JOHN M. KELLY LIBDADY
ÏN riEHORY OF
CARDINAL GEORGE FLAHÏFF CSB
1905-1989
University of
St. Michael's Collège, Toronto
EXPOSITION
MORALE CATHOLIQUE
MORALE SPÉCIALE
III
L'ESPÉRANCE
L'ESPfiRANCE. — 1.
CONFERENCES DE N.-D. DE PARIS
EXPOSITION
DE LA
MORALE CATHOLIOUE
MORALE SPECULE
III
L'ESPÉRANCE
CONFÉRENCES ET BE TRAITE
CARÊME 1913
Par le R. P. M.-A. JANVIER
Des Frères Prêcheurs.
l'AKIS
P. LETHIELLKUX, LI HH AI KE-ÉDITEUR
10. RI'li: CASSETTE, 10
APPROBATION DES GEiNSEURS
Nihil obstat :
A. ViLI.ARD. J. HURTAUD.
Parisiis, die 24 martii 1913.
Imprimatur :
Ratm. Boulanger,
Parisiis, die 24 martii 1913.
Imprimatur :
f Leo-Adolphus
Gard. Amette,
Arch. Paris.
Parisiis, die 10 aprilis 1913.
LETTRE DE S. E. LE CARDINAL iMERRY DEL VAL,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT A L'AUTEUR
Segreteria di Stato Dal Vaticano.
di Sua Santita. 13 uovembre 1913.
Mon RÉVÉREND Père,
Le Souverain Pontife, se réjouissant des succès tou-
jours croissants de votre apostolat, a daigné agréer avec
une particulière bienveillance riiommage du volume de vos
Conférences du Carême de 1913, consacré à la vertu
théologale de V Espérance .
En rappelant si opportunément aux générations en-
traînées par la fièvre des jouissances immédiates, que Dieu
seul peut donner à l'homme la béatitude parfaite par le
plein rassasiement de son intelligence et de sa volonté, et
nouvel ouvrage continuera le bien déjà réalisé par votre
parole et orientera les aspirations des cimes généreuses vers
les biens éternels.
Le Saint-Père vous félicite de vous être appuyé sur les
lémuignages les plus certains de la Tradition Catholique
et sur l'enseignement des grands Docteurs scolastiques
pour venger élo(iuemnient la vertu de l'Espérance des
accusations contradictoires accumulées contre elle par des
esprits égarés, et pour établir solidement qu'elle fait
partie essentielle de la vie militante du Chrétien et que^
loin d être exclue par la Charité^ elle en est au contraire,
ici-bas, la préparation et le soutien.
G LETTRE I>E S. E. LE CARDINAL SECRETAIRE D ÉTAT
Sa Sainteté demande au Seigneur de vous donner la
force de poursuivre vaillamment encore un si fructueux
ministère et Elle vous accorde de tout cœur, ainsi qu'à vos
auditeurs, la Bénédiction apostolique.
Trè.'i sensible, en ce qui me concerne personnellement, à
r hommage que vous avez bien voulu me faire du même
ouvrage, je vous prie d'agréer, mon Révérend Père, avec
mes remerciements, l'assurance de mes sentiments bien
dévoués en Noire-Seigneur.
R. Gard. AIerry dei, Y4L.
PREMIÈRE CONFÉRENCE
LES PERSPECTIVES
DE L'ESPERANCE CHRÉTIENNE
SOxMMAIRE
Nom aimable de la seconde vertu théologale. Puissance
des espérances issues de la nalure. Supériorité de l'espé-
rance chrétienne dont la noblesse se mesure d'abord à la
sublimité des perspectives qu'elle ouvre au cœur. Comment
l'homme moderne a oftensé cette vertu, p. H-12.
1
1. — L'espérance chrétienne ouvre à l'individu la perspec-
tive du bonheur absolu.
a) Simplicité, perfection, éternité du bien qui nous est
promis et qui n'est autre que Dieu lui-même vu. possédé
dans son essence, p. 1214.
b) Insul'tisance des biens créés : fortune, sanlé, plai-
sir, etc , p. 14-15.
c) Comment Dieu fera cesser notre misère et répondra à
notre passion de connaître, d'aimer, de goûter la joie iniiiiitv
Comment des facultés spirituelles ce bonheur se répandra
dans la sensibilité et jusque dans les éléments matériels de
notre être. Comment notre bonheur sera définitivement assuré
et pour([u«i nous n'avons pas à craindre dans sa possession la
monotonie, p 15-19.
2. — L espérance s'étend au delà du bonheur persoiini>l.
Sous l'inlluence de la charité, elle ouvre une seconde pers-
pective, celle d'un état parfaitement heureux pour la société
des croyants.
Tous les partis rêvent d'une société où la face du monde
sera renouvelée. Le Chrétien attend l'avènement du royaume
de Dieu. Unité, justice, joie, gloire de ce royaume. Hiérar-
chie admirable de la (ïité céleste où à des degrés divers tous
les ('-lus goûteront h' même cssetilicl bnnlicur, |). l'.t 21.
3. — Troisième perspective de 1 Cspérance chrélieime : la
transformation de l'univers... Soml)res prévisions du pessi-
misme par rapport à l'avenir de la Création. Illusions de
l'optimlsnie. l'romes-ses du Christianisme : pourtjuoi il cmi-
10 l'espérance
vient que toutes les créatures (pii ont obéi à Dieu et servi
riiommc soient associées à la gloire des êtres raisonnables.
Images (inc les artistes chrétiens nous offrent de l'étal du
monde après sa transfiguration iinale, p. 19-23.
II
i. — Grave reproche fait à l'espérance chrétienne qui
place le bonheur dans l'avenir. Cette infirmité est commune
à toutes les espérances. Mais le Chiisîianisme place le bon-
heur au delà du tombeau, et nos adversaires accusent notre
doctrine d'exploiter la crédulité publique et de promettre aux
générations un bonheur lointain pour obtenir qu'elles renon-
cent en notre faveur aux joies présentes. — Réponse à cette
accusation, p. 23-215.
2. — L'espérance chrétienne ne se désintéresse pas du
présent.
a) Elle nous promet la grâce qui est, dans le temps, le
moyen d'arriver à la gloire de l'éternité. Bonheur assuré en
cette vie à lame en état de grâce, p. 23-28.
b) Nous espérons la grâce pour les autres. Bonheur assuré
à la société qui vit sous l'empire de la grâce, bien social par
excellence. Témoignage de l'aine à ce sujet. Ce que la reli-
gion chrétienne fait pour la prospérité terrestre des peu-
ples, p. 29-31.
c) L esjjérance vise les biens temporels dans la mesure où
ils se rapportent aux biens éternels. Comment les biens tem-
porels sont parfois nécessaires à l'iiomme et à la société
pour parvenir à la béatitude éternelle. Immense domaine de
l'espérance chrétienne qui embrasse dans son ambition tiuis
les biens véritables du temps et de l'éternité, p. 31-33.
Obligation de ne pas rétrécir les cadres grandioses de
l'espérance chrétienne. Le fidèle s'attache avant tout à la
félicité éternelle, mais il ne dédaigne aucun des biens qui
peuvent servir à sa suprême exaltation, p. 33.
PREMIÈRE CONFÉRENCE
LES PERSPECTIVES
DE LESPÉRANCE CHRÉTIENNE
Éminentissime Seigineur (l),
Messieurs,
La seconde vertu tliéologale porte un des noms
les plus aimables de la langue humaine : elle s'ap-
pelle TEspérance. Les espérances issues de la nature
sont déjà des puissances de premier ordre; elles sont
le stimulant de nos entreprises, le soutien de nos
efforts, le principe de notre ténacité. A leurs rayons
naissent, mûrissent, se dorent tous les fruits de
notre activité. Où elles luisent, l'âme vibre, le cou-
rage se relève, la douleur se console; où elles
brillent avec éclat, le labeur devient intense, la lulte
intrépide, la constance inlassable ; où elles pAlissent,
le mouvement hésite, se traîne, s'emlort; où elles
s'éteignent, l'élan se brise et lliomme désarmé
(1) S. E. Mgr le cardinal A mette, iircliev('t|iic île l'aris.
12 l'espérance
s'effondre dans l'inertie. Leur valeur dépend d'abord
de la noblesse des biens qu'elles poursuivent. Par-
lois, elles nous emportent très haut et très loin dans
la sphère de l'idéal, parfois aussi elles se déshonorent
dans la recherche d'un but vulgaire, indigne ou
même abject. Quoi qu'il en soit, l'espérance chré-
tienne s'élève infiniment au-dessus des sentiments
dont je viens de parler. Elle les dépasse autant que
les choses divines dépassent les choses humaines.
Elle doit sa première supériorité aux perspectives
quelle ouvre au cœur. Quelles sont ces perspec-
tives? En d'autres termes, jusqu'oîi s'étendent les
ambitions légitimes et sacrées de l'espérance chré-
tienne? Voilà le problème qu'il faut résoudre
aujourd'hui.
L'espérance est une des vertus que l'homme mo-
derne a le plus offensées. Trop souvent elle a sombré
dans le noir pessimisme, dans la mélancolie mala-
dive, sensuelle, où philosophes et poètes, artistes et
savants ont puisé leurs malfaisantes inspirations.
Puissiez-vous au terme de celte station sentir vivre
intégralement et joyeusement en vos consciences la
faculté qui, après la foi et la charité, est le meil-
leur ressort de l'organisme surnaturel.
I
L'espérance chrétienne regarde avant tout l'éter-
nité; les principales perspectivesou vertes par ellesont:
la perspective du bonheur absolu pour l'individu, la
PREMIÈRE CONFÉRENCE 13
perspective d'un état parfait pour la société des
croyants, la perspective d'une transformation glo-
rieuse pour l'univers.
Nous sommes sûrs par la raison et par la foi de
l'immortalité personnelle et consciente. A cette im-
mortalité l'espérance promet la béatitude, je veux
dire le bien qui condense dans sa simplicité
tout ce que le monde renferme à l'état dis-
persé d'être, de vie, de vérité, de douceur, d'éclat,
de beauté, tout ce que la création offre de désirable,
tout ce qui est susceptible à quelque degré de ravir
l'esprit, d'émouvoir le cœur, denchanler l'ima-
gination et la sensibilité, de renouveler la matière
même; le bien qui, unissant en lui les délices répan-
dues dans les innombrables substances distinctes
de la sienne, possède en outre une perfection propre,
n'appartenant qu'à lui et dont l'univers fini ne
porte ni l'image, ni la trace; le bien impérissable,
défendu par sa nature contre la décrépitude, contre
les coups et les mutilations, le bien éternel qui,
étranger aux évolutions, aux cbangements, a toujours
été et sera toujours ce qu'il est ; le bien auquel rien
ne manque; le bicu que nos idiomes essaient de
qualifier en lui appliquant les luots les plus forts, les
plus significatifs, eu donnnnt h ces mots un sens
démesuré, transcendant, sans réussir à exprimer ce
qu'il est, sinon par uue analogie inliruie et lointaine.
Dieu, considérécommele souveraiu bienderhomuie.
14 I.'ESPE RANGE
tel est rineiïable objet vers lequel s'envole l'espoir
chrétien et dont nous escomptons pour chacun de
nous la possession.
Oui, Messieurs, l'individu dominé par la seconde
vertu théologale espère atteindre Dieu lui-même,
l'atteindre non plus dans les œuvres sorties de ses
mains, non plus à travers les énigmes et les sym-
boles de la Révélation, non plus par l'intermédiaire
des formules mystérieuses du dogme, mais directe-
ment, immédiatement, dans son essence. 11 espère
le voir face à face, à découvert, pénétrer par la
pointe de son esprit dans les profondeurs de la
Réalité infinie, être lumineusement initié au secret
intime de son être, assister au spectacle de son acti-
vité immanente, contempler Fintarissable fécondité
d'où naît le Verbe, d'oii procède l'Amour, partager
au grand jour la vie, la gloire, la joie de l'auguste
et adorable Trinité. Il espère trouver dans cette pos-
session l'apaisement de tous ses désirs, des plus
impérieux comme des plus discrets, de ceux qui
surgissent de la saine nature comme de ceux qui
émanent du baptême et de la grâce céleste.
Les biens finis, qui sont à votre portée, ne se don-
neront jamais tous ensemble à vous; vous jouirez
moins de la présence de l'un, que vous ne soulTrirez
de l'absence de l'autre, et quand vous aurez acquis
celui qui vous manque, un troisième se dérobera
dont vous ne pourrez vous passer sans douleur.
Vou» H^n pauvres, vous vous imaginez que la for-
PREMIÈRE CONFÉRENCE 13
tune vous rendrait heureux. Erreur! Vous voilà
riches, la santé vous fait défaut. L'avez-vous re-
couvrée ? Vous soupirez après le plaisir. Le plaisir
accourt et vous enivre, mais le pouvoir vous fuit, la
gloire vous ignore, vous n'êtes pas contents. Un désir
satisfait en éveille un autre qui perpétue votre
inquiétude et vous laisse aussi altérés que devant.
Supposez que la création se livre à vous sans réserve,
que vous puissiez la presser comme un fruit et en
extraire jusqu'à la dernière goutte la suavité qu'elle
récèle en son sein, vous seriez encore inassouvis.
L'ennui, le dégoût vous envahiraient bientôt, vous
continueriez à vous plaindre. L'âme humaine est
plus grande que le monde : dès qu'un objet est limité,
il est impuissant à la remplir jusqu'au bord.
Si mon cœur fatigué du rêve quirobsède
A la réalité revient pour s'assouvir,
Au fond des vains plaisirs que j'appelle à mon aide',
Je trouve un tel dégoût que je me sens mourir.
Une immense espérance a traversé la terre.
Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux.
Nous espérons par la possession de Dieu voir cet
abîme se combler et cesser cette misère. Tous les
désirs du chrétien seront satisfaits et débordés pai
la surabondance des biens qui lui seront prodigués.
La passion de connaître nous inquiète, une vérité plus
vaste que notre intelligence abreuvera notre pensée
de ses ondes lumineuses; le besoin d'aimer sans
réserve, sans crainte, sans remords, sans mesure,
16 l'espérance
nous tourmente, notre cœur pourtant agrandi se
perdra dans le sein de la souveraine beauté; nous
soupirons après la joie infinie, notre être trop petit
pour contenir celle qui nous est prépare'e s'y plon-
gera tout entier.
L'àme et ses spirituelles facultés puiseront direc-
tement en Dieu leur bonheur (1). Mais pareilles aux
grands fleuves dont les eaux surabondantes fran-
chissent les rives pour inonder les campagnes et
les féconder, elles verseront le trop plein de leur
félicité dans la sensibilité, qui totalement renouvelée
supportera sans faiblir des spectacles, des harmonies,
des émotions dont je ne saurais vous peindre la vertu
enchanteresse. Le torrent de la béatitude descendra
des sommets de l'âme jusqu'au corps qui complète-
ment transfiguré ne connaîtra plus les infirmités,
les frissons douloureux, les tortures, les agonies
dont il souftre tant sur la terre. Ressuscité, glorifié,
imprégné de qualités surnaturelles et comme spiri-
tualisé, il vivia nulant qu'il est capable de vivre, il
partagera la perfection et le triomphe de la person-
nalité dont il aura été le compagnon et l'instrument.
Nous n'atteindrons pas Dieu en passant, nous
entrerons en lui comme dans une terre définitive-
ment conquise : il nous appartiendra pour toujours
sans que nous ayons à craindre de le perdre. Sur la
terre nous tremblons continuellement pour nos demi-
(I,; App,, 11" 1, p. 299.
PREMIERE CONFERENCE 17
bonheurs. Les re'alitcs qui nous charment sont fra-
giles, un rien suffit à les briser : un orage anéantit
la moisson du laboureur, une crise économique fait
sombrer la fortune gagnée aux prix de longs efforts,
un accident, un peu de froid détruisent une santé
réputée inébranlable. Quand les biens tout relatifs
où nous nous absorbons ne périssent pas, ils s'arra-
chent à notre étreinte et nous fuient: un caprice de
la multitude nous confère le pouvoir, un autre
caprice nous l'enlève, les amis se reprennent comme
ils s'étaient donnés. Et si le bonheur ne nous manque
pas, c'est nous qui manquons au bonheur : le
spectre de la mort nous menace perpétuellement
et finit par nous ravir aux choses, aux personnes
qui nous rendaient heureux à quelque degré.
Rien de pareil à redouter dans le ciel ouvert à
notre espoir. L'Etre qui nous conférera la vie pleine
ne périt pas, ne vieillit pas. La mort vaincue, désar-
mée, détruite ne pourra pas frapper les élus de s(»s
coups violents ou sournois. Ue [)lus, le lieu qui
nous unira au Créateur sera indissoluble, toutes les
puissances qui voudraient nous séparer de lui se
heurteront en vain aux portes de la Jérusalem
nouvelle, et d'autre part ni Dieu ne se retirera
de l'homme qu'il aura couronné, ni l'homme ne vou-
dra rompre avec Dieu : liés l'un à l'autre ils seront
associés pour les siècles des siècles.
Peut-être ce bonheur vous paraîtra-t-il monotone,
peut-être avcz-vous peur de vous en lasser, d'y rcn-
l'espéranck — 2.
18 l'esi'Euaxce
contrer l'ennui? Bannissez cette crainte. Si les satis-
factions du présent engendrent vite la fatigue ou le
dégoût^ c'est que les unes nobles par elles-mêmes
nous imposent des efforts qui nous rebutent et nous
épuisent, c'est que les autres sont trop basses pour
nous contenter longtemps. On renonce aux premières
parce qu'elles s'achètent au prix de trop durs sacri-
fices, aux dernières parce que se reprenanton cesse de
les désirer. Dans l'autre monde les puissances régéné-
rées, nourries par Dieu s'exercent sans peine et attei-
gnentfacileme.nt,joyeusementleurobjet. Cet objet est
tellement parfait, l'on y puise tant de délices que
l'âme en est enivrée sans jamais connaître la satiété.
Que nous sommes loin. Messieurs, du système impla-
cable emprunté par plusieurs de nos contemporains
à Epicure, à Lucrèce, aux philosophes primitifs et
embarrassés de la Grèce, système qui refuse à l'indi-
vidu le bonheur personnel ! On y dit bien que l'homme
vertueux sera immortel, mais cette survivance n'est
rien qu'un simulacre d'immortalité, car elle appar-
tient aux œuvres du génie, de la bonté, et non à leur
auteur qui reste sujet à « la caducité universelle »,
emporté vers le gouffre où tout se dissout, frustré,
en définitive et pour parler clair, de la béatitude
consciente dont il ressent un si impatient désir (1).
(1) « Los œuvres do l'homme do génio et do l'homme de bien échap-
pent seules ainsi à la caducité universelle, car soûles elles comptent
dans la somme des choses acquises et leurs fruits vont grandissant,
même quand l'humanité ingrate les oublie. » Renan. Livre de Job, p. xci.
Cf. Append , n. 2, p. 300.
PREMIÈRE CONFÉRENCE 19
L'espérance s'étend au delà du bonheur personnel,
elle ouvre une seconde perspective, celle dun état
parfait et totalement heureux pour la société des
croyants. Par nature elle ne s'attache qu'au bien
propre de l'individu, mais sous l'influence de l'amour
qui nous lie à nos semblables et nous fait leur vou-
loir les avantages que nous nous voulons à nous-
même, elle élargit ses cadres, ses horizons et elle
s'intéresse au sort futur de tous les hommes (1). Le
chrétien attend pour ses frères la félicité qu'il
demande pour lui, il salue d'avance l'Etat idéal où
Dieu, assez riche pour se communiquer à la foule
innombrable des saints, sera devenu le spectacle
et l'aliment de tous en se donnant cependant
complètement à chacun et comme s'il ne se
donnait qu'à lui seul. Les partis humains rêvent
un changement qui renouvellera la face du monde,
annoncent le triomphe d'un progrès où les plus
déshérités trouveront le bien-être qu'ils réclament.
A les entendre, la lutte des classes et des fac-
tions, les découvertes des savants et le labeur des
ouvriers, les bouleversements politiques et les
efforts industriels, les revendications irritées des
uns et les concessions arrachées aux autres, les dis-
cussions pacihques et les révolutions sanglantes
préparent cet Tige d'or. C'est avec cette espérance
que l'on essaie de tenir les malheureux en halciae,
de soutenir leur courage, de modérer leur impa-
(1) Apjjend., n. :?, y 300.
20 l'espérance
lience, de calmer leur colère. Nous aussi, nous ap-
pelons de nos vœux et nous attendons le jour où
un peuple venu de tous les points se réunira pour
former une communauté parfaite. La religion nous
permet et nous ordonne de lever des yeux chargés
d'espoir vers cette Jérusalem dont tous les citoyens
seront rassasiés de joie et de gloire. Sous ses aus-
pices, nous appelons l'avènement du royaume de
Dieu. Le royaume de Dieu parvenu à son apogée,
c'est la victoire de l'unité, qui met fin aux divisions
et aux déchirements dont nous souffrons dans le
temps; de la justice qui, distribuant la récompense
selon les mérites^ établira un ordre respecté et une
hiérarchie immuable; de lafraternité, qui fera com-
munier les âmes aux mêmes visions, au même
amour, aux mêmes extases. Là, nulle voix discor-
dante ne viendra troubler l'harmonie des choses,
nulle plainte n'attristera les oreilles de la multitude
bienheureuse. Chaque pierre vivante sera contente
de la place que l'artiste suprême lui aura assignée;
d'une extrémité à l'autre de l'immense sanctuaire
on ne respirera que l'air embaumé de la paix et de
la félicité. Au sommet, Dieu dans la jouissance in-
finie que seul il épuise, près de lui, le Christ égal
au Père par sa Personne, et dominant par la gloire de
son humanité l'armée des élus, au-dessous, la Vierge
avec tous les privilèges attachés à sa vertu et à sa
dignité de mère du Verbe incarné, puis sur plus de
mille degrés, comme dit Dante, les anges et les
PREMIÈRE CONFÉRENCE 21
saints recevant une dose de lumière, de béatitude
proportionnée à leur grandeur et tous satisfaits :
telle est la seconde perspective de l'espérance.
Voici la troisième. Le pessimisme prédit que
l'univers se hâte vers une catastrophe finale où il
perdra son éclat et sa beauté. Notre espérance se
cabre contre cette sombre doctrine. Elle compte
que les mondes ne seront ni détruits, ni abandonnés
au hasard des forces contraires qui, se combattant
les unes les autres, plongeraient les éléments dans
une lutte sans issue, dans un chaos ténébreux, dans
une anarchie irrémédiable. Elle compte que Dieu
conservera son œuvre et saura la défendre viclo-
rieusement contre les puissances acharnées à sa
ruine. L'optimisme aime à répéter qu'à la suite
de changements sans nombre la création s'épurera
progressivement, éliminera les principes de corrup-^
tion et finira par se condenser dans un élément
d'une activité intense, d'une subtilité sans égale,
dune transparence prodigieuse. « La marche du
monde, dit Renan, est enveloppée de ténèbres, mais
il va vers Dieu (1). »
Nous espérons quelque chose de pareil. Nous pen-
sons qu'au terme des siècles la nature j)énétrée
soudain d'une vertu divine changera de physionomie,
que les êtres (|ui la composent, sans sortir de leur
(1) Livre de Jub, >c. (,'f. n. i, y. 301.
22 l'espérance
nspèce, s'affranchironl des lois de la corruption et
après une crise suprême passeront des épreuves du
temps à la gloire de l'éternité. D'un côté, en effet,
les créatures ont parcouru leur carrière, accompli
la volonté de leur Maître, servi les desseins de
l'homme. Par là, elles ont mérité en quelque sorte
une récompense et se sont montrées dignes, si je
puis ainsi parler, de partager autant qu'elles en
sont susceptibles la destinée de nos corps, de jouir
à leur manière du repos et de la béatitude éter-
nels après a\oir souffert des travaux comparés
par saint Paul aux douleurs de l'enfantement.
D'un autre côté, l'homme aime ces créatures infé-
rieures dont il a usé pour connaître le vrai et pour
faire le bien. Quelque chose, semble-t-il, manque-
rait à notre bonheur si elles n'étaient associées à
notre triomphe, si les yeux de notre chair incapa-
bles d'apercevoir en elle-même l'essence divine ne
pouvaient à leur façon en contempler un plus vif
rayonnement dans la nouvelle terre et dans les
nouveaux cieux comme ils contempleront l'effusion
lumineuse des âmes sur les corps ressuscites et la
beauté incomparable du Verbe sur la face resplen-
dissante du Christ triomphant. C'est pourquoi nous
espérons que, de même qu'après la mort l'homme
se retrouvera plus vivant dans le repos et dans
la gloire, de même l'univers arrivé au terme de sa
course ne s'effondrera un instant que pour se re-
dresser dans une jeunesse et dans une fraîcheur
PREMIÈRE CONFÉRENCE 23
liors de l'atteinte de toutes les vicissitudes, x^ngelico
et ses émules n'ont pas oublié cette perspective de
notre espérance quand ils ont représenté le séjour des
Bienheureux. Ils ont dessiné des collines apaisées,
abritées contre les oraRos, des fleuves aux eaux
étincelantes, des firmaments dont aucun nuage
ne vient voiler l'azur, des arbres couverts de
feuilles, de fleurs, de fruits incorruptibles, ils
ont placé les élus dans dos paradis dont Dieu
est le flambeau et oii la nature transfigurée a ré-
pandu des beautés et des charmes inconnus du pré-
sent. C'est une imagé du monde après sa rénova-
tion finale.
Ji
On fait à l'espérance chrétienne un grave re-
proche : on lui en veut de placer le bonheur dans
l'avenir. Cette infirmité. Messieurs, est commune à
toutes les espérances : toutes visent un bien futur,
toutes précèdent la possession, toutes meurent dès
que la possession commence. En ce qui concerne la
consommation de la béatitude, aucune école reli-
gieuse, philosophique, sociale ne l'assure dans le
présent : les plus audacieux, les plus afiirmatifs ne
promettent que pour le lendemain ralTranchissc-
ment et la félicité. Encore faut-il ajouter qu'aux
yeux de beaucoup de ces prophètes l'homme n'urri-
24 l'espérance
vera jamais qu'à un état précaire destiné à en pré
parer un meilleur, et ainsi à l'infini.
Mais, nous dit-on, vous reculez au delà du tom-
beau l'avènement du royaume dont vous vous plai-
sez à célébrer la magnificence : avant d'y entrer
il faut passer par les transes de l'agonie, par les
étreintes de la mort. C'est un procédé habile dont
vous usez pour obtenir que la foule renonce en
votre faveur aux satisfactions immédiates, pal-
pables que le temps nous présente. Vous com-
mencez par nous ravir les biens positifs mis dès
maintenant à notre disposition, et vous essayez de
nous en faire accepter le sacrifice en orientant nos
désirs versun paradis lointain qui, dans votre doc-
trine, doit être le seul objet de notre ambition.
Nous ne serons pas dupes d'une pareille ruse :
vous voulez exploiter la mort, spéculer sur l'éter-
nité, trafiquer du salut, vous n'y réussirez plus,
c'est de la terre qu'il faut s'emparer, c'est^ d elle
•lu'il faut exiger la justice absolue, la science,
l'amour, le bonheur.
Il y a longtemps. Messieurs, que l'on accuse les
Clirétiens de prêcher aux âmes crédules le mépris
du siècle et la confiance aveugle dans les récom-
penses de Taufre vie. Les païens ne pardonnaient
pas aux premiers apôtres de préférer le ciel à Rome,
cette patrie universelle où les peuples cherchaient
leur gloire, leur force, leur orgueil. Aujourd'hui les
ennemis de llîlvangile et de l'espoir qu il impose
PREMIERE CONFERENCE 25
nous jettent à la face, sous d'autres formes, la
même accusation. En leur répondant, je complé-
terai l'enseignement que je viens de vous donner.
Premièrement, l'Eglise, je me hâte de le concé-
der, nous répète qu'il serait vain et insensé de de-
mander à la terre le parfait bonheur, que si le
parfait bonheur existe, il ne peut exister que dans
l'éternité. Elle répète à tous les échos : quiconque
promet à l'homme la satisfaction absolue de ses dé-
sirs ici-bas, le trompe indignement et abuse de sa
naïveté. En parlant ainsi, elle est d'accord avec
toutes les religions qui placent leurs Champs-Ely-
sées, leurs paradis au delà du présent, elle estd'accord
avec la philosophie des plus grands maîtres qui ne
cessent de se lamenter sur l'insuffisance des biens du
temps et qui se savent sûrs de ne pas mourir tout
entiers parce que la vie terrestre ne les a pas rendus
heureux comme ils ont besoin de l'être, elle est
d'accord avec l'expérience des générations qui ont
remué, analysé, creusé la nature sans pouvoir saisir
le bonheur rêvé.
Secondement, dire que nous tentons, par un
calcul misérable, d'attacher l'espérance de la foule
au ciel afin d'oldenir en notre faveur l'abandon
des biens finis, c'est nous calomnier odieusement.
Nous commençons par pratiquer ce que nous en-
seignons, et |)ar subordonner loutes nos joies ter-
restres à la future possession de Dieu. Le premier,
Jésus-Christ a été pauvre, doux, pur, et le pre-
23 L ESPERANCE
mier, il a renoncé au pouvoir, aux honneurs, à
la popularité. Il ne s'est approprié ni la barque
de Pierre, ni la fortune de Matthieu le Publicain,
il a donné l'exemple de l'abnégation qu'il impo-
sait et depuis deux mille ans des disciples innom-
brables n'ont pas cessé de l'imiter. Je ne réfuterai
pas plus longuement un mensonge, que je défie
nos ennemis de confronter avec l'histoire de nos
saints et que je me contente de repousser avec indi-
gnation.
Mais est-il vrai de soutenir que l'espérance chré-
tienne se désintéresse totalement du sort de
l'homme en ce monde? Non, Messieurs, loin de là.
Quiconque veut la fin, veut les moyens. Par suite
l'espérance, qui tend à la béatitude éternelle, tend
du même coup à tous les biens qui lui permettront
de la mériter en cette vie et delà saisir dans l'autre.
Or il est impossible d'atteindre ces biens sans
goûter en leur possession un bonheur incomplet
sans doute, sujet à des fluctuations, mais noble, réel
et proportionné à leur valeur.
Nous comptons d'abord ici-bas sur le secours
surnaturel qui s'appelle la grâce. La grâce est la
force qui nous régénère, qui nous soutient, qui
nous unit déjà intimement à Dieu. Etre en état de
grâce, c'est avoir obtenu le pardon de nos fautes,
les sentir étrangères à notre personne, échapper
PREMIÈRE GONFltRENCE 27
au trouble, au remords qu'elles entraînent, être dé-
chargé du fardeau qu'elles font peser sur nous, avoir
recouvré la paix de la conscience et jouir de cette
paix, de cette innocence que personne, malgré
nous, ne saurait nous ravir. l?tre en état de grâce,
c'est être libre, maître de soi, c'est être capable de
se régir souverainement, de résister à toutes les
tyrannies prêtes à nous asservir, c'est puiser en cette
certitude une satisfaction de l'ordre le plus élevé.
Etre en état de grâce, c'est posséder les divines
vertus qui ne s'exercent pas sans remplir l'âme des
délices déclarées par les philosophes supérieures
à toutes les autres. Etre en état de grâce, c'est
vivre dnnsla société de Dieu, entretenir avec lui
des rapports faciles, ordinaires, familiers, et
retirer parfois de ce commerce les joies vives, pé-
nétrantes dont les saints disaient : « J'ai été
enivré par une volupté secrète, à la cime de mon
âme j'ai éprouvé des émotions si douces (|ue je ne
saurais les peindre, j'ai été tout à coup en proie aux
transports d'un tel bonheur que j'ai cru en mou-
rii'. ') \ilvQ en état de grâce, c'est aux heures tra-
giques de l'agonie elde \a mort ignorer l'iilVolement
qui bouleverse les païens, sentir que l'on ne va
quitter la vallée de l'exil et des larmes que |)i>ur
entrer dans la patrie de l'extase, l'être en étal de
grâce, c'est porlcr t-n soi la semence {\o l.i gloire, et
d'avance percevoir quelque cbose de ce qui ravit les
bienheureux. Comptez-vous iioui' rien ces féiicili's
28 l'espérance
que Fon p;oûte sans honte, dont on se souvient sans
remords, qui n'ouvrent aucune plaie dans la con-
science, qui n'attachent aucune infamie à notre
nom, qui|ne laissent aucune trace ignominieuse
dans la chair, ni aucune amertume dans le cœur?
Sans doute on est encore un homme, on
reste fragile et exposé aux scandales du monde,
sans doute la misère nous arra?he encore dos
plaintes; mais saint Augustin qui avait connu
les spectacles do la scène et du cirque, les conso-
lations des lettres, de la philosophie et des amitiés
ardentes, les ivresses des sens, do l'amour profane
et de la licence effrénée, n'hésitait pas à préférer in-
finiment à tous ces plaisirs la joie qu'il avait
trouvée dans le pardon, dans l'innocence, dans la
vertu, dans l'union avec Dieu ; et saint Paul haï par
les Juifs, poursuivi par les Gentils, trahi par les
faux frères, condamné par les juges, enchaîné par
les geôliers, flagellé par les bourreaux, tourmenté
par des tentations humiliantes, pour nin«i dire vomi
par les sociétés humaines, se montrait plus grand
que ses malheurs et, soutenu intérieurement par
la grâce et par la société du Christ, surabondait de
joie, superahundo gaudio in tribuhitione nostrâ.
Donc espérer la grâce en ce monde, c'est espérer
le Ijonheur qui l'accompagne, bonheur initial, à
peine ébauché si on le compare à la gloire future,
mais bonheur réel qui fait du bon chrétien le plus
heureux de tous les hommes.
PREMIÈRE CONFÉRENCE 29
Nous espérons ia grâce pour nous, nous l'espérons
aussi pour les autres. Mais dans la mesure où la
société l'accepte et lui laisse la liberté de se répandre,
la grâce assure le règne de la justice et de toutes les
vertus qui font le bonheur, la paix, la prospérité
d'un peuple. Taine a dit que la religion peut jeter
un « poids énorme dans la conscience, contrebalancer
l'égoïsme naturel, enrayer l'impulsion folle des pas-
sions brutales, emporti r la volonté vers l'abnéga-
tion et le dévouement, arracher l'homme à lui-
même pour le mettre tout entier au service de la
vérité ou au service d'aulrui, faire des ascètes et
des martyrs, des sœurs de charité et des mission-
naires... (Ij » Il a dit: « Aujourd'hui, après dix-huit
siècles, le christianisme est encore pour iOO mil-
lions de natures humaines l'organe spirituel la
grande paire d'ailes indispensables pour soulever
l'homme au-dessus de lui-même; sans lui, la
société devient un coiipo-gorge ot un mauvais lieu...
Il n'y a encore que lui pour nous retenir sur notre
pente fatale... et le vieil Evangile, quelle que soit
son enveloppe présente, est encore aujourd'hui le
meilleur auxiliaire de l'instinct social (2). » Le
grand posi iviste avouait ainsi que la religion chré-
tienne, au moins pour nous, était le grand agent de
l'ordre parmi les nuLions, la grande inspiratrice
de la justice, de la l'raternité, du dévouement
(1) Oriffines de la France contemporaine, t. II, p. 10, 23» ôdit.
(2) Ibid., t. XI, p. 141.
30 l'espérance
qui rendent les peuples heureux et puissants.
Mais la religion catholique doit son efficacité à
la grâce qui est le bien social le plus précieux. La
grâce n'est donc pas seulement le grand moyen
pour la société de passer de la vie militante à la vie
triomphante, c'est encore le principe le plus puis
sant de prospérité, de bonheur terrestre. Sous son
intluence, les rois deviennent les pères de leur peu-
ple, les sujets deviennent les serviteurs intrépides
de leur prince, la liberté et Tautorilé se réconci-
lient, la charité achève les œuvres bienfaisantes de
la justice, les riches aident les pauvres et les
pauvres pardonnent leur opulence aux riches. Elle
fait d'une race oisive une race laborieuse, d'une
masse confuse une nation disciplinée, elle stimule
toutes les activités, elle exalte toutes les énergies et
tous les talents, elle défend le foyer contre les pus-
sions qui le déshonorent, qui le ruinent, qui le ren-
dent stérile. Les plus incroyants reconnaissent qu'une
société qui puiserait toutes ses inspirations dans
rÉvangile verrait disparaître la plupart de ses maux
et deviendrait la plus homogène, la plus forte de
toutes les sociétés, mais c'est par la grâce que
f Évangile règne, par conséqucnl, c'est à la grâce
acceptée, cultivée, que les peuples doivent Tordre et
la paix qui les rendent heureux. Lorsque donc nous
espérons pour nos frères, pour nos patries, pour
le monde entier la grâce du Christ, nous atten-
dons le secours qui, en même temps, préparera le
PREMIERE CONFERENCE 31
royaume idéal et parfait de l'avenir, et assurera au
présent la plus grande somme de bonheur possible.
Enfin, Messieurs, l'espérance vise les biens pure-
ment temporels dans la mesure où ils se rappor-
tent aux biens spirituels (1). Elle s'étend, dit saint
Augustin, aussi loin que la prière, or, dans la prière
que le Christ nous a enseignée, nous demandons
notre pain quotidien. Ce mot, dit saint Thomas,
désigne tous les biens temporels nécessaires à l'en-
tretien de la vie présente : pour le corps, la nour-
riture, le vêtement, la santé; pour l'esprit, la
science et la certitude; pour le cœur, l'amitié. La
misère, le dénuement, la maladie sont souvent de
mauvais conseillers et l'occasion de tentations
fatales; l'ignorance empêche de connaître le vrai et
de lui accorder le culte et l'attention qu'il mérite;
dans la solitude, dans l'abandon que de fois les res-
sorts de l'âme se brisent et refusent d'obéir aux
ordres de la volonté; au contraire l'homme on
bonne santé, sûr du lendemain, est à l'abri de bien
des défaillances et plus disposé à pratiquer les
vertus qui ouvrent le ciel; la science saine éclaire
les sentiers de la fui, l'amitié console dans la
tribulation, soutient dans la tentation, protège
contre les chutes, double les forces. Il y a souvent,
au moins de l'ait, entre la possession des biens
temporels les plus nécessaires et la coiu|u<Mo de la
(1) Appemi., n. îj, p. 301.
32 i;espérance
béatitude, un rapport étroit. C'est pourquoi notre
espérance les cherche modérément, mais positive-
ment, comme des moyens destinés à nous facili-
ter la pratique des vertus et l'accès du ciel.
Ne dites donc pas que cette belle vertu se désin-
téresse du sort de l'homme sur la terre. Elle em-
brasse dans son ambition tous les biens véritables,
elle ne rejette hors de ses cadres que les mauvaises
joies, que les délices maudites, qui, après avoir, en
dernière analyse, perverti l'esprit, llétri le cœur,
blessé la conscience, déshonoré les familles, troublé
les cités, fait de la chair une pourriture immonde,
empoisonné la vie présente, ferment encore les
portes de la vie future. Son royaume est immense,
il renferme tout ce qui est désirable dans le temps
et dans l'éternité. Aucun autre espoir ne se meut
dans un aussi vaste domaine : ceux qui arrêtent leurs
regards aux biens de cette vie, renoncent au vrai
bonheur qui ne peut nous être donné que dans l'au-
tre; ceux qui se consument dans la recherche des
biens naturels, ne connaissent pas l'exquise douceur
des biens spirituels; ceux qui bornent leur ambition
aux plaisirs des sens, ignorent les joies de lame.
Seule l'espérance chrétienne s'étend par degré, des
bontés partielles qu'elle ne dédaigne point, jusqu'à
la source inépuisable , universelle , infinie de
toute bonté, seule elle est l'espérance idéale, seule
elle est l'espérance royale et transcendante, seule
elle mérite le nom que lui ont donné les auteurs
PREMIÈRE CONFÉRENCE 315
sacrés et dont vous nie permettrez d'user, bien
qu'il ne soit pas entré dans notre langue : la sur-
espérance. In te Domine sapersperavi.
Ne rétrécissez pas, Messieurs, les cadres gran-
dioses de l'espérance chrétienne. En rejetant tous
les faux biens auxquels elle refuse de s'ottacher,
vous pouvez désirer tous ceux qu'elle vous permet
d'atteindre. Sous prétexte que vous êtes citoyens du
ciel, n'alTectez pas de mépris pour les créatures dont
Dieu, leur auteur, a dit qu'en soi et comme moyens
elles sont bonnes et désirables; mais sachez subor-
donner dans votre espérance les biens secondaires
au bien principal, les biens finis au bien infini. Que
Dieu, cbjc!; principal de notre attente, domine tout
dans votre espérance, comme il domine tout dans
le monde, n'hésitez pas à lui sacrifier tout ce (jui
pourrait vous retenir loin de lui et vous empêcher
de le voir face à face. Accueillez les joies raison-
nables et légitimes, de quelque ordre qu'elles soient,
mais ne vous y attachez pas comme à votre fin, efior-
cez-vous d'en user comme d'instruments destinés à
vous soutenir jusqu'à la possession de l'éternelle
béatitude; si l'une ou l'autre ne répond point à votre
appel, sans vous déconcerter tenez vos yeux fixés
sur le bien nécessaire qui vous rendra dans l'autre
monde tout ce (juc vous aurez abandonné ou perdu
en celui-ci.
I. ESPERANCK.
DEUXIÈME CONFÉRENCE
LES APPUIS
DE UESPÉKANCE CHRÉTIENNE
SOMMAIRE
La béatitude telle que nous l'avons définie est-elle acces-
sible à rbomnie ? Divers sentiments des incroyants qui s'ac-
cordent à dire que notre espoir est vain parce qu il chercbe
un bonheur hors de notre portée. Le Christianisme enseigne
que notre espérance est fondée parce que l'appui qu'elle
invoque est proportionné au bien qu'elle promet, p. 30-40.
I
a) Le Chrétien ne trouve pas en lui-même l'appui de son
espérance. Impuissance de l'homme à s'élever par ses seules
forces au bonheur pour lequel il a été créé; vaines tentatives
des anges et des premiers hommes. Echec de tous ceux, qui,
à l'exemple des Pélagieus, ont essayé d'atteindre leur (in
dernière en faisant appel aux énergies de la nature, p. 40-43.
6) Le chrétien n'espère pas dans les autres créatures pour
parvenir à la suprême félicité. Impuissance des êtres finis
pour nous soulever jusqu'au ciel, p. 43-44.
c) Nous ne serons cependant pas purement passifs dans
l'œuvre de notre régénération. Erreur de Luther. Rôle de nos
iriérites, de nos actes. Nous sommes des coopérateurs de
Dieu, p. 44-4;).
(/) Los créatures ne demeureront pas étrangères à notre
merveilleux changement. Action instrumentale du Christ, de
l'Eglise, du sacerdoce, des sacrements, de tous les êtres sur
notre transliguration linale, p, 4!)-4r».
c) Pour(iii()i sommes- nous réduits, comme tous les êtres
créés, comme le Christ lui-même à cet office de coopérateurs
et d'instruments? Parce que le but visé par l'espérance est
surnaturel et qu'il ne peut être atttoint qu'en vertu d'une
force du même ordre, p. 47.
II
1. — La toute puissance auxilialrice de Dieu, tel est le
véritable appui de rosi)éranfe chrétienne, car le privilège de
38 l'espérance
la puissance infinie, c'est de conduire au bien infini, p. 48-49.
a) Dieu peut nous initier à sa vie et à sa félicité. Principe
qui nous permet cette espérance du côté de Dieu, du côte de
riiomme, p. 49-51.
b) Dieu veut nous communiquer cet ineffable bonheur, parce
qu'il est bon et que le propre de la bouté c'est de se répandre
et de donner, parce que le propre de la bonté infinie, c'est de
se communiquer d'une manière infinie, p. 51-52.
2. — a) Dieu nous a promis de nous associera sa gloire. Il n'a
pas cessé de renouveler cette promesse depuis le commence-
ment du monde, de la préciser, de détailler les éléments de la
béatitude qui nous attend : vision, amour, joie, résurrection de
la chair, transformation de la société et de l'univers; de
l'étendre à tous les biens qui nous sont nécessaires dans le
temps pour arriver à notre fin dernière. A cette promesse, il
joint un serment, p. 52-56.
b) Cette promesse nous garantit que Dieu peut nous sauver,
car s'il s'engageait à faire ce qu'il lui est interdit de faire, il se
tromperait sur son propre compte. Elle nous garantit que
Dieu veut nous sauver car, autrement^ il nous jouerait Elle
nous garantit que Dieu doit nous sauver, car la promesse et
le serment obligent en justice, p. 56-57.
c) L'accomplissement partiel de la promesse nous assure
son accomplissement total. Réalisation de toutes les pro-
messes qui ont été faites pour le temps, p. 58-59.
Devoir pour les Chrétiens d'attacher leur «spérance à la
toute-puissance de Dieu comme à la cause première de leur
béatitude.
Devoir pour eux de s'attacher à tous les agents secondaires
choisis par Dieu pour l'accomplissement de ses desseins
miséricordieux sur nous, p. 50-61.
DEUXIÈME CONFÉRENCE
LES APPUIS
DE L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
Éminentissime Seigneuh (1),
Monseigneur (2),
Messieurs,
La béatitude que nous avons essayé de décrire
est tellement haute, d'une acquisition tellement
diflicile que la sagesse se demande parfois avec
inquiétude si elle nous est accessible. Les incroyants
n'hésitent pas à se prononcer contre ce qu'ils appel-
lent une prétention intolérable, à traiter de chimé-
rique notre vaste espérance. Que l'unie immortelle
et dégagée de son corps, disent les plus modérés,
puisse arriver à une connaissance de Dieu supé-
rieure à celle que nous possédons sur la terre,
trouver dans cette science et dans l'amour qui
en est la suite une noble joie, rien ne nous
(1) s. E. Mgr le cardinal Amotto, archev.Hiuo de l'iiris.
(2) Mgr Herschcr, aTchevénue de Laodi' l'-e.
/iO l'espérance
empêche de le penser, mais que, se dépassant
elle-même, elle devienne capable de contempler
immédiatement l'Etre souverain, d'entrer dans
le secret de la suprême Vie : voilà ce qui lui
est interdit. N'essayons pas de chercher noire féli-
cité aux cimes perdues dans l'Infini, nous serions
trompés par une présomption qui ferait dévier nos
esprits et nos cœurs. Les plus intransigeants consi-
dèrent Dieu comme éternellement inconnaissable et
le déclarent à jamais hors de noire portée. A leurs
yeux, c'est pure folie de vouloir ravir au ciel si
peu que ce soit de sa lumière, de son feu, de sa
gloire : quiconque se bercera de cette illusion sera
d'autant plus décontenancé par les surprises de la
froide réalité qu'il aura rêvé d'une perfection plus
incompatible avec sa condition.
Le Christianisme refuse énergiquement de s'in-
cliner devant ces jugements sommaires. Tout en
concédant que la béatitude offerte par l'espérance
est d'un abord difficile, il enseigne que nous pou-
vons l'atteindre grâce à l'appui qui est à notre dis-
position. Quel est <'M appui? Je vais vous l'expliquer.
T
Le chrétien ne compte pas sur lui-même pour
réaliser son espérance. Ceux qui ne veulent devoir
le bonheur qu'à leurs initiatives personnelles ont
échoué, échoueront toujours. Déployez les ailes de
DEUXIÈME CONFÉRENCR 41
votre intelligence, forgez-vous des volontés de fer,
contractez des habitudes de travail, de vigilance, de
vertu, apprenez à vous raidir et à lutter contre
l'obstacle, donnez à votre activité tout son dévelop-
pement, regardez, étudiez, approfondissez, tra-
vaillez sans vous laisser emporter par les passions,
ni distraire par les soucis de second ordre, vous ne
saisirez pas la béatitude.
Il y a longtemps que la créature a tenté de
s'élever par son seul génie à la hauteur de sa des-
tinée. A peine sortis des mains de Dieu, certains
anges s'écrièrent :
Je monterai au ciel,
Jo placerai mon trône
Au-dessus des étoiles...
Je serai semblahle au Très-Haul ;' ' l.
Leur châtiment ne se fit pas attendre, ils tom-
bèrent dans l'abîme d'un malheur sans fin. Le
serpentdit à la première femme : « Du jour où vous
mangerez le fruit de cet arbre, vos yeux s'ouvriront,
et comme Dieu, vous connaîtrez- le bien et le
mal » (2), ce qui signifie : « \)n jour où vous pren-
drez conscience de vos forces et où vous on userez,
vous arriverez à partager le savoir, la puissance et
la gloire de Dieu. » Lve oi)éit au conseil perfide;
(1) IsAïi;, XV. 13-15.
(2) Genèse, ii, 5.
42 L ESPERANCE
VOUS VOUS rappelez ce qu'il advint d'elle et de son
complice. Leur espérance à peine conçue se changea
en déception amère. Loin d'acquérir le bonheur
qu'ils ambitionnaient, ils perdirent celui dont ils
jouissaient. Les chérubins fermèrent les portes du
paradis, et les coupables, nus, malheureux, accablés
par l'ironie de Dieu, s'éloignèrent, emportant avec le
souvenir des heures enchantées le sentiment de
leur impuissance à l'égard de la suprême béatitude.
A travers les siècles, des imitateurs sans nombre
ont suivi l'exemple des premiers humains, ils
ont connu les mêmes insuccès. Ils n'ont pas
atteint la félicité, ils n'en ont pas même décou-
vert le chemin. Nous les avons vus chercher
avec inquiétude, s'irriter contre les ténèbres
impénétrables répandues sur leurs pas, nous
les avons entendus pousser des cris de dé-
tresse, puis avouer en fin de compte que le
bonheur se dérobait à leur poursuite. Oui, le bon-
heur refusera de se livrer et de se montrer à
quiconque voudra le tirer de soi. « A me sa lus esse
non potest... quia non est in me fii mitas mihi, nec
est juihi spes de me. Mon salut ne saurait venir de
moi, la force nécessaire pour l'atteindre nest pas
en moi, mon espoir n'est pas fondé sur moi (1). L'àme
restée en elle-même ne verra qu'elle-même, et, en
se voyant, elle ne verra as son Dieu. Si enini in
[\] s. Augustin, Enar. in Ps. xli, v. 11-12.
DEUXIÈMR CONFÉRENCE 43
seipsa anima r émaner et ^ nihil aliud ac se videret^
et cum se videret, non utique Deum suum çideret{\).
Ne croyez donc pas. Messieurs, comme les pélagiens
de tous les temps, que la gloire soit le terme
normal des efforts de la nature, la dernière poussée
de l'instinct, vous vous apercevriez trop tard que
votre espérance a été vaine et qu'en vous abandon-
nant à ses mirages vous avez manqué le but de la vie.
Mais on peut quelquefois par ses semblables ce
que l'on ne peut point par soi. Le monde, les indi-
vidus, la société avec leurs progrès et leurs trans-
formations, ne sont-ils pas capables de nous trans-
porter des bords attristés du temps aux rives où
nous attirent les délices éternelles?
Non, Messieurs, « quiconque espère en soi est
misérable, quiconque espère dans les autres est
plus misérable encore. Qui in se sperat^ miser est,
qui in alto miserior. Celui-là pèche par un orgueil
dangereux, celui-ci par une humilité déréglée. Si
in alio homine, inordinate humilis eris, si in te
periculose superbus. L'orgueil précipite dans les
abîmes, l'humilité désordonnée devient de la bas-
sesse et empêche le relèvement. Inordinate humilis
non levatur^ periculose superbus prœcipitatur. Ces
deux voieâ sont funestes, il faut égab^neut b\s éviter :
Utrumque perniciosum , nihileorum eUgendum[2). »
(1) Saint-Augustin, Evar, in l's. xi.i, v, 8.
(2) Augustin, Sermo III.
44 L ESPERANCE
Le changement que nous attendons ne s'effef'tuera
ni par nous, ni par un être de notre espèce, ni par
les anges, ni par la conspiration des anges et des
hommes. Supposé que pour assurer votre salut les
créatures se mettent à votre disposition, qu'elles vous
prêtent leurs énergies innombrables, qu'elles se
dévouent entièrement à votre sort, qu'elles ne pour-
suivent que la réalisation du bonheur auquel vous
êtes appelés, leur dépense serait encore vaine.
Duràt-il des siècles, ce colossal effort resterait stérile,
et à son terme, vous seriez obligés de proclamer que
les saints livres ont fait preuve de sagesse quand ils
ont dit : « Nollte confidere in priiicipibus^ in filiis
hominum in quibus non est salus. Ne vous fiez pas
aux princes, ni aux fils des hommes, le salut n'est
pas en eux (f). » La céleste cité n'est point bâtie de
main d'homme, il n'appartient pas à des pouvoirs
limités de distribuer une récompense infinie, ni de
couronner les élus. Les conditions de la vie subissent
des modifications, selon les peuples et les généra-
tions; nous savons bien des choses qu'ignoraient nos
pères, plus d'un progrès jugé par eux impossible
s'est accompli sous nos yeux, mais le monde ne
recevra pas sa forme achevée des mille causes inlirmes
qui sur la terre se disputent la domination d'un jour.
Est-ce à dire que nous serons purement pas-
sifs dans l'œuvre de notre régénération? Non,
Messieurs, Luther n'accordait aucun prix à nos
(1) Psaume cxlv, 2.
DEUXIEME CONFÉRENCE 45
actions, aucune valeur à nos travaux par rapport à
notre gloire future, il jetait l'anathème à tout
homme qui attacherait quelque importance à des
vertus, selon lui, absolument inutiles au salut.
[^'Eglise a condamné ce fatalisme immoral. Le
bonheur sera la récompense de nos mérites, nos
mérites tireront leur valeur de la sainteté de notre
vie; mais nous vivrons saintement, nous mérite-
rons notre félicité grâce à l'agent supérieur qui sti-
mulera nos facultés, qui nous élèvera au-dessus de
nous-mêmes, en nous prêtant sa force mystérieuse,
source véritable, en dernier ressort, de notre béati-
fication. De sorte que notre espoir repose sur nous
comme sur des coopérateurs dans l'entreprise qui
doit aboutir à notre suprême perfection. Notre rôle
ne va pas plus loin, il va cependant jusque-là. N'en
tenir aucun compte, attendre le salaire sans avoir
travaillé, la couronne sans avoir combattu, de même
que vouloir gagner ce salaire et atteindre cette cou-
ronne par une générosité venue de nous et non de
plus haut, c'est errer gravement, c'est courir à une
catastrophe certaine (1).
Est-ce à dire que les créatures demeureront étran
gères à notre merveilleux changement, que nous ne
devions leur assigner aucune place dans les motifs
de notre espérance? Non, Messieurs. Toutes, à leur
manière, concourront à notre définitive rénovation;
(1) Appenii , n" 1, p. ;U)2.
46 l'espérance
toutes, à des degrés divers, entreront dans le plan
du divin Artiste qui nous béatifiera et serviront
d'instruments à ses desseins magnanimes. L'hu-
manité de Jésus-Christ d'abord transmet les dons
nécessaires à ceux qui veulent monter au ciel.
Le Sauveur a reçu le dépôt des trésors oii nous pui-
serons la force de répondre à notre vocation, trésors
q^u'il a mérités par une incarnation, par des souf-
frances, par une mort acceptées pour nous arracher
à notre misère et nous assurer le bonheur. Entre
son Père et nous, il est le médiateur indispensable,
le premier ministre chargé de distribuer les faveurs
surnaturelles: personne n'entrera au ciel sinon par
lui. Le Christ lui-même emploie l'Eglise et le sacer-
doce qui, soutenus par lui, travaillent efficacement
au bonheur du genre humain; l'eau, l'huile, le
pain et le vin, pénétrés de la vertu qu'il leur a
communiquée, deviennent les véhicules qui por-
tent les secours dont nous avons besoin pour
opérer notre ascension vers la béatitude consommée.
Il n'est pas une créature ni un événement qui ne
puissent nous aider dans notre noble entreprise.
Par conséquent, le chrétien met sa confiance dans
l'humanité de Jésus, dans tous ces éléments d'ap-
parence naturelle, mais tous ces éléments et le
Christ lui-même tiennent leur puissance d'un Etre
qu'il faut chercher au delà du monde et qui seul
peut nous assurer la félicité parfaite (1).
(1) Append., n. 2, p. 303.
DEUXIÈME CONFÉRENCE 47
Et pourquoi sommes-nous réduits à cet office de
coopérateurs ; pourquoi les hommes, la création,
Jésus-Christ lui-même sont-ils condamnés à ce
rôle de pur instrument dans une entreprise qui
intéresse si éminemment notre avenir? Parce que
le but que nous poursuivons est au-dessus de nous,
au-dessus de Tunivers, hors de notre portée. Il est
surnaturel, que dis-je, c'est le surnaturel poussé à
son dernier degré, parvenu à son épanouissement
total, à son expression achevée. Or, les mots l'in-
diquent assez clairement, on n'atteint pas une fin
surnaturelle avec une force naturelle, on ne l'atteint
qu'avec une puissance du même ordre. Si la grâce
qui n'est que le germe de la béatitude ne peut naître
ni de nous, ni des hommes, ni des anges, que
dirons-nous de la béatitude qui est la grâce su-
prême, le développement et l'évolution finale de la
grâce? L'objet de l'espérance, en eiïet, c'est le bien
infini, mais s'appuyer sur un pouvoir borné pour
gagner 1" Infini, c'est folie, car c'est vouloir, avec
un roseau, soulever le monde jusqu'au ciel.
« Levavi ocidos meos in moules^ undc veniet
auxiliiim miki. Auxiliiim nieum a Domino qui
fecil C(rliun et terrani. .l'ai levé mes yeux vers les
montagnes, de là me viendra le secours. J'attends
le secours du souverain Seigneur qui a fait le ciel
et la terre (1). »
(1) Psaume cxx, v. 1-2.
48 L'ESPi:nANCE
II
La toute jiuissance auxiliatrice de Dieu ; tel est le
véritable appui de l'espérance chrétienne. Nous
allons à Dieu par Dieu, nous entrerons en posses-
sion de Dieu à laide de Dieu. Dieu est à la fois
dans la seconde vertu théologale la récompense et
le rémunérateur, comme il est dans la toi la vérilc
révélée et le révélateur, « Sicut spes non minus a
Deo sperat qnnm sit ipse Deus, ita non minorent
postulat adjutorem quam sit ipse Deus. Notre espé-
rance n'attend pas de Dieu moins que Dieu, elle ne
demande pas un auxiliaire moindre que lui » (1).
L'action finale qui achèvera l'homme et le monde,
qui les établira dans leur éternel repos, correspondra
exactement à l'action initiale qui les a créés, puis
lancés dans le mouvement universel. A Dieu seul de
les faire naître dans une resplendissante beauté à une
première vie, à Dieu seul de les arracher victorieuse-
ment à tons les dangers et de les introduire dans une
seconde vie plus haute que la première. Nous comp-
tons donc uniquement, en définitive, sur la puis-
sance de Dieu pour sanctifier progressivement l'in-
dividu en cette vie par l'effusion de ?a grâce et pour
le couronner dans l'autre par la communication de
(1) CoNTENSON. T/ieolopia mentis et cordis, lib. VII, dissert. III,
c. r, specul. 1. — Cf. Appcnd., n» 3, p. 303.
DEUXIÈME CONFERENCE 49
sa gloire. Nous comptons sur elle pour changer la
société présente en une société idéale ou régneront
la justice, la paix, la félicité. Nous comptons sur
elle pour faire passer l'univers de l'état d'ébauche
où il gémit à l'état de perfection où il aspire. Nous
comptons sur Dieu, en un mot, comme sur l'agent
dont la volonté irrésistible est seule capable, et
capable absolument de conduire à sa fin l'œuvre à
laquelle, seule, elle a pu donner un commencement.
Nous comptons uniquement sur lui, car le privi-
lège de la puissance infinie, dit saint Thomas, c'est
de conduire au bien infini. Infîniiœ viitutis pro-
prium est ad infinitiim bonum perducere [{). Or
cette puissance infinie est propre à Dieu, au point
qu'il ne dépend pas de lui de s'en dessaisir pour
l'abandonner à un autre, de sorte qu'il est obligé
de se réserver le soin de nous mener à notre dernière
perfection.
Mais lui-même peut-il faire aboutir un pareil
dessein? (2)
Et pourquoi ne le pourrait-il pas? Faut-il encore
invoquer le principe fécond énoncé parsaintThomas,
à savoir que tous les êtres supérieurs, précisément
parce qu'ils sont supérieurs, ont la faculté délever
jusqu'à eux des êtrey inférieurs qui sans eux
seraient restés confinés dans leur naturelle indi-
fl) II» II» . f|. xvii. a.1 2.
(1) Append., n. 4, [). no».
LBSPI^RANCE. — 4.
50 l'espérance
gence ; à savoir que celte faculté s'étend d'autant
plus loin que son titulaire est plus parfait; à savoir
que tout ce qui n'implique pas contradiction est
possible à Dieu.
Comment! il n'est pas un être qui, par son rayon-
nement, ne partage sa perfection avec ses sembla-
bles. Dans l'ordre physique, le feu enflamme le
fer, le pénètre de son ardeur, lui prête son acti-
vité dévorante et ses propriétés spéciales, le moindre
des astres communique sa clarté à tous les corps
répandus dans sa sphère; dans l'ordre intellectuel
le génie cultive les esprits vulgaires et les initie à
ses connaissances et à ses conceptions; dans l'ordre
moral, le saint gagne à ses sentiments les âmes
médiocres et réussit à les transformer. Dans le
monde entier, nous assistons à un échange perpé-
tuel entre les créatures qui donnent à autrui ce
qu'elles possèdent et reçoivent d'autrui ce qui leur
manque, au nom de quel principe soutiendrez vous que
cette loi perd son autorité lorsque nous touchons aux
rapports de Dieu avec son œuvre? Au nom de quelle
sagesse prétendrez-vous que Dieu est condamné par
sa richesse même à fermer ses mains, par sa trans-
cendance même à s'emprisonner dans sa substance,
par sa bonté même à rester enchaîné à un rivage
inabordable aux indigents de sa création? Quelle
misère est donc la sienne en définitive s'il est au
dehors de lui le plus impuissant de tous les êtres
parce qu'au-dedans de lui il est le plus puissant!
DEUXIKME CONFÉRENCE 51
Autant dire qu'il lui a été défendu de créer, puisque
sa création n'est pas autre chose qu'un premier
épanchement au dehors de lai-même.
Serait-ce donc que l'homme radicalement inca-
pable de supporter sans succomber le poids
immense de la gloire éternelle n'offrirait pas des
ressources suffisantes pour que Dieu pût opérer en
lui cette heureuse révolution? Mais, je vous l'ai
jadis expliqué et je n'y insiste pas, l'homme en sa
qualité de créature intelligente n'éprouve aucune
répugnance à monter à ces sommets. Au contraire,
d'une manière positive, bien qu'éloignée, il est dis-
posé à chercher son bonheur dans la contemplation
du suprême intelligible, dans l'amour et dans la pos-
session du souverain Bien. Il appartient précisément
à Dieu de renforcer notre puissance de voir, d'aimer,
de jouir et de l'adapter à cette fin dernière, comme
l'artiste qui répare, qui multiplie, qui tend convena
blement les cordes de la lyre pour en tirer les vibra-
tions inspirées par son génie. En de telles condi-
tions, l'homme a le droit d'attendre une béatitude
proportionnée non à ses facultés natives, mais à la
souveraine puissance de Lelui qui le meut et qui
l'élève.
Dieu peut nous initier à sa vie et h sa félicité,
mais il ne suffit pas (ju'il le puisse, il faut encore
qu'il le veuille pour ([ue nous soyons ù l'abri de
52 l'espérance
l'incertitude. Il le veut, Messieurs, parce qu'il est
bon. La tendance de la bonté, en effet, est de se
répandre. Il n'y a que les êtres misérables qui se
renferment en eux-mêmes, qui gardent avec ja-
lousie ce qu'ils possèdent, qui reçoivent sans rien
rendre. Encore ne résistent-ils pas, jusqu'au bout,
si égoïstes et si indigents qu'ils soient, au besoin
intérieur qui les presse de se déverser dans leurs
semblables. Plus les substances sont riches, plus
elles sont portées à se donner avec générosité, et
elles le font non seulement parce qu'elles le peuvent,
mais encore parce que leur instinct les y incline.
Or Dieu étant la bonté par essence, la bonté sans
limites, la bonté infinie en largeur, en sublimité,
en profondeur, éprouve un penchant impérieux à
se prodiguer, à remplir le monde de sa magnifi-
cence. Il est permis de dire que, s'il est une façon
plus libérale de se communiquer. Dieu ne s'in-
terdira pas cette royale satisfaction, qu'il ou-
vrira jusqu'au fond les trésors cachés dans son sein,
qu'il défiera tous les obstacles pour faire triompher
sa volonté, qu'il finira par introduire dans sa
maison, par inviter à son banquet les âmes atten-
tives à son appel et désireuses d'y répondre (1).
Nous avons un meilleur motif encore. Messieurs,
de compter sur l'appui de Dieu, de fonder notre
espérance sur sa puissance et sur sa bonté. Nous
(1) Append., n. 5, p. 305.
DEUXIÈME CONFÉRENCE 53
n'en sommes plus à chercher le secret des plans
éternels à travers les syllogismes de notre raison :
des promesses nous mettent à l'abri des surprises.
Ces promesses descendues du ciel même nous
prouvent d'abord efficacement que Dieu peut et veut
nous élever jusqu'à lui, ensuite elles engagent sa
justice à notre égard, enfin leur réalisation partielle
nous garantit leur réalisation totale.
Nul de vous ne l'ignore, Dieu a parlé à l'homme.
Ses discours nous révèlent des vérités mystérieuses,
ils nous apprennent aussi sa résolution de nous
associer à la félicité qui n'appartient en propre et
naturellement qu'à lui.
Cette promesse, il ne l'a pas faite en passant, il
s'est plu à la renouveler à travers les siècles. Elle est
gravée à toutes les pages des livres sacrés qui contien-
nent sa pensée et dont il est l'inspirateur. A peine
l'homme est-il déchu de l'heureux état dans lequel il
s'était éveillé à la vie que Jéhovah survient pour
condamner le coupable à l'expiation sans doute,
mais aussi pour lui annoncer l'écrasement du serpent
qui l'a séduit et l'avènement du Hédcmpteur qui lui
rendra une félicité su|»éricure à la fidicilé perdue.
Pendant des milliers d'années l'antique promesse,
dont vit l'espérance, retentit aux oreillesdesgénéra-
tioiis(jui se succèdent dans la suite des temps. Cha(|ue
Patriarche reroil d'en haut l'assurance qu'un avenir
brillant attend la race sortie de ses flancs. Chaque Pro
54 LESPERANCE
phète confirme les oracles de ses prédécesseurs et voit
s'illuminer riiorizon des âges futurs. Cette promesse
éclate dans toute sa force, dans toute sa splendeur sur
les lèvres du Christ qui sont les lèvres mêmes de Dieu .
Le doux Sauveur console, réconforte, ravit les âmes
en leur parlant au nom de son Père du sort qui leur
est réservé. Les apôtres portent la bonne nouvelle aux
rois, aux peuples, aux Grecs, aux Romains, aux
Barbares, aux hommes libres comme aux esclaves
des grands empires. La voix de l'Eglise la répand à
travers l'espace et à travers les siècles : des légions
d'Évangélistes se lèvent chaque jour et consacrent
leur vie -^ la redire aux tribus lointaines et aux
générations qui se remplacent sur la scène du
monde. Mais c'est Dieu, c'est toujours Dieu qui
s'engage par les Patriarches, par les Prophètes, par
Jésus-Christ, par les Apôtres, par l'Eglise et par ses
héroïques messagers.
Il s'engage par des mots précis et non par des
formules nébuleuses, vagues, équivoques, sujettes
à des interprétations contradictoires. Il énumère
tous les biens dont nous pourrons jouir dans l'éter-
nité. 11 annonce que nous le verrons comme il est:
Videbiinus euin siciUi est (1); que nous le contem-
plerons non plus à travers des énigmes, non plus à
travers les miroirs brisés de la création, mais à dé-
couvert, et face à face : nunc per spéculum in œnig-
(1) IJean, III, 2.
DEUXIÈME CONFÉRENCE 55
mate, tune autem facie ad faciem; que nous le
connaîtrons comme il nous connaît : nunc cogiiosco
ex parte, tune autem cognoscam sicut et cognitus
sum; que nous entrerons dans sa joie : intra in
gaudium Domini tut; que, caressés de sa main et
bercés sur ses genoux, nous partagerons la perfec-
tion de sa nature et le bonheur de sa vie : ut effi-
ciamini divinae consortes naturae. — Il donne sa
parole qu'il ressuscitera la chair au dernier jour :
Ego ressuscitabo eum in novissimo die; qu'il la
fera passer de la corruption du sépulcre à Timmor-
talité, de l'ignominie à la gloire, de la faiblesse à la
force, de l'animalité à la spiritualité, qu'il opérera
ce changement en un instant, en un clin d'œil, et
que sa voix souveraine jettera à la mort ce défi
éternel : « 0 mort, où est ta victoire? Où est ton
aiguillon? Je serai ta mort, ô mort! » Déchirant
les voiles qui cachent ses desseins, il montre à ses
amis la cité future qu'il édifie pour ses élus, cité qui
ne connaîtra plus les larmes, ni la douleur, il
fait apparaître aux regards de ses confidents la
nouvelle terre et les nouveaux cieux où l'on oubliera
les tristesses et les orages de la terre primitive et
des cieux antiques.
La parole du Tout-Puissant s'étend à tous les biens
qui nous sont nécessaires [)onr arriver à la béati-
tude. 11 promet de veiller sur nous chaque jour et
de nous défendre efficacement contre les ennemis de
notre destinée, de nous pardonner avec un onipres-
5b l'espérance
sèment miséricordieux et d'effacer nos fautes si
nous avons mal fait, de nous consoler, si nous
sommes affligés, avec plus de tendresse que la mère
n'en met à consoler son enfant, de nous nourrir et
de nous vêtir si la faim nous torture, si la misère
nous accable, avec plus de sollicitude qu'il n'en
apporte à donner leur pâture aux oiseaux du ciel et
leur robe aux lys des champs.
Dieu ne se contente pas d'une simple promesse, il y
joint un serment dont nous avons pris acte. Voulant
montrer avec plus d'évidence à ses héritiers l'im-
muable stabilité de ses desseins et offrir h notre
confiance un appui inébranlable, il jure de nous
sauver et par là il donne à sa volonté un caractère
irrévocable.
Cette promesse affermie par un serment nous
garantit que Dieu peut, que Dieu veut, que Dieu
doit nous couronner dans le ciel et nous accorder
sur la terre les secours dont nous avons besoin pour
mériter le bonheur éternel.
Elle nous garantit que Dieu peut nous sauver.
car s'il s'engageait à faire ce qu'il lui est interdit de
faire, il se tromperait sur son propre compte. Une
pareille erreur serait la négation de la science
qu'il a de lui-même et sans laquelle il ne demeu-
rerait point l'Être parfait découvert par la raison et
révélé par la foi. Quœcuiiique proinisit, poLens
DEUXIÈME CONFÉRENCE 57
est facere (1). Elle nous garantit que Dieu veut
nous sauver, car, s'il nous donnait sa parole en
restant résolu à ne pas la tenir, il nous jouerait
indignement, il ne serait plus la Vérité à laquelle
il est interdit de mentir. Elle nous garantit que
Dieu doit nous sauver, car la promesse et le serment
obligent leur auteur gravement et en justice. Pro-
mettre, c'est donner d'avance, c'est aliéner ce que
l'on promet, c'est en perdre la propriété au profit
de celui vis-à-vis de qui on s'engage. On ne le
retient pas pour soi, on n'essaye pas de le reprendre
sans manquer aux lois primordiales de l'équité, au
point que le monde si indulgent ne pardonne pas
à l'homme oublieux de sa parole, qu'il le déclare
disqualifié, déshonoré; au point que les races sau-
vages peu scrupuleuses en matière de morale regar-
dent le parjure comme un des crimes les plus abo-
minables dont la conscience puisse se rendre cou-
pable. Qui oserait soutenir que Dieu ne reculera
pas devant une pareille iniquité? Aussi, c'est au
nom de la justice que la grâce est due à tous, au
nom de la justice que la gloire est due à quiconque
aura correspondu à la grâce, au nom de la justice
que saint Paul, que tous les élus réclameront leur
récompense : In reliquo reposita est mihi corona
jusliiiœ (2).
(1) Romains, iv, 21
(2) II Timolh., iv, 8. — Cf. Appond., n. fi. p. 30S.
58 l'espérance
Enfin, Messieurs, l'accomplissement partiel des
promesses nous répond de son accomplissement
total : qu'il s'agisse des individus, des familles, des
peuples, du monde, tout ce que Dieu annonce se pro-
duitau jour età l'heure fixes par lui. Si difficilement
réalisables que paraissent ses desseins, si faibles que
soientlesinstruments dontilse sert pouratteindre son
but, il triomphe : les personnages surgissent, leschqses
arrivent comme d'avance il l'avait voulu, déterminé,
prédit. Abraham, Isaac, Jacob, David reçoivent des
bénédictions qui doivent, si l'on en croit Jéhovah,
aboutira la naissance d'un Messie appelé à régir
l'univers, à l'établissement d'un royaume spirituel
oîi viendront s'abriter toutes les âmes bonnes et sin-
cères : au moment prédestiné, le Christ apparaît,
assure à la race d'Israël la victoire qu'elle attendait
depuis des milliers d'années, devient le centre de
l'histoire. Jésus lui-même multiplie au nom de son
Père les promesses, je vous défie de trouver sa fidé-
lité en défaut. Dès qu'un esprit impartial lit atten-
tivement l'Evangile, il constate que les faits répon-
dent aux prophéties avec une rigueur qui ne souffre
pas d'exception. Le Sauveur affirme qu'il attirera les
âmes à lui parla vertu de sa croix, ce qui semble un
défi à la raison ; il les attire en effet. A peine a-t-il été
élevé sur le gibet que sa conquête commence, que
l'humanité vient au Martyr, reconnaît le caractère
céleste de sa mission, la vérité de sa parole et la sur-
naturelle sagesse de sa loi. Peu à peu, il devient le
DEUXIÈME CONFÉRENCE 59
Docteur, le Souverain vers lequel se tournent les
regards des générations. Il fonde une société,
l'Église, à laquelle il promet jusqu'à la fin des temps
une assistance efficace. L'Eglise voit depuis deux
mille ans s'accomplir ces oracles, elle se heurte à
toutes les conspirations; une force mystérieuse la
soutient et la rend invincible. Ainsi en est-il de
toutes les promesses qui devaient s'accomplir dans
le temps. Leur réalisation à la date marquée le
prouvent : ce que Dieu annonce, ce que le Christ
annonce arrive infailliblement et toujours (1).
Si donc, ils ont promis aux hommes dociles la
grâce et la gloire, ils ne manqueront pas plus à leurs
engagements dans l'avenir qu'ils n'y ont manqué
dans le passé. De sorte que votre espoir est quatre
fois assuré du coté de Dieu : assuré par la toute-
puissance, assuré par la bonté qui entraîne la puis-
sance, assuré par la promesse qui lie la justice,
assuré par la fidélité qui garantit à l'avenir ce qu'elle
a tenu pour le passé. Son appui est inébranlable,
elle ne sera point confondue. In te, Domine, speravi^
non confundar in aelernum.
Ces vérités, Messieurs, renferment de salutaires
leçons qu'il convient de méditer. Notre salut dépend
de la toute-puissance auxilialrice de Dieu comme de
sa cause première. Vouloir aborder au ciel sans le
secours de cet agent que personne ne peut suppléer,
(1) Appond., 11. 7, p. 308.
60 l'espérance
serait aller au-devant d'un inévitable naufrage.
C'est donc à Dieu qu'il faut s'attacher par-dessus
tout quand on ne veut pas manquer sa destinée.
Lorsque la tentation nous presse, nous obsède, nous
affole, c'est à lui qu'il faut recourir pour échapper
à la tempête. Lorsque l'on a été vaincu par le mal
et qu'on en porte le stigmate et le fardeau, c'est lui
qu'il faut appeler pour réparer le désastre et pour
effacer la tache infamante. Lorsque la mort ap-
proche, lorsque l'heure sonne de quitter la terre,
c'est encore lui qu'il faut invoquer comme le seul
passeur capable de nous transporter des ténèbres du
temps aux clartés de la vie éternelle.
Mais il a choisi le Christ et l'Eglise comme média-
teurs, il a décidé que nul n'arrivera jusqu'à lui
sans s'adresser aux deux ministres de sa puissance
et de sa miséricorde: quiconque s'avise de né-
gliger ces auxiliaires officiels et prétend s'ap-
puyer directement et uniquement sur Dieu
verra se fermer devant lui les portes de la
patrie. Le Christ et l'Eglise emploient les sacre-
ments comme moyens de sanctification et de salut:
nul ne fuira la damnation s'il n'use de ces instru-
ments destinés à nous soutenir et à nous ranimer
pendant notre pèlerinage de la terre aïi ciel. Enfin,
Messieurs, le Créateur veut que sous sa haute
direction la créature par ses efforts et par ses
œuvres mérite le bonheur : à nous de répondre
aux avances de la grâce et de nous assurer par notre
DEUXIÈME CONFÉRENCE 61
bonne volonté, par notre activité, des droits auprès
du suprême Rémunérateur. En s'appuyant sur tous
ces agents subordonnés entre eux d'une manière
admirable, sur Dieu, sur le Christ, sur l'Eglise, sur
les sacrements, sur nous-mêmes, notre espérance
se montrera invincible et nous soulèvera infaillible-
ment jusqu'au Paradis.
TROISIÈME CONFÉRENCE
LA VERTU D'ESPÉRANCE
SOMMAIRE
Résumé des deux premières Conférences. Nouveau pro-
blème : qu'est l'espérance considérée en elle même et dans
son essence? C'est une vertu qui a quatre fonctions, d. 67-68.
1
L'espérance nous fait vivre par le cœur dans l'atmosphère
des bienheureux, de la Divinité.
a) Mécanisme de la vie considérée à 3es différents étages,
p. 69.
b) L'espérance est un nouveau degré de vie. Témoignages de
saint Pierre et du Concile de Trente. Le Christ est venu pour
nous assurer la surabondance do la vie. Comment l'espérance
nous communique une vie qui se manifeste à l'extérieur, qui
se nourrit de Dieu où elle trouve son objet et son aliment,
p. TO-72.
II
Aj'espérance élève le niveau de la vie parce ([u'elie porte
à sa plus haute expression notre volonté d'être heureux.
a) La grandeur de la volonté se mesure à la grandeur du
but où la volonté cherche son bonheur. Le Chrétien (|ui espère
veut monter jusqu'à Dieu, «-'est-à-dire aussi haut ipie pos-
sible, p. 72-74.
l)} Sous l'empire de l'espérance le chrétien se maint ic.nt à
cette hauteur, ce qui suppose en lui une grande force, p. 7'i--7.">.
c) (^e but poursuivi par l'i'spérance est sarnaliircl. Ce qui
entraîne en elle une énergie d'essence et d'origine surnalu-
relles, p. 7!i.
d) L'espérance serait lui rêve, si elle no nmis roiid.iil
capables d'user de la toute |)uissance d(; Dion pour arriver à
Dieu. Iillle nous confère cette puissance d'employer la force
de Dieu pour monter jusqu'à Dieu. p. 7.)-70.
l'ksI'KKVnci:. — ;;.
86 l'espérance
m
a) Le vouloir de l'espérance iiorte sur l'avenir. Mélange de
joie et de tristesse dans l'espérance qui compte sur le bon-
heur, mais qui ne l'atteint pas en ce monde. Impatience des
âmes qui voudraient dès maintenant jouir pleinement de Dieu.
Nécessité pour nous de nous contenter ici-bas des demi-satis-
factions qui nous sont données. Pourquoi l'espérance mérite
son nom de vertu bien qu'elle ne conduise pas la volonté à
la dernière perfection, qui ne se trouvera que dans la pos-
session du bien suprême, p. 76-79.
6) L'espérance nous rend capables d'attendre. Force que
cette attente suppose en nous, p. 79-81.
cl La fermeté de notre attente repose sur la certitude que
nous avons de réussir. Notre certitude est inébranlable du
côté de Dieu qui ne nous manquera pas, elle est fragile de
notre côté parce que nous sommes faillibles, p. 81-84.
IV
L'espérance nous pousse à l'effort, à l'action, à la lutte,
c'est donc une énergie intérieure.
a) Sous son influence, la volonté s'élance hardiment verg
la béatitude. L'espérance d'après Giotto, étend, élargit, pro-
longe la volonté et la rapproche de la béatitude, p. 84-85.
6) Cet effort inspiré par l'espérance est laborieux et nous
presse de nous emparer de tous les moyens mis à notre dis-
position pour atteindre la félicité. Il est absorbant et nous fait
négliger ce (|ui ne se rapporte pas à notre fin dernière. Il a
quelque chose de militanl. A' agressif, de vaillant, p. 85-88.
Dans ces conditions l'espérance mérite son nom de vertu,
car elle nous rend meilleurs; de vertu surnaturelle car elle
porte sur un objet surnaturel; de vertu théologale car elle
s'élance vers Dieu .elle s'appuie sur Dieu, elle naît de Dieu,
elle se renouvelle, s'avive et se maintient par Dieu, p. 88-89.
TROISIÈME CONFÉRENCE
LÀ VERTU D'ESPÉRANCE
Eminentissime Seigneur (1),
Monseigneur (2),
Messieurs,
Nous connaissons les cadres où se meut l'espé-
rance chrétienne, les larges perspectives ouvertes
à ses ambitions. Elle porte sur la béatitude,
c'est-à-dire sur Dieu, elle s'étend à tous les biens
naturels ou surnaturels relatifs à cette fin et indis-
pensables à quiconque veut l'atteindre. Elle s'inté-
resse dans sa sollicitude attendrie au sort de tous
les hommes et niT-me à l'avenir des êtres sans
raison, sans vie, répandus autour de nous par la
main libérale du (Iréateur. Nous connaissons b-i
force à la(|uelle elle demande son appui : c'est la
(1) s. E. Mgr )o cartiiiitil Amclte, urL-lievcnue do Parisi
(2) Mki- Orelier, 4vâqua ils Luvtth
G8 l'espérance
Toute-Puissance de Dieu. Dieu, en vertu Je sa sou-
veraineté, a la faculté de nous faire passer des
épreuves du temps aux joies pures de l'éternité, et
de nous accorder sur la terre les secours dont nous
avons besoin pour mériter ce destin. Il veut par
bonté nous l'assurer, il s'y oblige par une promesse
précise, détaillée, renouvelée, que nous voyons
s'accomplir partiellement en ce monde, que nous
verrons s'accomplir totalement dans l'autre.
Mais l'espérance considérée en elle-même et dans
son essence est quelque chose : il faut maintenant
savoir ce qu'elle est, ce que nous entendons lorsque
nous disons d'un homme qu'il espère la béatitude
éternelle.
L'espérance, Messieurs, est pour les docteurs
catholiques une vertu qui se range entre la foi et la
charité. Elle nous fait vivre par le cœur dans l'at-
mosphèrD de la Divinité, elle élève à son plus haut
degré notre volonté de parvenir à la béatitude cé-
leste, elle nous rend capables d'attendre cette
béatitude avec une confiance inébranlable, elle
imprime à ITiine un élan vigoureux et nous entraîne
vers le supr^'uie objet de nos vœux. En remplissant
ces quatre fonctions, elle mérite surabondaînment
son nom de vertu surnaturelle et théologale : c'est
ce que j'entreprends de vous prouver.
TROISIÈME GONFÉREiNCE Gl)
I
L'espérance chrétienne nous fait vivre par 1(? cœur
dans l'atmosphère bienheureuse de la Divinité.
A chaque étage de la vie apparaît un organisme
requis par l'exercice des fonctions propres à la
plante, à l'animal, à l'être raisonnable, à l'homme
religieux. Que de fibres exige le végétal pour se
développer et produire son fruit! Que de nerfs, que
de muscles sont indispensables à la créature douée
de sensibilité! Ouellcs puissances spéciales doit
mettre en œuvre l'homme pour suivre la dircclinu
que lui impose sa constitution intellectuelle! I.a
vigueur de l'individu dépend en grande partie de
la valeur des organes qui la servent. Si une faculIT'
manque ou si elle est inférieure à sa tâche, l'en-
semble insuffisamment armé se ressent de celte
mutilation et végète péniblement. Si au contraire
l'organisme est complet, la vie bat son plein et
l'activité se déploie dans toute son ampleur. Le
chrétien a besoin, pour s'adapter à l'iudic divin,
au(|uel il est appeb', pour s'y {q)ani)iiir et s y
mouvoir aisément, des vertus snrnatiM( lies. Ces
vertus affectent directement les puissanc<'s agis-
santes, mais indirectement elles augmcnîciit la vie
de l'âme même, comme la sèvedes rameaux conlri-
bue à augmenter la force de l'arbre tout entier ; 1).
(1) Appcnd., n. 1, j). 301.
70 l'espérance
Que respérance soit un nouveau degré d'être et
de vie c'est ce que saint Pierre affirme quand il
écrit qu'elle vivifie l'homme en le régénérant,
rcgeneravit nos in spem vivam, c'est ce que répète
le Concile de Trente quand il assure qu'elle élève le
niveau de notre perfection, eriguntiir in spem. Je
ne saurais trop vous le redire : le Christ ne s'em-
pare des âmes que pour les faire vivre davantage,
chacun de ses dons nous apporte une énergie qui
restaure la nature et la transfigure. Le but qu'il se
propose en venant sur la terre c'est de nous rani-
mer, de répandre dans les profondeurs de la con-
science et de l'activité une sève féconde et les ger-
mes d'une force inépuisable. Ceux qui représentent
sa religion comme une institution destinée à répri-
mer notre essor, à empêcher notre développement,
à réduire les proportions de l'individu, à en étouffer
le rayonnement, ont bien mal compris l'œuvre du
Sauveur qui ne s'ébauche pas sans que le fils
d'Adam monte au-dessus de lui-même, qui ne
progresse pas sans dilater nos facultés, qui ne
s'achève pas sans nous assurer la plénitude dont,
sous l'action d'En-Haut, nous sommes suscep-
tibles. Jésus donne ce qu'il promet; or, sans
cesse à ses fidèles disciples il promet l'eau
vive, le pain de vie, la surabondance delà vie. Veni
ut vitam. habeant et superabundantius habeant.
Lorsqu'il verse en nous les ondes aimables de
l'espérance, il nous comuiunique une dose de vie,
TROISIKJIE CONFÉRENCE 71
il opère en nous une métamorphose merveilleuse et
toute à notre avantage.
A peine l'espérance a-t-elle pris possession de
nous que le corps se redresse, que la trte se lève,
que les sourcils se haussent, que le visage se colore,
que les yeux se remplissent d'une flamme douce et
apaisée. On dirait qu'elle lait couler dans les veines
un sang plus chaud, plus généreux, tant elle im-
prime d'assurance, de fermeté à la démarche, à la
physionomie et tant elle fait palpiter le cœur. Ces
phénomènes extérieurs ont évidemment leur prin-
cipe dans une perfection intérieure, perfection si
importante, si chère qu'on ne la perd point sans
être profondément blessé, sans éprouver une défail-
lance générale, sans tomber dans une espèce d'a-
gonie pareille à celle que Ton ressent quand on est
atteint dans un organe nécessaire et vital.
Elle nous fait vivre dans l'atmosphère bienheu-
reuse de la Divinité, car elle nous suspend à son
objet qui est Dieu, et elle nous en nourrit; Spes
facit Deo adhœrere prout est nobis principium
perfectx bonilatls (1). Espérer, en effet, c'est
par avance vivre de ce que l'on espère, c'est y fixer
son regard, y revenir sans cesse, s'en préoccuper
d'une manière continue, y trouver l'aliment de ses
pensers. Cette vie est d'autant plus précieuse que
le bien auquel elle puise sa force est plus parfait :
(1; S. Th., II'' II"", i\. wii, art. G.
72 l'espérance
si c'est le Souverain Bien, elle est souverainement
noble; si c'est Dieu, elle est divine. Aussi saint
Augustin a pu prononcer ces paroles : (( Vila noslva
modo spes est, vita nostra postea aiiernitas erit :
Vita vitiE mortalis, spes est vitas immortalis. Main-
tenant l'espérance c'est notre vie ; plus tard l'éter-
nito sera notre vie. L'espérance de l'immortelle vie
est la vie de la vie mortelle (1). »
II
L'espérance élève le niveau de la vie parce que
directement elle porte à sa plus haute expression
notre volonté d'être heureux (2).
Nous jugeons de la grandeur de la volonté
humaine par la grandeur du but où elle ciierchc son
bonheur. Dites-moi où vous placez votre félicité,
montrez-moi la réalité à laquelle vous entendez la
demander, je vous dirai (|ui vous êtes. Pour la
placer dans des choses abjectes, il laut une volonté
abjecte. Pour la placer dans les objets qui grisent
la sensibilité, il suffit d'être une bête. L'àme qui
l'attend des satisfactions de la vie mondaine est
légère et superficielle comme le sourire qui la
charme, comme le spectacle qui la ravit, comme
i'npplaiiiiissement qui la transporte. Celle qui la
réclame de l'amitié, de la science, de la famille, de la
{]) F.niirral. in l's. au. 17.
fjj Api) lui., u. 2, p. 3U7.
TROISIÈME CONFÉRENCE 73
connaissance naturelle de Dieu ne dépasse pas les
limites de la perfection humaine. Il y a, en ciïet,
une proportion exacte entre ce que nous voulons
et ce que nous sommes, pourvu toutefois que nos
etforts aient vraiment chance d'aboutir au résultat
désiré.
Or, le chrétien qui espère vent monter jusqu'à
Dieu, considéré en lui-môme et dans son essence,
veut partngcr la gloire propre à Dieu, goûter
réternelle joie qui n'appartient par nature qu'à
Dieu, puiser sa béatitude où Dieu la puise lui-même.
11 ne prononce [)lus seulement les paroles chî la
loi : « Dieu est la seule réalité assez vaste et assez
douce pour me rendre heureux » ; il dit, sous l'em-
pire d'une résolution absolue, indomptable : « Do-
minus pars Jiœredildlis iiieœ. Le Seigneur est la
part d'héritage que j'ai choisie. » D'autres uiettent
leur conliance dans les ivresses de la table et du
vin, dans les extases des plaisirs et de la débauche,
dans l'argent, dans la science. Moi je la place au
delà des cboses périssables, au sommet (|uc rien ne
dépasse, au-dessus du(juel il n'y a plus rien de dési-
rable; rinlini m'inquiète eL me tourmente, je veux
voir Dieu, je veux posséder Dieu, étancher ma soif
au torrent de délices qui coule eu Dieu. Telle est
la disposition que l'espérance grave dans l'ànH',
l'ambition qu'elle y suscite et qu'elle y entretient.
Mais quelle n'est pas la puissance du vouloir capable
de se porter aussi haut! Oiirli»' Mi|M''ii(irilé ne sup-
74 r/ESPÉRANCE
pose-t-il pas dans la faculté d'où il émane (1)!
Le chrétien s'élève à ce degré, il s'y maintient,
sans permettre à ses aspirations de descendre,
ni de déchoir : son vouloir est durable et tenace,
car son espoir est un sentiment stable et per-
manent. Les biens relatifs qui se présentent à
ses regards et qui sollicitent son cœur l'entraî-
neront peut-être momentanément, mais dans ses
égarements les plus coupables, il se réservera. Les
créatures, quelque attrait, quelque iniluence qu'elles
exercent sur sa conduite, nobtiendront pas qu'il
s'abandonne totalement et définitivement à elles;
c'est en vain qu'elles essayeront de se substituer
à Dieu, elles ne réussiront pas à le supplanter.
Tombé dans les abîmes qui rendront plus-difficile
et plus pénible son ascension, le disciple du Christ
criera encore vers le Seigneur et lui répétera :
« Mon repos et mon salut ne sont qu'en toi. » Ce cri
couvrira jusqu'à la fin le tumulte des passions
triomphantes, le bruit des catastrophes morales et
des événements tragiques. Si dépouillé, si désem-
paré, si désarmé qu'il paraisse, il garde sa préten-
tion. Bien des fois, sur le chemin qui conduit à
Dieu, il tombe, il se traîne, il ne renonce pas à
sa destinée. Après le mal qui lui barre la route, il
escompte le pardon qui la déblaie, après la vie dont
le prix semble compromis, il veut la sainte mori
qui lui rouvrira les portes de la gloire. Cette téna-
(1) Append., 11. 3, p. 308.
TROISIKJIE CONFKRF.NCE
cité suppose dans la volonté une force que la lulte
n'épuise pas, que la défaile même ne brise pas.
Cette force c'est l'espérance, l'espérance qui sauve-
garde, malgré tous les naufrages, la résolution d'arri-
ver au port, l'espérance qui du dedans pousse l'âme à
revenir toujours à Dieu comme à son bonheur.
Le but poursuivi est surnaturel, il faut que l'es-
pérance pour nous y adapter soit du même ordre,
que dans son essence comme dans la cause qui
l'éveille en nous elle soit divine. Elle ne tire donc
pas son origine de l'instinct inné qui nous fait
rechercher le bonheur, elle ne s'acquiert pas par la
fréquence d'actes émanés de la nature : elle est une
fille et une forme de la grâce, et la grâce a Dieu
pour auteur. C'est donc Dieu qui répand l'espoir
chrétien dans nos âmes, comme il y répand la foi
et la charité, c'est Dieu qui le conserve, qui en
augmente l'intensité, qui en avive l'ardeur et la
flamme. Cette pénétration ne réussit pas malgré nous :
l'espérance doit être librementacceptée par l'homme,
elle s'enracine en nous par notre coopération et par
notre consentement; mais cette coopération et ce
consentement sont encore inspirés par Dieu et dus
avant tout à son action intime sur nous.
L'espérance est donc une source de nobles, de
surnaturels, de durables vouloirs qui s'attachent à
labéatitude éternelle. Cependantces vouloirs seraient
de purs rêves, de pures illusions, si nous ne dis-
posions de moyens pn)[)ortiiinnés ù la lin (juc nous
76 l'espérance
désirons atteindre el si nous uctions résolus à les
employer. C'est par la puissance de Dieu que nous
pouvons arriver au l)ul, d"oii il suit que le vouloir
de l'espérance aura de rcflicacitc s'il est capable
d'user de la toute-puissance de Dieu comme du
moyen de nous sr.uvor. Mais nul ne peut manier ce
grand levier sil n'est en possession d'une force
exceptionnelle. Ce n'est pas assez d'avoir à sa por-
tée Tépée des j^^rands con([uérants, pour s'en servir
victorieusement il faut être doué de leur vigueur et
de leur souplesse. L'espérance exalto la volonté en
l'attachant à Dieu envisagé dans sa qualité de sou-
verain Bien, en la rendant capable d'user de la Toute-
Puissance de Dieu pour arriver à la suprême Béati-
tude. Spes facit Dco inhœrerc proiit esL in nobis
principium perfcctœ boiiitalis, in quantum scilicet
perspeni divino auxilio innitimur ad bcalitudiiiem
obtinendani (1).
m
Le vouloir dont l'espérance est le principe porte
sur l'avenir. Dieu ne se donne point complètement
en ce monde, il se réserve pour l'éternité. Les jours
et les années doivent passer avant que nous puis-
sions goûter le bonheur à sa source.
Aussi longtemps que nous sommes en ce corps,
(1) s. Th., II» II*, q- svii, art. 6.
TROISIEME CONFERENCE 77
dit saint Paul, nous hajjitons loin du Seigneur,
quamdiu sumus in corpore, peregrinamur a Do-
mino (1). C'est pourquoi l'espérance laisse de la
tristesse dans l'âme et des larmes dans les yeux.
La terre est un lieu d'exil oii l'on ne jouit ni des
visions, ni des satisfactions propres à la patrie.
Exil d'autant plus douloureux que la distance est
plus grande de notre condition présente à notre
condition future, exil d'autant plus douloureux que
nous sommes tenus de renoncer aux plaisirs déré-
glés où les païens cherchent follement Touhli de leur
misère. Ne vous étonnez donc pas, si, parfois, vous
vous surprenez à en souhaiter la hn comme l'Apôtre,
si vous êtes envahis par la mélancolie qui dictait à
David ces paroles : « Heu niihiquia incolalus meus
prolongatus est! Malheureux que je suis de voir se
prolonger mon exil! (2) » Ne vous étonnez même pas,
si, placés entre des joies qui ne suffisent pas à votre
cœur plus altéré et une béatitude que vous ne possédez
pas encore, vous sentez plus vivement le vide des
premières et l'absence de la seconde. Vous ressem-
blez aux Israélites captifs qui, étrangers aux fêles
de Babylone et ne pouvant [)as encore assister aux
solennités de Jérusalem, pleuraient sur les bords
dos neuves où les enchaînaient leurs ennemis.
IJieii des ôimes voudraitMit dès niainlenanl
échapper aux tentations, aux douleurs inséparables
(1) II Corinth , V, 6.
(2) /'s., cxix, 5.
78 l'espérance
de la vie présente, sentir Dieu, e:oûter la joie et le
repos propres aux bienheureux. Elles ne cessent pas
de gémir de leurs tribulations; elles s'agitent, elles
se tourmentent, elles s'insurgent parce qu'elles ne
trouvent pas dans la religion, dans la fidélité au
devoir, dans la pratique des vertus chrétiennes la
pleine satisfaction qu'elles désirent. Il faut pour-
tant se résigner et comprendre que nous marchons
ici-bas dans la foi, non dans la vision, dans l'espé-
rance, non dans la possession. Sans doute, de temps
en temps, le ciel s'entrouvre et laisse descendre
sur nous, pour nous encourager, quelque lueur,
quelques délices. C'est ainsi qu'un instant il
enveloppa de clartés mystérieuses le Christ au
Thabor, c'est ainsi que Moyse, que saint Paul furent
transportés à des hauteurs et goûtèrent des ra-
vissements dont ils ne surent peindre la douceur
enivrante, c'est ainsi que le nuage se déchira tout
à coup sur la tête de saint Etienne et que le martyr
entrevit dans l'au-delà assez de merveilles pour sou-
tenir ses forces, c'est ainsi que momentanément nous
sommes envahis par le sentiment ineffable et secret de
la Divinité. Mais sans compter que ces phénomènes
sont des privilèges rares, accordés à quelques-uns
pour l'instruction de tous, leur durée est courte, ils
n'apportent pas à l'âme assez de bonheur pour
l'apaiser complètement. En ce cas, direz-vous, l'espé-
rance ne mérite pas le nom de vertu, il n'est pas per-
mis d'affirmer qu'ellfl élève à son dernier degré de
TROISIEME CONFÉRENCE 70
perfection la volonté' qui arrive à son suprême déve-
loppement le jour 011 elle saisit Dieu. L'espérance,
Messieurs, est de la terre, elle nous met en un
rapport réel avec la Béatitude sans nous la donner
immédiatement, comme la foi met l'esprit en rela-
tion avec la vérité première sans nous la montrer à
découvert. Rien de plus parfait n'est possible en ce
monde, c'est pourquoi nous maintenons que par-
venue à ce point notre volonté d'être heureux a
touché à sa dernière perfection.
L'espérance ne nous livre pas la béatitude,
elle nous rend capables de l'attendre. Elle nous
pousse à suivre le conseil de saint Jacques qui
écrivait à ses disciples : « Vous voyez que le labou-
reur attend le précieux fruit de la terre avec
patience, jusqu'à ce qu'il reçoive les pluies de la
première et de la dernière saison. Vous, de même,
attendez patiemment et affermissez vos cœurs, car
l'avènement du Seigneur est proche. » Elle nous rend
capables d'attendre, c'est-à-dire de rester au poste
qui nous a été confié jusqu'à l'apparition de Celui
qui doit venir, de nous fixer obstinément à l'ancre
qu'elle a jetée dans les profondeurs de l'éternité, de
subir sans céder l'assaut des créatures et de ne pas
nous laisser entraîner à leur remorque, de résister
àleurs séductionsetà leurs violences. l"]lle nous rend
capables d'attendre pendant des années au milieu
des tempêtes qui sans cesse s'élèvent de notre propre
cu'ur pour nous précipiler vnincuR et désarmés duius
80 l'espérance
les abîmes. Elle nous rend capables d'attendre,
c'est-à-dire de braver l'action du temps, de dompter
l'impatience que nous avons do toucher le bonheur,
de vivre à l'avance d'une félicité qui se dérobe et
qui se cache. L'art chrétien s'est plu souvent à
peindre l'âme qui espère sous les traits d'une femme
assise, fouillant l'horizon d'un regard ému pour
y découvrir lEtre dont la venue lui assurera la
béatitude. Les choses la sollicitent, les événements
éclatent bruyants comme pour la faire sortir de sa
contemplation et de son expectative; elle demeure
immobile et refuse de briser la chaîne qui la relie
au bonheur, futur. Combien d'hommes manquent la
fortune, les honneurs, le pouvoir, parce qu'ils ne
savent pas attendre! Leur empressement les perd.
Pour avoir voulu cueillir les fruits avant l'automne,
la victoire avant le combat, ils ne récoltent que
la misère et les humiliations de la défaite. Cette pré-
cipitation est assez commune, et elle est fatale, quand
il s'agit de notre fin dernière. Nous avons tellement
hàle d'y parvenir que nous la plaçons où elle n'est
pas, qu€ nous demandons au présent de nous en
fournir les éléments, au présent qui ne peut nous
en oiïrir que l'ombre, que l'image grossière.
C'est que l'attente suppose une volonté solidement
trempée. Rien ne nous énerve, ne nous lasse, ne
nous décourage comme d'attendre. La foule assem-
blée commence bientôt à se fatiguer, à trépigner si
le personnage dont elle guette le passage tarde à
TROISIÈME CONFÉRENCE 81
paraître; si le relard se prolonge, la moitié se
disperse, s'éloigne, renonçant au spectacle qu'elle
s'était promis de contempler. L'espérance qui nous
fait attendre accumule dans l'âme des énergies
oi^i rhomme puise sans les tarir. Ces énergies sont
d'autant plus résistantes que mille accidents se
produisent qui semblent mettre des barrières plus
infranchissables entre nous et le but poursuivi.
Quelle vigueur ne fallut-il pas à Israël pour vivre
pendant plus de vingt siècles dans rattcnte d'un
triomphe national, que la suite de tant de calamités
déconcertantes rendait de plus en plus improbable
et qui paraissait aux regards de la sagesse humaine
de plus en plus impossible. Il attendait le triomphe
de sa race au milieu des humiliations de l'exil,
lorsque Jérusalem et le temple oii devait venir le
Messie avaient été dé fruits de fond en comble. Il
l'attendait quand Rome s'était emparée de son
territoire et le tenait sous son joug redoutable.
Cela suppose que sa volonté animée par l'es-
pérance s'élevait au-dessus de ses tribulations et
déliait toutes les puissances conjurées pour la faire
abdicjuer. Do même le chrétien attend avec une
constance invincible la béatitude éternelle parce
que l'espérance enracinée en lui soutient jusqu'au
bout sa volonté de puiser le bonheur à .son prin-
cipe.
Si notre atteiile n cetle IViineté, .Messieurs, c est
qu'elle est pleine d'une conlianc(^ inéiirunlable. La
L'KSI'ÉUANCF.. — 6.
82 l'espérance
certitude de la foi se communique à l'espérance et
descend de l'intelligence dans la volonté. De même
que l'intelligence adhère par la foi à la vérité divine,
sans que l'ombre d'un doute, d'une réticence, vienne
l'effleurer, de même par l'espérance la volonté
attend avec une sécurité absolue la béatitude éter-
nelle sans que la moindre défiance vienne la faire
trébucher ou chanceler. Les espoirs humains sont
sujets à de redoutables vicissitudes : tantôt les
chances de réussir et les chances d'échouer se
balancent et jettent l'âme dans de cruelles per-
plexités, tantôt les unes l'emportant sur les autres
nous inclinent davantage dans tel ou tel sens. Le
laboureur quelles que soient la qualité de sa semence
et la fertilité de son champ ne sait pas si les pluies
tomberont selon ses désirs, si le soleil répandra sa
chaleur au temps voulu et dans la mesure exigée
par ses intérêts. Le marin avec une barque d'une
solidité éprouvée n'est point garanti contre le dé-
chaînement du vent et de la tempête. Sa for-
tune dépend de son habileté, elle dépend aussi des
dispositions favorables ou contraires des flots. L'espé-
rance chrétienne ne nous expose pas à ces oscilla-
tions. Elle ne saurait être frustrée, car sa victoire
dépend de la force infinie, seule capable de parer aux
accidents de la route, de suppléer aux infirmités,
aux défaillances du voyageur, de renverser tous les
obstacles. Elle porte à son bord le pilote tout puis-
sant, maître souverain de ses dons, de nous-mêmes
TROISIÈME CONFÉRENCE 83
et des éléments. Quelle confiance dans le succès de
la traversée, et quelles ressources de courage dans
une confiance si légitime! Rien de commun entre
l'homme sûr d'arriver au but et l'homme incertain
du succès! Le premier dispose d'une énergie qui
l'entraîne, qui le soutient, qui l'empêche de dé-
faillir, le second est en proie à un doute qui réprime
son élan, qui le fait hésiter, qui le livre à moitié
désarmé à ses ennemis (1).
Si, comme l'estimait Luther, l'homme n'avait
point part active dans l'œuvre de son salut,
aucune crainte ne viendrait se mêler à cette con-
fiance. Dieu serait le seul moteur, l'homme dé-
pourvu de liberté resterait un mobile purement pas-
sif. Dès lors, grâce à l'intervention certaine de Dieu,
nous atteindrions nécessairement le but, mais
l'Eglise professe une autre doctrine. Elle enseigne
que notre salut ne s'effectuera pas sans nous. Le
secours d'En-Haut ne nous manquera pas : si bas
que nous soyons tombés, il pourra nous relever. De
ce côté notre certitude est absolue. Mais répondrons-
nous à l'action de Dieu, obéirons-nous à la grâce,
prêterons-nous au Tout-Puissant le concours qu'il
exige de nous pour nous arracher à notre misère .^
Userons-nous des moyens mis à notre disposition?
Hélas! nous avons toutes les raisons de nous défier
de nous-mêmes et de redouter notre liberté. Dieu
est incapable de nous trahir, nous sommes capables
(1) Ajjpend., n. 4, p. 309>
84 l'espérance
de nous trahir nous-mêmes et de périr par notre
faute. En vain, l'arme sera-t-elle d'une précision
absolue; si le tireur ne sait pas la manier, il n'at-
teindra pas le but. Ainsi en est-il du chrétien : du
côté de Dieu son espérance est certaine, de son côté
, elle est pleine d'aléas, car il n'est ni nécessairement,
ni infailliblement fidèle, sa liberté infirme est sus-
ceptible de dévier et de se dérober à la Puissance
qui voudrait le conduire au bonheur. C'est pourquoi
la crainte se mêle à nos espoirs et doit entretenir en
nos âmes une défiance salutaire et prudente de
nous-mêmes.
IV
Cependant l'espérance est une force intérieure
qui nous pousse à l'etïort, à l'action, à la lutte :
c'est une vertu entreprenante ((ui entraine l'âme à
la manière des habitudes acquises et plus vigoureu-
sement encore. Sous son inlkience, la volonté
s'élance hardiment vers la béatitude.
Instruit par les maîtres immortels qui ont le mieux
compris l'espérance, Giottoà VArena de Padoue a su
lui donner sa véritable et exacte physionomie. Il l'a
peinte sous la figure d'une femme jeune et vigou-
reuse. Cette femme, vêtue d'une robe longue, mais
qui ne pèse pas sur ses épaules, qui n'entrave pas
son essor, porte une ceinture aux reins, et, alerte,
dégagée, s'élance de la terre qu'elle ne touche plus
TROISIÈME CONFÉRENCE 85
que du bout des pieds vers la couronne que lui
montre un ange apparu au bord du ciel. Les ailes
complètement déployées et toutes prêtes au vol, les
cheveux noués afin de donner au vent moins de
prise, le front élargi et haut pour recevoir mieux
et plus vite l'effusion de la lumière, les oreilles
tendues vers les pas de celui qu'elle appelle, les
yeux ouverts et fixés sur l'horizon où il doit paraî-
tre, les narines dilatées pour aspirer le bonheur
promis, la bouche frémissante et impatiente de le
goûter, elle lève les bras et par tout son être elle se
jette au-devant de Dieu. Telle est l'espérance chré-
tienne: elle est la llamme doucement impétueuse
qui enlraîne le cifur, le souftle suave et véhément
qui gonlle les voiles et nous emporte vers la vie, la
force qui bande l'âme comme un arc et la rapproche
du but. Elle déploie, elle prolonge la volonté et
diminue la distance qui nous sépare du bon-
heur (1).
C'est pourcpioi saint Paul s'écriait : « Je me
porte par tout mon être vers ce qui est en avant, je
cours droit au but, pour obtenir le prix (2). » C'est
pourquoi saint Thomas écrivait : a Au désir l'espé-
rance ajoute un effort, elle élève l'âme impatiente
d'atteindre l'objet de ses vouix ; spes enint su/>/a
desiderium addlt. queindani conatui)}, (HKimddiii
elevati'onent anlini ad roiise<jU('nduni hoiuini ar-
(1 Aiipfiui., n. .'), p, ."îlO.
(2) l'Iiilipp., IV, 13.
86 LESPÉRANCF
duum (1). » C'est pourquoi Albert le Grand
disait : « L'espérance est l'essor magnanime d'un
homme qui s'élance vers les hauteurs, qui se dilate
pour embrasser la béatitude et l'éternité. Pro-
tensio ut magno animo extendatur inœterna, am-
plexio seternitatis et heatitudinis (2). »
Cet effort a quelque chose de laborieux : l'espé-
rance qui l'anime nous presse de nous emparer de
tous les moyens mis à notre disposition pour attein-
dre le but, d'accueillir tous les secours qui nous sont
offerts pour opérer notre ascension, de saisir au vol,
si je puis ainsi m'exprimer, toutes les grâces qui se
présentent, de chercher dans les personnes, dans les
choses, dans les événements la puissance de Dieu
pour nous soulever jusqu'à Dieu, de nous faire de
tous les biens autant d'échelons qui nous permet-
tront de monter au sommet où la gloire nous
attire. Spes facit tendere in Deum sicut in quod-
dam honiim finale adipiscendum., et sicut in quod-
dam adjutorium efficax ad subvenienduni (3).
Cet effort a quelque chose d'absorbant en ce sens
c^ue l'homme dominé par l'espérance néglige ce qui
ne s'y rapporte pas et concentre son attention sur
l'étoile du suprême bonheur allumée dans les cieux.
Quas quidem rétro sunt obliviscens (4). Oubliant
(1) la II*, q. XXX, art. 1.
(2) m Sent., dist. XXXVI, art. .3.
(3) Saint Thomas, II» II*, q. xvii, art. 6, ad 3"".
(4) Philipp., m, 13.
TROISIEME CONFÉRENCE 87
ce qui est derrière lui, il dédaigne le rire mondain
comme une erreur, il juge trompeuse la joie des
sens, il estime qu'en s'y attardant il ne pourrait
qu'y perdre, il pense que ce qui ne l'aide pas à
gagner le Christ est indigne de son attention. Ve-
rumtamen existimo oninia detrimentum esse...
et arbitror ut stercora ut Christum lucrifa-
ciam (1).
Cet effort enfin a quelque chose de militant. L'es-
pérance fait du chrétien un athlète que le sentiment
de la difficulté exalte, stimule, enthousiasme. Elle
l'endurcit à la fatigue, à la marche, elle lui apprend
à supporter les privations sans défaillir, à savoir
vivre dans l'abondance et dans la disette sans re-
noncer à la lutte. Elle le rend agressif à l'endroit
des obstacles qui barrent la route, elle lui met aux
mains l'outil de l'ouvrier pour édifier son bonheur
et l'épée du soldat pour repousser ses ennemis.
Spes non salvatur in quacumque voluntate, sed
in volunlale aggrediente consecutionem boni
ardui (2). Le chrétien qui suit les impulsions de
l'espérance déploie toutes ses énergies au service de
sa destinée, même au milieu des ombres de la mort,
il reste vaillant, sachant que le Seigneur est avec
lui et qu'il peut tout en Celui qui le fortifie. Si ani-
bulavero in medio unibrœ morlis, non timebo
(1) Phlllpp., m, 7. ("1. Append. N. f,, |>. .'Ml.
(2) .TiiAN UE Saint-Tiiiimas. l>e xpv. t\. xvii, (lisi». x, ;irt. i.
88 l'espérance
mala, quoniam tu mecum es (1). Omnia possum in
10 qui me confortât (2).
Dans ces conditions, l'espérance mérite son nom
de vertu, car elle nous rend meilleurs en nous
attachant par le cœur à la plus haute de toutes les
béatitudes, car elle nous rend capables de vouloir
avec une ténacité indomptable, d'attendre avec une
confiance inébranlable, de chercher avec une
énergie entreprenante et combative le royaume
des deux. Elle mérite son nom de vertu surnatu-
relle, car, son objet étant par lui-même hors de la
portée de toutes les créatures, elle n'aurait avec
lui aucun rapport si elle n'était du même ordre que
lui. Elle mérite son nom de vertu théolognle, car
elle porte sur Dieu, elle s'appuie sur Dieu, elle naît
de Dieu, elle se renouvelle, s'avive et se maintient
par lui.
Elle naît de Dieu, c'est dire que si elle vous
manque, si elle s'est éteinte, si elle languit, c'est
à Dieu que vous devez demander de l'éveiller,
de la rallumer, de vous la rendre avec son activité.
Elle vous fait vivre dans l'atmosphère de Dieu;
c'est dire qu'en vous abandonnant à ses im-
pulsions, vous goûterez déjà quelque chose de la
félicité des élus et que vos âmes vibreront
(1) Psaume xxi:, 'i.
{i) PItilijjpiens. iv, 13.
TROISIÈME CONFÉRENCE 89
à l'unisson de ceux qui sont arrivés au terme. Elle
vous fait vouloir la béatitude éternelle; sous son
action, vous vous attacherez à cette béatitude
comme à la seule réalité où vous puissiez trouver le
rassasiement et vous n'aspirerez qu'à ce but idéal.
Elle vous rend capables dattendre Dieu avec une
confiance inébranlable : en lui obéissant, vous
démasquerez et vous repousserez tous les tentateurs
qui chercheraient à vous détacher de son ancre
et à vous aventurer au milieu des orages et des
écueils. Elle vous imprime un élan vigoureux vers
Dieu : en écoutant sa voix vous ne négligerez aucun
des secours qui vous sont otTerts pour entrer dans la
Jérusalem céleste, et chaque pas que vous ferez
vous rapprochera de votre fin. Vous trouverez déjà
dans cette docilité une grande force, de vives con-
solations, puis un jour le voile se déchirera, et vous
serez tout à coup transportés de l'exil oii l'on attend
le bonheur dans la patrie où on le possède.
gUATRIÈME CONFÉRENCE
LE CARACTÈRE EVANGÉLTQUE ET MORAL
T)E L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
SOMMAIRE
Les adversaires de la religion lui font les reproches les
plus contradictoires.- Exemples de ces contradictions. Dan.s la
question de la charité ils nous accusent de sacriiiiT
les intérêts de l'homme à Dieu, et dans la question de l'espé-
rance de sacrifier Dieu aux intérêts de l'homme. Si cette der-
nière accusation était vraie, l'Evangile et la morale condam-
neraient l'espérance. L'espérance intéressée est extraite de
rEvanj;ile et conforme aux exigences de la stricte morale :
double vérité (ju'il faut expliquer, p. 95-97.
I
L'idée d'inlérèl est inséparable de l'idée de l'espérance
telle que nous la concevons. L'espérance telle que nous la
concevons nous est imposée par l'Evangile.
Erreurs de Maître Eckart, de Luther, des Jansénistes, des
Quiétisles au sujet de l'amour désintéressé, erreurs qui d'une
manière plus ou moins absolue condamnent l'espérance au
nom de I Evangile.
1. — L'Evangile et le Chrislianisme s'expriment d'abord
dans l'Ecriture. Or l'Ecriture ne cesse pas d'exhorti-r les
hommes à travailler en vue de la récompense. Enseignement
de l'Ancien Testament. Enseignement du Nouveau Testa-
ment, p. 97-102.
2. -:- L'Evangile est interprété infailliblenjent par l'Eglise.
Or l'Eglise chante à la fois l'amour d'espérance qui est
intéressé et l'amour de charité qui est désintéressé. Elle
condamne l(;s faux mystiques ; elle impose aux parfaits et
aux imparfaits de chercher la béatitude. Efïort en ce sens de
sou miiiistèro apostolicpu;, p. 102-104.
î. — La tradition de saint l'aul à snint François de
Sales apporte le raéiiie lémoigriago à l'espérance. Nécessité
d'expliquer certains textes obscurs des Saints Pères. Dans la
(luerclle du Qiiiélismo, liossuot l'emporle sur Pénelon parce
qu'il a mieux entendu l'unanime concert de la tradition,
p. 104-100.
4. — La 'Vie des Saints proteste aussi coutre ces nora-
94 l'espérance
teurs. Parvenus au dernier degré de la perfection, ils s'in-
quiètent de leur bonheur éternel. Abraham, Moïse, saint Jean,
saint Paul, saint Augustin, saint Bernard, saint Thomas
d'Aquin, p. 106-107.
5. — Jésus-Christ en qui s'incarne la religion a travaillé
en même temps pour la gloire de son Père et pour sa propre
gloire, il n'a pas connu le désintéressement absolu des nova-
teurs, p. 108-109.
n
Pour attaquer l'espérance, hérétiques et philosophes ont
invoqué la morale.
1. — L'on peut agir en vue de son bonheur personnel sans
ofTenscr la saine morale. Preuves :
a) La morale absolument désintéressée est impossible. Elle
obligerait l'ouvrier à travailler sans réclamer son salaire, etc.
Elle est impossible même pour ceux qui la défendent: les héré-
tiques cherchaient leur intérêt, p. 109-113.
b) La saine morale nous permet et nous ordonne de nous
aimer nous-mêmes. Explication de ce principe. Il résulte que
s'il y a un amour désordonné il y a aussi un amour légitime
de soi-même et l'amour d'espérance e>t légitime et obligatoire,
p. 113-114.
2. — Nos adversaires prétendent que par l'espérance nous
renversons l'ordre et que nous subordonnons l'homme à Dieu.
Rien de plus faux.
a) Par l'espérance, nous dépendons de Dieu, Dieu ne dépend
pas de nous. Triple amour : dans le premier l'être aimé est
assujetti à l'être aimant, dans le second l'être aimé est sur le
pied d'égalité avec l'être aimant, dans le troisième l'être aimant
est sujet de l'être aimé. Le dernier amour est celui de l'es-
pérance qui met Dieu au-dessus de l'honmie. Explication de
cette pensée d'après saint François de Sales, p. 114-116.
b) 11 faut juger lespérance par ses tendances et non seule-
ment par ses actes. L'espérance tend à la charité qui nous
inspire la volonté d'être meilleurs, plus grands, plus moraux
pour mieux servir la gloire de Dieu. Explication de ce prin-
cipe qui justifie pleinement notre doctrine de l'espérance,
D. 117-118. Exhortation, p. 118-119.
QUATRIÈME CONFERENCE
LE CARACTÈRE ÉVANGÉLIQUE ET MORAL
DE L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
Éminentissime Seigneur (î),
Monseigneur (2),
Messieurs,
Les adversaires de la Religion usent pour la com-
battre de procédés singulièrement contradictoires;
avec une audace qui fait fi de toute logique et de tout
scrupule, ils invoquent dans le dessein de nous con-
fondre des arguments auxquels ils avaient d'abord
refusé toute valeur et toute efficacité. Affirmons-
nous la nécessité de croire à des mystères? Ils pro-
testent au nom de la dignité humaine contre des
dogmes qu'ils déclarent inacceptables, s'ils dépas-
sent notre esprit. En appelons-nous aux motifs
qui assurent à notre assentiment un caract^re net-
tement rationnel et l'adaptent harmonieusement aux
(1) s. K. M^T le cardinal Amette, archevè(|ue de Paris.
(2) S. Gr. Mgr Herscher.
9G l'espérance
exigences de la saine phiIosophie?Ils deviennent les
défenseurs intransigeants d'une foi aveugle et nous
taxent de rationalisme. L'Eglise maintient-elle ses
traditions et se prononce-t-elle contre la manie
de l'innovation? Ils crient à la routine. Réalise-t-
elle un progrès, une réforme? lis se voilent la face
et l'accusent de trahir son passé. Ainsi leur tactique
varie et ils condamnent un jour ce qu'ils avaient
soutenu la veille avec une àpreté sans égale.
La doctrine de l'espérance se heurte à ce système
d'attaques qui devraient s'exclure, du moins en un
débat intellectuel.
Lorsqu'en effet nous enseignons que finalement
l'homme est tenu de se consacrer à Dieu consi-
déré en lui-même, on nous reproche de négliger
les intérêts de l'individu, de sacrifier à la volonté
d'un être invisible, à une loi impraticable les ins-
tincts primordiaux de la nature et les aspirations
les plus impérieuses du cœur. Quand nous mon-
trons que notre destination dernière n'interdit
pas de penser à .soi, de travailler en vue
d'atteindre au ciel la parfaite béatitude et sur la
terre les biens dignes d'attention, on nous accuse
de fausser le Christianisme, d'adopter une
morale basse, un épicurisme raffiné, de ne tenir
à la vertu qu'autant qu'elle nous est profi-
table. L'espérance, Messieurs, s'attache au
bonheur de l'éternité et aux biens qui s'y
rapportent, elle s'intéresse à notre sort en ce
QUATRIÈME CONFERENCE 97
monde et à notre sort au delà de ce monde.
Cela, je vous l'ai expliqué.
Il me reste à vous prouver qu'ainsi comprise
cette vertu est extraite de l'Evangile, et qu'elle est
conforme aux exigences de la morale slricte et bien
entendue.
I
Il est vrai, Messieurs, que Tide'e d'inte'rêt est insé-
parable de ridée de l'espérance telle que nous la
concevons; il est vrai également que, sous l'em-
pire de cette vertu, nous travaillons en vue d'être
heureux, en vue de recevoir la récompense de nos
elTorts. Cette doctrine est-elle empruntée à l'Évan-
gile? Telle est la première question qui se pose.
Dans l'esprit de nombreux héréticiucs, l'Evangile,
ou, si vous le voulez, le Christianisme authentique-
ment issu de Jésus, condamne les actions inspirées
par l'amour de soi et accomplies dans l'espoir d'une
rémunération. Se dépenser au service de Dieu en
s'oubliant totalement, en faisant abstraction de tout
salaire, voilà pour eux le devoir iuiposé par la loi
de grâce. Au xni" siècle, un maître illustre, Eckart,
écrivait déjà : « Ceux qui ne tendent ni aux biens
extérieurs, ni aux honneurs, ni aux réalités utiles,
ni à la dévotion intérieure, ni à la récompense,
ni au royaume des cieux, mais qui renoncent à
l/ESnCRANCE. — 7.
98 l'espérakce
toutes ces choses, leur apparlinssent-ellcs, ceux-là
honorent Dieu (1). »
Luther allait encore plus loin : il considérait
comme vicieuses, comme passibles de peines éter-
nelles les œuvres oîi l'homme chercherait son bien
propre (2).
Les Jansénistes permettaient au chrétien de
tendre au bonheur, mais ils réprouvaient cette
tendance si elle n'était pas dominée ou du moins
accompagnée par un motif de charité. « Quiconque,
disaient-ils, sert Dieu en vue d'une récompense
même éternelle, s'il n'y joint pas la charité, fait un
acte vicieux, toutes les fois qu'il agit en vue de la
béatitude (3). »
Les Quiétistes tempéraient ces affirmations. Ils
n'exigeaient que des âmes parfaites l'amour pur,
désintéressé, indifférent à la récompense, au châti-
ment, au paradis, à l'enfer, àla mort, à l'éternité (4),
mais de ces âmes ils éliminaient la pratique de l'es-
pérance. Fénelon n'aurait point voulu sacrifier cette
vertu, cependant il adhérait avec obstination à la
doctrine de l'amour pur et du désintéressement
absolu. Souple, subtile, chimérique, il tournait et
retournait sa pensée, il atténuait, il retouchait, il
corrigeait l'opinion de Molinos sans pouvoir s'en
(i) 8« Prop. d'Eckart condamnco par Jean XXII,
(2) Cf. Denzinger-Bannwart, 1301-1303.
(3) De.nzinger-Ba.nnwart, 1303.
(4) lbid.,1221.
QUATRIÈME CONFERENCE 99
dégager. En vain il multipliait les explications et
les distinctions, en vain il changeait jusqu'à quatre
fois ses positions, il finissait toujours par retomber
dans le système de deux espérances : l'une sou-
cieuse du bien propre et à l'usage des âmes ordi-
naires, l'autre épurée, interdisant tout retour
délibéré sur soi et à l'usage des âmes d'élite (1).
C'est au nom de l'Evangile et au nom d'un chris-
tianisme idéal que ces hommes déclaraient à la
seconde vertu théologale une guerre plus ou moins
ouverte, plus ou moins déguisée, au nom de
l'Evangile et du Christianisme idéal qu'ils défen-
daient aux fidèles en général, ou du moins aux par-
faits, d'agir en vue du bien personnel et du salut.
L'Evangile et le Christianisme idéal s'expriment
dans les livres inspirés, dans l'Eglise chargée d'in-
terpréter infailliblement la parole divine et de
régir la société religieuse avec l'assistance du Saint-
Pîlsprit, dans la tradition des docteurs qui ont reçu
d'en haut un génie plus puissant, une lumière plus
abondante, dans la vie des saints qui ont le mieux
observé les préceptes et les conseils, dans le Sau-
veur Jésus enfin, modèle incomparable et aciievé
des vertus que nous devons pratiquer. Eh bien, par
tous ces organes, Dieu nous permet et nous orib^nne
de songer à nous-mêmes, d'agir en vue de la récom-
pense, d'éviter le mal par crainte de la peine et de
l'enfer.
(1) Apprinl., n. 1, 1». 311.
100 r; ESPÉRANCE
Sans cesse, l'Écrilure, qui nous manifeste la pen-
sée de Dieu, excite l'homme aux bonnes actions en
lui montrant la récompense au terme de son effort,
le salaire au soir de sa laborieuse journée, les pal-
mes au bout du stade où il aura lutté en s'exposant
aux coups et aux blessures. Elle promet la vie éter-
nellement heureuse à quiconque aimera Dieu de
toutes ses forces, une longue carrière aux enfants
respectueux de leur père et de leur mère, le rassa-
siement total aux cœurs dévorés par la faim et par
la soif de la justice. Elle menace des pires supplices
les profanateurs de la loi. Elle emploie tour à tour
les notes les plus suaves ou les accents les plus irri-
tés pour nous obliger à penser à notre âme et à
notre destinée. Elle endort les douleurs, elle con-
sole les détresses en ouvrant devant nous les
radieuses perspectives de l'avenir, et elle secoue
l'apathie en parlant avec une terrible sévérilé du
sort qui attend les pécheurs.
L'Ancien Testament qui sert de prologue à l'Evan-
gile prescrivait déjà à la race choisie d'adorer le seul
Jéhovahetde fuir l'idolâtrie pour mériter la fécon-
dité du sol, la possession paisible du territoire, la
victoire sur les gentils, l'avènement du Rédempteur
dont le règne ne devait pas finir. Pendant quarante
ans, au désert et parmi les tribus de Ghanaan, Moïse
soutient le courage de son peuple en lui rappelant
la terre promise. Pendant des siècles, les i*rophètes
raniment la foi et l'ardeur d'Israël, défendent le
QUATRIÈME CONFÉRENCE 101
monothéisme et la morale, en répétant que la race
de Jacob sera comblée de toutes les faveurs si elle
pratique la religion véritable, qu'elle sera dépouillée,
exilée, que Jérusalem et le temple seront détruits
si elle verse dans le crime et dans l'impiété. L'on
sait ce que l'attente des bénédictions et la crainte
des vengeances divines inspirent de vertu et de
générosité aux ancêtres du Christ ; c'est à la lueur
de l'espérance, où le souci du bonheur jouait
un si grand rôle, que la postérité d'Abraham a
donné tous les exemples de l'héroïsme et de la
sainteté.
Le Christ a-t-il sous ce rapport changé les dispo-
sitions de la loi antique? A-t-il voulu que ses dis-
ciples en servant le Père fissent abstraction d'eux-
mêmes et alTectassent l'indifférence à l'égard de
leurs intérêts? L'a-t-on entendu dire aux foules
attachées à ses pas et suspendues à ses lèvres : « Con-
sacrez-vous au bien sans vous inquiéter de votre
avenir éternel? Qu'importe que vous soyez broyés
dans l'engrenage universel, que vous vous per-
diez ou que vous vous sauviez? » Non, Messieurs.
Constamment, pour émouvoir les cons«',iences et
renouveler les cœurs, il évotjue la pensée du salut
et de la damnation. Il faut êlre détaché des ri-
chesses, car le royaume des cieux appartient aux
t\mes sachant aimer avec modération les biens de la
terre. 11 faut être pur, car la vision de Dieu est le
prix de la chaivieté. Il faut être miséricordieux, car
102 l'espérance
le pardon est assuré à la miséricorde. Il faut être
pacifique, car la tendresse du Père est réservée aux
amis de la paix. 11 faut être juste, car le rassasie-
ment attend les champions de la justice. Il faut être
sincère, car les menteurs seront assimilés aux hypo-
crites et aux pharisiens que la vérité confondra. Il
faut supporter les affronts, car les humiliations se
changeront en gloire. Il faut endurer avec patience
la persécution, caries cieux s'ouvriront aux mar-
tyrs. Il faut en tout chercher le royaume de
Dieu, car le triomphe de Dieu est insépa-
rable de la félicité de l'homme : tel est l'ensei-
gnement du Christ. Ce qu'il défend, c'est de pla-
cer la béatitude là où elle n'est pas, c'est de mettre
son espoir dans les choses périssables et de s'atta-
cher aux trésors que les vers peuvent ronger.
L'Église, organe officiel du Saint-Esprit, puis-
sance qui a reçu la mission de déterminer le sens
véritable de la parole divine et de gouverner les
âmes, nous presse de penser à notre destinée et de
travailler en vue d'assurer notre éternel avenir.
Elle n'a pas cessé à travers les âges de chanter
l'excellence religieuse de lespéronce, d'enseigner
que cette vertu a un caractère sanctifiant, de la
classer parmi les principes nécessaires à la justifi-
cation du pécheur. Or, pour elle, l'espérance nous
attache à Dieu comme à l'objet et comme à l'auteur
de notre béatitude.
QUATRIÈME CONFÉRENCE 103
Elle ne croit pas qu'il y ait antagonisme entre le
salut de l'homme et la gloire de Dieu, que pour as-
surer l'une il faille négliger l'autre. Elle pense que
l'amour intéressé de l'espérance s'harmonise avec
l'amour désintéressé de la charité; que l'amour
d'espérance appelle l'amour de charité et y conduit;
que l'amour de charité suppose et entraîne avec lui
l'amour d'espérance ; que l'amour d'espérance cher-
che la gloire de Dieu en tendant au salut de l'homme ;
que l'amour de charité assure le salut de Thomme en
visant la gloire de Dieu. Elle sait bien que l'amour de
charité nous unissant à Dieu considéré en lui-même
et indépendamment du bénéfice personnel que nous
en retirons est plus parfait que Tamour d'espérance,
mais elle sait aussi que le premier ne dispense pas
du second, parce que si Dieu est aimable en lui-
même, il est aussi aimable en qualité de bienfai-
teur. Elle n'ignore pas que la charité doit dominer
l'espérance, mais elle sait aussi que dominer
n'est pas absorber. Elle se plaît à dire ce que
l'espérance gagne dans son commerce avec la cha-
rité, mais elle maintient que dans cette subordi-
nation l'espérance garde son rôle spécifique, que
par soi et en dehors même de la charité elle a une
valeur réelle et positive. Elle proclame que l'acte
religieux par excellence est l'acte de charité, mais
elle aflirme très haut que l'acte d'espérance est plei-
nement évangéli(HH;,car si l'Ame rend à Dieu un su-
prême homnnigi' (jnand elle lui dit : « Je ne veux
104 l'espérance
vivre que pour vous r- ; elle l'honore encoro gran-
dement quand elle lui dit: « Je ne veux vivre que
de vous «.Elle refuse de reconnaître la sainte indiffé-
rence des faux Mystiques, des Luthériens, des Jansé-
nistes, i'amour pur des Qaiétistes, la double espé-
rance de Fénelon. Elle entend que tous, parfaits et
imparfaits, rendent à Dieu le culte dû à l'Etre sou-
verainement adorable en soi, et le culte dû au
Sauveur magnifique des créatures qu'il avait faites
si belles des le commencement. Dans son apostolat
elle ne sépare pas ces deux sentiments : ses innom-
brables messagers, vous pouvez en juger vous-
mêmes,, supplient les hommes de songer à leur
destinée et en même temps de consacrer à Dieu
leur personne et leur bonheur. Sa prédication,
qu'elle s'adresse aux unies d'élite ou aux âmes vul-
gaires, est pleine des grandes vérités, et les grandes
vérités portent sur la mort, sur le jugement, sur le
Paradis, sur l'Enfer, sur ce que nous appelons no»
fins dernières. De ces grandes vérités l'idée du
bonheur individuel, de l'intérêt personnel n'est pas
absente, elle y joue au contraire un rôle considé-
rable et elle ne contribue pas peu à remuer les cons-
ciences et à les convertir.
En prenant cette attitude, l'Eglise a-t-elle renié
son passé ? Les hérétiques l'ont dit, ils ont
cherché dans la tradition la justification de leur
erreur, ils n'y ont point réussi. De saint Paul jus-
QUATRIÈME CONFÉRENCE 105
qu'à saint Augustin, de saint Augustin jusqu'à saint
Thomas d'Aquin, de saint Thomas d'Aquin jusqu'à
saint François de Sales, il n'y a qu'une voix pour
affirmer le caractère évangélique et religieux de
l'espérance, pour répéter que l'homme, en tendant
par les actes de cette vertu à sa félicité propre, obéit
à Jésus-Christ.
Sans doute on a découvert des textes épars qui
semblent réprouver l'amour intéressé, mais ces textes
exigent une interprétation déterminée pour que leurs
auteurs soient d'accord et avec eux-mêmes et avec
le reste des docteurs. Tantôt ils signifient que l'a-
mour du bien propre, d'où l'amour de Dieu consi-
déré en lui-même est exclu, constitue un désordre,
tantôt que l'âme peut par des actes exceptionnels
aimer Dieu sans penser à soi. lis ne signifient
jamais qu'il y ait un état habituel et permanent
dont la perfection consiste à éliminer de l'àme tous
les actes intéressés ai par suite tous les actes d'es-
pérance. S'ils avaient littéralement cette portée, il
ne faudrait pas hésiter à les corriger, à leur enlever
leur emphase pour les ramener au sens des formules
innombrables où les maîtres préconisent à la fois
la recherche de la béatitude que poursuit l'espérance
et le souci de la gloire de Dieu que vise la charité.
Dans la célèbre querelle dont s'émut si profondément
le dix-septième siècle, Fénelon put faire preuve de
finesse, surprendre parfois l'érudition de son adver-
saire; Rossuet put exagérer sur uu point, juTiIre
106 l'espérance
clans le vide quelques-uns de ses traits, appliquer à
des actes ce qui s'appliquait à des étals, mais pour
le fonds des choses Févêque de Meaux l'emporta sur
l'archevêque de Cambrai. Il l'emporta sur l'erreur
mitigée à laquelle Fénelon avail prêté l'appui de
son grand nom, à plus forte raison sa victoire fut-
elle décisive contre les rêves de Mme Gu^^on, contre
le quiétisme radical de Molinos, contre le système
d'abnégation imposé par Janséniiis, par Luther et
par les faux mystiques. Il l'emporta parce que,
mieux que son ancien disciple, mieux que les hom-
mes dont il combattait la pensée, il avait su remon-
ter le cours de renseignement chrétien et entendre
l'unanime concert de la tradition en l'honneur de
l'espérance telle que nous la concevons, parce que
les adversaires de cette vertu avant de tomber sous
les condamnations de l'Eglise avaient été réprouvés
par les interprètes les plus autorisés, les plus jus-
tement vénérés de l'Evangile, et par l'Evangile
même.
La vie des saints pleine de sentiments, d'ar-
deurs, d'oeuvres qui sont l'accomplissement de
FÉvangilc, ne proteste pas moins contre les
novateurs en faveur de l'espérance. Les saints
n'ont pas cru que la religion dont ils étaient
les si fidèles observateurs et les si vaillants cham-
pions exigeât l'inditTérence à l'égard de la \ie
éternelle. Parvenus au dernier degré de la
QUATRIÈME CONFÉRENCE 107
perfection, ils ranimaient leur courage, ils fré-
missaient de joie à la pensée de la béatitude,
et ils tremblaient de peur à la pensée de l'enfer
et de la damnation. Lorsque les épreuves de
Texistence devenaient trop accablantes, ils éle-
vaient vers le ciel leurs yeux baignés de larmes
et leurs cœurs abreuvés de souffrances, ils deman-
daient à l'espérance du bonheur futur la force de
supporter les tribulations du présent. Abraham, le
Père des croyants, Moïse, type de l'âme religieuse
dans l'Ancien Testament et confident intime de
Jéhovah, escomptaient sans scrupule la récompense
et agissaient pour l'obtenir. Jean, l'apôtre à l'teil
d'aigle et au cœur d'or, soupirait après l'appari-
tion de la lumière et de la félicité ; Paul, que dévo-
rait le zèle pour la gloire de Dieu, combattait le bon
combat, consommait sa course ensanglantée, gar-
dait sa foi dans le dessein d'atteindre la couronne
due à ceux qui auront servi leur chef. Saint Augustin,
saint Bernard, saint Thomas d'Aquin réclamaient la
vision face à face et le rassasiement ; les martyrs
jetés aux bêtes, au feu, dans la poix bouillante, en-
duraient leurs supplices et affrontaient la mort en
contemplant à travers les promesses de l'espérance
la palme queleur tendait le souverain Rémunérateur.
Si ces hommes n'ont pas compris riwangilc, (iiii
donc b^ comprendra? S'ils ne l'ont pas prati(|U(', (jui
donc le nratiduera?
iOS l'espérance
En tous cas, le Clirisl l'a incarne dans sa Per-
sonne et dans sa vie avant de le prêcher, avant de
le graver dans le livre inspiré par sa sagesse. C'est
lui qu'il faut contempler quand on veut voir plei-
nement observée la religion qu'il est venu fonder.
Or le Christ a-t-il affecté à l'endroit de sa gloire
personnelle et de son parfait bonheur ce dédain,
cette indifférence qucOuictistes ou autres ont essayé
d'imposer au moins à l'élite des âmes? Nullement.
En accomplissant la volonté de son Père, il se
préoccupe de mériter et d'obtenir la résurrection et
l'immortalité de son corps ; en se soumettant aux
humiliations et aux opprobres de la Passion, au
supplice de la croix, aux angoisses de la mort, il
entend recevoir le prix de son sacrifice. Pen-
dant la Cène, il adresse à son Père cette émou-
vante prière : « Père, l'heure est venue, glorifiez
votre Fils... Je vous ai glorifié sur la terre, jai
achevé l'œuvre que vous m'aviez confiée, mainte-
nant à vous. Père, de me glorifier (1). » Dès le soir de
^a résurrection, il dit aux disciples scandalisés
qu'il accompagne sur le chemin d'Emmaûs : « Ne
fallait- il pas que le Christ souffrît toutes ces choses
pour entrer dans sa gloire (2)? » Il prouvait ainsi
qu'il aspirait à la fois à la gloire de son Père, à sa
propre gloire et au salut de riiumimité. Son espc-
(1) s. Jean, xvii, 1-5.
(2) S. Luc, XXIV, 26.
QUATRIÈME CONFERENCE lU'J
rance ne portait point sur la béatitude essentielle
dont il avait toujours joui, mais elle portait sur la
transfiguration de sa chair, sur la manifestation de
son nom (1). Sa conduite nous répond de la recti-
tude de la nôtre, lorsque nous nous inquiétons de
notre avenir. C'est assez, Messieurs, et je crois avoir
surabondamment démontré que l'espérance avec
l'amour intéressé qu'elle entraîne est une vertu
évan^élique.
II
Les hérétiques s'appuyaient sur l'Évangile pour
dénigrer l'espérance, ils s'appuyaient aussi sur la
morale. Plusieurs écoles philosophiques dont la
principale est celle des stoïciens leur prêtaient des
arguments. Les uns et les autres considéraient
comme déréglé le sentiment né de l'espérance parce
que d'abord, à leur avis, toute action intéressée est
entachée d'égoïsme et contraire à la saine morale;
parce qu'ensuite l'espérance, inquiète du bonheur
de celui qui-espère, renverse la hiérarchie des choses
en subordonnant la gloire de Dieu au bien propre
de l'homme, et traite Dieu non comme une hn
mais comme le moyen do r(>n(lre l'homme heu-
reux. Un pareil sentiment, disent-ils, constitue
(1) s. TiioMAï, III" p., q. VII, art. 4.
110 l'espérance
un désordre sacrilège et lait du Créateur non pas
le maître, mais le serviteur de sa créature. Ces
objections sont devenues courantes. Dans cer-
taines chaires où l'on fait profession de cultiver
plus scrupuleusement l'idéalisme, on parle cons-
tamment du devoir pour le devoir, de l'amour du
bien pour lui-même, on y marque une sympathie
non déguisée pour les Jansénistes et les Quiétistes
qui obligeaient l'individu à s'oublier lui-même dans
ses œuvres. Les parlements et la presse dont la
culture philosophique est médiocre, en mille occa-
sions, nous jettent à la face ces paroles dédaigneu-
ses : « Vous n'aimez Dieu qu'en vue de profiter de
lui, vous ne travaillez pas pour Dieu, mais pour le
ciel, c'est-à-dire pour vous-mêmes (1). »
Contre ces adversaires, il faut établir première-
ment que l'on peut s'aimer soi-même et songer à
son intérêt sans offenser la saine morale, seconde-
ment que l'espérance chrétienne, en travaillant en
vue de la béatitude, ne subordonne pas Dieu à
(1) Dernièrement encore, un homme de lettres qui aime à Jongler
avec les mots, à jouer avec les idées les plus graves, à se perdre dans
le paradoxe, à se noyer dans des sophismes et à inventer des solutions
valant ce qu'elles lui ont coûté, n'écrivait-il pas : « La croyance en un
Dieu rémunérateur et vengeur est immorale. On peut aller jusqu'à
dire très logiquement qu'elle est l'immoralité même. » Il est vrai
qu'après s'être livré à une gymnastique assez désordonnée l'auteur
essaie de se répondre à lui-même, mais, avouons-le, son objection
porte plus loin que sa réfutation, et il se contente de peu s'il càt
satisfait de ses arguments. — [La Revue, l'^'' déc. 1912, article de
M. Faguet sur le livre de M. Stapfer. L'Inquiétude religieuse du
temps présent.) — Cf. Append., n. 2, p. 313.
QUATRIÈME CONFÉRENCE 111
l'homme, mais au contraire soumet l'iiomme à
Dieu et ainsi respecte l'ordre nécessaire.
D'abord je dis que l'on peut s'aimer soi même, agir
en vue de son bonheur personnel sans ofTenser la
saine morale.
S'il en était autrement, on devrait penser que la
morale est impraticable, car il est impossible de ne
pas s'aimer soi-même, de ne pas s'inquiéter de son
bien propre. Aucun décret, aucune loi n'auront rai-
son de cette volonté fondamentale que nous avons
d'être heureux, de nous occuper de nous et de nos
intérêts. Il faudrait déraciner l'arbre pour l'empêcher
de grandir, c'est-à-dire pour l'empêcher de tendre à
sa perfection et à son plein développement. Il faudrait
tuer l'animal pour l'empêcher de croître et d'aspirer
au degré de vie réclamé par sa nature. Il faudrait
anéantir l'homme pour arrêter le mouvement qui
le porte à vouloir l'épanouissement de son être. Par
tous nos instincts, par tous nos désirs, nous cher-
chons notre félicité. Aussi la morale absolument
désintéressée n'a jamais existé que dans les livres
et dans les leçons des métaphysiciens égarés par leur
imagination.
Demandez donc à l'ouvrier de s'épuiser sans exi-
ger aucun salaire, au laboureur de remuer le
sol, de l'engraisser, de semer sans penser ;\ la
moisson, de planter sans attendre de l'arbre l'ombre,
les Heurs et les fruits, conseillez au pasteur de nourrir
-*2 l'espérance
ses troupeaux sans vouloir en retirer le lait et la
laine, au navigateur de se lancer sur les flois sans
î^ouci d'aborder au port. Vous devinez l'accueil que
vous recevriez d'hommes conduits par le bon sens,
principe de la philosophie la plus fondamentale et
la plus certaine. Cependant, il faudrait aller jusque-
là, si la morale du pur amour et du désintéressement
complet était vraie.
Cettemoralen'apasmêmerégnésurlaconsciencede
ceux qui l'ontsoutenue avec le plus d'âpreté. Les stoï-
ciens affichaiontla froideur à l'égard delajoie etde la
douleur : simple parade, ils n'étaient insensibles ni
àrune,niàrautre.Leursépreuvesles touchaient assez
pour qu'ils en demandassent la fin au suicide. D'ail-
leursenenseignantqu'ilfallaitpratiquerla vertu pour
elle-même, ils avouaient encore qu'ils cherchaient
leur suprême noblesse et leur suprême joie dans
une conduite où l'orgueil trouvait son compte et ses
satisfactions. Lorsque Luther avait prononcé que
tout acte intéressé est coupable,' il s'abandonnait
à la perversité de ses instincts, montrant ainsi qu'il
attachait du prix non seulement au bonheur absolu,
mais encore aux jouissances immédiates que lui
offraient le vin et la débauche. Les Quictistes, après
avoir chanté l'amour pur, savaient au terme de
mille délours ramener par une voie le souci du bien
propre qu'ils avaient chassé par l'autre : ils étaient
habiles à présenter sous une apparence austère un
système relâché dans la réalité, un système qui sou-
QUATRIÈME CONFÉRENCE 113
riait aux âmes voluptueuses, à Jean-Jaoques, à
Mme de Warens, un système qui flatte encore les
plus eff"éminés de nos dilettantes (1).
La nature a ses revanches : par ses réactions vio-
lentes ou sournoises elle abaisse au-dessous du
permis ceux qui avaient voulu l'entraîner au delà
du possible (2i.
La saine morale, Messieurs, consulte les inclina-
tions de l'homme pour les régler, non pour les
ctoufîer. Elle nous ordonne de suivre à la lumière
de la raison et de la religion les chemins où nous
poussent des penchants innés, en évitant les défail-
lances ou les excès Or, par un instinct dont nous ne
sommes pas les maîtres, nous sommes portés à nous
aimer nous-mêmes. La raison nous montre que
celte tendance n'a rien que de légitime. Elle nous
enseigne, en eiïet, que les choses doivent attirer
notre attention et retenir notre sympathie dans la
mesure ou elles le méritent. Dieu ni- méprise au-
cune de ses créatures, car il n'en est pas une en la-
quelle il n'ait réalisé une beauté, et des saints,
comme François d'Assise, se plaisaient à composer
des hymnes au soleil dont ils admiraient la splendeur
et recevaient les rayons bienfaisants. Or l'homme
possède une âme et un corps. L'âme est après les
anges la plus noble des créatures, le corps lui-même
(1) Append., n. 3, p. 31V.
(2) Append., n. 4, p. 315.
l'espérance. — 8.
114 l'espérance
est un chef-d'œuvre parmi les substances maté-
rielles. Notre âme et notre corps sont donc dignes
d'être aimés, la raison et l'instinct sont d'accord
pour nous prescrire de les aimer. Mais le devoir
qui nous oblige à les aimer nous oblige à vouloir
et à faire leur bonheur, car les aimer c'est leur
vouloir et leur faire du bien; et puisque leur bien
véritable ne se rencontre que dans la béatitude,
nous ne pouvons les aimer profondément et sin-
cèrement sans travailler à les mettre en possession
de la béatitude. Nous serions hors de la morale et
en contravention avec ses ordres, si cet amour
demandait la félicité à des réalités incapables de la
donner à notre âme et à notre corps, s'il dédai-
gnait l'Être dont la possession est pour eux le
souverain bien : Dieu. Vous voyez, Messieurs, que,
tenus de nous aimer nous-mêmes, nous sommes
tenus d'aspirer à Dieu, de vouloir atteindre Dieu,
de prendre les moyens nécessaires pour arriver à
Dieu, comme nous sommes tenus d'aspirer à la
béalitude et de tout faire pour y parvenir. C'est à
cela précisément que nous pousse l'espérance, et
par suite ses actes sont commandés et non inter-
dits par la saine morale.
Une autre difficulté surgit. On renverserait l'or-
dre, on offenserait la morale si l'on préférait des
biens inférieurs à des biens supérieurs, les biens du
corps aux biens de l'âme, les biens temporels aux
QUATRIÈME CONFÉRENCE 115
biens éternels, les biens particuliers au bien uni-
versel, l'intérêt de l'homme à la gloire de Dieu.
Mais précisément, dites- vous, c'est ce que fait l'es-
pérance. Elle nous attache à Dieu comme à un
moyen de devenir heureux. Dieu n'est plus la der-
nière fin de l'homme, c'est l'homme qui joue le rôle
de fin dernière vis-à-vis de Dieu.
Mes paroles, Messieurs, n'emportent pas ces con-
séquences, si elles les entraînaient, je n'hésiterais
pas à les rétracter.
Premièrement, en effet, par l'espérance, nous
dépendons de Dieu, Dieu ne dépend pas de nous. Il
y a des biens dont nous usons comme de purs
moyens, que nous subordonnons complètement à
notre intérêt, que nous aimons uniquement pour l'a-
vantage que nous en retirons. Ainsi en est-il de nos
aliments, de nos habits qui n'ontde prix à nosyeux
que dans la mesure oiî ils nous servent. Si l'espé-
rance traitait Dieu de cette façon, elle lui infligerait
une intolérable injure. Il y a des êtres que nous
aimons en nous plaçant avec eux sur le pied de
l'égalité; ils nous appartiennent et nous leur appar-
tenons, sans qu'ils nous dominent, sans que nous
les dominions. L'espérance tondrait encore à détrôner
Dieu, et elle serait immorale, si elle l'abaissait à ce
point. Enfin, il y a des êtres que nous aimons d'un
amour de sujétion, en mettani; notre bonheur à
vivre dans leur dépendance et sous leur sceptre.
L'enfant trouve sa joie dans la société de son père,
116 l'espérance
sans vouloir disposer de son père comme d'un égal
ou comme d'un intérieur; le serviteur trouve sa joie
dans le service de son maître, sans avoir la préten-
tion de se changer en maître, ou de changer son
maître en serviteur. Telle est vis-à-vis de Dieu la
situation de Ihomme qui espère, il attend son bon-
heur de Dieu, comme Tenlant l'attend de son père,
comme le sujet l'attend de son roi, il aime Dieu d'un
amour qui est à la fois un amour de convoitise et
un amour « de respect, de révérence, d'honneur » ,1).
Même séparée de la charité, l'espérance place Dieu
au-dessus de l'homme. Dieu reste le souverain et
l'homme n'est qu'un subordonné. « Nous ne tirons
pas Dieu à nous, dit saint François de Sales, ni à
notre utilité ; mais nous nous joignons à lui comme
à notre finale félicité. Nous nous aimons ensemble
avec Dieu par cet amour, mais non pas nous pré-
férant ou égalant à lui par cet amour : l'amour de
nous-mêmes est mêlé avec celui de Dieu, mais
celui de Dieu surnage : notre amour-propre y entre
à la vérité, mais comme simple motif, et non
comme lin principale; notre intérêt y tient quelque
lieu, mais Dieu tient le rang principal... car quand
nous aimons Dieu comme notre souverain bien,
nous ne le rapportons pas à nous, mais nous à lui ;
nous ne sommes pas sa fin,... mais il est la nôtre;
il ne nous appartient pas, mais nous lui apparte-
nons : il ne dépend pas de nous, mais nous de lui...
(1) Append., n. 5, p. 316.
de sorte qu'aimer Dieu en titre de souverain bien,
c'est l'aimer en titre honorable et respectueux (1). »
Secondement, pour juger de l'espérance, il faut
considérer ses tendances en même temps que ses
actes. Mais l'espérance tend à la charité qui est dans
l'Evangile la vertu royale; elle tend à la charité,
car l'on est bien près d'aimer un être pour lui-même
quand on l'aime pour le bien dont il nous assure
la possession. Or la charité nous inspire la volonté
d'être plus parfaits pour servir plus parfaitement
Dieu, d'être heureux pour consacrer à Dieu notre
personne et notre bonheur. Elle nous dicte ces
paroles recueillies sur les lèvres de Jésus : « Pater...
clarifica Filium tuum, ut Filins tnus clarifîcct te.
Père, glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glo-
rifie (2). )) Le bonheur de l'homme devient un
moyen de mieux célébrer Dieu. Le chrétien
veut être plus grand pour offrir à Dieu une plus
digne louange et pour lui chanter un hymne plus
retentissant. Avec l'espérance, il lutte pour la
couronne, mais avec la charité, il jette sa cou-
ronne comme un hommage aux pieds de Dieu.
« Vingt-quatre vieillards, dit l'Apocalypse, se
prosternaient devant celui qui est assis sur le trône,
et ils adoraient celui qui vit dans les siècles des
siècles, et ils jr>taient leurs rDuronnes devant le
trône en disant : Vous êtes digne, ô SeigncMir
(1) Traité de l'amour dr Dieu. II, cli xvii. — ( T. Ainicnd., n.6, [i.Jlô.
(2) Saint Jean, xvii, 11.
k
118 l'espérance
notre Dieu, de recevoir gloire, honneur et puis-
sance (1). » De sorte que dans la morale intégrale
du Christianisme, ce n'est pas régoïsme, ce n'est
pas l'intérêt propre qui décide de tout, c'est la
charité, et la charité se sert de l'espérance pour
grandir l'homme, et de l'homme parvenu au sommet
de sa perfection pour exalter avec de plus sublimes
accents la personnalité de Dieu.
Soyez donc rassurés, Messieurs, et abandonnez-
vous sans scrupule au souffle de l'espérance. En sui-
vant ses voies, vous obéirez à la loi, qui est, de l'avis
des âmes impartiales, la plus idéale, la loi de l'Evan-
gile; vous vous inclinerez devant l'autorité intellec-
tuelle qui sur la terre est la plus haute, l'autorité de
l'Église ;vous vous rallierez au sentiment deshommes
qui ont le mieux compris et le plus héroïquement pra-
tiqué la vraie religion, les docteurs et les saints;
vous imiterez Celui qui demeure le type accompli
de toutes les grandeurs et de toutes les vertus,
Notre-Seigneur Jésus-Christ.
En même temps vous respecterez l'instinct
normal de la nature, les règles du bon sens, les
ordres de la saine morale. Ne vous laissez pas
troubler par les voluptueux qui prêchent le mépris
de la joie et qui jouent pour leur profit la comédie du
désintéressement ; par les mystiques d'allure stoï-
cienne qui ont toujours violé les préceptes qu'ils im-
(1) Apocalypse, iv, 10.
QUATRIÈME CONFÉRENCE 119
posaient aux autres. Souvenez-vous qu'il n'y a point
d'antagonisme entre le salut de l'homme et la gloire de
Dieu, qu'une Providence aussi large que perspicace
a trouvé le secret de pourvoir au bien de la créature
sans blesser en rien les imprescriptibles droits du
Créateur. Mais sachez aussi, que nul ne possédera
Dieu, s'il n'aime Dieu plus que lui-même, s'il
n'aime Dieu pour Dieu, et n'oubliez pas que
si le bonheur se promet à l'espérance, il ne se
donne qu'à la charité. Efforcez-vous de pratiquer
ces deux vertus : elles s'entendent merveilleuse-
ment pour établir dans les sentiments l'ordre établi
dans les choses, pour assurer à l'homme la béati-
tude qu'il désire et à Dieu la souveraine adoration
qui lui est due.
CINQUIÈME CONFÉRENCE
LE DÉSESPOIR
SOMMAIRE
Dieu a fait de l'espérance un devoir contre lequel l'homme
peut pécher de différentes farons. De notre temps ce devoir a
été offensé fréquemment. Il l'a été surtout par le désespoir et
parla présomption.
Détinitiondu désespoir. Il Malice du désespoir, p. 127-128.
I
Le désespoir est un acte intérieur, délibéré, positif, par
lequel l'homme cesse de tendre à son bonheur, y renonce et
s'en éloigne, sous prétexte qu'il Uii est impossible d'y parvenir.
1. — a) C'est un acte inlérieur émané des profondeurs de
l'âme et tel au dedans qu'il se montre au dehors.
Le vrai désespoir se distingue ainsi du pessimisme de
commande affecté par des jeunes gens, par des hommes qui
veulent apitoyer sur leur sort et tirer profit de leur prétendu
découragement, p. 128-130.
6) Le désespoir est un acte pleinement conscient et pleine-
ment délibéré. 11 diffère des troubles violents mais involon-
taires, qui jettent parfois les saints dans d'indicibles an-
goisses, p. 130-131.
c) C'est un acte positif et non un simple défaut d'espérance.
Il se ue se confond pas avec l'indifférence, avec l'hésitation,
avec la simple déliance, p. 131-132.
d) C'est le relâchement total de la volonté, l'abandon de
soi, la rupture consciente, délibérée de l'homme avec le bon-
heur. Le désespéré renonce à sa destinée, il aflîrme sa vo-
lonté inflexible, réllécliic de dire adieu à la félicité,]). 132-134.
2. — Motif invoqué par le désespoir : impossibilité d'ar-
river au sahit.
a) Cette impossibilité est (pielquefois conçue comme abaoUte
par le désespéré, (pii no croit pas à l'existence du bonheiir
pour riiMm;init<''... Ce désespoir est le plus grave, il a son
principe (huis l'incrédulité, p. 134 13t).
b) (juel<]uefois, le désespéré', le Clirétien par exemple,
conçoit comme relative à sa personne l'impossibilité d'arriver
iU f/E8PênAPÏCB
au salut qui est accessible aux autres. Il invotjuft pour jutll-
fier son idée : la violence de ses passions, la gravité de ses
fautes. l'insuTisance pratique de la grâce, et il fuit un bonheur
qu'il juge hors de sa portée, p. 136-137.
II
Etat malheureux du désespéré. Quelle pitié il nous doit
inspirer.
Culpabilité du désespéré. Principe suivant lequel on doit
juger de celui en qui le désespoir est la suite de l'incrédu-
lité, p. 137-<38.
Culpabilité du croyant qui désespère.
1. — Il pèche contre lui-même.
a) Parce qu'il refuse de pourvoir à son sort. Obligation
dans laquelle nous sommes de nous aimer et de nous vouloir
par dessus tout le plus grand des biens qui est la béatitude.
Comment le désespéré offense gravement ce précopte en renon-
çant à son bonheur et en se vouant à la damnation, p. 138-130.
6) Comment il l'offense d'autant plus gravement qu'il est
oblige pour désespérer de résister à la grâce, à la raison, à la
nature qui le pressent de chercher la félicité, p. 140.
c) Vaines excuses invoquées par le désespéré. Ce qu'il faut
penser de l'impossibilité de se sauver. Lâcheté que cache le
désespoir, p. 140-142.
2. — Le désespoir inflige à Dieu une grave injure.
a) Parce qu'il méconnaît ou la puissance ou la miséricorde
de Dieu. S'il prétend pour justifier son excès que Dieu ne peut
le sauver, il mutile la puissance divine et met la faculté qu'il
a de se perdre au-dessus de la faculté que Dieu a de le sau-
ver. S'il prétend que Dieu peut, mais ne veut pas le sauver, il
attribue à sa perversité plus de vertu qu'à la bonté divine. En
tout cas, il accuse d'erreur ou de mensonge Dieu qui tant de
fois nous aflirmc qu'il peut et ([u il veut nous sauver, p. 142-144.
6) Le Dieu imaginé par le dése';péré n'a rien de commun
avec le Dieu qui s'est manifesté dans l'histoire. A celui-ci, le
désespéré inllige un outrage sanglant en lui attribuant des
sentiments et des desseins opposés à ceux dont nous parlent
les auteurs inspirés, p. i44-d4ii.
c) L'injure jetée à la face du Père rejaillit jusqu'au Christ,
que le désespéré accuse implicitement de n'avoir pas assez
souffert pour sauver tous les hommes, p. 145.
CINQUIÈME CONFÉRENCE 12^
d) Le désespoir inflige une injure à Dieu en rompant avec
lui. Cette rupture est directe et positive, c'est ce qui fait fa
gravité, p. 146-147.
Aucun chrétien, quelle que soit l'extrémité de ses douleurs
ou de ses fautes, n a le droit de désespérer. Ceux qui ont
succombé à cette tontallon doivent revenir à l'espérance. Le
désespoir guérissable en ce monde ne l'estplus dans l'éternité,
p. 147-149.
CINQUIÈME CONFÉRENCE
LE DÉSESPOIR
Eminentissime Seigneur (1),
Messieurs,
Dieu a fait de l'espérance un devoir qu'il a im-
posé à tous les hommes. Il l'a imposé aux justes et
aux saints qui se consacrent avec une générosité
sans bornes, avec une constance inlassable aux
œuvres héroïques. Il Fa imposé aux âmes tièdes et
lâches qui se traînent dans les sentiers du bien. Il
l'a imposé aux infortunés qui ont connu l'extrémité
de la tribulation, aux criminels qui épuisant la
coupe du mal sont tombés au dernier degré de la
bassesse et de l'infamie. Pour plusieurs le poids
de cette obligation devient trop lourd, ils refusent
de le porter; d'une manière plus ou moins réso-
lue ils en secouent le joug, et ils nourrissent des
sentimenis ((iii la blessent. Que de fois dans notre
siècle cette puissante vertu a succombé dms les
âmes! Que de fois l'impiété, la science, la pbilo-
(1) s. E. Mgr le cardinal Amelte, archevêque de Paris.
128 l'espérance
Sophie, les passions, les arts, la poe'sie sont entre's
contre elle dans une vaste conspiration et ont réussi
à l'arracher des cœurs!
L'homme moderne offense l'espérance en négli-
geant de la cultiver, en la laissant languir au fond
de son cœur, en préférant les réalités du présent aux
promesses de l'avenir, en s'insurgeant contre les
devoirs dictés par sa vocation, en s'efforçant d'ou-
blier les problèmes de vie et de mort qui s'imposent
à l'attention de l'être raisonnable, en calmant par le
mépris ses inquiétudes toujours renaissantes. Il la
offensée quand il s'est plongé dans la mélancolie
malsaine source du découragement qui tue la vo-
lonté ou la jette dans l'inertie. Il l'a offensée, plus
peut-être que toutes les autres générations, par dé-
sespoir et par présomption (1).
Je voudrais, Messieurs, vous mettre en garde
contre ces deux dernières tentations. Dans ce des-
sein, je définirai aujourd'hui le désespoir, j'en mar-
querai la malice, et, dimanche prochain, je trai-
terai de la présomption.
1
Le désespoir est un acte intérieur, délibéré, posi-
tif, par lequel l'homme cesse de tendre à son bonheur,
y renonce et s'en éloigne sous prétexte qu'il lui est
impossible d'y parvenir.
Cette définition contient, je crois, tous les élé-
(1) Append., n. i, p. 137.
CINQUIÈME CONFÉRENCE 129
ments nécessaires pour faire connaître la nature du
vice le plus contraire à la vertu d'espérance. Elle le
distingue des sentiments qui lui ressemblent ou
s'en rapprochent, elle le caractérise et elle sou-
ligne les mauvais motifs que l'on invoque pour s'y
livrer.
C'est un acte intérieur, un vouloir émané des pro-
fondeurs de l'ùme et tel au dedans qu'il se montre au
dehors. Un'estpasrarede rencontrerdes jeunes gens
ou même des hommes qui affectent le pessimisme,
la désolation, le découragement. A les entendre, ils
sont la proie d'une mélancolie incurable qui révolte
leur cœur, mais qui s'impose àleur esprit. Ils se plai-
gnent et disent que le bonheur n'est pas, ou qu'il est
inaccessible. Comédie ! Au fond ils savent que leur
sort est entre leurs mains, qu'il dépend d'eux d'at-
teindre leur lin; ils sont résolus d'ailleurs à ne point
se perdre, et, au moment déterminé parleur caprice,
à reprendre le chemin du salut. Leur but est d'émou-
voir leurs proches, d'apitoyer sur leur personne,
d'obtenir l'argent, la liberté dont ils ont besoin
pour satisfaire des passions qu'ils n'avouent pas,
mais qui les tyrannisent. Leur but est de justi-
fier leur conduite, de trouver une excuse à leur
dureté, à leur égoïsme, à leurs débauches, d'éviter
les reproches, de s'arroger le droit de mal faire et de
chercher dans la vie présente ce qu'ils feignent de
ne plus attendre de la vie fiilure. Ce jeu est indigne
l'i;si'i-:i;anc.i;. — 'J.
130 l'espérance
et dangereux, mais le désespoir dont il se couvre
n'est qu'apparent. Viennent l'épreuve ei la maladie,
les coupables jetteront eux-mêmes leurs masques et
nous verrons dans leurs âmes s'affirmer l'espérance
avec laquelle ils n'avaient jamais intérieurement
rompu.
Le désespoir est un acte pleinement conscient et
pleinement délibéré. Les plus grands saints ont connu
des tentations violentes qui ébranlaient leur âme
dans ses profondeurs. Leurs fautes leur semblaient
si graves, leurs bonnes œuvres si insignifiantes, les
chemins du ciel si rudes et si escarpés, la voie de la
perdition si glissante, la justice de Dieu si rigou-
reuse qu'ils tombaient dans des inquiétudes dévo-
rantes, dans des perplexités mortelles. Le trouble
bouleversait la sensibilité, l'obscurité apeurait l'ima-
gination, paralysait l'esprit, l'astre de l'espérance
voilait ses rayons, et ces êtres, impuissants à sortir
de ce chaos ténébreux, se débattaient au milieu de
pensées, de sentiments qui les faisaient agoniser.
Ils avaient l'impression que Dieu les haïssait, les con-
damnait d'avance, faisait déjà peser sur eux sa
colère vengeresse, que son secours leur serait tou-
jours refusé et qu'eux-mêmes abandonnés à leur
faiblesse se damneraient infailliblement. En cet
état, on dirait, écrit saint Jean Je la Croix, qu'ils
partagent les douleurs de l'enfer (1); ils ne peu-
(1) La nuit ob$eurt, 1. II, cli. vt;
CINQUIÈME CONFÉRENCE 131
vent retenir des cris de détresse, on les entend
répéter, sur un ton déchirant ces paroles du
B. Henri Suso : « Malheureux que je suis! que
faire? Oii me réfugier? Mon Dieu! mon Dieu! fut-il
jamais créature plus à plaindre que moi? Pourquoi
suis-je né, si je dois être toujours malheureux?Oui,
malheureux dans le temps, malheureux dans l'éter-
nité (1)? y- Cependant ces orages n'éclatent qu'à la
surface de l'âme, qui, loin d'en être complice, lutte
contre leur violence et ne cesse pas, si désemparée
qu'elle soit, d'implorer 1 intervention du Sauveur,
de murmurer encore aux heures du plus profond
abattement : « Mon Dieu, mon Dieu, ne m'aban-
donnez pas! » L'ange du désespoir assiège ces
consciences, il n'y entre pas.
Le désespoir est un acte positif et non un simple
défaut d'espérance. Que d'hommes vivent sans ac-
corder la moindre attention, la moindre pensée â'Ia
question de leur salut! Le politicien toujoui's en
quête d'intrigues et dé conspirations, le savant
confiné dans son laboratoire étroit, le mondain tout
entier préoccupé de ses vains succès, l'épicurien
dont les jours sont rongés par sa fatale et absorbante
|iassiun, le brasseur d'affaires noyé dans ses iiiuom-
biables spéculations, le paysan courbé sur sou
c-bymp se montrent indifférents au problèmci, dp
■ :;»coq
(1) Vio du B. Honri Siito, c. xxvi, éûU. Carlier.
132 l'espérance
leur destinée. Pas un regard du côté du ciel, pas
une inquiétude au sujet du lendemain! Le souci
du bonheur éternel dort dans leur cœur, ils crai-
gnent de le réveiller, car en le réveillant ils
troubleraient leur existence. Cette disposition est
coupable, pleine de périls, elle est cependant pure-
ment négative, elle ne nous rend point hostiles
mais seulement étrangers à l'espérance.
Dans riiésitation, l'àme se partage : l'excellence du
bonheur l'attire, la difficulté d'y parvenir la rebute.
Suspendue entre deux sentiments, elle refuse de
prendre parti, ne voulant pas sacrifier sa béatitude,
mais n'osant l'attendre. L'hésitation est pour la
volonté ce que le doute est pour l'intelligence, elle
blesse l'espérance, elle ne la tue pas nécessairement,
elle ne se confond pas avec le déeespoir.
La défiance s'en rapproche davantage; mais si elle
s'endistingue moins, elle s'en distingue encore, parce
que le chrétien qui se défie de la puissance, de la
bonté de Dieu, qui soupçonne Dieu d'intentions
perfides, de desseins arrêtés de vengeance, ne forme
pas un jugement absolu contre lui, ne renonce pas
à son salut. Il y tend avec des arrière -pensées, avec
des sentiments injurieux à Dieu, mais il continue
d'y tendre.
Le désespoir est le relâchement total de la volonté,
l'abandon de soi, la rupture consciente, délibérée,
positive de l'homme avec le bonheur. Non seule
CINQUIÈME CONFÉRENCE 133
ment le chrétien dominé par ce sentiment sauvage
brise de ses propres mains son espoir, non seule-
ment il en arrache de son cœur jusqu'à la dernière
racine, non seulement il cesse de s'élancer vers la
béatitude éternelle, mais par un mouvement con-
traire, il renonce à sa destinée. Desperatio, dit
saint Thomas, non importât solam privationem
spei, sed recessum a re desiderata (1). Si le déses-
péré entend la voix du bon Pasteur qui l'appelle et
qui le cherche, il s'éloigne pour lui échapper, s'il,
l'aperçoit, il précipite ses pas dans le dessein de se
soustraire à son sauveur. C'est Caïn s'enfonçant dans
la solitude aride, désolée, pour éviter Jéhovah qui
lui offre encore assistance et protection. Haletant,
blessé, ensanglanté, emportant dans son àme le trait
fatal qui le torture et l'exaspère, le malheureux fuit
le bonheur. Et lorsque le bonheur le poursuit pour
se faire désirer et pour se donner, le désespéré lui
ferme toutes les portes de son cœur, s'arme contre
lui, le repousse avec colère, le combat comme un
mal et comme un ennemi.
Les tendres instances de l'amitié, les prières de
la sagesse, les sollicitations de la grâce, les insi-
nuations suaves, les touches délicates de l'Esprit, les
aspirations de la nature le trouvent irréductible. Tan-
tôt il tombe dans un état de prostration absolue et il
oppose à toutes les avances sa force d'inertie, tantôt
(1) I» II*", q. XL, art. i, ad a»". Cf. Ap|ienii., n. 2, p. 318.
134 i/espérance
en proie aux furies il se défend avec opiniâtreté
contre toutes les puissances qui voudraient le ra-
mener dans la bonne voie. Pareil au pilote qui, non
content d'avoir jeté à la mer ses rames et ses voiles,
les repousse si le flot les lui rapporte, le désespéré
résiste obstinément aux assauts de la miséricorde,
d'un geste violent il affirme sa volonté inflexible
et réfléchie de dire adieu à la félicité, de traiter
comme des adversaires les auxiliaires qui s'efforcent
à l'émouvoir, à lui prêter secours et à lui rendre
confiance dans l'avenir. Quel spectacle! « Les
insensés, dit en substance saint Chrysostome, les
furieux qui ont perdu l'esprit ne redoutent plus
rien, ils ne sont retenus ni par la pudeur, ni par
la crainte du feu, de Teau ou des abîmes. Ainsi
l'homme en proie à la folie du désespoir foule aux
pieds toute prudence et se jette au-devant de tous
les maux (I). »
Et comment expliquer un tel phénomène? Com-
ment comprendre qu'un être puisse agir avec
cette colère et cette ténacité contre son propre in-
térêt et contre son propre salut?
Ah ! c'est que. Messieurs, le désespéré s'est per-r
suadé que l'accès du bonheur lui était impossible.
Cette impossibilité imaginaire le rebute, le révolte
et lui inspire un mouvement d'aversion. La béati-
tude avec ses joies l'attire; par une loi naturelle dont
(1) Exhoflalio ad Tlieodorum lap^ui», T, }.">.
CINQUIÈME CONFÉRENCK 135
il n'est pas le maître, il la désire et il l'appelle, mais
convaincu qu'il lui sera interdit d'y parvenir, il se
rejette volontairement en arrière et fuit dc^libéré-
ment un but qu'instinctivement il brûle d'atteindre.
Dans son esprit, cette impossibilité est absolue
pour tous, ou relative à sa personne.
S'il pense que Dieu n'est pas, que l'àme est
mortelle, il conclut que la félicité est un mot
inventé par les hommes lassés de leur misère et
mécontents de leur sort, que le ciel est vide, que
personne ne nous attend au delà du tombeau.
Tantôt il s'irrite contre la fatalité, il maudit une
vie qui n'a pas de sens, il s'exaspère contre l'exis-
tence incertaine, douloureuse, éphémère qu'une
puissance aveugle et brutale lui impose, contre les
aspirations d'une nature qui refuse d'accepter la
perspective du néant. Tantôt étouflant avec une
énergie amère toutes les voix qui en lui, et malgré
lui réclament la félicité, il essaie de prendre une
attitude hautaine, et de regarder stoïquement vers
un avenir qui le broyera dans l'engrenage universel.
Tantôt il affecte de sourire, il prêche à son
propre cœur une douce, une sceptique résiirnation
et il invile les âmes d'élite à imiter son exemple
Mais toujours il liitlo contre la pensée d'être heu-
reux, il s'abstient (h; tous les actes ([iii pour muis
sont des moyens d'arriver au l)ut linaUl qnalilie
136 l'espérancb
de rêve, d'illusion notre espérance, et l'écrase sous
son mépris quand elle essaie de renaître, il accuse
de folie et il considère comme des naïfs ceux qui s'y
abandonnent. « Ceux-là seuls, dit Renan, arrivent à
trouver le secret de la vie qui savent étouffer leur
tristesse intérieure, se passer d'espérance, faire
taire ces doutes énervants oii ne s'arrêtent que les
âmes faibles et les époques fatiguées (1). » Ce
désespoir est le plus incurable, car il est la suite et
le compagnon de l'incrédulité, qui ne reconnaît pas
à Dieu la qualité de Rémunérateur, parce qu'elle
ne lui reconnaît pas même l'existence.
Le chrétien qui désespère croit à la réalité du
bonheur, à la possibilité pour beaucoup de l'at-
teindre, mais pour lui-même il est résigné d'avance
à sa perte, convaincu que son échec est certain et
qu'il manquera sa destinée. Il manquera sa destinée,
parce que les passions qui l'ont toujours entraînél'en-
traîneront toujours, parce que ses habitudes invété-
rées triompheront jusqu'au bout de ses résolutions,
parce que la grâce, quelle que soit sa force au point
de vue spéculatif, ne lui suffira pas en pratique
pour se vaincre lui-même, parce que ses fautes
dans le passé crient vengeance, parce que ses fautes
dans l'avenir achèveront de le perdre, parce que
Dieu l'abandonne et a décidé de le sacrifier, parce
(1) Livre de Job, p. lxxiviii Cf. Append., ii. 3, p. 318.
CINQUIÈME CONFÉRENCE 137
qu'en un mot les difficultés accumulées sur
son chemin sont insurmontables. Obsédé par ces
erreurs déprimantes, il juge inutile de réagir et il
se laisse glisser dans les précipices. Il voit les fruits
pendus aux arbres, le torrent des célestes voluptés
coule sous les yeux de sa foi, mais le démon du
désespoir Fécarte, lui défend d'approcher, lui souffle
ces mots que l'on a attribués à Luther : « Le ciel est
resplendissant d'étoiles, mais il n'est pas fait pour
nous. » Devant cet ostracisme imaginaire le déses-
péré se retire. N'estimant plus suffisants les secours
qui lui sont offerts, ni possibles les actes qu'on lui
demande, déclarant que Dieu ne peut pas ou ne veut
pas le sauver, il fuit un bonheur qu'il juge inac-
cessible et se voue lui-même à une damnation qu'il
pense inévitable (1).
II
L'homme vraiment désespéré est si malheureux,
la douleur dont il offre le spectacle est si poignante
et si dramatique, qu'on voudrait l'arracher au sen-
timent qui le torture, le ramener à une vue plus
raisonnable et plus religieuse des choses, lui rendre
la confiance dans l'avenir. On est plus frappé par
sa souffrance que par sa faute, et plus disposé
à consoler la première qu'à souligner la se-
conde. (Cependant, Messieurs, fout en ressenlant
une compassion profonde pour l'infortuné que le
(1) Append., n i, p. 318.
138 l'espérance
démon du désespoir entraîne, je suis obligé de
vous montrer sa culpabilité afin de vous instruire, et
aussi afin de vous garder, autant que le peut la
parole humaine, contre une déiaillance inexcusable
dans un chrétien.
Je ne parlerai point ici du désespoir des incré-
dules qui n'est pas nécessairement un péché. Si
celui qui nie Dieu et la félicité est responsable de
son incrédulité, ilestresponsable, au même degré, de
son désespoir. S'il est au contraire de bonne foi et s'il
a tout tenté pour connaître la vérité sans y réussir,
on n'a pas le droit de l'accuser, et, en priant le
Sauveur de l'éclairer, il faut le juger d'après les
principes que j'exposais Tan dernier dans la ques-
tion de rinfidélité négative.
11 en est autrement du Chrétien qui désespère : il
est coupable, et si son acte est pleinement conscient
et pleinement délibéré, il pèche gravement contre
lui-même et contre Dieu.
Il pèche contre lui-même en se nuisant au plus
haut degré, et en s'appuyant pour se nuire sur des
raisons qui ne lui sont fournies que par la lâcheté.
Nous sommes tenus de nous aimer, et en consé-
quence de nous vouloir du bien, de pourvoir
autant qu'il dépend de nous à notre sort. Nul ne
manque à ce devoir sans olTenser l'ordre établi par
la Providence, sans lolTenser d'une manière plus
CINQUIÈME CONFÉRENCE 139
OU moins mortelle suivant l'importance des intérêts
engagés. Mais désespérer, c'est de propos délibéré se
priver soi-même du plus grand de tous les biens, du
seul bien qui compte finalement, car seul il est néces-
saire, de la béatitude; c'est par une incompréhensible
aberration se précipiter librement dans le dernier de
tous les maux, la damnation ; c'est en réalité se haïr
soi-même au point de se livrer à un suicide dont la
répercussion retentira dans les siècles des siècles,
puisque l'enfer ne laisse vivre ses habitants que
pour les offrir en pâture à une mort qui les tortu-
rera toujours sans les achever jamais. Quel est donc
l'ennemi à qui vous seriez capable de souhaiter un
pareil avenir? Si loin que vous poussiez la haine,
la rancune, l'esprit de vengeance, vous reculeriez
devant ce vœu abominable, et si vous ne reculiez
pas, je dirais que vous êtes l'être le plus dur, le
plus implacable, le plus barbare, je dirais que
Satan s'est incarné en vous, car seul Salan est assez
pervers pour travailler avec une constance inlas-
sable à la perte éternelle des âmes. Or le désespéré
n'hésite pas à se frapper des traits qu'il aurait
horreur de lancer contre ses semblables, puisque
sous l'empire de son sentiment maudit il s'éloigne
volontairement de la félicité pour s'abandonner à
un supplice sans fin. En effet : il n'y a pas de milioii,
il faut choisir entre le royaume de Dieu et l'enfer,
entre le royaume de Dieu qui est la cité de l'espé-
rance et l'enlur (jui est la pairie du désespoir.
140 i/espérance
Le crime du désespéré est d'autant plus grand que
pour raccomplir il est obligé de réprimer tous les
instincts qui nous poussent à chercher le bonheur, de
résistera la pression, je ne dis pas seulement de la
raison, je dis de la nature qui se ré voile contre sacon-
duite et qui proteste avec véhémence contre sa
décision. Touteslesvoixenluis'élèventetle supplient
de ne point rompre avec la félicité qu'elles appel-
lent, de chercher la joie suprême à travers les
obstacles, les épines, les tribulations, d'espérer contre
toute espérance, de sorte que, pour s'abandonner
à sa passion infernale, il est dans la nécessité de
se faire violence, ce qui rend sa faute plus inexcu-
sable.
Je l'entends, il dit : je ne puis pas pratiquer les
vertus que Dieu exige de ses prédestinés. Dieu
demande que l'on soit pur. et par tempérament je
suis voué au sensualisme ; Dieu veut que l'on soit
pauvre, et par un penchant plus fort que moi je
suis un être de luxe; Dieu ordonne que l'on soit
humble, et par une fatalité qui dispose de moi sou-
verainement je suis vain et orgueilleux. 11 pense se
justifier en invoquant ces prétextes, et moi je lui
demanderai s'il a usé de toutes les énergies de sa
volonté, s'il a employé tous les moyens que la reli-
gion lui offre pour triompher de ses instincts per-
vertis, si dans la lutte contre le mal il a résisté jus-
qu'au sang? Nondiim enim usquead sanguinem res-
CINQUIÈME CONFÉRENCE 141
iitistis, adversus peccatum répugnantes (1). M'affir-
mera-t-il qu'il lui est impossible de rompre cette
liaison où il perd la santé, l'honneur et la raison, de
quitter cette société sceptique, blasée, tarée où son
sentiment de la justice el delà probité s'altère, où sa
conscience s'habitue à la trahison et à la profanation ?
Ah! s'il avait mis au service du bien l'opiniâtreté
qu'il a dépensée au service du mal, à quel degré
d'héroïsme et de sainteté ne serait-il pas arrivé?
Mais il désespère parce qu'il veut atteindre le
bonheur suprême sans se condamner à l'effort
qu'il met au service de la plus vulgaire de
ses ambitions : je le surprends vis-à-vis de lui-
même et de sa destinée en un flagrant délit de
lâcheté, lâcheté qui, comme l'enseigne saint Jean
Chrysostome, se cache au fond du désespoir et le
nourrit (2), lâcheté où s'effondre l'âme qui ne sent
plus sa force parce qu'elle a cessé, par crainte du
travail, de s'en servir et de l'exercer, lâcheté qui est
un désordre parce que l'homme ne fait pas et ne veut
pas faire ce qu'il peut, ce qu'il doit faire, ce que
Dieu exige qu'il fasse pour accomplir sa destinée,
pour parvenir au bonheur. Oui, dans le repli de l'âme
désespérée, je découvre un défaut de virilité natu-
relle, un (b'faut de virilité chrétienne, un énerve-
ment de la volonté; il dépend de nous de domi-
ner cette pusillanimité qui devient mortellemenl
(1) Hébreux, xii, 4.
(2) KxUorlulio ad Theorlorum lapsum, I, 18.
142 l'espérance
coupable si nous lui laissons la faculté de nous
troubler et de nous emporter par son mouvement
de reflux loin de notre bonheur éternel.
Nuisible à l'homme, le désespoir inflige à Dieu
une grave injure.
Il inflige à Dieu une injure très grave, d'abord
parce qu'il méconnaît ou sa puissance ou sa misé-
ricorde.
Si, en eff"et, le désespéré prétend, pour justifier
ses excès, que Dieu ne peut pas le sauver, il met des
limites à la puissance infinie, il mutile la souverai-
neté de l'Être absolu : autant qu'il est en lui, il ôte
des perfections au Seigneur à qui rien ne manque,
qui possède même celles que notre esprit ne peut
imaginer. Finem iinponit virtuti Dei^ dans finam
infinito, et itnperfeclionem imponens Deo cui nihil
deest, etiam quod cogitari non potest (1).
Bien plus, il compare la faculté qu'il a de se
perdre à la faculté qu'a Dieu de le sauver, et il agit
comme si la première l'emportait sur la seconde,
comme si, par conséquent, le principe du mal était
plus fort que le principe du bien, comme si le bras
de la créature s'étendait plus loin que le bras du
Créateur. En réalité dans son esprit et à e^x juger
par sa conduite, il triomphe de Dieu et il est plus
Dieu que Dieu.
Si le désespéré, en vue d'expliquer sa faute, recon-
(1) ï)9 Vira el falsa pastùlenUa, V (intor opéra S. Augustini).
CINQUIÈME CONFÉRENCE 443
naît la toute-puissance de Dieu, mais refuse de re-
connaître sa miséricorde, s'il dit : « Dieu peut me
sauver, mais il ne le veut pas, mes péchés sont trop
graves pour que j'obtienne mon pardon », il attribue
à sa perversité plus de vertu qu'à l'éternelle bonté.
Suam nequitiam comparât benignitati Dei (1). Il
refuse de confesser que la malice de l'homme, à
quelque degré qu'on la pousse, est infiniment moins
étendue que la clémence divine, que les feux les
plus ardents 'de la passion déréglée s'éteignent
dans l'océan sans rivage de la miséricorde divine,
comme une étincelle dans la mer. Cogita milii scin-
tillam in pelagus cadentem, dit saint Chrysostome,
num potest illa stare aut apparerc (2)? Celui qui
désespère abaisse donc Dieu au point de penser
que l'homme peut plus par son péché que Dieu ne
peut par sa clémence et que, dans la lutte engagée
entre le bien et le mal, la victoire se prononcera
pour le mal. Erreur monstrueuse de i'esprit, qui
acceptée comme règle de nos œuvres deviendra un
crime dans la volonté; car ce qui dans l'intelligence
est vérité ou fausseté devient dans le cœur bonté
ou méchanceté : Quod est in inlellecta ver uni et-
(alsuiit, est in appctiln boniun et nialuni (3); les
actes sont louables par leur accord avec la concep-
tion exacte des choses, et désordonnés par leur con-
formité avec le mensonge.
(1) De vera et falsa pœnilenlia, V (int^ropcra 8. AuRU»lini),
(2) De Pœnitenlia, homilia VIII. 1.
(3) S. Thomas, II» II*, q. xx, art. l,
144 l'espérance
En tout cas, le désespéré accuse Dieu implicite-
ment ou d'erreur ou de mensonge. Dieu, en effet,
nous a affirmé qu'il pouvait et qu'il voulait nous
sauver, si bas que nous fussions tombés. S'il s'est
trompé, s'il nous a trompés, il ne mérite pas le nom
que nous lui donnons, car l'idée de science absolue,
de sincérité indéfectible est inséparable de l'idée de
divinité.
Faut-il l'ajouter, le Dieu imaginé par le désespéré
n'a rien de commun avec le Dieu qui s'est mani-
festé dans l'histoire. En lui prêtant la volonté de
nous damner, ou, ce qui pratiquement est la même
chose, le dessein d'exiger de nous des vertus et des
actes au-dessus de nos forces même soutenues par
la grâce, le désespéré calomnie Dieu et le blesse au
point le plus sensible: son infinie bonté. Recon-
naissez-vous, dans le juge implacable que nous
peint ce malheureux, le Dieu qui se déclare prompt
à pardonner et qui de fait pardonne à Adam, à David,
à la Samaritaine, à l'enfant prodigue, à la femme
adultère, à Madeleine, au bon larron et qui était
tout disposé à pardonner à Gain et à Judas ? Quand
le désespéré chante sur les cordes irritées de sa lyre :
Me voilà dans les mains d'un Dieu plus redoutable
Que ne sont à la fois tous les maux d'ici- bas,
Me voilà seul, errant, fragile et misérable,
Sous les yeux d'un témoin qui ne me quitte pas,
CINQUIEME CONFÉRENCE 14j
Il m'observe, il me suit, si mon c(p;n bat trop vite,
J'offense sa grandeur et sa Divinité.
Un gouffre est sous mes pas, si je m'y précipite.
Pour expier une heure il faut l'éternité,
Mon juge est un bourreau qui trompe sa victime,
Pour moi tout devient piège et tout change de nom,
il outrage indignement celui qui a voulu s'appeler
le Père céleste, celui qui se contente d'un cri, d'une
larme, d'un geste pour presser sur son cœur le plus
ingrat de ses enfants.
Faut-il l'ajouter encore, l'injure jetée à la face
du Père céleste rejaillit jusqu'au Christ. En décla-
rant que le salut lui est inaccessible, le désespéré
se plaint implicitement que Jésus n'a pas suffi à
sa tâche de Rédempteur, que la victime adorable du
Prétoire et du Calvaire n'a pas versé assez de sueurs,
assez de sang, qu'elle n'a pas enduré assez d'op-
probres, que son agonie n'a pas été assez longue, ni
sa meut assez cruelle pour ouvrir largement à la
race maudite les voies du salut et les portes du ciel.
Il me semble, a travers les cris du désespoir,
entendre les échos des blasphèmes que les Juifs
adressaient au Crucifié : « Allons sauve-toi et sauve-
nous. 11 a dit qu'il sauverait les autres, et il ne peut
se sauver lui-même.» lilasplièmes abominables qui
durent blesser au vif le cœur du Dieu qui s'incarna
pour nous assurer tous les moyens de parvenir i\ la
béatitude, et qui nous les assura en effet par sa mort.
l'espérance. — iO.
146 l'espérance
Le désespéré inflige une injure à Dieu, il con-
somme sa rupture avec lui. Tout péché nous dé-
tourne de Dieu et c'est là ce qui fait sa gravité.
Mais parfois cette aversion n'est qu'indirectement
consentie, et parfois elle est immédiatement voulue.
Ainsi tantôt nous brisons avec nos amis parce que
nous prenons des attitudes incompatibles avec les
exigences du sentiment qui nous unit à eux, tantôt
nous rompons par une décision formelle les liens
qui nous attachaient à leur personne. 11 est évident
que le premier procédé, si tristement efficace qu'il
soit, l'est moins que le second, et que le second nous
sépare beaucoup plus profondément, beaucoup plus
irrémédiablement de ceux qui nous étaient chers.
Quelque chose d'analogue se passe dans nos rapports
avec Dieu. Il est des désordres qui ne nous éloignent
de lui que par contre-coup; Tavarice porte directe-
ment sur l'argent, la débauche sur les plaisirs sen-
suels, c'est en se consacrant à l'argent et à la jouis-
sance que l'avare et le voluptueux ravissent à Dieu
le culte de préférence qu'ils lui doivent. Ce qui
domine en eux, c'est l'amour excessif de biens misé-
rables, ce n'est pas la volonté de rompre avec Dieu.
Cette rupture n'est qu'une conséquence, ils la
subissent, serais-je tenté de dire, sans l'avoir cher-
chée. Il est d'autres excès, au contraire, oii par une
volonté immédiate l'homme brise avec Dieu, creuse
par une décisijon formelle un abîme entre Dieu et
lui. Ainsi se comporte le désespéré. Il se dresse en
CINQUIÈME CONFÉRENCE 147
face de son Créateur et il lui dit : u Je renonce à
vous voir, à vous posséder, à vous aimer, j'en ai
pris mon parti, je vivrai loin de vous, que notre sé-
paration soit éternelle. » En vain Dieu le rappelle,
multiplie les avances et les invitations, lui offre
secours et protection pour l'arracher à son senti-
ment amer, essaie de renouveler le pacte sacré qui
les unissait et qui devait être le prélude de l'alliance
indissoluble de l'autre vie, le malheureux se dérobe
à toutes les instances intérieures de l'Esprit, détourne
son regard et son cœur de celui qui s'o'bstine à vou-
loir le sauver. Plus tard ne pouvant supporter le vide
immense de son cœur, ni vivre dans la solitude
effroyable oii il s'est jeté, il demandera aux créa-
tures de tromper sa douleur et son inexorable ennui,
mais pour le moment tous ses efforts tendent à
rendre infranchissable le mur que son désespoir a
élevé entre lui et son Dieu. C'est ce qui donne à son
emportement un caractère si coupable, car plus une
faute nous détourne directement et positivement de
Dieu, plus elle est grave. Illiid quod prias et per
se hahct aversioncm a Deo, est gravissimum pecca-
tum inter peccata mortalia (1).
Permettez-moi, Messieurs, avutermede ce discours
de vous adresser une prière. Si hésitants et si
impuissants que vous vous sentiez en face de
votri^ devoir, si navrante que soiL l'expérience que
(1) II" II», q. XX, ait. 3. Cf. Appcml., n. 5, p. il9.
148 l'espérance
vous avez faite de votre fragilité, si tyranniques
que soient vos passions et vos habitudes, si nom-
breux et si impudents qu'aient été vos pécliés, si
cruelles qu'aient été vos épreuves, n'écoutez jamais
le démon du désespoir. Quand même vous sefiez
arrivés à la mort sans avoir réparé les fautes
d'une longue existence, quand même vous auriez
repoussé jusqu'à la fin toutes les grâces et tous les
secours, je vous dirais encore : mettez dans votre
dernier souffle et dans votre dernier battement de
cœur un sentiment de confiance dans l'infinie bonté
du Père céleste et demandez-lui par un suprême élan
d'avoir pitié de vous et de vous sauver (1).
Et si vous aviez succombé à la tentation du déses-
poir, si vous aviez glissé dans cette défiance et dans
ces découragements qui ressemblent au vice dont je
viens de parler, réagissez contre cet état et revenez
à une conception plus raisonnable des choses. Aussi
longtemps que nous sommes en ce monde, nous
pouvons passer de l'incrédulité à la foi, de la haine
à l'amour, du désespoir à l'espérance; lorsque nous
voudrons effectuer ce retour. Dieu ne nous man-
quera pas, il saura proportionner sa grâce à nos
besoins et à nos misères, nous accorder un pardon
aussi large quil faudra pour effacer nos fautes, il
mettra à notre disposition la toute-puissance auxi-
liatrice qui relève les âmes les plus avilies et les
exalte jusqu'à la possession de sa gloire
(1) Append., n. 6, p. 319.
CINQUIÈME CONFÉRENCE 149
Après la mort il serait trop tard : guérissable en
cette vie, le désespoir ne l'est plus dans l'autre; il
est une part de la peine infligée aux damnés et il
ajoute à leurs supplices une intolérable douleur.
Fuyez-le donc par tous les moyens, arrachez-vous à
la faute qu'il entraîne ici-bas, afin d'échapper aux
intarissables larmes qu'il fait verser dans Téfcrnité.
SIXIÈME CONFÉRENCE
LÀ PRESOMPTION
SOMMAIRE
La voie droite est tracée entre des écucils, l'espérance cô-
toie deux abîmes : le désespoir et la présoiiiplion.
La présomption sous ses diverses formes blesse l'espé-
rance et offense gravement Dieu. p. 1S7-158.
I
La présomption heurte moins manifestement et moins vio-
lemment l'espérance que ne le fait le désespoir. Elle la
heurte cependant. On peut la déiinir : un mouvement désor-
donné de la volonté par lequel l'homme a la prétention d'at-
teindre un but qui dépasse ses forces, p. 158-159.
Elle se présente sous deux formes principales.
1. — Sous sa première forme, elle nous pousse à vouloir
saisir la béatitude en nous appuyant uniquement sur les
énergies de la nature. C'est la présomption des anges déchus,
d'Eve, des Pélagicns, etc. Elle est contraire d'abord à la
magnanimité, elle est contraire aussi à l'espérance à
laiiueile elle enlève son véritable appui, p. L'iO-lOl.
2. — La seconde forme de la présomption est plus grave,
plus dangereuse, plus directement hostile à l'espérance: c'est
la présomption des Luthériens qui se flattent d'obtenir le
pardon sans se repentir et le ciel sans l'avoir mérité. G est
aussi la présompliou de beaucoup de Chrétiens. Développe
ment de cette pensée, p. lôllGi.
Cetlc présomption blesse l'espérance, vertu théologale, (pii
en cherchant le bonheur doit se conformer aux lois dictées
|)ar Dieu. Ces lois exigent a) (jue sous rintluence de sa
grâce nous nous repentions pour obtenir le pardon, alors
que le présomptueux compte sur le pardon sans pleurer ses
fautes, p. 10» 1G5.
h) Que nous m(';riti(ins le bonheur par nos bonnes (euvres,
alors (jue le présomptueux se croit sur du bonheur en s'abs-
1 o4 l'espérance
tenant des bonnes œuvres et en s éternisant dans le mal,
p. 165-166.
c) Que nous considérions la béatitude comme un but d'ac-
quisition diflicile, alors que le présomptueux pense arriver
au ciel sans eiïort, p. 163.
d) Que nous mêlions la crainte à l'espérance, alors que le
présomptueux se jette dans tous les hasards avec une COQ-
liance qui n'a d'égale que sa fausse sécurité, p. 166-167.
11
Le présomptueux offense Dieu.
1. — Lorsqu'il s'appuie sur ses seules forces pour arriver
à la béatitude, il empiète sur les droits de Dieu, Dieu s'est
réservé le soin de conduire ses créatures à leur fin, comme
il s'est réservé le soin de leur donner un comaiencement; nul
ne tentera de lui enlever ce privilège sans essayer de lui ra-
vir sa qualité d'agent suprême. Jaloux de cette royauté Dieu
se vengera en abandonnant à leurs seules ressources les
êtres dont l'insolence n'est dépassée que par leur faiblesse.
Echecs lamentables de ces êtres présomptueux, p. 167-169.
2. — Lorsqu'il tombe dans la seconde présomption,
l'homme offense Dieu.
a) Eu diminuant sa puissance. Comment la puissance de
Dieu, manifestée par l'ordre qu'il suit, est mutilée par l'ordre
que le présomptueux veut imposer aux choses. Comment la
puissance de Dieu est plus éclatante lorsque Dieu nous com-
munique le pouvoir et le devoir de coopérer à son œuvre,
p. 169-172.
6) En dénaturant sa bonté, en abusant de sa miséricorde.
Le présomptueux s'imagine que Dieu est tellement bon qu'il
est insensible au mal. Il ne rétléchit pas que Dieu, parce qu'il
est essentiellement bon, est essenliellement ennemi du mal;
(pi'il lu^ pourrait pas pardonner à qui ne se repent pas sans
pactiser avec le mal et sans tomber dans la faiblesse ((ul est
une bonté déliquescente et dégénérée; que plus un être est
bon, plus on est coupable d'abuser de sa bonté, pour l'ofïenser.
p. 172-174.
c) Le présomptueux est en opposition violente avec Jésus-
Christ. Contraste entre le labeur du Christ qui sauve le
monde par un sacrifice sanglant et la prétention du présom]i-
tueux ([ui veut se sauver sans effort et sans peine, p. 17 't.
SIXIKME CONFÉRENCE 155
d) Combien la justice de Dieu souffrirait si le présomptueux
avait le droit de triompher, p. 174 177.
La doctrine de l'espérance nous oblige à marcher entre
deux extrêmes. Sagesse de celte doctrine qui sauvegarde en
même temps les droits de Dieu et la dignité de l'iiomme,
p. 177-179.
SIXIÈME CONFÉRENCE
LÀ PRESOMPTION
Emiinentissime Seigneur (1),
Messieurs,
La voie droite est tracée entre des écueils, et
riiomine est ainsi fuit qu'il s'aventure facilement
et successivement dans des extrémités opposées,
qu'il a du mal à ne point se jeter de Charybde en
Scylla. « Le malade, dit Bossuet, pressé de la fièvre,
désespère de sa guérison : le même étant rétabli
s'imagine qu'il est immortel. Dans les horreurs de
l'orage, le nautonnier effrayé dit un adieu éternel
aux flots; mais aussitôt que la mer est un peu
calme il se rembarque sans crainte, comme s'il
avait les vents dans sa main, (^et liommc qui s'est
pensé perdre dans une intrigue dangereuse renon-
(;ait de tout son cœur à la cour; et à peine s'csi-il
(i) s. E, Mgr le cardinal Amette, archevêque de Paris.
158 l'espérance
démêlé qu'il se rengage de nouveau comme s'il
avait essuyé toute la colère de la fortune (i). »
Nous assistons trop souvent à un spectacle sem-
blable dans l'ordre moral. Nous péchons tour à
tour par scepticisme ou par crédulité, nous tom-
bons de la langueur sentimentale dans la dureté,
d'une défiance dé aisonnable dans une sécurité
trompeuse. L'espérance côtoie deux abîmes : le
désespoir et la présomption, le désespoir qui déclare
le salut impossible, la présomption qui le déclare
très facile; le désespoir qui exagère la gravité du
mal au point de le croire ineffaçable, la présomp-
tion qui l'estime léger au point de le juger sans
portée; le désespoir qui ne voit en Dieu qu'une
justice inflexible, incapable de pardonner, la pré-
somption qui ne voit en lui qu'une bonté inépui-
sable et incapable de punir. Je vous ai mis en
garde contre le premier désordre, aujourd'diui
j'essaierai de vous prémunir contre le second.
J'aurai, si je ne me trompe, réalisé mon dessein
apostolique, quand je vous aurai montré premiè-
rement que la présomption sous ses diverses formes
blesse l'espérance, secondement qu'elle offense gra-
vement Dieu.
î
Le désespéré pèche ,par défaut, le iprésomptueux
pèche par excès. La présomption heurte moins
'1) Sermon sur la pvnilence. Cf. Append., n. \. p. 320.
SIXIÈME CONFÉRENCE 159
manifestement et moins violemment l'espérance
que ne le fait le désespoir. Elle est de ces vices
semblables en apparence et par plusieurs côtés à
la vertu qu'ils froissent parce qu'ils en sont l'exa-
gération. Ainsi, tandis que la témérité contrarie
ouvertement la prudence, l'astuce n'en est, au pre-
mier abord, que la dernière perfection; tandis que
le sensualisme déclare la guerre à la tempérance,
on dirait que l'insensibilité s'accorde avec elle; et
tandis que la force lutte contre la lâcheté, on serait
tenté de croire qu'elle s'entend avec la plus folle
audace. De même, s'il est facile de constater l'anla-
l^onisme aigu de l'espérance et du désespoir, il esi.
plus malaisé de saisir en quoi l'espérance est blessée
par la présomption qui en est, dirait-on, la con-
sommation. Elle est blessée cependant. Messieurs,
et elle l'est à des degrés divers, par toutes les formes
de ce péché.
D'une manière générale, on peut définir la pré-
somption un mouvement désordonné de la volonté
par lequel l'homme a la prétention d'atteindre un
but qui dépasse ses forces.
Dans la question qui nousoccupe,la présoin[)li()n
se présente sous deux formes principales. Sous sa
première forme, elle nous pousse à vouloir saisir la
béatitude en nous appuyant uniquement sur les
énergies de la nature. C'est la présomption des
100 L'nsPF^n.vNCE
angos dccidi's h ne devoir qu'à eux-mêmes et à
leurs œuvres leur suprême félicité; c'est la pré-
somption d'I']ve résolue à demander sa perfection à
sa seule initiative personnelle ; c'est la présomption
des Pélagiens épris de leur puissance et ne comp-
tant que sur elle pour arriver à leur fin dernière;
c'est la présomption des rationalistes de toutes sor-
tes qui, jaloux de leur autonomie, rougiraient d'em-
prunter à Dieu les moyens de réaliser leur destinée;
c'est la présomption du modernisme radical qui
cherche dans les profondeurs de la conscience ou de
la subconscience le principe de notre transfigura-
tion et qui considère la félicité comme le terme
normal de l'évolution universelle; c'est enfin la
présomption des chrétiens qui, trop sûrs d'eux-
mêmes, pratiquement se fient plus à leur génie qu'à
la lumière d'en haut pour connaître le vrai, ne
savent point douter de leur cœur, ni craindre leur
propre faiblesse; qui se regardent comme les maî-
tres absolus de leurs actes, de leur avenir; qui se
persuadent que par leurs efforts ils triompheront de
tous les obstacles et qu'ils devront à la trempe
vigoureuse de leur tempérament leur bonheur et
leur gloire.
Cette présomption est contraire dabord à la ma-
gnanimité qui perdrait sa qualité de vertu si elle ne
mesurait la grandeur de ses desseins aux moyens
dont elle dispose pour les accomplir. Mais je pense
qu'elle est contraire aussi à l'espérance à laquelle
SIXIÈME CONFÉRENCE 161
elle enlève, si on y réiléchit, son appui. Elle lui
enlève son appui, car c'est parle secours de Dieu et
par Dieu même que l'espérance veut arriver à la
béatitude, et c'est par TefTort naturel et humain que
le présomptueux dont je parle veut atteindre sa fin
dernière. Il se substitue donc à Dieu, il s'attribue
un pouvoir qu'il n'a pas; par une erreur funeste, il
aspire à jouer dans l'aiTaire de son salut le rôle de
cause première qui ne convient qu'à Dieu, il refuse
de jouer le rôle de cause seconde le seul qui lui
convienne : il ùte du même coup à l'espérance la
force seule capable de nous soulever jusqu'au ciel.
Posset etiam dicl, écrit un grand théologien, quod
hœc prœsuniptio opponaiur spei (heologicœ, in
quanliun non exspectat hcatitiidinem eo modo qiio
débet exspectari (1\
La seconde forme de la présomption est plus
grave, plus dangereuse, plus directement hostile
à l'espérance, c'est la présomption des Luthériens.
Les Luthériens se flattaient d'obtenir le pardon
sans passer par le repentir, d'arriver au ciel sans
l'avoir mérité. Je vous ai parlé plus d'une fois du
principe qui dans la Réforme autorise cette attitude.
Pour la Hélornie l'humanité se partage en deux
classes : les prédestinés, les réprouvés. Les préiles-
tinés se plongeront en vain dans tous les vices, la
(1) BiLi.UAnr. De lilih spei oppositis. § II. CI'. .\]i|icn(l.,n. 2, p. 320.
l'espérance. — 11.
162 l'espérance
puissance qui, avant le temps, les a marqués du signe
des élus les sauvera, quoi qu'ils fassent; les ré-
prouvés se consacreront en vain à la pratique des plus
hautes vertus, ils seront éternellement repoussés par
Celui qui les a frappés d'une sentence irrévocable
et préméditée. Il résulte que les œuvres et le con-
cours de l'homme ne comptent pour rien dans l'af-
faire du salut, qu'on peut espérer la béatitude en se
présentant à Dieu les mains vides ou même souil-
lées de tous les crimes pourvu qu'on ait été rangé
parmi les prédestinés; qu'on doit se résigner à la
damnation, eût-on les mains pleines et une vie
intègre, si l'on a son nom écrit parmi les réprouvés.
Sans serallieràces idées brutales, bien deschrétiens
tombent dans cette présomption. Ils se persuadent
qu'en dernier ressort, Dieu ne damnera personne,
qu'il n'exigera point de créatures faibles comme nous
des vertus difficiles à pratiquer, qu'il se contentera
de ce que nous aurons fait. Ils ne veulent pas com-
prendre qu'un être si grand et si bon consente à
frapper l'homme, à exercer sa puissance contre un
vase d'argile, à se montrer offensé, comme dit
Bossuet, « de ce que fait un néant, à s'élever contre
un néant » (1). Oubliant volontairement les droits
de la justice, ils soutiennent qu'on ne saurait
épuiser une miséricorde inépuisable, lasser une
patience infinie, limiter une bonté sans borne. Cette
(1) Bossuet. Sermon sur la Pénilence.
SIXIÈME CONFÉRENCE 163
présomption s'affirme sous les formules les plus
diverses : « Que peuvent sur Dieu nos actes, disent
les uns, lui ravissons-nous en péchant quelque chose
d'une gloire qu'il trouve en lui-même? Nos vertus
ajoutent-elles un degré à sa vision ou à sa joie?
Que nous versions à droite ou à gauche, sera-t-il
moins grand ou moins heureux? Supposer que nos
fautes le blessent, excitent sa colère, provoquent sa
vengeance, n'est-ce pas lui prêter des sentiments
indignes de lui, des passions mesquines qui ne
conviennent qu'à nous? Ne manifestera-t-il pas
mieux sa perfection transcendante, disent les autres,
en noyant dans son indulgence nos défauts et nos
misères, en fermant les yeux sur les erreurs de
notre esprit, sur les oublis de nos sens, sur les
faiblesses de notre volonté, et môme sur des crimes
révoltants selon nous, excusables selon lui ? Com-
ment reprennent ceux-ci, vouerait-il à un éternel
malheur une créature à laquelle il a donné un désir
si ardent de la béatitude, comment assisterait-il
impassible à son supplice? Gomment, ajoutent ceux-
là, Dieu se refuserait-il la joie de couronner des
âmes qui lui sont chères, de partager avec elles sa
gloire et en la partageant de la répandre en quelque
manière et de la dilater? »
Forts de ces raisons qu'ils afîeclcnt de croire sans
réplique, les présomptueux espèrent obtenir le par-
don de leurs fautes, môme s'ils attcntlenl, pour
changer leur vie, qu'une circonstance vienne briser
1G4 l'espérance
les chaînes qu'ils n'ont pas le courage de briser
eux-mêmes, ou que le feu des passions se soit éteint
dans leur cœur, ou que leur fortune soit faite, ou
que leur ambition soit comblée, ou que l'heure de la
vieillesse sonne. Ils espèrent entrer au ciel même si,
s'étant habitués à pécher sans crainte, ils ont appris
à pécher sans mesure, même si, ayant raillé volon-
tairement la justice, la pudeur, la religion, la cha-
rité, ils ont demandé au temps tout ce qu'il peut
donner de jouissance et d'ivresse, et affiché à
l'égard de l'éternité toutes les indifférences et tous
les mépris.
Le présomptueux, en se comportant de cette
façon, heurte l'espérance théologale. Il la heurte
parce que Dieu ne nous a pas seulement or-
donné d'espérer, il nous a ordonné d"esi)érer
en nous conformant aux lois qu'il a dictées.
Aucune faculté n'atteint son objet si elle ne se soumet
à la discipline qui doit en régler l'exercice. Or la Pro-
vidence nous commande d'attendre avec confiance
la béatitude en prenant les moyens qu'elle nous
offre pour y parvenir. Parmi ces moyens, qu'il
s'agisse de repentir ou de mérite, la grâce joue le
premier rôle, mais s'il est vrai que Fans la grâce
nous ne puissions pas nous repentir comme il
convient, il n'est pas moins vrai que nous n'abou-
tirons à rien, si nous ne coopérons pas à l'action de
la grâce. C'est nous qui sous la motion de Dieu
sommes tenus de changer notre cœur, de retourner
SIXIÈME CONFÉRENCE 165
notre conscience, de rompre avec le mal. Espérer
le pardon sans passer par les larmes, par des regrets
sincères, par les sentiments d'une contrilion inté-
rieure et réelle, c'est espérer en vain, car c'est vou-
loir que Dieu unisse dans une âme deux éléments qui
s'excluent. Or c'est précisément ce que prétend le
présomptueux, car il compte que le pardon lui sera
accordé, même s'il n'efface pas ses fautes par un
retour sérieux et délibéré.
La Providence nous prescrit d'espérer la béati-
tude, d'avoir confiance que Dieu par bonté nous en
assurera la possession, mais elle demande que
nous la méritions par nos bonnes œuvres, que nous
devenions, par notre docilité aux directions et aux
impulsions d'En-haut, les artisans de notre destinée.
Dieu ne nous traite pas comme des êtres sans li-
berté, qui ne jouent qu'un rôle passif dans l'affaire
de leur salut, il nous traite comme des êtres maîtres
d'eux-mêmes, disposant de leur activité, ayant la
faculté de faire le bien ou lo mal, d'obéir ou de
résister h ses instances, ayant par suite la faculté
de mériter ou de démériter, d'aller à la vie ou à la
mort éternelles. En conséquence, espérer que Dieu
nous sauvera sans notre concours, c'est se tromper
gravement et enlever à la seconde vertu théologale
toutes ses chances de succès. (ï'est cependant ce que
fait le présomptueux, quand s'alfranchissant de tous
les préceptes, quand s'abslenantde toutes les bonnes
œuvres et s'étei'iiisaul dans le uuil, il se persuade
1 6G l'espérance
que Dieu, en tout état de cause, lui ouvrira le ciel et
que cette attente téméraire ne sera pas trompée.
La Providence a placé aussi haut que possible
notre bonheur : nous devons en conclure qu'il est
difficile d'atteindre un but si loin de nous par son
éminence surnaturelle, de l'atteindre à travers des
chemins rudes, étroits, encombrés d'obstacles. C'est
pourquoi l'espérance, disions-nous, met l'àme dans
un état de tension, imprime à l'être tout entier
un essor, emporte avec elle quelque chose d'éner-
gique, de militant, d'agressif .qui s'en prend aux
difficultés, qui lutte avec courage contre ce qui
s'oppose à ses ambitions. Le présomptueux ra-
baisse la béatitude au point de la considérer
comme d'acquisition facile, il s'imagine que les
sentiers du ciel sont larges, aisés> qu'on arrive au
but par la force des choses, sans y penser, sans*
s'en préoccuper, sans s'imposer aucun sacrifice, que
s'il faut travailler pour réussir dans le moindre
projet, on obtient le plus grand et le plus sublime
de tous les biens en ne faisant rien pour l'obtenir. Du
môme coup il enlève à l'espérance sa vigueur, son
élan. En lui, ce n'est plus qu'un sentiment mou, pa-
resseux, relâché, rebelle à l'effort, un sentiment atro-
phié, un sentiment mutilé qui a perdu ses ailes, qui
garde à peine quelque chose de la vertu généreuse,
entreprenante déposée par Dieu dans notre cœur (I).
Enfin, Messieurs, dans l'âme chrétienne, la crainte
(1) Appmi.l., n. 3, p. 321.
SIXIEME CONFÉHENCR 107
en se mêlant à l'espérance assure à celle-ci une
altitude prudente. Certaine du côté de Dieu, incer-
taine du côté de l'homme, l'espérance nous inspire
la défiance de nous-mêmes. A sa voix nous nous
tenons sur nos gardes, surveillant notre conscience,
évitant le péril, fuyant les occasions de mal faire,
tremblant d'être surpris par la mort. Au contraire, le
présomplueux bannit la crainte de sa vie : emporté
pnr une folle confiance, il se jette dans tous les
hasards, il s'expose à tous les dangers, il néglige de
penser à la mort comme s'il devait toujours vivre ou
du moins comme si Dieu était obligé de lui révéler
1 heure de sa venue, et il attend la grâce et la gloire
avec une assurance qui n'a d'égale que sa fausse
sécurité. C'est ainsi qu'il blesse encore l'espérance,
en lui ôtant celte note de sagesse qu'on trouve au
fond de toute vertu.
Il
lin blessant l'espérance, le présomptueux offense
Dieu.
Lorsqu'il s'appuie sur lui-même et sur ses pro-
pres forces pour faire son salut, il se substitue ù
Dieu dont, par une prétention sacrilège, il usurpe
le rôle. Dieu, eu effet, s'est réservé le soin de don-
ner un commencement ;\ ses créatures et de les con-
duire à leur fin, d'êlie l'alpha et l'oiiiéga de son
168 l'espérance
œuvre. C'est vin privilège qu'il ne cède à personne,
que personne ne lui enlèvera, ne tentera de lui
enlever sans essayer de le détrôner, de lui ravir sa
qualité d'agent suprême et d'Etre souverain. 11 est
jaloux de celte royauté transcendante, incommuni-
cable, qu'il ne partage pas, qu'il ne peut pas parta-
ger avec un autre. Il permettra aux auges, aux
hommes, aux choses de servir ses desseins comme
instruments et comme ministres, il brisera qui-
conque aura la prétention d'être son égal et de
remplir l'office de cause première. Il entend que
nous dépendions de lui jusque dans les dernières
fibres de notre substance, jusque dans les ressorts
les plus délicats de notre activité. 11 s'irrite contre
ceux qui, sous prétexte d'autonomie, veulent se passer
de lui, vivre pleinement, connaître toute vérité,
pratiquer toute vertu, parvenir à la félicité sans
recourir à lui, sans s'appuyer sur lui. 11 s'irrite et
il se venge en abandonnant à leurs seules ressources
les êtres dont l'insolence n'est dépassée que par leur
faiblesse. Nous avons assisté à la faillite de cette
science impatiente de franchir les limites de son
domaine et qui n'a réussi qu'à se perdre dans les
ténèbres, nous avons assisté aux échecs de ces
volontés sûres d'elles-mêmes et qui ont fini par
pactiser avec des vices dont le monde s'est scan-
dalisé, nous avons vu les résultats obtenus par
l'homme qui croyait s'être emparé du sceptre de
Dieu, nous l'avons entendu crier sur un ton do
SIXIÈME CONFÉRENCE 169
désespoir : « Au terme de mes recherches, je n'ai
trouvé que la souffrance »; lui qui s'était tant vanlé
de saisir le bonheur, en refusant l'aide du ciel. A la
grandeur du châtiment dont Dieu frappe ces pré-
somptueux, jugez de la gravité de l'injure que ces
présomptueux ont indigée à Dieu.
Lorsque la présomption, dont nous avons dit
qu'elle est plus spécialement contraire à l'espérance,
s'appuie sur la bonté infinie pour motiver ses into-
lérables ambitions, elle offense Dieu en diminuant
sa puissance, en abusant de sa miséricorde, en
supprimant sa justice.
Elle oITense Dieu en diminuant sa puissance, le
mot est de saint Thomas : Qiiod enini aliquis
innitatur divinoi virluti ad consequendum id quod
Deo non convenit, hoc est diminucre virtiitem di-
vinam (1). Au premier abord, il semble que
l'on honore bien plus Dieu en lui attribuant
le pouvoir do pardonner à qui ne se repent pas,
de couronner qui ne le mérite pas, de sup-
pléer en un mot à toutes les infirmités et de
faire à lui seul ce ([u'aurait fait l'alliance d'un
pouvoir lini et d'un pouvoir infini. C'est une illu-
sion. Premièrement, en ell'et, la puissance de Dieu
ne se manifeste pas seulement dans ce qu'il fait,
elle se manifeste encore dans l'ordre qu'il suit [ our
(1) II-' II'", ij. ixi, arl. 1.
170 l'espérance
réaliser ses desseins; elle n'apparaît pas seulement
dans la fin qu'il cherche, elle apparaît encore dans
les moyens qu'il prend pour l'atteindre. Sans doute,
il dépendait de lui de créer et de glorifier par un
seul acte ses créatures, de les introduire dans la
béatitude en les appelant à la vie, de donner d'un
coup à son œuvre l'existence et la perfection. Mais
il s'est montré plus grand en éveillant à l'être un
premier monde qu'il a déjà revêtu d'une éclatante
beauté, en le gouvernant comme il l'entend, en le
conduisant par les voies de son choix au terme pré-
destiné. Entre l'heure oi^i ce monde est sorti de ses
mains et l'heure où il reviendra à lui, Dieu a ré-
pandu une immense vie qui nous parle sur un ton
enthousiaste de la source inépuisable d'où elle ne
cesse de couler. Dans la sphère des choses morales
sa puissance s'étend à la gloire, elle s'étend aussi
à la grâce, aux secours sans nombre qui nous sont
prodigués, aux mérites, de sorte que faire porter son
espoir uniquement sur la gloire, comme c'est le cas
du présomptueux, c'est attendre de Dieu beaucoup
moins qu'il ne peut faire et qu'il ne veut faire, et
c'est, autant qu'on en est capable, arrêter l'explosion
de puissance qui se montre dans les œuvres mer-
veilleuses et innombrables dont son action est le
principe. Si la gloire nous enveloppait dans notre
berceau, ou si nous y parvenions sans passer par les
vertus qui nous y donnent droit, nous n'aurions pas
sous les yeux le speclacle magnifique que nous
SIXIÈME CONFÉRENCE Hl
olVreiit les hommes épris du bien quand ils exercent
ces actes généreux et héroïques, quand ils fondent
ces institutions dont le monde vit et s'émeut, quand
ils luttent avec une constance indomptable et victo-
rieuse contre le mensonge et contre le mal, actes,
institutions, luttes où Ton voit s'affirmer avec un si
vif éclat la force de Dieu.
Secondement, d'après le présomptueux, Dieu
serait le seul agent dans la réalisation d'une félicité
que nous recevrions sans avoir rien fait pour
l'obtenir. Dans l'espérance bien comprise, au con-
traire, la créature s'unit à son Créateur, travaille
de concert avec lui, et, à sa manière, elle conquiert
son bonheur. Mais si elle collabore efficacement à
son salut, qui est d'ordre entièrement surnaturel,
c'est donc que Dieu lui a communiqué une part de
son pouvoir. Or celui qui communique son pouvoir
à d'autres et leur permet d'en user avec fruit, ne
fait-il pas preuve d'une plus parfaite souveraineté?
Celui, au contraire, qui n'associe personne à son
action tout en le pouvant, ne nous cache-t-il pas une
partie de sa vertu; s'il ne le peut pas, n'accuse-l-il
pas une infirmité? Un capitaine qui entraîne dans sa
campagne des troupes sans nombre, qui allume dans
le cœur de tous le feu de son patriotisme et de sa
vailhmce, qui fait jouera ciiacun un rôle actif et
utile, qui partage avec le moindre de ses soldats les
honneurs de la victoire, ne s'élèvc-l-il pas au-
dessus de celui qui d'un coup d'épée heureux décide
172 l'espérance
du combat? Sans cloute le résultat final est le môme,
cependant le premier a prouvé plus de génie en
communiquant à tous son ardeur, sans personnelle-
ment en rien perdre. De même Dieu, en infusant
dans toutes ses créatures quelque chose de sa sur-
naturelle énergie et en obtenant leur concours,
montre mieux qu'il est absolument maître des
choses. De sorte que la présomption, en essayant de
borner l'action de Dieu à l'effusion de sa gloire, tend
en réalité à rétrécir la puissance qu'elle paraît
exagérer. Hoc est diininueie vii'tute/ii (livinam[\).
La présomption dénature la bonté de Dieu. Elle
suppose cette bonté telle que Dieu est indifférent au
mal et insensible à l'outrage, telle que sans tenir
aucun compte de notre conduite il nous assure, quoi
que nous fassions, la béatitude. Etrange conception !
On ne réfléchitpas que, si Dieu est essentiellement bon,
il est essentiellement ennemi du mal, et qu'il exerce
son amour pour le bien, par sa haine pour le mal.
Uti boni amorem odio mali exerceat (2). On ne ré-
llécliit pas que la bonté qui pactiserait avec le mal et
qui fermerait les yeux sur ses excès, se tournerait en
faiblesse et cesserait d'être bonté, on ne réfléchit
pas que croire Dieu capable d'une pareille conces-
sion, c'est le croire complice du mal. Si loin que
(1) Cf. Salma?(ticense?. De spe tlieologica, disp. \'I, liub 1
(2) Tertuli.ien. Adveisus Mn'cione»!, I, 20.
SIXIÈME CONFÉRENCE 173
s'étende sa miséricorde, elle ne peut pas pardonner
â qui ne se repent pas sans conférer un droit de elle
à l'iniquité, si loin que s'étende sa générosité, elle
ne peut pas mcUre sur le même pied l'iioinme qui
s'est consacré au bien et ceux qui se sont voués au
mal. La bonté serait de la faiblesse, et la faiblesse
n'est qu'une bonté déliquescente et dégénérée qu'on
ne peut attribuer à Dieu sans le rabaisser, sans le
déshonorer.
Le présomptueux ne se contente pas de fausser
le caractère de la bonté divine, il en abuse d'une
manière indigne. Spéculer sur la sincérité d'un
homme et sur sa conliance pour le tromper avec plus
d'impudence, compter sur sa générosité pour l'ex-
ploiter sans vergogne et sur sa bonté pour l'olTen-
ser sans scrupule, rien ne révolte davantage les con-
sciences droites et hautes. On éprouve à l'endroit
des âmes capables de prendre pareille attitude,
une répugnance, un dégoût et un écœurement
insurmontables. Plus un être est loyal, plus on
craint de le jouer et plus on pense qu'il est grave de
le jouer, meilleur il est et plus on estime qu'on doit
é v'iter de l'offenser, tels sont l'instinct de la saine na-
ture et le mouvement spontané des nobles cœurs.
Or le présomptueux profite, par un calcul honteux,
de la bonté de Dieu pour pécher plus librement, plus
audacieusement, plus obstinément. Quelle étrange
meulalilé! Il est mauvais, parce que Dieu est bon,
il ne met aucun IVein à ses débordements, parce
174 l'espérance
q.riliry a point de limites à 1 indulgence de Dieu,
il prétend qu'il peut être infiniment pervers, purco
que Dieu sera toujours plus infiniment miséricor-
dieux, qu'il lui est permis de pécher sans retenue
parce que Dieu pardonne toujours. S'il était raison-
nable, il comprendrait que traiter ainsi Dieu c'est
l'outrager, que vouloir le jouer de cette façon c'est
être dupe de son propre calcul, que la bont^ est
susceptible,' quand on la blesse avec cynisme, de se
changer en colère et de se venger avec rigueur. 11
comprendrait qu'il y a dans sa présomption un mé-
pris insupportable de la majesté de Dieu, que la
miséricorde poussée à bout, retourne contre celui
qui l'a insultée l'avantage de toutes les grâces qu'elle
avait préparées pour le sauver (1).
J'ajoute que le présomptueux est en une opposi-
tion violente avec Dieu considéré dans la personne
de son Fils Jésus-Christ. Comment! Jésus-Christ a
vu dans le péché un mal si difficile à expier, dans
le pardon une grâce si difficile à obtenir, dans la
gloire un bien si difficile à gagner, qu'il s'est con-
damné, pour mettre à notre portée ce qui nous était
inaccessible, à partager trente-trois ans notre vie
misérable, ce qui était pour lui une sorte d'anéan-
tissement, à passer par les transes d'une agonie
affreuse, à souffrir une telle douleur, un tel sup-
plice, une telle mort que le monde, après deux mille
ans, ne s'en souvient pas sans frissonner ! Comment:
(1) Aj.pend., n. 4, p. 321.
SIXIÈME COiXFÉRENCR 175
pour nous défendre contre le vice, la vengeance de
son Père et la damnation éternelle, il a établi une
société chargée de nous oiïrir an jour le jour les
moyens de vaincre le mal, des sacrements des-
tinés à nous soutenir, à nourrir, à développer les
vertus sans lesquelles on n'entre pas au ciel, et
le présomptueux pratiquement fait fi de tous ces
bienfaits! Le péché, pour lui, est un acte sans
importance, le pardon s'obtient sans effort, la béa-
titude se donne sans qu'on essaie rien pour l'attein-
dre. Il affecte de penser que son âme se sanctifiera,
que ses péchés seront expiés quoiqu'il ne se sou-
mette à aucune discipline, et n'observe aucun pré-
cepte, quoiqu'il ne recoure ni à la pénitence, ni à
l'Eucharistie, ni à la prière, quoiqu'il dédaigne
tous les moyens institués par le Sauveur en vue de
nous arracher à l'enfer. Il s'illusionne au point d'es-
timer que son salut, qui a coûté si cher à Jésus, ne
lui coûtera rien, qu'il ira au ciel en se jouant et en
faisant tout pour ne point y aller. Je dis que le pré-
somptueux,qu'il le sache ou non^se moque de Jésus-
Christ, que cet être de luxe, de jouissance, d'orgueil
insulte la victime pauvre, sanglante, humiliée de
la croix, et qu'il a tout à craindre de la colombe
irritée et de l'agneau immolé.
Kst ce (loue (|U(^ l'on ne |tout trop espérer d'une
boul(' que nous prcHciulons infinie? Non, Messieurs,
je le répète, si loin que nous allions dans le mal,
i"6 l'espérance
nous serons dépassés par la miséricorde. Mais n'ou-
blions pas que la justice en Diea est infinie comme
la bonté, que la bonté, en prodiguant la grâce,
n'oblige pas la justice à sacrifier ses droits. Sous
l'influence de la bonté la justice pardonne, mais
sous l'inlluonce de la justice la bonté exige la péni-
tence, sous l'action de la bonté la justice ouvre le
ciel, mais sous l'action de la justice la bonté n'ouvre
le ciel qu'au mérite. Vouloir séparer ce qui en Dieu
est indissolublement uni, la justice et la bonté,
c'est s'égarer prodigieusement. La cause de cette
erreur, la voici : en Dieu, la bonté est infinie et la
justice est infinie Si l'on envisage l'une exclusive-
ment, « elle occupe tellement la pensée, dit Bossuet,
qu'elle n'y laisse presque plus de place pour
l'autre; d'autant plus que, paraissant opposées, on
ne comprend pas aisément qu'ellespuissent subsister
ensemble dans ce suprême degré de perfection : ce
qui fait que la grande idée de la miséricorde fait
que le pécheur oublie la justice, et que la justice
réciproquement détruit en son esprit la miséricorde,
de sorte que l'abattement de son désespoir égale les
emportements et la folle présomption de son espé-
rance >'(!)• Pour rester dans la vérité, pour traiter
Dieu comme sa nature exige qu'on le traite, il faut
« détruire, comme dit encore Bossuet, ces vaines
idoles de la miséricorde et de la justice >• (2), tenir
(I) Sermon SU7' la Pénitetice.
(2i Ibid.
SIXIÈME CONFÉRENCE 177
un milieu, savoir que ces deux qualités loin d'être
v( incompatibles », sont « au contraire amies » (1).
Le désespéré se trompe en exagérant les rigueurs
de la justice, le présomptueux se trompe en exagé-
rant les condescendances de la miséricorde. Le pre-
mier offense Dieu en méconnaissant sa bonté, le
second en supprimant sa justice. Le second, le seul
dont je vous parle en ce moment, supprime la
juslice de Dieu, car il suppose constamment que
ceux qui se repentent et ceux qui ne se repentent
pas reçoivent le même pardon, que ceux qui
travaillent et ceux qui ne travaillent pas reçoivent
le même salaire, que ceux qui méritent et ceux qui
ne méritent pas reçoivent la même gloire, que le
saint et le misérable, la vierge et le débauché auront
le même sort, que Dieu, par conséquent, ne rend
point à chacun ce qui lui est dû, mais que sous
l'empire de son cœur paternel il ne fait aucune
distinction entre les enfants dociles et les enfants
rebelles. Contre cette conception, le sens moral de
l'homme se révolte : Dieu s'insurge plus encore et
il repousse avec colère le présomptueux qui voudrait
lui imposer un rôle indigne, car sans la justice
Dieu ne peut plus être Dieu (2).
La doctrine de l'espérance. Messieurs, vous im-
pose donc de marcher entre ces deux écueils : le
(1) Sermon sur la Pénitence.
(2) Append., n. ii, p. 321.
LKSI'liltANCE. — 12.
178 l'espérance
désespoir et la présomption. Elle ne vous autorise
pas à douter de la bonté divine, elle ne vous auto-
rise pas davantage à faire fi de la justice éternelle.
Elle vous ordonne de vous appuyer sur la puissance
et sur la miséricorde du Seigneur pour mériter et
pour obtenir la béatitude à laquelle vous aspirez.
Elle vous ordonne de compter avec la justice qui
exige de nous le repentir, l'effort, les bonnes
œuvres pour accorder le pardon après le péché,
la récompense après le labeur.
Elle respecte Dieu, car elle ne lui enlève aucun
des attributs qui lui appartiennent en propre; elle
adore en lui et sur le même plan la souveraine jus-
tice et la souveraine bonté et elle offre à notre jmlte
un Etre à qui rien ne manque, qui concilie en sa
personne auguste tout ce que nous admirons le plus.
Elle met l'homme à sa place, car elle le considère
comme une créature, c'est-à-dire comme un agent
subordonné, dont toute la vie dépend de Celui qui
l'a tiré de rien et qui conserve sur lui tout pouvoir.
Elle le met à sa place, mais elle le respecte aussi,
car elle attache un prix extrême à ses œuvres et à
ses actes. Si l'homme obéit aux préceptes de l'es-
pérance, il ne possédera pas la béatitude comme un
voleur, il ne pénétrera pas au ciel comme un intrus,
il touchera son salaire en ouvrier qui a travaillé, il
ceindra sa couronne en soldat qui a lutté, il jouira
de sa fortune en fils qui a fait fructifier sa dot et qui
a droit à son héritage.
SIXIÈME CONFÉRENCE - 179
La doctrine du désespoir, au cont'-aire, ravit à
Dieu sa souveraineté, car elle le déclare incapable
de sauver rhomme, et la doctrine de la présomp-
tion exagère ou sacrifie la puissance de l'homme
en lui permettant d'attendre une gloire hors de sa
naturelle portée, ou de goûter un bonheur qu'il
n'aura pas mérité. Sachez, Messieurs, vous tenir à
égale distance de ces extrêmes, et espérer avec
l'Evangile que nous serons saints par la grâce de
Dieu et par notre coopération, que nous parvien-
drons à la béatitude en nous appuyant sur Dieu
comme sur l'agent suprême et sur nous comme
sur un agent véritable, mais subordonné; que nous
devrons notre salut éternel et à la bonté de Dieu et
à. notre effort. On ne peut concevoir une sagesse
qui harmonise mieux la justice et la bonté, qui
ménage mieux la souveraineté de Dieu et la
dignité de Thorame. En obéissant à ses ordres.
Messieurs, vous échapperez à toutes les erreurs, et
dans l'éternité vous occuperez un rang dû à la fois
à la libéralité infinie de Dieu et à vos vertus (1)
(1) Appciul., n. G, ]). 322.
RETRAITE PASCALE
PREMIÈRE INSTRUCTION
LUNDI SAINT
HEUREUSE ACTION DE L'ESPÉRANCE
SUR LA YIE HUMAINE
SOMMAIRE
Vertu aimable, l'espérance est aussi ime verUi bienfaisante.
Elle prête main forte à toutes les vertus, elle nous console de
toutes les tribulations du présent, elle nous apporte des joies
pures en ce monde, p. IS'I 186.
I
L'espérance vient au secours de toutes les vertus.
a) L'espérance inspire à \a. prudence la crainte du danger, la
sagesse qui nous détourne des occasions. Elle affermit la
justice dans son ordre en sauvegardant la biérarcliie des
choses et en l'obligeant à refpccler ses propres lois Elle
suggère à la. force des sentiments magnanimes, une constance
invincible et l'amour de la lutte Elle soutient la tempérance
en opposant aux charmes dangereux des créatures la perfec-
tion du créatmir. Elle forme à l'humilité, qui est une sorte de
tempérance, en nous mettant à notre place, sans nous abaisser
au-dessous de nous-mêmes, sans nous exalter au-dessus de
ce que nous sommes, p. 180-189.
h] Elle sert les vertus théologales Le rôle de l'espérance
dans 11 foi. Le rôle de l'espérance dans la vertu de la cha-
rité, p. 189-191.
II
L'espérance nous console dans les tribulations. Sachant
qu'il est voué à l'épreuve pendant sa vie, celui ([iii espère no
s'étonne pas de ne pas trouver le bonheur sur la terre. Contre
les douleurs du présent, il trouve un refuge assuré dans les
perspectives de l'avenir. L'es|iérance étant un scnliment du-
rable, ranime sans ces=;e le courage du Clirétion. niirllc (pie suit
l'extrèraiti' de ses malheurs, le Chrétien clrerche dans l'cspé-
r.uice de la vie qui ne Unit pas la force de siippuiler les maux
qui sont d'un jour, p. 191 l'.i'i.
184 l'espérance
III
L'espérance nous assure des joies sur la terre.
a) Elle voit se réaliser dans le temps une partie de ses pro-
messes. La grâce, en eiïet, nous vient en ce monde et elle est
le principe de satisfactions aussi pures, aussi vives que nom-
breuses. Puis chaque grâce reçue est un gage et un germe
de la gloire, p. 195-106.
b) Par l'espérance nous possédons la gloire en quel([ue
manière, puisque lous possédons la faculté de l'atteindre.
Cette certitude est une source de vrai bonheur, p. 196.
c) L'expérience nous apprend que l'espérance illumine toute
la vie de ses rayons. Mélancolie de ceux qui n'espèrent pas.
Epanouissement de ceux qui espèrent, p. 196197.
Le Chrétien doit faire appel à l'espérance pour pratiquer
avec ardeur les vertus de son état, pour souffrir avec patience,
pour s'attacher au bonheur céleste à mesure que les choses
de la terre s'éloii^nent, surtout pour garder la sérénité dans
les transes de l'àgonie et de la mort, p. 197-198.
RETRAITE PASCAIE
PREMIÈRE INSTRUCTION
LUNDI SAINT
HEUREUSE ACTION DE UESPÉRANCE
SUR LA VIE HUMAINE
Teneanxus spei noslrx profes-
sionem.
Restons inôbranlablemcnt attachés
à Ir profeesion de notre espérance.
Hébreux x, 23.
Messieurs,
L'espérance est une vertu aimable, c'est aussi
une verlu l)i(;n faisante qui exerce sur toute la vie
une très heureuse inlluencc. Non contente de nous
communiquer la perfection (jui lui est propre, elle
appelle toutes les autres puissances destinées à nous
ISG l'espérance
sanctifier et elle leur prête main forte; non contente
de nous défendre contre la douleur éternelle, elle
nous console de toutes les tribulations du présent;
non contente de nous ouvrir les perspectives de la
suprême félicité, elle nous apporte des joies pures
dans ce monde. Permettez-moi de vous expliquer
ces trois pensées à l'honneur de l'espérance chré-
tienne, et plaise à Dieu que mes paroles, pour leur
modeste part, contribuent à vous la faire estimer
et aimer.
I
L'espérance vient au secours de toutes \^s vertus
dont la pratique nous permettra de mériter la béati-
tude. Elle vient au secours d'abord des vertus mo-
rales : il n'en est pas une qui ne profite de son
commerce 'avec elle. Toutes, de la première à la
dernière, des plus modestes aux plus hautes, puisent
dans l'espérance une partie de leur vigueur et lui
doivent une partie de leurs succès.
Dans la sphère des vertus morales, la prudence,
qui nest que la perfection de la raison pratique,
dirige et commande tous les mouvements, elle tient
sous son empire toutes les facultés intellectuelles ou
affectives comme le cocher tient les rênes de ses
coursiers : de l'élan qu'elle imprime dépend tout
l'ordre de la vie. Mais l'espérance appuie la pru-
dence, parce que, visant à la véritable fin de
PREMIÈRE INSTRUCTION 187
Ihorame comme l'arclier à son but et le pilote au
port, elle maintient l'àme dans la voie de sa des-
tinée. Puis, précisément parce qu'elle nous em-
porte par tous ses éléments du côté de la béati-
tude, elle nous inspire la crainte des dangers, la
sagesse qui évite les occasions de compromettre
notre avenir. Ce que j'oserai appeler le génie de
l'espérance suggère à la prudence des tactiques
habiles, une vigilance attentive, des précautions
minutieuses pour aboutir au résultat désiré. Grâce à
cette école, la prudence sait étendre au loin son
regard, devient plus perspicace et apprend à mieux
conduire la conscience dont elle a la garde.
La justice ne profite pas moins de son contact
avec l'espérance. Elle consiste, en effet, à traiter les
choses comme elles le méritent, à rendre à chacune
ce qui lui appartient, et les choses méritent notre
attention et notre culte dans la mesure où elles se
rapportent à Dieu. Or c'est Tordre même de l'espé-
rance qui s'attache par-dessus tout à Dieu, (in der-
nière de l'homme, et à tout le reste autant qu'il le
faut pour atteindre cette lin. L'espérance ne peut
donc qu'atrermir la justice, peser sur la justice pour
qu'en sauvegardant la hiérarchie des choses, elle
respecte ses propres lois.
La (brcc bénélicie de son association avec l'espé-
lance, parce que l'espérance est une vertu agissante,
intrépide qui nous pousse aux actes énergiques, à des
actes (r;ui[;iiit plus énergiques que le but visé est
188 L'i:sPÉnANCE
plus élevé, l^lle met enjeu toutes nos puissances en
vue d'arriver au sommet oîj nous attend le bonheur.
Elle nous souffle des sentiments magnanimes qui
relèvent de la force parvenue à son plus haut degré,
la constance qui nous fait soutenir les assauts,
affronter les obstacles, passer à travers les dangers
sans lâcher prise et sans reculer.
La tempérance trouve dans l'espoir chrétien une
ressource et un soutien. Ce qui nous entraîne vers
les plaisirs déréglés des sens, c'est le charme pro-
venant des choses visibles, c'est la douceur des
affections, c'est la suavité des coupes et des ban-
quets. L'espérance oppose au pouvoir fascinateur
des créatures la perfection du Créateur, elle nous
parle des spectacles que l'œil terrestre n'a point vus,
des mélodies indéfinissables que l'oreille n'a pas
entendues, des délices que le cœur n'a point goû-
tées, de l'ineffable amour que l'âme n'a point connu;
ainsi, mettant les bonheurs éphémères et bornés
en face du bonheur éternel et infini, elle réduit les
premiers à leur juste valeur, elle les oblige à pâlir
devant l'éblouissante réalité qui les domine, elle les
dépouille d'une partie de leur force séductrice et
elle facilite la tâche de la tempérance.
L'humilité est une forme de cette dernière vertu,
l'humilité n'est pas, comme on le suppose trop sou-
vent, un sentiment qui abaisse, qui consiste à ne
point reconnaître les qualités que l'on possède, à
s'attribuer des infirmités que l'on n'a pas. Non, elle
PREMIÈRE INSTRUCTION 189
consiste à nous donner une exacte conscience de ce
que nous sommes, à nous ranger à notre place. Elle
nous enseigne à considérer Dieu comme l'Etre
transcendant de qui tout dépend et qui ne dépend
de personne, et en conséquence à nous mettre infi-
niment au-dessous de lui, à attendre de lui infini-
ment plus que de nous, à ne point nous faire illu-
sion sur une prétendue autonomie qui ne nous
appartient pas, qui ne saurait nous appartenir,
puisque nous sommes des créatures, c'est-à-dire
des êtres essentiellement dépendants de celui qui
nous a faits : l'espérance renforce ce sentiment, elle
, nous montre dans la puissance de Dieu, dans sa
miséricorde le grand moyen d'arriver au salut, elle
compte sur Dieu pour monter à Dieu. Mais nous
venons de le voir, Thumilité ne méprise pas
riiomme, au contraire, elle lui impose d'êlre ce
qu'il doit être, un coopérateur de Dieu, un agent
subordonné et tout aussi réel qui s'exerce sous
l'inHuence de la cause première : là encore, elle est
soutenue par l'espérance qui demande à Dieu son
principal appui, mais qui demande à l'homme de
déployer toutes ses facultés au service de son propre
intérêt.
L'espérance qui sert les vertus morales, sert
aussi les vertus théologales.
Elle sert la foi, car plus on espère avec ardeur,
plus on croit à la réalité de ce que l'on espère. Les
hommes qui vivent de ciiiiMèros, prêtant malgré
190 l'espérance
eux un corps aux rêves qui les flattent, et les
hommes qui aspirent au bonheur, sont poussés par
cette aspiration même à penser que le bonheur existe
et qu'il est d'ailleurs accessible. C'est pourquoi, le
besoin d'espérer, c'est-à-dire de saisir la parfaite
félicité, conduit fréquemment les hommes à croire,
c'est pourquoi la force de l'espérance réagit sur la
foi et lui communique une flamme, une fermeté qui
ne contribuent pas peu à augmenter sa vigueur. Sans
doute la foi précède l'espérance et en est la racine,
mais l'espérance est un rameau dans l'arbre des ver-
tus, et si des racines qui puisent leur vie dans le
sol la sève monte jusqu'à la cime, elle descend aussi
des rameaux et rap porte jusqu'à la racine ce qu'elle
a reçu du ciel, de l'air et de la lumière.
L'espérance sert la charité qui, dans l'ordre sur-
naturel, est la puissance royale.
Elle sertla charité parce quelle y conduit. En nous
attachant à Dieu comme à notre bienfaiteur, comme
à l'Être qui veut nous assister en ce monde et nous
couronner dans l'autre, l'espérance peu à peu sti-
mule notre reconnaissance. Puisque nous avons
tout à espérer d'un Dieu si bon dans ses rapports
avec ses créatures, si libéral dans ses dons, si pa-
tient devant nos misères et nos infidélités, si prompt
à répondre par le pardon à notre repentir, comment
ne mériterait il pas d'être aimé en lui-même, de
recevoir tout l'encens de notre cœur et de nous voir
lui consacrer notre personne et notre bonheur?
PREMIÈRE INSTRUCTION 191
A l'école de respérance, nous apprenons progres-
sivement à monter de l'idée du Rémunérateur à
ridée du Père céleste, à vivre pour Dieu après avoir
vécu de Dieu, à unir l'amour intéressé de nous-
mêmes à l'amour désintéressé de la charité.
Et même cet amour désintéressé ne peut que
croître au contact de l'espérance. L'homme qui
espère, sait qu'il ii'atteindra point la béatitude s'il
n'aime Dieu par-dessus toutes choses, sait qu'il
risque de se perdre si la flamme de la charité s'at-
tiédit ou s'éteint, il veille donc avec d'autant plus
de sollicitude sur le sentiment royal qui doit do-
miner la vie présente et la vie future et il en ravive
sans cesse le feu. C'est ainsi, Messieurs, que l'espé-
rance agit sur nous et communique à toutes les
vertus morales et religieuses quelque chose de son
ardeur et de son élan.
II
L'espérance nous soutient et nous console dans
les tribulations.
Elle nous soutient. Le chrétien sachant d'avance
qu'il est voué sur la terre à l'épreuve, qu'il
ne trouvera point ici-bas le bonheur, ne s'étonne
pas quand l'adversité fond sur lui. Il s'habitue à
patienter, à supporter ses douleurs sans s'irriter, à
demander à la pensée de l'éternité la force d'endu-
rer les souffrances du temps.
192 l'espérance
Des sociétés méchantes où on Taccuse, où on le
calomnie, où on le porsécute, il s'élève jusqu'au
royaume où on l'aime, où on reconnaît la rectitude
de ses intentions, la valeur de ses œuvres, où on
l'appelle et où on Tattend. Des prétoires qui le con-
damnent, il s'envole par le cœur et par l'esprit
jusqu'aux pieds du Juge suprême qui proclamera
son innocence et ses mérites à la face de l'univers.
Du calvaire ébranlé par la fureur des éléments et
enveloppé de ténèbres, il aperçoit le Thabor baigné
dans une lumière sereine et rayonnant de gloire, dans
l'exil où il pleure il sent passer la brise qui souffle
de la patrie, et il respire par avance l'air embaumé
des bienheureux. Quand la pauvreté lui impose ses
rigueurs, il entend la voix de la montagne mur-
murer à son oreille : « Bienheureux les pauvres,
car le royaume des cieux est à eux. » Quand il est
victime de la violence, il se souvient des mots
suaves de Jésus : « Bienheureux les doux, car ils
posséderont la terre. » Quand la tentation essaie de
bouleverser sa sensibilité, il se répète : « Bienheu-
reux les âmes pures, car elles verront Dieu. » II per-
çoit mieux que personne le néant des choses, le vide
du temps, la fragilité de l'amitié, l'inconstance de la
fortune, les déceptions de chaque jour, l'odieux de
la trahison, mais n'ayant point placé sa confiance
ici-bas, il n'est pas désorienté par les surprises
qui accablent les autres. 11 marche dans les pas du
Christ, son Maître, et comme lui à travers les humi-
PREMIÈRE INSTRUCTION 193
liations de toutes sortes pour arriver au terme.
Mais c'est l'espérance qui ranime sans cesse son
courage, c'est la vision de ce qui l'attend, qui le
rend capable d'affronter sans défaillance les adver-
sités qui le martyrisent. Les stoïciens se sont effor-
cés de regarder en face la souffrance sans réclamer
le secours de l'espérance, ils n'y ont jamais réussi.
La douleur eut raison de leurs résolutions les plus
absolues et, en se dérobant à ses traits par la mort,
ils avouaient leur impuissance à la supporter. Nous
les avons vus renoncer à la lutte pour la vie et
chercher un remède à leurs désillusions dans des
maux plus graves que leurs désillusions mêmes. 11
y a des tristesses qui ne les ont point vaincus, mais
lorsque le chagrin a dépassé certaines limites ils
ont fléchi, et leur héroïsme de commande a suc-
combé.
Quelle que soit l'extrémité de son infortune, le
chrétien sait la dominer, parce que contre ses
coups il a toujours un refuge. Est-il frappé dans sa
santé? L'idée de la résurrection promise par l'espé-
rance le réconforte en lui ouvrant les perspectives
d'une vie exempte de toute infirmité. Est-il ruiné?
Il lui reste la certitude d'avoir gardé un trésor ina-
liénable que les vers ne sauraient ronger. At il
assisté à la mort d'un de ses proches, d'un de ses
enfants? Certes, il n'est pas insensible, et son àmc
souffre d'une séparation ([ui la déchire, mais il ne
pleure pas sur des tombeaux vides, il ne croit pas ù
L'ESl'tKANCE. — 13.
194 l'espérance
la ruj)tiire définitive des liens qui hii étaient si
chers. Son espérance éclairée par sa foi le transporte
dans un séjour où les morts vivent et attendent
ceux qu'ils ont quittes. Son esprit, au delà de ce
qui se voit, cherche et trouve ce qui ne se voit pas,
et il entretient avec les êtres disparus un commerce
qui pour rester mystérieux n'en est pas moins réel,
ni moins doux. Lui-même sent-il approcher les
ombres de l'agonie, certes j il tremble et il n'essaie
pas d'affecter l'indifférence, ni l'impassibilité, mais
la céleste lueur de l'espérance vient répandre sur
son front une sérénité surnaturelle, une confiance
inébranlable tempère sa crainte, et même souvent
ses yeux se remplissent de je ne sais quelle allé-
gresse où l'on voit le désir de l'autre vie l'emporter
sur le regret de celle-ci, et la certitude du bonheur
qu'il va posséder, effacer, pour ainsi dire, la pensée
du bonheur qu'il va perdre. Saint Paul avait com-
pris ce rôle consolant de l'espérance. 11 considérait
cette vertu comme une source féconde de patience
et d'activité. Il parlait de l'endurance dont notre
espoir est le principe, sustinenlia spei (1). 11 rap-
pelait aux Hébreux, qu'ils avaient assisté au pillage
de leurs biens, sans défaillir, parce qu'une richesse
meilleure et impérissable leur restait (2). Il mon-
trait les patriarches acceptant les tristesses et les
(1) I Thessalonic, i, 3.
(2) Hébreux, x, 32-36.
PREMIÈRE INSTRUCTION 195
combats de l'exislence, parce que l'espérance orien-
tantleurs désirs vers la céleste patrie ne cessait pas
de les soutenir et de les réconforter (1).
III
L'espérance porte sur Taveiiir, elle nous impose
d'atlendre le bonheur, elle ne l'atteint pas. Cepen-
dant elle l'ébauche dans cette vie, et à cause de
cela elle nous assure des joies sur la terre, joies
qui sans être complètes sont pourtant réelles.
« Que le Dieu de l'espérance, écrivait l'apôtre aux
fidèles de Rome, vous remplisse de toute joie et de
toute paix (2). » 11 insinuait que le laboureur qui
travaille la terre jouit d'avance de la moisson qu'il
espère retirer de son champ (3), il aime à répéter
que déjà notre espérance nous rend heureux. Spe
gau (lentes (4).
Elle nous rend heureux de deux façons en ce
monde. Elle nous rend heureux d'abord {)arce ([ue
nous voyons se réaliser sur la terre une partie de
ses promesses. Parmi les biens qu'elle appelle, il
en est qui appartiennent à l'ordre du temps et qui
nous sont accordés dans le temps. Comme je vous
l'ai ('\pli(iué au moment do ma première conférence,
(1) llphrcii.r, XI, 8-16.
(■2) l{()))i/iins, XV, 1.3.
(3) I Curinlk., ix, 10.
4 llumain.ff xii, Mt.
196 l'espérance
ces biens sont des moyens de parvenir à la béati-
tude, et c'est pourquoi l'espérance s'y intéresse,
mais en eux-mêmes ils sont de nature à nous adou-
cir la vie par des satisfactions saines et d'une
qualité supérieure. Le plus grand de tous, la grâce,
comporte, laissez-moi vous le répéter, des délices
d'une incomparable suavité, des délices qui péné-
trant les replis d'une âme innocente et pieuse
l'exaltent et l'enivrent au point de lui faire oublier
toutes les vicissitudes et toutes les contrariétés
du présent, des délices dont les saints ont dit
qu'il n'est pas permis à l'homme de les peindre
avec un langage mortel. C'est que ces biens surna-
turels que nous espérons posséder en ce monde, et
que nous arrivons à posséder en effet, sont les ger-
mes de la béatitude éternelle et qu'on y trouve quel-
que chose de la suavité contenue dans cette béati-
tude.
Secondement par l'espérance, nous possédons en
quelque manière la béatitude même, parce que nous
possédons la faculté de l'atteindre à l'heure fixée par
Dieu, cette sécurité est d'avance une sorte de repos
dans le souverain Bien, une mainmise de loin sur
l'objet où nous trouverons plus tard le rassasiement
total. Il ne nous est pas donné de portera nos lèvres
le fruit de notre béatitude, ni d'y attacher immédia-
tement notre cœur, mais nous le tenons déjà et il
dépend de nous de ne point le perdre.
Mais qu'ai-je besoin d'invoquer des arguments spé-
PREMIÈRE INSTRUCTION 197
culatifs pour vous prouver que l'espérance sur la terre
est une source de bonheur? Ne savez- vous pas que
toute espérance apporte avec elle une satisfaction in-
time? Ne savez-vous pas que l'espérance chrétienne
illumine toute l'àme et toute la vie de ses rayons ? Plu-
sieurs parmi vous ont peut-être connu des jours où
cette belle vertu a succombé dans leurs cœurs, ne
se débattaient-ils pas alors dans le malaise et dans
les ténèbres? Ne se sentaient-ils pas de plus en plus
envahis, de plus en plus pénétrés par une sombre
mélancolie? Du moment oii la confiance a commencé
à renaître dans leur conscience, un changement s'est
opéré en eux. On a vu leur front s'éclairer, leurs
yeux se remplir d'une chaude lumière, et leur
pensée accueillir avec sérénité un avenir qui jusque-
là ne leur inspirait que de la terreur.
Faites donc appel à l'espérance, Messieurs, deman-
dez-lui, quand votre zèle pour le bien se ralentit, de
le ranimer et de vous communiquer sa force, invo-
quez son secours et son appui pour rendre à toutes
les autres vertus leur ardeur et leur activité. Lorsque
les créatures vous attirent par leurs charmes et vous
tentent, priez-la de répéter à vos oreilles ses divines
promesses, de faire briller avec plus d'éclat les
grandes perspectives quelle ouvre devant vous, de
vous arracher à la séduction des choses périssables
en vous altachnnt aux rt'alitrs (jui ne passent pas.
198 l'espérance
Dans l'adversité réfugiez-vous sous son aile, et
là, à l'abri, songez qu'il n'y a point de proportion
entre les tribulations que nous endurons ici-bas et
le bonheur qui nous attend là-haut, consolez-
vous des épreuves du présent en escomptant les féli-
cités de l'avenir. Si l'un des vôtres vous est enlevé,
ne restez pas ensevelis dans votre chagrin, suivez
votre espérance dans son vol et cherchez au delà du
temps, au milieu des bienheureux, les âmes qui ne
vous ont été ravies qu'en apparence et que vous
retrouverez bientôt. A mesure que les animées s'écou-
lent laissez cette belle vertu se dilater davantage,
prendre plus complètement possession de vous,
afin que, sous son égide, vous sentant plus près du
bonheur, vous vous résigniez plus facilement aux
sacrifices qui vous sont successivement imposés.
Enfin, à la dernière heure, au milieu des angoisses
de l'agonie, ne permettez pas au spectre de la mort
de vous épouvanter comme il épouvante ceux qui
n'attendent rien de l'éternité, mais écoutez l'ange de
l'espérance qui penché sur votre couche funèbre se
prépare à vous emporter avec lui dans les cieux et
dites à ce compagnon futur de votre félicité : « J'ai
l'âme pleine de joie, car nous allons à l'instant
franchir ensemble le seuil de la maison de Dieu.
Lœtatus sum in his quœ dicta sunl lïiihi, in domum
Domiid ibimus. » Ainsi soit-il.
DEUXIÈME INSTRUCTION
MARDI SAINT
Li GENÈSE DU DÉSESPOIR
il
El
SOMMAIRE
Nécessité de combattre le mal dans ses causes et dans ses
effets. La luxure et la tristesse sont d'après saint Thomas,
les causes du désespoir, p. 203-20^'.
I
1. — Tous les vices peuvent être le principe du désespoir :
l'orgueil, l'envie, l'avarice, comme les autres passions déré-
glées, p. 20i-20D.
2. — La luxure est un des deux vices qui y conduisent le
plus naturellement,
a) L'expérience confirme cette assertion De fait les drames
du désespoir suivent fréquemment les excès de la luxure, et
chaque jour nous assistons à des crises où la luxure et le
désespoir s'unissent pour pousser l'homme aux résolutions
fatales, p. 20j-207.
6) La rtiisou explique ce fait, car plus on aime la béatitude,
plus on espère. Or, la luxure en attachant riionime à des vo-
luptés épliémères le détache de la béatitude éternelle. Kn
cessant d'aimer et de désirer le vrai bonheur, en s'en dégoû-
tant, le luxurieux s'éloigne du bonheur et cet éloignement
constitue le désespoir. Çonlirmation de ces vérités par l'expé-
rience, p. 207-210
II
Le dt'scspoir peut naître plus spécialement encore de li
tristesse.
t. — Distinctions entre les tristesses bienfaisantes et les
tristesses malsaines, p. 210-211.
2. — La tristesse malsaine pèse sur l'âme, déprime la vo-
lonté, nous persuade qu'il nous est impossible d'arriver au
but que nous désirions atteindre, nous met en déliancc contre
tontes les puissances capables de nous aider eflicacement à
conquérir le bonheur et contre Dieu même, p. 211-213.
Obl'gation pour nous de lutter contre toutes ces passions
qui. ouvertement ou hypocritement, conduisent au désespoir.
()i)li{^ation spéciale de fuir les suggestions de la luxure et
de la mauvaise tristesse, p. 213-214.
î
DEUXIÈME INSTRUCTION
MARDI SAINT
LA GENÈSE DU DÉSESPOIR
« Trist'Ulaautem sceculi morlem
operalur.
La tristesse du siècle engendre
la mort. »
• II Corinth., vu, 10,
Messieurs,
Pour connaître un mai et le combaltre il faut
l'étudier en lui-même, il faut aussi létudier dans
ses causes et dans ses effets; dans ses causes afin
d'empêcher sa naissaïue et de l'extirper jusqu'à la
racine, dans ses elîets afin de mieux mesurer son
étendue et d'ajouter aux raisons de le haïr. Nous
avons vu comment le désespoir, considéré dans
l'acle qui le constitue, nuisait prodigieusement à
riiommc en l'éloignant de sa fin dernière et de sa
béatitude, comment il offensait gravement Dieu en
méconnaissant sa puissance ou sa honte et on nous
204 l'espérance
séparant de Jiii par une rupture violente, directe,
absolue. Ce soir je veux vous parler de la genèse du
désespoir, ou, si vous le préférez, des causes qui le
font éclore dans les âmes. D'après saint Thomas les
deux causes principales du désespoir sont la
luxure et la tristesse.
Tous les vices, toutes les passions déréglées peu-
vent être le principe du désespoir et le portent secrè-
tement dans leurs flancs comme un poison mortel :
les faits nous en témoignent. L'orgueilleux, qui aspi-
rait à occuper le premier rang et qui échoue, passe
facilement de la prétention la plus exaltée au dé-
couragement et à la dépression. Après avoir cru
que les situations exceptionnelles lui étaient acces-
sibles, il s'imagine qu'aucun de ses efforts ne réus-
sira, que sur tous les terrains il sera vaincu,
que le succès qui le trahit dans les choses
humaines le trahira plus encore dans les choses
divines et éternelles. Parce qu'il a manqué un but
secondaire, il estime qu'il manquera le but
suprême, et on le voit fréquemment se détourner
avec amertume du ciel, parce que les événements
l'ont obligé à renoncer à des triomphes qui dans la
sphère des intérêts temporels ne lui paraissaient pas
douteux. L'envieux, qui constate la supériorité de
ceux qu'il voulait égaler ou dépasser, tombe aisé-
DEUXIÈME INSTRUCTION 205
ment dans un état de désolation intérieure où il
se persuade que toutes les issues lui sont fermées et
qu'il végétera toujours, pareil aux plantes malingres
qui ne germent un instant que pour mourir. L'a-
vare, après avoir consumé sa vie dans l'âpre re-
cherche de l'or sans pouvoir étancher sa soif,
finit souvent par penser qu'il ne trouvera pas plus
son bonheur en Dieu qu'il ne l'a trouvé dans son ar-
gent. Suivez dans leur carrière les hommes que
dominent les passions inférieures, vous assisterez à
des fluctuations continuelles oij l'espoir et la déses-
pérance tiendront alternativement le sceptre. Ce
phénomène est explicable. Ces êtres avaient mis
leur confiance dans un bien terrestre, ils s'aperçoi-
vent ou que ce bien leur échappe, ou que ce bien ne
leur suffit pas : ils en concluent, par un sophisme
familier à l'esprit humain, que, à plus forte raison,
le vrai bonheur leur échappera toujours ou les lais-
sera inassouvis. Tous les vices s'enchaînent et
d'une façon plus ou moins directe aboutissent au
désespoir. C'est ainsi que Caïn tombe de la
jalousie dans le fratricide, du fratricide dans
le désespoir, que Judas s'achemine par des
sentiers glissants delà cupidité au vol, du vol à la
trahison de son maître, et de la trahison de son
maître au suicide qui est le dernier degré du déses-
poir.
Cependant saint Thomas signale la luxure comme
un des deux vices qui y conduisent le plus naturelle-
206
L ESPKRANCE
nient. « Desperado causalur ex laxaria^ dit il, le
désespoir est causé par la luxure (1). » L'expérience
confirme ce jugement et la raison l'explique.
L'expérience le confirme. Les poètes qui ont versé
dans l'humeur la plus noire, qui ont déclaré le
bonheur plus inaccessible, qui ont blasphémé le plus
amèrement la vie, qui se sont le plus violemmentexas-
pérés contre le devoir et contre la destinée sont les m ê-
mesquiontle plus abusé delà jouissance, qui ont le
plus sacrifié au sensualisme. El c'est au lendemain de
leurs fêtes libertines, de leurs banquets débraillés, de
leurs orgies scandaleuses qu'ils ont prétendu, avec
une ironie plus mordante, que la félicité n'est pas
ou qu'elle est hors de notre portée. Musset et Byron,
par exemple, ont été à la fois les chantres de la
volupté et les chantres du désespoir, et dans tous
ceux qui les ont imités de près ou de loin on trouve
en môme temps quelque chose de leur pessimisme
et quelque chose de leur mœurs dissolues.
L'expérience le confirme car, chaque jour, nous
assistons à des crises où la luxure et le désespoir se
succèdent et s'unissent pour pousser l'homme aux
résolutions fatales. Allez au fond des douloureux mys-
tères qui déshonorenttantde familles, demandez pour-
quoi le charbon, le revolver, la corde, le poison font
si fréquemment leur besogne de mort, pourquoi tant
déjeunes gens à Taurore de la vie, avant d'avoir tra-
(11 II» II»», q. XXI, nvt. 4,
DEUXIÈME INSTRUCTION 207
vaille et même presque avant d'avoir souffert, mettent
fin à leurs jours, on vous répondra : c'est un coup de
désespoir. Mais d'oi^i venait ce désespoir? Presque
toujours d'une passion oii les sens jouaient un rôle
souverain. Ah! elle serait longue la liste de ceux qui,
de notre temps, après avoir renoncé au bonheur sur
la terre et au bonheur dans le ciel, sont sortis brus-
quement de l'existence, et elle serait presque aussi
longue la liste de ceux qui en sont arrivés à cette
extrémité à la suite de désordres moraux où leur
cœur s'était avili.
Il y a donc un rapport de fait entre ces deux
vices, rapport que tous constatent et que la raison
doit expliquer.
La raison l'explique. L'espérance chrétienne
suppose que nous aimons, que nous désirons la
béatitude éternelle. Plus cet amour est profond,
al)sohi, plus ce désir est ardent et plus l'espérance
est vive, impatiente, laborieuse, entreprenante. De
sorte que le meilleur moyen de tuer dans une âme
l'espérance du bonheur inlini et des biens qui s'y
réfèrent, c'est de la tuer dans le noble amour et
dans le céleste désir qui en sont le principe et la
racine. C'est ce que fait précisément la luxure. Elle
absorbe d'abord toutes les pensées de celui qu'elle
entraîne, puis elle s'empare de toutes ses facultés
allectives, et peu à peu ce qui ne lui rappelle pas
ses plaisirs lui devient à charge, il s'en détache
prugrussivement et il hnit par être incapable de
208
L ESPKRANCI
goûter quoi que ce soit en dehors des objets qui
flattent sa convoitise. Voyez-le : ses amis lui sont
indifférents, la société lui pèse, il ne trouve plus
aucune satisfaction dans la vie de famille, il
n'éprouve plus que de la froideur pour sa mère,
pour sa femme, pour ses enfants, et, emporté par
son penchant tyrannique, il rompt souvent tous les
liens qui le retiennent et qui le gênent dans ses
débordements; son travail, son métier, ont pour lui
perdu leur attrait, ses intérêts même le laissent insen-
sible. Nelson en proie à cette passion oublie sa gloire,
et tel autre sacrifie sa patrie. En un mot l'homme
de luxure n'a d'attention que pour la joie mau-
vaise dont il est esclave, le reste lui est fastidieux.
Vous le comprenez, en cet état il cesse d'estimer
à leur prix les choses de Dieu, il n'est plus domine
par la volonté de les atteindre, la perspective d'un
paradis où l'on ne jouit que de visions intellec-
tuelles, de satisfactions pures, ne réussit plus à
l'émouvoir, il juge sans valeur une félicité où sa
passion avide ne trouvera plus sa pâture. Non re-
piitat eam quasi bonum arduum (1), Dès lors, la
béatitude ne lui apparaît plus comme le bien su-
prême qu'il faut mettre au-dessus de tout, à l'ac-
quisition duquel il faut tout sacrifier, qu'il faut
obtenir coûte que coûte. Ad hoc autein, quod bona
spiritualia non sapiant nobis quasi bona, aut non
(1) s. Thomas. II* Il^e, q. xsi, art. 4.
DEUXIÈME INSTRUCTION 209
videantur nobis quasi magna bona^ prœcipue
perducimur per hoc, qiiod affectus noster est
infectas amore delectationum corporalium il).
Bien plus les joies de l'âme lui semblent fades,
ennuyeuses, insipides, comme les aliments suaves
et sains semblent amers aux malades. Loin de les
apprécier, l'homme de plaisir n'éprouve à leur
égard que de la répupjnance et du dégoût. Ecce
affectu harum delectationum coniingit quod homo
fastidit bona spiritualia (2). De cette disposition
naît le désespoir, car nous ne cherchons pas ce que
nous trouvons fastidieux, nous nous en éloignons,
nous le fuyoas. Nous brisons avec les êtres, les
choses qui nous inspirent ce sentiment d'aversion,
nous les repoussons comme le mal, nous luttons
contre eux comme nous lutterions contre des
ennemis. Or, précisément, quand ce mouvement
d'hostilité porte sur la béatitude suprême il
constitue le désespoir. Non sperat ea quasi quœdam
bona ardua, et secundum hoc desperatio causatur
ex luxuriâ (3). Si vous avez eu le malheur de
tomber dans la luxure, vous savez bien que, par
degré, vous en êtes arrivés à cette impression de
mécontentement secret, de sourde irritation contre
les réalités éternelles; vous savez bien que, peu à
peu, vous avez perdu le goût de Dieu; vous savez
(1) s. Thomas. Il» II»«, q. xxi, arl. 4.
(2) Ibid.
(3) Ibid.
l'espéranck. — 14.
210 l'espérance
bien que progressivement la coupe de la féiicilé
vous a paru sans saveur; vous savez bien que vous
avez fini par ne plus espérer un bonheur que vous
avez cessé de désirer. Un homme de lettres a écrit
un livre intitulé : Du sang, de la volupté^ de la
mort. Il a oublié an mot dans cette énumération, le
mot de désespoir, car c'est par le désespoir que la
volupté glisse dans le sang et demande pour
l'homme un refuoe à la mort.
II
Le désespoir, dit saint Thomas, peut naître de la
luxure, il naît plus spécialement encore de la tris-
tesse. Specialius oritur ex acidia. Poîest tamen
oriri ex luxuria (1).
La tristesse, voilà, pour le docteur angélique,la
principale cause du désespoir.
Il est des tristesses saines et sanctifiantes qui,
loin d'énerver l'espérance, l'excitent et la raffer-
missent. L'homme qui sent la vanité, l'instabilité des
joies du temps, s'élance avec ardeur vers la félicité
que lui promet l'éternité. Plus il est déçu par les
surprises du présent, plus il s'attache aux pers-
pectives de l'avenir; plus son âme est mal à l'aise
dans un monde qui le trompe, qui l'exploite, qui le
froisse, plus il aspire à entrer dans la société idéale
(1) s. Thomu. II» llae, q. XXI, art. 4.
DEUXIÈME INSTRUCTION 211
qui ne connaît plus le mensonge, la perfidie, Tinjus-
tice, la pervcrsilé. Quand ils languissaient aux
bords des fleuves de Bobylone, les Israélites com-
prenaient mieux la grandeur des fêtes et la pureté
des allégresses que leur avait ofPerles Jérusalem.
Après avoir bu la lie des calices que nous pré-
sente le démon, nous prisons davantage le banquet
du Père céleste; après nous être heurtés à l'in-
constance des amitiés humaines, nous cherchons
plus volontiers un refuge dans le sein toujours
ouvert de la Divinité; après avoir été blessés
par les créatures, nous devenons plus impatients
de rejoindre le Créateur qui ne blesse personne,
mais qui, au contraire, se plaît à panser et à guérir
toutes les plaies; après avoir souffert de notre con-
tact avec le mal, nous goûtons plus avidement les
satisfactions que nous ménage noire commerce avec
le bien. Il est donc des tristesses salutaires qui sti-
mulent notre espoir, lui impriment un plus ardent
essor en l'affranchissant des misères qui retar-
daient son vol.
Mais il est une autre tristesse, une tristesse acca-
blante qui pèse sur l'âme, qui brise ses ailes et
qui est à l'espérance ce que la paralysie est aux
nerfs moteurs. Glle déprime la volonté, elle nous
persuade qu'il nous est dêfoudu d'aspirer au but
que nous désirons atteindre, que le succès est im-
possible; sans tenir compte des moyens que la Pro-
vidence nous assure pour parvenir knotre fin, elle ne
212 LESPERANCE
nous montre que les obstacles, elle les grossit jusqu'à
ce qu'ils nous paraissent insurmontables. La con-
science en proie à ce pessimisme se rappelle les
échecs qu'elle a subis, elle se plaît à récapituler les
naufrages sans nombre oii elle a sombré, la variété
des efforts inutiles qu'elle a tentes, les humiliations
qu'elle a dû dévorer. Ne s'est-elle pas trompée quand
elle s'estappuyéesurla fidélitédes hommes? Ne s'est-
elle pas trompée quand elle s'est fiée aux promesses
de la fortune? A-t-elle abouti quand elle a pris au
sérieux ses propres résolutions? Ne s'est-elle pas
toujours trahie elle-même et n'a-t-elle pas toujours
été trahie par les autres? L'homme doit reculer
devant un grain de sable, et il aurait la
prétention de vaincre les difficultés colossales
qui s'accumulent sur le chemin du bonheur !
Des forces inférieures l'ont empêché de sai-
sir le pouvoir, de gagner une sympathi€, et il
triompherait des puissances sans nombre conjurées
pour lui interdire l'entrée du ciel! Non, il faut
en prendre son parti, nous sommes des êtres misé-
rables qui doivent se résigner à leur sort et renon-
cer à la satisfaction de leurs plus impérieux désirs.
Perdu dans cette sombre mélancolie, l'homme
s'abandonne lui-même, il se renferme dans sa dou-
leur, il décide que ses aspirations vont au delà de
son pouvoir, que la sagesse lui impose d'oublier un
idéal irréalisable et une illusion qui s'évanouira
en fumée. Du jour où cette conviction s'est emparée
DEUXIÈME INSTRUCTION 213
de son esprit, il perd confiance, il ne compte plus ni
sur lui, ni sur les autres, il ne compte même plus sur
Dieu, il juge que, pour échapper à la déception, on
doit dédaigner l'espérance et, autant qu'on le peut,
faire lî d'un rêve chimérique. Quand cette tristesse
parvient à dominer l'âme, l'âme reste convaincue
qu'il lui est interdit de sortir de sa misère et de
s'élever jusqu'au bonheur, objet de vœux ardents.
Ses ressorts se brisent et elle tombe dans un
marasme qui lui enlève toute énergie, dans cette
torpeur qui est inséparable du désespoir « Lorsque,
dit en substance saint Thomas, cette tristesse l'em-
porte, tout nous semble impossible, et le plus grand
de tous les biens nous apparaît comme le plus inac-
cessible. Quaiido in affecta hominis dominatur,
videtnr eiquod nunquam possit ad aliquod bonum
elevari (Ij.
Messieurs, luttez contre toutes les passions qui
ouvertement ou hypocritement vous conduiraient
au désespoir. Luttez contre l'orgueil qui, après vous
avoir enivré de ses vapeurs capiteuses, vous préci-
piterait dans les abîmes creusés par ses ambitions
insensées, luttez contre l'envie qui n'excitera votre
ardeur que pour vous aigrir par les déceptions
qu'elle vous prépare, luttez contre l'avarice qui ne
flattera votre cuj)idité que pour vous jeter Jaiis le
(1) II* ll»e, ^i. XXI, art. 4.
214 L'ESPÉnANGE
vide, mais luttez surtout contre la luxure et contre la
noire mélancolie qui donnent le plus ordinairement
naissance au désespoir.
Ne laissez pas volrc âme s'enfoncer dans les plai-
sirs des sens: là, elle ne sait plus apprécier les
joies de l'esprit, elle prend en horreur la félicité et,
par un mouvement à la fois violent et capricieux,
elle se détourne de Tobjet qui seul peut combler ses
désirs et apaiser sa soif du bonheur. Vous aban-
donner au flux et au reflux des passions sensuelles,
c'est vous éloigner de la béatitude. N'écoutez pas
davantage les suggestions de celte tristesse malsaine
qui produit dans l'âme un relâchement universel,
qui ôte à la volonté toute force et qui finit par
noyer l'espérance dans ses ondes amères. Réa-
gissez virilement contre les assauts de la sensualité,
affranchissez-vous de sa tyrannie si pernicieuse par
la mollesse qu'elle enfante. Réagissez joyeusement
contre le mysticisme désolé, contre le pessimisme
maladif qui finissent par triompher des caractères
les mieux trempés, par nous ius[)irer le dégoût de la
béatitude et des moyens qui nous en ouvrent
l'accès. Ainsi soit-il.
TROISIEME INSTRUCTION
MERCREDI SAINT
LES SUITES DU DÉSESPOIR
SOxMMAIRE
Par un refour funeste, le désespoir conduit à tous les vices ;
il livre spécialement l'homme aux excès d'une concupiscence
effréuée et le voue à une intolérable souffrance, p. 219-220.
1
Les hommes sans espérance ne connaissent plus aucun
frein : ayant perdu la crainte du châtiment et renoncé à la
récompense, la plupart s'abandonnent à la fantaisie de leurs
inslincls
a) Le désespéré tend à extirper la foi de son cœur, car ayant
rompu avec le bonheur, il ne peut s'empêcher de haïr la souf-
france et la damnation. 11 n'y a qu'un moyen de concilier son
intérêt et son sentiment, c'est de ne plus croire en Dieu. Le
désespéré s'y efforce et souvent y réussit, p. 220 221.
b) Le désespéré verse facilement dans la haine de Dieu. H
est aisé de prendre en aversion un objet que nous voudrions
atteindre et que nous pensons hors de notre portée. Cette
haine se traduit fréquemment par le blasphème et par une
hostilité farouche à tout ce qui intéresse le royaume de
Dieu, p. 221-222.
c) Le désespéré ne se montre pas meilleur vis-à-vis des
hommes qu'il rend responsables de son état. A leur endroit il
devient dur, injuste, défiant, etc., p. 222-223.
Il
Le désespéré se livre surtout aux passions sensuelles.
a) il a beau faire, il ne peut pas se passer de bonheur. Ne
l'attendant plus de l'avenir, il le clierclio dans le présont. La
jouissance sen.sible étant la plus immédiate, c'est à elle sur-
tout qu'il demande l'oubli de son iinjuiétudc. Cette inquiétude
renaît et avec elle le besoin de rendormir par de nouvelles
secousses, lillle s'exaspère et il faut solliciter pour s'en dis-
traire le secours de plaisirs plus subtils et plus raffinés,
p. 223-225.
218 l'espéhancb
h) Ses efforts sont vains; il essaye alors de suppléera la qua-
lité de ses félicités stériles en les multipliant. Il cherche par-
tout une pâture pour ses diverses facultés. L'Enfant pioJigue.
Il se livre .aux passions des sens. Signification de ce îiiot,
p. 220-^^27
m
Le désespéré n'aboutit qu'à une indicible douleur. L'his-
toire das âmes nous prouve que le désespoir rend profondé-
ment malheureux. Taine et Joufl'roy.
a) Le désespoir nous torture parce qu'il divise 1 âase. An-
goisse de rame que toute sa nature entraîne vers le bonheur
et que sa volonté en éloigne. C'est le supplice des damnés,
p. 227-229.
b] Le désespoir nous torture parce qu'il ne nous laisse
aucun refuge, il nous sèvre de toute con.solalion. Explication
de ce phénomène. Laocoon, symbole du désespéré. Excès
de la souffrance du désespéré exprimé dans les damnés de
Michel-Ange. Comment cette intolérable douleur conduit au
suicide, p. 229-231.
Le Chrétien doit au milieu des plus grandes tribulations se
rattachei à 1 espérance, p. 231-232.
TROISIEME INSTRUCTION
MERCREDI SAINT
LES SUITES DU DÉSESPOIR
Desperanfes, semelipsos tvadi-
derunt impiul ici lise.
Ayant désespéré, ils se sont livrés
à rinipiidicité.
Ephes , IV, 19.
Messieurs,
Considéré en lui-même, le desespoir est moins
grave que l'infidélilé, moins grave que la haine de
Dieu; envisagé dans ses suites, il est le plus exé-
crable de tous les maux. A7//// est exsecrahilius
desperalione (1).
Je vous ai dit hier que tons les vices conduisent
au désespoir, que cependant la luxure et la tristesse
sont le:; principales causes de ce péché : je vous
(1) S.'I'homas, II» II»», q. XXI, ait. 3.
220 l'espérance
montrerai aujourd'hui que par un retour funeste,
le désespoir entraîne l'homme dans tous les vices,
le livre spe'cialement aux excès d'une concupiscence
effrénée et le voue à une intolérable souffrance.
I
Siihlatà spe, irrefrenate homines labuntur in
vida. Les hommes ayant perdu l'espérance ne con-
naissent plus de frein et ils roulent dans tous les
vices. On a beau dire qu'il faut pratiquer la vertu
pour elle-même et fuir le mal par haine de sa lai-
deur : quand elle a cessé de craindre le châtiment et
d'attendre la récompense, la masse s'abandonne à
la fantaisie de ses instincts. Quand elle n'attend
plus rien, quand elle n'a plus peur de rien, elle
ose tout. Le. désespéré en est ià : aussi il nous
étonne par des débordements de toutes sortes;
parfois même son cynisme et sa perversité vont si
loin que nous en sommes épouvantés.
D'abord ayant renoncé à son salut, il tend à
extirper de son cœur la foi qui en est en nous le
principe. Le désespéré a rompu avec le bonheur,
mais il ne peut s'empêcher de haïr la damnation
et la souffrance (j[u'elle comporte. Il n'y a qu'un
moyen de concilier son intérêt avec son senti-
ment, c'est de croire au néant et de ne plus croire
à Dieu, Impressionné par ce désir peut-être ina-
TROISIÈME INSTRUCTION 221
voué, il cherche à se persuader que le monde est
livré au hasard, qu'un Esprit suprême n'en règle
pas la marche, qu'au delà du présent il n'y a rien,
que ceux qui espèrent dans l'avenir sont les jouets
d'une illusion. Il s'attache à tous les arguments
que la folie a inventés pour nier Dieu, il s'ctTorce
de prouver que les dogmes contrarient la raison et
sont inacceptables, que le christianisme n"est pas
plus solidement fondé que le paganisme, que toutes
les religions se valent, que toutes s'écroulent quand
on les examine de près, que leurs menaces et leurs
promesses sont vaines, que l'immortalité de l'àme
est une chimère et que, par suite, compter sur une
survivance éternelle, c'est se tromper soi-même. Il
arrive parfois à se suggestionner, à tomber dans un
scepticisme insolent, dans un matérialisme grossier
et à sacrifier sa foi pour se consoler de son criminel
désespoir.
S'il ne réussit pas même « à établir le néant
auquel il aspire après cette vie », le désespéré verse
facilement dans la haine de Dieu. Notre tendance
est de prendre en aversion l'objet que nous dési-
rons atteindre et que nous pensons pratiquement
hors de notre portée. Un rien nous indispose contre
ceux dont nous cherchions la sympathie et qui
nous la refusent, pour un rien notre amour se
change en hostilité. Nous serions heureux de pou-
voir les anéantir, préférant les voir périi plutôt
que d'être séparés d'eux. Aussi le désespéré verse-t-il
222 l'espérance
à chaque instant dans cette haine farouche de
Celui dont il n'attend plus la possession,
... Et son impiété
Voudrait anéantir le Dieu qu'H a quille.
Il n'est pas rare que celte haine se traduise par
des blasphèmes abominables, par une guerre
acharnée à toutes les œuvres qui glorifient le règne
du Père céleste. Si nous descendions dans le cœur
de certains apostats, si nous essayions de découvrir
le motif de leur opposition acharnée à l'Église
qu'ils connaissent et à laquelle ils doivent tant, si
nous nous demandions pourquoi ils se déclarent
les partisans des mesures les plus vexatoires, des
dénis de justice les plus cyniques contre la Reli-
gion, nous constaterions peut-être, nous constate-
rions souvent que cette conduite a son principe dans
l'irritation d'un secret et profond désespoir.
Le désespéré se montrc-t-il meilleur vis-à vis des
hommes? Non. Ses humeurs noires et son sombre
pessimisme le portent à rendre le monde entier
responsable de l'éîot oii il se ronge, il .semble
qu'il veuille faire expier à tous la faute dont il est
seul coupable. Il s'est sacrifié lui-même, qu'im-
porte qu'il blesse les autres dans leur honnoiir, dans
leur réputation, dans leur intérêt! Si les autres sont
malheureux, il n'a point pitié d'eux, car il estime
leur épreuve au-dessous de la sienne; si les autres
TROISIÈME INSTRUCTION 223
sont heureux, il est jaloux de leur bonheur et il
aimerait à le troubler; si les autres le froissent, il
s'irrite et ii exige double et triple réparation; s'ils
lui font du bien, il ne manifeste aucune reconnais-
sance, car il juge que sa détresse lui confère tous
les droits. Nous l'avons connu cet être dur, injuste,
défiant, insensible, fermé à toutes les émotions gé-
néreuses et qui, dirait- on, rêve d'entraîner l'univers
dans sa disgrâce, dans sa faillite, dans sa damna-
tion, cet être qui par suite de son désespoir tombe
dans l'incrédulité, dans la baine de Dieu et des
hommes, qui par suite de cette incrédulité et de
cette haine verse dans tous les désordres et rompt
totalement avec l;^ bien.
II
Saint Paul nous enseigne que le désespéré se
livre surtout aux passions sensuelles.
Sa vie est un cercle vicieux : souvent il tombe
dans son péché par suite de ses débauches, je vous
l'expliquais hier, et il obéit de plus en plus à tous
les caprices des sens par suite de son désespoir.
D'abord, 1 homme a beau faire et se raidir, il ne
peut pas se passer de bonheur. Par un instinct dont
jamais il n'aura raison, il le veut, il y aspire, et il
n'y renonce d'un côté que pour y tendre de l'autre.
Sans doute, le désespiu-é demandera une (li\ersiou à
des objets variés selon sa nature et son tempéra-
224 l'espérance
ment, mais il ne restera pas dans le vide, il re-
muera ciel et terre pour trouver un aliment à son
désir et pour tromper au moins momentanément sa
faim et sa soif. Il cherchera une distraction tantôt
dans un travail acharné, tantôt dans l'acquisition
de la fortune, tantôt dans le pouvoir et dans les
honneurs, mais il ne prendra pas son parti de se
priver de tout et il réclamera de la vie présente
la jouissance à laquelle il a renoncé pour la vie
future. La jouissance sensible étant plus immé-
diate, plus palpable, plus enivrante, c'est elle
qu'il sollicitera le plus souvent : il la pressera
de lui apporter Toubli dont il a besoin et la
léthargie qu'il réclame pour endormir son into-
lérable inquiétude. Mais comme cette inquiétude
à peine assoupie se réveillera, il redemandera sans
cesse à son fatal anesthésique le sommeil dont il
peut de moins en moins se passer, pareil à ces
maniaques qui sortis de leur torpeur ou de leur
délire se hâtent de recourir à la piqûre ou au
breuvage empoisonnés auxquels ils doivent leur
insensibilité trompeuse ou leur excitation factice.
Mais l'âme humaine faite pour un bonheur plus
noble se révoltera contre le sort auquel on veut la
condamner, elle manifestera vite un dégoût indi-
cible pour les aliments inférieurs dont on entend
qu'elle se contente. Si bas que fût tombé l'enfant
prodigue, il se lassa un jour de la nourriture ab-
jecte qu'on lui mesurait, il n'en éprouva plus que de
TROISIÈME INSTRUCTION 225
Ihorreur. Malgré lui le coupable, tournant un re-
gard de regret vers la maison paternelle, compa-
rait sa misère à l'abondance dans laquelle vivaient
ses anciens serviteurs. Si le désespéré imitait le
prodigue, il se relèverait, et il se confierait à la
puissance, à la miséricorde du Père céleste, mais il
a décidé de repousser jusqu'à la pensée de ce
retour. Alors, il ne lui reste plus qu'une ressource,
chercher dans des plaisirs plus subtils, plus raf-
finés, plus extravagants de plus fortes secousses
et de nouvelles illusions. ^
Vains efforts! 11 n'arrive point à apaiser son
âme. Pressé par le besoin de se rassasier, il
essaie de suppléer à la qualité de ses félicités
stériles en les multipliant. L'Evangile nous peint,
avec un réalisme que je serais tenté d'appeler
brutal, l'avidité, l'impatience du prodigue af-
famé. « Il désirait, dit saint Luc, remplir son
ventre des glands destinés aux pourceaux. FA cu-
piebat implere ventrem suum de siliquis, qiias
porci mandiLcahant (1). En proie à ce tourment,
le désespéré cherche partout une pâture pour son
esprit, pour son cœur, pour son imagination, pour
sa mémoire, pour ses yeux, pour ses oreilles, pour
ses lèvres, pour toutes les puissances do son être.
Il emploie son génie à découvrir des pensées, à
s'assurer des affections, à évoquer des fantômes,
(1) s. Luc, x- , 16.
L'iiSrÉRA.NCE. — 15.
226 l'espérance
des souvenirs, des spectacles, des voix, à saisir des
suavités où il puisse pour ainsi dire se noyer, se
perdre et s'arracher au cauchemar qui l'épou-
vante. Il appelle à son secours l'alcool qui affole
les nerfs, qui brûle le palais et les entrailles,
la morphine qui berce et qui charme la sensibilité,
le jeu qui donne la fièvre. Ecoutez-le : « Venez,
dit-il, jouissons des biens présents, hâtons-nous
d'user des créatures pendant que nous sommes
jeunes. Enivrons-nous de vins exquis, parfumons-
nous et ne laissons point passer la fleur de la
saison. Couronnons-nous de roses avant qu'elles
se flétrissent, qu'il n'y ait pas un lieu de fête oîi
notre intempérance ne se signale (1). » Il attend
de la matière et du fini le bonheur qu'il n'espère
plus de l'Esprit et de l'Infini et il pèche, dit saint
Thomas, non pas par entraînement et par infir-
mité, mais par volonté, il ne se donne pas aux
passions, il s'y livre (2).
Il s'y livre, c'est-à-dire qu'il n'est plus modéré
ni retenu par aucun scrupule, par aucun remords,
par aucune autorité. Effrenaté labuntur. 11 s'y livre,
c'est-à-dire qu'il ne réserve rien de lui-même. Pour
assurer plus de licence à son emportement, pour se
consacrer plus entièrement à ses convoitises, il
s'isole et se renferme avec les objets dont il s'ef-
force de tirer sa béatitude.
(1) Sagesse, ii, 6-8.
(2J In Epist. ad Ephes., c. iv, sect. 6. Cf. II Epist. Pétri, ii.
TROISIÈME INSTRUCTION 227
L'enfant prodigue quitte la maison paternelle
afin d'échapper à toute surveillance, à tout avertis-
sement, à tout conseil. Dans la région lointaine où
il s'est réfugié, il profite de son indépendance pour
dissiper toute sa fortune, pour se prostituer à son
aise et faire Texpérience de tous les excès et de
toutes les débauches. Et comme il s'abandonne sans
rien réserver de lui-même, il compte que cet effort
suprême lui permettra d'épuiser la source du plaisir
et de trouver une jouissance infinie pour apaiser sa
soif infinie. Ces emportements sont naturels, car
ayant renoncé à l'avenir l'homme s'acharne sur le
présent et veut tirer des créatures la félicité
qu'il ne demande plus au Créateur.
III
Le désespéré ne réussit qu'à s'engager dans une
vive et profonde douleur, car une douleur indi-
cible est la suite du désespoir.
Vous vous en rendrez compte facilement si vous
consultez l'histoire des âmes qui onl refusé de
tendre au bonheur éternel. Les plus vigoureuses
essaient bien de se contenir et de cacher leur déso-
lation intérieure, mais elles n'y parviennent pas. Sur
les lèvres de Taine, sous sa plume, dans la correspon-
dance intime où il exprime plus librement ses pen-
sées, vous trouverezdcs mots qui trahissent un déclii-
rement cruel, une soulTrance que rien ne tempère,
228 l'espérance
que rien ne console. « La vie réelle est si pleine de
dégoûts et de souffrances, dit-il, qu'à chaque ins-
tant nous cherchons un asile contre elle (1)... Je
tombe bien souvent dans des langueurs et dans des
faiblesses, et il m'arrive alors, étendu sur mon lit,
ou sur ma chaise de passer des heures entières
dans cet évanouissement de la pensée si triste et si
accablant que tu connais (2). J'ai un fonds de tris-
tesse permanent et nécessaire (3). 11 y a des jours
011 je suis si lassé de moi, que je voudrais me
vomir moi-même (4). » Dans cent pages de Taine,
dans cent pages de Jouffroy et de tant d'autres la
douleur coule à pleins bords en même temps que le
désespoir, et plus l'âme est haute, plus elle souffre
d'un état qui n'est pas fait pour nous.
Le désespoir nous torture d'abord parce qu'il
divise Tàme. Il n'est pas en notre pouvoir, je vous
l'ai dit, d'empêcher la nature de tendre au bonheur.
Elle y tend de toutes ses forces et elle n'y renoncera
jamais. Inutile de vouloir réprimer cet instinct, il
renaîtra éternellement. On pourra le distraire un
instant, le tromper, mais il déjouera les plans les
mieux concertés, les ruses les plus habiles, et s'il a
été endormi momentanément, il se réveillera plus
impérieux, plus exigeant, plus intraitable. Inutile
d'essayer de l'apaiser en lui représentant que la
(1) Correspondance , t. I, p. 53.
(2) Ibid., p. .'iS.
(3) Ibid., p. 91.
(4) Ibid., p. 221.
TROISIÈME INSTRUCTION 229
félicité est inaccessible, il se révoltera contre tous
vos syllogismes et il réclamera sur un ton absolu
la béatitude. Le désespéré s'insurge contre cette
prétention et s'eiïorce d'étoufter les désirs qu'elle
fait naître. 11 n'y réussit pas. Alors éclate une
lutte intérieure entre la nature et la volonté, un
duel sans merci et sans issue : la nature s'élance
vers le bonheur avec une impétuosité, une véhé-
mence indomptable, la volonté la retient avec une
violence sauvage, elles se heurtent sans cesse et
l'âme prise entre le flux qui l'emporte vers sa fin
et le reflux qui l'en éloigne est déchirée tout entière.
Ce supplice épouvantable est celui des damnés qui
ont perdu la béatitude et qui sont éternellement
ballottés entre ces deux mouvements contraires, le
mouvement de tout leur être vers Dieu et le mouve-
ment de leur désespoir qui les sépare de lui.
Le désespoir nous torture parce qu'il ne nous
laisse aucun refuge. II. est bien des malheurs contre
lesquels on trouve un asile. Un ami manque,
on en découvre un autre, la pauvreté nous éprouve,
l'étude, les afl'ections viennent nous adoucir les
privations qui nous sont imposées. En tout cas, à
tous nos maux nous entrevoyons une fin, et cette
pensée suffit à en tempérer la rigueur. Mais le dé-
sespéré est sevré de toutes les consolations. Non seu-
lement il n'aperçoit pas de terme à son infortune,
mais les perspectives que lui ouvre l'avenir sont en-
core plus angoissantes que les épreuves du présent,
230 l'espérance
il sait que ce qu'il souffre n'est rien à côté de ce
qu'il souffrira, et si loin que cherche à s'étendre
son regard il se heurte à un horizon toujours plus
bas et toujours plus sombre. Il s'enlise dans une dou-
leur qu'il est impossible de fuir, car il faudrait pour
la fuir retourner à Dieu avec qui le désespéré a
rompu, dans une douleur contre laquelle il n'y a pas
de recours, car il n'y a qu'un bonheur pour l'homme,
la vision de Dieu face à face : qui renonce à cette
vision renonce à toutes les autres félicités. Cette
douleur est plus forte que lui, il ne peut la sur-
monter. Sans doute aussi longtemps qu'il sera sur la
terre le désespéré réussira quelquefois à s'étourdir,
mais outre que cette possibilité de se distraire et de
se divertir ne lui sera pas toujours laissée, il sentira,
malgré tout, son mal se réveiller à certains jours
avec d'autant plus de force qu'il aura pu le croire un
instant calmé. Et lorsqu'il aura touché la vanité
des objets auxquels il avait demandé une diver-
sion, lorsqu'il aura goûté la lie des plaisirs où
il avait essayé de s'oublier, il se retrouvera seul
avec son mal. Laocoon, enserré dans les nœuds des
serpents gigantesques qui se sont soudain jetés sur
lui et qui entourent son cou, ses bras, ses reins, ses
jambes, se raidit contre ses adversaires et fait un
colossal effort pour se dégager. Mais les monstres
ne lâchent point leur proie, ils l'étreignent, ils la
mordent, ils la couvrent de leur bave. Le prêtre
antique pousse des cris affreux, sa figure se con-
TROISIÈME INSTRUCTION 231
tracte et se tord, ses yeux expriment une indicible
angoisse, mais il succombe sous les coups de ses
féroces ennemis. Rien mieux que cette image ne
représente les hommes embarrassés dans les plis
et les replis du désespoir, rien, sinon les damnés que
Michel-Ange a peints au Vatican sous des traits si
convulsionnés et si tragiques. L'un se précipite d'en
haut jusqu'au fond de l'abîme, comme pour se briser,
l'autre prend sa tête dans ses mains comme pour
l'empêcher d'éclater sous l'intensité de la souffrance,
un troisième se couvre les yeux comme pour se
cacher à lui-même son propre malheur, tous pré-
sentent des visages bouleversés, des corps crispés et
respirent l'épouvante. Et encore, tout cela n'est
qu'un symbole de ce qui se passe dans l'âme des
désespérés et ne traduit que très imparfaitement la
violence de la douleur qu'ils endurent.
Ne nous étonnons donc pas qu'une douleur si aiguë
devienne tellement intolérable qu'elle l'emporte sur
l'amour de la vie et que les désespérés mettent fin
à une existence dont ils ne peuvent plus supporter
le fardeau. Le suicide apparaît comme la fin logique
du désespoir, puis<|U(; le désespéré veut rompre
avec le bonbeur et que par le suicide cette rupture
se consomme et devient éternelle.
J'ai hilte, Messieurs, d'en finir avec ce sombre
sujet dont on ne peut parler sans évoquer les
232 l'espérance
spectres du suicide, de la mort, de lenfer. J'ai
trop confiance dans votre raison et dans votre foi
pour penser que jamais vous succomberez à la plus
perfide et à la plus fatale de toutes les tentations, la
tentation du désespo ir. Mais si un jour vous deviez
subir ses assauts , résistez au plus malfaisant
de tous les démons ; rappelez-vous les pensées
que m'inspirent ce soir l'amour de vos âmes et le
souci de mon ministère; rappelez-vous dans l'abat-
tement qui succède à vos fautes et dans l'extrémité
de vos malheurs, que chercher un asile dans le
désespoir, c'est chercher la vie dans la mort, la
consolation dans la plus incurable souffrance et la
béatitude dans la dernière des infortunes. Aux
heures de ruine, de détresse, aaffliction, rattachez-
vous à la belle vertu que Dieu a déposée en nous
pour nous défendre contre tops les découragements,
confiez-vous au Christ trahi, abandonné, crucifié,
mourant, et adressez-lui ces paroles d'inébran-
lable confiance : « Quand même vous me tueriez,
j'espérerais en vous. Etiamsi occiderit me, in ipso
sperabo (1). » Ainsi soit-il.
(1) Job. XIII, 15.
CDATRIÈME INSTRUCTION
lEUDI SAINT
LÀ GENÈSE
ET LES SUITES DE LA PRÉSOMPTION
SOMMAIRE
Caractères de la présomption. Sa genèse et ses suites,
p. 237-238.
r
L'orgueil est la cause de la présomption.
a) Si le présomptueux s'appuie uniqueinent sur lui-même
pour réaliser sa destinée, c'est parce qu'il veut avoir toute la
gloire de son succès. Constatation de cet orgueil dans diverses
catégories d'iiommes et même de Chrétiens. Cet orgueil vient
de ce que l'homme s'estime tant lui-même qu'il croit pouvoir
remplir le rôle réservé à Dieu, p. 238-240.
b) Si la présomption se confie témérairement à Dieu en es-
pérant le pardon sans repentir et la gloire sans mérite, elle
vient encore de l'orgueil. Elle suppose l'homme si grand que
Dieu sacrifiera tout l'ordre de sa Providence et de sa justice
pour nous sauver et s'assurer notre société. Exorbitante
prétention de certains hommes vis-à-vis de Dieu, p. 240-241.
II
Les suites de cette double présomption sont également
pernicieuses.
1. — a) Le présomptueux qui se confie trop en lui-même est un
élément de trouble et de division dans la société chrétienne,
parce qu'il a la prétention d'imposer à tous ses systèmes, ses
idées. Attitude impéri(;use qu'il prend vis-à-vis de ses égaux^
vis-à-vis de "^es supérieurs. Quand on refuse de s'incliner de-
vant sa volonté, il s'irrite, il intrigue, il sème partout la dé-
fiance et la zizanie, etc., p. 241-243.
6) L'échec absolu est la seconde conséquence de cette pré-
somption. L'homme ne peut |>as se sauver tout seul. S'il re-
fuse l'appui lie Dieu il est voué à l'insuccès, if ne peut que
manquer sa destinée DéoDuragcment qui siiit celle pre'somp-
tion, p. 24^3 244.
2. — La pr.'somption qui se fi»;témérairemeiilen Dieu aboutit:
a) Au relard de la conversion. AviMiglemcnt que su|)pose ce
236 l'espérance
retard. Surprises auxquelles on est exposé. Mort soudaine,
p. 244-240.
b) A la persévérance dans le mal. La présomption arrivée à
son dernier degré, comme dans Luther, ne s'inquiète ni de
repentir, ni de mérite. Etat laïueatable de 1 âme présomp-
tueuse, p. 240.
c) Au désespoir. Si le voile se déchire un jour, le présomp-
tueux est cfîrayé et il considère comme impossible le salut
(ju'il avait jusque-là cru très facile, p. 246-247.
C'est à l'école de l'humilité que nous apprenons à nous dé-
fier justement de nous-mêmes, à penser que Dieu n'a pas
besoin de nous, à craindre les surpfises de la mort, à fuir les
conseils de la présomption, p. 247-248.
quâtriëmc instruction
JEUDI SAINT
LA. GENESE
ET LES SUrrES DE LA PRÉSOMPTION
Prsesumentes de se et de sud
virtule gloriantes humilias.
Vous humiliez ceux qui présu-
ment trop d'eux-mêmes et qui se
glorifîent de leurs propres forces.
{Judith, VI, 15.)
Messieurs,
La présomption est une espérance égarée, une
espérance excessive qui nous excite à trop compter
sur nous ou à compter d'une manière déréglée
sur Dieu. Loisque Thomme compte sur lui-même
plus qu'il ne convient, il offense directement, vous
ai je dit, la magnanimité, verlu destinée à pour-
suivre de grands desseins en disposant de grands
moyens, indirectement il froisse l'espérance en
238 l'espérance
lui retirant, pour le placer en soi, l'appui qu'elle
doit placer en Dieu. Lorsque l'homme s'appuie sur
Dieu pour faire son salut sans respecter l'ordre
auquel Dieu a soumis le don de lui-même et de la
béatitude, il blesse directement l'espérance en
diminuant la puissance, en abusant de la bonté, en
supprimant la justice de l'Etre éternel. Je dois
aujourd'hui, pour achever mon enseignement, vous
parler de la genèse et des suites de celte double pré-
somption.
I
La cause de la présomplion considérée sous ses
diverses formes, c'est l'orgueil qui est plus ou
moins grave selon l'importance du désordre qu'il
produit.
Quand il prétend arriver au bonheur par ses pro-
pres forces et suffire à le mériter par ses vertus
personnelles, le présomptueux s'inspire évidemment
de l'orgueil et de la vanité. C'est parce qu'il entend
avoir toute la gloire de son salut et de son succès,
c'est parce qu'il ne veut pas partager cette gloire
même avec Dieu qu'il entreprend de poursuivre sa
fin sans demander secours à personne : il n'a pas
besoin des moyens surnaturels que la religion offre
aux faibles pour parvenir à la connaissance de
la vérité, à la pratique de la justice, à la vision face à
face et à la possession de l'Infini. Cette disposition
QUATRIÈME INSTRUCTION 239
nous la retrouvons dans tous ces hommes qui affi-
chent la résolution de s'affranchir de toute autorité
extérieure, d'acquérir toute science par leur seul
effort, de n'accepter que les idées émanées de leur
propre esprit, d'éclairer le monde par la lumière
qu'ils auront découverte, de transformer la société
par l'application des systèmes dont ils auront
été les inventeurs; nous la retrouvons dans ces
chrétiens qui, ne tenant à peu près aucun compte en
pratique de l'élément surnaturel dans la préparation
du royaume des cieux, s'appuient sur leur généro-
sité native, sur l'énergie de leur volonté comme sur
la puissance principale d'où ils attendent leur
triomphe en cette vie et dans l'autre; nous la
retrouvons dans les théoriciens de toutes sortes qui
espèrent dans le régime intellectuel, politique, social,
économique de leur choix pour restaurer l'ordre
moral et rendre à la Religion la place prépondérante
qui lui appartient. S'ils ont en eux-mêmes cette
confiance excessive, s'ils vont jusqu'à s'attribuer un
rôle qui ne convient qu'à Dieu, s'ils disent implicite-
ment, comme l'ange des premiers jours : « Je m'élè-
verai sur mes propres ailes jusqu'au ciel et je serai
semblable au Très-Haut»; n'est-ce pas qu'ils s'esti-
menttrop eux-mêmes, qu'ils s'exagèrent leur puis-
sance, qu'ils méconnaisseut la disproporliou qui
existe entre le but poursuivi et les moyens dont ils
disposent, n'est-ce pas, en un mot, que leur pré-
somption suit leur orgueil, qu'ils sont téméraire-
240 l'espérance
ment présomptueux parce qu'ils sont follement
orgueilleux, qu'ils ne se guériront du premier mal
qu'en se guérissant du second?
La présomption sous sa seconde forme nous per-
suade, vous ai-je dit, que Dieu nous sauvera, même
si nous ne correspondons pas à sa grâce, même si
nous négligeons toutes les bonnes œuvres et si nous
nous plongeons dans le mal sans essayer de nous
contenir, même si nous attendons le dernier moment
pour nous convertir ; elle nous persuade, quand
elle arrive à son dernier degré de gravité, que Dieu
nous pardonnera, même si nous ne lui témoignons
aucun repentir de nos fautes, qu'il nous couronnera,
même si nous n'avons pas combattu, qu'il nous
paiera, même si nous n'avons pas travaillé, qu'il
nous récompensera, même si nous ne l'avons pas
mérité. L'orgueil nourrit cette seconde présomption
comme il nourrit la première. Supposer en effet,
que nous sommes tellement grands, tellement né-
cessaires à Dieu, que Dieu ne se résignera jamais
à se passer de nous, comme s'il avait besoin
de nous, comme s'il trouvait en nous sa gloire et
son bonheur plus qu'en lui; supposer que, pour
s'assurer notre compagnie, Dieu oubliera les lois de
sa justice, l'ordre de sa Providence, et que, en
somme, il se résignera aux concessions les plus in-
dignes de sa majesté en vue de ne pas se séparer
de nous, n'est-ce pas le dernier mot de l'orgueil?
Or nous avons entendu ces présomptueux prononcer
QUATRIÈME INSTRUCTION 5 il
avec assurance que Dieu, s'il existe, s'honorerait
en les invitant, quoi qu'ils eussent fait, à son
foyer, que le désir de converser avec eux et pour
ainsi dire de profiter de leurs lumières l'empor-
terait en lui sur le devoir de punir leurs crimes,
qu'il sentirait sa justice désarmée par le concours
bénévole de leur science et de leurs vertus. Nous
les avons entendus répéter que Dieu serait si flatté
de les recevoir qu'il ne s'inquiéterait pas de savoir
s'ils ont bien ou mal fait, s'ils ont été saints ou
misérables, mais qu'il se hâterait de les accueillir
avec empressement et de les introduire dans un
royaume dont ils seront un ornement indispensable.
Oui, l'orgueil, par un phénomène assez incompré-
hensible, en arrive à cet aveuglement, à penser
que l'homme est plus nécessaire à Dieu que
Dieu n'est nécessaire à l'homme, à cette folie que
l'homme pourrait sans trop d'inconvénients se sé-
parer de Dieu, mais que Dieu ne pourrait pas se
séparer de l'homme, surtout de l'homme de génie,
sans déchoir et sans devenir malheureux. Orgueil
colossal qui donne naissance à une présomption
ridicule et extravagante, à une présomption ijue les
docteurs rangent parmi les péchés contraires au
plus élémentaire bon sens et au Saint-Esprit.
Il
Quelles peuvent être après cela. Messieurs, les
suites do la présomption?
LESl'KUANCE. — 16.
242 l'espérance
Le présomptueux, qui compte sur lui-même pour
se sauver et pour sauver les autres, est dans la so-
ciété chrétienne un élément de trouble et de dis-
corde, voilà la première conséquence de son péché.
Il n'attend pas, en effet, de la grâce de Dieu le
salut de sa personne, le salut de ses semblables, la
régénération du monde, il les attend de l'idée qu'il
a découverte, de la méthode et du système qu'il a
inventés. Il pense que l'avenir est compromis, que
les âmes sont en danger si l'on ne se rallie pas à sa
philosophie, à ses conceptions politiques et sociales,
que le royaume de Dieu menace ruine, si les indi-
vidus, si l'Eglise ne suivent pas sa tactique. Il faut
marcher à sa remorque ou se résigner à des échecs
dans lesquels la religion perdra tout son prestige, le
Christ toute son influence, l'Evangile toute son auto-
rité. Convaincu de son infaillibilité personnelle, sûr
que quiconque ne le sert pas avec ardeur trahit le
ciel et l'humanité, il essaie par mille moyens de
s'imposer à ses inférieurs, à ses égaux, à ses chefs.
Lorsqu'on lui refuse la confiance absolue qu'il de-
mande, il s'indigne, il s'agite, il se remue, il accuse,
il maudit. Si l'autorité qui a la garde des âmes ne
s'incline pas devant lui, ou bien il se révolte ouver-
tement, ou bien il conspire secrètement. Ouverte-
ment révolté, il déchire l'unité catholique en entraî-
nant dans sa fortune les esprits qu'il a séduits :
c'est l'histoire de tous les hérétiques qui, pleins d'une
confiance tcmérnire dans leur génie et mettant leur
QUATRIÈME INSTRUCTION 243
jugement au-dessus des jugements de l'Église, n'ont
pas hésité, pour faire triompher leur idée, à boule-
verser le monde, à ameuter contre le C-lirist les pou-
voirs séculiers, à demander du secours à l'impiété,
à la haine, à la violence. Secrètement résolu à l'oppo-
sition, le présomptueux répand la zizanie dans le
champ du Seigneur, il sème la défiance contre ceux
qui sont chargés de gouverner les fidèles, il rend leurs
actes suspects, il en révoque en doute la valeur obliga-
toire ou l'authenticité, par ses menées il entretient
le malaise, il jette partout le trouble et la dissen-
sion. Descendez dans son cœur, vous découvrirez
au principe de sa conduite la prétention de parer à
tous les maux et d'assurer le triomphe du bien
par son action personnelle, vous vous apercevrez
qu'il a confiance dans la vertu de ses œuvres plus
que dans la prière, plus que dans les sacrements,
plus que dans la grâce, plus que dans le Christ,
plus qu'en Dieu lui-même, qu'il préfère voir le
monde périr que de le voir sauvé par un autre
que lui. Puisse la Providence dissiper la nuée des
docteurs, des prophètes présomptueux qui opèrent,
aujourd'hui comme toujours, de si grands ravages
dans la vigne du Père céleste, et qui par leur intolé-
rable orgueil nuisent si gravement à la paix iiilel-
Icctuelle et morale apportée sur la terre par le
Sauveur.
L'échec absolu est la seconde conséquence de
cette prcniièro pr(''sninp(ion. i/iioinnie (|ui repoiis'^"
244 l'espérance
le secours de Dieu pour ne s'appuyer que sur lui-
même manque fatalement sa destinée. Il tombe
sous la condamnation du Christ qui a dit en parlant
de l'ordre surnaturel : « Sine we, niliil potestis
facere, sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Le
Seigneur assiste au spectacle de cet être qui veut
atteindre par sa seule intelligence, par sa seule
volonlé, la suprême vision et la suprême gloire, qui
vit secrètement de cet etfort stérile, enfantin; il
attend le dernier jour pour proclamer l'insuccès
inévitable, définitif du présomptueux qui a rêvé de
se passer de la cause première dans l'œuvre du
salut éternel.
Le présomptueux, qui s'appuie sur la bonté de
Dieu sans penser à sa justice, se donne d'abord à
lui-même un motif de retarder sa conversion.
Par une disposition qui est la conséquence fatale
de son état d'esprit, il remet au lendemain les déci-
sions qui s'imposent à lui sur le champ. E^st-il
jeune? 11 considère qu'il a devant lui un long avenir,
qu'il lui reste premièrement beaucoup de temps pour
s'abandonner à ses instincts, puis beaucoup de
temps pour changer ses sentiments et sa vie, et il se
comporte comme s'il était à l'abri d'une mort pré-
maturée. Est-il dans Tàge mûr? H calcule q.u'il a
toutes les chances de parvenir à la vieillesse, que
pendant les années- qui lui reslent il aura tout le
loisir de penser à son avenir éternel. Ses cheveux
QUATRIÈME INSTRUCTION 245
ont-ils blanchi? Il se promet encore de longs jours,
il ne conçoit pas que Dieu puisse venir le frapper
sans le prévenir et il attend un signe du ciel pour se
préparer au jugement. 11 ne réllécliit pas que Dieu
a tempéré ses promesses par ses menaces, qu'il a
proposé, selon le mot de saint Augustin, le. pardon
aux désespérés pour ranimer leur confiance, que,
pour intimider les présomptueux et pour les émou-
voir, il a rendu le moment de leur mort incertain
et leur a prédit qu'il viendrait les surprendre comme
un voleur (1). A chaque instant, Messieurs, n'assis-
tons-nous pas à la déception du présomptueux? Ne
le voyons-nous pas, qu'il soit au début, au milieu,
à la fin de la vie, disparaître soudain avant môme
d'avoir songé qu'il touchait au terme ? Ne l'enten-
dons-nous pas, quand il est, de l'avis de tous, frappé
mortellement, remettre à plus lard son retour vers
Dieu, former des projets comme s'il avait une éter-
nité devant lui et descendre au tombeau sans y
penser et sans avoir rien fait pour se préparer au
jugement qui l'attend? Ah! sans doute, la miséri-
corde qu'il a toujours invoquée pour justifier son
incroyable négligence ne lui manquera pas, mais
la justice dont il n'a tenu aucun compte renoncera-
t-clle à ses droits? L'on tremble en assistant à cer-
taines agonies et en pensant que, par suite d'une
confiance téméraire, tant d'ùmes ont vécu pendant
(1) Saint Alxlstin. De Verbis Domini, 1. III, sermo x.
246 l'espérance
cinquante, soixante, quatre-vingts ans sans s'inquié-
ter de leur éternité !
Si le présomptueux, docile sans lesavoirpeut-être,
mais docile aux enseignements de Luther, s'ima-
gine que l'on obtient le pardon sans se repentir, et
la gloire sans l'avoir méritée, il ne reconnaît plus
même la nécessité de se convertir, fût-ce au der-
nier moment. 11 persévère dans le mal jusqu'à
la fin, il s'abandonne à ses passions sans s'in-
quiéter d'un lendemain qui ne peut être qu'heu-
reux, et il s'endort dans une paix d'autant plus
profonde qu'elle est plus trompeuse. Poussée à
son dernier degré la présomption entretient une
insensibilité qui ne s'émeut ni de la mort, ni
du jugement, une sécurité qui, s'autorisant de la
bonté infinie, bannit de l'âme l'idée de la justice
éternelle. Oh! que je crains le tribunal suprême
pour tous ces malheureux qui, s'étant livrés à leurs
passions et s'y étant livrés jusqu'à leur dernière
heure, sous prétexte que la miséricorde de Dieu
est infinie, n'ont pas même essayé de laver leur
passé par une larme, ni de préparer leur ave-
nir par un regret, par une aspiration sincère vers le
bien!
Mais il arrive que le présomptueux se rend
compte de son erreur et que la crainte excessive
de la justice succède en son cœur à la confiance
exagérée dans la miséricorde. Il arrive que tout à
coup le voile qui lui cachait la vérité se déchire, que
QUATRIÈME INSTRUCTION 247
ses fautes qui lui semblaient sans importance se
présentent à ses yeux sous leur véritable physio-
nomie et l'épouvantent par leur nombre et par leur
gravité. Il arrive qu'il est frappé de ce que, néant, il
ait osé s'élever contre Dieu, lui qui avait vécu de la
pensée que Dieu ne pouvait pas s'élever contre un
néant, il arrive que, s'étant imaginé d'abord que
rien ne peut épuiser la miséricorde, il s'imagine
maintenant que rien ne peut fléchir lajustice, il arrive
qu'au lendemain du jour où il a cru Dieu incapable
de punir, il le croie par un revirement extrême
incapable de pardonner, il arrive en un mot que
de la présomption l'homme tombe dans le déses-
poir. Il suffit pour cela, d'un côté, que la conscience
se réveille et lui montre l'indignité de sa conduite,
de l'autre, que le malheureux soit frappé par l'idée
de la justice sans penser à la bonté. On trouve
fréquemment dans les choses humaines ce passage
de la folle prétention au découragement absolu,
on le constate aussi dans les choses divines.
Si, Messieurs, l'orgueil est la véritable cause de
la présomption qui blesse si gravement l'espérance,
pour garder l'espérance cultivons l'humilité qui se
mêle à toutes les vertus. A l'école de l'humilité nous
apprendrons à nous défier justementde nous-mêmes,
de nos idées, de nos œuvres, de nos méthodes,
de nos systèmes, et nous nous souviendrons que
nous puisons en Dieu, nou en nous, la force de vivre
2 i8 l'espérance
saintement sur la terre et de nous élever au ciel,
qu'il faut demander à la prière, à la pénitence, à
l'Eucharistie l'énergie dont nous avons besoin pour
mettre en œuvre TEvangile et pour mériter le
bonheur éternel.
A l'école de l'humilité nous apprendrons que Dieu
n'a pas besoin de nous et que c'est par bonté, qu'il
partage avec nous sa gloire, nous apprendrons qu'il a
le droit d'exiger que nous employions toute la vie
présente à préparer la vie future dont il daigne nous
promettre la possession, qu'il a le droit d'exiger de
nous le repentir après avoir supporté nos offenses,
et le mérite avant de nous conférer la béatitude.
A l'école de l'humilité enfin, nous apprendrons à
craindre les surprises de la mort, à nous comporter
comme si, à chaque instant, nous pouvions être
appelés à rendre nos comptes au tribunal du souve-
rain Juge, en un mot à suivre tout l'ordre deles-
pérance et à repousser tous les conseils de la pré-
somption. Ainsi soit-il
CINQUIÈME INSTRUCTION
VENDREDI SAINT
TYPES DE PRÉSOMPTION, DE DÉSESPOIR
ET D'ESPÉR4NCE
DANS LA PASSION DE Jii S US-CHRIST
SOMMAIRE
La Passion de Jésus-Christ, résumé de l'histoire religieuse
et morale de l'humanité. Heurt de tous les vices et de toutes
les vertus. Apparition de la présomption dnns les Pharisiens,
du désespoir dans Pilate et dans Hcrode, de Tespérance dans
la Sainte Vierge et dans les saintes femmes. Nécessité de
limiter le sujet. Choix de trois types de présomption, de
désespoir, d'espérance : saint Pierre, Judas, le bon lar-
ron, p. 253-254.
I
La Présomption de saint Pierre.
a) Attitude de Pierre la veille de la Passion, ses affirma-
tions téméraires. Avertissements réitérés de Notrc-Siîigneur.
Confiance excessive de Pierre en lui-même, p. 2.54-2f)6.
6) On trouve dans l'apôtre tous les caractères du présomp-
tueux. Pierre compte d'une manière exagérée sur lui-même,
il s'élève au-dessus des autres, il fait abstraction du secours
de Jésus, et c'est en vain que Jésus s'efforce de le ramener à
des sentiments d'humilité, p. 256-2o8.
c) Châtiment de la présomption. Première défection de
Pierre au jardin des oliviers. Seconde défection au moment
de l'arrestati )n du Sauveur, que Pierre ne suit plus que de
loin. Lamentable reniement de Pierre dans le palais du grand
prêtre. Comment l'humilité rendit Pierre plus fort que la pré-
somption, p. 2.-i8-262.
II
Le Désespoir de Judas.
a) L'avarice fiitlacanst; du désespoir de Judas. Ii"s avis de
Notre-Seigneur n'ont pas raison de cette passion, qui en Judas
fait de rapides progrès L'avarice conduit peu à peu Judas
au dégoût <lcs choses divines, à l'incréihilili'', à la trahisou du
Maître, p. 202-204.
b) Le désespoir est déjà en ncrmc ilans cette àmc, car
252 l'espérance
désespérer c'est s'éloigner des choses divines et Ic^ repous-
ser. — Judas ne réagit pas, il est envahi par la tristesse qui
est un principe de désespoir. Tristesse sombre de Judas. —
Judas franchit le dernier pas, et il considère son salut comme
plus impossible à mesure qu'il est plus infidèle. — Enfin le
désespoir éclate. Peinture de ce désespoir qui conduit Judas
au suicide, p. 264-268.
III
L'Espérance du bon larron.
1. — a) Situation douloureuse du bon larron. Emotion du
misérable quand il contemple le Sauveur, p. 268-270.
b) En entendant la prière de Jésus, il sent renaître en lui
l'espérance. 11 se reproche ses crimes, il les confesse ouver-
tement, il en accepte l'expiation, p. 270-271.
c) A quel degré il compte, pour son salut, sur la puissance,
sur la bonté, sur la miséricorde de iNotre-Seigneur, p. 271-272.
2. — a) Réponse de Notre-Seigncur. 11 fait des promesses
spéciales au bon larron. 11 lui promet pour le jour même le
paradis, p. 272.
b) Joie du bon larron pénétré par l'espérance. Sa sainte
mort, p. 273,
Leçons pour les chrétiens. Ce que l'on apprend en médi-
tant sur la présomption de Pierre, sur le désespoir de Judas.
Ce que l'on apprend à l'école du bon larron, p. 273-274.
CINQUIÈME INSTRUCTION
VENDREDI SAINT
TYPES DE PRÉSOMP nON, DE DÉSESPOIR
ET D'ESPÉRANCE
DANS LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST
Domine, memenlo mi-i, citm vc-
neris in refjnum tuum.
Souvenez-vous de moi, Seigneur,
quand vous serez arrivé dans votre
royaume.
(Luc. XXIII, 42).
Eminentissime Seigneur, (1)
Messieurs,
La Passion de Jésus-Christ est comme un résumé
de l'histoire religieuse et morale de l'humanilé : la
lutte entre le hien et le mal y éclate si violente
qu'elle n'a jamais paru plus tragique. La foi et Tin-
crédulité s'y heurtent, la haine s'y .insurge contre
l'amour; chaque vice et chaque vertu s'y mani-
festent en des actes inoubliables. Si je voulais
(1) s. E. M'' le Cardinal Amélie, archevcV|uo do Pari».
234 f/espérance
signaler à votre attention tout ce qui dans ce drame
intéresse l'espérance, je devrais descendre dans le
cœur des Pharisiens pour y flétrir la présomption
arrogante qui essaie de substituer Thomme à
Dieu, je devrais vous montrer le désespoir dans
l'âme de Pilate qui renonce à la connaissance
de la vérité , dans la conscience d'Hérode qui
dissimule sous les paroles d'une ironie affectée
ses secrètes terreurs, dans le larron impénitent qui
expire en blasphémant, je devrais vous découvrir
sur le front béni de la Vierge et des saintes femmes
le rayonnement de la belle vertu qui les soutient,
qui les console et dont je vous ai entretenu, durant
cette station.
Mais ce cadre est trop large et pour le remplir je
devrais m'élendre trop loin. Permettez-moi donc de
le restreindre et de présenter seulement à vos médi-
tations trois types : un type de la présomption, saint
Pierre; un type du désespoir. Judas; un type de
l'espérance, le bon larron.
I
C'était à la fin de la Cène, Jésus et ses apôtres
avaient chanté l'hymne de l'action de grâces et pre-
naient le chemin qui conduit au jardin des oliviers.
Les paroles du Sauveur étaient empreintes d'une
mélancolie grave et respiraient je ne sais quoi
de douloureux qui impressionnait ses disciples;
CINQUIÈME INSTRUCTION 255
Pierre ne put taire son inquiétude : « Seigneur
dit-il brusquement, où allez- vous donc? Domine,
quo vadis (1)? » Jésus répondit: « Vous ne pouvez
pour l'instant me suivre où je vais, vous me suivrez
plus tard (2). » L'émotion de Pierre s'accrut :
« Et pourquoi, s'écria-t-il vivement, ne pourrais-je
vous suivre? Ma vie n'est-elle pas à votre disposi-
tion? Animam meam pro te pono (3). » Alors, le
Maître, précisa sa pensée en ces termes : « Simon,
Simon, voilà que Satan vous a réclamés pour vous
passer au crible comme le froment, mais j'ai prié
pour toi (4). » Pierre ne voulut rien entendre, il
poursuivit : « Seigneur, je suis tout prêt à subir avec
vous la prison, à marcher avec vous à la mort (5). »
Jésus refusa de céder, et il ajouta sur un ton
attristé: « Tous, en ma personne, cette nuit, vous
serez scandalisés, car il est écrit : Je frapperai le
pasteur et les brebis du troupeau seront disper-
sées » (6). L'impatience de saint Pierre ne connut
plus de bornes : emporté par celte ardeur qui le
rendait si sympathique, par cette imprudence qui
le rendait si téméraire, il protesta véhément et
presque indigné: « Quand môme tous seraient scan-
dalisés, moi jamais je ne le serai, ego nunquani
(1) s. Jean, xiii, 36.
(2) Ihid.
(3) Ihid., xiit, 37.
(4) S. Luc, xxii, 3t.
(5) Ihid., xxii, 33.
(6) S Matth., XXVI, 31.
236 l'espérance
scandalizabor (1). » Le Christ, devant cette assu-
rance, coupa court et jeta ces paroles tranchantes à
Simon: « En vérité, je te le dis, cette nuit, avant
que le coq chante, tu m'auras renié trois fois (2). »
Simon ne laissa pas au Maître le dernier mot, et
comme révolté, il répliqua : « Même s'il faut mou-
rir pour vous, je ne vous renierai pas. Etiamsiopor-
tuei-it me mofi tecum, non te negabo (3). »
La voilà saisie sur le vif, cette présomption qui
nous empêche dedouterde nous-mêmes, de prendre
nos précautions contre notre native faiblesse, d'im-
plorer le secours d'une force supérieure, qui nous
pousse à mettre notre confiance en nous et dans la
puissance de nos sentiments au lieu de la placer en
Dieu et dans sa grâce. La voilà avec l'orgueil qu'elle
comporte, celte présomption qui nous fait nous
élever au-dessus des autres et croire que nous triom-
pherons oîi les autres seront vaincus, que nous
accomplirons les œuvres qu'ils ne pourront pas
accomplir, que nous supporterons sans défaillance
les épreuves où ils succomberont, que nous brave-
rons les dangers et la mort devant lesquels reculera
leur courage. La voilà cette présomption qui aspire
à suivre Jésus-Christ au calvaire, au Thabor, au
supplice, à la gloire, sans invoquer son appui; la
voilà cette présomption qui maintient ses préten-
(1) s. Matth., ïxvi, 33.
(2) IbiiL, XXVI, 34.
(3) Ibid., xxvr, 35.
CINQUIÈME INSTRUCTION 257
tions aveugles, sans tenir aucun compte des conseils
de ceux qui nous connaissent mieux que nous ne
nous connaissons nous-mêmes, qui ferme nos oreilles
aux avertissements les plus éclairés, les plus graves,
les plus affectueux, les plus désintéressés.
En vain, sur la route de Gethsémani, Jésus pour
prévenir la chute de Simon et des autres apôtres,
rappela-t-il que dans l'ordre surnaturel la force
vient de Dieu et non de nous, que pouvant tout en
nous fondant sur Dieu, nous ne pouvons rien en
nous fondant sur nous. En vain se plut-il à répéter
à ses compagnons : « Celui-là seul qui met en moi
sa confiance fera ce que je fais. Qui crédit in nie,
opéra qaœego facio et ipse faciet (1). » En vain, à la
lueur des astres de la nuit et des feux allumés pour
la moisson, essaya-t-il, en montrant les collines
d'Ophel parées de pampres, d'inculquer sa pensée
aux onze et de leur dire : « Je suis la vigne, vous
êtes les rameaux; celui (jui demeure en moi et nie
permet de demeurer en lui portera beaucoup de
fruit, mais sans moi vous ne pourrez rien faire (2). »
En vain du ravin du Gédron éleva-t-il les yeux vers
le ciel, et implora-t-il en faveur de ses disciples le
secours du Père, indiquant à ceux-ci qu'ils se sanc-
tifieraient en comptant sur la grâce et non sur leur
volonté. En vain au jardin des oliviers invita- l-il
l*ierre à prier et à veiller parce que la tentation cet
(1) s. Jf.an, XIV, il.
{•l)lhid , XV, 5-6.
l'espérance — 17.
2o8 l'espérance
redoutable et parce qu'il y a loin de la promptitude
de l'esprit à rinfirmité de la chair. Pierre entendit
ces paroles sans en comprendre le sens, sans y con-
former sa conduite, sans se départir de sa folle pré-
somption.
L'humiliation qui est le châtiment des présomp-
tueux ne se fit pas attendre : elle devait être égale à
la vanité qui avait éveillé une si téméraire con-
fiance. Bientôt le zèle de Pierre si affirmatif fléchit,
et se refroidissant peu à peu il finit par s'éteindre
dans une lamentable défection. Sous les arbres
de Gethsémani, en efl'et, malgré les invitations de
Jésus qui avait dit : « Sustinete hic et vigilate
mecuni. Restez ici pour me soutenir et veillez avec
moi », Pierre s'endormit profondément pendant
que le Sauveur luttait dans la première fièvre et
dans le premier frisson de l'agonie. Que de choses
renferment ces paroles adressées par Jésusàsondis-
disciple : « Simon, dormis, non potuisti unâ horâ
vigilare mecum.^\m.oji, in Aov&^iu n'as pas pu veiller
une heure avec moi. » béjà Pierre est surpris en
flagrant délit de négligence à l'égard de son Maître.
Au moment de l'arrestation de Jésus, il essaya,
dirait-on, de se ressaisir, et emporté par sa fougue
naturelle, il tira son épée et tenta de repousser par
la force les ennemis de son Maître. Mais que cette
intrépidité inopportune eut peu de durée! Quand le
Chef des Apôtres vit le Sauveur aux mains de
CINQUIÈME INSTRUCTION 2;)9
ses adversaires, il ne le suivit plus que de loin,
Petrus autem sequebatur a longe, il était déjà plus
retenu par la crainte qu'entraîné par l'amour. Qu'il
fallut peu de choses pour désorienter complètement
un homme la veille si ferme en apparence, pour ré-
duire à néant un courage qui s'était affiché avec tant
d'assurance 1 On peut dire que pendant quelques ins-
tants et jusqu'à ce qu'il eut reçu du Maître le regard
doux, triste et pénétrant oîi il retrouva la possession
de lui-même, Pierre fut le jouet de tous les subal-
ternes qui voulurent abuser de sa faiblesse et de soii
effroi. Autant il s'était prononcé pour Jésus au soir
de la Gène, autant par un revirement total il
rougit de lui au matin de la Passion. Il entra dans
le palais du grand- prêtre à la suite de Jean. Au
moment oii il en franchissait le seuil, la femme qui
gardait la porte dévisagea l'étranger : « N'es-tu pas
aussi, lui dit-elle, disciple de cet homme ? — Je ne le
suis pas », répondit Pierre, et il passa rapidement.
Son ardeur était bien tombée : tout tremblant, il
s'assit dans un groupe de valets qui se chauflaient
au feu d'un buisson d'épines, il garda le silence,
attendant, dirait-on, l'issue du procès, avec moins
d'intérêt que de curiosité. Sedebal ctini rninis//is,
Ht videret finem. La servante le rejoignit, et le
regardant fixement à la lueur des (lammes : « Certes,
reprit-elle, tu étais avec Jésus de Na/arolb. » Pierre
nia devant tous et murmura : « Je ne sais ce que tu
vi'iix dire. » ('otto femme ne (b'-sumui pas et se tour-
260 l'espérance
nant vers les autres, elle continua : « Certainement,
il était avec lui. — Femme, riposta l'apôtre, je ne
le connais môme pas. » Puis décontenancé, il se
rapprocha de l'entrée. Mais une autre servante l'in-
terpella et s'adressant à ceux qui l'environnaient :
« Cet homme était avec Jésus de Nazareth », dit-elle.
Pierre protesta, en usant cette fois du serment. La
portière de son côté poursuivait Pierre, répétait à
qui voulait l'entendre : « Il est sûr qu'il faisait
partie de ces gens-là. » Et les témoins de ^cette
scène soulignaient les paroles de la servante, et
Pierre devant tous comme à chacun renouvelait ses
reniements. Importuné par tant de questions
l'apôtre revint au foyer, où, pendant près d'une
heure, on le laissa en paix. Mais bientôt il conversa
avec ses voisins, alors les soupçons reparurent et
s'exprimèrent de mille façons : « Tu es bien un de
ses disciples, disait l'un, ton accent te trahit, tu
viens de Galilée. — Je t'ai vu dans le jardin avec
lui », disait l'autre. A toutes ces apostrophes embar-
rassantes qui pressaient Pierre de confesser son
Maître, Pierre répondait par des protestations sans
nombre, jurait avec indignation qu'il ne compre-
nait rien à ce qu'on lui reprochait, qu'il n'avait
rien de commun avec Jésus, qu'il ne connaissait
même pas Jésus. Ses dénégations prenaient peu
à peu une note de colère éperdue et ressem-
blaient à je ne sais quelle réprobation, à je ne sais
quel anathème, à je ne sais quelle malédiction à
CINQUIEME INSmUCTION 261
l'adresse du Maître divin qui pendant ce temps-là
subissait les interrogatoires perfides du Sanhédrin,
les accusations des faux témoins, les soufflets des
valets et s'entendait condamner à mort par le tribunal
suprême d'Israël. Quelle volte-face et que de chemin
parcouru, en apparence, de l'assurance de la Cène à
l'abandon injurieux et honteux de la cour du grand-
prêtre! Ah! Pierre apprit à ses dépens, que l'homme
qui ne compte que sur lui-même pour tenir ses
promesses, pour faire face à ses devoirs, pour braver
le mondq, ne tarde pas à se démentir, à se trahir,
à se perdre, à scandaliser par sa lâcheté ceux qu'il
avait la prétention d'étonner par son héroïsme.
En répandant les larmes amères qui ne cessèrent
plus de couler de ses yeux, Pierre avoua que, si nous
sommes capables de très hautes aspirations, nous
sommes impuissants à tenir nos plus énergiques
résolutions lorsque le ciel ne nous assiste pas,
qu'espérer uniquement en soi pour faire le bien et
pour y persévérer c'est se préparer les plus humi-
liantes et les plus douloureuses déceptions. H com-
prit, quand le coq chanta, que les rameaux vivent
de la sève puisée dans l'arbre, que le cep auquel
nous devons demander la vie c'est Dieu, que nous
nous élevons au sommet de la perfection en nous
appuyant sur lui; il pénétra le sens profond de la
parole que lui avait adressée Jésus sur la route de
Gethsémani : Sine me^ niJiil poteslis faccic.
262 l'espérance
L'humilité qui attire la grâce le rendit plus fort que
la présomption qui prépare la chute, et plus tard
il sut, devant les maîtres du monde en mettant sa
confiance dans la puissance infmie, mourir pour
celui qu'il n'avait pas ou le courage de confesser
devant des valets en ne comptant que sur lui-
même.
II
Dans la Passion, le type le plus frappant du
désespéré, c'est Judas. En réunissant les détails que
riivangile nous fournit sur cette sombre person-
nalité, vous verrez naître, éclater, puis se résoudre
en une catastrophe irréparable le vice le plus con-
traire à la vertu d'espérance.
Toutes les passions déréglées, disions-nous ces
jours-ci, conduisent au désespoir, parce que toutes
tuent l'amour qui sert de racine à l'espérance
des biens spirituels et de l'éternelle félicité, parce
que toutes, à des degrés divers, engendrent une
tristesse malsaine qui énerve la volonté et l'em-
pêche de s'élancer vers le ciel, parce que toutes en
ajoutant chaque jour des fautes aux fautes nous
rendent le salut plus difficile et finissent par nous
persuader qu'il est impossible.
C'est la soif de l'or qui perdit Judas. Livré h son
impérieux penchant, le douzième apôtre tomba de
plus en plus bas. Le Maître essayait de le retenir
CINQUIÈME INSTHUGTION 263
sur la pente où il étaitemporté. Tantôt, en effet, Jésus
adressait à la foule des paroles où le perfide aurait dû
entendre un appel, un reproche, un paternel conseil.
« Ne vous amassez pas des trésors sur la terre... Là
où est votre trésor, là est votre cœur... Vous ne pou-
vez servir Dieu et Mammon ; » tantôt il pous-
sait un cri d'effroi en pensant au fils de perdi-
tion : « Ne vous ai-je pas choisi douze? Et l'un de
vous est un démon ; » tantôt, prévoyant jusqu'où
irait l'iniquité de son disciple, il ouvrait à celui-ci
les perspeclives d'un affreux avenir. « Malheur à
l'homme par qui le Fils de l'homme sera trahi ! »
Ces avis miséricordieux n'arrêtèrent pas Judas :
son âpreté s'accroissant toujours, il s'irritait de
plus en plus contre tout ce qui l'empêchait de con-
tenter sa passion, et devenait de moins en moins
scrupuleux sur les moyens d'augmenter sa for-
tune. 11 commença par s'approprier ce qu'il put
de la bourse commune, puis, bientôt, par un vol
criminel il s'attribua l'argent destiné à secourir
les pauvres. Enlin il commit, pour grossir son
trésor, le plus grand de tous les crimes. Errant
dans les parvis du temple, il entend les gardes
se demander comment on arrêterait Jésus :
« Que voulez-vous me donner, dit-il, et je vous le
li\'rerai. » Sur-le-champ, on l'introduit auprès du
Sanhédrin, et pour prix de sa trahison ou lui accorde
trente deniers. Alors, les actes du drame se pré-
cipitent. Deux jours après, Judas guide les envoyés
264 i/E8Pi!;nANCB
de la synagogue à travers le jardin des oliviers et
consomme son forfait en livrant Jésus par un baiser.
En observant attentivement l'àme de cet avare,
on peut voir poindre de loin le désespoir sur son
horizon. Ce sentiment se montre déjà dans le dégoût
que peu à peu Judas ressent pour les choses spiri-
tuelles, puis il s'accuse, dans la tristesse qui accable
le coupable, jusqu'au jour ovi il éclate avec une
violence qui ne se peut contenir et qui se porte aux
dernières extrémités.
A mesure que l'apôtre devenait la proie de
l'avarice, il manifestait plus d'indifférence pour
le royaume de Dieu et pour tous les biens qui
s'y rapportent. Lorsque Jésus à Capharnaum an-
nonça son intention d'instituer l'Eucharistie et de
nourrir les hommes de sa chair et de son sang,
Judas fut de ceux qui murmurèrent et qui témoi-
gnèrent de leur répugnance pour le nouveau mys-
tère. Lorsque Marie vint chez Simon le lépreux, avec
un vase d'albâtre rempli d'un nard exquis qu'elle
répandit sur la tète et sur les pieds de Jésus, Judas,
au lieu d'admirer l'acte d'adoration dont le monde
devait parler pendant des siècles, au lieu de se réjouir
de l'honneur dont le Sauveur était l'objet. Judas mon-
tra du mécontentement, del'indignalionetse plaignit
amèrement du gaspillage d'un parfum qu'on eût pu
vendre trois cents deniers. On sent qu'à cette date
le royaume de Dieu n'occupe plus aucune place dans
CINQUIÈME INSTRUCTIO>f 265
les préoccupations de l'homme de Kérioth, que les
paroles, les actes, la société de Jésus lui pèsent,
qu'il ne reste attaché à son Maître que par un vil
intérêt, on sent qu'il n'éprouve plus que du dégoût
pour les choses spirituelles, qu'il a hâte de voir
changer le cours des événements, de secouer un
joug devenu pour lui insupportable.
Ce sentiment de répugnance pour le Christ et
pour les réalités divines contient déjà le germe du
désespoir, car on s'éloigne instinctivement des cho-
ses que l'on n'aime plus, on les tuit, on les repousse,
on brise les liens qui nous rattachaient à elles. Or,
précisément désespérer, c'est chasser de son cœur la
pensée de la béatitude et des biens qui s'y réfèrent,
c'est rompre avec le Christ qui nous ouvre le ciel,
c'est s'insurger et s'irriter contre quiconque veut
nous ramener dans les voies du salut et le considé-
rer comme un ennemi. J'ai donc raison de dire que
du jour où Judas éprouva cette aversion pour le
royaume des cieux, pour son Maître, pour ses frères
dans l'apostolat, il portait déjà dans son àme un
principe de désespoir.
Pour échapper au mal il faudrait réagir, mais
une mélancolie malsaine el déprimante s'empare
de riiomine livré à sa passion, relâche tous les res-
sorts de sa volonté, et lui interdit l'cIVort que
réclame l'espérance pour tondre à la sainteté
et à la béatitude. Judas est triste, on \o devine, sa
figure ne connaît pas l'épanouissement • on dirait
266 l'espérance
qu'il vit toujours dans la nuit, tellement il nous
apparaît sous des traits assombris. Il est triste
parce qu'il n'a plus la joie de la conscience, il
est triste parce qu'il ne trouve pas dans son vice la
compensation qu'il en attendait, il est triste parce
que plus il accumule lor et plus il s'aperçoit que
rien ne peut combler le vide de son âme, parce
que plus il essaie d'apaiser ses désirs et plus il
constate qu'ils sont insatiables. Alors il s'abandonne,
il devient de plus en plus incapable de remonter le
courant, de rentrer dans la voie : de cet affolement
au complet désespoir il n'y a plus qu'un pas.
Judas le franchit, en finissant par se dire à lui-
même ce que se disent tous les désespérés : « Pour
moi, le salut est impossible. » Chaque infidélité, en
etfet, entre Judas et Dieu élève une plus haute bar-
rière, creuse un abime plus profond. Mais quand
il a conclu son pacte odieux, Satan entre en lui,
Satan qui, après avoir poussé au crime en en fai-
sant briller tous les avantages, pousse ses vic-
times, au désespoir en exagérant l'horreur de leur
conduite et en leur répétant qu'il leur est im-
possible d'obtenir le pardon. Aussi dès qu'il eut
consommé son forfait, dès qu'il vit que Jésus traîne
du jardin des Oliviers au Sanhédrin, du Sanhédrin
au prétoire était condamné à mort, l'apolre eut
conscience de la monstruosité de son action. Un
spectacle insupportable s'imposait à son esprit : le
spectacle de Jésus arrêté sur un signe de sa main.
CINQUIÈME INSTRUCTION 267
garroté comme un malfaiteur, accusé jDar de faux
témoins, souffleté par les valets, outragé par les
juges et voué au pire de tous les supplices. Le
démon, qui le possédait, se plut à lui rappeler la
longue série de ses iniquités, de ses dissimulations,
de ses mensonges, à lui peindre sous leur jour le
plus odieux les détails de son forfait, à mettre en
opposition ses procédés, ses abus de confiance, avec
les procédés de Jésus qui lavait associé à tous ses
travaux, introduit dans ses secrets, initié à sa
vie, qui avait répondu à son geste de traître par les
paroles de l'amitié. Impuissant à porter le poids de
son effroyable responsabilité, de son impitoyable re-
mords, Judas voudrait vomir son mal, et s'il en est
temps encore, en prévenir les dernières conséquen-
ces. L'argent qu'il a tant aimé, tant désiré, tant
cherché, maintenant lui brûle les mains, il le hait, il
le maudit, il a hâte de s'en défaire. Il court chez les
princes des prêtres : Peccavi, tradens sanguinein
j'ustum : « J'ai péché, s'écrie-t-il, j'ai livré le sang
du juste, w EL il essaie de rendre l'argent. Mais ses
complices accueillent Judas par deux mots de mé-
pris : « Quld ad nos? tu videris. Que nous importe?
C'est ton affaire, » et ils se détournent avec dégoût.
Ce mépris et ce dégoût portent à son comble le dé-
sespoir de Judas. Le malheureux jette les trente
deniers dans le temple, puis il s'enfuit, poursuivi
par la voix de son crime, par la vision du stuigqui va
couler et du Maîlrequi va mourir. Il s'oufiiit, pcr-
268 l'espérance
suadéque pour lui il n'y a plus aucune issue, que les
voies du salut lui sont à jamais fermées. Il se rap-
pelle peut-être les traits de miséricorde dont il a été
le témoin, la grâce vient sans doute encore le solli-
citer, l'inviter au repentir, lui promettre l'indul-
gence du Père céleste, mais la défiance l'emporte
dans son cœur. Il refuse de croire qu'il peut être
sauvé par la vertu du san^^ qu'il fait répandre, que
la bonté de Dieu va plus loin que notre perversité,
par une suprême aberration il doute de la miséri-
corde infinie, il s'imagine que le Christ, venu pour
effacer les iniquités de toute la terre et de tous les
siècles, est incapable d'effacer la sienne, et il
inflige à son Maître un dernier outrage en limitant
sa puissance et sa bonté. En sortant de Jérusalem,
il se répète comme Gain : Mon péché est trop grand
pour que j'obtienne mon pardon.
Quand Judas fut seul, le désespoir le frappa de son
traitfinal : le criminel ne vitnidansle monde, ni dans
le temps un être qui lui offrît un refuge, la lumière
du jour lui devintinsupportable,un arbre s'élevait au
bord du chemin, il s'y pendit. Son suicide fut le su-
prême excès de son désespoir. Par ce dernier attentat
il rompit pour toujours avec le bonheur, et entre le
ciel et lui il mit l'éternité. Arrachons-nous, Mes-
sieurs, au spectacle d'un apôtre qui meurt en damné,
parce qu'il meurt en désespéré. Tournons nos regards
vers une consolante vision, la vision d'un bandit
qui, grâce à l'espérance, va moiiiir en prédestiné.
CINQUIÈME INSTRUCTION 269
ÎII
Jésus-Christ avait été crucifié entre deux larrons.
Ces hommes, par leurs crimes avaient armé la
justice, provoqué sa colère, attiré sur eux ses der-
niers coups. Le temps n'avaitplus rien à leur donner,
il n'ouvrait plus devant eux que la perspective d'une
agonie affreuse et d'une mort certaine. Ils sentaient
approcher leur fin. On comprendrait qu'en cette extré-
mité, ils s'irritent contre la société qui les sacrifie,
qu'ils maudissent leurs juges et leurs bourreaux.
Il semble surtout qu'ils devraient naturellement se
tourner vers Dieu pour lui demander ses consola-
tions, se recueillir et aspirer avec d'autant plus d'ar-
deur à la patrie céleste qu'ils ne peuvent plus trouver
de place au soleil d'ici-bas. Mais la douleur, au lieu
de les émouvoir, les endurcit, et c'est Jésus qu'ils
outragent, ajoutant à leurs attentats contre les
hommes leurs blasphèmes contre le Fils de Dieu. Ils
unissent leurs voix sacrilèges à la voix de la foule,
et ils disent au compagnon de leur supplice : u Si
tu es le Gnrist, sauve-toi et sauve-nous. » Paroles
ironiques et insolentes qui montent de cœurs encore
moins ulcérés par la souffrance que corrompus par
la malice!
L'un d'eux persévère jusqu'au bout dans ces
sentiments de haine et de férocité, l'autre,
ô miracle de la grâce! se tait soudain. Il contemple
Jésus, il voit sa face ruisselante de sang, con-
270 l" ESPÉRANCE
tractée par la douleur, et cependant rayonnante
d'une doaceur infinie et d'une majesté ineffable.
Alors dans cette àme ténébreuse le jour se
lève, un revirement se produit ; le Crucifié lui
apparaît dans toute sa grandeur. Les choses de
l'éternité l'émeuvent, la question de l'avenir se
pose devant elle, cette àme croit, elle croit à un
Dieu ven,^eur et rémunérateur.
Hélas ! son passé se dresse devant le malheureux
comme un obstacle insurmontable entre Dieu et
lui. L'idée du compte à rendre, la terreur du juge-
ment l'inquiètent et le bouleversent au dernier
degré. Et que faire? les minutes sont comptées, la
mort approche, la mort qui fixe tout. Comment
prévenir la sentence sans appel? Mais voilà que le
Christ prie et demande le pardon pour ses ennemis
et pour ses bourreaux: « Père, dit-il, pardonnez-
leur, ils ne savent ce qu'ils font. ^) On peut donc
obtenir miséricorde, môme quand on a offensé toutes
les lois humaines et toutes les lois divines, même
quand on a condamné le Juste et quand on l'a
insulté jusqu'à son dernier soupir ; on peut donc
aller au ciel môme quand on a souillé la terre et
quand on a trempé ses mains dans le sang d'un
Dieu. L'espérance, une ineffable espérance envahit
l'âme du bon larron et lui suggère tous les actes
nécessaires à quiconque veut retrouver l'innocence :
l'aveu de ses fautes, l'expiation du mal commis, la
confiance dans la puissance et dans la bonté infinie
CINQUIÈME INSTRUCTION 271
de Dieu. Le larron passe en un instant par tous ces
actes. Il reproclie à son compagnon et il se reproche
à lui-même le passé: increpabat eum. Il confesse
ouvertement, de façon à être entendu de tous, la
gravité de ses crimes en proclamant que son horri-
ble supplice ne dépasse pas sa culpabilité : « C'est
justement, dit-il, que nous avons été condamnés et
que nous souffrons, on nous traite comme nous
l'avons mérité: Et nos qui clem juste ^ nam cligna
factis recipimus.
Il semble que ses tortures lui deviennent chères,
parce qu'il trouve dans leur atrocité même un
moyen d'expier plus complètement et de recouvrer
l'innocence par l'eflusion volontaire de son sang.
Mais un sentiment domine tout en lui, une con-
fiance inébranlable en Celui qui meurt à ses côtés.
C'est sur la puissance, c'est sur la bonté, c'est sur la
miséricorde de Jésus qu'il s'appuie pour oser aspirer
au bonheur, c'est de Jésus qu'il attend le pardon et
la gloire, c'est en lui qu'il place toute son espérance.
Il s'adresse à la douce victime avec des mots brefs,
pleins de réalité : « Seigneur, dit-il, souvenez-
vous de moi quand vous serez arrivé dans votre
royaume. Domine, mémento mei, dum veneris in
regnum tuum. » Que son espoir est donc admi-
rable! Que la confiance dans la bonté de Celui qu'il
insultait encore tout à l'heure est donc grande, puis-
qu'il ne craint pas de lui demander un spécial sou-
venir lorsque lu Maître sera environné de sa cour
272 l'espérance
et au milieu de sa gloire! Que sa confiance dans la
miséricorde du divin Crucifié est donc absolue, puis-
qu'il est convaincu que Jésus, sans oublier sa per-
sonne, oubliera son criminel passé I Que sa con-
fiance dans la puissance du Rédempteur est donc
totale, puisqu'il est convaincu qu'il n'aura pas
besoin pour être sauvé d'une intervention éclatante
de Jésus auprès du Père, mais seulement d'une
ombre d'intervention, d'un simple et passager sou-
venir ! Domine^ mémento mei^ dum veneris in re-
gnum tuum.
La réponse ne se fait pas attendre. Sur ce ton
d'autorité, de mansuétude, de tendresse qui lui était
propre, Jésus adresse au malfaiteur cette parole :
« Amen dico tibi, hodie mecum eris in Paradiso.
En vérité je te le dis à toi, tu seras avec moi aujour-
d'hui dans le Paradis. » Amen dico tibi. En vérité,
je le le dis : voilà la promesse qui n'a jamais trompé
personne et qui engage Jésus non plus vis-à-vis de
l'ensemble des hommes, mais vis-à-vis du larron en
particulier. Hodie. Aujourd'hui, non pas après une
longue attente, mais dans quelques heures, ta prière
sera exaucée au delà de tes désirs. Mecum eris. Tu
demandes un souvenir, tu recevras bien davantage,
tu vivras dans ma compagnie. In Paradiso. Tu me
demandes un souvenir dans mon royaume, mais ce
soir tu auras passé de ce monde dans ce royaume
même.
CINQUIÈME INSTRUCTION 273
En écoutant ce discours, le bon larron sent
s'apaiser toutes ses inquiétudes, se dissiper toutes ses
terreurs, sa confiance s'affirmer et devenir invincible.
Les ténèbres couvraient le monde, mais l'inefTable
lumière de l'espérance remplissait son àme; la dou-
leur torturait son corps, mais une certitude inébran-
lable, la certitude d'arriver au bonheur soutenait son
courage ; la terre tremblait, mais le ciel s'ouvrait sur
sa tête, la vie éphémère lui échappait, mais la vie
éternelle s'offrait àlui. Bercé par ses sentiments, asso-
cié à son Maître et fort des promesses qu'il a
reçues, ce bandit supporte sans se plaindre les an-
goisses de l'agonie, il expire dans le baiser de l'espé-
rance et son àme suit celle du Juste dans la gloire.
Contemplez avec émotion. Messieurs, le mystère de
la Passion, méditez-en les nombreuses et diverses
péripéties, vous échapperez à toutes les présomptions .
Vous échapperez à celle qui vous inspire de vous
appuyer sur vous-mêmes pour arriver à la sainteté
et à la béatitude, car en assistant à la chute lamen-
table de Pierre, après avoir entendu ses protesta-
tions de fidélité, vous comprendrez que l'homme
qui compte uniquement sur soi est voué d'avance
aux plus graves échecs et capable de s'infliger à lui-
même les plus invraisemblables démentis; vous
échapperez à la présomption qui déclare le salut
facile et assuré pour ceux -mêmes qui alTectent
L'ESl'liRAXCE. — 18.
274 l'espÛ'.axce
toute leur vie do s'en désintéresser, car si le
Christ a dû tant souffrir pour nous ouvrir les
portes du ciel, il serait insensé de croire que
notre salut ne nous coûtera rien et que nous
obtiendrons le pardon de nos fautes sans nous
repentir, et le JDonheur sans l'avoir mérité. Mais le
spectacle du Calvaire vous gardera aussi du déses-
poir, car une seule goutte de sang versée par un
Dieu a une vertu infinie et pourrait laver les péchés
du monde entier :
Cujus una stilla salvum facere,
Totum mundum quit ab omni scelere.
A Técole du bon larron, vous apprendrez que
soutenue par le Christ, Fâme la plus pervertie,
l'âme que la justice humaine a frappée de toutes
ses rigueurs, l'âme qui a persévéré dans le mal et
dans le blasphème jusqu'à la fin de son existence,
peut encore émouvoir la miséricorde, se réhabiliter
et entrer au royaume des cieux. Si coupables que
vous ayez pu être, si gravement que vous ayez
abusé de la vie, à l'école du bon larron, vous ne
repousserez pas l'espérance, vous direz au Christ,
mort pour vous : « souvenez-vous de moi quand
vous serez arrivé dans votre royaume » ; et le Christ
vous répondra par des paroles d'indulgence, par
les promesses de la gloire : « En vérité, je te le dis,
aujourd'hui — la vie n'est qu'un jour — tu seras
avec moi dans le Paradis. » Ainsi soit-il.
ALLOCUTION
A LA COMMUNION GENERALE DES HOMMBS
DIMANCHE DE PAQUES
L'EUCHAKISTIE
GAGE DE L'ESPERANCE CHRÉTIENNE
SOMMAIRE
D'après la liturgie et les docteurs, l'espérance trouve un
gage précieux daas l'Eucharistie, p. 270-280.
I
Jésus-Christ promet, dans l'Evangile, la béatitude à tou";
en général. Dans l'Eucharistio, il adresse ses promesses à
chacun de nous en particulier. Explication de cette pen-
sée, p. 2-0-;SI.
II
Dans l'Incarnation Jésus-Christ s'unit à la nature humaine,
dans l'Eucharistie il s'unit àcha([ue individu. Intimité de celte
luiion ([ui nous incorpore au Christ, et qui, si nous le voulons,
nous rend inséparables de lui. En vertu de cette union nous
sommes entraînés au Thabor, au Calvaire, au ciel et nous
sommes, pour ainsi dire, sauvés d'avance, p. 281-282.
III
Sauvés d'avance. Jésus dit : » Celui qui mange ma chair et
qui boit mou sang a la vie éternelle. " l']\plicatioa de ce mot.
L'Eucharistie dans notre chair, dans notre sang, dans notre
Ame, c'est le royaume do la béatitude en nous, p. 282-283.
Ecoutons les témoignages de Jésus.
Respectons son union avec nous.
Ne détruisons pas le royaume de Dieu en nous et, sous l'in-
lluence de l'Eucharistie, ce royaume deviendra le royaume
des cicux. p. 28;{-284.
ALLOCUTION
A LA COMMUNION GÉNÉRALE DES HOMMES
DIMANCHE DE [PAQUES
L'EUCHARISTIE
GAGE DE L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
« Fttlurse gloriag nobis pigni/s
datur.
Dans l'Eucharistie nous recevons
un gage de notre gloire future. )>
[Office du Saint-Sacrement.)
Messieurs,
Toute la liturgie, tous les docteurs nous affirment
que Tespôrance chrétienne trouve dans l'Eucha-
ristie le gage le plus précieux, liien de plus certain.
Le Christ, en cllet, promet la vie éternelle à qui-
con(|ue mangera sa chair cl hoira son sang, il
s'unit intimement à lui et devient pour ainsi dire
iiisi'parahle «le son àme, il se donne déjà totalement
280 LESPERAXCE
à lui et lui communique ainsi le germe de la
gloire; autani de raisons d'espérer.
I
Le Christ a promis à tous les hommes qui res-
pecleraient les lois de son Evangile la vie éternelle,
et c'est sur ces promesses que nous fondons notre
espoir d'arriver à la béatitude. Mais ces promesses
sont générales, elles ne s'appliquent à chacun
qu'autant qu'elles s'adressent à tous. En instituant
l'Eucharistie, au contraire, Jésus s'adresse à chacun
de nous en particulier et s'engage à nous assurer
le ciel, si dignement nous mangeons sa chair et
buvons son sang. Dans son discours aux habi-
tants de Capharnaûm, il associe continuellement
l'idée du mystère de nos autels à l'idée de la vie
éternelle, il répète, je ne sais combien de fois :
« Qui manducat hune panem, vivet in aHernum.
Celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Lors donc que vous vous approchez du banquet
sacré, Jésus vous donne sa parole qu'il veut vous
sauver. En répandant son sang sur le Calvaire il
songe à toute l'humanité, en le répandant en vous
par la communion il songe à vous, sa parole
s'adresse à vous personnellement comme elle
s'adressait personnellement au bon larron quand il
lui disait ; « Amen dico tihi, hodie mecum eris in
ALLOCUTION 281
Paradiso. En vérité je te le dis à toi, tu seras
aujourd'hui avec moi dans le paradis. »
Par conséquent, si la société chrétienne trouve
dans les discours évangéliques un gage pour son
espérance, vous trouvez vous, dans l'Eucharistie,
un gage pour votre espérance individuelle, une
promesse qui vous concerne et qui ne sera pas
éludée; et cette promesse qui regarde le bonheur
de votre âme regarde aussi la transfiguration
de votre corps, puisque le Sauveur dans son dis-
cours annonce en même temps et qu'il ménage à
l'esprit la parfaite félicité, et qu'il prépare au corps
la résurrection et l'immortalité : Qui manducat
meam carnem et bibit meum sanguinem^ habet
vitam œlernam et ego resuscitabo eam in novissiiuo
die. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang
a la yie éternelle, et je le ressusciterai au dernier
jour, >
II
Le Chiist ne se contente pas de promettre à ses
convives de leur donner la vie éternelle : il s'unit à
eux. « Celui qui mange ma chair et qui boit mon
sang, dit-iT, demeure en moi et moi en lui. » Et
quelle unioi inlime, celle qui nous incorpore à
Jésus-Clirist, nous lie à lui selon h^ corps et selon
l'esprit, nrnis fîiilèlre de ses os et (b' sa chair! Quelle
union permanuite cl indissoluble l'union comparée
282 l'espérance
par Jésus à celle qui Tattache à son Père. : « En
vertu, dit-il, du lien qui m'enchaîne à mon Père, je
vis par lui, et de même, celui qui me mange
vivra par moi. » Si nous ne la brisons pas nous-
mêmes, cette union nous rendra inséparables du
Fils de Dieu, et nous rendant inséparables de lui,
elle nous associera à toute sa destinée : elle nous en-
traînera avec lui au Calvaire pour y soufFrif en sa
compagnie, mais aussi au Thabor pour être enve-
loppés dans sa passagère transfiguration, à la mort
et au sépulcre où il est descendu, mais aussi à la
résurrection, à la gloire oii il est remonté et dans
le sein lumineux du Père où il est rentré. Où cher-
cher pour notre espérance une garantie plus pré-
cieuse, une certitude plus inébranlable? Ne sommes
nous pas à l'abri de toute surprise, de toute décep-
tion, ne sommes-nous pas sauvés d'avance en res-
tant unis à Celui qui ne peut pas se perdre?
111
Nous sommes en effet sauvés d'avanca et c'est
Jésus-Christ qui nous l'affirme. Il ne dit pas :
c< Celui qui mange ma chair aura li vie éter-
nelle »•, il dit : « Celui qui mange laa chair a
la vie éternelle. » Le Sauveur dans l'Eacharistie ne
s'unit pas seulement à nous, il se donne à nous,
nous le recevons tout entier. Nous lecevons d'une
manière mystique son corps dans notre corps, son
ALLOCUTION 283
sang dans notre sang, son esprit dans notre esprit,
sa Divinité dans notre humanité. Mais la Divinité
en nciiis, c'est en notre chair le germe d'immorta-
lité que la corruption ne pourra point altérer, l'em-
preinte de vie que rien ne pourra effacer. La Divi-
nité en nous, c'est le principe de la vision béatifi-
que enraciné dans notre esprit, c'est déjà l'amour
substantiel entrant en rapport avec notre cœur, c'est
au dedans de nous le royaume de Dieu et la béa-
titude. Aujourd'hui ce royaume de Dieu est plongé
dans le mystère, enveloppé dans l'écorce du sacre-
ment comme le grain de froment est enseveli dans
la terre, mais peu à peu la gloire qu'il contient écla-
tera comme les semences cachées dans les sillons,
elle se fera sentir et nous rassasiera de ses ineffables
joies. Dans l'Eucharistie notre espérance trouve
donc la vie éternelle en toute sa réalité, bien que
disparaissant derrière l'obscurité du mystère, elle
reçoit le gage de la vie éternelle qui un jour se
manifestera aux hommes avec son incomparable
splendeur.
En ce moment, Messieurs, écoutez les témoignages
que Jésus-Christ vous donne au fond de vos âmes ;
puis, approchez-vous souvent du divin Banquet afin
d'y entendre se renouveler ces promesses que vous y
recevez, afin que ces promesses se gravant à jamais
dans votre mémoire y entretiennent el y alVermis-
sent l'espérance. Respectez l'unicui (|U(' vous ave/
284 LESPERANCE
contractée avec Jésiis-Chriçt ce matin, appliquez-
vous à en perpétuer l'intimité, et à mesure que
vous avancerez dans la vie vous serez plus définiti-
vement enchaînés au Sauveur, plus étroitement as-
sociés à sa personne et plus sûrs d'être associés à sa
béatitude. Le royaume de Dieu est en vous, ne l'y
détruisez pas de vos propres mains, au contraire dé-
fendez-le centre toutes les attaques du dedans et du
dehors, protégez-le contre tous les germes de des-
truction; vous protégerez en même temps votre
espérance, jusqu'au jour où cette espérance s'éva-
nouissant pour l'aire place à un meilleur état de
choses, vous serez éblouis par la gloire dont vous
recevez en vous le principe, en recevant Notre-
Seii^neur Jésus-Christ. x\insi soit-ii.
APPENDICES
PRINCIPAUX AUTEURS CONSULTÉS
I
i
PREMIÈRE CONFÉRENCES
Saint Augustin. — Cité de. Dieu, liv. XIII, cli. k ,
liv. XIX, ch. v; liv. XXII, ch. xxx; Enarr. in
Psalm. XLI, v. 9; Enchiridion de Fide, Spe et
Charitale, n" 114, etc.
Saint Thomas. — 11" II'', q. xvii, art. 2; III Seul.,
Dist. 26, q. ii, art. 3 ; de Virtute, q. iv, art. 1, etc.
Cajetan. — II" II'^, q. xvii, art. 2.
Banez. — U)id.
Sekaphix Cai'pom. — Ihid.
Jean de saint Thomas, — Cursus Theologicus,
De Spe, Disp. iv, art. 2.
Go^tenson. Tlieologia Mentis et Cordis, lib.
VII, DisserL III. c. i.
Salma.nitcenses. — Cursus theologicus. De Spe,
Disp. I, Diib. MI.
Gonet. — Clypeus TJtomisiicus. De Virlute Spei^
art. 1-3.
GiiMLiATi. — TIteologia. De Spe théologien , ^ I.
Seiîua. — Sunima Comment (triorum in II"" II",
P. Th., q. XVII, art. 2, Dul).
Gotti. — Tlieologia S('}ioliistii\)-(logmutica, XI.
De Spe théologien, q. i, Diii). II.
288 l'espérance
BiLLiART. — Sumnia S^' Thomœ. DeSpe, q. unie,
art. 2.
Renard. — Dictionnaire de la Bible. Espérance.
Harent — Dictionnaire de théologie catholique.
Espérance.
Mgr d'Hllst. — Conférences de Notre-Dame, \Sd2.
5^ conférence. E espérance chrétienne.
Mgr Gay. — De la vie et des vertus chrétiennes.
i
DEUXIÈME CONFÉRENCE
Saint AuGUSTI^. — Cilé île Dieu^ liv. Xlll, ch. x ;
Eiiarr. in Psr/lni., XLI, S-\i; in Psalm., LXXV, 8;
in Psalm., GXLV, 9 ; Sei'iuo III \ Encliiridion de
Fide^ Spe et Chai'itate, n° 30, etc.
Saint Thomas. — I" II*, q. xxiii; IP IP , q. xvii;
III Sent., Dist. 26, q. ii, art. 3; de Virtute, q. iv,
art. l-i, etc.
Cajetan. — I' II", q. xviî.
Banez. — Ibid.
Jean de Saint-Thomas. — Loc. cit., Disp. iv, art. I .
Salmanticcnses. — Loc. cit., Disp. i, Duh. 111.
Serra. — II" H*, q. xvir, art. 2. Diib.
Contenson. — Tlieologid Mentis et Cordis,
lil). VIII, Diss. III, c. 1. Spcc. 1.
Gonet. — De Virtute Spei, art. 2.
Gotti. — Loc. cit., q. i, Dut). II, s:^ II.
BiLLUAUT. — De Spe, art. 2, i; II.
Cuniuati. — Loc. cit.
Mazzella. — De Virtutibus infiisis, p. 4").
Billot. — De Viflutibus infasis, p. 3.'i3.
Harent. — Dictionnaire de théologie catholique.
Espérance.
Mr.R d'IIlesi'. — Loc. cil.
Mgr Gay. — De ici vie et des vertus chrétiennes.
l'espérance. — 19.
TROISIÈME CONFERENCE
Saint Augustin. — Enarr. in Psahu. Clli, 17.
Saint Thomas. — II' II**, q. xvii, art. 1 ; ill Sent.,
Dist. 27, q. II, art. 1 ; De Virtute, q. iv, art. 1 ;
Contra Génies, III, 153.
Cajeîan. — IP IP, art. 1.
Banez. — Ibid.
Serra. — Ibid.
CONTENSON. — LOC. Cit., Cil. I.
Go?«ET. — Loc. cit., art. 1.
GoTTi. — Loc. cit., q. i, Dub. I.
CUNILIATI. ' Loc. cit.
Jeaîn de Saint-Thomas. — Loc. cit., art. 3.
BiLLVART. — Loc. cit., art. 1.
Salmanticenses. — Loc. cit., Disp. ii.
Harent. — Dictionnaire de théoloi^ie catholique.
Espérance.
QUATRIEME CONFÉRENCE
Saint Augustin. — De Genesi ad lilteram,
liv. VIII, ch. 11 ; De Doclrina Chrisliana, liv. I, 22;
Sermo, GXLII,cli. m; in Psalm., CXXXVII, n° 2.
Albert le Grand. — Paradisus animœ. ch. i.
Salnt Thomas. — P II*, q. xxvii, art. 1 ; IP II",
q. XVII, art. 8; q. xxin, art. 6, ad 3""'; q. xxvi,
art. 13, ad 3""; IV Sent., Dist. 35, q. i, art. 4,
sol. 2; Dist. 29, q. i, art. 3, ad 2"™.
Cajetan. — 11" II", q. XVII, art. 5.
GoNET. — De Virtule Spei, art. 2, § II.
Salmanticenses. — Loc. cit. Disp. 2.
Billuart. — Loc. cit., art. 2, obj. I.
Saint François de Sales. — Traité de Uainour de
Dieu, liv. Il, ch. xv-xvii.
BossuET. — Instruction sur les états d'oraison,
Tradition des Nouveaux mystiques ; Sommaire de
la doctrine du livre qui a pour titre : Explication
des Maximes des Saints, etc.
Fénelon. — Explication des Maximes des Saints
sur la vie intérieure ; fjeltrcs de Mgr U Archevêque
de Cambrai un de à ses amis ; liistrucliou pttsio-
292 l'espérance
raie de V ArcJievèque de Cambrai sur le livre inti-
tulé : Explication des Maximes des Saints.
Massoulié. — Traité de V amour de Dieu; Traité
de la véritable oraison.
Harent. — Dictionnaire de théologie catholique.
Espérance.
Mgr d'Hulst. — Loc. cit.
CINQUIÈME CONFÉRENCE
Saint Thomas. ■ — PII", q. xl, art. 4, ad 3'"";
II' 11% q. XX ; III Sent., Dist. 26, q. i, IH, :i""' ; De
Jfalo, q. XV, art. 4, ad 3"'°.
Cajetan. — II" IP, q. XX.
Banez. — Ibid.
Sylvius. — Ibid.
BiLLUART. — De Spe, art. 5.
Jean de Saint-Thomas. — Cursus tlteol. De Spe,
Disp. 13.
Salmanticenses. — Cursus theologicus. Tract.
XVIII. De Spe, q. xx. Disp. v. — Cursus tlieol.
moralis. Tract. XXI, eh. vi.
Mayot.. — PraeuDibiila ad decaloguni, De Spe,
art. 2.
Gotti. — Theol. Dogmatica ScJiolastica. De Spe,
q. ir. Diib. IV, § IV.
Suarez. — De Fide. Disp. xvi, Sect. Il, n" 3. —
De Spe. Disp. , q. n.
Philippe de la SAiNrE-TRiNiTÉ. — Suninia llieolo-
giœ mysticœ. t. I, p. 4rjr).
Antoine du SAiNT-FIsi'itrr. — Direcforiuiii niysti-
cuin. Tract. II. Disp. vin, Srcl. 1, ii" 313.
294 l'espérance
Meynard. — Traité de la Vie intérieure, t. I, n" 85 ;
t. II, n°^ 168-172.
DuBLANCHY — Dictionnairc de théologie catho-
lique. Désespoir.
Sbnault. — Usage des passions . Troisième traité.
De l'Espérance et du désespoir.
SciiRAM. — Theologia mystica, t. I.
Lehmruhl. — Theol. juoralis, t. I, n" 310 et seq.
Valgornera. — Mystica theol. divi Thomœ,
.]. II, disp. VII, art. 9.
SIXIEME CONFERENCE
Saim Thomas. — IP H*, q. xxi ; q. lxx, art. 3 ;
q. cxxx ; q. cxxxin, art. 1 ; II Se?it., disp. 22, q. i,
III, 5""».;
Albert le Grand. — In Marcum, III, 29.
Cajetan. — IP II"", Loc. cit.
Banez. — Ibid.
Salmanticences. — ' Cursus theolog. De Spc,
(\. XXI. Disp. vî.
Billuart. — De Spe, art. f).
Jean de Saint-Thomas. — De Spe. Disp. xiii, in
fine.
Mayol. — De Spe, art. 3.
Noël Alexandre. — Theol. Dogniatica et mora-
lis. Lib. m. Sect. II. De Spe.
NOTES EXPLICATIVES
SUR
LES CONFÉRENCES
I
PREMIÈRE CONFERENCE
NOTE 1, p. 16.
Au sujet de l'espérance les théologiens se demandent
si elle porte directement sur Dieu même ou sur la
possession de Dieu, sur la béatitude objective ou sur la
béatitude formelle. — Les uns soutiennent qu'elle
porte immédiatement sur l'acte de vision et média-
tement sur Dieu, objet de la vision. On leur répond que
s'il en était ainsi, l'espérance ne serait pas une vertu
théologale, car essentiellement, toute vertu théologale
regarde immédiatement Dieu. Aussi généralement, on
dit que l'espérance porte immédiatement sur Dieu
comme sur son objet, et sur la vision comme sur une
condition sans laquelle elle n'atteint pas son objet.
Respondemus beatitiidinem œternam dici et de beatiludinc
olijeciivâ^ quie est Dens Icrminans visionem; et de bealitu-
dîne formali. qux esl visio Dei in- Siipso. Ulraqxie vero
perimetad objectum spei Iheologicae, sed aliter et alifer;
objectiva per modum objecti, foruioiis autem per modiim
conditionis . El in hocsen.su, resolvil D. Th. objectum spei
esse ;*;iernarn bealitudinem, ut iiquct ex ejus discursu et
pnecipue ex illis verbis : « ISon ininus aliquid ab eo speran-
dum est quam sit ipse cum non sil minorejus bonitas per
quain bona crealurse communicaf, quam ejus cssentia » , qu.T
nequeunt t'isioni Dei ap tari. 'S3i\inai\ï\Àcenses. De spelheoL
Disp. IDub. 1.4.
I! est bien vrai que l'intelligence entre en rapport,
avec Dieu par l'intermédiaire d'un acte, la vision. Mais
la vision, c'est 1 intelligence en exercice et en relation
directe avec l'objet vu. Cajetan (II" II"', q. xvii, art. ri.)
explique for! lonpncment el for! claiicnuMil tout ce
mécanisme, el il élahlit solidement que Dieu est l'objet
immédiat de l'espérance.
300 l'espéranci]
NOTE % p. 18.
En réalité, autant qu'on peut saisir sa fuyante pensée,
autant surtout qu'on peut concilier ses allirmations
contradictoires, Henan n'admet pas d'immortalité per-
sonnelle. Il n'admet que l'immortalité des œuvres.
« Nous affirmons, dit-il, que celui qui aura choisi le
bien aura été le vrai sage. Celui là sera immortel ; car
ses œuvres vivront dans le triomphe délinitif de la
justice, résumé de l'œuvre divine qui s'accomplit par
l'humanité. L'humanité fait du divin, comme l'araignée
tisse sa toile; la marche du monde est enveloppée de
ténèbres, mais il va vers Dieu. Tandis que l'homme
méchant, sot ou frivole mourrra tout entier, en ce sens
qu'il ne laissera rien dans ce résultat général du travail
de son espèce, l'homme voué aux bonnes et bel les choses
participera à l'immortalilé de ce qu'il a aimé etc. »
■ Le livre de Job. xc, cxi.' Celte doctrine coupe court à
toute espérance pour l'individu qui disparaît totale-
ment, et elle ne reconnaît de survivance qu'à ses œuvres
qui enlr^^ront dans la circulation universelle. Cette phi-
loso[)hie est d'une grande faiblesse et d'une grande
pauvreté. Elle pècho contre la raison autant que contre
la foi.
NOTE 3, p. 19.
L'espérance est en soi individuelle et porte sur le bien
individuel : c'est pourquoi, à chaque instant, les auteurs
affirment qu'elle est égoïste par nature et que celui qui
espère cherche son avantage: « Spes^ dit saint Thomas,
po'est esse ahcxijus dupliciter uno modo ahsoluté, et sic
est solif'S hotii ardui ad se perlinentis. » (II'' 11% q. xvii,
art. 3). Mais le christianisme intégral suppose la charité,
c'est-à-dire l'union forte et intime des membres de la
société surnaturelle. L espérance est infirme, imparfaite
si elle n'est pus sous l'empire de cette verlu royale qui
commande tout dons l'ordre évangélique : la charité. La
charité établissant l'unité entre les chrétiens, chacun
veut, désire et espère pour ses frères la même béatilude
que pour lui-même. ;Gf. s. Th., loc. cil.).
Ar-PILlNDlCES 301
ISOTE //, 11. 21.
Saint Thomas enseigne que le monde matériel ne
périra pas, mais qu'il subira une merveilleuse transfor-
mation. Le Docteur Angélique traite cette question
dans le supplément de la Somme théologique, q. xci. Le
monde sera renouvelé et passera de l'état présent à un
élat de parfaite incorruptibilité, de parfait repos^ de
parfaite clarté; à sa manière et selon sa nature, chaque
élément partagera la gloire du corps ressuscité de
l'homme.
Il est curieux de rapprocher ces théories théologiques
de celles que défendent aujourd'hui certains savants,
Gustave Lebon, par exemple, parle de la démalrrinlisa-
tion de ta matière, ce qui est à coup sûr une manière de
dire. Il parle aussi de la transformation de la matière
en énergie, en électricité, de la dématérialisation de la
matière sous l'action de la lumière, de la visibilité à
travers les corps opaques, etc. Tout cela prouve, quoi
qu'il en soit de la réalité, que la transliguration du
monde, telle que, dans ses grandes lignes, la comprend
saint Thomas, ne rc'pugne pas à la raison. Elle lui ré-
pugne d'autant moins que ce saint docteur suppose une
intervention surnaturelle de Dieu opérant dans la nature
un changement qui lui donnera une force nouvelle. On
remarquera encore que saint Thomas donne dans sa
doctrine un rôle particulier à la lumière et au feu,
bien qu'il finisse un de ses articles par cette phrase
modeste : « Quantitas aiitem, sirul et modus inrliora-
liiniis un soli cor/nita est, qui eril meliorationis auclor. »
[Lnr. cit., art. ."Vi Les auteurs dont je parle disent quelque
chose d'analogue quand ils assignent une inlluenr<^ par-
ticulière à la lumière et à la chaleur. (Cf. (iustave Li:bon,
JJ Ivvolution des forées).
NOTE 5, V. 31.
Saint riiomas concède que nous avons le droit d'espi'-
rcr les biens temporels, puisque nous avons le droit de
les demander, conformément à ce que nous a enseigné
302 l'espérance
Notre-Seigneur dans l'Oraison dominicale. L'espérance
regarde la béatitude éternelle comme son objet princi-
pal-, quant au reste, elle s'y arrête dans la mesure où ce
reste se rapporte à cette fin. « Spes principaliter quidon
respicit bealitudinem seternam. Alia vero qux petuntur a
Deo, respicit secundario in ordine ad beatiludinem aeter-
nam. » (11^ II* , q. xvn, art. 2, ad 2"'").
En réalité l'espérance doit suivre tout Tordre de la
Providence comme l'enseigne encore saint Thomas,
dans ses commentaires sur les psaumes XX et L. Mais
la Providence embrasse tout dans ses desseins et fait
tout converger vers le même but. «La parfaite prudence,
dit Bossuet, ne se doit proposer qu'une même tin, d'au-
tant que son objet est de mettre l'ordre partout; et
l'ordre ne se trouve que dans la disposition des moyens
et dans leur liaison avec la fin.
... L'imparfait se doit rapporter au parfait, la nature
à la grâce, la grâce à la gloire... Si nous allons encore
plus avant dans le dessein de Dieu, nous trouverons
quatre communications de sa nature. La première dans
la création, la seconde se fait par la grâce, la troisième
de sa gloire, la quatrième de sa personne. Et si le moins
parfait est pour le plus excellent, donc la création regar-
dait la justification, et la justification était pour la com-
munication de la gloire, et la communication de la
gloire pour la personnelle. r> ' Féliriié des saints. Médi-
tation.\ Il s'en suit donc que l'ordre naturel, avec les
biens qu'il comporte, ayant un rapport avec l'ordre
surnaturel, il nous est permis de nous y attacher et
d'espérer les avantages qu'il nous assure. (Cf. M^"" Gay.
Les vertus chrétiennes : L'espérance .
DEUXIÈME CONFÉRENCE
NOTE i, p. 45.
Saint Thomas IIMI ^ , q. xvii, art. 1, arf 2"'"^ détermine
la part de l'homme et de ses mérites dans la conquête
APPENDICES 303
de la béatitude. C'est par leiTet de Iû piâce que l'homme
.;evicnt capable d'espérer, c'est par l'elfet de la grâce
qu'il peut mériter la béatitude. De sorte que la béati-
tude est la récompense de nos actes et de nos mérites,
mais nos actes et nos mérites n'ont de vertu que par la
grâce qui en est le principe et à laquelle nous ne faisons
que coopérer librement. (Cf. Cajetan. IP II^, q. xvii,
art. 1, ad S""".
NOTE 2, p. 46.
De même que dans l'objet de l'espérance nous avons
distingué ce qu'il y a de principal et ce qu'il y a de
secondaire, ce qui est absolu et ce qui est relatif, de
même dans ses appuis nous distinguons l'appui prin-
cipal : Dieu, et les appuis secondaires qui ne sont que
fies instruments aux mains de Dieu. Saint Thomas, avec
sa sobriété et sa clarté habituelles, détermine le rôle
des créatures dans l'exercice de l'espérance. Il dit :
Sicut ergo non licet sperare aliqvnd bonum prieier bea-
tiludinem sicut ultimum /inem, sed solum sicut id quod
est ad finem bcalittidinis ordinalum : ità eiiam non licet
sporare de aliquo homine, aut de alifjua crealura, sicut de
prima causa mooenie in beniiludinem. Licet aulem sperare
de atiquo hominc, vel de aliqua crealura, sicut de agente
secundario et inslrumenlali, per quod aliquis ndjuvalur
ad quiccumque bona conssquenda in beaiiludinein ordi-
nata ». (11^ II«, q. xvii, art. 4).
Il y a donc une harmonie parfaite entre les biens
secondaires que nous espérons et les agents créés qui
nous prêtent leur concours dans l'œuvre de notre salut.
NO JE 3, p. 48.
Les théologiens s'accordent pour afiinncr que l'objet
de l'espérance doit réunir quatre éléments : un bien,
d'acquisition difticile, futur, possible. En portant sur
un bien, l'espérance se distingue de la crainte; en por-
tant sur un bien d'acquisilion difticile, elle diU'èro du
I
304 l'espérance
désir; en portant sur un bien futur, elle se distingue
de la joie et en portant sur un bien possible, elle se dis-
tingue du désespoir. Mais les auteurs se divisent lors-
qu'il faut déterminer ce qu'il y a de formel dans l'objet
de l'espérance. Les uns veulent que l'objet formel soit
le bien, d'autres le bien ardu, d'autres le bien possible.
Nous n'entrerons pas dans cette discussion qu'on trou-
vera dans tous les grands théologiens et que dernière-
mentleP. Harentarenouvelée trèslouguement. Diction-
naire de théologie catholique, ^'sp^^'rfo^ce). Mais de l'opi-
nion qu'on adopte sur cette première question dépend
la solution d'un autre problème : quel est l'appui le plus
fondamental de l'espérance? Si, par exemple, 1 objet for-
mel de cette vertu est le bien, l'appui de l'espérance est
la bonté divine. Si c'est le bien ardu^ c'est la toute-puis-
sance divine. Jean de Saint-Thomas, après avoir exposé
les principaux systèmes qui sont ceux de Suarez, de
Durand, de Yasquez, s'arrête à cette conclusion qui
nous paraît exprimer l'idée de saint Thomas : For-
mnlis ratio spei throloi/ica fst omnipoleniia ouxilians,
seu divinum auxilium non afjsoluté, et i/l exe(jiiens effcc-
tus ad fjuos concurrit auxilium, sed qualenus consUluit
ipsum honum divinum, seu beaiiludinnn in rationc boni
ardui asf^equibilis. » [De spe. Disp. lY. art. I., XYI.)
Plus loin, Jean de Saint-Thomas explique magnifi-
quement sa pensée. Il dit que le bien divin, en raison
de son excellence, devient un agent incomparable, capa-
ble de nous conduire à la béatitude, de résister à tous
les obstacles et de vaincre toutes les difficultés. Si l'on
veut étudier à fond cette question, il faut savoir ce que
saint Thomas dit de l'irascible dont l'espérance est une
perfection, en se rappelant toutefois que dans la
volonté 1 irascible et le concupiscible ne se rencontrent
pas distinctement, mais implicitement, eminenier. (Cf.
Jean DE Saint-Thomas, loc. cit., xvii-xviii).
NOTE 4, p. 49.
Sur la possibilité de parvenir à la béatitude, envisa-
gée du côté de Dieu, on ne saurait trop méditer cette
APPENDICES 305
pensée de saint Thomas, à savoir que les êtres infé-
rieurs ont besoin, pour arriver à leur fin, de l'appui
des êtres supérieurs, auxquels ils sont subordonnés.
Ou côté de rhomme, la possibilité de cette béatitude ne
répugne pas, nous l'avons montré dans nos conférences
sur la Béatitude. La gloire surnaturelle, au contraire,
s'harmonise très bien avec la nature intellectuelle.
NOTE 5, p. 52.
Bossuet parle dans son royal langage de la volonté
qu'a Dieu de sauver ses élus. « Il (Dieu) s'est contenté
de dire un mot pour créer le ciel et la terre. Nous ne
voyons pas là une émotion véhémente. Mais pour ce qui
regarde la gloire de ses élus, vous diriez qu'il s'y appli-
que de toutes ses forces; au moins y a-t-il employé le
plus grand de tous les miracles, l'Incarnation de son
Fils. Ne s'est-il pas lié et comme « collé d'affection avec
son peuple?» Conglutinatus est Doriiiniis patribns nostris.
ïanlôl il se compare à une aigle qui excite ses petits à
voler, tantôt à une poule qui ramasse ses petits poussins
sous ses ailes. Il condescend à toutes leurs faiblesses :
son amour le porte à l'excès, et lui fait faire des actions
qui paraissent extra iagantes. Ecoutez-le comme il crie
au milieu du temple : Si qni.s sitit veniat ad vie et virât.
il n'en faut pas douter, il y a ici une inclination véhé-
mente. Jamais Dieu n'a rien voulu avec tant de passion :
or, vouloir à Dieu, c'est faire. Donc, ce qu'il fera pour
ses élus sera si grand que tout l'univers ne paraîtra
rien à côté de cet ouvrage. Sa passion est si grande
qu'elle passe à tous ses amis et fait remuer à ses enne-
mis tous leurs artifices pour s'opposera l'exécufion de
ce grand dessein. C'est le propre des grands desseins de
s'étendre à beaucoup de personnes. Et nous ne jugeons
jamais un dessein si grand que lorsque nous voyons
que tous les amis y prennent part et que tous les enne-
mis s'en remuent, (^omme ils ne s'excitent qu'à cause
de nous et que nous donnons le branle à leurs mouve-
ments, il faut (]ue notre émotion soit bien grande pour
uorler ses coups si loin » h'ilicité des saints. Méditation.
l'espkrance. — 20.
oOG l'espérance
^OTE 6, p. 57.
On lira toujours avec profit ce que le même Bossuet a
écrit des promesses et de la fidélité de Dieu. Il inter-
prète, dans le panégyrique de- sainte Thérèse, cette belle
parole de saint Augustin. (Cité de Dieu, XVII, 8) « Tou-
tes les choses que Dieu a promises selon l'ordre de ses
conseils sont déjà en quelque sorte accomplies, parce
qu'elles sont assurées. » Dans son sermon sur la « sou-
mission due à la parole de Dieu », il commente encore
ce mot de saint Thomas : Qui promittit, in quantum se
obligal ad dandum, jam qnodammodo dat. W II*,
q. Lxxxviii.art. 5, ad. 2"'").« Il veut dire que celui qui nous
a promis, encore qu'il ne nous mette pas par cette pro-
messe en une possession actuelle, néanmoins, il s'est
en quelque sorte dessaisi lui-môme, en s'ôtant la liberté
d'en disposer d'une autre manière. ï> L'évèque de Meaux
trouve les mêmes accents pour peindre la fidélité de
Dieu. « Si le temps vous semble trop long, regardez la
fidélité de ses promesses, &icut locutus est. Ce qu'il a dit
à Abraham sera accompli deux mille ans après : il a
envoyé son Messie, il achèvera le reste successivement;
et enfin nous verrons un jour l'éternelle félicité qu'il
nous a promise. » (Sermon pour la Visitation de la
Sainte Vierge).
NOTE 7, p. 59.
C'est encore Bossuet que nous citerons pour achever
ce que nous avons dit sur l'accomplissement partiel
des promesses. « Il connaît notre dureté et notre cœur
incrédule : il sait que la vie future ne nous touche pas :
elle nous paraît éloignée; et, cependant, nos esprits
grossiers, amusés ou emportés par les biens présents,
ne connaissent pa5i les délices de ce bienheureux ave-
nir. Que fera ce divin Sauveur? Ecoutez un conseil de
sa miséricorde. « En vérité, en vérité, je vous le dis, il
yen aura parmi vous, dit-il, qui ne goûteront point la
mort, qu'ils n'aient vu le Fils de Dieu dans sa gloire et
dans son royaume,.. Je veux aider vos sens, je veux
APPENDICES 307
soulager votre intirmité; si cette félicité, que je vous
promets, vous semble trop éloignée pour vous attirer,
je veux vous la rendre présente : je la ferai voir à quel-
ques-uns d'entre vous, qui pourront en rendre témoi-
gnage aux autres. )> Peu de jours après avoir dit ces
mots, il mène au Thabor trois de ses disciples; et
comme il était en prière (car, mes Frères, c'est dans
l'oraison que la gloire de Dieu éclate sur nous), comme
donc il était en prière, cette lumière infinie qui était
cachée sous l'infirmité de sa chair, perçant tout à coup
ce nuage épais avec une force incomparable, « sa force
éclata comme le soleil, et une blancheur admirable se
répandit sur ses vêtements ». (Soumission due à la
parole de Dieu.)
TROISIÈME CONFÉRENCE
NOTE 1, p. 69.
Quand on veut comprendre la plus grande des philo-
sophies humaines, celle d'Aristote, la plus grande des
théologies chrétiennes, celle de saint Thomas, il faut
regarder et réfléchir. Quand on regarde et quand on
réfléchit, on s'aperçoit que le moindre mouvement de
l'être ou de la vie ébranle une foule de nerfs, de mus-
cles, d'énergies de toutes sortes. Les ennemis de la
scolaslique n'ont pas envisagé ce phénomène évident
pour tous, quand ils l'ont accusée avec tant de légèreté
de multiplier les puissances, les facultés, les vertus.
NOTE 2, p. 72.
Les théologiens se sont demandé si l'homme pouvait,
grâce à une espérance acquise^ prétendre à un bonheur
.surnaturel, l Irinn cirra bonum su/imid/iirale possi/ rc/-
sirri spcs ex molivo naturali, quœ lumen .sil Inniesla et
bona. Terres, d'après Jean de Saint-Thomas, be spe, q.
308 l'espérance
XVII, art. 4) l'a prétendu.. Mais la généralité des théolo-
giens condamne cette opinion, qui introduirait dans
l'organisme surnaturel une quatrième vertu théologale.
Jean de Saint Thomas réfute cette erreur et en même
temps explique en quel sens Banez et Médina ont parlé
d'une espérance acquise. On verra dans cette disserta-
tion quel souci ces grands théologiens avaient de ne
pas donnera nos efforts naturels une portée et un objet
surnaturels.
NOTE 3, p. 74.
Saint Thomas enseigne que l'espérance est une per-
lection de la volonté.
Dans son commentaire (sur l'art. 1 de la q. xviii, H' II*)
Cajetax fait observer que aimer et espérer sont des
actes qui ne diffèrent qu'accidentellement. « Diligerc
enim significat velle bonum alicui : sperare autem velle
bonum arduum possibile sibi. Apporet siquvlein m his de/î-
nitionibus, quod eadcm est subsla^ifialis ratio actus, scili-
cet velle, diversx autevi ejus conditiones videniur, secun-
dum quod diversimode ad bonum tendunt. » On voit par
ces mots comment d'un côté l'espérance appartient à la
volonté, comment de l'autre il est juste de parler de
l'espérance comme d'un amour.
Saint Thomas fait aussi remarquer que les mouve-
ments propres à l'appétit sensitif sont accompagnés de
passion, que les mouvements propres à la volonté en
sont exempts.
Il ajoute que l'objet de l'irascible ipuisssance sensi-
tivel est le bien sensible d'acquisition difficile', arduum
sensihile, que l'objet de l'espérance théologale est le bien
intelligible d'acquisition difficile, ou plutôt le bien qui
dépasse en soi toute intelligence créée, arduum intelli-
gibile vel potius supra inleUectinn existens. (ad 1"'").
Il dit enfin ad 3'"" que l'acte de charité et l'acte d'es-
pérance étant distincts exigent dans la volonté des
vertus distinctes, mais que le mouvement d'espérance et
de charité étant subordonnés entre eux peuvent émaner
de la même puissance, sicut et intelleclus potest simul
multa inlelVigere ad invicem ordinata. (ad "2"'" et 3'"").
APPENDICES 309
Dans la même question xviii, art. 2, saint Thomas se
demande si l'espérance demeure dans les bienheureux,
li répond négativement, parce que l'on n'espère plus
ce que l'on possède.
Ad 1"'". Les bienheureux n'espèrent pas la continuation
de leur bonheur, car ils partagent en quelque manière
l'éternité de Dieu qui est en dehors et au-dessus du
temps, cfficiuntur quodammodo parlicipes xternitalis di-
vinx. qiue excedit omne iempus, etc.
Ad 2"'". Ils n'ont plus besoin de l'espérance pour
attendre le bonheur des autres, car ils espèrent, en
vertu de la charité e.v amore charitnlis.
Ad 3'"". Ils n'espèrent plus la gloire de leur corps
comme nous le faisons ici-bas, car cette gloire est
facilement abordable pour l'àme glorilièe, non habet ra-
tionem ardui respectu halientis gloriam animx.
Dans l'article 3, le saint docteur refuse l'espérance aux
damnés parce que les damnés savent qu'ils ne peuvent
plus échapper à leur malheur, ni parvenir à la béati-
tude, nd condilionem misevia; damnatorum perlinrt, ut
ip.si sciant quod nullo mo'Io possunt damnationem eva-
c/evp, et nd bnititudinem pcrvonire.
Pour compléter cette question, il faut consulter III'' P.
q. VII, art. \. où saint Thomas conclut que le Christ
n'eut pas la trr/u d'espérance, bien qu'il eût une cer-
taine espérance portant sur les. biens qu'il ne possédait
pas encore, virlutem spei non linbuit, habuit tcnncn spcni
yespeclu alujnornin qme nondtnn erat ndeplri. » (Cf.
(jAJETan, Ibid. Num spei in Chrislo fucrit habitus et
q lia lis?)
NOTE 4, p. 83.
Tous les théologiens ont Imité do la certitude de
l'espérance, nous ne répéterons pas ce qu'ils en ont dit.
Le Concile de Trente a résumé ce qu'il faut cioireàce
sujet : a On ne doit pas dire que les péchés sont par-
(!onnés à quiconque vante sa confiance et la certitude
('(• la rémission de ses péchés i^t se repose uni(|uemi'nt
liidessns... Celte contianc(M-sl \aine et bien loin de la
[lirlé.
Il ne faut pas dire non plus (|ue les vrais iustes
310 l'espérance
doivent se persuader sans le moindre doute qu'ils sont
justifiés... comme si en dehors de cette persuasion on
doutait des promesses de Dieu et de l'efiicacité de la
mort et de la résurrection du Christ. Car, si l'on ne
peut sans impiùté douter de la miséricorde de Dieu, du
mérite du Christ, et de l'efficacité des sacrements, on
peut toujours quand on se regarde soi-même et sa
propre faiblesse et son peu de disposition, craindre et
redouter de n'élre pas en état de grâce, personne ne
pouvant savoir, d'une certitude infaillible de foi, qu'il
est en état de grâce. » (Cf. Harent. Dictionnaire de
théologie catholique. Espérance, p. 616 et seq.).
Mgr d'Hulst. (Conférences, 18!^2 L'espérance en Dieu)
dit très justement: «Elle est donc trois fois assurée
du côté de Dieu, cette bienheureuse espérance. Que
lui manque-t-il, sinon d'être pareillement assurée
du nôtre ? L'œuvre de notre bonheur se poursuit en
commun entre Dieu et nous. Il nous appartient d'y
mettre le dernier sceau et de la conduire jusqu'à son
terme. C'est à quoi nous exhorte l'apôtre saint Pierre
quand il nous dit : « Elforcez-vous de rendre votre
élection et votre vocation certaines par vos bonnes
œuvres.. » Dans ce concert de deux volontés Dieu a fait
sa part ; faisons la nôtre^ et rien ne saurait plus
ébranler la certitude de notre espoir. »
y OIE 5, p. 83.
Les études de M. 31âle sur Eart religieux au xiii^ siècle
en France^ sur Eart religieux de la fin du moyen âge en
France sont pleines d'enseignements précieux. On y voit
l'influence que les théologiens comme Vincent de Beau-
vais exercent sur l'inspiration des artistes. On y voit les
dilï'érents symboles sous lesquels on représente l'espé-
rance. Tantôt cette vertu apparaît avec une ancre, tantôt
avec une corne d'abondance, tantôt avec le bâton du
voyageur, tantôt avec une branche fleurie, etc. Ce que
l'auteur de l'admirable ouvrage que nous citons n'a pas
assez compris, c'est que ces artistes n'ont mis en relief
dans leurs sculptures ou dans leurs peintures qu'un at-
tribut de la seconde vertu théologale.
APPENDICES
ISOTE 6, p. 87.
âli
Pour comprendre que respéranceestlaborieuse,il suf-
fit de se rappeler qu'elle est une vertu, c'est-à-dire une
puissance active. Pour comprendre qu'elle est une puis-
sance militante, il suffit de se rappeler qu'elle appar-
tient à ce qu'il y a de combatif dans la volonté et de lui
appliquer ce que saint Thomas dans la Somme (P Pars)
enseigne de l'Irascible.
QUATRIÈME CONFÉRENCE
NOTE 1, p. 99.
Il y a, en apparence, une grande diirérence entre le
quiétisme de Molinos et celai de Fénelon. En réalité,
l'un et l'autre ruinent la vertu d'espérance et l'éliminent
de la vie chrétienne des âmes parfaites.
Molinos fut condamné par Innocent XI, qui proscrivit,
en 1G87, les deux propositions suivantes :« L'âme ne
doit penser ni à la récompense, ni à la punition, ni au
paradis, ni à l'enfer, ni à la mort, ni à l'éternité.
«Celui qui a donné àDieuson libre arbitre nedoit avoir
souci de rien, ni de l'enfer, ni du paradis: il ne doit pas
désirer sa propre perfection, ni les vertus, ni sa propre
sainteté, ni son propre salut, dont il doit purifier l'es-
pérance. ))
Fénelon essaya sans y réussir de mitiger les doctrines
condamnées. Poursuivi par Hossuet et par d'autres théo-
logiens, il adopta successivement quatre systèines qui
ne suffisaient ni à sauver la saine philosophie, ni à sau-
ver la loi
Premier système. — « Ne peut-on pas supposer qu'il y
a deux es|)érances comme deux amours, et que l'espé-
rance inléi(^ssée répondant à l'amourde concupiscence,
l'espérance désintéressé!^ répondu l'amour d'amitié ? »
Non. car l'amour intéressé est essenlii'l à l'espérance,
l'amour désintéressé se confond avec la cliarilé.
315 l'espérance
Deuxième système. — L'espérance théologale est en soi
intéressée, mais comme elle est rerifermée éminemment
dans l'acte de charité, celui-ci peut satisfaire, clicz les
parfaits, non seulement au précepte de la charité, mais
encore au précepte de l'espérance. — Alors à quoi sert
l'espérance chez les parfaits? Que deviennent les pré-
ceptes qui ordonnent à tous d'exercer les actes de vertus
distinctes : l'espérance et la charité?
Troisième système. — La charité chez les âmes les plus
parfaites commande l'acte d'espérance et par là même le
rend désintéressé d'intéressé qu'il était en soi. — Com-
ment l'acte d'espérance, intéressé en soi, peut-il perdre
ce caractère essentiel par le fait qu'il est dominé par
l'acte de charité? A quoi sert l'espérance?
Quatrième si/stème. — L'espérance intéressée du vul-
gaire se compose de naturel et de surnaturel. Le naturel
c'est la tendance à l'intérêt propre; si on purifie l'espé-
rance de cet élément étranger on arrive à l'espérance
absolumentsurnaturelle et absolument désintéressée. —
Mais au fond du quatrième système on trouve toujours
la même erreur, c'est-à-dire l'idée d'une espérance qui
ne s'occupe plus du bien propre, qui n'est plus la vertu
commandée par le christianisme.
En réalité. Fénelon supprime la vertu d'espérance, et
sa pensée, quelles que soient les formes sous lesquelles
elle se dissimule, 'este substantiellement la même.
Nous empruntons au dictionnaire de la théologie ca-
tholique. Espérance, ces quelques notes rapides que le
P. Harent explique avec beaucoup de clarté.
Vingt- trois propositions de Fénelon furent condam-
nées par Innocent XII en 1G9!). Elles étaient extraites de
l'Explication des Maximes des saints sur la vie intérieure.
Voici celles qui se rapportentplus directement à notre
sujet:
jre p,.op. — Il y a uu état habituel d'amour de Dieu,
gui est une charité pure et sans mélange de l'intérêt
propre. Ni la crainte des châtiments, ni le désir des
récompenses n'ont plus de part à cet amour.
2'^ Prop. — Dans l'état de vie contemplative, on perd
tout motif intéressé de crainte et d'espérance...
4*= Prop. — Dans l'état de la sainte indifférence l'âme
n'a pas de désirs volontaires et délibérés pour son inté-
APPENDICES 3 13
rct, excepte aans les occasions où elle ne coopère pas
lidèlement à toute sa grâce.
6" Prop. — En cet état, on ne veut plus le salut
comme salut propre, comme délivrance élernelle,
comme récompense de nos mérites, comme le plus
grand de tous nos intérêts, mais on le veut d'une vo-
lonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir de Dieu,
comme une chose qu'il veut, et qu'il veut que nous
voulions pour lui.
W" Prop. — En cet état (d'épreuve) une âme perd
toute espérance pour son propre intérêt; mais elle ne
perd jamais, dans la partie supérieure, l'espérance par-
faite qui est le désir désintéressé des promesses.
23'' Prop. — Le pur amour fait lui seul toute la vie
intérieure, et devient alors l'unique principe et l'uni-
que motif de tous les actes délibérés et méritoires.
NOTE 2, p. 110.
« 11 y a bien de la différence, dit saint François de
Sales, entre cette parole : J'aime Dieu pour le bien que
j'en attends, et celle-ci : Je n'aime Dieu que pour le bien
que j'en attends. » Traité dr l'amour de Dieu., liv. H.
ch. XVII. La première est correcte et la seconde serait
tf sacrilège ». D'autre part, si Fénelon a été condamné,
c'est parce qu'il admettait l'amour pur comme élat, ce
qui exclut de l'économie chrétienne la vertu d espérance.
L'Eglise n'a pas condamné l'amour pur comme acte.
Massoulié fut un des adversaires de Fénelon et il fit un
travail qui prépara la condamnation de l'archevêque de
Cambrai. Cependant ce grand théologien a écrit : « Les
actes ont bien moins d'étendue que les habitudes, et ils
peuvent se porter à un objet particulier (auquel on ne
pourrait se porter habituellement). Ainsi il arrive quel-
quefois qu'une àme, ou dans sou oraison ou dans un
transport d amour, ne regardant et n'aimant que 1m
bonté de Dieu en elle-même, ne songe en ce moment, ni
à son intérêt, ni à sa béatitude, ni à la possession du
souverain bien comme possession propre et qui doit la
rendre heureuse. » (Trailr. de t'innonr ilr Dieu, 2" par-
tie, ch. XIII.) De son côté, Benoit XIV dit : « Attendu que
314 l'esi'Krance
le point litigieux entre l'archevêque de Cambrai et
l'évèque de Meaux ne concerne pas l'acte d'amour, mais
ri'/at habituel d'amour... » (iJe bralifiralione et canoni-
zatione^ liv, II, ch. xxxi, n° 10 1. Cf. Harent, loc. cit.
p. 603.
Avouons d'ailleurs que les docteurs et les mystiques
n'ont pas toujours parlé avec précision. Parfois ils sem-
blent exalter l'amour de charité jusqu'à y absorber
l'amour d'espérance. Pour avoir leur viaie pensée, il faut
se reporter aux passages où ils recommandent expressé-
ment l'espérance qui, dans leur esprit, en traîne un amour
intéressé. C'est ce qu'a fait Bossuet dans sa réfutation
du quiétisme. Il a examiné les textes de l'Ecriture, des
Conciles, de la Tradition invoqués par Fénelon. et mon-
tré que ces textes n'excluent pas l'amour intéressé.
Cependant Bossuet admet que les saints ont usé parfois
d'un langage exagéré. (Cf. Divers écrits sur le livre
intitulé : E.rplication des mnxiiues des saints. Préface sur
l'instruction pastorale donnée à Cambrai, le 13 sep-
tembre 1697, etc.).
xWTE ;j, p. 113.
Les stoïciens feignaient, comme les quiélisle.<, de
n'attacher de prix qu'à la vertu considérée en elle-même
et abstraction faite de tout intérêt personnel. M. Jules
Lemaître Fénelon. p. 270 et suiv.j fait observer que
l'on trouve, dans Mme de Warens, dans Jean-Jacques
Rousseau, dans Lamartine, des traces de quiétisme.
« Mais quand cet état d'esprit amour, abandon sera
détaché du dogme, j'en suis bien fâché, ce sera toute
la religion de Mme de Warens qui avait conservé des
relations avec les quiétistes de Thonon et de Genève et,
peut-être, avec des anciennes amies de MmeGuyonl; et
ce sera, vers la fin, loule la religion de Jean-Jacques
Rousseau.... Rousseau a connu « l'oraison de simple
présence de Uieu et la contemplation passive »; il a
connu r« abandon ». Il nous rappelle ces passages des
Hèveries : « Je doute quo jamais un mortel ait mieux et
plus sincèrement dit à Dieu : que la volonté soit faite! »
APPENDICES 315
Il se dit « détaché de tout ce qui lient à la terre... déli-
vré même de l'inquiétude de l'espérance ».
D'après M. Jules Lemaître, Lamartine aurait laissé
paraître un certain goût pour le quiétisrne dans les Har-
monies et dans J'ivelyn. M. Lemaître cite à l'appui de son
sentiment un patsage des Harmonies et ce passage de
Jocelyn.
Quand celui qui vouluL tant souffrir pour ses frères
Dans sa coupe sanglante eut vidé nos misères,
11 laissa dans le vase une âpre volupté;
Et cette mort du cœur qui jouit d' clle-mi'me
Cet avant-goût du ciel dans la douleur suprême,
0 mou Dieu, c'est ta volonté! etc.
« J'oserais presque dire, continue le conlércncier, que
le pur amour, dégénéré, destitué de l'appui du dogme,
aboutit à des choses comme les effusions de spiridion ou
des sept cordes de la lyre, ou comme certaines religio-
sités ferventes et vagues de 1848 ».
Comme l'explique le P. Harent (loc. cit., col. 672), « le
rationnalisme moderne a, d'ordinaire, proclamé en mo-
rale un désintéressement exagéré». Ce mouvement s'est
produit à la suite du jansénisme qui prêchait la destruc-
tion du moi, et à la suite de Kant. « La loi morale, dit
Paul Janet, a ce caractère de demander à être accomplie
par respect pour elle-même, et c'est là ce {[u'on appelle
le devoir... On dira que dans ses récompenses et peines,
la loi sera inefficace. Je réponds : elle sera ce qu'elle
sera; mais si, pour la rendre efficace, vous en détruisez
l'essence, vous la rendez bien plus ineffic.ice, car vous
la rendez nulle. » (Cité par le P. Harknt, loc. cil.) Nos
manuels scolaires, nos Buisson r(''pètent sans cesse que
la morale catholique est celle du plaisir et de l'inté-
rêt, etc. Ignorance de la doctrine catholique, ignorance
de kl nature humaine !
NO 77-: 4, p. 113.
On sait comment Molinos. après a\oir préconisé la doc-
trine (le l'amour et de la sainto indilltMcmce. en arrivait
à (lire ([u'il ne l'allait s'infpiiélcr nides pensées les plus
316 L'ËSPÉnANCE
honteuses, ni des actes les plus gravement coupables, et
aboutissait aune licence ell'iénée.
Jean-Jacques-Rousseau a essayé de concilier sa con-
templation passive avec un dévergondage dont il ne
rougissait plus; il raconte dans ses Confessions ce
qu'était la vie morale de Muie de Warens qui ne s'aban-
donnait à Dieu que pour s'abandonner sans remords à
la pire mollesse et aux pires instincts.
Nos manuels scolaires, en même temps qu'ils repro-
chent au catholicisme d'être trop inléressé, réclament
sans cesse des augmentations de salaire, et avec quelle
àpretél S'ils étaient logiques, ils banniraient toute idée
de récompense de leur code.
Je ne dirai rien de la chimérique solidarité de
M. Bourgeois qui. par certains côtés aussi^, ver^e dans le
quiélisme.
NOTE 5, /j. H6.
11 faut ajouter ici que l'on doit aimer Dieu et parce
qu il est bon pour nous et parce qu'il est bon en lui-
même, tout en subordonnant le premier amour au
second, car Dieu est meilleur en lui-même qu'il ne l'est
dans la communication qu'il nous fait de lui-même.
Hossuet, saint François de Sales, saint Thomas nous ré-
pètent que noiîs avons divers motifs d'aimer Dieu, mo-
tifs qi:i s'appelent les uns les autres. Massoulié a
prouvé, en remonlant au.\ principes, que nous n'aime-
rions pas Dieu autant qu'il faut laimer si nous ne le
considérions en sa qualité d'Etre parfait souveraine-
ment aimable en soi, et en qualité de suprême bienfai-
teur des créatures. (Traité de l'amour de Dieu).
^'OTE 0. p. 116,
Ce serait l'occasion de rappeler la fameuse distinction
des scolastiques qui parlent du finis cui et du finis cujus
r/ratià. Saint François de Sales [loc. cit., liv. II, ch. xvii)
traduit ainsi celle distinction : « C'est chose bien diverse
dédire : J'fiime Dieu |)0ur moi. et dire : J'aime Dieu
poir l'amour de moi; quand jf^ dis : J'aime Dieu pour
APPENDICES 3 I 7
moi, c'est comme si je disais : J'aime avoir Dieu, j'aime
que Dieu soit à moi, qu'il soit mon souverain bien, qui
est une sainte atiection de l'amour céleste Mais dire:
J'aime Dieu pour l'amour de moi, c'est comme qui
dirait : L'amour que je me porte est la fin pour laquelle
j'aime Dieu, en sorte que l'amour de Dieu soit dépen-
dant, subalterne et inférieur à l'amour-propre que nous
avons envers nous-mêmes, qui est une impiété non-
pareille».
Chose étrange, des hommes comme ïaine ont eu la
vague intuition de ces vérités. « Lamour vrai... n'est
point accapareur et destructeur, comme l'amour sen-
suel et les amours de convoitise; il n'aspire pas à faire
de l'objet aimé une sim/jle dépendance de soi-môme etc. ».
Correspondance, t. I, p. Go. ' "
CliXQUIÈME CONFÉRENCE.
NOTE 1, p. 128.
La correspondance de Taine nous livre le secret du
désespoir amer qui se cache sous les apparences d'une
sérénité factice. Cette correspondance est pleine de ré-
flexions comme celle-ci : « C'est que j'asi)ire à quelque
chose d'infiniment plus relevé, ce qui est la perfec-
tion d'un philosophe. Je sais qu'elle n'e.xiste pas dans
le genre humain, et que si quelque chose en approche,
ce n'est pas la femme, c'est l'homme, de sorte que mon
idéal serait bien plutôt une amitié qu'un amour. Il y a
plus ; j'y ai renoncé; celte tristesse calme, ce découra-
gement raisonné qui ma pris à l'endroit de la pensée,
me prend à l'endroit, de l'amour; je n'espère pas. Nui
homme réfléchi ne peut espérer. Et alors, voici ce qui
arrive; devant celte impossibilité, un sentiment grand
cl mélancolique me saisit; celte sève de la vie humaine
si mutilée, cette nécessité où l'on est de ne |)ouvoir
uimer qu'à demi et les autres et soi-uiêtne, ce vice
radical do l'homme qui, blessé dans le fond de sou
318 l'espérance
être, se traîne sans jamais pouvoir être guéri sur le
chemin que lui ouvre le Temps, tout cela m'émeut
codime cette vue de la mer et des vaisseaux en péril ».
(Corre.^pondnnce, t. I, p. o4-oo . On trouverait des déses-
poirs analogues dans Renan et dans Berthelot.
NOTE 2, p. 133.
Les théologiens insistent beaucoup sur ce caractère
de renoncement positif au bonheur qu'entraîne le vrai
désespoir. Taine nous parle de ce renoncement qui
s'impose à quiconque s'est dit comrne lui : « Le bonheur
est impossible ». [Luc. cAt.^ p. 47.)
NOTE 3. p. 136.
11 n'ya aucune difficulté pourexpîiquerque le bonheur
est inaccessible, s'il n'existe pas. Ce qui est plus diffi-
cile à comprendre, c'est que l'homme, par nature,
aspire aune félicité qui lui est interdite. Pourquoi cette
aspiration qui n'a pas d'objet, alors que nous voyons
partout une réalité répondre aux désirs des êtres ? Taine
dit encore : « Mon objet est le bien, ou l'Etre comme
nous disions en métaphysique. » {Loc. cit., p. 52. Mais
si le bien n'est pas, si l'Etre n'est pas, que reste-t-il de
l'objet? Si le bien et l'Etre sont, pourquoi désespérer de
les atteindre?
NOTE 4, p. 137.
Les théologiens se livrent à un long effort pour mon-
trer que Ton peut désespérer sans être incrédule. Saint
Thomas IV^* 11"", q. xx, art. 2. résout ce problème en ces
termes: «. Inf/delitnx pertinet nd intellcrtum^ desperalio
autem ad vim appetitivam, inielleclus autem universalium
est, sed vis appelitiva mnvetur circa parlicAilares res...
Contingit autem, aliquem habentem rectam lesiimationem
iji universali, circa motum appetitivum non recte se
liahere^ corrupla ejus icstimatiune particulari... Aliquis
relinendo in ^lni}^ersali verayn xitxmationem fidei, quod
APPENDICES 319
scilicet est remissio peccatorum in Ecdesia, potest tamen
pâli motum desperationia, quod scih'cet sibi in tait slatu
existenti non sit sperandum de venia, corricpta œstima-
tione ejus circa partie ul aria.
Et per hune modum potest esse desperatio sine infidcli-
tate, sicut et alla peccata mortalia ».
NOTE 3, p. Ul.
Il faut insister sur cette raisoo, à savoir que plus un
péché nous sépare directement de Dieu, plus il est
grave. « Principaliter consistunt in aversione a hono
iiicommutabili peccata quie opponuntur virtulibus tlieulo-
gicis, ut odiuni Dei, et desperatio, et infidelitas, quia vir-
tutes theologicse habent Deum pro objecto ; ex consequenti
autem important conversionem ad bonum commutabile...
Peccata vero alia principaliter consistunt in conversione
ad bonum commutabile \ ex consequenti vero in aversione
ab incomniutabili bono. Non emm qui fornicalur, inten-
dit de Deo recedere, sed carnali delectatione frui, ex quo
sequitur, quod a Deo recédât. » 11^ ïl^ , q. xx, art. 1",
ad 1""'.
NOTE 6, p. U8.
Rappelons que le quiétisnie autorisait le désespoir.
Bossuet s'élève justement contre cet abominable ensei-
gnement. « La tentation du désespoir, dit l'évêque de
Meaux, consiste à induire l'âme à croire invinciblement
qu'il n'y a point de salut pour elle. Or une âme sainte
est représentée comme tombée dans cet état par le
sc(;ond caractère qui comporte une invincible persua-
sion qu'elle est justenient ré|)rouvée de Dieu; laquelif^
persuasion n'en est que plus mauvaise, parce que selon
I auteur elle est rc/lécliic; à quoi il l'aut ajouter que
vaincue de l'impression invincible du désespoir, elle
sacrifie absolument sa béatitude éternelle; et enfin
mi'cWe arquiescc simplement h la juslc condamnation où
elle croit être do lu part de Dieu ; ce qui est le comblo
320 l'espérance
du désespoir. » (Troisième écrit sur les maximes des
saints. Question importante.)
SIXIÈME CONFERENCE
NOTE 1, p. 158.
Le passage de la présomption au désespoir est fré-
quent. Taine que nous aimons à ciler, parce que c'est
évidemment une âme noble et sincère, commence par
espérer qu'en s'appuyant sur ses propres forces il arri-
vera à la vérité, puis bientôt il se décourage et se déses-
père. Il se croit d'abord sûr d'arriver au vrai, non par
cette « croyance vaine et légère qui vole sans consis-
tance au-dessus de son objet, mais avec cette persuasion
solide et parfaite qui est le repos absolu de l'âme, qui
excluttout douie, etquienchaîne l'espritcommeavecdes
nœuds d'airain». (Correspondance, t. I, p. 4S). « Qui le
persuade, dit-il, que le vrai est inaccessible? etc. {fbid.)
Puis il tombe dans un pessimisme douloureux et il
parle, (ibid.. p. 65), du découragement qui l'a pris à
l'endroit de la pensée.
NOTE 2, p. IGl.
Saint Thomas traite de la présomption dans deux
endroits de la So7nme théologiqxie (II' II*, q. xxi), (11%
11^', q. cxxx). Nous avons dit que la présomption
dans laquelle l'homme s'exngère ses propres forces
est contraire à la A-raie magnanimité. Billuart, en
quelques mots, ex| li |ue celte opposition : « IL-ec
nulein priesumptio uppoailur magnanimitati cujus est
hujusmndi spem modcrari juxla regulam ralionis, ut illam
neque erced'if, neque ah ca deficiat. » (De spe, art 5).
Le môme théologien, au môme endroit, dit que cette
présomption peut être contraire à l'espérance. Elle en-
APPENDICES 321
lève, en eflfet, à l'espérance son appui formel qui est la
toute-puissance divine, et elle lui substitue un appui
purement naturel qui est l'énergie humaine.
NOTE 3, p. 166.
Nous avons vu que la présomption heurte l'espérance.
Elle ne la détruit pas nécessairement. Lorsque, dit
encore Billuart, {loc. cit.), l'homme demeure dans le
péché, refuse de changer sa vie, et espère malgré cela
qu'au dernier moment Dieu lui sera propice, il est pré-
somptueux. Cependant il ne perd pas l'espérance, parce
qu'il ne détruit pas le motif formel de cette vertu qu'il
appuie toujours sur le secours de Dieu. Il le détruirait
sil espérait arriver à sa fin dernière sans le secours de
Dieu et avec ses seules forces, ou encore, s'il espérait
obtenir le pardon sans se repentir, la gloire sans 1 avoir
méritée.
NOTE 4, p. 174.
Celui qui se propose de pécher plus obstinément,
sous prétexte qu'il obtiendra toujours son pardon, pèche
plus gravement. Mais celui qui pèche en se promettant de
s'abstenir plus tard du péché et de se repentir n'est pas
présomptueux, il pèche moinsgravement, carsa volonté
est moins affermie dans le mal. 'Cf. saint Thomas, II*, II»,
q. XX, art. 2, ad 3"'").
Il serait cependant coupable d'une grave présomp-
tion, dit Billuart, s'il se promettait de ne se convertir
qu'à la fin de sa vie {Loc. cit.).
NOTE 5, p. 177.
Si grave que soit l'injure faite à Dieu par la présomp-
tion, elle est moins grave que le désespoir, car le déses-
péré outrage la miséricorde, tandis que la présomption
n'outrage que la justice vindicative de Dieu. Or, la
l'espérance. — 21.
322 l'espérance
miséricorde convient plus à Dieu que la vengeance. L»
miséricorde appartient à Dieu considéré en lui-mêmo,
la vengeance ne lui convient que par suite de nos pé-
chés. « Quia ex se misericoi^s est, justusseii ullor ex pec-
catis nostris. » (Billuart, loc cit.)
NOTE 6, p. 179.
Les Salmanticenses croient que chez les chrétiens le-
péché de présomption est très rarement consommé
[rarissime), et rarement assez grave pour détruire l'es-
pérance. Cela, disent-ils, parce que les chrétiens, d'un
côté, ne se proposent pas, comme veulent les luthériens,
d'obtenir la gloire sans mérite; parce que, d'autre part^
ils ne forment pas le dessein de pécher sans lin. D'ordi-
naire, au contraire, ils se promettent de s'amender plus
tard... [Despe theoloyicd, q. xxi, in fine.)
Les incrédules, responsables de leur incrédulité, se
montrent au contraire d'une grave et inexcusable témé-
rité, quand, faisant complètement ïi de la justice, ils
comptent follement sur la bonté et pèchent d'une ma-
nière effrénée, sous prétexte que la miséricorde de Dieu
est sans borne.
La présomption parvenue à un certain degré constitue
un péché contre le Saint-Esprit, dont elle supprime ou
dont elle méprise la grâce et le secours. « Prxsumptio
estpropriè speciespeccati in Spiritiun sancium, quia srilicet
per hujusmodi pnesumptionem tollitur, vel contemnitur
(idjulorium Spiritus sancti per quod honiorevocatur apec-
cato. w (II'' II*' , q XXI, art. l^'.)
On comprend, par ces quelques notes, que, de notre
temps, bien des hommes pèchent gravement par pré-
somption, et parce qu'ils comptent démesurément sur
eux-mêmes et sur les forces de la nature pour atteindre
leur tin, et parce qu'ils dédaignent les secours du Saint-
Esprit qu'ils considèrent comme inutiles.
TABLE DES MATIÈRES
lettre de son éminence le cardinal merry del val, secrétaire
d'État, a l'auteur 5-6
PREMIÈRE CONFÉRENCE
LES PERSPECTIVES DE L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
Nom aimable de la seconde vertu théologale. Puissance des
espérances issues de la nature. Supériorité de l'espérance
chrétienne dont la noblesse se mesure d'abord à la sublimité
des perspectives quelle ouvre au cœur. Comment 1 homme
moderne a olïeusé cette vertu 11-12
I
1. — L'espérance chrétienne ouvre à l'individu la perspec-
tive du bonheur absolu.
a) Simi)licité, perfection, éternité du bien qui nous est
promis et qui n'est autre que Dieu lui-même vu, possédé
dans son essence 12 14
6) Insuffisance des biens créés : fortune, santé, i)Iai-
sir, otc • J4-l^
c) Comment Dieu fera cesser notre misère et répondra à
notre passion de conmiitre. d'aimer, do goûter la joie intinie.
('oninHMil des facultés spiriliicllcs ce bonheur se répandra
dans la sensibilité et jusqui; ilans les éléments matériels de
notre être. Comment notre bonlieiirsera délinitivement assuré
cl |)Our(|noi nous n'avons pas à craindre dans sa possession
la monotonie 15-19
2. — L'espérance s'étend au delà du bonlicur personnel.
Sous 1 iiilhfence de la charité, elle ouvre une seconde pers-
324 TABLE DES MATIÈRES
pective. celle d'un état parfaitement lieiireux pour la société
iJcs croyants.
Tous les partis rêvent d'une société où la face du monde
sera renouvelée. Le Chrétien attend l'avènement du royaume
de Dieu Unité, justice, joie, gloire de ce royaume. Hiérarchie
admirable de la Cité céleste où à des degrés divers tous les
élus goûteront le même essentiel bonheur 10-21
3. — Troisième perspective de l'espérance chrétienne : la
Iransformalion de l'univers... Sombres prévisions du pessi-
misme par rapport à l'avenir de la Création. Espérances de
îoptimisme. Promesses du Christianisme : pourquoi il con-
vient que toutes les créatures qui ont obéi à Dieu et servi
l'homme soient associées à la gloire des êtres raisonnables.
Images que les artistes chrétiens nous offrent de l'état du
monde après sa transfiguration finale 21-23
II
i. — Grave reproche fait à l'espérance chrétienne qui
place le bonheur dans l'avenir. Cette infirmité est commune
à toutes les espérances Mais le Christianisme place le bon-
heur au delà du tombeau, et nos adversaires accusent notre
doctrine d'exploiter la crédulité publique et de promettre aux
générations un bonheur lointain pour obtenir qu'elles renon-
cent en notre faveur aux joies présentes. — Réponse à cette
accusation 23-25
2. — L'espérance chrétienne ne se désintéresse pas du
présent.
a) Elle nous promet la grâce qui est, dans le temps, le
moyeu d'arriver à la gl-ire de l'éternité. Bonheur assuré en
cette vie à l'âme en étal de grâce 25-28
b) Nous espérons la grâce pour les antres. Bonheur assuré
à la société qui vit sous l'empire de la grâce, bien social par
excellence. Témoignage de Taine à ce sujet. Ce que la reli-
gion chrétienne fait pour la prospérité terrestre des peu-
ples .... 29-31
c) L'espérance vise les biens temporels dans la mesure où
ils se rapportent aux biens éternels. Comment les biens tem-
porels sont parfois nécessaires à l'homnic et à la société
pour parvenir à la bt^alitiide éternelle. Inunense domaine de
l'espérance chrétienne q.ui embrasse dans son ambition tous
les biens véritables du leiniis et de 1 éternité. . . . 31-33
TABLE DES MATIIiRES 32î
Obligation de ne pas rétrécir les cadres grandioses de
respérance chrétienne. Le fidèle s'attache avant tout à la
félicité éternelle, mais il ne dédaigne aucun des biens qui
peuvent servir à sa suprême exaltation 33
DEUXIEME CONFERENCE
LES APPUIS DE L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
La béatitude telle que nous l'avons définie est-elle acces-
sible à l'homme? Divers sentiments des incroyants qui sac-
cordenl à dire que notre espoir est vain parce qu'il cherche
un bonheur hors de notre portée. Le Chr stianisme enseigne
que notre espérance est fondée parce que l'appui qu'elle
inAoïjue est proportionné au bien qu'elle promet , . 39-40
I
a) Le Chrétien ne trouve pas en lui-même l'appui de soa
espérance. Impuissance de l'homme à s'élever par ses sfules
forces au bonheur pour lequel il a été créé ; vaines teniativos
des auges et des premiers hommes. Echec de tous ceux, qui,
il l'exemple dos Pélagicns, ont essayé d'atteindre leur fia
dernière en faisant appel aux énergies delà nature. . 40-43
b} Le chrétien n'espère pas dans les autres créatures pour
parvenir à la suprême félicité. Impuissance des êtres finis
pour nous soulever jusqu'au ciel 43 44
c) Nous ne serons cependant pas purement passifs dans
l'œuvre de notre régénération. Erreur de Luther. Uùh; de nos
mérites, de nos actes. Nous sommes des coopérateurs de
Dieu 44-i."i
d) Les créatures ne demeureront pas étrangères à notre
merveilleux changement Action instrumentale du Christ, do
l'Eglise, du sacerdoce, des sacreme ts, de tous les êtres sur
notre transliguralion finale 41)-16
e) Pourquoi sommes-nous rédui s, comnu' tous les êtres
cré('!S, comme le Christ lui même à cet oflice de coopérateurs
et d'instruments? Parce que le but visé par rcsi)érance est
surnaturel et (|u'il ne peut être atteint qu'en vertu d'une
force du même ordre 47
320 TABLE DES MATIÈRES
II
1. — La toute-puissance auxiliatrice de Dieu, tel est le
véritable appui de l'espérance chrétienne, car le privilège de
la puissance infinie, c'est de conduire au bien infini. 48-49
a) Dieu } eut nous initier à sa vie et à sa félicité. Principe
(pii nous permet cette espérance du côté de Dieu, du côté de
l'homme 49-ol
b] Dieu veut nous communiquer cet ineffable bonheur, parce
qu il est bon et que le propre de la bonté, c'est de se répandre
et de donner, parce que le propre de la bonté infinie, c'est de
se communiquer d'une manière infinie 51-52
2. ~ a) Dieu nous a promis de nous associer à sa gloire.
Il n'a pas cessé de renouveler cette promesse depuis le com-
mencement du monde, de la préciser, de détailler les éléments
de la béatitude qui nous attend : vision, amour, joie, résur-
rection de la chair, transformation de la société et de l uni-
vers ; de l'étendre à tous les biens qui nous sont nécessaires
dans le temps pour arriver à notre fin dernière. A cette pro-
messe, il joint un serment o2-56
h) Cette promesse nous garantit que Dieu fcut nous sauver,
car s'il s'engageait à faire ce qu'il lui est interdit de faire, il se
tromperait sur son propre compte. Elle nous garantit que
Dieu veut nous sauver car, aulremont, il nous jouerait. Elle
nous garantit que Dieu doit nous sauver, car la prom:^Pse et
le serment obligent en justice. . 50-57
c; L'accomplissement partiel de la promesse nous assure
son accomplissement total. Réalisation de toutes les pro-
messes qui ont été faites pour le temps 58-o9
Devoir pour les Clirétiens d'attacher leur espérance à la
toute puissance de Dieu comme à la cause première de leur
béatitude.
Devoir pour eux de s'attacher à tous les agents secotdaires
choisis par Dieu pour l'accomplissement de ses desseins
miséricordieux sur nous 59-61
TROISIÈME CONFÉRENCE
LA YEUTL' D'ESPÉRANCE
Résumé des deux premières Conférences. Nouveau pro-
blème : qu'est l'espérance considérée en elle-même et dans
son essence? C'est une vertu qui a (juatre fonctions. . 67-68
TABLE DES MATIÈRES 327
I
L'espérance nous fait vivre par le cœur dans l'atmosphère
des bienheureux, de la Divinité.
a) Mécanisme de la vie considérée à ses différents
étages 69
b] L'espérance est un nouveau degré de vie. Témoignages
de saint Pierre et du Concile de Trente. Le Christ est venu
pour nous assurer la surabondance de la vie. Comment Fespé-
rance nous communique une vie qui se manifeste à l'extérieur,
q;ui se nourrit de Dieu où elle trouve son objet et son ali-
ment 70-72
II
L'espérance élève le niveau de la vie en portant à sa plus
haute expression notre volonté d'être heureux, parce ([ue la
volonté ainsi affectée communique sa force à toute l'économie
surnaturelle,
a) La grandeur de la volonté se mesure à la grandeur du
but où la volonté cherche son bonheur. Le Chrétien qui espère
veut monter jusqu'à Dieu, c'est-à-dire aussi haut que pos-
sible 72-74
b) Sous l'empire de l'espérance, le chrétien se maintient à
•cette hauteur, ce qui suppose en lui une grande force. 74-75
c) Ce but poursuivi par l'espérance est surnaturel. Ce qui
«ntraîne en elle une énergie d'essence et d'origine surnatu-
relles "3
(l) L'espérance serait un rêve, si elle no nous rendait
capables d'user de la toute-puissance de Dieu pour arriver à
Dieu. Elle nous confère cette puissance d'employer la force
de Dieu pour monter jusqu'à Dieu 75-76
III
a) Le vouloir de l'espérance porte sur l'avenir. iMélange de
joie et de tristesse dans lespérance ([ui compte sur le bon-
heur, mais qui ne l'atteint pas en ce monde. Impatience des
âmes ((ui voudraient dès maintenant jouir pleinonuiit de
Dieu. Nécessité pour nous de nous contenter ici bas dos
bonheurs et des demi-satisfactions qui nous sont donni's.Pour-
(pioi l'espérance mérite son nom de vcriu bien (lu'ollo no oon-
328 TADLE DES M ATI KR ES
diiise pas 'a volonté à la dernière perfection, qui ne se trou-
vera que dans la possession du bien suprême . . . 76-79
b] L'espérance nous rend capaliles d'attendre. Force que
cette attente suppose en nous 79-81
c) La fermeté de notre attente repose sur la certitude que
nous avons de réussir. Notre certitude est inébranlable du
côté de Dieu qui ne nous manquera pas. elle est fragile de
noire côté parce que nous sommes faillibles. . , . 8l-8i
IV
L'espérance nous pousse à l'effort, à l'action, à la lutte,
c'est donc une énergie intérieure.
a) Sous son influence, la volonté s'élance hardiment vers
la béatitude. L'espérance, d'après Giotto, étend, élargit, pro-
longé la volonté et la rapproche de la béatitude . . 84-85
b) Cet effort inspiré par l'espérance est laborieux et nou*
presse de nous emparer de tous les moytns mis à notre dis-
position pour atteindre la félicité. Il est absorbant et nous fa't
négliger ce qui ne se rapporte ])as à notre tin dernière. Il a
quelque chose de militant^ d'agressif, de vaillant . . 85-8S
Dans ces conditions, l'espérance mérite son nom de vertu,
car elle nous rend meilleurs; de vertu surnaturelle car elle
porte sur un objet surnaturel ; de vertu théologale car elle
s'élance vers Dieu, elle s'appuie sur Dieu, elle naît de Dieu,
elle se renouvelle, s'avive et se maintient par Dieu. . 88-8^
QUATRIÈME CONFÉRENCE
LE CARACTÈRE ÉVAXGÉLIQUE ET MORAL
DE L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
Les adversaires de la religion lui font les reproches les
plus contradictoires. Exemples de ces contradictions. Dans la
question de la charité, ils nous accusent de s.icrifier
les intérêts de l'homme à Dieu, et, dans la question de l'espé-
rance, de sacrifier Dieu aux intérêts de l'homme. Si cette der-
nière accusation était vraie, l'Evangile et la morale condam-
neraient l'espérance. L'espérance intéressée est extraite de
l'Evangile et conforme aux exigences de la stricte morale :
dojble vérité qu'il faut expliquer. . .■ 91-97
TABLE DES MATIERES
329
1
L'idée d'intérêt est inséparable de l'idée de l'espérance
telle que i.ous la concevons. L'espérance telle que nous la
concevons nous est imposée par l'Evangile.
Erreurs de Maître Eckart, de Luther, des Jansénistes, des
Quiétistes au sujet de l'amour désintéressé, erreurs qui
d'une manière plus ou moins absolue condamnent l'espérance
au nom de lEvangile.
1. _ L'Evangile et le Christianisme s'expriment d abord
dans l'Ecriluro. Or l'Ecriture ne cesse pas dexlioiter les
hommes à travailler en vue de la récompense. Enseignement
de l'Ancien Testament. Enseignement du Nouveau Testa-
ment ,,j?--102
2. — L'Evangile est interprété infailliblement par 1 bglise.
Or " l'Eglise chante à la fois l'amour d'espérance qui est
intéressé et l'amour de charité qui est désintéressé. Elle
condamne les faux mystiques; elle impose aux parfaits et
aux imparfaits de chercher la béatitude. Effort en ce sens de
son ministère apostolique 10--IJ +
3. — La tradition de saint Paul à saint François de
Sales apporte le même témoignage à l'espérance. Nécessite
d'expliquer certains textes obscurs des Saints Pères. Dans la
querel'e du Quiélisme, Bossnet l'emporte sur Féuelon parce
qu'il a mieux entendu l'unanime concert de la tradi-
Son '^*-^^^
4. — La vie des saints proteste aussi contre ces nova-
teurs. Parvenus au dernier degré de la perfection, ils s'in-
quiètent de leur bonheur éternel. Abraham, Moïse, saint Jean,
saint Paul, saint Augustin, saint Bernard, saint Thomas-
d'Aquin 106-107
5. _ Jésus-Christ en qui s'incarne la religion a travaille
en même temps pour la gl oire de son Père et pour sa propre
gloire il n'a pas connu le désintéressement absolu des nova-
teurs 108-10»
II
Pour attaquer l'espérance, hérétiques et philosophes ont
invo(iu('' la morale.
1. — L'on peut agir en vue de son bonheur personnel sans
offenser la saine morale. Preuves :
330 TABLE DES MATIÈRES
a) La morale absolument désintéressée est impossible. Elle
obligerait l'ouvrier à travailler sans réclamer son salaire, etc.
Elle est impossible même pour ceux qui la défendent : les
hérétiques cherchaient leur intérêt 1U9 113
h\ La saine morale nous permet et nous ordonne de nous
aimer nous-mêmes. Explication de ce principe. 11 résulte que
s'il y a un amour désordonné, il y a aussi un amour légitime
de soi-même et l'amour d'espérance est légitime et obliga-
toire 113-114
2. — Nos adversaires prétendent que par l'espérance nous
renversons l'ordre et que nous subordonnons l'homme à Dieu.
Rien de plus faux.
a) Par l'espérance, nous dépendons de Dieu, Dieu ne dépend
pas de nous. Triple amour : dans le premier, l'être aimé est
assujetti à l'être aimant, dans le second l'être aimé est sur le
pied d'égalité avec l'être aimant, dans le troisième l'être
aimant est sujet de l'être aimé. Le dernier amour est celui
de l'espérance qui met Dieu au-dessus de l'homme. Explica-
tion de cette pensée d'après saint François de Sales. 114-116
b) Il faut juger l'espérance par ses tendances et non seule-
ment par ses actes. L'espérance tend à la charité qui nous
inspire la volonté d'être meilleurs, plus grands, plus moraux
pour mieux servir la gloire de Dieu. Explication de ce prin-
cipe qui justifie pleinement notre dectrine de l'espé-
rance 117-118
Exhortation 119
CINQUIEME CONFERENCE
LE DÉSESPOIR
Dieu a fait de l'espérance un devoir contre lequel l'homme
peut pécher de différentes façons. De notre temps ce devoir a
été offensé fréquemment. 11 l'a été surtout par le désespoir
et par la présomption 127-128
I. Définition du désespoir. II. Malice du désespoir.
I
Le désespoir est un acte intérieur, délibéré, positif, par
lequel l'homme cesse de tendre à son bonheur, y renonce et
TABLE DES MATIÈRES 331
s'en éloigne, sous prétexte qu'il lui est impossible d'y parvenir.
1. — a) C'est un acte intérieur émané des profondeurs de
l'àme et tel au dedans qu'il se montre au dehors.
Le vrai désespoir se distingue ainsi du pessimisme de
commande affecté par des jeunes gens, par des hommes qui
veulent apitoyer sur leur sort et tirer profit de leur prétendu
découragement 128-130
6) Le désespoir est un acte pleinement conscient et pleine-
ment délibéré. Il dilïère dos troubles violents mais involon-
taires, qui jettent parfois les saints dans d'indicibles an-
goisses 130-131
c) C'est un acte positif et non un simple défaut d'espérance.
Il ne se confond pas avec l'indifférence, avec l'hésitation,
avec la simple défiance 131-132
d) C'est le relâchement total de la volonté, l'abandon de
soi, la rupture consciente, délibérée de l'homme avec le
bonheur. Le désespéré renonce à sa destinée, il affirme sa
volonté inflexible, réfléchie de dire adieu à la félicité. 132-134
2. — Motif invoqué par le désespoir : impossibilité d'arriver
au salut.
a) Cette impossibilité est quelquefois coni;ue comme absolue
par le désespéré, qui ne croit pas à ll'existence du bonheur
pour l'humanité... Ce désespoir est le plus grave, il a son
principe dans l'incrédulité 13i-136
b) Quelquefois, le désespéré, le Chrétien par exemple,
•conçoit comme relative à sa personne limpossibilité d arriver
au salut qui est accessible aux autres. Il invoque pour justi-
fier son idée : la violence de ses passions, la gravité de ses
fautes, l'insuffisance pratique de la grâce, et il fuit un
bonheur qu'il juge hors de sa portée. .... . . 136-137
II
Etat malheureux du désespéré. Quelle pitié il nous doit
inspiror.
Culpabilité du désespéré. Principe suivant lequel on doit
juger de celui en qui le désespoir est la suite de l'incrédu-
lité 137-138
Culpabilité du croyant qui désespère.
1. — 11 pèche contre lui même.
a) Parce qu'il refuse de pourvoir à son sort. Obligation
dans laquelle nous sommes do nous aimer et de nous vouloir
332 TABI.K DES MAïlÉnKS
par-dessus tout le plus granci des biens qui est la béatitude.
Commeut le désespéré offense gravement ce précepte en re-
nonçant à son bonheur eten se vouant àladamnation. 138-i39
a) Comment il l'offense d'autant plus gravement qu'il est
obligé pour désespérer de résister à la grâce, à la raison, à la
nature qui le pressent de chercher la félicité .... 140
c) V^aines excuses invoquées parle dése-péré Ce qu'il faut
penser de l'impossibilité de se sauver. Lâcheté que cache le
désespoir 140-142
2. — Le désespoir inllige à Dieu une grave injure.
a) Parce qu'il méconnaît ou la puissance ou la miséricorde
de Dieu. S'il prétend pour justifier son excès que Dieu ne peut
le sauver, il mutile la puissance divine et met la faculté qu'il
a de se perdre au-dessus de la faculté que Dieu a de le sau-
ver. S'il prétend que Dieu peut, mais no veut pas le sauver,
il attribue à sa perversité plus de vertu qu'à la bonté divine.
En tout cas, il accuse d'erreur ou de mensonge Dieu qui tant
de fois nous affirme qu'il peut et qu'il veut nous
sauver 142-144
b) Le Dieu imaginé par le désespéré n'a rien de commun
avec le Dieu qui s'est manifesté dans l'histoire. A celui-ci, le
désespéré inllige un outrage sanglant en lui attribuant des
sentiments et des desseins opposés à ceux dont nous parlent
les auteurs inspirés 144-145
c) L'injure jetée à la face du Père rejaillit jusqu'au Christ,
que le désespéré accuse implicitement de n'avoir pas assez
souffert pour sauver tous les hommes 145
d) Le désespoir inllige une injure à Dieu en rompant avec
lui. Cette rupture est directe et positive, c'est ce qui fait sa
gravité 146-147
Aucun chrétien, quelle que soit l'extrémité de ses douleurs
ou de ses fautes, n'a lo droit de désespérer. Ceux qui ont
succombé à cette tentation doivent revenir à l'espérance.
Le désespoir guérissable en ce monde ne l'est plus dans
l'éternité 147-149
SIXIÈME CONFÉRENCE
LA PRÉSOMPTION
La voie droite est tracée entre des écueils, l'espérance côtoie
deux abîmes : le désespoir et la présomption.
TABLE DES MATIÈRES 333
La présomption sous ses diverses formes blesse l'espérance
et offense gravement Dieu , 157-158
I
La présomption heurte moins manifestement et moins vio-
lemment l'espérance que ne le fait le désespoir. Elle la heurte
cependant. On peut la défniir : un mouvement désordonné de
la volonté par lequel l'homme a la prétention d'atteindre un
but qui dépasse ses forces 158-159
Elle se présente sous deux formes principales.
1. — Sous sa première forme, elle nous pousse à vouloir
saisir labéatiludc en nous appuyant uniquement sur les éner-
gies de la nature. C'est la présomption des anges déchus,
d'Elve, des Pélagiens, etc. Elle est contraire d'abord à la ma-
gnanimité, elle est contre ire aussi à l'espérance à laquelle
elle enlève son \éri(able appui 159-161
2. — La seconde forme de la présomption est plus grave,
plus dangereuse, plus directement hostile à l'espérance : c'est
la présomption des Luthériens qui se flattent d'obtenir le
pardon sans se repentir et le ciel sans l'avoir mérité. C'est
aussi la présomption de beaucoup de Chrétiens. Dévfloppe-
ment de cette pensée 161-164
Cette présomption blesse l'espérance, vertu théologale, qui
en cherchant le bonheur doit se conformer aux lois dictées
par Dieu. Ces lois exigent :
a) que sous l'influence de sa grâce nous nous repentions
pour obtenir le pardon, alors que le présomptueux compte
sur le pardon sans pleurer ses fautes 164-1G5
6) Que nous méritions le bonheur par nos bonnes œuvres,
alors que le présomptueux se croit sûr du bonheur en s'abs-
tenant de» bonnes œuvres et en s'ét émisant dans le mal. 163-166
c) Que nous considérions la béatitude comme un but d'ac-
quisition difficile, alors (\ue le présomptueux pense arriver au
ciel sans ctïort 166
cl] Que nous mêlions la crainte à l'espérance, alors que le
prénoraptucux se jette dans tous les hasards avec une con-
fiance qui n'a d'égale que sa fausse sécurité. . . 166-167
H
Le présomptueux offense Dieu.
i. — Lorsqu'il s'appuie sur ses seules forces pour arriver
334 TABLE DES MATIÈRES
à la béatitude, il empiète sur les droits de Dieu. Dieu s'est
réservé le soin de conduire ses créatures à leur tîu, comme II
s'est réservé le soin de leur donner un commencement ; nul
ne tentera de lui enlever ce privilège sans essayer de lui ravir
sa qualité d'agent suprême. Jaloux de cette royauté Dieu se
vengera en abandonnant à leurs seules ressources les êtres
dont l'insolence n'est dépassée que par leur faiblesse. Echecs
lamentables de ces êtres présomptueux 167-109
2. — Lorsqu'il tombe dans la seconde présomption, l'homme
offense Dieu.
a) En diminuant sa puissance. Comment la puissance de
Dieu, manifestée par l'ordre qu'il suit, est mutilée par l'ordre
que le présomptueux veut imposer aux choses. . . 169-170
b) En abusant de sa miséricorde. Comment la miséricorde
de Dieu est plus éclatante lorsque Dieu nous communique le
pouvoir et le devoir de coopérer à son œuvre. . , 170-172
c) En dénaturant sa bonté. Lo présomptueux s'imagine que
Dieu est tellement bon qu'il est insensil)le au mal. Il ne réllé-
cliit pas que Dieu, parce qu'il est essentii liement bon, est
essentiellement ennemi du mal; qu'il ne pourrait pas par-
donner à qui ne se repent pas sans pactiser avec le mal et
sans tomber dans la faiblesse qui est une bonté déliquescente
et dégénérée; que plus un être est bon, plus on est coupable
d'abuser de sa bonté pour l'offenser 172-174
d) Le présomptueux est en opposition violente avec Jésus-
Christ. Contraste entre le labeur du Christ qui sauve le monde
par un sacrifice sanelant el la prétention du présomptueux
qui veut se sauver sans eft'ort et sans peine. . . . 174
e) Combien la Justice de Dieu souffrirait si le présomptueux
avait le droit de triompher 174-177
La doctrine de l'espérance nous oblige à marcher entre deux
extrêmes. Sagesse de cette doctrine qui sauvegarde en même
temps les droits de Dieu et la dignité de l'homme. 177-179
TABLE DES MATIÈRES 335
RETRAITE PASCALE
PREMIÈRE INSTRUCTION - LUNDI SAINT
HEUREUSE ACTION DE L'ESPÉRANCE
SUR LA VIE HUMAINE
Vertu aimable, l'espérance est aussi une vertu bienfaisante.
Elle prête main forte à toutes les vertus, elle nous (Console de
toutes les tribulations du présent, elle nous apporte des joies
pures en ce monde 183-18Ô
I
L'espérance vient au secours de toutes les vertus.
a) L'espérance inspire à la prudoice la crainte du danger, la
sagesse qui nous détourne des occasions. Elle affermit la
justice dans sou ordre en .sauvegardant la hiérarchie des
choses et en l'obligeant à respecter ses propres lois. Elle
suggère à la force des sentiments magnanimes, une constance
invincible et l'amour de lalulte. Elle soutient la tempérance
en opposant aux charmes (hmgereux des créatures la perfec-
tion du créateur. Elle forme à l'humilité, qui est une sorte de
tempérance, en lious mettant à notre place, sans nous abaisser
au-dessous de nous-mêmes, sans nous exalter au-dessus de
ce que nous sommes 186-189
6) Elle sert les vertus théologales. Le rôle de l'espérance
dans la foi. Le rôle de l'espérance dans la vertu de la cha-
rité 189-191
II
L'espérance nous console dans les tribulaticuis. Sachant
qu'il est voué à l'épreuve pendant sa vie, celui ([ui espère ne
s'étonne pas de ne pas trouver le bonheur sur la tcrr(>. Contre
les douleurs du présent, il trouve un refuge assuré dans les
perspectives de l'avenir. L'espérance étant un sentimont du-
rai)li;, ranime sans cesse le courage du Chrétien. Quelle (|ue
soit l'extrémité de ses malheurs, le Chrétien cherche dans l'es-
pérance de la vie qui ne finit pas la force de supporter les
maux qui sont d'iui jour 19l-19.'>
'336 TABLE DES MATIÈRES
III
L'espérance nous assure des joies sur la terre.
a) Elle voit se réaliser dans le temps une partie de ses pro-
messes La grâce enefïet, nous vient en ce monde et elle est
le principe de satisfactions aussi pures, aussi vives que nom-
breuses. Puis chaque grâce reçue est un gage et un germe
de la gloire. . . . , 195-196
b) Par lespcrance nous possédons la gloire en quelque
manière, puisque nous possédons la faculté de l'atteindre.
Celte certitude est une source de vrai bonheur. . . . 196
c) L'expérience nous apprend (pie l'espérance illumine toute
la vie de ses rayons Mélancolie de ceux qui n'espèrent pas.
Epanouissement de ceux qui espèrent 196-197
Le Chrétien doit faire appel à l'espérance pour pratiquer
avec ardeur les vertus de son élat, pour souffrir avec patience,
pour s'attacher au bonheur céleste à mesure que les choses
de la terre s'éloignent, surtout pour garder la sérénité dans
les transes de l'agonie et de la mort 197-198
DEUXIÈME INSTRUCTION — MARDI SAINT
LA GENÈSE DU DÉSESPOIR
Nécessité de combattre le mal dans ses causes et dans ses
«ffets. La luxure et la tristesse sont d'après saint Thomas, les
causes du désespoir 203-204
I
1. — Tous les vices peuvent être le principe du désespoir :
l'orgueil, l'envie, l'avarice, comme les autres passions déré-
glées 20i-205
2. — La luxure est un des deux vices qui y conduisent le
-plus naturellement.
a) L'expérience confirme cette assertion. De fait les drames
du désespoir suivent fréquemment les excès de la luxure, et
chaque jour nous assistons à des crises où la luxure et le dé-
sespoir s'unissent pour pousser l'homme aux résolutions
fatales 205-207
h) La raison explique ce fait, car plus on aime la béatitude,
:plus on espère. Or, la luxure en attachant l'homme à des vo-
TADl.H IlES 31Ari.::iES 3'J7
luptôs éphémères le détache de la béatitude éternelle. En ces-
sant d'aimer et de tJésirer le vrai bonheur, en s'en dégoûtant,
le luxurieux s'éloigne du bonheur et cet éloignement con-
stitue le désespoir. Contirmatici de ces vérités par l'expé-
rience 207-210
II
Le désespoir peut naître plus spécialement encore de la
tristesse.
1. — Distinctions entre les triste îes bienfaisantes et les
tristesses malsaines 21^-211
2. — La tristesse malsaine pèse sur l'âme, déprime la vo-
lonté, p-^'is persuade qu'il nous est impossible d'arriver aa
but que nous désirions atteindre, nous met en défiance contre
toutes les puissances capables de nous aider efficacement à
conquérir le bonheur et contre Dieu même. . . . 211-213
Obligation pour nous de lutter contre toutes ces passions
qui, ouvertement ou hypocritement, conduisent au dé-espoir.
Obligation spéciale de fuir les suggestions de la luxure et
de la mauvaise tristesse 213-214
TROISIEME INSTRUCTION - MERCREDI SAINT
LES SUITES DU DÉSESPOIR
Par un retour funeste, le désespoir conduit à tous les vices;
il livre spécialement l'homme aux excès d'une concupiscence
effrénée et le voue à une intolérable soulïrance . . 219-220
I
Les hommes sans espérance ne connaissent plus aucun
frein : ayant p(ïrdu la crainte du châtiment et renoncé à la
récompense, la plupart s'abaiidonueut à la fantaisie de leurs
instincts.
a) Le désespéré tend à (extirper la foi de son cœur, car
ayant rompu avec le bonheur, il ne peut s'empêcher de lia'i'r
la souffrance et la damnation. Il n'y a qu'un moyen de con-
cilier son intérêt et son sentiment, c'est de ne plus croire en
DiiMi. Le désespéré s'y efforce et souvent y réussit . 220-221
6) Le désespéré verse facilement dans la haine de Dieu. Il
I.'ESrKRANCE. — 22.
338 TABLE DES MATIÈRES
est aisé de prendre en aversion un objet que nous voudrions
atteindre et que nous pensons hors de noire portée. Cette
haine se traduit fréquemment par le blasphème et par une
hostilité farouche à tout ce qui intéresse le royaume de
Dieu 221-222
c) Le désespéré ne se montre pas meilleur vis-à-vis des
hommes qu'il rend responsables de son état. A leur endroit il
devient dur, iujuste, défiant, etc 222-223
II
Le désespéré se livre surtout aux passions sensuelles.
Il a beau faire, il ne peut pas se passer de bonheur. Ne
l'attendant plus de l'avenir, il le cherche dans le présent La
jouissance sensible étant la plus immédiate, c'est à elle sur-
tout qu'il demande l'oubli de son inquiétude. Cette inquiétude
renaît et avec elle le besoin de l'endormir par de nouvelles
secousses. Elle s'exaspère et il faut solliciter pour s'en dis-
traire le secours de plaisirs plu s subtils et plu s raffinés. 223-225
Ses efforts sont vains; il essaye alors de supj)léer à la qua-
lité de ses félicités stériles en les multipliant. Il cherche par-
tout une pâture pour ses diverses facultés. L'Enfant prodigue.
Il se livre aux passions des sens. Signiticaticn de ce mot . .
223-227
III
Le désespéré n'aboutit qu'à une indicible douleur. L'his-
toire des âmes nous prouve que le désespoir rend profondé-
ment malheureux. Taine et Jouffroy.
a) Le désespoir nous torture parce qu'il divise l'âme. An-
goisse de l'âme que toute sa nature entiaine vers le bonheur
et que sa volonté en éloigne. C'est le supplice des damnés. .
\ 227-220
b) Le désespoir nous torture parce qu'il ne nous laisse
aucun refuge, il nous sèvre de toute consolation. Explication
de ce phénomène. Laocoon, symbole du désespère. Excès de
la souffrance du désespéré exprimé dans les damnés de
Michel-Ange. Comment cette intolérable douleur conduit au
suicide 229-231
Le Chrétien doit au milieu des plus grandes tribulations se
rattacher à l'espérance 231-232
■V
TABLE DES MATIERES 339
QUATRIÈME INSTRUCTION — JEUDI SAINT
LA GENÈSE ET LES SUITES DE LA PRÉSOMPTION
Caractères de la présorap.tion. Sa genèse et ses suites.
237-238
I
L'orgueil est la cause de la présomption.
a) Si le présomptueux s'appuie uniquement sur lui-même
pour réaliser sa destinée, c'est parce qu'il Acut avoir toute la
gfoire de son succès. Constatation de cet orgueil dans diverses
catégories d'hommes et même de Chrétiens. Cet orgueil vient
de ce que l'homme s'estime tant lui même ([u'il croit pouvoir
remplir le rôle réservé à Dieu 238-240
b) Si la présomption se confie témérairement à Dieu en espé-
rant le pardon sans repentir et la gloire sans mérite, elle
-vient encore de l'orgueil. Elle suppose l'homme si grand que
Dieu sacrifiera tout l'ordre de sa Providence et de sa justice
pour nous sauver et s'assurer notre société. Exorbitante pré-
tention de certains hommes vis-à-vis de Dieu. . . 240-241
II
Les suites de cette double présomption sont également per-
nicieuses.
1. — a) Le présomptueux ([ui se confie trop en lui-même est
un élément de trouble et de division dans la société chrétienne,
parce qu'il a la prétentiim d'imposer à tous ses systèmes, ses
idées. Attitude impérieuse qu'il prend vis-à-vis de ses égaux,
vis-à-vis de ses supérieurs. Quand on refuse de s'incliner de-
vant sa volonté, il s'irrite, il intrigue, il sème partout la dé-
fiance et la zizanie, etc 241-243
b) L éclu'c absolu est la seconde conséquence de cette pré-
sompliiiii. L'homme no peut pas se sauver tout seul. S'il
refuse l'appui de Dieu il est voué à l'insuccès, il ne peut que
maii([uer sa destinée. Découragement qui suit cette présomp-
tion 2i3-244
2. — La présomption (pii se lie témérairement en Dieu
aboutit :
340 TABLE DES MATiÈRES
a) Au retard de la conversion. Aveuglemf>nt que suppose ce
retard. Surprises auxquelles on est exposé. Mort soudaine.
24 1-24 G
h) A la persévérance dans le mal. La présomption arrive à
son dernier degré, comme dans Luther, ne s'inquiète ni de
repentir, ni de mérite. Etat lamentable de l'âme présomp-
tueuse 246
c) Au désespoir Si le voile se déchire un jour, le présomp-
tueux est effrayé et il considère comme impossible le salut
qu'il avait jusque-là cru très facile 2'»G-247
C'est à l'école de I humilité que nous apprenons à nous défier
justement de nous-mêmes, à penser que Dieu n'a pas besoin
de nous, à craindre les surprises de la mort, à fuir les con-
seils de la présomption 247-248
CINQUIÈME INSTRUCTION - VENDREDI SAINT
TYPES DE PRI{:SOMPTION DR DÉSESPOIR ET D'ESPÉRANCE
DANS LA PASSION DE JÉSUS CHRIST
La Passion de Jésus-Christ, résumé de l'histoire religieuse
et morale de l'humanité. Heurt de tous les vices et de toutes
les vertus. Apparition de la présomption dans les Pharisiens,
du désespoir dans Pilate et dans Hérode, de l'espérance dans
la Sainte Vierge et dans les saintes femmes. Nécessité de
limiter le sujet. Choix de trois types de présomption, de
désespoir, d'espérance : saint Pierre, Judas, le bon larron
253-254
I
La Présomption.
a) Attitude de Pierre la veille de la Passion, ses affirma-
tions téméraires. Avertissements réitérés de Notre- Seigneur.
Confiance excessive de Pierre en lui-même. . . . 254-256
b) On trouve dans lapôtre tous les caractères du présomp-
tueux. Pierre compte d'une manière exagérée sur lui-même,
il s'élève au-dessus des autres, il fait ahstia» tinu du tccours
de Jésus, et c'est en vain que Jésus s'efforce de le ramener à
des sentiments d humilité •-î;6 21:8
TABLE DES MATIÈRES 341
c) Châtiment de la présomption. Première défection de
Pierre au jardin des oliviers. Seconde défection au moment
de l'arrestalion du Sauveur, que Pierre ne suit plus que de
loin. Lamentable reniement de Pierre dans le palais du grand
prêtre. Comment 1 humilité rendit Pierre plus fort que la pré-
somption 258-262
II
Le Désespoir.
a) L'avarice fut la cause du désespoir de Judas. Les avis
de Notre-Seigneur n'ont pas raison de cette passion, qui en
Judas fait de rapides progrès. L'avarice conduit peu à peu
Judas au dégoût des choses divines, à l'incrédulité, a la
trahison du Maître 562-264
b) Le désespoir est déjà en germe dans cette âme, car
désespérer c'est s'éloigner des choses divines et les repous-
ser. — Judas ne réagit pas, il est envalii par la tristesse qui
est un principe de désespoir. Tri-tessc sombre de Judas. —
Judas franchit le dernier pas. et il considère son salut comme
plus impossible à mesure qu il est plus infidèle. — Enfin le
désespoir éclate. Peinture de ce désespoir qui conduit Judas
au suicide . . . , 264 268
m
L'Espérance.
1. — a) Situation douloureuse du bon larron. Emotion du
misérable quand il contemple le Sauveur .... 268-270
b) En entendant la prière de Jésus, il sent renaître en lui
l'espérance. 11 se reproche ses crimes, il les confesse ouver-
tement, il en accepte l'expiation 270 271
c) A quel degré il compte, pour son salut, sur la puissance,
sur la bonté, sur la miséricorde de Notre-Seigneur, 271-272
2. — a] Hèponse de Notre-Seigneur. Il fait des promesses
spéciales au bon larron. Il lui promet pour le jour nu'me le
Parailis , , . . 272
b) Joie du bon larron pénétré par respcrance. Sa sainte
mort 273
Le«;ons pour les chrétiens. Ce que l'on apprend en médi-
tant sur la présomption di' Pierre, sur le désespoir de Judas.
Ce que l'on apprend à l'école du bo:i larron. . . . 27;r274
342 TABLE DES MATIÈRES
ALLOCUTION
A LA COMMUNION GÉNÉRALE DES HOMMES
DIMANCHE DE PAQUES
L'EUCHARISTIE
GAGE DE L'ESPÉRANCE CHRÉTIENNE
D'après la liturgie et les docteurs, l'espérance trouve un
gage précieux dans l'Eucharistie 279-280
I
Jésus-Christ promet, dans l'Evangile, la béatitude à tous
en général. Dans l'Eucharistie, il adresse ses promesses à
chacun de nous en particulier. Explication de cette pen-
sée 280-28'
II
Dans l'Incarnation Jésus-Christ s'unit à la nature humnine,
dans l'Eucharistie il s'unit à chaque individu. Intimité de cette
union qui nous incorpore au Christ, et qui, si nous le voulons,
nous rend inséparables de lui. En outre, de cette union nous
sommes entraînés au Thabor, au Calvaire, au ciel et nous
sommes, pour ainsi dire, sauvés d'avance. . . . 281-281
lU
Sauvés d'avance, Jésus dit : « Celui qui mange ma chair et
qui boit mon sang a la vie éternelle. » Explication de ce mot.
L'Rucharistie dans notre chair, dans notre sang, dans notre
âme, c'est le royaume de la béatitude eu nous. . . 282-283
Ecoutons les témoignages de Jésus.
Respectons son union avec nous.
Ne détruisons pas le royaume de Dieu en nous et, sous l'in-
fluence de l'Eucharistie, ce royaume deviendra le royaume
des cieux 283-284
TABLE DES MATIÈRES S i;3
APPEiNDICES
I
Principaux auteurs consultés 285-295
II
Notes explicatives sur les conférekces. . ~ . . 297-322
l'nris. — Soo. Oén. d'imp. et d'Ed., 17, rue Cnssottf.
BJ 1249 .J352 v.3 SflC
Janvier, Marie Albert,
Exposition de la morale
catholique : morale spéciale
47086051