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Full text of "Exposition de la morale catholique : morale spéciale : conférences et petraite"

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JOHN  M.  KELLY  LIBDADY 


ÏN    riEHORY    OF 
CARDINAL    GEORGE    FLAHÏFF    CSB 
1905-1989 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


EXPOSITION 


MORALE  CATHOLIQUE 


MORALE    SPÉCIALE 
III 

L'ESPÉRANCE 


L'ESPfiRANCE.  —  1. 


CONFERENCES  DE  N.-D.  DE  PARIS 

EXPOSITION 

DE    LA 

MORALE  CATHOLIOUE 


MORALE    SPECULE 

III 

L'ESPÉRANCE 

CONFÉRENCES  ET  BE TRAITE 

CARÊME       1913 

Par  le  R.  P.  M.-A.  JANVIER 

Des  Frères  Prêcheurs. 


l'AKIS 
P.  LETHIELLKUX,  LI  HH  AI  KE-ÉDITEUR 

10.    RI'li:     CASSETTE,    10 


APPROBATION  DES  GEiNSEURS 

Nihil  obstat  : 

A.  ViLI.ARD.  J.    HURTAUD. 

Parisiis,  die  24  martii  1913. 

Imprimatur  : 

Ratm.  Boulanger, 
Parisiis,  die  24  martii  1913. 

Imprimatur  : 

f  Leo-Adolphus 

Gard.  Amette, 

Arch.  Paris. 

Parisiis,  die  10  aprilis  1913. 


LETTRE  DE  S.  E.  LE    CARDINAL  iMERRY   DEL    VAL, 
SECRÉTAIRE  D'ÉTAT  A  L'AUTEUR 


Segreteria  di  Stato  Dal  Vaticano. 

di  Sua  Santita.  13  uovembre  1913. 


Mon  RÉVÉREND  Père, 

Le  Souverain  Pontife,  se  réjouissant  des  succès  tou- 
jours croissants  de  votre  apostolat,  a  daigné  agréer  avec 
une  particulière  bienveillance  riiommage  du  volume  de  vos 
Conférences  du  Carême  de  1913,  consacré  à  la  vertu 
théologale  de  V Espérance . 

En  rappelant  si  opportunément  aux  générations  en- 
traînées par  la  fièvre  des  jouissances  immédiates,  que  Dieu 
seul  peut  donner  à  l'homme  la  béatitude  parfaite  par  le 
plein  rassasiement  de  son  intelligence  et  de  sa  volonté,  et 
nouvel  ouvrage  continuera  le  bien  déjà  réalisé  par  votre 
parole  et  orientera  les  aspirations  des  cimes  généreuses  vers 
les  biens  éternels. 

Le  Saint-Père  vous  félicite  de  vous  être  appuyé  sur  les 
lémuignages  les  plus  certains  de  la  Tradition  Catholique 
et  sur  l'enseignement  des  grands  Docteurs  scolastiques 
pour  venger  élo(iuemnient  la  vertu  de  l'Espérance  des 
accusations  contradictoires  accumulées  contre  elle  par  des 
esprits  égarés,  et  pour  établir  solidement  qu'elle  fait 
partie  essentielle  de  la  vie  militante  du  Chrétien  et  que^ 
loin  d  être  exclue  par  la  Charité^  elle  en  est  au  contraire, 
ici-bas,  la  préparation  et  le  soutien. 


G         LETTRE   I>E   S.   E.    LE   CARDINAL   SECRETAIRE   D  ÉTAT 

Sa  Sainteté  demande  au  Seigneur  de  vous  donner  la 
force  de  poursuivre  vaillamment  encore  un  si  fructueux 
ministère  et  Elle  vous  accorde  de  tout  cœur,  ainsi  qu'à  vos 
auditeurs,  la  Bénédiction  apostolique. 

Trè.'i  sensible,  en  ce  qui  me  concerne  personnellement,  à 
r hommage  que  vous  avez  bien  voulu  me  faire  du  même 
ouvrage,  je  vous  prie  d'agréer,  mon  Révérend  Père,  avec 
mes  remerciements,  l'assurance  de  mes  sentiments  bien 
dévoués  en  Noire-Seigneur. 


R.  Gard.  AIerry  dei,  Y4L. 


PREMIÈRE  CONFÉRENCE 


LES  PERSPECTIVES 
DE  L'ESPERANCE  CHRÉTIENNE 


SOxMMAIRE 


Nom  aimable  de  la  seconde  vertu  théologale.  Puissance 
des  espérances  issues  de  la  nalure.  Supériorité  de  l'espé- 
rance chrétienne  dont  la  noblesse  se  mesure  d'abord  à  la 
sublimité  des  perspectives  qu'elle  ouvre  au  cœur.  Comment 
l'homme  moderne  a  oftensé  cette  vertu,  p.  H-12. 

1 

1.  —  L'espérance  chrétienne  ouvre  à  l'individu  la  perspec- 
tive du  bonheur  absolu. 

a)  Simplicité,  perfection,  éternité  du  bien  qui  nous  est 
promis  et  qui  n'est  autre  que  Dieu  lui-même  vu.  possédé 
dans  son  essence,  p.  1214. 

b)  Insul'tisance  des  biens  créés  :  fortune,  sanlé,  plai- 
sir, etc  ,  p.  14-15. 

c)  Comment  Dieu  fera  cesser  notre  misère  et  répondra  à 
notre  passion  de  connaître,  d'aimer,  de  goûter  la  joie  iniiiiitv 
Comment  des  facultés  spirituelles  ce  bonheur  se  répandra 
dans  la  sensibilité  et  jusque  dans  les  éléments  matériels  de 
notre  être.  Comment  notre  bonheur  sera  définitivement  assuré 
et  pour([u«i  nous  n'avons  pas  à  craindre  dans  sa  possession  la 
monotonie,  p   15-19. 

2.  —  L  espérance  s'étend  au  delà  du  bonheur  persoiini>l. 
Sous  l'inlluence  de  la  charité,  elle  ouvre  une  seconde  pers- 
pective, celle  d'un  état  parfaitement  heureux  pour  la  société 
des  croyants. 

Tous  les  partis  rêvent  d'une  société  où  la  face  du  monde 
sera  renouvelée.  Le  Chrétien  attend  l'avènement  du  royaume 
de  Dieu.  Unité,  justice,  joie,  gloire  de  ce  royaume.  Hiérar- 
chie admirable  de  la  (ïité  céleste  où  à  des  degrés  divers  tous 
les  ('-lus  goûteront  h'  même  cssetilicl  bnnlicur,  |).  l'.t  21. 

3.  —  Troisième  perspective  de  1  Cspérance  chrélieime  :  la 
transformation  de  l'univers...  Soml)res  prévisions  du  pessi- 
misme par  rapport  à  l'avenir  de  la  Création.  Illusions  de 
l'optimlsnie.  l'romes-ses  du   Christianisme  :  pourtjuoi  il   cmi- 


10  l'espérance 

vient  que  toutes  les  créatures  (pii  ont  obéi  à  Dieu  et  servi 
riiommc  soient  associées  à  la  gloire  des  êtres  raisonnables. 
Images  (inc  les  artistes  chrétiens  nous  offrent  de  l'étal  du 
monde  après  sa  transfiguration  iinale,  p.  19-23. 

II 

i.  —  Grave  reproche  fait  à  l'espérance  chrétienne  qui 
place  le  bonheur  dans  l'avenir.  Cette  infirmité  est  commune 
à  toutes  les  espérances.  Mais  le  Chiisîianisme  place  le  bon- 
heur au  delà  du  tombeau,  et  nos  adversaires  accusent  notre 
doctrine  d'exploiter  la  crédulité  publique  et  de  promettre  aux 
générations  un  bonheur  lointain  pour  obtenir  qu'elles  renon- 
cent en  notre  faveur  aux  joies  présentes.  —  Réponse  à  cette 
accusation,  p.  23-215. 

2.  —  L'espérance  chrétienne  ne  se  désintéresse  pas  du 
présent. 

a)  Elle  nous  promet  la  grâce  qui  est,  dans  le  temps,  le 
moyen  d'arriver  à  la  gloire  de  l'éternité.  Bonheur  assuré  en 
cette  vie  à  lame  en  état  de  grâce,  p.  23-28. 

b)  Nous  espérons  la  grâce  pour  les  autres.  Bonheur  assuré 
à  la  société  qui  vit  sous  l'empire  de  la  grâce,  bien  social  par 
excellence.  Témoignage  de  l'aine  à  ce  sujet.  Ce  que  la  reli- 
gion chrétienne  fait  pour  la  prospérité  terrestre  des  peu- 
ples, p.  29-31. 

c)  L  esjjérance  vise  les  biens  temporels  dans  la  mesure  où 
ils  se  rapportent  aux  biens  éternels.  Comment  les  biens  tem- 
porels sont  parfois  nécessaires  à  l'iiomme  et  à  la  société 
pour  parvenir  à  la  béatitude  éternelle.  Immense  domaine  de 
l'espérance  chrétienne  qui  embrasse  dans  son  ambition  tiuis 
les  biens  véritables  du  temps  et  de  l'éternité,  p.  31-33. 

Obligation  de  ne  pas  rétrécir  les  cadres  grandioses  de 
l'espérance  chrétienne.  Le  fidèle  s'attache  avant  tout  à  la 
félicité  éternelle,  mais  il  ne  dédaigne  aucun  des  biens  qui 
peuvent  servir  à  sa  suprême  exaltation,  p.  33. 


PREMIÈRE  CONFÉRENCE 


LES  PERSPECTIVES 
DE  LESPÉRANCE  CHRÉTIENNE 


Éminentissime  Seigineur  (l), 
Messieurs, 

La  seconde  vertu  tliéologale  porte  un  des  noms 
les  plus  aimables  de  la  langue  humaine  :  elle  s'ap- 
pelle TEspérance.  Les  espérances  issues  de  la  nature 
sont  déjà  des  puissances  de  premier  ordre;  elles  sont 
le  stimulant  de  nos  entreprises,  le  soutien  de  nos 
efforts,  le  principe  de  notre  ténacité.  A  leurs  rayons 
naissent,  mûrissent,  se  dorent  tous  les  fruits  de 
notre  activité.  Où  elles  luisent,  l'âme  vibre,  le  cou- 
rage se  relève,  la  douleur  se  console;  où  elles 
brillent  avec  éclat,  le  labeur  devient  intense,  la  lulte 
intrépide,  la  constance  inlassable  ;  où  elles  pAlissent, 
le  mouvement  hésite,  se  traîne,  s'emlort;  où  elles 
s'éteignent,   l'élan    se    brise   et    lliomme    désarmé 

(1)  S.  E.  Mgr  le  cardinal  A  mette,  iircliev('t|iic  île  l'aris. 


12  l'espérance 

s'effondre  dans  l'inertie. Leur  valeur  dépend  d'abord 
de  la  noblesse  des  biens  qu'elles  poursuivent.  Par- 
lois,  elles  nous  emportent  très  haut  et  très  loin  dans 
la  sphère  de  l'idéal,  parfois  aussi  elles  se  déshonorent 
dans  la  recherche  d'un  but  vulgaire,  indigne  ou 
même  abject.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'espérance  chré- 
tienne s'élève  infiniment  au-dessus  des  sentiments 
dont  je  viens  de  parler.  Elle  les  dépasse  autant  que 
les  choses  divines  dépassent  les  choses  humaines. 
Elle  doit  sa  première  supériorité  aux  perspectives 
quelle  ouvre  au  cœur.  Quelles  sont  ces  perspec- 
tives? En  d'autres  termes,  jusqu'oîi  s'étendent  les 
ambitions  légitimes  et  sacrées  de  l'espérance  chré- 
tienne? Voilà  le  problème  qu'il  faut  résoudre 
aujourd'hui. 

L'espérance  est  une  des  vertus  que  l'homme  mo- 
derne a  le  plus  offensées.  Trop  souvent  elle  a  sombré 
dans  le  noir  pessimisme,  dans  la  mélancolie  mala- 
dive, sensuelle,  où  philosophes  et  poètes,  artistes  et 
savants  ont  puisé  leurs  malfaisantes  inspirations. 
Puissiez-vous  au  terme  de  celte  station  sentir  vivre 
intégralement  et  joyeusement  en  vos  consciences  la 
faculté  qui,  après  la  foi  et  la  charité,  est  le  meil- 
leur ressort  de  l'organisme  surnaturel. 

I 

L'espérance  chrétienne  regarde  avant  tout  l'éter- 
nité; les  principales  perspectivesou  vertes  par  ellesont: 
la  perspective  du  bonheur  absolu  pour  l'individu,  la 


PREMIÈRE    CONFÉRENCE  13 

perspective  d'un  état  parfait  pour  la  société  des 
croyants,  la  perspective  d'une  transformation  glo- 
rieuse pour  l'univers. 

Nous  sommes  sûrs  par  la  raison  et  par  la  foi  de 
l'immortalité  personnelle  et  consciente.  A  cette  im- 
mortalité l'espérance  promet  la  béatitude,  je  veux 
dire  le  bien  qui  condense  dans  sa  simplicité 
tout  ce  que  le  monde  renferme  à  l'état  dis- 
persé d'être,  de  vie,  de  vérité,  de  douceur,  d'éclat, 
de  beauté,  tout  ce  que  la  création  offre  de  désirable, 
tout  ce  qui  est  susceptible  à  quelque  degré  de  ravir 
l'esprit,  d'émouvoir  le  cœur,  denchanler  l'ima- 
gination et  la  sensibilité,  de  renouveler  la  matière 
même;  le  bien  qui,  unissant  en  lui  les  délices  répan- 
dues dans  les  innombrables  substances  distinctes 
de  la  sienne,  possède  en  outre  une  perfection  propre, 
n'appartenant  qu'à  lui  et  dont  l'univers  fini  ne 
porte  ni  l'image,  ni  la  trace;  le  bien  impérissable, 
défendu  par  sa  nature  contre  la  décrépitude,  contre 
les  coups  et  les  mutilations,  le  bien  éternel  qui, 
étranger  aux  évolutions, aux  cbangements,  a  toujours 
été  et  sera  toujours  ce  qu'il  est  ;  le  bien  auquel  rien 
ne  manque;  le  bicu  que  nos  idiomes  essaient  de 
qualifier  en  lui  appliquant  les  luots  les  plus  forts,  les 
plus  significatifs,  eu  donnnnt  h  ces  mots  un  sens 
démesuré,  transcendant,  sans  réussir  à  exprimer  ce 
qu'il  est,  sinon  par  uue  analogie  inliruie  et  lointaine. 
Dieu,  considérécommele  souveraiu  bienderhomuie. 


14  I.'ESPE  RANGE 

tel  est  rineiïable  objet  vers  lequel  s'envole  l'espoir 
chrétien  et  dont  nous  escomptons  pour  chacun  de 
nous  la  possession. 

Oui,  Messieurs,  l'individu  dominé  par  la  seconde 
vertu  théologale  espère  atteindre  Dieu  lui-même, 
l'atteindre  non  plus  dans  les  œuvres  sorties  de  ses 
mains,  non  plus  à  travers  les  énigmes  et  les  sym- 
boles de  la  Révélation,  non  plus  par  l'intermédiaire 
des  formules  mystérieuses  du  dogme,  mais  directe- 
ment, immédiatement,  dans  son  essence.  11  espère 
le  voir  face  à  face,  à  découvert,  pénétrer  par  la 
pointe  de  son  esprit  dans  les  profondeurs  de  la 
Réalité  infinie,  être  lumineusement  initié  au  secret 
intime  de  son  être,  assister  au  spectacle  de  son  acti- 
vité immanente,  contempler  Fintarissable  fécondité 
d'où  naît  le  Verbe,  d'oii  procède  l'Amour,  partager 
au  grand  jour  la  vie,  la  gloire,  la  joie  de  l'auguste 
et  adorable  Trinité.  Il  espère  trouver  dans  cette  pos- 
session l'apaisement  de  tous  ses  désirs,  des  plus 
impérieux  comme  des  plus  discrets,  de  ceux  qui 
surgissent  de  la  saine  nature  comme  de  ceux  qui 
émanent  du  baptême  et  de  la  grâce  céleste. 

Les  biens  finis,  qui  sont  à  votre  portée,  ne  se  don- 
neront jamais  tous  ensemble  à  vous;  vous  jouirez 
moins  de  la  présence  de  l'un,  que  vous  ne  soulTrirez 
de  l'absence  de  l'autre,  et  quand  vous  aurez  acquis 
celui  qui  vous  manque,  un  troisième  se  dérobera 
dont  vous  ne  pourrez  vous  passer  sans  douleur. 
Vou»  H^n  pauvres,  vous  vous  imaginez  que  la  for- 


PREMIÈRE   CONFÉRENCE  13 

tune  vous  rendrait  heureux.  Erreur!  Vous  voilà 
riches,  la  santé  vous  fait  défaut.  L'avez-vous  re- 
couvrée ?  Vous  soupirez  après  le  plaisir.  Le  plaisir 
accourt  et  vous  enivre,  mais  le  pouvoir  vous  fuit,  la 
gloire  vous  ignore,  vous  n'êtes  pas  contents.  Un  désir 
satisfait  en  éveille  un  autre  qui  perpétue  votre 
inquiétude  et  vous  laisse  aussi  altérés  que  devant. 
Supposez  que  la  création  se  livre  à  vous  sans  réserve, 
que  vous  puissiez  la  presser  comme  un  fruit  et  en 
extraire  jusqu'à  la  dernière  goutte  la  suavité  qu'elle 
récèle  en  son  sein,  vous  seriez  encore  inassouvis. 
L'ennui,  le  dégoût  vous  envahiraient  bientôt,  vous 
continueriez  à  vous  plaindre.  L'âme  humaine  est 
plus  grande  que  le  monde  :  dès  qu'un  objet  est  limité, 
il  est  impuissant  à  la  remplir  jusqu'au  bord. 

Si  mon  cœur  fatigué  du  rêve  quirobsède 

A  la  réalité  revient  pour  s'assouvir, 

Au  fond  des  vains  plaisirs  que  j'appelle  à  mon  aide', 

Je  trouve  un  tel  dégoût  que  je  me  sens  mourir. 

Une  immense  espérance  a  traversé  la  terre. 
Malgré  nous  vers  le  ciel  il  faut  lever  les  yeux. 

Nous  espérons  par  la  possession  de  Dieu  voir  cet 
abîme  se  combler  et  cesser  cette  misère.  Tous  les 
désirs  du  chrétien  seront  satisfaits  et  débordés  pai 
la  surabondance  des  biens  qui  lui  seront  prodigués. 
La  passion  de  connaître  nous  inquiète,  une  vérité  plus 
vaste  que  notre  intelligence  abreuvera  notre  pensée 
de  ses  ondes  lumineuses;  le  besoin  d'aimer  sans 
réserve,  sans  crainte,  sans   remords,  sans   mesure, 


16  l'espérance 

nous  tourmente,  notre  cœur  pourtant  agrandi  se 
perdra  dans  le  sein  de  la  souveraine  beauté;  nous 
soupirons  après  la  joie  infinie,  notre  être  trop  petit 
pour  contenir  celle  qui  nous  est  prépare'e  s'y  plon- 
gera tout  entier. 

L'àme  et  ses  spirituelles  facultés  puiseront  direc- 
tement en  Dieu  leur  bonheur  (1).  Mais  pareilles  aux 
grands  fleuves  dont  les  eaux  surabondantes  fran- 
chissent les  rives  pour  inonder  les  campagnes  et 
les  féconder,  elles  verseront  le  trop  plein  de  leur 
félicité  dans  la  sensibilité, qui  totalement  renouvelée 
supportera  sans  faiblir  des  spectacles,  des  harmonies, 
des  émotions  dont  je  ne  saurais  vous  peindre  la  vertu 
enchanteresse.  Le  torrent  de  la  béatitude  descendra 
des  sommets  de  l'âme  jusqu'au  corps  qui  complète- 
ment transfiguré  ne  connaîtra  plus  les  infirmités, 
les  frissons  douloureux,  les  tortures,  les  agonies 
dont  il  souftre  tant  sur  la  terre.  Ressuscité,  glorifié, 
imprégné  de  qualités  surnaturelles  et  comme  spiri- 
tualisé,  il  vivia  nulant  qu'il  est  capable  de  vivre,  il 
partagera  la  perfection  et  le  triomphe  de  la  person- 
nalité dont  il  aura  été  le  compagnon  et  l'instrument. 

Nous  n'atteindrons  pas  Dieu  en  passant,  nous 
entrerons  en  lui  comme  dans  une  terre  définitive- 
ment conquise  :  il  nous  appartiendra  pour  toujours 
sans  que  nous  ayons  à  craindre  de  le  perdre.  Sur  la 
terre  nous  tremblons  continuellement  pour  nos  demi- 

(I,;  App,,  11"  1,  p.  299. 


PREMIERE    CONFERENCE  17 

bonheurs.  Les  re'alitcs  qui  nous  charment  sont  fra- 
giles, un  rien  suffit  à  les  briser  :  un  orage  anéantit 
la  moisson  du  laboureur,  une  crise  économique  fait 
sombrer  la  fortune  gagnée  aux  prix  de  longs  efforts, 
un  accident,  un  peu  de  froid  détruisent  une  santé 
réputée  inébranlable.  Quand  les  biens  tout  relatifs 
où  nous  nous  absorbons  ne  périssent  pas,  ils  s'arra- 
chent à  notre  étreinte  et  nous  fuient:  un  caprice  de 
la  multitude  nous  confère  le  pouvoir,  un  autre 
caprice  nous  l'enlève,  les  amis  se  reprennent  comme 
ils  s'étaient  donnés.  Et  si  le  bonheur  ne  nous  manque 
pas,  c'est  nous  qui  manquons  au  bonheur  :  le 
spectre  de  la  mort  nous  menace  perpétuellement 
et  finit  par  nous  ravir  aux  choses,  aux  personnes 
qui  nous  rendaient  heureux  à  quelque  degré. 

Rien  de  pareil  à  redouter  dans  le  ciel  ouvert  à 
notre  espoir.  L'Etre  qui  nous  conférera  la  vie  pleine 
ne  périt  pas,  ne  vieillit  pas.  La  mort  vaincue,  désar- 
mée, détruite  ne  pourra  pas  frapper  les  élus  de  s(»s 
coups  violents  ou  sournois.  Ue  [)lus,  le  lieu  qui 
nous  unira  au  Créateur  sera  indissoluble,  toutes  les 
puissances  qui  voudraient  nous  séparer  de  lui  se 
heurteront  en  vain  aux  portes  de  la  Jérusalem 
nouvelle,  et  d'autre  part  ni  Dieu  ne  se  retirera 
de  l'homme  qu'il  aura  couronné,  ni  l'homme  ne  vou- 
dra rompre  avec  Dieu  :  liés  l'un  à  l'autre  ils  seront 
associés  pour  les  siècles  des  siècles. 

Peut-être  ce  bonheur  vous  paraîtra-t-il  monotone, 
peut-être  avcz-vous  peur  de  vous  en  lasser,  d'y  rcn- 
l'espéranck    —  2. 


18  l'esi'Euaxce 

contrer  l'ennui? Bannissez  cette  crainte.  Si  les  satis- 
factions du  présent  engendrent  vite  la  fatigue  ou  le 
dégoût^  c'est  que  les  unes  nobles  par  elles-mêmes 
nous  imposent  des  efforts  qui  nous  rebutent  et  nous 
épuisent,  c'est  que  les  autres  sont  trop  basses  pour 
nous  contenter  longtemps.  On  renonce  aux  premières 
parce  qu'elles  s'achètent  au  prix  de  trop  durs  sacri- 
fices, aux  dernières  parce  que  se  reprenanton  cesse  de 
les  désirer.  Dans  l'autre  monde  les  puissances  régéné- 
rées, nourries  par  Dieu  s'exercent  sans  peine  et  attei- 
gnentfacileme.nt,joyeusementleurobjet.  Cet  objet  est 
tellement  parfait,  l'on  y  puise  tant  de  délices  que 
l'âme  en  est  enivrée  sans  jamais  connaître  la  satiété. 
Que  nous  sommes  loin.  Messieurs,  du  système  impla- 
cable emprunté  par  plusieurs  de  nos  contemporains 
à  Epicure,  à  Lucrèce,  aux  philosophes  primitifs  et 
embarrassés  de  la  Grèce,  système  qui  refuse  à  l'indi- 
vidu le  bonheur  personnel  !  On  y  dit  bien  que  l'homme 
vertueux  sera  immortel,  mais  cette  survivance  n'est 
rien  qu'un  simulacre  d'immortalité,  car  elle  appar- 
tient aux  œuvres  du  génie,  de  la  bonté,  et  non  à  leur 
auteur  qui  reste  sujet  à  «  la  caducité  universelle  », 
emporté  vers  le  gouffre  où  tout  se  dissout,  frustré, 
en  définitive  et  pour  parler  clair,  de  la  béatitude 
consciente  dont  il  ressent  un  si  impatient  désir  (1). 

(1)  «  Los  œuvres  do  l'homme  do  génio  et  do  l'homme  de  bien  échap- 
pent seules  ainsi  à  la  caducité  universelle,  car  soûles  elles  comptent 
dans  la  somme  des  choses  acquises  et  leurs  fruits  vont  grandissant, 
même  quand  l'humanité  ingrate  les  oublie.  »  Renan.  Livre  de  Job,  p.  xci. 
Cf.  Append  ,  n.  2,  p.  300. 


PREMIÈRE  CONFÉRENCE  19 

L'espérance  s'étend  au  delà  du  bonheur  personnel, 
elle  ouvre  une  seconde  perspective,  celle  dun  état 
parfait  et  totalement  heureux  pour  la  société  des 
croyants.  Par  nature  elle  ne  s'attache  qu'au  bien 
propre  de  l'individu,  mais  sous  l'influence  de  l'amour 
qui  nous  lie  à  nos  semblables  et  nous  fait  leur  vou- 
loir les  avantages  que  nous  nous  voulons  à  nous- 
même,  elle  élargit  ses  cadres,  ses  horizons  et  elle 
s'intéresse  au  sort  futur  de  tous  les  hommes  (1).  Le 
chrétien  attend  pour  ses  frères  la  félicité  qu'il 
demande  pour  lui,  il  salue  d'avance  l'Etat  idéal  où 
Dieu,  assez  riche  pour  se  communiquer  à  la  foule 
innombrable  des  saints,  sera  devenu  le  spectacle 
et  l'aliment  de  tous  en  se  donnant  cependant 
complètement  à  chacun  et  comme  s'il  ne  se 
donnait  qu'à  lui  seul.  Les  partis  humains  rêvent 
un  changement  qui  renouvellera  la  face  du  monde, 
annoncent  le  triomphe  d'un  progrès  où  les  plus 
déshérités  trouveront  le  bien-être  qu'ils  réclament. 
A  les  entendre,  la  lutte  des  classes  et  des  fac- 
tions, les  découvertes  des  savants  et  le  labeur  des 
ouvriers,  les  bouleversements  politiques  et  les 
efforts  industriels,  les  revendications  irritées  des 
uns  et  les  concessions  arrachées  aux  autres,  les  dis- 
cussions pacihques  et  les  révolutions  sanglantes 
préparent  cet  Tige  d'or.  C'est  avec  cette  espérance 
que  l'on  essaie  de  tenir  les  malheureux  en  halciae, 
de  soutenir  leur  courage,   de  modérer  leur  impa- 

(1)  Apjjend.,  n.  :?,  y    300. 


20  l'espérance 

lience,  de  calmer  leur  colère.  Nous  aussi,  nous  ap- 
pelons de  nos  vœux  et  nous  attendons  le  jour  où 
un  peuple  venu  de  tous  les  points  se  réunira  pour 
former  une  communauté  parfaite.  La  religion  nous 
permet  et  nous  ordonne  de  lever  des  yeux  chargés 
d'espoir  vers  cette  Jérusalem  dont  tous  les  citoyens 
seront  rassasiés  de  joie  et  de  gloire.  Sous  ses  aus- 
pices, nous  appelons  l'avènement  du  royaume  de 
Dieu.  Le  royaume  de  Dieu  parvenu  à  son  apogée, 
c'est  la  victoire  de  l'unité,  qui  met  fin  aux  divisions 
et  aux  déchirements  dont  nous  souffrons  dans  le 
temps;  de  la  justice  qui,  distribuant  la  récompense 
selon  les  mérites^  établira  un  ordre  respecté  et  une 
hiérarchie  immuable;  de  lafraternité,  qui  fera  com- 
munier les  âmes  aux  mêmes  visions,  au  même 
amour,  aux  mêmes  extases.  Là,  nulle  voix  discor- 
dante ne  viendra  troubler  l'harmonie  des  choses, 
nulle  plainte  n'attristera  les  oreilles  de  la  multitude 
bienheureuse.  Chaque  pierre  vivante  sera  contente 
de  la  place  que  l'artiste  suprême  lui  aura  assignée; 
d'une  extrémité  à  l'autre  de  l'immense  sanctuaire 
on  ne  respirera  que  l'air  embaumé  de  la  paix  et  de 
la  félicité.  Au  sommet,  Dieu  dans  la  jouissance  in- 
finie que  seul  il  épuise,  près  de  lui,  le  Christ  égal 
au  Père  par  sa  Personne,  et  dominant  par  la  gloire  de 
son  humanité  l'armée  des  élus, au-dessous, la  Vierge 
avec  tous  les  privilèges  attachés  à  sa  vertu  et  à  sa 
dignité  de  mère  du  Verbe  incarné,  puis  sur  plus  de 
mille   degrés,  comme  dit   Dante,   les  anges  et  les 


PREMIÈRE    CONFÉRENCE  21 

saints  recevant  une  dose  de  lumière,  de  béatitude 
proportionnée  à  leur  grandeur  et  tous  satisfaits  : 
telle   est  la  seconde  perspective  de  l'espérance. 

Voici  la  troisième.  Le  pessimisme  prédit  que 
l'univers  se  hâte  vers  une  catastrophe  finale  où  il 
perdra  son  éclat  et  sa  beauté.  Notre  espérance  se 
cabre  contre  cette  sombre  doctrine.  Elle  compte 
que  les  mondes  ne  seront  ni  détruits, ni  abandonnés 
au  hasard  des  forces  contraires  qui,  se  combattant 
les  unes  les  autres,  plongeraient  les  éléments  dans 
une  lutte  sans  issue,  dans  un  chaos  ténébreux,  dans 
une  anarchie  irrémédiable.  Elle  compte  que  Dieu 
conservera  son  œuvre  et  saura  la  défendre  viclo- 
rieusement  contre  les  puissances  acharnées  à  sa 
ruine.  L'optimisme  aime  à  répéter  qu'à  la  suite 
de  changements  sans  nombre  la  création  s'épurera 
progressivement,  éliminera  les  principes  de  corrup-^ 
tion  et  finira  par  se  condenser  dans  un  élément 
d'une  activité  intense,  d'une  subtilité  sans  égale, 
dune  transparence  prodigieuse.  «  La  marche  du 
monde,  dit  Renan,  est  enveloppée  de  ténèbres,  mais 
il  va  vers  Dieu  (1).  » 

Nous  espérons  quelque  chose  de  pareil.  Nous  pen- 
sons qu'au  terme  des  siècles  la  nature  j)énétrée 
soudain  d'une  vertu  divine  changera  de  physionomie, 
que  les  êtres  (|ui  la  composent,  sans  sortir  de  leur 

(1)  Livre  de  Jub,  >c.   (,'f.  n.  i,  y.    301. 


22  l'espérance 

nspèce,  s'affranchironl  des  lois  de  la  corruption  et 
après  une  crise  suprême  passeront  des  épreuves  du 
temps  à  la  gloire  de  l'éternité.  D'un  côté,  en  effet, 
les  créatures  ont  parcouru  leur  carrière,  accompli 
la  volonté  de  leur  Maître,  servi  les  desseins  de 
l'homme.  Par  là,  elles  ont  mérité  en  quelque  sorte 
une  récompense  et  se  sont  montrées  dignes,  si  je 
puis  ainsi  parler,  de  partager  autant  qu'elles  en 
sont  susceptibles  la  destinée  de  nos  corps,  de  jouir 
à  leur  manière  du  repos  et  de  la  béatitude  éter- 
nels après  a\oir  souffert  des  travaux  comparés 
par  saint  Paul  aux  douleurs  de  l'enfantement. 
D'un  autre  côté,  l'homme  aime  ces  créatures  infé- 
rieures dont  il  a  usé  pour  connaître  le  vrai  et  pour 
faire  le  bien.  Quelque  chose,  semble-t-il,  manque- 
rait à  notre  bonheur  si  elles  n'étaient  associées  à 
notre  triomphe,  si  les  yeux  de  notre  chair  incapa- 
bles d'apercevoir  en  elle-même  l'essence  divine  ne 
pouvaient  à  leur  façon  en  contempler  un  plus  vif 
rayonnement  dans  la  nouvelle  terre  et  dans  les 
nouveaux  cieux  comme  ils  contempleront  l'effusion 
lumineuse  des  âmes  sur  les  corps  ressuscites  et  la 
beauté  incomparable  du  Verbe  sur  la  face  resplen- 
dissante du  Christ  triomphant.  C'est  pourquoi  nous 
espérons  que,  de  même  qu'après  la  mort  l'homme 
se  retrouvera  plus  vivant  dans  le  repos  et  dans 
la  gloire,  de  même  l'univers  arrivé  au  terme  de  sa 
course  ne  s'effondrera  un  instant  que  pour  se  re- 
dresser dans   une  jeunesse   et   dans  une  fraîcheur 


PREMIÈRE    CONFÉRENCE  23 

liors  de  l'atteinte  de  toutes  les  vicissitudes,  x^ngelico 
et  ses  émules  n'ont  pas  oublié  cette  perspective  de 
notre  espérance  quand  ils  ont  représenté  le  séjour  des 
Bienheureux.  Ils  ont  dessiné  des  collines  apaisées, 
abritées  contre  les  oraRos,  des  fleuves  aux  eaux 
étincelantes,  des  firmaments  dont  aucun  nuage 
ne  vient  voiler  l'azur,  des  arbres  couverts  de 
feuilles,  de  fleurs,  de  fruits  incorruptibles,  ils 
ont  placé  les  élus  dans  dos  paradis  dont  Dieu 
est  le  flambeau  et  oii  la  nature  transfigurée  a  ré- 
pandu des  beautés  et  des  charmes  inconnus  du  pré- 
sent. C'est  une  imagé  du  monde  après  sa  rénova- 
tion finale. 


Ji 


On  fait  à  l'espérance  chrétienne  un  grave  re- 
proche :  on  lui  en  veut  de  placer  le  bonheur  dans 
l'avenir.  Cette  infirmité.  Messieurs,  est  commune  à 
toutes  les  espérances  :  toutes  visent  un  bien  futur, 
toutes  précèdent  la  possession,  toutes  meurent  dès 
que  la  possession  commence.  En  ce  qui  concerne  la 
consommation  de  la  béatitude,  aucune  école  reli- 
gieuse, philosophique,  sociale  ne  l'assure  dans  le 
présent  :  les  plus  audacieux,  les  plus  afiirmatifs  ne 
promettent  que  pour  le  lendemain  ralTranchissc- 
ment  et  la  félicité.  Encore  faut-il  ajouter  qu'aux 
yeux  de  beaucoup  de  ces  prophètes  l'homme  n'urri- 


24  l'espérance 

vera  jamais  qu'à  un  état  précaire  destiné  à  en  pré 
parer  un  meilleur,  et  ainsi  à  l'infini. 

Mais,  nous  dit-on,  vous  reculez  au  delà  du  tom- 
beau l'avènement  du  royaume  dont  vous  vous  plai- 
sez à  célébrer  la  magnificence  :  avant  d'y  entrer 
il  faut  passer  par  les  transes  de  l'agonie,  par  les 
étreintes  de  la  mort.  C'est  un  procédé  habile  dont 
vous  usez  pour  obtenir  que  la  foule  renonce  en 
votre  faveur  aux  satisfactions  immédiates,  pal- 
pables que  le  temps  nous  présente.  Vous  com- 
mencez par  nous  ravir  les  biens  positifs  mis  dès 
maintenant  à  notre  disposition,  et  vous  essayez  de 
nous  en  faire  accepter  le  sacrifice  en  orientant  nos 
désirs  versun  paradis  lointain  qui,  dans  votre  doc- 
trine, doit  être  le  seul  objet  de  notre  ambition. 
Nous  ne  serons  pas  dupes  d'une  pareille  ruse  : 
vous  voulez  exploiter  la  mort,  spéculer  sur  l'éter- 
nité, trafiquer  du  salut,  vous  n'y  réussirez  plus, 
c'est  de  la  terre  qu'il  faut  s'emparer,  c'est^  d  elle 
•lu'il  faut  exiger  la  justice  absolue,  la  science, 
l'amour,  le  bonheur. 

Il  y  a  longtemps.  Messieurs,  que  l'on  accuse  les 
Clirétiens  de  prêcher  aux  âmes  crédules  le  mépris 
du  siècle  et  la  confiance  aveugle  dans  les  récom- 
penses de  Taufre  vie.  Les  païens  ne  pardonnaient 
pas  aux  premiers  apôtres  de  préférer  le  ciel  à  Rome, 
cette  patrie  universelle  où  les  peuples  cherchaient 
leur  gloire,  leur  force,  leur  orgueil.  Aujourd'hui  les 
ennemis  de  llîlvangile  et  de  l'espoir  qu  il  impose 


PREMIERE    CONFERENCE  25 

nous  jettent  à  la  face,  sous  d'autres  formes,  la 
même  accusation.  En  leur  répondant,  je  complé- 
terai l'enseignement  que  je  viens  de  vous  donner. 

Premièrement,  l'Eglise,  je  me  hâte  de  le  concé- 
der, nous  répète  qu'il  serait  vain  et  insensé  de  de- 
mander à  la  terre  le  parfait  bonheur,  que  si  le 
parfait  bonheur  existe,  il  ne  peut  exister  que  dans 
l'éternité.  Elle  répète  à  tous  les  échos  :  quiconque 
promet  à  l'homme  la  satisfaction  absolue  de  ses  dé- 
sirs ici-bas,  le  trompe  indignement  et  abuse  de  sa 
naïveté.  En  parlant  ainsi,  elle  est  d'accord  avec 
toutes  les  religions  qui  placent  leurs  Champs-Ely- 
sées, leurs  paradis  au  delà  du  présent,  elle  estd'accord 
avec  la  philosophie  des  plus  grands  maîtres  qui  ne 
cessent  de  se  lamenter  sur  l'insuffisance  des  biens  du 
temps  et  qui  se  savent  sûrs  de  ne  pas  mourir  tout 
entiers  parce  que  la  vie  terrestre  ne  les  a  pas  rendus 
heureux  comme  ils  ont  besoin  de  l'être,  elle  est 
d'accord  avec  l'expérience  des  générations  qui  ont 
remué,  analysé,  creusé  la  nature  sans  pouvoir  saisir 
le  bonheur  rêvé. 

Secondement,  dire  que  nous  tentons,  par  un 
calcul  misérable,  d'attacher  l'espérance  de  la  foule 
au  ciel  afin  d'oldenir  en  notre  faveur  l'abandon 
des  biens  finis,  c'est  nous  calomnier  odieusement. 
Nous  commençons  par  pratiquer  ce  que  nous  en- 
seignons, et  |)ar  subordonner  loutes  nos  joies  ter- 
restres à  la  future  possession  de  Dieu.  Le  premier, 
Jésus-Christ  a  été  pauvre,    doux,   pur,   et   le  pre- 


23  L  ESPERANCE 

mier,  il  a  renoncé  au  pouvoir,  aux  honneurs,  à 
la  popularité.  Il  ne  s'est  approprié  ni  la  barque 
de  Pierre,  ni  la  fortune  de  Matthieu  le  Publicain, 
il  a  donné  l'exemple  de  l'abnégation  qu'il  impo- 
sait et  depuis  deux  mille  ans  des  disciples  innom- 
brables n'ont  pas  cessé  de  l'imiter.  Je  ne  réfuterai 
pas  plus  longuement  un  mensonge,  que  je  défie 
nos  ennemis  de  confronter  avec  l'histoire  de  nos 
saints  et  que  je  me  contente  de  repousser  avec  indi- 
gnation. 

Mais  est-il  vrai  de  soutenir  que  l'espérance  chré- 
tienne se  désintéresse  totalement  du  sort  de 
l'homme  en  ce  monde?  Non,  Messieurs,  loin  de  là. 
Quiconque  veut  la  fin,  veut  les  moyens.  Par  suite 
l'espérance,  qui  tend  à  la  béatitude  éternelle,  tend 
du  même  coup  à  tous  les  biens  qui  lui  permettront 
de  la  mériter  en  cette  vie  et  delà  saisir  dans  l'autre. 
Or  il  est  impossible  d'atteindre  ces  biens  sans 
goûter  en  leur  possession  un  bonheur  incomplet 
sans  doute,  sujet  à  des  fluctuations,  mais  noble,  réel 
et  proportionné  à  leur  valeur. 

Nous  comptons  d'abord  ici-bas  sur  le  secours 
surnaturel  qui  s'appelle  la  grâce.  La  grâce  est  la 
force  qui  nous  régénère,  qui  nous  soutient,  qui 
nous  unit  déjà  intimement  à  Dieu.  Etre  en  état  de 
grâce,  c'est  avoir  obtenu  le  pardon  de  nos  fautes, 
les  sentir   étrangères  à  notre  personne,  échapper 


PREMIÈRE    GONFltRENCE  27 

au  trouble,  au  remords  qu'elles  entraînent,  être  dé- 
chargé du  fardeau  qu'elles  font  peser  sur  nous,  avoir 
recouvré  la  paix  de  la  conscience  et  jouir  de  cette 
paix,  de  cette  innocence  que  personne,  malgré 
nous,  ne  saurait  nous  ravir.  l?tre  en  état  de  grâce, 
c'est  être  libre,  maître  de  soi,  c'est  être  capable  de 
se  régir  souverainement,  de  résister  à  toutes  les 
tyrannies  prêtes  à  nous  asservir,  c'est  puiser  en  cette 
certitude  une  satisfaction  de  l'ordre  le  plus  élevé. 
Etre  en  état  de  grâce,  c'est  posséder  les  divines 
vertus  qui  ne  s'exercent  pas  sans  remplir  l'âme  des 
délices  déclarées  par  les  philosophes  supérieures 
à  toutes  les  autres.  Etre  en  état  de  grâce,  c'est 
vivre  dnnsla  société  de  Dieu,  entretenir  avec  lui 
des  rapports  faciles,  ordinaires,  familiers,  et 
retirer  parfois  de  ce  commerce  les  joies  vives,  pé- 
nétrantes dont  les  saints  disaient  :  «  J'ai  été 
enivré  par  une  volupté  secrète,  à  la  cime  de  mon 
âme  j'ai  éprouvé  des  émotions  si  douces  (|ue  je  ne 
saurais  les  peindre,  j'ai  été  tout  à  coup  en  proie  aux 
transports  d'un  tel  bonheur  que  j'ai  cru  en  mou- 
rii'.  ')  \ilvQ  en  état  de  grâce,  c'est  aux  heures  tra- 
giques de  l'agonie  elde  \a  mort  ignorer  l'iilVolement 
qui  bouleverse  les  païens,  sentir  que  l'on  ne  va 
quitter  la  vallée  de  l'exil  et  des  larmes  que  |)i>ur 
entrer  dans  la  patrie  de  l'extase,  l'être  en  étal  de 
grâce,  c'est  porlcr  t-n  soi  la  semence  {\o  l.i  gloire,  et 
d'avance  percevoir  quelque  cbose  de  ce  qui  ravit  les 
bienheureux.    Comptez-vous   iioui'  rien  ces  féiicili's 


28  l'espérance 

que  Fon  p;oûte  sans  honte,  dont  on  se  souvient  sans 
remords,  qui  n'ouvrent  aucune  plaie  dans  la  con- 
science, qui  n'attachent  aucune  infamie  à  notre 
nom,  qui|ne  laissent  aucune  trace  ignominieuse 
dans  la  chair,  ni  aucune  amertume  dans  le  cœur? 
Sans  doute  on  est  encore  un  homme,  on 
reste  fragile  et  exposé  aux  scandales  du  monde, 
sans  doute  la  misère  nous  arra?he  encore  dos 
plaintes;  mais  saint  Augustin  qui  avait  connu 
les  spectacles  do  la  scène  et  du  cirque,  les  conso- 
lations des  lettres,  de  la  philosophie  et  des  amitiés 
ardentes,  les  ivresses  des  sens,  do  l'amour  profane 
et  de  la  licence  effrénée,  n'hésitait  pas  à  préférer  in- 
finiment à  tous  ces  plaisirs  la  joie  qu'il  avait 
trouvée  dans  le  pardon,  dans  l'innocence,  dans  la 
vertu,  dans  l'union  avec  Dieu  ;  et  saint  Paul  haï  par 
les  Juifs,  poursuivi  par  les  Gentils,  trahi  par  les 
faux  frères,  condamné  par  les  juges,  enchaîné  par 
les  geôliers,  flagellé  par  les  bourreaux,  tourmenté 
par  des  tentations  humiliantes,  pour  nin«i  dire  vomi 
par  les  sociétés  humaines,  se  montrait  plus  grand 
que  ses  malheurs  et,  soutenu  intérieurement  par 
la  grâce  et  par  la  société  du  Christ,  surabondait  de 
joie,  superahundo  gaudio  in  tribuhitione  nostrâ. 
Donc  espérer  la  grâce  en  ce  monde,  c'est  espérer 
le  Ijonheur  qui  l'accompagne,  bonheur  initial,  à 
peine  ébauché  si  on  le  compare  à  la  gloire  future, 
mais  bonheur  réel  qui  fait  du  bon  chrétien  le  plus 
heureux  de  tous  les  hommes. 


PREMIÈRE    CONFÉRENCE  29 

Nous  espérons  ia  grâce  pour  nous,  nous  l'espérons 
aussi  pour  les  autres.  Mais  dans  la  mesure  où  la 
société  l'accepte  et  lui  laisse  la  liberté  de  se  répandre, 
la  grâce  assure  le  règne  de  la  justice  et  de  toutes  les 
vertus  qui  font  le  bonheur,  la  paix,  la  prospérité 
d'un  peuple.  Taine  a  dit  que  la  religion  peut  jeter 
un  «  poids  énorme  dans  la  conscience,  contrebalancer 
l'égoïsme  naturel,  enrayer  l'impulsion  folle  des  pas- 
sions brutales,  emporti  r  la  volonté  vers  l'abnéga- 
tion et  le  dévouement,  arracher  l'homme  à  lui- 
même  pour  le  mettre  tout  entier  au  service  de  la 
vérité  ou  au  service  d'aulrui,  faire  des  ascètes  et 
des  martyrs,  des  sœurs  de  charité  et  des  mission- 
naires... (Ij  »  Il  a  dit:  «  Aujourd'hui,  après  dix-huit 
siècles,  le  christianisme  est  encore  pour  iOO  mil- 
lions de  natures  humaines  l'organe  spirituel  la 
grande  paire  d'ailes  indispensables  pour  soulever 
l'homme  au-dessus  de  lui-même;  sans  lui,  la 
société  devient  un  coiipo-gorge  ot  un  mauvais  lieu... 
Il  n'y  a  encore  que  lui  pour  nous  retenir  sur  notre 
pente  fatale...  et  le  vieil  Evangile,  quelle  que  soit 
son  enveloppe  présente,  est  encore  aujourd'hui  le 
meilleur  auxiliaire  de  l'instinct  social  (2).  »  Le 
grand  posi  iviste  avouait  ainsi  que  la  religion  chré- 
tienne, au  moins  pour  nous,  était  le  grand  agent  de 
l'ordre  parmi  les  nuLions,  la  grande  inspiratrice 
de    la    justice,    de    la    l'raternité,    du   dévouement 

(1)  Oriffines  de  la  France  contemporaine,  t.  II,  p.  10,  23»  ôdit. 

(2)  Ibid.,  t.  XI,  p.  141. 


30  l'espérance 

qui    rendent    les    peuples    heureux   et    puissants. 
Mais  la  religion  catholique  doit  son  efficacité  à 
la  grâce  qui  est  le   bien  social  le  plus  précieux.  La 
grâce  n'est   donc   pas  seulement   le   grand  moyen 
pour  la  société  de  passer  de  la  vie  militante  à  la  vie 
triomphante,  c'est  encore  le  principe  le  plus  puis 
sant  de  prospérité,  de  bonheur  terrestre.   Sous  son 
intluence,  les  rois  deviennent  les  pères  de  leur  peu- 
ple, les  sujets  deviennent  les  serviteurs  intrépides 
de  leur  prince,  la   liberté   et  Tautorilé  se  réconci- 
lient, la  charité  achève  les  œuvres  bienfaisantes  de 
la  justice,    les   riches    aident    les    pauvres  et   les 
pauvres  pardonnent  leur  opulence  aux  riches.  Elle 
fait   d'une   race  oisive  une  race  laborieuse,   d'une 
masse  confuse  une  nation  disciplinée,  elle  stimule 
toutes  les  activités,  elle  exalte  toutes  les  énergies  et 
tous  les  talents,  elle  défend  le  foyer  contre  les  pus- 
sions qui  le  déshonorent,  qui  le  ruinent,  qui  le  ren- 
dent stérile.  Les  plus  incroyants  reconnaissent  qu'une 
société  qui  puiserait  toutes  ses    inspirations    dans 
rÉvangile  verrait  disparaître  la  plupart  de  ses  maux 
et  deviendrait  la  plus  homogène,   la  plus  forte  de 
toutes   les    sociétés,   mais   c'est  par  la  grâce    que 
f Évangile  règne,  par   conséqucnl,  c'est  à  la  grâce 
acceptée,  cultivée,  que  les  peuples  doivent  Tordre  et 
la  paix  qui  les  rendent  heureux.  Lorsque  donc  nous 
espérons  pour  nos  frères,    pour  nos  patries,   pour 
le  monde  entier  la  grâce   du   Christ,    nous  atten- 
dons le  secours  qui,  en  même  temps,  préparera  le 


PREMIERE   CONFERENCE  31 

royaume  idéal  et  parfait  de  l'avenir,  et  assurera  au 
présent  la  plus  grande  somme  de  bonheur  possible. 

Enfin,  Messieurs,  l'espérance  vise  les  biens  pure- 
ment temporels  dans  la  mesure  où  ils  se  rappor- 
tent aux  biens  spirituels  (1).  Elle  s'étend,  dit  saint 
Augustin,  aussi  loin  que  la  prière,  or,  dans  la  prière 
que  le  Christ  nous  a  enseignée,  nous  demandons 
notre  pain  quotidien.  Ce  mot,  dit  saint  Thomas, 
désigne  tous  les  biens  temporels  nécessaires  à  l'en- 
tretien de  la  vie  présente  :  pour  le  corps,  la  nour- 
riture, le  vêtement,  la  santé;  pour  l'esprit,  la 
science  et  la  certitude;  pour  le  cœur,  l'amitié.  La 
misère,  le  dénuement,  la  maladie  sont  souvent  de 
mauvais  conseillers  et  l'occasion  de  tentations 
fatales;  l'ignorance  empêche  de  connaître  le  vrai  et 
de  lui  accorder  le  culte  et  l'attention  qu'il  mérite; 
dans  la  solitude,  dans  l'abandon  que  de  fois  les  res- 
sorts de  l'âme  se  brisent  et  refusent  d'obéir  aux 
ordres  de  la  volonté;  au  contraire  l'homme  on 
bonne  santé,  sûr  du  lendemain,  est  à  l'abri  de  bien 
des  défaillances  et  plus  disposé  à  pratiquer  les 
vertus  qui  ouvrent  le  ciel;  la  science  saine  éclaire 
les  sentiers  de  la  fui,  l'amitié  console  dans  la 
tribulation,  soutient  dans  la  tentation,  protège 
contre  les  chutes,  double  les  forces.  Il  y  a  souvent, 
au  moins  de  l'ait,  entre  la  possession  des  biens 
temporels  les  plus  nécessaires  et  la  coiu|u<Mo  de  la 

(1)  Appemi.,  n.  îj,  p.  301. 


32  i;espérance 

béatitude,  un  rapport  étroit.  C'est  pourquoi  notre 
espérance  les  cherche  modérément,  mais  positive- 
ment, comme  des  moyens  destinés  à  nous  facili- 
ter la  pratique  des  vertus  et  l'accès  du  ciel. 

Ne  dites  donc  pas  que  cette  belle  vertu  se  désin- 
téresse du  sort  de  l'homme  sur  la  terre.  Elle  em- 
brasse dans  son  ambition  tous  les  biens  véritables, 
elle  ne  rejette  hors  de  ses  cadres  que  les  mauvaises 
joies,  que  les  délices  maudites,  qui,  après  avoir,  en 
dernière  analyse,  perverti  l'esprit,  llétri  le  cœur, 
blessé  la  conscience,  déshonoré  les  familles,  troublé 
les  cités,  fait  de  la  chair  une  pourriture  immonde, 
empoisonné  la  vie  présente,  ferment  encore  les 
portes  de  la  vie  future.  Son  royaume  est  immense, 
il  renferme  tout  ce  qui  est  désirable  dans  le  temps 
et  dans  l'éternité.  Aucun  autre  espoir  ne  se  meut 
dans  un  aussi  vaste  domaine  :  ceux  qui  arrêtent  leurs 
regards  aux  biens  de  cette  vie,  renoncent  au  vrai 
bonheur  qui  ne  peut  nous  être  donné  que  dans  l'au- 
tre; ceux  qui  se  consument  dans  la  recherche  des 
biens  naturels,  ne  connaissent  pas  l'exquise  douceur 
des  biens  spirituels;  ceux  qui  bornent  leur  ambition 
aux  plaisirs  des  sens,  ignorent  les  joies  de  lame. 
Seule  l'espérance  chrétienne  s'étend  par  degré,  des 
bontés  partielles  qu'elle  ne  dédaigne  point,  jusqu'à 
la  source  inépuisable ,  universelle ,  infinie  de 
toute  bonté,  seule  elle  est  l'espérance  idéale,  seule 
elle  est  l'espérance  royale  et  transcendante,  seule 
elle  mérite  le  nom  que  lui  ont  donné  les    auteurs 


PREMIÈRE   CONFÉRENCE  315 

sacrés  et  dont  vous  nie  permettrez  d'user,  bien 
qu'il  ne  soit  pas  entré  dans  notre  langue  :  la  sur- 
espérance.  In  te  Domine  sapersperavi. 

Ne  rétrécissez  pas,  Messieurs,  les  cadres  gran- 
dioses de  l'espérance  chrétienne.  En  rejetant  tous 
les  faux  biens  auxquels  elle  refuse  de  s'ottacher, 
vous  pouvez  désirer  tous  ceux  qu'elle  vous  permet 
d'atteindre.  Sous  prétexte  que  vous  êtes  citoyens  du 
ciel,  n'alTectez  pas  de  mépris  pour  les  créatures  dont 
Dieu,  leur  auteur,  a  dit  qu'en  soi  et  comme  moyens 
elles  sont  bonnes  et  désirables;  mais  sachez  subor- 
donner dans  votre  espérance  les  biens  secondaires 
au  bien  principal,  les  biens  finis  au  bien  infini.  Que 
Dieu,  cbjc!;  principal  de  notre  attente,  domine  tout 
dans  votre  espérance,  comme  il  domine  tout  dans 
le  monde,  n'hésitez  pas  à  lui  sacrifier  tout  ce  (jui 
pourrait  vous  retenir  loin  de  lui  et  vous  empêcher 
de  le  voir  face  à  face.  Accueillez  les  joies  raison- 
nables et  légitimes,  de  quelque  ordre  qu'elles  soient, 
mais  ne  vous  y  attachez  pas  comme  à  votre  fin,  efior- 
cez-vous  d'en  user  comme  d'instruments  destinés  à 
vous  soutenir  jusqu'à  la  possession  de  l'éternelle 
béatitude;  si  l'une  ou  l'autre  ne  répond  point  à  votre 
appel,  sans  vous  déconcerter  tenez  vos  yeux  fixés 
sur  le  bien  nécessaire  qui  vous  rendra  dans  l'autre 
monde  tout  ce  (juc  vous  aurez  abandonné  ou  perdu 
en  celui-ci. 


I.  ESPERANCK. 


DEUXIÈME   CONFÉRENCE 


LES  APPUIS 
DE  UESPÉKANCE  CHRÉTIENNE 


SOMMAIRE 

La  béatitude  telle  que  nous  l'avons  définie  est-elle  acces- 
sible à  rbomnie  ?  Divers  sentiments  des  incroyants  qui  s'ac- 
cordent à  dire  que  notre  espoir  est  vain  parce  qu  il  chercbe 
un  bonheur  hors  de  notre  portée.  Le  Christianisme  enseigne 
que  notre  espérance  est  fondée  parce  que  l'appui  qu'elle 
invoque  est  proportionné  au  bien  qu'elle  promet,  p.  30-40. 

I 

a)  Le  Chrétien  ne  trouve  pas  en  lui-même  l'appui  de  son 
espérance.  Impuissance  de  l'homme  à  s'élever  par  ses  seules 
forces  au  bonheur  pour  lequel  il  a  été  créé;  vaines  tentatives 
des  anges  et  des  premiers  hommes.  Echec  de  tous  ceux,  qui, 
à  l'exemple  des  Pélagieus,  ont  essayé  d'atteindre  leur  (in 
dernière  en  faisant  appel  aux  énergies  de  la  nature,  p.  40-43. 

6)  Le  chrétien  n'espère  pas  dans  les  autres  créatures  pour 
parvenir  à  la  suprême  félicité.  Impuissance  des  êtres  finis 
pour  nous  soulever  jusqu'au  ciel,  p.  43-44. 

c)  Nous  ne  serons  cependant  pas  purement  passifs  dans 
l'œuvre  de  notre  régénération.  Erreur  de  Luther.  Rôle  de  nos 
iriérites,  de  nos  actes.  Nous  sommes  des  coopérateurs  de 
Dieu,  p.  44-4;). 

(/)  Los  créatures  ne  demeureront  pas  étrangères  à  notre 
merveilleux  changement.  Action  instrumentale  du  Christ,  de 
l'Eglise,  du  sacerdoce,  des  sacrements,  de  tous  les  êtres  sur 
notre  transliguration  linale,  p,  4!)-4r». 

c)  Pour(iii()i  sommes- nous  réduits,  comme  tous  les  êtres 
créés,  comme  le  Christ  lui-même  à  cet  office  de  coopérateurs 
et  d'instruments?  Parce  que  le  but  visé  par  l'espérance  est 
surnaturel  et  qu'il  ne  peut  être  atttoint  qu'en  vertu  d'une 
force  du  même  ordre,  p.  47. 

II 

1.  —  La  toute  puissance  auxilialrice  de  Dieu,  tel  est  le 
véritable  appui  de   rosi)éranfe  chrétienne,  car  le  privilège  de 


38  l'espérance 

la  puissance  infinie,  c'est  de  conduire  au  bien  infini,  p.  48-49. 

a)  Dieu  peut  nous  initier  à  sa  vie  et  à  sa  félicité.  Principe 
qui  nous  permet  cette  espérance  du  côté  de  Dieu,  du  côte  de 
riiomme,  p.  49-51. 

b)  Dieu  veut  nous  communiquer  cet  ineffable  bonheur,  parce 
qu'il  est  bon  et  que  le  propre  de  la  bouté  c'est  de  se  répandre 
et  de  donner,  parce  que  le  propre  de  la  bonté  infinie,  c'est  de 
se  communiquer  d'une  manière  infinie,  p.  51-52. 

2.  —  a)  Dieu  nous  a  promis  de  nous  associera  sa  gloire.  Il  n'a 
pas  cessé  de  renouveler  cette  promesse  depuis  le  commence- 
ment du  monde,  de  la  préciser,  de  détailler  les  éléments  de  la 
béatitude  qui  nous  attend  :  vision,  amour,  joie,  résurrection  de 
la  chair,  transformation  de  la  société  et  de  l'univers;  de 
l'étendre  à  tous  les  biens  qui  nous  sont  nécessaires  dans  le 
temps  pour  arriver  à  notre  fin  dernière.  A  cette  promesse,  il 
joint  un  serment,  p.  52-56. 

b)  Cette  promesse  nous  garantit  que  Dieu  peut  nous  sauver, 
car  s'il  s'engageait  à  faire  ce  qu'il  lui  est  interdit  de  faire,  il  se 
tromperait  sur  son  propre  compte.  Elle  nous  garantit  que 
Dieu  veut  nous  sauver  car,  autrement^  il  nous  jouerait  Elle 
nous  garantit  que  Dieu  doit  nous  sauver,  car  la  promesse  et 
le  serment  obligent  en  justice,  p.  56-57. 

c)  L'accomplissement  partiel  de  la  promesse  nous  assure 
son  accomplissement  total.  Réalisation  de  toutes  les  pro- 
messes qui  ont  été  faites  pour  le  temps,  p.  58-59. 

Devoir  pour  les  Chrétiens  d'attacher  leur  «spérance  à  la 
toute-puissance  de  Dieu  comme  à  la  cause  première  de  leur 
béatitude. 

Devoir  pour  eux  de  s'attacher  à  tous  les  agents  secondaires 
choisis  par  Dieu  pour  l'accomplissement  de  ses  desseins 
miséricordieux  sur  nous,  p.  50-61. 


DEUXIÈME  CONFÉRENCE 


LES   APPUIS 
DE  L'ESPÉRANCE  CHRÉTIENNE 


Éminentissime  Seigneuh  (1), 
Monseigneur  (2), 
Messieurs, 

La  béatitude  que  nous  avons  essayé  de  décrire 
est  tellement  haute,  d'une  acquisition  tellement 
diflicile  que  la  sagesse  se  demande  parfois  avec 
inquiétude  si  elle  nous  est  accessible.  Les  incroyants 
n'hésitent  pas  à  se  prononcer  contre  ce  qu'ils  appel- 
lent une  prétention  intolérable,  à  traiter  de  chimé- 
rique notre  vaste  espérance.  Que  l'unie  immortelle 
et  dégagée  de  son  corps,  disent  les  plus  modérés, 
puisse  arriver  à  une  connaissance  de  Dieu  supé- 
rieure à  celle  que  nous  possédons  sur  la  terre, 
trouver  dans  cette  science  et  dans  l'amour  qui 
en    est    la    suite    une    noble    joie,    rien   ne    nous 

(1)  s.  E.  Mgr  le  cardinal  Amotto,  archev.Hiuo  de  l'iiris. 

(2)  Mgr  Herschcr,  aTchevénue  de  Laodi'  l'-e. 


/iO  l'espérance 

empêche  de  le  penser,  mais  que,  se  dépassant 
elle-même,  elle  devienne  capable  de  contempler 
immédiatement  l'Etre  souverain,  d'entrer  dans 
le  secret  de  la  suprême  Vie  :  voilà  ce  qui  lui 
est  interdit.  N'essayons  pas  de  chercher  noire  féli- 
cité aux  cimes  perdues  dans  l'Infini,  nous  serions 
trompés  par  une  présomption  qui  ferait  dévier  nos 
esprits  et  nos  cœurs.  Les  plus  intransigeants  consi- 
dèrent Dieu  comme  éternellement  inconnaissable  et 
le  déclarent  à  jamais  hors  de  noire  portée.  A  leurs 
yeux,  c'est  pure  folie  de  vouloir  ravir  au  ciel  si 
peu  que  ce  soit  de  sa  lumière,  de  son  feu,  de  sa 
gloire  :  quiconque  se  bercera  de  cette  illusion  sera 
d'autant  plus  décontenancé  par  les  surprises  de  la 
froide  réalité  qu'il  aura  rêvé  d'une  perfection  plus 
incompatible  avec  sa  condition. 

Le  Christianisme  refuse  énergiquement  de  s'in- 
cliner devant  ces  jugements  sommaires.  Tout  en 
concédant  que  la  béatitude  offerte  par  l'espérance 
est  d'un  abord  difficile,  il  enseigne  que  nous  pou- 
vons l'atteindre  grâce  à  l'appui  qui  est  à  notre  dis- 
position. Quel  est  <'M  appui?  Je  vais  vous  l'expliquer. 

T 

Le  chrétien  ne  compte  pas  sur  lui-même  pour 
réaliser  son  espérance.  Ceux  qui  ne  veulent  devoir 
le  bonheur  qu'à  leurs  initiatives  personnelles  ont 
échoué,  échoueront  toujours.   Déployez  les  ailes  de 


DEUXIÈME   CONFÉRENCR  41 

votre  intelligence,  forgez-vous  des  volontés  de  fer, 
contractez  des  habitudes  de  travail,  de  vigilance,  de 
vertu,  apprenez  à  vous  raidir  et  à  lutter  contre 
l'obstacle,  donnez  à  votre  activité  tout  son  dévelop- 
pement, regardez,  étudiez,  approfondissez,  tra- 
vaillez sans  vous  laisser  emporter  par  les  passions, 
ni  distraire  par  les  soucis  de  second  ordre,  vous  ne 
saisirez  pas  la  béatitude. 

Il  y  a  longtemps  que  la  créature  a  tenté  de 
s'élever  par  son  seul  génie  à  la  hauteur  de  sa  des- 
tinée. A  peine  sortis  des  mains  de  Dieu,  certains 
anges  s'écrièrent  : 

Je  monterai  au  ciel, 
Jo  placerai  mon  trône 
Au-dessus  des  étoiles... 


Je  serai  semblahle  au  Très-Haul  ;'  '  l. 


Leur  châtiment  ne  se  fit  pas  attendre,  ils  tom- 
bèrent dans  l'abîme  d'un  malheur  sans  fin.  Le 
serpentdit  à  la  première  femme  :  «  Du  jour  où  vous 
mangerez  le  fruit  de  cet  arbre,  vos  yeux  s'ouvriront, 
et  comme  Dieu,  vous  connaîtrez-  le  bien  et  le 
mal  »  (2),  ce  qui  signifie  :  «  \)n  jour  où  vous  pren- 
drez conscience  de  vos  forces  et  où  vous  on  userez, 
vous  arriverez  à  partager  le  savoir,  la  puissance  et 
la  gloire  de  Dieu.  »  Lve  oi)éit  au  conseil  perfide; 

(1)  IsAïi;,  XV.  13-15. 

(2)  Genèse,  ii,  5. 


42  L  ESPERANCE 

VOUS  VOUS  rappelez  ce  qu'il  advint  d'elle  et  de  son 
complice.  Leur  espérance  à  peine  conçue  se  changea 
en  déception  amère.  Loin  d'acquérir  le  bonheur 
qu'ils  ambitionnaient,  ils  perdirent  celui  dont  ils 
jouissaient.  Les  chérubins  fermèrent  les  portes  du 
paradis,  et  les  coupables,  nus,  malheureux,  accablés 
par  l'ironie  de  Dieu,  s'éloignèrent, emportant  avec  le 
souvenir  des  heures  enchantées  le  sentiment  de 
leur  impuissance  à  l'égard  de  la  suprême  béatitude. 
A  travers  les  siècles,  des  imitateurs  sans  nombre 
ont  suivi  l'exemple  des  premiers  humains,  ils 
ont  connu  les  mêmes  insuccès.  Ils  n'ont  pas 
atteint  la  félicité,  ils  n'en  ont  pas  même  décou- 
vert le  chemin.  Nous  les  avons  vus  chercher 
avec  inquiétude,  s'irriter  contre  les  ténèbres 
impénétrables  répandues  sur  leurs  pas,  nous 
les  avons  entendus  pousser  des  cris  de  dé- 
tresse, puis  avouer  en  fin  de  compte  que  le 
bonheur  se  dérobait  à  leur  poursuite.  Oui,  le  bon- 
heur refusera  de  se  livrer  et  de  se  montrer  à 
quiconque  voudra  le  tirer  de  soi.  «  A  me  sa  lus  esse 
non  potest...  quia  non  est  in  me  fii  mitas  mihi,  nec 
est  juihi  spes  de  me.  Mon  salut  ne  saurait  venir  de 
moi,  la  force  nécessaire  pour  l'atteindre  nest  pas 
en  moi,  mon  espoir  n'est  pas  fondé  sur  moi  (1).  L'àme 
restée  en  elle-même  ne  verra  qu'elle-même,  et,  en 
se  voyant,  elle  ne  verra     as  son  Dieu.  Si  enini  in 

[\]  s.  Augustin,  Enar.  in  Ps.  xli,  v.  11-12. 


DEUXIÈMR   CONFÉRENCE  43 

seipsa  anima  r  émaner  et  ^  nihil  aliud  ac  se  videret^ 
et  cum  se  videret,  non  utique  Deum  suum  çideret{\). 
Ne  croyez  donc  pas.  Messieurs,  comme  les  pélagiens 
de  tous  les  temps,  que  la  gloire  soit  le  terme 
normal  des  efforts  de  la  nature,  la  dernière  poussée 
de  l'instinct,  vous  vous  apercevriez  trop  tard  que 
votre  espérance  a  été  vaine  et  qu'en  vous  abandon- 
nant à  ses  mirages  vous  avez  manqué  le  but  de  la  vie. 

Mais  on  peut  quelquefois  par  ses  semblables  ce 
que  l'on  ne  peut  point  par  soi.  Le  monde,  les  indi- 
vidus, la  société  avec  leurs  progrès  et  leurs  trans- 
formations, ne  sont-ils  pas  capables  de  nous  trans- 
porter des  bords  attristés  du  temps  aux  rives  où 
nous  attirent  les  délices  éternelles? 

Non,  Messieurs,  «  quiconque  espère  en  soi  est 
misérable,  quiconque  espère  dans  les  autres  est 
plus  misérable  encore.  Qui  in  se  sperat^  miser  est, 
qui  in  alto  miserior.  Celui-là  pèche  par  un  orgueil 
dangereux,  celui-ci  par  une  humilité  déréglée.  Si 
in  alio  homine,  inordinate  humilis  eris,  si  in  te 
periculose  superbus.  L'orgueil  précipite  dans  les 
abîmes,  l'humilité  désordonnée  devient  de  la  bas- 
sesse et  empêche  le  relèvement.  Inordinate  humilis 
non  levatur^  periculose  superbus  prœcipitatur.  Ces 
deux  voieâ  sont  funestes,  il  faut  égab^neut  b\s  éviter  : 
Utrumque  perniciosum ,  nihileorum  eUgendum[2).  » 

(1)  Saint-Augustin,  Evar,  in  l's.  xi.i,  v,  8. 

(2)  Augustin,  Sermo  III. 


44  L  ESPERANCE 

Le  changement  que  nous  attendons  ne  s'effef'tuera 
ni  par  nous,  ni  par  un  être  de  notre  espèce,  ni  par 
les  anges,  ni  par  la  conspiration  des  anges  et  des 
hommes.  Supposé  que  pour  assurer  votre  salut  les 
créatures  se  mettent  à  votre  disposition,  qu'elles  vous 
prêtent  leurs  énergies  innombrables,  qu'elles  se 
dévouent  entièrement  à  votre  sort,  qu'elles  ne  pour- 
suivent que  la  réalisation  du  bonheur  auquel  vous 
êtes  appelés,  leur  dépense  serait  encore  vaine. 
Duràt-il  des  siècles,  ce  colossal  effort  resterait  stérile, 
et  à  son  terme,  vous  seriez  obligés  de  proclamer  que 
les  saints  livres  ont  fait  preuve  de  sagesse  quand  ils 
ont  dit  :  «  Nollte  confidere  in  priiicipibus^  in  filiis 
hominum  in  quibus  non  est  salus.  Ne  vous  fiez  pas 
aux  princes,  ni  aux  fils  des  hommes,  le  salut  n'est 
pas  en  eux  (f).  »  La  céleste  cité  n'est  point  bâtie  de 
main  d'homme,  il  n'appartient  pas  à  des  pouvoirs 
limités  de  distribuer  une  récompense  infinie,  ni  de 
couronner  les  élus.  Les  conditions  de  la  vie  subissent 
des  modifications,  selon  les  peuples  et  les  généra- 
tions; nous  savons  bien  des  choses  qu'ignoraient  nos 
pères,  plus  d'un  progrès  jugé  par  eux  impossible 
s'est  accompli  sous  nos  yeux,  mais  le  monde  ne 
recevra  pas  sa  forme  achevée  des  mille  causes  inlirmes 
qui  sur  la  terre  se  disputent  la  domination  d'un  jour. 
Est-ce  à  dire  que  nous  serons  purement  pas- 
sifs dans  l'œuvre  de  notre  régénération?  Non, 
Messieurs,    Luther   n'accordait  aucun   prix  à   nos 

(1)  Psaume  cxlv,  2. 


DEUXIEME   CONFÉRENCE  45 

actions,  aucune  valeur  à  nos  travaux  par  rapport  à 
notre  gloire  future,  il  jetait  l'anathème  à  tout 
homme  qui  attacherait  quelque  importance  à  des 
vertus,  selon  lui,  absolument  inutiles  au  salut. 
[^'Eglise  a  condamné  ce  fatalisme  immoral.  Le 
bonheur  sera  la  récompense  de  nos  mérites,  nos 
mérites  tireront  leur  valeur  de  la  sainteté  de  notre 
vie;  mais  nous  vivrons  saintement,  nous  mérite- 
rons notre  félicité  grâce  à  l'agent  supérieur  qui  sti- 
mulera nos  facultés,  qui  nous  élèvera  au-dessus  de 
nous-mêmes,  en  nous  prêtant  sa  force  mystérieuse, 
source  véritable,  en  dernier  ressort,  de  notre  béati- 
fication. De  sorte  que  notre  espoir  repose  sur  nous 
comme  sur  des  coopérateurs  dans  l'entreprise  qui 
doit  aboutir  à  notre  suprême  perfection.  Notre  rôle 
ne  va  pas  plus  loin,  il  va  cependant  jusque-là.  N'en 
tenir  aucun  compte,  attendre  le  salaire  sans  avoir 
travaillé,  la  couronne  sans  avoir  combattu,  de  même 
que  vouloir  gagner  ce  salaire  et  atteindre  cette  cou- 
ronne par  une  générosité  venue  de  nous  et  non  de 
plus  haut,  c'est  errer  gravement,  c'est  courir  à  une 
catastrophe  certaine  (1). 

Est-ce  à  dire  que  les  créatures  demeureront  étran 
gères  à  notre  merveilleux  changement,  que  nous  ne 
devions  leur  assigner  aucune  place  dans  les  motifs 
de  notre  espérance?  Non,  Messieurs.  Toutes,  à  leur 
manière,  concourront  à  notre  définitive  rénovation; 

(1)  Appenii  ,  n"  1,  p.  ;U)2. 


46  l'espérance 

toutes,  à  des  degrés  divers,  entreront  dans  le  plan 
du  divin  Artiste  qui  nous  béatifiera  et  serviront 
d'instruments  à  ses  desseins  magnanimes.  L'hu- 
manité de  Jésus-Christ  d'abord  transmet  les  dons 
nécessaires  à  ceux  qui  veulent  monter  au  ciel. 
Le  Sauveur  a  reçu  le  dépôt  des  trésors  oii  nous  pui- 
serons la  force  de  répondre  à  notre  vocation,  trésors 
q^u'il  a  mérités  par  une  incarnation,  par  des  souf- 
frances, par  une  mort  acceptées  pour  nous  arracher 
à  notre  misère  et  nous  assurer  le  bonheur.  Entre 
son  Père  et  nous,  il  est  le  médiateur  indispensable, 
le  premier  ministre  chargé  de  distribuer  les  faveurs 
surnaturelles:  personne  n'entrera  au  ciel  sinon  par 
lui.  Le  Christ  lui-même  emploie  l'Eglise  et  le  sacer- 
doce qui,  soutenus  par  lui,  travaillent  efficacement 
au  bonheur  du  genre  humain;  l'eau,  l'huile,  le 
pain  et  le  vin,  pénétrés  de  la  vertu  qu'il  leur  a 
communiquée,  deviennent  les  véhicules  qui  por- 
tent les  secours  dont  nous  avons  besoin  pour 
opérer  notre  ascension  vers  la  béatitude  consommée. 
Il  n'est  pas  une  créature  ni  un  événement  qui  ne 
puissent  nous  aider  dans  notre  noble  entreprise. 
Par  conséquent,  le  chrétien  met  sa  confiance  dans 
l'humanité  de  Jésus,  dans  tous  ces  éléments  d'ap- 
parence naturelle,  mais  tous  ces  éléments  et  le 
Christ  lui-même  tiennent  leur  puissance  d'un  Etre 
qu'il  faut  chercher  au  delà  du  monde  et  qui  seul 
peut  nous  assurer  la  félicité  parfaite  (1). 

(1)  Append.,  n.  2,  p.  303. 


DEUXIÈME  CONFÉRENCE  47 

Et  pourquoi  sommes-nous  réduits  à  cet  office  de 
coopérateurs  ;  pourquoi  les  hommes,  la  création, 
Jésus-Christ  lui-même  sont-ils  condamnés  à  ce 
rôle  de  pur  instrument  dans  une  entreprise  qui 
intéresse  si  éminemment  notre  avenir?  Parce  que 
le  but  que  nous  poursuivons  est  au-dessus  de  nous, 
au-dessus  de  Tunivers,  hors  de  notre  portée.  Il  est 
surnaturel,  que  dis-je,  c'est  le  surnaturel  poussé  à 
son  dernier  degré,  parvenu  à  son  épanouissement 
total,  à  son  expression  achevée.  Or,  les  mots  l'in- 
diquent assez  clairement,  on  n'atteint  pas  une  fin 
surnaturelle  avec  une  force  naturelle,  on  ne  l'atteint 
qu'avec  une  puissance  du  même  ordre.  Si  la  grâce 
qui  n'est  que  le  germe  de  la  béatitude  ne  peut  naître 
ni  de  nous,  ni  des  hommes,  ni  des  anges,  que 
dirons-nous  de  la  béatitude  qui  est  la  grâce  su- 
prême, le  développement  et  l'évolution  finale  de  la 
grâce?  L'objet  de  l'espérance,  en  eiïet,  c'est  le  bien 
infini,  mais  s'appuyer  sur  un  pouvoir  borné  pour 
gagner  1" Infini,  c'est  folie,  car  c'est  vouloir,  avec 
un  roseau,  soulever  le  monde  jusqu'au  ciel. 

«  Levavi  ocidos  meos  in  moules^  undc  veniet 
auxiliiim  miki.  Auxiliiim  nieum  a  Domino  qui 
fecil  C(rliun  et  terrani.  .l'ai  levé  mes  yeux  vers  les 
montagnes,  de  là  me  viendra  le  secours.  J'attends 
le  secours  du  souverain  Seigneur  qui  a  fait  le  ciel 
et  la  terre  (1).  » 

(1)  Psaume  cxx,  v.  1-2. 


48  L'ESPi:nANCE 


II 


La  toute  jiuissance  auxiliatrice  de  Dieu  ;  tel  est  le 
véritable  appui  de  l'espérance  chrétienne.  Nous 
allons  à  Dieu  par  Dieu,  nous  entrerons  en  posses- 
sion de  Dieu  à  laide  de  Dieu.  Dieu  est  à  la  fois 
dans  la  seconde  vertu  théologale  la  récompense  et 
le  rémunérateur,  comme  il  est  dans  la  toi  la  vérilc 
révélée  et  le  révélateur,  «  Sicut  spes  non  minus  a 
Deo  sperat  qnnm  sit  ipse  Deus,  ita  non  minorent 
postulat  adjutorem  quam  sit  ipse  Deus.  Notre  espé- 
rance n'attend  pas  de  Dieu  moins  que  Dieu,  elle  ne 
demande  pas  un  auxiliaire  moindre  que  lui  »  (1). 

L'action  finale  qui  achèvera  l'homme  et  le  monde, 
qui  les  établira  dans  leur  éternel  repos,  correspondra 
exactement  à  l'action  initiale  qui  les  a  créés,  puis 
lancés  dans  le  mouvement  universel.  A  Dieu  seul  de 
les  faire  naître  dans  une  resplendissante  beauté  à  une 
première  vie,  à  Dieu  seul  de  les  arracher  victorieuse- 
ment à  tons  les  dangers  et  de  les  introduire  dans  une 
seconde  vie  plus  haute  que  la  première.  Nous  comp- 
tons donc  uniquement,  en  définitive,  sur  la  puis- 
sance de  Dieu  pour  sanctifier  progressivement  l'in- 
dividu en  cette  vie  par  l'effusion  de  ?a  grâce  et  pour 
le  couronner  dans  l'autre  par  la  communication  de 


(1)  CoNTENSON.  T/ieolopia  mentis  et  cordis,  lib.   VII,  dissert.  III, 
c.  r,  specul.  1.  —  Cf.  Appcnd.,  n»  3,  p.  303. 


DEUXIÈME   CONFERENCE  49 

sa  gloire.  Nous  comptons  sur  elle  pour  changer  la 
société  présente  en  une  société  idéale  ou  régneront 
la  justice,  la  paix,  la  félicité.  Nous  comptons  sur 
elle  pour  faire  passer  l'univers  de  l'état  d'ébauche 
où  il  gémit  à  l'état  de  perfection  où  il  aspire.  Nous 
comptons  sur  Dieu,  en  un  mot,  comme  sur  l'agent 
dont  la  volonté  irrésistible  est  seule  capable,  et 
capable  absolument  de  conduire  à  sa  fin  l'œuvre  à 
laquelle,  seule,  elle  a  pu  donner  un  commencement. 
Nous  comptons  uniquement  sur  lui,  car  le  privi- 
lège de  la  puissance  infinie,  dit  saint  Thomas,  c'est 
de  conduire  au  bien  infini.  Infîniiœ  viitutis  pro- 
prium  est  ad  infinitiim  bonum  perducere  [{).  Or 
cette  puissance  infinie  est  propre  à  Dieu,  au  point 
qu'il  ne  dépend  pas  de  lui  de  s'en  dessaisir  pour 
l'abandonner  à  un  autre,  de  sorte  qu'il  est  obligé 
de  se  réserver  le  soin  de  nous  mener  à  notre  dernière 
perfection. 

Mais  lui-même  peut-il  faire  aboutir  un  pareil 
dessein?  (2) 

Et  pourquoi  ne  le  pourrait-il  pas?  Faut-il  encore 
invoquer  le  principe  fécond  énoncé  parsaintThomas, 
à  savoir  que  tous  les  êtres  supérieurs,  précisément 
parce  qu'ils  sont  supérieurs,  ont  la  faculté  délever 
jusqu'à  eux  des  êtrey  inférieurs  qui  sans  eux 
seraient  restés  confinés  dans  leur  naturelle  indi- 


fl)  II»  II»  .  f|.  xvii.  a.1  2. 
(1)  Append.,  n.  4,  [).  no». 

LBSPI^RANCE.    —    4. 


50  l'espérance 

gence  ;  à  savoir  que  celte  faculté  s'étend  d'autant 
plus  loin  que  son  titulaire  est  plus  parfait;  à  savoir 
que  tout  ce  qui  n'implique  pas  contradiction  est 
possible  à  Dieu. 

Comment!  il  n'est  pas  un  être  qui, par  son  rayon- 
nement, ne  partage  sa  perfection  avec  ses  sembla- 
bles. Dans  l'ordre  physique,  le  feu  enflamme  le 
fer,  le  pénètre  de  son  ardeur,  lui  prête  son  acti- 
vité dévorante  et  ses  propriétés  spéciales,  le  moindre 
des  astres  communique  sa  clarté  à  tous  les  corps 
répandus  dans  sa  sphère;  dans  l'ordre  intellectuel 
le  génie  cultive  les  esprits  vulgaires  et  les  initie  à 
ses  connaissances  et  à  ses  conceptions;  dans  l'ordre 
moral,  le  saint  gagne  à  ses  sentiments  les  âmes 
médiocres  et  réussit  à  les  transformer.  Dans  le 
monde  entier,  nous  assistons  à  un  échange  perpé- 
tuel entre  les  créatures  qui  donnent  à  autrui  ce 
qu'elles  possèdent  et  reçoivent  d'autrui  ce  qui  leur 
manque, au  nom  de  quel  principe  soutiendrez  vous  que 
cette  loi  perd  son  autorité  lorsque  nous  touchons  aux 
rapports  de  Dieu  avec  son  œuvre?  Au  nom  de  quelle 
sagesse  prétendrez-vous  que  Dieu  est  condamné  par 
sa  richesse  même  à  fermer  ses  mains,  par  sa  trans- 
cendance même  à  s'emprisonner  dans  sa  substance, 
par  sa  bonté  même  à  rester  enchaîné  à  un  rivage 
inabordable  aux  indigents  de  sa  création?  Quelle 
misère  est  donc  la  sienne  en  définitive  s'il  est  au 
dehors  de  lui  le  plus  impuissant  de  tous  les  êtres 
parce  qu'au-dedans  de  lui  il  est  le  plus  puissant! 


DEUXIKME   CONFÉRENCE  51 

Autant  dire  qu'il  lui  a  été  défendu  de  créer,  puisque 
sa  création  n'est  pas  autre  chose  qu'un  premier 
épanchement  au  dehors  de  lai-même. 

Serait-ce  donc  que  l'homme  radicalement  inca- 
pable de  supporter  sans  succomber  le  poids 
immense  de  la  gloire  éternelle  n'offrirait  pas  des 
ressources  suffisantes  pour  que  Dieu  pût  opérer  en 
lui  cette  heureuse  révolution?  Mais,  je  vous  l'ai 
jadis  expliqué  et  je  n'y  insiste  pas,  l'homme  en  sa 
qualité  de  créature  intelligente  n'éprouve  aucune 
répugnance  à  monter  à  ces  sommets.  Au  contraire, 
d'une  manière  positive,  bien  qu'éloignée,  il  est  dis- 
posé à  chercher  son  bonheur  dans  la  contemplation 
du  suprême  intelligible,  dans  l'amour  et  dans  la  pos- 
session du  souverain  Bien.  Il  appartient  précisément 
à  Dieu  de  renforcer  notre  puissance  de  voir,  d'aimer, 
de  jouir  et  de  l'adapter  à  cette  fin  dernière,  comme 
l'artiste  qui  répare,  qui  multiplie,  qui  tend  convena 
blement  les  cordes  de  la  lyre  pour  en  tirer  les  vibra- 
tions inspirées  par  son  génie.  En  de  telles  condi- 
tions, l'homme  a  le  droit  d'attendre  une  béatitude 
proportionnée  non  à  ses  facultés  natives,  mais  à  la 
souveraine  puissance  de  Lelui  qui  le  meut  et  qui 
l'élève. 

Dieu  peut  nous  initier  à  sa  vie  et  h  sa  félicité, 
mais  il  ne  suffit  pas  (ju'il  le  puisse,  il  faut  encore 
qu'il  le  veuille  pour   ([ue  nous  soyons  ù   l'abri   de 


52  l'espérance 

l'incertitude.  Il  le  veut,  Messieurs,  parce  qu'il  est 
bon.  La  tendance  de  la  bonté,  en  effet,  est  de  se 
répandre.  Il  n'y  a  que  les  êtres  misérables  qui  se 
renferment  en  eux-mêmes,  qui  gardent  avec  ja- 
lousie ce  qu'ils  possèdent,  qui  reçoivent  sans  rien 
rendre.  Encore  ne  résistent-ils  pas,  jusqu'au  bout, 
si  égoïstes  et  si  indigents  qu'ils  soient,  au  besoin 
intérieur  qui  les  presse  de  se  déverser  dans  leurs 
semblables.  Plus  les  substances  sont  riches,  plus 
elles  sont  portées  à  se  donner  avec  générosité,  et 
elles  le  font  non  seulement  parce  qu'elles  le  peuvent, 
mais  encore  parce  que  leur  instinct  les  y  incline. 

Or  Dieu  étant  la  bonté  par  essence,  la  bonté  sans 
limites,  la  bonté  infinie  en  largeur,  en  sublimité, 
en  profondeur,  éprouve  un  penchant  impérieux  à 
se  prodiguer,  à  remplir  le  monde  de  sa  magnifi- 
cence. Il  est  permis  de  dire  que,  s'il  est  une  façon 
plus  libérale  de  se  communiquer.  Dieu  ne  s'in- 
terdira pas  cette  royale  satisfaction,  qu'il  ou- 
vrira jusqu'au  fond  les  trésors  cachés  dans  son  sein, 
qu'il  défiera  tous  les  obstacles  pour  faire  triompher 
sa  volonté,  qu'il  finira  par  introduire  dans  sa 
maison,  par  inviter  à  son  banquet  les  âmes  atten- 
tives à  son  appel  et  désireuses  d'y  répondre  (1). 

Nous  avons  un  meilleur  motif  encore.  Messieurs, 
de  compter  sur  l'appui  de  Dieu,  de  fonder  notre 
espérance  sur  sa  puissance  et  sur  sa  bonté.  Nous 

(1)  Append.,  n.  5,  p.  305. 


DEUXIÈME   CONFÉRENCE  53 

n'en  sommes  plus  à  chercher  le  secret  des  plans 
éternels  à  travers  les  syllogismes  de  notre  raison  : 
des  promesses  nous  mettent  à  l'abri  des  surprises. 
Ces  promesses  descendues  du  ciel  même  nous 
prouvent  d'abord  efficacement  que  Dieu  peut  et  veut 
nous  élever  jusqu'à  lui,  ensuite  elles  engagent  sa 
justice  à  notre  égard, enfin  leur  réalisation  partielle 
nous  garantit  leur  réalisation  totale. 

Nul  de  vous  ne  l'ignore,  Dieu  a  parlé  à  l'homme. 
Ses  discours  nous  révèlent  des  vérités  mystérieuses, 
ils  nous  apprennent  aussi  sa  résolution  de  nous 
associer  à  la  félicité  qui  n'appartient  en  propre  et 
naturellement  qu'à  lui. 

Cette  promesse,  il  ne  l'a  pas  faite  en  passant,  il 
s'est  plu  à  la  renouveler  à  travers  les  siècles.  Elle  est 
gravée  à  toutes  les  pages  des  livres  sacrés  qui  contien- 
nent sa  pensée  et  dont  il  est  l'inspirateur.  A  peine 
l'homme  est-il  déchu  de  l'heureux  état  dans  lequel  il 
s'était  éveillé  à  la  vie  que  Jéhovah  survient  pour 
condamner  le  coupable  à  l'expiation  sans  doute, 
mais  aussi  pour  lui  annoncer  l'écrasement  du  serpent 
qui  l'a  séduit  et  l'avènement  du  Hédcmpteur  qui  lui 
rendra  une  félicité  su|»éricure  à  la  fidicilé  perdue. 
Pendant  des  milliers  d'années  l'antique  promesse, 
dont  vit  l'espérance,  retentit  aux  oreillesdesgénéra- 
tioiis(jui  se  succèdent  dans  la  suite  des  temps.  Cha(|ue 
Patriarche  reroil  d'en  haut  l'assurance  qu'un  avenir 
brillant  attend  la  race  sortie  de  ses  flancs.  Chaque  Pro 


54  LESPERANCE 

phète  confirme  les  oracles  de  ses  prédécesseurs  et  voit 
s'illuminer  riiorizon  des  âges  futurs.  Cette  promesse 
éclate  dans  toute  sa  force,  dans  toute  sa  splendeur  sur 
les  lèvres  du  Christ  qui  sont  les  lèvres  mêmes  de  Dieu . 
Le  doux  Sauveur  console,  réconforte,  ravit  les  âmes 
en  leur  parlant  au  nom  de  son  Père  du  sort  qui  leur 
est  réservé.  Les  apôtres  portent  la  bonne  nouvelle  aux 
rois,  aux  peuples,  aux  Grecs,  aux  Romains,  aux 
Barbares,  aux  hommes  libres  comme  aux  esclaves 
des  grands  empires.  La  voix  de  l'Eglise  la  répand  à 
travers  l'espace  et  à  travers  les  siècles  :  des  légions 
d'Évangélistes  se  lèvent  chaque  jour  et  consacrent 
leur  vie  -^  la  redire  aux  tribus  lointaines  et  aux 
générations  qui  se  remplacent  sur  la  scène  du 
monde.  Mais  c'est  Dieu,  c'est  toujours  Dieu  qui 
s'engage  par  les  Patriarches,  par  les  Prophètes,  par 
Jésus-Christ,  par  les  Apôtres,  par  l'Eglise  et  par  ses 
héroïques  messagers. 

Il  s'engage  par  des  mots  précis  et  non  par  des 
formules  nébuleuses,  vagues,  équivoques,  sujettes 
à  des  interprétations  contradictoires.  Il  énumère 
tous  les  biens  dont  nous  pourrons  jouir  dans  l'éter- 
nité. 11  annonce  que  nous  le  verrons  comme  il  est: 
Videbiinus  euin  siciUi  est  (1);  que  nous  le  contem- 
plerons non  plus  à  travers  des  énigmes,  non  plus  à 
travers  les  miroirs  brisés  de  la  création,  mais  à  dé- 
couvert, et  face  à  face  :  nunc  per  spéculum  in  œnig- 

(1)  IJean,  III,  2. 


DEUXIÈME   CONFÉRENCE  55 

mate,  tune  autem  facie  ad  faciem;  que  nous  le 
connaîtrons  comme  il  nous  connaît  :  nunc  cogiiosco 
ex  parte,  tune  autem  cognoscam  sicut  et  cognitus 
sum;  que  nous  entrerons  dans  sa  joie  :  intra  in 
gaudium  Domini  tut;  que,  caressés  de  sa  main  et 
bercés  sur  ses  genoux,  nous  partagerons  la  perfec- 
tion de  sa  nature  et  le  bonheur  de  sa  vie  :  ut  effi- 
ciamini  divinae  consortes  naturae.  —  Il  donne  sa 
parole  qu'il  ressuscitera  la  chair  au  dernier  jour  : 
Ego  ressuscitabo  eum  in  novissimo  die;  qu'il  la 
fera  passer  de  la  corruption  du  sépulcre  à  Timmor- 
talité,  de  l'ignominie  à  la  gloire,  de  la  faiblesse  à  la 
force,  de  l'animalité  à  la  spiritualité,  qu'il  opérera 
ce  changement  en  un  instant,  en  un  clin  d'œil,  et 
que  sa  voix  souveraine  jettera  à  la  mort  ce  défi 
éternel  :  «  0  mort,  où  est  ta  victoire?  Où  est  ton 
aiguillon?  Je  serai  ta  mort,  ô  mort!  »  Déchirant 
les  voiles  qui  cachent  ses  desseins,  il  montre  à  ses 
amis  la  cité  future  qu'il  édifie  pour  ses  élus,  cité  qui 
ne  connaîtra  plus  les  larmes,  ni  la  douleur,  il 
fait  apparaître  aux  regards  de  ses  confidents  la 
nouvelle  terre  et  les  nouveaux  cieux  où  l'on  oubliera 
les  tristesses  et  les  orages  de  la  terre  primitive  et 
des  cieux  antiques. 

La  parole  du  Tout-Puissant  s'étend  à  tous  les  biens 
qui  nous  sont  nécessaires  [)onr  arriver  à  la  béati- 
tude. 11  promet  de  veiller  sur  nous  chaque  jour  et 
de  nous  défendre  efficacement  contre  les  ennemis  de 
notre  destinée,  de  nous  pardonner  avec  un  onipres- 


5b  l'espérance 

sèment  miséricordieux  et  d'effacer  nos  fautes  si 
nous  avons  mal  fait,  de  nous  consoler,  si  nous 
sommes  affligés,  avec  plus  de  tendresse  que  la  mère 
n'en  met  à  consoler  son  enfant,  de  nous  nourrir  et 
de  nous  vêtir  si  la  faim  nous  torture,  si  la  misère 
nous  accable,  avec  plus  de  sollicitude  qu'il  n'en 
apporte  à  donner  leur  pâture  aux  oiseaux  du  ciel  et 
leur  robe  aux  lys  des  champs. 

Dieu  ne  se  contente  pas  d'une  simple  promesse,  il  y 
joint  un  serment  dont  nous  avons  pris  acte.  Voulant 
montrer  avec  plus  d'évidence  à  ses  héritiers  l'im- 
muable stabilité  de  ses  desseins  et  offrir  h  notre 
confiance  un  appui  inébranlable,  il  jure  de  nous 
sauver  et  par  là  il  donne  à  sa  volonté  un  caractère 
irrévocable. 


Cette  promesse  affermie  par  un  serment  nous 
garantit  que  Dieu  peut,  que  Dieu  veut,  que  Dieu 
doit  nous  couronner  dans  le  ciel  et  nous  accorder 
sur  la  terre  les  secours  dont  nous  avons  besoin  pour 
mériter  le  bonheur  éternel. 

Elle  nous  garantit  que  Dieu  peut  nous  sauver. 
car  s'il  s'engageait  à  faire  ce  qu'il  lui  est  interdit  de 
faire,  il  se  tromperait  sur  son  propre  compte.  Une 
pareille  erreur  serait  la  négation  de  la  science 
qu'il  a  de  lui-même  et  sans  laquelle  il  ne  demeu- 
rerait point  l'Être  parfait  découvert  par  la  raison  et 
révélé    par  la   foi.    Quœcuiiique  proinisit,    poLens 


DEUXIÈME   CONFÉRENCE  57 

est  facere  (1).  Elle  nous  garantit  que  Dieu  veut 
nous  sauver,  car,  s'il  nous  donnait  sa  parole  en 
restant  résolu  à  ne  pas  la  tenir,  il  nous  jouerait 
indignement,  il  ne  serait  plus  la  Vérité  à  laquelle 
il  est  interdit  de  mentir.  Elle  nous  garantit  que 
Dieu  doit  nous  sauver,  car  la  promesse  et  le  serment 
obligent  leur  auteur  gravement  et  en  justice.  Pro- 
mettre, c'est  donner  d'avance,  c'est  aliéner  ce  que 
l'on  promet,  c'est  en  perdre  la  propriété  au  profit 
de  celui  vis-à-vis  de  qui  on  s'engage.  On  ne  le 
retient  pas  pour  soi,  on  n'essaye  pas  de  le  reprendre 
sans  manquer  aux  lois  primordiales  de  l'équité,  au 
point  que  le  monde  si  indulgent  ne  pardonne  pas 
à  l'homme  oublieux  de  sa  parole,  qu'il  le  déclare 
disqualifié,  déshonoré;  au  point  que  les  races  sau- 
vages peu  scrupuleuses  en  matière  de  morale  regar- 
dent le  parjure  comme  un  des  crimes  les  plus  abo- 
minables dont  la  conscience  puisse  se  rendre  cou- 
pable. Qui  oserait  soutenir  que  Dieu  ne  reculera 
pas  devant  une  pareille  iniquité?  Aussi,  c'est  au 
nom  de  la  justice  que  la  grâce  est  due  à  tous,  au 
nom  de  la  justice  que  la  gloire  est  due  à  quiconque 
aura  correspondu  à  la  grâce,  au  nom  de  la  justice 
que  saint  Paul,  que  tous  les  élus  réclameront  leur 
récompense  :  In  reliquo  reposita  est  mihi  corona 
jusliiiœ  (2). 


(1)  Romains,  iv,  21 

(2)  II   Timolh.,  iv,  8.  —  Cf.  Appond.,  n.  fi.  p.  30S. 


58  l'espérance 

Enfin,  Messieurs,  l'accomplissement  partiel  des 
promesses  nous  répond  de  son  accomplissement 
total  :  qu'il  s'agisse  des  individus,  des  familles,  des 
peuples,  du  monde,  tout  ce  que  Dieu  annonce  se  pro- 
duitau  jour  età  l'heure  fixes  par  lui.  Si  difficilement 
réalisables  que  paraissent  ses  desseins,  si  faibles  que 
soientlesinstruments  dontilse  sert  pouratteindre  son 
but,  il  triomphe  :  les  personnages  surgissent, leschqses 
arrivent  comme  d'avance  il  l'avait  voulu,  déterminé, 
prédit.  Abraham,  Isaac,  Jacob,  David  reçoivent  des 
bénédictions  qui  doivent,  si  l'on  en  croit  Jéhovah, 
aboutira  la  naissance  d'un  Messie  appelé  à  régir 
l'univers,  à  l'établissement  d'un  royaume  spirituel 
oîi  viendront  s'abriter  toutes  les  âmes  bonnes  et  sin- 
cères :  au  moment  prédestiné,  le  Christ  apparaît, 
assure  à  la  race  d'Israël  la  victoire  qu'elle  attendait 
depuis  des  milliers  d'années,  devient  le  centre  de 
l'histoire.  Jésus  lui-même  multiplie  au  nom  de  son 
Père  les  promesses,  je  vous  défie  de  trouver  sa  fidé- 
lité en  défaut.  Dès  qu'un  esprit  impartial  lit  atten- 
tivement l'Evangile,  il  constate  que  les  faits  répon- 
dent aux  prophéties  avec  une  rigueur  qui  ne  souffre 
pas  d'exception.  Le  Sauveur  affirme  qu'il  attirera  les 
âmes  à  lui  parla  vertu  de  sa  croix,  ce  qui  semble  un 
défi  à  la  raison  ;  il  les  attire  en  effet.  A  peine  a-t-il  été 
élevé  sur  le  gibet  que  sa  conquête  commence,  que 
l'humanité  vient  au  Martyr,  reconnaît  le  caractère 
céleste  de  sa  mission,  la  vérité  de  sa  parole  et  la  sur- 
naturelle sagesse  de   sa  loi.  Peu  à  peu,  il  devient  le 


DEUXIÈME   CONFÉRENCE  59 

Docteur,  le  Souverain  vers  lequel  se  tournent  les 
regards  des  générations.  Il  fonde  une  société, 
l'Église,  à  laquelle  il  promet  jusqu'à  la  fin  des  temps 
une  assistance  efficace.  L'Eglise  voit  depuis  deux 
mille  ans  s'accomplir  ces  oracles,  elle  se  heurte  à 
toutes  les  conspirations;  une  force  mystérieuse  la 
soutient  et  la  rend  invincible.  Ainsi  en  est-il  de 
toutes  les  promesses  qui  devaient  s'accomplir  dans 
le  temps.  Leur  réalisation  à  la  date  marquée  le 
prouvent  :  ce  que  Dieu  annonce,  ce  que  le  Christ 
annonce  arrive  infailliblement  et  toujours  (1). 

Si  donc,  ils  ont  promis  aux  hommes  dociles  la 
grâce  et  la  gloire,  ils  ne  manqueront  pas  plus  à  leurs 
engagements  dans  l'avenir  qu'ils  n'y  ont  manqué 
dans  le  passé.  De  sorte  que  votre  espoir  est  quatre 
fois  assuré  du  coté  de  Dieu  :  assuré  par  la  toute- 
puissance,  assuré  par  la  bonté  qui  entraîne  la  puis- 
sance, assuré  par  la  promesse  qui  lie  la  justice, 
assuré  par  la  fidélité  qui  garantit  à  l'avenir  ce  qu'elle 
a  tenu  pour  le  passé.  Son  appui  est  inébranlable, 
elle  ne  sera  point  confondue.  In  te,  Domine,  speravi^ 
non  confundar  in  aelernum. 

Ces  vérités,  Messieurs,  renferment  de  salutaires 
leçons  qu'il  convient  de  méditer.  Notre  salut  dépend 
de  la  toute-puissance  auxilialrice  de  Dieu  comme  de 
sa  cause  première.  Vouloir  aborder  au  ciel  sans  le 
secours  de  cet  agent  que  personne  ne  peut  suppléer, 

(1)  Appond.,  11.   7,   p.   308. 


60  l'espérance 

serait  aller  au-devant  d'un  inévitable  naufrage. 
C'est  donc  à  Dieu  qu'il  faut  s'attacher  par-dessus 
tout  quand  on  ne  veut  pas  manquer  sa  destinée. 
Lorsque  la  tentation  nous  presse,  nous  obsède,  nous 
affole,  c'est  à  lui  qu'il  faut  recourir  pour  échapper 
à  la  tempête.  Lorsque  l'on  a  été  vaincu  par  le  mal 
et  qu'on  en  porte  le  stigmate  et  le  fardeau,  c'est  lui 
qu'il  faut  appeler  pour  réparer  le  désastre  et  pour 
effacer  la  tache  infamante.  Lorsque  la  mort  ap- 
proche, lorsque  l'heure  sonne  de  quitter  la  terre, 
c'est  encore  lui  qu'il  faut  invoquer  comme  le  seul 
passeur  capable  de  nous  transporter  des  ténèbres  du 
temps  aux  clartés  de  la  vie  éternelle. 

Mais  il  a  choisi  le  Christ  et  l'Eglise  comme  média- 
teurs, il  a  décidé  que  nul  n'arrivera  jusqu'à  lui 
sans  s'adresser  aux  deux  ministres  de  sa  puissance 
et  de  sa  miséricorde:  quiconque  s'avise  de  né- 
gliger ces  auxiliaires  officiels  et  prétend  s'ap- 
puyer directement  et  uniquement  sur  Dieu 
verra  se  fermer  devant  lui  les  portes  de  la 
patrie.  Le  Christ  et  l'Eglise  emploient  les  sacre- 
ments comme  moyens  de  sanctification  et  de  salut: 
nul  ne  fuira  la  damnation  s'il  n'use  de  ces  instru- 
ments destinés  à  nous  soutenir  et  à  nous  ranimer 
pendant  notre  pèlerinage  de  la  terre  aïi  ciel.  Enfin, 
Messieurs,  le  Créateur  veut  que  sous  sa  haute 
direction  la  créature  par  ses  efforts  et  par  ses 
œuvres  mérite  le  bonheur  :  à  nous  de  répondre 
aux  avances  de  la  grâce  et  de  nous  assurer  par  notre 


DEUXIÈME   CONFÉRENCE  61 

bonne  volonté,  par  notre  activité,  des  droits  auprès 
du  suprême  Rémunérateur.  En  s'appuyant  sur  tous 
ces  agents  subordonnés  entre  eux  d'une  manière 
admirable,  sur  Dieu,  sur  le  Christ,  sur  l'Eglise,  sur 
les  sacrements,  sur  nous-mêmes,  notre  espérance 
se  montrera  invincible  et  nous  soulèvera  infaillible- 
ment jusqu'au  Paradis. 


TROISIÈME  CONFÉRENCE 


LA  VERTU  D'ESPÉRANCE 


SOMMAIRE 


Résumé  des  deux  premières  Conférences.  Nouveau  pro- 
blème :  qu'est  l'espérance  considérée  en  elle  même  et  dans 
son  essence?  C'est  une  vertu  qui  a  quatre  fonctions,  d.  67-68. 


1 

L'espérance  nous  fait  vivre  par  le  cœur  dans  l'atmosphère 
des  bienheureux,  de  la  Divinité. 

a)  Mécanisme  de  la  vie  considérée  à  3es  différents  étages, 
p.  69. 

b)  L'espérance  est  un  nouveau  degré  de  vie.  Témoignages  de 
saint  Pierre  et  du  Concile  de  Trente.  Le  Christ  est  venu  pour 
nous  assurer  la  surabondance  do  la  vie.  Comment  l'espérance 
nous  communique  une  vie  qui  se  manifeste  à  l'extérieur,  qui 
se  nourrit  de  Dieu  où  elle  trouve  son  objet  et  son  aliment, 
p.  TO-72. 


II 

Aj'espérance  élève  le  niveau  de  la  vie  parce  ([u'elie  porte 
à  sa  plus  haute  expression  notre  volonté  d'être  heureux. 

a)  La  grandeur  de  la  volonté  se  mesure  à  la  grandeur  du 
but  où  la  volonté  cherche  son  bonheur.  Le  Chrétien  (|ui  espère 
veut  monter  jusqu'à  Dieu,  «-'est-à-dire  aussi  haut  ipie  pos- 
sible, p.  72-74. 

l)}  Sous  l'empire  de  l'espérance  le  chrétien  se  maint ic.nt  à 
cette  hauteur,  ce  qui  suppose  en  lui  une  grande  force,  p.  7'i--7.">. 

c)  (^e  but  poursuivi  par  l'i'spérance  est  sarnaliircl.  Ce  qui 
entraîne  en  elle  une  énergie  d'essence  et  d'origine  surnalu- 
relles,  p.  7!i. 

d)  L'espérance  serait  lui  rêve,  si  elle  no  nmis  roiid.iil 
capables  d'user  de  la  toute  |)uissance  d(;  Dion  pour  arriver  à 
Dieu.  Iillle  nous  confère  cette  puissance  d'employer  la  force 
de  Dieu  pour  monter  jusqu'à  Dieu.  p.  7.)-70. 

l'ksI'KKVnci:.  —  ;;. 


86  l'espérance 


m 

a)  Le  vouloir  de  l'espérance  iiorte  sur  l'avenir.  Mélange  de 
joie  et  de  tristesse  dans  l'espérance  qui  compte  sur  le  bon- 
heur, mais  qui  ne  l'atteint  pas  en  ce  monde.  Impatience  des 
âmes  qui  voudraient  dès  maintenant  jouir  pleinement  de  Dieu. 
Nécessité  pour  nous  de  nous  contenter  ici-bas  des  demi-satis- 
factions qui  nous  sont  données.  Pourquoi  l'espérance  mérite 
son  nom  de  vertu  bien  qu'elle  ne  conduise  pas  la  volonté  à 
la  dernière  perfection,  qui  ne  se  trouvera  que  dans  la  pos- 
session du  bien  suprême,   p.  76-79. 

6)  L'espérance  nous  rend  capables  d'attendre.  Force  que 
cette  attente  suppose  en  nous,  p.  79-81. 

cl  La  fermeté  de  notre  attente  repose  sur  la  certitude  que 
nous  avons  de  réussir.  Notre  certitude  est  inébranlable  du 
côté  de  Dieu  qui  ne  nous  manquera  pas,  elle  est  fragile  de 
notre  côté  parce  que  nous  sommes  faillibles,  p.  81-84. 

IV 

L'espérance  nous  pousse  à  l'effort,  à  l'action,  à  la  lutte, 
c'est  donc  une  énergie  intérieure. 

a)  Sous  son  influence,  la  volonté  s'élance  hardiment  verg 
la  béatitude.  L'espérance  d'après  Giotto,  étend,  élargit,  pro- 
longe la  volonté  et  la  rapproche  de  la  béatitude,  p.  84-85. 

6)  Cet  effort  inspiré  par  l'espérance  est  laborieux  et  nous 
presse  de  nous  emparer  de  tous  les  moyens  mis  à  notre  dis- 
position pour  atteindre  la  félicité.  Il  est  absorbant  et  nous  fait 
négliger  ce  (|ui  ne  se  rapporte  pas  à  notre  fin  dernière.  Il  a 
quelque  chose  de  militanl.  A' agressif,  de  vaillant,  p.  85-88. 

Dans  ces  conditions  l'espérance  mérite  son  nom  de  vertu, 
car  elle  nous  rend  meilleurs;  de  vertu  surnaturelle  car  elle 
porte  sur  un  objet  surnaturel;  de  vertu  théologale  car  elle 
s'élance  vers  Dieu  .elle  s'appuie  sur  Dieu,  elle  naît  de  Dieu, 
elle  se  renouvelle,  s'avive  et  se  maintient  par  Dieu,  p.  88-89. 


TROISIÈME  CONFÉRENCE 


LÀ  VERTU  D'ESPÉRANCE 


Eminentissime  Seigneur  (1), 
Monseigneur  (2), 
Messieurs, 

Nous  connaissons  les  cadres  où  se  meut  l'espé- 
rance chrétienne,  les  larges  perspectives  ouvertes 
à  ses  ambitions.  Elle  porte  sur  la  béatitude, 
c'est-à-dire  sur  Dieu,  elle  s'étend  à  tous  les  biens 
naturels  ou  surnaturels  relatifs  à  cette  fin  et  indis- 
pensables à  quiconque  veut  l'atteindre.  Elle  s'inté- 
resse dans  sa  sollicitude  attendrie  au  sort  de  tous 
les  hommes  et  niT-me  à  l'avenir  des  êtres  sans 
raison,  sans  vie,  répandus  autour  de  nous  par  la 
main  libérale  du  (Iréateur.  Nous  connaissons  b-i 
force  à  la(|uelle  elle  demande  son  appui  :  c'est  la 


(1)  s.  E.  Mgr  )o  cartiiiitil  Amclte,  urL-lievcnue  do  Parisi 

(2)  Mki-  Orelier,  4vâqua  ils  Luvtth 


G8  l'espérance 

Toute-Puissance  de  Dieu.  Dieu,  en  vertu  Je  sa  sou- 
veraineté, a  la  faculté  de  nous  faire  passer  des 
épreuves  du  temps  aux  joies  pures  de  l'éternité,  et 
de  nous  accorder  sur  la  terre  les  secours  dont  nous 
avons  besoin  pour  mériter  ce  destin.  Il  veut  par 
bonté  nous  l'assurer,  il  s'y  oblige  par  une  promesse 
précise,  détaillée,  renouvelée,  que  nous  voyons 
s'accomplir  partiellement  en  ce  monde,  que  nous 
verrons  s'accomplir  totalement  dans  l'autre. 

Mais  l'espérance  considérée  en  elle-même  et  dans 
son  essence  est  quelque  chose  :  il  faut  maintenant 
savoir  ce  qu'elle  est,  ce  que  nous  entendons  lorsque 
nous  disons  d'un  homme  qu'il  espère  la  béatitude 
éternelle. 

L'espérance,  Messieurs,  est  pour  les  docteurs 
catholiques  une  vertu  qui  se  range  entre  la  foi  et  la 
charité.  Elle  nous  fait  vivre  par  le  cœur  dans  l'at- 
mosphèrD  de  la  Divinité,  elle  élève  à  son  plus  haut 
degré  notre  volonté  de  parvenir  à  la  béatitude  cé- 
leste, elle  nous  rend  capables  d'attendre  cette 
béatitude  avec  une  confiance  inébranlable,  elle 
imprime  à  ITiine  un  élan  vigoureux  et  nous  entraîne 
vers  le  supr^'uie  objet  de  nos  vœux.  En  remplissant 
ces  quatre  fonctions,  elle  mérite  surabondaînment 
son  nom  de  vertu  surnaturelle  et  théologale  :  c'est 
ce  que  j'entreprends  de  vous  prouver. 


TROISIÈME   GONFÉREiNCE  Gl) 


I 


L'espérance  chrétienne  nous  fait  vivre  par  1(?  cœur 
dans  l'atmosphère  bienheureuse  de  la  Divinité. 

A  chaque  étage  de  la  vie  apparaît  un  organisme 
requis  par  l'exercice  des  fonctions  propres  à  la 
plante,  à  l'animal,  à  l'être  raisonnable,  à  l'homme 
religieux.  Que  de  fibres  exige  le  végétal  pour  se 
développer  et  produire  son  fruit!  Que  de  nerfs,  que 
de  muscles  sont  indispensables  à  la  créature  douée 
de  sensibilité!  Ouellcs  puissances  spéciales  doit 
mettre  en  œuvre  l'homme  pour  suivre  la  dircclinu 
que  lui  impose  sa  constitution  intellectuelle!  I.a 
vigueur  de  l'individu  dépend  en  grande  partie  de 
la  valeur  des  organes  qui  la  servent.  Si  une  faculIT' 
manque  ou  si  elle  est  inférieure  à  sa  tâche,  l'en- 
semble insuffisamment  armé  se  ressent  de  celte 
mutilation  et  végète  péniblement.  Si  au  contraire 
l'organisme  est  complet,  la  vie  bat  son  plein  et 
l'activité  se  déploie  dans  toute  son  ampleur.  Le 
chrétien  a  besoin,  pour  s'adapter  à  l'iudic  divin, 
au(|uel  il  est  appeb',  pour  s'y  {q)ani)iiir  et  s  y 
mouvoir  aisément,  des  vertus  snrnatiM(  lies.  Ces 
vertus  affectent  directement  les  puissanc<'s  agis- 
santes, mais  indirectement  elles  augmcnîciit  la  vie 
de  l'âme  même,  comme  la  sèvedes  rameaux  conlri- 
bue  à  augmenter  la  force  de  l'arbre  tout  entier  ;  1). 

(1)  Appcnd.,  n.  1,  j).  301. 


70  l'espérance 

Que  respérance  soit  un  nouveau  degré  d'être  et 
de  vie  c'est  ce  que  saint  Pierre  affirme  quand  il 
écrit  qu'elle  vivifie  l'homme  en  le  régénérant, 
rcgeneravit  nos  in  spem  vivam,  c'est  ce  que  répète 
le  Concile  de  Trente  quand  il  assure  qu'elle  élève  le 
niveau  de  notre  perfection,  eriguntiir  in  spem.  Je 
ne  saurais  trop  vous  le  redire  :  le  Christ  ne  s'em- 
pare des  âmes  que  pour  les  faire  vivre  davantage, 
chacun  de  ses  dons  nous  apporte  une  énergie  qui 
restaure  la  nature  et  la  transfigure.  Le  but  qu'il  se 
propose  en  venant  sur  la  terre  c'est  de  nous  rani- 
mer, de  répandre  dans  les  profondeurs  de  la  con- 
science et  de  l'activité  une  sève  féconde  et  les  ger- 
mes d'une  force  inépuisable.  Ceux  qui  représentent 
sa  religion  comme  une  institution  destinée  à  répri- 
mer notre  essor,  à  empêcher  notre  développement, 
à  réduire  les  proportions  de  l'individu,  à  en  étouffer 
le  rayonnement,  ont  bien  mal  compris  l'œuvre  du 
Sauveur  qui  ne  s'ébauche  pas  sans  que  le  fils 
d'Adam  monte  au-dessus  de  lui-même,  qui  ne 
progresse  pas  sans  dilater  nos  facultés,  qui  ne 
s'achève  pas  sans  nous  assurer  la  plénitude  dont, 
sous  l'action  d'En-Haut,  nous  sommes  suscep- 
tibles. Jésus  donne  ce  qu'il  promet;  or,  sans 
cesse  à  ses  fidèles  disciples  il  promet  l'eau 
vive,  le  pain  de  vie,  la  surabondance  delà  vie.  Veni 
ut  vitam.  habeant  et   superabundantius  habeant. 

Lorsqu'il  verse  en  nous  les  ondes  aimables  de 
l'espérance,  il  nous  comuiunique  une  dose  de  vie, 


TROISIKJIE  CONFÉRENCE  71 

il  opère  en  nous  une  métamorphose  merveilleuse  et 
toute  à  notre  avantage. 

A  peine  l'espérance  a-t-elle  pris  possession  de 
nous  que  le  corps  se  redresse,  que  la  trte  se  lève, 
que  les  sourcils  se  haussent,  que  le  visage  se  colore, 
que  les  yeux  se  remplissent  d'une  flamme  douce  et 
apaisée.  On  dirait  qu'elle  lait  couler  dans  les  veines 
un  sang  plus  chaud,  plus  généreux,  tant  elle  im- 
prime d'assurance,  de  fermeté  à  la  démarche,  à  la 
physionomie  et  tant  elle  fait  palpiter  le  cœur.  Ces 
phénomènes  extérieurs  ont  évidemment  leur  prin- 
cipe dans  une  perfection  intérieure,  perfection  si 
importante,  si  chère  qu'on  ne  la  perd  point  sans 
être  profondément  blessé,  sans  éprouver  une  défail- 
lance générale,  sans  tomber  dans  une  espèce  d'a- 
gonie pareille  à  celle  que  Ton  ressent  quand  on  est 
atteint  dans  un  organe  nécessaire  et  vital. 

Elle  nous  fait  vivre  dans  l'atmosphère  bienheu- 
reuse de  la  Divinité,  car  elle  nous  suspend  à  son 
objet  qui  est  Dieu,  et  elle  nous  en  nourrit;  Spes 
facit  Deo  adhœrere  prout  est  nobis  principium 
perfectx  bonilatls  (1).  Espérer,  en  effet,  c'est 
par  avance  vivre  de  ce  que  l'on  espère,  c'est  y  fixer 
son  regard,  y  revenir  sans  cesse,  s'en  préoccuper 
d'une  manière  continue,  y  trouver  l'aliment  de  ses 
pensers.  Cette  vie  est  d'autant  plus  précieuse  que 
le  bien  auquel  elle  puise  sa  force  est  plus  parfait  : 

(1;  S.  Th.,  II''  II"",  i\.  wii,  art.  G. 


72  l'espérance 

si  c'est  le  Souverain  Bien,  elle  est  souverainement 
noble;  si  c'est  Dieu,  elle  est  divine.  Aussi  saint 
Augustin  a  pu  prononcer  ces  paroles  :  ((  Vila  noslva 
modo  spes  est,  vita  nostra  postea  aiiernitas  erit  : 
Vita  vitiE  mortalis,  spes  est  vitas  immortalis.  Main- 
tenant l'espérance  c'est  notre  vie  ;  plus  tard  l'éter- 
nito  sera  notre  vie.  L'espérance  de  l'immortelle  vie 
est  la  vie  de  la  vie  mortelle  (1).  » 

II 

L'espérance  élève  le  niveau  de  la  vie  parce  que 
directement  elle  porte  à  sa  plus  haute  expression 
notre  volonté  d'être  heureux  (2). 

Nous  jugeons  de  la  grandeur  de  la  volonté 
humaine  par  la  grandeur  du  but  où  elle  ciierchc  son 
bonheur.  Dites-moi  où  vous  placez  votre  félicité, 
montrez-moi  la  réalité  à  laquelle  vous  entendez  la 
demander,  je  vous  dirai  (|ui  vous  êtes.  Pour  la 
placer  dans  des  choses  abjectes,  il  laut  une  volonté 
abjecte.  Pour  la  placer  dans  les  objets  qui  grisent 
la  sensibilité,  il  suffit  d'être  une  bête.  L'àme  qui 
l'attend  des  satisfactions  de  la  vie  mondaine  est 
légère  et  superficielle  comme  le  sourire  qui  la 
charme,  comme  le  spectacle  qui  la  ravit,  comme 
i'npplaiiiiissement  qui  la  transporte.  Celle  qui  la 
réclame  de  l'amitié,  de  la  science,  de  la  famille,  de  la 


{])  F.niirral.  in  l's.  au.  17. 
fjj  Api)  lui.,  u.   2,  p.  3U7. 


TROISIÈME  CONFÉRENCE  73 

connaissance  naturelle  de  Dieu  ne  dépasse  pas  les 
limites  de  la  perfection  humaine.  Il  y  a,  en  ciïet, 
une  proportion  exacte  entre  ce  que  nous  voulons 
et  ce  que  nous  sommes,  pourvu  toutefois  que  nos 
etforts  aient  vraiment  chance  d'aboutir  au  résultat 
désiré. 

Or,  le  chrétien  qui  espère  vent  monter  jusqu'à 
Dieu,  considéré  en  lui-môme  et  dans  son  essence, 
veut  partngcr  la  gloire  propre  à  Dieu,  goûter 
réternelle  joie  qui  n'appartient  par  nature  qu'à 
Dieu,  puiser  sa  béatitude  où  Dieu  la  puise  lui-même. 
11  ne  prononce  [)lus  seulement  les  paroles  chî  la 
loi  :  «  Dieu  est  la  seule  réalité  assez  vaste  et  assez 
douce  pour  me  rendre  heureux  »  ;  il  dit,  sous  l'em- 
pire d'une  résolution  absolue,  indomptable  :  «  Do- 
minus  pars  Jiœredildlis  iiieœ.  Le  Seigneur  est  la 
part  d'héritage  que  j'ai  choisie.  »  D'autres  uiettent 
leur  conliance  dans  les  ivresses  de  la  table  et  du 
vin,  dans  les  extases  des  plaisirs  et  de  la  débauche, 
dans  l'argent,  dans  la  science.  Moi  je  la  place  au 
delà  des  cboses  périssables,  au  sommet  (|uc  rien  ne 
dépasse,  au-dessus  du(juel  il  n'y  a  plus  rien  de  dési- 
rable; rinlini  m'inquiète  eL  me  tourmente,  je  veux 
voir  Dieu,  je  veux  posséder  Dieu,  étancher  ma  soif 
au  torrent  de  délices  qui  coule  eu  Dieu.  Telle  est 
la  disposition  que  l'espérance  grave  dans  l'ànH', 
l'ambition  qu'elle  y  suscite  et  qu'elle  y  entretient. 
Mais  quelle  n'est  pas  la  puissance  du  vouloir  capable 
de  se  porter  aussi  haut!  Oiirli»'  Mi|M''ii(irilé  ne  sup- 


74  r/ESPÉRANCE 

pose-t-il  pas  dans  la  faculté  d'où  il  émane  (1)! 
Le  chrétien  s'élève  à  ce  degré,  il  s'y  maintient, 
sans  permettre  à  ses  aspirations  de  descendre, 
ni  de  déchoir  :  son  vouloir  est  durable  et  tenace, 
car  son  espoir  est  un  sentiment  stable  et  per- 
manent. Les  biens  relatifs  qui  se  présentent  à 
ses  regards  et  qui  sollicitent  son  cœur  l'entraî- 
neront peut-être  momentanément,  mais  dans  ses 
égarements  les  plus  coupables,  il  se  réservera.  Les 
créatures,  quelque  attrait,  quelque  iniluence  qu'elles 
exercent  sur  sa  conduite,  nobtiendront  pas  qu'il 
s'abandonne  totalement  et  définitivement  à  elles; 
c'est  en  vain  qu'elles  essayeront  de  se  substituer 
à  Dieu,  elles  ne  réussiront  pas  à  le  supplanter. 
Tombé  dans  les  abîmes  qui  rendront  plus-difficile 
et  plus  pénible  son  ascension,  le  disciple  du  Christ 
criera  encore  vers  le  Seigneur  et  lui  répétera  : 
«  Mon  repos  et  mon  salut  ne  sont  qu'en  toi.  »  Ce  cri 
couvrira  jusqu'à  la  fin  le  tumulte  des  passions 
triomphantes,  le  bruit  des  catastrophes  morales  et 
des  événements  tragiques.  Si  dépouillé,  si  désem- 
paré, si  désarmé  qu'il  paraisse,  il  garde  sa  préten- 
tion. Bien  des  fois,  sur  le  chemin  qui  conduit  à 
Dieu,  il  tombe,  il  se  traîne,  il  ne  renonce  pas  à 
sa  destinée.  Après  le  mal  qui  lui  barre  la  route,  il 
escompte  le  pardon  qui  la  déblaie,  après  la  vie  dont 
le  prix  semble  compromis,  il  veut  la  sainte  mori 
qui  lui  rouvrira  les  portes  de  la  gloire.  Cette  téna- 

(1)  Append.,  11.  3,  p.  308. 


TROISIKJIE   CONFKRF.NCE 


cité  suppose  dans  la  volonté  une  force  que  la  lulte 
n'épuise  pas,  que  la  défaile  même  ne  brise  pas. 
Cette  force  c'est  l'espérance,  l'espérance  qui  sauve- 
garde, malgré  tous  les  naufrages,  la  résolution  d'arri- 
ver au  port,  l'espérance  qui  du  dedans  pousse  l'âme  à 
revenir  toujours  à  Dieu  comme  à  son  bonheur. 

Le  but  poursuivi  est  surnaturel,  il  faut  que  l'es- 
pérance pour  nous  y  adapter  soit  du  même  ordre, 
que  dans  son  essence  comme  dans  la  cause  qui 
l'éveille  en  nous  elle  soit  divine.  Elle  ne  tire  donc 
pas  son  origine  de  l'instinct  inné  qui  nous  fait 
rechercher  le  bonheur,  elle  ne  s'acquiert  pas  par  la 
fréquence  d'actes  émanés  de  la  nature  :  elle  est  une 
fille  et  une  forme  de  la  grâce,  et  la  grâce  a  Dieu 
pour  auteur.  C'est  donc  Dieu  qui  répand  l'espoir 
chrétien  dans  nos  âmes,  comme  il  y  répand  la  foi 
et  la  charité,  c'est  Dieu  qui  le  conserve,  qui  en 
augmente  l'intensité,  qui  en  avive  l'ardeur  et  la 
flamme.  Cette  pénétration  ne  réussit  pas  malgré  nous  : 
l'espérance  doit  être  librementacceptée  par  l'homme, 
elle  s'enracine  en  nous  par  notre  coopération  et  par 
notre  consentement;  mais  cette  coopération  et  ce 
consentement  sont  encore  inspirés  par  Dieu  et  dus 
avant  tout  à  son  action  intime  sur  nous. 

L'espérance  est  donc  une  source  de  nobles,  de 
surnaturels,  de  durables  vouloirs  qui  s'attachent  à 
labéatitude  éternelle. Cependantces  vouloirs  seraient 
de  purs  rêves,  de  pures  illusions,  si  nous  ne  dis- 
posions de  moyens  pn)[)ortiiinnés  ù  la  lin  (juc  nous 


76  l'espérance 

désirons  atteindre  el  si   nous  uctions  résolus  à  les 
employer.  C'est  par  la  puissance  de  Dieu  que  nous 
pouvons  arriver  au  l)ul,   d"oii  il  suit  que  le  vouloir 
de  l'espérance    aura  de  rcflicacitc  s'il  est  capable 
d'user    de    la    toute-puissance  de  Dieu   comme  du 
moyen  de  nous  sr.uvor.  Mais  nul  ne  peut  manier  ce 
grand    levier    sil  n'est    en  possession   d'une   force 
exceptionnelle.  Ce  n'est  pas  assez  d'avoir  à  sa  por- 
tée Tépée  des  j^^rands  con([uérants,  pour  s'en  servir 
victorieusement  il  faut  être  doué  de  leur  vigueur  et 
de  leur  souplesse.  L'espérance  exalto  la  volonté  en 
l'attachant  à  Dieu  envisagé  dans  sa  qualité  de  sou- 
verain Bien,  en  la  rendant  capable  d'user  de  la  Toute- 
Puissance  de  Dieu  pour  arriver  à  la  suprême  Béati- 
tude. Spes  facit  Dco  inhœrerc  proiit  esL   in  nobis 
principium  perfcctœ  boiiitalis,  in  quantum  scilicet 
perspeni  divino  auxilio  innitimur  ad  bcalitudiiiem 
obtinendani  (1). 


m 

Le  vouloir  dont  l'espérance  est  le  principe  porte 
sur  l'avenir.  Dieu  ne  se  donne  point  complètement 
en  ce  monde,  il  se  réserve  pour  l'éternité.  Les  jours 
et  les  années  doivent  passer  avant  que  nous  puis- 
sions goûter  le  bonheur  à  sa  source. 

Aussi  longtemps  que  nous  sommes  en  ce  corps, 


(1)  s.  Th.,  II»  II*,  q-  svii,  art.  6. 


TROISIEME   CONFERENCE  77 

dit  saint  Paul,  nous  hajjitons  loin  du  Seigneur, 
quamdiu  sumus  in  corpore,  peregrinamur  a  Do- 
mino (1).  C'est  pourquoi  l'espérance  laisse  de  la 
tristesse  dans  l'âme  et  des  larmes  dans  les  yeux. 
La  terre  est  un  lieu  d'exil  oii  l'on  ne  jouit  ni  des 
visions,  ni  des  satisfactions  propres  à  la  patrie. 
Exil  d'autant  plus  douloureux  que  la  distance  est 
plus  grande  de  notre  condition  présente  à  notre 
condition  future,  exil  d'autant  plus  douloureux  que 
nous  sommes  tenus  de  renoncer  aux  plaisirs  déré- 
glés où  les  païens  cherchent  follement  Touhli  de  leur 
misère.  Ne  vous  étonnez  donc  pas,  si,  parfois,  vous 
vous  surprenez  à  en  souhaiter  la  hn  comme  l'Apôtre, 
si  vous  êtes  envahis  par  la  mélancolie  qui  dictait  à 
David  ces  paroles  :  «  Heu  niihiquia  incolalus  meus 
prolongatus  est!  Malheureux  que  je  suis  de  voir  se 
prolonger  mon  exil!  (2)  »  Ne  vous  étonnez  même  pas, 
si,  placés  entre  des  joies  qui  ne  suffisent  pas  à  votre 
cœur  plus  altéré  et  une  béatitude  que  vous  ne  possédez 
pas  encore,  vous  sentez  plus  vivement  le  vide  des 
premières  et  l'absence  de  la  seconde.  Vous  ressem- 
blez aux  Israélites  captifs  qui,  étrangers  aux  fêles 
de  Babylone  et  ne  pouvant  [)as  encore  assister  aux 
solennités  de  Jérusalem,  pleuraient  sur  les  bords 
dos  neuves  où  les  enchaînaient  leurs  ennemis. 

IJieii     des     ôimes    voudraitMit     dès      niainlenanl 
échapper  aux  tentations,  aux  douleurs  inséparables 

(1)  II  Corinth  ,  V,  6. 

(2)  /'s.,  cxix,  5. 


78  l'espérance 

de  la  vie  présente,  sentir  Dieu,  e:oûter  la  joie  et  le 
repos  propres  aux  bienheureux.  Elles  ne  cessent  pas 
de  gémir  de  leurs  tribulations;  elles  s'agitent,  elles 
se  tourmentent,  elles  s'insurgent  parce  qu'elles  ne 
trouvent  pas  dans  la  religion,  dans  la  fidélité  au 
devoir,  dans  la  pratique  des  vertus  chrétiennes  la 
pleine  satisfaction  qu'elles  désirent.  Il  faut  pour- 
tant se  résigner  et  comprendre  que  nous  marchons 
ici-bas  dans  la  foi,  non  dans  la  vision,  dans  l'espé- 
rance, non  dans  la  possession.  Sans  doute,  de  temps 
en  temps,  le  ciel  s'entrouvre  et  laisse  descendre 
sur  nous,  pour  nous  encourager,  quelque  lueur, 
quelques  délices.  C'est  ainsi  qu'un  instant  il 
enveloppa  de  clartés  mystérieuses  le  Christ  au 
Thabor,  c'est  ainsi  que  Moyse,  que  saint  Paul  furent 
transportés  à  des  hauteurs  et  goûtèrent  des  ra- 
vissements dont  ils  ne  surent  peindre  la  douceur 
enivrante,  c'est  ainsi  que  le  nuage  se  déchira  tout 
à  coup  sur  la  tête  de  saint  Etienne  et  que  le  martyr 
entrevit  dans  l'au-delà  assez  de  merveilles  pour  sou- 
tenir ses  forces,  c'est  ainsi  que  momentanément  nous 
sommes  envahis  par  le  sentiment  ineffable  et  secret  de 
la  Divinité.  Mais  sans  compter  que  ces  phénomènes 
sont  des  privilèges  rares,  accordés  à  quelques-uns 
pour  l'instruction  de  tous,  leur  durée  est  courte,  ils 
n'apportent  pas  à  l'âme  assez  de  bonheur  pour 
l'apaiser  complètement.  En  ce  cas,  direz-vous,  l'espé- 
rance ne  mérite  pas  le  nom  de  vertu,  il  n'est  pas  per- 
mis d'affirmer  qu'ellfl  élève  à  son  dernier  degré  de 


TROISIEME   CONFÉRENCE  70 

perfection  la  volonté'  qui  arrive  à  son  suprême  déve- 
loppement le  jour  011  elle  saisit  Dieu.  L'espérance, 
Messieurs,  est  de  la  terre,  elle  nous  met  en  un 
rapport  réel  avec  la  Béatitude  sans  nous  la  donner 
immédiatement,  comme  la  foi  met  l'esprit  en  rela- 
tion avec  la  vérité  première  sans  nous  la  montrer  à 
découvert.  Rien  de  plus  parfait  n'est  possible  en  ce 
monde,  c'est  pourquoi  nous  maintenons  que  par- 
venue à  ce  point  notre  volonté  d'être  heureux  a 
touché  à  sa  dernière  perfection. 

L'espérance  ne  nous  livre  pas  la  béatitude, 
elle  nous  rend  capables  de  l'attendre.  Elle  nous 
pousse  à  suivre  le  conseil  de  saint  Jacques  qui 
écrivait  à  ses  disciples  :  «  Vous  voyez  que  le  labou- 
reur attend  le  précieux  fruit  de  la  terre  avec 
patience,  jusqu'à  ce  qu'il  reçoive  les  pluies  de  la 
première  et  de  la  dernière  saison.  Vous,  de  même, 
attendez  patiemment  et  affermissez  vos  cœurs,  car 
l'avènement  du  Seigneur  est  proche.  »  Elle  nous  rend 
capables  d'attendre,  c'est-à-dire  de  rester  au  poste 
qui  nous  a  été  confié  jusqu'à  l'apparition  de  Celui 
qui  doit  venir,  de  nous  fixer  obstinément  à  l'ancre 
qu'elle  a  jetée  dans  les  profondeurs  de  l'éternité,  de 
subir  sans  céder  l'assaut  des  créatures  et  de  ne  pas 
nous  laisser  entraîner  à  leur  remorque,  de  résister 
àleurs  séductionsetà  leurs  violences.  l"]lle  nous  rend 
capables  d'attendre  pendant  des  années  au  milieu 
des  tempêtes  qui  sans  cesse  s'élèvent  de  notre  propre 
cu'ur  pour  nous  précipiler  vnincuR  et  désarmés  duius 


80  l'espérance 

les  abîmes.  Elle  nous  rend  capables  d'attendre, 
c'est-à-dire  de  braver  l'action  du  temps,  de  dompter 
l'impatience  que  nous  avons  do  toucher  le  bonheur, 
de  vivre  à  l'avance  d'une  félicité  qui  se  dérobe  et 
qui  se  cache.  L'art  chrétien  s'est  plu  souvent  à 
peindre  l'âme  qui  espère  sous  les  traits  d'une  femme 
assise,  fouillant  l'horizon  d'un  regard  ému  pour 
y  découvrir  lEtre  dont  la  venue  lui  assurera  la 
béatitude.  Les  choses  la  sollicitent,  les  événements 
éclatent  bruyants  comme  pour  la  faire  sortir  de  sa 
contemplation  et  de  son  expectative;  elle  demeure 
immobile  et  refuse  de  briser  la  chaîne  qui  la  relie 
au  bonheur,  futur.  Combien  d'hommes  manquent  la 
fortune,  les  honneurs,  le  pouvoir,  parce  qu'ils  ne 
savent  pas  attendre!  Leur  empressement  les  perd. 
Pour  avoir  voulu  cueillir  les  fruits  avant  l'automne, 
la  victoire  avant  le  combat,  ils  ne  récoltent  que 
la  misère  et  les  humiliations  de  la  défaite.  Cette  pré- 
cipitation est  assez  commune,  et  elle  est  fatale,  quand 
il  s'agit  de  notre  fin  dernière.  Nous  avons  tellement 
hàle  d'y  parvenir  que  nous  la  plaçons  où  elle  n'est 
pas,  qu€  nous  demandons  au  présent  de  nous  en 
fournir  les  éléments,  au  présent  qui  ne  peut  nous 
en  oiïrir  que  l'ombre,  que  l'image  grossière. 

C'est  que  l'attente  suppose  une  volonté  solidement 
trempée.  Rien  ne  nous  énerve,  ne  nous  lasse,  ne 
nous  décourage  comme  d'attendre.  La  foule  assem- 
blée commence  bientôt  à  se  fatiguer,  à  trépigner  si 
le   personnage   dont  elle  guette  le  passage  tarde  à 


TROISIÈME    CONFÉRENCE  81 

paraître;  si  le  relard  se  prolonge,  la  moitié  se 
disperse,  s'éloigne,  renonçant  au  spectacle  qu'elle 
s'était  promis  de  contempler.  L'espérance  qui  nous 
fait  attendre  accumule  dans  l'âme  des  énergies 
oi^i  rhomme  puise  sans  les  tarir.  Ces  énergies  sont 
d'autant  plus  résistantes  que  mille  accidents  se 
produisent  qui  semblent  mettre  des  barrières  plus 
infranchissables  entre  nous  et  le  but  poursuivi. 
Quelle  vigueur  ne  fallut-il  pas  à  Israël  pour  vivre 
pendant  plus  de  vingt  siècles  dans  rattcnte  d'un 
triomphe  national,  que  la  suite  de  tant  de  calamités 
déconcertantes  rendait  de  plus  en  plus  improbable 
et  qui  paraissait  aux  regards  de  la  sagesse  humaine 
de  plus  en  plus  impossible.  Il  attendait  le  triomphe 
de  sa  race  au  milieu  des  humiliations  de  l'exil, 
lorsque  Jérusalem  et  le  temple  oii  devait  venir  le 
Messie  avaient  été  dé  fruits  de  fond  en  comble.  Il 
l'attendait  quand  Rome  s'était  emparée  de  son 
territoire  et  le  tenait  sous  son  joug  redoutable. 
Cela  suppose  que  sa  volonté  animée  par  l'es- 
pérance s'élevait  au-dessus  de  ses  tribulations  et 
déliait  toutes  les  puissances  conjurées  pour  la  faire 
abdicjuer.  Do  même  le  chrétien  attend  avec  une 
constance  invincible  la  béatitude  éternelle  parce 
que  l'espérance  enracinée  en  lui  soutient  jusqu'au 
bout  sa  volonté  de  puiser  le  bonheur  à  .son  prin- 
cipe. 

Si  notre  atteiile  n   cetle  IViineté,  .Messieurs,  c  est 
qu'elle  est  pleine  d'une  conlianc(^  inéiirunlable.  La 

L'KSI'ÉUANCF..    —    6. 


82  l'espérance 

certitude  de  la  foi  se  communique  à  l'espérance  et 
descend  de  l'intelligence  dans  la  volonté.  De  même 
que  l'intelligence  adhère  par  la  foi  à  la  vérité  divine, 
sans  que  l'ombre  d'un  doute,  d'une  réticence,  vienne 
l'effleurer,  de  même  par  l'espérance  la  volonté 
attend  avec  une  sécurité  absolue  la  béatitude  éter- 
nelle sans  que  la  moindre  défiance  vienne  la  faire 
trébucher  ou  chanceler.  Les  espoirs  humains  sont 
sujets  à  de  redoutables  vicissitudes  :  tantôt  les 
chances  de  réussir  et  les  chances  d'échouer  se 
balancent  et  jettent  l'âme  dans  de  cruelles  per- 
plexités, tantôt  les  unes  l'emportant  sur  les  autres 
nous  inclinent  davantage  dans  tel  ou  tel  sens.  Le 
laboureur  quelles  que  soient  la  qualité  de  sa  semence 
et  la  fertilité  de  son  champ  ne  sait  pas  si  les  pluies 
tomberont  selon  ses  désirs,  si  le  soleil  répandra  sa 
chaleur  au  temps  voulu  et  dans  la  mesure  exigée 
par  ses  intérêts.  Le  marin  avec  une  barque  d'une 
solidité  éprouvée  n'est  point  garanti  contre  le  dé- 
chaînement du  vent  et  de  la  tempête.  Sa  for- 
tune dépend  de  son  habileté,  elle  dépend  aussi  des 
dispositions  favorables  ou  contraires  des  flots.  L'espé- 
rance chrétienne  ne  nous  expose  pas  à  ces  oscilla- 
tions. Elle  ne  saurait  être  frustrée,  car  sa  victoire 
dépend  de  la  force  infinie,  seule  capable  de  parer  aux 
accidents  de  la  route,  de  suppléer  aux  infirmités, 
aux  défaillances  du  voyageur,  de  renverser  tous  les 
obstacles.  Elle  porte  à  son  bord  le  pilote  tout  puis- 
sant, maître  souverain  de  ses  dons,  de  nous-mêmes 


TROISIÈME   CONFÉRENCE  83 

et  des  éléments.  Quelle  confiance  dans  le  succès  de 
la  traversée,  et  quelles  ressources  de  courage  dans 
une  confiance  si  légitime!  Rien  de  commun  entre 
l'homme  sûr  d'arriver  au  but  et  l'homme  incertain 
du  succès!  Le  premier  dispose  d'une  énergie  qui 
l'entraîne,  qui  le  soutient,  qui  l'empêche  de  dé- 
faillir, le  second  est  en  proie  à  un  doute  qui  réprime 
son  élan,  qui  le  fait  hésiter,  qui  le  livre  à  moitié 
désarmé  à  ses  ennemis  (1). 

Si,  comme  l'estimait  Luther,  l'homme  n'avait 
point  part  active  dans  l'œuvre  de  son  salut, 
aucune  crainte  ne  viendrait  se  mêler  à  cette  con- 
fiance. Dieu  serait  le  seul  moteur,  l'homme  dé- 
pourvu de  liberté  resterait  un  mobile  purement  pas- 
sif. Dès  lors,  grâce  à  l'intervention  certaine  de  Dieu, 
nous  atteindrions  nécessairement  le  but,  mais 
l'Eglise  professe  une  autre  doctrine.  Elle  enseigne 
que  notre  salut  ne  s'effectuera  pas  sans  nous.  Le 
secours  d'En-Haut  ne  nous  manquera  pas  :  si  bas 
que  nous  soyons  tombés,  il  pourra  nous  relever.  De 
ce  côté  notre  certitude  est  absolue.  Mais  répondrons- 
nous  à  l'action  de  Dieu,  obéirons-nous  à  la  grâce, 
prêterons-nous  au  Tout-Puissant  le  concours  qu'il 
exige  de  nous  pour  nous  arracher  à  notre  misère  .^ 
Userons-nous  des  moyens  mis  à  notre  disposition? 
Hélas!  nous  avons  toutes  les  raisons  de  nous  défier 
de  nous-mêmes  et  de  redouter  notre  liberté.  Dieu 
est  incapable  de  nous  trahir,  nous  sommes  capables 

(1)  Ajjpend.,  n.  4,  p.  309> 


84  l'espérance 

de  nous  trahir  nous-mêmes  et  de  périr  par  notre 
faute.  En  vain,  l'arme  sera-t-elle  d'une  précision 
absolue;  si  le  tireur  ne  sait  pas  la  manier,  il  n'at- 
teindra pas  le  but.  Ainsi  en  est-il  du  chrétien  :  du 
côté  de  Dieu  son  espérance  est  certaine,  de  son  côté 
,  elle  est  pleine  d'aléas,  car  il  n'est  ni  nécessairement, 
ni  infailliblement  fidèle,  sa  liberté  infirme  est  sus- 
ceptible de  dévier  et  de  se  dérober  à  la  Puissance 
qui  voudrait  le  conduire  au  bonheur.  C'est  pourquoi 
la  crainte  se  mêle  à  nos  espoirs  et  doit  entretenir  en 
nos  âmes  une  défiance  salutaire  et  prudente  de 
nous-mêmes. 


IV 


Cependant  l'espérance  est  une  force  intérieure 
qui  nous  pousse  à  l'etïort,  à  l'action,  à  la  lutte  : 
c'est  une  vertu  entreprenante  ((ui  entraine  l'âme  à 
la  manière  des  habitudes  acquises  et  plus  vigoureu- 
sement encore.  Sous  son  inlkience,  la  volonté 
s'élance  hardiment  vers  la  béatitude. 

Instruit  par  les  maîtres  immortels  qui  ont  le  mieux 
compris  l'espérance,  Giottoà  VArena  de  Padoue  a  su 
lui  donner  sa  véritable  et  exacte  physionomie.  Il  l'a 
peinte  sous  la  figure  d'une  femme  jeune  et  vigou- 
reuse. Cette  femme,  vêtue  d'une  robe  longue,  mais 
qui  ne  pèse  pas  sur  ses  épaules,  qui  n'entrave  pas 
son  essor,  porte  une  ceinture  aux  reins,  et,  alerte, 
dégagée,  s'élance  de  la  terre  qu'elle  ne  touche  plus 


TROISIÈME   CONFÉRENCE  85 

que  du  bout  des  pieds  vers  la  couronne  que  lui 
montre  un  ange  apparu  au  bord  du  ciel.  Les  ailes 
complètement  déployées  et  toutes  prêtes  au  vol,  les 
cheveux  noués  afin  de  donner  au  vent  moins  de 
prise,  le  front  élargi  et  haut  pour  recevoir  mieux 
et  plus  vite  l'effusion  de  la  lumière,  les  oreilles 
tendues  vers  les  pas  de  celui  qu'elle  appelle,  les 
yeux  ouverts  et  fixés  sur  l'horizon  où  il  doit  paraî- 
tre, les  narines  dilatées  pour  aspirer  le  bonheur 
promis,  la  bouche  frémissante  et  impatiente  de  le 
goûter,  elle  lève  les  bras  et  par  tout  son  être  elle  se 
jette  au-devant  de  Dieu.  Telle  est  l'espérance  chré- 
tienne: elle  est  la  llamme  doucement  impétueuse 
qui  enlraîne  le  cifur,  le  souftle  suave  et  véhément 
qui  gonlle  les  voiles  et  nous  emporte  vers  la  vie,  la 
force  qui  bande  l'âme  comme  un  arc  et  la  rapproche 
du  but.  Elle  déploie,  elle  prolonge  la  volonté  et 
diminue  la  distance  qui  nous  sépare  du  bon- 
heur (1). 

C'est  pourcpioi  saint  Paul  s'écriait  :  «  Je  me 
porte  par  tout  mon  être  vers  ce  qui  est  en  avant,  je 
cours  droit  au  but,  pour  obtenir  le  prix  (2).  »  C'est 
pourquoi  saint  Thomas  écrivait  :  a  Au  désir  l'espé- 
rance ajoute  un  effort,  elle  élève  l'âme  impatiente 
d'atteindre  l'objet  de  ses  vouix  ;  spes  enint  su/>/a 
desiderium  addlt.  queindani  conatui)},  (HKimddiii 
elevati'onent  anlini  ad  roiise<jU('nduni   hoiuini   ar- 

(1    Aiipfiui.,  n.  .'),  p,  ."îlO. 
(2)  l'Iiilipp.,  IV,  13. 


86  LESPÉRANCF 

duum  (1).  »  C'est  pourquoi  Albert  le  Grand 
disait  :  «  L'espérance  est  l'essor  magnanime  d'un 
homme  qui  s'élance  vers  les  hauteurs,  qui  se  dilate 
pour  embrasser  la  béatitude  et  l'éternité.  Pro- 
tensio  ut  magno  animo  extendatur  inœterna,  am- 
plexio  seternitatis  et  heatitudinis  (2).  » 

Cet  effort  a  quelque  chose  de  laborieux  :  l'espé- 
rance qui  l'anime  nous  presse  de  nous  emparer  de 
tous  les  moyens  mis  à  notre  disposition  pour  attein- 
dre le  but,  d'accueillir  tous  les  secours  qui  nous  sont 
offerts  pour  opérer  notre  ascension,  de  saisir  au  vol, 
si  je  puis  ainsi  m'exprimer,  toutes  les  grâces  qui  se 
présentent,  de  chercher  dans  les  personnes,  dans  les 
choses,  dans  les  événements  la  puissance  de  Dieu 
pour  nous  soulever  jusqu'à  Dieu,  de  nous  faire  de 
tous  les  biens  autant  d'échelons  qui  nous  permet- 
tront de  monter  au  sommet  où  la  gloire  nous 
attire.  Spes  facit  tendere  in  Deum  sicut  in  quod- 
dam  honiim  finale  adipiscendum.,  et  sicut  in  quod- 
dam  adjutorium  efficax  ad  subvenienduni  (3). 
Cet  effort  a  quelque  chose  d'absorbant  en  ce  sens 
c^ue  l'homme  dominé  par  l'espérance  néglige  ce  qui 
ne  s'y  rapporte  pas  et  concentre  son  attention  sur 
l'étoile  du  suprême  bonheur  allumée  dans  les  cieux. 
Quas  quidem  rétro  sunt  obliviscens  (4).    Oubliant 


(1)  la  II*,  q.  XXX,  art.  1. 

(2)  m  Sent.,  dist.  XXXVI,  art.  .3. 

(3)  Saint  Thomas,  II»  II*,  q.  xvii,  art.  6,  ad  3"". 

(4)  Philipp.,  m,  13. 


TROISIEME   CONFÉRENCE  87 

ce  qui  est  derrière  lui,  il  dédaigne  le  rire  mondain 
comme  une  erreur,  il  juge  trompeuse  la  joie  des 
sens,  il  estime  qu'en  s'y  attardant  il  ne  pourrait 
qu'y  perdre,  il  pense  que  ce  qui  ne  l'aide  pas  à 
gagner  le  Christ  est  indigne  de  son  attention.  Ve- 
rumtamen  existimo  oninia  detrimentum  esse... 
et  arbitror  ut  stercora  ut  Christum  lucrifa- 
ciam  (1). 

Cet  effort  enfin  a  quelque  chose  de  militant.  L'es- 
pérance fait  du  chrétien  un  athlète  que  le  sentiment 
de  la  difficulté  exalte,  stimule,  enthousiasme.  Elle 
l'endurcit  à  la  fatigue,  à  la  marche,  elle  lui  apprend 
à  supporter  les  privations  sans  défaillir,  à  savoir 
vivre  dans  l'abondance  et  dans  la  disette  sans  re- 
noncer à  la  lutte.  Elle  le  rend  agressif  à  l'endroit 
des  obstacles  qui  barrent  la  route,  elle  lui  met  aux 
mains  l'outil  de  l'ouvrier  pour  édifier  son  bonheur 
et  l'épée  du  soldat  pour  repousser  ses  ennemis. 
Spes  non  salvatur  in  quacumque  voluntate,  sed 
in  volunlale  aggrediente  consecutionem  boni 
ardui  (2).  Le  chrétien  qui  suit  les  impulsions  de 
l'espérance  déploie  toutes  ses  énergies  au  service  de 
sa  destinée,  même  au  milieu  des  ombres  de  la  mort, 
il  reste  vaillant,  sachant  que  le  Seigneur  est  avec 
lui  et  qu'il  peut  tout  en  Celui  qui  le  fortifie.  Si  ani- 
bulavero     in    medio   unibrœ  morlis,    non   timebo 


(1)  Phlllpp.,   m,  7.  ("1.   Append.   N.  f,,  |>.  .'Ml. 

(2)  .TiiAN  UE  Saint-Tiiiimas.  l>e  xpv.  t\.  xvii,  (lisi».  x,  ;irt.  i. 


88  l'espérance 

mala,  quoniam  tu  mecum  es  (1).  Omnia possum  in 
10  qui  me  confortât  (2). 


Dans  ces  conditions,  l'espérance  mérite  son  nom 
de  vertu,  car  elle  nous  rend  meilleurs  en  nous 
attachant  par  le  cœur  à  la  plus  haute  de  toutes  les 
béatitudes,  car  elle  nous  rend  capables  de  vouloir 
avec  une  ténacité  indomptable,  d'attendre  avec  une 
confiance  inébranlable,  de  chercher  avec  une 
énergie  entreprenante  et  combative  le  royaume 
des  deux.  Elle  mérite  son  nom  de  vertu  surnatu- 
relle, car,  son  objet  étant  par  lui-même  hors  de  la 
portée  de  toutes  les  créatures,  elle  n'aurait  avec 
lui  aucun  rapport  si  elle  n'était  du  même  ordre  que 
lui.  Elle  mérite  son  nom  de  vertu  théolognle,  car 
elle  porte  sur  Dieu,  elle  s'appuie  sur  Dieu,  elle  naît 
de  Dieu,  elle  se  renouvelle,  s'avive  et  se  maintient 
par  lui. 

Elle  naît  de  Dieu,  c'est  dire  que  si  elle  vous 
manque,  si  elle  s'est  éteinte,  si  elle  languit,  c'est 
à  Dieu  que  vous  devez  demander  de  l'éveiller, 
de  la  rallumer,  de  vous  la  rendre  avec  son  activité. 
Elle  vous  fait  vivre  dans  l'atmosphère  de  Dieu; 
c'est  dire  qu'en  vous  abandonnant  à  ses  im- 
pulsions, vous  goûterez  déjà  quelque  chose  de  la 
félicité    des    élus     et    que     vos     âmes     vibreront 


(1)  Psaume  xxi:,  'i. 
{i)  PItilijjpiens.  iv,  13. 


TROISIÈME   CONFÉRENCE  89 

à  l'unisson  de  ceux  qui  sont  arrivés  au  terme.  Elle 
vous  fait  vouloir  la  béatitude  éternelle;  sous  son 
action,  vous  vous  attacherez  à  cette  béatitude 
comme  à  la  seule  réalité  où  vous  puissiez  trouver  le 
rassasiement  et  vous  n'aspirerez  qu'à  ce  but  idéal. 
Elle  vous  rend  capables  dattendre  Dieu  avec  une 
confiance  inébranlable  :  en  lui  obéissant,  vous 
démasquerez  et  vous  repousserez  tous  les  tentateurs 
qui  chercheraient  à  vous  détacher  de  son  ancre 
et  à  vous  aventurer  au  milieu  des  orages  et  des 
écueils.  Elle  vous  imprime  un  élan  vigoureux  vers 
Dieu  :  en  écoutant  sa  voix  vous  ne  négligerez  aucun 
des  secours  qui  vous  sont  otTerts  pour  entrer  dans  la 
Jérusalem  céleste,  et  chaque  pas  que  vous  ferez 
vous  rapprochera  de  votre  fin.  Vous  trouverez  déjà 
dans  cette  docilité  une  grande  force,  de  vives  con- 
solations, puis  un  jour  le  voile  se  déchirera,  et  vous 
serez  tout  à  coup  transportés  de  l'exil  oii  l'on  attend 
le  bonheur  dans  la  patrie  où  on  le  possède. 


gUATRIÈME  CONFÉRENCE 


LE  CARACTÈRE  EVANGÉLTQUE  ET  MORAL 
T)E  L'ESPÉRANCE  CHRÉTIENNE 


SOMMAIRE 

Les  adversaires  de  la  religion  lui  font  les  reproches  les 
plus  contradictoires.-  Exemples  de  ces  contradictions.  Dan.s  la 
question  de  la  charité  ils  nous  accusent  de  sacriiiiT 
les  intérêts  de  l'homme  à  Dieu,  et  dans  la  question  de  l'espé- 
rance de  sacrifier  Dieu  aux  intérêts  de  l'homme.  Si  cette  der- 
nière accusation  était  vraie,  l'Evangile  et  la  morale  condam- 
neraient l'espérance.  L'espérance  intéressée  est  extraite  de 
rEvanj;ile  et  conforme  aux  exigences  de  la  stricte  morale  : 
double  vérité  (ju'il  faut  expliquer,  p.  95-97. 

I 

L'idée  d'inlérèl  est  inséparable  de  l'idée  de  l'espérance 
telle  que  nous  la  concevons.  L'espérance  telle  que  nous  la 
concevons  nous  est  imposée  par  l'Evangile. 

Erreurs  de  Maître  Eckart,  de  Luther,  des  Jansénistes,  des 
Quiétisles  au  sujet  de  l'amour  désintéressé,  erreurs  qui  d'une 
manière  plus  ou  moins  absolue  condamnent  l'espérance  au 
nom  de  I  Evangile. 

1.  —  L'Evangile  et  le  Chrislianisme  s'expriment  d'abord 
dans  l'Ecriture.  Or  l'Ecriture  ne  cesse  pas  d'exhorti-r  les 
hommes  à  travailler  en  vue  de  la  récompense.  Enseignement 
de  l'Ancien  Testament.  Enseignement  du  Nouveau  Testa- 
ment, p.  97-102. 

2.  -:-  L'Evangile  est  interprété  infailliblenjent  par  l'Eglise. 
Or  l'Eglise  chante  à  la  fois  l'amour  d'espérance  qui  est 
intéressé  et  l'amour  de  charité  qui  est  désintéressé.  Elle 
condamne  l(;s  faux  mystiques  ;  elle  impose  aux  parfaits  et 
aux  imparfaits  de  chercher  la  béatitude.  Efïort  en  ce  sens  de 
sou  miiiistèro  apostolicpu;,  p.   102-104. 

î.  —  La  tradition  de  saint  l'aul  à  snint  François  de 
Sales  apporte  le  raéiiie  lémoigriago  à  l'espérance.  Nécessité 
d'expliquer  certains  textes  obscurs  des  Saints  Pères.  Dans  la 
(luerclle  du  Qiiiélismo,  liossuot  l'emporle  sur  Pénelon  parce 
qu'il  a  mieux  entendu  l'unanime  concert  de  la  tradition, 
p.    104-100. 

4.  —  La   'Vie  des   Saints  proteste  aussi  coutre  ces   nora- 


94  l'espérance 

teurs.  Parvenus  au  dernier  degré  de  la  perfection,  ils  s'in- 
quiètent de  leur  bonheur  éternel.  Abraham,  Moïse,  saint  Jean, 
saint  Paul,  saint  Augustin,  saint  Bernard,  saint  Thomas 
d'Aquin,  p.  106-107. 

5.  —  Jésus-Christ  en  qui  s'incarne  la  religion  a  travaillé 
en  même  temps  pour  la  gloire  de  son  Père  et  pour  sa  propre 
gloire,  il  n'a  pas  connu  le  désintéressement  absolu  des  nova- 
teurs, p. 108-109. 

n 

Pour  attaquer  l'espérance,  hérétiques  et  philosophes  ont 
invoqué  la  morale. 

1.  —  L'on  peut  agir  en  vue  de  son  bonheur  personnel  sans 
ofTenscr  la  saine  morale.  Preuves  : 

a)  La  morale  absolument  désintéressée  est  impossible.  Elle 
obligerait  l'ouvrier  à  travailler  sans  réclamer  son  salaire,  etc. 
Elle  est  impossible  même  pour  ceux  qui  la  défendent:  les  héré- 
tiques cherchaient  leur  intérêt,  p.  109-113. 

b)  La  saine  morale  nous  permet  et  nous  ordonne  de  nous 
aimer  nous-mêmes.  Explication  de  ce  principe.  Il  résulte  que 
s'il  y  a  un  amour  désordonné  il  y  a  aussi  un  amour  légitime 
de  soi-même  et  l'amour  d'espérance  e>t  légitime  et  obligatoire, 
p.  113-114. 

2.  —  Nos  adversaires  prétendent  que  par  l'espérance  nous 
renversons  l'ordre  et  que  nous  subordonnons  l'homme  à  Dieu. 
Rien  de  plus  faux. 

a)  Par  l'espérance,  nous  dépendons  de  Dieu,  Dieu  ne  dépend 
pas  de  nous.  Triple  amour  :  dans  le  premier  l'être  aimé  est 
assujetti  à  l'être  aimant,  dans  le  second  l'être  aimé  est  sur  le 
pied  d'égalité  avec  l'être  aimant,  dans  le  troisième  l'être  aimant 

est  sujet  de  l'être  aimé.  Le  dernier  amour  est  celui  de  l'es- 
pérance qui  met  Dieu  au-dessus  de  l'honmie.  Explication  de 
cette  pensée  d'après  saint  François  de  Sales,  p.  114-116. 

b)  11  faut  juger  lespérance  par  ses  tendances  et  non  seule- 
ment par  ses  actes.  L'espérance  tend  à  la  charité  qui  nous 
inspire  la  volonté  d'être  meilleurs,  plus  grands,  plus  moraux 
pour  mieux  servir  la  gloire  de  Dieu.  Explication  de  ce  prin- 
cipe qui  justifie  pleinement  notre  doctrine  de  l'espérance, 
D.  117-118.  Exhortation,  p.   118-119. 


QUATRIÈME  CONFERENCE 


LE  CARACTÈRE  ÉVANGÉLIQUE  ET  MORAL 
DE  L'ESPÉRANCE  CHRÉTIENNE 


Éminentissime  Seigneur  (î), 

Monseigneur  (2), 

Messieurs, 

Les  adversaires  de  la  Religion  usent  pour  la  com- 
battre de  procédés  singulièrement  contradictoires; 
avec  une  audace  qui  fait  fi  de  toute  logique  et  de  tout 
scrupule,  ils  invoquent  dans  le  dessein  de  nous  con- 
fondre des  arguments  auxquels  ils  avaient  d'abord 
refusé  toute  valeur  et  toute  efficacité.  Affirmons- 
nous  la  nécessité  de  croire  à  des  mystères?  Ils  pro- 
testent au  nom  de  la  dignité  humaine  contre  des 
dogmes  qu'ils  déclarent  inacceptables,  s'ils  dépas- 
sent notre  esprit.  En  appelons-nous  aux  motifs 
qui  assurent  à  notre  assentiment  un  caract^re  net- 
tement rationnel  et  l'adaptent  harmonieusement  aux 


(1)  s.  K.  M^T  le  cardinal  Amette,  archevè(|ue  de  Paris. 

(2)  S.  Gr.  Mgr  Herscher. 


9G  l'espérance 

exigences  de  la  saine  phiIosophie?Ils  deviennent  les 
défenseurs  intransigeants  d'une  foi  aveugle  et  nous 
taxent  de  rationalisme.  L'Eglise  maintient-elle  ses 
traditions  et  se  prononce-t-elle  contre  la  manie 
de  l'innovation?  Ils  crient  à  la  routine.  Réalise-t- 
elle  un  progrès,  une  réforme?  lis  se  voilent  la  face 
et  l'accusent  de  trahir  son  passé.  Ainsi  leur  tactique 
varie  et  ils  condamnent  un  jour  ce  qu'ils  avaient 
soutenu  la  veille  avec  une  àpreté  sans  égale. 

La  doctrine  de  l'espérance  se  heurte  à  ce  système 
d'attaques  qui  devraient  s'exclure,  du  moins  en  un 
débat  intellectuel. 

Lorsqu'en  effet  nous  enseignons  que  finalement 
l'homme  est  tenu  de  se  consacrer  à  Dieu  consi- 
déré en  lui-même,  on  nous  reproche  de  négliger 
les  intérêts  de  l'individu,  de  sacrifier  à  la  volonté 
d'un  être  invisible,  à  une  loi  impraticable  les  ins- 
tincts primordiaux  de  la  nature  et  les  aspirations 
les  plus  impérieuses  du  cœur.  Quand  nous  mon- 
trons que  notre  destination  dernière  n'interdit 
pas  de  penser  à  .soi,  de  travailler  en  vue 
d'atteindre  au  ciel  la  parfaite  béatitude  et  sur  la 
terre  les  biens  dignes  d'attention,  on  nous  accuse 
de  fausser  le  Christianisme,  d'adopter  une 
morale  basse,  un  épicurisme  raffiné,  de  ne  tenir 
à  la  vertu  qu'autant  qu'elle  nous  est  profi- 
table. L'espérance,  Messieurs,  s'attache  au 
bonheur  de  l'éternité  et  aux  biens  qui  s'y 
rapportent,   elle    s'intéresse    à    notre    sort   en    ce 


QUATRIÈME   CONFERENCE  97 

monde   et    à    notre    sort    au    delà   de  ce  monde. 
Cela,  je  vous  l'ai  expliqué. 

Il  me  reste  à  vous  prouver  qu'ainsi  comprise 
cette  vertu  est  extraite  de  l'Evangile,  et  qu'elle  est 
conforme  aux  exigences  de  la  morale  slricte  et  bien 
entendue. 


I 

Il  est  vrai,  Messieurs,  que  Tide'e  d'inte'rêt  est  insé- 
parable de  ridée  de  l'espérance  telle  que  nous  la 
concevons;  il  est  vrai  également  que,  sous  l'em- 
pire de  cette  vertu,  nous  travaillons  en  vue  d'être 
heureux,  en  vue  de  recevoir  la  récompense  de  nos 
elTorts.  Cette  doctrine  est-elle  empruntée  à  l'Évan- 
gile? Telle  est  la  première  question  qui  se  pose. 

Dans  l'esprit  de  nombreux  héréticiucs,  l'Evangile, 
ou,  si  vous  le  voulez,  le  Christianisme  authentique- 
ment  issu  de  Jésus,  condamne  les  actions  inspirées 
par  l'amour  de  soi  et  accomplies  dans  l'espoir  d'une 
rémunération.  Se  dépenser  au  service  de  Dieu  en 
s'oubliant  totalement,  en  faisant  abstraction  de  tout 
salaire,  voilà  pour  eux  le  devoir  iuiposé  par  la  loi 
de  grâce.  Au  xni"  siècle,  un  maître  illustre,  Eckart, 
écrivait  déjà  :  «  Ceux  qui  ne  tendent  ni  aux  biens 
extérieurs,  ni  aux  honneurs,  ni  aux  réalités  utiles, 
ni  à  la  dévotion  intérieure,  ni  à  la  récompense, 
ni  au  royaume  des    cieux,  mais   qui    renoncent  à 

l/ESnCRANCE.    —   7. 


98  l'espérakce 

toutes  ces  choses,  leur  apparlinssent-ellcs,  ceux-là 
honorent  Dieu  (1).  » 

Luther  allait  encore  plus  loin  :  il  considérait 
comme  vicieuses,  comme  passibles  de  peines  éter- 
nelles les  œuvres  oîi  l'homme  chercherait  son  bien 
propre  (2). 

Les  Jansénistes  permettaient  au  chrétien  de 
tendre  au  bonheur,  mais  ils  réprouvaient  cette 
tendance  si  elle  n'était  pas  dominée  ou  du  moins 
accompagnée  par  un  motif  de  charité.  «  Quiconque, 
disaient-ils,  sert  Dieu  en  vue  d'une  récompense 
même  éternelle,  s'il  n'y  joint  pas  la  charité,  fait  un 
acte  vicieux,  toutes  les  fois  qu'il  agit  en  vue  de  la 
béatitude  (3).  » 

Les  Quiétistes  tempéraient  ces  affirmations.  Ils 
n'exigeaient  que  des  âmes  parfaites  l'amour  pur, 
désintéressé,  indifférent  à  la  récompense,  au  châti- 
ment, au  paradis,  à  l'enfer,  àla  mort,  à  l'éternité  (4), 
mais  de  ces  âmes  ils  éliminaient  la  pratique  de  l'es- 
pérance. Fénelon  n'aurait  point  voulu  sacrifier  cette 
vertu,  cependant  il  adhérait  avec  obstination  à  la 
doctrine  de  l'amour  pur  et  du  désintéressement 
absolu.  Souple,  subtile,  chimérique,  il  tournait  et 
retournait  sa  pensée,  il  atténuait,  il  retouchait,  il 
corrigeait  l'opinion   de    Molinos  sans  pouvoir  s'en 


(i)  8«  Prop.  d'Eckart  condamnco  par  Jean  XXII, 

(2)  Cf.  Denzinger-Bannwart,  1301-1303. 

(3)  De.nzinger-Ba.nnwart,  1303. 

(4)  lbid.,1221. 


QUATRIÈME   CONFERENCE  99 

dégager.  En  vain  il  multipliait  les  explications  et 
les  distinctions,  en  vain  il  changeait  jusqu'à  quatre 
fois  ses  positions,  il  finissait  toujours  par  retomber 
dans  le  système  de  deux  espérances  :  l'une  sou- 
cieuse du  bien  propre  et  à  l'usage  des  âmes  ordi- 
naires, l'autre  épurée,  interdisant  tout  retour 
délibéré  sur  soi  et  à  l'usage  des  âmes  d'élite  (1). 

C'est  au  nom  de  l'Evangile  et  au  nom  d'un  chris- 
tianisme idéal  que  ces  hommes  déclaraient  à  la 
seconde  vertu  théologale  une  guerre  plus  ou  moins 
ouverte,  plus  ou  moins  déguisée,  au  nom  de 
l'Evangile  et  du  Christianisme  idéal  qu'ils  défen- 
daient aux  fidèles  en  général,  ou  du  moins  aux  par- 
faits, d'agir  en  vue  du  bien  personnel  et  du  salut. 

L'Evangile  et  le  Christianisme  idéal  s'expriment 
dans  les  livres  inspirés,  dans  l'Eglise  chargée  d'in- 
terpréter infailliblement  la  parole  divine  et  de 
régir  la  société  religieuse  avec  l'assistance  du  Saint- 
Pîlsprit,  dans  la  tradition  des  docteurs  qui  ont  reçu 
d'en  haut  un  génie  plus  puissant,  une  lumière  plus 
abondante,  dans  la  vie  des  saints  qui  ont  le  mieux 
observé  les  préceptes  et  les  conseils,  dans  le  Sau- 
veur Jésus  enfin,  modèle  incomparable  et  aciievé 
des  vertus  que  nous  devons  pratiquer.  Eh  bien,  par 
tous  ces  organes,  Dieu  nous  permet  et  nous  orib^nne 
de  songer  à  nous-mêmes,  d'agir  en  vue  de  la  récom- 
pense, d'éviter  le  mal  par  crainte  de  la  peine  et  de 
l'enfer. 

(1)  Apprinl.,  n.  1,  1».  311. 


100  r;  ESPÉRANCE 

Sans  cesse,  l'Écrilure,  qui  nous  manifeste  la  pen- 
sée de  Dieu,  excite  l'homme  aux  bonnes  actions  en 
lui  montrant  la  récompense  au  terme  de  son  effort, 
le  salaire  au  soir  de  sa  laborieuse  journée,  les  pal- 
mes au  bout  du  stade  où  il  aura  lutté  en  s'exposant 
aux  coups  et  aux  blessures.  Elle  promet  la  vie  éter- 
nellement heureuse  à  quiconque  aimera  Dieu  de 
toutes  ses  forces,  une  longue  carrière  aux  enfants 
respectueux  de  leur  père  et  de  leur  mère,  le  rassa- 
siement total  aux  cœurs  dévorés  par  la  faim  et  par 
la  soif  de  la  justice.  Elle  menace  des  pires  supplices 
les  profanateurs  de  la  loi.  Elle  emploie  tour  à  tour 
les  notes  les  plus  suaves  ou  les  accents  les  plus  irri- 
tés pour  nous  obliger  à  penser  à  notre  âme  et  à 
notre  destinée.  Elle  endort  les  douleurs,  elle  con- 
sole les  détresses  en  ouvrant  devant  nous  les 
radieuses  perspectives  de  l'avenir,  et  elle  secoue 
l'apathie  en  parlant  avec  une  terrible  sévérilé  du 
sort  qui  attend  les  pécheurs. 

L'Ancien  Testament  qui  sert  de  prologue  à  l'Evan- 
gile prescrivait  déjà  à  la  race  choisie  d'adorer  le  seul 
Jéhovahetde  fuir  l'idolâtrie  pour  mériter  la  fécon- 
dité du  sol,  la  possession  paisible  du  territoire,  la 
victoire  sur  les  gentils,  l'avènement  du  Rédempteur 
dont  le  règne  ne  devait  pas  finir.  Pendant  quarante 
ans,  au  désert  et  parmi  les  tribus  de  Ghanaan,  Moïse 
soutient  le  courage  de  son  peuple  en  lui  rappelant 
la  terre  promise.  Pendant  des  siècles,  les  i*rophètes 
raniment   la    foi    et  l'ardeur  d'Israël,  défendent  le 


QUATRIÈME    CONFÉRENCE  101 

monothéisme  et  la  morale,  en  répétant  que  la  race 
de  Jacob  sera  comblée  de  toutes  les  faveurs  si  elle 
pratique  la  religion  véritable,  qu'elle  sera  dépouillée, 
exilée,  que  Jérusalem  et  le  temple  seront  détruits 
si  elle  verse  dans  le  crime  et  dans  l'impiété.  L'on 
sait  ce  que  l'attente  des  bénédictions  et  la  crainte 
des  vengeances  divines  inspirent  de  vertu  et  de 
générosité  aux  ancêtres  du  Christ  ;  c'est  à  la  lueur 
de  l'espérance,  où  le  souci  du  bonheur  jouait 
un  si  grand  rôle,  que  la  postérité  d'Abraham  a 
donné  tous  les  exemples  de  l'héroïsme  et  de  la 
sainteté. 

Le  Christ  a-t-il  sous  ce  rapport  changé  les  dispo- 
sitions de  la  loi  antique?  A-t-il  voulu  que  ses  dis- 
ciples en  servant  le  Père  fissent  abstraction  d'eux- 
mêmes  et  alTectassent  l'indifférence  à  l'égard  de 
leurs  intérêts?  L'a-t-on  entendu  dire  aux  foules 
attachées  à  ses  pas  et  suspendues  à  ses  lèvres  :  «  Con- 
sacrez-vous au  bien  sans  vous  inquiéter  de  votre 
avenir  éternel?  Qu'importe  que  vous  soyez  broyés 
dans  l'engrenage  universel,  que  vous  vous  per- 
diez ou  que  vous  vous  sauviez?  »  Non,  Messieurs. 
Constamment,  pour  émouvoir  les  cons«',iences  et 
renouveler  les  cœurs,  il  évotjue  la  pensée  du  salut 
et  de  la  damnation.  Il  faut  êlre  détaché  des  ri- 
chesses, car  le  royaume  des  cieux  appartient  aux 
t\mes  sachant  aimer  avec  modération  les  biens  de  la 
terre.  11  faut  être  pur,  car  la  vision  de  Dieu  est  le 
prix  de  la  chaivieté.  Il  faut  être  miséricordieux,  car 


102  l'espérance 

le  pardon  est  assuré  à  la  miséricorde.  Il  faut  être 
pacifique,  car  la  tendresse  du  Père  est  réservée  aux 
amis  de  la  paix.  11  faut  être  juste,  car  le  rassasie- 
ment attend  les  champions  de  la  justice.  Il  faut  être 
sincère,  car  les  menteurs  seront  assimilés  aux  hypo- 
crites et  aux  pharisiens  que  la  vérité  confondra.  Il 
faut  supporter  les  affronts,  car  les  humiliations  se 
changeront  en  gloire.  Il  faut  endurer  avec  patience 
la  persécution,  caries  cieux  s'ouvriront  aux  mar- 
tyrs. Il  faut  en  tout  chercher  le  royaume  de 
Dieu,  car  le  triomphe  de  Dieu  est  insépa- 
rable de  la  félicité  de  l'homme  :  tel  est  l'ensei- 
gnement du  Christ.  Ce  qu'il  défend,  c'est  de  pla- 
cer la  béatitude  là  où  elle  n'est  pas,  c'est  de  mettre 
son  espoir  dans  les  choses  périssables  et  de  s'atta- 
cher aux    trésors  que  les   vers  peuvent  ronger. 

L'Église,  organe  officiel  du  Saint-Esprit,  puis- 
sance qui  a  reçu  la  mission  de  déterminer  le  sens 
véritable  de  la  parole  divine  et  de  gouverner  les 
âmes,  nous  presse  de  penser  à  notre  destinée  et  de 
travailler  en  vue  d'assurer  notre  éternel  avenir. 
Elle  n'a  pas  cessé  à  travers  les  âges  de  chanter 
l'excellence  religieuse  de  lespéronce,  d'enseigner 
que  cette  vertu  a  un  caractère  sanctifiant,  de  la 
classer  parmi  les  principes  nécessaires  à  la  justifi- 
cation du  pécheur.  Or,  pour  elle,  l'espérance  nous 
attache  à  Dieu  comme  à  l'objet  et  comme  à  l'auteur 
de  notre  béatitude. 


QUATRIÈME   CONFÉRENCE  103 

Elle  ne  croit  pas  qu'il  y  ait  antagonisme  entre  le 
salut  de  l'homme  et  la  gloire  de  Dieu,  que  pour  as- 
surer l'une  il  faille  négliger  l'autre.  Elle  pense  que 
l'amour  intéressé  de  l'espérance  s'harmonise  avec 
l'amour  désintéressé  de  la  charité;  que  l'amour 
d'espérance  appelle  l'amour  de  charité  et  y  conduit; 
que  l'amour  de  charité  suppose  et  entraîne  avec  lui 
l'amour  d'espérance  ;  que  l'amour  d'espérance  cher- 
che la  gloire  de  Dieu  en  tendant  au  salut  de  l'homme  ; 
que  l'amour  de  charité  assure  le  salut  de  Thomme  en 
visant  la  gloire  de  Dieu.  Elle  sait  bien  que  l'amour  de 
charité  nous  unissant  à  Dieu  considéré  en  lui-même 
et  indépendamment  du  bénéfice  personnel  que  nous 
en  retirons  est  plus  parfait  que  Tamour  d'espérance, 
mais  elle  sait  aussi  que  le  premier  ne  dispense  pas 
du  second,  parce  que  si  Dieu  est  aimable  en  lui- 
même,  il  est  aussi  aimable  en  qualité  de  bienfai- 
teur. Elle  n'ignore  pas  que  la  charité  doit  dominer 
l'espérance,  mais  elle  sait  aussi  que  dominer 
n'est  pas  absorber.  Elle  se  plaît  à  dire  ce  que 
l'espérance  gagne  dans  son  commerce  avec  la  cha- 
rité, mais  elle  maintient  que  dans  cette  subordi- 
nation l'espérance  garde  son  rôle  spécifique,  que 
par  soi  et  en  dehors  même  de  la  charité  elle  a  une 
valeur  réelle  et  positive.  Elle  proclame  que  l'acte 
religieux  par  excellence  est  l'acte  de  charité,  mais 
elle  aflirme  très  haut  que  l'acte  d'espérance  est  plei- 
nement évangéli(HH;,car  si  l'Ame  rend  à  Dieu  un  su- 
prême homnnigi'  (jnand  elle  lui  dit  :   «  Je  ne  veux 


104  l'espérance 

vivre  que  pour  vous  r-  ;  elle  l'honore  encoro  gran- 
dement quand  elle  lui  dit:  «  Je  ne  veux  vivre  que 
de  vous  «.Elle  refuse  de  reconnaître  la  sainte  indiffé- 
rence des  faux  Mystiques,  des  Luthériens,  des  Jansé- 
nistes, i'amour  pur  des  Qaiétistes,  la  double  espé- 
rance de  Fénelon.  Elle  entend  que  tous,  parfaits  et 
imparfaits,  rendent  à  Dieu  le  culte  dû  à  l'Etre  sou- 
verainement adorable  en  soi,  et  le  culte  dû  au 
Sauveur  magnifique  des  créatures  qu'il  avait  faites 
si  belles  des  le  commencement.  Dans  son  apostolat 
elle  ne  sépare  pas  ces  deux  sentiments  :  ses  innom- 
brables messagers,  vous  pouvez  en  juger  vous- 
mêmes,,  supplient  les  hommes  de  songer  à  leur 
destinée  et  en  même  temps  de  consacrer  à  Dieu 
leur  personne  et  leur  bonheur.  Sa  prédication, 
qu'elle  s'adresse  aux  unies  d'élite  ou  aux  âmes  vul- 
gaires, est  pleine  des  grandes  vérités,  et  les  grandes 
vérités  portent  sur  la  mort,  sur  le  jugement,  sur  le 
Paradis,  sur  l'Enfer,  sur  ce  que  nous  appelons  no» 
fins  dernières.  De  ces  grandes  vérités  l'idée  du 
bonheur  individuel,  de  l'intérêt  personnel  n'est  pas 
absente,  elle  y  joue  au  contraire  un  rôle  considé- 
rable et  elle  ne  contribue  pas  peu  à  remuer  les  cons- 
ciences et  à  les  convertir. 

En  prenant  cette  attitude,  l'Eglise  a-t-elle  renié 
son  passé  ?  Les  hérétiques  l'ont  dit,  ils  ont 
cherché  dans  la  tradition  la  justification  de  leur 
erreur,  ils  n'y  ont  point   réussi.  De  saint  Paul  jus- 


QUATRIÈME    CONFÉRENCE  105 

qu'à  saint  Augustin,  de  saint  Augustin  jusqu'à  saint 
Thomas  d'Aquin,  de  saint  Thomas  d'Aquin  jusqu'à 
saint  François  de  Sales,  il  n'y  a  qu'une  voix  pour 
affirmer  le  caractère  évangélique  et  religieux  de 
l'espérance,  pour  répéter  que  l'homme,  en  tendant 
par  les  actes  de  cette  vertu  à  sa  félicité  propre,  obéit 
à  Jésus-Christ. 

Sans  doute  on  a  découvert  des  textes  épars  qui 
semblent  réprouver  l'amour  intéressé,  mais  ces  textes 
exigent  une  interprétation  déterminée  pour  que  leurs 
auteurs  soient  d'accord  et  avec  eux-mêmes  et  avec 
le  reste  des  docteurs.  Tantôt  ils  signifient  que  l'a- 
mour du  bien  propre,  d'où  l'amour  de  Dieu  consi- 
déré en  lui-même  est  exclu,  constitue  un  désordre, 
tantôt  que  l'âme  peut  par  des  actes  exceptionnels 
aimer  Dieu  sans  penser  à  soi.  lis  ne  signifient 
jamais  qu'il  y  ait  un  état  habituel  et  permanent 
dont  la  perfection  consiste  à  éliminer  de  l'àme  tous 
les  actes  intéressés  ai  par  suite  tous  les  actes  d'es- 
pérance. S'ils  avaient  littéralement  cette  portée,  il 
ne  faudrait  pas  hésiter  à  les  corriger,  à  leur  enlever 
leur  emphase  pour  les  ramener  au  sens  des  formules 
innombrables  où  les  maîtres  préconisent  à  la  fois 
la  recherche  de  la  béatitude  que  poursuit  l'espérance 
et  le  souci  de  la  gloire  de  Dieu  que  vise  la  charité. 
Dans  la  célèbre  querelle  dont  s'émut  si  profondément 
le  dix-septième  siècle,  Fénelon  put  faire  preuve  de 
finesse,  surprendre  parfois  l'érudition  de  son  adver- 
saire;   Rossuet  put   exagérer  sur  uu    point,    juTiIre 


106  l'espérance 

clans  le  vide  quelques-uns  de  ses  traits,  appliquer  à 
des  actes  ce  qui  s'appliquait  à  des  étals,  mais  pour 
le  fonds  des  choses  Févêque  de  Meaux  l'emporta  sur 
l'archevêque  de  Cambrai.  Il  l'emporta  sur  l'erreur 
mitigée  à  laquelle  Fénelon  avail  prêté  l'appui  de 
son  grand  nom,  à  plus  forte  raison  sa  victoire  fut- 
elle  décisive  contre  les  rêves  de  Mme  Gu^^on,  contre 
le  quiétisme  radical  de  Molinos,  contre  le  système 
d'abnégation  imposé  par  Janséniiis,  par  Luther  et 
par  les  faux  mystiques.  Il  l'emporta  parce  que, 
mieux  que  son  ancien  disciple,  mieux  que  les  hom- 
mes dont  il  combattait  la  pensée,  il  avait  su  remon- 
ter le  cours  de  renseignement  chrétien  et  entendre 
l'unanime  concert  de  la  tradition  en  l'honneur  de 
l'espérance  telle  que  nous  la  concevons,  parce  que 
les  adversaires  de  cette  vertu  avant  de  tomber  sous 
les  condamnations  de  l'Eglise  avaient  été  réprouvés 
par  les  interprètes  les  plus  autorisés,  les  plus  jus- 
tement vénérés  de  l'Evangile,  et  par  l'Evangile 
même. 

La  vie  des  saints  pleine  de  sentiments,  d'ar- 
deurs, d'oeuvres  qui  sont  l'accomplissement  de 
FÉvangilc,  ne  proteste  pas  moins  contre  les 
novateurs  en  faveur  de  l'espérance.  Les  saints 
n'ont  pas  cru  que  la  religion  dont  ils  étaient 
les  si  fidèles  observateurs  et  les  si  vaillants  cham- 
pions exigeât  l'inditTérence  à  l'égard  de  la  \ie 
éternelle.     Parvenus    au    dernier     degré     de     la 


QUATRIÈME  CONFÉRENCE  107 

perfection,  ils  ranimaient  leur  courage,  ils  fré- 
missaient de  joie  à  la  pensée  de  la  béatitude, 
et  ils  tremblaient  de  peur  à  la  pensée  de  l'enfer 
et  de  la  damnation.  Lorsque  les  épreuves  de 
Texistence  devenaient  trop  accablantes,  ils  éle- 
vaient vers  le  ciel  leurs  yeux  baignés  de  larmes 
et  leurs  cœurs  abreuvés  de  souffrances,  ils  deman- 
daient à  l'espérance  du  bonheur  futur  la  force  de 
supporter  les  tribulations  du  présent.  Abraham,  le 
Père  des  croyants,  Moïse,  type  de  l'âme  religieuse 
dans  l'Ancien  Testament  et  confident  intime  de 
Jéhovah,  escomptaient  sans  scrupule  la  récompense 
et  agissaient  pour  l'obtenir.  Jean,  l'apôtre  à  l'teil 
d'aigle  et  au  cœur  d'or,  soupirait  après  l'appari- 
tion de  la  lumière  et  de  la  félicité  ;  Paul,  que  dévo- 
rait le  zèle  pour  la  gloire  de  Dieu,  combattait  le  bon 
combat,  consommait  sa  course  ensanglantée,  gar- 
dait sa  foi  dans  le  dessein  d'atteindre  la  couronne 
due  à  ceux  qui  auront  servi  leur  chef.  Saint  Augustin, 
saint  Bernard,  saint  Thomas  d'Aquin  réclamaient  la 
vision  face  à  face  et  le  rassasiement  ;  les  martyrs 
jetés  aux  bêtes,  au  feu,  dans  la  poix  bouillante,  en- 
duraient leurs  supplices  et  affrontaient  la  mort  en 
contemplant  à  travers  les  promesses  de  l'espérance 
la  palme  queleur  tendait  le  souverain  Rémunérateur. 
Si  ces  hommes  n'ont  pas  compris  riwangilc,  (iiii 
donc  b^  comprendra?  S'ils  ne  l'ont  pas  prati(|U(',  (jui 
donc  le  nratiduera? 


iOS  l'espérance 

En  tous  cas,  le  Clirisl  l'a  incarne  dans  sa  Per- 
sonne et  dans  sa  vie  avant  de  le  prêcher,  avant  de 
le  graver  dans  le  livre  inspiré  par  sa  sagesse.  C'est 
lui  qu'il  faut  contempler  quand  on  veut  voir  plei- 
nement observée  la  religion  qu'il  est  venu  fonder. 
Or  le  Christ  a-t-il  affecté  à  l'endroit  de  sa  gloire 
personnelle  et  de  son  parfait  bonheur  ce  dédain, 
cette  indifférence  qucOuictistes  ou  autres  ont  essayé 
d'imposer  au  moins  à  l'élite  des  âmes?  Nullement. 
En  accomplissant  la  volonté  de  son  Père,  il  se 
préoccupe  de  mériter  et  d'obtenir  la  résurrection  et 
l'immortalité  de  son  corps  ;  en  se  soumettant  aux 
humiliations  et  aux  opprobres  de  la  Passion,  au 
supplice  de  la  croix,  aux  angoisses  de  la  mort,  il 
entend  recevoir  le  prix  de  son  sacrifice.  Pen- 
dant la  Cène,  il  adresse  à  son  Père  cette  émou- 
vante prière  :  «  Père,  l'heure  est  venue,  glorifiez 
votre  Fils...  Je  vous  ai  glorifié  sur  la  terre,  jai 
achevé  l'œuvre  que  vous  m'aviez  confiée,  mainte- 
nant à  vous.  Père,  de  me  glorifier  (1).  »  Dès  le  soir  de 
^a  résurrection,  il  dit  aux  disciples  scandalisés 
qu'il  accompagne  sur  le  chemin  d'Emmaûs  :  «  Ne 
fallait- il  pas  que  le  Christ  souffrît  toutes  ces  choses 
pour  entrer  dans  sa  gloire  (2)?  »  Il  prouvait  ainsi 
qu'il  aspirait  à  la  fois  à  la  gloire  de  son  Père,  à  sa 
propre  gloire  et  au  salut  de  riiumimité.  Son  espc- 


(1)  s.  Jean,  xvii,  1-5. 

(2)  S.  Luc,  XXIV,  26. 


QUATRIÈME  CONFERENCE  lU'J 

rance  ne  portait  point  sur  la  béatitude  essentielle 
dont  il  avait  toujours  joui,  mais  elle  portait  sur  la 
transfiguration  de  sa  chair,  sur  la  manifestation  de 
son  nom  (1).  Sa  conduite  nous  répond  de  la  recti- 
tude de  la  nôtre,  lorsque  nous  nous  inquiétons  de 
notre  avenir.  C'est  assez,  Messieurs,  et  je  crois  avoir 
surabondamment  démontré  que  l'espérance  avec 
l'amour  intéressé  qu'elle  entraîne  est  une  vertu 
évan^élique. 


II 


Les  hérétiques  s'appuyaient  sur  l'Évangile  pour 
dénigrer  l'espérance,  ils  s'appuyaient  aussi  sur  la 
morale.  Plusieurs  écoles  philosophiques  dont  la 
principale  est  celle  des  stoïciens  leur  prêtaient  des 
arguments.  Les  uns  et  les  autres  considéraient 
comme  déréglé  le  sentiment  né  de  l'espérance  parce 
que  d'abord,  à  leur  avis,  toute  action  intéressée  est 
entachée  d'égoïsme  et  contraire  à  la  saine  morale; 
parce  qu'ensuite  l'espérance,  inquiète  du  bonheur 
de  celui  qui-espère, renverse  la  hiérarchie  des  choses 
en  subordonnant  la  gloire  de  Dieu  au  bien  propre 
de  l'homme,  et  traite  Dieu  non  comme  une  hn 
mais  comme  le  moyen  do  r(>n(lre  l'homme  heu- 
reux.   Un   pareil    sentiment,    disent-ils,   constitue 

(1)  s.  TiioMAï,  III"  p.,  q.  VII,  art.  4. 


110  l'espérance 

un  désordre  sacrilège  et  lait  du  Créateur  non  pas 
le  maître,  mais  le  serviteur  de  sa  créature.  Ces 
objections  sont  devenues  courantes.  Dans  cer- 
taines chaires  où  l'on  fait  profession  de  cultiver 
plus  scrupuleusement  l'idéalisme,  on  parle  cons- 
tamment du  devoir  pour  le  devoir,  de  l'amour  du 
bien  pour  lui-même,  on  y  marque  une  sympathie 
non  déguisée  pour  les  Jansénistes  et  les  Quiétistes 
qui  obligeaient  l'individu  à  s'oublier  lui-même  dans 
ses  œuvres.  Les  parlements  et  la  presse  dont  la 
culture  philosophique  est  médiocre,  en  mille  occa- 
sions, nous  jettent  à  la  face  ces  paroles  dédaigneu- 
ses :  «  Vous  n'aimez  Dieu  qu'en  vue  de  profiter  de 
lui,  vous  ne  travaillez  pas  pour  Dieu,  mais  pour  le 
ciel,  c'est-à-dire  pour  vous-mêmes  (1).  » 

Contre  ces  adversaires,  il  faut  établir  première- 
ment que  l'on  peut  s'aimer  soi-même  et  songer  à 
son  intérêt  sans  offenser  la  saine  morale,  seconde- 
ment que  l'espérance  chrétienne,  en  travaillant  en 
vue  de   la   béatitude,  ne  subordonne   pas    Dieu  à 


(1)  Dernièrement  encore,  un  homme  de  lettres  qui  aime  à  Jongler 
avec  les  mots,  à  jouer  avec  les  idées  les  plus  graves,  à  se  perdre  dans 
le  paradoxe,  à  se  noyer  dans  des  sophismes  et  à  inventer  des  solutions 
valant  ce  qu'elles  lui  ont  coûté,  n'écrivait-il  pas  :  «  La  croyance  en  un 
Dieu  rémunérateur  et  vengeur  est  immorale.  On  peut  aller  jusqu'à 
dire  très  logiquement  qu'elle  est  l'immoralité  même.  »  Il  est  vrai 
qu'après  s'être  livré  à  une  gymnastique  assez  désordonnée  l'auteur 
essaie  de  se  répondre  à  lui-même,  mais,  avouons-le,  son  objection 
porte  plus  loin  que  sa  réfutation,  et  il  se  contente  de  peu  s'il  càt 
satisfait  de  ses  arguments.  —  [La  Revue,  l'^''  déc.  1912,  article  de 
M.  Faguet  sur  le  livre  de  M.  Stapfer.  L'Inquiétude  religieuse  du 
temps  présent.)  —  Cf.  Append.,  n.  2,  p.  313. 


QUATRIÈME   CONFÉRENCE  111 

l'homme,   mais   au    contraire  soumet    l'iiomme   à 
Dieu  et  ainsi  respecte  l'ordre  nécessaire. 

D'abord  je  dis  que  l'on  peut  s'aimer  soi  même,  agir 
en  vue  de  son  bonheur  personnel  sans  ofTenser  la 
saine  morale. 

S'il  en  était  autrement,  on  devrait  penser  que  la 
morale  est  impraticable,  car  il  est  impossible  de  ne 
pas  s'aimer  soi-même,  de  ne  pas  s'inquiéter  de  son 
bien  propre.  Aucun  décret,  aucune  loi  n'auront  rai- 
son de  cette  volonté  fondamentale  que  nous  avons 
d'être  heureux,  de  nous  occuper  de  nous  et  de  nos 
intérêts.  Il  faudrait  déraciner  l'arbre  pour  l'empêcher 
de  grandir,  c'est-à-dire  pour  l'empêcher  de  tendre  à 
sa  perfection  et  à  son  plein  développement.  Il  faudrait 
tuer  l'animal  pour  l'empêcher  de  croître  et  d'aspirer 
au  degré  de  vie  réclamé  par  sa  nature.  Il  faudrait 
anéantir  l'homme  pour  arrêter  le  mouvement  qui 
le  porte  à  vouloir  l'épanouissement  de  son  être.  Par 
tous  nos  instincts,  par  tous  nos  désirs,  nous  cher- 
chons notre  félicité.  Aussi  la  morale  absolument 
désintéressée  n'a  jamais  existé  que  dans  les  livres 
et  dans  les  leçons  des  métaphysiciens  égarés  par  leur 
imagination. 

Demandez  donc  à  l'ouvrier  de  s'épuiser  sans  exi- 
ger aucun  salaire,  au  laboureur  de  remuer  le 
sol,  de  l'engraisser,  de  semer  sans  penser  ;\  la 
moisson,  de  planter  sans  attendre  de  l'arbre  l'ombre, 
les  Heurs  et  les  fruits,  conseillez  au  pasteur  de  nourrir 


-*2  l'espérance 

ses  troupeaux  sans  vouloir  en  retirer  le  lait  et  la 
laine,  au  navigateur  de  se  lancer  sur  les  flois  sans 
î^ouci  d'aborder  au  port.  Vous  devinez  l'accueil  que 
vous  recevriez  d'hommes  conduits  par  le  bon  sens, 
principe  de  la  philosophie  la  plus  fondamentale  et 
la  plus  certaine.  Cependant,  il  faudrait  aller  jusque- 
là,  si  la  morale  du  pur  amour  et  du  désintéressement 
complet  était  vraie. 

Cettemoralen'apasmêmerégnésurlaconsciencede 
ceux  qui  l'ontsoutenue  avec  le  plus  d'âpreté.  Les  stoï- 
ciens affichaiontla  froideur  à  l'égard  delajoie  etde  la 
douleur  :  simple  parade,  ils  n'étaient  insensibles  ni 
àrune,niàrautre.Leursépreuvesles  touchaient  assez 
pour  qu'ils  en  demandassent  la  fin  au  suicide.  D'ail- 

leursenenseignantqu'ilfallaitpratiquerla vertu  pour 
elle-même,  ils  avouaient  encore  qu'ils  cherchaient 
leur  suprême  noblesse  et  leur  suprême  joie  dans 
une  conduite  où  l'orgueil  trouvait  son  compte  et  ses 
satisfactions.   Lorsque  Luther    avait  prononcé  que 
tout  acte  intéressé   est  coupable,'  il    s'abandonnait 
à  la  perversité  de  ses  instincts,  montrant  ainsi  qu'il 
attachait  du  prix  non  seulement  au  bonheur  absolu, 
mais  encore  aux  jouissances    immédiates   que  lui 
offraient  le  vin  et  la  débauche.  Les  Quictistes,  après 
avoir  chanté   l'amour  pur,  savaient   au  terme  de 
mille  délours  ramener  par  une  voie  le  souci  du  bien 
propre  qu'ils  avaient  chassé  par  l'autre  :  ils  étaient 
habiles  à  présenter  sous  une  apparence  austère  un 
système  relâché  dans  la  réalité,  un  système  qui  sou- 


QUATRIÈME   CONFÉRENCE  113 

riait  aux  âmes  voluptueuses,  à  Jean-Jaoques,  à 
Mme  de  Warens,  un  système  qui  flatte  encore  les 
plus  eff"éminés  de  nos  dilettantes  (1). 

La  nature  a  ses  revanches  :  par  ses  réactions  vio- 
lentes ou  sournoises  elle  abaisse  au-dessous  du 
permis  ceux  qui  avaient  voulu  l'entraîner  au  delà 
du  possible  (2i. 

La  saine  morale,  Messieurs,  consulte  les  inclina- 
tions de  l'homme  pour  les  régler,  non  pour  les 
ctoufîer.  Elle  nous  ordonne  de  suivre  à  la  lumière 
de  la  raison  et  de  la  religion  les  chemins  où  nous 
poussent  des  penchants  innés,  en  évitant  les  défail- 
lances ou  les  excès  Or,  par  un  instinct  dont  nous  ne 
sommes  pas  les  maîtres,  nous  sommes  portés  à  nous 
aimer  nous-mêmes.  La  raison  nous  montre  que 
celte  tendance  n'a  rien  que  de  légitime.  Elle  nous 
enseigne,  en  eiïet,  que  les  choses  doivent  attirer 
notre  attention  et  retenir  notre  sympathie  dans  la 
mesure  ou  elles  le  méritent.  Dieu  ni-  méprise  au- 
cune de  ses  créatures,  car  il  n'en  est  pas  une  en  la- 
quelle il  n'ait  réalisé  une  beauté,  et  des  saints, 
comme  François  d'Assise,  se  plaisaient  à  composer 
des  hymnes  au  soleil  dont  ils  admiraient  la  splendeur 
et  recevaient  les  rayons  bienfaisants.  Or  l'homme 
possède  une  âme  et  un  corps.  L'âme  est  après  les 
anges  la  plus  noble  des  créatures,  le  corps  lui-même 

(1)  Append.,  n.  3,  p.  31V. 

(2)  Append.,  n.  4,  p.  315. 

l'espérance.   —   8. 


114  l'espérance 

est  un  chef-d'œuvre  parmi  les  substances  maté- 
rielles. Notre  âme  et  notre  corps  sont  donc  dignes 
d'être  aimés,  la  raison  et  l'instinct  sont  d'accord 
pour  nous  prescrire  de  les  aimer.  Mais  le  devoir 
qui  nous  oblige  à  les  aimer  nous  oblige  à  vouloir 
et  à  faire  leur  bonheur,  car  les  aimer  c'est  leur 
vouloir  et  leur  faire  du  bien;  et  puisque  leur  bien 
véritable  ne  se  rencontre  que  dans  la  béatitude, 
nous  ne  pouvons  les  aimer  profondément  et  sin- 
cèrement sans  travailler  à  les  mettre  en  possession 
de  la  béatitude.  Nous  serions  hors  de  la  morale  et 
en  contravention  avec  ses  ordres,  si  cet  amour 
demandait  la  félicité  à  des  réalités  incapables  de  la 
donner  à  notre  âme  et  à  notre  corps,  s'il  dédai- 
gnait l'Être  dont  la  possession  est  pour  eux  le 
souverain  bien  :  Dieu.  Vous  voyez,  Messieurs,  que, 
tenus  de  nous  aimer  nous-mêmes,  nous  sommes 
tenus  d'aspirer  à  Dieu,  de  vouloir  atteindre  Dieu, 
de  prendre  les  moyens  nécessaires  pour  arriver  à 
Dieu,  comme  nous  sommes  tenus  d'aspirer  à  la 
béalitude  et  de  tout  faire  pour  y  parvenir.  C'est  à 
cela  précisément  que  nous  pousse  l'espérance,  et 
par  suite  ses  actes  sont  commandés  et  non  inter- 
dits par  la  saine  morale. 

Une  autre  difficulté  surgit.  On  renverserait  l'or- 
dre, on  offenserait  la  morale  si  l'on  préférait  des 
biens  inférieurs  à  des  biens  supérieurs,  les  biens  du 
corps  aux  biens  de  l'âme,  les  biens  temporels  aux 


QUATRIÈME   CONFÉRENCE  115 

biens  éternels,  les  biens  particuliers  au  bien  uni- 
versel, l'intérêt  de  l'homme  à  la  gloire  de  Dieu. 
Mais  précisément,  dites- vous,  c'est  ce  que  fait  l'es- 
pérance. Elle  nous  attache  à  Dieu  comme  à  un 
moyen  de  devenir  heureux.  Dieu  n'est  plus  la  der- 
nière fin  de  l'homme,  c'est  l'homme  qui  joue  le  rôle 
de  fin  dernière  vis-à-vis  de  Dieu. 

Mes  paroles,  Messieurs,  n'emportent  pas  ces  con- 
séquences, si  elles  les  entraînaient,  je  n'hésiterais 
pas  à  les  rétracter. 

Premièrement,  en  effet,  par  l'espérance,  nous 
dépendons  de  Dieu,  Dieu  ne  dépend  pas  de  nous.  Il 
y  a  des  biens  dont  nous  usons  comme  de  purs 
moyens,  que  nous  subordonnons  complètement  à 
notre  intérêt,  que  nous  aimons  uniquement  pour  l'a- 
vantage que  nous  en  retirons.  Ainsi  en  est-il  de  nos 
aliments,  de  nos  habits  qui  n'ontde  prix  à  nosyeux 
que  dans  la  mesure  oiî  ils  nous  servent.  Si  l'espé- 
rance traitait  Dieu  de  cette  façon,  elle  lui  infligerait 
une  intolérable  injure.  Il  y  a  des  êtres  que  nous 
aimons  en  nous  plaçant  avec  eux  sur  le  pied  de 
l'égalité;  ils  nous  appartiennent  et  nous  leur  appar- 
tenons, sans  qu'ils  nous  dominent,  sans  que  nous 
les  dominions.  L'espérance  tondrait  encore  à  détrôner 
Dieu,  et  elle  serait  immorale,  si  elle  l'abaissait  à  ce 
point.  Enfin,  il  y  a  des  êtres  que  nous  aimons  d'un 
amour  de  sujétion,  en  mettani;  notre  bonheur  à 
vivre  dans  leur  dépendance  et  sous  leur  sceptre. 
L'enfant  trouve  sa  joie  dans  la  société  de  son  père, 


116  l'espérance 

sans  vouloir  disposer  de  son  père  comme  d'un  égal 
ou  comme  d'un  intérieur;  le  serviteur  trouve  sa  joie 
dans  le  service  de  son  maître,  sans  avoir  la  préten- 
tion de  se  changer  en  maître,  ou  de  changer  son 
maître  en  serviteur.  Telle  est  vis-à-vis  de  Dieu  la 
situation  de  Ihomme  qui  espère,  il  attend  son  bon- 
heur de  Dieu,  comme  Tenlant  l'attend  de  son  père, 
comme  le  sujet  l'attend  de  son  roi,  il  aime  Dieu  d'un 
amour  qui  est  à  la  fois  un  amour  de  convoitise  et 
un  amour  «  de  respect,  de  révérence,  d'honneur  »  ,1). 
Même  séparée  de  la  charité,  l'espérance  place  Dieu 
au-dessus  de  l'homme.  Dieu  reste  le  souverain  et 
l'homme  n'est  qu'un  subordonné.  «  Nous  ne  tirons 
pas  Dieu  à  nous,  dit  saint  François  de  Sales,  ni  à 
notre  utilité  ;  mais  nous  nous  joignons  à  lui  comme 
à  notre  finale  félicité.  Nous  nous  aimons  ensemble 
avec  Dieu  par  cet  amour,  mais  non  pas  nous  pré- 
férant ou  égalant  à  lui  par  cet  amour  :  l'amour  de 
nous-mêmes  est  mêlé  avec  celui  de  Dieu,  mais 
celui  de  Dieu  surnage  :  notre  amour-propre  y  entre 
à  la  vérité,  mais  comme  simple  motif,  et  non 
comme  lin  principale;  notre  intérêt  y  tient  quelque 
lieu,  mais  Dieu  tient  le  rang  principal...  car  quand 
nous  aimons  Dieu  comme  notre  souverain  bien, 
nous  ne  le  rapportons  pas  à  nous,  mais  nous  à  lui  ; 
nous  ne  sommes  pas  sa  fin,...  mais  il  est  la  nôtre; 
il  ne  nous  appartient  pas,  mais  nous  lui  apparte- 
nons :  il  ne  dépend  pas  de  nous,  mais  nous  de  lui... 

(1)  Append.,  n.  5,  p.  316. 


de  sorte  qu'aimer  Dieu  en  titre  de  souverain  bien, 
c'est  l'aimer  en  titre  honorable  et  respectueux  (1).  » 
Secondement,  pour  juger  de  l'espérance,  il  faut 
considérer  ses  tendances  en  même  temps  que  ses 
actes.  Mais  l'espérance  tend  à  la  charité  qui  est  dans 
l'Evangile  la  vertu  royale;  elle  tend  à  la  charité, 
car  l'on  est  bien  près  d'aimer  un  être  pour  lui-même 
quand  on  l'aime  pour  le  bien  dont  il  nous  assure 
la  possession.  Or  la  charité  nous  inspire  la  volonté 
d'être  plus  parfaits  pour  servir  plus  parfaitement 
Dieu,  d'être  heureux  pour  consacrer  à  Dieu  notre 
personne  et  notre  bonheur.  Elle  nous  dicte  ces 
paroles  recueillies  sur  les  lèvres  de  Jésus  :  «  Pater... 
clarifica  Filium  tuum,  ut  Filins  tnus  clarifîcct  te. 
Père,  glorifie  ton  Fils,  afin  que  ton  Fils  te  glo- 
rifie (2).  ))  Le  bonheur  de  l'homme  devient  un 
moyen  de  mieux  célébrer  Dieu.  Le  chrétien 
veut  être  plus  grand  pour  offrir  à  Dieu  une  plus 
digne  louange  et  pour  lui  chanter  un  hymne  plus 
retentissant.  Avec  l'espérance,  il  lutte  pour  la 
couronne,  mais  avec  la  charité,  il  jette  sa  cou- 
ronne comme  un  hommage  aux  pieds  de  Dieu. 
«  Vingt-quatre  vieillards,  dit  l'Apocalypse,  se 
prosternaient  devant  celui  qui  est  assis  sur  le  trône, 
et  ils  adoraient  celui  qui  vit  dans  les  siècles  des 
siècles,  et  ils  jr>taient  leurs  rDuronnes  devant  le 
trône    en    disant  :    Vous  êtes    digne,    ô  SeigncMir 

(1)  Traité  de  l'amour  dr  Dieu.  II,  cli  xvii.  —  (  T.  Ainicnd.,  n.6,  [i.Jlô. 

(2)  Saint  Jean,  xvii,  11. 


k 


118  l'espérance 

notre  Dieu,  de  recevoir  gloire,  honneur  et  puis- 
sance (1).  »  De  sorte  que  dans  la  morale  intégrale 
du  Christianisme,  ce  n'est  pas  régoïsme,  ce  n'est 
pas  l'intérêt  propre  qui  décide  de  tout,  c'est  la 
charité,  et  la  charité  se  sert  de  l'espérance  pour 
grandir  l'homme,  et  de  l'homme  parvenu  au  sommet 
de  sa  perfection  pour  exalter  avec  de  plus  sublimes 
accents  la  personnalité  de  Dieu. 

Soyez  donc  rassurés,  Messieurs,  et  abandonnez- 
vous  sans  scrupule  au  souffle  de  l'espérance.  En  sui- 
vant ses  voies,  vous  obéirez  à  la  loi,  qui  est,  de  l'avis 
des  âmes  impartiales,  la  plus  idéale,  la  loi  de  l'Evan- 
gile; vous  vous  inclinerez  devant  l'autorité  intellec- 
tuelle qui  sur  la  terre  est  la  plus  haute,  l'autorité  de 
l'Église  ;vous  vous  rallierez  au  sentiment  deshommes 
qui  ont  le  mieux  compris  et  le  plus  héroïquement  pra- 
tiqué la  vraie  religion,  les  docteurs  et  les  saints; 
vous  imiterez  Celui  qui  demeure  le  type  accompli 
de  toutes  les  grandeurs  et  de  toutes  les  vertus, 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

En  même  temps  vous  respecterez  l'instinct 
normal  de  la  nature,  les  règles  du  bon  sens,  les 
ordres  de  la  saine  morale.  Ne  vous  laissez  pas 
troubler  par  les  voluptueux  qui  prêchent  le  mépris 
de  la  joie  et  qui  jouent  pour  leur  profit  la  comédie  du 
désintéressement  ;  par  les  mystiques  d'allure  stoï- 
cienne qui  ont  toujours  violé  les  préceptes  qu'ils  im- 

(1)  Apocalypse,  iv,  10. 


QUATRIÈME   CONFÉRENCE  119 

posaient  aux  autres.  Souvenez-vous  qu'il  n'y  a  point 
d'antagonisme  entre  le  salut  de  l'homme  et  la  gloire  de 
Dieu,  qu'une  Providence  aussi  large  que  perspicace 
a  trouvé  le  secret  de  pourvoir  au  bien  de  la  créature 
sans  blesser  en  rien  les  imprescriptibles  droits  du 
Créateur.  Mais  sachez  aussi,  que  nul  ne  possédera 
Dieu,  s'il  n'aime  Dieu  plus  que  lui-même,  s'il 
n'aime  Dieu  pour  Dieu,  et  n'oubliez  pas  que 
si  le  bonheur  se  promet  à  l'espérance,  il  ne  se 
donne  qu'à  la  charité.  Efforcez-vous  de  pratiquer 
ces  deux  vertus  :  elles  s'entendent  merveilleuse- 
ment pour  établir  dans  les  sentiments  l'ordre  établi 
dans  les  choses,  pour  assurer  à  l'homme  la  béati- 
tude qu'il  désire  et  à  Dieu  la  souveraine  adoration 
qui  lui  est  due. 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE 


LE   DÉSESPOIR 


SOMMAIRE 

Dieu  a  fait  de  l'espérance  un  devoir  contre  lequel  l'homme 
peut  pécher  de  différentes  farons.  De  notre  temps  ce  devoir  a 
été  offensé  fréquemment.  Il  l'a  été  surtout  par  le  désespoir  et 
parla  présomption. 

Détinitiondu  désespoir.  Il  Malice  du  désespoir,  p.  127-128. 

I 

Le  désespoir  est  un  acte  intérieur,  délibéré,  positif,  par 
lequel  l'homme  cesse  de  tendre  à  son  bonheur,  y  renonce  et 
s'en  éloigne,  sous  prétexte  qu'il  Uii  est  impossible  d'y  parvenir. 

1.  —  a)  C'est  un  acte  inlérieur  émané  des  profondeurs  de 
l'âme  et  tel  au  dedans  qu'il  se  montre  au  dehors. 

Le  vrai  désespoir  se  distingue  ainsi  du  pessimisme  de 
commande  affecté  par  des  jeunes  gens,  par  des  hommes  qui 
veulent  apitoyer  sur  leur  sort  et  tirer  profit  de  leur  prétendu 
découragement,  p.  128-130. 

6)  Le  désespoir  est  un  acte  pleinement  conscient  et  pleine- 
ment délibéré.  11  diffère  des  troubles  violents  mais  involon- 
taires, qui  jettent  parfois  les  saints  dans  d'indicibles  an- 
goisses, p.  130-131. 

c)  C'est  un  acte  positif  et  non  un  simple  défaut  d'espérance. 
Il  se  ue  se  confond  pas  avec  l'indifférence,  avec  l'hésitation, 
avec  la  simple  déliance,  p.  131-132. 

d)  C'est  le  relâchement  total  de  la  volonté,  l'abandon  de 
soi,  la  rupture  consciente,  délibérée  de  l'homme  avec  le  bon- 
heur. Le  désespéré  renonce  à  sa  destinée,  il  aflîrme  sa  vo- 
lonté inflexible,  réllécliic  de  dire  adieu  à  la  félicité,]).  132-134. 

2.  —  Motif  invoqué  par  le  désespoir  :  impossibilité  d'ar- 
river au  sahit. 

a)  Cette  impossibilité  est  (pielquefois  conçue  comme  abaoUte 
par  le  désespéré,  (pii  no  croit  pas  à  l'existence  du  bonheiir 
pour  riiMm;init<''...  Ce  désespoir  est  le  plus  grave,  il  a  son 
principe  (huis  l'incrédulité,  p.  134  13t). 

b)  (juel<]uefois,  le  désespéré',  le  Clirétien  par  exemple, 
conçoit  comme  relative  à  sa  personne  l'impossibilité  d'arriver 


iU  f/E8PênAPÏCB 

au  salut  qui  est  accessible  aux  autres.  Il  invotjuft  pour  jutll- 
fier  son  idée  :  la  violence  de  ses  passions,  la  gravité  de  ses 
fautes.  l'insuTisance  pratique  de  la  grâce,  et  il  fuit  un  bonheur 
qu'il  juge  hors  de  sa  portée,  p.  136-137. 

II 

Etat  malheureux  du  désespéré.  Quelle  pitié  il  nous  doit 
inspirer. 

Culpabilité  du  désespéré.  Principe  suivant  lequel  on  doit 
juger  de  celui  en  qui  le  désespoir  est  la  suite  de  l'incrédu- 
lité, p.  137-<38. 

Culpabilité  du  croyant  qui  désespère. 

1.  — Il  pèche  contre  lui-même. 

a)  Parce  qu'il  refuse  de  pourvoir  à  son  sort.  Obligation 
dans  laquelle  nous  sommes  de  nous  aimer  et  de  nous  vouloir 
par  dessus  tout  le  plus  grand  des  biens  qui  est  la  béatitude. 
Comment  le  désespéré  offense  gravement  ce  précopte  en  renon- 
çant à  son  bonheur  et  en  se  vouant  à  la  damnation,  p.  138-130. 

6)  Comment  il  l'offense  d'autant  plus  gravement  qu'il  est 
oblige  pour  désespérer  de  résister  à  la  grâce,  à  la  raison,  à  la 
nature  qui  le  pressent  de  chercher  la  félicité,  p.  140. 

c)  Vaines  excuses  invoquées  par  le  désespéré.  Ce  qu'il  faut 
penser  de  l'impossibilité  de  se  sauver.  Lâcheté  que  cache  le 
désespoir,  p.  140-142. 

2.  —  Le  désespoir  inflige  à  Dieu  une  grave  injure. 

a)  Parce  qu'il  méconnaît  ou  la  puissance  ou  la  miséricorde 
de  Dieu.  S'il  prétend  pour  justifier  son  excès  que  Dieu  ne  peut 
le  sauver,  il  mutile  la  puissance  divine  et  met  la  faculté  qu'il 
a  de  se  perdre  au-dessus  de  la  faculté  que  Dieu  a  de  le  sau- 
ver. S'il  prétend  que  Dieu  peut,  mais  ne  veut  pas  le  sauver,  il 
attribue  à  sa  perversité  plus  de  vertu  qu'à  la  bonté  divine.  En 
tout  cas,  il  accuse  d'erreur  ou  de  mensonge  Dieu  qui  tant  de 
fois  nous  aflirmc  qu'il  peut  et  ([u  il  veut  nous  sauver,  p.  142-144. 

6)  Le  Dieu  imaginé  par  le  dése';péré  n'a  rien  de  commun 
avec  le  Dieu  qui  s'est  manifesté  dans  l'histoire.  A  celui-ci,  le 
désespéré  inllige  un  outrage  sanglant  en  lui  attribuant  des 
sentiments  et  des  desseins  opposés  à  ceux  dont  nous  parlent 
les  auteurs  inspirés,  p.  i44-d4ii. 

c)  L'injure  jetée  à  la  face  du  Père  rejaillit  jusqu'au  Christ, 
que  le  désespéré  accuse  implicitement  de  n'avoir  pas  assez 
souffert  pour  sauver  tous  les  hommes,  p.  145. 


CINQUIÈME    CONFÉRENCE  12^ 


d)  Le  désespoir  inflige  une  injure  à  Dieu  en  rompant  avec 
lui.  Cette  rupture  est  directe  et  positive,  c'est  ce  qui  fait  fa 
gravité,  p.  146-147. 

Aucun  chrétien,  quelle  que  soit  l'extrémité  de  ses  douleurs 
ou  de  ses  fautes,  n  a  le  droit  de  désespérer.  Ceux  qui  ont 
succombé  à  cette  tontallon  doivent  revenir  à  l'espérance.  Le 
désespoir  guérissable  en  ce  monde  ne  l'estplus  dans  l'éternité, 
p.  147-149. 


CINQUIÈME    CONFÉRENCE 


LE  DÉSESPOIR 


Eminentissime  Seigneur  (1), 
Messieurs, 

Dieu  a  fait  de  l'espérance  un  devoir  qu'il  a  im- 
posé à  tous  les  hommes.  Il  l'a  imposé  aux  justes  et 
aux  saints  qui  se  consacrent  avec  une  générosité 
sans  bornes,  avec  une  constance  inlassable  aux 
œuvres  héroïques.  Il  Fa  imposé  aux  âmes  tièdes  et 
lâches  qui  se  traînent  dans  les  sentiers  du  bien.  Il 
l'a  imposé  aux  infortunés  qui  ont  connu  l'extrémité 
de  la  tribulation,  aux  criminels  qui  épuisant  la 
coupe  du  mal  sont  tombés  au  dernier  degré  de  la 
bassesse  et  de  l'infamie.  Pour  plusieurs  le  poids 
de  cette  obligation  devient  trop  lourd,  ils  refusent 
de  le  porter;  d'une  manière  plus  ou  moins  réso- 
lue ils  en  secouent  le  joug,  et  ils  nourrissent  des 
sentimenis  ((iii  la  blessent.  Que  de  fois  dans  notre 
siècle  cette  puissante  vertu  a  succombé  dms  les 
âmes!  Que  de  fois  l'impiété,   la  science,  la  pbilo- 

(1)  s.  E.  Mgr  le  cardinal  Amelte,  archevêque  de  Paris. 


128  l'espérance 

Sophie,  les  passions,  les  arts,  la  poe'sie  sont  entre's 
contre  elle  dans  une  vaste  conspiration  et  ont  réussi 
à  l'arracher  des  cœurs! 

L'homme  moderne  offense  l'espérance  en  négli- 
geant de  la  cultiver,  en  la  laissant  languir  au  fond 
de  son  cœur,  en  préférant  les  réalités  du  présent  aux 
promesses  de  l'avenir,  en  s'insurgeant  contre  les 
devoirs  dictés  par  sa  vocation,  en  s'efforçant  d'ou- 
blier les  problèmes  de  vie  et  de  mort  qui  s'imposent 
à  l'attention  de  l'être  raisonnable,  en  calmant  par  le 
mépris  ses  inquiétudes  toujours  renaissantes.  Il  la 
offensée  quand  il  s'est  plongé  dans  la  mélancolie 
malsaine  source  du  découragement  qui  tue  la  vo- 
lonté ou  la  jette  dans  l'inertie.  Il  l'a  offensée,  plus 
peut-être  que  toutes  les  autres  générations,  par  dé- 
sespoir et  par  présomption  (1). 

Je  voudrais,  Messieurs,  vous  mettre  en  garde 
contre  ces  deux  dernières  tentations.  Dans  ce  des- 
sein, je  définirai  aujourd'hui  le  désespoir,  j'en  mar- 
querai la  malice,  et,  dimanche  prochain,  je  trai- 
terai de  la  présomption. 

1 

Le  désespoir  est  un  acte  intérieur,  délibéré,  posi- 
tif, par  lequel  l'homme  cesse  de  tendre  à  son  bonheur, 
y  renonce  et  s'en  éloigne  sous  prétexte  qu'il  lui  est 
impossible  d'y  parvenir. 

Cette  définition   contient,  je  crois,  tous   les  élé- 

(1)  Append.,  n.  i,  p.  137. 


CINQUIÈME   CONFÉRENCE  129 

ments  nécessaires  pour  faire  connaître  la  nature  du 
vice  le  plus  contraire  à  la  vertu  d'espérance.  Elle  le 
distingue  des  sentiments  qui  lui  ressemblent  ou 
s'en  rapprochent,  elle  le  caractérise  et  elle  sou- 
ligne les  mauvais  motifs  que  l'on  invoque  pour  s'y 
livrer. 

C'est  un  acte  intérieur,  un  vouloir  émané  des  pro- 
fondeurs de  l'ùme  et  tel  au  dedans  qu'il  se  montre  au 
dehors.  Un'estpasrarede  rencontrerdes  jeunes  gens 
ou  même  des  hommes  qui  affectent  le  pessimisme, 
la  désolation,  le  découragement.  A  les  entendre,  ils 
sont  la  proie  d'une  mélancolie  incurable  qui  révolte 
leur  cœur,  mais  qui  s'impose  àleur  esprit.  Ils  se  plai- 
gnent et  disent  que  le  bonheur  n'est  pas,  ou  qu'il  est 
inaccessible.  Comédie  !  Au  fond  ils  savent  que  leur 
sort  est  entre  leurs  mains,  qu'il  dépend  d'eux  d'at- 
teindre leur  lin;  ils  sont  résolus  d'ailleurs  à  ne  point 
se  perdre,  et,  au  moment  déterminé  parleur  caprice, 
à  reprendre  le  chemin  du  salut.  Leur  but  est  d'émou- 
voir leurs  proches,  d'apitoyer  sur  leur  personne, 
d'obtenir  l'argent,  la  liberté  dont  ils  ont  besoin 
pour  satisfaire  des  passions  qu'ils  n'avouent  pas, 
mais  qui  les  tyrannisent.  Leur  but  est  de  justi- 
fier leur  conduite,  de  trouver  une  excuse  à  leur 
dureté,  à  leur  égoïsme,  à  leurs  débauches,  d'éviter 
les  reproches,  de  s'arroger  le  droit  de  mal  faire  et  de 
chercher  dans  la  vie  présente  ce  qu'ils  feignent  de 
ne  plus  attendre  de  la  vie  fiilure.  Ce  jeu  est  indigne 
l'i;si'i-:i;anc.i;.  —  'J. 


130  l'espérance 

et  dangereux,  mais  le  désespoir  dont  il  se  couvre 
n'est  qu'apparent.  Viennent  l'épreuve  ei  la  maladie, 
les  coupables  jetteront  eux-mêmes  leurs  masques  et 
nous  verrons  dans  leurs  âmes  s'affirmer  l'espérance 
avec  laquelle  ils  n'avaient  jamais  intérieurement 
rompu. 

Le  désespoir  est  un  acte  pleinement  conscient  et 
pleinement  délibéré.  Les  plus  grands  saints  ont  connu 
des  tentations  violentes  qui  ébranlaient  leur  âme 
dans  ses  profondeurs.  Leurs  fautes  leur  semblaient 
si  graves,  leurs  bonnes  œuvres  si  insignifiantes,  les 
chemins  du  ciel  si  rudes  et  si  escarpés,  la  voie  de  la 
perdition  si  glissante,  la  justice  de  Dieu  si  rigou- 
reuse qu'ils  tombaient  dans  des  inquiétudes  dévo- 
rantes, dans  des  perplexités  mortelles.  Le  trouble 
bouleversait  la  sensibilité,  l'obscurité  apeurait  l'ima- 
gination, paralysait  l'esprit,  l'astre  de  l'espérance 
voilait  ses  rayons,  et  ces  êtres,  impuissants  à  sortir 
de  ce  chaos  ténébreux,  se  débattaient  au  milieu  de 
pensées,  de  sentiments  qui  les  faisaient  agoniser. 
Ils  avaient  l'impression  que  Dieu  les  haïssait,  les  con- 
damnait d'avance,  faisait  déjà  peser  sur  eux  sa 
colère  vengeresse,  que  son  secours  leur  serait  tou- 
jours refusé  et  qu'eux-mêmes  abandonnés  à  leur 
faiblesse  se  damneraient  infailliblement.  En  cet 
état,  on  dirait,  écrit  saint  Jean  Je  la  Croix,  qu'ils 
partagent  les  douleurs  de   l'enfer  (1);  ils  ne  peu- 

(1)  La  nuit  ob$eurt,  1.  II,  cli.  vt; 


CINQUIÈME   CONFÉRENCE  131 

vent  retenir  des  cris  de  détresse,  on  les  entend 
répéter,  sur  un  ton  déchirant  ces  paroles  du 
B.  Henri  Suso  :  «  Malheureux  que  je  suis!  que 
faire?  Oii  me  réfugier?  Mon  Dieu!  mon  Dieu!  fut-il 
jamais  créature  plus  à  plaindre  que  moi?  Pourquoi 
suis-je  né,  si  je  dois  être  toujours  malheureux?Oui, 
malheureux  dans  le  temps,  malheureux  dans  l'éter- 
nité (1)?  y-  Cependant  ces  orages  n'éclatent  qu'à  la 
surface  de  l'âme,  qui,  loin  d'en  être  complice,  lutte 
contre  leur  violence  et  ne  cesse  pas,  si  désemparée 
qu'elle  soit,  d'implorer  1  intervention  du  Sauveur, 
de  murmurer  encore  aux  heures  du  plus  profond 
abattement  :  «  Mon  Dieu,  mon  Dieu,  ne  m'aban- 
donnez pas!  »  L'ange  du  désespoir  assiège  ces 
consciences,  il  n'y  entre  pas. 

Le  désespoir  est  un  acte  positif  et  non  un  simple 
défaut  d'espérance.  Que  d'hommes  vivent  sans  ac- 
corder la  moindre  attention,  la  moindre  pensée  â'Ia 
question  de  leur  salut!  Le  politicien  toujoui's  en 
quête  d'intrigues  et  dé  conspirations,  le  savant 
confiné  dans  son  laboratoire  étroit,  le  mondain  tout 
entier  préoccupé  de  ses  vains  succès,  l'épicurien 
dont  les  jours  sont  rongés  par  sa  fatale  et  absorbante 
|iassiun,  le  brasseur  d'affaires  noyé  dans  ses  iiiuom- 
biables  spéculations,  le  paysan  courbé  sur  sou 
c-bymp    se    montrent  indifférents    au    problèmci,  dp 

■  :;»coq 
(1)  Vio  du  B.  Honri  Siito,  c.  xxvi,  éûU.  Carlier. 


132  l'espérance 

leur  destinée.  Pas  un  regard  du  côté  du  ciel,  pas 
une  inquiétude  au  sujet  du  lendemain!  Le  souci 
du  bonheur  éternel  dort  dans  leur  cœur,  ils  crai- 
gnent de  le  réveiller,  car  en  le  réveillant  ils 
troubleraient  leur  existence.  Cette  disposition  est 
coupable,  pleine  de  périls,  elle  est  cependant  pure- 
ment négative,  elle  ne  nous  rend  point  hostiles 
mais  seulement  étrangers  à  l'espérance. 

Dans  riiésitation,  l'àme  se  partage  :  l'excellence  du 
bonheur  l'attire,  la  difficulté  d'y  parvenir  la  rebute. 
Suspendue  entre  deux  sentiments,  elle  refuse  de 
prendre  parti,  ne  voulant  pas  sacrifier  sa  béatitude, 
mais  n'osant  l'attendre.  L'hésitation  est  pour  la 
volonté  ce  que  le  doute  est  pour  l'intelligence,  elle 
blesse  l'espérance,  elle  ne  la  tue  pas  nécessairement, 
elle  ne  se  confond  pas  avec  le  déeespoir. 

La  défiance  s'en  rapproche  davantage;  mais  si  elle 
s'endistingue  moins,  elle  s'en  distingue  encore,  parce 
que  le  chrétien  qui  se  défie  de  la  puissance,  de  la 
bonté  de  Dieu,  qui  soupçonne  Dieu  d'intentions 
perfides,  de  desseins  arrêtés  de  vengeance,  ne  forme 
pas  un  jugement  absolu  contre  lui,  ne  renonce  pas 
à  son  salut.  Il  y  tend  avec  des  arrière -pensées,  avec 
des  sentiments  injurieux  à  Dieu,  mais  il  continue 
d'y  tendre. 

Le  désespoir  est  le  relâchement  total  de  la  volonté, 
l'abandon  de  soi,  la  rupture  consciente,  délibérée, 
positive  de  l'homme  avec  le  bonheur.    Non   seule 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE  133 

ment  le  chrétien  dominé  par  ce  sentiment  sauvage 
brise  de  ses  propres  mains  son  espoir,  non  seule- 
ment il  en  arrache  de  son  cœur  jusqu'à  la  dernière 
racine,  non  seulement  il  cesse  de  s'élancer  vers  la 
béatitude  éternelle,  mais  par  un  mouvement  con- 
traire, il  renonce  à  sa  destinée.  Desperatio,  dit 
saint  Thomas,  non  importât  solam  privationem 
spei,  sed  recessum  a  re  desiderata  (1).  Si  le  déses- 
péré entend  la  voix  du  bon  Pasteur  qui  l'appelle  et 
qui  le  cherche,  il  s'éloigne  pour  lui  échapper,  s'il, 
l'aperçoit,  il  précipite  ses  pas  dans  le  dessein  de  se 
soustraire  à  son  sauveur.  C'est  Caïn  s'enfonçant  dans 
la  solitude  aride,  désolée,  pour  éviter  Jéhovah  qui 
lui  offre  encore  assistance  et  protection.  Haletant, 
blessé,  ensanglanté,  emportant  dans  son  àme  le  trait 
fatal  qui  le  torture  et  l'exaspère,  le  malheureux  fuit 
le  bonheur.  Et  lorsque  le  bonheur  le  poursuit  pour 
se  faire  désirer  et  pour  se  donner,  le  désespéré  lui 
ferme  toutes  les  portes  de  son  cœur,  s'arme  contre 
lui,  le  repousse  avec  colère,  le  combat  comme  un 
mal  et  comme  un  ennemi. 

Les  tendres  instances  de  l'amitié,  les  prières  de 
la  sagesse,  les  sollicitations  de  la  grâce,  les  insi- 
nuations suaves,  les  touches  délicates  de  l'Esprit,  les 
aspirations  de  la  nature  le  trouvent  irréductible.  Tan- 
tôt il  tombe  dans  un  état  de  prostration  absolue  et  il 
oppose  à  toutes  les  avances  sa  force  d'inertie,  tantôt 

(1)  I»  II*",  q.  XL,  art.  i,  ad  a»".  Cf.  Ap|ienii.,  n.  2,  p.  318. 


134  i/espérance 

en  proie  aux  furies  il  se  défend  avec  opiniâtreté 
contre  toutes  les  puissances  qui  voudraient  le  ra- 
mener dans  la  bonne  voie.  Pareil  au  pilote  qui,  non 
content  d'avoir  jeté  à  la  mer  ses  rames  et  ses  voiles, 
les  repousse  si  le  flot  les  lui  rapporte,  le  désespéré 
résiste  obstinément  aux  assauts  de  la  miséricorde, 
d'un  geste  violent  il  affirme  sa  volonté  inflexible 
et  réfléchie  de  dire  adieu  à  la  félicité,  de  traiter 
comme  des  adversaires  les  auxiliaires  qui  s'efforcent 
à  l'émouvoir,  à  lui  prêter  secours  et  à  lui  rendre 
confiance  dans  l'avenir.  Quel  spectacle!  «  Les 
insensés,  dit  en  substance  saint  Chrysostome,  les 
furieux  qui  ont  perdu  l'esprit  ne  redoutent  plus 
rien,  ils  ne  sont  retenus  ni  par  la  pudeur,  ni  par 
la  crainte  du  feu,  de  Teau  ou  des  abîmes.  Ainsi 
l'homme  en  proie  à  la  folie  du  désespoir  foule  aux 
pieds  toute  prudence  et  se  jette  au-devant  de  tous 
les  maux  (I).  » 

Et  comment  expliquer  un  tel  phénomène?  Com- 
ment comprendre  qu'un  être  puisse  agir  avec 
cette  colère  et  cette  ténacité  contre  son  propre  in- 
térêt et  contre  son  propre  salut? 

Ah  !  c'est  que.  Messieurs,  le  désespéré  s'est  per-r 
suadé  que  l'accès  du  bonheur  lui  était  impossible. 
Cette  impossibilité  imaginaire  le  rebute,  le  révolte 
et  lui  inspire  un  mouvement  d'aversion.  La  béati- 
tude avec  ses  joies  l'attire;  par  une  loi  naturelle  dont 

(1)  Exhoflalio  ad  Tlieodorum  lap^ui»,  T,  }.">. 


CINQUIÈME    CONFÉRENCK  135 

il  n'est  pas  le  maître,  il  la  désire  et  il  l'appelle,  mais 
convaincu  qu'il  lui  sera  interdit  d'y  parvenir,  il  se 
rejette  volontairement  en  arrière  et  fuit  dc^libéré- 
ment  un  but  qu'instinctivement  il  brûle  d'atteindre. 


Dans  son  esprit,  cette  impossibilité  est  absolue 
pour  tous,  ou  relative  à  sa  personne. 

S'il  pense  que  Dieu  n'est  pas,  que  l'àme  est 
mortelle,  il  conclut  que  la  félicité  est  un  mot 
inventé  par  les  hommes  lassés  de  leur  misère  et 
mécontents  de  leur  sort,  que  le  ciel  est  vide,  que 
personne  ne  nous  attend  au  delà  du  tombeau. 
Tantôt  il  s'irrite  contre  la  fatalité,  il  maudit  une 
vie  qui  n'a  pas  de  sens,  il  s'exaspère  contre  l'exis- 
tence incertaine,  douloureuse,  éphémère  qu'une 
puissance  aveugle  et  brutale  lui  impose,  contre  les 
aspirations  d'une  nature  qui  refuse  d'accepter  la 
perspective  du  néant.  Tantôt  étouflant  avec  une 
énergie  amère  toutes  les  voix  qui  en  lui,  et  malgré 
lui  réclament  la  félicité,  il  essaie  de  prendre  une 
attitude  hautaine,  et  de  regarder  stoïquement  vers 
un  avenir  qui  le  broyera  dans  l'engrenage  universel. 
Tantôt  il  affecte  de  sourire,  il  prêche  à  son 
propre  cœur  une  douce,  une  sceptique  résiirnation 
et  il  invile  les  âmes  d'élite  à  imiter  son  exemple 
Mais  toujours  il  liitlo  contre  la  pensée  d'être  heu- 
reux, il  s'abstient  (h;  tous  les  actes  ([iii  pour  muis 
sont  des  moyens   d'arriver  au    l)ut  linaUl   qnalilie 


136  l'espérancb 

de  rêve,  d'illusion  notre  espérance,  et  l'écrase  sous 
son  mépris  quand  elle  essaie  de  renaître,  il  accuse 
de  folie  et  il  considère  comme  des  naïfs  ceux  qui  s'y 
abandonnent.  «  Ceux-là  seuls,  dit  Renan,  arrivent  à 
trouver  le  secret  de  la  vie  qui  savent  étouffer  leur 
tristesse  intérieure,  se  passer  d'espérance,  faire 
taire  ces  doutes  énervants  oii  ne  s'arrêtent  que  les 
âmes  faibles  et  les  époques  fatiguées  (1).  »  Ce 
désespoir  est  le  plus  incurable,  car  il  est  la  suite  et 
le  compagnon  de  l'incrédulité,  qui  ne  reconnaît  pas 
à  Dieu  la  qualité  de  Rémunérateur,  parce  qu'elle 
ne  lui  reconnaît  pas  même  l'existence. 

Le  chrétien  qui  désespère  croit  à  la  réalité  du 
bonheur,  à  la  possibilité  pour  beaucoup  de  l'at- 
teindre, mais  pour  lui-même  il  est  résigné  d'avance 
à  sa  perte,  convaincu  que  son  échec  est  certain  et 
qu'il  manquera  sa  destinée.  Il  manquera  sa  destinée, 
parce  que  les  passions  qui  l'ont  toujours  entraînél'en- 
traîneront  toujours,  parce  que  ses  habitudes  invété- 
rées triompheront  jusqu'au  bout  de  ses  résolutions, 
parce  que  la  grâce,  quelle  que  soit  sa  force  au  point 
de  vue  spéculatif,  ne  lui  suffira  pas  en  pratique 
pour  se  vaincre  lui-même,  parce  que  ses  fautes 
dans  le  passé  crient  vengeance,  parce  que  ses  fautes 
dans  l'avenir  achèveront  de  le  perdre,  parce  que 
Dieu  l'abandonne  et  a  décidé  de  le  sacrifier,  parce 

(1)  Livre  de  Job,  p.  lxxiviii   Cf.  Append.,  ii.  3,  p.  318. 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE  137 

qu'en  un  mot  les  difficultés  accumulées  sur 
son  chemin  sont  insurmontables.  Obsédé  par  ces 
erreurs  déprimantes,  il  juge  inutile  de  réagir  et  il 
se  laisse  glisser  dans  les  précipices.  Il  voit  les  fruits 
pendus  aux  arbres,  le  torrent  des  célestes  voluptés 
coule  sous  les  yeux  de  sa  foi,  mais  le  démon  du 
désespoir  Fécarte,  lui  défend  d'approcher,  lui  souffle 
ces  mots  que  l'on  a  attribués  à  Luther  :  «  Le  ciel  est 
resplendissant  d'étoiles,  mais  il  n'est  pas  fait  pour 
nous.  »  Devant  cet  ostracisme  imaginaire  le  déses- 
péré se  retire.  N'estimant  plus  suffisants  les  secours 
qui  lui  sont  offerts,  ni  possibles  les  actes  qu'on  lui 
demande,  déclarant  que  Dieu  ne  peut  pas  ou  ne  veut 
pas  le  sauver,  il  fuit  un  bonheur  qu'il  juge  inac- 
cessible et  se  voue  lui-même  à  une  damnation  qu'il 
pense  inévitable  (1). 

II 

L'homme  vraiment  désespéré  est  si  malheureux, 
la  douleur  dont  il  offre  le  spectacle  est  si  poignante 
et  si  dramatique,  qu'on  voudrait  l'arracher  au  sen- 
timent qui  le  torture,  le  ramener  à  une  vue  plus 
raisonnable  et  plus  religieuse  des  choses,  lui  rendre 
la  confiance  dans  l'avenir.  On  est  plus  frappé  par 
sa  souffrance  que  par  sa  faute,  et  plus  disposé 
à  consoler  la  première  qu'à  souligner  la  se- 
conde. (Cependant,  Messieurs,  fout  en  ressenlant 
une   compassion  profonde  pour  l'infortuné  que   le 

(1)  Append.,  n    i,  p.  318. 


138  l'espérance 

démon  du  désespoir  entraîne,  je  suis  obligé  de 
vous  montrer  sa  culpabilité  afin  de  vous  instruire,  et 
aussi  afin  de  vous  garder,  autant  que  le  peut  la 
parole  humaine,  contre  une  déiaillance  inexcusable 
dans  un  chrétien. 

Je  ne  parlerai  point  ici  du  désespoir  des  incré- 
dules qui  n'est  pas  nécessairement  un  péché.  Si 
celui  qui  nie  Dieu  et  la  félicité  est  responsable  de 
son  incrédulité,  ilestresponsable,  au  même  degré,  de 
son  désespoir.  S'il  est  au  contraire  de  bonne  foi  et  s'il 
a  tout  tenté  pour  connaître  la  vérité  sans  y  réussir, 
on  n'a  pas  le  droit  de  l'accuser,  et,  en  priant  le 
Sauveur  de  l'éclairer,  il  faut  le  juger  d'après  les 
principes  que  j'exposais  Tan  dernier  dans  la  ques- 
tion de  rinfidélité  négative. 

11  en  est  autrement  du  Chrétien  qui  désespère  :  il 
est  coupable,  et  si  son  acte  est  pleinement  conscient 
et  pleinement  délibéré,  il  pèche  gravement  contre 
lui-même  et  contre  Dieu. 

Il  pèche  contre  lui-même  en  se  nuisant  au  plus 
haut  degré,  et  en  s'appuyant  pour  se  nuire  sur  des 
raisons  qui  ne  lui  sont  fournies  que  par  la  lâcheté. 

Nous  sommes  tenus  de  nous  aimer,  et  en  consé- 
quence de  nous  vouloir  du  bien,  de  pourvoir 
autant  qu'il  dépend  de  nous  à  notre  sort.  Nul  ne 
manque  à  ce  devoir  sans  olTenser  l'ordre  établi  par 
la  Providence,  sans  lolTenser  d'une  manière  plus 


CINQUIÈME   CONFÉRENCE  139 

OU  moins  mortelle  suivant  l'importance  des  intérêts 
engagés.  Mais  désespérer,  c'est  de  propos  délibéré  se 
priver  soi-même  du  plus  grand  de  tous  les  biens,  du 
seul  bien  qui  compte  finalement,  car  seul  il  est  néces- 
saire, de  la  béatitude;  c'est  par  une  incompréhensible 
aberration  se  précipiter  librement  dans  le  dernier  de 
tous  les  maux,  la  damnation  ;  c'est  en  réalité  se  haïr 
soi-même  au  point  de  se  livrer  à  un  suicide  dont  la 
répercussion  retentira  dans  les  siècles  des  siècles, 
puisque  l'enfer  ne  laisse  vivre  ses  habitants  que 
pour  les  offrir  en  pâture  à  une  mort  qui  les  tortu- 
rera toujours  sans  les  achever  jamais.  Quel  est  donc 
l'ennemi  à  qui  vous  seriez  capable  de  souhaiter  un 
pareil  avenir?  Si  loin  que  vous  poussiez  la  haine, 
la  rancune,  l'esprit  de  vengeance,  vous  reculeriez 
devant  ce  vœu  abominable,  et  si  vous  ne  reculiez 
pas,  je  dirais  que  vous  êtes  l'être  le  plus  dur,  le 
plus  implacable,  le  plus  barbare,  je  dirais  que 
Satan  s'est  incarné  en  vous,  car  seul  Salan  est  assez 
pervers  pour  travailler  avec  une  constance  inlas- 
sable à  la  perte  éternelle  des  âmes.  Or  le  désespéré 
n'hésite  pas  à  se  frapper  des  traits  qu'il  aurait 
horreur  de  lancer  contre  ses  semblables,  puisque 
sous  l'empire  de  son  sentiment  maudit  il  s'éloigne 
volontairement  de  la  félicité  pour  s'abandonner  à 
un  supplice  sans  fin.  En  effet  :  il  n'y  a  pas  de  milioii, 
il  faut  choisir  entre  le  royaume  de  Dieu  et  l'enfer, 
entre  le  royaume  de  Dieu  qui  est  la  cité  de  l'espé- 
rance et  l'enlur  (jui  est  la  pairie  du  désespoir. 


140  i/espérance 

Le  crime  du  désespéré  est  d'autant  plus  grand  que 
pour  raccomplir  il  est  obligé  de  réprimer  tous  les 
instincts  qui  nous  poussent  à  chercher  le  bonheur,  de 
résistera  la  pression,  je  ne  dis  pas  seulement  de  la 
raison,  je  dis  de  la  nature  qui  se  ré  voile  contre  sacon- 
duite  et  qui  proteste  avec  véhémence  contre  sa 
décision.  Touteslesvoixenluis'élèventetle  supplient 
de  ne  point  rompre  avec  la  félicité  qu'elles  appel- 
lent, de  chercher  la  joie  suprême  à  travers  les 
obstacles,  les  épines,  les  tribulations,  d'espérer  contre 
toute  espérance,  de  sorte  que,  pour  s'abandonner 
à  sa  passion  infernale,  il  est  dans  la  nécessité  de 
se  faire  violence,  ce  qui  rend  sa  faute  plus  inexcu- 
sable. 

Je  l'entends,  il  dit  :  je  ne  puis  pas  pratiquer  les 
vertus  que  Dieu  exige  de  ses  prédestinés.  Dieu 
demande  que  l'on  soit  pur.  et  par  tempérament  je 
suis  voué  au  sensualisme  ;  Dieu  veut  que  l'on  soit 
pauvre,  et  par  un  penchant  plus  fort  que  moi  je 
suis  un  être  de  luxe;  Dieu  ordonne  que  l'on  soit 
humble,  et  par  une  fatalité  qui  dispose  de  moi  sou- 
verainement je  suis  vain  et  orgueilleux.  11  pense  se 
justifier  en  invoquant  ces  prétextes,  et  moi  je  lui 
demanderai  s'il  a  usé  de  toutes  les  énergies  de  sa 
volonté,  s'il  a  employé  tous  les  moyens  que  la  reli- 
gion lui  offre  pour  triompher  de  ses  instincts  per- 
vertis, si  dans  la  lutte  contre  le  mal  il  a  résisté  jus- 
qu'au sang?  Nondiim  enim  usquead  sanguinem  res- 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE  141 

iitistis,  adversus peccatum  répugnantes  (1).  M'affir- 
mera-t-il  qu'il  lui  est  impossible  de  rompre  cette 
liaison  où  il  perd  la  santé,  l'honneur  et  la  raison,  de 
quitter  cette  société  sceptique,  blasée,  tarée  où  son 
sentiment  de  la  justice  el  delà  probité  s'altère,  où  sa 
conscience  s'habitue  à  la  trahison  et  à  la  profanation  ? 
Ah!  s'il  avait  mis  au  service  du  bien  l'opiniâtreté 
qu'il  a  dépensée  au  service  du  mal,  à  quel  degré 
d'héroïsme  et  de  sainteté  ne  serait-il  pas  arrivé? 
Mais  il  désespère  parce  qu'il  veut  atteindre  le 
bonheur  suprême  sans  se  condamner  à  l'effort 
qu'il  met  au  service  de  la  plus  vulgaire  de 
ses  ambitions  :  je  le  surprends  vis-à-vis  de  lui- 
même  et  de  sa  destinée  en  un  flagrant  délit  de 
lâcheté,  lâcheté  qui,  comme  l'enseigne  saint  Jean 
Chrysostome,  se  cache  au  fond  du  désespoir  et  le 
nourrit  (2),  lâcheté  où  s'effondre  l'âme  qui  ne  sent 
plus  sa  force  parce  qu'elle  a  cessé,  par  crainte  du 
travail,  de  s'en  servir  et  de  l'exercer,  lâcheté  qui  est 
un  désordre  parce  que  l'homme  ne  fait  pas  et  ne  veut 
pas  faire  ce  qu'il  peut,  ce  qu'il  doit  faire,  ce  que 
Dieu  exige  qu'il  fasse  pour  accomplir  sa  destinée, 
pour  parvenir  au  bonheur.  Oui,  dans  le  repli  de  l'âme 
désespérée,  je  découvre  un  défaut  de  virilité  natu- 
relle, un  (b'faut  de  virilité  chrétienne,  un  énerve- 
ment  de  la  volonté;  il  dépend  de  nous  de  domi- 
ner cette  pusillanimité  qui   devient    mortellemenl 

(1)  Hébreux,  xii,  4. 

(2)  KxUorlulio  ad  Theorlorum  lapsum,  I,  18. 


142  l'espérance 

coupable  si  nous  lui  laissons  la  faculté  de  nous 
troubler  et  de  nous  emporter  par  son  mouvement 
de  reflux  loin  de  notre  bonheur  éternel. 

Nuisible  à  l'homme,  le  désespoir  inflige  à  Dieu 
une  grave  injure. 

Il  inflige  à  Dieu  une  injure  très  grave,  d'abord 
parce  qu'il  méconnaît  ou  sa  puissance  ou  sa  misé- 
ricorde. 

Si,  en  eff"et,  le  désespéré  prétend,  pour  justifier 
ses  excès,  que  Dieu  ne  peut  pas  le  sauver,  il  met  des 
limites  à  la  puissance  infinie,  il  mutile  la  souverai- 
neté de  l'Être  absolu  :  autant  qu'il  est  en  lui,  il  ôte 
des  perfections  au  Seigneur  à  qui  rien  ne  manque, 
qui  possède  même  celles  que  notre  esprit  ne  peut 
imaginer.  Finem  iinponit  virtuti  Dei^  dans  finam 
infinito,  et  itnperfeclionem  imponens  Deo  cui  nihil 
deest,  etiam  quod  cogitari  non potest  (1). 

Bien  plus,  il  compare  la  faculté  qu'il  a  de  se 
perdre  à  la  faculté  qu'a  Dieu  de  le  sauver,  et  il  agit 
comme  si  la  première  l'emportait  sur  la  seconde, 
comme  si,  par  conséquent,  le  principe  du  mal  était 
plus  fort  que  le  principe  du  bien,  comme  si  le  bras 
de  la  créature  s'étendait  plus  loin  que  le  bras  du 
Créateur.  En  réalité  dans  son  esprit  et  à  e^x  juger 
par  sa  conduite,  il  triomphe  de  Dieu  et  il  est  plus 
Dieu  que  Dieu. 

Si  le  désespéré,  en  vue  d'expliquer  sa  faute,  recon- 

(1)  ï)9  Vira  el  falsa  pastùlenUa,  V  (intor  opéra  S.  Augustini). 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE  443 

naît  la  toute-puissance  de  Dieu,  mais  refuse  de  re- 
connaître sa  miséricorde,  s'il  dit  :  «  Dieu  peut  me 
sauver,  mais  il  ne  le  veut  pas,  mes  péchés  sont  trop 
graves  pour  que  j'obtienne  mon  pardon  »,  il  attribue 
à  sa  perversité  plus  de  vertu  qu'à  l'éternelle  bonté. 
Suam  nequitiam  comparât  benignitati  Dei  (1).  Il 
refuse  de  confesser  que  la  malice  de  l'homme,  à 
quelque  degré  qu'on  la  pousse,  est  infiniment  moins 
étendue  que  la  clémence  divine,  que  les  feux  les 
plus  ardents  'de  la  passion  déréglée  s'éteignent 
dans  l'océan  sans  rivage  de  la  miséricorde  divine, 
comme  une  étincelle  dans  la  mer.  Cogita  milii  scin- 
tillam  in  pelagus  cadentem,  dit  saint  Chrysostome, 
num  potest  illa  stare  aut  apparerc  (2)?  Celui  qui 
désespère  abaisse  donc  Dieu  au  point  de  penser 
que  l'homme  peut  plus  par  son  péché  que  Dieu  ne 
peut  par  sa  clémence  et  que,  dans  la  lutte  engagée 
entre  le  bien  et  le  mal,  la  victoire  se  prononcera 
pour  le  mal.  Erreur  monstrueuse  de  i'esprit,  qui 
acceptée  comme  règle  de  nos  œuvres  deviendra  un 
crime  dans  la  volonté;  car  ce  qui  dans  l'intelligence 
est  vérité  ou  fausseté  devient  dans  le  cœur  bonté 
ou  méchanceté  :  Quod  est  in  inlellecta  ver  uni  et- 
(alsuiit,  est  in  appctiln  boniun  et  nialuni  (3);  les 
actes  sont  louables  par  leur  accord  avec  la  concep- 
tion exacte  des  choses,  et  désordonnés  par  leur  con- 
formité avec  le  mensonge. 

(1)  De  vera  et  falsa  pœnilenlia,  V  (int^ropcra  8.  AuRU»lini), 

(2)  De  Pœnitenlia,  homilia  VIII.  1. 

(3)  S.  Thomas,  II»  II*,  q.  xx,  art.  l, 


144  l'espérance 

En  tout  cas,  le  désespéré  accuse  Dieu  implicite- 
ment ou  d'erreur  ou  de  mensonge.  Dieu,  en  effet, 
nous  a  affirmé  qu'il  pouvait  et  qu'il  voulait  nous 
sauver,  si  bas  que  nous  fussions  tombés.  S'il  s'est 
trompé,  s'il  nous  a  trompés,  il  ne  mérite  pas  le  nom 
que  nous  lui  donnons,  car  l'idée  de  science  absolue, 
de  sincérité  indéfectible  est  inséparable  de  l'idée  de 
divinité. 


Faut-il  l'ajouter,  le  Dieu  imaginé  par  le  désespéré 
n'a  rien  de  commun  avec  le  Dieu  qui  s'est  mani- 
festé dans  l'histoire.  En  lui  prêtant  la  volonté  de 
nous  damner,  ou,  ce  qui  pratiquement  est  la  même 
chose,  le  dessein  d'exiger  de  nous  des  vertus  et  des 
actes  au-dessus  de  nos  forces  même  soutenues  par 
la  grâce,  le  désespéré  calomnie  Dieu  et  le  blesse  au 
point  le  plus  sensible:  son  infinie  bonté.  Recon- 
naissez-vous, dans  le  juge  implacable  que  nous 
peint  ce  malheureux,  le  Dieu  qui  se  déclare  prompt 
à  pardonner  et  qui  de  fait  pardonne  à  Adam,  à  David, 
à  la  Samaritaine,  à  l'enfant  prodigue,  à  la  femme 
adultère,  à  Madeleine,  au  bon  larron  et  qui  était 
tout  disposé  à  pardonner  à  Gain  et  à  Judas  ?  Quand 
le  désespéré  chante  sur  les  cordes  irritées  de  sa  lyre  : 


Me  voilà  dans  les  mains  d'un  Dieu  plus  redoutable 
Que  ne  sont  à  la  fois  tous  les  maux  d'ici- bas, 
Me  voilà  seul,  errant,  fragile  et  misérable, 
Sous  les  yeux  d'un  témoin  qui  ne  me  quitte  pas, 


CINQUIEME    CONFÉRENCE  14j 

Il  m'observe,  il  me  suit,  si  mon  c(p;n  bat  trop  vite, 

J'offense  sa  grandeur  et  sa  Divinité. 

Un  gouffre  est  sous  mes  pas,  si  je  m'y  précipite. 

Pour  expier  une  heure  il  faut  l'éternité, 

Mon  juge  est  un  bourreau  qui  trompe  sa  victime, 

Pour  moi  tout  devient  piège  et  tout  change  de  nom, 

il  outrage  indignement  celui  qui  a  voulu  s'appeler 
le  Père  céleste,  celui  qui  se  contente  d'un  cri,  d'une 
larme,  d'un  geste  pour  presser  sur  son  cœur  le  plus 
ingrat  de  ses  enfants. 

Faut-il  l'ajouter  encore,  l'injure  jetée  à  la  face 
du  Père  céleste  rejaillit  jusqu'au  Christ.  En  décla- 
rant que  le  salut  lui  est  inaccessible,  le  désespéré 
se  plaint  implicitement  que  Jésus  n'a  pas  suffi  à 
sa  tâche  de  Rédempteur,  que  la  victime  adorable  du 
Prétoire  et  du  Calvaire  n'a  pas  versé  assez  de  sueurs, 
assez  de  sang,  qu'elle  n'a  pas  enduré  assez  d'op- 
probres, que  son  agonie  n'a  pas  été  assez  longue,  ni 
sa  meut  assez  cruelle  pour  ouvrir  largement  à  la 
race  maudite  les  voies  du  salut  et  les  portes  du  ciel. 
Il  me  semble,  a  travers  les  cris  du  désespoir, 
entendre  les  échos  des  blasphèmes  que  les  Juifs 
adressaient  au  Crucifié  :  «  Allons  sauve-toi  et  sauve- 
nous.  11  a  dit  qu'il  sauverait  les  autres,  et  il  ne  peut 
se  sauver  lui-même.»  lilasplièmes  abominables  qui 
durent  blesser  au  vif  le  cœur  du  Dieu  qui  s'incarna 
pour  nous  assurer  tous  les  moyens  de  parvenir  i\  la 
béatitude,  et  qui  nous  les  assura  en  effet  par  sa  mort. 
l'espérance.  —  iO. 


146  l'espérance 

Le  désespéré  inflige  une  injure  à  Dieu,  il  con- 
somme sa  rupture  avec  lui.  Tout  péché  nous  dé- 
tourne de  Dieu  et  c'est  là  ce  qui  fait  sa  gravité. 
Mais  parfois  cette  aversion  n'est  qu'indirectement 
consentie,  et  parfois  elle  est  immédiatement  voulue. 
Ainsi  tantôt  nous  brisons  avec  nos  amis  parce  que 
nous  prenons  des  attitudes  incompatibles  avec  les 
exigences  du  sentiment  qui  nous  unit  à  eux,  tantôt 
nous  rompons  par  une  décision  formelle  les  liens 
qui  nous  attachaient  à  leur  personne.  11  est  évident 
que  le  premier  procédé,  si  tristement  efficace  qu'il 
soit,  l'est  moins  que  le  second,  et  que  le  second  nous 
sépare  beaucoup  plus  profondément,  beaucoup  plus 
irrémédiablement  de  ceux  qui  nous  étaient  chers. 
Quelque  chose  d'analogue  se  passe  dans  nos  rapports 
avec  Dieu.  Il  est  des  désordres  qui  ne  nous  éloignent 
de  lui  que  par  contre-coup;  Tavarice  porte  directe- 
ment sur  l'argent,  la  débauche  sur  les  plaisirs  sen- 
suels, c'est  en  se  consacrant  à  l'argent  et  à  la  jouis- 
sance que  l'avare  et  le  voluptueux  ravissent  à  Dieu 
le  culte  de  préférence  qu'ils  lui  doivent.  Ce  qui 
domine  en  eux,  c'est  l'amour  excessif  de  biens  misé- 
rables, ce  n'est  pas  la  volonté  de  rompre  avec  Dieu. 
Cette  rupture  n'est  qu'une  conséquence,  ils  la 
subissent,  serais-je  tenté  de  dire,  sans  l'avoir  cher- 
chée. Il  est  d'autres  excès,  au  contraire,  oii  par  une 
volonté  immédiate  l'homme  brise  avec  Dieu,  creuse 
par  une  décisijon  formelle  un  abîme  entre  Dieu  et 
lui.  Ainsi  se  comporte  le  désespéré.  Il  se  dresse  en 


CINQUIÈME   CONFÉRENCE  147 

face  de  son  Créateur  et  il  lui  dit  :  u  Je  renonce  à 
vous  voir,  à  vous  posséder,  à  vous  aimer,  j'en  ai 
pris  mon  parti,  je  vivrai  loin  de  vous,  que  notre  sé- 
paration soit  éternelle.  »  En  vain  Dieu  le  rappelle, 
multiplie  les  avances  et  les  invitations,  lui  offre 
secours  et  protection  pour  l'arracher  à  son  senti- 
ment amer,  essaie  de  renouveler  le  pacte  sacré  qui 
les  unissait  et  qui  devait  être  le  prélude  de  l'alliance 
indissoluble  de  l'autre  vie,  le  malheureux  se  dérobe 
à  toutes  les  instances  intérieures  de  l'Esprit,  détourne 
son  regard  et  son  cœur  de  celui  qui  s'o'bstine  à  vou- 
loir le  sauver.  Plus  tard  ne  pouvant  supporter  le  vide 
immense  de  son  cœur,  ni  vivre  dans  la  solitude 
effroyable  oii  il  s'est  jeté,  il  demandera  aux  créa- 
tures de  tromper  sa  douleur  et  son  inexorable  ennui, 
mais  pour  le  moment  tous  ses  efforts  tendent  à 
rendre  infranchissable  le  mur  que  son  désespoir  a 
élevé  entre  lui  et  son  Dieu.  C'est  ce  qui  donne  à  son 
emportement  un  caractère  si  coupable,  car  plus  une 
faute  nous  détourne  directement  et  positivement  de 
Dieu,  plus  elle  est  grave.  Illiid  quod  prias  et  per 
se  hahct  aversioncm  a  Deo,  est  gravissimum  pecca- 
tum  inter  peccata  mortalia  (1). 

Permettez-moi,  Messieurs,  avutermede  ce  discours 
de  vous  adresser  une  prière.  Si  hésitants  et  si 
impuissants  que  vous  vous  sentiez  en  face  de 
votri^  devoir,  si  navrante  que  soiL  l'expérience  que 

(1)  II"  II»,  q.  XX,  ait.  3.   Cf.  Appcml.,  n.  5,  p.  il9. 


148  l'espérance 

vous  avez  faite  de  votre  fragilité,  si  tyranniques 
que  soient  vos  passions  et  vos  habitudes,  si  nom- 
breux et  si  impudents  qu'aient  été  vos  pécliés,  si 
cruelles  qu'aient  été  vos  épreuves,  n'écoutez  jamais 
le  démon  du  désespoir.  Quand  même  vous  sefiez 
arrivés  à  la  mort  sans  avoir  réparé  les  fautes 
d'une  longue  existence,  quand  même  vous  auriez 
repoussé  jusqu'à  la  fin  toutes  les  grâces  et  tous  les 
secours,  je  vous  dirais  encore  :  mettez  dans  votre 
dernier  souffle  et  dans  votre  dernier  battement  de 
cœur  un  sentiment  de  confiance  dans  l'infinie  bonté 
du  Père  céleste  et  demandez-lui  par  un  suprême  élan 
d'avoir  pitié  de  vous  et  de  vous  sauver  (1). 

Et  si  vous  aviez  succombé  à  la  tentation  du  déses- 
poir, si  vous  aviez  glissé  dans  cette  défiance  et  dans 
ces  découragements  qui  ressemblent  au  vice  dont  je 
viens  de  parler,  réagissez  contre  cet  état  et  revenez 
à  une  conception  plus  raisonnable  des  choses.  Aussi 
longtemps  que  nous  sommes  en  ce  monde,  nous 
pouvons  passer  de  l'incrédulité  à  la  foi,  de  la  haine 
à  l'amour,  du  désespoir  à  l'espérance;  lorsque  nous 
voudrons  effectuer  ce  retour.  Dieu  ne  nous  man- 
quera pas,  il  saura  proportionner  sa  grâce  à  nos 
besoins  et  à  nos  misères,  nous  accorder  un  pardon 
aussi  large  quil  faudra  pour  effacer  nos  fautes,  il 
mettra  à  notre  disposition  la  toute-puissance  auxi- 
liatrice  qui  relève  les  âmes  les  plus  avilies  et  les 
exalte  jusqu'à  la  possession  de  sa  gloire 

(1)  Append.,  n.  6,  p.  319. 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE  149 

Après  la  mort  il  serait  trop  tard  :  guérissable  en 
cette  vie,  le  désespoir  ne  l'est  plus  dans  l'autre;  il 
est  une  part  de  la  peine  infligée  aux  damnés  et  il 
ajoute  à  leurs  supplices  une  intolérable  douleur. 
Fuyez-le  donc  par  tous  les  moyens,  arrachez-vous  à 
la  faute  qu'il  entraîne  ici-bas,  afin  d'échapper  aux 
intarissables  larmes  qu'il  fait  verser  dans  Téfcrnité. 


SIXIÈME  CONFÉRENCE 


LÀ  PRESOMPTION 


SOMMAIRE 


La  voie  droite  est  tracée  entre  des  écucils,  l'espérance  cô- 
toie deux  abîmes  :  le  désespoir  et  la  présoiiiplion. 

La  présomption  sous  ses  diverses  formes  blesse  l'espé- 
rance et  offense  gravement  Dieu.  p.  1S7-158. 


I 

La  présomption  heurte  moins  manifestement  et  moins  vio- 
lemment l'espérance  que  ne  le  fait  le  désespoir.  Elle  la 
heurte  cependant.  On  peut  la  déiinir  :  un  mouvement  désor- 
donné de  la  volonté  par  lequel  l'homme  a  la  prétention  d'at- 
teindre un  but  qui  dépasse  ses  forces,  p.  158-159. 

Elle  se  présente  sous  deux  formes  principales. 

1.  —  Sous  sa  première  forme,  elle  nous  pousse  à  vouloir 
saisir  la  béatitude  en  nous  appuyant  uniquement  sur  les 
énergies  de  la  nature.  C'est  la  présomption  des  anges  déchus, 
d'Eve,  des  Pélagicns,  etc.  Elle  est  contraire  d'abord  à  la 
magnanimité,  elle  est  contraire  aussi  à  l'espérance  à 
laiiueile  elle  enlève  son  véritable  appui,  p.  L'iO-lOl. 

2.  —  La  seconde  forme  de  la  présomption  est  plus  grave, 
plus  dangereuse,  plus  directement  hostile  à  l'espérance:  c'est 
la  présomption  des  Luthériens  qui  se  flattent  d'obtenir  le 
pardon  sans  se  repentir  et  le  ciel  sans  l'avoir  mérité.  G  est 
aussi  la  présompliou  de  beaucoup  de  Chrétiens.  Développe 
ment  de  cette  pensée,  p.  lôllGi. 

Cetlc  présomption  blesse  l'espérance,  vertu  théologale,  (pii 
en  cherchant  le  bonheur  doit  se  conformer  aux  lois  dictées 
|)ar  Dieu.  Ces  lois  exigent  a)  (jue  sous  rintluence  de  sa 
grâce  nous  nous  repentions  pour  obtenir  le  pardon,  alors 
que  le  présomptueux  compte  sur  le  pardon  sans  pleurer  ses 
fautes,  p.  10»   1G5. 

h)  Que  nous  m(';riti(ins  le  bonheur  par  nos  bonnes  (euvres, 
alors  (jue  le  présomptueux  se  croit  sur  du   bonheur  en  s'abs- 


1  o4  l'espérance 

tenant  des   bonnes   œuvres   et  en  s  éternisant  dans  le  mal, 
p.  165-166. 

c)  Que  nous  considérions  la  béatitude  comme  un  but  d'ac- 
quisition diflicile,  alors  que  le  présomptueux  pense  arriver 
au  ciel  sans  eiïort,  p.  163. 

d)  Que  nous  mêlions  la  crainte  à  l'espérance,  alors  que  le 
présomptueux  se  jette  dans  tous  les  hasards  avec  une  COQ- 
liance  qui  n'a  d'égale  que  sa  fausse  sécurité,  p.  166-167. 

11 

Le  présomptueux  offense  Dieu. 

1.  — Lorsqu'il  s'appuie  sur  ses  seules  forces  pour  arriver 
à  la  béatitude,  il  empiète  sur  les  droits  de  Dieu,  Dieu  s'est 
réservé  le  soin  de  conduire  ses  créatures  à  leur  fin,  comme 
il  s'est  réservé  le  soin  de  leur  donner  un  comaiencement;  nul 
ne  tentera  de  lui  enlever  ce  privilège  sans  essayer  de  lui  ra- 
vir sa  qualité  d'agent  suprême.  Jaloux  de  cette  royauté  Dieu 
se  vengera  en  abandonnant  à  leurs  seules  ressources  les 
êtres  dont  l'insolence  n'est  dépassée  que  par  leur  faiblesse. 
Echecs  lamentables  de  ces  êtres  présomptueux,  p.  167-169. 

2.  —  Lorsqu'il  tombe  dans  la  seconde  présomption, 
l'homme  offense  Dieu. 

a)  Eu  diminuant  sa  puissance.  Comment  la  puissance  de 
Dieu,  manifestée  par  l'ordre  qu'il  suit,  est  mutilée  par  l'ordre 
que  le  présomptueux  veut  imposer  aux  choses.  Comment  la 
puissance  de  Dieu  est  plus  éclatante  lorsque  Dieu  nous  com- 
munique le  pouvoir  et  le  devoir  de  coopérer  à  son  œuvre, 
p.  169-172. 

6)  En  dénaturant  sa  bonté,  en  abusant  de  sa  miséricorde. 
Le  présomptueux  s'imagine  que  Dieu  est  tellement  bon  qu'il 
est  insensible  au  mal.  Il  ne  rétléchit  pas  que  Dieu,  parce  qu'il 
est  essentiellement  bon,  est  essenliellement  ennemi  du  mal; 
(pi'il  lu^  pourrait  pas  pardonner  à  qui  ne  se  repent  pas  sans 
pactiser  avec  le  mal  et  sans  tomber  dans  la  faiblesse  ((ul  est 
une  bonté  déliquescente  et  dégénérée;  que  plus  un  être  est 
bon,  plus  on  est  coupable  d'abuser  de  sa  bonté,  pour  l'ofïenser. 
p.  172-174. 

c)  Le  présomptueux  est  en  opposition  violente  avec  Jésus- 
Christ.  Contraste  entre  le  labeur  du  Christ  qui  sauve  le 
monde  par  un  sacrifice  sanglant  et  la  prétention  du  présom]i- 
tueux  ([ui  veut  se  sauver  sans  effort  et  sans  peine,  p.  17 't. 


SIXIKME    CONFÉRENCE  155 

d)  Combien  la  justice  de  Dieu  souffrirait  si  le  présomptueux 
avait  le  droit  de  triompher,  p.  174  177. 

La  doctrine  de  l'espérance  nous  oblige  à  marcher  entre 
deux  extrêmes.  Sagesse  de  celte  doctrine  qui  sauvegarde  en 
même  temps  les  droits  de  Dieu  et  la  dignité  de  l'iiomme, 
p.  177-179. 


SIXIÈME    CONFÉRENCE 


LÀ  PRESOMPTION 


Emiinentissime  Seigneur  (1), 
Messieurs, 

La  voie  droite  est  tracée  entre  des  écueils,  et 
riiomine  est  ainsi  fuit  qu'il  s'aventure  facilement 
et  successivement  dans  des  extrémités  opposées, 
qu'il  a  du  mal  à  ne  point  se  jeter  de  Charybde  en 
Scylla.  «  Le  malade,  dit  Bossuet,  pressé  de  la  fièvre, 
désespère  de  sa  guérison  :  le  même  étant  rétabli 
s'imagine  qu'il  est  immortel.  Dans  les  horreurs  de 
l'orage,  le  nautonnier  effrayé  dit  un  adieu  éternel 
aux  flots;  mais  aussitôt  que  la  mer  est  un  peu 
calme  il  se  rembarque  sans  crainte,  comme  s'il 
avait  les  vents  dans  sa  main,  (^et  liommc  qui  s'est 
pensé  perdre  dans  une  intrigue  dangereuse  renon- 
(;ait  de  tout  son  cœur  à  la  cour;  et  à  peine  s'csi-il 

(i)  s.   E,  Mgr  le  cardinal  Amette,  archevêque  de  Paris. 


158  l'espérance 

démêlé  qu'il  se  rengage  de  nouveau  comme  s'il 
avait  essuyé  toute  la  colère  de  la  fortune  (i).  » 

Nous  assistons  trop  souvent  à  un  spectacle  sem- 
blable dans  l'ordre  moral.  Nous  péchons  tour  à 
tour  par  scepticisme  ou  par  crédulité,  nous  tom- 
bons de  la  langueur  sentimentale  dans  la  dureté, 
d'une  défiance  dé  aisonnable  dans  une  sécurité 
trompeuse.  L'espérance  côtoie  deux  abîmes  :  le 
désespoir  et  la  présomption,  le  désespoir  qui  déclare 
le  salut  impossible,  la  présomption  qui  le  déclare 
très  facile;  le  désespoir  qui  exagère  la  gravité  du 
mal  au  point  de  le  croire  ineffaçable,  la  présomp- 
tion qui  l'estime  léger  au  point  de  le  juger  sans 
portée;  le  désespoir  qui  ne  voit  en  Dieu  qu'une 
justice  inflexible,  incapable  de  pardonner,  la  pré- 
somption qui  ne  voit  en  lui  qu'une  bonté  inépui- 
sable et  incapable  de  punir.  Je  vous  ai  mis  en 
garde  contre  le  premier  désordre,  aujourd'diui 
j'essaierai  de  vous  prémunir  contre  le  second. 

J'aurai,  si  je  ne  me  trompe,  réalisé  mon  dessein 
apostolique,  quand  je  vous  aurai  montré  premiè- 
rement que  la  présomption  sous  ses  diverses  formes 
blesse  l'espérance,  secondement  qu'elle  offense  gra- 
vement Dieu. 

î 

Le  désespéré  pèche  ,par  défaut,  le  iprésomptueux 
pèche   par    excès.    La  présomption   heurte    moins 

'1)  Sermon  sur  la  pvnilence.  Cf.  Append.,  n.  \.  p.  320. 


SIXIÈME  CONFÉRENCE  159 

manifestement  et  moins  violemment  l'espérance 
que  ne  le  fait  le  désespoir.  Elle  est  de  ces  vices 
semblables  en  apparence  et  par  plusieurs  côtés  à 
la  vertu  qu'ils  froissent  parce  qu'ils  en  sont  l'exa- 
gération. Ainsi,  tandis  que  la  témérité  contrarie 
ouvertement  la  prudence,  l'astuce  n'en  est,  au  pre- 
mier abord,  que  la  dernière  perfection;  tandis  que 
le  sensualisme  déclare  la  guerre  à  la  tempérance, 
on  dirait  que  l'insensibilité  s'accorde  avec  elle;  et 
tandis  que  la  force  lutte  contre  la  lâcheté,  on  serait 
tenté  de  croire  qu'elle  s'entend  avec  la  plus  folle 
audace.  De  même,  s'il  est  facile  de  constater  l'anla- 
l^onisme  aigu  de  l'espérance  et  du  désespoir,  il  esi. 
plus  malaisé  de  saisir  en  quoi  l'espérance  est  blessée 
par  la  présomption  qui  en  est,  dirait-on,  la  con- 
sommation. Elle  est  blessée  cependant.  Messieurs, 
et  elle  l'est  à  des  degrés  divers,  par  toutes  les  formes 
de  ce  péché. 

D'une  manière  générale,  on  peut  définir  la  pré- 
somption un  mouvement  désordonné  de  la  volonté 
par  lequel  l'homme  a  la  prétention  d'atteindre  un 
but  qui  dépasse  ses  forces. 

Dans  la  question  qui  nousoccupe,la  présoin[)li()n 
se  présente  sous  deux  formes  principales.  Sous  sa 
première  forme,  elle  nous  pousse  à  vouloir  saisir  la 
béatitude  en  nous  appuyant  uniquement  sur  les 
énergies  de  la    nature.   C'est   la   présomption    des 


100  L'nsPF^n.vNCE 

angos  dccidi's  h  ne  devoir  qu'à  eux-mêmes  et  à 
leurs  œuvres  leur  suprême  félicité;  c'est  la  pré- 
somption d'I']ve  résolue  à  demander  sa  perfection  à 
sa  seule  initiative  personnelle  ;  c'est  la  présomption 
des  Pélagiens  épris  de  leur  puissance  et  ne  comp- 
tant que  sur  elle  pour  arriver  à  leur  fin  dernière; 
c'est  la  présomption  des  rationalistes  de  toutes  sor- 
tes qui,  jaloux  de  leur  autonomie,  rougiraient  d'em- 
prunter à  Dieu  les  moyens  de  réaliser  leur  destinée; 
c'est  la  présomption  du  modernisme  radical  qui 
cherche  dans  les  profondeurs  de  la  conscience  ou  de 
la  subconscience  le  principe  de  notre  transfigura- 
tion et  qui  considère  la  félicité  comme  le  terme 
normal  de  l'évolution  universelle;  c'est  enfin  la 
présomption  des  chrétiens  qui,  trop  sûrs  d'eux- 
mêmes,  pratiquement  se  fient  plus  à  leur  génie  qu'à 
la  lumière  d'en  haut  pour  connaître  le  vrai,  ne 
savent  point  douter  de  leur  cœur,  ni  craindre  leur 
propre  faiblesse;  qui  se  regardent  comme  les  maî- 
tres absolus  de  leurs  actes,  de  leur  avenir;  qui  se 
persuadent  que  par  leurs  efforts  ils  triompheront  de 
tous  les  obstacles  et  qu'ils  devront  à  la  trempe 
vigoureuse  de  leur  tempérament  leur  bonheur  et 
leur  gloire. 

Cette  présomption  est  contraire  dabord  à  la  ma- 
gnanimité qui  perdrait  sa  qualité  de  vertu  si  elle  ne 
mesurait  la  grandeur  de  ses  desseins  aux  moyens 
dont  elle  dispose  pour  les  accomplir.  Mais  je  pense 
qu'elle  est  contraire  aussi  à  l'espérance  à  laquelle 


SIXIÈME   CONFÉRENCE  161 

elle  enlève,  si  on  y  réiléchit,  son  appui.  Elle  lui 
enlève  son  appui,  car  c'est  parle  secours  de  Dieu  et 
par  Dieu  même  que  l'espérance  veut  arriver  à  la 
béatitude,  et  c'est  par  TefTort  naturel  et  humain  que 
le  présomptueux  dont  je  parle  veut  atteindre  sa  fin 
dernière.  Il  se  substitue  donc  à  Dieu,  il  s'attribue 
un  pouvoir  qu'il  n'a  pas;  par  une  erreur  funeste,  il 
aspire  à  jouer  dans  l'aiTaire  de  son  salut  le  rôle  de 
cause  première  qui  ne  convient  qu'à  Dieu,  il  refuse 
de  jouer  le  rôle  de  cause  seconde  le  seul  qui  lui 
convienne  :  il  ùte  du  même  coup  à  l'espérance  la 
force  seule  capable  de  nous  soulever  jusqu'au  ciel. 
Posset  etiam  dicl,  écrit  un  grand  théologien,  quod 
hœc  prœsuniptio  opponaiur  spei  (heologicœ,  in 
quanliun  non  exspectat  hcatitiidinem  eo  modo  qiio 
débet  exspectari  (1\ 

La  seconde  forme  de  la  présomption  est  plus 
grave,  plus  dangereuse,  plus  directement  hostile 
à  l'espérance,  c'est  la  présomption  des  Luthériens. 
Les  Luthériens  se  flattaient  d'obtenir  le  pardon 
sans  passer  par  le  repentir,  d'arriver  au  ciel  sans 
l'avoir  mérité.  Je  vous  ai  parlé  plus  d'une  fois  du 
principe  qui  dans  la  Réforme  autorise  cette  attitude. 
Pour  la  Hélornie  l'humanité  se  partage  en  deux 
classes  :  les  prédestinés,  les  réprouvés.  Les  préiles- 
tinés  se  plongeront  en  vain  dans  tous  les  vices,  la 

(1)  BiLi.UAnr.  De  lilih  spei  oppositis.  §  II.  CI'.  .\]i|icn(l.,n.  2,  p. 320. 
l'espérance.  —  11. 


162  l'espérance 

puissance  qui,  avant  le  temps,  les  a  marqués  du  signe 
des  élus  les  sauvera,  quoi  qu'ils  fassent;  les  ré- 
prouvés se  consacreront  en  vain  à  la  pratique  des  plus 
hautes  vertus,  ils  seront  éternellement  repoussés  par 
Celui  qui  les  a  frappés  d'une  sentence  irrévocable 
et  préméditée.  Il  résulte  que  les  œuvres  et  le  con- 
cours de  l'homme  ne  comptent  pour  rien  dans  l'af- 
faire du  salut,  qu'on  peut  espérer  la  béatitude  en  se 
présentant  à  Dieu  les  mains  vides  ou  même  souil- 
lées de  tous  les  crimes  pourvu  qu'on  ait  été  rangé 
parmi  les  prédestinés;  qu'on  doit  se  résigner  à  la 
damnation,  eût-on  les  mains  pleines  et  une  vie 
intègre,  si  l'on  a  son  nom  écrit  parmi  les  réprouvés. 
Sans  serallieràces  idées  brutales,  bien  deschrétiens 
tombent  dans  cette  présomption.  Ils  se  persuadent 
qu'en  dernier  ressort,  Dieu  ne  damnera  personne, 
qu'il  n'exigera  point  de  créatures  faibles  comme  nous 
des  vertus  difficiles  à  pratiquer,  qu'il  se  contentera 
de  ce  que  nous  aurons  fait.  Ils  ne  veulent  pas  com- 
prendre qu'un  être  si  grand  et  si  bon  consente  à 
frapper  l'homme,  à  exercer  sa  puissance  contre  un 
vase  d'argile,  à  se  montrer  offensé,  comme  dit 
Bossuet,  «  de  ce  que  fait  un  néant,  à  s'élever  contre 
un  néant  »  (1).  Oubliant  volontairement  les  droits 
de  la  justice,  ils  soutiennent  qu'on  ne  saurait 
épuiser  une  miséricorde  inépuisable,  lasser  une 
patience  infinie,  limiter  une  bonté  sans  borne.  Cette 

(1)  Bossuet.  Sermon  sur  la  Pénilence. 


SIXIÈME   CONFÉRENCE  163 

présomption  s'affirme  sous  les  formules  les  plus 
diverses  :  «  Que  peuvent  sur  Dieu  nos  actes,  disent 
les  uns,  lui  ravissons-nous  en  péchant  quelque  chose 
d'une  gloire  qu'il  trouve  en  lui-même?  Nos  vertus 
ajoutent-elles  un  degré  à  sa  vision  ou  à  sa  joie? 
Que  nous  versions  à  droite  ou  à  gauche,  sera-t-il 
moins  grand  ou  moins  heureux?  Supposer  que  nos 
fautes  le  blessent,  excitent  sa  colère,  provoquent  sa 
vengeance,  n'est-ce  pas  lui  prêter  des  sentiments 
indignes  de  lui,  des  passions  mesquines  qui  ne 
conviennent  qu'à  nous?  Ne  manifestera-t-il  pas 
mieux  sa  perfection  transcendante,  disent  les  autres, 
en  noyant  dans  son  indulgence  nos  défauts  et  nos 
misères,  en  fermant  les  yeux  sur  les  erreurs  de 
notre  esprit,  sur  les  oublis  de  nos  sens,  sur  les 
faiblesses  de  notre  volonté,  et  môme  sur  des  crimes 
révoltants  selon  nous,  excusables  selon  lui  ?  Com- 
ment reprennent  ceux-ci,  vouerait-il  à  un  éternel 
malheur  une  créature  à  laquelle  il  a  donné  un  désir 
si  ardent  de  la  béatitude,  comment  assisterait-il 
impassible  à  son  supplice?  Gomment,  ajoutent  ceux- 
là,  Dieu  se  refuserait-il  la  joie  de  couronner  des 
âmes  qui  lui  sont  chères,  de  partager  avec  elles  sa 
gloire  et  en  la  partageant  de  la  répandre  en  quelque 
manière  et  de  la  dilater?  » 

Forts  de  ces  raisons  qu'ils  afîeclcnt  de  croire  sans 
réplique,  les  présomptueux  espèrent  obtenir  le  par- 
don de  leurs  fautes,  môme  s'ils  attcntlenl,  pour 
changer  leur  vie,  qu'une  circonstance  vienne  briser 


1G4  l'espérance 

les  chaînes  qu'ils  n'ont  pas  le  courage  de  briser 
eux-mêmes,  ou  que  le  feu  des  passions  se  soit  éteint 
dans  leur  cœur,  ou  que  leur  fortune  soit  faite,  ou 
que  leur  ambition  soit  comblée,  ou  que  l'heure  de  la 
vieillesse  sonne.  Ils  espèrent  entrer  au  ciel  même  si, 
s'étant  habitués  à  pécher  sans  crainte,  ils  ont  appris 
à  pécher  sans  mesure,  même  si,  ayant  raillé  volon- 
tairement la  justice,  la  pudeur,  la  religion,  la  cha- 
rité, ils  ont  demandé  au  temps  tout  ce  qu'il  peut 
donner  de  jouissance  et  d'ivresse,  et  affiché  à 
l'égard  de  l'éternité  toutes  les  indifférences  et  tous 
les  mépris. 

Le  présomptueux,  en  se  comportant  de  cette 
façon,  heurte  l'espérance  théologale.  Il  la  heurte 
parce  que  Dieu  ne  nous  a  pas  seulement  or- 
donné d'espérer,  il  nous  a  ordonné  d"esi)érer 
en  nous  conformant  aux  lois  qu'il  a  dictées. 
Aucune  faculté  n'atteint  son  objet  si  elle  ne  se  soumet 
à  la  discipline  qui  doit  en  régler  l'exercice.  Or  la  Pro- 
vidence nous  commande  d'attendre  avec  confiance 
la  béatitude  en  prenant  les  moyens  qu'elle  nous 
offre  pour  y  parvenir.  Parmi  ces  moyens,  qu'il 
s'agisse  de  repentir  ou  de  mérite,  la  grâce  joue  le 
premier  rôle,  mais  s'il  est  vrai  que  Fans  la  grâce 
nous  ne  puissions  pas  nous  repentir  comme  il 
convient,  il  n'est  pas  moins  vrai  que  nous  n'abou- 
tirons à  rien,  si  nous  ne  coopérons  pas  à  l'action  de 
la  grâce.  C'est  nous  qui  sous  la  motion  de  Dieu 
sommes  tenus  de  changer  notre  cœur,  de  retourner 


SIXIÈME   CONFÉRENCE  165 

notre  conscience,  de  rompre  avec  le  mal.  Espérer 
le  pardon  sans  passer  par  les  larmes,  par  des  regrets 
sincères,  par  les  sentiments  d'une  contrilion  inté- 
rieure et  réelle,  c'est  espérer  en  vain,  car  c'est  vou- 
loir que  Dieu  unisse  dans  une  âme  deux  éléments  qui 
s'excluent.  Or  c'est  précisément  ce  que  prétend  le 
présomptueux,  car  il  compte  que  le  pardon  lui  sera 
accordé,  même  s'il  n'efface  pas  ses  fautes  par  un 
retour  sérieux  et  délibéré. 

La  Providence  nous  prescrit  d'espérer  la  béati- 
tude, d'avoir  confiance  que  Dieu  par  bonté  nous  en 
assurera  la  possession,  mais  elle  demande  que 
nous  la  méritions  par  nos  bonnes  œuvres,  que  nous 
devenions,  par  notre  docilité  aux  directions  et  aux 
impulsions  d'En-haut,  les  artisans  de  notre  destinée. 
Dieu  ne  nous  traite  pas  comme  des  êtres  sans  li- 
berté, qui  ne  jouent  qu'un  rôle  passif  dans  l'affaire 
de  leur  salut,  il  nous  traite  comme  des  êtres  maîtres 
d'eux-mêmes,  disposant  de  leur  activité,  ayant  la 
faculté  de  faire  le  bien  ou  lo  mal,  d'obéir  ou  de 
résister  h  ses  instances,  ayant  par  suite  la  faculté 
de  mériter  ou  de  démériter,  d'aller  à  la  vie  ou  à  la 
mort  éternelles.  En  conséquence,  espérer  que  Dieu 
nous  sauvera  sans  notre  concours,  c'est  se  tromper 
gravement  et  enlever  à  la  seconde  vertu  théologale 
toutes  ses  chances  de  succès.  (ï'est  cependant  ce  que 
fait  le  présomptueux,  quand  s'alfranchissant  de  tous 
les  préceptes,  quand  s'abslenantde  toutes  les  bonnes 
œuvres  et  s'étei'iiisaul  dans  le  uuil,   il  se  persuade 


1 6G  l'espérance 

que  Dieu,  en  tout  état  de  cause,  lui  ouvrira  le  ciel  et 
que  cette  attente  téméraire  ne  sera  pas  trompée. 

La  Providence  a  placé  aussi  haut  que  possible 
notre  bonheur  :  nous  devons  en  conclure  qu'il  est 
difficile  d'atteindre  un  but  si  loin  de  nous  par  son 
éminence  surnaturelle,  de  l'atteindre  à  travers  des 
chemins  rudes,  étroits,  encombrés  d'obstacles.  C'est 
pourquoi  l'espérance,  disions-nous,  met  l'àme  dans 
un  état  de  tension,  imprime  à  l'être  tout  entier 
un  essor,  emporte  avec  elle  quelque  chose  d'éner- 
gique, de  militant,  d'agressif  .qui  s'en  prend  aux 
difficultés,  qui  lutte  avec  courage  contre  ce  qui 
s'oppose  à  ses  ambitions.  Le  présomptueux  ra- 
baisse la  béatitude  au  point  de  la  considérer 
comme  d'acquisition  facile,  il  s'imagine  que  les 
sentiers  du  ciel  sont  larges,  aisés>  qu'on  arrive  au 
but  par  la  force  des  choses,  sans  y  penser,  sans* 
s'en  préoccuper,  sans  s'imposer  aucun  sacrifice,  que 
s'il  faut  travailler  pour  réussir  dans  le  moindre 
projet,  on  obtient  le  plus  grand  et  le  plus  sublime 
de  tous  les  biens  en  ne  faisant  rien  pour  l'obtenir.  Du 
môme  coup  il  enlève  à  l'espérance  sa  vigueur,  son 
élan.  En  lui,  ce  n'est  plus  qu'un  sentiment  mou,  pa- 
resseux, relâché,  rebelle  à  l'effort,  un  sentiment  atro- 
phié, un  sentiment  mutilé  qui  a  perdu  ses  ailes,  qui 
garde  à  peine  quelque  chose  de  la  vertu  généreuse, 
entreprenante  déposée  par  Dieu  dans  notre  cœur  (I). 

Enfin,  Messieurs,  dans  l'âme  chrétienne,  la  crainte 

(1)  Appmi.l.,  n.  3,  p.  321. 


SIXIEME   CONFÉHENCR  107 

en  se  mêlant  à  l'espérance  assure  à  celle-ci  une 
altitude  prudente.  Certaine  du  côté  de  Dieu,  incer- 
taine du  côté  de  l'homme,  l'espérance  nous  inspire 
la  défiance  de  nous-mêmes.  A  sa  voix  nous  nous 
tenons  sur  nos  gardes,  surveillant  notre  conscience, 
évitant  le  péril,  fuyant  les  occasions  de  mal  faire, 
tremblant  d'être  surpris  par  la  mort.  Au  contraire,  le 
présomplueux  bannit  la  crainte  de  sa  vie  :  emporté 
pnr  une  folle  confiance,  il  se  jette  dans  tous  les 
hasards,  il  s'expose  à  tous  les  dangers,  il  néglige  de 
penser  à  la  mort  comme  s'il  devait  toujours  vivre  ou 
du  moins  comme  si  Dieu  était  obligé  de  lui  révéler 
1  heure  de  sa  venue,  et  il  attend  la  grâce  et  la  gloire 
avec  une  assurance  qui  n'a  d'égale  que  sa  fausse 
sécurité.  C'est  ainsi  qu'il  blesse  encore  l'espérance, 
en  lui  ôtant  celte  note  de  sagesse  qu'on  trouve  au 
fond  de  toute  vertu. 


Il 


lin  blessant  l'espérance,  le  présomptueux  offense 
Dieu. 

Lorsqu'il  s'appuie  sur  lui-même  et  sur  ses  pro- 
pres forces  pour  faire  son  salut,  il  se  substitue  ù 
Dieu  dont,  par  une  prétention  sacrilège,  il  usurpe 
le  rôle.  Dieu,  eu  effet,  s'est  réservé  le  soin  de  don- 
ner un  commencement  ;\  ses  créatures  et  de  les  con- 
duire   à  leur   fin,  d'êlie    l'alpha  et  l'oiiiéga   de  son 


168  l'espérance 

œuvre.  C'est  vin  privilège  qu'il  ne  cède  à  personne, 
que  personne  ne  lui  enlèvera,  ne  tentera  de  lui 
enlever  sans  essayer  de  le  détrôner,  de  lui  ravir  sa 
qualité  d'agent  suprême  et  d'Etre  souverain.  11  est 
jaloux  de  celte  royauté  transcendante,  incommuni- 
cable, qu'il  ne  partage  pas,  qu'il  ne  peut  pas  parta- 
ger avec  un  autre.  Il  permettra  aux  auges,  aux 
hommes,  aux  choses  de  servir  ses  desseins  comme 
instruments  et  comme  ministres,  il  brisera  qui- 
conque aura  la  prétention  d'être  son  égal  et  de 
remplir  l'office  de  cause  première.  Il  entend  que 
nous  dépendions  de  lui  jusque  dans  les  dernières 
fibres  de  notre  substance,  jusque  dans  les  ressorts 
les  plus  délicats  de  notre  activité.  11  s'irrite  contre 
ceux  qui,  sous  prétexte  d'autonomie,  veulent  se  passer 
de  lui,  vivre  pleinement,  connaître  toute  vérité, 
pratiquer  toute  vertu,  parvenir  à  la  félicité  sans 
recourir  à  lui,  sans  s'appuyer  sur  lui.  11  s'irrite  et 
il  se  venge  en  abandonnant  à  leurs  seules  ressources 
les  êtres  dont  l'insolence  n'est  dépassée  que  par  leur 
faiblesse.  Nous  avons  assisté  à  la  faillite  de  cette 
science  impatiente  de  franchir  les  limites  de  son 
domaine  et  qui  n'a  réussi  qu'à  se  perdre  dans  les 
ténèbres,  nous  avons  assisté  aux  échecs  de  ces 
volontés  sûres  d'elles-mêmes  et  qui  ont  fini  par 
pactiser  avec  des  vices  dont  le  monde  s'est  scan- 
dalisé, nous  avons  vu  les  résultats  obtenus  par 
l'homme  qui  croyait  s'être  emparé  du  sceptre  de 
Dieu,    nous    l'avons    entendu   crier   sur  un  ton  do 


SIXIÈME    CONFÉRENCE  169 

désespoir  :  «  Au  terme  de  mes  recherches,  je  n'ai 
trouvé  que  la  souffrance  »;  lui  qui  s'était  tant  vanlé 
de  saisir  le  bonheur,  en  refusant  l'aide  du  ciel.  A  la 
grandeur  du  châtiment  dont  Dieu  frappe  ces  pré- 
somptueux, jugez  de  la  gravité  de  l'injure  que  ces 
présomptueux  ont  indigée  à  Dieu. 

Lorsque  la  présomption,  dont  nous  avons  dit 
qu'elle  est  plus  spécialement  contraire  à  l'espérance, 
s'appuie  sur  la  bonté  infinie  pour  motiver  ses  into- 
lérables ambitions,  elle  offense  Dieu  en  diminuant 
sa  puissance,  en  abusant  de  sa  miséricorde,  en 
supprimant  sa  justice. 

Elle  oITense  Dieu  en  diminuant  sa  puissance,  le 
mot  est  de  saint  Thomas  :  Qiiod  enini  aliquis 
innitatur  divinoi  virluti  ad  consequendum  id  quod 
Deo  non  convenit,  hoc  est  diminucre  virtiitem  di- 
vinam  (1).  Au  premier  abord,  il  semble  que 
l'on  honore  bien  plus  Dieu  en  lui  attribuant 
le  pouvoir  do  pardonner  à  qui  ne  se  repent  pas, 
de  couronner  qui  ne  le  mérite  pas,  de  sup- 
pléer en  un  mot  à  toutes  les  infirmités  et  de 
faire  à  lui  seul  ce  ([u'aurait  fait  l'alliance  d'un 
pouvoir  lini  et  d'un  pouvoir  infini.  C'est  une  illu- 
sion. Premièrement,  en  ell'et,  la  puissance  de  Dieu 
ne  se  manifeste  pas  seulement  dans  ce  qu'il  fait, 
elle  se  manifeste  encore  dans  l'ordre  qu'il  suit  [  our 

(1)  II-'  II'",  ij.  ixi,  arl.  1. 


170  l'espérance 

réaliser  ses  desseins;  elle  n'apparaît  pas  seulement 
dans  la  fin  qu'il  cherche,  elle  apparaît  encore  dans 
les  moyens  qu'il  prend  pour  l'atteindre.  Sans  doute, 
il  dépendait  de  lui  de  créer  et  de  glorifier  par  un 
seul  acte  ses  créatures,  de  les  introduire  dans  la 
béatitude  en  les  appelant  à  la  vie,  de  donner  d'un 
coup  à  son  œuvre  l'existence  et  la  perfection.  Mais 
il  s'est  montré  plus  grand  en  éveillant  à  l'être  un 
premier  monde  qu'il  a  déjà  revêtu  d'une  éclatante 
beauté,  en  le  gouvernant  comme  il  l'entend,  en  le 
conduisant  par  les  voies  de  son  choix  au  terme  pré- 
destiné. Entre  l'heure  oi^i  ce  monde  est  sorti  de  ses 
mains  et  l'heure  où  il  reviendra  à  lui,  Dieu  a  ré- 
pandu une  immense  vie  qui  nous  parle  sur  un  ton 
enthousiaste  de  la  source  inépuisable  d'où  elle  ne 
cesse  de  couler.  Dans  la  sphère  des  choses  morales 
sa  puissance  s'étend  à  la  gloire,  elle  s'étend  aussi 
à  la  grâce,  aux  secours  sans  nombre  qui  nous  sont 
prodigués,  aux  mérites,  de  sorte  que  faire  porter  son 
espoir  uniquement  sur  la  gloire,  comme  c'est  le  cas 
du  présomptueux,  c'est  attendre  de  Dieu  beaucoup 
moins  qu'il  ne  peut  faire  et  qu'il  ne  veut  faire,  et 
c'est,  autant  qu'on  en  est  capable,  arrêter  l'explosion 
de  puissance  qui  se  montre  dans  les  œuvres  mer- 
veilleuses et  innombrables  dont  son  action  est  le 
principe.  Si  la  gloire  nous  enveloppait  dans  notre 
berceau,  ou  si  nous  y  parvenions  sans  passer  par  les 
vertus  qui  nous  y  donnent  droit,  nous  n'aurions  pas 
sous  les    yeux    le    speclacle  magnifique    que  nous 


SIXIÈME   CONFÉRENCE  Hl 

olVreiit  les  hommes  épris  du  bien  quand  ils  exercent 
ces  actes  généreux  et  héroïques,  quand  ils  fondent 
ces  institutions  dont  le  monde  vit  et  s'émeut,  quand 
ils  luttent  avec  une  constance  indomptable  et  victo- 
rieuse contre  le  mensonge  et  contre  le  mal,  actes, 
institutions,  luttes  où  Ton  voit  s'affirmer  avec  un  si 
vif  éclat  la  force  de  Dieu. 

Secondement,  d'après  le  présomptueux,  Dieu 
serait  le  seul  agent  dans  la  réalisation  d'une  félicité 
que  nous  recevrions  sans  avoir  rien  fait  pour 
l'obtenir.  Dans  l'espérance  bien  comprise,  au  con- 
traire, la  créature  s'unit  à  son  Créateur,  travaille 
de  concert  avec  lui,  et,  à  sa  manière,  elle  conquiert 
son  bonheur.  Mais  si  elle  collabore  efficacement  à 
son  salut,  qui  est  d'ordre  entièrement  surnaturel, 
c'est  donc  que  Dieu  lui  a  communiqué  une  part  de 
son  pouvoir.  Or  celui  qui  communique  son  pouvoir 
à  d'autres  et  leur  permet  d'en  user  avec  fruit,  ne 
fait-il  pas  preuve  d'une  plus  parfaite  souveraineté? 
Celui,  au  contraire,  qui  n'associe  personne  à  son 
action  tout  en  le  pouvant,  ne  nous  cache-t-il  pas  une 
partie  de  sa  vertu;  s'il  ne  le  peut  pas,  n'accuse-l-il 
pas  une  infirmité?  Un  capitaine  qui  entraîne  dans  sa 
campagne  des  troupes  sans  nombre, qui  allume  dans 
le  cœur  de  tous  le  feu  de  son  patriotisme  et  de  sa 
vailhmce,  qui  fait  jouera  ciiacun  un  rôle  actif  et 
utile,  qui  partage  avec  le  moindre  de  ses  soldats  les 
honneurs  de  la  victoire,  ne  s'élèvc-l-il  pas  au- 
dessus  de  celui  qui  d'un  coup  d'épée  heureux  décide 


172  l'espérance 

du  combat?  Sans  cloute  le  résultat  final  est  le  môme, 
cependant  le  premier  a  prouvé  plus  de  génie  en 
communiquant  à  tous  son  ardeur,  sans  personnelle- 
ment en  rien  perdre.  De  même  Dieu,  en  infusant 
dans  toutes  ses  créatures  quelque  chose  de  sa  sur- 
naturelle énergie  et  en  obtenant  leur  concours, 
montre  mieux  qu'il  est  absolument  maître  des 
choses.  De  sorte  que  la  présomption,  en  essayant  de 
borner  l'action  de  Dieu  à  l'effusion  de  sa  gloire,  tend 
en  réalité  à  rétrécir  la  puissance  qu'elle  paraît 
exagérer.  Hoc  est  diininueie  vii'tute/ii  (livinam[\). 

La  présomption  dénature  la  bonté  de  Dieu.  Elle 
suppose  cette  bonté  telle  que  Dieu  est  indifférent  au 
mal  et  insensible  à  l'outrage,  telle  que  sans  tenir 
aucun  compte  de  notre  conduite  il  nous  assure,  quoi 
que  nous  fassions,  la  béatitude.  Etrange  conception  ! 
On  ne  réfléchitpas  que,  si  Dieu  est  essentiellement  bon, 
il  est  essentiellement  ennemi  du  mal,  et  qu'il  exerce 
son  amour  pour  le  bien,  par  sa  haine  pour  le  mal. 
Uti  boni  amorem  odio  mali  exerceat  (2).  On  ne  ré- 
llécliit  pas  que  la  bonté  qui  pactiserait  avec  le  mal  et 
qui  fermerait  les  yeux  sur  ses  excès,  se  tournerait  en 
faiblesse  et  cesserait  d'être  bonté,  on  ne  réfléchit 
pas  que  croire  Dieu  capable  d'une  pareille  conces- 
sion, c'est  le  croire  complice  du  mal.  Si  loin  que 


(1)  Cf.  Salma?(ticense?.  De  spe  tlieologica,  disp.  \'I,  liub   1 

(2)  Tertuli.ien.  Adveisus  Mn'cione»!,  I,  20. 


SIXIÈME   CONFÉRENCE  173 

s'étende  sa  miséricorde,  elle  ne  peut  pas  pardonner 
â  qui  ne  se  repent  pas  sans  conférer  un  droit  de  elle 
à  l'iniquité,  si  loin  que  s'étende  sa  générosité,  elle 
ne  peut  pas  mcUre  sur  le  même  pied  l'iioinme  qui 
s'est  consacré  au  bien  et  ceux  qui  se  sont  voués  au 
mal.  La  bonté  serait  de  la  faiblesse,  et  la  faiblesse 
n'est  qu'une  bonté  déliquescente  et  dégénérée  qu'on 
ne  peut  attribuer  à  Dieu  sans  le  rabaisser,  sans  le 
déshonorer. 

Le  présomptueux  ne  se  contente  pas  de  fausser 
le  caractère  de  la  bonté  divine,  il  en  abuse  d'une 
manière  indigne.  Spéculer  sur  la  sincérité  d'un 
homme  et  sur  sa  conliance  pour  le  tromper  avec  plus 
d'impudence,  compter  sur  sa  générosité  pour  l'ex- 
ploiter sans  vergogne  et  sur  sa  bonté  pour  l'olTen- 
ser  sans  scrupule,  rien  ne  révolte  davantage  les  con- 
sciences droites  et  hautes.  On  éprouve  à  l'endroit 
des  âmes  capables  de  prendre  pareille  attitude, 
une  répugnance,  un  dégoût  et  un  écœurement 
insurmontables.  Plus  un  être  est  loyal,  plus  on 
craint  de  le  jouer  et  plus  on  pense  qu'il  est  grave  de 
le  jouer,  meilleur  il  est  et  plus  on  estime  qu'on  doit 
é  v'iter  de  l'offenser,  tels  sont  l'instinct  de  la  saine  na- 
ture et  le  mouvement  spontané  des  nobles  cœurs. 
Or  le  présomptueux  profite,  par  un  calcul  honteux, 
de  la  bonté  de  Dieu  pour  pécher  plus  librement,  plus 
audacieusement,  plus  obstinément.  Quelle  étrange 
meulalilé!  Il  est  mauvais,  parce  que  Dieu  est  bon, 
il  ne  met  aucun  IVein  à   ses    débordements,  parce 


174  l'espérance 

q.riliry  a  point  de  limites  à  1  indulgence  de  Dieu, 
il  prétend  qu'il  peut  être  infiniment  pervers,  purco 
que  Dieu  sera  toujours  plus  infiniment  miséricor- 
dieux, qu'il  lui  est  permis  de  pécher  sans  retenue 
parce  que  Dieu  pardonne  toujours.  S'il  était  raison- 
nable, il  comprendrait  que  traiter  ainsi  Dieu  c'est 
l'outrager,  que  vouloir  le  jouer  de  cette  façon  c'est 
être  dupe  de  son  propre  calcul,  que  la  bont^  est 
susceptible,' quand  on  la  blesse  avec  cynisme,  de  se 
changer  en  colère  et  de  se  venger  avec  rigueur.  11 
comprendrait  qu'il  y  a  dans  sa  présomption  un  mé- 
pris insupportable  de  la  majesté  de  Dieu,  que  la 
miséricorde  poussée  à  bout,  retourne  contre  celui 
qui  l'a  insultée  l'avantage  de  toutes  les  grâces  qu'elle 
avait  préparées  pour  le  sauver  (1). 

J'ajoute  que  le  présomptueux  est  en  une  opposi- 
tion violente  avec  Dieu  considéré  dans  la  personne 
de  son  Fils  Jésus-Christ.  Comment!  Jésus-Christ  a 
vu  dans  le  péché  un  mal  si  difficile  à  expier,  dans 
le  pardon  une  grâce  si  difficile  à  obtenir,  dans  la 
gloire  un  bien  si  difficile  à  gagner,  qu'il  s'est  con- 
damné, pour  mettre  à  notre  portée  ce  qui  nous  était 
inaccessible,  à  partager  trente-trois  ans  notre  vie 
misérable,  ce  qui  était  pour  lui  une  sorte  d'anéan- 
tissement, à  passer  par  les  transes  d'une  agonie 
affreuse,  à  souffrir  une  telle  douleur,  un  tel  sup- 
plice, une  telle  mort  que  le  monde,  après  deux  mille 
ans,  ne  s'en  souvient  pas  sans  frissonner  !  Comment: 

(1)  Aj.pend.,  n.  4,  p.  321. 


SIXIÈME   COiXFÉRENCR  175 

pour  nous  défendre  contre  le  vice,  la  vengeance  de 
son  Père  et  la  damnation  éternelle,  il  a  établi  une 
société  chargée  de  nous  oiïrir  an  jour  le  jour  les 
moyens  de  vaincre  le  mal,  des  sacrements  des- 
tinés à  nous  soutenir,  à  nourrir,  à  développer  les 
vertus  sans  lesquelles  on  n'entre  pas  au  ciel,  et 
le  présomptueux  pratiquement  fait  fi  de  tous  ces 
bienfaits!  Le  péché,  pour  lui,  est  un  acte  sans 
importance,  le  pardon  s'obtient  sans  effort,  la  béa- 
titude se  donne  sans  qu'on  essaie  rien  pour  l'attein- 
dre. Il  affecte  de  penser  que  son  âme  se  sanctifiera, 
que  ses  péchés  seront  expiés  quoiqu'il  ne  se  sou- 
mette à  aucune  discipline,  et  n'observe  aucun  pré- 
cepte, quoiqu'il  ne  recoure  ni  à  la  pénitence,  ni  à 
l'Eucharistie,  ni  à  la  prière,  quoiqu'il  dédaigne 
tous  les  moyens  institués  par  le  Sauveur  en  vue  de 
nous  arracher  à  l'enfer.  Il  s'illusionne  au  point  d'es- 
timer que  son  salut,  qui  a  coûté  si  cher  à  Jésus,  ne 
lui  coûtera  rien,  qu'il  ira  au  ciel  en  se  jouant  et  en 
faisant  tout  pour  ne  point  y  aller.  Je  dis  que  le  pré- 
somptueux,qu'il  le  sache  ou  non^se  moque  de  Jésus- 
Christ,  que  cet  être  de  luxe,  de  jouissance,  d'orgueil 
insulte  la  victime  pauvre,  sanglante,  humiliée  de 
la  croix,  et  qu'il  a  tout  à  craindre  de  la  colombe 
irritée  et  de  l'agneau  immolé. 

Kst  ce  (loue  (|U(^  l'on  ne  |tout  trop  espérer  d'une 
boul('  que  nous  prcHciulons  infinie?  Non,  Messieurs, 
je  le  répète,  si  loin  que  nous  allions  dans  le  mal, 


i"6  l'espérance 

nous  serons  dépassés  par  la  miséricorde.  Mais  n'ou- 
blions pas  que  la  justice  en  Diea  est  infinie  comme 
la  bonté,  que  la  bonté,  en  prodiguant  la  grâce, 
n'oblige  pas  la  justice  à  sacrifier  ses  droits.  Sous 
l'influence  de  la  bonté  la  justice  pardonne,  mais 
sous  l'inlluonce  de  la  justice  la  bonté  exige  la  péni- 
tence, sous  l'action  de  la  bonté  la  justice  ouvre  le 
ciel,  mais  sous  l'action  de  la  justice  la  bonté  n'ouvre 
le  ciel  qu'au  mérite.  Vouloir  séparer  ce  qui  en  Dieu 
est  indissolublement  uni,  la  justice  et  la  bonté, 
c'est  s'égarer  prodigieusement.  La  cause  de  cette 
erreur,  la  voici  :  en  Dieu,  la  bonté  est  infinie  et  la 
justice  est  infinie  Si  l'on  envisage  l'une  exclusive- 
ment, «  elle  occupe  tellement  la  pensée,  dit  Bossuet, 
qu'elle  n'y  laisse  presque  plus  de  place  pour 
l'autre;  d'autant  plus  que,  paraissant  opposées,  on 
ne  comprend  pas  aisément  qu'ellespuissent  subsister 
ensemble  dans  ce  suprême  degré  de  perfection  :  ce 
qui  fait  que  la  grande  idée  de  la  miséricorde  fait 
que  le  pécheur  oublie  la  justice,  et  que  la  justice 
réciproquement  détruit  en  son  esprit  la  miséricorde, 
de  sorte  que  l'abattement  de  son  désespoir  égale  les 
emportements  et  la  folle  présomption  de  son  espé- 
rance >'(!)•  Pour  rester  dans  la  vérité,  pour  traiter 
Dieu  comme  sa  nature  exige  qu'on  le  traite,  il  faut 
«  détruire,  comme  dit  encore  Bossuet,  ces  vaines 
idoles  de  la  miséricorde  et  de  la  justice  >•  (2),  tenir 

(I)  Sermon  SU7'  la  Pénitetice. 
(2i  Ibid. 


SIXIÈME   CONFÉRENCE  177 

un  milieu,  savoir  que  ces  deux  qualités  loin  d'être 
v(  incompatibles  »,  sont  «  au  contraire  amies  »  (1). 
Le  désespéré  se  trompe  en  exagérant  les  rigueurs 
de  la  justice,  le  présomptueux  se  trompe  en  exagé- 
rant les  condescendances  de  la  miséricorde.  Le  pre- 
mier offense  Dieu  en  méconnaissant  sa  bonté,  le 
second  en  supprimant  sa  justice.  Le  second,  le  seul 
dont  je  vous  parle  en  ce  moment,  supprime  la 
juslice  de  Dieu,  car  il  suppose  constamment  que 
ceux  qui  se  repentent  et  ceux  qui  ne  se  repentent 
pas  reçoivent  le  même  pardon,  que  ceux  qui 
travaillent  et  ceux  qui  ne  travaillent  pas  reçoivent 
le  même  salaire,  que  ceux  qui  méritent  et  ceux  qui 
ne  méritent  pas  reçoivent  la  même  gloire,  que  le 
saint  et  le  misérable,  la  vierge  et  le  débauché  auront 
le  même  sort,  que  Dieu,  par  conséquent,  ne  rend 
point  à  chacun  ce  qui  lui  est  dû,  mais  que  sous 
l'empire  de  son  cœur  paternel  il  ne  fait  aucune 
distinction  entre  les  enfants  dociles  et  les  enfants 
rebelles.  Contre  cette  conception,  le  sens  moral  de 
l'homme  se  révolte  :  Dieu  s'insurge  plus  encore  et 
il  repousse  avec  colère  le  présomptueux  qui  voudrait 
lui  imposer  un  rôle  indigne,  car  sans  la  justice 
Dieu  ne  peut  plus  être  Dieu  (2). 

La  doctrine  de  l'espérance.  Messieurs,   vous  im- 
pose donc  de  marcher  entre  ces  deux  écueils  :  le 

(1)  Sermon  sur  la  Pénitence. 

(2)  Append.,  n.  ii,  p.  321. 

LKSI'liltANCE.    —    12. 


178  l'espérance 

désespoir  et  la  présomption.  Elle  ne  vous  autorise 
pas  à  douter  de  la  bonté  divine,  elle  ne  vous  auto- 
rise pas  davantage  à  faire  fi  de  la  justice  éternelle. 
Elle  vous  ordonne  de  vous  appuyer  sur  la  puissance 
et  sur  la  miséricorde  du  Seigneur  pour  mériter  et 
pour  obtenir  la  béatitude  à  laquelle  vous  aspirez. 
Elle  vous  ordonne  de  compter  avec  la  justice  qui 
exige  de  nous  le  repentir,  l'effort,  les  bonnes 
œuvres  pour  accorder  le  pardon  après  le  péché, 
la  récompense  après  le  labeur. 

Elle  respecte  Dieu,  car  elle  ne  lui  enlève  aucun 
des  attributs  qui  lui  appartiennent  en  propre;  elle 
adore  en  lui  et  sur  le  même  plan  la  souveraine  jus- 
tice et  la  souveraine  bonté  et  elle  offre  à  notre jmlte 
un  Etre  à  qui  rien  ne  manque,  qui  concilie  en  sa 
personne  auguste  tout  ce  que  nous  admirons  le  plus. 

Elle  met  l'homme  à  sa  place,  car  elle  le  considère 
comme  une  créature,  c'est-à-dire  comme  un  agent 
subordonné,  dont  toute  la  vie  dépend  de  Celui  qui 
l'a  tiré  de  rien  et  qui  conserve  sur  lui  tout  pouvoir. 
Elle  le  met  à  sa  place,  mais  elle  le  respecte  aussi, 
car  elle  attache  un  prix  extrême  à  ses  œuvres  et  à 
ses  actes.  Si  l'homme  obéit  aux  préceptes  de  l'es- 
pérance, il  ne  possédera  pas  la  béatitude  comme  un 
voleur,  il  ne  pénétrera  pas  au  ciel  comme  un  intrus, 
il  touchera  son  salaire  en  ouvrier  qui  a  travaillé,  il 
ceindra  sa  couronne  en  soldat  qui  a  lutté,  il  jouira 
de  sa  fortune  en  fils  qui  a  fait  fructifier  sa  dot  et  qui 
a  droit  à  son  héritage. 


SIXIÈME   CONFÉRENCE  -  179 

La  doctrine  du  désespoir,  au  cont'-aire,  ravit  à 
Dieu  sa  souveraineté,  car  elle  le  déclare  incapable 
de  sauver  rhomme,  et  la  doctrine  de  la  présomp- 
tion exagère  ou  sacrifie  la  puissance  de  l'homme 
en  lui  permettant  d'attendre  une  gloire  hors  de  sa 
naturelle  portée,  ou  de  goûter  un  bonheur  qu'il 
n'aura  pas  mérité.  Sachez,  Messieurs,  vous  tenir  à 
égale  distance  de  ces  extrêmes,  et  espérer  avec 
l'Evangile  que  nous  serons  saints  par  la  grâce  de 
Dieu  et  par  notre  coopération,  que  nous  parvien- 
drons à  la  béatitude  en  nous  appuyant  sur  Dieu 
comme  sur  l'agent  suprême  et  sur  nous  comme 
sur  un  agent  véritable,  mais  subordonné;  que  nous 
devrons  notre  salut  éternel  et  à  la  bonté  de  Dieu  et 
à.  notre  effort.  On  ne  peut  concevoir  une  sagesse 
qui  harmonise  mieux  la  justice  et  la  bonté,  qui 
ménage  mieux  la  souveraineté  de  Dieu  et  la 
dignité  de  Thorame.  En  obéissant  à  ses  ordres. 
Messieurs,  vous  échapperez  à  toutes  les  erreurs,  et 
dans  l'éternité  vous  occuperez  un  rang  dû  à  la  fois 
à  la  libéralité  infinie  de  Dieu  et  à  vos  vertus  (1) 

(1)  Appciul.,  n.  G,   ]).  322. 


RETRAITE  PASCALE 


PREMIÈRE  INSTRUCTION 


LUNDI  SAINT 


HEUREUSE   ACTION    DE   L'ESPÉRANCE 
SUR  LA  YIE  HUMAINE 


SOMMAIRE 

Vertu  aimable,  l'espérance  est  aussi  ime  verUi  bienfaisante. 
Elle  prête  main  forte  à  toutes  les  vertus,  elle  nous  console  de 
toutes  les  tribulations  du  présent,  elle  nous  apporte  des  joies 
pures  en  ce  monde,  p.  IS'I  186. 

I 

L'espérance  vient  au  secours  de  toutes  les  vertus. 

a)  L'espérance  inspire  à  \a.  prudence  la  crainte  du  danger,  la 
sagesse  qui  nous  détourne  des  occasions.  Elle  affermit  la 
justice  dans  son  ordre  en  sauvegardant  la  biérarcliie  des 
choses  et  en  l'obligeant  à  refpccler  ses  propres  lois  Elle 
suggère  à  la.  force  des  sentiments  magnanimes,  une  constance 
invincible  et  l'amour  de  la  lutte  Elle  soutient  la  tempérance 
en  opposant  aux  charmes  dangereux  des  créatures  la  perfec- 
tion du  créatmir.  Elle  forme  à  l'humilité,  qui  est  une  sorte  de 
tempérance,  en  nous  mettant  à  notre  place,  sans  nous  abaisser 
au-dessous  de  nous-mêmes,  sans  nous  exalter  au-dessus  de 
ce  que  nous  sommes,  p.  180-189. 

h]  Elle  sert  les  vertus  théologales  Le  rôle  de  l'espérance 
dans  11  foi.  Le  rôle  de  l'espérance  dans  la  vertu  de  la  cha- 
rité, p.  189-191. 

II 

L'espérance  nous  console  dans  les  tribulations.  Sachant 
qu'il  est  voué  à  l'épreuve  pendant  sa  vie,  celui  ([iii  espère  no 
s'étonne  pas  de  ne  pas  trouver  le  bonheur  sur  la  terre.  Contre 
les  douleurs  du  présent,  il  trouve  un  refuge  assuré  dans  les 
perspectives  de  l'avenir.  L'es|iérance  étant  un  scnliment  du- 
rable, ranime  sans  ces=;e  le  courage  du  Clirétion.  niirllc  (pie  suit 
l'extrèraiti' de  ses  malheurs,  le  Chrétien  clrerche  dans  l'cspé- 
r.uice  de  la  vie  qui  ne  Unit  pas  la  force  de  siippuiler  les  maux 
qui  sont  d'un  jour,  p.   191    l'.i'i. 


184  l'espérance 


III 

L'espérance  nous  assure  des  joies  sur  la  terre. 

a)  Elle  voit  se  réaliser  dans  le  temps  une  partie  de  ses  pro- 
messes. La  grâce,  en  eiïet,  nous  vient  en  ce  monde  et  elle  est 
le  principe  de  satisfactions  aussi  pures,  aussi  vives  que  nom- 
breuses. Puis  chaque  grâce  reçue  est  un  gage  et  un  germe 
de  la  gloire,  p.  195-106. 

b)  Par  l'espérance  nous  possédons  la  gloire  en  quel([ue 
manière,  puisque  lous  possédons  la  faculté  de  l'atteindre. 
Cette  certitude  est  une  source  de  vrai  bonheur,  p.  196. 

c)  L'expérience  nous  apprend  que  l'espérance  illumine  toute 
la  vie  de  ses  rayons.  Mélancolie  de  ceux  qui  n'espèrent  pas. 
Epanouissement  de  ceux  qui  espèrent,  p.  196197. 

Le  Chrétien  doit  faire  appel  à  l'espérance  pour  pratiquer 
avec  ardeur  les  vertus  de  son  état,  pour  souffrir  avec  patience, 
pour  s'attacher  au  bonheur  céleste  à  mesure  que  les  choses 
de  la  terre  s'éloii^nent,  surtout  pour  garder  la  sérénité  dans 
les  transes  de  l'àgonie  et  de  la  mort,  p.  197-198. 


RETRAITE  PASCAIE 


PREMIÈRE  INSTRUCTION 


LUNDI  SAINT 

HEUREUSE   ACTION    DE   UESPÉRANCE 
SUR  LA  VIE  HUMAINE 


Teneanxus  spei  noslrx  profes- 
sionem. 

Restons  inôbranlablemcnt  attachés 
à  Ir  profeesion  de  notre  espérance. 
Hébreux  x,  23. 


Messieurs, 

L'espérance  est  une  vertu  aimable,  c'est  aussi 
une  verlu  l)i(;n faisante  qui  exerce  sur  toute  la  vie 
une  très  heureuse  inlluencc.  Non  contente  de  nous 
communiquer  la  perfection  (jui  lui  est  propre,  elle 
appelle  toutes  les  autres  puissances  destinées  à  nous 


ISG  l'espérance 

sanctifier  et  elle  leur  prête  main  forte;  non  contente 
de  nous  défendre  contre  la  douleur  éternelle,  elle 
nous  console  de  toutes  les  tribulations  du  présent; 
non  contente  de  nous  ouvrir  les  perspectives  de  la 
suprême  félicité,  elle  nous  apporte  des  joies  pures 
dans  ce  monde.  Permettez-moi  de  vous  expliquer 
ces  trois  pensées  à  l'honneur  de  l'espérance  chré- 
tienne, et  plaise  à  Dieu  que  mes  paroles,  pour  leur 
modeste  part,  contribuent  à  vous  la  faire  estimer 
et  aimer. 


I 

L'espérance  vient  au  secours  de  toutes  \^s  vertus 
dont  la  pratique  nous  permettra  de  mériter  la  béati- 
tude. Elle  vient  au  secours  d'abord  des  vertus  mo- 
rales :  il  n'en  est  pas  une  qui  ne  profite  de  son 
commerce 'avec  elle.  Toutes,  de  la  première  à  la 
dernière,  des  plus  modestes  aux  plus  hautes,  puisent 
dans  l'espérance  une  partie  de  leur  vigueur  et  lui 
doivent  une  partie  de  leurs  succès. 

Dans  la  sphère  des  vertus  morales,  la  prudence, 
qui  nest  que  la  perfection  de  la  raison  pratique, 
dirige  et  commande  tous  les  mouvements,  elle  tient 
sous  son  empire  toutes  les  facultés  intellectuelles  ou 
affectives  comme  le  cocher  tient  les  rênes  de  ses 
coursiers  :  de  l'élan  qu'elle  imprime  dépend  tout 
l'ordre  de  la  vie.  Mais  l'espérance  appuie  la  pru- 
dence,   parce    que,    visant    à   la    véritable   fin    de 


PREMIÈRE  INSTRUCTION  187 

Ihorame  comme  l'arclier  à  son  but  et  le  pilote  au 
port,  elle  maintient  l'àme  dans  la  voie  de  sa  des- 
tinée. Puis,  précisément  parce  qu'elle  nous  em- 
porte par  tous  ses  éléments  du  côté  de  la  béati- 
tude, elle  nous  inspire  la  crainte  des  dangers,  la 
sagesse  qui  évite  les  occasions  de  compromettre 
notre  avenir.  Ce  que  j'oserai  appeler  le  génie  de 
l'espérance  suggère  à  la  prudence  des  tactiques 
habiles,  une  vigilance  attentive,  des  précautions 
minutieuses  pour  aboutir  au  résultat  désiré.  Grâce  à 
cette  école,  la  prudence  sait  étendre  au  loin  son 
regard,  devient  plus  perspicace  et  apprend  à  mieux 
conduire  la  conscience  dont  elle  a  la  garde. 

La  justice  ne  profite  pas  moins  de  son  contact 
avec  l'espérance.  Elle  consiste,  en  effet,  à  traiter  les 
choses  comme  elles  le  méritent,  à  rendre  à  chacune 
ce  qui  lui  appartient,  et  les  choses  méritent  notre 
attention  et  notre  culte  dans  la  mesure  où  elles  se 
rapportent  à  Dieu.  Or  c'est  Tordre  même  de  l'espé- 
rance qui  s'attache  par-dessus  tout  à  Dieu,  (in  der- 
nière de  l'homme,  et  à  tout  le  reste  autant  qu'il  le 
faut  pour  atteindre  cette  lin.  L'espérance  ne  peut 
donc  qu'atrermir  la  justice,  peser  sur  la  justice  pour 
qu'en  sauvegardant  la  hiérarchie  des  choses,  elle 
respecte  ses  propres  lois. 

La  (brcc  bénélicie  de  son  association  avec  l'espé- 
lance,  parce  que  l'espérance  est  une  vertu  agissante, 
intrépide  qui  nous  pousse  aux  actes  énergiques,  à  des 
actes  (r;ui[;iiit    plus  énergiques  que  le  but  visé  est 


188  L'i:sPÉnANCE 

plus  élevé,  l^lle  met  enjeu  toutes  nos  puissances  en 
vue  d'arriver  au  sommet  oîj  nous  attend  le  bonheur. 
Elle  nous  souffle  des  sentiments  magnanimes  qui 
relèvent  de  la  force  parvenue  à  son  plus  haut  degré, 
la  constance  qui  nous  fait  soutenir  les  assauts, 
affronter  les  obstacles,  passer  à  travers  les  dangers 
sans  lâcher  prise  et  sans  reculer. 

La  tempérance  trouve  dans  l'espoir  chrétien  une 
ressource  et  un  soutien.  Ce  qui  nous  entraîne  vers 
les  plaisirs  déréglés  des  sens,  c'est  le  charme  pro- 
venant des  choses  visibles,  c'est  la  douceur  des 
affections,  c'est  la  suavité  des  coupes  et  des  ban- 
quets. L'espérance  oppose  au  pouvoir  fascinateur 
des  créatures  la  perfection  du  Créateur,  elle  nous 
parle  des  spectacles  que  l'œil  terrestre  n'a  point  vus, 
des  mélodies  indéfinissables  que  l'oreille  n'a  pas 
entendues,  des  délices  que  le  cœur  n'a  point  goû- 
tées, de  l'ineffable  amour  que  l'âme  n'a  point  connu; 
ainsi,  mettant  les  bonheurs  éphémères  et  bornés 
en  face  du  bonheur  éternel  et  infini,  elle  réduit  les 
premiers  à  leur  juste  valeur,  elle  les  oblige  à  pâlir 
devant  l'éblouissante  réalité  qui  les  domine,  elle  les 
dépouille  d'une  partie  de  leur  force  séductrice  et 
elle  facilite  la  tâche  de  la  tempérance. 

L'humilité  est  une  forme  de  cette  dernière  vertu, 
l'humilité  n'est  pas,  comme  on  le  suppose  trop  sou- 
vent, un  sentiment  qui  abaisse,  qui  consiste  à  ne 
point  reconnaître  les  qualités  que  l'on  possède,  à 
s'attribuer  des  infirmités  que  l'on  n'a  pas.  Non,  elle 


PREMIÈRE  INSTRUCTION  189 

consiste  à  nous  donner  une  exacte  conscience  de  ce 
que  nous  sommes,  à  nous  ranger  à  notre  place.  Elle 
nous  enseigne  à  considérer  Dieu  comme  l'Etre 
transcendant  de  qui  tout  dépend  et  qui  ne  dépend 
de  personne,  et  en  conséquence  à  nous  mettre  infi- 
niment au-dessous  de  lui,  à  attendre  de  lui  infini- 
ment plus  que  de  nous,  à  ne  point  nous  faire  illu- 
sion sur  une  prétendue  autonomie  qui  ne  nous 
appartient  pas,  qui  ne  saurait  nous  appartenir, 
puisque  nous  sommes  des  créatures,  c'est-à-dire 
des  êtres  essentiellement  dépendants  de  celui  qui 
nous  a  faits  :  l'espérance  renforce  ce  sentiment,  elle 
,  nous  montre  dans  la  puissance  de  Dieu,  dans  sa 
miséricorde  le  grand  moyen  d'arriver  au  salut,  elle 
compte  sur  Dieu  pour  monter  à  Dieu.  Mais  nous 
venons  de  le  voir,  Thumilité  ne  méprise  pas 
riiomme,  au  contraire,  elle  lui  impose  d'êlre  ce 
qu'il  doit  être,  un  coopérateur  de  Dieu,  un  agent 
subordonné  et  tout  aussi  réel  qui  s'exerce  sous 
l'inHuence  de  la  cause  première  :  là  encore,  elle  est 
soutenue  par  l'espérance  qui  demande  à  Dieu  son 
principal  appui,  mais  qui  demande  à  l'homme  de 
déployer  toutes  ses  facultés  au  service  de  son  propre 
intérêt. 

L'espérance  qui  sert  les  vertus  morales,  sert 
aussi  les  vertus  théologales. 

Elle  sert  la  foi,  car  plus  on  espère  avec  ardeur, 
plus  on  croit  à  la  réalité  de  ce  que  l'on  espère.  Les 
hommes  qui    vivent  de  ciiiiMèros,    prêtant    malgré 


190  l'espérance 

eux  un  corps  aux  rêves  qui  les  flattent,  et  les 
hommes  qui  aspirent  au  bonheur,  sont  poussés  par 
cette  aspiration  même  à  penser  que  le  bonheur  existe 
et  qu'il  est  d'ailleurs  accessible.  C'est  pourquoi,  le 
besoin  d'espérer,  c'est-à-dire  de  saisir  la  parfaite 
félicité,  conduit  fréquemment  les  hommes  à  croire, 
c'est  pourquoi  la  force  de  l'espérance  réagit  sur  la 
foi  et  lui  communique  une  flamme,  une  fermeté  qui 
ne  contribuent  pas  peu  à  augmenter  sa  vigueur.  Sans 
doute  la  foi  précède  l'espérance  et  en  est  la  racine, 
mais  l'espérance  est  un  rameau  dans  l'arbre  des  ver- 
tus, et  si  des  racines  qui  puisent  leur  vie  dans  le 
sol  la  sève  monte  jusqu'à  la  cime,  elle  descend  aussi 
des  rameaux  et  rap  porte  jusqu'à  la  racine  ce  qu'elle 
a  reçu  du  ciel,  de  l'air  et  de  la  lumière. 

L'espérance  sert  la  charité  qui,  dans  l'ordre  sur- 
naturel, est  la  puissance  royale. 

Elle  sertla  charité  parce  quelle  y  conduit.  En  nous 
attachant  à  Dieu  comme  à  notre  bienfaiteur,  comme 
à  l'Être  qui  veut  nous  assister  en  ce  monde  et  nous 
couronner  dans  l'autre,  l'espérance  peu  à  peu  sti- 
mule notre  reconnaissance.  Puisque  nous  avons 
tout  à  espérer  d'un  Dieu  si  bon  dans  ses  rapports 
avec  ses  créatures,  si  libéral  dans  ses  dons,  si  pa- 
tient devant  nos  misères  et  nos  infidélités,  si  prompt 
à  répondre  par  le  pardon  à  notre  repentir,  comment 
ne  mériterait  il  pas  d'être  aimé  en  lui-même,  de 
recevoir  tout  l'encens  de  notre  cœur  et  de  nous  voir 
lui  consacrer  notre  personne  et  notre  bonheur? 


PREMIÈRE   INSTRUCTION  191 

A  l'école  de  respérance,  nous  apprenons  progres- 
sivement à  monter  de  l'idée  du  Rémunérateur  à 
ridée  du  Père  céleste,  à  vivre  pour  Dieu  après  avoir 
vécu  de  Dieu,  à  unir  l'amour  intéressé  de  nous- 
mêmes  à  l'amour  désintéressé  de  la  charité. 

Et  même  cet  amour  désintéressé  ne  peut  que 
croître  au  contact  de  l'espérance.  L'homme  qui 
espère,  sait  qu'il  ii'atteindra  point  la  béatitude  s'il 
n'aime  Dieu  par-dessus  toutes  choses,  sait  qu'il 
risque  de  se  perdre  si  la  flamme  de  la  charité  s'at- 
tiédit ou  s'éteint,  il  veille  donc  avec  d'autant  plus 
de  sollicitude  sur  le  sentiment  royal  qui  doit  do- 
miner la  vie  présente  et  la  vie  future  et  il  en  ravive 
sans  cesse  le  feu.  C'est  ainsi,  Messieurs,  que  l'espé- 
rance agit  sur  nous  et  communique  à  toutes  les 
vertus  morales  et  religieuses  quelque  chose  de  son 
ardeur  et  de  son  élan. 


II 


L'espérance  nous  soutient  et  nous  console  dans 
les  tribulations. 

Elle  nous  soutient.  Le  chrétien  sachant  d'avance 
qu'il  est  voué  sur  la  terre  à  l'épreuve,  qu'il 
ne  trouvera  point  ici-bas  le  bonheur,  ne  s'étonne 
pas  quand  l'adversité  fond  sur  lui.  Il  s'habitue  à 
patienter,  à  supporter  ses  douleurs  sans  s'irriter,  à 
demander  à  la  pensée  de  l'éternité  la  force  d'endu- 
rer les  souffrances  du  temps. 


192  l'espérance 

Des  sociétés  méchantes  où  on  Taccuse,  où  on  le 
calomnie,    où   on  le    porsécute,  il  s'élève  jusqu'au 
royaume  où  on  l'aime,  où  on  reconnaît  la  rectitude 
de  ses  intentions,  la  valeur  de  ses  œuvres,  où  on 
l'appelle  et  où  on  Tattend.  Des  prétoires  qui  le  con- 
damnent, il   s'envole  par  le    cœur   et  par  l'esprit 
jusqu'aux  pieds  du  Juge  suprême  qui  proclamera 
son  innocence  et  ses  mérites  à  la  face  de  l'univers. 
Du  calvaire  ébranlé  par  la  fureur  des  éléments  et 
enveloppé  de  ténèbres,  il  aperçoit  le  Thabor  baigné 
dans  une  lumière  sereine  et  rayonnant  de  gloire,  dans 
l'exil  où  il  pleure  il  sent  passer  la  brise  qui  souffle 
de  la  patrie,  et  il  respire  par  avance  l'air  embaumé 
des  bienheureux.  Quand  la  pauvreté  lui  impose  ses 
rigueurs,    il  entend  la  voix  de    la  montagne  mur- 
murer à  son  oreille  :  «    Bienheureux  les  pauvres, 
car  le  royaume  des  cieux  est  à  eux.  »  Quand  il  est 
victime  de    la   violence,  il   se   souvient  des  mots 
suaves  de  Jésus  :  «  Bienheureux  les  doux,  car  ils 
posséderont  la  terre.  »  Quand  la  tentation  essaie  de 
bouleverser  sa  sensibilité,  il  se  répète  :  «  Bienheu- 
reux les  âmes  pures,  car  elles  verront  Dieu.  »  II  per- 
çoit mieux  que  personne  le  néant  des  choses,  le  vide 
du  temps,  la  fragilité  de  l'amitié,  l'inconstance  de  la 
fortune,  les  déceptions  de  chaque  jour,  l'odieux  de 
la  trahison,  mais  n'ayant  point  placé  sa   confiance 
ici-bas,   il  n'est  pas   désorienté   par  les   surprises 
qui  accablent  les  autres.  11  marche  dans  les  pas  du 
Christ,  son  Maître,  et  comme  lui  à  travers  les  humi- 


PREMIÈRE   INSTRUCTION  193 

liations  de  toutes  sortes   pour  arriver   au    terme. 

Mais  c'est  l'espérance  qui  ranime  sans  cesse  son 
courage,  c'est  la  vision  de  ce  qui  l'attend,  qui  le 
rend  capable  d'affronter  sans  défaillance  les  adver- 
sités qui  le  martyrisent.  Les  stoïciens  se  sont  effor- 
cés de  regarder  en  face  la  souffrance  sans  réclamer 
le  secours  de  l'espérance,  ils  n'y  ont  jamais  réussi. 
La  douleur  eut  raison  de  leurs  résolutions  les  plus 
absolues  et,  en  se  dérobant  à  ses  traits  par  la  mort, 
ils  avouaient  leur  impuissance  à  la  supporter.  Nous 
les  avons  vus  renoncer  à  la  lutte  pour  la  vie  et 
chercher  un  remède  à  leurs  désillusions  dans  des 
maux  plus  graves  que  leurs  désillusions  mêmes.  11 
y  a  des  tristesses  qui  ne  les  ont  point  vaincus,  mais 
lorsque  le  chagrin  a  dépassé  certaines  limites  ils 
ont  fléchi,  et  leur  héroïsme  de  commande  a  suc- 
combé. 

Quelle  que  soit  l'extrémité  de  son  infortune,  le 
chrétien  sait  la  dominer,  parce  que  contre  ses 
coups  il  a  toujours  un  refuge.  Est-il  frappé  dans  sa 
santé?  L'idée  de  la  résurrection  promise  par  l'espé- 
rance le  réconforte  en  lui  ouvrant  les  perspectives 
d'une  vie  exempte  de  toute  infirmité.  Est-il  ruiné? 
Il  lui  reste  la  certitude  d'avoir  gardé  un  trésor  ina- 
liénable que  les  vers  ne  sauraient  ronger.  At  il 
assisté  à  la  mort  d'un  de  ses  proches,  d'un  de  ses 
enfants?  Certes,  il  n'est  pas  insensible,  et  son  àmc 
souffre  d'une  séparation  ([ui  la  déchire,  mais  il  ne 
pleure  pas  sur  des  tombeaux  vides,  il  ne  croit  pas  ù 

L'ESl'tKANCE.    —    13. 


194  l'espérance 

la  ruj)tiire  définitive  des  liens  qui  hii  étaient  si 
chers.  Son  espérance  éclairée  par  sa  foi  le  transporte 
dans  un  séjour  où  les  morts  vivent  et  attendent 
ceux  qu'ils  ont  quittes.  Son  esprit,  au  delà  de  ce 
qui  se  voit,  cherche  et  trouve  ce  qui  ne  se  voit  pas, 
et  il  entretient  avec  les  êtres  disparus  un  commerce 
qui  pour  rester  mystérieux  n'en  est  pas  moins  réel, 
ni  moins  doux.  Lui-même  sent-il  approcher  les 
ombres  de  l'agonie,  certes j  il  tremble  et  il  n'essaie 
pas  d'affecter  l'indifférence,  ni  l'impassibilité,  mais 
la  céleste  lueur  de  l'espérance  vient  répandre  sur 
son  front  une  sérénité  surnaturelle,  une  confiance 
inébranlable  tempère  sa  crainte,  et  même  souvent 
ses  yeux  se  remplissent  de  je  ne  sais  quelle  allé- 
gresse où  l'on  voit  le  désir  de  l'autre  vie  l'emporter 
sur  le  regret  de  celle-ci,  et  la  certitude  du  bonheur 
qu'il  va  posséder,  effacer,  pour  ainsi  dire,  la  pensée 
du  bonheur  qu'il  va  perdre.  Saint  Paul  avait  com- 
pris ce  rôle  consolant  de  l'espérance.  11  considérait 
cette  vertu  comme  une  source  féconde  de  patience 
et  d'activité.  Il  parlait  de  l'endurance  dont  notre 
espoir  est  le  principe,  sustinenlia  spei  (1).  11  rap- 
pelait aux  Hébreux,  qu'ils  avaient  assisté  au  pillage 
de  leurs  biens,  sans  défaillir,  parce  qu'une  richesse 
meilleure  et  impérissable  leur  restait  (2).  Il  mon- 
trait les  patriarches   acceptant  les  tristesses  et  les 


(1)  I  Thessalonic,  i,  3. 

(2)  Hébreux,  x,  32-36. 


PREMIÈRE   INSTRUCTION  195 

combats  de  l'exislence,  parce  que  l'espérance  orien- 
tantleurs  désirs  vers  la  céleste  patrie  ne  cessait  pas 
de  les  soutenir  et  de  les  réconforter  (1). 


III 


L'espérance  porte  sur  Taveiiir,  elle  nous  impose 
d'atlendre  le  bonheur,  elle  ne  l'atteint  pas.  Cepen- 
dant elle  l'ébauche  dans  cette  vie,  et  à  cause  de 
cela  elle  nous  assure  des  joies  sur  la  terre,  joies 
qui  sans  être  complètes  sont  pourtant  réelles. 
«  Que  le  Dieu  de  l'espérance,  écrivait  l'apôtre  aux 
fidèles  de  Rome,  vous  remplisse  de  toute  joie  et  de 
toute  paix  (2).  »  11  insinuait  que  le  laboureur  qui 
travaille  la  terre  jouit  d'avance  de  la  moisson  qu'il 
espère  retirer  de  son  champ  (3),  il  aime  à  répéter 
que  déjà  notre  espérance  nous  rend  heureux.  Spe 
gau (lentes  (4). 

Elle  nous  rend  heureux  de  deux  façons  en  ce 
monde.  Elle  nous  rend  heureux  d'abord  {)arce  ([ue 
nous  voyons  se  réaliser  sur  la  terre  une  partie  de 
ses  promesses.  Parmi  les  biens  qu'elle  appelle,  il 
en  est  qui  appartiennent  à  l'ordre  du  temps  et  qui 
nous  sont  accordés  dans  le  temps.  Comme  je  vous 
l'ai  ('\pli(iué  au  moment  do  ma  première  conférence, 


(1)  llphrcii.r,  XI,  8-16. 
(■2)  l{()))i/iins,  XV,  1.3. 
(3)  I   Curinlk.,  ix,  10. 
4    llumain.ff  xii,  Mt. 


196  l'espérance 

ces  biens  sont  des  moyens  de  parvenir  à  la  béati- 
tude, et  c'est  pourquoi  l'espérance  s'y  intéresse, 
mais  en  eux-mêmes  ils  sont  de  nature  à  nous  adou- 
cir la  vie  par  des  satisfactions  saines  et  d'une 
qualité  supérieure.  Le  plus  grand  de  tous,  la  grâce, 
comporte,  laissez-moi  vous  le  répéter,  des  délices 
d'une  incomparable  suavité,  des  délices  qui  péné- 
trant les  replis  d'une  âme  innocente  et  pieuse 
l'exaltent  et  l'enivrent  au  point  de  lui  faire  oublier 
toutes  les  vicissitudes  et  toutes  les  contrariétés 
du  présent,  des  délices  dont  les  saints  ont  dit 
qu'il  n'est  pas  permis  à  l'homme  de  les  peindre 
avec  un  langage  mortel.  C'est  que  ces  biens  surna- 
turels que  nous  espérons  posséder  en  ce  monde,  et 
que  nous  arrivons  à  posséder  en  effet,  sont  les  ger- 
mes de  la  béatitude  éternelle  et  qu'on  y  trouve  quel- 
que chose  de  la  suavité  contenue  dans  cette  béati- 
tude. 

Secondement  par  l'espérance,  nous  possédons  en 
quelque  manière  la  béatitude  même,  parce  que  nous 
possédons  la  faculté  de  l'atteindre  à  l'heure  fixée  par 
Dieu,  cette  sécurité  est  d'avance  une  sorte  de  repos 
dans  le  souverain  Bien,  une  mainmise  de  loin  sur 
l'objet  où  nous  trouverons  plus  tard  le  rassasiement 
total.  Il  ne  nous  est  pas  donné  de  portera  nos  lèvres 
le  fruit  de  notre  béatitude,  ni  d'y  attacher  immédia- 
tement notre  cœur,  mais  nous  le  tenons  déjà  et  il 
dépend  de  nous  de  ne  point  le  perdre. 

Mais  qu'ai-je  besoin  d'invoquer  des  arguments  spé- 


PREMIÈRE   INSTRUCTION  197 

culatifs  pour  vous  prouver  que  l'espérance  sur  la  terre 
est  une  source  de  bonheur?  Ne  savez- vous  pas  que 
toute  espérance  apporte  avec  elle  une  satisfaction  in- 
time? Ne  savez-vous  pas  que  l'espérance  chrétienne 
illumine  toute  l'àme  et  toute  la  vie  de  ses  rayons  ?  Plu- 
sieurs parmi  vous  ont  peut-être  connu  des  jours  où 
cette  belle  vertu  a  succombé  dans  leurs  cœurs,  ne 
se  débattaient-ils  pas  alors  dans  le  malaise  et  dans 
les  ténèbres?  Ne  se  sentaient-ils  pas  de  plus  en  plus 
envahis,  de  plus  en  plus  pénétrés  par  une  sombre 
mélancolie? Du  moment  oii  la  confiance  a  commencé 
à  renaître  dans  leur  conscience,  un  changement  s'est 
opéré  en  eux.  On  a  vu  leur  front  s'éclairer,  leurs 
yeux  se  remplir  d'une  chaude  lumière,  et  leur 
pensée  accueillir  avec  sérénité  un  avenir  qui  jusque- 
là  ne  leur  inspirait  que  de  la  terreur. 


Faites  donc  appel  à  l'espérance,  Messieurs,  deman- 
dez-lui, quand  votre  zèle  pour  le  bien  se  ralentit,  de 
le  ranimer  et  de  vous  communiquer  sa  force,  invo- 
quez son  secours  et  son  appui  pour  rendre  à  toutes 
les  autres  vertus  leur  ardeur  et  leur  activité.  Lorsque 
les  créatures  vous  attirent  par  leurs  charmes  et  vous 
tentent,  priez-la  de  répéter  à  vos  oreilles  ses  divines 
promesses,  de  faire  briller  avec  plus  d'éclat  les 
grandes  perspectives  quelle  ouvre  devant  vous,  de 
vous  arracher  à  la  séduction  des  choses  périssables 
en  vous  altachnnt  aux  rt'alitrs  (jui  ne  passent  pas. 


198  l'espérance 

Dans  l'adversité  réfugiez-vous  sous  son  aile,  et 
là,  à  l'abri,  songez  qu'il  n'y  a  point  de  proportion 
entre  les  tribulations  que  nous  endurons  ici-bas  et 
le  bonheur  qui  nous  attend  là-haut,  consolez- 
vous  des  épreuves  du  présent  en  escomptant  les  féli- 
cités de  l'avenir.  Si  l'un  des  vôtres  vous  est  enlevé, 
ne  restez  pas  ensevelis  dans  votre  chagrin,  suivez 
votre  espérance  dans  son  vol  et  cherchez  au  delà  du 
temps,  au  milieu  des  bienheureux,  les  âmes  qui  ne 
vous  ont  été  ravies  qu'en  apparence  et  que  vous 
retrouverez  bientôt.  A  mesure  que  les  animées  s'écou- 
lent laissez  cette  belle  vertu  se  dilater  davantage, 
prendre  plus  complètement  possession  de  vous, 
afin  que,  sous  son  égide,  vous  sentant  plus  près  du 
bonheur,  vous  vous  résigniez  plus  facilement  aux 
sacrifices  qui  vous  sont  successivement  imposés. 
Enfin,  à  la  dernière  heure,  au  milieu  des  angoisses 
de  l'agonie,  ne  permettez  pas  au  spectre  de  la  mort 
de  vous  épouvanter  comme  il  épouvante  ceux  qui 
n'attendent  rien  de  l'éternité,  mais  écoutez  l'ange  de 
l'espérance  qui  penché  sur  votre  couche  funèbre  se 
prépare  à  vous  emporter  avec  lui  dans  les  cieux  et 
dites  à  ce  compagnon  futur  de  votre  félicité  :  «  J'ai 
l'âme  pleine  de  joie,  car  nous  allons  à  l'instant 
franchir  ensemble  le  seuil  de  la  maison  de  Dieu. 
Lœtatus  sum  in  his  quœ  dicta  sunl  lïiihi,  in  domum 
Domiid  ibimus.  »  Ainsi  soit-il. 


DEUXIÈME  INSTRUCTION 


MARDI  SAINT 

Li  GENÈSE  DU  DÉSESPOIR 


il 

El 


SOMMAIRE 

Nécessité  de  combattre  le  mal  dans  ses  causes  et  dans  ses 
effets.  La  luxure  et  la  tristesse  sont  d'après  saint  Thomas, 
les  causes  du  désespoir,  p.  203-20^'. 

I 

1. —  Tous  les  vices  peuvent  être  le  principe  du  désespoir  : 
l'orgueil,  l'envie,  l'avarice,  comme  les  autres  passions  déré- 
glées, p.  20i-20D. 

2.  —  La  luxure  est  un  des  deux  vices  qui  y  conduisent  le 
plus  naturellement, 

a)  L'expérience  confirme  cette  assertion  De  fait  les  drames 
du  désespoir  suivent  fréquemment  les  excès  de  la  luxure,  et 
chaque  jour  nous  assistons  à  des  crises  où  la  luxure  et  le 
désespoir  s'unissent  pour  pousser  l'homme  aux  résolutions 
fatales,  p.   20j-207. 

6)  La  rtiisou  explique  ce  fait,  car  plus  on  aime  la  béatitude, 
plus  on  espère.  Or,  la  luxure  en  attachant  riionime  à  des  vo- 
luptés épliémères  le  détache  de  la  béatitude  éternelle.  Kn 
cessant  d'aimer  et  de  désirer  le  vrai  bonheur,  en  s'en  dégoû- 
tant, le  luxurieux  s'éloigne  du  bonheur  et  cet  éloignement 
constitue  le  désespoir.  Çonlirmation  de  ces  vérités  par  l'expé- 
rience, p.  207-210 

II 

Le  dt'scspoir  peut  naître  plus  spécialement  encore  de  li 
tristesse. 

t. —  Distinctions  entre  les  tristesses  bienfaisantes  et  les 
tristesses  malsaines,  p.  210-211. 

2.  — La  tristesse  malsaine  pèse  sur  l'âme,  déprime  la  vo- 
lonté, nous  persuade  qu'il  nous  est  impossible  d'arriver  au 
but  que  nous  désirions  atteindre,  nous  met  en  déliancc  contre 
tontes  les  puissances  capables  de  nous  aider  eflicacement à 
conquérir  le  bonheur  et  contre  Dieu  même,  p.  211-213. 

Obl'gation  pour  nous  de  lutter  contre  toutes  ces  passions 
qui.  ouvertement  ou  hypocritement,  conduisent  au  désespoir. 

()i)li{^ation  spéciale  de  fuir  les  suggestions  de  la  luxure  et 
de  la  mauvaise  tristesse,  p.  213-214. 


î 


DEUXIÈME  INSTRUCTION 


MARDI  SAINT 

LA  GENÈSE  DU  DÉSESPOIR 


«  Trist'Ulaautem  sceculi  morlem 
operalur. 

La  tristesse    du   siècle   engendre 
la  mort.  » 

•  II  Corinth.,  vu,   10, 

Messieurs, 

Pour  connaître  un  mai  et  le  combaltre  il  faut 
l'étudier  en  lui-même,  il  faut  aussi  létudier  dans 
ses  causes  et  dans  ses  effets;  dans  ses  causes  afin 
d'empêcher  sa  naissaïue  et  de  l'extirper  jusqu'à  la 
racine,  dans  ses  elîets  afin  de  mieux  mesurer  son 
étendue  et  d'ajouter  aux  raisons  de  le  haïr.  Nous 
avons  vu  comment  le  désespoir,  considéré  dans 
l'acle  qui  le  constitue,  nuisait  prodigieusement  à 
riiommc  en  l'éloignant  de  sa  fin  dernière  et  de  sa 
béatitude,  comment  il  offensait  gravement  Dieu  en 
méconnaissant  sa  puissance  ou  sa  honte  et  on  nous 


204  l'espérance 

séparant  de  Jiii  par  une  rupture  violente,  directe, 
absolue.  Ce  soir  je  veux  vous  parler  de  la  genèse  du 
désespoir,  ou,  si  vous  le  préférez,  des  causes  qui  le 
font  éclore  dans  les  âmes.  D'après  saint  Thomas  les 
deux  causes  principales  du  désespoir  sont  la 
luxure  et  la  tristesse. 


Tous  les  vices,  toutes  les  passions  déréglées  peu- 
vent être  le  principe  du  désespoir  et  le  portent  secrè- 
tement dans  leurs  flancs  comme  un  poison  mortel  : 
les  faits  nous  en  témoignent.  L'orgueilleux,  qui  aspi- 
rait à  occuper  le  premier  rang  et  qui  échoue,  passe 
facilement  de  la  prétention  la  plus  exaltée  au  dé- 
couragement et  à  la  dépression.  Après  avoir  cru 
que  les  situations  exceptionnelles  lui  étaient  acces- 
sibles, il  s'imagine  qu'aucun  de  ses  efforts  ne  réus- 
sira, que  sur  tous  les  terrains  il  sera  vaincu, 
que  le  succès  qui  le  trahit  dans  les  choses 
humaines  le  trahira  plus  encore  dans  les  choses 
divines  et  éternelles.  Parce  qu'il  a  manqué  un  but 
secondaire,  il  estime  qu'il  manquera  le  but 
suprême,  et  on  le  voit  fréquemment  se  détourner 
avec  amertume  du  ciel,  parce  que  les  événements 
l'ont  obligé  à  renoncer  à  des  triomphes  qui  dans  la 
sphère  des  intérêts  temporels  ne  lui  paraissaient  pas 
douteux.  L'envieux,  qui  constate  la  supériorité  de 
ceux  qu'il  voulait  égaler  ou  dépasser,  tombe  aisé- 


DEUXIÈME   INSTRUCTION  205 

ment  dans  un  état  de  désolation  intérieure  où  il 
se  persuade  que  toutes  les  issues  lui  sont  fermées  et 
qu'il  végétera  toujours,  pareil  aux  plantes  malingres 
qui  ne  germent  un  instant  que  pour  mourir.  L'a- 
vare, après  avoir  consumé  sa  vie  dans  l'âpre  re- 
cherche de  l'or  sans  pouvoir  étancher  sa  soif, 
finit  souvent  par  penser  qu'il  ne  trouvera  pas  plus 
son  bonheur  en  Dieu  qu'il  ne  l'a  trouvé  dans  son  ar- 
gent. Suivez  dans  leur  carrière  les  hommes  que 
dominent  les  passions  inférieures,  vous  assisterez  à 
des  fluctuations  continuelles  oij  l'espoir  et  la  déses- 
pérance tiendront  alternativement  le  sceptre.  Ce 
phénomène  est  explicable.  Ces  êtres  avaient  mis 
leur  confiance  dans  un  bien  terrestre,  ils  s'aperçoi- 
vent ou  que  ce  bien  leur  échappe,  ou  que  ce  bien  ne 
leur  suffit  pas  :  ils  en  concluent,  par  un  sophisme 
familier  à  l'esprit  humain,  que,  à  plus  forte  raison, 
le  vrai  bonheur  leur  échappera  toujours  ou  les  lais- 
sera inassouvis.  Tous  les  vices  s'enchaînent  et 
d'une  façon  plus  ou  moins  directe  aboutissent  au 
désespoir.  C'est  ainsi  que  Caïn  tombe  de  la 
jalousie  dans  le  fratricide,  du  fratricide  dans 
le  désespoir,  que  Judas  s'achemine  par  des 
sentiers  glissants  delà  cupidité  au  vol,  du  vol  à  la 
trahison  de  son  maître,  et  de  la  trahison  de  son 
maître  au  suicide  qui  est  le  dernier  degré  du  déses- 
poir. 

Cependant  saint  Thomas  signale  la  luxure  comme 
un  des  deux  vices  qui  y  conduisent  le  plus  naturelle- 


206 


L  ESPKRANCE 


nient.  «  Desperado  causalur  ex  laxaria^  dit  il,  le 
désespoir  est  causé  par  la  luxure  (1).  »  L'expérience 
confirme  ce  jugement  et  la  raison  l'explique. 

L'expérience  le  confirme.  Les  poètes  qui  ont  versé 
dans  l'humeur  la  plus  noire,  qui  ont  déclaré  le 
bonheur  plus  inaccessible,  qui  ont  blasphémé  le  plus 
amèrement  la  vie,  qui  se  sont  le  plus  violemmentexas- 
pérés  contre  le  devoir  et  contre  la  destinée  sont  les  m  ê- 
mesquiontle  plus  abusé  delà  jouissance,  qui  ont  le 
plus  sacrifié  au  sensualisme.  El  c'est  au  lendemain  de 
leurs  fêtes  libertines,  de  leurs  banquets  débraillés,  de 
leurs  orgies  scandaleuses  qu'ils  ont  prétendu,  avec 
une  ironie  plus  mordante,  que  la  félicité  n'est  pas 
ou  qu'elle  est  hors  de  notre  portée.  Musset  et  Byron, 
par  exemple,  ont  été  à  la  fois  les  chantres  de  la 
volupté  et  les  chantres  du  désespoir,  et  dans  tous 
ceux  qui  les  ont  imités  de  près  ou  de  loin  on  trouve 
en  môme  temps  quelque  chose  de  leur  pessimisme 
et  quelque  chose  de  leur  mœurs  dissolues. 

L'expérience  le  confirme  car,  chaque  jour,  nous 
assistons  à  des  crises  où  la  luxure  et  le  désespoir  se 
succèdent  et  s'unissent  pour  pousser  l'homme  aux 
résolutions  fatales.  Allez  au  fond  des  douloureux  mys- 
tères qui  déshonorenttantde  familles,  demandez  pour- 
quoi le  charbon,  le  revolver,  la  corde,  le  poison  font 
si  fréquemment  leur  besogne  de  mort,  pourquoi  tant 
déjeunes  gens  à  Taurore  de  la  vie,  avant  d'avoir  tra- 


(11  II»  II»»,  q.  XXI,  nvt.  4, 


DEUXIÈME   INSTRUCTION  207 

vaille  et  même  presque  avant  d'avoir  souffert,  mettent 
fin  à  leurs  jours,  on  vous  répondra  :  c'est  un  coup  de 
désespoir.  Mais  d'oi^i  venait  ce  désespoir?  Presque 
toujours  d'une  passion  oii  les  sens  jouaient  un  rôle 
souverain.  Ah!  elle  serait  longue  la  liste  de  ceux  qui, 
de  notre  temps,  après  avoir  renoncé  au  bonheur  sur 
la  terre  et  au  bonheur  dans  le  ciel,  sont  sortis  brus- 
quement de  l'existence,  et  elle  serait  presque  aussi 
longue  la  liste  de  ceux  qui  en  sont  arrivés  à  cette 
extrémité  à  la  suite  de  désordres  moraux  où  leur 
cœur  s'était  avili. 

Il  y  a  donc  un  rapport  de  fait  entre  ces  deux 
vices,  rapport  que  tous  constatent  et  que  la  raison 
doit  expliquer. 

La  raison  l'explique.  L'espérance  chrétienne 
suppose  que  nous  aimons,  que  nous  désirons  la 
béatitude  éternelle.  Plus  cet  amour  est  profond, 
al)sohi,  plus  ce  désir  est  ardent  et  plus  l'espérance 
est  vive,  impatiente,  laborieuse,  entreprenante.  De 
sorte  que  le  meilleur  moyen  de  tuer  dans  une  âme 
l'espérance  du  bonheur  inlini  et  des  biens  qui  s'y 
réfèrent,  c'est  de  la  tuer  dans  le  noble  amour  et 
dans  le  céleste  désir  qui  en  sont  le  principe  et  la 
racine.  C'est  ce  que  fait  précisément  la  luxure.  Elle 
absorbe  d'abord  toutes  les  pensées  de  celui  qu'elle 
entraîne,  puis  elle  s'empare  de  toutes  ses  facultés 
allectives,  et  peu  à  peu  ce  qui  ne  lui  rappelle  pas 
ses  plaisirs  lui  devient  à  charge,  il  s'en  détache 
prugrussivement  et    il  hnit   par  être    incapable  de 


208 


L  ESPKRANCI 


goûter  quoi  que  ce  soit  en  dehors  des  objets  qui 
flattent  sa  convoitise.  Voyez-le  :  ses  amis  lui  sont 
indifférents,  la  société  lui  pèse,  il  ne  trouve  plus 
aucune  satisfaction  dans  la  vie  de  famille,  il 
n'éprouve  plus  que  de  la  froideur  pour  sa  mère, 
pour  sa  femme,  pour  ses  enfants,  et,  emporté  par 
son  penchant  tyrannique,  il  rompt  souvent  tous  les 
liens  qui  le  retiennent  et  qui  le  gênent  dans  ses 
débordements;  son  travail, son  métier,  ont  pour  lui 
perdu  leur  attrait,  ses  intérêts  même  le  laissent  insen- 
sible. Nelson  en  proie  à  cette  passion  oublie  sa  gloire, 
et  tel  autre  sacrifie  sa  patrie.  En  un  mot  l'homme 
de  luxure  n'a  d'attention  que  pour  la  joie  mau- 
vaise dont  il  est  esclave,  le  reste  lui  est  fastidieux. 
Vous  le  comprenez,  en  cet  état  il  cesse  d'estimer 
à  leur  prix  les  choses  de  Dieu,  il  n'est  plus  domine 
par  la  volonté  de  les  atteindre,  la  perspective  d'un 
paradis  où  l'on  ne  jouit  que  de  visions  intellec- 
tuelles, de  satisfactions  pures,  ne  réussit  plus  à 
l'émouvoir,  il  juge  sans  valeur  une  félicité  où  sa 
passion  avide  ne  trouvera  plus  sa  pâture.  Non  re- 
piitat  eam  quasi  bonum  arduum  (1),  Dès  lors,  la 
béatitude  ne  lui  apparaît  plus  comme  le  bien  su- 
prême qu'il  faut  mettre  au-dessus  de  tout,  à  l'ac- 
quisition duquel  il  faut  tout  sacrifier,  qu'il  faut 
obtenir  coûte  que  coûte.  Ad  hoc  autein,  quod  bona 
spiritualia  non  sapiant  nobis  quasi  bona,  aut  non 


(1)  s.  Thomas.  II*  Il^e,  q.  xsi,  art.  4. 


DEUXIÈME   INSTRUCTION  209 

videantur  nobis  quasi  magna  bona^  prœcipue 
perducimur  per  hoc,  qiiod  affectus  noster  est 
infectas  amore  delectationum  corporalium  il). 
Bien  plus  les  joies  de  l'âme  lui  semblent  fades, 
ennuyeuses,  insipides,  comme  les  aliments  suaves 
et  sains  semblent  amers  aux  malades.  Loin  de  les 
apprécier,  l'homme  de  plaisir  n'éprouve  à  leur 
égard  que  de  la  répupjnance  et  du  dégoût.  Ecce 
affectu  harum  delectationum  coniingit  quod  homo 
fastidit  bona  spiritualia  (2).  De  cette  disposition 
naît  le  désespoir,  car  nous  ne  cherchons  pas  ce  que 
nous  trouvons  fastidieux,  nous  nous  en  éloignons, 
nous  le  fuyoas.  Nous  brisons  avec  les  êtres,  les 
choses  qui  nous  inspirent  ce  sentiment  d'aversion, 
nous  les  repoussons  comme  le  mal,  nous  luttons 
contre  eux  comme  nous  lutterions  contre  des 
ennemis.  Or,  précisément,  quand  ce  mouvement 
d'hostilité  porte  sur  la  béatitude  suprême  il 
constitue  le  désespoir.  Non  sperat  ea  quasi  quœdam 
bona  ardua,  et  secundum  hoc  desperatio  causatur 
ex  luxuriâ  (3).  Si  vous  avez  eu  le  malheur  de 
tomber  dans  la  luxure,  vous  savez  bien  que,  par 
degré,  vous  en  êtes  arrivés  à  cette  impression  de 
mécontentement  secret,  de  sourde  irritation  contre 
les  réalités  éternelles;  vous  savez  bien  que,  peu  à 
peu,   vous  avez  perdu  le  goût  de  Dieu;  vous  savez 

(1)  s.  Thomas.  Il»  II»«,  q.  xxi,  arl.  4. 

(2)  Ibid. 

(3)  Ibid. 

l'espéranck.  —  14. 


210  l'espérance 

bien  que  progressivement  la  coupe  de  la  féiicilé 
vous  a  paru  sans  saveur;  vous  savez  bien  que  vous 
avez  fini  par  ne  plus  espérer  un  bonheur  que  vous 
avez  cessé  de  désirer.  Un  homme  de  lettres  a  écrit 
un  livre  intitulé  :  Du  sang,  de  la  volupté^  de  la 
mort.  Il  a  oublié  an  mot  dans  cette  énumération,  le 
mot  de  désespoir,  car  c'est  par  le  désespoir  que  la 
volupté  glisse  dans  le  sang  et  demande  pour 
l'homme  un  refuoe  à  la  mort. 


II 

Le  désespoir,  dit  saint  Thomas,  peut  naître  de  la 
luxure,  il  naît  plus  spécialement  encore  de  la  tris- 
tesse. Specialius  oritur  ex  acidia.  Poîest  tamen 
oriri  ex  luxuria  (1). 

La  tristesse,  voilà,  pour  le  docteur  angélique,la 
principale  cause  du  désespoir. 

Il  est  des  tristesses  saines  et  sanctifiantes  qui, 
loin  d'énerver  l'espérance,  l'excitent  et  la  raffer- 
missent. L'homme  qui  sent  la  vanité,  l'instabilité  des 
joies  du  temps,  s'élance  avec  ardeur  vers  la  félicité 
que  lui  promet  l'éternité.  Plus  il  est  déçu  par  les 
surprises  du  présent,  plus  il  s'attache  aux  pers- 
pectives de  l'avenir;  plus  son  âme  est  mal  à  l'aise 
dans  un  monde  qui  le  trompe,  qui  l'exploite,  qui  le 
froisse,  plus  il  aspire  à  entrer  dans  la  société  idéale 

(1)  s.  Thomu.  II»  llae,  q.  XXI,  art.  4. 


DEUXIÈME   INSTRUCTION  211 

qui  ne  connaît  plus  le  mensonge,  la  perfidie,  Tinjus- 
tice,  la  pervcrsilé.  Quand  ils  languissaient  aux 
bords  des  fleuves  de  Bobylone,  les  Israélites  com- 
prenaient mieux  la  grandeur  des  fêtes  et  la  pureté 
des  allégresses  que  leur  avait  ofPerles  Jérusalem. 
Après  avoir  bu  la  lie  des  calices  que  nous  pré- 
sente le  démon,  nous  prisons  davantage  le  banquet 
du  Père  céleste;  après  nous  être  heurtés  à  l'in- 
constance des  amitiés  humaines,  nous  cherchons 
plus  volontiers  un  refuge  dans  le  sein  toujours 
ouvert  de  la  Divinité;  après  avoir  été  blessés 
par  les  créatures,  nous  devenons  plus  impatients 
de  rejoindre  le  Créateur  qui  ne  blesse  personne, 
mais  qui,  au  contraire,  se  plaît  à  panser  et  à  guérir 
toutes  les  plaies;  après  avoir  souffert  de  notre  con- 
tact avec  le  mal,  nous  goûtons  plus  avidement  les 
satisfactions  que  nous  ménage  noire  commerce  avec 
le  bien.  Il  est  donc  des  tristesses  salutaires  qui  sti- 
mulent notre  espoir,  lui  impriment  un  plus  ardent 
essor  en  l'affranchissant  des  misères  qui  retar- 
daient son  vol. 

Mais  il  est  une  autre  tristesse,  une  tristesse  acca- 
blante qui  pèse  sur  l'âme,  qui  brise  ses  ailes  et 
qui  est  à  l'espérance  ce  que  la  paralysie  est  aux 
nerfs  moteurs.  Glle  déprime  la  volonté,  elle  nous 
persuade  qu'il  nous  est  dêfoudu  d'aspirer  au  but 
que  nous  désirons  atteindre,  que  le  succès  est  im- 
possible; sans  tenir  compte  des  moyens  que  la  Pro- 
vidence nous  assure  pour  parvenir  knotre  fin,  elle  ne 


212  LESPERANCE 

nous  montre  que  les  obstacles,  elle  les  grossit  jusqu'à 
ce  qu'ils  nous  paraissent  insurmontables.  La  con- 
science en  proie  à  ce  pessimisme  se  rappelle  les 
échecs  qu'elle  a  subis,  elle  se  plaît  à  récapituler  les 
naufrages  sans  nombre  oii  elle  a  sombré,  la  variété 
des  efforts  inutiles  qu'elle  a  tentes,  les  humiliations 
qu'elle  a  dû  dévorer.  Ne  s'est-elle  pas  trompée  quand 
elle  s'estappuyéesurla  fidélitédes  hommes?  Ne  s'est- 
elle  pas  trompée  quand  elle  s'est  fiée  aux  promesses 
de  la  fortune?  A-t-elle  abouti  quand  elle  a  pris  au 
sérieux  ses  propres  résolutions?  Ne  s'est-elle  pas 
toujours  trahie  elle-même  et  n'a-t-elle  pas  toujours 
été  trahie  par  les  autres?  L'homme  doit  reculer 
devant  un  grain  de  sable,  et  il  aurait  la 
prétention  de  vaincre  les  difficultés  colossales 
qui  s'accumulent  sur  le  chemin  du  bonheur  ! 
Des  forces  inférieures  l'ont  empêché  de  sai- 
sir le  pouvoir,  de  gagner  une  sympathi€,  et  il 
triompherait  des  puissances  sans  nombre  conjurées 
pour  lui  interdire  l'entrée  du  ciel!  Non,  il  faut 
en  prendre  son  parti,  nous  sommes  des  êtres  misé- 
rables qui  doivent  se  résigner  à  leur  sort  et  renon- 
cer à  la  satisfaction  de  leurs  plus  impérieux  désirs. 
Perdu  dans  cette  sombre  mélancolie,  l'homme 
s'abandonne  lui-même,  il  se  renferme  dans  sa  dou- 
leur, il  décide  que  ses  aspirations  vont  au  delà  de 
son  pouvoir,  que  la  sagesse  lui  impose  d'oublier  un 
idéal  irréalisable  et  une  illusion  qui  s'évanouira 
en  fumée.  Du  jour  où  cette  conviction  s'est  emparée 


DEUXIÈME    INSTRUCTION  213 

de  son  esprit,  il  perd  confiance,  il  ne  compte  plus  ni 
sur  lui,  ni  sur  les  autres,  il  ne  compte  même  plus  sur 
Dieu,  il  juge  que,  pour  échapper  à  la  déception,  on 
doit  dédaigner  l'espérance  et,  autant  qu'on  le  peut, 
faire  lî  d'un  rêve  chimérique.  Quand  cette  tristesse 
parvient  à  dominer  l'âme,  l'âme  reste  convaincue 
qu'il  lui  est  interdit  de  sortir  de  sa  misère  et  de 
s'élever  jusqu'au  bonheur,  objet  de  vœux  ardents. 
Ses  ressorts  se  brisent  et  elle  tombe  dans  un 
marasme  qui  lui  enlève  toute  énergie,  dans  cette 
torpeur  qui  est  inséparable  du  désespoir  «  Lorsque, 
dit  en  substance  saint  Thomas,  cette  tristesse  l'em- 
porte, tout  nous  semble  impossible,  et  le  plus  grand 
de  tous  les  biens  nous  apparaît  comme  le  plus  inac- 
cessible. Quaiido  in  affecta  hominis  dominatur, 
videtnr  eiquod  nunquam  possit  ad  aliquod  bonum 
elevari  (Ij. 

Messieurs,  luttez  contre  toutes  les  passions  qui 
ouvertement  ou  hypocritement  vous  conduiraient 
au  désespoir.  Luttez  contre  l'orgueil  qui,  après  vous 
avoir  enivré  de  ses  vapeurs  capiteuses,  vous  préci- 
piterait dans  les  abîmes  creusés  par  ses  ambitions 
insensées,  luttez  contre  l'envie  qui  n'excitera  votre 
ardeur  que  pour  vous  aigrir  par  les  déceptions 
qu'elle  vous  prépare,  luttez  contre  l'avarice  qui  ne 
flattera  votre  cuj)idité  que   pour  vous  jeter  Jaiis  le 

(1)  II*  ll»e,  ^i.  XXI,  art.  4. 


214  L'ESPÉnANGE 

vide,  mais  luttez  surtout  contre  la  luxure  et  contre  la 
noire  mélancolie  qui  donnent  le  plus  ordinairement 
naissance  au  désespoir. 

Ne  laissez  pas  volrc  âme  s'enfoncer  dans  les  plai- 
sirs des  sens:  là,  elle  ne  sait  plus  apprécier  les 
joies  de  l'esprit,  elle  prend  en  horreur  la  félicité  et, 
par  un  mouvement  à  la  fois  violent  et  capricieux, 
elle  se  détourne  de  Tobjet  qui  seul  peut  combler  ses 
désirs  et  apaiser  sa  soif  du  bonheur.  Vous  aban- 
donner au  flux  et  au  reflux  des  passions  sensuelles, 
c'est  vous  éloigner  de  la  béatitude.  N'écoutez  pas 
davantage  les  suggestions  de  celte  tristesse  malsaine 
qui  produit  dans  l'âme  un  relâchement  universel, 
qui  ôte  à  la  volonté  toute  force  et  qui  finit  par 
noyer  l'espérance  dans  ses  ondes  amères.  Réa- 
gissez virilement  contre  les  assauts  de  la  sensualité, 
affranchissez-vous  de  sa  tyrannie  si  pernicieuse  par 
la  mollesse  qu'elle  enfante.  Réagissez  joyeusement 
contre  le  mysticisme  désolé,  contre  le  pessimisme 
maladif  qui  finissent  par  triompher  des  caractères 
les  mieux  trempés,  par  nous  ius[)irer  le  dégoût  de  la 
béatitude  et  des  moyens  qui  nous  en  ouvrent 
l'accès.  Ainsi  soit-il. 


TROISIEME  INSTRUCTION 


MERCREDI  SAINT 

LES  SUITES  DU  DÉSESPOIR 


SOxMMAIRE 

Par  un  refour  funeste,  le  désespoir  conduit  à  tous  les  vices  ; 
il  livre  spécialement  l'homme  aux  excès  d'une  concupiscence 
effréuée  et  le  voue  à  une  intolérable  souffrance,  p.  219-220. 

1 

Les  hommes  sans  espérance  ne  connaissent  plus  aucun 
frein  :  ayant  perdu  la  crainte  du  châtiment  et  renoncé  à  la 
récompense,  la  plupart  s'abandonnent  à  la  fantaisie  de  leurs 
inslincls 

a)  Le  désespéré  tend  à  extirper  la  foi  de  son  cœur,  car  ayant 
rompu  avec  le  bonheur,  il  ne  peut  s'empêcher  de  haïr  la  souf- 
france et  la  damnation.  11  n'y  a  qu'un  moyen  de  concilier  son 
intérêt  et  son  sentiment,  c'est  de  ne  plus  croire  en  Dieu.  Le 
désespéré  s'y  efforce  et  souvent  y  réussit,  p.  220  221. 

b)  Le  désespéré  verse  facilement  dans  la  haine  de  Dieu.  H 
est  aisé  de  prendre  en  aversion  un  objet  que  nous  voudrions 
atteindre  et  que  nous  pensons  hors  de  notre  portée.  Cette 
haine  se  traduit  fréquemment  par  le  blasphème  et  par  une 
hostilité  farouche  à  tout  ce  qui  intéresse  le  royaume  de 
Dieu,  p.  221-222. 

c)  Le  désespéré  ne  se  montre  pas  meilleur  vis-à-vis  des 
hommes  qu'il  rend  responsables  de  son  état.  A  leur  endroit  il 
devient  dur,  injuste,  défiant,  etc.,  p.  222-223. 

Il 

Le  désespéré  se  livre  surtout  aux  passions  sensuelles. 

a)  il  a  beau  faire,  il  ne  peut  pas  se  passer  de  bonheur.  Ne 
l'attendant  plus  de  l'avenir,  il  le  clierclio  dans  le  présont.  La 
jouissance  sen.sible  étant  la  plus  immédiate,  c'est  à  elle  sur- 
tout qu'il  demande  l'oubli  de  son  iinjuiétudc.  Cette  inquiétude 
renaît  et  avec  elle  le  besoin  de  rendormir  par  de  nouvelles 
secousses,  lillle  s'exaspère  et  il  faut  solliciter  pour  s'en  dis- 
traire le  secours  de  plaisirs  plus  subtils  et  plus  raffinés, 
p.  223-225. 


218  l'espéhancb 

h)  Ses  efforts  sont  vains;  il  essaye  alors  de  suppléera  la  qua- 
lité de  ses  félicités  stériles  en  les  multipliant.  Il  cherche  par- 
tout une  pâture  pour  ses  diverses  facultés.  L'Enfant  pioJigue. 
Il  se  livre  .aux  passions  des  sens.  Signification  de  ce  îiiot, 
p.  220-^^27 

m 

Le  désespéré  n'aboutit  qu'à  une  indicible  douleur.  L'his- 
toire das  âmes  nous  prouve  que  le  désespoir  rend  profondé- 
ment malheureux.  Taine  et  Joufl'roy. 

a)  Le  désespoir  nous  torture  parce  qu'il  divise  1  âase.  An- 
goisse de  rame  que  toute  sa  nature  entraîne  vers  le  bonheur 
et  que  sa  volonté  en  éloigne.  C'est  le  supplice  des  damnés, 
p.  227-229. 

b]  Le  désespoir  nous  torture  parce  qu'il  ne  nous  laisse 
aucun  refuge,  il  nous  sèvre  de  toute  con.solalion.  Explication 
de  ce  phénomène.  Laocoon,  symbole  du  désespéré.  Excès 
de  la  souffrance  du  désespéré  exprimé  dans  les  damnés  de 
Michel-Ange.  Comment  cette  intolérable  douleur  conduit  au 
suicide,  p.  229-231. 

Le  Chrétien  doit  au  milieu  des  plus  grandes  tribulations  se 
rattachei  à  1  espérance,  p.  231-232. 


TROISIEME     INSTRUCTION 


MERCREDI    SAINT 


LES  SUITES  DU  DÉSESPOIR 


Desperanfes,    semelipsos   tvadi- 
derunt  impiul  ici  lise. 

Ayant  désespéré,  ils  se  sont  livrés 
à  rinipiidicité. 

Ephes  ,  IV,  19. 


Messieurs, 

Considéré  en  lui-même,  le  desespoir  est  moins 
grave  que  l'infidélilé,  moins  grave  que  la  haine  de 
Dieu;  envisagé  dans  ses  suites,  il  est  le  plus  exé- 
crable de  tous  les  maux.  A7////  est  exsecrahilius 
desperalione  (1). 

Je  vous  ai  dit  hier  que  tons  les  vices  conduisent 
au  désespoir,  que  cependant  la  luxure  et  la  tristesse 
sont  le:;   principales  causes  de  ce  péché  :  je  vous 

(1)  S.'I'homas,  II»  II»»,  q.  XXI,  ait.  3. 


220  l'espérance 

montrerai  aujourd'hui  que  par  un  retour  funeste, 
le  désespoir  entraîne  l'homme  dans  tous  les  vices, 
le  livre  spe'cialement  aux  excès  d'une  concupiscence 
effrénée  et  le  voue  à  une  intolérable  souffrance. 


I 


Siihlatà  spe,  irrefrenate  homines  labuntur  in 
vida.  Les  hommes  ayant  perdu  l'espérance  ne  con- 
naissent plus  de  frein  et  ils  roulent  dans  tous  les 
vices.  On  a  beau  dire  qu'il  faut  pratiquer  la  vertu 
pour  elle-même  et  fuir  le  mal  par  haine  de  sa  lai- 
deur :  quand  elle  a  cessé  de  craindre  le  châtiment  et 
d'attendre  la  récompense,  la  masse  s'abandonne  à 
la  fantaisie  de  ses  instincts.  Quand  elle  n'attend 
plus  rien,  quand  elle  n'a  plus  peur  de  rien,  elle 
ose  tout.  Le.  désespéré  en  est  ià  :  aussi  il  nous 
étonne  par  des  débordements  de  toutes  sortes; 
parfois  même  son  cynisme  et  sa  perversité  vont  si 
loin  que  nous  en  sommes  épouvantés. 

D'abord  ayant  renoncé  à  son  salut,  il  tend  à 
extirper  de  son  cœur  la  foi  qui  en  est  en  nous  le 
principe.  Le  désespéré  a  rompu  avec  le  bonheur, 
mais  il  ne  peut  s'empêcher  de  haïr  la  damnation 
et  la  souffrance  (j[u'elle  comporte.  Il  n'y  a  qu'un 
moyen  de  concilier  son  intérêt  avec  son  senti- 
ment, c'est  de  croire  au  néant  et  de  ne  plus  croire 
à   Dieu,  Impressionné  par  ce   désir  peut-être  ina- 


TROISIÈME  INSTRUCTION  221 

voué,  il  cherche  à  se  persuader  que  le  monde  est 
livré  au  hasard,  qu'un  Esprit  suprême  n'en  règle 
pas  la  marche,  qu'au  delà  du  présent  il  n'y  a  rien, 
que  ceux  qui  espèrent  dans  l'avenir  sont  les  jouets 
d'une  illusion.  Il  s'attache  à  tous  les  arguments 
que  la  folie  a  inventés  pour  nier  Dieu,  il  s'ctTorce 
de  prouver  que  les  dogmes  contrarient  la  raison  et 
sont  inacceptables,  que  le  christianisme  n"est  pas 
plus  solidement  fondé  que  le  paganisme,  que  toutes 
les  religions  se  valent,  que  toutes  s'écroulent  quand 
on  les  examine  de  près,  que  leurs  menaces  et  leurs 
promesses  sont  vaines,  que  l'immortalité  de  l'àme 
est  une  chimère  et  que,  par  suite,  compter  sur  une 
survivance  éternelle,  c'est  se  tromper  soi-même.  Il 
arrive  parfois  à  se  suggestionner,  à  tomber  dans  un 
scepticisme  insolent,  dans  un  matérialisme  grossier 
et  à  sacrifier  sa  foi  pour  se  consoler  de  son  criminel 
désespoir. 

S'il  ne  réussit  pas  même  «  à  établir  le  néant 
auquel  il  aspire  après  cette  vie  »,  le  désespéré  verse 
facilement  dans  la  haine  de  Dieu.  Notre  tendance 
est  de  prendre  en  aversion  l'objet  que  nous  dési- 
rons atteindre  et  que  nous  pensons  pratiquement 
hors  de  notre  portée.  Un  rien  nous  indispose  contre 
ceux  dont  nous  cherchions  la  sympathie  et  qui 
nous  la  refusent,  pour  un  rien  notre  amour  se 
change  en  hostilité.  Nous  serions  heureux  de  pou- 
voir les  anéantir,  préférant  les  voir  périi  plutôt 
que  d'être  séparés  d'eux.  Aussi  le  désespéré  verse-t-il 


222  l'espérance 

à  chaque  instant  dans  cette  haine  farouche  de 
Celui  dont  il  n'attend  plus  la  possession, 

...  Et  son  impiété 
Voudrait  anéantir  le  Dieu  qu'H  a  quille. 

Il  n'est  pas  rare  que  celte  haine  se  traduise  par 
des  blasphèmes  abominables,  par  une  guerre 
acharnée  à  toutes  les  œuvres  qui  glorifient  le  règne 
du  Père  céleste.  Si  nous  descendions  dans  le  cœur 
de  certains  apostats,  si  nous  essayions  de  découvrir 
le  motif  de  leur  opposition  acharnée  à  l'Église 
qu'ils  connaissent  et  à  laquelle  ils  doivent  tant,  si 
nous  nous  demandions  pourquoi  ils  se  déclarent 
les  partisans  des  mesures  les  plus  vexatoires,  des 
dénis  de  justice  les  plus  cyniques  contre  la  Reli- 
gion, nous  constaterions  peut-être,  nous  constate- 
rions souvent  que  cette  conduite  a  son  principe  dans 
l'irritation  d'un  secret  et  profond  désespoir. 

Le  désespéré  se  montrc-t-il  meilleur  vis-à  vis  des 
hommes?  Non.  Ses  humeurs  noires  et  son  sombre 
pessimisme  le  portent  à  rendre  le  monde  entier 
responsable  de  l'éîot  oii  il  se  ronge,  il  .semble 
qu'il  veuille  faire  expier  à  tous  la  faute  dont  il  est 
seul  coupable.  Il  s'est  sacrifié  lui-même,  qu'im- 
porte qu'il  blesse  les  autres  dans  leur  honnoiir,  dans 
leur  réputation,  dans  leur  intérêt!  Si  les  autres  sont 
malheureux,  il  n'a  point  pitié  d'eux,  car  il  estime 
leur  épreuve  au-dessous  de  la  sienne;  si  les  autres 


TROISIÈME  INSTRUCTION  223 

sont  heureux,  il  est  jaloux  de  leur  bonheur  et  il 
aimerait  à  le  troubler;  si  les  autres  le  froissent,  il 
s'irrite  et  ii  exige  double  et  triple  réparation;  s'ils 
lui  font  du  bien,  il  ne  manifeste  aucune  reconnais- 
sance, car  il  juge  que  sa  détresse  lui  confère  tous 
les  droits.  Nous  l'avons  connu  cet  être  dur,  injuste, 
défiant,  insensible,  fermé  à  toutes  les  émotions  gé- 
néreuses et  qui,  dirait- on,  rêve  d'entraîner  l'univers 
dans  sa  disgrâce,  dans  sa  faillite,  dans  sa  damna- 
tion, cet  être  qui  par  suite  de  son  désespoir  tombe 
dans  l'incrédulité,  dans  la  baine  de  Dieu  et  des 
hommes,  qui  par  suite  de  cette  incrédulité  et  de 
cette  haine  verse  dans  tous  les  désordres  et  rompt 
totalement  avec  l;^  bien. 


II 


Saint  Paul  nous  enseigne  que  le  désespéré  se 
livre  surtout  aux  passions  sensuelles. 

Sa  vie  est  un  cercle  vicieux  :  souvent  il  tombe 
dans  son  péché  par  suite  de  ses  débauches,  je  vous 
l'expliquais  hier,  et  il  obéit  de  plus  en  plus  à  tous 
les  caprices  des  sens  par  suite  de  son  désespoir. 

D'abord,  1  homme  a  beau  faire  et  se  raidir,  il  ne 
peut  pas  se  passer  de  bonheur.  Par  un  instinct  dont 
jamais  il  n'aura  raison,  il  le  veut,  il  y  aspire,  et  il 
n'y  renonce  d'un  côté  que  pour  y  tendre  de  l'autre. 
Sans  doute,  le  désespiu-é  demandera  une  (li\ersiou  à 
des  objets  variés  selon  sa  nature  et  son  tempéra- 


224  l'espérance 

ment,  mais  il  ne  restera  pas  dans  le  vide,  il  re- 
muera ciel  et  terre  pour  trouver  un  aliment  à  son 
désir  et  pour  tromper  au  moins  momentanément  sa 
faim  et  sa  soif.  Il  cherchera  une  distraction  tantôt 
dans  un  travail  acharné,  tantôt  dans  l'acquisition 
de  la  fortune,  tantôt  dans  le  pouvoir  et  dans  les 
honneurs,  mais  il  ne  prendra  pas  son  parti  de  se 
priver  de  tout  et  il  réclamera  de  la  vie  présente 
la  jouissance  à  laquelle  il  a  renoncé  pour  la  vie 
future.  La  jouissance  sensible  étant  plus  immé- 
diate, plus  palpable,  plus  enivrante,  c'est  elle 
qu'il  sollicitera  le  plus  souvent  :  il  la  pressera 
de  lui  apporter  Toubli  dont  il  a  besoin  et  la 
léthargie  qu'il  réclame  pour  endormir  son  into- 
lérable inquiétude.  Mais  comme  cette  inquiétude 
à  peine  assoupie  se  réveillera,  il  redemandera  sans 
cesse  à  son  fatal  anesthésique  le  sommeil  dont  il 
peut  de  moins  en  moins  se  passer,  pareil  à  ces 
maniaques  qui  sortis  de  leur  torpeur  ou  de  leur 
délire  se  hâtent  de  recourir  à  la  piqûre  ou  au 
breuvage  empoisonnés  auxquels  ils  doivent  leur 
insensibilité  trompeuse  ou  leur  excitation  factice. 
Mais  l'âme  humaine  faite  pour  un  bonheur  plus 
noble  se  révoltera  contre  le  sort  auquel  on  veut  la 
condamner,  elle  manifestera  vite  un  dégoût  indi- 
cible pour  les  aliments  inférieurs  dont  on  entend 
qu'elle  se  contente.  Si  bas  que  fût  tombé  l'enfant 
prodigue,  il  se  lassa  un  jour  de  la  nourriture  ab- 
jecte qu'on  lui  mesurait,  il  n'en  éprouva  plus  que  de 


TROISIÈME  INSTRUCTION  225 

Ihorreur.  Malgré  lui  le  coupable,  tournant  un  re- 
gard de  regret  vers  la  maison  paternelle,  compa- 
rait sa  misère  à  l'abondance  dans  laquelle  vivaient 
ses  anciens  serviteurs.  Si  le  désespéré  imitait  le 
prodigue,  il  se  relèverait,  et  il  se  confierait  à  la 
puissance,  à  la  miséricorde  du  Père  céleste,  mais  il 
a  décidé  de  repousser  jusqu'à  la  pensée  de  ce 
retour.  Alors,  il  ne  lui  reste  plus  qu'une  ressource, 
chercher  dans  des  plaisirs  plus  subtils,  plus  raf- 
finés, plus  extravagants  de  plus  fortes  secousses 
et  de  nouvelles  illusions.  ^ 

Vains  efforts!  11  n'arrive  point  à  apaiser  son 
âme.  Pressé  par  le  besoin  de  se  rassasier,  il 
essaie  de  suppléer  à  la  qualité  de  ses  félicités 
stériles  en  les  multipliant.  L'Evangile  nous  peint, 
avec  un  réalisme  que  je  serais  tenté  d'appeler 
brutal,  l'avidité,  l'impatience  du  prodigue  af- 
famé. «  Il  désirait,  dit  saint  Luc,  remplir  son 
ventre  des  glands  destinés  aux  pourceaux.  FA  cu- 
piebat  implere  ventrem  suum  de  siliquis,  qiias 
porci  mandiLcahant  (1).  En  proie  à  ce  tourment, 
le  désespéré  cherche  partout  une  pâture  pour  son 
esprit,  pour  son  cœur,  pour  son  imagination,  pour 
sa  mémoire,  pour  ses  yeux,  pour  ses  oreilles,  pour 
ses  lèvres,  pour  toutes  les  puissances  do  son  être. 
Il  emploie  son  génie  à  découvrir  des  pensées,  à 
s'assurer  des  affections,  à  évoquer  des  fantômes, 

(1)  s.  Luc,  x- ,  16. 

L'iiSrÉRA.NCE.    —    15. 


226  l'espérance 

des  souvenirs,  des  spectacles,  des  voix,  à  saisir  des 
suavités  où  il  puisse  pour  ainsi  dire  se  noyer,  se 
perdre  et  s'arracher  au  cauchemar  qui  l'épou- 
vante. Il  appelle  à  son  secours  l'alcool  qui  affole 
les  nerfs,  qui  brûle  le  palais  et  les  entrailles, 
la  morphine  qui  berce  et  qui  charme  la  sensibilité, 
le  jeu  qui  donne  la  fièvre.  Ecoutez-le  :  «  Venez, 
dit-il,  jouissons  des  biens  présents,  hâtons-nous 
d'user  des  créatures  pendant  que  nous  sommes 
jeunes.  Enivrons-nous  de  vins  exquis,  parfumons- 
nous  et  ne  laissons  point  passer  la  fleur  de  la 
saison.  Couronnons-nous  de  roses  avant  qu'elles 
se  flétrissent,  qu'il  n'y  ait  pas  un  lieu  de  fête  oîi 
notre  intempérance  ne  se  signale  (1).  »  Il  attend 
de  la  matière  et  du  fini  le  bonheur  qu'il  n'espère 
plus  de  l'Esprit  et  de  l'Infini  et  il  pèche,  dit  saint 
Thomas,  non  pas  par  entraînement  et  par  infir- 
mité, mais  par  volonté,  il  ne  se  donne  pas  aux 
passions,   il  s'y  livre  (2). 

Il  s'y  livre,  c'est-à-dire  qu'il  n'est  plus  modéré 
ni  retenu  par  aucun  scrupule,  par  aucun  remords, 
par  aucune  autorité.  Effrenaté  labuntur.  11  s'y  livre, 
c'est-à-dire  qu'il  ne  réserve  rien  de  lui-même.  Pour 
assurer  plus  de  licence  à  son  emportement,  pour  se 
consacrer  plus  entièrement  à  ses  convoitises,  il 
s'isole  et  se  renferme  avec  les  objets  dont  il  s'ef- 
force de  tirer  sa  béatitude. 

(1)  Sagesse,  ii,  6-8. 

(2J  In  Epist.  ad  Ephes.,  c.  iv,  sect.  6.  Cf.  II  Epist.  Pétri,  ii. 


TROISIÈME  INSTRUCTION  227 

L'enfant  prodigue  quitte  la  maison  paternelle 
afin  d'échapper  à  toute  surveillance,  à  tout  avertis- 
sement, à  tout  conseil.  Dans  la  région  lointaine  où 
il  s'est  réfugié,  il  profite  de  son  indépendance  pour 
dissiper  toute  sa  fortune,  pour  se  prostituer  à  son 
aise  et  faire  Texpérience  de  tous  les  excès  et  de 
toutes  les  débauches.  Et  comme  il  s'abandonne  sans 
rien  réserver  de  lui-même,  il  compte  que  cet  effort 
suprême  lui  permettra  d'épuiser  la  source  du  plaisir 
et  de  trouver  une  jouissance  infinie  pour  apaiser  sa 
soif  infinie.  Ces  emportements  sont  naturels,  car 
ayant  renoncé  à  l'avenir  l'homme  s'acharne  sur  le 
présent  et  veut  tirer  des  créatures  la  félicité 
qu'il  ne  demande  plus  au  Créateur. 

III 

Le  désespéré  ne  réussit  qu'à  s'engager  dans  une 
vive  et  profonde  douleur,  car  une  douleur  indi- 
cible est  la  suite  du  désespoir. 

Vous  vous  en  rendrez  compte  facilement  si  vous 
consultez  l'histoire  des  âmes  qui  onl  refusé  de 
tendre  au  bonheur  éternel.  Les  plus  vigoureuses 
essaient  bien  de  se  contenir  et  de  cacher  leur  déso- 
lation intérieure,  mais  elles  n'y  parviennent  pas.  Sur 
les  lèvres  de  Taine,  sous  sa  plume,  dans  la  correspon- 
dance intime  où  il  exprime  plus  librement  ses  pen- 
sées, vous  trouverezdcs  mots  qui  trahissent  un  déclii- 
rement  cruel,  une  soulTrance  que  rien  ne  tempère, 


228  l'espérance 

que  rien  ne  console.  «  La  vie  réelle  est  si  pleine  de 
dégoûts  et  de  souffrances,  dit-il,  qu'à  chaque  ins- 
tant nous  cherchons  un  asile  contre  elle  (1)...  Je 
tombe  bien  souvent  dans  des  langueurs  et  dans  des 
faiblesses,  et  il  m'arrive  alors,  étendu  sur  mon  lit, 
ou  sur  ma  chaise  de  passer  des  heures  entières 
dans  cet  évanouissement  de  la  pensée  si  triste  et  si 
accablant  que  tu  connais  (2).  J'ai  un  fonds  de  tris- 
tesse permanent  et  nécessaire  (3).  11  y  a  des  jours 
011  je  suis  si  lassé  de  moi,  que  je  voudrais  me 
vomir  moi-même  (4).  »  Dans  cent  pages  de  Taine, 
dans  cent  pages  de  Jouffroy  et  de  tant  d'autres  la 
douleur  coule  à  pleins  bords  en  même  temps  que  le 
désespoir,  et  plus  l'âme  est  haute,  plus  elle  souffre 
d'un  état  qui  n'est  pas  fait  pour  nous. 

Le  désespoir  nous  torture  d'abord  parce  qu'il 
divise  Tàme.  Il  n'est  pas  en  notre  pouvoir,  je  vous 
l'ai  dit,  d'empêcher  la  nature  de  tendre  au  bonheur. 
Elle  y  tend  de  toutes  ses  forces  et  elle  n'y  renoncera 
jamais.  Inutile  de  vouloir  réprimer  cet  instinct,  il 
renaîtra  éternellement.  On  pourra  le  distraire  un 
instant,  le  tromper,  mais  il  déjouera  les  plans  les 
mieux  concertés,  les  ruses  les  plus  habiles,  et  s'il  a 
été  endormi  momentanément,  il  se  réveillera  plus 
impérieux,  plus  exigeant,  plus  intraitable.  Inutile 
d'essayer   de    l'apaiser  en   lui  représentant   que  la 

(1)  Correspondance ,  t.  I,  p.  53. 

(2)  Ibid.,  p.  .'iS. 

(3)  Ibid.,  p.  91. 

(4)  Ibid.,  p.  221. 


TROISIÈME   INSTRUCTION  229 

félicité  est  inaccessible,  il  se  révoltera  contre  tous 
vos  syllogismes  et  il  réclamera  sur  un  ton  absolu 
la  béatitude.  Le  désespéré  s'insurge  contre  cette 
prétention  et  s'eiïorce  d'étoufter  les  désirs  qu'elle 
fait  naître.  11  n'y  réussit  pas.  Alors  éclate  une 
lutte  intérieure  entre  la  nature  et  la  volonté,  un 
duel  sans  merci  et  sans  issue  :  la  nature  s'élance 
vers  le  bonheur  avec  une  impétuosité,  une  véhé- 
mence indomptable,  la  volonté  la  retient  avec  une 
violence  sauvage,  elles  se  heurtent  sans  cesse  et 
l'âme  prise  entre  le  flux  qui  l'emporte  vers  sa  fin 
et  le  reflux  qui  l'en  éloigne  est  déchirée  tout  entière. 
Ce  supplice  épouvantable  est  celui  des  damnés  qui 
ont  perdu  la  béatitude  et  qui  sont  éternellement 
ballottés  entre  ces  deux  mouvements  contraires,  le 
mouvement  de  tout  leur  être  vers  Dieu  et  le  mouve- 
ment de  leur  désespoir  qui  les  sépare  de  lui. 

Le  désespoir  nous  torture  parce  qu'il  ne  nous 
laisse  aucun  refuge.  II. est  bien  des  malheurs  contre 
lesquels  on  trouve  un  asile.  Un  ami  manque, 
on  en  découvre  un  autre,  la  pauvreté  nous  éprouve, 
l'étude,  les  afl'ections  viennent  nous  adoucir  les 
privations  qui  nous  sont  imposées.  En  tout  cas,  à 
tous  nos  maux  nous  entrevoyons  une  fin,  et  cette 
pensée  suffit  à  en  tempérer  la  rigueur.  Mais  le  dé- 
sespéré est  sevré  de  toutes  les  consolations.  Non  seu- 
lement il  n'aperçoit  pas  de  terme  à  son  infortune, 
mais  les  perspectives  que  lui  ouvre  l'avenir  sont  en- 
core plus  angoissantes  que  les  épreuves  du  présent, 


230  l'espérance 

il  sait  que  ce  qu'il  souffre  n'est  rien  à  côté  de  ce 
qu'il  souffrira,  et  si  loin  que  cherche  à  s'étendre 
son  regard  il  se  heurte  à  un  horizon  toujours  plus 
bas  et  toujours  plus  sombre.  Il  s'enlise  dans  une  dou- 
leur qu'il  est  impossible  de  fuir,  car  il  faudrait  pour 
la  fuir  retourner  à  Dieu  avec  qui  le  désespéré  a 
rompu,  dans  une  douleur  contre  laquelle  il  n'y  a  pas 
de  recours,  car  il  n'y  a  qu'un  bonheur  pour  l'homme, 
la  vision  de  Dieu  face  à  face  :  qui  renonce  à  cette 
vision  renonce  à  toutes  les  autres  félicités.  Cette 
douleur  est  plus  forte  que  lui,  il  ne  peut  la  sur- 
monter. Sans  doute  aussi  longtemps  qu'il  sera  sur  la 
terre  le  désespéré  réussira  quelquefois  à  s'étourdir, 
mais  outre  que  cette  possibilité  de  se  distraire  et  de 
se  divertir  ne  lui  sera  pas  toujours  laissée,  il  sentira, 
malgré  tout,  son  mal  se  réveiller  à  certains  jours 
avec  d'autant  plus  de  force  qu'il  aura  pu  le  croire  un 
instant  calmé.  Et  lorsqu'il  aura  touché  la  vanité 
des  objets  auxquels  il  avait  demandé  une  diver- 
sion, lorsqu'il  aura  goûté  la  lie  des  plaisirs  où 
il  avait  essayé  de  s'oublier,  il  se  retrouvera  seul 
avec  son  mal.  Laocoon,  enserré  dans  les  nœuds  des 
serpents  gigantesques  qui  se  sont  soudain  jetés  sur 
lui  et  qui  entourent  son  cou,  ses  bras,  ses  reins,  ses 
jambes,  se  raidit  contre  ses  adversaires  et  fait  un 
colossal  effort  pour  se  dégager.  Mais  les  monstres 
ne  lâchent  point  leur  proie,  ils  l'étreignent,  ils  la 
mordent,  ils  la  couvrent  de  leur  bave.  Le  prêtre 
antique  pousse  des  cris  affreux,  sa  figure   se  con- 


TROISIÈME  INSTRUCTION  231 

tracte  et  se  tord,  ses  yeux  expriment  une  indicible 
angoisse,  mais  il  succombe  sous  les  coups  de  ses 
féroces  ennemis.  Rien  mieux  que  cette  image  ne 
représente  les  hommes  embarrassés  dans  les  plis 
et  les  replis  du  désespoir,  rien,  sinon  les  damnés  que 
Michel-Ange  a  peints  au  Vatican  sous  des  traits  si 
convulsionnés  et  si  tragiques.  L'un  se  précipite  d'en 
haut  jusqu'au  fond  de  l'abîme,  comme  pour  se  briser, 
l'autre  prend  sa  tête  dans  ses  mains  comme  pour 
l'empêcher  d'éclater  sous  l'intensité  de  la  souffrance, 
un  troisième  se  couvre  les  yeux  comme  pour  se 
cacher  à  lui-même  son  propre  malheur,  tous  pré- 
sentent des  visages  bouleversés,  des  corps  crispés  et 
respirent  l'épouvante.  Et  encore,  tout  cela  n'est 
qu'un  symbole  de  ce  qui  se  passe  dans  l'âme  des 
désespérés  et  ne  traduit  que  très  imparfaitement  la 
violence  de  la  douleur  qu'ils  endurent. 

Ne  nous  étonnons  donc  pas  qu'une  douleur  si  aiguë 
devienne  tellement  intolérable  qu'elle  l'emporte  sur 
l'amour  de  la  vie  et  que  les  désespérés  mettent  fin 
à  une  existence  dont  ils  ne  peuvent  plus  supporter 
le  fardeau.  Le  suicide  apparaît  comme  la  fin  logique 
du  désespoir,  puis<|U(;  le  désespéré  veut  rompre 
avec  le  bonbeur  et  que  par  le  suicide  cette  rupture 
se  consomme  et  devient  éternelle. 


J'ai  hilte,  Messieurs,    d'en  finir  avec   ce  sombre 
sujet    dont  on   ne    peut    parler   sans  évoquer    les 


232  l'espérance 

spectres  du  suicide,  de  la  mort,  de  lenfer.  J'ai 
trop  confiance  dans  votre  raison  et  dans  votre  foi 
pour  penser  que  jamais  vous  succomberez  à  la  plus 
perfide  et  à  la  plus  fatale  de  toutes  les  tentations,  la 
tentation  du  désespo  ir.  Mais  si  un  jour  vous  deviez 
subir  ses  assauts ,  résistez  au  plus  malfaisant 
de  tous  les  démons  ;  rappelez-vous  les  pensées 
que  m'inspirent  ce  soir  l'amour  de  vos  âmes  et  le 
souci  de  mon  ministère;  rappelez-vous  dans  l'abat- 
tement qui  succède  à  vos  fautes  et  dans  l'extrémité 
de  vos  malheurs,  que  chercher  un  asile  dans  le 
désespoir,  c'est  chercher  la  vie  dans  la  mort,  la 
consolation  dans  la  plus  incurable  souffrance  et  la 
béatitude  dans  la  dernière  des  infortunes.  Aux 
heures  de  ruine,  de  détresse,  aaffliction,  rattachez- 
vous  à  la  belle  vertu  que  Dieu  a  déposée  en  nous 
pour  nous  défendre  contre  tops  les  découragements, 
confiez-vous  au  Christ  trahi,  abandonné,  crucifié, 
mourant,  et  adressez-lui  ces  paroles  d'inébran- 
lable confiance  :  «  Quand  même  vous  me  tueriez, 
j'espérerais  en  vous.  Etiamsi  occiderit  me,  in  ipso 
sperabo  (1).  »  Ainsi  soit-il. 

(1)  Job.  XIII,  15. 


CDATRIÈME  INSTRUCTION 


lEUDI  SAINT 


LÀ  GENÈSE 
ET  LES  SUITES  DE  LA  PRÉSOMPTION 


SOMMAIRE 

Caractères  de  la  présomption.  Sa  genèse  et  ses  suites, 
p.  237-238. 

r 

L'orgueil  est  la  cause  de  la  présomption. 

a)  Si  le  présomptueux  s'appuie  uniqueinent  sur  lui-même 
pour  réaliser  sa  destinée,  c'est  parce  qu'il  veut  avoir  toute  la 
gloire  de  son  succès.  Constatation  de  cet  orgueil  dans  diverses 
catégories  d'iiommes  et  même  de  Chrétiens.  Cet  orgueil  vient 
de  ce  que  l'homme  s'estime  tant  lui-même  qu'il  croit  pouvoir 
remplir  le  rôle  réservé  à  Dieu,  p.  238-240. 

b)  Si  la  présomption  se  confie  témérairement  à  Dieu  en  es- 
pérant le  pardon  sans  repentir  et  la  gloire  sans  mérite,  elle 
vient  encore  de  l'orgueil.  Elle  suppose  l'homme  si  grand  que 
Dieu  sacrifiera  tout  l'ordre  de  sa  Providence  et  de  sa  justice 
pour  nous  sauver  et  s'assurer  notre  société.  Exorbitante 
prétention  de  certains  hommes  vis-à-vis  de  Dieu,  p.  240-241. 

II 

Les  suites  de  cette  double  présomption  sont  également 
pernicieuses. 

1.  — a)  Le  présomptueux  qui  se  confie  trop  en  lui-même  est  un 
élément  de  trouble  et  de  division  dans  la  société  chrétienne, 
parce  qu'il  a  la  prétention  d'imposer  à  tous  ses  systèmes,  ses 
idées.  Attitude  impéri(;use  qu'il  prend  vis-à-vis  de  ses  égaux^ 
vis-à-vis  de  "^es  supérieurs.  Quand  on  refuse  de  s'incliner  de- 
vant sa  volonté,  il  s'irrite,  il  intrigue,  il  sème  partout  la  dé- 
fiance et  la  zizanie,  etc.,  p.  241-243. 

6)  L'échec  absolu  est  la  seconde  conséquence  de  cette  pré- 
somption. L'homme  ne  peut  |>as  se  sauver  tout  seul.  S'il  re- 
fuse l'appui  lie  Dieu  il  est  voué  à  l'insuccès,  if  ne  peut  que 
manquer  sa  destinée  DéoDuragcment  qui  siiit  celle  pre'somp- 
tion,  p.  24^3  244. 

2.  —  La  pr.'somption  qui  se  fi»;témérairemeiilen  Dieu  aboutit: 
a)  Au  relard  de  la  conversion.  AviMiglemcnt  que  su|)pose  ce 


236  l'espérance 

retard.  Surprises  auxquelles  on   est  exposé.  Mort  soudaine, 
p.  244-240. 

b)  A  la  persévérance  dans  le  mal.  La  présomption  arrivée  à 
son  dernier  degré,  comme  dans  Luther,  ne  s'inquiète  ni  de 
repentir,  ni  de  mérite.  Etat  laïueatable  de  1  âme  présomp- 
tueuse,  p.  240. 

c)  Au  désespoir.  Si  le  voile  se  déchire  un  jour,  le  présomp- 
tueux est  cfîrayé  et  il  considère  comme  impossible  le  salut 
(ju'il  avait  jusque-là  cru  très  facile,  p.  246-247. 

C'est  à  l'école  de  l'humilité  que  nous  apprenons  à  nous  dé- 
fier justement  de  nous-mêmes,  à  penser  que  Dieu  n'a  pas 
besoin  de  nous,  à  craindre  les  surpfises  de  la  mort,  à  fuir  les 
conseils  de  la  présomption,  p.    247-248. 


quâtriëmc  instruction 


JEUDI  SAINT 


LA.  GENESE 
ET  LES  SUrrES  DE  LA  PRÉSOMPTION 


Prsesumentes  de  se  et  de  sud 
virtule  gloriantes  humilias. 

Vous  humiliez  ceux  qui  présu- 
ment trop  d'eux-mêmes  et  qui  se 
glorifîent  de  leurs  propres  forces. 

{Judith,  VI,  15.) 


Messieurs, 

La  présomption  est  une  espérance  égarée,  une 
espérance  excessive  qui  nous  excite  à  trop  compter 
sur  nous  ou  à  compter  d'une  manière  déréglée 
sur  Dieu.  Loisque  Thomme  compte  sur  lui-même 
plus  qu'il  ne  convient,  il  offense  directement,  vous 
ai  je  dit,  la  magnanimité,  verlu  destinée  à  pour- 
suivre de  grands  desseins  en  disposant  de  grands 
moyens,    indirectement    il    froisse    l'espérance    en 


238  l'espérance 

lui  retirant,  pour  le  placer  en  soi,  l'appui  qu'elle 
doit  placer  en  Dieu.  Lorsque  l'homme  s'appuie  sur 
Dieu  pour  faire  son  salut  sans  respecter  l'ordre 
auquel  Dieu  a  soumis  le  don  de  lui-même  et  de  la 
béatitude,  il  blesse  directement  l'espérance  en 
diminuant  la  puissance,  en  abusant  de  la  bonté,  en 
supprimant  la  justice  de  l'Etre  éternel.  Je  dois 
aujourd'hui,  pour  achever  mon  enseignement,  vous 
parler  de  la  genèse  et  des  suites  de  celte  double  pré- 
somption. 


I 


La  cause  de  la  présomplion  considérée  sous  ses 
diverses  formes,  c'est  l'orgueil  qui  est  plus  ou 
moins  grave  selon  l'importance  du  désordre  qu'il 
produit. 

Quand  il  prétend  arriver  au  bonheur  par  ses  pro- 
pres forces  et  suffire  à  le  mériter  par  ses  vertus 
personnelles,  le  présomptueux  s'inspire  évidemment 
de  l'orgueil  et  de  la  vanité.  C'est  parce  qu'il  entend 
avoir  toute  la  gloire  de  son  salut  et  de  son  succès, 
c'est  parce  qu'il  ne  veut  pas  partager  cette  gloire 
même  avec  Dieu  qu'il  entreprend  de  poursuivre  sa 
fin  sans  demander  secours  à  personne  :  il  n'a  pas 
besoin  des  moyens  surnaturels  que  la  religion  offre 
aux  faibles  pour  parvenir  à  la  connaissance  de 
la  vérité,  à  la  pratique  de  la  justice,  à  la  vision  face  à 
face  et  à  la  possession  de  l'Infini.    Cette  disposition 


QUATRIÈME   INSTRUCTION  239 

nous  la  retrouvons  dans  tous  ces  hommes  qui  affi- 
chent la  résolution  de  s'affranchir  de  toute  autorité 
extérieure,  d'acquérir  toute  science  par  leur  seul 
effort,  de  n'accepter  que  les  idées  émanées  de  leur 
propre  esprit,  d'éclairer  le  monde  par  la  lumière 
qu'ils  auront  découverte,  de  transformer  la  société 
par  l'application  des  systèmes  dont  ils  auront 
été  les  inventeurs;  nous  la  retrouvons  dans  ces 
chrétiens  qui,  ne  tenant  à  peu  près  aucun  compte  en 
pratique  de  l'élément  surnaturel  dans  la  préparation 
du  royaume  des  cieux,  s'appuient  sur  leur  généro- 
sité native,  sur  l'énergie  de  leur  volonté  comme  sur 
la  puissance  principale  d'où  ils  attendent  leur 
triomphe  en  cette  vie  et  dans  l'autre;  nous  la 
retrouvons  dans  les  théoriciens  de  toutes  sortes  qui 
espèrent  dans  le  régime  intellectuel,  politique,  social, 
économique  de  leur  choix  pour  restaurer  l'ordre 
moral  et  rendre  à  la  Religion  la  place  prépondérante 
qui  lui  appartient.  S'ils  ont  en  eux-mêmes  cette 
confiance  excessive,  s'ils  vont  jusqu'à  s'attribuer  un 
rôle  qui  ne  convient  qu'à  Dieu,  s'ils  disent  implicite- 
ment, comme  l'ange  des  premiers  jours  :  «  Je  m'élè- 
verai sur  mes  propres  ailes  jusqu'au  ciel  et  je  serai 
semblable  au  Très-Haut»;  n'est-ce  pas  qu'ils  s'esti- 
menttrop  eux-mêmes,  qu'ils  s'exagèrent  leur  puis- 
sance, qu'ils  méconnaisseut  la  disproporliou  qui 
existe  entre  le  but  poursuivi  et  les  moyens  dont  ils 
disposent,  n'est-ce  pas,  en  un  mot,  que  leur  pré- 
somption suit  leur  orgueil,  qu'ils  sont  téméraire- 


240  l'espérance 

ment  présomptueux  parce  qu'ils  sont  follement 
orgueilleux,  qu'ils  ne  se  guériront  du  premier  mal 
qu'en  se  guérissant  du  second? 

La  présomption  sous  sa  seconde  forme  nous  per- 
suade, vous  ai-je  dit,  que  Dieu  nous  sauvera,  même 
si  nous  ne  correspondons  pas  à  sa  grâce,  même  si 
nous  négligeons  toutes  les  bonnes  œuvres  et  si  nous 
nous  plongeons  dans  le  mal  sans  essayer  de  nous 
contenir,  même  si  nous  attendons  le  dernier  moment 
pour  nous  convertir  ;  elle  nous  persuade,  quand 
elle  arrive  à  son  dernier  degré  de  gravité,  que  Dieu 
nous  pardonnera,  même  si  nous  ne  lui  témoignons 
aucun  repentir  de  nos  fautes,  qu'il  nous  couronnera, 
même  si  nous  n'avons  pas  combattu,  qu'il  nous 
paiera,  même  si  nous  n'avons  pas  travaillé,  qu'il 
nous  récompensera,  même  si  nous  ne  l'avons  pas 
mérité.  L'orgueil  nourrit  cette  seconde  présomption 
comme  il  nourrit  la  première.  Supposer  en  effet, 
que  nous  sommes  tellement  grands,  tellement  né- 
cessaires à  Dieu,  que  Dieu  ne  se  résignera  jamais 
à  se  passer  de  nous,  comme  s'il  avait  besoin 
de  nous,  comme  s'il  trouvait  en  nous  sa  gloire  et 
son  bonheur  plus  qu'en  lui;  supposer  que,  pour 
s'assurer  notre  compagnie,  Dieu  oubliera  les  lois  de 
sa  justice,  l'ordre  de  sa  Providence,  et  que,  en 
somme,  il  se  résignera  aux  concessions  les  plus  in- 
dignes de  sa  majesté  en  vue  de  ne  pas  se  séparer 
de  nous,  n'est-ce  pas  le  dernier  mot  de  l'orgueil? 
Or  nous  avons  entendu  ces  présomptueux  prononcer 


QUATRIÈME   INSTRUCTION  5  il 

avec  assurance  que   Dieu,  s'il  existe,   s'honorerait 
en   les   invitant,    quoi    qu'ils    eussent    fait,    à    son 
foyer,  que  le  désir  de    converser  avec  eux  et  pour 
ainsi   dire   de  profiter  de  leurs  lumières  l'empor- 
terait en  lui  sur  le  devoir  de  punir  leurs  crimes, 
qu'il  sentirait  sa  justice  désarmée  par  le  concours 
bénévole  de  leur  science  et  de  leurs  vertus.  Nous 
les  avons  entendus  répéter  que  Dieu  serait  si  flatté 
de  les  recevoir  qu'il  ne  s'inquiéterait  pas  de  savoir 
s'ils  ont  bien  ou  mal  fait,  s'ils  ont  été   saints  ou 
misérables,  mais  qu'il  se  hâterait  de  les  accueillir 
avec  empressement  et  de  les  introduire  dans  un 
royaume  dont  ils  seront  un  ornement  indispensable. 
Oui,  l'orgueil,  par  un  phénomène  assez   incompré- 
hensible,   en  arrive  à    cet    aveuglement,  à  penser 
que    l'homme    est    plus    nécessaire    à    Dieu    que 
Dieu  n'est  nécessaire  à  l'homme,  à  cette  folie  que 
l'homme  pourrait  sans  trop  d'inconvénients  se   sé- 
parer de  Dieu,   mais  que  Dieu   ne  pourrait  pas   se 
séparer  de  l'homme,  surtout  de  l'homme  de  génie, 
sans  déchoir  et  sans  devenir  malheureux.  Orgueil 
colossal  qui   donne    naissance  à   une  présomption 
ridicule  et  extravagante,  à  une  présomption  ijue  les 
docteurs  rangent   parmi  les   péchés  contraires    au 
plus  élémentaire  bon  sens  et  au  Saint-Esprit. 

Il 

Quelles   peuvent  être  après  cela.  Messieurs,  les 
suites  do  la  présomption? 

LESl'KUANCE.    —    16. 


242  l'espérance 

Le  présomptueux,  qui  compte  sur  lui-même  pour 
se  sauver  et  pour  sauver  les  autres,  est  dans  la  so- 
ciété chrétienne  un  élément  de  trouble  et  de  dis- 
corde, voilà  la  première  conséquence  de  son  péché. 

Il  n'attend  pas,  en  effet,  de  la  grâce  de  Dieu  le 
salut  de  sa  personne,  le  salut  de  ses  semblables,  la 
régénération  du  monde,  il  les  attend  de  l'idée  qu'il 
a  découverte,  de  la  méthode  et  du  système  qu'il  a 
inventés.  Il  pense  que  l'avenir  est  compromis,  que 
les  âmes  sont  en  danger  si  l'on  ne  se  rallie  pas  à  sa 
philosophie,  à  ses  conceptions  politiques  et  sociales, 
que  le  royaume  de  Dieu  menace  ruine,  si  les  indi- 
vidus, si  l'Eglise  ne  suivent  pas  sa  tactique.  Il  faut 
marcher  à  sa  remorque  ou  se  résigner  à  des  échecs 
dans  lesquels  la  religion  perdra  tout  son  prestige,  le 
Christ  toute  son  influence,  l'Evangile  toute  son  auto- 
rité. Convaincu  de  son  infaillibilité  personnelle,  sûr 
que  quiconque  ne  le  sert  pas  avec  ardeur  trahit  le 
ciel  et  l'humanité,  il  essaie  par  mille  moyens  de 
s'imposer  à  ses  inférieurs,  à  ses  égaux,  à  ses  chefs. 
Lorsqu'on  lui  refuse  la  confiance  absolue  qu'il  de- 
mande, il  s'indigne,  il  s'agite,  il  se  remue,  il  accuse, 
il  maudit.  Si  l'autorité  qui  a  la  garde  des  âmes  ne 
s'incline  pas  devant  lui,  ou  bien  il  se  révolte  ouver- 
tement, ou  bien  il  conspire  secrètement.  Ouverte- 
ment révolté,  il  déchire  l'unité  catholique  en  entraî- 
nant dans  sa  fortune  les  esprits  qu'il  a  séduits  : 
c'est  l'histoire  de  tous  les  hérétiques  qui,  pleins  d'une 
confiance  tcmérnire  dans  leur  génie  et  mettant  leur 


QUATRIÈME   INSTRUCTION  243 

jugement  au-dessus  des  jugements  de  l'Église,  n'ont 
pas  hésité,  pour  faire  triompher  leur  idée,  à  boule- 
verser le  monde,  à  ameuter  contre  le  C-lirist  les  pou- 
voirs séculiers,  à  demander  du  secours  à  l'impiété, 
à  la  haine,  à  la  violence.  Secrètement  résolu  à  l'oppo- 
sition, le  présomptueux  répand  la  zizanie  dans  le 
champ  du  Seigneur,  il  sème  la  défiance  contre  ceux 
qui  sont  chargés  de  gouverner  les  fidèles,  il  rend  leurs 
actes  suspects,  il  en  révoque  en  doute  la  valeur  obliga- 
toire ou  l'authenticité,  par  ses  menées  il  entretient 
le  malaise,  il  jette  partout  le  trouble  et  la  dissen- 
sion. Descendez  dans  son  cœur,  vous  découvrirez 
au  principe  de  sa  conduite  la  prétention  de  parer  à 
tous  les  maux  et  d'assurer  le  triomphe  du  bien 
par  son  action  personnelle,  vous  vous  apercevrez 
qu'il  a  confiance  dans  la  vertu  de  ses  œuvres  plus 
que  dans  la  prière,  plus  que  dans  les  sacrements, 
plus  que  dans  la  grâce,  plus  que  dans  le  Christ, 
plus  qu'en  Dieu  lui-même,  qu'il  préfère  voir  le 
monde  périr  que  de  le  voir  sauvé  par  un  autre 
que  lui.  Puisse  la  Providence  dissiper  la  nuée  des 
docteurs,  des  prophètes  présomptueux  qui  opèrent, 
aujourd'hui  comme  toujours,  de  si  grands  ravages 
dans  la  vigne  du  Père  céleste,  et  qui  par  leur  intolé- 
rable orgueil  nuisent  si  gravement  à  la  paix  iiilel- 
Icctuelle  et  morale  apportée  sur  la  terre  par  le 
Sauveur. 

L'échec  absolu  est  la  seconde    conséquence  de 
cette  prcniièro  pr(''sninp(ion.  i/iioinnie  (|ui  repoiis'^" 


244  l'espérance 

le  secours  de  Dieu  pour  ne  s'appuyer  que  sur  lui- 
même  manque  fatalement  sa  destinée.  Il  tombe 
sous  la  condamnation  du  Christ  qui  a  dit  en  parlant 
de  l'ordre  surnaturel  :  «  Sine  we,  niliil  potestis 
facere,  sans  moi,  vous  ne  pouvez  rien  faire.  »  Le 
Seigneur  assiste  au  spectacle  de  cet  être  qui  veut 
atteindre  par  sa  seule  intelligence,  par  sa  seule 
volonlé,  la  suprême  vision  et  la  suprême  gloire,  qui 
vit  secrètement  de  cet  etfort  stérile,  enfantin;  il 
attend  le  dernier  jour  pour  proclamer  l'insuccès 
inévitable,  définitif  du  présomptueux  qui  a  rêvé  de 
se  passer  de  la  cause  première  dans  l'œuvre  du 
salut  éternel. 

Le  présomptueux,  qui  s'appuie  sur  la  bonté  de 
Dieu  sans  penser  à  sa  justice,  se  donne  d'abord  à 
lui-même  un  motif  de  retarder  sa  conversion. 

Par  une  disposition  qui  est  la  conséquence  fatale 
de  son  état  d'esprit,  il  remet  au  lendemain  les  déci- 
sions qui  s'imposent  à  lui  sur  le  champ.  E^st-il 
jeune?  11  considère  qu'il  a  devant  lui  un  long  avenir, 
qu'il  lui  reste  premièrement  beaucoup  de  temps  pour 
s'abandonner  à  ses  instincts,  puis  beaucoup  de 
temps  pour  changer  ses  sentiments  et  sa  vie,  et  il  se 
comporte  comme  s'il  était  à  l'abri  d'une  mort  pré- 
maturée. Est-il  dans  Tàge  mûr?  H  calcule  q.u'il  a 
toutes  les  chances  de  parvenir  à  la  vieillesse,  que 
pendant  les  années- qui  lui  reslent  il  aura  tout  le 
loisir  de  penser  à  son  avenir  éternel.  Ses  cheveux 


QUATRIÈME    INSTRUCTION  245 

ont-ils  blanchi?  Il  se  promet  encore  de  longs  jours, 
il  ne  conçoit  pas  que  Dieu  puisse  venir  le  frapper 
sans  le  prévenir  et  il  attend  un  signe  du  ciel  pour  se 
préparer  au  jugement.  11  ne  réllécliit  pas  que  Dieu 
a  tempéré  ses  promesses  par  ses  menaces,  qu'il  a 
proposé,  selon  le  mot  de  saint  Augustin,  le.  pardon 
aux  désespérés  pour  ranimer  leur  confiance,  que, 
pour  intimider  les  présomptueux  et  pour  les  émou- 
voir, il  a  rendu  le  moment  de  leur  mort  incertain 
et  leur  a  prédit  qu'il  viendrait  les  surprendre  comme 
un  voleur  (1).  A  chaque  instant,  Messieurs,  n'assis- 
tons-nous pas  à  la  déception  du  présomptueux?  Ne 
le  voyons-nous  pas,  qu'il  soit  au  début,  au  milieu, 
à  la  fin  de  la  vie,  disparaître  soudain  avant  môme 
d'avoir  songé  qu'il  touchait  au  terme  ?  Ne  l'enten- 
dons-nous  pas,  quand  il  est,  de  l'avis  de  tous,  frappé 
mortellement,  remettre  à  plus  lard  son  retour  vers 
Dieu,  former  des  projets  comme  s'il  avait  une  éter- 
nité devant  lui  et  descendre  au  tombeau  sans  y 
penser  et  sans  avoir  rien  fait  pour  se  préparer  au 
jugement  qui  l'attend?  Ah!  sans  doute,  la  miséri- 
corde qu'il  a  toujours  invoquée  pour  justifier  son 
incroyable  négligence  ne  lui  manquera  pas,  mais 
la  justice  dont  il  n'a  tenu  aucun  compte  renoncera- 
t-clle  à  ses  droits?  L'on  tremble  en  assistant  à  cer- 
taines agonies  et  en  pensant  que,  par  suite  d'une 
confiance  téméraire,  tant  d'ùmes  ont  vécu  pendant 

(1)  Saint  Alxlstin.  De  Verbis  Domini,  1.  III,  sermo  x. 


246  l'espérance 

cinquante,  soixante,  quatre-vingts  ans  sans  s'inquié- 
ter de  leur  éternité  ! 

Si  le  présomptueux,  docile  sans  lesavoirpeut-être, 
mais  docile  aux  enseignements  de  Luther,  s'ima- 
gine que  l'on  obtient  le  pardon  sans  se  repentir,  et 
la  gloire  sans  l'avoir  méritée,  il  ne  reconnaît  plus 
même  la  nécessité  de  se  convertir,  fût-ce  au  der- 
nier moment.  11  persévère  dans  le  mal  jusqu'à 
la  fin,  il  s'abandonne  à  ses  passions  sans  s'in- 
quiéter d'un  lendemain  qui  ne  peut  être  qu'heu- 
reux, et  il  s'endort  dans  une  paix  d'autant  plus 
profonde  qu'elle  est  plus  trompeuse.  Poussée  à 
son  dernier  degré  la  présomption  entretient  une 
insensibilité  qui  ne  s'émeut  ni  de  la  mort,  ni 
du  jugement,  une  sécurité  qui,  s'autorisant  de  la 
bonté  infinie,  bannit  de  l'âme  l'idée  de  la  justice 
éternelle.  Oh!  que  je  crains  le  tribunal  suprême 
pour  tous  ces  malheureux  qui,  s'étant  livrés  à  leurs 
passions  et  s'y  étant  livrés  jusqu'à  leur  dernière 
heure,  sous  prétexte  que  la  miséricorde  de  Dieu 
est  infinie,  n'ont  pas  même  essayé  de  laver  leur 
passé  par  une  larme,  ni  de  préparer  leur  ave- 
nir par  un  regret,  par  une  aspiration  sincère  vers  le 
bien! 

Mais  il  arrive  que  le  présomptueux  se  rend 
compte  de  son  erreur  et  que  la  crainte  excessive 
de  la  justice  succède  en  son  cœur  à  la  confiance 
exagérée  dans  la  miséricorde.  Il  arrive  que  tout  à 
coup  le  voile  qui  lui  cachait  la  vérité  se  déchire,  que 


QUATRIÈME   INSTRUCTION  247 

ses  fautes  qui  lui  semblaient  sans  importance  se 
présentent  à  ses  yeux  sous  leur  véritable  physio- 
nomie et  l'épouvantent  par  leur  nombre  et  par  leur 
gravité.  Il  arrive  qu'il  est  frappé  de  ce  que,  néant,  il 
ait  osé  s'élever  contre  Dieu,  lui  qui  avait  vécu  de  la 
pensée  que  Dieu  ne  pouvait  pas  s'élever  contre  un 
néant,  il  arrive  que,  s'étant  imaginé  d'abord  que 
rien  ne  peut  épuiser  la  miséricorde,  il  s'imagine 
maintenant  que  rien  ne  peut  fléchir  lajustice,  il  arrive 
qu'au  lendemain  du  jour  où  il  a  cru  Dieu  incapable 
de  punir,  il  le  croie  par  un  revirement  extrême 
incapable  de  pardonner,  il  arrive  en  un  mot  que 
de  la  présomption  l'homme  tombe  dans  le  déses- 
poir. Il  suffit  pour  cela,  d'un  côté,  que  la  conscience 
se  réveille  et  lui  montre  l'indignité  de  sa  conduite, 
de  l'autre,  que  le  malheureux  soit  frappé  par  l'idée 
de  la  justice  sans  penser  à  la  bonté.  On  trouve 
fréquemment  dans  les  choses  humaines  ce  passage 
de  la  folle  prétention  au  découragement  absolu, 
on  le  constate  aussi  dans  les  choses  divines. 

Si,  Messieurs,  l'orgueil  est  la  véritable  cause  de 
la  présomption  qui  blesse  si  gravement  l'espérance, 
pour  garder  l'espérance  cultivons  l'humilité  qui  se 
mêle  à  toutes  les  vertus.  A  l'école  de  l'humilité  nous 
apprendrons  à  nous  défier  justementde  nous-mêmes, 
de  nos  idées,  de  nos  œuvres,  de  nos  méthodes, 
de  nos  systèmes,  et  nous  nous  souviendrons  que 
nous  puisons  en  Dieu,  nou  en  nous,  la  force  de  vivre 


2  i8  l'espérance 

saintement  sur  la  terre  et  de  nous  élever  au  ciel, 
qu'il  faut  demander  à  la  prière,  à  la  pénitence,  à 
l'Eucharistie  l'énergie  dont  nous  avons  besoin  pour 
mettre  en  œuvre  TEvangile  et  pour  mériter  le 
bonheur  éternel. 

A  l'école  de  l'humilité  nous  apprendrons  que  Dieu 
n'a  pas  besoin  de  nous  et  que  c'est  par  bonté,  qu'il 
partage  avec  nous  sa  gloire,  nous  apprendrons  qu'il  a 
le  droit  d'exiger  que  nous  employions  toute  la  vie 
présente  à  préparer  la  vie  future  dont  il  daigne  nous 
promettre  la  possession,  qu'il  a  le  droit  d'exiger  de 
nous  le  repentir  après  avoir  supporté  nos  offenses, 
et  le  mérite  avant  de  nous  conférer  la  béatitude. 

A  l'école  de  l'humilité  enfin,  nous  apprendrons  à 
craindre  les  surprises  de  la  mort,  à  nous  comporter 
comme  si,  à  chaque  instant,  nous  pouvions  être 
appelés  à  rendre  nos  comptes  au  tribunal  du  souve- 
rain Juge,  en  un  mot  à  suivre  tout  l'ordre  deles- 
pérance  et  à  repousser  tous  les  conseils  de  la  pré- 
somption. Ainsi  soit-il 


CINQUIÈME  INSTRUCTION 


VENDREDI  SAINT 


TYPES  DE  PRÉSOMPTION,  DE  DÉSESPOIR 

ET   D'ESPÉR4NCE 

DANS  LA  PASSION  DE  Jii  S  US-CHRIST 


SOMMAIRE 

La  Passion  de  Jésus-Christ,  résumé  de  l'histoire  religieuse 
et  morale  de  l'humanité.  Heurt  de  tous  les  vices  et  de  toutes 
les  vertus.  Apparition  de  la  présomption  dnns  les  Pharisiens, 
du  désespoir  dans  Pilate  et  dans  Hcrode,  de  Tespérance  dans 
la  Sainte  Vierge  et  dans  les  saintes  femmes.  Nécessité  de 
limiter  le  sujet.  Choix  de  trois  types  de  présomption,  de 
désespoir,  d'espérance  :  saint  Pierre,  Judas,  le  bon  lar- 
ron, p.  253-254. 

I 

La  Présomption  de  saint  Pierre. 

a)  Attitude  de  Pierre  la  veille  de  la  Passion,  ses  affirma- 
tions téméraires.  Avertissements  réitérés  de  Notrc-Siîigneur. 
Confiance  excessive  de  Pierre  en  lui-même,  p.  2.54-2f)6. 

6)  On  trouve  dans  l'apôtre  tous  les  caractères  du  présomp- 
tueux. Pierre  compte  d'une  manière  exagérée  sur  lui-même, 
il  s'élève  au-dessus  des  autres,  il  fait  abstraction  du  secours 
de  Jésus,  et  c'est  en  vain  que  Jésus  s'efforce  de  le  ramener  à 
des  sentiments  d'humilité,  p.  256-2o8. 

c)  Châtiment  de  la  présomption.  Première  défection  de 
Pierre  au  jardin  des  oliviers.  Seconde  défection  au  moment 
de  l'arrestati  )n  du  Sauveur,  que  Pierre  ne  suit  plus  que  de 
loin.  Lamentable  reniement  de  Pierre  dans  le  palais  du  grand 
prêtre.  Comment  l'humilité  rendit  Pierre  plus  fort  que  la  pré- 
somption, p.  2.-i8-262. 

II 

Le  Désespoir  de  Judas. 

a)  L'avarice  fiitlacanst;  du  désespoir  de  Judas.  Ii"s  avis  de 
Notre-Seigneur  n'ont  pas  raison  de  cette  passion,  qui  en  Judas 
fait  de  rapides  progrès  L'avarice  conduit  peu  à  peu  Judas 
au  dégoût  <lcs  choses  divines,  à  l'incréihilili'',  à  la  trahisou  du 
Maître,  p.  202-204. 

b)  Le  désespoir  est  déjà   en    ncrmc   ilans   cette    àmc,  car 


252  l'espérance 

désespérer  c'est  s'éloigner  des  choses  divines  et  Ic^  repous- 
ser. —  Judas  ne  réagit  pas,  il  est  envahi  par  la  tristesse  qui 
est  un  principe  de  désespoir.  Tristesse  sombre  de  Judas.  — 
Judas  franchit  le  dernier  pas,  et  il  considère  son  salut  comme 
plus  impossible  à  mesure  qu'il  est  plus  infidèle.  —  Enfin  le 
désespoir  éclate.  Peinture  de  ce  désespoir  qui  conduit  Judas 
au  suicide,  p.  264-268. 

III 

L'Espérance  du  bon  larron. 

1.  —  a)  Situation  douloureuse  du  bon  larron.  Emotion  du 
misérable  quand  il  contemple  le   Sauveur,  p.  268-270. 

b)  En  entendant  la  prière  de  Jésus,  il  sent  renaître  en  lui 
l'espérance.  11  se  reproche  ses  crimes,  il  les  confesse  ouver- 
tement, il  en  accepte  l'expiation,  p.  270-271. 

c)  A  quel  degré  il  compte,  pour  son  salut,  sur  la  puissance, 
sur  la  bonté,  sur  la  miséricorde  de  iNotre-Seigneur,  p.  271-272. 

2.  —  a)  Réponse  de  Notre-Seigncur.  11  fait  des  promesses 
spéciales  au  bon  larron.  11  lui  promet  pour  le  jour  même  le 
paradis,  p.  272. 

b)  Joie  du  bon  larron  pénétré  par  l'espérance.  Sa  sainte 
mort,  p.  273, 

Leçons  pour  les  chrétiens.  Ce  que  l'on  apprend  en  médi- 
tant sur  la  présomption  de  Pierre,  sur  le  désespoir  de  Judas. 
Ce  que  l'on  apprend  à  l'école  du  bon  larron,  p.  273-274. 


CINQUIÈME  INSTRUCTION 


VENDREDI  SAINT 


TYPES  DE  PRÉSOMP  nON,  DE  DÉSESPOIR 

ET  D'ESPÉRANCE 
DANS  LA  PASSION  DE  JÉSUS-CHRIST 


Domine,  memenlo  mi-i,  citm  vc- 
neris  in  refjnum  tuum. 

Souvenez-vous  de  moi,  Seigneur, 
quand  vous  serez  arrivé  dans  votre 
royaume. 

(Luc.  XXIII,  42). 

Eminentissime  Seigneur,  (1) 
Messieurs, 

La  Passion  de  Jésus-Christ  est  comme  un  résumé 
de  l'histoire  religieuse  et  morale  de  l'humanilé  :  la 
lutte  entre  le  hien  et  le  mal  y  éclate  si  violente 
qu'elle  n'a  jamais  paru  plus  tragique.  La  foi  et  Tin- 
crédulité  s'y  heurtent,  la  haine  s'y  .insurge  contre 
l'amour;  chaque  vice  et  chaque  vertu  s'y  mani- 
festent en    des    actes    inoubliables.    Si    je    voulais 

(1)  s.  E.  M''  le  Cardinal  Amélie,  archevcV|uo  do  Pari». 


234  f/espérance 

signaler  à  votre  attention  tout  ce  qui  dans  ce  drame 
intéresse  l'espérance,  je  devrais  descendre  dans  le 
cœur  des  Pharisiens  pour  y  flétrir  la  présomption 
arrogante  qui  essaie  de  substituer  Thomme  à 
Dieu,  je  devrais  vous  montrer  le  désespoir  dans 
l'âme  de  Pilate  qui  renonce  à  la  connaissance 
de  la  vérité ,  dans  la  conscience  d'Hérode  qui 
dissimule  sous  les  paroles  d'une  ironie  affectée 
ses  secrètes  terreurs,  dans  le  larron  impénitent  qui 
expire  en  blasphémant,  je  devrais  vous  découvrir 
sur  le  front  béni  de  la  Vierge  et  des  saintes  femmes 
le  rayonnement  de  la  belle  vertu  qui  les  soutient, 
qui  les  console  et  dont  je  vous  ai  entretenu,  durant 
cette  station. 

Mais  ce  cadre  est  trop  large  et  pour  le  remplir  je 
devrais  m'élendre  trop  loin.  Permettez-moi  donc  de 
le  restreindre  et  de  présenter  seulement  à  vos  médi- 
tations trois  types  :  un  type  de  la  présomption,  saint 
Pierre;  un  type  du  désespoir.  Judas;  un  type  de 
l'espérance,  le  bon  larron. 


I 


C'était  à  la  fin  de  la  Cène,  Jésus  et  ses  apôtres 
avaient  chanté  l'hymne  de  l'action  de  grâces  et  pre- 
naient le  chemin  qui  conduit  au  jardin  des  oliviers. 

Les  paroles  du  Sauveur  étaient  empreintes  d'une 
mélancolie  grave  et  respiraient  je  ne  sais  quoi 
de    douloureux   qui   impressionnait  ses    disciples; 


CINQUIÈME   INSTRUCTION  255 

Pierre  ne  put  taire  son  inquiétude  :  «  Seigneur 
dit-il  brusquement,  où  allez- vous  donc?  Domine, 
quo  vadis  (1)?  »  Jésus  répondit:  «  Vous  ne  pouvez 
pour  l'instant  me  suivre  où  je  vais,  vous  me  suivrez 
plus  tard  (2).  »  L'émotion  de  Pierre  s'accrut  : 
«  Et  pourquoi,  s'écria-t-il  vivement,  ne  pourrais-je 
vous  suivre?  Ma  vie  n'est-elle  pas  à  votre  disposi- 
tion? Animam  meam  pro  te pono  (3).  »  Alors,  le 
Maître,  précisa  sa  pensée  en  ces  termes  :  «  Simon, 
Simon,  voilà  que  Satan  vous  a  réclamés  pour  vous 
passer  au  crible  comme  le  froment,  mais  j'ai  prié 
pour  toi  (4).  »  Pierre  ne  voulut  rien  entendre,  il 
poursuivit  :  «  Seigneur,  je  suis  tout  prêt  à  subir  avec 
vous  la  prison,  à  marcher  avec  vous  à  la  mort  (5).  » 
Jésus  refusa  de  céder,  et  il  ajouta  sur  un  ton 
attristé:  «  Tous,  en  ma  personne,  cette  nuit,  vous 
serez  scandalisés,  car  il  est  écrit  :  Je  frapperai  le 
pasteur  et  les  brebis  du  troupeau  seront  disper- 
sées »  (6).  L'impatience  de  saint  Pierre  ne  connut 
plus  de  bornes  :  emporté  par  celte  ardeur  qui  le 
rendait  si  sympathique,  par  cette  imprudence  qui 
le  rendait  si  téméraire,  il  protesta  véhément  et 
presque  indigné:  «  Quand  môme  tous  seraient  scan- 
dalisés, moi  jamais  je  ne  le  serai,  ego   nunquani 


(1)  s.  Jean,  xiii,  36. 

(2)  Ihid. 

(3)  Ihid.,  xiit,  37. 

(4)  S.  Luc,  xxii,  3t. 

(5)  Ihid.,  xxii,  33. 

(6)  S    Matth.,  XXVI,  31. 


236  l'espérance 

scandalizabor  (1).  »  Le  Christ,  devant  cette  assu- 
rance, coupa  court  et  jeta  ces  paroles  tranchantes  à 
Simon:  «  En  vérité,  je  te  le  dis,  cette  nuit,  avant 
que  le  coq  chante,  tu  m'auras  renié  trois  fois  (2).  » 
Simon  ne  laissa  pas  au  Maître  le  dernier  mot,  et 
comme  révolté,  il  répliqua  :  «  Même  s'il  faut  mou- 
rir pour  vous,  je  ne  vous  renierai  pas.  Etiamsiopor- 
tuei-it  me  mofi  tecum,  non  te  negabo  (3).  » 

La  voilà  saisie  sur  le  vif,  cette  présomption  qui 
nous  empêche  dedouterde  nous-mêmes,  de  prendre 
nos  précautions  contre  notre  native  faiblesse,  d'im- 
plorer le  secours  d'une  force  supérieure,  qui  nous 
pousse  à  mettre  notre  confiance  en  nous  et  dans  la 
puissance  de  nos  sentiments  au  lieu  de  la  placer  en 
Dieu  et  dans  sa  grâce.  La  voilà  avec  l'orgueil  qu'elle 
comporte,  celte  présomption  qui  nous  fait  nous 
élever  au-dessus  des  autres  et  croire  que  nous  triom- 
pherons oîi  les  autres  seront  vaincus,  que  nous 
accomplirons  les  œuvres  qu'ils  ne  pourront  pas 
accomplir,  que  nous  supporterons  sans  défaillance 
les  épreuves  où  ils  succomberont,  que  nous  brave- 
rons les  dangers  et  la  mort  devant  lesquels  reculera 
leur  courage.  La  voilà  cette  présomption  qui  aspire 
à  suivre  Jésus-Christ  au  calvaire,  au  Thabor,  au 
supplice,  à  la  gloire,  sans  invoquer  son  appui;  la 
voilà  cette  présomption  qui  maintient  ses    préten- 


(1)  s.  Matth.,  ïxvi,  33. 

(2)  IbiiL,  XXVI,  34. 

(3)  Ibid.,  xxvr,  35. 


CINQUIÈME   INSTRUCTION  257 

tions  aveugles,  sans  tenir  aucun  compte  des  conseils 
de  ceux  qui  nous  connaissent  mieux  que  nous  ne 
nous  connaissons  nous-mêmes,  qui  ferme  nos  oreilles 
aux  avertissements  les  plus  éclairés,  les  plus  graves, 
les  plus  affectueux,  les  plus  désintéressés. 

En  vain,  sur  la  route  de  Gethsémani,  Jésus  pour 
prévenir  la  chute  de  Simon  et  des  autres  apôtres, 
rappela-t-il  que  dans  l'ordre  surnaturel  la  force 
vient  de  Dieu  et  non  de  nous,  que  pouvant  tout  en 
nous  fondant  sur  Dieu,  nous  ne  pouvons  rien  en 
nous  fondant  sur  nous.  En  vain  se  plut-il  à  répéter 
à  ses  compagnons  :  «  Celui-là  seul  qui  met  en  moi 
sa  confiance  fera  ce  que  je  fais.  Qui  crédit  in  nie, 
opéra  qaœego  facio  et  ipse  faciet  (1).  »  En  vain,  à  la 
lueur  des  astres  de  la  nuit  et  des  feux  allumés  pour 
la  moisson,  essaya-t-il,  en  montrant  les  collines 
d'Ophel  parées  de  pampres,  d'inculquer  sa  pensée 
aux  onze  et  de  leur  dire  :  «  Je  suis  la  vigne,  vous 
êtes  les  rameaux;  celui  (jui  demeure  en  moi  et  nie 
permet  de  demeurer  en  lui  portera  beaucoup  de 
fruit,  mais  sans  moi  vous  ne  pourrez  rien  faire  (2).  » 
En  vain  du  ravin  du  Gédron  éleva-t-il  les  yeux  vers 
le  ciel,  et  implora-t-il  en  faveur  de  ses  disciples  le 
secours  du  Père,  indiquant  à  ceux-ci  qu'ils  se  sanc- 
tifieraient en  comptant  sur  la  grâce  et  non  sur  leur 
volonté.  En  vain  au  jardin  des  oliviers  invita- l-il 
l*ierre  à  prier  et  à  veiller  parce  que  la  tentation  cet 

(1)  s.  Jf.an,  XIV,  il. 
{•l)lhid  ,  XV,  5-6. 

l'espérance    —  17. 


2o8  l'espérance 

redoutable  et  parce  qu'il  y  a  loin  de  la  promptitude 
de  l'esprit  à  rinfirmité  de  la  chair.  Pierre  entendit 
ces  paroles  sans  en  comprendre  le  sens,  sans  y  con- 
former sa  conduite,  sans  se  départir  de  sa  folle  pré- 
somption. 

L'humiliation  qui  est  le  châtiment  des  présomp- 
tueux ne  se  fit  pas  attendre  :  elle  devait  être  égale  à 
la  vanité  qui  avait  éveillé  une  si  téméraire  con- 
fiance. Bientôt  le  zèle  de  Pierre  si  affirmatif  fléchit, 
et  se  refroidissant  peu  à  peu  il  finit  par  s'éteindre 
dans  une  lamentable  défection.  Sous  les  arbres 
de  Gethsémani,  en  efl'et,  malgré  les  invitations  de 
Jésus  qui  avait  dit  :  «  Sustinete  hic  et  vigilate 
mecuni.  Restez  ici  pour  me  soutenir  et  veillez  avec 
moi  »,  Pierre  s'endormit  profondément  pendant 
que  le  Sauveur  luttait  dans  la  première  fièvre  et 
dans  le  premier  frisson  de  l'agonie.  Que  de  choses 
renferment  ces  paroles  adressées  par  Jésusàsondis- 
disciple  :  «  Simon,  dormis,  non potuisti  unâ  horâ 
vigilare  mecum.^\m.oji, in  Aov&^iu  n'as  pas  pu  veiller 
une  heure  avec  moi.  »  béjà  Pierre  est  surpris  en 
flagrant  délit  de  négligence  à  l'égard  de  son  Maître. 

Au  moment  de  l'arrestation  de  Jésus,  il  essaya, 
dirait-on,  de  se  ressaisir,  et  emporté  par  sa  fougue 
naturelle,  il  tira  son  épée  et  tenta  de  repousser  par 
la  force  les  ennemis  de  son  Maître.  Mais  que  cette 
intrépidité  inopportune  eut  peu  de  durée!  Quand  le 
Chef    des   Apôtres   vit   le  Sauveur   aux  mains  de 


CINQUIÈME   INSTRUCTION  2;)9 

ses  adversaires,  il  ne  le  suivit  plus  que  de  loin, 
Petrus  autem  sequebatur  a  longe,  il  était  déjà  plus 
retenu  par  la  crainte  qu'entraîné  par  l'amour.  Qu'il 
fallut  peu  de  choses  pour  désorienter  complètement 
un  homme  la  veille  si  ferme  en  apparence,  pour  ré- 
duire à  néant  un  courage  qui  s'était  affiché  avec  tant 
d'assurance  1  On  peut  dire  que  pendant  quelques  ins- 
tants et  jusqu'à  ce  qu'il  eut  reçu  du  Maître  le  regard 
doux,  triste  et  pénétrant  oîi  il  retrouva  la  possession 
de  lui-même,  Pierre  fut  le  jouet  de  tous  les  subal- 
ternes qui  voulurent  abuser  de  sa  faiblesse  et  de  soii 
effroi.  Autant  il  s'était  prononcé  pour  Jésus  au  soir 
de  la  Gène,  autant  par  un  revirement  total  il 
rougit  de  lui  au  matin  de  la  Passion.  Il  entra  dans 
le  palais  du  grand- prêtre  à  la  suite  de  Jean.  Au 
moment  oii  il  en  franchissait  le  seuil,  la  femme  qui 
gardait  la  porte  dévisagea  l'étranger  :  «  N'es-tu  pas 
aussi,  lui  dit-elle,  disciple  de  cet  homme  ?  —  Je  ne  le 
suis  pas  »,  répondit  Pierre,  et  il  passa  rapidement. 
Son  ardeur  était  bien  tombée  :  tout  tremblant,  il 
s'assit  dans  un  groupe  de  valets  qui  se  chauflaient 
au  feu  d'un  buisson  d'épines,  il  garda  le  silence, 
attendant,  dirait-on,  l'issue  du  procès,  avec  moins 
d'intérêt  que  de  curiosité.  Sedebal  ctini  rninis//is, 
Ht  videret  finem.  La  servante  le  rejoignit,  et  le 
regardant  fixement  à  la  lueur  des  (lammes  :  «  Certes, 
reprit-elle,  tu  étais  avec  Jésus  de  Na/arolb.  »  Pierre 
nia  devant  tous  et  murmura  :  «  Je  ne  sais  ce  que  tu 
vi'iix  dire.  »  ('otto  femme  ne  (b'-sumui  pas  et  se  tour- 


260  l'espérance 

nant  vers  les  autres,  elle  continua  :  «  Certainement, 
il  était  avec  lui.  —  Femme,  riposta  l'apôtre,  je  ne 
le  connais  môme  pas.  »  Puis  décontenancé,  il  se 
rapprocha  de  l'entrée.  Mais  une  autre  servante  l'in- 
terpella et  s'adressant  à  ceux  qui  l'environnaient  : 
«  Cet  homme  était  avec  Jésus  de  Nazareth  »,  dit-elle. 
Pierre  protesta,  en  usant  cette  fois  du  serment.  La 
portière  de  son  côté  poursuivait  Pierre,  répétait  à 
qui  voulait  l'entendre  :  «  Il  est  sûr  qu'il  faisait 
partie  de  ces  gens-là.  »  Et  les  témoins  de  ^cette 
scène  soulignaient  les  paroles  de  la  servante,  et 
Pierre  devant  tous  comme  à  chacun  renouvelait  ses 
reniements.  Importuné  par  tant  de  questions 
l'apôtre  revint  au  foyer,  où,  pendant  près  d'une 
heure,  on  le  laissa  en  paix.  Mais  bientôt  il  conversa 
avec  ses  voisins,  alors  les  soupçons  reparurent  et 
s'exprimèrent  de  mille  façons  :  «  Tu  es  bien  un  de 
ses  disciples,  disait  l'un,  ton  accent  te  trahit,  tu 
viens  de  Galilée.  —  Je  t'ai  vu  dans  le  jardin  avec 
lui  »,  disait  l'autre.  A  toutes  ces  apostrophes  embar- 
rassantes qui  pressaient  Pierre  de  confesser  son 
Maître,  Pierre  répondait  par  des  protestations  sans 
nombre,  jurait  avec  indignation  qu'il  ne  compre- 
nait rien  à  ce  qu'on  lui  reprochait,  qu'il  n'avait 
rien  de  commun  avec  Jésus,  qu'il  ne  connaissait 
même  pas  Jésus.  Ses  dénégations  prenaient  peu 
à  peu  une  note  de  colère  éperdue  et  ressem- 
blaient à  je  ne  sais  quelle  réprobation,  à  je  ne  sais 
quel  anathème,  à  je  ne  sais  quelle  malédiction  à 


CINQUIEME  INSmUCTION  261 

l'adresse  du  Maître  divin  qui  pendant  ce  temps-là 
subissait  les  interrogatoires  perfides  du  Sanhédrin, 
les  accusations  des  faux  témoins,  les  soufflets  des 
valets  et  s'entendait  condamner  à  mort  par  le  tribunal 
suprême  d'Israël.  Quelle  volte-face  et  que  de  chemin 
parcouru,  en  apparence,  de  l'assurance  de  la  Cène  à 
l'abandon  injurieux  et  honteux  de  la  cour  du  grand- 
prêtre!  Ah!  Pierre  apprit  à  ses  dépens,  que  l'homme 
qui  ne  compte  que  sur  lui-même  pour  tenir  ses 
promesses,  pour  faire  face  à  ses  devoirs,  pour  braver 
le  mondq,  ne  tarde  pas  à  se  démentir,  à  se  trahir, 
à  se  perdre,  à  scandaliser  par  sa  lâcheté  ceux  qu'il 
avait  la  prétention  d'étonner  par  son  héroïsme. 

En  répandant  les  larmes  amères  qui  ne  cessèrent 
plus  de  couler  de  ses  yeux,  Pierre  avoua  que,  si  nous 
sommes  capables  de  très  hautes  aspirations,  nous 
sommes  impuissants  à  tenir  nos  plus  énergiques 
résolutions  lorsque  le  ciel  ne  nous  assiste  pas, 
qu'espérer  uniquement  en  soi  pour  faire  le  bien  et 
pour  y  persévérer  c'est  se  préparer  les  plus  humi- 
liantes et  les  plus  douloureuses  déceptions.  H  com- 
prit, quand  le  coq  chanta,  que  les  rameaux  vivent 
de  la  sève  puisée  dans  l'arbre,  que  le  cep  auquel 
nous  devons  demander  la  vie  c'est  Dieu,  que  nous 
nous  élevons  au  sommet  de  la  perfection  en  nous 
appuyant  sur  lui;  il  pénétra  le  sens  profond  de  la 
parole  que  lui  avait  adressée  Jésus  sur  la  route  de 
Gethsémani    :    Sine    me^     niJiil    poteslis    faccic. 


262  l'espérance 

L'humilité  qui  attire  la  grâce  le  rendit  plus  fort  que 
la  présomption  qui  prépare  la  chute,  et  plus  tard 
il  sut,  devant  les  maîtres  du  monde  en  mettant  sa 
confiance  dans  la  puissance  infmie,  mourir  pour 
celui  qu'il  n'avait  pas  ou  le  courage  de  confesser 
devant  des  valets  en  ne  comptant  que  sur  lui- 
même. 

II 

Dans  la  Passion,  le  type  le  plus  frappant  du 
désespéré,  c'est  Judas.  En  réunissant  les  détails  que 
riivangile  nous  fournit  sur  cette  sombre  person- 
nalité, vous  verrez  naître,  éclater,  puis  se  résoudre 
en  une  catastrophe  irréparable  le  vice  le  plus  con- 
traire à  la  vertu  d'espérance. 

Toutes  les  passions  déréglées,  disions-nous  ces 
jours-ci,  conduisent  au  désespoir,  parce  que  toutes 
tuent  l'amour  qui  sert  de  racine  à  l'espérance 
des  biens  spirituels  et  de  l'éternelle  félicité,  parce 
que  toutes,  à  des  degrés  divers,  engendrent  une 
tristesse  malsaine  qui  énerve  la  volonté  et  l'em- 
pêche de  s'élancer  vers  le  ciel,  parce  que  toutes  en 
ajoutant  chaque  jour  des  fautes  aux  fautes  nous 
rendent  le  salut  plus  difficile  et  finissent  par  nous 
persuader  qu'il  est  impossible. 

C'est  la  soif  de  l'or  qui  perdit  Judas.  Livré  h  son 
impérieux  penchant,  le  douzième  apôtre  tomba  de 
plus  en  plus  bas.  Le  Maître  essayait  de  le  retenir 


CINQUIÈME  INSTHUGTION  263 

sur  la  pente  où  il  étaitemporté.  Tantôt,  en  effet,  Jésus 
adressait  à  la  foule  des  paroles  où  le  perfide  aurait  dû 
entendre  un  appel,  un  reproche,  un  paternel  conseil. 
«  Ne  vous  amassez  pas  des  trésors  sur  la  terre...  Là 
où  est  votre  trésor,  là  est  votre  cœur...  Vous  ne  pou- 
vez servir  Dieu  et  Mammon  ;  »  tantôt  il  pous- 
sait un  cri  d'effroi  en  pensant  au  fils  de  perdi- 
tion :  «  Ne  vous  ai-je  pas  choisi  douze?  Et  l'un  de 
vous  est  un  démon  ;  »  tantôt,  prévoyant  jusqu'où 
irait  l'iniquité  de  son  disciple,  il  ouvrait  à  celui-ci 
les  perspeclives  d'un  affreux  avenir.  «  Malheur  à 
l'homme  par  qui  le  Fils  de  l'homme  sera  trahi  !  » 
Ces  avis  miséricordieux  n'arrêtèrent  pas  Judas  : 
son  âpreté  s'accroissant  toujours,  il  s'irritait  de 
plus  en  plus  contre  tout  ce  qui  l'empêchait  de  con- 
tenter sa  passion,  et  devenait  de  moins  en  moins 
scrupuleux  sur  les  moyens  d'augmenter  sa  for- 
tune. 11  commença  par  s'approprier  ce  qu'il  put 
de  la  bourse  commune,  puis,  bientôt,  par  un  vol 
criminel  il  s'attribua  l'argent  destiné  à  secourir 
les  pauvres.  Enlin  il  commit,  pour  grossir  son 
trésor,  le  plus  grand  de  tous  les  crimes.  Errant 
dans  les  parvis  du  temple,  il  entend  les  gardes 
se  demander  comment  on  arrêterait  Jésus  : 
«  Que  voulez-vous  me  donner,  dit-il,  et  je  vous  le 
li\'rerai.  »  Sur-le-champ,  on  l'introduit  auprès  du 
Sanhédrin,  et  pour  prix  de  sa  trahison  ou  lui  accorde 
trente  deniers.  Alors,  les  actes  du  drame  se  pré- 
cipitent. Deux  jours  après,  Judas  guide  les  envoyés 


264  i/E8Pi!;nANCB 

de  la  synagogue  à  travers  le  jardin  des  oliviers  et 
consomme  son  forfait  en  livrant  Jésus  par  un  baiser. 

En  observant  attentivement  l'àme  de  cet  avare, 
on  peut  voir  poindre  de  loin  le  désespoir  sur  son 
horizon.  Ce  sentiment  se  montre  déjà  dans  le  dégoût 
que  peu  à  peu  Judas  ressent  pour  les  choses  spiri- 
tuelles, puis  il  s'accuse,  dans  la  tristesse  qui  accable 
le  coupable,  jusqu'au  jour  ovi  il  éclate  avec  une 
violence  qui  ne  se  peut  contenir  et  qui  se  porte  aux 
dernières  extrémités. 

A  mesure  que  l'apôtre  devenait  la  proie  de 
l'avarice,  il  manifestait  plus  d'indifférence  pour 
le  royaume  de  Dieu  et  pour  tous  les  biens  qui 
s'y  rapportent.  Lorsque  Jésus  à  Capharnaum  an- 
nonça son  intention  d'instituer  l'Eucharistie  et  de 
nourrir  les  hommes  de  sa  chair  et  de  son  sang, 
Judas  fut  de  ceux  qui  murmurèrent  et  qui  témoi- 
gnèrent de  leur  répugnance  pour  le  nouveau  mys- 
tère. Lorsque  Marie  vint  chez  Simon  le  lépreux,  avec 
un  vase  d'albâtre  rempli  d'un  nard  exquis  qu'elle 
répandit  sur  la  tète  et  sur  les  pieds  de  Jésus,  Judas, 
au  lieu  d'admirer  l'acte  d'adoration  dont  le  monde 
devait  parler  pendant  des  siècles,  au  lieu  de  se  réjouir 
de  l'honneur  dont  le  Sauveur  était  l'objet.  Judas  mon- 
tra du  mécontentement,  del'indignalionetse  plaignit 
amèrement  du  gaspillage  d'un  parfum  qu'on  eût  pu 
vendre  trois  cents  deniers.  On  sent  qu'à  cette  date 
le  royaume  de  Dieu  n'occupe  plus  aucune  place  dans 


CINQUIÈME  INSTRUCTIO>f  265 

les  préoccupations  de  l'homme  de  Kérioth,  que  les 
paroles,  les  actes,  la  société  de  Jésus  lui  pèsent, 
qu'il  ne  reste  attaché  à  son  Maître  que  par  un  vil 
intérêt,  on  sent  qu'il  n'éprouve  plus  que  du  dégoût 
pour  les  choses  spirituelles,  qu'il  a  hâte  de  voir 
changer  le  cours  des  événements,  de  secouer  un 
joug  devenu  pour  lui  insupportable. 

Ce  sentiment  de  répugnance  pour  le  Christ  et 
pour  les  réalités  divines  contient  déjà  le  germe  du 
désespoir,  car  on  s'éloigne  instinctivement  des  cho- 
ses que  l'on  n'aime  plus,  on  les  tuit,  on  les  repousse, 
on  brise  les  liens  qui  nous  rattachaient  à  elles.  Or, 
précisément  désespérer,  c'est  chasser  de  son  cœur  la 
pensée  de  la  béatitude  et  des  biens  qui  s'y  réfèrent, 
c'est  rompre  avec  le  Christ  qui  nous  ouvre  le  ciel, 
c'est  s'insurger  et  s'irriter  contre  quiconque  veut 
nous  ramener  dans  les  voies  du  salut  et  le  considé- 
rer comme  un  ennemi.  J'ai  donc  raison  de  dire  que 
du  jour  où  Judas  éprouva  cette  aversion  pour  le 
royaume  des  cieux,  pour  son  Maître,  pour  ses  frères 
dans  l'apostolat,  il  portait  déjà  dans  son  àme  un 
principe  de  désespoir. 

Pour  échapper  au  mal  il  faudrait  réagir,  mais 
une  mélancolie  malsaine  el  déprimante  s'empare 
de  riiomine  livré  à  sa  passion,  relâche  tous  les  res- 
sorts de  sa  volonté,  et  lui  interdit  l'cIVort  que 
réclame  l'espérance  pour  tondre  à  la  sainteté 
et  à  la  béatitude.  Judas  est  triste,  on  \o  devine,  sa 
figure  ne  connaît  pas  l'épanouissement  •  on  dirait 


266  l'espérance 

qu'il  vit  toujours  dans  la  nuit,  tellement  il  nous 
apparaît  sous  des  traits  assombris.  Il  est  triste 
parce  qu'il  n'a  plus  la  joie  de  la  conscience,  il 
est  triste  parce  qu'il  ne  trouve  pas  dans  son  vice  la 
compensation  qu'il  en  attendait,  il  est  triste  parce 
que  plus  il  accumule  lor  et  plus  il  s'aperçoit  que 
rien  ne  peut  combler  le  vide  de  son  âme,  parce 
que  plus  il  essaie  d'apaiser  ses  désirs  et  plus  il 
constate  qu'ils  sont  insatiables.  Alors  il  s'abandonne, 
il  devient  de  plus  en  plus  incapable  de  remonter  le 
courant,  de  rentrer  dans  la  voie  :  de  cet  affolement 
au  complet  désespoir  il  n'y  a  plus  qu'un  pas. 

Judas  le  franchit,  en  finissant  par  se  dire  à  lui- 
même  ce  que  se  disent  tous  les  désespérés  :  «  Pour 
moi,  le  salut  est  impossible.  »  Chaque  infidélité,  en 
etfet,  entre  Judas  et  Dieu  élève  une  plus  haute  bar- 
rière, creuse  un  abime  plus  profond.  Mais  quand 
il  a  conclu  son  pacte  odieux,  Satan  entre  en  lui, 
Satan  qui,  après  avoir  poussé  au  crime  en  en  fai- 
sant briller  tous  les  avantages,  pousse  ses  vic- 
times, au  désespoir  en  exagérant  l'horreur  de  leur 
conduite  et  en  leur  répétant  qu'il  leur  est  im- 
possible d'obtenir  le  pardon.  Aussi  dès  qu'il  eut 
consommé  son  forfait,  dès  qu'il  vit  que  Jésus  traîne 
du  jardin  des  Oliviers  au  Sanhédrin,  du  Sanhédrin 
au  prétoire  était  condamné  à  mort,  l'apolre  eut 
conscience  de  la  monstruosité  de  son  action.  Un 
spectacle  insupportable  s'imposait  à  son  esprit  :  le 
spectacle  de  Jésus  arrêté  sur  un  signe  de  sa  main. 


CINQUIÈME    INSTRUCTION  267 

garroté  comme  un  malfaiteur,  accusé  jDar  de  faux 
témoins,  souffleté  par  les  valets,  outragé  par  les 
juges  et  voué  au  pire  de  tous  les  supplices.  Le 
démon,  qui  le  possédait,  se  plut  à  lui  rappeler  la 
longue  série  de  ses  iniquités,  de  ses  dissimulations, 
de  ses  mensonges,  à  lui  peindre  sous  leur  jour  le 
plus  odieux  les  détails  de  son  forfait,  à  mettre  en 
opposition  ses  procédés,  ses  abus  de  confiance,  avec 
les  procédés  de  Jésus  qui  lavait  associé  à  tous  ses 
travaux,  introduit  dans  ses  secrets,  initié  à  sa 
vie,  qui  avait  répondu  à  son  geste  de  traître  par  les 
paroles  de  l'amitié.  Impuissant  à  porter  le  poids  de 
son  effroyable  responsabilité,  de  son  impitoyable  re- 
mords, Judas  voudrait  vomir  son  mal,  et  s'il  en  est 
temps  encore,  en  prévenir  les  dernières  conséquen- 
ces. L'argent  qu'il  a  tant  aimé,  tant  désiré,  tant 
cherché,  maintenant  lui  brûle  les  mains,  il  le  hait,  il 
le  maudit,  il  a  hâte  de  s'en  défaire.  Il  court  chez  les 
princes  des  prêtres  :  Peccavi,  tradens  sanguinein 
j'ustum  :  «  J'ai  péché,  s'écrie-t-il,  j'ai  livré  le  sang 
du  juste,  w  EL  il  essaie  de  rendre  l'argent.  Mais  ses 
complices  accueillent  Judas  par  deux  mots  de  mé- 
pris :  «  Quld  ad  nos?  tu  videris.  Que  nous  importe? 
C'est  ton  affaire,  »  et  ils  se  détournent  avec  dégoût. 
Ce  mépris  et  ce  dégoût  portent  à  son  comble  le  dé- 
sespoir de  Judas.  Le  malheureux  jette  les  trente 
deniers  dans  le  temple,  puis  il  s'enfuit,  poursuivi 
par  la  voix  de  son  crime,  par  la  vision  du  stuigqui  va 
couler  et  du  Maîlrequi  va  mourir.  Il  s'oufiiit,  pcr- 


268  l'espérance 

suadéque  pour  lui  il  n'y  a  plus  aucune  issue,  que  les 
voies  du  salut  lui  sont  à  jamais  fermées.  Il  se  rap- 
pelle peut-être  les  traits  de  miséricorde  dont  il  a  été 
le  témoin,  la  grâce  vient  sans  doute  encore  le  solli- 
citer, l'inviter  au  repentir,  lui  promettre  l'indul- 
gence du  Père  céleste,  mais  la  défiance  l'emporte 
dans  son  cœur.  Il  refuse  de  croire  qu'il  peut  être 
sauvé  par  la  vertu  du  san^^  qu'il  fait  répandre,  que 
la  bonté  de  Dieu  va  plus  loin  que  notre  perversité, 
par  une  suprême  aberration  il  doute  de  la  miséri- 
corde infinie,  il  s'imagine  que  le  Christ,  venu  pour 
effacer  les  iniquités  de  toute  la  terre  et  de  tous  les 
siècles,  est  incapable  d'effacer  la  sienne,  et  il 
inflige  à  son  Maître  un  dernier  outrage  en  limitant 
sa  puissance  et  sa  bonté.  En  sortant  de  Jérusalem, 
il  se  répète  comme  Gain  :  Mon  péché  est  trop  grand 
pour  que  j'obtienne  mon  pardon. 

Quand  Judas  fut  seul,  le  désespoir  le  frappa  de  son 
traitfinal  :  le  criminel  ne  vitnidansle  monde, ni  dans 
le  temps  un  être  qui  lui  offrît  un  refuge,  la  lumière 
du  jour  lui  devintinsupportable,un  arbre  s'élevait  au 
bord  du  chemin,  il  s'y  pendit.  Son  suicide  fut  le  su- 
prême excès  de  son  désespoir.  Par  ce  dernier  attentat 
il  rompit  pour  toujours  avec  le  bonheur,  et  entre  le 
ciel  et  lui  il  mit  l'éternité.  Arrachons-nous,  Mes- 
sieurs, au  spectacle  d'un  apôtre  qui  meurt  en  damné, 
parce  qu'il  meurt  en  désespéré.  Tournons  nos  regards 
vers  une  consolante  vision,  la  vision  d'un  bandit 
qui,  grâce  à  l'espérance,  va  moiiiir  en  prédestiné. 


CINQUIÈME   INSTRUCTION  269 

ÎII 

Jésus-Christ  avait  été  crucifié  entre  deux  larrons. 
Ces  hommes,  par  leurs  crimes  avaient  armé  la 
justice,  provoqué  sa  colère,  attiré  sur  eux  ses  der- 
niers coups.  Le  temps  n'avaitplus  rien  à  leur  donner, 
il  n'ouvrait  plus  devant  eux  que  la  perspective  d'une 
agonie  affreuse  et  d'une  mort  certaine.  Ils  sentaient 
approcher  leur  fin.  On  comprendrait  qu'en  cette  extré- 
mité, ils  s'irritent  contre  la  société  qui  les  sacrifie, 
qu'ils  maudissent  leurs  juges  et  leurs  bourreaux. 
Il  semble  surtout  qu'ils  devraient  naturellement  se 
tourner  vers  Dieu  pour  lui  demander  ses  consola- 
tions, se  recueillir  et  aspirer  avec  d'autant  plus  d'ar- 
deur à  la  patrie  céleste  qu'ils  ne  peuvent  plus  trouver 
de  place  au  soleil  d'ici-bas.  Mais  la  douleur,  au  lieu 
de  les  émouvoir,  les  endurcit,  et  c'est  Jésus  qu'ils 
outragent,  ajoutant  à  leurs  attentats  contre  les 
hommes  leurs  blasphèmes  contre  le  Fils  de  Dieu.  Ils 
unissent  leurs  voix  sacrilèges  à  la  voix  de  la  foule, 
et  ils  disent  au  compagnon  de  leur  supplice  :  u  Si 
tu  es  le  Gnrist,  sauve-toi  et  sauve-nous.  »  Paroles 
ironiques  et  insolentes  qui  montent  de  cœurs  encore 
moins  ulcérés  par  la  souffrance  que  corrompus  par 
la  malice! 

L'un  d'eux  persévère  jusqu'au  bout  dans  ces 
sentiments  de  haine  et  de  férocité,  l'autre, 
ô  miracle  de  la  grâce!  se  tait  soudain.  Il  contemple 
Jésus,    il   voit    sa   face    ruisselante  de  sang,    con- 


270  l"  ESPÉRANCE 

tractée  par  la  douleur,  et  cependant  rayonnante 
d'une  doaceur  infinie  et  d'une  majesté  ineffable. 
Alors  dans  cette  àme  ténébreuse  le  jour  se 
lève,  un  revirement  se  produit  ;  le  Crucifié  lui 
apparaît  dans  toute  sa  grandeur.  Les  choses  de 
l'éternité  l'émeuvent,  la  question  de  l'avenir  se 
pose  devant  elle,  cette  àme  croit,  elle  croit  à  un 
Dieu  ven,^eur  et  rémunérateur. 

Hélas  !  son  passé  se  dresse  devant  le  malheureux 
comme  un  obstacle  insurmontable  entre  Dieu  et 
lui.  L'idée  du  compte  à  rendre,  la  terreur  du  juge- 
ment l'inquiètent  et  le  bouleversent  au  dernier 
degré.  Et  que  faire?  les  minutes  sont  comptées,  la 
mort  approche,  la  mort  qui  fixe  tout.  Comment 
prévenir  la  sentence  sans  appel?  Mais  voilà  que  le 
Christ  prie  et  demande  le  pardon  pour  ses  ennemis 
et  pour  ses  bourreaux:  «  Père,  dit-il,  pardonnez- 
leur,  ils  ne  savent  ce  qu'ils  font.  ^)  On  peut  donc 
obtenir  miséricorde,  môme  quand  on  a  offensé  toutes 
les  lois  humaines  et  toutes  les  lois  divines,  même 
quand  on  a  condamné  le  Juste  et  quand  on  l'a 
insulté  jusqu'à  son  dernier  soupir  ;  on  peut  donc 
aller  au  ciel  môme  quand  on  a  souillé  la  terre  et 
quand  on  a  trempé  ses  mains  dans  le  sang  d'un 
Dieu.  L'espérance,  une  ineffable  espérance  envahit 
l'âme  du  bon  larron  et  lui  suggère  tous  les  actes 
nécessaires  à  quiconque  veut  retrouver  l'innocence  : 
l'aveu  de  ses  fautes,  l'expiation  du  mal  commis,  la 
confiance  dans  la  puissance  et  dans  la  bonté  infinie 


CINQUIÈME   INSTRUCTION  271 

de  Dieu.  Le  larron  passe  en  un  instant  par  tous  ces 
actes.  Il  reproclie  à  son  compagnon  et  il  se  reproche 
à  lui-même  le  passé:  increpabat  eum.  Il  confesse 
ouvertement,  de  façon  à  être  entendu  de  tous,  la 
gravité  de  ses  crimes  en  proclamant  que  son  horri- 
ble supplice  ne  dépasse  pas  sa  culpabilité  :  «  C'est 
justement,  dit-il,  que  nous  avons  été  condamnés  et 
que  nous  souffrons,  on  nous  traite  comme  nous 
l'avons  mérité:  Et  nos  qui clem  juste ^  nam  cligna 
factis  recipimus. 

Il  semble  que  ses  tortures  lui  deviennent  chères, 
parce  qu'il  trouve  dans  leur  atrocité  même  un 
moyen  d'expier  plus  complètement  et  de  recouvrer 
l'innocence  par  l'eflusion  volontaire  de  son  sang. 
Mais  un  sentiment  domine  tout  en  lui,  une  con- 
fiance inébranlable  en  Celui  qui  meurt  à  ses  côtés. 
C'est  sur  la  puissance,  c'est  sur  la  bonté,  c'est  sur  la 
miséricorde  de  Jésus  qu'il  s'appuie  pour  oser  aspirer 
au  bonheur,  c'est  de  Jésus  qu'il  attend  le  pardon  et 
la  gloire,  c'est  en  lui  qu'il  place  toute  son  espérance. 
Il  s'adresse  à  la  douce  victime  avec  des  mots  brefs, 
pleins  de  réalité  :  «  Seigneur,  dit-il,  souvenez- 
vous  de  moi  quand  vous  serez  arrivé  dans  votre 
royaume.  Domine,  mémento  mei,  dum  veneris  in 
regnum  tuum.  »  Que  son  espoir  est  donc  admi- 
rable! Que  la  confiance  dans  la  bonté  de  Celui  qu'il 
insultait  encore  tout  à  l'heure  est  donc  grande,  puis- 
qu'il ne  craint  pas  de  lui  demander  un  spécial  sou- 
venir lorsque  lu  Maître  sera  environné  de  sa  cour 


272  l'espérance 

et  au  milieu  de  sa  gloire!  Que  sa  confiance  dans  la 
miséricorde  du  divin  Crucifié  est  donc  absolue,  puis- 
qu'il est  convaincu  que  Jésus,  sans  oublier  sa  per- 
sonne, oubliera  son  criminel  passé  I  Que  sa  con- 
fiance dans  la  puissance  du  Rédempteur  est  donc 
totale,  puisqu'il  est  convaincu  qu'il  n'aura  pas 
besoin  pour  être  sauvé  d'une  intervention  éclatante 
de  Jésus  auprès  du  Père,  mais  seulement  d'une 
ombre  d'intervention,  d'un  simple  et  passager  sou- 
venir !  Domine^  mémento  mei^  dum  veneris  in  re- 
gnum  tuum. 

La  réponse  ne  se  fait  pas  attendre.  Sur  ce  ton 
d'autorité,  de  mansuétude,  de  tendresse  qui  lui  était 
propre,  Jésus  adresse  au  malfaiteur  cette  parole  : 
«  Amen  dico  tibi,  hodie  mecum  eris  in  Paradiso. 
En  vérité  je  te  le  dis  à  toi,  tu  seras  avec  moi  aujour- 
d'hui dans  le  Paradis.  »  Amen  dico  tibi.  En  vérité, 
je  le  le  dis  :  voilà  la  promesse  qui  n'a  jamais  trompé 
personne  et  qui  engage  Jésus  non  plus  vis-à-vis  de 
l'ensemble  des  hommes,  mais  vis-à-vis  du  larron  en 
particulier.  Hodie.  Aujourd'hui,  non  pas  après  une 
longue  attente,  mais  dans  quelques  heures,  ta  prière 
sera  exaucée  au  delà  de  tes  désirs.  Mecum  eris.  Tu 
demandes  un  souvenir,  tu  recevras  bien  davantage, 
tu  vivras  dans  ma  compagnie.  In  Paradiso.  Tu  me 
demandes  un  souvenir  dans  mon  royaume,  mais  ce 
soir  tu  auras  passé  de  ce  monde  dans  ce  royaume 
même. 


CINQUIÈME  INSTRUCTION  273 

En  écoutant  ce  discours,  le  bon  larron  sent 
s'apaiser  toutes  ses  inquiétudes,  se  dissiper  toutes  ses 
terreurs,  sa  confiance  s'affirmer  et  devenir  invincible. 
Les  ténèbres  couvraient  le  monde,  mais  l'inefTable 
lumière  de  l'espérance  remplissait  son  àme;  la  dou- 
leur torturait  son  corps,  mais  une  certitude  inébran- 
lable, la  certitude  d'arriver  au  bonheur  soutenait  son 
courage  ;  la  terre  tremblait,  mais  le  ciel  s'ouvrait  sur 
sa  tête,  la  vie  éphémère  lui  échappait,  mais  la  vie 
éternelle  s'offrait  àlui.  Bercé  par  ses  sentiments,  asso- 
cié à  son  Maître  et  fort  des  promesses  qu'il  a 
reçues,  ce  bandit  supporte  sans  se  plaindre  les  an- 
goisses de  l'agonie,  il  expire  dans  le  baiser  de  l'espé- 
rance et  son  àme  suit  celle  du  Juste  dans  la  gloire. 


Contemplez  avec  émotion.  Messieurs,  le  mystère  de 
la  Passion,  méditez-en  les  nombreuses  et  diverses 
péripéties,  vous  échapperez  à  toutes  les  présomptions . 
Vous  échapperez  à  celle  qui  vous  inspire  de  vous 
appuyer  sur  vous-mêmes  pour  arriver  à  la  sainteté 
et  à  la  béatitude,  car  en  assistant  à  la  chute  lamen- 
table de  Pierre,  après  avoir  entendu  ses  protesta- 
tions de  fidélité,  vous  comprendrez  que  l'homme 
qui  compte  uniquement  sur  soi  est  voué  d'avance 
aux  plus  graves  échecs  et  capable  de  s'infliger  à  lui- 
même  les  plus  invraisemblables  démentis;  vous 
échapperez  à  la  présomption  qui  déclare  le  salut 
facile   et    assuré    pour    ceux -mêmes  qui    alTectent 

L'ESl'liRAXCE.    —   18. 


274  l'espÛ'.axce 

toute  leur  vie  do  s'en  désintéresser,  car  si  le 
Christ  a  dû  tant  souffrir  pour  nous  ouvrir  les 
portes  du  ciel,  il  serait  insensé  de  croire  que 
notre  salut  ne  nous  coûtera  rien  et  que  nous 
obtiendrons  le  pardon  de  nos  fautes  sans  nous 
repentir,  et  le  JDonheur  sans  l'avoir  mérité.  Mais  le 
spectacle  du  Calvaire  vous  gardera  aussi  du  déses- 
poir, car  une  seule  goutte  de  sang  versée  par  un 
Dieu  a  une  vertu  infinie  et  pourrait  laver  les  péchés 
du  monde  entier  : 

Cujus   una   stilla   salvum   facere, 
Totum  mundum  quit  ab  omni  scelere. 

A  Técole  du  bon  larron,  vous  apprendrez  que 
soutenue  par  le  Christ,  Fâme  la  plus  pervertie, 
l'âme  que  la  justice  humaine  a  frappée  de  toutes 
ses  rigueurs,  l'âme  qui  a  persévéré  dans  le  mal  et 
dans  le  blasphème  jusqu'à  la  fin  de  son  existence, 
peut  encore  émouvoir  la  miséricorde,  se  réhabiliter 
et  entrer  au  royaume  des  cieux.  Si  coupables  que 
vous  ayez  pu  être,  si  gravement  que  vous  ayez 
abusé  de  la  vie,  à  l'école  du  bon  larron,  vous  ne 
repousserez  pas  l'espérance,  vous  direz  au  Christ, 
mort  pour  vous  :  «  souvenez-vous  de  moi  quand 
vous  serez  arrivé  dans  votre  royaume  »  ;  et  le  Christ 
vous  répondra  par  des  paroles  d'indulgence,  par 
les  promesses  de  la  gloire  :  «  En  vérité,  je  te  le  dis, 
aujourd'hui  —  la  vie  n'est  qu'un  jour  —  tu  seras 
avec  moi  dans  le  Paradis.  »  Ainsi  soit-il. 


ALLOCUTION 


A   LA    COMMUNION    GENERALE    DES    HOMMBS 


DIMANCHE     DE     PAQUES 


L'EUCHAKISTIE 
GAGE  DE   L'ESPERANCE   CHRÉTIENNE 


SOMMAIRE 


D'après  la  liturgie  et  les  docteurs,  l'espérance  trouve  un 
gage  précieux  daas  l'Eucharistie,  p.  270-280. 


I 

Jésus-Christ  promet,  dans  l'Evangile,  la  béatitude  à  tou"; 
en  général.  Dans  l'Eucharistio,  il  adresse  ses  promesses  à 
chacun  de  nous  en  particulier.  Explication  de  cette  pen- 
sée, p.  2-0-;SI. 

II 

Dans  l'Incarnation  Jésus-Christ  s'unit  à  la  nature  humaine, 
dans  l'Eucharistie  il  s'unit  àcha([ue  individu.  Intimité  de  celte 
luiion  ([ui  nous  incorpore  au  Christ,  et  qui,  si  nous  le  voulons, 
nous  rend  inséparables  de  lui.  En  vertu  de  cette  union  nous 
sommes  entraînés  au  Thabor,  au  Calvaire,  au  ciel  et  nous 
sommes,  pour  ainsi  dire,  sauvés  d'avance,  p.  281-282. 

III 

Sauvés  d'avance.  Jésus  dit  :  »  Celui  qui  mange  ma  chair  et 
qui  boit  mou  sang  a  la  vie  éternelle.  "  l']\plicatioa  de  ce  mot. 
L'Eucharistie  dans  notre  chair,  dans  notre  sang,  dans  notre 
Ame,  c'est  le  royaume  do  la  béatitude  en  nous,  p.  282-283. 

Ecoutons  les  témoignages  de  Jésus. 

Respectons  son  union  avec  nous. 

Ne  détruisons  pas  le  royaume  de  Dieu  en  nous  et,  sous  l'in- 
lluence  de  l'Eucharistie,  ce  royaume  deviendra  le  royaume 
des  cicux.  p.  28;{-284. 


ALLOCUTION 

A    LA    COMMUNION    GÉNÉRALE    DES    HOMMES 


DIMANCHE    DE  [PAQUES 


L'EUCHARISTIE 
GAGE  DE   L'ESPÉRANCE   CHRÉTIENNE 


«  Fttlurse  gloriag  nobis  pigni/s 
datur. 

Dans  l'Eucharistie  nous  recevons 
un  gage  de  notre  gloire  future.  )> 
[Office  du  Saint-Sacrement.) 


Messieurs, 


Toute  la  liturgie,  tous  les  docteurs  nous  affirment 
que  Tespôrance  chrétienne  trouve  dans  l'Eucha- 
ristie le  gage  le  plus  précieux,  liien  de  plus  certain. 
Le  Christ,  en  cllet,  promet  la  vie  éternelle  à  qui- 
con(|ue  mangera  sa  chair  cl  hoira  son  sang,  il 
s'unit  intimement  à  lui  et  devient  pour  ainsi  dire 
iiisi'parahle  «le  son  àme,  il  se  donne  déjà  totalement 


280  LESPERAXCE 

à  lui   et   lui    communique  ainsi    le   germe  de    la 
gloire;  autani  de  raisons  d'espérer. 


I 


Le  Christ  a  promis  à  tous  les  hommes  qui  res- 
pecleraient  les  lois  de  son  Evangile  la  vie  éternelle, 
et  c'est  sur  ces  promesses  que  nous  fondons  notre 
espoir  d'arriver  à  la  béatitude.  Mais  ces  promesses 
sont  générales,  elles  ne  s'appliquent  à  chacun 
qu'autant  qu'elles  s'adressent  à  tous.  En  instituant 
l'Eucharistie,  au  contraire,  Jésus  s'adresse  à  chacun 
de  nous  en  particulier  et  s'engage  à  nous  assurer 
le  ciel,  si  dignement  nous  mangeons  sa  chair  et 
buvons  son  sang.  Dans  son  discours  aux  habi- 
tants de  Capharnaûm,  il  associe  continuellement 
l'idée  du  mystère  de  nos  autels  à  l'idée  de  la  vie 
éternelle,  il  répète,  je  ne  sais  combien  de  fois  : 
«  Qui  manducat  hune  panem,  vivet  in  aHernum. 
Celui  qui  mange  ce  pain  vivra  éternellement.  » 
Lors  donc  que  vous  vous  approchez  du  banquet 
sacré,  Jésus  vous  donne  sa  parole  qu'il  veut  vous 
sauver.  En  répandant  son  sang  sur  le  Calvaire  il 
songe  à  toute  l'humanité,  en  le  répandant  en  vous 
par  la  communion  il  songe  à  vous,  sa  parole 
s'adresse  à  vous  personnellement  comme  elle 
s'adressait  personnellement  au  bon  larron  quand  il 
lui  disait  ;  «  Amen  dico  tihi,  hodie  mecum  eris  in 


ALLOCUTION  281 

Paradiso.   En  vérité  je  te   le  dis   à  toi,   tu  seras 
aujourd'hui  avec  moi  dans  le  paradis.  » 

Par  conséquent,  si  la  société  chrétienne  trouve 
dans  les  discours  évangéliques  un  gage  pour  son 
espérance,  vous  trouvez  vous,  dans  l'Eucharistie, 
un  gage  pour  votre  espérance  individuelle,  une 
promesse  qui  vous  concerne  et  qui  ne  sera  pas 
éludée;  et  cette  promesse  qui  regarde  le  bonheur 
de  votre  âme  regarde  aussi  la  transfiguration 
de  votre  corps,  puisque  le  Sauveur  dans  son  dis- 
cours annonce  en  même  temps  et  qu'il  ménage  à 
l'esprit  la  parfaite  félicité,  et  qu'il  prépare  au  corps 
la  résurrection  et  l'immortalité  :  Qui  manducat 
meam  carnem  et  bibit  meum  sanguinem^  habet 
vitam  œlernam  et  ego  resuscitabo  eam  in  novissiiuo 
die.  Celui  qui  mange  ma  chair  et  qui  boit  mon  sang 
a  la  yie  éternelle,  et  je  le  ressusciterai  au  dernier 
jour,  > 


II 


Le  Chiist  ne  se  contente  pas  de  promettre  à  ses 
convives  de  leur  donner  la  vie  éternelle  :  il  s'unit  à 
eux.  «  Celui  qui  mange  ma  chair  et  qui  boit  mon 
sang,  dit-iT,  demeure  en  moi  et  moi  en  lui.  »  Et 
quelle  unioi  inlime,  celle  qui  nous  incorpore  à 
Jésus-Clirist,  nous  lie  à  lui  selon  h^  corps  et  selon 
l'esprit,  nrnis  fîiilèlre  de  ses  os  et  (b'  sa  chair!  Quelle 
union  permanuite  cl  indissoluble  l'union  comparée 


282  l'espérance 

par  Jésus  à  celle  qui  Tattache  à  son  Père.  :  «  En 
vertu,  dit-il,  du  lien  qui  m'enchaîne  à  mon  Père,  je 
vis  par  lui,  et  de  même,  celui  qui  me  mange 
vivra  par  moi.  »  Si  nous  ne  la  brisons  pas  nous- 
mêmes,  cette  union  nous  rendra  inséparables  du 
Fils  de  Dieu,  et  nous  rendant  inséparables  de  lui, 
elle  nous  associera  à  toute  sa  destinée  :  elle  nous  en- 
traînera avec  lui  au  Calvaire  pour  y  soufFrif  en  sa 
compagnie,  mais  aussi  au  Thabor  pour  être  enve- 
loppés dans  sa  passagère  transfiguration,  à  la  mort 
et  au  sépulcre  où  il  est  descendu,  mais  aussi  à  la 
résurrection,  à  la  gloire  oii  il  est  remonté  et  dans 
le  sein  lumineux  du  Père  où  il  est  rentré.  Où  cher- 
cher  pour  notre  espérance  une  garantie  plus  pré- 
cieuse, une  certitude  plus  inébranlable? Ne  sommes 
nous  pas  à  l'abri  de  toute  surprise,  de  toute  décep- 
tion, ne  sommes-nous  pas  sauvés  d'avance  en  res- 
tant unis  à  Celui  qui  ne  peut  pas  se  perdre? 

111 

Nous  sommes  en  effet  sauvés  d'avanca  et  c'est 
Jésus-Christ  qui  nous  l'affirme.  Il  ne  dit  pas  : 
c<  Celui  qui  mange  ma  chair  aura  li  vie  éter- 
nelle »•,  il  dit  :  «  Celui  qui  mange  laa  chair  a 
la  vie  éternelle.  »  Le  Sauveur  dans  l'Eacharistie  ne 
s'unit  pas  seulement  à  nous,  il  se  donne  à  nous, 
nous  le  recevons  tout  entier.  Nous  lecevons  d'une 
manière  mystique  son  corps  dans  notre  corps,  son 


ALLOCUTION  283 

sang  dans  notre  sang,  son  esprit  dans  notre  esprit, 
sa  Divinité  dans  notre  humanité.  Mais  la  Divinité 
en  nciiis,  c'est  en  notre  chair  le  germe  d'immorta- 
lité que  la  corruption  ne  pourra  point  altérer,  l'em- 
preinte de  vie  que  rien  ne  pourra  effacer.  La  Divi- 
nité en  nous,  c'est  le  principe  de  la  vision  béatifi- 
que  enraciné  dans  notre  esprit,  c'est  déjà  l'amour 
substantiel  entrant  en  rapport  avec  notre  cœur,  c'est 
au  dedans  de  nous  le  royaume  de  Dieu  et  la  béa- 
titude. Aujourd'hui  ce  royaume  de  Dieu  est  plongé 
dans  le  mystère,  enveloppé  dans  l'écorce  du  sacre- 
ment comme  le  grain  de  froment  est  enseveli  dans 
la  terre,  mais  peu  à  peu  la  gloire  qu'il  contient  écla- 
tera comme  les  semences  cachées  dans  les  sillons, 
elle  se  fera  sentir  et  nous  rassasiera  de  ses  ineffables 
joies.  Dans  l'Eucharistie  notre  espérance  trouve 
donc  la  vie  éternelle  en  toute  sa  réalité,  bien  que 
disparaissant  derrière  l'obscurité  du  mystère,  elle 
reçoit  le  gage  de  la  vie  éternelle  qui  un  jour  se 
manifestera  aux  hommes  avec  son  incomparable 
splendeur. 

En  ce  moment,  Messieurs,  écoutez  les  témoignages 
que  Jésus-Christ  vous  donne  au  fond  de  vos  âmes  ; 
puis,  approchez-vous  souvent  du  divin  Banquet  afin 
d'y  entendre  se  renouveler  ces  promesses  que  vous  y 
recevez,  afin  que  ces  promesses  se  gravant  à  jamais 
dans  votre  mémoire  y  entretiennent  el  y  alVermis- 
sent   l'espérance.    Respectez  l'unicui  (|U('  vous  ave/ 


284  LESPERANCE 

contractée  avec  Jésiis-Chriçt  ce  matin,  appliquez- 
vous  à  en  perpétuer  l'intimité,  et  à  mesure  que 
vous  avancerez  dans  la  vie  vous  serez  plus  définiti- 
vement enchaînés  au  Sauveur,  plus  étroitement  as- 
sociés à  sa  personne  et  plus  sûrs  d'être  associés  à  sa 
béatitude.  Le  royaume  de  Dieu  est  en  vous,  ne  l'y 
détruisez  pas  de  vos  propres  mains,  au  contraire  dé- 
fendez-le centre  toutes  les  attaques  du  dedans  et  du 
dehors,  protégez-le  contre  tous  les  germes  de  des- 
truction; vous  protégerez  en  même  temps  votre 
espérance,  jusqu'au  jour  où  cette  espérance  s'éva- 
nouissant  pour  l'aire  place  à  un  meilleur  état  de 
choses,  vous  serez  éblouis  par  la  gloire  dont  vous 
recevez  en  vous  le  principe,  en  recevant  Notre- 
Seii^neur  Jésus-Christ.  x\insi  soit-ii. 


APPENDICES 


PRINCIPAUX  AUTEURS  CONSULTÉS 


I 


i 


PREMIÈRE  CONFÉRENCES 


Saint  Augustin.  —  Cité  de.  Dieu,  liv.  XIII,  cli.  k  , 
liv.  XIX,  ch.  v;  liv.  XXII,  ch.  xxx;  Enarr.  in 
Psalm.  XLI,  v.  9;  Enchiridion  de  Fide,  Spe  et 
Charitale,  n"  114,  etc. 

Saint  Thomas.  —  11"  II'',  q.  xvii,  art.  2;  III  Seul., 
Dist.  26,  q.  ii,  art.  3  ;  de  Virtute,  q.  iv,  art.  1,  etc. 

Cajetan.  —  II"  II'^,  q.  xvii,  art.  2. 

Banez.  —  U)id. 

Sekaphix  Cai'pom.  —  Ihid. 

Jean  de  saint  Thomas,  —  Cursus  Theologicus, 
De  Spe,  Disp.  iv,  art.  2. 

Go^tenson.  Tlieologia  Mentis  et  Cordis,  lib. 
VII,  DisserL   III.  c.  i. 

Salma.nitcenses.  —  Cursus  theologicus.  De  Spe, 
Disp.  I,  Diib.  MI. 

Gonet.  —  Clypeus  TJtomisiicus.  De  Virlute  Spei^ 
art.  1-3. 

GiiMLiATi.   —  TIteologia.   De  Spe  théologien ,  ^  I. 

Seiîua.  —  Sunima  Comment (triorum  in  II""  II", 
P.  Th.,  q.  XVII,  art.  2,  Dul). 

Gotti.  —  Tlieologia  S('}ioliistii\)-(logmutica,  XI. 
De  Spe  théologien,  q.  i,  Diii).  II. 


288  l'espérance 

BiLLiART.  —  Sumnia  S^'  Thomœ.  DeSpe,  q.  unie, 
art.  2. 

Renard.  —  Dictionnaire  de  la  Bible.  Espérance. 

Harent  —  Dictionnaire  de  théologie  catholique. 
Espérance. 

Mgr  d'Hllst.  —  Conférences  de  Notre-Dame, \Sd2. 
5^  conférence.  E espérance  chrétienne. 

Mgr  Gay.  —  De  la  vie  et  des  vertus  chrétiennes. 


i 


DEUXIÈME  CONFÉRENCE 


Saint  AuGUSTI^.  —  Cilé  île  Dieu^  liv.  Xlll,  ch.  x  ; 
Eiiarr.  in  Psr/lni.,  XLI,  S-\i;  in  Psalm.,  LXXV,  8; 
in  Psalm.,  GXLV,  9  ;  Sei'iuo  III \  Encliiridion  de 
Fide^  Spe  et  Chai'itate,  n°  30,  etc. 

Saint  Thomas.  —  I"  II*,  q.  xxiii;  IP  IP  ,  q.  xvii; 
III  Sent.,  Dist.  26,  q.  ii,  art.  3;  de  Virtute,  q.  iv, 
art.  l-i,  etc. 

Cajetan.  —  I'  II",  q.  xviî. 

Banez.  —  Ibid. 

Jean  de  Saint-Thomas.  —  Loc.  cit.,  Disp.  iv,  art.  I . 

Salmanticcnses.  —  Loc.  cit.,  Disp.  i,  Duh.  111. 

Serra.  —  II"  H*,  q.  xvir,  art.  2.  Diib. 

Contenson.  —  Tlieologid  Mentis  et  Cordis, 
lil).  VIII,  Diss.  III,  c.  1.  Spcc.  1. 

Gonet.  —  De  Virtute  Spei,  art.  2. 

Gotti.  —  Loc.  cit.,  q.  i,  Dut).  II,  s:^  II. 

BiLLUAUT.  —  De  Spe,  art.  2,  i;  II. 

Cuniuati.  —  Loc.  cit. 

Mazzella.  —  De  Virtutibus  infiisis,  p.  4"). 

Billot.  —  De    Viflutibus  infasis,  p.  3.'i3. 

Harent.  —  Dictionnaire  de  théologie  catholique. 
Espérance. 

Mr.R  d'IIlesi'.  —  Loc.  cil. 

Mgr  Gay.  —  De  ici  vie  et  des  vertus  chrétiennes. 


l'espérance.  —  19. 


TROISIÈME  CONFERENCE 


Saint  Augustin.  —  Enarr.  in  Psahu.  Clli,  17. 

Saint  Thomas.  —  II'  II**,  q.  xvii,  art.  1  ;  ill  Sent., 
Dist.  27,  q.  II,  art.  1  ;  De  Virtute,  q.  iv,  art.  1  ; 
Contra  Génies,  III,  153. 

Cajeîan.  —  IP  IP,  art.  1. 

Banez.  —  Ibid. 

Serra.  —  Ibid. 

CONTENSON.    —  LOC.    Cit.,  Cil.  I. 

Go?«ET.  —  Loc.  cit.,  art.  1. 
GoTTi.  —  Loc.  cit.,  q.  i,  Dub.  I. 

CUNILIATI.    ' Loc.   cit. 

Jeaîn    de  Saint-Thomas.   —  Loc.  cit.,  art.  3. 
BiLLVART.  —  Loc.  cit.,  art.  1. 
Salmanticenses.  —  Loc.  cit.,  Disp.  ii. 
Harent.    —  Dictionnaire  de  théoloi^ie  catholique. 
Espérance. 


QUATRIEME  CONFÉRENCE 


Saint  Augustin.  —  De  Genesi  ad  lilteram, 
liv.  VIII,  ch.  11  ;  De  Doclrina  Chrisliana,  liv.  I,  22; 
Sermo,  GXLII,cli.  m;  in  Psalm.,  CXXXVII,  n°  2. 

Albert  le  Grand.  —  Paradisus  animœ.  ch.  i. 

Salnt  Thomas.  —  P  II*,  q.  xxvii,  art.  1  ;  IP  II", 
q.  XVII,  art.  8;  q.  xxin,  art.  6,  ad  3""';  q.  xxvi, 
art.  13,  ad  3"";  IV  Sent.,  Dist.  35,  q.  i,  art.  4, 
sol.  2;  Dist.  29,  q.   i,  art.  3,  ad  2"™. 

Cajetan.  —  11"  II",  q.  XVII,  art.  5. 

GoNET.  —  De  Virtule  Spei,  art.  2,  §  II. 

Salmanticenses.  —  Loc.  cit.  Disp.  2. 

Billuart.  —  Loc.  cit.,  art.  2,  obj.  I. 

Saint  François  de  Sales.  —  Traité  de  Uainour  de 
Dieu,  liv.  Il,   ch.  xv-xvii. 

BossuET.  —  Instruction  sur  les  états  d'oraison, 
Tradition  des  Nouveaux  mystiques  ;  Sommaire  de 
la  doctrine  du  livre  qui  a  pour  titre  :  Explication 
des  Maximes  des  Saints,  etc. 

Fénelon.  —  Explication  des  Maximes  des  Saints 
sur  la  vie  intérieure  ;  fjeltrcs  de  Mgr  U Archevêque 
de   Cambrai    un  de  à  ses  amis  ;  liistrucliou  pttsio- 


292  l'espérance 

raie  de  V ArcJievèque  de  Cambrai  sur  le  livre  inti- 
tulé :  Explication  des  Maximes  des  Saints. 

Massoulié.  —  Traité  de  V amour  de  Dieu;  Traité 
de  la  véritable  oraison. 

Harent.  —  Dictionnaire  de  théologie  catholique. 
Espérance. 

Mgr  d'Hulst.  —  Loc.  cit. 


CINQUIÈME  CONFÉRENCE 


Saint  Thomas.  ■ —  PII",  q.  xl,  art.  4,  ad  3'""; 
II' 11%  q.  XX  ;  III  Sent.,  Dist.  26,  q.  i,  IH,  :i""' ;  De 
Jfalo,  q.  XV,  art.  4,  ad  3"'°. 

Cajetan.  —  II"  IP,  q.  XX. 

Banez.  —  Ibid. 

Sylvius.  —  Ibid. 

BiLLUART.  —  De  Spe,  art.  5. 

Jean  de  Saint-Thomas.  —  Cursus  tlteol.  De  Spe, 
Disp.  13. 

Salmanticenses.  —  Cursus  theologicus.  Tract. 
XVIII.  De  Spe,  q.  xx.  Disp.  v.  —  Cursus  tlieol. 
moralis.  Tract.  XXI,  eh.  vi. 

Mayot..  —  PraeuDibiila  ad  decaloguni,  De  Spe, 
art.  2. 

Gotti.  —  Theol.  Dogmatica  ScJiolastica.  De  Spe, 
q.  ir.  Diib.  IV,  §  IV. 

Suarez.  —  De  Fide.  Disp.  xvi,  Sect.  Il,  n"  3.  — 
De  Spe.  Disp.  ,  q.  n. 

Philippe  de  la  SAiNrE-TRiNiTÉ.  —  Suninia  llieolo- 
giœ  mysticœ.  t.  I,  p.  4rjr). 

Antoine  du  SAiNT-FIsi'itrr.  —  Direcforiuiii  niysti- 
cuin.  Tract.  II.  Disp.  vin,  Srcl.  1,  ii"  313. 


294  l'espérance 

Meynard.  —  Traité  de  la  Vie  intérieure,  t.  I,  n"  85  ; 
t.  II,  n°^  168-172. 

DuBLANCHY  —  Dictionnairc  de  théologie  catho- 
lique. Désespoir. 

Sbnault. —  Usage  des  passions .  Troisième  traité. 
De  l'Espérance  et  du  désespoir. 

SciiRAM.  —  Theologia  mystica,  t.  I. 

Lehmruhl.  —  Theol.  juoralis,  t.  I,  n"  310  et  seq. 

Valgornera.  —  Mystica  theol.  divi  Thomœ, 
.].  II,  disp.  VII,  art.  9. 


SIXIEME  CONFERENCE 


Saim  Thomas.  —  IP  H*,  q.  xxi  ;  q.  lxx,  art.  3  ; 
q.  cxxx  ;  q.  cxxxin,  art.  1  ;  II  Se?it.,  disp.  22,  q.  i, 
III,  5""».; 

Albert   le  Grand.   —   In   Marcum,   III,  29. 

Cajetan.  —  IP  II"",  Loc.  cit. 

Banez.  —  Ibid. 

Salmanticences.  — '  Cursus  theolog.  De  Spc, 
(\.  XXI.  Disp.  vî. 

Billuart.  —  De  Spe,  art.  f). 

Jean  de  Saint-Thomas.  —  De  Spe.  Disp.  xiii,  in 
fine. 

Mayol.  —  De  Spe,  art.  3. 

Noël  Alexandre.  —  Theol.  Dogniatica  et  mora- 
lis.  Lib.  m.  Sect.  II.  De  Spe. 


NOTES    EXPLICATIVES 


SUR 


LES  CONFÉRENCES 


I 


PREMIÈRE  CONFERENCE 


NOTE  1,  p.  16. 

Au  sujet  de  l'espérance  les  théologiens  se  demandent 
si  elle  porte  directement  sur  Dieu  même  ou  sur  la 
possession  de  Dieu,  sur  la  béatitude  objective  ou  sur  la 
béatitude  formelle.  —  Les  uns  soutiennent  qu'elle 
porte  immédiatement  sur  l'acte  de  vision  et  média- 
tement  sur  Dieu,  objet  de  la  vision.  On  leur  répond  que 
s'il  en  était  ainsi,  l'espérance  ne  serait  pas  une  vertu 
théologale,  car  essentiellement,  toute  vertu  théologale 
regarde  immédiatement  Dieu.  Aussi  généralement,  on 
dit  que  l'espérance  porte  immédiatement  sur  Dieu 
comme  sur  son  objet,  et  sur  la  vision  comme  sur  une 
condition  sans  laquelle  elle  n'atteint  pas  son  objet. 
Respondemus  beatitiidinem  œternam  dici  et  de  beatiludinc 
olijeciivâ^  quie  est  Dens  Icrminans  visionem;  et  de  bealitu- 
dîne  formali.  qux  esl  visio  Dei  in-  Siipso.  Ulraqxie  vero 
perimetad  objectum  spei  Iheologicae,  sed  aliter  et  alifer; 
objectiva  per  modum  objecti,  foruioiis  autem  per  modiim 
conditionis .  El  in  hocsen.su,  resolvil  D.  Th.  objectum  spei 
esse  ;*;iernarn  bealitudinem,  ut  iiquct  ex  ejus  discursu  et 
pnecipue  ex  illis  verbis  :  «  ISon  ininus  aliquid  ab  eo  speran- 
dum  est  quam  sit  ipse  cum  non  sil  minorejus  bonitas  per 
quain  bona crealurse  communicaf, quam  ejus cssentia  » , qu.T 
nequeunt  t'isioni  Dei  ap tari. 'S3i\inai\ï\Àcenses.  De  spelheoL 
Disp.  IDub.  1.4. 

I!  est  bien  vrai  que  l'intelligence  entre  en  rapport, 
avec  Dieu  par  l'intermédiaire  d'un  acte,  la  vision.  Mais 
la  vision,  c'est  1  intelligence  en  exercice  et  en  relation 
directe  avec  l'objet  vu.  Cajetan  (II"  II"',  q.  xvii,  art.  ri.) 
explique  for!  lonpncment  el  for!  claiicnuMil  tout  ce 
mécanisme,  el  il  élahlit  solidement  que  Dieu  est  l'objet 
immédiat  de  l'espérance. 


300  l'espéranci] 


NOTE  %  p.  18. 

En  réalité,  autant  qu'on  peut  saisir  sa  fuyante  pensée, 
autant  surtout  qu'on  peut  concilier  ses  allirmations 
contradictoires,  Henan  n'admet  pas  d'immortalité  per- 
sonnelle. Il  n'admet  que  l'immortalité  des  œuvres. 
«  Nous  affirmons,  dit-il,  que  celui  qui  aura  choisi  le 
bien  aura  été  le  vrai  sage.  Celui  là  sera  immortel  ;  car 
ses  œuvres  vivront  dans  le  triomphe  délinitif  de  la 
justice,  résumé  de  l'œuvre  divine  qui  s'accomplit  par 
l'humanité.  L'humanité  fait  du  divin,  comme  l'araignée 
tisse  sa  toile;  la  marche  du  monde  est  enveloppée  de 
ténèbres,  mais  il  va  vers  Dieu.  Tandis  que  l'homme 
méchant,  sot  ou  frivole  mourrra  tout  entier,  en  ce  sens 
qu'il  ne  laissera  rien  dans  ce  résultat  général  du  travail 
de  son  espèce,  l'homme  voué  aux  bonnes  et  bel  les  choses 
participera  à  l'immortalilé  de  ce  qu'il  a  aimé  etc.  » 
■  Le  livre  de  Job.  xc,  cxi.'  Celte  doctrine  coupe  court  à 
toute  espérance  pour  l'individu  qui  disparaît  totale- 
ment, et  elle  ne  reconnaît  de  survivance  qu'à  ses  œuvres 
qui  enlr^^ront  dans  la  circulation  universelle.  Cette  phi- 
loso[)hie  est  d'une  grande  faiblesse  et  d'une  grande 
pauvreté.  Elle  pècho  contre  la  raison  autant  que  contre 
la  foi. 

NOTE  3,  p.  19. 

L'espérance  est  en  soi  individuelle  et  porte  sur  le  bien 
individuel  :  c'est  pourquoi,  à  chaque  instant,  les  auteurs 
affirment  qu'elle  est  égoïste  par  nature  et  que  celui  qui 
espère  cherche  son  avantage:  «  Spes^  dit  saint  Thomas, 
po'est  esse  ahcxijus  dupliciter  uno  modo  ahsoluté,  et  sic 
est  solif'S  hotii  ardui  ad  se  perlinentis.  »  (II''  11%  q.  xvii, 
art.  3).  Mais  le  christianisme  intégral  suppose  la  charité, 
c'est-à-dire  l'union  forte  et  intime  des  membres  de  la 
société  surnaturelle.  L  espérance  est  infirme,  imparfaite 
si  elle  n'est  pus  sous  l'empire  de  cette  verlu  royale  qui 
commande  tout  dons  l'ordre  évangélique  :  la  charité.  La 
charité  établissant  l'unité  entre  les  chrétiens,  chacun 
veut,  désire  et  espère  pour  ses  frères  la  même  béatilude 
que  pour  lui-même.  ;Gf.  s.  Th.,  loc.  cil.). 


Ar-PILlNDlCES  301 


ISOTE  //,  11.  21. 

Saint  Thomas  enseigne  que  le  monde  matériel  ne 
périra  pas,  mais  qu'il  subira  une  merveilleuse  transfor- 
mation. Le  Docteur  Angélique  traite  cette  question 
dans  le  supplément  de  la  Somme  théologique,  q.  xci.  Le 
monde  sera  renouvelé  et  passera  de  l'état  présent  à  un 
élat  de  parfaite  incorruptibilité,  de  parfait  repos^  de 
parfaite  clarté;  à  sa  manière  et  selon  sa  nature,  chaque 
élément  partagera  la  gloire  du  corps  ressuscité  de 
l'homme. 

Il  est  curieux  de  rapprocher  ces  théories  théologiques 
de  celles  que  défendent  aujourd'hui  certains  savants, 
Gustave  Lebon,  par  exemple,  parle  de  la  démalrrinlisa- 
tion  de  ta  matière,  ce  qui  est  à  coup  sûr  une  manière  de 
dire.  Il  parle  aussi  de  la  transformation  de  la  matière 
en  énergie,  en  électricité,  de  la  dématérialisation  de  la 
matière  sous  l'action  de  la  lumière,  de  la  visibilité  à 
travers  les  corps  opaques,  etc.  Tout  cela  prouve,  quoi 
qu'il  en  soit  de  la  réalité,  que  la  transliguration  du 
monde,  telle  que,  dans  ses  grandes  lignes,  la  comprend 
saint  Thomas,  ne  rc'pugne  pas  à  la  raison.  Elle  lui  ré- 
pugne d'autant  moins  que  ce  saint  docteur  suppose  une 
intervention  surnaturelle  de  Dieu  opérant  dans  la  nature 
un  changement  qui  lui  donnera  une  force  nouvelle.  On 
remarquera  encore  que  saint  Thomas  donne  dans  sa 
doctrine  un  rôle  particulier  à  la  lumière  et  au  feu, 
bien  qu'il  finisse  un  de  ses  articles  par  cette  phrase 
modeste  :  «  Quantitas  aiitem,  sirul  et  modus  inrliora- 
liiniis  un  soli  cor/nita  est,  qui  eril  meliorationis  auclor.  » 
[Lnr.  cit.,  art.  ."Vi  Les  auteurs  dont  je  parle  disent  quelque 
chose  d'analogue  quand  ils  assignent  une  inlluenr<^  par- 
ticulière à  la  lumière  et  à  la  chaleur.  (Cf.  (iustave  Li:bon, 
JJ Ivvolution  des  forées). 

NOTE  5,  V.  31. 

Saint  riiomas  concède  que  nous  avons  le  droit  d'espi'- 
rcr  les  biens  temporels,  puisque  nous  avons  le  droit  de 
les  demander,  conformément  à  ce  que  nous  a  enseigné 


302  l'espérance 

Notre-Seigneur  dans  l'Oraison  dominicale.  L'espérance 
regarde  la  béatitude  éternelle  comme  son  objet  princi- 
pal-, quant  au  reste,  elle  s'y  arrête  dans  la  mesure  où  ce 
reste  se  rapporte  à  cette  fin.  «  Spes  principaliter  quidon 
respicit  bealitudinem  seternam.  Alia  vero  qux  petuntur  a 
Deo,  respicit  secundario  in  ordine  ad  beatiludinem  aeter- 
nam.  »  (11^  II* ,  q.  xvn,  art.  2,  ad  2"'"). 

En  réalité  l'espérance  doit  suivre  tout  Tordre  de  la 
Providence  comme  l'enseigne  encore  saint  Thomas, 
dans  ses  commentaires  sur  les  psaumes  XX  et  L.  Mais 
la  Providence  embrasse  tout  dans  ses  desseins  et  fait 
tout  converger  vers  le  même  but.  «La  parfaite  prudence, 
dit  Bossuet,  ne  se  doit  proposer  qu'une  même  tin,  d'au- 
tant que  son  objet  est  de  mettre  l'ordre  partout;  et 
l'ordre  ne  se  trouve  que  dans  la  disposition  des  moyens 
et  dans  leur  liaison  avec  la  fin. 

...  L'imparfait  se  doit  rapporter  au  parfait,  la  nature 
à  la  grâce,  la  grâce  à  la  gloire...  Si  nous  allons  encore 
plus  avant  dans  le  dessein  de  Dieu,  nous  trouverons 
quatre  communications  de  sa  nature.  La  première  dans 
la  création,  la  seconde  se  fait  par  la  grâce,  la  troisième 
de  sa  gloire,  la  quatrième  de  sa  personne.  Et  si  le  moins 
parfait  est  pour  le  plus  excellent,  donc  la  création  regar- 
dait la  justification,  et  la  justification  était  pour  la  com- 
munication de  la  gloire,  et  la  communication  de  la 
gloire  pour  la  personnelle.  r>  ' Féliriié  des  saints.  Médi- 
tation.\  Il  s'en  suit  donc  que  l'ordre  naturel,  avec  les 
biens  qu'il  comporte,  ayant  un  rapport  avec  l'ordre 
surnaturel,  il  nous  est  permis  de  nous  y  attacher  et 
d'espérer  les  avantages  qu'il  nous  assure.  (Cf.  M^""  Gay. 
Les  vertus  chrétiennes  :  L'espérance  . 


DEUXIÈME  CONFÉRENCE 


NOTE  i,  p.  45. 


Saint  Thomas   IIMI  ^ ,  q.  xvii,  art.  1,  arf  2"'"^  détermine 
la  part  de  l'homme  et  de  ses  mérites  dans  la  conquête 


APPENDICES  303 

de  la  béatitude.  C'est  par  leiTet  de  Iû  piâce  que  l'homme 
.;evicnt  capable  d'espérer,  c'est  par  l'elfet  de  la  grâce 
qu'il  peut  mériter  la  béatitude.  De  sorte  que  la  béati- 
tude est  la  récompense  de  nos  actes  et  de  nos  mérites, 
mais  nos  actes  et  nos  mérites  n'ont  de  vertu  que  par  la 
grâce  qui  en  est  le  principe  et  à  laquelle  nous  ne  faisons 
que  coopérer  librement.  (Cf.  Cajetan.  IP  II^,  q.  xvii, 
art.  1,  ad  S""". 

NOTE  2,  p.  46. 

De  même  que  dans  l'objet  de  l'espérance  nous  avons 
distingué  ce  qu'il  y  a  de  principal  et  ce  qu'il  y  a  de 
secondaire,  ce  qui  est  absolu  et  ce  qui  est  relatif,  de 
même  dans  ses  appuis  nous  distinguons  l'appui  prin- 
cipal :  Dieu,  et  les  appuis  secondaires  qui  ne  sont  que 
fies  instruments  aux  mains  de  Dieu.  Saint  Thomas,  avec 
sa  sobriété  et  sa  clarté  habituelles,  détermine  le  rôle 
des  créatures  dans  l'exercice  de  l'espérance.  Il  dit  : 
Sicut  ergo  non  licet  sperare  aliqvnd  bonum  prieier  bea- 
tiludinem  sicut  ultimum  /inem,  sed  solum  sicut  id  quod 
est  ad  finem  bcalittidinis  ordinalum  :  ità  eiiam  non  licet 
sporare  de  aliquo  homine,  aut  de  alifjua  crealura,  sicut  de 
prima  causa  mooenie  in  beniiludinem.  Licet  aulem  sperare 
de  atiquo  hominc,  vel  de  aliqua  crealura,  sicut  de  agente 
secundario  et  inslrumenlali,  per  quod  aliquis  ndjuvalur 
ad  quiccumque  bona  conssquenda  in  beaiiludinein  ordi- 
nata  ».  (11^  II«,  q.  xvii,  art.  4). 

Il  y  a  donc  une  harmonie  parfaite  entre  les  biens 
secondaires  que  nous  espérons  et  les  agents  créés  qui 
nous  prêtent  leur  concours  dans  l'œuvre  de  notre  salut. 


NO  JE  3,  p.  48. 

Les  théologiens  s'accordent  pour  afiinncr  que  l'objet 
de  l'espérance  doit  réunir  quatre  éléments  :  un  bien, 
d'acquisition  difticile,  futur,  possible.  En  portant  sur 
un  bien,  l'espérance  se  distingue  de  la  crainte;  en  por- 
tant sur  un  bien  d'acquisilion  difticile,  elle  diU'èro  du 


I 


304  l'espérance 

désir;  en  portant  sur  un  bien  futur,  elle  se  distingue 
de  la  joie  et  en  portant  sur  un  bien  possible,  elle  se  dis- 
tingue du  désespoir.  Mais  les  auteurs  se  divisent  lors- 
qu'il faut  déterminer  ce  qu'il  y  a  de  formel  dans  l'objet 
de  l'espérance.  Les  uns  veulent  que  l'objet  formel  soit 
le  bien,  d'autres  le  bien  ardu,  d'autres  le  bien  possible. 
Nous  n'entrerons  pas  dans  cette  discussion  qu'on  trou- 
vera dans  tous  les  grands  théologiens  et  que  dernière- 
mentleP. Harentarenouvelée  trèslouguement.  Diction- 
naire de  théologie  catholique,  ^'sp^^'rfo^ce).  Mais  de  l'opi- 
nion qu'on  adopte  sur  cette  première  question  dépend 
la  solution  d'un  autre  problème  :  quel  est  l'appui  le  plus 
fondamental  de  l'espérance?  Si,  par  exemple,  1  objet  for- 
mel de  cette  vertu  est  le  bien,  l'appui  de  l'espérance  est 
la  bonté  divine.  Si  c'est  le  bien  ardu^  c'est  la  toute-puis- 
sance divine.  Jean  de  Saint-Thomas,  après  avoir  exposé 
les  principaux  systèmes  qui  sont  ceux  de  Suarez,  de 
Durand,  de  Yasquez,  s'arrête  à  cette  conclusion  qui 
nous  paraît  exprimer  l'idée  de  saint  Thomas  :  For- 
mnlis  ratio  spei  throloi/ica  fst  omnipoleniia  ouxilians, 
seu  divinum  auxilium  non  afjsoluté,  et  i/l  exe(jiiens  effcc- 
tus  ad  fjuos  concurrit  auxilium,  sed  qualenus  consUluit 
ipsum  honum  divinum,  seu  beaiiludinnn  in  rationc  boni 
ardui  asf^equibilis.  »  [De  spe.  Disp.  lY.  art.  I.,  XYI.) 

Plus  loin,  Jean  de  Saint-Thomas  explique  magnifi- 
quement sa  pensée.  Il  dit  que  le  bien  divin,  en  raison 
de  son  excellence,  devient  un  agent  incomparable,  capa- 
ble de  nous  conduire  à  la  béatitude,  de  résister  à  tous 
les  obstacles  et  de  vaincre  toutes  les  difficultés.  Si  l'on 
veut  étudier  à  fond  cette  question,  il  faut  savoir  ce  que 
saint  Thomas  dit  de  l'irascible  dont  l'espérance  est  une 
perfection,  en  se  rappelant  toutefois  que  dans  la 
volonté  1  irascible  et  le  concupiscible  ne  se  rencontrent 
pas  distinctement,  mais  implicitement,  eminenier.  (Cf. 
Jean  DE  Saint-Thomas,  loc.  cit.,  xvii-xviii). 


NOTE  4,  p.  49. 

Sur  la  possibilité  de  parvenir  à  la  béatitude,  envisa- 
gée du  côté  de  Dieu,  on  ne  saurait  trop  méditer  cette 


APPENDICES  305 

pensée  de  saint  Thomas,  à  savoir  que  les  êtres  infé- 
rieurs ont  besoin,  pour  arriver  à  leur  fin,  de  l'appui 
des  êtres  supérieurs,  auxquels  ils  sont  subordonnés. 
Ou  côté  de  rhomme,  la  possibilité  de  cette  béatitude  ne 
répugne  pas,  nous  l'avons  montré  dans  nos  conférences 
sur  la  Béatitude.  La  gloire  surnaturelle,  au  contraire, 
s'harmonise  très  bien  avec  la  nature  intellectuelle. 


NOTE  5,  p.  52. 

Bossuet  parle  dans  son  royal  langage  de  la  volonté 
qu'a  Dieu  de  sauver  ses  élus.  «  Il  (Dieu)  s'est  contenté 
de  dire  un  mot  pour  créer  le  ciel  et  la  terre.  Nous  ne 
voyons  pas  là  une  émotion  véhémente.  Mais  pour  ce  qui 
regarde  la  gloire  de  ses  élus,  vous  diriez  qu'il  s'y  appli- 
que de  toutes  ses  forces;  au  moins  y  a-t-il  employé  le 
plus  grand  de  tous  les  miracles,  l'Incarnation  de  son 
Fils.  Ne  s'est-il  pas  lié  et  comme  «  collé  d'affection  avec 
son  peuple?»  Conglutinatus  est  Doriiiniis  patribns  nostris. 
ïanlôl  il  se  compare  à  une  aigle  qui  excite  ses  petits  à 
voler,  tantôt  à  une  poule  qui  ramasse  ses  petits  poussins 
sous  ses  ailes.  Il  condescend  à  toutes  leurs  faiblesses  : 
son  amour  le  porte  à  l'excès,  et  lui  fait  faire  des  actions 
qui  paraissent  extra iagantes.  Ecoutez-le  comme  il  crie 
au  milieu  du  temple  :  Si  qni.s  sitit  veniat  ad  vie  et  virât. 
il  n'en  faut  pas  douter,  il  y  a  ici  une  inclination  véhé- 
mente. Jamais  Dieu  n'a  rien  voulu  avec  tant  de  passion  : 
or,  vouloir  à  Dieu,  c'est  faire.  Donc,  ce  qu'il  fera  pour 
ses  élus  sera  si  grand  que  tout  l'univers  ne  paraîtra 
rien  à  côté  de  cet  ouvrage.  Sa  passion  est  si  grande 
qu'elle  passe  à  tous  ses  amis  et  fait  remuer  à  ses  enne- 
mis tous  leurs  artifices  pour  s'opposera  l'exécufion  de 
ce  grand  dessein.  C'est  le  propre  des  grands  desseins  de 
s'étendre  à  beaucoup  de  personnes.  Et  nous  ne  jugeons 
jamais  un  dessein  si  grand  que  lorsque  nous  voyons 
que  tous  les  amis  y  prennent  part  et  que  tous  les  enne- 
mis s'en  remuent,  (^omme  ils  ne  s'excitent  qu'à  cause 
de  nous  et  que  nous  donnons  le  branle  à  leurs  mouve- 
ments, il  faut  (]ue  notre  émotion  soit  bien  grande  pour 
uorler  ses  coups  si  loin  »    h'ilicité  des  saints.  Méditation. 

l'espkrance.  —  20. 


oOG  l'espérance 


^OTE  6,  p.  57. 

On  lira  toujours  avec  profit  ce  que  le  même  Bossuet  a 
écrit  des  promesses  et  de  la  fidélité  de  Dieu.  Il  inter- 
prète, dans  le  panégyrique  de- sainte  Thérèse,  cette  belle 
parole  de  saint  Augustin.  (Cité  de  Dieu,  XVII,  8)  «  Tou- 
tes les  choses  que  Dieu  a  promises  selon  l'ordre  de  ses 
conseils  sont  déjà  en  quelque  sorte  accomplies,  parce 
qu'elles  sont  assurées.  »  Dans  son  sermon  sur  la  «  sou- 
mission due  à  la  parole  de  Dieu  »,  il  commente  encore 
ce  mot  de  saint  Thomas  :  Qui  promittit,  in  quantum  se 
obligal  ad  dandum,  jam  qnodammodo  dat.  W  II*, 
q.  Lxxxviii.art.  5,  ad.  2"'").«  Il  veut  dire  que  celui  qui  nous 
a  promis,  encore  qu'il  ne  nous  mette  pas  par  cette  pro- 
messe en  une  possession  actuelle,  néanmoins,  il  s'est 
en  quelque  sorte  dessaisi  lui-môme,  en  s'ôtant  la  liberté 
d'en  disposer  d'une  autre  manière.  ï>  L'évèque  de  Meaux 
trouve  les  mêmes  accents  pour  peindre  la  fidélité  de 
Dieu.  «  Si  le  temps  vous  semble  trop  long,  regardez  la 
fidélité  de  ses  promesses,  &icut  locutus  est.  Ce  qu'il  a  dit 
à  Abraham  sera  accompli  deux  mille  ans  après  :  il  a 
envoyé  son  Messie,  il  achèvera  le  reste  successivement; 
et  enfin  nous  verrons  un  jour  l'éternelle  félicité  qu'il 
nous  a  promise.  »  (Sermon  pour  la  Visitation  de  la 
Sainte  Vierge). 

NOTE  7,  p.  59. 

C'est  encore  Bossuet  que  nous  citerons  pour  achever 
ce  que  nous  avons  dit  sur  l'accomplissement  partiel 
des  promesses.  «  Il  connaît  notre  dureté  et  notre  cœur 
incrédule  :  il  sait  que  la  vie  future  ne  nous  touche  pas  : 
elle  nous  paraît  éloignée;  et,  cependant,  nos  esprits 
grossiers,  amusés  ou  emportés  par  les  biens  présents, 
ne  connaissent  pa5i  les  délices  de  ce  bienheureux  ave- 
nir. Que  fera  ce  divin  Sauveur?  Ecoutez  un  conseil  de 
sa  miséricorde.  «  En  vérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis,  il 
yen  aura  parmi  vous,  dit-il,  qui  ne  goûteront  point  la 
mort,  qu'ils  n'aient  vu  le  Fils  de  Dieu  dans  sa  gloire  et 
dans  son  royaume,..  Je  veux  aider  vos  sens,  je  veux 


APPENDICES  307 

soulager  votre  intirmité;  si  cette  félicité,  que  je  vous 
promets,  vous  semble  trop  éloignée  pour  vous  attirer, 
je  veux  vous  la  rendre  présente  :  je  la  ferai  voir  à  quel- 
ques-uns d'entre  vous,  qui  pourront  en  rendre  témoi- 
gnage aux  autres.  )>  Peu  de  jours  après  avoir  dit  ces 
mots,  il  mène  au  Thabor  trois  de  ses  disciples;  et 
comme  il  était  en  prière  (car,  mes  Frères,  c'est  dans 
l'oraison  que  la  gloire  de  Dieu  éclate  sur  nous),  comme 
donc  il  était  en  prière,  cette  lumière  infinie  qui  était 
cachée  sous  l'infirmité  de  sa  chair,  perçant  tout  à  coup 
ce  nuage  épais  avec  une  force  incomparable,  «  sa  force 
éclata  comme  le  soleil,  et  une  blancheur  admirable  se 
répandit  sur  ses  vêtements  ».  (Soumission  due  à  la 
parole  de  Dieu.) 


TROISIÈME  CONFÉRENCE 


NOTE  1,  p.  69. 

Quand  on  veut  comprendre  la  plus  grande  des  philo- 
sophies  humaines,  celle  d'Aristote,  la  plus  grande  des 
théologies  chrétiennes,  celle  de  saint  Thomas,  il  faut 
regarder  et  réfléchir.  Quand  on  regarde  et  quand  on 
réfléchit,  on  s'aperçoit  que  le  moindre  mouvement  de 
l'être  ou  de  la  vie  ébranle  une  foule  de  nerfs,  de  mus- 
cles, d'énergies  de  toutes  sortes.  Les  ennemis  de  la 
scolaslique  n'ont  pas  envisagé  ce  phénomène  évident 
pour  tous,  quand  ils  l'ont  accusée  avec  tant  de  légèreté 
de  multiplier  les  puissances,  les  facultés,  les  vertus. 

NOTE  2,  p.  72. 

Les  théologiens  se  sont  demandé  si  l'homme  pouvait, 
grâce  à  une  espérance  acquise^  prétendre  à  un  bonheur 
.surnaturel,  l  Irinn  cirra  bonum  su/imid/iirale  possi/  rc/- 
sirri  spcs  ex  molivo  naturali,  quœ  lumen  .sil  Inniesla  et 
bona.  Terres,  d'après  Jean  de  Saint-Thomas,    be  spe,  q. 


308  l'espérance 

XVII,  art.  4)  l'a  prétendu..  Mais  la  généralité  des  théolo- 
giens condamne  cette  opinion,  qui  introduirait  dans 
l'organisme  surnaturel  une  quatrième  vertu  théologale. 
Jean  de  Saint  Thomas  réfute  cette  erreur  et  en  même 
temps  explique  en  quel  sens  Banez  et  Médina  ont  parlé 
d'une  espérance  acquise.  On  verra  dans  cette  disserta- 
tion quel  souci  ces  grands  théologiens  avaient  de  ne 
pas  donnera  nos  efforts  naturels  une  portée  et  un  objet 
surnaturels. 


NOTE  3,  p.  74. 

Saint  Thomas  enseigne  que  l'espérance  est  une  per- 
lection  de  la  volonté. 

Dans  son  commentaire  (sur  l'art.  1  de  la  q.  xviii,  H'  II*) 
Cajetax  fait  observer  que  aimer  et  espérer  sont  des 
actes  qui  ne  diffèrent  qu'accidentellement.  «  Diligerc 
enim  significat  velle  bonum  alicui  :  sperare  autem  velle 
bonum  arduum  possibile  sibi.  Apporet  siquvlein  m  his  de/î- 
nitionibus,  quod  eadcm  est  subsla^ifialis  ratio  actus,  scili- 
cet  velle,  diversx  autevi  ejus  conditiones  videniur,  secun- 
dum  quod  diversimode  ad  bonum  tendunt.  »  On  voit  par 
ces  mots  comment  d'un  côté  l'espérance  appartient  à  la 
volonté,  comment  de  l'autre  il  est  juste  de  parler  de 
l'espérance  comme  d'un  amour. 

Saint  Thomas  fait  aussi  remarquer  que  les  mouve- 
ments propres  à  l'appétit  sensitif  sont  accompagnés  de 
passion,  que  les  mouvements  propres  à  la  volonté  en 
sont  exempts. 

Il  ajoute  que  l'objet  de  l'irascible  ipuisssance  sensi- 
tivel  est  le  bien  sensible  d'acquisition  difficile',  arduum 
sensihile,  que  l'objet  de  l'espérance  théologale  est  le  bien 
intelligible  d'acquisition  difficile,  ou  plutôt  le  bien  qui 
dépasse  en  soi  toute  intelligence  créée,  arduum  intelli- 
gibile  vel  potius  supra  inleUectinn  existens.  (ad  1"'"). 

Il  dit  enfin  ad  3'""  que  l'acte  de  charité  et  l'acte  d'es- 
pérance étant  distincts  exigent  dans  la  volonté  des 
vertus  distinctes,  mais  que  le  mouvement  d'espérance  et 
de  charité  étant  subordonnés  entre  eux  peuvent  émaner 
de  la  même  puissance,  sicut  et  intelleclus  potest  simul 
multa  inlelVigere  ad  invicem  ordinata.  (ad  "2"'"  et  3'""). 


APPENDICES  309 

Dans  la  même  question  xviii,  art.  2,  saint  Thomas  se 
demande  si  l'espérance  demeure  dans  les  bienheureux, 
li  répond  négativement,  parce  que  l'on  n'espère  plus 
ce  que  l'on  possède. 

Ad  1"'".  Les  bienheureux  n'espèrent  pas  la  continuation 
de  leur  bonheur,  car  ils  partagent  en  quelque  manière 
l'éternité  de  Dieu  qui  est  en  dehors  et  au-dessus  du 
temps,  cfficiuntur  quodammodo  parlicipes  xternitalis  di- 
vinx.  qiue  excedit  omne  iempus,  etc. 

Ad  2"'".  Ils  n'ont  plus  besoin  de  l'espérance  pour 
attendre  le  bonheur  des  autres,  car  ils  espèrent,  en 
vertu  de  la  charité  e.v  amore  charitnlis. 

Ad  3'"".  Ils  n'espèrent  plus  la  gloire  de  leur  corps 
comme  nous  le  faisons  ici-bas,  car  cette  gloire  est 
facilement  abordable  pour  l'àme  glorilièe,  non  habet  ra- 
tionem  ardui  respectu  halientis  gloriam  animx. 

Dans  l'article  3,  le  saint  docteur  refuse  l'espérance  aux 
damnés  parce  que  les  damnés  savent  qu'ils  ne  peuvent 
plus  échapper  à  leur  malheur,  ni  parvenir  à  la  béati- 
tude, nd  condilionem  misevia;  damnatorum  perlinrt,  ut 
ip.si  sciant  quod  nullo  mo'Io  possunt  damnationem  eva- 
c/evp,  et  nd  bnititudinem  pcrvonire. 

Pour  compléter  cette  question,  il  faut  consulter  III''  P. 
q.  VII,  art.  \.  où  saint  Thomas  conclut  que  le  Christ 
n'eut  pas  la  trr/u  d'espérance,  bien  qu'il  eût  une  cer- 
taine espérance  portant  sur  les. biens  qu'il  ne  possédait 
pas  encore,  virlutem  spei  non  linbuit,  habuit  tcnncn  spcni 
yespeclu  alujnornin  qme  nondtnn  erat  ndeplri.  »  (Cf. 
(jAJETan,  Ibid.  Num  spei  in  Chrislo  fucrit  habitus  et 
q  lia  lis?) 

NOTE  4,  p.  83. 

Tous  les  théologiens  ont  Imité  do  la  certitude  de 
l'espérance,  nous  ne  répéterons  pas  ce  qu'ils  en  ont  dit. 

Le  Concile  de  Trente  a  résumé  ce  qu'il  faut  cioireàce 
sujet  :  a  On  ne  doit  pas  dire  que  les  péchés  sont  par- 
(!onnés  à  quiconque  vante  sa  confiance  et  la  certitude 
('(•  la  rémission  de  ses  péchés  i^t  se  repose  uni(|uemi'nt 
liidessns...  Celte  contianc(M-sl    \aine  et  bien  loin  de  la 

[lirlé. 

Il    ne    faut  pas  dire   non    plus  (|ue  les   vrais   iustes 


310  l'espérance 

doivent  se  persuader  sans  le  moindre  doute  qu'ils  sont 
justifiés...  comme  si  en  dehors  de  cette  persuasion  on 
doutait  des  promesses  de  Dieu  et  de  l'efiicacité  de  la 
mort  et  de  la  résurrection  du  Christ.  Car,  si  l'on  ne 
peut  sans  impiùté  douter  de  la  miséricorde  de  Dieu,  du 
mérite  du  Christ,  et  de  l'efficacité  des  sacrements,  on 
peut  toujours  quand  on  se  regarde  soi-même  et  sa 
propre  faiblesse  et  son  peu  de  disposition,  craindre  et 
redouter  de  n'élre  pas  en  état  de  grâce,  personne  ne 
pouvant  savoir,  d'une  certitude  infaillible  de  foi,  qu'il 
est  en  état  de  grâce.  »  (Cf.  Harent.  Dictionnaire  de 
théologie  catholique.  Espérance,  p.  616  et  seq.). 

Mgr  d'Hulst.  (Conférences,  18!^2  L'espérance  en  Dieu) 
dit  très  justement:  «Elle  est  donc  trois  fois  assurée 
du  côté  de  Dieu,  cette  bienheureuse  espérance.  Que 
lui  manque-t-il,  sinon  d'être  pareillement  assurée 
du  nôtre  ?  L'œuvre  de  notre  bonheur  se  poursuit  en 
commun  entre  Dieu  et  nous.  Il  nous  appartient  d'y 
mettre  le  dernier  sceau  et  de  la  conduire  jusqu'à  son 
terme.  C'est  à  quoi  nous  exhorte  l'apôtre  saint  Pierre 
quand  il  nous  dit  :  «  Elforcez-vous  de  rendre  votre 
élection  et  votre  vocation  certaines  par  vos  bonnes 
œuvres..  »  Dans  ce  concert  de  deux  volontés  Dieu  a  fait 
sa  part  ;  faisons  la  nôtre^  et  rien  ne  saurait  plus 
ébranler  la  certitude  de  notre  espoir.  » 

y  OIE  5,  p.  83. 

Les  études  de  M.  31âle  sur  Eart  religieux  au  xiii^  siècle 
en  France^  sur  Eart  religieux  de  la  fin  du  moyen  âge  en 
France  sont  pleines  d'enseignements  précieux.  On  y  voit 
l'influence  que  les  théologiens  comme  Vincent  de  Beau- 
vais  exercent  sur  l'inspiration  des  artistes.  On  y  voit  les 
dilï'érents  symboles  sous  lesquels  on  représente  l'espé- 
rance. Tantôt  cette  vertu  apparaît  avec  une  ancre,  tantôt 
avec  une  corne  d'abondance,  tantôt  avec  le  bâton  du 
voyageur,  tantôt  avec  une  branche  fleurie,  etc.  Ce  que 
l'auteur  de  l'admirable  ouvrage  que  nous  citons  n'a  pas 
assez  compris,  c'est  que  ces  artistes  n'ont  mis  en  relief 
dans  leurs  sculptures  ou  dans  leurs  peintures  qu'un  at- 
tribut de  la  seconde  vertu  théologale. 


APPENDICES 


ISOTE  6,  p.  87. 


âli 


Pour  comprendre  que  respéranceestlaborieuse,il  suf- 
fit de  se  rappeler  qu'elle  est  une  vertu,  c'est-à-dire  une 
puissance  active.  Pour  comprendre  qu'elle  est  une  puis- 
sance militante,  il  suffit  de  se  rappeler  qu'elle  appar- 
tient à  ce  qu'il  y  a  de  combatif  dans  la  volonté  et  de  lui 
appliquer  ce  que  saint  Thomas  dans  la  Somme  (P  Pars) 
enseigne  de  l'Irascible. 


QUATRIÈME  CONFÉRENCE 


NOTE  1,  p.  99. 


Il  y  a,  en  apparence,  une  grande  diirérence  entre  le 
quiétisme  de  Molinos  et  celai  de  Fénelon.  En  réalité, 
l'un  et  l'autre  ruinent  la  vertu  d'espérance  et  l'éliminent 
de  la  vie  chrétienne  des  âmes  parfaites. 

Molinos  fut  condamné  par  Innocent  XI,  qui  proscrivit, 
en  1G87,  les  deux  propositions  suivantes  :«  L'âme  ne 
doit  penser  ni  à  la  récompense,  ni  à  la  punition,  ni  au 
paradis,  ni  à  l'enfer,  ni  à  la  mort,  ni  à  l'éternité. 

«Celui  qui  a  donné  àDieuson  libre  arbitre  nedoit  avoir 
souci  de  rien,  ni  de  l'enfer,  ni  du  paradis:  il  ne  doit  pas 
désirer  sa  propre  perfection,  ni  les  vertus,  ni  sa  propre 
sainteté,  ni  son  propre  salut,  dont  il  doit  purifier  l'es- 
pérance. )) 

Fénelon  essaya  sans  y  réussir  de  mitiger  les  doctrines 
condamnées.  Poursuivi  par  Hossuet  et  par  d'autres  théo- 
logiens, il  adopta  successivement  quatre  systèines  qui 
ne  suffisaient  ni  à  sauver  la  saine  philosophie,  ni  à  sau- 


ver la  loi 


Premier  système.  —  «  Ne  peut-on  pas  supposer  qu'il  y 
a  deux  es|)érances  comme  deux  amours,  et  que  l'espé- 
rance inléi(^ssée  répondant  à  l'amourde  concupiscence, 
l'espérance  désintéressé!^  répondu  l'amour  d'amitié  ?  » 
Non.  car  l'amour  intéressé  est  essenlii'l  à  l'espérance, 
l'amour  désintéressé  se  confond  avec  la  cliarilé. 


315  l'espérance 

Deuxième  système.  —  L'espérance  théologale  est  en  soi 
intéressée,  mais  comme  elle  est  rerifermée  éminemment 
dans  l'acte  de  charité,  celui-ci  peut  satisfaire,  clicz  les 
parfaits,  non  seulement  au  précepte  de  la  charité,  mais 
encore  au  précepte  de  l'espérance. —  Alors  à  quoi  sert 
l'espérance  chez  les  parfaits?  Que  deviennent  les  pré- 
ceptes qui  ordonnent  à  tous  d'exercer  les  actes  de  vertus 
distinctes  :  l'espérance  et  la  charité? 

Troisième  système.  —  La  charité  chez  les  âmes  les  plus 
parfaites  commande  l'acte  d'espérance  et  par  là  même  le 
rend  désintéressé  d'intéressé  qu'il  était  en  soi.  —  Com- 
ment l'acte  d'espérance,  intéressé  en  soi,  peut-il  perdre 
ce  caractère  essentiel  par  le  fait  qu'il  est  dominé  par 
l'acte  de  charité?  A  quoi  sert  l'espérance? 

Quatrième  si/stème.  —  L'espérance  intéressée  du  vul- 
gaire se  compose  de  naturel  et  de  surnaturel.  Le  naturel 
c'est  la  tendance  à  l'intérêt  propre;  si  on  purifie  l'espé- 
rance de  cet  élément  étranger  on  arrive  à  l'espérance 
absolumentsurnaturelle  et  absolument  désintéressée.  — 
Mais  au  fond  du  quatrième  système  on  trouve  toujours 
la  même  erreur,  c'est-à-dire  l'idée  d'une  espérance  qui 
ne  s'occupe  plus  du  bien  propre,  qui  n'est  plus  la  vertu 
commandée  par  le  christianisme. 

En  réalité.  Fénelon  supprime  la  vertu  d'espérance,  et 
sa  pensée,  quelles  que  soient  les  formes  sous  lesquelles 
elle  se  dissimule,  'este  substantiellement  la  même. 

Nous  empruntons  au  dictionnaire  de  la  théologie  ca- 
tholique. Espérance,  ces  quelques  notes  rapides  que  le 
P.  Harent  explique  avec  beaucoup  de  clarté. 

Vingt- trois  propositions  de  Fénelon  furent  condam- 
nées par  Innocent  XII  en  1G9!).  Elles  étaient  extraites  de 
l'Explication  des  Maximes  des  saints  sur  la  vie  intérieure. 

Voici  celles  qui  se  rapportentplus  directement  à  notre 
sujet: 

jre  p,.op.  —  Il  y  a  uu  état  habituel  d'amour  de  Dieu, 
gui  est  une  charité  pure  et  sans  mélange  de  l'intérêt 
propre.  Ni  la  crainte  des  châtiments,  ni  le  désir  des 
récompenses  n'ont  plus  de  part  à  cet  amour. 

2'^  Prop.  —  Dans  l'état  de  vie  contemplative,  on  perd 
tout  motif  intéressé  de  crainte  et  d'espérance... 

4*=  Prop.  —  Dans  l'état  de  la  sainte  indifférence  l'âme 
n'a  pas  de  désirs  volontaires  et  délibérés  pour  son  inté- 


APPENDICES  3 13 

rct,  excepte  aans  les  occasions  où  elle  ne  coopère  pas 
lidèlement  à  toute  sa  grâce. 

6"  Prop.  —  En  cet  état,  on  ne  veut  plus  le  salut 
comme  salut  propre,  comme  délivrance  élernelle, 
comme  récompense  de  nos  mérites,  comme  le  plus 
grand  de  tous  nos  intérêts,  mais  on  le  veut  d'une  vo- 
lonté pleine,  comme  la  gloire  et  le  bon  plaisir  de  Dieu, 
comme  une  chose  qu'il  veut,  et  qu'il  veut  que  nous 
voulions  pour  lui. 

W"  Prop.  —  En  cet  état  (d'épreuve)  une  âme  perd 
toute  espérance  pour  son  propre  intérêt;  mais  elle  ne 
perd  jamais,  dans  la  partie  supérieure,  l'espérance  par- 
faite qui  est  le  désir  désintéressé  des  promesses. 

23''  Prop.  —  Le  pur  amour  fait  lui  seul  toute  la  vie 
intérieure,  et  devient  alors  l'unique  principe  et  l'uni- 
que motif  de  tous  les  actes  délibérés  et  méritoires. 


NOTE  2,  p.  110. 

«  11  y  a  bien  de  la  différence,  dit  saint  François  de 
Sales,  entre  cette  parole  :  J'aime  Dieu  pour  le  bien  que 
j'en  attends,  et  celle-ci  :  Je  n'aime  Dieu  que  pour  le  bien 
que  j'en  attends.  »  Traité  dr  l'amour  de  Dieu.,  liv.  H. 
ch.  XVII.  La  première  est  correcte  et  la  seconde  serait 
tf  sacrilège  ».  D'autre  part,  si  Fénelon  a  été  condamné, 
c'est  parce  qu'il  admettait  l'amour  pur  comme  élat,  ce 
qui  exclut  de  l'économie  chrétienne  la  vertu  d  espérance. 
L'Eglise  n'a  pas  condamné  l'amour  pur  comme  acte. 
Massoulié  fut  un  des  adversaires  de  Fénelon  et  il  fit  un 
travail  qui  prépara  la  condamnation  de  l'archevêque  de 
Cambrai.  Cependant  ce  grand  théologien  a  écrit  :  «  Les 
actes  ont  bien  moins  d'étendue  que  les  habitudes,  et  ils 
peuvent  se  porter  à  un  objet  particulier  (auquel  on  ne 
pourrait  se  porter  habituellement).  Ainsi  il  arrive  quel- 
quefois qu'une  àme,  ou  dans  sou  oraison  ou  dans  un 
transport  d  amour,  ne  regardant  et  n'aimant  que  1m 
bonté  de  Dieu  en  elle-même,  ne  songe  en  ce  moment,  ni 
à  son  intérêt,  ni  à  sa  béatitude,  ni  à  la  possession  du 
souverain  bien  comme  possession  propre  et  qui  doit  la 
rendre  heureuse.  »  (Trailr.  de  t'innonr  ilr  Dieu,  2"  par- 
tie, ch.  XIII.)  De  son  côté,  Benoit  XIV  dit  :  «  Attendu  que 


314  l'esi'Krance 

le  point  litigieux  entre  l'archevêque  de  Cambrai  et 
l'évèque  de  Meaux  ne  concerne  pas  l'acte  d'amour,  mais 
ri'/at  habituel  d'amour...  »  (iJe  bralifiralione  et  canoni- 
zatione^  liv,  II,  ch.  xxxi,  n°  10 1.  Cf.  Harent,  loc.  cit. 
p.  603. 

Avouons  d'ailleurs  que  les  docteurs  et  les  mystiques 
n'ont  pas  toujours  parlé  avec  précision.  Parfois  ils  sem- 
blent exalter  l'amour  de  charité  jusqu'à  y  absorber 
l'amour  d'espérance.  Pour  avoir  leur  viaie  pensée, il  faut 
se  reporter  aux  passages  où  ils  recommandent  expressé- 
ment l'espérance  qui,  dans  leur  esprit,  en  traîne  un  amour 
intéressé.  C'est  ce  qu'a  fait  Bossuet  dans  sa  réfutation 
du  quiétisme.  Il  a  examiné  les  textes  de  l'Ecriture,  des 
Conciles,  de  la  Tradition  invoqués  par  Fénelon.  et  mon- 
tré que  ces  textes  n'excluent  pas  l'amour  intéressé. 
Cependant  Bossuet  admet  que  les  saints  ont  usé  parfois 
d'un  langage  exagéré.  (Cf.  Divers  écrits  sur  le  livre 
intitulé  :  E.rplication  des  mnxiiues  des  saints.  Préface  sur 
l'instruction  pastorale  donnée  à  Cambrai,  le  13  sep- 
tembre 1697,  etc.). 


xWTE  ;j,  p.  113. 

Les  stoïciens  feignaient,  comme  les  quiélisle.<,  de 
n'attacher  de  prix  qu'à  la  vertu  considérée  en  elle-même 
et  abstraction  faite  de  tout  intérêt  personnel.  M.  Jules 
Lemaître  Fénelon.  p.  270  et  suiv.j  fait  observer  que 
l'on  trouve,  dans  Mme  de  Warens,  dans  Jean-Jacques 
Rousseau,  dans  Lamartine,  des  traces  de  quiétisme. 
«  Mais  quand  cet  état  d'esprit  amour,  abandon  sera 
détaché  du  dogme,  j'en  suis  bien  fâché,  ce  sera  toute 
la  religion  de  Mme  de  Warens  qui  avait  conservé  des 
relations  avec  les  quiétistes  de  Thonon  et  de  Genève  et, 
peut-être,  avec  des  anciennes  amies  de  MmeGuyonl;  et 
ce  sera,  vers  la  fin,  loule  la  religion  de  Jean-Jacques 
Rousseau....  Rousseau  a  connu  «  l'oraison  de  simple 
présence  de  Uieu  et  la  contemplation  passive  »;  il  a 
connu  r«  abandon  ».  Il  nous  rappelle  ces  passages  des 
Hèveries  :  «  Je  doute  quo  jamais  un  mortel  ait  mieux  et 
plus  sincèrement  dit  à  Dieu  :  que  la  volonté  soit  faite!  » 


APPENDICES  315 

Il  se  dit  «  détaché  de  tout  ce  qui  lient  à  la  terre...  déli- 
vré même  de  l'inquiétude  de  l'espérance  ». 

D'après  M.  Jules  Lemaître,  Lamartine  aurait  laissé 
paraître  un  certain  goût  pour  le  quiétisrne  dans  les  Har- 
monies et  dans  J'ivelyn.  M.  Lemaître  cite  à  l'appui  de  son 
sentiment  un  patsage  des  Harmonies  et  ce  passage  de 
Jocelyn. 

Quand  celui  qui  vouluL  tant   souffrir  pour  ses  frères 
Dans  sa  coupe  sanglante  eut  vidé  nos  misères, 
11  laissa  dans  le  vase  une  âpre  volupté; 
Et  cette  mort  du  cœur  qui  jouit  d' clle-mi'me 
Cet  avant-goût  du  ciel  dans  la  douleur  suprême, 
0  mou  Dieu,  c'est  ta  volonté!  etc. 

«  J'oserais  presque  dire,  continue  le  conlércncier,  que 
le  pur  amour,  dégénéré,  destitué  de  l'appui  du  dogme, 
aboutit  à  des  choses  comme  les  effusions  de  spiridion  ou 
des  sept  cordes  de  la  lyre,  ou  comme  certaines  religio- 
sités ferventes  et  vagues  de  1848  ». 

Comme  l'explique  le  P.  Harent  (loc.  cit.,  col.  672),  «  le 
rationnalisme  moderne  a,  d'ordinaire,  proclamé  en  mo- 
rale un  désintéressement  exagéré».  Ce  mouvement  s'est 
produit  à  la  suite  du  jansénisme  qui  prêchait  la  destruc- 
tion du  moi,  et  à  la  suite  de  Kant.  «  La  loi  morale,  dit 
Paul  Janet,  a  ce  caractère  de  demander  à  être  accomplie 
par  respect  pour  elle-même,  et  c'est  là  ce  {[u'on  appelle 
le  devoir...  On  dira  que  dans  ses  récompenses  et  peines, 
la  loi  sera  inefficace.  Je  réponds  :  elle  sera  ce  qu'elle 
sera;  mais  si,  pour  la  rendre  efficace,  vous  en  détruisez 
l'essence,  vous  la  rendez  bien  plus  ineffic.ice,  car  vous 
la  rendez  nulle.  »  (Cité  par  le  P.  Harknt,  loc.  cil.)  Nos 
manuels  scolaires,  nos  Buisson  r(''pètent  sans  cesse  que 
la  morale  catholique  est  celle  du  plaisir  et  de  l'inté- 
rêt, etc.  Ignorance  de  la  doctrine  catholique,  ignorance 
de  kl  nature  humaine  ! 

NO 77-:  4,  p.  113. 

On  sait  comment  Molinos.  après a\oir  préconisé  la  doc- 
trine (le  l'amour  et  de  la  sainto  indilltMcmce.  en  arrivait 
à  (lire  ([u'il  ne  l'allait  s'infpiiélcr  nides  pensées  les  plus 


316  L'ËSPÉnANCE 

honteuses,  ni  des  actes  les  plus  gravement  coupables,  et 
aboutissait  aune  licence  ell'iénée. 

Jean-Jacques-Rousseau  a  essayé  de  concilier  sa  con- 
templation passive  avec  un  dévergondage  dont  il  ne 
rougissait  plus;  il  raconte  dans  ses  Confessions  ce 
qu'était  la  vie  morale  de  Muie  de  Warens  qui  ne  s'aban- 
donnait à  Dieu  que  pour  s'abandonner  sans  remords  à 
la  pire  mollesse  et  aux  pires  instincts. 

Nos  manuels  scolaires,  en  même  temps  qu'ils  repro- 
chent au  catholicisme  d'être  trop  inléressé,  réclament 
sans  cesse  des  augmentations  de  salaire,  et  avec  quelle 
àpretél  S'ils  étaient  logiques,  ils  banniraient  toute  idée 
de  récompense  de  leur  code. 

Je  ne  dirai  rien  de  la  chimérique  solidarité  de 
M.  Bourgeois  qui.  par  certains  côtés  aussi^,  ver^e  dans  le 
quiélisme. 

NOTE  5,  /j.  H6. 

11  faut  ajouter  ici  que  l'on  doit  aimer  Dieu  et  parce 
qu  il  est  bon  pour  nous  et  parce  qu'il  est  bon  en  lui- 
même,  tout  en  subordonnant  le  premier  amour  au 
second,  car  Dieu  est  meilleur  en  lui-même  qu'il  ne  l'est 
dans  la  communication  qu'il  nous  fait  de  lui-même. 
Hossuet,  saint  François  de  Sales,  saint  Thomas  nous  ré- 
pètent que  noiîs  avons  divers  motifs  d'aimer  Dieu,  mo- 
tifs qi:i  s'appelent  les  uns  les  autres.  Massoulié  a 
prouvé,  en  remonlant  au.\  principes,  que  nous  n'aime- 
rions pas  Dieu  autant  qu'il  faut  laimer  si  nous  ne  le 
considérions  en  sa  qualité  d'Etre  parfait  souveraine- 
ment aimable  en  soi,  et  en  qualité  de  suprême  bienfai- 
teur des  créatures.  (Traité  de  l'amour  de  Dieu). 

^'OTE  0.  p.  116, 

Ce  serait  l'occasion  de  rappeler  la  fameuse  distinction 
des  scolastiques  qui  parlent  du  finis  cui  et  du  finis  cujus 
r/ratià.  Saint  François  de  Sales  [loc.  cit.,  liv.  II,  ch.  xvii) 
traduit  ainsi  celle  distinction  :  «  C'est  chose  bien  diverse 
dédire  :  J'fiime  Dieu  |)0ur  moi.  et  dire  :  J'aime  Dieu 
poir  l'amour  de  moi;  quand  jf^  dis  :  J'aime  Dieu  pour 


APPENDICES  3  I  7 

moi,  c'est  comme  si  je  disais  :  J'aime  avoir  Dieu,  j'aime 
que  Dieu  soit  à  moi,  qu'il  soit  mon  souverain  bien,  qui 

est  une  sainte  atiection  de  l'amour  céleste Mais  dire: 

J'aime  Dieu  pour  l'amour  de  moi,  c'est  comme  qui 
dirait  :  L'amour  que  je  me  porte  est  la  fin  pour  laquelle 
j'aime  Dieu,  en  sorte  que  l'amour  de  Dieu  soit  dépen- 
dant, subalterne  et  inférieur  à  l'amour-propre  que  nous 
avons  envers  nous-mêmes,  qui  est  une  impiété  non- 
pareille». 

Chose  étrange,  des  hommes  comme  ïaine  ont  eu  la 
vague  intuition  de  ces  vérités.  «  Lamour  vrai...  n'est 
point  accapareur  et  destructeur,  comme  l'amour  sen- 
suel et  les  amours  de  convoitise;  il  n'aspire  pas  à  faire 
de  l'objet  aimé  une  sim/jle dépendance  de  soi-môme  etc.  ». 
Correspondance,  t.  I,  p.  Go.  '  " 


CliXQUIÈME  CONFÉRENCE. 


NOTE  1,  p.  128. 


La  correspondance  de  Taine  nous  livre  le  secret  du 
désespoir  amer  qui  se  cache  sous  les  apparences  d'une 
sérénité  factice.  Cette  correspondance  est  pleine  de  ré- 
flexions comme  celle-ci  :  «  C'est  que  j'asi)ire  à  quelque 
chose  d'infiniment  plus  relevé,  ce  qui  est  la  perfec- 
tion d'un  philosophe.  Je  sais  qu'elle  n'e.xiste  pas  dans 
le  genre  humain,  et  que  si  quelque  chose  en  approche, 
ce  n'est  pas  la  femme,  c'est  l'homme,  de  sorte  que  mon 
idéal  serait  bien  plutôt  une  amitié  qu'un  amour.  Il  y  a 
plus  ;  j'y  ai  renoncé;  celte  tristesse  calme,  ce  découra- 
gement raisonné  qui  ma  pris  à  l'endroit  de  la  pensée, 
me  prend  à  l'endroit,  de  l'amour;  je  n'espère  pas.  Nui 
homme  réfléchi  ne  peut  espérer.  Et  alors,  voici  ce  qui 
arrive;  devant  celte  impossibilité,  un  sentiment  grand 
cl  mélancolique  me  saisit;  celte  sève  de  la  vie  humaine 
si  mutilée,  cette  nécessité  où  l'on  est  de  ne  |)ouvoir 
uimer  qu'à  demi  et  les  autres  et  soi-uiêtne,  ce  vice 
radical  do    l'homme  qui,  blessé  dans    le    fond  de   sou 


318  l'espérance 

être,  se  traîne  sans  jamais  pouvoir  être  guéri  sur  le 
chemin  que  lui  ouvre  le  Temps,  tout  cela  m'émeut 
codime  cette  vue  de  la  mer  et  des  vaisseaux  en  péril  ». 
(Corre.^pondnnce,  t.  I,  p.  o4-oo  .  On  trouverait  des  déses- 
poirs analogues  dans  Renan  et  dans  Berthelot. 


NOTE  2,  p.  133. 

Les  théologiens  insistent  beaucoup  sur  ce  caractère 
de  renoncement  positif  au  bonheur  qu'entraîne  le  vrai 
désespoir.  Taine  nous  parle  de  ce  renoncement  qui 
s'impose  à  quiconque  s'est  dit  comrne  lui  :  «  Le  bonheur 
est  impossible  ».  [Luc.  cAt.^  p.  47.) 


NOTE  3.  p.  136. 

11  n'ya  aucune  difficulté  pourexpîiquerque  le  bonheur 
est  inaccessible,  s'il  n'existe  pas.  Ce  qui  est  plus  diffi- 
cile à  comprendre,  c'est  que  l'homme,  par  nature, 
aspire  aune  félicité  qui  lui  est  interdite.  Pourquoi  cette 
aspiration  qui  n'a  pas  d'objet,  alors  que  nous  voyons 
partout  une  réalité  répondre  aux  désirs  des  êtres  ?  Taine 
dit  encore  :  «  Mon  objet  est  le  bien,  ou  l'Etre  comme 
nous  disions  en  métaphysique.  »  {Loc.  cit.,  p.  52.  Mais 
si  le  bien  n'est  pas,  si  l'Etre  n'est  pas,  que  reste-t-il  de 
l'objet?  Si  le  bien  et  l'Etre  sont,  pourquoi  désespérer  de 
les  atteindre? 

NOTE  4,  p.   137. 

Les  théologiens  se  livrent  à  un  long  effort  pour  mon- 
trer que  Ton  peut  désespérer  sans  être  incrédule.  Saint 
Thomas  IV^*  11"",  q.  xx,  art.  2.  résout  ce  problème  en  ces 
termes:  «.  Inf/delitnx  pertinet  nd  intellcrtum^  desperalio 
autem  ad  vim  appetitivam,  inielleclus  autem  universalium 
est,  sed  vis  appelitiva  mnvetur  circa  parlicAilares  res... 
Contingit  autem,  aliquem  habentem  rectam  lesiimationem 
iji  universali,  circa  motum  appetitivum  non  recte  se 
liahere^  corrupla  ejus  icstimatiune  particulari...  Aliquis 
relinendo  in  ^lni}^ersali  verayn  xitxmationem   fidei,  quod 


APPENDICES  319 

scilicet  est  remissio  peccatorum  in  Ecdesia,  potest  tamen 
pâli  motum  desperationia,  quod  scih'cet  sibi  in  tait  slatu 
existenti  non  sit  sperandum  de  venia,  corricpta  œstima- 
tione  ejus  circa  partie ul aria. 

Et  per  hune  modum  potest  esse  desperatio  sine  infidcli- 
tate,  sicut  et  alla  peccata  mortalia  ». 


NOTE  3,  p.  Ul. 

Il  faut  insister  sur  cette  raisoo,  à  savoir  que  plus  un 
péché  nous  sépare  directement  de  Dieu,  plus  il  est 
grave.  «  Principaliter  consistunt  in  aversione  a  hono 
iiicommutabili  peccata  quie  opponuntur  virtulibus  tlieulo- 
gicis,  ut  odiuni  Dei,  et  desperatio,  et  infidelitas,  quia  vir- 
tutes  theologicse  habent  Deum  pro  objecto ;  ex  consequenti 
autem  important  conversionem  ad  bonum  commutabile... 
Peccata  vero  alia  principaliter  consistunt  in  conversione 
ad  bonum  commutabile  \  ex  consequenti  vero  in  aversione 
ab  incomniutabili  bono.  Non  emm  qui  fornicalur,  inten- 
dit de  Deo  recedere,  sed  carnali  delectatione  frui,  ex  quo 
sequitur,  quod  a  Deo  recédât.  »  11^  ïl^ ,  q.  xx,  art.  1", 
ad  1""'. 


NOTE    6,  p.  U8. 

Rappelons  que  le  quiétisnie  autorisait  le  désespoir. 
Bossuet  s'élève  justement  contre  cet  abominable  ensei- 
gnement. «  La  tentation  du  désespoir,  dit  l'évêque  de 
Meaux,  consiste  à  induire  l'âme  à  croire  invinciblement 
qu'il  n'y  a  point  de  salut  pour  elle.  Or  une  âme  sainte 
est  représentée  comme  tombée  dans  cet  état  par  le 
sc(;ond  caractère  qui  comporte  une  invincible  persua- 
sion qu'elle  est  justenient  ré|)rouvée  de  Dieu;  laquelif^ 
persuasion  n'en  est  que  plus  mauvaise,  parce  que  selon 
I  auteur  elle  est  rc/lécliic;  à  quoi  il  l'aut  ajouter  que 
vaincue  de  l'impression  invincible  du  désespoir,  elle 
sacrifie  absolument  sa  béatitude  éternelle;  et  enfin 
mi'cWe  arquiescc  simplement  h  la  juslc  condamnation  où 
elle  croit  être  do  lu  part  de  Dieu  ;   ce  qui  est  le  comblo 


320  l'espérance 

du  désespoir.  »  (Troisième  écrit  sur  les  maximes  des 
saints.  Question  importante.) 


SIXIÈME  CONFERENCE 


NOTE  1,  p.  158. 

Le  passage  de  la  présomption  au  désespoir  est  fré- 
quent. Taine  que  nous  aimons  à  ciler,  parce  que  c'est 
évidemment  une  âme  noble  et  sincère,  commence  par 
espérer  qu'en  s'appuyant  sur  ses  propres  forces  il  arri- 
vera à  la  vérité,  puis  bientôt  il  se  décourage  et  se  déses- 
père. Il  se  croit  d'abord  sûr  d'arriver  au  vrai,  non  par 
cette  «  croyance  vaine  et  légère  qui  vole  sans  consis- 
tance au-dessus  de  son  objet,  mais  avec  cette  persuasion 
solide  et  parfaite  qui  est  le  repos  absolu  de  l'âme,  qui 
excluttout  douie,  etquienchaîne  l'espritcommeavecdes 
nœuds  d'airain».  (Correspondance,  t.  I,  p.  4S).  «  Qui  le 
persuade,  dit-il,  que  le  vrai  est  inaccessible?  etc.  {fbid.) 

Puis  il  tombe  dans  un  pessimisme  douloureux  et  il 
parle,  (ibid..  p.  65),  du  découragement  qui  l'a  pris  à 
l'endroit  de  la  pensée. 

NOTE  2,  p.  IGl. 

Saint  Thomas  traite  de  la  présomption  dans  deux 
endroits  de  la  So7nme  théologiqxie  (II'  II*,  q.  xxi),  (11% 
11^',  q.  cxxx).  Nous  avons  dit  que  la  présomption 
dans  laquelle  l'homme  s'exngère  ses  propres  forces 
est  contraire  à  la  A-raie  magnanimité.  Billuart,  en 
quelques  mots,  ex|  li  |ue  celte  opposition  :  «  IL-ec 
nulein  priesumptio  uppoailur  magnanimitati  cujus  est 
hujusmndi  spem  modcrari  juxla  regulam  ralionis,  ut  illam 
neque  erced'if,  neque  ah  ca  deficiat.  »  (De  spe,  art   5). 

Le  môme  théologien,  au  môme  endroit,  dit  que  cette 
présomption  peut  être  contraire  à  l'espérance.  Elle  en- 


APPENDICES  321 

lève,  en  eflfet,  à  l'espérance  son  appui  formel  qui  est  la 
toute-puissance  divine,  et  elle  lui  substitue  un  appui 
purement  naturel  qui  est  l'énergie  humaine. 


NOTE  3,  p.  166. 

Nous  avons  vu  que  la  présomption  heurte  l'espérance. 
Elle  ne  la  détruit  pas  nécessairement.  Lorsque,  dit 
encore  Billuart,  {loc.  cit.),  l'homme  demeure  dans  le 
péché,  refuse  de  changer  sa  vie,  et  espère  malgré  cela 
qu'au  dernier  moment  Dieu  lui  sera  propice,  il  est  pré- 
somptueux. Cependant  il  ne  perd  pas  l'espérance,  parce 
qu'il  ne  détruit  pas  le  motif  formel  de  cette  vertu  qu'il 
appuie  toujours  sur  le  secours  de  Dieu.  Il  le  détruirait 
sil  espérait  arriver  à  sa  fin  dernière  sans  le  secours  de 
Dieu  et  avec  ses  seules  forces,  ou  encore,  s'il  espérait 
obtenir  le  pardon  sans  se  repentir,  la  gloire  sans  1  avoir 
méritée. 


NOTE  4,  p.   174. 

Celui  qui  se  propose  de  pécher  plus  obstinément, 
sous  prétexte  qu'il  obtiendra  toujours  son  pardon,  pèche 
plus  gravement.  Mais  celui  qui  pèche  en  se  promettant  de 
s'abstenir  plus  tard  du  péché  et  de  se  repentir  n'est  pas 
présomptueux,  il  pèche  moinsgravement,  carsa  volonté 
est  moins  affermie  dans  le  mal.  'Cf.  saint  Thomas,  II*,  II», 
q.  XX,  art.  2,  ad  3"'"). 

Il  serait  cependant  coupable  d'une  grave  présomp- 
tion, dit  Billuart,  s'il  se  promettait  de  ne  se  convertir 
qu'à  la  fin  de  sa  vie  {Loc.  cit.). 


NOTE  5,  p.  177. 

Si  grave  que  soit  l'injure  faite  à  Dieu  par  la  présomp- 
tion, elle  est  moins  grave  que  le  désespoir,  car  le  déses- 
péré outrage  la  miséricorde,  tandis  que  la  présomption 
n'outrage  que  la  justice  vindicative  de   Dieu.   Or,   la 

l'espérance.  —  21. 


322  l'espérance 

miséricorde  convient  plus  à  Dieu  que  la  vengeance.  L» 
miséricorde  appartient  à  Dieu  considéré  en  lui-mêmo, 
la  vengeance  ne  lui  convient  que  par  suite  de  nos  pé- 
chés. «  Quia  ex  se  misericoi^s  est,  justusseii  ullor  ex  pec- 
catis  nostris.  »  (Billuart,  loc   cit.) 


NOTE  6,  p.  179. 

Les  Salmanticenses  croient  que  chez  les  chrétiens  le- 
péché  de  présomption  est  très  rarement  consommé 
[rarissime),  et  rarement  assez  grave  pour  détruire  l'es- 
pérance. Cela,  disent-ils,  parce  que  les  chrétiens,  d'un 
côté,  ne  se  proposent  pas,  comme  veulent  les  luthériens, 
d'obtenir  la  gloire  sans  mérite;  parce  que,  d'autre  part^ 
ils  ne  forment  pas  le  dessein  de  pécher  sans  lin.  D'ordi- 
naire, au  contraire,  ils  se  promettent  de  s'amender  plus 
tard...  [Despe  theoloyicd,  q.  xxi,  in  fine.) 

Les  incrédules,  responsables  de  leur  incrédulité,  se 
montrent  au  contraire  d'une  grave  et  inexcusable  témé- 
rité, quand,  faisant  complètement  ïi  de  la  justice,  ils 
comptent  follement  sur  la  bonté  et  pèchent  d'une  ma- 
nière effrénée,  sous  prétexte  que  la  miséricorde  de  Dieu 
est  sans  borne. 

La  présomption  parvenue  à  un  certain  degré  constitue 
un  péché  contre  le  Saint-Esprit,  dont  elle  supprime  ou 
dont  elle  méprise  la  grâce  et  le  secours.  «  Prxsumptio 
estpropriè  speciespeccati  in  Spiritiun  sancium,  quia  srilicet 
per  hujusmodi  pnesumptionem  tollitur,  vel  contemnitur 
(idjulorium  Spiritus  sancti  per  quod  honiorevocatur  apec- 
cato.  w  (II''  II*' ,  q   XXI,  art.  l^'.) 

On  comprend,  par  ces  quelques  notes,  que,  de  notre 
temps,  bien  des  hommes  pèchent  gravement  par  pré- 
somption, et  parce  qu'ils  comptent  démesurément  sur 
eux-mêmes  et  sur  les  forces  de  la  nature  pour  atteindre 
leur  tin,  et  parce  qu'ils  dédaignent  les  secours  du  Saint- 
Esprit  qu'ils  considèrent  comme  inutiles. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


lettre  de  son  éminence  le  cardinal  merry  del  val,  secrétaire 
d'État,   a  l'auteur 5-6 

PREMIÈRE   CONFÉRENCE 

LES  PERSPECTIVES  DE   L'ESPÉRANCE  CHRÉTIENNE 

Nom  aimable  de  la  seconde  vertu  théologale.  Puissance  des 
espérances  issues  de  la  nature.  Supériorité  de  l'espérance 
chrétienne  dont  la  noblesse  se  mesure  d'abord  à  la  sublimité 
des  perspectives  quelle  ouvre  au  cœur.  Comment  1  homme 
moderne  a  olïeusé  cette  vertu 11-12 

I 

1.  —  L'espérance  chrétienne  ouvre  à  l'individu  la  perspec- 
tive du  bonheur  absolu. 

a)  Simi)licité,  perfection,  éternité  du  bien  qui  nous  est 
promis  et  qui  n'est  autre  que  Dieu  lui-même  vu,  possédé 
dans  son  essence 12  14 

6)  Insuffisance  des  biens  créés  :  fortune,  santé,  i)Iai- 
sir,  otc • J4-l^ 

c)  Comment  Dieu  fera  cesser  notre  misère  et  répondra  à 
notre  passion  de  conmiitre.  d'aimer,  do  goûter  la  joie  intinie. 
('oninHMil  des  facultés  spiriliicllcs  ce  bonheur  se  répandra 
dans  la  sensibilité  et  jusqui;  ilans  les  éléments  matériels  de 
notre  être.  Comment  notre  bonlieiirsera  délinitivement  assuré 
cl  |)Our(|noi  nous  n'avons  pas  à  craindre  dans  sa  possession 
la  monotonie 15-19 

2.  —  L'espérance  s'étend  au  delà  du  bonlicur  personnel. 
Sous    1  iiilhfence  de  la  charité,  elle  ouvre  une  seconde    pers- 


324  TABLE   DES   MATIÈRES 

pective.  celle  d'un  état  parfaitement  lieiireux  pour  la  société 
iJcs  croyants. 

Tous  les  partis  rêvent  d'une  société  où  la  face  du  monde 
sera  renouvelée.  Le  Chrétien  attend  l'avènement  du  royaume 
de  Dieu  Unité,  justice,  joie,  gloire  de  ce  royaume.  Hiérarchie 
admirable  de  la  Cité  céleste  où  à  des  degrés  divers  tous  les 
élus  goûteront  le  même  essentiel  bonheur 10-21 

3.  —  Troisième  perspective  de  l'espérance  chrétienne  :  la 
Iransformalion  de  l'univers...  Sombres  prévisions  du  pessi- 
misme par  rapport  à  l'avenir  de  la  Création.  Espérances  de 
îoptimisme.  Promesses  du  Christianisme  :  pourquoi  il  con- 
vient que  toutes  les  créatures  qui  ont  obéi  à  Dieu  et  servi 
l'homme  soient  associées  à  la  gloire  des  êtres  raisonnables. 
Images  que  les  artistes  chrétiens  nous  offrent  de  l'état  du 
monde  après  sa  transfiguration  finale 21-23 

II 

i.  —  Grave  reproche  fait  à  l'espérance  chrétienne  qui 
place  le  bonheur  dans  l'avenir.  Cette  infirmité  est  commune 
à  toutes  les  espérances  Mais  le  Christianisme  place  le  bon- 
heur au  delà  du  tombeau,  et  nos  adversaires  accusent  notre 
doctrine  d'exploiter  la  crédulité  publique  et  de  promettre  aux 
générations  un  bonheur  lointain  pour  obtenir  qu'elles  renon- 
cent en  notre  faveur  aux  joies  présentes.  —  Réponse  à  cette 
accusation 23-25 

2.  —  L'espérance  chrétienne  ne  se  désintéresse  pas  du 
présent. 

a)  Elle  nous  promet  la  grâce  qui  est,  dans  le  temps,  le 
moyeu  d'arriver  à  la  gl-ire  de  l'éternité.  Bonheur  assuré  en 
cette  vie  à  l'âme  en  étal  de  grâce 25-28 

b)  Nous  espérons  la  grâce  pour  les  antres.  Bonheur  assuré 
à  la  société  qui  vit  sous  l'empire  de  la  grâce,  bien  social  par 
excellence.  Témoignage  de  Taine  à  ce  sujet.  Ce  que  la  reli- 
gion chrétienne  fait  pour  la  prospérité  terrestre  des  peu- 
ples      ....     29-31 

c)  L'espérance  vise  les  biens  temporels  dans  la  mesure  où 
ils  se  rapportent  aux  biens  éternels.  Comment  les  biens  tem- 
porels sont  parfois  nécessaires  à  l'homnic  et  à  la  société 
pour  parvenir  à  la  bt^alitiide  éternelle.  Inunense  domaine  de 
l'espérance  chrétienne  q.ui  embrasse  dans  son  ambition  tous 
les  biens  véritables  du  leiniis  et  de  1  éternité.     .     .     .     31-33 


TABLE    DES   MATIIiRES  32î 

Obligation  de  ne  pas  rétrécir  les  cadres  grandioses  de 
respérance  chrétienne.  Le  fidèle  s'attache  avant  tout  à  la 
félicité  éternelle,  mais  il  ne  dédaigne  aucun  des  biens  qui 
peuvent  servir  à  sa  suprême  exaltation 33 


DEUXIEME  CONFERENCE 

LES  APPUIS  DE  L'ESPÉRANCE  CHRÉTIENNE 

La  béatitude  telle  que  nous  l'avons  définie  est-elle  acces- 
sible à  l'homme?  Divers  sentiments  des  incroyants  qui  sac- 
cordenl  à  dire  que  notre  espoir  est  vain  parce  qu'il  cherche 
un  bonheur  hors  de  notre  portée.  Le  Chr  stianisme  enseigne 
que  notre  espérance  est  fondée  parce  que  l'appui  qu'elle 
inAoïjue  est  proportionné  au  bien  qu'elle  promet     ,     .     39-40 

I 

a)  Le  Chrétien  ne  trouve  pas  en  lui-même  l'appui  de  soa 
espérance.  Impuissance  de  l'homme  à  s'élever  par  ses  sfules 
forces  au  bonheur  pour  lequel  il  a  été  créé  ;  vaines  teniativos 
des  auges  et  des  premiers  hommes.  Echec  de  tous  ceux,  qui, 
il  l'exemple  dos  Pélagicns,  ont  essayé  d'atteindre  leur  fia 
dernière  en  faisant  appel  aux  énergies  delà  nature.     .     40-43 

b}  Le  chrétien  n'espère  pas  dans  les  autres  créatures  pour 
parvenir  à  la  suprême  félicité.  Impuissance  des  êtres  finis 
pour  nous  soulever  jusqu'au  ciel 43  44 

c)  Nous  ne  serons  cependant  pas  purement  passifs  dans 
l'œuvre  de  notre  régénération.  Erreur  de  Luther.  Uùh;  de  nos 
mérites,  de  nos  actes.  Nous  sommes  des  coopérateurs  de 
Dieu 44-i."i 

d)  Les  créatures  ne  demeureront  pas  étrangères  à  notre 
merveilleux  changement  Action  instrumentale  du  Christ,  do 
l'Eglise,  du  sacerdoce,  des  sacreme  ts,  de  tous  les  êtres  sur 
notre  transliguralion  finale 41)-16 

e)  Pourquoi  sommes-nous  rédui  s,  comnu'  tous  les  êtres 
cré('!S,  comme  le  Christ  lui  même  à  cet  oflice  de  coopérateurs 
et  d'instruments?  Parce  que  le  but  visé  par  rcsi)érance  est 
surnaturel  et  (|u'il  ne  peut  être  atteint  qu'en  vertu  d'une 
force  du   même  ordre 47 


320  TABLE   DES  MATIÈRES 

II 

1.  —  La  toute-puissance  auxiliatrice  de  Dieu,  tel  est  le 
véritable  appui  de  l'espérance  chrétienne,  car  le  privilège  de 
la  puissance  infinie,  c'est  de  conduire  au  bien  infini.     48-49 

a)  Dieu  }  eut  nous  initier  à  sa  vie  et  à  sa  félicité.  Principe 
(pii  nous  permet  cette  espérance  du  côté  de  Dieu,  du  côté  de 
l'homme 49-ol 

b]  Dieu  veut  nous  communiquer  cet  ineffable  bonheur,  parce 
qu  il  est  bon  et  que  le  propre  de  la  bonté,  c'est  de  se  répandre 
et  de  donner,  parce  que  le  propre  de  la  bonté  infinie,  c'est  de 
se  communiquer  d'une  manière  infinie 51-52 

2.  ~  a)  Dieu  nous  a  promis  de  nous  associer  à  sa  gloire. 
Il  n'a  pas  cessé  de  renouveler  cette  promesse  depuis  le  com- 
mencement du  monde,  de  la  préciser,  de  détailler  les  éléments 
de  la  béatitude  qui  nous  attend  :  vision,  amour,  joie,  résur- 
rection de  la  chair,  transformation  de  la  société  et  de  l  uni- 
vers ;  de  l'étendre  à  tous  les  biens  qui  nous  sont  nécessaires 
dans  le  temps  pour  arriver  à  notre  fin  dernière.  A  cette  pro- 
messe, il  joint  un  serment o2-56 

h)  Cette  promesse  nous  garantit  que  Dieu  fcut  nous  sauver, 
car  s'il  s'engageait  à  faire  ce  qu'il  lui  est  interdit  de  faire,  il  se 
tromperait  sur  son  propre  compte.  Elle  nous  garantit  que 
Dieu  veut  nous  sauver  car,  aulremont,  il  nous  jouerait.  Elle 
nous  garantit  que  Dieu  doit  nous  sauver,  car  la  prom:^Pse  et 
le  serment  obligent  en  justice.     .  50-57 

c;  L'accomplissement  partiel  de  la  promesse  nous  assure 
son  accomplissement  total.  Réalisation  de  toutes  les  pro- 
messes qui  ont  été  faites  pour  le  temps 58-o9 

Devoir  pour  les  Clirétiens  d'attacher  leur  espérance  à  la 
toute  puissance  de  Dieu  comme  à  la  cause  première  de  leur 
béatitude. 

Devoir  pour  eux  de  s'attacher  à  tous  les  agents  secotdaires 
choisis  par  Dieu  pour  l'accomplissement  de  ses  desseins 
miséricordieux  sur  nous 59-61 

TROISIÈME  CONFÉRENCE 
LA  YEUTL'  D'ESPÉRANCE 

Résumé  des  deux  premières  Conférences.  Nouveau  pro- 
blème :  qu'est  l'espérance  considérée  en  elle-même  et  dans 
son  essence?  C'est  une  vertu  qui  a  (juatre  fonctions.     .     67-68 


TABLE   DES   MATIÈRES  327 

I 

L'espérance  nous  fait  vivre  par  le  cœur  dans  l'atmosphère 
des  bienheureux,  de  la  Divinité. 

a)  Mécanisme  de  la  vie  considérée  à  ses  différents 
étages 69 

b]  L'espérance  est  un  nouveau  degré  de  vie.  Témoignages 
de  saint  Pierre  et  du  Concile  de  Trente.  Le  Christ  est  venu 
pour  nous  assurer  la  surabondance  de  la  vie.  Comment  Fespé- 
rance  nous  communique  une  vie  qui  se  manifeste  à  l'extérieur, 
q;ui  se  nourrit  de  Dieu  où  elle  trouve  son  objet  et  son  ali- 
ment  70-72 

II 

L'espérance  élève  le  niveau  de  la  vie  en  portant  à  sa  plus 
haute  expression  notre  volonté  d'être  heureux,  parce  ([ue  la 
volonté  ainsi  affectée  communique  sa  force  à  toute  l'économie 
surnaturelle, 

a)  La  grandeur  de  la  volonté  se  mesure  à  la  grandeur  du 
but  où  la  volonté  cherche  son  bonheur.  Le  Chrétien  qui  espère 
veut  monter  jusqu'à  Dieu,  c'est-à-dire  aussi  haut  que  pos- 
sible           72-74 

b)  Sous  l'empire  de  l'espérance,  le  chrétien  se  maintient  à 
•cette  hauteur,  ce  qui  suppose  en  lui  une  grande  force.     74-75 

c)  Ce  but  poursuivi  par  l'espérance  est  surnaturel.  Ce  qui 
«ntraîne  en  elle  une  énergie  d'essence  et  d'origine  surnatu- 
relles    "3 

(l)  L'espérance  serait  un  rêve,  si  elle  no  nous  rendait 
capables  d'user  de  la  toute-puissance  de  Dieu  pour  arriver  à 
Dieu.  Elle  nous  confère  cette  puissance  d'employer  la  force 
de  Dieu  pour  monter  jusqu'à  Dieu 75-76 

III 

a)  Le  vouloir  de  l'espérance  porte  sur  l'avenir.  iMélange  de 
joie  et  de  tristesse  dans  lespérance  ([ui  compte  sur  le  bon- 
heur, mais  qui  ne  l'atteint  pas  en  ce  monde.  Impatience  des 
âmes  ((ui  voudraient  dès  maintenant  jouir  pleinonuiit  de 
Dieu.  Nécessité  pour  nous  de  nous  contenter  ici  bas  dos 
bonheurs  et  des  demi-satisfactions  qui  nous  sont  donni's.Pour- 
(pioi  l'espérance  mérite  son  nom  de  vcriu  bien  (lu'ollo  no  oon- 


328  TADLE    DES    M  ATI  KR  ES 

diiise  pas  'a  volonté  à  la  dernière  perfection,  qui  ne  se  trou- 
vera que  dans  la  possession  du  bien  suprême     .     .     .     76-79 

b]  L'espérance  nous  rend  capaliles  d'attendre.  Force  que 
cette  attente  suppose  en  nous 79-81 

c)  La  fermeté  de  notre  attente  repose  sur  la  certitude  que 
nous  avons  de  réussir.  Notre  certitude  est  inébranlable  du 
côté  de  Dieu  qui  ne  nous  manquera  pas.  elle  est  fragile  de 
noire  côté  parce  que  nous  sommes  faillibles.     .     ,     .     8l-8i 

IV 

L'espérance  nous  pousse  à  l'effort,  à  l'action,  à  la  lutte, 
c'est  donc  une  énergie  intérieure. 

a)  Sous  son  influence,  la  volonté  s'élance  hardiment  vers 
la  béatitude.  L'espérance,  d'après  Giotto,  étend,  élargit,  pro- 
longé la  volonté  et  la  rapproche  de  la  béatitude     .     .     84-85 

b)  Cet  effort  inspiré  par  l'espérance  est  laborieux  et  nou* 
presse  de  nous  emparer  de  tous  les  moytns  mis  à  notre  dis- 
position pour  atteindre  la  félicité.  Il  est  absorbant  et  nous  fa't 
négliger  ce  qui  ne  se  rapporte  ])as  à  notre  tin  dernière.  Il  a 
quelque  chose  de  militant^  d'agressif,  de  vaillant     .     .     85-8S 

Dans  ces  conditions,  l'espérance  mérite  son  nom  de  vertu, 
car  elle  nous  rend  meilleurs;  de  vertu  surnaturelle  car  elle 
porte  sur  un  objet  surnaturel  ;  de  vertu  théologale  car  elle 
s'élance  vers  Dieu,  elle  s'appuie  sur  Dieu,  elle  naît  de  Dieu, 
elle  se  renouvelle,  s'avive  et  se  maintient  par  Dieu.     .     88-8^ 

QUATRIÈME  CONFÉRENCE 

LE  CARACTÈRE  ÉVAXGÉLIQUE  ET  MORAL 
DE  L'ESPÉRANCE  CHRÉTIENNE 

Les  adversaires  de  la  religion  lui  font  les  reproches  les 
plus  contradictoires.  Exemples  de  ces  contradictions.  Dans  la 
question  de  la  charité,  ils  nous  accusent  de  s.icrifier 
les  intérêts  de  l'homme  à  Dieu,  et,  dans  la  question  de  l'espé- 
rance, de  sacrifier  Dieu  aux  intérêts  de  l'homme.  Si  cette  der- 
nière accusation  était  vraie,  l'Evangile  et  la  morale  condam- 
neraient l'espérance.  L'espérance  intéressée  est  extraite  de 
l'Evangile  et  conforme  aux  exigences  de  la  stricte  morale  : 
dojble  vérité  qu'il  faut  expliquer.     .     .■ 91-97 


TABLE   DES   MATIERES 


329 


1 

L'idée  d'intérêt  est  inséparable  de  l'idée  de  l'espérance 
telle  que  i.ous  la  concevons.  L'espérance  telle  que  nous  la 
concevons  nous  est  imposée  par  l'Evangile. 

Erreurs  de  Maître  Eckart,  de  Luther,  des  Jansénistes,  des 
Quiétistes  au  sujet  de  l'amour  désintéressé,  erreurs  qui 
d'une  manière  plus  ou  moins  absolue  condamnent  l'espérance 
au  nom  de  lEvangile. 

1.  _  L'Evangile  et  le  Christianisme  s'expriment  d  abord 
dans  l'Ecriluro.  Or  l'Ecriture  ne  cesse  pas  dexlioiter  les 
hommes  à  travailler  en  vue  de  la  récompense.  Enseignement 
de  l'Ancien  Testament.  Enseignement  du  Nouveau  Testa- 
ment ,,j?--102 

2.  —  L'Evangile  est  interprété  infailliblement  par  1  bglise. 
Or  "  l'Eglise  chante  à  la  fois  l'amour  d'espérance  qui  est 
intéressé  et  l'amour  de  charité  qui  est  désintéressé.  Elle 
condamne  les  faux  mystiques;  elle  impose  aux  parfaits  et 
aux  imparfaits  de  chercher  la  béatitude.  Effort  en  ce  sens  de 
son  ministère  apostolique 10--IJ  + 

3.  —  La  tradition  de  saint  Paul  à  saint  François  de 
Sales  apporte  le  même  témoignage  à  l'espérance.  Nécessite 
d'expliquer  certains  textes  obscurs  des  Saints  Pères.  Dans  la 
querel'e  du  Quiélisme,  Bossnet  l'emporte  sur  Féuelon  parce 
qu'il  a  mieux  entendu  l'unanime  concert  de  la  tradi- 
Son '^*-^^^ 

4.  —  La  vie  des  saints  proteste  aussi  contre  ces  nova- 
teurs. Parvenus  au  dernier  degré  de  la  perfection,  ils  s'in- 
quiètent de  leur  bonheur  éternel.  Abraham,  Moïse,  saint  Jean, 
saint  Paul,  saint  Augustin,  saint  Bernard,  saint  Thomas- 
d'Aquin 106-107 

5.  _  Jésus-Christ  en  qui  s'incarne  la  religion  a  travaille 
en  même  temps  pour  la  gl  oire  de  son  Père  et  pour  sa  propre 
gloire  il  n'a  pas  connu  le  désintéressement  absolu  des  nova- 
teurs      108-10» 

II 

Pour  attaquer  l'espérance,  hérétiques  et  philosophes  ont 
invo(iu(''  la  morale. 

1.  —  L'on  peut  agir  en  vue  de  son  bonheur  personnel  sans 
offenser  la  saine  morale.  Preuves  : 


330  TABLE  DES   MATIÈRES 

a)  La  morale  absolument  désintéressée  est  impossible.  Elle 
obligerait  l'ouvrier  à  travailler  sans  réclamer  son  salaire,  etc. 
Elle  est  impossible  même  pour  ceux  qui  la  défendent  :  les 
hérétiques  cherchaient  leur  intérêt 1U9  113 

h\  La  saine  morale  nous  permet  et  nous  ordonne  de  nous 
aimer  nous-mêmes.  Explication  de  ce  principe.  11  résulte  que 
s'il  y  a  un  amour  désordonné,  il  y  a  aussi  un  amour  légitime 
de  soi-même  et  l'amour  d'espérance  est  légitime  et  obliga- 
toire  113-114 

2.  — Nos  adversaires  prétendent  que  par  l'espérance  nous 
renversons  l'ordre  et  que  nous  subordonnons  l'homme  à  Dieu. 
Rien  de  plus  faux. 

a)  Par  l'espérance,  nous  dépendons  de  Dieu,  Dieu  ne  dépend 
pas  de  nous.  Triple  amour  :  dans  le  premier,  l'être  aimé  est 
assujetti  à  l'être  aimant,  dans  le  second  l'être  aimé  est  sur  le 
pied  d'égalité  avec  l'être  aimant,  dans  le  troisième  l'être 
aimant  est  sujet  de  l'être  aimé.  Le  dernier  amour  est  celui 
de  l'espérance  qui  met  Dieu  au-dessus  de  l'homme.  Explica- 
tion de  cette  pensée  d'après  saint  François  de  Sales.     114-116 

b)  Il  faut  juger  l'espérance  par  ses  tendances  et  non  seule- 
ment par  ses  actes.  L'espérance  tend  à  la  charité  qui  nous 
inspire  la  volonté  d'être  meilleurs,  plus  grands,  plus  moraux 
pour  mieux  servir  la  gloire  de  Dieu.  Explication  de  ce  prin- 
cipe qui  justifie  pleinement  notre  dectrine  de  l'espé- 
rance      117-118 

Exhortation 119 


CINQUIEME  CONFERENCE 

LE  DÉSESPOIR 

Dieu  a  fait  de  l'espérance  un  devoir  contre  lequel  l'homme 
peut  pécher  de  différentes  façons.  De  notre  temps  ce  devoir  a 
été  offensé  fréquemment.  11  l'a  été  surtout  par  le  désespoir 
et  par  la  présomption 127-128 

I.  Définition  du  désespoir.  II.  Malice  du  désespoir. 

I 

Le  désespoir  est  un  acte  intérieur,  délibéré,  positif,  par 
lequel  l'homme  cesse  de  tendre  à  son  bonheur,  y  renonce  et 


TABLE   DES   MATIÈRES  331 

s'en  éloigne,  sous  prétexte  qu'il  lui  est  impossible  d'y  parvenir. 

1.  —  a)  C'est  un  acte  intérieur  émané  des  profondeurs  de 
l'àme  et  tel  au  dedans  qu'il  se  montre  au  dehors. 

Le  vrai  désespoir  se  distingue  ainsi  du  pessimisme  de 
commande  affecté  par  des  jeunes  gens,  par  des  hommes  qui 
veulent  apitoyer  sur  leur  sort  et  tirer  profit  de  leur  prétendu 
découragement 128-130 

6)  Le  désespoir  est  un  acte  pleinement  conscient  et  pleine- 
ment délibéré.  Il  dilïère  dos  troubles  violents  mais  involon- 
taires, qui  jettent  parfois  les  saints  dans  d'indicibles  an- 
goisses      130-131 

c)  C'est  un  acte  positif  et  non  un  simple  défaut  d'espérance. 
Il  ne  se  confond  pas  avec  l'indifférence,  avec  l'hésitation, 
avec  la  simple  défiance 131-132 

d)  C'est  le  relâchement  total  de  la  volonté,  l'abandon  de 
soi,  la  rupture  consciente,  délibérée  de  l'homme  avec  le 
bonheur.  Le  désespéré  renonce  à  sa  destinée,  il  affirme  sa 
volonté  inflexible,  réfléchie  de  dire  adieu  à  la  félicité.     132-134 

2.  —  Motif  invoqué  par  le  désespoir  :  impossibilité  d'arriver 
au  salut. 

a)  Cette  impossibilité  est  quelquefois  coni;ue  comme  absolue 
par  le  désespéré,  qui  ne  croit  pas  à  ll'existence  du  bonheur 
pour  l'humanité...  Ce  désespoir  est  le  plus  grave,  il  a  son 
principe  dans  l'incrédulité 13i-136 

b)  Quelquefois,  le  désespéré,  le  Chrétien  par  exemple, 
•conçoit  comme  relative  à  sa  personne  limpossibilité  d  arriver 
au  salut  qui  est  accessible  aux  autres.  Il  invoque  pour  justi- 
fier son  idée  :  la  violence  de  ses  passions,  la  gravité  de  ses 
fautes,  l'insuffisance  pratique  de  la  grâce,  et  il  fuit  un 
bonheur  qu'il  juge  hors  de  sa  portée.     ....     .     .     136-137 

II 

Etat  malheureux  du  désespéré.  Quelle  pitié  il  nous  doit 
inspiror. 

Culpabilité  du  désespéré.  Principe  suivant  lequel  on  doit 
juger  de  celui  en  qui  le  désespoir  est  la  suite  de  l'incrédu- 
lité         137-138 

Culpabilité  du  croyant  qui  désespère. 

1.  —  11  pèche  contre  lui  même. 

a)  Parce  qu'il  refuse  de  pourvoir  à  son  sort.  Obligation 
dans  laquelle  nous  sommes  do  nous  aimer  et  de  nous  vouloir 


332  TABI.K    DES    MAïlÉnKS 

par-dessus  tout  le  plus  granci  des  biens  qui  est  la  béatitude. 
Commeut  le  désespéré  offense  gravement  ce  précepte  en  re- 
nonçant à  son  bonheur  eten  se  vouant  àladamnation.     138-i39 

a)  Comment  il  l'offense  d'autant  plus  gravement  qu'il  est 
obligé  pour  désespérer  de  résister  à  la  grâce,  à  la  raison,  à  la 
nature  qui  le  pressent  de  chercher  la  félicité  ....     140 

c)  V^aines  excuses  invoquées  parle  dése-péré  Ce  qu'il  faut 
penser  de  l'impossibilité  de  se  sauver.  Lâcheté  que  cache  le 
désespoir    140-142 

2.  —  Le  désespoir  inllige  à  Dieu  une  grave  injure. 

a)  Parce  qu'il  méconnaît  ou  la  puissance  ou  la  miséricorde 
de  Dieu.  S'il  prétend  pour  justifier  son  excès  que  Dieu  ne  peut 
le  sauver,  il  mutile  la  puissance  divine  et  met  la  faculté  qu'il 
a  de  se  perdre  au-dessus  de  la  faculté  que  Dieu  a  de  le  sau- 
ver. S'il  prétend  que  Dieu  peut,  mais  no  veut  pas  le  sauver, 
il  attribue  à  sa  perversité  plus  de  vertu  qu'à  la  bonté  divine. 
En  tout  cas,  il  accuse  d'erreur  ou  de  mensonge  Dieu  qui  tant 
de  fois  nous  affirme  qu'il  peut  et  qu'il  veut  nous 
sauver 142-144 

b)  Le  Dieu  imaginé  par  le  désespéré  n'a  rien  de  commun 
avec  le  Dieu  qui  s'est  manifesté  dans  l'histoire.  A  celui-ci,  le 
désespéré  inllige  un  outrage  sanglant  en  lui  attribuant  des 
sentiments  et  des  desseins  opposés  à  ceux  dont  nous  parlent 
les  auteurs  inspirés 144-145 

c)  L'injure  jetée  à  la  face  du  Père  rejaillit  jusqu'au  Christ, 
que  le  désespéré  accuse  implicitement  de  n'avoir  pas  assez 
souffert  pour  sauver  tous  les  hommes 145 

d)  Le  désespoir  inllige  une  injure  à  Dieu  en  rompant  avec 
lui.  Cette  rupture  est  directe  et  positive,  c'est  ce  qui  fait  sa 
gravité 146-147 

Aucun  chrétien,  quelle  que  soit  l'extrémité  de  ses  douleurs 
ou  de  ses  fautes,  n'a  lo  droit  de  désespérer.  Ceux  qui  ont 
succombé  à  cette  tentation  doivent  revenir  à  l'espérance. 
Le  désespoir  guérissable  en  ce  monde  ne  l'est  plus  dans 
l'éternité 147-149 

SIXIÈME    CONFÉRENCE 
LA    PRÉSOMPTION 

La  voie  droite  est  tracée  entre  des  écueils,  l'espérance  côtoie 
deux  abîmes  :  le  désespoir  et  la  présomption. 


TABLE   DES   MATIÈRES  333 

La  présomption  sous  ses  diverses  formes  blesse  l'espérance 
et  offense  gravement  Dieu ,     157-158 

I 

La  présomption  heurte  moins  manifestement  et  moins  vio- 
lemment l'espérance  que  ne  le  fait  le  désespoir.  Elle  la  heurte 
cependant.  On  peut  la  défniir  :  un  mouvement  désordonné  de 
la  volonté  par  lequel  l'homme  a  la  prétention  d'atteindre  un 
but  qui  dépasse  ses  forces 158-159 

Elle  se  présente  sous  deux  formes  principales. 

1.  —  Sous  sa  première  forme,  elle  nous  pousse  à  vouloir 
saisir  labéatiludc  en  nous  appuyant  uniquement  sur  les  éner- 
gies de  la  nature.  C'est  la  présomption  des  anges  déchus, 
d'Elve,  des  Pélagiens,  etc.  Elle  est  contraire  d'abord  à  la  ma- 
gnanimité, elle  est  contre  ire  aussi  à  l'espérance  à  laquelle 
elle  enlève  son  \éri(able  appui 159-161 

2.  —  La  seconde  forme  de  la  présomption  est  plus  grave, 
plus  dangereuse,  plus  directement  hostile  à  l'espérance  :  c'est 
la  présomption  des  Luthériens  qui  se  flattent  d'obtenir  le 
pardon  sans  se  repentir  et  le  ciel  sans  l'avoir  mérité.  C'est 
aussi  la  présomption  de  beaucoup  de  Chrétiens.  Dévfloppe- 
ment  de  cette   pensée 161-164 

Cette  présomption  blesse  l'espérance,  vertu  théologale,  qui 
en  cherchant  le  bonheur  doit  se  conformer  aux  lois  dictées 
par  Dieu.  Ces  lois  exigent  : 

a)  que  sous  l'influence  de  sa  grâce  nous  nous  repentions 
pour  obtenir  le  pardon,  alors  que  le  présomptueux  compte 
sur   le  pardon    sans  pleurer  ses  fautes 164-1G5 

6)  Que  nous  méritions  le  bonheur  par  nos  bonnes  œuvres, 
alors  que  le  présomptueux  se  croit  sûr  du  bonheur  en  s'abs- 
tenant  de»  bonnes  œuvres  et  en  s'ét émisant  dans  le  mal.  163-166 

c)  Que  nous  considérions  la  béatitude  comme  un  but  d'ac- 
quisition difficile,  alors  (\ue  le  présomptueux  pense  arriver  au 
ciel  sans  ctïort 166 

cl]  Que  nous  mêlions  la  crainte  à  l'espérance,  alors  que  le 
prénoraptucux  se  jette  dans  tous  les  hasards  avec  une  con- 
fiance qui  n'a  d'égale  que  sa  fausse  sécurité.     .     .     166-167 

H 

Le  présomptueux  offense  Dieu. 

i.  —  Lorsqu'il  s'appuie  sur  ses  seules  forces  pour  arriver 


334  TABLE   DES   MATIÈRES 

à  la  béatitude,  il  empiète  sur  les  droits  de  Dieu.  Dieu  s'est 
réservé  le  soin  de  conduire  ses  créatures  à  leur  tîu,  comme  II 
s'est  réservé  le  soin  de  leur  donner  un  commencement  ;  nul 
ne  tentera  de  lui  enlever  ce  privilège  sans  essayer  de  lui  ravir 
sa  qualité  d'agent  suprême.  Jaloux  de  cette  royauté  Dieu  se 
vengera  en  abandonnant  à  leurs  seules  ressources  les  êtres 
dont  l'insolence  n'est  dépassée  que  par  leur  faiblesse.  Echecs 

lamentables  de  ces  êtres  présomptueux 167-109 

2. —  Lorsqu'il  tombe  dans  la  seconde  présomption,  l'homme 
offense  Dieu. 

a)  En  diminuant  sa  puissance.  Comment  la  puissance  de 
Dieu,  manifestée  par  l'ordre  qu'il  suit,  est  mutilée  par  l'ordre 
que  le  présomptueux  veut  imposer  aux  choses.     .     .     169-170 

b)  En  abusant  de  sa  miséricorde.  Comment  la  miséricorde 
de  Dieu  est  plus  éclatante  lorsque  Dieu  nous  communique  le 
pouvoir  et  le  devoir  de  coopérer  à  son  œuvre.     .     ,     170-172 

c)  En  dénaturant  sa  bonté.  Lo  présomptueux  s'imagine  que 
Dieu  est  tellement  bon  qu'il  est  insensil)le  au  mal.  Il  ne  réllé- 
cliit  pas  que  Dieu,  parce  qu'il  est  essentii  liement  bon,  est 
essentiellement  ennemi  du  mal;  qu'il  ne  pourrait  pas  par- 
donner à  qui  ne  se  repent  pas  sans  pactiser  avec  le  mal  et 
sans  tomber  dans  la  faiblesse  qui  est  une  bonté  déliquescente 
et  dégénérée;  que  plus  un  être  est  bon,  plus  on  est  coupable 
d'abuser  de  sa  bonté  pour  l'offenser 172-174 

d)  Le  présomptueux  est  en  opposition  violente  avec  Jésus- 
Christ.  Contraste  entre  le  labeur  du  Christ  qui  sauve  le  monde 
par  un  sacrifice  sanelant  el  la  prétention  du  présomptueux 
qui  veut  se  sauver   sans  eft'ort  et  sans  peine.     .     .     .     174 

e)  Combien  la  Justice  de  Dieu  souffrirait  si  le  présomptueux 
avait  le  droit  de  triompher 174-177 

La  doctrine  de  l'espérance  nous  oblige  à  marcher  entre  deux 
extrêmes.  Sagesse  de  cette  doctrine  qui  sauvegarde  en  même 
temps  les  droits  de  Dieu  et  la  dignité  de  l'homme.     177-179 


TABLE   DES   MATIÈRES  335 

RETRAITE  PASCALE 

PREMIÈRE  INSTRUCTION  -  LUNDI  SAINT 

HEUREUSE  ACTION  DE  L'ESPÉRANCE 
SUR  LA  VIE  HUMAINE 

Vertu  aimable,  l'espérance  est  aussi  une  vertu  bienfaisante. 
Elle  prête  main  forte  à  toutes  les  vertus,  elle  nous  (Console de 
toutes  les  tribulations  du  présent,  elle  nous  apporte  des  joies 
pures  en  ce  monde 183-18Ô 

I 

L'espérance  vient  au  secours  de  toutes  les  vertus. 

a)  L'espérance  inspire  à  la  prudoice  la  crainte  du  danger,  la 
sagesse  qui  nous  détourne  des  occasions.  Elle  affermit  la 
justice  dans  sou  ordre  en  .sauvegardant  la  hiérarchie  des 
choses  et  en  l'obligeant  à  respecter  ses  propres  lois.  Elle 
suggère  à  la  force  des  sentiments  magnanimes,  une  constance 
invincible  et  l'amour  de  lalulte.  Elle  soutient  la  tempérance 
en  opposant  aux  charmes  (hmgereux  des  créatures  la  perfec- 
tion du  créateur.  Elle  forme  à  l'humilité,  qui  est  une  sorte  de 
tempérance,  en  lious  mettant  à  notre  place,  sans  nous  abaisser 
au-dessous  de  nous-mêmes,  sans  nous  exalter  au-dessus  de 
ce  que  nous  sommes 186-189 

6)  Elle  sert  les  vertus  théologales.  Le  rôle  de  l'espérance 
dans  la  foi.  Le  rôle  de  l'espérance  dans  la  vertu  de  la  cha- 
rité      189-191 

II 

L'espérance  nous  console  dans  les  tribulaticuis.  Sachant 
qu'il  est  voué  à  l'épreuve  pendant  sa  vie,  celui  ([ui  espère  ne 
s'étonne  pas  de  ne  pas  trouver  le  bonheur  sur  la  tcrr(>.  Contre 
les  douleurs  du  présent,  il  trouve  un  refuge  assuré  dans  les 
perspectives  de  l'avenir.  L'espérance  étant  un  sentimont  du- 
rai)li;,  ranime  sans  cesse  le  courage  du  Chrétien.  Quelle  (|ue 
soit  l'extrémité  de  ses  malheurs,  le  Chrétien  cherche  dans  l'es- 
pérance de  la  vie  qui  ne  finit  pas  la  force  de  supporter  les 
maux  qui  sont  d'iui  jour 19l-19.'> 


'336  TABLE   DES  MATIÈRES 

III 

L'espérance  nous  assure  des  joies  sur  la  terre. 

a)  Elle  voit  se  réaliser  dans  le  temps  une  partie  de  ses  pro- 
messes La  grâce  enefïet,  nous  vient  en  ce  monde  et  elle  est 
le  principe  de  satisfactions  aussi  pures,  aussi  vives  que  nom- 
breuses. Puis  chaque  grâce  reçue  est  un  gage  et  un  germe 
de  la  gloire.     .     .     .     , 195-196 

b)  Par  lespcrance  nous  possédons  la  gloire  en  quelque 
manière,  puisque  nous  possédons  la  faculté  de  l'atteindre. 
Celte  certitude  est  une  source  de  vrai  bonheur.     .     .     .     196 

c)  L'expérience  nous  apprend  (pie  l'espérance  illumine  toute 
la  vie  de  ses  rayons  Mélancolie  de  ceux  qui  n'espèrent  pas. 
Epanouissement  de   ceux    qui  espèrent 196-197 

Le  Chrétien  doit  faire  appel  à  l'espérance  pour  pratiquer 
avec  ardeur  les  vertus  de  son  élat,  pour  souffrir  avec  patience, 
pour  s'attacher  au  bonheur  céleste  à  mesure  que  les  choses 
de  la  terre  s'éloignent,  surtout  pour  garder  la  sérénité  dans 
les  transes  de  l'agonie  et  de  la  mort 197-198 

DEUXIÈME  INSTRUCTION  —  MARDI  SAINT 
LA  GENÈSE  DU  DÉSESPOIR 

Nécessité  de  combattre  le  mal  dans  ses  causes  et  dans  ses 
«ffets.  La  luxure  et  la  tristesse  sont  d'après  saint  Thomas,  les 
causes  du  désespoir 203-204 

I 

1.  —  Tous  les  vices  peuvent  être  le  principe  du  désespoir  : 
l'orgueil,  l'envie,  l'avarice,  comme  les  autres  passions  déré- 
glées  20i-205 

2.  —  La  luxure  est  un  des  deux  vices  qui  y  conduisent  le 
-plus  naturellement. 

a)  L'expérience  confirme  cette  assertion.  De  fait  les  drames 
du  désespoir  suivent  fréquemment  les  excès  de  la  luxure,  et 
chaque  jour  nous  assistons  à  des  crises  où  la  luxure  et  le  dé- 
sespoir s'unissent  pour  pousser  l'homme  aux  résolutions 
fatales 205-207 

h)  La  raison  explique  ce  fait,  car  plus  on  aime  la  béatitude, 
:plus  on  espère.  Or,  la  luxure  en  attachant  l'homme  à  des  vo- 


TADl.H    IlES   31Ari.::iES  3'J7 

luptôs  éphémères  le  détache  de  la  béatitude  éternelle.  En  ces- 
sant d'aimer  et  de  tJésirer  le  vrai  bonheur,  en  s'en  dégoûtant, 
le  luxurieux  s'éloigne  du  bonheur  et  cet  éloignement  con- 
stitue le  désespoir.  Contirmatici  de  ces  vérités  par  l'expé- 
rience          207-210 

II 

Le  désespoir  peut  naître  plus  spécialement  encore  de  la 
tristesse. 

1.  —  Distinctions  entre  les  triste  îes  bienfaisantes  et  les 
tristesses  malsaines 21^-211 

2.  —  La  tristesse  malsaine  pèse  sur  l'âme,  déprime  la  vo- 
lonté, p-^'is  persuade  qu'il  nous  est  impossible  d'arriver  aa 
but  que  nous  désirions  atteindre,  nous  met  en  défiance  contre 
toutes  les  puissances  capables  de  nous  aider  efficacement  à 
conquérir  le  bonheur  et  contre  Dieu  même.     .     .     .     211-213 

Obligation  pour  nous  de  lutter  contre  toutes  ces  passions 
qui,  ouvertement  ou  hypocritement,  conduisent  au  dé-espoir. 

Obligation  spéciale  de  fuir  les  suggestions  de  la  luxure  et 
de  la  mauvaise  tristesse 213-214 


TROISIEME  INSTRUCTION  -  MERCREDI   SAINT 

LES  SUITES  DU  DÉSESPOIR 

Par  un  retour  funeste,  le  désespoir  conduit  à  tous  les  vices; 
il  livre  spécialement  l'homme  aux  excès  d'une  concupiscence 
effrénée  et  le  voue  à  une  intolérable  soulïrance    .     .     219-220 

I 

Les  hommes  sans  espérance  ne  connaissent  plus  aucun 
frein  :  ayant  p(ïrdu  la  crainte  du  châtiment  et  renoncé  à  la 
récompense,  la  plupart  s'abaiidonueut  à  la  fantaisie  de  leurs 
instincts. 

a)  Le  désespéré  tend  à  (extirper  la  foi  de  son  cœur,  car 
ayant  rompu  avec  le  bonheur,  il  ne  peut  s'empêcher  de  lia'i'r 
la  souffrance  et  la  damnation.  Il  n'y  a  qu'un  moyen  de  con- 
cilier son  intérêt  et  son  sentiment,  c'est  de  ne  plus  croire  en 
DiiMi.  Le  désespéré  s'y  efforce  et  souvent  y  réussit  .     220-221 

6)  Le  désespéré  verse  facilement  dans  la  haine  de  Dieu.  Il 

I.'ESrKRANCE.    —    22. 


338  TABLE    DES   MATIÈRES 

est  aisé  de  prendre  en  aversion  un  objet  que  nous  voudrions 
atteindre  et  que  nous  pensons  hors  de  noire  portée.  Cette 
haine  se  traduit  fréquemment  par  le  blasphème  et  par  une 
hostilité    farouche  à  tout  ce  qui  intéresse   le  royaume    de 

Dieu 221-222 

c)  Le  désespéré  ne  se  montre  pas  meilleur  vis-à-vis  des 
hommes  qu'il  rend  responsables  de  son  état.  A  leur  endroit  il 
devient  dur,  iujuste,  défiant,  etc 222-223 

II 

Le  désespéré  se  livre  surtout  aux  passions  sensuelles. 

Il  a  beau  faire,  il  ne  peut  pas  se  passer  de  bonheur.  Ne 
l'attendant  plus  de  l'avenir,  il  le  cherche  dans  le  présent  La 
jouissance  sensible  étant  la  plus  immédiate,  c'est  à  elle  sur- 
tout qu'il  demande  l'oubli  de  son  inquiétude.  Cette  inquiétude 
renaît  et  avec  elle  le  besoin  de  l'endormir  par  de  nouvelles 
secousses.  Elle  s'exaspère  et  il  faut  solliciter  pour  s'en  dis- 
traire le  secours  de  plaisirs  plu  s  subtils  et  plu  s  raffinés.     223-225 

Ses  efforts  sont  vains;  il  essaye  alors  de  supj)léer  à  la  qua- 
lité de  ses  félicités  stériles  en  les  multipliant.  Il  cherche  par- 
tout une  pâture  pour  ses  diverses  facultés.  L'Enfant  prodigue. 
Il  se  livre  aux  passions  des  sens.  Signiticaticn  de  ce  mot  .  . 
223-227 

III 

Le  désespéré  n'aboutit  qu'à  une  indicible  douleur.  L'his- 
toire des  âmes  nous  prouve  que  le  désespoir  rend  profondé- 
ment malheureux.  Taine  et  Jouffroy. 

a)  Le  désespoir  nous  torture  parce  qu'il  divise  l'âme.  An- 
goisse de  l'âme  que  toute  sa  nature  entiaine  vers  le  bonheur 
et  que  sa  volonté  en  éloigne.  C'est  le  supplice  des  damnés.  . 
\ 227-220 

b)  Le  désespoir  nous  torture  parce  qu'il  ne  nous  laisse 
aucun  refuge,  il  nous  sèvre  de  toute  consolation.  Explication 
de  ce  phénomène.  Laocoon,  symbole  du  désespère.  Excès  de 
la  souffrance  du  désespéré  exprimé  dans  les  damnés  de 
Michel-Ange.  Comment  cette  intolérable  douleur  conduit  au 
suicide   229-231 

Le  Chrétien  doit  au  milieu  des  plus  grandes  tribulations  se 
rattacher  à  l'espérance 231-232 


■V 


TABLE   DES   MATIERES  339 

QUATRIÈME  INSTRUCTION  —  JEUDI  SAINT 

LA   GENÈSE  ET  LES  SUITES   DE  LA  PRÉSOMPTION 

Caractères  de  la  présorap.tion.  Sa  genèse  et  ses  suites. 

237-238 

I 

L'orgueil  est  la  cause  de  la  présomption. 

a)  Si  le  présomptueux  s'appuie  uniquement  sur  lui-même 
pour  réaliser  sa  destinée,  c'est  parce  qu'il  Acut  avoir  toute  la 
gfoire  de  son  succès.  Constatation  de  cet  orgueil  dans  diverses 
catégories  d'hommes  et  même  de  Chrétiens.  Cet  orgueil  vient 
de  ce  que  l'homme  s'estime  tant  lui  même  ([u'il  croit  pouvoir 
remplir   le  rôle  réservé  à  Dieu 238-240 

b)  Si  la  présomption  se  confie  témérairement  à  Dieu  en  espé- 
rant le  pardon  sans  repentir  et  la  gloire  sans  mérite,  elle 
-vient  encore  de  l'orgueil.  Elle  suppose  l'homme  si  grand  que 
Dieu  sacrifiera  tout  l'ordre  de  sa  Providence  et  de  sa  justice 
pour  nous  sauver  et  s'assurer  notre  société.  Exorbitante  pré- 
tention de  certains  hommes  vis-à-vis  de  Dieu.     .     .     240-241 

II 

Les  suites  de  cette  double  présomption  sont  également  per- 
nicieuses. 

1.  —  a)  Le  présomptueux  ([ui  se  confie  trop  en  lui-même  est 
un  élément  de  trouble  et  de  division  dans  la  société  chrétienne, 
parce  qu'il  a  la  prétentiim  d'imposer  à  tous  ses  systèmes,  ses 
idées.  Attitude  impérieuse  qu'il  prend  vis-à-vis  de  ses  égaux, 
vis-à-vis  de  ses  supérieurs.  Quand  on  refuse  de  s'incliner  de- 
vant sa  volonté,  il  s'irrite,  il  intrigue,  il  sème  partout  la  dé- 
fiance et  la  zizanie,  etc 241-243 

b)  L  éclu'c  absolu  est  la  seconde  conséquence  de  cette  pré- 
sompliiiii.  L'homme  no  peut  pas  se  sauver  tout  seul.  S'il 
refuse  l'appui  de  Dieu  il  est  voué  à  l'insuccès,  il  ne  peut  que 
maii([uer  sa  destinée.  Découragement  qui  suit  cette  présomp- 
tion      2i3-244 

2.  —  La  présomption  (pii  se  lie  témérairement  en  Dieu 
aboutit  : 


340  TABLE    DES   MATiÈRES 

a)  Au  retard  de  la  conversion.  Aveuglemf>nt  que  suppose  ce 
retard.   Surprises    auxquelles  on  est  exposé.  Mort   soudaine. 

24 1-24 G 

h)  A  la  persévérance  dans  le  mal.  La  présomption  arrive  à 
son  dernier  degré,  comme  dans  Luther,  ne  s'inquiète  ni  de 
repentir,  ni  de  mérite.  Etat  lamentable  de  l'âme  présomp- 
tueuse  246 

c)  Au  désespoir  Si  le  voile  se  déchire  un  jour,  le  présomp- 
tueux est  effrayé  et  il  considère  comme  impossible  le  salut 
qu'il  avait  jusque-là  cru  très  facile 2'»G-247 

C'est  à  l'école  de  I  humilité  que  nous  apprenons  à  nous  défier 
justement  de  nous-mêmes,  à  penser  que  Dieu  n'a  pas  besoin 
de  nous,  à  craindre  les  surprises  de  la  mort,  à  fuir  les  con- 
seils  de  la   présomption 247-248 


CINQUIÈME  INSTRUCTION  -  VENDREDI  SAINT 

TYPES  DE  PRI{:SOMPTION  DR  DÉSESPOIR  ET  D'ESPÉRANCE 
DANS  LA  PASSION  DE  JÉSUS  CHRIST 

La  Passion  de  Jésus-Christ,  résumé  de  l'histoire  religieuse 
et  morale  de  l'humanité.  Heurt  de  tous  les  vices  et  de  toutes 
les  vertus.  Apparition  de  la  présomption  dans  les  Pharisiens, 
du  désespoir  dans  Pilate  et  dans  Hérode,  de  l'espérance  dans 
la  Sainte  Vierge  et  dans  les  saintes  femmes.  Nécessité  de 
limiter  le  sujet.  Choix  de  trois  types  de  présomption,  de 
désespoir,  d'espérance  :  saint  Pierre,  Judas,  le  bon  larron 
253-254 

I 

La  Présomption. 

a)  Attitude  de  Pierre  la  veille  de  la  Passion,  ses  affirma- 
tions téméraires.  Avertissements  réitérés  de  Notre- Seigneur. 
Confiance  excessive  de  Pierre  en  lui-même.     .     .     .     254-256 

b)  On  trouve  dans  lapôtre  tous  les  caractères  du  présomp- 
tueux. Pierre  compte  d'une  manière  exagérée  sur  lui-même, 
il  s'élève  au-dessus  des  autres,  il  fait  ahstia»  tinu  du  tccours 
de  Jésus,  et  c'est  en  vain  que  Jésus  s'efforce  de  le  ramener  à 
des  sentiments  d  humilité •-î;6  21:8 


TABLE   DES   MATIÈRES  341 

c)  Châtiment  de  la  présomption.  Première  défection  de 
Pierre  au  jardin  des  oliviers.  Seconde  défection  au  moment 
de  l'arrestalion  du  Sauveur,  que  Pierre  ne  suit  plus  que  de 
loin.  Lamentable  reniement  de  Pierre  dans  le  palais  du  grand 
prêtre.  Comment  1  humilité  rendit  Pierre  plus  fort  que  la  pré- 
somption  258-262 

II 

Le  Désespoir. 

a)  L'avarice  fut  la  cause  du  désespoir  de  Judas.  Les  avis 
de  Notre-Seigneur  n'ont  pas  raison  de  cette  passion,  qui  en 
Judas  fait  de  rapides  progrès.  L'avarice  conduit  peu  à  peu 
Judas  au  dégoût  des  choses  divines,  à  l'incrédulité,  a  la 
trahison  du  Maître 562-264 

b)  Le  désespoir  est  déjà  en  germe  dans  cette  âme,  car 
désespérer  c'est  s'éloigner  des  choses  divines  et  les  repous- 
ser. —  Judas  ne  réagit  pas,  il  est  envalii  par  la  tristesse  qui 
est  un  principe  de  désespoir.  Tri-tessc  sombre  de  Judas.  — 
Judas  franchit  le  dernier  pas.  et  il  considère  son  salut  comme 
plus  impossible  à  mesure  qu  il  est  plus  infidèle.  —  Enfin  le 
désespoir  éclate.  Peinture  de  ce  désespoir  qui  conduit  Judas 
au  suicide .     .     .     , 264  268 

m 

L'Espérance. 

1.  — a)  Situation  douloureuse  du  bon  larron.  Emotion  du 
misérable  quand  il  contemple  le  Sauveur     ....     268-270 

b)  En  entendant  la  prière  de  Jésus,  il  sent  renaître  en  lui 
l'espérance.  11  se  reproche  ses  crimes,  il  les  confesse  ouver- 
tement, il  en  accepte  l'expiation 270  271 

c)  A  quel  degré  il  compte,  pour  son  salut,  sur  la  puissance, 
sur  la  bonté,  sur  la  miséricorde  de  Notre-Seigneur,     271-272 

2.  —  a]  Hèponse  de  Notre-Seigneur.  Il  fait  des  promesses 
spéciales  au  bon  larron.  Il  lui  promet  pour  le  jour  nu'me  le 
Parailis ,     ,     .     .     272 

b)  Joie  du  bon  larron  pénétré  par  respcrance.  Sa  sainte 
mort 273 

Le«;ons  pour  les  chrétiens.  Ce  que  l'on  apprend  en  médi- 
tant sur  la  présomption  di'  Pierre,  sur  le  désespoir  de  Judas. 
Ce  que  l'on  apprend  à  l'école  du  bo:i  larron.     .     .     .     27;r274 


342  TABLE   DES  MATIÈRES 

ALLOCUTION 

A  LA   COMMUNION   GÉNÉRALE   DES   HOMMES 

DIMANCHE   DE  PAQUES 

L'EUCHARISTIE 
GAGE  DE  L'ESPÉRANCE  CHRÉTIENNE 

D'après  la  liturgie  et  les  docteurs,  l'espérance  trouve  un 
gage  précieux   dans  l'Eucharistie 279-280 

I 

Jésus-Christ  promet,  dans  l'Evangile,  la  béatitude  à  tous 
en  général.  Dans  l'Eucharistie,  il  adresse  ses  promesses  à 
chacun  de  nous  en  particulier.  Explication  de  cette  pen- 
sée  280-28' 

II 

Dans  l'Incarnation  Jésus-Christ  s'unit  à  la  nature  humnine, 
dans  l'Eucharistie  il  s'unit  à  chaque  individu.  Intimité  de  cette 
union  qui  nous  incorpore  au  Christ,  et  qui,  si  nous  le  voulons, 
nous  rend  inséparables  de  lui.  En  outre,  de  cette  union  nous 
sommes  entraînés  au  Thabor,  au  Calvaire,  au  ciel  et  nous 
sommes,  pour  ainsi  dire,  sauvés  d'avance.     .     .     .     281-281 

lU 

Sauvés  d'avance,  Jésus  dit  :  «  Celui  qui  mange  ma  chair  et 
qui  boit  mon  sang  a  la  vie  éternelle.  »  Explication  de  ce  mot. 
L'Rucharistie  dans  notre  chair,  dans  notre  sang,  dans  notre 
âme,  c'est  le  royaume  de  la  béatitude  eu  nous.     .     .     282-283 

Ecoutons  les  témoignages  de  Jésus. 

Respectons  son  union  avec  nous. 

Ne  détruisons  pas  le  royaume  de  Dieu  en  nous  et,  sous  l'in- 
fluence de  l'Eucharistie,  ce  royaume  deviendra  le  royaume 
des   cieux 283-284 


TABLE   DES  MATIÈRES  S  i;3 

APPEiNDICES 

I 

Principaux  auteurs  consultés 285-295 

II 

Notes  explicatives  sur  les  conférekces.    .    ~    .    .    297-322 


l'nris.  —  Soo.  Oén.  d'imp.  et  d'Ed.,  17,  rue  Cnssottf. 


BJ  1249  .J352  v.3   SflC 
Janvier,  Marie  Albert, 
Exposition  de  la  morale 
catholique  :  morale  spéciale 
47086051