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EXPLORATION
SCIENTIFIQUE
DE L'ALGÉRIE
PENDANT LES ANNÉES 1840, 1841, 1842
• ^
GHEZ MM*
LANGLOIS ET LECLERCQ,
VICTOR MASSON.
LIBnAIRES,
A PARIS.
EXPLORATION
SCIENTIFIQUE
DE L'ALGÉRIE
PENDANT LES ANNÉES 1840. I8I1I. 1842
PAR ORDRE DU GOUVERNEMENT
ET AVEC LE CONCOURS D'UNE COMMISSION ACADÉMIQUE
SCIENCES HISTORIQUES ET GÉOGRAPBiQUES
IX
PARIS
lUPRIMERIE ROYALE
"XoTi., d. C|
1
MODE DE TRANSCRIPTION
DES
MOTS ARABES EN CARACTÈRES FRANÇAIS
ADOPTE POUR LA PUBLICATION
DES TRAVAUX DE LA COMMISSION SCIENTIFIQUE D'ALGERIE.
On a cherché à représenter les mots arabes de la
manière la plus simple et en même temps la plus con-
forme à la prononciation usuelle.
U a paru convenable de rejeter les lettres purement
conventionnelles, dont l'emploi augmente les difficul-
tés de Torthographe , sans retracer plus exactement
Texpression phonique.
U a été reconnu que, sauf deux exceptions, tous les
caractères arabes rencontrent des caractères ou iden-
tiques ou analogues dans Talphabet français. On a donc
rendu par les lettres françaises simples ceux des ca-
ractères arabes qui leur sont identiques pour la pro-
nonciation, et par les mêmes lettres, accompagnées
d^un accent ^ ceux qui leur sont analogues.
Lès deux lettres qui nont, dans notre langue, ni
identiques, ni analogues, sont le ^ et le ^ . La pre-
' Cet accent est celui qui , désigné en algèbre sous le nom de prime,
Y est employé comme signe de Tanalogie entre les quantités.
mière est partout remplacée par une apostrophe, ac-
compagnée des voyelles que la prononciation rend
nécessaires ; la seconde , par la double lettre kh , con-
formément à Tusage.
Trois autres caractères , qui n'ont pas , dans la langue
française, d'identiques ou d'analogues simples, ont été
rendus par des lettres doubles, savoir : le g par dj,
le ifi par ch, le j par ou. La prononciation arabe se
trouve ainsi fidèlement reproduite.
Les avantages qu'a paru offrir ce mode de transcrip-
tion sont surtout :
1® De ne point exiger la fonte de caractères nou-
veaux, et de pouvoir être ainsi adopté, sans aucune
dépense, dans tous les établissements typographiques;
2® De fournir un moyen facile de rétablir les mots
dans leurs caractères primitifs.
IjCllres. Valeur.
L* emploi de ces divers caractères est déterminé
i A É I O. { P^^ ^^ prononciation et Taccentualion de la
lettre arabe.
B.
Ces deux lettres sont gcncralenienl confondues
dans la prononciation.
s i)j-
z
H'.
t Kh.
a
J
D Géiiéraicnienl coiilbndtiu.s.
U.
z
\
Lclln$. Valiiir.
S, C , Ç. . . . i L'emploi de ces trois lettrit sera réglé de nia-
^ ' ' I nière à conserver le son sifflant de TS.
^jû Ch.
Qp S , C , Ç . . . . Même observation que pour le ^jt» .
(j9 I i Ces deux lettres sont confondues par tous les
K I ^' I Barbaresques dans la prononciation et dans
' ( récriture.
t T'.
L Apostrophe précédée ou suivie de celle des
£ * l voyelles dont la prononciation nécessite
( remploi.
t
(g
R*.
O F.
iLe g et le ga seront employés dans les mots
où Tusage attribue au l% la prononciation
J K.
J L.
y* M.
U N.
» H.
uu 1 usage aiinoue au ^ la prononc
gutturale du g; ex. : Grfs'a, Guilma.
Ou.Ô.
OBSERVATIONS.
1° Dans les mots qui, étant précédés de Farticle,
commencent par une lettre solaire , on se conformera
à la prononciation en redoublant la lettre initiale. Ainsi
on écrira 'Abd-er-Rah'mdn, Nâcer-^dr-Dîn, et non '/46rf-
eURahlmân, Nâc'er-eUDîn.
2"^ Les mots terminés par la lettre ï , qui ne prend
alors que le son de Ta sans aspiration, seront terminés.
dans la transcription française, par la lettre a simple,
et non par ah. On écrira donc Miliéna, Blida, et non
pas Milidnah, Blîdah.
3^ Les consonnes placées à la fin d^une syllabe ne
seront jamais suivies de Ye muet. Toutefois il ne faut
pas oublier que dans la langue arabe les consonnes
se prononcent toutes distinctement, et qu'aucune ne
prend le son nasal ni ne s'élide. Ainsi Bîbdn doit se
prononcer Btbdne; Mans'our, Manns^owr; Tôzer se pro-
nonce Tôzere; Kouinin, Kouînîne; Zâr'ez, Zâr'ezz;
Gâhes, Gâbess.
VOYAGES
DANS LE SUD DE L'ALGÉRIE
ET DES ÉTATS BARBARESQUES
DE L'OUEST ET DE LEST
PAR
EL-'AÏACHI ET MOULA-AHM
TRADUITS
SDR DEUX MANUSCRITS ARABES DE LA BIBLIOTHÈQUE D'ALGER
PAR ADWEN BERBRUGGER
CRETAL1BR DE LA LEGION D*HOHHE0R , MEMBRE CORRE8PORDAIIT DE LUII8TITVT
MEMBRE DE LA COMMISSION SCIERTIPIQUB D'ALGERIE
CORSERTATEUR DE LA BIBLIOTHàQOE ET DU MUSEE D'ALGER
SUIVIS
D'ITINÉRAIRES ET RENSEIGNEMENTS
FOURNIS PAR SID^AHMmOUIJD-BÛLU-MEZBAG
- ET
DU VOYAGE PAR TERRE, DE TAZA A TUNIS
PAR M. FABRE
"v.>V/V>-
, \^ il
/
- y^
M<^(l<^*a sera plut tard la station destinée à assurer les communications et
le commerce entre le S'al/ra, les Beni-Mzâb et Alger. (Tableau de la situa-
tion de.% établissements français en Algérie pendant Vannée iSàO, p. 18.)
INTRODUCTION.
Si Ton jette les yeux sur les cartes de TAfirique
septentrionale les plus récentes et les plus esti-
mées, on sera surpris des lacunes nombreuses et
considérables qu'elles ofTrent en ce qui concerne
les contrées situées au Sud de la chaîne du petit
Atlas, depuis Tocéan Atlantique jusque vers les
syrtes de Tripoli. Cette vaste zone, dont l'épais-
seur moyenne peut être d'une soixantaine de
lieues, ne fournit à nos géographes, dans sa par-
tie méridionale, malgré son étendue, qu'un bien
petit nombre de désignations topographiques.
Quelques personnes se sont expliqué cette absence
presque complète de noms de localités, en suppo-
sant que le S ah ra arrive jusqu'au pied de la chaîne
en question, hypothèse d'après laquelle il n'y a
plus lieu, en effet, de s'étonner; car rien de plus
IV INTRODUCTION.
naturel que de ne pas rencontrer un grand nombre
de lieux habités dans un espace présumé désert.
Mais cette supposition, trop généralement adop-
tée en Algérie, est une grave erreur dont il nest
pas difficile d'indiquer les causes. On peut dire
qu en général le désert a commencé là où finis-
saient les connaissances précises en géographie
afiricaine. On a aussi mal compris la valeur du mot
saKra^, qui, chez les indigènes du Nord de Tex-
régence, na pas le sens que nous y attachons.
Enfin , par un sentiment de vanité puérile , quel-
ques personnes ont voulu faire croire au public,
ou se sont peut-être persuadé à elles-mêmes
qu elles avaient vu les sables du désert. Si Ton a
parcouru les relations écrites sur ce pays, depuis
Toccupation française, on trouvera que dès le dé-
barquement, en i83o, il fut question du désert,
à propos du terrain sablonneux de Sidi-Feredj *.
Plus tard, les sables reculèrent jusque dans la
Metidja , où , selon l'expression du colonel Pelis-
sier, on n'en ramasserait pas de quoi poudrer une
^ > S'ah'ra, dit M. de Sacy {Chresl. arabe, tom. I, pag. 19^)
signifie en général une campagne déserte ou inculte. •
^ Ou Féruch , comme on dit ici par corruption-
INTRODUCTION. v
lettre. Les dernières courses de notre armée l'ont
rejeté pour le moment au delà de T aza, Tak'demt,
Saïda, Zebdou. Enfin, voici deux voyages, ceux
dont on donne ici la traduction , qui le font reculer
bien davantage, et qui mettent définitivement le
S'ah ra à sa véritable place en ce qui concerne l'Al-
gérie, c'est-à-dire à plus de cent lieues du littorale
Ainsi nos hommes d'état qui tiennent dans
leurs mains les destinées de l'Algérie, et qui sans
doute se sont demandé plus d'une fois si ce pays
vaut tout ce qu'il coûte à la métropole, peuvent
se rassurer. Car c'est une chose qui mérite con-
sid.ération et légitime bien des sacrifices, que de
doubler la puissance et la richesse de la France
en doublant son territoire, sa population et sa
sphère d'activité. Les colons n'ont pas à craindre
que de longtemps la terre manque ici aux nom-
breux émigrants que l'Amérique a eu jusqu'à pré-
sent le privilège d'enlever à l'Europe. Et quand
le vaste terrain compris entre le littoral et l'inté-
rieur sera rempli et cultivé , il y aura encore place
^ Depuis que ceci a été écrit, une nouvelle opinion a été
émise relativement au désert, c'est qu'il n'existe pas. Erreur d'un
autre genre, comme le démontrera la lecture de ces voyages.
VI INTRODUCTION.
dans bien des endroits du véritable Sah'ra; les
indigènes, qui ne brillent certes pas par leurs
connaissances agricoles et par leur ardeur au tra-
vail, ont bien pu, sur plusieurs points, le forcera
produire, ainsi qu on le verra dans ce livre; à plus
forte raison , des hommes intelligents et laborieux
sauront tirer parti des portions , plus nombreuses
qu'on ne le pense, où il est susceptible de culturel
Les autorités auxquelles on doit cette rectifi-
cation géographique et beaucoup d'autres d'assez
grande importance sont deux pèlerins arabes qui,
partis des bords de l'océan Atlantique pour se
rendre par terre à la Mecque, ont traversé toutes
les parties méridionales du Maroc, de l'Algérie,
de Tunis et de Tripoli. Tous deux sont des hommes
instruits, d'une position élevée, de sorte que par-
tout sur leur route ils ont été en rapport avec les
personnes les plus considérables par leur savoir
et par leur rang , et ils ont pu ainsi , pour chaque
localité, puiser les renseignements qu'ils don-
nent aux sources les plus abondantes et les plus
* On sait que, sous les Turcs, le territoire de la Régence s'é-
tendait jusqu'aux oasis d'Ouàregla et de Tougourt. C'est seule-
ment de cette partie du désert qu'on entend parler ici.
INTRODUCTION. w
authentiques. Us ont fait chacun trois pèlerinages,
ont parcouru, Tun six fois, l'autre cinq fois le
même chemin. L'arabe étant leur langue mater-
nelle , il n'y a pas à craindre avec eux ces altéra-
tions de noms de localité qui sont si fréquentes
dans les récits des voyageurs européens, altéra-
tions qui sont une source d'embarras pour le géo-
graphe et l'exposent à commettre une foule d'er-
reurs. On n'a pas à redouter non plus dans ce qu'ils
disent de la religion , des mœurs , des lois , de l'his-
toire, etc. des pays qu'ils visitent, les grossières
méprises où tombent les auteurs qui ne connais-
sent qu'imparfaitement (s'ils ne l'ignorent pas tout
à fait) le langage des populations qu'ils observent.
Le premier de ces voyageurs, Abou-Salem-el-
'Aïachi, après être allé à la Mecque, en 1069
(1649 ^^ J- C-) ^t 1064 (i653 de J. C), entre-
prend un troisième pèlerinage en 1078 (1661 de
J. Ç.) ; il part de la tribu berbère des 'Aït-'Aïach \
pays situé sur la partie la plus élevée de l'Atlas
marocain, entre les sources de la Moulouïa et
celles de l'Ouad-Djîr. Il descend la vallée de cette
* 'Aït-'Aïach, les fils d'Âîach. Le mot *Aît, chez les Kabiles
du Maroc, est Téquivalent des mots ouldd et benou.
>Tii INTRODUCTION.
dernière rivière, et, passant par les oasis de Touât,
Ouâregla et Tougourt, il va rejoindre la route or-
dinaire des caravanes auprès de la grande sebkha ,
dans la régence de Tripoli; à son retour, il passe
par Biskra, El-Ar'ouât', 'Aïn-Mâd'i, Figuîg, etc.
Cette simple indication suffira pour démontrer
l'importance de ce voyage aux personnes qui ont
remarqué les nombreuses lacunes de la géogra-
phie afiricaine dans ces régions si peu connues.
L'autre voyageur, Moula-Ah'med-el-Morerbi,
part de Tamk'rout dans TOuadi-Darâ, province
méridionale du Maroc, va joindre la caravane à
Sedjelmâça; de là, traverse le bassin de TOuadi-
Djîr pour gagner l'oasis de Figuîg, et, passant
par El-Ar'ouât', 'Aïn-Mâd'i, Biskra et Kabes, arrive
aussi à Tripoli. H effectue son retour à peu près
par le même chemin ; de sorte qu'en comptant l'i-
tinéraire du retour d'El-'Aïachi, nous avons trois
récits sur cette importante voie intérieure.
Pour convaincre le lecteur de la confiance que
ces deux auteurs ont droit d'inspirer, je vais don-
ner une courte notice sur leurs personnes et leurs
ouvrages.
Le cheikh, l'imam Abou-Salem-es-Sid-ebn-'Abd-
INTRODUCTION. ix
AUah-ben-Mohammed-ben-Abou-Beker-el-Aïachi,
était un personnage recommandable par ses vertus
et sa science. On voit combien était grande la
considération dont il jouissait dans son pays par
ce seul fait que, pour lui complaire, et afin de
Tavoir pour compagnon de voyage, le prince de
la grande caravane réunie à Sedjelmâça n hésite
pas à reculer le moment déjà fixé du départ des
pèlerins. Le récit de son voyage donne plusieurs
preuves de l'estime que faisaient de lui les savants
et les chefs du pays, dont il était déjà connu par
ses pèlerinages antérieurs , de 1059(1649 de J.C.)
et de 1064 (i653 de J. €.)•
On verra cependant, en quelques endroits de
son livre, qu'il faisait sa route à pied, ce qui ne
donnerait pas une haute idée de sa position so-
ciale, si l'on ne savait que les musulmans zélés,
malgré leur fortune et leur puissance, adoptent
cette manière de voyager, soit par esprit d'humi-
lité , soit par l'effet d'un vœu.
El-'Aïachi est principalement connu par la
Rah'la * dont je publie ici la partie relative aux
^ Voyage, excursion. C'est aussi le titre de l'ouvrage du cé-
lèbre Ebn-Batouta.
X INTRODUCTION.
États barbaresques. Il est auteur, en outre, de
poésies nombreuses, la plupart sur des sujets
religieux, qu'il a, du reste, insérées, en presque
totalité , dans le volumineux récit de ses voyages.
Le manuscrit 87 5 B de la bibliothèque d'Alger est
une des productions poétiques de cet écrivain :
c'est une petite pièce de vers en alif.
Sous le n*" 60 A, la bibliothèque d'Alger pos-
sède un autre manuscrit, intitulé El-Anoaar-^S"
Senia-'Ala-el-Oudafat-ez-Zerrokia \ dont l'auteur,
Sid-Abou-Zid-'Abd-er-Rah'mân-ben-Mohammed-
ben-'Abd-AUah-ben-Mohammed-ebn-Abou-Beker-
el-'Aïachi, paraît être un neveu de l'écrivain qui
a composé la Rahla.
Le cheikh, l'imâm, le savant, etc. Abou-el-
'Abbas, notre seigneur et maître, 'Ahmed, fils de
' Cet ouvrage est le commentaire du poème technique sur le
droit et la jurisprudence , du cheikh Ez-Zerrok', auteur dont le
nom est Ah'med-ben-Moh'ammed-ebn-Ah'med-ebn-'Aîça-el-Ber-
nouci-el Faci. Zerrok' est né, dit Tauteur dun dictionnaire bio-
graphique arabe (man. i56 A de la bibliothèque d*Alger], un
jeudi, au lever du soleil, le 28 du mois de 864. Il est mort
à Tripoli de TOuest en s'afar de Tannée 8gg. Ez-Zerrok' est un
des écrivains les plus renommés de TAfrique septentrionale.
Commentaires ou textes , le nombre de ses ouvrages est considé-
rable, et embrasse toutes sortes de sujets.
INTRODUCTION. xi
Taccompli seigneur Moh ammed-ben-Nâc er, était
des environs de Tamk'rout, ville importante,
capitale de TOuadi-Darâ. Bien que nulle part dans
son ouvrage il ne donne le nom de son pays,
l'assertion que j*émets à cet égard est prouvée par
la direction de l'itinéraire qu il suit pour aller à
Sedjelmâça, par plusieurs passages de son récit,
et par les renseignements que m'ont fournis des
gens de TOuadi-Darâ. Tai su par ceux-ci qu'il y a
à Tamk rout une zaouïa célèbre consacrée à Sid-
Moh'ammed-ben-Nâc'er; c'est la Zaouïa-en-Nas'rïa
dont paiie Moula-Ah med, et d'où il partit pour
se rendre à la Mecque. Au reste, notre auteur,
dans un passage de son livre (vbyez le récit du
retour, au 2 4 cha'ban), laisse échapper une ex-
pression que le sentiment patriotique lui inspire,
et qui prouve ce que j'avance. « Il vint à moi,
dît-il, une personne de mon pays, Sid-Moham-
med, dont le surnom est noble, Et-Tamkrouti. »
Le père de Moula- Ahmed, Sid-Mohammed-
ben-Nâc'er, était un homme distingué par sa
science théologique. Il a composé un ouvrage dont
la réputation est grande dans tout le Mor'reb;
c'est le Kitâb''el''adjoubât-en'Nasrîa-Ji-bâd'maçâïU
xii INTRODUCTION.
el-bddïa, c'est-à-dire, le livre des réponses de Mo-
hammed-ben-Nâcer à quelques questions des
gens du désert. Il y traite surtout des matières de
liturgie, de cérémonies religieuses et de droit, su-
jets qui sont d'une haute importance aux yeux des
indigènes. Ce traité a été recueilli par son élève
Sid-Mohammed-ben-Aboul-Kacem-es-S'enhadji.
La bibliothèque d'Alger possède, sous les n*"" 1 63 A^
281, 290, 63i B, quatre exemplaires de cet ou-
vrage. Sur deux de ces exemplaires, Mohammed-
ben-Nâcer est surnommé Ed-Darâï, de l'Ouadi-
Darâ, contrée habitée par sa famille, ainsi quon
l'a vu plus haut.
Sur une des pages de garde, et en tête du ma-
^ Une note écrite sur une des pages de garde, de la main de
Sid-Moh^ammed-el-'Arbi , ancien k'àd'i de Constantine, indique
que le volume i63 contient trois ouvrages, dans l'ordre suivant :
1® El-Adjoubât-en-Nas^rïa, de Sid-Moh'ammed-ben-Nàc'er;
2° f/Tanoufr, d'Ebn'At'â-Allah;
3* ErRaKla-en'Nas'rîa , qui est le voyage de Moula-Ah'med.
En titre ô^ElAdjoahâi, on lit ces noms : Cheikh Moh'ammed-
ben-Moh'ammed-ebn-Nàc'er. Le préambule des autres exem*
plaires manque ici , et les questions résolues ne sont pas iden-
tiques, n est donc probable que , sous le même titre , Moh'ammed,
fils de Moh'ammed-benNàc'er et frère de Moula- Ah'med, traite
des matières différentes.
Les n"* 281 B, 290 et 63a B, présentent un texte- identique.
INTRODUCTION. mu
nuscrit n"" 1 63 , on trouve sous ce titre , Généalogie
de nos maîtres ou autorités ^ rénumération chrono-
logique des professeurs ou écrivains suivis par
Fauteur; cette liste est si mal écrite qu'il est fort
difficile de la déchiffrer, d'autant plus que , dans
une pièce de ce genre, le sens ne vient pas en
aide au lecteur pour lutter contre les imperfec-
tions graphiques. Voici, néanmoins, ce que j'ai
pu en tirer :
Sid-'Abd-el-H'afid';
Sid-Ah'med-ben-Nâcer (peut-être un oncle de
Moula-Ah med) ;
Sid-Moh ammed-ben-Nâc er (le père de Moula-
Ah'med) ;
Sid- Abd-Allah-ben-K'ouceïn ;
Sid-'Ali-ben-'Abd- Allah ;
Sid- Ah med-H'adj i ;
Sid-Aboul-K'âcem-et-Tezi ;
Sid-Ah'med-ben-Ioucef ;
Sid-Ah med-Zerrok' * ;
Sid-Ah med-el-H'ad rami ;
Sid-Ali-el-K'orafi;
^ Voyez sa biographie, manuscrit 1 56 A de la bibliothèque
d'Alger, au commencement du feuillet i5 verso.
XIV INTRODUCTION.
Sid-Ah'med- At a- Allah ;
Sid-Aboul- Abbas-d-Maraci ;
àSid*Aboul-H acen-ech-Chadili ;
Sid- Abd-es-Selâm-ben-Mochich ;
Sid- Abd-er-Rah mân-el-Medni-el- Al'ar ;
Sid-Tak'i-ed-dîn ;
Sid-Fakhar-ed-dîn ;
àSid-Nour-ed-dîn ;
Sid-Tâdj-ed-dîn;
Sid-Chems-ed-dîn ;
Sid-Zin-ed-dîn-el-K'azouani ;
Sid-Ibrâhim-el-Bas n ;
Sid- Ah med-el-Merouani ;
Sid-Sa'ïd ;
Sid-Feth'-el-Meça oud ;
Sid-Sa'ïd-el-K azouani ;
Sid-Djâber;
Sid-El-H acen-es-Sebt'i, lequel tenait ses con-
naissances de son père , lequel les tenait du pro-
phète, lequel les tenait de Tange Gabriel, de la
Table divine et de Dieu.
Je n ai traduit de la longue relation d'Ah'med-
el-Morerbi, et de celle plus longue encore d'El-
*Aïachi , que la partie intéressante au point de vue
INTRODUCTION. xv
de roccupation de l'Algérie. Je n ai donc suivi nos
voyageurs que jusqu à Tripoli, d'où ils se rendent
à la Mecque par terre. Je les ai repris tu même
point, à leur retour, jusque dans le pays natal.
Dans la partie traduite, il a fallu faire quelques
coupures, abréger certains passages, ce qui tou-
tefois na eu lieu qu'à la dernière extrémité, et
lorsque les détails dans lesquels entraient Moula-
Ahmed et El-'Aiachi étaient tout à fait inutiles
par rapport au but que je m'étais proposé, et
n'auraient pas manqué d'ennuyer le lecteur. Ainsi,
ces voyageurs n'oublient jamais, lorsqu'ils visitent
une chapelle de marabout , de raconter longue-
ment la légende du saint qui y est enterré, ou
seulement commémoré; ils rapportent, avec une
complaisance prolixe, excusable chez des hommes
qui voyagent dans un but uniquement religieux,
les controverses théologiques qu'ils ont soute-
nues avec leurs hôtes. Us entremêlent leur récit
de pièces de poésie religieuse, composées par
eux, par leurs parents, leurs amis et connais-
sances. On conçoit que j'aie dû m'abstenir de
reproduire ces passages dans la traduction.
Le manuscrit de la bibliothèque d'Alger où
XVI INTRODUCTION.
se trouve le voyage de Moula -Ah'med, porte le
n° i63 G. Je l'ai rapporté de Constantine, lors de
la prise de cette ville, en octobre 1887. C'est un
in-8** d'une écriture détestable, à l'exception d'une
douzaine de pages, recopiées avec soin par une
main plus habile que celle qui a tracé les autres.
Aux difficultés occasionnées par la lecture vien-
nent s'ajouter celles qui résultent des incor-
rections, des bévues manifestes échappées au
copiste.
On conçoit qu'ayant opéré sur un texte aussi
défectueux, je ne puisse pas affirmer qu'il ne me
soit pas arrivé de commettre quelques erreurs;
mais j'ai l'espoir que la partie essentielle, celle
qui a trait à la géographie, en est à peu près
exempte, attendu que la répétition des mêmes
désignations dans le double récit des deux cir-
constances de l'aller et du retour a fourni les
moyens de contrôler ce genre de faits, ainsi qu'on
l'a déjà dit plus haut. Les marges du manuscrit
en question sont quelquefois chargées de notes,
dont quelques-unes présentent de l'intérêt.
Quant au manuscrit d'El-'Aïachi qui est ins-
crit au catalogue de la bibliothèque d'Alger sous
INTRODUCTION. xvii
le n** 4 1 8, et qui a été acheté à un indigène de
cette ville, c'est un assez gros in-4**, écrit correc-
tement, mais dont là lecture est parfois assez dif-
ficile, à cause de certains traits parasites que le
copiste ajoute aux lettres, dans un but calligra-
phique. Ce copiste qui, contre l'usage de ses pa-
reils, garde modestement l'anonyme, assure qu'il
a achevé son œuvre dans la soirée du mercredi,
2 1 chaouâl 11 36 (1768 de J. C), c'est-à-dire
environ cent ans après le dernier voyage d'El-
'Aïachi. Il a travaillé consciencieusement, et d'a-
près un bon exemplaire, car on ne trouve pas
dans sa copie les fautes grossières , les bévues évi-
dentes qui déparent celle du voyage de Moula-
Ah'med. Les marges du manuscrit sont quelquefois
chargées de notes. Malheureusement l'annotateur
ne s'est guère arrêté que sur les passages où il
est question de religion et de droit.
JTai joint au récit des voyages d'Ah'med et d'El-
'Aîachi un extrait d'une course faite en février,
mars, avril, mai et juin i838, par un Français
prisonnier des Arabes, et qui, s'étant échappé
d'une mine de soufre où on le faisait travailler,
au sud de T aza, a gagné Tunis par terre. Cette
XVIII INTRODUCTION.
narration est loin d'être circonstanciée comme
celle des pèlerins arabes, et d'offrir les mêmes
caractères d'exactitude, mais, telle qu'elle est, elle
pouvait fournir quelques données utiles et inté-
ressantes sur l'état et la nature des pays situés
entre la ligne parcourue par Ahmed et la chaîne
de l'Ouranseris ^ Je n'ai donc pas hésité à fajouter
à cette publication. L'extrait que j'en ai fait a été
copié sur l'original écrit de la main du voyageur,
M. Fabre, adressé par lui au maréchal Valée, et
déposé aux archives du gouvernement. M. Veuil-
lot, secrétaire du maréchal Bugeaud, a bien voulu
m'en donner communication. Enfin, j'ai joint à ces
trois textes des notes qui m'ont été fournies par
Ah'med-Oulid-Bou-Mezrag, fils de l'ancien bey
de Tit'erî.
A une époque où l'on s'occupe avec ardeur
d'études géographiques sur l'Afrique septentrio-
nale, la publication de ces voyages, exécutés au
delà de l'Atlas, dans la partie la moins connue des
Européens, et sur une ligne d'environ cinq cents
^ J'écris ce mot avec l'orthographe adoptée officiellement en
Algérie; mais je dois avertir que dans plusieurs manuscrits j'ai
trouvé Oaanseris et même Ouancherich.
INTRODUCTION. xix
lieues, de l'Ouest à l'Est, depuis Tamk'rout, dans
le Maroc, jusqu'à Tripoli de Barbarie, ne peut
manquer d'être bien accueillie. Outre l'intérêt
scientifique qui s'attache à un pareil ouvrage, il
y a un but d'utilité pratique dont l'importance ne
saurait être contestée. L'une des routes parcou-
rues par les deux pèlerins est une voie de com-
munication très-suivie par le commerce indigène;
elle met en relation, par terre, les deux extrémi-
tés et le centre des Etats barbaresques ; elle tra-
verse nos possessions en Algérie, vers El-Ar'ouât',
Tedjmout, 'Aïn-Mâd'i; et comme, d'un autre côté,
elle reçoit des rameaux qui partent de l'intérieur
du continent africain, et dont le principal, pas-
sant par l'oasis de Touât, vient aboutir à 'Aïn-
Mâd'i , on conçoit que , notre domination s'établis-
sant avec solidité sur le littoral, il est permis
d'espérer la création d'une route commerciale qui,
par Alger, Médéa, Borar, le cours supérieur du
Chélif , 'Aïn-Mâd'i , l'Ouadi des Beni-Mzâb et celui
de Touât \ ouvrirait des relations importantes
avec le Soudan.
^ La distance entre R'àrdêia, la ville la plus méridionale de
rOuadi-Mzâb, et Toasis de Touât, est d'à peu près cent lieues. La
X* INTRODUCTION.
Après avoir lu le voyage que nous pablions,
on conviendra que cette pensée est loin d'être une
utopie, comme on pourrait Timaginer au premier
abord.
Puisque le moment de créer, d organiser paraît
venu , puisqu'on est en mesure d'obtenir des pro-
duits qui indemnisent des sacrifices, la question
du commerce intérieur doit fixer l'attention du
gouvernement. Dans l'intérêt de la France et de
l'Algérie, il faut montrer le rôle important que
le négoce avec les indigènes pourra jouer par la
suite, soit par les bénéfices qu'il procure, soit par
les conséquences politiques qui doivent nécessai-
rement découler des rapports multipliés que ce
négoce établira entre les Européens et l'Afrique
septentrionale.
route passe par Tegoràrin, qui se trouve à environ un tiers du
chemin. « Les bourgades de Tsàbet (dans Toasis de Touàt) sont,
dit Ei-'Aîachi , le rendez-vous des caravanes qui viennent de la
ville de Timbektou, du canton d*Agri et des différentes parties
du Soudan. On y trouve des étoffes de toute espèce et des mar-
chandises de tout genre * qui y arrivent en grande quantité. Cest
Tentrepôt des articles qui arrivent du Maroc, à la demande des
gens du Soudan , tels que chevaux , vêtements de drap et de soie.
De sorte qu*une caravane qui se rend à Tsàbet y trouve un
marché important. »
INTRODUCTION. xxi
On a vu, du reste, par l'épigraphe qui figure
en tête de cet ouvrage, que le gouvernement, dans
sa prévoyance des intérêts du pays, a songé depuis
longtemps à ces relations commerciales, et qu il a
indiqué d'avance M édéa comme devant être « la
station destinée à assurer les communications et
le commerce entre le S'ahra, les Beni-Mzâb et
Alger. » On reconnaîtra , en lisant le voyage d'El-
'Aïachi et de Moula- Ahmed, que Fespoir conçu
par le gouvernement est parfaitement fondé.
L'êmir 'Abd-el-K'âder, auquel on ne peut re-
fiiser des vues très-élevées, avait parfaitement com-
pris l'importance de cette voie intérieure, et il
navait tant tenu à occuper 'Aïn-Mâd'i, ou tout
au moins à y dominer, que parce que cette posi-
tion, à portée d'El-Ar ouât' et de Tedjmout, com-
mande le passage habituel des pèlerins.
Si les documents sur l'histoire des peuples com-
merçants de l'antiquité n'étaient pas aussi rares,
et si l'intérêt mercantile de ces peuples ne les avait
pas excités à cacher leurs relations de négoce avec
les nations de l'intérieur de l'Afrique, nous au-
rions probablement la preuve que la grande voie
de communication qui court de l'Ouest à l'Est, sur
XXII INTRODUCTION.
les limites Sud des États barbaresques, leur a été
connue. On est d'autant plus fondé à le croire à
priori, qu Hérodote indique déjà celle qui passait
dans le désert par les oasis, et qu il fallait beau-
coup plus d'audace pour se lancer dans cette mer
de sable que pour parcourir le pied des pentes
méridionales de TAdas, où presque partout (ainsi
qu'on en aura la preuve en lisant les relations de
Moula-Ah med et d'El-'Aïachi) on trouve de l'eau,
des terrains fertiles, en un mot, un pays habi-
table et qui probablement a toujours été habité ^
Ce n'est cependant que de l'invasion arabe et
de la conversion de l'Afrique à l'islamisme que
doivent dater la sécurité et l'importance de cette
grande route commerciale qui, des bords de l'o-
^ Le lecteur s'étonnera sans doute en apprenant Texistence
d'une zone presque constamment peuplée et cultivée à une
grande distance des points où ont été poussées les excursions les
plus extrêmes, à propos desquelles il a souvent été question du
S'ah'ra. Les quelques mots d'explication donnés au commence-
ment de cette Introduction suffiront pour éclaircir les doutes.
Les Arabes n'appellent pas seulement le S'ahVa le grand désert
de sable ; ils donnent ce nom à tout endroit vaste , inculte et inha-
bité ; de là, ils ont souvent désigné aux Européens, comme étant
le désert, des localités qui en étaient à une grande distance, et
séparées de lui par des terrains fertiles. C'étaient des endroits
déserts et non le désert.
INTRODUCTION. xxiii
céan Atlantique, aboutît à la Mecque. La religion
lui assura ces avantages, et à tel point que, mal-
gré la turbulence des populations dont elle tra-
verse le territoire , en dépit des nombreuses révo-
lutions qui les ont agitées, elle est cependant
toujours restée libre pour les hommes pieux qui
allaient en pèlerinage visiter les saintes villes de la
Mecque et de Médine. Si, dans le cours de cette
longue pérégrination d'un millier de lieues envi-
ron, quelques actes de violence sont commis par
des gens sans foi et sans loi, comme il s'en trouve
partout, contre les caravanes de fidèles voyageant
pour l'accomplissement de la prescription la plus
sacrée de l'islamisme, ce sont des faits exception-
nels auxquels on peut opposer la règle générale,
qui est l'accueil le plus cordial fait aux pèlerins
par la masse des populations, les provisions qu'on
s'empresse de leur apporter gratuitement, l'en-
thousiasme qui éclate à leur arrivée, les vœux et
les bénédictions qui accompagnent leur départ.
Avant que Mahomet, par une réforme malheu-
reuse, eût supprimé les jours supplémentaires
qui mettaient l'année lunaire des Arabes en con-
cordance avec celle des peuples qui règlent la
XXIV INTRODUCTION.
leur sur le cours du soleil, il y avait un mois consa-
cré au pèlerinage, ainsi que le rappelait son nom
de doul-hadja ^ Mais, dans l'état actuel du ca-
lendrier musulman, ce mois, au bout de trente-
deux ans, a successivement passé par toutes les
saisons, de sorte que les peuples qui, pour arri-
ver à la Mecque, sont obligés, comme ceux du
Maroc, de traverser des pays où il n est pas indif-
férent de voyager à toute époque de Tannée, ne
peuvent pas toujours choisir le mois consacré.
C'est ce qui arrive à 'Ahmed-el-Mor erbi qui part
en djoumâd-et-tani, un des premiers mois de l'an-
née arabe; de sorte qu'il ne peut gagner à son
long voyage que le titre de h'adji ou pèlerin, qu'on
accorde à celui qui a vu la Mecque seulement,
tandis que Ton appelle 'amer le musulman qui a
visité la Mecque et Médine, et cela à l'époque où
se font les grandes cérémonies, c'est-à-dire en
doul-hadja-
C'est à Tâza , dans la province de Fedla , à une
petite journée Est de Fês, que se fait le premier
' Le pèlerinage à la k'ab*a, ou maison sacrée de la Mecque,
est, comme on le sait, bien antérieur à rétablissement de Tisla-
misme. Mahomet a trouvé cette pratique en vifi^eur, et il Ta ap-
propriée à son nouveau culte.
INTRODUCTION. xxv
rassemblement de pèlerins. Comme c'est la plus
fertile, la plus commerçante du Maroc, et quil
est facile de s'y pourvoir de toutes choses, on a
choisi ce lieu à dessein. La caravane s y organise
par les âoins d'un chef que Ton appelle émir er-
rek'eb, mot à mot, prince de la chevauchée. On
divise ceux qui doivent la former en trois classes,
les Berbères ou K'baïl, les négociants, les per-
sonnes attachées à la cour ou qui ont des charges
publiques. Les individus de la première classe
n ont pas besoin de permission pour entreprendre
ce voyage; les seconds se présentent devant les
gouverneurs des provinces ; quant aux gens en
place, ils ne peuvent partir qu'avec le consente-
ment exprès de l'empereur. Ces entraves ont pour
but principal d'empêcher les gens perdus de dettes
d'échapper à leurs créanciers , . sous prétexte de
pèlerinage, et de prévenir l'emploi des moyens con-
damnables auxquels certains individus pauvres
pourraient avoir recours, par excès de zèle reli-
gieux, pour se mettre eti état d'aller à la Mecque.
Moula - Ah'med , en sa qualité d'imâm , avait
dû se munir d'une autorisation de l'empereur. Il
raconte, au commencement de son livre, qu'en
xixî INTRODUCTION.
1119 (1707 de J. C), ayant le désir d'aller en
pèlerinage, il se rendit à Tâza, afin de voir Moula-
Ism*ail qui. régnait alors, et de solliciter de lui une
autorisation de se joindre à la caravane : il ne put
être admis en présence du souverain , et la per-
mission qu il sollicitait pour lui et ses compagnons
iui fut refusée pour des motifs qu'il ne fait pas con-
naître. El- Aïachi éprouve les mêmes difficultés.
Pour ne pas faire un double emploi, je ne
donnerai pas ici tous les nombreux détails relatifs
aux caravanes qui se trouvent en plusieurs en-
droits des relations de Moula -Ahmed et d'El-
'Aïachi. Je ferai remarquer seulement que les
caravanes se divisent en deux classes, d'après le
mode de transport employé sur chacune de ces
grandes lignes. Il y a les caravanes du S'ah ra et
celles du Djerid. Les premières emploient essen-
tiellement des chameaux; les autres se font surtout
avec des chevaux; des ânes et des mulets, mais
seulement jusqu à Tripoli de l'Ouest, où les pèle-
rins échangent ces montures contre des chameaux.
La nécessité de traverser le désert de Barka, pour
gagner le Caire , les y oblige.
Une caravane en marche présente une organi-
INTRODUCTION. xxvii
sation régulière, où Ton retrouve la hiérarchie,
les chefs, les juges et la police d'un établissement
fixe. Il y a Têmir er-rek'eb, ou prince de la che-
vauchée, qui commande à Tensemble des pèle-
rins, ayant sous ses ordres des amin, qui dirigent
chaque compagnie des gens d'une même ville,
d'une même tribu. Un k'âd'i rend la justice ou
dresse les actes que les circonstances exigent; car,
dans ce long espace de temps qu'il faut pour ac-
complir le voyage, des gens meurent, d'autres
naissent, quelques-uns se marient ou divorcent.
Cependant, les circonstances particulières dans
lesquelles se trouvent les caravanes ont introduit
un principe tout démocratique dans leur organi-
sation. Les chefs ou fonctionnaires sont quelque-
fois destitués en route, et remplacés par d'autres.
L'intérêt général commande parfois ces sortes de
mesures, dont on trouve un exemple dans le récit
des voyages de nos deux pèlerins.
On a déjà vu que les ouvrages de Moula- Ahmed
et d'El- Aïachi , indépendamment des éléments
qu'ils fournissent pour apprécier la question du
commerce intérieur, enrichissent la géographie
africaine de documents précieux. A la suite du
XXVIII INTRODUCTION.
texte des deux Marocains et de ceux d'Ah'med-
Oulid-Bou-Mearag et de M. Fabre, j'ai placé un
commentaire explicatif, qui traite du petit désert,
de la route des caravanes du Djerid et de celles du
Sahra, trois sujets qui embrassent tout Tespace,
encore peu connu , de nos possessions algériennes.
Enfin je me suis efforcé de faire connaître la lit-
térature particulière au Mor reb, en accompagnant
de notes puisées à des sources originales les Élo-
quentes citations d'auteurs ou d'ouvrages qu on
rencontre dans la Rahla de Moula- Ah med et dans
celle d'El- Aïachi, On peut dire que cette littéra-
ture de r Afiîque septentrionale n est pas plus con-
nue que ne Test le pays lui-même où elle a pris
naissance. L'ouvrage, si estimable d'ailleurs, de
d'Herbelot , ne fournit qu'un bien petit nombre
de notions à cet égard. Heureusement plusieurs
dictionnaires biographiques ou bibliographiques
arabes, qui figurent parmi les manuscrits de la
bibliothèque d'Alger, m'ont permis de suppléer
au silence du savant orientaliste dont je viens de
parler.
OBSERVATIONS
ou TRADUCTEUR
SUR LES VOYAGES
D'EL-'AÏACHI ET DE MOULA-AHMED,
ET SUB LES AUTRES DOCUMENTS GEOGRAPHIQUES
PUBLIAS DANS CE VOLUME.
Le Mor^reb^ se divise naturellement en une certaine
quantité de zones parallèles au littoral, qui sont le Sah'el,
El-Oufa, El-Djebel (trois subdivisions du Tell), le K'ibla
(dont certaines parties portent le nom de Belâd-el-Djerid),
et le S'ah'ra.
Sah'ël, qui veut dire « rivage, o s applique en général au
système de petites collines qui régnent le long de la mer,
et qui sont ordinairement bornées au Sud par des plaines.
Quelquefois, de la chaîne du petit Atlas, se détachent des
chaînons qui arrivent jusqu au littoral. Alors les collines et
les plaines sont interrompues en ces endroits, qui n'en por-
tent pas moins le nom de Sah'el. Ces caps avancés de la
^ Ce mol, qui signifie ■ le couchant, • s'-applique dans le sens le plus étendu
à tout le continent africain , et dans le sens le plus restreint à TAIgërie et au
Maroc. C*est avec cette dernière valeur que je remploie ici.
m OBSERVATIONS
montagne proprement dite sont habités par les K'haîi.
Le plus considérable s étend entre le cap de Fer et le cap
Bengut.
Oui a. — Ce sont les plaines qui sur plusieurs points
sétendent au Sud du Sah'el. Ces plaines et les collines dont
on a parlé tout à l'heure sont essentiellement habitées par
les Arabes.
Djebel. — La montagne proprement dite. Cette partie,
qui sétend jusqu'aux vastes plaines du K'ibla, est habitée
par les Arabes et par les Berbères; ces derniers se rencon-
trant surtout dans les lieux les moins accessibles.
Sah'el, Out'a et Djebel forment le Tell, ou la portion de
terrain la plus susceptible de culture. On peut lui assigner
une largeur moyenne de 1 20 kilomètres du Nord au Sud.
Le K'ibla ou Midi est un ensemble de plaines plus
ou moins accidentées, coupées longitudinalement par la
deuxième chaîne de TAtlas. C'est dans la partie la plus mé-
ridionale de cette zone, et dans les intervalles des chames
que la montagne détache vers le Sud , qu'on trouve les pays
de dattes. La largeur moyenne du K'ibla est d'environ
3oo kilomètres. La partie montagneuse renferme les K'baîl;
les Arabes se tiennent dans les plaines.
Le S'ahVa est le désert proprement dit, pays de sables
ou vastes solitudes dont l'aride uniformité est souvent in-
terrompue par des oasis, au moins dans la partie septen-
trionale.
Les documents géographiques contenus dans cet ouvrage
ne se rapportent qu*à ces deux dernières subdivisions; je
me bornerai , pour les autres , aux observations générales
qui viennent d'être exposées. Mais avant de traiter les ques-
tions qui se rattachent au K'ibla et au S'ah'ra, je dois dire
DU TRADUCTEUR. xxu
quelque chose de la célèbre ville de Sedjelmâça , qui joue
un rôle important dans les voyages de Moula -Âh'med et
d'El-'Aïachi.
SEDJELMÂÇA.
Lorsqu*en parcourant pour la première fois le manuscrit
des deux pèlerins arabes, je rencontrai le nom de Sedjel-
mâça cité comme celui d'ime ville qui existait encore à
l'époque où ils écrivaient, j'éprouvai quelque smprise; car
j'avais lu dans les ouvrages de géographie ^ que cette ville,
déjà ruinée du temps de Léon l'Africain, n'avait pas été re-
bâtie depuis lors. Cependant les détails donnés par Moula-
Ah'med et par El-'Aïachi étaient trop nombreux et trop pré-
cis poiu* qu'il fût possible de conserver le moindre doute
sur l'existence de Sedjelmâça, au moins jusqu'en lyio de
notre ère. Ce fait positif, acquis à la science géographique ,
n'infirme pas le témoignage de Léon , la ville ayant probable-
ment été rebâtie après l'époque dont il parle.
M. Walckenaer a très-bien établi l'identité des vallées
de Tafilélt et de Sedjelmâça, et M. d'Avezac a produit de
nouvelles preuves à l'appui de cette opinion. Il ne reste donc
plus qu'à préciser la situation de cette dernière ville dans
la vallée de l'Ouad-Ziz : je crois qu'elle était au Sud-Est et à
^ Voyei , entre autres géographes, Balbi, tom. I, pag. lz, qui s*exprime en
ces termes : « Nous n avons pas naentionné parmi les villes les plus remar-
quables de VÉtat de Maroe, la célèbre Sedjelmâça, parce que nous ne savons
pas si son territoire, dont Ebn-el-Ouardi-Bakoui, Léon et Ben-Ayas ont tant
célébré la fertilité et la richesse, appartient encore à cet empire. D ailleurs,
cette grande ville, qui s'élevait sur les bords du Zîz, et qui a été le premier
siège de la dynastie des Alftioravides, n'existait déjà plus du temps de Léon;
elle avait été abandonnée par ses habitants à la suite de nombreuses révo-
lutions. •
ittn OBSERVATIONS
ufie {>#^tite distance de Tafilélt. Voici sur quoi je me fonde :
f //TMpie Kl '*Alachi arrive h Sedjelmâça il y trouve la ca-
rH\'4ue. rrmriie et près de partir. Cette caravane, dont le
fiov^u fiV^tait formé comme d ordinaire à Tâza, dans le Nord
du M;jroc, ayant à suivre la route du désert, s*était dirigée
Si*n U*^ Sud. A partir du moment où notre voyageur marche,
il nous donne fidèlement son itinéraire dans lequel Tafilélt
tu* figure pas. Cependant, en racontant son séjour à Touât«
il dit':
«^ lorsque le change de for s était élevé à Tafilélt, la ma-
jeure partie des pèlerins avait résolu d*en prendre àTouat/
où ce métal est à bon marché. D*ailleurs ils n avaient pas
fait touUfS leurs provisions à Tafilélt, à cause de la cherté
des vivres, et il fallait les compléter dans cet endroit.»
(l'était donc sur la portion de route qu*El-*A1achi navait
point parcourue avec la caravane, et lorsque celle-ci voya-
geait du Nord au Sud pour atteindre Sedjelmâça que les
pèlerins avaient séjourné à Tafilélt.
l^a narration de Moula-Ah'med fournit une preuve du
même genre. On sait que, parti de Tamk'rout et marchant
de rOuest à TEst, il avait joint aussi la caravane à Sedjel-
mâça. Or, en parlant de son séjoiur à Figuig, il dit' :
u Les pèlerins achetèrent des vêtements et ils payèrent
les portefaix arabes qui étaient venus de Tafilélt à Fidjidj. »
Comme ni avant ni après Sedjelmâça, il ne mentionne
Tafilélt siu* son itinéraire, il est évident que lorsque les
pèlerins ont loué les portefaix , il n était pas avec eux et que
cette location avait eu lieu lorsque la caravane se trouvait
encore au Nord de Sedjelmâça.
' Voir pag. a.'î.
' Voir pag. i9'i.
DU TRADUCTEUR. ixxiii
Quant à la distance entre Tafilèlt et Sedjelmâça, voici ce
qui me fait supposer qu*eile ne pouvait pas être bien consi-
dérable. Lorsque Moula-Ah'med , de retour de la Mecque ,
est arrivé aux portes de Sedjelmâça, il dit^ :
«Je pris congé de mes amis de Tafilèlt qui m'avaient
accompagné jusqu a El-K'ouz^ et qui, avant de partir, nous
traitèrent dans un repas où chacun apporta sa part, pauvres
ou riches, chérifs ou autres, chacun selon son pouvoir, n
Si Ton fait attention à la direction de la route suivie par
la caravane depuis Fidjidj , on acquerra la preuve que si
Tafilèlt eût été beaucoup au Nord de Sedjelmâça, la sépa-
ration de Moula-Ah'med et de ses amis de Tafilèlt aurait eu
lieu bien avant El-K'ouz et probablement lorsqu'ils étaient
dans la vallée de TOuad-Djir.
La comparaison que je vais établir entre une portion de
l'itinéraire fouKii par le chérif Moh'ammed â M. Delaporte,
cité par M. d'Avezac^, et un firagment d'itinéraires donnés
par Moula-Ah'med , achèvera de prouver ce que j'ai avancé.
ITmiRAlRB DE MODLA-Ah'mBD V ITIN&RAIRE DD CHàRlF MOh'aMMBD.
ir« • ± { Ouadi-EMîr. Oued-G'vr. ) , . .
1 journée. { ^,«';^^ ^ ^ ^ M journée.
( Ouad-Safsaf ^ Esfasef, torrent.) **
* Voir pag. 34o.
* £l-K'ou8 ou Akçuz, comme l'écrit aussi le copiste, est tout près de
Sedjelmâça. On y trouve la zaouîa d'Abou-el-K'àcem-ben-Mouloud et Sid-
*Abd-el-Ouah'ed.
' Etudes de géographie antique, pag. 1 65.
^ Ce sont les localités ^ntre TOuad-Djir et Sedjelmâça, telles qu elles sont
indiquées dans les itinéraires de laller et du retour. *
* Entre cette rivière et la précédente, Moula-Àh'med cite Dâr-el-Hedjâdj et
Dâr-el-*Aâda.
XXXIV OBSERVATIONS
ITlN&aMRE DE MOOLA-Ah'mED. ITHfÊRAIRE DU CHàRIF MQh'amMEH.
* Ak'la'Hamida-el-Lah'am .
K'eltet-Abou-El-*Amoud.
rt
^ ' El-Mebrih'ia.
journée.] _ „
I Ouellous.
Sfisfa. Sefsâf , désert avec un grand lac.
1* jour.
*Ak'ba-Ouardmis '.
r* ) Maharas.
journée, j K'orb-el-Hammâd.
( Menhal-Telermet. Fidah , en Tarilélt. 1" jour.
iEl-Medakik.
Ouadi- Amerfouli' .
Madjan-el-R'osfa.
Sedjelmâça. Ayn-el-*Abbas. l*jour.
L'identité de Ouadi-Djîr avec Oued-G'yr,<le Ouad-Sa&af
avec ie torrent Esfasef , et de Sfisfa avec Sefsaf apparaît clai-
rement, malgré quelques variantes qui tiennent surtout à
une différence de système de ti*anscription des mots arabes
entre M. d'Avezac et moi. Après trois journées de marche,
à partir de fOuad-Djîr, le chérif Moh'ammed est arrivé à
Fidah, en Tafilêlt, son pays. Il faut une journée de plus
poiu* aller à Sedjelmâça. Enfin Aïn-el-'Abbas, qui est indi-
qué par le chérif à une journée dans le Sud-Est de Fidah,
sur la route de Touât, est placé par El-'Aîachi à une jour-
née dans TEst de Sedjelmâça, sur la même route de Touât.
En combinant toutes ces données, il me semble fort pro-
bable que la distance entre Sedjelmâça et Tafilêlt était d'en-
viron 2 1 milles ou une journée de marche.
Avant d*avoir suffisamment examiné les textes que j ai
* Il s'appelle aussi 'Ak'ba-el-R'abila.
DU TRADUCTEUR. xxxv
eus à traduire, j*avais ëté tenté de croire que Sedjelmâça
et Tafilêlt étaient une seule et même ville; mais les pas-
sages où Moula-Âh'med parle de Moulai-Moh'ammed et du
chérif Ben-*Âmar comme administrant à la même époque ,
fun à Tafilêlt et l'autre à Sedjelmâça, suffisaient pour me
prouver que ces deux cités appartenaient à des territoires
différents, dont chacun avait son gouverneur. D'aillem^s,
si ces deux villes eussent été identiques comme localité,
Moula-Âh'med n aurait pas dit qu'il avait pris congé de ses
amis de Tafilêlt aux portes de Sedjelmâça, ainsi quon a
vu plus haut.
Le nom de Tafilêlt est la forme berbérisée du mot Fi-
lala , qui se trouve dans le passage suivant , extrait du récit
d'El-'Aîachi » :
a Le lendemain nous mimes pied à terre au d'ohor avant
Ell-'Âoulna. Là mourut un de mes amis de Filala (Tafilêlt],
un des enfants de Timâm des gens de Sedjelmâça. »
Quand on veut désigner quelque habitant ou originaire
de cette ville, on dit El-Filali. MarmoP, après avoir dit que
Tafilêlt a été bâtie par les anciens Âfiricains dans une plaine
de sable, ajoute qu'il est peuplé de Berbères Filili.
Le rôle important que devait jouer Sedjelmâça dans la
construction de la carte motive la longue digression qu'on
vient de lire. Ceci étant déterminé, ainsi que les points de
départ de Moula-Ah'med, d'El-'Aîachi et de M. Fabre', je
reviens aux observations que j'ai promises sur la vaste éten-
due de pays désignés sous le nom de K'ibla et de S'ah'ra.
Je commencerai par ce dernier.
' Voyez pag. i48.
' Tom. m, pag. 32.
^ Voir au commenoement de la narration de chacun de ces voyageurs.
XXXVI OBSERVATIONS
S'AH'RA.
La route suivie par Moula-Âh'med entre Tamk'rout et
Sedjelmâça, celle surtout que parcourut El-*A!achi, depuis
cette dernière ville jusqu'à Sebkka-el-Kebira, en passant
par Touât, K'olîa, Ouâregla, Tougourt et Slouf, sont les
seules qui se rapportent au désert proprement dit. Cepen-
dant le mot S'ah'ra se trouve plus d'une fois dans la bouche
de nos voyageurs, à propos de régions situées beaucoup
plus au Nord; mais alors il faut lui attribuer le sens que
j*ai indiqué dans l'introduction.
On se tromperait beaucoup si, même lorsqu'il s'agit
du vrai désert, on se figurait une immense mer de sable
dont aucune végétation n'inten^ompt l'aridité , dont aucune
élévation ne dérange le niveau. Une couite analyse des nar-
rations d'El-'Aïachi et de Moula-Ah'med donnera le véri-
table aspect du S'ah'ra , au moins dans sa partie septen-
trionale.
Dans le trajet de Tamk'rout à Sedjelmâça, Moula-Ah'-
med indique presque partout de l'eau en abondance et des
pâturages. Or il faut remarquer qu'il voyageait à la fin de
juillet. Ce n'est qu'à la sixième joiu*née de marche qu'il
parle d'un pays moins favorisé. «Nous abandonnâmes, dit-
il, la route habituelle, à cause de la violence de la chaleur,
de la rareté de l'eau, de la sécheresse de la terre et de la
grande (piantité de serpents qu'on ti*ouve dans ce pays ^ »
La caravane laisse au Sud Âznatia ^ , lieu où elle avait
* Voir pag. 177.
' G est sans doute Tendroit désigné dans la carte de M. d'Avezac, sous le
nom de Zenétyah.
DU TRADUCTEUR. xxxvii
passé dans un précédent pèlerinage, et se dirige veis le
Nord-Est. On ne peut pas évaluer à moins de 190 milles
la distance parcourue par la caravane entre Tamk'rout et
Sedjelmâca. Sur la carte de M. d*Avezac il n*y en a que 1 20
(même en tenant compte des détours). Si les renseigne-
ments fournis par nos voyageurs sont exacts , il faut repor-
ter, Je crois, Tamk'rout plus au Sud-Ouest.
Pour se rendre à Touât en partant de Sedjelmâca , El-
*Aïachi pénètre beaucoup plus au Sud que Moula-Ali'med,
qui a marché à peu près OuestEst La marche de la cara-
vane se fait sur deux directions, de TOuest à FEst, pendant
les sept premières journées, et vers le Sud durant le reste
du voyage. La cause pour laquelle çUe ne va pas immédia-
tement dans cette dernière direction , qui était la véiitable,
est qu*on voulait gagner TOuadi-Djir, vallée dans laquelle
on trouve toujours de leau et des pâturages jusqu'à Touât.
Contrairement à ce qu'il parait naturel d'imaginer, c'est en
allant de l'Ouest à l'Est qu'elle rencontre des contrées qui
ressemblent un peu au S'ah'ra et dont El-'Aîachi dit
(pag. i3) : «Devant nous se développait une contrée vaste,
où la population est rare et disséminée, un de ces endroits
difficiles où chacun ne s'occupe que de soi, de ses bagages
et de ses bétes de somme. Dans le pays raviné que nous
parcourions, l'œil n'aperçoit que la poussière soulevée par
un vent continuel. Les chameaux et les oiseaux du ciel peu-
vent seuls traverser ces solitudes. »
La caravane gravit ensuite le H'ammâd-el-Kebir, chaîne
que le grand Atlas marocain détache vers le désert, et qui
sépare les vallées de l'Ouad-Ziz et de l'Ouad-Djir. Deux
jours et demi sont nécessaires pour traverser cette mon-
tagne qu'El-'Aïachî signale comme un terrain rude, diffi-
xxxviii OBSERVATIONS
cile ^ «On ny trouve, dit-iJ, ni arbres, ni broussailles,
ni herbes. L œil n y aperçoit que des nuages de poussière
soulevés par des vents continuels qui , dans leur violence ,
effacent les traces de la marche des caravanes, à mesure
que les pieds des hommes et des animaux les y impriment.
Uaquilon qui soufflait en ces lieux égalait en froideur ce
quon ressent en enfer; les mots me manquent pour expri-
mer cette température rigoureuse. Nous ne nous arrêtâmes
pour la couchée quau mor'reb, et personne ne put dor-
mir à cause du froid. » Le pays qui se trouve au pied du
versant oriental du h'ammâd n*est pas beaucoup plus favo-
risé. «C'est, dit notre voyageur, un terrain rude, sablon-
neux, et qui cependant offrit quelque pâtiure aux cha-
meau^ pâture toutefois aussi insuffisante, pour les rassasier,
que lest une goutte d eau pour étancher la soif d'un homme
altéré ^. »
La description qu'El-'Aïachi fait de FOuadi-Djîr explique
très-bien pourquoi la caravane a quitté pendant quelques
jours sa véritable direction afin de gagner cette vallée fa-
vorisée de la nature , d'où l'on peut conclure que l'Ouad-Ziz
ne s'étend pas aussi loin qu'elle dans le Sud, ou que ses
bords sont déserts et arides.
« L'Ouad-Djîr, dit El-'Aïachi^, est grand, large et bordé
d'arbres. Les cours d'eau qui y confluent viennent de très-
loin , et n'y arrivent qu'après quelques jours de marche. La
source de l'Ouad-Djir est du côté de mon pays ( le pays des
Aït-'Aîach ) , ses bords sont couverts de cultures et de popu-
lation. Son cours est dans la direction du S'ah'ra, vers lequel
' Voir pag. i3.
- Voir pap. i4.
' Ibid.
DU TRADUCTEUR. xxxu
il coule entre des rives parsemées de villages. Lorsque cette
rivière arrive vers la partie du H'ammâd-el-Kebir qui est
entre sa vallée et Sedjelmâça, la population cesse jiisqu*au
premier village de TOuad-el-Açaouïr ^ endroit où elle recom-
mence et se continue pendant environ lo journées, jus-
qu'auprès de Touât. Alors TOuad-Djîr tourne sur la droite
(au Sud-Ouest ou à TOuest) dans d'immenses sables. »
On voit par cette description remarquable que h vallée
de rOuad-Djîr est peuplée et cultivée dans toute son éten-
due, sauf la lacune de 2 journées et demie environ signalée
par El-'Âlacbi. Par Tlemsên , Figuîg et K'anadsa on peut
arriver en lo journées de caravane, en k autres journées
venir à la bauteiu* de Tafilélt , puis, en descendant pendant
10 journées TOuad-Djîr, atteindre les bourgades de Touât
en une somme totale de 2 A étapes.
El- Aîacbi ne fait aucune remarque particulière sur la
nature du terrain comprise entre Touât et Aouab'dets, une
des bourgades du canton d'Aouguert. Entre Âouah'dets et
£l-K'oiïa se trouve TOuad-Ouamguiden que la caravane
suit pendant dix journées. On trouve de leau tous les jours
le long de cette vallée, dans des trous appelés maât'eh;
cette eau est douce et abondante. Mais après avoir traversé
le bourg de Ouâlna , la caravane u trouve un pays de sables
qui étonnait f œil par son étendue. Nous le parcourûmes
avec beaucoup de peines et de fatigues, dit El-*Aïachi^, et
nos chameaux eurent encore plus à souffirir que nous. A
l'aspect de cette immensité de sables, je me rappelai cette
parole, Bénissez notre seigneur Mahomet autant que le sable
est étendu, et j'en compris toute la portée. »
> El-* Aîacbi écrit ailleurs Ouad-es-Saourali.
* Pag. 28.
XL OBSERVATIONS
Cest entre Ouâlna et El-K'ofia que vient s embrancher
la route de Tegourârîn.
Après El-K'olîa, la caravane passe une montagne et at-
teint un pays raviné qu'elle traverse en six jours. Le septième,
elle commence à gravijr le H'ammâd-el-Kebir, montagne qui
na pas sa pareille dans tout le pays du R'arb, dit El-*Aîachi;
or ce voyageur, qui est de la partie la plus élevée du Ma-
roc, ne peut faire une semblable remarque qu'à propos
d*ime montagne dont la hauteur doit ctre considérable '.
Comme il parait peu probable que ce H'ammâd-el-Rebir
soit une continuation de celui dont il a été parlé plus haut,
je crois quEl-'Aîachi emploie ici ce mot comme nom com-
mun et dans la signification de ^V^ que Freytag définit
finis f terminas. A partir du h'ammâd, on ne trouve plus
deau ni de pâturages, jusqua Ouâregla, dit notre voyageur,
sauf à rétape de TOuad-Machoucheb, où l'herbe et l'eau se
rencontrent. A l'exception de cet endroit favorisé, partout
sur leur route le terrain est rude , pierreux , sans arbres ,
quelquefois de couleiu* noire , et les animaux n'y trouvent
absolument rien à pâturer. Le vent qui souffle avec violence
et la pluie qui tombe par torrents augmentent encore pour
nos voyageurs les difficultés du voyage dans de pareilles
contrées.
El-'Âîachi ne (ait aucune remarque sur le terrain situé
entre Ouâregla et Maguersâ, espace d'environ dix milles;
mais en quittant cet endroit, «la caravane marche, dit-il ^,
sur un terrain de sables , où l'on ne peut se diriger qu'autant
* Dans un autre endroit, El-'Aîachi, pariant de ce H'ammAd-el-Kebir, dit
que cette montagne peut passer pour la mère de toutes les montagnes du
monde, à cause de sa longueur, de sa largeur et de sa hauteur. (Pag. 45.)
* Pag. 58.
DU TRADUCTEUR. xii
qu on le connaît parfaitement. » Son itinéraire , pendant trois
jours , à partir de celui où il fait cette remarque , n'indique
ni localités , ni eau , ce qui ferait croire qu on a toujours
marché dans le sable ; puis , après avoir mentionné Ag^edag,
première ville de TOuad-Rir', il parle de Temâcen , bourgade
située à peu de distance de là , et où il y a une grande
quantité de palmiers. De là à Tougourt, il ne signale rien.
Dans une lettre que notre voyageur écrit à ses parents, et
qu'il a intercalée dans son récit , on lit ^ : « Nous partîmes
d'Ouâregla le 9 de djoumâd-et-tani , nous traversâmes un
canton rempli de sable, puis nous arrivâmes à Tougourt.... »
Ce passage autorise à penser que le pay» compris entre
Ouâreg^a et Tougourt est un terrain de sable dont l'uni-
formité n'est' guère interrompue que par les petites oasis de
Maguersâ , Aguedad et Temâcen.
Entre Tougourt et Souf, il n'y a que du sable; u c'est, dit
El-'Âîachi ^ un pays qu'on prend ordinairement pour terme
de comparaison quand on veut désigner un endroit où le
sable abonde. » La caravane le traverse lestement, en quatre
jours, parce qu'il y avait plu beaucoup , ce qui avait solidifié
momentanément le terrain.
A partir de Souf, la caravane voyage pendant sept jours
dans les sables, sur uki terrain uni. Dans les derniers joiurs
deux sebkha, ou lacs salés, rompent la monotonie de ces
contrées. Le huitième jour, la caravane arrive à la grande
sebkha qui est entre les régences de Tunis et de Tripoli,
et elle se trouve tout à fait hors du S'ahVa.
Il résulte de ceci que dans le triangle dont El-'A'iachi a
parcouru les côtés Ouest, Sud et Sud-Est, c'est précisément
< Pag. 59.
« Pag. 65.
xLii OBSERVATIONS
la pointe, la partie la plus méridionale, qui ne présente
pas de sables, et que ceux-ci ne commencent qu*à Ouâlna,
doù ils se continuent jusqua la sebkha Kebira, avançant
d'autant plus vers le Nord qu on se trouve davantage dans
la direction de TOrient. En appliquant cette donnée à T Al-
gérie, on peut conclure que la province d'Oran est celle où
la bande de terre cultivable et habitable présente le plus
de largeur ^ tandis que la province de Constantine est dans
des conditions diamétralement opposées. Biskra, qui nest
qu*à 60 lieues environ de la côte, touche presque au S'ah'ra
par le Sud; et, par TOuest, à la mefaza de Sidi-Khâled,
contrée aride et inhabitée , qui est une espèce de sentinelle
avancée du grand désert ; tandis que Touât, qui est à plus
de a 00 lieues du littoral, communique avec celui-ci par une
route où on ne trouve pas de sables, et où les habitants et
les cultures se rencontrent sans presque aucune solution de
continuité. La conclusion à tirer de tous ces faits est que
la route indiquée par la nature des localités, pour com-
mercer avec Tintérieur de TAinque, est par Tlemsên, Fi-
guig, etc. ainsi qu*il a été indiqué plus haut; ou, ce qui est
préférable poiu* beaucoup de raisons, par Alger, Médéa,
Bor'ar, El-Ar'ouât', et R'ârdêia des Beni-M'zâb. Sur cette
longue ligne, un tiers des populations est directement ou
indirectement sous notre influence. Les M'zâbi qui abondent
dans nos villes, où ils viennent chercher fortune, et qui,
par leur aptitude pour le commerce , rappellent la nation
juive , occupent en grande partie le reste de la ligne à par-
courir. Il serait facile de lier avec eux des relations de
* Shaw prétend le contraire; mais il est facile de voir que, trompé par le
sens très-général que les indigènes donnent au mot S'ah'ra , il attribue «a
désert des terrains qui sont cultivés ou cultivables.
DU TRADUCTEUR. xi.iii
négoce, où ils figureraient comme nos intermédiaires : cest
une entreprise qui mérite detre tentée.
EL-K'IBLA.
Ce mot, que les Arabes prononcent Guibla, signifie le
Midi. De même qu'en France on désigne spécialement par
cette expression certaines parties du territoire, il est em-
ployé ici en parlant des contrées situées au delà des mon-
tagnes du petit Atlas. Il sépare le Tell du S'ah'ra. Le K'ibla
est coupé par une chaîne de montagnes qui s'étendent de
rOuest à TEst, sous divers noms, et que j'appellerai mon-
tagnes bleues, désignation qui a pris spontanément naissance
dans notre armée , et a été admbe jusque dans des rapports
officiels. Nos soldats nayant encore aperçu cette chaîne que
dans le lointain ont été firappés de sa couleur azurée, effet
naturel de la distance, et lui ont imposé le nom que j'adopte
ici, précisément à cause de sa signification ti*ës-générale.
Les montagnes bleues divisent donc le K'ibla en trois par-
ties distinctes. K'ibla septentrional, K'ibla montagnard et
K'ibla méridional. Le K'ibla septentrional se compose de
vastes plaines, légèrement accidentées, sauf dans les endroits
où des chaînons d'une certaine élévation , se détachant des
cimes les plus hautes de l'Âdas du Tell , poussent assez avant
leurs ramifications, qui, quelquefois même, vont se con-
fondre avec celles que les montagnes bleues envoient vers
le Nord. Certaines plantes caractérisent ces plaines : ce
sont le chih', le h'alfa, le guettaf , etc. Le récit de M. Fabre
et les renseignements recueillis lors de l'expédition du gé-
néral Marey chez les Oulâd-Nail doivent définitivement en-
lever à cette contrée le nom de désert , qui lui avait été
ALiv OBSERVATIONS
donné si improprement. Le pays est, sinon partout habité
et cultivé , du moins presque partout habitable et cultivable.
Le K'ibla montagnard est accidentellement décrit par
Moula- Ah' med , et par El-*Aîachi à son retour. Ce dernier
voyageur raconte qu'en quittant une petite ville appelée
Loua , la caravane apprit , à ime demi-étape de là , à Douîça ,
lieu situé à li milles du bourg des Oulâd-IDjelâl , que les
Arabes se proposaient de lattaquer. On se jette aloi*s, vers
le Nord, par le chemin du D'ahra, dans les montagnes
qui séparent du Zâb le grand Chot, qui est auprès de Bou-
Sa'da. Ce n est qu'après s être détourné de près de /i o milles
de la route ordinaire , qu'on atteint le défilé appelé Khouza-
el-Bot'om, ou le défilé du Térébinthe, d'où les pèlerins
gagnent 'Abd-el-Medjid , rivière qui est sur le chemin habi-
tuel des caravanes. El-Aîachi dit que le terrain parcouru
dans ce détour est très-rude , et qu'on y eut très-firoid ( c'était
à la fin de mars ) , ce qui ferait penser que la température
de ces montagnes est à peu près celle de l'Atlas du Tell.
En quittant El-Ar'ouât', la caravane dont faisait partie
El-'Aîachi se divise en deux portions : la plus considérable
prend une route qui incline au Sud , tandb que l'autre va
par'Aîn-el-Mâd'i. Le chemin suivi par la majorité des pèle-
rins traverse un pays montagneux et rude , où le fiK)id et la
pluie accablent les malheiureux voyageurs. Ce n'est qu'au
Sud-Ouest d'Er-Raçoul qu'ils se retrouvent sur la voie ha-
bituelle.
Dans tout le terrain parcouru, soit dans le K'ibla méri-
dional, soit dans le K'ibla montagnard (que la caravane
traverse quelquefois pour éviter des détours vers le Sud ou
pom* d'autres causes) , El-'Aîachi ne fait aucune observation
qui permette de supposer que ce soit là le désert ; au con-
DU TRADUCTEUR. xlv
traire , il parie très-souvent de la bonne qualité et de f abon-
dance des eaux , de Tétendue et de la richesse des pâturages ;
il cite parfois des bourgades et des tribus qui se rencontrent
sur la route ; et s*il paraît résulter de quelques parties du récit
que la population est faible , on ne peut rien conclure de ceci ;
car, dans les lieux qui nous sont très-connus , ne trouve-t-on
pas souvent des contrées fertiles et cependant inhabitées ^ ?
Dans un des itinéraires de Mouia-Âh'med , ce voyageur
signale, entre El-Ark et Ouadi-Rir', un grand désert qu*il
appelle Mor'eran , et un autre , la Mefaza de Sid-Khâled ,
entre Sidi-Khâled et Ouadi-Rir'. La proximité d*Ël- Ark et de
Sidi-Khâled autorise à penser que le Mor'ran et la Mefaza
sont luie seule et même chose. Il résulte, du reste, de son
propre récit , que les pèlerins trouvèrent de leau dans ces
solitudes , bien qu^on leur eût annoncé qu'il n y en avait pas.
Il me parait impossible de ne pas reconnaître , après la
lecture attentive des documents contenus dans cet ouvrage,
que le désert , ainsi que je lai dit dès Tintroduction , est
beaucoup plus éloigné du littoral quon ne lavait imaginé
jusqu'ici , et que les contrées désignées sous le nom de S'ah'ra
par les indigènes ne répondent nullement à l'idée que ce
mot nous en avait fait concevoir ; car elles sont générale-
ment habitées et cultivées ou cultivables.
Il existe encore , relativement au K'ibla , une opinion que
je crois erronée. On a dit que cette contrée ne produisait
pas de céréales : la preuve du contraire se trouve dans le
récit de M. Fabre. Si donc, parmi les tribus qui l'habitent,
il en est qui viennent faire des achats considérables de blé
^ Il faut rappeler, toutefois, qu*El-*Aîachi , lors de son retour par le K'ibla,
parie de sables entre NeA'a et El-'Ardj ; mais il fait observer à ce sujet que la
caravane avait alors quitte la route habituelle et avait incliné vers le Sud.
i
xivi OBSERVATIONS DU TRADLCTELR.
rlan<i le Tell , on ne peut tirer de ce £iit la conclusion ab-
solue dont il vient d*étre parlé. Il me semble que la plupart
des nomades du K'ibla ne se livrent pas à cette espèce de
niihire, non point faute de terrains qui y soient propres,
mnis pour donner moins de prise au pouvoir, quel qull
/lotf. , qui cherche à les dominer. Sachant que les gens du
Tf^ll ont besoin des dattes et autres produits de leur sol ou
drs contr<^e<i situées plus au Sud, ces nomades sont toujours
fidrn d'i'rtre reçus sur les marchés du Nord, moyennant quel-
Hiw% mcri(ic(*% pécuniaires, sacrifices inférieurs i ce que
Irtir rofitoniient les visites de collecteurs armés dont parle
Vf. K«hrr.
NOTE SUR LES HEURES.
^indication des heures, chez les musulmans, se fait à
l*aide d expressions dont la traduction ne laisse pas d être
embarrassante, parce quelles ne rappellent pas, comme
chez nous, des divisions exactes et uniformes du temps, qui
restent les mêmes dans toutes les saisons, mais quau con-
traire elles se rapportent à des circonstances essentielle-
ment variables, selon les différentes époques de Tannée.
Ainsi, l'heure qu'ils appellent moHreb, par exemple, et qui
signifie «le coucher du soleil, » nest pas la même dans tous
les pays ni dans toutes les saisons; de sorte que, traduire
cette expression par «cinq heures après midi, » cest suppo-
ser que le soleil se couche partout et toujours à la même
heiu*e. Pour éviter ces erreurs, peut-être inévitables dans
la traduction des mots par lesquels les musulmans expri-
ment les divisions du temps , j'ai conservé les dénominations
arabes. Je vais ici énumérer toutes celles de ces expressions
qui se trouvent employées dans El-'Â!achi et dans Moula-
Âh'med; j'essayerai de fixer leur valeur d'après les meilleurs
^ossaires, d'après une étude attentive des deux manuscrits
où elles sont employées, et les explications qui m'ont été
données par des Algériens instruits.
j>^ sàh'ar ( dans l'usage vulgaire ) , c'est le temps qui
précède l'aurore, les premiers rayons du jour;
j^fidjer, point du jom*, premier rayon de l'aurore;
(jMb^CuJI 23^ i^ohu ech'chems, le lever du soleil. Cette
expression emporte avec elle son explication.
^5^ d'oVa. Ce mot, suivant quelques auteurs, est le
pluriel de d'ah'oua, qui se dit au moment où le jour est
élevé; c'est l'instant de la matinée où, après le lever du
soleil , cet astre est le plus haut. D'oh'a exprime un moment
encore plus avancé. Il résulte, des divers passages où ce mot
2 VOYAGE D'EL-'AÎACHI.
De retour de ce premier voyage, il compose des
notices séparées où il consigne le résultat de ses obser-
vations. Il reproduit ici le préamhule de ce premier
travail : « Je raconterai, dit- il, les événements de mon
pèlerinage ; je donnerai les noms des endroits que j'au-
rai vus , et j'en ferai la description , afin que les fidèles
qui se rendent à la Mecque apprennent à connaître
la route et les stations , sachant quels sont les chemins
faciles, ceux qui ne le sont pas, les endroits où Ton
trouve de l'eau et ceux qui en sont dépourvus. Je parle-
rai aussi des marabouts , des savants et des personnages
considérables que j'aurai eu occasion d'entretenir. »
A la fin de rebi' io64 ( i653), il part ime deuxième
fois pour la Mecque. Il se pourvoit de tous les livres
dont il croit avoir besoin pour composer le récit de ce
nouveau voyage. A son retour, il réunit les notes sépa-
rées qu'il avait rédigées la première fois, et il en forme
un tout.
En 1069 (i658), il avait l'intention d'aller encore
en pèlerinage; le mauvais état des chemins le force de
renoncer à son projet.
En 1072 (1661), il veut mettre son dessein à exé-
cution ; mais il n'y eut pas de caravanes pour la Mecque
cette année , à cause des guerres civiles qui désolaient
le pays ^ El-'Aïachi se console de ce contre-temps en
composant une longue pièce de poésie sur le mouloud
ou nativité de Mahomet.
* La réyolte de Moula-Rachid contre son frère Moula-Mok'ammed ,
émir de TafiléU.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 3
L'année suivante , le sultan » voyant que le pays était
un peu plus tranquille , permit à quelques personnages
de haute distinction ou à des marabouts d'aller en pèle-
rinage. Quoique notre vc^ageur ne fût pas du nombre
des privilégiés et qu'on lui eût refusé le tesrih', ou lettre
d'autorisation , il consulte la Divinité , au moyen de l'is-
tikhara\ afin d'être fixé sur l'entreprise qu'il médite.
« Les hommes intelligents , dit-il , et qui connaissent
leur religion , ont recours à ce moyen , même pour une
vente ou un achat, transactions de peu d'importance ; on
doit, à plus forte raison, l'employer quand il s'agit d'en-
treprendre un voyage long et dangereux comme celui
de la Mecque. » Aussi El-'Aïafchi n'y manque-t-il pas ;
et, ayant obtenu des augures favorables, il prépare tout
pour partir avec un marabout qui avait un tesrih'. 11 est
probable , quoiqu'il ne juge pas à propos d'en informer
le lecteur, que cette autorisation s'étendait jusqu'à lui,
ou que, par la suite, il en reçut une lui-même.
Vers le milieu de rebi'-el-oouel ^ de l'année 1078,
' On appelle istikhara un ensemble de pratiques religieuses par
lesquelles on consulte Dieu sur les choses que Ton veut entreprendre.
On se purifie, on fait la prière d'obligation (s'ela), on récite une
oraison surérogatoire (deker) , après quoi on se couche, et on voit en
songe ce qu*on doit décider.
' Le manuscrit dit, « vers le milieu de moh'arrem, » par une erreur
de copiste sans doute; erreur dont Tévidence ressort du reste de ce
passage. En effet, El-*Aîachi arrive à Sedjelmâça, peu de jours après
sa lettre, le jeudi 1" de rebi'-et-tani. Or, si moh'arrem était la leçon
exacte , il sç serait écoulé la dernière moitié de ce mois , tout safar,
rebi*-el-oouel tout entier, c'est-à-dire deux mois et demi , entre Tenvoi
de sa missive et son arrivée au camp de la caravane.
& VOYAGE D^EL-'AÏACHI.
El-'Aiachi avait à peu près tout disposé pour son départ.
La caravane générale, réunie à SedjekBâça, était alors
sur le point de se mettre en route , la plupart des pèle-
rins se trouvaient déjà rassemblés dans cette ville , et ils
se souciaient d'autant moins d'y prolonger leur séjour,
que tout y était hors de prix. Mais notre voyageur, qui
avait pour ami intime Témir er-rekeb, ou prince de la
caravane, Sid-Moh'ammed-el-H'afîân, écrivit à ce chef
pour le prier de l'attendre pendant quelques jours , lui
promettant d'être prêt au commencement du mois sui-
vant. Afin d'être plus certain d'obtenir le délai qu'il
désire , il envoie des lettres aux principaux de la cara-
vane, entre autres à Sid-Ahmed-el-Khat'ib, k'âd'i de
Marrakch (Maroc) et de ses dépendances, afin qu'ils
appuient sa demande auprès de Sid-Moh'ammed-el-
Hafïàn. Ses lettres arrivent à propos, car on allait se
mettre en route ; mais , par une faveur insigne , on re-
cula pour lui le moment du départ, ce qui contraria
beaucoup les autres pèlerins.
El-'Aïachi se hâta d'achever ses préparatifs; et, mal-
gré les eflbrts de ses parents et de ses amis pour le
retenir, il part de chez lui le i** de rebi'-et-tani de
l'année 1078 (2 novembre 1662). Ici, on le laissera
prendre la parole et raconter lui-même son intéressant
voyage.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
DEPART D'EL-AÏACHI.
RÉCIT DE MON DEPART ; MES ADIEUX k MA FAMILLE ,
À MON PÈRE, À MES ENFANTS.
Jeudi, i*' rebi*-et-tani 1078 (q novembre 166a).
Je sortis de chez moi^ le jeudi, au point du jour;
car le prophète a dit : « Le jeudi serahéni pour ceux qui,
ce jour, se mettront en route de honne heure. «Aussi, dès
le mercredi, j'avais fait sortir les tentes et le hagage
pour être tout préparé à profiter de la bénédiction
promise par l'envoyé de Dieu. Tallai visiter le tombeau
de mon père, afin de prendre congé de lui. Ce devoir
accompli, je fis mes adieux à mon oncle paternel, à
ma mère, à toute ma famille, et je reçus les leurs. Je
dis Toraison que Ton récite quand on entreprend un
voyage, puis je me rendis à la mesdjid^, afin d'obte-
nir la bénédiction attachée à cet acte. Je me dirigeai
* Notre auteur n indique pas son point de départ; on verra piu6
loin que c est le pays des AU-* Aîach , kabiles qui habitent la partie de
TAtlas comprise entre les sources de la Moulouîa et celles de TOuad-
Djîr.
* Mesdjid, à proprement parler, est, par opposition à djâma\ unei
mosquée où Ton ne fait pas la khot'ba, ou sermon solennel du ven-
dredi. Cependant je dois avertir que notre auteur ne s'astreint pas à
observer cette différence, et qu*il emploie, presque toujours le pre-
mier de ces mots dans le sens de Tautre. Mesdjid, prononcé mesguidj
dans beaucoup d* endroits , est Forigine du mezquita des Espagnols et
de notre mot mosquée.
6 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
ensuite vers le campement des autres pèlerins et visitai
le tombeau de Sid- Abd-Allah-el-Mazr'i-ed-Dedici, qui
était à côté du bivac. Dès le lever du soleil, on avait
commencé à charger dans ce lieu, où j'avais fait porter
tous mes effets. Là, je me séparai de mes parents, de
mes amis, et les larmes coulèrent en abondance ^
Nous marchâmes toute cette journée jusqu'à l'ac'er*.
Cependant nous n'arrivâmes ni à Hella (aJ^), ni à
K'ec'er [jaoà ) , parce que , dans cette saison , les jour-
nées sont courtes , et que les allées et venues des pèle-
rins, les adieux, etc. nous avaient fait perdre du temps.
Nous couchâmes près du défdé' de Toulichât ((^-â^^
c;>lûjd3), où nous fumes bien traités par les habitants,
sous tous les rapports.
Dans cet endroit , les allées et venues cessèrent ; le
chagrin du départ conunença à se calmer, et la seule
chose qui nous occupa était la crainte de nous trouver
en retard avec la caravane qui nous attendait à Sed-
' On supprime ici un passage relatif au chagrin du départ, etc.
On a déjà vu, dans la préface, qu'il y aura souvent lieu de faire de
semblables suppressions, dont on n'avertira plus, à l'avenir, pour ne
pas multiplier les notes sans utilité.
^ Voir la note en tête de l'ouvrage.
' Khenk' , étranglement, défilé. C'est sans doute de cet endroit que
Léon l'Africain veut parler, lorsqu'il dit ( tom. I, pag. io3] : «Le
Cheneg est une province sur le fleuve de Ziz, qui confine avec les
montagnes de l'Atlas les habitants sont les uns, pauvres
en toute extrémité, et les autres opulents, parce qu'ils ont le gouver-
nement du pas qui est entre Fés et Segelmesse, la où ils font payer
de grosses gabelles aux marchands. Cette proviaoe a ^o milles d'é-
tendue. »
VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 7
jelmàça, et, par conséquent, de manquer le pèleri-
nage; car, au moment où j'envoyai des messagers pour
solliciter un délai , j'en recevais qui me pressaient de
partir. Mon frère Moh'ammed passa la nuit avec moi ;
il devait m'accompagner à la Mecque ; mais il tomba
malade subitement, et il lui fallut renoncer à son pro-
jet et retourner dans notre pays. Ce contre-temps le
chagrina tellement qu il en répandit des larmes.
Vendredi, a de rebr-et-tani (3 novembre).
Nous marchâmes toute cette journée jusqu à la nuit,
et nous allâmes coucher à Ta'lâlin (0^^^).
Samedi, 3 de rebi*-et-tani (4 novembre).
C'était le premier jour de l'hiver. Nous entrâmes
dans le défilé, et nous descendîmes à K'ec'er-beni-
'Otsmân ((jL^ <^ j-A^i ^^â^), où nous couchâmes. J'y
rencontrai mon ami le légiste [faki), Sid-Moh'anuned-
ben-Es-Souci , qui passa la nuit avec moi , et dont l'inté-
ressante conversation fît un peu trêve à ma doideur.
Dimanche, U de rebi'-et-tani (5 novembre).
Nous partîmes de K'ec'er-beni-'Otsmân, et, dans
l'après-midi, à Tachia, vers cinq heures du soir, je
visitai, en pèlerinage, le tombeau de l'imâm |Vfoula-
'Abd-AUah-ben-T ahar-el-H açani , à Medr'ara ( ijàà^) ^
* Cest le chef-lieu du canton que Léon T Africain appelle Matgara,
lequel est, dit-il, qa autre territoire hors de ce détroit [el-khenk'),
Moula-Ah'med mentiCRine la tribu des Oulâd-*AbdÂllah ben-*Amar,
8 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
Je passai la nuit chez le fils de ce saint personnage ,
Moula-Moh'ammed-ben-'Ali, qui me reçut fort bien.
Il traita aussi les autres pèlerins, et ne négligea rien
pour nous obliger ou nous être agréable , donnant du
kouskouçou aux gens , de Torge aux animaux , et , en
général, tout ce qui manquait aux nécessiteux qui na-
vaient que peu ou point de provisions. Mon séjour chez
lui fut des plus agréables. Que Dieu le comble de biens!
Notre hôte tenait de son père une oraison à Taide
de laquelle on ne courait aucun danger dans les lieux
périlleux et on n avait aucun malheur à y redouter. II
voulut bien me la communiquer.
Lundi, 5 de rebi*-et-lani (6 novembre}.
Je partis de chez cet homme généreux , et j'allai visi-
ter le fak'i « légiste » Sid-Abou-Beker-' Ali-ben-el-H acen ,
qui mourut quelque temps après, au commencement
de 1 oy^t pendant que nous allions en H'edjâz. Je des-
cendis, ce jour, vers TOuad-er-Reteb (v*^' c^^'-j) ^
chez le raïs el-belàd « chef de canton » Moh'anuned-
ben-Mor far, où je reçus une hospitalité libérale.
Mardi, 6 de rebi'-ettani (7 novembre).
Nous quittâmes TOuad-er-Reteb, et nous descendîmes
à la zaouïa de Sid-Ah'med-ben-'Abd-^s'-S'adok'. J'y ren-
comme apparlenant au canton de Medr'ara. (Voyez plus loin un pas-
sage sur les Madr'ar-ebn-Fatin. )
^ Le mot Reteh est écrit Rêtel, par Léon 1* Africain, qui appelle ainsi
lé canton de 5o milles d* étendue situé entre Medr'ara et Sedjelmâça.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 9
contrai £bn-'Abd- Allah, fils de ce saint personnage;
nous nous donnâmes réciproquement la bienvenue.
Le pays était alors divisé par une guerre acharnée.
Le parti à la tête duquel était le prince du pays (émir
el-belàd) avait battu l'autre, avait dévasté son terri-
toire et avait coupé deux cents palmiers. Que Dieu
éloigne ce feu de discorde !
Mercredi, jeudi et vendredi, 7, 8 et 9 de rebi*-et-tani
(8, 9 et 10 novembre).
Nous partîmes au sl)ah'. Je rencontrai , dans le che-
min , le chérif , le légiste Moula-Moh'ammed-ben- Abd-
AUah-ben-S'aïd , qui me connaissait depuis longtemps
et était un de mes amis. Lorsque nous primes congé
Tun de Tautre, il me donna une oraison pour les en-
droits périlleux ' .
Nous marchâmes toute cette journée, et nous en-
trâmes à Sedjelmâça (iÛMbV^) dans la soirée ('achîa.) Je
descendis à la mous'alla-el-aïd (l'oratoire de la fête)^,
* La prière généralement employée , en pareil cas , par les Algé-
riens, est on verset du K'oran, quils appellent le verset du trône
(aîat-el-korsi). (Test leur oraison de saint Julien.
* On appelle ainsi un lieu où la population va faire la prière en
certaines occasions, notamment le jour de Taîd-el-kebir, ou la grande
fête, et celui de Taîd-es'-s'er'ir, petite fête à la fin du ramad'ân. Le
mous'alla d'Alger était hors de la porte dite Bâb-el-Ouad. Dans des
temps plus anciens , il avait été entre les murailles d'une vaste église
chrétienne ruinée, sur l'emplacement de la grande mosquée actuelle.
(Voyez, sur la mous'alla, M. de Sacy, Chresi. arabe, t. V\ p. iQti-)
Le voyageur espagnol Badia, sous le pseudonyme d'Ali-Bey, dit,
tom. I, pag. aa6 : «Je rappelle, à cet égard, qu'auprès de toutes les
10 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
hors de la k'asl)a de cette ville. Je trouvai la caravane
campée hors de Sedjelmâça, à El-R'orfa (A»yJl), où
elle attendait depuis longtemps. L'êmir er-rekeb»
Sid-Moh ammed-ben-Sid-Moh'ammed-el-H'alïân , était
sorti le jour même de notre entrée , et la caravane se
préparait à partir le jeudi. Sid-El-H'afïân, ayant appris
mon arrivée , revint en ville et m'aida à faire mes pré-
paratifs. Le départ fut, à cause de moi, reculé jus-
qu'au samedi. Je ne séjournai donc que deux jours,
temps qui ne suffisait pas pour ce que j'avais à faire.
J'achetai tout ce qu'il me fallait pour le voyage. Je n'eus
pas le temps d'aller visiter, en pèlerinage, les mara-
bouts de l'endroit, ni de voiries personnes pieuses ou
savantes qui y habitent. Je ne pus aller qu'à la k'oubba
de Sid-'Abd-Allah-ed-Dek'ak' , ce qui suffira, aux yeux
du Très-Haut, attendu que, si je n'ai pas fait d'autres
pèlerinages , ce n'a pas été par un effet de ma volonté ,
mais seulement à cause de la hâte où j'étais.
Sid-Ed-Dek'ak', dont je viens de parler, est men-
tionné dans le Kitâb-et-Tchououf d'Et-Tadeli. Parmi
les gens distingués de Sedjelmâça, ou reconunandables
par leurs vertus et leur puissance , j'ai vu Moula-Mo-
h'ammed-ben-Moubarak, dont la bienfaisance s'étend
à tous les habitants de la ville. J'ai rencontré, en outre,
le khat'ib de la grande mosquée ^ , M oula-Moh'ammed-
villes, vers le quart du Sud-Est, il se trouve un endroit nommé El-
Ëms'alla , qui est destiné à la prière pascale. » Dans cette hypothèse ,
la mous'alla d* Alger eut été mal placée.
* Khat'ib, celui qui lit la kliot'ba à la mosquée.
VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 11
ben- Abd-Allah-ben-es-Sid, lequel est en même temps
professeur de Fécole supérieiu*e {medreça)^ annexée à
ladite mosquée. Le vendredi, dans Toratoire de Tê-
mir, j'ai trouvé Sid-Ah'med-ben-Moh'anuned et son
frère Sid-Moh'ammed-et-Tedjemouâti^ Je ne fis, faute
de temps, qu'échanger quelques compliments avec
eux. Enfin, dans le medjelès^ de ces oratoires , j'ai vu le
k'àdl Sid-Red'ouân , le mouderris (professeur) Sid-El-
'Arbi-ben- Abd-el- Aziz , et son frère Sid-Ah'med ; mais
ce fiit seulement le joiu* de notre départ, et lorsque, la
caravane étant déjà sortie, ils venaient pour prendre
congé de nous.
Pendant les deux jours que je passai à Sedjelmàça,
je fiis très-bien traité par l'émir el-belàd, qui me donna
même des provisions pour le voyage. J'avais amené
trois chameaux avec moi, et j'en achetai un autre à
Sedjelmàça. Je donnai le meilleur à l'èmir er-rekeb,
et j'amenai les trois autres à Touàt. L'émir el-belàd
fit des lettres poiu* tous les pays qui dépendaient de
lui sur notre route , afin que mes chameaux reçussent
des rations jusqu'à Touàt.
Samedi, lo de rebr-et-tani (i i novembre).
Je quittai Sedjelmàça le samedi lo de rebi'-et-
' Dans le manuscrit 476 de la bibliothèque d* Alger, il y a deux
pièces de vers sur des questions théologiques, dont Tauteur, Sid-
*Abd*el-Mâlek-ben-el-Fak4-Sid-Moh'ammed-et-Tedjemouâti, est peut-
être le fils du personnage dont parle Moula-Ah'med.
' Lieu où Ton s*assied. A Alger, on donne ce nom au tribunal
d*appel formé par les k'âd'i et les muili.
12 VOYAGE DEL 'AÏACHI.
tani Y et ne sortis de la ville que lorsque la caravane
était déjà en route. Quand je passai sur le lieu de
son bivac, je ny trouvai plus personne. Je suivis leiu*s
traces, et si Témir er-rekeb n'avait pas laissé, au mi-
lieu du chemin, quelqu'un pour m'attendre, je n'au-
rais peut-être point retrouvé la caravane, que je ne
rejoignis pas avant minuit. Elle était alors au bivac à
'Aïn-el-'Abbâs (^Wl ^^).
Dimanche, ii de rebi'-et-tani (la novembre).
Le lendemain, nous séjournâmes en cet endroit
pour attendre quelques compagnons qui étaient restés
à Sedjelmâça, à cause de leiu*s affaires; ils nous rejoi-
gnirent ce jour même. Là je reçus les adieux des der-
nières personnes de mon pays qui étaient venues m'ac-
compagner; et, à partir de ce moment, nous restâmes
sans nouvelles les uns des autres. Je leur donnai des
lettres pour mes parents et mes amis ; j'écrivis aussi à
mes amis de Fês, ne sachant pas si je les reverrais
jamais.
Lundi, 12 de rebi*-et-tani (i3 novembre].
Nous partîmes d' Aïn-el-'Abbâs ^ , nous dirigeant vers
une terre étrangère. Ce que nous laissions en arrière
* M. d*Avezac, dans sa géographie de l'Afrique septentrionale
(pag. i65), s'appuyant sur Tautorité du chérif Moh'ammed, place
*Ain el-*Abbâs au-dessous de Fida en Tafilélt, k une journée sur la
route de Touât.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 13
cessa de nous occuper, et nous ne pensâmes plus qu'au
but vers lequel nous tendions.
Devant nous se développait une contrée vaste, où
la population est rare et disséminée , un de ces endroits
difficiles où chacun ne s'occupe que de soi, de ses
bagages et de ses bêtes de somme. Dans le pays raviné
que nous parcourions , Tœil n'aperçoit que la poussière
soulevée par un vent continuel. Les chameaux et les
oiseaux du ciel peuvent seuls traverser ces solitudes.
Nous ne nous arrêtâmes qu'à Teucha. Sur l'emplace-
ment de notre bivac , il y avait des trous creusés dans
le sable , où nous trouvâmes de la bonne eau , qui va-
lait celle que nous avions bue jusqu'alors. Nous y fîmes
nos provisions pour trois jours , afin de traverser le
h'ammâd (^U^). Chacun visita ses outres et les remplit.
Mardi, i3 de rebi*-et-tani (i4 novembre).
Nous partîmes au point du jour, et, vers une heure
de l'après-midi, nous conunençâmes à gravir le h'am-
mâd; nous couchâmes près du sommet ^ dans un en-
droit que l'on appelle Ouad-es-Sebt' (ke^Jt ($5l>).
Mercredi, 1 4 de rebi*-et-tani (i5 novembre).
Nous partîmes de cet endroit et nous marchâmes
toute la journée, jusqu'à la nuit, dans un terrain rude,
difficile : on n'y trouve ni arbre , ni broussailles , ni herbe.
L'œil n'y aperçoit que des nuages de poussière soulevés
* Je traduis ainsi le mot kerh (ojO, que je n'ai trouvé dans aucun
dictionnaire. La suite du récit indique qu'il ne peut avoir d'autre sens.
14 VOYAGE D'EL-'AÎACHI.
par des vents continuels , qui , dans leur violence , ef-
facent les traces de la marche des caravanes , à mesure
que les pieds des hommes et des animaux les y im-
priment. L'aquilon, qui soufflait en ces lieux, égalait
en froideur ce qu'on ressent en enfer * ; les mots me
manquent pour caractériser cette température rigou-
reuse. Nous ne nous arrêtâmes pour la couchée qu'au
mor'reh, et personne ne put dormir, de la nuit, à cause
du froid.
Jeudi, i5 de rebi*-et-tani (16 novembre).
Le lendemain nous descendîmes du h'ammàd après
lo d'ohor, et nous arrivâmes, avant Fac'er, à la couchée,
Au-desvsous de cette montagne, dans un terrain rude,
Aahlonneux et qui, cependant, of&it quelque pâtiu*e aux
chameaux, pâture, toutefois, aussi insuffisante pour les
raMMa.Hior que Test une goutte d'eau pour étancher la
Moird'nn homme altéré.
Vendredi , 1 6 de rebî*-et-Uni { 1 7 novembre) .
NoiiM paiiimos de cet endroit et nous arrivâmes vers
r( )iia(l hjir (/H«^ iS^^y)^ * l'heure du doh'a; cette rivière
iml Kraiidis lai^o, hoixlée d'arbres. Il y a beaucoup de
iiiniMi^ nt (Parbivs d«^ns les environs. Les cours d'eau
fiMl y innlhioul >ionnont de très-loin et n'y arrivent
' I i«« ihM«MlhmM« I i>M<nU «|u il V • en enfer un lieu appelé zenmuuir,
iiM Im hnitl »««! o\htSui^ LV\|\ro5MiMi familière usitée chei nous (un
linlil il t>Hh*i 1 \V\is\\ M^mv ^u M a e\i»li^ jadis quelque opinion ana-
VOYAGE D'EL'AiACHI. 15
qu^après plusieurs jours de marche. La source de TOuad-
Djir est du côté de mon pays ^ ; ses bords sont couverts
de cultures et de populations ; son cours est dans la
direction du S'ah'ra , vers lequel il coule entre des rives
parsemées de villages. Lorsque cette rivière arrive vers
la partie du H'ammâd-el-Kebir qui est entre la vallée
et Sedjelmâça, la population cesse jusqu'au premier vil-
lage de rOuad-el-Açaouïr, endroit où elle reconunence
et se continue , pendant environ dix journées , jusqu'au-
près de Touât. Alors l'Ouad-Djir tourne sur la droite*,
dans d'immenses sables. Cette vallée n'est pas d'un
grand profit et est un lieu d'effroi; cependant, lorsque
nous la parcourûmes , la paix y régnait ; nous y trou-
vâmes des juments abandonnées à elles-mêmes, sans
gardiens, et personne ne songeait à les voler, dans la
crainte des punitions sévères que l'émir infligeait aux
malfaiteurs. Ceux-ci, lorsqu'ils tombaient entre les
mains de ce chef, ne pouvaient échapper au châtiment,
et c'est à cause de cette justice rigoureuse .que , par la
grâce de Dieu, le pays se trouvait délivré des mauvais
sujets.
Cette extrême sévérité envers les voleurs n'était pas
conforme à la loi, et souvent elle s'exerçait à tort; mais
c^était le seul moyen de faire cesser les vols; et, après
^ Moula-Ah'med, qui a copié ce passage, bl substitué k mon pays ,
ces autres mots : le pays des Aït-'Aîach. Cette circonstance nous fait
connaître la patrie de notre auteur, laquelle était, du reste, déjà indi-
quée par son surnom de EÎ-'Aîachi, et par Titinéraire qu*il suit pour
arriver de chez lui à Sedjelmâça.
' Au Sud-Ouest ou à l*Ouest.
I
I
16 VOYAGE D'EL-'AÏACHL
tout , la mort de quelques-uns amenait la réforme de
tous.
Nous suivîmes TOuad-Djir jusqu'au moment du
d'ohor, et nous nous arrêtâmes alors auprès d'un cours
d'eau, que l'on appelle D'âïa el-H'amâr (jUil M^Mà).
Samedi, 17 de rebi'-et-tani (18 novembre).
Nous partîmes de cet endroit, et, après avoir traversé
un autre h'ammada^, nous descendîmes auprès d'un
lieu qu'on appelle Es-Sed (jwJt), sur un affluent très-
abondant de rOuad-Djir.
Dimanche, 18 de rebi*-el-tani (19 novembre).
Nous quittâmes Es-Sed, et nous traversâmes, au d'oh'a,
un lieu qu'on appelle Adjeli ( jLa»-1 ), le premier village de
rOuad-es-Sàoura (ib^VjyJJ ^^^1^). C'était aussi le premier
des endroits poxu* lesquels l'êmir de Sedjelmâça m'avait
donné des lettres; mais là on n'eut pas égard, le moins
du monde , à sa recommandation. Nous nous arrêtâmes ,
ce jour, dans un village qu'on appelle Fâzzer (j)^)-
Lundi, 19 de rebi*-et-tani (20 novembre).
Nous partîmes de ce lieu, et nous descendîmes au
* Cette expression, un autre h'ammada, ferait supposer que ce mot
a déjà été employé plus haut, ce qui n*est point le cas. Peut-être faut-
il lire d! aïa-el-h' ammàà (le lac du h'ammad), au lieu de d' aïa-el-h! am-
mâr, H'ammada ne se trouve pas dans les dictionnaires. Des indigènes
de rOuest m*ont assuré que ce mot signifie un terrain sec et élevé ,
par rapport à des contrées basses et marécageuses.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 17
bourg des Beni-'Abbâs {(j»X^ (^)y qui sont trois villages
disséminés sur le penchant d'une petite montagne qui
touche au bord de la rivière. Le canton^ fertile en pal-
miers, offre beaucoup de beaux jardins fruitiers; on y
voit aussi un canal d'eau courante et douce.
Auprès de là, dans un autre village, vivait Sid-
Ah'med-ben-'Abd-AUah-ebn-Abou-Meh'alli \ personnage
qui jadis se mit en état de révolte ouverte , et dont la
sédition avait commencé dans ce bourg. Aujourd'hui
encore sa maison est connue et on la montre aux voya-
geiurs.
Comme nous descendions chez les Beni-'Abbàs, Sid-
Ibrâhim-es-Souci m'envoya une lettre contenant une
question; cet homme faisait le pèlerinage avec nous,
mais je n'avais eu jusque-là aucun rapport avec lui. La
question, formulée en trois vers, était relative à la poé-
sie. J'ai oublié ces vers, mais en voici le sens : « Peut-
on, pour les besoins de la rime, changer les signes,
voyelles, en retrancher ou en ajouter? » Ceci me fit
connaître que j'avais affaire à un poëte et je crus devoir
lui envoyer une réponse rimée, dans laquelle je lui
disais que cette licence, intolérable dans le langage
libre , peut être admise en poésie , où la sévérité des
règles met un auteur fort à l'étroit; mais qu'il fallait
n'user d'xm pareil moyen qu'à la dernière extrémité,
* C*e8t probablement le marabout révolté qui s*empara de Maroc ,
au commencement du \i' siècle de Thégire, après avoir battu *Ali, fils
de loucef-ben-Tachfin , ainsi que le rapporte Léon TAfricain (lom. I,
pag. 176) « qui rappelle El-Mah'eli.
18 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
et lorsqu'il y avait impossibilité de faire autrement ^ .
Nous quittâmes , au d ohor, les villages des Beni-'Ab-
bâs , et , continuant de suivre la bande de pays habitée ,
nous descendîmes loin de ces villages , sur le bord de
la rivière.
Mardi, 20 de rebr-et-tani (22 novembre).
De là nous allâmes bivaquer auprès d'un village
quon appelle Bechir (j-a^).
Mercredi, ai de rebi'-et-tani (aa novembre).
Nous partîmes de Bechir, et nous laissâmes sur
notre gauche Er-R'âfa (iC>U)l ) , canton où il y a beaucoup
de villages qui possèdent des plantations de palmiers.
Ce lieu est , de tout le Ouâdi , celui qui produit le plus
de dattes. Une grande quantité d'Arabes le parcourent
poiu* s'y livrer à la chasse . Nous ne traversâmes pas le
Lton et nous primes par un h'ammada, que nous
longeâmes sur son côté gauche , jusqu'à ce que nous
descendîmes à un lieu appelé Foum-el-Medfa' (^^«xXl ^).
C'est le point d'intersection de la route que nous venions
de parcourir, avec le chemin de S'âber (^Uo), lequel
coupe le H'ammâd-el-Kebir et va jusqu'à Mezer'mour
^ Le procédé dont parle El-*Aîachi a quelque analogie avec celui
qu*emploient nos poètes, et dont voici un exemple :
Ah ! bon Dieu, je/n^mi.
Pandolfe qui revient! fut-il bien endormi!
( MoLiàKB , rétourdi . acU II , tcèa* 5. )
VOYAGE D'EL- AÎACHI. 19
Jeudi, a a de rebi*-et*tani (a3 novembre).
Après avoir quitté Foum-el-Medfa*, nous traversâmes
un village que Ton nonuneBeni-Khalef (vjJ^ ^); nous
marchâmes toute cette journée et nous allâmes biva-
quer à la zaouïa de Sid-Ah'med-ben-Mouça {^^^^x^ isj^t)
(^j.« (^ <,v,»j>.t). L'amel, ou chef du pays, me traita,
ainsi que toute la caravane , et il me fournit tout ce que
Têmir de Sedjelmâça lui avait recommandé , par sa lettre,
de me donner.
Vendredi, a 3 de rebr-et-tani (a4 novembre).
Nous partîmes au s'bah' , après avoir visité , en pèle-
rinage, le tombeau de Sid-Ah'med-ben-Mouça. Nous
marchâmes dans le canton qui dépend de cette zaouïa ^
jusque dans un lieu qu'on appelle Et'-T'ouïP (J^jUl),
lequel est à Textrémité méridionale dudit canton.
Samedi, a/i de rebi*-et-tani (a5 novembre).
Nous partîmes d'Et'-T'ouïl, et, laissant les bourgs
' Les tribus désignées sous le nom de zaouïa sont fixées auprès
de la demeure des marabouts vivants, et des k'oubba ou tombeaux
des marabouts morts. Les individus qui les composent sont consi-
dérés comme autant de serviteurs de ces saints personnages. En effet,
le marabout ou ses ayants droits les commande seul, et perçoit, à
son profit , toutes les redevances attribuées ailleurs au beylik. Comme
il y a presque toujours un enseignement dans ces k'oubba, elle»
prennent le nom de zaouïa.
' *Ogla-T'ouïla , de Titinéraire du chérif Moh'ammed, cité par
M. d*Avezac, est peut-être notre T'ouïl. *
20 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
des Oulâd-Râfia' (^b ^^^0 ^^^ notre gauche, nous tra-
versâmes un h'ammada, et iious allâmes bivaquersur
un cours d'eau que Ton appelle FOuad-T'emraoub
((j^^Uut dl^). Nous y fîmes nos provisions d'eau pour le
séjour.
Dimanche, a 5 de rebi*-et-tani (a6 novembre].
Nous quittâmes cet endroit, et une partie de la cara-
vane suivit rOuad, en passant par des villages qu'on
appelle El-K'as'bât («^Lyâiit). Le reste prit à gauche de
ce canton , parce qu'il croyait que l'on s'égarerait si l'on
continuait de suivre l'Ouad. Les deux troupes ne se
rejoignirent qu'à l'eucha; et nous nous arrêtâmes toiis
ensemble au coude ^ de l'Ouad, dans un défilé de la
montagne où la rivière tourne , se dirigeant vers les
sables.
Lundi, a6 de rebi*-ettani (27 novembre).
De là , nous allâmes vers le h'ammâd qui est entre
Touât et l'Ouad, et nous descendîmes à un endroit
qu'on appelle Ed-Demirk'a (Xi^jJ! ). Ce mot est un di-
minutif de dinu*âk' , nom d'un arbre dont les chameaux
se nourrissent volontiers, et qui a la propriété de les
engraisser. On appelle ainsi cet endroit parce qu'il y
croit beaucoup de ces arbres.
' Le manuscrit porte ici ^^[Jt>kt. La contexture de la phrase ne
permet pas, il me semble, de donner un autre sens k ce mot que
celui de coude. Dans tous les cas, ce ne peut pas être fin, puisque
Tautcur ajouté que là la rivière tourne, se dirigeant vers les sables.
VOYAGE DTL-'AÏACHI. 21
Mardi, a 9 de rebi*-et-tani (a8 novembre).
Nous partîmes de Demirk'a, et nous marchâmes toute
la journée. Nous n'arrivâmes à Ei-H'aç'oua [^^^yaÂ) que
vers le premier tiers de la nuit. Ce lieu est un tenïa , ou
col , à la fin du h'ammâd qui domine le pays de Touât
(i=»ty). Je n avais jamais fait une pareille étape avec
autant de fatigues et de faim poiu* les hommes et les
animaux.. Nous n'arrivâmes au bivac qu'après une
très-forte journée et une nuit de marche. Dieu veuille
que ce soit là notre dernière mauvaise journée I
Mercredi, a 8 de rebi*-et-tani (ag novembre).
Nous partîmes d'El-H'aç'oua , et nous entrâmes dans
le commencement du pays de Touât par les boiu^ades
que Ton appelle Tsâbet ^ (ow^^Uj).
Jeudi, ag de rebi*-ettani (3o novembre).
Dans la principale de ces boiugades, je visitai en
pèlerinage Tami de Dieu, Sid-Moh ammed-S'âlah', élève
de Sid-Abou-er-Raouaïn , qui est enterré à Meckneça de
FOuest. Nous y arrivâmes, au d'oh'a, le jeudi , dernier
jour de rebi'-et-tani ^, et nous y restâmes six joiu^ *.
* Léon l'Africain (t. I, p. g) , en énumérant les villes ou bourgades
du S'ah'ra barbaresque occidental , cite Tegyad (Touât), Tsâbit , Tégora-
rin, etc. n est probable que ce Tsâbit est le Tsâbet cité par £l-*Aîacbi.
* Après la date de son départ, celle-ci est la seule que donne £1-
*Aîachi jusqu'à cette époque de son voyage; mais ces deux indications
ont suffi pour la construction du calendrier de Titinéraire, dont la
concordance est parfaite.
' El-*Aîachi ne donne pas ici ie nom de cette bourgade ; mais plus
22 VOYAGE DEL 'AiACHI.
Vendredi, samedi, dimanche, lundi, mardi et mercredi,
1, a, 3, 4« 5, 6 djoomàd-el-ooael (i, a, 3, 4« 5,
6 décembre].
SEJOUR.
Nous vendîmes dans cet endroit les chameaux et les
chevaux malades ou fatigués, et nous y achetâmes des
dattes. Ce fruit oflBre dans ce pays beaucoup d*espèces
différentes , qui se vendaient à fort bon marché.
Je ne trouvai point dans cet endroit im seul mara-
bout, un honmie pieux ou un savant; ce sont tous des
ignorants qui ne savent pas même écrire, des gens de
commerce dont les moyens d'existence sont principale-
ment basés sur la vente des dattes. A la sortie de la
ville, il y a de beaux pâtiu^ages pour les chameaux ; les
nôtres s'y reposèrent de leurs fatigues et y engraissè-
rent pendant le temps de notre séjour.
La valeur du mitk al ordinaire ^ parmi les gens de
ce pays , est de vingt-quatre mouzounat. Ils ont encore
un autre mitk al de quarante mouzounat, qu'ils appellent
bail, en quittant ce lieu, il dit : « Nous quittâmes Touât, etc. » Dans
iinif liillre a ses parents, qui est à la page 77 du manuscrit, il dit en-
tom , à propos de la même localité : « Le 7 de djoumàd-el-oouel , je
pMrti» iUi Touât, etc. »
' Mitk' ai Les monnaies ont subi de telles variations, dans les
rJiitn Httrhantsques , qu'il est presque impossible d*assigner leur va-
If'iir u iJiM* éptKpjc donnée. Cependant, par des motifs qu*il serait peu
Mhlf ci fort tofi^ du développer ici, je pense que le mitk'al ordinaire
» iil.ijt mIoi'a '\ fninr«i 60 centimes, et le mitk'al clierifi, 6 francs.
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 23
cherif, du nom de Têmir Ech-Cherif, prince de Sedjel-
mâça , dont leur pays est une dépendance.
Je fis la prière du vendredi dans cet endroit, le len-
demain de notre arrivée. Le khat'ib lut la khot'ba siu*
un papier, ainsi que le sermon. Ce dernier morceau
était assez bon, et il Tavait sans doute trouvé tout
fait siu* un vieux livre. Il est permis de le croire, à la
manière dont il Testropia à la lectiu*e. Quoi qu*il en
soit , il se bâta d^en finir par la formule : « Ecoutez la
parole du prédicateur, suivez ses conseils, et que le
salut soit siu* vous ! » Un homme de la caravane , qui
assistait à ce sermon, pleiu:*ait abondamment; je crus
d'abord qu'il en faisait semblant, mais, à ma grande
surprise, je reconnus, en l'observant avec plus d'atten-
tion, qu'en efiet ses larmes étaient sérieuses.
Ce fiit par les motifs suivants que nous séjoiunâmes
dans ce lieu : lorsque le change de l'or s'était élevé à
Tafilêlt, la majeure partie des pèlerins avait résolu d'en
prendre à Touât, où ce métal est à fort bon marché.
D'ailleurs , ils n'avaient pas fait toutes leurs provisions
à Tafilêlt, à cause de la cherté des denrées , et il fallait
les compléter dans cet endroit.
Les bourgades de Tsàbet sont le rendez -vous des
caravanes qui viennent de la ville de Timbouktou , du
canton d'Âgri et des différentes parties du Soudan. On
y trouve des étoflfes de toutes espèces et des marchan-
dises de tout genre qui y arrivent en grande quantité.
C'est l'entrepôt des articles qui viennent du Maroc , à
la demande des gens du Soudan , tels que chameaux ,
24 VOYAGE DEL-'AÎAGHL
vêtements de drap et de soie ; de sorte qu^une caravane
qui se rend à Tsâbet y trouve un marché important.
Jeudi, 7 djoumàd-el-oouel (7 décembre).
Nous quittâmes Touât après avoir été rejoints par
une compagnie de gens de ces endroits , qui voulurent
faire le pèlerinage avec nous. Laissant derrière nous les
bourgades de Touât, nous tournâmes, à gauche, vers
la ville d'Aouguert (o^l), et nous nous arrêtâmes au
village d'Ed-Der âmcha ( iûâytU jJl ) , près la zaouîa de
Sid-'Abd-Allah-ben-ramt'am.
Vendredi, 8 djoumâd-el-oouel (8 décembre).
Conmie nous partions de cet endroit , Têmir er-re-
keb alla , avec quelques amis , visiter le marabout. Dieu
ne voulut pas que je les suivisse , parce que, la caravane
ayant pris sur la droite , et me trouvant à pied , je ne
pouvais marcher vite ^ D'ailleurs, le pays que nous par-
courions était du sable.
Lorsque nos compagnons nous rejoignirent, ils ne
tarirent pas en éloges sur le saint homme qu'ils venaient
de visiter et sur Taccueil hospitalier qu'ils en avaient
reçu. Il traitait ses hôtes, disaient-ils, avec des niets
qui , dans ce pays , sont aussi rares et aussi chers que
des médicaments.
' On voit, par plusieurs passages, qu*Ei-'Aîachi accomplissait le
pèlerinage à pied. Comme il avait des chameaux et des chevaux, c^était
sans doute dans des vues de mortification qu*il agissait ainsi , ou bien
accidentellement.
VOYAGE DEL -AIACHI. 2S
D'après ce qii'on nous rapporta, ce marabout ne per-
met à aucun .\rabe du pays de venir manger chez lui ;
et lorsqu'il y a des étrangers, et que quelques-ims de
ces Bédouins se mêlent à eux. il les fait sortir et dît aux
hdies : • Je ne veux pas que ces brigands Wennent ici
prendre des forces avec mon kouskoucou, pour aller
ensuite attaquer tes musulmans stir les chemins. • Ft
lonqu'il met ainsi outrageusement dehors ces hommes
vigoureux, et qui ne reculent devant aucun crime, il
est à remarquer qu'il n'en est pas un qui ose lui ré-
sister.
Un des pèlerins me raconta que , lorsqu'ils prirent
congé de ce pieux personnage , il leur lut la fath'a', puis
leur (h rimpositioo des mains. Un homme de la cara-
vane, qui ne s'était pas trouvé à la prière, vint easiiite
lui demander de Lre la fath'a pour lui seul. • Une fath'a ,
répondit le marabout à cet importun, suffit pour le
monde entier. •
Lorsque nos amis . qui avaient visité le saint homme .
nous rejoignirent, nous étions arrivés an hour^ qu'on
L» n>Ol, qui signifie oarerlure. p*l le nom rlu pmnier rhapiir"*
da K'onw, de cehii qoi oam ou cofiin»eT¥^ ee lÎTrc II mi itevciin ,
poor )» lauHilniaiH, une priire a laquelle iU attrihiiml <in<* srmAf
è. On T tiiMiTe les sept TerseLi «uWant* -
s 1 Dieu, MMUfratD de Taniim.
JjrC rié»ent, le niii^Ticanliein ,
Snoienui ao jour de la létiilMilMo.
Ceit loi tfut nom adoroM. ce«t tni dnat nmw implnmn* -r -»■•->'•
26 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
appelle Oulâd-Mah'moud {^y^ ^^^0 * ^^ ^^ ^^^^ partie
du canton d'Ed-Der'âmcha.
Samedi, dimanche, lundi 9, 10, 11 djoumâd-el-oouel
(9, 10, 11 décembre).
De cet endroit, nous allâmes à Aouguert, où nous
arrivâmes à Feucha. C'est un assemblage de bourgs nom-
breux, où il y a des palmiers. Ils font partie du pays de
Tedjourâren (y;l;>^)- Là on acheta ce dont on avait
besoin en fait de provisions, pour arriver jusqu'à Ouâre-
gla ^ Nous séjournâmes deux jours à Aouguert, et nous
y échangeâmes les chameaux malades ou fatigués *.
Me trouvant auprès de la zaouïa de Sid-'Omar-ben-
Moh'ammed-Salah-el-Ans'âri-el-Khazradji-ech-Châmi,
je rencontrai un fak'i (légiste), Sid-Moh'ammed-ben-
Moh'ammed-ben-'Ali-ben-Abou-Beker, homme instruit.
Il m'adressa deux questions, l'une sur les h'abous ou
sidjstitutions , l'autre siu* la vente.
J'ai appris, par des gens véridiques, des t'o'lba de
Touât et de Tedjourâren, une coutume singidière de
leiu* pays. Si une femme , à la suite d*ime querelle avec
son mari, force celui-ci à la répudier, il amène deux
témoins, et leur dit en parlant de sa femme : «Té-
* Le copiste a écrit %^L^[j, mais Terreur est tellement évidente,
que l'on n*a pas hésité à rétablir la véritable leçon.
* Dans une lettre qu El-'Aîachi écrit à ses parents, et qui est à la
page 73 du manuscrit, on trouve ce passage : «Le 7 de djoumâd-el-
oouel, je partis de Touât, et descendis à Aouguert, après trois jour-
nées de marche. J'y restai deux jours; j'y changeai deux chameaux,
en donnant, par-dessus le marché, environ vingt mitk'al.
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 27
moins, vous certifiez que je répudiç sa vue, ses ac-
tions. « Quand la femme, le temps légal étant expiré,
désire contracter im nouvel hymen, elle ne trouve per-
sonne qui veuille la prendre avec un pareil acte , lequel
n exprime pas une intention formelle de divorce , comme
la loi l'exige; de sorte quelle est obligée de revenir à
son premier mari. Les t'o'lba qui m'ont raconté ceci
prétendaient que cette action était basée sur l'autorité
d'un fetoua ou décision, mais je ne sais où ils ont vu
ce fetoua ^
Mardi, 12 djouiuàd-el-ooue] (12 décembre).
RÉCIT DE NOTRE DEPART DE AOUAHDETS.
Aouah'dets est la dernière des villes qui sont sous la
dépendance de Sedjelmâça. Nous en sortîmes au s'bah',
le mardi 12 djoumâd-el-oouel , nous dirigeant vers
Ouâregla ^. Il partit avec nous une compagnie de gens
du pays, qui allaient en pèlerinage. Nous prîmes le
chemin de l'Ouad-Ouamguiden (^j«3sa5C«^ àl^), dirigés
^ On supprime la suite de cette digression, qui n*offrirait aucun
intérêt, ainsi que des dissertations théologiques qui remplissent de-
puis la page 20 jusqu à la page 32 du manuscrit.
* El-*Alachi a oublié de dire que Aouah'dets est la même chose que
Âouguert, ou que c*est, au moins, une bourgade de cette contrée;
car, après avoir dit qu il arriva à Aoug:uert le samedi 9 de djoumâd-
el-oouel, qu*il y séjourna le dimanche 10 et le lundi 1 1, il ajoute qu*il
part de Aouah'dets le mardi 12, sans autre explication. Il résulte,
cependant, de la date de Tarrivée, de celle du départ et de l'indica-
tion du s^our, qu'il est impossible de ne pas admettre une des deux
hypothèses exprimées ci-dessus.
28 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
par un Arabe d'Ël^Khonàfsa (iLiMiUâll), que le chef de la
caravane avait loué poiu* nous montrer la route. U y a
beaucoup de maYen, ou fosses remplies d'eau, dans
ce Ouad; on ne fait presque pas une journée de marche
sans en rencontrer. L'eau est douce , abondante , et les
Arabes de la contrée disent à ce sujet : « Dans TOuad-
Ouam^den, on ne s'inquiète pas de l'eau; tous les
jours on en trouve. » Cependant, lorsque nous y pas-
sâmes , la plupart de ces fosses étaient comblées , parce
que les Oulâd-Mah'moud, Arabes de Touât, craignant
une inciu'sion de la part des Beni-Saïd (oyyun» c^) , leiu^
ennemis, avaient bouché toutes celles qui se trouvaient
sur la route de ces derniers.
Du mercredi i3 au jeudi ai de djoumâd-el-oouel
(du 1 3 au ai décembre).
Nous continuâmes de suivre ce Ouad, et chaque
jour nous trouvions de l'eau. Le temps était alors très-
froid, et se maintint d'ime rigueur excessive jusqu'à
notre arrivée à un boui^ qu'on appelle Ouâlna ((^^Jl^),
c'est-à-dire le dixième jour depuis notre départ de
Aouah'dets.
Après que nous eûmes traversé ce bourg , nous trou-
vâmes un pays de sables qui étonnaient l'œil par leur
étendue. Nous le parcoiu:*ûmes avec beaucoup de peines
et de fatigues, et nos chameaux eiurent encore plus à
souffrir que nous. A l'aspect de cette inunensité de
sables, je me rappelai cette parole , «Bénissez notre
VOYAGE D'EL'AlACHI. 29
seigneur Mahomet autant que le sable est étendu ; » et
j'en compris toute la portée ^
Le bourg dont j'ai parlé plus haut, Ouâlna, était
aussi désolé que le désert dans lequel il est situé. Il ne
mérite même pas le nom de bourg, car on ny trouve
qu'un petit nombre de palmiers, dont la plupart sont
morts, et ressemblent à des mâts que le vent balance.
Le^ huttes sont construites avec les tiges de cet arbre ,
et les poutres des plafonds proviennent de la même
espèce de bois ; elles sont de la longueiu* d'im homme
debout. On place les dattes sur le toit qu'elles forment,
parce que, si on laissait ces fruits à terre, le vent les
emporterait , ou le sable ne tarderait pas à les couvrir.
Nous ne trouvâmes qu'un seul homme dans Ouâlna ;
il était avec des femmes de sa famille qu'il gardait. Il
descend d'im saint personnage , appelé Sid-Moh'ammed-
ben-Mouça, lequel est enterré dans une espèce de bâ-
timent qui, nous a-t-on dit, fut la première construc-
tion de ce bourg. C'est ce vénérable marabout qui a
fondé Ouâlna, qui a découvert l'eau que l'on y boit, et
planté le peu de palmiers qui s'y trouvent. Les Arabes
de cette contrée qui venaient à s'arrêter dans cette
solitude protégèrent la bourgade à cause, du saint.
Dans leurs guerres ou leurs contestations, ils prenaient
celui-ci pour juge, et ils lui apportaient des provisions
en offrande.
^ C*e8t un h'adits, ou tradition, qui a été rendu populaire chez les
musulmans, par Touvrage, très-répandu, qu*ils appellent Dâleîl-el-
Kkeïrât (la route du bien], lequel est une espèce d'eucologe.
30 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
Je trouvai dans la zaouïa de Sid-Mouça , un volume
du Naouazil d*El-Bourzouli \ de Técriture de rimâm
Ez-Zerrok'; la pluie avait un peu gâté ce livre. J'y vis
aussi un idjaza^, ou certificat en écriture orientale.
Siupris d'une pareille rencontre, je me demandai com-
ment cette pièce était arrivée dans ce bourg. Après
réflexion, je pensai que ces objets pouvaient provenir
de la bibliothèque de Sid-M oh'ammed-ben-Isma'ïl , qui
était mort à Tegourâren^ en io64 ou io65 (i653-
i654 de J. C). Ce personnage possédait alors ime
grande quantité de livres, qu'il légua, par testament,
aux villes sacrées de la Mecque et de Médine , ajoutant
qu'il voulait que son corps fût embaïuné , transporté et
* L*ouvrage dont il est ici question traite du droit, et il est en
grande réputation. L*auteur, Abou-K'acem-ben-Ah'med-el-Bourzouli,
a été mufti à Tunis. Le Kefaîa, dictionnaire biographique arabe (ms
i56 de la bibliothèque d* Alger), le fait mourir en a 4a. La biblio-
thèque d* Alger possède, sous le n"* iia, une copie du Naouazil.
Voyez Tintroduction , pour ce qui concerne le cheikh Zerrok'.
* Idjaza, certificat de capacité qu*un cheikh ou maître délivre à
son disciple (telmid) , et qui donne à ce dernier un caractère régulier
et légal pour professer ou pour exercer des fonctions relatives à la
science qui lui a été enseignée.
^ On a vu plus haut que ce mot était écrit Tedjourâren. Le ma-
nuscrit porte tantôt ^j\jyf et tantôt oj^j^' Cependant la pre-
mière leçon est la plus fréquente. On observe la même variation pour
Figuig, qui est souvent écrit Fidjidj. Je crois que la prononciation,
malgré ces divergences graphiques, ne change pas, et que si on
emploie indifféremment le kaf à trois points ou le djim , c*est que , de
ce côté, cette dernière lettre se prononce probablement gae comme en
Egypte, ou que le copiste a oublié de placer, dessous, les trois points
qui lui donnent la valeur du cé .
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 31
enterré à la cité sainte. Pour ce dernier objet, il avait
consacré une somme de plus de trois mille soult'ani,
destinés à celui qui exécuterait sa volonté. Il donna en-
core ime jument noire, animal excellent, poiu' qu'elle
restât à la disposition des moudjihadin (ceux qui font la
guerre sainte). Enfin, il affranchit ses nègres, et leur
fit un legs à chacun.
Après sa mort, les gens de la ville exécutèrent ses dis-
positions testamentaires, sauf l'article relatif au trans-
port du cadavre, dont personne ne voulut se charger.
Comme le défimt était connu siu* toute la ligne des ca-
ravanes de la Mecque , et qu'il passait pour im homme
fort riche , on craignait que celui qui transporterait sa
dépouille mortelle ne fût soupçonné d'avoir commis im
meiulre, et inquiété au Kaire ou dans le H'edjâz. On
enterra donc Sid-Moh'ammed à Tedjourâren, et ses
livres restèrent dans ce lieu pendant plusieurs années.
On les transporta , par la suite , à El-K'olïa , attendu que
l'émir de Tedjourâren voulait s'en emparer. Ils demeu-
rèrent encore quelques années dans cette ville , jusqu'à
ce queSid-'Ali-ben-Cheikh-el-H'afiân, allant en pèleri-
nage, les emporta avec lui. Mais, dans tous ces déplace-
ments, il s'en était perdu la majeiu-e partie. J'en ai vu
quelques-uns, et, par la connaissance que j'avais du ca-
talogue de ces ouvrages, je me suis aperçu que la plu-
part manquaient. Le propriétaire lui-même m'en avait
dit le compte à Figuig, un an avant sa mort. Il y avait
alors près de quinze cents volumes; or il n'en arriva à
la Mecque guère plus de cent soixante et dix. Je les ai
32 VOYAGE DEL- AÏACHI.
examinés presque tous; c étaient des livres précieux. Le
grand vizir du sultan de Constantinople les avait achetés
poiu* le défiint , par suite d^une circonstance qui vaut la
peine d'être rappelée.
Ce vizir, avant d'être arrivé au poste élevé qu'il occu-
pait, avait rencontré Sid-Moh'ammed à Bagdad (Bar-
dâd), au tombeau de Sid- -Kbd-el-K'âder-el-Djilâni K II
était alors 'amel d'un district considérable des posses-
sions du sidtan. Quoiqu'il ne fût pas en très-bonne posi-
tion auprès du souverain, le désir d'arriver à la dignité
de vizir le toiumentait au point , qu'il dit un jour à
Sid-Moh'ammed : « Priez le Seigneiur pour que je de-
vienne vizir; et, si vos prières sont efficaces, ce que vous
me demanderez je vous l'accorderai. Fixez même, dès
à présent, ce que vous voidez que je vous donne. »
Le défunt lui répondit : « Il y a dans cette ville des
livres très-précieux; je n'ai pas assez d'argent pour en
acheter autant que je voudrais. » Plus tard l'amel, de-
venu vizir, envoya chercher le crieur de livres, et lui
dit : « Tout ce qui te viendra de manuscrits entre les
mains, porte-les à ce savant, afin qu'il les examine ; laisse-
lui ce qu'il choisira, puis viens recevoir le prix chez moi
pour le remettre au propriétaire. » La chose s'exécuta
selon ses ordres.
' Ce marabout , que les Algériens appellent El-Djîlàli , par corrup-
tion, est vénéré par eux dans une k'oubba célèbre, qui est située sur
le bord de la mer, dans le faubourg Bàb-^\zoun. Dans un manuscrit
de la bibliothèque d^Vlger (n° 69 J), on le trouve désigné sous les
noms suivants : Abou S'âlali'-Moh'ammed-Mah'i-ed-din-*Àbd-el-K'ader-
es-Sid-el-Djilàni.
VOYAGE D'EL- AÏACHI. 33
Outre que Sid - M oh'ammed était un saint person-
nage, il possédait une grande instruction sur toutes
sortes de matières. Il avait voyagé de tous côtés, à l'Est
et à rOuest , jusque dans le Maroc. Il avait vu le pays de
Tunis et même le Soudan; il séjourna sept ans au Kaire ,
du vivant du cheikh El-LakTc ani ^
Il m'a raconté que pendant son séjour au Kaire il
avait lu sept fois le Mokhtaç'ar de Sid-Khelil ^, et qu'il
avait eu des conversations avec tous les savants qui se
trouvaient alors dans cette ville. Il avait habité aussi,
pendant longtemps, la Mecque, Médine, et avait voyagé
dans riémen, où il avait cherché à inculquer aux habi-
tants une morale un peu sévère ; mais ses exhortations
restèrent sans effet. Il alla également dans l'Irak', et sé-
joxuna à Bar'dâd, où il adopta la discipline du cheikh
'Abd-el-K'âder-el-Djilâni, et apprit sa deker ou oraison
particidière. De là il se rendit à Constantinople, où il
' Ce cheikh est très-célèbre, en Afrique, par un ouvrage sur le
Tonh'id, ou unité de Dieu. La bibliothèque a plusieurs copies du
texte et des commentaires, sous les n"* 6, 71, 344, 456, 467 et 5o3.
Le nom plein de cet auteur est 'Abd-es-Selàm-ben-Ibrâhim-el-Mâleki-
el-Lak'k'ani-el-MasVi. Il est mort le vendredi i5 chaouâl de 1078
11667 de J. C. ). Une courte biographie de ce docteur se trouve sur la
page de garde du manuscrit 469 de la bibh'othèque d'Alger.
^ Cet ouvrage est généralement connu ; il est le code des musul-
mans qui professent la secte de Mâlek-ebn- Anâs , ce qui est le cas de
Timmense majorité des indigènes de l'Algérie. Il est à désirer qu*à
Timitation du gouvernement anglais, qui a fait traduire TMedaîa, le
gouvernement français fasse traduire le Moklitaç'ar de Sid-Khelil , avec
les annotations essentielles de ses principaux commentateurs , qui sont
'Abd-el-Bak'i, ElKharchi et Ech-Chebrakhiti.
.Vi VOYAGE DEL AiACHI.
prc'rlia la religion et sa morale à principes rigides,
HiîUH s'inquiéter de froisser les princes et même le sul-
tan. Kn 1 060, il vint à Tripoli sur un bâtiment de
giiorrc, en passant par la Grèce. Je le rencontrai alors
h M<î(;'ourata, au tombeau du cheikh Ez-Zerrok' \ et il
in(^ il il ((iril se sentait appelé à exalter la religion et à la
ineliro en hmiière.
Sid-Moli'ammed se remit ensuite à voyager par terre ,
on suivant le littoral. Il visita le tombeau de Sid- Abd-es-
SolAm-ben-Mochich^ où il séjourna longtemps sans
réussir ])lus qu\iiileurs dans les essais de réforme mo-
vi\\o. et religieuse. De là il gagna Sous-el-Ak'ç'a , où on
uo rérouta pas davantage. Puis, par le Djebel-R'omâra,
il so dirigea vers KoFaïa («V), où il fit un séjour pro-
longé, l'nfin, il vint à Figuig, où il habita longtemps et
ou je r«i rtMîcontréen io64.
Il uu^ raconta alors qu'il avait vu le prophète en songe,
ol i\\w Touvi^yé de Dieu lui avait dit : « Je t'ai donné la
H<*ii<iU'o, la richesse et le pouvoir. » Il allait continuera
nÙMUrcttM\ir sur ce sujet, lorsque je crus devoir lui dé-
clarer (|uc ces uuUi^ivs n'étaient pas de ma compétence.
Il se mil alors h ré|>audiT des larmes, se plaignant avec
auicrluuu' de co qu'une vie aussi longue que la sienne
cl h«^s voNa^cs continuels ne l'eussent mené à rien.
IVi'Jionua^t^ \A\\\ itU^iv ciuvre j>ar sa piété que par sa science.
\ i»Nri, |umv CI» (|ui U» iHnuvvms la biosrniphie de Moula<Ah*iiied , dans
riiUiHHluclioii.
• \ 'lnjH^li l.u Ul4iv»ilu\jue d*\îi^*r jK>âys*\le, sous le n* aà A, un
unuiurMlfMiv d'Kb« MvKliivh» lur lu pri^m* de r<»arer/anp.
VOYAGE DEL- AÏACHI. 35
« Tai parcouru toute la terre , me dit- il ; personne
plus que moi ne chérit les musulmans, et plus que moi
n'a pleuré sur leurs erreiu^. Cependant je n ai trouvé
personne qui voulût m'imiter. Il est bien vrai que le
prophète m'a adressé les paroles que je vous ai rappor-
tées, mais mon esprit est impuissant à les comprendre.
Il m'a dit que j'étais savant, il m'a dit que j'étais riche,
et en effet j'ai toujours eu au moins cinq cents dinars
sous la main à ma disposition. Mais il m'a dit que
j'étais sultan ! A-t-il voulu dire par là que j'exercerais
le souverain pouvoir dans l'autre vie? Quant à moi, j'au-
rais cru que ce serait dans celle-ci ; mais sans doute je
me suis trompé, et je ne dois pas aspirer à la souve-
raine puissance dans ce monde. »
Sid-Moh'ammed, à la suite de cet entretien, me dit
qu'il prendrait le parti de faire un dernier pèlerinage,
puis d'aller finir ses jours auprès du tombeau de Sid-
'Abd-el-K'âder-el-Djilâni. Je le laissai dans cette inten-
tion lorsque je quittai Figuig. J'ai su plus tard qu'il alla
de là à Tegourâren, où il mom*ut. Cet homme connais-
sait la simîa et la kimîa\ et la science des tableaux talis-
maniques ('elm-el-djedouâl) ^.
' Ces mots signifient tous deux la chimie; mais le premier se dit
de la chimie appliquée aux minéraux, tandis que l'autre se dit de
la même science s*appliquant aux végétaux. C*est à peu près comme
alchimie et chimie. Toutes les fois que les Arabes parlent de la chimie
en général, et des merveilleux effets qu'elle produit, ils joignent tou-
jours ces deux mots de simîa et de kimïa, pour comprendre toutes les
opérations qu'on fait, par le feu, sur les différents règnes de la nature.
* Ces tableaux se font avec des caractères arabes, syriens, etc. Il y
:i6 VOYAGE DEL AiACHl.
LorM|u^il entra à Tripoli, le souverain (Talors, 'Ots-
nién-Pacha, lui dit : • DemandeHnoi ce que tu voudras. >
« Je désire, répondit Sid-Moh'ammed, que tu exemptes
de tout impôt les chérifs de ton royaume, et que tu
acc^jrdes le même avantage aux voisins de la k'oubba
du cheikh Ez-Zerrok'. •
Le pacha lit recenser les chérifs et les voisins en ques-
tions, et vit que cela faisait environ cinq cents maisons.
Il accorda Texemption, et ceux à qui cette faveur a été
faite en jouissent encore aujourd'hui.
Vendredi, 22 djoumàd-el-oouel '22 décembre).
Nous partîmes de Ouâlna et nous nous arrêtâmes, au
d olia, entre ce bourg et El-K'olîa\ Nous fûmes rejoints
par Sid- Ali-hen-Cheikh-el-Halïân, frère du prince des
croyants, et par Sid-Moh'anrnied, émir de notre cara-
vane. Ce dernier amenait avec lui des gens de Tegourâ-
rau qui venaient faire le pèlerinage.
Samedi, a 3 djoumâd-el-oouel (aS décembre).
Nous nous mîmes en route, par un vent extrêmement
viohîfil , qui fit souffrir cruellement les gens de la cara-
vani». Il était impossible d'entr'ouvrir les yeux, sans les
avoir la Tinstant remplis de sable. Les cavaliers se ca-
M n Ia bililiolli(»(|uo d'Alger, entre autres ouvrages qui traitent de celte
|ir/'ti'ndii(* M'ic'nn', un manuscrit fort curieux où Ton voit, conlraire-
itwui niix ))n*Nrri|)lions de rislamisme, des figures entières d'bommes
»•! d'iMiinuiiu. li'nuU'ur dit avoir copié sur des pierres antiques la plu-
ptii'l di'ii f'ariir(én's (ju'il a produits.
VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 37
chaient la figure , et les pèlerins qui allaient à pied se
mettaient à Tabri , de leur mieux , derrière les chameaux ,
précaution qui ne les empêchait pas d'être aveuglés par
la poussière. Noujs arrivâmes enfin à El-K'olîa' (iujiUI) et
aussi axaUJI). Ce mot est im diminutif de k'ala\ qui signi-
fie forteresse. Cest un bouig assez fort, bâti sur un ro-
cher de pierres dures, formant une montagne isolée. Il
y a beaucoup de puits dont Teau est bonne. On y trouve
des palmiers, mais en petit nombre. Ce lieu dépend
des possessions du sultan de Ouâregla, qui y entretient
un 'amel, par lequel il fait exécuter ses ordres. Un pèle-
rin qui avait vu cet 'amel m'a dit qu'il était noir, sans
souliers, sans coiflure et les habits sales, ce qui ne
l'empêche pas de se faire obéir par les gens de la ville ,
lesquels ont grand'peur de lui.
El-K'olïa' a été habité par le cheikh El-H'adj-Sid-Abou-
H'afs-ben-el-Ouâh-es'-S'âlah'-Sid-'Abd-el-K'âder-ben-
Moh anmied-ben - Selîmàn-ben-Bou- Smâh'a , marabout
qui est connu , dans le pays , sous le nom de Sid-£ch-
Cheikh , nom par lequel ses enfants sont encore désignés
jusqu'à présenta Ce saint personnage a eu beaucoup
d'influence sur ces contrées, dans le Tell comme dans
le S'ah'ra, et son fils en a encore plus que lui. Ce der-
nier est un honmie intelligent , vertueux , qui a passé
presque toute sa vie en pèlerinage, jusqu'en 1 07 1 , an-
née de sa mort. Il a été enterré auprès de son père , dans
' Le chef actuel de cette famille est un marabout influent qui ,
presque au commencement de la dernière guerre contre Têmir *Abd-
el-K'âder, s'est placé sous notre patronage.
38 VOYAGE DEL-'AÏACHI.
le cimetière particulier de leur famille , que Ton appelle
El'Abiod', et qui est auprès de Bou-Semr'oun ^ Je me
suis trouvé avec lui, en loôg, et nous avons fait route
ensemble jusqu'à Touzir; je Tai encore rencontré dans
un autre pèlerinage, en i o65. Son influence spirituelle
était évidente et sa parole était écoutée.
Dans la plupart des voyages qu'il fit au H'edjâz, il
emmena avec lui ses femmes et ses enfants. Partout on
Taccueillait bien, chacun selon son pouvoir, et ceux qui
agissaient ainsi s'attiraient des bénédictions ^.
Dimanche, a& djoumâd-el-oouel (a & décembre).
Nous partîmes d'El-K'olîa' et nous marchâmes une
demi-journée , ayant la montagne à notre droite ; le vent
fut très-violent. Nous gravîmes la montagne ; nous arri-
vâmes au sommet, à Teucha, et nous y couchâmes.
Lundi, mardi , 3 5, a 6 djoumâd-el-oouel (a5, a6 décembre).
Le lendemain nous traversâmes un terrain difficile,
rude, et où cependant nous trouvâmes de quoi faire
pâturer les chameaux. Aussi , malgré les obstacles qu'il
^ Le copiste écrit ce nom de localité tantôt Bou-Sem*aoun, et tantôt
Bou-Semr'oun. Cette dernière leçon est la bonne.
* Dans la lettre à ses parents , ErAîachi rend compte, en ces termes ,
de sa route, depuis Aouguert jusqu'à El-K'olîa* :
« Je partis d'Aouguert, et voyageai dans une contrée qui n* a pas sa
pareille ; elle n'offre que du sable et de la poussière ; on y souffre de
la soif, on y est tourmenté par le vent. J'arrivai, après douze étapes, à
El-K'olîa\ ville qui n'est forteresse que de nom. » On se rappelle que
ce mot est un diminutif d'el-k'ala', forteresse.
VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 39
opposait à notre marche, nous étions plus disposés à
en faire Féloge qak nous en plaindre. Le chemin était
en grande partie dans un ravin , quoique la contrée , vue
de loin , parût très-unie , attendu que les inégalités qui
Taccidentaient échappaient à Toeil. On n^apercevait que
les sonunets des marabouts, tous de même hauteur, et
on ne se doutait pas de Fexistence de ces ravins , qui les
séparaient les uns des autres. A distance , ce terrain ofire
une siuface blanche , unie , où nulle solution de conti-
nuité ne se laisse deviner, bien que , ainsi qu'on Fa déjà
dit, quand on arrive auprès, on le trouve entrecoupé de
creux et de saillies qui le font ressembler à cet amas de
petits nuages que Fon appeUe ciel pommelé.
Mercredi, 37 djoumâd-el-oouel (27 décembre).
Le mercredi nous nous arrêtâmes à un endroit où il
y a de Feau , et qu'on appelle Zirâra ( àjl^ ) . C'est un puits
très-profond , isolé , situé entre deux montagnes , dont
Fime est de sable. L'eau en est très-douce ; et les Arabes
de ce canton ont coutume de dire à ce sujet : « Eau de
Zirâra, tu serais bien douce, s'il ne fallait pas t'aller
chercher à une aussi grande profondeur. »
Après que nous eûmes dépassé cet endroit , la cara-
vane fut troublée par un bruit qui se répandit, qu'une
troupe d'Arabes arrivait sur nous pour nous dépouiller.
Chacim préparait ses armes et se mettait en devoir de
combattre , mais Fennemi ne parut pas , et ce bruit d'une
prétendue attaque se trouva sans fondement.
liO VOYAGE D'EL'AÏACHI.
La caravane coucha cette nuit dans un endroit où il
y a de Peau, et qu'on appelle El-Djedid (JsjiXJl).
Jeudi, 28 djoumâd-el-oouel (38 décembre).
Vendredi , a 9 djoumâd-el-oouel (ag décembre).
A deux jours de là, et le sixième de notre sortie de
K'oliV, le vendredi 29 djoiunâd-el-oouel, nous nous
arrêtâmes , au d'oh a, dans un endroit qu'on appelle Zel-
let-Derir (^^ ^j)- C'est im puits où Teau est très-
abondante ; il est placé dans im endroit uni , entre deux
montagnes. Ce lieu n'est pas dépourvu d'habitants, et
on y trouve presque toujours des Arabes appartenant aux
tribus environnantes. Celles-ci se composent de gens
paisibles qui n'attaquent pas les caravanes.
Samedi, 3o djoumâd-el-oouel (3o décembre).
Nous partîmes de Zellet-Der ir, après avoir fait la pro-
vision d'eau pour quatre nuits. Nous traversâmes le che-
min qui est au-dessous de l'Ouad où nous avions pris
cette eau. Dans ce Ouad on trouve une colline de sable
située dans un emplacement uni. On y voit des restes
d'une mesdjid et de tombeaux ; c'était sans doute un
lieu de pèlerinage. Nous y fîmes la prière du d'ohor,
puis nous visitâmes , dans un but religieux , cette mos-
quée ruinée, sans savoir le nom du saint ou des saints
qui y étaient honorés. Les vestiges que nous rencon-
trions nous indiquaient suffisamment que ce lieu avait
VOYAGE D'EL AÏACHI. kl
dû être Tobjet de la vénération des fidèles. D'ailleurs,
dans ces solitudes , il est peu d'endroits où Ton rende
hommage au Seigneur, et dans celui-ci particulière-
ment ce genre d'hommage avait dû être rare ; cela seul
devait nous déterminer.
Je questionnai ensuite le guide, qui connaissait bien
ces localités , et il me dit que c'était le mouç ala ou ora-
toire d'Abou-H'afs', et d'im autre marabout appelé H'adj-
loucef. A droite de cet endroit, dans un ravin, on trouve
de l'eau, à un lieu appelé Abou-ez-Zer'âouï. Nous y pas-
sâmes la nuit au-dessous de la montée par laquelle on
gravit le h ammâd.
Le jour la caravane ne fit qu'une demi-étape , parce
qu'on trouva de l'herbe en abondance pour les cha-
meaux.
On laissa les bêtes de sonmie paître en liberté , et les
pèlerins se mirent de leur côté à dormir. Une troupe ^
d'Arabes nous apporta quelques moutons ; on enché-
rit à Fenvi poiu* avoir de ces animaux , car beaucoup
d'entre nous n'avaient pas mangé de viande depuis long-
temps.
Dimanclie , i" djoumâd-et-lani ( 3i décembre ).
Nous commençâmes à gravir le h'ammâd; la caravane
allait doucement, afin de laisser aux chameaux la facilité
de pâturer tout en marchant. Il arriva que nous fûmes
en arrière d'une étape , et qu'il nous fallut ensuite forcer
la marche, pour éviter d'avoir à soufirir de la soif, car
de l'endroit dont on a parlé plus haut jusqu'à Ouâre-
42 VOYAGE DEL- AÏACHI.
gla il ny a pas d'eau. Nous passâmes la nuit dans une
contrée où le pâturage diminuait déjà beaucoup; et il
diminua bien davantage lorsque nous approchâmes du
sommet d'El-H ammâd-el-Kebir, montagne qui n a pas
sa pareille dans le pays du R'arb ^
Lundi, a djoumâd-et-tani (i*' janvier i663).
Nous commençâmes à gravir le sommet du h ammâd,
en passant par un terrain rude et exclusivement pier-
reux. Il n'y a pas d'arbres dans ce pays désolé, et nous
n*y trouvâmes que le fiel répandu par les pèlerins, dont
Tamer s'était déchiré en franchissant ces hauteurs à pic ,
ou les aoudjâm^ élevés le long de la route, et qui peu-
vent remplacer les guides pour les voyageurs attentifs.
Nous couchâmes, cette nuit (qui était la troisième), à
rOuad Ma'choucheb ^ [i^ySkM ^t^). Les chameaux se
reposèrent et se désaltérèrent dans ce Ouad, où nous
nous arrêtâmes vers l'ac'er.
Mardi, 3 djoumâd-et-tani (a janvier).
Nous nous remettons en route par un temps couvert.
Le vent commence à souffler avec violence , et la pluie
* Pour comprendre combien cette montagne doit être élevée, il suffit
de se rappeler que le pays d*El-'Aîachi est dans la partie la plus haute
de r Atlas ; et que , pour que le H'ammâd-el-Kebir lui produise l^effet
dont il parle, il faut qu'en réalité l'élévation de cette montagne soit
bien considérable.
* ^Ui.jl, pluriel de i^j, se dit d'amas de pierres que Ton élève,
dans les lieux déserts , pour diriger les voyageurs.
' Ce mot signifie abondant en herbes.
VOYAGE D'EL'AiACHI. 43
tombe par torrents ; les sables s'amoncellent au faite des
montagnes , et effacent tellement toutes traces des che-
mins , que la caravane ne sait plus de quel côté tourner.
La tempête rugit avec une si grande force , que Ton ne
s'entend plus les ims les autres. Nous marchâmes ainsi
jusqu'à la nuit. Cette horrible joiumée nous fit oid)lier
tout le bonheur qui nous avait accompagnés jusque-
là dans notre voyage et la séciurité dont nous avions
joui constamment siu* la route. L'eau qui ne nous avait
jamais manqué, les pâturages presque toujours abon-
dants, toutes ces faveurs de la Providence s'effacèrent
de notre mémoire devant les souffrances du moment
présent. Nous établîmes notre bivac par ime obscu-
rité complète. C'était la quatrième nuit; toutes les diffi-
cultés s'y étaient accumulées.
Mercredi, k djoumâd-et-tani (5 janvier).
Nous partîmes le lendemain , et nous traversâmes un
terrain difficile « comparable à celui où le geiu*e humain
doit rendre compte à Dieu le jour du jugement, avec
cette différence que ce dernier est blanc , et que celui
c[ue nous parcoiurions est noir. On n'entendait pas
d'autre bruit que le bruit de nos pas. Le guide le plus
exercé ne marche dans ces solitudes qu'avec une ex
trême précaution. On ne voyait pas les chameaux s'a-
vancer, comme à l'ordinaire , la tète inclinée vers le sol
et cherchant de la nourriture , car là il n'y avait abso-
lument rien à pâturer. Ils allaient don^ la tête haute ,
sans regarder ni à droite ni à gauche , et hâtaient tous
4/1 VOYAGE DEL- AÏACHI.
le pas , comme s'ils eussent voulu sortir au plus tôt de
v.oWvi contrite maudite.
Le sol était si rude que les chaussures des voyageurs
Y i^taiiMit promptement coupées; la corne elle-même,
que la Pnïvidonce a destinée à protéger les pieds des
c^hamoaux et des midets, était insufiBsante à les garantir
tlos lilossuros. Nous en fûmes réduits à envelopper nos
pitHis avoc dos chiffons ou des morceaux de vieux ha-
bits, ('«iiacun se croyait à la fameuse r azia de Dât-er-
Uok'{\a' ^; car nous marchions dans un pays comparable
t\ cobii do Sals'af dont il est question dans le Koran;
nous n'on axions jamais vu de pareil.
La noumtuiv ot foau étaient épuisées; au lieu de
kouskouctm nous axions du sable, et des pierres en
plaoo do boisson, l-a majoiure partie des pèlerins pen-
xViil aUoiudiv l^uùiv;:la dans cette soirée; mais ib se
li>Mn|VMonl « ot nous n\trri\àmes )v^s. Il nous fallut donc
^^mohor on ivuto^ au mdiou de tous les inconvénients
do h mut jnxs^slouto. ji^tv addition de la faim et de
\\H^x iv>^^v> IV î*,"i '",*,><> «r<ï nx;:«r. <^ ixxis descendîmes
d^i xnmxiuin-^ xÎo U \x>vV.sjr.^,*-i^v ï>.x: striS ùt-c'-ies. un peu
N^\>^\>t îo >^ ^^^^^^' t\v:; '\^ nwx^^ ttu : nv/*; .:t*. l n de nos
>N^N ^vx'^'.'x >\vv;\\vt v.^ W V l'vvài- V :-^ .?:Xi\ ^er5 sui-
VOYAGE D'EL-'AÎACHI. 45
Quelque long que soit le h'ammâd , nous voici enfin au
bout! Dieu veuille que nous ne trouvions pas une autre
montagne aussi difficile ! S'il lui plait , nous arriverons aisé-
ment tous , sains et saufs. Puisse-t-il , chaque jour , nous faire
rencontrer des choses meilleures que la veille et rendre la
fin de notre voyage aussi agréable que la été le commen*
cernent !
Enfin nous aperçûmes les palmiers de Ouàregla (^l^)' .
Nous entrâmes dans cette ville aux environs du coucher
du soleil. Nous descendîmes à la porte qu on appelle
Bâb-es- Solt'ân. Par une favem* que Dieu voulut bien
nous faire , il se trouva qu^un peu avant notre arrivée
une caravane d'Arabes d'Ël-Arbàa' (^t^j^l) était entrée
et avait apporté beaucoup de beurre salé, des grains,
et avait amené des moutons et des chameaux. Nos pè-
lerins s'empressèrent d'acheter selon leurs besoins, ce
qu'ils firent à bon marché. Il vint le lendemain une
autre caravane qui apporta autant, sinon plus, que la
' Dans la lettre À ses parents, document déjà cité, El-*Aiachi rend
compte, en ces termes, de son voyage, depuis El-K'olia* jusqu'à
Ouàregla :
«De là je traversai El-H'ammâd, montagne qui peut passer pour
la mère de toutes les montagnes du monde , à cause de sa longueur,
de sa largeur et de sa hauteur. Si Dieu ne nous avait pas fait cette
grâce que nous y rencontrâmes un peu d'herbe, nos chameaux y se-
raient tous morts, et autant en serait arrivé à nos pèlerins. J'y perdis
un de nos meilleurs chameaux. Dans cette partie du h'ammâd, nous
ressentîmes un grand froid ; jamais , dans notre pays , je n'avais éprouvé
une température semblable. Par un pareil froid, l'homme le plus sain
devient nécessairement malade. Enfin, nous arrivâmes à Ouàregla,
après douze étapes , et nous y rencontrâmes des caravanes d'Arabes. »
46 VOYAGE D'EL'AÎACHI.
première. Nos compagnons de voyage se rassasièrent
de dattes et de bem^re salé. Ils achetèrent aussi beau-
coup de moutons, de sorte que, pendant notre séjour
à Ouâregla, on se serait cru à TAïd-el-Kebir ^
Nous étions arrivés à Ouâregla dans l'après-midi du
jeudi, et nous y séjournâmes le vendredi, ainsi que les
deux jours suivants. Jentrai dans la ville pour assister
h In prière du vendredi, et j'allai à une mosquée qu'on
appelle Djâma'-el-MàleLïa. Le khat'ib * estropia singu-
lièrement la kkotl)a : il en ôtait , y ajoutait ou trans-
posait sans scmpules, prononçant les lettres d'une ma-
nière détestable et pai^aissant plutôt les murmurer que
Itvs dii^*
Je craignais que s'il altérait ainsi les parties essen-
tielles de la s ela ou prière obligatoire , nos vœux ne
fussent p^s exaucés par le Tout- Puissant; mais, grâce
À Dieu , il s'en acquitta sans erreur. II pria pour l'imâm
Kl-Molièdi, puis poiu' le grand sultan, le khak'an, etc.
Moh'amnHHt-ben*Ki*âhim-ben-Moiu^d', enGn pour le
sultan de son jkus, Moula-Wlàhoum.
* l«« ^rcnuU" IcI^nCV^I le iK>m d^ la Pique des musulmans, époque
mi iU Ni»vi iIumU vies UK>utvHi:$^
l.e IImI ib e>l ivUù qui iWît :j^ulemeut la prière du vendredi cl
p4A»av»*KV U llK»t Im ou seriuvHi » À U ilitlereuce de 1 imâm , qui dirige
U prié IV UHt> leji auli-e* jvur*.
U *'a^U H'i du itr^iKl S'i^tH'ur. L'jL^sujettissemeut des gens de ce
l^iXH Au\ Tuix^ ivuKvaUU A une e^xH^ue lort eJoi^ruee; car on trouve
duUH U>H\lo ^ l\>fKH4fy4;U M i>yKl, cu^it. r//. t'pt^onuf de Am iJow' , que
S.dA Uaix, vpù i\x«»^(( À Viager, ji^utU Jippris» en 1 33a. que les rois
ilv t\Hi^\'uri e4 i.k' VKisUv^U iviuviieut de |^»a\er le tril»ut. tit, au com-
VOYAGE D'EL-'AÏACHL 47
Lorsqu'il eut terminé , je lui envoyai un de mes amis ,
afin de lui demander ce que c était que ce Mehèdi,
pour lequel il avait prié. Il se trouva que le khatlb
n çn savait absolument rien. Toutefois il répondit que
c'était peut-être notre prophète {^ur qui soit la béné-
diction et le salut!). J'ai su plus tard qu'il avait trouvé
cette khot'ba, probablement fort ancienne, ainsi écrite,
et qu'il l'avait reproduite telle quelle , sauf les altéra-
tions dont j'ai parlé plus haut, altérations qui prove-
naient, sans nul doute, de ce qu'il l'avait mal copiée.
mencement d'octobre, une expédition de ce côté, à la tète de trois
mille arquebusiers turcs, ou renégats, et de mille cavaliers. Il n'em-
mena que deux pièces de canon.
• Après avoir pris et pillé Tougourt (dit Haedo), il alla, k quatre
journées de là, pour prendre et tuer le roi de Huerguela (Ouâregla),
pays très-abondant en dattiers ; car celui-là refusait également de payer
le tribut aux Turcs. En arrivant , il trouva que le roi s'était enfui avec
quatre mille cavaliers, ses vassaux, et qu'il ne restait, dans la ville,
que quarante marchands nègres , venus du Soudan , comme d'habi-
tude, pour vendre des noirs; ceux-ci n'avaient pu s'enfuir avec le roi
avant larrivée des Turcs. Comme c'étaient des gens riches , S'alah'-Raîs
les fit venir à composition , et parvint à en tirer deux cent mille écus
d'or, moyennant quoi il les laissa aller en paix.
I Le pacha et son armée se reposèrent pendant dix jours à Ouâregla.
n apprit que le roi de ce pays s'était retiré à sept journées de là, envi-
ron cinquante lieues, dans une contrée qu'on appelle Alcala (El'K'olîa)^
contrée qui est très-près de la terre des nègres. Il lui fit dire de revenir,
qu'il lui donnait sa parole qu'aucun mal ne lui serait fait , à condition
que dorénavant il payerait le tribut à Alger, qu'autrement il revien-
drait le chercher, et qu'il pouvait être certain de ne pas lui échapper. »
Le roi de Ouâregla ne rentra pas avant le départ des Turcs; mais sa
crainte avait été telle, qu'il paya le tribut, qui était de trente nègres
par an.
^^ \O^Ar,E DEL-AUCHL
f>rlfc lholT>a était peut-être celle qu'on prononçait du
lfrfuff% cf El - Mehedî - ben - Toumert , et notre homme
V/rl;ïit c/mtenté d'y ajouter les noms des souverains
Spritfi la prière, nous montâmes au minaret qui est
Hu milieu de la ville et la domine tout entière. Ouàre-
^^hl, avant ([uc nous Teussions regardé de ce point cen-
Inil et élevé, nous avait paru petit; mais alors nous le
IrouydtwtH considérable. 11 a sept portes et est entouré
iUt palmiers dans im rayon de deux milles. En dehors
mml (U*H fossés remplis d'eau, de sorte qu'on ne peut
i'Uttvr que par les portes.
létï inaj(!urc partie de la ville est inhabitée à cause
iVmw (tatastrophe qui était siurenue deux mois avant
iiolro n^^ivé(^ l/émir, soupçonnant une partie des ha-
ImIiiiiIh d'avoir Tintontion de Tassassiner, avait chaîné
InM gniiN du dehors de tuer tous ces suspects, sans en
•'«|MU^iinruii Hoid, jeunes ou vieux.Poxu* cela, il fit fermer
ln<* jinrh^s de OuAregla, après avoir averti les ;Vrabes
«|He, H\U voyaient quelqu'un en sortir, ils eussent à lui
HMiiM^r iuMuêdialement la tète. Toutes ces précautions
M\\\\\ pri?»e,H, il ttnuha sur ses ennemis à Timproviste, et
en lll \\\\ mand mass;u iv dans lequel périrent environ
doux lenlH peiNOuues. Il nVchappa que ceux qui se
«'«ulh'^leHl HOUN leN ivm|Kirts, ceux que les Vrabes na-
|M^l\Ulela |M\ el eeu\ qui euivnt le honheiur de se dé-
\\\W\ MW oiuhuMMdes |vuK s«|uelles Tèmir avait voulu
\ v\W s^Moxld'Io .^vr.vMi, Miv;v;vr>e à Teniir par son
VOYAGE D EL- AÏACHI. 49
mauvais jugement, ternit sa réputation et même dimi>
nua sa puissance ; avant cela , il jouissait d'une bonne
renommée. Ses oncles maternels, les fils du cheikh
Ah'med-ben-Djellâb , qui le protégeaient jadis, et à qui
il devait d^être sultan de Ouâregla, devinrent ses enne-
mis à cause de ce massacre.
Je rencontrai Timâm de la mesdjid, et j'allai chez
lui. Il mç montra ses livres, parmi lesquels il y avait
un volume du Maout'a', un autre d'El-Boukhâri^ et
un du Akmal ^ , quelques commentaires du Mokhtas ar *,
' El'Maoat'a, ou ]e marche-pied. C'est un recueil de traditions fait
par Abou -* Abd-AUah-Mâlek-ebn- Anâs-ebn - Abou -* Amar-el - As'behi-el-
Medeni, chef de la secte dite des mâlékites. Cet ouvrage, fort estimé,
est la base des croyances religieuses et des coutumes judiciaires des
musulmans qui suivent le rite de Mâlek. Le khalife Haroun-erRachid
faisait si grand cas de ce livre, qu*il s*arrêta dans la ville de Médinc,
ou Mâlek habitait, pour Tentendre lire et expliquer par Fauteur lui-
même.
La bibliothèque d'Alger possède trois copies du Maout'a, sous les
n** i83, aa3, 579 ; et sous les n" ga et i84, Texcellent commentaire
fait sur cet ouvrage , par Abou-Bekr-el-' Arbi , commentaire qui est connu
sous le nom de K'abs.
* El-Boukhâri, nom du plus célèbre compositeur de traditions,
parmi les musulmans orthodoxes. Son ouvrage, appelé Es' S ah' eh',
ou le véridique, renferme plusieurs milliers de traditions sur toutes
les matières ; il est en grande vénération dans TAlgérie. On le trouve
à la bibliothèque d'Alger, sous le n* a 62.
^ On donne le nom de Akmal-el- Akmal k un ouv ^ge très - estimé
d'El - Oubbi , dont il sera bientôt question d'une maf»&re plus parti-
culière.
^ Mokhtas' ar, ou abrégé. C'est le nom du code des mâlékites , lequel
a été tiré du Maout'a et d'autres ouvrages estimés, par Sid-Khelil-ebn-
Ish'ak'-ebn-lak'oub-el-Màleki. La bibliothèque d'Alger en a cinq copies,
50 VOYAGE D EL AÏACHl.
el la Reçàla ^ d'Abou-Zid. Ces ouvrages étaient incom-
plets pour la plupart.
L'imâni me retint jusqu'au coucher du soleil, afin
de me faire prendre part à un repas qu'il avait préparé
pour moi. Nous allâmes ensuite, vers Fhexu'e du mor-
reb, prier à la mesdjid, qui est à côté de sa maison.
Ce bâtiment est d'une jolie construction. Le sol est
pavé de petites pierres noyées dans du ciment; les
murs sont peints. Auprès des portes , il y a des niches
pratiquées dans l'épaisseur de la muraille, et, en outre,
un endroit pour faire l'ablution , des lieux d'aisances et
même un fourneau poiu: faire chauffer l'eau. Tout cela
me fît grand plaisir à voir.
Le moueddin arriva ensuite et cria Allahou akbar
(Dieu esl grand), quatre fois au commencement de l'ap
pol â la prière et quatre fois à la fin. Ceci ne me plut pas,
car jo savais que les gens de ce pays sont mâlékites ', et
jo U\s voyais sui>Te une pratique des h'anefites. Mais
C(' n\\st pas tout ; quand les fidèles arrivèrent pour la
nriiVo, ils allèrent se frotter les mains contre les miurs
ilo la nuKstjuoo\ Loiu* action me surprit, et je me di-
!M\\^ OU inoi-inome : « Est-ce que tous ces gens sont ma-
m\\\^ lo< ir* H, no, i(>i)% »>77» ^^i Elle possède, en outre, les prin-
tiUrtiix ootumoiUrtiivs \\\\i oui oie faiissurcel ouvrage.
' H»^ .l/.f » ou U\M\x\ Nom d'un jx^lil trailé sur les principes du droit,
iiuî vn\ ilrt^^iijuo ou MgtM^io. L'aulour s'appelle Abou-Zid. La biblio-
ll^^^^|U^' \V M^oi OU a do5 «vpios, mmis les n*" i il, i-jb.
• l.oi» ui.Utlilo^ uo rnoul q\io doux fois.
^ ( ollo pMhtjuo uVm )o4:,'«Io qu'autant qu'on manque d*eau ou
VOYAGE D'EL-AÏACHI. 51
lades ou manquent d'eau ? » Il me vint alors à Tesprit
que ce pouvait bien être de ces hérétiques qu'on ap-
pelle rouâfed' ^ Je questionnai quelques voisins à ce
sujet, et j'appris que-cette mesdjid était, en effet, à des
khouamès, qui seids y viennent prier, et que le fait
est notoire.
Ces gens forment une fraction de la secte appelée
abâdla, dont le chef est' Abd- Allah -ebn-Abâd'. Us s'é-
loignent de la voie orthodoxe sur la plupart des points
par lesquels les m'outazila (hérétiques) en diffèrent.
Par exemple, ils prétendent, comme ces derniers, que
les croyants ne verront pas Dieu dans l'autre monde,
et ils disent aussi que le K'oran a été créé. Us détestent
quelques-uns des compagnons de Mahomet^. La ma-
jeiure partie des habitants de la ville est infectée de
cette opinion erronée, qui tire son origine des mon-
tagnes du Mezâb , où tous sont rouâfed', y compris les
^ Raouâjed!, pluriel de râfed\ Dans Tusage ordinaire, on se sert du
mot khamsi, cinquième , pluriel khouamès. On le dit surtout des Beni-
Mezâb, qui, ne suivant aucun des quatre rites orthodoxes, forment, en
effet, une cinquième secte. Ces héréliques n'entrent, à Alger, dans
aucune mosquée. Un moulin , appelé Cha*bân , situé hors de la porte
Bâb-'Âzoun , leur servait pour les cérémonies du culte. Ils ont, au-des-
sus de ce moulin, un endroit de sépulture particulier. Les Algériens,
qui ne négligent aucune occasion de tourner ces sectaires en ridicule,
prétendent qu ils ôtent leur culotte pour prier, et disent qu'au lieu
d'employer de Teau dans certain acte de propreté, ils se servent de
petites pierres. Le docteur des Beni-Mezab est'Abd-er-Rah'mân-ebn-
Meldjoun, un des assassins d'Ali.
* En cela, ils ressemblent aux partisans d'Ali, lesquels maudissent
les trois premiers khalifes, qu'ils regardent comme des usurpateurs.
52 VOYAGE D'EL'AiACHI.
ouléma, s' imaginant, dans leur ignorance, que cette
hérésie est la voie véritable. Les professeurs, auxquels
nous donnons le titre de cheikli , ils les appellent 'amm
(oncles), et ils disent : « Ceci, nous le tenons de Toncle
Dâoud, de Toncle Brâhim. Un individu du pays de
Rir (j^)\ homme véridique, m'a raconté (et c'était
un de mes professeurs) qu'un voyageur des environs
de Bâsra (Bassora), qui se rendait au Mezàb, avait été
questionné, à son passage, par des gens de l'Ouad-Rir ,
qui lui dirent : D'où es-tu ? — A quoi l'autre répondit :
de Bâsra, et je suis venu pour visiter^ en pèlerinage le
pays de Mezâb.
Que Dieu maudisse le pèlerin et l'objet de son pè-
lerinage! Certes, il revint chez lui pèlerin , mais à ia
bénédiction près.
Je demandai à quelques personnes poiu*quoi l'émir,
qui ne partageait pas l'hérésie, ne sévissait pas contre
la portion de ses sujets qui en était infectée. On me
répondit que ces gens étaient ses meilleurs soutiens
dans la guerre que lui faisaient ses oncles maternels
ou les Vrabos qui dépendaient de ceux-ci, et que, par
00 motif, il no peut entreprendre de détruire leur hé-
rt'^^sitv Si los autivs musulmans de Ouâregla, lesquels
so\\{ i\v \rais on>\an(5, se rangeaient franchement du
parti tlo lour ohof, celui-ci ne serait pas dans la dure
uAoosNilô d'en agir ainsi; mais, parmi eux, il n'en est
p«.H un autpiol il puisse so fier.
* Vm ^lojA (m\ rc\\\M^\\M^r lo mmk |varliculier de ce mot.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 53
■
Le dernier jour que je paissai dans cet endroit, je
demandai à mon ami Timàm de ia mesdjid en question
s'il se trouvait une bibliothèque dans la ville. Il me
répondit qu'il y en avait une chez Têmir, et que ce-
lui-ci en accordait Feutrée à qui la voulait examiner.
J'allai donc chez ce prince avec Fimâm, et il nous ac-
cueillit très-bien. Mon introducteur lui exposa l'objet
de ma visite, et il nous permit gracieusement de pé-
nétrer dans l'endroit où étaient les livres. J'y trouvai
une quarantaine de volumes , parmi lesquels on remar-
quait le Taoud'eh'^ Et-Tatâî^, Baharâm^, et des gloses
sur la S'ori ra *.
L'émir me fit apporter une collation et m'adressa
quelques questions sur le droit, science qu'il connais-
sait un peu. Après avoir beaucoup causé avec moi, il
^ Il y a plusieurs ouvrages qui portent ce titre, lequel signifie
l'éclaircissement: mais il est probable qu*El-*Alachi veut parler ici de
celui qui a été composé sur le droit musulman par Ebn-el-H'adjeb , et
sur lequel Sidi-Khelil a fait un commentaire très-estimé, qui est à la
bibliothèque d* Alger, sous le n*" 85.
' Et-Tatàî. Chems-Ed-din-Moh'ammed-ben-Ibrâhim-et-Tatâl est un
des nombreux commentateurs du Mokbtas'ar de Sidi-Khelil, ouvrage
qui sert de code aux mâlékites, ainsi qu*on Ta déjà dit plus haut.
Son commentaire est à la bibliothèque d'Alger, sous le n" 89.
^ Autre coounentateur du Mokbtas'ar de Sidi-Khelil. Baharam-ebn-
*Abd-Allah-ebn-'Abd-el-*Aziz, etc. était k'âd'i des k'âd'i au Kaire. Son
ouvrage est à la bibliothèque d* Alger, sous les n*" 86 et 58o.
* Es^-S'or^ira, ou la petite. Nom d*un petit traité de Touh'id, ou
unité de Dieu, composé par Moh'ammed-ebn-Ioucef-ebn-*Omar-ebn-
Chaîb-es-Senouci. La bibliothèque d* Alger possède des gloses faites
aux commentaires que El-H'adadi a composés sur cet ouvrage. Voir
au n** 19a.
54 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
me demanda mi idjaza \ ou certificat touchapt la façon
dont il avait discouru sur ces matières. De retour à
mon logement, je lui en composai un à la manière des
ouléma , autant que je pus me le rappeler. J y insérai ,
à la louange de cet émir, un apologue, en deux vers,
qui me lurent inspirés par sa bonne réception ^.
Renvoyai le tout au prince par Tami qui avait été
mon introducteur auprès de lui. Ce dernier s^appelle
Bâsdi , et son frère Sidi-S'enin ; tous deux sont connus
dans la ville comme les fils du fak'i ( légiste ) El-Man-
s'our. Us passent pour savants dans ces pays , où Ton
n^en voit pas d^autres , quoique , dans le fait , ni Tun ni
Tautre ne connaisse bien aucune partie de la science.
Mais , comme on dit : « Lorsque , dans une contrée ,
rherbe est séchée et disparue, les animaux doivent se
contenter d^en flairer la place. »
Les gens de ce pays sont riches et emploient leurs
capitaux dans le négoce. La majeiu*e partie de leur
monnaie est de cuivre ; vingt-quatre pièces de ce métal
forment un quart de rïal. Pendant quatre jours, ils
traitèrent les gens de la caravane avec libéralité.
' Voyez note a, pag. 3o. Ces sortes de certificats sont, chez les
musulmans , ce que sont , chez nous , les diplômes universitaires.
* On supprime ces vers , qui se composent de jeux de mots intra-
duisibles, sur le nom de Têmir *Alâhoum , qui signifie sar eux, et, en
outre , i7 les a commandés.
VOYAGE DEL-'AÎACHI. i5
SINGULARITÉ.
A la porte de la ville par laquelle nous étions entrés,
il y avait beaucoup de vêtements de laine et de toile
qu'on y avait jetés, dont la plupart étaient encore bons,
et pouvaient être utilisés à différents usages. Or, n ayant
vu nulle part qu'on rejetât ainsi les effets qui n étaient
pas hors de service , la quantité de ceux-ci et leur bon
état m' étonnaient. Je ne comprenais pas qu'on ne les
ramassât point , et qu'on les laissât abandonnés comme
du fumier. On aurait bien pu en charger vingt ou trente
mules. Ces vêtements provenaient, me dit-on, de gens
qui avaient succombé à différentes maladies. Quand
quelqu'un meurt à Ouâregla , on a la coutume de jeter
en cet endroit les habits dans lesquels il a cessé de
vivre, et personne n'y touche.
Dieu sait pourquoi ils en agissent ainsi I
SINGULARITIÊ DES SINGULARITÉS DE CETTE VILLE.
Pour que l'eau sorte avec force , ils creusent des puits
à environ cinquante k'ama ^ profondeur à laquelle ils
atteignent une marne qu'on appelle h'adjera-mousTah'
ou pierre plate , laquelle se trouve à la surface du noyau
de la terre. Ils font un trou à cette couche et l'eau en
jaillit aussitôt avec force et abondance; en moins de
rien elle arrive à l'ouvertiu^e du puits , d'où elle coule
et forme un ruisseau. Si celui qui pratique le trou n'est
* K'ama, juls ; c est une brasse ou i mètre 65 centimètres.
56 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
pas attentif, il est étouffé par la colonne d'eau. Ceux
qui nettoient ces sortes de puits ont de grandes diffi-
cultés à surmonter et des dangers à courir; souvent
môme , la violence du mouvement d'ascension empêche
de les curer. Alors le trou finit par se boucher. Un de
mes amis qui a vu nettoyer de ces puits m'a informé
d'une chose fort singulière : c'est que les sources de
l'Ouad-Rir ont cette origine *.
Lundi, 9 djoumâd-et-tani (8 janvier i663).
Nous partîmes de Ouâregla le lundi , et nous nous ar-
rêtâmes à Maguersâ, iM^iU petite ville qui est à une
demi-étape de là. C'est une dépendance du pays de
l'Ouad-Rir', et elle n'appartient pas à celui de Ouâregla,
comme la proximité pourrait le faire" croire. Quand
nous nous présentâmes , les habitants ne voulurent pas
nous laisser entrer dans leiur ville. Il parait qu'ils crai-
gnaient que le sidtan de Ouâregla eût caché de ses sol-
dats parmi les pèlerins, afin de s'emparer de Maguersâ
par trahison, prendi^e leurs biens et établir, à leur
place , les mor rebin de la caravane. De pareils soupçons
' On voit que les puits artésiens sont connus jusque dans le déserf.
Si jamais ces oasis étaient habités par des Européens , quel immense
parti ceux-ci pourraient tirer de cette facilité à obtenir des eaux abon-
dantes pour modifier la nature de ces contrées si diflBciles à parcourir
aujourd'hui : avec une ligne de puits artésiens bien tubes , le voyage a
Tombouctou deviendrait une excursion très ordinaire. Avec des eaux
trt's-abondantes , on peut cultiver et boiser certaines parties du désert.
Voyez plus loin, à Tarlicle Sonf, ce que font aujourd'hui les ioditrènes,
sous ce rap|x>rl.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 57
prouvaient suffisamment leur peu d'intelligence et leur
folie. Eh quoi! ils pouvaient craindre que des gens qui
avaient abandonné leur pays , leurs parents , leurs amis ,
qui avaient quitté leur maison poiu* Tamoiu* de Dieu,
songeassent à venir demeurer dans une ville où n ha-
bitent que les malheureux qui n ont pu trouver un gite
ailleurs !
Les gens de Maguersâ montèrent la garde toute la
nuit, témoignant beaucoup d'irritation contre ceux de
Ouâregla. Ils n'attendaient, disaient-ils, que l'arrivée de
leur émir Er^Rir'i , lequel se trouvait alors en expédi-
tion, pour marcher sur Ouâregla, prétendant qu'il leur
était licite de prendre les biens et de couper les têtes
de pareils hérétiques.
Je leiu* demandai s'il y avait, cette année, quelqu'un
d'entre eux qui irait en pèlerinage. Ils me répondirent :
« Qui donc songerait à faire le pèlerinage quand la
guerre est à sa porte .^ cette année, nous ne faisons que
la guerre et ne pensons pas à autre chose. » Cette ré-
ponse me siu*prit beaucoup. L'origine de leiu*s soupçons
contre nous venait de ce que , parmi les pauvres t'o'lba
qui marchaient avec la caravane , quelques-uns avaient
travaiUé , à leur passage , chez le sultan de Ouâregla , et
que celui-ci leur avait donné des armes en payement.
Cette nouvelle, parvenue aux oreilles des gens de Ma-
guersâ, leur avait fait croire que nous étions autant de
séides du chef de leurs ennemis, et que nous venions
pour nous emparer de la ville.
58 VOYAGE D'EL-'AÏ ACHI.
Mardi, lo djoumâd-et-tani (9 janvier).
Nous quittâmes ce lieu et marchâmes vers TOuad-
llir [^j àl^) ^ par un terrain de sable où Ton ne peut
se diriger qu'autant qu on le connaît parfaitement.
Mercredi, 1 1, jeudi, 1 a djoumâdet-tani (10, 11 janvier).
Le ti'oisième jour, au s'bah', il souffla un vent froid.
La contrée où nous nous trouvions était remplie de
sable que ce vent chassait siu* nous avec tant de vio-
lence que l'air en était obscurci, et qu'on ne pouvait
distinguer ce qui était à côté de soi. Ceci dura jusqu'à
la nuit, pendant laquelle nous eûmes à souffrir. Il ven-
lail comme aux jours de beham^.
Vendredi , 1 3 djoumâd-el-tani ( 1 2 janvier) .
Nous travoi'sàmcs une bourgade qu'on appelle Ague-
dng ( *2)*>5t). Cosl la première ville de l'Ouad-Rir ^ puis
nous allâmes vei^ Temàcen ((j-*mU), autre petite ville
' Ourtd l\ir\ lWauct>up d iiidigî^nes qui onl Yoya«;é dans ces con-
liOOH piHMiouivnl ()(iifi/ •/?!(/. On sait que dans TOrient le r'aîn a
|M^^M|\io U pivuonci.tùon du gue, et c*est même pour cela que les
ononlali^lo^ lo tiMn>cri>ont |vir </ft. Il est probable que ceUe même
pu nu MM i(U ton cvi>lo du iH>lo do Tougourt
* NoKm^ lo K"oi\tu, AU Un«|V5 do Chiddad-ben-Aàd , Dieu détruisit
lo« uuSli<uU!« |VM' un ^i\uu) vont qui dura sopt nuits et huit jours. On
i»pp\*Ho »oMo 0|Hsjuo lAmol Ivluiui.
' V\\\^ \\M\[ ,11' Vuwlu uKÎiquo M,*i:uorsà comme étant une dépen-
\\a\\\\' \W \y^\\M\ lui I) M^niMir.ut dt> lor* que Asruoilag n'était pas
Iti puuuOH x^U\' xK TiVtul lur l uo cvnirlo oxplicalion fera dispa-
\A\\\\ \\\\\ *ppu\0\^ xK \>*n'ï.i>;icti.'« Lo pivmior do ce^ endroits
VOYAGE D EL-'AÏACHI. 59
très-peuplée, où il y a iine grande quantité de palmiers.
Le prince qui y gouverne est le cousin de Témir de
Tougourt; il est là comme un étranger. Les pèlerins
ftu'ent parfaitement traités par lui.
Dans la mesdjid de Temâcen, il y a un minaret fort
élevé , dont la construction est solide ; il a environ
mille oudja de hauteur. Sur la porte de ce minaret on
lit le nom de celui qui Ta bâti : c'est un architecte ap-
pelé Ah'med-ben-Mohammed-el-Fâci. La date de sa
construction est 8 1 7 de Thégire ( 1 4i 4 de J. C).
Samedi , 1 i djoumâd-ct-tani ( 1 3 janvier) .
SÉJOUR LES 1 5 , 16, 17.
Nous partîmes de Temâcen et nous arrivâmes à Tou-
gourt, capitale de TOuad-Rir, et résidence des princes
de cette contrée, les Oulâd-Djellâb. Nous y arrivâmes
le samedi 1 4 de djoumâd-et-tani ^
Le premier t a'ieb que je rencontrai, après mon arri-
élait une dépendance seulement, et Tautre reste, en effet, la première
ville du territoire proprement dit.
* Dans la lettre à ses parents , El-'Aiachi raconte en ces termes son
voyage de Ouâregla à Tougourt :
> Nous partîmes de Ouâre^a le 9 de djoumâd-et-tani, et nous tra-
versâmes un canton rempli de sable, puis nous arrivâmes à Tougourt,
capitak de FOuad-Rir' , et résidence du souverain de ce pays. A par-
tir de cet endroit, je fus obligé d acheter du blé, parce que no!( provi-
sions étaient épuisées , et qu il ne me restait plus rien de ce que j*avais
apporté de chez nous. Grâce à Dieu , je trouvai toutes les denrées à
bon marché. Les dattes y sont à bas prix , comme à Ouâregla ; Torge
et le blé se payent à raison d*un rlal les neuf ous'eu* ( m[). »
60 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
vée , fut Sid-Moh'ammed-ben- Abd-el-Kerim-el-Touâti ,
fils de Sid-'Abd-el-Kerim, k'âd'i de Touât. Ce dernier
était de Temendid'. Lorsque Sid-Moh'ammed fut de-
venu légiste, il quitta Touât pour aller habiter Ouâ-
régla, où il demeura longtemps; de là il était venu à
Tougourt. C'était un lionmie de bien , qui savait le droit,
la grammaire et la poésie. Il me fit tm bon accueil et
amena les légistes de la ville pour me tenir compagnie.
Il m'adressa plusieiu's questions siu* les traditions, et
les autres tVlba me questionnèrent aussi beaucoup : je
répondis à tout.
Le lendemain de notre arrivée à Tougoiut, j'envoyai
à Sid-Ah'med, frère de l'êmir, des vers, par lesquels je
demandai à voir la glose faite par El-Oubbi ^ , au com-
mentaire de Mouslim, sur le recueil de traditions de
Boukhâri, et, en outre, l'ouvrage d'El-Iâmouri , intitulé
Es'Sira^. Je promettais de lui rendre ces deux ouvrages
le lendemain , ne voulant que vérifier un mot sur lequel
' Cet ouvrage, composé par Abou-Abd-*Allah-el-Oubbi, porte le titre
de Akmal-el-Akmal , le plus complet des complets (sous-en tendez,
commentaire). La bibliothèque d* Alger en a un fort bel exemplaire,
qui provient de Conslantine , où il avait été rendu h'abous , dans Tan-
née iaa3 de l'hégire (1808 de J. C), par 'Alî-Bey, en faveur d'un
établissement pieux.
' Cet ouvrage, intitulé El'*Aîovui'el-Alsar-fi'fonoum'el-m€af^€Lzi'Ou
ech-Chematl'OU'Es-Sira, est de Feth'-ed-Dîn-Moh'ammed-ben-Moh'-
anmied-ebn-Moh'ammed-benAh'med-ben-'Abd-Allah-ben-Moh'ammed-
ben*Iah'!a-ben-Sidi-en-Nas-el-Iâmouri. C'est une histoire de Mahomet,
de ses contemporains, de ceux qui l'ont suivi, etc. Il en existe une
fort belle copie à la bibliothèque d'Alger, sous le n** 306. Elle re-
monte à l'année 999 de l'hégire (1^90 de J. C).
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 61
j'avais des doutes. Cétait afin de satisfaire les légistes
et les tVlba qui m'avaient adressé des questions. Ces
derniers me demandèrent les Keç'âîdi-el-Outsriàt ^ pour
les copier; et Sidi-Moh'ammed-ben-Ibrâhim me prit
une keràça ^ du Lou-ech-dhart'ïa * et une autre kerâça
que j'ai appelée : Tenhi-daouî-eUhemamrel-alîa-ala-ez-
zedi'fi'^d-deidâ^eh'fânîa ^. Il me donna une medjmou' ^
contenant beaucoup d'ouvrages, cadeau dont je fus très-
satisfait. Sid-Moh'ammed-ben-'Abd«el-Kerim me fit voir
un conmientaire siu* le poëme d'Abou-el*Faradj-el-
Achbili , ouvrage qui traite des noms propres mention-
nés dans les traditions ^.
Ils me demandèrent s'il leur était permis, théologi-
quement parlant, de faire la guerre aux habitants de
Ouâregla. Je leur dis : « Ces gens ne sont pas de votre
pays , et vous n'avez pas à vous mêler de leurs affaires. »
Ils me répondirent : « C'est vrai , mais ne peut-on dé-
truire ce qui est mauvais quand on le rencontre sur
son chemin? — Oui, leur répliquai-je , pourvu qu'on ne
' Ceci est probablement un ouvrage d'El-*A!achi. La bibliothèque
d*Alger possède, de notre voyageur, une petite pièce de vers sati-
riques (ms. n*" 576) qui n*a pas d'intitulé.
' On donne ce nom à un cahier contenant dix feuillets ou vingt
pages. Les manuscrits arabes se composent d*un assemblage de ces
cahiers.
' Voyez la note 1 de cette page.
* Ibidem,
^ On appelle ainsi un volume qui renferme plusieurs ouvrages dif-
férents. Nous dirions mélanges,
* Voyez le poème manuscrit 6, D, bibliothèque d*Alger.
62 VOYAGE D EL AÎACHL
remplace pas ce mal par quelque chose de pire. Or,
vous ne pouvez venir à bout de votre dessein, qu'en
(uanl beaucoup de monde. Ceci est pour le cas où vous
Kerez vainqueurs, mais si vous êtes battus? ■
I^es princes de Tougourt sont les fils du cheikh
Ali'mcd-bcn-Djeliàb, et ils tirent leur origine des Beni-
Merin '; leur père était im prince juste et habile, d'après
ce ([u'on m'en a raconté; ses fils suivaient ses traces.
Ils ne Faisaient rien sans consulter les légistes, et
(^'étaient ces derniers qui leur avaient dit qu'aller tuer
les gons do Ouâregla était ime action licite; en quoi ces
logi.slos n'avaient fait preuve ni de droiture, ni de
.savoir.
Quant aux fils du cheikh Alimed, s'ils étaient con-
Hoillés par dos gens qui connussent bien larehgion,et
(pii Nui>issont le droit chemin, ils ne feraient rien de
ooulrairo {\ la loi. Je n'ai jamais vu de princes qui leur
fuH.Houl ot>nqKUMhlos; ils n'avaient point la moi^e de
* 1.0% Uoiù Morin ou /onala doscoiulonl d'un certain Abou-K'aracl-
M«u \Us \\\\\ M* iv>ol(»i À TïouWn on lai) <lc Thépre (746 de J. C).
lU MMUuuM^M^ivMl À iv^jnor sur lo Manx» en (ïjI) (i!i58 de J. C.) dans
U |>»M*\Mu\o ^r \lvu Ldï Kt-AlHHi-lVkor-lxWAUl-el-H'aï, vers 751
( » ^M ^ lo *^^^to \lu MvM i\^b ol menu* la province dWfrikja loni-
I^^M'hl rtu pouwMr do wtto d^UAMîe, jvtr les conquôlos d\Vbou-el-
M M\'S\ ^\\\ Ivu XMxuMU i oUo ùnxvjo jv%sso |X»ur avoir éïé délniite
\rM l.\ U\\ \\\\ \\\' xK\V ^W iK^tro oro. Il |\irAÎl, ci|vndant, que la
dv«lu«\h>^u ^^* {\\{ \\%\ \\nup\';o» pui>^^uo» d\ipn'* le tonioignage
d I i \\ ^^ \\\ \\>'\ p^n^^v^ sv \v.»o TAxX" r\ov)i*cut cncorv à Tongiiurt en
\\y\^\ \\\ \ \ \ Vx^u.vî ^^ v^ o M UxVÎx's^ AUvîon ^erroUirc d'AM-el
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 63
quelques autres souverains ; Têmir sort seul ou accom-
pagné d'une ou deux personnes, au plus. Lorsqu'il est
parmi les gens de la ville, il a tout à fait Tair de Fun
d'entre eux, ne cherchant pas à se distinguer du vul-
gaire dans la manière de s'asseoir ou de parier. Il est
accessible à tous.
Son frère, Sid-Ah'med, connaît un peu le droit et
fréquente beaucoup les légistes. Sa manière d'être est
bonne , et son caractère , vertueux. En général , les habi-
tants de Tougourt , légistes, t'o'lba , ou autres , méritent
les mêmes éloges; ils ne sont ni vaniteux, ni gonflés
d'orç;ueil. L'êmir exerce son pouvoir, sans contestation ,
sur Tougourt et ses environs.
Le jour de notre départ, deux de mes chameaux
s'égarèrent, et un homme s'offrit de nous les ramener
moyennant une rétribution. Le sidtan , informé de cette
circonstance, fit mettre cet homme en prison, et en-
voya des gens qui nous ramenèrent nos chameaux gra-
tuitement ' .
' Je vais donner ici le reste du passage de Haedo. Voyez à l*ar-
ticle Ouâregla, relatif à Fexpédilion de S'âlah'-Rais sur Tougourt:
« Dans cette même année de ia53, on apprit que le roi de Ti-
carte (Tougourt) ne voulait plus payer, conmiepar le passé, certains
tributs au pacha d* Alger. Ce roi est un More dont les états sont à
vingt et une journées d* Alger, à cinq de Bescari (Biskra), très-près de
la Zahara (du S'ah'ra) et du pays des nègres; en tout à cent cinquante
petites lieues d* Alger. S'âlah'-Rais entreprit une expédition contre ce
prince, an oommenoement d'octobre ; il emmena trois mille arquebu-
siers, turcs ou renégats, mille cavaliers et pas plus de deux pièces de
canon. Il cacha soigneusement le but de sa marche, afm de surprendre
son ennemi. Aussi il était déjà a quelques lieues de Tougourt, avec
64 VOYAGE D^EL-'AiACHI.
L'argent de ce pays se compose de k'aràrit', petites
pièces dont trente-deux font un quart de rîal.
son camp , lorsque le roi de ce pays en fut informé. Celui-d , n*osant
sortir pour le combattre, avec ce qu'il avait de monde, se laissa assié-
ger dans la ville, qui était très-forte, par le conseil de son gouverneur
(car ce roi était encore fort jeune). D espérait que ses vassaux ou les
autres Mores et Arabes, ses voisins et amis, lesquels étaient tous grands
ennemis des Turcs, viendraient le dégager.
« S'âlah'-Raîs battit la ville pendant trois jours avec ses deux pièces;
le quatrième , il donna Tassant et la prit , avec grand carnage de ses
habitants. Le roi, qui avait été pris vivant, fut amené devant le pacha,
qui lui demanda pourquoi il avait osé combattre contre la bannière
du Grand Seigneur, et manqué à la foi qui lui était due. Le jeune
prince 8*cxcusa sur son gouverneur, qui avait autorité sur lui ; ce der-
nier, disail-il, était k'âd'i, et, en cette qualité, il avait tout sous la
main, de sorte que lui, roi de Tougourt, n avait pu faire autrement
que de suivre ses avis.
« Alors S'âlah'-Raîs fit venir ce k'âd'i, et la chose se trouva conmic
le roi la lui avait racontée, avec cette addition, que le susdit k'âd'i,
en exliorlant les Mores à combattre les Turcs, leur disait que celui qui
tuait un Turc avait autant de mérite aux yeux de Dieu que celui qui
tuait un chrétien. Le pacha lui fit alors lier les pieds et les mains et
le fit placer, en cet état, à la bouche d*un canon auquel on mit le
feu. L'explosion déchira ce malheureux en pièces.
« Los habitants de Tougourt et des alentours, au nombre d'environ
douze mille, de tout âge et condition, furent vendus comme esclaves.
Lo pays fut pillé et ravagé ; après quoi S'àlah'-Raîs emmena le roi , qui
avait À peu près quatorze ans.
« S'âlah'-Rais va ensuite attaquer Ouâregla, comme on Ta déjà ra-
conté , puis il reprend la route d'Alger.
• Kn passant par Tougourt, le pacha y laissa le jeune roi, qui s*en-
gagca, ainsi que les principaux du pays, auxquels on rendit la liberté
et auxquels on lo confia, de demeurer fidèle et loyal envers les Turcs,
et (lo leur donner annuellement un tribut de quinze nègres ; lequel
tribut so paye encore aujourd'hui. ■
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 65
Mercredi, jeudi , vendredi , 18, ig, ao djoumâd-et-tani
(17, 18, 19 janvier).
Nous partîmes de Tougourt, le mercredi 18 de
djoumâd-et-tani . Nous marchâmes lestement sur un
chemin qui traverse un pays de sable, pays qu'on prend
ordinairement pour terme de comparaison quand on
veut désigner un endroit où le sable abonde. Heiu'euse-
ment Dieu nous avait fait la grâce d'envoyer de la
pluie pendant notre séjour à Tougoiul, afin de rafïer-
mir le terrain sur lequel nous n'aurions pas pu avancer
s'il eût été sec , outre que le vent qu'il faisait alors ,
nous soufflant le sable à la figure, nous aurait aveu-
glés. Mais ce même sable, mouillé par la pluie, était
plus commode que la terre, car celle-ci, en pareille cir-
constance, devient de la boue où le voyageur enfonce.
Noujs cheminions donc avec toute aisance et facilité.
En voyant cette immensité de sable , et en réfléchis-
sant à la faveur divine qui nous permettait d'y marcher
sans obstacles, nous nous mîmes à louer Dieu et à le
remercier. Sans la bonté qu'il nous témoigna, il nous
eût été peut-être impossible de nous tirer de ce ter-
rain. S'il en est ainsi dans la saison des pluies, que
doit-ce être en été ? Je m'étonnai alors de l'assertion
avancée par certaines gens , à qui j'avais souvent entendu
dire : « Les voyages sont faciles dans le S'ah'ra , nous le
parcoiu'ons tous les ans^ »
' On trouve dans la lettre déjà citée : « Nous partîmes de Tougourt ;
nous travers,âme8 des sables dont Timmcnsité est devenue proverbiale.
66 VOYAGE D'EL-AÏACHI.
Samedi, ai djouinâd-et-tani(ao janvier.) Séjour, dimanche aa.
Nous traversâmes ces sables en quatre joiu^ ; mais ,
en général, nous avions marché lentement, si ce n'est
le quatrième jour , dans lequel nous arrivâmes' à Souf
[(jiym)\ pays où il y a des palmiers plantés au milieu
du sable , qui les a recouverts pour la plupart. On trouve
beaucoup de villages dans ce canton ; Teau y est bonne ,
abondante et très-près de la surface de la terre ^.
Les gens de la ville me racontèrent aussi leur mé-
thode de planter les palmiers. Ils creusent d'abord un
peu le sable , jusqu'à ce qu'ils atteignent l'eau , qui est
très-près de la surface du sol; puis ils plantent le pal-
mier de telle sorte que les racines plongent dans l'eau,
après quoi ils recouvTent celles-ci avec du sable. Ils n'ar-
wsent jamais. Ils font ensuite im petit fossé au pied de
l'arbre, et le remplissent avec du crottin de chameau et
d'aulros animaux. S'ils n'employaient pas ce procédé,
h' palmier moiu*rait. Us suivent un système analogue
Prtr îtt IrtNOur do Dion laveur si grande que l*espnt humain ne peut la
(onooNoir^ il (omKi« |MMuiant notre séjour à Tougourt, une pluie qui
n Vtoi( PA^ do 1a saison, et qui mouilla le sable et le solidifia au point
uuo Irt tr;uY do nos |>as no s'y iniprimail plus. De la sorte, nous tra-
Nor^Ainos iWilomont tYlto rt^gion do sable.»
* loi lo nvuuiscril donne le mot 0!ï^* tandis que dans la lettre
d'il \\m\\\ à SOS jMmUi il y a i^jm jX^ (pays de Souf), leçon qui
ilnl) «*hV |MVtOl>iH\
* 1.0 Lo\i\oiuon\onl lun^ d'Algor jx^rcev,\it quarante ou cinquante
millo biMid|»MiN |Mr ,ui sur lo |vns i\i^ S>uf, mais seulement lorsque ses
hoMpoi *'\ ^^^VM ut.uont . o,^r aulnnuonl il ne recelait rien.
VOYAGE D'EL-AÏACHI. 67
pour la culture des légumes et de tous les autres végé-
taux qu'ils font venir.
Ils élèvent avec beaucoup de soin des chiens pour
la chasse, leur pays étant très-abondant en gibier, ce
qui , avec les dattes , fait presque leur unique nourri-
ture.
Les dattes de cette contrée sont supérieures à celles
de tous les autres pays. Nous passâmes la journée du
dimanche à Souf , et nous achetâmes les chameaux et
les autres objets dont nous avions besoin.
Les gens de Souf ont leurs habitations dans des haies
de branches de palmiers; c'est là qu'ils couchent et
qu'ils se tiennent ^
Lundi, a3 djoumâd-et-tani (aa janvier).
Nous partîmes le lundi , 2 3 djoumâd-et-tani , et nous
nous arrêtâmes dans un lieu où il y a de l'eau , et qu'on
* El-*A!achi, dans la lettre à ses parents, ajoute ces détails sur son
séjour à Souf :
« Nous descendîmes dans le pays de Souf, après quatre étapes
(à partir de Tougourt]. J'y achetai trois chameaux, attendu que les
miens s'étaient affaiblis , et aussi parce que j*avàis acheté des choses
pesantes qu'ils ne pouvaient suffire à porter.
«J'achetai à Souf un dernier volume du Naouazil d'El-Borzouli
(ouvrage de droit), a vil prix. J'avais aussi acheté à Tougourt une
medjmou', acquisition dont je fus enchanté. Elle contient Ebn-Ech-
Chot' sur El-Fezaoul, ainsi que l'ouvrage du légiste Rachid, sur ce
qui est permis et ce qui est défendu. Bref, Dieu m'a favorisé : j'oublie
toutes mes fatigues et toutes mes peines. Tout le chemin que j'ai fait
jusqu'ici , je l'ai parcouru en paix ; or, ces chemins , souvent rudes ,
m'ont paru faciles à cause de la sécurité qu'on y rencontre. >
68 VOYAGE DEL AÏACHl.
appelle Er-Riàh' (^l»^!)- ^^ ^^^ situé à une demi-étape
(le Souf, au milieu de sables qui, parleur immensité,
l'emportent sur ceux de la mer. La plupart des habi-
tants de Souf nous suivirent , afin de ramasser le crottin
de nos chameaux , pour l'employer à la culture des pal-
miers, ainsi qu il a été dit plus haut. Nous rencontrâmes
à Er-Riâh' des Arabes de T'erdi avec de forts cha-
meaux à vendre. Les gens de la caravane achetèrent
selon leurs besoins.
Mardi, it\ djoumàd - et - tani (a3 janvier). Séjour,
mercretli a 5 (ai janvier).
Nous partîmes d'Er-Riàh', et nous allâmes à un en-
dmit appelé El-\\lnadi ^^^ooXjJI). Là, nous fûmes as-
saillis par la pluie avec tant de violence, qu'il fallut nous
> ariH^ler un jour; et cependant nous ne trouvions rien
t"^ hoiiv, paixe que cette contrée, étant toute de sable,
no ivtenait pas Toau qui y tombait. De sorte que la ca-
raxaue. ohlij;[ee de séjourner à cause des torrents de
pluie qui desi euilalont du ciel , ne pouvait toutefois
tixnner à son Mxao de Teau jx^ur boire ou pour faire
les aMutiiMis. Il fallait puiser dans les outres, provision
spéciale iloMinee a nos be>oins jHMidanl les marches;
ou Imou ivkiumUu* dau> dos \asos Peau i|ui tombait du
ou l \ni ooUo qvu doo^^uîlail le loiu: de nos tentes. A
pi\^|Hv\ do 00 tomjw, j\ù ovnnjx^se , en ^ers, fenigme
quo \\M\ I
\u\i vr,> tu vjxi. ic' <r>l u /'.^Mf à.'î*î lAKMulance oblige
v4 \.ivt\ î.^* oî xju/ xviv',x!tr: vXi :v j>u: trv^u^t^r; la choM*
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 69
à propos de laquelle on demande le contraire, quoiqu'on
en ait grand besoin ?
Jeudi , vendredi , samedi, a 6 , 27, a8 djoumâd - et - tani
(a5, a6 et ay janvier).
Nous quittâmes El-' Alnadi , et , doublant l'étape à la
troisième, nous arrivâmes, vers le d'oh'a, auprès d'une
sebkha ^ (x^^dM), dans un endroit où il y avait de Feau.
Notre provision s'étant épuisée en route , nous avions
commencé à sou£Brir de la soif. On avait même creusé
sur le chemin, dans Fespoir de trouver de Teau; mais
cela avait été sans succès.
Lorsque, dans la matinée, je marchais avec mes com-
pagnons , nous nous trouvions sur un terrain tellement
imi que le ciel semblait très-rapproché, et qu'à plus
d'un mille en tout sens on n'apercevait absolument rien
qui interrompît l'égalité de la surface. On eût dit que
le ciel allait tomber, tant il était près de nous. J'ai com-
posé les vers suivants à propos de cette circonstance :
Regarde par tes yeux, et tu ne verras rien que le ciel et
la terre. Celle-ci, honteuse detre si près du firmament, se
cache sous un tapis de verdure. Les chameaux qui savan-
cent entre la terre et les cieux semblent autant d'étoiles
filantes qui descendent avec rapidité siu* le S'ah'ra. Le voya-
geur n'aperçoit pas autre chose dans toute cette immensité.
J'ai vu , à cette époque de mon voyage , un exemple
* Cette sebkha , dont El-'Aîacki ne donne pas le nom , est proba-
blement le lac qui est désigné sur nos cartes par la dénomination de
Melguig. Le mot sebkha se dit d*un lac salé.
70 VOYAGE D'EL'AlACHI.
remarquable de la toute-puissance du Dieu des inondes.
Le jour que l'herbe sortit de la terre, dans la nuit où
Feau tomba avec tant d'abondance \ elle lut visible im-
médiatement. Je n'ai jamais observé cette rapidité de vé-
gétation dans aucun pays ; car, d'ordinaire , ce n'est que
quelques jours après la pluie que l'herbe commence à
paraître. Comme je m'étonnais de ce fait, le véridique
Sid-'Abd-er-Rah'mân me rapporta que Sidi-'Abd-er-
Rahmân-et-Taâlebi^ a dit dans son conmientaire , à
propos de ce verset du K'oran, « Dieu a fait tomber
l'eau du ciel , et le lendemain la terre était verte , » J'ai
vu ceci dans le pays des Saouàken.
Ce qui se passa sous nos yeux prouve la vérité du
Hiit avancé |>ar Sid-'Abd-er-Rah'mân. Le pouvoir de
Dieu Ov^t sans l>omes.
Dimanche, a 9 djoumâd-et-tani (a8 janvier).
Nous quittâmes notre bivouac et nous allâmes cou-
cher aupivs dos limites de la sebkha qui sert de fron-
tioix^ au Innu^ du canton de Nifzàoua. Je pensai que
oolto sohkha était mie partie de celle d'Abou-Hellàl ,
Kl pKiîi >avMo do toutes celles qu'on connaît, tant par
NI ;;i\uulour ot si largeur que par la grande quantité de
* IN\>K*bU"^\HMU jviKUnI Wur 5»tSHir à El-*AInadi.
* 1 1 VaàK Im o>l auNSi cx'Uhiv |var « science que par la sainteté de
\A >^i^ M oM Auîo\»r *W pîusÙMi»^ vHi\rAp[*s llKH>K>pques estimés, qui se
(uNUxoMi A Ia kî>\,s*H\^î»c d Nîor l.e* \lgt rions lui ont élevé, auprès
^lo Ia |smIv duv tv^N^-^l i\iMl. une f.>H)i^lie nnisquoequi attire Tatlen-
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 71
sel qu'elle contient. Mais cette première sebkha , que
je crois être une partie de la grande, contient peu de
sel, et celui-ci est mêlé de sable.
Lundi, l'redjeb (ag janvier).
Nous entrâmes dans la grande sebkha \ guidés par les
étoiles, et nous la traversâmes avec beaucoup de peine.
Ce ne fut qu après plus d'une heure de recherches que
nous réussîmes à trouver le chemin , lequel n'est autre
chose qu'un sentier accidenté , étroit comme im cheveu ,
et coupant comme le tranchant d'une épée. Les bêtes
de somme n'y pouvaient marcher qu'une à une, et si
quelque chameau ou mule venait à dévier le moins
du monde, il courait le risque de s'embourber et de
disparaître. Nous ne sortîmes de là qu'au d'ohor, après
beaucoup de fatigues et de diffictdtés.
' 11 existe, sur les frontières (méridionales) de Tunis une plaine
înmiense, couverte d*une couche de sel qu*on trouve à la surface de la
terre, en glèbes et en petits morceaux. Ce lieu est rempli de sources ;
on y rencontre souvent une source d*eau parfaitement douce à quel-
ques pas d*une source salée. Dans quelques parties, le sel forme
comme une vaste croûte de plusieurs pieds d'épaisseur; elle estd^une
telle dureté qu^on ne peut la rompre qu'avec peine, et qu*un cheval
lancé au galop n*y laisse point la trace de ses pas. (Méditerranée illas-
trée, pag. 6a.)
A TEsl, et à environ deux milles de Nifisâoua, se trouve la plaine
salée, qui brille comme un miroir lorsqu'elle est échauffée par les
rayons du soleil; la route qui conduit à R'dâmes, ville nègre apparte-
nant à Tripoli, et autrefois la capitale des Garamantes, la sépare en
deux parties. (Ihid.)
Voir, pour plus amples détails sur la sebkha-kebira, le voyage de
Moula-Ah'med, dans le présent volume.
72 VOYAGE D EL'AÏACHL
SINGULARITÉ.
Nous trouvâmes dans le sable qui est en dehors de
la scbkha beaucoup de ces arbres appelés retèm ' . Ils
portent des fleurs blanches ; leiu* aspect est tout à fait
celui du jasmin, dont ils ont la couleur et Todeur.
Nous arrivâmes dans un boiu^ qui fait partie du
canton de Nifzâoua [hb^) ^« C'était le premier jour de
rodjeb. Le canton renferme beaucoup de villages ; ils
sont isolés les uns des autres ; tous sont en plaine et
ontourés de pahniers au milieu desquels il y a de
grands réservoirs. Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est
tjuo Toau, qui habituellement descend des lieux très-
ôlo>és» osl cependant très-abondante dans cette con-
»
hvt\ qui est l>as:>e comme le pays de Rif, en Egypte.
('oHo oau est douce.
I,0s^ pMoiin.s oiviont quon appelle ce pays Nifzâoua
iMivo uu il \ %^ mille zaouîa, d^oii, prétendent-ils, on a
^ Uoiou^ M^ viu \W U tache bUiK-he que certains chevaux ont entre
Kv^ \h UN iw«iuu^« Au-iic5c>%k5 de U le^re. J'ipoore a quelle plante s*ap-
• ^V\ \\N»t >Uux u ^x*V ^ie \i*«^>ua une source appelée, en langue
K »K^»\\ t •nn»'* 4 1 ^xv-^ **L* » q*" ^*t ^^rt larçe, et dont on n'a jamais
iv« A-ivu^î^v V v.v-, N.-.Kxui «4 enîourve d'un mur construit de
|V(xk«vx H^ vi^* Nn-'-"^ 1-* ^* ^ * *i^ p^^rtes. une mosqutH?, djâma,
s\ss\ \K^^'*^\ *^ «rw ï'.vt'X'V '^fîs c*.:^ ir tt< c£Tv:it partout des fontaines
V* nIv^x •.* V »-x ' b iv-v-* , a*%x'\s^ jMT M Qualremere, dans le
.vvu\ \iî ,«^\ X^v-sx-^ A-^ ra ■^-- ^ .V *Ji Bill (ht>^ue nnale, pag.
\>^\>^ ^> ^» N Vn* v« V» r>.x' •' .V .-y r»»i"«. vian* la relation de
VOYAGE D'EL-*AÏACH1. 73
d'abord dit Elàfoun-zaouïa , puis, par corruption, Nif-
zàoua. Mais cette étymologie, qui est arabe, ne parait
pas exacte, car ce nom de localité est antérieur à ré-
tablissement de Tislamisme en Afrique , d'après ce que
j'ai lu dans les livres d'histoire. Or, on ne parlait pas
la langue arabe dans le Mor'reb avant la conquête mu-
sulmane. Les historiens sont unanimes à cet égard.
Mardi, a redjeb (3o janvier).
Nous partîmes de cet endroit et nous traversâmes,
siu* notre route, une multitude de boui^ades dont la
quantité est innombrable. Nous couchâmes à l'extrémité
de ce canton de Nifzâoua, dans une zaouïa qu'on ap-
pelle Djemia (a^^ ^^b)- On y voit le tombeau de Sid-
H'âmid-el-Djemeni , marabout originaire d'En-Nemerïa.
Je rencontrai dans ce bourg un homme appelé Sid-
Moh'ammed-ben-Abou-el-K'âcem, un des amis du
cheikh Sid-Brâham-el-Lak'k'âni. C'était un homme de
bien, discret, assez instruit en droit. Il possédait
quelques livres sur cette science, tels que Tatâï-el-
Kebir^ et autres. Je visitai le tombeau du saint de la
zaouïa.
Mercredi, 3 redjeb (3i janvier i663).
Nous partîmes de Djemïa, la dernière bourgade du
canton de Nifzâoua, ainsi qu'il a été dit plus haut.
Nous traversâmes un terrain excellent, rempli de champs
cultivés et de nombreux pâtm*ages. Nous y trouvâmes
* Voyez plus haut la note sur cet auteur.
10
74 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
des gens , la plupart de Nifzâoua , qui labouraient avec
des mules ou ensemençaient.
SINGULARITÉS.
Parmi ces individus, j'en remarquai quelques-uns qui
Inboiu^aient avec un seul bœuf, ce qui me surprit, car
je n'avais jamais vu pareille chose dans aucun pays. Je
ni\Monnais encore de ceci, lorsque j'aperçus quelque
choso de plus extraordinaire : c'étaient des laboureurs
qui faisaient traîner leur charrue par un seul chameau,
(lotto singularité me fit oublier la première, et il me
IY\ înt aloi's à l'esprit le dicton généralement répété :
* Lo labour du chameau gâte plus qu'il ne profite. •
J\*Miiis oucoiv préoccupé de cette dernière bizarrerie,
loi^inril s'en présenta ime nouvelle : c'était un homme
«"^Uolé %\ la chaiTue^ tandis qu'un autre la dirigeait. Mes
oou^jv^j;nons do xoyajjo et moi, nous ne pûmes nous em-
i>0\ hor ilo riiv de ces systèmes extraordinaires, et nous
aU>\uu\^ fùiv cerv le autour de ceux qui les mettaient en
\v\iM\\ Ou rt^>te, ces gtMis ne peuvent travailler ainsi
que iv^iw \Ute leur tenrv est excellente, très-meuble
el u'a iv^N Ivsv^in d\m prv^lond laboiu*. Si Ton essayait
xmUx u\> do p\0^^\:or de semMiMes méthodes, la se-
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 75
Jeudi, 4 redjeb ( i" février).
AUTRE SINGULARITÉ.
Un homme de ladite zaouïa, lequel savait im peu
de droit, étant sorti avec moi, ainsi que plusieurs in-
dividus d'El-H'amâma (ajjU^), venus là pour vendre
des dattes, Têmir de la caravane les pria de vouloir
bien nous montrer la route de leur pays, et ils mar-
chèrent avec nous. Pendant la deuxième journée , depuis
que nous cheminions ensemble , d'autres personnes de
leur pays, montées sur des chevaux , vinrent me deman-
der à la caravane ; elles me cherchaient pour m'adres-
ser des questions. Après m'avoir trouvé, elles descen-
dirent de cheval, firent les saluts et les compliments
d'usage, puis se remirent en selle. Alors le légiste de
la bande me demanda la permission de me poser des
questions sur le droit. Sa requête me fut agréable par
la manière polie et délicate dont elle fut exprimée ;
mais ce qui me déplut, c'est que, lui étant à cheval et
moi étant à pied , il aurait dû , d'après les usages et
les convenances , mettre pied à terre avant de me ques-
tionner. Cependant je lui dis de m'interroger sur ce
qu'il voudrait. Il débuta par des questions sur le droit
théologique proprement dit; et, comme je commen-
çais à lui répondre, une troupe de lièvres vint à par-
tir devant nous. Les pèlerins se jetèrent à droite et
à gauche pour les attraper, et mon homme, oubliant
la gravité du sujet que nous traitions, se mit également
76 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
à la poursuite de ces animaux : d^où je vis que c était
une tête folle, et que les phrases remplies dWbanité
par lesquelles il m'avait salué ne provenaient pas de
son fonds, mais que c'était de pure réminiscence qu^il
les répétait, sans les sentir ou les comprendre, et seule-
ment pour les avoir entendu dire à d'autres.
Vendredi, 5 redjeb (a février).
Le troisième jour depuis notre départ de Nifzàoua,
nous laissâmes la montagne de Mat mât a (îSloUk*) sur
notre droite, et nous visitâmes, au d'oha, le tom-
beau de Sidi-Guenâou {j\i^ c^*^^^^), lequel se trouve
dans une bourgade déserte, au milieu d'un pays sté-
rile. Le saint est enterré devant une mesdjid ancienne,
bien construite. Les gens du pays l'ont en extrême vé-
nération , et ils attribuent de grandes vertus à son inter-
cession. Cette réputation y attire, de toutes parts, de
nombreux pèlerins qui apportent beaucoup d'offrandes
en grains, dattes, beurre salé, viandes, et les déposent
dans des chambres qui sont en dehors de la mosquée.
Los visiteurs qui sm^iennent mangent de ce qui s'y
rencontre, selon leurs besoins; mais ils ne peuvent rien
oniporter: quiconque essayerait de le faire tomberait
malade immédiatement. I^e fait est bien connu des
wns du pays, des pèlerins, de tout le monde.
Le pacha de Tunis, M oh ammed-ben-H'amouda ,
bixiuiuait alors, avec son armée, à K'âbes. II avait
donné l'oixliv de i^hàtir à neuf la mesdjid de Gue-
iirtou, et d\ creuser un puits, parce qu'il n'y avait pas
VOYAGE D'EL-'AiACHI. 77
d*eau en cet endroit. Nous trouvtoies les Tunisiens oc-
cupés à ce dernier ouvrage. Ils, avaient déjà creusé à
ime profondeur de cent coudées, en grande partie à
travers une pierre blanche semblable au marbre , et ils
n avaient pas encore atteint Teau. Quand nous les quiv
tâmes, ils continuaient de creuser.
Samedi, 6 redjeb ( 3 février).
Ce jour, nous allâmes près de Zerrik' (u^^))- C'est
ime boui^ade dans laquelle il y a une zaouîa consa-
crée à Sid-Abd-Allah-ben-'Abd-el-Aziz-ben-Iah'ïa-
ben- Abd-er-Rah'mân-ebn-Djâbir , un des chérifs du
canton de H'amàma. Le fils de ce marabout était venu
avec nous depuis Nifzâoua, puis il avait pris les de-
vants pour regagner son pays.
J'ai connu Sid-'Abd-Allah , de son vivant, en 106 5
(i654 de J. C). Quand je le visitai alors, je le trouvai
fort malade d'une longue maladie qui datait de vingt-
cinq ans , espace de temps dont il avait passé la majeure
partie dans son lit. Voici la cause de l'état dans lequel
il était tombé : à l'époque où il jouissait d'une bonne
santé, il s'occupait beaucoup de la science appelée asrâr-
el-h'orouf, ou mystère des lettres \ et de celle qu'on
' Il s^agit probablement ici des lettres détachées qui se lisent à la
tète de plusieurs sourates du K'oran, et qui ont grandement exercé la
judiciaire des commentateurs. M. de Sacy (voyez Anthologie gramma-
ticale, pag. VI ) cite, à ce sujet, Topinion du célèbre commentateur
El-Beid'âouî. Un ouvrage spécial a été composé sur cette matière par
rillustre prédicateur Kemal-ed-Dîn-H'oceïn-ben-*Ali-el-Harâouï.
n
78
VOYAGE D'EL-'AÎACHL
nomme el-oufàk' ^- U y travaillait sans cesse et avait ras-
semblé beaucoup de livres sur ces deux sciences , dont
on ne peut légalement s^occuper sans avoir reçu d^un
maître le diplôme appelé idjaza^. Sid-'Abd-Allah avait
im frère qui s'occupait de Telm-er-remel ', ou divination
au moyen du sable , et de Felm-ez-zaîrdja ^ , sciences
* KUniRik'. L*expres$ion la plus ordinaire est 'elm-el-djedoaâl, ou
»cionci> des tableaux. On l*appelle ainsi , parce qu'elle consiste à faire
des Uhleau\ talî^iuanîques à Taide desquels les t'o*lba qui les com-
|HVtoul pivleiuloiit guérir les maladies et obtenir d*autres résultats non
UHnus uienreiUeux.
NvhW un ech^ulillvui de ces lableaux; celui-ci est destiné a guérir
du uwl vW tète '
4
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sN« o^-^i • ^ Ur*' «C'^v ;vu.\ ^'i; * .vcu:>rnt de ces matières sans
^it» ,%^.^Mfv^. X ^"^ -V îiv i*,'«c«' âirorv.-*» la £e«.^mancie, science
^.„ ,^^•^vvv % A* ««v^ »-^'^»"' * -^^^ J« ^;-:rî>iues poinU que l'on
-^*^^.«^ >,%. 'U x.%Stt *^**>»*
^ u. ^* «..' K» A» ^-v»iv^ A> ,"rr.i«f*. i.i'.a*ûvHi qui se fait au
». v.„ ^ >.> 1^ %• - ^ ^*^^ «*«'"* «^^ -=»f TiV-^f-^r^ ietlre5 qui se ren-
rt^^, -^«xm r» '•*» ^ï^** Àrti»«»e, kIo «ruines rv^es.
y^\>' • >\«. \^ •••
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 79
qu'il avait apprises sans maître , comme avait fait son
frère. Cependant, quoiqu'il exerçât sans idjaza, ses opé-
rations étaient efficaces.
Mon maître, Sidi-Moh'anmied-ben-Mouçâhel , m'a
raconté, au sujet du frère de ce malade, une chose
fort remarquable. Dans le temps que Tunis et Alger
étaient en guerre, cet individu prédit que les Algériens
seraient victorieux; ce qui arriva en effet. Il s'appelait,
je crois, Sidi-Abou-el-K'âcem-ben-'Abd-el-'Aziz. Je ne
l'ai pas connu, car alors il était mort depuis long*-
temps. Quant à son frère, je pense qu'il cessa de vivre
vers 1070. Lui et ses enfants, sauf un seul, succom-
bèrent presqu'en même temps, et il ne resta de cette
famille que Sid-Moh'ammed-S'âlah'. Ce dernier m'a dit
que son père, au plus fort de sa maladie, n'avait pas
discontinué d'enseigner le droit et ne cessait d'écrire ;
qu'à l'heure de la prière il se levait pour dire ses orai-
sons. Ce Sid-M oh'ammed était un homme de bien ,
qui suivait les traces de ses ancêtres pour les vertus
hospitalières. Il vint au-devant de nous auprès de sa
bom^ade , et il m'apporta , ainsi qu'au cheikh er-rekeb,
des dattes et de l'orge. Il nous accompagna ensuite
pendant plusieurs milles, avant de prendre congé de
nous.
Dimanche, 7 redjeb (4 février).
Nous traversâmes un grand nombre de villages dans
cette journée, et nous couchâmes à 'Arâm ((•Lr*), bour-
gade peu considérable. On y trouve beaucoup de lieux
80 VOYAGE D'EL-'AÎACHI.
de pèlerinage, lesquels, pour la plupart, appartiennent
à des chérifs de El-H'amâma; aux quelques tombeaux
des ancêtres de cette famille sont venus s'ajouter suc-
cessivement ceux de ses membres qui venaient à moiu*ir
et qu'on enterrait dans le même endroit , de sorte que
tous les gens de cette race , lorsqu'ils meurent au loin,
sont apportés à 'Arâm pour y être inhumés. Il n'y a eu
d'exception que pour Sid-'Abd-Allah-ben-'Abd-el-'Aziz ,
lequel est enterré à côté de sa zaouîa , à Zerrik' * , ainsi
que je l'ai dit précédemment.
Lundi , 8 redjeb { 5 février ).
Nous partîmes d'Arâm et nous allâmes coucher près
de l'Ouad-es-Semâr jUwJt ôI^.
Mardi, g redjeb (6 février).
Après avoir quitté cette rivière , nous rencontrâmes
la caravane des gens de Tunis qui allaient en pèleri-
nage à la Mecque. Je ne connaissais parmi eux per-
sonne à qui je pusse demander des nouvelles exactes
et détaillées. J'appris seulement en gros que tout allait
bien de ce côté.
Nous allâmes passer la nuit auprès d'un cours d'eau
qu'on appelle En-Nebch (^ys-uJl). Cette rivière est bor-
dée , vers sa source , d'un grand nombre de réservoirs ;
la plupart sont si près du rivage qu'ils se remplissent
* EIl-*A!achi dît dans sa lettre à ses parents : « J*arrivai à Ni&âoua
le lundi i" redjeb; puis je me rendis à 'Arâm en cinq jours. Nous y
trouvâmes la caravane de Tunis qui passait devant nous. »
VOYAGE D'EL'AÏACHL 81
facilement de terre quand la rivière monte, et il est
rare de ne pas les trouver envasés. Les pèlerins ont
alors beaucoup de peine à les nettoyer. Souvent, après
avoir enlevé le limon , ils n'obtiennent qu'une eau noire ,
fétide et d'un goût insupportable.
Lorsque je traversai cet endroit, en io64 (i653 de
J. C), le premier joiu* de l'été, pendant la journée
que nous y passâmes, les pèlerins faillirent y moiu*ir
de soif, parce qu'il y avait fort peu d'eau et qu'elle était
fétide. Lorsque j'y étais passé précédemment, en io5g,
( 16^9 de J. C), l'eau était encore plus noire et plus
puante. Dans mon pèlerinage actuel, j'y arrivai au com-
naencement du printemps, et il faisait encore froid; de
sorte que si l'eau était mauvaise , du moins , les gens de
la caravane , n'étant pas tourmentés de la soif comme
dans le voyage de io64, en ressentirent moins d'in-
convénients.
Mercredi, 10 redjeb (7 février).
Nous partîmes d'En-Nebch et nous marchâmes toute
la journée , jusqu'aux environs de l'ac'er. Des malfai-
teurs attaquèrent quelques-uns des pèlerins qui se trou-
vaient à l'avant-garde et les dépouillèrent. La nouvelle
en arriva à l'êmir de la caravane , et il se mit seul à la
poursuite des voleurs, qu'il atteignit et auxquels il reprit
leiu* butin. C'était un homme courageux dont l'énergie
s'accroissait dans les circonstances dangereuses. Que de
choses de ce genre il a faites!
Cette affaire fut cause que nous nous arrêtâmes, ce
]i
82 VOYA(jiE DEL AÏACFIl.
jour, avant Theure de la couchée. Nous bivaquâmes
au bord d'une lai^e rivière * dont les rives étaient bor-
dées de vastes champs cultivés, mais dont Feau était
salée et saumàtre, à tel point que, fut-on mourant de
soif, on ne poiu*rait pas plus s'y désaltérer que dans la
mer. A l'époque des grandes chaleurs, cette rivière se
solidifie et devient une sebkha.
Jeudi , 1 1 redjeb (8 fcvricrV
Nous nous remîmes en route. Un chameau étant
resié en amère, mes amis s'arrêtèrent pour le tuer; ce
délai fut cause que nous ne rattrapâmes la caravane qu'à
Souâk'i-bcn-Gucrdân (e)'^j^(:r? i^y^)^- On trouve dans
ce lien beaucoup de puits dont l'eau est abondante; ils
sont situés dans un terrain uni, où l'on remarque de
n()nil)reuses cultures, ainsi que les ruines d'anciennes
])()nr{^n(l(\s , celles d'une mesdjld et de quelques k oubba.
Il y a loujours beaucoup de monde à Ben-Guerdân;
Cl» soni, ou des pèlerins qui s'y arrêtent, ou des gens
d'MI-iraniArna, ou d'autres Arabes de la contrée. Les
caravanes ont l'habitude de s'y pourvoir d'eau pour deux
ioiiruées; la notre s'arrêta dans cette intention. On v
but , on abreuva les animaux, on fit la provision d'eau,
puis on se remit en route.
Noms allAines coucher auprès d'un madjen {{j^). ou
' IVnlmtilriiicnl l'Ouml Fàs ( j.»L5 ^f^).
* Ici Ir nom Av Itu alilô o>l irril ^jt^^ip ^o Généralemonl le ro-
|iii(o l't'nil J3^i_» . liUulis «pio Moula \h'mc<l emploie Torlhograplie
VOYAGE D'EL-'AIACHI. 83
réservoir, qui est à moitié chemin entre Souâk'i-ben-
Guerdân et Bordj-el-Melh' (^1 5^). Ce madjen contient
toujours de Teau de puits ; mais , comme cette route est
très-fréquentée , nous n'en trouvâmes qu'un peu, au
tond , ce qui aurait pu suffire à une très-petite quantité
de gens, mais non à toute une caravane.
Vendredi. 13 redjeb (9 février).
iNous quittâmes cet endroit, et, aux environs du
d'ohor, sur notre gauche , nous aperçûmes la mer, dont
nous nous approchâmes. Ceux des pèlerins qui n'a-
vaient jamais vu cette immensité d'eau, commencè-
rent à se précipiter de ce côté, vers lequel, du reste,
notre route inchnait de manière à arriver à un jet de
pierre du rivage, qu'elle touchait presque à l'endroit
qu'on appelle Bordj-el-Melh'.
La majeure partie des pèlerins s'arrêta pour faire des
ablutions et prendre le sel dont ils avaient besoin. Il y
a là un bon port où les chrétiens , avec le consentement
de l'êmir-el-belàd , viennent charger du sel de la grande
sebkha qui est auprès, et dont les excellents produits
en ce genre sont préférables à tout ce qu'on trouve
ailleiurs. On traversa cet enchx)it aux environs de l'ac'er;
l'eau nous manquait , mais on s'en consolait par la pensée
qu'après le mor reb on atteindrait un lieu où il s'en
trouverait.
Il n'y avait pas très-longtemps que nous nous étions
remis en marche , lorsque les chameaux , pris d'une es-
pèce de vertige , jetèrent le bagage qu'ils portaient et
84 VOYAGE DEL-'AÏACHI.
commencèrent à comir en tous sens , levant la tête vers
le ciel. On s'épuisa en conjectures sur les causes pro-
bables de cet étrange accident ; les uns Tattribuèrent à
l'aspect de la mer, d'autres au passage subit d'un pays
fertile en pâtiu'ages à des plages sablonneuses , ou bien
à l'excès de force que ces animaux avaient puisé dans
la nourriture abondante des jours précédents. Au com-
mencement de l'accès, les chameaux paraissaient s'é-
battre seulement ; puis , leur gaieté dégénérant en une
espèce de folie, ils prenaient la fuite. D'abord, il n'y en
eut qu'un petit nombre qui firent ce manège; mais le
reste ne tarda guère à les imiter. En moins de rien , ils
se débarrassèrent de tout ce qu'ils avaient sur le corps,
gens et bagages. Ceci nous arriva aux environs du cou-
cher du soleil.
On n'entendait à droite et à gauche que les cris des
pèlerins ; chacun courait après ses effets renversés , et il
n'échappa à cette confusion que ceux qui , au début de
l'événement, avaient eu le bon esprit de s'emparer de
leurs chameaux et de les entraver. Je fus de ces derniers;
aussi, par la grâce de Dieu, je ne perdis ni bêtes de
somme, ni effets. La nuit se passa à chercher les ani-
maux égarés et le bagage renversé. On bivaqua çà et là,
rharun do son côté, comme une volée d'étoumeaux.
1 .0 nombre de ceux qui ne perdirent rien dans tout
II» dôsorchv fut bien petit. Les avis furent partagés siu*
n« ipril convenait de faire pour réparer le mal autant
iiUf» po.s,siblo : les uns voulaient gagner un lieu habité
iMi il V vx\i do fcau, les autres voulaient, avant tout.
VOYAGE D'EL-'AIACHI. 85
courir après les chameaux , et proposaient (Tenvoyer des
gens à Teau, avec des outres. Ce dernier avis prévalut.
Ceux qui étaient montés sur des chameaux ou des
mulets allèrent à la découverte. Grâce à Dieu, tout se
retrouva , sauf deux chameaux ; et quant au bagage , en
réunissant ce qui manquait à chacun, il pouvait s'en
trouver deux charges de perdues. C'étaient surtout des
étoffes qui avaient été ramassées clandestinement par
des pauvres de la caravane, ce dont on ne s'aperçut
qu'au Kaire.
Samedi, i3 redjeb (lo février).
Quand nous nous remîmes en route, les chameaux
recommencèrent leiu* manège de la veille. Dans cette
circonstance, nous nous demandâmes un instant si
ces animaux n'étaient pas retombés dans l'état sauvage.
Nous marchions alors au milieu d'abondants pâturages ,
dans lesquels se trouvaient beaucoup de ces plantes ap
pelées berouâk' \ dont la tige crie sous les pieds qui la
touchent. Le bruit que les chameaux faisaient en mar-
chant dessus ef&aya encore un assez grand nombre de
ces animaux, qui vouliu*ent s'enfuir; mais on les sur-
veillait, et on se décida à les mener en laisse par le licou,
jusqu'à ce qu'on fût hors de cet endroit. Heiu'eusement
nous ne tardâmes pas à atteindre des lieux habités , où nos
chameaux se calmèrent tout à fait, après que, par suite
de leur fohe, on eut encore perdu quelques bagages.
ijf (Vh ' ^*^^^ ^^ plante qu*on appelle asphodèle.
86 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
Nous descendîmes à Zaouàrât - ei - R'arbïa {^\j^^j
kKfjjiS), avant rheure du d'ohor.
Dimanche, i4 redjeb (ii février).
Ce jour, nous traversâmes Zaouàràt - Ech - Cherk'Ia
[iJàjjsJ] «^tjt^^)* La caravane passa hors de la ville. Jy
entrai à pied avec quelques compagnons, et ce ne fut
pas sans fatigue que je rejoignis la caravane.
Par la grâce de Dieu , il souffla , dans cette journée , im
fort vent d'Ouest ; de sorte que , lorsque nos chameaux
voulaient toiuner bride et s'enfuir en arrière , le vent et
la poussière venant à les frapper en face, ils étaient
obligés de se retourner, et, reprenant leur première
direction, de continuer de marcher en avant.
Nous couchâmes à côté de la mesdjid qui est entre
Ez-Zaouârât et Ez-Zaouâr'a. C'est une petite mosquée
ornée d'un joH minaret, et qui est bâtie sur un ter-
rain peu élevé. Dans les environs sont des ruines d'an-
ciennes constructions. Tout à côté on trouve un vaste
bassin d'eau de pluie.
La mesdjid est crépie avec un plâtre blanc ; elle a des
croisées, et son minaret s'aperçoit de loin. De là à la
mer il y a environ un mille.
Plusieurs pauvres t'o'lba de la caravane me racontèrent
que , quelques années auparavant , ils avaient été surpris
par la nuit en cet endroit, et qu'ils y avaient couché.
L'équipage d'un bâtiment de chrétiens, venus dans ce
lieu pour faire de l'eau et du bois, ayant pénétré à
l'improviste dans la mesdjid, les avaient emmenés en
VOYAGE D'EL-AIACHI. 87
esclavage, sans que personne vînt à leur secours, attendu
que cette localité est éloignée des populations.
A partir de cette station, quelques-uns de mes com-
pagnons prirent les devants, afin d'aller à Tripoli se
pourvoir de tout ce dont ils avaient besoin. J'écrivis, par
un d'eux, à mon maître Sid-Moh'ammed-ben-Mouçâhel,
lui annonçant mon arrivée et lui recommandant le por-
teur de la lettre.
Lundi, iSredjeb (la février).
Après avoir quitté la station dont on vient de par-
ler, nous arrivâmes au commencement du canton de
Zaouâra (apIj^^); là, nous rencontrâmes une caravane
de pèlerins du Mor reb , gens du Maroc , arrivant de
pèlerinage.. Leiu* chef ( cheikh -er-rekeb), qui n'avait
pas su conserver d'autorité sur les pèlerins, était rem-
placé de fait par le cheikh 6râhim-el-Ferrân et par
El-H'adj-Mans our-er-R'eçâl. Cette caravane n'était pas
nombreuse.
Ils nous donnèrent des nouvelles des contrées d'où ils
venaient. Ayant trouvé parmi eux des gens de mon pays ,
j'en profitai poiu* écrire à mes parents des lettres dont
je parlerai en temps et lieu ^ . Lorsque nos caravanes se
rencontrèrent, nous étions tous pressés; aussi nous ne
prîmes pas les nouvelles à loisir, et, comme ils ne s'ar-
rêtèrent que peu de temps, il n'y eut que ceux qui se
hâtèrent qui purent écrire par cette occasion.
^ Cest à une de ces lettres que j'ai emprunté quelques détails sup-
plémentaires qui ont été donnés successivement dans les notes.
88 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
Après nous être séparés de ces pèlerins, nous con-
tinuâmes notre marche, et nous allâmes coucher à la
zaouïa El-H'armân (e)4r^ ^^b)*
Mardi, 16 redjeb (i3 février).
Nous traversâmes de bonne heure la zaouïa El-R'arbîa
(iU^l iy^'j); nous visitâmes Sid-Iah'ïa-el-Gucmoudi.
En sortant de sa koubba, nous rencontrâmes la cara-
vane d'Alger qui revenait de TH'edjâz. Parmi eux, se
trouvait Sid-'Abd-el-H'afid'-ben-el«Ouali-es'-S'âleh'.Sid-
Moh'ammed-es'-S'id-et -T'râbleci , qui les accompagnait
jus([uâ Djerba (iu^). Il était avec son parent par
alliance, \\n des fils de Sid-H'âmid, habitants de cette
ilc, dans la famille desquels il avait pris une fenune; de
sorlo qu^il avait dans ce lieu une maison où il vivait
(iuoh|uorois. Tout le monde connaît cet honmie de bien ,
tiut^ hvH grands inspectent, et dont chacun parle avec
i^logo , rioho ou jvuivre. Il sWrèta une heure avec nous.
1,0 ohoIMo la cai-avane des gens d'Alger était Sid-Mo-
haïuiuod. fils do Mohammed-el-Meça'oudi, de la ville
tlo MdoukAL UhjuoI axait des propriélés à Biskra, où
il rtUiNA jm^lMblomout fini jxir se fixer. Son fils, véritable
Miul hoiuiuo. iHMuluisvùt tous les ans la caravane au
p^loiiux^jio IXms 00 xovai::^^ il de\inl ami avec Sid-
Moh .uuniod ON S ùl
Jo i^MUHM\tiMi .^uv<i dans ot^llo caravane El-H'adj-Ech-
(Ihoikh UMàhim Ivu-^joiLib-or-Riri, finre du cheikh
\hiuo\l. lotjuol ol |viv do rôaiir actuel du pavs de
rOu.ul Uio i'o ohoilh ot.ùl doxonu habitant des villes
VOYAGE D'EL -AÏACHI. 89
saintes, où il avait séjourné plusieurs années; nous nous
connaissions depuis longtemps. D me donna des nou-
velles exactes et complètes : j'appris de lui que mon
maître, le cheikh El-K'echachi, était mort à Médine;
que le Sid - Moh'ammed - Ba'laouï avait succombé à la
Mecque, ainsi que le cheikh Abou-el-H'acen-et-T'abri.
Nous primes congé Tun de l'autre.
Notre caravane marcha toute cette journée , et nous
allâmes coucher à Zenzoun ((jj^j)-
Mercredi, 17 redjeb ( i4 février).
De là nous nous dirigeâmes , en toute hâte , vers Tri-
poli, qui est à environ douze milles de Zenzoun ^. J'ar-
rivai à Tripoli (^jJ^l/l») le mercredi 17 de redjeb, au
d'ohor.
TRffOLI ^.
Nous entrâmes dans la ville de Tripoli , aux environs
du d'ohor, le mercredi 1 7 redjeb. C'est une ville petite
sous le rapport de son étendue , mais immense par les
bonnes choses qui s'y rencontrent. Elle est renommée
' Les géographes arabes sont loin d*être d*accord sur la valeur qu*il
faut donner à cette mesure itinéraire. Dans Tusage actuel, le mille est
environ le tiers de notre lieue commune.
* Pour n'avoir pas à revenir sur ce qu*Ei-*A!achi dit plus tard de
cette ville, à son retour du pèlerinage, j*ai réuni les deux récits à la
suite de la première partie de son voyage ; j'y ai de plus ajouté , et par
les mêmes motifs , les observations que Moula- Ah med a recueillies de
son cété sur cette intéressante localité.
V2
90 VOYAGE D EL-'AÏACHI.
par sa vigueur envers ses ennemis ; il y a peu de repro-
ches à lui adresser. Les constructions y sont belles , les
remparts élevés, circulaires; les rues larges et faciles. La
population se conduit fort bien , surtout envers les étran-
gers; le voyageur qui visite cette ville en sort toujours
content. L'oreille n'est jamais choquée par une expres-
sion malséante ; on n'y entend que des paroles polies, et
celui à qui il arrive de commettre quelques fautes, au
lieu d'être accablé d'im déluge de reproches grossiers ,
ne reçoit que des réprimandes bienveillantes , formulées
sur un ton convenable. Les Tripolitains agissent ainsi,
soit entre eux, soit avec les étrangers, mais surtout
vis-à-vis des pèlerins, des marabout, etc. Ils les reçoi-
vent dans leiurs maisons , et les traitent d'une manière
libérale.
Tripoli a deux portes : une de terre et une de mer.
La forme du terrain sur. lequel il est bâti est celle d'une
presqu'île. Le h'iç'âr \ où réside l'êmir, quoique en
dehors de la ville, tient à celle-ci du côté de Bâb-el-
Ber ^ ; et entre lui et la mer il y a toute la laideur de
ladite ville. De la sorte, en cas de guerre ', les projec-
tiles de l'ennemi n'arrivent pas à la demeure du souve-
rain. L'êmir a des vaisseaux excellents, disposés pour
la course, et qui ne reviennent presque jamais sans
' y^^^ Sepimentum, munimentam, castellum, dit Freytag dans son
dictionnaire. C^est ce qu^on appellerait une k'as'ba en Algérie.
* Porte de terre.
^ On voit qu*El-'A!acbi n*entend parier que d un bombardement
maritime.
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 91
butin. Il est bien rare qu'ils perdent un navire, à moins
que ce ne soit un bâtiment de commerce.
L^usage des caravanes qui s'arrêtent à Tripoli, surtout
de celles qui vont dans TH'edjàz , est d y séjourner deux
ou trois mois ' , poiu* préparer toutes choses et se dis-
poser à pénétrer dans cette mefza' ^ , à laquelle peu
d'autres sont comparables, c'est-à-dire le désert de
Bark'a. A Tripoli, les pèlerins achètent des chameaux
et des outres ; en hiver, ils prennent trois mois de vivres
environ poiu* aller au Kaire ; si c'est en été , ils ne se
pourvoient que pour deux mois.
Les chameaux de Tripoli sont excellents; parmi ceux
des autres contrées , il en est peu qui puissent leur être
comparés. Us ressemblent à ceux de mon pays, mais ils
font encore un meilleiur service. Les Tripolitains em-
' Moula- Ah'med (voyez pag. 38 du manuscrit i63) fait observer,
à propos de cette partie du récit d*El-*Aiachi, qu'autrefois, en effet,
les caravanes passaient près de deux mois à Tripoli , parce que alors le
départ avait lieu avant l'époque actuelle , qu'on cheminait lentement
et qu'on prolongeait les séjours :
« Mais maintenant , dit-il , qu'on part en redjeb , il n'y a pas de temps
à perdre; on marche vite et on s'arrête peu. »
En effet, les indications fournies par l'ouvrage d'El-'Aiachi mon-
trent que ce voyageur est toujours parti en rebi-el-oouel , mois qui ,
dans l*usage vulgaire, porte le nom de mouloud, ou nativité (celle de
Mahomet). Cela faisait près de neuf mois pour arriver à la Mecque
vers l'époque des cérémonies du pèlerinage, qui ont lieu en h'adja;
tandis que si l'on part en redjeb il ne reste plus que six mois pour
accomplir le même voyage.
* *ijsu^ Res metuenda, dit Freytag. On comprend par quelle ana-
logie ce mot est employé ici dans le sens de désert.
92 VOYAGE D'EL-'AlACHI.
ploient ces animaux à toutes sortes d^ouvrages ; ils s'en
servent pour labourer et fouler le blé , tourner des mou-
lins, etc. en un mot, tous les travaux pénibles leur sont
dévolus. Comme Tair de cette région est excellent, et
que les pâturages pour les chameaux y sont fort bons,
ceux-ci n'y souflrent guère de la soif, et ils deviennent
rarement malades ; c'est par ce motif que l'expression
« un chameau de Tripoli » est devenue proverbiale pour
désigner quelqu'un de robuste , de travailleur. C'est un
proverbe comme cet autre , « une outre du Kaire , » avec
cette différence , que cette dernière phrase se prend dans
un sens défavorable , parce que la debbara * qu'on em-
ploie pour ces outres est mauvaise , que l'eau qu'on y
conserve prend un goût et ime odeur désagréables , et ,
de plus, que le liquide s'en échappe. Celui qui compte
sur les outres du Kaire est exposé à soulfrir de la soif.
Toutefois , il faut reconnaître qu'elles n'ont ces défauts
que lorsqu'elles sont neuves ; car, en vieillissant, elles
ne fuient plus.
Les gens de Tripoli comprennent les bénédictions
que le passage des pèlerins leur attire ; ils connaissent
aussi les avantages de la guerre sainte , car leur existence
en dépend. Bien souvent on y trouve réunies cinq ou
six caravanes, auxquelles viennent s'ajouter des troupes
de guerriers pieux, se disposant à partir pour le dji-
had^ 11 est à remarquer que, malgré cette affluence,
los denrées restent au même prix, si même elles ne
' Mélange de lan et de goudron.
' Guerre sainlc, celle que les musulmans foni aux chrétiens.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 93
baissent pas; et cependant Tripoli est un lieu où tout
est cher. U n^y a d'exception que dans les circonstances
dont on vient de parler. Quand je dis cher, c'est par
comparaison avec les prix du Rif-en-Nil \ du Sah'el ^,
du Maroc et des montagnes de cette contrée. Quant
aux Tripolitains , ils sont habitués à cet état de choses
et ne s'en étonnent pas.
Quand les caravanes arrivent, il y a foule dans les
moulins, et les pèlerins ne laissent pas que d'avoir de
la peine à faire moudre leur blé. Ils ne réussiraient
même pas à compléter leurs provisions , surtout ceux qui
ne veulent pas séjourner longtemps, si les gens de la
ville n'avaient pas la déférence de s'abstenir d'envoyer
leurs grains aux moulins à l'époque des caravanes.
Cette fois, nous ne restâmes qu'environ dix jours en
ville, selon la coutiune des caravanes à chameaux qui
viennent parle S ah'ra, lesquelles sont toujours en retard
et les dernières. Comme elles ont avec elles chameaux,
outres , etc. elles n'ont besoin de s'arrêter à Tripoli que
quelques jours, pour renouveler les provisions, et se
pom^oir d'un petit nombre de choses, tandis que les
caravanes du Djerid', qui se font au moyen d'ânes et de
mulets, prolongent quelquefois leur séjour pendant
deux mois, afin que les pèlerins aient le temps de vendre
Province d*Egypte.
* Le littoral de Tempire de Maroc , dans la partie Nord.
Djerid.ou Belâd-el-Djerid, pays des dattes, portion du K'ibla qui
est comprise entre le Tell, ou zone cultivable septentrionale, et le
S'aii'ra , ou désert proprement dit.
94 VOYAGE D'EL-'AiACHI.
leurs montures et bêtes de somme , pour acheter des
chameaux, des outres, et s^organiser un autre système
de voyage ^ Cest à cause de cela que, pour les gens
qui n*ont jamais voyagé , le départ de Tripoh est une
plus grande affaire que la sortie de leur pays. Il en est
de même du départ du Kaire , qui est encore plus diffi-
cile que celui de Tripoli.
Je descendis à Tripoh dans Tendroit où j^avais déjà
logé, lors d'un précédent pèlerinage, à ime mesrïa^
qui est i la porte de la mesdjid appelée Djâma'-el-h'adj-
Ibrahim , dans la partie la plus reculée de la ville et près
du tombeau de Sid-Sàlem-el-Mechât\ L'imâm de cette
mesdjid, le fak'i Sid-Ah'med-ben-Aiça-eUerbouï, un
des plus honnêtes gens de la ville, était mon ami. Son
père Sid-Aïça a été k'âd'i de Tripoli pendant fort long-
temps. Lorsqu'il mourut, son fils lui succéda dans cet
emploi, où il suivit les bonnes traditions laissées par
Fauteur de ses jours, en se montrant constanunent juste.
Il quitta pendant quelque temps ces fonctions , mais on
les lui fit reprendre malgré lui. Il ne cessa de mériter
des éloges jusqu à sa mort, qui eut lieu quelque temps
avant mon arrivée. Cet événement attrista fortement
le peuple de Tripoli, et, en ce qui me concerne, j'en
' Le lecteur comprend la cause de ce changement de système. A
partir de Tripoli, les pèlerins entrent dans le désert de Bark'a, où des
ânes et des mulets ne pourraient marcher facilement, surtout étant
chargés.
* éJij^aA A Alger, on appelle ainsi un logement dont Tentrée est
dans le vestibule , et qui , séparé du reste de la maison , sert à loger
les esclaves.
VOYAGE D'EL-AÏACHI. 95
ressentis beaucoup de chagrin : je perdais en lui un
ami sûr et obligeant.
Après sa mort, les gens du quartier ne trouvaient
personne de plus vertueux que Sid-Moh'ammed-ben*
Ah'med, pour exercer les fonctions d'imâm dans la
mesdjid de H'adj-ftràhim et y donner Texemple de la
sainteté. Sid-Moh'ammed suivit en effet les traces de
son père. Informé de mon arrivée, il vint au-devant de
moi, me fit une réception très-amicale et m^adressa des
questions semblables, pour la plupart, à celles que son
père m'avait posées jadis. Il me prépara une maison où
je demeurai, m'aida de tout son pouvoir à faire mes
provisions , me facilita les moyens de faire moudre mon
grain, et me seconda dans tout ce que j^eus à faire.
Après m'étre un peu reposé dans cet endroit, j'allai
visiter le mufti Sid-Moh'ammed-ben-Ah'med-ben-el-
Mouçâïl , qui m'accueillit très-bien et parut fort content
de me voir. Il venait alors de se démettre de sa place
de. mufti, et sa démission avait été acceptée. Il n'avait
plus d'autre affaire que d'aller de chez lui à la mesdjid,
où il enseignait tous les jours, matin et soir, hiver
comme été. Il y faisait des lectures sur le droit, la gram-
maire , etc. et terminait toutes ses leçons par un sermon.
C'était un homme vertueux et savant, qui était au cou-
rant de toutes les sciences; il connaissait notamment
les décisions juridiques , au point de vue des différentes
sectes, ayant été quarante ans mufti.
Sid-Moh'ammed-ben-Mouçâïl m'a raconté que son
maître Sid-Moh'ammed-es -S'îd n'avait jamais manqué
96 VOYAGE D'EL'AÏACHl.
une prière du vendredi, à moins de circonstances
extraordinaires , et cela depuis quarante ans. Il m'a dit
que, tous les matins, cet homme vénérable allait au
tombeau du cheikh Et-Tlemsâni-abou-lVraza * dans le
village appelé El-Henchir, lequel est à six milles de
Tripoli, qu'il y faisait sa prière et revenait en ville.
Il y avait, avant M oh'ammed-Pacha , un chérif qui
régnait sur Tétat de Tripoli , et qui ftit assassiné en i o^o
(i63o de J. C). Ce prince laissa après lui un jeune
enfant mâle, dont Moh'anmied-Pacha , son ancien client,
prit soin. Moh'ammed eut pour successeur 'Otsmân*
Pacha , qui avait été mamelouk du chérif, et qui rétablit
le fils de son maître dans une portion de la puissance
du père. Le jeune honune grandit, voidut régner seul
et chasser Tusiupateiu*. Il pensa qu à cause de sa nais-
sance tout le monde l'aiderait dans son entreprise; car
il n*avait pas encore assez d'expérience pour savoir
que le monde est poiu* celui qui a le pouvoir en main,
bon ou mauvais. U conmiença à sonder successivement
los dispositions de ceux qui Tentouraient. On était alors
' Il Y « 5ur le Bouxarîa, auprès d* Alger, une k'oubba en Thonneur
«run mArabi>iil connu par le même surnom, dont les gens du pays
r\plù|Uont ainsi Torigine. Vn homme à qui on avait volé une chèvre
(ni^Ann) lit cimii^araitre devant le marabout un individu qti*ii croyait
("Oupahlo do ce mofail. Celui-ci, sommé d'attester son innocence par
nrrnuMil, n*hosita |\i$ à jurer; mais aussitôt un cri de chèvre, échappé
do !«rt poi(rino« vint lo ctnivaincre de mensonge et le forcer d*avouer
tnril nxAÎt on otVol volo et mange Kanimal en question. Je ne sais si
lo uïrtrnboul à i\\\\ on a U ri bue ici ce miracle est le même qu*on ho-
uoiT j\ Tripoli
VOYAGE D EL-AÏACHI. 97
dégoûté du prince régnant, que sa tyrannie et ses in-
justices faisaient haïr ; de sorte qu on prêta Toreille aux
propositions du jeune honune et qu'on les approuva.
Les Oulàd-K'ouiroudis, Arabes de la partie occidentale
de Tripoli , entrèrent dans la conjuration : c^étaient des
gens fort braves ; ils se montrèrent ennemis déclarés du
pacha. Bientôt tout le pays se trouva divisé en deux
partis, aussi bien les grands que les raïa\ et Texemple
des gens de Tadjoiu*a^ eut de nombreux imitateurs.
Le mufti des h'anefites entra dans le parti du chérif ,
ainsi qu'une fraction de Tarmée. Enfin, la révolte pre-
nait des forces, lorsqu'un des conjurés, dans Tespoir
d'une récompense, écrivit tout au pacha. Celui-ci con-
çut de vives inquiétudes; cependant il ne se laissa pas
abattre , et eut recours à la ruse pour déjouer les projets
de ses ennemis. Ne faisant pas paraître qu'il était infor-
mé de ce qui se tramait, il sortit avec des troupes, dans
la direction de Tadjoura, lieu de réunion des conjiu*és
et rendez-vous de leiu's forces. Avant de partir, il avait
pris des mesures pour assurer la tranquillité de Tripoli ,
et il avait engagé les partisans qu'il avait dans cette ville
à s^emparer du chérif, du mufti et de leurs complices ,
s'ils se présentaient de ce côté. Il avait fait savoir aux
raîa qu'il allait combattre ses ennemis , avec la persua-
sion qu'ils n'étaient pour rien dans la rébellion et qu'ils
étaient toujours ses fidèles sujets. C'était une ruse pour
' Les contribuables ou sujets.
^ Bourgade située à quelques milles Ouest de Tripoli. C*était sans
doute le chef-lieu des Oulâd-K'ouiroudis.
13
98 VOYAGE DEL- AÏACHI.
empêcher que tout le inonde ne se soulevât à la fois
contre lui. Un cheikh , Sid-'Abd-AUah-el-H'afid', Taida par
ses exhortations à apaiser les mécontents , et ceux-ci ,
voyant le pacha disposé à suivre les avis de ce saint
homme, commencèrent à se calmer. 'Otsmân tint cette
conduite adroite jusqu'à la mort du fils du chérif ; mais ,
après cet événement, il n'hésita plus à se débarrasser
des chefs des raîa et de tous ceux qui avaient conspiré
contre lui, afin que cette sévérité servît d'exemple à
d'autres. Depuis lors ce parti cessa d'exister.
Le pacha chercha ensuite à savoir l'origine de l'affaire,
par qui , quand et comment elle avait été mise en train
et conduite. Il apprit que Sid-Moh'ammed-ben-Mou-
çâïl, dont j'ai parlé plus haut, parent par alliance
du mufti hanefite, avait dû être au courant de tout,
parce que le mufti ne faisait rien sans l'en informer. Il
en conçut du ressentiment contre Sid- Mohammed;
mais, comme ce dernier était aimé et considéré dans
la ville à cause de sa science et de ses vertus, il dissi-
mula ses sentiments. Le mufti, ayant eu connaissance
des dispositions fâcheuses du sultan à son égard, donna
sa démission, qui fut acceptée. Il ne sortit plus dès lors
que pour aller à la mosquée, et ne s'occupa plus que
de ses devoirs religieux et d'études.
SINGULARITÉ.
Le cheikh Sid-Moh ammed-ben-el-Mouçâïl m'a appris
en 1 1 64 , lors de mon précédent pèlerinage, qu'en i 1 62
VOYAGE D EL-'AJACHl. 99
( I 748 de J. C.) des gens lui avaient dit avoir entendu
un bruit considérable , mais sourd , du côté de la mer,
comme celui que produirait Texplosion de canons de
gros calibre, et cela depuis les environs du doha jus-
qu'à la nuit. On imagina que cela provenait de quelques
rencontres entre des vaisseaux musulmans et des vais-
seaiuL clirétiens. Ce bruit, entendu par les gens de Tripoli,
le fut également dans tout le Sah'el jusqu'à Merçata^
On Tentendit aussi dans le Fezzàn , à Alexandrie et du
coté de rOuest jusqu'à Djerba, Souça et Tunis. Il est à
remarquer que tous ceux qui entendirent ce bruit le
crurent très-rapproché d'eux. Après un ou deux mois,
il vint des bâtiments du pays des Turcs , dont les pas-
sagers racontèrent un fait surprenant qui se rapporte à
ce que nous venons de dire. Us assurèrent que dans
une île de la domination du Grand Seigneur il était
sorti, d'un certain côté, une pierre qui s'élevait du fond
de la mer, lançant du feu et faisant entendre le bruit
dont il vient d'être question. Lorsque la pierre eut jeté
son feu, elle tomba sur l'eau, et, légère comme une
éponge, elle siu*nagea. Le phénomène dura jusqu'à la
nuit. Il sortit de cette pierre une fumée abondante qui
avait l'odeur du soufre ; mais ce qu'il y a de plus extra-
ordinaire, c'est que tous les objets d'argent qu'il y avait
dans l'île se trouvèrent changés en cuivre pendant la
nuit^. Dieu sait la vérité.
* Meç'ourata?
* Ce récit, dégagé des circonstances merveilleuses, se rapporte
|>eut'élrc à quelque éruption d*uii volcan sous-marin.
100 VOYAGE D EL-'AÏACHL
Les gens de Tripoli sont renommés pour leur sincé-
rité , leur esprit de justice , et aussi , par le grand nombre
d'individus appelés medjdoubin quil y a parmi eux ^
On attribue une grande efficacité à leur intercession,
et on en fait des récits extraordinaires qui témoignent
de leur mérite.
Il y avait autrefois beaucoup de lieux de pèlerinage
à Tripoli , la plupart des tombeaux de marabouts. Main-
tenant on n'en connaît plus quun petit nombre, entre
autres Sid-Sâlem-el-Mechât, qui a une mesdjid dans la
partie la plus retirée de la ville, et dont la sépulture
est visitée. La cause de cette diminution vient de ce
que Tripoli a passé fréquemment des mains des musul-
mans à celles des chrétiens. Ebn-Bat out a dit, à ce sujet,
dans sa Rahla : « Les chrétiens prirent Tripoli du temps
du siJtan Abou- Anàn , qui le racheta moyennant cinq
cents quintaux d'or non monnayé ^. Ce rachat est une
des bonnes œuvres de ce sultan. Les chrétiens s'empa-
^ Moijfioubm se dit d'individus qui tombent, sous l*empire de cer-
Inino» cim^nstaiiccs , dan» un état qui rappelle tout à fait celui des
iH)ii\ uUionnaires do Saint-M edard. J*ai donné , dans les légendes algé-
ricnno5, do5 ronsoignoments détaillés sur les medjdoubin, qui sont
Toii nonibiTux à Altrer, où on les connaît principalement sous le nom
d*ii\V<^^^^^^« *'^ aussi, d'anunarin.
* 1.05 (îom>is vinrv^nt attaquer Tri |X)li, avec vingt vaisseaux et douie
Lrtli^iv^» ol, Tiuant pris do ^i^e force, ils ûrent tous les habitants es-
(lii\o« 1.0 i^M do Fès donna aux Génois cinquante mille écus pour
iilmndonnor la >iUe et UKMIre les habitants en liberté. Mais il paya la
mtMtiO do «vlto sonuno on fausse monnaie, que les chrétiens reçurent
pour bonno ^MaiuioL toui, Ihpag. 434..
1,0 ^ullrtu Mhhi ' Vn?ni est sans doute Abou-'Anàn-Fares, de lady-
VOYAÇE D'EL'AiACHI. 101
rèrent encore de cette ville dans le x* siècle de l'hégire
(le XVI* et XVII* de J. C). »
SINGULARITÉ.
Parmi les gens vertueux et distingués que j'ai vus à
Tripoli, je citerai Sid-Cha'bân-ben-Mouçâîl, neveu du
Mouçâîl dont j'ai été le disciple. Ce Sid-Cha'bân était
versé en histoire , et il connaissait aussi un peu la science
astronomique. U m'a appris que les Turcs entrèrent à
Tunis et prirent H alk'-el-Ouad ^ sur les chrétiens, en
982 (1674 de J. C). Tai su également par beaucoup
de personnes que M oula-'Abd-el-Màlek , auteur de la
grande r azïa ^, était avec les Turcs lorsque ceux-ci en-
trèrent à Tunis , parce qu'il était alors brouillé avec son
neveu Moh ammed-ech-cheikh , à la suite d'une querelle
qui s'était élevée entre eux. Après la prise de la Goulette ,
les Turcs lui confièrent le commandement de l'armée ,
parce qu'il leun parut un homme de courage. 'Abd-el-
Mâlek réussit à triompher de son neveu; c'était un
homme de bien, qui commença sa vie par la guerre
sainte et la finit de même. Sid>Cha'bânm'a dit, en outre,
que les chrétiens prirent Tripoli pour la dernière fois
nastie des Benou-Merin ou Zenata. Il régnait entre i358 et i36o de
notre ère.
' L*embouchure de la rivière , )e lieu que les Européens appellent
la Goulette. *A]i-el*'Eudj , pacha d* Alger, s*étak emparé de Tunis dès
1 569, mais ce ne fui qu*en 1 674 qu*il se rendit maître de ]a Goulette.
' La guerre que nous faisons en Algérie a popularisé la connais-
sance de cette expression arabe.
102 VOYAGE D'KL-'AÏACHl.
en 916 ( i5io de J. C.) le 16 de moharrem. Les iim-
suimans la reprirent en g56 ( 1 5^9 de J. C), date qui
est donnée par les mots nokV-k'oulek ' . Ce fut Derr out
qui la reprit; ce pacha était alors à Djerba. Il fiit aidé
par Mourâd-Pacha qui se trouvait à Meslata^. La ville
resta entre les mains de Derr out jusqu'à la mort de
celui-ci ; on y voit encore son tombeau, qui est un lieu
de pèlerinage , et auprès duquel on remarque un bel
édifice.
Voici de quelle manière Tripoli fut enlevé aux chré-
tiens : une flotte vint de Constantinople afin d'aider
Tarniée de terre qui était à la Goulette, auprès de Tunis ;
lorsqu'^le longeait la côte de Tripoli , les gens du Sali el
dirent aux Turcs qui la montaient : « Aidez-nous contre
les chrétiens. » Les Turcs répondirent : « Nous n avons
ps pour cela d'ordres du sidtan , qui nous a donné une
auti^ destination. » Le pacha Mourâd leur répliqua :
« Accoixlez-moi ma demande, et, s'il y a des reproches i
recevoir, j'en prends la responsabilité. » Alors les Otto-
ninns tinrent la ville assiégée jusqu'à ce qu'ils s'en empa-
rèivut; après quoi, Mourad-Pacha alla vers le sidtan,
rt lui dit : « Si vous avez quelqu'un à punir dans cette
oiironslanoo, c'est moi et non pas eux. » Mais le sultan,
Www loin de se fâcher, le remercia , lui et ses compagnons.
' I.ON lollivs A>aiit une valeur numérique en arabe, on en forme
iloH mot!^, <)ui, la plu|>art du temps, ne présentent aucun sens, pour
roirnir \A\\^ lat îlcnient los dates. C*ost un procédé mnémonique qui
«lonoir Tonraïuv tJo tt*! art clio* les Arabes.
* 1.0 iioiu do «vito liHalîlo est tantôt écrit Mesratu, et tantôt }ft!S'
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 103
Les chrétiens s'étaient emparés de Tripoli de la ma-
nière suivante ^ Autrefois les habitants de cette ville
étaient fort riches, et tout adonnés au commerce ; ils
n'étaient nullement propres à la guerre. Les bâtiments
chrétiens venaient en grand nombre dans leur port, pour
vendre et acheter. Un jour, un marchand de Tripoli
avait pris pour son compte toutes les denrées apportées
par plusieurs navires européens et les avait payées
comptant. Un autre marchand invita les capitaines des
bâtiments chrétiens, et, à la suite d'un repas splendide,
fit piler un gros diamant dans un mortier et en saupou-
dra un plat. On lui apporta ensuite une pastèque, il
demanda un couteau pour la partager; mais il se trouva
qu'aucun des convives n'avait de couteau ; on ne put
même s'en procurer chez les voisins , et il fallut en aller
chercher un assez loin.
Les marchands chrétiens , de retoiu* dans leiur pays ,
racontèrent à leur sultan , qui les questionnait sur Tri-
poli , que les habitants de ce pays possédaient de grandes
richesses, qu'ils étaient dépourvus d'armes, et que,
d'ailleurs, ils ne sauraient pas s'en servir. Le sultan
envoya une flotte , qui s'empara de Tripoli sans combat ^
dans une soirée. Il n'y eut que les habitant» qui parvin-
rent à s'enfuir qui ne périrent pas dans cette circons-
tance.
Les musulmans se réfugièrent à Tadjoiu*a, dans la
montagne de Rarïân, à Meslat; et Tripoli resta entre les
* Celle tradition parait se rapporler à la prise de Tripoli par les
Génois.
104 VOYAGE D'EL-AÏACHI.
mains des chrétiens jusqu'à Tépoque dont il a été parlé
plus haut.
Le cheikh Mouràd-el-H anbali a dit dans son livre
intitulé Nouzahat'en-Nad'irin, à Fendroit où il est
question du sultan Selim-Oulid-solt'ân-Selîmân, Favé-
nement du sultan Selim est de 974 (i566). Sous son
règne eut lieu la conquête de H'alk'-el-Ouad (la Gou-
lette), à Timis, de FOuest, après que les chrétiens s'en
étaient emparés de la manière suivante : les querelles
des princes de la famille de H'afez qui se disputaient
la ville, firent qu'un d'entre eux appela les chrétiens
à son secoiurs et les introduisit dans la ville. Ceux-ci,
une fois en possession , fortifièrent la ville , s'emparèrent
des forteresses du pays et se rendirent puissants peu
à pou , si bien que lorsque les musulmans s'aperçurent
de la faute qu'ils avaient commise , il n'était plus en leur
pouvoir de chasser Fennemi qu'ils avaient appelé. Us
vécurent donc sous l'autorité des Francs, qui gouver-
nèiTiU la contrée après s'être débarrassés de ceux qui
los gonaiont. Quant aux femmes et aux enfants, les
chivtions se contentèrent de les dépouiller. Lorsque le
sult«*in Solim connut cet état de choses, il envoya deux
confît gix>s >tiisscaux de transport chargés de soldats, de
tMUons et do munillons de guerre. Le chef de l'armée
luniuo olait Sinàn-P%icha ; cette expédition est une des
plu.^ oonsiiloraMos qu*aiont faites les Ottomans. Après
\\\\ xHHW long ot siuiglant et une perte de dix mille
honuuos do5 doux côtes, les musidmans remportèrent
Itt \u toiiv.l noohiv^o remarquable , c'est qu'une citadeUe
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 105
très-forte et très-bien bâtie, que les chrétiens avaient mis
quarante-trois ans à construire, fut prise en quarante-
trois jours par Tarmée de Sinân-Pacha. Ceci arriva en
981 (lôyS de J. C). Le vizir fit abattre toutes les
forteresses et il n'en resta pas de traces. On dépêcha
un envoyé au sultan Selim pour lui apprendre ce qiti
venait de se passer. Ce prince avait la pensée d'entre-
prendre la conquête de l'Espagne en 982 , mais il mou-
rut avant d'avoir pu mettre son dessein à exécution.
Le joiu» que j'entrai à Tripoli, je rencontrai mes
amis de Fês qui revenaient du pèlerinage en caravane.
Parmi eux se trouvait Sid-T'ahar-ben-Red'ouân-el-
Khazradji, qui me raconta ses aventures de route et
m'apprit la mort d'un frère en Dieu, Sid-Mohammed-
el-Mank'ouchi , qui avait succombé à une attaque de
peste à Constantinople. J'écrivis à mes amis de Fês et
à mes professeurs. Parmi les lettres que je fis partir, il
y en avait une qui contenait une pièce de poésie taîat ^,
où je parlais de mon voyage, où je m'occupais de ce
qu'on faisait à Fês , et du plaisir que j'aurais à me trou-
ver dans cette ville ^.
^ En ta, c est-à-dire, dont tous les vers se terminaient par la lettre
de ce nom.
* Ceci est une nouvelle circonstance à ajouter à celles qui déter-
minent la position des Ait-*Aîach auprès de Fés.
u
106 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
OBSERVATIONS RECUEILLIES PAR MODLA-AII MED.
r
a a clia'ban 1 1 a i (16 octobre 1 709 ) '.
Nous descendîmes auprès d'El-Henchir (^*AÂ^!l)^
à cause d'une révolte des gens de Tripoli contre leur
pacha Khelil, homme injuste qui confiait de préfé-
ronre les premiers emplois aux infidèles chrétiens,
phitol que de les donner aux musulmans , qu'il vexait et
tourmentait beaucoup. Aucun des principaux de ce pays,
savants, marabouts ou honmies vertueux, n avait d'in-
IhuMico auprès de ce prince. Il ne les aimait pas et ne
Inur aoconlait aucune considération. Aussi tous ses su*
\i>\s faisaîont-ils des vœux contre lui, faute de pouvoir
\\\\ ttMuoi^nor leur haine d'une manière plus ef&cace.
(lot ôtat do choses finit par échauffer tellement les
tv^piits t|uo 00 |viclu étant sorti pour aller apaiser la
iVxoho »u dohoi'ti. les i^ens de la ville lui fermèrent
lom\x jHMiON et prirent une résolution imanime à son
O^.M^r 1%'t oxouomont ayant mis le pacha dans Timpos-
xJ^hto ^fovooutor sos desseins sur les gens de fextérieur,
d ivxiul \lo^xtnt l^ >îUo. |VMir fassiôger avec son armée
do M^x^ux.UN NUjOls. U ^in^-.xa de notr^ côté, et nous envoya
H\^x jMMU ijMU\ \^:V,v:ers et du rii de son camp. Une
^ M>v\\U V,' *sv. •/ x^ s, ^' :c .v:->rr, mjii* c'e*t une erreur qui est
^N \^.l<\> \'\ >^> .* X A^.^ v.^ s» »N \^ oa\-./^ *'..?• rieurs.
^ \\ V'^x ,^- >' ♦ ,VN ,'v :\ ^ - :v.x 4: S, jx%i:. Ô3 , qu'il dît
\' <s >»*Sx \ X X .s i V \ ,^ .V ï ' ». ., sAr.5 inviî.]uer si c'est à
\ \ *\ x»\ S i x^ V. \^ X, « ^ . > * V ;^ .;-^,- : ^ ;' ^ a lieu de penser
VOYAGE D'EL-'AIACHI. 107
entrevue eut lieu, et le pacha nous dit d'établir notre
bivac auprès du sien, et de passer cette nuit à côté
de lui. Nous nous excusâmes de le faire « et, nous étant
mis en route , nous rencontrâmes les gens du Sah'el et
d'El-Menchîa ( HajS^M ) qui venaient en foide au-devant
de nous. Tous se plaignaient du pacha et déploraient
leur sort.
Le cheikh Moh ammed-ben-'Ali , auteur du commen-
taire sur le Chekrat'sïa, a dit, d'après El-Bekri^ :
« La ville de Tripoli est entourée d'une forte mu-
raille ; les édifices y sont d'une belle architecture. Elle
est sur le bord de la mer; ses marchés sont bien four-
nis ; elle a beaucoup de bains très-beaux. Les couvents
y sont nombreux et habités par de saints personnages.
Son port est à l'abri de la plupart des vents. Le terri-
toire abonde en toute espèce de fruits et de produc-
tions ; il y a beaucoup de jardins vers l'Est.
« Auprès de Tripoli est une sebkha très-grande , d'où
Ton tire une grande quantité de sel. De Tripoli au Dje-
bel-Nefouça, il y a trois jours de marche. »
El-Lits-ebn-Sà'ad a dit : « Amrou-ben-Ac'i a conquis
Tripoli ; il arriva d'abord à l'Est , jusqu'à la k'oubba ou
chapelle qui est à l'Orient de cette ville. Il avait assiégé
Tripoli pendant un mois , lorsqu'un Arabe de la tribu
de Madladj , qui servait dans son armée , étant un jour
à la chasse avec sept de ses compagnons d'armes, s'a-
' Le passage est rapporté , avec quelques variantes , dans la notice
de M. Quatremère, sur El-Bekri. Voyez tom. XII des Notices des ma-
nuscrits de la Bibliotlièque royale < pag. 45 1 .
108 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
vança à TOccident de la ville. La chaleur était très-forte ,
et ils résolurent de reprendre le chemin du camp en
longeant le rivage. D^ordinaire, les flots baignaient ce
côté de la place , où , pour cette raison , il n y avait pas
de murailles , de sorte que les bâtiments venaient mouil-
ler tout auprès des maisons. Les chasseurs s'aperçurent
que la mer avait baissé et laissait à sec ime portion de
terrain. Ils pénétrèrent par là dans Tripoli, du côté de
la grande mosquée , et crièrent à haute voix : « Dieu est
grand !» A ce bruit , les Grecs se hâtèrent de se réfiigier
sur leurs vaisseaux. 'Amrou, averti par le tumulte, s'a-
vança à la tête des troupes. Les Grecs eiurent à peine le
temps d'emporter une faible partie de leurs richesses.
Tout ce que la ville avait de précieux tomba au pou-
voir des Arabes. >•
La muraille qui défend actuellement Tripoli, du
côté de la mer, a été bâtie par les ordres de Hartma-
ben-'Aïan , lorsque cet officier était gouvemeiur de K'aï-
rouân.
« 'Amrou-ben-el-Ac'i envoya vers Ouddân ((jlSj) un
de ses officiers , nommé Bechir-ben-Art'at , dans le mo-
ment où il tenait encore Tripoli assiégé. Celui-ci s'em-
para de Ouddân, en 2 3 de l'hégire (64 2 de J. C). Les
gens de ce pays vivent principalement de dattes ; ils ont
beaucoup de grains qu'ils arrosent avec des outres.
« 'Amrou s'empara de Nefouça (iUjyij), où il y avait
des chrétiens. La capitale des boiu^ades de cette mon-
tagne s'appelait Cherouïn ( (5^3 #-û ) ; c'était une grande
ville avec de belles constructions, et qui se trouvait à
VOYAGE D'EL'AÏACHl. 109
cinq journées de marche de Tripoli. A mi-distance , il
y avait mie forteresse très - solide , d'ancienne cons-
truction, bâtie en briques et en pierres. A côté, on re-
marquait des ruines fort curieuses et extraordinaires.
Dans cette place se trouvaient des gens de TOuest , au
nombre d'environ mille cavaliers , qui étaient en guerre
continuelle avec les tribus de Berbères des alentours.
Ceux-ci pouvaient fournir vingt mille soldats, tant à
pied qu'à cheval. La garnison ne pouvait réussir à les
dominer ' . Au milieu de la montagne de Nefouça il y a
des palmiers , beaucoup d'oliviers et des firuits de tout
genre. Il pouvait y avoir seize mille hommes dans les
tribus de cette montagne , dont la longueiu*, de l'Est à
l'Ouest, est de six journées. »
Lors de mon voyage aux villes sacrées , en 1096
(1684 de J. C), les chrétiens ont attaqué Tripoli, et
le siège commença le jour même de l'arrivée de notre
caravane devant cette place , au moment où nous nous
arrêtions au bivac des pèlerins, sur le bord de la mer^.
On aperçut d'abord trois vaisseaux des infidèles, au
large, puis un quatrième, et, au bout de la joiunée,
il y en avait vingt-deux en vue. Ils tinrent la ville assié-
gée, le mercredi, le jeudi et le vendredi; durant ce
temps, les habitants de Tripoli étaient dans un état
* Ce passage se trouve, avec quelques différences, dans El-Bekri,
cité par M. Quatremère. (Voyez Notice des manascrits, etc. pag. A 53.)
Au lieu de Cherouîn, on y lit Cherouce,
' Nos historiens placent en i685 le bombardement dont il va être
question.
110 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
de trouble et de crainte inexprimable. Us ne savaient
que faire. Ils se décidèrent à charger leurs effets, et,
emmenant leurs femmes, ils s'enfuirent dans les jar-
dins. Voyant cette conduite, qui me parut coupable, je
parlai à leurs chefs et je leur dis : « Cette manière
d'agir est mauvaise et annonce de la lâcheté ; Taudace
des infidèles s'en accroîtra; dissimulez donc vos terreurs,
et arrangez-vous de telle sorte que les chrétiens ne
puissent pas s'apercevoir de ce que vous ressentez. »
Ils me répondirent : « Ce n'est pas la peur qui nous
fait agir ainsi, mais c'est afin de nous mettre à l'abri de
leui^ bombes et de leiu^s boulets , contre lesquels nous
no pouvons rien. •
Pendant la durée du siège, les musidmans ne dor-
miivnt pas , étant obligés de veiller pour savoir ce qui
80 |Kissail sur mer. Nous fîmes la profession de foi, et,
tout on marchant, nous criions, «Dieu est grand, » et
nous adiYssions dos prières au prophète.
A rhoun^ do Toucha, le vendredi, les chrétiens com-
monoèivnt h^ bomlvinloment, et nous assistâmes à un
spootaoK> quo nous n'avions jamais vn^ et dont nous
u\*i>ions mémo |vis ontondu |>arler. Des boulets sor-
liuout ix>u;jos do la boucho dos canons, et, semblables
A dos tisons onllammos, ils s'élevaient dans les airs;
puis À ooux-'oi on suocodaiont d'autres, de plus en plus
nombivuv. Loi^piils dosoondaiont, ils faisaient, en ar-
nxant À tonv, un grand bniit à ro'ndi^ sourd, creusant
Toudi^Ml \n\ il> otaionl tombos, puis ils éclataient. S'ils
attoïj^uaiout dos odiluos, ils los démolissaient ; s'ils
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 111
s'abattaient sur des espaces unis, ils les labouraient;
s'ils frappaient un objet élevé , ils le renversaient à terre ;
s'ils tombaient siu* des arbres, ils les brûlaient ou les dé*
racinaient. Lors de leur chute, ils semblaient rester un
moment en repos , après quoi , ils tournaient sur eux-
mêmes, puis ils éclataient en produisant im bruit bien
autrement fort que celui qu'ils avaient fait en touchant
le sol. Dans ce terrible instant, nous adressions nos
supplications au Dieu des mondes ; le sommeil avait
fiii de nos paupières. Il nous paraissait que chaque
boulet sorti de leiurs canons allait nous firapper. Tantôt
ces projectiles tombaient auprès de nous^ tantôt ils nous
dépassaient, mais la majeure partie arrivait sur la ville,
se perdait dans la mer ou dépassait un peu la miu'aille.
Pendant une de ces journées mémorables, les chrétiens
tirèrent toute la nuit, sans interruption , et jusque dans
la matinée. Un des légistes de l'endroit estima qu'ils
avaient lancé plus de neuf cents bombes.
Nous assistâmes alors à une grande confusion; il y
avait avec nous des enfants , des femmes , et , parmi celles-
ci, des femmes enceintes. En considérant le spectacle
qu'elles avaient sous les yeux, nous craignîmes que la
terreur ne les fît avorter. Nous nous décidâmes à quitter
ce bivac, pour aller à cet endroit des jardins où il y a
un rempart. La caravane s'y établit, et nous plaçâmes
nos femmes dans des maisons qui se trouvaient là.
Le feu des chrétiens cessait alors et il ne recommença
quà l'eucha. Un vent très-violent vint à souffler, qui
gâta leiu*s bombes en éteignant les mèches qxii s'y trou-
112 VOYAGE D'EL-'AÏACHL
valent suspendues. Mais le vent ayant cessé, ils tirèrent
de nouveau jusqu'au d'oh'a. Vers le zaoual, ils essayèrent
d'entrer dans le port, et ne purent y réussir, à cause des
deux forts qui en défendaient l'entrée, et qui étaient
alors remplis de marabouts ^ : ceux-ci se dévouèrent pour
l'amour de Dieu. Ces hommes généreux forcèrent les
infidèles de se retirer, par la quantité de boulets qu'ils
leur envoyèrent , au point qu'ils leiu* coulèrent im petit
bAtiment. Les chrétiens prirent la fîiite.
Plusieiu^ avis se discutèrent alors dans la ville. Pen-
dant ce temps, des musulmans arrivaient de tous côtés,
à pied ou à cheval, avec des armes et des munitions,
chacun selon son pouvoir. La colère noircissait leiu* vi-
sage ; leui^s lèvres étaient blanches par l'excès de l'indi-
gnation. Tous se préparaient au combat. Les chrétiens,
vovant cela , conunencèrent i craindre et s'éloignèrent.
Lo.s fidèles aiuraient bien voulu pouvoir les suivre etar-
rivor jusqu À eux. Us auraient voulu que l'ennemi revint
À In chai^\ car ils étaient noerveilleusement disposés,
c^tnut vomis avec fintentiou de se dévouer. Tous avaient
Init loui^ testaments les uns aux autres ; tous avaient
iMXMionco la pivfossion de foi « persuadés qu'ils devaient
iuouni\ Ou en ctmiptait des milliers ainsi préparés au
uwrtM*t^. (Vest jHHir cela que les chrétiens n'osèrent pas
lu^sj^ixlor uuo dosivnte.
Ou vHMumouvA A parlomonler, et la paix ftit conclue
* Wvt'uKs* -«T \ V'j^rr. v^ xiîî wwvfCir:*. O $oal des gens cjui, à
I ^ ^s^vuv s >^ xW^vS'vtv. A us>e nxYt rre*^ue certAÎne, en se chargeant
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 113
à la condition que les musulmans rendraient tous les
esclaves chrétiens qu^ils avaient, ce qui fut accordé. Ils
s'engagèrent aussi à restituer la valeur de leurs prises
maritimes, ce qui fut estimé cent mille réaux kara-
malîa ^
Après avoir fait ce traité , les chrétiens entrèrent en
ville pour y conunercer, et ils s'y conduisirent avec ar-
rogance, parce que le pacha, qui était im renégat, leur
avait promis de punir sévèrement quiconque les mal-
traiterait ou les insulterait. Les Tripolitains prirent leiu*
mal en patience ; mais les pèlerins et surtout les morre -
bin de la caravane ne se gênèrent pas avec les infidèles,
et allèrent peut-être jusqu à en frapper quelques-ims ,
sans s'inquiéter des ordres du pacha. Les chrétiens s'en
étant plaints, le renégat leur répondit : « Ces gens-là ne
peuvent souffrir les personnes de votre religion ; laissez-
les, car ils vous tueraient, et je n'ai aucun pouvoir sur
eux. Ne vous inquiétez pas d'eux, patientez jusqu'à la
conclusion de vos affaires. »
Les chrétiens, conformément au traité, commencèrent
à prendre des grains, des chevaux et des chameaux. A
ce sujet, je parlai avec des ouléma de la secte de Mft-
lek , qui convinrent que cela était mal ; mais ils s'excu-
sèrent sur ce qu'ils n'y pouvaient rien et sur ce que
c'était l'affaire des Turcs qui les gouvernaient. Les ou-
léma sortirent de la ville, ne voulant pas assister à ce
fâcheux spectacle ^.
* Karamali est le nom d*une famille qui a régné à Tripoli.
* Le bombardement dont Moula-Ali'med vient de donner la des-
15
lu VOYAGE D EL-'AÏACHI.
RETOUR D'EL-'AIACHI
ROUTE DE TRIPOLI k AÏT-'AÏACH.
Lundi, 5 cha*ban 1074 (aa février i663).
Je quittai Tripoli , après le départ des deux caravanes,
celle de TEst et celle de TOuest, le lundi, 5 de cha'ban
1074. La caravane générale se trouva divisée : une
partie alla avec El - Hadj -Moh'ammed-Nin,etrautre
avec H'adj-Moh'ammed-ben-'Amran et El-Hadj-Mo-
h'ammed-Moumen, lesquels commandaient cette der-
nière fraction.
Je fus accompagné jusqu*à Troun ((jj^*) par mes
amis, Sid-Moliammed-ben-Ah'med-ben-Aïça-el-Iep-
bouï et Sid-Abou-Raoui, ainsi que par une compagnie
de to'lba. Je trouvai, dans la medreça.ou école supé-
rieure, mon ami Sid-Moli'ammed-ben-Bil-K'âcem-el-
cnption est celui que tit le maréchal d*Estrées , en 1 685. Il causa de
grands dégâts dans la ville, qui ne furent pas promptement réparés, car
on lit , dans la relation d*un père de la Merci , qui se trouvait à Tripoli,
eu 1 703, le passage suivant :
« Les Turcs sont si peu curieux de la propreté de la ville, qu*ils n*ont
pas encore réparé les ruines du dernier bombardement que M. d*£s-
trées y fit, en i685. En sorte que la plupart sortent de leurs maisons
demi -ruinées, comme des renards de leur tanière; n*ayant pas eu Tes-
prit d*ôler les tas de ruines qui bouchent les rues en plusieurs en-
droits , et les obligent à prendre des détours , sortant de leurs trous. ■
(Voyez Etats des royaumes de Barbarie, pag. 3o.)
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 115
^Arïani et les savants de Tendroit, qui me donnèrent la
bien-venue , et me firent servir à manger. Cette medreça
est la plus belle qu'il y ait dans ces contrées. On y voit
à la porte le sépulcre d'un saint homme, mort depuis
peu, et qu'on appelle El-'Arifi, si ma mémoire ne me
trompe pas.
Une personne véridique m'a raconté le fait suivant,
à propos de ce marabout, fait dont elle induisait que
l'usage du tabac devait être blâmable. Il y avait, disait-
elle, auprès du lieu où est .enteiTé El-'Arifî, un olivier
à l'ombre duquel ce pieux santon venait souvent s'as-
seoir de son vivant. Lorsque El-'Arifi fut mort, un des
principaux de la ville alla s'étendre dans le même en-
droit et se mit à y fumer. Cet individu eut la nuit sui-
vante un songe dans lequel le défunt lui apparut et le
frappa sur la tête en lui disant : « Un tel , tu es venu faire
ime action punissable, à là place où je m'asseyais. » Le
lendemain, en s'éveillant, cet homme se trouva aveugle ,
« et la personne à qui j'ai entendu raconter ceci (ajou-
tait le narrateur), le tenait de l'aveugle lui-même. »
La caravane coucha à Troun , auprès de Zenzoun
iuJÙ^j) ^» ^* ^^^ amis qui m'avaient accompagné pas-
sèrent la nuit avec nous.
Mardi, 6 cha*ban (a3 février).
Le lendemain, nous passâmes, au d'oh'a, par le
bourg qui est auprès de Zaouïa-el-R'arb (siH^' *^3!))-
On va ordinairement visiter dans ce lieu un saint homme
' Moula- Ah 'med écrit Zenzour,
116 VOYAGE D'EL'AîiACHL
qui a rhabitude , en bénissant les pèlerins , de leur don-
ner trois coups sur la nuque. Cest une méthode dont
il a hérité de son prédécesseur.
Nous nous arrêtâmes ce joiu* même à la zaouîa, dont
le mok'addem El-Hadj-'Abd-er-Rah'mân-R'erit'-el-
Meknaci est mon ami. Cet homme de bien répand
beaucoup de bienfaits dans le canton; il inspire la plus
grande confiance aux habitants, qui le croient appelé
A diriger ses semblables dans la voie spirituelle.
léiï caravane fut traitée libéralement, pendant la nuit
<|U*ollo passa en ce lieu, les gens du pays s'eiTorçant
d'inùlor, |>ar cette conduite généreuse, les vertus hos-
pitaUt^ivs du cheikh \\bd-er-Rahmân.
Mercredi, 7 cha*ban (ad février).
Lo londomain, nous passâmes auprès de la demeure
do l\uuî do Diou. Sid-Ràchid-el-Kàlili (4X^1; ^^Oyu»
^Jc»JlOt ^ , \Hnuui |v\r les grâces que son intercession fait
\v|^^M\ir. Jo doscondis à côté de la zaouîa, et je la
\i\itu l.\n>quo jo p^^rtis de cet endroit, mon ami Sid-
\l\vh HMUuu^) bon - Vh mod-ben-\\îça-el-Ierbouï, ainsi
Niuo vvH\ ivuvut Sid- VKni-K ot taîa *, m'accompagnèrent.
Vmu uo o.n^ux AnvîAmos qu'a Zaouâra {i^<xO*
Jeu.îi. 8 chaban -^ a 5 février).
\ sv Iv i>v;>itM u. ivas doscvndimes à Zaouàr'a - ech-
V , , \ N X K K-x*> ► .V v^ \rfcNr> ^vxwhrnt a U lotifie de ch«
VOYAGE D'EL-'AÏACHI, 117
Vendredi j g cha*ban (a6 février).
De là nous allâmes vers Bordj*el-Melh' (^1 ^j»).
Samedi, lo cha*ban ( 37 février).
Nous allâmes ensuite jusqu'auprès de Es-Souâk'i
Dimanche, 11 cha*ban (a8 février).
Nous traversâmes £s-Souâk'i, dans Tendroit qu'on
appelle Ben-Kardân (^b^(^), vers Theure du zaoual;
puis nous descendîmes à Doun « la baie » H'açi-es-Sol-
t'ân ((^^IkJuJI^U^^d).
Lundi , 1 3 cha*ban ( 1 " mars ) .
La caravane alla coucher entre H'aci-es-Solt'ân et
Ouâd-Asmâr [jUm\ dl^).
Mardi, i3 cha*ban (a mars).
Le lendemain elle s'arrêta près d'Arâm (|»l/^).
Mercredi, i5 cha^ban (3 mars).
Nous descendîmes à Zerrik' ((5^). Nous trouvâmes
dans cet endroit notre ami Sid-Moh ammed-es'-S'âlah -
ben-5id-Abd- Allah -ben-Abd-el-Aziz-el-Hamdouni. Il
nous fit entrer dans l'oratoire de son père; nous cou-
châmes chez lui et nous y reçûmes l'hospitalité la plus
veux qu^ils laissent pousser au sonunet de la tête, quand cette touffe
a une certaine longueur.
118 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
complète. Je trouvai dans la maison de cet homme
de bien une collection de livres, parmi lesquels je re-
marquai une histoire des marabouts de K airouân , par
le cheikh En-Nadji. Cet ouvrage, qui est en deux vo-
lumes , a été compilé , par son auteiu:, du hvre écrit par
Abou-Zid-ed-Debbar -K'aïrouâni .
£l-Belàoui raconte, dans son pèlerinage, qu^ayant
rencontré En-Nadji , il Ta salué et l'a coinplimenté sur
son œuvre , et que celui-ci lui a dit avoir passé bien des
nuits poiu* le faire. El-Belàoui ajoute qu il a parcouru le
livre en une nuit, et qu'il y a vu l'histoire du tombeau
d\\bou-el-Baba , tombeau qui est à K'âbes. Il assure
que poi^onne n'a mieux parlé de ce fait qu'En-Nadji.
(«olui-<ù« dit-iK raconte la légende du saint personnage
eu détail , et rapporte l'ailirmation des gens du pays,
oui cortilient que le tombeau qu'on montre à K'âbes est
biou colui d\Vbou-el-Baba. Le cheikh £l-Bourzouli ,
uuiitiv d*Kn-Nadji, questionné là-dessus par ce dei^
iùoi\ ^ iv|HMulu que Tassertion des gens de K'âbes était
MMU'^ ot b tiédit ion inunémoriale sur laquelle ils se
\\ Innu^^ouli a dit encore à En-Nadji que si l'auteur
\lo U U ^^x^nvlo dei^ cv^mjxi^ions de Mahomet * n'a* pas
uuutKMmo qirVKni-el-RiUi était enterré à K'âbes,
\ \vvl viuM A ii^tunv U tndllion authentique consente
M*\ * V V* ^.nnsvaj-^ a V>fr. sous le n* 355, an manuscrit
^luV ^ * V V V*." v>..'4 j^>*J" . qui coolienl, par ordre aJ-
|-m\ Ni- n ■ » vvs.v xk-^ <vw;N*dr.x«^ ^^ Malsofiiel. CVsl |)eu(-^lrc
VOYAGE D'EL 'AÏACHL 119
dans le pays ; mais qu'il suffît de voir son tombeau dans
cet endroit et de connaître la tradition qui y a cours,
pour être convaincu.
El - Bclâoui raconte qu'avant d'avoir vu le livre de
En-Nadji, n'étant pas bien sûr du fait, il n'avait jamais
pu se décider à aller visiter ce tombeau, lequel d'ail-
leurs était assez loin de son pays; mais qu'après avoir
pris connaissance des faits, il avait pensé tout autre-
ment, et s'était hâté d'accomplir ce pèlerinage. Le même
auteiu* rapporte que H'amouda, émir de Tunis, a fait
construire un superbe bâtiment dans le^lieu où est
enterré Abou-el-Baba ^
Jeudi, i5 cha*ban (à mars).
Nous partîmes de Zerrik' et nous arrivâmes à la ville
de K'âbes ( jm^jU), au d'oh'a. J'allai visiter la k'oubba
d' Abou-el-Baba. J'y trouvai le k'âd'i de la ville , Sid-'Aïça-
ben- Ali-el-'Abadi-ed-Doukali-el-Mor'rebi. C'était im
brouillon qui faisait tout de travers , im menteur et im
foiurbe. Cependant il était parvenu à tromper les gens
de la ville , et jusqu'à l'êmir, aux yeux desquels il pas-
sait pour un saint et pour un savant, renommée qui ne
fit que renforcer ses défauts. Cet homme ne connais-
sait absoiiunent rien à fond, ce qui, du reste, ne parais-
sait guère dans un pays où tout le monde est ignorant.
Je lui demandai : « Qui t'a enseigné ? quels ouvrages
as-tu lus."^ où as-tu appris les choses que tu rapportes? »
' n y a dans le texte une dissertation qu*on supprime ici. Elle roule
sur cette question : Le K'oran esl-il créé ou incréé P
120 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
Il ne put rien répondre de satisfaisant, et se contenta
de me dire qu'il avait quitté le Maroc étant fort jeune,
et qu il avait fait ses études à Tunis.
Vendredi , 16 cha'ban ( 5 mars).
Le lendemain nous quittâmes K'àbes, et le k'âd'i
nous accompagna jusqu à Ei-H'àmma (iuUL), où nous
couchâmes dans la maison du vénérable Sid-Abou-el-
K'âcem-os-Sedidi. Nous y trouvâmes im honune de bien ,
appelé Sid-Moustafa, qui était d'origine chrétienne; il
avait embrassé Tislamisme par une conversion sincère,
ot paraissait être, en tous points, un homme vertueux,
rt^lipioux et fuyant le monde. Autrefois il avait fréquenté
los jjrands, mais, à l'époque où je le vis, il ne recher-
chait plus que la société des pauvres. Ce Moust'afa avait
ivi:u rhospitalité chez Sid-Abou-el-K'âcem , de qui il
avait appris sa nouvelle religion. En somme, tous deux
triaient dos gtMïs de bien.
1 ,0 l Àd i do K àl>os lut , dans cette soirée , quelques
tiNiditions do Innikhàri, ApK^s cette lecture, il me de-
m;in\)a do lui dolixrtM* un idjaia^ brevet de science, que
|o \oulus bion lui donner.
IX^us ^vl oiuhvit . qui Iquos-uns de mes amis de la
v.M\^x>M^o .ilivMvnt U\Mi\or Mourad-Oidid-H'amouda,
oiiMO do 00 jv%>s. Ahn do so pLiindn? Jun vol qui avait
oto \>MunuN vur ou\ d,uv«^ lo confie de son gouverne-
^uo^^lv |sn>xi,u\t ^;r.î> otAiont en pèlerinage. Leur dé-
UM^>ho wVxit Au>v,n rt*>v.-t^1
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 121
Samedi , 1 7 cha*ban ( 6 mars ).
Nous partîmes d'El-H'àmma ; la caravane fît une halte
après avoir passé la rivière. Nous allâmes ensuite cou-
cher à Nebch-ed-Dinab («^jJt (/^), chez le chaouïa ^
Sid-Djemâl-ben-Sid-H'âmid. Je cherchai, dans la ri-
vière qui est devant Nebch , la mine de verre noir ^ que
j'avais déjà vue à un précédent voyage ; mais , cette fois ,
je n'aperçus rien , parce que , Tannée ayant été fort plu-
vieuse, les eaux étaient hautes.
Dimanche , 18 cha*ban (7 mars).
Nous descendîmes au K'ec'er-er-Roumân {^Uji^yaà).
Lundi , 19 cha*ban (8 mars).
Nous passâmes par la zaouïa Sid-H'âmed («Xjum isi^t)
j^W), et nous allâmes coucher à la zaouïa Er-Remel
Mardi, ao cha*ban (9 mars).
Nous traversâmes Sebkha - el - Kebira {ijJi/Si\ i^^ev^),
qui n'a pas sa pareille, vers la zaouïa de Sid-Abou-
Helâl-es-Sedadi (J^^j^l ^XA^iy^l))- J^ dépassai la cara-
vane avec quelques pèlerins, et nous arrivâmes à la
' Nom que l'on donne à une fraction des Berbères, lesquels se
trouvent surtout dans la partie orientale du Mor'reb.
• iSjiA cl^^Jl 00^ iT^j J^ c5^y f 4 o4ttJ-
Je rapporte ce passage d*El-' Aiachi , n ayant pas compris ce qu*!!
veut dire par ■ une mine de verre noir. »
10
122 VOYAGE D'EL-'AÎACHI.
ville (sans doute Sedada), vers le d'ohor. Nous fîmes la
sieste aux palmiers , jusqu'à l'heure du d'ohor, où nous
priâmes. Nous montâmes ensuite, pour visiter le tom-
beau du cheikh Sid-Abou-Helâl , qui est placé sur un
contre-fort de la montagne ; on y remarque des meche-
hed^ Il y a, auprès, une mosquée bien construite, à
côté de laquelle est un bâtiment inhabité. Les tombeaux
sont très-nombreux dans cet endroit. On peut, en se
promenant, apercevoir les linceuls de quelques-uns des
défunts qui y sont inhumés; il y en a qui sont encore
intacts. Cette particularité étonne beaucoup les pèlerins,
qui ignorent que dans FEst on enterre les gens dans des
chambres fermées, qu'on remplit successivement. En
voyant les linceuls des derniers arrivés si bien conser-
vés , ils se figurent que c'est ime faveiu* que Dieu fait à
ces morts , qu'ils sont disposés , à cause de cela , à con-
sidérer comme des marabouts. Mais ils se trompent, car
cette apparente conservation ne tient qu'au mode de
sépulture.
Après nous être un peu arrêtés dans cet endroit et
nous y être promenés , nous revînmes vers la caravane ,
que nous rencontrâmes comme elle arrivait en dehors
de la zaouîa. Nous passâmes la nuit dans cet endroit.
Mercredi, ai cha'ban (lo mars).
Nous quittâmes la zaouîa de Sid-Ah med-bou-Helâl et
* Pierres qu*on place à la tète et aux pieds des morts, et qui s'appel-
lent ainsi, parce que sur Tune d*elles est ordinairement gravé le chahad
ou profession de foi.
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 123
nous traversâmes la ville de Dak'ïous (crjA»^ tf«>^), qui
est une des plus grandes de cette contrée. On y re-
marque un minaret très-élevé.
Dans la montagne qui domine la ville, est une ca-
verne qu'on appelle Rar-Ehl-el-Kahaf (la caverne des
gens de la caverne, c'est-à-dire, des sept Dormants), nom
qu'on lui aura donné parce que la contrée elle-même
s'appelle Belâd-Dak'ïous ' . Cette désignation , adoptée et
répétée par les pèlerins et les gens du pays , a couru de
bouche en bouche.
J'ai dans cette ville un ami qui est sincèrement dans
la voie de sainteté. » Beaucoup de gens de bien, m'a-t-il
dit, assurent que les sept Donnants sont enterrés dans
cette caverne. J'ai su d'un certain Ah'med-ben-'Abd-
Allah, lequel l'avait entendu dire à Sid-Moh ammed-ben-
Bil-K'âcem-el-Djameni , que ce dernier était entré dans
la caverne avec im autre homme de bien, et qu'il en
était sorti saisi d'effroi , car il avait aperçu les sept Dor-
mants et avait été témoin de choses extraordinaires. » Le
temps avait manqué à Ah med-ben-'Abd-Allah pour ob-
tenir de Sid-Moh'ammed-ben-Bil-K'âcem tous les détails
de ces merveilles.
Je n'ai cependant pas vu cette localité mentionnée
dans les commentaires du K oran, quoique ceux-ci dé-
' Dak'îous est le héros de la légende africaine sur les sept Dor-
mants. J*ai donné, dans les L^endes algériennes, des détails sur
cette tradition , très-répandue en Algérie et dans les autres Etats bar-
baresques, détails trop étendus pour entrer dans cette note.
Dak'îous est sans doute Tempereur Decius, persécuteur des chré-
tiens, à qui les musulmans ont emprunté cette tradition.
n
124 VOYAGE D'EL-'AiACHI.
signent une grande quantité d^endroits qui passent pour
être le lieu de sépulture des sept Dormants, tels que la
Syrie , Tlrâk', l'Andalousie et aussi le Maroc ' .
Un fak'ir m'a dit, d'après les légistes : Celui qui pré-
tend que les sept Dormants sont dans cette caverne de
la ville de Dak'ïous , qui dit y être entré et les avoir vus,
celui-là ment ; car Dieu a dit au prophète : « Si tu aper-
cevais les sept Dormants dans leur caverne , tu fuirais
épouvanté. » Or, si le prophète n'avait pu soutenir leur
vue, comment un homme ordinaire la soutiendrait-il?
Mais on donne une autre explication à ces paroles du
Seigneiu*; car, disent les conunentaires, il était impos-
sible que le prophète, qui avait voyagé dans les cieux,
({ui avait vu l'ange Gabriel, le feu de l'Enfer, etc. eût
pour do gens Vndormis.
Nous arrivâmes à Touzer ij)y) le mercredi matin,
u I do cha'han , et nous y trouvâmes des négociants ve-
lUi.H do Tunis et une compagnie de gens de Djeii)a, qui
uvalonl rintontion de se rendre dans le Maroc, avec
uotiv caravane. Je rencontrai à Touzer mon ami Sah-
nUmi% qui avait fait le pèlerinage avec nous, mais qui
nous %Hvaît de\ancôs^ étant parti avec les gens d'Alger.
(',et houuue de hien avait été le disciple de Sid-Ah'med-
ed HuiIm. Il ot.ùt originaii^ des tribus arabes de cette
wmUivo. et halMtait les environs de Touzer.
Sid ^.duàoui axait jadis accompli le saint pèleri-
u^^ijv, jMed> nus. et il A\ail visite Jérusalem avec moi.
\S^ |VMl AhH^ci W CAp M.tîikHi jiupn*^ ir\lf^?r, Nikkoiis dans la
VOYAGE D'EL'AÎACHI. 125
Comme notre caravane s'arrêtait hors de Touzer, il vint
à ma rencontre auprès de Fermitage de Timâm Abou-ei-
Fad'el-ben-en-Nah'oiii , lequel est à côté de la mesdjid.
Nous visitâmes beaucoup de tombeaux dans cet endroit.
Jeudi, 22 cha*ban (ii mars).
Touzer est une belle ville, abondante en eaux. On
y trouve beaucoup de jardins et de nombreuses planta-
tions de palmiers. Il y coule une forte rivière qui vient
de rOuest. Les Bédouins qui Thabitent sont des Arabes
agriculteurs; on y achète à bon marché la viande, le
beurre , et les dattes , qui s'y recueillent en très-grande
abondance.
J'ai remarqué parmi les savants de la ville Sid-Ah'med-
el-Moula, homme de bien, qui m'a adressé beaucoup
de questions sm* le droit, et m'a interrogé d'une ma-
nière qui montrait sa science et la sincérité de son âme.
J'ai visité la bibliothèque de Sid-Ah'med-er-Rebani, chez
son neveu Sid-SVir, et j'y ai trouvé beaucoup de livres,
entre autres le deuxième volume du Ketâb-el-Ouah'id\
du cheikh 'Abd-el-K'afar-ben-Nouh', livre des plus pré-
cieux. Je possède le premier tome, et j'avais vainement
cherché le second, que je n'ai jamais vu ailleurs que
dans cette bibliothèque. Pour en connaître le contenu,
j'employai à le lire tout le temps de mon séjoiu» à Touzer.
* Ouvrage sur Tunité de Dieu, dogme qui forme, chez les musul-
mans, la brandie importante de leur théologie , qu*on appelle TouhOd,
D*Herbelot, qui appelle Fauteur de ce livre Abd-al->Gaffar-ben-al-
Megd-al-G)S8i , dit qu*il fut composé a Alexandrie, en 708 de Thégire.
( Voyez au mol Vahid. )
126 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
Vendredi, a 3 cha*ban (la mars).
Le vendredi , j'allai , avec mon ami Sid-S'ah râoui , à
la ville de Neft'a (aLsaj) pour visiter en pèlerinage Sid-
Abou- Ali-en-Neft'i , im des hommes les plus saints et le
compagnon d'Abou-el-Fad'el-el-Biskri , mentionné dans
le Ketâb-et-Tchouf. Tai entendu dire à un fak'ir que ce
marabout était contemporain de Bou-Helâl-es-Sedadi.
Nous arrivâmes à Neft a avant le d'ohor; il y a dix-huit
milles entre cette ville et Touzer. Nous nous y arrêtâmes
et nous y fîmes la prière méridienne. J'ai trouvé dans
cet endroit un volume du Charh -ech-Ghek rat'ïa, d'Ebn-
el-Mas'ri \ livre très-précieux. Je l'ai parcouru pendant
mon court séjour, et j'en ai extrait quelques citations.
Le même jour, nous retombâmes à Touzer, où nous
arrivâmes après le morreb. J'allai vers la caravane, et
je passai la nuit chez l'oukil de mon ami Sid-S'ah'râoui ,
où je reçus une généreuse hospitalité.
Samedi, a4 cha*ban (i 3 mars).
/
SEJOUR.
' Le vrai nom est Charh''K'acida'ech-Chek'rat'tia, Sous le n* a6 1 ,
la bibliothèque d*A]ger possède un commentaire de cet ouvrage. On
y voit que Tauteur du texte, k'acida ou petit poème en hun, à la
louange de Mahomet, 8*appelle Abou-Moh'ammed-*Abd-Allah*ebn-el-
Fak'i-Abou-Zak'aria-Iah'ïa-ben-'Ali-ech-Chok'rat'si-et-Touziri , et que
Fauteur du commentaire, qui a été composé à Constantine, au mois
de chaouâl 780 (iSaQ de J. C.) , se nommait Abou-*Ali-*Amar-Ebn-him
(Ibrahim ?) el-Touziri.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 127
Dimanche, a 5 cha*ban (i^ mars).
SÉJOUR.
Nous restâmes à Touzer jusqu'au dimanche, pour
laisser aux gens de la caravane le temps d'attendre ceux
de leurs amis qui étaient allés à K'afs'a (iUaj^); ils n ar-
rivèrent que le jour de notre départ. Dans cet inter-
valle, il vint beaucoup de chameaux à Touzer. Il est à
remarquer que là on ne nourrit ces animaux qu'avec
des branches d'olivier.
Parmi les personnes que j'ai rencontrées à Touzer,
je dois mentionner Sid-Ah'med-ben-'Abd-el-'Aat'i , un
des amis de mon maître Sid-Moh'ammed-ben-Nâc'er ^
et aussi un des miens. Je fus reçu et traité dans sa
maison. Il me montra im ancien acte de h'abous ^ de
l'année 820 de l'hégire (i4i7 de J. C), écrit de la
main de l'imâm Ebn-Marzouk'^; il y avait aussi de l'é-
criture de l'imâm El-'Ak'bânî \ Sid-Ah'med me donna
* n résulte de ce passage que Moh'ammed-ben-Nâc'er, père de
Moula- Ah'med, est un des professeurs d^El-'Aîachi.
' Acte par lequel on substitue une propriété.
^ Moh'ammed-ebn-Ah 'med- ebn-Moh'ammed -ebn-Moh'ammed-ebn-
Moh'ammed-ebn-Marzouk'-el-Khat'ib-et-Tlemçani, auteur célèbre du
MorVeb. La bibliothèque d* Alger a de lui, entre autres ouvrages , sous
le n* 95, un commentaire sur le Mokha'çar de Sid-Khelil. Le diction-
naire biographique, appelé Kefaia (voyez manuscrits delà bibliothèque
d* Alger, n* i56}, lui consacre un assez long article. (Voyez feuillet 9 5
du manuscrit arabe, au verso.)
^ On trouve dans le Kefaia, art. 53, la 1, 171, a88, 38o, 555, les
biographies de six auteurs de Tlemsén qui ont porté ce surnom.
128 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
environ un sa a de dattes provenant du jardin auquel
se rapportait Tacte en question. Je lui dis : « Taccepte
ces fruits conune une chose qui doit m^attirer les béné-
dictions. » Ces dattes me restèrent jusqu'au conunen-
cernent du ramad'ân, et tous les jours de ce mois sacré
j'en prenais deux ou trois pour rompre le jeûne , action
qui me parut orthodoxe et même de nature à me con-
cilier la faveiur divine. Et quelle chose orthodoxe plus
remarquable pourrait-on rencontrer aujourd'hui , qu'une
propriété qui est restée dans une famille depuis trois
cents ans, en vertu d'im acte où un imâm et un ouléma
ont témoigné pour la vahdité de sa possession ?
Le joiu* de notre départ , j'entrai dans la vieille ville
et je visitai encore une fois la k oubba de l'imâm Ech-
Chek'rat'i; celle de Sid-'Ali-ben-'Amrin , disciple de Sid-
Abou-'Ali-en-Neft'i et le tombeau d'Ebn-en-Nahoui.
Dans la vieille mesdjid qui est en cet endroit, j'ai vu ime
inscription où il est dit que le mirh'ab ^ a été fait vers
Fan 590 (1 193 de J. C). Nous visitâmes, en outre,
Tami de Dieu , Sid-Ah'med-ed-Debaci , dont l'interces-
sion auprès de la Divinité est puissante. Il est auteur
d'un commentaire sur l'ouvrage intitulé MaKi-et'^Ta-
rik'a-Jil'BelàiM-Mecherk'la , de Sid-'Ali-ben-Mimoun-
el-H açani-el-Ediîci-el-Fàci , auteur connu en Syrie, en
Egypte , et jusque chez les chrétiens.
Nous quittâmes Touzer le dimanche. La caravane
* G^té vers lequel l*iinâm se tourne en récitant la khot'ba, et qui
indique la direction de la Mecque. C*est une espèce de niche pratiquée
dans la muraille des mosquées.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 129
commença le voyage en passant par la ville de Neft a
(idaJL»), après avoir eu Tintention de suivre la route de
droite par El-H'âmma (i^^), qui est celle qu'on prend
ordinairement, parce qu'on y trouve toujoiu^ de la popu-
lation. Cette fois donc, nous allâmes par Neft a, où je
visitai de nouveau le cheikh Abou-'Ali. Après avoir passé
la journée en cet endroit, nous gagnâmes H'âmi-es-
Solt'ân (0LkLJt (^U.), où nous couchâmes. Là se trou-
vaient des gens de Neft a qui chassaient les sauterelles;
ils ne réussirent pas à exterminer complètement ces
animaux, dont les ravages amènent la famine. Du temps
du mâd'i, il y -eut une grande disette produite par cette
cause.
Neft'a est une ville considérable, près de Touzer.
Elle a une rivière , comme cette dernière ville ; le kha-
râdj qu'elle paye aux Turcs est le tiers de celui de
Touzer.
Lundi, a 6 cha*ban (i5 mars]-
De H'âmi-es-Solt'ân nous allâmes coucher aux envi-
rons d'El-Kelâbîa (iu^^l).
Mardi, 27 cha*ban (16 mars).
Le mardi, nous traversâmes ce dernier endroit, où
notre guide eut bien de la peine à nous amener. Nos
pèlerins avaient été aussi déroutés que lui; ce ne fut
qu'à force de recherches et après bien des tâtonnements
que nous y arrivâmes. Nous trouvâmes ce lieu rempli
de cendres; nous y passâmes ce qui restait de la journée.
17
130 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
I^à , on se procure des vivres en abondance ; il y a de
l'eau et des pâtiurages.
Un vol de sauterelles passa la nuit à KelAbîa , auprès
de la caravane ; quelques pèlerins se rendirent à leur
bivac et en prirent une grande quantité, ce qui aug-
menta d'autant leurs provisions. Les sauterelles étaient
à Tépoque de reproduction , lorsqu'elles déposent leurs
œufs.
Mercredi, aS ch*aban (17 mars).
Nous partîmes d'El-Kelàbia , et nous allâmes à El-
Ouac'if (vjfuuD^I), qui est un grand et beau village dont
Teau est pure, ainsi que toute celle qui se rencontre
dans les environs.
Jeudi, a 9 cha*ban ( 18 mars).
De là nous gagnâmes un endroit qui est auprès d'El-
'Ardj (^^1); ce jour, nous quittâmes les sables et nous
atteignîmes la terre ferme.
Vendredi (19 mars').
Arrivés à Zeribet- Ahmed (*xj^I iw^^)> nous y trou-
vâmes des Arabes de Nemila (aJ^) et des Oulâd-Sid-
el-Moubârak-ben-Nâdji (3!* ^^ ^^^')- ^^' j^ rencontrai
le frère du chérif El-Medjdoub , mon ami , lequel res-
semblait à son frère. Il m'apprit la mort d'El-M edjdoub
' Faute d^avoir aperçu )a lune de ramad'an à temps, El-*Aîaclii
commence ce mois un jour trop tard , ce qui doime trente jours au
mois do cha^ban.
VOYAGE D'EL-AÏACHI. 131
(que Dieu lui soit miséricordieux!). C'était le meilleur
des medjâdib ' ; son djedeb était énergique , à ce qu'il
me semble. Je Tavais vu, en 106A (i653 de J. C.) et
en 1 o65 ( 1 654 de J. C), dans cette ville. Il était le dis-
ciple de Sid-Moh'anmied-ben-'Ali-el-Biskri. Je trouvai
encore, en cet endroit, mon ami Sid-'Abd-Allah-ben-
Moh'anuned-ben-el-Moubârak , et, avec lui, une com-
pagnie de ses frères et de ses compatriotes. Il y avait
six joiurs qu'ils nous attendaient, et le jour de notre
arrivée , ils commençaient à désespérer de nous voir, à
tel point qu'ils partirent, sur la fin de la journée, et
s'en allèrent à El-Klianga (iUjLâtI), qui est leiu* pays; mais
ayant aperçu les étendards de la caravane, ils revinrent,
et passèrent la nuit avec nous. Je fus traité par eux avec
ime large hospitalité. Sid-'Abd-AUah envoya chercher
son père, qui vint de bonne hem*e. Nous nous don-
nâmes la bénédiction réciproquement, et ils me firent
des questions sur la religion. C'étaient des gens de bien
qui aimaient la science et désiraient acquérir des con-
naissances; malhem*eusement ils vivaient dans un pays
où il n'y a aucune instruction. Je les saluai de la part
de mon maître Abou-Méhèdi, avec lequel ils étaient
liés depuis longtemps ; ils s'étaient beaucoup fréquentés
du vivant de leiu' grand-oncle, Sid-et-Touâti-ebn-Nadji,
homme savant parmi les savants. Après sa mort, il y
* Medjdouh, pluriel medjàdih. Ce mot ne peut guère se traduire que
par celui de convulsionnaire. Djedeb se dit de la pantomime qui est
propre à ces énergumènes. J'ai donné , dans les Légendes algériennes ,
des détails circonstanciés sur cette classe d*individus.
132 VOYAGE DEL-'AÏACHI.
eut entre eux un peu de refroidissement. Mon maître
partit ensuite d'Alger, et se mit à voyager de côté et
d'autre ; il vint enfin chez Sid-et-Touâti , pour recevoir
ses leçons , et il resta son ami jusqu'à sa mort. Et-Touâti
étant revenu gravement malade du t'ân \ Abou-Méhèdi
le soigna jusqu'à son dernier soupir, et l'enterra. Après
avoir terminé ses funérailles, il alla chez le frère du
défunt, qui était à El-Khanga; il le salua, et reçut ses
remerciments. Plus tard, il se brouilla avec les gens
de cette famille , et les quitta leur laissant ses livres. Il
m'avait prié de ne point les leur réclamer, et d'attendre
que la proposition vint d'eux-mêmes, car ils lui avaient
fait dire que c'était faute d'avoir trouvé quelqu'un de
sûr, qu'ils ne les avaient pas encore rendus, et que,
s'il voulait venir, ils les lui remettraient.
Nous les tix)uvàmes tout pensifs, parce que la peste
était dans ce canton, et qu'ils craignaient qu'elle vînt
juwsqu'à leur pays, ils avaient le désir de s'éloigner, et
mo demandèrent si. légalement, ils pouvaient fuir la
maladie avant quelle fut arrivée chez eux. Je réfléchis
à celle queslion, car je n'avais jamais rien vu de précis,
dans les livivs, à cet égard. Enfin «je leiur répondis,
n^appuYant sur le sentiment d\m ouléma, qu'il était
jH^nwis de sVn aller loi^ue la peste n^avait point encore
|vuni au Itou qu on voulait quitter; mais qu'une fois la
maK^dio declaive. la retraite nVtait plus permise au point
de \ue de la loi* J\ijoutai qu^une autre autorité disait,
eu outiv. quVu jhhivwUI fuir si, en ^igissuit de la sorte.
VOYAGE D'EL-'AlACHI. 133
on n'avait en vue que d^éviter le mal ; mais que si par
cette action on pensait se dérober aux décrets de Dieu
et se soustraire à la mort, alors cela était défendu.
D'après cela, je leur déclarai que rien ne s'opposait à
ce qu'ils s'en allassent , du moment que , parmi ces opi-
nions traditionnaires , il s'en trouvait une qui admettait
que la ftdte était permise ^ . J'ai vu plus tard dans les
' Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver ici ce qu*un au-
teur arabe, le cheikb Daoud-el-Antaki, dit de cette maladie (voyez
manuscrit 67 de la bibliothèque d*Âlger, pag. 349) sous le rapport
purement médical :
• Le caractère de la peste est d*empoisonner Tair dans les couches
élevées, lors de la conjonction de deux planètes à branches (JujLâ) ,
et dans les couches inférieures , lorsque la chair des cadavres se gonfle
au sein des tombeaux, et qu'une vapeur riciée s'en élève. Les causes
que nous venons d'indiquer pervertissent les saisons , les éléments , et
bouleversent leurs essences. Les symptômes de la peste sont : la fièvre,
la petite vérole, le coryza, le prurit de la peau (iJ^)* et la maladie
appelée el-'aoamm, dans laquelle le corps s'enfle, se crevasse et laisse
échapper une eau jaune. De ces maladies , lorsqu'elles sont régnantes,
dérive la peste. Peut-être, dans les années de peste, ces maladies at-
teignent-elles jusqu'aux animaux, les vaches, les chevaux, avec une
force proportionnée à l'altération de l'air. Peut-être même les fruits en
sont-ils susceptibles ainsi que les grains. Quant aux gens, ils sont plus
ou moins malades, selon le degré de l'altération de l'air.
• Pour éviter la contagion, si celle-ci arrive au printemps, où le
sang abonde dans le corps humain , il faut pratiquer la saignée. Re-
mèdes : on se débarrasse, par un vomitif, de l'humeur qui est en excès;
on respire des fumigations de storax (iûu^) et de myrrhe ( Jju) ; on
arrose la chambre avec de l'assa-fœtida ( ^1 ) et de la menthe , et on res-
pire des oignons ou autres plantes analogues ; on respire aussi de la
menthe et des coings. Il ne faut pas aller beaucoup aux bains , il faut
s'abstenir de viandes et de choses sucrées. Cela serait mauvais en toute
saison, mais surtout lorsque la peste arrive au printemps. »
134 VOYAGE D'EL'AÏACHL
livres de rimâm El-Hat't'ab\ au chapitre intitulé, Sur
les pestes, que cet auteur rapporte ces deux opinions,
et ajoute que la bonne est celle qui permet de quitter
im lieu infecté de peste. Dieu sait la vérité.
Samedi, i*' ramad'ân (30 mars).
Nous quittâmes Zeribet-Ah'med le premier jour du
ramad'ân, un samedi; nous traversâmes Zeribet-el-Ouad
(ôljJl iw^j), vers le d'oh'a; nous allâmes coucher à El-
Mens'if (vj^jk^ÂlI), qui est à moitié chemin entre les
Zerâib {f^]j^\)^ et Sid-Ok'ba; nous trouvâmes au
Mens'if * deux nezla * des Oulâd-S'oula ( siya ^Vj! ) , qui
étaient venus là poiu* s'emparer d'une nezla des Chorfa
(ol^^I) ^, nezla qu'ils prirent en effet.
' Cet auteur est un des commentateurs du Mokhtaç'ar, de Sid-Khe-
lil (manuscrits de la bibliothèque d* Alger, n*"* 90 et a3a]. Au reste,
la plupart des ouvrages de droit traitent la question dont parie El-
*Aiachi.
* Pluriel de Zeribet; ce mot s*applique aux deux localités appelées.
Tune Zeribet-Ah'med , et Tautre Zeribet-el-Ouad.
' Ce mot, qui se trouve appliqué à plusieurs localités, signifie un
endroit intermédiaire ; de la racine ( tm^ ] , moitié.
* Fraction de tribu.
* Chorfa, pluriel de Cherif; très-forte tribu qui se prétend issue du
prophète. Ils sont une des onze tribus nomades qui passent Vhiver au
milieu des villes du Zàb de Biskra; au printemps, ils émigrentvers
le Tell.
La tradition a fait descendre les Oulâd-S'oula d'une race de géants,
contre lesquels les Zenata, ancêtres des Chaouîa d'aujourd'hui, eurent
à soutenir des guerres nombreuses. Les Oulâd-S'oula, vaincus en dé-
finitive, se réfugièrent dans le S'ah'ra.
j
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 135
Dimanche, a ramad'ân (ai mars).
Le lendemain , comme nous arrivions en face de Sid-
'Okl)a [Hjm «KftiM»), nous eûmes la certitude que la peste
était en ce lieu et dans le canton qui en dépend,
ainsi qu^à Biskra. Cela fut cause que nous n allâmes pas
visiter la k'oubba , et que nous couchâmes entre elle et
Biskra.
Le même jour, nous avions rencontré la nezla des
Chorfa, que les Oulâd-S'oula avaient prise, hommes
et femmes. On voyait, à la figure de ces malhem*eux,
que la faim les totmnentait, ce qui nous brisa le cœur.
Ce sont, en e£Pet, des Chorfa dontForigine est véritable ,
chose connue dans tout le pays , des citadins comme des
campagnards. Je savais ceci par mon maître Abou-Mé-
hèdi, lequel connaît parfaitement toute cette contrée
et les gens qui Thabitent. Le malheur qui frappait ces
descendants du prophète tenait à ce qu^ils étaient venus
dans les cantons des Bédouins.
Sid-Ok'ba, qui a donné son nom à la ville, est le
'Okl)a-ebn-Amir, un des Ta'biïn* et le conquérant de
TAfrik'ïa. C*est lui qui a bâti la ville de K'aïrouân et qui
a été fort célébré par les historiens. Ebn-Khaldoun ,
entre autres , raconte son histoire avec El-Kahina ^, qui
' Saivants, ceux qui sont venus après les contemporains de Maho-
met.
' Reine des Berbères , dont le vrai nom est Damîa. El-Kahina , qui
signifie la sorcière ou la prétresse, est un surnom que lui ont donné
les Arabes. On verra dans le voyage de Moula- Ah 'med des détails fort
étendus sur cette femme célèbre.
136 VOYAGE D'EL-'AÎACHI.
habitait le Djebel-Aoïirès, la révolte de cette reine et
beaucoup d'autres choses qui se rapportent à cet évé-
nement.
Le même auteur dit ensuite comment Sid-Okl)a, à
son retour du Mor'reb , fut tué à un endroit qui est au-
dessous du Djebel-Aoïurès^ et comment il fut enterré
dans un tombeau que tout le monde connaît et visite. La
châsse de bois qui recouvre son corps est une œuvre
d'art très-remarquable. A côté, il y a un grand bouiç;
au milieu de cet endroit, et dans la mesdjid, est un mi-
naret élevé , d'une belle construction , sur le haut duquel
se trouve im pilier en bois. Les pèlerins croient que le
minaret tremble lorsque quelqu'un touche ce pilier et
le secoue en disant : « Je jin^e par toi, ô minaret, par
la vérité de Sidi-'OkT)a et jusqu'à ce que tu remues I »
Quand j'y suis monté et que j'ai examiné les choses
de près, je ne l'ai pas trouvé tel qu'on l'a rapporté;
mais j'ai vu que le fait allégué tient à la hauteur et à la
légèreté de construction du minaret : de sorte qu'en
secouant fortement le pilier, on imprime un ébranle-
ment qui se communique à tout l'édifice , ébranlement
qui se continue après que la secousse a été donnée ; ce
que les pèlerins prennent pour im effet de leiur invoca-
tion. On observe un phénomène analogue dans toutes
les constructions légères. La plupart des personnes qui
viennent visiter la mesdjid écrivent leurs noms sur les
murailles; cette pratique a dégénéré en coutume. Je
suis entré bien souvent dans cette mosquée; mais cette
' A Tahouda
VOYAGE D'EL-'AÏACHl. 137
fois, à cause de la peste,' nous nous en abstînmes, et
nous fîmes nos hommages en dehors ^
La caravane coucha entre Sid- Okl)a et Biskra. Pen-
dant la nuit, nous fâmes assaillis par un vent très-vio-
lent, qui ne nous permit pas d^allumer du feu.
Lundi, mardi, mercredi, 3,4.5 ramad'ân
(aa, 93, aâ mars).
Au sT)ah', je déjeunai, parce que le vent de la nuit,
en ne nous permettant pas d'allumer du feu , nous avait
mis dans Timpossibilité de préparer le repas à temps ^.
Nous arrivâmes à Biskra ( ijLm» ) au d'oh'a , le lundi ;
nous nous arrêtâmes hors de la ville, vers l'Ouest, à
cause de la peste. Il fallut cependant se décider à entrer
pour acheter des provisions. Nous trouvâmes une cara-
vane qui était arrivée avant nous et qui s'était établie
dans Biskra même; elle y était déjà depuis deux jom*5.
Les habitants l'avaient engagée à cela par la crainte des
Oulâd-Nâc'ep-ben-Bou-Okkâz {j\S^y» (:^,^k:>^^t)^ en
hii disant de prendre garde à ces Arabes , qui lui au-
' Cette mosquée fut visitée; au mois de mars i8/li&, par S. A. R.
• • • ■
M"* le duc d*Aumale , lors de la prise de possession des Jibân. Le prince
fit présent d*un taureau noir aux t'oMbà de la medreça.
* £l-*Aîachi fait cette remarqué pour qu*on ne Faccuse pas d'avoir
rompu légèrement le jeûne du ramad'ân, mois pendant lequel un
musulman doit s'abstenir de manger dès qu il fait assez jour pour dis-
tinguer un fil blanc d*un fil noir.
^ Le cheikh Farh'at-ben-S*aid, surnommé le Serpent du désert, par
nos soldats, était le chef de cette famille en iSSy, lors de la prise
de Constantine. A sa mort, en i8&3, il a laissé ùri jeune fils, qui vit
^ous la protection française.
138 VOYAGE D'EL-'AiACHI.
raient enlevé ses chameaux. Aussi ne iaissa-t-on pas ua
seul de ces animaux s'écarter, et on les nourrit avec de
l'herbe qu on achetait.
Nous suivîmes cet exemple , subissant la triste néces-
sité de tenir nos chameaux emprisonnés dans la ville, et
de dépenser notre argent pour les alimenter. La foule
qui se pressait aux portes fut cause que je n'entrai dans
Biskra que le mercredi, vers feucha. J'allai ensuite
visiter Abou-el-Fad'el, dont le tombeau est en dehors
de la ville. A côté de ce monument est une mesdjid,
autour de laquelle il y a des constructions habitées. Je
pénétrai dans la mosquée, et montai dans le minaret,
qui est un bel et solide édifice, remarquable par son
élévation et son étendue. Une mule chargée peut arriver
jusqu'au sommet, où conduit un escalier de cent vingt
marches. La mosquée est grande et d'une solide cons-
truction; mais elle est peu fréquentée et peu habitée.
Personne ne vient y enseigner ni y apprendre, ce qui
m' étonna d'autant plus que Biskra peut passer pour une
belle ville parmi les belles villes, que la population y est
considérable , le commerce actif, et qvi'il y vient beaucoup
de monde, soit du Tell, soit du S'ah'ra. On y voit beau-
coup de palmiers, des champs fertiles, des oliviers aux
fruits remarquables par leur grosseur et leur bon goût.
On récolte, dans ce canton, du lin d'une extrême
»
finesse. La contrée abonde en eaux courantes, qui font
aller un grand nombre de moulins ; il y a des cultures
de h'enna, d'autres graines ou fruits, légumes, etc. On
trouve dans les marchés beaucoup de bestiaux et de
VOYAGE D'EL-'AÎACHL 139
beurre salé. En somme, je n'ai vu nulle part, dans
l'Est ou dans l'Ouest, aucune ville plus belle que Biskra,
plus digne d'éloges, et où il y ait plus de commerce et
d'industrie. Cependant elle a déchu par le mauvais gou-
vernement des Turcs et par les hostilités des Arabes
du dehors. Quand les ims l'avaient pressiu'ée par des
incursions passagères, après lem* départ, venaient les
Bédouins, qui, à leur tour, exerçaient leurs rapines,
apportant tout leur tribut de malfaisance envers cette
malheureuse ville. Cet état de choses dura jusqu'à ce
que les Turcs bâtirent im château-fort à la source de la
rivière qui fournit l'eau à la ville, ce qui les rendit com-
plètement maîtres du pays. Alors ils foidèrent et mal-
traitèrent les habitants tout à leur aise , leur augmentant
le kharâdj , dont les gens de Biskra ne pm*ent plus es-
quiver le payement, comme cela leur arrivait parfois
auparavant, tenus qu'ils étaient par la nécessité d'avoir
l'eau dont les Turcs s'étaient rendus maîtres, eau qui
est la vie de Biskra et de ceux qui y demeiu'ent. Puis,
au dehors, les Arabes commettaient toute sorte de dé-
sordres et de violences envers les citadins, tandis que
les Turcs faisaient la même chose au dedans. Sous l'em-
pire de cette complication de maux, lapopidation com-
mença à diminuer, les habitations tombèrent en ruines ,
et, sans le grand commerce qui s'y fait et l'industrie
dont ce lieu est le centre , ce qui est cause que les gens
tiennent à y rester, Biskra eût été complètement aban-
donné.
Je rencontrai à Biskra, en 1069 (16A9 ^^ ^' ^'')^ ^^^
140 VOYAGE D'EL-'AÏACHI.
homme de bien qui unissait la science aux bonnes
œuvres; il s^appelait Sid-Abou-et'-T'aïeb-K'oc'eïr; je n'ai
jamais vu son pareil. Quand je revins de TH'edjâz, en
1060, il avait succombé à la peste de cette année, la-
quelle avait sévi avec beaucoup de violence. Il moiurut
alors à Biskra de cette maladie, à ce qu'on m'a rapporté,
environ soixante et dix mille personnes'. Quand nous
enti\1mes dans la ville , après la fin du fléau, nous la trou-
vâmes presque vide, et les mosquées étaient désertes.
Je rencontrai à Biskra, dans mon pèlerinage actuel,
le vertueux Moh ammed-es'-S'âlah' ; je le trouvai seul,
dans ime mosquée située à côté de sa maison, où il réci-
tait Toraison obligatoire. Ses amis se rendaient habi-
tuelloment dans ce lieu, afin qu'il les dirigeât dans
r%icto do la prière, ou qu'il leur enseignât les choses de
la loi di\ine. Je vis aussi un autre légiste de la ville, Sid-
\\bd-oK)uah'ed-ep-Romani, homme de bien, qui savait
|>arrailon)ont la roligion et la suivait avec exactitude.
Il mo Uit« au commencement du S'ahlh' de Boukhâri,
los traititions rapportées par Abou-Deur. D m'accom-
|vijjnA dans mon pèlerinage à la k'oubba JAbou-el-
Fad oK et nous priâmes lacer ensemble, dans lamesdjid
do ^"^^ saint |vrsonn,^j:o.
Jrudi 6 FUDAdân ;a5 mars).
1 .1^ londouMu^ joudi . je partis, après être entré encore
uno toi> dan> U xïîîo jvmr \i>iter Sîii-Moh ammed-Bou-
' \\ ,»>Mi > *^\^.^ K"^ v.rw^ frr»;îr *v cvw«iîe. à mc^ns i\ui\ ne s*a^sse
VOYAGE D'EL *AÏACHi: Uï
'Ali, que JB trouvai sur la terrasse de sa maison, laquelle
a vue sur la route. Il ne descendit pas, et se contenta
de nous lire une fatk'a , du haut de sa demeiu^e , tandi»
que nous stationnions siu* le chemin. En io65 (i6ô4'
de J. C), jele vis chez lui; déjà il avait pris l'habitude
de ne jamais sortir. Il s'occupait à fair^ des vêtements
de laine, et ne vivait que du produit du travail de ses
mains. Il nous donna de ses nouvelles , de celles de son
père, et de toute la ville, qu'il connaissait et dont il:
était connu. Ce saint homme a vu le prophète en songe,-
et l'envoyé de Dieu lui a dit que ceux qui viendront le
visiter (Bou-'Ali) n'iront pas en enfer.
Nous partîmes donc de Biskra , capitale du pays de
Zâh, dans la matinée du jeudi. Nous cheminâmes, en
grande partie, &• pied ^ dah^ la crainte des Oulâd-Nâc'er,'
dont on nous avait fort efirayés. Les Caravanes se joi-
gnirent après 1 endroit où Ton traverse lasakm^ « canal, »'
et elles marchèrent ensemble: Nous traversâmes le bourgs
deMelîlî ( JuaJU) au d'ohor, puis là zaouïa de Sid-ech-
Chéikh^Abd-er-RalVmân^l-Akhd'ari {^j ^ ^ VI ib^lj,),
que nous visitâmes, et dans la mesdjid duquel nous
fîmes nos prières. El-Akhdari possédait à la fois la
science divine, celle de$ légistes et des marabouts. Il est
auteur d'un ouvrage trèis-célèbre , lequel est im poëme
sur la logique , connu sous le nom de Sellem-el^Morou-
naV; il a composé aussi ime pièce de poésie sur la vie
spirituelle, ou soulouk, dans le genre d'El-Mabahit-el-
Ouslîa, et une mok'adema, ou préface sur le droit,
' La sak'îa appelée Onmach.
142 VOYAGE D'EL'AÎACHI.
ouvrage qui jouit d'une grande réputation dans le pays^
C'est, m'a-t-on dit, El-Akhd'ari qui a fait connaître
le tombeau attribué, dans le pays de Zâb, au prophète
de Dieu, Klîàled-ben-Senân, monument qui est devenu,
depuis cette époque , l'objet d'un pèlerinage imiversel.
Maintenant les caravanes s'y succèdent sans cesse de
toutes les parties de FAfrik'ïa, et il n'est personne qui
ne le connaisse, les fous comme les sages, les campa-
gnards comme les citadins. On y voit une belle mesdjid,
auprès de laquelle est une medreça, ou collège. Les
gens fervents viennent en foule prier auprès de ce tom-
beau miraculeux. J'ai pris, auprès des personnes ins-
truites, des renseignements sur les vertus qu'on lui at-
tribue , et leurs réponses ne m'ont pas satisfait. Je n'ai
rien tix)uvé , à ce sujet, dans les histoires générales ou
particuHoi^es; cependant j'ai entendu dire à quelques-
iuu\s que Sid-\\bd-er-Rah'màn-el-Akhd'ari assurait avoir
vu , pendant tix)is joiurs , ime lumière qui , partant de
ce tombeau, sêlevait jusqu'au ciel, et qu'à ce signe il
avait reconnu que khàled était réellement prophète'.
Si, en otVot. EUAkhdari a dit avoir mi cette lumière,
connue c'est un marabout, il doit avoir vu; j'abandon-
nerai donc ce sujet, tout en répétant que je n'ai rien
tienne dans les Hmvs qui y soit relatif. Au reste , j'ai vu
* Yo\ e< » jSMir lo«< ce5 iMn mp» , les notes qui accompagnent le texte
du \o\Aa:x* \ic MouU- \h iiuxi. p'us loin.
* I O'k ):x u^ «W t^;^krA« en {vinAnt de ce marabout , disent toujoon
t^ ^^h k\y,nyÀ Je jM\^pho;e KhAlc^i , ce qxii Ehît beaucoup rire les Al-
K^^nen^. leMiucU iv^riAcv'nt » a ce: «Yarvi, t'inrrvduîite d*EI-'Aiachi.
* « < % »
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 143
dans rOrient beaucoup de mecheh'ed^ citées comme
tombeaux de prophètes ou simplement d'amis de Dieu ,
lesquels passaient pour tels aux yeux des marabouts,
hommes sincères, et que nous visitions en bonne foi et
conscience , sur le témoignage de ceux qui affirment le
fait. C'est ainsi que le tombeau de notre seigneur Moïse ,
qui e^t dans la terre sainte, a été longtemps inconnu,
jusqu'à ce qu'un marabout le découvrit après l'année
600 (i2o3 de J. C), ou environ. Il est maintenant un
des principaux lieux de pèlerinage , et des plus célèbres.
Selon une tradition, Khàled était arabe et avait été
envoyé par Dieu, après J. C. et avant Mahomet, dans
l'H'edjâz. Il y finit ses jours et ordonna à ses enfants, au
lit de mort, de i'exhumer après une année accomplie,
et de lui demander ce qu'il voulait, ajoutant à cela
d'autres prescriptions. Si cela est ainsi, comment est-il
venu de l'H'edjâz dans le Zâb? D'après une autre tradi-
tion, il n'a jamais été enterré, et, lorsqu'il mourut, on le
plaça sur une chamelle qui l'emporta on ne sait où. Si
le fait est exact, il se peut que l'animal en question l'ait
porté jusqu'au lieu où l'on voit aujourd'hui son tom-
beau; cela est cependant extraordinaire.
Dans tout ceci , l'opinion qu'il me parait raisonnable
d'admettre , est celle de mon maître Abou-Beker-ben-
loucef-et-Tedjani. Quand je l'ai questionné à cet égard,
lorsque nous passâmes ensemble dans ce pays en 1060
(16^9 de J. C), il me dit : « Khâled n'est pas prophète,
' Pierres tumulaires, ainsi appelées parce que sur l'une d*elles on
lit le chahad, ou profession de foi.
144 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
mais je crois qu'il a pu être im des trois compagnons de
J. C. dont il est question dans le K'oran, et dont un, dit
le livre sacré/s'appelle Khâled et était le prophète du
puits maçonné^; or, les commentateurs du K oran disent
que le Zâb est Iç pays des genis du puits maçonné.
C'est dans Tannée 24o (854 de J: G.) que ce tomr
beau fut connu.
Après avoir passé par la zaouïa d'El-Akhd'ari , nous
allâmes coucher dans une petite ville qu^ôn appelle
Loua (v^).
Vendredi, 7 ramad'ân (26 mars).
*
Nous nous remîmes en route le lendemain, en mar-
chant en toute hâte et remplis de crainte. Nous fîmes
halte au d'ohor, dans un endroit appelé Ed-Doulça
^#M^^oJl\ enU^ lequel et Oïdàd-Djelâl (J^lr^ 0^3! ), il
y a environ un fersekh '4 milles). Nous sûmes là que
* r^^ c^l^ oxi. On lit dans le K'amous (manuscrit de la bî<>
UUv'lh^)uo d'\lg\*r» n* ix^:^ : V. J.j, puits maçonné avec des pierres.
l'\\xt un puits qui »ip|>arienAil à une |K)rtîon de la tribu de Tsamoud,
\Uui K\pu'l iU jt*tor\MU leur prophète, après lavoir traité de menteur.
l.'luxlxM ion Vlvu olF^riidj dit que cette tribu, une des plusandennes
vio^ Vu^lvx vUu^VArAlni^lVtrw, a péri: et le K'oran 'chapitre Wraf)
i\*v>^uU^ \pu* K* pivphoîe S À* Ah* leur axant ete envové par Dieu, ils
\l\^i^^AmU**v«t u« uxirjK îe jxnir pnfu^e de sa mission. Le saint homme
\\\ w^kUk \{ uuc ï\sS*v qxii sVnîrVnnrit a saTotx, une chameOe vivante ,
>^v\^ uut K%> uu (vu1a:u uuuvcvIUteuient ; mais ces gens ne se rendirent
j^* js^u \v\^ > iU vv<;ivrynt K>«. qiutnp janih<^ à la chamelle et insui-
lVu% K^ut s>^4i. %i iii^a KNji< <i|*.>p<it-^n de KhAled, ni du pays de
'U^
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 145
■
les Arabes se disposaient à attaquer la caravane, et que
leiur troupe comptait trois cents chevaux. Us avaient
quitté leur canton pour venir ^e placer au-dessus de
rOuad-Sid-Khâled ( jJU. 4X.a^ ^1^), sur le bord du che-
min. Leur intention était, lorsque la caravane serait ar-
rivée au milieu d^eux, de se lancer tous sur nous, la
tribu entière, hommes, femmes et enfants. Les gens
du pays nous apprirent que les misérables qui médi-
taient cette attaque étaient mourants de faim , et ils nous
assurèrent que nous n en viendrions pas à bout, dus-
sions-nous les tuer presque tous , tant la faim les avait
poussés au désespoir. Ils nous conseillèrent de les dé-
router en prenant un autre chemin; et, pour nous faci-
liter les moyens de le faire, ils nous envoyèrent un
guide qui connaissait la contrée.
La peiu* qui toiumentait les pèlerins s^accrut à cette
nouvelle. La plupart voulaient retourner sur leiu*s pas,
et s*en aller par le Belâd-Rir ^ ; ceux qui étaient de cet
avis vinrent me parler pour me le faire adopter, mais
je refusai de me joindre à eux. Il me semblait dur de
retourner en arrière , d'allonger le voyage en allant par
cette route, et de cheminer dans le S'ah'ra, où les
gens faibles ne peuvent marcher. Je leur dis que si
leur opinion prévalait, une fois arrivé à Rir, j'y reste-
rais, et que les gens faibles y resteraient avec moi. Je
les exhortai de telle sorte et fis si bien , qu'ils changèrent
d'avis. Alors nous prîmes sur la droite , par le chemin
' L*Ouad-Rir', dont Tougourt est la capitale. Voyez la première
partie du Yoyage d'El-*Âiachi.
19
146 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
du D'ahra (t^^lâJl), et, arrivés dans cet endroit, nous
évitâmes Tennemi qui nous attendait.
Samedi , 8 ramad'ân (27 mars).
Nous partîmes au milieu de la nuit, lorsque la lime
allait se coucher, et nous voyageâmes jusqu^au jour,
sur un terrain rude, au milieu de l'obscurité et agités
par la crainte. Nous faisions cheminer les chameaux
doucement, pour qu'on n'entendît pas le bruit de leurs
pas. Le jour vint, et nous nous trouvâmes sur un che-
min facile. Il y avait alors entre nous et la montagne
plus d\m berid ^ Le guide nous avertit que ce lieu
n'était pas siir, à ce qu'il lui semblait, et la caravane hâta
le pas jusqu'à ce que nous entrâmes dans le défilé de
la montagne qu'on appelle Khouzat-el-Botom ['^jj -
^,uJ\j^ Dans le Djebel-el-Khouzat, il y a beaucoup de
défilés, et El-Khouzat, dans la langue du pays, se dit
do tout chemin qui traverse la montagne.
Nous entrâmes donc dans le défilé, et nous mimes
U montagne entre nous et les nouveaux ennemis dont
lo g\ùde nous avait effrayés. Alors la peur commença
À %ilKindonner la pluprt des pèlerins; au reste, nous
iTUContrÀmos dans ce lieu de pauvres Arabes qui étaient
on cr^unto connue nous. Nous trouvâmes chez eux du
bounv vdo . dont on acheta un peu. Nous passâmes la
mut Aupivs do ot\^ p^»^-
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 147
Dimanche, g ramad'ân (a8 mars).
Le lendemain, nous partimes et inclinâmes sur la
droite, par im terrain rude, difficile, où nous mar-
châmes jusque près du morreb.
Lundi, lo ramad'ân (29 mars).
Le lendemain, nous arrivâmes, au d'ohor, vers El-
Djerf (oyti), où il y a de l'eau douce en abondance,
entre deux montagnes. Nous nous y arrêtâmes, et là
nous cessâmes de rien craindre des Arabes. Le guide,
qui était un homme des Oulâd-Djelâl, retourna alors
chez lui.
Le bourg des Oulâd-Djelâl est un des plus grands du
Zâb; il a une mosquée (j^W*)» un collège (iU^J^),
pour les tVlba , qu'on appelle el-mouhadjerin « les ambu-
lants, » ou el-r oaraba « les étrangers. » Ceux-ci sont nom-
breux et pourraient dominer; cependant ils restent tou-
joiu^s neutres dans les querelles que les Arabes ont entre
eux; car ils dédaignent toute puissance temporelle. De
là les gens du pays appellent mouhadjerin tous ceux
qui évitent de se mêler dans les guerres locales, par
comparaison avec ces t'o'lba.
Quand nous arrivâmes à El-Djerf , la jument que je
montais était malade; elle avait été blessée d'un coup
de lance le jorn* que nous étions partis de chez les Oulâd-
Djelâl, et je ne m'en étais pas aperçu.
148 VOYAGE D'EL'AÎACHI.
Mardi, ii ramad'ân (3omars).
Nous partîmes le lendemain, par mi temps très-froid,
semblable à celui que nous avions éprouvé la veille.
Nous arrivâmes à 'Abd-el-Medjid ( ^Xjkapi! Ju^) au d oh a ,
et nous nous y arrêtâmes.
Mercredi, 12 ramad'ân (3i mars).
Le lendemain, nous mîmes pied à terre, au d'ohor,
avant El-Aouïna (iujyJI). Là mourut un de mes amis
de Filala (Tafilêlt) , un des enfants de Timâm des gens
de Sedjelmâça. Il succomba à la peste. Que Dieu lui
soit miséricordieux 1 Le défunt avait Thabitude de tou-
jours réciter ces vers :
Nous y demeurions, de nuit, en paix,
Et, de joiu*, à la joie de ceux qui nous voyaient;
Mais le sort nous en a chassés.
Nous lavons abandonné à d autres qui sont venus.
C'étaient les vers que récitait un prince de la dy-
nastie des Benou-Zïân, en quittant Tlemsên *. Notre
ami, en les répétant, comparait la sortie de la vie au
départ de ce prince.
Jeudi, i3 ramad'ân ( 1" avril).
Le lendemain , nous allâmes à El-' Aouîna , au d'oh'a ,
' Cette dynastie régnait k Tlemsén au commencement du xvi* siècle
de notre ère, lorsque les Turcs s*établirent dans rAlgérie.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 149
puis, nous tournâmes, vers Demer ( y^), à gauche, et
nous y couchâmes.
Vendredi , i à ramad'ân ( a avril ) .
Le lendemain, nous nous mîmes en marche, au
dWa, par les Oulâd-Sidi-Makhlouf (o^ ^Osx^ :^^^l),
qui sont des chorfa très-pauvres. Ma jiunent resta dans
cet endroit. N'ayant plus d'espoir de la guérir, j'en fis
cadeau à ces gens , qui me dirent que , s'ils ne réussis-
saient pas à lui rendre la santé , ils la tueraient pour la
manger. J'ai su depuis , par des pèlerins , que cette der-
nière hypothèse s'était, en effet, réalisée.
Ce jour la caravane se divisa; il y eut une querelle
animée parce qu'on voulut bivaquer dans un endroit
dépoiuTu d'eau. Or, nous n'en avions pas, et presque
tout le monde avait jeûné. Four en finir, je commen-
çai à marcher et on me suivit. Je ne m'arrêtai qu'au
morreb, à El-Feldja (icJaJl).
Samedi, i5 ramad'ân (3 avril).
Le lendemain , quand nous partîmes , il était près du
d'ohor. Nous allâmes jusqu'auprès d'El- Aouïna (ius?yJl)\
qui est dans les environs d'Ël-Ar'ouât'.
Dimanche, 16 ramad'ân (4 avril).
Nous traversâmes El- Aouïna au d'oh'a, et nous al-
lâmes à El-Ax'ouât' (y^^^l), où nous arrivâmes avant
* El-* Aouîna est un diminutif de 'a!n , qui signifie « source , fontaine ; >
il n*est pas étonnant que ce nom se reproduise sur plusieurs points.
150 VOYAGE D'EL-'AÏACHL
le d'ohor, le dimanche, 16 ramad'ân. Il y avait dans
la caravane de ces Arabes appelés Souat, nom que Ton
donne à ceux qui, à Tépoque delà moisson, recueillent,
pour le beylik, les gerbes dVchour. Ces gens étaient
de Demer; ils dirent aux habitants d'El-Ar'ouât' de ne
pas nous laisser entrer en ville , parce que la peste était
parmi nous; et en effet, pas un d'entre nous n'y put pé-
nétrer. Nous trouvâmes beaucoup de fruits, blé, etc.
dans ce pays. Le blé était au prix d'un rïal les deux
îoum de Fâs (Fés). Il ne vint personne de la ville au
bivac de la caravane. On jetait le blé que nous ache-
tions du haut des murailles, et on lavait Taisent que
nous donnions. On ne prenait rien de nos mains sans
lui faire subir cette purification.
Lundi, 17 ramad'ân (5 avril).
Le lundi , 1 7 ramad'ân , nous partîmes d'El-Ar'ouât'.
Après avoir discuté sur le chemin à suivre, une partie
de la caravane prit la route d'Aîn-el-Mâd'i ((5^Ui (^yé^)*
J'avais envie d'aller avec cette firaction, pour vendre
des li\Tes dans cette ville et y visiter mes amis; mais
Dieu en disposa autrement. Une autre partie, et la plus
grande, se dirigea sur la gauche, parce que cette route
est pKis courte, plus facile, plus abondante en pâtu-
rages, d'après ce que nous dirent les gens du pays«
(|ui nous la vantèrent beaucoup.
I^a pi^mière fraction de la caravane partit avant
nous ; nous la suivîmes de près , et nous arrivâmes à
iVau qui est en bas, entre deux montagnes.
VOYAGE D'EL'AÎACHL 151
Nous y trouvâmes ceux qui nous avaient devancés
occupés à creuser des puits, car ils étaient arrivés là
sans eau. Quant à nous, nous en étions pourvus. Vers
le d'ohor, il tonna , éclaira , et plut en abondance , ce
qui, avec le froid quil faisait, nous empêcha de mar-
cher. Les averses se succédaient sans interruption. Nous
nous arrêtâmes donc, et, pendant toute la journée et la
nuit , la pluie ne cessa de tomber.
Mardi , 1 8 ramad'ân ( 6 avril ] .
Enfin nous partîmes; le d'oh'a arriva, et la terre
conunença à s^échauffer; mais alors les scorpions sor-
tirent et le sol en était couvert, de telle sorte que, de
quelque côté que la vue se portât, on n'apercevait que
ces animaux. Les gens de la caravane se mirent à les
détruire; quelques-uns en tuèrent plus de cent. Ce phé-
nomène nous parut fort extraordinaire. Le massacre des
scorpions dura jusqu'à la couchée. Des personnes pré-
tendirent qu'ils étaient tombés avec la pluie , de même
qu'il arrive que des crapauds tombent en pareil cas.
Dieu sait la vérité.
Nous établîmes notre bivac poiu* la couchée, et la
pluie ne cessa pas de toute la nuit.
Mercredi , i g ramad'ân ( 7 avril ) .
Nous nous remîmes en route le lendemain , et nous
trouvâmes l'Ouad-Mouçâ'ïd (j<*Ub* ^^^l^) débordé, et
le fond de cette rivière rempli de vase. Nous ne la tra-
versâmes qu'à grand' peine. Nous marchâmes le reste
152 VOYAGE D'EL-'AÎACHI.
de cette journée; nous arrivâmes sur une h'ammada'
qui est de ce côté, par un vent froid, et nous y biva-
quâmes ; toute la nuit la pluie tomba.
Jeudi, ao ramad'ân (8 avril).
Le lendemain matin, il n^avait pas cessé de pleu-
voir, et nous séjournâmes. L'étoile appelée Ets-Tsourïa
se levait alors. Un de mes amis fit des vers à ce sujet,
vers sur lesquels je composai une réponse rimée.
Un de mes voisins, du pays de Marrakcfa (Maroc),
s'éloigna du bivac pour aller chercher ses chameaux,
qu'il disait s'être échappés ; mais il ne put retrouver le
campement de la caravane , parce que ce pays est uni
et oSre partout le même aspect à l'œil.
Vendredi, 31 ramad'ân (9 avril).
Le lendemain, les pèlerins allèrent à la recherche
de cet homme ; le guide le trouva qui marchait au
hasard. Il croyait aller dans la direction de l'Ouest,
tandis que, lorsqu'on le rencontra, il suivait celle de
l'Est. Le guide le ramena à la caravane. Alors nous
partîmes et nous marchâmes lentement, les chameaux
étant très-fatigués et exténués ^par le froid et la pluie.
Nous traversâmes l'Ouad-çl-Aïchour [jyS^^\ 5I3) dans
la partie inférieiu^e de son cours. Il était alors rempli
d'eau. Nous bivaquâmes auprès.
' Nom que Ton donne à un terrain sec et un peu élevé , par oppo-
sition au sol marécageux et bas.
VOYAGE D'EL AÏACHI. 153
Samedi, a a ramad'ân (lo avril ).
Le lendemain , au s'bah\ nous arrivâmes à un bourg
appelé El-Mâîa (i^Ut). Il ny avait là que deux ou trois
honunes à moitié morts de faim et de faiblesse; ils se
disaient chorfa. La caravane ne trouva à achetei* dans
cet endroit que du sel, pour lequel on donna du kous-
kouçou. Dieu avait fait la grâce à ces infortunés qu^ime
caravane, passée avant la nôtre, avait séjourné un jour
chez eux à cause de la pluie, et y avait perdu trois
chameaux, dont la chair les avait fait vivre pendant
quelque temps.
En cet endroit, nous eûmes des nouvelles des Arabes;
noussûmesqu'une troupe de gens de M oulaî-Moh anmied
(que Dieu lui soit miséricordieux!) avait fait une r'azïa
sur une partie des Arabes d'El-Akârâkra [ iijS\j}f^\ ) ;
nous apprîmes aussi qnii était tombé récenunent une
pluie extraordinaire.
Dimanche, lundi, a3, a4 ramad'ân ( 1 1 et i a avril ).
Après avoir traversé le canton d'El-Mâïda ( il Jv^I)
en deux jours, nous tournâmes à droite, et nous pas-
sâmes la montagne au tenïa « col » fort difficile que Ton
y trouve. Le guide nous dit qu'au delà de ce col nous
nous retrouverions sur le chemin habituel; mais il ar^
riva qu il nous avait conduits dans des ravins imprati-
cables, et dans des endroits où les chameaux ne pou-
vaient passer. Les gens de la caravane commencèrent
à s^inquiéter, et cela au moment où la majeure partie
20
15/1 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
des obstacles était surmontée. Les uns disaient, «Re-
tournons sur nos pas pour réprendre Tancien chemin; •
les autres : « Couchons ici jusqu'à ce que nous ayons
avisé. » En somme, on s'arrêta avant Tac'er. Le guide
et le chef de la caravane (cheikh er-rekeb) allèrent en
reconnaissance pour s'informer de la route ; ils ne re-
vinrent qu'aux approches de la nuit.
Mardi, a 5 ramad'ân ( i3 avril).
Le lendemain, nous eûmes encore une portion de
terrain difficile, et nous n'arrivâmes en plaine que
vers le d ohor. Nous passâmes par un bourg sans habi-
tants , qui était dans un des ravins que nous traversâmes.
Los maisons y sont élevées, solides; les arbres nom-
breux , et on aurait dit que la population l'avait aban-
donné la veille. Nous demandâmes à quelques Arabes
dos environs la cause de ce fait étrange, et ils nous
diront quo quelquefois, dans l'hiver, le bourg en ques-
tion olait habité j>ar de pauvres gens.
J\ù oublié de rapporter que lorsque nous nous étions
ti^tMnos connue emprisonnés dans ce labyrinthe de ra-
xiuvN» Ion ^ons do la caravane, qui ne connaissaient pas
lo> ohonuus, s\Maiont imaginé que nous n'en pour-
n\M\> i.unaiN sortir.
Totto luut , nous allâmes coucher au-dessous de
W ^\\m\ 00 U h1\VuI , J,^h-*Iï ^V * ^^''^ nous trouvâmes beau-
ooup %lo jvUuiMjivs, c<* qtii, joint au plaisir d'être dé-
\^M \\\'^y\'>^ dos nuuxAis chemins, causa une grande joie k
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 155
Mercredi, a 6 ramad'ân ( i4 avril).
Le lendemain, nous nous trouvâmes sur le chemin
habituel des caravanes ; ce fut encore un sujet de réjouis-
sance pour tout le monde. Nous arrivâmes au bourg qu'on
appelle El-Akâkra (»^lf^l)\ où toutes les provisions
de bouche étaient à bon marché. La veille, des cavaliers
d'El-'Eumour {jy^\) avaient fait une excursion chez
eux, et avaient enlevé les bestiaux échappés à la r azïa
des Arabes de M oulaï-Moh ammed , prince de Tafilêlt,
par qui ils avaient déjà été pillés, ainsi quon Ta dit
précédemment. Nous fîmes, en cet endroit, notre pro-
vision d'eau , après quoi nous traversâmes le canton et
nous ne nous arrêtâmes pour coucher que dans un lieu
où l'on dit qu'est mort le cheikh 'Abd-el-K'âder-ebn-
Abou-Smah a. C'est un endroit de pèlerinage.
Jeudi, 27 ramad'ân (i5 avril).
Le lendemain, nous rencontrâmes en route des
Arabes d'El-Ar ouât'-el-R'arbïa ( iUfjil] tl^^^l ) ^ qui
marchaient devant nous avec précipitation , fuyant les
'Eumom*. Us s'arrêtèrent auprès des bourgs de Rouba
( ly ) , et nous fîmes comme eux. C'était alors l'heure
du d ohor. Il y a beaucoup de beurre salé en cet en-
* Un peu plus haut, El-*A!achi appelle cet endroit El-Akârâkra.
' Je ne sais si El-*Aiachi veut dire ici que ces Arabes étaient de la
partie occidentale du canton d*£l-Ar'ouât', ou 8*il entend désigner
une des deux tribus qui forment la population de la ville d*El-Ar'ouàt',
lesquels habitent des quartiers séparés par une muraille.
156 VOYAGE D'EL'AÏACHI.
droit; l'es gens de la caravane en achetèrent. Les cha-
meaux y sont rares.
Depuis notre sortie d^El-Ar'ouât', les pèlerins avaient
beaucoup souffert de la faim , parce qu ils s^étaient ima-
giné que nous parcourrions en cinq jours la distance
qu il y a entre cette ville et le lieu où nous nous trou-
vions, et avaient fait leurs provisions en conséquence,
tandis que nous y employâmes plus de dix jours.
Pendant notre passage à Rouba, forge monta à un
rïal le sa'a , et le prix de la farine s^éleva beaucoup plus
haut. Je laissai une chamelle dans cet endroit, celle qui
portait mes vivres : je la vendis trois rïal.
Vendredi, a 8 ramad'ân (i6 avril).
Le lendemain, au s'bah', nous traversâmes les vil-
lages de Houba.
Samedi, ag ramad*ân ( 17 avril ).
Le lendemain^ nous campâmes i Senir oun ((j^yW^) .
«u mor'reb* Nous v trou\^mes tout k meilleur marché
que dans aucune de^ localités que nous avions tra-
vei^èes»
Dimanche , 3o ramad an . 1 8 arril ).
Nous sojouniAmes le dernier jour de ramad'ân, le
diuuinche. IV U les {vlerîns firent partir des messa-
gxM^ >\M> leurs jvix's. MArrAioh, Meknàça, Fàz (Fés),
*rAliU'h. J'onwn^ii axée eu\ un de mes amis« porteur de
leUivv tiVN^NMuies jvnir mes frères.
VOYAGE D'EL-'AÏACHl. 157
Lundi , 1 *' chaouâl ( 1 9 avril ) .
Les messagers partirent au sl)ah', le jour de ra'îd,
avant le lever du soleil. Quant à nous, nous sortîmes
plus tard avec les gens de la ville , lorsqu'ils allèrent à
la meç alla. Cest xme coutume générale , chez ces gens ,
de ne sortir jamais sans être armés. Ils s'exercèrent à
abattre, à coups de fusil des juerres qu'ils avaient
dressées dans la meçalla. Quant aux oraisons dites
deher \ peu s'en occupent, la majeure partie s'amusant
à tirer à la cible. Ce n'est qu'au s'ela, ou prière obliga-
toire , quand on fait la khotl)a « sermon, » que l'attention
devient générale.
Au retour de la meç'alla, nous partîmes ce jour
même. J'achetai im âne quatre rïal, afin d'avoir une
monture , car j'étais exténué d'avoir marché à pied. Le
prince de la caravane ( émir er-rekeb ) loua un homme
des Oulâd-Sidi-Selîmân {^jl^ ^Jyu- ^^3!), Ebn-Abou-
Smah'a , qui dirigea les pèlerins sur la gauche , jusqu'à
la sortie de Figuîg {^jt). C'était une personne habile,
intelligente , et qui connaissait bien les chemins : il nous
mena par ime route facile , abondant en pâturages.
Mardi, a chaouâl (ao avril).
Le mardi, nous descendîmes à Ouâd-en-Nâmous
(^^Ut ^t^). C'est une grande rivière dont les bords
sont garnis d'arbres. En traversant ces lieux, on est
* On a déjà vu que deker est une prière surérogatoire qui se fait
sans rika, tout en parlant, tandis que s'da est la prière obligatoire.
158 VOYAGE D'EL'AÎACHI.
charmé de Tombrage qu^on y trouve et de la beauté des
pâturages , qui suffiraient à plusieurs nedjou « tribus
nomades. » A la source de cette rivière, sur le sommet
de la montagne d'où Teau sort pour se rendre au S ah ra,
il y a un bourg, appelé Sendâna (ajI«xjum), dont la popu-
lation se compose de gens des différents cantons qui
Tentourent. Le chef actuel, Sid-Moh anuned-ben-Selîmàn,
est mon ami. Cest un homme sans reproches; il a été
élève de mon père (que Dieu lui soit miséricordieux!).
Mercredi, jeudi, 3 et 4 chaouâl (ai, aa avril ).
Je lui envoyai im message pour qu'il vînt me voir ;
mais mon envoyé ne le trouva pas, et son frère seul vint
me visiter dans la nuit, lorsque nous étions campés à
Ouad-ed-Edbla (iU<ôJl ^^^l^).
Vendredi, samedi, 5 et 6 chaouâl (a3, a& avril).*
Ia^ lendemain, nous arrivâmes à Figuig (^^')i cinq
joules tipros notre départ de Bou-Semr oun. Lorsque nous
outrAmos dans le chemin de Temzour't (<i*i;^), le ven-
divdi, au d'ohor, nous trouvâmes des courriers de Mar-
rakoh ol do Moknâ<;a , qui nous donnèrent des nouvelles
tlo rt)uost. Nous sûmes par eux que nos messagers
;i\ aient pris la route dWnouàl (J'y')-
Nous sojiumKimos i Figiu'g le dimanche, et chacun
\ lit SCS pi\>Nisions, Je nnicontrai là un des légistes delà
* l\stv jvArlio du nxnt dTJ-\Vi*chi cs4 un peu confuse. Avec de
TaMoiXuvu, tM\ xxMt ix'^xMKijinl que le %-cndrpdi il eUit dans le chemin
<lo l\^\\vxxui i s ^ *^^ï^ prv^Wtmx'nl il entra à Figuig le samedi.
VOYAGE D'EL-'AÏACHI. 159
ville , mon ami Sid-Ah'med-ben-Abou-Bekei^ech-Cherif,
des Beni-S'ekkoun-bil-Tsimâm (pl^L ^^^ 4^), homme
intelligent; il était avec les t'o'lba de Figuîg. Notre
entrevue fut agréable. Il était lié avec mon père, Sid-
Moh'ammed-ben-Nâc'er. Je ne vis personne des Oulâd-
Sid-Abd-el-Djebbâr (jU4 *>*Aft ô^^l), si ce nest un
aveugle, nommé Sid-Abd-el-K'âder, espèce de vaga-
bond qui ne s^occupe guère de sa famille , insouciance
qui provient peut-être de ce qu'il est en état de sain-
teté. Je demandai à examiner la bibliothèque de Figuig,
mais je ne pus y réussir, celui qui en avait les clefs
étant absent. Sid-Ahmed-ben-Abou-Beker me montra
un ouvrage qu'il avait composé : c'était la vie des quatre
premiers khalifes. Je lui demandai les livres intitulés
Tis^sireUOas's^oul'ila'Djâma'el'Oass^oal, par le cheikh
'Abd-er-Rah mân-er-Rabïa', lequel est de la famille de
mon maître Abou-H'acen-er-Rabïa'. Cet ouvrage est d'un
grand prix ; il renferme six livres de traditions écrites
d'un style facile et clair, et il rappelle, par sa forme,
TAkht aç âr de M obârazi , lequel est appelé El-Moudjta-
ba , quoiqu'il le surpasse sous plusieurs rapports. On y
trouve des traditions qui remontent jusqu'à moi, par
l'intermédiaire d'Abou-el-H'acen mon maître. Ce livre,
réellement précieux, est rare partout, principalement
dans le Mor reb. Il était parvenu entre les mains de Sid-
Ah'med , par Sid-Moh'ammed-ben-Isma'ïl-el-Mesnâoui ,
lorsque ce dernier vint dans son pays. Sid-Moh'ammed
en avait deux copies; il en donna ime à mon ami, et
j'ai vu l'autre à Médine , dans la collection des livres
160 VOYAGE D'EL-'AÎACHI.
légués à la ville sainte. C'est de cet ouvrage que Sid-Ah -
med avait extrait sa collection. Je lui montrai mes livres
intitulés EUD^ohor-el-Mena^ ce qui lui fit grand plaisir.
Son œuvre, comparée à la mienne, était conmie une
goutte d'eau à côté de la mer; je voulais copier le TisVir,
ainsi qu'une h achïa d'Abou-el-H acen ; mais je ne pus
terminer que cette dernière, l'autre m'ayant été retirée*.
Dimanche, 7 chaouâl (a5 avril).
Nous partîmes de Figuîg le dimanche 7 de chaouâl,
et comme nous chargions les chameaux, arriva mon ami
Sid-Moh ammed-ben-Selîmân-es-Sendâni, queje regrettai
beaucoup de n'avoir pas vu plus tôt; il dit qu'il allait
chercher une monture pour m'accompagner. Nous mar-
châmes toute cette joimiée , et nous allâmes coucher
près de Hella-er-Radjem (^^1 id^).
Lundi, 8 chaouâl (a6 avril ).
Nous arrivâmes, au s'bah', à l'endroit ci-dessus dé-
signé , et là nous nous séparâmes des gens de M arrâkch
* En réfléchissant au peu de temps qu*El-Aïachi a passé a Figuig,
on ne comprendrait pas qu'il eût pu tirer copie d*un ouvrage de quel-
que étendue, si Ton ne savait qu'en ce cas Tusage est de distribuer
les k'ora, ou cahiers du manuscrit, à divers scribes, qui travaillent
séparément. U n*y a pas longtemps qu'une chose de ce genre a été
faite à Alger. Oulid-'Otsman-Khodja allait emporter en Egypte des
gloses sur le commentaire que Achmouni a composé sur le poème
grammatical appelé El-Fïa, et il n'y avait pas à Alger d'autre exem-
plaire de cet ouvrage. Alors les savants de la ville se partagèrent les
cahiers du manuscrit, et la copie fut faite en deux jours.
VOYAGE D'EL'AÏACHI. 161
et de Tafilêlt , au moyen desquels j'écrivis à mon ami
El-H'adj-M oh ammed-el-Ah'mer-es-Selâoui , aux ouléma
de Marràkch et au marabout Sid-M oh'ammed-ben-Sâîd,
après quoi je partis avec les gens de Meknâça (Meqiii-
nez) et de Fâs (Fês) , au nombre de onze tentes. Nous
primes à droite du Djebel-' Antar (jUix 4>a:>-), la plus
haute montagne de cette contrée; nous passâmes, par
un chemin rude , entre deux montagnes , dont Time était
le Djebel-'Antar, celle qui se trouvait à notre gauche,
pour aller déboucher aux Toumïat (c:>LutyiJt).
Mardi, g chaouâl (27 avril).
Le lendemain, nous arrivâmes vers Moutmel (Jjty*),
avant le d'ohor, puis nous dépassâmes cet endroit et nous
nous arrêtâmes à un bourg appelé El-Menâbha (a^jUII).
Là, nous cherchâmes un de nos compagnons qui s'était
endormi au bord de la rivière. Nous l'attendîmes pendant
une heure, et lorsqu'il fut revenu à nous, nous nous
remimes en marche jusqu'à la couchée.
Mercredi , 1 o chaouâl ( 2 8 avri 1 ) .
Le lendemain, nous arrivâmes à Bou-Kâïs [tj^^ ^)
au d'oh a. La rivière qui est en cet endroit avait fort
peu d'eau, et cependant nous savions que d'ordinaire
il y en a beaucoup. Les gens du pays nous apprirent
qu'à la source de cette rivière , dans une caverne de la
montagne , il y a im réservoir dont (par la bénédiction
jie Dieu) l'eau est excellente. Ils ne savaient d'abord,
disaient-ils, ni d'où venait cette eau ni où elle allait. Ils
21
162 VOYAGE DEL'AÏACHL
avaient commencé à creuser pour la faire arriver à leur
rigole d'irrigation, et, après avoir beaucoup travaillé,
ils y avaient réussi ; mais alors , Teau de la rivière , qui
venait jusqu'à leur bassin, avait cessé de couler. Ceci leur
avait fait voir que l'eau qui alimentait la rivière était
précisément celle de la caverne , d'où il résidtait qu'ils
avaient travaillé en vain. « Mais Dieu soit loué, disaient-
ils , de ce que nous n'avons pas perdu toute notre eau. »
Au reste , ils avaient gagné , à faire cette besogne , que ,
dans la saison des pluies , l'eau venait à la fois , et par
le canal qu'ils avaient creusé et par le lit de la rivière.
Nous traversâmes Bou-Kâïs , et nous allâmes coucher
à Ouad-Zelmou (1^ 5I3).
Jeudi, 1 1 chaouâl ( 29 avril).
Le lendemain, nous atteignîmes le boui^ d'El-
H'adjeri (^^^1), que nous traversâmes vers Ouad-bou-
'Anàn (^jUft^ à!^), avant l'ac'er. L'eau de cette rivière ,
qui est fort douce , coulait alors. Nous traversâmes l'ouad
en question, et nous allâmes coucher à Lehab-el-H'ed-
jâra(»;l^t 4-^).
Vendredi, la chaouàl (3o avril ].
Le lendemain, nous arrivâmes vers El-Saheh(jL^-iJl),
au d'ohor, et nous visitâmes la k'oubba de Sid-Ben-'Abd-
er-Rah'mân ; c'est un des disciples de Sid-'Ali-ben- Abd-
Allah-el-Filali. Nous trouvâmes, dans cette ville, des
compatriotes qui nous donnèrent des nouvelles de notre
pays, dont je n'avais pu apprendre rien de positif avant
VOYAGE D'EL'AÏACHL 163
ce jour. Nous passsâmes vers Beni-bou-Denib (^ ^
uaa33 ) poiur arriver à la couchée.
Samedi, i3 chaouâl (l'mai).
Le lendemain , nous allâmes coucher à K'addouça
Dimanche, 1 4 chaouâl (s mai).
De là nous marchâmes sur Toulâl (J^y), où nous
descendîmes au d'oh'or, parce que les chameaux des
pèlerins étaient fatigués. Des chorfa qui étaient venus
dans cet endroit traitèrent la caravane. Je croyais qu on
viendrait au-devant de moi à Toulâl; mais, ne trou-
vant personne , je pensai que ceux que j'attendais avaient
suivi un autre chemin. Renvoyai donc un autre mes-
sager.
Lundi, i5 chaouâl (3 mai).
Le lendemain, nous arrivâmes à Tekouïm (^;^y3),
au d'ohor; nous le dépassâmes pour aller à la couchée.
Mardi, i6 chaouâl (à mai).
Le lendemain, nous sortîmes de Foum-et-T'ifel [^
JkjJeJI). Ce joiur-là je rencontrai mes frères, qui pas-
sèrent la nuit avec moi et avec des pèlerins de mes
amis.
Mercredi, 17 chaouâl (5 mai).
Le lendemain, je me séparai des pèlerins. Nous leur
lO^J VOYAGE D'EL-'AÎACHI.
donnûmes^quelquun pour les diriger vers Atat' (UILI).
Enfin, j'arrivai dans mon pays le mercredi 17 de
cliaouâl de Tannée 107^ (i663 de J. C).
Kl-'Aïachi termine son voyage par des actions de
grâces.
Le copiste ajoute cette note au manuscrit de l'auteur :
« Fin du li\Te intitulé, Er-Rah!la (le voyage), par le
légiste, rimàm, l'habile, l'intelligent, l'ami de Dieu, le
pieux Sid-'Abd-Allah-ebn-Abou-Beker-el-'Aïachi. Ce
livix* a été achevé de copier dans la soirée du mer-
credi i\ chaouàl 1 i36 1776). •
M\ m \O^A(.E D'hL-'ViVCHI.
VOYAGE
DE MOULA-AH'MED.
VOYAGE
DE MOULA-AHMED,
DEPUIS LA ZAOUlA EN-NAS'RIA JUSQU'A TRIPOLI
ET RETOUR,
DO 31 JUILLET I709 AD I7 OCTOBRE I7IO.
Le cheikh , Timâin , Fhahile, le savant Âhou-el- Ahhas-
Moula -Âh med-hen - el - K'ot'ob-el-Kâmel- Sid-Moh am-
med-ben-Nâc'er, connu sous le nom d^£l-M or'erbi , a dit :
En 1 1 1 9 ( 1 707 de J. C), par Teffet d'une inspira-
tion irrésistible, j'éprouvai un violent désir de réjouir
ia pupille de mes yeux par la vue des deux villes sacrées.
J'eus recours à l'épreuve de l'istikhara ^ et je suppliai
le prophète de m'envoyer un augure , conformément à
ce qui m'était nécessaire et devait m'être profitable.
Puis, je m'empressai de réunir le bagage et les cha-
meaux dont j'avais besoin ; et , quand vint le moment
du départ, tout se trouva prêt pour le voyage. Je quit-
' Quand un musulman veut entreprendre quelque chose d*impor-
tant , il prie avant de 8*endormir, et il doit voir en songe ce qu'il a à
faire. Cette pratique s'appelle istikhara.
168 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
tai mon pays^ avec une grande quantité de mes parents
ou de mes amis , venus de tous côtés pour aller en pèle-
rinage au lieu noble, seul objet de mes pensées.
Nous arrivâmes à Sedjelmâça (iU4c^), où nous nous
reposâmes un peu ; après quoi , nous étant munis de
toutes les choses qui pouvaient nous être nécessaires,
nous résolûmes de quitter cette ville. Mais il survint un
obstacle à la continuation de mon voyage. Le sultan
d^alors, Moulaï-Ism'aïl, me fit connaître par lettre qu'il
voulait que j'allasse le trouver, afin de prendre congé
de lui. Cette circonstance me contraria beaucoup, car
je désirais conunencer le plus tôt possible l'entreprise
|K)ur laquelle j'étais parti de chez moi, et je gémissais
de me voir arrêté au début, soit que le souverain me
fît appeler par un motif réel d'amitié, soit parce qu'il
voulait se moqiier de moi. Cependant mes amis furent
d'opinion qu il fallait exécuter l'ordre, et ils me dirent
qu*ils iraient tous avec moi. Nous prîmes donc la route
de Tà/a ^*y^\ avec la caravane de Fês.
Ce n était pas mon avis, et j'eus recours à l'istikhara,
qui m\ipprit que je devais aller auprès du sultan, mais
avec peu de monde. Je laissai, en conséquence, les gens
de la caravane, les<]uels, du reste, s'étaient divisés sur
cette aflaliT. /arrivai à la résidence du prince sept jours
après avoir quitté Sedjelmâça.
Je fis halte au tombeau de Sidi-'Abd-er-Rah màn-el-
Modjiloub. par un ordi^ de Moulaï-Ism'aïl. Je restai là
plusieui^ joui^ dans fattente, sans pçuvoir être admis
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 169
en présence de l'empereur. Las courriers c[u*il m'en-
voyait ne faisaient qu'aller et venir. Us me répétaient •
que, cette année, personne n'irait en pèlerinage, le
sultan ayant jugé convenable que le pèlerinage n'eût
pas lien. Peut-être le sultan avait-il raison ; mais moi ,
qui n'entrais point dans ses motifs, je n'étais pas de
cet avis.
Un employé du gouvernement, qui devait faire partie
de notre caravane, arriva alors. J'allai au-devant de
lui et le rencontrai dans la galerie de la mesdjid. Il m'ex-
pliqua que la prohibition faite par le sidtan était dans
l'intérêt général, car, le pays n'étant pas tranquille, il
valait mieux que tant de gens considérables, au lieu
d'aller voyager au loin, restassent pour aider l'autorité.
A la suite de cet entretien, j'allai rejoindre mes amis
qui étaient restés à Sedjelmâça.
Je leur fis connaître la prohibition, et ils en con-
çurent un vif chagrin. Je leur fis comprendre que cela
arrivait par la volonté de Dieu. Ceux qui étaient accou-
rus de tous côtés , pour faire partie de notre caravane ,
répandirent des larmes. Je parvins à les consoler, et ils
retoiunèrent chez eux ; puis je m'en allai dans mon
pays, avec mes parents et mes amis.
L'année d'après, en 1 120, je reçus du prince une
lettre qui me fut apportée par quelques-uns de mes
amis. Elle contenait ceci : « Si tu veux aller visiter la
Mecque et Médine, mon fils ira comme émir er-rekeb\
afin de commander la caravane. Fais-nous connaître tes
' Prince de la caravane.
22
170 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
intentions à cet égard , et il n'en résultera que du bien. »
• Si je n avais pas reçu cette missive , j'aurais peut-être
espéré d'aller en pèlerinage cette année ; mais , après
en avoir pris connaissance , je pensai que personne ne
ferait le voyage de la Mecque. Au reste, me dis-je, il en
sera selon la volonté de Dieu.
Quant à mes amis , ils se réjouirent de cette com-
munication et ils en conçurent de l'espoir. L'époque
de me mettre en route étant arrivée , le fils du sultan
vint à nous de la part de son père, et nous dit que
cette année personne n'irait en pèlerinage. « La lettre que
tu as reçue, me dit-il, n'est pas de l'empereur; elle est
l'œuATe de quelque individu qui a voulu se moquer de
toi. » Ces paroles firent évanouir toutes les espérances,
et on n'imagina pas qu'il fût possihle, de longtemps,
d'aller visiter les villes sacrées. Dans cette circonstance ,
j'eus , selon ma coutume , recours aux pratiques de fis-
tikhara.
Cependant, je faisais peu à peu des préparatifs de
départ. J'atteignis ainsi l'année liai ( 1 709 de J. C),
011 un vent de miséricorde, venu je ne sais d'où, souf-
fla enfin sur les fidèles. En recevant l'autorisation de
partir, j'éprouvai une grande joie de cette faveur, sur
laquelle j'avais cessé de compter. J'achevai mes prépa-
ratifs de départ, et me disposai à me séparer de ma
famille. J'écrivis à ceux de mes amis chez lesquels se
irouvaient mes chameaux. J'envoyai aussi des lettres à
mos amis de Sous, de Marràkch (Maroc), de TafJélt,
c\ autres endroits, où je les informai exactement du
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 171
sujet de notre futur voyage. Peu d^entre eux crurent à
la réalisation de notre entreprise, et la plupart suppo-
sèrent qu'il en serait comme précédemment.
Mes parents voulaient me retenir; mais leurs prières
ne purent ébranler ma résolution. Je pris la détermina-
tion d'écrire le récit de mon voyage , en suivant le plan
adopté par Abou-Sâlem (El- Aïachi) ; je me proposai
de faire connaître les lieux par lesquels je passerais, de
parler des populations dont je traverserais le territoire,
en un mot , de noter tout ce qui me paraîtrait digne de
remarque.
Jeudi, 3Â djoumàd-el-oouel iiai (ai juillet 170g).
Je partis de la zaouïa En-Nasrïa (j^r^Ul ^^\j) le
jeudi , a 4 djoumâd-el-oouel 1 1 2 1 . Je choisis le jeudi ,
parce que le prophète a dit que ce jour serait béni
pour celui qui s'y mettrait en route de bonne heure.
Par ce motif, je me hâtai de faire sortir, le jeudi , ma
famille et mes bagages. Quant à moi , je ne partis qu'a-
près la prière de l'ac'er, et après avoir visité mon père ^
ma mère et mes autres parents dans leur k'oubba , afin
de recevoir leur bénédiction et de prendre congé d'eux.
J'en fis autant avec mes fi:*ères , mes domestiques et mes
esclaves. Je commençai ensuite la lecture de l'oraison
qu'on a coutume de réciter en pareille circonstance,
' Cest-a-dire le tombeau de mon père.
La formule, « Que Dieu lui soit miséricordieux I ■ employée par
Moula-Ah'med dans le cours de Touvrage, toutes les fois qu'il parle
de son père, montre que celui-ci était mort à Tépoque de son départ.
172 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
d'après Tautorité des traditions. Enfin , le dernier lieu
que je quittai fut la mesdjid, afin de me conformer à
ce que faisait le prophète lorsqu'il partait en voyage,
ainsi qu'on le voit dans la Sonnai Je partis ensuite, et
allai coucher à Acef-Azâr (ctjJ sjuJ)^.
Vendredi, 36 djoumâd-el-oouel (aa juillet).
Le lendemain, nous nous mîmes en route après la
prière du d'ohor. Dans cet endroit, je pris congé de
beaucoup de parents et d'amis , qui m'avaient accompa-
gné à la distance d'un fersekh ^, ou davantage.
Lors de mon pèlerinage de 1096 (i684 de J. C),
j'étais descendu dans ce lieu le 16 de rebi'- et-tani ,
après l'ac'er. J'y avais également campé dans mon pèle-
rinage de 1 109 ( 1697 de J. C. ). Là, j'avais sorti les
tentes et commencé mon voyage le dimanche 1 ^' djou-
màd-el-oouel ; mon campement était à côté de la grange
de la zaouïa. Le mercredi, j'avais sorti les provisions
et tout le bagage, ainsi que mon h'arem, et j'étais parti
au doh'a, le jeudi. Je fis de même dans le bienheureux
pèlerinage actuel, sauf que mon départ eut lieu à l'ac er,
comme je l'ai dit.
Mon oncle paternel, dans son premier pèlerinage,
* Nom que l*on donne aux traditions considérées comme articles
de foi.
* Plus loin, il appelle ce lieu AsJi-el-Azar^a, une des stations du
pèlerinage. Il ajoute que dans ce ouâdi il y a Dàr-el-H'edjadj « sta-
tion du pèlerinage. » Asfi, en chloueu*h\ a la même signification que
ouàdi en arabe.
^ Fersekh , parasangc ; quatre milles arabiques.
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 173
a célébré ce ouàdi en ces termes : « Toi couché une
nuit dans le ouâdi de Asfi-el-Azar a , une des stations
du pèlerinage , etc. »
11 ajoutait ensuite , à propos de ces lieux :
« Aujourd'hui je couche ici en pèlerinage ; qui sait
si j'y reviendrai ? »
Et plus loin :
* L'amour de Tout'an (de la tribu) est un article de
foi, etc. »
Jai fait ces vers sur le même sujet :
Dans ce ouâdi est le Dâr-H'edjadj (fj^^ ) ^ la première
station des pèlerins, (ainsi nommée) parce quelle est près
de leur camp, et que ceux qui veident prendre congé d'eux
viennent les trouver en cet endroit.
Mon père ( que Dieu lui soit miséricordieux ! ) ^ a
dit, k propos de son pèlerinage de io46 (i636 de
J. C.) :
« Nous sortîmes de la zaouîa avant Fac'er, le vingt-
troisième jour de rebi -et-tani , un jeudi, et allâmes
coucher à Tourioiuna-Nedjlâbik ( ^^ILa^ My^j^s). On ne
descendit pas au ouâdi (Asii-el-Azara), comme c'est la
coutume aujourd'hui. Nous marchâmes à la grâce de
Dieu et & sa garde, etc. »
Nous descendîmes à El-Mousrâzket ((â^t^^XI), après
la prière du mor reb. Dans ce lieu se firent les der-
* La maison des pèlerins.
* Cette formule indique que le père de Moula-Ah'med était mort au
moment où il parie de lui , ainsi que je Tai déji fait remarquer.
174 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
nières séparations , et il ne resta plus que les pèlerins.
Nous étions alors dans la saison des longs jours.
Pendant cette station, Ah med-ben-Moh'ammed, fils
de mon frère aine, nous abandonna et se cacha, je ne
sais par quel motif. On le chercha en vain ; depuis lors
on n a plus entendu parler de lui. Cette fuite m'affli-
gea beaucoup,
Samedi, a 6 djoumâd-el-oouel ( 23 juillet).
Partis de cet endroit, nous allâmes faire le kiloula ^
à El-Koutrima ( a cyclfl ). On coucha à Tâdjmechat
( «:MA.g:k ). Là, le bruit se répandit dans la caravane
que le prince de ce pays, un fils du sultan, avait reçu
de son père Tordre de nous faire retourner sur nos
pas, et de nous empêcher d'accomphr le pèlerinage.
Dieu sait la vérité I
Cependant il se trouva que le bruit était mal fondé.
Je récitai , à cette occasion , plusieurs prières pour ob-
tenir de Dieu qu'un pareil malheur ne nous arrivât pas.
Dans cette situation, je fus rejoint par mon frère et
ami , le fak'ir loucef-el- At ouï ^ , qui me ramenait une
de mes juments. Pendant le désordre des adieux à Dàr-
el-H edjadj , cette bête s'était échappée et était retour-
née à la zaouïa.
^ L*heure de la plus grande chaleur, celle où les hommes et les
troupeaux cherchent le repos à Tombre.
* On lit en marge du manuscrit : « Du nom d*une tribu appelée
El-Ita t'i. .
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 175
Dimanche , a 7 djoumâd-el-oouel ( a 4 juillet ) .
Nous partîmes après le sl)ah', et je remerciai Dieu
du bonheur et des bénédictions qu'il avait accumulés
sur moi dans le commencement de notre voyage , pen-
dant les marches et pendant les séjours. Nous traver-
sâmes le Foum-Aktourzi [jj^^ ^►*),et, au doh'a, nous
descendîmes dans une grande plaine , où la vue s'éten-
dait au loin et consolait Tàme des chagrins de l'absence .
Les animaux eux-mêmes participaient à notre satisfac-
tion; car ils trouvaient dans ces lieux d'excellents pâtu-
rages en attendant les fatigues, la seide chose qu'ils
devaient rencontrer plus loin. Ils n'étaient pas encore
éloignés de leurs maisons, qu'ils semblaient quitter avec
peine.
Les pèlerins qui voidurent déjeuner s'arrêtèrent
dans ce lieu. La chaleur commençait alors à se faire
sentir. Je montai dans une cage à chamelle, préparée
à cet effet, comptant y être plus à mon aise ; mais comme
il n'en lut pas ainsi, je retournai vers le mulet que j'a-
vais laissé , et dont l'allure me parut plus commode que
celle du chameau, quoiqu'elle ne fût pas des plus
agréables.
Nous allâmes coucher à Omm-el-Djirân ( ^|^ Il ) ,
où nous arrivâmes au d ohor. Les pèlerins se désalté-
rèrent avec l'eau qu'on trouva en cet endroit, et en firent
provision. Les tentes établies, on déchargea les cha-
meaux, qui purent se reposer. Il y avait là de l'herbe
et des pâturages; nous y passâmes la journée du di-
176 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
manche , exempts de misères et d^ennuis. Quoique cet
endroit soit connu pour être fréquenté par les voleurs ,
et qu'il faille s^y tenir sur ses gardes , il ne nous arriva
rien , et nous n eûmes qu'à remercier Dieu.
Lundi, a 8 djoumâd-el-oouel ( a 5 juillet).
Nous quittâmes cette station au fadjer, nous dirigeant
en toute hâte vers El-'At'chàna (JuL&kjJt). Je visitai
plusieurs de mes amis, qui, en signe de réjouissance,
se mirent à tirer des coups de fusil : un d'eux oublia
une balle dans le canon , et cette balle atteignit à la fesse
mon ami El-Hadj-Ah'med-ben-'Ali-es-Selâoui. Je fus
très-peiné de cet accident ; mais je me dis que cela était
écrit par le Dieu des mondes. Fort heureusement, du
reste , la blessure , qui paraissait incurable , guérit tout
à coup et se ferma entièrement.
Nous étions arrivés à El-'At châna av^t le d'ohor,
au puits que Ton cherchait. Les pèlerins n eurent qu'à
creuser un peu pour trouver à boire, se désaltérer,
abreuver les animaux et faire les provisions. Cette eau
était conune celle du Sourat (rivière du Soudan). On
revint ensuite au bivac; les tentes furent dressées aux
environs du d ohira ' . On décida de suivre la route or-
dinaire, et de passer par El-Hafira [bj^âÂ), A El-At-
châna, Teau et Therbe n'étaient pas en quantité suffi-
sante pour les chameaux. Nous passâmes la nuit dans
cet endroit.
' Diminutif de d'ohor.
VOYAGE DE MOULA-AHMED. 177
Mardi, a g djoumâd-el-oouel (a6 juillet).
Nous nous mimes en route au sl)ah\ le mardi, der-
nier jour ^ de djoumâd-ei-oouei. Nous arrivâmes à El-
H'afira, lieu où Teau est très-douce et abondante. Nous
abandonnâmes la route habituelle, à cause de la vio-
lence de la chaleur, de la rareté de Teau, de la séche-
resse de la terre et de la grande quantité de serpents
qu'on trouve en ce pays.
Lors de mon pèlerinage de 1 1 09 , nous n avions pas
couché à El-At'châna; nous y avions déjeuné, puis
nous nous étions réunis à Aznâtïa (iU^fb;!), et avions
couché à Textrémité de ce canton.
Mercredi, 1" djoumâd-et-tani (37 juillet).
Nous étions arrivés, au d'oh'a, à Bir-el-T'orfa (jju
U^l ) , où j'avais rencontré mon ami Sid-M oh ammed-
ben-El-H'acen-el-Iouci , qui venait au-devant de moi , et
m'apportait du riz, du beurre et du sucre. Je mangeai
de ses provisions, il mangea des miennes. Que Dieu
augmente son bieni Nous fîmes quelques milles, et
nous rencontrâmes nos frères de Sedjelmâça, en grande
quantité; d'autres arrivèrent sur leiurs traces, soit en
troupe, soit isolément.
' Moula-Ah'med ne donne que vingt-neuf jours à djoumâd-el-oouel ,
qui devrait en avoir trente. C*est sans doute pour réparer cette faute
qu*il donne trente jours au mois suivant au lieu de vingt-neuf. On a
vu déjà que ces erreurs proviennent de ce que le commencement du
mois, chez les musulmans, est déterminé par Inobservation directe de
la lune , et non par des calculs astronomiques.
23
178 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
Jeudi et vendredi, 3 et 3 djoumâd-et-tani ( aS et 3g juillet).
Nous quittâmes le canton d^El-Hafira avec deux
guides intelligents qui connaissaient bien les chemins ;
c'étaient des Arabes de Beni-Mohammëd («^.tttf (^).
Nous arrivâmes à Es'-S'ouïrha (Irfy^AâJt), au doh'a; là
un de mes chameaux étant sur le point de mourir de
fatigue , je le fis tuer ; il me venait des Oidâd-Adlim
(l<vlâl â^^l). Je rencontrai mes frères de Sedjelmâça,
El-Hadj-Hacen-el-Houâri et sa compagnie.
Samedi 4i dimanche 5, lundi 6, mardi 7, mercredi 8,
jeudi 9, vendredi 10 djoumâd-et-tani (3o, 3i juillet,
1, a, 3,4, 5 août).
Nous nous mîmes en route le samedi , avec l'inten-
tion de marcher sur Sedjelmâça , et de visiter les gens de
bien de cette ville. Nous rencontrâmes, dans le chemin,
une compagnie du pays de Dérapa (i^^) ; ils me rappe-
lèrent le passé , et me remirent en mémoire mes frères
et mes amis que j'avais laissés derrière moi^
Nous visitâmes Timâm, le magnifique, le pieux, Til-
lustre seigneur El-R'âzi. La caravane marcha en dehors
des palmiers, pour la plus grande commodité des cha-
meaux. Nous fîmes aussi le pèlerinage obligatoire du
chérif à Akouz (j^), Sid-Abou-el-K'âcem-ben-Mou-
loud , et de Sid-' Abd-el-Ouah ed et de leur famille , puis
nous partîmes après les avoir visités. Je rencontrai Sid-
' Ce passage est un de ceux dont il résulte que le Ouâdi-Dera*a
est bien le pays de Moula-AI/med.
VOYAGE DE MOULA AHMED. 179
Meça^oud*ben-el-Bekri , maître de la zaouïa d' Akouz , avec
tous ses parents et amis. Ils voulaient que je descendisse
chez eux, pour coucher; je ne pus y consentir, et nous
nous séparâmes, dallai ensuite chez Timâm Abou-el-
H'acen, cheikh des cheikh, Sid- Ali-ben- Abd-Allah , et
j'eus heu d'être satisfait de cette visite.
Nous prîmes congé de lui , et nous nous dirigeâmes
en hâte vers le bivac de la caravane. Accompagné de
mes amis, je visitai le tombeau de Timâm Ahou-el-
K'âcem-el-R azi , lieu vaste et magnifique. Nous rendîmes
les mêmes honneurs à Sidi-'Abd-el-Kerim et à ses voi-
sins du canton.
Les chameaux étant arrivés , on les déchai^ea. Je fis
entrer mon h'arem dans la maison du frère de Hadj ....
el-Zakzouti, qui avait demandé à me donner l'hospita-
lité . La caravane descendit à l'Ouest de Sidi-Ioucef
{sjLmyit «>'^uw) ', OÙ je fus visité par des amis. On fit im-
médiatement des dispositions pour le voyage. Ce n'était
qu'allées et venues vers la k'oubba de l'imâm El-R'âzi.
Il me vint beaucoup d'amis de la ville.
La caravane séjourna dans cet endroit , d'où les pèle-
rins allaient en ville , afin de compléter les achats qui
leur étaient nécessaires. Je fis l'acquisition, moyennant
trois mitk'al , d'un chameau que mon frère avait amené
de l'Ouest.
Je passai huit jours en ce lieu, jouissant de l'hospita-
' Ak'ouz ou Akouz et Sidi-Ioucef sont aux portes de Sedjelmâça.
Ainsi Moula-Ah'med se trouve alors dans cette ville, quoiqu*il ne le
dise pas explicitement.
180 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
iité de rimâm El-R'ftzi, que je visitai jour et nuit. Pen-
dant ce temps , nos pèlerins se hâtaient de terminer leurs
affaires. Je fus traité avec cordialité parles marabouts et
par mes amis, qui me donnèrent du petit-lait, du kous-
kouçou , etc. quoique tout fut cher dans le pays.
Je rencontrai là le chérif Ben-'Âmar, chef de cette
contrée , et d^autres personnages. Sidi-Ah'med-el-Mech-
touk , qui faisait partie de la caravane , composa des
vers à la louange de Sedjelmâça , vers dans lesquels il
célèbre les gens de cette ville , et le bon accueil que la
caravane en a reçu.
Dans mon pèlerinage de i 109 (1 697 de J. C. ) ,
j'avais visité, à Sedjelmâça, Moidana-Âli-Chérif, avec
plusieurs de mes amis; j'avais également visité Moulana-
Abou-Zakarïa , et le cimetière des chérifs. Mais, dans ce
dernier voyage , je n ai pu faire de pèlerinage qu'aux
enfants d'El-R'âzi, son maître et ses compagnons d'Â-
kouz , à cause de la presse où j'étais.
J'ai été fort aidé dans l'expédition de mes affaires , à
Sedjelmâça , par Ah med-et-Tedjmouâti , qui me seconda
de toutes ses forces.
Pendant mon séjour à Sedjelmâça, un de mes amis
m'apporta le reste de mes provisions, que j'avais laissé
chez moi à la zaouîa. Il m'envoya mon oukil, Sid- Abd-
el-' Aziz , avec quelques serviteurs de la zaouîa , mon
ami le fak'ir loucef-el-' AtWi , et une de mes négresses
qui voidaît aller à la Mecque. Je renvoyai cette fenrnie,
les deux négresses que j'avais emmenées me suffisant.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 181
Samedi ii, dimanche la, lundi i3, mardi i4« djomnâd-
et-tani (6, 7, 8, 9 août).
Les gens de ia caravane firent toutes leurs disposi-
tions pour le départ, et nous quittâmes notre station
le samedi 1 o de djoiunftd-et-tani ^ et nous allâmes des-
cendre à Mâdjen-el-R'orfa {^j^^ iù^^)^ ^^ nous fumes
rejoints par le guide Djâb-Allah-el-Djâbouc'i , et des
gens de sa tribu. Ceux-ci venaient de l'Ouest et s'étaient
mis en route au reçu des lettres que j'avais envoyées de
ce côté. Ils cherchaient à louer des chameaux, et s'en-
tendirent, à cet effet, avec les pèlerins. Les arrange-
ments retardèrent un peu le départ, et nous restâmes à
Mâdjen-el-Rorfa le dimanche, le lundi et le mardi.
Le jour même de notre départ, il nous arriva un
envoyé de Sid-Hamza-el- Aïachi , avec la nouvelle qu'une
compagnie de gens de Aît-'Aïâch (ijftl^ (^^1)^, et de
Aît-Ouâflâ (^1^ i^u^l ) désiraient faire le pèlerinage.
Grâce à Dieu, ils m'amenèrent des chameaux. Nous
fumes rejoints par eux à El-R'orfa. J'achetai une tente
pour mes livres, moyennant quinze mitk'al, à des ma-
rabouts du pays de Madr'ara [ijà^^ J^\ ), de la tribu des
Oulâd-Sid-'Abd-Allah-ben-'Omar {j^^M\o^:,:iy\).
' Moula- Ah'med se trompe; car, diaprés ses calculs antérieurs, le
samedi tombe ici le 1 1 .
* On explique ici, en mai^, que ait, en chloueu*h' [Aji% signifie
Vohila, ou tribu, et que c'est comme s'il y avait K'obilat-'Aîach ou
K'obilaOu^â.
182 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
SINGULARITÉ.
Lors de mon pèlerinage de iog6 (i684 de J. C),
j'ai trouvé à Sedjelmâça, dans le Ketâb-el-Adkêr « livre
des souvenirs » d'El-Merïouni , que le nom de Abou-
el-H'acen-ech-Châdli doit être prononcé Ech-dhâdouli ,
contrairement à Tusage général'; de plus, j'ai lu les
préceptes suivants dans ce livre :
CHOSES DONT ON DOIT S* ABSTENIR
2 .
Brûler des pelures d*oignon ou d*ail;
Dormir sur la face ;
Balayer ime chambre la nuit;
La balayer avec un linge ou chiffon quelconque ;
Laisser dans la chambre les ordures qu on a balayées ;
Se laver les mains avec de la terre ou du son ;
S asseoir sous l'arcade dune porte, soit de chambre,
soit de maison ;
Appuyer le dos sur le ventail de la porte ;
Faire les ablutions dans les lieux d'aisances;
Raccommoder ses habits sur soi ;
Essuyer sa figure avec ses vêtements;
' Dans Touvrage intitulé, j^o^^l c^j^i manuscrit 77 B de la
bibliothèque d'Alger, on trouve en effet le nom de Châdli, écrit de la
manière indiquée par El-Mer!ouni, c'est-à-dire ^^L^|. Les savants
indigènes disent que Chadli , ainsi qu'ils prononcent son nom , est un
célèbre marabout de Tunis. D'Herbelot (voyez Schadeli] dit qu'il est
auteur d'une vie des saints musulmans. L'éloge en vers de Cbadli se
trouve dans le manuscrit 18a I de la bibliothèque d'Alger.
' Ces préceptes sont connus et suivis , en grande partie , à Alger.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 183
Placer la main sur la hanche ;
Uriner étant nu;
Quitter la mosquée avec empressement, après la prière
dnfedjer;
Sortir dans la rue de trop bonne heure , y rester tard ;
Acheter des morceaux de pain aux mendiants ;
Exprimer de mauvais souhaits contre son père ou sa
mère;
Laisser la vaisselle sale;
Eteindre la lumière avec son souffle;
Jeter des poux vivants;
Se laver les talons avec la main droite;
Uriner dans leau courante ;
Mettre sa culotte étant dehout;
Faire dans les latrines la djenaba, ou ablution obliga-
toire après le coït ;
Mâcher les aliments des deux côtés de la mâchoire à la fois ;
Se faire saigner le 7 du mois;
Caresser sa barbe;
Faire claquer les dents les unes contre les autres;
Prendre les genoux entre ses mains;
Tenir ses doigts écartés ;
Placer la paimie de la main sur le nez;
Couper ses ongles avec les dents;
Se déshabiller au soleil ou à la lune;
Faire ses nécessités tourné du côté de la Mecque ;
Balayer pendant la prière obligatoire ;
Cracher dans les lieux d'aisances ;
Cracher sur du sable ;
Mettre les joues dans la paume des mains, à moins de
souffrances dans cette partie;
184 VOYAGE DE MOULA-AHMED.
Jouer pendant la prière obligatoire ;
Laisser par terre ce qui tombe de la table pendant le
repas;
Manger sans employer la formule bismillah ^ ;
Mentir p^idant le repas;
Commencer à se chausser par le pied gauche ;
Laisser le tebok' ^ retourné ;
Refuser de leau ;
Refuser du levain ;
Refuser du sel ;
Refuser du feu ;
Celui qui contreviendra à ce qui précède héritera le
malheur.
Mercredi, i5 djoumâdi-et-tani ( lo août).
Nous partîmes le mercredi , ayant été traités en frères
par les gens d'El-R'orfa (que Dieu augmente leur bien!),
et nous allâmes à El-Medàkik ( jL^STo^t). Quelques-uns
de mes amis de Sedjelmâça, qui étaient venus pour
m'accompagner, couchèrent avec nous en cet endroit.
Lors de mon pèlerinage de Tannée i log, je ren-
contrai, avant cette station, le grand, le savant, Téru-
dit, rimàm, le précieux, le k'âd'i de la mosquée de
Sedjelmàça et de toute cette contrée, Sid-'Abd-el-Mâlek-
et-Tedjmouâti ', venu dans Tintention de m'accompa-
^ En commençant le repas, les musulmans disent bismillah (au
nom de Dieu) , et h'amdoalillah (Dieu soit loué) en terminant; ce qui
répond au henedicite et aux grâces des chrétiens.
' Plateau en palmier, etc. où on place les mets.
^ Le manuscrit 676 C de la bibliothèque d* Alger contient une petite
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 185
gner; car il était de mes amis les plus sûrs. Ce savant
était instruit dans les traditions; il possédait la gram-
maire, la logique, la littérature, etc. bref, il connais-
sait toutes les sciences. Il est auteur d'un commentaire
incomparable sur Moaçùadat-el-Akhouân, livre écrit
par son père. Cet ouvrage a été également commenté
par Sid-Embârak-ben-Moh'ammed-el-R'arbi, ami de
mon père et son élève , et aussi par Sid-Hourakou-ben-
'Abd-AUah-ben-Iakoub-es-Semlali. Il Ta été, en outre,
par mon ami, le légiste Abou-el- Abbas-Sid-Ahmed-
ben-Moh'ammed-el-Mechtouki .
Sid-Ah med-ben-Abou-Zïân-el-R ouâti ^ m'a raconté
qu'il avait commencé. à commenter cet ouvrage, et que
ses explications étaient fort étendues ^
Le k'âd'i 'Abd-el-Màlek a fait en vers l'éloge de mon
père , l'année de notre dernier pèlerinage *.
En 1 109, lorsque je me trouvai à El-Màdjen, ce
même k'âd'i, accompagné d'amis, de grands et de sa-
vants de la contrée d'Aït-'Aïâch (tels que Sid-Hamza,
ses parents et les gens de sa tribu) , vint pour prendre
congé de moi. En même temps que lui, vint alors Sid-
Ah med-ben-'Abd-el-Kerim , etc. *
pièce en vers du cheikh el-k'âd'i Sid-'Abd-el-Màlek-et-Tedjmouâti.
' Peut-être faut-il lire El'Ar^oaât'i.
"* n y a ici une lacune d'environ deux mots dans le manuscrit,
lacune dont le sens ne paraît nullement affecté.
^ Ces vers sont aux pages 11 et 1 a du manuscrit.
* Ici Moula-Àh'med cite in extenso une k'ac'ida du k'àd'i sur 'Elm-
el-Bedîeu\ ou la science des choses spirituelles. Cette pièce de poésie
remplit les pages la, i3 et i4 du manuscrit.
24
186 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
Jeudi, 16 djoumâd-et-tani ( 1 1 août).
Nous séjournâmes le lundi. Le pays de Sedjelmâça
subissait alors une extrême sécheresse. L'oi^e y était
montée à six mouzouna la mesure ^ , le blé à neuf, les
dattes à quatre et demi. Le teber^ était au change d'un
mitkal et demi et trois mouzouna. Tachetai là une
bonne jument de selle pour dix-neuf mitk'al moins un
quart.
A El-Medâkik , je pris congé du reste de mes amis,
qui étaient venus m'accompagner. A partir de ce mo-
ment, nous restâmes sans nouvelles les uns des autres.
En même temps les dernier, pèlerins que nous at-
tendions de Sedjelmâça arrivèrent.
Vendredi , 1 7 djoumâd-et-tani (laaoût).
Nous partîmes d'El-Medâkik le vendredi, et nous
traversâmes M enhal-Teler ma ( JUJds J4JU ) , dont Teau
est douce. Nous y fîmes nos provisions d'eau, puis,
après avoir récité la prière du d ohor, nous montâmes
à Korb-el-H'ammâd ( ^Uit c^^S ) ; nous dépassâmes un
peu ce point, et nous établîmes notre bivac par un
froid excessif.
Samedi, 18 djoumâd-et-tani ( i3 août).
Le samedi, nous nous remîmes en route, toujom^
avec une température rigoureuse. Jamais je n'avais res-
' El-*aouïna.
' Teber, poudre d'or.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 187
senti pareille chose; c était un vrai froid d'enfer'. Nous
commençâmes à hâter notre marche , et nous arrivâmes
à im endroit d'où nous aperçûmes devant nous des con-
trées vastes , imies , vides de population , un de ces pays
difficiles où chaque voyageur ne s'occupe que de ce qui
le concerne. Cette région désolée n'est hahitée que par
des vents impétueux ; les êtres qui ont de la corne aux
pieds ou des ailes aux flancs peuvent seuls la traverser.
C'est ime terre rude, difficile, et les poëtes qui l'ont
chantée disent que les chameaux n'y trouvent rien à
paître, pas même un hrin d'herbe , et que la seule eau
qu'on y boit est celle ! que les pèlerins ont apportée
d'ailleurs dans deis outrés.
Cette nature -cdê* sol se prolongea jusqu'aux environs
de la montée dé Ouârdmès {^f^^j^^ M^); ^ ce dernier
endroit, nous tournâmes sur la gauche, dirigés par
un homme des Oulâd-Djerïouk'i ( i^/^ ^^^' ) t un
nommé Moh'ammed-ben-Hedân-Djeridi. Il nous con-
duisit par ime montée facile, qui n'est véritablement
montée que de nom ; puis nous descendîmes à Es'-S'e-
fisTa ( iûUAAjuâJI ) , aux environs de Tac'er. La queue de
la caravane n'arriva qu'au coucher du soleil ^.
Dimanche, ig djoumâd-et-lani ( i4 août).
Nous partîmes le dimanche. Notre guide perdit la
^ Voyez, dans le voyage d*El-*Aiachi , page i^, à la note, ce qui a
été dit sur cette expression.
* Moula-Ah'med reproduit ici des vers composés sur le mont H'am-
mâd, vers qui ontd^à été cités par El-*Aiachi. (Voyez pag. 1 13.)
188 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
route, et il fallut nous arrêter au sommet d'une mon-
tagne tellement abrupte que Ton ne pouvait descendre.
Les pèlerins étaient dans la désolation; ni hommes, ni
chameaux, n osaient se hasarder. Cependant, par la
grâce de Dieu, nous nous en tirâmes, mais nous eûmes
des fatigues et des peines inouïes. Les chameaux ne
faisaient que tomber, et se relever pour retomber en-
core. Toutefois, par Tintercession de Bou-Zïân^ et de
notre seignem* Mohammed, les choses se passèrent
sans trop de dommage.
Il avait fallu ôter les haoudedj^ de dessus les cha-
meaux et les placer sur les mules. Je m'arrêtai un peu
avant que toute la caravane fût descendue. La majeure
partie des pèlerins s'étaient égarés : ils avaient marché
sur la droite , abandonnant la route de gauche ; mais
on pensait que ces deux chemins se rejoindraient avant
la couchée. Ceux qui prirent à droite passèrent par
Ouâd-San (^^ ^1^ ou u^ ^1^); et nous, nous descen-
dîmes à El-Mebri-Fahm (iUjl:^t), après IWer. La
queue de la caravane n y arriva qu'après l'eucha.
Il y avait, en cet endroit, une grande plaine remplie
d'arbres et beaucoup de pâturages ; on n'y trouvait pas
de pierres comme dans le terrain que nous venions de
quitter. On y rencontrait une eau douce et abondante ,
dont les chameaux purent se désaltérer, et qui rendit
des forces aux chevaux et aux mulets.
' Célèbre marabout de K'onadsa.
* Loges où l*on place les femmes ou les personnages importants
en voyage.
VOYAGE DE MOULA AHMED. 189
Plusieurs de nos bêtes de somme s^enfuirent, et
quelques-imes revimrent ; mais , au bout du compte , il
manqua quatorze juments et deux mulets. Sept de ces
juments étaient aux Bédouins, deux appartenaient à
Moula-el-'Arbi , deux au marabout Sid-Ahm.ed-ben-
*Abd- Allah, une à Moula-el-Mâmoun. Un des mulets
égarés était la propriété d'El-Hadj-Moh'ammed-ben-
Abou-Zîàn-el-Djaboimi , et un autre était à un pèlerin
de Tafilêlt.
Les Bédouins coururent après leurs juments et les
rattrapèrent. Nous louâmes deux de ces individus pour
la sonune de trois mitk'al, et alors ils retrouvèrent
deux mulets et deux jmnents, qui appartenaient à Sid-
Moh'ammed-ben- Ali-el-Arizi et à son frère. Il en man-
quait encore cinq.
JTenvoyai le guide- Moh'anuned avec El-Hadj-Ram-
d'àn-el-Djâbouc'i, pour charger de Teau sur nos cha-
meaux, moyennant un mitkal.
Lundi ao, mardi ai djoumàd-et-tani ( i5, 16 août).
Nous séjoiunàmes dans ce lieu le lundi , et nous en
partîmes le mardi. Nous rejoignîmes ceiix de nos compa-
gnons qui s^étaient trouvés séparés de nous , pour avoir
pris sur la droite loin de la montée de Ouârdmès. Ils
avaient ensuite descendu le long de rOuad-Djir(j.Aa>* ^1^),
pour aller nous attendre. De notre côté, nous leur
avions envoyé un honune des Sa^ïd-Roubàh' (^l^ «^y^tAM) ,
pour leur donner de nos nouvelles. Tous réunis avant
Tac'er, nous priâmes et marchâmes ensemble.
190 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
Cette rivière est forte et grande ^ ; la vallée qu^elle
arrose est plantée de beaucoup dWbres; les pâturages
y sont nombreux et les pierres très-rares. La rivière,
qui est profonde, reçoit plusieurs cours d'eau qui
viennent de fort loin, et ne se mêlent à ses eaux quV
près plusieiu*s jours de marche ; elle a sa source au
pays des Ait- Aîàch ( ^U« OHtI ) . La vallée est peuplée
et cultivée ; elle s'étend jusque vers le S'ah'ra , et les
populations y sont nombreuses et rapprochées jusqu'à
la partie du H'ammàd-^l-Kebir {^m^\ ^UJI) qui se trouve
entre lui et Sedjelmâça. Là, cesse toute population
jusqu^aux boui^des de TOuad-el-Açâoura [ij^im^] ^l^)^.
A partir de ce point, on commence à trouver des vil-
lages pendant dix journées et jusqu'aux environs de
Touàt. La rivière se dirige ensuite à droite, dans des
sables considérables. C'est le plus grand cours d'eau du
Mor'reb en longueiur, avantage bien stérile ; car cette
contrée est la plus redoutable de toutes par le peu de
séciurité qu'on y rencontre.
Nous arrivâmes à Msouêr-er-Rîân (uk^' jly*^) vivant
le coucher du soleil , et la queue de la caravane n'y par-
vint qu après feucha. Nous y rencontrâmes une troupe
d'amis dWin-el-Konadsa ( * — ^^ ^ ^^< usb^)« ^^ Mk'il
' Dan5 co |Mssago , copié presque mol pour mot dans El-*Aîachi ,
MouIa-Ali'uHHi a oublié de mentionner le nom d*Ouad-Djir, auquel
5e rap|H>rte celle description. En revanche, il nous fait connaître que
re\prt*s5ion mon /><iv5, par laqueUe El-'Aîaehi désignait le Heu d'où
sort rOuad-l>jir, est le pavs des Aît-'Aiàeh.
* El-\Aiachi e**nl OiuKl-el-Acàour.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 191
( J**a), de Ben-Kîs (y^^ y^), de Djtr (j«-), de Nouai
(J'y)-
Mercredi , a a djoumâd-et-tani ( 17 août).
Nous partîmes de Msouêr-er-Rïân le mercredi, et
nous allâmes à El-Âouna (iUyJt)^, où nous arrivâmes
au d'oh a. Nous descendîmes à côté de la maison de
notre ami Sid-Moh ammed-ben-Abou-Zïân , et nous y en-
trâmes avec toute notre société ; nous y mangeâmes à
discrétion le kouskouçou et de la viande (que Dieu Ten
récompense ! ). Une troupe de pèlerins se joignit à nous
dans cet endroit. On institua mok addem ^ de la cara-
vane, pour les afiaires du voyage, Moula-el-'Arbi-ben-
loucef-el-H'aceni. Cétait le meilleur agent qu'on pût
choisir, Thomme le plus loyal.
A cet endroit, le guide nous revint avec le reste des
jimients qui s'étaient égarées à Merbah'îa^. Nous nous
remimes en route, et nous arrivâmes à Bichâra (l;Uk^)
à rheure du zaouâl. Là est la source d'une fontaine
considérable, dont Teau abondante, douce et pure,
est d'un goût excellent ; nous y fîmes nos ablutions et
nous nous y reposâmes , puis nous allâmes à im endroit
élevé, où la caravane s'établit, et où nous campâmes.
Les gens du pays, jeunes et vieux, les uns à pied, les
' Terre de palmiers.
' On donne ce nom au chef d'une corporation religieuse , comme
sont les *Aiçâoua, les *Ammârin, etc. En général, c'est un fondé de
pouvoirs.
' Plus haut, il a écrit Mehri-Fah'ïa.
192 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
autres montés , accoururent en foule pour nous voir, et
ils nous apportèrent beaucoup de fruits.
Jeudi, a 3 djoumâd-et-tani ( 18 août).
Le jeudi, nous allâmes à Ouaknâ (Uâ»^ ou lôsâ»^),
où nous Hmes notre provision d*eau, et où nous cou-
châmes à l'Est d'El-Toumïat ( a^^I ) et à FOuest de
Tenfesri ( ç^m,%iy ) .
Vendredi, a 4 djoumâd-et-tani (ig août).
Nous marchâmes le vendredi jusqu'à Ez-Zerrik'
(^^jj^t). Là, nous toiunâmes du côté où se trouve
Teau. Les pèlerins abreuvèrent les animaux et emplirent
les outres. L'eau n'y était pas très -abondante, et il
falKit se contenter du peu qu'on y rencontra. Je suivis
l'ouad, paixre qu'il me sembla d'abord que c'était une
route bien frayée; mais bientôt il se présenta des
ravins, des endroits difficiles, et je vis alors qu'on ne
passait pas de ce côté. Je m'étais engagé sur ce sentier
parce que j'avais vu une mule qui y marchait; mais je
m'y égarai comme elle.
A l'heure du d'ohor, nous fîmes la prière, et mes
compagnons se séparèrent pour chercher une bonne
route; mais ils n*en trouvèrent point, si ce n'est en
suivant la crête d^s montagnes, direction que nous
primes en effet. Du sommet de ces hauteurs, nous
apeix:iunes la cai*avane qui, de loin, semblait un vais-
seau. Nous la rejoiguimes, grâce à Dieu, et nous al-
VOYAGE DE MOULA-AHMED. 193
lames coucher dans un lieu qu'on appelle Dâr-el->Kbiça
Samedi , a 5 djoumâd-et-tâni ( a o août ) .
Nous partîmes le samedi. En approchant d'Omm-
el-Iâs ( (^UJl f»l ) 1 nous fûmes joints par une petite
troupe d'amis, des gens de Fidjidj {^jii)^ lesquels
sont 'Abid; avec eux était Sid-Ah'med-ben-Abou-K'â-
cem-el-Bouîh'adoiu^i. Nous passâmes le moment de la
grande chaleur du joiu* à Onun-el-Iâs , et nous y fîmes
la prière du d'olior, après quoi nous nous remîmes
en route.
Les gens de Fidjidj venaient en foule au-devant de
nous, jeunes et vieux ; ils nous apportaient des raisins,
des dattes et des pèches. Que Dieu les comble de
grâces I Nous faisions route avec les habitants de cette
ville, qui continuaient d'affluer à notre rencontre. En
vue de Fidjidj, nous trouvâmes le k'âïd Moh'anuned*
es'-SVir-ed-Dra'ï-el-Djezri, khalifa de notre souverain
'Abd-el-M âlek-ben-Ism'ail , le pieux, lequel était alors
en voyage.
Nous mimes pied à terre au bivac des pèlerins , et
nous y passâmes la nuit du samedi.
Dimanche et lundi, a 6 et 27 djoumâd-et-tani
(ai et aa août).
Nous séjournâmes le dimanche, pour arranger nos
affaires. Tachetai de l'orge meilleure que celle de Ta-
filêlt, moyennant trois mouzouna le meud. Leur meud,
25
194 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
suivant ce que j'ai appris, vaut trois oussouêu. Dans ce
pays, il n'y a que le poids léger qui ait coiurs, et ce
poids est encore accidentellement diminué, selon le
caprice des gens du cheikh.
Grâce à Dieu, nous pûmes nous procurer tout ce
qu il nous fallait. Les pèlerins achetèrent des vête-
ments, et ils payèrent les portefaix arahes qui étaient
venus de Tafilêlt à Fidjidj.
Je trouvai dans cette ville le conunentaire de Delàîl-
el-Kheïrât^ et celui de Tenbi-el-Anâm^, de Sid-Ah'med-
ben-Abou-Beker-ech-Chérif-el-F^ouni-el-Fidjidji. Ta-
chetai du papier, et le donnai au frère de Sid-'Ali-ben-
Moh'ammed-ben-Ah'med-er-Râchidi, poiu* qu'il me
copiât cet ouvrage; il ne voulut pas recevoir d'argent
pour ce travail. Cet homme était de la famille du k ad'i
Sid-Moh'ammed, lequel se trouvait alors absent. Notre
seigneur 'Abd-el-M âlek , lui ayant pris ses biens, l'avait
destitué, et il avait quitté le pays. Le kad'i actuel, Sid-
Moh'ammed-es -S ah râouï , de la tribu des Beni-Tsour
(jj^ 4^ ), a commenté habilement, à ce qu'on m'a rap-
porté, l'ouvrage appelé EsSor^a^. Il m'a fait deux vi-
sites, et m'a traité avec cordialité. SDn père était ami
du mien. Il est auteur d'un conunentaire sur le Delâîl-
* Espèce d'eucologe musulman dont il a été déjà question.
' Espèces de litanies en Thonneur de Mahomet. D y en a un exem-
plaire à la bibliothèque d* Alger, sous le n* 338. L'auteur est connu
sous le nom d*El-K'aîrouâni.
^ Cet ouvrage traite de Tunité de Dieu. Sous le n"* i ga B, la biblio-
thèque d*Âlger possède une glose ou commentaire qu El-Had*âdi a
composé sur la s'or'a d*Es-Senoucî.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 195
el-Kheîràt et d'une mand'ouma ou pièce de poésie sur
la s'or'a d'Es-Senouci.
Il était instruit en jurisprudence , mais il ne savait
pas le nahW^ Un homme qui ne connaît pas cette
dernière science ne peut guère écrire d'ouvrages ; aussi
le k'âd'i en question n'avait pu surmonter cette diffi-
culté que grâce à Dieu et au moyen de la grande quan-
tité de livres qu'il possédait, et qui lui venaient de
son aïeul 'Abd-el-Djebbàr. J'entrai dans sa bibliothèque
en 1109, dî^sî qu'avait fait mon père ; et les enfants
d'Abd-el-X)jebbàr nous montrèrent les certificats de
capacité (»>W-') de leurs ancêtres. J'ai vu là des livres
fort anciens et très-curieux. Nous louâmes im guide
pour nous mener à Abou-Semr'oun ((j[yUw 45^1) ^, moyen-
nant un mitk'al. Cet homme se nommait Moh'ammed-
ben-'Aïça, et était d' Abou-Semr'oun.
Mardi, a 8 djoumâd-et-lani (a3 aoiîl).
Nous nous remimes en route le mardi, et nous arri-
vâmes à Dormel (J^^) après le d'ohor; la queue de
la caravane n'y parvint qu'après l'ac'er. L'eau est en
petite quantité dans cet endroit; cependant elle suffit
aux pèlerins. Nous y trouvâmes une flaque récente d'eau
de pluie. Du reste, la localité abonde en eau vers la
partie supérieure de la rivière; mais la caravane n'eut
connaissance de ce fait qu'au moment où elle était sur
le point de partir.
' La grammaire.
' Ailleurs il écrit Bou-Sem aoun;le vrai nom est Bou-Semr'oun.
196 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
Mercredi, ag djoumâd-et-tani (a4 août).
Pailis de là , nous allâmes , à Theure du sl)ah\ aux
puits qui sont au milieu du canton d^Omm-ei-K'arftr-
el-R'arbîa {u^jii\j\jÂi\ J)\ Nous y abreuvâmes nos
animaux et nous nous remîmes en route. Quand nous
fûmes au milieu du défilé , nous rencontrâmes les gens
d*Omm*-el-K'arâr-el-R'arbïa, qui venaient au-devant de
nous en grand nombre, apportant des pèches, dont
chacun de nous put manger à satiété et même em-
porter. J'en envoyai aux enfants. Us nous apportèrent
aussi des aubei^ines et des courges. (Que Dieu les ré-
compense ! ) Leiurs pèches sont de la meilleure qualité.
Nous maixrhâmes ensuite jusqu'après Fheure du d'o-
luu\ Nous finies les ablutions, la prière, et la caravane,
dont pUisieui^ pei^onnes s'étaient éloignées pour aller
iichotor à U ville, se réimit.
Nous iHMUiuuàmes ensuite notre route et nous ren-
oontrAmos dos gtMis dX)imn-el-K'arâr-el-K oblîa {j\jii\ pi
vX^O^^^. Us so (ilui^iirent des ravages annuels que la
li^\iv e\ei\\ùt ^vinuî eu\* Nous leur dimes. Que Dieu
WHis guérisse ! puis nous allâmes jusqu'auprès d'une
luii^iv. Nous Avions cru pouvoir coucher à l'Ouad-el-
K \\\U^ vV^*^^"^ ^'^V ' '^ rivière des roseaux; • mais nous
ivuvvutiÀmcs lo fivr^ de Sid-Moh'ammed-ben-Abou-
Nv^Uxt^ vjui wous |Hv\iut que ct?tte rivière était loin en-
Ksuv; 4U0 w^vuvUut^ tout près du lieu où nous nous
V^tUU v'i k A vil A* • V^«.o<
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 197
trouvions, il y avait un cours d'eau appelé H'edjâdj (ç^) ,
assez abondant pour abreuver les animaux. Nous allâmes
nous y établir, et il s^y rencontra de quoi faire paître
nos chameaux.
Sid-Moh'ammed-ben-Abou-Noua m'apprit que son
père était Fami du mien, et qu'il avait trouvé une
source de bénédictions dans cette amitié. La famille de
Sid-Moh'anmied tire son origine des Oulâd-Sid-Dekheil
(Juv^d«>uuii d^^i),quihabitentà'Aîn-es'-S'ofrâ(l^juJl ^a^).
Ils m'apportèrent beaucoup de raisins, du beurre salé,
de l'oi^e , de la farine et sept moutons. Ils passèrent
la nuit avec nous , au nombre d'environ cinquante indi-
vidus, y compris les enfants.
Jeudi, ' (a5 août).
De là nous allâmes à l'Ouad-el-K'oç'ob, où nous nous
arrêtâmes; les bêtes et les gens se rafraîchirent, puis
nous nous remîmes en route, et ne finies de halte
qu'au défilé d'Abou-^emr'oun , où nous arrivâmes après
l'ac'er. U y a là d'excellents raisins, qui n'ont pas leurs
pareils pour la douceur et la grosseur. Je n'en avais pas
trouvé d'aussi bons depuis que j'avais quitté mon pays.
Vendredi, samedi, i*' redjeb (36, 27 août).
De là nous allâmes à Abou-Semr'oim , où nous arri-
vâmes avant le d'ohor. Les gens de cet endroit étaient
venus en grand nombre au-devant de nous loin de chez
' Il y a ici une de ces erreurs de date provenant de causes qui ont
été indiquées plusieurs fois.
198 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
eux , et ils nous apportaient des raisins. Je devins Thôte
de Hadj-ech-Cheikh-ben-Marabout-Meftâh', ami de
mon père. Lors de notre retour du pèlerinage de 1 1 09,
nous avions déjà logé chez lui. Il me donna du kous-
kouçou, dans lequel il y avait la moitié diun mouton,
et il fit porter trois plats de kouskouçou aux autres
pèlerins. Que Dieu augmente le bien de tous les gens
de ce pays , qui nous ont accordé une si généreuse hos-
pitalité pour Tamour du Seigneiu*!
Ce pays a pris son nom du premier qui s^y établit,
El-Ouali-es'-S àleh'-Abou-Zem^aoun^ Quand ce saint per-
sonnaî^e moiurut « on Tenterra dans cet endroit.
Dimanche, a redjeb (a8 août }.
Nous |virtime5 le dimanche 2 de redjeb, et nous ar-
n\Amos, apro5 le ddior, à \\în-el-Mes'bâh' (^UuâXI ^^j
♦ lomissoaudeU lampe. •àr£std'Ech-Chelâlât(c:>^^ILâJl).
iiraiuls ot ix'tits, tous les habitants vinrent au-devant
do nous« et nous accueillirent avec une grande joie.
U V A^Ait |vinni eux les enfants de Sid-Moh'anuned-
lvn-\\iv\t et ses frères, tous gens de bien et remphs de
bioux^nlUnoe. Leur pore a^*ait été fami du mien.
Jo do\ius rhôto des gens de Ech-Chelàlât , qui me
fuvut 04vlojiu Jo quAtpe nK>uton5, de beurre salé , d'orge ,
ol \vn^piotortM\t ce qui n^ manquait. Que Dieu le leur
ivïulo !
l\v^ <^ *i;v ïfc^.N.i^r-.W ^-Arun^e «in ok^ Sfmr'oun; la négligence
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 199
Lundi, 3 redjeb (ag août).
Partis de là, nous allâmes faire la prière de Tac'er
sur le ruisseau appelé ^Aîn-Lâh'ak' {^^^^ (jxs^), àRebâouât
(i^l^l^). Nous nous arrêtâmes au morVeb, et la queue de
la caravane ne vint qu'après l'heure de Teucha.
Mardi, 4 redjeb (3o août ).
On marcha ensemble , ^t je rattrapai la caravane,
qui était alors en avant. Les guides prévinrent les pèle-
rins qu'il n'y avait pas d'eau devant eux. Les uns vou-
laient retourner à Rebâouât, pour s'en approvisionner ;
d'autres n'étaient pas de cet avis, prétendant qu'on en
trouverait en continuant la marche; la majorité fut
pour le retour. Ceux qui manquaient d'eau retour-
nèrent donc sur leurs pas, pour se pourvoir. Quant à
moi, en les attendant, je me dirigeai vers un immense
térébinthe à grandes branches, qui donnait beaucoup
d'ombre, où je me tins jusqu'à ce que, la provision
d'eau étant faite et tout le monde réuni , on se remit
en marche, pour aller descendre à El-Hadits(e^«xiL),
où l'on arriva après l'ac'er.
Mercredi, 5 redjeb {3i août).
De là nous allâmes à El-Karâkid (o^};Xll), où l'on
arriva au d'oh'a. Les animaux purent se rassasier en
cet endroit. Les gens du pays vinrent vers nous et se
réjouirent beaucoup de notre arrivée. Us me donnèrent
des figues, du raisin, du beurre salé et un mouton.
200 VOYAGE DE MOULA AHMED.
Je fis part de leurs libéralités aux pèlerins nécessiteux.
Nous nous remîmes en route, et nous arrivâmes à
El-R'ftçoul ( J^UJt) à Tacer, le mercredi, sixième jour
de redjeb\ qui répond au dernier joiur de r'oucht^.
Les gens du lieu furent très-contents de notre arrivée ,
et m'envoyèrent deux moutons. Sid- Abd-el-K erim-et-
Tou&ti m'en donna neuf à lui seul, ce qu'il accom-
pagna d'un peu de beurre salé. Je partageai ces choses
entre tous les pèlerins.
Nous fîmes la rencontre d'un honune d'Er-Ràchdîa
(isiO^I^I), de la tribu d'El-R'eris (cr^l J^<)^ ^"^^
son fils. Il s'appelait Sid-'Abd-Allah-ben-Sah'noun et
son fils Sid-£1-Hàchemi. Ils avaient l'intention d'aller à
Ia Mecque , et nous attendaient pour partir avec nous,
ou\ et leur famille. Leur pays était sous la domination
dovS Turcs.
Jo louai un honmie dWbou-Semr'oun ^ , qui se
clu^iyi\t« moyennant deux mitk'al, de nous conduire
x^ur hi nnito dXk\r'ouàt\ U s'appelait Sid-Moh'am*
mod-<^)-MolluAr. Cêtait un sa^-ant, qui connaissait le
KoiMU |Mr cxvur. Il avait visité Alger, Tlemsén, avait
.insJnIo au ^op* JWan\ U avait passé cinq ans à Fês
ot ot.iit >tUo À MorÀljich^ à Taroudant et à Tâdiâ.
IX^us mon |vlorinApt* de i 109, nous n'avions pas
l'^A^vv* W iw^yr>r oàVo;d *V ^vXi:*-Ah'in«l, ce doit être le 5.
K Vx; W iK^nx ^^x >ni Vnk!y^ Ok^cncnt a notre mob d'aoûL
r*r U iv^\c>^ïv>f »î;; \'v>c^>;e cr hkM est écrit ici Abou-Bem-
% X
Tm V ^,-^ï,»N-it'^; ,»v. cvK^Sfc ,^ Kyr^. M^ JLinmed-ben-IUkdach,
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 201
voulu prendre cette route, parce qu il y faisait très-froid,
qu'elle était couverte de neige et fort exposée au vent
des montagnes. Nous avions appuyé sur la droite, di-
rigés par un homme des Oidâd-Sid-Ech-Cheikh (^^^1
^jsJ] Oyuw), que nous avions pris à loyer. Une nuit,
nous fûmes abîmés de neige; elle était tombée en si
grande quantité quelle surchargeait nos tentes, cou-
vrait là route , le dos des chameaux et des autres ani-
maux. Cette circonstance nous obligea à séjourner
jusqu'au d'ohor du lendemain. Les pèlerins commen-
çaient à invoquer le Dieu des mondes pour lui deman-
der d'avoir pitié d'eux et de les tirer de ce mauvais
pas. Alors le guide nous mena sur la route du S ah ra ,
attendu que de ce côté il n'y avait pas à craindre de
neige. Nous marchâmes donc dans le désert, et ne
reprimes la. route des montagnes qu'à El-Ar'ouât'.
Jeudi, 6 redjeb ( i" septembre).
Nous partîmes d'Er-R'âçoul le jeudi 7 ^ redjeb, et le
i*' de chitenber (septembre). Aux environs de l'ac'er,
nous arrivâmes à Mokhlîk {^^AJ^).
Vendredi, 7 redjeb (a septembre).
Nous nous remîmes en route le lendemain , et nous
arrivâmes de bonne heiu*e sur le Metsbour (^y^ ^t^).
Nous y abreuvâmes les chameaux et autres bêtes. C'est
une rivière où il y a beaucoup d'eau. On trouve là de
l'herbe très-haute.
* Moula- Ah'med continue l*erreur de date signalée plus haut.
•26
202 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
Samedi, 8 redjeb (3 septembre).
Nous reprîmes notre marche après avoir rempli les
outres et nous être désaltérés.
Dimanche, 9 redjeb (4 septembre).
De là nous allâmes à 'Aïn-el-M âd'i ( ^^Ul (^jv^) , où
nous arrivâmes le dimanche 9 de redjeb , ou le 4 chî-
tenber (^septembre), à Theure de Tac'er. La popula-
tion en masse vint au-devant de nous.
Lundi , 1 o redjeb ( 5 septembre ) .
Nous séjournâmes le lundi, afin de laisser reposer
les chameaux et de ferrer les mides.
I^ population d'Aln-el-Mâd'i est en grande partie
com|M>sée de tVlba ou savants. Ils lisent Sid-Khelil ^
Leur chef est Sid-Ah med-el-Dahs'àî , nom qui s'écrit
avec un Jal surmonté d^unfafh'a, un hé avec un se-
ioNit» un sad^ et qiii rime avec h'amrdï. Ce personnage
ost d\m %^ge avancé ; il est infirme et ne peut marcher.
Qu.uid il sort« cVst i faide d^une monture, qui est
hAbitucUomeut un âne* Il a trois enfants, Sid-Moh am-
«uhK Sivl-*AlvWr4\jih'nvui et Sid-Zerrok'. Tous les
I e^ hv^mmo^ remArquables de cette ville , sous le
ix^PjsMi àe U ivnnJi;>csxnof du droit, sont Sid-Abou-el-
K^i\V*^K Sut- VKWr-l\Ahnv3in-Ber\lelis, Sid-Wïça-ben-
^ vV * ^^ \s\vwvciv,v«^; ^je 5i*i-RVi^:iî ert Fjiuieur d'un rookht«-
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 203
lah'ïa , Sid-Abou-el-K'âçem-ben-'Aïça et Sid-'Aïça-Abou-
'Âkkâz. Ce dernier se livre uniquement à Tinstruction
des jeunes gens.
Les gens de cette ville sont bienveillants et justes.
Le sultan 'Abd-el-Mâlek ^ les a maltraités et humiliés.
Il leur a pris ce que les Arabes laissaient en dépôt
chez eux, et a enlevé de leurs maisons les grains, le
beurre salé ; il les a frappés en outre d'une contribu-
tion de mille rîaP; bref, il ne leur a rien laissé. La
considération dont ils jouissaient auparavant leur ren-
dit ce traitement d'autant plus pénible. Je les engageai
à prendre leur mal en patience, et ils patientèrent, se
conformant à leur destin.
A partir de ce moment, leurs femmes fiu*ent obli-
gées de se montrer au dehors , et de travailler comme
celles des Arabes, c'est-à-dire comme des bêtes de
somme. Je leur fis des représentations à cet égard, et
renvoyai toutes celles qui circulaient parmi les gens
de la caravane. Que Dieu les amende, et nous aussi!
L'eau de cette ville est fraîche et excellente ; elle
vient des gorges de la montagne, et se répand dans
les jardins. Les habitants traitèrent la caravane avec
hospitalité. Que Dieu augmente leurs biens!
En l'année 1096, les gens d'Aïn-el-Mâd'i me de-
mandèrent de leur laisser le manuscrit d'El-'Atîma,
ouvrage de mon père, afin d'en prendre copie ; je le leur
' Un des fils de Mou]a-Isina*ïl , empereur de Maroc, dont il a été
question précédemment.
* Environ 3,5oo francs.
204 VOYAGE DE MOULA-AHMED.
laissai y pour que cet œuvre leur profitât. Dieu récom-
pense les bonnes intentions, dans sa bonté généreuse.
Les habitants de cette ville se conduisirent fort bien
à mon égard et envers les miens. Un d'entre eux me
demanda la permission de m'enunener chez lui : j y
allai avec plusieurs amis; il nous fit accepter un repas.
Je visitai leiur mesdjid, et y fis la prière du doha,
alin de pix>fiter des bénédictions attachées à leur mos-
quée, et de celles qui avaient été obtenues par les
fidèles qui y ont prié jadis. Les gens d'Aïn-el-Mâd'i
disent que leurs savants sont tous des chérifs; ceux-ci
vivent entre eux, toujours occupés de Tétude du droit.
(\nnme ils ont la même origine, ils ont de Tautorité
sur les enlants les uns des autres; ils ne connaissent
ni la jalousie, ni les inimitiés. Toutefois ils permettent
t|ue leui^ femmes, jeunes ou vieilles, sortent à visage
découvert, et fassent le conunerce avec les pèlerins.
IXms mon pèlerinage, en 1096, je leur fis des repro-
ches à ctMte occasion: il> me répondirent : «Telle est
notiv ivutume à nous autres Arabes dWigine bédouine.
lV;uUeui>. Ivi jvunivte de la pluprt d'entre nous nous
N ol^lii^e, et quant à ceux qui ont de l'argent , ils font
de nuMue, a cause de la rareté des étoffes. »
Ku ouhv, les fenunes ne font pas fablution appelée
djcnàki \ ni celle qui est connue sous le nom de h eïda*,
non plus que Pal lution qui est de rigueur après Ten-
lautcuicur ( onuue je les en n^primandais, ils s'ex-
* *
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 205
cusèrent en disant que ces ablutions donnaient des
coliques à leurs femmes. Cependant plusieurs pèlerins
virent celles-ci qui lavaient de la laine dans une eau
courante et froide. Prions le Dieu des mondes, afin
que nous ne fassions rien que de droit et de juste, eux
comme nous !
Dans ce pèlerinage actuel , je vis encore les femmes
d'Aïn-el-Mâd'i qui faisaient le commerce avec les pèle-
rins, et je m'en plaignis à leurs maris, qui, tout confus,
gardèrent le silence.
Pressé par le temps , je n'entrai pas dans la bour-
gade, et, par le même motif , je n'allai pas à Misra
( BjM^JiA ) , à l'imitation des gens de bi^fi qui visitent ce
lieu. Il y a, dans ce dernier endroit, une mesdjid cons-
truite sur une colline , avec de grandes pierres qu'on
dirait avoir été travaillées par un tailleur de pierre,
quoique cependant elles se rencontrent ainsi naturel-
lement. 11 y a beaucoup de tombeaux autour de cette
mosquée. Au bas de la colline est un ruisseau d'eau
courante , siu* les bords duquel on remarque une grande
quantité de figuiers. Le sol de la mesdjid est couvert
de ces tapis qu'on appelle kWîfa, qui sont faits de
laine et de l'espèce de jonc appelé h'alfa. Il y a aussi
de belles nattes et des lampes.
Auprès de la mosquée, il y a une cuisine où l'on
Fait du kouskouçou; elle est construite en forme de
chambre, et elle est pourvue de marmites et de s ah'fa '.
^ Grands plats en bois, dans lesquels on prépare et l'on sert le
kouskoiiçoti.
206 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Cet endroit est visité par les Arabes nomades et les
gens des environs , qui ont une grande vénération pour
la mesdjid, siutout les Bédouins. Quant aux habitants
d'Aïn-el-Mâd'i , ils ont ce pèlerinage en aversion, pré-
tendant qu'on ne doit visiter que trois mosquées, et
que celle-là n est pas du nombre. Je les repris au sujet
de cette assertion, et ils ne trouvèrent rien à répondre.
J'ai fait jadis ma prière en cet endroit; mais, dans ce
pèlerinage, ainsi que je Tai déjà dit, je n'y allai pas.
Mardi, ii redjeb (6 septembre).
Nous partîmes d'Aïn-el-Mâd'i , le mardi et nous arri-
vâmes à Tedjmout (c^jy»^) au d'ohor; les habitants vin-
rent en foule au-devant de nous, grands et petits, à
pied et à cheval , et ils furent extrêmement satisfaits de
nous voir. Leur imàm, Sid-Ah med-ben-Barkàt, homme
très-{\gé, sortit également. Il me donna trois moutons;
une autre personne m'en donna un. Je partageai ces
présents.
Tedjmout est une assez belle bourgade : il y a des
jaixlins et des maisons de campagne : nous ne voulions
ps d*aboixl Y aller, de peur de la drîas *, herbe qui
iXMid les chameaux malades ; mais les gens du pays nous
diriMU que dans cette saison il n\ en avait pas. Nous
* C t>l une pi An te do U tAnùUe des oiubellifores, que M. le docteur
( % u\ o« crvnf ètrv W >. V "'. m« dos- Grec* , ou le serpittum des Latins ; à Alger,
on r,%pj><lW K^fcx '11, \o\ei, ci->»pres. la note i de la page a84.) Les
tVn«ne> ilHhi^MH>s prvniH^nl une sorte de contilure faite avec celte
pU^nU\ Aî»n tW devenir eiKx'intes plus facilement.
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 807
crûmes à leur parole, et, en effet, nous n'en trouvâmes
point.
Mercredi, la redjeb (7 septembre).
De là nous allâmes à El-Ar'ouât' (Isl^^^l), où nous
arrivâmes à Tac'er. La queue de la caravane n y par-
vint qu'aux environs de l'as'lirâr ( un peu avant le cou-
cher du soleil). Les gens du pays, en masse, vinrent
au-devant de nous , se réjouissant de nous voir, et nous
témoignèrent beaucoup d'amitié.
J'avais rencontré à Tedjmout Sid-Moh'ammed-ben-
Ab'med-ben-Iah'ïa et Sid-Ah'med-ben-Abou-Zïàn , qui
sont mes amis, et dont les pères étaient amis du mien.
Parmi les légistes d'El-Ar'ouât', on remarque M oh am-
med-ben-Abou-Kesmîa , Sid-Ah'med-ben-Edrîs , Sid-
Moh'ammed-ben-Khalîfa , Sid-'Abd-er-Rah'mân-el-Fedji-
dji, et Sid-Isma'îl d'Aïn-el-Mâd'i.
Je reçus l'hospitalité des gens d'El-'Ar'ouât', qui me
traitèrent avec du kouskouçou, des figues, des fruits,
entre autres des pèches.
Jeudi, i3 redjeb (8 septembre).
Nous séjournâmes le jeudi 8 de chitenber, ou 1 4 ^ de
redjeb.
El-Ar'ouât' est une ville considérable , qui possède
un immense territoire bien cultivé, et qui produit des
fruits de tous genres. Mais il fait beaucoup de vent dans
cette contrée, et il y a beaucoup de sable. Un de leurs
' Cest la continuation de Terreur déjà signalée.
20» VOYAGE DE MOULA-AHMED.
fak'i, vieillard de quatre-vingt-seize ans, Sid-Ah'med-
ben-Abou-Zïân , m'a raconté que jadis les vents avaient
détruit de fond en comble un bourg qui était près d'El-
Ar'ouât'. On ne sait où le vent a emporté ce bourg
ainsi que ses habitants, dont il ne reste pas même de
traces. On assure que cette catastrophe arriva, parce
qu un marabout les avait maudits. Le tombeau de ce
saint personnage est encore en ce lieu, et ii y a un
bâtiment auprès. Cest un endroit généralement connu.
Que Dieu nous protège par sa bonté !
Vendredi, i4 redjeb (9 septembre ^
Nous partîmes d'El-Ar'ouât' le vendredi 1 5 de redjeb
ou 9 de chitenber, et nous allâmes à El-'Açâfîa ( iU»L«jJt),
où nous nous arrêtâmes. On y abreuva les animaux de
K^i cciravane. et les pèlerins se désaltérèrent. Un de mes
chameaux étant devenu malade, je le laissai chez un
\\^ mes amis qui s'appelait , je crois, Sid-Iah'ia.
Nous bi vaquâmes à K'atsil ( J^) \ où nous étions
.uTixes apiV5 l\tsliràr. Là est une rivière dont Teau est
wuiMute.
Samedi . 1 ^ redjeb ' 1 o septembre .
\ou^ stlLum^ vie b i Démet ^^iiM»a\ boiug situé sur
Jv >uK vlo b UKnxîJi^ie. à miroite de celui qui se dirige
A rr^K Nur ur^-e rt^ùre ou II v a\"ait de Feau courante
\^ \Uv\ sti^u>s tvtxvtrv::;jirce5 par leurs firuits. Nous yarri-
\ Uu>vx A Tk cr I Ji ivocJvi:-.'»©. ocH^.Julte par son imâm
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 209
Sid-Moh'ammed-ben-M eça'oud « vint au-devant de nous ,
et nous accueillit avec joie. Ils nous dirent qu ils per-
sistaient dans la bonne voie , et qu ils ne volaient plus
les caravanes. Il me parut qu^en effet ils disaient la
vérité; car, pendant la nuit que nous passâmes en cet
endroit, nous n eûmes aucune tentative coupable à
réprimer.
Dimanche, 16 redjeb (11 septembre).
Nous allâmes à un endroit nommé El-Bordj ( ^^i).
On s'y désaltéra et on fit la provision d'eau, puis on se
remit en route. Un de mes chameaux, appartenant aux
Oulâd-el-Hadj-Moubârak (^>Im ^ll ^^^0^ ^^ fatigua,
et fut placé chez un individu des Oulâd-ben-Herz- Allah
(aMI^^t^ {^ d^^t), lequel s'appelait Sid-Mohanuned-ben-
'Aiça-ben-Iah'ïa-ben-H'erz-Allah . Il savait lire le K'oran;
son fi^ère me dit qu'il voudrait bien faire le pèlerinage
avec nous, mais que Sid-Moh'ammed étant, pour le
moment , en voyage dans le Tell , il ne pouvait mettre
aussitôt son projet à exécution; qu'il attendrait son
retoiu» et partirait avec la caravane de Fês.
Nous descendîmes à El-R'izân ((^^j^^lji â l'as'firâr.
Il y avait un peu d'eau , qu'on se partagea et dont on
abreuva les animaux.
Lundi, 17 redjeb (la septembre).
De cet endroit, nous allâmes à 'Abd-el-Medjid
( Jyy?^! JyL^) , OÙ nous arrivâmes vers le matin. C'est
une rivière où il y a de l'eau. Nous mimes pied à terre
27
210 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
afin de faire boire nos bêtes et de remplir nos outres;
car nous allions entrer dans la Mefâza (i(>Uut) d'Ouadi-
Sidi-Khâled, pays immense, difficile , rude , desséché ,
sans eau, dangereux, effrayant pour les pèlerins qui
le parcourent.
Il n y passe pas ime caravane qui n^y laisse quelqu'un
de vivant, homme ou bête. Il court, à ce sujet et sur
cette contrée , le proverbe suivant : « Il faut toujours que
la Mefâza prenne sa part. Mais tout est dans la main de
Dieu, et si Dieu ne veut pas, il n'en est pas ainsi. »
Les gens d'A'moura {'^jy^), dont le village est sur la
montagne qui est auprès d'Abd-el-Medjid, vinrent faire
le commerce avec les pèlerins, selon la coutume de
Fendroit, et ils apportèrent des poules. Nous conti-
nuâmes notre route , et nous allâmes coucher près
d'Ouad-et-Toumïât (c:*WyJl ôÏ^).
Mardi, 18 redjeb (i3 septembre).
De là nous allâmes à El-R'a(ïk ( JuuuJt) au roroub,
où nous fûmes pris par la pluie.
Mercredi , 1 9 redjeb ( 1 4 septembre ) .
D'El-R'afik nous nous rendîmes à Sid-Khâled
(jJl^ ù^^f^)^ où nous arrivâmes à Tas'firâr, le mercredi
20 redjeb ou i4 chitenber. Grâces soient rendues à
Dieu de ce que nous avons pu parcourir cette distance
sans accident, sans avoir eu à souffrir de la soif!
* Mor^reh , as'Jirâr et r'orouh ont à peu près la même signincation ,
et se disent du moment où le soleil se couche.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 211
Nous passâmes la nuit en cet endroit. Le lendemain
matin, je voulais aller visiter la zaouîa du prophète de
Dieu, Sid-Khâled-ebn-Senân ; mais les Arabes des en-
virons, qui avaient promis de ne rien faire de mal à la
caravane, manquèrent à leur parole. Un de mes amis
étant sorti avec deux chevaux qu'il voulait abreuver
auprès de la zaouîa, un parti d'Arabes, qui avaient mis
pied à terre près de là, le rencontrèrent et lui enle-
vèrent les chevaux de vive force. Mon ami revint se
plaindre ; mais nous ne pûmes avoir les chevaux. Alors
nous connûmes que nous avions affaire à des ennemis.
Cela ne m'empêcha pourtant pas de faire un pèlerinage
à Sid-Khâled. J'y allai avec toute la caravane. On
marcha tous ensemble, et, arrivés en face du marabout,
on se tourna vers la k'oubba, et, de loin, on lut un
fatli'a. Une autre fois, s'il plaît à Dieu, je ferai le pèle-
rinage plus complètement ^
Jeudi, ao redjeb (i5 septembre).
On se mit en route au s'bah'; nous traversâmes le
pays des Oulàd-Djelâl (J^k:^ ^^(^t). Je rencontrai mes
amis Sid-M oh'anmied-ben-el-H adj , Sid-'Abd-el-Bâk'i,
Sid-Moh'ammed-ben-'Aïça et Sid-Moh'anuned-ben-Sa'ïd.
Ils m'accompagnèrent pendant quelques milles, après
quoi nous nous séparâmes.
La bourgade des Oulâd-Djelâl est une des plus con-
sidérables du pays de Zâb. Elle est fort peuplée; on y
' Ici Moula-Ah'med cite ce qu'El«*Aîaclii rapporte du prétendu
prophète Khâled.
212 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
remarque une medreça, ou école supérieure pour les
t'o'iba-mouhdjirin, nom que les gens de cette contrée
donnent aux savants réfugiés. Ceux-ci sont puissants
et ne craignent pas les Arabes, dont ils ne sMnquiètent
guère. De là vient qu'on appelle mouhdjirin, dans ce
pays, tous ceux qui vivent indépendants des Arabes.
Nous nous remîmes en route et nous arrivâmes,
après Tac'er, à El-Ark {àjjà\). Nous couchâmes dans
cet endroit, où il nous survint une pluie peu considé-
rable. Là une troupe d'Arabes se présentèrent, et nous
rendirent les deux juments qui avaient été enlevées à
mon ami, auprès de Sid-Khâled. Que Dieu les récom-
pense de cette bonne œuvre !
Vendredi, ai redjeb (16 septembre).
Nous partîmes, et nous traversâmes l'ermitage de
l'ami de Dieu, Abou-Zid-Sid-'Abd-er-Rah'mân-el-Akh-
d'ari [^^yà^^\ *s?^b)- (Q^® toute bénédiction lui arrive!)
C'était un imâm qui savait l'elm-ed -d'âhir « la science
écrite » et l'elm-el-bât'en « la science révélée. » Il a com-
posé des ouvrages connus, remarquables, qui sont
demeiu*és dans la mémoire des hommes. Il a fait :
1° Sur la logique, la mand'ouma ou poëme appelé
Selloum-el-Moronnak . Tous ceux qui lisent cette œuvre
en retirent de l'instruction;
2^ Un autre poëme sur la vie spirituelle, qui res-
semble à El'MahâK etz-el'Oac elîa , ouvrage dont la poé-
sie est agréable;
3*^ Un formulaire de lettres (incha), qui toutes sont
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 213
remarquables par renchaînement des Idées, Téléganceja
pureté des expressions, la beauté et la douceur du style ;
4® Un commentaire sur un traité relatif à l'emplace-
ment où est bâtie la Mekke ;
5^ Une introduction à la législation, qui est fort
connue des gens de cette contrée;
6° Un traité des successions et des fidéiconunis,
quil a commenté lui-même;
7° Un poème sur la rhétorique et sur la partie de
cette science qu'on appelle hedîa\ ou connaissance de
l'emploi des allitérations du Parammaseis, etc. Il a aussi
commenté cet ouvrage;
8® Une pièce de poésie sur l'histoire du tabac ;
9** Un poème sur la magie, appelé le Flambeau, qu'il
a commenté lui-même;
10® Un poème sur le testament de Mahomet ^
Les gens d'El-'Ark sont instruits, et leurs habita-
tions sont l'asile de la science et de l'honnêteté.
Nous arrivâmes à Melila (aXaJU) au d'ohor; nous
couchâmes en cet endroit, où il tomba une pluie assez
forte, qui dura jusqu'au lever du soleil.
Samedi, a a redjeb (17 septembre).
De là nous allâmes à Biskra-en-Nokhel (cMsUl 'ij^^^
• Biskra aux palmiers , » où nous arrivâmes , après l'ac'er,
le samedi 2 3 redjeb ou 1 7 chitenber.
' Ici on a joint au texte la substance d'une note marginale qui com-
plète cette notice bibliographique.
214 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Dimanche, a3, lundi, aâ redjeb (18 et 19 septembre).
Nous y séjournâmes le dimanche et le lundi. Cette
fois, pressé par mes affaires , je n entrai pas dans la ville.
Dans un pèlerinage de 1 109, j'y étais entré, j'avais
visité sa mesdjid, et j'étais monté dans le minaret. Ce
minaret est solidement bâti, élevé, vaste; l'escalier a
cent vingt-quatre marches, et une mule peut arriver
jusqu'au haut avec sa charge. La mosquée est très-
spacieuse et parfaitement construite , mais elle n'est ni
fréquentée ni habitée. On n'y trouve personne occupé
à lire ou à enseigner.
Biskra est une belle et grande ville , où il se gagne
beaucoup d'ai^ent , parce que la population y est nom-
breuse , le commerce actif et l'agriculture florissante.
Sa position , entre le Tell et le S'ah ra , contribue beau-
coup à sa prospérité. On y voit un grand nombre de
palmiers , de grands oliviers ; il s'y recueille du lin très-
fin. Il y a abondance d'eaux courantes , sur lesquelles
on trouve une multitude de moidins. On y voit des
champs de h'enna, des pâturages, et on y récolte des
fruits et des légumes. Les bestiaux et le beurre salé
abondent sur le marché ^
Dans ce pèlerinage, je visitai les Oulâd-Sid-Moh'am-
med-es'-S'âlah'; le fils du marabout m'apporta des dattes
et du petit-lait. Mes amis mangèrent et burent à vo-
lonté. Je visitai aussi Sid-K'âcem. Le frère de Sid-
Moh'anuned-ben-'Abd-el-Ouah'ed-er-Roumâni me ra-
* On supprime ici un passage emprunté à Ei-*A!achi.
VOYAGE DE MOULA AHMED. 215
conta que ce marabout était un saint homme , et que
jadis il avait été émir er-rekeb « chef de caravane. » Sid-
'Abd-el-Ouahd et Sid-Moh'ammed , oukil de Sid-K'âcem,
étaient des amis de mon père. Us vivaient encore en
1096. Que Dieu leur soit miséricordieux!
Le fils de Sid-Moh'ammed-ben-S'âlah' me mena visi-
ter tous les marabouts de son endroit. Je visitai aussi
Sid- Abd-er-Rah'mân , Sid-Abou-el-Fad el , Sid-Moham-
med-el-Moufik', Sid-S emmabi , Sid-Moh'ammed-ben-
Abou- Ali et Sid- Ali-el- Aoudâni.
Le frère de Sid-Moh ammed-ben-'Abd-el-Ouah'ed m'a
raconté qu'Abou-el-Fad'el était disciple d'Abou-el-Fad'-
el-en-Nemaoui , et qu'il est enterré dans une ville située
à deux joiunées de Biskra, derrière la montagne. Je le
questionnai au sujet du savant connu sous le nom d'Ël-
Biskri, celui qui a composé une h'achïa « des gloses » sur
El-Mouràdi ; il me répondit qu'il était enterré dans le Zâb.
Mon oncle paternel Huceïn m'a assuré que Sid-
M oh'ammed-ben-Abou-'Ali était encore vivant , l'année
de son pèlerinage. Il ajoutait que, lors de son arrivée à
Biskra avec la caravane , Sid-Ah'med-ben-'Abd-el-Mâlek-
el-Sedjelmêci, disciple de mon père, et mok addem, de
la corporation des fak'ir dans son pays, leur avait dit,
« Allons visiter ce marabout et portons-lui nos offrandes,
selon la coutiune du pays , afin qu'il nous protège dans
notre voyage ; » qu'il avait suivi ce conseil , et qu'en effet
lui et ceux qui avaient rendu cet honunage au mara-
bout accomplirent le pèlerinage sans accident. Us avaient
passé environ une heure chez Sid-Moh ammed-ben-
216 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Âbou-Ali, qui leur avait donné du kouskouçou, des
dattes /de Teau.
Quand j^entrai dans la mesdjid de ce saint person-
nage, je ne trouvai personne occupé à lire ou à instruire,
si ce n'est un homme couché à côté d'un autre qui était
assis, auquel il lisait quelque chose, sans convenance
et sans méthode. Cependant quelques amis m'ont assuré
y avoir vu im individu qui lisait seul les traditions de
Boukhàri.
Il \ a, dans le pays de Biskra, un canton appelé
Koiuti , qui se compose de beaucoup de boui^ades. Le
k'àd'i de cette contrée réside à Biskra.
On a déjà vu que Biskra abonde en palmiers, en
oliviers et en fruits de toute espèce. Cette ville est
entoiurée de murs et possède un fossé. On y remarque
une djàma\ des mesdjid et beaucoup de bains. Les
jaixlins potagers et fruitiers lui forment une ceinture
dan^ une étendue d'environ six milles.
Panui les espèces de dattes, il y a celles qu'on ap-
pelle el-kenbà ou es-simàni, la meilleure de toutes ^
lue auti'e espèce « qu ib nonunent el-bâzi, est blanche
et moIK\ Le chi'ite 'Obeïd-AUah avait donné l'ordre
au\ gt^ns de ce pin*s de ne vendre qu à lui les dattes
do cette dornièi-e espèce. Il y a bien d'autres espèces
que je n\ii jvis le tenq>5 dVnumérer.
Ce ^vAssji^ e*l e> kù*nuiï<?nt cop»^ tUiis El-Bekri (vovox la note
dv* M i^utrvuH'rv. ^v^l vW'j ctt*». jm^: 5k>5 . Salement , comme dans
W uvAiui^^rtt kI^t MoaU- \h luevl Kr* p^ntits dlicntkiue^ wnl marqué».
VOYAGE DE MOULA AHMED. 217
A côté du fossé dont il est question et hors de
Biskra, il y a des jardins de fleurs (rïàd'). Uy a beau-
coup de grands édifices dans cette ville. Les savants y
sont nombreux et ils suivent, de même que le reste
des habitants, la secte appelée Moutîa. Une des portes
de Biskra s'appelle Bâb-el-Mok'bara, a porte du cime-
tière ; » une autre Bâb-eMl'ammftm, « la porte des bains, »
et une troisième, Bàb-el-M ouldoun ^ Les puits sont
nombreux et Feau en est douce ; il y en a un , dans la
mosquée principale, qui est inépuisable. Dans Tinté-
rieur de la ville, on trouve des jardins où l'eau de la
rivière n'arrive pas.
Dans les environs, est une montagne de sel d'ex-
Tcellente qualité. Le chi'ite 'Obeïd-Allah et ses enfants
employaient ce sel poiu* leur cuisine.
L'eau que l'on boit à Biskra provient d'une rivière qui
descend du Djebel-Aourês, et vient arroser ces contrées.
Les gens du pays disent qu'il y a , sur le chemin de
Biskra, une montagne appelée Zinik' ou, peut-être,
Zinklr , laquelle renferme une caverne où se trouve le
cadavre d'un homme qu'on dirait mort de la veille, et
sur lequel l'action du temps est insensible ; les bles-
sures laissent encore échapper du sang. Or la présence
de ce cadavre en cet endroit date d'un temps inuné-
morial, sans que l'on connaisse l'auteur du meurtre,
ni à quelle époque ce meurtre a été commis. Les gens
de la contrée avaient enterré cet- homme dans le cime-
tière, afin qu'il devînt pour eux une source de béné-
' A Alger, on donne ce nom aux mulâtres.
28
218 VOYAGE DE MOULA AH'iMED.
dictions; mais, au bout de quelques jours , il se re-
trouva dans la cavemel Xai appris ceci par des gens
véridiques de ce canton. Dieu fait ce qu'il veut.
Moh'ammed-ben-Ioucef a écrit dans son ouvrage :
« Il y a un homme tué dans une caverne qui est à TEst
des 'Aïn-Aoubân, entre K'art'âdjena et Sbiba. » Il dit
qu'on le croirait égorgé du jour même où on le voit ,
quoique cependant il soit dans ce lieu depuis une époque
antérieiu^e à la conquête de l'Afrique par les Arabes. Il
ajoute qu'il n'a pas entendu dire qu'on ait essayé de
l'enterrer ni qu'il soit revenu à sa caverne. Dieu seul
sait la vérité dans tout ceci.
Mardi, a 5 redjeb (ao septembre).
Lorsque les pèlerins eiurent terminé leurs affaires,
que chacun eut acheté et vendu selon ses besoins et
qu'on eut fait des provisions, nous partîmes de Biskra
au d'oh'a, le mercredi 26 redjeb, ou le 30 chiten-
ber^ Nous allâmes à Sid-'Ok'ba (iUà^ (^«Xju»), où nous
arrivâmes à l'ac'er.
Celui qui a donné son nom à cette localité est Sid-
'Ok'ba-ebn-Nâfï'a-el-Fahari-el-Têba'ï* el-K'oreichi, qui
est venu au monde du vivant de Mahomet. Pour cette
raison, quelques auteurs le mettent au nombre des
s'ah'âba, c'est-à-dire, compagnons ou contemporains
* Ici Moula- Ah'med corrige Terreur d*un jour, qui a été signalée
plus haut.
* On donne ce nom aux personnages de la génération qui a suivi
celle contemporaine de Mahomet.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 219
du prophète. Mâ'ouïa-ebn-Abou-Sefiân le fit émir d'Afri-
k'ïa\ et l'envoya dans cette contrée avec mille musul-
mans. 'Ok'ba fit la conquête du pays, tua la plupart des
chrétiens qui s'y trouvaient; beaucoup de ceux qui
échappèrent au massacre embrassèrent l'islamisme;
mais, après le départ des Arabes, ils retournèrent à
leur religion. Les musulmans, voyant que- leur conver-
sion n'avait été qu'une ruse , résolurent de bâtir devant
Afrik'îa une ville toute musulmane et qui demeurât tou-
jours telle. 'Okl)a en fit la proposition, et ses gens y
consentirent. On établit donc une commission chargée
de faire évacuer Afi:ik'îa , poiu* placer dans la nouvelle
ville les chrétiens qui se convertiraient, et on décida
d'abord que cette nouvelle ville serait édifiée sur le
bord de la mer, position qui paraissait la plus favorable
dans l'intérêt de la guerre sainte. Mais quelqu'un fit
observer que, dans cette situation, elle serait exposée
aux attaques maritimes des Grecs. Ceci fut cause qu'on
choisit un emplacement éloigné du littoral, de peur
des entreprises de l'empereur de Constantinople. On
dit aussi qu'il fallait la bâtir auprès de la sebkha^; car,
les Arabes. ayant beaucoup de chameaux, ce lieu ofiri-
rait une abondante pâture à ces animaux , aux portes de
la ville et dans un endroit où on n'aurait rien à craindre
' Le mot Afriyîa signifie tantôt une province, tantôt une ville de
Tancienne Africa des Romains. D est pris ici dans ce dernier sens.
' Les cartes n*indiquent aucune sebkha de ce côté ; mais Pe]fsson-
nel (tom. I»pag. ii3 et ii4) mentionne un étang salé, auquel il
donne 20 lieues du Sud au Nord, eti 4 lieues deFEst à TOuest. Il ditque
K'aîrouân est dans cette plaine salée.
220 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
des Berbères et des chrétiens. Cet avis fut encore
agréé,
L^emplacement de la ville future était couvert de
broussailles qu^il fallait brûler^ ce qui entraînait la des-
truction du gibier et des animaux de toute espèce qui
s'y trouvaient. 'Okl)a s'adressa à ces animaux, et leur
dit : I Je suis le compagnon du prophète , sur qui soit le
salut et la bénédiction; je veux bâtir ici une ville, et il
faut que nous brûlions ces broussailles. Sortez d'ici par
Tordre de Dieu. » Et tous les animaux qui s'y trouvaient
se retirèrent. On discuta ensuite pour savoir de quel
côté était le k'ibla^ On examina les étoiles à cette in-
tention , pour bien déterminer la vraie direction. Pen-
dant la nuit , 'Okl)a pensait à cette affaire ; il vit en
songe un honune qui lui dit : « A l'heure du s'bah',
prends un étendard à la main, et quand tu entendras
crier, Allah ou akber, et que toi seid entendras ce cri ,
suis la direction de la voix. Lorsqu'elle cessera de se
faire entendre , tu seras arrivé à l'endroit du k'ibla. •
'Okl)a suivit cette instruction.
En l'année & i ( 6 7 1 de J. G. ) , Mâ'ouïa rappela 'Okl)a ,
et mit à sa place M eslama-ben-Mokhled , qui fut chargé
du gouvernement de l'Egypte et de l'Afrik'îa. Celui-ci
résida en Egypte , et se fit représenter dans l'autre pro-
vince par un lieutenant qui se nommait Dinàran, et
dont le surnom était Abou-el-Mouhêdjir. A son arrivée
On donne ce nom à l'endroit vers lequel on se tourne pour faire
la prière. Il indique la direction de la Mecque, et est déterminé par
une niche qu'on appelle mehrab.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 221
en Afrik'îa , Dinâran ne voulut pas résider dans la ville
où avait halnté ^Ok'ba, et il s^établit à deux milles de
là, du côté de Tunis, où il fonda une nouvelle ville
qu'il appela El-Berber de Takidouàn. Celle-ci com-
mença à se peupler, et Fautre ( El-K'aïrouàn ) devint
déserte. *Ok'ba, qui fut informé du fait, s'écria : « Dieu
veuille qu un jour cet homme se trouve sous ma main. »
Or, ce quOk'ba demandait, Dieu le lui accorda; et
quand Abou-el-Mouhêdjir en eut connaissance, il re-
douta la colère d'Ok'ba.
Du temps de cet Abou-el-Mouhêdjir, les musul-
mans s'emparèrent de Cherîk, qui est auprès de Tunis.
Une. des portes de cette ville en a pris son nom. Cherîk
était remplie de grands édifices, et renfermait d'im-
menses richesses. 11 y avait beaucoup de terres en cul-
tiu*e dans les environs. 11 fut pris par H'ench-ben-'Abd-
■
AUah-es -S'enâni , lequel était envoyé par Abou-Mou-
hcdjir. Es -S enâni tua les gens de là ville.
'Okl)a se trouvait alors en Orient ; il se rendit auprès
de Mâ'ouïa , et lui fit des reproches , lui disant : « J'ai
conquis le pays d'Afrik'ïa, et tu m'en as exilé pour y
envoyer un enfant qui m'enlève ma gloire. » Mâ'ouïa
évita de répondre à ces plaintes, et se contenta de lui
rendre son gouvernement ; mais l'affaire traîna en lon-
gueur jusqu'à la mort du khalife, qui arriva en 6 o ou
6i (68o de J. C). Son fils lezîd, qui lui succéda,
renvoya 'Ok'ba en Afrik'ïa, et il ne laissa que l'Egypte
à Meslama-ben-Mokhled.
'Okl}a partit, en 6a , pour T Afrik'ïa, fort mal disposé
222 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
pour Abou-el-Mouhêdjîr. A son airîvée, il le fil jelcr
dans les fers, et força la population d*abandonner la
ville d'El-Berber et de retourner à £l-K'aîrouân.
*Ok'ba annonça ensuite que son intention était de
faire la guerre sainte sans relâche, pour Famour de
Dieu. II laissa Zouhaîr-ebn-K'is-el-Belaouî à £1-K'aî-
rouan, et, prenant congé de ses enfants, il leur dit :
« Je me suis donné au Dieu des mondes; vous autres,
faites comme vous Tentendrez. > Il se dirigea alors,
avec imc puissante armée, sur la ville de Bârîa, où
les chrétiens s'étaient rassemblés. Il les attaqua vigou-
rcusenient , les battit, et leiu* prit beaucoup de cha-
nienux. Les musulmans n'avaient jamais livré une bataille
semblable, et n avaient jamais eu affaire à des guerriers
aussi braves, La ville était auprès du Djebel-Aourès,
(|ui lu dominait entièrement.
UAr u\ était une cité principale fort belle. Un fleuve
Y ooulo; il Y avait beaucoup de fruits, de cultures et
tio pAturagos. Le mont Aourès est auprès, et cette
luouliigno s'étend, sans interruption, jusqu'au pays de
SoUvH» Api^^s avoir battu vigoureusement les gens de la
coiUiHH\ 'Okl>a s'en alla, ne laissant pas de garnisons
dorii^^iv lui , de peur d'affaiblir son armée et de ne
pouNoir )^ us suivre son système de razîa générales et
\HM\liuuolh\s«
Il <^ILi onsuîto j^ Kl-Mîs, qui était alors une des villes
|mhui|mU\s dos< liiws^ l*es gens d'El-Mîs marchèrent à
îi.^ iH^uv \mUiv, t^t ou se Kittil avec ardeur. Peu s'en fallut
\juo lo> xluvlioUv^ no rtnu|H>rtassent la victoire; cepen-
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 223
dant ils finirent par succomber. Les musulmans les
suivirent jusqu'à la porte de la forteresse. Le butin
fut immense. 'Ok'ba ne s'arrêta pas de ce côté et il s'en
alla vers le pays de Zàb. Il demanda quelle était la
ville la plus forte de cette contrée ; on lui dit que c'était
Danâa \ où il y avait un roi , chef des chefs chrétiens
du Zâb , pays qui comptait trois cent soixante bour-
gades ayant chacune leur émir.
El-Ia'k'oubi dit qu'Adanâa ^ est la plus grande ville
du pays de Zâb , vers l'Ouest ; qu'il y a beaucoup de
rivières et de sources d'eau douce. 'Ok'ba rencontra
les gens du pays , et un grand combat s'engagea , dans
lequel les musulmans eurent d'abord le dessous ; mais
Dieu leur vint en aide , et ils triomphèrent des chré-
tiens, dont la majeure partie fut détruite. Le pouvoir
de ces derniers cessa dans cette province , et ceux qui
siurvécurent tombèrent dans l'abaissement.
De là 'Ok'ba s'en alla vers Tâhart ^. Les chrétiens de
cette région, informés de ses récentes victoires, appe-
lèrent les Berbères à leur secom^. Ceux-ci consentirent
à les seconder, et se hâtèrent de leur venir en aide. Un
grand combat eut lieu, dans lequel les chrétiens, bat-
tus par les musulmans, furent poiu*suivis et perdirent
beaucoup de monde. Les Berbères se séparèrent d'eux,
et partout où les musulmans trouvaient ces derniers , ils
les tuaient, s'emparant de leurs biens et de leurs enfants.
' L*ancienne Diana.
' Plus haut. Moula- Ah'med écrit Danâa.
' Aujourd*hui Takdemt.
224 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
De là 'Ok'ba alla jusqu'à la ville de Tanger, où ré-
gnait un roi grec y qui était fort puissant. Ce chef envoya
vers le général musulman pour pariementer, et il finit
par se placer sous la domination mahométane. 'Okl)a
s'informa du pays des Andalous (Espagne ) , et on lui dit :
« Il est au delà de cette mer qu'on ne peut traverser. •
Il demanda au prince chrétien de Tanger de lui faire
connaître les principaux d'entre les Berbères et les
chrétiens. Le prince lui répondit : « Tu as laissé der-
rière toi le pays des chrétiens , et tu n'as plus devant
toi que des Berbères , dont la quantité est tellement
innombrable que Dieu seul en sait le compte. Ce sont
des gens sauvages. » 'Okl)a demanda où ils se tenaient :
« A Sous-el-Adnâ \ répondit le prince ; ce sont des gens
qui n'ont pas de religion; ils mangent les morts et
boivent du sang ; ce sont de véritables animaux : ils ne
connaissent pas Dieu. •
'Ok'ba marcha jusqu'à ce qu'il les rencontra près
de Fés. Il leur livra une sanglante bataille, dans laqudle
il en fit un grand carnage. Ce qui put échapper à la
mort prit la fuite. La cavalerie des musidmans suivit
leur trace et alla jusque dans la région de Sous-el-
AkVa^, au pays de Dara'a. EUe descendit même jus-
qu'au désert de Lamtouna. 'Okl>a fit im grand butin
sur les Berbères ; il y avait des objets d'un prix inesti-
mable en Orient, entre autres, des peHes, dont ils
eurent pour une valeur de plusieiu^s millions.
* Sous le rapproché.
' Sous Téloigné.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 225
La population fuyait devant les guerriers musulmans ,
sans pouvoir se rallier, et ^Ok'ba arriva ainsi jusqu^à la
grande mer, la mer de ceintiu*e. Il entra à cheval dans
les flots , et dit : « Sur vous soit le salut ! » Ses compagnons
lui dirent : « Qui salues-tu, ami de Dieu ? — La com-
pagnie de Jouas , répondit-il , et si la mer ne s y oppose
pas, j'irai jusqu'à eux. » Il dit encore : • Dieu, tu sais
ce que je te demande , ce que t'a demandé Iskander-
dou-el-K'orneïn ^ » Ses compagnons lui dirent : « Et
qu'a demandé Alexandre ? — Il a demandé à Dieu de
ne pas honorer un autre que lui , » dit 'Ok'ba ; puis il
ajouta : « Dieu, j'aime ta religion et je déteste ceux
qui ne croient pas en toi. » Ses compagnons lui dirent :
« Allons-nous-en avec la bénédiction du Seigneur. »
En voyant les musulmans revenir, les Berbères s'en-
fuirent de tous côtés sur le chemin qu'il suivait. Cet
événement eut lieu en 63 de l'hégire (882 de J. C).
'Okl)a, en arrivant auprès de Tanger, ordonna à ses
compagnons de prendre les devants pour annoncer les
nouvelles aux gens de la ville et leur dire, de sa part,
qu'après avoir abattu les gens de l'Afrik'îa et avoir
vaincu les Berbères de Sous il allait attaquer Tahouda
et Bâdès , afin qu'il ne restât aucun pouvoir debout ,
dans tout le pays, autre que celui de l'islam. L'armée
partit d'abord, et il ne resta que peu de monde avec
'OkTîa, qui se remit ensuite en route pour Tahouda,
* Alexandre aux deux cornes; surnom que les Arabes donnent à
Alexandre, roi de Macédoine, parce qu il a subjugué les deux cornes
ou extrémités du monde, TOrient et TOccident.
29
226 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
afin d'y laisser la cavalerie dont le pays avait besoin.
Il arriva donc avec son escorte, qui était peu nom-
breuse. Les Grecs , s'aperce vaut de la faiblesse de ce
détachement, conçurent la pensée de s'en emparer; ils
fermèrent la porte de leur citadelle, et commencèrent
à insulter 'Ok'ba, et ils lui jetèrent des pierres. Celui-ci
leur fit des reproches de leiu* conduite et leur dit :
n Vous vous êtes faits musulmans, restez musidmans. •
Il entra ensuite dans la ville.
Les Grecs envoyèrent vers Kacila El-Bemouci , chré-
tien qui était devenu musulman à l'instigation d'Abou-
el-Mouhêdjir, dont il avait été bien traité. Quand ce
dernier fut remplacé , il avait recommandé Kacila à son
successeur 'Ok'ba, qui, cependant, ne fit rien pour lui.
Bien plus, 'Ok'ba ayant amené beaucoup de bestiaux,
ordonna de les égorger pour les distribuer à l'armée,
et il dit à Kacila de se mettre à les dépouiller avec ses
bouchers. Kacila lui répondit : « Que Dieu vous protège !
mes serviteurs égoi^eront à ma place. » Mais 'Ok'ba,
en colère , lui ordonna d^obéir sur-le-champ. Kacila
exécuta cet ordre avec indignation. Au commencement
il essuya sa barbe avec ses mains. Les Arabes se mo-
quèrent de lui, disant : «Que fais-tu là. Berbère .'^»
Kacila leur répondit : « Ce que je fais est bien , peu
importe. » Ils se turent, et un chef qui vint à passer
leur dit : « Craignez ce Berbère ; car, si vous tombez
plus tard entre ses mains, il vous rendra ce que vous
lui faites. *
Ahou-el-Mouhêdjir lit de vifs reproches à 'Ok'ba, au
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 227
sujet de sa conduite envers Kacila. «Tu n imites pas,
lui dit-il, la conduite du prophète envers les grands
de TArabie qui se convertissaient, tels que El-Ak'ra'-
ebn-H'âber et Aouïaïna-ben-H'ac'en, toi qui maltraites
ainsi un homme depuis longtemps converti ; un homme
puissant, et cela, dans son pays, au milieu des siens. »
'Ok'ba ne fit pas attention à ces paroles.
Lors donc que les Grecs envoyèrent à Kacila le mes-
sage dont on a parlé plus haut, ils le trouvèrent dis-
posé à la révolte. Kacila leva l'étendard de l'insurrec-
tion, et souleva tout le pays. Abou-el-Mouhèdjir, informé
de ceci, engagea 'Ok'ba à aller attaquer cet homme
avant qu'il eût le temps de réimir de grandes forces.
Le général musulman se mit effectivement en campagne.
Les Berbères dirent à Kacila : « L'ennemi n'a que cinq
mille hommes à nous opposer; nous en avons cinquante
mille. » Kacila leur répondit : « Attendons ; nous ne pou-
vons qu'augmenter en nombre, tandis qu'eux, au con-
traire, s'affaiblissent. »
'Okl)a se dirigea vers Afrik'ïa , et les Berbères mar-
chèrent contre lui. En ce moment, la majeiu'e partie
des musulmans était à K'aïrouàn, avec Zouhir-ebn-
K'îs. Kacila rencontra 'Ok'ba dans les environs de Ta-
houda. 'Ok'ba descendit de cheval, pria deux rikat' et
donna l'ordre de délivrer Abou-el-Mouhêdjir, qui était
aux fers, ordre qu'on exécuta. Il envoya ensuite cet
homme vers le gros des musulmans , avec des instruc-
tions sur ce qu'ils avaient à faire , lui disant qu'il com-
' Parties dans lesquelles se divise la prière légale.
228 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
battrait en attendant. Moiihédjir lui répondit : « Je
resterai pour combattre à tes côtés. » Tous deux bri-
sèrent le foiureau de leur sabre , et cette action fut imi-
tée par tous les autres musulmans.
^Okl)a donna Tordre à tout son peuple de mettre pied
à terre. Alors se livra ime sanglante bataille , qui dura
jusqu'à ce que Texcès de la fatigue et le nombre des
blessures empêchèrent les musulmans de continuer la
lutte. D'aiUeurs, Tennemi ne cessait d'augmenter. 'Ok'ba
et Abou-el-Mouhêdjir moururent, et, avec eux, tous les
musulmans, sauf Mohammed-ben-Aoumen-el-Ans'àri
et im petit nombre d'autres, qui furent faits prisonniers.
Ils fiu^nt rachetés ensuite par le prince de K afs'a, qui
les envoya à Zouhîr-ebn-K is.
Zouhir voidait aller en Egypte pour amener des
fnnipos. Il avait avec lui Rabîà, beau-fils de Kàb-el-
Aah Ivir. Zouhir lui dit : • Qui crois-tu que l'on mette
à la place dOL'ba. » Uautre répondit : • Je crois qu'on
Uii donnei^ pour successeur un honune de Bali , et toi,
tu es ini honune de Recàn. • • Dieu est grand! s'écria
/ouhir : je suis, en eflet, de Bali-khoula; mon grand-
pèiv est ne dans cette tribu, quoique plus tard il ait
\ecu chei les l\ei\în. •
I .es sjens du Mor rvb se rassemblèrent sous le drapeau
de K.U lia , qui se prt^|\ira à marcher sur K'aîrouàn. La
ivxohe ga:;ua jusque TAfrikTa, quand on y connut qu'il
/imhir haran;:tu les nul^ulman^ et leur dit : ■ Nos
\auKua^)e> qxu ouf tixMoe la nK»rt a côté d'Ok'ba sont
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 229
entrés dans le paradis , sMl a plu à Dieu , et ils ont reçu
la palme du martyre. Les portes du paradis vous sont
ouvertes, entrez où sont entrés vos amis, et si vous
restez vivants, que ce ne soit que parce que le Sei-
gneur vous aura accordé la victoire. »
H ench-^s-S'enâni se leva et dit : « Non, nous ne
suivrons pas ton avis; nous ne sommes pas sous tes
ordres et tu n'as pas de commandement à exercer sur
nous. Nous ne voulons pas mourir, mais bien nous re-
tirer avec cette armée de musulmans qui restent. »
H'ench criait de toutes ses forces et avec la voix reten-
tissante diua crieur public : « Que celui qui veut se
sauver me suive I Après quoi , il se mit en route et alla
à K'eç'ar-el-Mâ « le château d'eau. » Tout le monde l'y
suivit, et il ne resta avec Zouhir que sa famille, qui
était peu nombreuse. Zouhir, voyant cela, se décida à
suivre la masse.
Kacîla arriva avec son armée auprès de K'aïrouàn.
Les Arabes de cette ville, se sentant trop peu nom-
breux pour combattre cette troupe immense de Ber-
bères et de Grecs qui venaient les attaquer, prirent le
parti de se retirer et d'abandonner K'aïrouàn , où il ne
resta que le bagage, les enfants, les malades ou infirmes.
Ceux-ci envoyèrent demander l'amàn à Kacila, qui le
leur accorda. Ce chef des Berbères fit ensuite son en-
trée dans la ville en moh'arrem de 64 (883 de J. C).
Zouhir resta à Bark a jusqu'à la mort de lezid-ben-
Mâ'ouïa, vers le milieu de s'afer 64. Mâ'ouïa-el-As'r'ar
fut alors salué khalife, puis il mourut, au bout de deux
230 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
mois et dix jours. On choisit en Syrie Merouàn-ebn-
el-Hakem, lequel mourut en ramad'ân 65; son fils,
'Abd-el-Mâlek, lui succéda. Ce prince prépara ses forces,
consolida sa puissance , et ayant assemblé les grands de
rislamisme , il leur dit : « Il faut s^occuper de TAfrik^îa
et chercher à délivrer les musulmans qui s*y trouvent
entre les mains de Kacila. » Il ne voulut envoyer dans
ce pays qu'un général d'un zèle religieux égal à celui
d'Okl)a. On lui conseilla de prendre Zouhîr-ebn-K'îs-
el-Belaouî, qui était, disait-on, un ami d'Okl)a, con-
naissait son système plus que personne, et pourrait,
mieux que qui que ce fût, suivre ses traces.
'Abd-el-Mâlek lui envoya donc Tordre de se rendre
en Afrik'îa , afin de délivrer ceux des musulmans qui
étaient à K'aîrouân. Zouhîr écrivit à ce prince pour
lui donner des détails sur Kacila et siu* les Berbères
qui lui obéissaient. 'Abd-el-Mâlek lui envoya ensuite
des troupes de Syrie et de l'argent, de sorte que Zou-
hîr se trouva à la tète d'une armée considérable, avec
laquelle il entra en Afi:*ikm dans l'année 69 (688 de
J. C). Il s'approcha de Kacila, qui venait au-devant
de lui. Le chef des Berbères appela les grands qui
marchaient à sa suite , et leur dit : « 11 me semble qu'il
faut quitter cette ville (K aïrouân) ; car je ne veux pas
maltraiter les musulmans qui l'habitent et qui ont fait
un traité avec moi; mais, d'un autre côté, je crains
qu'ils se réunissent à leurs compatriotes qui arrivent.
Nous irons donc à Mêmes , où il y a beaucoup d'eau et
de quoi suffire aux besoins de notre armée. Si nous
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 231
battons ces Arabes, noiis les poursuivrons jusqu à Tri-
poli ; nous les détruirons radicalement , et TAfrlk m nous
restera jusqu à la fin des siècles. S^ils nous battent, la
montagne est proche; nous y trouverons ime retraite
et nous nous fortifierons à El- Arîch. »
Kacila quitta K'aïrouân et alla camper à Mêmes,
où il rencontra Zouhîr, qui marchait sur K aïrouân. Le
chef arabe s'arrêta à Bâb-Sela\ où il demeura trois
jours poiur faire reposer son armée. Il se remit en
route un mercredi , et marcha jusqu'à ce qu il aperçut
Kacila, ce qui arriva vers la fin de la journée. Les
deux armées firent halte et bivaquèrent en vue Tune
de Tautre.
Au s'bah\ Zouhir fit la prière , puis marcha à Ten-
nemi, et le combat s'engagea. Kacila fut vaincu et tué
à Mêmes, qu'il ne put traverser. Pendant que les mu-
sulmans poursuivaient vigoureusement les Berbères,
Zouhir alla à Kaîrouftn. Les gens de TAirik'ïa, redou-
tant ce général , se retirèrent dans leur forteresse. Pen-
dant ce temps , Zouhir voyant la beauté de ce pays , et
combien la vie y était séduisante, résolut de n'y pas
rester, lui qui était venu pour faire la guerre sainte.
Il alla donc à Barka, où il y avait, en ce moment, des
chrétiens qui , lors de son passage vers l'Afrik'ïa, ayant
su sa marche vers l'Ouest, étaient venus dans cette
ville sur des navires, et y avaient exécuté une razïa,
enlevant hommes, femmes, enfants, dépouillant ou
tuant les fidèles. Zouhir, en approchant de Bark'a, ap-
prit que les chrétiens y étaient encore. Il ordonna à
232 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
son armée de suivre le chemin, tandis que lui, avec
un détachement, marchait par le Sah el. U pensait que
cette disposition suffirait pour faire fuir Tennemi et dé-
livrer les musulmans. Il arriva en vue des chrétiens,
qui étaient nombreux. Ceux-ci ne piurent revenir sur
Bark'a , et gagnèrent le littoral , au grand déplaisir de
Zouhîr, qui voyait sa prise siur le point de lui échapper.
Mais lorsque les fuyards eurent embarqué le produit
du pillage, Tarmée clu'étienne reçut Tordre de débar-
quer, ce qu'elle exécuta. Les musulmans se précipi-
tèrent sur eux, et on combattit corps à corps. Zouhîr
y périt avec tous ceux qui raccompagnaient , et les chré-
tiens enlevèrent tout leur butin , le portèrent dans leurs
vaisseaux , et prirent la route de Constantinople. Quand
'Abd-el-Mâlek reçut cette nouvelle, il s'affligea svay
tout de la mort de Zouhîr, homme très-pieux et qui
avait eu la même fin qu Okl)a.
Les grands de Tislamisme s'affligèrent de cette mort.
'Abd-el-Mâlek leur demanda qui il devait envoyer en
Afi:'ik'ïa. Ils répondirent qu'ils ne connaissaient personne
qui méritât plus cet honneur que H acen-ebn-en-Neu-
mân-el-R'oçâni , qui se trouvait alors en Egypte avec
un corps d'armée d'observation fort de quarante mille
hommes. En conséquence le khalife écrivit à H acen de
se mettre en route. Celui-ci distribua des gratifications
à ceux qui le suivaient en Âfrik'îa , et il se trouva à la
tête d'ime forte armée ; on n'en avait jamais vu une
pareille en ces contrées. Son départ eut lieu en 69
(688 de J. C). H'acen marcha jusqu'à El-K'aïrouân;
VOYAGE DE MOULAÂH'MED. 2^
là , il demanda aux gens d'Afrik'îa où se tenait leur
principal chef. On lui répondit que c'était à K art'â-
djenna \ grande ville dont les murailles sont battues par
les flots de la mer, et qui est à douze milles de Timis
et à cinq milles d'Ei-K'aïrouàn. H'acen se dirigea de
ce côté : il y avait une population nombreuse à K ar-
t'âdjenna , parce que c'était la résidence des rois d'A-
frik'îa.
H acen fît avancer sa cavalerie. La mer ne pénétrait
pas alors dans les terres comme aujourd'hui. Cette
ville était devenue un arsenal. Là se rencontrèrent les
armées, et le combat commença. -H'acen obligea les
ennemis à rentrer derrière leurs murailles, et il les
assiégea. Un grand nombre de ces chrétiens étaient
morts dans le combat ; lem* chef et les gens employés
par le gouvernement impérial résolurent de s'enfuir.
Ils avaient des bâtiments tout près, sur lesquels ils
partirent, emportant leurs richesses. Les ims allèrent
à Djezira-S'ek'ila (la Sicile); d'autres gagnèrent le pays
des Andalous.
Après la retraite de ces gens, H'acen retourna sur
ses pas, et marcha sur les indigènes de la campagne
( Ahl-el-Badïa), lesquek vinrent se réfugier dans K'ar-
t'âdjenna. Alors le général musulman revint en faire le
siège, qu'il poussa vigoureusement jusqu'à ce qu'il la
prit d'assaut. Il y périt beaucoup de monde. H acen
avait détruit les édifices de là ville et l'aqueduc qui y
conduit l'eau. Il apprit que les chrétiens rassemblaient
' Carthage.
30
t
234 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
du inonde pour le venir combattre , à Tinstigation des
Berbères. Il marcha à Tennemi, le mit en déroule, el
les Berbères s'enfuirent jusqu'auprès de Bark a.
H acen alla ensuite à El-K a ïrouân , où les musulmans
prirent quelque repos, t Quels sont, demanda leur gé-
néral, les principaux chefs qui nous sont hostiles en
Afrik'îa, afin que j'aille les détruire pour épouvanter
les chrétiens et les Berbères? » Les gens d'El-K aïrouân
lui répondirent qu'il n'y avait personne de plus puis-
sant en Afi:ique qu'une femme appelée Kâhina ^ , qui
commandait dans le Djebel-Aourês, et se faisait obéir
et craindre des chrétiens et des Berbères.
H acen résolut d'aller combattre cette femme. Celle-
ci , qui en fut informée , partit du mont Aourês ( JkA>
ijé\j^\ ) à la tête d'une forte armée , et se dirigea vers
la ville de Bâr aia (jUpL ) ^. Les Grecs en sortirent, et elle
la fortifia soigneusement, de peur que H acen ne prit
l'avance et ne s'emparât de ce lieu, important par sa
force, dont il ferait une base d'opérations.
Lorsque les deux armées se trouvèrent en présence ,
c'était vers la fin du jour. H'acen ne voulut pas que la
rencontre eut lieu à cette heure avancée. Il ordoqna
toutefois à sa cavalerie de laisser les chameaux sellés
pendant la nuit.
' J*ai déjà fait remarquer qu^ElKâbîna n*est qu'un sobriquet, et
que le vrai nom de cette reine est Damîa.
' L*auteur anonyme du traité de géographie, n* 1^6 A de la biblio*
thèque d* Alger, dit qu^il y a huit jours de marche entre Bougie et Râ-
r'aïa, dont il écrit le nom ainsi ajU^ •
VOYAGE DE MOULA-AHMED. 235
Dès le matin du jour suivant, le combat s^engagea;
il fut terrible, et les Arabes y firent des pertes énormes.
£1-Kâhina fit prisonniers trente des compagnons d'f ezid,
parmi lesquels se trouvait Khâled-ebn-Iezid-el-Abbaci ;
il y avait aussi des chérifs. La reine des Berbères pour-
suivit Tarmée arabe jusqu à ce que celle-ci eût dépassé
le pays de K'âbes, et qu'elle eût évacué rAfrik'ia.
H acen fit part de ces nouvelles à 'Abd-el-Mâlek ; le
khalife lui répondit : « Arrête-toi dans le lieu où ma lettre
te parviendra. » Ce fut dans le pays de Barka; il resta
cinq ans en cet endroit, dans un lieu qui a pris de lui
le nom de R'eçour-H'acen ((^^^Mb»» j^^âi)/ Abd-el-Mâlek
avait cherché un général pour envoyer en Afrik'ïa , et il
avait consulté les grands à cet égard ; mais on n'en avait
pas trouvé de meilleur que H'acen. On envoya donc à
celui-ci une puissante armée , de l'argent et des armes.
El-Kâhina avait mis en liberté les compagnons de
H'acen , après les avoir bien traités , et n'avait gardé que
Khàled-ebn-Iezid. Elle dit à celui-ci : « Je veux t'allaiter
comme j'ai allaité mes deux fils. — Comment cela se
pourrait-il, répondit l'Arabe; car tu n'as plus de lait,
et moi je ne suis plus d'âge à sucer le sein d'une femme.
— Chez nous autres Berbères , répliqua-t-elle , on con-
naît des moyens de faire revenir le lait quand il a cessé
de couler. » Elle fit alors apporter de la farine d'orge,
la fit cuire dans l'huile, et plaça le tout sur son sein;
elle ordonna à ses fils et à Khâled de venir teter, ce
qu'ils exécutèrent. Quand la chose fut accomplie , elle
leur dit : « Maintenant vous voilà devenus frères. »
236 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
H'acen, ayant reçu les renforts qu^on lui accordait,
chai^ea un Arabe d'aller porter une lettre à Ebn-Iezid ,
dont la constance et les principes religieux lui étaient
parfaitement connus. Son messager parvint, en se fai-
sant passer pour un mendiant, auprès de Khâled, qui,
en Tapercevant, vit que c'était un envoyé, et lui dit :
« Que Dieu t'assiste 1 va-t'en et reviens plus tard. »
Lorsque l'assemblée où se trouvait Khâled se fut
séparée, celui-ci prit les lettres de H'acen et y écrivit
sa réponse. «Les Berbères, disait-il, sont disséminés,
sans force et sans conseil. Si je reste parmi eux, ce n'est
pas que je ne puisse m'échapper, mais c'est par la vo-
lonté de Dieu, et pour être utile à mes frères. » Il plaça
ensuite la missive au milieu d'im pain qu'il fit cuire et
qu'il donna au courrier.
£1-Kâhina eut connaissance du fait ^ Elle dénoua ses
cheveux, qui tombèrent en désordre , frappa sa poitrine,
et dit aux siens : « Des nouvelles qui vous concernent
viennent d'être envoyées dans un mets. • Alors les grands
se dispersèrent dans tous les sens, afin de saisir l'en-
voyé; mais, par la grâce de Dieu, ils ne le trouvèrent
pas, et il arriva auprès de Hacen. Lorsqu'on retira la
lettre , il se trouva qu'elle était brûlée ; le général arabe
dit alors à l'envoyé de retourner une autre fois; mais
celui-ci ne voulut pas, parce que, disait-il, El-Kâhina
était magicienne.
Cependant Hacen lui donna une nouvelle lettre,
qu'il cacha dans le bois du pommeau de sa selle, eu
* Par son savoir dans Tart de la divination.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 237
un trou dont on boucha Tentrée avec de la cire.* Le
messager arriva sain et sauf, remit sa missive , et reçut
de Khàled une réponse qui fut placée dans la même
cachette.
£1-Kâhina sortit encore cette fois tout échevelée , et
cria : ■ Des nouvelles qui vous concernent viennent d'être
emportées, et sont cachées dans une chose qui pro-
vient de la terre ^ et je les vois entre deux planches.
Il y avait alors cinq ans que cette femme gouvernait
rAfrik'ïa, c'est-à-dire depuis que H'acen en était parti.
Quand elle vit que les Arabes ne revenaient pas, elle
dit aux Berbères : « Ces gens^là ne veulent en Afrik'ïa
que les villes , For, Taisent , les arbres ; et nous autres ,
nous n'avons besoin que de champs ensemencés et de
pâturages. Il me semblé donc qu'il faut détruire les
cités, afin que nos ennemis oublient ces contrées, et
qu'ils cessent de désirer d'y venir. » Alors elle envoya
l'ordre de couper les oliviers et tous les arbres à fruits ,
et de démolir tous les édifices et bâtiments.
Les gens versés dans la connaissance des anciennes
chroniques disent , d'après 'Abd-er-Rah mân-ebn-Ziâd-
ebn-Ana'm , que l'Afrik'ïa , depuis Tripoli jusqu'à Tan-
ger, était un ombrage continuel, et qu'il s'y trouvait
une multitude de lieux très^^peuplés. Il ajoute que c'est
El-Kâhina qui a détruit les arbres auxquels on devait
cet ombrage, et fait démolir les villes où étaient ces
populations.
^ Le bois de la selle, lequel provenait d*un arbre.
238 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
Le cheikh Moh'ammed-ebn- Ali , auteur d'un com-
mentaire sur Chek'rât'sîa ^ , prétend avoir entendu dire
qu'il y avait autrefois, en Afrik'Ia, cent mille lieux for-
tifiés, châteaux ou villes. Lorsque le sultan qui com-
mandait k cette contrée voulait faire la guerre , il tirait,
de chacim de ces endroits, un dinar et un cavalier; de
sorte que, sans grever personne, il avait un trésor de
cent mille dinars et une cavalerie de cent mille hommes.
Dieu connaît la vérité de ceci.
Celui qui examine la quantité de villes et de châ-
teaux ruinés qu'il y a en Afirik'îa, et qui les suppose
habités, éprouve un grand étonnement. Il en conclut
nécessairement que la popidation a dû être considé-
rable jadis. Si on examine aussi les arbres de ce pays ,
on voit qu'ils ont été plantés par la main des hommes ,
et ne sont pas, comme ailleurs, un produit spontané de
la natiu^e. Ces térébinthes, si nombreux en Afrikm,
étaient autrefois des fest'ek^; mais, n'étant plus culti-
vés, ils ont dégénéré à la longue. On n'a qu'à goûter
les baies vertes du térébinthe , on y reconnaît un goût
de pistache.
Sitôt que la lettre de Khâled fut parvenue & H'acen,
celui-ci se mit en route avec son armée. Il rencontra
ti\>is mille chrétiens, lesquels cherchaient à échapper
à Kl-Kàhina « qui avait ordonné la destruction de leurs
maisons et de leiu^s culliu^s. Le général musulman mar-
cha dix>it sur K àWs ; les gens de la ville vinrent au-de-
\ o\e4» plus Iwut, U note sur col ouvra^.
IS>LHhier Cel jirlMr\» eM Ju çenredes tert^binllie*.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 239
vant de lui, demandant Tamân ^ Jusqu'alors, se fiant à
leurs fortifications, ils avaient soutenu la guerre contre
les musulmans, et on ne les avait jamais attaqués im-
punément. H'acen leur donna im 'amel ^, et fixa le tribut
qu ils devaient payer annuellement ; puis , abandonnant
le chemin d'El-K'aïrouân , il tourna vers le K'eç'our-
Kafsa (jUâjijyâi) et s'y arrêta. Le roi de Kafs'a lui
apporta le cadeau de bienvenue, et lui demanda, de
concert avec les rois de K'oust'abîla ( i^li>»b^>É<^ ) ' et de
Nifzàoua , de les délivrer d'El-Kàhina , demande qui fit
grand plaisir à H'acen.
La reine des Berbères , informée de l'arrivée de ses
ennemis, descendit du Djebel -Aourês poiur aller les
combattre à la tête d'ime puissante armée. Lorsque la
nuit fiit venue , elle appela ses enfants et leur dit : « Je
suis une femme morte : il me semble voir deux cava-
liers qui firappent sur ma tête du côté de l'Ouest; il me
semble aussi voir ma tête entre les mains du sidtan des
Arabes, de celui qui a envoyé le messager. »
Khàled lui dit : « S'il en est ainsi , fuyons , et aban-
donnons le pays aux musulmans. >» Ses enfants lui don-
nèrent le même conseil; mais El-Kâhina leur répondit :
« Ce n'est pas la coutume des rois de fîiir devant le dan-
ger; après avoir commandé aux Berbères, aux Arabes et
aux chrétiens, je ne saurais prendre la fuite. Si je fuyais,
on parlerait mal de moi jusqu'au jour du jugement. »
' Sauf-conduit, protection.
' Espèce de k'aîd.
^ Il faut lire , je crois , K'astil'îa.
240 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
Ses enfants lui dirent : « Est-«e que tu es en crainte
pour ton armée? — Que m^importe, répliqua-t-elle ,
quand je serai morte ! — Que ferons-nous ? reprirent-
ils. — Toi, Khâled, lui dit-elle, tu seras un grand per-
sonnage auprès du roi des rois ; et quant à vous , mes
enfants, vous serez aussi élevés en dignité auprès de
ce sultan ; vous deviendrez les principaux des Berbères,
auxquels vous conunanderez. >
La reine ordonna ensuite ii Khâled et à ses fils de
monter k cheval et d*aller demander Famân à H acen ,
ce qu ils exécutèrent. Khâled raconta toutes ces cir-
constances à son général, et lui présenta les enfants
JEl-Kàhina, qui iîurent bien traités. Quant i Khâled,
il deWnt ^néral de la cavalerie.
El-Kâhina se présenta à son aimée les cheveux en
désordre, et leiu- cria : « Prenez garde i vous, car elle
est tuée. • Alors des deux paris on en vint aux mains,
et le combat fut terrible. Le nombre des morts, de
chaipie côte, derint considérable, et il y avait cepen-
dant un tel acharnement qu^on conmiença à croire
qu^aucun des deux partis ne remporterait la victoire
t.tnt qu il y aiuait un adversaire vi^^anL Dans ce mo-
ment d'incertitude. EJ-Ràhina fut tuée; H acen Tavait
Mii^ie jusipra ce qu'il la ^~it tomber et qu^on lui eût
CinijH^ U tôle. Fbns Fendroit où ced airiva, il y avait
un }nùts. qui e>t connu sous le nom de Bir-el-Kâfaina
I \ 4^vn axvcrviji ranvin aux fils de cette reine , à con-
^^ti\M^ qu'*U t^Min*.*.mîent ^loiue mille Berbères pour
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 241
faire la guerre sainte avec les Arabes. Ceux-ci y con-
sentirent, lis devinrent les chefs de leurs compatriotes ,
et ils embrassèrent Fislamisme. Ce corps de douze mille
Berbères iut partagé en deux parties égales, qui furent
commandées par chacun des fils d'El-Kàhina.
Ces nouveaux auxiliaires allèrent en A£rik'îa avec les
Arabes qui faisaient la guerre sainte pour Tamour de
Dieu, et ils tuèrent les infidèles, Berbères ou Grecs.
H'acen alla enauite à £l-Kaïrouân. Ces événements ar-
rivèrent en 7 4 de Thégire (ôgS de J. C); et dès lors
rAfiîk'îa fiit soumise aux musulmans.
On fixa le tribut ( kharàdj ) que payeraient les chré-
tiens du pays, les Berbères de leur religion et les autres.
La paix se maintint jusqu'au départ de H acen , qui fut
rappelé et remplacé par Mouça-ebn-Nâc'er.
Ici finit le morceau abrégé, extrait du CharK-Chek-
rât'sîa du cheikh Moh'ammed-ben-'Ali , et dont le sens
est analogue, quoique les expressions ne soient pas tou-
jours les mêmes ' .
A Tas'firâr, j'entrai, avec beaucoup de mes amis,
dans la zaouîa deSid-0kl)a(A4Ju ^^Jsa^ '^^b)- L.^ tom-
beau de ce saint personnage est dans un lieu qui se
trouve au-dessous du Djebel-Aourês, à Tendroit où il
a été tué, et qui est un lieu de pèlerinage. On y trouve
une mosquée remarquable , et , à côté , im joli bourg.
' J*ai conservé, dans la traduction, cette digression historique
malgré sa longueur, à cause des détails intéressants qu*elle renferme
sur la conquête de rAfrik'ïa septentrionale par les Arabes sur les Ber-
bères. Voyez, à la fin de Touvrage, Textrait de Chat'ibi sur ces derniers.
SI
242 VOYAGE DE MOULA AH MED.
Le minaret est trèfi-élevé et bien construit. On y voit
deux piliers, et les pèlerins croient que si on les secoue
un peu en disant, « Par la grâce de Sid-Okl)a, re-
mue, » le minaret tout entier tremble.
Dans mon pèlerinage de 1096, quelques-uns de mes
amis allèrent le visiter, entre autres le k ad'i Sid-Ah med-
el-Marrâkchi , le légiste Sid-Abd-Allah-ben-Ibrâhim-
es-Semlâli, imâm de la mosquée de T elh a (mU9)\ et
Sid-Moh ammed-ben- Abd-el- Aziz-er-Rosmouki . Tous
ont témoigné de ce fait et Tout cru; mais notre cheikh
El-Aïachi le conteste^.
Mercredi, 26 redjeb (ai septembre).
Nous quittâmes cet endroit emmenant un Arabe
appelé Moh ammed-el-Mabrouk, qui devait nous con-
duire sur le chemin des Zerârib (*?*^l2>^'). Nous des-
cendîmes à Mens ef ( uuojM ) longtemps après Tac'er, et
nous y trouvâmes les résenoirs pleins d^eau de pluie.
1*0 nom de cet endroit, Mens'ef, vient de ce qu'il est à
moitié dis'^tance entre les Zerârib et Sid-0kT3a.
Jeudi, 37 redjeb (a a septembre).
IV l;\ nous allâmes à El-Khefef { oul^ ) , où Ton fit
une haho pour déjeuner et se poimoir d'eau. Vers
riuMUV ihi dohor, nous arrivâmes à Zeribet-el-Ouadi
{^iiyi AAM\^ : nous nous y arrêtâmes et y fîmes le k'i-
• IVul tMiv, »u lù*u do éji^^ ûul-il Hn? AjfrJr*
* \o\0i d.i«N Fi-'VKwli k» jviv^ig^ auquel Moula -Ah'med fail
aUumoii
VOYAGE DE MOULA AHMED. 243
loula dans la k'otibba de Tami de J)ieu , le chérif Sid~
H acen-el-Koufi. Les gens du pays pensent que ce saint
homme est venu de Koiifa (**^), parce que Tinscrip-
tion qui se lit sur son tombeau est en caractères kou-
fiques. On disait un jour à Sid-H acen : « Prouve-nous
que tu sois chérif. » Pour toute réponse , il se leva , fit
quelques pas et revint à sa place. Il tenait à la main un
cylindre dans lequel était sa chedjera ou arbre généa-
logique. Cette pièce, quoique écrite en caractères kou-
fiques, paraissait cependant toute récente. On rapporte
qu avant l'arrivée de Sid-H acen, le ouadi n avait pas
d'eau courante, et que les habitants se plaignaient de
cela. « Donnez-moi une récompense , leur dit le mara-
bout, et le mal cessera. » On fit droit à sa demande, et,
depuis lors, la rivière coule. Je tiens ceci de gens véri-
diques qui appartiennent à une fraction des Oulâd-
Sidi-Nâdji (^b ^^Ovu- à^^l).
Après avoir fait nos dévotions sur le tombeau du
saint, jusqu'aux environs de l'ac'er, nous nous remîmes
en route, et nous allâmes descendre à Omm-el-Kheir
ij^ J ) , avant le mor reb.
Vendredi, 28 redjeb (a3 septembre)
Je rencontrai beaucoup d'amis en cet endroit , et j'y
vis plusieurs marabouts ainsi que leur imâm et leur
professeur Sid-Ah med-ben-'Amar. Nous séjoiunâmes
le vendredi , pour donner aux pèlerins le temps d'acheter
aux Arabes ce qui leur était nécessaire en chameaux, etc.
244 VOYAGE DE MOULA AU'MED.
Quant à moi, jy £« Facquisitioo de cinq chameaiu,
outre les trois que j^avais achetés i Zeribet-el-Ouadi.
Samedi , ag redjeb ' a^ sepiembre *
Le samedi, nous partîmes après avoir loué un guide
pour nous mener sur la route de Touzer (j^\^ ) , moyen-
nant un rîal; il s^appelait Meça Wd4>en-S àlah'. Arant
d^arriver à Mens'ef [sjuoà^]^ où Ton coucha, nous
trou\-àmes des réservoirs Jeau de pluie.
Dbaincbe. i*' chalian aS septembre .
NoiiscvHichimesà FOue^ d*Ouad-er-Jlatam [*3^ ^1^' .
Landi, a cha'ban 1 6 septembre
I.JI cjuravajie coucha à Ras'rin-Ka'mran (^1
^«^i»«j& *. de rOue^t- On v trouve de Feau courante
Virii. 3 ciulxin 37 septembre .
\vHi5 jMrSJsîuies» U cuit de ce jour à Ech-Chehika
^jO^nmàJ* . v^u uca5 irri^ime:^ aux environs du mor'reh.
V i L'vf ^è r. 4 cLiImh îS septembre
V^u> vVv;vrJ*A>f> 1 Fi-cl imnu â*^. • ou Ton arriva
U*,s* st V » ^iNV ^x-uiiv 4JI % or ie m:i2^ 1 r«iiVb, sans doute pour
^ s\«.K> N* >»vm\v^«v' •a**:t. **v '««.•a ••.-'•nrf. V *c'i*- \ii med apf»el]e
>>■• ^"*K,»*x'** N %kX •■ \»# v\tritit' \ tir ut.
VOYAGE D£ MOULAAH'MËD. 245
Jeudi, 5 clia*ban (ag septembre).
Nous arrivâmes à Touzer {jjp ) , au d'oh'a , le mercredi
4 de cha'ban et le 24 de chitenber^ Je laissai trois
chameaux chez Sid-el-Hâni-ben-el-H'afiàn , et il m'en
mourut un de maladie. Un autre mourut également à
la sebkha ( iui^^ ) , avant d'arriver à El-H'âmma. Nous
séjoiumâmes le jeudi.
Vendredi, 6 cha*ban (3o septembre).
Touzer est la capitale du Belâd^el-Djerid ( Os^j d^),
et dépend de la région de Tunis. Dans un pèlerinage
antérieur à celui-ci , j'y trouvai Têmir de Timis, Ram-
d'ân-Bey, qui était venu avec un camp percevoir le
kharàdj dont il avait frappé ce pays, selon l'usage. Que
Dieu les délivre de cette coutume , et la fasse dispa-
raître bientôt de la terre de l'islam , et la remplisse, à
tout jamais , de justice, de paix et de religion véritable ^!
Je n'ai pas vu dans le Belàd-el-Djerid de ville plus
abondante en palmiers que Touzer. Elle possède les plus
* n résulte du calcul antérieur de Moula-Ahmed et de ce qui va
suivre, qn*il a mis ici mercredi U au lieu de jeudi 5, et 2à septembre au
lieu de 29. Peut-être est-ce au copiste qu*il faut attribuer cette erreur.
' Ce passage, et quelques autres du même genre que le lecteur a pu
rencontrer, prouvent que le kharâdj était considéré comme une véri-
table exaction par les musulmans rigides , et non comme un impôt
régulier perçu en vertu de la loi.
Le kharâdj-er-rous était une capitation, et le kharâdj-el-ard' un
impôt foncier. C'étaient deux branches diverses du tribut général de la
conquête.
246 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
beaux bâtiments de la contrée, est plus grande que
Biskra et est bien arrosée. Elle est plus belle que cette
dernière ville, parce que ses constructions sont en
briques. Je ne reviendrai pas sur les mosquées et les
minarets , dont j'ai déjà parlé.
Touzer possède, en quantités innombrables, des
fruits de toute espèce ; des milliers d'individus en man-
geraient à satiété et en emporteraient à discrétion,
qu il en resterait encore. Ses dattes sont les meilleures
du Djerid. Les jardins sont nombreux et les eaux abon-
dantes. Une grande rivière traverse la plupart des ver-
gers, et a sa source à TOuest de la ville.
Les .\rabes de cette contrée sont des Bédouins la-
boiureurs et pasteurs. Là , tout se trouve à bon marché ,
graine, viande, et les dattes plus que toute autre chose.
Bref, le bas prix des denrées à Touzer rappelle le
Ouadi-Dara^a et autres lieux semblables.
^L1is un gouvernement injuste a gâté ce pays au point
dVu amener la destruction , et les habitants se sont vus
ivduits à la misère par finiquité de leiu^ chefs *.
Mohammed-Bev y a fait bâtir une belle medreça
|H>ur les t o'ilva, à colé d^une mosquée solidement cons-
truite : toutes les colonnes sont en marbre, il a été
olo>é à KVibos une autre école supérieure semblable,
.sinon plus belle. Que Dieu fasse miséricorde à ce
prince et à nousî
Les *ruiYs ont établi le réirime de la violence dans
MouU- \K uu\l \iHil jvirlor ici du svsleiuc turc, qui appliquait aux
uuivuluv^n^ ^V w< *>sitr\v< U*s Kh5 no^ur\*u5«i du vainqueur, lois qui
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 247
ce pays, et il en est résulté Tinjustice et la corruption.
On m'a dit qu'on leur payait sixnaouâc'er^ pour chaque
palmier et quatre par olivier. Le nâs'ri est une mon-
naie connue dans ce pays, et qui a la valeur d'un cin-
quante*deuxième de rïal. Dans mon pèlerinage pré-
cédent , des chert abin ou collecteurs m'ont appris que
leur kharâdj était de cinq mille rial par an pour le
Djerid, depuis Neft'a jusqu'à K'âbes, et que le kha-
râdj ^ total s'élevait à soixante mille rïal , outre la monna
ou approvisionnement qu'on doit aux cavaliers du bey-
lik en blé, riz, grains, vinaigre, huile, viande. Que Dieu
les délivre de ces iniquités qui pèsent siu* eux, et ne
permette pas la continuation du règne des gens pervertis I
Neft'a ( Mh^j ) est une grande ville près de Touzer,
qui est aussi arrosée par une rivière. On dit que le
kharâdj qu'elle paye est le tiers de celui de Touzer.
Nous partîmes de Touzer et nous arrivâmes le ven-
dredi 6 de cha'ban à Sedâda (il^t43^dui), dans le pays
de Sid-Abou-Helâl ( J^K^ ^1 ^^ Jyu*») , sur les bords d'une
sebkha (a^^Siam ). J'y achetai deux chameaux, l'un pour
vingt et un rial moins un quart, l'autre pour dix-neuf;
enfin j'échangeai deux mides pour deux chameaux.
Sid-Helâl est enterré sur un mamelon de la mon-
tagne. Son tombeau est célèbre; il est accompagné
n avaient été faites que contre les chrétiens et autres peuples subjugués
étrangers à Tislâm.
^ Pas tout à fait douze centimes.
* Le mot est surchargé dans le manuscrit. Je crois qu*il faut lire :
248 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
d'une mosquée bien construite, auprès de laquelle il
y a des bâtiments inhabités et beaucoup de sépultures.
Samedi, 7 cha*ban (1" octobre).
Nous partîmes de Sedâda le samedi, septième jour
de cha'ban , 1 " octobre ; nous entrâmes dans la sebkha
El-Kebira-el-Hâïla {'i)<^\^\ ày^\ k^^)^ * la gronde, la
difficile ; » nulle part on n'en trouve une pareille pour
la longueur et la laideur. Avant d'entrer dans cette
sebkha , nous rencontrâmes quelques pauvres t o'iba du
pays de Tougourt\ qui revenaient de pèlerinage, et
nous donnèrent de bonnes nouvelles de nos amis.
La caravane était inquiète en traversant cet étang
salé, où les chameaux peuvent s'engloutir d'un mo-
ment à l'autre. L'imam El-'Aiachi raconte le fait rela-
tif à une troupe de pèlerins qui y furent ensevelis , à tel
point qu'il n'est resté d'eux ni traces ni nouvelles.
Nous nous arrêtâmes à FOuest de la zaouîa Er-Remel
(Ju^t Aj^lj) avant l'as'fîrâr. Conune il ne se trouve pas,
dans cette sebkha, de pierres pour faire le& ablutions*^,
ceux qui a^Tiient l'expérience des localités avaient fait
leurs provisions à l'exemple de tout homme intelligent.
Par une faveur divine, tout le pays de Tunis était
alors ime contrée siire, où Ton n'avait rien à craindre,
' Co nom 051 ecril ici c^j^Jo.
* I/islibrà, ahlulion des parties génitales après avoir unné, et Pis-
t<\ljomer, ct^Ue de Tanus, après avoir satisfait à un autre besoin na-
(>n a liejà vu que, lorsque Veau manque, on peut faire les ablutions
a\ec do la ton^, du sahle et môme dos pierres.
i
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 249
ni vol , ni aucun des actes de violence habituels aux
Arabes. Les méchants s'abstiennent d'attaques à main
armée , de peur que leiu* action n'arrive à la connais-
sance du gouvernement, qui, sans s'inquiéter des
formes prescrites par la loi , punit sur-le-champ et sans
plus ample information.
Quant aux fifenteries individuelles, c'est à chacun
de se mettre en garde pour n'en pas être victime;
c'est un inconvénient qui règne partout, mais princi-
palement à Touzer, pays de vols et de rapines. Par la
grâce de Dieu , ces petites déprédations n'ont pas attiré
de catastrophes éclatantes sur les peuples qui s'en ren-
dent coupables, car le Créateur est indulgent et misé-
ricordieux; autrement il aurait déjà détruit cette race
de gens qui volent la nuit et escroquent le jour.
Peu de pèlerins échappent à leurs entreprises, surtout
ceux ({ui ne sont pas au fait de ces habitudes de larcin.
Dans mon pèlerinage de 1 1 09, lorsque nous commer-
cions avec eux, ils nouft volaient ce que nous avions
dans les mains et disparaissaient avec. On arrêtait peu
de ces misérables, à cause de l'encombrement et de la
foule. Les pèlerins lavaient eux-mêmes leurs habits, les
étendaient pour sécher et restaient auprès , afin de les
surveiller; si leur attention se relâchait un instant, s'ils
venaient à tourner la tête , toute leur garde-robe dispa-
raissait en un clin d'oeil. Ceci est arrivé fort souvent.
Dimanche, 8 cha*ban (8 octobre).
Nous nous remimes en route, le dimanche , et nous
32
250 VOYAGE DE MOULA AH'xMED.
allâmes à Keç'ar-er-Roumân ((^U^l^yo»), où nous étions
arrivés i Tac er. Je trouvai , hors de cet endroit , un de
mes amis , Ebn-et-Toiuni , qui m'hébei^ea et me régala
de ce qu'il possédait dans son habitation.
Lundi , g cha*ban ( 3 octobre ' .
De là nous gagnâmes Ouadi-Nokhela (MXà^ i^^^^)^ où
nous arrivâmes avant Tas^firâr; la queue de la caravane
n'y parvint qu'à l'eucha.
Mardi, lo cha*ban (4 octobre).
Nous arrivâmes à H'âmma-K'àbes ( jm^jU iuV». ) après
le d^ohor, le mardi i o chal>an ou ^ octobre. Il me
moiuiit im chameau à cette station.
Lors de mon précédent pèlerinage, j'étais arrivé à
cette étape en passant par les Oulàd-el-H'âdj [^\Â ^^1^),
que nous avions trouvés enchantés de la venue des pè-
lerins , et offrant leiu^s tentes , qu^ils dressaient pour nous
au milieu du chemin. Ces braves gens nous appor-
tèrent dans des outres des flots de leben « petit-lait > ,
et nous comblèrent de bons procédés et d'égards. Quand
le lait qu'ils avaient apporté fut consommé, ils en
achetèrent de nouvellement trait , et abreuvèrent ainsi
les pèlerins jusqu^à satiété. Us réunirent ensuite leiu^
bestiaux et botes de sonune , et prièrent les pèlerins
de passer entre les rangs de ces animaux qu'ils avaient
alignés. Us espéraient attirer ainsi la bénédiction de
Dieu sur leiu^ troupeaux. Nous nous rendîmes volon-
tiers à leur prière.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 251
L'eau de cet endroit (H'àmma) est très-chaude, ab-
solument comme celle qui a été mise siu* le feu; à tel
point qu on ne peut s'y tenir, de sorte qu'il a fallu cons-
truire , pour les baigneurs , de petites chambres où Teau
arrive im peu refroidie. A côté de ces bains est une
petite mosquée.
Mercredi, ii cha*ban (5 octobre).
Enfin, nous arrivâmes à K'âbes (cr^U), le mercredi
1 1 de cha'ban. J'allai visiter le tombeau d'Abou-el-
Bâba et prier dans la mosquée qui y est jointe ; après
quoi, je m'assis en dehors; je rencontrai, en cet en-
droit, le frère de Sid- Ali-el-Ferdjâni , qui me traita
hospitalièrement , et me fit donner du kouskouçou à la
viande en abondance , libéralité dont les chérifs et les
t o'iba eiu*ent leiu* part.
La caravane fit halte en cet endroit, et y dressa ses
tentes.
Mon hôte avait été ami de mon père, de qui il te-
nait ime oraison d'après Sid-Râoui-el-Edjeliti , de la
famille d'Abd-es-Selâm , autre grand ami de l'auteur
de mes jours. Il fut très-satisfait de me voir. Sid-el-
Ferdjâni était un homme très-savant en jurisprudence.
Il avait étudié auprès du cheikh Sid-Ibràhim-el-Djerbi.
On ne disait que du bien de lui ; il n'était pas infecté
des opinions hérétiques qui régnent à Djerba, dont les
habitants ne suivent pas la voie traditionnaire (souna)
et inclinent vers les idées des Râouafed' ^ . Que Dîeu
' Hérétiques qu'on appelle khouâinès dans le langage vulgaire. On
251 VOYAGE DE MOLLA-AH'MED.
parîfie cette ile de semblables hérésies! Sîd-Abou-el-
Eiba v^UA ^)^ dont Jai parié plus haut» était un des
€oaipa^:nons du prophète. Cest ce que raconte Elm-
Nàiijî dans son Ikktiçâr-^'adiim-el'ImaMh-ou-Raud^dt'er-
RedomsM. ouvrage en un seul Yolume, qui contient la
\îe des hoaimes illustres de Kaîrouân, et qui a été
compilé d'Abou-Zid-ed-Debbir'el-K'airouâni. El-Belaoui
ncoate. dans sa Rahla ou voyage, quil a vu Fauteur
de ce lî%Te Elbn-Nidjî), qu'il Ta complimenté sur son
ceuvre « et que celui-ci lui a donné de vive voix , sur
Abou-el-Baba , des détails qui ne sont pas dans Fouvrage.
11 lui a affirme que« de temps immémorial, le tombeau
dont il est question a êtè appelé tombeau d*Abou-el-*
lUba: qu^il a^^t interrc^ là-dessus son maître £1-
Bounoiili« lequel a\^t ete de cet avis, et avait ajouté
qu'une tradition immenxnale et non interrompue
constituait une ver^taUe preuve, El-6ourzouli disait que
si Fauteur de la vîe des compagnons de Mahomet ne
parie pas dTAbou-ei-Soba. c'est uniquement parce qu^il
n'a pis eu cocâaisssance de ce saint personnage.
L'emlr de Tunis a £iit coo^truire un bel édifice à
côte du tombeau dr.\!xHF-el-6Ji>a : sa medreca, qui se
trvMn^ ax;{MV5. a ete faatie pur Mohammed, bey de
Txini;*^^ aitisi qtie la n»!quee quVile accompagne. Le
ly^> a rxHKva la n>fvir>ev3i h a2x>us , et t a attaché vingt
t o Uvji roîr.biifts. îetftr-;?is ont droit chacun à un rial
iv^r wvix Vai \x:v:>^. d >:xvir.u un Cil î [Nxir enseigner
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 253
la loi aux tVlba et diriger les cinq prières de ladite
mosquée.
Un de mes parents « Abou-el- Abbàs-el-Bemouci-ech-
Chefchaouftni , a composé , lors de mon pèlerinage de
1 109, une pièce de poésie sur la visite au tombeau
d'Abou-el-Bâba.
J^ai su que la medreça de Ejerba, dont le professeur
est Sid-Ibràhim-el-Djemmi , a été construite par le même
Moh'ammed-Bey.
Je fis la prière du d'ohor, à Abou-el-Bâba , et celle
de Tacher» au bivac de la caravane. Cest le dernier
endroit où Ton trouve des eaux courantes ; il y a , sur
celles-ci « des moulins à eau très^bien faits , mais qui ne
fonctionnent pas.
Jeudi, 13 cha*ban (6 octobre).
Nous partîmes de K'âbes le jeudi. 'Ali-el-Ferdjâni
m'accompagna pendant quelques milles. Ayant appris
par Selîmân, esclave de mon frère, que mon neveu
Moh'ammed-ben-Moh'anuned était resté en arrière, je
priai mon ami de s'informer de ce dernier que, du
reste, je rencontrai, à la couchée, à Mârts (^U). Je
trouvai également, dans cet endroit, Sid-'Abd-et'-T'âhar-
ben- Amar, gendre de Sid-ben-Djàber, lesquels m'ac-
compagnèrent vers Tripoli.
Vendredi, i3 cha*ban (7 octobre).
Nous partîmes de Mârts le vendredi , et nous allâmes
coucher devant Abou-R'arâoua ( ijUjÀ j) ).
254 VOYAGE DE MOULA AHMED.
Samedi, i4 chalMn (8 octobre).
Noii5 mimes pied à terre à TEst de Nebcb-ed-Dib
(.^jJt J^) avant Tas^firâr. Tétais aussi accompagné
par Sid-Abd-et'-T aîb , des Ottiâd-ben-M erîam ( ^^ ^ï^l
M^), im des amis de Sid-Moh'anmied-el-Makni. Je
reiKH)ntrai le marabout Sid-M oh ammed-el-H amrouni ,
aiiu>î que les enfants de Sid-'Abd-Allah et de Sid-\Abd-
el-Kerim, Quel homme que ce dernier! Je n^ai pas \ii
^on pareil parmi les cher ifs d^Ël-H'ammàma (âj^UJI),
:^ous le rapport de la religion, de la science et de la po-
litesc>e* 11 me donna plusieurs rerâra* d'oi^e, un mou-
ton et une r enlra de ces petites dattes appelées belah'.
(*e dî^ne houuue m^accompagna jusqu'à un boui^
qui $e trouve à TEst de' Zerrîk' {Uujj); nous primes
congé Tun de Tautre^ dans la koubba de Tendroit.
Dimanche, i5 cha*ban (9 octobre).
On m'a dit que le personnage auquel cette k'oubba
est consacrée est un élève du célèbre imàm Abou-el-
'Abl>às-Sid-Ah med-el-Bedoui.Nous nous arrêtâmes, vers
ras'firàr, à Ben-K'ardàn [J^^^j^ ^ji)^ endroit où il y a
beaucoup de norias et des ruines importantes.
Lundi, 16 cha*ban (10 octobre).
Nous y séjournâmes le Imidi. On commerça avec les
Arabes d'Akâra (»;<&), avec les Oïdàd-Sid-Abd-en-
Nobi ( çsJi\ «XAft 4^«xjm» ^X>1 ) . les Oidâd-ben-Meriam
* Sac$ qui se |K>rtenl à dos de cliauieaux.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 255
((•^r* {:X^ ^^-^0 ®^ ^^® Oulâd-Nouîr (^y ^^^')' lesquels
avaient amené beaucoup de chameaux, dont les gens
de la caravane achetèrent. Poiu; mon compte, j^en
achetai quinze, au prix d'environ deux cent quatre*
vingtnlix rîal et demi. «
Je reçus l'hospitalité chez Sid-Abou-el-K'âcem, oncle
de Sid-Ah med-ben- Abd-el-Lat'if. D me donna une
charge de blé, une d'orge, deux de dattes, quatre
outres remplies de lait de chamelle et quatre moutons.
Il était gendre de Sid-Ah'med-el-Mekni , dont la sœur
moiuiit chez lui.
Je laissai ces chameaux chez Sid-' Abd-el-Lat'if , et lui
reconmiandai de prendre celui qui était chez les^Akâra,
ce qui faisait huit en tout. J'en laissai un chez El-
H'oceïn-ben-Ah'med, et une chamelle dbez El-Hadj-
Ahmed-Sât'a. Il me mourut un chameau à Ben-K'ardàn.
Mardi, 17 cha*ban (11 octobre).
Le mardi , nous allâmes coucher à l'Ouest du Bordj-
el.Melh'(^lg^).
Mercredi, 18 cha'ban (la octobre).
Le mercredi , nous nous arrêtâmes entre les zouârtïn
{(jj:^lj^l)\ après l'as'fîrâr. L'eau de la Zaouâra est des
meilleiures, tandis que celle de Ben-Kardân était des
plus mauvaises.
* Les deux Zaouâra.
256 VOYAGE DE MOULA-AR'MED.
Jeudi, ig cha*baii (i3 octobre).
On 8*arréta k Meltit (o^^gJu) , où nous arrivâmes aux
environs de Tac'er.
Vendredi, ao cha*ban (i4 octobre).
Nous partîmes de Meltit^ aux
environs du coucher du soleil. Je confiai deux chameaux
à Sid-^Abd-el-D'àhar.
Samedi, ii cfaa*ban (i5 octobre).
Nous arrivâmes à Zenzour (j^j) ^ vers le mor reb.
Des individus volèrent ce qu^ils purent à des pèlerins ;
quelques-uns des nôtres, s*étant éveillés, blessèrent un
des voleurs à la tête et reprirent le butin. Nous fumes
tranquilles ensuite, grice à Dieu.
Dimanche, a a cfaa*ban (16 octobre).
De là nous allâmes à Tripoli , ville entre laquelle et
notre bivac il avait plu à Dieu de ne mettre que
la milles. Nous y arrivâmes le dimanche 2 a cha'ban,
ou 1 9 octobre'.
* Lacune dans le manuscrit.
* Zenioun , selon El-*A!achi.
' Il faut lire 16 au lieu de ig.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 257
RETOUR DE MOULA-AHMED,
DE TRIPOLr AU MAROC.
Jeudi, 18 djoumâd-et-tani (3 août).
Je partis le jeudi 18 de djoumâd-et-tani 1 122 de
rhégire ( 1 7 1 o de J. C. ) , après m'être pourvu de la
plupart des choses qui m^ étaient nécessaires pour les
chameaux, le tout moyennant 36 rïal k'arâmali, mon-
naie tripolitaine. Les pèlerins achetèrent, vendirent
ou louèrent selon leiurs hesoins ; puis on alla à T'ora-
el-D'onu*a [iij.^\ Hj^), lieu qui est à quelques milles
de la ville. Il y a là des norias qui procurent une eau
très-douce ; on y trouve des champs cultivés et des pal-
miers, quoique la population ne soit pas nombreuse.
Nous y rencontrâmes des pèlerins , de ceux qui n'étaient
pas allés en ville.
Vendredi, 19 djoumâd-et-tani (4 août).
On séjoiuna le vendredi, pour attendre que tout le
monde fut réuni, ce qui eut lieu dans la soirée de ce
jour, vers Fac'er. Il ne resta plus en arrière que quel-
ques personnes qui voulurent demeurer à Tripoli jus-
qu'au samedi matin , et qui partirent alors, accompagnées
d'un grand nombre d'amis qui les suivaient pour leur
faire leurs adieux.
33
258 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
Samedi, ao djoumâd-et-tani ( 5 août).
Nous partimes de T'ora à ras^firâr, laissant à notre
bivac les gens montés sur des mulets , afin qu'ils atten-
dissent ceux qui étaient en arrière de la caravane; el,
nous joignant à nos amis, nous traversâmes Kerkich
( ifi^J^) ' l^^^^g où il y a des oliviers. Là , parmi les
saints, on cite Sid-H amid, mort il y a nombre d'années;
il est enterré au bord de la mer. Dans la mesdjid, on
honore Sid- Ali-el-Kerkâchi. Puis nous arrivâmes à Zen-
lour (^j), grande ville qui possède plusieurs zaouîa.
Cest un pays cultivé; on y trouve une medreça, la
nieilleiu^e de cette contrée ^
Les amis qui nous avaient accompagnés s'arrêtèrent
sur une colline, auprès de quelques ruines ombragées
|KU' dos |Kilmiers ; puis ils nous quittèrent après avoir
lait toutes sortes de souhaits pour Fheureuse issue de
notiv vovaw.
Nous lunes hahe auprès d'une noria, afin de dire la
prît^iv do Tai or; la caravane dressa ses tentes, et nous
thvs.v\iuos los notivs. On coucha dans cet endroit, et
nous iVunos tounnontos par im vent très-fix)id.
l'hiiMnche, ai djoumàd^t-Uni ^6 août).
Nous |virtinu^:^ do cotte noria après le doh'a; nous
luuos h.iUo À U «Aouu Er-Rarbîa [ié»jj^\ *ol>}* P^y^
\lv\v jmUuum'S^ iVrtiîo on ir\ut5 do tous genres, et qui
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 259
possède des arbres, des champs cultivés. Il compte
beaucoup d'habitants. Je fus rejoint en cet endroit par
mon ami Sid-Moh'anuned-el-Mekni. Nous rencontrâmes
les gens de la zaouîa , qui venaient de tous côtés ; ils
étaient ravis de nous voir, et nous comblèrent de béné*-
dictions. Nous fîmes tous ensemble la prière du d'o-
hor, après quoi El-Mekni et les gens de la zaouîa qui
étaient venus avec lui prirent congé de nous.
Nous continuâmes notre marche, et descendîmes à
Dah mân ( y It'^ ) , entre le d'ohor et Tac'er. La tête et
la queue de la caravane arrivèrent successivement jus-
qu'à Tac er. Nous couchâmes en cet endroit.
Au s'bah', je saluai les amis qui étaient venus m'ac-
compagner jusque-là , et leur souhaitai bon voyage.
J'instituai mok addem de la congrégation des fak'ir
de la ville , mon frère et ami Sid-Ah med-es'-S'ah'li et
Sid-Aba-Allah-ben-Iahïa-ben-Sâleh', etc.
Lundi, 22 djoumâd-et-tani (7 août).
La halte du doha se fit à Om-el-Khelouf (o>Jil J),
sur ime colline au bord de la mer et auprès d'un cours
d'eau douce où nous fîmes la prière du d'ohor. Nous
arrivâmes à Melita (iuJU) avant l'ac'er; l'avant-garde de
la caravane y parvint en même temps que nous, et le
reste vers le mor'reb. On bivaqua dans un endroit
où il y avait de l'eau en quantité; mais elle était salée.
On se mit en quête de puits, et, par la grâce de Dieu,
il s'en trouva où l'on put faire la provision. La nuit se
passa heureusement à Melita.
260 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Mardi, a3 djoumâd-et-tani (8 août).
Nous passâmes par Zaouîa-ech-Cherkîa (&ii^t Ai!^!)),
où nous rencontrâmes les habitants de ce lieu, qui,
montés sur des juments, venaient nous offirir du lait
de chamelle. Ce sont des Arabes tVlba, gens de bien,
et favorisés de la bénédiction divine. Nous noiis assîmes
pendant quelque temps avec eux, et ils nous témoi-
gnèrent beaucoup d'amitié. Nous étant ensuite remis
en route , nous rencontrâmes le père de ces tVlba ,
homme d'un âge avancé : il montait une jument. On le
nomme Sid-El- Achek'.
Nous continuâmes de marcher et nous descendîmes,
après le zaoual, dans un endroit de ce même canton à
côté d'Ouizder {j^j^) et à TOuest de Zaouârât-er-R'arbïa
(iC^k^l i»l;Jjj;). Le rba'a-el-moudjîb * marquait alors vingt
degi'és après-midi ; on trouve dans ce lieu de Teau douce
et fraîche.
Zaouârât-ech-Cherk'Ia ( m^ H <=>j;>3j ) s'appelle encore
El-Kebira (445;.AAjri) et aussi Kout'i ( Jo^ou Jo^)^. C'est
un boiu^g plus considérable que Zaouârât-el-R'arb!a , et
qui surpUvS^e ce dernier en étendue. Les habitants sont
braves, d'im caractère énei^ique, et, de fait, ils n'o-
bélsvsenl à pei^sonne. Siu* leur frontière et à une dis-
Ul^*a el-iiu>Uiljib, c'est le quart de œrcle horodictique , instni-
inoiU U'uiie i;:i\inile situ pi ici te, dont on fait usage pour connaître Theure
jmr U luuitvur du «ioloil. Il v a, à la btbliotl)èt|ue dWlger, sous le n* 83,
un uuuuiM rit araho qui traite sjHX*ialeuieut du rba'a-el -moudjib.
i>n |Knit liiv t^aloinent Lort'i, le mot étant fort mal écrit.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 261
tance de vingt-sept milles , il y a le i)ourg de M ouloul
(JjJLt)', qui ressemble à Zaouârât-ech-Cherk'ïa. Ouloid
forme la limite du canton de Zaouàrât du côté de TEst ;
Teau y est douce. On y trouve des restes d'anciennes
constructions. Son nom vient de ce que les Arabes qui
Fhabitent s'appellent Beni-Ouloul (J^^ ^}. Comme
ils s'y sont fixés à une époque éloignée, le pays a fini
par prendre leur nom. Quelques-uns prétendent que
c'est seulement parce qu'ils tenaient ce pays sous leur
dépendance. Il n'y a nulle part plus de gazelles que
dans cette contrée. Les habitants aiment beaucoup la
chasse au collet, et ils tendent de ces pièges de tous
côtés. Aussi sont-ils connus pour ce genre de chasse.
Quant à Zaouârât-er-R'arbïa, on l'appelle encore Es-
SVira [ç^yààoi]) « la petite » et aussi Belâd-el-Merâbt'in
(ci^^^i^l «>^) ^ p^^ys des marabouts. » C'est un bourg où
il y a beaucoup de palmiers très-élevés et fort droits.
L'eau y est d'une douceur remarquable. Lorsque j'ai
vu ce boiurg , il était ruiné ; on n'y trouve que très-peu
d'habitants.
Devant Zaouârât-er-R'arbîa , il y a un cimetière où
l'on avait bâti un château appelé Ouïzdir (j^j^); cette
construction est détruite, et le nom seul a subsisté. Les
nombreux bâtiments qui se trouvent dans cet endroit
sont également ruinés ; il n'y a plus que quelques ha-
bitants.
Ce lieu est fort connu, parce que jadis les gens qui
y demeuraient saisissaient les pèlerins au passage, les
* Il écrit ailleurs OulouL
262 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
dépouillaient et les vendaient aux chrétiens. Aussi les
caravanes ont-elles soin de l'éviter, ou, lorsqu elles y
passent, elles sont continuellement sur le qui- vive, de
peur qu on ne leur enlève du monde pour les vendre.
Quand elles sont parvenues à le traverser sans accident,
les pèlerins se félicitent mutuellement, comme des gens
qui viennent d'échapper à un grand danger.
Us ne nous firent aucun mal , parce que , ainsi qu^on
Ta déjà dit, leur population actuelle est peu considé-
rable; mais le fait que je rapporte est bien connu de
toutes les caravanes. Autrefois, ce genre de brigandage
était fort commun de la part de ces misérables, qui ne
s'inquiétaient pas si leurs victimes étaient des musul-
mans. Depuis que faction du gouvernement se fait
mieux sentir, le mal a diminué. Tous les gens qui ha-
bitent entre K'âbes et Tripoli, jusque vers Tunis, font
ce métier.
La totalité du canton demeura au pouvoir de ces
misérables jusqu'à la mort d'Abou-Zîd\ leur chef,
^ Le mont Aourês, dit El-Bekri (pag. 5g5), s*étend Tespace de
sept journées , et renferme un grand nombre de châteaux habités par
des tribus de H'aouâra et de Meknâça , qui professent les dogmes hé-
rétiques des Abad'îa. Ce fut de cette montagne que sortit Abou-Zîd-
Moukhallâd-ben-Kendàd, qui prit les armes (333 de l'hégire, g44
de J. C.) contre le khalife fatimite K'àlm-Bamrillah-Abou-el-K'âcem-
Moh'ammed-ben-*Obeîd- Allah. La plaine de Ternout, à six milles de
Madïa,fut le théâtre des attaques multipliées d'Abou-Zid pour prendre
cette ville. C'est là que le mercredi, dixième jour du mois de rebi'-el-
oouel 333 , il défit Moissera-Alfa , qui y fut tué ; exploit célébré par le
poète * Ali-ben* Ali. Ce révolté ne fut pas aussi heureux devant S'ou^a ,
qu'il était venu assiéger à la tête d'une armée où l'on comptait quatre-
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 263
époque vers laquelle Dieu permit qu'ils fussent disper-
sés en tous sens, quelques-uns vers Bougie, d'autres
du côté de Constantine et jusque dans la direction de
Bône. Il y en eut qui allèrent dans le Belâd-el-Djerid, et
formèrent des tribus à Neft'a , à Nifzâoua , et en d'autres
lieux où il leur plut de se fixer.
Ces mauvais sujets sont en même temps des héré-
tiques qui pensent qu'il suffit de boire du vin, de se
livrer à la fornication et même de fumer, pour devenir
infidèle. Un célèbre cheikh de Tripoli a soutenu une
controverse avec les docteiu's de ces hérétiques et les
a battus.
Après avoir échappé à ces brigands, on but, on
abreuva les animaux et on fit la provision d'eau pour
arriver jusqu'aux norias de Ben-K'ardân (yJ^^ ^^ AJ^).
Mercredi , 34 djoumâd-et-tani (9 août).
En quittant ces lieux, je fus accompagné par mon
frère en Dieu Abou-R'erara-et-Tedjouri. Il fut le dernier
des habitants de Tripoli par qui j'avais été escorté,
qui se sépara de moi.
On fit la halte du matin ( d oh'a ) siu* une colline
élevée, qui est à l'Est, à quelques milles de Bordj-el-
Melh' (^1 gw). La caravane s'y rallia, puis on se re-
vingt mille chevaux. Après plusieurs mois d*attaques infructueuses, il
fut obligé de se retirer. 11 réussit mieux à Tebs'a, dont il détruisit en
partie les murailles.
En 33Â (Bekri dit en 344)i Mans'our-Billah-Abou-T'âber-Isma*îl,
troisième khalife fatimite, avait encore à combattre Abou-Zid.
264 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
mit en marche. Nous trouvâmes une grande quantité
de k'aouârib^ auprès du Bordj. Elles servaient à trans-
porter du sel. Nous y vîmes aussi plus de trente cha-
meaux qui étaient employés au même service.
Le sel de la sebkha qui est en cet endroit a la
réputation d'être préférable à tout autre. Les gens du
pays chrétien viennent s'y approvisionner. Elle est pro-
bablement la prolongation de celle de Touzer.
Les gens de Bordj-el-Melh' prétendent qu'il y a sept
couches de sel dans leur sebkha, de sorte que, si Ton
enlève ia croûte qui est à la superficie , on trouve la
terre, puis, en continuant de creuser, une deuxième
couche de sel, et ainsi de suite, par bancs alternatifs.
Les chrétiens , qui achètent de préférence le sel de cette
sebkha, en donnent un prix élevé, et ils disent qu^ils
font encore de grands bénéfices.
\ rOuest et à quelques milles du Bordj , vers l'heure
du gaîla , moment où les hommes et les animaux se
retirent à l'ombre (ik'ilou), à cause de la chaleur du
soleil, nous fimes la prière du dohor. La caravane
étant ralliée, on se remit en marche, et nous fîmes la
prière de l'acer sur une colline auprès de Dâren (^j^l^),
à l'Est, et à quelques milles de ce lieu, dans un en-
droit qu'on appelle Mâdjen-bèi>Redja ^ (U?^l# (ja^-U ).
La queue de la caravane n'arriva qu'au coucher du
soleil.
Pendant cette nuit, on vola les effets du chérif Mou-
* Grandes barques.
* Espèce de réservoir, d*étang.
VOYAGE DE MOULA AHMED. 265
lâï-el- Arbi-Moh ammed-ben-Ioucef. On ne put rien
retrouver.
Jeudi, a 5 djoumâd-et-tani (lo août).
De là nous allâmes aux norias de Ben-Kardân
(u'^ (j^) avant Tac'er. On y trouve beaucoup d'eau,
mais elle est un peu saumâtre. Ces norias dépendaient
alors de la zaouïa 'Okâz ( jK^ A^^tj ) ; il y a des puits
d'eau assez douce. Nous y arrivâmes le jeudi, 26 de
djoumâd-et-tani (10 août). Nous y reçûmes les adieux
de Moh'ammed-ben-Ah med-el-Ouarer mi-el-Djelît'i ,
qui s'en retourna chez lui, au Djebel-Ourda ( i^j^ Jlj^ ) .
C'était un homme de bien, instruit, etc.
Ce Djelît'i, pour éprouver ma science, avait posé
la question suivante : Le prophète, quand il montait
à cheval , mettait-il d'abord le pied droit ou le pied
gauche dans l'étrier ? Je ne pus répondre à cela * .
Vendredi, a 6 djoumâd-et-tani ( 1 1 août).
Partis de là , nous fîmes la halte du matin à l'Est du
Ouadi-Fas ( j»^ c^^'^)) P^^ nous descendîmes sur
rOuad-en-Nebch ( j^aJI :>\^ ) , après l'ac'er, à 'Adouat-
ech-Cherk'ïa ( &.>.i^H i^^y^)- La tête de la caravane
ne nous rejoignit qu'au coucher du soleil , et l'arrière-
garde n'arriva que deux ou trois heiu^es après. Nous
couchâmes en cet endroit , où nous trouvâmes de
bonne eau, plus douce que celle de Ben-K'ardân.
* Un lecteur a ajouté, en marge du manuscrit, une note d*oii il
résulte que Mahomet montait comme tout le monde, c'est-à-dire du
pied gauche.
3V
266 VOYAGE DE MOULA-AHMED.
Samedi, 27 djoumàd-et-tani (la août).
De là nous allâmes faire la halte du matin, le sa-
medi, 27 de djoiunàd-et-tani ( 12 août), à 'Adouat-
er-Rarbïa (aaj^I iyOs^), près de rOuad-Abou-H'âmid
(j^U- j^l ^\j)y puis nous mîmes pied à terre , vers le
d'ohor, auprès de rOiiad-es-Semâr( jUwJt ^l^), « rivière
des joncs. »
Nous fîmes le gaîla à *Adouat-ech-CheriL'îa ' et nous
y trouvâmes un parti nomade d'El-H anmiârina(j(i^UJL),
et Sid-Moh'ammed-ben- Ali et son fils, qui me donna
deux pastèques et une tasse de lait.
La caravane descendit au bord de la rivière , pour
boire et abreuver les animaux aux puits d^eau douce.
Nous Y fîmes la prière du d'ohor, puis nous marchâmes
jusque près de Tac er, et nous mimes pied à terre à
Kl-Wbà'ab («^IfiJl ). Ce mot est le pluriel de ^Aba^oub ,
mol qui rime avec *AsTour'. La caravane rallia le bivac
^'ipiv^ l\^cVr. On coucha dans cet endroit.
Dîmancfae, a8 djooinâd-et-tanî ( i5 aotil).
Nou."^ Cmo5 U halte du matin à Ech*Chekâla ( ill^l),
sur doux ivUino5* d*où nous voyions ^Aràm (p^). Nous
\ UvunJIuh^ des norias dTeau douce, dont on arrose
^ i\v^ o( SASfc^ vkx±î«r uae erreur da copiste. <{ui aura mis Cheri'îa
«M l^*« xW K atKji ^xx W K>ai s«fn* rùgre.
^ ' \!i KHtr. w.'tM ^u\>» ikXLae a loos W» petits oiseaux. GMmne on
M iN^t* jva» sw-'vjiinfttvttC V* iv^rti». co indkpie parfois la pronon-
%^%«K*« xi un Ms>t <« W- cctrtMr&ai a «a autre d'un usage plus vulgaire.
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 267
un petit nombre d^arbres et de palmiers qui sont de
ce côté. Xy rencontrai Sid-Moh'ammed-es-S'âleh' et
quelques autres amis.
Nous nous arrêtâmes un peu et fîmes la prière du d'o-
hor, puis nous nous remimes en route , et nous traver-
sâmes K'eç'ar-Arâm ( Jj^j^ai)^ où il y a un cimetière.
Nous nous arrêtâmes à Mârts (v^u) avant Tacher, et
nous y couchâmes. La queue de la caravane n'arriva
qu'au coucher du soleil. On vola un pèlerin de mes
amis , et on ine put rien retrouver de ce qui lui avait
été enlevé cette nuit.
Mârts est ime petite ville où il y a des jardins finii-
tiers et des palmiers, auprès d'une fontaine abondante.
Lundi , ag , mardi , 3o djoumâd-et-tani ( 1 4 et 1 5 août).
Nous partîmes le matin , lundi , 2 9 de djoumâd-et-
tani, et nous passâmes par Zerrik' (v5^)i endroit où
demeure Sid-Moh'ammed-es-S'âleh' et sa famille , et
où il a un cimetière particulier , les autres habitants
étant enterrés à 'Arâm. Son fils m'apporta des pas-
tèques. Autrefois Zerrîk' était sous la dépendance d'El-
Mioiirk'i , lequel voulait gouverner les gens de K'âbes
et leur envoyer des ordres; mais je parlerai de ceci â
propos de K'âbes.
Nous arrivâmes à K'âbes ( j^^U) vers l'eulam moins
dix deroudj. Et-Tedjâzi a dit dans sa Rahla : « Il n'y
a pas de plus belle ville que K'âbes ; ses feuilles sont
toujours vertes , son eau est toujours bonne ; c'est un
paradis. Il n'y a pas de broussailles dans les alentours ;
le terrain y est uni ; et celui qui a dit que c'était le
268 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
paradis du monde n^a point menti. C^est mi diaûnutif
de Damas ; c est une ville du S'ah ra et de la mer. Le
S ah'el est tout près d'elle , et elle est à 3 milles de
la Méditerranée. Elle a un château et une rivière que
tous les étrangers voient avec admiration. La rivière
coule , les chameaux sont sur ses bords ; les gazelles «
les chamelles, les laboureurs et les conducteurs de
chameaux s y rencontrent. »
El-Khelil-ebn-Ah'med a dit : « paradis , le meilleur
des paradis, et dont le prix est inestimable! Le rou-
coulement de tes pigeons consolent les affligés. Vous
pouvez répondre de la vérité de toutes ces choses ; et
si je voulais en ajouter beaucoup d'autres, je le poiu*-
rais. Les vaisseaux qui y abordent ressemblent de loin
aux autruches agitant leurs ailes dans le désert , et , du
côté de la terre , les autruches qui arrivent ressemblent
h des vaisseaux voguant à pleines voiles. Y a-t-il , conmie
elle, une ville qui offre toute espèce de choses; les
poissons de la mer, les animaux de la terre, toutes
sortes de récoltes , les fruits , etc. ? »
K'àbes a un beau rempart, d'anciennes constructions
cl de grands jardins firuitiers; les rues sont belles et
lai^os. Au delà du fossé, quon remplit d'eau lorsque
Ton craint Tenuemi (et c'est leur meilleure défense),
il ) u une muraille. Une rivière arrose les jardins, les
cham|)s , et distribue l'abondance de tous côtés ; puis
elle entix^ dans les rues et jusque dans les maisons.
(^Mlo rivièi-e tire son origine d'une fontaine qu'on ap-
pelle ' \ïii<-Kheràra ^»;[;ii^ cj^)' •'a fontaine murmu-
* M OurtUvnuuv , \\>\oi MoUcts des mttnuMrriU , t. Xll, p. 46a ) a lu :
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 269
rante , • dans une montagne qui est entre le Sud et
rOuest. Les jardins sont en plus grand nombre du côté
de la mer, où il y a im endroit que Ton appelle SâhW
'Anber-Khâl (JU-j^Ji^ ^^t^i), sur lequel 'Omar-ben-et-
Tedjâzi a fait les vers suivants, dont voici la substance :
Tedjàzi a passé ime soirée à Sâh'at-'Anber-Khâl,
lieu où règne la sécurité; il compare la brise de mer
qu on y ressent à Todeiu* de Tambre ; les palmiers lui
rappellent les fiancées; ils semblent timides comme
elles ; Therbe verte et jaime qui entoure ces arbres est
comme le tapis de la mariée. « Le soleil, dans cette
soirée , honteux de paraître devant nous , dit-il , se
coucha derrière les nuages , de même que la mariée qui
dérobe son visage. Les chamelles semblaient de Tor
ou des émeraudes , et la rivière , qui coulait autour de
nous y était conune une armée qui nous protégeait. La
mer nous envisageait de son œil vert , et la terre nous
regardait de son œil jaune. Ce lieu serait le paradis,
si Ton y pouvait rester et si Ton n y mourait pas. Dans
ces prairies, dans ces jardins, où Ton jouit d'une vue
admirable , il ne se rencontre pas d'importims. Pendant
cette soirée, nous conversâmes siu* toutes sortes de
sujets. Notre intelligence semblait agrandie et éclairée.
Nous parlâmes de nos amantes , de notre jeunesse , et
nous étions heureux comme celui qui tient à sa portée
du vin, des coupes, etc. Nous étions ivres, mais de
ojt^^ (JVC dans le MasUk d'El-Bekri, où ces deux raots étaient écrits
sans points diacritiques. Nous trouvons, dans Ah'med-el-Mor'erbi ,
j\j^ ^J^ écrit distinctement.
270 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
cette ivresse qui n est pas défendue , puisqu'elle n est
point produite par le jus du raisin. Cela dura jusqu'au
morVeb , où nous montâmes sur nos mules pour entrer
en ville. Nous partîmes; mais nous laissâmes nos cœurs
dans cet endroit charmant. .
Mais , comme toute chose a son mauvais côté , K'âbes
est sujet à la peste, dont ses habitants sont toujours
malades , et les gens de ce pays prétendent que la cause
en est dans la grande quantité de lauriers-roses ^ En
respirant sans cesse Tamertume de cette plante, ils
deviennent malades , disent-ils ; et c'est pour cela qu'ils
ont tous le teint jaune. U y a encore un autre inconvé-
nient dans cette ville ; l'eau y est mauvaise et semble
croupie. Cette eau est lourde , sauf l'eau de la fontaine
connue sous le nom d'El-'Aîn-el-Amir (^^^1 C:}^)^ ^^
celle de 'Ain-es-Selâm (p^luJt (j!b^), dont les eaux sont
toujours bonnes , parce qu'elles ne passent pas entre
les lauriers roses.
I^ première fontaine était sous la dépendance de
Fèmir^ coimu sous le nom de Ben-es-SVir, et la
deuxième^ dans les anciens actes, porte le nom d*Ain-
t\s-^Miâm ^« On a fait sur elle les vers suivants :
^ <^icK]u«>$ personnes oat attribué rextrênie insalubrité du canton
iHi iMi a\aîl établi le camp derH'amch à la même cause.
lui ()U4intite «rarbustos de ce genre qui se trouTent aux enrirons
t^sl iniuvA^nnAble, i^i $aîl quel caractère de malignité avaient les ûèyres
e^MUrjH^Uv» tUn* cvt einlrvùt,
* ^U«J' q|^^« \\iiM»<>eiiJuu , par corruption d*jEls-Sclâm. Voyei
le |VArA^rA|>lH^ |Mrwe\leiU.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 271
Salut précieux à la fontaine du salut, car son eau est
douce et bonne. Les lieux queUe arrose sont toujours
verts. Ceux qui viennent y boire ne sont jamais malades.
Son eau est fraicbe comme de la neige , plus douce que le
miel , et quand la chaleur me chasse de ma maison, je vais
me coucher auprès dé cette fontaine.
Les gens de K'àbes racontaient cette anecdote , à ce
que rapporte El-Bekri, qui le leur a entendu dire :
« Autrefois il n y avait pas de peste dans la ville ; mais
les habitants firent un fossé dans un endroit où ils
croyaient qu'ils trouveraient de Targent caché. Quand
on sortit la terre de ce trou , la peste , dont ils attri-
buent rînvasion à cette excavation, commença à se
faire sentir. »
K'âbes a été chanté par Abou-el-Mout'arref-ben-
'Omira, qui en a fait la description, lorsquil y fut
k'àd'i au commencement du règne du khalife El-Mos-
tans'er dans la ville de R'out'îr :
Il y a des oliviers, des figuiers à figues vertes, d'excel-
lents palmiers qui donnent des fruits à petits noyaux, les-
quels s*élèvent comme une fiancée ou un prince sur son
trône. Les rues sont larges , et on y circiile facilement. G est
un lieu où on trouve toujours de lombre, et où il ny a
point de méchants. C'est en vérité un paradis, mais -qui
laisse tm vampire dans le cœm* lorsqu'il faut le quitter.
En somme, tout est extraordinaire dans cette ville. Il y
a là un compagnon de Mahomet enterré, et personne ne
sait où.
El-Bekri , dans un autre traité , dit :
272 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
Cette ville est en proie à la peste et aux scorpions. L air
y est mauvais : à quoi bon dès lors les dattes, les raisins et
autres fruits qu*on y trouve. Il n y demeure que ceux qui
nont pas trouvé de gîte ailleurs, et son eau n'est bue que
par ceux qui meurent de soif. Il y a toujours deux marches
élevées à leurs chambres, pénibles à monter, comme pour
vexer celui qui est pressé de voir un ami ou de visiter une
connaissance. Letranger qui vient à K'âbes ne sy attache
pas, car il na rien de bon à y espérer. Enfin on y trouve
Tassemblage de ce qui est nuisible et désagréable, etc.
Abou-el-Mout'arref assure avoir entendu dire que
Âbou-el-Bâba-el-Ans'âri , compagnon du prophète , est
enterré à K'âbes, et que les habitants connaissent le
lieu de sa sépulture.
Il y a aussi à K'âbes une mesdjid, qu'on appelle de
son nom Abou-el-Bâba. Je n'ai cependant trouvé chez
aucun historien que cet Abou-el-Bàba fût venu dans
rAfrik'ïa; c'est probablement à cause de Fincertitude
de Texistence de sa sépulture en ce lieu, qu'on ne l'a
pas mentionné.
Abou-el-Bâba s'appelle Bechir^ben-'Abd-el-Moundir.
Ce personnage est mort sous le khalifat d'Ali. Il était
venu en Afrik'ïa par pénitence, pour se punir de n'avoir
pas obéi à im ordre du prophète.
Il y avait à K'âbes un endroit appelé El-Menâra « le
phare, » où se trouvait im feu très -élevé, qu'on aperce-
vait tout d'abord de trèa-loin et avant de voir la ville.
Il est tombé maintenant, et il n'en reste plus de traces.
El-Bekri rapporte ceci à propos des chameliers. Quand
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 273
ceux-ci venaient d'Egypte vers FAfrik'ïa , ils avaient
coutume de dire : « Il n'y a pas de sommeil , il n'y a
pas de repos, jusqu'à ce que nous apercevions K'àbes
et son phare. »
Dans l'intérieur de la ville, on voit une grande mes-
djid dont le minaret, très-élevé, est un peu penché et
hors d'aplomb, mais la construction en est si bonne que,
malgré ce défaut, on ne craint pas qu'il tombe. Auprès
de cette djâma' est la k'as'ba de K'âbes. Il n'y en avait
pas de plus solide, de plus grande dans toute l'Afrik'ïa.
On y trouve un édifice , connu sous le nom d'El-'Arou-
ceïn , dont la solidité et la beauté étaient sans pareilles.
Mais, à l'époque où nous y passâmes , ces deux monu-
ments étaient ruinés. El-'Arouceïn a été bâti par celui
qui a construit la djâma' El-Helâlin » les deux limes. »
C'était un émir de K'âbes. Les gens de K'âbes disent
que c'est Rachîd-ben-Medâta'-ben-Djâmïa', un des émirs
de leur ville. En examinant une des portes du k'eç ar,
j'ai vu ceci écrit sur la pierre :
Celui qui a fait cette porte est le prince illustre Râfia'-
ben-Émir-el-Amrâ « émir des émirs » Beker-ben-Kâmil-ben-
Djâmîa', en redjeb 5oo.
Si ce que les gens de K'âbes m'ont dit sur Rachîd,
à qui ils attribuent la construction d'El-' Arouceïn et de
la k'asTja , est vrai , alors le prince dont il est parlé dans
l'inscription a bâti seulement la porte.
Je tiens de quelques-uns de leurs t'o'Iba qu'il est
dit dans l'histoire que ce sont les S'enhâdja qui ont
35
274 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
commencé ce monument et qui Tout continué jusqu'au
tiers. Ensuite les Benou-DjâmiV-el-Helâlïoim le termi-
nèrent. Tous ces édifices, dont je viens de parler d'après
les récits des gens de K'âbes, le temps les a détruits; il
n'en reste pas de traces, et le souvenir même en est
presque eflacé.
Où sont les 'Arouçân? Il nen reste ni vestige ni mé-
moire. Où sont les princes qui y promenaient leur gran-
deur; où est le conseil qui s'y tenait jadis; où est le minaret
penché , etc. ? Le temps a fait justice de tout cela ; tout
passe, excepté Dieu.
Je visitai la k'oubba d'Ahou-el-Bâha , et y trouvai mes
compagnons. Nous apprîmes que la caravane était alors
près de se mettre en route. Je fis mes ofiBrandes à la
chapelle du saint.
Je rencontrai dans ce lieu quelques amis, avec les-
quels je m'arrêtai un peu. Chacim donna pour la cha-
pelle. J'allai ensuite me reposer jusqu'au dohor, où
nous f imes la prière dans la mesdjid qui est auprès de
la koubba, lieu où, dit-on, est enterré Abou-el-Bàba.
Oulàd-Sid- Ali-en-Nouri m'envoya deux plats de kous-
kouçou et un couffin de raisin. Mes compagnons de pè-
lerinage partagèrent avec moi. Je trouvai là mon ami
Sid- Ali-el-Ferdjànl avec sa compagnie, après la prière
de Tacer. La caravane n'étant arrivée qu'à la nuit,
nous couchâmes en cet endroit. Nous tâchâmes de
voir la lune * ; mais elle ne parut pas. Nous restâmes
là lui jour pour louer ou acheter des chameaux, parce
' Pour lî\er \v ixmiineiicoiiuMil ilu mois dt» redjeb.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 275
que les chameliers que nous avions pris au Kaire ne
nous accompagnèrent que jusque-là , et voulurent s'en
retourner avec la caravane de Tunis. Je fus hébergé
par Sid- Ali-el-Ferdjâni , qui me fit donner un plat de
kouskouçou. Les enfants de Sid- Ali-en-Nouri m'en
donnèrent deux, que les tVlba mangèrent.
Mercredi, i" redjeb (16 août).
Nous partîmes le mercredi, 1*' redjeb (16 août). Je
fus accompagné par les fils de mon ami Sid-'Ali-en-
Nouri jusqu'à une plaine cultivée, où il y avait beaucoup
de champs ensemencés. Là je pris congé d'eux. Dans
l'année 1110, quand je revenais de mon précédent
pèlerinage, Sid-'Ali était encore vivant. Il est mort de-
puis cette époque. Un de ses amis a composé une
k'acida en l'honneur du prophète.
Je fiis accompagné jusqu'à El-H'âmma-Mat'mât'a
(id,Ui^iuUt)i par Sid-el-H'âdj-Ah'med, Sid-'Ali-er-
R'erâb , gendre du cheikh 'Ali-en-Nouri , et Sid-'Ali-ben-
Selâma-el-Mahdi , originaire de Mahdîa , par Sid-'Abd-
el-Kerîm-el-K'oçant'ini , et, en outre, par dest'o'lba. Ce
Sid- Ali-en-Nouri était un homme saint, un savant, et
dont les actions étaient en harmonie avec la science.
C'était un ami de mon père. Il l'avait rencontré au
Kaire en 1076. Je lui avais été reconunandé, ainsi que
mon frère Moh'ammed, par notre père.
Nous fîmes la prière de l'eucha à El-H'àmma, où je
' Ainsi surnommé à cause de la montagne de Mat'mat'a, et pour
le distinguer d*un autre IVâmma , qui est auprès de Touzer.
276 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
trouvai mon ami Abou-Moh'ammed-Sid-'Al>d-Allah-ben-
Ah'med-el-Mokhzoumi-el-Medjdoub. A cause de ceci,
je prolongeai un peu mon séjour. Je partis au d'ohor,
par une grande chaleur qui brûlait la figure; je n^ai^
chai un peu jusqu à une station ( iiI)Jut ) , où j'attendis la
caravane. J'y trouvai des gens de ce pays, avec lesquels
je mangeai et me divertis. La caravane arriva après
Fac'er, et s'arrêta hors de la ville d'El-H'âmma , auprès
de norias qui donnaient une eau fraîche comparative-
ment avec l'eau d'El-H'âmma , où il n'y a pas de noria
et où l'on creuse des puits dans les endroits qui ne sont
pas sebkha. Mais l'eau d'El-H'âmma est douce et celle
de la station «menzila» est saumâtre. A El-H'âroma,
on fait rafraîchir l'eau après l'avoir puisée, puis on la
boit. Je m'arrêtai chez l'ami dont j'ai parlé, et j'attendis
que la chaleur fût un peu passée. La caravane reçut
l'hospitalité. On lui apporta cinquante et un plats de
kouskouçou à la viande, deux peaux remplies de beurre ,
une charge de chameau en orge. On m'apporta des
dattes fraîches. Après la prière de l'eucha, je pris
congé de Sid- Abd-er-Rah'mân-ben-'Abd-AUab , des
Oulâd- Abd-en-Nebi-el-AsTer (^^Ai^^t ^1 J^ ^^^^O- ^^
pris aussi congé de Sid-'Abd-el-Kerîm-el-H'amrouni-
Ouhd-Sid-Moh'ammed-es'-S'âlah' et de Sid-'Abd-el-T'â-
bar, gendre de Sid-Ah med-ben-Djâber.
Cet endroit s'appelle El-H'âmma-Mat'mât'a {&a\â
nLi^h^), pour le distinguer d'El-H'âmma-Touzer [slAÂ
jji^), connu sous le nom d'El-H'ânuna-el-Hâlil (juli
JiJl^Jl). On les désigne ainsi parce que l'eau y est
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 277
chaude, et qu'en arabe littéral H'âmma se dît pour
une source thermale. On lit dans les h'adits :
Les savants sont comme les eaux thermales.
El-Heraoui a dit, dans son livre appelé Rarib:
El-H'âmma, source chaude, où les malades guérissent.
Aboli 'Obeïd a écrit, dans son livre El-Amtsâl:
Pourquoi un homme savant est-il comme une source
chaude? Parce que, de même qu*elle, il attire une foule de
gens de prés comme de loin, qui viennent y chercher la
guérison.
'Obeïd n'ajoute rien à ceci , car c'est un h'adits.
Abou-'Abd- Allah-Moh'ammed-ben -'Ali-el-Mes'ri ,
dans son SelaK^UAsmot\ dit avoir appris d'un homme
d'El-H'ânuna , dont la famille était ancienne dans ce
pays, que la peste y était fort rare.
Il y a, à El-H'âmma, un rempart élevé. J'y observai
des endroits démolis , et comme je le faisais remarquer
aux habitants , ceux-ci m'ont répondu que leurs véri-
tables remparts étaient leurs épées. Les constructions
qui se trouvent dans la ville sont élevées, et les gens
de la ville les vantent beaucoup ; et le poëte a dit :
Ave^vous vu dans la k'as'ba lendroit où résidait Têmir,
et les restes qui en indiquent la magnificence ? Mais main-
tenant presque tout cela est en ruine.
Cette k'as'ba est traversée par un aqueduc très-solide.
278 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
sur lequel est bâtie une pièce d'une belle construction,
qui ressemble à un bain.
Jeudi, la redjeb (17 août).
Nous partîmes d*El-H'ânuna le jeudi, 12 de redjeb
( 1 7 août) , le premier jour du printemps \ selon le cal-
cul des cultivatem*s , et nous trouvâmes Sid- Abd-Allah-
el-Medjdoub sur ime jument, avec ses amis venus pour
nous accompagner. Et conune je me reposais sur le
penchant de la montagne qui domine El-H'ânuna, en
attendant la caravane qui avait pris à droite , on m'ap-
porta un couffin de dattes, que je partageai avec les
chérifs, les t o'iba et les pèlerins qui se trouvèrent pré-
sents, gardant le reste pour ma famille, à qui le présent
avait été fait.
Sid- Abd-AUah-el-Medjdoub était un honune saint,
un honmie de bien. U tirait son origine de K'aîrouân
et était venu habiter El-H'ânmia, dont il devint ci-
toyen. Sa présence avait eu une heureuse influence
siu* les gens du pays , qui , avant son arrivée , maltrai-
taient les pèlerins et les volaient. Sid- Abd-AUah était
sujet au djeddeb et à ^oudjed^ Il restait trois, cinq
ot jusque sept jours comme endormi, sans connaissance
' Il V A $;\n$ doute ici une erreur du copiste. Cest automne qu*il faut
1iiv« iùiisi (|u ou le tnmve plus loin, à la page a63 du manuscrit.
* KIhhkIj^xI 05l Total d'e\Use dans lequel rameur de Dieu, poussé
*Uu* ses doriiiorvs limites, amène un homme; el -djeddeb, c*est la
dauM\ lo> g\*stos, enlîu les actes matériels par lesquels cet état se ma-
uitVxle, jvuw que, dit MouLi-Ali mt*d. on cn>it que c'est une espèce de
Vsitalopsuv
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 279
aucune , sans mouvement , comme un morceau de bois ;
alors il ne mangeait ni ne buvait ; il ne priait pas , il
ne remuait pas, il pouvait rester un mois ou quarante
jours dans cet état sans dormir; alors il demeurait seul,
sans aucim rapport avec qui que ce fût. Il avait Thabi-
tude de ne jamais prendre de nourriture de personne ,
et , quand il allait chez ses amis , on lui apportait ses
repas de sa maison. Il persista dans cet état jusque vers
1016; je ne sais s'il s'y trouve encore maintenant. Il
ne mangeait alors que juste ce qui était indispensable
pour vivre.
Le neveu de Sid-Medjdoub nous envoya deux
hommes pour nous montrer le chemin de Mâkès
(jMbâ>U), où il m'accompagna et prit congé de moi.
Je ne voulus pas qu'il allât plus loin, dans la crainte
que l'extrême chaleur qu'il faisait ne le fatiguât. Il me
quitta donc, mais bien malgré lui. On se remit en
marche , emportant de l'eau d'El-H azâmi ( ^^t^il ) , provi-
sion pour le bivac, où nous savions qu'il y avait peu
d'eau. Cette eau qu'ils emportèrent était assez bonne
et presque douce. Nous fîmes la prière du d'ohor dans
cet endroit; puis nous arrivâmes à celle de l'ac'er à
rOuad-en-Nokhla (iddpJl ^^^t^), où nous trouvâmes de
l'eau un peu saumâtre. La caravane n'arriva qu'à la nuit
auprès d'ime mesdjid, qui est non loin de l'Ouad-en-
Nokhla et à côté de Sah-el-'Arfedj (^^t g*). Pendant
la nuit , un vent violent soufBa ; il faillit déchirer nos
tentes, et enleva les habits de dessus le corps des gens.
Parmi les choses à remarquer dans le pays de Nif-
280 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
zâoua ( i^IjAi ) , il faut mettre en première ligne la force
du vent , qui surpasse tout ce qu'on peut éprouver ail-
leurs. Ici, ce nest pas (comme dans les autres pays)
seulement en hiver que le vent soufSe , c'est en toute
saison.
Et-Tedjâni a dit à ce sujet :
Les gens de Nifzâoua expliquent ce fait en disant qu*il
y avait autrefois un talisman enterré dans leur ville. Quei-
quun rayant tii^é de terre, l'ouvrit, et de l'excavation sortit
le vent qui les tourmente actuellement.
Le même auteur ajoute :
Les gens de Nifzâoua croient que, lorsqu'ils sont mena-
cés d'une attaque, le vent redouble de force; ils regardent
cet avertissement comme un signe de la protection du ciel ;
alors, disent-ils, le vent emporte les bagages de l'ennemi.
Il y a, dans cet endroit, une fontaine connue sous
le nom dWîn-T'ora (i^ <j^)- En sortant de terre, elle
forme comme un étang d'un aspect agréable, qui ré-
jouit Fàme. Les animaux qui y vont boire , s'ils s'avancent
au delà d'im certain endroit connu, tombent dans un
abime sans fond. Les gens de Nifzâoua prétendent que
cotte fontaine doit tous les ans engloutir un homme.
La victime est toujours un étranger à la ville. Cest de
cotte fontaine que les teinturiers de Nifzâoua prennent
louroau, qui donne beaucoup d^éclat et de solidité aux
o\>uloui':fi» * Vin-T ora est siu* la fix>ntière du canton de
\if;àoua, ontn* co canton et Morra-el-Bicher(^^-&AJI t^y^)-
Totlo loul^uno est entourée de palmiers qui produisent
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 281
d'excellentes dattes, supérieures à celles de tous les
autres pays ; auprès de là , on voit les ruines de Tan-
cienne k aslia , maintenant détruite jusqu'au niveau
du sol.
n y a hors de la ville une espèce de palmiers qui
diffèrent de ceux qu'on observe auprès de la fontaine ;
on les appelle ^m'oan. Ce nom fait croire aux gens de
la ville que ces arbres ont été plantés par Pharaon. Ces
palmiers n'appartiennent à personne, et sont à la dis-
position de tous les passants ou étrangers. Il y a encore
à Nifzâoua une sebkha dont je parierai.
Vendredi, 3 redjeb (18 août).
Nous partîmes de Nifzâoua par un temps couvert et
un vent fix)id de médiocre force. Nous fîmes la halte
du matin poiu* nous reposer un peu à Er-Rah'ila
(iUU*^t). Ceux qui le voulurent y déjeunèrent. Nous
passâmes par En-Nebch , et les pèlerins biu*ent de l'eau
de cette rivière. Nous arrivâmes à l'Ouest de Nebch-
ed-Dîb (c^oJi (j&ifÂlt) vers le zaouâl, et nous y fîmes
la prière du d ohor. Dans l'Ouad qui est devant Nebch-
ed-Dîb, on trouve du verre noir. Nous descendîmes
à l'acer à Mâkès ( j-5u), qui est le K'eç'ar-er-Rou-
mân [^jl9ji\ jAoi). Nous y couchâmes, et nous y trou-
vâmes nos compagnons, qui avaient des dattes et des
grenades. Mon ami Oulid-el-Tsoumi apporta des plats
de kouskouçou. Le reste de la caravane n'arriva qu'à
l'eucha.
56
282 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
Samedi, i redjeb ( ig août).
Nous partîmes de là, après avoir congédié les deux
guides qui nous avaient amenés d^El-H'âmma; nous
primes avec nous Abou-el-K'âcem-ebn- Amâra , pour
qu^il nous conduisit ; nous fîmes la halte du matin à
El-H alfïâïa ( a^^aUI), et le gaîla devant la zaouîa d'Abou-
'Abd-AUah [M\ ôu^ j^I iû^lj); puis nous fîmes la prière
du d'ohor, après quoi nous descendîmes auprès de la
sebkha quon appelle Et-Tàkerma (iU^UJl mss^). La
caravane tourna les palmiers de la zaouîa Er-Rebâbcha
(iUUjI^t A^^lj), et nous rencontrâmes les marabouts de
la zaouîa Er-Remel (J^i ^3^j)> ^t de la zaouîa El-
Menchîa ( m aâII a^^j,), Oulâd-Sid-Amar, Sid-H'âmid
et leiu^s firères. Nous louâmes un honmie pour nous
conduire siu* la sebkha El-Kebira-el-Hâîla-el-Ketsîra
( il^l iJ^\^\ ij^\ U:^), « la grande, la forte, Tabon-
dante, » moyennant vingt ' nâs ri ^ monnaie de Tunis.
Ces nâsVi ont cours dans tout le royaume de Timis,
depuis le Djerid, de K'âbes à Touzer^ et ils passent â
raison de (seize?) au rial.
Dimanche, 5 redjdb (ao août).
Nous partîmes, quittant le pays de Nifzâoua, pour
outJvr dans celui de Touzer.
^ N»'n« Ia soiiit'iiie partie du rial, ou piastre de Tunis. Cette mon-
iKtie vaut à peu prvs 8 centimes i/a.
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 283
PARTICULARITE.
Nifzâoua a pris son nom d^une tribu qui y demeu-
rait jadis, les Benou-Nifzâ des El-Akbar-ben-Ber-ben-
K'îs-ben-Elïâs-ben-Mod'er-ebn-Nazâr.
Ech-<]herif a dit dans son livre : « Djàlout (Goliath),
que David a tué, était Oulid-Nifzâ. Il s'appelait Daris,
et était des Ben-cl-AsVai>ben-Nifzâ, Des Benou-Nifzâ sont
sortis tous les Zenàta ; ils ont une origine arabe , mais
ils sont devenus Berbères par leurs mélanges avec ces
peuples, qui étaient en relation continuelle avec eux.
On peut, sur le premier noan de ce nom, placer
ou im fath'a ou im kesTa, et prononcer Nafzâoua ou
Nifzâoua.
Nous entrâmes dans la sebkha, où des chameaux
ont été noyés dans la boue, ainsi que des hommes.
Le guide précédait la caravane, et nous marchions
doucement, avec les plus grandes précautions, sur une
ligne donnée , étroite , où les chameaux ne passaient
qu'un à im. Nous trouvâmes le chemin bordé par des
broussailles et des palmiers à droite et à gauche, et ne
laissant qu'un étroit passage, et celui qui se hasarde à
droite ou à gauche est aussitôt submergé dans la boue.
Celui qui ne connaît pas cet endroit ne peut s'en
tirer.
El-Bekri a dit dans son M açâlek ^ :
Les caravanes ou les armées s*y enfoncent quand elles
' Ce passage, cité comme extrait du Maçàlek d*El-Bekri, s*il se
284 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
ignorent le vrai chemin. Sitôt que quelqu'un a disparu,
lendroit où il a été submergé est aussi uni quavant, et il
ne reste pas la moindre trace. C'est bien autre chose en
hiver.
£t*Tedjâni a écrit dans sa Rahla :
J ai appris ceci d'un homme qui le tenait de Moh'ammed-
ben-Ibrâhim-ben-Djâmïa'-el-Merdâci.
Notre caravane de mille chameaux traversait cette seb-
kha. Un chameau s'étant un peu écarté du chemin, les
autres le suivirent , et tous disparurent dans la boue , sans
laisser ni traces ni trous après eux. Il est extraordinaire que
les gens qui s'occupent d'histoire ne parlent pas de cette
sebkha , qui est une chose si étrange. Elle est inunense par
son étendue et forme une vaste plaine, dont aucune inéga-
lité n'interrompt la surface ; elle est d'une blanchem* écla-
tante , comme une feuille d'ai^ent laminé. Cette blancheur,
pareille à l'écume qui sort de la bouche des chameaux,
est telle que les yeux ne peuvent la fixer sans en être
éblouis.
Nous y arrivâmes le matin, et la caravane y marchait
encore On y fit la prière sur un sol qui paraissait
xm tapis de camphre ou une terrasse d'albâtre. Le terrain
est si peu soHde, qu'un endroit d'environ cent coudées près
* du continent , et sur lequel on avait été et venu beaucoup ,
s'y enfonça tout à coup, et engloutit les hommes et les
animaux qui s'y trouvaient Les chameaux se mirent à
beugler, puis il ne resta plus d'autres traces d'eux que leur
li\>u\o iUns lo texte ilu manuscrit dont M. Quatremère a donné la
notiiY ylom. XI! iîc5 Notiin» des manuscrits K viendra a fappui de*
«!i5ci tiini» de ce savant ivîeiitaliste.
VOYAGE DE MOULA- AHMED. 285
fiente , qui monta à la surface. Cet accident ruina ceux qui
avaient leurs effets ou leurs marchandises sur ces bêtes de
somme. Ceci arriva vers Theure du d'ohor. J*ai vu alors un
homme qui, avec une longue lance, sondait Tendroit où
tout avait disparu, et il enfonça sa lance jusquà la main
sans trouver le fond.
Quelques arbres que le vent avait déracinés dans les en-
droits solides, amenés par les raSales vers ce lieu, ont
disparu en ma présence. Nous avons vu des os d*hommes
dans ce terrain, et, à côté d'im arbre, nous avons trouvé
une femme avec son enfant quelle serrait dans ses bras,
et tous deux étaient morts. On disait quayant eu une que-
relle avec son mari à Nifzâoua, elle avait juré daller cou-
cher cette nuit à Touzer. Elle se querella encore avec lui
à Touzer, et elle jiu*a qu'elle irait coucher à Nifzâoua. Elle
sortit aussitôt avec sa fille, et mourut dans la sebkha. Chose
extraordinaire, on ne peut, sur cette sebkha, boire de
l'eau douce , car Pair est tellement imprégné de parties sa-
lines , que celle qu'on y apporte d'ailleurs paraît salée quand
on la boit. El-Abou-Ibrâhim-ben-H'acina a fait là-dessus, et
sur ce qui lui est arrivé au passage, une agréable pièce de
vers.
Nous traversâmes Et-Tekâmert ( s^^UoIt ) , et nous
marchâmes toute la matinée jusqu^au zaouâl. Je vais
dire tout ce que j^ai vu de mauvais dans cette sebkha ,
les inquiétudes, les appréhensions que j'y ai éprou-
vées. Le cœur se serre en entendant ces choses. La
nuit na pas d'étoiles en cet endroit; elles se cachent
derrière les montagnes. Le vent y souffle à rendre
sourd, et souffle à la fois et de droite et de gauche,
286 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
au point de vous faire sortir de votre chemin; il
vous jette le sable à la figure ; on n*y peut ouvrir les
yeux qu*en prenant de grandes précautions. Je m'ef-
forçai de penser pour bannir le sommeil, et par là
éviter d'être englouti ou de perdre le chemin. A me-
sure que nous avancions, tous ces inconvénients aug-
mentaient. Cependant , vers le d'ohor, nous aperçûmes
les broussailles du terrain solide , et Touzer commença
à poindre au loin. Alors les gens de la caravane se fé-
licitèrent les \ms les autres , et dès que nous vîmes la
sebkha en arrière , nous conunençâmes à respirer.
Nous marchâmes dans cette sebkha jusqu'au milieu
du jour et à l'heure du k'iloula; nous mimes pied
à terre dans im endroit où nous fîmes la prière du
d'ohor et celle de l'ac'er. Je me promenai dans toutes
les directions, et le terrain me parut solide. Je ne pus
trouver ces gouffres qui engloutissent les voyageiurs ;
sans doute le terrain mouvant dont on parie est d'un
autre côté. La caravane étant arrivée, nous nous re-
mimes en marche et allâmes descendre à Sedâd (^Ij^m),
près de la zaouîa d'Abou-Helâl ( J^^ ^\ i^^lj) , où nous
nous établîmes avant le soir. La caravane n'y vint qu'au
coucher du soleil. Les gens du lieu commercèrent avec
la caravane, et lui vendirent des dattes, du zahar-el-
h elou. On coucha dans cet endroit.
C'est là le pays de Dak'îous {^yh^^ ^)^ le plus
considérable de cette contrée. Il y a une grande ville,
et sur la montagne qui est au-dessus de cette ville une
caverne, qu'on appelle la caverne des gens du rocher.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 287
C'est peut-être parce que ce pays s'appelle Belâd-
Dak'ïous que les habitants ont eu Tidée de. nommer
ainsi la caverne qui est au-dessus d'eux, et, sans plus
de réflexion, ils ont ensuite répandu cette croyance
parmi les pèlerins et les voyageurs.
L'imâm Abou-Sâlem-el-'Aïachi dit : « J'ai appris,
relativement à cette caverne, par des personnes de ce
pays et gens de bien , que les compagnons de la caverne
étaient enterrés dans cette grotte. Un autre individu,
un certain Ah'med-ben-'Abd-Allah , m'a dit avoir en-
tendu raconter à Sid-Mohammed-ben-Abou-£l-K'âcem-
El-H'ameni (des gens de H'amena) , qu'il avait été avec
un autre honune de bien vers l'entrée du rocher; qu'il
y avait pénétré et en était sorti changé de couleur, par
l'étonnement et la crainte ; qu'il y avait vu les sept Dor-
mants et des choses extraordinaires. Le temps manqua à
Ah'med-ben-'Abd-Allah pour aller demander en détail à
Sid-Moh'ammed-ben-Abou-El-K'âcem ce qu'il avait vu
de merveilleux. Je n'ai pas vu, reprend Abou-Sâlem,
dans les commentaires du K'oran, que cette localité
soit mentionnée. Ceux-ci désignent cependant une
grande quantité d'endroits : la Syrie, l'Irak', l'Anda-
lousie, le Maroc.
Lundi, 6 redjeb (31 août).
Nous partîmes de là, et arrivâmes à TouzeivOuzân-
Djouhar {j^yr ub^JJiy^ ) ^^ niatin du lundi 6 de redjeb,
et le cinquième jour de l'autonme , selon le calcul des
cultivateurs , et le 21 août. La caravane acheta beaucoup
288 VOYAGE DE MOULA-i^H'MED.
de raisins, des dattes fraîches, du zahar, des pêches
et des grenades. Nous trouvâmes les grands de la ville
partis pour Tunis, où ils vont tous les ans rendre hom-
mage au bey. Nous séjournâmes à Touzer le mardi.
Touzer est la capitale du pays appelé Belâd-el-Dje-
ridia (a^«x^^ jX) , et il n y a pas d'endroit plus boisé
dans le Djerid, ni qui soit mieux arrosé. L'eau de ses
fontaines jaillit du sable, et, en se réunissant, forme
une rivière très-lai^e hors de la ville, rivière qui se
subdivise ensuite en plusieiu^ bras, qui procurent de
tous côtés une irrigation abondante, étant partagée
entre tous les terrains cultivés dans la proportion de
son étendue. Des grands, honunes de bien, ont la
fonction de présider à ce partage, qui se divise en
heures du jour et de la nuit, d'après un calcul déter-
miné par l'usage. Sur ce cours d'eau, il y a beaucoup
de moulins édifiés. Ce sont les paroles d'Et-Tedjâni ,
lequel ajoute : « Et parmi les choses extraordinaires il
y a ceci : Quand la rivière s'enfle, soit par la crue des
fontaines d'où elle sort, soit par la pluie qui tombe,
l'eau arrive à l'endroit où elle se divise, se rend dans
les réservoirs des particuliers , le partage se faisant de
hii-méme. J'ai vu la chose de mes yeux. »
La majeure partie des habitants demeure dans les
jardins, peut-être parce que les constructions y sont
beaucoup meilleures que celles de la ville. Dans la
ville il y a deux mosquées (djâma'), un bain. Le point
de vue {^jJiSJ»)^ se trouve à Bâb-el-Menchar, porte où
' On dit À Alg^r yWrehflFerdja.
VOYAGE DE MOULA-AHMED. 289
Ton étend le linge : elle offre une des plus belles vues
qu^on puisse imaginer, parce que c'est là que les soiu^ces
se réunissent pour former la rivière, qui se divise
presque aussitôt , conmie on Fa dit. Là sont les teintu-*
riers, occupés à étendre les étoffes quils ont teintes
de toutes couleurs, étoffes précieuses, dont ils cou-
vrent tout le terrain; ce qui produit à Toeil Feffet de
prairies émaillées de toutes espèces de fleurs épanouies.
On y entend le miumure de Teau. Il n y a pas de plus
bel endroit à Touzer. Il est en dehors des jardins,
lesquels touchent aux remparts de la ville. Cette jolie
ville s'embellit encore par l'entourage de ses char-
mants jardins. Un de ses habitants, un poëte, a fait
une longue pièce de vers où il a décrit et énuméré ce
que Touzer a de bien et de digne d'éloge.
Il vante les oiseaux qui chantent sur les arbres, les
roses et les orangers, les palmiers, etc.
Les gens de Touzer sont un reste des chrétiens qui
étaient autrefois en Afrik'ïa, avant que les musulmans
en fissent la conquête; la plupart des habitants du
Djerid ont cette même origine , parce que , lorsque les
Arabes s'emparèrent du pays , les vaincus se firent mu-
sulmans pour sauver leurs familles et leurs biens. Il
y a aussi parmi eux des tribus arabes qui s'y sont éta-
blies avant la conquête. On y trouve encore des Ber-
bères qui s'y étaient fixés il y a fort longtemps , lors de
l'émigration de leurs ancêtres, sortis du pays qui est
connu sous le nom de pays des Philistins, et aussi
d'autres endroits de la Syrie. Ces Berbères avaient pour
37
290 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
roi Djâllout, dont il est question dans le K'oran. David
ayant tué ce prince , les Berbères se dispersèrent dans
toutes les contrées , et la majeure partie vint en Afrik'îa
ou dans le Mor reb. L'Afirik'ïa était alors au pouvoir des
Grecs, que les Berbères chassèrent dans les îles de la
mer, KasVilïa et autres. Les Grecs revinrent une autre
fois en A£:îk'îa avec sauf-conduit , et firent la paix avec
les Berbères, lesquels choisirent d'habiter les mon-
tagnes , les déserts ( JU^ I ) , et les environs des villes.
Les Grecs se fortifièrent dans les villes et dans les en-
droits habités, jusqu'à ce que vint Tislàm, qui s'empara
du pays. Alors les Grecs s'en allèrent, sauf ceux qui
se firent musulmans et ceux qui payèrent le djezïa
conune les gens du Djerid. Ceux-ci ont une chose sin-
gulière : ils vendent leurs excréments, et on les vili-
pende k ce sujet, comme on vilipende les gens de
K'àbes. On les blâme encore , parce qu'ils mangent des
chiens. Ceux qui sont ouvertement adonnés à cette der-
nière pratique sont les tribus des Arabes Benou-Açad
( OmmI ykf) et les Fokli açan (^^^^m^ ). Je n'ai pas vu ces
derniers « j'en ai seulement entendu parler; mais de
temps immémorial on leur adresse ce reproche. A ce
sujet « El-Ferozdok' a dit :
Si un Açadi a faim pendant un jour dans la ville , et qu il
ait un chien fp& , il le mange nécessairement.
Et Meçàouai4>en-Hind a dit :
Quand une fe nune des Açad enfante un garçon , on lui
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 291
dit : tt Pourquoi as-tu enfanté un garçon ?» et c*est pour se
dispenser de lui ofifirir le plat de couches ( El-Khers' ).
Le même a dit encore :
Les Benou-Âçad , quand leurs femmes accouchent , ainsi
que les Fok'h'açan , disent : « Ce sera Tannée aux chiens. »
H'açàn-ben-Tsàbet se moque de leur goût pour la
chair des chiens et même pour celle des gens; et il dit
en résumé :
Ceux de cette tribu qui passent pour poltrons , quand un
voisin meurt, ils le mangent s*ils peuvent; et, pour eux, la
chair de mouton , celle de chien et celle d*homme , c est
tout un.
Je ne crois pas qu'il me soit tombé dans les mains
aucun ouvrage où il soit question des anciens édifices
qu'on voit à Touzer, édifices qui remontent à une haute
antiquité; mais on prétend qu'ils ont été construits
vers l'époque du déluge, du temps de Noë. La ville a
été conquise , puis reçue à composition pour les Arabes ,
par HWen-ben-el-Neu'mân, en 79 de l'hégire, à son
retour de la conquête de Bark'a , par les ordres d' Abd-
el-Mâlek.
J'ai vu, dans une histoire de l'imâm El-H'âfid'-Abou-
T'àhar-es-Sefli , siu: la conquête de Touzer :
a On dit que Sid-Ok'ba-ben-Nâlïa'-el-K'orichi avait con-
quis Touzer ; mais ce n*est pas certain : Tépoque de f avène-
ment d*Ok'ba au gouvernement de TAfirique est & 6 de fhé-
gire. »
292 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Si ce récit d^Abou-T'fthar est vrai, la conquête de
Touzer a été faite du temps de Mâ^ouïa-Abou-Sefïân.
Quant au premier récit, sMi est vrai, ce serait, comme
je Fai dit, du temps d'Abd-el-Màiek. Peut-être conci-
lierait-on ces deux versions contraires, en admettant
qu après la conquête d'Ok'ba les anciens maîtres du
pays en avaient repris possession , et qu'alors une
deuxième conquête eut lieu du temps de H'acen-ben-
Neumân. Quoi qu'il en soit, en voyant encore de nos
jours les anciennes églises chrétiennes qui tombent en
ruines, et qu'on n a pas employées à d'autres usages, on
devine, sans que les historiens le disent formellement,
que les musulmans prirent possession de ce pays par
capitulation.
Quant à l'orthographe du mot Keniçat (pliu*iel Ka-
ndïs)y il me semble qu'il faut l'écrire avec \ux fatKa
sur le ta final et dire Keniçat; d'autres y mettent un
d!omma, et prononcent Keniçatou : mais ceci n'est pas
fondé, parce qu'il est de principe, dans notre gram-
maire, en ce qui concerne les mots étrangers, de les
écrire comme nous les entendons prononcer, sans rien
ajouter ni retrancher à ce que les anciens Arabes nous
ont transmis à ce sujet.
A Touzer, je reçus la visite des principaux tVlba
de Neft'a, et celle de Sid-D^if-Allah-ech-Cherif-el-
Edrici, qui prit la rose (ouerd-ou-djeker) , de Sid-
Abou-Bekr-ben-'Abd-er^Rah mân à la zaouîa El-Mîàd.
J'allai , après la prière de l'ac er, visiter l'ancienne ville
et les marabouts qui s'y trouvent, tels que l'imâm Ech-
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 293
Chek'ràt'si, Ben-Bechbàt'a, Ez-Ze&àfi et Abou-el-
Fad'el-ebn-eB-Nah'ouî, disciple de Fauteur du Moun-
faridja^ Nous leur demandâmes le chemin de Biskra
ou celui de Zorâîb; mais nous ne nous mîmes pas
encore en route.
Mercredi, 8 redjeb (a3 août).
Nous partîmes le mercredi 8 redjeb (23 août), de
bonne heure, conmie d'habitude. El-H'adj-el-Ah'midâ
me traita chez lui, ainsi qu'une compagnie de pèle-
rins; il nous fit apporter beaucoup de kouskouçou.
Sid-D'if-Allàh-ech-Cherif marcha avec nous, ainsi que
quelques-uns de ses amis , jusqu'à El-H'âmma [jji^ iuUI).
n écrivit cette espèce de talisman , qu'on appelle sif-en-
noac'er ou eln^uactla, ou sekibat-^n-nottrânia. Nous des-
cendîmes dans cet endroit, et nous y restâmes jusqu'à
ce que la caravane eût chargé et que la provision d'eau
fût faite à une certaine fontaine, dont l'eau est plus
douce que nulle autre part dans les environs. Sid-EVif-
Âllah-ech-Cherif-el-Edrici et ses neveux prirent congé
de nous. Cet homme a le cœur excellent ; il avait de
l'amitié pour moi. Nous arrivâmes vers l'eulam à im
endroit imi , où nous (unes la prière du d'ohor ; puis
nous nous remîmes en route, et nous fîmes la prière
' Le MoonCmdja est un poème de Moh'aimned-beii'Ioucef-et'Toa-
ziri, sar Diea, le prophète, etc. Ce poème, dont tons les yem se ter-
minent par un djim, a été commenté par loucef-ebn-Moh'ammed-ebn'
louoef-Abonel-Fad'el, dit En-Nah'ooi. La bibliotlièque d* Alger a, sous
les n*' 4 A, 3a6 1 , 35o C, le texte et deux commentaires de ce poème.
294 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
de Tacer à Touest de Radjem (^yt)« V^ ^^ ^^^ ^^
chemin auprès de Tamaris, et nous descendîmes près
et à TEst de Chebika ( X^u^xâ ) , vers le mor'reb. La ca-
ravane n^arriva qu'après le coucher du soleil ; on coucha
dans ce lieu.
En 1 1 1 o , lorsque je revenais du pèlerinage , je ren-
contrai en cet endroit une caravane qui venait de mon
pays. L'êmir de cette caravane , Sid-el-H adj-el-H'aceni-
el-Fâci, me donna des lettres de mes parents et amis,
et mon ami Sid-Moh'anuned-ben-el-H'ocein-el-Liouci
m'envoya une lettre dans laquelle était une pièce de
vers de sa composition.
Jeudi, g redjeb (a& août).
Nous partîmes de ce lieu , et nous marchâmes avec
promptitude , afin que la caravane pût arriver jusqu'à
rOuad-R'as'rân {{j}y^ c^^l^)) ^^ nous craignions que,
si elle ne parvenait pas jusque-là , elle fût obligée de
passer la nuit sans.eaù. Nous rencontrâmes le fils de
Sid-Nâcer-el-Ferdjâni, qui faisait route sur Biskra. H
nous montra le chemin et marcha avec nous.
Nous descendîmes à RWrân-Ouzân-Amrân {{jij*^
ub^ ub^)^^ entre le mor'reb et Teucha; le reste de
la caravane n'arriva qu'à quatre heures dans la nuit.
On bivaqua à côté de l'eau courante. Les pèlerins
burent, firent leur provision d'eau et se lavèrent toute
la nuit : ils oublièrent alors toutes les mauvaises eaux
Dans la première partie de son voyage, Moula- Ahmed appelle cet
endroit R'asVân-KaWân. Voyei ci-dessus, pag. aay.
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 295
dont ils avaient bu eh route. Les gens du pays ne
s'éveillèrent pas à Tairivée de la caravane , et il ne se fit
pas un seul marché.
Ce pays dépend de Tunis. Nos chameaux étaient
fatigués de Tétape; mais, parla grâce de Dieu, Fherbe
et Teau qu'ils trouvèrent en abondance leur rendirent
les forces, car il y avait dans ce lieu beaucoup de pâtu-
rages et de broussailles.
Vendredi, lo redjeb (a5 août).
Partis vers huit heures du matin, au d'oh'a» nous
nous arrêtâmes siu* une colline , devant un des bourgs
El-Hadjel (J^), devant Ferka (i^^); nous descen-
dîmes ensuite à £l-Mofd'!a (â^u^aII), où nous cou-
châmes sans autre eau que celle que les chameaux
avaient apportée, car il ny en a quen hiver. Cest un
endroit uni , bien exposé et où Ton trouve des champs
cultivés très-étendus. L'eau de la montagne y coule à
l'époque dont on a paiié, et arrose alors la contrée.
Samedi, 1 1 redjeb (a6 août).
Nous arrivâmes à Zeribel-H'âmed (o^U. ^jj) ^
l'ac'er, et nous y fhnes cette prière. La caravane nous
rejoignit avant le coucher du soleil. A ce bivac, la
maladie de notre frère Ah'med-el-Hand'ifi s'augmenta
(que Dieu le protège!). Il donna par testament à la
zaouîa En-Nas'rîa le tiers de ce qu'il avait de son bien
avec lui dans ce voyage. Il était malade depuis le Kaire.
Son mal avait eu des alternatives jusqu'à cet endroit,
296 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
où il s'accrut considérablement. La caravane coucha
auprès diua radîr\ qui avait procuré de Teau douce
très-abondante. Les gens du pays avaient creusé ce
réservoir pour y conserver l'eau de pluie tombée pen-
dant rhiver et s^en servir diu*ant Tété, cette eau étant
la seule qu'il y ait dans leur pays. C'est donc auprès
de ce r'adîr qu'ils ont construit leiu: bourg. Quand
vient le temps des pluies, les torrents des montagnes
s'augmentent, coulent et descendent jusque de leur
côté. Us s'en servent pour irriguer leurs champs, et
ils en emplissent les réservoirs afin d'arroser leurs
terres; car chacun en fait un grand ou un petit qu'il
emplit. Quand l'eau cesse de couler durant l'été, ils
trouvent alors celle qu'ils ont amassée dans leiu^ ré-
servoirs : ils s'en servent pour boire, abreuver leurs
animaux, et pour tous les autres usages de la vie. Nous
les trouvâmes en prières et demandant de l'eau. Que
Dieu les exauce ! Il me vint, pendant cette nuit, quel-
qu'un des Oulâd-Sidi-Nâdji , le Sid-El-Hâni-ben-el-
H afiân ; il m'apprit des nouvelles de mes chameaux , qui
étaient restés chez eux : il y en avait un de mort. Je
fis venir ceux qui restaient. Il nous apprit, ce qu'on
nous avait déjà dit, que les Oulâd-Sidi-Nadji (^^3!
(s^^ 4^0hu»#) étaient brouillés avec les Oidâd-Tsâbet (^^^\
oi^b), qui sont à El-Iâna (iuWt)i et que ceux-ci les fai-
saient espionner dans l'intention de les attaquer à leur
avantage. Sid-El-Hâni avait été suivi par des espions
' Réservoir creuse pour recevoir les eaux pluviales, comine Tau-
leur IVxplique plus bas.
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 297
de ce genre dans son voyage. Que Dieu le délivre d^ ce
danger !
Dimanche, la redjeb (3700111].
Quand nous partimes de là et que nous marchâmes
devant la caravane, nous entendîmes- en arrière des
cris et du bruit; nous demandâmes ce que c'était, et
on nous apprit que la troupe des Oulâd-Tsâbet, qui
avait suivi les gens des Oulâd-Sidi-Nâdji, comme on
Ta dit tout à Theure , combattaient avec 'Âbd*el-H afid'
et sa compagnie. Mais ils ne purent rien faire et f lurent
obligés de se retirer. Que Dieu accorde la victoire aux
Oulâd-Sidi-Nâdjil Nous fîmes la halte du matin à
Omm-el-Kheïr [j^ J), où je rencontrai Sid- Abd-el-
H afid', qui m'apportait une charge de dattes , des pas-
tèques et des poules. Nous fîmes quelques milles, et
nous aperçûmes au loin, autant que la vue pouvait
s'étendre, un grand nombre de cavaliers au galop qui
couvraient le pays. Quand ils furent plus rapprochés ,
nous reconnûmes Abou-D'ïâf, le chef des Oulâd-
S'oula (a1>0 ^^3!)^ avec une compagnie des grands
du pays : ils venaient pour nous donner la bienvenue.
* Le cheikh des Oulâd-S'oula payait une contribution annuelle de
quatre mille bacita (10,000 francs); mais la soumission de ces tribus
était purement nominale , 6t elles n^avaient pas de relations régulières
avec le cheikh El-*Arab, encore moins avec le pacha. Une tradition
populaire fait descendre les Oulad S'oula d*une race d'hommes athlé-
tiques, contre lesquels les Zenâta (représentés comme les pères des
Chaouia d'aujourd'hui) eurent à soutenir des guerres nombreuses.
Après des succès partagés , qui rendaient alternativement les deux partis
38
298 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Ce chef est un homme vertueux, qui aime ce qui est
juste , chérit les gens de bien et déteste le mal , ainsi
que celui qui le fait. Comme nous savions qu^il aime
les pèlerins et les voyageurs du Mor'reb , nous n'eûmes
aucune crainte en le voyant arriver. Nous allâmes des-
cendre à Zeribet-el-Ouadi ( ^^^ly I iu^ ) au d'oh a , et
cela bien malgré nous. On coucha dans cet endroit,
où les Arabes de la caravane achetèrent des chameaux.
J'en achetai aussi; mais, n'ayant pas lieu d'être con-
tent du marché, je les rendis. J'avais cependant besoin
de ces animaux ; mais à la volonté de Dieu ! Je voulus
faire ce marché, parce que j'avais appris qu'un cha-
meau qui m'appartenait, et que j'avais laissé chez Sid-
el-Hàni était alors malade. Je craignais qu'il ne pût
faire le voyage. Je voulais donc entamer un autre
marché ; mais on m'avertit que l'animal qu'on voulait
me proposer avait été volé, ce qui fit que je revins
sur ma parole et repris mon aident.
Lundi, i3 redjeb (a8 août).
Nous partîmes longtemps après le d'oh'a. La terre
était sèche , et on allait de côté et d'autre pour trouver
un endroit où il y eût de quoi donner à manger aux
chameaux. Il s'en présenta un enfin. Pendant que nous
y faisions la prière de l'ac'er, il monta un nuage au ciel ,
du côté de la montagne, par un vent violent, qui jeta
les tentes à bas; puis il tonna, éclaira, et une forte
maîtres et sujets, les ancêtres des Oulad-S'ouia furent enfin vaincus
et obligés de se réfugier dans le S'ak'ra.
VOYAGE DE MOULA-AHMED. 299
pluie tomba sur la caravane : les cataractes du ciel pa-
raissaient ouvertes. La force des averses était telle,
que nous nous trouvâmes presque inondés , et que les
chameaux disparurent. Nous priâmes , nous invoquâmes
le prophète, et le mauvais temps finit aux approches
du mor reb. Alors chacun se mit en quête de son ba-
gage. Quelques-uns le retrouvèrent; d'autres n'eurent
pas le même bonheur, et ne piu*ent remettre la main
sur leur propriété engloutie dans la boue. Ce fut, du
reste , le plus petit nombre. Cette pluie fit gi*and plai-
sir aux gens du pays, à qui elle annonçait une année
productive. Sid-el-Hâni , ses amis et sa société , prirent
congé de moi. Nous fîmes la halte de midi à TOuad-el-
H alef ( ud ^dl^ ) , et nous trouvâmes cette rivière
remplie d'eau, ainsi que les citernes et les réservoirs.
Nous y fîmes la prière, après quoi nous marchâmes
de nouveau. Vers Tac'er, nous vîmes au ciel, au-dessus
de la montagne, une espèce de nuage qui s'agrandit;
puis il tonna, éclaira, et il tomba une forte pluie qui,
frappant les bêtes de somme au visage , les empêchait
de marcher : elles s'arrêtaient et ne bougeaient plus.
Cette pluie cessa un peu, et nous fîmes la prière de
l'ac'er; puis elle recommença à tomber, amenant le
froid avec elle, et cela dura jusqu'aux environs de
l'eucha. Nous descendîmes à l'Est de l'Ouâd-el-Mensif
(uuaUI ^^I^), et la caravane coucha sur une colline
élevée, afin que, si la pluie reprenait, nos bagages
ne restassent pas dans la boue, comme cela était déjà
arrivé. A ce bivac moui^t mon ami Sid-Ah'med-el-
300 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Hand'ifi, pendant la nuit du mardi 1 4 redjeb (29 août).
Que Dieu lui soit miséricordieux! Nous le lavâmes,
rhabillâmes, nous priâmes pour lui dans la matinée, et,
avant le coucher du soleil, nous Tenterrâmes en face
du campement, jetant seulement de la terre sur son
corps, parce que nous ne trouvâmes pas de planches,
de pierres plates ou rondes, ni de roseaux.
Mardi, i4 redjeb (39 août).
Dans Tendroit où nous fîmes la halte du midi , nous
fûmes joints par les Oulâd-S'oula avec les chérifs qu'il
y avait alors à Sid-Okl)a. Quelques-ims d'entre eux
étaient de mes amis, Moh'ammed-ben-Mans'our-el-
Mekâdi, En-Nedjâri, et Zouâoui d'origine. Nous fîmes la
prière du d'ohor, puis nous nous remimes en marche,
et je rencontrai mon frère en Dieu Sid-Moh'ammed-
bcn-Mansour susdit, lequel vint au-devant de nous et
me mena à Sid-'Ok'ba , où ils m'attendaient depuis quinze
joiurs. Nous descendîmes à Sid-'Okl)a à l'ac'er, le mardi,
i4 de redjeb (29 août); nous y couchâmes. L'orge
y était À meilleiur marché qu'à Biskra, et chacun en fit
provision tant qu'il voidut. Je trouvai à Sid-'Okl>a Sid-
Abmi-eUK'àcem-el-Bechîr-el-Biskri, alors mufti de
Biskra , qui venait de s'enftiir de cette ville , en crainte
dos chefs, et 'Ali-hen-Moh'ammed un des
chefs de cotte contrée, qui était aussi en fuite. 11 me fit
c«^doau d'un mulot, que je donnai à Moula-el-'Arbi-
hon-Ah aunUuMi-loucof Que Dieu rende à El-Bechîr
SOS hious ot sa place!
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 301
Mercredi , jeudi , vendredi , 1 5 , 16, 17 redjeb
(3o et 3i août, 1" septembre).
De là nous allâmes à Biskra-en-Nokhêl (Ju^l 'ij^),
où nous arnvâmes environ 10 degrés^ avant le zaouâl
du mercredi, 1 5 redjeb ou 3o août. La rivière était en-
flée ; nous la traversâmes dans un endroit difficile ; mais
Dieu nous tira de ce mauvais pas. Nous séjournâmes
à Biskra le jeudi et le vendredi , jusqu'à ce que les gens
de la caravane eussent acheté ou préparé leurs provi-
sions de bouche.
Samedi, 18 redjeb (a septembre).
Nous partîmes le samedi, 18 de redjeb, 2 de sep-
tembre. Je pris congé de Sid-'Abd-el-H'afid'-ebn-et-
T'aïeb, des Oidâd-Sidi-Nâdji et de ses amis, et des
amis de la compagnie de Moh'ammed-ben-Mans'our-el-
Mekâdi, lequel continua encore de marcher avec moi.
Nous fîmes la halte du d'oh'a près d'im réservoir appelé
Sâk'îa-Oumâch {^\^^\ M^)) sur le chemin. Nous fûmes
obligés d^arranger cet endroit, qui était difficile, pour
que la caravane pût passer; enfin on s'en tira heureu-
sement. Deux chameaux seulement tombèrent dans le
réservoir, mais on les retira sains et saufs. Nous tra-
versâmes Melila (iUuJLt). La population, grands et pe-
tits, vint au-devant de nous. Nous traversâmes l'Ouad-
el-Djeddi (^^^M^ (^*b)» ^* ^^^^ descendîmes sur le
bord de cette rivière à TOuest, sur des collines, pour
' Ce degré comprend quatre ïninutes.
302 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
avoir du frais. On m'apporta des chaînes de melons; je
les partageai avec mes compagnons , avec les légistes et
les chérifs. Leur fak'i Sid- Ali- Abd-el-JVTat'i , qui était
venu au-devant de moi à Sid-'Okl)a, me fit alors ses
adieux. La caravane coucha en cet endroit.
Dimanche, ig redjeb (3 septembre).
Nous allâmes faire la prière de Tac er auprès de l'er-
mitage de Sid-'Abd-er-Rah'mân-ben-es -SVir-el-Akhd'ari
((<g^jtâÂ.^I «y^); nous le dépassâmes de quelques milles
pour descendi'e à Mor'rân (yîy«^) , grand désert qui
s'étend du côté du k'ibla « midi » jusque vers les vil-
lages de rOuad-Rîr .
Lundi, ao redjeb (4 septembre).
Nous fîmes une petite halte sur le chemin, et je mis
pied k terre, vers le doha, en avant de la caravane,
pour me reposer. Je vis im corps de cavaliers des Ou-
lâd-Selâni (>%^)u* ^^^1) montés siu* des juments, qui
venaient de notre côté conduits par leur chef (raïs)
T'âmir. Ils me prièrent de séjoiuner un peu en cet en-
droits pour qu'ils pussent m'offrir à manger et leurs
bénédictions* Comme il ne m'était pas possible d'ac-
coptor^ ils dmTUt se contenter de me faire cadeau d'un
béhor. que je donnai aux chérifs. Nous nous remimes
en UKirche et allâmes nous arrêter sur un mamelon
<|ui domine la rivière « du côté des broussailles. Nous
\ fime^ la pinore du d'ohor et celle de l'ac'er près des
(^ulÀiH>jold yj^^ à^y \ dans des champs ensemencés.
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 303
auprès de nombreuses liorias. H y avait de Teau sau-
mâtre et amère comme le jus de la coloquinte. Nous
nous assîmes en cet endroit jusqu'à ce que la caravane
fût passée et que Tarrière-garde nous eût rejoints. Puis
nous nous remîmes en route et trouvâmes les pèlerins
occupés à dresser les tentes (après Tac'er) chez les
Oulàd-Djelâl, le dimanche, 19 de redjeb^ Entre le
morreb et Teucha, il vint un de mes amis, Sid-Abd-
el-Bâk'i , accompagné de Sid-Moh'ammed. Par la grâce
de Dieu, ils me donnèrent im mouton. Il apporta une
planchette d'école (iU-^J), poiu* que j'écrivisse dessus
quelque chose qui portât bonheur à son fils, lei|uel
n avait pas encore conmiencé à apprendre à lire. Je lui
écrivis la première leçon. Il me donna un plat copieux
de kouskouçou; puis tous retournèrent à leiu* tribu.
Mardi, 21 redjeb (5 septembre).
Nous partîmes accompagnés par les gens, du pays ,
petits et grands, qui nous demandèrent de prier pour
eux. Je trouvai hors de la ville leurs ouleraa, leurs
marabouts et Sid-Moh ammed-el-H'âdj . Celui-ci m'ap-
portait trois moutons , que je donnai à mes compagnons.
Après avoir pris congé de nous, tous ces gens s'en
retournèrent, sauf Sid-Moh'ammed, qui vint avec moi
jusqu'à la k'oubba de Sid-Khâled («xJU. (^«Xju« >^)
Ben-Senân, lieu où il me fit ses adieux et retourna
chez lui. Nous mimes pied à terre à l'Ouest de la ville
' Le manuscrit porte 9 de redjeh, maïs c'est une erreur évidente
du copiste.
304 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
de Sid-Khàled, siir une hauteur, en attendant la cara-
vane. Nous nous informâmes de Tétat du chemin, s'il
y avait de Teau dans quelques endroits par où la cara-
vane devait passer, afin de coucher dans ce lieu; si
Ton pouvait boire, abreuver et faire la provision d'eau,
pour traverser la mefâza qui était devant nous , désert
où il n y a point d'eau. La caravane devait aloi^ en faire
provision poiu* trois jours et deux nuits. Nous reçûmes
toutes informations à cet égard par im Arabe qui con-
naissait le pays. La rivière, disait-il, était à sec en ce
moment, mais il y avait sur la route deux grands r adir
« réservoirs » qui suffiraient aux besoins de la caravane,
et qui auraient pu abreuver une armée. Nous remer-
ciâmes Dieu de cette heureuse circonstance , qui nous
dispensait d'emporter de l'eau dans la mefâza (i[>UU
oJl^ «>ysM»)> 6t nous nous réjouîmes de n'avoir pas à
redouter la soif dans ce désert; car les outres de la
caravane étaient vieilles et déchirées, vu qu'elles ser-
vaient depuis le Kaire, et celui qui y avait mis le de-
bâr a et le k'et'rân « le tan et le goudron « ne s'en était
pas bien acquitté. Mais nous n'en avions pas trouvé
d'autres au Kaire. Loi^sque nous eûmes ces informa-
tions, la caravaiie se mit en marche, et nous descen-
dîmes vers le k'iloula • midi > à im r adir, près de la
rivière; nous y fîmes k prière du dohor, et nous al-
lâmes faiix^ celle de fac'er sous un térébinthe, auprès
<run autre r adir. Nous trouvâmes, devant le r adir. Es-
Selmîa (a^^JuJO, douar de nomades arabes de ces
contrées « gens puissants qui étaient en recherdie d'eau
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 305
et de pâturages. Nous desceudimes sur le terrain des
Oulâd-Sid- Aïça ((^un^ (S^^*^ ^^3* ) ^ auprès d'un r'adîr
grand , enflé comme une mer (j^s^ùm^) par les eaux de
la rivière. Nous couchâmes avec les Selmïa, nos bêtes
de somme mêlées avec les leiu*s. Leurs chefs, leurs
grands vinrent nous voir, ainsi que tout le reste. Ils
nous dirent qu'ils ne ressemblaient pas aux anciens Es-
Selmïa , qui pillaient et volaient les caravanes des pèle-
rins, et ({u'eux ne leur faisaient que de bons traite-
ments et étaient les serviteurs des pèlerins. Ils rendirent
ensuite à mon ami Sid-Ibrâhim ce qui lui avait été
volé au passage , quand nous allâmes à la Mecque.
Mercredi, a a redjeb (6 septembre).
Nous partîmes lorsqu'on eut pris au r'adîr la provi-
sion d'eau nécessaire poiu* tout le jour. Nous fîmes la
halte du matin auprès d'un térébinthe , dans un endroit
uni, lai^e, où nous attendîmes les gens de la cara-
vane. Il y vint une troupe d'Arabes de Rah'mân (yl?:;),
amenant un grand nombre de chameaux qu'ils vou-
laient vendre aux pèlerins. Par la grâce de Dieu, ils me
donnèrent une jeime chèvre, et je leiu» donnai ce qu'il
leur fallait. Puis nous chevauchâmes, et il nous vint
deux cavaliers montés sur des juments, qui faisaient la
fantazïa, lesquels nous apportaient des outres pleines
de beurre fondu que nous donnaient les fak'i. Nous
fîmes la halte du midi sur les bords de l'Ouad-es-Senouf
(ojjuJl t^^t^), à l'ombre des térébinthes, et nous y
trouvâmes des r'adîr pleins d'eau, où nous abreuvâmes
39
306 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
nos animaux et où- les gens de la caravane burent et
firent leurs provisions et leurs ablutions. Nous fîmes
la prière du d'ohor en cet endroit, et celle de Fac'er à
un r'out'^ sur le chemin de R'îkef [uSUà). On se remit
en marche, et nous allâmes descendre , vers IWfiràr, sur
un autre r out' étendu en tous sens auprès d'un réser-
voir d'eau. Nous fûmes excessivement joyeux, car on
n avait plus beaucoup d'eau, n'en ayant pas trouvé à
l'endroit désigné par le guide. On voidut coucher de-
vant le r adîr que Dieu nous avait envoyé ; nous y cou-
châmes en effet, et chacim usa de cette eau à son gré.
Une chamelle s'enfuit, et, pendant que le conduc-
teiu* la cherchait, elle fut trouvée par le camarade de
celui-ci, lequel ne sachant pas cela, continua ses in-
vestigations, et fiit attrapé par des bandits, de ceux
qui volent les pèlerins ; ils le battirent et lui enlevèrent
ses habits. Son père, ne le voyant pas revenir, se mit
en quête de lui, et fut aussi attrapé. On le ramena au
bivac movennant la promesse de donner im midet pour
sa rançon et celle de son fils, ce qui lut fait. En outre,
les bandits trouvèrent moyen de voler un autre midet.
Le maître de ce dernier s'éveilla, et suivit leurs traces
|X>ur ravoir son mulet. Il les atteignit; mais il ne put
réussir^ et vopnt qu'il avait affaire à trop forte partie,
il les quitta et revint au bivac.
* S*lon lo Kaukhis, ce mot signifie un raslc es|>ace de lerniîn en
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 307
Jeudi, a 3 redjeb ( 7 septembre).
Nous partimes, et trouvâmes de Teau dans un Ouadi
qui est à TEst desTouraîât (v;;9U^yJl), où quelques-uns
emplirent leurs outres. Nous finies la halte du matin à
'Arit'â (Ik^), à TOuest et à quelques milles des Tou-
mïât, et la prière de l'acer à côté d'im radîr, près de
rOuad-'Abd-el-Medjîd ( Oy^^Jl 4>^Aft :>]^ ) , et nous descen-
dîmes à TEst, à quelques milles de cette rivière, après
Tac'er. La queue de la caravane an-iva entre le cou-
cher du soleil et Teucha. Il souffla un grand vent, qui
renversa toutes les tentes; la pluie tomba, et il fit très-
obsciu*. On entrava les chameaux, le lieu étant connu
pour les vols et les pillages auxquels se livrent les gens
des tribus environnantes, gens d'Eûmoura [ij^i]^ dont
les villages sont siu* la montagne qui est devant El-
R'irân ( ^ j^AiJt ) , pays où il y a beaucoup de fruits de
tous genres, mais point de dattes. Les habitants volent
les pèlerins, venant la. nuit en cachette au bivac des
caravanes; dans le jour, ils apportent des poules, des
fruits, et font le commerce. C'est là leur usage; que
Dieu le leiu* ôte! Auprès d'Eûmoura, et à quelques
milles vers TËst, est R'omara (^)i dont les habitants
ne font point parler d'eux dans un mauvais sens. Dieu
sait s'ils valent mieux que les autres. Nous couchâmes
en cet endroit, et pendant toute la nuit la pluie tomba
jusque près de l'aïu'ore. Il n'arriva néanmoins aucun
accident. Dieu nous gardait.
308 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Vendredi, aâ redjeb (8 septembre).
Nous traversâmes rOuad-'Abd-el-Medjîd vers huit
heures du matin. Personne n'alla y puiser. Dieu nous
ayant fait la grâce de rencontrer deux r adir bien rem-
plis d'eau, où chacim avait pris ce qu'il lui fallait.
Nous descendîmes pour reprendre haleine à FEst
d'El-R'irân, en attendant la caravane. Nous ne la vîmes
pas arriver, et on nous dit qu elle avait pris à gauche.
Après nous être mis en marche, nous trouvâmes un
homme de Nâîla (i^b) qui amenait le mulet volé dans
une nuit précédente ; il nous dit que le voleur était
un S'ah'râoui, ou homme du désert; que les Oulâd-
Nâîl lui avaient repris son butin, qu'ils nous renvoyaient
par lui. Le maître de la bête reçut son bien, fort joyeux
de l'événement.
Nous descendîmes, vers le d'ohor, à l'Ouest et à
quelques milles d'El-R'irân, sur une colhne, pour faire
la prière et attendre la caravane, qui arriva. Après avoir
fait la prière du d'ohor, nous marchâmes avec célérité ,
afin que la caravane pût atteindre un endroit où il y eût
de l'eau, car on n'en avait plus; mais on n'en trouva
jKis. L'ac'er étant arrivé, nous fîmes cette prière à la
hâte, et nous descendîmes un instant dans un lieu en-
Mmiencé . dans le pays des Oulâd-H erz-AUah [j^ ^X^'
M\ devant une zaouîa de Bédouins. J'en connais quel*
que^Mms, gens de bien. Un d'eux avait fait le pèle-
rinaj;^^ %\\ec moi. II s\^ppelail Sid-et -T aïeb-ben-'Aîça :
c'otjiit un houimo religieux et probe. Devant la zaouîa
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 309
était un bâtiment adossé à la mesdjid, que les pèlerins
appellent El-Bordj (gj-fJt)' Le gros de la caravane ar-
riva entre le mor reb et Teucha , et la queue , après que
nous eûmes fait la prière de Teucha.
On prit des précautions contre les vols des gens de
R omara et autres qui auraient pu suivre la caravane ;
mais, par la grâce de Dieu, il n^avint rien de fâcheux.
Samedi, a 5 redjeb (9 septembre).
Nous fîmes halte à Demmet ( os^^ ) avant le milieu
du jour, et nous y couchâmes pour reposer les cha-
meaux et guérir leurs pieds enflés par la marche. Nous
trouvâmes les gens du pays, qui furent très-satisfaits
de nous voir, à en juger d'après les apparences. C'étaient
de braves gens et non de ceux qui maltraitent et dé-
pouillent les pèlerins , ni de ceux qui dérobent la nuit.
Cependant ils avaient autrefois commis ce genre de
désordre; mais ils s'étaient enfin amendés. Que Dieu
les laisse dans cette nouvelle disposition ! Us firent le
commerce avec la caravane , apportèrent du beurre , de
forge et des moutons; ils ne nous présentèrent pas
autre chose, parce que les sauterelles avaient dévasté
leur pays. Entre le mor reb et feucha, il éclaira à éblouir
les yeux, et nous fumes arrosés par une petite pluie qui
cessa bientôt. Vers minuit , TOuad-Demmet (oJià ^^^Ij)
commença à s'enfler, et la caravane craignit qu'il n'y
eût plus moyen de le traverser, et qu'il fallut attendre
qu'il diminuât.
310 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Dimanche, a 6 redjeb ( lo septembre).
Après la prière du matin , nous envoyâmes examiner
la rivière ; grâce à Dieu , elle était guéable , et nous ia
passâmes lorsque, pour la deuxième fois, elle recom-
mençait à monter. Ce fut avec peine que bêtes et gens
la traversèrent ; on était obligé de ménager les cha-
meaux , car ils étaient fatigués et avaient beaucoup de
chemin à faire. Mais Dieu nous favorisa, et le passage
se fit sans encombre ; personne ne tomba dans Feau ;
pas un paquet ne se perdit et aucun chameau ne glissa,
à Fexception d'im seul qui tomba dans la rivière , mais
il fut sauvé. Quand nous arrivâmes sur Fautre rive,
nous attendîmes que toute la caravane eût passé. On
se remit alors en marche après la prière du d ohor, et,
lorsque nous avions déjà fait quelques milles, nous
aperçûmes comme un nuage blanc devant nous, puis
nous entendîmes de violents coups de tonnerre, et il
tomba une forte pluie, qui arrivait d'abord des mon-
tagnes et des collines, puis qui se répandit sur la
plaine. Elle persista, et le ciel, ouvrant ses cataractes
sur nous, la caravane fut dans Fimpossibilité de con-
tinuer sa route. Les chameaux, les mulets, les ânes et
les hommes tournaient la tête à cause de la pluie qui
leur venait dans la figure. Il semblait qu on nous versait
des outres sur la tête.
Nous fûmes rencontrés par un homme des Oïdàd-
IFerz-AUah ; il nous apprit que le chemin que nous
suivions était très-difficile , et que ni hommes, ni cha-
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 311
meaux n y pourraient passer. U nous conduisit alors
sur la gauche , et nous passâmes par un chemin sa-
blonneux qui ne s'imprégnait pas beaucoup de la pluie,
parce qu il était en même temps pierreux. Il continua
de pleuvoir jusquà Tac'er. Nous fîmes cette prière,
nous nous reposâmes un peu, puis nous nous mimes
en route. Une autre averse commença à tomber et nous
nous arrêtâmes sur un endroit élevé , pour être à l'abri
des eaux. La pluie ayant cessé*, la caravane arriva au mor -
reb. Alors il recommença à pleuvoir jusqu'au matin, où
la pluie ne tomba plus que par intervalles. Mon ami Sid-
El-H adj-Ah'med-ben-'Ali-es-Selaoui se trouva avoir une
charge dont il ne savait que faire , parce qu'une de ses
chamelles, ayant mangé de cette herbe qu'on appelle
driâs^^ tomba comme morte. Un autre fut moins heu-
reux : son chameau se trouva tellement malade par la
même cause, qu'on fut obligé de le tuer. Le foie de
cet animal, décomposé par le poison, descendait avec
les excréments. La chamelle revint un peu à elle ; mais
elle ne pouvait rien porter et marchait tout au plus.
Encore était-il à craindre qu'elle ne rejoignit son com-
' C*est ce qu*oii appelle à Alger ftoa-no/à. Les Arabes s*en servent pour
prendre les poissons, comme nous nous servons de la coque du Levant.
Voyez la note de la page ao6 ci-dessus, et les pages 3ia, 3]4«3i5,
3i 6 ci-après. Selon le dictionnaire de Freytag, v* /rLjj3, cette plante
appartient au genre thapsia de la famille des ombellifères. Viviani a
décrit, sous le nom de thapsia sylphiam, une plante de la Cyrénaîque
qu*il croit être celle dont la racine était célèbre pour son suc dans Tan-
tiquité, sous le nom de sylphim, et qui avait valu à cette contrée le nom
de rtgio sylphifera.
312 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
pagnon, car le drïâs est un poison qui produit un vio-
lent effet sur les chameaux et les tue assez souvent.
Aussi les gens sensés font-ils grande attention dans les
endroits où il s*en trouve , poiu* que les chameaux ne
mangent pas de cette herbe. On m^a dit en route que
les endroits où il s^en trouve sont Ouadi-Chebour ,
Tedjemet (Tedjemout), Ouadi-Demmet , à côté de la
ville et dans les champs ensemencés, et Dem'a, près
de Bark a. Nous envoyâmes un homme pour sMnformer
de rOuad-el-Fedj ( ^^t ^^^l^ ) , et nous attendîmes son
retour.
Lundi, 37 redjeb ( 1 1 septembre).
Nous partîmes et nous trouvâmes notre messager, qui
revenait nous annoncer que cette rivière était guéable
et qiril n y avait que peu d^eau. Nous la traversâmes et
allâmes descendre près de là, en attendant le passage
do ta caravane. Nous laissâmes sécher nos effets et
^ nous fîmes la prière du dohor à TOuad-en-Nebilâ
( iJift^jbU ^^t^ ou *i«M}. Le mounâdi ' cria : • Faites votre
provision dVau pour la couchée ; ne vous imaginez pas
que vous Irouverex des puits ; car plusieiu^s fois il y
on a ou beaucoup qtii ont cm cela et qtii se sont cou-
chos SAUS boire* •
Noxis prîmes congé de 1 homme des Oulâd41erz-Allah ,
qui iHMis a\;iiit conduits jusqu'à cette station, où on ne
|>eut AtrixTr «ns guide. Nous rencontrâmes detix cava-
liei^ r,th nviîn^ qui axaient appris Tarrivée de la caravane
* t^W^ïr r^uKÎH" ^«\>« âiMv^îW Kfrmi' » \l^r.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 313
et étaient venus avec Fintention de nous offrir l'hospi-
talité , nous féliciter et commercer avec nous en cha-
meaux, etc. ; mais Dieu ne voulut pas qu'il en fût ainsi.
Nous descendîmes après Tac'er à la couchée , ayant
tourné vers le chemin d'El-Ar'ouât\ qui est sur la droite,
à cause de la guerre que faisaient alors de ce côté les
Oulâd-Ia'k'oub ( vy^ ^^^1 ) aux Rah'mân , à qui ils cou-
pèrent des têtes, quils pillèrent et chassèrent de chez
eux pour certaine inimitié. Nous couchâmes dans un
endroit qu'on appelle El-Moutec'ea (i(,jr^yll). On vola
beaucoup la caravane pendant cette nuit, et de tous les
cotés. On prit le mulet de Sid-Moh ammed-er-Rekhîs-
ech-Chek'rouni , et un âne à Sid-Moh anuned-ben-Zer-
rok -el-M aràkchi , et un objet appelé maVachi ( IA^jm )
à Ebn- Ali-el-Filâli ^-el-Manoudji. Lorsque le jour com-
mença à paraître , les auteurs de ces soustractions nous
app.^.. perchi, ,ur la .nonUgne eo^^e une volée
d'oiseaux. Quelques pèlerins les suivirent, leur tirant
des coups de fusil , ce qui les fit battre en retraite avec
la rapidité d'une troupe de gazelles fuyant devant un
lion. Que Dieu retranche de ce monde les malfaiteurs
qui tuent et volent leurs semblables !
Mardi, 28 redjeb (la septembre).
Nous fîmes la halte du matin à Dakhlet-el-Ar ouât'
(y^)(tid».d). La caravane passa et nous la suivîmes,
laissant sur notre gauche El-Ar'ouât\ dont les bâtiments
paraissaient. La halte du midi eut lieu dans le S'ah'ra
' Filâli, deFilâtoouTaBléU.
40
314 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
{Hj^), à côté de l'Ouad-Metlili { JUXi* ,s^\^). Nous fîmes
la prière du d'ohor, puis nous nous dirigeâmes sur
rOuad-Abou-Drim {f^j:> jj <^^'^)» où nous arrivâmes
à Tac'er.
Nous campâmes avant el- as'firâr, devant un cours
d'eau.
Mercredi, ag redjeb (t3 septembre).
De là nous allâmes faire la halte du matin à Dra^-
khorouf ( 03j^.e jâ ). Nous nous y reposâmes un instant;
nous y rencontrâmes les grands de Tedjemet (<,m.»,^)\
qui arrivèrent en faisant piaffer leurs juments ; ils nous
engagèrent à aller bivaquer chez eux; nous ne vou-
lûmes pas , parce que le drîâs , qui empoisonne et tue
les chameaux , est très-abondant dans leurs pâturages.
Ils nous dirent qu'ils nous conduiraient dans im lieu
où il n'y en aurait pas, et nous nous rendîmes à leurs
inv^lanoes. Mais l'endroit où ils nous avaient dit qu'il
n y uvalt pas de drîâs en était rempli. Nous leur dîmes
aloi^s : « \olre conduite fait paraître ce qui est caché
au fond de vos cœiu^ ; pour faire quelque bénéfice de
conuuon^e avec la caravane, vous vous êtes peu souciés
do voir n^om^ir tous nos chameaux. » Puis nous les
<|uittàmes ^ nous dirigeant sur la gauche. Nous poiis-
sÀmes vigoureusement les chameaux, afin qu'ib ne
m^n^v'iHs'ieul pas de drîâs, préférant les rendre malades
|Kir K^i fiiligue plutôt que parle poison. Au dohor, nous
dossooudimes sur fOuad - Amsinâh' ( gU.i^.#l ^^^1^ ) , où
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 315
nous tFOuvâmes que Teau abondait, à cause des nom-
breux ruisseaux qui se jettent dans cette rivière. Nous
ne fîmes la prière du d'ohor que lorsque les chameaux
nous rejoignirent, ce qui ne fut pas aussitôt que de
coutume, à cause de la marche forcée que nous leur
avions fait faire.
Nous arrivâmes à 'Aïn-el-Mâd'i (^5-»ê>UI c^jv^) avant
ras'firâr. L'avant-garde de la caravane arriva peu après ,
et le reste au mor'reb. C'était le mardi 28 de redjeb
( 12 septembre )^ Les gens d'Aïn-el-Mâd'i , petits et
grands , vinrent au-devant de nous près de la ville , en
dehors de laquelle nous descendîmes auprès d'un cours
d'eau. Louange à Dieu, qui a préservé nos chameaux
du drîàs !
PARTICULARITÉ ( AaX!> ).
En voyage , pour empêcher les chameaux de manger
le drîâs , on leur met ime espèce de muselière dans
les lieux où croit cette plante vénéneuse. Si, malgré
cette précaution , ils en mangent , voici un remède que
je tiens d'im Arabe qui a eu la preuve de son efficacité :
on prend du blé que l'on fait frire dans du beurre
salé jusqu'à coction complète, puis on le laisse refroidir
' D*après les indications fournies par Moula-Âl/med lui même pré-
cédemment, ce dut être le mercredi 3g redjeb, ou i3 septembre, que
la caravane arriva à ^Aîn-el-Mâd'i. L* erreur signalée ici se continue
jusqu'au paragraphe du 5 cha*ban, où Tauteur se retrouve d'accord
avec ses indications primitives.
316 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
et on le donne à manger aux chanaeaux. Et combien
faut-il de blé pour cela ? CArabe nous a dit une poignée
ou deux, pas moins d'une, pas plus de deux. Ou bien
on prend de la bouse de vache, qu'on met dans Feau
que Ton donne à boire aux chameaux. Ce dernier re-
mède ne s'emploie que dans le cas où les chameaux
viendraient de manger du drîàs tout récemment (depuis
un ou deux jours par exemple). On leiu* donne encore
de la pâte de pain pétrie aved du beurre salé.
Nous restâmes tout le mercredi à 'Aïn-el-Mâd'i. La
lune de cha'ban parut dans la soirée du mercredi. Je
fus visité à Tas^firâr par mon ami Sid-Abou-Moh'am-
med-ben-Mouça-el-Ish'ak'i-Meça'oud, des Oulâd-Sid-
Abou-Faza [tsy^ a' ^^3')» P^^ Sid-'Abd-el-K'âder-el-
Mekâdi, par Sid-ech-Châouï, frère de mon ami Sid-el-
Merdjâni, et par des tVlba de la caravane qui venait
de partir de mon pays poiu* aller à la Mecque. Ils
avaient pris les devants à la hâte, poiu* me voir plus
tôt, et paraissaient joyeux de se trouver avec moi; ib
me donnèrent des nouvelles de mon pays.
Vendredi, i*cha*baa (i5 septembre).
Vers huit heures du matin, le premier de la lime
decha'ban (el-rorra), un jeudi, le i4 septembre \ la
caravane en question arriva. Avec eux étaient le cheikh
dos gens de Fâs, EI-H'âdj-'Azouz-Oulid- Adil , et Témir
Kl-Filâlîin (des gens de Tafilélt), le chérif Moula-' Abd-
el-llâdi-ben-ldris. J'eus alors des nouvelles de ma fa-
* \ oir K^ noie do la |>ajrc 3 1 5.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 317
mille; je reçut des lettres, et tout ce qui m^avait été
envoyé par mon ami Moh'ammedrben- Abd-eivRah'mAn-
el-M erlâîkhâml et son fils. Je m'arrêtai à cause de mes
compatriotes, et de tout ce qui pouvait m'intéresser.
Mes parents m'envoyaient par mon oukil, SId- Abd-
el- Aziz, de Targent pour m'acquitter d'une dette que
j'avais contractée à Tripoli. Nous séjournâmes encore
tout le jour pour laisser le temps aux gens des deux
caravanes de causer de leur pays, de leurs parents,
de leurs affaires.
J'appris par ces nouveaux venus qu'il y avait eu dans
mon pays une invasion de sauterelles, qui avaient tout
dévoré dans la plaine et dans la montagne.
Samedi, 3 clia*ban (16 septembre).
Nous partîmes d'Aïn-el-Mâd'i le vendredi 3 de
cha'ban, i5 septembre ^ Nous inclinâmes à droite, au
chemin de l'Ouad-Chebour [j^ ^^!>)» v^rs la route
de rOuad-er-Radâd (^l^t (^^i^). Nous fîmes la prière
du d'ohor à côté d'une fontaine appelée El-'Anlç'ar-el-
Mâlah' (^m jjkAAÂjiil). Nous trouvâmes dans les environs
im peu d'eau froide et douce qui provenait des pluies.
Kous fîmes la prière de l'ac'er dans un district (mak sam)
des Oulâd-Zîâra (ij\jtj ^^X^l), où l'on trouva de l'eau
pour les besoins de la caravane ; on en fit même provi-
sion pour la couchée, parce que, au bivac où nous
allions, il n'y en avait pas. Nous arrivâmes au bivac
vers le mor reb, et nous nous établîmes dans un champ.
' Voir la note de la page 3 1 5.
318 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
Nous n eûmes pas d'autre eau que celle qui avait été
aj^ortée comme on vient de le dire.
Dimanche , 4 cha*ban ( 1 7 septembre ).
Partis de là, nous aperçûmes en route une troupe
de gens qui se dirigeait siur nous en toute hâte. Nous
nous arrêtâmes sur des collines pour les attendre. Ils
nous parurent être des gens de Sid-T'ifour-ben- Aîça
(cPM^A^ (^jyuld ^«Xjum d^^l), qui venaient me visiter, ce
qui était vrai. Us m'apportèrent quatre moutons. J'en
donnai deux à mes enfants, et je réservai les autres
poiu* les éventualités.
Ces pauvres gens sont des hommes de bien, qui lisent le
K oran. Ils disent descendre des enfants du célèbre imâm
lezîd-T'ifour-ben-'Aîça-el-Best'âmi ^. Dieu sait la vérité.
Nous fîmes le k'iloula sur un Ouad qui se trouvait
auprès de nous ; nous y priâmes le d ohor et Tac'er dans
rOuad-Mekhilef (vjfiA^^ (^^'3)- Nous descendîmes, long-
temps après Tac'er, à Mekhllef (vjJLaj^), mot qui est un
diminutif de mikhelaf « village, • auprès d'un bassin
d'eau de pluie qui venait de Mekhilef.
' AlH>u«lexîii>T'ifour^beii-\\îça , surnommé El-Best'âmi , parce qu*il
cUît ilo IVsrAra, ville du Khorar'àn, est mort en fan de Thégire a6i
^87^ de J. C). R'aiali prétend qn*il fut le plus impudent de tous les
«Kn^teur^, 5*«rn^^:iiit la divinité, et disant de lui-même , • Sobh'âni , •
^\yrcs$\%>n qui ne doit $ appliquer qu*à Dieu seul. G^pendant ce môme
l^^t vuni disait : « Si vous vovex un homme qui ait la puissance de
t.Aiiv dt^ niirjicles ju$qu*à sVIever de lui-même au ciel, ne vous (lez
I^Mul à ce qu*il vihis dira , à mciins que vous le connaissiez pour un
hv5 evjK^ oWr\alcurde la loi. ^\ovezdllerbelot, v* Basthami.)
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 319
Lundi, 5 cha'ban (18 septembre ).
De là nous arrivâmes à Er-R'âçoul (J^^mU)!) avant
Tac er du lundi 5 cha'ban ( 1 8 septembre ). Nous ren-
contrâmes les gens de la ville, qui étaient sortis en
foule. Nous traversâmes la rivière, et nous descendîmes
dans les champs sur la rive occidentale , de peiu* que la
rivière ne vînt à s'enfler pendant la nuit, et quil ne
nous fût plus possible de la traverser. Nous prîmes
cette précaution parce que le temps était couvert et
menaçait de pluie. Les gens du pays exercèrent l'hos-
pitalité à mon égard; ils m'envoyèrent des plats de kous-
kouçou, que je partageai avec les pèlerins. On m'ap-
porta aussi de l'orge, que je distribuai aux chameliers
pour leurs chameaux. Il commença à éclairer, à tonner
et à pleuvoir. La rivière s'enfla; mais, par la grâce de
Dieu , nous étions délivrés de toute crainte , ayant pris
la précaution de bivaquer sur l'autre rive. La pluie
nous Inonda.
Mardi, 6 clia*ban (19 septembre).
J'envoyai un messager, Moh'ammed-el-Mezdjît'i, por-
teur de lettres poiu* ma famille , que j'informai de mon
arrivée prochaine. Noils fîmes la halte du matin sm*
une hauteur. Là, je pris congé de mon messager, et lui
souhaitai un heureux voyage , ainsi qu aux autres mes-
sagers qui partaient avec lui pour porter aux fidèles des
nouvelles agréables de notre caravane.
Nous descendîmes à El-Meza ( b^\ ) , près du tom-
320 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
beau de Sid- AVà-Allah, vers ras'firâr; on y coucha. A
la nuit fermée, la pluie conunença de tomber par tor-
rents, et continua ainsi jusqu'au dernier tiers de la
nuit, moment où elle diminua.
Mercredi, 7 cha*ban (ao septembre).
Le matin, je reçus la visite de Sid-'Abd-el-Kerim-et-
Touàti. Ce tVleb d'El-Ar'ouât' avait été loué pour ap-
prendre à lire aux eniants d'Er-Raçoul, diriger la prière
et les offices; il s'y était marié. C'était un homme de
bien et sans tache. Il m'accompagna dans l'Ouest, jus-
qu'auprès d'£r-Ri (^^t ), sur TOuad qui est à l'Est,
lequel Ouad se nomme Ouad-ech-Cha'ir {j^jùsJ\ ^^^^^).
Nous Y trouvâmes des r adir qui étaient remplis , à cause
de la pluie qui venait de tomber. Nous descendîmes à
cet endroit au t'ifel (im peu avant le morreb), et l'on
y coucha ; le reste de la caravane n'arriva que vers l'eu-
cha« Dieu envoya, par Fentremise de l'ami dont je viens
do |xiHor, deux moulons, un pour les chérifs, tm pour
Jeudi, 8 chalMn (ai septembre).
(?e5l d;ii\s ct^t endroit que b caravane commença à
^«^ |vui.i^'r. i>n cria dans le aunp qu'il fallait former
Uv"^ \\MU{\i^ùo5. suivant fendroit où chacun allait, et
^'<ip|Hvter ;iiu dè^vart. Nous primes camgé les uns des
^luli'tv'^^ et tu\H^$ de5 vœux réciproques. La troupe dont
jo tuN^U jvuiîo prit 50^ chemin, et les autres s'en al-
K^vnl xvi^ leurs p^>s. dïi^ FEst. Quaal a nous, nous
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 321
suivîmes rOuad-*^l-Matar (^Mi c^^i^) en marchant
dans son lit même ; et nous vînmes à son confluent avec
rAin-Lâh'ak' ( ^^^ c^jv^ ) , où nous passâmes le k'iloula
sous un énorme térébinthe qui donnait un grand om-
brage par ses branches pendant jusqu'à terre. Je ren-
contrai là mon amiEch-Chilâli-sid-'Aïça-ben-Zâïd, avec
quelques-uns de ses parents. Nous priâmes le d'ohor,
puis nous partîmes. Mon ami vint avec nous. Nous des-
cendîmes au M ok'sam vers le t'îfel.
Je blâmai dans cet endroit El-K'endâci et Ebn-Abou-
Zîân, qui donnaient une dekker^ erronée, et nous les
fîmes sortir de la voie où Satan les avait poussés, en
rétablissant ladite dekker telle que nous Favions donnée
à notre passage. Elle fut récitée comme nous la réci-
tions. On vint de tous cÀlés pour prendre cette dekker,
ce qui déplut à El-K'eodàci , qui, malgré mes exhorta-
tions, persista dans sa conduite, ce qui fut cause quon
lui ôta sa chaîne de mok addem.
Vendredi, 9 cha*baii (aa septembre).
Nous partîmes vers l'heure du d'oh'a; à la halte, je
rencontrai une compagnie de mes amis, des gens de
Selâla (jasuaJI)\ Sid-Moh'ammed-ben-'Abd-AUah , qui
avait voyagé avec moi dans TH'edjâz en 1109, Sid-
Abou-Fazi et autres. Par la faveur de Dieu, ils me don-
* Peul-étre celle d'Ah'med-ben-Zïân, célèbre marabout de K'e-
nâdza. îl y a un mok'addem (sans k'oubba) à Alger.
' Il laut indubitablement lire Chelâla. Le copiste, en oubliant les
trois points diacritiques, a fait un sin au lieu d'un chin.
41
322 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
nèrent environ une demi-charge d'orge, des grenades
et un peu de beurre salé. Nous descendîmes FOuad ;
les Arabes de H'amîân (yU^) vinrent au-devant de
nous en foule. Nous gravîmes une colline sablonneuse,
et nous y mîmes pied à terre poiur voir les chameaux
arriver. Cette colline est devant Abou-Sem'âoun ((jjy**^),
où nous devions coucher \ Nous y trouvâmes le chérif
Moula-Ah'med-ben-STïd-ben-Moh'ammed-ben-ech-Che-
rif-el-H'aceni-el- Alaoui , lequel dit à son oncle, Fêmir
Moula-Isma'ïl-ben-ech-Cherif, que les Arabes de ce
canton étaient en relation d'affaires et en quelque sorte
associés avec lui , qu'il avait une grande quantité de bes-
tiaux chez eux, et qu'il désirait que nous nous arrê-
tassions en cet endroit , qui était , pour ainsi dire , sien ,
afin qu'on nous y donnât l'hospitalité. Nous ne vou-
lûmes pas accepter cette offre; cependant nous res-
tâmes jusqu'à ce que les chameaux eussent rejoint, ce
qui n'eut lieu qu'à l'heiure de la couchée. D fallut tou-
tefois camper dans cet endrdit, parce que nous n'au-
rions pu arriver que de nuit à Abou-Sem'âoun'. Nous
couchâmes donc dans ce lieu, où l'on avait trouvé de
l'eau. L'arrière-garde a'arriva qu'à l'eucha; nous tour-
nâmes vers un endroit uni , où nous mimes pied à terre.
Le pays était alors en guerre. On but, abreuva les ani-
maux , et fit la provision d'eau , avec l'aide d'un homme
qui montra l'endroit où l'on pouvait puiser, ce que l'on
* Il faut liro Sonir'oiiii. L'oubli cVun point diacritique en a fait
Sem'âoun.
* Voir la note préréciente.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 323
avait d'abord vainement cherché. Sous la conduite de
ce guide, on retourna à l'eau avec les outres, qu'on
emplit suffisamment.
Le susdit chérif m'offrit deux moutons cornus que
je donnai aux chérifs; les Oulàd-sid- Ah-el-Bouchnâfa
[^ >i;A>tt ^ jy^ ^^3!) m'en apportèrent quatre : j'en
donnai un à Sid-Moh ammed-Neboua , un autre à Djâb-
Allah, et deux aux chérifs ^
Samedi, 10 cha'ban (a3 septembre).
Ce jour nous descendîmes à Abou-Sem'âoun ^ vers
le d'oh'a. Nous voidibns continuer notre route, mais
les chérifs qui allaient à Touât {^\y>) , Moh'ammed-ben-
'Ali-ben-Moh'ammed-ben-el-H'âdj , Moula-el-'Arbi et
leurs amis, ainsi qu'El-H'âdj-ben- Ali-es-Selaoui , nous
prièrent de séjourner et de rester avec eux jusqu'à ce
qu'ils eussent fait leurs préparatifs de voyage. Nous y
consentîmes et nous restâmes à Abou-Sem'âoun toute
cette journée. C'était le samedi lo de cha'ban. Les
chérifs prirent im guide poiur leur montrer le chemin
jusqu'à Tekroûn {^j^j^Y', moyennant huit mitk'al, et ils
louèrent des chameaux trois mitk'al.
Je trouvai que les gens de Beni-Sem'âoun étaient
depuis longtemps en grande hostilité et discussion,
mais ils disaient qu'ils commençaient à se lasser de cet
' On lit dans le manuscrit : Lâ|jç
* Voir la note i , page 3a 2.
' 11 faut sans doute lire Tcgoràrin , contrée qui est en effet entre
Abou-Sem*âoun et Touât.
324 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
état de choses, et auraient bien voulu faire la paix:
peut-être était-ce une ruse de guerre. Le poète dit au
sujet de la guerre :
La guerre, à son début, est comme une belle femme;
celui qui ne la connaît pas est séduit par ses attraits.
Jusqu'à ce que, après avoir allumé bien des feux, elle
devienne décrépite et sans charmes.
Ses défauts et le mal qu'elle a fait lui ôtent toute beauté ;
alors on la déteste , et personne ne veut plus lui donner
une caresse.
Les Oulàd-sid-Sclimân (^I..çJLm» (^«><-a^ ^'iy\)^ les
Oulàd-Mouça (^^^-^ô^^l), les Oidâd-Anki (j^l^X^I),
après avoir dit qu'ils étaient las de la guerre, ne vou-
lurent plus faire la paix quand nous la leur conseil-
lâmes, et ce grand désir de réconciliation qu^ils avaient
manifesté se passa snbîtement. Cependant nous par-
vînmes à mettre fin à la guerre entre ces ennemis
acharnés, et ils en lurent très-contents. Pour rendre
cette paix plus authentique , il y eut une assemblée des
fak'i et des grands de notre caravane , et un traité fut
écrit dont chaque tribu garda une copie. Alors les chefs
de tribu qui venaient de faire la paix s'embrassèrent,
et pour que la réconciliation fut plus soUde, et que la
vieille itincune s'éteignît, nous les réunîmes en un fes-
tin « api^t^s quoi nous prîmes congé d'eux ainsi que des
chéri Is qui sVu allaient à Touât.
Kes Oïdàd-Neboua [iy^ ^X>') m'apportèrent près
d'une cIku^* d\>rge et im pain de beurre salé : d'autres
jjeUs^ de ce |^\\5!^ nie firent des cadeaux analogues.
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 325
Dimanche, 1 1 cha*ban (q^ septembre).
Nous partîmes le matin du dimanche, puis nous nous
arrêtâmes à la prière du d'ohor à TOuad-sid- Otsmân
(^U^ «>uuw (^dt^); la caravane ny trouva pas d'eau; on
n en avait que ce qui restait dans les outres, c'est-à-
dire fort peu. On avait compté sur les réservoirs d^eau
de pluie. Ce qui restait provenait de l'Ouad-Abou-Sem-
r'oun. Bien peu firent leurs ablutions avec Feau; la ma-
jeure partie les firent avec de la terre. Nous envoyâmes
un homme à la recherche de l'eau: il n'en trouva pas.
Nous nous remîmes en marche, et nous descendîmes
au t'ifel au bord de TOuad-el-Djarâouïn {(^^]^ t^^'^) ^
un des affluents de l'Ouad-el-Ah'djâr-et-T'aouâl (^^^l^
Jt^klt j^^t). Il n'y avait qu'un peu d'eau, qui fut bientôt
épuisée par ceux qui avaient pris les devants; les der-
niers venus ne trouvèrent que la vase. Encore si nous
n'avions pas pris la précaution d'en^êcher de faire
bofire les mules, de les y laisser entrer et patauger,
personne n'aurait bu. Nous descendîmes le lit de cette
rivière pour tâcher de rencontrer de l'eau. Quelques-
uns n'en trouvèrent ni pour boire , ni pour les ablu-
tions; d'autres en puisèrent un peu. Un de mes amis
m^apporta ime provision qu'il avait trouvée ou deman-
dée à des camarades, et elle me suffit à peu près
comme un kharrouba suffit à celui qui aurait besoin
d'un soult'âni \
' Le soull'ani étant une pièce d*or qui valait alors une douxaine de
326 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
Lundi , 1 a clia*ban ( 3 5 septembre} .
Nous allâmes faire la halte du matin ( d'oh'a ) auprès
d'un radîr, à TOuad-Rous-el-H'amrâ (j/^ jrjy 4^^b)-
Les pèlerins burent, abreuvèrent et firent la provision
d'eau; nous allâmes ensuite un peu plus loin, et nous
descendîmes à côté de S'emim ( Ks-^ê^ ) , pour nous re-
poser et pour attendre les chameaux. Nous priâmes le
d'ohor à FOuad-es'-S'emîm (|<Wdi0 t^^l^), qui est l'Ouad-el-
K'eçab (^maâH ^I^]. Puis nous approchâmes au-dessous
de rOuad-H'adjâdj (^^ ^l^); j y rencontrai des amis,
gens de Neboua ( iyAj ) , Sid- Abd-el-Kebir, avec ses com-
pagnons et leur société. Nous traversâmes la rivière
pour aller coucher à Ah'mar-Khaddou (»*Kj^j^I), sut
un réservoir d'eau à la Meçala-el-H'âdj (jr^ J^^***)
(lieu de prière des pèlerins) ; mes amis passèrent la
nuit avec moi , et une compagnie des Oulâd-Abou-De-
khil (Jusi-àa>V), des Oulâd-Sid-Ahmed-el-Me-
djdoub ( v!3<>^i «^^T't «>Hy«M ^V) ^^ d^^ Oulâd-Neboua ,
en tout environ soixante-six personnes.
Mardi, i3 cha*ban (a6 septembre).
Nous fîmes la halte du doh'a à Dra'-el-Merk'a
( KijU ^j5 ) , à côté du tombeau des Oulâd-el-H adj
(^Ul d^^i). Je rencontrai à Sendân (^IjOum) une troupe
de mes amis, Sid- Ali-Cherif et ses compagnons. Il me
donna un peu d'orge , des dattes , et une peau de mou-
francs, et le kharrouba une monnaie de cuivre de très- peu de valeur,
on comprend la pensée de Moula-Ah'med.
VOYAGE DE MOULA-AH'MED. 327
ton remplie de farine. Ses compagnons me firent aussi
des présents ; Sid-Abou-Fak'ous me donna des dattes ;
c'était la première fois que je le voyais.
Nous étant remis en marche, nous trouvâmes une
contrée difficile, rude, pierreuse. Nous priâmes le
d'ohor à 'Aïn-Bilbât a (iCtlJl* tJ^^)» <>^jc rencontrai ime
troupe de gens des Oulâd-el-ICrâou (^'jJ^I à^^l), qui
me donnèrent toute espèce de fruits. Je les distribuai
presque tous aux pèlerins; ils m'envoyèrent aussi des
oignons. Nous fîmes la prière de Tac'er à D'ahar-el-
Outer ( j3j}\ y^ ) , où nous nous arrêtâmes sur un r a-
dîr à Ouâdi-Zâri (^^^Ij c^^'^)- La nuit, nous y reçûmes
la pluie avec abondance , environ pendant une heure ,
ce qui mouilla seulement les tentes sans faire enfler
les rivières.
Mercredi, i4 cha'ban (27 septembre).
Nous fîmes la halte du matin à El-H'adjâr-el-H'amar
[j^j\à) auprès de K'âra-Ouad-R'ebir, [j^ :>\^ ijU),
où nous priâmes le d'ohor dans le jardin d*Abou-Zer-
rok'. Les gens de cet endroit m'apportèrent deux mou-
tons. Il y a là une fontaine d'eau douce , fraîche ,
ombragée de palmiers. Nous y fîmes la prière de l'ac'er
à rOuad-el-H'âdj-Mîmoun ( ijy4s^ ^^ ^l^ ) , auprès de
deux réservoirs remplis d'eau, et ce fut le mercredi,
1 4 cha'ban , que nous y descendîmes et que nous y
couchâmes.
Cette nuit du mois de cha'ban est célèbre parmi les
musulmans; car c'est alors que Dieu détermine la
328 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
somme de prospérité que chacun doit avoir pendant
Tannée , Targent qu'il gagnera , les jours qui lui sont
comptés.
Jeudi i5, vendredi 16, samedi 17 cha*ban (a8, 29,
3o septembre ).
Nous fîmes la halte du matin sur une colline , à côté
de rOuad-Drîm [f^j^ ^1^). Nous priâmes le d'ohor et
Tac er à .\rkaiim ( j^JS^t ) , auprès d'une fontaine om-
bragée de palmiers; je rencontrai des amis, gens de
Fidjidj , avant d'arriver à Arkalim. Il y avait Sid-Ah -
med-el-\\bd-Allah-ben-'Ostmân et ses compagnons.
Avant eux était venu El-H'àdj-Moh'ammed. Il commença
à arriver beaucoup de monde qui venait au-devant
de nous, apportant de bonnes dattes fraîches, des gre-
nades, des concombres. Nous nous remimes en route
après Tac er, et nous marchâmes avec rapidité. Nous
commençâmes à apercevoir les palmiers du pays de
Fidjidj (^y^). Les gens de la contrée arrivaient en foule
vers nous. En apercevant ce pays, nous nous mimes à ré-
citer le dekker AUahoama-rob-esSebaî^ etc. puis nous
descendîmes au bivac des pèlerins, Menzel-el-Hadj
^ i^UL J>m\ à fas'firàr à Dâr-el-Imâra (i^UVI ^1^) . auprès
do KVçar-el-Wbid [«XAAjJl^^Aoi;. La tète de la caravane
aiTiva au r oithi1> * et la queue après feucha. Les gens
du jxivs se rt^jouirent de notre arrivée. On m'apporta
un plat do kouskouçou. Nous restâmes là le vendredi
ol lo samedi ^ pour que les pèlerins eussent le temps
I A nioim* ch*\<** qiit* wi>r rt*b.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 329
d'arranger leurs affaires et de faire leurs provisions.
Je fis mokaddem des fak'ir El-H'âdj-Moh'ammed-
es'-SYir-el-Oudr'idi , et je lui adressai une exhortation
sur ses devoirs. Je parlai aussi aux fak'ir de leurs de-
voirs par rapport à lui , et de Tobéissance qu'ils lui de-
vaient.
Je trouvai là le commentaire du Tenbi-el-Anâm que
j'y avais laissé à copier lors de mon passage en allant
dans TEst : il était fini. Le commentaire du Deldil-el-
Khindt n'était pas encore achevé de copier ; il restait à
faire environ trois cahiers : je priai le copiste de le com-
pléter. L'auteur de ce commentaire est le fak'i Sid-Ah -
med-ben-Abou-Beker-el-Mekouni-ech-Cherif.
Dimanche, iScha^ban (l'octobre).
Nous partîmes le dimanche 1 8 de cha'ban après avoir
pris congé des gens de Fidjidj. Je leur adressai une
exhortation relativement à leur k'âïd 'Abd-AUah-ech-
Châouï , les engageant à lui obéir, et à vivre en bonne
intelligence avec lui. J'exhortai aussi le k'àîd relative-
ment à eux.
Nous fîmes la halte du matin à Omm-el-Iâs ((jmLJI ^i) ,
où il y a de l'eau sous des palmiers, à l'Ouest de Fi-
c^idj. Le crieur annonça qu'il fallait prendre de l'eau
poiu* la couchée parce qnii n'y en aiu*ait pas devant
nous. Peut-être y a-t-il des réservoirs d'eau de pluie,
mais on n'en sait rien. Nous nous arrêtâmes, pour la
prière du d'ohor, au commencement de Ma'den-el-Farès
(u^' U''^^*^) ' ^^ ^^^ derniers habitants de Fidjidj , parmi
42
330 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
ceux qui nous avaient suivis , prirent congé de nous , la
majeure partie nous ayant quittés à Omm-el-Iâs.
Nous priâmes Tac'er à l'Ouest d'El-Ma'den , et nous
arrivâmes à Tas'fîrar près de Dâr-Dekhîça (**«jk^^ jb).
La tête de la caravane y vintaut'ifel, et la queue entre
le morreb et Feucha. Nous fûmes tourmentés pendant
la nuit par un vent froid et violent (s'ar). Dieu seul sait
ce que nous avons eu à endurer de la rudesse du ter-
rain, qui était pierreux et rempli d'épines.
Lundi, 19 cha*ban (a octobre).
Nous fîmes la prière du matin à TOuad-es-Semâr
(^UwJt ^1^), longtemps après le coucher du soleil. Là
coî^sa le terrain difficile, et ceux que nous devions
encore rencontrer sur notre route n'étaient pas à com-
p%'irer à celui que nous venions de quitter, lequel était
niauvais sans aucime intermittence , et absolument
comme le lieu qu'on appelle OnMn-el-Rorrâr.
Nous priâmes Tacer à l'Est de Tenfesri (^^^maâs),
que les pMerins appellent Ech-ChoukVa. C'est une
grande fov^e, profonde « faite dans les roches avec la
pioche; qu%*ind la pluie tombe, elle se remplit et forme
un vaste elani;;. Sans même que les pluies tombent, il
N n toujours de Teau, parce qu'elle est alimentée, en
ouhw jvir des sources, de sorte qu'elle n'est jamais
%^ see» \ou5i dejicendîmes au t'ifel â TEst des Toumîât
yw*U*jjJ^\ et À IX^iest do Dèmà (b^ï^). On coucha dans
wl eudixMl. Sur Li tin de la nuit, la pluie tomba.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 331
Mardi, aocfaa^ban (3 octobre).
Nous fîmes comme à Fordinaire la halte du matin;
nous eûmes encore de la pluie , et en très-grande abon-
dance. Les pèlerins eurent leurs habits fort mouillés.
EUe tombait avec intermittence, mais à de si faibles
intervalles qu'on n avait pas le temps de se sécher.
Quand nous nous remimes en marche , la pluie cessa ,
Dieu nous ayant fait la faveur de ne pas nous en affli-
ger plus longtemps. Nous ne pouvions d'ailleurs nous
plaindre d'ime chose qui est si nécessaire et fait tant
de bien à la terre. A la prière du d'ohor, nous descen-
dîmes à Outh'al ( J^^). J'y rencontrai de mes amis
d'Aïn-Beni-Mek'îl ( J^ ^ cj&^)i <pi venaient à cheval
au-devant de moi, faisant une grande fantazîa.
Les autres habitants de cet endroit venaient aussi
en foule avec les mêmes intentions, et, avec eux, le
k'àd'i et les grands. Us nous attendaient à Bichâra. Que
Dieu leiur donne de bonnes nouvelles en l'autre monde ^
Nous traversâmes Ouked (•>^). Nous avions rencontré
la population de ce lieu, grands et petits, qui venaient
au-devant de nous; ils m'apportaient une chèvre, que je
donnai aux fak'i. Ils m'apportèrent aussi plus d'un sac
de blé; j'en fis cadeau à Sid-Ibrâhim-er-Rikhaîâli: Nous
arrivâmes à Bichâra {j^) aux environs de l'ac'er, et
nous descendîmes à côté du château (^lâ^ jjia») ; la queue
de la caravane n'y parvint qu'à l'eucha. Les gens de la
ville m'apportèrent un plat de dattes fraîches d'Abou-
' Jeu de mois sur Bichâra, qui signifie • bonne nouvelles. »
332 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
Fak'ous , et nous donnèrent à souper un plat de kous-
kouçou.
Il me vint, en cet endroit, une compagnie d^amis
d'El- Aïn, avec mon ami Sid- Amar-ben-'Abd-el-K'âder.
Ils apportaient sept moutons et deux charges d*orge,
deux charges de farine et un chameau. De plus, ils nous
apportèrent sur trois chameaux les provisions d^hospi-
talité. Je donnai audit 'Amar un titre et la dekker, en
vertu desquels il devint mok'addem * , et obtint les
mêmes pouvoirs que moi. Que Dieu Taide dans ses
fonctions 1 Je ne voulus point le retenir; et, prenant
congé de lui, je le renvoyai dans sa maison, de peur
qu'on ne fût trop longtemps inquiet de lui. Cependant
il voulait encore m'accompagner ; mais je lui dis : « Va*
t'en , mon frère ; il faut toujoiu^ que les amis se sé-
parent ; il faut toujours qu'une séparation soit une dou-
leur; l'ami que tu aimes, il faut toujours le quitter. »
Voici la liste des mok'addem que j'ai faits pendant
notre voyage :
Sid-M oh'ammed-el-Ddiç'âc'i , à Médine;
Sid-Moh ammed-ben-Mans'our-es-Sefl'i , au Kaire ;
Sid-EUH'âdj-ben-'Aïça.ben-Khehfa, des Oulâd-Sid-
Nàcer, à Barka;
Sid-\Abd - Allah -ben-Sah'noun, des gens de R'erîs,
contrée de TIemsén , et son fils Sid-el-H'âchemi ;
Sid-\\Ii-ben- Abd-es'-S'àdok\ k Tripoli de l'Ouest;
Sid-\\bd- AUah-el-Medjdoub , à H'âmma de K'àbes;
Et le Sid-'Wmar dont il vient d'être parlé.
^ IV Siil' Ah'med-Bou-Ziân , qui est enterré k K'onâdsa.
VOYAGE DE MOULÂÂH'MED. 333
Mercredi, 31 cha'ban (4 oclobre).
*
Etant en route, nous rencontrâmes ime compagnie
de gens de K'onàdsa (iU^Uill), les Arabes qui habitent
auprès d'eux, et des cavaliers montés sur des juments,
gens de Kir {j^)y qui faisaient la fant'azïa, et cher-
chaient à se dépasser les uns les autres , en témoignage
de la grande joie qu'ils avaient de nous voir. Nous des-
cendîmes hors de la ville dans le village. On apporta
du kouskouçou pour la caravane. Après la prière du
d'ohor, nous partîmes. Les gens de la ville nous ac-
compagnèrent pendant quelque temps , puis ils prirent
congé. Nous fîmes la prière de l'ac'er à l'Ouest d'Es-
Sour-er-Rïân (oW^'jt^')- ^^ ^ accompagné jusqu'en
cet endroit par un ami qui avait fait avec moi le pèle-
rinage, en l'année 1109, El-H'âdj-Abou-el-K'âcem-el-
Amzâli. Il me donna deux peaux pleines de beurre
salé , que je donnai à mon cousin. Nous descendîmes
à Es-Sour-el-'At'chân { ^j\Ai^\ jyJ\) , à l'asTu-ar, et
nous y couchâmes. La queue de la caravane arriva au
r'oroub. Un chameau qui m'appartenait s'étant sauvé,
j'en louai un autre à Ben-H'amza-el-Manifi. Je ne savais
pas à quelle heure cet animal s'était enfui. Un autre
avait également disparu pendant la nuit.
Jeudi, a a cha*ban (5 octobre).
Puis nous partîmes, et le maître du chameau égaré
revint de la recherche qu'il avait entreprise, avec l'es-
poir qu'il découvrirait les traces du fugitif. Nous aper-
334 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
çûmes alors une chamelle en dehors et à gauche de la
caravane; en allant pour Texaminer, on vit que c'était
une des bêtes qui manquaient. Un peu plus loin , nous
en aperçûmes un autre seul, loin devant nous, sur le
chemin; grand bonheur pour celui de mes compa-
gnons qui avait perdu cet animal.
Nous traversâmes rOuad-Djir (j &>»> c^^b) ^ ^^^^^
son lit, après une crue; la rivière n était pas alors très-
forte. Au zaouàl, le jeudi 22 cha'ban, nous mimes pied
à terre sur sa berge , qui était élevée , pour attendre la
caravane et faire la prière du d'ohor. La caravane ar-
riva et traversa; par la grâce de Dieu, il ny eut ni
chameaux ni bagages de perdus. Un seul chameau,
qui portait des provisions pour quelques pèlerins, se
coucha dans Teau. Son maître accourut et le releva en
toute hâte. Nous fîmes la prière du dohor. 11 nous
vint un homme de Sedjelmâça, qui donna des nou-
velles de la ville et des habitants, qu'il avait laissés en
paix et en contentement. Nous fimes la prière de Tac er
II
à côté de Dàr-el-Hedjàdj (g^jl^), près de TOuad-es-
S'afs'àf (oUâjuâJt âl^). La caravane arriva et nous des-
cendîmes à rOuest de Dâr-el-'Aàda (ï^UJI jb). Nous
v tix>uvàmes de grands réservoirs, plus que suffisants
pour nos besoins; mais les gens, craignant de n'en point
lYUconlivr, avaient déjà fait leurs provisions à FOuad-
Djir,
* mot esl si mal écrit dans le manuscrit, qu*on peut lire kebir,
hf\ ou uiômo iijir, OUe dernière le<jon était évidemment celle qu'il
t^mvoïKiil d'adopler.
VOYAGE DE MOULAAH'MED. 335
Vendredi, a3 cha*ban (6 octobre).
Nous descendîmes à 'OkTja - H'amida - el - Lah'am
(^»^l iOsA^ AiAi^) au lever du soleil, le vendredi 2 3 de
cha'ban (6 octobre). Ce lieu s^appelle ainsi, à ce que
les habitants croient, parce qu il y a beaucoup de gibier,
et par conséquent beaucoup de viande. Nous trouvâmes
des tentes d'Arabes dressées. Nous nous écartâmes un
peu du chemin pour nous reposer, et pour attendre
la caravane auprès d'une rivière qui a des réservoirs
d'eau de pluie. C'était alors le d'oh'a. Nous fîmes la
prière du d'ohor à Keltet-Abou-el-'Amoud ( ^\ <Mjc,.y
^y^\). La rivière qui est en cet endroit coulait alors.
Nous priâmes l'ac'er près d'Oullous (o-p^), où nous
descendîmes après l'ac'er. La queue de la caravane n'y
arriva qu'après l'eucha. Nous couchâmes en cet endroit.
Le crieur annonça qu'il fallait emporter de l'eau pour
la couchée du lendemain, parce qu'on ne devait pas
en rencontrer en route, sauf un peu d'eau de pluie
qu'on n'était pas même sûr de trouver. L'eau de cette
rivière est mauvaise , saumâtre ; il n'y en a pas dans
cette contrée qui lui soit comparable sous le rapport
de la mauvaise qualité ; nous étions bien heureux ce-
pendant de l'avoir trouvée , car, quoi qu'il en soit , elle
est potable, mais son amertume reste au gosier. Un
cavalier monté siu* une jument, homme de Mahmâîa
(iS!^-«)> m'apporta un mouton.
336 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
Samedi, a^ cha^ban (8 octobre).
Nous partîmes au fedjer, chacun s'étant vite ou len-
tement préparé pour le départ, selon son pouvoir. Les
pèlerins prirent les devants, afin de gravir El- Akl>a-el-
Hâbila(S)ol^t iUijJl ], passage qui fatigue les chameaux
et les hommes. Quelques-uns de la caravane se détournè-
rent un peu pour aller faire la provision d'eau; mais ils
se hâtèrent de rejoindre les autres avant que ceux ci fiia-
sent engagés dans la montée. On n en trouve pas de plus
difficile; cependant Dieu nous a fait la grâce de nous faci-
liter le passage , et de nous permettre d'en venir à bout.
Le matin de ce jour mourut EI-H'âdj-Moh'ammed-
ben-\\bd-el-K'âder-ed-Daràï-et-Temtaki, des Oulâd-
Tsàbet. Il était malade des entrailles depuis longtemps.
Nous finies ses funérailles et Tenterrâmes sur le sommet
de la montée. Nous nous joignîmes au reste de la ca-
ravane, une demi-heure après le lever du soleiP. Nous
pssâmes i El-Maharàs (^1^1), auprès d'une pierre
qui rassemble à un mortier ^ Nous .y trouvâmes de
IVau do pluie. Les pèlerins se précipitèrent pour boire
et «ibnniver les animaux, parce qu'à la couchée ib
avaiont été sans eau et n en avaient pas eu d'autre que
coUo qu'ils Y avaient apportée d'Oullous. Or, on n'en
^ ikULJ' «^Jl^ o'«^^* Xprès le nàGla, c'est-à-dire quand le soleil
es! j^ iKhiv liAutcur» dVpîeu au-dessus de riiorixon, moment où Ton
|vul |M*tor« «V i|ui est detVndu auparavant, parce qu*on suppose que
^o M>K il» a "^^^ âp|vftnlKMi, e34 supporte sur les cornes du dîaUe.
* toUe cirvxHiMJiiHf a sans diHite (ait choisir le nom de
» u^\MiuT • |>Hir *vlti* W-jiliU\
VOYAGE DE MOULA AHMED. 337
avait pas emporté beaucoup, comptant en trouver au
Maharâs, dans la rivière qui est au-dessous dudit lieu,
où il y a des r'adir. Ceux qui avaient craint de se mê-
ler à la foule qui arvalt puisé à Maharâs, ou qui n^a-
vaient pas de vases , .burent ici .
Dimanche, a 5 cha*ban (8 octobre).
Noiis fîmes la halte du d'oh'a après avoir traversé la
rivière, puis nous tournâmes une montée à côté de
ceUe-ci , dans un lieu plane , qui est sur une rivière
auprès de laquelle il y a des pâturages pour les ani-
maux. D arriva une compagnie des Beni-Moh'ammed
[i\.m< (S^)^ qui me donnèrent des nouvelles de mes
parents et amis de Teler met qui m'attendaient. Nous
fîmes quelques milles , et les premiers de mes amis qui
vinrent au-devant de moi furent El-H'âdj-es-Semmâr
avec un compagnon, ainsi que mon ami, feu El-H'âdj-
'Abd-el-K'âder-ben- Abd-er-Rah'mân et le fak'ir 'Ali-ben-
Abou-el-K'âcem. Puis il arriva une autre troupe; mon
ami El-H'âdj-el-H'acen-el-Haouâri vint aussi avec ime
compagnie. Enfin, il survint successivement d'autres
compagnies, et on commença à arriver en foule. Il vint
une personne de mon pays, Sid-Moh'ammed, dont le
surnom Et-Temk'routi est noble. Je recueillis de sa
bouche beaucoup de nouvelles. Tout ce monde, venu
au-devant de nous, nous suivit jusqu'à Teler'met. Là
je trouvai El-H'âdj-Ahmed-ben-Iah'ïa-et-Tedjemouâti,
mon ami sincère. Nous descendîmes à Teler'met (oc^jib)
aux environs du zaouâl, et nous y couchâmes. Par la
43
338 VOYAGE DE MOULAAH'MED.
grâce de Dieu, mes amis me donnèrent des dattes
fraîches, du pain et de la viande.
Lundi, a 6 cha*ban ( 9 octobre).
Nous priâmes à El-Medâkik ( jLAâ>l«xil), où je ren-
contrai mon ami véritable Moulânâ-ech-Cherif-ben-
'Amar, avec le fils de Moulânâ-K'âcem et une compagnie
d'amis. Nous nous remîmes en marche, et je rencontrai
Abou-el-K'âcem, 'amel du pays, Moulâï-Abou-el-K'âcem,
fils de l'êmir el-moumenin Moulânâ-Isma'îP. Que Dieu
le protège , lui et tous les siens I Avec lui était une
compagnie de mes frères et de mes cousins, et avec
eux le vertueux Moulânâ- Abd-el-Ouâh'ed-ben-Mah'ouz.
Nous descendîmes à FOuad-Amerfouh' ( ^yf^ (^^(3 ) à
Tac'er, et nous y couchâmes.
Mardi, 27 cha*ban ( 10 octobre).
Nous arrivâmes vers notre seigneur Abou-el-K'âcem-
el-K'âri à Theure du d oh'a , le mardi a 7 cha'ban ( 1 o oc-
tobre), et nous le visitâmes, ainsi que Sid-Abd-el-Ke-
rim. Nous nous arrêtâmes dans les maisons de nos amis,
et nous leur présentâmes nos honunages, à eux et au
chef. Puis nous revînmes au campement de la caravane,
qui était près de la k'oubba de Sid-Ioucef^.
Mercredi, a8 cha*ban ( 1 1 et la octobre).
Nous séjournâmes le mercredi et le jeudi, pour que
' L'iMUfereur de Maroc.
* Auv jH>rle8 do Sodjelniâra.
VOYAGE DE MOULA AHMED. 339
les gens fissent leurs provisions de tout geni^e. Là vint
mon frère Sid-Moh'ammed-el-Kebir, et avec lui nos
petits enfants. Je reçus des nouvelles de mes autres
parents et de mes amis, qui étaient en bonne santé. Il
vint des Benou-Khelifa (mJIâ. I^Jw), des Arabes d'Abou-
Moh'ammed (Jc^ jl), avec des chevaux pour transporter
ce dont nous avions besoin. J^en louai d'autres de Ze-
nâta (a31>) et de Bedàoua (ii^l^)^)-
Vendredi, 3o clia*ban (i3 octobre ).
Nous partîmes au s'bah' le vendredi ; nous visitâmes
le cheikh El-Kebir-Abou-el-H'acen-Sid- Ali-ben- Abd-
Allah , et nous descendîmes à £l-K'ouz {j^\ ) , aux en-
virons du zaouâl. Nous visitâmes le cimetière béni , qui
est hors de cet endroit, où sont enterrés Sid-Abou-el-
K'âcem-ben-Mouloud et Sid- Abd-el-Ouâh'ed. Je voulais
encore le visiter avant de partir; mais Dieu ne le permit
pas Y et Satan fit que j'oubliai ma résolution.
La caravane descendit hors de la ville, à côté de
Sid- Abd-er-Rah'mân-ben-Habba (a^ ^). Là nous ren-
contrâmes une compagnie d'amis de Dekâla ( aIK^^ ) , et
je reçus d'eux des nouvelles de mon ami en Dieu Sid-
Abou-Bekeiv'Ali-el-Fedji , qu'ils avaient laissé malade,
ce qui l'avait empêché de venir au-devant de moi.
Celui qui me donna cette nouvelle avait laissé son frère
auprès du malade, qui paraissait dans un état désespéré.
Il moiunit en effet bientôt après , sur la route , en arri-
vant à Sid-el-R'âzi (^f^jUJl •ï^-*--), Dieu ayant décidé. que
ce devait être le lieu de sa sépidture.
3^0 VOYAGE DE MOULA AH'MED.
Je rencontrai dans la maison qui est en face de cet
endroit mon ami Sid- Abd-es-Selâm-ben-Sa'id-et-Tâzi-
el-Bakâri , et un autre ami , Sid- Abd-el-K'âder4>en-es -
S'enin, avec quelques personnes de Tâza (»>b). Que
Dieu les récompense de cette politesse et les fasse re-
tourner chez eux en paix! Là nous aperçûmes la lune
de ramadan. Que Dieu nous donne la force de sup-
porter le jeûne et les veilles de cette époque !
Samedi, i* ramad'ân ( i4 octobre).
Nous partîmes au s'bah', le samedi i^ de ramad'ân
(i 4 octobre). Nous primes congé de nos amis de Ta-
filélt (oJ^b), qui nous avaient accompagnés et qui,
avant de partir, nous traitèrent dans un repas ou chacun
apporta sa part , pauvres ou riches , chérifs et autres ,
chacun selon son pouvoir. Sid-el- Abbas traita égale-
ment la caravane avec douze plats de kouskouçou,
ainsi que les Oulâd-Sid-el-Medjdoub ((^^«Xjf&t Js^um >^^l)
et autres, chacun selon son pouvoir. Les Oulâd-Sid-el-
Bekri {iSj^^ «Xa^m^^^I) nous apportèrent plus de qua-
rante plats.
De là nous traversâmes rOuad-Rerîs {(j^j^ t^^'^)^
et nous nous arrêtâmes un instant à Settîa (A^^yM»),
poiu' prendre congé de tous ceux qui nous avaient
accompagnés, de Moula- Ali-ben-Abd-el-Ouâhed et
autres. Nous priâmes le d ohor à Defâ-el-R'âr (jUJi am^).
I«a caravane prit dans cet endroit Teau qui lui était
nécessaire pour les besoins de la couchée. Nous y
tu;imos une chamelle qui ne pouvait plus maixher. Nous
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 341
(imes la prière de Tac'er au commenoement du canton
d'Abou-el- Ad'âm ( -UôiJl j' ) , et nous arrivâmes à la fin
dudit canton avant Tas'firâr. On coucha en cet endroit
sans eau, sauf celle quon avait apportée de Defâ*-el-
R'àr dans les outres.
Dimanche, a ramad'ân (i5 octobre).
Je rencontrai , après le s'bah' , mon neveu M oh'am-
med-ben-'Abd-el-Kerîm , et son père Sid- Abd-el-Kerîm-
ben-'Ali-en-Nedr'i , qui venaient au-devant de moi.
Nous partîmes ensuite, et nous fîmes la halte du
d'oh'a à Djâci-et-T'ofrâ (|ydJl ^\=r). pour attendre la
caravane. Nous priâmes le d'ohor, puis nous descen-
dîmes à Ez-Zenâtïa ( A^bJi ) avant Tac'er. Nous y cou-
châmes auprès d'un fossé où il y avait de Teau aussi
douce que celle du Fourat *.
Lundi, 3 ramad'ân ( 16 octobre).
Nous fîmes la halte du d'oh'a à El- At'châna ( iLîUkjJt ).
Là j^envoyai un homme chez moi , pour annoncer le
jour que nous arriverions et pour qu'on préparât, en
kouskouçou et en orge , de quoi inviter les hôtes selon
nos moyens ; et ceci pour remercier Dieu de ce que
j'étais arrivé en bonne santé. Nous descendîmes à Onun-
el-Djirân ( ^\j J ) avant l'ac'er. La caravane coucha au-
près d'un r adîr où il y avait de l'eau douce , parce que
tout récenmient la rivière qui Tahmente avait eu une
* Grande rivière de l'intérieur de TAfirique, dont Teau est, dit-on,
fort douce.
342 VOYAGE DE MOULA AHMED.
crue. Là, vint, à la fin de la nuit, mon frère Sid
avec les pèlerins à cause desqueb il n avait point fait le
pèlerinage avec moi. Louange à Dieu qui nous a réunis!
Mardi, 4 ramad'àn (17 octobre).
Nous fîmes la halfe du matin à Foum-Aktouzi
(j^âl ^), et nous ne nous arrêtâmes plus jusqu'à la
prière du d'ohor.
Comme nous approchions deTadjemchet (umA»;^),
nous vîmes des cavaliers qui arrivaient de notre côté,
en toute hâte et joyeux. C'étaient des chérifs , Moula-
' Ali-ben-Ah'med et ses frères , et le cheikh loucef-ben-
Brâhim , qui venaient au-devant de nous avec une com-
pagnie du pays de Dara'a (aj^^). Nous nous arrêtâmes
sur une colline , à côté d'Ouad-ei-Kheroua' (^j^ ^Ij ) ,
où nous trouvâmes des r adir remplis d'eau de pluie
jusqu'au bord, et plus que suffisants pour les besoins
de la caravane. On coucha auprès de cette eau de pluie,
qui était piu*e et douce.
Mercredi, 5 ramad'ân ( 18 octobre).
Nous partîmes, et, quand le soleil se leva, mes amis
du pays de Dara'a vinrent en fouie à ma rencontre , par
groupes qui ressemblaient aux vagues de la mer; ils
me firent leurs compliments sur mon heureux retour.
Parents et amis, on se réjouit de se retrouver les uns
et les autres. Nous descendîmes dans leurs tentes, et
nous nous livrâmes à la joie ; les chagrins et les inquié-
tudevS de Tabsence furent chassés de leurs cœiu^ et des
VOYAGE DE MOULA AH'MED. 343
nôtres en nous retrouvant tous ensemble , et tous nos
dangers, périls, etc. furent oubliés. Puis nous descen-
dîmes à Foum^el-Tsenîa (iûyuJl ^); nous mîmes de
côté les vêtements de Téloignement poiu* revêtir ceux
de Tarrivée. Nous nous étions arrêtés à Tsenïa, parce
que ce lieu est entre deux chemins qui conduisent à
Zenâta ( A^b) ] et en d'autres endroits ; et afin que les
pèlerins pussent prendre congé les uns des autres, et
se séparassent pour aller chacun chez sol , et aussi pour
rencontrer ceux qui venaient de tous côtés au-devant de
nous. Là, nous prîmes congé les uns des autres, nous
souhaitant réciproquement d'achever le voyage avec les
habits du bonheiu*, du salut, de la paix; puis nous mar-
châmes ensuite vers la zaouîa, et de là nous mon-
tâmes sur les collines, d'où nous aperçûmes les 'alam
(hampes auxquelles on attache les drapeaux au moment
de la'^prière), ainsi que l'heureux minaret et l'endroit
bien ombragé au sujet duquel on a fait ces vers :
Puis, arrivés au sommet des collines, et, quand le minaret
se présenta à mes yeux d'une manière très-apparente , féioi-
gnement disparut, farrivée arriva, et la proximité exista.
Depuis ce moment, nous ne cessâmes de traverser
la foule des parents et des amis , des curieux accoiuiis
au-devant de nous, jusqu'à ce que les chameaux s'ar-
rêtèrent hors de la zaouîa El-Mimouna ( aj^^^I Xa^I) ) ,
lieu qui enrichit le pauvre, où l'on suit la voie de la
vertu, qui dirige dans la religion et montre la route
aux hommes. Nous y arrivâmes à l'ac'er, le mercredi
344 VOYAGE DE MOULA-AH'MED.
5 de ramad'ân 1 122 (le 18 octobre). Chacun se rendît
chez ses parents ou amis. Nous dressâmes les tentes à
Et-Ander (j«X3^l], parce que ce Heu était à proximité
de nos amis. Là commençait pour nous le repos. Quant
à moi , j'entrai dans la zaouïa.
Le jeudi, avant Tas^firâr, j'allai dans la grande mos-
quée (mesdjid) à l'exemple du prophète ^ J'y restai le
temps nécessaire pour faire quelques rikat, selon la
coutume des chérifs. Puis j'allai à la rouda (cimetière
des marabouts ] de nos seigneurs dont la conduite a été
vertueuse , l'origine piu*e. Là je mis le sceau à mon
pèlerinage, poiur compléter ma satisfaction; puis je
priai pour mes parents , mes amis et mes enfants. Je
remerciai Dieu d'avoir rencontré la satisfaction et d'avoir
prolongé mes jours jusqu'à mon arrivée , depuis le lieu
éloigné que j'avais atteint jusqu'ici.
' Mahomet , quand il revenait de voyage , allait à la mosquée avant
d*entrer chei lui.
Le copiste, qui s'appelle Moubârak-ben-'Amar^s'-S'aîrî ,
a achevé de copier ce manuscrit le 2 5 de rebi*-et-tani
1161, sur une copie défectueuse , dit-il , et où il y avait
des lacunes.
FIN Dr VOYAGE DE MOULA-AH'mED.
ITINÉRAIRES
ET RENSEIGNEMENTS
FOURNIS
PAR SID-AH'MED-OULID-BOU-MEZRAG
FILS DE L'ANCIEN BEY DE TIT ERI
SUR LES PAYS SITUES AU SUD DE BOR'AR
h\
ITINERAIRES
ET RENSEIGNEMENTS
FODRHIS
PAR SID-AH MED-OULID-BOU-MEZRAG.
ROUTE DE TAZA A BOU-SA'DA.
l'* JOURNÉE. SID-BOU'ZÎD.
On descend par un chemin difficile ; au bout d'une
heure un quart, on arrive à ime plaine ondulée; on
traverse, une demi-heure après, TOuad-bou-Kemouri ,
et en continuant dans le même terrain ondulé , on passe
par des ruines romaines qui paraissent les restes d'une
ville considérable. Elles sont connues dans le pays sous
le nom de Kheurba-Oulâd-Allâl ; on y trouve beaucoup
d'inscriptions. A environ une lieue de ces ruines, on
arrive à Sid-Bou-Zîd : la distance entre cette k'oubba
et T'aza est de i i lieues. La direction est Est. Sid-
Bou-Zid est dans le Belâd-'Azziz. Les Arabes de ces can-
tons y ont leurs matamores ou silos. C'est un pays de
plaines.
2* JOURNEE. 'aIN'TSELATSA.
Cette journée est d'environ 1 5 lieues ; la direction
est Sud-Est. Voyez les détails relatifs à cette localité
348 ITINÉRAIRES
dans ritlnéraire du pays de Mzâb : on est toujours en
plaine.
3^ JOURNÉE. EL'ÀBÎEUd'.
On marche dans un pays de plaine, et on arrive à
El-Âbïeud\ ainsi noouné à cause de la blancheur du
sol. Dans ce lieu croît le sedra [ziziphas lotos) ^ arbris-
seau épineux dont Shaw a fait la description (tom. U,
p. 1 a3). Distance parcourue, i4 lieues; direction. Est.
4* JOURNÉE. EL'BIRIN.
Après avoir fait 9 lieues en plaine, dans TEst, on
arrive à El-Birin, rocher isolé, qui a environ 1 mille
à sa base, et dont la hauteur est de 60 mètres à peu
près. Au sommet, se trouvent deux puits, circonstance
d'où lui vient son nom de Birin.
5*" JOURNÉE. GAHSA.
On marche pendant 1 o lieues en plaine, vers le Sud,
et on arrive à Garsa, ainsi nommé à cause du goût
acide de son eau. Le h alfa croit en abondance dans
cette localité.
6*" JOURNÉE. k'cEB-BKNZOU,
On arrive à cette boui^ade, qui est à 5 lieues de
Gai^a, en continuant la direction du Sud-Est. KVer-
DES PAYS SITUES AU SUD DE BOR'AR. 349
Benzou se compose de trente ou quarante maisons; il
est au pied du Djebel-Sah ri. U y a une soiu'ce qui
donne une très-bonne eau.
'*^ JOURNEE. k'cKR'ED-DIS.
C'est un boiu^ qui contient une centaine de maisons.
Son nom lui vient du Djebel-Dis, qui le domine. Il
est habité par les Oulâd-Sid-Ibrâhim, qui sont des
marabouts. Pour y arriver, on suit pendant 9 lieues le
pied du Djebel-Sah ri, dans la direction de FEst, en
ayant cette montagne à droite.
8*" JOURNÉE. — BOU'SA'DA.
Après 3 lieues de marche , dans l'Est , et toujours
au pied du Djebel-Sah ri , on arrive à Bou-Sa'da. Là
cette montagne prend le nom de Sellet.
Depuis T'aza jusqu'à Bou-Sa'da, et dans un trajet de
76 lieues, on ne rencontre pas de montagnes à tra-
verser.
350 ITINERAIRES
ROUTE DE MÉDÉA AU PAYS DE MZAB,
CHEMIN DES CARAVANES.
1"^ JOURNEE. SAROUAN.
On marche dans la direction du Sud pendant pres-
que toute la journée, et ce n est qû^au moment d'ar-
river à Sarouân, qu'on tourne un peu à TOuest. La
distance entre ce lieu et M édéa est de 1 5 lieues. Sa-
rWân est en plaine. Les Douaîr, tribus du makhzen
de Tit'erî, y habitent, et les 'Abid, autre fraction du
même makhzen, se tiennent à Berrouâguîa^ Les Arabes
d'El -'Arba' viennent aussi dans ce canton en été. A
3 lieues au Sud-Ouest se trouvent des ruines romaines
dites Achir ; c'est du moins l'opinion des gens du pays.
Mais il parait plus probable que ce sont les restes de
la ville d' Achir, fondée en Sa^ de l'hégire par Zeïri-
ben-Monad, qui y faisait sa résidence^. Ebn-Khaldoun
place cette cité dans les montagnes de Tit'eri , opinion
qui corrobore mes conjectures. Nowaïri dit que la posi-
' Ainsi nommé de la grande quantité de berrouâk' ■ asphodèles >
qui y croissent.
' Après avoir écrit .ceci, j*ai visité les ruines d*EI-Achir, en août
]8A3; elles sont en effet romaines. Quant à la ville arabe, quoique je
n'aie pu en retrouver les traces , je persiste à croire qu'elle devait être
de ce côté.
DES PAYS SITUÉS AU SUD DE BOR'AR. 351
tîon d'Achir était très-forte, et quelle ne pouvait être
attaquée que du côté de TOrient. Dix hommes, selon
lui, auraient suffi pour la défendre contre toute une
armée , et , quand elle n^aurait pas eu de remparts , elle
eût été imprenable , tant elle s'élevait au-dessus de ses
murs. Au milieu, coulaient deux fontaines d*eau douce.
Ebn-Haukal parle de ses marchés, de ses fontaines
d'eau courante , de ses jardins , de ses champs cultivés ,
et il ajoute que la province qui l'entoure est de la plus
grande beauté. Dans le Kartas, il est dit que cette ville
est la capitale du pays de S'enhâdja \ L'itinéraire d'A-
chir à Mers-Zedjdâj et celui de cette ville à Alger '^
confirment encore cette opinion.
2^ JOURNÉE. 'AÏN-TSELATSA
On suit la direction Sud j Sud-Ouest; et, après une
marche de 9 lieues, on arrive à cette étape. C'est le pays
des Oulâd-Mokhtâr, dont le chef actuel est Ben-'Aouda.
Les Oulâd-Mokhtâr se divisent en cheraga ou orien-
taux, et en r'eraba ou occidentaux. Les premiers s'ap-
pellent Oulâd-'Eudda , et les autres Oulâd-Bou-'Ali. Ce
pays est entre le Tell et le S'ah'ra. Là commence à
croître la plante appelée chih', qui est une sorte d'ab-
sinthe [absinthium judaïcum). Les Arabes prétendent
que c'est le commencement du S'ah'ra; mais le vrai
^ Traduction d*El-Bekri, par M . Quatremrre « tom. XII des Notices
des manuscrits, pag. 619.
* Ihid* pag. 617 et 619.
352 ITINERAIRES
désert, dans le sens que nous donnons à ce mot, est
encore assez loin de là au Sud.
3^ JOURNÉE. 'AÏN OUÇARA.
On continue de marcher plein Sud. Sur la route ,
on rencontre des térébinthes (el-bot'om). A une dis-
tance d'environ 9 lieues , on trouve 'Aîn-Ouçara , pays
inhabité, où l'arbrisseau appelé sedra croît en grande
quantité.
li"" JOURNÉE. EL'MEKSEM,
On marche Sud ~ Sud-Ouest pendant 1 5 lieues , et
on arrive à El-Mek'sem, pays inhabité, où cependant
les Oulâd-Naïl viennent quelquefois. Le h'alfa y est
très-abondant.
6* JOURNÉE. K'dER'ECB-CHEBF.
A environ 1 q lieues Sud ~ Sud-Ouest de l'étape
précédente, on arrive à KVer-ech-Cherf, petite boiuv
gade où demeurent des gens de toutes tribus. Il ne
faut pas croire , comme le nom le donne à entendre ,
qu'il y ait ici un , et encore moins plusieurs châteaux.
Le mot kVer (que les Arabes du dehors prononcent
Queceur) ne désigne, dans ces endroits, que des cons-
tructions quelquefois sans importance. C'est à peu près
comme on appelle bordj ou forteresse , dans les environs
d'Alger, une simple maison de campagne.
DES PAYS SITUES AL SUD DE BOR'AR. 353
6' JOURNÉE. OUAD-MTA*'EL'BId'a.
On continue la direction Sud -J- Sud -Ouest, et on
arrive , après 9 lieues de marche , à cette étape , où le
h'alfa et le chih' croissent en abondance.
,e -J-
7^ JOURNEE. ZEMINA.
Après avoir fait i5 lieues dans le Sud \ Sud-Ouest,
on arrive à ce bivac, où il y a une source; on y ren-
contre du h'alfa et du chih'. On voit les ruines d'un
kVer dans ce lieu.
S"" JOURNÉE. TEDJMOUT.
On continue la direction Sud | Sud-Ouest ; on tra-
verse le Djebel-Sah 'ri-el-Guebli dans un endroit peu
élevé, puis on descend à Tedjmout. La journée est
d^à peu près 1 o lieues.
Cette petite boui^ade compte environ cent maisons ;
la population y est mêlée : il y a des Oulâd-Naïl, des
El-'Arba\ etc. On y trouve, en fait d^arbres, des pêchers,
des coignassiers , des figuiers. Dans les environs , crois-
sent le h'alfa, le chih' et le guettaf. Cette dernière
plante est connue à Alger sous le nom de souôuâk' ;
on s'en sert contune de brosse à dents ; poiu* cela , on
coupe un morceau de la racine, qui est bien filan-
dreuse, on Teffile par un bout, de manière à en former
ime petite touffe avec laquelle on se frotte les dents.
45
354 ITINERAIRES
On dit que cette racine a un goût salé. Les pèlerins
de rOuest, en traversant les contrées de Tintérieur,
font provision de cette racine , qui se vend bien à
Alexandrie et dans les villes des Etats barbaresques.
9* JOURNÉE. EL-Ar'oUAt'.
On marche droit au Sud pendant 8 lieues environ,
et on arrive à El-Ar'ouât', assez grande ville habitée
par les Oulàd-Ser'in et les H'alef , dont les quartiers
sont séparés par FOuad-Emzi. On sait que ces deux
fractions de la population sont souvent en guerre Tune
contre l'autre.
Au Sud -Est d'El-Ar'ouât\ on trouve la petite ville
d'El-Açafta, dont la population est mêlée.
1 O* JOURNÉE. FEDJ'ENTSILA.
Il y a 1 8 lieues entre cette étape et la précédente.
Cest à Fedj-Entsila qu^on commence à trouver les sables;
ceux de cet endroit sont de couleur blanche. Il y a à
Fedj des réservoirs d'eau de pluie, et, en outre, il
suffit de creuser un peu pour trouver de Teau fort douce
et très-salubre. Le nom de cette localité vient de ce
qu elle est située sur une petite élévation où il y a un col
(ledj). Pendant cette journée , la direction a été Sud-Est.
1 !•* JOURNÉE. EL-OUt'IA.
On marche pendant 1 5 lieues environ dans le Sud-
Kst« On trouve des sables de temps en temps. Le chih\
DES PAYS SITUÉS AU SUD DE BOR'AR. 355
le guettaf et le harmel sont fort abondants ; il y a peu
de h'alfa. Out'îa est un diminutif de out'a « plaine. »
I 2* JOURNIÈE. CHEBKA.
On marche en plaine pendant 1 5 lieues dans le Sud ,
et sans rencontrer de sables. On est en plaine , dans un
terrain pierreux , où le h'alfa est abondant , et où Ton
trouve peu de chih^ La première de ces plantes croit
surtout dans les chemins pierreux ou élevés , et l'autre
dans les lieux bas. Le nom de Chebka vient de ce que
les pierres qui constituent le sol de cette localité rap-
pellent, par leurs formes et leur disposition, les mailles
d'un filet (chebka).
l3* JOURNEE. OVAD^DJEDI.
On fait encore 1 5 lieues en plaine dans la direction
du Sud-Est, et on arrive à TOuad-Djedi, rivière qui est
à peu près aussi grande que TOuad- Arach ; Teau en est
bonne. Oïdid-Bou-Mezrag prétend que TOuad-Djedi
vient du Sud et coule vers TEst. Cette assertion est
contraire à ce qu'on savait du cours de cette rivière.
1 4* JOURNEE. BENI-IZGUEN.
 5 heues dans le Sud-Est, on trouve Beni-Izguen,
ville d'environ mille maisons. On est alors dans le pays
de Mzâb.
356 ITINERAIRES
DE MÉDÉA AU PAYS DE MZAB,
ROUTE DES COURRIERS.
l'* JOURNEE.
On va coucher à S arouân.
2^ JOURNEE.
On va coucher à 'Aïn-Tselatsa. (Voyez , pour ces deux
étapes, la route des caravanes.)
3*^ JOURNEE.
On se dirige en plaine vers le Sud-Ouest; et, après
une marche d'environ 9 lieues, on va coucher sur les
bords d'im lac appelé Ed -D'aïa-T'aïba. Cest sans doute
celui qui figure sur nos cartes sous le nom de Dïa-Tit-
terie-Geouh, ou de lac de Titterie. Ce lac, qui a plus
d'un quart de lieue d'étendue, est couvert de flamands,
de canards et autres oiseaux aquatiques. Les gens du
pTiys prétendent que, tous les deux ou trois ans, tantôt
dans une saison , tantôt dans une autre , il bouillonne ,
lance des gerbes d'eau , déborde et couvre une grande
partie de la contrée. Us assurent que bien des personnes
ont péri par ces inondations imprévues, dont l'eflet se
fait sentir fort loin. On appelle ce pays Belâd-Douaceni.
4^ JOURNÉE.
Vprès avoir fait 18 lieues dans le Sud, on arrive à
DES PAYS SITUES AU SUD DE BOR'AR. 357
El-Guelta-el-Bid'a , petite mare alimentée par les eaux
pluviales qui tombent des montagnes, et qui s^ con-
servent comme dans un réservoir. On peut aussi passer
par Guelta-es -S'al , qui est plus à l'Ouest. Pour arriver
à Guelta-el-Bid'a , on traverse le Djebel-Sah'ri. La mon-
tagne qui domine ce bivac s'appelle Gada'-Meta'-Oulâd-
Brâhim. Gada' veut dire « un pic isolé. »
5*" JOURNEE. BAB-AIN-MEÇAOUD.
Pour arriver à cette étape , on traverse d'abord la
sebkha de Zar'ez, puis les chebka ou collines de Zar'ez.
La marche, qui est de 18 lieues, se fait dans la direc-
tion du Sud.
Cette fontaine sort d'entre deux collines rappro-
chée4, de sorte qu'elle parait passer par une porte
(bâb). On raconte qu'un nègre, venant du S'ah'ra, et
près de mourir de soif, arriva dans cet endroit, se mit
à creuser un peu la terre, et y trouva de l'eau. C'est
celle qu'on y voit encore maintenant. Comme ce nègre
s'appelait Meç'aoud, le lieu, par ces diverses causes, a
pris le nom qu'il porte aujourd'hui.
6** JOURNÉE. AMBA.
On traverse le Djebel-Sah ri-el-Guebli à un endroit
qu'on appelle Djellâl-Bellout , à cause de la grande
quantité de bellout qu'on y trouve. Il y a dans cette
montagne une partie plus élevée que le Djerdjera, et
où cependant la neige ne persiste pas toute l'année. On
le nomme Argou-Beni-Mzâb, ou Tendon des Béni-
358 ITINERAIRES, ETC.
Mzâb, à cause de la roideur et de la longueur de sa
montée , qui fatigue le tendon des gens de cette nation
qui y passent fréquemment. On descend ensuite à Amra,
petite bourgade d'une cinquantaine de maisons, située
en plaine , et dont la population se compose de gens
de toutes les tribus environnantes. Dans les montagnes
que Ton traverse pour y arriver, il y a beaucoup d'ar-
bres, surtout des chênes, qui produisent le bellout.
Les lions et les panthères s'y trouvent en grand nombre.
La marche, pendant cette journée, est de i5 lieues,
dans la direction du Sud.
7*^ JOURNÉE. ZAKKAB.
Après une marche de 9 lieues en plaine, toujours
dans la direction du Sud , on arrive à Zakkâr, petite
bourgade de soixante à soixante et dix maisons. Le chih'
croit en abondance entre ce bourg et Amra.
8* JOURNÉE. DEMMET.
On fait 5 lieues en plaine, dans le Sud, et on arrive à
Demmet , bourgade de trente ou quarante maisons , où
il y a une source considérable , dont Teau est excellente.
9* JOURNÉE. CHEBKA.
Après ime marche de 1 8 lieues en plaine , dans la
direction du Sud , on arrive à Chebka sans rencontrer
d'eau sur la route. Ici, on suit la route ordinaire des
caravanes.
VOYAGE
PAR TERRE
DE T'AZA A TUNIS
PAR M. FABRE
VOYAGE
PAR TERRE,
DE TAZA A TUNIS.
POINT DE DÉPART DE M. FABRE.
La mine de soiifre que M. Fabre indique est située
à 1 lieue ~ de marche au Sud de T aza , et à 3 lieues
au Nord du Nahar-Ouâc el (qui devient ensuite l'Ouad-
Chelif). L'endroit où elle se trouve s'appelle Râs-bou-
Kemoiu^i , parce que c'est là que TOuad-bou-Kemouri
prend sa soiurce. La contrée porte le nom de Belâd-
Belàl, ainsi que la montagne d'où sort cette rivière.
Quant au Belâd-es'-S'ïouf , il existe en efiFet de ce côté ,
mais il est à l'Est de Belàd-Belâl, avec lequel il est
limitrophe. Le cheikh Bourk'iza, dont parle M. Fabre,
est en effet un chef de ces cantons ; seulement il ad-
ministrait, conjointement avec un autre qu'on appelle
Bou-Hafs, le pays de Belâl, et non celui de S'ïouf.
' Le voyage de M. Fabre, de T'aza à Tunis, avait un grand intérêt
à Tépoque où il fut lait , parce que nos troupes n*avaient pas encore
pénétré dans les parties méridionales de TAlgérie. Aujourd'hui, sur
plusieurs points, cette route a été visitée par nos colonnes, et on a
dressé la carte du pays. Il conviendra, en lisant ce récit, de tenir
compte de cette circonstance, qui atténue, sans le détruire entière-
ment, Tintérét que la nouveauté eût donné aux impressions ressen-
ties par TEuropéen qui a parcouru ce pays Tun des premiers.
362 VOYAGE PAR TERRE,
Mais cette confusion, qui na rien d'extraordinaire de
la part d'un homme à peu près étranger à la langue
arabe , loin d'infirmer le témoignage de notre voyageur,
prouve qu'il a connu les lieux et les personnes par lui-
même ; car il ne pouvait pas autrement savoir ces
choses ) ainsi que d'autres qu'il raconte dans le cours
de son récit. L'absence d'instruction, qui se remarque
facilement dans la narration de son voyage , est une ga-
rantie de plus contre toute fraude de ce genre. Je fais
cette remarque, parce que je suppose que le lecteur
aura peut-être , sur sa véracité , les doutes que j'avais
moi-même au premier abord , et avant qu'un examen
attentif m'eût rassuré sur ce point capital.
Le travail qu'on va lire n'est pas la reproduction
littérale du récit de M. Fabre; c'est une simple analyse,
que je me suis efforcé de faire aussi exacte et aussi
complète que possible.
DE T'AZA A TUNIS. 363
VOYAGE
DEPUIS RAS-BOUKEMOURI, AU SUD DE T'AZA,
JUSQU'A TUNIS. PAR TERRE.
(Fin de février! 838.)
M. Fabre, parti de Médéa, avec deux ou trois Arabes,
vers la fin de février i838, arrive, après une marche
de i5 lieues dans le Sud, puis dans le Sud-Est de
cette ville, à des ruines situées siu* un monticule ^ Ces
ruines , dit-il , forment une enceinte dans laquelle il y
a un amas de briques et de pierres brutes. Il y a re-
marqué un trou où les Arabes lui ont raconté qu'on
avait trouvé de Targent.
Au bout de six joiu^s de marche, pendant lesquels
la pluie les a obligés souvent de s'arrêter, ils parvien-
nent au pays des S'ïouf , vers les confins du K'ibla ^.
* Notre voyageur dit dans sa relation, que, parti de Médéa dans
la direction du Sud, il était le lendemain en face de Miliâna, qu*il
avait à sa droite. 11 a dû alors traverser le Djebel-Ouâmri, puis des-
cendre dans la vallée du Chélif, pour prendre la route de T'aza, la-
quelle est effectivement à peu près en face de Miliâna; mais alors, au
lieu du Sud-Est, il faut lire Ouest, rectification sans laquelle il est
impossible d'expliquer cette partie de son itinéraire.
' K'ibla signifie le Midi, et, dans un sens plus restreint, la zone
qui est entre le Tell , ou pays à peu près intégralement habité et cultivé ,
et le désert proprement dit. On a vu précédemment que nous con-
364 VOYAGE PAR TERRE,
Dans les deux premières journées, Us ont traversé
un pays montueux, souvent beau, mais désert et in-
culte. Lorsqu'ils eurent dépassé Miliàna, ils prirent au
Sud-Est, puis à rEst\ en suivant des collines presque
toujours arrosées par de beaux ruisseaux, et dont le ter-
rain , négligé par les indigènes , parait cependant suscep-
tible d'une cultiu'e avantageuse. Elles sont assez boisées,
et on y rencontre même parfois des espèces de forêts de
chênes d'une médiocre grosseur, et des massifs de su-
perbes genévriers. C'est presque toujours dans ces lieux
boisés que se remarquent les douars, autour desquels
il y a beaucoup de champs de blé , de nombreux trou-
peaux et une grande quantité de volaille.
Lorsqu'ils furent arrivés au pays de S'ïouf , le cheikh
Bourk'iza , qui commandait dans ce canton , leur montra
la mine de soufre. Celle-ci est située dans une petite
montagne qui parut à M. Fabre avoir une origine vol-
canique, à cause, dit-il, des bouleversements qu'on y
observe^. Les bancs de soufre ont 33 centimètres d'é-
fondions trop souvent ce pa^s de transition avec le véritable S'ah'ra,
ou désert de sable.
' Nous ne pensons pas qu*on puisse avoir une confiance absolue
aux directions indiquées par M. Fabre, qui, ne possédant aucun ins-
trument pour s*orienter avec exactitude, n*avait probablement pas,
comme la plupart des Européens, Thabitude d*y suppléer par Tins-
pection du soleil et des étoiles. Heureusement, les deux points ex-
trêmes, Médéa et la mine de soufre, étant connus, il est facile de rec-
tifier les erreurs quUl a pu commettre , ou de suppléer aux indications
qu'il a néglig;é de donner.
* M. Fabre pourrait bien se tromper dans ses conjectures ; car si
DE T'AZA A TUNIS. 365
paisseur , et ils alternent avec des bancs de terre mé-
langés en grande quantité de paillettes d^un jaune d^or
pâle. On y remarque des traces du feu qui parait en
avoir calciné une grande partie. Il en reste cependant
assez pour que six hommes , avec de faibles moyens ,
aient pu en extraire plusieurs quintaux par jour.
Non loin de la mine, est une fontaine qui exhale
une odeur sulfureuse suffocante; et auprès de cette
fontaine , on remarque une matière qui ressemble à de
la houille.
Les Arabes ont montré à M. Fabre un morceau de
roche écailleuse d'un blanc mat, qui lui a semblé du
minerai d'argenté L'endroit d'où ils avaient tiré ce
prétendu minerai est auprès de la mine de soufre. Il y
a aussi dans les environs une mine de fer.
Ce pays de S'ïouf est beau, mais mal cultivé. On y
voit des vignes gigantesques , qui grimpent sm* des
les volcans en activité vomissent du soufre en très-grande abondance,
il est fort rare d*en trouver dans les anciens terrains ignés, et même
dans les volcans éteints qui paraissent les plus rapprochés de notre
âge. On ne connaît qu*un petit nombre d'exceptions à cette règle.
( Voy. Beudant, Minéralogie, tom. II, pag. 387.)
' 11 est possible que M. Fabre, qui n'avait aucune connaissance
en minéralogie, se trompe. Le minerai d'argent, lorsqu'il se pré-
sente sous l'aspect fdiforme, est impossible à méconnaître, et si celui
qu'on lui a montré eût été de ce genre, on n'en aurait pas parlé
d'une manière dubitative. Quant aux autres espèces de minerais , il
faut être minéralogiste pour pouvoir les distinguer. M. Fabre aura
été induit en erreur par les indigènes, qui, trompés par la couleur,
prennent des pyrites pour de l'or, certains micas ou talcs pour de
l'argent, etc.
366 VOYAGE PAR TERRE,
arbres dont elles couvrent toutes les branches. Les
Arabes de ce canton , de même que ceux des pays tra-
versés précedenunent par notre voyageur, récoltent de
beauts artichauts sauvages dont la racine, étant cuite,
constitue un mets assez agréable. Les douars sont clair-
semés, et la population y est faible. Les habitants ont
des fîisils qui sont en mau^-ais état, sauf ceux des chefs.
Us savent fabriquer de la poudre.
M. Fabre, las du travail auquel on le soumettait, et
poussé par un esprit aventureux , se décide à s^évader.
D réussit, ainsi que ses camarades européens, à trom-
per la surveillance des gens qui les gardaient, et ils
se lancent, à peu près au hasard, dans fintérieur du
pays.
rr
1"^ JOiR DE MARCHE.
Ils quittent la mine de soufire dans la soirée , et se
dirigent au Sud-Est poiw éditer le pays des K'obaîl.
Ils marchent toute la nuit, en sui^-ant une petite rivière
qui est au Midi de la mine ^
a* JOUR.
Lorsqiie le joiur arrive, M. Fabre gravit, avec ses
compagnons, une montagne rocheuse, d*où ib aper^
curent des douars bonsidérables, situés dans une plaine
qui se trouve devant eux. Autour sont de nombreux
* l/()M;ul-lK»u-Kenioiiri.
DE T'AZA A TUNIS. 367
troupeaux. Il évite cette population trop rapprochée
du lieu d'où il vient de s'échapper, et il trouve de
vastes plaines incultes , où paissent des troupeaux con-
sidérables de chameaux, de bœufs et de moutons. Au
delà, il trouve d'autres plaines, dont Tune est arrosée
par une rivière coulant du Sud à FEst ^ ; celle-ci , peu
large, est trèi-profonde et bordée de joUs arbres. Plus
loin, il passe dans une autre plaine couverte de joncs ^
semblables à ceux de nos marais, «t peuplée d'une
grande quantité de chèvres.
En parlant des plaines qu'il traverse , M. Fabre né-
glige ordinairement de mentionner les collines qui doi-
vent les séparer. Nous ferons cette observation une fois
pour toutes.
3* JOUR.
Nos voyageurs arrivent au bord d'une rivière dont
les alentours sont délicieux , à cause des jolies prairies
qu'on y trouve. Cet endroit, malgré sa beauté, est dé-
pourvu d'habitants.
4* JOUR.
Dans ces plaines , inhabitées pour la plupart , M. Fabre
et ses compagnons avaient éprouvé beaucoup de priva-
* Cest probablement le haut Ghélif.
' C'est sans doute le h'alfa dont il est si souvent question dans les
relations des voyageurs indigènes qui ont parcouru ces régions.
368 VOYAGE PAR TERRE,
tions. La provision d'aliments qu'ils avaient emportée
de S'iouf une fois épuisée , il avait fallu vivre de ra-
cines. Malgré leurs craintes , ils se décident à chercher
des endroits où il y ait de la population ; et , prenant
leur direction vers TEst, ils gagnèrent les montagnes
qui sont de ce côté. Ils arrivent en effet à des douars
où on les accueille assez bien, grâce au chahad ou
profession de foi musulmane \ qu'on leur avait fait
apprendre à Médéa.
5* JOUR.
Ils continuent de marcher dans TEst vers Msîla,
ville sur laquelle ils donnent à entendre auxindigènes
qu'ils se dirigent. Ils traversent de grandes plaines,
séparées entre elles par des coteaux peu élevés, et cou-
verts d'une herbe assez jolie, quoique petite.
6* JOUR.
Après avoir traversé plusieiu^s plaines incultes, ils
gravissent une montagne du haut de laquelle ils aper-
çoivent un lac , une ville , et , dans les airs , une aiguille
semblable à celle d'une boussole , s'élevant à une hau-
' La illah Ha AUah MoVammed raçoul Allah, « il n'y a de Dieu que
Dieu , et Mahomet est son prophète. * La plupart des indigènes de Tin-
térieur, sauf ceux qui habitent les villes, ne sachant guère autre chose
de leur reHgion , on conçoit qu'ils soient portés à considérer comme
musulmans ceux qui en connaissent autant qu'eux.
DE T'AZA A TUNIS. 369
leur de plus de i oo mètres. Mais c^était un effet de
mirage , et , au lieu de ces belles choses , ils ne trouvent
en descendant quWe triste plaine de sable. Après une
demi-journée de marche, ils arrivent dans une plaine
qui touche à la précédente, et qui est couverte de
mauvaises broussailles, hautes au plus de 60 centi-
mètres. On les acoseille dans un douar situé au milieu
d'une forêt de chênes et de genévriers.
Y JOUR.
Us veulent continuer de marcher dans TEst, mais
la nature du pays , qui est trop montagneux , les oblige
de tourner au Sud-Est. Ils atteignent bientôt une plaine
superbe , quMls traversent di£Bicilement dans Faprès-
midi. Elle était couverte de fourrages qui venaient jus-
qu'à la ceinture. Ils y virent des troupeaux de bœufs
plus gros que ceux que les Arabes amènent au marché
d'Alger. A Textrémité de cette plaine , et au milieu
d'un espace aride , s'élèvent des monticules de sable ,
que le vent augmente ou diminue de temps en temps.
Au sommet et autour de ces élévations, il y a de petits
arbres très- verts; mais dans la plaine il n'y a pas un
seul arbrisseau.
8% 9* ET 10* JOUR.
Au delà de la plaine dont on vient de parler, nos
47
370 VOYAGE PAR TERRE,
voyageurs tournent au Sud-Est^ pour arriver à une
gorge ; ils trouvent un ruisseau d'eau salée , et en amont
de ce ruisseau , un petit monticide de sel qui « de loin ,
ressemble à un bloc de neige ^.
Ils s'engagent ensuite dans des montagnes peu hautes,
il est vrai , mais qui les jettent hors de leur route , par
l'obligation où ils sont de traverser certains cols. Ils
trouvent des douars au moins une fois par jour ; mais
ces villages sont chétifs , sans doute à cause des mauvais
pâturages.
Us trouvent avec surprise une espèce de caravansé-
rail délabré dans ime plaine déserte , qu'ils ne traversent
qu'en deux jours. Dans cette plaine, ils voient de jolies
pierres, dont les imes ont la blancheur nébuleuse de
la cornaline , d'autres , le rouge vif du corail le plus
beau.
Ils arrivent à une tribu composée de plusieurs
douars. Quoique placés dans un pays où ils n'ont vu
que de mauvais pâtiu^ages, il y a cependant beaucoup
de troupeaux, surtout des chameaux. C'est là qu'ils
mangent les premières dattes. Dans ce canton, les en-
fants des deux sexes vont nus jusqu'à un âge assez
avancé; et les fenunes elles-mêmes sont vêtues plus
Ml y a ici une erreur évidente; car ils suivaient déjà la direction
du Sud-Est depuis la veille. C'est sans doute Sud qu*il faut lire.
' En suivant Vitinéraire avec soin , on voit que nos voyageurs se
trouvaient alors dans les environs de Zar'ez (leZaggus des cartes).
Le ruisseau salé serait alors rOuad-Sebkha , les collines de sable de
la veille, les naka de Zar'ez, et le monticule de sable, les salines de
cette même localité.
DE T'AZA A TUNIS. 371
simplement que la décence ne Texigerait. Nos voyageurs
remarquent, non sans étonnement, quon les laisse seuls
avec ces dames, lesquelles, pour utiliser la confiance
de leurs époux, s'empressent d'adresser par signes, à
M. Fabre et à ses compagnons , des questions passable-
ment indiscrètes.
En quittant cette tribu , ils veident se diriger au Sud-
Est, pour éviter les montagnes, qu'ils supposent habi-
tées par les Kl>aîl ; mais les Arabes et leurs femmes
s'opposent fortement à ce qu'ils prennent cette direc-
tion, en s'efforçant de leur faire comprendre que du
côté où ils veulent aller il n'y a rien à manger ni à
boire, et qu'ils y rencontreront des lions.
11% 12% l3% l4* ET 1 5* JOUR.
Us marchent donc vers le Nord-Est, et parcourent
un pays où les pâturages sont souvent bons , et où il y
a de beaux douars très-peuplés. Cependant ils n'ont
vu ni rivières ni ruisseaux sur cette route. Ils sont dés-
habillés par des bergers, race assez peu scrupuleuse,
ainsi qu'ils ont plusieurs occasions de l'éprouver. C'est,
du reste , la première violence qu'ils aient eu à souffrir
depuis leur évasion. Us arrivent à un douar où on les
reçoit bien. Us y trouvent un homme de Bou-Sa'da, qui
était venu pour acheter de la laine et du beurre. Us
restent six jours dans cet endroit, où on leur donne
du lait en abondance, quelques fruits, des dattes et
une espèce de pomme de terre noire qu'ils appellent
372 VOYAGE PAR TERRE.
teurf^. On la fait cuire dans les cendres, puis les femmes
la pétrissent avec du beurre : c^est un mets excellent.
l6*^ JOUR.
Ils arrivent à Bou-Sa'da quinze jours après leur éva-
sion de Belâd-es'-S'ïouf ^.
Le pays, depuis S'îouf jusqu'à Bou-SaMa, dit M. Fabre,
est en général peu fertile ; il présente beaucoup de beaux
sites. On n y voit point la trace d'anciens établissements
fixes. 11 y a des parties montueuses, quoiqu'on ny ren-
contre pas de hautes montagnes. L'eau est presque par*
tout salée; mais les habitants connaissent les endroits
où se conserve l'eau des pluies, qui paraît être la seule
qu'ils boivent.
I^a popidation est faible, et l'on marche souvent
deux joiu^s sans trouver un douar. Cependant il y a
quelques plaines qui sont couvertes de tentes. On ne
remaixpie aucun terrain ensemencé , et les indigènes
vont faire leurs semailles à quelques journées de là,
au Nord, dans l'Atlas, attendu que plus on arrive vers
le Midi, plus le terrain parait aride. U est à croire que
plusieurs tribus se réunissent pour labourer, semer et
récolter en commun; car M. Fabre a vu, dans la suite
de son voyage, de vastes contrées, plaines ou mon-
^ C*cst, avec une légère altcralion, le mot leurfat,doni les Arabes
se servent pour désigner la trufle.
^ En comptant sans doute le jour de leur arrivée et celui de leur
départ ; de la sorte , ils ont été en elFet quinze jours en roule pour ar-
river à Bou-Sa\la, ainsi qu'il est dil plus haut.
DE T'AZA A TUNIS. 373
tagnes , couvertes de moissons , tandis qu il n'a jamais
trouvé de champs isolés.
Les Arabes de ce pays sont assez doux; mais ils
aiment beaucoup l'argent , surtout les jeunes gens, et,
parmi ceux-ci, les bergers. On ne remarque pas chez
eux Texistence d'un gouvernement, et l'influence des
marabouts paraît suppléer à cette lacune.
Ceci toutefois n'est vrai que pour l'administration
intérieure des tribus; car la puissance d'Âbd-el-K'âder
s'étendait alors jusque dans ces lieux , et se révélait de
temps à autre par la levée des impôts. Cette opération
fiscale s'accomplissait militairement, comme du temps
des Turcs. L'êmir choisissait , pour envoyer ses collec-
teurs armés, l'époque des moissons, où on trouve les
Arabes réunis et disposés à faire des sacrifices afin de
ne pas perdre le fruit de leurs travaux agricoles. Ce
pays garde encore le souvenir de la campagne de 1 887,
commencée derrière les montagnes qui sont au Sud de
Miliàna, et qui se termina vers Biskra.
D'après ce que M. Fabre put comprendre au récit
des indigènes, on exerça alors sur ceux-ci des traite-
ments fort barbares, et dont il leur est resté un amer
souvenir. En opposition à ce pouvoir extérieur, qui s'est
imposé par la force brutale, il existe une puissance
volontairement acceptée par les indigènes, et qui est
entre les mains d'un saint homme appelé chef des
marabouts ^ .
' La description que fait M. Fabre du pays situé entre Bou*Sa*da et
la mine de soufre est beaucoup trop vague pour qu*OB essaye de préciser
374 VOYAGE PAR TERRE.
Nos voyageurs étaient arrivés à Bou-Sa'da dans la
matinée du jour où ils avaient quitté le dernier douar.
Cette ville est un assemblage de maisons placées sans
ordre , au penchant d une petite colline , construites avec
des briques crues séchées au soleil, et cimentées avec
de la boue. Dans les environs, la vue est agréablement
attirée par Faspect des forêts de dattiers. Au bas de la
ville , il y a de beaux jardins , entourés de murs élevés
et fermant i clef; les arbres fruitiers, tels que figuiers,
abricotiers, jujubiers, grenadiers et vignes, y sont
nombreux ; mais ils sont plantés sans la moindre symé-
trie, et on ne les taille ni ne les émonde jamais, ce
qui leur donne Tapparence d^une épaisse broussaille;
il s y récolte aussi des poivrons, des fèves et des oignons.
Ces jardins sont arrosés par un très-fort ruisseau ; au
delà il y a encore des champs cultivés où Ton trouve
de Foi^e, de magnifique froment, mais ce terrain cul-
tivé ne s^êteud pas au delà d^une demi-lieue de la ville,
et seulement au Nord, au Sud et à FEst.
son ilîneraire. Cela serait d'ailleurs d*autant plus difficile , que les meil-
leures cartes et les plus récentes n'indiquent aucune route dans celte
direction , et ne désignent qu'une ou deux localités dans tout cet es-
pace. On ne peut que sup|x>ser, d'une manière générale , qu'il a marché
vers les sources du Chelif , entre le Djebel-R'eioul et le lac de Tit'eri ;
que , dans la «V journée , il se trouvait sur le bord du haut Chèlif , qu'il
a très-probablement traverse dans la 4* journée, lorsqu'il se décida à
prendre la direction de l'Est; que, dans la 7* journée, il était arrivé
au Djebel-Sah'ri , qui relie, du Nord au Sud, le Ouennour'a au Djebel-
'Amour; que, dans la 8* journée, il était vers l'endroit où les cartes
indiquent collines et saUneitieZagos;quï\ traversa enfin le grand contre-
fort oriental , ou I)jcl>el-Sah'ri.
DE T'AZA A TUNIS. 375
Bou-Sa'da est entouré de murailles et fermé de portes
qu'on ne garde pas plus la nuit que le jour; les clefs,
qui sont en bois, comme toutes celles des maisons de
la ville , se retirent le soir par les soins d'un homme
qui est chaîné de cette fonction. La popidation parait
être d'environ trois mille âmes. Les juifs y sont nom-
breux et fabriquent du vin ; maltraités par les Arabes ,
ils ne peuvent se maintenir que parce qu'ils sont placés
sous le patronage des grands de la ville, lesquels se
font un revenu de la protection qu'ils leur, accordent.
Le chef de Bou-Sa'da est électif. La ville paye tribut à
'Abd-el-K'âder, moyennant quoi celui-ci s'est engagé à
ne pas y entrer avec ses troupes.
*
SORTIE DE BOU-SA'DA.
l*' JOUR^
M. Fabre avait reçu l'hospitalité chez Sid-Ah'med,
marabout de ce pays. Malgré les bons traitements qu'il
en éprouve, il prend le parti de quitter la ville avec
ses compagnons. Ils s'échappent à la faveur de la nuit,
et s'avancent dans une vaste plaine de sable; celle-ci
suit de l'Est à l'Ouest une chaîne de montagnes élevées ,
qui se présentent au Sud comme une immense mu-
raille d'une hauteur démesurée ^.
* M. Fabre ne dit pas combien de temps il est resté k Bou-Sa*da.
' Le Djebel-Tell.
376 VOYAGE PAR TERRE,
2'' JOUR.
Vers l'heure de midi, ils arrivent dans un endroit
où la végétation est forte ; une herbe magnifique couvre
le sol, grâce au voisinage de la rivière ^ Un fort joli'
bois, tapissé d'un gazon fin, règne sur les bords de
celleK^i. Non loin de là, ils trouvent un emplacement
couvert de débris de briques et de poteries, et çà et
là, tout autour, de fortes pierres grossièrement tra-
vaillées. Sur im monticule qui paraît avoir été le centre
des constructions qui existaient jadis en ce lieu , on
voit encore un carré en maçonnerie , dans lequel est
une espèce de cave ^.
En combinant toujours leur direction (qui était
Ouest-Est ) , ils arrivent sur les bords d'ime vaste plaine
de 6el, qui s'étendait du Nord-Ouest au Sud-Est'. Ils
ne jugent pas d'abord devoir la traverser.
O*^ JOUR.
Le lendemain, ayant aperçu, de l'autre côté de la
' Ouad-el-Màlah\ un des affluents de rOuad-ech-Ch*air.
* Cette description paraît se rapporter à Tun de ces petits postes
romains, pourvus d*une citerne, comme il s*en trouve de tous côtés
dans la province de Constantine. C*est peut-être Tendroit désigné sur
les cartes sous le nom de Gali'ara , et où Shaw signale Texistence de
mines. (Tom. I, pag. 107.)
Le Chot , ou les anciennes Salinœ Nuhonenses.
DE T'AZA A TUNIS. 377
plaine de sel, deux k'oubba \ qui leur font supposer qu'il
y a des douars dans les environs, et ne voulant cepen-
dant pas trop s'écarter de leur direction , ils se décident
à traverser cette sebkha^. Après trois heures de marche
dans le sel et danâ la boue , dont ils avaient quelquefois
jusqu'aux genoux , ils arrivent à une plaine , où ils voient
des troupeaux. Les bei^ers qui gardaient ces troupeaux
mènent nos voyageurs à un douar, chez des marabouts
par lesquels ils sont bien accueillis. Ils restent trois
jours en cet endroit.
5* JOUR.
Le marabout qui leur a accordé l'hospitalité leur
donne ime garde pour les conduire chez un certain
Sid-Boucetta , autre marabout qui, sur la recomman-
dation de son confrère, devra lexu* fournir les moyens
d'aller à Biskra. Pendant leur séjour au douar de la
sebkha, ils se sont dits médecins, et ont eu à traiter
une grande quantité de rhumes, de teignes et de mi-
graines. Sur la fin du jour même de leur départ , ils
arrivent chez Sid-Boucetta ; il y trouvent une cinquan-
taine d'autres marabouts qui paraissent venus pour lui
faire hommage. Us restent trois jours dans ce douar.
' On appelle k'oubba Fespèce de chapelle dans laquelle un mara-
bout est enterré, ou seulement commémoré. Les Européens, en les
nonunant marabouts , ont fort improprement transporté à ces édifices
une désignation qui n'appartient qu'à ceux pour lesquels ils sont
construits.
' On a vu ce mot dans les voyages d'El-'Aiachi rt de Moula-Ah'med.
Il H
378 VOYAGE PAR TERRE,
6®, 7* JOUR.
On les conduit à iin endroit où on leur dit qu'il y
a une mine d'argent, dans FEst du village de Sid-Bou-
cetta, puis on les fait changer de direction pour les
mener manger du kouskouçou et des dattes dans un
douar. Ce mets s'appelle tVâm ^ dans ces cantons , et il
y entre beaucoup de viandes de mouton, animal qui,
dans ce pays, présente une singularité remarquable.
Sa queue plate , large au moins de deux pieds , recouvre
les deux quartiers de derrière, en manière de man-
teau ^.
Après avoir satisfait leur appétit au douar, ils tra-
versent les propriétés de Sid-Boucetta , lesquelles sont
ensemencées , puis on les conduit à un endroit où on
leur dit qu'on a trouvé du minerai d'argent ; mais ils
ne voient que la place. Us quittent Boucétta , malgré les
instances de celui-ci; ils reprennent leur route dans
l'Est. Le pays qu'ils viennent de quitter n'obéit pas à
'Abd-el-K'âder : là , et en continuant vers l'Est , on ne
connaît qu'Ah med-Bey.
' T'a*âm veut dire un mets en général; mais effectivement, dans le
K'ibla , il a la signification particulière de kouskouçou.
* Léon TAiricain , Tabbé Poiret et le docteur Shaw parlent de cette
espèce de mouton , qu'ils disent être particulière à la régence de Tunis.
Il parait, par le récit de M. Fabre, qu*il s*en trouve aussi dans le Sud-
Est de TAlgérie.
DE T'AZA A TUNIS. 379
8* JOUR.
En les adressant à un de ses amis, Sid-Ah'med (sur-
nommé El-K'obàïli , parce qu il protège les marchands
de cette nation), Sid-Boucetta leur défend d^entrer dans
les montagnes qu'ils ont sur la gauche , de peur des
Kl>aîl ; après quoi il les embrasse , leur souhaite bon
voyage , et fait des espèces d'exorcismes du côté où ils
vont.
Il était deux heures de l'après-midi lorsqu'ils quit-
tèrent Boucetta; ils arrivent bientôt à un ruisseau
bordé de laïuiers-roses et de buissons d'amandiers dont
le finit est amer. Us observent sur ces lieux des restes
d'oliviers, dont les troncs à demi pourris laissent ce-
pendant échapper quelques rejetons.
Non loin de là , ils aperçoivent sur leur gauche une
infinité de ruines : des tronçons de colonnes , quelques
colonnes entières encore debout, des débris de chapi-
teaux, des bassins en pierre, et des pierres taillées de
toutes dimensions et de tous genres ^
Ces restes sont entourés d'un mur d'enceinte quel-
quefois fort élevé au-dessus du sol, et dont l'immense
développement annonce qu'il enceignait une ville con-
sidérable. Au Sud-Ouest, vers un angle , on voit la base
d'un édifice ; au centre de l'enceinte , paraît être l'em-
placement d'une ancienne église ; à en juger par une
' La ville antique dont on va lire la description parait êtreTubuna,
actuellement Tobna.
380 VOYAGE PAR TERRE,
espèce de chœur qui subsiste encore, la voûte ou le
toit devait être supporté par des pierres carrées fort
longues , et qui sont encore debout sur deux rangs. Du
reste , sauf Tédifice placé au Sud-Ouest, les ruines n^an-
noncent pas T élégance des constructions qui les frappe
plus tard, dans d^autres cités antiques qu^ils trouvent
sur leur chemin.
Le sol où gisent ces débris parait ingrat; mais, un
peu plus loin , il y a im pays tout couvert de blé et
sans nul habitant. Cette singularité s'explique par les
remarques faites antérieurement.
^^ JOUR.
11 ne se présente à leur examen rien qui soit digne
d'être noté.
lO* JOUR.
Us arrivent dans un fort joli vallon , arrosé par un
ruisseau où ils puisent de Teau , après avoir mangé des
herbes qui croissent sur ses bords. Des honmies à che-
val arrivent sur eux à Timproviste , et les déshabillent
de la manière la plus singulière et la plus expéditive^
Il faut dire d'abord que M. Fabre et ses compagnons ,
' Celte partie du récit de M. Fabre m*avait d*abord paru quelque
peu suspecte, et je pensais qu*il n*avait pas résisté à la tentation d*user
du privilège accordé à tous ceux qui viennent de loin. Mais après avoir
pris des informations auprès des gens de Tintérieur, j*ai appris que
le genre de vol qu*il décrit, et qu*on peut appeler vol au galop, est
en effet pratiqué.
DE T'AZA A TUNIS. 381
dès leur arrivée à Médéa , avaient été habillés à Tarabe ;
il faut rappeler en outre que , par l'effet de la rapacité
de quelques bergers qu'ils avaient rencontrés , ce cos-
tume assez simple avait été encore plus simplifié ; de
sorte que , lorsque leur arriva l'aventure désagréable
qu'on va raconter, ils en étaient réduits, pour tout vê-
tement, à une g'andoura ou chemise longue, et à ime
mauvaise couverture dans laquelle ils se drapaient tant
bien que mal. Comme ils cherchaient à se dérober par
la iuite aux attaques des cavaliers, ceux-ci les attei-
gnirent facilement , et , les saisissant au col , ils les en-
levèrent de terre. Nos voyageurs tinrent bon pendant
quelque temps , serrant les bras contre le corps , comme
si une sorte d'instinct les eût avertis de la nécessité de
cette {»*écaution ; mais les voleiu's mirent leurs chevaux
au galop sans lâcher leur prise ; de sorte qu'après une
résistance plus ou moins prolongée, suivant la force
musculaire des individus , M. Fabre et ses compagnons
finirent par lever les bras en l'air. Les cavaliers conti-
nuant toujours de galoper, le résultat fut que les habits
leur restèrent entre les mains , tandis que les proprié-
taires de ceux-ci retombèrent sur le sol dans un état
de nudité tout à fait primitive. Leur malheiur faillit ne
point s'arrêter là; car les voleurs, revenus sur leurs
pas, menaçaient de les tuer; ce qui aiu*ait eu lieu,
sans l'intervention d'mi marabout k'baïl. Celui-ci les
conduisit chez le chef le plus voisin , lequel se trouve
être précisément Sid-Ah'med-el-K'baïli , auquel Sid-
Boucetta leur avait dit de s'adresser.
3H2 VOYAGE PAR TERRE
I I* ET 12* iOl%.
Ils restent deiut jours dans cet eii«lrort, et comme
ds s'étaient donnés pour médecins, ils sont oLii^es de
pa.sser leur temps à masser et a frictionner^ homme»,
enfants et même les femmes, pour le» douleurs aux-
quelles ces gens sont fort sujets. On manifeste beau-
coup d'ètonnement en les vovant faire des saignées par
piqiîres au bras; car dans ces contrées on ne connaît
pas d'autre méthode que d'inciser les jambes et la
tête avec un couteau.
Pendant leiu* séjour dans ce douar, on changea les
tentes de place, ce qui leur procura Foccasion de tra-
verser un magnifique pavs couvert de récoltes et arrosé
par une infinité de ruisseaux. Presque a chaque pas, ib
tron\cnl des restes d'édifices bâtis en superbes pierres
de taille. Quand on fut arrivé au lieu du nouveau cam-
pement, Sid-Ahmed, qui a\ait remarqué Fempresse-
ment curieitx avec lequel ils examinaient ces restes
antiques, les conduisit sur ime petite émînence qui
était couverte de débris de superbes constructions. Us
Y remarquèrent surtout im moniunent carré, construit
en belles et fortes pierres de taille et entouré, à ime
distance de trois pas, d'une enceinte ronde en pierres
aussi belles que les premières. Ces matériaux étaient
pour la plupart entassés confusément les uns sur les
autres; mais il restait assez de choses en place pour
' Colle méthode est généralement employée par les indigènes.
DE T'AZA A TLNIS. 383
deviner le tracé de Tédifice. En outre, on remarquait
dans ce lieu des colonnes, d'élégants chapiteaux, des
bassins bien taillés et des restes d'urnes.
1 3® JOUR.
Sid-Ah'med leur donna un guide pour aller à Em-
gaous\ où ils arrivèrent dans la matinée du jour du
départ. Ils sont parfaitement reçus par le chef des ma*
rabouts.
Emgaous ou, pour mieux dire, Megaous, esta quatre
ou cinq journées derrière Constantine. On y trouve
beaucoup d'antiquités, des restes d'édifices en belles
pierres de taille , où on voit encore des pierres bien con-
servées, mais à peu près remplies de terre. Les Arabes
ont établi des toits sur quelques-unes et les habitent.
En général, ils se contentent de placer leurs tentes
dans les vastes enceintes qui subsistent encore. A côté
de plusieurs ruines qui paraissent avoir été de belles
maisons 9 il y a de laides bassins d'arrosement dont on
ne sait plus se servir.
Il y a de beaux jardins à Megaous; celui du chef
des marabouts est planté de magnifiques arbres fini-
tiers, poiriers, abricotiers, etc. U y a auprès de la ville
* Il est probablement question ici de la ville de Nikous, dont les
Arabes prononcent le nom Megaous , qui se rapproche assez de la dé-
signation donnée par M. Fabre. L'auteur anonyme du traité de géo*
graphie, n* i46 du manuscrit de la bibliothèque d* Alger, place Me-
gaous à trois étapes de Msila , et à deux de Biskra.
384 VOYAGE PAR TERRE.
une plaine qiii est arrosée par un gros ruisseau, lequel
se subdivise en une multitude de branches ; il y a en
outre beaucoup de fontaines. M. Fabre y a vu de gros
mûriers dont le tronc était entièrement creux, et qui
cependant poussaient de vigoureuses branches.
Au milieu de la ville , on remarque ime enceinte dans
laquelle il y a trois rangs de colonnes , peu élevées au-
dessus du sol, sans doute à cause des décombres qui
sont amoncelés autour de la partie inférieure. A côté
sont des chapiteaux qui paraissent leur avoir appar-
tenu , et qui ont été scidptés avec goût dans une pierre
tendre. M. Fabre fut très-surpris , en les examinant,
d'y trouver une fort jolie croix, qu'il se garda bien de
faire remarquer aux Arabes, de peiu* qu'il leur prit
envie de détruire ce souvenir du christianisme africain.
Du côté du Nord, où devait être l'entrée de l'édifice
auquel appartenait cette colonnade, il y a une grande
pierre remplie par une longue inscription. Cet endroit
est le seul de la ville qui ne soit point habité.
Sid-Ah med leiur montra une pierre sculptée siu: la-
quelle était un honune de petite taille , à ventre rebondi,
ft la tète grosse^ et qui place sa main sur une grappe
de raisins K
CéO marabout leiu: dit qu'il ordonnerait que cette
piéride fût placée s\u* sa tombe. Il leur montra encore
* On rtHttiiniùl aisoment, dans la description de M. Fabre, une de
ers stt^lcs qui so rencontrent si fréquemment dans le pa^s. Le mara-
Inmt « qui voulait la placer sur son tombeau, ne se doutait pas que
r't^l.iil it^mlrt^ o^ \M^\\i monunioni t'uncraire à son ancienne destination.
C'fr:
nvv sV fixer.
DE T'AZA A TUNIS. 385
une autre pierre , qui est dans le mur d^enceinte , du
côté du Nord, à gauche des peupliers : on y voit une
inscription latine, surmontée dWe croix. Cette inscrip-
tion, qui parait récente, n'a pas été faite au ciseau.
M. Fabre termine sa description de Megaous en disant
que rien n'est plus riche en souvenirs que cette ville,
et que la nature du sol lui a fait regretter de ne pouvoir
Nos voyageurs partent pour aller chez un marabout ,
ami de Sid-Ah'med , lequel a son habitation à une jour-
née de là. A moins d'une lieue de Megaous, ils trouvent
la plus belle fontaine qu'ils aient encore vue. Celle-ci
forme , très-près de son origine , une petite rivière qui
va arroser xme plaine couverte alors de riches moissons.
Non loin de là sont de belles ruines. Us arrivent de
bonne heure chez le marabout, qu'ils trouvent occupé
à faire la moisson^ dans un endroit on ne peut plus
pittoresque. Une jolie et abondante fontaine, entre des
* M. Fabre n*indîque pas combien de jours il est resté à Megaous.
' M. Fabre, étant parti de Médéaii la fin de février, indique depuis
cette époque trente-six jours de marche ou de séjour; mais il ne dit
pas combien de temps il a passé à S'îouf , à Bou-Sa*da et à Megaous.
Pour que les orges ou blés soient bons à couper comme il Tindique,
même en tenant compte de la température plus élevée de ce pays , il
faut admettre qu*on est alors dans le courant de mai , et que , par
conséquent, il a dû passer près d'un mois dans les trois endroits ci-
dessus.
ÏU
386 VOYAGE PAR TERRE,
mains plus habiles et plus laborieuses, aurait pu facile-
ment servir à Tirrigation d'un charmant vallon , tapissé
d'une herbe magnifique.
Pendant qu'ils partagent avec le marabout un mo-
deste repas , composé de galettes cuites sous la cendre ,
de beiure et de lait, leur hôte leur fait comprendre
qu'ils ne doivent pas aller à Biskra , parce qu'ils trou-
veraient sur leur route des hommes méchants ^ U les
engage à aller chez Ah'med-Bey, qui est, dit-il, dans
une contrée située dans l'Est , à cinq ou six joiuiiées
de là.
l5® JOUR.
Us partent avec deux guides que le marabout leur
a donnés , suivent la direction du Nord-Est en longeant
le pied de la montagne, puis ils gagnent à l'Est un pays
de montées rapides et de profonds ravins ^. Ils trouvent
sur leur route plusieurs villages, et ils sont bien ac-
cueillis. Dans le dernier, on leur montre la trousse d'un
chirurgien français.
' Il leur aurait fallu passer dans les contrées peu habitées qui sé-
parent Megaous du Zibân, et traverser des populations qui ne se
piquent pas d*exercer Thospitalité.
* Il est probable qu*ils traversent le nœud des chaînes de mon-
tagnes qui séparent les plaines de Sétif , des *Abd-en-Nour et du Se-
bakh.
DE T'AZA A TUNIS. 387
16* JOUR.
Ils passent la journée dans cet endroit , et le soir ils
partent avec un marabout et ses quatre fils, qui les
accompagnent pendant plus de deux lieues, à cause de
quelques passages dangereux. Avant de les quitter, il
fait la prière , exorcise Tendroit par lequel ils s'en vont ,
puis les embrasse. Us marchent toute la nuit à travers
une grande plaine ^ et se trouvent bientôt sur une route
laidement frayée.
I 7* JOUR.
Au jour, ils s'arrêtent sur un coteau couvert de bois,
où ils passent la journée. Trois heures avant la nuit,
ils descendent dans une vaste plaine , où ils aperçoivent
une grande maison sans toit, puis, auprès, beaucoup
de ruines. Ils trouvent ensuite une ville antique dont
le mur d'enceinte, encore assez apparent, a dû enfer-
mer une cité aussi grande que la partie de Lyon com-
prise entre le Rhône et la Saône. On y remarque trois
portes ; ime au Sud et deux autres à l'Est. Celle du Sud ,
outre un grand passage au centre , en présente deux
petits latéralement. Elle est très-bien conservée et d'une
belle architecture.
Tout autour d'elles, la terre est semée de débris
qui témoignent, malgré leur état de détérioration, de
' Cest sans doute les plaines des *Abd-en-Nour.
388 VOYAGE PAR TERRE,
la magnificence des monuments dont ils sont les seuls
restes. Le tracé des rues est parfaitement visible, sur-
tout dans la rue principale , quoiqu'elle soit couverte
de gazon. Au delà de la grande porte du Sud , il y a
de vastes chambres voûtées, rangées sur ime même
ligne , et qui paraissent avoir été des citernes. U n y a
qu'une maison dans ces ruines , et les pans de murailles
sont encore debout ^
Dans cette enceinte antique , les Arabes avaient semé
du blé , et c'était un coup d'œil singulier que ces belles
moissons se balançant au milieu de ces ruines désertes.
A peine sortis de cette ville , et arrivés sur ime bau-
teiu'qui est située à l'Est, ils aperçoivent une quatrième
porte, presque aussi bien conservée que celle du Sud.
M. Fabre s'éloigne un instant des guides pour aller
passer dessous. Il se trouve bientôt au milieu de ruines
aussi belles que les précédentes, et rejoint ses compa-
gnons en suivant une voie romaine recouverte d'un joli
gazon.
Ils arrivent à une belle fontaine^, où ils trouvent
d'excellent cresson. Us continuent leur route en se
dirigeant vers le Sud, pour contourner les montagnes
et arriver à des habitations. Ils trouvent le chemin semé
de ruines ; mais ils ne rencontrent pas de douars.
* Cette description parait s'appliquer aux restes de Tantique Diana.
• *Aîn-Solt'ân.
DE T'AZA A TUNIS. 389
l8' JOUR.
Rien de remarquable.
19® JOUR.
Vers midi , après avoir traversé une rivière dont Teau
leur venait au-dessus des genoux , ils arrivent enfin à
un douar où ils sont bien accueillis Depuis trois jours
ils n^avaient mangé que quelques grains d^orge , du cres-
son et de la chicorée. Ils partent de ce douar sous Tes-
corte d^ Arabes d'une tribu voisine , et marchent toute la
nuit.
20* JOUR.
Ils arrivent de bonne heure dans une plaine , la plus
vaste et la plus unie qails eussent encore vue, à l'ex-
trémité de laquelle ils aperçoivent une grande quantité
de tentes. Ils n'y parviennent qu'à cinq heures du soir,
et après avoir traversé des prairies très-étendues , qu'on
irrigue au moyen des eaux d'une rivière. Ils restent
trois jours dans ce douar.
2 1*, 2 2^ 2 3* JOUR.
Ils y avaient vu un jeune Arabe qui avait été dans
les spahis , et qu'un officier français avait voulu emme-
390 VOYAGE PAR TERRE,
ner à Paris. Le matin du troisième jour de leur arrivée,
on leiu* annonce que le douar, qui fait partie d'une tribu
de quinze cents cavaliers, doit changer d'emplacement,
et qu'ils se disposent à partir.
Trois heiu'es après, ils arrivent à un autre village
où on les reçoit bien , parce qu'ils ont eu la précaution
de parler du bey Ah med. Les hommes montaient alors
à cheval; et, réunis à d'autres cavaliers venus de l'Est,
ils se disposaient à aller combattre ime tribu d'où les
Français sortaient. Ils reviennent, vers la nuit, avec
beaucoup de butin , tentes , grains , bestiaux , etc. Ces
gens sont des partisans du bey Ahmed, et ne vivent
que de rapines , sous prétexte que la guerre ne leur a
pas permis d'ensemencer la terre.
Ils partent le soir de ce jour, et se mettent en route
pour le camp ; ils traversent des pays constamment fer-
tiles en grains, dont on faisait alors la moisson; ils
rencontrent une grande quantité de ruines d'édifices,
dont quelques-uns s'élèvent encore beaucoup au-dessus
du sol.
a4^ 3 5% 26', 27', 28* JOUR ^
Après plusieurs jours de marche ( M. Fabre n'en
indique pas le nombre ) , ils arrivent au camp du bey
Ahmed.
' D'après la distance à parcourir pour arriver au Djebel-Senan , aux
environs duquel se tenait alors le bey, on peut supposer au moins
5 ou 6 journées de marche.
DE Ï'AZA A TUNIS. 391
On les conduisit devant le bey, dont ils trouvèrent .
le camp établi sur une jolie colline , très-près et au
milieu d'une multitude de douars. Sa magnifique tente,
entourée d'une enceinte d'étoffes comme d'un paravent,
était au centre du camp , et le pavillon où il donnait
audience se trouvait à une cinquantaine de pas en avant
de la tente. M. Fabre et ses compagnons furent admis
à lui baiser la main; il les accueillit avec bienveillance,
et parut satisfait de leur arrivée. Il leur fit dire qu'ils
seraient habillés à ses frais, aussitôt qu'il aiurait à sa
disposition les vêtements qu'il attendait. Il les envoya
ensuite à la tente des mamelouks , ordonnant qu'ils y
fussent nourris, comme eux, de ce qui proviendrait
de sa desserte.
Ils trouvèrent dans cette tente un Italien déserteur,
qui avait été sous-ofiicier dans la légion étrangère , en
1 833. C'était le gardien des coffres du bey, lequel l'ai-
mait beaucoup , et avait en lui la plus grande confiance ,
au point que , lors de la dernière expédition de Constan-
tine , il l'avait chargé du soin de transporter ses trésors
chez un marabout qui habite des montagnes situées der-
rière Constantine.
Cet Italien , qui se prit sur-le-champ d'affection pour
M. Fabre, et plus tard lui enseigna le moyen de s'é-
chapper, lui montra le mamelouk qui avait pointé la
pièce dont le boidet frappa le général Danrémont. Cet
homme, né chrétien, a été enlevé jeune à ses parents;
il a un physique agréable, mais il est vaniteux, comme
le sont tous les renégats, lesquels, du reste, détestent
392 VOYAGE PAR TERRE,
plus cordialement les chrétiens que ne le font les Arabes
eux-mêmes.
D'après les renseignements recueillis auprès du ma-
melouk par M. Fabre , il parait que le bey n'a pas de
pays où il établisse particulièrement sa résidence; il
va sans cesse d'un endroit à lautre avec son monde,
sans doute pour ne pas trop fouler les tribus qui l'hé-
bergent. 11 ne perçoit plus d'impôts; et cette année,
comme il n'avait semé nidle part, on lui apportait du
blé toute la journée , soit à titre d'offrande , soit à prix
d'argent. Ce n'est plus le pacha impérieux, cruel, avide
et despote de (]onstantine ; le malheur et la nécessité
en ont fait, d'après ce que rapporte M. Fabre, un chef
doux, inoffensif, qui pousse l'amoiu* de l'humanité jus-
qu'à défendre les r azïa , en quoi on ne lui obéit guère.
Il est d'une affabilité qui charme et étonne ceux qui l'ont
connu jadis dans des temps plus prospères.
Il est bien fait, d'une taille bien prise; sa figure est
imposante ; il a la barbe encore noire ; ses yeux , éga-
lement noirs, auxquels il cherche à donner une expres-
sion de bienveillance, inspirent cependant de la crainte
et ont quelque chose de dur. Quatre Européens, que
M. Fabre a connus chez ce bey, et qui étaient avec lui
depuis cinq ans , se sont accordés à dire qu'il a le carac-
tère généreux, mais qu'il se laisse trop influencer par
son entourage , qui abuse de sa facilité , ce qu'il recon-
naît lui-même.
Lorsqu'il reçoit dans son pavillon, ce qui a lieu de
huit heures du matin jusqu'au soir, il est toujours armé
DE T'AZA A TUNIS. 393
d'une paire de pistolets et porte un poignard à sa cein*
ture. Il est alors entouré de plusieurs chefs, tous armés
comme lui, et revêtus de beaux burnous rouges avec
des broderies d'or; leurs longs fusils sont derrière eux
et à leur portée. Ce pavillon, dont Tintérieur est garni
d'une tenture rose , et qui ressemble presque à une cha-
pelle dans un jour de fête , ces hommes , qu'on distin*
guait vaguement au milieu de l'épaisse fumée qui s'é-
chappait de leurs pipes, tout cela produisait un effet
pittoresque et assez imposant.
Lorsque M. Fabre arriva au camp du bey, celui-ci
venait de faire une tournée dans le Sud. Le déserteur
italien avait rapporté de ce pays une brassée de plumes
d'autruches. L'armée d'Ah'med ne se composait alors
que de cent réguliers , d'une quinzaine de mamelouks ,
et de deux ou trois mille Arabes , qui le suivaient avec
leurs familles et leurs troupeaux.
Il paraît que dès lors ces indigènes désiraient beau-
coup voir leurs anciennes relations avec Constantine
se rétablir. Le bey , pour levu* faire prendre patience ,
parlait tantôt d'une intervention du Grand Seigneur,
tantôt d'un arrangement avec la France. Il disait que,
moyennant le remboursement des frais de la seconde
expédition de Constantine , on lui rendrait cette ville ;
mais, comme rien ne paraissait devoir se réaliser, on
commençait à se décoiu'ager, et il y avait beaucoup de
déserteurs.
Le camp changeait fréquemment de place ; et comme
il s'avançait toujours vers l'Est, nos voyageurs le sui-
394 VOYAGE PAR TERRE.
valent volontiers , afin de se rapprocher de Tunis , but
vers lequel ils tendaient depuis longtemps. Enfin le
bey vint planter ses tentes dans un beau pays , où Ton
achevait alors de récolter de magnifiques moissons.
Dans les endroits non cultivés croissaient spontané-
ment des artichauts sauvages, aussi beaux que ceux
que nous obtenons à force de soins et de travail dans
nos jardins d'Europe. Il y avait beaucoup de ruines
antiques dans ce canton, et quelques-unes s'élevaient
encore au-dessus du sol. M. Fabre apprit que la ville
de Kef, la première du royaume de Tunis, n'était qu'à
vingt-quatre heures de marche de l'endroit où il se
trouvait. La route qui y conduisait passait devant le
camp, et on y voyait à chaque instant des caravanes
aller et venir. La tentation était trop forte, aussi y
succomba-t-il ; et, profitant des conseils du déserteur
itaUen , il parvint à s'évader avec quelques-uns de ses
camarades. Il y avait alors dix joiu*s qu'ils étaient dans
le camp d'Ah med-bey.
38 ET 39*^ JOUR.
M. Fabre, feignant d'aller cueillir des artichauts
sauvages , s'échappa avec deux de ses compagnons. Les
autres n'ont pas osé le suivre, de peur de la colère
d'Ah'med s'ils étaient rattrapés, et surtout par crainte
des lions, dont ils avaient entendu faire des récits ef-
frayants. Il était alors environ dix heures du matin.
Les fugitifs s'enfoncent d'abord dans le plus épais d'un
DE T'AZA A TUNIS. 395
fourré, pour ne pas être aperçus dans le cas où on fe-
rait des recherches. La nuit venue, ils s'efforcent de
gagner la route de Kef, et se jettent sur la gauche
autant que les difficultés du chemin le leur permet-
tent. Ce ne fut que la nuit suivante qu'ils purent s'o-
rienter un peu. Arrivés au bord d'une rivière , ils trou-
vent un chemin largement frayé, qui les conduit à
Kef en huit heures. La rivière* en question coule du
Nord au Sud. Au delà , un enfant , disent les Arabes ,
peut voyager sans crainte avec une coiuronne d'or sur
la tête et une chachïa garnie de sequins; il n'y a à
redouter que les lions, dont ils ont souvent entendu
les rugissements pendant la nuit.
Kef est une ancienne ville romaine bâtie au pen*
chant d'une colline, ayant devant elle, au Sud et à
rOuest, une plaine superbe. Elle a des remparts à l'eu-
ropéenne. Il s'y fait un très-^and conmierce, qui est
entre les mains des juifs. Ceux-ci se tiennent dans une
rue couverte , qui est très-fréquentée. La viDe , domi*
née par une forteresse , offre de remarquable , en fait
de restes antiques, une forteresse, un beau portail et
une voie romaine. Aux alentours sont de jolis jardins
et des bois d'oliviers. L'eau y est bonne et abondante.
Nos voyageurs sont souvent visités par des Maures,
qui parlent la langue franque ; et quelques juifs , qui
sont allés à Alger pour le commerce , leur font un bon
accueil.
' La Medjerda.
396 VOYAGE DE T'AZA A TUNIS.
4o* JOUR.
Le gouverneur propose à M. Fabre et à ses com-
pagnons de les garder avec lui, et, sur leur refus, il
les envoie à Tunis. Ils traversent, pour arriver à cette
dernière ville , un pays magnifique , où ils trouvent des
ponts, des restes d^aqueducs, des portions de voies ro-
maines , des édifices dont quelques-uns presque entiers,
des portes de villes , des espaces immenses couverts de
matériaux antiques, semés d^inscriptions latines. Mais
ce qui attira surtout leur attention , ce fut un magnifique
péristyle , dont les colonnes cannelées , encore surmon-
tées de leurs chapiteaux, s'élevaient au moins k six
mètres au-dessus du sol. Us virent ce beau monument
dans un village où était alors le consul de Suède.
La route de Kef à Tunis n était pas déserte conmie
celles qu'ils avaient parcourues jusqu'alors. On y voyait
de nombreux voyageurs marchant isolément, ou par
caravanes considérables. Celles-ci allaient généralement
vers Constantine , ou en revenaient chargées de mar-
chandises de toutes espèces.
Nous terminons ici l'analyse du récit de notre voya-
geur. Peu de temps après son arrivée à Tunis, il ob-
tint , par l'entremise du consul français , de revenir à
Alger.
FIN.
TABLE DES MATIÈRES
Pagw.
Introduction ui
Observations du traducteur sur les voyages d^Ei-*Aîachi et de Moula-
Ah'med xxix
Note sur les heures xlvii
Voyage d'El-'Aîachi 1
Avant-propos Ibid,
Récit du départ 5
Retour d'EKAîachi 114
Voyage de Moula-Ah'med 165
Départ 171
Retour 257
Itinéraires et renseignements fournis par Sid-Ab 'med-Oulid-bou-Meirag . 34 5
Route de T'aia à Bou-Sa*da 347
Route de Médéa au pays de Mzâb 350
Voyage par terre, de T'aza à Tunis, par M. Fabre 359
I