mouça-el-Ish'ak'i-Meça'oud, des Oulâd-Sid- 

Abou-Faza [tsy^ a' ^^3')» P^^ Sid-'Abd-el-K'âder-el- 
Mekâdi, par Sid-ech-Châouï, frère de mon ami Sid-el- 
Merdjâni, et par des tVlba de la caravane qui venait 
de partir de mon pays poiu* aller à la Mecque. Ils 
avaient pris les devants à la hâte, poiu* me voir plus 
tôt, et paraissaient joyeux de se trouver avec moi; ib 
me donnèrent des nouvelles de mon pays. 

Vendredi, i*cha*baa (i5 septembre). 

Vers huit heures du matin, le premier de la lime 
decha'ban (el-rorra), un jeudi, le i4 septembre \ la 
caravane en question arriva. Avec eux étaient le cheikh 
dos gens de Fâs, EI-H'âdj-'Azouz-Oulid- Adil , et Témir 
Kl-Filâlîin (des gens de Tafilélt), le chérif Moula-' Abd- 
el-llâdi-ben-ldris. J'eus alors des nouvelles de ma fa- 

* \ oir K^ noie do la |>ajrc 3 1 5. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 317 

mille; je reçut des lettres, et tout ce qui m^avait été 
envoyé par mon ami Moh'ammedrben- Abd-eivRah'mAn- 
el-M erlâîkhâml et son fils. Je m'arrêtai à cause de mes 
compatriotes, et de tout ce qui pouvait m'intéresser. 
Mes parents m'envoyaient par mon oukil, SId- Abd- 
el- Aziz, de Targent pour m'acquitter d'une dette que 
j'avais contractée à Tripoli. Nous séjournâmes encore 
tout le jour pour laisser le temps aux gens des deux 
caravanes de causer de leur pays, de leurs parents, 
de leurs affaires. 

J'appris par ces nouveaux venus qu'il y avait eu dans 
mon pays une invasion de sauterelles, qui avaient tout 
dévoré dans la plaine et dans la montagne. 

Samedi, 3 clia*ban (16 septembre). 

Nous partîmes d'Aïn-el-Mâd'i le vendredi 3 de 
cha'ban, i5 septembre ^ Nous inclinâmes à droite, au 
chemin de l'Ouad-Chebour [j^ ^^!>)» v^rs la route 
de rOuad-er-Radâd (^l^t (^^i^). Nous fîmes la prière 
du d'ohor à côté d'une fontaine appelée El-'Anlç'ar-el- 
Mâlah' (^m jjkAAÂjiil). Nous trouvâmes dans les environs 
im peu d'eau froide et douce qui provenait des pluies. 
Kous fîmes la prière de l'ac'er dans un district (mak sam) 
des Oulâd-Zîâra (ij\jtj ^^X^l), où l'on trouva de l'eau 
pour les besoins de la caravane ; on en fit même provi- 
sion pour la couchée, parce que, au bivac où nous 
allions, il n'y en avait pas. Nous arrivâmes au bivac 
vers le mor reb, et nous nous établîmes dans un champ. 

' Voir la note de la page 3 1 5. 



318 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

Nous n eûmes pas d'autre eau que celle qui avait été 
aj^ortée comme on vient de le dire. 

Dimanche , 4 cha*ban ( 1 7 septembre ). 

Partis de là, nous aperçûmes en route une troupe 
de gens qui se dirigeait siur nous en toute hâte. Nous 
nous arrêtâmes sur des collines pour les attendre. Ils 
nous parurent être des gens de Sid-T'ifour-ben- Aîça 
(cPM^A^ (^jyuld ^«Xjum d^^l), qui venaient me visiter, ce 
qui était vrai. Us m'apportèrent quatre moutons. J'en 
donnai deux à mes enfants, et je réservai les autres 
poiu* les éventualités. 

Ces pauvres gens sont des hommes de bien, qui lisent le 
K oran. Ils disent descendre des enfants du célèbre imâm 
lezîd-T'ifour-ben-'Aîça-el-Best'âmi ^. Dieu sait la vérité. 

Nous fîmes le k'iloula sur un Ouad qui se trouvait 
auprès de nous ; nous y priâmes le d ohor et Tac'er dans 
rOuad-Mekhilef (vjfiA^^ (^^'3)- Nous descendîmes, long- 
temps après Tac'er, à Mekhllef (vjJLaj^), mot qui est un 
diminutif de mikhelaf « village, • auprès d'un bassin 
d'eau de pluie qui venait de Mekhilef. 

' AlH>u«lexîii>T'ifour^beii-\\îça , surnommé El-Best'âmi , parce qu*il 
cUît ilo IVsrAra, ville du Khorar'àn, est mort en fan de Thégire a6i 
^87^ de J. C). R'aiali prétend qn*il fut le plus impudent de tous les 
«Kn^teur^, 5*«rn^^:iiit la divinité, et disant de lui-même , • Sobh'âni , • 
^\yrcs$\%>n qui ne doit $ appliquer qu*à Dieu seul. G^pendant ce môme 
l^^t vuni disait : « Si vous vovex un homme qui ait la puissance de 
t.Aiiv dt^ niirjicles ju$qu*à sVIever de lui-même au ciel, ne vous (lez 
I^Mul à ce qu*il vihis dira , à mciins que vous le connaissiez pour un 
hv5 evjK^ oWr\alcurde la loi. ^\ovezdllerbelot, v* Basthami.) 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 319 

Lundi, 5 cha'ban (18 septembre ). 

De là nous arrivâmes à Er-R'âçoul (J^^mU)!) avant 
Tac er du lundi 5 cha'ban ( 1 8 septembre ). Nous ren- 
contrâmes les gens de la ville, qui étaient sortis en 
foule. Nous traversâmes la rivière, et nous descendîmes 
dans les champs sur la rive occidentale , de peiu* que la 
rivière ne vînt à s'enfler pendant la nuit, et quil ne 
nous fût plus possible de la traverser. Nous prîmes 
cette précaution parce que le temps était couvert et 
menaçait de pluie. Les gens du pays exercèrent l'hos- 
pitalité à mon égard; ils m'envoyèrent des plats de kous- 
kouçou, que je partageai avec les pèlerins. On m'ap- 
porta aussi de l'orge, que je distribuai aux chameliers 
pour leurs chameaux. Il commença à éclairer, à tonner 
et à pleuvoir. La rivière s'enfla; mais, par la grâce de 
Dieu , nous étions délivrés de toute crainte , ayant pris 
la précaution de bivaquer sur l'autre rive. La pluie 
nous Inonda. 

Mardi, 6 clia*ban (19 septembre). 

J'envoyai un messager, Moh'ammed-el-Mezdjît'i, por- 
teur de lettres poiu* ma famille , que j'informai de mon 
arrivée prochaine. Noils fîmes la halte du matin sm* 
une hauteur. Là, je pris congé de mon messager, et lui 
souhaitai un heureux voyage , ainsi qu aux autres mes- 
sagers qui partaient avec lui pour porter aux fidèles des 
nouvelles agréables de notre caravane. 

Nous descendîmes à El-Meza ( b^\ ) , près du tom- 



320 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

beau de Sid- AVà-Allah, vers ras'firâr; on y coucha. A 
la nuit fermée, la pluie conunença de tomber par tor- 
rents, et continua ainsi jusqu'au dernier tiers de la 
nuit, moment où elle diminua. 

Mercredi, 7 cha*ban (ao septembre). 

Le matin, je reçus la visite de Sid-'Abd-el-Kerim-et- 
Touàti. Ce tVleb d'El-Ar'ouât' avait été loué pour ap- 
prendre à lire aux eniants d'Er-Raçoul, diriger la prière 
et les offices; il s'y était marié. C'était un homme de 
bien et sans tache. Il m'accompagna dans l'Ouest, jus- 
qu'auprès d'£r-Ri (^^t ), sur TOuad qui est à l'Est, 
lequel Ouad se nomme Ouad-ech-Cha'ir {j^jùsJ\ ^^^^^). 
Nous Y trouvâmes des r adir qui étaient remplis , à cause 
de la pluie qui venait de tomber. Nous descendîmes à 
cet endroit au t'ifel (im peu avant le morreb), et l'on 
y coucha ; le reste de la caravane n'arriva que vers l'eu- 
cha« Dieu envoya, par Fentremise de l'ami dont je viens 
do |xiHor, deux moulons, un pour les chérifs, tm pour 

Jeudi, 8 chalMn (ai septembre). 

(?e5l d;ii\s ct^t endroit que b caravane commença à 
^«^ |vui.i^'r. i>n cria dans le aunp qu'il fallait former 
Uv"^ \\MU{\i^ùo5. suivant fendroit où chacun allait, et 
^'<ip|Hvter ;iiu dè^vart. Nous primes camgé les uns des 
^luli'tv'^^ et tu\H^$ de5 vœux réciproques. La troupe dont 
jo tuN^U jvuiîo prit 50^ chemin, et les autres s'en al- 
K^vnl xvi^ leurs p^>s. dïi^ FEst. Quaal a nous, nous 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 321 

suivîmes rOuad-*^l-Matar (^Mi c^^i^) en marchant 
dans son lit même ; et nous vînmes à son confluent avec 
rAin-Lâh'ak' ( ^^^ c^jv^ ) , où nous passâmes le k'iloula 
sous un énorme térébinthe qui donnait un grand om- 
brage par ses branches pendant jusqu'à terre. Je ren- 
contrai là mon amiEch-Chilâli-sid-'Aïça-ben-Zâïd, avec 
quelques-uns de ses parents. Nous priâmes le d'ohor, 
puis nous partîmes. Mon ami vint avec nous. Nous des- 
cendîmes au M ok'sam vers le t'îfel. 

Je blâmai dans cet endroit El-K'endâci et Ebn-Abou- 
Zîân, qui donnaient une dekker^ erronée, et nous les 
fîmes sortir de la voie où Satan les avait poussés, en 
rétablissant ladite dekker telle que nous Favions donnée 
à notre passage. Elle fut récitée comme nous la réci- 
tions. On vint de tous cÀlés pour prendre cette dekker, 
ce qui déplut à El-K'eodàci , qui, malgré mes exhorta- 
tions, persista dans sa conduite, ce qui fut cause quon 
lui ôta sa chaîne de mok addem. 

Vendredi, 9 cha*baii (aa septembre). 

Nous partîmes vers l'heure du d'oh'a; à la halte, je 
rencontrai une compagnie de mes amis, des gens de 
Selâla (jasuaJI)\ Sid-Moh'ammed-ben-'Abd-AUah , qui 
avait voyagé avec moi dans TH'edjâz en 1109, Sid- 
Abou-Fazi et autres. Par la faveur de Dieu, ils me don- 

* Peul-étre celle d'Ah'med-ben-Zïân, célèbre marabout de K'e- 
nâdza. îl y a un mok'addem (sans k'oubba) à Alger. 

' Il laut indubitablement lire Chelâla. Le copiste, en oubliant les 
trois points diacritiques, a fait un sin au lieu d'un chin. 

41 



322 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

nèrent environ une demi-charge d'orge, des grenades 
et un peu de beurre salé. Nous descendîmes FOuad ; 
les Arabes de H'amîân (yU^) vinrent au-devant de 
nous en foule. Nous gravîmes une colline sablonneuse, 
et nous y mîmes pied à terre poiur voir les chameaux 
arriver. Cette colline est devant Abou-Sem'âoun ((jjy**^), 
où nous devions coucher \ Nous y trouvâmes le chérif 
Moula-Ah'med-ben-STïd-ben-Moh'ammed-ben-ech-Che- 
rif-el-H'aceni-el- Alaoui , lequel dit à son oncle, Fêmir 
Moula-Isma'ïl-ben-ech-Cherif, que les Arabes de ce 
canton étaient en relation d'affaires et en quelque sorte 
associés avec lui , qu'il avait une grande quantité de bes- 
tiaux chez eux, et qu'il désirait que nous nous arrê- 
tassions en cet endroit , qui était , pour ainsi dire , sien , 
afin qu'on nous y donnât l'hospitalité. Nous ne vou- 
lûmes pas accepter cette offre; cependant nous res- 
tâmes jusqu'à ce que les chameaux eussent rejoint, ce 
qui n'eut lieu qu'à l'heiure de la couchée. D fallut tou- 
tefois camper dans cet endrdit, parce que nous n'au- 
rions pu arriver que de nuit à Abou-Sem'âoun'. Nous 
couchâmes donc dans ce lieu, où l'on avait trouvé de 
l'eau. L'arrière-garde a'arriva qu'à l'eucha; nous tour- 
nâmes vers un endroit uni , où nous mimes pied à terre. 
Le pays était alors en guerre. On but, abreuva les ani- 
maux , et fit la provision d'eau , avec l'aide d'un homme 
qui montra l'endroit où l'on pouvait puiser, ce que l'on 

* Il faut liro Sonir'oiiii. L'oubli cVun point diacritique en a fait 
Sem'âoun. 

* Voir la note préréciente. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 323 

avait d'abord vainement cherché. Sous la conduite de 
ce guide, on retourna à l'eau avec les outres, qu'on 
emplit suffisamment. 

Le susdit chérif m'offrit deux moutons cornus que 
je donnai aux chérifs; les Oulàd-sid- Ah-el-Bouchnâfa 
[^ >i;A>tt ^ jy^ ^^3!) m'en apportèrent quatre : j'en 
donnai un à Sid-Moh ammed-Neboua , un autre à Djâb- 
Allah, et deux aux chérifs ^ 

Samedi, 10 cha'ban (a3 septembre). 

Ce jour nous descendîmes à Abou-Sem'âoun ^ vers 
le d'oh'a. Nous voidibns continuer notre route, mais 
les chérifs qui allaient à Touât {^\y>) , Moh'ammed-ben- 
'Ali-ben-Moh'ammed-ben-el-H'âdj , Moula-el-'Arbi et 
leurs amis, ainsi qu'El-H'âdj-ben- Ali-es-Selaoui , nous 
prièrent de séjourner et de rester avec eux jusqu'à ce 
qu'ils eussent fait leurs préparatifs de voyage. Nous y 
consentîmes et nous restâmes à Abou-Sem'âoun toute 
cette journée. C'était le samedi lo de cha'ban. Les 
chérifs prirent im guide poiur leur montrer le chemin 
jusqu'à Tekroûn {^j^j^Y', moyennant huit mitk'al, et ils 
louèrent des chameaux trois mitk'al. 

Je trouvai que les gens de Beni-Sem'âoun étaient 
depuis longtemps en grande hostilité et discussion, 
mais ils disaient qu'ils commençaient à se lasser de cet 

' On lit dans le manuscrit : Lâ|jç 
* Voir la note i , page 3a 2. 

' 11 faut sans doute lire Tcgoràrin , contrée qui est en effet entre 
Abou-Sem*âoun et Touât. 



324 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

état de choses, et auraient bien voulu faire la paix: 
peut-être était-ce une ruse de guerre. Le poète dit au 
sujet de la guerre : 

La guerre, à son début, est comme une belle femme; 
celui qui ne la connaît pas est séduit par ses attraits. 

Jusqu'à ce que, après avoir allumé bien des feux, elle 
devienne décrépite et sans charmes. 

Ses défauts et le mal qu'elle a fait lui ôtent toute beauté ; 
alors on la déteste , et personne ne veut plus lui donner 
une caresse. 



Les Oulàd-sid-Sclimân (^I..çJLm» (^«><-a^ ^'iy\)^ les 
Oulàd-Mouça (^^^-^ô^^l), les Oidâd-Anki (j^l^X^I), 
après avoir dit qu'ils étaient las de la guerre, ne vou- 
lurent plus faire la paix quand nous la leur conseil- 
lâmes, et ce grand désir de réconciliation qu^ils avaient 
manifesté se passa snbîtement. Cependant nous par- 
vînmes à mettre fin à la guerre entre ces ennemis 
acharnés, et ils en lurent très-contents. Pour rendre 
cette paix plus authentique , il y eut une assemblée des 
fak'i et des grands de notre caravane , et un traité fut 
écrit dont chaque tribu garda une copie. Alors les chefs 
de tribu qui venaient de faire la paix s'embrassèrent, 
et pour que la réconciliation fut plus soUde, et que la 
vieille itincune s'éteignît, nous les réunîmes en un fes- 
tin « api^t^s quoi nous prîmes congé d'eux ainsi que des 
chéri Is qui sVu allaient à Touât. 

Kes Oïdàd-Neboua [iy^ ^X>') m'apportèrent près 
d'une cIku^* d\>rge et im pain de beurre salé : d'autres 
jjeUs^ de ce |^\\5!^ nie firent des cadeaux analogues. 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 325 

Dimanche, 1 1 cha*ban (q^ septembre). 

Nous partîmes le matin du dimanche, puis nous nous 
arrêtâmes à la prière du d'ohor à TOuad-sid- Otsmân 
(^U^ «>uuw (^dt^); la caravane ny trouva pas d'eau; on 
n en avait que ce qui restait dans les outres, c'est-à- 
dire fort peu. On avait compté sur les réservoirs d^eau 
de pluie. Ce qui restait provenait de l'Ouad-Abou-Sem- 
r'oun. Bien peu firent leurs ablutions avec Feau; la ma- 
jeure partie les firent avec de la terre. Nous envoyâmes 
un homme à la recherche de l'eau: il n'en trouva pas. 
Nous nous remîmes en marche, et nous descendîmes 
au t'ifel au bord de TOuad-el-Djarâouïn {(^^]^ t^^'^) ^ 
un des affluents de l'Ouad-el-Ah'djâr-et-T'aouâl (^^^l^ 
Jt^klt j^^t). Il n'y avait qu'un peu d'eau, qui fut bientôt 
épuisée par ceux qui avaient pris les devants; les der- 
niers venus ne trouvèrent que la vase. Encore si nous 
n'avions pas pris la précaution d'en^êcher de faire 
bofire les mules, de les y laisser entrer et patauger, 
personne n'aurait bu. Nous descendîmes le lit de cette 
rivière pour tâcher de rencontrer de l'eau. Quelques- 
uns n'en trouvèrent ni pour boire , ni pour les ablu- 
tions; d'autres en puisèrent un peu. Un de mes amis 
m^apporta ime provision qu'il avait trouvée ou deman- 
dée à des camarades, et elle me suffit à peu près 
comme un kharrouba suffit à celui qui aurait besoin 
d'un soult'âni \ 

' Le soull'ani étant une pièce d*or qui valait alors une douxaine de 



326 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

Lundi , 1 a clia*ban ( 3 5 septembre} . 

Nous allâmes faire la halte du matin ( d'oh'a ) auprès 
d'un radîr, à TOuad-Rous-el-H'amrâ (j/^ jrjy 4^^b)- 
Les pèlerins burent, abreuvèrent et firent la provision 
d'eau; nous allâmes ensuite un peu plus loin, et nous 
descendîmes à côté de S'emim ( Ks-^ê^ ) , pour nous re- 
poser et pour attendre les chameaux. Nous priâmes le 
d'ohor à FOuad-es'-S'emîm (|<Wdi0 t^^l^), qui est l'Ouad-el- 
K'eçab (^maâH ^I^]. Puis nous approchâmes au-dessous 
de rOuad-H'adjâdj (^^ ^l^); j y rencontrai des amis, 
gens de Neboua ( iyAj ) , Sid- Abd-el-Kebir, avec ses com- 
pagnons et leur société. Nous traversâmes la rivière 
pour aller coucher à Ah'mar-Khaddou (»*Kj^j^I), sut 
un réservoir d'eau à la Meçala-el-H'âdj (jr^ J^^***) 
(lieu de prière des pèlerins) ; mes amis passèrent la 
nuit avec moi , et une compagnie des Oulâd-Abou-De- 
khil (Jusi-àa>V), des Oulâd-Sid-Ahmed-el-Me- 
djdoub ( v!3<>^i «^^T't «>Hy«M ^V) ^^ d^^ Oulâd-Neboua , 
en tout environ soixante-six personnes. 

Mardi, i3 cha*ban (a6 septembre). 

Nous fîmes la halte du doh'a à Dra'-el-Merk'a 
( KijU ^j5 ) , à côté du tombeau des Oulâd-el-H adj 
(^Ul d^^i). Je rencontrai à Sendân (^IjOum) une troupe 
de mes amis, Sid- Ali-Cherif et ses compagnons. Il me 
donna un peu d'orge , des dattes , et une peau de mou- 
francs, et le kharrouba une monnaie de cuivre de très- peu de valeur, 
on comprend la pensée de Moula-Ah'med. 



VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 327 

ton remplie de farine. Ses compagnons me firent aussi 
des présents ; Sid-Abou-Fak'ous me donna des dattes ; 
c'était la première fois que je le voyais. 

Nous étant remis en marche, nous trouvâmes une 
contrée difficile, rude, pierreuse. Nous priâmes le 
d'ohor à 'Aïn-Bilbât a (iCtlJl* tJ^^)» <>^jc rencontrai ime 
troupe de gens des Oulâd-el-ICrâou (^'jJ^I à^^l), qui 
me donnèrent toute espèce de fruits. Je les distribuai 
presque tous aux pèlerins; ils m'envoyèrent aussi des 
oignons. Nous fîmes la prière de Tac'er à D'ahar-el- 
Outer ( j3j}\ y^ ) , où nous nous arrêtâmes sur un r a- 
dîr à Ouâdi-Zâri (^^^Ij c^^'^)- La nuit, nous y reçûmes 
la pluie avec abondance , environ pendant une heure , 
ce qui mouilla seulement les tentes sans faire enfler 
les rivières. 

Mercredi, i4 cha'ban (27 septembre). 

Nous fîmes la halte du matin à El-H'adjâr-el-H'amar 
[j^j\à) auprès de K'âra-Ouad-R'ebir, [j^ :>\^ ijU), 
où nous priâmes le d'ohor dans le jardin d*Abou-Zer- 
rok'. Les gens de cet endroit m'apportèrent deux mou- 
tons. Il y a là une fontaine d'eau douce , fraîche , 
ombragée de palmiers. Nous y fîmes la prière de l'ac'er 
à rOuad-el-H'âdj-Mîmoun ( ijy4s^ ^^ ^l^ ) , auprès de 
deux réservoirs remplis d'eau, et ce fut le mercredi, 
1 4 cha'ban , que nous y descendîmes et que nous y 
couchâmes. 

Cette nuit du mois de cha'ban est célèbre parmi les 
musulmans; car c'est alors que Dieu détermine la 



328 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

somme de prospérité que chacun doit avoir pendant 
Tannée , Targent qu'il gagnera , les jours qui lui sont 
comptés. 

Jeudi i5, vendredi 16, samedi 17 cha*ban (a8, 29, 
3o septembre ). 

Nous fîmes la halte du matin sur une colline , à côté 
de rOuad-Drîm [f^j^ ^1^). Nous priâmes le d'ohor et 
Tac er à .\rkaiim ( j^JS^t ) , auprès d'une fontaine om- 
bragée de palmiers; je rencontrai des amis, gens de 
Fidjidj , avant d'arriver à Arkalim. Il y avait Sid-Ah - 
med-el-\\bd-Allah-ben-'Ostmân et ses compagnons. 
Avant eux était venu El-H'àdj-Moh'ammed. Il commença 
à arriver beaucoup de monde qui venait au-devant 
de nous, apportant de bonnes dattes fraîches, des gre- 
nades, des concombres. Nous nous remimes en route 
après Tac er, et nous marchâmes avec rapidité. Nous 
commençâmes à apercevoir les palmiers du pays de 
Fidjidj (^y^). Les gens de la contrée arrivaient en foule 
vers nous. En apercevant ce pays, nous nous mimes à ré- 
citer le dekker AUahoama-rob-esSebaî^ etc. puis nous 
descendîmes au bivac des pèlerins, Menzel-el-Hadj 
^ i^UL J>m\ à fas'firàr à Dâr-el-Imâra (i^UVI ^1^) . auprès 
do KVçar-el-Wbid [«XAAjJl^^Aoi;. La tète de la caravane 
aiTiva au r oithi1> * et la queue après feucha. Les gens 
du jxivs se rt^jouirent de notre arrivée. On m'apporta 
un plat do kouskouçou. Nous restâmes là le vendredi 
ol lo samedi ^ pour que les pèlerins eussent le temps 

I A nioim* ch*\<** qiit* wi>r rt*b. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 329 

d'arranger leurs affaires et de faire leurs provisions. 

Je fis mokaddem des fak'ir El-H'âdj-Moh'ammed- 
es'-SYir-el-Oudr'idi , et je lui adressai une exhortation 
sur ses devoirs. Je parlai aussi aux fak'ir de leurs de- 
voirs par rapport à lui , et de Tobéissance qu'ils lui de- 
vaient. 

Je trouvai là le commentaire du Tenbi-el-Anâm que 
j'y avais laissé à copier lors de mon passage en allant 
dans TEst : il était fini. Le commentaire du Deldil-el- 
Khindt n'était pas encore achevé de copier ; il restait à 
faire environ trois cahiers : je priai le copiste de le com- 
pléter. L'auteur de ce commentaire est le fak'i Sid-Ah - 
med-ben-Abou-Beker-el-Mekouni-ech-Cherif. 

Dimanche, iScha^ban (l'octobre). 

Nous partîmes le dimanche 1 8 de cha'ban après avoir 
pris congé des gens de Fidjidj. Je leur adressai une 
exhortation relativement à leur k'âïd 'Abd-AUah-ech- 
Châouï , les engageant à lui obéir, et à vivre en bonne 
intelligence avec lui. J'exhortai aussi le k'àîd relative- 
ment à eux. 

Nous fîmes la halte du matin à Omm-el-Iâs ((jmLJI ^i) , 
où il y a de l'eau sous des palmiers, à l'Ouest de Fi- 
c^idj. Le crieur annonça qu'il fallait prendre de l'eau 
poiu* la couchée parce qnii n'y en aiu*ait pas devant 
nous. Peut-être y a-t-il des réservoirs d'eau de pluie, 
mais on n'en sait rien. Nous nous arrêtâmes, pour la 
prière du d'ohor, au commencement de Ma'den-el-Farès 
(u^' U''^^*^) ' ^^ ^^^ derniers habitants de Fidjidj , parmi 



42 



330 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

ceux qui nous avaient suivis , prirent congé de nous , la 
majeure partie nous ayant quittés à Omm-el-Iâs. 

Nous priâmes Tac'er à l'Ouest d'El-Ma'den , et nous 
arrivâmes à Tas'fîrar près de Dâr-Dekhîça (**«jk^^ jb). 
La tête de la caravane y vintaut'ifel, et la queue entre 
le morreb et Feucha. Nous fûmes tourmentés pendant 
la nuit par un vent froid et violent (s'ar). Dieu seul sait 
ce que nous avons eu à endurer de la rudesse du ter- 
rain, qui était pierreux et rempli d'épines. 

Lundi, 19 cha*ban (a octobre). 

Nous fîmes la prière du matin à TOuad-es-Semâr 
(^UwJt ^1^), longtemps après le coucher du soleil. Là 
coî^sa le terrain difficile, et ceux que nous devions 
encore rencontrer sur notre route n'étaient pas à com- 
p%'irer à celui que nous venions de quitter, lequel était 
niauvais sans aucime intermittence , et absolument 
comme le lieu qu'on appelle OnMn-el-Rorrâr. 

Nous priâmes Tacer à l'Est de Tenfesri (^^^maâs), 
que les pMerins appellent Ech-ChoukVa. C'est une 
grande fov^e, profonde « faite dans les roches avec la 
pioche; qu%*ind la pluie tombe, elle se remplit et forme 
un vaste elani;;. Sans même que les pluies tombent, il 
N n toujours de Teau, parce qu'elle est alimentée, en 
ouhw jvir des sources, de sorte qu'elle n'est jamais 
%^ see» \ou5i dejicendîmes au t'ifel â TEst des Toumîât 
yw*U*jjJ^\ et À IX^iest do Dèmà (b^ï^). On coucha dans 
wl eudixMl. Sur Li tin de la nuit, la pluie tomba. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 331 

Mardi, aocfaa^ban (3 octobre). 

Nous fîmes comme à Fordinaire la halte du matin; 
nous eûmes encore de la pluie , et en très-grande abon- 
dance. Les pèlerins eurent leurs habits fort mouillés. 
EUe tombait avec intermittence, mais à de si faibles 
intervalles qu'on n avait pas le temps de se sécher. 

Quand nous nous remimes en marche , la pluie cessa , 
Dieu nous ayant fait la faveur de ne pas nous en affli- 
ger plus longtemps. Nous ne pouvions d'ailleurs nous 
plaindre d'ime chose qui est si nécessaire et fait tant 
de bien à la terre. A la prière du d'ohor, nous descen- 
dîmes à Outh'al ( J^^). J'y rencontrai de mes amis 
d'Aïn-Beni-Mek'îl ( J^ ^ cj&^)i <pi venaient à cheval 
au-devant de moi, faisant une grande fantazîa. 

Les autres habitants de cet endroit venaient aussi 
en foule avec les mêmes intentions, et, avec eux, le 
k'àd'i et les grands. Us nous attendaient à Bichâra. Que 
Dieu leiur donne de bonnes nouvelles en l'autre monde ^ 
Nous traversâmes Ouked (•>^). Nous avions rencontré 
la population de ce lieu, grands et petits, qui venaient 
au-devant de nous; ils m'apportaient une chèvre, que je 
donnai aux fak'i. Ils m'apportèrent aussi plus d'un sac 
de blé; j'en fis cadeau à Sid-Ibrâhim-er-Rikhaîâli: Nous 
arrivâmes à Bichâra {j^) aux environs de l'ac'er, et 
nous descendîmes à côté du château (^lâ^ jjia») ; la queue 
de la caravane n'y parvint qu'à l'eucha. Les gens de la 
ville m'apportèrent un plat de dattes fraîches d'Abou- 

' Jeu de mois sur Bichâra, qui signifie • bonne nouvelles. » 



332 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

Fak'ous , et nous donnèrent à souper un plat de kous- 
kouçou. 

Il me vint, en cet endroit, une compagnie d^amis 
d'El- Aïn, avec mon ami Sid- Amar-ben-'Abd-el-K'âder. 
Ils apportaient sept moutons et deux charges d*orge, 
deux charges de farine et un chameau. De plus, ils nous 
apportèrent sur trois chameaux les provisions d^hospi- 
talité. Je donnai audit 'Amar un titre et la dekker, en 
vertu desquels il devint mok'addem * , et obtint les 
mêmes pouvoirs que moi. Que Dieu Taide dans ses 
fonctions 1 Je ne voulus point le retenir; et, prenant 
congé de lui, je le renvoyai dans sa maison, de peur 
qu'on ne fût trop longtemps inquiet de lui. Cependant 
il voulait encore m'accompagner ; mais je lui dis : « Va* 
t'en , mon frère ; il faut toujoiu^ que les amis se sé- 
parent ; il faut toujours qu'une séparation soit une dou- 
leur; l'ami que tu aimes, il faut toujours le quitter. » 

Voici la liste des mok'addem que j'ai faits pendant 
notre voyage : 

Sid-M oh'ammed-el-Ddiç'âc'i , à Médine; 

Sid-Moh ammed-ben-Mans'our-es-Sefl'i , au Kaire ; 

Sid-EUH'âdj-ben-'Aïça.ben-Khehfa, des Oulâd-Sid- 

Nàcer, à Barka; 

Sid-\Abd - Allah -ben-Sah'noun, des gens de R'erîs, 
contrée de TIemsén , et son fils Sid-el-H'âchemi ; 

Sid-\\Ii-ben- Abd-es'-S'àdok\ k Tripoli de l'Ouest; 

Sid-\\bd- AUah-el-Medjdoub , à H'âmma de K'àbes; 

Et le Sid-'Wmar dont il vient d'être parlé. 

^ IV Siil' Ah'med-Bou-Ziân , qui est enterré k K'onâdsa. 



VOYAGE DE MOULÂÂH'MED. 333 

Mercredi, 31 cha'ban (4 oclobre). 

* 

Etant en route, nous rencontrâmes ime compagnie 
de gens de K'onàdsa (iU^Uill), les Arabes qui habitent 
auprès d'eux, et des cavaliers montés sur des juments, 
gens de Kir {j^)y qui faisaient la fant'azïa, et cher- 
chaient à se dépasser les uns les autres , en témoignage 
de la grande joie qu'ils avaient de nous voir. Nous des- 
cendîmes hors de la ville dans le village. On apporta 
du kouskouçou pour la caravane. Après la prière du 
d'ohor, nous partîmes. Les gens de la ville nous ac- 
compagnèrent pendant quelque temps , puis ils prirent 
congé. Nous fîmes la prière de l'ac'er à l'Ouest d'Es- 
Sour-er-Rïân (oW^'jt^')- ^^ ^ accompagné jusqu'en 
cet endroit par un ami qui avait fait avec moi le pèle- 
rinage, en l'année 1109, El-H'âdj-Abou-el-K'âcem-el- 
Amzâli. Il me donna deux peaux pleines de beurre 
salé , que je donnai à mon cousin. Nous descendîmes 
à Es-Sour-el-'At'chân { ^j\Ai^\ jyJ\) , à l'asTu-ar, et 
nous y couchâmes. La queue de la caravane arriva au 
r'oroub. Un chameau qui m'appartenait s'étant sauvé, 
j'en louai un autre à Ben-H'amza-el-Manifi. Je ne savais 
pas à quelle heure cet animal s'était enfui. Un autre 
avait également disparu pendant la nuit. 

Jeudi, a a cha*ban (5 octobre). 

Puis nous partîmes, et le maître du chameau égaré 
revint de la recherche qu'il avait entreprise, avec l'es- 
poir qu'il découvrirait les traces du fugitif. Nous aper- 



334 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

çûmes alors une chamelle en dehors et à gauche de la 
caravane; en allant pour Texaminer, on vit que c'était 
une des bêtes qui manquaient. Un peu plus loin , nous 
en aperçûmes un autre seul, loin devant nous, sur le 
chemin; grand bonheur pour celui de mes compa- 
gnons qui avait perdu cet animal. 

Nous traversâmes rOuad-Djir (j &>»> c^^b) ^ ^^^^^ 
son lit, après une crue; la rivière n était pas alors très- 
forte. Au zaouàl, le jeudi 22 cha'ban, nous mimes pied 
à terre sur sa berge , qui était élevée , pour attendre la 
caravane et faire la prière du d'ohor. La caravane ar- 
riva et traversa; par la grâce de Dieu, il ny eut ni 
chameaux ni bagages de perdus. Un seul chameau, 
qui portait des provisions pour quelques pèlerins, se 
coucha dans Teau. Son maître accourut et le releva en 
toute hâte. Nous fîmes la prière du dohor. 11 nous 
vint un homme de Sedjelmâça, qui donna des nou- 
velles de la ville et des habitants, qu'il avait laissés en 

paix et en contentement. Nous fimes la prière de Tac er 

II 
à côté de Dàr-el-Hedjàdj (g^jl^), près de TOuad-es- 

S'afs'àf (oUâjuâJt âl^). La caravane arriva et nous des- 
cendîmes à rOuest de Dâr-el-'Aàda (ï^UJI jb). Nous 
v tix>uvàmes de grands réservoirs, plus que suffisants 
pour nos besoins; mais les gens, craignant de n'en point 
lYUconlivr, avaient déjà fait leurs provisions à FOuad- 
Djir, 

* mot esl si mal écrit dans le manuscrit, qu*on peut lire kebir, 
hf\ ou uiômo iijir, OUe dernière le<jon était évidemment celle qu'il 
t^mvoïKiil d'adopler. 



VOYAGE DE MOULAAH'MED. 335 

Vendredi, a3 cha*ban (6 octobre). 

Nous descendîmes à 'OkTja - H'amida - el - Lah'am 
(^»^l iOsA^ AiAi^) au lever du soleil, le vendredi 2 3 de 
cha'ban (6 octobre). Ce lieu s^appelle ainsi, à ce que 
les habitants croient, parce qu il y a beaucoup de gibier, 
et par conséquent beaucoup de viande. Nous trouvâmes 
des tentes d'Arabes dressées. Nous nous écartâmes un 
peu du chemin pour nous reposer, et pour attendre 
la caravane auprès d'une rivière qui a des réservoirs 
d'eau de pluie. C'était alors le d'oh'a. Nous fîmes la 
prière du d'ohor à Keltet-Abou-el-'Amoud ( ^\ <Mjc,.y 
^y^\). La rivière qui est en cet endroit coulait alors. 
Nous priâmes l'ac'er près d'Oullous (o-p^), où nous 
descendîmes après l'ac'er. La queue de la caravane n'y 
arriva qu'après l'eucha. Nous couchâmes en cet endroit. 
Le crieur annonça qu'il fallait emporter de l'eau pour 
la couchée du lendemain, parce qu'on ne devait pas 
en rencontrer en route, sauf un peu d'eau de pluie 
qu'on n'était pas même sûr de trouver. L'eau de cette 
rivière est mauvaise , saumâtre ; il n'y en a pas dans 
cette contrée qui lui soit comparable sous le rapport 
de la mauvaise qualité ; nous étions bien heureux ce- 
pendant de l'avoir trouvée , car, quoi qu'il en soit , elle 
est potable, mais son amertume reste au gosier. Un 
cavalier monté siu* une jument, homme de Mahmâîa 
(iS!^-«)> m'apporta un mouton. 



336 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

Samedi, a^ cha^ban (8 octobre). 

Nous partîmes au fedjer, chacun s'étant vite ou len- 
tement préparé pour le départ, selon son pouvoir. Les 
pèlerins prirent les devants, afin de gravir El- Akl>a-el- 
Hâbila(S)ol^t iUijJl ], passage qui fatigue les chameaux 
et les hommes. Quelques-uns de la caravane se détournè- 
rent un peu pour aller faire la provision d'eau; mais ils 
se hâtèrent de rejoindre les autres avant que ceux ci fiia- 
sent engagés dans la montée. On n en trouve pas de plus 
difficile; cependant Dieu nous a fait la grâce de nous faci- 
liter le passage , et de nous permettre d'en venir à bout. 

Le matin de ce jour mourut EI-H'âdj-Moh'ammed- 
ben-\\bd-el-K'âder-ed-Daràï-et-Temtaki, des Oulâd- 
Tsàbet. Il était malade des entrailles depuis longtemps. 
Nous finies ses funérailles et Tenterrâmes sur le sommet 
de la montée. Nous nous joignîmes au reste de la ca- 
ravane, une demi-heure après le lever du soleiP. Nous 
pssâmes i El-Maharàs (^1^1), auprès d'une pierre 
qui rassemble à un mortier ^ Nous .y trouvâmes de 
IVau do pluie. Les pèlerins se précipitèrent pour boire 
et «ibnniver les animaux, parce qu'à la couchée ib 
avaiont été sans eau et n en avaient pas eu d'autre que 
coUo qu'ils Y avaient apportée d'Oullous. Or, on n'en 

^ ikULJ' «^Jl^ o'«^^* Xprès le nàGla, c'est-à-dire quand le soleil 
es! j^ iKhiv liAutcur» dVpîeu au-dessus de riiorixon, moment où Ton 
|vul |M*tor« «V i|ui est detVndu auparavant, parce qu*on suppose que 
^o M>K il» a "^^^ âp|vftnlKMi, e34 supporte sur les cornes du dîaUe. 

* toUe cirvxHiMJiiHf a sans diHite (ait choisir le nom de 
» u^\MiuT • |>Hir *vlti* W-jiliU\ 



VOYAGE DE MOULA AHMED. 337 

avait pas emporté beaucoup, comptant en trouver au 
Maharâs, dans la rivière qui est au-dessous dudit lieu, 
où il y a des r'adir. Ceux qui avaient craint de se mê- 
ler à la foule qui arvalt puisé à Maharâs, ou qui n^a- 
vaient pas de vases , .burent ici . 

Dimanche, a 5 cha*ban (8 octobre). 

Noiis fîmes la halte du d'oh'a après avoir traversé la 
rivière, puis nous tournâmes une montée à côté de 
ceUe-ci , dans un lieu plane , qui est sur une rivière 
auprès de laquelle il y a des pâturages pour les ani- 
maux. D arriva une compagnie des Beni-Moh'ammed 
[i\.m< (S^)^ qui me donnèrent des nouvelles de mes 
parents et amis de Teler met qui m'attendaient. Nous 
fîmes quelques milles , et les premiers de mes amis qui 
vinrent au-devant de moi furent El-H'âdj-es-Semmâr 
avec un compagnon, ainsi que mon ami, feu El-H'âdj- 
'Abd-el-K'âder-ben- Abd-er-Rah'mân et le fak'ir 'Ali-ben- 
Abou-el-K'âcem. Puis il arriva une autre troupe; mon 
ami El-H'âdj-el-H'acen-el-Haouâri vint aussi avec ime 
compagnie. Enfin, il survint successivement d'autres 
compagnies, et on commença à arriver en foule. Il vint 
une personne de mon pays, Sid-Moh'ammed, dont le 
surnom Et-Temk'routi est noble. Je recueillis de sa 
bouche beaucoup de nouvelles. Tout ce monde, venu 
au-devant de nous, nous suivit jusqu'à Teler'met. Là 
je trouvai El-H'âdj-Ahmed-ben-Iah'ïa-et-Tedjemouâti, 
mon ami sincère. Nous descendîmes à Teler'met (oc^jib) 
aux environs du zaouâl, et nous y couchâmes. Par la 

43 



338 VOYAGE DE MOULAAH'MED. 

grâce de Dieu, mes amis me donnèrent des dattes 
fraîches, du pain et de la viande. 

Lundi, a 6 cha*ban ( 9 octobre). 

Nous priâmes à El-Medâkik ( jLAâ>l«xil), où je ren- 
contrai mon ami véritable Moulânâ-ech-Cherif-ben- 
'Amar, avec le fils de Moulânâ-K'âcem et une compagnie 
d'amis. Nous nous remîmes en marche, et je rencontrai 
Abou-el-K'âcem, 'amel du pays, Moulâï-Abou-el-K'âcem, 
fils de l'êmir el-moumenin Moulânâ-Isma'îP. Que Dieu 
le protège , lui et tous les siens I Avec lui était une 
compagnie de mes frères et de mes cousins, et avec 
eux le vertueux Moulânâ- Abd-el-Ouâh'ed-ben-Mah'ouz. 
Nous descendîmes à FOuad-Amerfouh' ( ^yf^ (^^(3 ) à 
Tac'er, et nous y couchâmes. 

Mardi, 27 cha*ban ( 10 octobre). 

Nous arrivâmes vers notre seigneur Abou-el-K'âcem- 
el-K'âri à Theure du d oh'a , le mardi a 7 cha'ban ( 1 o oc- 
tobre), et nous le visitâmes, ainsi que Sid-Abd-el-Ke- 
rim. Nous nous arrêtâmes dans les maisons de nos amis, 
et nous leur présentâmes nos honunages, à eux et au 
chef. Puis nous revînmes au campement de la caravane, 
qui était près de la k'oubba de Sid-Ioucef^. 

Mercredi, a8 cha*ban ( 1 1 et la octobre). 

Nous séjournâmes le mercredi et le jeudi, pour que 

' L'iMUfereur de Maroc. 
* Auv jH>rle8 do Sodjelniâra. 



VOYAGE DE MOULA AHMED. 339 

les gens fissent leurs provisions de tout geni^e. Là vint 
mon frère Sid-Moh'ammed-el-Kebir, et avec lui nos 
petits enfants. Je reçus des nouvelles de mes autres 
parents et de mes amis, qui étaient en bonne santé. Il 
vint des Benou-Khelifa (mJIâ. I^Jw), des Arabes d'Abou- 
Moh'ammed (Jc^ jl), avec des chevaux pour transporter 
ce dont nous avions besoin. J^en louai d'autres de Ze- 
nâta (a31>) et de Bedàoua (ii^l^)^)- 

Vendredi, 3o clia*ban (i3 octobre ). 

Nous partîmes au s'bah' le vendredi ; nous visitâmes 
le cheikh El-Kebir-Abou-el-H'acen-Sid- Ali-ben- Abd- 
Allah , et nous descendîmes à £l-K'ouz {j^\ ) , aux en- 
virons du zaouâl. Nous visitâmes le cimetière béni , qui 
est hors de cet endroit, où sont enterrés Sid-Abou-el- 
K'âcem-ben-Mouloud et Sid- Abd-el-Ouâh'ed. Je voulais 
encore le visiter avant de partir; mais Dieu ne le permit 
pas Y et Satan fit que j'oubliai ma résolution. 

La caravane descendit hors de la ville, à côté de 
Sid- Abd-er-Rah'mân-ben-Habba (a^ ^). Là nous ren- 
contrâmes une compagnie d'amis de Dekâla ( aIK^^ ) , et 
je reçus d'eux des nouvelles de mon ami en Dieu Sid- 
Abou-Bekeiv'Ali-el-Fedji , qu'ils avaient laissé malade, 
ce qui l'avait empêché de venir au-devant de moi. 
Celui qui me donna cette nouvelle avait laissé son frère 
auprès du malade, qui paraissait dans un état désespéré. 
Il moiunit en effet bientôt après , sur la route , en arri- 
vant à Sid-el-R'âzi (^f^jUJl •ï^-*--), Dieu ayant décidé. que 
ce devait être le lieu de sa sépidture. 



3^0 VOYAGE DE MOULA AH'MED. 

Je rencontrai dans la maison qui est en face de cet 
endroit mon ami Sid- Abd-es-Selâm-ben-Sa'id-et-Tâzi- 
el-Bakâri , et un autre ami , Sid- Abd-el-K'âder4>en-es - 
S'enin, avec quelques personnes de Tâza (»>b). Que 
Dieu les récompense de cette politesse et les fasse re- 
tourner chez eux en paix! Là nous aperçûmes la lune 
de ramadan. Que Dieu nous donne la force de sup- 
porter le jeûne et les veilles de cette époque ! 

Samedi, i* ramad'ân ( i4 octobre). 

Nous partîmes au s'bah', le samedi i^ de ramad'ân 
(i 4 octobre). Nous primes congé de nos amis de Ta- 
filélt (oJ^b), qui nous avaient accompagnés et qui, 
avant de partir, nous traitèrent dans un repas ou chacun 
apporta sa part , pauvres ou riches , chérifs et autres , 
chacun selon son pouvoir. Sid-el- Abbas traita égale- 
ment la caravane avec douze plats de kouskouçou, 
ainsi que les Oulâd-Sid-el-Medjdoub ((^^«Xjf&t Js^um >^^l) 
et autres, chacun selon son pouvoir. Les Oulâd-Sid-el- 
Bekri {iSj^^ «Xa^m^^^I) nous apportèrent plus de qua- 
rante plats. 

De là nous traversâmes rOuad-Rerîs {(j^j^ t^^'^)^ 
et nous nous arrêtâmes un instant à Settîa (A^^yM»), 
poiu' prendre congé de tous ceux qui nous avaient 
accompagnés, de Moula- Ali-ben-Abd-el-Ouâhed et 
autres. Nous priâmes le d ohor à Defâ-el-R'âr (jUJi am^). 
I«a caravane prit dans cet endroit Teau qui lui était 
nécessaire pour les besoins de la couchée. Nous y 
tu;imos une chamelle qui ne pouvait plus maixher. Nous 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 341 

(imes la prière de Tac'er au commenoement du canton 
d'Abou-el- Ad'âm ( -UôiJl j' ) , et nous arrivâmes à la fin 
dudit canton avant Tas'firâr. On coucha en cet endroit 
sans eau, sauf celle quon avait apportée de Defâ*-el- 
R'àr dans les outres. 

Dimanche, a ramad'ân (i5 octobre). 

Je rencontrai , après le s'bah' , mon neveu M oh'am- 
med-ben-'Abd-el-Kerîm , et son père Sid- Abd-el-Kerîm- 
ben-'Ali-en-Nedr'i , qui venaient au-devant de moi. 

Nous partîmes ensuite, et nous fîmes la halte du 
d'oh'a à Djâci-et-T'ofrâ (|ydJl ^\=r). pour attendre la 
caravane. Nous priâmes le d'ohor, puis nous descen- 
dîmes à Ez-Zenâtïa ( A^bJi ) avant Tac'er. Nous y cou- 
châmes auprès d'un fossé où il y avait de Teau aussi 
douce que celle du Fourat *. 

Lundi, 3 ramad'ân ( 16 octobre). 



Nous fîmes la halte du d'oh'a à El- At'châna ( iLîUkjJt ). 
Là j^envoyai un homme chez moi , pour annoncer le 
jour que nous arriverions et pour qu'on préparât, en 
kouskouçou et en orge , de quoi inviter les hôtes selon 
nos moyens ; et ceci pour remercier Dieu de ce que 
j'étais arrivé en bonne santé. Nous descendîmes à Onun- 
el-Djirân ( ^\j J ) avant l'ac'er. La caravane coucha au- 
près d'un r adîr où il y avait de l'eau douce , parce que 
tout récenmient la rivière qui Tahmente avait eu une 

* Grande rivière de l'intérieur de TAfirique, dont Teau est, dit-on, 
fort douce. 



342 VOYAGE DE MOULA AHMED. 

crue. Là, vint, à la fin de la nuit, mon frère Sid 

avec les pèlerins à cause desqueb il n avait point fait le 
pèlerinage avec moi. Louange à Dieu qui nous a réunis! 

Mardi, 4 ramad'àn (17 octobre). 

Nous fîmes la halfe du matin à Foum-Aktouzi 
(j^âl ^), et nous ne nous arrêtâmes plus jusqu'à la 
prière du d'ohor. 

Comme nous approchions deTadjemchet (umA»;^), 
nous vîmes des cavaliers qui arrivaient de notre côté, 
en toute hâte et joyeux. C'étaient des chérifs , Moula- 
' Ali-ben-Ah'med et ses frères , et le cheikh loucef-ben- 
Brâhim , qui venaient au-devant de nous avec une com- 
pagnie du pays de Dara'a (aj^^). Nous nous arrêtâmes 
sur une colline , à côté d'Ouad-ei-Kheroua' (^j^ ^Ij ) , 
où nous trouvâmes des r adir remplis d'eau de pluie 
jusqu'au bord, et plus que suffisants pour les besoins 
de la caravane. On coucha auprès de cette eau de pluie, 
qui était piu*e et douce. 

Mercredi, 5 ramad'ân ( 18 octobre). 

Nous partîmes, et, quand le soleil se leva, mes amis 
du pays de Dara'a vinrent en fouie à ma rencontre , par 
groupes qui ressemblaient aux vagues de la mer; ils 
me firent leurs compliments sur mon heureux retour. 
Parents et amis, on se réjouit de se retrouver les uns 
et les autres. Nous descendîmes dans leurs tentes, et 
nous nous livrâmes à la joie ; les chagrins et les inquié- 
tudevS de Tabsence furent chassés de leurs cœiu^ et des 



VOYAGE DE MOULA AH'MED. 343 

nôtres en nous retrouvant tous ensemble , et tous nos 
dangers, périls, etc. furent oubliés. Puis nous descen- 
dîmes à Foum^el-Tsenîa (iûyuJl ^); nous mîmes de 
côté les vêtements de Téloignement poiu* revêtir ceux 
de Tarrivée. Nous nous étions arrêtés à Tsenïa, parce 
que ce lieu est entre deux chemins qui conduisent à 
Zenâta ( A^b) ] et en d'autres endroits ; et afin que les 
pèlerins pussent prendre congé les uns des autres, et 
se séparassent pour aller chacun chez sol , et aussi pour 
rencontrer ceux qui venaient de tous côtés au-devant de 
nous. Là, nous prîmes congé les uns des autres, nous 
souhaitant réciproquement d'achever le voyage avec les 
habits du bonheiu*, du salut, de la paix; puis nous mar- 
châmes ensuite vers la zaouîa, et de là nous mon- 
tâmes sur les collines, d'où nous aperçûmes les 'alam 
(hampes auxquelles on attache les drapeaux au moment 
de la'^prière), ainsi que l'heureux minaret et l'endroit 
bien ombragé au sujet duquel on a fait ces vers : 

Puis, arrivés au sommet des collines, et, quand le minaret 
se présenta à mes yeux d'une manière très-apparente , féioi- 
gnement disparut, farrivée arriva, et la proximité exista. 

Depuis ce moment, nous ne cessâmes de traverser 
la foule des parents et des amis , des curieux accoiuiis 
au-devant de nous, jusqu'à ce que les chameaux s'ar- 
rêtèrent hors de la zaouîa El-Mimouna ( aj^^^I Xa^I) ) , 
lieu qui enrichit le pauvre, où l'on suit la voie de la 
vertu, qui dirige dans la religion et montre la route 
aux hommes. Nous y arrivâmes à l'ac'er, le mercredi 



344 VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 

5 de ramad'ân 1 122 (le 18 octobre). Chacun se rendît 
chez ses parents ou amis. Nous dressâmes les tentes à 
Et-Ander (j«X3^l], parce que ce Heu était à proximité 
de nos amis. Là commençait pour nous le repos. Quant 
à moi , j'entrai dans la zaouïa. 

Le jeudi, avant Tas^firâr, j'allai dans la grande mos- 
quée (mesdjid) à l'exemple du prophète ^ J'y restai le 
temps nécessaire pour faire quelques rikat, selon la 
coutume des chérifs. Puis j'allai à la rouda (cimetière 
des marabouts ] de nos seigneurs dont la conduite a été 
vertueuse , l'origine piu*e. Là je mis le sceau à mon 
pèlerinage, poiur compléter ma satisfaction; puis je 
priai pour mes parents , mes amis et mes enfants. Je 
remerciai Dieu d'avoir rencontré la satisfaction et d'avoir 
prolongé mes jours jusqu'à mon arrivée , depuis le lieu 
éloigné que j'avais atteint jusqu'ici. 

' Mahomet , quand il revenait de voyage , allait à la mosquée avant 
d*entrer chei lui. 



Le copiste, qui s'appelle Moubârak-ben-'Amar^s'-S'aîrî , 
a achevé de copier ce manuscrit le 2 5 de rebi*-et-tani 
1161, sur une copie défectueuse , dit-il , et où il y avait 
des lacunes. 



FIN Dr VOYAGE DE MOULA-AH'mED. 



ITINÉRAIRES 



ET RENSEIGNEMENTS 



FOURNIS 



PAR SID-AH'MED-OULID-BOU-MEZRAG 



FILS DE L'ANCIEN BEY DE TIT ERI 



SUR LES PAYS SITUES AU SUD DE BOR'AR 



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ITINERAIRES 

ET RENSEIGNEMENTS 

FODRHIS 

PAR SID-AH MED-OULID-BOU-MEZRAG. 



ROUTE DE TAZA A BOU-SA'DA. 



l'* JOURNÉE. SID-BOU'ZÎD. 

On descend par un chemin difficile ; au bout d'une 
heure un quart, on arrive à ime plaine ondulée; on 
traverse, une demi-heure après, TOuad-bou-Kemouri , 
et en continuant dans le même terrain ondulé , on passe 
par des ruines romaines qui paraissent les restes d'une 
ville considérable. Elles sont connues dans le pays sous 
le nom de Kheurba-Oulâd-Allâl ; on y trouve beaucoup 
d'inscriptions. A environ une lieue de ces ruines, on 
arrive à Sid-Bou-Zîd : la distance entre cette k'oubba 
et T'aza est de i i lieues. La direction est Est. Sid- 
Bou-Zid est dans le Belâd-'Azziz. Les Arabes de ces can- 
tons y ont leurs matamores ou silos. C'est un pays de 
plaines. 

2* JOURNEE. 'aIN'TSELATSA. 

Cette journée est d'environ 1 5 lieues ; la direction 
est Sud-Est. Voyez les détails relatifs à cette localité 



348 ITINÉRAIRES 

dans ritlnéraire du pays de Mzâb : on est toujours en 
plaine. 

3^ JOURNÉE. EL'ÀBÎEUd'. 

On marche dans un pays de plaine, et on arrive à 
El-Âbïeud\ ainsi noouné à cause de la blancheur du 
sol. Dans ce lieu croît le sedra [ziziphas lotos) ^ arbris- 
seau épineux dont Shaw a fait la description (tom. U, 
p. 1 a3). Distance parcourue, i4 lieues; direction. Est. 

4* JOURNÉE. EL'BIRIN. 

Après avoir fait 9 lieues en plaine, dans TEst, on 
arrive à El-Birin, rocher isolé, qui a environ 1 mille 
à sa base, et dont la hauteur est de 60 mètres à peu 
près. Au sommet, se trouvent deux puits, circonstance 
d'où lui vient son nom de Birin. 

5*" JOURNÉE. GAHSA. 

On marche pendant 1 o lieues en plaine, vers le Sud, 
et on arrive à Garsa, ainsi nommé à cause du goût 
acide de son eau. Le h alfa croit en abondance dans 
cette localité. 

6*" JOURNÉE. k'cEB-BKNZOU, 

On arrive à cette boui^ade, qui est à 5 lieues de 
Gai^a, en continuant la direction du Sud-Est. KVer- 



DES PAYS SITUES AU SUD DE BOR'AR. 349 

Benzou se compose de trente ou quarante maisons; il 
est au pied du Djebel-Sah ri. U y a une soiu'ce qui 
donne une très-bonne eau. 



'*^ JOURNEE. k'cKR'ED-DIS. 



C'est un boiu^ qui contient une centaine de maisons. 
Son nom lui vient du Djebel-Dis, qui le domine. Il 
est habité par les Oulâd-Sid-Ibrâhim, qui sont des 
marabouts. Pour y arriver, on suit pendant 9 lieues le 
pied du Djebel-Sah ri, dans la direction de FEst, en 
ayant cette montagne à droite. 

8*" JOURNÉE. — BOU'SA'DA. 

Après 3 lieues de marche , dans l'Est , et toujours 
au pied du Djebel-Sah ri , on arrive à Bou-Sa'da. Là 
cette montagne prend le nom de Sellet. 

Depuis T'aza jusqu'à Bou-Sa'da, et dans un trajet de 
76 lieues, on ne rencontre pas de montagnes à tra- 
verser. 



350 ITINERAIRES 



ROUTE DE MÉDÉA AU PAYS DE MZAB, 



CHEMIN DES CARAVANES. 



1"^ JOURNEE. SAROUAN. 

On marche dans la direction du Sud pendant pres- 
que toute la journée, et ce n est qû^au moment d'ar- 
river à Sarouân, qu'on tourne un peu à TOuest. La 
distance entre ce lieu et M édéa est de 1 5 lieues. Sa- 
rWân est en plaine. Les Douaîr, tribus du makhzen 
de Tit'erî, y habitent, et les 'Abid, autre fraction du 
même makhzen, se tiennent à Berrouâguîa^ Les Arabes 
d'El -'Arba' viennent aussi dans ce canton en été. A 
3 lieues au Sud-Ouest se trouvent des ruines romaines 
dites Achir ; c'est du moins l'opinion des gens du pays. 
Mais il parait plus probable que ce sont les restes de 
la ville d' Achir, fondée en Sa^ de l'hégire par Zeïri- 
ben-Monad, qui y faisait sa résidence^. Ebn-Khaldoun 
place cette cité dans les montagnes de Tit'eri , opinion 
qui corrobore mes conjectures. Nowaïri dit que la posi- 

' Ainsi nommé de la grande quantité de berrouâk' ■ asphodèles > 
qui y croissent. 

' Après avoir écrit .ceci, j*ai visité les ruines d*EI-Achir, en août 
]8A3; elles sont en effet romaines. Quant à la ville arabe, quoique je 
n'aie pu en retrouver les traces , je persiste à croire qu'elle devait être 
de ce côté. 



DES PAYS SITUÉS AU SUD DE BOR'AR. 351 

tîon d'Achir était très-forte, et quelle ne pouvait être 
attaquée que du côté de TOrient. Dix hommes, selon 
lui, auraient suffi pour la défendre contre toute une 
armée , et , quand elle n^aurait pas eu de remparts , elle 
eût été imprenable , tant elle s'élevait au-dessus de ses 
murs. Au milieu, coulaient deux fontaines d*eau douce. 
Ebn-Haukal parle de ses marchés, de ses fontaines 
d'eau courante , de ses jardins , de ses champs cultivés , 
et il ajoute que la province qui l'entoure est de la plus 
grande beauté. Dans le Kartas, il est dit que cette ville 
est la capitale du pays de S'enhâdja \ L'itinéraire d'A- 
chir à Mers-Zedjdâj et celui de cette ville à Alger '^ 
confirment encore cette opinion. 



2^ JOURNÉE. 'AÏN-TSELATSA 



On suit la direction Sud j Sud-Ouest; et, après une 
marche de 9 lieues, on arrive à cette étape. C'est le pays 
des Oulâd-Mokhtâr, dont le chef actuel est Ben-'Aouda. 
Les Oulâd-Mokhtâr se divisent en cheraga ou orien- 
taux, et en r'eraba ou occidentaux. Les premiers s'ap- 
pellent Oulâd-'Eudda , et les autres Oulâd-Bou-'Ali. Ce 
pays est entre le Tell et le S'ah'ra. Là commence à 
croître la plante appelée chih', qui est une sorte d'ab- 
sinthe [absinthium judaïcum). Les Arabes prétendent 
que c'est le commencement du S'ah'ra; mais le vrai 

^ Traduction d*El-Bekri, par M . Quatremrre « tom. XII des Notices 
des manuscrits, pag. 619. 
* Ihid* pag. 617 et 619. 



352 ITINERAIRES 

désert, dans le sens que nous donnons à ce mot, est 
encore assez loin de là au Sud. 

3^ JOURNÉE. 'AÏN OUÇARA. 

On continue de marcher plein Sud. Sur la route , 
on rencontre des térébinthes (el-bot'om). A une dis- 
tance d'environ 9 lieues , on trouve 'Aîn-Ouçara , pays 
inhabité, où l'arbrisseau appelé sedra croît en grande 
quantité. 

li"" JOURNÉE. EL'MEKSEM, 

On marche Sud ~ Sud-Ouest pendant 1 5 lieues , et 
on arrive à El-Mek'sem, pays inhabité, où cependant 
les Oulâd-Naïl viennent quelquefois. Le h'alfa y est 
très-abondant. 

6* JOURNÉE. K'dER'ECB-CHEBF. 

A environ 1 q lieues Sud ~ Sud-Ouest de l'étape 
précédente, on arrive à KVer-ech-Cherf, petite boiuv 
gade où demeurent des gens de toutes tribus. Il ne 
faut pas croire , comme le nom le donne à entendre , 
qu'il y ait ici un , et encore moins plusieurs châteaux. 
Le mot kVer (que les Arabes du dehors prononcent 
Queceur) ne désigne, dans ces endroits, que des cons- 
tructions quelquefois sans importance. C'est à peu près 
comme on appelle bordj ou forteresse , dans les environs 
d'Alger, une simple maison de campagne. 



DES PAYS SITUES AL SUD DE BOR'AR. 353 

6' JOURNÉE. OUAD-MTA*'EL'BId'a. 

On continue la direction Sud -J- Sud -Ouest, et on 
arrive , après 9 lieues de marche , à cette étape , où le 
h'alfa et le chih' croissent en abondance. 



,e -J- 



7^ JOURNEE. ZEMINA. 

Après avoir fait i5 lieues dans le Sud \ Sud-Ouest, 
on arrive à ce bivac, où il y a une source; on y ren- 
contre du h'alfa et du chih'. On voit les ruines d'un 
kVer dans ce lieu. 

S"" JOURNÉE. TEDJMOUT. 

On continue la direction Sud | Sud-Ouest ; on tra- 
verse le Djebel-Sah 'ri-el-Guebli dans un endroit peu 
élevé, puis on descend à Tedjmout. La journée est 
d^à peu près 1 o lieues. 

Cette petite boui^ade compte environ cent maisons ; 
la population y est mêlée : il y a des Oulâd-Naïl, des 
El-'Arba\ etc. On y trouve, en fait d^arbres, des pêchers, 
des coignassiers , des figuiers. Dans les environs , crois- 
sent le h'alfa, le chih' et le guettaf. Cette dernière 
plante est connue à Alger sous le nom de souôuâk' ; 
on s'en sert contune de brosse à dents ; poiu* cela , on 
coupe un morceau de la racine, qui est bien filan- 
dreuse, on Teffile par un bout, de manière à en former 
ime petite touffe avec laquelle on se frotte les dents. 



45 



354 ITINERAIRES 

On dit que cette racine a un goût salé. Les pèlerins 
de rOuest, en traversant les contrées de Tintérieur, 
font provision de cette racine , qui se vend bien à 
Alexandrie et dans les villes des Etats barbaresques. 

9* JOURNÉE. EL-Ar'oUAt'. 

On marche droit au Sud pendant 8 lieues environ, 
et on arrive à El-Ar'ouât', assez grande ville habitée 
par les Oulàd-Ser'in et les H'alef , dont les quartiers 
sont séparés par FOuad-Emzi. On sait que ces deux 
fractions de la population sont souvent en guerre Tune 
contre l'autre. 

Au Sud -Est d'El-Ar'ouât\ on trouve la petite ville 
d'El-Açafta, dont la population est mêlée. 

1 O* JOURNÉE. FEDJ'ENTSILA. 

Il y a 1 8 lieues entre cette étape et la précédente. 
Cest à Fedj-Entsila qu^on commence à trouver les sables; 
ceux de cet endroit sont de couleur blanche. Il y a à 
Fedj des réservoirs d'eau de pluie, et, en outre, il 
suffit de creuser un peu pour trouver de Teau fort douce 
et très-salubre. Le nom de cette localité vient de ce 
qu elle est située sur une petite élévation où il y a un col 
(ledj). Pendant cette journée , la direction a été Sud-Est. 

1 !•* JOURNÉE. EL-OUt'IA. 

On marche pendant 1 5 lieues environ dans le Sud- 
Kst« On trouve des sables de temps en temps. Le chih\ 



DES PAYS SITUÉS AU SUD DE BOR'AR. 355 

le guettaf et le harmel sont fort abondants ; il y a peu 
de h'alfa. Out'îa est un diminutif de out'a « plaine. » 

I 2* JOURNIÈE. CHEBKA. 

On marche en plaine pendant 1 5 lieues dans le Sud , 
et sans rencontrer de sables. On est en plaine , dans un 
terrain pierreux , où le h'alfa est abondant , et où Ton 
trouve peu de chih^ La première de ces plantes croit 
surtout dans les chemins pierreux ou élevés , et l'autre 
dans les lieux bas. Le nom de Chebka vient de ce que 
les pierres qui constituent le sol de cette localité rap- 
pellent, par leurs formes et leur disposition, les mailles 
d'un filet (chebka). 

l3* JOURNEE. OVAD^DJEDI. 

On fait encore 1 5 lieues en plaine dans la direction 
du Sud-Est, et on arrive à TOuad-Djedi, rivière qui est 
à peu près aussi grande que TOuad- Arach ; Teau en est 
bonne. Oïdid-Bou-Mezrag prétend que TOuad-Djedi 
vient du Sud et coule vers TEst. Cette assertion est 
contraire à ce qu'on savait du cours de cette rivière. 

1 4* JOURNEE. BENI-IZGUEN. 

 5 heues dans le Sud-Est, on trouve Beni-Izguen, 
ville d'environ mille maisons. On est alors dans le pays 
de Mzâb. 



356 ITINERAIRES 

DE MÉDÉA AU PAYS DE MZAB, 

ROUTE DES COURRIERS. 



l'* JOURNEE. 



On va coucher à S arouân. 



2^ JOURNEE. 



On va coucher à 'Aïn-Tselatsa. (Voyez , pour ces deux 
étapes, la route des caravanes.) 

3*^ JOURNEE. 

On se dirige en plaine vers le Sud-Ouest; et, après 
une marche d'environ 9 lieues, on va coucher sur les 
bords d'im lac appelé Ed -D'aïa-T'aïba. Cest sans doute 
celui qui figure sur nos cartes sous le nom de Dïa-Tit- 
terie-Geouh, ou de lac de Titterie. Ce lac, qui a plus 
d'un quart de lieue d'étendue, est couvert de flamands, 
de canards et autres oiseaux aquatiques. Les gens du 
pTiys prétendent que, tous les deux ou trois ans, tantôt 
dans une saison , tantôt dans une autre , il bouillonne , 
lance des gerbes d'eau , déborde et couvre une grande 
partie de la contrée. Us assurent que bien des personnes 
ont péri par ces inondations imprévues, dont l'eflet se 
fait sentir fort loin. On appelle ce pays Belâd-Douaceni. 

4^ JOURNÉE. 

Vprès avoir fait 18 lieues dans le Sud, on arrive à 



DES PAYS SITUES AU SUD DE BOR'AR. 357 

El-Guelta-el-Bid'a , petite mare alimentée par les eaux 
pluviales qui tombent des montagnes, et qui s^ con- 
servent comme dans un réservoir. On peut aussi passer 
par Guelta-es -S'al , qui est plus à l'Ouest. Pour arriver 
à Guelta-el-Bid'a , on traverse le Djebel-Sah'ri. La mon- 
tagne qui domine ce bivac s'appelle Gada'-Meta'-Oulâd- 
Brâhim. Gada' veut dire « un pic isolé. » 

5*" JOURNEE. BAB-AIN-MEÇAOUD. 

Pour arriver à cette étape , on traverse d'abord la 
sebkha de Zar'ez, puis les chebka ou collines de Zar'ez. 
La marche, qui est de 18 lieues, se fait dans la direc- 
tion du Sud. 

Cette fontaine sort d'entre deux collines rappro- 
chée4, de sorte qu'elle parait passer par une porte 
(bâb). On raconte qu'un nègre, venant du S'ah'ra, et 
près de mourir de soif, arriva dans cet endroit, se mit 
à creuser un peu la terre, et y trouva de l'eau. C'est 
celle qu'on y voit encore maintenant. Comme ce nègre 
s'appelait Meç'aoud, le lieu, par ces diverses causes, a 
pris le nom qu'il porte aujourd'hui. 

6** JOURNÉE. AMBA. 

On traverse le Djebel-Sah ri-el-Guebli à un endroit 
qu'on appelle Djellâl-Bellout , à cause de la grande 
quantité de bellout qu'on y trouve. Il y a dans cette 
montagne une partie plus élevée que le Djerdjera, et 
où cependant la neige ne persiste pas toute l'année. On 
le nomme Argou-Beni-Mzâb, ou Tendon des Béni- 



358 ITINERAIRES, ETC. 

Mzâb, à cause de la roideur et de la longueur de sa 
montée , qui fatigue le tendon des gens de cette nation 
qui y passent fréquemment. On descend ensuite à Amra, 
petite bourgade d'une cinquantaine de maisons, située 
en plaine , et dont la population se compose de gens 
de toutes les tribus environnantes. Dans les montagnes 
que Ton traverse pour y arriver, il y a beaucoup d'ar- 
bres, surtout des chênes, qui produisent le bellout. 
Les lions et les panthères s'y trouvent en grand nombre. 
La marche, pendant cette journée, est de i5 lieues, 
dans la direction du Sud. 

7*^ JOURNÉE. ZAKKAB. 

Après une marche de 9 lieues en plaine, toujours 
dans la direction du Sud , on arrive à Zakkâr, petite 
bourgade de soixante à soixante et dix maisons. Le chih' 
croit en abondance entre ce bourg et Amra. 

8* JOURNÉE. DEMMET. 

On fait 5 lieues en plaine, dans le Sud, et on arrive à 
Demmet , bourgade de trente ou quarante maisons , où 
il y a une source considérable , dont Teau est excellente. 

9* JOURNÉE. CHEBKA. 

Après ime marche de 1 8 lieues en plaine , dans la 
direction du Sud , on arrive à Chebka sans rencontrer 
d'eau sur la route. Ici, on suit la route ordinaire des 
caravanes. 



VOYAGE 



PAR TERRE 



DE T'AZA A TUNIS 



PAR M. FABRE 



VOYAGE 



PAR TERRE, 



DE TAZA A TUNIS. 



POINT DE DÉPART DE M. FABRE. 

La mine de soiifre que M. Fabre indique est située 
à 1 lieue ~ de marche au Sud de T aza , et à 3 lieues 
au Nord du Nahar-Ouâc el (qui devient ensuite l'Ouad- 
Chelif). L'endroit où elle se trouve s'appelle Râs-bou- 
Kemoiu^i , parce que c'est là que TOuad-bou-Kemouri 
prend sa soiurce. La contrée porte le nom de Belâd- 
Belàl, ainsi que la montagne d'où sort cette rivière. 
Quant au Belâd-es'-S'ïouf , il existe en efiFet de ce côté , 
mais il est à l'Est de Belàd-Belâl, avec lequel il est 
limitrophe. Le cheikh Bourk'iza, dont parle M. Fabre, 
est en effet un chef de ces cantons ; seulement il ad- 
ministrait, conjointement avec un autre qu'on appelle 
Bou-Hafs, le pays de Belâl, et non celui de S'ïouf. 

' Le voyage de M. Fabre, de T'aza à Tunis, avait un grand intérêt 
à Tépoque où il fut lait , parce que nos troupes n*avaient pas encore 
pénétré dans les parties méridionales de TAlgérie. Aujourd'hui, sur 
plusieurs points, cette route a été visitée par nos colonnes, et on a 
dressé la carte du pays. Il conviendra, en lisant ce récit, de tenir 
compte de cette circonstance, qui atténue, sans le détruire entière- 
ment, Tintérét que la nouveauté eût donné aux impressions ressen- 
ties par TEuropéen qui a parcouru ce pays Tun des premiers. 



362 VOYAGE PAR TERRE, 

Mais cette confusion, qui na rien d'extraordinaire de 
la part d'un homme à peu près étranger à la langue 
arabe , loin d'infirmer le témoignage de notre voyageur, 
prouve qu'il a connu les lieux et les personnes par lui- 
même ; car il ne pouvait pas autrement savoir ces 
choses ) ainsi que d'autres qu'il raconte dans le cours 
de son récit. L'absence d'instruction, qui se remarque 
facilement dans la narration de son voyage , est une ga- 
rantie de plus contre toute fraude de ce genre. Je fais 
cette remarque, parce que je suppose que le lecteur 
aura peut-être , sur sa véracité , les doutes que j'avais 
moi-même au premier abord , et avant qu'un examen 
attentif m'eût rassuré sur ce point capital. 

Le travail qu'on va lire n'est pas la reproduction 
littérale du récit de M. Fabre; c'est une simple analyse, 
que je me suis efforcé de faire aussi exacte et aussi 
complète que possible. 



DE T'AZA A TUNIS. 363 



VOYAGE 

DEPUIS RAS-BOUKEMOURI, AU SUD DE T'AZA, 

JUSQU'A TUNIS. PAR TERRE. 

(Fin de février! 838.) 



M. Fabre, parti de Médéa, avec deux ou trois Arabes, 
vers la fin de février i838, arrive, après une marche 
de i5 lieues dans le Sud, puis dans le Sud-Est de 
cette ville, à des ruines situées siu* un monticule ^ Ces 
ruines , dit-il , forment une enceinte dans laquelle il y 
a un amas de briques et de pierres brutes. Il y a re- 
marqué un trou où les Arabes lui ont raconté qu'on 
avait trouvé de Targent. 

Au bout de six joiu^s de marche, pendant lesquels 
la pluie les a obligés souvent de s'arrêter, ils parvien- 
nent au pays des S'ïouf , vers les confins du K'ibla ^. 

* Notre voyageur dit dans sa relation, que, parti de Médéa dans 
la direction du Sud, il était le lendemain en face de Miliâna, qu*il 
avait à sa droite. 11 a dû alors traverser le Djebel-Ouâmri, puis des- 
cendre dans la vallée du Chélif, pour prendre la route de T'aza, la- 
quelle est effectivement à peu près en face de Miliâna; mais alors, au 
lieu du Sud-Est, il faut lire Ouest, rectification sans laquelle il est 
impossible d'expliquer cette partie de son itinéraire. 

' K'ibla signifie le Midi, et, dans un sens plus restreint, la zone 
qui est entre le Tell , ou pays à peu près intégralement habité et cultivé , 
et le désert proprement dit. On a vu précédemment que nous con- 



364 VOYAGE PAR TERRE, 

Dans les deux premières journées, Us ont traversé 
un pays montueux, souvent beau, mais désert et in- 
culte. Lorsqu'ils eurent dépassé Miliàna, ils prirent au 
Sud-Est, puis à rEst\ en suivant des collines presque 
toujours arrosées par de beaux ruisseaux, et dont le ter- 
rain , négligé par les indigènes , parait cependant suscep- 
tible d'une cultiu'e avantageuse. Elles sont assez boisées, 
et on y rencontre même parfois des espèces de forêts de 
chênes d'une médiocre grosseur, et des massifs de su- 
perbes genévriers. C'est presque toujours dans ces lieux 
boisés que se remarquent les douars, autour desquels 
il y a beaucoup de champs de blé , de nombreux trou- 
peaux et une grande quantité de volaille. 

Lorsqu'ils furent arrivés au pays de S'ïouf , le cheikh 
Bourk'iza , qui commandait dans ce canton , leur montra 
la mine de soufre. Celle-ci est située dans une petite 
montagne qui parut à M. Fabre avoir une origine vol- 
canique, à cause, dit-il, des bouleversements qu'on y 
observe^. Les bancs de soufre ont 33 centimètres d'é- 



fondions trop souvent ce pa^s de transition avec le véritable S'ah'ra, 
ou désert de sable. 

' Nous ne pensons pas qu*on puisse avoir une confiance absolue 
aux directions indiquées par M. Fabre, qui, ne possédant aucun ins- 
trument pour s*orienter avec exactitude, n*avait probablement pas, 
comme la plupart des Européens, Thabitude d*y suppléer par Tins- 
pection du soleil et des étoiles. Heureusement, les deux points ex- 
trêmes, Médéa et la mine de soufre, étant connus, il est facile de rec- 
tifier les erreurs quUl a pu commettre , ou de suppléer aux indications 
qu'il a néglig;é de donner. 

* M. Fabre pourrait bien se tromper dans ses conjectures ; car si 



DE T'AZA A TUNIS. 365 

paisseur , et ils alternent avec des bancs de terre mé- 
langés en grande quantité de paillettes d^un jaune d^or 
pâle. On y remarque des traces du feu qui parait en 
avoir calciné une grande partie. Il en reste cependant 
assez pour que six hommes , avec de faibles moyens , 
aient pu en extraire plusieurs quintaux par jour. 

Non loin de la mine, est une fontaine qui exhale 
une odeur sulfureuse suffocante; et auprès de cette 
fontaine , on remarque une matière qui ressemble à de 
la houille. 

Les Arabes ont montré à M. Fabre un morceau de 
roche écailleuse d'un blanc mat, qui lui a semblé du 
minerai d'argenté L'endroit d'où ils avaient tiré ce 
prétendu minerai est auprès de la mine de soufre. Il y 
a aussi dans les environs une mine de fer. 

Ce pays de S'ïouf est beau, mais mal cultivé. On y 
voit des vignes gigantesques , qui grimpent sm* des 

les volcans en activité vomissent du soufre en très-grande abondance, 
il est fort rare d*en trouver dans les anciens terrains ignés, et même 
dans les volcans éteints qui paraissent les plus rapprochés de notre 
âge. On ne connaît qu*un petit nombre d'exceptions à cette règle. 
( Voy. Beudant, Minéralogie, tom. II, pag. 387.) 

' 11 est possible que M. Fabre, qui n'avait aucune connaissance 
en minéralogie, se trompe. Le minerai d'argent, lorsqu'il se pré- 
sente sous l'aspect fdiforme, est impossible à méconnaître, et si celui 
qu'on lui a montré eût été de ce genre, on n'en aurait pas parlé 
d'une manière dubitative. Quant aux autres espèces de minerais , il 
faut être minéralogiste pour pouvoir les distinguer. M. Fabre aura 
été induit en erreur par les indigènes, qui, trompés par la couleur, 
prennent des pyrites pour de l'or, certains micas ou talcs pour de 
l'argent, etc. 



366 VOYAGE PAR TERRE, 

arbres dont elles couvrent toutes les branches. Les 
Arabes de ce canton , de même que ceux des pays tra- 
versés précedenunent par notre voyageur, récoltent de 
beauts artichauts sauvages dont la racine, étant cuite, 
constitue un mets assez agréable. Les douars sont clair- 
semés, et la population y est faible. Les habitants ont 
des fîisils qui sont en mau^-ais état, sauf ceux des chefs. 
Us savent fabriquer de la poudre. 

M. Fabre, las du travail auquel on le soumettait, et 
poussé par un esprit aventureux , se décide à s^évader. 
D réussit, ainsi que ses camarades européens, à trom- 
per la surveillance des gens qui les gardaient, et ils 
se lancent, à peu près au hasard, dans fintérieur du 
pays. 



rr 



1"^ JOiR DE MARCHE. 

Ils quittent la mine de soufire dans la soirée , et se 
dirigent au Sud-Est poiw éditer le pays des K'obaîl. 
Ils marchent toute la nuit, en sui^-ant une petite rivière 
qui est au Midi de la mine ^ 

a* JOUR. 

Lorsqiie le joiur arrive, M. Fabre gravit, avec ses 
compagnons, une montagne rocheuse, d*où ib aper^ 
curent des douars bonsidérables, situés dans une plaine 
qui se trouve devant eux. Autour sont de nombreux 

* l/()M;ul-lK»u-Kenioiiri. 



DE T'AZA A TUNIS. 367 

troupeaux. Il évite cette population trop rapprochée 
du lieu d'où il vient de s'échapper, et il trouve de 
vastes plaines incultes , où paissent des troupeaux con- 
sidérables de chameaux, de bœufs et de moutons. Au 
delà, il trouve d'autres plaines, dont Tune est arrosée 
par une rivière coulant du Sud à FEst ^ ; celle-ci , peu 
large, est trèi-profonde et bordée de joUs arbres. Plus 
loin, il passe dans une autre plaine couverte de joncs ^ 
semblables à ceux de nos marais, «t peuplée d'une 
grande quantité de chèvres. 

En parlant des plaines qu'il traverse , M. Fabre né- 
glige ordinairement de mentionner les collines qui doi- 
vent les séparer. Nous ferons cette observation une fois 
pour toutes. 

3* JOUR. 

Nos voyageurs arrivent au bord d'une rivière dont 
les alentours sont délicieux , à cause des jolies prairies 
qu'on y trouve. Cet endroit, malgré sa beauté, est dé- 
pourvu d'habitants. 

4* JOUR. 

Dans ces plaines , inhabitées pour la plupart , M. Fabre 
et ses compagnons avaient éprouvé beaucoup de priva- 

* Cest probablement le haut Ghélif. 

' C'est sans doute le h'alfa dont il est si souvent question dans les 
relations des voyageurs indigènes qui ont parcouru ces régions. 



368 VOYAGE PAR TERRE, 

tions. La provision d'aliments qu'ils avaient emportée 
de S'iouf une fois épuisée , il avait fallu vivre de ra- 
cines. Malgré leurs craintes , ils se décident à chercher 
des endroits où il y ait de la population ; et , prenant 
leur direction vers TEst, ils gagnèrent les montagnes 
qui sont de ce côté. Ils arrivent en effet à des douars 
où on les accueille assez bien, grâce au chahad ou 
profession de foi musulmane \ qu'on leur avait fait 
apprendre à Médéa. 

5* JOUR. 

Ils continuent de marcher dans TEst vers Msîla, 
ville sur laquelle ils donnent à entendre auxindigènes 
qu'ils se dirigent. Ils traversent de grandes plaines, 
séparées entre elles par des coteaux peu élevés, et cou- 
verts d'une herbe assez jolie, quoique petite. 

6* JOUR. 

Après avoir traversé plusieiu^s plaines incultes, ils 
gravissent une montagne du haut de laquelle ils aper- 
çoivent un lac , une ville , et , dans les airs , une aiguille 
semblable à celle d'une boussole , s'élevant à une hau- 

' La illah Ha AUah MoVammed raçoul Allah, « il n'y a de Dieu que 
Dieu , et Mahomet est son prophète. * La plupart des indigènes de Tin- 
térieur, sauf ceux qui habitent les villes, ne sachant guère autre chose 
de leur reHgion , on conçoit qu'ils soient portés à considérer comme 
musulmans ceux qui en connaissent autant qu'eux. 



DE T'AZA A TUNIS. 369 

leur de plus de i oo mètres. Mais c^était un effet de 
mirage , et , au lieu de ces belles choses , ils ne trouvent 
en descendant quWe triste plaine de sable. Après une 
demi-journée de marche, ils arrivent dans une plaine 
qui touche à la précédente, et qui est couverte de 
mauvaises broussailles, hautes au plus de 60 centi- 
mètres. On les acoseille dans un douar situé au milieu 
d'une forêt de chênes et de genévriers. 



Y JOUR. 

Us veulent continuer de marcher dans TEst, mais 
la nature du pays , qui est trop montagneux , les oblige 
de tourner au Sud-Est. Ils atteignent bientôt une plaine 
superbe , quMls traversent di£Bicilement dans Faprès- 
midi. Elle était couverte de fourrages qui venaient jus- 
qu'à la ceinture. Ils y virent des troupeaux de bœufs 
plus gros que ceux que les Arabes amènent au marché 
d'Alger. A Textrémité de cette plaine , et au milieu 
d'un espace aride , s'élèvent des monticules de sable , 
que le vent augmente ou diminue de temps en temps. 
Au sommet et autour de ces élévations, il y a de petits 
arbres très- verts; mais dans la plaine il n'y a pas un 
seul arbrisseau. 

8% 9* ET 10* JOUR. 

Au delà de la plaine dont on vient de parler, nos 

47 



370 VOYAGE PAR TERRE, 

voyageurs tournent au Sud-Est^ pour arriver à une 
gorge ; ils trouvent un ruisseau d'eau salée , et en amont 
de ce ruisseau , un petit monticide de sel qui « de loin , 
ressemble à un bloc de neige ^. 

Ils s'engagent ensuite dans des montagnes peu hautes, 
il est vrai , mais qui les jettent hors de leur route , par 
l'obligation où ils sont de traverser certains cols. Ils 
trouvent des douars au moins une fois par jour ; mais 
ces villages sont chétifs , sans doute à cause des mauvais 
pâturages. 

Us trouvent avec surprise une espèce de caravansé- 
rail délabré dans ime plaine déserte , qu'ils ne traversent 
qu'en deux jours. Dans cette plaine, ils voient de jolies 
pierres, dont les imes ont la blancheur nébuleuse de 
la cornaline , d'autres , le rouge vif du corail le plus 
beau. 

Ils arrivent à une tribu composée de plusieurs 
douars. Quoique placés dans un pays où ils n'ont vu 
que de mauvais pâtiu^ages, il y a cependant beaucoup 
de troupeaux, surtout des chameaux. C'est là qu'ils 
mangent les premières dattes. Dans ce canton, les en- 
fants des deux sexes vont nus jusqu'à un âge assez 
avancé; et les fenunes elles-mêmes sont vêtues plus 

Ml y a ici une erreur évidente; car ils suivaient déjà la direction 
du Sud-Est depuis la veille. C'est sans doute Sud qu*il faut lire. 

' En suivant Vitinéraire avec soin , on voit que nos voyageurs se 
trouvaient alors dans les environs de Zar'ez (leZaggus des cartes). 
Le ruisseau salé serait alors rOuad-Sebkha , les collines de sable de 
la veille, les naka de Zar'ez, et le monticule de sable, les salines de 
cette même localité. 



DE T'AZA A TUNIS. 371 

simplement que la décence ne Texigerait. Nos voyageurs 
remarquent, non sans étonnement, quon les laisse seuls 
avec ces dames, lesquelles, pour utiliser la confiance 
de leurs époux, s'empressent d'adresser par signes, à 
M. Fabre et à ses compagnons , des questions passable- 
ment indiscrètes. 

En quittant cette tribu , ils veident se diriger au Sud- 
Est, pour éviter les montagnes, qu'ils supposent habi- 
tées par les Kl>aîl ; mais les Arabes et leurs femmes 
s'opposent fortement à ce qu'ils prennent cette direc- 
tion, en s'efforçant de leur faire comprendre que du 
côté où ils veulent aller il n'y a rien à manger ni à 
boire, et qu'ils y rencontreront des lions. 

11% 12% l3% l4* ET 1 5* JOUR. 

Us marchent donc vers le Nord-Est, et parcourent 
un pays où les pâturages sont souvent bons , et où il y 
a de beaux douars très-peuplés. Cependant ils n'ont 
vu ni rivières ni ruisseaux sur cette route. Ils sont dés- 
habillés par des bergers, race assez peu scrupuleuse, 
ainsi qu'ils ont plusieurs occasions de l'éprouver. C'est, 
du reste , la première violence qu'ils aient eu à souffrir 
depuis leur évasion. Us arrivent à un douar où on les 
reçoit bien. Us y trouvent un homme de Bou-Sa'da, qui 
était venu pour acheter de la laine et du beurre. Us 
restent six jours dans cet endroit, où on leur donne 
du lait en abondance, quelques fruits, des dattes et 
une espèce de pomme de terre noire qu'ils appellent 



372 VOYAGE PAR TERRE. 

teurf^. On la fait cuire dans les cendres, puis les femmes 
la pétrissent avec du beurre : c^est un mets excellent. 

l6*^ JOUR. 

Ils arrivent à Bou-Sa'da quinze jours après leur éva- 
sion de Belâd-es'-S'ïouf ^. 

Le pays, depuis S'îouf jusqu'à Bou-SaMa, dit M. Fabre, 
est en général peu fertile ; il présente beaucoup de beaux 
sites. On n y voit point la trace d'anciens établissements 
fixes. 11 y a des parties montueuses, quoiqu'on ny ren- 
contre pas de hautes montagnes. L'eau est presque par* 
tout salée; mais les habitants connaissent les endroits 
où se conserve l'eau des pluies, qui paraît être la seule 
qu'ils boivent. 

I^a popidation est faible, et l'on marche souvent 
deux joiu^s sans trouver un douar. Cependant il y a 
quelques plaines qui sont couvertes de tentes. On ne 
remaixpie aucun terrain ensemencé , et les indigènes 
vont faire leurs semailles à quelques journées de là, 
au Nord, dans l'Atlas, attendu que plus on arrive vers 
le Midi, plus le terrain parait aride. U est à croire que 
plusieurs tribus se réunissent pour labourer, semer et 
récolter en commun; car M. Fabre a vu, dans la suite 
de son voyage, de vastes contrées, plaines ou mon- 

^ C*cst, avec une légère altcralion, le mot leurfat,doni les Arabes 
se servent pour désigner la trufle. 

^ En comptant sans doute le jour de leur arrivée et celui de leur 
départ ; de la sorte , ils ont été en elFet quinze jours en roule pour ar- 
river à Bou-Sa\la, ainsi qu'il est dil plus haut. 



DE T'AZA A TUNIS. 373 

tagnes , couvertes de moissons , tandis qu il n'a jamais 
trouvé de champs isolés. 

Les Arabes de ce pays sont assez doux; mais ils 
aiment beaucoup l'argent , surtout les jeunes gens, et, 
parmi ceux-ci, les bergers. On ne remarque pas chez 
eux Texistence d'un gouvernement, et l'influence des 
marabouts paraît suppléer à cette lacune. 

Ceci toutefois n'est vrai que pour l'administration 
intérieure des tribus; car la puissance d'Âbd-el-K'âder 
s'étendait alors jusque dans ces lieux , et se révélait de 
temps à autre par la levée des impôts. Cette opération 
fiscale s'accomplissait militairement, comme du temps 
des Turcs. L'êmir choisissait , pour envoyer ses collec- 
teurs armés, l'époque des moissons, où on trouve les 
Arabes réunis et disposés à faire des sacrifices afin de 
ne pas perdre le fruit de leurs travaux agricoles. Ce 
pays garde encore le souvenir de la campagne de 1 887, 
commencée derrière les montagnes qui sont au Sud de 
Miliàna, et qui se termina vers Biskra. 

D'après ce que M. Fabre put comprendre au récit 
des indigènes, on exerça alors sur ceux-ci des traite- 
ments fort barbares, et dont il leur est resté un amer 
souvenir. En opposition à ce pouvoir extérieur, qui s'est 
imposé par la force brutale, il existe une puissance 
volontairement acceptée par les indigènes, et qui est 
entre les mains d'un saint homme appelé chef des 
marabouts ^ . 

' La description que fait M. Fabre du pays situé entre Bou*Sa*da et 
la mine de soufre est beaucoup trop vague pour qu*OB essaye de préciser 



374 VOYAGE PAR TERRE. 

Nos voyageurs étaient arrivés à Bou-Sa'da dans la 
matinée du jour où ils avaient quitté le dernier douar. 
Cette ville est un assemblage de maisons placées sans 
ordre , au penchant d une petite colline , construites avec 
des briques crues séchées au soleil, et cimentées avec 
de la boue. Dans les environs, la vue est agréablement 
attirée par Faspect des forêts de dattiers. Au bas de la 
ville , il y a de beaux jardins , entourés de murs élevés 
et fermant i clef; les arbres fruitiers, tels que figuiers, 
abricotiers, jujubiers, grenadiers et vignes, y sont 
nombreux ; mais ils sont plantés sans la moindre symé- 
trie, et on ne les taille ni ne les émonde jamais, ce 
qui leur donne Tapparence d^une épaisse broussaille; 
il s y récolte aussi des poivrons, des fèves et des oignons. 
Ces jardins sont arrosés par un très-fort ruisseau ; au 
delà il y a encore des champs cultivés où Ton trouve 
de Foi^e, de magnifique froment, mais ce terrain cul- 
tivé ne s^êteud pas au delà d^une demi-lieue de la ville, 
et seulement au Nord, au Sud et à FEst. 

son ilîneraire. Cela serait d'ailleurs d*autant plus difficile , que les meil- 
leures cartes et les plus récentes n'indiquent aucune route dans celte 
direction , et ne désignent qu'une ou deux localités dans tout cet es- 
pace. On ne peut que sup|x>ser, d'une manière générale , qu'il a marché 
vers les sources du Chelif , entre le Djebel-R'eioul et le lac de Tit'eri ; 
que , dans la «V journée , il se trouvait sur le bord du haut Chèlif , qu'il 
a très-probablement traverse dans la 4* journée, lorsqu'il se décida à 
prendre la direction de l'Est; que, dans la 7* journée, il était arrivé 
au Djebel-Sah'ri , qui relie, du Nord au Sud, le Ouennour'a au Djebel- 
'Amour; que, dans la 8* journée, il était vers l'endroit où les cartes 
indiquent collines et saUneitieZagos;quï\ traversa enfin le grand contre- 
fort oriental , ou I)jcl>el-Sah'ri. 



DE T'AZA A TUNIS. 375 

Bou-Sa'da est entouré de murailles et fermé de portes 
qu'on ne garde pas plus la nuit que le jour; les clefs, 
qui sont en bois, comme toutes celles des maisons de 
la ville , se retirent le soir par les soins d'un homme 
qui est chaîné de cette fonction. La popidation parait 
être d'environ trois mille âmes. Les juifs y sont nom- 
breux et fabriquent du vin ; maltraités par les Arabes , 
ils ne peuvent se maintenir que parce qu'ils sont placés 
sous le patronage des grands de la ville, lesquels se 
font un revenu de la protection qu'ils leur, accordent. 
Le chef de Bou-Sa'da est électif. La ville paye tribut à 
'Abd-el-K'âder, moyennant quoi celui-ci s'est engagé à 
ne pas y entrer avec ses troupes. 

* 

SORTIE DE BOU-SA'DA. 



l*' JOUR^ 



M. Fabre avait reçu l'hospitalité chez Sid-Ah'med, 
marabout de ce pays. Malgré les bons traitements qu'il 
en éprouve, il prend le parti de quitter la ville avec 
ses compagnons. Ils s'échappent à la faveur de la nuit, 
et s'avancent dans une vaste plaine de sable; celle-ci 
suit de l'Est à l'Ouest une chaîne de montagnes élevées , 
qui se présentent au Sud comme une immense mu- 
raille d'une hauteur démesurée ^. 

* M. Fabre ne dit pas combien de temps il est resté k Bou-Sa*da. 
' Le Djebel-Tell. 



376 VOYAGE PAR TERRE, 



2'' JOUR. 



Vers l'heure de midi, ils arrivent dans un endroit 
où la végétation est forte ; une herbe magnifique couvre 
le sol, grâce au voisinage de la rivière ^ Un fort joli' 
bois, tapissé d'un gazon fin, règne sur les bords de 
celleK^i. Non loin de là, ils trouvent un emplacement 
couvert de débris de briques et de poteries, et çà et 
là, tout autour, de fortes pierres grossièrement tra- 
vaillées. Sur im monticule qui paraît avoir été le centre 
des constructions qui existaient jadis en ce lieu , on 
voit encore un carré en maçonnerie , dans lequel est 
une espèce de cave ^. 

En combinant toujours leur direction (qui était 
Ouest-Est ) , ils arrivent sur les bords d'ime vaste plaine 
de 6el, qui s'étendait du Nord-Ouest au Sud-Est'. Ils 
ne jugent pas d'abord devoir la traverser. 



O*^ JOUR. 

Le lendemain, ayant aperçu, de l'autre côté de la 

' Ouad-el-Màlah\ un des affluents de rOuad-ech-Ch*air. 

* Cette description paraît se rapporter à Tun de ces petits postes 
romains, pourvus d*une citerne, comme il s*en trouve de tous côtés 
dans la province de Constantine. C*est peut-être Tendroit désigné sur 
les cartes sous le nom de Gali'ara , et où Shaw signale Texistence de 
mines. (Tom. I, pag. 107.) 

Le Chot , ou les anciennes Salinœ Nuhonenses. 



DE T'AZA A TUNIS. 377 

plaine de sel, deux k'oubba \ qui leur font supposer qu'il 
y a des douars dans les environs, et ne voulant cepen- 
dant pas trop s'écarter de leur direction , ils se décident 
à traverser cette sebkha^. Après trois heures de marche 
dans le sel et danâ la boue , dont ils avaient quelquefois 
jusqu'aux genoux , ils arrivent à une plaine , où ils voient 
des troupeaux. Les bei^ers qui gardaient ces troupeaux 
mènent nos voyageurs à un douar, chez des marabouts 
par lesquels ils sont bien accueillis. Ils restent trois 
jours en cet endroit. 

5* JOUR. 

Le marabout qui leur a accordé l'hospitalité leur 
donne ime garde pour les conduire chez un certain 
Sid-Boucetta , autre marabout qui, sur la recomman- 
dation de son confrère, devra lexu* fournir les moyens 
d'aller à Biskra. Pendant leur séjour au douar de la 
sebkha, ils se sont dits médecins, et ont eu à traiter 
une grande quantité de rhumes, de teignes et de mi- 
graines. Sur la fin du jour même de leur départ , ils 
arrivent chez Sid-Boucetta ; il y trouvent une cinquan- 
taine d'autres marabouts qui paraissent venus pour lui 
faire hommage. Us restent trois jours dans ce douar. 

' On appelle k'oubba Fespèce de chapelle dans laquelle un mara- 
bout est enterré, ou seulement commémoré. Les Européens, en les 
nonunant marabouts , ont fort improprement transporté à ces édifices 
une désignation qui n'appartient qu'à ceux pour lesquels ils sont 
construits. 

' On a vu ce mot dans les voyages d'El-'Aiachi rt de Moula-Ah'med. 



Il H 



378 VOYAGE PAR TERRE, 



6®, 7* JOUR. 

On les conduit à iin endroit où on leur dit qu'il y 
a une mine d'argent, dans FEst du village de Sid-Bou- 
cetta, puis on les fait changer de direction pour les 
mener manger du kouskouçou et des dattes dans un 
douar. Ce mets s'appelle tVâm ^ dans ces cantons , et il 
y entre beaucoup de viandes de mouton, animal qui, 
dans ce pays, présente une singularité remarquable. 
Sa queue plate , large au moins de deux pieds , recouvre 
les deux quartiers de derrière, en manière de man- 
teau ^. 

Après avoir satisfait leur appétit au douar, ils tra- 
versent les propriétés de Sid-Boucetta , lesquelles sont 
ensemencées , puis on les conduit à un endroit où on 
leur dit qu'on a trouvé du minerai d'argent ; mais ils 
ne voient que la place. Us quittent Boucétta , malgré les 
instances de celui-ci; ils reprennent leur route dans 
l'Est. Le pays qu'ils viennent de quitter n'obéit pas à 
'Abd-el-K'âder : là , et en continuant vers l'Est , on ne 
connaît qu'Ah med-Bey. 

' T'a*âm veut dire un mets en général; mais effectivement, dans le 
K'ibla , il a la signification particulière de kouskouçou. 

* Léon TAiricain , Tabbé Poiret et le docteur Shaw parlent de cette 
espèce de mouton , qu'ils disent être particulière à la régence de Tunis. 
Il parait, par le récit de M. Fabre, qu*il s*en trouve aussi dans le Sud- 
Est de TAlgérie. 



DE T'AZA A TUNIS. 379 



8* JOUR. 

En les adressant à un de ses amis, Sid-Ah'med (sur- 
nommé El-K'obàïli , parce qu il protège les marchands 
de cette nation), Sid-Boucetta leur défend d^entrer dans 
les montagnes qu'ils ont sur la gauche , de peur des 
Kl>aîl ; après quoi il les embrasse , leur souhaite bon 
voyage , et fait des espèces d'exorcismes du côté où ils 
vont. 

Il était deux heures de l'après-midi lorsqu'ils quit- 
tèrent Boucetta; ils arrivent bientôt à un ruisseau 
bordé de laïuiers-roses et de buissons d'amandiers dont 
le finit est amer. Us observent sur ces lieux des restes 
d'oliviers, dont les troncs à demi pourris laissent ce- 
pendant échapper quelques rejetons. 

Non loin de là , ils aperçoivent sur leur gauche une 
infinité de ruines : des tronçons de colonnes , quelques 
colonnes entières encore debout, des débris de chapi- 
teaux, des bassins en pierre, et des pierres taillées de 
toutes dimensions et de tous genres ^ 

Ces restes sont entourés d'un mur d'enceinte quel- 
quefois fort élevé au-dessus du sol, et dont l'immense 
développement annonce qu'il enceignait une ville con- 
sidérable. Au Sud-Ouest, vers un angle , on voit la base 
d'un édifice ; au centre de l'enceinte , paraît être l'em- 
placement d'une ancienne église ; à en juger par une 

' La ville antique dont on va lire la description parait êtreTubuna, 
actuellement Tobna. 



380 VOYAGE PAR TERRE, 

espèce de chœur qui subsiste encore, la voûte ou le 
toit devait être supporté par des pierres carrées fort 
longues , et qui sont encore debout sur deux rangs. Du 
reste , sauf Tédifice placé au Sud-Ouest, les ruines n^an- 
noncent pas T élégance des constructions qui les frappe 
plus tard, dans d^autres cités antiques qu^ils trouvent 
sur leur chemin. 

Le sol où gisent ces débris parait ingrat; mais, un 
peu plus loin , il y a im pays tout couvert de blé et 
sans nul habitant. Cette singularité s'explique par les 
remarques faites antérieurement. 

^^ JOUR. 

11 ne se présente à leur examen rien qui soit digne 
d'être noté. 

lO* JOUR. 

Us arrivent dans un fort joli vallon , arrosé par un 
ruisseau où ils puisent de Teau , après avoir mangé des 
herbes qui croissent sur ses bords. Des honmies à che- 
val arrivent sur eux à Timproviste , et les déshabillent 
de la manière la plus singulière et la plus expéditive^ 
Il faut dire d'abord que M. Fabre et ses compagnons , 

' Celte partie du récit de M. Fabre m*avait d*abord paru quelque 
peu suspecte, et je pensais qu*il n*avait pas résisté à la tentation d*user 
du privilège accordé à tous ceux qui viennent de loin. Mais après avoir 
pris des informations auprès des gens de Tintérieur, j*ai appris que 
le genre de vol qu*il décrit, et qu*on peut appeler vol au galop, est 
en effet pratiqué. 



DE T'AZA A TUNIS. 381 

dès leur arrivée à Médéa , avaient été habillés à Tarabe ; 
il faut rappeler en outre que , par l'effet de la rapacité 
de quelques bergers qu'ils avaient rencontrés , ce cos- 
tume assez simple avait été encore plus simplifié ; de 
sorte que , lorsque leur arriva l'aventure désagréable 
qu'on va raconter, ils en étaient réduits, pour tout vê- 
tement, à une g'andoura ou chemise longue, et à ime 
mauvaise couverture dans laquelle ils se drapaient tant 
bien que mal. Comme ils cherchaient à se dérober par 
la iuite aux attaques des cavaliers, ceux-ci les attei- 
gnirent facilement , et , les saisissant au col , ils les en- 
levèrent de terre. Nos voyageurs tinrent bon pendant 
quelque temps , serrant les bras contre le corps , comme 
si une sorte d'instinct les eût avertis de la nécessité de 
cette {»*écaution ; mais les voleiu's mirent leurs chevaux 
au galop sans lâcher leur prise ; de sorte qu'après une 
résistance plus ou moins prolongée, suivant la force 
musculaire des individus , M. Fabre et ses compagnons 
finirent par lever les bras en l'air. Les cavaliers conti- 
nuant toujours de galoper, le résultat fut que les habits 
leur restèrent entre les mains , tandis que les proprié- 
taires de ceux-ci retombèrent sur le sol dans un état 
de nudité tout à fait primitive. Leur malheiur faillit ne 
point s'arrêter là; car les voleurs, revenus sur leurs 
pas, menaçaient de les tuer; ce qui aiu*ait eu lieu, 
sans l'intervention d'mi marabout k'baïl. Celui-ci les 
conduisit chez le chef le plus voisin , lequel se trouve 
être précisément Sid-Ah'med-el-K'baïli , auquel Sid- 
Boucetta leur avait dit de s'adresser. 



3H2 VOYAGE PAR TERRE 



I I* ET 12* iOl%. 

Ils restent deiut jours dans cet eii«lrort, et comme 
ds s'étaient donnés pour médecins, ils sont oLii^es de 
pa.sser leur temps à masser et a frictionner^ homme», 
enfants et même les femmes, pour le» douleurs aux- 
quelles ces gens sont fort sujets. On manifeste beau- 
coup d'ètonnement en les vovant faire des saignées par 
piqiîres au bras; car dans ces contrées on ne connaît 
pas d'autre méthode que d'inciser les jambes et la 
tête avec un couteau. 

Pendant leiu* séjour dans ce douar, on changea les 
tentes de place, ce qui leur procura Foccasion de tra- 
verser un magnifique pavs couvert de récoltes et arrosé 
par une infinité de ruisseaux. Presque a chaque pas, ib 
tron\cnl des restes d'édifices bâtis en superbes pierres 
de taille. Quand on fut arrivé au lieu du nouveau cam- 
pement, Sid-Ahmed, qui a\ait remarqué Fempresse- 
ment curieitx avec lequel ils examinaient ces restes 
antiques, les conduisit sur ime petite émînence qui 
était couverte de débris de superbes constructions. Us 
Y remarquèrent surtout im moniunent carré, construit 
en belles et fortes pierres de taille et entouré, à ime 
distance de trois pas, d'une enceinte ronde en pierres 
aussi belles que les premières. Ces matériaux étaient 
pour la plupart entassés confusément les uns sur les 
autres; mais il restait assez de choses en place pour 

' Colle méthode est généralement employée par les indigènes. 



DE T'AZA A TLNIS. 383 

deviner le tracé de Tédifice. En outre, on remarquait 
dans ce lieu des colonnes, d'élégants chapiteaux, des 
bassins bien taillés et des restes d'urnes. 

1 3® JOUR. 

Sid-Ah'med leur donna un guide pour aller à Em- 
gaous\ où ils arrivèrent dans la matinée du jour du 
départ. Ils sont parfaitement reçus par le chef des ma* 
rabouts. 

Emgaous ou, pour mieux dire, Megaous, esta quatre 
ou cinq journées derrière Constantine. On y trouve 
beaucoup d'antiquités, des restes d'édifices en belles 
pierres de taille , où on voit encore des pierres bien con- 
servées, mais à peu près remplies de terre. Les Arabes 
ont établi des toits sur quelques-unes et les habitent. 
En général, ils se contentent de placer leurs tentes 
dans les vastes enceintes qui subsistent encore. A côté 
de plusieurs ruines qui paraissent avoir été de belles 
maisons 9 il y a de laides bassins d'arrosement dont on 
ne sait plus se servir. 

Il y a de beaux jardins à Megaous; celui du chef 
des marabouts est planté de magnifiques arbres fini- 
tiers, poiriers, abricotiers, etc. U y a auprès de la ville 

* Il est probablement question ici de la ville de Nikous, dont les 
Arabes prononcent le nom Megaous , qui se rapproche assez de la dé- 
signation donnée par M. Fabre. L'auteur anonyme du traité de géo* 
graphie, n* i46 du manuscrit de la bibliothèque d* Alger, place Me- 
gaous à trois étapes de Msila , et à deux de Biskra. 



384 VOYAGE PAR TERRE. 

une plaine qiii est arrosée par un gros ruisseau, lequel 
se subdivise en une multitude de branches ; il y a en 
outre beaucoup de fontaines. M. Fabre y a vu de gros 
mûriers dont le tronc était entièrement creux, et qui 
cependant poussaient de vigoureuses branches. 

Au milieu de la ville , on remarque ime enceinte dans 
laquelle il y a trois rangs de colonnes , peu élevées au- 
dessus du sol, sans doute à cause des décombres qui 
sont amoncelés autour de la partie inférieure. A côté 
sont des chapiteaux qui paraissent leur avoir appar- 
tenu , et qui ont été scidptés avec goût dans une pierre 
tendre. M. Fabre fut très-surpris , en les examinant, 
d'y trouver une fort jolie croix, qu'il se garda bien de 
faire remarquer aux Arabes, de peiu* qu'il leur prit 
envie de détruire ce souvenir du christianisme africain. 
Du côté du Nord, où devait être l'entrée de l'édifice 
auquel appartenait cette colonnade, il y a une grande 
pierre remplie par une longue inscription. Cet endroit 
est le seul de la ville qui ne soit point habité. 

Sid-Ah med leiur montra une pierre sculptée siu: la- 
quelle était un honune de petite taille , à ventre rebondi, 
ft la tète grosse^ et qui place sa main sur une grappe 
de raisins K 

CéO marabout leiu: dit qu'il ordonnerait que cette 
piéride fût placée s\u* sa tombe. Il leur montra encore 

* On rtHttiiniùl aisoment, dans la description de M. Fabre, une de 
ers stt^lcs qui so rencontrent si fréquemment dans le pa^s. Le mara- 
Inmt « qui voulait la placer sur son tombeau, ne se doutait pas que 
r't^l.iil it^mlrt^ o^ \M^\\i monunioni t'uncraire à son ancienne destination. 



C'fr: 



nvv sV fixer. 









DE T'AZA A TUNIS. 385 

une autre pierre , qui est dans le mur d^enceinte , du 
côté du Nord, à gauche des peupliers : on y voit une 
inscription latine, surmontée dWe croix. Cette inscrip- 
tion, qui parait récente, n'a pas été faite au ciseau. 
M. Fabre termine sa description de Megaous en disant 
que rien n'est plus riche en souvenirs que cette ville, 
et que la nature du sol lui a fait regretter de ne pouvoir 



Nos voyageurs partent pour aller chez un marabout , 
ami de Sid-Ah'med , lequel a son habitation à une jour- 
née de là. A moins d'une lieue de Megaous, ils trouvent 
la plus belle fontaine qu'ils aient encore vue. Celle-ci 
forme , très-près de son origine , une petite rivière qui 
va arroser xme plaine couverte alors de riches moissons. 
Non loin de là sont de belles ruines. Us arrivent de 
bonne heure chez le marabout, qu'ils trouvent occupé 
à faire la moisson^ dans un endroit on ne peut plus 
pittoresque. Une jolie et abondante fontaine, entre des 

* M. Fabre n*indîque pas combien de jours il est resté à Megaous. 

' M. Fabre, étant parti de Médéaii la fin de février, indique depuis 
cette époque trente-six jours de marche ou de séjour; mais il ne dit 
pas combien de temps il a passé à S'îouf , à Bou-Sa*da et à Megaous. 
Pour que les orges ou blés soient bons à couper comme il Tindique, 
même en tenant compte de la température plus élevée de ce pays , il 
faut admettre qu*on est alors dans le courant de mai , et que , par 
conséquent, il a dû passer près d'un mois dans les trois endroits ci- 
dessus. 



ÏU 



386 VOYAGE PAR TERRE, 

mains plus habiles et plus laborieuses, aurait pu facile- 
ment servir à Tirrigation d'un charmant vallon , tapissé 
d'une herbe magnifique. 

Pendant qu'ils partagent avec le marabout un mo- 
deste repas , composé de galettes cuites sous la cendre , 
de beiure et de lait, leur hôte leur fait comprendre 
qu'ils ne doivent pas aller à Biskra , parce qu'ils trou- 
veraient sur leur route des hommes méchants ^ U les 
engage à aller chez Ah'med-Bey, qui est, dit-il, dans 
une contrée située dans l'Est , à cinq ou six joiuiiées 
de là. 

l5® JOUR. 

Us partent avec deux guides que le marabout leur 
a donnés , suivent la direction du Nord-Est en longeant 
le pied de la montagne, puis ils gagnent à l'Est un pays 
de montées rapides et de profonds ravins ^. Ils trouvent 
sur leur route plusieurs villages, et ils sont bien ac- 
cueillis. Dans le dernier, on leur montre la trousse d'un 
chirurgien français. 

' Il leur aurait fallu passer dans les contrées peu habitées qui sé- 
parent Megaous du Zibân, et traverser des populations qui ne se 
piquent pas d*exercer Thospitalité. 

* Il est probable qu*ils traversent le nœud des chaînes de mon- 
tagnes qui séparent les plaines de Sétif , des *Abd-en-Nour et du Se- 
bakh. 



DE T'AZA A TUNIS. 387 



16* JOUR. 

Ils passent la journée dans cet endroit , et le soir ils 
partent avec un marabout et ses quatre fils, qui les 
accompagnent pendant plus de deux lieues, à cause de 
quelques passages dangereux. Avant de les quitter, il 
fait la prière , exorcise Tendroit par lequel ils s'en vont , 
puis les embrasse. Us marchent toute la nuit à travers 
une grande plaine ^ et se trouvent bientôt sur une route 
laidement frayée. 

I 7* JOUR. 

Au jour, ils s'arrêtent sur un coteau couvert de bois, 
où ils passent la journée. Trois heures avant la nuit, 
ils descendent dans une vaste plaine , où ils aperçoivent 
une grande maison sans toit, puis, auprès, beaucoup 
de ruines. Ils trouvent ensuite une ville antique dont 
le mur d'enceinte, encore assez apparent, a dû enfer- 
mer une cité aussi grande que la partie de Lyon com- 
prise entre le Rhône et la Saône. On y remarque trois 
portes ; ime au Sud et deux autres à l'Est. Celle du Sud , 
outre un grand passage au centre , en présente deux 
petits latéralement. Elle est très-bien conservée et d'une 
belle architecture. 

Tout autour d'elles, la terre est semée de débris 
qui témoignent, malgré leur état de détérioration, de 

' Cest sans doute les plaines des *Abd-en-Nour. 



388 VOYAGE PAR TERRE, 

la magnificence des monuments dont ils sont les seuls 
restes. Le tracé des rues est parfaitement visible, sur- 
tout dans la rue principale , quoiqu'elle soit couverte 
de gazon. Au delà de la grande porte du Sud , il y a 
de vastes chambres voûtées, rangées sur ime même 
ligne , et qui paraissent avoir été des citernes. U n y a 
qu'une maison dans ces ruines , et les pans de murailles 
sont encore debout ^ 

Dans cette enceinte antique , les Arabes avaient semé 
du blé , et c'était un coup d'œil singulier que ces belles 
moissons se balançant au milieu de ces ruines désertes. 

A peine sortis de cette ville , et arrivés sur ime bau- 
teiu'qui est située à l'Est, ils aperçoivent une quatrième 
porte, presque aussi bien conservée que celle du Sud. 
M. Fabre s'éloigne un instant des guides pour aller 
passer dessous. Il se trouve bientôt au milieu de ruines 
aussi belles que les précédentes, et rejoint ses compa- 
gnons en suivant une voie romaine recouverte d'un joli 
gazon. 

Ils arrivent à une belle fontaine^, où ils trouvent 
d'excellent cresson. Us continuent leur route en se 
dirigeant vers le Sud, pour contourner les montagnes 
et arriver à des habitations. Ils trouvent le chemin semé 
de ruines ; mais ils ne rencontrent pas de douars. 

* Cette description parait s'appliquer aux restes de Tantique Diana. 

• *Aîn-Solt'ân. 



DE T'AZA A TUNIS. 389 



l8' JOUR. 

Rien de remarquable. 

19® JOUR. 

Vers midi , après avoir traversé une rivière dont Teau 
leur venait au-dessus des genoux , ils arrivent enfin à 
un douar où ils sont bien accueillis Depuis trois jours 
ils n^avaient mangé que quelques grains d^orge , du cres- 
son et de la chicorée. Ils partent de ce douar sous Tes- 
corte d^ Arabes d'une tribu voisine , et marchent toute la 
nuit. 



20* JOUR. 



Ils arrivent de bonne heure dans une plaine , la plus 
vaste et la plus unie qails eussent encore vue, à l'ex- 
trémité de laquelle ils aperçoivent une grande quantité 
de tentes. Ils n'y parviennent qu'à cinq heures du soir, 
et après avoir traversé des prairies très-étendues , qu'on 
irrigue au moyen des eaux d'une rivière. Ils restent 
trois jours dans ce douar. 

2 1*, 2 2^ 2 3* JOUR. 

Ils y avaient vu un jeune Arabe qui avait été dans 
les spahis , et qu'un officier français avait voulu emme- 



390 VOYAGE PAR TERRE, 

ner à Paris. Le matin du troisième jour de leur arrivée, 
on leiu* annonce que le douar, qui fait partie d'une tribu 
de quinze cents cavaliers, doit changer d'emplacement, 
et qu'ils se disposent à partir. 

Trois heiu'es après, ils arrivent à un autre village 
où on les reçoit bien , parce qu'ils ont eu la précaution 
de parler du bey Ah med. Les hommes montaient alors 
à cheval; et, réunis à d'autres cavaliers venus de l'Est, 
ils se disposaient à aller combattre ime tribu d'où les 
Français sortaient. Ils reviennent, vers la nuit, avec 
beaucoup de butin , tentes , grains , bestiaux , etc. Ces 
gens sont des partisans du bey Ahmed, et ne vivent 
que de rapines , sous prétexte que la guerre ne leur a 
pas permis d'ensemencer la terre. 

Ils partent le soir de ce jour, et se mettent en route 
pour le camp ; ils traversent des pays constamment fer- 
tiles en grains, dont on faisait alors la moisson; ils 
rencontrent une grande quantité de ruines d'édifices, 
dont quelques-uns s'élèvent encore beaucoup au-dessus 
du sol. 

a4^ 3 5% 26', 27', 28* JOUR ^ 

Après plusieurs jours de marche ( M. Fabre n'en 
indique pas le nombre ) , ils arrivent au camp du bey 
Ahmed. 

' D'après la distance à parcourir pour arriver au Djebel-Senan , aux 
environs duquel se tenait alors le bey, on peut supposer au moins 
5 ou 6 journées de marche. 



DE Ï'AZA A TUNIS. 391 

On les conduisit devant le bey, dont ils trouvèrent . 
le camp établi sur une jolie colline , très-près et au 
milieu d'une multitude de douars. Sa magnifique tente, 
entourée d'une enceinte d'étoffes comme d'un paravent, 
était au centre du camp , et le pavillon où il donnait 
audience se trouvait à une cinquantaine de pas en avant 
de la tente. M. Fabre et ses compagnons furent admis 
à lui baiser la main; il les accueillit avec bienveillance, 
et parut satisfait de leur arrivée. Il leur fit dire qu'ils 
seraient habillés à ses frais, aussitôt qu'il aiurait à sa 
disposition les vêtements qu'il attendait. Il les envoya 
ensuite à la tente des mamelouks , ordonnant qu'ils y 
fussent nourris, comme eux, de ce qui proviendrait 
de sa desserte. 

Ils trouvèrent dans cette tente un Italien déserteur, 
qui avait été sous-ofiicier dans la légion étrangère , en 
1 833. C'était le gardien des coffres du bey, lequel l'ai- 
mait beaucoup , et avait en lui la plus grande confiance , 
au point que , lors de la dernière expédition de Constan- 
tine , il l'avait chargé du soin de transporter ses trésors 
chez un marabout qui habite des montagnes situées der- 
rière Constantine. 

Cet Italien , qui se prit sur-le-champ d'affection pour 
M. Fabre, et plus tard lui enseigna le moyen de s'é- 
chapper, lui montra le mamelouk qui avait pointé la 
pièce dont le boidet frappa le général Danrémont. Cet 
homme, né chrétien, a été enlevé jeune à ses parents; 
il a un physique agréable, mais il est vaniteux, comme 
le sont tous les renégats, lesquels, du reste, détestent 



392 VOYAGE PAR TERRE, 

plus cordialement les chrétiens que ne le font les Arabes 
eux-mêmes. 

D'après les renseignements recueillis auprès du ma- 
melouk par M. Fabre , il parait que le bey n'a pas de 
pays où il établisse particulièrement sa résidence; il 
va sans cesse d'un endroit à lautre avec son monde, 
sans doute pour ne pas trop fouler les tribus qui l'hé- 
bergent. 11 ne perçoit plus d'impôts; et cette année, 
comme il n'avait semé nidle part, on lui apportait du 
blé toute la journée , soit à titre d'offrande , soit à prix 
d'argent. Ce n'est plus le pacha impérieux, cruel, avide 
et despote de (]onstantine ; le malheur et la nécessité 
en ont fait, d'après ce que rapporte M. Fabre, un chef 
doux, inoffensif, qui pousse l'amoiu* de l'humanité jus- 
qu'à défendre les r azïa , en quoi on ne lui obéit guère. 
Il est d'une affabilité qui charme et étonne ceux qui l'ont 
connu jadis dans des temps plus prospères. 

Il est bien fait, d'une taille bien prise; sa figure est 
imposante ; il a la barbe encore noire ; ses yeux , éga- 
lement noirs, auxquels il cherche à donner une expres- 
sion de bienveillance, inspirent cependant de la crainte 
et ont quelque chose de dur. Quatre Européens, que 
M. Fabre a connus chez ce bey, et qui étaient avec lui 
depuis cinq ans , se sont accordés à dire qu'il a le carac- 
tère généreux, mais qu'il se laisse trop influencer par 
son entourage , qui abuse de sa facilité , ce qu'il recon- 
naît lui-même. 

Lorsqu'il reçoit dans son pavillon, ce qui a lieu de 
huit heures du matin jusqu'au soir, il est toujours armé 



DE T'AZA A TUNIS. 393 

d'une paire de pistolets et porte un poignard à sa cein* 
ture. Il est alors entouré de plusieurs chefs, tous armés 
comme lui, et revêtus de beaux burnous rouges avec 
des broderies d'or; leurs longs fusils sont derrière eux 
et à leur portée. Ce pavillon, dont Tintérieur est garni 
d'une tenture rose , et qui ressemble presque à une cha- 
pelle dans un jour de fête , ces hommes , qu'on distin* 
guait vaguement au milieu de l'épaisse fumée qui s'é- 
chappait de leurs pipes, tout cela produisait un effet 
pittoresque et assez imposant. 

Lorsque M. Fabre arriva au camp du bey, celui-ci 
venait de faire une tournée dans le Sud. Le déserteur 
italien avait rapporté de ce pays une brassée de plumes 
d'autruches. L'armée d'Ah'med ne se composait alors 
que de cent réguliers , d'une quinzaine de mamelouks , 
et de deux ou trois mille Arabes , qui le suivaient avec 
leurs familles et leurs troupeaux. 

Il paraît que dès lors ces indigènes désiraient beau- 
coup voir leurs anciennes relations avec Constantine 
se rétablir. Le bey , pour levu* faire prendre patience , 
parlait tantôt d'une intervention du Grand Seigneur, 
tantôt d'un arrangement avec la France. Il disait que, 
moyennant le remboursement des frais de la seconde 
expédition de Constantine , on lui rendrait cette ville ; 
mais, comme rien ne paraissait devoir se réaliser, on 
commençait à se décoiu'ager, et il y avait beaucoup de 
déserteurs. 

Le camp changeait fréquemment de place ; et comme 
il s'avançait toujours vers l'Est, nos voyageurs le sui- 



394 VOYAGE PAR TERRE. 

valent volontiers , afin de se rapprocher de Tunis , but 
vers lequel ils tendaient depuis longtemps. Enfin le 
bey vint planter ses tentes dans un beau pays , où Ton 
achevait alors de récolter de magnifiques moissons. 
Dans les endroits non cultivés croissaient spontané- 
ment des artichauts sauvages, aussi beaux que ceux 
que nous obtenons à force de soins et de travail dans 
nos jardins d'Europe. Il y avait beaucoup de ruines 
antiques dans ce canton, et quelques-unes s'élevaient 
encore au-dessus du sol. M. Fabre apprit que la ville 
de Kef, la première du royaume de Tunis, n'était qu'à 
vingt-quatre heures de marche de l'endroit où il se 
trouvait. La route qui y conduisait passait devant le 
camp, et on y voyait à chaque instant des caravanes 
aller et venir. La tentation était trop forte, aussi y 
succomba-t-il ; et, profitant des conseils du déserteur 
itaUen , il parvint à s'évader avec quelques-uns de ses 
camarades. Il y avait alors dix joiu*s qu'ils étaient dans 
le camp d'Ah med-bey. 

38 ET 39*^ JOUR. 

M. Fabre, feignant d'aller cueillir des artichauts 
sauvages , s'échappa avec deux de ses compagnons. Les 
autres n'ont pas osé le suivre, de peur de la colère 
d'Ah'med s'ils étaient rattrapés, et surtout par crainte 
des lions, dont ils avaient entendu faire des récits ef- 
frayants. Il était alors environ dix heures du matin. 
Les fugitifs s'enfoncent d'abord dans le plus épais d'un 



DE T'AZA A TUNIS. 395 

fourré, pour ne pas être aperçus dans le cas où on fe- 
rait des recherches. La nuit venue, ils s'efforcent de 
gagner la route de Kef, et se jettent sur la gauche 
autant que les difficultés du chemin le leur permet- 
tent. Ce ne fut que la nuit suivante qu'ils purent s'o- 
rienter un peu. Arrivés au bord d'une rivière , ils trou- 
vent un chemin largement frayé, qui les conduit à 
Kef en huit heures. La rivière* en question coule du 
Nord au Sud. Au delà , un enfant , disent les Arabes , 
peut voyager sans crainte avec une coiuronne d'or sur 
la tête et une chachïa garnie de sequins; il n'y a à 
redouter que les lions, dont ils ont souvent entendu 
les rugissements pendant la nuit. 

Kef est une ancienne ville romaine bâtie au pen* 
chant d'une colline, ayant devant elle, au Sud et à 
rOuest, une plaine superbe. Elle a des remparts à l'eu- 
ropéenne. Il s'y fait un très-^and conmierce, qui est 
entre les mains des juifs. Ceux-ci se tiennent dans une 
rue couverte , qui est très-fréquentée. La viDe , domi* 
née par une forteresse , offre de remarquable , en fait 
de restes antiques, une forteresse, un beau portail et 
une voie romaine. Aux alentours sont de jolis jardins 
et des bois d'oliviers. L'eau y est bonne et abondante. 
Nos voyageurs sont souvent visités par des Maures, 
qui parlent la langue franque ; et quelques juifs , qui 
sont allés à Alger pour le commerce , leur font un bon 
accueil. 

' La Medjerda. 



396 VOYAGE DE T'AZA A TUNIS. 



4o* JOUR. 

Le gouverneur propose à M. Fabre et à ses com- 
pagnons de les garder avec lui, et, sur leur refus, il 
les envoie à Tunis. Ils traversent, pour arriver à cette 
dernière ville , un pays magnifique , où ils trouvent des 
ponts, des restes d^aqueducs, des portions de voies ro- 
maines , des édifices dont quelques-uns presque entiers, 
des portes de villes , des espaces immenses couverts de 
matériaux antiques, semés d^inscriptions latines. Mais 
ce qui attira surtout leur attention , ce fut un magnifique 
péristyle , dont les colonnes cannelées , encore surmon- 
tées de leurs chapiteaux, s'élevaient au moins k six 
mètres au-dessus du sol. Us virent ce beau monument 
dans un village où était alors le consul de Suède. 

La route de Kef à Tunis n était pas déserte conmie 
celles qu'ils avaient parcourues jusqu'alors. On y voyait 
de nombreux voyageurs marchant isolément, ou par 
caravanes considérables. Celles-ci allaient généralement 
vers Constantine , ou en revenaient chargées de mar- 
chandises de toutes espèces. 

Nous terminons ici l'analyse du récit de notre voya- 
geur. Peu de temps après son arrivée à Tunis, il ob- 
tint , par l'entremise du consul français , de revenir à 
Alger. 



FIN. 



TABLE DES MATIÈRES 



Pagw. 

Introduction ui 

Observations du traducteur sur les voyages d^Ei-*Aîachi et de Moula- 

Ah'med xxix 

Note sur les heures xlvii 

Voyage d'El-'Aîachi 1 

Avant-propos Ibid, 

Récit du départ 5 

Retour d'EKAîachi 114 

Voyage de Moula-Ah'med 165 

Départ 171 

Retour 257 

Itinéraires et renseignements fournis par Sid-Ab 'med-Oulid-bou-Meirag . 34 5 

Route de T'aia à Bou-Sa*da 347 

Route de Médéa au pays de Mzâb 350 

Voyage par terre, de T'aza à Tunis, par M. Fabre 359 



I