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Full text of "Exposition du dogme catholique : carême 1873-1890"

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JOHN  M.  KELLY  LIBRARY 


IN  MEMORY  OF 
CARDINAL  GEORGE  FLAHIFF  CSB 
1905-1989 


University  of 
St.  Michael's  Collège,  Toronto 


CONFÉRENCES    DE     NOTRE-DAME    DE    PARIS 


EXPOSITION 


DU 


Dogme  Catholique 


GRACE     DE    JESUS-CHRIST 


CARÊME  1883 
XI 


PROPRIÉTÉ  DE  L'ÉDITEUR 


L'éditeur   réserve  tous  droits  de  reproduction  et  de 
traduction. 


Imprimatur  : 

Parisiis,  die  8  Decembris  1901. 
%  Franciscus,  Card.  RICHARD, 
Arch.  Parisiensis. 


^GHAEij. 


Cet  ouvrage  a  été  déposé,  conformément  aux  lois, 
en  janvier   1903. 


CMFÉRSNCES   01    NOTRE-DAME  DE  PARIS 

EXPOSITION 

DU 

DOGME 

CATHOLIQUE 

GRACE  DE  JÉSUS-CHRIST 

I 

SACREMENTS.    —     BAPTÊME,     —    CONFIRMATION 

Par  le  T.  R.  P.  J  -M.-L.  MONSABRÉ 
des  Frères  Prêcheurs 


HUITIÈME     ÉDITION 


CAREME    1883 


PARIS  (Vie) 

P.  LETHIELLEUX,  Libraire-Editeur 

10,  rue  Cassette,  10 

192*4 


APPROBATION     DE     L'ORDRE 


Xous,  soussignés,  Maitre  en  sacrée  Théologie  et  Pré- 
dicateur général,  avons  lu,  par  ordre  du  T.  R.  P.  Pro- 
vincial, les  Conférences  du  T.  R.  P.  Jacques-Marie- 
Louis  Monsabré,  Maître  en  sacrée  Théologie, lesquelles 
sont  intitulées  :  Exposition,  du  dogme  catholique  — 
Œuvre  de  Jésus-Christ.  Carême  1883.  Xous  les  avons 
jugées  dignes  de  l'impression. 

F.  Antonin  Y  ILLARD, 

Maître  en  sacrée  Théologie. 


Fr.  Paul  MOXJARDET, 
Prédicateur  général. 


IMPRIMATUR  : 

Fr.  Bernard  CHOCARXE, 
Prieur  provincial. 


SOIXANTE-UNIÈME  CONFERENCE 


LA   NATURE   DES    SACREMENTS 


CONFÉRENCES   N.-D.     —    CARÊME  1883.    —    1 


SOIXANTE-UNIÈME  CONFÉRENCE 


IA    NATURE    DES    SACREMENTS 

Credo  remissionem  peccatorum. 

Eminentissime  Seigneur,  Monseigneur*,  Messieurs, 

Jésus-Christ,  rédempteur  du  monde  et  créa- 
teur de  la  société  visible  des  rachetés,  gouverne 
son  œuvre  par  la  sainte  monarchie  qu'il  a  cons- 
tituée et  investie  de  sa  divine  autorité.  Les  lois 
extérieures  de  son  gouvernement  nous  sont 
connues,  et  déjà,  en  étudiant  le  dogme  de  la 
communion  des  saints,  nous  avons  pu  suivre 
l'action  des  lois  intimes  en  vertu  desquelles  les 
liens  spirituels  circulent  et  s'échangent  dans  le 

1.  Son  Éminence  le  Cardinal  Guibert,  archevêque 
de  Paris,  et  Mouseigneur  Racine,  Évêque  de  Chi- 
coutimi  (Canada). 


LA  NATURE  Us-b  oACREMENTS 


corps  mystique  du  Sauveur.  Je  vous  ai  promis, 
après  cette  question  de  physiologie  générale, 
une  étude  de  physiologie  partielle,  qui  nous 
fera  connaître  à  fond  l'œuvre  du  Christ  et  ïes 
saintes  lois  de  son  gouvernement.  Je  suis  prêt 
à  accomplir  ma  promesse. 

Source  universelle  des  biens  qui  vivifient  et 
unifient  son  corps  mystique,  Jésus-Christ  entre 
en  rapport  intime  avec  chacun  de  ses  membres, 
en  leur  communiquant  sa  grâce.  Je  dis  bien  sa 
grâce,  car  il  s'est  approprié  ce  grand  don  qui 
ne  peut  venir  que  de  Dieu,  puisqu'il  est  une 
participation  de  sa  vie.  Nous  l'avions  perdu  par 
la  prévarication  de  notre  premier  père,  le  Verbe 
incarné  l'a  racheté,  pour  nous  le  rendre,  au  prix 
de  ses  humiliations  et  de  ses  souffrances.  Toute 
grâce  est  donc  devenue  la  grâce  de  Jésus-Christ; 
et,  de  fait,  il  n'est  personne  qui  ne  l'ait  reçue  et 
ne  la  reçoive  de  lui.  Les  générations  qui  ont 
précédé  sa  venue  ont  été  sanctifiées  et  sauvées 
en  vue  de  ses  mérites;  la  société  chrétienne  est 
sanctifiée  et  sauvée  paruleur  application  directe 
et  immédiate. 

Sans  doute,  Messieurs,  Jésus-Christ  pourrait 
nous  communiquer  sa    grâce    d'une   manière 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS 


latente,  et  nous  donner  l'assurance  de  ses  mys- 
térieuses opérations  dans  nos  âmes  par  des  im- 
pressions qui  ne  seraient  connues  que  de  nous. 
Mais,  parce  que  son  amour  de  l'unité  est  aussi 
fort  que  sa  compassion  pour  nos  misères  et  sa 
condescendance  pour  les  exigences  de  notre 
nature  mixte,  il  a  décrété  l'union  de  Faction 
intime  de  son  gouvernement  avec  son  action 
extérieure,  et  en  a  fait  la  soudure  dans  des  signes 
sensibles  que  nous  appelons  les  sacrements. 

L'ordre  logique  de  notre  exposition  appelle 
donc  aujourd'hui  notre  attention  sur  les  instru- 
ments sacrés,  au  moyen  desquels  l'action 
rédemptrice  et  sanctifiante  de  Jésus-Christ 
pénètre  jusqu'aux  profondeurs  les  plus  cachées 
de  notre  être.  J'ai  l'intention  de  vous  les  faire 
connaître  l'un  après  l'autre;  mais,  auparavant, 
nous  les  considérerons  dans  leur  ensemble,  et 
nous  traiterons  d'abord  de  la  nature  des  sacre- 
ments. 

On  a  dit  du  sacrement  :  c'est  un  symbole, 
c'est-à-dire  la  représentation  matérielle  d'une 
idée  et  d'une  opération  saintes,  en  même  temps 
qu'un  signe  extérieur  autour  duquel  se  rullient 
les  croyances  d'une  société  religieuse. 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS 


Ces!  une  chose  sacrée  :  c'est-à-diiv  une  chose 
spécialement  réservée  au  culte  et  qu'on  nfe 
peut,  sans  se  rendre  coupable  de  sacrilège, 
employer  aux  usages  de  la  vie  profane. 

C'est  un  serment  :  parce  qu'il  suppose  une. 
promesse  solennelle,  plus  forte  que  notre  parole 
d'honneur,    qui  nous    engage    au  service    de 
Dieu. 

C'est  un  mystère  :  parce  que  ses  naïves  appa- 
rences nous  indiquent,  dans  une  ombre  reli- 
gieuse, où  notre  foi  seule  pénètre,  les  plus 
secrètes  et  les  plus  hautes  opérations  de  la 
Divinité. 

C'est  un  dépôt  :  un  dépôt  dans  l'Église,  qui 
le  conserve  pour  le  bien  spirituel  de  ses  en- 
fants; un  dépôt  dans  nos  âmes,  dont  il  est  la 
lumière,  la  force,  l'ornement,  l'incomparable 
richesse. 

Symbole,  chose  sacrée,  serment,  mystère, 
dépôt,  aucun  de  ces  noms,  Messieurs,  ne  con^- 
tient  la  notion  plénière  du  sacrement,  et  tous 
ensemble  ils  ne  nous  font  connaître  qu'impar- 
faitement sa  nature.  Recourons  à  la  définition 
théorique.  Si  elle  n'égale  pas  la  grandeur 
des  signes  augustes  dans  lesquels  Dieu  fait  p 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS 


ser  sa  toute-puissante  vertu,  elle  nous  dira  au 
moins  ce  que  nous  devo:ts  en  croire.  Je  rem- 
prunte au  catéchisme  typique  dans  lequel 
l'Église  a  expliqué  la  doctrine  du  saint  con- 
cile de  Trente  :  «  Le  sacrement  est  un  signe 
visible  de  la  grâce  invisible,  institué  pour  notre 
justification  f.  »  Mieux  encore  :  «  Le  sacrement 
est  une  chose  sensible,  qui  a  reçu  de  l'institu- 
tion divine  le  pouvoir  de  signifier  et  de  pro- 
duire en  nous  la  justice  et  la  sainteté2.  »  Ce 
qui  peut  se  résumer  en  trois  mots,  que  j'ai  vus 
quelque  part  et  que  je  vais  vous  expliquer  : 
«  Sacramentum  est  signum  certum,  sacrosanc- 
tum  et  efficax  gratise:  Le  sacrement  est  un  signe 
certain,  sacrosaint  et  efficace  de  la  grâce.  » 


1.  Sacramentum  est  invisibilis  gratise  visibile  si- 
gnum  ad  nostram  justificationem  institutum.(  Cateeh. 
eoncil.y  Trid.,  part.    II.  n°  5). 

2.  Ut  explicatius  quid  sacramentum  sit  declare- 
tur,  docendum  erit  rem  esse  sensibus  siïbjectam,  que© 
ex  Dei  institutione  sanctitatis,  et  justitiœ  tum  signi- 
fîcandae,  tum  efficiendee  vim  habet .  (  Cateeh.  concil.  , 
Trid.,  part.  II. t  n°  9). 


LA.  NATURE  DES  SACREMENTS 


Le    sacrement  est  un  signe  certain,  parce 
qu'il    a    été    déterminé   par    Dieu  lui-même. 
m  Cette  détermination  n'est  pas  en  notre  pou- 
voir, dit  saint  Thomas,  car  Dieu  seul  possède  la 
vertu  de  sanctifier.  Que  nous  manifestions  notre 
foi  et  notre  amour  par  des  signes  de  notre  in- 
vention, qu'appuyés  sur  ces  signes  nous  diri- 
gions le  courant  de   notre  vie  vers  le  centre 
de  toute  vie, rien  de  mieux;  mais,  lorsqu'il  s'agit 
des  manifestations  de  la  miséricorde  et  de  la 
bonté  de   Dieu,  lorsqu'il   s'agit  de  faire  des- 
cendre dans  le  lit  obscur  de  notre,  âme  le  grand 
courant  de  la  vie  divine,  il  n'appartient  qu'à 
Dieu  de  choisir  sa  route,  et  à  nous  d'accepter 
ce  qu'il  fait1.  » 

1.  Jn  usu  sacramentorum  duo  possum  consideran, 
scilicet  cultus  divinus ,  et  sanctificatio  hominis  : 
quorum  primum  pertinet  ad  hominem  per  compara- 
tionem  ad  Deum  ;  secundum  autem  e  converso  perti- 
net  ad  Deum  per  comparationem  ad  hominem. 
Non  pertinet  autem  ad  aliquem  determinare  illud 
4uod  est  in  potestate  alterius,  sed  solum  id  quod  est 
in  eua  potestate.  Quiaergo  sanctificatio  hominis  est  in 
potestate  Dei  sauctificantis,  non  pertinet  ad  hominem 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS 


Avant  que  le  sang  du  Christ  eut  inondé  le 
Calvaire,  l'homme  demandait  à  Dieu,  par  des 
signes  expressifs  de  sa  foi  et  de  son  amour,  d'en 
recevoir,  par  anticipation,  la  vertu  rédemptrice, 
Ces  signes,  il  pouvait  les  déterminer  lui-même  ; 
cependant,  Dieu  n'a  pas  dédaigné  d'intervenir 
dans  leur  institution.  Pendant  les  fréquentes 
entrevues  dont  il  honorait  son  serviteur  Moïse, 
lui  parlant  bouche  abouche,  comme  dit  l'Écri- 
ture, il  mêlait,  à  la  révélation  des  vérités  saintes 
destinées  à  éclairer  son  peuple,  la  désignation 
des  signes  sacrés  qui  devaient  réchauffer  sa 
piété  et  exciter  dans  son  cœur  des  sentiments 
capables  d'attirer  la  grâce,  que  les  éléments  im- 
parfaits de  la  loi  mosaïque  ne  pouvaient  contenir 
encore.  La  circoncision,  l'initiation  sacerdotale, 
les  expiations,  l'agneau  pascal,  les  pains  de 
proposition,  étaient  les  sacrements  de  l'an- 
cienne loi.    En  les  instituant,  Dieu  venait  en 


ouo  judicio  assumere  res  quibus  sanctificetur  ;  sed  hoc 
débet  esse  divina  institutione  determinatum.  Et  ideo 
in  sacramentis  novœ  legis,  quibus  hommes  sanctifi- 
canturv,  secundum  illud  (ad  Corinth.,  VI,  11).  Abluti 
estis,  sanetifieati  estis,  oportet  uti  rébus  ex  divina 
institutione  determinatis.  (Summ.  TheoL,  III  P., 
quœst.  60,  a  5.) 


10  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

aide  au  génie  religieux  de  l'humanité,. avide 
de  signes  extérieurs,  pour  donner  satisfaction 
à  la  partie  sensible  de  notre  nature  dans  ses 
relations  avec  la  Divinité,  et  facilement  entraînée 
sur  les  pentes  de  la  superstition  par  les  secrètes 
sollicitations  du  maudit  qui,  depuis  l'origine 
du  monde,  contrarie  les  desseins  de  Dieu  et 
s'applique  à  singer  ses  opérations. 

Comme  la  vraie  religion,  les  fausses  religions 
étaient  pleines  de  sacrements  :  rites  mystérieux, 
dont  il  ne  nous  reste  qu'un  imparfait  souvenir. 
«  Par  ces  rites,  dit  Cicéron,  l'humanité  dé- 
grossie recevait  comme  le  principe  d'une  vie 
meilleure  *.  »  On  pourrait  contester  avec  le  phi- 
losophe ;  mais  laissons-le  passer,  et  contentons- 
nous,  pour  le  moment,  de  constater  ce  iait  remar- 
quable que,  dans  la  vie  religieuse  des  peuples 
antiques,  les  initiations,  à  la  fois  étranges  et 
terribles,  ont  constamment  répondu  au  besoin 
qu'éprouve  instinctivement  tout  être  raisonnable 
d'être  quelque  chose  pour  Dieu,  et  d'unir,  par 
des  signes  sensibles,  la  vie  humaine  à  la  vie  di- 

1.  Quibus  ex  agreati  vita  exculti  ad  humanitatem 
sumus,  tanquam  ea  sint  melioris  vitœ  principia. 
(Lib.  II,  De  Legibus.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  11 

vine.  Objets,  caractères,  figures,  actions  symbo- 
liques, libations,  aspersions,  ablutions,  purifica- 
tions, confessions,  signes  imprimés  sur  le  front, 
lectures  de  livres  incompréhensibles,  voix  sépul- 
crales, passages  subits  de  la  lumière  aux  ténè- 
bres, serments  redoutables,  loi  du  silence,  tel 
était,  à  peu  près,  le  programme  des  mystères  du 
paganisme1.  Je  dis  à  peu  près,  car  la  nuit  cou- 


1.  Haec  sunt  sacrorum  symbola,  talus,  J>ila,  tro- 
chus,  poma,  turbo,  spéculum,  vellus 

Mysteriorum  Eleusiniorum  hanc  communem  quasi 
tesseram  fuisse  :  Jejunavi,  cinnum  ebibi;  accepi  e 
cista;etc...  (Euseb.,  lib.  II,  Prœpar.   Eoang.,  cap.  m.) 

Daemon  fallaciorum  regnum  exercet...  et  animas  de- 
ceptas,  illusasque  prœcipitat...  pollicens  etiam  purga- 
tionem  animse  per  eas  quasteXeTaç  appellant,  transfigu- 
ïando  se  in  Angelum  lucis  per  multiformem  ma- 
chinationem  in  signis  et  prodigiis  mendacii.  (S.  Aug., 
lib.  IV,  De  Trinit.y  cap.  10.) 

Diaboli  partes  sunt  intervertendi  veritatem,  qui 
ipsas  quoque  ressacramentorumdivinorum,  idolorum 
mysteriis  œmulatur.  Tingit  et  ipse  quosdam,  utique 
credentes  et  fidèles  suos  :  expositionem  delictorum  de 
lavacro  repromittit;  etsiadhuc  memini,  Mithra  signât 
tlici  in  frontibus  milites  suos  :  célébrât  et  panis  obla- 
lionem,  et  imaginem  resurrectionis  inducit,  et  sub 
gladio  redimit  coronam.  (Tertul.,  lib.  De  Prœscrip- 
tionibus,  cap.  40.) 

Nationes  extraneae...  sacris  quibusdam  per  lava- 
crum    initiantur,    Isidis  alicuius    aut   Mithree.    Ipsos 


12  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

vrait  de  ses  ombres  discrètes  des  infamies  dont  je 
ne  veux  pas  évoquer  le  souvenir,  bien  qu'on  les 
appelât  effrontément  des  choses  sacrées.  C'était 
de  bonne  heure  qu'il  fallait  initier  les  enfants, 
et  c'eût  été  un  crime  de  les  laisser  mourir  sans 
leur  avoir  procuré  cet  avantage.  Il  fallait  bien 
qu'ils  fussent  assurés  de  la  protection  des  bonnes 
divinités,  afin  de  n'être  pas  condamnés  à  la  visite 
ps  lieux  sombres  et  désolés  où  erraient  dou- 
loureusement les  profanes.  Être  initié,  c'était 
appartenir  à  l'église  des  dieux,  s'épargner  des 
transmigrations  pénibles  et  honteuses,  les  lan- 
gueurs de  l'attente,  et  prendre  un  droit  sur 
l'ambroisie  et  le  nectar  dont  se  nourrissaient 
et  s'abreuvaient  les  heureux  habitants  de  l'O- 
lympe. 

Voilà,  Messieurs,  les  renseignements  que  j'ai 
pu  prendre,  çà  et  là,  sur  les  mystères  des  reli- 
gions antiques.  Le  rationalisme  triomphe  des 
analogies  qu'il  y  rencontre.  —  Les  mystères,  dit- 
il,  étaient  les  sacrements  des  païens.  Nous  y  re- 

etiam  Deos  suos  lavationibus  efferunt.  (Tertul.,  lib. 
De  Baptismo.yCap.  5.) 

Plutarque,  dans  ses  Apophtegmes,  raconte  qu'Àn- 
talcide,  avant  d'être  initié,  fut  interrogé  par  le  prêtre 
sur  le  plus  grand  péché  dont  il  avait  conscience. 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  13 

connaissons  le  développement  naturel  de  la  force 
mystique  qui  devait  tourmenter  l'humanité,  alors 
qu'elle  n'était  encore  qu'à  l'état  rudimentaire. 
Le  Christianisme,  qui  vint  au  milieu  des  temps, 
s'empara  des  éléments  religieux  de  l'antiquité, 
les  purifia,  et  se  fit  un  petit  arsenal  de  rites  sym- 
boliques très  innocents,  très  anodins,  parmi  les- 
quels il  faut  compter  les  sacrements.  Ce  qui  veut 
dire  qu'il  ne  s'agit  aucunement  d'unir  la  vie 
divine  à  la  vie  humaine  par  les  pratiques  sacra- 
mentelles, mais  de  s'élever,  par  la  gymnastique 
du  symbolisme  et  des  figures,  jusqu'à  la  contem- 
plation pure  de  l'être  universel,  l'être  des  êtres, 
l'Être-Tout. 

Cette  accusation  de  plagiat  n'est  pas  neuve, 
Messieurs.  Les  philosophes  des  premiers  siècles 
de  l'ère  chrétienne  nous  reprochaient  déjà  d'a- 
voir emprunté  no:  sacrements  aux  mystères  du 
paganisme.  Leur  démontrer  qu'il  ne  pouvait  y 
avoir  aucun  rapport  d'origine  entre  des  pratiques 
puériles,  superstitieuses,  souvent  immorales,  et 
des  signes  sacrés  merveilleusement  adaptés  à 
l'effet  qu'on  en  attendait,  et  prouvant  leur  divine 
genèse  par  les  admirables  vertus  de  ceux  qu'ils 
consacraient,  retourner  l'accusation  contre  le 


14  LA.  NATURE  DES  SACREMENTS 

paganisme  et  le  convaincre  de  s'être  approprié, 
en  les  dépravant,  les  rites  des  religions  divine- 
ment instituées,  ce  n'était  pas  chose  difficile.  Les 
apologistes  chrétiens  s'acquittèrent  victorieuse- 
ment de  cette  tâche1.  Je  ne  pense  pas  qu'il  soit 
nécessaire  de  m'étendre  sur  leur  polémique,  ni 
de  discuter  longuement  avec  le  rationalisme 
contemporain  ;  il  faudrait  tout  remettre  en  ques- 
tion. Permettez-moi  de  vous  renvoyer  simple- 
ment à  nos  précédentes  démonstrations  qui  ont 
établi  le  fait  capital  de  l'intervention  de  Dieu 
dans  la  vie  religieuse  de  l'humanité,  par  son  Fils 


1.  Voyez  les  textes  cités  plus  haut. 

Saint  Justin, dans  son  Apologie,  parle  de  l'imitation 
du  baptême,  de  l'offrande  du  pain  et  du  calice  dans 
les  mystères  païens.  Origène  suit  pas  à  pas  le  philo- 
sophe Celse  et  réfute  l'accusation  de  plagiat  qu'il 
faisait  peser  sur  le  Christianisme.  (Lib.  VI,  Contra 
Celsum).  Les  premiers  apologistes  connaissaient 
mieux  que  nos  modernes  philosophes  la  date  des 
mystères  païens.  Ils  n'eussent  pas  osé  affirmer  qu'ils 
n'étaient  pour  la  plupart  qu'une  contrefaçon  des  rites 
sacrés  des  Juifs  et  des  Chrétiens,  s'il  eût  été  facile  de 
prouver  leur  antériorité.  Aussi,  Tertullien,  dans  son 
Apologie,  proclame-t-il  hardiment  que  les  mystères 
du  paganisme  ne  sont  qu'une  conspiration  diabolique 
contre  la  vérité  :  «  Omnia  enim  adversité  veritatem 
de  ipsa  veritate  constructa  sunt,  operantibus  œmula- 
tionem  istam  spiritibus  ercorti.iApolog.^Q&p.  47.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  15 


Jésus-Christ.  Si  le  rationalisme  ne  croit  pas  à  ce 
fait,  qu'il  s'instruise.  Je  ne  puis  raisonner  avec 
lui  sur  des  conclusions,  du  moment  qu'il  n'admet 
pas  le  principe  d'où  elles  émanent.  S'il  admet 
ce  principe,  qu'il  prenne  rang  parmi  les  héré- 
tiques qui  rejettent  en  totalité  ou  en  partie  les 
sacrements,  et  avec  lesquels  nous  avons  à  dé- 
battre notre  question  de  certitude. 

Jusqu'au  seizième  siècle,  l'Église  n'avait  eu 
à  défendre  les  sacrements  que  contre  des  héré- 
tiques obscurs  ou  contre  des  attaques  partielles 
dont  elle  eut  facilement  raison  ;  mais  le  protes- 
tantisme lui  imposa  la  rude  tâche  de  repousser 
l'assaut  général  qu'il  livra  à  tout  l'édifice  sa- 
cramentel. Après  avoir  perverti  le  dogme  delà 
grâce,  dans  laquelle  il  ne  voulait  plus  voir  un 
écoulement  de  la  vie  divine,  mais  une  simple 
imputation  de  la  justice  et  de  la  sainteté,  il  ne 
sut  plus  que  faire  dés  signes  sacrés  par  lesquels 
Dieu  se  communique  à  nous,  et  crut  que  le 
meilleur  moyen  de  s'en  débarrasser  était  de 
nier  effrontément  leur  institution  divine.  Il  ne 
garda  donc  du  sacré  septénaire  que  ce  qu'il  ne 
pouvait  pas  répudier  sans  outrager  trop  ouver- 
tement l'Écriture  :  Le  Baptême  et  l'Eucharistie, 


16  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

dont  il  interpréta  à  sa  manière  la  nature  et  les 
effets  ;  et,  pour  le  reste,  il  accusa  l'Église  d'avoir 
donné  à  des  rites  de  son  invention  l'autorité  et 
la  puissance  de  signes  divins. 

Mais,  l'Église  était  fortement  armée  contre 
cette  accusation.  Remontant  à  la  source  divine 
d'où  les  sacrements  reçoivent  leur  efficacité, 
elle  pouvait  montrer  le  Christ  ordonnant  à  ses 
apôtres  de  baptiser  les  nations  «au  nom  du  Père, 
et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit !  »  ;  promettant  cet 
Esprit  à  tous  ceux  qui  devaient  croire  en  lui2; 
transformant  le  pain  et  le  vin  en  son  corps  et 
en  son  sang,  et  disant  à  ses  apôtres  :  «  Faites 
ceci  en  mémoire  de  moi3;  »  leur  donnant  le 
pouvoir  de  remettre  les  péchés4;  les  envoyant, 
dans  les  villes  et  les  bourgades  de  la  Judée, 
annoncer  l'évangile  du  salut  et  oindre  les  in- 
firmes pour  les  guérir5;  les  choisissant  comme 
les  ministres  de  sa  parole  et  de  sa  grâce 6  ;  et 

1.  Matth.,  cap.  xxvm,  19. 

2.  Joan.,  cap.  xiv,  16,  17;  xv,  13;  xviïi,  20. 

3.  Matth.,  cap.  xxvi,  26  28.  Marc,  cap.  xiv,  22-24. 
Luc,  cap.  xxn,  19,  20. 

4..  Joan.,  cap.  xx,  23. 

5.  Marc,  cap.  vi,  13. 

6.  Vid.  Text.  cit.  sup.  de  bap.  pœait  et  Eucharist. 
Joau.,  cap.  xx,  21. Luc,  cap.  x,  16. 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  17 

sanctifiant  les  noces  par  sa  présence  *.  Si  tous 
les  sacrements  ne  sont  pas  encore  déterminés 
pendant  la  vie  mortelle  du  Sauveur,  ils  sont 
indiqués  et  préparés;  tout  s'achève,  entre  la 
Résurrection  et  l'Ascension,  dans  les  appari- 
tions qui  confirment  la  foi  des  apôtres  et  leur 
permettent  de  recevoir  les  suprêmes  enseigne- 
ments de  leur  maître 2, 

Instruits  par  lui,  et  munis  du  pouvoir  de  ré- 
pandre dans  les  âmes  la  vie  divine  au  moyen 
des  signes  que  le  Christ  a  consacrés,  nous  les 
voyons  baptiser  ceux  que  leur  parole  a  con- 
vertis3, appeler,  par  la  prière  et  l'imposition 
des  mains,  l'onction  de  l'Esprit-Saint  dans 
les  '  âmes  que  le  Baptême  a  purifiées 4,  con- 
vier les  fidèles  à  la  mystérieuse  fraction  du 
pain  eucharistique5,  recevoir  les   aveux    des 

1.  Joan.,  cap.  h. 

2.  Hi  dies  qui  inter  resurrectionem  Domini  ascensio- 
nemque  fluxerunt,  non  otioso  transiere  decursu;  sed 
magna  in  his  confirmata  sacramenta,  magna  sunt 
revelata  mysteria.  (S.  Léo.,  serm.  J,  De  Ascensione 
Domini.) 

3.  Act.,  cap.  ii,  38. 

4.  Tune  imponebant  manus  super  illos  et  acci- 
piebant  Spiritum  Sanctum.  (Ibid,,  cap.  vîiiJ  17.) 

5.  Erant  autem  persévérantes  in  doctrina  aposto- 

CONFÉKEXCES    X.-D.     —     CARÊME    1883.     —     2 


18  LA  NATURE  DE8  SACREMENTS 

pécheurs  et  les  réconcilier  avec  Dieu1,  prier 
sur  les  infirmes  et  les  oindre  de  l'huile  sainte 
au  nom  du  Seigneur  *,  étendre  leurs  mains 
fécondes  sur  ceux  qui  se  prosternent  à  leurs 
pieds  pour  devenir  comme  eux  les  ministres  de 
la  grâce3,  proclamer  la  sainteté  des  noces 
chrétiennes,  du  sacrement  «  qui  e4  grand  dans 
le  Christ  et  dans  son  Église  4.  »  Ce  ne  sont  point 
des  rites  qu'ils  inventent,  c'est  un  ministère 
qu'ils  accomplissent,  au  nom  du  Dieu  dont  la 
providence  ne  pouvait  pas  être  moins  libérale 
et  moins  magnifique  pour  les  enfants  du  Christ 
que  pour  les  enfants  d'Abraham.  Jéhovah  avait 
daigné  donner  à  l'ancienne  loi  des  sacrements 

lorum,  et  communicatione  fractionis  panis.  (Act., 
cap.  ii,  42.) 

1.  Multique  credentium  veniebant  confitentes  et 
annuntiantes  actus  suos.  (Ibid., cap.  xix,  18.) 

2.  Infirmatur  quis  in  vobisT  Inducat  presbyteros 
Ecclesiee,  et  orent  super  eum,  ungentes  eum  oleo  in 
nomine  Domini  :  Et  oratio  fidei  salvabit  infirmum,  et 
alleviabit  eum  Dominus  :  et  si  iu  peccatis  sit,  remit- 
teutur  ei.  (Jacob.,  cap.  v,  14-15.) 

3.  Admoneo  te  ut  ressuscites  gratiam  Dei,  quee  est 
in  te  per  impositionem  manuum  mearum.  (IL  Tim., 
cap.  i,  6.) 

4.  Sacramentum  hoc  magnum  est,  ego  au  te  m  dico 
in  Christo  et  in  Ecclesia.  (Ephes.,  cap.  v,  32.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS 


19 


imparfaits;  le  Christ,  auteur  de  la  loi  nouvelle, 
ne  pouvait  pas  moins  faire,  puisqu'il  s'agissait 
d'enrichir  l'Église  de  sacrements  parfaits.  «  C'est 
lui  qui  nous  les  a  donnés,  disent  les  apôtres  ; 
ne  voyez  en  nous  que  ses  ministres  et  les  dis- 
pensateurs de  ses  grâces  :  Sic  nos  existimet 
homo  ut  ministros  Christi  et  dispensatores  mys- 
teriorum  Deii.  » 

Entre  leurs  mains  bénies,  le  dépôt  sacramen- 
taire  est  complet,  et  passe  inviolable  et  toujours 
respecté  aux  générations  qui  les  suivent.  Par- 
courez les  livres  des  docteurs,  organes  de  la 
tradition  chrétienne,  vous  y  rencontrerez  au 
moins  une  mention  pour  tous  les  sacrements. 
S'ils  n'en  dressent  pas  le  catalogue  comme  le  fit 
plus  tard  la  théologie,  si  les  nécessités  de  leur 
polémique  avec  les  hérétiques  les  obligent  d'in- 
sister sur  tel  sacrement,  plutôt  que  sur  tel  autre, 
ils  n'en  oublient  aucun.  Je  n'abuserai  pas  de 
votre  attention  en  vous  citant  leurs  témoi- 
gnages, mais  je  les  tiens  à  votre  disposition. 
Quand  vous  voudrez,  vous  pourrez  en  prendre 
connaissance  et  les  vérifier2.  Ils  aboutissent  à 

1.  I  Cor.,  cap.  iv,  1. 

2.  Tertullien,  dans  le  texte  que  nous  avons  cité  plus 
haut,  à  propos  des  mystères  païens,  désigne  claire- 


20  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

cette  conclusion  écrasante  pour  le  protestan- 
tisme :   que,   depuis  les   temps  apostoliques, 

ment  trois  sacrements  :  le  Baptême  (tingit)  ;  la  Con- 
firmation {signât  in  frontibus  milites  suos);  l'Eucha- 
ristie (célébrât  etpanis  oblationem).  Il  a  écrit  un  livre 
entier  sur  la  Pénitence.  Dans  son  livre  des  Pres- 
criptions, cap.  41,  il  parie  des  ordinations  mal  réglées 
des  hérétiques  :  «  Alius  hodie  Episcopus,  cras  aiius  : 
hodie  Diaconus,  qui  cras  lector  :  hodie  presbyter,  qui 
cras  laïcus.  »  Liv.  II  ad  Uxorem,  cap.  8,  il  parle  ainsi 
du  mariage  chrétien  :  «  Unde  sufficiamus  ad  enarran- 
dam  felicitatem  ejus  matrimonii,  quod  Ecclesia  con- 
ciliât, et  confirmât  oblatio,  et  obsignatbenedictio;  an- 
geli  renuntiant  et  Pater  rato  habet.  » 

Voici  les  témoignages  de  saint  Augustin  :  «  Si  ad- 
huc  valet  quod  dictum  est  in  Evangelio,  Deus  pecca- 
torem  non  audit,  ut  per  peccatorem  sacramenta  non 
celebrantur,  quomodo  exaudit  homicidam  deprecantem 
vel  super  aquam  Baptismi,  vel  super  Oleum,  vel  su- 
per Eucharistiam ,  vel  super  capita  eorum  quibus 
manus  imponiturt  Quae  omnia  tamen  fiunt  et  valent 
etiam  per  homicidas. . .  in  ipsa  intus  Ecclesia.  »  (Lib.  V, 
De  Baptismo,  cap.  20,  n°  28.) 

«  In  hoc  unguento  sacramentum  Chnsmatis  vultis 
interpretari,  quod  quidem  in  génère  visibilium  signa- 
culorum  sacrosanctum  est  sicut  ipse  Baptismus.  » 
(Lib.  II  Cont.  PetiL,  cap.  104,  n*  239.  Sup.  hœc 
verba  Psalm.  Tanquam  unguentum  in  capite). 

«  Qui  priusquam  recédèrent ordinatisunt,  non  utique 
rursus  ordinantur,  sed...  Sacramentum  ordinationis 
»uœ  gerunt,  et  ideo  eis  manus  inter  laïcos  non  impo- 
nitur.  »  (Lib.  I,  De  Baptismo,  cap.  I,  n°  2.^ 

c  Procul  dubio  sacramenti  res  est,  ut  mas  etfœmina 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  21 

l'Église  a  toujours  cru  avoir  reçu  du  Christ  les 
sept  signes  immuables  par  le  moyen  desquels  il 
nous  communique  sa  grâce.  Ils  sont  tellement 
divins,  qu'elle  n'en  peut  créer  aucun  autre,  ni 
rien  changer  aux  éléments  essentiels  de  ceux 
qu'elle  a  reçus.  Sans  doute,  elle  revendique  le 
droit  de  les  rendre  plus  augustes  et  plus  respec- 
tables par  des  cérémonies  capables  d'exciter 
notre  piété,  et  elle  ne  craint  pas  de  venger  ce 
droit  par  l'anathème,  contre  quiconque  le  mé- 

connubio  copulati  quamdiu  vivunt  inseparabiliter 
persévèrent.  »  (Lib.  I,  De  Nuptiis,  cap.  10,  n°  11.) 

«  Matrimonii  triplex  bonum,  proies,  fides.,  sacra- 
mentum.  »  (Lib.  IX,  De  Genesi  ad  litteram.  cap.  7, 
n«  12.) 

Il  n'est  aucun  des  Pères  qui  n'ait  parlé  du  Baptême 
et  de  Y  Eucharistie.  Tertullien,  le  pape  Corneille,  saint 
Cyprien,  font  mention  de  la  Confirmation  qu'ils  dis 
tinguent  du  Baptême.  Origène  et  Tertullien  ont  traité 
de  la  Pénitence,  contre  les  Montanistes  et  les  Nova- 
tiens;  saint  Jean  Chrysostome,  saint  Epiphane,  saint 
Jérôme,  Optât  de  Milève,  saint  Augustin  et  tous  ceux 
qui  ont  écrit  contre  les  Donatistes  et  Aerius  ont  établi 
la  vérité,  et  ont  vengé  la  dignité  du  sacrement  de  l' Or- 
dre. Origène,  Victor  d'Antioche,  saint  Chrysostome, 
parlent  de  Y  Extrême-Onction.  Saint  Ignace  martyr, 
Tertullien,  saint  Justin,  Athénagore,  appellent  le  Ma- 
riage une  chose  sacrée,  un  sacrement.  Nous  revien- 
tfrons  sur  ces  témoignages,  lorsque  nous  traiterons  de 
cûaque  sacrement  en  particulier. 


22  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

prise  *  ;  mais,  avec  les  saints  docteurs,  elle  con- 
fesse que  «  le  Prêtre  suprême  est  seul  maître 
des  sacrements  qui  nous  donnent  sa  vie,  »  et  elle 
s'écrie  :  «  At/ctor  sacramentorum  qvis  est,  nis\ 
Dominus  Jésus-?  Quel  est  l'auteur  des  sacre- 
ments, si  ce  n'est  le  Seigneur  Jésus  ?  » 

Le  protestantisme  a  lait  de  vains  efforts  pour 
trouver  dans  les  Églises  schismatiques  des  com- 
plices de  sa  fureur  de  détruire.  Tous  les  euco- 
loges  grecs,  arméniens,  orientaux,  étaient  d'ac- 
cord avec  les  plus  vieux  sacramentaires  des 
Latins 3.  Et,  quand  il  essaya  de  faire  adopter  aux 

1.  Déclarât  sacro  sancta  synodus,  hanc  potestatem 
perpetuo  in  Ecclesia  fuisse,  ut  in  sacramentorum  dis- 
pensatione,  salua  eorum  substantia,  ea  statueret  vel 
mutaret,  quee  suscipientium  utilitati,  seu  ipsorum  sa- 
cramentorum vénération;  magis  expedire  judicaret. 
(Conc.  Trid.,  sess.  21,  cap.  n.) 

Si  quis  dixerit  receptos  et  approbatos  Ecclesise  ca- 
tholicœ  ritus,  in  solemni  sacramentorum  administra- 
tione  adhiberi  consuetos  aut  contemni,  aut  sine  pec- 
cato  a  ministris  pro  libitu  omitti,  aut  in  novos  alios 
per  quemcumque  Ecclesiarum  pastoremmutariposse; 
anathema  sit.  (Sess.  7.  De  sacram.,  in  génère 
can.  xiii.) 

2.  S.  Ambr.  (Lib.  De  Saerament.,  cap.  4.) 

3.  Un  des  plus  puissants  témoignages  en  faveur  de 
la  perpétuité  de  la  tradition  touchant  le  nombre  et 
Vinititution   divine    de*  sacrement»  e§t  l'accord     de 


LA  NATURE  DEé  SACREMENTS  23 


patriarches  de  Constantinople  la  confession 
d'Augsbourg,  l'un  d'eux,  Jérémie,  lui  répondit: 
«  Il  y  a  dans  l'Église  de  Dieu  sept  sacrements, 
ni  plus,  ni  moins.  »  S'il  triompha  un  instant  des 
viles  complaisances  de  l'intrus  Cyrille  Lucar, 
elles  aboutirent  bientôt  à  la  complète  déroute 
de  ses  intrigues,  car  elles  provoquèrent  cette 

l'Église  grecque  et  de  l'Église  latine.  L'Église  grecque 
n'eût  pas  manqué  d'accuser  l'Église  latine  d'innover, 
et  réciproquement,  si  l'une  d'elles  eut  ajouté  un  seuL 
signe  aux  signes  sacrés  institués  par  le  Christ  et 
transmis  traditionnellement. 

Renaudot,  dans  son  ouvrage  de  la  Perpétuité  de  la 
Foi  de  V Eglise  catholique  sur  les  sacrements  (tomeV), 
démontre  que  toutes  les  sectes  chrétiennes  d'Orient  ad 
mettent  sept  sacrements,  qu'elles  appellent  mystères. 
Les  noms  diffèrent  :  le  Baptême  est  appelé  bain  sacre 
ou  régénération;  la  Confirmation,  myr on  ou  chrême; 
la  Pénitence,  canon;  l'Eucharistie,  oblation;  l'Extrême- 
Onction,  onction  des  malades  ;  l'Ordre,  consécration 
des  évêques  ou  des  prêtres;  le  Mariage,  couronnement 
des  épouses  ;  mais,  à  tous  ces  mystères,  les  Orientaux 
attribuent  absolument  les  mêmes  effets  que  nous  attri- 
buons à  nos  sacrements. 

Cf.  Martène  :  De  antiquis  ritibus  Ecclesiœ,  Lib. 
quatuor.  Allas  :  De  perpet.  Occident  et  Orient  Ec- 
cles.  consensione,  lib.  très. 

Serpos  :  Compendio  storico  di  memorie  cronologiche 
concernanti  la  religione  et  la  morale  délia  nazione 
Armena,  vol.  III,  Venez,  1736.  Assemaai  :  Bibliath* 
orient. 


24  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

solennelle  protestation  du  synode  de  Jérusalem: 
«  Anathème  à  Cyrille  Lucar,  le  fabricateur  de 
nouveaux  dogmes  !  Anathème  au  menteur,  qui 
prétend  qu'il  n'y  a  pas  sept  sacrements  institués 
par  Jésus-Christ,  transmis  par  les  apôtiv 
consacrés  par  la  perpétuelle  pratique  de  l'É- 
glise M  » 

Vous  venez  d'entendre,  Messieurs,  la  grande 
voix  de  la  tradition.  Ce  n'est  pas  la  soudaine 
explosion  d'un  bruit  inattendu,  qui  se  fait  à 
travers  les  siècles,  c'est  un  écho.  — Lorsque, 
dans  les  vallées  sonores  où  tombent  les  eaux 
de  la  montagne,  vous  entendez,  à  dix-huit  cents 
mètres  de  distance,  le  bruit  de  leur  chute  trans- 
mis par  les  ondes  mobiles  de  l'atmosphère, 
votre  âme  se  transporte  auprès  des  cataractes, 
et  il  vous  semble  les  voir  se  précipiter  du  haut 
des  rochers  dans  le  lit  des  torrents.  Un  spectacle 
analogue,  mais  bien  autrement  grandiose,  ré- 

1.  Anathema  Cyrille-  nova  dogmata  fabricanti,  et 
credenti  non  esse  ex  institutione  Jesu  Christi,  neque 
ex  apostolica  traditione;  praxique  perpétua,  septem 
Ecclesiee  sacramenta,  baptismum  scilicet,  etc.  Sec? 
mentienti  duo  tantum  a  Christo  in  Evangelio  fuisse 
tradita  baptismum  scilicet  et  eucharistiam.  (Syn.  Hio- 
rosol.  celeb.  an  1672.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  25 

jouit  l'âme  chrétienne,  lorsqu'à  travers  les  ondes 
mobiles  de  la  tradition  où  respire  sa  foi,  elle 
entend,  à  dix-huit  siècles  de  distance,  le  bruit 
que  fait  en  tombant  sur  la  terre  la  vie  de  Dieu. 
Elle  voit  s'entr'ouvrir  le  sein  du  Christ,  et  con- 
temple, avec  un  amoureux  respect,  les  sept  ca- 
taractes divines  qui  s'en  échappent  et  se  préci- 
pitent pour  sanctifier  les  âmes  :  le  Baptême,  la 
Confirmation,  l'Eucharistie  ,  la  Pénitence , 
l'Extrême-Onction,  l'Ordre  et  le  Mariage. 


II 


Le  sacrement  est  un  signe  institué  par  Jésus- 
Christ.  C'est  une  vérité  si  bien  établie ,  que  l'Église 
a  cru  devoir  la  défendre  solennellement  *.  Cer- 
taine de  cette  haute  et  noble  origine,  l'âme 
chrétienne  s'ouvre  déjà  au  respect  et  à  la  con- 
fiance; mais  combien  plus,  Messieurs,  si  nous 

1.  Si  quis  dixerit  sacramenta  novae  legisnon  fuisse 
omnia  a  Jesu  Christo  Domino  nostro  instituta;  aut 
esse  plura  vel  pauciora  quamseptem,  videlicetbaptis- 
mum,  etc..  Aut  etiam  aliquod  horum  septem  non 
esse  vere  et  proprie  sacramentum  ;  anathema  sit. 
(Conc.  Trid.,  sess.  VII,  De  Sàcr.  m  génère,  cari*  i*) 


26  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

considérons  les  sacrements  comme  des  signes 
sacrés. 

Tout  ce  que  Dieu  a  fait  est.  sacré,  parce  que 
lout  ce  que  Dieu  a  fait  nous  rappelle  son  être, 
sa  vie,  ses  perfections.  Le  ciel  raconte  sa  gloire, 
la  terre  lui  envoie  autant  d'hymnes  qu'il  y  a 
d'êtres  vivants  sur  ses  montagnes,  dans  ses  val- 
lons et  dans  ses  plaines,  sous  les  voiles  transpa- 
rents et  mobiles  dont  les  ruisseaux,  les  rivières, 
les  fleuves  et  les  mers  enveloppent  leurs  habi- 
tants. Les  plus  humbles  de  ces  signes  sacrés  sont 
pleins  de  merveilles,  et  le  langage  des  fleurs 
n'est  pas  moins  propre  que  celui  des  astres  à 
élever  nos  esprits  et  à  toucher  nos  cœurs.  Par 
combien  de  formes  gracieuses,  étranges,  super- 
bes, ces  charmantes  filles  de  la  terre  réjouissent 
nos  regards!  Quelle  richesse  de  tons  et  de 
nuances  dans  les  couleurs  dont  elles  parent  leurs 
feuillages  et  leurs  corolles  !  Quelle  variété  dans 
leurs  parfums!  Et,  quand  on  étudie  de  plus  près 
\e  chaste  mystère  de  leur  hyménée  au  fond  des 
loupes  embaumées  où  il  se  cache,  leurs  organes 
mutilés  et  leurs  tissus  déchirés  par  les  mains 
impitoyables  du  savant,  les  affinités  de  leurs  ver- 
tus multiples  avec  no9  besoins  et  nos  infirmités, 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  27 

qui  peut  se  retenir,  s'il  n'est  aveugle  et  sans 
cœur,  d'adorer  et  d'aimer  celui  qui  les  a  créées? 
«  Quand  vous  rencontrerez  une  fleur,  disait  saint 
Paul  de  la  Croix  à  ses  frères  en  religion,  de- 
mandez-lui :  Qui  es-tu? —  Elle  vous  répondra  : 
—  Je  suis  la  voix  qui  annonce  la  puissance,  la 
sagesse,  la  bonté,  la  providence  de  mon  grand 
Dieu!  » 

«  La  nature,  dit  saint  Basile,  est  comme  un 
livre  toujours  ouvert,  dont  les  caractères  témoi- 
gnent et  publient  la  gloire  de  Dieu.  »  En  un 
mot,  Messieurs,  la  nature  entière  est  une  chose 
sacrée,  un  vaste  sacrement;  et,  dans  la  nature, 
l'homme  est  plus  sacré  que  tous  les  êtres,  car, 
plus  que  tous,  il  est  la  vivante  image  de  celui 
qui  l'a  créé,  plus  que  tous,  il  rappelle  la  puis- 
sance, la  sagesse,  la  bonté,  la  sainte  providence 
de  Dieu. 

Mais  souvenez-vous  bien,  je  vous  prie,  que 
les  grandeurs  de  notre  nature,  qui  nous  confi- 
gurent au  type  divin  et  nous  révèlent  son  éter- 
nelle beauté,  ne  sont  pas  le  dernier  terme  de 
l'action  de  Dieu  à  notre  endroit.  Nous  sommes 
destinés  à  une  plus  glorieuse  et  plus  parfaite 
ressemblance  de  notre  être  avec  son  auteur, 


28  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

résultant  de  la  pénétration  intime  de  la  vie 
même  de  Dieu.  Et,  parce  que  c'est  du  sacrement 
que  nous  vient  cette  pénétration,  cette  ressem- 
blance, nous  l'appelons  sacré  par-dessus  tous 
les  signes  visibles  qui  nous  rappellent  les  mys- 
tères divins,  sacré  au  delà  de  toute  expression: 
Sacrosanctum,  sacrosaint. 

Ecoutez  notre  saint  Thomas  :  «  Le  propre  du 
sacrement,  dit-il,  est  d'être  ordonné  à  signifier 
notre  sanctification,  dans  laquelle  on  peut 
considérer  trois  choses  :  la  cause  même  de  la 
sanctification,  qui  est  la  passion  du  Christ;  la 
forme  de  la  sanctification,  qui  consiste  dans  la 
grâce  et  les  vertus  ;  la  fin  de  la  sanctification, 
qui  est  la  vie  éternelle.  Or,  le  sacrement  signifie 
ces  trois  choses.  11  est  un  mémorial  de  ce  qui 
s'est  fait  pour  notre  salut;  il  démontre  ce  qui 
se  fait  en  nous  par  \b  passion  du  Christ;  il  pro- 
phétise notre  gloire  future  '  ». 

1.  Sacramentum  proprie  dicitur  quod  ordinatur  ad 
significandam  nostram  sanctificationem  :  in  qua  tria 
possunt  considerari  ;  videlicet  ipsa  causa  sanccifica- 
tionis  nostrœ,  quee  est  passio  Christi  ;  et  forma  nos- 
trœ  sanctificationis,  quee  consistit  in  gratia,  et  virtu- 
tibus  ;  et  ultimus  finis  sanctificationis  nostrœ,  qui  est 
vit*  «terna.  Et  h»c  omnuper  sacramenta  significan- 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  29 

Que  de  signes  augustes  nous  rappellent  le 
Verbe  incarné  et  immolé  pour  nous  1  La  crèche 
sanctifiée  par  les  attouchements  de  son  corps 
d'enfant,  berceau  de  ses  premières  humiliations 
et  de  ses  premières  douleurs  ;  la  maison  de 
Nazareth,  sanctuaire  de  ses  prières,  de  sa  vie 
d'ouvrier,  de  ses  épanchements  intimes  avec 
Marie  et  Joseph  ;  le  rocher  sur  lequel  il  a  ré- 
pandu la  sueur  sanglante  de  son  agonie;  l'esca- 
lier qu'il  a  gravi  et  du  haut  duquel  il  fut  montré 
au  peuple  ;  la  colonne  où  il  fut  flagellé;  les 
verges  qui  ont  labouré  sa  chair;  la  couronne 
qui  a  déchiré  son  front';  les  clous  qui  ont  trans- 
percé ses  mains  et  ses  pieds  ;  la  lance  qui  a  ouvert 
son  cœur  ;  l'inscription  qui  proclamait  sa 
royauté  ;  la  croix  qu'il  a  abreuvée  de  son  sang  ; 
le  suaire  qui  a  enveloppé  sa  chair  inanimée  ;  e 
sépulcre  où  il  attendit  sa  résurrection  !  —  Nous 
nous  empressons  pour  vénérer  ces  saintes  reli- 
ques; elles  ont  passionné  des  générations  fer- 

tur.  Unde  sacramentum  est  et  signum  rememorati- 
vum  ejus  quod  praecessit,  scilicet  passionis  Christi,  et 
demonstrativunr»  ejus  quod  in  nobis  effieitur  pef 
Christi  passionem,  scilicet  gratiœ,  et  pronosticum, 
idest  prœnuntiativum  futurœ  gloriœ.  (Summ.  Theol. 
III  P.,  quœst.  60,  a.  3.) 


80  LA  NATURE  DE9  SACREMENTS 

ventes,  qui  affrontaient  la  mort  afin  de  s'en 
assurer  la  possession.  Et  cependant,  Messieurs, 
je  vous  le  dis  sans  exagération,  aucune  n'égale 
en  dignité  le  plus  petit  de  nos  sacrements;  au- 
cune ne  nous  rappelle  avec  autant  d'autorité  la 
cause  de  notre  sanctification. 

Le  sacrement  condense  en  un  seul  signe  tous 
les  souvenirs  éparpillés  sur  les  objets  sacrés  que 
notre  foi  vénère.  Il  imite,  en  se  déterminant,  le 
mystère  fondamental  dont  dépendent  les  mérites 
du  Sauveur.  «  La  parole,  dit  saint  Augustin,  sai- 
sit un  élément  sensible,  et  le  sacrement  est  fait  : 
Accedit  verbum  ad  elementum,  ^et  fît  sacramen- 
tum  l  »  .Ainsi,  la  parole  éternelle,  le  Verbe,  est 
devenu  l'homme-Bieu,  en  saisissant  et  en  unis- 
sant à  sa  personne  sacrée  les  éléments  infirmes 
de  notre  nature 2.  Configuré,  par  sa  matière  et  sa 
forme,  au  Verbe  incarné,  le  sacrement  s'imbibe 
de  sa  divine  vertu.  Tous  les  mérites  que  le  Sau- 

1.  In  Joan.  Tract.  LXXX,  post  med. 

2.  Sacramenta  possunt  considerari  ex  parte  causée 
sanctificantis  quee  est  verbum  incarnatum,  cui  sacra - 
mentum  quodammodo  conformatur  in  hoc  quod  rei. 
sensibili  verbum  adhibetur  ;  sicut  in  mysterio  incar- 
nations carni  sensibili  est  Verbum  Dei  unitum. 
(Summ.  Theol.,  III  P.,  quœst.  60,  a.  6.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  31 

veur  a  moissonnés  à  Bethléem,  à  Nazareth,  dans 
le  cours  de  sa  vie  publique,  au  jardin  de  Gethsé- 
mani,  au  prétoire,  sur  le  Golgotha,  il  les  con- 
tient, il  nous  les  présente,  non  seulement  pour 
que  nous  y  croyions,  mais  pour  qu'ils  nous 
soient  appliqués.  Le  sacrement  est  fait!  Cela 
veut  dire  :  «  Souviens-toi,  chrétien,  qu'un  Dieu 
s'est  incarné,  a  souffert  et  est  mort  pour 
toi.  Le  sacrement  est  fait!  Ouvrez  vos  âmes, 
car  le  Christ  est  là,  tout  prêt  à  répandre  sa 
grâce. » 

Que  dis-je,  Messieurs  ?  Le  sacrement  ne  nous 
laisse  pas  attendre.  Par  cela  même  qu'il  est  lait 
et  que  notre  âme  est  ouverte,  il  nous  indique 
qu'une  mystérieuse  transformation  s'est  accom- 
plie en  nous,  et  que  nous  sommes  devenus  sacrés, 
autant  que  peut  l'être  une  créature .  Soit  que  la 
grâce  succède  au  péché,  soit  qu'elle  se  greffe  sur 
la  justice  acquise,  c'est  la  vie  de  Dieu  qui  nous 
envahit  et  nous  perfectionne,  à  l'instant  même 
où  le  sacrement  se  détermine  ;  et,  par  sa  détermi- 
nation, il  nous  révèle  et  le  don  essentiel  que  Dieu 
nous  a  fait  de  sa  propre  sainteté,  et  les  vertus  qui 
en  découlent  pour  perfectionner  les  puissances 
de  notre  âme,  et  le  secours  spécial  que  Dieu 


32  LA  NATURE  DES  8ACREMENT» 

ajoute  à  ces  vertus  afin  que  nous  puissions  atten- 
dre la  fin  propre  de  chaque  sacrement  *. 

Donc,  si  le  sacrement  est  une  ablution,  il 
nous  apprend  que  notre  âme  purifiée  reçoit  une 
vie  nouvelle,  et,  qu'ensevelie  dans  la  mort  du 
Sauveur,  elle  est  pénétrée  d'une  toute-puissante 
vertu  qui  doit  la  faire  mourir  à  ses  vices  et  lui 
permettre  de  faire  honneur,  comme  membre, 
au  corps  mystique  de  Jésus-Christ.  —  Si  le  sa- 
it. Gratia  secundum  se  considerata  perficit  essen- 
tiam  animœ,  inquantum  participât  quamdam  simili- 
tudinem  divini  esse  :  et  sicut  ab  essentii  animœ 
fluunt  e,jus  potentiee,  ita  a  gratia  fluunt  quaedam  per- 
fectiones  ad  potentias  animœ,  quœ  dicuntur  virtutes, 
etdona,quibus  potentiœ  perficiunturinordine  ad  suos 
actus.  Ordinantur  autem  sacramenta  ad  quosdam 
spéciales  effectus  necessariosin  vita  christiana;  sicut 
baptismus  ordinatur  ad  quamdam  spiritualem  regene- 
rationem,  qua  homo  moritur  vitiis,  et  fit  membrum 
Christi  ;  qui  quidem  efiectus  est  aliquid  spéciale 
prœter  actus  potentiarum  animœ  :  et  eadem  ratio  est 
in  aliis  sacramentis.  Sicut  igitur  virtutes,  et  dona  ad- 
dunt  super  gratiam  communiter  dictam  quamdam  per- 
fectionem  determinate  ordinatam  ad  proprios  actus 
potentiarum;  ita  gratia  sacramentalis  addit  super 
gratiam  communiter  dictam,  et  super  virtutes,  et 
dona,  quoddam  divinum  auxilium  ad  consequendum 
sacramenti  finem.  Et  per  hune  modum  gratia  sacra- 
Tientahs  addit  super  gratiam  virtutum,  et  donorum. 
{Summ.  Theol  ,111  P.,  quœst.  6?,  a.  2.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  33 

crement  est  un  jugement  et  une  sentence,  il 
nous  apprend  que  les  fautes  dont  notre  cœur 
contrit  a  fait  l'aveu  sont  pardonnées  et  effa- 
cées par  le  sang  du  Calvaire,  et  qu'une  grâce 
de  résurrection  va  se  joindre  à  nos  efforts  pour 
prévenir  nos  rechutes.  —  Si  le  sacrement  est  une 
nourriture,  il  nous  apprend  que  la  chair  d'un 
Dieu  devient  le  pain  de  nos  âmes  et  travaille 
à  nous  unir  à  la  divinité,  comme  elle-même 
lui  est  unie.  —  Si  le  sacrement  est  une  onc- 
tion, il  nous  apprend  que  la  grâce  guérit  nos 
infirmités  spirituelles,  comme  l'huile  nos  infir- 
mités corporelles;  qu'elle  assouplit  et  fortifie 
les  puissances  de  notre  âme,  comme  l'huile 
assouplit  et  fortifie  les  membres  des  athlètes, 
afin  que  nous  puissions  triompher  dans  les 
suprêmes  combats  que  livre  le  démon  à  notre 
vie  défaillante.  —  Si  le  sacrement  est  une  im- 
position de  mains,  il  nous  apprend  que  l'Esprit- 
Saint  pénètre  nos  âmes,  comme  le  fluide  humain 
pénètre  les  organismes  sympathiques  à  son 
action;  qu'il  en  est  la  lumière  et  la  force,  et 
que,  pour  les  besoins  de  la  société  chrétienne, 
il  affermit  et  féconde  les  ministères  sacrés. — 
Enfin,  si  le  sacrement  est  un  contrat,  il  nous 

CONFERENCES    N.-D.    —    CAHÊilK    1883.     —     3 


34  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

apprend  que  Dieu  se  donne  à  ceux  qui  s'unis- 
sent, comme  ils  se  donnent  eux-mêmes  l'un  à 
l'autre,  et  qu'il  veut  être  l'indissoluble  lieu  de 
leur  union. 

Indications  sublimes,  couronnées  par  une 
sublime  prophétie.— Le  sacrement  nous  montre, 
au  terme  de  toutes  les  grâces  qui  sanctifient, 
l'éternelle  félicité  qui  en  est  le  prix.  N'est-il  pas 
dit  que  les  élus ,  «  rassemblés  autour  du  trône 
de  Dieu  et  chantant  le  ravissement  sans  fin 
qui  les  enivre,  sont  ceux  qui  ont  lavé  leur  robe 
dans  le  sang  de  l'Agneau1  ?»  Ce  sang  de  l'Agneau, 
il  est  dans  tous  les  sacrements;  se  baigner  dans 
ses  flots,  c'est  déjà  prendre  possession  du  ciel. 

Vous  comprenez,  Messieurs,  pourquoi  l'on 
dit  du  sacrement  qu'il  est  un  signe  sacrosaint. 
J'ai  justifié  mon  appellation,  et,  du  même  coup, 
j'ai  convaincu  d'injustice  et  d'ineptie  le  rappro- 
chement que  je  vous  signalais  tout  à  l'heure  et 
dont  le  rationalisme  s'autorise  pour  nous  accu- 
ser de  plagiat.  Non,  l'Église  n'a  rien  emprunté 
aux  mystères  du  paganisme;  car,  s'il  y  a,  entre 
nos  sacrements  et  les  pratiques  des  fausses  re- 

1.  Apoc,  cap.  vu,  14. 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS 


ligions,  certaines  analogies  matérielles,  leurs 
significations  sacrosaintes  nous  font  un  devoir 
de  chercher  leur  origine  plus  haut  que  dans 
les  régions  déshonorées  où  la  superstition  va 
prendre  ses  misérables  inventions.  Ne  fussent- 
ils  que  de  simples  signes  commémoratifs,  in- 
dicatifs et  prophétiques  des  choses  sacrées,  ils 
auraient  droit  à  notre  vénération.  Mais  les  sa- 
crements ne  sont  pas  seulement  des  signes,  ce 
sont  des  causes;  vous  ne  les  connaîtrez  bien 
que  lorsque  je  vous  aurai  expliqué  leur  effi- 
cacité. 


ÎÏI 


Nous  avons  vu  le  protestantisme  fausser  la 
notion  de  la  justification,  et  se  débarrasser,  dans 
l'intérêt  de  son  système,  d'une  partie  de  nos 
sacrements.  Pourquoi  ne  les  a-t-il  pas  répudiés 
tous?  Je  n'en  sais  rien;  car  ceux  qu'il  conser- 
vait n'eurent  pas  un  meilleur  sort  que  ceux  qu'il 
rejetait.  Prétendant  que  l'homme  est  justifié 
par  la  foi,  sans  qu'il  ait  autre  chose  à  faire,  sans 
qu'il  soit  même  besoin  que  la  grâce  le  trans- 


36  LA  NATURE  DES  bACREMENTS 

forme,  il  ne  pouvait  plus  faire  grand  état  des  ins- 
truments sacrés  auxquels  nous  attribuons  notre 
sanctification.  Aussi,  ne  s'est-il  pas  gêné  de  les 
appeler  des  signes  nus,  n'ayant  pour  effet  que 
de  relier  entre  eux  les  divers  membres  d'une  so- 
ciété religieuse,  ou  d'exciter  dans  les  âmes  la  foi 
qui  justifie.  Donc,  point  d'union  déterminante 
entre  la  matière  et  la  forme,  mais,  les  éléments 
sensibles  et  les  paroles  des  sacrements  réduits 
au  rôle  d'un  simple  avertissement  ou  d'une 
simple  promesse. 

A  ces  erreurs,  l'Église  a  répondu  par  des 
définitions  précises  qu'il  importe  de  vous  faire 
connaître.  —  «  Les  sacrements,  dit-elle,  ne  sont 
pas  choses  superflues,  mais  choses  nécessaires 
à  notre  salut  ;  car  la  foi  seule  ne  suffit  pas  à 
notre  justification.  Ce  n'estpoint  seulement  pour 
nourrir  cette  foi,  ni  pour  signifier  qu'elle  nous  a 
obtenu  la  grâce,  ni  pour  indiquer  que  nous 
sommes  chrétiens,  que  les  sacrements  ont  été 
institués;  mais  ils  contiennent  la  grâce  dont  ils 
sont  les  signes,  et  la  donnent  toujours  à  ceux 
qui  n'y  mettent  pas  d'obstacle.  C'est  l'œuvre 
accomplie,  l'acte  sacramentel  lui-même  qui 
donne  la  grâce,  et  la  perversité  des  ministres 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  37 

n'en  peut  empêcher  l'effet,  pourvu  qu'ils  aient 
l'intention  de  faire  ce  que  fait  l'Église.  »  «  Si 
quelqu'un  enseigne  le  contraire,  qu'il  soit  ana- 
thème  *  !  » 

1.  Si  quis  dixerit  sacramenta  novœ  legis  non  esse 
ad  salutem  necessaria,  sed  superflua  ;  et  sine  eis  aut 
eorum  voto  per  solam  fidem  homines  a  Deo  gratiam 
justificationis  adipisci;  licet  omnia  singulis  necessa- 
ria non  sint;  anathema  sit.  (Con.  Trid.,  sess,  7.  De 
sacram.  in  génère,  can.  IV.) 

Si  quis  dixerit  hœc  sacramenta  propter  solam 
fidem  nutriendam  instituta  fuisse;  anathema  sit. 
(Ibid.,  can.  V.) 

Si  quis  dixerit  sacramenta  novœ  legis  non  continere 
gratiam  quam  significant,  aut  gratiam  ipsam  non 
ponentibus  obicem  non  conferre,  quasi  signa  tantum 
externa  sint  acceptée  per  fidem  gratiœ,  vel  justitiœ, 
et  notœ  quœdam  christianae  professionis ,  quibus 
apud  homines  discernuntur  fidèles  ab  infidelibus; 
anathema  sit.  {Ibid.,  can.  VI.) 

Si  quis  dixerit  non  dari  gratiam  per  hujusmodi 
sacramenta  semper,  et  omnibus,  quantum  est  ex  parte 
Dei,  etiam  si  rite  ea  suscipiant,  sed  aliquando  et  ali- 
quibus;  anathema  sit.  {Ibid.,  can.  VII.) 

Si  quis  dixerit;  per  ipsa  novae  legis  sacramenta  ex 
opère  operato  non  conferri  gratiam,  sed  solam  fidem 
divinœ  promissionis  ad  gratiam  consequendam  suffi- 
cere;  anathema  sit.  {Ibid.,  can.  VIII.) 

Si  quis  dixerit  ministrum  in  peccato  mortali  exis- 
tentem,   modo  omnia  essentialia  quae  ad  sacramen- 
tum  conficiendum  aut  conferendum  pertinent,  serva- 
verit  non  conficere  aut  conferre  sacramentum  ;  ana 
themà  sit.  (Ibid., can.  XII.) 


38  LA  NATUflE  DES   8ACREMENT» 

1  Cet  anafhème  est  juste.  Messieurs,  car  la  doc- 
trine que  TÉglise  oppose  aux  erreurs  du  pro- 
testantisme est  vieille  comme  le  christianisme. 
C'est  le  Christ  lui-même  qui  attribue  à  l'eau  du 
Baptême  une  vertu  régénératrice,  dont  le  propre 
est  de  nous  enfanter  à  la  vie  surnaturelle  et 
d'établir  nos  droits  au  royaume  des  cieux  '  ;  à 
la  parole  de  ses  prêtres,  la  puissance  d'effacer 
les  péchés  et  de  nous  rendre  l'amitié  de  Dieu*; 
au  sacrement  de  sa  chair  et  de  son  sang,  le  don 
de  nous  communiquer  une  éternelle  vie  3.  Ce 
sont  les  apôtres  qui  nous  enseignent  que  l'onc- 
tion, la  prière  sacramentelle,  l'imposition  des 
mains,  sauvent  les  âmes,  les  remplissent  de 
grâce  et  des  dons  de  l'Esprit-Saint 4.  C'est  toute 
la  tradition  qui  attribue  aux  paroles  sacramen- 
telles une  vertu  consécratoire,  qui  fait  d'un  élé- 

1.  Nisi  quis  renatus  fuerit  ex  aqua  et  spiritu  sancto 
non  potest  introire  in  regnum.  Dei.  (Joan.,  cap.  m,  5.) 

2.  Quorum    remiseritis    peccata     remittuntur  eis. 
(Ibid.,  cap.  xx,  23). 

3.  Qui  manducat  meam  carnem  et  bibit  meum  san- 
guinem,  habet  vitam  œternam.  (Ibid.,    cap.  vi,  55.) 

4. Tune  imponebant  super  illos  manus  et  accipie- 
bant  spiritum  sanctum.  (Act.,  cap.  vin,  17.) 

(Pour  l'extrème-onction  et  l'ordre,    voyea  textes  ci-- 
pius  baut.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  39 

ment  infirme  une  chose  sacrée  *  ;  toute  la  tra- 
dition qui  confesse  que  cet  élément  s'imbibe  de 
sainteté  pour  nous  rendre  saints  2,  se  pénètre 
de  l'Esprit  de  Dieu  pour  nous  perfectionner3, 

1.  Baptismus  Christiverbis  evangelicis  consecratus 
et  per  adulteros  et  in  adulteris  sanctus  est.  (S.  Aug., 
De  Baptismo,  cap.  10.) 

Detrahe  verbum  quid  est  aqua  nisi  aqua?  (Id.f 
tract.  80  in  Joan.) 

Unde  tanta  virtus  aquse  ut  corpus  tangat  et  cor 
abluat  nisi  faciente  verbo?  (Ibid.) 

Illee  syllabœ  celeriter  sonantes  et  transeuntes. .. 
nisi  dicantur  non  consecratur.  (Lib.  XIX,  Contra 
Faustum,  cap.  16.) 

(Recte  ergo  nunc  quoque)  Dei  verbo  sanctificatum 
panem  in  Dei  Verbi  corpus  credo  transmutari. 

(«aAcDs  oliv  k%\  vvv)  tov  rœ  \6yù)  toO  Ssov  aytaÇôixevo* 
iprov  eis  <ja>(ia  toO  &eov  \6yov  peTCLirocsÏGdcu.  (  S.  Greg. 
Nyss.  Migne,  t.  II,  p.  96,  Oratio  Cateeh.,  cap.  37, 
in  fine.) 

2.  Aquœ  sanctificatee  vim  sanctificandi  combibunt. 
(Tertul.,Z>e  Baptismo,  cap.  4.)  Caro  abluitur,  ut  ani- 
ma emaculetur.  Caro  ungitur,  ut  anima  consecretur. 
Caro  signatur  ut  et  anima  muniatur.  Caro  manus  im- 
positione  adumbratur,  ut  anima  Spiritu  illuminetur. 
Caro  corpore  Christi  et  sanguine  vescitur,  ut  et  anima 
de  Deo  saginetur.  (Id.>  lib.  De  Besurrectione  carnis., 
cap.  8.) 

3.  Saint  Cyrille  de  Jérusalem  excite  les  catéchumè* 
nés,  à  faire  attention  à  la  grâce  de  TEsprit-Saint  qui 
est  donnée  avec  Feau  :  Merà  tov  tictroï  folopévï}  -orveu/K*. 
tixyj  ^apm.(Catech,  III.) 


40  LA    NATURE    DES    SACREMENTS 

est  cause  en  nous  d'une  vie  nouvelle1,  possède 
des  propriétés  saintes  absolument  indépen- 
dantes des  vertus  et  des  mérites  de  ceux  qui 
administrent  ou  reçoivent2,  enfin,  une  inénar- 
rable efficacité3. 

Je  sais,  Messieurs,  que  cette  efficacité  n'est 
pas  plus  agréée  du  rationalisme  que  du  pro- 
testantisme. Contre  le  protestantisme,  l'Eglise 


1.  Baptismus  est  peccati  mors,  animi  regeneratio, 
adoptionis  gratia.  f3<x7rn<xfjta  ôâvaros  àpiprias,  tsakiyye- 
veaia  ^v^*»»  vio&eaia.'S  yé.piG\v3.  (S.  Basil.,  Homil.  XIII.) 

Aqua  cum  nihil  sit  aliud  quam  aqua,  superna  gra- 
tia benedicente  ei,  in  eam,  quœ  mente  percipitur, 
hominem  rénovât  regenerationem  :  1b  û§o>p  ovhèv  âXXo 
rvy%âvov  r\  ijhwp  àvaxaivifet  rov  âvdpwirov  sis  njv  vorjrrjv 
dvay évvrjcriv.  (Greg.  Nyss.,  Oraé.  in  Christi Baptisma.) 

2.  Non  eorum  meritis  a  quibus  ministratur,  nec 
eorum  quibus  ministratur,  constat  baptismus,  sed 
propria  sanctitate  atque  veritate  propter  eum  a  quo 
institutus  est.  (S.  Aug.,  lib.  IV.  Cont.  Cresconium, 
cap.  16.) 

3.  Ostende  mihi  modum  nativitatis  quœ  fit  secundum 
carnem,  et  ego  tibi  vim  regenerationis  quae  secundum 
animam  fit  exponam.  Hrffaàv  (toi  rov  rpàirov  rrjs  yemnj^ 
cecôs  rrjs  narà  oâpKa,  xàyé  aot  otrjyrjaoutzi  rrj>  xarà  ^v^r)v 
isahyyevecrlaî;  rr)v  Ivvaynv.  (S.  Greg.  Nyss.,  Orat.  in 
Christi  Baptisma.) 

Sacramentorum  vis  inenarrabiliter  valet  pluri- 
mum,  et  ideo  contempta  sacrilegos  facit.  (S.  Aug.t 
lib.  XIX,  Cont.  Fawtum,  cap.  11.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  41 


peut  invoquer  l'autorité  des  témoignages;  le 
rationalisme  méprise  cette  autorité.  Il  veut  des 
arguments  rationnels,  et  se  scandalise  pour  tout 
de  bon  de  nous  entendre  attribuer  à  des  signes 
infirmes  et  misérables,  sans  autre  preuve  que  des 
affirmations,  le  pouvoir  de  toucher  les  âmes  et 
d'y  opérer  des  transformations.  Que  l'homme, 
par  la  partie  supérieure  de  son  être,  gravite  vers 
l'infini  et  s'efforce  de  le  saisir;  que  Dieu,  pour 
répondre  à  ce  mouvement,  veuille  bien  amener 
sa  vie  jusqu'aux  confins  de  la  nôtre  et  se  résoudre 
à  une  union  qui  nous  honore  ,  sans  l'avilir,  nous 
pourrions  peut-être  l'accorder.  Encore, faudrait- 
il  que  ce  mystère   s'accomplît  d'une  manière 
digne  de  celui  qui  s'y  trouve  engagé,  et  que 
des  signes  magnifiques,  incomparables,  nous 
donnassent  l'assurance  des  noces  sacrées  de 
notre  âme  avec  l'infini.  Mais,  de  l'eau,  de  l'huile, 
du  pain,  du  vin,  des  bénédictions,  des  formules 
qui  passent  !  —  Non.  —  Dites  que  ce  sont  des 
symboles,  àla  bonne  heure  !  Des  causes?  Jamais  ! 
On  ne  nous  fera  pas  croire  que  de  pareilles 
choses  puissent  transformer  les  âmes,  et  per- 
sonne ne  nous  empêchera  de  rire  d'une  si  pro- 
digieuse absurdité» 


42  LA  NA-TRR  HF3  RACRTHVTFNTft 

Si  vous  avez  la  foi,  Messieurs,  pardonnez-moi 
ce  langage,  c'est  celui  de  l'incrédulité  qui  vous 
assiège  et  vous  tente  par  la  redoutable  perspec- 
tive du  ridicule.  N'est-il  pas  vrai  que  souvent 
vos  oreilles  chrétiennes  ont  été  profanées 
par  ces  sottes  et  grossières  protestations  ? 
Je  les  appelle  sottes  et  grossières,  et  vous 
comprendrez  mieux  pourquoi  je  me  sers  de  mots 
si  durs,  lorsque,  dans  une  prochaine  confé- 
rence, je  vous  parlerai  de  l'harmonie  de  nos 
sacrements.  Aujourd'hui,  il  s'agit  de  leur 
efficacité. 

Cette  efficacité  ne  serait  pas  un  scandale  pour 
le  rationalisme,  s'il  se  donnait  la  peine  d'étu- 
dier notre  théologie  sacramentaire.  Il  y  appren- 
drait que  le  contraste  dont  il  triomphe  pour  nous 
écraser  de  ses  sarcasmes  n'est  ridicule  qu'au- 
tant que  l'on  attribue,  à  la  nature  même  des 
éléments  sacramentels,  les  merveilleux  •effets 
qu'ils  produisent.  Cette  ineptie  peut  éclore  dans 
la  cervelle  d'un  libre  penseur;  mais  le  plus 
humble  des  chrétiens,  pour  peu  qu'il  sache  son 
catéchisme,  est  incapable  de  l'imaginer,  attendu 
que  l'Église  no  l'a  jamais  enseignée.  Si  elle 
nous  dit,  avec  saint  Paul,  que  Dieu  se  plaît  à 


LA  NATURE  DES  SACREMENT8  43 

choisir  des  choses  infirmes  pour  confondre  notre 
superbe,  elle  nous  apprend,  avec  saint  Thomas, 
qu'il  faut  rapprocher  l'effet  des  sacrements  de 
sa  cause  principale  et  non  de  sa  cause  immé- 
diate, si  l'on  veut  en  avoir  l'explication.  L'effet 
du  sacrement,  c'est  la  grâce;  or,  la  grâce,  si- 
militude participée  de  la  nature  même  de  Dieu, 
ne  peut  être  produite  que  par  Dieu,  comme  la 
chaleur  ne  peut  être  produite  que  par  le  feu.  Si 
le  sacrement  intervient  entre  la  cause  principale 
et  son  effet,  ce  ne  peut  être  que  comme  instru- 
ment chargé  de  la  transmission  d'un  mouvement 
divin1.  Mais,  qui  donc  peut  refuser  à  Dieu,  maître 

1.  Duplex  est  causa  agens,  principalis  et  instru- 
mentalis.  Principalis  quidem  operatur  per  virtutem 
suée  formée,  cui  assimilatur  effectus,  sicut  ignis  suo 
calore  calefacit,  et  hoc  modo  nihil  potest  causare  gra- 
tiam,  nisi  Deus  ;  quia  gratia  nihil  est  aliud  quam 
participata  similitudo  divinae  naturœ,  secundum  illud. 
Il.Petr.  c.  4.  Magna  nobiSj  et  preciosa  promissa  do- 
nacit,  ut  dimnœ  simus  eonsortes  naturœ.  Causa  vero 
instrumentalis  non  agit  per  virtutem  suae  formée,  sed 
solum  per  motum  quo  movetur  a  prmcipali  agente. 
Unde  effectus  non  assimilatur  instrumento,  sed  prin- 
cipal i  agenti;  sicut  lectus  non  assimilatur  securl,  sed 
arti  qusB  est  in  mente  artificis.  Et  hoc  modo  sacra- 
menta  novœ  legis  gratiam  causant  :  adhibentur  enim 
ex  divina  ordination©  hominibus   ad  «ratiam   in  eis 


44  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

absolu  de  son  action  et  de  ses  dons,  le  droit  de 
faire  par  des  instruments  ce  qu'il  peut  faire  im- 
médiatement? Et  les  admirables  effets  des  sa- 
crements sont-ils  ridicules,  dès  qu'il  est  constant 
que  Dieu  les  produit? 

Voilà,  Messieurs,  la  doctrine  de  l'Église,  tou- 
chant l'efficacité  des  sacrements  :  ce  sont  des 
instruments  agissants,  maniés  par  une  force 
infinie.  La  foi  s'arrête  là. 

Comment  ces  causes  instrumentales  de 
la  grâce  opèrent-elles  immédiatement?  C'est 
une  autre  question,  sur  laquelle  l'Église  nous 
laisse  libres  de  former  nos  opinions.  Vous  pou- 
vez croire  que  les  sacrements  opèrent  morale- 
ment ou  physiquement,  et,  quoi  que  vous  pen- 
siez, je  prétends  que  vos  opinions  sont,  aussi 
bien  que  votre  foi,  à  l'abri  des  railleries  du 
rationalisme. 


causandam.  Unde  Augustinus  dicit  (XIV,  Contra 
Faustum,  cap.  xvi,  a  med.),  Hœc  omnia,  silieet  sa- 
crarnentalia,Jlunt  et  transeunt ;  virtus  tamen,  scilicet 
Dei,  quœ  ista  operatur,  jugiter  manet\  Hoc  autem 
proprie  dicitur  instrumentum,  per  quod  aliquis  opera- 
tur :  unde  et  Tit.  III.  5.  dicitur  :  Saluas  nos  fecit  per 
lauacrum  regenerationis.  (Summ.  Theol.,  III  P., 
queest.  62.  a.  1.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  45 


Certains  théologiens, pour  épargner  àla  raison 
des  mystères  qui  contrarient  son  désir  d'avoir 
le  dernier  mot  de  toutes  choses,  ont  imaginé 
un  système  à  la  lumière  duquel  les  difficultés 
leur  semblent  s'évanouir.   Je  ne  les  en  blâme 
pas,  c'était  leur  droit.  Le  sacrement,  disent-ils, 
opère  infailliblement,    mais  son  effet  se   pro- 
duit en  vertu  d'une  concomitance  nécessaire  de 
l'action  de  Dieu  et  de  l'application  des  signes. 
Quand  la    matière  est   unie  aux    paroles,   le 
sacrement  est  fait,  et  Dieu,  par  la  force  d'une 
convention  sacrée  dont  il  a  lui-même  établi  les 
termes  et  garanti  les  effets,  se  trouve  engagé  à 
nous  conférer  la  grâce,  ce  qu'il  ne  manque  pas 
de  faire,  parce  qu'il  est  jaloux  de  son  honneur 
plus  que  qui  que  se  soit.  D'où  il  suit,  Messieurs, 
que  le  sacrement  est  comme  la  signature  de- 
Dieu,    et   vous   connaissez  la  puissance  d'une 
signature.   Je    fais  un  billet  par  lequel  vous 
vous  engagez  à  me  payer,  à  une  époque  fixe, 
la  somme  de  dix  mille  francs;  je  vous  le  pré- 
sente, vous  le  signez.  Si  vous  êtes  majeur,  sain 
d'esprit,  maître  de  votre  volonté,  ce  billet  vaut 
dix  mille  francs.  Il  importe  peu,  vous  compre- 
nez bien,    que  votre  signature   soit    un  chef- 


46  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 


d'oeuvre  de  calligraphie  ou  qu'elle  se  compose 
de  jambages  informes;  vous  avez  signé,  c'est 
tout  ce  qu'il  me  faut.  Et  voilà  le  sacrement! 
Avec  quelque  chose  de  bien  autrement  solen- 
nel et  touchant;  car  cette  lettre  de  créance, 
payable  par  Dieu,  est  signée  du  sang  d'un 
Dieu.  «  Le  Christ,  dit  s^int  Augustin,  a  em- 
pourpré le  sacrement  de  sor.  sang  *.  »  Il  y  a  mis 
tous  les  mérites  de  sa  douloureuse  Tassion.  D'où 
une  telle  grandeur,  une  telle  dignité,  une  telle 
excellence,  une  telle  force  pour  exiger  la  grâce, 
que  Dieu  ne  peut  la  refuser  là  où  le  sacrement 
lui  est  présenté, 

Cette  grave  opinion,  Messieurs,  ne  prête 
point  à  l'ironie  ;  et  la  raison  n'eût  elle  que  cela 
pour  s'expliquer  l'opération  des  éléments  sa- 
crementels,  elle  pourrait  parfaitement  s'en 
contenter. 

Cependant,  il  a  semblé  à  des  esprits  éminents 
que  le  sacrement,  réduit  au  rôle  d'une  lettre 
de  créance,  ne  sort  pas  assez  de  la  catégorie 
des  signes  pour  entrer  dans  la  catégorie  des 

1.  (Jade  rubet  baptismus  Christi,  nisi  Christi  san- 
guine consecratur.  (S.  August.,  Tract.  11.  In  Joan. 
n-4.) 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  47 

causes  '.  Ils  lui  attribuent  donc  une  efficacité 
plus  directe  et  plus  prochaine,  quoique  tou- 
jours soumise  à  la  cause  principale;  une  effi- 
cacité* qu'ils  comparent  à  celle  des  instruments 
naturels,  et  qu'ils  appellent  physique  2.  Cette 
opinion,  plus  générale,  plus  ancienne,  plustra- 

1.  Illa  pactio  nihil  dat  sacramentis  de  ratione  cau- 
sée, sed  solum  de  ratione  signi.(S.  Thom.,  in  4  Dist. 
1,  queest.  a.  4.  ) 

Si  quis  recte  consideret,  iste  modus  non  transcen- 
dit  rationem  signi. . .  secundum  hoc  sacramenta  no- 
vee  legis  nihil  plus  essent  quam  signa  gratiœ  ;  cum 
tamen  ex  multis  sanctorum  auctoritatibus  habeatur 
quod  sacramenta  novœ  legis  non  solum  significant 
sed  causant  gratiam.  (Simm.  TkeoL,  III  P.,  queest.  62, 

a.  1.) 

2.  Instrumentum  habet  duas  actiones  ;  unam  instru- 
mentalem,  secundum  quod  operatur  non  in  virtute 
propria,  sed  virtute  principalis  agentis;  aliam  autem 
habet  actionem  propriam,  quee  competit  sibi  se- 
cundum propriam  formam,  sicutsecuri  competit  scin- 
dere  ratione  suae  acuitatis,  facere  autem  lectum,  in- 
quantum est  instrumentum  artis  ;  non  autem  perficit 
instiumeûtalem  actionem,  nisi  exercendo  actionem 
propriam,  scindendo  enim  facit  lectum.  Et  similiter 
sacramenta  corporalia  per  propriam  opérations  m, 
quam  exercent  circa  corpus,  quod  tangunt,  efficiunt 
operationem  iûstrumentalem  ex  virtute  divina  circa 
animam  ;  sicut  aqua  baptismi  abluendo, corpus  secun- 
dum propriam  virtutem,abluit  animam,  inquantum 
est   instrumentum  virtutis   divinœ;  nam  ex   anima, 


48  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

ditionnelle,  me  paraît  plus  en  harmonie  avec 
le  plan  de  Dieu,  qui  a  glorifié  toute  la  nature 
en  son  Fils  ;  plus  conforme  à  la  dignité  des  sacre- 
ments, qu'elle  exalte;  plus  redoutable  à  l'héré- 
sie, qui  s'efforce  d'en  diminuer  l'importance.  Si 
le  rationalisme  n'y  veut  voir  qu'une  exagéra- 
tion superstitieuse  de  la  virtualité  de  nos  signes 
sacrés  et  se  permet  d'en  rire,  je  me  permets 
de  lui  dire  que  son  rire  est  une  sottise,  dont  la 
nature  nous  venge  avec  éclat. 

C'est  une  prétention  assez  commune  chez 
ceux  qui  étudient  les  phénomènes  et  les  lois  du 
monde  physique  de  croire  qu'ils  se  donnent, 
par  le  travail  et  l'observation,  le  dernier  mot  de 
toutes  choses,  et  qu'ils  sont  payés  de  leurs  veilles, 
de  leurs  expériences  et  du  luxe  de  leur  instru- 
mentation par  des  certitudes  au  delà  desquelles 
il  n'est  plus  permis  de  placer  un  point  d'inter- 
rogation. Et,  pourtant, cette  terrible  petite  chose 
qu'on  appelle  un  point  d'interrogation  va  plus 
vite  que  nos  investigations;  si  nous  avions  de 
ions  yeux,   nous   la  verrions    se   dresser   au 

etcorpore  uaum  fit.  Et  hoc  est  quod  Augustinus  dicit 
(loc.sup.  cit.)  quod  corpus  tangit,  etcorabluit.{Sinnm. 
TheoL,  III  P.,  quœst.  62.  a.  1.  ad  2.) 


LA  NAtURE  DES  SACfcEMËNÎS  49 


bout  de  toutes  nos  recherches.  Nous  croyons, 
par  exemple,   connaître    à   fond   le   mystère 
des  forces  naturelles,  parce  que  nous  les  sou- 
mettons à  des  calculs  précis.  Nous  nous  trom- 
pons étrangement;  et,  quand  nous  avons  éta- 
bli ces  propositions  :  Telle  force  augmente  ou 
diminue  en  raison  directe  ou  inverse  du  carré 
des  distances  ;  telle  force  augmente  ou  diminue 
comme  la  pression  qu'on  lui  fait  subir,  etc....  le 
point  d'interrogation  se  tord  insolemment  de- 
vant nous  et  nous  dit  :  Qu'est-ce  qu'une  force? 
As-tu  pu  la  saisir  avec  tes  instruments?  L'as-tu 
vue?   Nos   yeux  et  nos  instruments  ne  nous 
livrent  que  des  corps,  des  mouvements,  des  phé- 
nomènes; notre  esprit  fait  des  calculs  et  des 
.inductions;  mais  la  causalité  intrinsèque   du 
plus  petit  des  atomes  nous  fuit  avec  une  iro- 
nique persévérance.   Nous  ne  voyons  pas  les 
forces.  Allons-nous  pour  cela  briser  nos  instru- 
ments, abandonner  nos  travaux  et  bouder  la  na- 
ture? Non,  Messieurs.  Nous  acceptons  comme 
un  bienfait  ce  qui  tombe  sous  nos  sens,  nous  em- 
ployons les  corps  et  les  mouvements  aux  usages 
de  la  vie.  Mais,  prenez-y  garde I  les  corps  sont 
les  sacrements  d'une  force  qui  se  révèle  par  le 

CONFÈRENT*  m,-d.    —    CAHÊME    1883.    —    4 


50  LA  NATURE   DES  SACREMENTS 

mouvement.  Du  moment  que  vous  en  use/,  vous 
n'avez  pas  le  droit  d'arrêter  Dieu  aux  portes  de 
la  création  et  de  l'empêcher  de  dépenser,  à  tra- 
vers le  mystère  des  substances,  un  peu  moins 
ou  un  peu  plus  de  son  universelle  et  toute-puis- 
sante causalité. 

Non-seulement,  Messieurs,  vous  croyez  à 
l'existence  occulte  des  forces  dont  les  corps  ne 
sont  que  les  instruments;  mais,  appliquant  le 
principe  de  la  pénétration,  vous  faites  vous- 
mêmes  des  sacrements  naturels;  c'est-à-dire 
que,  mettant  une  substance  en  rapport  avec 
une  force,  vous  faites  de  l'une  l'instrument  de 
l'autre.  Qu'est-ce  que  l'eau  dormant  dans  un 
vase  d'airain?  Un  liquide  vulgaire,  dans  lequel 
vous  pourrez  laver  vos  mains  et  votre  linge. 
Mais,  bouchez  le  vase,  approchez-le  du  feu,  et 
faites  pénétrer  le  calorique  dans  le  fluide  en- 
dormi, le  voilà  mal  à  l'aise,  il  se  tourmente, 
il  se  dilate,  et  ses  impétueux  mouvements,  ré- 
glés par  votre  génie,  font  voler  des  légions  de 
chars  sur  les  routes  que  vous  leur  avez  prépa- 
rées. —  Qu'est-ce  que  ces  fils  de  fer  qu'on  voit 
s'allonger  sur  le  bord  des  grands  chemins? 
Des  perchoirs  disgracieux,  sur  lesquels  viennent, 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  51 


de  temps  à  autre,  se  reposer  les  oiseaux. 
Mettez-les  en  rapport  avec  une  pile  électrique, 
le  fer  frémit  et  va  porter  votre  pensée  et  votre 
parole  jusqu'au  bout  du  monde.  Les  résultats 
sont  prodigieux;  mais  il  n'y  aurait  rien,  si 
l'eau  et  le  fer  n'étaient  les  instruments  d'une 
force. 

Cela  se  comprend,  dites-vous.  Il  ne  me  se- 
rait peut-être  pas  difficile  de  vous  démontrer 
que  vous  n'y  comprenez  pas  grand'chose,  et  de 
planter  encore  le  terrible  petit  crochet,  le  point 
d'interrogation,  au  bout  de  vos  explications  — 
Mais,  je  vous  écoute  :  vous  dites  qu'entre  l'effet 
produit  et  les  iont  je  paîrMs  tout  à 

l'heure,  si  mystérieuses  qu'elles  soient,  il  y  a 
proportion.  C'est  la  nature  qui  agit  dans 
sa  sphère,  C'est  la  matière  qui  opère  sur 
la  matière.  —  Mais,  dans  les  sacrements, 
quelle  proportion?  —  La  matière  opère  sur 
l'esprit ,  la  nature  agit  dans  la  surnature , 
cela  se  peut-il  ?  Et  vous  croyez  être  quittes 
envers  nos  signes  sacrés,  et  même  avoir  le 
droit  de  les  mépriser,  parce  que  vous  invoquez 
contre  eux  les  proportions  et  les  accusez  d'en 
manquer.  Je  vous  trouve  trop  osés,  Messieurs, 


52  LÀ  NATURE    DES  SACREMENTS 

et  je  puis,  sans  sortir  de  vous-mêmes,  prendre 
une  facile  revanche. 

Voici, d'un  coté,  un  magnifique  tableau;  d'un 
autre  coté,  un  pinceau  et  des  couleurs.  Lesfigures 
du  tableau,  c'est  le  pinceau  qui  les  a  tracées  et 
leur  a  donné  l'expression  qui  vous  ravit.  Quelle 
proportion  entre  le  pinceau  et  ce  chef-d'œuvre? 
Mais,  le  pinceau  était  conduit  ^ar  une  main. 
Quelle  proportion  entre  une  main  et  l'effet  pro- 
duit? Mettez  ce  pinceau  entre  les  doigts  d'un  singe 
et  même  entre  les  doigts  d'un  enfant,  vous  aurez 
quelque  chose  de  monstrueux.  Mais,  la  main  qui 
conduisait  le  pinceau  était  la  main  d'un  artiste. 
Quelle  proportion  entre  la  main  d'un  artiste  et 
son  ouvrage  ?  Pensez-vous  que  l'idéale  beautr 
qu'il  représente  soit  dans  la  masse  de  chair  et 
d'os  qu'il  remue  ?  Mais,  la  main  de  l'artiste  est 
conduite  par  son  âme.  C'est  là  que  vit  le  chef- 
d'œuvre  avant  de  passer  sur  la  toile,  c'est  là 
qu'il   faut  chercher  la  proportion.   Très  bien. 
Mais,  quelle  proportion  entre  l'âme  d'un  artiste 
et  sa  main  ?  Je  sais  que  l'âme  de  l'artiste  dirige 
les  évolutions  de  sa  main,  je  sais  que  la  main 
rend  compte  à  l'âme  de  l'artiste  de  ses  sensa- 
tions et  de  ses  mouvements  ;  mais,  comment 


LA  NATURE  DES  SACREMENT8  5S 

cela  se  fait-il  ?  La  main  est  de  la  matière,  l'âme 
est  un  esprit.  Quelle  proportion  entre  ces  deux 
choses  si  disparates?  Mille  esprits  ne  feront 
jamais  le  plus  petit  des  atomes.  Vous  aurez 
beau  quintessencier  toute  la  matière  créée,  vous 
n'en  ferez  jamais  un  esprit.  Entre  l'esprit  et  la 
matière,  il  y  a  des  abîmes.  Comment  ces  abîmes 
peuvent-ils  être  franchis  ?  Vous  n'en  savez  abso- 
lument rien.  Et,  pourtant,  l'esprit  agit  sur  la  ma- 
tière, la  matière  sur  l'esprit.  Faut-il  donc  dire 
que  l'artiste  est  un  être  disproportionné  ?  Eh  ! 
non,  Messieurs.  Il  faut  tout  simplement  dire 
que  la  souveraine  puissance  de  Dieu  sait,  quand 
cela  est  nécessaire,  proportionner  les  choses  les 
plus  dissemblables  ;  que  la  matière  peut  de- 
venir l'instrument  d'une  force  supérieure  et 
d'autre  nature  qu'elle-même,  comme  la  main 
de  l'artiste  devient  l'instrument  de  son  âme; 
que  le  corps,  instrument  conjoint  d'un  esprit, 
peut  faire  passer  la  virtualité  de  cet  esprit  dans 
un  instrument  séparé,  comme  la  main  fait  passer 
dans  le  pinceau  le  mouvement  qu'elle  reçoit  de 
de  l'âme  l'artiste;  que  l'instrument  séparé,  si 
grossier  qu'il  soit,  peut,  à  son  tour,  exprimer 
dans  un  effet  la  virtualité  qu'il  contient,  comme 


54  LA  NATURE  DES  SACREMENTS 

le  pinceau  trace  les  figures,  distribue  et  nuance 
les  couleurs  et  fait  vivre  la  toile1. 

Grâce  à  l'application  de  ces  principes,  les 
opérations  sacramentelles  cessent  de  nous  pa- 
raître disproportionnées.  Notre  âme  est  la  toile 
docile  que  doit  transformer  en  un  chef-d'œuvre 
surnaturel,  cette  expression  vivante  delà  simi- 
litude divine  qu'on  appelle  la  justice,  la  sain- 
teté. Pour  être  transformée,  elle  s'offre,  par  le 
ministère  du  corps  auquel  elle  est  unie,  à  l'ac- 
tion instrumentale  du  sacrement.  Le  sacrement 
opère  sous  l'influence  de  l'humanité  sainte  du 
Christ,  que  le  Verbe  a  remplie  de  mérites  divins 
et  des  effluves  de  sa  toute-puissance.  Cause  mi- 
nistérielle des  miracles,  pourquoi  ne  serait-elle 
pas  la  cause  ministérielle  de  notre  sanctification 
par  la  grâce,  comme  la  main  de  l'artiste  est  la 
cause    ministérielle    des    chefs-d'œuvre    qu'il 

1.  Virtus  spirituaiis  non  potest  esse  in  re  corporea 
per  modum  virtutis  permanentis,  et  complétée,  sicu' 
ratio  probat.  Nihil  tamen  prohibet  in  corpore  esso 
virtutem  spiritualem  instrumentaliter,  inquantum  sci- 
licet  corpus  potest  moveri  ab  aliqua  substantia  spiri- 
tuali  ad  aliquem  effectum  spiritualem  inducendum; 
sicut  et  ipsa  voce  sensibili  est  queedam  vis  spirituaiis 
ad  excitandum  intellectum  hominis,  inquantum  pro- 
céda a  conceptione  sentis.  Et  hoc  modo  vis  spiritua- 


LA  NATURE  DES  SACREMENTS  5b 

produit?  Mais,  la  grâce  sanctifiante,  c'est  du 
Verbe  qu'elle  découle  comme  de  sa  source  pre- 
mière ;  c'est  en  Lui  et  dans  les  personnes  divines, 
avec  lesquelles  il  n'a  qu'une  seule  et  même  ac- 
tion, qu'il  faut  chercher  définitivement  la  pro- 
portion entre  l'effet  et  la  cause  des  opérations 
sacramentelles.  Je  ne  prétends  pas  que  cette 
explication  supprime  toutes  les  difficultés  ; 
mais,  puisqu'il  y  a  tant  de  mystères  dans  la 
nature,  nous  pouvons  bien  en  accepter  quel- 
ques-uns dans  l'ordre  surnaturel.  Bien  loin  de 
déparer  les  sacrements,  ils  en  relèvent  la  beauté 
et  la  grandeur. 

J'ai  dit,  Messieurs.  Vous  voilà  en  présence 
des  sources  divines  de  la  grâce  et  de  la  sainteté. 
Si  vous  avez  soif  d'une  vie  meilleure  et  plus  noble 
que  celle  de  la  nature,  approchez-vous  :  Omnes 
sitientes  venite  ad  aquas.  Ne  croyez  pas,  cepen- 
dant, qu'il  suffise  d'approcher,  il  faut  encore 
ouvrir  son  âme.  L'infaillible  efficacité  des  sacre- 
ments ne  nous  dispense  pas  de  nous  préparer  à 

lis  est  in  sacramentis,  inquantum  ordinaotur  a  Dec 
ad  effectum  spiritualem.  (Summ.  TheoL,  III  P.,  quaest. 
62  a.   4.  ad  1  .. 


56  UL  NATURE  DES  SACREMENTS 


leur  action,  et  cette  action  est  d'autant  plus 
profonde  et  plus  vaste  que  notre  âme  est  plu9 
ouverte  et  plus  dilatée  par  la  pureté  de  nos 
intentions  et  la  ferveur  de  nos  désirs.  Mais,  quelle 
que  soit  la  mesure  des  grâces  que  vous  receviez 
des  sacrements,  c'est  par  ces  signes  augustes, 
sachez-le  bien,  que  vous  devenez  des  êtres  sacrés; 
sans  eux,  vous  ne  serez  jamais  que  dos  profanes. 


SOIXANTE-DEUXIÈME  CONFÉRENCE 


l'harmonie  des  sacrements 


SOIXANTE-DEUXIÈME  CONFÉRENCE 


L'HARMONIE  DES  SACREMENTS 

Monseigneur  %  Messieurs, 

Le  sacrement  est  un  signe  certain,  parce  que 
Dieu  Fa  déterminé  lui-même.  La  tradition 
nous  fait  entendre  le  bruit  des  cataractes  vivi- 
fiantes qui,  de  la  divinité,  ont  passé  par  l'huma- 
nité sainte  du  Christ;  de  J'humanité  du  Christ, 
dans  les  humbles  instruments  qu'il  a  choisis  pour 
répandre  en  nos  âmes  les  grâce?  ae  la  rédemp- 
tion. Le  sacrement  est  un  signe  sacré,  parce 
qu'il  nous  rappelle  la  Passion  du  Sauveur,  cause 
de  notre  sanctification  ;  nous  indique  la  transfor- 
mation sacrosainte  qui  se  fait  en  nous;  et  pro- 
phétise notre  gloire  future.  Le  sacrement  est 
un  signe  efficace,  parce  qu'il  opère  réellement 
et  directement  ce  qu'il  signifie,  en  vertu  de  la 

1.  M*1"  Richard,  archevêque  de  Larisse,  coadjuteur 
de  Paris. 


GO  l'harmonie  des  sacrements 


toute-puissance  de  Dieu,  dont  il  est  le  docile 
instrument. 

Voilà  ce  que  j'ai  dit  dans  ma  précédente 
conférence,  en  toute  francnise  et  liberté.  Au- 
trefois, cela  ne  m'eût  pas  été  permis.  Lorsque 
l'Église  naissante  était  entourée  d'ennemis, 
tout  prêts  à  dénaturer  nos  rites  divins  par  de 
perfides  interprétations  et  de  sacrilèges  paro- 
dies, la  loi  du  secret  protégeait  les  sacrements. 
«  Nous  ne  devons  pas ,  disait  saint  Denis , 
donner  par  écrit  nos  invocations  perfectives  , 
ni  livrer  au  public  leur  sens  caché  et  les  prodiges 
que  Dieu  opère  par  leur  ministère .  Mais , 
comme  le  veut  notre  sainte  tradition,  c'est  dans 
de  secrètes  instructions  qu'il  faut  puiser  la 
science  de  ces  choses 4.    » 

1.  Invocation  es  porro  consecratorias  nefas  est 
scripto  interpretari  et  arcanum  earum  sensum,  virtu- 
tesque  quas  in  iis  Deus  operatur  e  secreto  in  publi- 
cum  efferre;  sed  ut  nostra  sacrosancta  traditio  docet, 
obi  pas  secretioribus  instructiouibus  hauseris,  atque 
ad  habitum  sacratiorem  atque  capaciorem  intelligen- 
tiam,  divino  araore  sacrisque  actionibus  consomma- 
tus  evaseris,  divina  luce  collustratus  ad  supremam 
earum  scientiam  subveheris. 

Tàs  8é  Te)e<r7jxà?  èTrtxXrjrreiç  où  &£uitop  èv  ypiÇzU 
dÇepuîjvé'jetr,  ovhè  tô  (xualixàv  aOrwv,  rj  ràç  èit*  aOrafs  êvep- 
yovpivai  èx  Sreoîj  3vvâf*eic  ix  toû  xpupiov  upàs  to  xoivॠ


L'HARMONIE  DÈS  SACREMENTS  61 

Aujourd'hui,  cette  loi  n'existe  plus,  car  nous 
sommes  moins  menacés  par  l'extravagance 
d'un  culte  impie  que  par  l'ignorance  orgueil- 
leuse de  la  raison,  méprisant  trop  volontiers 
ce  qu'elle  ne  connaît  pas  ou  qu'elle  feint  de  ne 
pas  connaître.  A  son  endroit,  il  n'y  a  plus  de 
secret.  C'est  rendre  service  à  la  cause  reli- 
gieuse, que  d'expliquer  au  peuple  les  opérations 
de  la  grâce  et  la  vertu  mystique  de  nos  signes 
sacrés.  En  parler  en  public ,  ce  n'est  plus  une 
trahison,  c'est  le  loyal  et  nécessaire  combat  de 
l'erreur  contre  la  vérité.  Puisse  ce  combat  avoir 
une  heureuse  issue  î 

J'ai  défini  les  sacrements  et  expliqué  leur 
nature.  Que  ferai-je  aujourd'hui,  Messieurs?  Je 
justifierai  l'institution  des  sacrements,  en  vous 
montrant  leur  harmonie.  Dieu  ne  fait  rien  qui 
ne  soit  marqué  au  coin  de  son  infinie  sagesse. 
Or,  cette  sagesse  se  manifeste  par  l'ordre  admi- 

èÇâyeiv   àXX'  ùs  $  xaÔ'  rlpis  iepà  isapàhoois  é%eit  rats 

ivexTrofi-névrots  pvrjtreatv  auras  èxpaôùv,  xal  tspos  &etôre- 
pav  é£iv  xai  àvaycûyiqv,  épwrt  $eiù>  xal  èvepyeiats  ispxïi 
àiroreXecrdeis ,  viro  rrjs  reXerap-^tx^s  èXXâp.ypS(os  àvayQyoïi) 
tspos  rr)v  vireprârrjv  aùrûv  entai  rjp.rjv.  (S.  Dion.  Migne, 
tome  I  ,  page  565.  De  ecclesiastica  hierarehia  , 
cap.  vu,  g  10.) 


62  l'harmonie  des  sacrements 

rable  des  relations  établies  entre  les  sacrements, 
le  plan  divin  et  notre  nature.  Cherchons  ces  re- 
lations dans  les  deux  choses  que  la  théologie 
appelle:  signum  et  res  sacramenti,  c'est-à-dire 
dans  les  signes  sacramentels  eux-mêmes,  et 
dans  les  effets  qu'ils  produisent. 


I 


Pour  bien  me  faire  comprendre,  je  vous  de- 
mande la  permission  de  vous  rappeler  le  dessein 
de  Dieu  dans  la  formation  de  la  :  t.  :hré- 
tienne-  Si  c  est  une  redite,  elle  ne  sera  j  :mt  inu- 
tile, car  elle  fixera  davantage  des  notions  fon- 
damentales et  des  vérités  fécondes,  qu'il  faut 
toujours  avoir  présentes  à  l'esprit  pour  bien  sai- 
sir l'enchaînement  du  dogme  catholique. 

Rappelons-nous  donc  que  Dieu,  s'il  l'eût 
voulu,  eût  pu  se  mettre  directement  en  rapport 
avec  chacun  de  nous,  se  révéler  à  nos  intelli- 
gences dans  une  lumineuse  et  discrète  évi- 
dence, donnera  nos  âmes,  transformées  par  sa 
grâce,  une  assurance  profonde  et  tout  à  fait 
intime  de  son  action,  et  en  varier  les  signes 


L'HARMONIE  DES  SACREMENT8  63 

selon  son  bon  plaisir.  Nous  eussions  été  unis 
dans  la  même  cause  de  notre  perfection;  mais, 
nous  n'eussions  point  formé  une  société  reli- 
gieuse, extérieure  et  visible. 

Or,  cette  société,  Dieu  avait  décrété  son 
existence.  Parce  qu'il  est  nombre  en  même 
temps  qu'unité,  famille  en  même  temps  que 
nature  indivisible,  il  voulait  que  l'homme  fût 
nombre  et  famille;  non  seulement  famille  hu- 
maine ,  c'est  le  coté  le  plus  humble  et  le  plus 
obscur  de  notre  configuration  au  type  divin, 
mais  famille  sacrée,  parce  qu'il  est  lui-même 
l'Être  sacré  par  excellence-  Bref,  Dieu  voulait 
que  l'homme  devint  membre  d'un  corps  reli- 
gieux, voué  au  culte  de  sa  très  sainte  Majesté 
et  capable  de  recevoir  les  mystérieux  retours 
de  son  action  souveraine. 
G  Multi  unum  corpus  sumus  *  :  Nous  qui  sommes 
un  grand  nombre,  dit  l'apôtre  saint  Paul, 
nous  sommes  un  seul  corps;» un  seul  corps, 
non  seulement  en  tant  que  nous  dérivons  d'une 
source  commune  et  que  le  sang  d'un  même 
père  circule  dans  nos  veines;   un  seul  corps, 

1.  Rom.,  cap.  xii,  5.  I  Cor.,  cap  x,  17. 


64  l'Harmonie  des  sacrements 


non  seulement  en  tant  que  nous  formons  une 
société  d'individus,  physiquement  renfermés 
dans  une  circonscription  déterminée,  morale- 
ment unis  par  une  certaine  conformité  de  traits, 
de  langage  et  de  caractères,  et  conventionnelle- 
ment  placés  sous  la  protection  d'une  même 
loi;  mais  un  seul  corps,  en  tant  que  nous 
sommes  consacrés,  sous  la  même  loi  religieuse, 
au  culte  d'un  même  Dieu,  et  que  nous  rece- 
vons, en  retour  de  notre  culte,  la  communi- 
cation d'une  même  vie  :  Multi  unum  corpus 
swnus. 

Or,  tout  corps  suppose  un  chef  qui  l'anime, 
un  chef  qui  reçoit  les  impressions  de  la  masse 
et  communique  à  la  masse  ses  propres  mouve- 
ments. Quel  est  donc  notre  chef  à  nous  qui 
sommes  un  corps  religieux?  Je  vous  l'ai  mon- 
tré, Messieurs.  Nous  l'avons  appelé,  avec  l'A- 
pôtre, l'universel  héritier  de  la  création,  le 
médiateur  de  Dieu  et  des  hommes,  la  tête 
dont  tout  le  corps  mystique  de  l'Église  re- 
çoit ses  accroissements;  et  nous  avons  constaté 
que  notre  constitution  religieuse  est  son  œuvre, 
et  que,  dans  son  œuvre,  il  est  la  source  de 
tous  les  biens.  Mais,  ce  chef,  nous  ne  le  voyons 


l'harmome  dés  sacrements  65 

pas.  Déposé,  après  sa  mort,  dans  un  sépulcre 
d'emprunt,  il  en  a  brisé  la  pierre,  et  notre  foi 
nous  dit  que,  vivante  et  immortelle,  son  huma- 
nité ressuscitée  est  assise  à  la  droite  de  Dieu, 
en  ces  lieux  inaccessibles  où  ne  pénètrent  pas  les 
regards  des  mortels.  L'Église  l'appelle  le  roi  in- 
visible. Mais,  s'il  est  invisible,  comment  serons- 
nous  témoins  de  son  action  sacrosainte  dans  le 
corps  religieux  dont  il  est  le  chef? 

Comment,  Messieurs  ?  Ecoutez-moi  bien.  Il 
est  très  vrai  que  Jésus-Christ  échappe  à  nos  re- 
gards; il  est  très  vrai,  aussi,  qu'il  se  manifeste  et 
agit  visiblement.  L'action  médiatrice  qu'il 
exerce  entre  Dieu  et  l'homme,  je  la  vois.  Oui, 
je  vois  deux  mouvements  de  mon  chef  Jésus- 
Christ,  comme  je  vois  ici,  à  cette  heure,  deux 
mouvements  :  le  mouvement  de  vos  âmes  qui 
montent  vers  la  mienne,  par  vos  yeux  attentifs  : 
le  mouvement  de  mon  âme  qui  descend  en  vos 
âmes,  par  ma  parole.  Vous  vous  donnez  à  moi, 
je  me  donne  à  vous  ;  je  vois  cela,  et  comme  je 
vois  cela,  je  vois  notre  chef  Jésus-Christ  nous 
donnant  à  Dieu  et  nous  donnant  Dieu.  —  Où 
donc  ?  me  direz-vous  ;  montrez-nous  votre 
vision.  Ma  vision,   Messieurs,  c'est  le  prêtre, 

CONFÉRENCES    N.-D.    —    CARÊ.-K    1883.    —    5 


66  l'harmonie  des  sacrements 

substitut  consacré  du  Christ,  chef  du  corps  reli- 
gieux dont  nous  sommes  les  membres.  Le 
prêtre  est  pétri,  comme  vous,  d'un  obscur 
limon  ;  sa  chair  plébéienne  enveloppe,  peut- 
être,  une  âme  moins  noble  et  moins  intelligente 
que  la  vôtre  ;  il  peut  dire  néanmoins,  avec  as- 
surance, ce  que  disait  l'Apôtre  :  «  Je  remplis, 
;ci-bas,  les  fonctions  du  Christ  :  Pro  Christo, 
/egatione  fungimur* ,  »  S'il  tend,  par  le  poids 
inexorable  de  sa  nature,  à  mêler  quelquefois  sa 
vie  aux  courants  de  votre  vie  mondaine,  il  est 
enlevé,  par  son  caractère,  en  des  régions  saintes 
que  ne  peuvent  aborder  vos  pieds  profanes  ;  il 
plane  entre  Dieu  et  les  hommes.  Le  prêtre',  tel 
que  l'a  fait  Jésus-Christ,  qu'il  remplace,  c'est 
l'explication  vivante  des  mystérieux  rapports 
du  fini  et  de  l'infini,  tant  et  si  vainement  cher- 
chée par  l'esprit  philosophique  ;  c'est,  dans  le 
corps  religieux,  ce  qu'est,  dans  le  corps  humain, 
le  fluide  ministériel  qui  touche  à  l'esprit  et  à 
la  matière,  va  de  l'un  à  l'autre,  et  fait,  de  l'un  à 
l'autre,  les  échanges  de  la  vie.  «  11  est  pris  parmi 
les  hommes   et   constitué,  pour  eux,  dans  les 

i.  II  Cor.,  cap.  v.  20. 


L'HARMONIE  DES  8ÀCREMENT8  67 


choses  qui  vont  à  Dieu  :  Omnis  pontifex  ex  ho- 
minibus  assumptas pro  hominibus  constituitar  in 
hisqude  sunt  adDeum*.»  On  peut  retourner  ces 
paroles  et  dire  :  «  Il  est  pris  auprès  de  Dieu  et 
constitué ,  pour  Dieu,  dans  les  choses  qui  vont 
aux  hommes  :  Ex  Deo  assumptus  pro  Deo 
constituitur  in  his  quœ  sunt  ad  homines,  » 
Ecoutez  son  nom  :  on  l'appelle Sacerdos,  comme 
si  l'on  disait  qu'il  est  le  cadeau  sacré  que  Dieu  a 
fait  aux  hommes.  Mieux,  encore  ,  selon  saint 
Thomas:  Sacerdos,  quasi  sacra  dans,  comme  si 
Ton  disait  qu'il  donne  à  Dieu  les  choses  sacrée» 
de  l'humanité,  à  l'humanité  les  choses  sacrées 
de  Dieu. 

La  chose  sacrée  de  Fhumanité,  c'est  la  prière. 
Or,  le  prêtre  est  chargé  de  prier  au  nom  de 
tous.  Il  supplée  à  nos  oublis  et  à  notre  indiffé- 
rence ;  il  saisit  les  vœux  timides  et  impuissants 
des  membres  obscurs  de  l'Église  et  les  incor- 
pore à  la  toute-puissante  prière  publique,  dont 
il  est  l'organe  autorisé.  —  La  chose  sacrée  de 
l'humanité,  c'est  le  sacrifice.  Or,  le  prêtre  pré- 
side au  sacrifice  ;  il  l'offre  pour  les  présents  et 

i.  Heb.,  cap.  v,  1, 


68  l'harmonie  DES  SACREMENTS 

pour  les  absents  ;  homme  multiple,  par  l'imposi- 
tion de  ses  mains  bénies,  il  fait  passer,  dans 
les  dons  qu'il  consacre,  l'humanité  tout  en- 
tière. 

Vous  comprenez  ce  premier  mouvement  :  le 
mouvement  des  choses  sacrées  qui ,  de  l'homme, 
monte  vers  Dieu,  par  l'entremise  du  sacerdoce; 
mais,  comprendrez-vous  l'autre,  c'est-à-dire:le 
mouvement  des  choses  sacrées  qui,  de  Dieu, 
descend  vers  l'homme,  en  passant  par  le  prêtre? 

La  chose  sacrée  de  Dieu,  c'est  la  vérité  qui 
commence  en  nous  la  vie  surnaturelle ,  et  fait  de 
nous  comme  un  rudiment  de  créature  divine  : 
«  lnitium  alïquod  creaturx  ejusi.  »  —  La  chose 
sacrée  de  Dieu,  c'est  la  grâce  qui  achève  notre 
être  surnaturel  et  complète  notre  configuration 
au  Dieu  Un  et  Trinité. 

La  vérité!  La  grâce!  Comment  donner  à  l'hu- 
manité ces  deux  choses  sacrées  de  Dieu?  Nous 
sommes  à  la  question,  Messieurs;  vous  allez  voir 
jaillir,  dans  le  plan  de  Dieu,  l'harmonieuse  ma- 
nifestation de  sa  sagesse. 

Le -prêtre  n'est  pas,  comme  Dieu, l'intelligible 

1.  Jac,  cap.  i,  18. 


L  HARMONIE  DES  SACREMENTS 


suprême  qui  voit  jusqu'aux  plus  impénétrables 
secrets  de  son  essence,  et  voit  en  lui-même  toutes 
choses;  le  prêtre  n'est  pas, comme  Dieu,  la  par- 
faite immensité  qui  se  touche  tout  entière  en  un 
seul  point,  et  touche  en  elle-même  toutes  choses. 
Non,  le  prêtre  n'est  pas  cela  :  c'est  un  homme, 
comme  nous;  un  homme  qui,  bien  que  ses  yeux 
soient  éclairés  des  saintes  flammes  de  l'amour, 
qui,  bien  que  ses  mains  soient  consacrées  par 
des  onctions,  ne  peut  ni  voir  ni  toucher  nos 
âmes,  dont  l'enveloppe  matérielle  oppose  à  son 
action  sacerdotale  une  impénétrable  résistance. 
Comment  donnera-t-i^donc  à  nos  âmes,  qu'il  ne 
voit  pas,  qu'il  ne  touche  pas,  la  vérité  et  la 
grâce?  Comment,  ministre  autorisé  de  Dieu 
dans  la  diffusion  de  ces  deux  grands  biens, 
pourra-t-il  être  sûr  que  son  action  ministérielle 
va  droit  à  son  but?  —  Comment,  Messieurs?  Par 
des  signes  qui  pénètrent  le  corps  pour  atteindre 
l'âme,  par  la  parole  et  par  les  sacrements. 

La  parole,  qui  n'est  qu'une  modification  de 
l'air  ébranlé  par  nos  organes,  s'imbibe,  se  pé- 
nètre de  la  vérité,  dont  elle  est  le  conducteur. 
Par  des  chemins  couverts,  eile  va  frapper  aux 
portes  de  la  mystérieuse  citadelle  où  notre  âme 


70  l'harmonie  des  sacrements 

réside  et  d'où  elle  dirige  les  mouvements  de  la 
vie.  Les  portes  s'ouvrent,  la  parole  se  livre  et  se 
laisse  transformer  par  la  puissance  active  de 
l'intelligence  qui  la  saisit.  Et  voilà  que  la  lu- 
mière se  fait  là  où  régnaient,  tout  à  l'heure,  les 
ombres  de  l'ignorance  ou  de  l'erreur;  voilà  que, 
par  un  phénomène  étrange,  nous  rendons  la  lu- 
mière par  le  même  moyen  qui  Ta  donnée  :  Nous 
confessons,  par  la  parole,  la  vérité  reçue  par  la 
parole.  Mais,  prenez-y  garde!  la  parole  dont  le 
prêtre  se  sert  pour  donner  la  vérité  n'est  point 
la  sienne,  c'est  la  parole  que  Dieu  a  confié. ■  à 
son  Église,  le  signa  traditionnel  des  enseigne- 
ments émanés  de  la  sagesse  éternelle. 

Cette  première  chose  sacrée  de  Dieu,  la  vé- 
rité, nous  étant  communiquée  par  un  signe,  la 
parole  de  Dieu,  ne  vous  semble-t-il  pas,  Mes- 
sieurs, que  Dieu  doit  compléter  l'action  de  son 
ministre  par  un  parallèle  harmonieux,  en  met- 
tant dans  un  signe  divin  la  seconde  chose  sacrée 
qu'il  doit  donner,  la  grâce?  C'est  précisément  ce 
que  Dieu  a  fait  en  instituant  les  sacrements. 

Le  sacrement,  combinaison  mystique  d'une 
formule  dictée  parle  Christ  et  d'un  élément  dé- 
signé par  lui,  le  sacrement  paraît  ne  toucher 


l'harmonie  des  sacrements  71 

quel'écorce  de  notre  être  ;  mais,  parce  que  Dieu 
lui  en  a  donné  la  certitude,  le  prêtre  sait  que 
nous  sommes  touchés  en  même  temps  au  centre 
même  de  la  vie.  Les  promesses  du  Christ  sont 
pour  lui  comme  les  instruments  d'une  seconde 
vue,  à  l'aide  de  laquelle  il  contemple  la  trans- 
formation sacrosainte  qui  s'opère  en  nous.  A 
supposer  que  l'effet  qu'il  attend  sûrement  de 
son  action  sacerdotale  soit  empêché  par  notre 
mauvaise  volonté,  il  est  certain,  du  moins,  que 
cette  action  est  allée  jusqu'à  l'âme  qu'il  voulait 
atteindre.  Supprimez  la  parole,  supprimez  les 
sacrements,  le  ministère  sacerdotal  n'a  plus 
qu'un  mouvement  visible,  celui  qui,  de  l'homme, 
monte  vers  Dieu.  Quant  à  celui  qui  descend  de 
Dieu  à  l'homme,  on  ne  sait  plus  comment  il  se 
fait,  et  le  prêtre  n'est  plus,  dans  la  moitié  la  plus 
auguste  de  sa  représentation,  qu'un  ministre 
impuissant  et  perplexe.  Mais,  Dieu  soit  béni!  le 
prêtre  est,  par  la  parole  et  par  les  sacrements, 
en  possession  des  signes  qui  complètent  son  mi- 
nistère sacré,  et  nous  pouvons  adorer,  dans  cette 
harmonie,  l'infinie  sagesse  qui  l'a  créée. 

En  voici  une  autre,  Messieurs.  De  même  que 
le  prêtre  a  besoin  de  signes  pour  être  assuré 


72  l'harmonie  des  sacrements 

de  l'efficacité  de  son  ministère,  de  même  nous 
avons  besoin  de  signes  pour  être  assurés  des 
merveilleux  effets  de  la  grâce  dans  notre  âme*. 
Nous  avons  conscience  de  notre  âme  ;  mais,  qui 
la  voit,  qui  la  touche?  Par  conséquent,  qui  peut 
être  certain  que  Dieu  l'a  transformée,  en  lui 
communiquant  sa  propre  vie?  Ainsi  va  notre  na- 
ture, que  le  corps  et  les  sens  interviennent  dans 
les  plus  hautes,  les  plus  subtiles,  les  plus  déli- 
cates opérations  de  notre  personne,  et  que,  pour 
la  part  qu'ils  y  prennent,  ils  veulent  des  signes 
extérieurs.  Nous  en  avons  besoin,  nous  les  ai- 
mons, nous  les  demandons  à  tout  ce  qui  noua 
entoure;  tant  est  puissant,  dans  notre  vie  mixte, 
l'empire  des  sens.  J'en  appelle  à  votre  expé- 
rience, Messieurs.  Y  a-t-il  rien  de  plus  abstrait 
qu'une  idée,  rien  de  plus  incorporel  qu'un  sen- 

1.  Prima  ratio  (cur  sacramenta  sunt  necessarîa  ad 
numaoam  salutem)  sumeuda  est  ex  conditione  hu- 
înaûae  naturee,  cujus  proprium  est  ut  per  corporaliaet 
sensibilia  inspiritualia,et  intelligibiliadeducatur.  Per- 
tinet  autem  ad  divinam  provideDtiam  ut  unicuique 
rei  provideat  secundum  modum  suœ  conditionis.  E 
ideo  convenienter  divina  sapientia  homini  auxilia  sa- 
utis  confert  sub  quibusdam  corporalibus  et  sensibi- 
libus  signis,  quœ  sacramenta  dicuntiir.  Suum  TheoL  i 
P.,  quaest.  Gl    a  .1.) 


L'HARMONIE  DES   SACREMENTS  73 

timent?  Ëh  bien,  pour  représenter  l'une  et 
l'autre,  vous  cherchez  des  signes. 

Une  idée  vous  tourmente,  dans  le  silence  du 
cabinet  ou  sur  un  chemin  solitaire,  vite,  votre 
plume  ou  votre  crayon,  autrement  vous  la  per- 
driez. Vous  écrivez  une  phrase,  c'est-à-dire  une 
suite  de  courbes  et  de  jambages,  pas  toujours 
très  harmonieux,  et  vous  voilà  contents;  car,  sous 
ce  tout  petit  signe,  sous  ce  vêtement  de  pauvre 
apparence  et  de  forme  heurtée,  une  idée,  une 
grande,  noble  et  féconde  idée  peut-être,  vit  et 
palpite.  La  phrase  que  vous  avez  écrite  est  le 
sacrement  de  votre  idée,  où  vous  retrouverez, 
dans  dix  ans,  ce  que  vous  avez  pensé  aujourd'hui. 

Vous  aimez  vos  enfants.  Qui  vous  dira  que  leur 
cœur  bat  en  votre  honneur,  et  que  votre  amour  a 
éveillé  quelque  part  un  autre  amour?  Si  l'enfant 
que  vous  aimez  garde  près  de  vous  un  silence 
farouche;  si,  tout  entier  à  ses  instincts  égoïstes, 
il  ne  répond  à  vos  tendres  regards  que  par  des 
regards  indifférents,  vous  vous  direz,  au  fond  de 
votre  cœur  navré  :  «  Malheur  à  moi,  celui  auquel 
j'ai  donné  la  vie  et  en  qui  j'ai  mis  toutes  mes 
espérances,  mon  fils,  ne  m'aime  pas  !  »  —  Mais 
non,  i'enfant  s'avance  vers  vous,  le  sourire  sur 


74  l'harmonie  des  sacrements 

jes lèvres  ;  il  monte  sur  vos  genoux,  enlace  votre 
cou  de  ses  deux  bras,  approche  sa  chère  petite 
tête  de  la  vôtre,  et  deux  baisers  parlent  en  même 
temps.  Voilà  le  sacrement  de  l'amour  paternel 
et  de  l'amour  filial  qui  rejouit  deux  cœurs  à  la 
fois. 

Vous  vous  glorifiez  d'avoir  des  amis,  et  j'aime 
à  croire  que  vous  en  êtes  dignes.  Mais,  ces  amis, 
à  quoi  les  reconnaissez-vous?  Aux  banales  salu- 
tations que  l'on  distribue,  de  coté  et  d'autre, 
dans  le  monde  ?  A  cette  grimace  stéréotypée, 
sous  laquelle  les  gens  comme  il  faut  déguisent 
V imperturbable  sang-froid  de  leur  âme  indiffé- 
rente? Non,  Messieurs,  non,  pas  ainsi.  Vous 
reconnaissez  vos  amis  aux  généreux  services  par 
lesquels  s'expriment  leur  dévouement,  aux  cha- 
leureux témoignages  qui  sont  le  langage  du 
cœur,  et,  entre  tous,  à  cette  franche  étreinte, 
que  nous  appelons,  si  naïvement  et  si  profondé- 
ment, une  poignée  de  main.  Si  vous  avez  fait  de 
ce  témoignage  une  chose  vulgaire  et  sans  portée, 
c'est  à  tort,  Messieurs.  Une  poignée  de  main  est 
un  signe  plein  de  mystères,  une  prise  de  posses- 
sion, un  acte  de  propriété,  qui  fait  tressaillir  les 
cœurs  sincères.  Une  poignée  de  main  veut  dire  : 


t/HÀRMONIK  DES    SACREMENTS  75 

»  Tu  es  mon  ami,  et  je  suis  à  toi,  comme  tu  es  à 
moi  ;  mon  cœur  est  dans  ton  cœur,  comme  ta 
main  est  dans  ma  main  ;  nos  deux  âmes  s'étrei- 
gnent  et  se  serrent,  comme  s'étreignent  et  se 
serrent  nos  deux  mains.  Nos  deux  mains  vont 
se  quitter,  parce  que  le  devoir  nous  appelle  : 
toi ,  à  droite ,  moi ,  à  gauche  ;  mais  nos  deux 
âmes  demeureront  ensemble,  parce  qu'eues  se 
sont  données  dans  un  sacrement.  »  La  poigaée 
de  main  est  le  sacrement  de  l'amitié. 

Ainsi  donc,  Messieurs,  nous  avons  besoin  de 
signes  pour  représenter  l'idée  et  le  sentiment, 
choses  abstraites  et  incorporelles.  Mais,  plus 
abstraite  que  l'idée,  plus  incorporelle  que  le  sen- 
timent, est  la  transformation  que  la  grâce  opère 
dans  nos  âmes.  N'est-il  pas  bon  que,  pour  don- 
ner à  notre  être  tout  entier  l'assurance  de  cette 
transformation  et  le  promouvoir  aux  conséquen- 
ces pratiques  qu'elle  impose  à  notre  vie,  Dieu  la 
rende,  en  quelque  sorte,  visible  par  des  signes. 
Vous  me  direz  que,  sans  passer  parles  sens,  Dieu 
peut  nous  donner  conscience  de  ses  opérations 
intimes.  Je  n'en  disconviens  pas;  mais,  agir 
ainsi,  ce  n'eût  pas  été  harmonieux,  et  Dieu  aime 
l'harmonie.  —  Nous  le  voyons,  dans  l'ancienne 


7G  l'harmonie  des  sacrements 


loi;  multiplier  les  signes  pour  affermir  la  con- 
fiance de  l'homme  dans  ses  promesses.  Pour- 
quoi, dans  la  loi  nouvelle,  se  montrerait-il  plus 
mystérieux  et  plus  réservé,  lorsqu'il  s'agit  de 
nous  assurer  de  plus  grands  biens?  Pourquoi 
changerait-il  son  plan  d'action,  puisque  nous 
n'avons  pas  changé  de  nature?  Les  exigences  et 
l'empire  des  sens,  dans  notre  vie  mixte,  sont 
toujours  les  mêmes.  C'est  ce  qui  fait  dire  à 
saint  Jean  Chrysostôme  :  «  Chrétien,  si  tu  étais 
incorporel,  les  dons  de  Dieu  le  seraient  comme 
toi  ;  mais,  parce  que  ton  âme  est  unie  à  un  corps, 
c'est  par  des  signes  sensibles  que  Dieu  te  pré- 
sente ce  qui  ne  peut  être  saisi  que  par  l'intelli- 
gence *.  » 

Un  signe  nous  dira  donc  que  nous  avons  été 
engendrés  à  une  vie  nouvelle  ;  un  signe  nous  dira 
que  l'Esprit-Saint  nous  a  investis  de  sa  force  et 
ornés  de  ses  dons;  un  signe  nous  dira  que  le 

1.    Si  incorporeus  esses,  nuda  et  incorporea    tibi 
edisset  ipse  dona;  sed  quia  anima  corpori  conjuncta 
est,  in  sensibilibus  intelligenda  tibi  prœbet. 

Ei  (ièv  yàp  ddcb^ioLTos  eï,  ■yu^và  âv  aùri  aoi  ta  àaù^a.-i 
xùapéhcoxe  Sàjpa*  Ê7rei  Ss  aw\ia.ii  (TupntéicXexTai  rj  yf^xif,  èv 
xiaOïqtoïç  xà  vorjxà  aot  tirapaSîôaxTi.  (Chrysost.  ffomil.  82 
io  Matth.  n°  4.) 


L'hARMONlE  DÈS  SACREMÈNÏS  7^ 


Fils  de  Dieu  nourrit  notre  âme  de  sa  chair  et  de 
son  sang;  un  signe  nous  dira  que  nos  fautes  sont 
pardonnées  et  que  notre  âme  pécheresse  a  re- 
couvré son  innocence  ;  un  signe  nous  dira  que 
la  grâce  a  effacé  jusqu'aux  derniers  restes  de 
notre  vie  coupable.  Le  sacrement  sera  comme 
l'inscription  faite  par  Dieu,  sur  notre  chair,  des 
mystères  dont  notre  âme  est  l'invisible  sanc- 
tuaire ;  comme  le  tendre  et  miséricordieux  baiser 
du  Christ  rédempteur,  comme  l'étreinte  de  sa 
sanctifiante  amitié.  Et,  alors,  toute  notre  nature, 
satisfaite  en  tous  ses  éléments,  pourra  jouir 
tranquillement  des  dons  que  Dieu  daigne  affir- 
mer d'une  manière  extérieure  et  visible,  selon 
les  lois  en  vertu  desquelles  se  produisent  en  nous 
la  certitude  et  la  confiance.  Ace  compte,  Mes- 
sieurs, je  comprends  les  inquiétudes  que  m'ont 
exprimées  certaines  âmes  qui  cherchaient  Dieu, 
à  travers  les  ténèbres  de  l'hérésie.  Elles  allaient 
jetant  en  pleurant,  sur  des  sillons  arides,  la  se- 
mence de  leurs  prières  et  de  leurs  bonnes  œuvres , 
et,  mal  payées  de  leur  espoir,  elles  étouffaient 
sous  le  poids  d'une  inexorable  tristesse.  Pauvres 
âmes  !  Elles  voulaient  posséder  la  vie  divine  que 
le  Christ  leur  promettait  dans  l'Évangile ,  leur 


78  l'harmonie  des  sacrements 


unique  règle  de  foi,  et  ce  n'est  qu'en  demandant 
à  l'Église  ses  sacrements  que,  tranquillisées  par 
des  signes  divins,  elles  étaient  assurées  de  cette 
possession. 

Les  signes  sacramentels  conviennent  à  notre 
nature  individuelle  :  voilà  qui  est  certain , 
Messieurs.  J'ajoute  qu'ils  ne  conviennent  pas 
moins  à  notre  nature  collective,  en  tant  que 
noussommes  membres  d'un  seul  corps  religieux. 
Le  bon  sens  a  écrit,  par  la  plume  de  saint  Au- 
gustin, ces  remarquables  paroles  :  «  Q'une  reli- 
gion soit  vraie,  qu'elle  soit  fausse,  aucune  unité 
religieuse,  si  minime  qu'elle  soit,  ne  peut  être 
créée,  si  les  hommes  ne  sont  reliés  entre  eux 
par  des  signes  visibles,  des  sacrements1.  »  — 
Nous  avons  constaté  dans  les  religions  antiques 
la  vérité  de  ces  paroles;  elles  ne  sont  pas  moins 
vraies,  si  nous  les  appliquons  aux  religions  con- 

1.  Augustinus  dicit  (xix  Contra  Faustuni.  cap.  il. 
in  fine)  «  In  nullum  nomen  religionis,  seu  verum, 
seu  falsum,  coadunari  homines  possunt,  nisi  aliquo 
signaculorum,  seu  sacramentorum  consortio  colli- 
gentur.  »  Sed  necessarium  est  ad  humanam  salutenc 
homines  adunari  in  unum  verœ  religionis  nome». 
Ergo  sacramenta  sunt  necessaria  ad  humanam  salu- 
tem.  {Summ.  TheoL,  III  P.,  quœst.  61,  a.  1.) 


l'harmonie  des  sacrements  79 

temporaines.  C'est  par  des  caractères  extérieurs 
et  visibles  qu'on  reconnaît  partout  leurs  adhé- 
rents. Le  Boudhisme,  le  Brahmanisme,  le  Ma- 
hométisme,  le  Fétichisme,  ont  leurs  signes  de 
ralliement.  Le  Protestantisme,  si  âpre  à  dé- 
truire, n'a  pu  rester  une  religion  qu'en  conser- 
vant certaines  pratiques  sacramentelles,  autour 
desquelles  se  groupent  les  sectes  qui  pullulent 
en  son  sein.  Il  fallait  au  Positivisme,  qui  se  pro- 
posait de  remplacer  tous  les  cultes  par  la  reli- 
gion de  l'humanité,  neuf  sacrements,  ni  plus,  ni 
moins  \  Les  sectes  prétendues  humanitaires, 


1.  Les  neuf  sacrements  humanitaires  sont  : 

La.  présentation.  X initiation,  l' admission,  la  desti- 
nation, le  mariage,  \&  maturité,  la  retraite,  la  trans- 
formation, Y  incorporation. 

La  présentation.  Quelques  jours  après  leur  nais- 
sance, les  enfants  sont  portés  au  temple  par  leurs  père 
et  mère.  Là,  le  prêtre  fait  une  allocution  :  il  enseigne 
ou  rappelle  aux  parents  et  au  parrain  et  marraine  les 
devoirs  qui  leur  incombent;  les  règles  d'hygiène  phy- 
sique et  intellectuelle  qu'ils  doivent  observer  pour  faire 
un  bon  citoyen.  La  présentation  est  le  baptême  posi- 
tiviste. 

L'initiation.  A  quatorze  ans,  l'enfant  retourne  au 
temple  pour  y  entendre  une  instruction  du  prêtre.  On 
lui  explique  les  avantages  de  l'instruction  qu'il  va  re- 
cevoir et  de  la  méthode  par  laquelle  on  la  lui  don- 


ftO  L'HARMONIE  DES  SACREMENTi 

qui  conspirent  dans  l'ombre  contre  les  choses 
saintes  et  contre  les  autorités  établies,  qu'elles 


ûera  etc.,  V initiation  correspond    à  la  première  com- 
munion des  catholiques. 

Vadmi^sion.  Le  jeune  positiviste  a  vingt  et  un  an&. 
Nouvelle  cérémonie,  nouveau  discours.  Il  a  reçu  de 
ses  parents  et  de  la  société  toutes  les  armes  pour  faire 
figure  dans  la  mêlée  humaine.  A  lui  d'en  user,  main- 
tenant,, pour  le  plus  grand  bien  social.  Il  est  admis 
parmi  les  hommes.  Cette  admission  rappelle  la  remise 
de  la  toge  virile  aux  jeunes  Romains. 

La  destination.  Voilà  notre  positiviste  admis  dans 
le  rang  des  «  hommes  ».  Il  choisit  une  carrière.  Son 
choix  arrêté,  il  s'en  va  voir  le  prêtre,  qui  l'instruit  des 
devoirs  de  sa  profession,  et  lui  montre  le  bien  qu'en 
l'exerçant  il  pourra  faire  autour  de  lui. 

Le  mariage.  Le  positiviste  prend  femme.  Elle  et  lui 
écoutent  une  harangue  sur  les  devoirs  réciproques 
des  époux. 

La  maturité.  Quarante-deux  ans,  autre  cérémonie, 
sixième  instruction.  Devoirs  de  l'homme  mûr  envers 
lui  et  envers  les  autres. 

La  retraite.  Vingt  et  un  ans  plus  tard,  si  le  positi- 
viste est  vivant,  il  prend  sa  retraite.  Le  prêtre  lui 
loue  les  charmes  d'une  vieillesse  honnête,  et  lui  in- 
dique, encore,  comment  il  doit  s'y  prendre  pour  faire 
du  bien. 

La  transformation.  Le  positiviste  va  mourir.  Cette 
fois,  le  prêtre  se  rend  chez  lui.  Il  lui  déclare  qu'il  v 
mourir  et  l'engage  à   le  faire    courageusement.   La 
mort  n'est  pas  un  mal.  Il  va  «  se  trouver  dans  la  po- 
sition horizontale  définitive.  »  Son  souvenir  vivra  dans 


L  HARMONIE  DES  SACREMENTS  81 

ont  l'ambition  de  remplacer,  sont  prodigues, 
vous  le  savez,  d'initiations  et  de  signes  mysté- 
rieux, auxquels  se  reconnaissent  leurs  adeptes. 
Ce  sont  des  sacrements  parfaitement  laïques, 
c'est  vrai  ;  ils  n'en  confirment  pas  moins  la 
juste  observation  de  saint  Augustin,  qu'il  .faut 
maintenant  nous  appliquer. 

Revenons  donc  à  cette  vérité  qui  nous  a  servi 
de  point  de  départ  :  «  Multi  unum  corpus  sumus  : 
Nous  qui  sommes  beaucoup,  nous  sommes  un 
seul  corps.  »  Un  seul  corps!  Donc,  il  nous  faut 
des  signes  extérieurs  et  publics  d'unité.  La 
prière,  la  confession  d'une  même  foi,  c'est  quel- 
que chose,  mais  pas  encore  le  témoignage  plé- 
nier  de  notre  incorporation  mystique  à  la  société 
du  Christ,  pur  la  commune  possession  d'une 

l'esprit  de  ses  coreligionnaires.  Ce  sacrement  a  quel- 
que analogie  avec   celui  de  V extrême-onction. 

L'incorporation.  Sept  ans  après  sa  mort,  le  feu  positi- 
viste est  incorporé,  par  un  dernier  discours,  au  nombre 
des  hommes  respectables  dont  la  mémoire  doit  être  ho- 
norée. L'incorporation  est  une  canonisation  égalitaire. 

L'administration  de  tous  ces  sacrements  se  fait  par 
un  discours,  sans  aucun  symbole,  sans  cet  appareil 
qui  frappe  l'esprit  des  foules  et  fait  plus  aisément  des 
prosélytes  que  le  meilleur  exposé  de  la  plus  sage 
doctriue, 

CONFÉRENCES   .N'.-D.     —    CARÊME  1883.    —    6 


L'HARMONIE  DES  SACREMENTS 


même  vie  divine;  et  nous  ne  sommes  parfaite- 
ment un  seul  corps  qu'autant  que  nous  possé- 
dons cette  vie.  Or,  comment  saurai -je  que 
vous  la  possédez,  cette  vie,  puisque  je  ne  vois 
pas,  puisque  je  ne  touche  pas  vos  âmes?  Com- 
ment saurai-je  que  Dieu  est  en  vous,  comme 
il  est  en  moi,  si  je  ne  vois  le  signe  par  lequel 
sa  vie  vous  est  communiquée,  comme  elle  m'est 
communiquée?  Je  vous  entends  prier  et  con- 
fesser le  même  Christ  ;  c'est  bien,  je  suis  content; 
mais  je  saurai  bien  mieux  que  vous  êtes  mes 
frères,  je  serai  bien  plus  disposé  à  vous  res- 
pecter, à  vous  aimer,  à  me  dévouer  pour  vous, 
si  les  signes  sacramentels  me  donnent  la  certi- 
tude qu'une  même  vie  divine  nous  anime,  que 
vous  et  moi  sommes  les  membres  d'un  même 
corps,  pénétrés  des  mêmes  influences  bénies,  et 
rattachés,  par  ces  influences,  à  la  même  tête, qui 
es),  le  Christ.  —  Honneur  donc  au  sacrement! 
C'est  le  drapeau  de  la  fraternité  chrétienne. 
Petite  chose  en  apparence,  grande  chose  par  ce 
qu'elle  signifie.  Le  drapeau  n'est-il  pas  le  signe 
auquel  se  reconnaît  une  nation?  Ses  fastes  histo- 
riques, ses  institutions,  ses  lois,  ses  coutumes,  sa 
▼ie,  tout  est  là  :  là,  dans  ce  morceau  d'étoffe  que 


l'harmonie  drs  sacrements  83 

les  vents  tourmentent  ou  qui  pend  négligemment 
sur  sa  hampe.  Il  se  lève,  on  se  lève  avec  lui;  il 
marche,  on  le  suit;  il  s'agite  dans  la  mêlée,  on 
l'entoure,  on  le  défend  au  péril  de  sa  vie.  Les 
sabres,  les  balles,  la  mitraille,  se  disputent  ses 
lambeaux.  Ce  n'est  plus  qu'une  guenille,  et, 
devant  cette  guenille  abreuvée  de  gloire,  les 
tambours  battent,  les  soldats  présentent  les 
armes.  Debout,  citoyens,  voilà  la  France  qui 
passe  !  Vive  la  France  ! 

Vous  le  voyez,  Messieurs,  ce  signe  est  peu 
de  chose,  mais  combien  noble  et  auguste  est 
la  chose  signifiée!  *De  même  le  signe  sacra- 
mentel. En  soi,  ce  n'est  rien  ou  presque  rien, 
mais  c'est  un  drapeau,  et  partout  où  je  le 
vois  flotter,  mon  cœur  chante  un  vivat  au  Christ 
et  à  la  fraternité  chrétienne.  Encore  une  har- 
monie de  Dieu  ! 

J'en  vois  une  autre  dans  les  éléments  in- 
firmes que  Dieu  élève  à  la  dignité  de  signes 
sacramentels. 

La  créature  a  reçu  le  contre-coup  de  la  pré- 
varication qui  nous  a  fait  déchoir,  et  a  été  frap- 
pée, comme  nous,  dans  sa  vie,  par  une  main 
vengeresse.  Sa  destination  originelle  était  de 


84  L'HARMONIE  I  ES  SACREMENTS 

nous  rappeler  les  infinies  perfections  de  son 
créateur  et  de  nous  élever  jusqu'à  lui.  L'être, 
les  mouvements,  la  vie  du  monde,  marqués  de 
ces  deux  caractères  :  Tordre  et  le  progrès, 
devaient  nous  rapprocher  du  type  éternel  de 
toute  beauté  créée.  Mais,  voilà  que  ce  qui  devait 
servir  à  nos  religieuses  élévations  est  devenu 
un  piège,  une  amorce  d'iniquité,  une  pierre 
d'achoppement  et  de  scandale.  Déflorée  par 
le  péché,  la  créature  semble  n'avoir  conservé 
un  reste  de  charmes  que  pour  nous  séduire, 
et  nous  en  avons  tellement  besoin  que  nous 
oublions,  dans  ses  usages^  celui  qui  nous  l'a 
donnée.  Que  dis-je?  L'homme  en  a  fait  une 
arme  contre  son  créateur,  en  abusant  de  ses 
services,  jusqu'à  l'employer  aux  plus  honteuses 
superstitions.  Elle  méritait  d'être  frappée,  de 
nouveau,  d'une  irrémédiable  malédiction.  Eh 
bien!  non,  Dieu  l'a  prise  en  pitié.  Pour  nous 
arracher  à  ses  séductions  et  la  réhabiliter  à 
nos  yeux,  devenus  plus  clairvoyants  depuis  que 
nous  avons  reçu  les  enseignements  de  la  foi, 
il  en  a  fait  l'instrument  de  sa  grâce,  le  con- 
ducteur de  sa  vie,  nous  invitant  à  venir  chercher 
le    remède  dans   la  coupe  où  nous  buvions  le 


l'harmonie  des  sacrements  85 

poison;  à  nous  servir,  pour  son  culte,  des  élé- 
ments que  nous  avions  profanés;  à  satisfaire, 
dans  le  contact  et  l'usage  de  ces  éléments,  le 
besoin  de  mêler  à  nos  actes  religieux  la  partie 
sensible  de  notre  être;  à  accomplir,  enfin,  un 
grand  acte  de  justice. 

Oui,  Messieurs,  un  grand  acte  de  justice.  Le 
premier  péché,  qui  nous  sépara  de  Dieu,  fut 
l'orgueilleuse  prétention  de  nous  égaler  à  lui. 
Dieu  ne  pouvait  mieux  nous  le  faire  expier  qu'en 
nous  obligeant  à  nous  humilier,  à  nous  mettre 
à  genoux  devant  de  toutes  petites  choses  et  à  leur 
demander  la  vie  surnaturelle  que  nous  avions 
perdue.  L'homme  n'est  plus  tenté  d'être  si  fier, 
quand  il  se  voit  sous  la  dépendance  de  plus  faible 
que  lui;  et  il  est  souverainement  juste  que  celte 
humiliation  soit  notre  chemin  de  retour  vers  colui 
que  nous  avions  fui  sur  le  chemin  de  l'orgueil  ', 

1.  Secunda  ratio  sumenda  est  ex  statu  hominis,qui 
peccando  se  subdidit  per  affectum  corporalibus  rébus. 
Ibi  autem  débet  médicinale  remedium  homini  adhi- 
beri  ubi  paritur  morbum.  Et  ideo  conveniens  fuit  ut 
Deus  per  quœdam  corporalia  signa  homini  spiritua- 
lem  medicinam  adhiberet  :  nam  si  spiritualia  nuda  ei 
proponerentur,  eis  animus  applicari  non  posset,  cor- 
poralibus deditus.  Tertia  autem  ratio  sumenda  est  ex 
studio     actionis    humance ,   quœ ,     preecipue     circa 


86  l'harmonie  des  sacrements 

Miséricordieuse  condescendance,  justice,  sa- 
gesse, admirable  conformité  aux  lois  de  notre 
nature,  divine  harmonie,  voilà,  Messieurs,  ce  que 
nous  voyons  présentement  dans  les  signes  sacra- 
mentels eux-mêmes,  et  ce  que  nous  allons  voir, 
tout  à  l'heure,  dans  leurs  effets,  si  vous  voulez 
bien  me  prêter  encore  pendant  quelque  temps 
votre  religieuse  attention. 


II 


Pour  mettre  notre  intelligence  sur  la  trace  de 
ses  perfections,  Dieu  suit,  dans  toutes  ses  œuvres, 
une  marche  progressive.  C'est  une  loi  de  son 

corporalia  versatur.  Ne  ergo  esset  homini  durum,  si 
totaliter  a  corporalibus  actibus  abstraheretur,  propo- 
sita  surit  ei  corporalia  exercitia  in  sacramentis,  qui- 
bus  salubriter  exerceatur,  ad  evitanda  superstitiosa 
exercitia,  quee  consistunt  in  cultu  dsemonum,  vel  qua- 
litercumque  noxia,  quee  consistunt  in  actibus  pecca- 
torum.  Sic  igitur  per  sacramentorum  institutionem 
homo  convenienter  suœ  naturœ  eruditur  per  sen- 
sibilia;  bumiliatur,  se  corporalibus  subjectum  co- 
gnoscens,  dum  sibi  per  corporalia  subvenitur;  prœ- 
servatur  etiam  a  noxiis  actionibus  per  salubria  exer- 
citia sacramentorum.  (Summ.  Theol.,  III  P.,  quœst. 
61,  a.  l.). 


l'harmonie  des  sacrements  87 


plan,  que  nous  avons  constatée,  lorsque  nous 
étudiions  ensemble  l'harmonie  du  monde  phy- 
sique. Elle  n'est  pas  moins  visible  dans  l'harmo- 
nie du  monde  religieux.  Rappelez-vous  les 
splendides  préparations  de  l'Incarnation,  c'est 
l'application  de  la  loi  du  progrès,  couronnée  par 
un  chef-d'œuvre  de  puissance,  de  sagesse,  de 
justice  et  d'amour. 

Or,  dans  la  préparation  de  l'Incarnation,  nous 
remarquons  un  ensemble  de  rites  religieux 
ayant  pour  but  de  disposer  les  âmes  à  recevoir  la 
grâce  de  Dieu  ;  on  les  appelle  les  sacrements  de 
l'ancienne  loi.  Ces  sacrements  étaient  un  pro- 
grès, relativement  à  la  loi  de  nature  ;  cependant, 
saint  Paul  les  répudie,  comme  des  «éléments  in-# 
firmes  et  indigents  :  Infirma  et  egena  elementa* .» 
Pourquoi  cela?  Parce  qu'ils  n'étaient  que  la 
figure  de  nos  sacrements,  un  degré  pour  arriver 
à  la  parfaite  efficacité  que  Dieu  se  proposait  de 
communiquer  aux  instruments  de  la  grâce,  afin 
de  les  mettre  en  rapport,  selon  la  pensée  de 
saint  Thomas,  avec  le  progrès  des  théophanies, 
de  la  vérité  et  de  la  foi 2. 

1.  Galat.,  cap.  IV,  9. 
8,Sftcrftment*^teriilegisApoatol«g  (Galat <>i\)  yeo*6 


l'harmonie  des  sacremknts 


En  effet,  les  sacrements  de  l'ancienne  loi 
montraient  de  loin  celui  qui  devait  venir  et 
de  qui  dépendait  le  salut  du  genre  humain  ;  les 
sacrements  de  la  loi  nouvelle  nous  disent  : 
«  Le  voici  !  avec  tous  les  mérites  de  sa  Pas- 
sion, la  vertu  de  son  sang  répandu,  la  vie  divine 
dont  son  humanité  sainte  est  remplie  pour 
sanctifier  les  âmes.  »  Les  sacrements  de  l'an- 
cienne loi  invitaient  l'homme  à  demander  la 
justice,  la  sainteté,  la  vie  de  Dieu;  les  sacre- 
ments de  la  loi  nouvelle  confèrent  directement 
ces  grands  dons.  Les  sacrements  de  l'ancienne 
loi  laissaient  languir,  aux  portes  de  l'éternité 


egena,et  infirma  élément  a,  quia  gratiam  nec  contine- 
bant,  nec  causabant.  Et  ideo  utentes  illis  sacramen- 
tis  dicit  Apostolus  sub  démentis  mundi  Deo  servisse, 
quia  scilicet  nihil  aliud  erant  quam  elementa  hujus 
muodi.  Nostra  autem  sacramenta  gratiam  continent 
et  causant  :  et  ideo  non  est  de  eis  similis  ratio.  (Summ. 
Theol.,Ul  P.,  queest.  61,  a,  4.  ad.  2.) 

Cum  sacramentorum  usus  fidei  proportionaliter 
respondeat,  oportuit  quod  secundum  diversum  statum 
fidei  diversimode  sacramenta  traderentur  :  fides  au- 
tem quantum  ad  articulorum  explicationem ,  semper 
magis  et  magis  crevit  secundum  propinquitatem 
temporis  gratiœ;  et  secundum  hoc  oportuit  sacra- 
menta magis  ac  magis  determinari.  (in  Lib.  4  sent. 
dut.  1.  queest.  l,a.2.  ad.  4.) 


l'harmonie  des  sacrements  89 

bienheureuse,  ceux  dont  ils  avaient  préparé  la 
sanctification;  les  sacrements  de  la  loi  nou- 
velle ouvrent  le  ciel  à  ceux  qu'ils  ont  sancti- 
fiés. 

Bref,  les  sacrements  de  l'ancienne  loi  n'é- 
taient que  des  signes  indicateurs,  les  sacre- 
ments de  la  loi  nouvelle  sont  des  signée  effi- 
caces1; les  sacrements  de  l'ancienne  loi  n'é- 


1.  Manifestum  est  quod  a  passione  Christi,  quœ  est 
causa  humanee  justificationis,  convenienter  derivatur 
virtus  justificativa  ad  sacrameota  novœ  legis,  non 
autem  ad  sacramenta  veteris  legis.  Et  tamen  per 
tidem  passionis  Christi  justificabantur  antiqui  patres, 
sicut  et  nos.  Sacramenta  autem  veteris  legis  erant 
queedam  ilius  fidei  protestationes,  in  quantum  signifi- 
cabant  passionem  Christi,  et  effectus  ejus.  Sic  ergo 
patet  quod  sacramenta  veteris  legis  non  habebant  in 
se  aliquam  virtutem  qua  operarentur  ad  conferendam 
gratiam  justificantem  ;  sed  solum  significabant  fidem, 
per quam justificabantur. (Summ.  TheoL,  IIIP.,quœst. 
62,  a.  6.) 

Quid  igitur  confers  baptismata,  quorum  sola  com- 
munis  appellatio;  rerum  autem  tanta  differentia, 
quanta  somnii  a  veritate,  ac  umbrœ  et  imaginum,  ab 
his  quœ  rêvera  subsistunt? 

T«  olv  ovyxplveis  rà  fiais!  ia  pat  a,  &v  ij  izpocrïjyopia  (idvrj 
xoLvrf,  v  3é  tûv  T3pay(JLâTù)v  liaÇopà  togcivty),  Ôar)  âv  jé- 
voito  àveipov  ispos  rrjv  iXrjôeiav,  xai  axiàs  xal  eixàvoûv  -zrrpos 
rà  xar'  ovaiav  ^salrjK&ta.)  (S.  Basil.,  Migne.  Tome  IV^ 
p.  125.  Lib.  De  Spiritu  Sancto.  cap.  xiv.  in  fine*) 


L  HARMONIE  DES  SACREMENTS 


taient  que  des  étapes  de  la  Providence,  les 
sacrements  de  la  loi  nouvelle  sont  le  repos 
de  la  toute-puissance  de  Dieu,  l'achèvement 
de  son  plan  dans  Tordre  pratique  de  la  grâce. 
Après  eux,  nous  n'avons  plus  à  attendre  que  la 
gloire  céleste  ,  don  suprême  qui  consomme 
les  effusions  de  la  vie  divine  dans  le  sein  des 
créatures1. 

Alia  surit  sacramenta  dantia  salutem,  alia  promil- 
tentia  salvatorem.  Sacramenta  novi  testamenti  dant 
salutem,  sacramenta  veteris  testamenti  promiserunt 
salvatorem....  Mutata  sunt  sacramenta,  facta  sunt 
faciliora,  pauciora,  salubriora,  feliciora.  (S.  Aug;.,  in 
Psalm.  LXXIII.) 

Diviniora  et  priora  sunt  sacramenta  christianorum 
quam  judseorum.  (S.  Amb.,  Lib.  1.  De  sacramentis. 
cap.  4.) 

Judaïcaexpiationequaquam  apeccatis  liberabat  sed 
a  corporis  sordibus  tantum  :  nostra  vero  talis  non  est 
sed  multo  major,  ac  multa  gratia  referta,  nam  et  a 
peccatis  libérât,  et  animam  emundat,  et  spiritus  gra- 
tiam  largitur. 

Ta  pèv  oîiv  lovàoLÏxdv  xaÔâpcriov  àpaprijpàrwv  pèv  ovx 
à7n;AXa7e,  pûirœv  âè  o(*)\i<nixûv  pàvov  tô  Se  ripètepov  oit 
Totovrov,  àXAà  -syo/A'I)  peïlov  xaï  isoWiis  yéfiov  %âptTor 
xil  yàp  ap.ap-c-np.ixwv  àTTOLA/i-let,  x*l  ^v^v  éirocprjxei, 
xai  TSvevpaTOs  lilwai  yopr/yiiv.  (S.  Cbrysost.,  Homil. 
De  Baptismo  Christi.  n*  3.) 

1.  Status  novœ  legis  médius  est  inter  statum  ve- 
teris legis,  cujus  figurée  implentur  in  nova  lege,  et 
inter  statum  gloriae,  in  qua  omnia  nude,  et  perfectt 


L'HARMONIE  DES  SACREMENTS  91 

Merveilleusement  encadrés  dans  le  plan  di- 
vin, les  sacrements  de  la  loi  nouvelle,  si  Ton 
considère  leur  efficacité,  sont  aussi  merveil- 
leusement adaptés  aux  évolutions  de  notre  na- 
ture, aux  diverses  phases  et  aux  divers  acci- 
dents de  notre  vie. 

Vous  connaissez ,  Messieurs ,  ce  principe 
théologique  dont  nous  nous  sommes  déjà  servis 
plus  d'une  fois  :  «  La  grâce  ne  détruit  pas  la 
nature,  mais  elle  la  perfectionne  :  Gratta  non 
destruit  naturam,  sed  illam  perfîcit.  »  La  na- 
ture, en  effet,  est,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  le 
support  des  opérations  divines  et  comme  la 
matière  des  formes  surnaturelles  qui  nous  per- 
fectionnent. On  ne  conçoit  pas  qu'elle  puisse 
être  troublée  par  un  mouvement  supérieur  en 
désaccord  avec  ses  évolutions  originales.  Aussi, 
la  sagesse  divine,  dans  l'ordre  de  notre  per- 
fectionnement surnaturel,  s'est-elle  appliquée 
à  faire  marcher  la  nature  et  la  grâce  selon  le 

manifestabitur  veritas  :  et  ideo  tune  nulla  erunt  sacra- 
menta;  nunc  autem,  quamdiu  per  spéculum,  et  in 
œnigmate  cognoscimus,  (ut  dicitur  I  ad  Cor;  xm. 
oportet  nos  per  aliqua  sensibilia  signa  in  spiritualia 
devenire  ;  quod  pertinet  ad  rationem  sacramentoruin, 
Summ.  Theoi,ill  P.,  queest.  61,  a.  4.  ad.) 


92  l'harmonie  des  S>CREMENT8 


même  rhythnie,et  à  établir  entre  elles  un  pa- 
rallélisme harmonieux.  Personne  n'a  décrit  et 
expliqué  ce  parallélisme  mieux  que  saint  Tho- 
mas. Permettez-moi,  Messieurs,  d'être  son  in- 
terprète. 

Il  y  a,  dit  le  saint  docteur,  entre  la  vie  spiri- 
tuelle et  la  vie  corporelle,  une  certaine  con- 
formité dont  il  faut  tenir  compte,  pour  bien 
comprendre  la  haute  convenance  du  sacré  sep- 
ténaire qui,  d'un  côté,  nous  perfectionne  en 
ce  qui  regarde  le  culte  de  Dieu;  de  l'autre 
côté,  applique  au  mal  suprême,  le  péché,  toute 
l'efficacité  de  la  Rédemption.  La  première  phase 
de  la  vie  corporelle,  c'est  la  génération.  Dans 
l'ombre  mystérieuse  où  il  a  été  conçu,  l'homme 
commence  à  être  et  à  vivre.  Il  paraît,  salué 
par  un  cri  de  joie  et  comblé  de  caresses,  dans 
lesquelles  se  mêlent  l'amour  et  l'espérance. 
Mais  ce  n'est  encore  qu'un  tout  petit  être 
qui  doit  prendre  ses  accroissements.  La  quan- 
tité et  la  force  s'augmentent  en  lui,  obéissant 
aux  poussées  d'une  vie  toute  neuve.  Cepen- 
dant, cette  vie  n'aurait  de  vertu  que  pour  un 
instant,  si  elle  n'était  entretenue  par  un  ali- 
ment   qui  la   renouvelle  à   mesure  qu'elle  se 


l'harmonie  des  sacrements 


dépense.  Génération,  accroissement,  nutrition, 
c'est  assez  pour  une  nature  impassible.  Mal- 
heureusement, l'homme  est  sujet  à  des  infirmi- 
tés qu'il  faut  guérir  par  des  remèdes  qui  assu- 
rent le  triomphe  de  la  santé  sur  la  maladie, 
par  un  régime  qui  fait  disparaître  jusqu'aux 
derniers  restes  du  mal  et  rend  au  patient  la 
plénitude  de  ses  forces. 

Tels  sont  les  évolutions,  phases  et  accidents 
de  notre  vie  physique.  Or,  tout  cela  se  repro- 
duit dans  notre  vie  spirituelle,  où  les  sacre- 
ments se  succèdent  harmonieusement. 

Un  sacrement  nous  engendre  :  C'est  le  Bap- 
tême ,  dont  la  force  génératrice ,  plus  vive , 
plus  pénétrante,  plus  féconde  que  celles  qui, 
dans  la  nature,  vivifient  les  germes,  saisit 
notre  être  et  nos  puissances,  les  transforme  et 
leur  donne  une  vie  de  justice  et  de  sainteté 
que  ne  pouvait  plus  nous  transmettre  la  géné- 
ration naturelle,  appauvrie  par  la  prévarica- 
tion de  notre  premier  père.  Nous  étions  morts 
surnaturellement ,  nous  voilà  vivants  ;  nous 
n'étions  que  les  fils  de  l'homme,  nous  voilà 
les  fils  de  Dieu,  entés  sur  l'humanité  sainte  de 
celui  en  qui  se  régénère  toute  nature  déchue. 


94  l'harmonie  des  sacrements 

A  cet  être  nouveau,  il  faut  une  puissance 
d'accroissement  qui  le  fasse  passer  de  l'enfance 
à  l'adolescence,  de  l'adolescence  à  la  virilité 
chrétienne.  —  Un  sacrement  donne  cette  puis- 
sance :  C'est  la  Confirmation,  nouvelle  infu- 
sion de  l'Esprit  de  Dieu,  déjà  sanctificateur 
dans  notre  baptême,  dont  le  propre  est  d'a- 
jouter, aux  habitudes  surnaturelles  que  nous 
avons  reçues  de  notre  génération  spirituelle, 
une  onction  qui  les  affermit,  des  dons  qui  les 
complètent  :  l'intelligence,  la  sagesse  et  la 
science,  pour  notre  esprit;  le  conseil,  la  force 
et  la  crainte  de  Dieu,  pour  notre  volonté  ;  la 
piété,  pour  notre  cœur  :  tout  ce  qu'il  faut 
pour  exalter  notre  âme  et  ses  facultés  sancti- 
fiées, et  les  promouvoir  à  la  perfection  de  la 
vie  chrétienne. 

Cette  vie  chrétienne  a  besoin,  comme  la  vie 
physique,  d'être  conservée.  —  Un  sacrement 
la  nourrit  :  C'est  l'Eucharistie,  chair  et  sang 
du  Sauveut,  cachés  sous  les  apparences  des 
éléments  réparateurs  que  s'assimile  notre  corps; 
Panis  vivus,  vrai  pain  de  la  vie  promis  par  le 
Christ  à  ceux  que  le  travail  fatigue,  que  la  lutte 
a  rompus,  que  le  péché  alanguit;  pain  super- 


L'HARMONIE  DES  SACREMENTS  95 

substantiel,  qui  peut  devenir,  si  nous  le  vou- 
lons, notre  pain  quotidien. 

Engendrés  surnaturellement ,  confirmés  par 
l'Esprit  de  Dieu ,  nourris  de  sa  substance , 
nous  ne  sommes  cependant  pas  fixés  dans  le 
bien.  Le  mal  nous  sollicite  et  nous  travaille  ; 
et  il  arrive,  parfois,  que  notre  âme,  épuisée  et 
mourante ,  se  traîne  sur  le  chemin  d'iniquités 
où  elle  s'est  égarée.  11  lui  faut  plus  que  la  lu- 
mière, pour  la  ramener  sur  l'âpre  et  unique 
sentier  qui  conduit  à  la  bienheureuse  éternité. 
La  lumière  ne  ferait  qu'éclairer  son  impuis- 
sance et  rendre  plus  profond  son  désespoir. 
Cette  âme  malade  a  besoin  d'un  remède.  — 
Un  sacrement  la  guérit  :  C'est  la  Pénitence  , 
où  elle  reçoit,  en  échange  de  ses  humiliations, 
de  ses  aveux  et  de  son  repentir,  le  pardon  de 
ses  fautes,  scellé  par  un  embrassement  mys- 
rérieux  du  Christ  qui  lui  communique,  à  nou- 
veau, la  vertu  de  son  sang,  et  oppose,  au  mor- 
tel courant  du  péché,  le  contre-courant  vivifî- 
cateur  de  la  grâce. 

Mais  le  péché  est  tenace,  et,  comme  ces 
longues  et  cruelles  maladies  que  la  médecine 
a  vaincues,  il  laisse  encore  en  nous  les  traces 


96  l'harmonie  des  sacrements 

de  son  passage.  Traces  facilement  oubliées 
dans  les  agitations  de  la  vie,  mais  dont  le  sou- 
venir se  réveille  à  l'heure  de  la  mort  et  engendre, 
dans  l'âme  chrétienne  ,  obligée  de  soutenir  le 
dernier  assaut  de  l'esprit  du  mal,  une  profonde 
tristesse  et  d'inexprimables  terreurs.  —  Un  sa- 
crement  nous  guérit  de  ces  tristesses  et  de  ces 
terreurs  :  C'est  l'Extrême-Onction,  dont  la  ?ertu 
entre  dans  nos  âmes  par  toutes  les  portes  de 
nos  sens  profanés,  détruit  les  restes  du  péché, 
et  provoque  une  crise  suprême  de  convales- 
cence qui  se  termine  par  l'indéfectible  santé  de 
l'éternelle  vie ,  dont  la  mort  nous  ouvre  les 
portes. 

Ainsi  donc,  toute  la  vie  humaine,  du  ber- 
ceau au  lit  de  mort,  est  entreprise  par  les  sa- 
crements. L'efficacité  de  ces  signes  sacrés  fait 
marcher  la  grâce  du  même  pas  que  la  nature. 
Rhvthmées  par  Dieu,  elles  se  tiennent  étroite- 
ment embrassées  dans  l'harmonie  de  leurs 
périodes  *. 

1.  Sacramenta  Ecclesiœ  ordinantur  ad  duo,  scilicet 
ad  perficiendum  hominem  in  his  quœ  pertinent  ad 
cultum  Dei  secundum  religionem  christianœ  vitœ,  et 
etiam  in  remedium  contra  defectum  peccati.  Utroque 


l'harmonie  des  sacrements  97 

Voilà  pour  la   vie  individuelle.  Mais  n'ou- 
blions pas  que  nous  sommes  une  société,   un 

autem  modo  convenienter  ponuntur  septem  sacra- 
menta.  Vita  enim  spiritualis  conformitatem  aliquam 
habet  ad  vitam  corporalem,  sicut  et  cœtera  corporalia 
conformitatem  quamdam  spiritualium  habent.  In  vita 
autem  corporali  dupliciteraliquisperfïcitur  :  unomodo 
quantum  ad  personam  propriam  ;  alio  modo  per  res- 
pectum  ad  totam  communitatem  societatis,  in  qua 
vivit  :  quia  homo  naturaliter  est  animal  sociale.  Res- 
pectu  autem  suiipsius  perficitur  homo  in  vita  corpo- 
rali dupliciter  :  uno  modo  per  «e,  acquirendo  scilicet 
aliquam  vitse  perfectionem  ;  alio  modo  per  accidens, 
scilicet  removendo  impedimenta  vitse,  puta  segritu- 
dines,  vel  aliquid  hujusmodi.  Per  se  autem  perficitur 
corporalis  vita  tripliciter.  Primo  quidem  per  gênera- 
tionem,  per  quam  homo  incipit  esse,  et  vivere,  etloco 
hujusin  spirituali  vita  est  baptismus,  qui  est  spiritualis 
regeneratio,  secundum  illud  ad  Tit.  III,  5.  Per  lava- 
erum  regenerationis,  etc.  Secundo  per  augmentum, 
quo  aliquis  perducitur  ad  perfectam  quantitatem  et 
virtutem  :  et  loco  hujus  in  spirituali  vita  estconfirma- 
tio,  in  qua  datur  Spiritus  Sanctus  ad  robur.  Unde  di- 
citurdiscipulisjam  baptizatis.  (Luc,  ult.  49.)  Sedete in 
civitate,  quoadusque  induamini  virtute  ex  alto. 
Tertio  per  nutri tionem,  qua  conservatur  in  homine 
vita,  et  virtus  :  et  loco  hujus  in  vita  spirituali  est  Eu- 
charistia.  Unde  dicitur  Joan.  VI,  54.  Nisi  manducave- 
ritis  carnem  Fllii  hominisj  et  biberitis  ejus  sangui- 
nem  non  habebitis  vitam  in  vobis.  Et  hoc  quidem  suffi- 
ceret  homini,  si  haberetet  corporaliter,  et  spirituaiiter 
impassibilem  vitam.  Sed  quia  homo  incurrit /iHe^um 
et  corporalem  nnfirmitaiem,   et  spiritualem,   scilicet 

CONFÉHENCES    N.-D.     —     CARÊME    1883.     —     7 


98  l'harmonie  des  sacrements 

corps  religieux  :  Multi  unum  corpus  swnus.  Or, 
le  corps  religieux,  naturo  multiple  et  complexe, 
doit  avoir,  comme  les  individus,  ses  sacrements. 
Il  lui  faut  un  gouvernement  qui  contienne 
dans  l'unité  les  éléments  dont  il  se  compose, 
le9  protégeant  contre  les  tendances  naturelles 
de  tout  composé  à  la  dispersion.  Il  lui  faut  une 
représentation,  pour  tous  les  actes  publics  qui 
doivent  être  faits  au  nom  de  la  multitude.  —  Ce 
gouvernement,  cette  représentation,  un  sacre- 
ment les  constitue  :  C'est  l'Ordre ,  source 
divine  du  sacerdoce.  Placé  à  la  tête  du  corps 
religieux  pour  régir  et  faire ,  entre  le  ciel  et 
la  terre,  les  échanges  sacrés  de  la  prière  et  de 
la  grâce,  le  prêtre  usurperait,  s'il  n'attendait 
d'être  appelé  à  un  si  grand  honneur  :  Nec  quis- 

peccatum,  ideo  necessaria  est  homini  curatio  ab  infir- 
mitate;  quœ  quidem  est  duplex.  Una  quidem  est  sa- 
natio,  quœ  sanitatem  restituit;  et  loco  hujus  in  spiri- 
tuali  vita  est  pœnitentia,  secundum  illud.  Psal.  x. 
Sana  animam  meam,  quia  peccaci  tibi.  Alia  autem  esC 
restitutio  valetudinis  pristinœ  per  convenientem  diœ- 
tam,  et  exercitium  :  et  loco  hujus  in  spirituali  vita  est 
extrema  unctio,  quee  removet  peccatoruni  reliquias, 
et  hominem  paratum  reddit  ad  finalem  gloriam.  Unde 
dicitur  Jacob.  V,  5.  Et  si  in  peccatis  ait  dimittentur 
ei.  (Summ.  Theol.,  III  P.,  quœst.  65,  a.  1.) 


L  HARMONIE  DES  SAGREMENT8 


quarn  sumit  sibi  honorent  sed  quivoc*tur  Deo 
tanquam  Aaron.  Le  peuple  a  besoin  de  voir 
plus  qu'un  homme  vulgaire  en  celui  qui  règle 
sa  vie  religieuse  et  en  résume,  dans  sa  per- 
sonne, les  actes  les  plus  solennels.  A  ce  roi 
spirituel,  il  faut  une  consécration  qui  le  recom- 
mande au  respect  de  la  multitude  et  le  rende 
digne  de  traiter  les  choses  sacrées.  C'est  pour 
cela  qu'il  se  prosterne  sous  les  mains  fécondes 
d'un  pontife,  investi,  avant  lui,  de  la  dignité 
à  laquelle  il  aspire,  et  c'est  grâce  au  sacrer- 
aient qu'il  reçoit  que  la  vieille  monarchie, 
dont  il  devient  le  ministre  couronné,  se  tient 
debout  depuis  dix-huit  siècles,  quand  l'huile 
des  sacres  sèche  et  perd  son  prestige  sur 
le  front  des  rois  de  la  terre  ;  c'est  grâce  à 
l'inépuisable  vertu  de  ce  sacrement  que  le  mou- 
vement des  choses  sacrées  va  de  la  terre  au 
ciel,  du  ciel  à  la  terre,  sans  jamais  s'arrêter. 
La  société  chrétienne,  gouvernée' et  religieu- 
sement représentée  par  un  homme  consacré, 
possède  donc,  dans  le  sacrement  de  l'Ordre, 
une  garantie  de  stabilité.  Mais  la  mort  y  fait 
tous  les  jours  des  moissons  qui  la  dépeuplent, 
et  la  réduiraient  bientôt  à  néant,  si  ces  pertes 


100  L  HARMONIE    DES    SACREMENTS 


n'étaient  réparées .  —  Un  sacrement  la  renou- 
velle :  C'est  le  Mariage,  qui  s'empare  d'un 
office  de  la  nature ,  sanctifie  les  sources  de  la 
vie,  et  prépare  une  lignée  d'enfants  de  Dieu, 
d'êtres  sacrés,  là  où  des  générateurs  vulgaires 
n'auraient  engendré  que  des  profanes1. 

Vie  individuelle,  vie  collective,  tout  est  har- 
monieusement ennobli ,  transformé  ,  sanctifié 
par  les  sacrements.  Et  c'est  bien,  ajoute  l'angé- 
lique  docteur,  la  vertu  de  la  rédemption,  pour- 
suivant partout  le  péché,  qui  opère  ces  mer- 
veilles. C'est  à  la  mort  du  péché  que  le  Baptême 
substitue  la  vie  de  la  grâce;  c'est  contre  l'in- 
firmité dérivée  du  péché  que  la  Confirmation 
accroît  nos  forces;  c'est  pour  obvier  aux  consé- 
quences de  notre  fragilité  et  de  nos  tendances 


1.  Perficitur  autem  homo  in  ordine  ad  totam  com- 
munitatem  dupliciter.  Uno  modo  per  hoc  quod  accipit 
potestatem  regeudi  multitudinem,  et  exercendi  actus 
publicos  :  et  loco  hujus  in  spirituali  vita  est  sacramen- 
tum  ordinis,  secundum  illud  Hebr.  VII  :  Quod  sacer- 
dotes  hostias  offerunt  non  solum  pro  se,  sed  etiam  pro 
populo.  Secundo  quantum  ad  naturalem  propagatio- 
nem  :  quod  fit  per  matrimonium  tam  in  corporali, 
quam  in  spirituali  vita,  eo  quod  est  non  solum  sacra- 
mentum,  sed  naturee  officium.  {Summ.  ThcoL,  III 
P.,  «quœst.  65,  a.  1.) 


l'harmonie  des  sacrements  101 

au  péché  que  l'Eucharistie  nous  nourrit  de  la 
vie  divine;  ce  sont  les  péchés  commis  que  la 
Pénitence  efface  ;  ce  sont  les  restes  du  péché 
que  TExtrême-onction  détruit;  c'est  la  disso- 
lution du  corps  religieux,  préparée  par  le  pé- 
ché, que  l'Ordre  prévient;  c'est  à  l'apaisement 
de  la  concupiscence,  à  la  réparation  des  ra- 
vages de  la  mort,  fruits  du  péché,  que  les 
effets  du  Mariage  sont  ordonnés1.  «  Donc,  il  est 
juste,  il  est  sage,  il  est  digne  ae  Dieu,  il 
convient  à  l'homme,  qu'il  y  ait  sept  sacrements  : 
Ergo  dicendum  est...  qnod  convenienter  po- 
nantur  septem  sacramentel.  » 

Ils  sont  sept!  Aussi  parfaitement  rhythmés 

1.  Ex  his  etiam  patet  sacramentorum  numerus,  se- 
cundum  quod  ordinatur  contra  defectum  peccati.  Nam 
baptismus  ordinatur  contra  carentiam  vitee  spiritualis; 
confîrmatio  contra  infirmitatem  animi,  quee  in  nuper 
natis  invenitur;  eucharistia  contra  labilitatem  anima 
ad  peccandum  ;  pœnitentia  contra  actuale  peccatum 
post  baptismum  commissum  ;  extrema  unctio  contra 
reliquias  peccatorum,  quse  scilicet  non  sunt  sufficien- 
ter  perpœnitentiam  sublatee,  autex  negligentia,  autex 
ignorantia;  ordo  contra  dissolutionem  multitudinis 
matrimonium  in  remedium  contra  concupiscentiam 
personalem,  et  contra  defectum  multitudinis,  qui  per- 
mortem  accidit.  (Summ.  Theol.y  III  P.,  auaest.  65 
a.  W 


102  l'harmonie  des  sacrements 

entre  eux  qu'ils  sont  rhythmés  avec  notre  na- 
ture; groupés,  comme  des  astres,  autour  d'un 
astre  central  qui  règle  leur  gravitation  :  le 
sacrement  le  plus  divin  par  ce  qu'il  contient, 
l'Eucharistie,  appelant  à  lui  tous  les  autres  :" 
l'Ordre,  qui  le  consacre,  le  Baptême,  la  Confir- 
mation ,  la  Pénitence ,  l'Extrême-Onction,  qui 
préparent  les  âmes  à  le  recevoir,  le  Mariage, 
qui  figure  les  noces  sacrées  de  l'âme  avec  son 
Dieu  ■; 


1.  Sacramentum  eucharistiœ  est  potissimum  inter 
alia  sacramenta.  Quodquidem  tripliciter  apparet.  Primo 
quidem  ex  eo  quod  in  eo  continetur  ;  nam  in  sacra- 
mento  eucharistiœ  continetur  ipse  Christus  substantia- 
liter;  in  aliis  autem  sacramentis  continetur  quœdam 
virtus  instrumentais  participata  a  Christo,  ut  ex  supra- 
dictispatet(quœst.  XII,  art.  i,  ad.  3^^npprautemquod 
est  per  essentiam,  potius  est  eo  q^od  est  per  partici- 
pationem.  Secundo  hoc  apparet  ex  ordine  sacramen- 
orum  ad  invicem  :  nam  omnia  alia  sacramenta  or- 
dinari  videntur  ad  hoc  sacramentum  sicut  ad  finem. 
Manifestum  est  enim  quod  sacramentum  ordinis  or- 
dinatur  ad  eucharistiœ  confectionem  ;  sacramentum 
vero  baptismi  ordinatur  ad  eucharistiœ  receptionem  : 
in  quo  etiam  perficitur  aliquis  per  confirmatiouem,  ut 
non  vereatur  se  subtrahere  a  tali  sacramento  :  per 
pœnitentiam  etiam,  et  extremam  unctionem  prœpa- 
ratur  homo  ad  digne  sumendum  corpus  Christi  :  ma- 
trimonium  eti.am  saltem   sua  significatione    attiogit 


L'HARMONIE    DES    SACREMENTS  103 

Ils  sont  sept  !  Nombre  de  Dieu  et  de  l'homme: 
de  Dieu,  en  trois  personnes  :  Père,  Fils,  Esprit- 
Saint;  de  l'homme,  aux  quatre  vies  :  vie  végé- 
tative, vie  animale,  vie  intellectuelle,  vie  sur- 
naturelle; de  Dieu,  objet  et  principe  des  trois 
grandes  vertus  :  de  foi,  d'espérance,  de  charité  ; 
de  l'homme,  orné,  par  la  nature,  des  quatre 
vertus  :  de  prudence ,  de  justice ,  de  force  et 
de  tempérance.    # 

Ils  sont  sept!  Nombre  mystérieux  et  vénéré 
des  anciens  :  sept,  comme  les  âges  qui  mesu- 
rent la  vie  du  monde;  sept,  comme  les  jours 
à  travers  lesquels  se  meut  notre  existence  ;  sept, 
comme  les  grandes  solennités  dû  Judaïsme  ; 
sept,  comme  les  bras  du  chandelier  symbo- 
lique qui  veillait  à  la  porte  du  saint  des  saints; 
sept,  comme  les  sceaux  du  livre  de  vie  et  de 

hoc  sacramentum,  inquantuir  significat  conjonctio- 
nem  Christi  et  Ecclesiœ,  cujus  unitas  per  sacramen- 
tum eucharistie?  fîguratur.  Unde  et  Apostolus  diGife 
Ephes,  V.  31.  Sacramentum  hoc  magnumest;  ego  au- 
tem  dico  in  Christo  et  in  Eeclesia.  Tertio  hoc  ap- 
paret  ex  ritu  sacramentorum.  Nam  fere  omnia  sacra- 
menta  in  eucharistia  consummantur,  ut  Dionysius 
dicit,  cap.  ni,  eccl.  Hier,  sicut  patet  quod  ordinati 
communicant,  et  etiam  baptizati,  si  sint  adujti. 
Summ,  Theol.,  III  P.,  quœst.  65,  a.  3.) 


£04  l'harmonie  des  sacrements 

mort  que  doit  ouvrir  l'Agneau  ;  sept ,  comme 
les  couleurs  concentrées  et  fondues  dans  l'écla- 
tante blancheur  du  rayon  solaire  ;  sept,  comme 
les  notes  de  la  musique,  dont  les  mélodieuses 
cadences  et  les  harmonieux  mouvements  ré- 
jouissent notre  oreille.  Ils  sont  sept,  dans  notre 
vie  encore  imparfaite  ;  et  l'octave,  dit  un  grand 
mystique,  c'est  la  perfection  :  Octava  perfectio 
est.  Oui,  la  perfection  consommée,  la  gloire, 
la  béatitude,  le  ciel,  où  toutes  les  harmonies 
de  la  vie  humaine  seront  fixées  dans  un  éternel 
concert. 

En  attendant  que  vous  soyez  admis  à  ce  con- 
cert, rentrez  en  vous-même,  Messieurs,  écoutez 
votre  vie,  comme  un  artiste  écoute  la  harpe  qu'il 
accorde.  N'en  sort-il  que  des  sons  harmonieux? 
N'y  manque-t-il  pas  une  corde  sacrée,  en  l'ab- 
sence de  laquelle  les  autres  ne  rendent  plus 
que  des  sons  sans  ordre  et  sans  beauté?  Il  faut 
remettre  à  votre  vie  cette  corde  sacrée,  ce  sa- 
crement qui  n'y  est  pas;  et,  alors,  vouspaurrez 
dire,  avec  le  Psalmiste  :  «  Mon  âme  !  bénis  le 
Seigneur,  et  que  tout  ce  qui  est  en  moi  chante 
son  saint  nom  :  Benedic  anima  mea  Domino, 
et  omnia  qttœ  intra  me  sunt  «nmini  sancto  ejusK.» 

1.  Psalm.  en. 


SOIXANTE-TROISIÈME  CONFÉRENCE 


LES    CARACTÈRES    SACRAMENTELS 


SOIXANTE-TROISIÈME  CONFÉRENCE 


LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS 


Éminentissime  Seigneur  * ,  Messieurs, 

Les  sacrements  ne  produisent-ils  qu'une  grâce 
qui  nous  sanctifie,  en  s'harmonisant  avec  les 
diverses  phases  de  notre  vie  religieuse,  telle 
que  Dieu  l'a  ordonnée,  et  la  liberté  qui  nous 
est  laissée  d'être  ingrats  et  prévaricateurs  est- 
elle  si  puissante  qu'elle  efface  jusqu'au  derniei 
vestige  de  notre  être  surnaturel  et  nous  paga- 
nise  tout  à  fait?  Dans  ce  cas,  Dieu  seul  pourrait 
savoir  qui  de  nous  est  déchu,  et,  au  jour  des 
grandes  manifestations,  rien,  dans  notre  per- 
sonne, ne  trahirait  l'horrible  secret  de  nos  in- 
fidélités. Mais,  il  n'en  est  pas  ainsi.  Les  mem- 
bres de  la  société  chrétienne,  qui  se  recon- 


1.  Son  Eminence,  le  cardinal  Guibert,  archevêque 
de  Paris. 


108  LES  CARACTÈRES    SACRAMENTELS 


naissent  ici-bas  aux  signes  sacramentels,  se 
reconnaîtront  éternellement  dans  un  monde  où 
il  n'y  aura  pas  de  sacrements.  Quoi  que  fassent 
les  pécheurs  pour  s'assurer,  par  les  longs  mé- 
pris de  l'impénitence,  l'oubli  de  leur  passé  reli- 
gieux, ce  passé  revivra  dans  le  redoutable  éclat 
d'un  signe  que  rien  ne  peut  effacer  :  ce  signe, 
c'est  le  caractère  sacramentel. 

Entre  tous  les  sacrements,  il  y  en  a  qu'on 
renouvelle,  parce  qu'ils  ne  oroduisent  qu'une 
grâce  qui  peut  croître  ou  décroître,  resplendir 
davantage  ou  entièrement  disparaître  ,  selon 
les  fluctuations  de  notre  vie  entre  le  bien  et  le 
mal.  Mais  il  y  en  a  qu'on  ne  renouvelle  pas, 
parce  qu'ils  opèrent  plus  profondément,  et 
qu'une  partie,  au  moins,  de  leur  efficacité  est 
perpétuellement  fixée  par  un  signe  qui  se  grave 
dans  l'âme  elle-même,  et  que  l'Église  appelle: 
le  caractère. 

Ce  signe,  Messieurs,  doit  nous  faire  connaître 
à  fond  l'harmonieuse  beauté  de  notre  sacra- 
mentaire.  Étudions-le  avec  tout  le  respect  et 
l'attention  qu'il  mérite. 

Qu'est-ce  que  le  caractère  sacramentel? 

A  quoi  nous  oblige-t-il? 


LES    CARACTÈRES    SACRAMtNTtU»  109 


ï 

Il  est  écrit  dans  l'Évangile  qu'un  jour,   le? 
Pharisiens  et  les  Hérodiens  s'approchèrent  de 
Jésus,  afin  de  le  surprendre  dans  ses  paroles  ■ 
a  Maître,  lui  dirent-ils,  nous  savons  que  vous 
dites  la  vérité  et  que  vous  ne  faites  acception 
de  personne.  Ce  n'est  pas  à  la  figure  de  l'homme 
que  vous  regardez;  mais,  à  qui  que  ce  soit,  vous 
enseignez,  en    toute  vérité,  la    voie   de   Dieu. 
Dites-nous  donc,  s'il  est  permis,  oui  ou  non  de 
rendre  le  tribut  à  César.  »  Et  Jésus,  qui  con- 
naissait leur  duplicité  et  leur  malice,  leur  ré- 
pondit :  ce  Pourquoi  me  tentez-vous  ?  Apportez- 
moi  un  denier,  que  je  le  voie.  »  Ils  le  lui  appor- 
tèrent, et  le  Sauveur  leur  montrant  cette  pièce 
de  monnaie  :  «  De  qui  est  cette  image,  dit-il, 
et    cette    inscription?   —    De    César,    répon- 
dirent-ils. —  Eh  bien  !  rendez  donc  à  César  ce 
qui  est  à  CésarT  et  à  Dieu  ce  qui   est  à  Dieu.  >; 
Et  tousfurent  dans  l'étonnement  ' . 

La  duplicité  des  Pharisiens  et  des  Hérodieafc 

4.  Matth.,  cap.  xxn,  15-22. 


110  LE**  CARACTÈRË8  SACRAMENTEL* 

n'est  pas  le  vice  de  vos  cœurs  honnêtes,  Mes- 
sieurs, et  vous  ne  m'avez  jamais  tenté  par  des 
•questions  insidieuses.  Permettez-moi,   cepen- 
dant,  de  vous  demander,  comme  le  Sauveur, 
non  pas  un  denier,  mais  votre  âme.  De  qui  est 
l'image  et  l'inscription  que  je  vois  sur  elle? 
Cujus  est  imago  hœc  et  super scriptio?  Vous  ne 
vous  attendiez  pas  à  cette  question.  Ai-je  bien 
le  droit  de  vous  l'adresser?  Ai-je  bien  le  droit 
de  m'enquérir  des  mystères  qu'il  a  plu  à  Dieu 
de  cacher  au  plus  profond  de  votre  être?  Si, 
arrêtant  quelqu'un  d'entre  vous  sur  la  place 
publique  ou  dans  la  rue,  je  lui  demandais  son 
nom,  il  me  répondrait,  sans  doute,  que  je  n'ai 
pas  le  droit  de  l'interroger  ainsi  ;  et  il  poursui- 
vrait son  chemin,  bien  convaincu   que  je  suis 
un  homme  mal  élevé.  Mais,  nous  iie  sommes 
ni  sur  la  place  publique,  ni  dans  la  rue  ;  nous 
sommes  dans  une  église,  où  Jésus-Christ  a  le 
droit  de  vous  demander  compte  de  ses  dons  et 
de  ses  bienfaisantes   opérations.   C'est  en  son 
nom  que  je  vous    adresse  cette  question:  — 
«  Cujus  est  imago  hœc  et    superscriptio  ?  D<1 
qui  est  l'image,  l'inscription,  le  caractère  que 
.  porte  votre  âme?  » 


LES  CARACTÈRES   SACRAMENTELS  111 

Il  faut  me  répondre,  ou  plutôt,  non,  taisez- 
▼ous,  je  vais  répondre  pour  vous  :  —  Christil 
Tout  cela  est  du  Christ  !  Vous  portez  le  carac- 
tère du  Christ!  vous  le  portez,  incrusté  pro- 
fondément dans  l'incorruptible  substance  de 
votre  âme,  éternellement  ineffaçable,  afin  qu'il 
soit  bien  connu  de  tous  que  vous  êtes  à  lui. 
Le  caractère,  c'est  l'armoirie  sanglante  du 
Sauveur,  le  signe  de  sa  propriété  divine.  Il 
voit  cela  du  haut  des  cieux,  et,  vous  montrant  à 
ses  anges,  il  dit  :  «  Cette  âme  est  à  moi!  » 

En  doutez-vous,  Messieurs?  Ah!  vous  pourriez 
en  douter,  si,  pour  la  première  fois,  le  Christ  se 
montrait  à  vos  yeux  éblouis  et  venait  vous  par- 
ler en  maître  et  en  propriétaire.  Mais  il  y  a 
longtemps  que  ses  droits  sont  établis,  vous  le 
savez  aussi  bien  que  moi. 

Nous  sommes  à  Jésus-Christ,  parce  qu'il 
nous  a  créés.  Il  est  le  principe,  c'est-à-dire 
le  type  universel  et  infiniment  parfait  en  qui 
Dieu  voyait  éternellement  toutes  ses  œuvres  ; 
le  principe,  c'est-à-dire  le  Verbe  fécond  et  tout- 
puissant  par  qui  tout  a  été  fait  :  Per  ipsum  om~ 
nia  facta  sunt.  «  Avant  que  rien  ne  fût,  tout  était 
vie  en  lui:  Quod  factum  est  in  ipso  vita  erat.» 


1.12  LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS 

Il  a  retenti  sur  le  néant  :  tout  a  été  créé.  Et, 
lorsque,  revêtu  du  manteau  de  notre  nature,  il 
descendait  du  ciel  parmi  nous,  il  entrait  au  mi- 
lieu de  ce  qui  lui  appartenait  au  plushaut  titre, 
au  titre  d'auteur:  «  In  propria  venit  4.» 

Nous  sommes  à  Jésus-Christ,  parce  que  Dieu 
nous  a  donnés  à  lui.  Abaissé  au-dessous  des 
anges  par  l'Incarnation,  il  avait  besoin  d'une 
nouvelle  investiture  qui  saisît  de  ses  droits  éter- 
nels l'humanité  qu'il  avait  épousée.  Dieu  lui  a 
fait  dire,  par  un  de  ses  ancêtres  humains  :  «  De- 
mande-moi, je  te  donnerai  les  nations  en  héri- 
tage: Postula  a  me  et  dabo  tibi  gentes  hœre- 
ditatem  tuam*.»  Et  Jésus  a  demandé,  par  ses 
soupirs,  ses  gémissements,  ses  prières,  ses 
larmes.  Dieu  ne  pouvait  rien  refuser,  dit  l'Apô- 
tre, aux  humbles  respects,  ni  aux  cris  puis- 
sants qui  forçaient  les  portes  de  sa  miséricorde. 
Il  a  constitué  le  Verbe  fait  homme  héritier  de 
toute  choses.  «  Quem  constituit  hœredem  univer- 
sorum  »  3. 

Ainsi,  l'homme-Dieu  nous  possède  en  vertu 

1   Joan.,  cap.  i. 

2.  Psalm.  il. 

3.  .Heb.,  cap.  i,  2. 


LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS  113 

u une  simple  largesse?  Mieux  que  cela,  Mes- 
sieurs :  Nous  sommes  à  Jésus-Christ ,  parce  qu'il 
nous  a  rachetés.  Nos  âmes  souillées  par  le  pé- 
ché étaient  devenues  les  esclaves  de  la  justice 
divine.  Pour  les  arracher  à  ses  éternelles  ven- 
geances, il  fallait  y  mettre  le  prix,  un  prix  égal 
à  ia  majesté  infinie  que  le  péché  avait  outragée. 
Eh  bien  !  c'est  fait.  Jésus-Christ  a  offert  pour  nos 
âmes  les  mérites  de  sa  naissance  humiliée,  de 
sa  vie  laborieuse,  de  ses  opprobres,  de  sa  dou- 
loureuse Passion,  de  sa  mort  sanglante,  les  pé- 
nétrant, pour  les  rendre  aussi  grands  que  Dieu, 
de  sa  propre  infinité.  Et  l'Apôtre  a  pu  dire: 
Empti  estis prœtio  magno1. 

Nous  sommes  à  Jésus-Christ,  parce  qu'il  nous 
a  créés, parce  qu'il  nous  a  demandés,  parce  qu'il 
nous  a  rachetés  ;  mais  il  nous  possède  plus  inti- 
mement encore.  Il  nous  possède  parce  que  c'est 
lui  qui  nous  transmet  la  vïe  divine,  et  accroît 
ainsi  notre  nature  des  richesse  d'une  nature 
infinie  ;  il  nous  possède  par  la  voie  mystique  de 
l'incorporation,  c'est-à-dire  comme  le  tronc 
possède  sa  ramure,  comme  la  tête  d'un  corps 
en  possède  les  membres,  comme  je  possède  les 

1.  I  Cor.,  cap.  vi,  20. 

CONFÉRENCES   N.-D.    — ■    CARÊME    1883.     —     8 


114  LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS 

deux  mains  émues  qui  s'avancent  vers  vous, 
voudraient  prendre  vos  mains,  et  vous  dire  dans 
une  pieuse  étreinte  :  Chrétiens,  Chrétiens,  pen- 
sez-y donc,  vous  êtes  à  Jésus-Christ  î 

La  création,  la  donation,  la  rédemption.  Tin- 
corporation,  tels  sont  les  titres  du  Christ 
à  notre  possession  ;  et  Ton  s'étonnerait  qu'il  ait 
voulu  en  perpétuer  le  souvenir  par  des  signes 
authentiques  et  inaltérables  !  C'est  le  contraire, 
Messieurs,  qui  serait  étonnant.  Vous  êtes  bien 
propriétaires  de  quelque  chose,  par  conséquent 
vous  n'ignorez  pas  ce  que  fait  le  propriétaire 
quand  il  veut  que  tout  le  monde  sache  qu'une 
chose  est  à  lui.  Il  la  marque  de  son  chiffre  ou  de 
ses  armes.  S'il  prend  ainsi  la  peine  d'affirmer 
son  droit  sur  une  matière  corruptible,  je  ne  vois 
pas  pourquoi  leChrist,  maître  des  maîtres,  se 
priverait  d'affirmer  son  droit  de  propriété  sur 
nos  âmes  immortelles,  par  un  signe  qui  les  rende 
reconnaissables  aux  yeux  de  toutes  les  créatures 
appelées  à  constater  un  jour  l'héritage  du  Fils 
de  Dieu1, 


1.  Quando  quidem  et  muta  animalia  persîgnaculum 
ostendunt,  cujus  sit  unumquodque,  et  ex  signaculo 
vindicatur  :  sic  et  anima  fidelis,  quœ  veritatis  sigil- 


LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS  115 

Les  signes  sacramentels  ont  une  vertu  distino 
tive,  c'est  vrai;  mais  cette  distinction  n'est  que 
transitoire  et  tout  à  la  superficie  de  notre  être. 
Un  maître  comme  Jésus-Christ  se  devait  à  lui- 
même  quelque  chose  de  plus  profond  et  de 
plus  durable  :  c'est  le  caractère  sacramentel. 

Ce  caractère  n'est  point  une  simple  dénomi- 
nation, une  pure  relation,  ainsi  qu'on  l'a  pré- 
tendu; mais  une  véritable  inscription,  gravée 
dans  l'âme  humaine  par  la  pénétrante  vertu 
d'un  sacrement  qu'on  ne  peut  renouveler. 

«  Vous  êtes  marqués,  dit  l'Apôtre,  sigjiati 
estis.  »  Cette  marque,  bien  qu'invisible,  a  été 
reconnue  par  la  foi  de  tous  les  siècles  chrétiens. 
«  L'Esprit  de  Dieu,  dit  un  saint  Père,  convoque 
toute  la  milice  angélique,  afin  de  l'imprimer 
solennellement  dans  nos  âmes1.  »  Il  faut  bien 
que  les  esprits  célestes  sachent  où  est  la  pro- 

lum  accepit,  stigmata  Christi  portât.  Ovrœs  kai  rj  ^v^ 
Y)  tskjIï)  rà  rrjs  âXrjdeias  Aa^ovo-a  cr<pt)ayi(jp.tx  rà  ariy  [xa.ro. 
toO  Xptalov  izepiÇépst.  (In  Excerpt.  ex  Theod.  apud 
Clem.  Alex.,  n°86.) 

1.  Multis  angelicorum  exercituum  myriadibus  pra> 
sentibus  Spiritus  Sanctus  animas  vestras  obsignatu- 
ras  est.  Èvcbmov  pvpiâhav  o1  paicl  iwv  dyyéXcov'  péXXei  rà 
Flveûps  rà  âyiov  eÇpayfceiv  t/fxwr  ras  ^t/gà?.  (S.  Cyril. 
Hierosol.j  Catech.  m,  n°  3.) 


116  LES  CARACTÈRES  SACRAMF.NTEL3 

priété  du  Christ  qu'ils  doivent  administrer  et 
défendre  contre  ses  ennemis.  Il  faut  bien, 
qu'après  nous  être  reconnus  en  ce  monde  par 
les  signes  sacramentels,  nous  nous  reconnais- 
sions en  l'autre  par  le  chiffre  mystique  de  notre 
incorporation  à  la  famille  du  Christ.  Il  faut 
bien  que  nous  puissions  montrer  encore  que 
nous  appartenons  à  Dieu,  quand  les  signes  sen- 
sibles ne  pourront  plus  servir  de  protestation  à 
notre  foi l.  —  Le  caractère,  c'est  notre  circon- 
cision, la  grande,  la  vraie,  la  circoncision  du 
progrès  religieux  accompli,  dans  Ja  race 
humaine,  par  une  nouvelle  révélation2.  —  Le 
peuple  charnel,  comme  un  vil  troupeau,  était 
marqué  dans  sa  chair,  par  un  instrument  gros- 


1.  Nemo  te  cognoscet  ut  mm  noster  sis  an  hostium 
nisi  mysticis  tesseris  exhibeas  domesticitatem  (oIkhô- 
lijTOL.)  Quomodo  angélus  te  juvabit,  quomodo  eripiet 
ex  hostibus,  nisi  recognoscat  sigillum?  Quomodo  tu 
dicis  :  Dei  sum,  nisi  prae  te  feras  characteres  distin- 
guent^ ?(rà  yvcûpi<T(xoi7a)  (S.  Basil.,  in  s.  Baptism.  n°  5) 

2.  Nam  illic  corpons  praescripta  circumeisio... 
Quoad  ingens  est  illa  circumeisio  subsecuta,  baptis- 
mus  videlicet,  quo...  in  Dei  nomine  signamur.  Èxsï 
yip  rj   izeptTopr)...  ëù)s  rijs  (xeyàkrjs  'sreptTop.rjç,  tovtscttj 

TOÛ    pzr.-i>j<ti7.-'j;   TOS...    (Jppxy  :.<J1VT0>    YJ(JiÔLS   SIS    ÔVOUCt  BfiOW. 

(S.  Epiph.,  Hœres.}  v.,  n°  6.) 


LES    CARACTÈRES  SACRAMENTELS  11" 


sier  ;  le  peuple  spirituel  doit  être  marqué  dan^ 
son  esprit,  par  l'Esprit  *. 

«  Vous  êtes  marqués  par  l'Esp rit-Saint,  garant 
des  divines  promesses  :  Signati  estis  Spiritupro- 
missionis  sancto2.  Et  c'est  pour  toujours. —  Le 
caractère  sacramentel  est  non  seulement  une 
chose  sainte  et  salutaire 3,  c'est  une  chose  per- 
sistante, tenace,  indélébile,  d'une  durée  éter- 
nelle *.  —  Il  sert  à  reconnaître  partout  le  déser- 
teur de  l'armée  du  Christ 5  ;  mais,  si  le  déserteur 
rentre  dans  les  rangs,  ce  serait  un  sacrilège  de 
vouloir  le  marquer  de  nouveau,  la  trahison  n'a 

1.  Signati  fuerunt  etiam  Israelitae,  sed  circumci- 
sione  sicut  pecora  etbruta.  Nos  quoque  sumus  signati, 
sed  sicut  fîlii,  spiritu.  È(j<ppayt<jdr)<jav  xaï  oi  ItjparjXïtat, 
àAXà  tsspiTO(irjj  xadâirep  xaï  ta  fioa-xrjiiata  xai  ta  âXoya 
ècjppayfodyiÂev  xai  ï)\isïs,  àXXy  œs  viol,  tsvsvuclti.  (S.  Chry- 
sost.,  Homil.  ii.  in  Epist.  ad  Ephes.  n°2.) 

2.  Ephes.,  cap.  i,  13. 

3.  ZÇpatls  éfyia  xai  àAvroç.  (S.  Cyril.,  Procat,  n°  16.) 

4.  Zppccfis  àve^aXe/iTToç  ds  tous  atôvaç.  (ibid.).  "Ztppayis 
dvsrr/./spriToç.  (S.  Basil,  in  s.  Baptism.) 

5.  Obsignatus  es;  sicut  enim  militibus  sigillum.  ita 
et  fidelibus  spiritus  imponitur.  ut  etiam  si  desertor 
fugias,  omnibus  cognoscibilis  fias.  Kadànep  yàp  avpa- 
■zifaai'.q  cÇpafis,  ovtc*  xai  xof>  ts'.aloïs  zb  -orveOna  zKÏÏlBziai' 
xàv  Xzm1axlT)ar\s,  xa1âXr\Xos  fhrj  tsâon.  (S.  Chrysost,  in 
2  ad  Cor-,  Homil.  m,  n°  14 


113  LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS 

pu  effacer  son  caractère  f.  Encore  une  fois,  il 
est  perpétuel  et  incorruptible  comme  l'esprit 
dans  lequel  il  est  imprimé  2.  » 

Ce  n'est  pas  moi  qui  parle,  Messieurs,  c'est 
toute  la  tradition,  dont  la  belle  et  constante 
doctrine  .  a  traversé  les  âges  chrétiens,  des 
temps  apostoliques  au  concile  de  Trente  qui  l'a 
fixée  dans  cette  définition,  déjà  ébauchée  par  le 
concile  de  Florence  3  :  «  Si  quelqu'un  nie  que 
les  trois  sacrements  de  Baptême,  de  Confirma- 
tion et  d'Ordre  impriment  dans  l'âme  humaine 
un  caractère,  c'est-à-dire  un  signe  spirituel  et 
indélébile,  qui  empêche  de  les  renouveler,  qu'il 
soit  anathème  4.  » 

1.  Tene  ergo  quod  accepisti ,  non  mutatur  sed  agnos- 
citur  :  characterest  régis  mei  non  erosacrilegus;  cor- 
rigo  desertorem,  non  immuto  characterem.  (S.  Aug. 
Tract,  vi,  in  Joan,  ne  16). 

2.  Manifestum  est  quod  sicut  intellectus  perpe- 
tuus  estet  incorruptibles  ita  cba?acter  indebiliter  manet 
in   anima.  (Summ.  Theol  ,  III  P.,  queest.  63,  a.  5.) 

3.  Inter  heec  sacrameDta,  tria  sunt,  baptismus,  con- 
firmaîio  et  ordo,  quae  char.'icterem,  id  est  spiritale 
quoddam  signum  acaeteris  distinctivum  imprimunt  in 
anima  indelibile  ;  unde  in  eadem  persona  non  reite- 
rantur  :  reliqua  vero  quatuor  characterem  non  im- 
primunt, et  reiterationem  accipiunt.  (Con.  Fior.,  In 
decreto  unionis.) 

4.  Si  quis  dixerit,  in  tribus   sacramentis,  baptisrao 


LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS  119 

Et  maintenant,  vous  croyez  peut-être  que  j'ai 
tout  dit?  Détrompez-vous,  je  n'ai  rien  dit  encore, 
rien,  du  moins,  d'intime  et  de  profondeur  cette 
si  grande  chose  que  l'Église  appelle  le  caractère 
sacramentel.  Je  l'ai  considéré  comme  un  signe 
indélébile  qui  modifie  notre  âme  ;  ce  n'est  que 
l'écorce  de  l'enseignement  théologique.  Per- 
mettez-moi de  déchirer  cette  écorce,  et  de  vous 
mettre  en  présence  de  nouveaux  mystères  qui 
pourront  vous  étonner,  mais  qui,  bien  entendus, 
auront,  dans  votre  vie  pratique,  un  salutaire 
retentissement. 

Je  savais  bien  que  le  caractère  sacramentel 
est  un  signe  indélébile  qui  modifie  notre  âme  et 
atteste  la  prise  de  possession  de  notre  maître 
Jésus-Christ.  Mais,  à  ce  compte,  il  suffît  qu'un 
premier  sacrement ,  celui  qui  nous  enfante  à  la  vie 
surnaturelle,  grave  en  nos  âmes  le  chiffre  divin 
auquel  on  reconnaît  la  propriété  du  Christ.  Or, 
comme  trois  sacrements  :  le  Baptême,  la  Con- 
firmation, l'Ordre,  impriment  un  caractère,  j'ai 

scilicet,  confîrmatione,  et  ordine,  non  imprimi  cha- 
racterem  iri  anima,  hoc  est  signumquoddamspiritale, 
et  indelibile,  unde  et  iterari  non  possunt,  anathemi 
ait.  (Conc.  Trid.,  sess.  vu,  can.  9.) 


120  LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS 

demandé  à  saint  Thomas,  qui  ne  me  trompe 
jamais,  s'il  n'y  avait  pas  quelque  chose  de  plus, 
et  saint  Thomas  m'a  répondu  deux  fois. 

Une  première  fois  :  «  Character  est  distinctio  a 
charactere  œterno  impressa  animœ  rationali,  se- 
cundum  imaginem  consignans  trinitatem  creatam 
tr'mitati  creanti  et  recreanti,  etdistingitens  a  non 
configuratisi  :  Le  caractère  est  une  distinction 
imprimée  dans  l'âme  raisonnable,  configurant 
cette  trinité  créée  à  la  Trinité  créatrice  et  régé- 
nératrice, et  la  séparant  de  ceux  qui  ne  sont  pas 
configurés.  » 

Une  seconde  fois  :  «  Character  est  spiritualis 
potestas perficiens  hominem  divinum  et  communi- 
catorem  divinorum,  in  quantum  deputatur  ad 
cultum  Dei  secundum  ritum  christianœ  reli- 
gionis 2  :  Le  caractère  est  une  puissance  spiri- 
tuelle, perfectionnant  l'homme  devenu  divin  et 
participant  des  choses  divines,  en  tant  qu'il  est 
appliqué  au  culte  de  Dieu,  selon  le  rite  de  Ja 
eligion  chrétienne.  » 

Evidemment,  Messieurs,  en  entendant  ces  ma 
gnifiques  définitions,  vous  devez  comprendre  que 

1.  Summ.  Theol.,  III  P.,  queest.  63,  a    % 

2.  Ibid.,  a.  2.  (cf.  tôt.  corp.  articuli.) 


LES  CARACTÈRES    SACRAMENTELS  121 

je  n'ai  rien  dit  encore  et  qu'il  y  a  dans  le  carac- 
tère sacramentel  beaucoup  plus  qu'un  signe  in- 
délébile. Quoi  donc?  — Une  physionomie  et 
une  puissance. 

Écoutez  bien.  Si  vous  n'êtes  ni  païens,  ni 
juifs,  ni  mahométans,  vous  possédez,  dans  le 
noble  esprit  où  s'élaborent  vos  pensées,  où 
naissent  vos  desseins,  d'où  jaillissent  vos  affec- 
tions, une  «physionomie  et  une  puissance  que 
ne  vous  a  point  données  la  nature.  Qui  de  vous 
s'en  doutait? —  Ma  question  n'est  pas  un  re- 
proche, croyez-le  bien,  car  je  vous  déclare  naïve- 
ment que,  moi-même,  j'ai  ignoré  pendant  long- 
temps ce  grand  honneur,  bien  que  j'eusse  toutes 
sortes  de  raisons  pour  le  connaître.  Mais,  bref, 
vous  avez  tous  une  physionomie  mystique,  une 
puissance  suréminente:  c'est  le  caractère  sacra- 
mentel, qui  me  fait  vous  appeler  chrétiens,  lors 
même  que  vous  n'en  êtes  plus  dignes  ;  comme 
la  physionomie  et  la  puissance  dont  se  compose 
votre  caractère  moral  me  fait  encore  vous  ap- 
peler des  hommes,  lorsque  vous  vous  êtes  désho- 
norés par  quelque  bassesse. 

Remarquez  bien,  je  vous  prie,  l'emploi  que 
nous  faisons  du  même  mot  dans  notre  langage 


122  LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS 

profane  et  dans  notre  langage  sacré.  Cela  tient 
à  des  analogies  qui  nous  révèlent  l'harmonie  de 
notre  vie  extérieure  et  de  notre  vie  intime.  Vous 
dites  d'un  homme  qu'il  a  du  caractère.  Com- 
ment le  savez-vous?  Si  vous  avez  contemplé,  de 
près  ou  de  loin,  les  phases  agitées  de  son  exis- 
tence, si  vous  l'avez  vu  se  débattre  en  de  grandes 
luttes,  travailler  avec  un  indomptable  courage 
au  triomphe  de  ses  desseins,  traverser  intrépide- 
ment tous  les  obstacles,  succomber  enfin  sous 
les  coups  de  la  force  qu'il  méprise,  ou,  couronné 
de  gloire,  se  reposer  sous  des  trophées,  à  la 
bonne  heure  !  Oui,  cet  homme  a  du  caractère. 
Vous  pouvez  dire  cela,  sans  hésiter,  de  tous  les 
grands  saints,  de  tous  les  grands  pontifes,  de 
tous  les  grands  capitaines,  de  tous  les  grands 
législateurs,  de  tous  les  grands  magistrats,  et 
même  de  tous  les  grands  monstres  historiques, 
aussi  bien  que  de  ceux  que  vous  fréquentez. 

Mais,  un  homme  que  vous  rencontrez  une  pre- 
mière fois  et  que  vous  ne  verrez  bientôt  plus, 
un  homme  qui  ne  s'est  arrêté  qu'un  quart 
d'heure  devant  vous,  un  tout  petit  homme  que 
votre  taille  domine  <t  que  vous  regardez  de 
haut,  vous  dites   de    lui  :  Il  a   du   caractère. 


LES   CARACTÈRES  SACRAMENTELS  123 

Comment  le  savez- vous?  Vous  ie  savez  par  les 
sondaines  révélations  de  sa  physionomie.  —  Un 
front  bas  et  fuyant,  des  yeux  ternes,  des  traits 
flasques,  des  lèvres  molles  et  languissantes,  ce 
n'est  pas  ce  que  vous  avez  vu.  Vous  avez  vu  un 
front  noble  comme  le  frontispice  d'un  monu- 
ment; des  yeux  qui  étincelaient  et  entraient 
dans  vos  yeux,  comme  le  jet  rapide  de  l'électri- 
cité ou  comme  un  rayon  de  soleil;  des  traits 
fortement  burinés  ;|  des  lèvres  fermes  ;  en  un 
mot,  vous  avez  vu  une  physionomie,  cette  phy- 
sionomie vous  a  révélé  une  puissance;  et,  alors, 
vous  avez  dit  :  Cet  homme  a  du  caractère,  car 
qui  n'a  pas  de  puissance  n'a  pas  de  physiono- 
mie, qui  n'a  ni  physionomie  ni  puissance  n'a 
pas  de  caractère.  Or,  Messieurs,  ce  phénomène 
de  notre  vie  extérieure  est  reproduit  analogi- 
quement dans  notre  vie  intime  par  la  vertu  des 
sacrements,  car  le  caractère  sacramentel  se 
compose  aussi  de  physionomie  et  de  puissance. 
D'où  nous  vient-il?  «  Du  caractère  éternel, 
dit  saint  Thomas,  charactere  œterno  impressa;  » 
c'est-à-dire  de  celui  qui  est  éternellement  dans 
les  cieux  la  rassemblant  infinie  de  l'infini, 
l'image  substantielle  du  Père  qui  l'engendre,  et , 


124  LES  CARACTÈRES    SACRAMENTELS 

si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  la  physionomie  de 
Dieu  :  le  Verbe.  C'est  Lui  !  Lui,  le  plus  grand  des 
artistes  puisqu'il  les  inspire  tous;  Lui,  le  plus 
puissant  des  moteurs;  Lui,  la  plus  vive  des 
forces;  c'est  Lui  qui,  plus  vigoureusement  que 
l'acide  dans  les  métaux,  mord  dans  notre  âme, 
pour  y  graver  son  chiffre  et  configurer,  par  voie 
d'image  et  de  ressemblance,  notre  trinité  créée 
à  la  Trinité  créatrice  et  régénératrice. 

Déjà,  l'acte  créateur  nous  configure  à  notre 
divin  principe;  l'activité  libre,  l'intelligence, 
l'amour,  sont  la  ressemblance  de  Dieu,  imprimée 
dans  nos  âmes  par  le  Verbe.  Mais,  sous  la  péné- 
trante action  du  caractère  éternel  travaillant  à 
nous  communiquer  une  nouvelle  vie,  de  nou- 
veaux traits  s'ajoutent  à  ceux  de  la  nature  et 
donnent,  à  chaque  chrétien,  une  physionomie 
nouvelle,  qui  le  rapproche  davantage  du  type 
trinitaire  et  le  fait  mieux  reconnaître  comme 
son  œuvre.  C'est  ur>e  sorte  de  photographie  sur- 
naturelle, que  font  éclore  la  vive  lumière  et  les 
chaudes  ardeurs  du  soleil  des  âmes,  dans  la 
matière  sacrée  que  l'Église  répand  sur  nous. 
La  matière  passe,  l'image  demeurent  nous  dis- 
tingue mystiquement  du  reste  dç  l'humanité, 


LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS  125 

mieux  que  la  noblesse  des  traits  et  certaines  ori- 
ginalités de  formes  ne  distinguent,  du  reste  des 
peuples,  les  familles  historiques. — Grâce  à  notre 
caractère  sacramentel,  le  monde  saura  éternel- 
lement qu  après  avoir  reçu  l'existence  et  la  vie 
du  Dieu-Un,  dont  notre  être  d'emprunt  et  nos 
perfections  bornées  révèlent  1  être  nécessaire  et 
les  perfections  infinies,  nous  avons  été  engendrés 
à  nouveau  par  le  Dieu-Trinité,  dont  notre  phy- 
sionomie surnaturelle  est  l'indélébile  ressem- 
blance. 

Le  caractère  sacramentel  est  donc  une  phy- 
sionomie ;  mais,  sachez-le  bien,  cette  physio- 
nomie ne  nous  est  pas  donnée  uniquement 
comme  signe  distinctif;  elle  est  la  révélation 
d'une  puissance  :  puissance  toute  spirituelle  qui 
nous  ordonne  perfectivement  au  culte  divin, 
selon  les  coutumes  sacrées  de  la  vie  chrétienne. 
Ce  qui  veut  dire,  Messieurs,  que  l'homme  chré- 
tien est  appelé  à  accomplir  des  actes  qui  ne 
conviennent  qu'à  lui,  et  que,  pour  accomplir  ces 
actes,  les  sacrements  lui  confèrent  une  puis- 
sance, droit  radical,  auquel  Dieu  vient  en  aide 
quand,  de  la  puissance,  il  faut  passera  Tac- 
lion. 


126  LES  CARACTÈRES    SACRAMENTELS 

«  Ce  droit,  dit  Saint-Thomas,  est  une  dériva ti-n 
du  droit  sacerdotal  de  Jésus-Christ1.»  Nous 
l'avons  vu,  ce  grand-prêtre  de  la  loi  nouvelle, 
se  substituer  au  sacerdoce  figuratif  de  l'ancien 
testament.  Nous  avons  admiré  l'excellence  de 
son  sacerdoce,  dans  le  choix,  Fonction,  les 
qualités  suréminentes  de  sa  personne,  l'am- 
pleur, la  simplicité,  l'efficacité  de  ses  fonctions, 
la  perpétuelle  durée  de  son  ministère.  Une  suc- 
cède à  personne,  mais  un  serment  solennel  de 
Dieu  détermine  et  fixe  sa  médiation  ;  l'onction 
delà  divinité  le  pénètre  à  l'heure  même  où  il 
est  conçu,  et  sa  sainteté  substantielle  lui  per- 
met de  ne  demander  à  aucun  rite  la  pureté 
dont  le  prêtre  a  besoin  pour  se  mettre  en  rap- 
port avec  Dieu.  L'immensité  est  son  temple. 
Il  ne  lui  faut  qu'une  seule  hostie  et  un  seul  sa- 
crifice. Aussi  parfait  que  celui  près  de  qui  il 
représente  la  création,  il  donne  à  Dieu  tout  ce 
qu'il  peut  désirer  de  l'humanité,   à  l'humanité 

1.  ManifeS'Umestquotioharaciersacramentahsspe- 
ciahter  est  character  Christi,  cujus  sacerdotio  ccmfigu- 
rantur  fidèles,  secundum  sacrameatales  characieres, 
quinihil  aliud  surit  quam  quœdam  participationes  sa- 
cerdotii  Christ»,  ab  ipso  derivaîse.  (Summ.  Theol.,  lii 
P.,  quœst.  63,  a.  3. 


LES  CARACTÈRES    SACRAMENTELS  127 


tout  ce  qu'elle  peut  désirer  de  Dieu;  et  cela, 
pour  toujours  :  in  seternam.  En  un  mot,  il  est  le 
sacerdoce  tout  entier,  personne  ne  le  remplace. 

Mais  admirez,  Messieurs,  sa  miséricordieuse 
bonté.  Si  personne  ne  le  remplace,  tous  sont 
appelés  à  la  participation  de  son  sublime  minis- 
tère, comme  tous  sont  appelés  à  la  participa- 
tion de  sa  perfection.  Il  a  fait  de  nous,  dit 
l'Apôtre,  une  race  choisie,  une  nation  sainte  : 
genus  electum,  gens  sancta.  Le  caractère  sacra- 
mentel, physionomie  divine,  est  le  signe  indélé- 
bile de  notre  élection  ;  et,  lors  même  que  nous 
avons  perdu  la  grâce  qui  nous  sanctifie,  il  at- 
teste encore  que  nous  sommes  destinés  à  la 
sainteté.  Mais,  il  y  a  plus:  le  Christ  a  fait  de  nous 
un  royal  sacerdoce:  regale ■  sacerdotium  l ,  et 
c'est  par  le  caractère  sacramentel  qu'il  écoule 
en  nous  sa  puissance  sacerdotale. 

Ne  voyez-vous  pas,  avec  moi,  trois  choses  dans 
le  sacerdoce  du  Christ?  Centre  du  mouvement 
religieux  qui  unit  le  ciel  à  la  terre,  il  reçoit  de 
Dieu  et  de  l'humanité  toutes  les  choses  sacrées  ; 
il  en  est  le  témoinle  plus  éloquent  elle  plus  puis- 

1.  I  Petr.,  cap.  n,o. 


128  LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS 

sant  défenseur;  il  les  donne  avec  une  souveraine 
autorité  et  une  libéralité  infinie.  Or,  à  ces  trois 
choses  nous  devons  participer.  Mais,  pour  cha- 
cune d'elles,  pour  recevoir  les  choses  sacrées, 
pour  en  être  le  témoin  et  le  défenseur,  pour  les 
donner,  il  faut  une  puissance.  Qu'à  cela  ne 
tienne.  Trois  sacrements  :  le  Baptême,  la  Con- 
firmation, l'Ordre,  nous  impriment  un  carac- 
tère, et  nous  configurent  ainsi  à  notre  grand- 
prêtre  par  la  communication  progressive  de  son 
pouvoir  sacerdotal. 

L'homme  vient  d'être  baptisé.  Le  caractère 
le  consacre.  Il  est  prêtre  ;  mais,  seulement,  pour 
recevoir  les  choses  sacrées.  Il  les  demanderait 
en  vain,  si  le  caractère  sacramentel  ne  creusait 
son  âme,  comme  on  creuse  les  canaux  par  oî> 
l'on  veut  faire  passer  les  eaux  d'un  grand  fleuve. 
Dans  le  lit  fraîchement  ouvert  et  cimenté  par  la 
force  initiatrice  du  Baptême,  la  vie  divine,  quel- 
que forme  qu'elle  prenne  pour  nous  purifier, 
nous  perfectionner,  nous  sanctifier,  peut  couler 
à  pleins  bords.  Le  baptisé,  en  vertu  de  son  carac- 
tère, a  droit  à  toutes  ses  largesses,  à  tous  ses 
bienfaits.  A  l'heure  où  la  vie  surnaturelle  a 
besoin  de  ses  accroissements,  il  peut  dire  :  â 


LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS  129 

moi  l'Esprit-Saint  et  ses  dons.  S'il  se  sent  dé- 
faillir, si  son  âme  affamée  ne  se  peut  plus  soute- 
nir que  par  la  vertu  dun  aliment  divin,  il  de- 
mande le  corps  du  Christ  et  personne  ne^  peut 
le  lui  refuser.  A-t-il  perdu  la  grâce  :  son  repen- 
tir implore  une  miséricordieuse  sentence  qui  la 
lui  rend.  En  face  de  la  mort, il  a  droit  à  l'onction 
sainte  qui  fortifie  son  âme  pour  le  suprême  com- 
bat et  achève  la  purification  de  toutes  les  souil- 
lures de  sa  vie.  S'il  veut  devenir  chef  de  famille, 
la  bénédiction  du  ciel,  qu'il  réclame,  affermit 
les  liens  qui  unissent  son  cœur  à  un  autre  cœur, 
sa  chair  à  une  autre  chair.  S'il  se  sent  appelé  aux 
plus  hautes  fonctions  de  la  vie  chrétienne,  Dieu 
ne  lui  refuse  pas  la  consécration  privilégiée  qui 
complète  sa  configuration  au  pontife  divin,  dont 
la  puissance  sacerdotale  lui  a  déjà  été  commu- 
niquée par  le  Baptême.  Finalement, le  caractère 
baptismal,  initiation  du  sacerdoce  chrétien,  est 
uue  puissance  passive,  par  laquelle  l'âme  régé- 
nérée devient  apte  à  recevoir  toutes  les  choses 
sacrées. 

Le  chrétien  vient  d'être  confirmé.  Un  nou- 
veau caractère  le  consacre.  Il  est  prêtre,  non 
plus  seulement  pourrecevoir  les  choses  sacrées, 

CONFÉRENCES    N.-D.    — «    CAKFME    1883.    —    9 


130  LE»  CARACTERES  SACRAMENTELS 

mais  pour  leur  rendre  hommage  par  un  témoi- 
gnage public  et  d'héroïques  combats.  La  vérité 
reçoit-elle  du  mensonge  de  mortelles  blessures? 
«  Le  confirmé,  dit  saint  Thomas,  aie  pouvoir 
de  protester  en  sa  faveur  par  la  solennelle 
confession  de  sa  foi;  c'est  son  office  :  Confir- 
matus  accipit  potestatem  publiée  fidem  Christi 
verdis  profitendi,  quasi  ex  officia  *.  »  Les 
ennemis  de  la  foi  deviennent-ils  persécuteurs? 
«  Le  confirme  a  le  pouvoir  de  soutenir  et 
même  d'engager  contre  eux  une  lutte  spirituelle , 
dans  laquelle  les  coups  qu'il  reçoit  sont  autant 
de  victoires  :  Confirmatus  accipit  potestatem  ad 
agendum  eaqux  pertinent  ad  pugnarn  spiritua- 
lem  contra  hostesfidei1.  »  Prêtre-soldat,  il  reçoit, 
du  caractère  sacramentel,  le  droit  et  le  pouvoir 
de  protéger  les  choses  sacrées  jusqu'au  martyre 
et  de  les  rendre  plus  vénérables  aux  yeux  de  la 
postérité  chrétienne,  qui  y  verra  les  traces  de 
son  sang. 

Le  chrétien  vient  d'être  ordonné.  Un  dernier 
caractère  le  consacre  :  son  sacerdoce  est 
achevé.   Il  reçoit,  il  témoigne,  il  combat,  il 

1.  Summ.  Theol,  III  P.,  quœst.  72,  a.  5,  ad.  2. 

2.  Ibid.  a.  5,  c 


LES  CARACTSnrft  SACRAMENTELS  Ï3l 

protège,  il  couronne  les  premiers  offices  delà 
puissance  sacerdotale,  par  l'effusion  des  choses 
sacrées.  Son  caractère  les  lui  met  toutes  entre 
les  mains,  pour  qu'il  les  donne.  Au  nom  du  Pon- 
tife éternel,  dont  il  remplit  les  fonctions,  il 
appelle  autour  de  lui  le  peuple  et  lui  dit  :  —  Je  te 
baptise,  je  te  marque,  jeté  pardonne,  je  te  bénis, 
reçois  l'Esprit  de  Dieu,  reçois  le  corps  du  Christ. 
Peuple,  viens  ici  ;  de  prêtre,  à  prêtre,  nous  allons 
exercer  nos  pouvoirs  sacerdotaux.  Tu  veux  les 
choses  sacrées,  car  tu  as,  pour  me  les  demander, 
un  caractère.  Les  voici!  Un  caractère  les  a 
mises  entre  mes  mains,  je  te  les  donne  ;  —  et  le 
peuple  reçoit  ce  qu'il  demande  ;  les  caractères 
s'embrassent,  les  puissances  se  consomment 
Tune  par  l'autre  ;  le  sacerdoce  du  Christ  est 
complet  dans  son  corps  mystique. 

J'ai  dit,  Messieurs,  tout  ce  que  je  savais  d'in- 
time et  de  profond  sur  le  caractère  sacramentel. 
Voyons  maintenant  à  quoi  il  nous  oblige. 


132  LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS 


If 


L'inscription  du  caractère  dans  nos  âmes  ne 
peut  pas  être,  de  la  part  de  Dieu,  l'acte  d'un 
bon  plaisir  sans  but,  un  honneur  stérile  qu'il 
nous  confère.  C'est  un  acte  et  un  honneur 
d'où  résultent,  pour  nous,  les  plus  graves  et  les 
plus  saintes  obligations.  Ces  obligations,  je  les 
réduis  à  deux  :  Le  respect  du  droit  de  Jésus- 
Christ  et  de  notre  physionomie  divine  ;  l'action 
de  notrs  puissance  sacerdotale. 

Vous  n'ignorez  pas,  Messieurs,  que  le  respect 
du  droit  est  la  racine,  le  fondement  de  toute 
justice,  l'indispensable  garantie  de  tout  ordre 
ici-bas.  Le  droit  forme,  autour  de  chacun  de 
nous,  comme  un  rempart  qu'on  ne  peut  pas  pren- 
dre d'assaut  sans  devenir  criminel.  Si  l'homme 
n'avait  pas  de  droits,  il  serait  à  la  merci  de 
toutes  les  audaces  et  de  toutes  les  violences, 
victime  méprisable  ou  bourreau  glorieux,  car 
l'estime  et  la  gloire  n'auraient  pas  d'autre  me- 
sure que  la  force.  Aussi  vous  entends  ^je  dire, 
à  chaque  instant  :  Respect  au  droit. 

Entre  tous  les  droits,  il  en  est  un  dont  vous 


LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS  13S 


tous  montrez  particulièrement  jaloux  :  c'est  le 
droit  de  propriété.  Tout  ce  qui  la  menace  vous 
épouvante  et  vous  indigne,  et  vous  ne  vous  faites 
pas  faute  d'appeler  misérables  et  scélérats  ceux 
qui  convoitent  vos  biens  et  en  annoncent  la  pro- 
chaine curée.  J'en  suis  content,  car  je  vais  vous 
juger  par  votre  propre  bouche,  mauvais  servi- 
teurs d'un  maître  dont  vous  méconnaissez  à 
chaque  instant  les  droits  :  «  Ex  ore  tuo  te 
judico,  serve  nequam.  » 

Jésus-Christ  vous  possède  à  titre  de  création, 
de  donation,  de  rédemption,  et  d'incorporation. 
Un  signe  ineffaçable,  son  chiffre  éternel,  atteste 
sa  propriété.  Respectez- vous  cette  propriété  ?  0 
malheur!  Il  y  a  des  chrétiens  qui  ont  complète- 
ment perdule  souvenir  du  sacrement  qui  les  a  en- 
gendrés à  la  vie  surnaturelle,  et  sont  retournés 
tout  entiers,  corps  et  âme,  à  la  nature.  —  N'avoir 
plus  d'autre  règle  que  leur  propre  jugement, 
leurs  désirs,  leurs  caprices,  leurs  appétits,  c'est 
leur  orgueilleuse  prétention.  Ils  sont  à  eux- 
mêmes  leur  maître,  leur  Dieu.  Et,  pourtant,  ils 
sont  marqués,  toujours  marqués  d'un  chiffre 
qui  n'est  pas  le  leur  :  le  chiffre  de  Jésus-Christ. 

Nous  sommes  à  Jésus-Christ I  Et  il  y  a  des 


134  LES  CARACTERES   SACRAMENTELS 

chrétiens  qui  se  jettent,  ivres  d'illusions,  avides 
d'honneurs  et  de  joie,  entre  les  bras  du  monde 
et  se  laissent  emporter  par  l'infernal  tourbillon 
des  affaires,  du  jeu  et  des  plaisirs.  Là  sont  étouf- 
fées toutes  les  bonnes  pensées,  toutes  les  saintes 
aspirations;  là  s'énerve,  tombe,  se  meurtrit  et 
expire  la  vertu  ;  là  on  devient  mondain,  c'est-à- 
dire  l'esclave  du  plus  impitoyable  des  tyrans. 
Et,  pourtant,  cet  esclave  est  marqué,  toujours 
marqué  d'un  chiffre  qui  n'est  pas  celui  du 
monde  :  le  chiffre  de  Jésus-Christ. 

Nous  sommes  à  Jésus-Christ!  Et  il  y  a  des 
chrétiens  qui  ne  rêvent,  pour  remplir  leur  cœur, 
que  l'amour  des  créatures:  idoles  d'or,  d'argent, 
de  terre,  de  chair  et  d'os.  Ils  les  embrassent,  les 
étreignent,  y  demeurent  fixés  comme  au  terme 
suprême  de  leur  existence.  Le  ciel,  pour  eux, 
n'est  plus  là-haut  où  les  attend  le  Maître  divin 
qui  les  possède  à  tant  de  titres;  il  est, ici-bas,  sur 
ces  terrains  mouvants  où  l'humanité  voit  crouler, 
du  jour  au  lendemain,  les  tentes  de  son  pèleri- 
nage. Chose  abominable  !  Il  y  a  des  chrétiens  qui 
se  jettent  à  genoux  devant  une  créature  et  osent 
pousser,  à  ses  pieds,  des  blasphèmes  et  des  cris 
sarrilpïres  ;  lui  dire,  pntre  Ips  «spa^mps  d'une  aveu- 


LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS  135 


gle  passion:  Je  t'aime  Je  t'adore,  je  suis  àtoi\ 
Et,  pourtant,  ces  êtres  avilis  sont  marqués,  tou- 
jours marqués  d'un  chiffre  qui  n'est  pas  celui 
de  la  créature:  le  chiffre  de  Jésus-Christ  ! 

Rentrez  en  vous-mêmes,  Messieurs,  et  jugez- 
vous.  N'y  a-t-il  pas,  depuis  longtemps,  dans  votre 
vie,  d'odieux  larcins  qui  vous  rendent  indignes 
de  réclamer  le  respect  du  droit?  L'injustice  sa- 
crilège dont  vous  vous  rendez  si  facilement  cou- 
pables prime  toutes  les  injustices.  Et,  quand,  par 
votre  faute,  je  retrouve  chaque  jour  votre  carac- 
tère sacramentel  entre  des  mains  qui  ne  sont 
pas  celles  de  votre  maître  Jésus-Christ,  je  me 
demande  si  vous  avez  bien  le  droit  d'appeler  mi- 
sérables ceux  qui  désireraient  faire  passer,  à 
leur  avoir,  vos  meubles  et  votre  argenterie 
marqués  de  votre  chiffre  et  de  vos  armes. 

Respect  aux  droits  du  Christ  !  Respect  aussi  à 
votre  physionomie  divine  !  Respect  à  cette  pho- 
tographie sacrée  qui  représente,  dans  votre  tri- 
nité  créée,  la  Trinité  créatrice  et  régénératrice  ! 
Toute  image  vénérable  a  droit  à  nos  respects. 
Où  trouver  une  image  plus  vénérable  que  celle  de 
Dieu,  imprimée  dans  vos  âmes  par  le  caractère 
sacramentel?  Ce  n'est  pas  Dieu  lui-même,  mais 


i?S  LES    CARACTÈRES    SACRAMENTELS 

ce  sont  les  traits  de  sa  face  adorable.  C  est 
à  cela  qu'Use  reconnaît,  quand  il  daigne  nous  vi- 
siter par  la  grâce  ;  c'est  à  cause  de  cela  qu'il 
nous  sourit,  comme  le  père  sourit  à  l'enfant 
chez  qui  il  rencontre  son  portrait.  —  Les  por- 
traits î  Petites  images  1  Petits  souvenirs  de  nos 
amours  suspendus  aux  parois  de  nos  demeu- 
res !  Nous  les  regardons  avec  des  pleurs  dans 
les  yeux,  et,  dans  cette  touchante  contempla- 
tion, nous  laissons  parler  notre  cœur  atten- 
dri. —  Père,  mère,  enfants,  amis,  comme  nous 
nous  sommes  aimés  pendant  les  jours  trop 
courts  de  cette  vie  !  La  mort  vous  a  ravis  à  nos 
embrassements.  Mais  vous  n'êtes  pas  oubliés. 
Dans  ces  restes  fragiles  de  vos  traits  chéris, 
dans  cette  physionomie  que  la  lumière  a  fixée, 
nous  vous  respectons,  nous  vous  aimons  encore. 
—  Si,  pendant  que  nous  nous  livrons  à  ces  ten- 
dres épanchements,  une  main  maladroite  ou 
malveillante  s'approchait  pour  souiller  ou  bri- 
ser le  cher  et  dernier  souvenir  de  nos  amours, 
ne  la  repousserions-nous  pas  avec  une  sainte 
colère. 

Gardez  pour  vous  cette   colère,    Messieurs, 
vousenavez  besoin;  car,  chaque  jour,  vous  souil- 


LES    CARACTÈRES    SACRAMENTELS  137 

lez,  vous  mutilez  le  cher  souvenir  de  Dieu,  sa 
physionomie  fixée  dans  vos  âmes  par  le  soleil 
éternel.  L'invétération  des  habitudes  criminel- 
les, le  mauvais  vouloir  qui  prolonge  votre  impé- 
nitence, autant  d'injures  faites  à  votre  carac- 
tère sacramentel.  Vous  ne  pourrez  jamais  effa- 
cer le  chiffre  de  Dieu  ni  ses  traits;  mais,  sur  le 
signe  de  la  propriété  du  Christ,  vous  étalez  le 
signe  du  vol;  sur  l'image  de  Dieu,  des  diffor- 
mités morales  qui  rappellent  la  physionomie  de 
l'ange  déchu,  et  que  saint  Jean  appelle,  si  pro- 
fondément et  si  énergiquement,  le  caractère  de 
la  bête  :  Characterem  bestiœ.  Dieu  ne  vous  perd 
pas  de  vue.  Quoi  que  vous  fassiez,  il  vous  recon- 
naît toujours  pour  vos  pardonner  et  restaurer 
son  œuvre,  tant  que  vous  voyagerez  encore  sur 
des  chemins  où  le  repentir  est  possible  ;  pour 
châtier  éternellement  votre  infidélité,  éternel- 
lement attestée  par  le  caractère,  quand  vien- 
dra le  jour  des  grandes  répudiations,  le  jour  où 
celui  qui  vous  a  imprimé  ses  traits  refusera  le 
baiser  d'amour  et  de  paix  aux  lépreux  de  Satan. 
Jefînis,  Messieurs.  — En  vous  imposantl'obli- 
gation  du  respect,  le  caractère  sacramentel  vous 
impose  aussi  l'obligation  de  Faction. 


138  LES  CARACTÈRES  SACRAMENTELS 

Agir  doit  être  un  besoin  pour  quiconque  se 
sent  une  puissance.  Cela  est  si  vrai  que  nous  ne 
supportons  pas  les  natures  indifférences  et  lâ- 
ches, chez  qui  les  plus  riches  facultés  demeurent 
vides  et  inefficaces.  Mais,  voyez  notre  inconsé- 
quence !  ce  qui  attire  notre  attentionné  qui  pro- 
voque notre  impatience  et  nos  dédains,  quand 
il  s'agit  des  dons  naturels,  semble  nous  échapper 
entièrement,  quandils'agit  desdons  surnaturels. 
Le  caractère  sacramentel  est  une  puissance,  et 
nous  le  laissons  dormir  dans  l'inaction,  lors  même 
que  les  lois  de  Dieu  et  de  l'Église  nous  font  une 
obligation  de  nous  en  servir.  D'autant  plus  cou- 
pables, en  cela,  que  nous  comprenons  fort  bien  la 
logique  pratique  du  caractère,  là  où  Dieu  l'a  mis 
dans  sa  plénitude.  Quand  nous  voyons  un  prêtre 
oublier  sa  consécration,  trahir  son  ministère,  se 
désintéresser  de  toutes  les  choses  sacrées,  ne 
plus  les  donner  à  personne,  se  mêler  à  nos  af- 
faires, devenir  un  vulgaire  bourgeois,  et  tuer 
ainsi  la  considération  qui  s'attache  aux  grandes 
vocations,  nous  n'avons  pas  assez  de  mépris  pour 
stigmatiser  sa  déchéance. 

Ne  méprisez  pas  tant,  Messieurs,  si  vous  vou- 
lez n'être  pas  contraints  à  vous  mépriser  vous- 


LES  CARACTÈRES*  SACRAMENTELS  139 

mêmes;  car,  vous  aussi,  vous  êtes  prêtres,  puis- 
que le  caractère  sacramentel  est  une  participa- 
tion à  la  puissance  sacerdotale  du  Christ. 

Vous  êtes  prêtres  pour  recevoir  les  choses 
sacrées.  Mais,  combien  parmi  vous  ne  savent 
plus,  depuis  longtemps,  s'ouvrir  à  la  vertu  des 
sacrements, cette  crue  de  vie  divine,  plus  féconde 
en  nos  âmes  que  les  crues  du  Nil  sur  les  rivages 
égyptiens!  Un  lit  profond  a  été  creusé  pour  la 
recevoir,  le  péché  l'encombre,  rien  n'y  passe. 
Point  de  pardon  pour  vos  si  nombreuses  fautes, 
point  d'aliment  pour  vos  forces  détaillantes, 
lâchement  couchées  sous  le  joug  des  plus  hon- 
teuses habitudes.  Votre  vie  religieuse,  presque 
réduite  à  rien,  est  dépeuplée  des  choses  sacrées 
qui  devraient  l'orner  et  la  rendre  florissante .  Vo- 
tre caractère  appelle  la  grâce  de  Dieu,  votre  in- 
différence ou  votre  mauvais  vouloir  la  repoussent. 

Vous  êtes  prêtres  pour  rendre  hommage  aux 
choses  sacrées  par  le  témoignage  public  et  les 
héroïques  combats  de  votre  foi.  Mais,  combien 
parmi  vous  dont  la  langue  est  muette  et  dont  la 
vie,  presque  païenne,  n'est  qu'une  longue  pro- 
testation contre  la  vérité  et  la  sainteté  du  chris- 
tianisme! Combien  sont  fidfcles  pncore,  ou  fond 


140  LES  CARACTERES  SACRAMENTELS 

du  cœur,  à  des  croyances  qu'ils  devraient  tra- 
duire publiquement  par  des  actes  religieux, etles 
dissimulent  par  intérêt  ou  par  respect  humain  ! 
Combien  cèdent  à  la  pression  de  l'impiété 
triomphante,  et  désertent  lâchement  le  champ 
de  bataille  où  il  devraient  lutter  pour  celui  qui 
les  a  inscrits, par  le  caractère  sacramentel,  dans 
sa  milice  sacrée!  Combien  se  contentent  de  gé- 
mir, quand  il  faudrait  combattre!  commes'il  était 
digne  d'un  soldat  de  pleurer  devant  l'ennemi  et 
de  pousser  ce  cri  lamentable  :  «  Nous  sommes 
perdus!  »  sans  oser  toucher  à  ses  armes.  Com- 
bien, par  une  étonnante  contradiction,  luttent 
dans  la  vie  publique  pour  des  vérités  que  désho- 
nore leur  vie  privée,  pour  des  libertés  dont  ils 
se  gardent  bien  d'user,  et  rendent  inutiles  les 
combats  de  leur  foi,  parce  qu'ils  lui  refusent  le 
témoignage  public  d'une  vie  vraiment  chré- 
tienne !  Enfin,  Messieurs,  combien  chez  qui  les 
caractères  sacramentels  ne  sont  que  des  puis- 
sances vides  et  inefficaces! 

Vous  appellerez  cela  comme  vous  voudrez; 
moi,  je  dis  que  c'est  injustice  et  trahison.  — 
Pour  n'être  pas  semblables  à  ces  félons  enra- 
gés qui  voudraient  effacer  dans  leur  âme  la 


LÈS  CARACtÈRES  SACRAMENTELS  I4i 


trace  des  sacrements,  en  retournant,  contre  ce- 
lui qui  les  a  marqués,  toutes  les  énergies  d'une 
haine  sauvage,  on  n'en  est  pas  moins  soldat  infi- 
dèle. J'ai  honte,  pour  tous  ceux  à  qui  s'appli- 
que ce  que  je  viens  de  dire,  de  l'inertie  à  la- 
quelle ils  condamnent  leurs  caractères  sacra- 
mentels ;  on  n'a  pas  une  puissance  pour  la  lais- 
ser dormir. 

Chrétiens,  à  qui  le  Christ  a  communiqué  son 
sacerdoce,  il  faut  user  de  vos  droits  et  faire  agir 
votre  puissance  sacerdotale.  Les  Pâques  appro- 
chent, vous  allez  être  appelés  à  recevoir  la  chose 
sacrée  par  excellence,  et  à  donner  au  Christ  un 
témoignage  public  de  votre  foi.  Nous  verrons 
ce  que  vous  aurez  décidé.  Mais,  que  ceux  qui 
s'abstiendront  sachent  bien  qu'ils  sont  mar- 
qués, marqués  pour  l'éternité,  et  que  la  puis- 
sance qu'ils  ont  reçue  se  retournera  contre  eux. 
Aujourd'hui,  quoi  qu'ils  fassent,  leur  caractère 
nous  laisse  encore  quelque  espérance  ;  mais,  si 
ces  prêtres  infidèles  se  laissent  surprendre  dans 
l'inaction  par  le  jugement  de  Dieu,  ce  caractère 
deviendra  pour  eux  une  éternelle  honte1.  Nous 

1.  Quamvis  post  hanc  vitam  non  remaneat  exterior 
cnltus,  remanet  tamen  finis  illius  cultus    Et  ideo  post 


142  LES  CARACTÊRE8  SACRAMENTELS 

les  verrons  jusqu'au  fond  de  l'âme,  et  nous  pleu- 
rerons sur  eux,  comme  pleure  le  voyageur  sur 
les  vallées  jadis  fertiles  où  l'on  n'aperçoit  plus 
que  le  lit  profond  d'un  fleuve  tari  et,  sur  ses 
bords,  le  désert.  —  Tous  ensemble  nous  pousse- 
rons ce  cri  lamentable  :  «  Malheur  à  la  vallée 
perdue!  »  Et  la  vallée  nous  répondra  :  «  Va? 
nobis  quia  vastati  sumus i  1  Malheur  à  moi,  car  je 
suis  dévastée  !  » 

Messieurs,  je  vous  en  prie,  n'attendez  pas  ce 
jour  de  deuil,  de  colère,  de  désespoir.  Le  fleuve 
de  la  vie  divine  est  à  vos  portes,  laissez-le  ren- 
trer dans  le  lit  creusé  par  la  force  vive  du  ca- 
ractère éternel,  et  connolez-nous  par  le  témoi- 
gnage de  foi  que  vous  rendrez  bientôt  au  Christ, 
dont  vous  êtes  les  prêtres  et  les  soldats. 

hanc  vitam  remanet  character  et  in  bonis  ad  eorura 
gloriam  et  in  malos  ad  eorum  ignominiarn .  (tfêtftm. 
TheoL,  III  P.,  qusest.  63.  a.  5,  ad  3). 
1.  Jerem.,  cap.  iv,  13. 


SOIXANTE-QUATRIÈME  CONFÉRENCE 


LE   BAPTÊME 


SOIXANTE-QUATRIÈME    CONFÉRENCE 


LE    BAPTÊME 

Messeigneurs1,  Messieurs, 

Il  est  écrit,  au  livre  des  Proverbes,  que  la 
sagesse  divine  s'est  bâti  une  demeure  et  qu'elle 
a  taillé  sept  colonnes  pour  lui  servir  d'appui  : 
«  Sapientia  œdifîcavit  sibi  domum,  excidit  co- 
lumnas  septem.  »  Là,  elle  immole  des  victimes, 
elle  prépare  à  ses  hôtes  un  vin  généreux,  elle 
dresse  la  table  du  festin.  De  là,  elle  envoie  ses 
serviteurs  recruter  des  convives.  «Venez,  leur 
fait-elle  dire,  venez  manger  mon  pain  et  boire 
le  vin,  que  je  vous  ai  préparé.  Il  est  temps  de 
vivre  sagement  et  de  marcher  dans  les  voies  de 
la  prudence2.  » 

Sous  cette  figure.  Messieurs,  vous  reconnais- 

1.  Mgr  Richard,  archevêque  de  Larisse,  coadju te ur 
de  Paris  ;  Mgr  Dannelle,  évêque  de  Beauvais. 
2L  Prov.,  cap.  xix,  1-6. 

CONFERENCES  N.-D.  —  CARÊMB  1883.  —  10 


146  LE    BAPTÊME 


se/,  l'édifice  sacré  que  Jésus-Christ,  la  sagesse 
incarnée,  a  construit  pendant  lesjours  de  sa  vi 
mortelle,  et  dans  lequel  il  invite  l'humanité  à 
venir  chercher  la  vie  surnaturelle,  Nous  en 
avons  admiré  les  solides  matériaux  et  les  har- 
monieuses proportions.  Approchons-nous  main- 
tenant de  chaque  colonne  du  divin  septénaire, 
et  examinons  non  seulement  la  perfection  de 
son  travail,  mais  ses  propriétés  et  ses  fonctions 
dans  l'édifice  sacramentel.  C'est-à-dire,  après 
avoir  étudié  les  sacrements  en  général,  étudions 
chaque  sacrement  en  particulier. 

L'ordre  chronologique  d'institution  ainsi  que 
l'ordre  logique  des  effets  sacramentels  appellent, 
aujourd'hui,  notre  attention  sur  le  Baptême. 
Il  est  le  premier  de  tous  les  sacrements,  non  par 
sa  dignité,  mais  par  sa  nécessité  dans  Tordre  du 
salut.  Si  l'on  considère  l'économie  générale  de 
la  grâce,  relativement  aux  individus  et  à  la 
société  chrétienne,  tous  les  sacrements  sont  né- 
cessaires, dit  le  saint  Concile  de  Trente.  Mais, 
il  en  est  dont  tels  ou  tels  chrétiens  peuvent  et 
doivent  se  passer1.  Aucune  liberté  ne  nous  est 

1.  Si  quis  aixent  Sacramenta  novae legis  non  esse  ad 


LE   BAPTÊME  14? 


laissée  à  l'endroit  du  Baptême.  C'est  le  sacre- 
ment indispensable1.  Jésus-Christ  a  pourvu, 
avec  autant  de  bonté  que  de  sagesse,  à  sa  né- 
cessité :  Voilà  ce  que  je  veux  vous  montrer  en 
cette  conférence. 


On  donne  au  Baptême  différents  noms  qui,  h 
première  vue,  semblent  n'exprimer  que  ses  pro- 
digieux effets  ;  mais  qui,  en  fin  de  compte,  nous 
révèlent  son  absolue  nécessité.  Il  est  appelé  : 
régénération,  illumination,  sigillation,  ouver- 
ture du  royaume  des  cieux  :  regeneratio,  ilîw* 
minatio,  sigillatio,  apertio  regnicœlestis. 

salutem  necessariâ,  sed  superflua;  et  sine  eis,  aut 
eorum  voto  per  solam  fidem  homines  a  Deo  gratiam 
justificationisadipisci;  licetomniasingulis  necessariâ 
non  sint;  anathema  sit.  (Sess.  VII,  De  Sacram.  in 
génère.) 

1.  Si  quis  dixerit  baptismum  liberum  esse,  hoc  est 
non  necessarium  ad  salutem  ;  anathema  sii.  (Sess.  VII, 
De  Baptismo.) 


148  LE  BAPTÊME 


Pourquoi  donc  régénération?  Quand  l'acte 
générateur  qui  fait  de  nous  des  hommes  est 
arrivé,  par  notre  naissance,  à  son  parfait  déve- 
loppement, à  sa  complète  manifestation,  man- 
que-t-il  quelque  chose  à  notre  être,  que  nous 
ayons  besoin  d'être  engendrés  de  nouveau? 
Oui,  Messieurs,  la  génération  naturelle  n'a  plus 
la  force  de  nous  donner  la  somme  de  vie  et  de 
qualités  qui  convient  à  nos  sublimes  destinées. 
Je  vous  ai  expliqué  longuement  ce  mystère, 
lorsque  nous  étudiions  ensemble  les  préludes 
de  l'Incarnation  ;  il  me  suffira  de  vous  le  rappc 
1er  ici  en  quelques  mots*. 

Dieu,  en  créant  l'humanité,  lui  a  donné,  dans 
son  sein,  un  suprême  rendez-vous.  Ce  n'est  point 
par  ses  propres  forces  qu'elle  s'achemine  vers 
ce  dernier  terme  de  toute  vie  raisonnable;  ni 
l'intelligence  ni  la  volonté  ne  sont  capables, 
par  elles-mêmes,  de  la  vision,  de  la  possession, 
de  l'intime  union,  qui  doivent  nous  béatifieréter- 
nellement  dans  les  cieux.  Pour  nous  adapter  à 
la  félicité  surnaturelle  qu'il  nous  destine,  Dieu  a 

1.  Voyez  vingt-huitième  conférence:  La  chute  dans 
l'humanité. 


LE  BAPTÊME  149 


relevé  notre  nature  par  l'inoculation  de  sa  pro- 
pre vie,  force  suréminente  et  toute  gratuit^  qui 
pénètre  notre  être,  transforme  ses  puissances, 
divinise  ses  opérations  et  les  rend  dignes  de 
mériter  le  ciel.  —  Cette  inoculation  primordiale 
de  la  vie  divine  s'appelle  la  grâce  ou  la  justice 
originelle.  —  Je  vous  ai  dit  sa  puissance  et  ses 
privilèges.  Vous  savez  comment  elle  a  été  per- 
due et  comment,  en  se  mutilant  par  le  péché, 
notre  premier  père  s'est  privé  de  l'auguste  pou- 
voir que  Dieu  lui  avait  donné  de  la  transmettre 
à  ses  descendants 

«  Qui  nous  engendre  nous  tue  » ,  dit  énergî- 
quement  Bossuet.  Lugubre  vérité,  dont  serait 
navré  le  cœur  de  tous  les  générateurs  humains, 
s'ils  avaient  le  don  de  voir  les  âmes,  et  s'ils  pou- 
vaient comparer  l'état  actuel  de  leurs  enfants  à 
ce  qu'ils  eussent  été  par  la  transmission  de  la 
justice  originelle.  Mais,  ce  que  nous  ne  voyons 
pas,  la  foi  nous  le  révèle.  Le  malheur  est  con- 
sommera malédiction  divine  qui  condamne  la 
race  humaine  à  la  mort  suit  son  cours,  et  la  pre- 
mière mort  qui  nous  saisit  est  la  mort  du  péché. 
Nous  naissons  munis  de  toutes  nos  facultés  na- 
turelles, mais  dépouillés  de  la  grâce  de  Dieu 


150  LE   BAPTÊME 


incapables  d'aucun  acte  de  vie  surnaturelle, 
livrés  aux  défaillances  de  notre  esprit,  aux  em- 
portements de  nos  appétits,  que  le  vigoureux 
tempérament  de  lumière  et  de  domination,  dont 
nous  avions  été  doués  par  privilège,  ne  peut 
plus  ni  prévenir  ni  contenir,  enfin,  condamnés 
à  l'éternelle  privation  de  la  béatitude  à  laquelle 
nous  étions  destinés.  On  appelle  cela  le  péché 
originel  ;  nous  le  subissons  tous. 

Eh  quoi  !  me  direz-vous,  le  Christ,  qui  devait 
racheter  le  genre  humain  et  restaurer  l'ordre 
divin,  n'a  donc  rien  changé  aux  conditions 
de  notre  naissance?  Comment  se  fait-il  que 
des  parents  mariés  chrétiennement,  vivant  chré- 
tiennement, ne  transmettent  pas  au  fruit  de 
leur  vie  la  vertu  de  la  rédemption  qui 
les  sanctifie?  —  Comment  ,  Messieurs?  — 
En  vertu  d'une  loi  à  laquelle  Dieu  n'a  pas 
jugé  à  propos  de  contrevenir  par  un  privilège 
qu'il  ne  nous  doit  pas.  La  génération,  par  la 
force  qui  lui  est  propre,  ne  transmet  que  les 
qualités  de  la  nature  et  non  de  la  personne,  les 
propriétés  de  l'espèce  et  non  de  l'individu. 
Quand  vous  semez  en  terre  le  noyau  d'un  frnit 
doux  et  franc,  ce  n'est  point  un  arbre  semblable 


LE    BAPTEME  151 


à  celui  où  vous  avez  cueilli  le  fruit  que  vous 
voyez  pousser,  mais  un  pauvre  sauvageon,  au- 
quel il  faudra  donner,  par  l'entement,  une  nou- 
velle vie,  si  vous  voulez  qu'il  possède  les  qualités 
de  son  générateur.  Et  voilà  ce  qui  nous  arrive. 
Nos  parents,  fussent-ils  des  saints  ,  ne  nous 
transmettent  point  les  qualités  qu'ils  ont  reçues 
d'une  culture  divine,  mais  seulement  la  nature 
qui  fait  de  nous  des  hommes.  Encore  une  foi»., 
nous  naissons  morts  dans  Tordre  de  la  grâce. 
Pour  vivre  surnaturellement ,  pour  mériter  le 
ciel,  il  faut  renaître  :  «  Nisi  quis  renatus  fuerit.., 
non  potest  introire  in  regnum  Dei*. 

Mais,  comment  renaître? —  Parla  justice  d'un 
seul,  dit  l'Apôtre,  comme  nous  sommes  morts 
par  la  faute  d'un  seul2.  —  Ainsi  le  veut  l'har- 
monie du  plan  divin.  Or,  la  justice  d  un  seul, 
c'est  le  sang,  ce  sont  les  mérites  du  Christ  im- 
molé pour  le  salut  du  genre  humain.  La  mort 
du  Sauveur  est  comme  le  sein  fertile  où  doit 
germer  la  race  des  enfants  de  Dieu.  Par  quel 

1.  Joan.,  cap.  m,  5. 

2.  Sicut  per  unius  delictum  in  omnes  homines,  in 
condemnationem  ;  sic  et  per  unius  justitiam  in  omnes 
«hommes,  in  justifleaticmem  vit*§(Rom,,  aap.  v,  16). 


152  le  baptême 


acte  générateur  y  entrcms-nous?  —  Par  le  Bap- 
tême :  «  Consepulti  enim  sumus  cura  illoper  bap- 
tismum  inmortem1:  Le  Baptême  nous  plonge, 
nous  ensevelit  dans  la  mort  féconde  du  Christ.  » 
Là,  nous  sommes  envahis  par  ses  mérites,  pé- 
nétrés delà  vertu  de  son  sang.  La  vie  divine  se 
précipite  en  nos  âmes  pour  les  régénérer. 

Ame  du  baptisé ,  montre-toi  ! — Tout  à  l'heure, 
tu  étais  morte;  maintenant,  te  voilà  vivante.  Tout 
à  l'heure,  fille  du  ciel,  je  te  voyais  condamnée  à 
un  éternel  exil  ;  maintenant,  la  sentence  qui 
pesait  sur  toi  est  levée.  Tout  à  l'heure,  tu  avais 
peut-être  ajouté  aux  défauts  de  ton  origine  les 
délits  et  les  crimes  de  ta  volonté  ;  maintenant,  il 
n'y  a  plus  ni  défauts,  ni  délits,  ni  crimes .  Tout  à 
l'heure,  tu  devais,  à  la  justice  divine,  des  peines 
éternelles  et  temporelles,  méritées  par  tes  pé- 
chés ;  maintenant  tu  es  quitte  de  toute  redevance 
pénale.  «  Non,  il  n'y  a  plus  rien  qu'on  puisse 
réprouver  et  punir  en  ceux  que  le  Baptême  a 
fait  entrer  dans  le  Christ  Jésus  :  Nihil  ergo 
damnationis  in  his  qui  sunt  i?i  Christo  Jesu a.  » 


1.  Rom.,  cap.  vi,  4. 

2.  Ibid.,  cap.  vin,  1. 


LE    BAPTÊME  153 


Tels  sont,  Messieurs,  les  premiers  effets  du 
Baptême.  Le  prophète  les  avait  annoncés,  lors- 
qu'il disait  :  «  Je  répandrai  sur  vous  une  eau 
pure  et  vous  serez  lavés  de  toutes  vos  souillu- 
res1. »  Et  l'apôtre  saint  Paul,  dans  son  énergi- 
que langage ,  les  signale  aux  fidèles  qu'il  a  régé- 
nérés :  «  Ne  vous  y  trompez  pas,  dit-il,  le 
royaume  de  Dieu  n'est  pas  pour  les  pécheurs. 
Ni  les  fornicateurs,  ni  les  serviteurs  des  idoles, 
ni  les  adultères,  ni  ceux  qui  s'abandonnent  à  la 
mollesse  de  leur  sens  réprouvé,  ni  ceux  qui 
commettent  des  crimes  contre  nature,  ni  les  vo- 
leurs, ni  les  avares,  ni  les  gourmands,  ni  les  mé- 
disants, ni  les  ravisseurs,  ne  posséderont  le 
royaume  des  cieux.  Vous  avez  été  tout  cela  :  Et 
hœc  quidam  fiâstis  ;  mais,  de  tout  cela,  vous  avez 
été  purifiés  et  sanctifiés  et  justifiés,  au  nom  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  dans  l'Esprit  de 
notre  Dieu  :  Sed  abluti  estis,  sed  sanctificati 
estis,  sed  justificati  estis  in  nomine  Domini  nostrt 
Jesu  Christi,  et  in  Spiritu   Dei  onstr?.  »  —  Le 

1.  Effundam  super  vos  aquam  mundam  et  munda- 
bimini  ab  omnibus  iniquinamentis  vestris.  (Ezech.,  cap. 
xxxvi,  25). 

2.  I  Cor.,  cap.  vi,  9-11. 


154  LE    BAPTÊME 


Baptême, dit  saint  Augustin,  est  la  grande  indul- 
gence qui  paie  toutes  nos  dettes,  et  celles  que 
nous  avons  contractées  parla  nature,  et  celles 
que  nous  y  avons  ajoutées  par  notre  volonté  *. — 
Tous  les  péchés,  grands  ou  petits,  sont  effacés  *  ; 
et,  pour  les  peines, amnistie  générale.  Pourquoi 
cela?  Saint  Thomas  va  nous  le  dire  :  «  L'homme 
pécheur  est  enseveli,  par  le  Baptême,  dans  la 
Passion  et  la  mort  du  Christ;  c'est  comme  s'il 
souffrait  et  mouraU  lui-même  des  souffrances 
et  de  la  mort  de  son  Sauveur.  Et,  parce  que  les 
souffrances  et  la  mort  du  Sauveur  ont  le  pouvoir 
de  satisfaire  pour  le  péché  et  pour  toutes  les 
dettes  du  péché,  l'àme  que  le  Baptême  associe 
à  cette  satisfaction  ne  doit  plus  rien  à  la  justice 
divine3.  » 

1.  Magnam  indulgentiam  m  qua  solvatur  omnis 
reatus,  et  ingeneratus,  et  additus.  (S.  Aug.  in  Enchi- 
ridion.  cap.  64.) 

2.  In  baptismo  fit  renovatio  remissione  omnium 
peccatorum,  neque  enimvel  unum  quantulumcumque 
remanet,  quod  non  remittatur.  (Id. ,  lib.  XIV,  De  Trinl- 
tate}  cap.  17.) 

Cf  Summ.  Theol.y  III  P.,  quœst.  69,  a.  1.  Utrum 
per  baptismum  tollantur  omnia  peccata? 

3.  Per  baptismum  aliquis  incorporatur  passioni,  et 
morti  Ghrifti,  «ecundum  illud  Rom.,  vi,  H.  Si  mortui 


LE   BAPTÊME  155 


Plus  rien  !  Et  cependant,  Messieurs,  vous  me 
faites  remarquer  que  l'inexorable  justice  de 
Dieu  pèse  toujours  sur  notre  vie  déchue.  La 
concupiscence,  qui  se  taisait  dans  les  entrailles 
de  notre  premier  père,  ne  cesse  pas  de  nous 
tourmenter;  et,  chaque  jour,  la  douleur,  par  ses 
austères  visites,  vient  nous  rappeler  que  nous 
sommes  passibles  et  mortels.  Pourquoi  Dieu 
n'a-t-il  donc  pas  donné  au  sacrement  de  notre 
régénération  une  vertu  plénière,qui  nous  affran- 
chît de  toutes  les  misères  dues  au  péché  ? 

Vous  croyez  donc  qu'il  manque  quelque  chose 
à  la  puissance  régénératrice  du  Baptême  ?  — 
Eh  bien!  détrompez-vous.  —  Saint  Thomas 
nous  apprend  que  ce  sacrement  a  la  vertu  de 
nous  délivrer  de  toutes  les  peines  de  la  vie 
présente.  Mais,  pour  l'honneur  du  Christ,  dans 

sumus  cum  Christo,  crcdimus  quia  simul  etiam  vive- 
mus  cum  eo.  E!t  quo  patet  quod  omni  baptizato  com- 
municatur  passio  Christi  ad  remedium,  ac  si  ipse  pas- 
sus,  et  mortuus  esset.  Passio  autem  Christi,  sicut  dic- 
tum  est  (quœst.  xvm,  arî.  5)  est  sufficiens  satisfactio 
pro  omnibus  peceatis  omnium  hominum.  Et  ideo  ille 
qui  baptizatur,  liberatur  a  reatu  totius  pcense  sibi  dé- 
bitai pro  peceatis,  ac  si  ipse  sufficienter  sati^fecisset 
pro  omnibus  peceatis  suis,  {Summ.  Theol  UT  P., 
quœet,  39,  a  2.  a.) 


156  LE    BAPTÊME 


l'intérêt  de  notre  propre  gloire,  et  par  respect 
pour  le  sacrement  lui-même,  cette  vertu  est 
suspendue  jusqu'au  jour  où  notre  régénération 
sera  éternellement  consommée.  «  Il  convient, 
dit  Tangélique  docteur,  que  l'homme  régénéré 
soit  assimilé  à  Celui  qui  est  le  principe  de  sa 
nouvelle  vie.  Or,  le  Christ  innocent  a  voulu  que 
la  douleur  fût  l'instrument  de  sa  gloire  ;  pour- 
quoi serions-nous  mieux  traités  que  lui?  Cohé- 
ritiers du  Sauveur,  nous  serons  glorifiés  avec 
lui  ,  si  nous  avons  souffert  comme  lui  : 
Cohseredes  Chresti  si  tamen  compatimur  ut 
et  simul  congloriftcemur.  Est-ce  que  la  gloire 
n'est  pas  plus  douce  à  un  cœur  généreux,  quand 
elle  est  le  prix  d'un  grand  combat?  Et  ne  se- 
rons-nous pas  plus  fiers  de  notre  résurrection, 
si  nous  avons  nous-mêmes  détruit  notre  corps 
dépêché?  Les  appétits  nous  tourmentent  ;  tant 
mieux  :  nous  les  dompterons.  La  douleur  nou9 
accable;  tant  mieux  :  nous  la  ferons  mériter. 
C'est  bien  assez  que  nous  soyons  présentement 
délivrés  du  péché  et  des  peines  de  l'autre 
monde.  Dhu  n'a  pas  voulu  nous  exposer  ff  la 
honteust  tentation  de  ne  désirer  le  Baptême  que 
pour  ses  avantages  temporels,  et  au  péril  de 


LE  BAPTÊME  151 


devenir  ainsi  les  plus  misérables  des  hommes. 
«  Je  le  remercie  donc  d'avoir  suspendu  la 
puissante  virtualité  du  Baptême,  et  il  me  suffît 
d'être  un  jour  convaincu  de  sa  plénitude.  C'est 
grâce  à  mon  Baptême  que  je  serai  affranchi, 
dans  ma  nature  glorifiée,  des  convoitises  qui, 
aujourd'hui,  me  tourmentent  et  me  fatiguent, 
et  que  mon  âme,  reprenant  sur  toutes  les  puis- 
sances inférieures  un  empire  absolu,  jouira  du 
privilège  d'une  éternelle  impeccabilité.  C'est 
grâce  à  mon  baptême  que  ma  chair,  lumineuse 
et  incorruptible,  bravera  ,  pendant  les  siècles 
des  siècles,  toutes  les  forces  ennemies  de  son 
intégrité  et  de  son  repos.  Les  gloires  de  ma 
résurrection  me  feront  enfin  comprendre  jus- 
qu'à quel  point  le  Baptême  est  un  sacrement 
régénérateur1.  » 

1.  Baptismus  habet  virtutem  auferendi  posnalitates 
prœsentis  vitae,  non  tamen  eas  aufert  in  praesenti  vita, 
sed  ejus  virtute  auferentur  a  justis  in  resurrectione 
quando.  mortale  hoe  induet  immort  alitatem,  ut  dicitur 
I  Cor.,  xv,  54. 

Et  hoc  rationabihter.  Primo  quidem  quia  per  baptis- 
mum  homo  incorporatur  Christo,  et  efficitur  membrum 
ejus.  Et  ideo  conveniens  est  ut  id  agatur  in  membro 
incorporato  quod  est  actum  in  capite;  Christus  autem 
a  principio  suée  conceptionis  fuit  plenus  gratia,  et  ve- 
ritate  ;  habuit  tamen  corpus  passibile,   quod  poat  pas- 


158  LE    BAPTÊME 


Entendez  bien,  Messieurs,  cette  régénération 
ce  n'est  pas  un  simple  décret  d'amnistie  que 
Dieu  signe  du  sang  de  son  Fils,  une  sorte  de  bre- 
vet d'innocence  et  de  justice  qu'il  nous  délivre 
pour  l'avenir,  comme  le  veulent  les  protestants  : 
«  C'est  l'infusion  d'une  vie  nouvelle,  qui  nous 
transforme  en  d'autres  êtres,  «  dit  saint  Jeafl 


sionem,  et  mortem  est  ad  vitam  gloriosam  resuscita- 
tum.  Unde  et  Christianus  in  baptismo  gratiam  conse- 
quitur  quantum  ad  animam  ;  habet  tamen  corpus 
passibile,  in  quo  pro  Christo  possit  pati  ;  sed  tandem 
resuscitabitur  ad  impassibilem  \itam.  Unde  apostolus 
dicit.Rom.  VIII,  11.  Qui  suscitavit  Jesum  Christuma 
mortuis,  vivifieabit  et  mortalia  corpora  vestra,propter 
inhabit antem  spiritum  ejus  in  vobis  :  et  infra  17.  Hœre- 
des  quidem  Dei,  eohœredes  autem  Christi  :  si  tamen 
compatimur,  ut  et  simul  glorificemur.  Secundo  hoc 
est  conveniens  propter  spirituale  exercitium,  ut  vide- 
licet  contra  concupiscentiam,  et  alias  passibilitates 
pugnans  homo,  victoriae  coronam  acciperet.  Unde 
super  illud  Rom,  VI.  Ut  destruatur  corpus  peceati 
dicit  Glossa.  (August.  lib.  I.  de  peccator.  merit.  et 
remiss.  cap.  ult.  a  princ.)  «  Si  post  baptismum  vixerit 
»  homo,  in  carne,  habet  concupiscentiam,  cum  qua 
»  pugnet,  eamque  adjuvante  Deo  superet.  »  In  cujus 
fïguram  dicitur  Judic,  III,  1.  Hœ  sunt  gentes,  quas 
Donùnus  dereliquitj  ut  erudiret  in  eis  Israelem,  et 
postea  discerent  filii  eorum  certare  eumhostibusy  et 
habere  consuetudinem  prœliandi.  Tertio  hoc  fuit  con- 
veniens, ne  homines  ad  bautismum  accédèrent  prop- 


LE   BAPTÊME  159 


Chrysostôme1.  »  Dieu  entre  en  nous  parla  grâce 
et  nous  rend  participants  de  sa  nature  infinie. 
Nous  sommes  véritablement  engendrés  dans 
l'ordre  surnaturel,  et  les  anges  du  ciel  chantent 
cette  naissance  mystique,  comme  nos  parents 
ont  chanté  notre  naissance  charnelle.  «  Il  y  a 
donc  pour  nous  deux  naissances,  s'écrie  saint 
Augustin  :  l'une  de  la  terre,  l'autre  du  ciel  ;  l'une 
de  la  chair,  l'autre  de  l'esprit  ;  l'une  d'un  prin- 
cipe mortel,  l'autre  d'un  principe  éternel  ;  l'une 
de  l'homme  et  de  la  femme,  l'autre  de  Dieu  et 
de  son  Église.  L'une  fait  de  nous  des  fils  delà 
chair,  l'autre  des  fils  de  l'esprit ,  l'une  des  fils 
du  mort, l'autre  des  fils  de  résurrection;  l'une 
des  fils  du  siècle,  l'autre  des  fils  de  Dieu;  l'une 
des  fils  de  colère,  l'autre  des  fils  de  dilection; 
l'une  nous  enchaîne  au  péché  origine,  l'autre 
nous  délivre  des  liens  de  tout  péché2.  » 

ter  impassibilitatem  pressentis  vitee,  et  non  propter 
gloriam  vitee  eeternee  :  unde  et  Apostolus  dicit 
I  Corinth.,  XV,  19.  Si  in  hac  vita  tantum  sperantes 
sumus  in  Christo,  miserabiliores  sumus  omnibus 
hominibus.  (Summ.  Theol.,  III  P.,  quaest.  69,  a.  3  c.) 

l.Ôvrwyàp  psyih)  toî>  ôz-rtliapiTOS  î)  Sùvafzis-  âXXovs 
àt'T  akXùov  tsoieï  tous  fxel aa^pvxas  rrjs  hvpsàs.  (Hom. 
XXIII,  in  Act.  Apost.) 

2.  Duee  sunt  nativitates,  una  de  terra,  alia  de  cœlo; 


160  LÉ    BAPTÊME 


Renaître  ainsi,  c'est  déjà  une  grande  chose, 
mais,  si  je  m'y  arrêtais,  Messieurs,  vous  n'auriez 
qu'une  idée  imparfaite  du  renouveau  spirituel 
de  l'homme  pécheur.  Dieu  le  purifie  par  le 
Baptême,  non  seulement  pour  qu'il  lui  de- 
vienne agréable, mais  encore  pour  qu'il  soit  prêt 
à  entrer  dans  la  carrière  des  bonnes  œuvres, 
par  lesquelles  la  justice  et  la  sainteté  de  sa  ré- 
génération évoluent  et  progressent  :  «  Utmun- 
daret  sibi  populumacceptabilem,  sectatorem  ôono- 
rum  operum*.  »  Il  lui  faut  donc  un  organisme  en 
rapport  avec  sa  nouvelle  vie.  Cet  organisme, 
c'est  le  mystérieux  plexus  des  vertus  infuses, 
habitudes  divines,  qui  inclinent  l'âme  humaine 
aux  actes  surnaturels  quelle  ne  pourrait  pro- 
duire par  sa  propre  énergie,  contrebalancent 
les  forces  de  la  concupiscence  et  préviennent  sa 
domination.  C'est  la  foi,  qui  nous  dispose  à 
adhérer  aux  vérités  incompréhensibles  que  la 

una  de  carne,  alia  de  spiritu  ;  ima  de  mortalitate,  alia 
de  œternitate;  una  de  masculo  et  fœmina,  alia  de  Deo 
et  Ecclesia  :  Illa  facit  filios  carnis,  haec  spiritus  ;  illa 
filios  mortis,  hœc  resurrectionis  ;  illa  filios  seeculi, 
hœc  filios  Dei  ;  illa  filios  irae,  hœc  filios  misericordiœ  : 
ac  per  hoc  illa  peccato  originali  obligatos,  ista  omni 
vinculo  peccati  liberatos.  (Tract.  XI,  in  Joannem.) 

1,  Tit.,  cap.  u,  14.. 


LE  BAPTÊME  ICI 


sagesse  éternelle  a  fait  descendre  du  ciel  jus- 
qu'aux rivages  de  notre  raison.  C'est  l'espérance, 
qui  nous  dispose  à  chercher,  plus  haut  que  la 
nature,  la  félicité  où  doivent  se  reposer  nos 
désirs,  et  à  l'attendre  vaillamment,  à  travers 
les  épreuves  de  notre  pèlerinage.  C'est  la  cha- 
rité, qui  nous  dispose  à  aimer,  pour  lui-même, 
le  souverain  bien,  à  lui  sacrifier  tous  les  biens 
subalternes,  et  à  jouir,  ici-bas,  de  ses  caresses, 
en  attendant  l'éternel  embrassement  qui  doit 
consommer  tout  amour  terrestre. 

Ces  habitudes  divines  sont  comme  le  centre 
d'attraction,  vers  lequel  gravitent  celles  que  nous 
avons  reçues  de  la  nature  ;  et ,  pour  complé- 
ter notre  organisme  surnaturel,  à  toutes,  s'ajou- 
tent les  dons  de  l'Esprit-Saint.  L'Esprit-Saint 
est  la  plénitude  du  Christ,  et  n'est-il  pas  dit  du 
Christ  que  :  «  Nous  recevons  tous  de  sa  pléni- 
tude :  Omnes  de  plenitudine  ejus  accepim.us*  » 
11  nous  la  donne  déjà  en  nous  communiquant 
la  vie  divine,  puisque  l'Esprit-Saint  en  est  le 
dernier  acte  vivant  ;  mais  c'est  plus  que  la  pré- 
sence de  cet  Esprit  qui  illumine  notre  renouveau 

1.  Joan.,  cap.  l,  16. 

CONFÉRENCES  N.-D.  —  GAHÈME  1883.  —  11 


162  LE   BAPTÊME 


c'est  l'abondance  de  ses  dons  :  «  Salvos  nos  fecit 
per  lavacrum  regenerationisetrenovationïs  Spi- 
ritus  Sancti,  que  m  effudit  in  nos  abunde*.  » 
Chaque  don  de  l'Esprit  divin  est  comme  un 
rayon  de  soleil  qui  éclaire  le  champ  d'opéra- 
tions de  chaque  vertu,  règle  sa  marche  et  ses 
progrès.  Où  nous  aurions  été  à  tâtons,  nous 
avançons  danslalumièrequejeprojettenotre  être 
régénéré.  Où  nous  aurions  été  à  tâtons,  nous 
de  lumière2.  »  Ah!  si  nous  pouvions  voir  l'âme 
qu'il  renouvelle,  nous  serions,  à  coup  sûr,  plus 


1.  Tit.  cap.  m,  5-6: 

2.  Wirr.'.zj.z  iraXeîxa»  xat  swx-.qjia.  (S.  Chrysost..  1  Ca- 
tech.  ad  eos  qui  sunt  illuminandi.) 

Le  saint  docteur  dit  dans  sa  VII9  homélie  sur  les 
Epîtres  aux  Corinthiens  :  «  Aussitôt  que  nous  sommes 
baptisés,  notre  âme  purifiée  par  l'Esprit  est  plus  écla- 
tante que  le  soleil;  non  seulement  nous  voyons  dans  la 
gloire  de  Dieu,  mais  nous  en  recevons  un  certain  éclat. 
Telle  qu'une  lame  d'argent  poli"  lance  elle-même  les 
rayons  qu'elle  reçoit,  moins  par  la  force  de  sa  propre 
nature  que  par  celle  de  la  lumière  qui  s'y  réfléchit, 
l'âme,  purifiée  et  devenue  plus  brillante  que  l'argent  le 
plus  pur,  reçoit  et  renvoie  la  gloire  de  l'Esprit. 

'Ojj.cu  xs  vàp  {3aTru£Ve6a,  xal&rcèp  xcv  fjXtov  rt  tyr$\  Xi{A- 
tcsi,  T(o  ïlvsûjjixrt  v.y.()7.zz[J.irrt  •  xat  oô  |jiivov  Spwjxev  tlq  rr4v 
Zi\ri  tsj  \dzz\i,  iXkà  xat  èxsîOîv  lv/6'^éix  T-.va  x'v/.r.v. 

■Qc:;Ep  av  e{  àpfupoç  xaôapcç  Tcp'ôç  xàç  àxttvaç  xcCpcwç, 


LE   BAPTÊME  163 


éblouis  que  celui  qui,  de  l'obscurité  profonde, 
passerait  tout  à  coup  aux  clartés  du  jour. 
a  Dieu,  dit  l'Apôtre  aux  baptisés,  vous  a  appelés 
des  ténèbres  à  son  admirable  lumière1.  Vous- 
mêmes  vous  étiez  ténèbres,  maintenant  vous  êtes 
lumière  dans  le  Seigneur  ;  marchez  donc  comme 
des  enfants  de  lumière  :  Eratis  aliquando  tene- 
brœ,nunc  autem  lux  in  Domino.  Ut  /Un  lucls 
amôulate*  » 

C'est  bien.  Le  Baptême  illumine  nos  âmes,  il 
éclaire  la  carrière  des  bonnes  œuvres  que  nous 
devons  parcourir.  Mais,  ces  bonnes  œuvres,  à 
quel  titre  les  ferons-nous?  A  titre  d'individus, 
sans  relations  avec  ceux  que  la  grâce  a  régénérés 
et  illuminés  comme  nous?-— Non,  Messieurs,  le 
chrétien  vit  et  agit  comme  membre  d  une  société 
sainte,  d  un  corps  mystique  dont  Jésus-Christ 
est  le  chef,  et  où  se  fait  une  opulente  circulation , 

kolI  olvtos  àx1tv*s  èKive(iyj/sisv}  ovx  àno  trjs  oÎKsias  Çûveus 
fiàvov,  dAAà  holI  àicb  ttjs  Aafrcr>;S6*os  t>7>  t)Xta.xrjr  ovla 
naï  v^'/fl  K*0*ipoiLêv7i,HaLl  âpyvpov  Xauirpodêpa  yivo(xévrj, 
lèyedau  àxdïva  cbrô  t>7>  hô&js  toû    Ilvsv^a^o?,  «ai  Taû0>/s> 

1.  De  tenebris  vos   vocavit   in  ïdmirabile  lumen 
s'ium  (I  Peu-.,  cap.  9.) 

2.  Ephes.;  cap.  v.  8. 


64  LE    BAPTÊME 


un  perpétuel  échange  de  biens  spirituels.  Il  y 
a  trop  peu  de  temps  que  je  vous  ai  expliqué  ce 
mystère,  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'y  revenir. 
Je  le  constate  comme  un  principe  qui  appelle 
ici  le  plus  profond  et  le  plus  persistant  des  effets 
du  Baptême. 

Membres  d'une  société,  d'une  famille  spiri- 
tuelle, nous  devons  en  avoir  la  physionomie, 
c'est-à-dire  une  communauté  de  traits  qui  at- 
teste notre  commune  origine  dans  le  Christ.  La 
nature  imprime  son  sceau  sur  la  face  de  ceux 
qu'elle  engendre,  et  crée  les  ressemblances  de 
famille  et  de  nationalité,  signes  indélébiles  qui, 
avant  toute  inscription  aux  registres  de  l'état 
civil,  proclament  nos  droits  à  la  participation 
des  biens  domestiques  et  bcciaux.  Or,  Dieu  ne 
veut  pas  que  le  principe  générateur  qui  fait 
de  nous  des  chrétiens  soit  moins  puissant  que 
la  nature.  Là  où  ce  principe  agit,  il  scelle  son 
action  par  un  signe,  un  caractère  ineffaçable, 
qui  donne  aux  baptisés  une  physionomie  à  la* 
quelle  ils  seront  éternellement  reconnus. 

Mais,  il  y  a  plus.  Pour  être  membres  d'un 
corps  social,  il  faut  y  entrer  par  l'initiation,  et, 
plus  le  corps  social   tend  à  l'unité  de  vie  et 


LE    BAPTÊME  165 


d'action,  plus  l'initiation  doit  être  profondé- 
ment et  fortement  scellée.  C'était  par  des  ini- 
tiations qu'on  entrait  jadis  dans  les  sociétés 
religieuses  qui  avaient  la  prétention  de  célé- 
brer, mieux  que  partout  ailleurs,  les  mystère» 
divins.  C'est  par  des  initiations  que  les  sectes 
ténébreuses  qui  veulent  donner  aux  conspi- 
rations l'unité  de  dessein,  de  force  et  d'action, 
s'emparent  de  leurs  adhérents.  Serments,  diplô- 
mes, insignes,  autant  de  liens  qui  les  enchaî- 
nent à  la  même  iniquité,  J'ai  lu  dernièrement, 
dans  une  feuille  publique  ,  qu'un  professeur 
naïf  ou  quelque  peu  charlatan  attribuait, aux 
serments,  aux  diplômes,  à  la  buffleterie  et  à  la 
quincaillerie  mystique  des  loges  maçonniques, 
le  pouvoir  de  conférer  un  caractère  indélébile*. 
Il  se  rappelait,  sans  doute,  son  baptême  ;  mais 
il  appliquait  mal  son  catéchisme.  Les  initia- 
tions humaines,  quelque  importance  qu'on  y 
attache,  ne  sont  que  des  signes  extérieurs,  dont 
on  peut  se  débarrasser  à  loisir.  Il  n'en  est  pas 
de  même  de  l'initiation  sacramentelle  qui 
nous  engage  dans  la   société   des  enfants  de 

1.  Univers,  sameàw  20  octobre  1882. 


166  LE  BAPTEME 

Dieu.  Cette  initiation  est  une  insertion  au  corps 
mystique  du  Sauveur,  dont  nous  devenons  les 
membres,  et  cette  insertion  est  scellée,  comme 
est  scellée  l'insertion  de  la  greffe  sur  le  trône 
où  elle  doit  puiser  la  sève.  Rien  n'en  peut 
faire  disparaître  l'éternelle  et  glorieuse  cica- 
trice. C'est  là  que  sont  consignés  tous  nos 
droits  au  développement,  au  perfectionnement 
de  notre  vie  surnaturelle  ;  c'est  par  là  que  pas- 
sent toutes  les  grâces  et  tous  les  biens  spiri- 
tuels que  nous  recevons  comme  membre  d'un 
même  corps  ;  c'est  là  que  se  rencontrent  , 
à  notre  bénéfice,  les  salutaires  influences  du 
Christ  et  de  son  Eglise  ;  et  par  là  que  nous  écou- 
lons, dans  le  corps  mystique  où  nous  sommes 
insérés,  le  trop  plein  de  notre  vie  chrétienne. 
Finalement,  notre  sigillation  baptismale  est, 
dans  les  desseins  de  Dieu,  l'indispensable  com- 
plément de  notre  régénération  et  de  notre  illu- 
nation. 

Maintenant,  Messieurs,  vous  comprendrez  ai- 
sément qu'on  ait  appelé  le  Baptême  :  «  apertio 
regni  cœlestis  :  l'ouverture  du  royaume  des 
deux.  »  Le  péché  nous  en  fermait  les  porf. «  : 
le  Baptême  le  détruit.  Len  peines  dues  à  la  jus- 


LE    BAPTÊME  167 


tice  divine  nous  condamnaient  à  languir  loin 
de  notre  bienheureux  terme  ;  le  Baptême  nous 
en  délivre  *.  La  vie  de  la  grâce  est  le  nécessaire 
prélude  de  la  vie  delà  gloire  :  le  Baptême  nous 
la  donne.  Ce  sont  les  vertus  et  les  bonnes  œu- 
vres que  Dieu  couronne  dans  les  cieux  :  le  Bap- 
tême en  dépose  les  germes  sacrés  dans  nos 
âmes,  munies,  par  lui,  d'un  organisme  surnatu- 
rel, et  illuminées  par  la  présence  et  les  dons  de 
T Esprit-Saint2.  C'est i'Église  terrestre  qui  doit 
devenir  l'Église  céleste  :  le  Baptême  nous  y  in- 
troduit. C'est  son  corps  mystique  que  le  Christ 
appelle  dans  la  gloire  pour  y  posséder  éternel- 
lement sa  plénitude  :  le  Baptême  nous  insère  à 
ce  corps  et  fait  de  nous  ses  membres.  Bégénéra- 
tion,  illumination,  sigillation,  tout  est  ordonné 

1.  Aperire  januam  regni  cœlestis  est  amovere  impe- 
dimentum.quoquisimpediturreguum  cœleste  mtroïre. 
Hoc  autem  impedimentum  estculpa  etreatuspœnee... 
per  baptismum  omnis  culpa  et  omnis  reatus  pœnœ 
tollitur.  Unde  consequens  est  quod  effectus  baptismi 
sit  apertio  januee  regni  cœlestis  Summ.  (Theol.,111  P. 
quœst.  69,  a.  7.) 

2.  Cf.  Summ  TheoL,  III  P.,  quœst.  69,  a.  Utrum 
-per  baptismum  eon/erantur  homini  gratiœ  et  virtutes  ? 
et  a.  5.  Ut~um  convenienter  attribuantur  baptismo 
[/uidam  actt**  oirtutumt 


168  LE  BAPTÊME 


à  notre  fin  dernière,  au  royaume  des  deux.  — 
Donc,  Messieurs,  sans  le  Baptême,  point  de  sur- 
naturelle et  éternelle  béatitude,  point  de  salut, 
point  de  ciel.  Jésus-Christ  Fa  dit  :  «  Celui-là 
seul  sera  sauvé  qui  croira  et  sera  baptisé  :  «  Qui 
crediderit  et  baptizatus  fuerit  salvus  erit*.  »  Si 
l'homme  ne  renaît  de  l'eau  et  de  l'Esprit-Saint, 
il  n'entrera  point  dans  le  royaume  de  Dieu  : 
JSisi  quis  renatus  fuerit  ex  aqua  et  Spiritu 
Sanctonon  introibit  in  regnum  Dei*  •  »  Ses  pa- 
roles sont  claires  :  «  Il  n'excepte  personne,  dit 
saint  Ambroise:  nullum  excipit*.  » 

M'objecterez-vous  que  la  foi  suffisait  aux  gé- 
nérations qui  ont  précédé  l'avènement  du  Sau- 
veur, et  que  notre  état  ne  doit  pas  être  pire  que 
le  leur?  Messieurs,  nous  n'avons  pas  à  discuter 
avec  Dieu  les  conditions  de  notre  salut.  Il  est 
le  maître  absolu  de  ses  dons,  et,  puisqu'il  daigne 
nous  offrir  sa  miséricorde,  nous  devons  la  pren- 
dre où  il  l'a  mise.  Sans  doute,  il  n'y  a  jamais 
eu  de  salut  que  dans  le  Christ,  et  la  bonté  de 
Dieu  a  su  pourvoir  aux  besoins  spirituels  de 

1.  Marc,  cap.  xvi,  16. 

S.  Joan.,  cap.  ni,5. 

8.  Lib.,  II.  De  Abraham,  cap.  xi,  i»°  84. 


LE    BAPTÊME  169 


générations  qui  attendaient  la  venue  de  son  Pro- 
mis. Mais,  que  nous  importe  la  nature  et  la  va- 
leur de  leurs  sacrements,  puisque  l'ancien  con- 
trat passé  entre  Dieu  et  l'humanité  a  été  aboli! 
Jésus-Christ,  souverain  dispensateur  des  bien- 
faits de  la  rédemption,  a  contracté  avec  le 
monde  Une  nouvelle  alliance,  et  nous  a  imposé 
le  Baptême  :  le  Baptême  ,  qui  opère  par  lui- 
même,  détruit  tous  les  péchés  et  toutes  les  pei- 
nes dues  au  péché,  multiplie  les  grâces,  cons- 
titue la  société  chrétienne,  nous  donne  droit  à 
tous  les  biens,  et  ouvre  les  portes  du  ciel, 
près  desquelles  languissaient,  jadis,  les  âmes 
sauvées.  Il  faut  en  accepter  l'heureuse  et  bien- 
faisante nécessité,  et  dire,  avec  la  dogmatique 
traditionnelle  :  «  Nous  croyons  qu'il  n'y  a  de 
salut  que  pour  les  baptisés  :  Baptizatis  tantum 
iter  salutis  esse  credimw  \ .  » 

1.  Gennad.  de  Ecclesiasticis  dogmatibus,c&ip.  41, 

Nemo  ascendit  in  regnum  cœlorum,nisi  per  sacra- 
meatum  baptismatis.(S.  Amb.,  op.  et  loc.  cit.  n*79  ) 

Méya  fzëv  yàp  ètrtt  rù  f3â7rr«xfxa,  xai  aveu  Ba7rr/<X|jt.aTCç 
aixTJxaivop  (àcujiXsîasïr.'-^ïîv.  (S.  Chrysost.,  Homil.  III, 
in  Epist.  ad  Cor.,  n°  2.) 

Cf.,  pour  la  tradition  des  Pères  grecs  et  latins 
eur  ce  sujet,  J.  Gérard  Vossius  :  Disput.  vu.  De  Bap- 
ti§mo.  Thés.  21. 


LE  BAPTEME 


II 


Messieurs,  Dieu  ne  nous  impose  jamai>  une 
obligation,  sans  donner  satisfaction  à  ses  nobles 
et  touchantes  perfections.  Puisque  le  Baptême 
est  nécessaire,  Jésus-Christ  à  dû  pourvoir  à 
cette  nécessité  avec  autant  de  sagesse  que  de 
bonté.  C'est  ce  dont  il  est  facile  de  nous  con- 
vaincre en  étudiant  les  éléments  du  sacrement 
régénérateur,  son  administration,  et  la  manière 
dont  il  peut  être  suppléé. 

a  Le  Baptême,  ait  le  catéchisme  du  Concile 
de  Trente,  est  le  sacrement  de  notre  régénéra- 
tion par  Teau  ,  dans  la  parole  :  Sacramcntum 
regeneratïonh  per  aquam  in  verboK..  »  C'est-à- 
dire,  une  ablution  de  notre  corps,  ordonnée  à 
la  régénération  de  notre  âme  ,  ablution  dont 
l'effet  intérieur  est  déterminé  par  ces  paroles; 
Je  te  baptise,  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit.   De  l'eau  et  des  paroles  divines, 

Cf.     Summ.     TheoL,    III    P.,    quaest.    68,    a.   1. 
Utrum  omnes  teneantur  ad  susceptionem  baptismi.  ? 
1.  Part.  11.  De  Baptismi  gacramento  n*  5. 


LE   BAPTEME  171 


tels  sont  les  éléments  du  Baptême.  La  sagesse 
du  Christ  les  a  bien  choisis  :  rien  ne  pouvait 
mieux  signifier  les  adimirables  effets  qu'il  vou- 
lait produire  dans  nos  âmes. 

L'eau  purifie  le  corps  qu'elle  touche  :  sym- 
bole de  la  purification  intime  qui  fait  disparaître 
les  souillures  spirituelles  dont  l'âme  humaine 
est  déshonorée,  alors  même  qu'elle  n'a  pas  en- 
core pu  prévariquer  volontairement.  ■ —  L'eau 
étouffe  et  noie:  c'est  dans  l'eau  que  le  genre  hu- 
main, corrompu  et  devenu  odieux  à  son  Créa- 
teur^ été  englouti;  c'est  dans  l'eau  que  fut  ex- 
terminée l'armée  ennemie  qui  poursuivait  le 
peuple  élu  :  symbole  de  la  mort  mystique  par 
laquelle  il  faut  passer,  afin  de  renaître  à  une 
vie  nouvelle,  à  cet  ensevelissement  dans  la  Pas- 
sion et  la  mort  du  Sauveur  que  l'Apôtre  prê- 
chait à  ses  fidèles,  et  où  l'homme  de  péché, 
que  nous  sommes,  est  étouffé-et  noyé.  —  L'eau 
se  précipite,  impétueuse,  irrésistible,  et  ren- 
verse tout  ce  qui  s'oppose  à  son  passage  :  sym- 
bole de  l'inondation  mystérieuse,  sous  le  poids 
de  laquelle  s'effondrent  et  disparaissent  les  aus- 
tères barrages  de  pénalités  et  d'expiations  dont 
la  justice  divine  entoure  l'homme  pécheur,  pour 


l72  LE    BAPTÊME 


retarder  son  entrée  dans  l'éternelle  félicité. — 
L'eau  est  merveilleusement  féconde  :  les  poètes 
ont  chanté  l'Océan,  père  de  toutes  choses;  les 
religions  antiques  l'ont  adoré  comme  un  prin- 
cipe créateur  ;  les  philosophes  ont  cherché  dans 
l'eau  le  germe  de  tous  les  êtres  ;  la  science  nous 
la  représente  c^mme  une  matrice  immense,  en- 
veloppant originairement  notre  globe  et  cou- 
vant, sous  l'action  du  soleil  et  des  fluides,  les 
premiers  vivants  dont  devait  s'enrichir  la  na- 
ture. Distinguée,  par  la  toute-puissante  parole  de 
Dieu,  des  éléments  qu'elle  noyait,  et  pour  tou- 
jours réglée  en  ses  évolutions,  elle  circule  dans 
le  grand  corps  terrestre  par  des  millions  de 
canaux,  elle  s'insinue  dans  tous  les  organismes. 
Là  où  elle  pénètre ,  la  nature  tressaille,  les 
germes  s'éveillent ,  la  terre  se  couvre  d'une 
riante  parure,  les  fleurs  éclosent  et  s'entr'ou- 
vrent.  les  fruits  se  nouent  et  se  développent  ; 
là  où  elle  se  découvre,  le  petit  insecte,  l'oiseau 
du  ciel,  l'animal  farouche,  la  bête  assouplie, 
l'homme  son  maître  ,  viennent  étancher  leur 
soif  ;  là  où  elle  est  absente,  tont  languit  et  tout 
meurt ,  la  roche  inféconde  dresse  mélancolique- 
ment vers  le  ciel  son  front  dépouillé,  et  l'aride 


LE  BAPTÊME  173 


désert  étale  sa  triste  immensité.  Elle  est  un 
élément  essentiel  de  toute  vie  physique  : 
symbole  de  la  grâce,  flot  descendu  des  rivages 
de  l'éternité,  écoulement  de  la  nature  divine 
qui  pénètre  et  vivifie  nos  âmes  et  fait  en  nous 
l'être  surnaturel  ;  de  la  grâce,  support  des  gran- 
des vertus  et  principe  de  nos  bonnes  œuvres  et 
de  nos  mérites;  de  la  grâc^,  en  l'absence  de 
laquelle  la  nature  déchue,  malgré  sa  beauté  et 
sa  puissance  originelles,  n'est  plus  qu'une  terre 
désolée  et  à  jamais  inféconde  pour  le  ciel.  — 
L'eau  rafraîchit  nos  membres  fatigués  et  alan- 
guis  par  une  trop  vive  chaleur  :  symbole  des 
habitudes  infuses  qui  apaisent  en  nos  âmes  les 
fiévreuses  ardeurs  de  la  concupiscence.  — 
Enfin,  l'eau,  fluide  et  diaphane,  ouvre  à  travers 
ses  flots  un  libre  passage  à  la  lumière  du  soleil  : 
symbole  de  l'âme  régénérée,  dont  la  transpa- 
rence s'abreuve  des  dons  de  l' Esprit-Saint , 
rayons  du  soleil  éternel1. 

1.  Ex  institutions  divina  aqua  est  propria  materia 
baptismi  :  et  hoc  est  convenienter.  Primo  quidem  quan- 
tum ad  ipsam  rationem  baptismi,  qui  est  regeneratio 
ad  spiritualem  vitam  ;  quod  maxime  congruit  aquse. 
Unde  et  semina,  ex  quibus  generantur  omnia  viventia, 
scilicet  plantée,  et  animalia,  humida  sunt,  et  ad  aquam 


174  LE   BAPTÊME 


Ainsi  préparée  par  sa  nature  et  sa  puissance 
symboliques,  Feau  a  reçu,  du  maître  des  élé- 
ments ,  une  préparation  plus  prochaine  aux 
effets  sacramentels.  Dieu  lui  a  communiqué  le 
miraculeux  pouvoir  de  guérir  les  maux  qui  affli- 
gent le  corps  humain  :  la  lèpre  de  Naaman, 
les  infirmités  de  ceux  qui  se  plongeaient  dans  la 
piscine  probatique,  et,  finalement  il  a  exalté  au 
plus  haut  point  sa  vertu,  en  la  sanctifiant  pour 
la  rendre  propre  à  notre  régénération.  Écoutez 
l'Église  bénissant  les  fonts  baptismaux  :  «  0 
Dieu,  dit-elle,  tu  as  fait  planer  ton  Esprit,  à  IV 

pertinent.  Propter  quod  quidam  Philosophi  posuerunt 
aquam  omnium  rerum  principium.  Secundo  quantum 
ad  effectus  baptismi,  quibus  competunt  aquae  proprie- 
tates  :  quee  sua  humiditate  lavât;  ex  quo  convenions 
est  ad  significandam,  et  causandam  ablutionem  pec- 
catorum  :  sua  frigiditate  etiam  tempérât  superfluitatem 
caloris  ;  et  ex  hoc  competit  ad  mitigandam  concupis- 
centiamfomitis;  sua  diaphaneitate  est  luminissuscep- 
tiva;  unde  competit  baptismo,  in  quantum  est  fîdei 
sacramentum.  Teriio  quia  convenit  ad  reprœsentan^- 
dum  mysteria  Christi,  quibus  justificamur.  Ut  enim 
dicit  Chrysostomus  super  illud  Joan  III.  Nisi  quis 
renatus  fuerit,  etc.  (Hom.  xxiv,  in  Joan.  ad  med.) 
o  Sicut  in  quodam  sepulcro  in  aqua  submergentibus 
nobis  capita,  vêtus  homo  sepeliiur;  st  submersus 
deorsum  occulatur;et  deinde  vovus  rursus  ascendit.  » 
Sumrn.  TheoL,  III  P.,  quœst.  G6,  a.  3  c. 


LH   BAPTÊME  175 


rigine  du  monde,  sur  la  surface  de  l'abîme,  afin 
que  l'eau  commençât  à  recevoir  la  puissance  de 
régénérer.  »  Mais,  ce  n'était  qu'un  commence- 
ment. La  sanctification  de  l'eau  est  consommée 
par  l'attouchement  de  la  chair  sacrée  du  Sau- 
veur. Le  voyez-vous,  soutenu  par  son  précur- 
seur, se  plonger  dans  les  eaux  du  Jourdain?  Les 
autres  y  viennent  pour  se  purifier;  lui,  la  pu- 
reté même,  y  vient  pour  sanctifier.  L'Esprit  de 
Dieu  se  manifeste  sous  une  forme  visible.  La 
voix  du  Père  se  fait  entendre  et  révèle  au  monde. 
la  grandeur  de  son  Fils  bien-aimé.  De  la  Tri- 
nité tout  entière  découle  une  vertu  mystérieuse 
qui,  après  avoir  traversé  la  chair  du  Christ,  se 
répand  dans  les  eaux.  Le  fleuve  l'emporte,  et, 
suivant  le  mouvement  giratoire  qui,  de  la  terre 
auxcieux,  des  cieuxà  la  terre,  unit  entre  elles 
les  eaux  de  la  création,  elle  les  sanctifie  toutes. 
Quand  le  Baptême,  qui  doit  nous  appliquer  les 
mérites  de  la  Passion  et  de  la  mort  du  Sauveur, 
deviendra  nécessaire,  sa  matière  sera  partout 
préparée  *. 

1.  Sacramenta  ex  sui  institutione  habent  quod  con- 
férant gratiam.  Unde  tune  videtur  aliquod  sàcramen- 
tum  institui,  quando  accipit  virtutemproducendi.suum 


176  LF  BAPTÊME 


Et  déjà,  Messieurs,  la  forme  qui  détermine 
ses  effets  est  énoncée.  Jésus-Christ  disant  à  ses 
apôtres  :  «  Baptisez  les  nations  au  nom  du  Père, 
du.  Fils  et  du  Saint-Esprit  »  ne  fait  que  leur 
rappeler  la  manifestation  de  son  Baptême,  et 
leur  indiquer  qu'il  est  temps  d'accomplir,  en 
son  nom,  les  grands  mystères  qu'il  a  inaugurés. 

C'est  le  Christ  qui  baptise  intérieurement  ;  il 
est  convenable  que  son  action  soit  exprimée  au 
dehors;  voilà  pourquoi  le  prêtre,  son  ministre 
et  son  instrument,  prononce  ces  paroles:  «  Je 
te  baptise.  »  Le  Baptême  est  un  sacrement  di- 
vin ;  il  est  juste  qu'il  soit  donné  au  nom  des  per- 
sonnes augustes  par  lesquelles  s'expriment  les 

effectum.  Hanc  autem  virtutem  accepit  baptismus, 
quando  Christus  est  baptizatus.  Unde  tune  vere  bap- 
tismus institutus  fuit  quantum  ad  ipsum  sacramentum. 
Sed  nécessitas  utendi  hoc  sacramento  indicta  fuit 
hominibus  post  passionem,  et  resurrectionem  :  tum 
quia  in  passione  Christi  terminata  sunt  fîguralia 
sacramenta,  quibus  succedit  baptismus,  et  alia  sacra- 
menta  novœlegis,  tum  etiam  quia  per  baptismum  con- 
figuratur  homo  passieni,  et  resurrectioni  Cbristi, 
inquantum  moritur  peccato,  et  incipit  novam  justitise 
vitam.  Et  ideo  oportuit  Christum  prius  pati,  et  resur- 
gere,  quam  hominibus  indiceretur  nécessitas  seconfi- 
gurandi  morti,  et  resurrectioni  ejus.  (Summ.  TheoL, 
III  P.,  queest.  66,  a.  2  c). 


LE  BAPTÊME  177 


évolutions  intimes  de  l'indivisible  nature  de 
Dieu,  sa  vie,  type  et  source  de  toute  vie,  à  la- 
quelle se  réfère  directement  notre  génération 
surnaturelle.  Le  Baptême  est  un  sacrement  de 
salut  qui  ouvre  les  portes  du  ciel  ;  rien  de  mieux 
que  de  rappeler,  à  celui  qui  le  reçoit,  la  Tri- 
nité sainte,  objet  de  la  vision  céleste  en  laquelle 
nous  serons  éternellement  béatifiés.  Le  Bap- 
tême est  un  sacrement  de  foi  ;  il  est  tout  naturel 
que  sa  formule  énonce  le  dogme  générateur  des 
dogmes,  le  mystère  d'où  procèdent  tous  les  mys- 
tères, la  vérité  suprême  qui  sert  de  clef  de 
voûte  à  tout  Tordre  surnaturel,  de  base  à 
toute  la  doctrine  catholique1.  »  Croire  au 
Père,  au  Fils  et  à  l'Esprit-Saint,  dit  saint  Ba- 
sile, c'est  le  résumé  de  notre  foi;  soyons  donc 
baptisés  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  de  l'Esprit- 
Saint2.  » 

Elément  matériel  et  formule,  tout  est  sage- 
ment ordonné  dans  le  sacrement  régénérateur, 

1.  Cf.  Summ.  TkeoLj  III  P.,  queest.  66,  a.  5. 
Utrum  conveniens  sit  forma  baptismi  :  Ego  te  6ap- 
tizo,  etc.  ?... 

2.  Ùs  yàp  TffK/leboixéveU  Tàaxêpa  xctlviov  xalàyiovavtvfj.cif 
oizw  xai  &<nrzil6{ieda.  sic  tô  àvoyat  toO  tccltoôs.  x.t.\  (Lib. 
De  S.  Spiritu,  cap.  12). 

CONFÉRENCES   N.-D.     —    CAKÈME   1883.    —     **2 


178  LE    BAPTÊME 


Pour  compléter  son  œuvre  ,  Jésus-Christ  a 
laissé  à  son  Église  le  pouvoir  d'instituer  des  cé- 
rémonies où  tout  parle  à  notre  foi  :  exorcis- 
mes,  profession  de  foi,  onctions,  bénédictions, 
lumières,  vêtements  nouveaux,  serments  ;  les 
uns  préparant  la  voie  aux  effets  sacramentels 
dans  nos  sens,  d'où  l'esprit  du  mal  est  chassé 
par  un  sou  fie  ;  les  autres  représentant  les  mys- 
tères accomplis  dans  nos  âmes,  et  nous  rappe- 
lant les  obligations  que  nous  avons  contractées 
en  entrant  dans  une  vie  nouvelle1.  Je  ne  m'at- 
tarderai pas  à  vous  les  expliquer  ,  Messieurs, 
bien  qu'elles  contiennent  de  graves  et  pro- 
fonds enseignements.  J'ai  hâte  d'appeler  votre 
attention  sur  la  bonté  avec  laquelle  le  Christ  a 
pourvu  à  notre  besoin  d'une  nouvelle  vie. 

Le  Baptême  étant  le  sacrement  indispensable, 
Dieu  devait  nous  le  rendre  facile  et,  pour  cela, 
choisir  non  seulement  l'élément  le  plus  apte  à 
figurer  ses  effets,  mais  le  plus  vulgaire,  le  plus  à 
la  portée  de  tous2.  Eh  bien?  c'est  fait  ;  l'eau,  signe 

1.  Cf.  Catechism.  Coqc.  Trid.  Part.  IL  —  De  Bap- 
tismi  Sacramento,  n*  70. 

2.  Ratione  suée  communitatis  et  abundantiœ  (aqu;i 
est  convenieus  materia  hujus  sacramenti  ;  potest  enim 


LK  BAPTÊME  179 


multiple  et  merveilleusement  expressif  des  mys- 
tères de  notre  régénération,  est  partout  répan- 
due avec  une  infinie  libéralité  .Elle  descend,  en 
perles  liquides,  sur  les  feuilles  des  arbres, sur  les 
brins  d'herbe,  et  dans  le  calice  des  fleurs.  Elle 
circule  dans  les  mystérieuses  artères  du  globe  ; 
ellejaillit,  à  la  surface,  en  sources  limpides.  Elle 
coule,  dans  toutes  les  directions,  en  ruisseaux, 
torrents,  rivières  et  fleuves.  Elle  s'amasse  en 
mille  et  mille  réservoirs;  elle  est  humble  citerne 
et  vaste  océan.  Le  soleil  l'enlève  en  impercepti- 
bles vapeurs,  mais  il  oblige  les  nuages  et  les 
neiges  éternelles  à  la  rendre  à  la  terre,  d'où  elle 
s'est  échappée.  Précisément  parce  qu'elle  est  un 
élément  essentiel  de  la  vie,  l'homme  ne  dresse 
les  tentes  de  son  voyage  terrestre  que  là  où  il  la 
rencontre.  Dans  l'ordre  de  la  nature,  comme 
dans  Tordre  de  la  grâce,  il  faut  qu'il  obéisse  à 
l'invitation  du  prophète  :  «  Approchez-vous  des 
eaux,  vous  qui  avez  soif  :  Omnes  sitientes  venite 
ad  agitas*.  »  Oui,  approchez;  la  promesse  que 
Dieu  fit  au  monde  par  la  bouche  de  Zacharie 

de  facin  ubique  haberi.  (Summ.  Theol.tlll  P.,  quajsfc. 
67,  a.  3.) 
1.  Isai.,  cap.  LV  I. 

—  *-    j 


180  LE  BAPTÊME 


est  accomplie  :  «  Une  source  immense  est  ou- 
verte, pour  la  purification  des  pécheurs,  à  ceux 
gui  veulent  habiter  la  nouvelle  Jérusalem  :  In 
iïla  dieerit  fons patens...  habitantibus Jérusalem, 
inaèlittionempeccatoris1.  »  Faut-il  se  plonger 
dans  cette  source  pour  y  ensevelir  le  péché? 
Cela  est  bien.  Mais  il  suffit  qu'une  seule  goutte 
coule  sur  nos  fronts, pour  que  nous  soyons  ré- 
générés2. 

Cependant,  cette  eau  dont  la  Providence  est 
si  prodigue,  nous  ne  pouvons  pas  la  prendre 
nous-mêmes,  comme  Naaman  le  lépreux, 
quand  il  s'agit  de  purifier  nos  âmes,  Elle  est 
partout,  mais  aurons-nous  toujours  près  de 
nous  un  de  ceux  à  qui  le  Christ  a  dit  :  Bapti- 
sez les  nations  au  nom  du  Père,  du  Fils,  et  du 
Saint-Esprit?  Certainement,  Messieurs,  Car  le 
Christ  a  multiplié  indéfiniment  les  ministres  de 
son  Baptême.  Il  n'appartient  qu'aux  Évêques  et 
fiux  prêtres  de  le  représenter  ordinairement, 
ie    diacre  les  remplace    par  extraordinaire*; 

1.  Cap.  XIII,  1. 

2.  Cf.  Summ.  Theol,  III  P.,quœst.,  66,  a.  IJJtrvm 
ûnmersio  in  aqua  sit  de  neeess.tate  baptismi? 

3-  Cf.  Summ.TheoL,  III  P.,  qu«st.  67,  a.  l,Utnm 


LE  BAPTÊME  181 


mais,  quand  la  nécessité  s'impose,  tout  le  monde 
peut  baptiser.  Entendez-vous?  tout  le  monde  : 
clercs  ou  laïques,  hommes,  femmes  ou  enfants, 
croyants,  héritiques  ou  infidèles,  pourvu  que 
les  intentions  et  les  rites  de  l'Eglise,  qui  nous 
engendre  au  nom  du  Christ,  soient  religieuse- 
ment gardés  et  accomplis.  Partout,  donc,  l'élé- 
ment régénérateur,  et  partout  des  ministres. 
Quelle  miséricordieuse  bonté  M 

Et,  pourtant,  si  malgré  toutes  ces  facilités 

ad  officium  diaconipertineat  baptizarefet  a.  2,  Utrum 
baptizare pertir.eat  ad  officium  presbyterorum? 

1.  Ad  misericordiam  ejus  qui  vult  omnes  homines 
salvos  fieri,  pertinet  ut  in  his  quœ  sunt  de  necessitate 
salutis,  homo  de  facili  remedium  inveniat.  Inter  om- 
nia  autem  sacramenta  maximee  necessitatis  est  bap- 
tismus,  qui  est  regeneratio  hominis  in  vitam  spiritua- 
lem  :  quia  pueris  aliter  omnino  subvenire  non  potest, 
et  adulti  non  possunt  aliter  quam  per  baptismum  ple- 
nam  remissionem  consequi  et  quantum  ad  culpam,  et 
quantum  ad  pœnam.  Et  ideo  ut  homo  circa  remedium 
tam  necessarium  defectum  pati  non  possit,  institut  um 
est  ut  et  materia  baptismi  sit  communis,  scilicet  aqua 
quœ  a  quolibet  de  facili  haberi  potest,  et  minister  bap- 
tismi etiam  sit  quicumque  non  ordinatus,  ne  propter 
defectum  baptismi  homo  salutis  suœ  dispendium  pa- 
tiatur.  {Summ.  TheoL,  III  P.,  queest.  67,  a  3,  c.) 

Cf.  ibid  a  4.  Utrum  mulier  possit  baptizare?  —  a.  5. 
Utrum  non  baptizatus  possit  sacramentum  baptismi 
con/erre  "> 


182  LE  BAPTÊME 


providentielles  le  Baptême  est  impossible, 
l'homme  criera-t-il  en  vain  :  «  J'ai  été  conçu 
dans  l'iniquité  et  ma  mère  m'a  enfanté  dans  le 
péché  :  Lavez-moi,  Seigneur,  purifiez-moi  !  » 
i — Non,  Messieurs,  là  où  le  Baptême  d'eau  fait 
défaut,  la  bonté  divine  permet  que  d'autres 
Baptêmes  le  suppléent1. 

Si  c'est  la  volonté  impie  d'un  tyran,  qui  inter- 
dit les  approches  de  la  piscine  sacrée,  l'homme 
a  dans  son  corps  une  source  plus  vive,  plus 
féconde  et  plus  précieuse  que  l'eau.  Le  glaive 
de  la  persécution  la  fait  jaillir  :  c'est  bien!  Le 
martyr  est  baptisé,  son  sang  appelle  à  lui  tout 
le  sang  du  calvaire,  et  le  grand  amour  avec 
lequel  il  le  répand,  toute  la  vertu  de  l' Esprit- 
Saint.  Sa  mort  n'est  pas  seulement  une  repré- 
sentation mystique  de  la  mort  du  Christ,  comme 
dans  le  Baptême  d'eau,  c'est  une  reproduction 
sanglante.  En  imitant  le  sacrifice  rédempteur, 
elle  s'en  approprie  les  mérites.  L'Esprit-Saint, 
qui  meut  le  cœur  du  martyr,  ne  cache  pas  ses 
opérations  dans  les  profondeurs  d'une  âme 
muette;    il  fait  jaillir  l'amour  dans  le   sang 

V  Cf.    Summ.    Theol.,  III.  P.,  quœst.  66,  a.   11. 
fJtrum  conoenienter  deseribantur  tria  baptismatat 


LE  BAPTÊME  183 


répandu,  dont  chaque  goutte  dit  à  Dieu  :  On  no 
peut  pas  aimer  davantage  :  Majorem  charitatem 
nemo  habet,  Cieux,  retenez  vos  fertiles  ondées; 
terre,  cache  tes  sources;  fleuves,  cessez  de  cou- 
ler. On  n'a  pas  besoin  d'eau,  là  où  le  sang 
coule  *. 

Mais,  le  Baptême  de  sang  n'appartient  qu'aux 
héros.  Dieu,  qui  connaît  nos  faiblesses,  ne  pou- 
vait pas  vouloir  que  notre  salut  fût,  partout  et  en 
tout  temps,  le  prix  d'une  sanglante  tragédie.  Il 

1.  Effusio  sanguinis  pro  Christo,  et  operatio  inte- 
rior  Spiritus  Sancti  dicuntur  baptismata,  inquantum 
efficiunt  effectum  baptismi  aquae.  Baptismus  autem 
aquœ  efficaciam  habet  a  passione  Christi,  et  a  Spi- 
ritu  Sancto,  ut  dictum  est  (art.  prsec).  Quse  quidem 
duœ  causœ  operantur  in  quolibet  horum  trium  baptis- 
matum  ;  excellentissime  tamen  in  baptismo  sangui- 
nis :  nam  passio  Christi  operatur  quidem  in  baptismo 
aquee  per  quamdam  fîguralem  representationem  ;  in 
baptismo  autem  flaminis,  vel  pœnitentiœ,  per  quam- 
dam affectionem  ;  sed  in  baptismo  sanguinis  perimita- 
tionem  operis. 

Similiter  etiam  virtus  Spiritus  Sancti  operatur  in 
baptismo  aquœ  per  quamdam  virtutem  latentem  ;  in 
baptismo  autem  pœnitentiœ  percordis  commotionem; 
sed  in  baptismo  sanguinis  per  potissimum  dilectionis, 
et  affectionis  fervorem,  secundum  illud  Joan.,  XV,  13. 
Majorem  hac  dlleetionem  nemo  habet  quam  ut  ani- 
mam  suam  portât quis pro  amicis  suis.(Summ.  Theol.t 
III  P.,quœst66,  a.  12,  c.) 


184  LE  BAPTÊME 


a  donc  permis  que  le  Baptême  d'eau,  devenu 
impossible,  fui  suppléé  par  le  Baptême  de  désir 
Oui,  Messieurs,  le  simple  désir  du  sacrement, 
dans  un  cœur  qui,  sous  l'impulsion  du  Saint- 
Esprit,  produit  un  acte  de  charité  parfaite,  suffit 
à  la  rémission  de  tous  les  péchés  et  à  la  régéné- 
ration de  l'âme  '.  Encore,  n'est-il  pas  nécessaire 
que  le  désir  du  sacrement  soit  explicite,  Il  est 
contenu  dans  l'amoureuse  volonté  de  ceux  qui, 
ignorant  la  vertu  et  même  l'existence  du  Bap- 
tême, sont  disposés  à  faire  tout  ce  qu'il  faut  pour 
être  justifiés.  Où  sont  ces  mystérieux  baptisés? 
Combien  sont-ils?  C'est  le  secret  de  Dieu;  il 
nous  le  fera  connaître  un  jour.  —  En  attendant 
cette  suprême  révélation,  croyons  que,  dans  le 

1.  Potest  sacramentur.»  baptismi  alicui  déesse  re, 
sed  non  voto;  sicut  cura  aliquis  baptizari  desiderat, 
sed  aliquo  casu  preevenitur  morte,  antequam  baptis- 
mum  suscipiat;  et  talis  sine  baptismo  actuali  salutem 
consequi  potest,  propter  desiderium  baptismi,  quod 
procedit  ex  fide  per  dilectionem  opérante,  per  quam 
Deus  interius  hominem  sanctificat,cujus  potentia  sacra* 
mentis  visibilibus  non  alligatur.  Unde  Ambrosius  dicit 
(in  Lib.  de  obitu  Valentin.  aliquant.  a  med.)  de  Va- 
lentiniano,  qui  catechumenus  mortuus  fuit  :  Quem 
regeneraturus  eram,  amisi;  verumtamen  Me  gratiam, 
quam  poposcit,  non  amislt.  (Summ.  Theol.,  III  P., 
quœst.  68,  a.  2,  c.) 


LE  BAPTÊME  185 


martyre  et  dans  la  flamme  amoureuse  du  désir, 
les  causes  qui  opèrent  sont  les  mêmes  que  dans 
le  Baptême  d'eau  :  c'est-à-dirè,  le  sang  de  Iésus- 
Christ  et  l'Esprit-Saint,  et  que,  par  conséquent, 
il  n'y  a  qu'un  seul  Baptême,  comme  il  n'y  a 
qu'une  seule  foi1.  Croyons  que  la  bonté  de  Dieu, 
dans  l'institution  du  sacrement  indispensable,  a 
marché  du  même  pas  que  sa  sagesse. 

Vous  en  doutez  encore,  Messieurs,  j'en  suis 
persuadé,  et  votre  raison  me  prépare  une  objec- 
tion à  laquelle  j'ai  déjà  répondu  et  qu'il  faut  en- 
tièrement liquider  aujourd'hui2.  Il  s'agit  des  en- 
fants qui,  ne  pouvant  former  aucun  désir  et 
n'ayant  pas  d'autre  péché  que  celui  de  leur  ori- 
gine, sont  surpris  parla  mort  avant  que  le  sacre- 
ment les  ait  régénérés.  S'ils  sont  tués  en  haine 
du  Christ,  le  martyre  les  sauve,  et  l'Église  peut 
saluer,  avec  attendrissement,  dans  les  cieux,  les 
tendres  fleurs  que  la  persécution  a  moisson- 
nées. Mais,  ils  sont  rares,  parmi  les  enfants,  ces 

1.  Alia  duo  baptismata  (seilicet  sanguinis  et  flami- 
nis),  includentur  in  baptismo  aquœ,  qui  efficaciam 
habet  et  ex  passione  Christi  et  ex  Spiritu  Sancto.  Et 
ideo  per  hoc  non  tollitur  unitas  baptismatis. 

2.  Cf.  vingt-huitième  conférence.  La  chute  dans 
V  humanité 


186  LE  BAPTÊME 


privilégiés  du  Baptême  de  sang  ;  tandis  qu'une 
foule  immense  s'en  va,  par  la  faute  d'un  seul, 
aux  abîmes  éternels,  et  l'Eglise,  sans  pitié  pour 
leur  âge  et  leur  impuissance,  n'hésite  pas  à 
écrire  sur  leur  front  ce  mot  sinistre  qu'on  lit  sur 
le  front  des  maudits  :  Camnation  ! 

Messieurs,  pas  d'imagination,  je  vous  en  prie  ; 
ne  vous  effrayez  pas  d'un  mot,  sans  en  bien  com- 
prendre le  sens.  Cemot,je  ne  le  retire  pas.  Lesort 
des  enfants  morts  sans  Baptême  est  une  vérita- 
ble damnation,  parce  qu'il  est  l'effet  d'une  ma- 
lédiction prononcée  sur  la  race  humaine,  dans 
la  personne  de  leur  premier  père.  Mais,  sachez 
le  bien  :  il  y  damnation  et  damnation. 

Celui  qui  entre  dans  son  éternité  après  une 
vie  coupable,  close  par  l'impénitence,  est  dam- 
né, c'est-à-dire  condamné  à  ne  jamais  voir  ni 
posséder  le  bien  suprême  qui  devait  le  béati- 
fier à  jamais.  Ce  bien,  il  le  connaît;  il  sait  qu'il 
en  est  privé  par  sa  faute  et  mesure  toute  l'hor- 
reur de  cette  privation.  Un  désir  immense  de 
bonheur  le  tourmente,  et  ce  désir,  toujours  inas- 
souvi, le  plonge  dans  une  tristesse  désespérée 
qui  le  tuerait,  s'il  n'était  immortel.  Il  ne  peut 
pas  jouir  du  grand  bien  de  sa  nature  que  le  pé- 


LE  BAPTEME  187 


ché  n'a  pu  détruire,  parce  que  ce  grand 
bien,  dont  il  a  abusé,  en  appelle  un  autre  que 
Dieu  lui  a  révélé  pour  le  punir  ;  parce  que  le  sup- 
plice des  sens  profanés  par  l'iniquité  s'ajoute 
aux  inexprimables  tortures  de  l'âme.  Et  le  com- 
ble de  son  malheur,  c'est  de  toujours  se  dire  à 
lui-même  :  Je  l'ai  voulu  !  et  de  toujours  maudire 
la  vie  à  laquelle  il  tient,  et  dont  se  repaît  l'éter- 
nelle mort  qui  le  ronge. 

Ah.  j'en  conviens,  si  tel  était  le  sort  des  en- 
fants morts  sans  Baptême,  vous  auriez  raison 
d'accuser  Dieu  d'avoir  oublié  sa  bonté  dans 
l'institution  de  ce  sacrement.  Mais,  rappelez- 
vous,  je  vous  prie,  la  belle  et  touchante  doctrine 
de  saint  Thomas  que  je  vous  ai  exposée1.  «  Les 

1.  Nous  remettons  ici,  sous  les  yeux  du  lecteur,  les 
textes  de  saint  Thomas  cités  à  la  fin  de  notre  vingt- 
huitième  conférence  : 

Animée  puerorum  naturali  quidem  cognitione  non 
carent,  qualis  debetur  animœ  separatee  secundum 
suam  naturam,  sed  carent  supernaturali  cognitione^ 
quee  hic  in  nobis  per  fidem  plantatur,  eo  quod  nec  hic 
fidem  habuerunt  in  actu,  nec  sacramentum  fîdei  sus- 
ceperunt.  Pertinet  autem  ad  naturalem  cognitionem 
quod  anima  sciât  se  propter  beatitudinem  creatam,  et 
quod  beatitudo  consistât  in  adeptione  perfecti  boni,  sed 
quod  illud  bonum  perfectum,  ad  quod  homo  factus 
est,  sit  illa  gloria  quam   sancti  possident,  est  supra 


188  LE  BAPTÊME 


enfants  qui  n'ont  pas  reçu  la  grâce  de  la  régé- 
nération sont  damnés,  c'est  vrai,  puisque  la  sen- 
tence portée  contre  la  nature  déchue  les  con- 
damne à  ne  jamais  voir  Dieu  face  à  face,  à  ne  ja- 
mais jouir  des  délices  de  cette  contemplation. 
Mais,  ignorant  qu'ils  ont  été  faits  pour  ce 
grand  bonheur,  dont  ils  n'ont  jamais  entendu 
parler,  comment  souflriraient-ils  de  sa  priva- 

cognitionem  naturalem ,  juxta  illud  Apostoli  :  Nec 
oculus  vidit}  née  auns  audivît,  née  in  eor  hominis 
ascendit  quœ  prœparavit  Deus  diligentibus  se,  nobis 
autem  reoelavit  Deus  per  Spiritum  suum,  quœ  reve- 
latio  ad  fidem  pertinet.  Et  propter  hoc,  quia  animée 
parvulorum  se  privari  tali  bono  non  cognoscunt,  ideo 
non  dolent;  sed  hoc  quod  per  naturam  habent,  absque 
dolore  possident.  »  (De  Malo,  quœst.  5.  a.  3.) 

Quamvis  pueri  non  baptizati  sint  sepaçati  a  Deo 
quantum  ad  illam  conjunctionemquœ  est  per  gloriam, 
non  tamen  ab  eo  penitus  sunt  separati;  imo  illi  con- 
junguotur  per  participationem  naturalium  bonorum, 
et  ita  etiam  de  ipso  gaudere  polerunt  naturali  cogni- 
tioneet  dilectione.  (In  lib.II,  Sent.,  dist.  33.,  quœst. 
1.  a.  2.  ad.  5um.  ) 

Peccato  originali  non  debetur  pœna  sensus,  sed 
solum  pœna  damni,  scilicet  carentia  visionis  divinœ. 
(De  Malo,  quœst.  5.  a.  2.) 

«...  Et  ideo  nihil  omnino  dolebunt  de  carentia  visio- 
nis divinœ,  imo  magis  gaudebunt  de  hoc,  quod  parti- 
cipabunt  multa  de  divina  bonitate,  et  perfectionibus 
naturalibu8.  »  (Io  lib.  I!,  Sent.,  dist.  33,  quœst.  lt 
a.  2..) 


LE    BAPTEME  189 


tion?  Si  Dieu  le  révèle  à  ceux  qui  auraient  pu  s'y 
préparer  de  loin,  par  le  bon  usage  des  dons  de 
la  nature,  sa  bonté  lui  interdit  le  jeu  cruel  de 
décevoir  de  pauvres  petes  âmes  dont  les  facul- 
tés ne  se  sont  jamais  éveillées.  Qu'il  ne  leur 
montre  pas  les  splendeurs  de  son  essence,  soitl 
Mais  il  leur  est  unini  par  la  participation  de  ses 
perfections,  qu'il  leur  fait  connaître  dans  l'ex- 
cellence de  leur  nature,  les  beautés  de  la  créa- 
tion, et,  peut-être,  la  visite  des  anges  et  des 
saints,  qui  viennent  les  carresser  et  les  instruire. 
Aucun  reproche,  aucun  regret,  aucune  douleur, 
ne  les  empêchent  de  jouir  des  douceurs  de  cette 
connaissance,  dont  ils  sont  trop  heureux  pour 
qu'ils  puissent  songer  à  autre  choses  qu'à  louer 
Dieu  et  à  le  bénir  de  les  avoir  créés.  »  Mères 
chrétiennes,  qui  les  avez  enfantés,  regrettez 
qu'ils  ne  soient  pas  des  anges,  mais  ne  les  plai- 
gnez pas  d'un  malheur  imaginaire,  puisqu'ils 
vous  remercient  de  leur  avoir  fait  don  de  la  vie. 
Et  vous,  Messieurs,  cessez  de  les  comparer, 
dans  votre  pensée,  aux  éternels  proscrits  qui 
font  retentir  l'enfer  de  ce  cri  désespéré  :  Mau- 
dit soit  le  jour  où  je  suis  né!  et  ne  troublez  pas, 
par  d'injustes  récriminations,  le  paradis  de  leur 


190  LF  BAPTÊME 

nature  tranquille  et  satisfaite.  Rentrez  plutôt 
en  vous-mêmes,  et  craignez  l'effroyable  dam- 
nation à  laquelle  vous  vous  exposez,  si  vous 
êtes  infidèles  à  la  grâce  de  votre  Baptême.  Cette 
grâce,  vous  la  devez  à  l'infinie  bonté  de  Dieu. 
Remerciez-le,  et  dites  avec  l'Apôtre  :  «  C'est  par 
sa  miséricorde  que  nous  avons  été  sauvés  dans 
le  bain  de  la  régénération  :  Secimdum  suam 
misericordiam  saivos  nos  fecit  ver  lavacrum  ré- 
générations s  l.  » 

i.  Tit  ,  cap.  M.  5. 


SOIXANTE-CINQUIÈME  CONFÉRENCE 


LE    BAPTISÉ 


SOIXANTE-CINQUIEME  CONFÉRENCE 


LE    BAPTISÉ 

Eminentissime  Seigneur1,  Messieurs, 
Condamné  à  mort  par  la  sentence  qui  dé- 
pouilla son  premier  ancêtre  des  privilèges  trans- 
missibles  de  la  justice  originelle ,  l'homme  a 
besoin  de  renaître.  Obligé  de  produire  des 
œuvres  surnaturelles,  l'homme  a  besoin  d'un 
organisme  en  rapport  avec  la  nouvelle  vie 
qu'il  reçoit.  Appelé  à  participer  aux  actes 
d'un  corps  mystique  et  à  communier  aux 
biens  spirituels  qui  circulent  dans  ce  corps, 
l'homme  a  besoin  d'y  entrer  et  d'y  être 
scellé  par  un  caractère  indélébile.  Le  Bap- 
tême, régénération,  illumination,  sigillation, 
répond  à  ces  besoins,  et  nous  ouvre  ainsi  la  porte 
du  royaume  des  cieux,  où  Dieu  ne  reçoit  que 

1.  Son  éminence  le  cardinal  Guibert,  archevêque  de 

Paris. 

CONFÉRENCES  N.-D.  —  CAREME  1883.  —  13 


194  LE   BAPTISÉ 


des  âmes  pures  vivant  de  sa  vie;  où  il  ne  cou- 
ronne que  les  fruits  de  la  grâce  et  des  habitudes 
saintes  qu'il  nous  a  communiquées  ;  où  il  ne  con- 
somme, dans  l'éternelle  béatitude ,  que  l'Église 
dont  son  Fils  Jésus-Christ  est  le  chef.  D'où  la 
nécessité  absolue  du  sacrement  initiateur,  né- 
cessité à  laquelle  le  Christ  a  pourvu,  avec  une 
admirable  sagesse  et  une  tendre  miséricorde. 

Telles  sont,  Messieurs,  les  vérités  importantes 
que  je  vous  ai  exposées  dans  ma  précédente 
conférence.  A  la  rigueur,  nous  pourrions  nous 
en  contenter,  et  chercher  immédiatement,  dans 
le  sacré  septénaire ,  le  sacrement  qui  complète 
le  Baptême  et  fait  passer  l'âme  régénérée  de 
l'enfance  à  la  virilité  chrétienne.  Mais  il  m'a 
semblé  que  nous  avions  encore  une  étude  inté- 
ressante à  faire,  étude  qui  répond  à  certaines 
prétentions  et  préoccupations  contemporaines 
que  vous  me  reprocheriez  peut  être  d'éviter. 

Il  s'agit  du  baptisé,  de  sa  grandeur  et  de  ses 
droits.  —  Vous  allez  vous  convaincre  en  m'en- 
tendant,  je  l'espère,  que  la  question  est  impor- 
tante et  mérite  d'être  traitée  sérieusement. 


LE    BAPTISÉ  195 


I 


Et  d'abord  quel  est  le  sujet  du  Baptême:  c'est- 
à-dire,  qui  peut  être  baptisé?  La  question  n'est 
pas  oiseuse,  croyez-le  bien;  car  elle  nous  donne 
l'occasion  de  revendiquer  le  droit  au  Baptême, 
contre  l'exclusion  prononcée  par  la  libre  pensée 
sur  une  bonne  partie  de  l'humanité. 

On  ne  nous  conteste  pas  le  droit  de  baptiser 
les  adultes  qui,  en  pleine  possession  d'eux- 
mêmes  et  suffisamment  instruits  des  vérités  de 
la  religion,  s'écrient  :  Je  crois!  et  demandent  à 
entrer,  par  l'initiation  sacramentelle ,  dans 
l'Église  de  Jésus-Christ.  C'est  par  ces  adhésions 
volontaires  que  le  christianisme  a  commencé,  et 
l'on  ne  trouve  pas  mauvais  qu'il  continue  de  la 
même  manière. 

De  notre  côté,  nous  ne  prétendons  pas  insérer 
de  force  dans  le  corps  mystique  du  Christ  ceux 
qu'une  autorité  naturelle,  si  aveuglée  qu'elle 
soit,  maintient  dans  le  giron  de  l'erreur  et  la 
mort  du  péché.  Non  seulement  nous  ne  bapti- 
sons pas  les  adultes  qui  ne  veulent  pas  de  notre 
sacrement,  mais  nous  respectons  la  volonté  des 


196  LE    BAPTISÉ 


mécréants  et  des  infidèles  sur  leurs  enfants.  «  Le 
droit  naturel,  dit  saint  Thomas,  les  place  sous 
la  tutelle  de  leurs  parents,  jusqu'à  ce  qu'ils 
puissent  disposer  de  leur  personne.  Les  bapti- 
ser à  contre  gré,  c'est  offenser  la  justice  autant 
que  si  Ton  baptisait  un  adulte  malgré  lui.  De 
plus,  c'est  exposer  leur  foi  à  sombrer  dans  les 
redoutables  tentations  de  l'amour  filial,  qui  doit 
s'éveiller  un  jour  dans  leur  cœur.  Aussi  la  cou- 
tume de  l'Église  est-elle  de  ne  point  contreve- 
nir, en  cela,  à  la  volonté  des  parents1.  » 

A  ces  paroles  du  grand  docteur,  on  oppose 
les  actes  inconsidérés  de  certains  princes  et  de 
certains  particuliers  qui,  par  excès  de  zèle, 

1.  Pueri  secundum  jus  naturale  sunt  sub  cura  pa- 
rentum,  quamdiu  ipsi  sibi  providere  non  possunt. 

Unde  etiam  de  pueris  antiquorum  dicitur,  quod  sal- 
vabantur  in  fide  parentum.  Et  ideo  contra  justitiam 
naturalem  esset,  si  taies  pueri  invitis  parentibus  bap- 
tizarentur;  sicut  etiam  sialiquishabens  usum  rationis 
baptizaretur  invitus.  Esset  etiam  periculosum  tali- 
ter  filios  infîdelium  baptizare  :  quia  de  facili  ad  infi- 
delitatem  redirent,  propter  naturalem  affectum  ad  pa- 
rentes. Et  ideo  non  habet  hoc  Ecclesiee  consuetudo  quod 
filii  infidelrum,  invitis  parentibus >  baptizentur. 

Cf.  Cinquante-huitième  conférence:  Delarepressi 
dans  V Eglise,  2m0  partie,  en  note,  texte  de  saint  Tht 
mas. 


LE    BAPTISÉ  197 


ont  abusé  de  leur  autorité  et  de  leur  influence 
pour  imposer  le  Baptême,  et  l'on  prétend  en 
faire  rejaillir  la  responsabilité  sur  l'Église. 
Mais  elle  proteste  énergiquement  par  la  voix 
de  ses  conciles  et  de  son  droit  canon,  et,  sur  ce 
point  délicat,  elle  réclame,  de  tous  ses  enfants, 
«  le  respect  de  la  justice  :  Ut  intégra  sit 
forma  justitiœ.  1  » 

Ces  explications  données,  nous  sommes  en 
présence  d'une  nouvelle  question  :  Les  parents 
chrétiens  ont-ils  le  droit  de  faire  baptiser  leurs 
enfants,  et  l'Église  peut-elle  condescendre  à 
leur  désir?  La  réponse  affirmative  jaillit  spon- 
tanément de  vos  cœurs.  Messieurs  ;  mais,  il  y  en 
a  qui  pensent  que  vos  cœurs  vont  trop  vite. 
C'est,  du  moins,  l'opinion  d'un  certain  nombre 
de  déclamateurs  contemporains  qui  se  sont 
donné  mission  de  pontifier  pour  la  libre  pensée. 
L'originalité  de  leur  talent,  la  facilité  et  l'élé- 
gance de  leur  style,  leur  donnent,  sur  l'esprit 

1.  Contra  est  quod  in  Décret,  dist.  xlv,  cap.  v.  ex 
Concilio  Toletano,  cap.  iv,  can.  57,  sic  dicitur  :  «  De 
Judœis  preecipit  sancta  synodus,  nemini  deinceps  ad 
credendum  vim  inferre,  non  enim  taies  inviti  salvandi 
sunt,  sed  volentes,  ut  intégra  sit  forma  justitiœ.  » 
(Summ.  Theol.%    Loco.  cit.) 


198  LE    BAPTISE 


public,  une  certaine  autorité  dont  ils  abusent 
pour  le  saturer  de  sophismes.  —  Par  exemple, 
ils  incarnent  dans  chaque  individu  ce  qu'ils 
appellent  les  droits  de  l'homme,  sans  se  soucier 
des  droits  de  la  société,  de  la  famille  et  de 
Dieu,  et  veulent  que  chacun  soit  maître  de 
choisir  et  de  faire  sa  religion...  On  ne  doit 
point  préjuger,  à  cet  égard,  les  décisions  de  la 
liberté  éclairée  par  la  raison.  —  L'homme  est 
enfant  ;  donnez  lui  tous  les  soins  qui  con- 
viennent à  sa  santé  ;  préparez-le  à  l'exercice  de 
ses  facultés,  mais  ne  l'engagez  à  rien.  Il  faut 
que  sa  conscience  soit  absolument  libre  de  se 
prononcer  quand  il  aura  grandi,  et  que,  mis 
en  présence  des  diverses  formes  religieuses 
créées  par  l'esprit  humain,  il  puisse  dire  de 
lui-même  :  Voilà  ce  qui  me  convient  !  Il  sera 
catholique,  protestant,  juif,  mahométan,  bou- 
dhiste,  et,  même,  rien  du  tout,  c'est  son  affaire. 
Du  moins,  il  ne  pourra  accuser  personne  d'avoir 
attenté  dans  son  âme  au  droit  radical,  inviolable 
et  royal  de  la  libre  pensée.  On  attente  à  ce 
droit,  on  se  rend  coupable  du  crime  de  lèse- 
toajesté  humaine,  lorsque,  parle  Baptême,  on 
fait  entrer   à  leur  insn,  les  enfants  dans  une 


LE    BAPTISÉ  199 


société  à  laquelle,  un  jour  peut-être,  il  leur 
déplaira  d  appartenir  ;  lorsqu'on  les  oblige  ainsi 
à  croire,  à  professer  une  doctrine  qui,  un  jour 
peut-être,  révoltera  leur  raison  ;  lorsqu'on  les 
soumet  au  joug  d'une  loi  prétendue  sainte  qui, 
un  jour  peut-être,  sera  trouvée  incommode  et 
malfaisante  par  une  volonté  jalouse  de  sa  libre 
expansion.  Donc,  plus  de  Baptême  pour  les 
enfants  ;  attendons  qu'ils  le  demandent:  voilà 
notre  système  ! 

Et  ils  sont  fiers  de  ce  système,  comme  s'ils 
en  avaient  l'étrenne.  On  dirait,  à  les  entendre, 
que  le  monde  n'a  marché  de  progrès  en  progrès, 
pendant  dix-huit  siècles,  que  pour  aboutir  à 
cette  superbe  et  audacieuse  revendication  de  la 
libre  pensée.  Les  plus  modestes  daignent  se 
souvenir  que,  dans  le  siècle  qui  a  précédé  notre 
glorieux  dix-neuvième,  un  certain  Jean-Jac^ 
ques  Rousseau  pourrait  bien  avoir  eu  l'idée  de 
cette  revendication  ;  mais  ils  ne  vont  pas  plus 
loin. 

La  vérité  historique  me  fait  un  devoir  de  leur 
dire  que,  s'ils  étaient  un  peu  plus  instruits,  ils 
reconnaîtraient,  à  leur  grande  confusion,  qu'ils 
ne  sont  que  les  plagiaires  d'une  erreur  vieille 


200  LE    BAPTISÉ 


au  moins  de  quatorze  cents  ans.  Condamnée 
et  anathématisée,  au  cinquième  siècle,  par  le 
concile  de  l'ancienne  Milève,  sous  le  pontificat 
du  pape  saint  Innocent1,  elle  fut  reprise,  au 
douzième  siècle,  par  les  Pétrobrusiens.  Saint 
Bernard  les  a  flagellés  en  des  termes  que  l'ur- 
banité de  nos  mœurs  policées  ne  nous  per- 
mettrait pas  d'employer.  «  Voyez,  disait-il, 
ces  détracteurs  et  ces  chiens  qui  se  moquent 
de  nous  parce  que  nous  baptisons  les  enfants. 
Eh  !  qu'importe  que  l'enfant  ne  puisse  pas 
parler,  puisque  la  voix  du  sang,  la  voix  de  son 
frère,  de  son  grand  frère  le  Christ,  monte  pour 
lui  de  la  terre  vers  Dieu.  Debout,  près  du 
Christ,  j'entends  crier  la  sainte  mère  l'Église. 
Et  l'enfant  lui-même,  ne  l'entendez-vous  pa9 
crier  vers  le  Seigneur  et  lui  dire,  par  ses  dou- 
loureux vagissements  :  Seigneur,  je  souffre  vio- 
lence, protégez-moi  :  Domine  vimpatior ,responde 
pro  me?  Il  demande  les  secours  de  la  grâce,  le 
pauvre  petit,  parce  que  le  péché  qu'il  tient  de 
son  origine  lui  fait  violence.  Sa  misère  invo- 
lontaire, son  ignorance,  son  infirmité,  tout  crie 

1.  Placuit  ut  quicumque  parvulos  récentes  ab  uteris 
matrum  baptizandos  negv .  anathema  sit.  (Can.2.) 


JB    BAPTISÉ  201 


vers  Dieu.  Ne  me  dites  pas  qu'il  n'a  pas  la  foi, 
puisque  l'Église  sa  mère  lui  donne  la  sienne.1  » 
Les  Pétrobrusiens  furent  écrasés  sous  les 
coups  de  cette  vigoureuse  et  touchante  invec- 
tive; mais,  trois  siècles  plus  tard,  on  entendit 
de  nouveau  leurs  sacrilèges  moqueries  sortir  de 
la  bouche  des  Anabaptistes.  Ceux-ci,  plus  forts 
que  nos  contemporains,  savaient  ajouter,  aux 
sophismesde  la  raison,  des  traits  volés  à  l'arsenal 
sacré  où  sont  remisées  nos  plus  puissantes 
armes.  Bellarmin  à  énuméré,  discuté  et  démoli 
trente-six  de  leurs  arguments  tirés  de  l'Ecri- 
ture. *  Vous  voulez  bien,  n'est-ce  pas,  que  je 


1.  Videte  detractor es ,  videte  canes.  Irrident  nos, 
quia  baptizamus  infantes.  Quid  enim  si  infans  pro  se 
loquinon  potest,  pro  quo  vox  sanguinis  fratris  sui,  et 
talis  fratris  (  Christi)  clamât  ad  Deum  de  terra?  Astat 
et  clamât  nihilominus  mater  Ecclesia.  Quid  tamen 
infans?  Nonne  et  ipse  tibi  videtur  inhiare,  de  fontibus 
salvatoris  vociferari  ad  Deum,  suisque  vagitibus  cla- 
mitare  :  Domine  vim  patior,  responde  pro  me.  Fla- 
gitat  auxilium  gratiae,  quia  vim  patitur  ab  origine 
Clamât  innocentia  miseri,  clamât  ignorantia  parvuli, 
clamât  infirmitas  addicti.  Nemo  mihi  dicat,  quia  non 
habet  fidem,  cui  mater  (Ecclesia)  impendit  suam. 
(Serm.  66.  in  Cant.) 

2.  Cf.  Bellarmin.,  Lib.  I.  De  taeramento  baptcsmi. 
cap. ix. 


202  LE  BAPTISÉ 


vous  en  fasse  grâce?  —  Ils  ne  négligeaient  pas 
non  plus  la  tradition  et  trouvaient  çà  et  là,  en 
leur  faveur,  quelques  textes  des  Pères  qui  ju- 
geaient plus  prudent  et  plus  sage  d'attendre 
l'âge  du  discernement,  pour  administrer  avec 
plus  de  fruit,  le  Baptême.1  Je  ne  discuterai 
pas  ces  textes,  Messieurs  ;  il  me  suffira  de  vous 
faire  remarquer  que,  dans  un  temps  où  la  so- 
ciété était  encore  à  moitié  païenne,  on  pouvait 
désirer  que  les  enfants  n'entrassent  qu'à  bon 
escient  dans  l'Église,  pour  éviter  les  dangers  de 
l'apostasie  :  que  les  Pères  qui  ont  exprimé  ce 
désir   ont   toujours   enseigné    que   l'on  devait 


1.  De  reliquis  (infantibus  quibus  nullum  ingruit 
mortis  periculum)  ita  censeo  et  triennio  expectato, 
aut  aliquanto  breviori  aut  longiori  temporis  spatio... 
ita  demum  per  magni  baptismi  sacramentum  et  ani- 
mos  et  corpora  sanctificent  :  Ilepl  hè  râva/Aul'  S<S&>^< 
yv(b[iY}v  ty}v  rpterlav  àvauelvavTas  r,  (âixoov  èvràs  toutou,?; 
ir.ïz  toOto.  OCtcos  dyid^etvxaiypv^àsx'xif7Cû(i<XTa  tw  peyà)si> 
liverrjp'.tùTrïs  Tzkz'.ùHTecos .(S . .  Greg.  Naz.,  crat.  40,  in 
sanctum  Baptisma,  n°  27. 1 

Quidfestinat  innocens  œtas  ad  remissionem  pecca- 
torum?  (Tertul.,  Lib.  De  baptism.,  cop.  18.)  Fieri  non 
potest  ut  corpus  recipiat  sacramentum,  nisi  ante  ani- 
ma fidei  receperit  veritatem.  (S.  Hieron.,  cap.  ait.  in 
Matth.) 


LE   BAPTISÉ  203 


baptiser  les  enfants  en  péril  de  mort1,  et  n'ont 
jamais  nié  qu'on  pût  validement  baptiser  les 
autres.  L'eussent-ils  nié,  leurs  négations  iso- 
lées ne  pourraient  prévaloir  ni  contre  la  loi 
divine,  qui  n'excepte  personue,  ni  contre  la 
coutume  générale  de  l'Église,  affirmée  par  une 
nuée  de  témoignages,  depuis  les  constitutions 
apostoliques2,  jusqu'aux  solennelles  déclara- 
tions du  concile  de  Trente,  qui  a  condamné 
les  anabaptistes. 

1.  Cur  eos  quoque  (infantes)  baptizamus?  Ita  pror- 
sus,  si  qued  periculum  immineat  :  H  xai  xavTa  ^airri- 
<ro(isv  ;  tsâv vyej  eTwep  ris  éiretyoi  xivhvvos  (S.  Greg.  Naz., 
Lib.  De  Anima,  cap.  30  et  40.) 

2.  Baptizate  etiam  parvulos  vestros,  et  eos  educate 
in  bona  disciplina  et  prtBceptis  Dei  :  BairrlÇere  Ss  Ci/zwv 
xai  Ta  vr^iaKcti  SHrépsrs  aura  èvzsaiàdqxalvovôecTKxQeov. 
(Constiiut.apostolic,  Lib.  VI,  cap.  15.)  « 

Cèlesiin,  dans  le  libelle  qu'il  écrivit  à  Rome,  avoue 
que  c'est  la  règle  de  l'Eglise  universelle  de  baptiser  les 
entants.  «  Infantes  baptizare  in  remissionem  peccato- 
rum  secundum  regulam  universahs  Ecclesiœ,  et  se- 
cundum  evangelii  doctrinam  »(s.  Aug.  lib.  Depeccato 
originali,  cap.  5).  Si  quis  dixerit  neminem  esse  bap- 
tizandum,nisi  ea  setate  qua  Christus  baptizatus  est,  vel 
in  ipso  mortis  articulo  ;  anathema  sit.  (Conc.  trid. 
sess  vu.  De  baptismo,  can,  12.)  Si  quis  dixerit  parvu- 
los, eo  quod  actum  credendi  non  habent,  suscepto 
baptismo  in  ter    fidèles    computandos   non   esse ,   ac 


204  LE    BAPTISÉ 


Vous  le  voyez,  Messieurs,  les  modernes  ad- 
versaires du  pédobaptisme  ont  de  jolis  ancêtres. 
J'ai  du  plaisir  à  leur  apprendre  que  leur 
orgueilleuse  critique  des  coutumes  sacramen- 
telles n'est  pas  une  nouveauté  ;  j'aurai  plus 
de  plaisir  encore  à  leur  démontrer  qu'elle  n'a 
pas  le  sens  commun. 

On  m'accordera  bien,  je  l'espère,  que  le 
respect  de  la  liberté  ne  doit  pas  être  ridicule 
et  barbare  jusqu'à  priver  l'enfant  inconscient 
de  grands  et  solides  avantages  qu'on  pourrait 
lui  procurer,  même  au  prix  de  certaines 
obligations.  L'amour  paternel  n'est  pas  une 
chimère  ;  il  a  des  devoirs  qu'on  ne  peut 
mépriser  sans  crime.  Assurément,  la  liberté 
est  une  belle  chose:  mais  l'amour  en  est 
moins  touché  que  des  misères  et  des  fai- 
blesses auxquelles  il  peut  remédier.  Que  nos 
adversaires  nous  permettent  d'interroger  leurs 
sentiments  et  leur  conduite,  nous  y  trouve- 
rons, peut-être,  notre  justification. 

propterea,  cumad  annos  discretionis  pervenerint,  esse 
rebaptizandos,  aut  prœstare  omitti  eorum  baptisma, 
quameos,  nonactuproprio  credentes,  baptizari  in  sola 
fide  Ecclesiœ;  anathema  sit.  (Conc.  trid.,  sess.  VII, 
De  Baptis.,  cao.  13.) 


le  BApnsé  2Ô5 


Si  l'un  de  leurs  enfants  est  atteint  d'une 
grave  infirmité  qui  menace  de  se  consolider 
et  de  le  rendre  difforme  pour  toute  la  vie, 
attendront-ils  qu'il  soit  en  âge  de  connaître 
son  état  et  de  déclarer  qu'il  désire  être  guéri  ? 
—  Pas  le  moins  du  monde  ;  ils  s'empresseront 
d'appeler  quelque  habile  orthopédiste  et  se 
conformeront  scrupuleusement  à  ses  instruc- 
tions, malgré  les  cris  et  les  convulsions  de 
l'enfant.  —  Si  quelqu'un,  comme  au  temps  des 
bonnes  fées,  avait  le  pouvoir  de  douer  un 
enfant  et  d'accumuler,  en  sa  petite  personne, 
le  génie,  la  vertu,  la  beauté,  lui  diraient-ils: 
Attendez  que  mon  fils  puisse  se  prononcer  et 
que  nous  sachions  bien  s'il  n'aime  pas  mieux 
être  un  sot,  un  coquin  et  un  laideron?  —  Je  ne  le 
pense  pas;  ils  accepteraient,  avec  reconnais- 
sance, des  bienfaits  qui  leur  promettent  de 
posséder,  un  jour,  dans  leur  famille,  une  petite 
merveille.  —  Un  enfant  vient  de  naître  ;  vite, 
ils  le  font  inscrire,  pour  lui  donner  un  étal 
civil,  et  décrètent  ainsi  qu'il  devra  prendre 
part  aux  bénéfices  et  aux  charges  de  leur  pro- 
pre nationalité.  —  Pourquoi  n'attendent-ils 
pas  que  l'enfant  puisse  faire   un   libre   choix 


206  LE   BAPTlSé 


et  décide  qu'il  lui  plairait  d'être  Anglais,  Belge 
ou  Prussien,  plutôt  que  Français?  — Qu'un  pa- 
rent éloigné  ou  un  étranger,  qui  ne  leur  doit  rien, 
propose  d'assurer  un  riche  héritage  à  un  de 
leurs  enfants  en  bas  âge.  Vous  pouvez  être 
sûrs  qu'ils  profiteront  tout  de  suite  de  ses 
bonnes  dispositions,  sans  se  demander  si  le 
futur  héritier  ne  préférera  pas,plus  tard, l'hon- 
nête médiocrité  à  l'opulence  qu'on  lui  offre. 
Evidemment,  en  tout  cela,  ils  font  bon  marché 
des  décisions  de  la  liberté  ;  et,  si  vous  le  leur 
reprochiez,  ils  vous  répondraient  :  Quand  il 
s'agit  du  bien  des  enfants,  l'amour  paternel 
présume  légitimement  tous  les  consentements. 
Et  voilà  précisément,  Messieurs,  ce  que 
pensent  les  parents  chrétiens  qui  font  baptiser 
leurs  enfants.  La  foi  leur  dit  que  celui  qui  naît 
de  l'homme  et  de  la  femme  est  privé  de  la  sève 
divine  qui  doit  vivifier  notre  être  surnaturalisé. 
C'est  plus  qu'un  infirme ,  c'est  un  mort;  aussi, 
s'empressent-ils  de  le  plonger  dans  la  piscine 
sacrée,  où  il  est  engendré  de  nouveau  et  péné- 
tré de  la  vie  de  Dieu.  La  foi  leur  dit  qae  notre 
nature,  déchue  de  sa  condition  première,  ne 
peut  plus  produire  aucun  acte  m  rapport  avec 


LE   BAPTISE  207 


le  terme  sublime  que  Dieu  a  assigné  à  toute  vie 
humaine,  que  l'honnêteté  naturelle,  elle-même, 
lui  est  devenue  difficile,  mais  qu'une  miséri- 
corde infinie  offre  de  l'enrichir  d'habitudes  di- 
vines et  des  dons  de  l'Esprit-Saint,  pour  la  dis- 
poser aux  œuvres  saintes,  rectifier  ses  pen- 
chants, et  apaiser  l'ardeur  de  ses  convoitises. 
Ces  habitudes,  ces  dons,  ils  se  hâtent  de  les  de- 
mander au  sacrement  d'illumination.  La  foi  leur 
dit  que  nous  sommes  appelés  à  faire  partie 
d'une  société  spirituelle,  plus  noble,  plus  fé- 
conde, plus  riche,  plus  durable  que  toutes  les 
sociétés  humaines,  et  qu'il  est  bon  d'être  chré- 
tien pour  participer  aux  biens  qui  circulent  dans 
le  corps  mystique  du  Sauveur.  Voilà  pourquoi 
ils  donnent  tout  de  suite,  par  le  caractère  bap- 
tismal, un  état  religieux  à  leurs  enfants,  comme 
ils  leur  ont  donné  un  état  civil,  afin  qu'ils  soient 
incorporés  à  la  société  chrétienne.  La  foi  leur 
dit  que  tout  chrétien  devient  héritier  d'un  trésor 
sur  lequel  la  rouille  et  les  voleurs  n'ont  pas  de 
prise,  d'une  demeure  où  Ton  jouit  d'un  bonheur 
que  n'empoisonne  aucune  des  misères  dont  la 
vie  humaine  est  remplie,  d'un  royaume  qui  sub- 
sistera éternellement,  quand  tous  les  royaumes 


208  LE   BAPTISÉ 


de  la  terre  seront  détruits.  Cet  Héritage  incom- 
parable, ils  l'acceptent  pour  leurs  enfants,  et 
l'acte  solennel  de  leur  acceptation,  c'est  le 
Baptême. 

Leur  reprochera-t-on  d'agir  conséquemment 
aux  principes  de  leur  foi?  Mais,  je  ne  sache  pas, 
que  les  principes  de  leur  foi  aient  moins  d'auto- 
rité que  le  septicisme  moqueur  de  ceux  qui  les 
désapprouvent, et  qu'ils  soient  moins  honorables 
d'avoir  des  convictions  religieuses  que  de  n'en 
avoir  pas.  —  Plus  clairvoyants  et  plus  nobles 
dans  leurs  ambitions  que  les  naturalistes,  qui  ne 
sont  sensibles  qu'à  des  avantages  temporels,  les 
parents  chrétiens  regardent  du  côté  de  l'éter- 
nité, et  les  glorieuses  destinées  qu'ils  entrevoient 
leur  paraissent  mériter  qu'on  y  prépare  l'âme 
des  enfants,  par  la  régénération,  l'illumination, 
l'incorporation.  —  Ils  ne  négligent  pas  plus  les 
soins  du  corps  et  la  préparation  des  facultés 
intellectuelles  et  morales  que  ceux  qui  ne  voient 
que  cela  dans  leur  progéniture;  mais  leur  re- 
gard profond  va  plus  avant,  et  leur  amour, 
éclairé  par  la  foi,  leur  commande,  pour  les  be- 
soins surnaturels  de  l'enfant,  des  attentions  plus 
empressées  et  plus  délicates  <iue  pour  les  né- 


LE    BAPTISÉ  209 


cessités  de  la  nature.  Mieux  que  personne,  ils 
ont  le  droit  de  répondre  à  ceux  qui  critiquent 
leur  religieuse  sollicitude  :  Quand  il  s'agit  du 
plus  grand  bien  des  enfants,  l'amour  paternel 
présume  légitimement  tous  les  consentements. 

On  me  dira  peut-être  :  à  quoi  bon  ce  luxe, 
cette  complication  d'opérations  mystérieuses  et 
d'effets  sacramentels,  dans  une  âme  d'enfant  qui 
n'en  a  pas  conscience  et  qui  ne  peut  faire  usage 
des  dons  qu'elle  reçoit?  Eh!  Messieurs,  pour 
être  sauvé  de  la  mort,  pour  recevoir  la  vie,  pour 
être  assuré  d'un  somptueux  héritage,  il  n'est 
pas  nécessaire  qu'on  ait  connaissance  de  si 
grands  bienfaits.  L'âme  inconsciente  de  l'enfant 
peut  être  délivrée  de  la  mort  du  péché,  pénétrée 
de  la  vie  de  Dieu,  investie  d'un  droit  certain  à 
l'héritage  céleste  ;  cela  vaut  bien  la  peine,  ce  me 
semble,  qu'on  lui  administre  le  Baptême  qui 
produit  ces  merveilleux  effets.  Quant  aux  vertus 
infuses  et  aux  dons  illuminateurs  de  l'Esprit- 
Saint,  ils  ne  sont  pas  plus  inutiles  que  les  facul- 
tés intellectuelles,  qui  sommeillent  afin  de  ne 
pas  distraire  la  vie  physique  de  l'activité  dont 
elle  a  besoin  pour  s'affermir. 

Vous  ne  voyez  pas  s'exprimer  par  des  actes 

COMKÉHENCKS   N.-D.    — ■    CAKFMlî    lâS3.    —    14 


210  LE    BAPTIBÊ 


la  raison  des  enfants  en  bas  âge,  et,  cependant, 
cette  lumineuse  faculté  existe  à  l'état  latent; 
attendant,  pour  se  manifester,  le  moment  <  ù 
les  organes  dont  elle  se  sert  comme  d'instru- 
ments seront  non  seulement  assez  souples  pour 
obéir,  mais  assez  fermes  pour  supporter  le  coup 
d'archet  qui  les  fera  frémir,  chanter  la  pen- 
sée, et  mettra  en  branle  tout  Fêtre  intel- 
lectuel et  moral.  Il  en  est  de  même  des  fa- 
cultés surnaturelles  dont  Dieu  orne  l'âme 
en  la  régénérant.  Elles  existent  réellement  ; 
mais  elles  attendent  le  moment  où  la  raison 
s'éveille,  et  éveille  autour  d'elle  toutes  les  fa- 
cultés de  l'âme  humaine;  et,  alors,  agissant 
de  concert  avec  elles,  elles  disposent  le  chré- 
tien à  recevoir,  sans  retard,  les  premières 
impressions  des  vérités  divines,  objet  de  sa 
foi,  et  à  subir  les  premiers  attraits  du  bien 
suprême,  objet  de  ses  espérances  et  de  son 
amour  *.  Elles  font  chanter,  aux  innocenta 
natures  qu'elles  illuminent,  le  saint  cantique 
des  actes  naïfs  par  lesquels  se  manifeste  la  vie 
chrétienne.  —  La  touchante  docilité  qui  fait 

1.  Cf.  Summ.  TheoL,  III  P.  Quœst.  69.  a.6.  Utrum 
pueri  in  baptismo  consequantur  gratiam  et   virtutes? 


LE    BAPTISÉ  211 


accepter  aux  enfants  les  plus  profonds  mys- 
tères de  la  religion,  la  candeur  avec  laquelle 
ils  dirigent  leurs  désirs  vers  le  ciel,  la  sincé- 
rité de  leur  amour  pour  Dieu,  la  confiance 
de  leurs  prières,  tout  cela  est  le  fruit  du  Bap- 
tême et  la  manifestation  des  habitudes  infuses 
qu'ils  y  ont  reçues.  Non,  qu'on  ne  dise  pas 
qu'elles  sont  inutiles,  mais,  plutôt,  qu'on  admire 
la  sagesse  de  Dieu  dans  l'analogie  des  lois  qui 
gouvernent  parallèlement  l'ordre  naturel  et 
Tordre  surnaturel. 

C'est  pour  obéir  à  ces  lois,  Messieurs,  que  les 
parents  chrétiens  font  baptiser  leurs  enfants. 
Le  bon  sens  et  l'amour  leur  dictent  leur  devoir, 
à  cet  égard,  et  leur  feront  éternellement  braver 
les  contradictions  des  sophistes  qui  prétendent 
interdire  à  la  vie  divine  de  se  donner ,  avant 
qu'on  la  demande,  là  où  l'on  a  besoin  d'elle; 
Laissons-les  au  triste  métier  de  rajeunir  des 
hérésies  décrépites,  d'outrager  le  sens  commun^ 
et  d'étouffer  dans  leur  cœur  les  plus  nobles  ins- 
pirations de  l'amour  paternel.  Si  la  justice  hu- 
maine ne  peut  flétrir  toutes  les  lâches  calom- 
nies de  la  mauvaise  foi,  appliquée  à  décrier  le 
zèle  de  ceux  qui  recueillent,  pour  les  baptiser 


212  Z.E    BAPTISÉ 


et  les  envoyer  au  ciel,  les  enfants  abandonnés 
des  infidèles,  meprisons-les.  Rien  n'empêchera 
la  grâce  de  descendre  dans  l'âme  des  enfants 
que  nous  présentons  au  Baptême;  rien  ne 
m'empêchera  de  vous  dire  quelle  est  leur  gran- 
deur, quels  sont  leurs  droits. 


u 


Bien  qu'il  ne  soit  qu'une  toute  petite  chose, 
par  ses  faiblesses  et  son  impuissance,  l'enfant 
participe  à  la  grandeur  de  ses  générateurs. 
Toutes  les  illustrations  de  famille  se  donnent 
rendez-vous  auprès  de  son  berceau,  l'entourent 
comme  d'une  auréole,  et  lui  promettent  un 
glorieux  héritage.  Mais  ces  priviligiés  de  la 
grandeur  humaine  sont  rares  ;  il  y  a  plus  de  ber- 
ceaux obscurs  ici-bas  qu'il  n'y  en  a  d'illustres, 
si  on  ne  les  voit  que  des  yeux  de  la  chair;  si, 
au  contraire,  nous  les  regardons  avec  les  yeux 
delà  foi,  tous  les  berceaux  s'illuminent,  tous 
les  berceaux  sont  glorieux,  du  moment  qu'un 
chrétien  y  repose. 

L'enfant  baptisé  est  grand  de  la  grandeur  du 


LE   BAPTISÉ  213 


Dieu  qui  l'engendre  à  une  nouvelle  vie.  Sans 
doute,  cette  génération  n'est  point  semblable  à 
celle  qui,  dans  les  cieux,  produit  le  Verbe  di- 
vin. —  Le  Père  innascible  ne  peut,  se  défendre 
d'engendrer  son  semblable  et  de  lui  donner 
toute  sa  grande  nature.  Il  est  aussi  nécessaire 
qu'il  ait  un  fils,  splendeur  de  sa  gloire,  image 
vivante  et  parfaite  de  sa  substance,  qu'il  est 
nécessaire  qu'il  soit,  et  ce  fils  a  le  privilège 
d'être  unique.  Cependant,  non  plus  par  néces- 
sité, mais  par  amour,  Dieu  se  sent  incliné  à 
avoir  d'autres  fils.  S'il  ne  peut  leur  donner  toute 
sa  nature,  il  les  y  fait  participer  et,  par 
cette  participation,  il  les  configure,  autant 
qu'il  est  en  lui,  à  son  Fils  unique  et  éternel.  Pro- 
fond mystère,  stupéfiante  merveille,  chantée 
par  nos  saints  docteurs!  Dieu  fait,  dans  le 
sacrement  où  il  nous  engendre  surnaturel- 
lement  pour  nous  rendre  semblables  à  son  Fils, 
ce  qu'il  a  fait  dans  le  sein  d'une  vierge  pour 
rendre  son  Fils  semblable  à  nous.  L'eau  du 
Baptême  est  un  giron  sacré  à  qui  nous  devons 
la  naissance  que  le  Christ  doit  au  sein  de 
Marie.  En  ces  deux  sources  de  vie,  ce  sont  les 
mêmes  causes  qui  agissent  :  la  même  fécondité 


214  LE   BAPTISÉ 


du  Père,  la  même  opération  de  l'Esprit-Saint. 
Entre  ces  deux  sources  de  vie  se  fait  ce  prodi- 
gieux rapprochement:  que,  dans  Tune,  le  Fils  de 
Dieu  devient  fils  de  l'homme,  et  que,  dans 
l'autre,  le  fils  de  l'homme  devient  fils  de  Dieu, 
Entendez-vous,  Messieurs,  ce  tout  petit  être, 
que  l'Église  baptise  est  un  fils  de  Dieu.  Nous 
ne  pouvons  pas  l'appeler,  comme  le  Verbe  divin, 
un  fils  de  nature,  mais  un  fils  de  bienveillance 
et  d'adoption.  Toutefois,  les  adoptions  hu- 
maines ne  sont  qu'une  imparfaite  image  de  cette 
adoption  divine.  Elles  donnent  un  nom,  des 
titres  et  des  droits,  sans  pouvoir  rien  changer 
dans  la  personne  de  l'enfant  qu'on  adopte.  Son 
sang  demeure  imprégné  des  vices  de  ses  géné- 
rateurs, et  ses  appétits,  de  la  bassesse  de  leurs 
instincts.  C'est  en  vain  que  ses  adoptants  vou- 
draient lui  communiquer  quelque  chose  de 
leur  noble  nature,  il  ne  le  peuvent  pas.  Ce 
sera,  peut-être,  le  fruit  de  l'éducation, mais  point 
le  fait  de  l'adoption.  Dans  l'adoption  surnatu- 
relle, au  contraire,  Dieu  opère  à  la  manière  d'un 
générateur,  et  va  jusqu'à  l'intime  de  notre  être. 
Il  nousjustifie,  dit  saint  Augustin,  c'est-à-dire 
il  détruit,  en  notre  âme  déchue,  le  vice  de  notre 


LE   BAPTISÉ  215 


génération  naturelle,  la  mort  du  péché  ;  et,  par 
le  même  acte,  il  nous  déifie  :  Deus  quijustificat 
ipse  deificat*.  S'il  ne  nous  passe  pas  son  être 
divin  en  sa  plénitude,  il  nous  donne  quelque 
chose  d'approchant  et  du  même  genre.  Il  nous 
fait ,  selon  l'expression  de  saint  Thomas , 
«  communiquer  à  sa  propre  nature,  par  une 
certaine  participation  de  ressemblance  avec 
lui,  et  il  n'y  a  que  lui  qui  puisse  faire  cela  : 
Necesse  est  quod  solus  Deus  deificet,  communi- 
cando  consortium  su%  naturx  per  quarndam 
similitudinis  partkipationem  2.  »  Saint  Jean 
disait  bien  :  Quel  amour  le  Père  a  pour  nous, 
puisqu'il  veut  qu'on  nous  appelle  ses  fils  et 
que  nous  le  soyons  en  effet  !  Ut  filii  Dei  nomi- 
nemur  et  simus  3. 

Mais  pourquoi,  me  demandez- vous,  Dieu 
fait-il  son  fils  d'un  petit  être  qui  ne  peut  ni  le 
connaître  ni  l'aimer?  —  Pourquoi,  Messieurs? 
Parce  qu'il  veut  contenter  son  amour,  Nous 
sommes  par  nature  les  images  de  sa  perfection, 


1.  InPsalm.  XLIX. 

2.  Summ.    Theol.,  I  ae  II  ae  P.,qusest.  112.  a.  1.  c. 

3.  Videte  qualem    charitatem  nobis  dédit  Pater,  ut 
filii  Dei  nominemur  et  simus.  (I.  Joan.  cap.  m.) 


2lÇ  LE    BAPTISé 


et  l'on  peut  dire  qu'il  est,  en  cet  ordre,  notre 
Père  d'office,  car  il  n'y  a  que  lui  qui  puisse  nous 
donner  l'être  et  nous  le  conserver.  Toutes  les 
attentions  de  sa  Providence  sont  des  actes  de 
cette  universelle  paternité  ;  mais  il  n'y  peut 
point  mettre  cette  particulière  bienveillance, 
cette  intime  et  tendre  complaisance  qu'il  a 
pour  son  Fils  éternel.  C'est  afin  de  nous  aimer 
comme  il  l'aime  qu'il  nous  adopte,  en  nous  ren- 
dant semblables  à  lui,  par  la  communication  de 
sa  vie.  Et  voyez  jusqu'où  va  son  inclination 
à  nous  aimer.  Les  nobles  gens  qui  adoptent 
des  enfants  ont  peur  de  voir  s'éteindre  un 
grand  nom  et  s'évanouir  une  grande  fortune. 
Dieu  n'a  point  de  ces  craintes.  L'immense 
majesté,  le  souverain  bien  qu'il  est,  sont  im- 
périssables comme  son  être.  Il  possède  un  fils, 
son  héritier  naturel,  qui  jouit  et  jouira  éter- 
nellement de  toutes  les  grandeurs,  de  toutes 
les  richesses,  de  toutes  les  béatitudes  de  son 
immortelle  et  infinie  nature.  Et  l'on  dirait  que 
cela  ne  suffit  pas  à  son  amour.  L'héritage  de 
son  Fils  il  veut  le  donner  à  d'autres,  et  c'est  pour 
que  nous  puissions  le  voir  un  jour,  le  pos- 
séder, jouir   de  lui  aussi  profondément  et  in- 


LE    BAPTISÉ  217 


timement  que  son  propre  Fils,  toute  différence 
gardée  entre  sa  nature  infinie  et  la  nôtre, 
qu'il  nous  divinise  ici-bas. 

L'enfant  baptisé  est  donc,  par  la  grâce  du 
Christ,  fils  de  Dieu  comme  lui  et  son  cohéritier. 
Admirables  privilèges!  Et  pourtant,  ce  n'est 
pas  encore  toute  sa  grandeur.  Sa  ressemblance 
avec  le  Verbe  divin,  qui  a  daigna  s'abaisser 
jusqu'à  lui  en  prenant  chair,  n'est  point  une 
ressemblance  séparée  ;  mais,  si  je  puis  m'ex- 
primer  ainsi,  une  ressemblance  conjointe,  qui 
étend  et  complète  le  grand  mystère  de  l'In- 
carnation. En  nous  façonnant  à  l'image  du 
Fils  de  Dieu,  le  Baptême  nous  incorpore  à  son 
humanité  sainte  et  fait  de  nous  ses  membres 
vivants.  Il  est  avec  nous  un  seul  corps,  unum 
corpus.  Non  pas  un  corps  purement  moral  et 
métaphorique,  comme  celui  que  forment  en- 
semble les  membres  d'une  même  société,  mais 
quelque  chose  de  plus  :  ce  corps  réel  et  mys- 
tique dont  je  vous  ai  décrit  la  structure  et 
les  fonctions,  et  où  nous  avons  vu  circuler  la 
vie  divine  avec  tous  les  biens  dont  elle  est  le 
principe  \  ce  corps  dans   lequel    tout  noln; 

t,  Cf.  soixantième  conférence  :  La  Communion  des 
toiiniêk 


218  LE   BAPTISÉ 


être  est  engagé  :  notre  âme,  qui  reçoit  de 
divin  chef  les  influences  célestes  dont  elle  est 
surnaturellement  vivifiée,  et  fait  rayonner  autour 
d'elle  ses  mérites  divinisés  par  les  mérites  du 
Christ  :  notre  chair,  mystérieusement  travaillée 
par  la  chair  sacrée  du  Sauveur  qui  l'abreuve 
de  sa  sève  et  la  prépare  k  la  résurrection. 
Membres  du  Christ,  nous  appartenons  à  sa 
plénitude  sociale,  et  lui  nous  communique  sa 
plénitude  personnelle.  C'est  le  comble  de  notre 
grandeur  baptismale. 

La  plénitude  du  Christ,  Messieurs,  c'est  son 
Esprit.  Non  pas  quelque  chose  d'idéal  et  d'abs- 
trait et  comme  la  quintessence  de  ses  vertus; 
mais  une  personne  subsistante  et  vivante  que 
le  Verbe  respire  éternellement  avec  son  Père, 
et  qui  achève, dans  les  cieux,la  vie  divine;  sur 
la  terre,  les  communications  de  Dieu.  «  Nous 
sommes  tous  baptisés  dans  cet  unique  Esprit: 
In  imo  Spiritu  omnes  nos  baptizati  sumus. 
Nous  en  sommes  tous  abreuvés  :  Omnes  in  uno 
Spiritu potati  sumus,  »  L'Apôtre  relie  ce  mys- 
tère à  celui  de  notre  incorporation1.  «Membres 

1.  Sicut  enim  corpus  unum  est,  et  membra  babet 
multa,  omnia  autem  membra  corporis  cum  sint 
niulta,  unum  tamen  corpus  sunt  :  ita  et  Christus.  K%- 


Lft    BAPTISÉ  219 


du  Christ,  nous  sommes  les  temples  de  son 
Esprit  :  Templum  Dei  estis  et  Spiritus  Dei  ha- 
bitat invobis  *.  »  Cet  Esprit  vivant,  envahissant 
notre  âme,  réside  là  où  elle  réside,  travaille 
et  vivifie  là  où  elle  travaille  et  vivifie,  c'est-à- 
dire  jusqu'aux  extrémités  de  ces  instruments 
de  chair  et  d'os  par  lesquels  se  manifestent, 
aux  yeux  des  hommes,  les  mystères  de 
notre  vie  intime.  Nos  membres,  qui  sont, 
par  la  grâce  du  Baptême,  les  membres 
vivants  du  Christ,  «  sont  aussi  les  temples  vi- 
vants de  son  Esprit-Saint  :  Membra  vestra  tem- 
plum sunt  Spiritus  Sancti.  »  9  Temples  consa- 
crés par  l'inscription  de  son  caractère,  l'onction 
de  sa  personne,  l'illumination  de  ses  dons, 
temples  plus  somptueux,  plus  grandioses,  plus 
illustres,  plus  durables  que  les  majestueux 
et  solides  édifices  construits,  par  la  piété  des 
hommes,  à  la  gloire  de  Dieu. 

Vous  comprenez  maintenant,  Messieurs,  la 

enim  in  uno  Spiritu  omnes  nos  in  unum  corpus  bapti- 
zati  sumus,  sive  judeei,  sive  gentiles,  sive  servi,  sive 
liberi  :  et  omises  in  uno  Spiritu  potati  sumus.  (I  Cor., 
cap.  xii  12,  13.) 


1.  I  Cor.,  cap.  m,  16. 

2.  I  Cor.,  cap.  vi.,  19. 


220  LE    BAPTISE 


profond?  et  sublime  signification  des  paroles 
qu'on  prononce  sur  la  tête  du  baptisé  :  «  Je 
te  baptise  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit.  »  Le  mystère  que  vous  avez  entrevu, 
sans  doute,  lorsque  je  vous  parlais  des  effets 
du  sacrement,  brille  de  tout  son  éclat  dans  la 
personne  de  celui  qu'il  a  régénéré.  Fils  de 
Dieu,  membre  du  Christ,  temple  de  l'Esprit 
divin,  intimement  uni  à  toute  la  Trinité  sainte, 
le  chrétien  est  grand  plus  qu'on  ne  saurait  le 
dire,  et  je  n'hésite  pas  à  avouer  mon  impuis- 
sance à  le  glorifier  autant  qu'il  le  mérite.  Je 
suis  d'autant  plus  confus  de  cette  impuissance 
que  Dieu  se  montre  plus  prodigue  de  l'honneur 
qu'il  fait  aux  enfants  des  hommes.  —  Tous  sont 
appelés  à  contracter,  avec  la  famille  divine, 
la  triple  alliance  qui  les  transfigure,  et  l'enfant 
du  plus  pauvre,  du  plus  misérable,  du  plus 
ignoré  des  hommes  sort  aussi  glorifié  du 
Baptême  que  les  fils  de  princes,  dont  la  nais- 
sance met  en  liesse  toute  une  nation. 

La  grandeur  de  l'enfant  baptisé  est  le  fonde- 
ment de  ses  droits.  Ce  petit  être  s'impose  :  Dieu, 
l'Église,  la  famille,  la  société,  ont  des  devoirs  à 
remplir  à  son  égard.  Dieu,  je  suis  sûr  de  lui. 


LE    BAPTISÉ  221 


Il  ne  manquera  pas  de  donner  à  son  fils  d'adop- 
tion l'héritage  qu'il  lui  a  promis,  s'il  est  fidèle 
à  la  grâce  de  son  Baptême.  L'Église,  je  compte 
sur  elle;  ses  mains  généreuses  laisseront  tomber 
à  temps,  sur  le  chrétien,  les  grâces  auxquelles  il 
a  droit  pour  compléter  le  mystère  de  son  initia- 
tion et  parfaire  sa  vie  surnaturelle.  Mais,  à  la 
famille,  à  la  société,  il  est  bon,  il  est  nécessaire 
de  rappeler  les  droits  de  l'enfance  régénérée. 
Le  premier  de  ces  droits,  Messieurs,  est  le 
droit  au  respect.  Respecter  l'enfant  semble  tout 
naturel.  Les  touchantes  supplications  de  sa 
faiblesse  s'unissent  à  la  voix  du  sang  pour  récla- 
mer, au  moins  de  nous,  les  attentions  d'un  cœur 
compatissant.  Les  païens  eux-mêmes  n'ont-ils 
pas  dit  :  «  Maxima  debetur  puer o  rêver entia  :  On 
doit  aux  enfants  les  plus  grands  égards.  »  C'est 
vrai,  Messieurs;  mais,  quand  les  païens  ont  dit 
cela,  le  christianisme  commençait  à  pénétrer  le 
monde  ancien  de  ses  maximes,  et  les  poètes, 
comme  les  philosophes,  trouvaient  bon  de  se 
les  approprier.  Ne  jugez  pas  les  sentiments  et 
les  mœurs  de  la  nature  d'après  les  sentiments  et 
les  mœurs  de  vos  âmes  chrétiennes.  Abandonnée 
à  elle  même,  la  nature  déchue  est  bientôt  aveu- 


222  LE   BAPTISÉ 


glée  par  la  perversité  de  ses  instincts,  et  voit  dif- 
ficilement le  côté  grand  et  noble  de  la  vie  hu- 
maine. Son  regard  s'arrête  à  la  superficie  de 
notre  être  et,  dans  un  pauvre  petit  enfant  dont 
fàme  et  les  facukés  sont  encore  un  mystère, 
elle  ne  considère  que  la  rriatière  et  ne  tient 
compte  que  de  ses  promesses. 

Nous  en  avons  la  preuve  dans  les  agissements 
et  les  doctrines  de  l'antiquité  païenne.  Quel  mé- 
pris de  l'enfant,  et  quelle  cruauté  à  son  égard! 
L'intérêt  de  la  famille  et  de  la  république  déci- 
dait de  son  sort  ;  car  il  n'était,  aux  yeux  de  ses 
parents  et  des  sages,  qu'un  instrument  dont  la 
valeur  se  mesurait  aux  services  qu'on  en  atten- 
dait. Sa  constitution  chétive,  son  corps  mal  con- 
formé, menaçaient-ils  de  devenir  une  charge 
pour  sa  famille  ou  pour  l'Etat,  rien  de  mieux 
que  de  s'en  débarasser.  —  Lorsqu'on  disait  au 
père  :  «  Un  enfant  vous  est  né.  »  —  Montrez-lé 
moi,  répondait-il,  et,  s'il  le  trouvait  à  son  gré, 
il  le  prenait  entre  ses  bras  ;  cela  voulait  dire  : 
«qu'il  vive!»  Si,  au  contraire, il  le  laissait  à 
terre  ,  cela  voulait  dire  :  «  Emportez-le, 
tuez-le,  je  n'en  ai  que  faire!  »  Coutumes 
atroces,   qui    déshonorent  encore  les  peuplée 


tE  BAPTISÉ  223 


chez    qui  le  paganisme  n'a  pas  été  déraciné. 

Ne  croyez  pas,  Messieurs,  qu'il  n'y  ait  là 
qu'un  de  ces  égarements  de  la  nature,  contre 
lesquels  protestent,  au  nom  du  droit  et  du  de- 
voir, l'enseignement  des  sages  et  les  prescrip- 
tions de  la  loi.  C'est  la  loi  qui  commande  de 
tuer,  sans  délai  ni  miséricorde,  les  rejetons  mal 
conformés1.  Ce  sont  les  sages  qui  conseillent 
l'avorteinent  et  l'infanticide  comme  des  me- 
sures de  bien  public. 

C'est  un  Platon  qui  descend  des  hauteurs  de 
sa  brillante  et  pure  métaphysique,  pour  traiter 
l'espèce  humaine  comme  un  troupeau  de  brutes 
et  pour  ordonner  qu'on  ne  nourrisse  que  les 
enfants  nés  d'un  couple  robuste  et  bien  fait 2  ; 

1.  Les  lois  des  Douze  Tables,  (in  Cic,  De  legibm 
111,8.) 

2.  Bonorum  igitur  infantes,  opinor,  accipientes  in 
septum  portabunt  ad  nutrices  quasdam  seorsum  in 
urbis  parte  aliqua  habitantes,  deteriorum  vero,  et  si 
quid  ex  aliis  mancum  nascetur,  in  secreto  et  occulto 
ut  decet  abscondent.  Siquidem,  inquit,  purum  custo- 
dum  genus  futurum  est. 

là  pèv  S>)  tùjv  àyzdûv,  hoxû,  XaGoveou  eis  tôv  atjKOv  ol~ 
Govai  -xapâ  Tivxs  rpoÇols  x°°?lç  oixovaas  ïv  Ttvt  pépzt  rrjs 
vàXeœs,  rà  hè  tùw  ^eipàvfvv,  xai  èâv  ti  tûv  érépoov  àrobn/- 


20  i  LE  BAPTISÉ 


seul  moyen,  dit-il,  de  former  un  excellent  trou- 
peau. C'est  un  Aristote  qui  établit  en  principe 
qu'on  ne  doit  conserver,  dans  une  république, 
aucun  enfant  débile  et  mal  constitué;  et  qui, 
après  avoir  supputé  le  nombre  des  naissances, 
cherche  le  moyen  de  débarrasser  la  société  de 
son  excédant1.  Ce  sont  les  historiens  qui  ra- 
content sans  indignation  la  manière  dont  on 
s'y  prend,  dans  les  familles,  pour  limiter  le 
nombre  des  enfants.  C'est  un  Tacite  qui  s'étonne 

pov  yiyvrjTCLi,  èv  àTTOpprJTœ  re  xai  ihrjXùJ  xar<xxpi^ov(7iv  ô>s 
irpéirei.  Elxsep  (xéXket,  éÇr],  xadapov  rà  yévos  tùv  Ç>v\àxa>v 
iaeadai. 

Platon.,  De  Eepublica,  dial.  V,  p.  236.  (Firmin-Di- 
dot.) 

1.  Abolendis  alendisque  fœtibus  esto  lex,  ut  nihil 
alatur  mancum  et  débile.  Propter  multitudinem  au- 
tem  liberorum  fœtus  abolere  oportet,  nisi  gentis 
instituta  id  prohibeant  :  definitum  enim  esse  oportet 
procreandorum  liberorum  numerum.  Quod  si  quibus 
fuerit  aliquid  prseterea  genitum,  abortionem  facere 
conveniet,  antequam  sensus  et  vita  fœtui  accesserit. 

Uepl  le  CL'swdécretos  xal  rpo<prjs  tùv  ytyvopLévoov,  £st*>  và- 
fios  [xrjàèv  TseTïrjptouévos  TpéÇtiv.  Aià  5é  tsXï)Ôos  réxvwv, 
èàv  r)  zà£is  tùv  èdvœv  xw\ii  ,p.rjhèv  àTtorldeoOai  tùv  ytyvo- 
pévœv  (bpiadat  yàp  Ssf  rrjs  TexvOTroilxs  tô  Ttjh'jdos-  èàv 
2e  net  yiyvrjrat  Tsapà  TaÛTa  <jvvhvao6évTû)v,  ispiv  iiodijon 
iyyvzadai  xii    wyv,  èpnoieïadii  heï  n)v  â{i€Xct)<jtv. 

Aristote. —  Politique  (TsoXnin'jûv),  livre  VII,  ch.  xiv* 
ancien  xvi8.  (Firmin-Didot.J 


LE  BAPTISÉ  225 


que    les  Juifs  ne  fassent  pas  comme  tout  le. 
monde1. 

Les  Juifs,  vous  le  savez,  Messieurs,  avaient  des 
sacrements  sanctificateurs  de  l'enfance  et 
protecteurs  de  leur  race.  Mais,  ces  sacrements, 
de  privilège  et  d'exception ,  n'étaient  que  la 
figure  du  sacrement  universel  qui  devait  entiè- 
rement bouleverser  les  idées  et  les  coutumes  de 
l'ancien  monde.  C'est  à  toutes  les  nations  que 
le  Christ  envoya  le  Baptême,  et,  par  la  divine 
vertu  de  ce  sacrement,  l'enfant  devint  tout  à 
coup  un  être  vénérable.  Les  apologistes  chré- 
tiens, en  reprochant  aux  païens  leurs  cruautés 
homicides,  eurent  bientôt  le  droit  de  vanter  le 
respect  dont  les  fidèles  entouraient  leurs  nou- 
veau-nés. Ils  ne. voyaient  plus  en  eux  l'espé- 
rance d'un  troupeau  de  bêtes  saines  et  robustes, 
mais  des  recrues  prédestinées  de  l'armée  cé- 
leste. Les  calculs  intéressés  d'un  matéria- 
lisme   brutal   cédaient  aux   intuitions    de    la 

1.  Augendœ  tamen  multitudini  consulitur.  Nam  et 
Bôcare  quemquam  ex  agnatis  nefas.  (Lib.  V.  Histo- 
riarum  n.  5). 

Tacite  dit  la  même  chose  des  Germains.  Numerum 
liberorum  finire,  aut  quemquam  ex  agnatis  necare 
flagitium  habetur.  (De  mor.  Germ.  XIX.) 

CONFÉRENCES  N.-D.  —  CARÊME  1883.  —  15 


226  LE  BAPTlst 


grâce.  Qu'importent  le  corps  et  ses  in- 
firmités ,  lorsque  l'âme  est  si  pure  et  si 
grande  !  Qu'importe  la  place  que  l'enfant  oc- 
cupera dans  le  monde,  puisqu'il  est  le  fils 
de  Dieu,  une  dépendance  du  Christ,  le  tem- 
ple de  l'Esprit-Saint  et  l'héritier  de  la  gloire 
éternelle!  Il  est  infirme,  il  souffre:  vite,  le 
respect  appelle  l'amour  à  son  aide ,  et  le 
cher  petit  membre  du  Christ  est  d'autant  plus 
honoré  et  aimé  qu'il  ressemble  mieux  à  celui 
dont  les  souffrances  ont  racheté  le  genre  hu- 
main. Tout  le  monde  comprend  que  c'est  son 
droit.  La  foi  et  la  charité  s'empressent  autour 
de  son  berceau,  et,  si  elles  ne  peuvent  prolonger 
sa  vie,  elles  se  consolent  par  la  ferme  confiance 
que  la  famille  chrétienne  a  donné  un  ange  à 
l'armée  céleste  et  possède  un  protecteur  au- 
près de  Dieu.  Parents  chrétiens,  j'en  appelle  à 
vos  cœurs.  Lorsque  vous  contemplez  la  char- 
mante créature  que  le  Baptême  à  transfigurée, 
n'est-it  pas  vrai  que  les  mystères  de  sa  vie  in- 
time se  reflètent  en  son  limpide  regard,  et  que 
c'est  votre  foi  respectueuse,  bien  plus  que  l'ins- 
tinct de  la  nature,  qui  vous  fait  l'appeler  :  Mon 
ange!  Oui,  le  Baptême  commande  l'amoureu* 


LE  BAPTISÉ  227 


respect  de  l'enfance  ;  et,  dans  les  milieux  chré- 
tiens, l'enfant  de  ceux-là  mêmes  qui  ne  veu- 
lent pas  de  ce  sacrement  bénéficie  de  ses  di- 
vines influences. 

Allons  plus  loin,  Messieurs:  précisons  un 
autre  droit  qu'il  faut  revendiquer  aujourd'hui 
plus  hautement. 

L'enfant  chrétien  a  droit  à  ce  qu'on  prenne 
son  Baptême  comme  point  de  départ  et  comme 
règle  de  son  éducation.  C'est,  dit  saint  Thomas, 
une  des  raisons  pour  lesquelles  l'Église  a  jugé 
à  propos  de  baptiser  les  enfants l.  La  vie  chré- 
tienne se  développe  plus  aisément  et  s'affermit 
davantage  ,  quand  elle  commence  de  bonne 
heure  et  n'est  point  précédée  par  une  vie  de 
péché.  Les  habitudes  saintes  que  l'enfant  reçoit 
au  Baptême  ne  peuvent  pas  rester  à  l'état  de 
puissances  vides  et  nues  ;  elles  suivent  l'évolu- 
tion de  ses  facultés  naturelles.  Dès  que  l'intel- 
ligence s'éveille,  la  foi  demande  l'aliment  des 


1.  Fuit  conveniens  pueros  baptizari,  ut  a  pueritia 
nutriti  in  tris  quae  sunt  christianse  vitse  firmius  in  ea 
persévèrent  secucdum  îllud  (Prov.  22).  «  Adolescens 
juxta  viam  suam,  etiam  cum  senuerit  non  recedet  ab 
ea.  »  (Sumrn.  Theol.,,111  P.,  quaeîàt  68,  a.  9.) 


228  LE  BAPTISÉ 


vérités  divines  dont  elle  doit  se  nourrir.  Dès  que 
le  désir  réfléchi  du  bonheur  commence  à  tour- 
menter l'âme  avide  de  plénitude  et  d'éternité, 
l'espérance  veut  être  ^xèe  sur  la  félicité  qu'elle 
doit  attendre  au  terme  de  cette  vie  passagère. 
Dès  que  le  cœur  s'ouvre  pour  recevoir  et  épan- 
cher l'amour,  la  charité  cherche  le  souverain 
bien  auquel  elle  doit  s'attacher.  Sublime  ren- 
dez-vous des  opérations  d'un  Dieu  trois  fois 
saint,  l'enfant  baptisé  a  besoin  de  se  mettre 
promptement  en  rapport  avec  lui  par  ses  actes. 
Son  âme  va  droit  au  devant  de  la  Trinité  par 
ses  habitudes  et  ses  grandeurs  infuses  ;  il  faut 
qu'il  la  rencontre  au  dehors  aussitôt  qu'il  est 
capable  de  la  reconnaître.  Le  Père  qui  l'adopte, 
il  doit  bénir  son  nom,  dès  que  ses  lèvres  inno- 
centes s'ouvrent  pour  parler.  Le  Christ  dont  il 
est  membre,  il  doit  rencontrer  partout  son 
image  sacrée  et  y  lire  les  mystères  de  salut  qui 
l'ont  transfiguré.  L'Esprit-Saint  dont  il  est  le 
temple,  il  doit  de  bonne  heure  invoquer  sa  lu- 
mière et  sa  force,  afin  de  mettre  à  profit  la  con- 
sécration intime  qu'il  en  a  reçue.  Aimer  et  ser- 
vir le  Dieu  de  son  Baptême,  c'est  son  premier 
devoir  ;  le  connaitre,c'est  son  droit  le  plus  sa- 


LE  BAPTISÉ  229 


cré  ;  conserver  et  perfectionner  sa  vie  chré- 
tienne, commencée  par  le  Baptême,  c'est  son 
devoir  ;  être  préparé  aux  sacrements  qui  con- 
servent et  perfectionnent,  c'est  son  droit:  — 
Toute  éducation  qui  contrarie  ces  droits  ou  n'en 
tient  pas  compte  est  une  éducation  fausse,  cri- 
minelle, meurtrière,  une  éducation  qui  renou- 
velle, dans  un  ordre  supérieur,  l'abominable 
barbarie  des  mœurs  païennes. 

Qu'on  ne  s'étonne  donc  pas  d'entendre  l'É- 
glise revendiquer,  de  toute  la  force   de  son 
amour  éploré,  les  droits  de  l'enfant  qu'elle  a 
baptisé,  contre  toute  mesure  légale  tendant  à 
écarter  la  religion  de  son  éducation.  L'enfant 
lui  appartient   en  vertu  de  son  initiation  bap- 
tismale, plus  qu'il  n'appartient  aux  sociétés  hu- 
maines par  la  vertu  des  inscriptions  et  des  con- 
trats. Celles-ci  n'ont  d'action  que  sur  sa  vie 
extérieure,  en  tant  qu'elle  est  engagée  dans  la 
vie  publique;  l'Église  est  la  suprême  et  infail- 
lible gardienne  des  droits  de  sa  conscience. 
N'ayez  peur  qu'elle  l'empêche  jamais  d'accom- 
plir ses  devoirs  de  citoyen,  quel  que  soit  le  pou- 
voir qui  les  réclame.  Mais,  de  ses  mains  trem- 
blantes, elle  couvre  sa  tête  innocente  et,  dlune 


230  LE  BAPTISÉ 


voix  émue,  elle  crie  aux  législateurs  et  aux  maî- 
tres impies  :  Ne  touchez  pas  à  ceux  que  Dieu  a 
consacrés:  Nolite  tangere  christos  meos. 

Messieurs,  l'Église  protectrice  des  droits  de 
l'enfance,  ce  n'est  pas  seulement  la  sainte 
hiérarchie  que  Dieu  a  préposée  aux  gouverne- 
ment des  âmes  ;  l'Église,  c'est  vous.  Vous 
êtes  l'autorité  prochaine  et  immédiate  à  qui 
Dieu  a  confié  la  garde  des  chers  petits  qu'il  a 
adoptés  et  incorporés  à  la  famille  de  son  Christ. 
Non  contents  de  leur  avoir  donné  la  vie  de  la 
nature,  vous  avez  demandé  pour  eux  la  vie  de 
la  grâce,  complétant  ainsi  votre  paternité  par  la 
puissance  génératrice  du  Baptême.  Ce  sacre- 
ment vous  impose,  avec  le  devoir  de  les  élever 
chrétiennement, l'obligation  de  veiller  à  ce  que 
leurs  droits  soient  respectés  dans  tout  le  cours 
de  leur  éducation.  Un  jour,  maîtres  d'eux- 
mêmes  et  aveuglés  par  leurs  passions,  ils  re- 
nonceront peut-être  à  ce  droit,  et  vous  n'aurez 
plus  qu'à  gémir  et  à  pleurer  sur  leur  apostasie  ; 
mais,  autant  qu'il  est  en  vous,  il  faut  travailler  à 
prévenir  cette  catastrophe.  Prenez  donc  le 
Baptême  de  vos  enfants  comme  point  de  dé- 
part et  comme  règle  de  leur  éducation.  Faites- 


LE    BAPTISÉ  231 


leur  connaître  de  bonne  heure  le  Dieu  à  qui  ils 
sont  redevables  de  leur  grandeur  surnaturelle, 
afin  que,  de  bonne  heure,  ils  puissent  l'aimer  et 
le  servir.  Préparez-les  vous-mêmes  aux  fonctions 
et  aux  développements    de  la  vie  chrétienne. 
Cherchez  pour  eux  des  maîtres  qui  continuent, 
dans  l'école,  les  enseignements  et  les   prépa- 
rations du  foyer  domestique.  Ne  vous  fiez  pas 
aux  promesses  de  neutralité  par  lesquelles  on 
cherche  à  apaiser  les  troubles  de  votre  cons- 
cience et  à  abuser  votre   bonne  foi;  les  faits 
disent  assez  haut  que  toute  école  sans    Dieu 
devient  fatalement  une  école    contre  Dieu.  — 
Les  fils  de  votre  sang  et  de  votre  foi  sont  à 
vous,  avant  d'être  à  l'État;  on  ne  peut  les  sous- 
traire à  votre  direction,  sans  outrager  en  vous 
l'autorité   paternelle,  type  et  source  de  toute 
autorité  sociale.  Sachez  donc  vous  montrer  les 
maîtres,  que  vous  êtes,  et   dire  à  quiconque 
prétend  élever  vos   enfants   sans  jamais  leur 
parler  ni  de  l'honneur  que  Dieu  leur  a  fait,  ni 
des  obligations   qu'ils  ont  contractées  par  leur 
naissance  spirituelle  :  «  Non  possumus,    nous 
ne  pouvons  pas  vous  les  donner.  En  vain,  vous 
invoquez,  pour  nous  séduire  et  nous  contraindre, 


232  LE  BAPTISÉ 


l'obligation  du  savoir,  la  nécessité  du  progrès, 
les  devoirs  du  citoyen.  Le  savoir  est  une  belle 
chose;  mais  nous  estimons  qu'il  devient  perni- 
cieux et  funeste,  s'il  n'est  réglé  et  vivifié  parla 
science  des  choses  divines.  Le  progrès  est  une 
loi  de  notre  nature  ;  mais  nous  estimons  que  îe 
pins  nécessaire  de  tous  les  progrès  est  celui  de 
la  vie  religieuse,  qui  arrête  l'âme,  trop  violem- 
ment saisie  parle  mouvement  scientifique,  sur 
les  pentes  du  matérialisme.  Autant  et  plus  que 
qui  que  se  soit,  nous  voulons  que  nos  enfants 
soient  d'honnêtes  et  utiles  citoyens;  mais  nous 
estimons  qu'ils  le  seront  d'autant  mieux  qu'on 
aura  commencé  par  en  faire  de  bons  chrétiens. 
Mettez-vous  d'accord  avec  nous,  si  vous  vou- 
lez que  nous  consentions  au  partage  de  notre 
inviolable  autorité.  » 

Voilà  votre  devoir,  Messieurs;  accomplissez- 
le  courageusement,  en  chrétiens  convaincus,  en 
pères  éclairés  et  en  citoyens  toujours  respec- 
tueux du  pouvoir  et  dévoués  à  votre  pays.  Il  dé- 
pend de  vous  de  faire  comprendre  à  qui  de 
droit,  par  votre  noble  et  ferme  attitude,  que, 
dans  toute  nation  chrétienne*  il  v  a  un  Baptême 


Ï,E    BAPTIS*  ?33 


dont  la  loi  doit  tenir  compte,  sous  peine  de 
compromettre  le  bien  public,  ïachose  publique, 
la  République. 


SOIXANTE-SIXIÈME  CONFÉRENCE 


LA    CONFIRMATION 


SOIXANTE-SIXIÈME    CONFÉRENCE 


LA  CONFIRMATION 

Monseigneur !.  Messieurs, 

La  vie  surnaturelle  nous  est  donnée,  dans  le 
Baptême,  au  nom  des  trois  personnes  divines 
qui,  selon  la  promesse  du  Sauveur,  honorent, 
de  leur  présence  et  de  leur  action,  notre  âme 
régénérée.  Nous  sommes  les  fils  adoptifs  de 
Dieu,  les  membres  du  Christ,  les,  temples  du 
l' Esprit-Saint  :  sublime  commencement  qui 
annonce  une  plus  haute  perfection. 

Toute  vie  nouvelle  tend  à  sa  plénitude,  et  ap- 
pelle à  soi  d'autres  forces  pour  aider  sa  crois- 
sance et  s'établir  dans  l'âge  parfait,  où  se  font, 
au  dehors,  les  grandes  dépenses  d'activité.  Il  en 
est  de  même  de  la  vie  surnaturelle.  Engendrée 

1.  M*r  Richar.d,    archevêque    de  Larisse,  coadju 
teur  de  Paris. 


238  LA  CONFIRMATION 


par  le  Baptême,  elle  a  besoin  de  croître  et  de 
s'affermir,  d'autant  que  celui  qui  la  donne  Ta 
mise  dans  une  situation  critique,  enl'engageant 
dans  une  voie  d'épreuves  et  de  combats.  «  Ne 
croyez  pas,  dit-il,  que  je  sois  venu  apporter  la 
paix  sur  la  terre;  non,  je  suis  venu  apporter  la 
guerre  :  Non pacem,sed gladium.  »f 

Certes,  il  nous  serait  difficile  de  lui  savoir  bon 
gré  d'une  vie  nouvelle  si  promptement  menacée 
du  ruine,  s'il  ne  l'avait  fortifiée  contre  toute 
puissance  ennemie  de  son  intégrité  et  de  sa 
généreuse  expansion.  Mais  sa  bonté,  dans 
l'œuvre  de  notre  sanctification,  n'est  jamais  en 
défaut.  —  Par  un  sacrement  de  plénitude  et 
de  force,  il  achève  ce  qu'il  a  commencé  dans 
notre  génération  spirituelle.  Ce  sacrement, 
vous  l'avez  déjà  nommé:  c'est  la  Confirmation. 
Parce  qu'il  est  moins  nécessaire  que  le  Baptême, 
vous  êtes  peut-être  tenté  de  croire  qu'il  est 
moins  grand.  «Détrompez-vous, dit  un  saint  Pape, 
l'un  et  l'autre  sont  grands  :  Scitote  utrumque 
magnum  esse  sacramentum  2.  »  Et,  à  bien 
prendre,  celui  qui  donne  la  plénitude  est  plus 

1.  Matth.,  cap.  x,  3L 

2.  Epiât.  Melchiad   Pap.,  ad  Episcop.  Hispan. 


L     CONFIRMATION  239 


grand  que  celui  qui  ne  donne  que  le  commen- 
cement. 

Après  avoir  établi  en  peu  de  mots  la  vérité 
du  sacrement  de  Confirmation,  mon  dessein, 
Messieurs,  est  de  vous  montrer,  dans  cette  con- 
férence, les  effets  de  son  action  perfective,et  de 
vous  dire  à  quel  office  de  la  vie  chrétienne  ces 
effets  sont  ûrdonnéd. 


Le  protestantisme  imagina,  pour  le  baptisé, 
une  fausse  grandeur  qui  le  mettait  au-dessus 
des  lois  de  Dieu  et  de  l'Église,  et  lui  con- 
férait l'impeccabilité,  pourvu  qu'il  conservât 
la  foi.  Dès  lors,  il  n'avait  plus  besoin  d'un  sa- 
crement de  perfection  ;  la  Confirmation  donnée 
par  l'Église  devenait  une  pure  cérémonie, 
comme  la  bénédiction  de  l'eau,  des  cierges  et 
autres  choses.  —  Cette  méprisante  répudiation 
d'un  de  nos  signes  sacrés  était  ornée,  comme  à 
l'ordinaire,  de  grossiers  monsonges,  d'impu- 
dentes invectives  et  d'odieux  blasphèmes. 


240  LA    CONFIRMATION 


Toutefois,  pour  ne  pas  supprimer  un  mot  de- 
puis longtemps  accrédité  par  le  langage  chré- 
tien, les  pères  de  la  réforme  inventèrent  une 
Confirmation  à  leur  manière.  C'était  un  examen 
de  l'enfant  arrivé  à  l'âge  de  discrétion,  exa- 
men accompagné  d'instructions,  d'admonitions, 
d'exhortations,  et  terminé  par  une  prière  à 
laquelle  on  pouvait  joindre,  pour  plus  de  solen- 
nité, l'imposition  des  mains,  en  forme  de  béné- 
diction. Et  c'était  tout  :  de  sacrement ,  de 
grâce,  de  caractère  sacramentel,  il  ne  fallait 
pas  parler. 

Messieurs,  nous  avons  mieux  que  cette  Con- 
firmation de  fabrique  humaine.  Nous  avons 
un  véritable  sacrement ,  institué  par  Jésus- 
Christ  pour  nous  conférer  une  grâce  de  per- 
fection qui  complète,  en  nos  âmes,  les  opérations 
initiales  de  l'Esprit-Saint. Cette  grâce,  le  Sauveur 
la  promet  à  ses  Apôtres,  lorsqu'il  leur  dit  :  «  Je 
m'en  vais  vers  mon  Père,  mais  je  ne  vous  lais- 
serai point  orphelins.  Mon  Père  vous  enverra 
son  Paraclet  qui  vous  consolera,  vous  ensei- 
gnera toute  vérité  et  vous  dictera  les  coura- 
geuses paroles  que  vous  devrez  répondre  aux 
pouvoirs  persécuteurs,    lorsqu'ils  vous  appel- 


LA  CONFIRMATION  211 


leront  devant  leurs  tribunaux1.  Restez  donc 
dans  la  ville  sainte,  jusqu'à  ce  que  vous  soyez 
revêtus  de  la  force  d'en  haut 2.  Quand  vous  aurez 
reçu  la  vertu  de  l'Esprit-Saint,  vous  serez  mes 
témoins  à  Jérusalem,  dans  la  Judée,  àSamarie 
et  jusqu'aux  confins  de  la  terre 3.  »  —  Au  jour 
sacré  de  la  Pentecôte,  les  voûtes  du  cénacle 
s'ébranlent,  et  les  Apôtres  voient  de  leurs  yeux 
et  sentent  s'accomplir,  au  fond  de  leur  âme 
fortifiée,  la  promesse  de  leur  Maître.  Mais  cette 
promesse  n'a  pas  été  faite  pour  eux  seulement; 
l'Esprit-Saint  qu'ils  ont  reçu  doit  demeurer 
éternellement  dans  l'Église  du  Christ  :  Ut 
maneat  in  œternum  4.  Il  ne  faut  donc  pas  le 
garder  dans  une  âme  avare  et  jalouse;  mais  le 
répandre,  selon  l'oracle  du  prophète,  sur  toute 
chair  et  sur  toute  âme  régénérée.  Aussi,  voit-on 

1.  Joan..  cap.  xiv,  16,  18;  cap.  xvi,  13;  Matth., 
cap.  x,  19,  20. 

2  Ego  rnitto  promissum  Patris  mei  in  vos:  vos 
autem  sedete  in  civitate,  donec  iûduamini  virtute  ex 
alto.  (Luc,  cap.  xxiv,  49.) 

3.  Accipietis  virtutem  supervenientis  Spiritus  Sancti 
in  vos,  et  eriiis  milii  testes  in  Jérusalem  et  in  omni 
Judœa,  et  Samaria  et  usque  ad  ultimum  terrée.  (Act. 
cap.  ij  8.) 

4.  Joan.,  cap,  xiv,  16. 

CONFÉRENCES  N.-D.  —  CARÊME  1883.  —  16 


2i2  LA    CONFIRMATION 


les  mains  des  Apôtres  se  lever  sur  la  tête  des 
nouveaux  baptisés,  et  ceux-ci  recevoir  Y  Esprit- 
Saint  :  Tune  imponebant  fnanus  super  illos  et 
accipiebant  SpiritumSajictum*.  Auraient-ils  le 
droit  de  commander  à  celui  qui  ne  reçoit  de 
mission  que  de  ses  éternels  principes,  si  le 
Christ  n'avait  joint  à  sa  promesse  l'ordr- 
près  d'en  assurer  l'exécution  par  un  sacrement? 
Ce  sacrement,  ils  le  possèdent  légitimement,  ils 
l'administrent,  ils  en  proclament  les  mer- 
veilleux effets,  et  ils  le  transmettent  à  ceux  qui, 
revêtus  comme  eux  de  la  plénitude  du  sacer- 
doce, doivent  leur  succéder  au  gouvernement 
de  l'Église. 

L'imposition  des  mains,  évocation  de  l'Es- 
prit-Saint,  entre  donc  dans  la  tradition  des  pou- 
voirs et  des  signes  sacrés*.  Bientôt,  on  voit  s'y 
joindre  l'huile  embaumée,  dont  le  perpétuel 
cantique  des  apologistes  et  des  saints  docteurs 
célèbre  la  vertu  fortifiante  et  le  salutaire  par- 


1.  Act.,  cap.  vin,  17. 

2.  Oabant  apostoli  ut  Spiritus  Sanctus  in  eos  *e- 
niret,  quibus  manus  imponebant,  quem  morern  in 
suis  prœpositis  seu  Episcopis  etiam  nunc  servat 
Ecclesia.  (August.,  Lib.  XV    De  Trinitate,  cap.  26.) 


LA  CONFIRMATION  243 


fum.  «  Il  faut,  disent-ils,  que  le  baptisé  s'incline 
sous  la  main  de  l'Évêque  pour  devenir  un  par- 
fait chrétien1.  Sans  ce  signe,  qui  peut  rece- 
voir l'Esprit-Saint2?  C'est  par  là  qu'il  descend 
sur  chaque  néophyte3.  — Les  mains  bénies  de 
l'Évêque  sont  chargées  d'huile  sainte:  chrême 
du  salut  qui  confirme  le  sacrement  de  la  foi  et 
nous  donne  la  force  de  la  confesser 4  ;  qu'il  ap- 
partient aux  princes  de  l'Église  de  répandre  sur 
le  front  des  baptisés5.  C'est  pour  nous  comme 

1.  Omnes  fidèles  per  manus  impositionem  Episco- 
porum  Spiritum  Sanctum  post  baptismum  accipere 
debent,  ut  pleni  christiani  inveniautur.  (Urb.  Pap. 
Epist.,  cap.  vu). 

2.  Le  pape  Corneille  écrivait  à  Fabius  d'Antioche,  à 
propos  de  Novatien  :  «  Neque  ab  Episcopo  consigna- 
nts. Hoc  autem  signaculo  minime  percepto,  quo  tan- 
dem modo  Spiritum  Sanctum  potuit  accipere?  Ovts 
èa<Ppot.yî<jdy  imb  rov  èirKTxÔTTOv'  tovto  hè  ptr)  tvxjÙv,  tsôôç 
iv  toû  âyiob  'Bvsvp.aros  érv^e  ;  (Apud  Euseb.  Hist.  ecci, 
Lib.  VI,  c.  13.) 

3.  Quod  nunc  in  confirmandis  neophytis  manus 
impositio  tribuit  singulis,  hoc  tune  Spiritus  Sancti 
descensio  in  credentium  populos  donavit  universis. 
(Melchiad.  pap.  ad  Episcop.  Hisp.) 

4.  Chrisma  confirmatio  est  confessionis  :  To  p.bpov 
psÇziwais  rïjs  bp.oXoy(as.  (Constitut*  apostol.,  Lib.  III, 
cap.  17.) 

5.  MeTà  touto  ô  èitianoitos  ^piérco  tous  f3a7rner#ii>Ta>  T<à 
pvpy.  (Constitut.  apostoi.,  Lib.  III,  cap.  16.) 


2  il  LA    CONFIRMATION 

le  feu  qui  descendit  sur  les  Apôtres1.  Son  onc- 
tion consomme  en  nous  la  grâce  et  nous  donne 
l'Esprit  de  Dieu5;  c'est  parce  que  nous  l'ayons 
reçu  qu'on  nous  appelle  définitivement  chré- 
tiens3. Merveilleuse  opération  de  la  puissance 
divine  :  notre  chair  est  ointe,  et  notre  âme  est 
consacrée:  notre  chair  est  marquée  d'un -urne, 
et  notre  âme  est  fortifiée:  notre  chair  est  om- 
bragée par  l'imposition  des  mains.et  notre  âme 
est  inondée  de  la  lumière  de  l'Esprit-Saint*.  Et 
tout  cela  est  un  sacrement  vénérable  et  sacro- 
saint,  comme  le  Baptême  lui-même5.  » 

1.  Apostolis  datum  Spintum  Sanctum  in  forma 
ignis,  nobisperoleum.  (Damasc,  lib.  \\,DeFide  ortho- 
doxa.) 

2.  (Epïscopus)  per  manuum  impositionem  et  inspi- 
rationem  unguenti  gratiam  inserit.  Tjf  ènidéeet  iùv 
yjtpùvj  xtl  è^veicsi  tov  pipou  yjkpiv  èvriOijsiv.  (Simon 
Thessal.  Lib.  De  dicino  ternplo,  in  prœf.  n.  2.) 

3.  Nos  ideo  christiani  vocamur  quod  Dei  oleo  un- 
gimur.  TotyctpQVP  yjasïs  toutou  Ivsxev  KaXoùfisOa 
Xpieluvol,  Ôti  %piÔLL~Ôi  è)  ai*  Bsov.  (Theophil.  Antioch., 
Lib.  I,  ad.  Antolycum.) 

4.  Caro  ungitur,  ut  anima  consecretur:  Caro  signa- 
sur,  ut  anima  muniatur  :  Caro  manus  impositione 
obumbratur,  ut  anima  Spiritu  îlluminetur.  (Tertul., 
Lib.  v.  De  Resurrectione  carnis,  cap.  8.) 

5.  In  hoc  unguento  sacramemum  chrismatis  vult 
Pctilianus  interpretari  :  quodquidem  in  génère  visibi- 


LA  CONFIRMATION  245 


Tel  est,  Messieurs,  l'enseignement  de  la  tra- 
dition, jusqu'aux  temps  où  la  possession  de  l'É- 
glise est  si  évidente  que  l'hérésie  la  plus  aveu- 
gle ne  saurait  la  lui  disputer.  Le  Concile  de 
Trente  a  donc  eu  raison  de  répondre  aux  impu- 
dentes négations  du  protestantisme,  par  cette 
solennelle  définition  :  «  Si  quelqu'un  prétend 
que  la  Confirmation  donnée  aux  baptisés  n'est 
qu'une  cérémonie  oiseuse,  et  non  pas  un  vérita- 
ble et  propre  sacrement,  qu'il  soit  anathème1.  » 

N'insistons  pas  davantage  sur  cette  vérité 
fondamentale  et  laissons  de  côté  certaines  ques- 
tions discutées  qui  ne  peuvent  intéresser  que  les 
théologiens.  Il  est  temps  d'entrer  dans  les  des- 
seins de  Dieu  et  de  son  Christ,  et  de  leur  deman- 
der ce  qu'ils  veulent  en  ajoutant,au  sacrement 
de  génération  spirituelle,  un  sacrement  de  per- 
fection. 

lium  signaculorum  sacrosanctum  est,  sicut  ipse  bap- 
tismus.  (August.,  Cont.  lit.Petilian,\Àh.  2,  cap.  104.) 
l.Siquisdixerit  confirmationem  baptizatorum  otio- 
sam  cœremoniam  esse,  et  non  potius  verum  et  proprium 
sacramentum  ;  aut  olim  nihil  aliud  fuisse  quam  cate- 
chesim  quamdam,  qua  adolescentise  proximi  fidei 
suœ  rationem  coram  Ecclesia  exponebant;  anathema 
sit.  (Sess.  vu,  De  conjlrmatione,  can.  1.) 


216  LA    CONFIRMATION 


a  II  y  a,  dit  saint  Thomas,  dans  notre  nature, 
outre  le  mouvement  de  la  génération  qui  nous 
donne  notre  vie  corporelle, un  mouvement  d'ac- 
croissi'inent  et  de  progrès  qui  nous  pousse  à 
l'âge  parfait1  »,  c'est-à-dire  à  la  pleine  posses- 
sion de  nos  forces  physiques.  Quel  travail  actif, 
puissant,  généreux  ,  dans  les  jeunes  plants  de 
l'humanité  qui  doivent  remplacer  les  vieux  ar- 
bivs  que  la  mort  va  bientôt  coucher  à  terre  ! 
Arrivés,  pouf  la  plupart,  à  la  maturité  de  nos 
années,  nous  ne  sentons  plus  ce  travail,  Mes- 
sieurs. Nos  forces  tléchissent  de  jour  en  jour  et, 
en  interrogeant  leurs  défaillances,  nous  n'en 
recevons  que  des  réponses  de  mort.  L'enfance, 
au  contraire,  n'entend  que  des  réponses  de  vie. 
Ses  accroissements  se  précipitent,  et,  pour  peu 
que  nous  la  perdions  de  vue,  nous  sommes  éton- 
nés des  transformations  qu'elle  a  subies.  Les 
êtres  fragiles  que  vous  avez  vus,  il  y  a  vingt 
ans,  essayer  leurs  pas  incertains  et  bégayer  de 
naïfs  et  touchants  appels  à  ceux  dont  les  mains 

1.  Prœter  motum  generationis,  quo  aliquis  recipit 
vitam  corporalem,  est  motus  augmenti,  quo  aliquis 
perducitur  ad  perfeciam  œtatem.  (Summ.  Hicol., 
quœst.  72,  a.  1.) 


LA    CONFIRMATION  247 


secourables  se  tendaient  vers  eux,  comme  ils 
sont  changés  aujourd'hui  !  Il  faut  qu'on  vous  les 
nomme,  pour  que  vous  les  reconnaissiez  dans 
les  vigoureux  et  brillants  jeunes  gens  dont  la 
taille,  le  port,  les  mouvements,  les  traits,  ac- 
cusent la  virilité.  La  nature  a  bien  travaillé. 

Mais  un  travail  plus  profond  et  plus  noble 
s'est  accompli  dans  les  facultés  intellectuelles. 
Celui  que  vous  avez  vu  tout  petit  semblait  n'a- 
voir que  des  instincts  et  des  passions  ;  mainte- 
nant, il  pense,  il  juge,  il  raisonne,  il  exprime 
ses  pensées,  ses  jugements,  ses  raisonnements, 
ïl  y  a  peut-être  en  lui  l'étoffe  d'un  savant  ou 
d'un  artiste.  Il  en  a  conscience,  et  déjà  il  donne, 
en  des  œuvres  remarquables,  la  mesure  de  son 
prochain  avenir.  Comment  cela  s'est-il  fait, 
Messieurs?  —  L'enfant  a  été  mis  en  rapport 
avec  un  esprit  supérieur,  qui  s'est  emparé  de  ses 
dispositions  natives,  et  a  fait  en  elles  un  travail 
analogue  à  celui  de  la  nature  dans  les  membres 
et  les  organes  qu'il  accroît. 

Or,  entendez-le  bien,  les  forces  perfectives 
de  la  nature  ne  sont  que  de  faibles  et  imparfaites 
images  de  la  sublime  force  qui  achève  ici-bas 
les  grandes  œuvres  de  Dieu.  «  Ces  œuvres  doi-, 


218  LA    CONFIRMATION 


vent  être  parfaites,  dit  l'Écriture  :  Dei  perfecta 
sunt  opéra1,»  et  cette  perfection,  Dieu  l'obtient 
par  l'harmonie  des  lois  qui  font  marcher,  du 
même  pas  et  selon  le  même  rhythme,  la  nature 
et  la  grâce,  et  fondent  pratiquement  l'ordre 
naturel  et  Tordre  surnaturel  en  un  seul  ordre. 
Nous  avons  déjà  constaté  cette  harmonie  ;  reve- 
nons-y, nous  ne  l'admirerons  jamais  assez. 

Le  Baptême  est  pour  nous  motus  generatîo- 
nis,  le  mouvement  de  génération  qui  nous  donne 
une  vie  nouvelle,  dont  les  germes  ne  peuvent 
rester  stationnaires.  Nous  sommes  donc  en  droit 
d'attendre  un  mouvement  de  progrès  qui  les 
accroisse  et  les  pousse  à  l'âge  parfait  :  Moti/s 
augmenti  quo  aliquis  perducitur  ad  perfectam 
œtatem.  Ce  mouvement ,  Messieurs,  c'est  la 
Confirmation.  Mais,  parce  que  notre  vie  nou- 
velle s'engendre,  réside,  se  développe  dans  un 
milieu  intellectuel,  le  mouvement  de  progrès 
doit  venir  d'un  esprit  supérieur  ;  parce  que  notre 
vie  nouvelle  est  une  vie  surnaturelle,  l'esprit  qui 
l'accroît  doit  être  supérieur  à  tous  les  esprits; 
enfin,  parce  que  cet  esprit  possède  une  pléni- 


1.  Deut.,  cap.  xxxiî,  4. 


LA    CONFIRMATION  249 


tude  infinie,  la  virilité  surnaturelle,  dont  il  est 
le  principe,  doit  se  faire  tout  d'un  coup. 

Vous  me  demandez,  Messieurs,  où  est  cet 
esprit  supérieur  dont  la  plénitude  infinie  doit 
donner  à  notre  âme  sa  virilité  surnaturelle.  Ne 
le  cherchez  pas  autour  de  vous,  je  vous  prie, 
mais  quittez  la  terre,  escaladez  les  astres,  tra- 
versez le  firmament,  entrez  dans  le  sein  même 
de  Dieu  :  il  est  là.  Les  grands  contemplateurs  de 
1  être  divin  l'ont  appelé  la  force  perfective  : 
Vim  perfectivam;  c'est  le  nom  qui  lui  con- 
vient. 

En  effet,  le  Père  éternel  et  innascible  com- 
mence ,  dans  les  profondeurs  de  son  indivisible  na- 
ture, le  mystérieux  mouvement  des  processions 
divines.  Il  se  voit  sans  ombre,  il  se  contemple 
sans  défaillance,  et,  par  cet  acte,  type  transcen- 
dant de  ce  qui  se  passe  en  notre  âme  lorsqu'elle 
s'exprime  elle-même  par  son  verbe  intérieur, 
sa  pensée,  le  Père  engendre  l'image  subsistante 
et  vivante  de  sa  propre  substance,  un  autre  lui- 
même  à  qui  il  donne  toute  sa  nature  sans  se  rien 
retrancher,  un  Fils  éternel  et  infini  comme  lui. 
Ils  sont  donc  deux  d'abord  :  le  Père  qui  engen- 
dre et  le  Verbe  engendré  ;  tous  deux  éternelle- 


250  LA  CONFIRMATION 


m»nt  ravis:  le  Père,  du  Fils  à  qui  il  donne  la 
vi<-:  le  Fils,  du  Père  qui  le  fait  vivre.  Dans  ce 
ravissement,  i]e  se  pénètrent  mutuellement  par 
un  acte  d'amour  si  pur,  si  puissant,  qu'il  sub- 
sista éternellement  comme  eux  et  devient, 
comme  eux,  une  personne  vivante.  En  ce  troi- 
sième, tout  s'arrête  sans  jamais  cesser  de  vivre. 
Il  épuise  la  fécondité  divine,  il  achève  en  Pieu 
la  vie  de  famille;  il  enlace,  unit,  retient  capti- 
ves Tune  en  l'autre  les  personnes  infinies  ;  il 
complète  et  affermit  leur  inexprimable  et  in- 
communicable félicité.  Acte  personnel  où  se 
terminent  les  évolutions  de  la  vie  divine,  com- 
plément du  nombre  parfait  dans  l'unité  parfaite, 
achèvement  de  la  perfection  essentielle  de  Dieu  : 
voilà  l'Esprit-Saint.  Son  propre  est  d'être  dans 
l'essence  divine  la  force  perfective.  Or,  sa  mis- 
sion au  dehors  dérive  nécessairement  de  ce  qui 
lui  est  propre.  C'est  donc  à  lui  qu'il  appartient 
d'achever  les  grandes  œuvres  de  l'amour  divin, 
puisqu'il  est  lui-même  l'amour  substantiel,  per- 
sonnel et  vivant. 

N'est-ce  pas  lui  qui  s'empare  de  la  promesse 
initiale  faite  au  genre  humain  prévaricateur, 
la   développe,  l'élargit,    la  précise,  jusqu'à  ce 


LA    CONFIRMATION  251 


qu'on  puisse  voir,  quatre  siècles  à  l'avance, 
dans  toute  la  suite  des  oracles,  le  portrait 
anticipé  du  Messie  ?  N'est-ce  pas  lui  qui  ins- 
pire les  prophètes  et  parle  par  leur  bou- 
che :  Qui  locutm  est  per  Prophetas  ?  Il  n'ou- 
blie rien,  ce  divin  artiste,  ni  la  tribu,  ni  la 
famille,  ni  le  nom  du  promis,  ni  l'étrange  et 
merveilleuse  composition  de  sa  personne,  ni 
son  caractère,  ni  sa  grandeur,  ni  ses  titres,  ni 
les  prodiges  de  sa  naissance,  ni  l'humilité  de 
ses  commencements,  ni  la  nouveauté  de  sa 
prédication,  ni  la  puissance  de  ses  œuvres,  ni 
la  haine  de  ses  ennemis,  ni  les  circonstances 
de  sa  Passion,  ni  l'ignominie  de  sa  mort,  ni 
les  gloires  de  sa  résurrection,  ni  l'établis- 
sement de  son  règne  universel,  ni  les  épreu- 
ves, ni  les  triomphes  de  son  Église.  Quand 
Malachie  a  prononcé  son  dernier  oracle,  tout 
est  dit.  Quiconque  veut  se  donner  la  peine  de 
réunir  les  pièces  de  îa  mosaïque  prophétique 
peut  contempler  déjà  l'image  achevée  du 
Rédempteur. 

Ce  que  l'Esprit-Saint  a  fait  dans  la  prépa- 
ration de  l'œuvre,    il  le  fait  dans  l'œuvre  elle 
même.  Les  temps  sont   a  rivés  :  c'est  lui  qui 


252  LA     CONFIRMATION 


sanctifie,  par  une  conception  immaculée,  le 
sanctuaire  virginal  où  s'incarne  le  Fils  de  Dieu; 
c'est  lui  qui  forme,  dans  ce  sanctuaire,  la  chair 
sacrée  du  Sauveur;  c'est  lui  qui  consacre  son 
humanité  sainte  pour  les  travaux  de^  sa  vie  pu- 
blique. Les  éléments  de  l'Église  ont  été  labo- 
rieusement rassemblés  et  amoureusement  bénis 
par  le  Christ  :  c'est  lui  qui  les  pénètre  de  sa 
vertu  vivifiante,  les  affermit,  les  unifie,  leur 
communique  la  lumière  rayonnante  et  la  force 
expansive  qui  doivent  convertir  le  monde. 

La  Pentecôte,  Messieurs,  est  la  Confirmation 
des  Apôtres  sanctifiés  par  les  derniers  embras- 
sements  du  Sauveur.  Ils  l'ont  reçue  par  un 
prodige,  parce  qu'il  n'y  avait  personnne  avant 
eux  dans  l'Église,  et  qu'il  leur  appartenait  de 
jouir  des  prémisses  de  l'Esprit-Saint  qui  leur 
fut  directement  promis;  mais,  ils  le  donne- 
ront par  un  sacrement,  i  arce  qu'ils  sont  1<  s 
premiers  ministres  de  Dieu  et  les  dispensateurs 
de  ses  grâces1.  Ce  sacrement  sera  la  Pentecôte 

1.  Christus  ex  potestate  excellentiœ  quam  habet 
in  sacramentis,  contulit  apostolis  rem  hujus  sacra- 
menti,  id  est  plenitudinem  Spiritus  Sancti  sine  sacva- 
tnento,    eo    quod    ipsi    «  primitias    Spiritus    Sancti 


la  confirmation  25$ 


de  chaque  chrétien,  et  l'Esprit-Saint  y  fera,  pour 
l'œuvre  particulière  de  notre  salut,  ce  qu'il  à 
fait  pour  l'œuvre  générale  de  la  rédemption  : 
il  Derfectionnera,  il  achèvera. 

Qu'est-ce  à  dire ,  Messieurs?  Aurons-nous 
l'honneur  de  voir  s'accomplir  en  nos  âmes  régé- 
nérées l'oracle  du  prophète  Joël?  «  Ence  temps- 
là,  dit-il  au  nom  du  Seigneur,  je  répandrai  mon 
esprit  sur  toute  chair.  Vos  fils  et  vos  filles  pro- 
phétiseront; vos  vieillards  auront  des  songes 
divins,  et  vos  jeunes  gens  des  visions1.  »  Cet 
oracle  s'est  accompli  dans  les  premiers  jours  de 
l'Église;  l'Esprit-Saint  se  communiquait  alors 
•vec  une  telle  plénitude  que  ses  mystérieux 
envahissements  se  manifestaient  au  dehors  ;  la 
Confirmation  était  une  source  de  prodiges.  «  Aux 
uns,  dit  l'apôtre  saint  Paul,  des  discours  pleins 
de  sagesse  et  de  science  ;  aux  autres  la  grâce 
des  guérisons,  la   puissance  des  miracles,  la 


acceperunt  »  sicut  dicitur.  Rom.  VIII.  (Summ.  Théo., 
III  P.,  quœst.  72  a.  2,  ad  1.) 

1.  Et  erit  post  hœc  ;  Effundam  spiritum  meum  super 
oomem  carnem:  et  prophetabunt  filii  vestri  et  fibee 
vestrœ.  Séries  vestri  somnia  somniabunt,  et  juvene* 
f^stri  visio nés  videbunt.  (cap.  h,  28.) 


%&\  LA    CONFIRMATION 

vision  prophétique,  le  discernement  des  esprits, 
le  don  de  parleret  de  comprendre  leslangues  l.  » 
Ces  manifestationsétaient  nécessaires  à  l'époque 
où  la  foi  rudimentaire  avait  besoin  d'une  vigou- 
reuse impulsion  pour  se  propager  et  étendre  les 
conquêtes  de  l'Église  naissante.  Mais,  aujour- 
d'hui ,  la  foi  a  fai  t  ses  preuves ,  l'Église  est  établir  ; 
ne  comptons  plus  sur  des  privilèges  gratuits, 
que  remplace  l'accomplissement  des  promesses 
d'immortalité  faites  à  l'Église  par  son  fondateur. 
C'est  bien  assez  que  la  Confirmation  soit  pour 
tous  «la  plénitude  de  l'Esprit-Saintet  la  toen- 
jeureuse  abondance  de  ses  dons  :  Plenaudo 
Spiritus  et  beatissima  donorum  copia.  » 

Il  vient,  ce  divin  perfectionner,  à  i'appel 
du  pontife  qui  l'invoque  en  marquant  nos  fronts 
de  l'huile  sainte  et  du  signe  de  la  croix.  Il 
ajoute,  à  la  grâce  initiale  que  nous  avons  reçue 
au  Baptême,  une  grâce  de  plénitude  et  d'afîer- 

1.  Uoicuique  autem  datur  manitestatio  spiritus  ad 
utilitatem.  Alii  quidem  per  spiritum  datur  fcermo 
sapientiœ:  alii  autem  sermo  scientiœ  secundum  eum 
dern  spiritum...  alii  gratia  sanitatum  in  uno  srurilu  : 
alii  opeiatio  virtutum,  alii  prophetia,  alii  discretio  «pi- 
rituuro,  alii  gênera  linguarum,  alii  interprétatif 
moDum.  (I  Cor.,  7,  10.) 


LA    CONFIRMATION  255 


missèmetit,  et,  s'il  n'accomplit  plus  en  nous 
l'oracle  de  Joël,  il  étend  à  toute  âme  celui  que 
prononçait  Isaïe  sur  le  chef  même  de  la  chré- 
tienté :  «  L'esprit  du  Seigneur  se  reposera 
sur  lui  :  esprit  de  sagesse  et  d'intelligence, 
esprit  de  conseil  et  de  force,  esprit  de  science 
et  de  piété;  et  l'esprit  de  crainte  de  Dieu  le 
remplira  '.  »  Nos  vertus,  qui  ont  essayé  leurs 
premiers  pas,  sont  de  nouveau  saisies  par  un 
don  qui  les  grandit  tout  à  coup  et  les  dispose 
à  recevoir  à  chaque  instant  les  motions  divines, 
à  leur  obéir  promptement,  à  marcher  d'un  pas 
ferme  à  travers  les  obstacles  qui  encombrent  le 
chemin  de  la  vie  chrétienne,  et  à  produire  des 
actes  parfaits. 

C'est  le  don  de  sagesse,  qui  rectifie  notre 
jugement  dans  la  contemplation  des  choses 
divines,  nous  dispose  à  les  accepter,  quel  que 
soit  le  moyen  extraordinaire  et  éminent  par 
lequel  elles  nous  arrivent;  à  nous  y  attacher,  à 
les  goûter,  à  nous  délecter  dans  leur  posses- 

1.  Requiescet  super  eum  spiritus  Dominî;  spiritus 
sapientiee  et  intellectus,  spiritus  consilii  et  fortitudinis, 
fepiri'wus  scientice  et  pietatis,  et  repiebit  eum  spiritus 
timons  Domiui.  (cap.  XI.  2,  3} 


256  LA    CONFIRMATION 

sion  ;  le  don  de  sagesse,  qui  nous  apprend  à  con- 
duire les  choses  humaines,  à  les  soumettre  aux 
règles  divines,  à  les  ordonner  à  notre  salut,  à 
mépriser  et  à  détester  tout  ce  qui  ne  tend  pas 
à  ce  but  suprême  de  la  vie  chrétienne  *. 

C'est  le  don  d'intelligence ,  lumière  surna- 
turelle, qui  nous  aide  à  distinguer  les  vérités 
divines  des  mensonges  séduisants  auxquels 
pourrait  se  laisser  prendre  l'appétit  inné  de  la 
félicité  dont  notre  âme  est  tourmentée,  à  saisir 
ces  vérités,  à  en  prendre  possession,  à  les  pé- 
nétrer, autant  qu'il  convient  à  notre  état  et  à 
notre  condition  ;  et  surtout  à  bien  placer,  dans 
notre  estime,  la  tin  dernière  vers  laquelle 
doivent  graviter  toutes  nos  actions  2. 

C'est  le  don  de  science ,  qui  dicte  à  notre  foi 
ce  qu'il  faut  croire,  la  préserve  de  la  conta- 
gion des  opinions  fausses  et  dangereuses,  lui 
soumet  la  raison,  règle  les  rapports  de  ces 
deux  lumineuses  puissances,  pacifie  leurs  dé- 
mêlés, les  ordonne  à  la  démonstration  et  à  la 

1.  Cf.  Summ.  Theol.,  II»  II»  P.,  quœst.  15.  De 
dono  sapientia. 

2.  Cf.  Summ.  Theol.,  II*  II»  P.,  quœst.  8.  D% 
dono  intellectus. 


LA   CONFIRMATION  §51 


défense  des  vérités  révélées,  et  nous  apprend  a 
juger  les  choses  du  temps  au  point  de  vue  de 
l'éternité1. 

C'est  le  don  de  conseil,  qui  perfectionne 
notre  prudence  naturelle,  la  met  à  l'abri  de 
toute  précipitation  inconsidérée,  nous  montre 
ce  qu'il  faut  faire,  nous  rend  prompts  et  alertes 
en  nos  délibérations  et  nos  jugements,  quand  il 
s'agit  de  prononcer,  dans  des  circonstances  dif- 
ficiles et  imprévues,  sur  ce  qui  convient  le  mieux 
à  notre  salut  et  à  la  gloire  de  Dieu.  Point  de 
pensées  timides  et  incertaines  dans  l'âme  qui 
obéit  au  divin  conseiller.  Ses  consultations  sont, 
dans  l'ordre  du  salutet  de  notre  perfection,  plus 
efficaces  et  plus  sûres  que  celles  des  sages  dont 
nous  demandons  les  avis  pour  la  conduite  des 
affaires  du  temps 2. 

Mais,  à  quoi  bon  les  conseils,  si  l'âme  n'a 
pas  le  courage  de  les  suivre  ?  Il  est  en  nous  une 
vertu  qui  affermit  notre  âme,  en  toute  entreprise 
ardue,  et  lui  fait  braver  généreusement  les  pé- 

i 

1.  Cf.  Summ.  Theol.,  II*  II®  P.,  quœst.  9.  De 
dono  scientiœ. 

2  Somm.  Theol.,  IIa  II®  P.,  quaest.  52.  De  dono 
cor.sûu. 

COMLKENCLS    N.-D.     —     CÀKÈME    ISiio.     —      17 


258  LA    CONFIRMATION 


rils.  Cependant,  si  l'entreprise  est  au-dessus  des 
forces  humaines  et  si  les  chances  que  nous 
devons  y  courir  sont  trop  terribles  pour  ne  pas 
épouvanter  notre  pusillanimité,  ne  faut-il  pas 
que  l'Esprit  de  Dieu  intervienne?  Il  intervient 
par  le  don  de  force,  surnaturelle,  merveilleuse 
et  inébranlable  confiance  qui  pénètre  notre 
âme  et  nous  donne  la  certitude  qu'il  n'est,  avec 
l'aide  de  Dieu,  aucune  œuvre  difficile  qu'on  ne 
puisse  entreprendre  ni  mener  à  bonne  fin,  au- 
cun obstacle  qu'on  ne  puisse  surmonter,  aucun 
péril  qu'on  ne  puisse  affronter,  quand  il  b  a. _  i  t 
d'arriver  à  la  vie  éternelle,  couronnement  de 
toutes  les  bonnes  œuvres,  délicieux  et  imper- 
turbable repos  des  lutteurs  de  la  vie  chré- 
tienne1. 

Investie  de  la  force  de  FEsprit-Saint,  l'âme 
est  rassasiée  de  justice.  Le  don  de  piété  perfec- 
tionne, en  elle,  et  le  respect  du  droit  et  l'amour 
du  devoir,  et  ses  religieuses  dispositions,  et  les 
sentiments  delà  nature  qui  attachent  l'homme 
à  sa  parenté  et  à  ses  semblables.  La  stricte  me- 


1.  Cf.    Sumrn.    Theol.y  II*  II®  P.,  queeai.   ;39.  De 

donc  fortitudinia. 


LA    CONFIRMATION 


259 


sure  de  devoirs  et  de  services  où  se  contente  la 
justice  naturelle  ne  suffit  pas  à  celui  que  l'Es- 
prit-Saint  possède.  Il  doit  être  empressé,  agile, 
généreux  au  culte  de  son  Père  céleste  et  au 
service  de  tous  ceux  en  qui  il  reconnaît  son 
image  et  ses  traits l. 

Et,  parce  que  notre  nature  est  pleine  d'ins- 
tincts, d'appétits,  de  passions  ennemies  de  la 
piété    par  laquelle    s'accomplit  toute  justice, 
l'Esprit-Saint  fait   planer  sur  ce  bas  peuple, 
toujours  prêt  à  se  révolter,  la  crainte  de  Dieu  : 
crainte  d'un  juge  sévère,  qui  ne  laisse  aucun  mal 
impuni;  mais,  plus  encore,  crainte  d'un  rémuné- 
rateur magnifique,  dont  on  ne  peut,  sans  folie, 
s'exposer  à  perdre  les  éternels  bienfaits  ;  plus 
encore  :  crainte  d'un  père  tendre,  dont  l'âme 
amoureuse  ne  veut  pas  être  séparée  ;  plus  en- 
core :  crainte  du  bien  suprême,   dont  rien  ne 
doit  offenser  l'infinie  perfection  2. 

Le  voilà,  Messieurs,  ce  septénaire  sacré  de 
lumière  et  de  force  que  le  prophète  annonçait 


1.  Cf.     Summ.     Theol.,   Ha  Hœ  P.,  121.  De  dono 
etate. 

2.  Cf.  Sum 
dono  timoris. 


pietate. 

2.  Cf.  Summ.    Theol. ,  IIa  II»   P.,   quœst.  19.  De 


2G0  LA     CONFIRMATION 


au  monde,  et  que  l'Église  demande  pour  ceux 
qu'elle  veut  faire  passer  de  l'enfance  à  la  viri- 
lité chrétienne.  Toutes  les  vertus  surnaturelles 
que  nous  avons  reçues  de  Dieu,  toutes  les  habi- 
tudes intellectuelles  et  morales  que  nous  tenons 
de  la  nature  en  sont  saisies,  pénétrées,  et,  pour 
me  servir  du  mot  sacramentel:  confirmées.  La 
raison  spéculative  voit  mieux,  la  raison  pratique 
se  décide  plus  vite  et  va  plus  droit,  les  passions 
sont  plus  réglées,  et  mieux  contenues;  la  foi 
est  plus  éclairée,  l'espérance  plus  ferme,  la  cha- 
rité plus  vive,  la  prudence  plus  sûre,  la  force 
plus  confiante,  la  justice  plus  ample,  la  tempé- 
rance plus  austère  '.  Ce  n'est  point  encore  le 
complet  épanouissementdelavirilitéchrétienne, 
auquel  nous  pouvons  arriver  par  nos  bonnes 
œuvres,  mais  c'estl'âgeoù  elle  commence.  Cet 
âge  est  déterminé  par  un  caractère  ineffaçable 
qui  consigne  en  quelque  sorte  les  dons  de  l'Es- 
prit-Saint.  Si  ces  dons  ne  sont  pas  tellement 
inhérents  que  nous  ne  puissions  les  perdre  par 
nos  prévarications,  nous  n'aurons  cependant  pas 
besoin  de  les  demander  de  nouveau  au  Pontife  qui 

1.  Cf.    Summ.  TheoL,  I»  IIœ  qua^t.  68.  De  Doniê, 


LA  CONFIRMATION 


261 


nous  les  a  donnés;  le  caractère  sacramentel  les 
rappellera  chaque  fois  que,  par  le  repentir,  nous 
déblaierons  ce  mystérieux  canal  qu'encombrent 
nos  péchés.  C'est  par  là  que  l' Esprit-Saint  s'as- 
sure des  retours  en  nos  âmes  inconstantes,  par 
là  qu'il  donne  aux  effets  de  la  Confirmation 
une  perpétuité  que  leur  refuse  notre  fragilité. 
A  quel  office  de  la  vie  chrétienne  ces  effets 
sont-ils  ordonnés?  C'est  ce  que  je  vais  vous  dire, 
Messieurs,  si  vous  voulez  bien  m'entendre  en- 
core quelques  instants. 

II 

Le  Saint-Esprit,  qui  nous  est  donné  par  le 
sacrement  de  Confirmation,  n'est  point  un  hôte 
nouveau  de  notre  âme  déjà  sanctifiée  par  le 
sacrement  de  la  régénération.  Nous  avons  dit, 
en  parlant  du  Baptême,  que  le  Christ  nous  y 
communique  sa  plénitude,  que  sa  plénitude  est 
f  Esprit-Saint,  dont  la  présence  et  les  dons  font 
de  notre  naissance  spirituelle  une  fête  de  lu- 
mière. A  quoi  bon  un  nouvel  appel  à  celui  que 
nous  possédons  déjà  ?  A  quoi  bon  une  nouvelle 
effusion  de  ses  dons,  puisque  notre  âme  rie  pou- 
vait pas  être  régénérée  sans  en  être  ornée  ? 


262  LA  CONFIRMATION 


Enfin,  pourquoi  ce  double  emploi  d'une  même 
grâce  ? 

A  ces  questions,  Messieurs,  l'Église  répond 
par  un  seul  mot  :  l'Esprit-Saint  nous  est  donné 
dans  la  Confirmation,  pour  nous  fortifier:  ad 
robur.  N'est-ce  pas  à  lui  qu'il  appartient  d'ac- 
croître et  d'affermir  la  vie  dont  il  estle  principe, 
et  ne  faut-il  pas  qu'il  se  donne  avec  plus  d'abon- 
dance, au  moment  où  le  chrétien  commence  à 
comprendre  qu'il  va  vivre  au  milieu  d'un  monde 
ennemi  de  sa  foi  ?  «  Nous  allons  sortir  de  nous 
même,  dit  saint  Thomas,  car  l'enfance  ne  vit 
que  pour  soi  ;  et,  en  sortant  de  nous-mêmes, 
nous  entrons  en  communication  avec  le  dehors, 
non  point  pour  y  mener  une  vie  tranquille,  mais 
une  vie  de  combat.  Il  est  donc  nécessaire  que 
vous  soyons  armés  pour  cette  lutte  spirituelle, 
et  ce  n'est  pas  trop  que  la  plénitude  de  grâce 
qui  convient  à  l'âge  parfait  s'ajoute  à  la  pléni- 
tude initiale  qui  nous  a  engendrés  surnaturel- 
lement.  i    »   Par  le    Baptême,  nous    sommes 

1.  In  hoc  sacramento  datur  plenitudoSpiritusSancti 
ad  robur  spirituale,  quod  cpmpetit  perfectœ  setati. 
Homo  autem  cum  ad  perfectam  œtatem  pervenerit, 
incipit  jamcommunicare  actiones  suas  adalios,  antea 
vero  quasi  singulariter  sibi  ipsi  vivit.  (Summ.  Theol., 
III  P.,  quœst.  72,  a.  2.) 


LA  CONFIRMATION  363 


purifiés  ,  par  la  Confirmation,  nous  sommes 
fortifiés.  Parle  Baptême,  nous  sommes  sauvés 
de  la  mort,  après  le  Baptême,  nous  sommes 
confirmés  dans  la  vie.  Dans  le  Baptême,  la  plé- 
nitude de  l'Esprit-Saint  nous  donne  l'innocence, 
dans  la  Confirmation,  elle  nous  donne  la  perfec- 
tion. Le  Baptême  nous  fait  entrer  dans  la  paix 
du  Christ,  la  Confirmation  nous  arme  et  nous 
équipe  pour  le  combat  ;  le  baptisé  est  inscrit 
à  l'état  civil  de  la  société  chrétienne,  où  l'on 
doit  prendre  les  recrues  de  l'armée  du  Christ  : 
le  confirmé  entre  au  service  actif  de  cette  ar- 
mée. f  Bref,  Messieurs,  le  Baptême  nous  ré- 
fère au  Christ  comme  ses  sujets,  la  Confirmation, 
comme  ses  soldats. 

Bappelez-vous  ici  les  deux  belles  définitions 
que  nous  a  données  saint  Thomas  :  «  Le  confir- 

1.  In  baptismate  homo  ad  militiam  recipitur  et  in 
confirmatione  confirmatur  ad  pugnam.In  fonte  baptis- 
matis  Spiritus  Sanctus  plenitudinem  tribuit  ad  inno- 
centiam  in  confirmatione  autem  perfectionem  ad  gra- 
tiam  ministrat.In  baptismo  regeneramur  ad  vitam, 
post  baptismum  ad  pugnam  confirmamur.  In  baptismo 
abluimus,  post  baptismum  roboramur.  Regeneratio 
per  se  salvat  in  pace  baptismum  recipientes;  confîr- 
matio  armât  et  instruit  ad  agonas.  (Melchiad.  pap. 
epist.  ad  EpUcovoi  Hispaniœ.) 


261  LÀ    CONFIRMATION 


mé  reçoit  le  pouvoir  de  protester  en  faveur  de 
la  vérité  parla  solennelle  profession  de  sa  foi.  — 
Le  confirmé  reçoit  le  pouvoir  de  soutenir  et  d'en- 
gager le  combat  contre  les  ennemis  de  sa  foi  *.  » 
Être  soldat,  voilà  l'office  auquel  sont  ordonnés 
l'accroissement  de  vie,  le  redoublement  de  dons, 
la  singulière  physionomie  et  puissance  du  carac- 
tère que  nous  recevons  dans  le  sacrement  de 
plénitude  et  de  perfection.  Soldats!  écoutez-moi 
bien.  Je  vais  vous  expliquer  le  mystère  de  votre 
enrôlement,  et  vous  rappeler  votre  devoir,  que 
vous  avez  peut-être  oublié. 

Vous  avez  été  présentés  au  Pontife,  c'est-à- 
dire  à  celui  qui  possède  ]a  plénitude  du  sacer- 
doce et  trône  aux  premiers  rangs  de  la  sainte 
hiérarchie;  car,  ce  n'est  point  aux  ouvriers, 
mais  à  ceux  qui  les  dirigent  qu'il  appartient  de 
donner  à  un  édifice  sa  dernière  perfection;  ce 
n'est  pas  aux  officiers  subalternes,  mais  aux  offi- 
ciers supérieurs  qu'il  appartient  de  former  et 
d'organiser  une  armée.  Soldats  du  Christ  nous 
ne  pouvons  prendre  place  parmi  les  défenseurs 
officiels  de  la  sainte  cause,  que  sur  l'appel  et 

1.  Voir  soixante-troisième  ^oféreDce:  ire   Partie. 


LA  CONFIRMATION  265 


après  la  révision  de  ceux  qui  ont  été  préposés 
par  l'Esprit-Saint  au  gouvernement  de  l'Église1, 
Ils  nous  interrogent,  pour  savoir  si  nous  sommes 
dignes  de  l'office  qui  va  nous  être  confié  et  de 
l'honneur  que  va  nous  faire  l' Esprit-Saint  en 
nous  incorporant  à  la  milice  chrétienne.  Ils 
étendent  leurs  mains  bénies  pour  ouvrir  les  por- 
tes du  Ciel  ;  et  les  approchent  de  nos  têtes  pour 
ouvrir  les  portes  de  nos  âmes.  Ces  mains  sont 
chargées  de  la  matière  sacrée  qui  symbolise  les 
mystérieuses  opérations  de  l'Esprit  divin:  l'huile 
et  le  baume.  L'huile,  symbole  de  la  lumière  des 
croyants  et  delà  force  des  athlètes,  le  baume, 
symbole  des  vertus  qui  doivent  répandre,  autour 
de  nous,  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ2.  Ils 
en  marquent  nos  fronts,  miroirs  vivants  de  la 
honte  et  de  la  crainte,  nos  fronts  qui  ne  devront 
jamais  rougir  de  la  foi,  ni  pâlir  en  face  de  ses 
ennemis8.  Écoutez  ce  qu'ils  disent  :  «  Signote 

1.  Cf.  Summ.  Theol.,  III  P.,  quaest.  72,  a.  I. 
Utrum  solus  episcopus  hoc  sacramentum  conferre 
possit? 

2.  Cf.  Summ.  Thtol,  III  P.,  quaest.  72,  a.  2 
Utrum  chrisma  sit  conueniens  materia  hujus  sacra- 
menti? 

3.  Cf. Summ.  Iheol.,  IIIP.,  quaest.  72, a.  9.  Utrum 
hoc  gacramentum  sit  conferendum  homini  infronteî 


266  LA    CONFIRMATION 


iigno  cn/eis,  et  conftrmo  te  chrismate  sahtth.  in 
nomine  Pat  ris  ctFïlii,  et  Spiritus  S  a  net  i  :  Jeté 
marquedusignedelacroix,  et  je  te  confirme  par 
le  chrême  du  salut,  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et 
du  Saint-Esprit f .» — C'est  fait  :  vous  êtes  soldats. 
Le  chrême,  qui  luit  sur  vos  fronts,  va  s'effacer 
bientôt;  mais  le  signe  indélébile,  le  caractère 
sacramentel,  dont  je  vous  ai  expliqué  le  mystère, 
demeure  éternellement  gravé  dans  votre  âme. 
Vousne  pourrez  jamais  déserter,  sansêtre,  aussi- 
tôt et  partout,  reconnus  par  le  divin  capitaine 
au  service  duquel  vous  vous  êtes  engagés.  Le 
déserteur  vulgaire  de  la  milice  humaine  peut  se 
débarrasser  de  ses  armes,  se  dépouiller  de  ses 
vêtements,  défigurer  son  visage,  s'enfuir,  et  ca- 
cher sa  félonie  dans  quelque  coin  du  monde  où 
il  ne  sera  plus  inquiété.  Le  déserteur  de  la  mi- 
lice divine  essaierait  en  vain  d'effacer  le  chiffre 
tenace  de  sa  profession  ;  il  est  marqué  pour  l'é- 
ternité; rien  ne  peut  le  cacher,  rien  ne  peut  le 
faire  oublier8. 


1.  Cf.  Summ.  Theol..  III  P.,  quœst.  72,  a.  4. 
Utrum  hœc  sit  conoeniens  forma  kujus  sacramenti 
cou  s  if/no  te  etc.? 

2.  Cf.    Su*nm.    Theol. ,    III   P.,  queest.    72,  a.  5. 


LA  CONFIRMATION  267 


il  faut  donc  demeurer  dans  les  rangs,  Mes- 
sieurs. Vous  êtes  soldats,  vous  l'êtes  pour  toute 
la  vie.  Votre  service  actif  ne  doit  finir  qu'au 
jour  où  vous  entrerez,  par  l'arc  triomphal  d'une 
mort  chrétienne,  dans  le  séjour  de  l'éternelle 
paix.  En  attendant,  vous  devez  suivre,  sans 
lassitude  et  sans  dégoût,  le  noble  étendard 
qui  vous  conduit  au  combat.  «Signo  te  signo 
crucis  :  Je  te  marque  du  signe  de  la  croix,  »  a 
dit  le  Pontife.  La  croix  de  Jésus-Christ  î  Voila 
votre  signe  de  ralliement,  votre  guidon  sacré. 
Il  vous  appelle  sur  des  chemins  pleins  d'embû- 
ches et  de  périls  ;  mais,  ne  craignez  rien,  votre 
âme  est  affermie  par  le  chrême  du  salut  ;  le 
caractère  dont  vous  êtes  marques  vous  donne 
droit  à  toutes  les  grâces  dont  dépend  la  vic- 
toire. 

Voulez-vous  d'autres  gages  de  cette  victoire 
que  ceux  que  vous  avez  reçus  de  l'acte  même 
de  votre  enrôlement? —  Consultez  les  annales 
de  l'armée  sainte  à  laquelle  la  Confirmation 
vous  a  incorporés.  Ses  triomphes  sont  votre 
gloire  et  votre  réconfort.   Au   commencement 

Uir>um  sacramentum  confirmât ionis   imprimât  cha~- 
raeteremi  • 


268  LA  CONFIRMATION 


de  ce  siècle,  la  France  avait  une  grande  armée 
dont  on  électrisai  t  les  recrues  en  leur  rappellaw 
les  glorieuses  journées  d'Austerlitz,  d'Iéna  et 
de  Friedland.  Petits  souvenirs,  en  comparaison 
de  ceux  qui  planent  sur  l'immense  armée  du 
Christ. 

Douze  héros  ont  formé  ses  premiers  batail- 
lons et  ont  ouvert  les  hostilités  contre  le  monde 
qu'il  fallait  convertir  à  la  foi  du  Christ.  Timides 
disciples  d'un  maître  qu'ils  ont  trahi,  renoncé, 
abandonné,  ils  sont  devenus,  tout  à  coup,  sous 
l'action  de  l'Esprit-Saint  qui  les  a  confirmés, 
les  intrépides  soldats  de  sa  cause  méprisée.  Les 
interrogatoires,  les  injures,  les  menaces,  les 
verges,  la  prison,  les  chaînes  ,  rien  ne  décon- 
certe leur  témoignage.  Ils  vont  le  porter  jus- 
qu'aux confins  du  monde,  à  travers  mille  périls  ; 
ils  arrosent  de  leursangle  champ  de  bataille  où  ils 
combattent;  ils  meurent  de  mort  violente,  non 
sans  avoir  rallié  autour  de  la  croix,  leur  sublime 
étendard,  une  multitude  de  croyants,  à  qui  ils 
communiquent  l'Esprit  qu'ils  ont  reçu  et  qui 
continuent  ia  tradition  de  leur  héroïsme. 

Pendant  trois  siècles,  les  martyrs  se  succè- 
dcrit  et  se  multiplient,  sans  que  la  barbarie  de* 


LA    CONFIRMATION  269 

persécuteurs  puisse  étouffer  l'opiniâtre  comès- 
sïon  de  la  foi  chrétienne.  Les  bourreaux  cruci- 
fient, pendent,  meurtrissent,  écorchent,  tenail- 
lent, déchirent,  arrachent,  brûlent,  rôtissent. 
On  n'entend  qu'un  seul  cri,  dicté  par  l'Esprit  de 
force  :  «  Je  suis  chrétien  !  »  Ce  cri  s'échappe, 
non  seulement  de  la  bouche  des  pontifes  et  des 
prêtres,  mais  de  la  bouche  d'hommes  de  toute 
condition.  L'esclave  et  le  libre,  le  patricien  et 
le  plébéien,  le  riche  et  le  pauvre,  le  savant  et 
l'ignorant,  témoignent  l'un  près  de  l'autre.  Que 
dis-je,  Messieurs?  l'armée  du  Christ  ouvre 
ses  rangs  aux  femmes  et  aux  enfants. ■  La  vierge 
de  douze  ans  n'est  pas  moins  courageuse  que  la 
grave  matrone  ;  et  des  enfants  de  trois  ans,  à 
qui  l'onacrupouvoir  donner,  tout  de  suite  après 
le  Baptême,  le  sacrement  de  la  virilité,  repous- 
sent, de  leurs  petites  mains ,  les  caresses  des 
tyrans,  et  tendent  les  bras  vers  leurs  mères  en 
criant  :  «  Je  suis  chrétien!  »  —  Race  vaillante! 
«  Parles  constantes  protestations  delà  prière, 
de  la  souffrance  et  dune  mort  sereine,  elle  a 


1.  Conf.    Summ.   Theot.,  III   P.,   quœst.  72.   a.  8. 
Utrum  hoc  saeramenium  sit  omnibus  exhibendumt 


270  LA   CONFIRMATION 

su,  dit  saint  Augustin,  faire  rougir  les  lois  qui 
oroscrivaient  le  christianisme  et  les  forcer  à 
changer.  *  »  Les  hécatombes  ne  l'ont  point  dé- 
couragée. On  la  voit  aujourd'hui,  comme  aux 
premiers  jours  du  christianisme ,  mépriser  les 
tourments,  et  affronter  la  mort  pour  combattre 
le  bon  combat  du  confirmé  contre  les  ennemis 
de  la  foi. 

Et,  encore,  Messieurs,  les  martyrs  ne  sont-ils 
qu'une  légion  de  la  grande  armée  du  Christ. 
Comptez,  si  vous  le  pouvez,  les  confesseurs  et 
les  vierges  dont  le  témoignage,  pour  netre  pas 
sanglant,  n'en  est  pas  moins  héroïque.  Virilisés 
par  TEsprit-Saint,  ils  ont  su,  partout  et  en  tout 
temps,  faire  honneur  à  leur  devoir  de  soldats. 
Au  désert  et  sous  les  voûtes  du  cloître,  sur  le 
trône  et  près  de  l'autel,  dans  la  solitude  du 
foyer  domestique  et  au  milieu  des  agitations  de 
la  vie  publique,  ils  combattaient  pour  la  foi.  — 
A  l'incrédulité  qui  les  méprisait,  à  l'hérésie  qui 
s'efforçait  de  les  séduire,  aux  pouvoirs  qui  les 

1.  Orando,  patiendo,  cum  pia  securitate  moriendo, 
leges,  quibus  damnabatur  christiana  religio,  erubes- 
cere  compulerunt  mutariquefeceruot.  {De  dois  Dei 
Lib.  VII,  cap.,  20.* 


La  confirmation  2?1 


menaçaient,  au  monde  qui  les  tentait,  aux  pas- 
sions qui  les  tourmentaient,  ils  ont  toujours  ré- 
pondu :  «  Je  suis  chrétien  !  » 

«  Nos  tantam,  habentesimpositamnubemtesti- 
um,  per patientiamcurramus  ad proposition  nobis 
certamen,  aspicientes  inauctorem  fïdeiet  consum- 
matorem  Jesum  :  *  Sous  cette  immense  et  glo- 
rieuse nuée  de  témoins,  méprisons  la  souffrance 
et  courons  au  combat  qui  nous  est  proposé,  les 
regards  fixés  sur  Jésus,  auteur  et  consommateur 
de  notre  foi.  »  Ainsi  parlait  l'Apôtre,  rappelant 
aux  Hébreux  les  victoires  de  la  foi,  dans  l'Église 
des  patriarches  et  des  prophètes.  Ce  qu'il 
disait  dans  les  premiers  jours  de  l'ère  chré- 
tienne, en  face  du  bataillon  sacré  qu'il  avait 
enrôlé,  ne  le  dirait-il  pas,  avec  plus  de  force, 
plus  d'autorité,  plus  de  confiance,  aux  légions 
contemporaines  de  la  milice  chrétienne? Car,  en- 
core unefois,  Messieurs,  vousêtessoldats,  et  c'est 
pour  combattre  que  vous  avez  été  confirmés. 

Direz-vous  que  l'époque  des  persécutions  est 
passée?  Hélas  I  Les  faits  vous  donneraient  un 
cruel  démenti.  Vous  savez  tous,  aussi  bien  que 


1.  Heb.#  cap.  xiî.  1.1 


2?2  LA  CONFIRMATION' 


moi,  que  la  graine  des  persécuteurs  ne  pousse 
pas  que  sur  les  trônes  des  souverains  orgueil- 
leux, et  qu'on  peut  en  voir  une  germination 
touffue  sur  les  sommets  comme  danslesbas  fonds 
de  la  démocratie.  Ce  que  le  présent  nous  fait 
souffrir,  je  le  sais  par  expérience  ;  ce  que  l'ave- 
nir nous  réserve,  on  ne  le  devine  que  trop.  Êtes- 
vous  prêts,  soldats?  Si  l'on  en  voulait  à  votre 
vie,  sauriez-vous  dire,  comme  les  martyrs  :  «  Je 
suis  chrétien?»  —  C'est  la  même  foi  que  vous  de- 
vez confesser,  et  vous  avez  reçu,  pour  cela,  le 
même  sacrement. 

Mais,  à  supposer  que  la  passion  antireli- 
gieuse, qui  fermente  en  tant  de  cœurs,  n'abou- 
tisse pas  à  de  sanglantes  tragédies,  vous  avez  à 
craindre  la  pression  de  l'impiété  triomphante, 
les  exclusions  injustes,  les  mesures  vexatoires 
qui  vous  atteindront  jusque  dans  vos  enfants. 
Aurez-vous  le  courage  de  vous  laisser  broyer, 
plutôt  que  de  vous  taire?  De  sacrifier  des  avan- 
tages temporels,  pour  n'être  point  gênés  dans 
les  manifestations  de  votre  foi?  De  revendiquer 
hautement  les  droits  de  votre  paternité,  afin  de 
préserver,  des  ravages  d'une  éducation  sann 
Dieu,  la  foi  de  vo*  enfants? 


LA  CONFIRMATION 


273 


Admettons  qu'on  se  lasse  d'opprimer  votre 
religion,  et  qu'on  vous  laisse  la  liberté.  Mais, 
l'irréligion  a  aussi  la  sienne.   Elle  en  profite 
pour  prodiguer  l'injure  et  le  blasphème  à  vos 
croyances  et  salir  tout  ce  que  vous  vénérez.  La 
plume,  le  pinceau,  le  crayon,  deviennent,  entre 
«es  mains, desarmes  perfides  autant  qu'ignobles, 
dont  vous    rencontrez  partout   la  pointe  et  le 
tranchant.  —   Vous  sentez-vous  la   force  de 
prendre,  en  face  de  ces  agressions,  l'attitude 
militante    qui    convient  à  ceux    que   l'Esprit- 
Saint  à  marqués  de  son  caractère  et  ornés  de 
ses  dons,  pour   défendre  la  sainte    cause  du 
Christ?  Êtes  vous  bien  convaincus  que,  s'il  ne 
vous  appartient  pas  de  faire  les  docteurs  et  de 
définir  les  choses  de  la  foi,  il  est  de  votre  de- 
voir d'employer  vos  talents,  votre  science,  votre 
autorité  à  les  protéger  contre  les  attaques  aux- 
quelles elles  sont  en  butte?  Votre  cœur  est-il 
plein  de  ces  profonds  mépris  et  de  cette  géné- 
reuse indignation  que  doit  éprouver  un  chré- 
tien en  présence  de  l'impiété  insolente,  et  qui 
se  traduisent  par  des  explosions  vengeresses  de 
sa  foi? 

Encore  que  le  blasphème  audacieux  se  taise, 

CONFIANCES  N.-D.    —    CARÊME    1883.    —     18 


374  LA  CONFIRMATION 


Je  soldat  du  Christ  est  toujours  harcelé  par  cet 
éternel  ennemi,  dont  il  est  dit  dans  l'Evangile  : 
«Malheur au  monde,  à  cause  de  ses  scandales  !  » 
Esclave  des  passions,  ami  du  plaisir  et  de  la  vie 
facile,  le  monde  a  horreur  de  ceux  dont  la  foi 
pratique  est  la  censure  vivante  de  ses  mœurs 
dissolues.  S'ilne  peut  s'en  débarrasser  parla  vio- 
lence, il  cherche  à  les  opprimer  par  le  ridicule. 
Il  crée  une  opinion  narquoise,  dont  le  chrétien 
entend,  à  chaque  instant,  éclater  sur  sa  tête, 
le  rire  indécent.  N'avez-vous  pas  peur  de  cette 
opinion?  Vous  rappelez-vous  cette  parole  des 
Saintes  Lettres  :  «  JSolite  tinter e  opprobrium  ho- 
mirtum:  ■  Ne  craignez  pas  l'opprobre  des 
hommes.  »  Avez-vous  le  cœur  non-seulement 
de  ne  rien  retrancher  à  vos  pratiques  religieuses, 
mais  de  les  mettre  plus  en  évidence,  afin  de 
mieux  braver  les  censures  imbéciles  d'un  monde 
sur  qui  la  vie  du  chrétien  produit  le  même  effet 
que  l'habit  du  soldat  sur  la  canaille? 

Mais,  dussiez-vous  ne  rencontrer  autour  de 
fous  aucun  ennemi,  soldats  du  Christ,  il  faut 
combattre  encore.  «  La  paix  a  ses  martyrs,  dit 


X.  Jeaï,v  cep.  ii.  7. 


LA  CONFIRMATION  275 


saint  Augustin,  et  l'écrasement  des  passions 
n'est  pas  une  de  nos  moindres  souffrances.  *  » 
La  superbe,  l'ambition,  la  haine,  la  vengeance, 
la  terrible  faim  de  l'or,  du  bien-être  et  dei.  plai- 
sirs, sont  autant  ennemies  de  la  foi  que  les  plus 
acharnés  persécuteurs.  Quand  ce  peuple  indocile 
se  révolte  et  menace  d'éteindre  le  flambeau  sacré 
de  vos  croyances,  afin  de  pouvoir  se  satisfaire 
dans  les  ténèbres, lui  dites-vous  :  Arrière  tout  ce 
qui  est  bas  et  vil!  Peuple  des  passions,  tais-toi. 
Tu  n'obtiendras  rien  de  mon  âme  affermie  par 
l'Esprit-Saint,  rien  du  soldat  de  la  foi.  Je  suis 
chrétien  ! 

Vous  l'entendez,  Messieurs,  je  me  contente 
de  vous  adresser  des  questions  ;  c'est  à  vous  d'y 
répondre.  Mais  en  faisant  votre  examen  de  cons- 
cience, rappelez-vous  que  la  crainte  servile  d^s 
hommes  et  de  leurs  violences,  le  culte  des  in- 
térêts temporels,  préférés  aux  intérêts  éternels, 
l'abdication  de  nos  droits  au  profit  de  décrets, 
de  lois,  de  mesures  tyranniques  tendant  à  désor- 
ganiser,  à  corrompre   la  famille  chrétienne, 

1.  Habet  et  pax  martyres  suos,  nam  libidinero 
fugere  pars  magna  martyrii  est.  (August.  Serm.  250, 
De  Temjpore. 


276  LA    CONFIRMATIUN 

l'amour  exagéré  du  repos  qui  stérilise  des  talents 
et  des  connaissances  utiles  à  la  sainte  cause  de 
Dieu,  le  silence  timide  ou  complaisant  qui  laisse 
hurler  le  blasphème,  sans  protestation,  les  com- 
promis passés  avec  l'erreur,  les  mélanges  indé- 
cents de  la  vie  chrétienne  et  de  la  vie  mondaine, 
les  cachoteries  peureuses  du  respect  humain, 
les  démentis  publiquement  donnés  à  nos  con- 
victions religieuses  par  une  vie  scandaleuse  où 
s'affiche  le  triomphe  des  passions,  sont  autant 
de  trahisons  et  de  lâchetés,  outrageantes  pour 
L'Esprit-Saint  que  nous  avons  reçu  dans  la  Con- 
firmation, deshonorantes  pour  l'athlète  de  la 
foi,  le  soldat  de  Jésus-Christ.  —  Si  vous  avez  à 
vous  les  reprocher,  je  ne  veux  pas  que  vous  vous 
découragiez.  ïl  est  toujours  temps  de  rentrer 
dans  les  rangs  de  la  milice  chrétienne;  les  dé- 
serteurs y  sont  admis  à  réparer  leur  honneur. 
'<  Courage!  disait  une  vaillante  et  aimable 
vierge  à  deux  jeunes  gens  qu'elle  préparait  au 
martyre  ;  courage,  soldats  du  Christ!  renoncez 
aux  œuvres  de  ténèbres,  et  revêtez  votre  armure 


7.  Eia  milites   Christi.,   abjicite  opéra   tenebrarum 
et  indmmini  armalucis.  (Offic.  de  Ste  Cécile,  rit.  Dom. 


LA  CONFIRMATION  277 


de  lumière.1  »  Cécile  fut  obéie  :  Tiburce  et  Valé- 
rien,  son  beau-frère  et  son  époux,  récemment 
baptisés  et  confirmés  par  le  saint  pape  Urbain, 
la  suivirent  de  près  dans  sa  glorieuse  mort.  ■— 
J'ai  la  confiance,  Messieurs,  que  vous  obéirez 
comme  eux,  aux  encouragements  d'un  ami  qui 
vient  de  vous  rappeler  l'honneur  de  votre  pro- 
fession et  la  grandeur  de  vos  devoirs.  Les  enne- 
mis de  la  foi  se  pressent  et  multiplient  leurs 
coups.  Sortez  des  ténèbres  de  la  peur  et  du  pé- 
ché, pour  combattre  avec  vos  armes  de  lumière. 
Courage!  soldats  du  Christ:  Debout  et  en 
avant  ! 


INDEX 


INDEX 

DES  PRINCIPALES  ERREURS 
CONTRAIRES  AUX  DOGMES  EXPOSÉS  DANS  CE  VOLUME. 


I 

SOIXANTE  ET  UNIEME  CONFÉRENCE 

(Voyez  1M  partie.  Institution  des  Sacrements), 

Les  ArchontiqueSj  Ascodrites  ou  Ascodrupites 
furent  les  premiers  contempteurs  des  sacrements. 

Leur  chef  Pierre,  anachorète  de  Syrie,  leur  avait 
appris  à  exécrer  le  Baptême,  l'Eucharistie  et,  en  gé- 
néral, tous  les  signes  sensibles  par  lesquels  nous  est 
appliquée  la  vertu  de  la  Rédemption.  La  véritable  Ré- 
demption, disaient-ils,  consiste  dans  la  connaissance 
de  ce  qui  est.  (S.  Epiphan,  hœres,  40,  Theodoret. 
De  fabulis  hœretie.) 

Les  Fratricelles  &a  Béguins  professaient  cette  er 
reur.  (Jean  XXII,  in  extravag.) 

Les  Pauciliens  rejetaient  la  matière  de  tous  les 
sacrements  :  l'eau,  le  vin,  le  pain,  l'huile,  et  n'admet- 
taient pas  d'autre  signe  que  la  parole.  Pour  adminis- 
trer le  Baptême,  par  exemple,  ils  se  contentaient  de 
dire  :  Je  suis  l'eau  de  la  vie:  Ego  sum  aqua  viva.  (Eu- 
thim.,   II   P.  Panoplies.  Tit.  XXL) 

Les  Manichéens  et  les  Séleuciens  rejetaient  le  Bap- 
tême. (S.  Aug.,  hœres  f  46  et 59.) 

Les  Novatiens,  la  Confirmation.  (Theodoret,  hb. 
De  fab.  hœretie.) 


282  INDEX 

» 

Les  Pétrobrusiens  prétendaient  qu'il  n'y  avait  plus 
d'Eucharistie;  que  le  pain  avait  été  changé  une  seule 
fois  au  corps  du  Christ,  dans  la  dernière  Cène.  (Petr. 
Clunic.  Contra  Petrobrusianos.) 

Pour  les  Bogomiles,  il  n'y  avait  pas  d'autre  Eucha- 
ristie que  le  Pater  noster. 

Les  Novatiens  supprimaient  la  Pénitence.  (S.  Epiph. , 
hceres.  59.  S.  Aug.,  hœres.  38.) 

Les  Albigeois  (S.  Antouin,  summ.  Theol.y  4,  part. 
Tit.  II,  cap.  vu,  §  5),  les  Flagellants  (Bernard 
de  Luxembourg.,  Catalog.  hœret.),  ne  voulaient  pas 
de  l'Extrême-Onction. 

Enfin,  les  Encratites,  les  Manichéens  et  plusieurs 
autres  effacèrent  le  Mariage  du  catalogue  des  rites 
sacrés  par  lesquels  le  Christ  nous  confère  sa  grâce. 
(S.  Aug.,  hœres.  33  et 46.) 

Un  certain  nombre  d'hérétiques  admettaient  les 
sacrements,  mais  ils  en  dépravaient  la  notion  ou  les 
administraient  mal.  Les  Marcosiens,  par  exemple, 
qui  voulaient  que  le  Baptême  fut  conféré,  non  pas  au 
nom  de  la  Trinité  comme  l'enseigne  l'Evangile,  mais 
au  nom  du  Père  inconnu,  etc..  In  nomine  ignoti 
Patris}  in  veritate  matre  omnium,  in  Jesu  qui  des- 
cendit in  unitate,  et  redemptioney  et  potestatum  com- 
munione.  (Theodoret.,  Lib.  I,  De  Fabulis  hœretic.) 

D'autres  hérétiques  ont  dénaturé  l'Eucharistie 
qu'ils  admettaient  comme  sacrement,  mais  où  ils  ne 
voulaient  pas  reconnaître  la  présence  réelle  du  corps 
de  Notre  Seigneur.  Saint-Ignace  en  parle  dans  son 
Epître  aux  Smyrniens,  et  Theodoret  dans  son  troi- 
sième dialogue.  Ce  fut  l'erreur  de  'Déranger  et  de 
Wiclef. 

Les  Audiens  entendaient  les  confessions  et  don- 
naient l'absolution,  mais  ils  supprimaient  la  satisfac- 
tion. (Theodoret.,  Lib.  IV.  De  fabul.  hœretic.) 


INDEX 


283 


Enfin,  les  Pépurites  conféraient  les  saints  ordres 
aux  femmes.  (S.  Epiph.,  hœres.  49.) 

La  plupart  de  ces  hérétiques  passèrent  presque  ina- 
perçus dans  l'Église.  Leurs  erreurs  devaient  se  con- 
denser dans  la  grande  hérésie  du  xvi8  siècle. 


Rien  de  plus  violent  que  les  attaques  du  Protes- 
tantisme contre  l'édifice  sacramentel,  rien  de  plus 
pitoyable  que  ses  tergiversations. 

Le  nom  même  de  sacrement  l'importunait,  il  vou- 
lut le  supprimer.  «  Ce  nom  ne  se  trouve  pas  une  seule 
fois  dans  l'Ecriture  avec  le  sens  qu'on  lui  attribue  », 
disait  Luther,  (De  captiv.  Babylonis.)  Zwingle  expri- 
mait le  désir  qu'il  n'eût  jamais  été  reçu  en  Allemagne 
«  Voeem  i%tam,  sacramentum,  magnopere  cuperem 
Germants  nunquam  fuisse  receptam.  »  (De  vera  et 
falsa  religione.)  Il  alla  si  loin,  ainsi  que  Carlostadt, 
que  Luther  se  crut  obligé  de  changer  de  sentiment  et 
d'adopter,  à  nouveau,  le  nom  de  sacrement .  Ses  secta- 
teurs le  suivirent  et  la  confession  d'Augsbourg  con- 
sacra cette  expression  dans  un  de  ses  chapitres. 

S'ils  n'avaient  élevé  de  difficultés  que  sur  un  mot  ! 
Mais  tout  le  septénaire  fut  mainte  fois  manié  et  re- 
manié. L'inconstant  Luther  changea  quatre  ou  cinq 
fois  son  Catalogue.  On  peut  suivre  ses  fluctuation? 
dans  le  seul  livre  De  captivitate  Babylonis.  Tantôt  il 
veut  qu'il  n'y  ait  qu'un  seul  sacrement,  pour  se  con- 
former au  langage  de  l'Ecriture.  Tantôt  il  en  admet 
trois  :  Le  baptême,  le  pain  et  la  pénitence.  Plus  loin 
les  sept  sacrements  reviennent  à  propos  de  la  confir- 
mation, et  puis  il  n'y  en  a  plus  que  deux,  le  baptêmi 
et  Y  eucharistie. 

Calvin,  dans  le  livre  quatrième  de  son  Institution 
(chap.  xvm,  1 19  et  20),  n'admet  que  deux  sacrements: 


284  INDEX 


le  baptême  et  la  cène.  Plus   loin  (chap.  xix,  g  31),  il  y 
ajoute  Y  ordination. 

Cette  inconstance  des  patriarches  du  protestantisme 
fut  imitée  par  leurs  sectateurs,  qui  retranchaient  ou 
ajoutaient,  selon  leur  fantaisie.  Ils  en  vinrent,  dans  le 
conciliabule  des  théologiens  de  Whtemberg  et  de 
Leipsick,  que  Matthias  d'Illyrie  appelle  Y  Intérim  de 
Leipsick,  à  reprendre  les  sept  sacrements,  et  se  firent 
accuser  de  papisme.  Mais  ailleurs  ils  supprimèrent 
tout,  même  le  Baptême,  et  justifièrent  les  ironiques 
paroles  de  M.  de  Maistre  :  «  Le  ministre  protestant 
est  un  homme  habillé  de  noir  qui  monte  tous  les  di- 
manches en  chaire  pour  y  débiter  des  choses  hon- 
nêtes. » 

Cependant,  dans  les  sectes  qui  se  respectent  et  se 
piquent  d'orthodoxie,  le  protestantisme  a  générale- 
ment conservé  deux  sacrements,  le  baptême  et  la  cène 
Il  ne  pouvait  pas  moins  faire  s'il  voulait  être  fidèle  à 
la  lettre  Evangélique,  car  il  y  est  on  ne  peut  plus 
évident  que  Jésus-Christ  a  institué  ces  deux  sacre- 
H>ents. 

Nous  avons  démontré,  dans  notre  conférence,  qu'on 
ne  peut  séparer  du  Baptême  et  de  l'Eucharistie  la 
Confirmation,  la  Pénitence,  l'Extrême-Onction,  l'Or- 
dre et  le  Mariage,  et  nous  avons  remonté,  à  l'aide  de 
la  tradition,  jusqu'à  l'institution  divine  des  sept  sacre- 
ments. Cette  institution  est  clairement  affirmée  et 
définie  par  l'Eglise  dans  le  canon  que  nous  avons  cité 
plus  haut. 

Nous  ne  nions  pas,  cependant,  que  Jésus-Christait 
pu  donner  aux  hommes  le  pouvoir  d'instituer  les  sa- 
crements. La  puissance  d'excellence  qu'il  possède 
comme  homme  est  communicable  aux  créatures,  dit 
saint  Thomas  :  «  Chrisius  in  sacrame^*^  habuit  du- 


INDEX  285 


o  plicem  potestatem  :  unam  auctoritatis,  quœ  corn- 
»  petit  ei,  secundum  quod  est  Deus;  et  talis  po~ 
»  testas  nulli  creaturae  potuit  communicari,  sicut  nec 
y>  divina  essentia  ;  aliam  potestatem  habuit  excellen- 
»  tiee,  quœ  competit  ei,  secundum  quod  est  homo;  et 
»  talem  potestatem  potuit  ministris  communicare, 
»  dando  scilicet  eis  tantam  gratiee  plenitudinem,  ut 
»  eorum  meritum  operaretur  ad  sacramentorum  ef- 
»  fectus,  ut  ad  invocationem  nomiuum  ipsorum  sanc- 
»  tificarentur  sacramenta,  et  ut  ipsi  possent  sa- 
»  cramenta  instituere,  et  sine  ritu  sacramentorum 
»  effectum  sacramentorum  conferre  solo  imperio 
»  Potest  enim  instrumentum  conjunctum,  quanto 
»  fuerit  fortius,  tanto  mas^is  virtutem  suam,  instru- 
»  mento   separato    tribuere    sicut  manus  baculo.    » 

(Summ.  TheoL,  III  P.,  quaest.  64,  a,  4.) 

Mais  ce  que  Dieu  pouvait  faire  il  ne  l'a  pas  fait.  Il 
faut  donc  rejeter,  comme  une  erreur  condamnable,  l'o- 
pinion d'Alexandre  de  Haies  qui  prétend  que  le  sacre- 
ment de  Confirmation  a  été  institué  par  l'Eglise  dans 
un  Concile  de  Meaux,  ainsi  que  l'opinion  de  ceux  qui 
affirment  absolument  que  plusieurs  sacrements  ont  été 
institués  par  les  Apôtres. 

Les  paroles  du  Concile  de  Trente  sont  formelles  : 
«  Sacramenta...  esse  omnia  a  J.  C.  D.  N.  insti- 
tut a.  » 

Le  saint  Concile  a-t-il  voulu  définir  comme  de  foi 
l'institution  immédiate  de  tous  les  sacrements  par 
Jésus-Christ?  Bellarmin  le  prétend,  sans  cela,  dit-il, 
le  canon  du  Concile  serait  inutile,  «  car  personne  n'a 
jamais  douté  que  les  sacrements  aient  été  institués, 
au  moins  médiatement,  par  Jésus-Christ  :  Cum  nemo 
unquam  dubitaverit  quin  saltem  médiate  sacramenta 
a  Deo  sint  instituta.  (De  sacram.  Lib.  I,  cap.   xxm.) 

Personne  parmi    les   catholiques,   oui;  mais,  non. 


286  INDEX 


parmi  les  hérétiques.  La  raison  de  Bellarmin  ne  vaut 
rien.  Nous  croyons  que  le  Concile  de  Trente  a  visé 
les  novateurs  dans  sa  définition,  et  n'a  pas  voulu 
condamner  comme  hérétique  l'opinion  de  Pierre  Lom- 
bard, d'Hugues  de  Saint-Victor  et  surtout  de  saint  Bo~ 
naventure,  qui  ont  enseigné  que  la  Confirmation  et 
l'Extrème-Onction  ont  été  instituées  immédiatement 
par  les  Apôtres.  Du  reste,  cette  institution  apostolique 
n'exclut  pasl'institutiondi  vine. Saint  Bonaventures'ex- 
plique  clairement  sur  ce  sujet  :  «  Les  Apôtres,  dit-il, 
avaient  pour  maître  l'Esprit-Saint.  C'est  lui  qui  inspi- 
rait ;  les  Apôtres  n'étaient  que  ses  ministres  auprès  du 
peuple.  Nous  n'attribuons  donc  l'institution  des  sacre- 
ments qu'à  Dieu,  ajoute  le  saint  docteur,  soit  par  le 
Fils,  soit  par  l'Esprit-Saint.  Dieu  est  auteur,  les  Apô- 
tres sont  promulgateurs  :  «  Spiritus  Sanctus  Apostolis 
t  et  ipsi  ut  ministri  populis  exponebant.  Unde  sacra- 
t  mentorum    institutionem   non  attribuimus  nisi  Deo 

t  vel  per  Filium   vel   per  Spiritum  Sanctum Sic 

c  institutio  sacramentorum  respicitDeum  ut  auctorem 
«  et  Apostolos  ut  ministros  in  promulgando.  »  (S. 
Bonav.,  4.  Dist.  23,  a.  1,  q,  2.) 

Le  P.  Franzelin,  jésuite,  dans  son  traité  des  sacre- 
ments, dit  que,  c  depuis  les  définitions  du  Concile  de 
Trente,  il  n'est  aucun  théologien  qui  songe  à  nier  que 
tous  les  sacrements  ont  été  institués  immédiatement 
par  le  Christ.  »  (Thés.  XIV,)  Il  se  trompe.  Tournely 
affirme  que  l'opinion  de  l'institution  médiate  de  quel- 
ques sacrements  est  librement  enseignée  dans  l'école. 
Il  invoque,  à  ce  propos,  l'autorité  de  deux  théologiens 
éminents  :  Dominique  Soto  et  Estius.  Ce  dernier  re- 
garde l'institution  médiate  comme  probable,  mais, 
comme  plus  probable,  l'institution  immédiate. 

Quant  à  nous,  nous  pensons  qu'on  peut,  sans  of- 
fenser les  définitions  du  Concile  de  Trente,   affirmer 


INDEX  287 

que  Jésus-Chrisl  a  institué  immédiatement  tous  les 
sacrements  quant  à  la  détermination  de  leur  nombre 
et  de  leurs  effets,  qu'il  a  institué  immédiatement  quel- 
ques sacrements,  et  médiatement  plusieurs  autres 
quant  à  la  détermination  précise  de  tous  leurs  élé- 
ments. 

On  peut  ainsi  expliquer  les  différences  de  forme  et 
de  matière  qu'on  remarque  dans  l'Eglise  grecque  et 
dans  l'Église  latine.  Cette  opinion  n'est  point  à  mépri- 
ser, dit  Contenson.  «  Non  est  contemnenda  generalis 
eorum  responsio,  qui  dicunt  Christum  Dominum  ma" 
teriam  et  formant  omnium  saeramentorum,  veluti  ge- 
nerice,  sed  non  spécifiée  déterminasse.  »  (Yheol. 
mentis  et  cordis}  Lib.  XI.  P.  1.  Dissert.  1,  cap.  I.) 

Quoiqu'il  en  soit,  il  est  certain  que  les  éléments 
essentiels  des  sacrements  une  fois  fixés  le  sont  divi- 
nement, et  que  l'Église  n'y  peut  rien  changer.  Elle 
confesse  elle-même  son  impuissance  à  cet  égard,  en 
définissant  le  droit  qu'elle  possède  S'instituer  des 
rites  sacrés  destinés  à  rendre  plus  solennelle  l'admi- 
nistration des  sacrements.  Ces  rites  doivent  respecter 
l'immutabilité  des  éléments  sacramentels  :  «  Salva 
eorum  substantia.  » 

Le  protestantisme  n'a  point  eu  cette  délicatesse.  «.  De 
quelque  manière  que  le  Baptême  soit  administré,  dit 
Luther,  pourvu  que  ce  ne  soit  pas  au  nom  d'un  homme, 
mais  au  nom  du  Seigneur,  il  nous  sauve.  Bien  plus,  je 
ne  doute  pas  que  celui  qui  le  reçoit  au  nom  du  Sei- 
gneur ne  soit  vraiment  baptisé,  quand  bien  même  ce 
nom  serait  supprimé  par  un  ministre  impie.  »  (Lib.  De 
captivitate  Babylonis.  cap.  De  baptismo  ) 

Il  est  vrai  que  Luther,  facile   aux   palinodies,  s'est 
depuis  rétracté.  (1  Homil.,  De  baptismo.  an.  1531.) 
Mais  Brente  et  Zwingle  ont  retenu  son   premier  sen 
liment. 


288  INDEX 


(Voyez  3me  partie  :  Efficacité  des  sacrements). 

Les  Alusaliens  ou  Euchites  enseignaient  que  les 
sacrements  n'avaient  point  le  pouvoir  de  justifier.  Ils 
attribuaient  ce  pouvoir  à  la  prière.  «  Baptismum  ho- 
i  minem  non  peificere,necdivinasacramen ta  acceptas 
»  animi  sordes  expiare,  sed  solas  preces  quœ  ab  illis 
»  recte  fundantur.»  (S.  Joan.  Damasc,  Lib.  De  hœres.) 
Guidonis  attribue  cette  erreur  aux  Arménien*  et  aux 
Cathares. 

Le  protestantisme  enseigne  que  la  grâce  D'est 
point  une  entité  inhérente  à  notre  âme,  une  trans- 
formation surna-turelle  de  notre  être,  mais  quelque 
chose  de  purement  extérienr,  une  imputation  de  la 
justice  même  du  Christ.  Cette  justice  nous  l'obtenons 
uniquement  par  la  foi.  La  foi  qui  justifie  n'est  point 
l'adhésion  de  notre  esprit  aux  dogmes  révélés,  mais 
la  confiance  qui  nous  fait  croire  avec  certitude  que 
Dieu  cesse  de. nous  imputer  nos  péchés  pour  nous 
imputer  la  justice  de  son  Fils.  Cette  confiance  supplée 
à  toutes  les  dispositions,  à  toutes  les  œuvres. 

On  voit  tout  de  suite  la  conséquence  de  cette  théo- 
rie de  la  justification  appliquée  aux  sacrements.  C'est 
la  négation  de  leur  efficacité  intrinsèque.  Il  n'ont  plus 
d'autre  but  que  d'exciter  la  foi  par  laquelle  nous 
6ommes  justifiés.  C'est  daDS  ce  sens  que  sont  faites 
toutes  les  définitions  protestantes. 

Selon  Luther,  le  sacrement  est  un  signe  extérieur 
destiné  a  provoquer  et  à  exercer  la  foi  qui  sauve.  (Lib. 
Contra  Cochlœum.) 

t  Les  sacrements,  dit  la  confession  d'Augsbourg 
(art.  13)  sont  des  signes,  des  témoignages  de  la  vo- 
lonté de  Dieu,  proposés  aux  fidèles  pour  exciter  et 
confirmer  leur  foi.  * 


INDEX  289 


Calvin  dit  à  peu  près  la  même  chose  :  «  Sacramen- 
tum  est  externum  symbolum...  ad  sustinendam  fidei 
nostrœ  imbeeillitatem.  » 

Il  ajoute  :  «  Ce  symbole  extérieur  sert  aussi  à  ma- 
nifester notre  piété  envers  Dieu,  devant  lui,  devant 
les  anges  et  devant  les  hommes  :  —  Et  nos  vicissim 
«  pietatem  erga  eum  nostram,  tam  coram  eo  etange- 
«  lis,  quam  apud  homines  testamus.  »  (Lib.  IV.  Institut. 
cap.  XIV  g.  1.) 

Pour  les  Anabaptistes  etles  Zwingliens  le  sacrement 
n'est  qu'un  signe  de  reconnaissance  qui  nous  distingue 
des  juifs  ou  des  païens. 

Enfin,  les  Soeiniens  l'appellent  franchement  un 
signe  stérile  et  nu. 

Toutes  ces  définitions  seraient  vraies,  si  la  théorie 
de  la  justification  par  la  foi  toute  seule  pouvait  se  sou- 
tenir, mais  cette  théorie  ne  s'appuie  que  sur  de  misé- 
rables arguments  et  est  manifestement  condamnée  par 
l'Ecriture  qu'on  invoque  pour  la  soutenir. 

L'Apôtre  dit  :  «  Justifiés  par  la  foi,  ayons  la  paix  : 
«  Justificati  per  fidem pacem  habeamus.  »  (Rom.,  cap. 
v.l.)«  Mon  juste  vit  de  la.  foi:  Justus  meus  ex  fide  viuit.* 
(Rom.,  cap.  1. 1).  Dans  les  Actes,  nous  lisons  que  Dieu 
purifie  les  cœurs  par  la  foi  :  «  Fide  purificans  corda 
eorum).*  (Act. ,  cap.  xv.  9.)  Mais  voici  qui  prouve  davan- 
tage, d'après  les  protestants.  «  Nous  pensons,  dit  saint 
Paul,  que  l'homme  est  justifié  par  la  foi,  sans  les 
œuvres  de  la  loi  :  Arbitramus  hominem  justificari  per 
fidem  sine  operibus  legis.  »  (Rom.,  cap.  III.  28.)  — 
«  La  grâce  vous  a  sauvé  par  la  foi  et  non  à  cause  de 
vos  œuvres  :  Gratia  salvati  estis  per  fidem...  non  ex 
operibus.  »  (Ephes.,  cap.  II.  8.  9.) — «  Tout  homme,  qui 
croit  que  Jésus  est  le  Christ,  est  né  de  Dieu .  »  Joan. 
cap.  v.  1.  etc..) 

Or,  il  suffit  de  lire   attentivement  les   textes  qui 

CONFÉRENCES  N.-D.  —  CAHÈME  1883.  —  19 


290  INDEX 


viennent  d'être  cités  et  de  les  comparer  au  contexte, 
pour  se  convaincre  que  la  foi  dont  il  est  parlé  n'esi 
point  la  confiance  à  laquelle  le  protestantisme  attri- 
bue notre  justification,  mais  bien  la  prédication  des 
vérités  évangéliques  et  l'adhésion  de  notre  esprit  à 
ces  vérités;  que  cette  foi  est  considérée  comme  une 
disposition  requise  ou,  si  l'on  veut,  comme  la  cause 
initiale,  mais  non  comme  la  cause  totale  de  notre 
justification;  que  les  œuvres  réputées  inutiles  par 
l'Apôtre,  sont  les  pratiques  légales  de  l'Ancien  Testa- 
ment abrogé  par  le  Nouveau;  que  bien  loin  d'exclure 
tout  autre  disposition  et  tout  autre  œuvre  que  la  foi, 
l'Ecriture  les  réclamepour  notre  justification.  «  Si  j'ai  la 
foi  jusqu'à  transporter  les  montagnes,  sans  la  charité, 
je  ne  suis  rien  :  —  Si  habuero  omnem  fidem  ita  ut 
montes  transférant,  charitatem  autem  non  habuero 
nihil  sum.  »  (I  Cor.,  cap.  xm.  2.)  «  En  le  Christ 
Jésus,  être  circoncis,  n'être  pas  circoncis,  cela  n'a 
aucune  valeur;  ce  qui  nous  sert  c'est  la  foi  vivifiée  et 
opérant  par  la  charité:  — In  Christo  Jesu  neque  cir- 
cumeisio  aliquid  valet,  neque  prœputium  sed  fides 
quœ  per  charitatem  operatur.  (znalis  hi'âycmvs  èvep- 
yov(ievyj)  »  (Galat.,  cap.  v.  6.)  «  La  foi  est  consommée 
par  les  œuvres  auxquelles  elle  coopère  :  Vides  quo- 
niam  fides  cooperabatur  operibus  illius,  et  ex  operibus 
fides  consummata  est.  (èleXeiœdtj.)  »  L'homme  n'est 
pas  justifié  par  la  foi  seulement,  mais  par  les  œuvres... 
comme  le  corps  est  mort  sans  l'esprit,  ainsi  la  foi  sans 
les  œuvres  :  «  Videtis  quoniam  ex  operibus  justifi- 
»  catur  homo  et  non  ex  fide  tertiim. . .  sicut  enim 
»  corpus  sine  spiritu  mortuuro  est,  ita  et  fides  sine 
»  operibus  mortua  est.  »  (Jacob.,  cap.  il.  23-26.) 

Les  œuvres  sont  donc  nécessaires  à  notre  justifica- 
tion. Or,  parmi  les  œuvres  de  religion,  il  n'en  est  pas 
de  plus  saintes  que  les  sacrements.  Jésus-Christ  unit, 


INDEX  291 


dans  ses  commandements,  leur  dispensation  à  la  pré- 
dication de  la  foi  :  «  Euntes  doeete  omnes  gentes,  bap- 
tisantes eos.  »  (Matth.,  cap.  xxvm.  19.)  Il  fait  de 
leur  réception,  comme  de  la  foi,  une  condition  de  salut  : 
«  Qui  crediderit  et  baptizatus  fuerit  hic  salvuserit.  i 
(Marc,  cap.  xvi.  16.) 

C'est  donc  en  vain  que  les  protestants  cherchent 
à  étayer  de  l'autorité  de  l'Ecriture  leur  théorie  de  la 
justification  par  lafoi.  Cette  théorie  étant  fausse.,  toutes 
les  conséquences  qu'ils  en  tirent  à  l'endroit  des  sa- 
crements sont  également  fausses. 

Du  reste,  il  n'est  pas  difficile  de  les  mettre  en  con- 
tradiction avec  eux-mêmes.  Ils  admettent  la  validité 
du  Baptême  des  enfants.  Mais  à  quoi  leur  sert  ce  sa- 
crement, s'il  n'est  qu'un  signe  institué  pour  exciter  la 
foi?  L'enfant  ne  comprend  rien  à  cette  prédication 
symbolique,  et  c'est  bien  le  cas  de  dire  avec  les  Soci- 
niens  que  le  sacrement  est,  dans  cr»*te  occurence, 
un  signe  absolument  vide  et  nu. 

Les  protestants  ont  compris  la  force  de  cet  argu- 
ment et,  plus  d'une  fois  vaincus  par  la  vérité,  ils  ont 
confessé  l'efficacité  des  sacrements.  Luther,  dans 
son  homélie  I  du  Baptême  (éditée  en  1535),  dit  formel- 
lemeut  que  ce  sacrement  a  été  institué  pour  nous  don- 
ner l'éternelle  grâce,  l'éternelle  pu^té  et  sainteté,  l'é- 
ternelle vie  :  «  Ad  hoc  institutus  est  Baptismus,  ut 
nobis  serviat,  nobis  prosit,  nobis  donet,  non  aliquid 
carnale,  vel  corporale,  sed  œternam  gratiam,  œternam 
munditiam  et  sanctitatem,  œternam  vitam.  »  Kemni- 
tius  confesse  que  «les  sacrements  sont  des  cau- 
ses instrumentales  par  le  moyen  desquelles  le  Père 
veut  montrer,  donner  et  appliquer  sa  grâce  :  Sacra- 
menta  sunt  caasœ  instrumentales ,  ita  quod,  per  Ma 
media}  seu  organa,  Pater  vult  gratiam  suam  exhibere, 
donare,    applicare.    (2.    Part.   Exam.)  Calvin   dan» 


292  indîx 


son  Antidote  du  Concile,  (Sess.  7.  can.,  5  et  6), 
tient  un  langage  tout-à-fait  catholique.  «  Les  sacre- 
ments, dit-il,  sont  des  causes  instrumentales  qui  con- 
fèrent la  grâce.  Si  quelqu'un  nie  qu'ils  contiennent  la 
grâce  figurée  par  les  signes  sacramentels,  nous  le 
désapprouvons:  Semper  memoria  repetendum  est,  sa- 
cramenta  nihil  quam  instrumentales  esse  eonferendœ 
nobis  gratiœ  causas. — Si  qui  sint  qui  negent  sacramen- 
tis  contineri  gratiam,  quam  figurant  ,illos  improbamus.y» 
Il  ne  faut  pourtant  pas  trop  se  fier  à  ces  aveux  des 
protestants,  dit  Bellarmin.  Ils  contiennent  toujours 
un  sous-entendu  en  faveur  de  la  foi  justifîaute.  L'hé- 
résie aura  beau  parler  notre  langage,  il  ne  faudra 
croire  à  sa  sincérité  que  lorsqu'elle  aura  réprouvé  son 
système  de  la  justification. 

(Voyez  ibid.  Efficacité  des  sacrements  indépendante 
des  dispositions  du  ministre.  ) 

Ni  la  foi  ni  la  sainteté  du  ministre  ne  sont  requises 
pour  la  validité  des  sacrements. 

Telle  est  la  doctrine  de  l'Eglise  définie  dans  ces 
deux  canons  du  Concile  de  Trente: 

«  Si  quis  dixerit  baptismum,  qui  etiam  datur  ab  hœ- 
*  reticis  in  nomine  Patris  et  Filii  et  Spiritus  Sancti, 
»  cum  intentione  faciendi  quod  facit  Ecclesia, 
»  non  esse  verum  baptismum  ;  anathema  sit.  (Sess. 
»  VIL  De  baptismo.  can.  4.) 

«Si  quis  dixerit  ministrum  in  peccato  mortali  existen- 
«  tentem,  modo  omnia  essentialia,  quœ  ad  sacramen- 
»  tum  conficiendum,  aut  conferendum  pertinent,  ser- 
»  vaverit,  non  conficere  aut  conferre  sacramentum; 
>  anathema  sit.  (Sess.  VII.  De  sac.  in  gen.  can.  12.) 

Ces  deux  canons  visent  les  erreurs  de  ceux  qui  re- 
fusaient aux  hérétiques  et  aux  pécheurs  le  pouvoir 
d'administrer  validement  les  sacrements. 


INDEX  293 


Agrippin,  évêque  de  Carthage,  fut  le  premier  qu 
enseigna  que  le  Baptême  conféré  par  les  hérétiques 
était  invalide.  (Vincent.  Lirin.,  Commonit.)  Saint  Cy- 
prien  épousa  la  doctrine  de  son  prédécesseur  et  y  en- 
traîna un  certain  nombre  d'évêques  africains.  Il  con- 
sidérait comme  invalides  les  sacrements  conférés  paf 
les  hérétiques,  mais  non  ceux  que  conféraient  les  pé- 
cheurs. 

Les  Donatistes  allèrent  plus  loin  ;  car  ils  s'obti- 
nèrent  dans  Terreur  après  les  définitions  de  l'Église. 

Après  les  Donatistes,  saint  Jérôme  cite  les  Luei- 
fèriens  qui  admettaient  le  Baptême  des  hérétiques, 
mais  non  leur  ordination. 

Les  Apostoliques  refusaient  aux  hommes  pervers 
le  pouvoir  d'administrer  efficacement  les  sacrements. 

Les  Vaudois  transportaient  ce  pouvoir,  des  mauvais 
prêtres  aux  bons  laïques. 

Wiclef  exagéra  l'hérésie  ;  car  il  excluait  de  l'ad- 
ministration des  sacrements  non  seulement  les  pé- 
cheurs occultes  et  manifestes,  mais  même  les  justes 
dont  Dieu  prévoyait  la  future  prévarication. 

Les  Hussites  et  les  Anabaptistes  furent-ils  héré- 
tiques sur  ce  point?  On  le  croit  généralement,  Bei- 
larmin  doute. 

Bien  que  Luther  ait  dit,  çà  et  là,  que  les  justes  seuls, 
ayant  l'esprit  du  Christ,  peuvent  administrer  effica- 
cement les  sacrements,  il  faut  s'en  tenir  au  sentiment 
qu'il  exprima  plus  tard,  avec  son  exagération  habi- 
tuelle. Non  seulement  il  enseigna  que  la  foi  et  la  pro- 
bité du  ministre  n'étaient  pas  nécessaires  à  l'efficacité 
des  sacrements,  mais  le  diable  lui-même  lui  parut  un 
ministre  suffisant. 

Quand  à  Calvin,  il  se  contenta,  dans  son  antidote  du 
Concile  de  Trente,  d'ajouter  un  amen  au  canon  XII 
<te  la  VIIe  session  * 


294  INDEX 


(Cf.  Summ.  Theol,  III  P.  quaest.  64.  a.  9.  Utrum 
fides  ministri  sit  de  necessitate  sacramentel  a.  10. 
Utrum  intentio  recta  ministri  requiratur  ad  perfec- 
tionem  sacramenti?) 

Mais,  si  l'erreur  et  la  perversité  du  ministre  ne 
peuvent  empêcher  l'efficacité  des  sacrements,  encore 
faut-il  qu'il  ait  l'intention  de  faire  ce  que  fait  l'É- 
glise. 

v  Si  quis  dixerit  in  ministris,dum  sacramenta  confî- 
»  ciunt,  et  conferunt,  non  requiri  intentionem  saltem 
j»  faciendi  quod  facit  Ecclesia  ;  anathema  sit.  (Sess. 
»  VI.  can.  De  saeram.  in  gen.) 

Le  canon  du  Concile  de  Trente  condamne  l'erreur 
de  Luther  qui  ne  requiert  aucune  intention  du  mi- 
nistre, et  attribue  au  sacrement  administré  dérisoi- 
rement  une  complète  efficacité.  «  Non  dubitem,  si 
»  quisidnomineDominisuscipiat,  etiamsi  impius  mi 
»  nister  non  det  in  nomine  Domini,  vere  baptizatum 
»  esse  in  nomine  Dcmini.  Non  enim  in  conferentis 
»  tan tum, quantum  in  suscipientis  fide,  vel  usu  sita  est 
«  virtus  baptismi,  sicutlegitur  dequodam  mimoper  jo- 
«  cum  baptizato.  » 

L'opinion  de  Catharin,  dit  Bellarmin,  approche  de 
cette  erreur.  Contrairement  au  sentiment  commun 
des  théologiens,  qui  enseignent  que  le  ministre  repré- 
sentant du  Christ  doit  avoir  intérieurement  l'intention 
de  faire  ce  qu'a  voulu  le  Christ,  c'est-à-dire  un  rite  sa- 
cré, Catharin  prétend  qu'il  suffit  que  le  ministre  ait 
l'intention  de  faire  sérieusement  et  avec  attention  l'acte 
extérieur  que  fait  l'Église,  quand  bien  même  il  s'en 
moquerait  intérieurement. 

Cette  opinion  me  parait  fausse,  dit  Pallavicini, 
mais  elle  n'a  point  été  expressément  condamnée  par 
le  Concile  de  Trente  :  t  Io  per  me  stimo  che  la  seu- 
»  ten/a  del  Catarine  lia  faUa,  ma   non   pero  condao- 


ÎMDEI  295 

€  nata  espressamente  da  canoni  Tredentini.»  Plusieurs 
théologiens  l'ont  appelée  singulière,  bizarre^  extra» 
vagante,  voisine  de  l'hérésie.  Saint  Liguori,  plus  sage 
dans  ses  jugements,se  contente  de  dire  qu'elle  a  pour 
patrons  des  hommes  renommés  :  insignis  nominis. 
Elle  n'est  point,  en  effet,  l'opinion  exclusive  d'Am- 
broise  Catharin.  Priérias,  avant  le  Concile  de  Trente, 
et.  depuis,  Salmeron,  Juenin,  Herri,  Milante,  Drouin, 
l'ont  professée.  C'était  l'opinion  de  l'ancienne  Sor- 
bonne.  Contenson  Ta  vivement  et  solidement  défendue 
dans  son  Appendice  au  Traité  des  sacrements  en 
général.  On  peut  en  suivre  la  discussion  dans  cet 
appendice  et  dans  la  17°  thèse  du  Traité  des  Sacre- 
ments du  P.  Franzelin.  Mais  cette  discussion  n'a 
qu'un  intérêt  de  pure  spéculation,  car,  si  probable 
que  puisse  être  l'opinion  de  Catharin,  il  n'est  point 
permis  de  la  suivre  pratiquement,  dit  Benoit  XIV. 
(Lib.  De  syn.  n°  9.) 'Il  faut  s'en  tenir  à  la  déclaration 
d:Innocent  XI  qui  défend  de  suivre,  dans  l'adminis- 
tration des  sacrements  une  opinion  probable,  en  lais- 
sant de  côté  la  plus  sûre.  «  Si  donc,  ajoute  le  même 
Pontife,  un  sacrement  qu'on  ne  peut  réitérer  avait  été 
administré  dans  les  conditions  précitées,  il  faudrait, 
en  cas  d'urgente  nécessité,  l'administrer  de  nouveau 
sous  condition  ;  ou,  si  cela  était  possible,  attendre  la 
décision  du  Saint-Siège.» 

II 

SOIXANTE-DEUXIÈME  CONFÉRENCE 

(Voyez  2eme  Partie.  Harmonie  du  Progrès.) 
Le  protestantisme,  en  niant  l'efficacité  des  sacre- 
ments, ne  pouvait  plus  reconnaître,  entre  ceux  de  la 
loi  ancienne  et  ceux  de  la  loi  nouvelle!  que  des  dififé- 


296  INDEX 


rences  insignifiantes.  En  réalité,  point  de  progrès. 
C'est  ce  qu'enseigne  crûment  Luther  dans  son  licre 
de  la  Captivité  de  Babylone.  (cap.  De  Baptismo.) 
e  Erreur,  dit-il,  de  croire  que  les  sacrements  de  la  loi 
nouvelle  différent  des  sacrements  de  l'ancienne  loi 
quant  à  l'efficacité  de  leur  signification  :  — Error  est 
sacramenta  novœ  legis  differre  a  sacramentis  veteris 
legis,  pênes  efficaciam  signification!  s,  id  est,  quod 
nostra  efficacitcr  significent  faciendo  quod  figurant, 
non  Ma.  > 

Calvin  veut  qu'on  efface  entièrement  du  livre  de  la 
foi  le  dogme  scholastique  de  la  différence  des  anciens 
sacrements  et  des  nouveaux  :  Hoc  dogma  scholas- 
ticum,  quo  tam  longum  discrimen  inter  veteris  ae 
novœ  legis  sacramenta  notatur,  perinde  ac  si  illa 
non  aliud  quam  Dei  gratiam  adumbraverint,  haec 
vero  prœsentem  conférant,  penitus  explodendum  est. 
(Lib.  IV.  Institut.,  cap.  XIV.  §23.) 

Carlostadt,  Zwingle  et  les  Anabaptistes  vont  plus 
loin.  Ne  considérant  les  signes  sacramentels  que 
comme  un  signe  de  reconnaissance,  ils  donnent  la  pré- 
férence aux  sacrements  de  l'ancienne  loi,  surtout  à  la 
Circoncision,  qui  distinguait  plus  visiblement  et  plus 
eDergiquement  le  judaïsme  que  le  Baptême  ne  dis- 
tingue le  christianisme  des  autres  religions. 

Toutes  ces  erreurs  ont  été  condamnées  dans  le  deu- 
xième canon  de  la  septième  session  du  Concile  de 
Trente  (sect.  De  Sacramentis  in  génère),  ainsi  con- 
çu :  «  Si  quelqu'un  prétend  que  les  sacrements  de  la 
loi  nouvelle  ne  diffèrent  des  sacrements  de  la  loi  an- 
cienne que  parce  que  les  cérémonies  et  les  rites  exté- 
rieurssont  autres, qu'il  soit  anathème:  — Siquisdixerit 
ea  ipsa  novœ  legis  sacramenta  a  sacramentis  anti- 
quae  legis  non  diffère,  nisi  quia  ceremoniœ  *unt 
îliœ.  et  alii  ritus  externi;  anathemà  «if.  » 


INDEX  297 


Non  seulement  le  protestantisme  défigurait  le  plan 
de  Dieu  en  appauvrissant  les  sacrements,  il  troublait 
encore  profondément  l'harmonieuse  économie  de  la 
vie  et  de  la  communauté  chrétiennes.  Goethe  le  lui 
reproche  amèrement.  «Le  culte  protestant,  dit-il,  est 
tiop  maigre  et  trop  décousu  pour  qu'il  puisse  former 
un  lien  solide  entre  les  membres  de  la  communauté 
religieuse.»  Son  âme,  sans  croyances  définies,  ne 
pouvait  découvrir  et  décrire,  comme  celle  de  saint 
Thomas,  les  profonds  mystères  et  les  merveilleuses 
beautés  de  notre  édifice  sacramentel,  mais  son  génie 
poétique  en  entrevoyait  les  harmonieuses  proportions, 
et  il  écrivait  :  «Les  sacremenîs  sont  ce  qu'il  y  a  de 
plus  sublime  dans  la  religion  ;  ils  sont  le  symbole 
visible  d'une  ferveur  et  d'une  grâce  divine  extraor- 
dinaire. Dans  le  sacrement  de  la  cène,  nos  lèvres 
sont  appelées  à  recevoir  un  être  divin  qui  à  pris  un 
corps  sensible  ;  c'est  une  nourriture  céleste,  sous  la 

forme  d'un  aliment  terrestre Mais  il  ne  faudrait 

pas  qu'un  tel  sacrement  fut  isolé  ;  le  chrétien  n'y 
trouvera  pas  la  consolation  qui  en  est  la  fin,  si  l'on 
n'a  eu  soin  de  nourrir  en  lui  le  sens  et  l'esprit  sacra- 
mentels. Il  doit  être  habitué  à  considérer  la  religion 
interne  du  cœur  et  la  religion  externe  du  culte  comme 
une  seule  et  même  chose,  comme  le  grand  sacre* 
ment  général,  qui  se  fractionne  en  un  certain  nom- 
bre de  sacrements  particuliers  et  leur  communique 
sa  sainteté,  son  indestructibilité  et  sa  perpétuité. 

«  Voici  un  jeune  couple  dont  les  mains  sont  jointes  : 
ce  n'est  point  un  témoignage  passager  de  politesse, 
ce  n'est  point  la  danse  joyeuse  qui  a  mis  leurs  mains 
l'une  dans  l'autre;  un  prêtre  les  bénit,  et  les  voilà 
unis  d'un  lien  indissoluble.  Bientôt  les  jeunes  époux 
reparaissent  dans  la  maison  de  Dieu;  ils  ont  apporté 
au  pied  de  l'autel  un  nouvel  être,  dans  lequel  ils  coa^ 


298  IKDEX 

templent  leur  propre  image.  L'eau  sacrée  le  purifie;  il 
est  fait  membre  de  l'Eglise,  et  les  liens  qui  l'y  atta- 
chent sont  si  puissants  qu'il  ne  peut  perdre  ce  bienfait 
que  par  la  chute  la  plus  profonde.  L'enfant  grandit  . 
il  se  développe,  de  lui-même,  dans  son  contact  avec 
les  choses  terrestres;  mais,  lus  choses  du  ciel,  il  ne 
les  connaîtra  que  grâce  à  l'éducation.  Il  est  soumis  à 
un  examen;  et,  si  son  instruction  religieuse  a  été 
complète,  l'Eglise  le  recevra  une  seconde  fois  dans 
son  sein,  mais  comme  membre  en  quelque  sorte 
effectif,  comme  confesseur  volontaire  et  libre;  et  cette 
action  sera  entourée  de  cérémonies  qui  en  marquent 
toute  l'importance...  Voilà  le  néophyte  devenu  déci- 
dément chrétien  :  il  sait  ce  que  ce  titre  veut  dire,  il 
connaît  les  prérogatives  du  chrétien,  il  en  connaît  les 
devoirs. 

«  Cependant  il  est  homme,  ex  sa  vie  jusqu'ici  n'a 
pas  été  exempte  d'événements  capables  de  troubler 
son  esprit  :  les  leçons  qu'il  a  reçues,  les  châtiments 
qu'il  a  subis,  lui  ont  appris  combien  son  cœur  était 
faible;  et  chaque  jour  encore  lui  apportera  de  nou- 
veaux enseignements  et  lui  reprochera  de  nouvelles 
transgressions,  quoique,  moralement  émancipé,  il  ne 
soit  plus  question  pour  lui  de  châtiments.  Comment 
se  tirera-t-il  des  incertitudes  et  des  angoisses  sans  fin 
où  le  jettera  le  conflit  de  la  raison  avec  les  sens,  de  la 
nature  aux  prise*  avec  la  religion?  C'est  ici  qu'un 
nouveau  sacrement  lui  prêtera  un  appui  secourable, 
en  l'engageant'à  confier  ses  faits  et  ses  méfaits,  ses 
défauts  et  ses  doutes  à  un  homme  respectable,  qui  est 
précisément  établi  pour  l'écouter,  et  qui  peut  le  rassu- 
rer, le  consoler,  l'encourager,  le  châtier  au  besoin  de 
peines  également  symboliques,  et  enfin,  en  effaçant 
complètement  ses  fautes,  lui  rendre  le  bonheur  et  lui 
restituer,  pur  et  sans  tache,  le  livre  de  la  vie.  Préparé 


iKdex  299 

de  la  sorte  et  pénétré  du  calme  le  plus  pur  par  Topé- 
ration  de  plusieurs  sacrements,  le  chrétien  s'age- 
nouille pour  recevoir  la  sainte  Hostie;  et,  afin  que  le 
mystère  de  cette  action  sublime  en  soit  encore 
rehaussé,  il  ne  voit  le  calice  que  dans  le  lointain  :  il 
n'a  pas  reçu  un  aliment  vulgaire,  capable  de  rassa- 
sier :  c'est  une  nourriture  céleste,  qui  nous  rend 
avides  d'un  breuvage  céleste. 

«  Mais  que  le  jeune  homme  ne  croie  pas  que  sa 
tâche  est  finie;  que  l'homme  fait  se  garde  lui-même 
de  le  croire  :  Dans  les  affaires  de  ce  monde,  il  est 
vrai,  nous  finissons  par  nous  reposer  entièrement  sur 
nous-mêmes,  bien  que  nous  ayons  souvent  occasion 
de  nous  convaincre  de  l'insuffisance  et  de  nos  con- 
naissances, et  de  notre  esprit,  et  de  notre  caractère, 
mais,  dans  les  choses  du  ciel,  notre  apprentissage  ne 
finit  point.  Il  y  a  plus,  la  conscience  de  notre  force, 
qui,  du  reste,  n'est  souvent  qu'un  sentiment  confus, 
rencontre  au  dehors  tant  de  puissances  hostiles,  "que 
nous  ne  pouvons  guère  trouver  en  nous-mêmes  les 
lumières,  les  consolations  et  les  secours  que  nous 
iherchons  et  dont  nous  avons  un  besoin  réel.  C'est 
pourquoi  il  importe  que  la  source  de  salut  qui  jaillit 
pour  nous  de  ces  sacrements  coule,  non  pas  une  seule 
fois  seulement,  mais  toute  notre  vie  :  toujours  noua 
trouverons  à  nos  côtés  un  homme  pieux  et  intelligent, 
ayant  la  mission  de  ramener  ceux  qui  se  sont  égarés 
et  de  soulager  ceux  qui  sont  chargés. 

«  Et  ces  moyens  dont  nous  avons  éprouvé  l'effica- 
cité dans  toute  notre  vie,  aux  portes  de  là  mort  nous 
en  sentirons  dix  fois  plus  encore  les  bienfaits.  Cédant 
à  une  habitude  qui  a  pris  racine  dans  ses  jeunes  ans 
et  qui  lui  est  devenue  chère,  le  chrétien  dont  la  vie 
s'éteint  embrasse,  avec  ferveur,  les  symboles  visibles 
des  vérités  qui  lui  promettent  une  vie  nouvelle  :    1* 


300  INDEX 

terre  n'a  plus  rien  à  lui  offrir;  ses  promesses  sont 
muettes;  mais  il  reçoit  du  ciel  les  gages  d'une  félicité 
éternelle...  Afin  que  l'homme  tout  entier  soit  sanctifié, 
les  pieds  aussi  reçoivent  l'onction  sainte,  eux  aussi 
sont  bénis.  Désormais,  quand  même  le  malade  revien- 
drait à  la  vie,  ils  ne  toucheront  qu'avec  répugnance 
ce  sol  terrestre,  cette  terre  dure  et  impénétrable.  Une 
merveilleuse  élasticité  vient  de  leur  être  communiquée; 
ils  repousseront  la  glèbe  qui  avait  jusqu'ici  exerce  sur 
eux  sa  puissante  attraction. 

i  Et  voilà  comment  un  brillant  cercle  d'actions  éga- 
lement saintes,  qui  toutes  se  tiennent  et  dont  nous  n'a- 
vons fait  qu'indiquer  sommairement  la  beauté,  unit  le 
berceau  à  la  tombe,  quelle  que  soit  la  distance  que  le 
hasard  ait  mise  entre  eux. 

«  Mais  toutes  ces  merveilles  spirituelles,  ce  n'est 
point  la  nature  qui  les  fait  éclore  dans  son  sein,  à  la 
manière  d'autres  fruits;  ce  n'est  pas  dans  ce  sol  qu'il 
nous  est  permis  de  les  semer,  de  les  planter,  ni  de  les 
cultiver.  Il  faut  que  la  prière  les  fasse  descendre  d'une 
autre  région,  pouvoir  qui  n'est  pas  départi  à  chacun 
de  nous  et  qui  ne  peut  s'exercer  dans  tous  les  temps. 
C'esi  ici  que  nous  rencontrons  ce  qu'une  antique  et 
pieuse  tradition  nous  apprend  de  plus  sublime  tou- 
chant ces  symboles.  Nous  apprenons  qu'un  homme 
privilégié  peut  recevoir  d'en  haut  une  faveur,  des  bé- 
nédictions, une  consécration,  qui  l'élèvent  au-dessus 
de  tous  les  autres.  Mais,  afin  que  ce  privilège,  qui  ren- 
ferme en  même  temps  les  devoirs  les  plus  difficiles, 
ne  puisse  être  considéré  comme  un  don  de  la  nature, 
les  élusse  le  transmettront  l'un  à  l'autre,  et  le  plus 
grand  bien  que  l'homme  puisse  avoir  en  partage,  sans 
pouvoir  cependant  ni  le  conquérir  ni  se  l'approprier 
par  lui  même,  sera  conservé  et  perpétué  sur  la  terre 
comme  ud  héritage  spirituel.  La  consécration  du  pré- 


INDEX  301 


tre  embrasse  tout  ce  qui  est  requis  pour  l'accomplisse- 
ment efficace  des  saintes  actions  dont  les  bienfaits 
doivent  se  répandre  sur  le  genre  humain  tout  entier... 
C'est  ainsi  que  le  prêtre  prend  place  dans  la  série  de 
ses  devanciers  et  de  ses  successeurs,  dans  le  cercle 
des  contemporains  qui  se  partagent  avec  lui  les  mê- 
mes grâces:  il  représente  Celui  dont  découlent  toutes 
les  bénédictions;  et  son  rôle  est  d'autant  plus  beau 
que  ce  n'est  pas  lui  que  nous  honorons,  mais  son  mi- 
nistère, que  ce  n'est  pas  devant  lui  que  nous  fléchis- 
sons le  genou,  mais  devant  les  bénédictions  qu'il  ré- 
pand sur  nous;  et  ces  bénédictions  nous  apparaissent 
d'autant  plus  saintes,  plus  immédiatement  divines, 
que,  même,  les  péchés  et  les  vices  de  l'instrument  ter- 
restre qui  les  confère  ne  sauraient  en  détruire  ni  en 
affaiblir  les  vertus.  » 

Goethe  termine  en  demandant  compte  à  la  Réforme 
de  la  désorganisation  de  la  vie  chrétienne.  «  Qu'est- 
ce  que  le  protestantisme  a  fait  de  cet  organisme  spi- 
rituel? Combien  ne  l'a-t-il  pas  disloqué,  en  déclarant 
apocryphe  une  partie  de  ces  sacrements  et  en  ne  re- 
connaissant le  caractère  canonique  qu'à  quelques-uns 
d'entre  eux?  Comment  prétendrait-on  nous  pénétrer 
de  l'éminente  dignité  des  uns,  après  nous  avoir  ren- 
dus indifférents  pour  les  autres?  {Gœthe  's  Werke.) 

Ce  que  le  poète  ne  voyait  qu'avec  son  imagination, 
les  âmes  vraiment  religieuses  le  voient  avec  leur 
cœur.  «  Il  me  semble,  dit  le  pasteur  Naville,  qu'il  suf- 
fit de  descendre  en  soi-même  pour  comprendre  com- 
bien l'Église  romaine,  avec  la  grâce  dont  elle  dispose 
et  sa  divine  autorité,  trouve  d'appui  dans  les  besoins 
les  plus  profonds  de  notre  âme.  Qui  n'a  tourné  des  re- 
gards d'envie  vers  le  tribunal  delà  Pénitence  ?  Qui  n'a 
souhaité,  dans  l'amertume  du  remords,  dans  l'incer- 
titude du  pardon  divin»  entendre  une  bouche   qui  pût 


302  INDEX 


lui  dire  avec  la  puissance  du  Christ:  Vas  en  paix,  tes 
péchés  te  sont  pardonnes.  Pour  moi,  si  je  croyais  trou- 
ver cette  puissance  surnaturelle  que  l'Église  s'attri- 
bue, cette  puissance,  source  vive  et  intarissable  de 
réconciliation,  de  restitution,  de  repentirs  efficaces,  de 
ce  que  Dieu  aime  le  j)lus  après  l'innocence,  debout  à 
côté  du  berceau  de  l'homme  qu'elle  bénit,  debout  en- 
core à  côté  de  son  lit  de  mort,  en  lui  disant,  au  mi- 
lieu des  exhortations  les  plus  pathétiques  et  des  plus 
tendres  adieux  :  Partez  !  Si  je  croyais  trouver  une  pa- 
reille puissance  sur  la  terre,  il  est  bien  des  moments 
où  j'irais  déposer  joyeusement  à  ses  pieds  cette  liberté 
d'examen  qui,  parfois,  se  présente  à  l'esprit  comme  un 
fardeau,  bien  plus  que  comme  un  privilège.  » 

Dans  les  âmes  baptisées,  la  vie  chrétienne  tend  à 
reprendre  son  rhythme  brisé  par  l'hérésie.  De  là  les 
essais  de  restauration  sacramentelle  qu'on  remarque 
chez  certaines  sectes  alarmées  des  ravages  de  l'indif- 
férence religieuse.  Vains  efforts.  L'hymne  harmonieux 
de  la  vie  chrétienne  ne  se  peut  chanter  que  sur  l'or- 
gue divin  dont  l'Église  remplit,  du  souffle  de  l'Esprit- 
Saint,  les  sept  instrumente  sacrés. 

III 

SOIXANTE-TROISIÈME  CONFÉRENCE 

(Voyez  lre  partie.  Existence  du  caractère.) 
Wiclef  (Lib.  IV.  Trialogi),  Calvin  dans  son  Anti- 
dote du  Concile  de  Trente,  Kemnitius  (II  part.  Exam.) 
et,  en  général,  tous  les  protestants  nient  l'existence  et 
l'impression  du  caractère  sacramentel.  «L'Ecriture  et 
les  Pères,  disent-ils,  se  taisent  sur  ce  sujet.  Les  scho- 
lastùjues  n'affirment  rien  de  certain,  c'est  Innocent  III 
qui  est  l'inventeur  de  ce  dogme  inutile,  o 


INDEX  303 


Autant  de  mensonges  dit  Bellarmin.  L'Apôtre 
saint  Paul  en  plusieurs  endroits  de  ses  Epîtres  rap- 
pelle aux  fidèles  qu'ils  sont  marqués  par  TEsprit- 
Saint:  Signavitnos  (II  Cor.,  1):  Signatis  estis  Spiritus 
promis sio ni s  Sancto  (Epb . ,  1 .):  Nolite  contristare  Spi- 
ritum  Sanctum  in  quo  signati  estis  in  diem  redemp- 
tionis.  (Eph.,  4.)  Ce  jour  de  notre  rédemption,  disent 
les  interprètes,  est  le  jour  de  notre  régénération  par  le 
Baptême. 

Quant  aux  saints  Pères,  nous  avons  cité  leurs  té- 
moignages au  cours  de  la  conférence,  nous  y  ren- 
voyons le  lecteur.  N'y  eût-il  dans  l'Ecriture  aucun 
texte  indicateur  de  l'existence  du  caractère  sacramen- 
tel, la  tradition  est  tellement  suivie  et  tellement  claire 
à  ce  sujet  qu'on  ne  peut  lui  refuser  d'être  l'expression 
de  l'enseignement  divin. 

L'argument  tiré  des  incertitudes  de  la  scholastique 
est  on  ne  peut  plus  misérable.  Il  se  borne  à  la  cita- 
tion d'un  texte  de  Gabriel,  .qui  donne  l'institution 
divine  pour  unique  raison  de  la  non  réitération  d'un 
certain  nombre  de  sacrements.  Mais,  si  l'on  se  de- 
mande pourquoi  Dieu  n'a  pas  voulu  que  tel  ou  tel  sa- 
crement fût  réitéré,  on  en  a  bien  vite  la  raison  dans 
l'impression  du  caractère. 

Attribuer  son  invention  à  Innocent  III  n'est  pas  plus 
sérieux.  Ce  pontife  (cap.  Majores  extra  de  baptismo) 
rapporte  l'opinion  de  ceux  qui  prétendent  que  les  bap- 
tisés par  contrainte  reçoivent  seulement  le  caractère. 
On  en  parlait  avant  lui,  donc  il  ne  l'a  pas  inventé. 

La  négation  du  caractère  sacramentel  embarrassa 
singulièrement  les  protestants,  quand  il  s'agit  d'expli- 
quer pourquoi  on  ne  peut  pas  renouvelerle  Baptême, 
ce  qu'ils  admettent  avec  nous.  Ils  n'en  donnent  que  de 
mauvaises  raisons.  Selon  Calvin,  le  Baptême  doit  être 
unique  parce  qu'il  nous  fait  entrer  dans  l'Église,  qui 


304  INDEX 


est  une,  et  nous  initie  à  lafoien  Dieu,  qui  est  un.  Mais, 
les  hérétiques  ont  beau  être  baptisés,  ils  n'entrent  pas 
dans  l'Église  et  ne  sont  pas  initiés  à  la  vraie  foi  :  Il 
faudrait  donc  renouveler  leur  Baptême?  Ceux  qui  sor 
tent  de  l'Église  par  l'hérésie  ont  besoin  d'y  rentrer  , 
pourquoi  pas  un  nouveau  Baptême  ?  Nous  n'entrons  pas 
moins  dans  l'Église,  nous  ne  sommes  pas  moins  ini- 
tiés à  la  foi  par  la  parole  que  par  le  Baptême.  La 
parole  se  répète  ;  pourquoi  pas  le  Baptême  ? 

Kemnitius  s'en  rapporte  à  la  volonté  de  Dieu.  Mais 
Dieu  ne  fait  rien  sans  raison.  Pourquoi  ne  veut-il  pas 
qu'on  réitère  le  Baptême,  si  ce  n'est  parce  que  l'effet 
de  ce  sacrement  persiste  dans  un  signe  indélé- 
bile? 

Le  même  auteur  examinant  le  canon  11  du  Bap- 
tême donne,  en  dehors  du  caractère,  huit  raisons  pour 
lesquelles  on  ne  renouvelle  pas  ce  sacrement.  Parmi 
ces  raisons  il  y  en  a  quatre  qui  lui  semblent  inébran- 
lables. Bellarmin  n'a  pas  de  peine  aies  renverser.  On 
peut  lire  sa  réfutation  au  chap.  xxn  du  second  livre 
de  son  Traité  des  Sacrements  en  général. 

Bingham,  savant  anglican,  après  avoir  dit  dans  son 
ouvrage  des  Origines  Ecclésiastiques  (Tom.  XL  pag. 
256.)  qu'il  n'est  question  du  caractère  sacramentel 
dans  aucun  des  anciens  Conciles,  avoue  cependant 
que  plusieurs  Pères  ont  appelé  le  Baptême  le  sceau, 
le  signe,  la  marque,  le  caractère  de  Jésus-Christ. 
Mais  ils  n'ont  rien  conclu  de  là,  dit-il,  sinon  qu'il  ne 
faut  pas  réitérer  ce  sacrement.  —  C'est  bien  assez  ; 
car  cette  conclusion  prouve  la  croyance  des  saints 
Pères  à  l'indélébilité  de  ce  qu'ils  appelaient  le  sceau^ 
le  signe,  la  marque,  le   caractère  de  Jésus-Christ. 

L'erreur  des  protestants  relativement  au  caractère, 
comme  à  l'endroit  de  la  grâce  sacramentelle,  est  une 
conséquence  de   leur  système  touchant  l'efficacité  de« 


INDEX  305 


sacrements.,  dans  lesquels  ils  ne  veulent  voir  qu'une 
sorte  de  discours  en  action,  ayant  pour  but  de  rap- 
peler les  promesses  divines  et  d'exciter  la  foi. 

IV 

SOIXANTE- QUATRIÈME    CONFÉRENCE 

(Voyez  ln  partie.  Nécessité  du  Baptême  ) 
Les  Pélagiens  enseignaient  que  le  Baptême  est  né- 
cessaire pour  entrer  dans  le  royaume  des  cieux,  mai* 
non  pour  effacer  le  péché  originel,  dont  ils  niaient 
l'existence.  (S.  Aug.,  Lib.  De  hœresibus,  cap.  69.) 

Plus  audacieux  que  les  Pélagiens ,  les  Pro- 
testants ont  nié  la  nécessité  du  Baptême,  même 
pour  entrer  dans  le  royaume  des  cieux.  Ils  convien- 
nent qu'il  y  a  un  commandement  du  Sauveur  qui  nous 
oblige  au  Baptême,  par  conséquent  ils  admettent  ce 
que  les  théologiens  appellent  la  nécessité  de  précepte; 
mais  ils  nient  que  le  Baptême  soit  de  nécessité  de 
moyen,  c'est-à-dire  une  condition  indispensable  pour 
être  sauvé.  (Calvin,  Antidot  Concilii.  Sess.  VII.  c.  5.) 
Jean  Wiclef  les  avait  précédés  dans  cette  erreur. 
Zwingle,  dans  son  livre  De  cera  et  falsa  religioney 
affirme  carrément  que  le  Baptême,  pur  symbole, 
n'est  nullement  nécessaire  au  salut.  Martin  Bu- 
cer  professe  la  même  doctrine,  et  la  raison  qu'il  en 
donne  c'est  qu'il  suffit  d'être  prédestiné.  Le  prédestiné 
se  sauve  sans  le  Baptême;  celui  qui  n'est  pas  prédes- 
tiné se  damne  infailliblement,  même  avec  le  Baptême. 
Selon  Calvin,  l'enfant  issu  de  parents  chrétiens  est 
saint  et  devient  membre  de  l'Église,  par  la  seule  vertu 
de  la  génération.  La  promesse  faite  par  Dieu  à  Abra- 
ham :  «  Ero  Deus  tuus,  et  seminis  tui,  »n'a  point  été  re- 
tractée. (Antidot.  ad.  6.  sess.  cap.  5.-4.  Institut,  cap. 
16.  g  24  et  25.)  Pierre  Martyr  appuie   ce  sentiment 

CONFÉRENCES  N.-D.  —  CARÊME  1883.  —  20 


306  INDEX 


des  paroles  que  l'Apôtre  adresse  aux  Corinthiens  : 
«  L'homme  infidèle  est  sanctifié  par  la  femme  fidèle, 
la  femme  infidèle  par  l'homme  fidèle.  Autrement  vos 
fils  seraient  impurs,  maintenant  ils  sont  saints: 
Sanctificatus  est  mr  injidzlis  per  mulierem  fidelem, 
et  sanetificata  est  mulier  infidelis  per  oirum  Jidelem; 
alioquin  Jilii  vestri  immundi  essent,  nunc  autem 
sancti  surit.  »  (1  Cor.,  cap.  vu.  14.)  Il  applique  ainsi 
à  la  génération  ce  que  saint  Paul  dit  manifeste- 
ment de  l'éducation  où  prédomine  l'influence  de  la 
partie  chrétienne.  Henri  Bullinger,  disciple  de  Zwin- 
gle,  va  plus  loin.  (Lib.  De  Testamento  Dei  unico  et 
œterno.)  Il  suffit  que  l'enfant  ait  des  parents  fidèles 
parmi  ses  ascendants,  si  éloignés  qu'ils  soient,  pour 
être  sanctifié  et  incorporé  à  l'Eglise. 

Le  Concile  de  Trente  a  condamné  toutes  ces  er- 
reurs dans  son  cinquième  canon  sur  le  sacrement  de 
Baptême:  «  Si  quis  dixerit  baptismum  liberum  esse, 
»  hoc  est,  non  necessarium  ad  salutem  ;  anathema 
»  sit.  » 

(Voyez  ibid.  Efficacité  du  Baptême.) 

La  plus  vieille  erreur  touchant  l'efficacité  du  Bap- 
tême est  celle  des  Origénistes,  qui  enseignaient  que 
les  péchés  ne  sont  point  enlevés,  mais  seulement  cou- 
verts par  ce  sacrement.  La  mort  seule  a  le  pouvoir  de 
briser  les  liens  de  péché  dans  lesquels  toute  notre  na- 
ture déchue  est  enveloppée. 

Cette  erreur,  refutée  par  saint  Epiphane  (Lib.  De 
hœres,  64)  et  par  saint  Méthode  (Lib.  De  resurrec- 
tione),  fut  ressuscitée  par  les  Musaliens  (Theodoret, 
Lib. IV.  DeFabulis  hœreticorumy,  saint  Grégoire  en  fait 
mention  dans  sa  lettre  ad  Theoctistiam  Patriciam. 
(Lib.  IX,  epist.  xxxix.) 

Elle  fut  reprise,  au  seixième  siècle,  par  les  protêt- 


INDEX  307 


tants.  In  puero  post  baptismuni  negare  remanens 
esse  peccatum  est  Paulum  et  Christum  simul  con- 
culcare  :  —  C'est  fouler  aux  pieds  saint  Paul  et  le 
Christ  que  d'affirmer  qu'il  ne  reste  aucun  péché  après 
le  Baptême,  »  dit  Luther  dans  un  des  articles  condam- 
nés par  Léon  X.  Calvin  écrit  dans  son  Antidote  au 
Concile  de  Trente  (Sess.  VI.)  :  «  Le  péché  demeure 
vraiment  en  nous  et  ce  n'est  pas  en  un  seul  jour  qu'il 
peut  être  éteint  par  le  Baptême  :  Manet  vere  pecca- 
tum in  nobiSj  neque  per  baptismum  statim  uno  die 
extinguitur.  Le  fondement  de  cette  doctrine  est 
l'erreur  des  protestants  touchant  la  concupiscence, 
qui  demeure  certainement  dans  le  baptisé^  et  qu'ils 
considèrent  comme  un  véritable  péché.  Nous  avons 
vu  que  ce  reste  involontaire  de  notre  déchéance  en 
Adam  ne  peut  pas  nous  être  imputé  à  péché.  (Cf.  28e 
conférence  et  Index.)  Voici,  sur  ce  point,  la  doctrine  du 
Concile  de  Trente  :  «Concupiscentiam,  quam  aliquando 
»  apostolus  peccatum  appellat  ;  sancta  Synodus  de- 
»  clarat  Ecclesiam  catholicam  numquam  intellexisse 
»  peccatum  appellari,  quod  vere  et  proprie  in  renatis 
»  peccatum  sit,  sed  quiaexpeccato  est  et  ad  peccatum 
»  inclinât.  Si  quis  autem  contrariumsenserit;  anathe- 
»  ma  sit.»  (Sessio  V.  Depeeeato  originali,  can.  5.)  La 
concupiscence  persistant  sans  nuire,  le  Baptême  ef- 
face tout  ce  qui  peut  s'appeler  vraiment  et  propre- 
ment péché.  «  Si  quis  per  Jesu  Christi  Domini  nos- 
»  tri  gratiam,  quee  in  baptismate  confertur,  reatum 
»  originalis  peccati  remitti  negat,  aut  etiam  asserit 
»  non  tolli  totum  id,  quod  veram  et  propriam  peccati 
»  rationem  habet;  sed  illud  dicit  tantum  radi,  aut  non 
»  imputari  ;  anathema  sit.  » 

On  comprend  aisément  que  le  protestantisme,  après 
avoir  ainsi  diminué  l'importance  et  l'efficacité  du 
Baptême,  ait  affirmé  <a.u'il  n'avait  pas  plus  de  valeur 


INDEX 


que  le  Baptême  de  Jean.  Le  Donatlste  Pétilien  avait 
déjà  enseigné  cette  erreur.  Elle  a  été  condamnée  par 
le  Concile  de  Trente  en  ces  termes  :  «  Si  quelqu'un 
dit  que  le  Baptême  de  Jean  avait  la  même  force,  que  le 
Baptême  du  Christ:  qu'il  soit  anathème  :  Si  quis  di- 
rent baptismum  Joannis  habuisse  eamdem  vim  cum 
oaptismo  Christi;  anathema  sit.  » 

Il  y  a  parmi  les  catholiques  deux  opinions  sur  le 
Baptême  de  Jean.  La  première  de  Pierre  Lombard  qui 
divise  les  pénitents  baptisés  par  le  précurseur  en  deux 
catégories  ;  l'une  composée  de  ceux  qui  n'avaient  au- 
cune notion  de  l'Esprit-Saint  et  qui  devaient  recevoir 
plus  tard  le  Baptême  du  Christ,  l'autre  de  ceux  qui 
connaissaient  l'Esprit-Saint  et  n'avaient  plus  besoin 
du  Baptême  de  Jésus-Christ,  mais  seulement  de  l'im- 
position des  mains  pour  recevoir  son  Esprit.  Cette  opi- 
nion est  appelée  par  saint  Thomas  «tout  à  fait  dérai- 
sonnable :  Hoc  est  penitus  irrationale.  »  Les  raisons 
qu'il  en  donne  sont  :  1°  Que  le  Baptême  de  Jean  ne 
conférait  ni  la  grâce  sacramentelle  ni  le  caractère, 
choses  que  ne  pouvaient  suppléer  la  foi  du  baptisé  et 
son  espérance  dans  le  Christ.  2°  Que,  lorsque  dans 
un  sacrement  une  chose  de  nécessité  a  été  omise,  il 
faut  non  seulement  la  suppléer,  mais  refaire  à  nou- 
veau le  sacrement  tout  entier.  Or,  il  est  de  nécessité 
que  le  sacrement  de  Baptême  soit  donné  dans  l'eau  et 
l'Esprit-Saint,  ce  que  ne  faisait  pas  Jean-Baptiste.  Il 
fallait  donc  baptiser  de  nouveau  ses  disciples,  pour 
qu'ils  fussent  chrétiens:*  Primo  quidem  quia  ba- 
»  ptismus  Joannis  neque  gratiam  conferebat  , 
»  neque  caracterera  imprimebat,  sed  erat  solum 
»  in  aqua,  ut  ipsemet  dicit  Matth.,  III.  Unde  bap- 
»  tizati  fides,  vel  spes,  quam  habebant  in  Chris- 
»  tum  ,  non  poterat  hune  defectum  supplere. 
»  Secundo  quia  quando  in  sacramento  omittitur  aliquid 


INDEX 


309 


»  quod  est  de  necessitate  sacramenti,  non  solum  opor- 
»  tet  suppleri  quod  fuerat  omissum,  sed  oportet  tota- 
»  liter  innovari.  Est  autem  de  necessitate  baptismi 
»  Christi  quod  fiât  non  solum  in  aqua,  sed  etiam  in 
t  SpirituSancto,secundumilludJoan.,in.  5.  Nisiquis 
»  renatus  fuerit  ex  aqua,  et  Spiritu  Sancto,  non  po- 
»  test  introire  in  regnum  Bel.  Unde  illis  qui  tantum 
>  in  aqua  baptizati  erant  baptismo  Joannis,  non  so- 
»  lum  erat  supplendum,  quod  deerat  (ut  scilicet  dare- 
1  tur  eis  Spiritus  Sanctus  per  impositionem  manuum 
»  sed  erant  iterato  totaliter  baptizandi  in  aqua  et  Spi- 
•  ritu.  »  (Summ.  Theol.y  III  P.  quaest.  38,  a.  6.  c.) 

La  seconde  opinion  attribue  au  Baptême  de  Jean  le 
même  caractère  et  la  même  valeur  qu'aux  sacrements 
de  l'ancienne  loi.  Mais  saint  Thomas  fait  remarquer 
justement  que  c'était  plutôt  un  sacremental  qu'un  sa- 
crement, qu'il  disposait  au  Baptême  du  Christ  et  ap- 
partenait, en  quelque  sorte,  à  la  loi  nouvelle,  mais 
nullement  à  la  loi  de  Moïse  :  Baptismus  Joannis  non 
eral  per  se  sacramentum,  sed  quasi  quoddam  sacra- 
mentale  disponens  ad  baptismum  Christi  :  et  ideo 
aliqualiter  pertinebat  ad  legem  Christi,  non  autem  ad 
legem  Moy sis.  {Summ.,  Theol. ,111  P.  quaest.  38.  a,  1. 
ad  1.  cf.  Totam  quaest.  38.  De  Baptismo  Joannis). 
Les  sacrements  de  l'ancienne  loi,  dit  Bellarmin,  ont 
commencé  avec  elle,  et  ont  duré  autant  qu'elle.  Le 
Baptême  de  Jean  n'apparaît  qu'à  la  fin  des  temps 
anciens  et  n'a  duré  qu'un  an.  {De  Baptismo.  Lib.  1. 
cap.  19.) 

(Voyez  2m*  partie  :  Veau  matière  du  Baptême). 

Les  Manichéens  prétendaient  qu'on  ne  devait  pas 
baptiser  dans  l'eau,  parce  que  l'eau,  comme  toutes  les 
choses  corporelles,  vient  d'un  mauvais  principe. 

Les    Mareionites .   tont    en   professant    la   même 


310  INDEX 


croyance  que  les  manichéens  sur  l'origine  de  Peau, 
admettaient  son  usage  pour  le  mystère  de  la  régéné- 
ration à  cause  du  précepte  de  Jèsus-Christ. 

Les  Séleuciens  excluaient  l'eau  du  Baptême,  et  ne 
baptisaient  que  dansl'Esprit-Saint.  Telle  était  Terreur 
des  Jacobites  qui,  prenant  à  la  lettre  ces  paroles  de 
Jean-Baptiste  :  «  Celui  qui  viendra  après  moi  doit 
baptiser  dans  l'Esprit-Saint  et  le  feu  »,  imprimaient 
le  signe  de  la  croix  a\ec  un  fer  rouge  sur  le  front 
des  néophytes.  (Bernai 'd  de  Luxembourg.  Catalog 
hœretieorum.) 

Les  Pauliciens  substituaient  à  la  matière  du  Bap- 
tême ces  paroles  :  «  Je  suis  l'eau  vive  :  Ego  surn 
aqua  vica.  »  (Luthym.,  II  part.  Panopliœ,  Ta.  21.) 

Quant  à  Luther,  il  affirme  dans  ses  Propos  de 
table  (cap.  17.),  que  tout  liquide,  lait,  vin  ou  bière,  est 
propre  au  Baptême. 

Les  Protestants , pour  justifier  leur  erreur  touchant 
la  nécessité  du  Baptême,  ont  interprété  dans  un  sens 
figuré  ces  paroles  si  claires  et  si  expresses  de  Notre- 
Seigneur  :  «  Si  quelqu'un  ne  renaît  de  l'eau,  il  ne 
peut  entrer  dans  le  royaume  des  cieux  :  —  Nisi  quis 
renatus fuerit  ex  aqua,  etc....  »  L'eau  c'est  la  morti- 
fication, l'eau  c'est  la  foi,  l'eau  c'est  la  pénitence. 
S'il  faut  entendre  les  paroles  da  Christ  dans  le  sens 
littéral,  elles  s'appliquent  à  l'eau  qui  coula  de  son 
côté  quand  il  fut  percé  d'une  lance.  Misérable  inter- 
prétation, refutée  par  la  tradition  universelle  et 
constante  de  l'Eglise  et  condamnée,  ainsi  que  toutes 
les  erreurs  qui  précèdent,  par  cette  définition  du  Con- 
cile de  Trente  :  «  Si  quelqu'un  prétend  que  l'eau  vraie 
et  naturelle  n'est  pas  de  nécessité  dans  le  Baptême, 
et  qu'il  faut  entendre  métaphoriquement  ces  paroles 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  Si  quelqu'un  en 
renait  de  l'eau  etc qu'iJ   soit  anathème  I  $i  nnir. 


INDEX  311 


dixerit  aquam  veram  et  naturalem  non  esse  de  neces- 
sitate  baptismi,  atque  ideo  verba  Ma  Domini  nostri 
Jesu  Christi  :  Nisiquis  renatus  fuerit  ex  aqua  ete... 
%d  metaphoram  aliquam  detorserit  ;  anathema  sit.  » 

(Voyez  ibid:  Forme  du  Baptême.) 

Du  temps  même  des  Apôtres,  il  y  eut  des  hérétiques 
qui  baptisaient  au  nom  des  trois  êtres  sans  principe, 
c'est-à-dire  au  nom  des  trois  pères ,  au  nom  des  trois 
fils  et  des  trois  paraclets.  Cette  erreur  est  condamnée 
par  le  48me  ou  49me  canon  dit  des  Apôtres. 

Les  GnostiqueSj  au  témoignage  de  saint  Irénée, 
baptisaient  au  nom  du  père  inconnu,  de  la  vérité,  mère 
de  tous,  et  de  Jésus-Christ. 

Les  Cataphrygiens  et  les  Paulianistes  corrom- 
paient dans  l'administration  du  Baptême  la  formule 
traditionnelle.  Le  pape  Innocent  I,  les  Conciles  de  Ni^ 
cée  (can.  19.)  et  de  Laodicée  (can.  8.)  ordonnèrent  de 
rebaptiser  ceux  qui  avaient  reçu  le  sacrement  de  ces 
hérétiques. 

Les  Ariens  conféraient  le  Baptême  au  nom  du  Père, 
par  le  Fils  et  dans  l'Esprit-Saint. 

Les  Eunomiens,  dans  la  mort  du  Seigneur. 

Luther,  Zwingle  et  Brentius,  tout  en  enseignant 
qu'on  devait  se  servir  de  la  formule  traditionnelle,  on£ 
prétendu  qu'elle  n'était  pas  nécessaire  à  l'essence  du 
Baptême,  et  qu'il  suffisait  qu'il  fut  administré  au  nom 
de  Dieu. 

Les  Apôtres  ont-ils  administré  le  Baptême  au  nom 
du  Christ,  sans  désignation  des  autres  personnes?  Les 
Actes  (cap,  vin.  12)  semblent  l'indiquer  :  «  In  no- 
mine  Christi  baptizabantur  viri  et  mulieres.  »  Et,  en 
cela,  dit  saint  Thomas,  ils  agissaient  d'après  une  ré* 
vélation  spéciale  du  Sauveur.    (Summ.  Theol.,Ul  P 


312  INDEX 


quaest  66.  a.  6.  ad.  1.)  «  Du  moment  que  vous  nom- 
mez le  Christ,  dit  saint  Ambroise,  vous  désignez  le 
Père  qui  donne  l'onction,  le  Fils  qui  estoint,  et  l'Esprit- 
Saint  qui  est  l'onction  même  :  Si  Christum  dicas,  et 
Patrem  a  quo  unctus  est,  et  ipsum  qui  unctus  est  Fi- 
lium,  et  Spiritum  Sanctum,quo  unctus  est,  designasti.» 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  Baptême  donûé  maintenant  au 
nom  seul  du  Christ  devrait  être  réitéré  au  moins 
cous  condition. 

Au  lieu  de  dire  comme  les  Latins  :  «  Je  te  baptise, 
etc..»  les  Grecs,  dans  leur  formule,  disent:  Le  servi- 
teur de  Dieu  est  baptisé  (1)  etc.  Cette  formule  est  va- 
lide, parce  qu'elle  exprime  suffisamment  l'action  du 
ministre.  Aussi  ce  n'est  point  elle  que  le  Concile  de 
Latran,  tenu  souslnnocent  III,  (cap. IV. )a condamnée,, 
mais  les  Grecs  qui  rebaptisaient  les  Latins  comme  si 
la  formule  de  leur  baptême  eût  été  mauvaise. 

(Voyez  ibid.  Ministre  du  Baptême.) 

Le  P.  Ceïlot,  dans  son  ouvrage  de  Hierarchia  et  Hie- 
rarchis,(Lib.\n.  cap.  13.)  interprétée  la  lettre  ces  pa- 
roles du  pontifical:  «  Le  Diacre  doit  servir  à  l'autel, 
baptiser  et  prêcher:  Diaconum  oportet  ministrare  ad 
altare,  baptizare  et  prœdicare .  »  Il  en  conclut  que 
l'administration  du  Baptême  est  l'office  propre  du 
Diacre.  Toute  l'antiquité,  dit  le  P.  Péronne,  proteste 
contre  cette  interprétation.  Les  constitutions  apos- 
toliques disent  expressément:  Le  Diacre  ne  baptise 
pas  Aiaxovos...  ov  paTrri&t.  (Lib.  vu.  cap.  28.)  Et  saint 
Epiphane  :  «  Il  n'est  permis  au  Diacre  d'administrer 
aucun  sacrement   dans  l'Eglise,  mais   seulement  de 

1.  fitnrTl&Tat  et  non  faire  iléodw,  baptizetur,  comme 
disent  quelques  théologiens. 


INDEX  313 


servir  ceux  qui  les  administrent  :  Kai  yàp  Ôvre  hiâxovoi 
èv  ry  èxxXïjGixel  ixy  râÇet  èTTtfflsvdrjaavzt  (xvcnrjptov  eTri- 
reketv  àAAà  (xôvov  htaxoveïv  Ta  èTrireXovpeva.  » 

Ce  n'est  donc  que  par  délégation  que  les  Diacres 
peuvent  administrer  solennellement  le  Baptême.  Dans 
le  cas  de  nécessité,  ils  doivent  être  préférés,  par  res- 
pect pour  leur  ordre,  à  tout  autre  ministre. 

Calvin, dans  son  Institution,  (Lib.  iv.,  cap. 15  §20,21 
et  22.)  enseigne  que,  même  dans  le  cas  de  nécessité 
extrême,  il  n'est  permis  de  baptiser  qu'à  ceux  qui  sont, 
dans  l'Église,  les  ministres  ordinaires  des  sacrements. 
Cet  enseignement  est  contraire  à  toute  la  tradition. 
Nous  voyons,  dans  les  Actes  des  Apôtres,  le  Diacre 
Philippe  baptiser  l'eunuque  vers  lequel  l'Esprit-Sain* 
l'envoie,  le  laïque  Ananie  baptiser  saint  Paul.  Tertul- 
lien  affirme  le  droit  des  laïques:  «  Alioqui  et  laïcis 
jus  est  baptizandi.»  (Lib.  De  Baptismo.)  Saint  Jérôme 
dit  formellement  que,  dans  le  cas  de  nécessité,  tout 
laïque  peut  baptiser  :  «Baptizare,  si  nécessitas  cogat, 
scimus  etiam  lieere  laïcos.  »  (Dialog.  Cont.  Luciferia- 
nos.)  Dans  ce  cas,  la  femme  elle-même  n'est  point  ex- 
clue :  «  Mulier  baptizare  non  prœsumat,  nisi  neces- 
sitate  cogente.  »  (Coneil.  Carthag.  iv.  can.  100.) 

Les  Rebaptisants  voulaient  qu'on  donnât  de  nou- 
veau le  Baptême  à  ceux  qui  l'avaient  reçu  des  héréti- 
ques. Cette  erreur  fit  grand  bruit  au  troisième  siècle. 
Firmilien,  évêque  de  Césarée,  enCappadoce,  et  quel- 
ques évêques  d'Asie,  saint  Cyprien,  à  la  tête  d'un 
assez  grand  nombre  d'évêques  d'Afrique,  la  sou- 
tinrent avec  opiniâtreté.  Elle  avait  été  introduite 
en  Afrique  par  Agrippin,  un  des  prédécesseurs 
de  saint  Cyprien,  dont  saint  Vincent  de  Lerins 
dit  :  «  Ce  fut  le  premier  des  mortels  qui 
pensa   que  l'on  devait  rebaptiser  :    Primus    omnium 


314  INDEX 

mortalium  rebaptizandum  censuit.  »  (Commonitor.) 

En  effet,  toute  la  tradition  protestait  contre  les  Rebap- 
tisants. Le  Concile  de  Nicée  avait  approuvé  le  Bap- 
tême des  hérétiques,  excepté  celui  des  disciples  de 
Paul  de  Samosate  qui  altéraient  la  forme  du  sacre- 
ment. (S.  Aug.,  Lib.  IL  De  Baptismo,  cap.  3.  4.  5.  7. 9,) 
«  Synodus  quoque  Nicœna  omnes  hœretieos  suscipit, 
exeeptis  Pauli  Samosetani  diecipulis.  »  (S.  Hieronym. 
Dialog.  Contra  Luciferianos.) 

Au  nom  de  cette  tradition,  le  pape  Etienne  résista 
aux  novateurs  et  menaça  de  les  séparer  de  sa  com- 
munion. Ils  lui  répondirent  par  des  lettres  violentes. 
Firmilien  s'oublia  jusqu'à  accuser  le  Souverain  Pon- 
tife de  démence.  N'y  eut-il  pas  un  malentendu  de  leur 
part?  Ne  conclu rent-ils  pas  du  rescrit  de  saint  Etienne, 
qui  ne  distinguait  pas  assez  des  autres  hérétiques 
ceux  qui  altéraient  la  forme  du  sacrement,  que  le  Pape 
approuvait  tout  espèce  de  Baptême.  Certains  critiques 
le  pensent.  Mais  encore  eurent-ils  tort  de  résister 
comme  ils  le  firent  à  la  souveraine  autorité 

Les  protestants  louent  hautement  leur  obstination, 
et  y  trouvent  un  argument  contre*  la  primauté  du 
souverain  pontife.  Mais,  en  lisant  attentivement  les 
écrits  des  Rebaptisants,  il  est  facile  de  se  convaincre 
qu'ils  ne  contestent  point  au  Pape  sa  succession  à  la 
primauté  de  Pierre;  qu'ils  ne  lui  disputent  point  la 
première  place  dans  l'Église  ;  qu'ils  ne  l'accusent 
point  enfin  d'usurper  une  autorité  qui  ne  lui  appartient 
pas,  mais  seulement  d'en  faire  un  mauvais  usage. 

Saint  Cyprien  persévéra-t-il  dans  sa  résistance, 
jusqu'à  l'heure  où  le  martyre  lui  permit  d'expier  son 
erreur  ?  Ce  n'est  point  le  sentiment  de  saint 
Augustin,  qui'  affirme  que  ce  grand  évêque  s'est 
rétracté.  (Epist.ad  Vincent. )Sai\nt  Jérôme  dit,  même, 
que  les  évêques  qui  avaient  partagé  son  erreur  cédé- 


INDEX  315 


rentà  l'autorité  du  souverain  Pontife.  (Dialog.  Cont. 
Luciferianos.) 

L'erreur  des  Rebaptisants  fut  condamnée  par  le  pre- 
mier Concile  de  Carthage,  (can.  2.)  par  le  premier 
Concile  d'Arles,  (can.  8.)  par  le  Concile  de  Constance, 
(Sess.  8.)  et,  enfin,  par  le  Concile  de  Trente  dont  voici 
le  canon  :  «  Si  quis  dixerit  baptismum  qui  etiam  da- 
te tur  ab  haereticis innomme  Patris,  et  Filii,  et  Spiritus 
«  Sancti,  cum  intentione  faciendi  quod  facit  Ecclesia, 
non  esse  verum  baptismum;  anathema  sit.»  (Sess. VII. 
can.  4.) 

Remarquons  que  lesRebaptisants.n'enseignaient  pas 
que  le  Baptême,  valideraient  reçu  puisse  être  réitéré; 
mais  ils  considéraient  le  Baptême  des  hérétiques 
comme  invalide,  paFce  que  ceux  qui  offensent  la  foi 
chrétienne  par  leurs  erreurs  ne  pouvaient  pas, 
croyaient-ils,  être  ministres  du  sacrement  de  la  foi. 


SOIXANTE-CINQUIÈME  CONFÉRENCE 

(Voyez  première  partie  :  Baptême  des  enfants  juif l 
et  infidèles.) 

Scot  et  son  école  ont  enseigné  qu'on  pouvait  bapti- 
ser les  enfants  des  juifs  et  des  infidèles  malgré  leurs 
parents.  Les  raisons  qu'ils  en  donnent  sont  plus  sub- 
tiles que  solides  et  ne  sauraient  prévaloir  contre  la 
coutume  de  l'Église.  «  C'est  cette  coutume,  dit  saint 
Thomas,  qui  doit  nous  servir  de  règle,  parce  qu'elle 
est  pour  tout  chrétien  la  suprême  autorité:  Maxirnam 
habet  auetoritatem  Ecclesiœ  consuetudo,  quœ  semper 
est  in  omnibus  œmulanda.  Les  plus  grands  docteurs 
s'effacent  devant  cette  autorité.  Si  le  Baptême  forcé 
eût  été  conforme  à  la  raison,  les    maints    évêques    qui 


316  INDEX 


vécurent  dans  la  familiarité  des  princes,  comme 
saint  Sylvestre  près  de  Constantin,  saint  Ambroise 
près  deThéodose,n'eussentpasmanquédele  demander 
et  de  le  pratiquer.  Mais  l'intérêt  de  la  foi  et  Je  droit 
naturel  s'y  opposent.  »  (Summ.  TheoL,  IIa  IIœ  P., 
quaest  10.  a.  12.) 

Remarquons  cependant  que  le  Baptême  donné  illici- 
tement  à  un  enfant  juif  ou  infidèle,  malgré  l'opposi- 
tion de  ses  parents  ou  à  leur  insu,  est  valide,  et  que, 
dans  ce  cas,  l'-tLglise  peut  faire  valoir  ses  droits,  au- 
tant qut;  cela  est  possible,  pour  prévenir  le  péril  de 
l'apostasie. 

Il  y  a  même  des  cas  où  le  Baptême  est  non  seule- 
ment valide  mais,  encore,  licite.  C'est  lorsque  l'un  des 
parents  se  convertit  à  la  foi  et  demande  que  l'on  bap- 
tise ses  enfants.  Son  droit  prévaut  sur  celui  de  son 
conjoint,  et  l'on  peut  ne  pas  tenir  compte  de  l'opposi- 
tion de  ce  dernier,  pourvu  toutefois,  disent  les  théolo-' 
giens,  que  «  cette  opposition  ne  menace  pas  de  boule- 
verser l'ordre  de  la  famille  :  Modo  tamen  nullum  sub- 
versionis  periculum  a  contradicente  immineat.  » 

Pareillement,  les  parents  qui  abandonnent  ou  ven- 
dent leurs  enfants  perdent  sur  eux  leurs  droits,  ce 
n'est  pas  leur  faire  injure  que  de  pourvoir  au  salut  de 
ceux  dont  ils  se  séparent  volontairement. 

Dominique  Soto  et  François  Sylvius  pensent  qu'un 
enfant  juif  ou  infidèle,  en  péril  de  mort,  peut  être  bap- 
tisé à  l'insu  de  ses  parents,  car  il  n'y  a  alors  ni  dan- 
ger pour  la  foi,  ni  injure  faite  à  l'autorité  des  parents, 
dont  le  domaine  va  cesser  avec  la  vie  de  l'enfant.  Ce 
sentiment  est  plus  que  probable  dit  Contenson,  veri- 
iimillima  est  hœc  sententia. 

On  n'en  peut  pas  dire  autantdel'opinion  de  Durand, 
de  Sylvius  et  de  Gonet,qui  affirment  qu'on  peut  bap- 
tiser, malgré  leurs  parents,  les  enfants  des  esclaves. 


INDEX 


31? 


Saint  Thomas  est  d'un  avis  contraire, parce  que, dit-il, 
l'esclavage  ne  détruit  ni  l'ordre  de  la  nature  ni  la 
puissance  paternelle.  (IIa  II80  P.,  quaest.  18.  a.  12. 
ad.  2.) 

(Voyez  ibid:  Baptême  des  enfants.) 

Les  Pélagiens  furent  les  premiers  adversaires  du 
Pèdobaptisme. D'après  leur  doctrine,  l'homme  n'ayant 
aucun  besoin  de  la  grâce,  puisque  sa  nature  est  origi- 
nairement pure  et  munie  de  toutes  les  puissances  né- 
cessaires au  salut,  le  Baptême  devenait  inutile.  Les 
enfants  étaient  sauvés  sans  lui,  en  vertu  de  leur  inno- 
cence, les  adultes,  en  vertu  des  actes  accomplis  par  les 
seules  forces  de  la  nature. 

Les  évêques  d'Afrique  s'émurent  des  prédications 
de  Pelage,  déjà  dénoncé  au  saint  siège.  Ils  s'assem- 
blèrent à  Milève,  (116.)  condamnèrent  ses  erreurs, 
entre  autres  celle  qui  regarde  le  Baptême  des  enfants, 
et  déférèrent  sa  cause  au  pape  Innocent  I,  qui, 
l'année  suivante,  priva  l'hérésiarque  et  son  disciple 
Célestin  de  la  communion  de  l'Eglise. 

Pelage  poussé  à  bout  par  ces  paroles  de  Notre  Sei- 
gneur :  «  Quiconque  ne  renaît  point  de  l'eau  et  de 
l'Esprit-Saint  ne  peut  entrer  dans  le  royaume  de  Dieu,» 
fut  obligé  d'admettre  qu'en  effet  les  enfants  ne  pou- 
vaient pas  entrer,  sans  le  Baptême,  dans  le  royaume 
de  Dieu,  mais  ils  obtenaient  quand  même  la  vie  éter- 
nelle :  Dieu  ne  pouvant  les  damner  puisqu'ils  sont 
sans  péché.  Le  Baptême  leur  était  donc  utile  pour  être 
adoptés,  mais  non  point  nécessaire  pour  être  sauvés.  On 
ne  devait  point,en  somme, s'inquiéter  de  leur  sort  s'ils 
en  étaient  privés.  C'était  autoriser,  sur  ce  point,  une 
coupable  indifférence,  justement  condamnée  par 
l'Église. 

On  compte  encore,  dans  les  premiers  SïèAles,  les 


318  INDEX 


Novatiens,\es  Catapîirygienset  les  Dona  liste*,  parmi 
les  adversaires  du  pédobaptisme. 

Les  Pétrobrusiens  étaient  disciples  de  Pierre  de 
Bruys,  hérétique  né  en  Dauphiné,  qui  enseigna  ses 
erreurs  vers  1100,  et  dont  la  secte  se  répandit  dans  les 
contrées  méridionales  de  la  France.  Ils  niaient  que  le 
Baptême  fût  nécessaire  et,  même,  utile  aux  enfants, 
avant  l'â^e  de  raison,  parce  que,  disaient-ils,  c'est  ta 
foi  actuelle  qui  nous  sauve  dans  ce  sacrement. 

Ils  furent  réfutés  par  Pierre  le  Vénérable  dans  un 
ouvrage  qu'il  écrivit  contre  eux,  et  par  les  virulentes 
prédications  de  saint    Bernard. 

Quelques  théologiens  attribuent  aux  Apostoliques 
l'erreur  contre  laquelle  nous  avons  cité  l'autorité  de 
saint  Bernard.  Nous  ferons  remarquer  que  les  Apos- 
toliques, qui  eurent  pour  père  Segari  ou  Segarelli,  né 
à  Parme  et  brûlé  vif  en  1300,  ne  firent  leur  apparition 
qu'un  siècle  environ  après  la  mort  de  saint  Bernard. 
(1153).  Il  n'est  pas  possible  qu'il  les  ait  réfutés.  On 
peut  croire,  cependant,  que  les  Pétrobrusiens,  adver- 
saires du  pédobaptisme  au  douzième  siècle,  invoquèrent 
l'exemple  de<$  Apôtres,  qui  demandaient  la  foi  aux  adul- 
tes qu'ils  baptisaient,  et  que,  généralisant  dans  tous  les 
temps  ce  qui  se  faisait  et  devait  se  faire  aux  premiers 
jours  de  la  prédication  évangéli^ue,  ils  exigèrent  du 
baptisé  une  profession  de  foi,  et  s'appefèrent  apos- 
toliques, pour  couvrir  d'un  nom  respectable  leur  pré- 
tention contraire  à  la  coutume  de  l'Église  universelle. 

Les  Vaudois  et  les  Albigeois  professèrent  l'erreur 
des  Pétrobrusiens. 

Les  Sociniens  se  moquaient,,  comme  les  hérétiques 
du  douzième  siècle,  du  Baptême  des  enfants:  «Ils  n'é- 
taient pas  plus  capables,  disait  l'un  d'entre  eux.  de 
devenir  disciples  du  Christ  que  les  perroquets  et  au- 
tres volatiles:  Infantes  recens  natos  discipulos  Christi 


INDEX  319 


fierl   tam   eredibile  est    quam  psittacos  et   reliquat» 
aces.  »  (Smelcius.,  lib.  V.  Theol.  Christi,  cap.  68.) 

Les  Anabaptistes  furent  plus  sérieux,  ils  discu- 
tèrent. 

On  attribue  la  paternité  de  cette  secte  à  Carlostdad 
ou  à  Zwingle,  mais,  selon  l'opinion  la  plus  commune, 
elle  doit  son  origine  à  Thomas  Muncer  de  Zwican, 
en  Misnie,et  à  Nicolas  Storchon.  Pélargue,  natif  de 
Stalberg,  en  Saxe.  Ils  avaient  été  tous  deux  disciples 
de  Luther.  L'interprétation  libre  de  la  lettre  des 
Saintes  Écritures  leur  parut  insuffisante  pour  réformer 
la  religion,  il  fallait  une  révélation.  Ils  se  posèrent  en 
iuspirés,  et  communiquèrent  leur  fanatisme  à  la 
secte. 

Ce  fanatisme  produisit  ses  fruits.  Les  Anabaptistes 
devenus  nombreux  prirent  les  armes  et  s'emparèrent 
de  Munster,  où  ils  soutinrent  un  siège  sous  la  conduite 
d'un  tailleur  d'habits,  Jean  de  Leyde,  qu'ils  nommèrent 
leur  roi.  La  ville  fut  reprise  par  le  prince  Evèque,  et 
Jean  de  Leyde  ainsi  que  son  confident  Kwisperdollin 
périrent  dans  les  flammes. 

Mais  ces  hérétiques  savaient  guerroyer  autrement 
qu'avec  l'épée  et  le  feu. 

Ne  pas  baptiser  les  enfants  avant  l'âge  de  discré- 
tion ;  leur  donner,  de  nouveau,  le  Baptême  à  cet  âge, 
s'ils  l'avaient  reçu,  parce  que  tout  chrétion  doit  être 
en  état  de  rendre  compte  de  sa  foi  pour  recevoir  vali- 
demçnt  le  sacrement  de  la  régénération  :  telle  était 
leur  thèse  principale. 

A  l'appui  de  cette  thèse,  ils  accumulèrent  les  ar- 
guments. On  peut  en  lire  l'exposéet  la  réfutation  dans 
le  Traité  du  Baptême  de  Bellarmin  (chapitre  XI). 
Le  savant  controversiste  suit  pas  à  pas  les  trente-six 
arguments  des  hérétiques,  lesquels  sont  empruntés 
presque  tous  à  l'Ecriture.  En  peu  de   mots,  il  eu  fait 


320  INDEX 


bonne  justice.  La  plupart,  du  reste,  ne  reposent  4ue 
sur  de  pures  subtilités  d;interprétation. 

Le  concile  de  Trente  avait  en  vue  les  Anabaptistes, 
dans  les  deux  canons  12  et  13  que  nous  avons 
cités  plus  haut.  (voy.  notes  de  la  conférence.) 

Tout  le  monde  connait  YEmile  de  Jean-Jacques 
Rousseau.  Dans  ce  roman  moral  où  il  a  déployé  tous 
les  charmes  de  son  style,  l'illustre  sophiste  pousse  à 
fond  le  principe  protestant  du  libre  examen.  Rien  ne 
doit  prévenir  le  jugement  souverain  de  la  raison  en  fait 
de  religion.  L'enfant  doit  être  entièrement  abandonné 
au  libre  épanouissement  de  sa  nature,  jusqu'à  l'âge  où 
il  devient  capable  de  prendre  une  décision.  11  lui  ap- 
partient alors  de  se  prononcer,  et  il  le  fera  d'autant 
mieux  que  son  jugement  ne  sera  troublé  par  aucun 
préjugé  d'éducation. 

Nos  modernes  libres  penseurs  n'ont  rien  inventé  de 
plus  radical.  Ils  ont  oublié,  comme  le  philosophe  de 
Genève,  que,  dans  le  libre  épanouissement  de  la  nature, 
les  mauvais  penchants  se  développent  et  s'affermissent, 
et  qu'il  est  trop  tard  de  leur  proposer  un  joug  quand 
ils  sont  devenus  les  maîtres.  Leurs  systèmes  ne  peu- 
vent enfanter  qu'une  race  malsaine  et  perverse.  Nous 
n'avons  pas  besoin  d'attendre  qu'ils  aient  produit  leur 
fruit,  pour  être  convaincus  que  le  Baptême  et  l'éduca- 
tion chrétienne,  à  laquelle  il  donne  droit,  valentmieux 
que  toutes  les  rêveries  pédagogiques  de  la  libre  pen-i 
sêe. 

VI 

SOIXANTE-SIXIÈME  CONFÉRENCE 

Voyez  lre  Partie  :  {Nature,  institution  et  effet  du  sa- 
crement de  Confirmation.  ) 
Les  Nooatiens,   ainsi   que  le   rapporte  Tîiêodoret, 


1WDE*  321 


(Lib.  3.  De  hœreetic.  fabulis.)  rejetaient  le  sacrement 
de  Confirmation.  C'est  pourquoi  les  souverains  Pon- 
tifes ordonnèrent  de  confirmer  tous  ceux  qui,  venant 
de  cette  hérésie,  demandaient  à  entrer  dans  le  giron  de 
l'Eglise:  «Novatiani. . .  iis,  qui  ab  ipsis  tinguntur 
«  sacrum  chrisma  non  prœbent,  quocirca  eos  qui  ex 
«  hac  hœresi  corpori  Ecclesiee  conjunguntur,  bene- 
«  dicti  Patres  ungi  jusserunt.»  La  suppression  du  sa- 
crement de  plénitude  et  de  perfection  n'avait  pas  d'au- 
tre raison  que  l'exemple  et  l'ordre  de  Novatien,  qui, 
n'ayant  point  été  confirmé  et  voulant  faire  taire  les 
reproches  des  catholiques,  nia  la  nécessité  de  la  Con- 
firmation. 

Les  Vaudois.  suivirent  l'exemple  des  Novatiens. 
(Eneas  Sylv.,  Hist.  Bohem.  cap.  35.) 

Wiclef,  sans  nier  absolument  l'institution  de  ce  sa- 
crement, prétendait  qu'il  était  impossible  de  la  prouver 
par  l'Ecriture,  que  le  droit  de  confirmer,  réservé  aux 
Evêques,  avait  été  introduit  par  le  diable,  enfin  que 
l'usage  du  saint  Chrême  était  inutile. 

Les  Protestants,  dans  l'assemblée  de  Leipsik  tenue 
en  1548,  confessèrent  l'existence  des  sacrements;  mais 
cette  confession  fut  bientôt  désavouée  par  la  plupart 
de  leurs  docteurs,  qui,  à  l'exemple  des  patriarches  de  la 
réforme,  rayèrent  la  Confirmation  du  nombre  des  sa- 
crements et  la  réduisirent  à  la  condition  d'une  pure 
cérémonie. 

On  ne  voit  pas,  en  effet,  à  quoi  pouvait  servir  un 
sacrement  de  plénitude  et  de  perfection,  si  l'on  consi- 
dère les  effets  qu'ils  attribuaient  au  Baptême. 

Calvin,  épousant  l'erreur  de  Jovinien,  enseignait 
que  le  baptisé  ne  pouvait  plus  pécher.  Comme  l'hé- 
résiarque qu'avait  refuté  saint  Jérôme,  il  invoquait  ces 
textes  de  l'Ecriture  :  c  Celui  qui  est  né  de  Dieu  de- 
meure en  lui,  et  Une  peut  pécher  parce   qu'il  est  né 

CONFÉKENCES  N.-D.  —  CARÊME  1883.  —  21 


322  INDEX 


de  Dieu:  Omnis  qui  natus  est  ex  Deo  peccatum  non 
facitj  quia  semen  ipsius  in  eo  manet,  et  non  potest 
peeeare  quoniam  ex  Deo  natus  est.*  (I  Joan.,  cap.  ni, 
9.)  t  Celui  qui  est  né  de  Dieu  ne  pèche  pas,  parce  que 
la  vie  qu'il  a  reçue  de  Dieu  le  conserve  :  Qui  natus 
est  ex  Deo  non,  peccat,  sed  generatio  Dei  conservât 
eum.  »  (IV.  Joan.,  cap.  18).  En  lisant  attentivement 
l'Epitrede  saint  Jean,  d'où  ces  paroles  sont  tirées,  od 
peut  se  convaincre  qu'elles  doivent  s'entendre  dans 
un  sens  composé,  comme  celles-ci  :  t  Un  bon  arbre 
ne  peut  produire  de  mauvais  fruits.  »  Assuré- 
ment, tant  qu'il  reste  bon  arbre.  Saint  Jean  veut  sim- 
plement montrer  que  la  justice  et  la  charité  ne  peu- 
vent subsister  avec  le  péché,  et  que  celui  qui  pécha 
n'est  plus  un  juste. 

Luther,  imitant  les  hérétiques  que  réfuta  saint  Au- 
gustin au  vingt-et-unième  livre  de  la  Cité  de  Dieu, 
(chap.  35.)  prétendait  que  les  baptisés  ne  pouvaient 
perdre  la  grâce  que  s'ils  ne  voulaient  plus  croire,  l'in- 
fidélité seule  étant  un  péché  damnable;  que,  par  con- 
séquent, on  pouvait  commettre  tous  les  crimes,  et  être 
sauvé,  pourvu  qu'on  ne  perdit  pas  la  foi.  Le  Concile 
de  Trente  a  condamné  cette  monstrueuse  immora- 
lité en  ces  termes  :  «  Si  quis  dixerit  baptizatum  non 
»posse,etiam  si  velit,  gratiam  amittere,  quantumcum- 
»que  peccat,  nisi  nolitcredere;  anathema  sit.  »  (Sess. 
VII,  De  Baptismo.  can.  6.) 

Investi  de  l'impeccabilité  par  le  Baptême,  l'homme 
devait  être  nécessairement  affranchi  du  joug  de  toute 
loijpourvuqu'ilcoQservâtlafoi.Nonpasque  le  Baptême 
abrogeât  toutes  les  lois,  mais  parce  que  les  péchés 
contre  une  loi  quelconque  ne  sont  point  imputés  à 
celui  qui  a  la  foi,  et  parce  que  le  salut  ne  dépend  pas 
de  l'accomplissement  de  tel  ou  tel  précepte,  mais  de 
la  miséricorde  de  Dieu,  que  la  foi  s'approprie. 


INDEX  323 

Donc,  plus  de  loi  divine,  plus  de  loi  ecclésiastique, 
plus  de  vœux.  La  liberté  chrétienne,  dans  laquelle 
l'homme  régénéré  entre  parle  Baptême,  ne  reconnaît 
plus  d'autre  obligation  que  celle  de  croire  ;  de  tout  le 
reste  elle  est  affranchie  :  «  Nullo  opère,  nulla  lege, 
•  christiano  homini  opus  est,  cum  per  fidem  liber  sitab 
»  omnilege.»  (Luther.,  lib.  De  libertate  christiana.)  L'art 
suprême,  la  sagesse  du  chrétien  est  l'ignorance  de  la 
loi,  des  œuvres  et  de  toute  justice  active.  «Summaars 
»  et  sapientia  christiana  est  nescirelegem,  ignorare 
»  opéra,  et  totam  justitiam  activam.  »  (id.  Argum,  in 
Epist  ad  Galatas.) 

Les  protestants  ont  essayé  d'adoucir  le  sentiment 
de  Luther,  mais  sa  doctrine,  trop  brutalement  claire, 
résiste  à  leurs  interprétations  émollientes.  Le  Con- 
cile de  Trente  l'a  justement  condamnée,  en  ces  trois 
canons  vengeurs  de  la  loi  chrétienne,  d^s  préceptes 
de  l'Église,  et  des  vœux  : 

«  Si  quis  dixerit,  baptizatos  per  baptismum  ipsum, 
»  soliustantum  fîdei  debitores  fieri,  non  autem  univer- 
»  sse  legis  Christi  servandee;  anathema  sit.  » 

«  Si  quis  dixerit,  baptizatos  liberos  esse  ab  omni- 
»bussanctœ  Ecclesiae  prseceptis,  quee  vel  scriptavel 
»  tradita  sunt,  ita  ut  ea  observare  non  teneantur,  nisi 
»sua  sponte  illis  submittere  voluerint  ;  anathema  sit.» 

«  Si  quis  dixerit,  ita  revocandos  esse  homines  ad 
»  baptismi  suscepti  memoriam,  ut  vota  omnia,  quœ 
»  post  baptismum  fiunt,  vi  promissionis  in  baptismo 
»  ipso  jam  factœ,  irrita  esse  intelligant,  quasi  per  ea, 
»  et  fldei,  quam  professi  sunt,  detraha^ur,  et  ipsi 
»  baptismo;  anathema  sit.  »  (de  Baptismo.) 

On  comprend  aisément  que  les  protestants.,  après 
avoir  donné  au  Baptême  une  si  monstrueuse  puis- 
sance;  «tient  rejeté  la  Confirmation  comme  superflue. 
Cependant,  pour  ne  pas  rompre  tout  à  fai  avec  les 


324  INDEX 


usages  chrétiens,  ils  inventèrent  une  Confirmation  à 
leur  manière  ;  mais  ce  n'était  plus  un  sacrement, 
c'était  une  simple  cérémonie. 

Kemnitius  décrit  ainsi  l'ordre  et  l'économie  de  la 
Confirmation  luthérienne.  (Examen, Il  pa.r  t.,  pa.g.  320). 
1°  Lorsque  les  enfants  baptisés  sont  arrivés  à  l'âge  de 
discrétion,  on  doit  les  présenter  à  l'évêque,  qui  les 
admoneste  et  leur  rappelle  ce  qu'ils  ont  reçu  et  ce 
qu'ils  ont  promis  dans  leur  Baptême.  2°  Les  enfants 
doivent  réciter  publiquement  leur  profession  de  foi. 
3°  On  les  interroge  sur  les  principaux  points  de  la 
doctrine  chrétienne  et  ils  doivent  répondre  aux  ques- 
tions qui  leur  sont  faites.  4°  On  les  avertit  que,  pai 
leur  profession  de  foi,  ils  se  séparent  des  païens,  des* 
hérétiques,  des  fanatiques  et  des  profanes.  5°  On  les 
exhorte  gravement  à  garder  leur  profession  de  foi  e' 
à  s'y  conformer  par  la  persévérance  et  le  progrès. 
6°  On  fait  une  prière  publique  pour  eux  afin  que  Dieu, 
par  son  Esprit-Saint,  les  dirige  et  les  confirme  dans 
a  foi;  à  cette  prière,  on  peut  ajouter  l'imposition  des 
mains. 

Un  autre  genre  de  confirmation  a  été  imaginé  par 
Erasme.  (Prœf.  paraph.  in  Matthœum.)  Il  consiste 
en  ceci  :  Interroger  les  adolescents,  leur  demander 
s'ils  consentent  à  ratifier  les  promesses  qui  ont  été 
faites  par  eux  au  Baptême  ?  —  Si  oui,  leur  Baptême 
est  confirmé,  ils  sont  engagés  à  la  foi  et  à  la  vie 
chrétienne;  si  non,  on  doit  les  laisser  libres. 

Cette  erreur  a  été  chaudement  patronnée  par  un 
philosophe  anonyme  qui,  s'inspirant  des  apologies  de 
la  libre  pensée,  bruyamment  éditées  par  Rousseau  et 
Fréret,  appliqua  leurs  principes  aux  enfants  baptisés. 
Controverse  pacifique  sur  l'autorité  de  V Eglise  oti 
Lettres  de  M.  D.  C.  à  Véoêque  du  P...  (du  Puy)  aurr. 
les  réponse*  de  ce  prélat.)  Elle  suppose,  en  définitive, 


INDEX 


325 


rçue  le  Baptême  n'engage  à  rien,  à  moins  que  nous  ne 
1e  confirmions  par  une  libre  adhésion  de  notre  volonté. 
Ce  qui  est  contre  toute  raison. 

Quiconque  entre  dans  une  société,  pour  jouir  des 
bénéfices  de  son  incorporation,  doit  en  prendre  les 
charges.  On  ne  demande  pas  à  un  enfant  arrivé  â 
Vkge  de  discrétion  s'il  veut  se  soumettre  aux  lois  de 
la  société  civile  dans  laquelle  il  est  entré  par  sa 
naissance,  ni  s'il  veut  continuer  les  traditions  d'hon- 
neur de  la  famille  à  laquelle  il  appartient.  Il  est  saisi 
par  ces  lois  et  ces  traditions  à  l'heure  même  où  il 
devient  citoyen  et  enfant  d'une  famille.  Il  en  est  de 
même  pour  le  baptisé.  Lui  demander  de  ratifier  les 
promesses  faites  pour  lui  à  son  Baptême,  c'est  lui 
imposer  l'obligation  d'examiner  à  fond  tous  les  motifs 
de  ses  croyances,  par  conséquent,  ne  point  tenir 
compte  de  l'habitude  de  la  foi  qu'il  a  reçue,  tenter 
l'impossible,  oublier  que  tous  les  motifs  de  nos 
croyances  se  concentrent  dans  la  majestueuse  et 
infaillible  autorité  de  l'Église,  supposer,  enfin,  que 
l'enfant  n'appartient  à  aucune  société  religieuse,  bien 
qu'il  ait  été  incorporé  à  la  société  divine  qui  lui  pro 
met  la  félicité  éternelle,  en  récompense  de  sa  foi  et  de 
ses  bonnes  œuvres. 

Le  Concile  de  Trente  a  vengé  l'honneur  du  sacre- 
ment de  l'Église  et  du  sens  commun,  en  définissant 
qu'on  ne  doit  point  demander  aux  adolescents  la  rati- 
fication des  promesses  baptismales,  et  qu'on  a  le  droit, 
g'ils  refusent  cette  ratification,  de  ne  point  les  aban- 
donner à  eux-mêmes  et  de  leur  imposer  d'autres 
peines  que  la  privation  des  sacrements  :  «  Si  quis 
»  dixerit  parvulos  baptizatos,  cum  adoleverint,  interro- 
»  gandos  esse,  utrum  ratum   habere  velint  quod  pa- 

»  trini   eorum   nomine,   dum  baptizarentur,  polliciti 
«  sunt,  et  ubi  se  nolle  responderint,  suo  arbitrio  re- 


326  INDEX 


»  linquendos,  nec  alia  intérim  pœna  ad  christianam 
>  vitam  cogendos,  nisi  ut  ab  Eucharistiœ  aliorumque 
»  sacramentorum  perceptionearceantur,donecresipis* 
»  cant;  anathema  su.  »  (Sess.  VII.,  De  baptiëmo. 
can.  14.) 

2°  Nous  avons  dit,  dans  l'Index  de  notre  soixante  et 
unième  conférence,  qu'il  fallait  rejeter  comme  une 
erreur  condamnable  l'opinion  d'Alexandre  de  Haies, 
qui  prétend  que  le  sacrement  de  Confirmation  a  été 
institué  par  l'Église  dans  un  Con3ile  de  Meaux,  ainsi 
que  l'opinion  des  théologiens  qui  affirment  absolu- 
ment que  plusieurs  sacrements  ont  été  institués  par 
Ves  Apôtres.  Ces  opinions  sont  contraires  à  la  défini- 
tion du  Concile  de  Trente.  Le  sacrement  de  Confir- 
mation, comme  tous  les  autres  sacrements,  a  été  ins- 
titué par  Jésus-Christ  :«  Sacramentel  omnia...  a 
J.  C.  D.  N.  instituta.  > 

Mais,  comment?  Est-ce  médiatement  ou  immédia- 
tement? Pierre  Lombard,  Hugues  de  Saint-Victor, 
saint  Bonaventure,  tiennent  pour  l'institution  mé- 
diate, le  plus  grand  nombre  des  théologiens  pour 
l'institution  immédiate.  Nous  nous  sommes  expliqués 
plus  haut  à  ce  sujet.  (Index  de  la  61e  conf.) 

Quant  à  l'époque  de  l'institution  il  est  difficile  de  la 
fixer.  L'Ecriture  ne  nous  donne,  sur  ce  point,  aucune 
indication  précise. 

Canisiu8  pense  que  Jésus-Christ  a  institué  la  Con- 
firmation lorsqu'il  imposa  les  mains  aux  enfants  qui 
lui  étaient  présentés  par  leurs  parents.  (Matth.,  c.XIX. 
Marc.  X.)  D'autres,  que  ce  fut  après  la  résurrection, 
quand  il  dit  à  ses  Apôtres:  «  Recevez  l'Esprit-Saint.  » 
(Joan.,  cap.  xx).  Saint  Thomas,  quand  il  promit  de 
leur  envoyer  le  Paraclet.  «  Dicendum  est  quod  Chris* 
«  tua  institua  hoc  sacramentum  non    exhibendo.  iad 


INDEX  327 


»  promittendo,  secundum  illud  Joan.,  XVI  :  Si  non 
m  abierOj  Paraclitus  non  veniet  ad  vos.  »  Le  pape 
Fabien,  dans  sa  2°  Epitre  aux  Evêques  orientaux, 
affirme  que  Notre-Seigneur,  après  la  cène  et  le  lave- 
ment des  pieds,  apprit  à  ses  disciples  la  consécration 
et  l'usage  du  saint  Chrême  :  c'est,  dit-il,  une  tradition 
que  nos  prédécesseurs  ont  reçue  des  saints  Apôtres. 
»  In  illa  enim  die  Dominus  Jésus,  postquam  cœnavit 
»  cum  discipulis  suis,  et  lavit  eorum  pédes  (sicut  a 
»  sanctis  apostolis  prsedecessores  nostri  acceperunt 
»  et  nobis  reliquerunt),  chrisma  conficere  docuit.  » 
Cette  affirmation  nous  parait  respectable.  Elle  n'a 
point  tranché,  cependant,  la  question  controversée  de 
la  matière  et  de  la  forme  du  sacrement  de  Confirma- 
tion. 

Il  y  a,  sur  ce  point,  plusieurs  opinions.  IsaacHabert, 
Sirmond,  Sainte-Beuve,  Herminier,  pensent  que  la 
matière  essentielle  et  adéquate  du  sacrement  consiste 
dans  la  seule  imposition  des  mains.  Saint  Thomas, 
Bellarmin,  Maldonat,  Vanroy,  Morin,  dans  la  seule 
onction  du  saint  Chrême.  Quelques-uns  considèrent 
l'imposition  des  mains  et  l'onction,  prises  séparément, 
comme  une  matière  pleinement  suffisante.  Enfin, 
Noël  Alexandre,  Louis  Habert,  Drouin ,  Tournely  et 
presque  tous  les  théologiens  modernes  enseignent 
que  l'imposition  des  mains  et  l'onction  doivent  être 
unies,  et  sont  essentielles  à  la  matière  du  sacrement. 

Cette  dernière  opinion  nous  paraît  la  plus  solide, 
©lie  est  aussi  la  plus  commune,  et,  dans  la  pratique,  la 
plus  sûre  et  la  seule  que  l'on  puisse  suivre. 

Mais,  de  quelle  imposition  des  mains  s'agit- il?  Est-ce 
de  celle  qui  se  fait  les  mains  étendues  et  que  l'Évêque 
accompagne  de  la  prière  :  Omnipotens  sempiternê 
Deus  etc..  en  appelant  l'Esprit-Saint  et  ses  dons,  ou 
de  celle  qui  accompagne  l'onction  1  Les  anciens  théo- 


328  INDEX 


logiens,  qui  distingent  l'imposition  des  mains  de  l'onc- 
tion, désignent  évidemment  la  première. 

Cependant,  Benoît  XIV  (Lib.  XIII.  De  Synod.  cap- 
19.)  ne  la  considère  pas  comme  essentielle.  La  raiso  >. 
qu'il  en  donne,  c'est  que  l'Evêque  ne  la  répète  pas  sur 
ceux  qui  se  présentent  à  la  Confirmation  quand  elle 
est  faite. 

Quand  a  la  forme  du  sacrement,  la  seule  qui  s« 
trouve  dans  tous  les  sacramentaires,  dit  Martène,  est, 
pour  les  grecs  :  Signaculum  doni  Spiritus  Sancti  : 
IÇpayls  Z'jûpsàs  irvevfxaTOs  àyiov\  pour  les  latins:  Signo 
te  signo  cruciSj  confirmo  te  chrismate  salutis  in 
nomine  Patris,  etc, 

L'oraison  Omnipotens  sempiterne  Deus,  etc..  est 
placée  tantôt  avant,  tantôt  après  l'onction.  Dans  quel- 
ques sacramentaires  elle  est  omise. 

Le  Concile  de  Trente  n'a  rien  défini  sur  ces  ques- 
tions. Il  s'est  contenté  d'aDathématiser  l'erreur  des 
Wiclefistes,  qui  prétendaient  qu'on  fait  injure  à  l'Es- 
prit-Saint  en  attribuant  une  vertu  au  saint  Chrême: 
«  Si  quis  dixerit  injurios  esse  Spiritui  Sancto  eos  qui 
t  sacro  confirmationis  chrismati  virtutem  aliquam 
«.  tribuunt;  anathema  sit.  »  Toutefois,  l'admirable  ca- 
téchisme,dont  les  auteurs  se  sont  inspiré  de  l'esprit  et 
des  définitions  du  Concile,  assigne  à  la  Confirmation, 
comme  matière,  l'onction  du  saint  Chrême,  comme 
forme,  les  paroles:  èigno  te  etc... 

(Voyez  2me  Partie:  Ministre  de  la  Confirmation). 

Photius,  Wiclef,  les  Vaudois,  ont  attribué  à  tcus 
les  prêtres  le  pouvoir  ordinaire  de  donner  la  Confirma- 
tion. 

Toute  la  tradition  proteste  contre  cette  erreur  Nous 
lisons  dans  les  Actes  que  le  pouvoir  de  donner  l'Esprit 
Saint  par  l'imposition  des  mains  est  réservé  aux  seuls 


INDEX 


329 


Apôtres.  L'exemple  d'Ananie,  invoqué  par  Wiclef,  ne 
prouve  rien,  car  l'imposition  des   mains  qu'il   fit  sur 
l'apôtre  saint  Paul  avait  pour  but  de  lui  rendre  la  vue, 
et  non  de  lai  donner   le  Saint-Esprit.  Les  décrets  des 
Papes  et  des  Conciles  désignent  tous  l'Évêque  comme 
ministre    ordinaire   du  sacrement  de  plénitude  et  de 
perfection.  Saint  Urbain,  dans  sa  Lettre  décrétale,  dit 
que  «  les  fidèles  doivent  recevoir  des  Évêques  l'impo- 
sition des  mains  pour  devenir  parfaits  chrétiens  :  Om- 
nes  fidèles  per  manuum   impositionem   episeoporum 
Spiritum   Sanctum  post   baptismum  aceipere  debent, 
ut  pleni  christiani  inveniantur.  »    Le   Pape   Eusèbe 
Epist.  3.)  enseigne  que    «  le  sacrement  de  l'imposi- 
tion des  mains   ne  peut  être  administré  que  par  ceux 
qui  ont  reçu  la  plénitude  du  sacerdoce  :  »  Manus  im- 
»  positionis  saeramentum. . .  ab  aliis  perfiei  nonpotest 
»  nisi  a  summis  sacerdottbus .  »  Le  Pape  Innoncent  I 
Epist.  I.  ad  DeeentCum,  cap.  3.)  distingue  entre  l'onc- 
tion que  fait  le  prêtre  sur  la  tête  des  baptisés  et  celle 
qui  se  fait  sur  le  front  de  ceux  qui  veulent  recevoir  le 
Saint-Esprit,  cette  dernière  est  réservée  aux  Évêques: 
«  Solis  debetur  episcopiscwn  tradunt  Spiritum  Sa/ic- 
»  tum  Paraclitum.  » 

Le  Concile  de  Trente  a  défini  le  droit  et  le  pouvoir 
des  Évêques  en  ces  termes  :  «  Si  quis  dixerit  sanctœ 
»  confirmationis  ordinarium  ministrum  non  esse  so- 
»  lum  Episcopum,  sed  quemvis  simplicem  sacerdo- 
»  tem  ;  anathema  sit.  »  (Sess.  VIL  De  confirmai  ioniê 
sacramento,  can.  3.) 

Une  faut  point  outrer  cette  définition  et  croire,  avec 
Estius  et  quelques  théologiens  gallicans,  que  le  pou- 
voir des  évêques,  en  ce  qui  regarde  la  Confirmation, 
leur  soit  tellement  propre  qu'il  ne  puisse  être  commu- 
niqué. Saint  Thomas  enseigne  expressément  le  con- 
traire. {Summ.  Theol.y  III. P.,  quœst    72.  ail.  ad  1.) 


330  INDEX 


«  Le  Souverain  Pontife,  dit-il,  possédant  dans  l'Église 
la  plénitude  de  la  puissance,  a  le  droit  de  confier  aux 
ordres  inférieurs  certaines  choses  qui  appartiennent 
aux  ordres  supérieurs  :  —  Papa  m  Ecclesia  habet  ple- 
*  nitudinem  exqua  potest  quœtiam,  quse  suntsuperio- 
»  rum  ordinum,committere  quibusdam  inferioribus.  » 

De  fait,  les  Papes  ont  accordé  plusieurs  fois  aux 
prêtres  missionnaires  de  la  Palestine,  et  surtout  de 
l'Inde  où  les  Evêques  sont  rares,  le  pouvoir  ue  con- 
firmer, ainsi  que  le  rapporte  Benoit  XIV.  (De  synodo., 
Lib.  7.  cap.  7.  §  4  et  seq.)  Je  ne  crois  pas, dit  le  P  Pé- 
roné, qu'on  puisse  douter  de  cette  communication  de 
pouvoir,  sans  encourir  la  note  de  témérité  :  «  Nonsatis 
intelligitur,  quomodo  absque  aliqua  temeritatis, 
nota,  possint  theologi  orthodoxi  id  in  dubium  reoo- 
care. (Tract.  De  confirmations.,  cap.  h).  Contensonest 
plus  indulgent.  Il  propose  les  arguments  de  ceux  qui 
prétendent  que  le  pouvoir  des  Evoques  leur  est  telle- 
ment propre  que,  dans  aucun  cas  et  par  aucune  dis- 
pense, il  ne  peut  être  confié  aux  simples  prêtres.  Ces 
arguments  lui  paraissent  extrêmement  graves  :  gra- 
vissima,  et  donnent,  à  l'opinion  qui  les  invoque,  une 
assez  forte  probabilité,  «  non  mediocris probabilitas .  » 
Cependant,  il  les  combat,  et  tient  pour  le  sentiment 
de  saint  Thomas. 

Le  P.  Morin  est  daii*  i  erreur  quand  il  affirme, avec 
Holstein  et  Sirmond,  que  le  pouvoir  de  confirmer  fut 
autrefois  donné  aux  Diacres.  Moreli,  son  éditeur,  et  le 
P.  Coustant  démontrent  facilement  que,  dans  le  texte 
du  Pape  Innocent  I  (Epist.  ad.  Decentium),  sur  le- 
quel s'appuie  cette  opinion,  et  où  il  est  fait  mention 
d'une  imposition  des  mains  donnée  par  les  prêtres 
et  autres  clercs,  il  ne  s'agit  nullement  du  sacrement 
de  Confirmation,  mais  d'une  simple  cérémonie  em- 
ployée dan»  la  réconciliation  des  pécheun.  Du  re§te( 


INDEX  331 


■  qui  prouve  trop  ne  prouve  rien.  »  D'après  le  texte  cité, 
ce  ne  serait  pas  seulement  au  diacre,  mais  à  tous  les 
autres  clercs  que  le  pouvoir  de  l'Evêque  serait  corn- 
municable  :  «  Ut  autem  fiât  episcopi  est  imperare,  ut 
1  manus  ei  vel  a  presbytero  vel  a  eeetens  clencis  im 
ponatur.   »  (cap.  VI.  a.  &. 


TABLE 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES 


SOIXANTE  ET  UNIÈME  CONFÉRENCE 


LA   NATURE    DES    SACREMENTS 


Après  les  lois  extérieures  du  gouvernement  de 
Jésus- Christ,  les  lois  intimes.  —  Effusion  de  ia 
grâce.  —  Toute  grâce  est  devenue  la  grâce  de  Jésus- 
Christ.  —  Il  a  décrété  l'union  de  l'action  intime  de 
son  gouvernement  avec  son  action  extérieure,  et  en  a 
fait  la  soudure  dans  des  signes  sensibles,  qu'on  ap- 
pelle: Sacrements.  —  On  traite  dans  cette  conférence 
de  la  nature  des  sacrements.  —  Diverses  notions  et 
définitions  du  sacrement  ;  on  peut  les  résumer  en 
trois  mots  :  Le  sacrement  est  1*  un  signe  certain, 
2°  un  signe  sacrosaint,  3°  un  signe  efficace  de  la 
grâce,  —  I.  Le  sacrement  est  un  signe  certain, 
parce  qu'il  a  été  déterminé  par  Dieu  lui-même. —  In- 
tervention de  Dieu  dans  l'institution  des  sacrements 
de  l'ancienne  loi.  —  Sacrements  des  religions  anti- 
ques ;  conclusions  qu'en  tire  le  rationalisme  ;  réfu- 
tation. —  Le  protestantisme  rejette  une  partie  de  nos 
sacrements.  —  Comment  on  prouve,  contre  lui,  leur 
institution  divine.  —  II.  Le  sacrement  est  un  signe 
sacrosaint.  —  Signes  sacrés,  qui,  dans  la  nature  et 
dans  l'Église,  nous  rappellent  Dieu,  ses  perfections, 
ses  bienfaits.  —  Le  sacrement  condense,  en  un  seul 
signe,  tous  les  souvenirs  éparpillés   sur  les  objets 


T\BLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERÊ9 


sacrés  que  notre  foi  vénère.  —  Il  est,  d'après  saint- 
Thomas  :  1°  un  mémorial  de  ce  qui  s'est  fait  pour 
notre  salut  ;  —  2°  une  démonstration  de  ce  qui  se  fait 
en  nous  par  la  passion  du  Christ  ;  —  3°  une  prophétie 
de  notre  gloire  future.  —  III.  Le  sacrement  est  un 
signe  efficace.  —  Erreur  du  protestantisme  touchant 
la  justification  ;  conséquemmentà  cette  erreur,  les  sa- 
crements sont  des  signes  vides  et  nus;  le  protestantisme 
les  réduit  au  rôle  d'un  simple  avertissement  et  d'une 
simple  promesse.  —  Définitions  de  l'Eglise  contre 
cette  erreur.  D'après  l'enseignement  de  l'Église,  les 
sacrements  sont  de  véritables  causes  de  la  grâce.  — 
Protestations  du  rationalisme  contre  cet  enseigne- 
ment. —  L'efficacité  des  sacrements  n'est  un  scan- 
dale pour  lui,  que  parce  qu'il  ne  connaît  pas,  ou  par- 
ce qu'il  .connaît  mal  notre  théologie  sacramentelle  ; 
d'après  cette  théologie,  le  sacrement  n'est  qu'uu  ins- 
trument chargé  de  la  transmission  d'un  mouvement 
divin  ;  il  importe  donc  peu  qu'il  soit  une  grande  ou 
une  petite  chose.  —  Opinions  des  théologiens  touchant 
l'opération  morale  ou  physique  des  sacrements.  — 
Comment  ces  opinions  sont  à  l'abri  des  railleries  du 
rationalisme  et  s'imposent  à  nos  respects.  — Bien  loin 
de  déparer  les  sacrements,  le  mystère  de  leur  efficacité 
en  relève  la  beauté  et  la  grandeur  ;  c'est  par  ces  signes 
augustes  que  l'homme  devient  un  être  sacré;  sans  eux, 
il  ne  sera  jamais  qu'un  profane 3 


SOIXANTE-DEUXIEME  CONFERENCE. 

l'harmonie  des  sacrements. 


Un  mot  sur  la  loi  du  secret  touchant  les  sacrements; 
cette  loi  n>^-V     ^>lus;  parler  publiquement  de   no* 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES       337 


signes  sacrés,  ce  n'est  plus  une  trahison,  c'est  le  loyal 
et  nécessaire  combat  de  l'erreur  contre  la  vérité.  — 
Après  avoir  défini  les  sacrements  et  expliqué  leur 
nature,  on  justifie  leur  institution  en  montrant  leur 
harmonie.  —  La  sagesse  divine  se  manifeste  par 
l'ordre  admirable  des  relations  établies  entre  les 
sacrements,  le  plan  divin  et  notre  nature.  —  Ces  re- 
lations apparaissent  dans  les  deux  choses  que  la  théo- 
logie appelle  signum  et  res  sacramenii,  c'est-à-dire: 
1*  dans  les  signes  sacramentels  eux-mêmes,  2°  dam» 
les  effets  qu'ils  produisent.  — I.  Dessein  de  Dieu  dan? 
la  formation  de  la  société  chrétienne.  — Nous  sommes 
un  seul  corps.  —  Tout  corps  suppose  un  chef  qui 
l'anime,  un  chef  qui  reçoit  les  impressions  de  la 
masse  et  communique  à  la  masse  ses  propres  mouve- 
ments. —  Le  chef  du  corpt  «eligieux  est  Jésus-Christ. 

—  Comment  Jésus-Christ  egt  visible  par  son  prêtre. 

—  Le  prêtre  donne  à  Dieu  les  choses  sacrées  de 
l'humanité  :  la  prière,  le  sacrifice;  premier  mouve- 
ment. —  Le  prêtre  donne  à  l'humanité  les  choses 
sacrées  de  Dieu  :  la  vérité  et  la  grâce;  deuxième 
mouvement.  —  1°  Comment,  pour  être  assuré  de  l'ef- 
ficacité de  son  mystère  dans  la  diffusion  de  la  vérité 
et  surtout  de  la  grâce,  le  prêtre  a  besoin  de  signes 
sensibles.  —  2°  Nous  avons  besoin  nous  mêmes  du 
signe  sensible  pour  être  assurés  des  merveilleux 
effets  de  la  grâce  dans  notre  âme,  tant  est  puissant, 
dans  notre  vie  mixte,  l'empire  des  sens.  —  Exemples 
et  conclusions.  —  3°  Les  signes  sacramentels,  qui 
conviennent  à  notre  nature  individuelle ,  ne  con- 
viennent pas  moins  à  notre  nature  collective  en  tant 
que  nous  sommes  membres  d'un  seul  corps  religieux. 

—  Sacrements,  signes  de  ralliement,  drapeau  de  la 
fraternité  chrétienne.  —  4°  Comment  il  était  digne  de 
la  sagesse  de  Dieu  d'élever  des  signes  infirmes  à  la 
dignité  de  signes  sacramentels,  pour  réhabiliter  la 
nature  et  accomplir,  en  nous  humiliant,  un  grand 
acte  à*  justice.  —  II.  Loi  de  progrès  dans  le?)  oeuvres 

CONFÉRENCES  N«-Di  —  CARÊME  1883.  —  22 


338  TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIÈRES 


di^xaes.  —  1*  Comment  les  sacrements  de  la  loi 
ancienne  sont  un  progrès  sur  les  sacrements  de  la  loi 
de  isature  ;  —  comment  les  sacrements  de  la  loi  nou- 
velle sont  un  progrès  sur  les  sacrements  de  la  loi 
ancienne,  si  l'on  considère  leur  efficacité.  —  2°  Mer- 
veilleusement encadrés  dans  le  plan  divin,  les  sacre- 
ments de  la  loi  nouvelle  sont,  par  leurs  effets,  mer- 
veilleusement adaptés  aux  évolutions  de  notre  nature, 
aux  diverses  phases  et  aux  divers  accidents  de  notre 
vie  :  —  vie  individuelle,  vie  sociale.  —  Développe- 
ments. —  3°  Les  sacrements  sont  aussi  parfaitement 
rfeythmés  entre  eux  qu'ils  sont  rhythmés  avec  notre 
nature.  —  Nombre  septénaire t   -.     95 


SOIXANTE-TROISIÈME  CONFERENCE 

LES   CARACTÈRES    SACRAMENTELS 


Entre  tous  les  sacrements,  il  y  eû*a  qu'on  ne  renou 
velle  pas,  parce  qu'ils  opèrent  plus  profondément,  et 
qu'une  partie,  au  moins,  de  leur  efficacité  est  perpé- 
tuellement fixée  par  un  signe  qui  se  grave  dans  l'âme 
elle-même  et  que  l'Eglise  appelle:  le  caractère 
1°  Qu'est-ce  que  le  caractère  sacramentel?  2°  A  quoi 
nous  oblige-t-il  ?  —  I.  Jésus-Christ,  les  Pharisiens,  et 
le  dénier.  —  Cujus  est  imago  hœc  et  superscriptio  T 
Le  caractère  est  :  1°  le  signe  de  la  propriété  du  Christ. 

—  Titres  de  Jésus-Chrst  à  notre  possession:  —  Créa- 
tion, —  donation,   —  rédemption,  —   incorporation, 

—  Si  le  propriétaire  affirme  son  droit  par  des  signes, 
son  chiffre,  ses  armes  armes,  combien  plus  Jésus- 
CLvist.  —  Le  caractère  sacramentel  n'est  point  une 
«impie  dénomination,  une  pure  relation,  m&is  ui»e 
véritable  inscription  gravée,  dans  l'âme  humaine  «»*•» 


TABLE  ANALYTIQUE    DES   MATIÈRES  339 


la  pénétrante  vertu  d'un  sacrement  qu'on  ne  ^ent 
renouveler.  —  Doctrine  de  l'Eglise  à  ce  suje'c.  — 
2°  Enseignement  plus  intime  et  plus  profond  de  saint- 
Thomas  :  —  Le  caractère  est  une  physionomie  et  une 
puissance.  —  Physionomie  configurant,  par  \x>\e 
d'image  et  de  ressemblance,  notre  trinité  créée  à  la 
Trinité  créatrice  et  régénératrice.  — Puissance  dérivée 
de  la  puissance  sacerdotale  de  Jésus-Christ,  —  pour 
recevoir  les  choses  sacrées,  —  pour/  témoigner  en 
faveur  des  choses  sacrées,  —  pour  donner  les  choses 
sacrées. —  II.  Deux  obligations  résultent  de  l'inscrip 
tion  du  caractère:  1*  respect  du  droit  de  Jésus- Christ 
et  de  notre  physionomie  divine.  —  Développements. 
—  2°  Action  de  notre  puissance  sacerdotale.  —  Déve- 
loppements  107 


SOIXANTE-QUATRIÈME  CONFÉRENCE 


LE   BAPTEME 


Après  avoir  étudié  les  sacrements  en  générai,  il 
faut  étudier  chaque  sacrement  en  particulier.  —  L'or- 
dre chronologique  d'institution  ainsi  que  l'ordre  logi- 
que des  effets  sacramentels  appellent  d'abord  notre 
attention  sur  le  Baptême.  —  On  montre  dans  cette 
conférence  :  1°  Que  le  Baptême  est  le  sacrement  in- 
dispensable; 2°  que  Jésus-Christ  a  pourvu,  avec  autant 
de  bonté  que  de  sagesse,  à  sa  nécessité.  —  I.  On 
donne  au  Baptême  différents  noms,  qui,  à  première 
vue,  semblent  n'exprimer  que  ses  prodigieux  effets, 
mais  qui,  en  résumé,  nous  révèlent  son  absolne  né- 
cessité. Il  est  appelé  :  régénération,  illumination,  si 
filiation,  ouverture  du  royaume  des  deux.  —  l°Pour- 
4«W  régénération?  —  Péché  originel  :  comment  nous 


TABLE  ANALYTIQUE    DES    MATIERES 


avons  besoin  de  renaître  dans  Tordre  surnaturel  ; 
comment  nous  renaissons  :  Le  Baptême  nous  ense- 
velit dans  la  mort  féconde  du  Christ,  nous  sommes  en- 
vahis par  ses  mérites,  pénétrés  de  la  vertu  de  son 
sang,  la  vie  divine  se  précipite  en  nos  âmes  pour  les 
-ègénérer.  —  Premiers  effets  du  Baptême  :  purifica- 
tion, sanctification,  justification,  remise  de  toutes  les 
{)eines.  —  Pourquoi,  après  le  Baptême,  les  peines  de 
a  vie  présente? —  Réponse  de  saint  Thomas:  rien 
ne  manque  à  la  puissaute  virtualité  du  Baptême!  — 
2°  Le  Baptême,  en  faisant  de  nous  un  être  nou- 
veau, nous  munit  d'un  organisme  en  rapport 
avec  notre  nouvelle  vie.  —  Ce  que  c'est  que  cet 
organisme  :  habitudes  divines,  dons  de  l'Esprit  saint. 
Le  Baptême  est  une  fête  de  lumière.  —  3°  Membres 
d'une  société,  d'une  famille  spirituelle,  nous  devons 
en  avoir  la  physionomie  ;  membres  d'un  corps  social, 
nous  devons  y  entrer  par  l'initiation,  et,  plus  le  corps 
social  tend  à  l'unité  d-ï  vie  et  d'action,  plus  l'initiation 
doit  être  profondément  et  fortement  scellée.  —  Phy- 
sionomie, initiation  par  le  caractère,  notre  sigillation 
baptismale  est,  dans  les  desseins  de  Dieu,  l'indispen- 
sable complément  de  notre  régénération  et  de  notre 
illumination.  —  4°  Régénération,  illumination,  sigil- 
lation, tout  est  ordonné  à  notre  fin  dernière,  au 
royaume  des  cieux.  Donc,  sans  le  Baptême,  point  de 
fcjrnaturelle  et  éternelle  béatitude,  point  de  salut, 
point  de  ciel.  —  II.  Dieu  ne  nous  impose  jamais  une 
obligation,  sans  donner  satisfaction  à  ses  nobles  et 
touchantes  perfections.  C'est  ce  dont  il  est  facile  de 
se  convaincre  en  étudiant  les  éléments  du  sacrement 
régénérateur,  son  administration  et  la  manière  dont  il 
peut  être  suppléé.  —  1°  Eléments.  —  L'eau.  Nature 
et  puissance  symboliques  de  cet  élément;  —  miracu- 
leux pouvoir  que  Dieu  lui  a  communiqué  ;  —  sa  sanc- 
tification par  l'attouchement  du  Sauveur.  —  La  forme 
du  Baptême;  sa  convenance.  —  Tout  est  sages** 
dans   le.   choix  de  ces  éléments.  —  Bonté  de   Dieu  * 


TABLE  ANALYTIQUE    DES    MATIÈRE6  341 


l'eau,  signe  multiple  et  merveilleusement  expressif 
des  mystères  de  notre  régénération,  est  répandue 
partout  avec  une  infinie  libéralité.  —  2°  Administra- 
tion ;  facilité  de  cette  administration  ;  multiplicité  des 
ministres.  —  3°  Si,  malgré  toutes  ses  facilités  provi- 
dentielles, le  Baptême  est  impossible,  il  peut  être 
suppléé  par  le  martyre,  par  le  désir.  —  Baptêmes 
d'eau,  de  sang,  de  désir,  ne  sont  qu'un  seul  et  même 
Baptême.  —  Difficulté  tirée  du  sort  des  enfants  morts 
san*  Baptême.  —  Quelle  est  leur  condition.   .    .     145 


SOIXANTE-CINQUIÈME    CONFÉRENCE 

LE    BAPTISÉ 


!1  reste  une  intéressante  étude  à  faire  sur  le  Bap- 
tême, étude  qui  répond  à  certaines  prétentions  et 
préoccupations  contemporaines.  Il  s'agit  :  1°  du 
sujet  du  Baptême.  2°  De  la  grandeur  et  des  droits  du 
Baptisé.  —  I.  Quel  est  le  sujet  du  Baptême?  — Bap- 
tême des  adultes.  —  Baptême  des  enfants  juifs  et 
infidèles.  —  Baptême  des  enfants  :  Les  parents  chré- 
tiens ont-ils  le  droit  de  faire  baptiser  leurs  enfants,  et 
l'église  peut-elle  condescendre  à  leur  désir  ?  —  Ad- 
versaires du  pédobaptisme.  —  Leur  doctrine  est  une 
vieille  erreur.  —  Pélagiens,  Pétrobrusiens,  Anabap- 
tistes, Libres  penseurs  du  dernier  siècle.  —  Elle  n'a 
pas  le  sens  commun.  —  La  conduite  des  pères  à 
l'égard  de  leurs  enfants  doit  être  réglée  par  ce  prin- 
cipe :  Quand  il  s'agit  du  plus  grand  bien  des  enfants, 
l'amour  paternel  présume  légitimement  tous  les  con- 
sentements. —  Comment  lés  parents  chrétiens  ap- 
pliquent ce  principe  ;  comment  ils  sont,  en  cela  plus 
clairvoyants  et.plus  nobles  dans  leurs  ambitions  que 


342        TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIERES 


les  naturalistes,  qui  ne  sont  sensibles  qu'à  des  avan- 
tages temporels.  —  Réponse  à  cette  objection  :  A 
quui  bon  toutes  les  complications  d'opérations  mys- 
térieuses et  d'effets  sacramentels  dans  une  àme  d'en- 
fei\t,  qui  n'en  a  pas  conscience  et  qui  ne  peut  faire 
uldge  des  dons  qu'elle  reçoit?  —  IL  Grandeur  du 
Baptisé  :  —  1°  L'enfant  baptisé  est  grand  de  la  gran- 
deur du  Dieu  qui  l'engendre  à  une  nouvelle  vie.  —  Il 
est  véritablement  fils  de  Dieu,  fils  de  bienveillance 
et  d'adoption.  —  Supériorité  de  cette  adoption  sur  les 
adoptions  humaines  ;  comment  elle  nous  fait  parti- 
ciper à  la  nature  divine  et  nous  donne  droit  à  l'hé- 
ritage du  Christ.  —  2°  L'enfant  baptisé  est  membre 
du  Christ.  —  3°  Il  est  temple  de  l'Esprit-Saint.  —  Sa 
grandeur  est  le  fondement  de  ses  droits.  —  1°  Droit  au 
respect  ;  condition  des  enfants  dans  l'antiquité  ; 
transformation  opérée  par  le  Baptême.  —  2°  L'enfant 
chrétien  a  droit  à  ce  qu'on  prenne  son  Baptême  com- 
me point  de  départ  et  comme  règle  de  son  éduca- 
tion. —  Devoirs  des  parents  à  cet  égard.    .    .   .     193 


SOIXANTE-SIXIEME  CONFÉRENCE 
La  Confirmation 

Toute  vie  nouvelle  tend  à  sa  plénitude.  —  Engendrée 
par  le  Baptême,  la  vie  surnaturelle  a  besoin  de  croître 
et  de  s'affermir.  —  Un  sacrement  de  plénitude  et  de 
force  achève  ce  qui  a  été  commencé  dans  notre  régé- 
nération spirituelle:  c'est  la  Confirmation. — 1*  Vérité 
du  sacrement  de  Confirmation  et  effets  de  son  action 
perfective.  —  2°  A  quel  office  de  la  vie  chrétienne  ces 
effets  sont  ordonnés.  —  I.  Fausse  grandeur  du  Baptisé 
imaginée  par  le  protestantisme.  —  Travestissement 
du  sacrement  de    Confirmation.  —    1°  Comment    la 


TABLE    ANALYTIQUE    DES    MATIERES  343 


Confirmation  est  un  véritable  sacrement,  institué  par 
Jésus-Christ,  pour  nous  conférer  une  grâce  de  per- 
fection qui  complète  en  nos  âmes  les  opérations  ini- 
tiales de  l'Esprit-Saint. —  Enseignement  de  la  tradition; 
doctrine  de  l'Église  à  ce  sujet.  —  2°  Effets  de  la  Con- 
firmation. —  Belle  doctrine  de  saint  Thomas  sur  le 
développement  de  la  vie,  appliquée  à  la  vie  surnatu- 
relle. —  Les  forces  perfectives  de  îa  nature  ne  sont 
que  de  faibles  et  imparfaites  images  de  la  sublime 
force  qui  achève  ici-bas  les  grandes  œuvres  de 
Dieu.  —  Le  Baptême  est  pour  nous  motus  gênera- 
tionis  ;  le  motus  augmenti  nous  est  donné  dans  la 
Confirmation  par  l'Esprit-Saint.—  Propre  de  l'Esprit 
Saint  :  Il  est  la  force  perfective.  —  Ce  qu'il  fait  en 
Dieu  ;  ce  qu'il  a  fait  dans  le  monde  historique  ;  ce 
qu'il  fait  dans  nos  âmes. —  Ses  dons  ;  explications. — 
ft.  L'Esprit-Saint  nous  est  donné  dans  la  Confirmation 
pour  nous  fortifier  :  ad  robur.  Il  fait  de  nous  les  sol- 
dats du  Christ.  —  Etre  soldats  :  voilà  l'office  auquel 
sont  ordonnés  l'accroissement  de  vie,,  le  redoublement 
de  dons,  la  singulière  physionomie  et  puissance  du 
caractère  que  nous  recevons  dans  le  sacrement  de 
plénitude  et  de  perfection.  —  1°  Mystère  de  notre  en- 
rôlement. —  Le  déserteur  partout  reconnu.  —  Notre 
étendard.  —  Gloire  de  la  grande  armée  à  laquelle 
nous  sommes  incorporés.  —  2°  Notre  devoir  :  La  lut- 
te; —  contre  les  persécutions,  —  contre  l'injustice, — 
contre  les  scandales  de  l'irréligion, —  contre  le  monde, 
contre  les  passions.  —  Examen  de  conscience.  — 
Encouragements 237 

INDEX 

Index  des  principales  erreurs  contraires  aux  dogmes 
exposés  dans  ce  volume ....     281 


Imp.  Téqui,  3  bta,  rue  de  la  Sablière,  Paris.    —  688-10-24 


BX  1751  .M65  v.ll  SMC 
Monsabre,  Jacques  Marie  Louî 
Exposition  du  dogme 
catholique  :  carême  1873-189 
47086050