JOHN M. KELLY LIBRARY
IN MEMORY OF
CARDINAL GEORGE FLAHIFF CSB
1905-1989
University of
St. Michael's Collège, Toronto
CONFÉRENCES DE NOTRE-DAME DE PARIS
EXPOSITION
DU
Dogme Catholique
GRACE DE JESUS-CHRIST
CARÊME 1883
XI
PROPRIÉTÉ DE L'ÉDITEUR
L'éditeur réserve tous droits de reproduction et de
traduction.
Imprimatur :
Parisiis, die 8 Decembris 1901.
% Franciscus, Card. RICHARD,
Arch. Parisiensis.
^GHAEij.
Cet ouvrage a été déposé, conformément aux lois,
en janvier 1903.
CMFÉRSNCES 01 NOTRE-DAME DE PARIS
EXPOSITION
DU
DOGME
CATHOLIQUE
GRACE DE JÉSUS-CHRIST
I
SACREMENTS. — BAPTÊME, — CONFIRMATION
Par le T. R. P. J -M.-L. MONSABRÉ
des Frères Prêcheurs
HUITIÈME ÉDITION
CAREME 1883
PARIS (Vie)
P. LETHIELLEUX, Libraire-Editeur
10, rue Cassette, 10
192*4
APPROBATION DE L'ORDRE
Xous, soussignés, Maitre en sacrée Théologie et Pré-
dicateur général, avons lu, par ordre du T. R. P. Pro-
vincial, les Conférences du T. R. P. Jacques-Marie-
Louis Monsabré, Maître en sacrée Théologie, lesquelles
sont intitulées : Exposition, du dogme catholique —
Œuvre de Jésus-Christ. Carême 1883. Xous les avons
jugées dignes de l'impression.
F. Antonin Y ILLARD,
Maître en sacrée Théologie.
Fr. Paul MOXJARDET,
Prédicateur général.
IMPRIMATUR :
Fr. Bernard CHOCARXE,
Prieur provincial.
SOIXANTE-UNIÈME CONFERENCE
LA NATURE DES SACREMENTS
CONFÉRENCES N.-D. — CARÊME 1883. — 1
SOIXANTE-UNIÈME CONFÉRENCE
IA NATURE DES SACREMENTS
Credo remissionem peccatorum.
Eminentissime Seigneur, Monseigneur*, Messieurs,
Jésus-Christ, rédempteur du monde et créa-
teur de la société visible des rachetés, gouverne
son œuvre par la sainte monarchie qu'il a cons-
tituée et investie de sa divine autorité. Les lois
extérieures de son gouvernement nous sont
connues, et déjà, en étudiant le dogme de la
communion des saints, nous avons pu suivre
l'action des lois intimes en vertu desquelles les
liens spirituels circulent et s'échangent dans le
1. Son Éminence le Cardinal Guibert, archevêque
de Paris, et Mouseigneur Racine, Évêque de Chi-
coutimi (Canada).
LA NATURE Us-b oACREMENTS
corps mystique du Sauveur. Je vous ai promis,
après cette question de physiologie générale,
une étude de physiologie partielle, qui nous
fera connaître à fond l'œuvre du Christ et ïes
saintes lois de son gouvernement. Je suis prêt
à accomplir ma promesse.
Source universelle des biens qui vivifient et
unifient son corps mystique, Jésus-Christ entre
en rapport intime avec chacun de ses membres,
en leur communiquant sa grâce. Je dis bien sa
grâce, car il s'est approprié ce grand don qui
ne peut venir que de Dieu, puisqu'il est une
participation de sa vie. Nous l'avions perdu par
la prévarication de notre premier père, le Verbe
incarné l'a racheté, pour nous le rendre, au prix
de ses humiliations et de ses souffrances. Toute
grâce est donc devenue la grâce de Jésus-Christ;
et, de fait, il n'est personne qui ne l'ait reçue et
ne la reçoive de lui. Les générations qui ont
précédé sa venue ont été sanctifiées et sauvées
en vue de ses mérites; la société chrétienne est
sanctifiée et sauvée paruleur application directe
et immédiate.
Sans doute, Messieurs, Jésus-Christ pourrait
nous communiquer sa grâce d'une manière
LA NATURE DES SACREMENTS
latente, et nous donner l'assurance de ses mys-
térieuses opérations dans nos âmes par des im-
pressions qui ne seraient connues que de nous.
Mais, parce que son amour de l'unité est aussi
fort que sa compassion pour nos misères et sa
condescendance pour les exigences de notre
nature mixte, il a décrété l'union de Faction
intime de son gouvernement avec son action
extérieure, et en a fait la soudure dans des signes
sensibles que nous appelons les sacrements.
L'ordre logique de notre exposition appelle
donc aujourd'hui notre attention sur les instru-
ments sacrés, au moyen desquels l'action
rédemptrice et sanctifiante de Jésus-Christ
pénètre jusqu'aux profondeurs les plus cachées
de notre être. J'ai l'intention de vous les faire
connaître l'un après l'autre; mais, auparavant,
nous les considérerons dans leur ensemble, et
nous traiterons d'abord de la nature des sacre-
ments.
On a dit du sacrement : c'est un symbole,
c'est-à-dire la représentation matérielle d'une
idée et d'une opération saintes, en même temps
qu'un signe extérieur autour duquel se rullient
les croyances d'une société religieuse.
LA NATURE DES SACREMENTS
Ces! une chose sacrée : c'est-à-diiv une chose
spécialement réservée au culte et qu'on nfe
peut, sans se rendre coupable de sacrilège,
employer aux usages de la vie profane.
C'est un serment : parce qu'il suppose une.
promesse solennelle, plus forte que notre parole
d'honneur, qui nous engage au service de
Dieu.
C'est un mystère : parce que ses naïves appa-
rences nous indiquent, dans une ombre reli-
gieuse, où notre foi seule pénètre, les plus
secrètes et les plus hautes opérations de la
Divinité.
C'est un dépôt : un dépôt dans l'Église, qui
le conserve pour le bien spirituel de ses en-
fants; un dépôt dans nos âmes, dont il est la
lumière, la force, l'ornement, l'incomparable
richesse.
Symbole, chose sacrée, serment, mystère,
dépôt, aucun de ces noms, Messieurs, ne con^-
tient la notion plénière du sacrement, et tous
ensemble ils ne nous font connaître qu'impar-
faitement sa nature. Recourons à la définition
théorique. Si elle n'égale pas la grandeur
des signes augustes dans lesquels Dieu fait p
LA NATURE DES SACREMENTS
ser sa toute-puissante vertu, elle nous dira au
moins ce que nous devo:ts en croire. Je rem-
prunte au catéchisme typique dans lequel
l'Église a expliqué la doctrine du saint con-
cile de Trente : « Le sacrement est un signe
visible de la grâce invisible, institué pour notre
justification f. » Mieux encore : « Le sacrement
est une chose sensible, qui a reçu de l'institu-
tion divine le pouvoir de signifier et de pro-
duire en nous la justice et la sainteté2. » Ce
qui peut se résumer en trois mots, que j'ai vus
quelque part et que je vais vous expliquer :
« Sacramentum est signum certum, sacrosanc-
tum et efficax gratise: Le sacrement est un signe
certain, sacrosaint et efficace de la grâce. »
1. Sacramentum est invisibilis gratise visibile si-
gnum ad nostram justificationem institutum.( Cateeh.
eoncil.y Trid., part. II. n° 5).
2. Ut explicatius quid sacramentum sit declare-
tur, docendum erit rem esse sensibus siïbjectam, que©
ex Dei institutione sanctitatis, et justitiœ tum signi-
fîcandae, tum efficiendee vim habet . ( Cateeh. concil. ,
Trid., part. II. t n° 9).
LA. NATURE DES SACREMENTS
Le sacrement est un signe certain, parce
qu'il a été déterminé par Dieu lui-même.
m Cette détermination n'est pas en notre pou-
voir, dit saint Thomas, car Dieu seul possède la
vertu de sanctifier. Que nous manifestions notre
foi et notre amour par des signes de notre in-
vention, qu'appuyés sur ces signes nous diri-
gions le courant de notre vie vers le centre
de toute vie, rien de mieux; mais, lorsqu'il s'agit
des manifestations de la miséricorde et de la
bonté de Dieu, lorsqu'il s'agit de faire des-
cendre dans le lit obscur de notre, âme le grand
courant de la vie divine, il n'appartient qu'à
Dieu de choisir sa route, et à nous d'accepter
ce qu'il fait1. »
1. Jn usu sacramentorum duo possum consideran,
scilicet cultus divinus , et sanctificatio hominis :
quorum primum pertinet ad hominem per compara-
tionem ad Deum ; secundum autem e converso perti-
net ad Deum per comparationem ad hominem.
Non pertinet autem ad aliquem determinare illud
4uod est in potestate alterius, sed solum id quod est
in eua potestate. Quiaergo sanctificatio hominis est in
potestate Dei sauctificantis, non pertinet ad hominem
LA NATURE DES SACREMENTS
Avant que le sang du Christ eut inondé le
Calvaire, l'homme demandait à Dieu, par des
signes expressifs de sa foi et de son amour, d'en
recevoir, par anticipation, la vertu rédemptrice,
Ces signes, il pouvait les déterminer lui-même ;
cependant, Dieu n'a pas dédaigné d'intervenir
dans leur institution. Pendant les fréquentes
entrevues dont il honorait son serviteur Moïse,
lui parlant bouche abouche, comme dit l'Écri-
ture, il mêlait, à la révélation des vérités saintes
destinées à éclairer son peuple, la désignation
des signes sacrés qui devaient réchauffer sa
piété et exciter dans son cœur des sentiments
capables d'attirer la grâce, que les éléments im-
parfaits de la loi mosaïque ne pouvaient contenir
encore. La circoncision, l'initiation sacerdotale,
les expiations, l'agneau pascal, les pains de
proposition, étaient les sacrements de l'an-
cienne loi. En les instituant, Dieu venait en
ouo judicio assumere res quibus sanctificetur ; sed hoc
débet esse divina institutione determinatum. Et ideo
in sacramentis novœ legis, quibus hommes sanctifi-
canturv, secundum illud (ad Corinth., VI, 11). Abluti
estis, sanetifieati estis, oportet uti rébus ex divina
institutione determinatis. (Summ. TheoL, III P.,
quœst. 60, a 5.)
10 LA NATURE DES SACREMENTS
aide au génie religieux de l'humanité,. avide
de signes extérieurs, pour donner satisfaction
à la partie sensible de notre nature dans ses
relations avec la Divinité, et facilement entraînée
sur les pentes de la superstition par les secrètes
sollicitations du maudit qui, depuis l'origine
du monde, contrarie les desseins de Dieu et
s'applique à singer ses opérations.
Comme la vraie religion, les fausses religions
étaient pleines de sacrements : rites mystérieux,
dont il ne nous reste qu'un imparfait souvenir.
« Par ces rites, dit Cicéron, l'humanité dé-
grossie recevait comme le principe d'une vie
meilleure *. » On pourrait contester avec le phi-
losophe ; mais laissons-le passer, et contentons-
nous, pour le moment, de constater ce iait remar-
quable que, dans la vie religieuse des peuples
antiques, les initiations, à la fois étranges et
terribles, ont constamment répondu au besoin
qu'éprouve instinctivement tout être raisonnable
d'être quelque chose pour Dieu, et d'unir, par
des signes sensibles, la vie humaine à la vie di-
1. Quibus ex agreati vita exculti ad humanitatem
sumus, tanquam ea sint melioris vitœ principia.
(Lib. II, De Legibus.)
LA NATURE DES SACREMENTS 11
vine. Objets, caractères, figures, actions symbo-
liques, libations, aspersions, ablutions, purifica-
tions, confessions, signes imprimés sur le front,
lectures de livres incompréhensibles, voix sépul-
crales, passages subits de la lumière aux ténè-
bres, serments redoutables, loi du silence, tel
était, à peu près, le programme des mystères du
paganisme1. Je dis à peu près, car la nuit cou-
1. Haec sunt sacrorum symbola, talus, J>ila, tro-
chus, poma, turbo, spéculum, vellus
Mysteriorum Eleusiniorum hanc communem quasi
tesseram fuisse : Jejunavi, cinnum ebibi; accepi e
cista;etc... (Euseb., lib. II, Prœpar. Eoang., cap. m.)
Daemon fallaciorum regnum exercet... et animas de-
ceptas, illusasque prœcipitat... pollicens etiam purga-
tionem animse per eas quasteXeTaç appellant, transfigu-
ïando se in Angelum lucis per multiformem ma-
chinationem in signis et prodigiis mendacii. (S. Aug.,
lib. IV, De Trinit.y cap. 10.)
Diaboli partes sunt intervertendi veritatem, qui
ipsas quoque ressacramentorumdivinorum, idolorum
mysteriis œmulatur. Tingit et ipse quosdam, utique
credentes et fidèles suos : expositionem delictorum de
lavacro repromittit; etsiadhuc memini, Mithra signât
tlici in frontibus milites suos : célébrât et panis obla-
lionem, et imaginem resurrectionis inducit, et sub
gladio redimit coronam. (Tertul., lib. De Prœscrip-
tionibus, cap. 40.)
Nationes extraneae... sacris quibusdam per lava-
crum initiantur, Isidis alicuius aut Mithree. Ipsos
12 LA NATURE DES SACREMENTS
vrait de ses ombres discrètes des infamies dont je
ne veux pas évoquer le souvenir, bien qu'on les
appelât effrontément des choses sacrées. C'était
de bonne heure qu'il fallait initier les enfants,
et c'eût été un crime de les laisser mourir sans
leur avoir procuré cet avantage. Il fallait bien
qu'ils fussent assurés de la protection des bonnes
divinités, afin de n'être pas condamnés à la visite
ps lieux sombres et désolés où erraient dou-
loureusement les profanes. Être initié, c'était
appartenir à l'église des dieux, s'épargner des
transmigrations pénibles et honteuses, les lan-
gueurs de l'attente, et prendre un droit sur
l'ambroisie et le nectar dont se nourrissaient
et s'abreuvaient les heureux habitants de l'O-
lympe.
Voilà, Messieurs, les renseignements que j'ai
pu prendre, çà et là, sur les mystères des reli-
gions antiques. Le rationalisme triomphe des
analogies qu'il y rencontre. — Les mystères, dit-
il, étaient les sacrements des païens. Nous y re-
etiam Deos suos lavationibus efferunt. (Tertul., lib.
De Baptismo.yCap. 5.)
Plutarque, dans ses Apophtegmes, raconte qu'Àn-
talcide, avant d'être initié, fut interrogé par le prêtre
sur le plus grand péché dont il avait conscience.
LA NATURE DES SACREMENTS 13
connaissons le développement naturel de la force
mystique qui devait tourmenter l'humanité, alors
qu'elle n'était encore qu'à l'état rudimentaire.
Le Christianisme, qui vint au milieu des temps,
s'empara des éléments religieux de l'antiquité,
les purifia, et se fit un petit arsenal de rites sym-
boliques très innocents, très anodins, parmi les-
quels il faut compter les sacrements. Ce qui veut
dire qu'il ne s'agit aucunement d'unir la vie
divine à la vie humaine par les pratiques sacra-
mentelles, mais de s'élever, par la gymnastique
du symbolisme et des figures, jusqu'à la contem-
plation pure de l'être universel, l'être des êtres,
l'Être-Tout.
Cette accusation de plagiat n'est pas neuve,
Messieurs. Les philosophes des premiers siècles
de l'ère chrétienne nous reprochaient déjà d'a-
voir emprunté no: sacrements aux mystères du
paganisme. Leur démontrer qu'il ne pouvait y
avoir aucun rapport d'origine entre des pratiques
puériles, superstitieuses, souvent immorales, et
des signes sacrés merveilleusement adaptés à
l'effet qu'on en attendait, et prouvant leur divine
genèse par les admirables vertus de ceux qu'ils
consacraient, retourner l'accusation contre le
14 LA. NATURE DES SACREMENTS
paganisme et le convaincre de s'être approprié,
en les dépravant, les rites des religions divine-
ment instituées, ce n'était pas chose difficile. Les
apologistes chrétiens s'acquittèrent victorieuse-
ment de cette tâche1. Je ne pense pas qu'il soit
nécessaire de m'étendre sur leur polémique, ni
de discuter longuement avec le rationalisme
contemporain ; il faudrait tout remettre en ques-
tion. Permettez-moi de vous renvoyer simple-
ment à nos précédentes démonstrations qui ont
établi le fait capital de l'intervention de Dieu
dans la vie religieuse de l'humanité, par son Fils
1. Voyez les textes cités plus haut.
Saint Justin, dans son Apologie, parle de l'imitation
du baptême, de l'offrande du pain et du calice dans
les mystères païens. Origène suit pas à pas le philo-
sophe Celse et réfute l'accusation de plagiat qu'il
faisait peser sur le Christianisme. (Lib. VI, Contra
Celsum). Les premiers apologistes connaissaient
mieux que nos modernes philosophes la date des
mystères païens. Ils n'eussent pas osé affirmer qu'ils
n'étaient pour la plupart qu'une contrefaçon des rites
sacrés des Juifs et des Chrétiens, s'il eût été facile de
prouver leur antériorité. Aussi, Tertullien, dans son
Apologie, proclame-t-il hardiment que les mystères
du paganisme ne sont qu'une conspiration diabolique
contre la vérité : « Omnia enim adversité veritatem
de ipsa veritate constructa sunt, operantibus œmula-
tionem istam spiritibus ercorti.iApolog.^Q&p. 47.)
LA NATURE DES SACREMENTS 15
Jésus-Christ. Si le rationalisme ne croit pas à ce
fait, qu'il s'instruise. Je ne puis raisonner avec
lui sur des conclusions, du moment qu'il n'admet
pas le principe d'où elles émanent. S'il admet
ce principe, qu'il prenne rang parmi les héré-
tiques qui rejettent en totalité ou en partie les
sacrements, et avec lesquels nous avons à dé-
battre notre question de certitude.
Jusqu'au seizième siècle, l'Église n'avait eu
à défendre les sacrements que contre des héré-
tiques obscurs ou contre des attaques partielles
dont elle eut facilement raison ; mais le protes-
tantisme lui imposa la rude tâche de repousser
l'assaut général qu'il livra à tout l'édifice sa-
cramentel. Après avoir perverti le dogme delà
grâce, dans laquelle il ne voulait plus voir un
écoulement de la vie divine, mais une simple
imputation de la justice et de la sainteté, il ne
sut plus que faire dés signes sacrés par lesquels
Dieu se communique à nous, et crut que le
meilleur moyen de s'en débarrasser était de
nier effrontément leur institution divine. Il ne
garda donc du sacré septénaire que ce qu'il ne
pouvait pas répudier sans outrager trop ouver-
tement l'Écriture : Le Baptême et l'Eucharistie,
16 LA NATURE DES SACREMENTS
dont il interpréta à sa manière la nature et les
effets ; et, pour le reste, il accusa l'Église d'avoir
donné à des rites de son invention l'autorité et
la puissance de signes divins.
Mais, l'Église était fortement armée contre
cette accusation. Remontant à la source divine
d'où les sacrements reçoivent leur efficacité,
elle pouvait montrer le Christ ordonnant à ses
apôtres de baptiser les nations «au nom du Père,
et du Fils, et du Saint-Esprit ! » ; promettant cet
Esprit à tous ceux qui devaient croire en lui2;
transformant le pain et le vin en son corps et
en son sang, et disant à ses apôtres : « Faites
ceci en mémoire de moi3; » leur donnant le
pouvoir de remettre les péchés4; les envoyant,
dans les villes et les bourgades de la Judée,
annoncer l'évangile du salut et oindre les in-
firmes pour les guérir5; les choisissant comme
les ministres de sa parole et de sa grâce 6 ; et
1. Matth., cap. xxvm, 19.
2. Joan., cap. xiv, 16, 17; xv, 13; xviïi, 20.
3. Matth., cap. xxvi, 26 28. Marc, cap. xiv, 22-24.
Luc, cap. xxn, 19, 20.
4.. Joan., cap. xx, 23.
5. Marc, cap. vi, 13.
6. Vid. Text. cit. sup. de bap. pœait et Eucharist.
Joau., cap. xx, 21. Luc, cap. x, 16.
LA NATURE DES SACREMENTS 17
sanctifiant les noces par sa présence *. Si tous
les sacrements ne sont pas encore déterminés
pendant la vie mortelle du Sauveur, ils sont
indiqués et préparés; tout s'achève, entre la
Résurrection et l'Ascension, dans les appari-
tions qui confirment la foi des apôtres et leur
permettent de recevoir les suprêmes enseigne-
ments de leur maître 2,
Instruits par lui, et munis du pouvoir de ré-
pandre dans les âmes la vie divine au moyen
des signes que le Christ a consacrés, nous les
voyons baptiser ceux que leur parole a con-
vertis3, appeler, par la prière et l'imposition
des mains, l'onction de l'Esprit-Saint dans
les ' âmes que le Baptême a purifiées 4, con-
vier les fidèles à la mystérieuse fraction du
pain eucharistique5, recevoir les aveux des
1. Joan., cap. h.
2. Hi dies qui inter resurrectionem Domini ascensio-
nemque fluxerunt, non otioso transiere decursu; sed
magna in his confirmata sacramenta, magna sunt
revelata mysteria. (S. Léo., serm. J, De Ascensione
Domini.)
3. Act., cap. ii, 38.
4. Tune imponebant manus super illos et acci-
piebant Spiritum Sanctum. (Ibid,, cap. vîiiJ 17.)
5. Erant autem persévérantes in doctrina aposto-
CONFÉKEXCES X.-D. — CARÊME 1883. — 2
18 LA NATURE DE8 SACREMENTS
pécheurs et les réconcilier avec Dieu1, prier
sur les infirmes et les oindre de l'huile sainte
au nom du Seigneur *, étendre leurs mains
fécondes sur ceux qui se prosternent à leurs
pieds pour devenir comme eux les ministres de
la grâce3, proclamer la sainteté des noces
chrétiennes, du sacrement « qui e4 grand dans
le Christ et dans son Église 4. » Ce ne sont point
des rites qu'ils inventent, c'est un ministère
qu'ils accomplissent, au nom du Dieu dont la
providence ne pouvait pas être moins libérale
et moins magnifique pour les enfants du Christ
que pour les enfants d'Abraham. Jéhovah avait
daigné donner à l'ancienne loi des sacrements
lorum, et communicatione fractionis panis. (Act.,
cap. ii, 42.)
1. Multique credentium veniebant confitentes et
annuntiantes actus suos. (Ibid., cap. xix, 18.)
2. Infirmatur quis in vobisT Inducat presbyteros
Ecclesiee, et orent super eum, ungentes eum oleo in
nomine Domini : Et oratio fidei salvabit infirmum, et
alleviabit eum Dominus : et si iu peccatis sit, remit-
teutur ei. (Jacob., cap. v, 14-15.)
3. Admoneo te ut ressuscites gratiam Dei, quee est
in te per impositionem manuum mearum. (IL Tim.,
cap. i, 6.)
4. Sacramentum hoc magnum est, ego au te m dico
in Christo et in Ecclesia. (Ephes., cap. v, 32.)
LA NATURE DES SACREMENTS
19
imparfaits; le Christ, auteur de la loi nouvelle,
ne pouvait pas moins faire, puisqu'il s'agissait
d'enrichir l'Église de sacrements parfaits. « C'est
lui qui nous les a donnés, disent les apôtres ;
ne voyez en nous que ses ministres et les dis-
pensateurs de ses grâces : Sic nos existimet
homo ut ministros Christi et dispensatores mys-
teriorum Deii. »
Entre leurs mains bénies, le dépôt sacramen-
taire est complet, et passe inviolable et toujours
respecté aux générations qui les suivent. Par-
courez les livres des docteurs, organes de la
tradition chrétienne, vous y rencontrerez au
moins une mention pour tous les sacrements.
S'ils n'en dressent pas le catalogue comme le fit
plus tard la théologie, si les nécessités de leur
polémique avec les hérétiques les obligent d'in-
sister sur tel sacrement, plutôt que sur tel autre,
ils n'en oublient aucun. Je n'abuserai pas de
votre attention en vous citant leurs témoi-
gnages, mais je les tiens à votre disposition.
Quand vous voudrez, vous pourrez en prendre
connaissance et les vérifier2. Ils aboutissent à
1. I Cor., cap. iv, 1.
2. Tertullien, dans le texte que nous avons cité plus
haut, à propos des mystères païens, désigne claire-
20 LA NATURE DES SACREMENTS
cette conclusion écrasante pour le protestan-
tisme : que, depuis les temps apostoliques,
ment trois sacrements : le Baptême (tingit) ; la Con-
firmation {signât in frontibus milites suos); l'Eucha-
ristie (célébrât etpanis oblationem). Il a écrit un livre
entier sur la Pénitence. Dans son livre des Pres-
criptions, cap. 41, il parie des ordinations mal réglées
des hérétiques : « Alius hodie Episcopus, cras aiius :
hodie Diaconus, qui cras lector : hodie presbyter, qui
cras laïcus. » Liv. II ad Uxorem, cap. 8, il parle ainsi
du mariage chrétien : « Unde sufficiamus ad enarran-
dam felicitatem ejus matrimonii, quod Ecclesia con-
ciliât, et confirmât oblatio, et obsignatbenedictio; an-
geli renuntiant et Pater rato habet. »
Voici les témoignages de saint Augustin : « Si ad-
huc valet quod dictum est in Evangelio, Deus pecca-
torem non audit, ut per peccatorem sacramenta non
celebrantur, quomodo exaudit homicidam deprecantem
vel super aquam Baptismi, vel super Oleum, vel su-
per Eucharistiam , vel super capita eorum quibus
manus imponiturt Quae omnia tamen fiunt et valent
etiam per homicidas. . . in ipsa intus Ecclesia. » (Lib. V,
De Baptismo, cap. 20, n° 28.)
« In hoc unguento sacramentum Chnsmatis vultis
interpretari, quod quidem in génère visibilium signa-
culorum sacrosanctum est sicut ipse Baptismus. »
(Lib. II Cont. PetiL, cap. 104, n* 239. Sup. hœc
verba Psalm. Tanquam unguentum in capite).
« Qui priusquam recédèrent ordinatisunt, non utique
rursus ordinantur, sed... Sacramentum ordinationis
»uœ gerunt, et ideo eis manus inter laïcos non impo-
nitur. » (Lib. I, De Baptismo, cap. I, n° 2.^
c Procul dubio sacramenti res est, ut mas etfœmina
LA NATURE DES SACREMENTS 21
l'Église a toujours cru avoir reçu du Christ les
sept signes immuables par le moyen desquels il
nous communique sa grâce. Ils sont tellement
divins, qu'elle n'en peut créer aucun autre, ni
rien changer aux éléments essentiels de ceux
qu'elle a reçus. Sans doute, elle revendique le
droit de les rendre plus augustes et plus respec-
tables par des cérémonies capables d'exciter
notre piété, et elle ne craint pas de venger ce
droit par l'anathème, contre quiconque le mé-
connubio copulati quamdiu vivunt inseparabiliter
persévèrent. » (Lib. I, De Nuptiis, cap. 10, n° 11.)
« Matrimonii triplex bonum, proies, fides., sacra-
mentum. » (Lib. IX, De Genesi ad litteram. cap. 7,
n« 12.)
Il n'est aucun des Pères qui n'ait parlé du Baptême
et de Y Eucharistie. Tertullien, le pape Corneille, saint
Cyprien, font mention de la Confirmation qu'ils dis
tinguent du Baptême. Origène et Tertullien ont traité
de la Pénitence, contre les Montanistes et les Nova-
tiens; saint Jean Chrysostome, saint Epiphane, saint
Jérôme, Optât de Milève, saint Augustin et tous ceux
qui ont écrit contre les Donatistes et Aerius ont établi
la vérité, et ont vengé la dignité du sacrement de l' Or-
dre. Origène, Victor d'Antioche, saint Chrysostome,
parlent de Y Extrême-Onction. Saint Ignace martyr,
Tertullien, saint Justin, Athénagore, appellent le Ma-
riage une chose sacrée, un sacrement. Nous revien-
tfrons sur ces témoignages, lorsque nous traiterons de
cûaque sacrement en particulier.
22 LA NATURE DES SACREMENTS
prise * ; mais, avec les saints docteurs, elle con-
fesse que « le Prêtre suprême est seul maître
des sacrements qui nous donnent sa vie, » et elle
s'écrie : « At/ctor sacramentorum qvis est, nis\
Dominus Jésus-? Quel est l'auteur des sacre-
ments, si ce n'est le Seigneur Jésus ? »
Le protestantisme a lait de vains efforts pour
trouver dans les Églises schismatiques des com-
plices de sa fureur de détruire. Tous les euco-
loges grecs, arméniens, orientaux, étaient d'ac-
cord avec les plus vieux sacramentaires des
Latins 3. Et, quand il essaya de faire adopter aux
1. Déclarât sacro sancta synodus, hanc potestatem
perpetuo in Ecclesia fuisse, ut in sacramentorum dis-
pensatione, salua eorum substantia, ea statueret vel
mutaret, quee suscipientium utilitati, seu ipsorum sa-
cramentorum vénération; magis expedire judicaret.
(Conc. Trid., sess. 21, cap. n.)
Si quis dixerit receptos et approbatos Ecclesise ca-
tholicœ ritus, in solemni sacramentorum administra-
tione adhiberi consuetos aut contemni, aut sine pec-
cato a ministris pro libitu omitti, aut in novos alios
per quemcumque Ecclesiarum pastoremmutariposse;
anathema sit. (Sess. 7. De sacram., in génère
can. xiii.)
2. S. Ambr. (Lib. De Saerament., cap. 4.)
3. Un des plus puissants témoignages en faveur de
la perpétuité de la tradition touchant le nombre et
Vinititution divine de* sacrement» e§t l'accord de
LA NATURE DEé SACREMENTS 23
patriarches de Constantinople la confession
d'Augsbourg, l'un d'eux, Jérémie, lui répondit:
« Il y a dans l'Église de Dieu sept sacrements,
ni plus, ni moins. » S'il triompha un instant des
viles complaisances de l'intrus Cyrille Lucar,
elles aboutirent bientôt à la complète déroute
de ses intrigues, car elles provoquèrent cette
l'Église grecque et de l'Église latine. L'Église grecque
n'eût pas manqué d'accuser l'Église latine d'innover,
et réciproquement, si l'une d'elles eut ajouté un seuL
signe aux signes sacrés institués par le Christ et
transmis traditionnellement.
Renaudot, dans son ouvrage de la Perpétuité de la
Foi de V Eglise catholique sur les sacrements (tomeV),
démontre que toutes les sectes chrétiennes d'Orient ad
mettent sept sacrements, qu'elles appellent mystères.
Les noms diffèrent : le Baptême est appelé bain sacre
ou régénération; la Confirmation, myr on ou chrême;
la Pénitence, canon; l'Eucharistie, oblation; l'Extrême-
Onction, onction des malades ; l'Ordre, consécration
des évêques ou des prêtres; le Mariage, couronnement
des épouses ; mais, à tous ces mystères, les Orientaux
attribuent absolument les mêmes effets que nous attri-
buons à nos sacrements.
Cf. Martène : De antiquis ritibus Ecclesiœ, Lib.
quatuor. Allas : De perpet. Occident et Orient Ec-
cles. consensione, lib. très.
Serpos : Compendio storico di memorie cronologiche
concernanti la religione et la morale délia nazione
Armena, vol. III, Venez, 1736. Assemaai : Bibliath*
orient.
24 LA NATURE DES SACREMENTS
solennelle protestation du synode de Jérusalem:
« Anathème à Cyrille Lucar, le fabricateur de
nouveaux dogmes ! Anathème au menteur, qui
prétend qu'il n'y a pas sept sacrements institués
par Jésus-Christ, transmis par les apôtiv
consacrés par la perpétuelle pratique de l'É-
glise M »
Vous venez d'entendre, Messieurs, la grande
voix de la tradition. Ce n'est pas la soudaine
explosion d'un bruit inattendu, qui se fait à
travers les siècles, c'est un écho. — Lorsque,
dans les vallées sonores où tombent les eaux
de la montagne, vous entendez, à dix-huit cents
mètres de distance, le bruit de leur chute trans-
mis par les ondes mobiles de l'atmosphère,
votre âme se transporte auprès des cataractes,
et il vous semble les voir se précipiter du haut
des rochers dans le lit des torrents. Un spectacle
analogue, mais bien autrement grandiose, ré-
1. Anathema Cyrille- nova dogmata fabricanti, et
credenti non esse ex institutione Jesu Christi, neque
ex apostolica traditione; praxique perpétua, septem
Ecclesiee sacramenta, baptismum scilicet, etc. Sec?
mentienti duo tantum a Christo in Evangelio fuisse
tradita baptismum scilicet et eucharistiam. (Syn. Hio-
rosol. celeb. an 1672.)
LA NATURE DES SACREMENTS 25
jouit l'âme chrétienne, lorsqu'à travers les ondes
mobiles de la tradition où respire sa foi, elle
entend, à dix-huit siècles de distance, le bruit
que fait en tombant sur la terre la vie de Dieu.
Elle voit s'entr'ouvrir le sein du Christ, et con-
temple, avec un amoureux respect, les sept ca-
taractes divines qui s'en échappent et se préci-
pitent pour sanctifier les âmes : le Baptême, la
Confirmation, l'Eucharistie , la Pénitence ,
l'Extrême-Onction, l'Ordre et le Mariage.
II
Le sacrement est un signe institué par Jésus-
Christ. C'est une vérité si bien établie , que l'Église
a cru devoir la défendre solennellement *. Cer-
taine de cette haute et noble origine, l'âme
chrétienne s'ouvre déjà au respect et à la con-
fiance; mais combien plus, Messieurs, si nous
1. Si quis dixerit sacramenta novae legisnon fuisse
omnia a Jesu Christo Domino nostro instituta; aut
esse plura vel pauciora quamseptem, videlicetbaptis-
mum, etc.. Aut etiam aliquod horum septem non
esse vere et proprie sacramentum ; anathema sit.
(Conc. Trid., sess. VII, De Sàcr. m génère, cari* i*)
26 LA NATURE DES SACREMENTS
considérons les sacrements comme des signes
sacrés.
Tout ce que Dieu a fait est. sacré, parce que
lout ce que Dieu a fait nous rappelle son être,
sa vie, ses perfections. Le ciel raconte sa gloire,
la terre lui envoie autant d'hymnes qu'il y a
d'êtres vivants sur ses montagnes, dans ses val-
lons et dans ses plaines, sous les voiles transpa-
rents et mobiles dont les ruisseaux, les rivières,
les fleuves et les mers enveloppent leurs habi-
tants. Les plus humbles de ces signes sacrés sont
pleins de merveilles, et le langage des fleurs
n'est pas moins propre que celui des astres à
élever nos esprits et à toucher nos cœurs. Par
combien de formes gracieuses, étranges, super-
bes, ces charmantes filles de la terre réjouissent
nos regards! Quelle richesse de tons et de
nuances dans les couleurs dont elles parent leurs
feuillages et leurs corolles ! Quelle variété dans
leurs parfums! Et, quand on étudie de plus près
\e chaste mystère de leur hyménée au fond des
loupes embaumées où il se cache, leurs organes
mutilés et leurs tissus déchirés par les mains
impitoyables du savant, les affinités de leurs ver-
tus multiples avec no9 besoins et nos infirmités,
LA NATURE DES SACREMENTS 27
qui peut se retenir, s'il n'est aveugle et sans
cœur, d'adorer et d'aimer celui qui les a créées?
« Quand vous rencontrerez une fleur, disait saint
Paul de la Croix à ses frères en religion, de-
mandez-lui : Qui es-tu? — Elle vous répondra :
— Je suis la voix qui annonce la puissance, la
sagesse, la bonté, la providence de mon grand
Dieu! »
« La nature, dit saint Basile, est comme un
livre toujours ouvert, dont les caractères témoi-
gnent et publient la gloire de Dieu. » En un
mot, Messieurs, la nature entière est une chose
sacrée, un vaste sacrement; et, dans la nature,
l'homme est plus sacré que tous les êtres, car,
plus que tous, il est la vivante image de celui
qui l'a créé, plus que tous, il rappelle la puis-
sance, la sagesse, la bonté, la sainte providence
de Dieu.
Mais souvenez-vous bien, je vous prie, que
les grandeurs de notre nature, qui nous confi-
gurent au type divin et nous révèlent son éter-
nelle beauté, ne sont pas le dernier terme de
l'action de Dieu à notre endroit. Nous sommes
destinés à une plus glorieuse et plus parfaite
ressemblance de notre être avec son auteur,
28 LA NATURE DES SACREMENTS
résultant de la pénétration intime de la vie
même de Dieu. Et, parce que c'est du sacrement
que nous vient cette pénétration, cette ressem-
blance, nous l'appelons sacré par-dessus tous
les signes visibles qui nous rappellent les mys-
tères divins, sacré au delà de toute expression:
Sacrosanctum, sacrosaint.
Ecoutez notre saint Thomas : « Le propre du
sacrement, dit-il, est d'être ordonné à signifier
notre sanctification, dans laquelle on peut
considérer trois choses : la cause même de la
sanctification, qui est la passion du Christ; la
forme de la sanctification, qui consiste dans la
grâce et les vertus ; la fin de la sanctification,
qui est la vie éternelle. Or, le sacrement signifie
ces trois choses. 11 est un mémorial de ce qui
s'est fait pour notre salut; il démontre ce qui
se fait en nous par \b passion du Christ; il pro-
phétise notre gloire future ' ».
1. Sacramentum proprie dicitur quod ordinatur ad
significandam nostram sanctificationem : in qua tria
possunt considerari ; videlicet ipsa causa sanccifica-
tionis nostrœ, quee est passio Christi ; et forma nos-
trœ sanctificationis, quee consistit in gratia, et virtu-
tibus ; et ultimus finis sanctificationis nostrœ, qui est
vit* «terna. Et h»c omnuper sacramenta significan-
LA NATURE DES SACREMENTS 29
Que de signes augustes nous rappellent le
Verbe incarné et immolé pour nous 1 La crèche
sanctifiée par les attouchements de son corps
d'enfant, berceau de ses premières humiliations
et de ses premières douleurs ; la maison de
Nazareth, sanctuaire de ses prières, de sa vie
d'ouvrier, de ses épanchements intimes avec
Marie et Joseph ; le rocher sur lequel il a ré-
pandu la sueur sanglante de son agonie; l'esca-
lier qu'il a gravi et du haut duquel il fut montré
au peuple ; la colonne où il fut flagellé; les
verges qui ont labouré sa chair; la couronne
qui a déchiré son front'; les clous qui ont trans-
percé ses mains et ses pieds ; la lance qui a ouvert
son cœur ; l'inscription qui proclamait sa
royauté ; la croix qu'il a abreuvée de son sang ;
le suaire qui a enveloppé sa chair inanimée ; e
sépulcre où il attendit sa résurrection ! — Nous
nous empressons pour vénérer ces saintes reli-
ques; elles ont passionné des générations fer-
tur. Unde sacramentum est et signum rememorati-
vum ejus quod praecessit, scilicet passionis Christi, et
demonstrativunr» ejus quod in nobis effieitur pef
Christi passionem, scilicet gratiœ, et pronosticum,
idest prœnuntiativum futurœ gloriœ. (Summ. Theol.
III P., quœst. 60, a. 3.)
80 LA NATURE DE9 SACREMENTS
ventes, qui affrontaient la mort afin de s'en
assurer la possession. Et cependant, Messieurs,
je vous le dis sans exagération, aucune n'égale
en dignité le plus petit de nos sacrements; au-
cune ne nous rappelle avec autant d'autorité la
cause de notre sanctification.
Le sacrement condense en un seul signe tous
les souvenirs éparpillés sur les objets sacrés que
notre foi vénère. Il imite, en se déterminant, le
mystère fondamental dont dépendent les mérites
du Sauveur. « La parole, dit saint Augustin, sai-
sit un élément sensible, et le sacrement est fait :
Accedit verbum ad elementum, ^et fît sacramen-
tum l » .Ainsi, la parole éternelle, le Verbe, est
devenu l'homme-Bieu, en saisissant et en unis-
sant à sa personne sacrée les éléments infirmes
de notre nature 2. Configuré, par sa matière et sa
forme, au Verbe incarné, le sacrement s'imbibe
de sa divine vertu. Tous les mérites que le Sau-
1. In Joan. Tract. LXXX, post med.
2. Sacramenta possunt considerari ex parte causée
sanctificantis quee est verbum incarnatum, cui sacra -
mentum quodammodo conformatur in hoc quod rei.
sensibili verbum adhibetur ; sicut in mysterio incar-
nations carni sensibili est Verbum Dei unitum.
(Summ. Theol., III P., quœst. 60, a. 6.)
LA NATURE DES SACREMENTS 31
veur a moissonnés à Bethléem, à Nazareth, dans
le cours de sa vie publique, au jardin de Gethsé-
mani, au prétoire, sur le Golgotha, il les con-
tient, il nous les présente, non seulement pour
que nous y croyions, mais pour qu'ils nous
soient appliqués. Le sacrement est fait! Cela
veut dire : « Souviens-toi, chrétien, qu'un Dieu
s'est incarné, a souffert et est mort pour
toi. Le sacrement est fait! Ouvrez vos âmes,
car le Christ est là, tout prêt à répandre sa
grâce. »
Que dis-je, Messieurs ? Le sacrement ne nous
laisse pas attendre. Par cela même qu'il est lait
et que notre âme est ouverte, il nous indique
qu'une mystérieuse transformation s'est accom-
plie en nous, et que nous sommes devenus sacrés,
autant que peut l'être une créature . Soit que la
grâce succède au péché, soit qu'elle se greffe sur
la justice acquise, c'est la vie de Dieu qui nous
envahit et nous perfectionne, à l'instant même
où le sacrement se détermine ; et, par sa détermi-
nation, il nous révèle et le don essentiel que Dieu
nous a fait de sa propre sainteté, et les vertus qui
en découlent pour perfectionner les puissances
de notre âme, et le secours spécial que Dieu
32 LA NATURE DES 8ACREMENT»
ajoute à ces vertus afin que nous puissions atten-
dre la fin propre de chaque sacrement *.
Donc, si le sacrement est une ablution, il
nous apprend que notre âme purifiée reçoit une
vie nouvelle, et, qu'ensevelie dans la mort du
Sauveur, elle est pénétrée d'une toute-puissante
vertu qui doit la faire mourir à ses vices et lui
permettre de faire honneur, comme membre,
au corps mystique de Jésus-Christ. — Si le sa-
it. Gratia secundum se considerata perficit essen-
tiam animœ, inquantum participât quamdam simili-
tudinem divini esse : et sicut ab essentii animœ
fluunt e,jus potentiee, ita a gratia fluunt quaedam per-
fectiones ad potentias animœ, quœ dicuntur virtutes,
etdona,quibus potentiœ perficiunturinordine ad suos
actus. Ordinantur autem sacramenta ad quosdam
spéciales effectus necessariosin vita christiana; sicut
baptismus ordinatur ad quamdam spiritualem regene-
rationem, qua homo moritur vitiis, et fit membrum
Christi ; qui quidem efiectus est aliquid spéciale
prœter actus potentiarum animœ : et eadem ratio est
in aliis sacramentis. Sicut igitur virtutes, et dona ad-
dunt super gratiam communiter dictam quamdam per-
fectionem determinate ordinatam ad proprios actus
potentiarum; ita gratia sacramentalis addit super
gratiam communiter dictam, et super virtutes, et
dona, quoddam divinum auxilium ad consequendum
sacramenti finem. Et per hune modum gratia sacra-
Tientahs addit super gratiam virtutum, et donorum.
{Summ. Theol ,111 P., quœst. 6?, a. 2.)
LA NATURE DES SACREMENTS 33
crement est un jugement et une sentence, il
nous apprend que les fautes dont notre cœur
contrit a fait l'aveu sont pardonnées et effa-
cées par le sang du Calvaire, et qu'une grâce
de résurrection va se joindre à nos efforts pour
prévenir nos rechutes. — Si le sacrement est une
nourriture, il nous apprend que la chair d'un
Dieu devient le pain de nos âmes et travaille
à nous unir à la divinité, comme elle-même
lui est unie. — Si le sacrement est une onc-
tion, il nous apprend que la grâce guérit nos
infirmités spirituelles, comme l'huile nos infir-
mités corporelles; qu'elle assouplit et fortifie
les puissances de notre âme, comme l'huile
assouplit et fortifie les membres des athlètes,
afin que nous puissions triompher dans les
suprêmes combats que livre le démon à notre
vie défaillante. — Si le sacrement est une im-
position de mains, il nous apprend que l'Esprit-
Saint pénètre nos âmes, comme le fluide humain
pénètre les organismes sympathiques à son
action; qu'il en est la lumière et la force, et
que, pour les besoins de la société chrétienne,
il affermit et féconde les ministères sacrés. —
Enfin, si le sacrement est un contrat, il nous
CONFERENCES N.-D. — CAHÊilK 1883. — 3
34 LA NATURE DES SACREMENTS
apprend que Dieu se donne à ceux qui s'unis-
sent, comme ils se donnent eux-mêmes l'un à
l'autre, et qu'il veut être l'indissoluble lieu de
leur union.
Indications sublimes, couronnées par une
sublime prophétie.— Le sacrement nous montre,
au terme de toutes les grâces qui sanctifient,
l'éternelle félicité qui en est le prix. N'est-il pas
dit que les élus , « rassemblés autour du trône
de Dieu et chantant le ravissement sans fin
qui les enivre, sont ceux qui ont lavé leur robe
dans le sang de l'Agneau1 ?» Ce sang de l'Agneau,
il est dans tous les sacrements; se baigner dans
ses flots, c'est déjà prendre possession du ciel.
Vous comprenez, Messieurs, pourquoi l'on
dit du sacrement qu'il est un signe sacrosaint.
J'ai justifié mon appellation, et, du même coup,
j'ai convaincu d'injustice et d'ineptie le rappro-
chement que je vous signalais tout à l'heure et
dont le rationalisme s'autorise pour nous accu-
ser de plagiat. Non, l'Église n'a rien emprunté
aux mystères du paganisme; car, s'il y a, entre
nos sacrements et les pratiques des fausses re-
1. Apoc, cap. vu, 14.
LA NATURE DES SACREMENTS
ligions, certaines analogies matérielles, leurs
significations sacrosaintes nous font un devoir
de chercher leur origine plus haut que dans
les régions déshonorées où la superstition va
prendre ses misérables inventions. Ne fussent-
ils que de simples signes commémoratifs, in-
dicatifs et prophétiques des choses sacrées, ils
auraient droit à notre vénération. Mais les sa-
crements ne sont pas seulement des signes, ce
sont des causes; vous ne les connaîtrez bien
que lorsque je vous aurai expliqué leur effi-
cacité.
ÎÏI
Nous avons vu le protestantisme fausser la
notion de la justification, et se débarrasser, dans
l'intérêt de son système, d'une partie de nos
sacrements. Pourquoi ne les a-t-il pas répudiés
tous? Je n'en sais rien; car ceux qu'il conser-
vait n'eurent pas un meilleur sort que ceux qu'il
rejetait. Prétendant que l'homme est justifié
par la foi, sans qu'il ait autre chose à faire, sans
qu'il soit même besoin que la grâce le trans-
36 LA NATURE DES bACREMENTS
forme, il ne pouvait plus faire grand état des ins-
truments sacrés auxquels nous attribuons notre
sanctification. Aussi, ne s'est-il pas gêné de les
appeler des signes nus, n'ayant pour effet que
de relier entre eux les divers membres d'une so-
ciété religieuse, ou d'exciter dans les âmes la foi
qui justifie. Donc, point d'union déterminante
entre la matière et la forme, mais, les éléments
sensibles et les paroles des sacrements réduits
au rôle d'un simple avertissement ou d'une
simple promesse.
A ces erreurs, l'Église a répondu par des
définitions précises qu'il importe de vous faire
connaître. — « Les sacrements, dit-elle, ne sont
pas choses superflues, mais choses nécessaires
à notre salut ; car la foi seule ne suffit pas à
notre justification. Ce n'estpoint seulement pour
nourrir cette foi, ni pour signifier qu'elle nous a
obtenu la grâce, ni pour indiquer que nous
sommes chrétiens, que les sacrements ont été
institués; mais ils contiennent la grâce dont ils
sont les signes, et la donnent toujours à ceux
qui n'y mettent pas d'obstacle. C'est l'œuvre
accomplie, l'acte sacramentel lui-même qui
donne la grâce, et la perversité des ministres
LA NATURE DES SACREMENTS 37
n'en peut empêcher l'effet, pourvu qu'ils aient
l'intention de faire ce que fait l'Église. » « Si
quelqu'un enseigne le contraire, qu'il soit ana-
thème * ! »
1. Si quis dixerit sacramenta novœ legis non esse
ad salutem necessaria, sed superflua ; et sine eis aut
eorum voto per solam fidem homines a Deo gratiam
justificationis adipisci; licet omnia singulis necessa-
ria non sint; anathema sit. (Con. Trid., sess, 7. De
sacram. in génère, can. IV.)
Si quis dixerit hœc sacramenta propter solam
fidem nutriendam instituta fuisse; anathema sit.
(Ibid., can. V.)
Si quis dixerit sacramenta novœ legis non continere
gratiam quam significant, aut gratiam ipsam non
ponentibus obicem non conferre, quasi signa tantum
externa sint acceptée per fidem gratiœ, vel justitiœ,
et notœ quœdam christianae professionis , quibus
apud homines discernuntur fidèles ab infidelibus;
anathema sit. {Ibid., can. VI.)
Si quis dixerit non dari gratiam per hujusmodi
sacramenta semper, et omnibus, quantum est ex parte
Dei, etiam si rite ea suscipiant, sed aliquando et ali-
quibus; anathema sit. {Ibid., can. VII.)
Si quis dixerit; per ipsa novae legis sacramenta ex
opère operato non conferri gratiam, sed solam fidem
divinœ promissionis ad gratiam consequendam suffi-
cere; anathema sit. {Ibid., can. VIII.)
Si quis dixerit ministrum in peccato mortali exis-
tentem, modo omnia essentialia quae ad sacramen-
tum conficiendum aut conferendum pertinent, serva-
verit non conficere aut conferre sacramentum ; ana
themà sit. (Ibid., can. XII.)
38 LA NATUflE DES 8ACREMENT»
1 Cet anafhème est juste. Messieurs, car la doc-
trine que TÉglise oppose aux erreurs du pro-
testantisme est vieille comme le christianisme.
C'est le Christ lui-même qui attribue à l'eau du
Baptême une vertu régénératrice, dont le propre
est de nous enfanter à la vie surnaturelle et
d'établir nos droits au royaume des cieux ' ; à
la parole de ses prêtres, la puissance d'effacer
les péchés et de nous rendre l'amitié de Dieu*;
au sacrement de sa chair et de son sang, le don
de nous communiquer une éternelle vie 3. Ce
sont les apôtres qui nous enseignent que l'onc-
tion, la prière sacramentelle, l'imposition des
mains, sauvent les âmes, les remplissent de
grâce et des dons de l'Esprit-Saint 4. C'est toute
la tradition qui attribue aux paroles sacramen-
telles une vertu consécratoire, qui fait d'un élé-
1. Nisi quis renatus fuerit ex aqua et spiritu sancto
non potest introire in regnum. Dei. (Joan., cap. m, 5.)
2. Quorum remiseritis peccata remittuntur eis.
(Ibid., cap. xx, 23).
3. Qui manducat meam carnem et bibit meum san-
guinem, habet vitam œternam. (Ibid., cap. vi, 55.)
4. Tune imponebant super illos manus et accipie-
bant spiritum sanctum. (Act., cap. vin, 17.)
(Pour l'extrème-onction et l'ordre, voyea textes ci--
pius baut.)
LA NATURE DES SACREMENTS 39
ment infirme une chose sacrée * ; toute la tra-
dition qui confesse que cet élément s'imbibe de
sainteté pour nous rendre saints 2, se pénètre
de l'Esprit de Dieu pour nous perfectionner3,
1. Baptismus Christiverbis evangelicis consecratus
et per adulteros et in adulteris sanctus est. (S. Aug.,
De Baptismo, cap. 10.)
Detrahe verbum quid est aqua nisi aqua? (Id.f
tract. 80 in Joan.)
Unde tanta virtus aquse ut corpus tangat et cor
abluat nisi faciente verbo? (Ibid.)
Illee syllabœ celeriter sonantes et transeuntes. ..
nisi dicantur non consecratur. (Lib. XIX, Contra
Faustum, cap. 16.)
(Recte ergo nunc quoque) Dei verbo sanctificatum
panem in Dei Verbi corpus credo transmutari.
(«aAcDs oliv k%\ vvv) tov rœ \6yù) toO Ssov aytaÇôixevo*
iprov eis <ja>(ia toO &eov \6yov peTCLirocsÏGdcu. ( S. Greg.
Nyss. Migne, t. II, p. 96, Oratio Cateeh., cap. 37,
in fine.)
2. Aquœ sanctificatee vim sanctificandi combibunt.
(Tertul.,Z>e Baptismo, cap. 4.) Caro abluitur, ut ani-
ma emaculetur. Caro ungitur, ut anima consecretur.
Caro signatur ut et anima muniatur. Caro manus im-
positione adumbratur, ut anima Spiritu illuminetur.
Caro corpore Christi et sanguine vescitur, ut et anima
de Deo saginetur. (Id.> lib. De Besurrectione carnis.,
cap. 8.)
3. Saint Cyrille de Jérusalem excite les catéchumè*
nés, à faire attention à la grâce de TEsprit-Saint qui
est donnée avec Feau : Merà tov tictroï folopévï} -orveu/K*.
tixyj ^apm.(Catech, III.)
40 LA NATURE DES SACREMENTS
est cause en nous d'une vie nouvelle1, possède
des propriétés saintes absolument indépen-
dantes des vertus et des mérites de ceux qui
administrent ou reçoivent2, enfin, une inénar-
rable efficacité3.
Je sais, Messieurs, que cette efficacité n'est
pas plus agréée du rationalisme que du pro-
testantisme. Contre le protestantisme, l'Eglise
1. Baptismus est peccati mors, animi regeneratio,
adoptionis gratia. f3<x7rn<xfjta ôâvaros àpiprias, tsakiyye-
veaia ^v^*»» vio&eaia.'S yé.piG\v3. (S. Basil., Homil. XIII.)
Aqua cum nihil sit aliud quam aqua, superna gra-
tia benedicente ei, in eam, quœ mente percipitur,
hominem rénovât regenerationem : 1b û§o>p ovhèv âXXo
rvy%âvov r\ ijhwp àvaxaivifet rov âvdpwirov sis njv vorjrrjv
dvay évvrjcriv. (Greg. Nyss., Oraé. in Christi Baptisma.)
2. Non eorum meritis a quibus ministratur, nec
eorum quibus ministratur, constat baptismus, sed
propria sanctitate atque veritate propter eum a quo
institutus est. (S. Aug., lib. IV. Cont. Cresconium,
cap. 16.)
3. Ostende mihi modum nativitatis quœ fit secundum
carnem, et ego tibi vim regenerationis quae secundum
animam fit exponam. Hrffaàv (toi rov rpàirov rrjs yemnj^
cecôs rrjs narà oâpKa, xàyé aot otrjyrjaoutzi rrj> xarà ^v^r)v
isahyyevecrlaî; rr)v Ivvaynv. (S. Greg. Nyss., Orat. in
Christi Baptisma.)
Sacramentorum vis inenarrabiliter valet pluri-
mum, et ideo contempta sacrilegos facit. (S. Aug.t
lib. XIX, Cont. Fawtum, cap. 11.)
LA NATURE DES SACREMENTS 41
peut invoquer l'autorité des témoignages; le
rationalisme méprise cette autorité. Il veut des
arguments rationnels, et se scandalise pour tout
de bon de nous entendre attribuer à des signes
infirmes et misérables, sans autre preuve que des
affirmations, le pouvoir de toucher les âmes et
d'y opérer des transformations. Que l'homme,
par la partie supérieure de son être, gravite vers
l'infini et s'efforce de le saisir; que Dieu, pour
répondre à ce mouvement, veuille bien amener
sa vie jusqu'aux confins de la nôtre et se résoudre
à une union qui nous honore , sans l'avilir, nous
pourrions peut-être l'accorder. Encore, faudrait-
il que ce mystère s'accomplît d'une manière
digne de celui qui s'y trouve engagé, et que
des signes magnifiques, incomparables, nous
donnassent l'assurance des noces sacrées de
notre âme avec l'infini. Mais, de l'eau, de l'huile,
du pain, du vin, des bénédictions, des formules
qui passent ! — Non. — Dites que ce sont des
symboles, àla bonne heure ! Des causes? Jamais !
On ne nous fera pas croire que de pareilles
choses puissent transformer les âmes, et per-
sonne ne nous empêchera de rire d'une si pro-
digieuse absurdité»
42 LA NA-TRR HF3 RACRTHVTFNTft
Si vous avez la foi, Messieurs, pardonnez-moi
ce langage, c'est celui de l'incrédulité qui vous
assiège et vous tente par la redoutable perspec-
tive du ridicule. N'est-il pas vrai que souvent
vos oreilles chrétiennes ont été profanées
par ces sottes et grossières protestations ?
Je les appelle sottes et grossières, et vous
comprendrez mieux pourquoi je me sers de mots
si durs, lorsque, dans une prochaine confé-
rence, je vous parlerai de l'harmonie de nos
sacrements. Aujourd'hui, il s'agit de leur
efficacité.
Cette efficacité ne serait pas un scandale pour
le rationalisme, s'il se donnait la peine d'étu-
dier notre théologie sacramentaire. Il y appren-
drait que le contraste dont il triomphe pour nous
écraser de ses sarcasmes n'est ridicule qu'au-
tant que l'on attribue, à la nature même des
éléments sacramentels, les merveilleux •effets
qu'ils produisent. Cette ineptie peut éclore dans
la cervelle d'un libre penseur; mais le plus
humble des chrétiens, pour peu qu'il sache son
catéchisme, est incapable de l'imaginer, attendu
que l'Église no l'a jamais enseignée. Si elle
nous dit, avec saint Paul, que Dieu se plaît à
LA NATURE DES SACREMENT8 43
choisir des choses infirmes pour confondre notre
superbe, elle nous apprend, avec saint Thomas,
qu'il faut rapprocher l'effet des sacrements de
sa cause principale et non de sa cause immé-
diate, si l'on veut en avoir l'explication. L'effet
du sacrement, c'est la grâce; or, la grâce, si-
militude participée de la nature même de Dieu,
ne peut être produite que par Dieu, comme la
chaleur ne peut être produite que par le feu. Si
le sacrement intervient entre la cause principale
et son effet, ce ne peut être que comme instru-
ment chargé de la transmission d'un mouvement
divin1. Mais, qui donc peut refuser à Dieu, maître
1. Duplex est causa agens, principalis et instru-
mentalis. Principalis quidem operatur per virtutem
suée formée, cui assimilatur effectus, sicut ignis suo
calore calefacit, et hoc modo nihil potest causare gra-
tiam, nisi Deus ; quia gratia nihil est aliud quam
participata similitudo divinae naturœ, secundum illud.
Il.Petr. c. 4. Magna nobiSj et preciosa promissa do-
nacit, ut dimnœ simus eonsortes naturœ. Causa vero
instrumentalis non agit per virtutem suae formée, sed
solum per motum quo movetur a prmcipali agente.
Unde effectus non assimilatur instrumento, sed prin-
cipal i agenti; sicut lectus non assimilatur securl, sed
arti qusB est in mente artificis. Et hoc modo sacra-
menta novœ legis gratiam causant : adhibentur enim
ex divina ordination© hominibus ad «ratiam in eis
44 LA NATURE DES SACREMENTS
absolu de son action et de ses dons, le droit de
faire par des instruments ce qu'il peut faire im-
médiatement? Et les admirables effets des sa-
crements sont-ils ridicules, dès qu'il est constant
que Dieu les produit?
Voilà, Messieurs, la doctrine de l'Église, tou-
chant l'efficacité des sacrements : ce sont des
instruments agissants, maniés par une force
infinie. La foi s'arrête là.
Comment ces causes instrumentales de
la grâce opèrent-elles immédiatement? C'est
une autre question, sur laquelle l'Église nous
laisse libres de former nos opinions. Vous pou-
vez croire que les sacrements opèrent morale-
ment ou physiquement, et, quoi que vous pen-
siez, je prétends que vos opinions sont, aussi
bien que votre foi, à l'abri des railleries du
rationalisme.
causandam. Unde Augustinus dicit (XIV, Contra
Faustum, cap. xvi, a med.), Hœc omnia, silieet sa-
crarnentalia,Jlunt et transeunt ; virtus tamen, scilicet
Dei, quœ ista operatur, jugiter manet\ Hoc autem
proprie dicitur instrumentum, per quod aliquis opera-
tur : unde et Tit. III. 5. dicitur : Saluas nos fecit per
lauacrum regenerationis. (Summ. Theol., III P.,
queest. 62. a. 1.)
LA NATURE DES SACREMENTS 45
Certains théologiens, pour épargner àla raison
des mystères qui contrarient son désir d'avoir
le dernier mot de toutes choses, ont imaginé
un système à la lumière duquel les difficultés
leur semblent s'évanouir. Je ne les en blâme
pas, c'était leur droit. Le sacrement, disent-ils,
opère infailliblement, mais son effet se pro-
duit en vertu d'une concomitance nécessaire de
l'action de Dieu et de l'application des signes.
Quand la matière est unie aux paroles, le
sacrement est fait, et Dieu, par la force d'une
convention sacrée dont il a lui-même établi les
termes et garanti les effets, se trouve engagé à
nous conférer la grâce, ce qu'il ne manque pas
de faire, parce qu'il est jaloux de son honneur
plus que qui que se soit. D'où il suit, Messieurs,
que le sacrement est comme la signature de-
Dieu, et vous connaissez la puissance d'une
signature. Je fais un billet par lequel vous
vous engagez à me payer, à une époque fixe,
la somme de dix mille francs; je vous le pré-
sente, vous le signez. Si vous êtes majeur, sain
d'esprit, maître de votre volonté, ce billet vaut
dix mille francs. Il importe peu, vous compre-
nez bien, que votre signature soit un chef-
46 LA NATURE DES SACREMENTS
d'oeuvre de calligraphie ou qu'elle se compose
de jambages informes; vous avez signé, c'est
tout ce qu'il me faut. Et voilà le sacrement!
Avec quelque chose de bien autrement solen-
nel et touchant; car cette lettre de créance,
payable par Dieu, est signée du sang d'un
Dieu. « Le Christ, dit s^int Augustin, a em-
pourpré le sacrement de sor. sang *. » Il y a mis
tous les mérites de sa douloureuse Tassion. D'où
une telle grandeur, une telle dignité, une telle
excellence, une telle force pour exiger la grâce,
que Dieu ne peut la refuser là où le sacrement
lui est présenté,
Cette grave opinion, Messieurs, ne prête
point à l'ironie ; et la raison n'eût elle que cela
pour s'expliquer l'opération des éléments sa-
crementels, elle pourrait parfaitement s'en
contenter.
Cependant, il a semblé à des esprits éminents
que le sacrement, réduit au rôle d'une lettre
de créance, ne sort pas assez de la catégorie
des signes pour entrer dans la catégorie des
1. (Jade rubet baptismus Christi, nisi Christi san-
guine consecratur. (S. August., Tract. 11. In Joan.
n-4.)
LA NATURE DES SACREMENTS 47
causes '. Ils lui attribuent donc une efficacité
plus directe et plus prochaine, quoique tou-
jours soumise à la cause principale; une effi-
cacité* qu'ils comparent à celle des instruments
naturels, et qu'ils appellent physique 2. Cette
opinion, plus générale, plus ancienne, plustra-
1. Illa pactio nihil dat sacramentis de ratione cau-
sée, sed solum de ratione signi.(S. Thom., in 4 Dist.
1, queest. a. 4. )
Si quis recte consideret, iste modus non transcen-
dit rationem signi. . . secundum hoc sacramenta no-
vee legis nihil plus essent quam signa gratiœ ; cum
tamen ex multis sanctorum auctoritatibus habeatur
quod sacramenta novœ legis non solum significant
sed causant gratiam. (Simm. TkeoL, III P., queest. 62,
a. 1.)
2. Instrumentum habet duas actiones ; unam instru-
mentalem, secundum quod operatur non in virtute
propria, sed virtute principalis agentis; aliam autem
habet actionem propriam, quee competit sibi se-
cundum propriam formam, sicutsecuri competit scin-
dere ratione suae acuitatis, facere autem lectum, in-
quantum est instrumentum artis ; non autem perficit
instiumeûtalem actionem, nisi exercendo actionem
propriam, scindendo enim facit lectum. Et similiter
sacramenta corporalia per propriam opérations m,
quam exercent circa corpus, quod tangunt, efficiunt
operationem iûstrumentalem ex virtute divina circa
animam ; sicut aqua baptismi abluendo, corpus secun-
dum propriam virtutem,abluit animam, inquantum
est instrumentum virtutis divinœ; nam ex anima,
48 LA NATURE DES SACREMENTS
ditionnelle, me paraît plus en harmonie avec
le plan de Dieu, qui a glorifié toute la nature
en son Fils ; plus conforme à la dignité des sacre-
ments, qu'elle exalte; plus redoutable à l'héré-
sie, qui s'efforce d'en diminuer l'importance. Si
le rationalisme n'y veut voir qu'une exagéra-
tion superstitieuse de la virtualité de nos signes
sacrés et se permet d'en rire, je me permets
de lui dire que son rire est une sottise, dont la
nature nous venge avec éclat.
C'est une prétention assez commune chez
ceux qui étudient les phénomènes et les lois du
monde physique de croire qu'ils se donnent,
par le travail et l'observation, le dernier mot de
toutes choses, et qu'ils sont payés de leurs veilles,
de leurs expériences et du luxe de leur instru-
mentation par des certitudes au delà desquelles
il n'est plus permis de placer un point d'inter-
rogation. Et, pourtant, cette terrible petite chose
qu'on appelle un point d'interrogation va plus
vite que nos investigations; si nous avions de
ions yeux, nous la verrions se dresser au
etcorpore uaum fit. Et hoc est quod Augustinus dicit
(loc.sup. cit.) quod corpus tangit, etcorabluit.{Sinnm.
TheoL, III P., quœst. 62. a. 1. ad 2.)
LA NAtURE DES SACfcEMËNÎS 49
bout de toutes nos recherches. Nous croyons,
par exemple, connaître à fond le mystère
des forces naturelles, parce que nous les sou-
mettons à des calculs précis. Nous nous trom-
pons étrangement; et, quand nous avons éta-
bli ces propositions : Telle force augmente ou
diminue en raison directe ou inverse du carré
des distances ; telle force augmente ou diminue
comme la pression qu'on lui fait subir, etc.... le
point d'interrogation se tord insolemment de-
vant nous et nous dit : Qu'est-ce qu'une force?
As-tu pu la saisir avec tes instruments? L'as-tu
vue? Nos yeux et nos instruments ne nous
livrent que des corps, des mouvements, des phé-
nomènes; notre esprit fait des calculs et des
.inductions; mais la causalité intrinsèque du
plus petit des atomes nous fuit avec une iro-
nique persévérance. Nous ne voyons pas les
forces. Allons-nous pour cela briser nos instru-
ments, abandonner nos travaux et bouder la na-
ture? Non, Messieurs. Nous acceptons comme
un bienfait ce qui tombe sous nos sens, nous em-
ployons les corps et les mouvements aux usages
de la vie. Mais, prenez-y garde I les corps sont
les sacrements d'une force qui se révèle par le
CONFÈRENT* m,-d. — CAHÊME 1883. — 4
50 LA NATURE DES SACREMENTS
mouvement. Du moment que vous en use/, vous
n'avez pas le droit d'arrêter Dieu aux portes de
la création et de l'empêcher de dépenser, à tra-
vers le mystère des substances, un peu moins
ou un peu plus de son universelle et toute-puis-
sante causalité.
Non-seulement, Messieurs, vous croyez à
l'existence occulte des forces dont les corps ne
sont que les instruments; mais, appliquant le
principe de la pénétration, vous faites vous-
mêmes des sacrements naturels; c'est-à-dire
que, mettant une substance en rapport avec
une force, vous faites de l'une l'instrument de
l'autre. Qu'est-ce que l'eau dormant dans un
vase d'airain? Un liquide vulgaire, dans lequel
vous pourrez laver vos mains et votre linge.
Mais, bouchez le vase, approchez-le du feu, et
faites pénétrer le calorique dans le fluide en-
dormi, le voilà mal à l'aise, il se tourmente,
il se dilate, et ses impétueux mouvements, ré-
glés par votre génie, font voler des légions de
chars sur les routes que vous leur avez prépa-
rées. — Qu'est-ce que ces fils de fer qu'on voit
s'allonger sur le bord des grands chemins?
Des perchoirs disgracieux, sur lesquels viennent,
LA NATURE DES SACREMENTS 51
de temps à autre, se reposer les oiseaux.
Mettez-les en rapport avec une pile électrique,
le fer frémit et va porter votre pensée et votre
parole jusqu'au bout du monde. Les résultats
sont prodigieux; mais il n'y aurait rien, si
l'eau et le fer n'étaient les instruments d'une
force.
Cela se comprend, dites-vous. Il ne me se-
rait peut-être pas difficile de vous démontrer
que vous n'y comprenez pas grand'chose, et de
planter encore le terrible petit crochet, le point
d'interrogation, au bout de vos explications —
Mais, je vous écoute : vous dites qu'entre l'effet
produit et les iont je paîrMs tout à
l'heure, si mystérieuses qu'elles soient, il y a
proportion. C'est la nature qui agit dans
sa sphère, C'est la matière qui opère sur
la matière. — Mais, dans les sacrements,
quelle proportion? — La matière opère sur
l'esprit , la nature agit dans la surnature ,
cela se peut-il ? Et vous croyez être quittes
envers nos signes sacrés, et même avoir le
droit de les mépriser, parce que vous invoquez
contre eux les proportions et les accusez d'en
manquer. Je vous trouve trop osés, Messieurs,
52 LÀ NATURE DES SACREMENTS
et je puis, sans sortir de vous-mêmes, prendre
une facile revanche.
Voici, d'un coté, un magnifique tableau; d'un
autre coté, un pinceau et des couleurs. Lesfigures
du tableau, c'est le pinceau qui les a tracées et
leur a donné l'expression qui vous ravit. Quelle
proportion entre le pinceau et ce chef-d'œuvre?
Mais, le pinceau était conduit ^ar une main.
Quelle proportion entre une main et l'effet pro-
duit? Mettez ce pinceau entre les doigts d'un singe
et même entre les doigts d'un enfant, vous aurez
quelque chose de monstrueux. Mais, la main qui
conduisait le pinceau était la main d'un artiste.
Quelle proportion entre la main d'un artiste et
son ouvrage ? Pensez-vous que l'idéale beautr
qu'il représente soit dans la masse de chair et
d'os qu'il remue ? Mais, la main de l'artiste est
conduite par son âme. C'est là que vit le chef-
d'œuvre avant de passer sur la toile, c'est là
qu'il faut chercher la proportion. Très bien.
Mais, quelle proportion entre l'âme d'un artiste
et sa main ? Je sais que l'âme de l'artiste dirige
les évolutions de sa main, je sais que la main
rend compte à l'âme de l'artiste de ses sensa-
tions et de ses mouvements ; mais, comment
LA NATURE DES SACREMENT8 5S
cela se fait-il ? La main est de la matière, l'âme
est un esprit. Quelle proportion entre ces deux
choses si disparates? Mille esprits ne feront
jamais le plus petit des atomes. Vous aurez
beau quintessencier toute la matière créée, vous
n'en ferez jamais un esprit. Entre l'esprit et la
matière, il y a des abîmes. Comment ces abîmes
peuvent-ils être franchis ? Vous n'en savez abso-
lument rien. Et, pourtant, l'esprit agit sur la ma-
tière, la matière sur l'esprit. Faut-il donc dire
que l'artiste est un être disproportionné ? Eh !
non, Messieurs. Il faut tout simplement dire
que la souveraine puissance de Dieu sait, quand
cela est nécessaire, proportionner les choses les
plus dissemblables ; que la matière peut de-
venir l'instrument d'une force supérieure et
d'autre nature qu'elle-même, comme la main
de l'artiste devient l'instrument de son âme;
que le corps, instrument conjoint d'un esprit,
peut faire passer la virtualité de cet esprit dans
un instrument séparé, comme la main fait passer
dans le pinceau le mouvement qu'elle reçoit de
de l'âme l'artiste; que l'instrument séparé, si
grossier qu'il soit, peut, à son tour, exprimer
dans un effet la virtualité qu'il contient, comme
54 LA NATURE DES SACREMENTS
le pinceau trace les figures, distribue et nuance
les couleurs et fait vivre la toile1.
Grâce à l'application de ces principes, les
opérations sacramentelles cessent de nous pa-
raître disproportionnées. Notre âme est la toile
docile que doit transformer en un chef-d'œuvre
surnaturel, cette expression vivante delà simi-
litude divine qu'on appelle la justice, la sain-
teté. Pour être transformée, elle s'offre, par le
ministère du corps auquel elle est unie, à l'ac-
tion instrumentale du sacrement. Le sacrement
opère sous l'influence de l'humanité sainte du
Christ, que le Verbe a remplie de mérites divins
et des effluves de sa toute-puissance. Cause mi-
nistérielle des miracles, pourquoi ne serait-elle
pas la cause ministérielle de notre sanctification
par la grâce, comme la main de l'artiste est la
cause ministérielle des chefs-d'œuvre qu'il
1. Virtus spirituaiis non potest esse in re corporea
per modum virtutis permanentis, et complétée, sicu'
ratio probat. Nihil tamen prohibet in corpore esso
virtutem spiritualem instrumentaliter, inquantum sci-
licet corpus potest moveri ab aliqua substantia spiri-
tuali ad aliquem effectum spiritualem inducendum;
sicut et ipsa voce sensibili est queedam vis spirituaiis
ad excitandum intellectum hominis, inquantum pro-
céda a conceptione sentis. Et hoc modo vis spiritua-
LA NATURE DES SACREMENTS 5b
produit? Mais, la grâce sanctifiante, c'est du
Verbe qu'elle découle comme de sa source pre-
mière ; c'est en Lui et dans les personnes divines,
avec lesquelles il n'a qu'une seule et même ac-
tion, qu'il faut chercher définitivement la pro-
portion entre l'effet et la cause des opérations
sacramentelles. Je ne prétends pas que cette
explication supprime toutes les difficultés ;
mais, puisqu'il y a tant de mystères dans la
nature, nous pouvons bien en accepter quel-
ques-uns dans l'ordre surnaturel. Bien loin de
déparer les sacrements, ils en relèvent la beauté
et la grandeur.
J'ai dit, Messieurs. Vous voilà en présence
des sources divines de la grâce et de la sainteté.
Si vous avez soif d'une vie meilleure et plus noble
que celle de la nature, approchez-vous : Omnes
sitientes venite ad aquas. Ne croyez pas, cepen-
dant, qu'il suffise d'approcher, il faut encore
ouvrir son âme. L'infaillible efficacité des sacre-
ments ne nous dispense pas de nous préparer à
lis est in sacramentis, inquantum ordinaotur a Dec
ad effectum spiritualem. (Summ. TheoL, III P., quaest.
62 a. 4. ad 1 ..
56 UL NATURE DES SACREMENTS
leur action, et cette action est d'autant plus
profonde et plus vaste que notre âme est plu9
ouverte et plus dilatée par la pureté de nos
intentions et la ferveur de nos désirs. Mais, quelle
que soit la mesure des grâces que vous receviez
des sacrements, c'est par ces signes augustes,
sachez-le bien, que vous devenez des êtres sacrés;
sans eux, vous ne serez jamais que dos profanes.
SOIXANTE-DEUXIÈME CONFÉRENCE
l'harmonie des sacrements
SOIXANTE-DEUXIÈME CONFÉRENCE
L'HARMONIE DES SACREMENTS
Monseigneur % Messieurs,
Le sacrement est un signe certain, parce que
Dieu Fa déterminé lui-même. La tradition
nous fait entendre le bruit des cataractes vivi-
fiantes qui, de la divinité, ont passé par l'huma-
nité sainte du Christ; de J'humanité du Christ,
dans les humbles instruments qu'il a choisis pour
répandre en nos âmes les grâce? ae la rédemp-
tion. Le sacrement est un signe sacré, parce
qu'il nous rappelle la Passion du Sauveur, cause
de notre sanctification ; nous indique la transfor-
mation sacrosainte qui se fait en nous; et pro-
phétise notre gloire future. Le sacrement est
un signe efficace, parce qu'il opère réellement
et directement ce qu'il signifie, en vertu de la
1. M*1" Richard, archevêque de Larisse, coadjuteur
de Paris.
GO l'harmonie des sacrements
toute-puissance de Dieu, dont il est le docile
instrument.
Voilà ce que j'ai dit dans ma précédente
conférence, en toute francnise et liberté. Au-
trefois, cela ne m'eût pas été permis. Lorsque
l'Église naissante était entourée d'ennemis,
tout prêts à dénaturer nos rites divins par de
perfides interprétations et de sacrilèges paro-
dies, la loi du secret protégeait les sacrements.
« Nous ne devons pas , disait saint Denis ,
donner par écrit nos invocations perfectives ,
ni livrer au public leur sens caché et les prodiges
que Dieu opère par leur ministère . Mais ,
comme le veut notre sainte tradition, c'est dans
de secrètes instructions qu'il faut puiser la
science de ces choses 4. »
1. Invocation es porro consecratorias nefas est
scripto interpretari et arcanum earum sensum, virtu-
tesque quas in iis Deus operatur e secreto in publi-
cum efferre; sed ut nostra sacrosancta traditio docet,
obi pas secretioribus instructiouibus hauseris, atque
ad habitum sacratiorem atque capaciorem intelligen-
tiam, divino araore sacrisque actionibus consomma-
tus evaseris, divina luce collustratus ad supremam
earum scientiam subveheris.
Tàs 8é Te)e<r7jxà? èTrtxXrjrreiç où &£uitop èv ypiÇzU
dÇepuîjvé'jetr, ovhè tô (xualixàv aOrwv, rj ràç èit* aOrafs êvep-
yovpivai èx Sreoîj 3vvâf*eic ix toû xpupiov upàs to xoivà¥
L'HARMONIE DÈS SACREMENTS 61
Aujourd'hui, cette loi n'existe plus, car nous
sommes moins menacés par l'extravagance
d'un culte impie que par l'ignorance orgueil-
leuse de la raison, méprisant trop volontiers
ce qu'elle ne connaît pas ou qu'elle feint de ne
pas connaître. A son endroit, il n'y a plus de
secret. C'est rendre service à la cause reli-
gieuse, que d'expliquer au peuple les opérations
de la grâce et la vertu mystique de nos signes
sacrés. En parler en public , ce n'est plus une
trahison, c'est le loyal et nécessaire combat de
l'erreur contre la vérité. Puisse ce combat avoir
une heureuse issue î
J'ai défini les sacrements et expliqué leur
nature. Que ferai-je aujourd'hui, Messieurs? Je
justifierai l'institution des sacrements, en vous
montrant leur harmonie. Dieu ne fait rien qui
ne soit marqué au coin de son infinie sagesse.
Or, cette sagesse se manifeste par l'ordre admi-
èÇâyeiv àXX' ùs $ xaÔ' rlpis iepà isapàhoois é%eit rats
ivexTrofi-névrots pvrjtreatv auras èxpaôùv, xal tspos &etôre-
pav é£iv xai àvaycûyiqv, épwrt $eiù> xal èvepyeiats ispxïi
àiroreXecrdeis , viro rrjs reXerap-^tx^s èXXâp.ypS(os àvayQyoïi)
tspos rr)v vireprârrjv aùrûv entai rjp.rjv. (S. Dion. Migne,
tome I , page 565. De ecclesiastica hierarehia ,
cap. vu, g 10.)
62 l'harmonie des sacrements
rable des relations établies entre les sacrements,
le plan divin et notre nature. Cherchons ces re-
lations dans les deux choses que la théologie
appelle: signum et res sacramenti, c'est-à-dire
dans les signes sacramentels eux-mêmes, et
dans les effets qu'ils produisent.
I
Pour bien me faire comprendre, je vous de-
mande la permission de vous rappeler le dessein
de Dieu dans la formation de la : t. :hré-
tienne- Si c est une redite, elle ne sera j :mt inu-
tile, car elle fixera davantage des notions fon-
damentales et des vérités fécondes, qu'il faut
toujours avoir présentes à l'esprit pour bien sai-
sir l'enchaînement du dogme catholique.
Rappelons-nous donc que Dieu, s'il l'eût
voulu, eût pu se mettre directement en rapport
avec chacun de nous, se révéler à nos intelli-
gences dans une lumineuse et discrète évi-
dence, donnera nos âmes, transformées par sa
grâce, une assurance profonde et tout à fait
intime de son action, et en varier les signes
L'HARMONIE DES SACREMENT8 63
selon son bon plaisir. Nous eussions été unis
dans la même cause de notre perfection; mais,
nous n'eussions point formé une société reli-
gieuse, extérieure et visible.
Or, cette société, Dieu avait décrété son
existence. Parce qu'il est nombre en même
temps qu'unité, famille en même temps que
nature indivisible, il voulait que l'homme fût
nombre et famille; non seulement famille hu-
maine , c'est le coté le plus humble et le plus
obscur de notre configuration au type divin,
mais famille sacrée, parce qu'il est lui-même
l'Être sacré par excellence- Bref, Dieu voulait
que l'homme devint membre d'un corps reli-
gieux, voué au culte de sa très sainte Majesté
et capable de recevoir les mystérieux retours
de son action souveraine.
G Multi unum corpus sumus * : Nous qui sommes
un grand nombre, dit l'apôtre saint Paul,
nous sommes un seul corps;» un seul corps,
non seulement en tant que nous dérivons d'une
source commune et que le sang d'un même
père circule dans nos veines; un seul corps,
1. Rom., cap. xii, 5. I Cor., cap x, 17.
64 l'Harmonie des sacrements
non seulement en tant que nous formons une
société d'individus, physiquement renfermés
dans une circonscription déterminée, morale-
ment unis par une certaine conformité de traits,
de langage et de caractères, et conventionnelle-
ment placés sous la protection d'une même
loi; mais un seul corps, en tant que nous
sommes consacrés, sous la même loi religieuse,
au culte d'un même Dieu, et que nous rece-
vons, en retour de notre culte, la communi-
cation d'une même vie : Multi unum corpus
swnus.
Or, tout corps suppose un chef qui l'anime,
un chef qui reçoit les impressions de la masse
et communique à la masse ses propres mouve-
ments. Quel est donc notre chef à nous qui
sommes un corps religieux? Je vous l'ai mon-
tré, Messieurs. Nous l'avons appelé, avec l'A-
pôtre, l'universel héritier de la création, le
médiateur de Dieu et des hommes, la tête
dont tout le corps mystique de l'Église re-
çoit ses accroissements; et nous avons constaté
que notre constitution religieuse est son œuvre,
et que, dans son œuvre, il est la source de
tous les biens. Mais, ce chef, nous ne le voyons
l'harmome dés sacrements 65
pas. Déposé, après sa mort, dans un sépulcre
d'emprunt, il en a brisé la pierre, et notre foi
nous dit que, vivante et immortelle, son huma-
nité ressuscitée est assise à la droite de Dieu,
en ces lieux inaccessibles où ne pénètrent pas les
regards des mortels. L'Église l'appelle le roi in-
visible. Mais, s'il est invisible, comment serons-
nous témoins de son action sacrosainte dans le
corps religieux dont il est le chef?
Comment, Messieurs ? Ecoutez-moi bien. Il
est très vrai que Jésus-Christ échappe à nos re-
gards; il est très vrai, aussi, qu'il se manifeste et
agit visiblement. L'action médiatrice qu'il
exerce entre Dieu et l'homme, je la vois. Oui,
je vois deux mouvements de mon chef Jésus-
Christ, comme je vois ici, à cette heure, deux
mouvements : le mouvement de vos âmes qui
montent vers la mienne, par vos yeux attentifs :
le mouvement de mon âme qui descend en vos
âmes, par ma parole. Vous vous donnez à moi,
je me donne à vous ; je vois cela, et comme je
vois cela, je vois notre chef Jésus-Christ nous
donnant à Dieu et nous donnant Dieu. — Où
donc ? me direz-vous ; montrez-nous votre
vision. Ma vision, Messieurs, c'est le prêtre,
CONFÉRENCES N.-D. — CARÊ.-K 1883. — 5
66 l'harmonie des sacrements
substitut consacré du Christ, chef du corps reli-
gieux dont nous sommes les membres. Le
prêtre est pétri, comme vous, d'un obscur
limon ; sa chair plébéienne enveloppe, peut-
être, une âme moins noble et moins intelligente
que la vôtre ; il peut dire néanmoins, avec as-
surance, ce que disait l'Apôtre : « Je remplis,
;ci-bas, les fonctions du Christ : Pro Christo,
/egatione fungimur* , » S'il tend, par le poids
inexorable de sa nature, à mêler quelquefois sa
vie aux courants de votre vie mondaine, il est
enlevé, par son caractère, en des régions saintes
que ne peuvent aborder vos pieds profanes ; il
plane entre Dieu et les hommes. Le prêtre', tel
que l'a fait Jésus-Christ, qu'il remplace, c'est
l'explication vivante des mystérieux rapports
du fini et de l'infini, tant et si vainement cher-
chée par l'esprit philosophique ; c'est, dans le
corps religieux, ce qu'est, dans le corps humain,
le fluide ministériel qui touche à l'esprit et à
la matière, va de l'un à l'autre, et fait, de l'un à
l'autre, les échanges de la vie. « 11 est pris parmi
les hommes et constitué, pour eux, dans les
i. II Cor., cap. v. 20.
L'HARMONIE DES 8ÀCREMENT8 67
choses qui vont à Dieu : Omnis pontifex ex ho-
minibus assumptas pro hominibus constituitar in
hisqude sunt adDeum*.» On peut retourner ces
paroles et dire : « Il est pris auprès de Dieu et
constitué , pour Dieu, dans les choses qui vont
aux hommes : Ex Deo assumptus pro Deo
constituitur in his quœ sunt ad homines, »
Ecoutez son nom : on l'appelle Sacerdos, comme
si l'on disait qu'il est le cadeau sacré que Dieu a
fait aux hommes. Mieux, encore , selon saint
Thomas: Sacerdos, quasi sacra dans, comme si
Ton disait qu'il donne à Dieu les choses sacrée»
de l'humanité, à l'humanité les choses sacrées
de Dieu.
La chose sacrée de Fhumanité, c'est la prière.
Or, le prêtre est chargé de prier au nom de
tous. Il supplée à nos oublis et à notre indiffé-
rence ; il saisit les vœux timides et impuissants
des membres obscurs de l'Église et les incor-
pore à la toute-puissante prière publique, dont
il est l'organe autorisé. — La chose sacrée de
l'humanité, c'est le sacrifice. Or, le prêtre pré-
side au sacrifice ; il l'offre pour les présents et
i. Heb., cap. v, 1,
68 l'harmonie DES SACREMENTS
pour les absents ; homme multiple, par l'imposi-
tion de ses mains bénies, il fait passer, dans
les dons qu'il consacre, l'humanité tout en-
tière.
Vous comprenez ce premier mouvement : le
mouvement des choses sacrées qui , de l'homme,
monte vers Dieu, par l'entremise du sacerdoce;
mais, comprendrez-vous l'autre, c'est-à-dire:le
mouvement des choses sacrées qui, de Dieu,
descend vers l'homme, en passant par le prêtre?
La chose sacrée de Dieu, c'est la vérité qui
commence en nous la vie surnaturelle , et fait de
nous comme un rudiment de créature divine :
« lnitium alïquod creaturx ejusi. » — La chose
sacrée de Dieu, c'est la grâce qui achève notre
être surnaturel et complète notre configuration
au Dieu Un et Trinité.
La vérité! La grâce! Comment donner à l'hu-
manité ces deux choses sacrées de Dieu? Nous
sommes à la question, Messieurs; vous allez voir
jaillir, dans le plan de Dieu, l'harmonieuse ma-
nifestation de sa sagesse.
Le -prêtre n'est pas, comme Dieu, l'intelligible
1. Jac, cap. i, 18.
L HARMONIE DES SACREMENTS
suprême qui voit jusqu'aux plus impénétrables
secrets de son essence, et voit en lui-même toutes
choses; le prêtre n'est pas, comme Dieu, la par-
faite immensité qui se touche tout entière en un
seul point, et touche en elle-même toutes choses.
Non, le prêtre n'est pas cela : c'est un homme,
comme nous; un homme qui, bien que ses yeux
soient éclairés des saintes flammes de l'amour,
qui, bien que ses mains soient consacrées par
des onctions, ne peut ni voir ni toucher nos
âmes, dont l'enveloppe matérielle oppose à son
action sacerdotale une impénétrable résistance.
Comment donnera-t-i^donc à nos âmes, qu'il ne
voit pas, qu'il ne touche pas, la vérité et la
grâce? Comment, ministre autorisé de Dieu
dans la diffusion de ces deux grands biens,
pourra-t-il être sûr que son action ministérielle
va droit à son but? — Comment, Messieurs? Par
des signes qui pénètrent le corps pour atteindre
l'âme, par la parole et par les sacrements.
La parole, qui n'est qu'une modification de
l'air ébranlé par nos organes, s'imbibe, se pé-
nètre de la vérité, dont elle est le conducteur.
Par des chemins couverts, eile va frapper aux
portes de la mystérieuse citadelle où notre âme
70 l'harmonie des sacrements
réside et d'où elle dirige les mouvements de la
vie. Les portes s'ouvrent, la parole se livre et se
laisse transformer par la puissance active de
l'intelligence qui la saisit. Et voilà que la lu-
mière se fait là où régnaient, tout à l'heure, les
ombres de l'ignorance ou de l'erreur; voilà que,
par un phénomène étrange, nous rendons la lu-
mière par le même moyen qui Ta donnée : Nous
confessons, par la parole, la vérité reçue par la
parole. Mais, prenez-y garde! la parole dont le
prêtre se sert pour donner la vérité n'est point
la sienne, c'est la parole que Dieu a confié. ■ à
son Église, le signa traditionnel des enseigne-
ments émanés de la sagesse éternelle.
Cette première chose sacrée de Dieu, la vé-
rité, nous étant communiquée par un signe, la
parole de Dieu, ne vous semble-t-il pas, Mes-
sieurs, que Dieu doit compléter l'action de son
ministre par un parallèle harmonieux, en met-
tant dans un signe divin la seconde chose sacrée
qu'il doit donner, la grâce? C'est précisément ce
que Dieu a fait en instituant les sacrements.
Le sacrement, combinaison mystique d'une
formule dictée parle Christ et d'un élément dé-
signé par lui, le sacrement paraît ne toucher
l'harmonie des sacrements 71
quel'écorce de notre être ; mais, parce que Dieu
lui en a donné la certitude, le prêtre sait que
nous sommes touchés en même temps au centre
même de la vie. Les promesses du Christ sont
pour lui comme les instruments d'une seconde
vue, à l'aide de laquelle il contemple la trans-
formation sacrosainte qui s'opère en nous. A
supposer que l'effet qu'il attend sûrement de
son action sacerdotale soit empêché par notre
mauvaise volonté, il est certain, du moins, que
cette action est allée jusqu'à l'âme qu'il voulait
atteindre. Supprimez la parole, supprimez les
sacrements, le ministère sacerdotal n'a plus
qu'un mouvement visible, celui qui, de l'homme,
monte vers Dieu. Quant à celui qui descend de
Dieu à l'homme, on ne sait plus comment il se
fait, et le prêtre n'est plus, dans la moitié la plus
auguste de sa représentation, qu'un ministre
impuissant et perplexe. Mais, Dieu soit béni! le
prêtre est, par la parole et par les sacrements,
en possession des signes qui complètent son mi-
nistère sacré, et nous pouvons adorer, dans cette
harmonie, l'infinie sagesse qui l'a créée.
En voici une autre, Messieurs. De même que
le prêtre a besoin de signes pour être assuré
72 l'harmonie des sacrements
de l'efficacité de son ministère, de même nous
avons besoin de signes pour être assurés des
merveilleux effets de la grâce dans notre âme*.
Nous avons conscience de notre âme ; mais, qui
la voit, qui la touche? Par conséquent, qui peut
être certain que Dieu l'a transformée, en lui
communiquant sa propre vie? Ainsi va notre na-
ture, que le corps et les sens interviennent dans
les plus hautes, les plus subtiles, les plus déli-
cates opérations de notre personne, et que, pour
la part qu'ils y prennent, ils veulent des signes
extérieurs. Nous en avons besoin, nous les ai-
mons, nous les demandons à tout ce qui noua
entoure; tant est puissant, dans notre vie mixte,
l'empire des sens. J'en appelle à votre expé-
rience, Messieurs. Y a-t-il rien de plus abstrait
qu'une idée, rien de plus incorporel qu'un sen-
1. Prima ratio (cur sacramenta sunt necessarîa ad
numaoam salutem) sumeuda est ex conditione hu-
înaûae naturee, cujus proprium est ut per corporaliaet
sensibilia inspiritualia,et intelligibiliadeducatur. Per-
tinet autem ad divinam provideDtiam ut unicuique
rei provideat secundum modum suœ conditionis. E
ideo convenienter divina sapientia homini auxilia sa-
utis confert sub quibusdam corporalibus et sensibi-
libus signis, quœ sacramenta dicuntiir. Suum TheoL i
P., quaest. Gl a .1.)
L'HARMONIE DES SACREMENTS 73
timent? Ëh bien, pour représenter l'une et
l'autre, vous cherchez des signes.
Une idée vous tourmente, dans le silence du
cabinet ou sur un chemin solitaire, vite, votre
plume ou votre crayon, autrement vous la per-
driez. Vous écrivez une phrase, c'est-à-dire une
suite de courbes et de jambages, pas toujours
très harmonieux, et vous voilà contents; car, sous
ce tout petit signe, sous ce vêtement de pauvre
apparence et de forme heurtée, une idée, une
grande, noble et féconde idée peut-être, vit et
palpite. La phrase que vous avez écrite est le
sacrement de votre idée, où vous retrouverez,
dans dix ans, ce que vous avez pensé aujourd'hui.
Vous aimez vos enfants. Qui vous dira que leur
cœur bat en votre honneur, et que votre amour a
éveillé quelque part un autre amour? Si l'enfant
que vous aimez garde près de vous un silence
farouche; si, tout entier à ses instincts égoïstes,
il ne répond à vos tendres regards que par des
regards indifférents, vous vous direz, au fond de
votre cœur navré : « Malheur à moi, celui auquel
j'ai donné la vie et en qui j'ai mis toutes mes
espérances, mon fils, ne m'aime pas ! » — Mais
non, i'enfant s'avance vers vous, le sourire sur
74 l'harmonie des sacrements
jes lèvres ; il monte sur vos genoux, enlace votre
cou de ses deux bras, approche sa chère petite
tête de la vôtre, et deux baisers parlent en même
temps. Voilà le sacrement de l'amour paternel
et de l'amour filial qui rejouit deux cœurs à la
fois.
Vous vous glorifiez d'avoir des amis, et j'aime
à croire que vous en êtes dignes. Mais, ces amis,
à quoi les reconnaissez-vous? Aux banales salu-
tations que l'on distribue, de coté et d'autre,
dans le monde ? A cette grimace stéréotypée,
sous laquelle les gens comme il faut déguisent
V imperturbable sang-froid de leur âme indiffé-
rente? Non, Messieurs, non, pas ainsi. Vous
reconnaissez vos amis aux généreux services par
lesquels s'expriment leur dévouement, aux cha-
leureux témoignages qui sont le langage du
cœur, et, entre tous, à cette franche étreinte,
que nous appelons, si naïvement et si profondé-
ment, une poignée de main. Si vous avez fait de
ce témoignage une chose vulgaire et sans portée,
c'est à tort, Messieurs. Une poignée de main est
un signe plein de mystères, une prise de posses-
sion, un acte de propriété, qui fait tressaillir les
cœurs sincères. Une poignée de main veut dire :
t/HÀRMONIK DES SACREMENTS 75
» Tu es mon ami, et je suis à toi, comme tu es à
moi ; mon cœur est dans ton cœur, comme ta
main est dans ma main ; nos deux âmes s'étrei-
gnent et se serrent, comme s'étreignent et se
serrent nos deux mains. Nos deux mains vont
se quitter, parce que le devoir nous appelle :
toi , à droite , moi , à gauche ; mais nos deux
âmes demeureront ensemble, parce qu'eues se
sont données dans un sacrement. » La poigaée
de main est le sacrement de l'amitié.
Ainsi donc, Messieurs, nous avons besoin de
signes pour représenter l'idée et le sentiment,
choses abstraites et incorporelles. Mais, plus
abstraite que l'idée, plus incorporelle que le sen-
timent, est la transformation que la grâce opère
dans nos âmes. N'est-il pas bon que, pour don-
ner à notre être tout entier l'assurance de cette
transformation et le promouvoir aux conséquen-
ces pratiques qu'elle impose à notre vie, Dieu la
rende, en quelque sorte, visible par des signes.
Vous me direz que, sans passer parles sens, Dieu
peut nous donner conscience de ses opérations
intimes. Je n'en disconviens pas; mais, agir
ainsi, ce n'eût pas été harmonieux, et Dieu aime
l'harmonie. — Nous le voyons, dans l'ancienne
7G l'harmonie des sacrements
loi; multiplier les signes pour affermir la con-
fiance de l'homme dans ses promesses. Pour-
quoi, dans la loi nouvelle, se montrerait-il plus
mystérieux et plus réservé, lorsqu'il s'agit de
nous assurer de plus grands biens? Pourquoi
changerait-il son plan d'action, puisque nous
n'avons pas changé de nature? Les exigences et
l'empire des sens, dans notre vie mixte, sont
toujours les mêmes. C'est ce qui fait dire à
saint Jean Chrysostôme : « Chrétien, si tu étais
incorporel, les dons de Dieu le seraient comme
toi ; mais, parce que ton âme est unie à un corps,
c'est par des signes sensibles que Dieu te pré-
sente ce qui ne peut être saisi que par l'intelli-
gence *. »
Un signe nous dira donc que nous avons été
engendrés à une vie nouvelle ; un signe nous dira
que l'Esprit-Saint nous a investis de sa force et
ornés de ses dons; un signe nous dira que le
1. Si incorporeus esses, nuda et incorporea tibi
edisset ipse dona; sed quia anima corpori conjuncta
est, in sensibilibus intelligenda tibi prœbet.
Ei (ièv yàp ddcb^ioLTos eï, ■yu^và âv aùri aoi ta àaù^a.-i
xùapéhcoxe Sàjpa* Ê7rei Ss aw\ia.ii (TupntéicXexTai rj yf^xif, èv
xiaOïqtoïç xà vorjxà aot tirapaSîôaxTi. (Chrysost. ffomil. 82
io Matth. n° 4.)
L'hARMONlE DÈS SACREMÈNÏS 7^
Fils de Dieu nourrit notre âme de sa chair et de
son sang; un signe nous dira que nos fautes sont
pardonnées et que notre âme pécheresse a re-
couvré son innocence ; un signe nous dira que
la grâce a effacé jusqu'aux derniers restes de
notre vie coupable. Le sacrement sera comme
l'inscription faite par Dieu, sur notre chair, des
mystères dont notre âme est l'invisible sanc-
tuaire ; comme le tendre et miséricordieux baiser
du Christ rédempteur, comme l'étreinte de sa
sanctifiante amitié. Et, alors, toute notre nature,
satisfaite en tous ses éléments, pourra jouir
tranquillement des dons que Dieu daigne affir-
mer d'une manière extérieure et visible, selon
les lois en vertu desquelles se produisent en nous
la certitude et la confiance. Ace compte, Mes-
sieurs, je comprends les inquiétudes que m'ont
exprimées certaines âmes qui cherchaient Dieu,
à travers les ténèbres de l'hérésie. Elles allaient
jetant en pleurant, sur des sillons arides, la se-
mence de leurs prières et de leurs bonnes œuvres ,
et, mal payées de leur espoir, elles étouffaient
sous le poids d'une inexorable tristesse. Pauvres
âmes ! Elles voulaient posséder la vie divine que
le Christ leur promettait dans l'Évangile , leur
78 l'harmonie des sacrements
unique règle de foi, et ce n'est qu'en demandant
à l'Église ses sacrements que, tranquillisées par
des signes divins, elles étaient assurées de cette
possession.
Les signes sacramentels conviennent à notre
nature individuelle : voilà qui est certain ,
Messieurs. J'ajoute qu'ils ne conviennent pas
moins à notre nature collective, en tant que
noussommes membres d'un seul corps religieux.
Le bon sens a écrit, par la plume de saint Au-
gustin, ces remarquables paroles : « Q'une reli-
gion soit vraie, qu'elle soit fausse, aucune unité
religieuse, si minime qu'elle soit, ne peut être
créée, si les hommes ne sont reliés entre eux
par des signes visibles, des sacrements1. » —
Nous avons constaté dans les religions antiques
la vérité de ces paroles; elles ne sont pas moins
vraies, si nous les appliquons aux religions con-
1. Augustinus dicit (xix Contra Faustuni. cap. il.
in fine) « In nullum nomen religionis, seu verum,
seu falsum, coadunari homines possunt, nisi aliquo
signaculorum, seu sacramentorum consortio colli-
gentur. » Sed necessarium est ad humanam salutenc
homines adunari in unum verœ religionis nome».
Ergo sacramenta sunt necessaria ad humanam salu-
tem. {Summ. TheoL, III P., quœst. 61, a. 1.)
l'harmonie des sacrements 79
temporaines. C'est par des caractères extérieurs
et visibles qu'on reconnaît partout leurs adhé-
rents. Le Boudhisme, le Brahmanisme, le Ma-
hométisme, le Fétichisme, ont leurs signes de
ralliement. Le Protestantisme, si âpre à dé-
truire, n'a pu rester une religion qu'en conser-
vant certaines pratiques sacramentelles, autour
desquelles se groupent les sectes qui pullulent
en son sein. Il fallait au Positivisme, qui se pro-
posait de remplacer tous les cultes par la reli-
gion de l'humanité, neuf sacrements, ni plus, ni
moins \ Les sectes prétendues humanitaires,
1. Les neuf sacrements humanitaires sont :
La. présentation. X initiation, l' admission, la desti-
nation, le mariage, \& maturité, la retraite, la trans-
formation, Y incorporation.
La présentation. Quelques jours après leur nais-
sance, les enfants sont portés au temple par leurs père
et mère. Là, le prêtre fait une allocution : il enseigne
ou rappelle aux parents et au parrain et marraine les
devoirs qui leur incombent; les règles d'hygiène phy-
sique et intellectuelle qu'ils doivent observer pour faire
un bon citoyen. La présentation est le baptême posi-
tiviste.
L'initiation. A quatorze ans, l'enfant retourne au
temple pour y entendre une instruction du prêtre. On
lui explique les avantages de l'instruction qu'il va re-
cevoir et de la méthode par laquelle on la lui don-
ftO L'HARMONIE DES SACREMENTi
qui conspirent dans l'ombre contre les choses
saintes et contre les autorités établies, qu'elles
ûera etc., V initiation correspond à la première com-
munion des catholiques.
Vadmi^sion. Le jeune positiviste a vingt et un an&.
Nouvelle cérémonie, nouveau discours. Il a reçu de
ses parents et de la société toutes les armes pour faire
figure dans la mêlée humaine. A lui d'en user, main-
tenant,, pour le plus grand bien social. Il est admis
parmi les hommes. Cette admission rappelle la remise
de la toge virile aux jeunes Romains.
La destination. Voilà notre positiviste admis dans
le rang des « hommes ». Il choisit une carrière. Son
choix arrêté, il s'en va voir le prêtre, qui l'instruit des
devoirs de sa profession, et lui montre le bien qu'en
l'exerçant il pourra faire autour de lui.
Le mariage. Le positiviste prend femme. Elle et lui
écoutent une harangue sur les devoirs réciproques
des époux.
La maturité. Quarante-deux ans, autre cérémonie,
sixième instruction. Devoirs de l'homme mûr envers
lui et envers les autres.
La retraite. Vingt et un ans plus tard, si le positi-
viste est vivant, il prend sa retraite. Le prêtre lui
loue les charmes d'une vieillesse honnête, et lui in-
dique, encore, comment il doit s'y prendre pour faire
du bien.
La transformation. Le positiviste va mourir. Cette
fois, le prêtre se rend chez lui. Il lui déclare qu'il v
mourir et l'engage à le faire courageusement. La
mort n'est pas un mal. Il va « se trouver dans la po-
sition horizontale définitive. » Son souvenir vivra dans
L HARMONIE DES SACREMENTS 81
ont l'ambition de remplacer, sont prodigues,
vous le savez, d'initiations et de signes mysté-
rieux, auxquels se reconnaissent leurs adeptes.
Ce sont des sacrements parfaitement laïques,
c'est vrai ; ils n'en confirment pas moins la
juste observation de saint Augustin, qu'il .faut
maintenant nous appliquer.
Revenons donc à cette vérité qui nous a servi
de point de départ : « Multi unum corpus sumus :
Nous qui sommes beaucoup, nous sommes un
seul corps. » Un seul corps! Donc, il nous faut
des signes extérieurs et publics d'unité. La
prière, la confession d'une même foi, c'est quel-
que chose, mais pas encore le témoignage plé-
nier de notre incorporation mystique à la société
du Christ, pur la commune possession d'une
l'esprit de ses coreligionnaires. Ce sacrement a quel-
que analogie avec celui de V extrême-onction.
L'incorporation. Sept ans après sa mort, le feu positi-
viste est incorporé, par un dernier discours, au nombre
des hommes respectables dont la mémoire doit être ho-
norée. L'incorporation est une canonisation égalitaire.
L'administration de tous ces sacrements se fait par
un discours, sans aucun symbole, sans cet appareil
qui frappe l'esprit des foules et fait plus aisément des
prosélytes que le meilleur exposé de la plus sage
doctriue,
CONFÉRENCES .N'.-D. — CARÊME 1883. — 6
L'HARMONIE DES SACREMENTS
même vie divine; et nous ne sommes parfaite-
ment un seul corps qu'autant que nous possé-
dons cette vie. Or, comment saurai -je que
vous la possédez, cette vie, puisque je ne vois
pas, puisque je ne touche pas vos âmes? Com-
ment saurai-je que Dieu est en vous, comme
il est en moi, si je ne vois le signe par lequel
sa vie vous est communiquée, comme elle m'est
communiquée? Je vous entends prier et con-
fesser le même Christ ; c'est bien, je suis content;
mais je saurai bien mieux que vous êtes mes
frères, je serai bien plus disposé à vous res-
pecter, à vous aimer, à me dévouer pour vous,
si les signes sacramentels me donnent la certi-
tude qu'une même vie divine nous anime, que
vous et moi sommes les membres d'un même
corps, pénétrés des mêmes influences bénies, et
rattachés, par ces influences, à la même tête, qui
es), le Christ. — Honneur donc au sacrement!
C'est le drapeau de la fraternité chrétienne.
Petite chose en apparence, grande chose par ce
qu'elle signifie. Le drapeau n'est-il pas le signe
auquel se reconnaît une nation? Ses fastes histo-
riques, ses institutions, ses lois, ses coutumes, sa
▼ie, tout est là : là, dans ce morceau d'étoffe que
l'harmonie drs sacrements 83
les vents tourmentent ou qui pend négligemment
sur sa hampe. Il se lève, on se lève avec lui; il
marche, on le suit; il s'agite dans la mêlée, on
l'entoure, on le défend au péril de sa vie. Les
sabres, les balles, la mitraille, se disputent ses
lambeaux. Ce n'est plus qu'une guenille, et,
devant cette guenille abreuvée de gloire, les
tambours battent, les soldats présentent les
armes. Debout, citoyens, voilà la France qui
passe ! Vive la France !
Vous le voyez, Messieurs, ce signe est peu
de chose, mais combien noble et auguste est
la chose signifiée! *De même le signe sacra-
mentel. En soi, ce n'est rien ou presque rien,
mais c'est un drapeau, et partout où je le
vois flotter, mon cœur chante un vivat au Christ
et à la fraternité chrétienne. Encore une har-
monie de Dieu !
J'en vois une autre dans les éléments in-
firmes que Dieu élève à la dignité de signes
sacramentels.
La créature a reçu le contre-coup de la pré-
varication qui nous a fait déchoir, et a été frap-
pée, comme nous, dans sa vie, par une main
vengeresse. Sa destination originelle était de
84 L'HARMONIE I ES SACREMENTS
nous rappeler les infinies perfections de son
créateur et de nous élever jusqu'à lui. L'être,
les mouvements, la vie du monde, marqués de
ces deux caractères : Tordre et le progrès,
devaient nous rapprocher du type éternel de
toute beauté créée. Mais, voilà que ce qui devait
servir à nos religieuses élévations est devenu
un piège, une amorce d'iniquité, une pierre
d'achoppement et de scandale. Déflorée par
le péché, la créature semble n'avoir conservé
un reste de charmes que pour nous séduire,
et nous en avons tellement besoin que nous
oublions, dans ses usages^ celui qui nous l'a
donnée. Que dis-je? L'homme en a fait une
arme contre son créateur, en abusant de ses
services, jusqu'à l'employer aux plus honteuses
superstitions. Elle méritait d'être frappée, de
nouveau, d'une irrémédiable malédiction. Eh
bien! non, Dieu l'a prise en pitié. Pour nous
arracher à ses séductions et la réhabiliter à
nos yeux, devenus plus clairvoyants depuis que
nous avons reçu les enseignements de la foi,
il en a fait l'instrument de sa grâce, le con-
ducteur de sa vie, nous invitant à venir chercher
le remède dans la coupe où nous buvions le
l'harmonie des sacrements 85
poison; à nous servir, pour son culte, des élé-
ments que nous avions profanés; à satisfaire,
dans le contact et l'usage de ces éléments, le
besoin de mêler à nos actes religieux la partie
sensible de notre être; à accomplir, enfin, un
grand acte de justice.
Oui, Messieurs, un grand acte de justice. Le
premier péché, qui nous sépara de Dieu, fut
l'orgueilleuse prétention de nous égaler à lui.
Dieu ne pouvait mieux nous le faire expier qu'en
nous obligeant à nous humilier, à nous mettre
à genoux devant de toutes petites choses et à leur
demander la vie surnaturelle que nous avions
perdue. L'homme n'est plus tenté d'être si fier,
quand il se voit sous la dépendance de plus faible
que lui; et il est souverainement juste que celte
humiliation soit notre chemin de retour vers colui
que nous avions fui sur le chemin de l'orgueil ',
1. Secunda ratio sumenda est ex statu hominis,qui
peccando se subdidit per affectum corporalibus rébus.
Ibi autem débet médicinale remedium homini adhi-
beri ubi paritur morbum. Et ideo conveniens fuit ut
Deus per quœdam corporalia signa homini spiritua-
lem medicinam adhiberet : nam si spiritualia nuda ei
proponerentur, eis animus applicari non posset, cor-
poralibus deditus. Tertia autem ratio sumenda est ex
studio actionis humance , quœ , preecipue circa
86 l'harmonie des sacrements
Miséricordieuse condescendance, justice, sa-
gesse, admirable conformité aux lois de notre
nature, divine harmonie, voilà, Messieurs, ce que
nous voyons présentement dans les signes sacra-
mentels eux-mêmes, et ce que nous allons voir,
tout à l'heure, dans leurs effets, si vous voulez
bien me prêter encore pendant quelque temps
votre religieuse attention.
II
Pour mettre notre intelligence sur la trace de
ses perfections, Dieu suit, dans toutes ses œuvres,
une marche progressive. C'est une loi de son
corporalia versatur. Ne ergo esset homini durum, si
totaliter a corporalibus actibus abstraheretur, propo-
sita surit ei corporalia exercitia in sacramentis, qui-
bus salubriter exerceatur, ad evitanda superstitiosa
exercitia, quee consistunt in cultu dsemonum, vel qua-
litercumque noxia, quee consistunt in actibus pecca-
torum. Sic igitur per sacramentorum institutionem
homo convenienter suœ naturœ eruditur per sen-
sibilia; bumiliatur, se corporalibus subjectum co-
gnoscens, dum sibi per corporalia subvenitur; prœ-
servatur etiam a noxiis actionibus per salubria exer-
citia sacramentorum. (Summ. Theol., III P., quœst.
61, a. l.).
l'harmonie des sacrements 87
plan, que nous avons constatée, lorsque nous
étudiions ensemble l'harmonie du monde phy-
sique. Elle n'est pas moins visible dans l'harmo-
nie du monde religieux. Rappelez-vous les
splendides préparations de l'Incarnation, c'est
l'application de la loi du progrès, couronnée par
un chef-d'œuvre de puissance, de sagesse, de
justice et d'amour.
Or, dans la préparation de l'Incarnation, nous
remarquons un ensemble de rites religieux
ayant pour but de disposer les âmes à recevoir la
grâce de Dieu ; on les appelle les sacrements de
l'ancienne loi. Ces sacrements étaient un pro-
grès, relativement à la loi de nature ; cependant,
saint Paul les répudie, comme des «éléments in-#
firmes et indigents : Infirma et egena elementa* .»
Pourquoi cela? Parce qu'ils n'étaient que la
figure de nos sacrements, un degré pour arriver
à la parfaite efficacité que Dieu se proposait de
communiquer aux instruments de la grâce, afin
de les mettre en rapport, selon la pensée de
saint Thomas, avec le progrès des théophanies,
de la vérité et de la foi 2.
1. Galat., cap. IV, 9.
8,Sftcrftment*^teriilegisApoatol«g (Galat <>i\) yeo*6
l'harmonie des sacremknts
En effet, les sacrements de l'ancienne loi
montraient de loin celui qui devait venir et
de qui dépendait le salut du genre humain ; les
sacrements de la loi nouvelle nous disent :
« Le voici ! avec tous les mérites de sa Pas-
sion, la vertu de son sang répandu, la vie divine
dont son humanité sainte est remplie pour
sanctifier les âmes. » Les sacrements de l'an-
cienne loi invitaient l'homme à demander la
justice, la sainteté, la vie de Dieu; les sacre-
ments de la loi nouvelle confèrent directement
ces grands dons. Les sacrements de l'ancienne
loi laissaient languir, aux portes de l'éternité
egena,et infirma élément a, quia gratiam nec contine-
bant, nec causabant. Et ideo utentes illis sacramen-
tis dicit Apostolus sub démentis mundi Deo servisse,
quia scilicet nihil aliud erant quam elementa hujus
muodi. Nostra autem sacramenta gratiam continent
et causant : et ideo non est de eis similis ratio. (Summ.
Theol.,Ul P., queest. 61, a, 4. ad. 2.)
Cum sacramentorum usus fidei proportionaliter
respondeat, oportuit quod secundum diversum statum
fidei diversimode sacramenta traderentur : fides au-
tem quantum ad articulorum explicationem , semper
magis et magis crevit secundum propinquitatem
temporis gratiœ; et secundum hoc oportuit sacra-
menta magis ac magis determinari. (in Lib. 4 sent.
dut. 1. queest. l,a.2. ad. 4.)
l'harmonie des sacrements 89
bienheureuse, ceux dont ils avaient préparé la
sanctification; les sacrements de la loi nou-
velle ouvrent le ciel à ceux qu'ils ont sancti-
fiés.
Bref, les sacrements de l'ancienne loi n'é-
taient que des signes indicateurs, les sacre-
ments de la loi nouvelle sont des signée effi-
caces1; les sacrements de l'ancienne loi n'é-
1. Manifestum est quod a passione Christi, quœ est
causa humanee justificationis, convenienter derivatur
virtus justificativa ad sacrameota novœ legis, non
autem ad sacramenta veteris legis. Et tamen per
tidem passionis Christi justificabantur antiqui patres,
sicut et nos. Sacramenta autem veteris legis erant
queedam ilius fidei protestationes, in quantum signifi-
cabant passionem Christi, et effectus ejus. Sic ergo
patet quod sacramenta veteris legis non habebant in
se aliquam virtutem qua operarentur ad conferendam
gratiam justificantem ; sed solum significabant fidem,
per quam justificabantur. (Summ. TheoL, IIIP.,quœst.
62, a. 6.)
Quid igitur confers baptismata, quorum sola com-
munis appellatio; rerum autem tanta differentia,
quanta somnii a veritate, ac umbrœ et imaginum, ab
his quœ rêvera subsistunt?
T« olv ovyxplveis rà fiais! ia pat a, &v ij izpocrïjyopia (idvrj
xoLvrf, v 3é tûv T3pay(JLâTù)v liaÇopà togcivty), Ôar) âv jé-
voito àveipov ispos rrjv iXrjôeiav, xai axiàs xal eixàvoûv -zrrpos
rà xar' ovaiav ^salrjK&ta.) (S. Basil., Migne. Tome IV^
p. 125. Lib. De Spiritu Sancto. cap. xiv. in fine*)
L HARMONIE DES SACREMENTS
taient que des étapes de la Providence, les
sacrements de la loi nouvelle sont le repos
de la toute-puissance de Dieu, l'achèvement
de son plan dans Tordre pratique de la grâce.
Après eux, nous n'avons plus à attendre que la
gloire céleste , don suprême qui consomme
les effusions de la vie divine dans le sein des
créatures1.
Alia surit sacramenta dantia salutem, alia promil-
tentia salvatorem. Sacramenta novi testamenti dant
salutem, sacramenta veteris testamenti promiserunt
salvatorem.... Mutata sunt sacramenta, facta sunt
faciliora, pauciora, salubriora, feliciora. (S. Aug;., in
Psalm. LXXIII.)
Diviniora et priora sunt sacramenta christianorum
quam judseorum. (S. Amb., Lib. 1. De sacramentis.
cap. 4.)
Judaïcaexpiationequaquam apeccatis liberabat sed
a corporis sordibus tantum : nostra vero talis non est
sed multo major, ac multa gratia referta, nam et a
peccatis libérât, et animam emundat, et spiritus gra-
tiam largitur.
Ta pèv oîiv lovàoLÏxdv xaÔâpcriov àpaprijpàrwv pèv ovx
à7n;AXa7e, pûirœv âè o(*)\i<nixûv pàvov tô Se ripètepov oit
Totovrov, àXAà -syo/A'I) peïlov xaï isoWiis yéfiov %âptTor
xil yàp ap.ap-c-np.ixwv àTTOLA/i-let, x*l ^v^v éirocprjxei,
xai TSvevpaTOs lilwai yopr/yiiv. (S. Cbrysost., Homil.
De Baptismo Christi. n* 3.)
1. Status novœ legis médius est inter statum ve-
teris legis, cujus figurée implentur in nova lege, et
inter statum gloriae, in qua omnia nude, et perfectt
L'HARMONIE DES SACREMENTS 91
Merveilleusement encadrés dans le plan di-
vin, les sacrements de la loi nouvelle, si Ton
considère leur efficacité, sont aussi merveil-
leusement adaptés aux évolutions de notre na-
ture, aux diverses phases et aux divers acci-
dents de notre vie.
Vous connaissez , Messieurs , ce principe
théologique dont nous nous sommes déjà servis
plus d'une fois : « La grâce ne détruit pas la
nature, mais elle la perfectionne : Gratta non
destruit naturam, sed illam perfîcit. » La na-
ture, en effet, est, si je puis m'exprimer ainsi, le
support des opérations divines et comme la
matière des formes surnaturelles qui nous per-
fectionnent. On ne conçoit pas qu'elle puisse
être troublée par un mouvement supérieur en
désaccord avec ses évolutions originales. Aussi,
la sagesse divine, dans l'ordre de notre per-
fectionnement surnaturel, s'est-elle appliquée
à faire marcher la nature et la grâce selon le
manifestabitur veritas : et ideo tune nulla erunt sacra-
menta; nunc autem, quamdiu per spéculum, et in
œnigmate cognoscimus, (ut dicitur I ad Cor; xm.
oportet nos per aliqua sensibilia signa in spiritualia
devenire ; quod pertinet ad rationem sacramentoruin,
Summ. Theoi,ill P., queest. 61, a. 4. ad.)
92 l'harmonie des S>CREMENT8
même rhythnie,et à établir entre elles un pa-
rallélisme harmonieux. Personne n'a décrit et
expliqué ce parallélisme mieux que saint Tho-
mas. Permettez-moi, Messieurs, d'être son in-
terprète.
Il y a, dit le saint docteur, entre la vie spiri-
tuelle et la vie corporelle, une certaine con-
formité dont il faut tenir compte, pour bien
comprendre la haute convenance du sacré sep-
ténaire qui, d'un côté, nous perfectionne en
ce qui regarde le culte de Dieu; de l'autre
côté, applique au mal suprême, le péché, toute
l'efficacité de la Rédemption. La première phase
de la vie corporelle, c'est la génération. Dans
l'ombre mystérieuse où il a été conçu, l'homme
commence à être et à vivre. Il paraît, salué
par un cri de joie et comblé de caresses, dans
lesquelles se mêlent l'amour et l'espérance.
Mais ce n'est encore qu'un tout petit être
qui doit prendre ses accroissements. La quan-
tité et la force s'augmentent en lui, obéissant
aux poussées d'une vie toute neuve. Cepen-
dant, cette vie n'aurait de vertu que pour un
instant, si elle n'était entretenue par un ali-
ment qui la renouvelle à mesure qu'elle se
l'harmonie des sacrements
dépense. Génération, accroissement, nutrition,
c'est assez pour une nature impassible. Mal-
heureusement, l'homme est sujet à des infirmi-
tés qu'il faut guérir par des remèdes qui assu-
rent le triomphe de la santé sur la maladie,
par un régime qui fait disparaître jusqu'aux
derniers restes du mal et rend au patient la
plénitude de ses forces.
Tels sont les évolutions, phases et accidents
de notre vie physique. Or, tout cela se repro-
duit dans notre vie spirituelle, où les sacre-
ments se succèdent harmonieusement.
Un sacrement nous engendre : C'est le Bap-
tême , dont la force génératrice , plus vive ,
plus pénétrante, plus féconde que celles qui,
dans la nature, vivifient les germes, saisit
notre être et nos puissances, les transforme et
leur donne une vie de justice et de sainteté
que ne pouvait plus nous transmettre la géné-
ration naturelle, appauvrie par la prévarica-
tion de notre premier père. Nous étions morts
surnaturellement , nous voilà vivants ; nous
n'étions que les fils de l'homme, nous voilà
les fils de Dieu, entés sur l'humanité sainte de
celui en qui se régénère toute nature déchue.
94 l'harmonie des sacrements
A cet être nouveau, il faut une puissance
d'accroissement qui le fasse passer de l'enfance
à l'adolescence, de l'adolescence à la virilité
chrétienne. — Un sacrement donne cette puis-
sance : C'est la Confirmation, nouvelle infu-
sion de l'Esprit de Dieu, déjà sanctificateur
dans notre baptême, dont le propre est d'a-
jouter, aux habitudes surnaturelles que nous
avons reçues de notre génération spirituelle,
une onction qui les affermit, des dons qui les
complètent : l'intelligence, la sagesse et la
science, pour notre esprit; le conseil, la force
et la crainte de Dieu, pour notre volonté ; la
piété, pour notre cœur : tout ce qu'il faut
pour exalter notre âme et ses facultés sancti-
fiées, et les promouvoir à la perfection de la
vie chrétienne.
Cette vie chrétienne a besoin, comme la vie
physique, d'être conservée. — Un sacrement
la nourrit : C'est l'Eucharistie, chair et sang
du Sauveut, cachés sous les apparences des
éléments réparateurs que s'assimile notre corps;
Panis vivus, vrai pain de la vie promis par le
Christ à ceux que le travail fatigue, que la lutte
a rompus, que le péché alanguit; pain super-
L'HARMONIE DES SACREMENTS 95
substantiel, qui peut devenir, si nous le vou-
lons, notre pain quotidien.
Engendrés surnaturellement , confirmés par
l'Esprit de Dieu , nourris de sa substance ,
nous ne sommes cependant pas fixés dans le
bien. Le mal nous sollicite et nous travaille ;
et il arrive, parfois, que notre âme, épuisée et
mourante , se traîne sur le chemin d'iniquités
où elle s'est égarée. 11 lui faut plus que la lu-
mière, pour la ramener sur l'âpre et unique
sentier qui conduit à la bienheureuse éternité.
La lumière ne ferait qu'éclairer son impuis-
sance et rendre plus profond son désespoir.
Cette âme malade a besoin d'un remède. —
Un sacrement la guérit : C'est la Pénitence ,
où elle reçoit, en échange de ses humiliations,
de ses aveux et de son repentir, le pardon de
ses fautes, scellé par un embrassement mys-
rérieux du Christ qui lui communique, à nou-
veau, la vertu de son sang, et oppose, au mor-
tel courant du péché, le contre-courant vivifî-
cateur de la grâce.
Mais le péché est tenace, et, comme ces
longues et cruelles maladies que la médecine
a vaincues, il laisse encore en nous les traces
96 l'harmonie des sacrements
de son passage. Traces facilement oubliées
dans les agitations de la vie, mais dont le sou-
venir se réveille à l'heure de la mort et engendre,
dans l'âme chrétienne , obligée de soutenir le
dernier assaut de l'esprit du mal, une profonde
tristesse et d'inexprimables terreurs. — Un sa-
crement nous guérit de ces tristesses et de ces
terreurs : C'est l'Extrême-Onction, dont la ?ertu
entre dans nos âmes par toutes les portes de
nos sens profanés, détruit les restes du péché,
et provoque une crise suprême de convales-
cence qui se termine par l'indéfectible santé de
l'éternelle vie , dont la mort nous ouvre les
portes.
Ainsi donc, toute la vie humaine, du ber-
ceau au lit de mort, est entreprise par les sa-
crements. L'efficacité de ces signes sacrés fait
marcher la grâce du même pas que la nature.
Rhvthmées par Dieu, elles se tiennent étroite-
ment embrassées dans l'harmonie de leurs
périodes *.
1. Sacramenta Ecclesiœ ordinantur ad duo, scilicet
ad perficiendum hominem in his quœ pertinent ad
cultum Dei secundum religionem christianœ vitœ, et
etiam in remedium contra defectum peccati. Utroque
l'harmonie des sacrements 97
Voilà pour la vie individuelle. Mais n'ou-
blions pas que nous sommes une société, un
autem modo convenienter ponuntur septem sacra-
menta. Vita enim spiritualis conformitatem aliquam
habet ad vitam corporalem, sicut et cœtera corporalia
conformitatem quamdam spiritualium habent. In vita
autem corporali dupliciteraliquisperfïcitur : unomodo
quantum ad personam propriam ; alio modo per res-
pectum ad totam communitatem societatis, in qua
vivit : quia homo naturaliter est animal sociale. Res-
pectu autem suiipsius perficitur homo in vita corpo-
rali dupliciter : uno modo per «e, acquirendo scilicet
aliquam vitse perfectionem ; alio modo per accidens,
scilicet removendo impedimenta vitse, puta segritu-
dines, vel aliquid hujusmodi. Per se autem perficitur
corporalis vita tripliciter. Primo quidem per gênera-
tionem, per quam homo incipit esse, et vivere, etloco
hujusin spirituali vita est baptismus, qui est spiritualis
regeneratio, secundum illud ad Tit. III, 5. Per lava-
erum regenerationis, etc. Secundo per augmentum,
quo aliquis perducitur ad perfectam quantitatem et
virtutem : et loco hujus in spirituali vita estconfirma-
tio, in qua datur Spiritus Sanctus ad robur. Unde di-
citurdiscipulisjam baptizatis. (Luc, ult. 49.) Sedete in
civitate, quoadusque induamini virtute ex alto.
Tertio per nutri tionem, qua conservatur in homine
vita, et virtus : et loco hujus in vita spirituali est Eu-
charistia. Unde dicitur Joan. VI, 54. Nisi manducave-
ritis carnem Fllii hominisj et biberitis ejus sangui-
nem non habebitis vitam in vobis. Et hoc quidem suffi-
ceret homini, si haberetet corporaliter, et spirituaiiter
impassibilem vitam. Sed quia homo incurrit /iHe^um
et corporalem nnfirmitaiem, et spiritualem, scilicet
CONFÉHENCES N.-D. — CARÊME 1883. — 7
98 l'harmonie des sacrements
corps religieux : Multi unum corpus swnus. Or,
le corps religieux, naturo multiple et complexe,
doit avoir, comme les individus, ses sacrements.
Il lui faut un gouvernement qui contienne
dans l'unité les éléments dont il se compose,
le9 protégeant contre les tendances naturelles
de tout composé à la dispersion. Il lui faut une
représentation, pour tous les actes publics qui
doivent être faits au nom de la multitude. — Ce
gouvernement, cette représentation, un sacre-
ment les constitue : C'est l'Ordre , source
divine du sacerdoce. Placé à la tête du corps
religieux pour régir et faire , entre le ciel et
la terre, les échanges sacrés de la prière et de
la grâce, le prêtre usurperait, s'il n'attendait
d'être appelé à un si grand honneur : Nec quis-
peccatum, ideo necessaria est homini curatio ab infir-
mitate; quœ quidem est duplex. Una quidem est sa-
natio, quœ sanitatem restituit; et loco hujus in spiri-
tuali vita est pœnitentia, secundum illud. Psal. x.
Sana animam meam, quia peccaci tibi. Alia autem esC
restitutio valetudinis pristinœ per convenientem diœ-
tam, et exercitium : et loco hujus in spirituali vita est
extrema unctio, quee removet peccatoruni reliquias,
et hominem paratum reddit ad finalem gloriam. Unde
dicitur Jacob. V, 5. Et si in peccatis ait dimittentur
ei. (Summ. Theol., III P., quœst. 65, a. 1.)
L HARMONIE DES SAGREMENT8
quarn sumit sibi honorent sed quivoc*tur Deo
tanquam Aaron. Le peuple a besoin de voir
plus qu'un homme vulgaire en celui qui règle
sa vie religieuse et en résume, dans sa per-
sonne, les actes les plus solennels. A ce roi
spirituel, il faut une consécration qui le recom-
mande au respect de la multitude et le rende
digne de traiter les choses sacrées. C'est pour
cela qu'il se prosterne sous les mains fécondes
d'un pontife, investi, avant lui, de la dignité
à laquelle il aspire, et c'est grâce au sacrer-
aient qu'il reçoit que la vieille monarchie,
dont il devient le ministre couronné, se tient
debout depuis dix-huit siècles, quand l'huile
des sacres sèche et perd son prestige sur
le front des rois de la terre ; c'est grâce à
l'inépuisable vertu de ce sacrement que le mou-
vement des choses sacrées va de la terre au
ciel, du ciel à la terre, sans jamais s'arrêter.
La société chrétienne, gouvernée' et religieu-
sement représentée par un homme consacré,
possède donc, dans le sacrement de l'Ordre,
une garantie de stabilité. Mais la mort y fait
tous les jours des moissons qui la dépeuplent,
et la réduiraient bientôt à néant, si ces pertes
100 L HARMONIE DES SACREMENTS
n'étaient réparées . — Un sacrement la renou-
velle : C'est le Mariage, qui s'empare d'un
office de la nature , sanctifie les sources de la
vie, et prépare une lignée d'enfants de Dieu,
d'êtres sacrés, là où des générateurs vulgaires
n'auraient engendré que des profanes1.
Vie individuelle, vie collective, tout est har-
monieusement ennobli , transformé , sanctifié
par les sacrements. Et c'est bien, ajoute l'angé-
lique docteur, la vertu de la rédemption, pour-
suivant partout le péché, qui opère ces mer-
veilles. C'est à la mort du péché que le Baptême
substitue la vie de la grâce; c'est contre l'in-
firmité dérivée du péché que la Confirmation
accroît nos forces; c'est pour obvier aux consé-
quences de notre fragilité et de nos tendances
1. Perficitur autem homo in ordine ad totam com-
munitatem dupliciter. Uno modo per hoc quod accipit
potestatem regeudi multitudinem, et exercendi actus
publicos : et loco hujus in spirituali vita est sacramen-
tum ordinis, secundum illud Hebr. VII : Quod sacer-
dotes hostias offerunt non solum pro se, sed etiam pro
populo. Secundo quantum ad naturalem propagatio-
nem : quod fit per matrimonium tam in corporali,
quam in spirituali vita, eo quod est non solum sacra-
mentum, sed naturee officium. {Summ. ThcoL, III
P., «quœst. 65, a. 1.)
l'harmonie des sacrements 101
au péché que l'Eucharistie nous nourrit de la
vie divine; ce sont les péchés commis que la
Pénitence efface ; ce sont les restes du péché
que TExtrême-onction détruit; c'est la disso-
lution du corps religieux, préparée par le pé-
ché, que l'Ordre prévient; c'est à l'apaisement
de la concupiscence, à la réparation des ra-
vages de la mort, fruits du péché, que les
effets du Mariage sont ordonnés1. « Donc, il est
juste, il est sage, il est digne ae Dieu, il
convient à l'homme, qu'il y ait sept sacrements :
Ergo dicendum est... qnod convenienter po-
nantur septem sacramentel. »
Ils sont sept! Aussi parfaitement rhythmés
1. Ex his etiam patet sacramentorum numerus, se-
cundum quod ordinatur contra defectum peccati. Nam
baptismus ordinatur contra carentiam vitee spiritualis;
confîrmatio contra infirmitatem animi, quee in nuper
natis invenitur; eucharistia contra labilitatem anima
ad peccandum ; pœnitentia contra actuale peccatum
post baptismum commissum ; extrema unctio contra
reliquias peccatorum, quse scilicet non sunt sufficien-
ter perpœnitentiam sublatee, autex negligentia, autex
ignorantia; ordo contra dissolutionem multitudinis
matrimonium in remedium contra concupiscentiam
personalem, et contra defectum multitudinis, qui per-
mortem accidit. (Summ. Theol.y III P., auaest. 65
a. W
102 l'harmonie des sacrements
entre eux qu'ils sont rhythmés avec notre na-
ture; groupés, comme des astres, autour d'un
astre central qui règle leur gravitation : le
sacrement le plus divin par ce qu'il contient,
l'Eucharistie, appelant à lui tous les autres :"
l'Ordre, qui le consacre, le Baptême, la Confir-
mation , la Pénitence , l'Extrême-Onction, qui
préparent les âmes à le recevoir, le Mariage,
qui figure les noces sacrées de l'âme avec son
Dieu ■;
1. Sacramentum eucharistiœ est potissimum inter
alia sacramenta. Quodquidem tripliciter apparet. Primo
quidem ex eo quod in eo continetur ; nam in sacra-
mento eucharistiœ continetur ipse Christus substantia-
liter; in aliis autem sacramentis continetur quœdam
virtus instrumentais participata a Christo, ut ex supra-
dictispatet(quœst. XII, art. i, ad. 3^^npprautemquod
est per essentiam, potius est eo q^od est per partici-
pationem. Secundo hoc apparet ex ordine sacramen-
orum ad invicem : nam omnia alia sacramenta or-
dinari videntur ad hoc sacramentum sicut ad finem.
Manifestum est enim quod sacramentum ordinis or-
dinatur ad eucharistiœ confectionem ; sacramentum
vero baptismi ordinatur ad eucharistiœ receptionem :
in quo etiam perficitur aliquis per confirmatiouem, ut
non vereatur se subtrahere a tali sacramento : per
pœnitentiam etiam, et extremam unctionem prœpa-
ratur homo ad digne sumendum corpus Christi : ma-
trimonium eti.am saltem sua significatione attiogit
L'HARMONIE DES SACREMENTS 103
Ils sont sept ! Nombre de Dieu et de l'homme:
de Dieu, en trois personnes : Père, Fils, Esprit-
Saint; de l'homme, aux quatre vies : vie végé-
tative, vie animale, vie intellectuelle, vie sur-
naturelle; de Dieu, objet et principe des trois
grandes vertus : de foi, d'espérance, de charité ;
de l'homme, orné, par la nature, des quatre
vertus : de prudence , de justice , de force et
de tempérance. #
Ils sont sept! Nombre mystérieux et vénéré
des anciens : sept, comme les âges qui mesu-
rent la vie du monde; sept, comme les jours
à travers lesquels se meut notre existence ; sept,
comme les grandes solennités dû Judaïsme ;
sept, comme les bras du chandelier symbo-
lique qui veillait à la porte du saint des saints;
sept, comme les sceaux du livre de vie et de
hoc sacramentum, inquantuir significat conjonctio-
nem Christi et Ecclesiœ, cujus unitas per sacramen-
tum eucharistie? fîguratur. Unde et Apostolus diGife
Ephes, V. 31. Sacramentum hoc magnumest; ego au-
tem dico in Christo et in Eeclesia. Tertio hoc ap-
paret ex ritu sacramentorum. Nam fere omnia sacra-
menta in eucharistia consummantur, ut Dionysius
dicit, cap. ni, eccl. Hier, sicut patet quod ordinati
communicant, et etiam baptizati, si sint adujti.
Summ, Theol., III P., quœst. 65, a. 3.)
£04 l'harmonie des sacrements
mort que doit ouvrir l'Agneau ; sept , comme
les couleurs concentrées et fondues dans l'écla-
tante blancheur du rayon solaire ; sept, comme
les notes de la musique, dont les mélodieuses
cadences et les harmonieux mouvements ré-
jouissent notre oreille. Ils sont sept, dans notre
vie encore imparfaite ; et l'octave, dit un grand
mystique, c'est la perfection : Octava perfectio
est. Oui, la perfection consommée, la gloire,
la béatitude, le ciel, où toutes les harmonies
de la vie humaine seront fixées dans un éternel
concert.
En attendant que vous soyez admis à ce con-
cert, rentrez en vous-même, Messieurs, écoutez
votre vie, comme un artiste écoute la harpe qu'il
accorde. N'en sort-il que des sons harmonieux?
N'y manque-t-il pas une corde sacrée, en l'ab-
sence de laquelle les autres ne rendent plus
que des sons sans ordre et sans beauté? Il faut
remettre à votre vie cette corde sacrée, ce sa-
crement qui n'y est pas; et, alors, vouspaurrez
dire, avec le Psalmiste : « Mon âme ! bénis le
Seigneur, et que tout ce qui est en moi chante
son saint nom : Benedic anima mea Domino,
et omnia qttœ intra me sunt «nmini sancto ejusK.»
1. Psalm. en.
SOIXANTE-TROISIÈME CONFÉRENCE
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
SOIXANTE-TROISIÈME CONFÉRENCE
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
Éminentissime Seigneur * , Messieurs,
Les sacrements ne produisent-ils qu'une grâce
qui nous sanctifie, en s'harmonisant avec les
diverses phases de notre vie religieuse, telle
que Dieu l'a ordonnée, et la liberté qui nous
est laissée d'être ingrats et prévaricateurs est-
elle si puissante qu'elle efface jusqu'au derniei
vestige de notre être surnaturel et nous paga-
nise tout à fait? Dans ce cas, Dieu seul pourrait
savoir qui de nous est déchu, et, au jour des
grandes manifestations, rien, dans notre per-
sonne, ne trahirait l'horrible secret de nos in-
fidélités. Mais, il n'en est pas ainsi. Les mem-
bres de la société chrétienne, qui se recon-
1. Son Eminence, le cardinal Guibert, archevêque
de Paris.
108 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
naissent ici-bas aux signes sacramentels, se
reconnaîtront éternellement dans un monde où
il n'y aura pas de sacrements. Quoi que fassent
les pécheurs pour s'assurer, par les longs mé-
pris de l'impénitence, l'oubli de leur passé reli-
gieux, ce passé revivra dans le redoutable éclat
d'un signe que rien ne peut effacer : ce signe,
c'est le caractère sacramentel.
Entre tous les sacrements, il y en a qu'on
renouvelle, parce qu'ils ne oroduisent qu'une
grâce qui peut croître ou décroître, resplendir
davantage ou entièrement disparaître , selon
les fluctuations de notre vie entre le bien et le
mal. Mais il y en a qu'on ne renouvelle pas,
parce qu'ils opèrent plus profondément, et
qu'une partie, au moins, de leur efficacité est
perpétuellement fixée par un signe qui se grave
dans l'âme elle-même, et que l'Église appelle:
le caractère.
Ce signe, Messieurs, doit nous faire connaître
à fond l'harmonieuse beauté de notre sacra-
mentaire. Étudions-le avec tout le respect et
l'attention qu'il mérite.
Qu'est-ce que le caractère sacramentel?
A quoi nous oblige-t-il?
LES CARACTÈRES SACRAMtNTtU» 109
ï
Il est écrit dans l'Évangile qu'un jour, le?
Pharisiens et les Hérodiens s'approchèrent de
Jésus, afin de le surprendre dans ses paroles ■
a Maître, lui dirent-ils, nous savons que vous
dites la vérité et que vous ne faites acception
de personne. Ce n'est pas à la figure de l'homme
que vous regardez; mais, à qui que ce soit, vous
enseignez, en toute vérité, la voie de Dieu.
Dites-nous donc, s'il est permis, oui ou non de
rendre le tribut à César. » Et Jésus, qui con-
naissait leur duplicité et leur malice, leur ré-
pondit : ce Pourquoi me tentez-vous ? Apportez-
moi un denier, que je le voie. » Ils le lui appor-
tèrent, et le Sauveur leur montrant cette pièce
de monnaie : « De qui est cette image, dit-il,
et cette inscription? — De César, répon-
dirent-ils. — Eh bien ! rendez donc à César ce
qui est à CésarT et à Dieu ce qui est à Dieu. >;
Et tousfurent dans l'étonnement ' .
La duplicité des Pharisiens et des Hérodieafc
4. Matth., cap. xxn, 15-22.
110 LE** CARACTÈRË8 SACRAMENTEL*
n'est pas le vice de vos cœurs honnêtes, Mes-
sieurs, et vous ne m'avez jamais tenté par des
•questions insidieuses. Permettez-moi, cepen-
dant, de vous demander, comme le Sauveur,
non pas un denier, mais votre âme. De qui est
l'image et l'inscription que je vois sur elle?
Cujus est imago hœc et super scriptio? Vous ne
vous attendiez pas à cette question. Ai-je bien
le droit de vous l'adresser? Ai-je bien le droit
de m'enquérir des mystères qu'il a plu à Dieu
de cacher au plus profond de votre être? Si,
arrêtant quelqu'un d'entre vous sur la place
publique ou dans la rue, je lui demandais son
nom, il me répondrait, sans doute, que je n'ai
pas le droit de l'interroger ainsi ; et il poursui-
vrait son chemin, bien convaincu que je suis
un homme mal élevé. Mais, nous iie sommes
ni sur la place publique, ni dans la rue ; nous
sommes dans une église, où Jésus-Christ a le
droit de vous demander compte de ses dons et
de ses bienfaisantes opérations. C'est en son
nom que je vous adresse cette question: —
« Cujus est imago hœc et superscriptio ? D<1
qui est l'image, l'inscription, le caractère que
. porte votre âme? »
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 111
Il faut me répondre, ou plutôt, non, taisez-
▼ous, je vais répondre pour vous : — Christil
Tout cela est du Christ ! Vous portez le carac-
tère du Christ! vous le portez, incrusté pro-
fondément dans l'incorruptible substance de
votre âme, éternellement ineffaçable, afin qu'il
soit bien connu de tous que vous êtes à lui.
Le caractère, c'est l'armoirie sanglante du
Sauveur, le signe de sa propriété divine. Il
voit cela du haut des cieux, et, vous montrant à
ses anges, il dit : « Cette âme est à moi! »
En doutez-vous, Messieurs? Ah! vous pourriez
en douter, si, pour la première fois, le Christ se
montrait à vos yeux éblouis et venait vous par-
ler en maître et en propriétaire. Mais il y a
longtemps que ses droits sont établis, vous le
savez aussi bien que moi.
Nous sommes à Jésus-Christ, parce qu'il
nous a créés. Il est le principe, c'est-à-dire
le type universel et infiniment parfait en qui
Dieu voyait éternellement toutes ses œuvres ;
le principe, c'est-à-dire le Verbe fécond et tout-
puissant par qui tout a été fait : Per ipsum om~
nia facta sunt. « Avant que rien ne fût, tout était
vie en lui: Quod factum est in ipso vita erat.»
1.12 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
Il a retenti sur le néant : tout a été créé. Et,
lorsque, revêtu du manteau de notre nature, il
descendait du ciel parmi nous, il entrait au mi-
lieu de ce qui lui appartenait au plushaut titre,
au titre d'auteur: « In propria venit 4.»
Nous sommes à Jésus-Christ, parce que Dieu
nous a donnés à lui. Abaissé au-dessous des
anges par l'Incarnation, il avait besoin d'une
nouvelle investiture qui saisît de ses droits éter-
nels l'humanité qu'il avait épousée. Dieu lui a
fait dire, par un de ses ancêtres humains : « De-
mande-moi, je te donnerai les nations en héri-
tage: Postula a me et dabo tibi gentes hœre-
ditatem tuam*.» Et Jésus a demandé, par ses
soupirs, ses gémissements, ses prières, ses
larmes. Dieu ne pouvait rien refuser, dit l'Apô-
tre, aux humbles respects, ni aux cris puis-
sants qui forçaient les portes de sa miséricorde.
Il a constitué le Verbe fait homme héritier de
toute choses. « Quem constituit hœredem univer-
sorum » 3.
Ainsi, l'homme-Dieu nous possède en vertu
1 Joan., cap. i.
2. Psalm. il.
3. .Heb., cap. i, 2.
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 113
u une simple largesse? Mieux que cela, Mes-
sieurs : Nous sommes à Jésus-Christ , parce qu'il
nous a rachetés. Nos âmes souillées par le pé-
ché étaient devenues les esclaves de la justice
divine. Pour les arracher à ses éternelles ven-
geances, il fallait y mettre le prix, un prix égal
à ia majesté infinie que le péché avait outragée.
Eh bien ! c'est fait. Jésus-Christ a offert pour nos
âmes les mérites de sa naissance humiliée, de
sa vie laborieuse, de ses opprobres, de sa dou-
loureuse Passion, de sa mort sanglante, les pé-
nétrant, pour les rendre aussi grands que Dieu,
de sa propre infinité. Et l'Apôtre a pu dire:
Empti estis prœtio magno1.
Nous sommes à Jésus-Christ, parce qu'il nous
a créés, parce qu'il nous a demandés, parce qu'il
nous a rachetés ; mais il nous possède plus inti-
mement encore. Il nous possède parce que c'est
lui qui nous transmet la vïe divine, et accroît
ainsi notre nature des richesse d'une nature
infinie ; il nous possède par la voie mystique de
l'incorporation, c'est-à-dire comme le tronc
possède sa ramure, comme la tête d'un corps
en possède les membres, comme je possède les
1. I Cor., cap. vi, 20.
CONFÉRENCES N.-D. — ■ CARÊME 1883. — 8
114 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
deux mains émues qui s'avancent vers vous,
voudraient prendre vos mains, et vous dire dans
une pieuse étreinte : Chrétiens, Chrétiens, pen-
sez-y donc, vous êtes à Jésus-Christ î
La création, la donation, la rédemption. Tin-
corporation, tels sont les titres du Christ
à notre possession ; et Ton s'étonnerait qu'il ait
voulu en perpétuer le souvenir par des signes
authentiques et inaltérables ! C'est le contraire,
Messieurs, qui serait étonnant. Vous êtes bien
propriétaires de quelque chose, par conséquent
vous n'ignorez pas ce que fait le propriétaire
quand il veut que tout le monde sache qu'une
chose est à lui. Il la marque de son chiffre ou de
ses armes. S'il prend ainsi la peine d'affirmer
son droit sur une matière corruptible, je ne vois
pas pourquoi leChrist, maître des maîtres, se
priverait d'affirmer son droit de propriété sur
nos âmes immortelles, par un signe qui les rende
reconnaissables aux yeux de toutes les créatures
appelées à constater un jour l'héritage du Fils
de Dieu1,
1. Quando quidem et muta animalia persîgnaculum
ostendunt, cujus sit unumquodque, et ex signaculo
vindicatur : sic et anima fidelis, quœ veritatis sigil-
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 115
Les signes sacramentels ont une vertu distino
tive, c'est vrai; mais cette distinction n'est que
transitoire et tout à la superficie de notre être.
Un maître comme Jésus-Christ se devait à lui-
même quelque chose de plus profond et de
plus durable : c'est le caractère sacramentel.
Ce caractère n'est point une simple dénomi-
nation, une pure relation, ainsi qu'on l'a pré-
tendu; mais une véritable inscription, gravée
dans l'âme humaine par la pénétrante vertu
d'un sacrement qu'on ne peut renouveler.
« Vous êtes marqués, dit l'Apôtre, sigjiati
estis. » Cette marque, bien qu'invisible, a été
reconnue par la foi de tous les siècles chrétiens.
« L'Esprit de Dieu, dit un saint Père, convoque
toute la milice angélique, afin de l'imprimer
solennellement dans nos âmes1. » Il faut bien
que les esprits célestes sachent où est la pro-
lum accepit, stigmata Christi portât. Ovrœs kai rj ^v^
Y) tskjIï) rà rrjs âXrjdeias Aa^ovo-a cr<pt)ayi(jp.tx rà ariy [xa.ro.
toO Xptalov izepiÇépst. (In Excerpt. ex Theod. apud
Clem. Alex., n°86.)
1. Multis angelicorum exercituum myriadibus pra>
sentibus Spiritus Sanctus animas vestras obsignatu-
ras est. Èvcbmov pvpiâhav o1 paicl iwv dyyéXcov' péXXei rà
Flveûps rà âyiov eÇpayfceiv t/fxwr ras ^t/gà?. (S. Cyril.
Hierosol.j Catech. m, n° 3.)
116 LES CARACTÈRES SACRAMF.NTEL3
priété du Christ qu'ils doivent administrer et
défendre contre ses ennemis. Il faut bien,
qu'après nous être reconnus en ce monde par
les signes sacramentels, nous nous reconnais-
sions en l'autre par le chiffre mystique de notre
incorporation à la famille du Christ. Il faut
bien que nous puissions montrer encore que
nous appartenons à Dieu, quand les signes sen-
sibles ne pourront plus servir de protestation à
notre foi l. — Le caractère, c'est notre circon-
cision, la grande, la vraie, la circoncision du
progrès religieux accompli, dans Ja race
humaine, par une nouvelle révélation2. — Le
peuple charnel, comme un vil troupeau, était
marqué dans sa chair, par un instrument gros-
1. Nemo te cognoscet ut mm noster sis an hostium
nisi mysticis tesseris exhibeas domesticitatem (oIkhô-
lijTOL.) Quomodo angélus te juvabit, quomodo eripiet
ex hostibus, nisi recognoscat sigillum? Quomodo tu
dicis : Dei sum, nisi prae te feras characteres distin-
guent^ ?(rà yvcûpi<T(xoi7a) (S. Basil., in s. Baptism. n° 5)
2. Nam illic corpons praescripta circumeisio...
Quoad ingens est illa circumeisio subsecuta, baptis-
mus videlicet, quo... in Dei nomine signamur. Èxsï
yip rj izeptTopr)... ëù)s rijs (xeyàkrjs 'sreptTop.rjç, tovtscttj
TOÛ pzr.-i>j<ti7.-'j; TOS... (Jppxy :.<J1VT0> YJ(JiÔLS SIS ÔVOUCt BfiOW.
(S. Epiph., Hœres.} v., n° 6.)
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 11"
sier ; le peuple spirituel doit être marqué dan^
son esprit, par l'Esprit *.
« Vous êtes marqués par l'Esp rit-Saint, garant
des divines promesses : Signati estis Spiritupro-
missionis sancto2. Et c'est pour toujours. — Le
caractère sacramentel est non seulement une
chose sainte et salutaire 3, c'est une chose per-
sistante, tenace, indélébile, d'une durée éter-
nelle *. — Il sert à reconnaître partout le déser-
teur de l'armée du Christ 5 ; mais, si le déserteur
rentre dans les rangs, ce serait un sacrilège de
vouloir le marquer de nouveau, la trahison n'a
1. Signati fuerunt etiam Israelitae, sed circumci-
sione sicut pecora etbruta. Nos quoque sumus signati,
sed sicut fîlii, spiritu. È(j<ppayt<jdr)<jav xaï oi ItjparjXïtat,
àAXà tsspiTO(irjj xadâirep xaï ta fioa-xrjiiata xai ta âXoya
ècjppayfodyiÂev xai ï)\isïs, àXXy œs viol, tsvsvuclti. (S. Chry-
sost., Homil. ii. in Epist. ad Ephes. n°2.)
2. Ephes., cap. i, 13.
3. ZÇpatls éfyia xai àAvroç. (S. Cyril., Procat, n° 16.)
4. Zppccfis àve^aXe/iTToç ds tous atôvaç. (ibid.). "Ztppayis
dvsrr/./spriToç. (S. Basil, in s. Baptism.)
5. Obsignatus es; sicut enim militibus sigillum. ita
et fidelibus spiritus imponitur. ut etiam si desertor
fugias, omnibus cognoscibilis fias. Kadànep yàp avpa-
■zifaai'.q cÇpafis, ovtc* xai xof> ts'.aloïs zb -orveOna zKÏÏlBziai'
xàv Xzm1axlT)ar\s, xa1âXr\Xos fhrj tsâon. (S. Chrysost, in
2 ad Cor-, Homil. m, n° 14
113 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
pu effacer son caractère f. Encore une fois, il
est perpétuel et incorruptible comme l'esprit
dans lequel il est imprimé 2. »
Ce n'est pas moi qui parle, Messieurs, c'est
toute la tradition, dont la belle et constante
doctrine . a traversé les âges chrétiens, des
temps apostoliques au concile de Trente qui l'a
fixée dans cette définition, déjà ébauchée par le
concile de Florence 3 : « Si quelqu'un nie que
les trois sacrements de Baptême, de Confirma-
tion et d'Ordre impriment dans l'âme humaine
un caractère, c'est-à-dire un signe spirituel et
indélébile, qui empêche de les renouveler, qu'il
soit anathème 4. »
1. Tene ergo quod accepisti , non mutatur sed agnos-
citur : characterest régis mei non erosacrilegus; cor-
rigo desertorem, non immuto characterem. (S. Aug.
Tract, vi, in Joan, ne 16).
2. Manifestum est quod sicut intellectus perpe-
tuus estet incorruptibles ita cba?acter indebiliter manet
in anima. (Summ. Theol , III P., queest. 63, a. 5.)
3. Inter heec sacrameDta, tria sunt, baptismus, con-
firmaîio et ordo, quae char.'icterem, id est spiritale
quoddam signum acaeteris distinctivum imprimunt in
anima indelibile ; unde in eadem persona non reite-
rantur : reliqua vero quatuor characterem non im-
primunt, et reiterationem accipiunt. (Con. Fior., In
decreto unionis.)
4. Si quis dixerit, in tribus sacramentis, baptisrao
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 119
Et maintenant, vous croyez peut-être que j'ai
tout dit? Détrompez-vous, je n'ai rien dit encore,
rien, du moins, d'intime et de profondeur cette
si grande chose que l'Église appelle le caractère
sacramentel. Je l'ai considéré comme un signe
indélébile qui modifie notre âme ; ce n'est que
l'écorce de l'enseignement théologique. Per-
mettez-moi de déchirer cette écorce, et de vous
mettre en présence de nouveaux mystères qui
pourront vous étonner, mais qui, bien entendus,
auront, dans votre vie pratique, un salutaire
retentissement.
Je savais bien que le caractère sacramentel
est un signe indélébile qui modifie notre âme et
atteste la prise de possession de notre maître
Jésus-Christ. Mais, à ce compte, il suffît qu'un
premier sacrement , celui qui nous enfante à la vie
surnaturelle, grave en nos âmes le chiffre divin
auquel on reconnaît la propriété du Christ. Or,
comme trois sacrements : le Baptême, la Con-
firmation, l'Ordre, impriment un caractère, j'ai
scilicet, confîrmatione, et ordine, non imprimi cha-
racterem iri anima, hoc est signumquoddamspiritale,
et indelibile, unde et iterari non possunt, anathemi
ait. (Conc. Trid., sess. vu, can. 9.)
120 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
demandé à saint Thomas, qui ne me trompe
jamais, s'il n'y avait pas quelque chose de plus,
et saint Thomas m'a répondu deux fois.
Une première fois : « Character est distinctio a
charactere œterno impressa animœ rationali, se-
cundum imaginem consignans trinitatem creatam
tr'mitati creanti et recreanti, etdistingitens a non
configuratisi : Le caractère est une distinction
imprimée dans l'âme raisonnable, configurant
cette trinité créée à la Trinité créatrice et régé-
nératrice, et la séparant de ceux qui ne sont pas
configurés. »
Une seconde fois : « Character est spiritualis
potestas perficiens hominem divinum et communi-
catorem divinorum, in quantum deputatur ad
cultum Dei secundum ritum christianœ reli-
gionis 2 : Le caractère est une puissance spiri-
tuelle, perfectionnant l'homme devenu divin et
participant des choses divines, en tant qu'il est
appliqué au culte de Dieu, selon le rite de Ja
eligion chrétienne. »
Evidemment, Messieurs, en entendant ces ma
gnifiques définitions, vous devez comprendre que
1. Summ. Theol., III P., queest. 63, a %
2. Ibid., a. 2. (cf. tôt. corp. articuli.)
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 121
je n'ai rien dit encore et qu'il y a dans le carac-
tère sacramentel beaucoup plus qu'un signe in-
délébile. Quoi donc? — Une physionomie et
une puissance.
Écoutez bien. Si vous n'êtes ni païens, ni
juifs, ni mahométans, vous possédez, dans le
noble esprit où s'élaborent vos pensées, où
naissent vos desseins, d'où jaillissent vos affec-
tions, une «physionomie et une puissance que
ne vous a point données la nature. Qui de vous
s'en doutait? — Ma question n'est pas un re-
proche, croyez-le bien, car je vous déclare naïve-
ment que, moi-même, j'ai ignoré pendant long-
temps ce grand honneur, bien que j'eusse toutes
sortes de raisons pour le connaître. Mais, bref,
vous avez tous une physionomie mystique, une
puissance suréminente: c'est le caractère sacra-
mentel, qui me fait vous appeler chrétiens, lors
même que vous n'en êtes plus dignes ; comme
la physionomie et la puissance dont se compose
votre caractère moral me fait encore vous ap-
peler des hommes, lorsque vous vous êtes désho-
norés par quelque bassesse.
Remarquez bien, je vous prie, l'emploi que
nous faisons du même mot dans notre langage
122 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
profane et dans notre langage sacré. Cela tient
à des analogies qui nous révèlent l'harmonie de
notre vie extérieure et de notre vie intime. Vous
dites d'un homme qu'il a du caractère. Com-
ment le savez-vous? Si vous avez contemplé, de
près ou de loin, les phases agitées de son exis-
tence, si vous l'avez vu se débattre en de grandes
luttes, travailler avec un indomptable courage
au triomphe de ses desseins, traverser intrépide-
ment tous les obstacles, succomber enfin sous
les coups de la force qu'il méprise, ou, couronné
de gloire, se reposer sous des trophées, à la
bonne heure ! Oui, cet homme a du caractère.
Vous pouvez dire cela, sans hésiter, de tous les
grands saints, de tous les grands pontifes, de
tous les grands capitaines, de tous les grands
législateurs, de tous les grands magistrats, et
même de tous les grands monstres historiques,
aussi bien que de ceux que vous fréquentez.
Mais, un homme que vous rencontrez une pre-
mière fois et que vous ne verrez bientôt plus,
un homme qui ne s'est arrêté qu'un quart
d'heure devant vous, un tout petit homme que
votre taille domine <t que vous regardez de
haut, vous dites de lui : Il a du caractère.
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 123
Comment le savez- vous? Vous ie savez par les
sondaines révélations de sa physionomie. — Un
front bas et fuyant, des yeux ternes, des traits
flasques, des lèvres molles et languissantes, ce
n'est pas ce que vous avez vu. Vous avez vu un
front noble comme le frontispice d'un monu-
ment; des yeux qui étincelaient et entraient
dans vos yeux, comme le jet rapide de l'électri-
cité ou comme un rayon de soleil; des traits
fortement burinés ;| des lèvres fermes ; en un
mot, vous avez vu une physionomie, cette phy-
sionomie vous a révélé une puissance; et, alors,
vous avez dit : Cet homme a du caractère, car
qui n'a pas de puissance n'a pas de physiono-
mie, qui n'a ni physionomie ni puissance n'a
pas de caractère. Or, Messieurs, ce phénomène
de notre vie extérieure est reproduit analogi-
quement dans notre vie intime par la vertu des
sacrements, car le caractère sacramentel se
compose aussi de physionomie et de puissance.
D'où nous vient-il? « Du caractère éternel,
dit saint Thomas, charactere œterno impressa; »
c'est-à-dire de celui qui est éternellement dans
les cieux la rassemblant infinie de l'infini,
l'image substantielle du Père qui l'engendre, et ,
124 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
si je puis m'exprimer ainsi, la physionomie de
Dieu : le Verbe. C'est Lui ! Lui, le plus grand des
artistes puisqu'il les inspire tous; Lui, le plus
puissant des moteurs; Lui, la plus vive des
forces; c'est Lui qui, plus vigoureusement que
l'acide dans les métaux, mord dans notre âme,
pour y graver son chiffre et configurer, par voie
d'image et de ressemblance, notre trinité créée
à la Trinité créatrice et régénératrice.
Déjà, l'acte créateur nous configure à notre
divin principe; l'activité libre, l'intelligence,
l'amour, sont la ressemblance de Dieu, imprimée
dans nos âmes par le Verbe. Mais, sous la péné-
trante action du caractère éternel travaillant à
nous communiquer une nouvelle vie, de nou-
veaux traits s'ajoutent à ceux de la nature et
donnent, à chaque chrétien, une physionomie
nouvelle, qui le rapproche davantage du type
trinitaire et le fait mieux reconnaître comme
son œuvre. C'est ur>e sorte de photographie sur-
naturelle, que font éclore la vive lumière et les
chaudes ardeurs du soleil des âmes, dans la
matière sacrée que l'Église répand sur nous.
La matière passe, l'image demeurent nous dis-
tingue mystiquement du reste dç l'humanité,
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 125
mieux que la noblesse des traits et certaines ori-
ginalités de formes ne distinguent, du reste des
peuples, les familles historiques. — Grâce à notre
caractère sacramentel, le monde saura éternel-
lement qu après avoir reçu l'existence et la vie
du Dieu-Un, dont notre être d'emprunt et nos
perfections bornées révèlent 1 être nécessaire et
les perfections infinies, nous avons été engendrés
à nouveau par le Dieu-Trinité, dont notre phy-
sionomie surnaturelle est l'indélébile ressem-
blance.
Le caractère sacramentel est donc une phy-
sionomie ; mais, sachez-le bien, cette physio-
nomie ne nous est pas donnée uniquement
comme signe distinctif; elle est la révélation
d'une puissance : puissance toute spirituelle qui
nous ordonne perfectivement au culte divin,
selon les coutumes sacrées de la vie chrétienne.
Ce qui veut dire, Messieurs, que l'homme chré-
tien est appelé à accomplir des actes qui ne
conviennent qu'à lui, et que, pour accomplir ces
actes, les sacrements lui confèrent une puis-
sance, droit radical, auquel Dieu vient en aide
quand, de la puissance, il faut passera Tac-
lion.
126 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
« Ce droit, dit Saint-Thomas, est une dériva ti-n
du droit sacerdotal de Jésus-Christ1.» Nous
l'avons vu, ce grand-prêtre de la loi nouvelle,
se substituer au sacerdoce figuratif de l'ancien
testament. Nous avons admiré l'excellence de
son sacerdoce, dans le choix, Fonction, les
qualités suréminentes de sa personne, l'am-
pleur, la simplicité, l'efficacité de ses fonctions,
la perpétuelle durée de son ministère. Une suc-
cède à personne, mais un serment solennel de
Dieu détermine et fixe sa médiation ; l'onction
delà divinité le pénètre à l'heure même où il
est conçu, et sa sainteté substantielle lui per-
met de ne demander à aucun rite la pureté
dont le prêtre a besoin pour se mettre en rap-
port avec Dieu. L'immensité est son temple.
Il ne lui faut qu'une seule hostie et un seul sa-
crifice. Aussi parfait que celui près de qui il
représente la création, il donne à Dieu tout ce
qu'il peut désirer de l'humanité, à l'humanité
1. ManifeS'Umestquotioharaciersacramentahsspe-
ciahter est character Christi, cujus sacerdotio ccmfigu-
rantur fidèles, secundum sacrameatales characieres,
quinihil aliud surit quam quœdam participationes sa-
cerdotii Christ», ab ipso derivaîse. (Summ. Theol., lii
P., quœst. 63, a. 3.
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 127
tout ce qu'elle peut désirer de Dieu; et cela,
pour toujours : in seternam. En un mot, il est le
sacerdoce tout entier, personne ne le remplace.
Mais admirez, Messieurs, sa miséricordieuse
bonté. Si personne ne le remplace, tous sont
appelés à la participation de son sublime minis-
tère, comme tous sont appelés à la participa-
tion de sa perfection. Il a fait de nous, dit
l'Apôtre, une race choisie, une nation sainte :
genus electum, gens sancta. Le caractère sacra-
mentel, physionomie divine, est le signe indélé-
bile de notre élection ; et, lors même que nous
avons perdu la grâce qui nous sanctifie, il at-
teste encore que nous sommes destinés à la
sainteté. Mais, il y a plus: le Christ a fait de nous
un royal sacerdoce: regale ■ sacerdotium l , et
c'est par le caractère sacramentel qu'il écoule
en nous sa puissance sacerdotale.
Ne voyez-vous pas, avec moi, trois choses dans
le sacerdoce du Christ? Centre du mouvement
religieux qui unit le ciel à la terre, il reçoit de
Dieu et de l'humanité toutes les choses sacrées ;
il en est le témoinle plus éloquent elle plus puis-
1. I Petr., cap. n,o.
128 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
sant défenseur; il les donne avec une souveraine
autorité et une libéralité infinie. Or, à ces trois
choses nous devons participer. Mais, pour cha-
cune d'elles, pour recevoir les choses sacrées,
pour en être le témoin et le défenseur, pour les
donner, il faut une puissance. Qu'à cela ne
tienne. Trois sacrements : le Baptême, la Con-
firmation, l'Ordre, nous impriment un carac-
tère, et nous configurent ainsi à notre grand-
prêtre par la communication progressive de son
pouvoir sacerdotal.
L'homme vient d'être baptisé. Le caractère
le consacre. Il est prêtre ; mais, seulement, pour
recevoir les choses sacrées. Il les demanderait
en vain, si le caractère sacramentel ne creusait
son âme, comme on creuse les canaux par oî>
l'on veut faire passer les eaux d'un grand fleuve.
Dans le lit fraîchement ouvert et cimenté par la
force initiatrice du Baptême, la vie divine, quel-
que forme qu'elle prenne pour nous purifier,
nous perfectionner, nous sanctifier, peut couler
à pleins bords. Le baptisé, en vertu de son carac-
tère, a droit à toutes ses largesses, à tous ses
bienfaits. A l'heure où la vie surnaturelle a
besoin de ses accroissements, il peut dire : â
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 129
moi l'Esprit-Saint et ses dons. S'il se sent dé-
faillir, si son âme affamée ne se peut plus soute-
nir que par la vertu dun aliment divin, il de-
mande le corps du Christ et personne ne^ peut
le lui refuser. A-t-il perdu la grâce : son repen-
tir implore une miséricordieuse sentence qui la
lui rend. En face de la mort, il a droit à l'onction
sainte qui fortifie son âme pour le suprême com-
bat et achève la purification de toutes les souil-
lures de sa vie. S'il veut devenir chef de famille,
la bénédiction du ciel, qu'il réclame, affermit
les liens qui unissent son cœur à un autre cœur,
sa chair à une autre chair. S'il se sent appelé aux
plus hautes fonctions de la vie chrétienne, Dieu
ne lui refuse pas la consécration privilégiée qui
complète sa configuration au pontife divin, dont
la puissance sacerdotale lui a déjà été commu-
niquée par le Baptême. Finalement, le caractère
baptismal, initiation du sacerdoce chrétien, est
uue puissance passive, par laquelle l'âme régé-
nérée devient apte à recevoir toutes les choses
sacrées.
Le chrétien vient d'être confirmé. Un nou-
veau caractère le consacre. Il est prêtre, non
plus seulement pourrecevoir les choses sacrées,
CONFÉRENCES N.-D. — « CAKFME 1883. — 9
130 LE» CARACTERES SACRAMENTELS
mais pour leur rendre hommage par un témoi-
gnage public et d'héroïques combats. La vérité
reçoit-elle du mensonge de mortelles blessures?
« Le confirmé, dit saint Thomas, aie pouvoir
de protester en sa faveur par la solennelle
confession de sa foi; c'est son office : Confir-
matus accipit potestatem publiée fidem Christi
verdis profitendi, quasi ex officia *. » Les
ennemis de la foi deviennent-ils persécuteurs?
« Le confirme a le pouvoir de soutenir et
même d'engager contre eux une lutte spirituelle ,
dans laquelle les coups qu'il reçoit sont autant
de victoires : Confirmatus accipit potestatem ad
agendum eaqux pertinent ad pugnarn spiritua-
lem contra hostesfidei1. » Prêtre-soldat, il reçoit,
du caractère sacramentel, le droit et le pouvoir
de protéger les choses sacrées jusqu'au martyre
et de les rendre plus vénérables aux yeux de la
postérité chrétienne, qui y verra les traces de
son sang.
Le chrétien vient d'être ordonné. Un dernier
caractère le consacre : son sacerdoce est
achevé. Il reçoit, il témoigne, il combat, il
1. Summ. Theol, III P., quœst. 72, a. 5, ad. 2.
2. Ibid. a. 5, c
LES CARACTSnrft SACRAMENTELS Ï3l
protège, il couronne les premiers offices delà
puissance sacerdotale, par l'effusion des choses
sacrées. Son caractère les lui met toutes entre
les mains, pour qu'il les donne. Au nom du Pon-
tife éternel, dont il remplit les fonctions, il
appelle autour de lui le peuple et lui dit : — Je te
baptise, je te marque, jeté pardonne, je te bénis,
reçois l'Esprit de Dieu, reçois le corps du Christ.
Peuple, viens ici ; de prêtre, à prêtre, nous allons
exercer nos pouvoirs sacerdotaux. Tu veux les
choses sacrées, car tu as, pour me les demander,
un caractère. Les voici! Un caractère les a
mises entre mes mains, je te les donne ; — et le
peuple reçoit ce qu'il demande ; les caractères
s'embrassent, les puissances se consomment
Tune par l'autre ; le sacerdoce du Christ est
complet dans son corps mystique.
J'ai dit, Messieurs, tout ce que je savais d'in-
time et de profond sur le caractère sacramentel.
Voyons maintenant à quoi il nous oblige.
132 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
If
L'inscription du caractère dans nos âmes ne
peut pas être, de la part de Dieu, l'acte d'un
bon plaisir sans but, un honneur stérile qu'il
nous confère. C'est un acte et un honneur
d'où résultent, pour nous, les plus graves et les
plus saintes obligations. Ces obligations, je les
réduis à deux : Le respect du droit de Jésus-
Christ et de notre physionomie divine ; l'action
de notrs puissance sacerdotale.
Vous n'ignorez pas, Messieurs, que le respect
du droit est la racine, le fondement de toute
justice, l'indispensable garantie de tout ordre
ici-bas. Le droit forme, autour de chacun de
nous, comme un rempart qu'on ne peut pas pren-
dre d'assaut sans devenir criminel. Si l'homme
n'avait pas de droits, il serait à la merci de
toutes les audaces et de toutes les violences,
victime méprisable ou bourreau glorieux, car
l'estime et la gloire n'auraient pas d'autre me-
sure que la force. Aussi vous entends ^je dire,
à chaque instant : Respect au droit.
Entre tous les droits, il en est un dont vous
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 13S
tous montrez particulièrement jaloux : c'est le
droit de propriété. Tout ce qui la menace vous
épouvante et vous indigne, et vous ne vous faites
pas faute d'appeler misérables et scélérats ceux
qui convoitent vos biens et en annoncent la pro-
chaine curée. J'en suis content, car je vais vous
juger par votre propre bouche, mauvais servi-
teurs d'un maître dont vous méconnaissez à
chaque instant les droits : « Ex ore tuo te
judico, serve nequam. »
Jésus-Christ vous possède à titre de création,
de donation, de rédemption, et d'incorporation.
Un signe ineffaçable, son chiffre éternel, atteste
sa propriété. Respectez- vous cette propriété ? 0
malheur! Il y a des chrétiens qui ont complète-
ment perdule souvenir du sacrement qui les a en-
gendrés à la vie surnaturelle, et sont retournés
tout entiers, corps et âme, à la nature. — N'avoir
plus d'autre règle que leur propre jugement,
leurs désirs, leurs caprices, leurs appétits, c'est
leur orgueilleuse prétention. Ils sont à eux-
mêmes leur maître, leur Dieu. Et, pourtant, ils
sont marqués, toujours marqués d'un chiffre
qui n'est pas le leur : le chiffre de Jésus-Christ.
Nous sommes à Jésus-Christ I Et il y a des
134 LES CARACTERES SACRAMENTELS
chrétiens qui se jettent, ivres d'illusions, avides
d'honneurs et de joie, entre les bras du monde
et se laissent emporter par l'infernal tourbillon
des affaires, du jeu et des plaisirs. Là sont étouf-
fées toutes les bonnes pensées, toutes les saintes
aspirations; là s'énerve, tombe, se meurtrit et
expire la vertu ; là on devient mondain, c'est-à-
dire l'esclave du plus impitoyable des tyrans.
Et, pourtant, cet esclave est marqué, toujours
marqué d'un chiffre qui n'est pas celui du
monde : le chiffre de Jésus-Christ.
Nous sommes à Jésus-Christ! Et il y a des
chrétiens qui ne rêvent, pour remplir leur cœur,
que l'amour des créatures: idoles d'or, d'argent,
de terre, de chair et d'os. Ils les embrassent, les
étreignent, y demeurent fixés comme au terme
suprême de leur existence. Le ciel, pour eux,
n'est plus là-haut où les attend le Maître divin
qui les possède à tant de titres; il est, ici-bas, sur
ces terrains mouvants où l'humanité voit crouler,
du jour au lendemain, les tentes de son pèleri-
nage. Chose abominable ! Il y a des chrétiens qui
se jettent à genoux devant une créature et osent
pousser, à ses pieds, des blasphèmes et des cris
sarrilpïres ; lui dire, pntre Ips «spa^mps d'une aveu-
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 135
gle passion: Je t'aime Je t'adore, je suis àtoi\
Et, pourtant, ces êtres avilis sont marqués, tou-
jours marqués d'un chiffre qui n'est pas celui
de la créature: le chiffre de Jésus-Christ !
Rentrez en vous-mêmes, Messieurs, et jugez-
vous. N'y a-t-il pas, depuis longtemps, dans votre
vie, d'odieux larcins qui vous rendent indignes
de réclamer le respect du droit? L'injustice sa-
crilège dont vous vous rendez si facilement cou-
pables prime toutes les injustices. Et, quand, par
votre faute, je retrouve chaque jour votre carac-
tère sacramentel entre des mains qui ne sont
pas celles de votre maître Jésus-Christ, je me
demande si vous avez bien le droit d'appeler mi-
sérables ceux qui désireraient faire passer, à
leur avoir, vos meubles et votre argenterie
marqués de votre chiffre et de vos armes.
Respect aux droits du Christ ! Respect aussi à
votre physionomie divine ! Respect à cette pho-
tographie sacrée qui représente, dans votre tri-
nité créée, la Trinité créatrice et régénératrice !
Toute image vénérable a droit à nos respects.
Où trouver une image plus vénérable que celle de
Dieu, imprimée dans vos âmes par le caractère
sacramentel? Ce n'est pas Dieu lui-même, mais
i?S LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
ce sont les traits de sa face adorable. C est
à cela qu'Use reconnaît, quand il daigne nous vi-
siter par la grâce ; c'est à cause de cela qu'il
nous sourit, comme le père sourit à l'enfant
chez qui il rencontre son portrait. — Les por-
traits î Petites images 1 Petits souvenirs de nos
amours suspendus aux parois de nos demeu-
res ! Nous les regardons avec des pleurs dans
les yeux, et, dans cette touchante contempla-
tion, nous laissons parler notre cœur atten-
dri. — Père, mère, enfants, amis, comme nous
nous sommes aimés pendant les jours trop
courts de cette vie ! La mort vous a ravis à nos
embrassements. Mais vous n'êtes pas oubliés.
Dans ces restes fragiles de vos traits chéris,
dans cette physionomie que la lumière a fixée,
nous vous respectons, nous vous aimons encore.
— Si, pendant que nous nous livrons à ces ten-
dres épanchements, une main maladroite ou
malveillante s'approchait pour souiller ou bri-
ser le cher et dernier souvenir de nos amours,
ne la repousserions-nous pas avec une sainte
colère.
Gardez pour vous cette colère, Messieurs,
vousenavez besoin; car, chaque jour, vous souil-
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS 137
lez, vous mutilez le cher souvenir de Dieu, sa
physionomie fixée dans vos âmes par le soleil
éternel. L'invétération des habitudes criminel-
les, le mauvais vouloir qui prolonge votre impé-
nitence, autant d'injures faites à votre carac-
tère sacramentel. Vous ne pourrez jamais effa-
cer le chiffre de Dieu ni ses traits; mais, sur le
signe de la propriété du Christ, vous étalez le
signe du vol; sur l'image de Dieu, des diffor-
mités morales qui rappellent la physionomie de
l'ange déchu, et que saint Jean appelle, si pro-
fondément et si énergiquement, le caractère de
la bête : Characterem bestiœ. Dieu ne vous perd
pas de vue. Quoi que vous fassiez, il vous recon-
naît toujours pour vos pardonner et restaurer
son œuvre, tant que vous voyagerez encore sur
des chemins où le repentir est possible ; pour
châtier éternellement votre infidélité, éternel-
lement attestée par le caractère, quand vien-
dra le jour des grandes répudiations, le jour où
celui qui vous a imprimé ses traits refusera le
baiser d'amour et de paix aux lépreux de Satan.
Jefînis, Messieurs. — En vous imposantl'obli-
gation du respect, le caractère sacramentel vous
impose aussi l'obligation de Faction.
138 LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
Agir doit être un besoin pour quiconque se
sent une puissance. Cela est si vrai que nous ne
supportons pas les natures indifférences et lâ-
ches, chez qui les plus riches facultés demeurent
vides et inefficaces. Mais, voyez notre inconsé-
quence ! ce qui attire notre attentionné qui pro-
voque notre impatience et nos dédains, quand
il s'agit des dons naturels, semble nous échapper
entièrement, quandils'agit desdons surnaturels.
Le caractère sacramentel est une puissance, et
nous le laissons dormir dans l'inaction, lors même
que les lois de Dieu et de l'Église nous font une
obligation de nous en servir. D'autant plus cou-
pables, en cela, que nous comprenons fort bien la
logique pratique du caractère, là où Dieu l'a mis
dans sa plénitude. Quand nous voyons un prêtre
oublier sa consécration, trahir son ministère, se
désintéresser de toutes les choses sacrées, ne
plus les donner à personne, se mêler à nos af-
faires, devenir un vulgaire bourgeois, et tuer
ainsi la considération qui s'attache aux grandes
vocations, nous n'avons pas assez de mépris pour
stigmatiser sa déchéance.
Ne méprisez pas tant, Messieurs, si vous vou-
lez n'être pas contraints à vous mépriser vous-
LES CARACTÈRES* SACRAMENTELS 139
mêmes; car, vous aussi, vous êtes prêtres, puis-
que le caractère sacramentel est une participa-
tion à la puissance sacerdotale du Christ.
Vous êtes prêtres pour recevoir les choses
sacrées. Mais, combien parmi vous ne savent
plus, depuis longtemps, s'ouvrir à la vertu des
sacrements, cette crue de vie divine, plus féconde
en nos âmes que les crues du Nil sur les rivages
égyptiens! Un lit profond a été creusé pour la
recevoir, le péché l'encombre, rien n'y passe.
Point de pardon pour vos si nombreuses fautes,
point d'aliment pour vos forces détaillantes,
lâchement couchées sous le joug des plus hon-
teuses habitudes. Votre vie religieuse, presque
réduite à rien, est dépeuplée des choses sacrées
qui devraient l'orner et la rendre florissante . Vo-
tre caractère appelle la grâce de Dieu, votre in-
différence ou votre mauvais vouloir la repoussent.
Vous êtes prêtres pour rendre hommage aux
choses sacrées par le témoignage public et les
héroïques combats de votre foi. Mais, combien
parmi vous dont la langue est muette et dont la
vie, presque païenne, n'est qu'une longue pro-
testation contre la vérité et la sainteté du chris-
tianisme! Combien sont fidfcles pncore, ou fond
140 LES CARACTERES SACRAMENTELS
du cœur, à des croyances qu'ils devraient tra-
duire publiquement par des actes religieux, etles
dissimulent par intérêt ou par respect humain !
Combien cèdent à la pression de l'impiété
triomphante, et désertent lâchement le champ
de bataille où il devraient lutter pour celui qui
les a inscrits, par le caractère sacramentel, dans
sa milice sacrée! Combien se contentent de gé-
mir, quand il faudrait combattre! commes'il était
digne d'un soldat de pleurer devant l'ennemi et
de pousser ce cri lamentable : « Nous sommes
perdus! » sans oser toucher à ses armes. Com-
bien, par une étonnante contradiction, luttent
dans la vie publique pour des vérités que désho-
nore leur vie privée, pour des libertés dont ils
se gardent bien d'user, et rendent inutiles les
combats de leur foi, parce qu'ils lui refusent le
témoignage public d'une vie vraiment chré-
tienne ! Enfin, Messieurs, combien chez qui les
caractères sacramentels ne sont que des puis-
sances vides et inefficaces!
Vous appellerez cela comme vous voudrez;
moi, je dis que c'est injustice et trahison. —
Pour n'être pas semblables à ces félons enra-
gés qui voudraient effacer dans leur âme la
LÈS CARACtÈRES SACRAMENTELS I4i
trace des sacrements, en retournant, contre ce-
lui qui les a marqués, toutes les énergies d'une
haine sauvage, on n'en est pas moins soldat infi-
dèle. J'ai honte, pour tous ceux à qui s'appli-
que ce que je viens de dire, de l'inertie à la-
quelle ils condamnent leurs caractères sacra-
mentels ; on n'a pas une puissance pour la lais-
ser dormir.
Chrétiens, à qui le Christ a communiqué son
sacerdoce, il faut user de vos droits et faire agir
votre puissance sacerdotale. Les Pâques appro-
chent, vous allez être appelés à recevoir la chose
sacrée par excellence, et à donner au Christ un
témoignage public de votre foi. Nous verrons
ce que vous aurez décidé. Mais, que ceux qui
s'abstiendront sachent bien qu'ils sont mar-
qués, marqués pour l'éternité, et que la puis-
sance qu'ils ont reçue se retournera contre eux.
Aujourd'hui, quoi qu'ils fassent, leur caractère
nous laisse encore quelque espérance ; mais, si
ces prêtres infidèles se laissent surprendre dans
l'inaction par le jugement de Dieu, ce caractère
deviendra pour eux une éternelle honte1. Nous
1. Quamvis post hanc vitam non remaneat exterior
cnltus, remanet tamen finis illius cultus Et ideo post
142 LES CARACTÊRE8 SACRAMENTELS
les verrons jusqu'au fond de l'âme, et nous pleu-
rerons sur eux, comme pleure le voyageur sur
les vallées jadis fertiles où l'on n'aperçoit plus
que le lit profond d'un fleuve tari et, sur ses
bords, le désert. — Tous ensemble nous pousse-
rons ce cri lamentable : « Malheur à la vallée
perdue! » Et la vallée nous répondra : « Va?
nobis quia vastati sumus i 1 Malheur à moi, car je
suis dévastée ! »
Messieurs, je vous en prie, n'attendez pas ce
jour de deuil, de colère, de désespoir. Le fleuve
de la vie divine est à vos portes, laissez-le ren-
trer dans le lit creusé par la force vive du ca-
ractère éternel, et connolez-nous par le témoi-
gnage de foi que vous rendrez bientôt au Christ,
dont vous êtes les prêtres et les soldats.
hanc vitam remanet character et in bonis ad eorura
gloriam et in malos ad eorum ignominiarn . (tfêtftm.
TheoL, III P., qusest. 63. a. 5, ad 3).
1. Jerem., cap. iv, 13.
SOIXANTE-QUATRIÈME CONFÉRENCE
LE BAPTÊME
SOIXANTE-QUATRIÈME CONFÉRENCE
LE BAPTÊME
Messeigneurs1, Messieurs,
Il est écrit, au livre des Proverbes, que la
sagesse divine s'est bâti une demeure et qu'elle
a taillé sept colonnes pour lui servir d'appui :
« Sapientia œdifîcavit sibi domum, excidit co-
lumnas septem. » Là, elle immole des victimes,
elle prépare à ses hôtes un vin généreux, elle
dresse la table du festin. De là, elle envoie ses
serviteurs recruter des convives. «Venez, leur
fait-elle dire, venez manger mon pain et boire
le vin, que je vous ai préparé. Il est temps de
vivre sagement et de marcher dans les voies de
la prudence2. »
Sous cette figure. Messieurs, vous reconnais-
1. Mgr Richard, archevêque de Larisse, coadju te ur
de Paris ; Mgr Dannelle, évêque de Beauvais.
2L Prov., cap. xix, 1-6.
CONFERENCES N.-D. — CARÊMB 1883. — 10
146 LE BAPTÊME
se/, l'édifice sacré que Jésus-Christ, la sagesse
incarnée, a construit pendant lesjours de sa vi
mortelle, et dans lequel il invite l'humanité à
venir chercher la vie surnaturelle, Nous en
avons admiré les solides matériaux et les har-
monieuses proportions. Approchons-nous main-
tenant de chaque colonne du divin septénaire,
et examinons non seulement la perfection de
son travail, mais ses propriétés et ses fonctions
dans l'édifice sacramentel. C'est-à-dire, après
avoir étudié les sacrements en général, étudions
chaque sacrement en particulier.
L'ordre chronologique d'institution ainsi que
l'ordre logique des effets sacramentels appellent,
aujourd'hui, notre attention sur le Baptême.
Il est le premier de tous les sacrements, non par
sa dignité, mais par sa nécessité dans Tordre du
salut. Si l'on considère l'économie générale de
la grâce, relativement aux individus et à la
société chrétienne, tous les sacrements sont né-
cessaires, dit le saint Concile de Trente. Mais,
il en est dont tels ou tels chrétiens peuvent et
doivent se passer1. Aucune liberté ne nous est
1. Si quis aixent Sacramenta novae legis non esse ad
LE BAPTÊME 14?
laissée à l'endroit du Baptême. C'est le sacre-
ment indispensable1. Jésus-Christ a pourvu,
avec autant de bonté que de sagesse, à sa né-
cessité : Voilà ce que je veux vous montrer en
cette conférence.
On donne au Baptême différents noms qui, h
première vue, semblent n'exprimer que ses pro-
digieux effets ; mais qui, en fin de compte, nous
révèlent son absolue nécessité. Il est appelé :
régénération, illumination, sigillation, ouver-
ture du royaume des cieux : regeneratio, ilîw*
minatio, sigillatio, apertio regnicœlestis.
salutem necessariâ, sed superflua; et sine eis, aut
eorum voto per solam fidem homines a Deo gratiam
justificationisadipisci; licetomniasingulis necessariâ
non sint; anathema sit. (Sess. VII, De Sacram. in
génère.)
1. Si quis dixerit baptismum liberum esse, hoc est
non necessarium ad salutem ; anathema sii. (Sess. VII,
De Baptismo.)
148 LE BAPTÊME
Pourquoi donc régénération? Quand l'acte
générateur qui fait de nous des hommes est
arrivé, par notre naissance, à son parfait déve-
loppement, à sa complète manifestation, man-
que-t-il quelque chose à notre être, que nous
ayons besoin d'être engendrés de nouveau?
Oui, Messieurs, la génération naturelle n'a plus
la force de nous donner la somme de vie et de
qualités qui convient à nos sublimes destinées.
Je vous ai expliqué longuement ce mystère,
lorsque nous étudiions ensemble les préludes
de l'Incarnation ; il me suffira de vous le rappc
1er ici en quelques mots*.
Dieu, en créant l'humanité, lui a donné, dans
son sein, un suprême rendez-vous. Ce n'est point
par ses propres forces qu'elle s'achemine vers
ce dernier terme de toute vie raisonnable; ni
l'intelligence ni la volonté ne sont capables,
par elles-mêmes, de la vision, de la possession,
de l'intime union, qui doivent nous béatifieréter-
nellement dans les cieux. Pour nous adapter à
la félicité surnaturelle qu'il nous destine, Dieu a
1. Voyez vingt-huitième conférence: La chute dans
l'humanité.
LE BAPTÊME 149
relevé notre nature par l'inoculation de sa pro-
pre vie, force suréminente et toute gratuit^ qui
pénètre notre être, transforme ses puissances,
divinise ses opérations et les rend dignes de
mériter le ciel. — Cette inoculation primordiale
de la vie divine s'appelle la grâce ou la justice
originelle. — Je vous ai dit sa puissance et ses
privilèges. Vous savez comment elle a été per-
due et comment, en se mutilant par le péché,
notre premier père s'est privé de l'auguste pou-
voir que Dieu lui avait donné de la transmettre
à ses descendants
« Qui nous engendre nous tue » , dit énergî-
quement Bossuet. Lugubre vérité, dont serait
navré le cœur de tous les générateurs humains,
s'ils avaient le don de voir les âmes, et s'ils pou-
vaient comparer l'état actuel de leurs enfants à
ce qu'ils eussent été par la transmission de la
justice originelle. Mais, ce que nous ne voyons
pas, la foi nous le révèle. Le malheur est con-
sommera malédiction divine qui condamne la
race humaine à la mort suit son cours, et la pre-
mière mort qui nous saisit est la mort du péché.
Nous naissons munis de toutes nos facultés na-
turelles, mais dépouillés de la grâce de Dieu
150 LE BAPTÊME
incapables d'aucun acte de vie surnaturelle,
livrés aux défaillances de notre esprit, aux em-
portements de nos appétits, que le vigoureux
tempérament de lumière et de domination, dont
nous avions été doués par privilège, ne peut
plus ni prévenir ni contenir, enfin, condamnés
à l'éternelle privation de la béatitude à laquelle
nous étions destinés. On appelle cela le péché
originel ; nous le subissons tous.
Eh quoi ! me direz-vous, le Christ, qui devait
racheter le genre humain et restaurer l'ordre
divin, n'a donc rien changé aux conditions
de notre naissance? Comment se fait-il que
des parents mariés chrétiennement, vivant chré-
tiennement, ne transmettent pas au fruit de
leur vie la vertu de la rédemption qui
les sanctifie? — Comment , Messieurs? —
En vertu d'une loi à laquelle Dieu n'a pas
jugé à propos de contrevenir par un privilège
qu'il ne nous doit pas. La génération, par la
force qui lui est propre, ne transmet que les
qualités de la nature et non de la personne, les
propriétés de l'espèce et non de l'individu.
Quand vous semez en terre le noyau d'un frnit
doux et franc, ce n'est point un arbre semblable
LE BAPTEME 151
à celui où vous avez cueilli le fruit que vous
voyez pousser, mais un pauvre sauvageon, au-
quel il faudra donner, par l'entement, une nou-
velle vie, si vous voulez qu'il possède les qualités
de son générateur. Et voilà ce qui nous arrive.
Nos parents, fussent-ils des saints , ne nous
transmettent point les qualités qu'ils ont reçues
d'une culture divine, mais seulement la nature
qui fait de nous des hommes. Encore une foi».,
nous naissons morts dans Tordre de la grâce.
Pour vivre surnaturellement , pour mériter le
ciel, il faut renaître : « Nisi quis renatus fuerit..,
non potest introire in regnum Dei*.
Mais, comment renaître? — Parla justice d'un
seul, dit l'Apôtre, comme nous sommes morts
par la faute d'un seul2. — Ainsi le veut l'har-
monie du plan divin. Or, la justice d un seul,
c'est le sang, ce sont les mérites du Christ im-
molé pour le salut du genre humain. La mort
du Sauveur est comme le sein fertile où doit
germer la race des enfants de Dieu. Par quel
1. Joan., cap. m, 5.
2. Sicut per unius delictum in omnes homines, in
condemnationem ; sic et per unius justitiam in omnes
«hommes, in justifleaticmem vit*§(Rom,, aap. v, 16).
152 le baptême
acte générateur y entrcms-nous? — Par le Bap-
tême : « Consepulti enim sumus cura illoper bap-
tismum inmortem1: Le Baptême nous plonge,
nous ensevelit dans la mort féconde du Christ. »
Là, nous sommes envahis par ses mérites, pé-
nétrés delà vertu de son sang. La vie divine se
précipite en nos âmes pour les régénérer.
Ame du baptisé , montre-toi ! — Tout à l'heure,
tu étais morte; maintenant, te voilà vivante. Tout
à l'heure, fille du ciel, je te voyais condamnée à
un éternel exil ; maintenant, la sentence qui
pesait sur toi est levée. Tout à l'heure, tu avais
peut-être ajouté aux défauts de ton origine les
délits et les crimes de ta volonté ; maintenant, il
n'y a plus ni défauts, ni délits, ni crimes . Tout à
l'heure, tu devais, à la justice divine, des peines
éternelles et temporelles, méritées par tes pé-
chés ; maintenant tu es quitte de toute redevance
pénale. « Non, il n'y a plus rien qu'on puisse
réprouver et punir en ceux que le Baptême a
fait entrer dans le Christ Jésus : Nihil ergo
damnationis in his qui sunt i?i Christo Jesu a. »
1. Rom., cap. vi, 4.
2. Ibid., cap. vin, 1.
LE BAPTÊME 153
Tels sont, Messieurs, les premiers effets du
Baptême. Le prophète les avait annoncés, lors-
qu'il disait : « Je répandrai sur vous une eau
pure et vous serez lavés de toutes vos souillu-
res1. » Et l'apôtre saint Paul, dans son énergi-
que langage , les signale aux fidèles qu'il a régé-
nérés : « Ne vous y trompez pas, dit-il, le
royaume de Dieu n'est pas pour les pécheurs.
Ni les fornicateurs, ni les serviteurs des idoles,
ni les adultères, ni ceux qui s'abandonnent à la
mollesse de leur sens réprouvé, ni ceux qui
commettent des crimes contre nature, ni les vo-
leurs, ni les avares, ni les gourmands, ni les mé-
disants, ni les ravisseurs, ne posséderont le
royaume des cieux. Vous avez été tout cela : Et
hœc quidam fiâstis ; mais, de tout cela, vous avez
été purifiés et sanctifiés et justifiés, au nom de
Notre-Seigneur Jésus-Christ et dans l'Esprit de
notre Dieu : Sed abluti estis, sed sanctificati
estis, sed justificati estis in nomine Domini nostrt
Jesu Christi, et in Spiritu Dei onstr?. » — Le
1. Effundam super vos aquam mundam et munda-
bimini ab omnibus iniquinamentis vestris. (Ezech., cap.
xxxvi, 25).
2. I Cor., cap. vi, 9-11.
154 LE BAPTÊME
Baptême, dit saint Augustin, est la grande indul-
gence qui paie toutes nos dettes, et celles que
nous avons contractées parla nature, et celles
que nous y avons ajoutées par notre volonté *. —
Tous les péchés, grands ou petits, sont effacés * ;
et, pour les peines, amnistie générale. Pourquoi
cela? Saint Thomas va nous le dire : « L'homme
pécheur est enseveli, par le Baptême, dans la
Passion et la mort du Christ; c'est comme s'il
souffrait et mouraU lui-même des souffrances
et de la mort de son Sauveur. Et, parce que les
souffrances et la mort du Sauveur ont le pouvoir
de satisfaire pour le péché et pour toutes les
dettes du péché, l'àme que le Baptême associe
à cette satisfaction ne doit plus rien à la justice
divine3. »
1. Magnam indulgentiam m qua solvatur omnis
reatus, et ingeneratus, et additus. (S. Aug. in Enchi-
ridion. cap. 64.)
2. In baptismo fit renovatio remissione omnium
peccatorum, neque enimvel unum quantulumcumque
remanet, quod non remittatur. (Id. , lib. XIV, De Trinl-
tate} cap. 17.)
Cf Summ. Theol.y III P., quœst. 69, a. 1. Utrum
per baptismum tollantur omnia peccata?
3. Per baptismum aliquis incorporatur passioni, et
morti Ghrifti, «ecundum illud Rom., vi, H. Si mortui
LE BAPTÊME 155
Plus rien ! Et cependant, Messieurs, vous me
faites remarquer que l'inexorable justice de
Dieu pèse toujours sur notre vie déchue. La
concupiscence, qui se taisait dans les entrailles
de notre premier père, ne cesse pas de nous
tourmenter; et, chaque jour, la douleur, par ses
austères visites, vient nous rappeler que nous
sommes passibles et mortels. Pourquoi Dieu
n'a-t-il donc pas donné au sacrement de notre
régénération une vertu plénière,qui nous affran-
chît de toutes les misères dues au péché ?
Vous croyez donc qu'il manque quelque chose
à la puissance régénératrice du Baptême ? —
Eh bien! détrompez-vous. — Saint Thomas
nous apprend que ce sacrement a la vertu de
nous délivrer de toutes les peines de la vie
présente. Mais, pour l'honneur du Christ, dans
sumus cum Christo, crcdimus quia simul etiam vive-
mus cum eo. E!t quo patet quod omni baptizato com-
municatur passio Christi ad remedium, ac si ipse pas-
sus, et mortuus esset. Passio autem Christi, sicut dic-
tum est (quœst. xvm, arî. 5) est sufficiens satisfactio
pro omnibus peceatis omnium hominum. Et ideo ille
qui baptizatur, liberatur a reatu totius pcense sibi dé-
bitai pro peceatis, ac si ipse sufficienter sati^fecisset
pro omnibus peceatis suis, {Summ. Theol UT P.,
quœet, 39, a 2. a.)
156 LE BAPTÊME
l'intérêt de notre propre gloire, et par respect
pour le sacrement lui-même, cette vertu est
suspendue jusqu'au jour où notre régénération
sera éternellement consommée. « Il convient,
dit Tangélique docteur, que l'homme régénéré
soit assimilé à Celui qui est le principe de sa
nouvelle vie. Or, le Christ innocent a voulu que
la douleur fût l'instrument de sa gloire ; pour-
quoi serions-nous mieux traités que lui? Cohé-
ritiers du Sauveur, nous serons glorifiés avec
lui , si nous avons souffert comme lui :
Cohseredes Chresti si tamen compatimur ut
et simul congloriftcemur. Est-ce que la gloire
n'est pas plus douce à un cœur généreux, quand
elle est le prix d'un grand combat? Et ne se-
rons-nous pas plus fiers de notre résurrection,
si nous avons nous-mêmes détruit notre corps
dépêché? Les appétits nous tourmentent ; tant
mieux : nous les dompterons. La douleur nou9
accable; tant mieux : nous la ferons mériter.
C'est bien assez que nous soyons présentement
délivrés du péché et des peines de l'autre
monde. Dhu n'a pas voulu nous exposer ff la
honteust tentation de ne désirer le Baptême que
pour ses avantages temporels, et au péril de
LE BAPTÊME 151
devenir ainsi les plus misérables des hommes.
« Je le remercie donc d'avoir suspendu la
puissante virtualité du Baptême, et il me suffît
d'être un jour convaincu de sa plénitude. C'est
grâce à mon Baptême que je serai affranchi,
dans ma nature glorifiée, des convoitises qui,
aujourd'hui, me tourmentent et me fatiguent,
et que mon âme, reprenant sur toutes les puis-
sances inférieures un empire absolu, jouira du
privilège d'une éternelle impeccabilité. C'est
grâce à mon baptême que ma chair, lumineuse
et incorruptible, bravera , pendant les siècles
des siècles, toutes les forces ennemies de son
intégrité et de son repos. Les gloires de ma
résurrection me feront enfin comprendre jus-
qu'à quel point le Baptême est un sacrement
régénérateur1. »
1. Baptismus habet virtutem auferendi posnalitates
prœsentis vitae, non tamen eas aufert in praesenti vita,
sed ejus virtute auferentur a justis in resurrectione
quando. mortale hoe induet immort alitatem, ut dicitur
I Cor., xv, 54.
Et hoc rationabihter. Primo quidem quia per baptis-
mum homo incorporatur Christo, et efficitur membrum
ejus. Et ideo conveniens est ut id agatur in membro
incorporato quod est actum in capite; Christus autem
a principio suée conceptionis fuit plenus gratia, et ve-
ritate ; habuit tamen corpus passibile, quod poat pas-
158 LE BAPTÊME
Entendez bien, Messieurs, cette régénération
ce n'est pas un simple décret d'amnistie que
Dieu signe du sang de son Fils, une sorte de bre-
vet d'innocence et de justice qu'il nous délivre
pour l'avenir, comme le veulent les protestants :
« C'est l'infusion d'une vie nouvelle, qui nous
transforme en d'autres êtres, « dit saint Jeafl
sionem, et mortem est ad vitam gloriosam resuscita-
tum. Unde et Christianus in baptismo gratiam conse-
quitur quantum ad animam ; habet tamen corpus
passibile, in quo pro Christo possit pati ; sed tandem
resuscitabitur ad impassibilem \itam. Unde apostolus
dicit.Rom. VIII, 11. Qui suscitavit Jesum Christuma
mortuis, vivifieabit et mortalia corpora vestra,propter
inhabit antem spiritum ejus in vobis : et infra 17. Hœre-
des quidem Dei, eohœredes autem Christi : si tamen
compatimur, ut et simul glorificemur. Secundo hoc
est conveniens propter spirituale exercitium, ut vide-
licet contra concupiscentiam, et alias passibilitates
pugnans homo, victoriae coronam acciperet. Unde
super illud Rom, VI. Ut destruatur corpus peceati
dicit Glossa. (August. lib. I. de peccator. merit. et
remiss. cap. ult. a princ.) « Si post baptismum vixerit
» homo, in carne, habet concupiscentiam, cum qua
» pugnet, eamque adjuvante Deo superet. » In cujus
fïguram dicitur Judic, III, 1. Hœ sunt gentes, quas
Donùnus dereliquitj ut erudiret in eis Israelem, et
postea discerent filii eorum certare eumhostibusy et
habere consuetudinem prœliandi. Tertio hoc fuit con-
veniens, ne homines ad bautismum accédèrent prop-
LE BAPTÊME 159
Chrysostôme1. » Dieu entre en nous parla grâce
et nous rend participants de sa nature infinie.
Nous sommes véritablement engendrés dans
l'ordre surnaturel, et les anges du ciel chantent
cette naissance mystique, comme nos parents
ont chanté notre naissance charnelle. « Il y a
donc pour nous deux naissances, s'écrie saint
Augustin : l'une de la terre, l'autre du ciel ; l'une
de la chair, l'autre de l'esprit ; l'une d'un prin-
cipe mortel, l'autre d'un principe éternel ; l'une
de l'homme et de la femme, l'autre de Dieu et
de son Église. L'une fait de nous des fils delà
chair, l'autre des fils de l'esprit , l'une des fils
du mort, l'autre des fils de résurrection; l'une
des fils du siècle, l'autre des fils de Dieu; l'une
des fils de colère, l'autre des fils de dilection;
l'une nous enchaîne au péché origine, l'autre
nous délivre des liens de tout péché2. »
ter impassibilitatem pressentis vitee, et non propter
gloriam vitee eeternee : unde et Apostolus dicit
I Corinth., XV, 19. Si in hac vita tantum sperantes
sumus in Christo, miserabiliores sumus omnibus
hominibus. (Summ. Theol., III P., quaest. 69, a. 3 c.)
l.Ôvrwyàp psyih) toî> ôz-rtliapiTOS î) Sùvafzis- âXXovs
àt'T akXùov tsoieï tous fxel aa^pvxas rrjs hvpsàs. (Hom.
XXIII, in Act. Apost.)
2. Duee sunt nativitates, una de terra, alia de cœlo;
160 LÉ BAPTÊME
Renaître ainsi, c'est déjà une grande chose,
mais, si je m'y arrêtais, Messieurs, vous n'auriez
qu'une idée imparfaite du renouveau spirituel
de l'homme pécheur. Dieu le purifie par le
Baptême, non seulement pour qu'il lui de-
vienne agréable, mais encore pour qu'il soit prêt
à entrer dans la carrière des bonnes œuvres,
par lesquelles la justice et la sainteté de sa ré-
génération évoluent et progressent : « Utmun-
daret sibi populumacceptabilem, sectatorem ôono-
rum operum*. » Il lui faut donc un organisme en
rapport avec sa nouvelle vie. Cet organisme,
c'est le mystérieux plexus des vertus infuses,
habitudes divines, qui inclinent l'âme humaine
aux actes surnaturels quelle ne pourrait pro-
duire par sa propre énergie, contrebalancent
les forces de la concupiscence et préviennent sa
domination. C'est la foi, qui nous dispose à
adhérer aux vérités incompréhensibles que la
una de carne, alia de spiritu ; ima de mortalitate, alia
de œternitate; una de masculo et fœmina, alia de Deo
et Ecclesia : Illa facit filios carnis, haec spiritus ; illa
filios mortis, hœc resurrectionis ; illa filios seeculi,
hœc filios Dei ; illa filios irae, hœc filios misericordiœ :
ac per hoc illa peccato originali obligatos, ista omni
vinculo peccati liberatos. (Tract. XI, in Joannem.)
1, Tit., cap. u, 14..
LE BAPTÊME ICI
sagesse éternelle a fait descendre du ciel jus-
qu'aux rivages de notre raison. C'est l'espérance,
qui nous dispose à chercher, plus haut que la
nature, la félicité où doivent se reposer nos
désirs, et à l'attendre vaillamment, à travers
les épreuves de notre pèlerinage. C'est la cha-
rité, qui nous dispose à aimer, pour lui-même,
le souverain bien, à lui sacrifier tous les biens
subalternes, et à jouir, ici-bas, de ses caresses,
en attendant l'éternel embrassement qui doit
consommer tout amour terrestre.
Ces habitudes divines sont comme le centre
d'attraction, vers lequel gravitent celles que nous
avons reçues de la nature ; et , pour complé-
ter notre organisme surnaturel, à toutes, s'ajou-
tent les dons de l'Esprit-Saint. L'Esprit-Saint
est la plénitude du Christ, et n'est-il pas dit du
Christ que : « Nous recevons tous de sa pléni-
tude : Omnes de plenitudine ejus accepim.us* »
11 nous la donne déjà en nous communiquant
la vie divine, puisque l'Esprit-Saint en est le
dernier acte vivant ; mais c'est plus que la pré-
sence de cet Esprit qui illumine notre renouveau
1. Joan., cap. l, 16.
CONFÉRENCES N.-D. — GAHÈME 1883. — 11
162 LE BAPTÊME
c'est l'abondance de ses dons : « Salvos nos fecit
per lavacrum regenerationisetrenovationïs Spi-
ritus Sancti, que m effudit in nos abunde*. »
Chaque don de l'Esprit divin est comme un
rayon de soleil qui éclaire le champ d'opéra-
tions de chaque vertu, règle sa marche et ses
progrès. Où nous aurions été à tâtons, nous
avançons danslalumièrequejeprojettenotre être
régénéré. Où nous aurions été à tâtons, nous
de lumière2. » Ah! si nous pouvions voir l'âme
qu'il renouvelle, nous serions, à coup sûr, plus
1. Tit. cap. m, 5-6:
2. Wirr.'.zj.z iraXeîxa» xat swx-.qjia. (S. Chrysost.. 1 Ca-
tech. ad eos qui sunt illuminandi.)
Le saint docteur dit dans sa VII9 homélie sur les
Epîtres aux Corinthiens : « Aussitôt que nous sommes
baptisés, notre âme purifiée par l'Esprit est plus écla-
tante que le soleil; non seulement nous voyons dans la
gloire de Dieu, mais nous en recevons un certain éclat.
Telle qu'une lame d'argent poli" lance elle-même les
rayons qu'elle reçoit, moins par la force de sa propre
nature que par celle de la lumière qui s'y réfléchit,
l'âme, purifiée et devenue plus brillante que l'argent le
plus pur, reçoit et renvoie la gloire de l'Esprit.
'Ojj.cu xs vàp {3aTru£Ve6a, xal&rcèp xcv fjXtov rt tyr$\ Xi{A-
tcsi, T(o ïlvsûjjixrt v.y.()7.zz[J.irrt • xat oô |jiivov Spwjxev tlq rr4v
Zi\ri tsj \dzz\i, iXkà xat èxsîOîv lv/6'^éix T-.va x'v/.r.v.
■Qc:;Ep av e{ àpfupoç xaôapcç Tcp'ôç xàç àxttvaç xcCpcwç,
LE BAPTÊME 163
éblouis que celui qui, de l'obscurité profonde,
passerait tout à coup aux clartés du jour.
a Dieu, dit l'Apôtre aux baptisés, vous a appelés
des ténèbres à son admirable lumière1. Vous-
mêmes vous étiez ténèbres, maintenant vous êtes
lumière dans le Seigneur ; marchez donc comme
des enfants de lumière : Eratis aliquando tene-
brœ,nunc autem lux in Domino. Ut /Un lucls
amôulate* »
C'est bien. Le Baptême illumine nos âmes, il
éclaire la carrière des bonnes œuvres que nous
devons parcourir. Mais, ces bonnes œuvres, à
quel titre les ferons-nous? A titre d'individus,
sans relations avec ceux que la grâce a régénérés
et illuminés comme nous?-— Non, Messieurs, le
chrétien vit et agit comme membre d une société
sainte, d un corps mystique dont Jésus-Christ
est le chef, et où se fait une opulente circulation ,
kolI olvtos àx1tv*s èKive(iyj/sisv} ovx àno trjs oÎKsias Çûveus
fiàvov, dAAà holI àicb ttjs Aafrcr>;S6*os t>7> t)Xta.xrjr ovla
naï v^'/fl K*0*ipoiLêv7i,HaLl âpyvpov Xauirpodêpa yivo(xévrj,
lèyedau àxdïva cbrô t>7> hô&js toû Ilvsv^a^o?, «ai Taû0>/s>
1. De tenebris vos vocavit in ïdmirabile lumen
s'ium (I Peu-., cap. 9.)
2. Ephes.; cap. v. 8.
64 LE BAPTÊME
un perpétuel échange de biens spirituels. Il y
a trop peu de temps que je vous ai expliqué ce
mystère, pour qu'il soit nécessaire d'y revenir.
Je le constate comme un principe qui appelle
ici le plus profond et le plus persistant des effets
du Baptême.
Membres d'une société, d'une famille spiri-
tuelle, nous devons en avoir la physionomie,
c'est-à-dire une communauté de traits qui at-
teste notre commune origine dans le Christ. La
nature imprime son sceau sur la face de ceux
qu'elle engendre, et crée les ressemblances de
famille et de nationalité, signes indélébiles qui,
avant toute inscription aux registres de l'état
civil, proclament nos droits à la participation
des biens domestiques et bcciaux. Or, Dieu ne
veut pas que le principe générateur qui fait
de nous des chrétiens soit moins puissant que
la nature. Là où ce principe agit, il scelle son
action par un signe, un caractère ineffaçable,
qui donne aux baptisés une physionomie à la*
quelle ils seront éternellement reconnus.
Mais, il y a plus. Pour être membres d'un
corps social, il faut y entrer par l'initiation, et,
plus le corps social tend à l'unité de vie et
LE BAPTÊME 165
d'action, plus l'initiation doit être profondé-
ment et fortement scellée. C'était par des ini-
tiations qu'on entrait jadis dans les sociétés
religieuses qui avaient la prétention de célé-
brer, mieux que partout ailleurs, les mystère»
divins. C'est par des initiations que les sectes
ténébreuses qui veulent donner aux conspi-
rations l'unité de dessein, de force et d'action,
s'emparent de leurs adhérents. Serments, diplô-
mes, insignes, autant de liens qui les enchaî-
nent à la même iniquité, J'ai lu dernièrement,
dans une feuille publique , qu'un professeur
naïf ou quelque peu charlatan attribuait, aux
serments, aux diplômes, à la buffleterie et à la
quincaillerie mystique des loges maçonniques,
le pouvoir de conférer un caractère indélébile*.
Il se rappelait, sans doute, son baptême ; mais
il appliquait mal son catéchisme. Les initia-
tions humaines, quelque importance qu'on y
attache, ne sont que des signes extérieurs, dont
on peut se débarrasser à loisir. Il n'en est pas
de même de l'initiation sacramentelle qui
nous engage dans la société des enfants de
1. Univers, sameàw 20 octobre 1882.
166 LE BAPTEME
Dieu. Cette initiation est une insertion au corps
mystique du Sauveur, dont nous devenons les
membres, et cette insertion est scellée, comme
est scellée l'insertion de la greffe sur le trône
où elle doit puiser la sève. Rien n'en peut
faire disparaître l'éternelle et glorieuse cica-
trice. C'est là que sont consignés tous nos
droits au développement, au perfectionnement
de notre vie surnaturelle ; c'est par là que pas-
sent toutes les grâces et tous les biens spiri-
tuels que nous recevons comme membre d'un
même corps ; c'est là que se rencontrent ,
à notre bénéfice, les salutaires influences du
Christ et de son Eglise ; et par là que nous écou-
lons, dans le corps mystique où nous sommes
insérés, le trop plein de notre vie chrétienne.
Finalement, notre sigillation baptismale est,
dans les desseins de Dieu, l'indispensable com-
plément de notre régénération et de notre illu-
nation.
Maintenant, Messieurs, vous comprendrez ai-
sément qu'on ait appelé le Baptême : « apertio
regni cœlestis : l'ouverture du royaume des
deux. » Le péché nous en fermait les porf. « :
le Baptême le détruit. Len peines dues à la jus-
LE BAPTÊME 167
tice divine nous condamnaient à languir loin
de notre bienheureux terme ; le Baptême nous
en délivre *. La vie de la grâce est le nécessaire
prélude de la vie delà gloire : le Baptême nous
la donne. Ce sont les vertus et les bonnes œu-
vres que Dieu couronne dans les cieux : le Bap-
tême en dépose les germes sacrés dans nos
âmes, munies, par lui, d'un organisme surnatu-
rel, et illuminées par la présence et les dons de
T Esprit-Saint2. C'est i'Église terrestre qui doit
devenir l'Église céleste : le Baptême nous y in-
troduit. C'est son corps mystique que le Christ
appelle dans la gloire pour y posséder éternel-
lement sa plénitude : le Baptême nous insère à
ce corps et fait de nous ses membres. Bégénéra-
tion, illumination, sigillation, tout est ordonné
1. Aperire januam regni cœlestis est amovere impe-
dimentum.quoquisimpediturreguum cœleste mtroïre.
Hoc autem impedimentum estculpa etreatuspœnee...
per baptismum omnis culpa et omnis reatus pœnœ
tollitur. Unde consequens est quod effectus baptismi
sit apertio januee regni cœlestis Summ. (Theol.,111 P.
quœst. 69, a. 7.)
2. Cf. Summ TheoL, III P., quœst. 69, a. Utrum
-per baptismum eon/erantur homini gratiœ et virtutes ?
et a. 5. Ut~um convenienter attribuantur baptismo
[/uidam actt** oirtutumt
168 LE BAPTÊME
à notre fin dernière, au royaume des deux. —
Donc, Messieurs, sans le Baptême, point de sur-
naturelle et éternelle béatitude, point de salut,
point de ciel. Jésus-Christ Fa dit : « Celui-là
seul sera sauvé qui croira et sera baptisé : « Qui
crediderit et baptizatus fuerit salvus erit*. » Si
l'homme ne renaît de l'eau et de l'Esprit-Saint,
il n'entrera point dans le royaume de Dieu :
JSisi quis renatus fuerit ex aqua et Spiritu
Sanctonon introibit in regnum Dei* • » Ses pa-
roles sont claires : « Il n'excepte personne, dit
saint Ambroise: nullum excipit*. »
M'objecterez-vous que la foi suffisait aux gé-
nérations qui ont précédé l'avènement du Sau-
veur, et que notre état ne doit pas être pire que
le leur? Messieurs, nous n'avons pas à discuter
avec Dieu les conditions de notre salut. Il est
le maître absolu de ses dons, et, puisqu'il daigne
nous offrir sa miséricorde, nous devons la pren-
dre où il l'a mise. Sans doute, il n'y a jamais
eu de salut que dans le Christ, et la bonté de
Dieu a su pourvoir aux besoins spirituels de
1. Marc, cap. xvi, 16.
S. Joan., cap. ni,5.
8. Lib., II. De Abraham, cap. xi, i»° 84.
LE BAPTÊME 169
générations qui attendaient la venue de son Pro-
mis. Mais, que nous importe la nature et la va-
leur de leurs sacrements, puisque l'ancien con-
trat passé entre Dieu et l'humanité a été aboli!
Jésus-Christ, souverain dispensateur des bien-
faits de la rédemption, a contracté avec le
monde Une nouvelle alliance, et nous a imposé
le Baptême : le Baptême , qui opère par lui-
même, détruit tous les péchés et toutes les pei-
nes dues au péché, multiplie les grâces, cons-
titue la société chrétienne, nous donne droit à
tous les biens, et ouvre les portes du ciel,
près desquelles languissaient, jadis, les âmes
sauvées. Il faut en accepter l'heureuse et bien-
faisante nécessité, et dire, avec la dogmatique
traditionnelle : « Nous croyons qu'il n'y a de
salut que pour les baptisés : Baptizatis tantum
iter salutis esse credimw \ . »
1. Gennad. de Ecclesiasticis dogmatibus,c&ip. 41,
Nemo ascendit in regnum cœlorum,nisi per sacra-
meatum baptismatis.(S. Amb., op. et loc. cit. n*79 )
Méya fzëv yàp ètrtt rù f3â7rr«xfxa, xai aveu Ba7rr/<X|jt.aTCç
aixTJxaivop (àcujiXsîasïr.'-^ïîv. (S. Chrysost., Homil. III,
in Epist. ad Cor., n° 2.)
Cf., pour la tradition des Pères grecs et latins
eur ce sujet, J. Gérard Vossius : Disput. vu. De Bap-
ti§mo. Thés. 21.
LE BAPTEME
II
Messieurs, Dieu ne nous impose jamai> une
obligation, sans donner satisfaction à ses nobles
et touchantes perfections. Puisque le Baptême
est nécessaire, Jésus-Christ à dû pourvoir à
cette nécessité avec autant de sagesse que de
bonté. C'est ce dont il est facile de nous con-
vaincre en étudiant les éléments du sacrement
régénérateur, son administration, et la manière
dont il peut être suppléé.
a Le Baptême, ait le catéchisme du Concile
de Trente, est le sacrement de notre régénéra-
tion par Teau , dans la parole : Sacramcntum
regeneratïonh per aquam in verboK.. » C'est-à-
dire, une ablution de notre corps, ordonnée à
la régénération de notre âme , ablution dont
l'effet intérieur est déterminé par ces paroles;
Je te baptise, au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit. De l'eau et des paroles divines,
Cf. Summ. TheoL, III P., quaest. 68, a. 1.
Utrum omnes teneantur ad susceptionem baptismi. ?
1. Part. 11. De Baptismi gacramento n* 5.
LE BAPTEME 171
tels sont les éléments du Baptême. La sagesse
du Christ les a bien choisis : rien ne pouvait
mieux signifier les adimirables effets qu'il vou-
lait produire dans nos âmes.
L'eau purifie le corps qu'elle touche : sym-
bole de la purification intime qui fait disparaître
les souillures spirituelles dont l'âme humaine
est déshonorée, alors même qu'elle n'a pas en-
core pu prévariquer volontairement. ■ — L'eau
étouffe et noie: c'est dans l'eau que le genre hu-
main, corrompu et devenu odieux à son Créa-
teur^ été englouti; c'est dans l'eau que fut ex-
terminée l'armée ennemie qui poursuivait le
peuple élu : symbole de la mort mystique par
laquelle il faut passer, afin de renaître à une
vie nouvelle, à cet ensevelissement dans la Pas-
sion et la mort du Sauveur que l'Apôtre prê-
chait à ses fidèles, et où l'homme de péché,
que nous sommes, est étouffé-et noyé. — L'eau
se précipite, impétueuse, irrésistible, et ren-
verse tout ce qui s'oppose à son passage : sym-
bole de l'inondation mystérieuse, sous le poids
de laquelle s'effondrent et disparaissent les aus-
tères barrages de pénalités et d'expiations dont
la justice divine entoure l'homme pécheur, pour
l72 LE BAPTÊME
retarder son entrée dans l'éternelle félicité. —
L'eau est merveilleusement féconde : les poètes
ont chanté l'Océan, père de toutes choses; les
religions antiques l'ont adoré comme un prin-
cipe créateur ; les philosophes ont cherché dans
l'eau le germe de tous les êtres ; la science nous
la représente c^mme une matrice immense, en-
veloppant originairement notre globe et cou-
vant, sous l'action du soleil et des fluides, les
premiers vivants dont devait s'enrichir la na-
ture. Distinguée, par la toute-puissante parole de
Dieu, des éléments qu'elle noyait, et pour tou-
jours réglée en ses évolutions, elle circule dans
le grand corps terrestre par des millions de
canaux, elle s'insinue dans tous les organismes.
Là où elle pénètre , la nature tressaille, les
germes s'éveillent , la terre se couvre d'une
riante parure, les fleurs éclosent et s'entr'ou-
vrent. les fruits se nouent et se développent ;
là où elle se découvre, le petit insecte, l'oiseau
du ciel, l'animal farouche, la bête assouplie,
l'homme son maître , viennent étancher leur
soif ; là où elle est absente, tont languit et tout
meurt , la roche inféconde dresse mélancolique-
ment vers le ciel son front dépouillé, et l'aride
LE BAPTÊME 173
désert étale sa triste immensité. Elle est un
élément essentiel de toute vie physique :
symbole de la grâce, flot descendu des rivages
de l'éternité, écoulement de la nature divine
qui pénètre et vivifie nos âmes et fait en nous
l'être surnaturel ; de la grâce, support des gran-
des vertus et principe de nos bonnes œuvres et
de nos mérites; de la grâc^, en l'absence de
laquelle la nature déchue, malgré sa beauté et
sa puissance originelles, n'est plus qu'une terre
désolée et à jamais inféconde pour le ciel. —
L'eau rafraîchit nos membres fatigués et alan-
guis par une trop vive chaleur : symbole des
habitudes infuses qui apaisent en nos âmes les
fiévreuses ardeurs de la concupiscence. —
Enfin, l'eau, fluide et diaphane, ouvre à travers
ses flots un libre passage à la lumière du soleil :
symbole de l'âme régénérée, dont la transpa-
rence s'abreuve des dons de l' Esprit-Saint ,
rayons du soleil éternel1.
1. Ex institutions divina aqua est propria materia
baptismi : et hoc est convenienter. Primo quidem quan-
tum ad ipsam rationem baptismi, qui est regeneratio
ad spiritualem vitam ; quod maxime congruit aquse.
Unde et semina, ex quibus generantur omnia viventia,
scilicet plantée, et animalia, humida sunt, et ad aquam
174 LE BAPTÊME
Ainsi préparée par sa nature et sa puissance
symboliques, Feau a reçu, du maître des élé-
ments , une préparation plus prochaine aux
effets sacramentels. Dieu lui a communiqué le
miraculeux pouvoir de guérir les maux qui affli-
gent le corps humain : la lèpre de Naaman,
les infirmités de ceux qui se plongeaient dans la
piscine probatique, et, finalement il a exalté au
plus haut point sa vertu, en la sanctifiant pour
la rendre propre à notre régénération. Écoutez
l'Église bénissant les fonts baptismaux : « 0
Dieu, dit-elle, tu as fait planer ton Esprit, à IV
pertinent. Propter quod quidam Philosophi posuerunt
aquam omnium rerum principium. Secundo quantum
ad effectus baptismi, quibus competunt aquae proprie-
tates : quee sua humiditate lavât; ex quo convenions
est ad significandam, et causandam ablutionem pec-
catorum : sua frigiditate etiam tempérât superfluitatem
caloris ; et ex hoc competit ad mitigandam concupis-
centiamfomitis; sua diaphaneitate est luminissuscep-
tiva; unde competit baptismo, in quantum est fîdei
sacramentum. Teriio quia convenit ad reprœsentan^-
dum mysteria Christi, quibus justificamur. Ut enim
dicit Chrysostomus super illud Joan III. Nisi quis
renatus fuerit, etc. (Hom. xxiv, in Joan. ad med.)
o Sicut in quodam sepulcro in aqua submergentibus
nobis capita, vêtus homo sepeliiur; st submersus
deorsum occulatur;et deinde vovus rursus ascendit. »
Sumrn. TheoL, III P., quœst. G6, a. 3 c.
LH BAPTÊME 175
rigine du monde, sur la surface de l'abîme, afin
que l'eau commençât à recevoir la puissance de
régénérer. » Mais, ce n'était qu'un commence-
ment. La sanctification de l'eau est consommée
par l'attouchement de la chair sacrée du Sau-
veur. Le voyez-vous, soutenu par son précur-
seur, se plonger dans les eaux du Jourdain? Les
autres y viennent pour se purifier; lui, la pu-
reté même, y vient pour sanctifier. L'Esprit de
Dieu se manifeste sous une forme visible. La
voix du Père se fait entendre et révèle au monde.
la grandeur de son Fils bien-aimé. De la Tri-
nité tout entière découle une vertu mystérieuse
qui, après avoir traversé la chair du Christ, se
répand dans les eaux. Le fleuve l'emporte, et,
suivant le mouvement giratoire qui, de la terre
auxcieux, des cieuxà la terre, unit entre elles
les eaux de la création, elle les sanctifie toutes.
Quand le Baptême, qui doit nous appliquer les
mérites de la Passion et de la mort du Sauveur,
deviendra nécessaire, sa matière sera partout
préparée *.
1. Sacramenta ex sui institutione habent quod con-
férant gratiam. Unde tune videtur aliquod sàcramen-
tum institui, quando accipit virtutemproducendi.suum
176 LF BAPTÊME
Et déjà, Messieurs, la forme qui détermine
ses effets est énoncée. Jésus-Christ disant à ses
apôtres : « Baptisez les nations au nom du Père,
du. Fils et du Saint-Esprit » ne fait que leur
rappeler la manifestation de son Baptême, et
leur indiquer qu'il est temps d'accomplir, en
son nom, les grands mystères qu'il a inaugurés.
C'est le Christ qui baptise intérieurement ; il
est convenable que son action soit exprimée au
dehors; voilà pourquoi le prêtre, son ministre
et son instrument, prononce ces paroles: « Je
te baptise. » Le Baptême est un sacrement di-
vin ; il est juste qu'il soit donné au nom des per-
sonnes augustes par lesquelles s'expriment les
effectum. Hanc autem virtutem accepit baptismus,
quando Christus est baptizatus. Unde tune vere bap-
tismus institutus fuit quantum ad ipsum sacramentum.
Sed nécessitas utendi hoc sacramento indicta fuit
hominibus post passionem, et resurrectionem : tum
quia in passione Christi terminata sunt fîguralia
sacramenta, quibus succedit baptismus, et alia sacra-
menta novœlegis, tum etiam quia per baptismum con-
figuratur homo passieni, et resurrectioni Cbristi,
inquantum moritur peccato, et incipit novam justitise
vitam. Et ideo oportuit Christum prius pati, et resur-
gere, quam hominibus indiceretur nécessitas seconfi-
gurandi morti, et resurrectioni ejus. (Summ. TheoL,
III P., queest. 66, a. 2 c).
LE BAPTÊME 177
évolutions intimes de l'indivisible nature de
Dieu, sa vie, type et source de toute vie, à la-
quelle se réfère directement notre génération
surnaturelle. Le Baptême est un sacrement de
salut qui ouvre les portes du ciel ; rien de mieux
que de rappeler, à celui qui le reçoit, la Tri-
nité sainte, objet de la vision céleste en laquelle
nous serons éternellement béatifiés. Le Bap-
tême est un sacrement de foi ; il est tout naturel
que sa formule énonce le dogme générateur des
dogmes, le mystère d'où procèdent tous les mys-
tères, la vérité suprême qui sert de clef de
voûte à tout Tordre surnaturel, de base à
toute la doctrine catholique1. » Croire au
Père, au Fils et à l'Esprit-Saint, dit saint Ba-
sile, c'est le résumé de notre foi; soyons donc
baptisés au nom du Père, du Fils et de l'Esprit-
Saint2. »
Elément matériel et formule, tout est sage-
ment ordonné dans le sacrement régénérateur,
1. Cf. Summ. TkeoLj III P., queest. 66, a. 5.
Utrum conveniens sit forma baptismi : Ego te 6ap-
tizo, etc. ?...
2. Ùs yàp TffK/leboixéveU Tàaxêpa xctlviov xalàyiovavtvfj.cif
oizw xai &<nrzil6{ieda. sic tô àvoyat toO tccltoôs. x.t.\ (Lib.
De S. Spiritu, cap. 12).
CONFÉRENCES N.-D. — CAKÈME 1883. — **2
178 LE BAPTÊME
Pour compléter son œuvre , Jésus-Christ a
laissé à son Église le pouvoir d'instituer des cé-
rémonies où tout parle à notre foi : exorcis-
mes, profession de foi, onctions, bénédictions,
lumières, vêtements nouveaux, serments ; les
uns préparant la voie aux effets sacramentels
dans nos sens, d'où l'esprit du mal est chassé
par un sou fie ; les autres représentant les mys-
tères accomplis dans nos âmes, et nous rappe-
lant les obligations que nous avons contractées
en entrant dans une vie nouvelle1. Je ne m'at-
tarderai pas à vous les expliquer , Messieurs,
bien qu'elles contiennent de graves et pro-
fonds enseignements. J'ai hâte d'appeler votre
attention sur la bonté avec laquelle le Christ a
pourvu à notre besoin d'une nouvelle vie.
Le Baptême étant le sacrement indispensable,
Dieu devait nous le rendre facile et, pour cela,
choisir non seulement l'élément le plus apte à
figurer ses effets, mais le plus vulgaire, le plus à
la portée de tous2. Eh bien? c'est fait ; l'eau, signe
1. Cf. Catechism. Coqc. Trid. Part. IL — De Bap-
tismi Sacramento, n* 70.
2. Ratione suée communitatis et abundantiœ (aqu;i
est convenieus materia hujus sacramenti ; potest enim
LK BAPTÊME 179
multiple et merveilleusement expressif des mys-
tères de notre régénération, est partout répan-
due avec une infinie libéralité .Elle descend, en
perles liquides, sur les feuilles des arbres, sur les
brins d'herbe, et dans le calice des fleurs. Elle
circule dans les mystérieuses artères du globe ;
ellejaillit, à la surface, en sources limpides. Elle
coule, dans toutes les directions, en ruisseaux,
torrents, rivières et fleuves. Elle s'amasse en
mille et mille réservoirs; elle est humble citerne
et vaste océan. Le soleil l'enlève en impercepti-
bles vapeurs, mais il oblige les nuages et les
neiges éternelles à la rendre à la terre, d'où elle
s'est échappée. Précisément parce qu'elle est un
élément essentiel de la vie, l'homme ne dresse
les tentes de son voyage terrestre que là où il la
rencontre. Dans l'ordre de la nature, comme
dans Tordre de la grâce, il faut qu'il obéisse à
l'invitation du prophète : « Approchez-vous des
eaux, vous qui avez soif : Omnes sitientes venite
ad agitas*. » Oui, approchez; la promesse que
Dieu fit au monde par la bouche de Zacharie
de facin ubique haberi. (Summ. Theol.tlll P., quajsfc.
67, a. 3.)
1. Isai., cap. LV I.
— *- j
180 LE BAPTÊME
est accomplie : « Une source immense est ou-
verte, pour la purification des pécheurs, à ceux
gui veulent habiter la nouvelle Jérusalem : In
iïla dieerit fons patens... habitantibus Jérusalem,
inaèlittionempeccatoris1. » Faut-il se plonger
dans cette source pour y ensevelir le péché?
Cela est bien. Mais il suffit qu'une seule goutte
coule sur nos fronts, pour que nous soyons ré-
générés2.
Cependant, cette eau dont la Providence est
si prodigue, nous ne pouvons pas la prendre
nous-mêmes, comme Naaman le lépreux,
quand il s'agit de purifier nos âmes, Elle est
partout, mais aurons-nous toujours près de
nous un de ceux à qui le Christ a dit : Bapti-
sez les nations au nom du Père, du Fils, et du
Saint-Esprit? Certainement, Messieurs, Car le
Christ a multiplié indéfiniment les ministres de
son Baptême. Il n'appartient qu'aux Évêques et
fiux prêtres de le représenter ordinairement,
ie diacre les remplace par extraordinaire*;
1. Cap. XIII, 1.
2. Cf. Summ. Theol, III P.,quœst., 66, a. IJJtrvm
ûnmersio in aqua sit de neeess.tate baptismi?
3- Cf. Summ.TheoL, III P., qu«st. 67, a. l,Utnm
LE BAPTÊME 181
mais, quand la nécessité s'impose, tout le monde
peut baptiser. Entendez-vous? tout le monde :
clercs ou laïques, hommes, femmes ou enfants,
croyants, héritiques ou infidèles, pourvu que
les intentions et les rites de l'Eglise, qui nous
engendre au nom du Christ, soient religieuse-
ment gardés et accomplis. Partout, donc, l'élé-
ment régénérateur, et partout des ministres.
Quelle miséricordieuse bonté M
Et, pourtant, si malgré toutes ces facilités
ad officium diaconipertineat baptizarefet a. 2, Utrum
baptizare pertir.eat ad officium presbyterorum?
1. Ad misericordiam ejus qui vult omnes homines
salvos fieri, pertinet ut in his quœ sunt de necessitate
salutis, homo de facili remedium inveniat. Inter om-
nia autem sacramenta maximee necessitatis est bap-
tismus, qui est regeneratio hominis in vitam spiritua-
lem : quia pueris aliter omnino subvenire non potest,
et adulti non possunt aliter quam per baptismum ple-
nam remissionem consequi et quantum ad culpam, et
quantum ad pœnam. Et ideo ut homo circa remedium
tam necessarium defectum pati non possit, institut um
est ut et materia baptismi sit communis, scilicet aqua
quœ a quolibet de facili haberi potest, et minister bap-
tismi etiam sit quicumque non ordinatus, ne propter
defectum baptismi homo salutis suœ dispendium pa-
tiatur. {Summ. TheoL, III P., queest. 67, a 3, c.)
Cf. ibid a 4. Utrum mulier possit baptizare? — a. 5.
Utrum non baptizatus possit sacramentum baptismi
con/erre ">
182 LE BAPTÊME
providentielles le Baptême est impossible,
l'homme criera-t-il en vain : « J'ai été conçu
dans l'iniquité et ma mère m'a enfanté dans le
péché : Lavez-moi, Seigneur, purifiez-moi ! »
i — Non, Messieurs, là où le Baptême d'eau fait
défaut, la bonté divine permet que d'autres
Baptêmes le suppléent1.
Si c'est la volonté impie d'un tyran, qui inter-
dit les approches de la piscine sacrée, l'homme
a dans son corps une source plus vive, plus
féconde et plus précieuse que l'eau. Le glaive
de la persécution la fait jaillir : c'est bien! Le
martyr est baptisé, son sang appelle à lui tout
le sang du calvaire, et le grand amour avec
lequel il le répand, toute la vertu de l' Esprit-
Saint. Sa mort n'est pas seulement une repré-
sentation mystique de la mort du Christ, comme
dans le Baptême d'eau, c'est une reproduction
sanglante. En imitant le sacrifice rédempteur,
elle s'en approprie les mérites. L'Esprit-Saint,
qui meut le cœur du martyr, ne cache pas ses
opérations dans les profondeurs d'une âme
muette; il fait jaillir l'amour dans le sang
V Cf. Summ. Theol., III. P., quœst. 66, a. 11.
fJtrum conoenienter deseribantur tria baptismatat
LE BAPTÊME 183
répandu, dont chaque goutte dit à Dieu : On no
peut pas aimer davantage : Majorem charitatem
nemo habet, Cieux, retenez vos fertiles ondées;
terre, cache tes sources; fleuves, cessez de cou-
ler. On n'a pas besoin d'eau, là où le sang
coule *.
Mais, le Baptême de sang n'appartient qu'aux
héros. Dieu, qui connaît nos faiblesses, ne pou-
vait pas vouloir que notre salut fût, partout et en
tout temps, le prix d'une sanglante tragédie. Il
1. Effusio sanguinis pro Christo, et operatio inte-
rior Spiritus Sancti dicuntur baptismata, inquantum
efficiunt effectum baptismi aquae. Baptismus autem
aquœ efficaciam habet a passione Christi, et a Spi-
ritu Sancto, ut dictum est (art. prsec). Quse quidem
duœ causœ operantur in quolibet horum trium baptis-
matum ; excellentissime tamen in baptismo sangui-
nis : nam passio Christi operatur quidem in baptismo
aquee per quamdam fîguralem representationem ; in
baptismo autem flaminis, vel pœnitentiœ, per quam-
dam affectionem ; sed in baptismo sanguinis perimita-
tionem operis.
Similiter etiam virtus Spiritus Sancti operatur in
baptismo aquœ per quamdam virtutem latentem ; in
baptismo autem pœnitentiœ percordis commotionem;
sed in baptismo sanguinis per potissimum dilectionis,
et affectionis fervorem, secundum illud Joan., XV, 13.
Majorem hac dlleetionem nemo habet quam ut ani-
mam suam portât quis pro amicis suis.(Summ. Theol.t
III P.,quœst66, a. 12, c.)
184 LE BAPTÊME
a donc permis que le Baptême d'eau, devenu
impossible, fui suppléé par le Baptême de désir
Oui, Messieurs, le simple désir du sacrement,
dans un cœur qui, sous l'impulsion du Saint-
Esprit, produit un acte de charité parfaite, suffit
à la rémission de tous les péchés et à la régéné-
ration de l'âme '. Encore, n'est-il pas nécessaire
que le désir du sacrement soit explicite, Il est
contenu dans l'amoureuse volonté de ceux qui,
ignorant la vertu et même l'existence du Bap-
tême, sont disposés à faire tout ce qu'il faut pour
être justifiés. Où sont ces mystérieux baptisés?
Combien sont-ils? C'est le secret de Dieu; il
nous le fera connaître un jour. — En attendant
cette suprême révélation, croyons que, dans le
1. Potest sacramentur.» baptismi alicui déesse re,
sed non voto; sicut cura aliquis baptizari desiderat,
sed aliquo casu preevenitur morte, antequam baptis-
mum suscipiat; et talis sine baptismo actuali salutem
consequi potest, propter desiderium baptismi, quod
procedit ex fide per dilectionem opérante, per quam
Deus interius hominem sanctificat,cujus potentia sacra*
mentis visibilibus non alligatur. Unde Ambrosius dicit
(in Lib. de obitu Valentin. aliquant. a med.) de Va-
lentiniano, qui catechumenus mortuus fuit : Quem
regeneraturus eram, amisi; verumtamen Me gratiam,
quam poposcit, non amislt. (Summ. Theol., III P.,
quœst. 68, a. 2, c.)
LE BAPTÊME 185
martyre et dans la flamme amoureuse du désir,
les causes qui opèrent sont les mêmes que dans
le Baptême d'eau : c'est-à-dirè, le sang de Iésus-
Christ et l'Esprit-Saint, et que, par conséquent,
il n'y a qu'un seul Baptême, comme il n'y a
qu'une seule foi1. Croyons que la bonté de Dieu,
dans l'institution du sacrement indispensable, a
marché du même pas que sa sagesse.
Vous en doutez encore, Messieurs, j'en suis
persuadé, et votre raison me prépare une objec-
tion à laquelle j'ai déjà répondu et qu'il faut en-
tièrement liquider aujourd'hui2. Il s'agit des en-
fants qui, ne pouvant former aucun désir et
n'ayant pas d'autre péché que celui de leur ori-
gine, sont surpris parla mort avant que le sacre-
ment les ait régénérés. S'ils sont tués en haine
du Christ, le martyre les sauve, et l'Église peut
saluer, avec attendrissement, dans les cieux, les
tendres fleurs que la persécution a moisson-
nées. Mais, ils sont rares, parmi les enfants, ces
1. Alia duo baptismata (seilicet sanguinis et flami-
nis), includentur in baptismo aquœ, qui efficaciam
habet et ex passione Christi et ex Spiritu Sancto. Et
ideo per hoc non tollitur unitas baptismatis.
2. Cf. vingt-huitième conférence. La chute dans
V humanité
186 LE BAPTÊME
privilégiés du Baptême de sang ; tandis qu'une
foule immense s'en va, par la faute d'un seul,
aux abîmes éternels, et l'Eglise, sans pitié pour
leur âge et leur impuissance, n'hésite pas à
écrire sur leur front ce mot sinistre qu'on lit sur
le front des maudits : Camnation !
Messieurs, pas d'imagination, je vous en prie ;
ne vous effrayez pas d'un mot, sans en bien com-
prendre le sens. Cemot,je ne le retire pas. Lesort
des enfants morts sans Baptême est une vérita-
ble damnation, parce qu'il est l'effet d'une ma-
lédiction prononcée sur la race humaine, dans
la personne de leur premier père. Mais, sachez
le bien : il y damnation et damnation.
Celui qui entre dans son éternité après une
vie coupable, close par l'impénitence, est dam-
né, c'est-à-dire condamné à ne jamais voir ni
posséder le bien suprême qui devait le béati-
fier à jamais. Ce bien, il le connaît; il sait qu'il
en est privé par sa faute et mesure toute l'hor-
reur de cette privation. Un désir immense de
bonheur le tourmente, et ce désir, toujours inas-
souvi, le plonge dans une tristesse désespérée
qui le tuerait, s'il n'était immortel. Il ne peut
pas jouir du grand bien de sa nature que le pé-
LE BAPTEME 187
ché n'a pu détruire, parce que ce grand
bien, dont il a abusé, en appelle un autre que
Dieu lui a révélé pour le punir ; parce que le sup-
plice des sens profanés par l'iniquité s'ajoute
aux inexprimables tortures de l'âme. Et le com-
ble de son malheur, c'est de toujours se dire à
lui-même : Je l'ai voulu ! et de toujours maudire
la vie à laquelle il tient, et dont se repaît l'éter-
nelle mort qui le ronge.
Ah. j'en conviens, si tel était le sort des en-
fants morts sans Baptême, vous auriez raison
d'accuser Dieu d'avoir oublié sa bonté dans
l'institution de ce sacrement. Mais, rappelez-
vous, je vous prie, la belle et touchante doctrine
de saint Thomas que je vous ai exposée1. « Les
1. Nous remettons ici, sous les yeux du lecteur, les
textes de saint Thomas cités à la fin de notre vingt-
huitième conférence :
Animée puerorum naturali quidem cognitione non
carent, qualis debetur animœ separatee secundum
suam naturam, sed carent supernaturali cognitione^
quee hic in nobis per fidem plantatur, eo quod nec hic
fidem habuerunt in actu, nec sacramentum fîdei sus-
ceperunt. Pertinet autem ad naturalem cognitionem
quod anima sciât se propter beatitudinem creatam, et
quod beatitudo consistât in adeptione perfecti boni, sed
quod illud bonum perfectum, ad quod homo factus
est, sit illa gloria quam sancti possident, est supra
188 LE BAPTÊME
enfants qui n'ont pas reçu la grâce de la régé-
nération sont damnés, c'est vrai, puisque la sen-
tence portée contre la nature déchue les con-
damne à ne jamais voir Dieu face à face, à ne ja-
mais jouir des délices de cette contemplation.
Mais, ignorant qu'ils ont été faits pour ce
grand bonheur, dont ils n'ont jamais entendu
parler, comment souflriraient-ils de sa priva-
cognitionem naturalem , juxta illud Apostoli : Nec
oculus vidit} née auns audivît, née in eor hominis
ascendit quœ prœparavit Deus diligentibus se, nobis
autem reoelavit Deus per Spiritum suum, quœ reve-
latio ad fidem pertinet. Et propter hoc, quia animée
parvulorum se privari tali bono non cognoscunt, ideo
non dolent; sed hoc quod per naturam habent, absque
dolore possident. » (De Malo, quœst. 5. a. 3.)
Quamvis pueri non baptizati sint sepaçati a Deo
quantum ad illam conjunctionemquœ est per gloriam,
non tamen ab eo penitus sunt separati; imo illi con-
junguotur per participationem naturalium bonorum,
et ita etiam de ipso gaudere polerunt naturali cogni-
tioneet dilectione. (In lib.II, Sent., dist. 33., quœst.
1. a. 2. ad. 5um. )
Peccato originali non debetur pœna sensus, sed
solum pœna damni, scilicet carentia visionis divinœ.
(De Malo, quœst. 5. a. 2.)
«... Et ideo nihil omnino dolebunt de carentia visio-
nis divinœ, imo magis gaudebunt de hoc, quod parti-
cipabunt multa de divina bonitate, et perfectionibus
naturalibu8. » (Io lib. I!, Sent., dist. 33, quœst. lt
a. 2..)
LE BAPTEME 189
tion? Si Dieu le révèle à ceux qui auraient pu s'y
préparer de loin, par le bon usage des dons de
la nature, sa bonté lui interdit le jeu cruel de
décevoir de pauvres petes âmes dont les facul-
tés ne se sont jamais éveillées. Qu'il ne leur
montre pas les splendeurs de son essence, soitl
Mais il leur est unini par la participation de ses
perfections, qu'il leur fait connaître dans l'ex-
cellence de leur nature, les beautés de la créa-
tion, et, peut-être, la visite des anges et des
saints, qui viennent les carresser et les instruire.
Aucun reproche, aucun regret, aucune douleur,
ne les empêchent de jouir des douceurs de cette
connaissance, dont ils sont trop heureux pour
qu'ils puissent songer à autre choses qu'à louer
Dieu et à le bénir de les avoir créés. » Mères
chrétiennes, qui les avez enfantés, regrettez
qu'ils ne soient pas des anges, mais ne les plai-
gnez pas d'un malheur imaginaire, puisqu'ils
vous remercient de leur avoir fait don de la vie.
Et vous, Messieurs, cessez de les comparer,
dans votre pensée, aux éternels proscrits qui
font retentir l'enfer de ce cri désespéré : Mau-
dit soit le jour où je suis né! et ne troublez pas,
par d'injustes récriminations, le paradis de leur
190 LF BAPTÊME
nature tranquille et satisfaite. Rentrez plutôt
en vous-mêmes, et craignez l'effroyable dam-
nation à laquelle vous vous exposez, si vous
êtes infidèles à la grâce de votre Baptême. Cette
grâce, vous la devez à l'infinie bonté de Dieu.
Remerciez-le, et dites avec l'Apôtre : « C'est par
sa miséricorde que nous avons été sauvés dans
le bain de la régénération : Secimdum suam
misericordiam saivos nos fecit ver lavacrum ré-
générations s l. »
i. Tit , cap. M. 5.
SOIXANTE-CINQUIÈME CONFÉRENCE
LE BAPTISÉ
SOIXANTE-CINQUIEME CONFÉRENCE
LE BAPTISÉ
Eminentissime Seigneur1, Messieurs,
Condamné à mort par la sentence qui dé-
pouilla son premier ancêtre des privilèges trans-
missibles de la justice originelle , l'homme a
besoin de renaître. Obligé de produire des
œuvres surnaturelles, l'homme a besoin d'un
organisme en rapport avec la nouvelle vie
qu'il reçoit. Appelé à participer aux actes
d'un corps mystique et à communier aux
biens spirituels qui circulent dans ce corps,
l'homme a besoin d'y entrer et d'y être
scellé par un caractère indélébile. Le Bap-
tême, régénération, illumination, sigillation,
répond à ces besoins, et nous ouvre ainsi la porte
du royaume des cieux, où Dieu ne reçoit que
1. Son éminence le cardinal Guibert, archevêque de
Paris.
CONFÉRENCES N.-D. — CAREME 1883. — 13
194 LE BAPTISÉ
des âmes pures vivant de sa vie; où il ne cou-
ronne que les fruits de la grâce et des habitudes
saintes qu'il nous a communiquées ; où il ne con-
somme, dans l'éternelle béatitude , que l'Église
dont son Fils Jésus-Christ est le chef. D'où la
nécessité absolue du sacrement initiateur, né-
cessité à laquelle le Christ a pourvu, avec une
admirable sagesse et une tendre miséricorde.
Telles sont, Messieurs, les vérités importantes
que je vous ai exposées dans ma précédente
conférence. A la rigueur, nous pourrions nous
en contenter, et chercher immédiatement, dans
le sacré septénaire , le sacrement qui complète
le Baptême et fait passer l'âme régénérée de
l'enfance à la virilité chrétienne. Mais il m'a
semblé que nous avions encore une étude inté-
ressante à faire, étude qui répond à certaines
prétentions et préoccupations contemporaines
que vous me reprocheriez peut être d'éviter.
Il s'agit du baptisé, de sa grandeur et de ses
droits. — Vous allez vous convaincre en m'en-
tendant, je l'espère, que la question est impor-
tante et mérite d'être traitée sérieusement.
LE BAPTISÉ 195
I
Et d'abord quel est le sujet du Baptême: c'est-
à-dire, qui peut être baptisé? La question n'est
pas oiseuse, croyez-le bien; car elle nous donne
l'occasion de revendiquer le droit au Baptême,
contre l'exclusion prononcée par la libre pensée
sur une bonne partie de l'humanité.
On ne nous conteste pas le droit de baptiser
les adultes qui, en pleine possession d'eux-
mêmes et suffisamment instruits des vérités de
la religion, s'écrient : Je crois! et demandent à
entrer, par l'initiation sacramentelle , dans
l'Église de Jésus-Christ. C'est par ces adhésions
volontaires que le christianisme a commencé, et
l'on ne trouve pas mauvais qu'il continue de la
même manière.
De notre côté, nous ne prétendons pas insérer
de force dans le corps mystique du Christ ceux
qu'une autorité naturelle, si aveuglée qu'elle
soit, maintient dans le giron de l'erreur et la
mort du péché. Non seulement nous ne bapti-
sons pas les adultes qui ne veulent pas de notre
sacrement, mais nous respectons la volonté des
196 LE BAPTISÉ
mécréants et des infidèles sur leurs enfants. « Le
droit naturel, dit saint Thomas, les place sous
la tutelle de leurs parents, jusqu'à ce qu'ils
puissent disposer de leur personne. Les bapti-
ser à contre gré, c'est offenser la justice autant
que si Ton baptisait un adulte malgré lui. De
plus, c'est exposer leur foi à sombrer dans les
redoutables tentations de l'amour filial, qui doit
s'éveiller un jour dans leur cœur. Aussi la cou-
tume de l'Église est-elle de ne point contreve-
nir, en cela, à la volonté des parents1. »
A ces paroles du grand docteur, on oppose
les actes inconsidérés de certains princes et de
certains particuliers qui, par excès de zèle,
1. Pueri secundum jus naturale sunt sub cura pa-
rentum, quamdiu ipsi sibi providere non possunt.
Unde etiam de pueris antiquorum dicitur, quod sal-
vabantur in fide parentum. Et ideo contra justitiam
naturalem esset, si taies pueri invitis parentibus bap-
tizarentur; sicut etiam sialiquishabens usum rationis
baptizaretur invitus. Esset etiam periculosum tali-
ter filios infîdelium baptizare : quia de facili ad infi-
delitatem redirent, propter naturalem affectum ad pa-
rentes. Et ideo non habet hoc Ecclesiee consuetudo quod
filii infidelrum, invitis parentibus > baptizentur.
Cf. Cinquante-huitième conférence: Delarepressi
dans V Eglise, 2m0 partie, en note, texte de saint Tht
mas.
LE BAPTISÉ 197
ont abusé de leur autorité et de leur influence
pour imposer le Baptême, et l'on prétend en
faire rejaillir la responsabilité sur l'Église.
Mais elle proteste énergiquement par la voix
de ses conciles et de son droit canon, et, sur ce
point délicat, elle réclame, de tous ses enfants,
« le respect de la justice : Ut intégra sit
forma justitiœ. 1 »
Ces explications données, nous sommes en
présence d'une nouvelle question : Les parents
chrétiens ont-ils le droit de faire baptiser leurs
enfants, et l'Église peut-elle condescendre à
leur désir? La réponse affirmative jaillit spon-
tanément de vos cœurs. Messieurs ; mais, il y en
a qui pensent que vos cœurs vont trop vite.
C'est, du moins, l'opinion d'un certain nombre
de déclamateurs contemporains qui se sont
donné mission de pontifier pour la libre pensée.
L'originalité de leur talent, la facilité et l'élé-
gance de leur style, leur donnent, sur l'esprit
1. Contra est quod in Décret, dist. xlv, cap. v. ex
Concilio Toletano, cap. iv, can. 57, sic dicitur : « De
Judœis preecipit sancta synodus, nemini deinceps ad
credendum vim inferre, non enim taies inviti salvandi
sunt, sed volentes, ut intégra sit forma justitiœ. »
(Summ. Theol.% Loco. cit.)
198 LE BAPTISE
public, une certaine autorité dont ils abusent
pour le saturer de sophismes. — Par exemple,
ils incarnent dans chaque individu ce qu'ils
appellent les droits de l'homme, sans se soucier
des droits de la société, de la famille et de
Dieu, et veulent que chacun soit maître de
choisir et de faire sa religion... On ne doit
point préjuger, à cet égard, les décisions de la
liberté éclairée par la raison. — L'homme est
enfant ; donnez lui tous les soins qui con-
viennent à sa santé ; préparez-le à l'exercice de
ses facultés, mais ne l'engagez à rien. Il faut
que sa conscience soit absolument libre de se
prononcer quand il aura grandi, et que, mis
en présence des diverses formes religieuses
créées par l'esprit humain, il puisse dire de
lui-même : Voilà ce qui me convient ! Il sera
catholique, protestant, juif, mahométan, bou-
dhiste, et, même, rien du tout, c'est son affaire.
Du moins, il ne pourra accuser personne d'avoir
attenté dans son âme au droit radical, inviolable
et royal de la libre pensée. On attente à ce
droit, on se rend coupable du crime de lèse-
toajesté humaine, lorsque, parle Baptême, on
fait entrer à leur insn, les enfants dans une
LE BAPTISÉ 199
société à laquelle, un jour peut-être, il leur
déplaira d appartenir ; lorsqu'on les oblige ainsi
à croire, à professer une doctrine qui, un jour
peut-être, révoltera leur raison ; lorsqu'on les
soumet au joug d'une loi prétendue sainte qui,
un jour peut-être, sera trouvée incommode et
malfaisante par une volonté jalouse de sa libre
expansion. Donc, plus de Baptême pour les
enfants ; attendons qu'ils le demandent: voilà
notre système !
Et ils sont fiers de ce système, comme s'ils
en avaient l'étrenne. On dirait, à les entendre,
que le monde n'a marché de progrès en progrès,
pendant dix-huit siècles, que pour aboutir à
cette superbe et audacieuse revendication de la
libre pensée. Les plus modestes daignent se
souvenir que, dans le siècle qui a précédé notre
glorieux dix-neuvième, un certain Jean-Jac^
ques Rousseau pourrait bien avoir eu l'idée de
cette revendication ; mais ils ne vont pas plus
loin.
La vérité historique me fait un devoir de leur
dire que, s'ils étaient un peu plus instruits, ils
reconnaîtraient, à leur grande confusion, qu'ils
ne sont que les plagiaires d'une erreur vieille
200 LE BAPTISÉ
au moins de quatorze cents ans. Condamnée
et anathématisée, au cinquième siècle, par le
concile de l'ancienne Milève, sous le pontificat
du pape saint Innocent1, elle fut reprise, au
douzième siècle, par les Pétrobrusiens. Saint
Bernard les a flagellés en des termes que l'ur-
banité de nos mœurs policées ne nous per-
mettrait pas d'employer. « Voyez, disait-il,
ces détracteurs et ces chiens qui se moquent
de nous parce que nous baptisons les enfants.
Eh ! qu'importe que l'enfant ne puisse pas
parler, puisque la voix du sang, la voix de son
frère, de son grand frère le Christ, monte pour
lui de la terre vers Dieu. Debout, près du
Christ, j'entends crier la sainte mère l'Église.
Et l'enfant lui-même, ne l'entendez-vous pa9
crier vers le Seigneur et lui dire, par ses dou-
loureux vagissements : Seigneur, je souffre vio-
lence, protégez-moi : Domine vimpatior ,responde
pro me? Il demande les secours de la grâce, le
pauvre petit, parce que le péché qu'il tient de
son origine lui fait violence. Sa misère invo-
lontaire, son ignorance, son infirmité, tout crie
1. Placuit ut quicumque parvulos récentes ab uteris
matrum baptizandos negv . anathema sit. (Can.2.)
JB BAPTISÉ 201
vers Dieu. Ne me dites pas qu'il n'a pas la foi,
puisque l'Église sa mère lui donne la sienne.1 »
Les Pétrobrusiens furent écrasés sous les
coups de cette vigoureuse et touchante invec-
tive; mais, trois siècles plus tard, on entendit
de nouveau leurs sacrilèges moqueries sortir de
la bouche des Anabaptistes. Ceux-ci, plus forts
que nos contemporains, savaient ajouter, aux
sophismesde la raison, des traits volés à l'arsenal
sacré où sont remisées nos plus puissantes
armes. Bellarmin à énuméré, discuté et démoli
trente-six de leurs arguments tirés de l'Ecri-
ture. * Vous voulez bien, n'est-ce pas, que je
1. Videte detractor es , videte canes. Irrident nos,
quia baptizamus infantes. Quid enim si infans pro se
loquinon potest, pro quo vox sanguinis fratris sui, et
talis fratris ( Christi) clamât ad Deum de terra? Astat
et clamât nihilominus mater Ecclesia. Quid tamen
infans? Nonne et ipse tibi videtur inhiare, de fontibus
salvatoris vociferari ad Deum, suisque vagitibus cla-
mitare : Domine vim patior, responde pro me. Fla-
gitat auxilium gratiae, quia vim patitur ab origine
Clamât innocentia miseri, clamât ignorantia parvuli,
clamât infirmitas addicti. Nemo mihi dicat, quia non
habet fidem, cui mater (Ecclesia) impendit suam.
(Serm. 66. in Cant.)
2. Cf. Bellarmin., Lib. I. De taeramento baptcsmi.
cap. ix.
202 LE BAPTISÉ
vous en fasse grâce? — Ils ne négligeaient pas
non plus la tradition et trouvaient çà et là, en
leur faveur, quelques textes des Pères qui ju-
geaient plus prudent et plus sage d'attendre
l'âge du discernement, pour administrer avec
plus de fruit, le Baptême.1 Je ne discuterai
pas ces textes, Messieurs ; il me suffira de vous
faire remarquer que, dans un temps où la so-
ciété était encore à moitié païenne, on pouvait
désirer que les enfants n'entrassent qu'à bon
escient dans l'Église, pour éviter les dangers de
l'apostasie : que les Pères qui ont exprimé ce
désir ont toujours enseigné que l'on devait
1. De reliquis (infantibus quibus nullum ingruit
mortis periculum) ita censeo et triennio expectato,
aut aliquanto breviori aut longiori temporis spatio...
ita demum per magni baptismi sacramentum et ani-
mos et corpora sanctificent : Ilepl hè râva/Aul' S<S&>^<
yv(b[iY}v ty}v rpterlav àvauelvavTas r, (âixoov èvràs toutou,?;
ir.ïz toOto. OCtcos dyid^etvxaiypv^àsx'xif7Cû(i<XTa tw peyà)si>
liverrjp'.tùTrïs Tzkz'.ùHTecos .(S . . Greg. Naz., crat. 40, in
sanctum Baptisma, n° 27. 1
Quidfestinat innocens œtas ad remissionem pecca-
torum? (Tertul., Lib. De baptism., cop. 18.) Fieri non
potest ut corpus recipiat sacramentum, nisi ante ani-
ma fidei receperit veritatem. (S. Hieron., cap. ait. in
Matth.)
LE BAPTISÉ 203
baptiser les enfants en péril de mort1, et n'ont
jamais nié qu'on pût validement baptiser les
autres. L'eussent-ils nié, leurs négations iso-
lées ne pourraient prévaloir ni contre la loi
divine, qui n'excepte personue, ni contre la
coutume générale de l'Église, affirmée par une
nuée de témoignages, depuis les constitutions
apostoliques2, jusqu'aux solennelles déclara-
tions du concile de Trente, qui a condamné
les anabaptistes.
1. Cur eos quoque (infantes) baptizamus? Ita pror-
sus, si qued periculum immineat : H xai xavTa ^airri-
<ro(isv ; tsâv vyej eTwep ris éiretyoi xivhvvos (S. Greg. Naz.,
Lib. De Anima, cap. 30 et 40.)
2. Baptizate etiam parvulos vestros, et eos educate
in bona disciplina et prtBceptis Dei : BairrlÇere Ss Ci/zwv
xai Ta vr^iaKcti SHrépsrs aura èvzsaiàdqxalvovôecTKxQeov.
(Constiiut.apostolic, Lib. VI, cap. 15.) «
Cèlesiin, dans le libelle qu'il écrivit à Rome, avoue
que c'est la règle de l'Eglise universelle de baptiser les
entants. « Infantes baptizare in remissionem peccato-
rum secundum regulam universahs Ecclesiœ, et se-
cundum evangelii doctrinam »(s. Aug. lib. Depeccato
originali, cap. 5). Si quis dixerit neminem esse bap-
tizandum,nisi ea setate qua Christus baptizatus est, vel
in ipso mortis articulo ; anathema sit. (Conc. trid.
sess vu. De baptismo, can, 12.) Si quis dixerit parvu-
los, eo quod actum credendi non habent, suscepto
baptismo in ter fidèles computandos non esse , ac
204 LE BAPTISÉ
Vous le voyez, Messieurs, les modernes ad-
versaires du pédobaptisme ont de jolis ancêtres.
J'ai du plaisir à leur apprendre que leur
orgueilleuse critique des coutumes sacramen-
telles n'est pas une nouveauté ; j'aurai plus
de plaisir encore à leur démontrer qu'elle n'a
pas le sens commun.
On m'accordera bien, je l'espère, que le
respect de la liberté ne doit pas être ridicule
et barbare jusqu'à priver l'enfant inconscient
de grands et solides avantages qu'on pourrait
lui procurer, même au prix de certaines
obligations. L'amour paternel n'est pas une
chimère ; il a des devoirs qu'on ne peut
mépriser sans crime. Assurément, la liberté
est une belle chose: mais l'amour en est
moins touché que des misères et des fai-
blesses auxquelles il peut remédier. Que nos
adversaires nous permettent d'interroger leurs
sentiments et leur conduite, nous y trouve-
rons, peut-être, notre justification.
propterea, cumad annos discretionis pervenerint, esse
rebaptizandos, aut prœstare omitti eorum baptisma,
quameos, nonactuproprio credentes, baptizari in sola
fide Ecclesiœ; anathema sit. (Conc. trid., sess. VII,
De Baptis., cao. 13.)
le BApnsé 2Ô5
Si l'un de leurs enfants est atteint d'une
grave infirmité qui menace de se consolider
et de le rendre difforme pour toute la vie,
attendront-ils qu'il soit en âge de connaître
son état et de déclarer qu'il désire être guéri ?
— Pas le moins du monde ; ils s'empresseront
d'appeler quelque habile orthopédiste et se
conformeront scrupuleusement à ses instruc-
tions, malgré les cris et les convulsions de
l'enfant. — Si quelqu'un, comme au temps des
bonnes fées, avait le pouvoir de douer un
enfant et d'accumuler, en sa petite personne,
le génie, la vertu, la beauté, lui diraient-ils:
Attendez que mon fils puisse se prononcer et
que nous sachions bien s'il n'aime pas mieux
être un sot, un coquin et un laideron? — Je ne le
pense pas; ils accepteraient, avec reconnais-
sance, des bienfaits qui leur promettent de
posséder, un jour, dans leur famille, une petite
merveille. — Un enfant vient de naître ; vite,
ils le font inscrire, pour lui donner un étal
civil, et décrètent ainsi qu'il devra prendre
part aux bénéfices et aux charges de leur pro-
pre nationalité. — Pourquoi n'attendent-ils
pas que l'enfant puisse faire un libre choix
206 LE BAPTlSé
et décide qu'il lui plairait d'être Anglais, Belge
ou Prussien, plutôt que Français? — Qu'un pa-
rent éloigné ou un étranger, qui ne leur doit rien,
propose d'assurer un riche héritage à un de
leurs enfants en bas âge. Vous pouvez être
sûrs qu'ils profiteront tout de suite de ses
bonnes dispositions, sans se demander si le
futur héritier ne préférera pas,plus tard, l'hon-
nête médiocrité à l'opulence qu'on lui offre.
Evidemment, en tout cela, ils font bon marché
des décisions de la liberté ; et, si vous le leur
reprochiez, ils vous répondraient : Quand il
s'agit du bien des enfants, l'amour paternel
présume légitimement tous les consentements.
Et voilà précisément, Messieurs, ce que
pensent les parents chrétiens qui font baptiser
leurs enfants. La foi leur dit que celui qui naît
de l'homme et de la femme est privé de la sève
divine qui doit vivifier notre être surnaturalisé.
C'est plus qu'un infirme , c'est un mort; aussi,
s'empressent-ils de le plonger dans la piscine
sacrée, où il est engendré de nouveau et péné-
tré de la vie de Dieu. La foi leur dit qae notre
nature, déchue de sa condition première, ne
peut plus produire aucun acte m rapport avec
LE BAPTISE 207
le terme sublime que Dieu a assigné à toute vie
humaine, que l'honnêteté naturelle, elle-même,
lui est devenue difficile, mais qu'une miséri-
corde infinie offre de l'enrichir d'habitudes di-
vines et des dons de l'Esprit-Saint, pour la dis-
poser aux œuvres saintes, rectifier ses pen-
chants, et apaiser l'ardeur de ses convoitises.
Ces habitudes, ces dons, ils se hâtent de les de-
mander au sacrement d'illumination. La foi leur
dit que nous sommes appelés à faire partie
d'une société spirituelle, plus noble, plus fé-
conde, plus riche, plus durable que toutes les
sociétés humaines, et qu'il est bon d'être chré-
tien pour participer aux biens qui circulent dans
le corps mystique du Sauveur. Voilà pourquoi
ils donnent tout de suite, par le caractère bap-
tismal, un état religieux à leurs enfants, comme
ils leur ont donné un état civil, afin qu'ils soient
incorporés à la société chrétienne. La foi leur
dit que tout chrétien devient héritier d'un trésor
sur lequel la rouille et les voleurs n'ont pas de
prise, d'une demeure où Ton jouit d'un bonheur
que n'empoisonne aucune des misères dont la
vie humaine est remplie, d'un royaume qui sub-
sistera éternellement, quand tous les royaumes
208 LE BAPTISÉ
de la terre seront détruits. Cet Héritage incom-
parable, ils l'acceptent pour leurs enfants, et
l'acte solennel de leur acceptation, c'est le
Baptême.
Leur reprochera-t-on d'agir conséquemment
aux principes de leur foi? Mais, je ne sache pas,
que les principes de leur foi aient moins d'auto-
rité que le septicisme moqueur de ceux qui les
désapprouvent, et qu'ils soient moins honorables
d'avoir des convictions religieuses que de n'en
avoir pas. — Plus clairvoyants et plus nobles
dans leurs ambitions que les naturalistes, qui ne
sont sensibles qu'à des avantages temporels, les
parents chrétiens regardent du côté de l'éter-
nité, et les glorieuses destinées qu'ils entrevoient
leur paraissent mériter qu'on y prépare l'âme
des enfants, par la régénération, l'illumination,
l'incorporation. — Ils ne négligent pas plus les
soins du corps et la préparation des facultés
intellectuelles et morales que ceux qui ne voient
que cela dans leur progéniture; mais leur re-
gard profond va plus avant, et leur amour,
éclairé par la foi, leur commande, pour les be-
soins surnaturels de l'enfant, des attentions plus
empressées et plus délicates <iue pour les né-
LE BAPTISÉ 209
cessités de la nature. Mieux que personne, ils
ont le droit de répondre à ceux qui critiquent
leur religieuse sollicitude : Quand il s'agit du
plus grand bien des enfants, l'amour paternel
présume légitimement tous les consentements.
On me dira peut-être : à quoi bon ce luxe,
cette complication d'opérations mystérieuses et
d'effets sacramentels, dans une âme d'enfant qui
n'en a pas conscience et qui ne peut faire usage
des dons qu'elle reçoit? Eh! Messieurs, pour
être sauvé de la mort, pour recevoir la vie, pour
être assuré d'un somptueux héritage, il n'est
pas nécessaire qu'on ait connaissance de si
grands bienfaits. L'âme inconsciente de l'enfant
peut être délivrée de la mort du péché, pénétrée
de la vie de Dieu, investie d'un droit certain à
l'héritage céleste ; cela vaut bien la peine, ce me
semble, qu'on lui administre le Baptême qui
produit ces merveilleux effets. Quant aux vertus
infuses et aux dons illuminateurs de l'Esprit-
Saint, ils ne sont pas plus inutiles que les facul-
tés intellectuelles, qui sommeillent afin de ne
pas distraire la vie physique de l'activité dont
elle a besoin pour s'affermir.
Vous ne voyez pas s'exprimer par des actes
COMKÉHENCKS N.-D. — ■ CAKFMlî lâS3. — 14
210 LE BAPTIBÊ
la raison des enfants en bas âge, et, cependant,
cette lumineuse faculté existe à l'état latent;
attendant, pour se manifester, le moment < ù
les organes dont elle se sert comme d'instru-
ments seront non seulement assez souples pour
obéir, mais assez fermes pour supporter le coup
d'archet qui les fera frémir, chanter la pen-
sée, et mettra en branle tout Fêtre intel-
lectuel et moral. Il en est de même des fa-
cultés surnaturelles dont Dieu orne l'âme
en la régénérant. Elles existent réellement ;
mais elles attendent le moment où la raison
s'éveille, et éveille autour d'elle toutes les fa-
cultés de l'âme humaine; et, alors, agissant
de concert avec elles, elles disposent le chré-
tien à recevoir, sans retard, les premières
impressions des vérités divines, objet de sa
foi, et à subir les premiers attraits du bien
suprême, objet de ses espérances et de son
amour *. Elles font chanter, aux innocenta
natures qu'elles illuminent, le saint cantique
des actes naïfs par lesquels se manifeste la vie
chrétienne. — La touchante docilité qui fait
1. Cf. Summ. TheoL, III P. Quœst. 69. a.6. Utrum
pueri in baptismo consequantur gratiam et virtutes?
LE BAPTISÉ 211
accepter aux enfants les plus profonds mys-
tères de la religion, la candeur avec laquelle
ils dirigent leurs désirs vers le ciel, la sincé-
rité de leur amour pour Dieu, la confiance
de leurs prières, tout cela est le fruit du Bap-
tême et la manifestation des habitudes infuses
qu'ils y ont reçues. Non, qu'on ne dise pas
qu'elles sont inutiles, mais, plutôt, qu'on admire
la sagesse de Dieu dans l'analogie des lois qui
gouvernent parallèlement l'ordre naturel et
Tordre surnaturel.
C'est pour obéir à ces lois, Messieurs, que les
parents chrétiens font baptiser leurs enfants.
Le bon sens et l'amour leur dictent leur devoir,
à cet égard, et leur feront éternellement braver
les contradictions des sophistes qui prétendent
interdire à la vie divine de se donner , avant
qu'on la demande, là où l'on a besoin d'elle;
Laissons-les au triste métier de rajeunir des
hérésies décrépites, d'outrager le sens commun^
et d'étouffer dans leur cœur les plus nobles ins-
pirations de l'amour paternel. Si la justice hu-
maine ne peut flétrir toutes les lâches calom-
nies de la mauvaise foi, appliquée à décrier le
zèle de ceux qui recueillent, pour les baptiser
212 Z.E BAPTISÉ
et les envoyer au ciel, les enfants abandonnés
des infidèles, meprisons-les. Rien n'empêchera
la grâce de descendre dans l'âme des enfants
que nous présentons au Baptême; rien ne
m'empêchera de vous dire quelle est leur gran-
deur, quels sont leurs droits.
u
Bien qu'il ne soit qu'une toute petite chose,
par ses faiblesses et son impuissance, l'enfant
participe à la grandeur de ses générateurs.
Toutes les illustrations de famille se donnent
rendez-vous auprès de son berceau, l'entourent
comme d'une auréole, et lui promettent un
glorieux héritage. Mais ces priviligiés de la
grandeur humaine sont rares ; il y a plus de ber-
ceaux obscurs ici-bas qu'il n'y en a d'illustres,
si on ne les voit que des yeux de la chair; si,
au contraire, nous les regardons avec les yeux
delà foi, tous les berceaux s'illuminent, tous
les berceaux sont glorieux, du moment qu'un
chrétien y repose.
L'enfant baptisé est grand de la grandeur du
LE BAPTISÉ 213
Dieu qui l'engendre à une nouvelle vie. Sans
doute, cette génération n'est point semblable à
celle qui, dans les cieux, produit le Verbe di-
vin. — Le Père innascible ne peut, se défendre
d'engendrer son semblable et de lui donner
toute sa grande nature. Il est aussi nécessaire
qu'il ait un fils, splendeur de sa gloire, image
vivante et parfaite de sa substance, qu'il est
nécessaire qu'il soit, et ce fils a le privilège
d'être unique. Cependant, non plus par néces-
sité, mais par amour, Dieu se sent incliné à
avoir d'autres fils. S'il ne peut leur donner toute
sa nature, il les y fait participer et, par
cette participation, il les configure, autant
qu'il est en lui, à son Fils unique et éternel. Pro-
fond mystère, stupéfiante merveille, chantée
par nos saints docteurs! Dieu fait, dans le
sacrement où il nous engendre surnaturel-
lement pour nous rendre semblables à son Fils,
ce qu'il a fait dans le sein d'une vierge pour
rendre son Fils semblable à nous. L'eau du
Baptême est un giron sacré à qui nous devons
la naissance que le Christ doit au sein de
Marie. En ces deux sources de vie, ce sont les
mêmes causes qui agissent : la même fécondité
214 LE BAPTISÉ
du Père, la même opération de l'Esprit-Saint.
Entre ces deux sources de vie se fait ce prodi-
gieux rapprochement: que, dans Tune, le Fils de
Dieu devient fils de l'homme, et que, dans
l'autre, le fils de l'homme devient fils de Dieu,
Entendez-vous, Messieurs, ce tout petit être,
que l'Église baptise est un fils de Dieu. Nous
ne pouvons pas l'appeler, comme le Verbe divin,
un fils de nature, mais un fils de bienveillance
et d'adoption. Toutefois, les adoptions hu-
maines ne sont qu'une imparfaite image de cette
adoption divine. Elles donnent un nom, des
titres et des droits, sans pouvoir rien changer
dans la personne de l'enfant qu'on adopte. Son
sang demeure imprégné des vices de ses géné-
rateurs, et ses appétits, de la bassesse de leurs
instincts. C'est en vain que ses adoptants vou-
draient lui communiquer quelque chose de
leur noble nature, il ne le peuvent pas. Ce
sera, peut-être, le fruit de l'éducation, mais point
le fait de l'adoption. Dans l'adoption surnatu-
relle, au contraire, Dieu opère à la manière d'un
générateur, et va jusqu'à l'intime de notre être.
Il nousjustifie, dit saint Augustin, c'est-à-dire
il détruit, en notre âme déchue, le vice de notre
LE BAPTISÉ 215
génération naturelle, la mort du péché ; et, par
le même acte, il nous déifie : Deus quijustificat
ipse deificat*. S'il ne nous passe pas son être
divin en sa plénitude, il nous donne quelque
chose d'approchant et du même genre. Il nous
fait , selon l'expression de saint Thomas ,
« communiquer à sa propre nature, par une
certaine participation de ressemblance avec
lui, et il n'y a que lui qui puisse faire cela :
Necesse est quod solus Deus deificet, communi-
cando consortium su% naturx per quarndam
similitudinis partkipationem 2. » Saint Jean
disait bien : Quel amour le Père a pour nous,
puisqu'il veut qu'on nous appelle ses fils et
que nous le soyons en effet ! Ut filii Dei nomi-
nemur et simus 3.
Mais pourquoi, me demandez- vous, Dieu
fait-il son fils d'un petit être qui ne peut ni le
connaître ni l'aimer? — Pourquoi, Messieurs?
Parce qu'il veut contenter son amour, Nous
sommes par nature les images de sa perfection,
1. InPsalm. XLIX.
2. Summ. Theol., I ae II ae P.,qusest. 112. a. 1. c.
3. Videte qualem charitatem nobis dédit Pater, ut
filii Dei nominemur et simus. (I. Joan. cap. m.)
2lÇ LE BAPTISé
et l'on peut dire qu'il est, en cet ordre, notre
Père d'office, car il n'y a que lui qui puisse nous
donner l'être et nous le conserver. Toutes les
attentions de sa Providence sont des actes de
cette universelle paternité ; mais il n'y peut
point mettre cette particulière bienveillance,
cette intime et tendre complaisance qu'il a
pour son Fils éternel. C'est afin de nous aimer
comme il l'aime qu'il nous adopte, en nous ren-
dant semblables à lui, par la communication de
sa vie. Et voyez jusqu'où va son inclination
à nous aimer. Les nobles gens qui adoptent
des enfants ont peur de voir s'éteindre un
grand nom et s'évanouir une grande fortune.
Dieu n'a point de ces craintes. L'immense
majesté, le souverain bien qu'il est, sont im-
périssables comme son être. Il possède un fils,
son héritier naturel, qui jouit et jouira éter-
nellement de toutes les grandeurs, de toutes
les richesses, de toutes les béatitudes de son
immortelle et infinie nature. Et l'on dirait que
cela ne suffit pas à son amour. L'héritage de
son Fils il veut le donner à d'autres, et c'est pour
que nous puissions le voir un jour, le pos-
séder, jouir de lui aussi profondément et in-
LE BAPTISÉ 217
timement que son propre Fils, toute différence
gardée entre sa nature infinie et la nôtre,
qu'il nous divinise ici-bas.
L'enfant baptisé est donc, par la grâce du
Christ, fils de Dieu comme lui et son cohéritier.
Admirables privilèges! Et pourtant, ce n'est
pas encore toute sa grandeur. Sa ressemblance
avec le Verbe divin, qui a daigna s'abaisser
jusqu'à lui en prenant chair, n'est point une
ressemblance séparée ; mais, si je puis m'ex-
primer ainsi, une ressemblance conjointe, qui
étend et complète le grand mystère de l'In-
carnation. En nous façonnant à l'image du
Fils de Dieu, le Baptême nous incorpore à son
humanité sainte et fait de nous ses membres
vivants. Il est avec nous un seul corps, unum
corpus. Non pas un corps purement moral et
métaphorique, comme celui que forment en-
semble les membres d'une même société, mais
quelque chose de plus : ce corps réel et mys-
tique dont je vous ai décrit la structure et
les fonctions, et où nous avons vu circuler la
vie divine avec tous les biens dont elle est le
principe \ ce corps dans lequel tout noln;
t, Cf. soixantième conférence : La Communion des
toiiniêk
218 LE BAPTISÉ
être est engagé : notre âme, qui reçoit de
divin chef les influences célestes dont elle est
surnaturellement vivifiée, et fait rayonner autour
d'elle ses mérites divinisés par les mérites du
Christ : notre chair, mystérieusement travaillée
par la chair sacrée du Sauveur qui l'abreuve
de sa sève et la prépare k la résurrection.
Membres du Christ, nous appartenons à sa
plénitude sociale, et lui nous communique sa
plénitude personnelle. C'est le comble de notre
grandeur baptismale.
La plénitude du Christ, Messieurs, c'est son
Esprit. Non pas quelque chose d'idéal et d'abs-
trait et comme la quintessence de ses vertus;
mais une personne subsistante et vivante que
le Verbe respire éternellement avec son Père,
et qui achève, dans les cieux,la vie divine; sur
la terre, les communications de Dieu. « Nous
sommes tous baptisés dans cet unique Esprit:
In imo Spiritu omnes nos baptizati sumus.
Nous en sommes tous abreuvés : Omnes in uno
Spiritu potati sumus, » L'Apôtre relie ce mys-
tère à celui de notre incorporation1. «Membres
1. Sicut enim corpus unum est, et membra babet
multa, omnia autem membra corporis cum sint
niulta, unum tamen corpus sunt : ita et Christus. K%-
Lft BAPTISÉ 219
du Christ, nous sommes les temples de son
Esprit : Templum Dei estis et Spiritus Dei ha-
bitat invobis *. » Cet Esprit vivant, envahissant
notre âme, réside là où elle réside, travaille
et vivifie là où elle travaille et vivifie, c'est-à-
dire jusqu'aux extrémités de ces instruments
de chair et d'os par lesquels se manifestent,
aux yeux des hommes, les mystères de
notre vie intime. Nos membres, qui sont,
par la grâce du Baptême, les membres
vivants du Christ, « sont aussi les temples vi-
vants de son Esprit-Saint : Membra vestra tem-
plum sunt Spiritus Sancti. » 9 Temples consa-
crés par l'inscription de son caractère, l'onction
de sa personne, l'illumination de ses dons,
temples plus somptueux, plus grandioses, plus
illustres, plus durables que les majestueux
et solides édifices construits, par la piété des
hommes, à la gloire de Dieu.
Vous comprenez maintenant, Messieurs, la
enim in uno Spiritu omnes nos in unum corpus bapti-
zati sumus, sive judeei, sive gentiles, sive servi, sive
liberi : et omises in uno Spiritu potati sumus. (I Cor.,
cap. xii 12, 13.)
1. I Cor., cap. m, 16.
2. I Cor., cap. vi., 19.
220 LE BAPTISE
profond? et sublime signification des paroles
qu'on prononce sur la tête du baptisé : « Je
te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit. » Le mystère que vous avez entrevu,
sans doute, lorsque je vous parlais des effets
du sacrement, brille de tout son éclat dans la
personne de celui qu'il a régénéré. Fils de
Dieu, membre du Christ, temple de l'Esprit
divin, intimement uni à toute la Trinité sainte,
le chrétien est grand plus qu'on ne saurait le
dire, et je n'hésite pas à avouer mon impuis-
sance à le glorifier autant qu'il le mérite. Je
suis d'autant plus confus de cette impuissance
que Dieu se montre plus prodigue de l'honneur
qu'il fait aux enfants des hommes. — Tous sont
appelés à contracter, avec la famille divine,
la triple alliance qui les transfigure, et l'enfant
du plus pauvre, du plus misérable, du plus
ignoré des hommes sort aussi glorifié du
Baptême que les fils de princes, dont la nais-
sance met en liesse toute une nation.
La grandeur de l'enfant baptisé est le fonde-
ment de ses droits. Ce petit être s'impose : Dieu,
l'Église, la famille, la société, ont des devoirs à
remplir à son égard. Dieu, je suis sûr de lui.
LE BAPTISÉ 221
Il ne manquera pas de donner à son fils d'adop-
tion l'héritage qu'il lui a promis, s'il est fidèle
à la grâce de son Baptême. L'Église, je compte
sur elle; ses mains généreuses laisseront tomber
à temps, sur le chrétien, les grâces auxquelles il
a droit pour compléter le mystère de son initia-
tion et parfaire sa vie surnaturelle. Mais, à la
famille, à la société, il est bon, il est nécessaire
de rappeler les droits de l'enfance régénérée.
Le premier de ces droits, Messieurs, est le
droit au respect. Respecter l'enfant semble tout
naturel. Les touchantes supplications de sa
faiblesse s'unissent à la voix du sang pour récla-
mer, au moins de nous, les attentions d'un cœur
compatissant. Les païens eux-mêmes n'ont-ils
pas dit : « Maxima debetur puer o rêver entia : On
doit aux enfants les plus grands égards. » C'est
vrai, Messieurs; mais, quand les païens ont dit
cela, le christianisme commençait à pénétrer le
monde ancien de ses maximes, et les poètes,
comme les philosophes, trouvaient bon de se
les approprier. Ne jugez pas les sentiments et
les mœurs de la nature d'après les sentiments et
les mœurs de vos âmes chrétiennes. Abandonnée
à elle même, la nature déchue est bientôt aveu-
222 LE BAPTISÉ
glée par la perversité de ses instincts, et voit dif-
ficilement le côté grand et noble de la vie hu-
maine. Son regard s'arrête à la superficie de
notre être et, dans un pauvre petit enfant dont
fàme et les facukés sont encore un mystère,
elle ne considère que la rriatière et ne tient
compte que de ses promesses.
Nous en avons la preuve dans les agissements
et les doctrines de l'antiquité païenne. Quel mé-
pris de l'enfant, et quelle cruauté à son égard!
L'intérêt de la famille et de la république déci-
dait de son sort ; car il n'était, aux yeux de ses
parents et des sages, qu'un instrument dont la
valeur se mesurait aux services qu'on en atten-
dait. Sa constitution chétive, son corps mal con-
formé, menaçaient-ils de devenir une charge
pour sa famille ou pour l'Etat, rien de mieux
que de s'en débarasser. — Lorsqu'on disait au
père : « Un enfant vous est né. » — Montrez-lé
moi, répondait-il, et, s'il le trouvait à son gré,
il le prenait entre ses bras ; cela voulait dire :
«qu'il vive!» Si, au contraire, il le laissait à
terre , cela voulait dire : « Emportez-le,
tuez-le, je n'en ai que faire! » Coutumes
atroces, qui déshonorent encore les peuplée
tE BAPTISÉ 223
chez qui le paganisme n'a pas été déraciné.
Ne croyez pas, Messieurs, qu'il n'y ait là
qu'un de ces égarements de la nature, contre
lesquels protestent, au nom du droit et du de-
voir, l'enseignement des sages et les prescrip-
tions de la loi. C'est la loi qui commande de
tuer, sans délai ni miséricorde, les rejetons mal
conformés1. Ce sont les sages qui conseillent
l'avorteinent et l'infanticide comme des me-
sures de bien public.
C'est un Platon qui descend des hauteurs de
sa brillante et pure métaphysique, pour traiter
l'espèce humaine comme un troupeau de brutes
et pour ordonner qu'on ne nourrisse que les
enfants nés d'un couple robuste et bien fait 2 ;
1. Les lois des Douze Tables, (in Cic, De legibm
111,8.)
2. Bonorum igitur infantes, opinor, accipientes in
septum portabunt ad nutrices quasdam seorsum in
urbis parte aliqua habitantes, deteriorum vero, et si
quid ex aliis mancum nascetur, in secreto et occulto
ut decet abscondent. Siquidem, inquit, purum custo-
dum genus futurum est.
là pèv S>) tùjv àyzdûv, hoxû, XaGoveou eis tôv atjKOv ol~
Govai -xapâ Tivxs rpoÇols x°°?lç oixovaas ïv Ttvt pépzt rrjs
vàXeœs, rà hè tùw ^eipàvfvv, xai èâv ti tûv érépoov àrobn/-
20 i LE BAPTISÉ
seul moyen, dit-il, de former un excellent trou-
peau. C'est un Aristote qui établit en principe
qu'on ne doit conserver, dans une république,
aucun enfant débile et mal constitué; et qui,
après avoir supputé le nombre des naissances,
cherche le moyen de débarrasser la société de
son excédant1. Ce sont les historiens qui ra-
content sans indignation la manière dont on
s'y prend, dans les familles, pour limiter le
nombre des enfants. C'est un Tacite qui s'étonne
pov yiyvrjTCLi, èv àTTOpprJTœ re xai ihrjXùJ xar<xxpi^ov(7iv ô>s
irpéirei. Elxsep (xéXket, éÇr], xadapov rà yévos tùv Ç>v\àxa>v
iaeadai.
Platon., De Eepublica, dial. V, p. 236. (Firmin-Di-
dot.)
1. Abolendis alendisque fœtibus esto lex, ut nihil
alatur mancum et débile. Propter multitudinem au-
tem liberorum fœtus abolere oportet, nisi gentis
instituta id prohibeant : definitum enim esse oportet
procreandorum liberorum numerum. Quod si quibus
fuerit aliquid prseterea genitum, abortionem facere
conveniet, antequam sensus et vita fœtui accesserit.
Uepl le CL'swdécretos xal rpo<prjs tùv ytyvopLévoov, £st*> và-
fios [xrjàèv TseTïrjptouévos TpéÇtiv. Aià 5é tsXï)Ôos réxvwv,
èàv r) zà£is tùv èdvœv xw\ii ,p.rjhèv àTtorldeoOai tùv ytyvo-
pévœv (bpiadat yàp Ssf rrjs TexvOTroilxs tô Ttjh'jdos- èàv
2e net yiyvrjrat Tsapà TaÛTa <jvvhvao6évTû)v, ispiv iiodijon
iyyvzadai xii wyv, èpnoieïadii heï n)v â{i€Xct)<jtv.
Aristote. — Politique (TsoXnin'jûv), livre VII, ch. xiv*
ancien xvi8. (Firmin-Didot.J
LE BAPTISÉ 225
que les Juifs ne fassent pas comme tout le.
monde1.
Les Juifs, vous le savez, Messieurs, avaient des
sacrements sanctificateurs de l'enfance et
protecteurs de leur race. Mais, ces sacrements,
de privilège et d'exception , n'étaient que la
figure du sacrement universel qui devait entiè-
rement bouleverser les idées et les coutumes de
l'ancien monde. C'est à toutes les nations que
le Christ envoya le Baptême, et, par la divine
vertu de ce sacrement, l'enfant devint tout à
coup un être vénérable. Les apologistes chré-
tiens, en reprochant aux païens leurs cruautés
homicides, eurent bientôt le droit de vanter le
respect dont les fidèles entouraient leurs nou-
veau-nés. Ils ne. voyaient plus en eux l'espé-
rance d'un troupeau de bêtes saines et robustes,
mais des recrues prédestinées de l'armée cé-
leste. Les calculs intéressés d'un matéria-
lisme brutal cédaient aux intuitions de la
1. Augendœ tamen multitudini consulitur. Nam et
Bôcare quemquam ex agnatis nefas. (Lib. V. Histo-
riarum n. 5).
Tacite dit la même chose des Germains. Numerum
liberorum finire, aut quemquam ex agnatis necare
flagitium habetur. (De mor. Germ. XIX.)
CONFÉRENCES N.-D. — CARÊME 1883. — 15
226 LE BAPTlst
grâce. Qu'importent le corps et ses in-
firmités , lorsque l'âme est si pure et si
grande ! Qu'importe la place que l'enfant oc-
cupera dans le monde, puisqu'il est le fils
de Dieu, une dépendance du Christ, le tem-
ple de l'Esprit-Saint et l'héritier de la gloire
éternelle! Il est infirme, il souffre: vite, le
respect appelle l'amour à son aide , et le
cher petit membre du Christ est d'autant plus
honoré et aimé qu'il ressemble mieux à celui
dont les souffrances ont racheté le genre hu-
main. Tout le monde comprend que c'est son
droit. La foi et la charité s'empressent autour
de son berceau, et, si elles ne peuvent prolonger
sa vie, elles se consolent par la ferme confiance
que la famille chrétienne a donné un ange à
l'armée céleste et possède un protecteur au-
près de Dieu. Parents chrétiens, j'en appelle à
vos cœurs. Lorsque vous contemplez la char-
mante créature que le Baptême à transfigurée,
n'est-it pas vrai que les mystères de sa vie in-
time se reflètent en son limpide regard, et que
c'est votre foi respectueuse, bien plus que l'ins-
tinct de la nature, qui vous fait l'appeler : Mon
ange! Oui, le Baptême commande l'amoureu*
LE BAPTISÉ 227
respect de l'enfance ; et, dans les milieux chré-
tiens, l'enfant de ceux-là mêmes qui ne veu-
lent pas de ce sacrement bénéficie de ses di-
vines influences.
Allons plus loin, Messieurs: précisons un
autre droit qu'il faut revendiquer aujourd'hui
plus hautement.
L'enfant chrétien a droit à ce qu'on prenne
son Baptême comme point de départ et comme
règle de son éducation. C'est, dit saint Thomas,
une des raisons pour lesquelles l'Église a jugé
à propos de baptiser les enfants l. La vie chré-
tienne se développe plus aisément et s'affermit
davantage , quand elle commence de bonne
heure et n'est point précédée par une vie de
péché. Les habitudes saintes que l'enfant reçoit
au Baptême ne peuvent pas rester à l'état de
puissances vides et nues ; elles suivent l'évolu-
tion de ses facultés naturelles. Dès que l'intel-
ligence s'éveille, la foi demande l'aliment des
1. Fuit conveniens pueros baptizari, ut a pueritia
nutriti in tris quae sunt christianse vitse firmius in ea
persévèrent secucdum îllud (Prov. 22). « Adolescens
juxta viam suam, etiam cum senuerit non recedet ab
ea. » (Sumrn. Theol.,,111 P., quaeîàt 68, a. 9.)
228 LE BAPTISÉ
vérités divines dont elle doit se nourrir. Dès que
le désir réfléchi du bonheur commence à tour-
menter l'âme avide de plénitude et d'éternité,
l'espérance veut être ^xèe sur la félicité qu'elle
doit attendre au terme de cette vie passagère.
Dès que le cœur s'ouvre pour recevoir et épan-
cher l'amour, la charité cherche le souverain
bien auquel elle doit s'attacher. Sublime ren-
dez-vous des opérations d'un Dieu trois fois
saint, l'enfant baptisé a besoin de se mettre
promptement en rapport avec lui par ses actes.
Son âme va droit au devant de la Trinité par
ses habitudes et ses grandeurs infuses ; il faut
qu'il la rencontre au dehors aussitôt qu'il est
capable de la reconnaître. Le Père qui l'adopte,
il doit bénir son nom, dès que ses lèvres inno-
centes s'ouvrent pour parler. Le Christ dont il
est membre, il doit rencontrer partout son
image sacrée et y lire les mystères de salut qui
l'ont transfiguré. L'Esprit-Saint dont il est le
temple, il doit de bonne heure invoquer sa lu-
mière et sa force, afin de mettre à profit la con-
sécration intime qu'il en a reçue. Aimer et ser-
vir le Dieu de son Baptême, c'est son premier
devoir ; le connaitre,c'est son droit le plus sa-
LE BAPTISÉ 229
cré ; conserver et perfectionner sa vie chré-
tienne, commencée par le Baptême, c'est son
devoir ; être préparé aux sacrements qui con-
servent et perfectionnent, c'est son droit: —
Toute éducation qui contrarie ces droits ou n'en
tient pas compte est une éducation fausse, cri-
minelle, meurtrière, une éducation qui renou-
velle, dans un ordre supérieur, l'abominable
barbarie des mœurs païennes.
Qu'on ne s'étonne donc pas d'entendre l'É-
glise revendiquer, de toute la force de son
amour éploré, les droits de l'enfant qu'elle a
baptisé, contre toute mesure légale tendant à
écarter la religion de son éducation. L'enfant
lui appartient en vertu de son initiation bap-
tismale, plus qu'il n'appartient aux sociétés hu-
maines par la vertu des inscriptions et des con-
trats. Celles-ci n'ont d'action que sur sa vie
extérieure, en tant qu'elle est engagée dans la
vie publique; l'Église est la suprême et infail-
lible gardienne des droits de sa conscience.
N'ayez peur qu'elle l'empêche jamais d'accom-
plir ses devoirs de citoyen, quel que soit le pou-
voir qui les réclame. Mais, de ses mains trem-
blantes, elle couvre sa tête innocente et, dlune
230 LE BAPTISÉ
voix émue, elle crie aux législateurs et aux maî-
tres impies : Ne touchez pas à ceux que Dieu a
consacrés: Nolite tangere christos meos.
Messieurs, l'Église protectrice des droits de
l'enfance, ce n'est pas seulement la sainte
hiérarchie que Dieu a préposée aux gouverne-
ment des âmes ; l'Église, c'est vous. Vous
êtes l'autorité prochaine et immédiate à qui
Dieu a confié la garde des chers petits qu'il a
adoptés et incorporés à la famille de son Christ.
Non contents de leur avoir donné la vie de la
nature, vous avez demandé pour eux la vie de
la grâce, complétant ainsi votre paternité par la
puissance génératrice du Baptême. Ce sacre-
ment vous impose, avec le devoir de les élever
chrétiennement, l'obligation de veiller à ce que
leurs droits soient respectés dans tout le cours
de leur éducation. Un jour, maîtres d'eux-
mêmes et aveuglés par leurs passions, ils re-
nonceront peut-être à ce droit, et vous n'aurez
plus qu'à gémir et à pleurer sur leur apostasie ;
mais, autant qu'il est en vous, il faut travailler à
prévenir cette catastrophe. Prenez donc le
Baptême de vos enfants comme point de dé-
part et comme règle de leur éducation. Faites-
LE BAPTISÉ 231
leur connaître de bonne heure le Dieu à qui ils
sont redevables de leur grandeur surnaturelle,
afin que, de bonne heure, ils puissent l'aimer et
le servir. Préparez-les vous-mêmes aux fonctions
et aux développements de la vie chrétienne.
Cherchez pour eux des maîtres qui continuent,
dans l'école, les enseignements et les prépa-
rations du foyer domestique. Ne vous fiez pas
aux promesses de neutralité par lesquelles on
cherche à apaiser les troubles de votre cons-
cience et à abuser votre bonne foi; les faits
disent assez haut que toute école sans Dieu
devient fatalement une école contre Dieu. —
Les fils de votre sang et de votre foi sont à
vous, avant d'être à l'État; on ne peut les sous-
traire à votre direction, sans outrager en vous
l'autorité paternelle, type et source de toute
autorité sociale. Sachez donc vous montrer les
maîtres, que vous êtes, et dire à quiconque
prétend élever vos enfants sans jamais leur
parler ni de l'honneur que Dieu leur a fait, ni
des obligations qu'ils ont contractées par leur
naissance spirituelle : « Non possumus, nous
ne pouvons pas vous les donner. En vain, vous
invoquez, pour nous séduire et nous contraindre,
232 LE BAPTISÉ
l'obligation du savoir, la nécessité du progrès,
les devoirs du citoyen. Le savoir est une belle
chose; mais nous estimons qu'il devient perni-
cieux et funeste, s'il n'est réglé et vivifié parla
science des choses divines. Le progrès est une
loi de notre nature ; mais nous estimons que îe
pins nécessaire de tous les progrès est celui de
la vie religieuse, qui arrête l'âme, trop violem-
ment saisie parle mouvement scientifique, sur
les pentes du matérialisme. Autant et plus que
qui que se soit, nous voulons que nos enfants
soient d'honnêtes et utiles citoyens; mais nous
estimons qu'ils le seront d'autant mieux qu'on
aura commencé par en faire de bons chrétiens.
Mettez-vous d'accord avec nous, si vous vou-
lez que nous consentions au partage de notre
inviolable autorité. »
Voilà votre devoir, Messieurs; accomplissez-
le courageusement, en chrétiens convaincus, en
pères éclairés et en citoyens toujours respec-
tueux du pouvoir et dévoués à votre pays. Il dé-
pend de vous de faire comprendre à qui de
droit, par votre noble et ferme attitude, que,
dans toute nation chrétienne* il v a un Baptême
Ï,E BAPTIS* ?33
dont la loi doit tenir compte, sous peine de
compromettre le bien public, ïachose publique,
la République.
SOIXANTE-SIXIÈME CONFÉRENCE
LA CONFIRMATION
SOIXANTE-SIXIÈME CONFÉRENCE
LA CONFIRMATION
Monseigneur !. Messieurs,
La vie surnaturelle nous est donnée, dans le
Baptême, au nom des trois personnes divines
qui, selon la promesse du Sauveur, honorent,
de leur présence et de leur action, notre âme
régénérée. Nous sommes les fils adoptifs de
Dieu, les membres du Christ, les, temples du
l' Esprit-Saint : sublime commencement qui
annonce une plus haute perfection.
Toute vie nouvelle tend à sa plénitude, et ap-
pelle à soi d'autres forces pour aider sa crois-
sance et s'établir dans l'âge parfait, où se font,
au dehors, les grandes dépenses d'activité. Il en
est de même de la vie surnaturelle. Engendrée
1. M*r Richar.d, archevêque de Larisse, coadju
teur de Paris.
238 LA CONFIRMATION
par le Baptême, elle a besoin de croître et de
s'affermir, d'autant que celui qui la donne Ta
mise dans une situation critique, enl'engageant
dans une voie d'épreuves et de combats. « Ne
croyez pas, dit-il, que je sois venu apporter la
paix sur la terre; non, je suis venu apporter la
guerre : Non pacem,sed gladium. »f
Certes, il nous serait difficile de lui savoir bon
gré d'une vie nouvelle si promptement menacée
du ruine, s'il ne l'avait fortifiée contre toute
puissance ennemie de son intégrité et de sa
généreuse expansion. Mais sa bonté, dans
l'œuvre de notre sanctification, n'est jamais en
défaut. — Par un sacrement de plénitude et
de force, il achève ce qu'il a commencé dans
notre génération spirituelle. Ce sacrement,
vous l'avez déjà nommé: c'est la Confirmation.
Parce qu'il est moins nécessaire que le Baptême,
vous êtes peut-être tenté de croire qu'il est
moins grand. «Détrompez-vous, dit un saint Pape,
l'un et l'autre sont grands : Scitote utrumque
magnum esse sacramentum 2. » Et, à bien
prendre, celui qui donne la plénitude est plus
1. Matth., cap. x, 3L
2. Epiât. Melchiad Pap., ad Episcop. Hispan.
L CONFIRMATION 239
grand que celui qui ne donne que le commen-
cement.
Après avoir établi en peu de mots la vérité
du sacrement de Confirmation, mon dessein,
Messieurs, est de vous montrer, dans cette con-
férence, les effets de son action perfective,et de
vous dire à quel office de la vie chrétienne ces
effets sont ûrdonnéd.
Le protestantisme imagina, pour le baptisé,
une fausse grandeur qui le mettait au-dessus
des lois de Dieu et de l'Église, et lui con-
férait l'impeccabilité, pourvu qu'il conservât
la foi. Dès lors, il n'avait plus besoin d'un sa-
crement de perfection ; la Confirmation donnée
par l'Église devenait une pure cérémonie,
comme la bénédiction de l'eau, des cierges et
autres choses. — Cette méprisante répudiation
d'un de nos signes sacrés était ornée, comme à
l'ordinaire, de grossiers monsonges, d'impu-
dentes invectives et d'odieux blasphèmes.
240 LA CONFIRMATION
Toutefois, pour ne pas supprimer un mot de-
puis longtemps accrédité par le langage chré-
tien, les pères de la réforme inventèrent une
Confirmation à leur manière. C'était un examen
de l'enfant arrivé à l'âge de discrétion, exa-
men accompagné d'instructions, d'admonitions,
d'exhortations, et terminé par une prière à
laquelle on pouvait joindre, pour plus de solen-
nité, l'imposition des mains, en forme de béné-
diction. Et c'était tout : de sacrement , de
grâce, de caractère sacramentel, il ne fallait
pas parler.
Messieurs, nous avons mieux que cette Con-
firmation de fabrique humaine. Nous avons
un véritable sacrement , institué par Jésus-
Christ pour nous conférer une grâce de per-
fection qui complète, en nos âmes, les opérations
initiales de l'Esprit-Saint. Cette grâce, le Sauveur
la promet à ses Apôtres, lorsqu'il leur dit : « Je
m'en vais vers mon Père, mais je ne vous lais-
serai point orphelins. Mon Père vous enverra
son Paraclet qui vous consolera, vous ensei-
gnera toute vérité et vous dictera les coura-
geuses paroles que vous devrez répondre aux
pouvoirs persécuteurs, lorsqu'ils vous appel-
LA CONFIRMATION 211
leront devant leurs tribunaux1. Restez donc
dans la ville sainte, jusqu'à ce que vous soyez
revêtus de la force d'en haut 2. Quand vous aurez
reçu la vertu de l'Esprit-Saint, vous serez mes
témoins à Jérusalem, dans la Judée, àSamarie
et jusqu'aux confins de la terre 3. » — Au jour
sacré de la Pentecôte, les voûtes du cénacle
s'ébranlent, et les Apôtres voient de leurs yeux
et sentent s'accomplir, au fond de leur âme
fortifiée, la promesse de leur Maître. Mais cette
promesse n'a pas été faite pour eux seulement;
l'Esprit-Saint qu'ils ont reçu doit demeurer
éternellement dans l'Église du Christ : Ut
maneat in œternum 4. Il ne faut donc pas le
garder dans une âme avare et jalouse; mais le
répandre, selon l'oracle du prophète, sur toute
chair et sur toute âme régénérée. Aussi, voit-on
1. Joan.. cap. xiv, 16, 18; cap. xvi, 13; Matth.,
cap. x, 19, 20.
2 Ego rnitto promissum Patris mei in vos: vos
autem sedete in civitate, donec iûduamini virtute ex
alto. (Luc, cap. xxiv, 49.)
3. Accipietis virtutem supervenientis Spiritus Sancti
in vos, et eriiis milii testes in Jérusalem et in omni
Judœa, et Samaria et usque ad ultimum terrée. (Act.
cap. ij 8.)
4. Joan., cap, xiv, 16.
CONFÉRENCES N.-D. — CARÊME 1883. — 16
2i2 LA CONFIRMATION
les mains des Apôtres se lever sur la tête des
nouveaux baptisés, et ceux-ci recevoir Y Esprit-
Saint : Tune imponebant fnanus super illos et
accipiebant SpiritumSajictum*. Auraient-ils le
droit de commander à celui qui ne reçoit de
mission que de ses éternels principes, si le
Christ n'avait joint à sa promesse l'ordr-
près d'en assurer l'exécution par un sacrement?
Ce sacrement, ils le possèdent légitimement, ils
l'administrent, ils en proclament les mer-
veilleux effets, et ils le transmettent à ceux qui,
revêtus comme eux de la plénitude du sacer-
doce, doivent leur succéder au gouvernement
de l'Église.
L'imposition des mains, évocation de l'Es-
prit-Saint, entre donc dans la tradition des pou-
voirs et des signes sacrés*. Bientôt, on voit s'y
joindre l'huile embaumée, dont le perpétuel
cantique des apologistes et des saints docteurs
célèbre la vertu fortifiante et le salutaire par-
1. Act., cap. vin, 17.
2. Oabant apostoli ut Spiritus Sanctus in eos *e-
niret, quibus manus imponebant, quem morern in
suis prœpositis seu Episcopis etiam nunc servat
Ecclesia. (August., Lib. XV De Trinitate, cap. 26.)
LA CONFIRMATION 243
fum. « Il faut, disent-ils, que le baptisé s'incline
sous la main de l'Évêque pour devenir un par-
fait chrétien1. Sans ce signe, qui peut rece-
voir l'Esprit-Saint2? C'est par là qu'il descend
sur chaque néophyte3. — Les mains bénies de
l'Évêque sont chargées d'huile sainte: chrême
du salut qui confirme le sacrement de la foi et
nous donne la force de la confesser 4 ; qu'il ap-
partient aux princes de l'Église de répandre sur
le front des baptisés5. C'est pour nous comme
1. Omnes fidèles per manus impositionem Episco-
porum Spiritum Sanctum post baptismum accipere
debent, ut pleni christiani inveniautur. (Urb. Pap.
Epist., cap. vu).
2. Le pape Corneille écrivait à Fabius d'Antioche, à
propos de Novatien : « Neque ab Episcopo consigna-
nts. Hoc autem signaculo minime percepto, quo tan-
dem modo Spiritum Sanctum potuit accipere? Ovts
èa<Ppot.yî<jdy imb rov èirKTxÔTTOv' tovto hè ptr) tvxjÙv, tsôôç
iv toû âyiob 'Bvsvp.aros érv^e ; (Apud Euseb. Hist. ecci,
Lib. VI, c. 13.)
3. Quod nunc in confirmandis neophytis manus
impositio tribuit singulis, hoc tune Spiritus Sancti
descensio in credentium populos donavit universis.
(Melchiad. pap. ad Episcop. Hisp.)
4. Chrisma confirmatio est confessionis : To p.bpov
psÇziwais rïjs bp.oXoy(as. (Constitut* apostol., Lib. III,
cap. 17.)
5. MeTà touto ô èitianoitos ^piérco tous f3a7rner#ii>Ta> T<à
pvpy. (Constitut. apostoi., Lib. III, cap. 16.)
2 il LA CONFIRMATION
le feu qui descendit sur les Apôtres1. Son onc-
tion consomme en nous la grâce et nous donne
l'Esprit de Dieu5; c'est parce que nous l'ayons
reçu qu'on nous appelle définitivement chré-
tiens3. Merveilleuse opération de la puissance
divine : notre chair est ointe, et notre âme est
consacrée: notre chair est marquée d'un -urne,
et notre âme est fortifiée: notre chair est om-
bragée par l'imposition des mains.et notre âme
est inondée de la lumière de l'Esprit-Saint*. Et
tout cela est un sacrement vénérable et sacro-
saint, comme le Baptême lui-même5. »
1. Apostolis datum Spintum Sanctum in forma
ignis, nobisperoleum. (Damasc, lib. \\,DeFide ortho-
doxa.)
2. (Epïscopus) per manuum impositionem et inspi-
rationem unguenti gratiam inserit. Tjf ènidéeet iùv
yjtpùvj xtl è^veicsi tov pipou yjkpiv èvriOijsiv. (Simon
Thessal. Lib. De dicino ternplo, in prœf. n. 2.)
3. Nos ideo christiani vocamur quod Dei oleo un-
gimur. TotyctpQVP yjasïs toutou Ivsxev KaXoùfisOa
Xpieluvol, Ôti %piÔLL~Ôi è) ai* Bsov. (Theophil. Antioch.,
Lib. I, ad. Antolycum.)
4. Caro ungitur, ut anima consecretur: Caro signa-
sur, ut anima muniatur : Caro manus impositione
obumbratur, ut anima Spiritu îlluminetur. (Tertul.,
Lib. v. De Resurrectione carnis, cap. 8.)
5. In hoc unguento sacramemum chrismatis vult
Pctilianus interpretari : quodquidem in génère visibi-
LA CONFIRMATION 245
Tel est, Messieurs, l'enseignement de la tra-
dition, jusqu'aux temps où la possession de l'É-
glise est si évidente que l'hérésie la plus aveu-
gle ne saurait la lui disputer. Le Concile de
Trente a donc eu raison de répondre aux impu-
dentes négations du protestantisme, par cette
solennelle définition : « Si quelqu'un prétend
que la Confirmation donnée aux baptisés n'est
qu'une cérémonie oiseuse, et non pas un vérita-
ble et propre sacrement, qu'il soit anathème1. »
N'insistons pas davantage sur cette vérité
fondamentale et laissons de côté certaines ques-
tions discutées qui ne peuvent intéresser que les
théologiens. Il est temps d'entrer dans les des-
seins de Dieu et de son Christ, et de leur deman-
der ce qu'ils veulent en ajoutant,au sacrement
de génération spirituelle, un sacrement de per-
fection.
lium signaculorum sacrosanctum est, sicut ipse bap-
tismus. (August., Cont. lit.Petilian,\Àh. 2, cap. 104.)
l.Siquisdixerit confirmationem baptizatorum otio-
sam cœremoniam esse, et non potius verum et proprium
sacramentum ; aut olim nihil aliud fuisse quam cate-
chesim quamdam, qua adolescentise proximi fidei
suœ rationem coram Ecclesia exponebant; anathema
sit. (Sess. vu, De conjlrmatione, can. 1.)
216 LA CONFIRMATION
a II y a, dit saint Thomas, dans notre nature,
outre le mouvement de la génération qui nous
donne notre vie corporelle, un mouvement d'ac-
croissi'inent et de progrès qui nous pousse à
l'âge parfait1 », c'est-à-dire à la pleine posses-
sion de nos forces physiques. Quel travail actif,
puissant, généreux , dans les jeunes plants de
l'humanité qui doivent remplacer les vieux ar-
bivs que la mort va bientôt coucher à terre !
Arrivés, pouf la plupart, à la maturité de nos
années, nous ne sentons plus ce travail, Mes-
sieurs. Nos forces tléchissent de jour en jour et,
en interrogeant leurs défaillances, nous n'en
recevons que des réponses de mort. L'enfance,
au contraire, n'entend que des réponses de vie.
Ses accroissements se précipitent, et, pour peu
que nous la perdions de vue, nous sommes éton-
nés des transformations qu'elle a subies. Les
êtres fragiles que vous avez vus, il y a vingt
ans, essayer leurs pas incertains et bégayer de
naïfs et touchants appels à ceux dont les mains
1. Prœter motum generationis, quo aliquis recipit
vitam corporalem, est motus augmenti, quo aliquis
perducitur ad perfeciam œtatem. (Summ. Hicol.,
quœst. 72, a. 1.)
LA CONFIRMATION 247
secourables se tendaient vers eux, comme ils
sont changés aujourd'hui ! Il faut qu'on vous les
nomme, pour que vous les reconnaissiez dans
les vigoureux et brillants jeunes gens dont la
taille, le port, les mouvements, les traits, ac-
cusent la virilité. La nature a bien travaillé.
Mais un travail plus profond et plus noble
s'est accompli dans les facultés intellectuelles.
Celui que vous avez vu tout petit semblait n'a-
voir que des instincts et des passions ; mainte-
nant, il pense, il juge, il raisonne, il exprime
ses pensées, ses jugements, ses raisonnements,
ïl y a peut-être en lui l'étoffe d'un savant ou
d'un artiste. Il en a conscience, et déjà il donne,
en des œuvres remarquables, la mesure de son
prochain avenir. Comment cela s'est-il fait,
Messieurs? — L'enfant a été mis en rapport
avec un esprit supérieur, qui s'est emparé de ses
dispositions natives, et a fait en elles un travail
analogue à celui de la nature dans les membres
et les organes qu'il accroît.
Or, entendez-le bien, les forces perfectives
de la nature ne sont que de faibles et imparfaites
images de la sublime force qui achève ici-bas
les grandes œuvres de Dieu. « Ces œuvres doi-,
218 LA CONFIRMATION
vent être parfaites, dit l'Écriture : Dei perfecta
sunt opéra1,» et cette perfection, Dieu l'obtient
par l'harmonie des lois qui font marcher, du
même pas et selon le même rhythme, la nature
et la grâce, et fondent pratiquement l'ordre
naturel et Tordre surnaturel en un seul ordre.
Nous avons déjà constaté cette harmonie ; reve-
nons-y, nous ne l'admirerons jamais assez.
Le Baptême est pour nous motus generatîo-
nis, le mouvement de génération qui nous donne
une vie nouvelle, dont les germes ne peuvent
rester stationnaires. Nous sommes donc en droit
d'attendre un mouvement de progrès qui les
accroisse et les pousse à l'âge parfait : Moti/s
augmenti quo aliquis perducitur ad perfectam
œtatem. Ce mouvement , Messieurs, c'est la
Confirmation. Mais, parce que notre vie nou-
velle s'engendre, réside, se développe dans un
milieu intellectuel, le mouvement de progrès
doit venir d'un esprit supérieur ; parce que notre
vie nouvelle est une vie surnaturelle, l'esprit qui
l'accroît doit être supérieur à tous les esprits;
enfin, parce que cet esprit possède une pléni-
1. Deut., cap. xxxiî, 4.
LA CONFIRMATION 249
tude infinie, la virilité surnaturelle, dont il est
le principe, doit se faire tout d'un coup.
Vous me demandez, Messieurs, où est cet
esprit supérieur dont la plénitude infinie doit
donner à notre âme sa virilité surnaturelle. Ne
le cherchez pas autour de vous, je vous prie,
mais quittez la terre, escaladez les astres, tra-
versez le firmament, entrez dans le sein même
de Dieu : il est là. Les grands contemplateurs de
1 être divin l'ont appelé la force perfective :
Vim perfectivam; c'est le nom qui lui con-
vient.
En effet, le Père éternel et innascible com-
mence , dans les profondeurs de son indivisible na-
ture, le mystérieux mouvement des processions
divines. Il se voit sans ombre, il se contemple
sans défaillance, et, par cet acte, type transcen-
dant de ce qui se passe en notre âme lorsqu'elle
s'exprime elle-même par son verbe intérieur,
sa pensée, le Père engendre l'image subsistante
et vivante de sa propre substance, un autre lui-
même à qui il donne toute sa nature sans se rien
retrancher, un Fils éternel et infini comme lui.
Ils sont donc deux d'abord : le Père qui engen-
dre et le Verbe engendré ; tous deux éternelle-
250 LA CONFIRMATION
m»nt ravis: le Père, du Fils à qui il donne la
vi<-: le Fils, du Père qui le fait vivre. Dans ce
ravissement, i]e se pénètrent mutuellement par
un acte d'amour si pur, si puissant, qu'il sub-
sista éternellement comme eux et devient,
comme eux, une personne vivante. En ce troi-
sième, tout s'arrête sans jamais cesser de vivre.
Il épuise la fécondité divine, il achève en Pieu
la vie de famille; il enlace, unit, retient capti-
ves Tune en l'autre les personnes infinies ; il
complète et affermit leur inexprimable et in-
communicable félicité. Acte personnel où se
terminent les évolutions de la vie divine, com-
plément du nombre parfait dans l'unité parfaite,
achèvement de la perfection essentielle de Dieu :
voilà l'Esprit-Saint. Son propre est d'être dans
l'essence divine la force perfective. Or, sa mis-
sion au dehors dérive nécessairement de ce qui
lui est propre. C'est donc à lui qu'il appartient
d'achever les grandes œuvres de l'amour divin,
puisqu'il est lui-même l'amour substantiel, per-
sonnel et vivant.
N'est-ce pas lui qui s'empare de la promesse
initiale faite au genre humain prévaricateur,
la développe, l'élargit, la précise, jusqu'à ce
LA CONFIRMATION 251
qu'on puisse voir, quatre siècles à l'avance,
dans toute la suite des oracles, le portrait
anticipé du Messie ? N'est-ce pas lui qui ins-
pire les prophètes et parle par leur bou-
che : Qui locutm est per Prophetas ? Il n'ou-
blie rien, ce divin artiste, ni la tribu, ni la
famille, ni le nom du promis, ni l'étrange et
merveilleuse composition de sa personne, ni
son caractère, ni sa grandeur, ni ses titres, ni
les prodiges de sa naissance, ni l'humilité de
ses commencements, ni la nouveauté de sa
prédication, ni la puissance de ses œuvres, ni
la haine de ses ennemis, ni les circonstances
de sa Passion, ni l'ignominie de sa mort, ni
les gloires de sa résurrection, ni l'établis-
sement de son règne universel, ni les épreu-
ves, ni les triomphes de son Église. Quand
Malachie a prononcé son dernier oracle, tout
est dit. Quiconque veut se donner la peine de
réunir les pièces de îa mosaïque prophétique
peut contempler déjà l'image achevée du
Rédempteur.
Ce que l'Esprit-Saint a fait dans la prépa-
ration de l'œuvre, il le fait dans l'œuvre elle
même. Les temps sont a rivés : c'est lui qui
252 LA CONFIRMATION
sanctifie, par une conception immaculée, le
sanctuaire virginal où s'incarne le Fils de Dieu;
c'est lui qui forme, dans ce sanctuaire, la chair
sacrée du Sauveur; c'est lui qui consacre son
humanité sainte pour les travaux de^ sa vie pu-
blique. Les éléments de l'Église ont été labo-
rieusement rassemblés et amoureusement bénis
par le Christ : c'est lui qui les pénètre de sa
vertu vivifiante, les affermit, les unifie, leur
communique la lumière rayonnante et la force
expansive qui doivent convertir le monde.
La Pentecôte, Messieurs, est la Confirmation
des Apôtres sanctifiés par les derniers embras-
sements du Sauveur. Ils l'ont reçue par un
prodige, parce qu'il n'y avait personnne avant
eux dans l'Église, et qu'il leur appartenait de
jouir des prémisses de l'Esprit-Saint qui leur
fut directement promis; mais, ils le donne-
ront par un sacrement, i arce qu'ils sont 1< s
premiers ministres de Dieu et les dispensateurs
de ses grâces1. Ce sacrement sera la Pentecôte
1. Christus ex potestate excellentiœ quam habet
in sacramentis, contulit apostolis rem hujus sacra-
menti, id est plenitudinem Spiritus Sancti sine sacva-
tnento, eo quod ipsi « primitias Spiritus Sancti
la confirmation 25$
de chaque chrétien, et l'Esprit-Saint y fera, pour
l'œuvre particulière de notre salut, ce qu'il à
fait pour l'œuvre générale de la rédemption :
il Derfectionnera, il achèvera.
Qu'est-ce à dire , Messieurs? Aurons-nous
l'honneur de voir s'accomplir en nos âmes régé-
nérées l'oracle du prophète Joël? « Ence temps-
là, dit-il au nom du Seigneur, je répandrai mon
esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles pro-
phétiseront; vos vieillards auront des songes
divins, et vos jeunes gens des visions1. » Cet
oracle s'est accompli dans les premiers jours de
l'Église; l'Esprit-Saint se communiquait alors
•vec une telle plénitude que ses mystérieux
envahissements se manifestaient au dehors ; la
Confirmation était une source de prodiges. « Aux
uns, dit l'apôtre saint Paul, des discours pleins
de sagesse et de science ; aux autres la grâce
des guérisons, la puissance des miracles, la
acceperunt » sicut dicitur. Rom. VIII. (Summ. Théo.,
III P., quœst. 72 a. 2, ad 1.)
1. Et erit post hœc ; Effundam spiritum meum super
oomem carnem: et prophetabunt filii vestri et fibee
vestrœ. Séries vestri somnia somniabunt, et juvene*
f^stri visio nés videbunt. (cap. h, 28.)
%&\ LA CONFIRMATION
vision prophétique, le discernement des esprits,
le don de parleret de comprendre leslangues l. »
Ces manifestationsétaient nécessaires à l'époque
où la foi rudimentaire avait besoin d'une vigou-
reuse impulsion pour se propager et étendre les
conquêtes de l'Église naissante. Mais, aujour-
d'hui , la foi a fai t ses preuves , l'Église est établir ;
ne comptons plus sur des privilèges gratuits,
que remplace l'accomplissement des promesses
d'immortalité faites à l'Église par son fondateur.
C'est bien assez que la Confirmation soit pour
tous «la plénitude de l'Esprit-Saintet la toen-
jeureuse abondance de ses dons : Plenaudo
Spiritus et beatissima donorum copia. »
Il vient, ce divin perfectionner, à i'appel
du pontife qui l'invoque en marquant nos fronts
de l'huile sainte et du signe de la croix. Il
ajoute, à la grâce initiale que nous avons reçue
au Baptême, une grâce de plénitude et d'afîer-
1. Uoicuique autem datur manitestatio spiritus ad
utilitatem. Alii quidem per spiritum datur fcermo
sapientiœ: alii autem sermo scientiœ secundum eum
dern spiritum... alii gratia sanitatum in uno srurilu :
alii opeiatio virtutum, alii prophetia, alii discretio «pi-
rituuro, alii gênera linguarum, alii interprétatif
moDum. (I Cor., 7, 10.)
LA CONFIRMATION 255
missèmetit, et, s'il n'accomplit plus en nous
l'oracle de Joël, il étend à toute âme celui que
prononçait Isaïe sur le chef même de la chré-
tienté : « L'esprit du Seigneur se reposera
sur lui : esprit de sagesse et d'intelligence,
esprit de conseil et de force, esprit de science
et de piété; et l'esprit de crainte de Dieu le
remplira '. » Nos vertus, qui ont essayé leurs
premiers pas, sont de nouveau saisies par un
don qui les grandit tout à coup et les dispose
à recevoir à chaque instant les motions divines,
à leur obéir promptement, à marcher d'un pas
ferme à travers les obstacles qui encombrent le
chemin de la vie chrétienne, et à produire des
actes parfaits.
C'est le don de sagesse, qui rectifie notre
jugement dans la contemplation des choses
divines, nous dispose à les accepter, quel que
soit le moyen extraordinaire et éminent par
lequel elles nous arrivent; à nous y attacher, à
les goûter, à nous délecter dans leur posses-
1. Requiescet super eum spiritus Dominî; spiritus
sapientiee et intellectus, spiritus consilii et fortitudinis,
fepiri'wus scientice et pietatis, et repiebit eum spiritus
timons Domiui. (cap. XI. 2, 3}
256 LA CONFIRMATION
sion ; le don de sagesse, qui nous apprend à con-
duire les choses humaines, à les soumettre aux
règles divines, à les ordonner à notre salut, à
mépriser et à détester tout ce qui ne tend pas
à ce but suprême de la vie chrétienne *.
C'est le don d'intelligence , lumière surna-
turelle, qui nous aide à distinguer les vérités
divines des mensonges séduisants auxquels
pourrait se laisser prendre l'appétit inné de la
félicité dont notre âme est tourmentée, à saisir
ces vérités, à en prendre possession, à les pé-
nétrer, autant qu'il convient à notre état et à
notre condition ; et surtout à bien placer, dans
notre estime, la tin dernière vers laquelle
doivent graviter toutes nos actions 2.
C'est le don de science , qui dicte à notre foi
ce qu'il faut croire, la préserve de la conta-
gion des opinions fausses et dangereuses, lui
soumet la raison, règle les rapports de ces
deux lumineuses puissances, pacifie leurs dé-
mêlés, les ordonne à la démonstration et à la
1. Cf. Summ. Theol., II» II» P., quœst. 15. De
dono sapientia.
2. Cf. Summ. Theol., II* II» P., quœst. 8. D%
dono intellectus.
LA CONFIRMATION §51
défense des vérités révélées, et nous apprend a
juger les choses du temps au point de vue de
l'éternité1.
C'est le don de conseil, qui perfectionne
notre prudence naturelle, la met à l'abri de
toute précipitation inconsidérée, nous montre
ce qu'il faut faire, nous rend prompts et alertes
en nos délibérations et nos jugements, quand il
s'agit de prononcer, dans des circonstances dif-
ficiles et imprévues, sur ce qui convient le mieux
à notre salut et à la gloire de Dieu. Point de
pensées timides et incertaines dans l'âme qui
obéit au divin conseiller. Ses consultations sont,
dans l'ordre du salutet de notre perfection, plus
efficaces et plus sûres que celles des sages dont
nous demandons les avis pour la conduite des
affaires du temps 2.
Mais, à quoi bon les conseils, si l'âme n'a
pas le courage de les suivre ? Il est en nous une
vertu qui affermit notre âme, en toute entreprise
ardue, et lui fait braver généreusement les pé-
i
1. Cf. Summ. Theol., II* II® P., quœst. 9. De
dono scientiœ.
2 Somm. Theol., IIa II® P., quaest. 52. De dono
cor.sûu.
COMLKENCLS N.-D. — CÀKÈME ISiio. — 17
258 LA CONFIRMATION
rils. Cependant, si l'entreprise est au-dessus des
forces humaines et si les chances que nous
devons y courir sont trop terribles pour ne pas
épouvanter notre pusillanimité, ne faut-il pas
que l'Esprit de Dieu intervienne? Il intervient
par le don de force, surnaturelle, merveilleuse
et inébranlable confiance qui pénètre notre
âme et nous donne la certitude qu'il n'est, avec
l'aide de Dieu, aucune œuvre difficile qu'on ne
puisse entreprendre ni mener à bonne fin, au-
cun obstacle qu'on ne puisse surmonter, aucun
péril qu'on ne puisse affronter, quand il b a. _ i t
d'arriver à la vie éternelle, couronnement de
toutes les bonnes œuvres, délicieux et imper-
turbable repos des lutteurs de la vie chré-
tienne1.
Investie de la force de FEsprit-Saint, l'âme
est rassasiée de justice. Le don de piété perfec-
tionne, en elle, et le respect du droit et l'amour
du devoir, et ses religieuses dispositions, et les
sentiments delà nature qui attachent l'homme
à sa parenté et à ses semblables. La stricte me-
1. Cf. Sumrn. Theol.y II* II® P., queeai. ;39. De
donc fortitudinia.
LA CONFIRMATION
259
sure de devoirs et de services où se contente la
justice naturelle ne suffit pas à celui que l'Es-
prit-Saint possède. Il doit être empressé, agile,
généreux au culte de son Père céleste et au
service de tous ceux en qui il reconnaît son
image et ses traits l.
Et, parce que notre nature est pleine d'ins-
tincts, d'appétits, de passions ennemies de la
piété par laquelle s'accomplit toute justice,
l'Esprit-Saint fait planer sur ce bas peuple,
toujours prêt à se révolter, la crainte de Dieu :
crainte d'un juge sévère, qui ne laisse aucun mal
impuni; mais, plus encore, crainte d'un rémuné-
rateur magnifique, dont on ne peut, sans folie,
s'exposer à perdre les éternels bienfaits ; plus
encore : crainte d'un père tendre, dont l'âme
amoureuse ne veut pas être séparée ; plus en-
core : crainte du bien suprême, dont rien ne
doit offenser l'infinie perfection 2.
Le voilà, Messieurs, ce septénaire sacré de
lumière et de force que le prophète annonçait
1. Cf. Summ. Theol., Ha Hœ P., 121. De dono
etate.
2. Cf. Sum
dono timoris.
pietate.
2. Cf. Summ. Theol. , IIa II» P., quœst. 19. De
2G0 LA CONFIRMATION
au monde, et que l'Église demande pour ceux
qu'elle veut faire passer de l'enfance à la viri-
lité chrétienne. Toutes les vertus surnaturelles
que nous avons reçues de Dieu, toutes les habi-
tudes intellectuelles et morales que nous tenons
de la nature en sont saisies, pénétrées, et, pour
me servir du mot sacramentel: confirmées. La
raison spéculative voit mieux, la raison pratique
se décide plus vite et va plus droit, les passions
sont plus réglées, et mieux contenues; la foi
est plus éclairée, l'espérance plus ferme, la cha-
rité plus vive, la prudence plus sûre, la force
plus confiante, la justice plus ample, la tempé-
rance plus austère '. Ce n'est point encore le
complet épanouissementdelavirilitéchrétienne,
auquel nous pouvons arriver par nos bonnes
œuvres, mais c'estl'âgeoù elle commence. Cet
âge est déterminé par un caractère ineffaçable
qui consigne en quelque sorte les dons de l'Es-
prit-Saint. Si ces dons ne sont pas tellement
inhérents que nous ne puissions les perdre par
nos prévarications, nous n'aurons cependant pas
besoin de les demander de nouveau au Pontife qui
1. Cf. Summ. TheoL, I» IIœ qua^t. 68. De Doniê,
LA CONFIRMATION
261
nous les a donnés; le caractère sacramentel les
rappellera chaque fois que, par le repentir, nous
déblaierons ce mystérieux canal qu'encombrent
nos péchés. C'est par là que l' Esprit-Saint s'as-
sure des retours en nos âmes inconstantes, par
là qu'il donne aux effets de la Confirmation
une perpétuité que leur refuse notre fragilité.
A quel office de la vie chrétienne ces effets
sont-ils ordonnés? C'est ce que je vais vous dire,
Messieurs, si vous voulez bien m'entendre en-
core quelques instants.
II
Le Saint-Esprit, qui nous est donné par le
sacrement de Confirmation, n'est point un hôte
nouveau de notre âme déjà sanctifiée par le
sacrement de la régénération. Nous avons dit,
en parlant du Baptême, que le Christ nous y
communique sa plénitude, que sa plénitude est
f Esprit-Saint, dont la présence et les dons font
de notre naissance spirituelle une fête de lu-
mière. A quoi bon un nouvel appel à celui que
nous possédons déjà ? A quoi bon une nouvelle
effusion de ses dons, puisque notre âme rie pou-
vait pas être régénérée sans en être ornée ?
262 LA CONFIRMATION
Enfin, pourquoi ce double emploi d'une même
grâce ?
A ces questions, Messieurs, l'Église répond
par un seul mot : l'Esprit-Saint nous est donné
dans la Confirmation, pour nous fortifier: ad
robur. N'est-ce pas à lui qu'il appartient d'ac-
croître et d'affermir la vie dont il estle principe,
et ne faut-il pas qu'il se donne avec plus d'abon-
dance, au moment où le chrétien commence à
comprendre qu'il va vivre au milieu d'un monde
ennemi de sa foi ? « Nous allons sortir de nous
même, dit saint Thomas, car l'enfance ne vit
que pour soi ; et, en sortant de nous-mêmes,
nous entrons en communication avec le dehors,
non point pour y mener une vie tranquille, mais
une vie de combat. Il est donc nécessaire que
vous soyons armés pour cette lutte spirituelle,
et ce n'est pas trop que la plénitude de grâce
qui convient à l'âge parfait s'ajoute à la pléni-
tude initiale qui nous a engendrés surnaturel-
lement. i » Par le Baptême, nous sommes
1. In hoc sacramento datur plenitudoSpiritusSancti
ad robur spirituale, quod cpmpetit perfectœ setati.
Homo autem cum ad perfectam œtatem pervenerit,
incipit jamcommunicare actiones suas adalios, antea
vero quasi singulariter sibi ipsi vivit. (Summ. Theol.,
III P., quœst. 72, a. 2.)
LA CONFIRMATION 363
purifiés , par la Confirmation, nous sommes
fortifiés. Parle Baptême, nous sommes sauvés
de la mort, après le Baptême, nous sommes
confirmés dans la vie. Dans le Baptême, la plé-
nitude de l'Esprit-Saint nous donne l'innocence,
dans la Confirmation, elle nous donne la perfec-
tion. Le Baptême nous fait entrer dans la paix
du Christ, la Confirmation nous arme et nous
équipe pour le combat ; le baptisé est inscrit
à l'état civil de la société chrétienne, où l'on
doit prendre les recrues de l'armée du Christ :
le confirmé entre au service actif de cette ar-
mée. f Bref, Messieurs, le Baptême nous ré-
fère au Christ comme ses sujets, la Confirmation,
comme ses soldats.
Bappelez-vous ici les deux belles définitions
que nous a données saint Thomas : « Le confir-
1. In baptismate homo ad militiam recipitur et in
confirmatione confirmatur ad pugnam.In fonte baptis-
matis Spiritus Sanctus plenitudinem tribuit ad inno-
centiam in confirmatione autem perfectionem ad gra-
tiam ministrat.In baptismo regeneramur ad vitam,
post baptismum ad pugnam confirmamur. In baptismo
abluimus, post baptismum roboramur. Regeneratio
per se salvat in pace baptismum recipientes; confîr-
matio armât et instruit ad agonas. (Melchiad. pap.
epist. ad EpUcovoi Hispaniœ.)
261 LÀ CONFIRMATION
mé reçoit le pouvoir de protester en faveur de
la vérité parla solennelle profession de sa foi. —
Le confirmé reçoit le pouvoir de soutenir et d'en-
gager le combat contre les ennemis de sa foi *. »
Être soldat, voilà l'office auquel sont ordonnés
l'accroissement de vie, le redoublement de dons,
la singulière physionomie et puissance du carac-
tère que nous recevons dans le sacrement de
plénitude et de perfection. Soldats! écoutez-moi
bien. Je vais vous expliquer le mystère de votre
enrôlement, et vous rappeler votre devoir, que
vous avez peut-être oublié.
Vous avez été présentés au Pontife, c'est-à-
dire à celui qui possède ]a plénitude du sacer-
doce et trône aux premiers rangs de la sainte
hiérarchie; car, ce n'est point aux ouvriers,
mais à ceux qui les dirigent qu'il appartient de
donner à un édifice sa dernière perfection; ce
n'est pas aux officiers subalternes, mais aux offi-
ciers supérieurs qu'il appartient de former et
d'organiser une armée. Soldats du Christ nous
ne pouvons prendre place parmi les défenseurs
officiels de la sainte cause, que sur l'appel et
1. Voir soixante-troisième ^oféreDce: ire Partie.
LA CONFIRMATION 265
après la révision de ceux qui ont été préposés
par l'Esprit-Saint au gouvernement de l'Église1,
Ils nous interrogent, pour savoir si nous sommes
dignes de l'office qui va nous être confié et de
l'honneur que va nous faire l' Esprit-Saint en
nous incorporant à la milice chrétienne. Ils
étendent leurs mains bénies pour ouvrir les por-
tes du Ciel ; et les approchent de nos têtes pour
ouvrir les portes de nos âmes. Ces mains sont
chargées de la matière sacrée qui symbolise les
mystérieuses opérations de l'Esprit divin: l'huile
et le baume. L'huile, symbole de la lumière des
croyants et delà force des athlètes, le baume,
symbole des vertus qui doivent répandre, autour
de nous, la bonne odeur de Jésus-Christ2. Ils
en marquent nos fronts, miroirs vivants de la
honte et de la crainte, nos fronts qui ne devront
jamais rougir de la foi, ni pâlir en face de ses
ennemis8. Écoutez ce qu'ils disent : « Signote
1. Cf. Summ. Theol., III P., quaest. 72, a. I.
Utrum solus episcopus hoc sacramentum conferre
possit?
2. Cf. Summ. Thtol, III P., quaest. 72, a. 2
Utrum chrisma sit conueniens materia hujus sacra-
menti?
3. Cf. Summ. Iheol., IIIP., quaest. 72, a. 9. Utrum
hoc gacramentum sit conferendum homini infronteî
266 LA CONFIRMATION
iigno cn/eis, et conftrmo te chrismate sahtth. in
nomine Pat ris ctFïlii, et Spiritus S a net i : Jeté
marquedusignedelacroix, et je te confirme par
le chrême du salut, au nom du Père et du Fils et
du Saint-Esprit f .» — C'est fait : vous êtes soldats.
Le chrême, qui luit sur vos fronts, va s'effacer
bientôt; mais le signe indélébile, le caractère
sacramentel, dont je vous ai expliqué le mystère,
demeure éternellement gravé dans votre âme.
Vousne pourrez jamais déserter, sansêtre, aussi-
tôt et partout, reconnus par le divin capitaine
au service duquel vous vous êtes engagés. Le
déserteur vulgaire de la milice humaine peut se
débarrasser de ses armes, se dépouiller de ses
vêtements, défigurer son visage, s'enfuir, et ca-
cher sa félonie dans quelque coin du monde où
il ne sera plus inquiété. Le déserteur de la mi-
lice divine essaierait en vain d'effacer le chiffre
tenace de sa profession ; il est marqué pour l'é-
ternité; rien ne peut le cacher, rien ne peut le
faire oublier8.
1. Cf. Summ. Theol.. III P., quœst. 72, a. 4.
Utrum hœc sit conoeniens forma kujus sacramenti
cou s if/no te etc.?
2. Cf. Su*nm. Theol. , III P., queest. 72, a. 5.
LA CONFIRMATION 267
il faut donc demeurer dans les rangs, Mes-
sieurs. Vous êtes soldats, vous l'êtes pour toute
la vie. Votre service actif ne doit finir qu'au
jour où vous entrerez, par l'arc triomphal d'une
mort chrétienne, dans le séjour de l'éternelle
paix. En attendant, vous devez suivre, sans
lassitude et sans dégoût, le noble étendard
qui vous conduit au combat. «Signo te signo
crucis : Je te marque du signe de la croix, » a
dit le Pontife. La croix de Jésus-Christ î Voila
votre signe de ralliement, votre guidon sacré.
Il vous appelle sur des chemins pleins d'embû-
ches et de périls ; mais, ne craignez rien, votre
âme est affermie par le chrême du salut ; le
caractère dont vous êtes marques vous donne
droit à toutes les grâces dont dépend la vic-
toire.
Voulez-vous d'autres gages de cette victoire
que ceux que vous avez reçus de l'acte même
de votre enrôlement? — Consultez les annales
de l'armée sainte à laquelle la Confirmation
vous a incorporés. Ses triomphes sont votre
gloire et votre réconfort. Au commencement
Uir>um sacramentum confirmât ionis imprimât cha~-
raeteremi •
268 LA CONFIRMATION
de ce siècle, la France avait une grande armée
dont on électrisai t les recrues en leur rappellaw
les glorieuses journées d'Austerlitz, d'Iéna et
de Friedland. Petits souvenirs, en comparaison
de ceux qui planent sur l'immense armée du
Christ.
Douze héros ont formé ses premiers batail-
lons et ont ouvert les hostilités contre le monde
qu'il fallait convertir à la foi du Christ. Timides
disciples d'un maître qu'ils ont trahi, renoncé,
abandonné, ils sont devenus, tout à coup, sous
l'action de l'Esprit-Saint qui les a confirmés,
les intrépides soldats de sa cause méprisée. Les
interrogatoires, les injures, les menaces, les
verges, la prison, les chaînes , rien ne décon-
certe leur témoignage. Ils vont le porter jus-
qu'aux confins du monde, à travers mille périls ;
ils arrosent de leursangle champ de bataille où ils
combattent; ils meurent de mort violente, non
sans avoir rallié autour de la croix, leur sublime
étendard, une multitude de croyants, à qui ils
communiquent l'Esprit qu'ils ont reçu et qui
continuent ia tradition de leur héroïsme.
Pendant trois siècles, les martyrs se succè-
dcrit et se multiplient, sans que la barbarie de*
LA CONFIRMATION 269
persécuteurs puisse étouffer l'opiniâtre comès-
sïon de la foi chrétienne. Les bourreaux cruci-
fient, pendent, meurtrissent, écorchent, tenail-
lent, déchirent, arrachent, brûlent, rôtissent.
On n'entend qu'un seul cri, dicté par l'Esprit de
force : « Je suis chrétien ! » Ce cri s'échappe,
non seulement de la bouche des pontifes et des
prêtres, mais de la bouche d'hommes de toute
condition. L'esclave et le libre, le patricien et
le plébéien, le riche et le pauvre, le savant et
l'ignorant, témoignent l'un près de l'autre. Que
dis-je, Messieurs? l'armée du Christ ouvre
ses rangs aux femmes et aux enfants. ■ La vierge
de douze ans n'est pas moins courageuse que la
grave matrone ; et des enfants de trois ans, à
qui l'onacrupouvoir donner, tout de suite après
le Baptême, le sacrement de la virilité, repous-
sent, de leurs petites mains , les caresses des
tyrans, et tendent les bras vers leurs mères en
criant : « Je suis chrétien! » — Race vaillante!
« Parles constantes protestations delà prière,
de la souffrance et dune mort sereine, elle a
1. Conf. Summ. Theot., III P., quœst. 72. a. 8.
Utrum hoc saeramenium sit omnibus exhibendumt
270 LA CONFIRMATION
su, dit saint Augustin, faire rougir les lois qui
oroscrivaient le christianisme et les forcer à
changer. * » Les hécatombes ne l'ont point dé-
couragée. On la voit aujourd'hui, comme aux
premiers jours du christianisme , mépriser les
tourments, et affronter la mort pour combattre
le bon combat du confirmé contre les ennemis
de la foi.
Et, encore, Messieurs, les martyrs ne sont-ils
qu'une légion de la grande armée du Christ.
Comptez, si vous le pouvez, les confesseurs et
les vierges dont le témoignage, pour netre pas
sanglant, n'en est pas moins héroïque. Virilisés
par TEsprit-Saint, ils ont su, partout et en tout
temps, faire honneur à leur devoir de soldats.
Au désert et sous les voûtes du cloître, sur le
trône et près de l'autel, dans la solitude du
foyer domestique et au milieu des agitations de
la vie publique, ils combattaient pour la foi. —
A l'incrédulité qui les méprisait, à l'hérésie qui
s'efforçait de les séduire, aux pouvoirs qui les
1. Orando, patiendo, cum pia securitate moriendo,
leges, quibus damnabatur christiana religio, erubes-
cere compulerunt mutariquefeceruot. {De dois Dei
Lib. VII, cap., 20.*
La confirmation 2?1
menaçaient, au monde qui les tentait, aux pas-
sions qui les tourmentaient, ils ont toujours ré-
pondu : « Je suis chrétien ! »
« Nos tantam, habentesimpositamnubemtesti-
um, per patientiamcurramus ad proposition nobis
certamen, aspicientes inauctorem fïdeiet consum-
matorem Jesum : * Sous cette immense et glo-
rieuse nuée de témoins, méprisons la souffrance
et courons au combat qui nous est proposé, les
regards fixés sur Jésus, auteur et consommateur
de notre foi. » Ainsi parlait l'Apôtre, rappelant
aux Hébreux les victoires de la foi, dans l'Église
des patriarches et des prophètes. Ce qu'il
disait dans les premiers jours de l'ère chré-
tienne, en face du bataillon sacré qu'il avait
enrôlé, ne le dirait-il pas, avec plus de force,
plus d'autorité, plus de confiance, aux légions
contemporaines de la milice chrétienne? Car, en-
core unefois, Messieurs, vousêtessoldats, et c'est
pour combattre que vous avez été confirmés.
Direz-vous que l'époque des persécutions est
passée? Hélas I Les faits vous donneraient un
cruel démenti. Vous savez tous, aussi bien que
1. Heb.# cap. xiî. 1.1
2?2 LA CONFIRMATION'
moi, que la graine des persécuteurs ne pousse
pas que sur les trônes des souverains orgueil-
leux, et qu'on peut en voir une germination
touffue sur les sommets comme danslesbas fonds
de la démocratie. Ce que le présent nous fait
souffrir, je le sais par expérience ; ce que l'ave-
nir nous réserve, on ne le devine que trop. Êtes-
vous prêts, soldats? Si l'on en voulait à votre
vie, sauriez-vous dire, comme les martyrs : « Je
suis chrétien?» — C'est la même foi que vous de-
vez confesser, et vous avez reçu, pour cela, le
même sacrement.
Mais, à supposer que la passion antireli-
gieuse, qui fermente en tant de cœurs, n'abou-
tisse pas à de sanglantes tragédies, vous avez à
craindre la pression de l'impiété triomphante,
les exclusions injustes, les mesures vexatoires
qui vous atteindront jusque dans vos enfants.
Aurez-vous le courage de vous laisser broyer,
plutôt que de vous taire? De sacrifier des avan-
tages temporels, pour n'être point gênés dans
les manifestations de votre foi? De revendiquer
hautement les droits de votre paternité, afin de
préserver, des ravages d'une éducation sann
Dieu, la foi de vo* enfants?
LA CONFIRMATION
273
Admettons qu'on se lasse d'opprimer votre
religion, et qu'on vous laisse la liberté. Mais,
l'irréligion a aussi la sienne. Elle en profite
pour prodiguer l'injure et le blasphème à vos
croyances et salir tout ce que vous vénérez. La
plume, le pinceau, le crayon, deviennent, entre
«es mains, desarmes perfides autant qu'ignobles,
dont vous rencontrez partout la pointe et le
tranchant. — Vous sentez-vous la force de
prendre, en face de ces agressions, l'attitude
militante qui convient à ceux que l'Esprit-
Saint à marqués de son caractère et ornés de
ses dons, pour défendre la sainte cause du
Christ? Êtes vous bien convaincus que, s'il ne
vous appartient pas de faire les docteurs et de
définir les choses de la foi, il est de votre de-
voir d'employer vos talents, votre science, votre
autorité à les protéger contre les attaques aux-
quelles elles sont en butte? Votre cœur est-il
plein de ces profonds mépris et de cette géné-
reuse indignation que doit éprouver un chré-
tien en présence de l'impiété insolente, et qui
se traduisent par des explosions vengeresses de
sa foi?
Encore que le blasphème audacieux se taise,
CONFIANCES N.-D. — CARÊME 1883. — 18
374 LA CONFIRMATION
Je soldat du Christ est toujours harcelé par cet
éternel ennemi, dont il est dit dans l'Evangile :
«Malheur au monde, à cause de ses scandales ! »
Esclave des passions, ami du plaisir et de la vie
facile, le monde a horreur de ceux dont la foi
pratique est la censure vivante de ses mœurs
dissolues. S'ilne peut s'en débarrasser parla vio-
lence, il cherche à les opprimer par le ridicule.
Il crée une opinion narquoise, dont le chrétien
entend, à chaque instant, éclater sur sa tête,
le rire indécent. N'avez-vous pas peur de cette
opinion? Vous rappelez-vous cette parole des
Saintes Lettres : « JSolite tinter e opprobrium ho-
mirtum: ■ Ne craignez pas l'opprobre des
hommes. » Avez-vous le cœur non-seulement
de ne rien retrancher à vos pratiques religieuses,
mais de les mettre plus en évidence, afin de
mieux braver les censures imbéciles d'un monde
sur qui la vie du chrétien produit le même effet
que l'habit du soldat sur la canaille?
Mais, dussiez-vous ne rencontrer autour de
fous aucun ennemi, soldats du Christ, il faut
combattre encore. « La paix a ses martyrs, dit
X. Jeaï,v cep. ii. 7.
LA CONFIRMATION 275
saint Augustin, et l'écrasement des passions
n'est pas une de nos moindres souffrances. * »
La superbe, l'ambition, la haine, la vengeance,
la terrible faim de l'or, du bien-être et dei. plai-
sirs, sont autant ennemies de la foi que les plus
acharnés persécuteurs. Quand ce peuple indocile
se révolte et menace d'éteindre le flambeau sacré
de vos croyances, afin de pouvoir se satisfaire
dans les ténèbres, lui dites-vous : Arrière tout ce
qui est bas et vil! Peuple des passions, tais-toi.
Tu n'obtiendras rien de mon âme affermie par
l'Esprit-Saint, rien du soldat de la foi. Je suis
chrétien !
Vous l'entendez, Messieurs, je me contente
de vous adresser des questions ; c'est à vous d'y
répondre. Mais en faisant votre examen de cons-
cience, rappelez-vous que la crainte servile d^s
hommes et de leurs violences, le culte des in-
térêts temporels, préférés aux intérêts éternels,
l'abdication de nos droits au profit de décrets,
de lois, de mesures tyranniques tendant à désor-
ganiser, à corrompre la famille chrétienne,
1. Habet et pax martyres suos, nam libidinero
fugere pars magna martyrii est. (August. Serm. 250,
De Temjpore.
276 LA CONFIRMATIUN
l'amour exagéré du repos qui stérilise des talents
et des connaissances utiles à la sainte cause de
Dieu, le silence timide ou complaisant qui laisse
hurler le blasphème, sans protestation, les com-
promis passés avec l'erreur, les mélanges indé-
cents de la vie chrétienne et de la vie mondaine,
les cachoteries peureuses du respect humain,
les démentis publiquement donnés à nos con-
victions religieuses par une vie scandaleuse où
s'affiche le triomphe des passions, sont autant
de trahisons et de lâchetés, outrageantes pour
L'Esprit-Saint que nous avons reçu dans la Con-
firmation, deshonorantes pour l'athlète de la
foi, le soldat de Jésus-Christ. — Si vous avez à
vous les reprocher, je ne veux pas que vous vous
découragiez. ïl est toujours temps de rentrer
dans les rangs de la milice chrétienne; les dé-
serteurs y sont admis à réparer leur honneur.
'< Courage! disait une vaillante et aimable
vierge à deux jeunes gens qu'elle préparait au
martyre ; courage, soldats du Christ! renoncez
aux œuvres de ténèbres, et revêtez votre armure
7. Eia milites Christi., abjicite opéra tenebrarum
et indmmini armalucis. (Offic. de Ste Cécile, rit. Dom.
LA CONFIRMATION 277
de lumière.1 » Cécile fut obéie : Tiburce et Valé-
rien, son beau-frère et son époux, récemment
baptisés et confirmés par le saint pape Urbain,
la suivirent de près dans sa glorieuse mort. ■—
J'ai la confiance, Messieurs, que vous obéirez
comme eux, aux encouragements d'un ami qui
vient de vous rappeler l'honneur de votre pro-
fession et la grandeur de vos devoirs. Les enne-
mis de la foi se pressent et multiplient leurs
coups. Sortez des ténèbres de la peur et du pé-
ché, pour combattre avec vos armes de lumière.
Courage! soldats du Christ: Debout et en
avant !
INDEX
INDEX
DES PRINCIPALES ERREURS
CONTRAIRES AUX DOGMES EXPOSÉS DANS CE VOLUME.
I
SOIXANTE ET UNIEME CONFÉRENCE
(Voyez 1M partie. Institution des Sacrements),
Les ArchontiqueSj Ascodrites ou Ascodrupites
furent les premiers contempteurs des sacrements.
Leur chef Pierre, anachorète de Syrie, leur avait
appris à exécrer le Baptême, l'Eucharistie et, en gé-
néral, tous les signes sensibles par lesquels nous est
appliquée la vertu de la Rédemption. La véritable Ré-
demption, disaient-ils, consiste dans la connaissance
de ce qui est. (S. Epiphan, hœres, 40, Theodoret.
De fabulis hœretie.)
Les Fratricelles &a Béguins professaient cette er
reur. (Jean XXII, in extravag.)
Les Pauciliens rejetaient la matière de tous les
sacrements : l'eau, le vin, le pain, l'huile, et n'admet-
taient pas d'autre signe que la parole. Pour adminis-
trer le Baptême, par exemple, ils se contentaient de
dire : Je suis l'eau de la vie: Ego sum aqua viva. (Eu-
thim., II P. Panoplies. Tit. XXL)
Les Manichéens et les Séleuciens rejetaient le Bap-
tême. (S. Aug., hœres f 46 et 59.)
Les Novatiens, la Confirmation. (Theodoret, hb.
De fab. hœretie.)
282 INDEX
»
Les Pétrobrusiens prétendaient qu'il n'y avait plus
d'Eucharistie; que le pain avait été changé une seule
fois au corps du Christ, dans la dernière Cène. (Petr.
Clunic. Contra Petrobrusianos.)
Pour les Bogomiles, il n'y avait pas d'autre Eucha-
ristie que le Pater noster.
Les Novatiens supprimaient la Pénitence. (S. Epiph. ,
hceres. 59. S. Aug., hœres. 38.)
Les Albigeois (S. Antouin, summ. Theol.y 4, part.
Tit. II, cap. vu, § 5), les Flagellants (Bernard
de Luxembourg., Catalog. hœret.), ne voulaient pas
de l'Extrême-Onction.
Enfin, les Encratites, les Manichéens et plusieurs
autres effacèrent le Mariage du catalogue des rites
sacrés par lesquels le Christ nous confère sa grâce.
(S. Aug., hœres. 33 et 46.)
Un certain nombre d'hérétiques admettaient les
sacrements, mais ils en dépravaient la notion ou les
administraient mal. Les Marcosiens, par exemple,
qui voulaient que le Baptême fut conféré, non pas au
nom de la Trinité comme l'enseigne l'Evangile, mais
au nom du Père inconnu, etc.. In nomine ignoti
Patris} in veritate matre omnium, in Jesu qui des-
cendit in unitate, et redemptioney et potestatum com-
munione. (Theodoret., Lib. I, De Fabulis hœretic.)
D'autres hérétiques ont dénaturé l'Eucharistie
qu'ils admettaient comme sacrement, mais où ils ne
voulaient pas reconnaître la présence réelle du corps
de Notre Seigneur. Saint-Ignace en parle dans son
Epître aux Smyrniens, et Theodoret dans son troi-
sième dialogue. Ce fut l'erreur de 'Déranger et de
Wiclef.
Les Audiens entendaient les confessions et don-
naient l'absolution, mais ils supprimaient la satisfac-
tion. (Theodoret., Lib. IV. De fabul. hœretic.)
INDEX
283
Enfin, les Pépurites conféraient les saints ordres
aux femmes. (S. Epiph., hœres. 49.)
La plupart de ces hérétiques passèrent presque ina-
perçus dans l'Église. Leurs erreurs devaient se con-
denser dans la grande hérésie du xvi8 siècle.
Rien de plus violent que les attaques du Protes-
tantisme contre l'édifice sacramentel, rien de plus
pitoyable que ses tergiversations.
Le nom même de sacrement l'importunait, il vou-
lut le supprimer. « Ce nom ne se trouve pas une seule
fois dans l'Ecriture avec le sens qu'on lui attribue »,
disait Luther, (De captiv. Babylonis.) Zwingle expri-
mait le désir qu'il n'eût jamais été reçu en Allemagne
« Voeem i%tam, sacramentum, magnopere cuperem
Germants nunquam fuisse receptam. » (De vera et
falsa religione.) Il alla si loin, ainsi que Carlostadt,
que Luther se crut obligé de changer de sentiment et
d'adopter, à nouveau, le nom de sacrement . Ses secta-
teurs le suivirent et la confession d'Augsbourg con-
sacra cette expression dans un de ses chapitres.
S'ils n'avaient élevé de difficultés que sur un mot !
Mais tout le septénaire fut mainte fois manié et re-
manié. L'inconstant Luther changea quatre ou cinq
fois son Catalogue. On peut suivre ses fluctuation?
dans le seul livre De captivitate Babylonis. Tantôt il
veut qu'il n'y ait qu'un seul sacrement, pour se con-
former au langage de l'Ecriture. Tantôt il en admet
trois : Le baptême, le pain et la pénitence. Plus loin
les sept sacrements reviennent à propos de la confir-
mation, et puis il n'y en a plus que deux, le baptêmi
et Y eucharistie.
Calvin, dans le livre quatrième de son Institution
(chap. xvm, 1 19 et 20), n'admet que deux sacrements:
284 INDEX
le baptême et la cène. Plus loin (chap. xix, g 31), il y
ajoute Y ordination.
Cette inconstance des patriarches du protestantisme
fut imitée par leurs sectateurs, qui retranchaient ou
ajoutaient, selon leur fantaisie. Ils en vinrent, dans le
conciliabule des théologiens de Whtemberg et de
Leipsick, que Matthias d'Illyrie appelle Y Intérim de
Leipsick, à reprendre les sept sacrements, et se firent
accuser de papisme. Mais ailleurs ils supprimèrent
tout, même le Baptême, et justifièrent les ironiques
paroles de M. de Maistre : « Le ministre protestant
est un homme habillé de noir qui monte tous les di-
manches en chaire pour y débiter des choses hon-
nêtes. »
Cependant, dans les sectes qui se respectent et se
piquent d'orthodoxie, le protestantisme a générale-
ment conservé deux sacrements, le baptême et la cène
Il ne pouvait pas moins faire s'il voulait être fidèle à
la lettre Evangélique, car il y est on ne peut plus
évident que Jésus-Christ a institué ces deux sacre-
H>ents.
Nous avons démontré, dans notre conférence, qu'on
ne peut séparer du Baptême et de l'Eucharistie la
Confirmation, la Pénitence, l'Extrême-Onction, l'Or-
dre et le Mariage, et nous avons remonté, à l'aide de
la tradition, jusqu'à l'institution divine des sept sacre-
ments. Cette institution est clairement affirmée et
définie par l'Eglise dans le canon que nous avons cité
plus haut.
Nous ne nions pas, cependant, que Jésus-Christait
pu donner aux hommes le pouvoir d'instituer les sa-
crements. La puissance d'excellence qu'il possède
comme homme est communicable aux créatures, dit
saint Thomas : « Chrisius in sacrame^*^ habuit du-
INDEX 285
o plicem potestatem : unam auctoritatis, quœ corn-
» petit ei, secundum quod est Deus; et talis po~
» testas nulli creaturae potuit communicari, sicut nec
y> divina essentia ; aliam potestatem habuit excellen-
» tiee, quœ competit ei, secundum quod est homo; et
» talem potestatem potuit ministris communicare,
» dando scilicet eis tantam gratiee plenitudinem, ut
» eorum meritum operaretur ad sacramentorum ef-
» fectus, ut ad invocationem nomiuum ipsorum sanc-
» tificarentur sacramenta, et ut ipsi possent sa-
» cramenta instituere, et sine ritu sacramentorum
» effectum sacramentorum conferre solo imperio
» Potest enim instrumentum conjunctum, quanto
» fuerit fortius, tanto mas^is virtutem suam, instru-
» mento separato tribuere sicut manus baculo. »
(Summ. TheoL, III P., quaest. 64, a, 4.)
Mais ce que Dieu pouvait faire il ne l'a pas fait. Il
faut donc rejeter, comme une erreur condamnable, l'o-
pinion d'Alexandre de Haies qui prétend que le sacre-
ment de Confirmation a été institué par l'Eglise dans
un Concile de Meaux, ainsi que l'opinion de ceux qui
affirment absolument que plusieurs sacrements ont été
institués par les Apôtres.
Les paroles du Concile de Trente sont formelles :
« Sacramenta... esse omnia a J. C. D. N. insti-
tut a. »
Le saint Concile a-t-il voulu définir comme de foi
l'institution immédiate de tous les sacrements par
Jésus-Christ? Bellarmin le prétend, sans cela, dit-il,
le canon du Concile serait inutile, « car personne n'a
jamais douté que les sacrements aient été institués,
au moins médiatement, par Jésus-Christ : Cum nemo
unquam dubitaverit quin saltem médiate sacramenta
a Deo sint instituta. (De sacram. Lib. I, cap. xxm.)
Personne parmi les catholiques, oui; mais, non.
286 INDEX
parmi les hérétiques. La raison de Bellarmin ne vaut
rien. Nous croyons que le Concile de Trente a visé
les novateurs dans sa définition, et n'a pas voulu
condamner comme hérétique l'opinion de Pierre Lom-
bard, d'Hugues de Saint-Victor et surtout de saint Bo~
naventure, qui ont enseigné que la Confirmation et
l'Extrème-Onction ont été instituées immédiatement
par les Apôtres. Du reste, cette institution apostolique
n'exclut pasl'institutiondi vine. Saint Bonaventures'ex-
plique clairement sur ce sujet : « Les Apôtres, dit-il,
avaient pour maître l'Esprit-Saint. C'est lui qui inspi-
rait ; les Apôtres n'étaient que ses ministres auprès du
peuple. Nous n'attribuons donc l'institution des sacre-
ments qu'à Dieu, ajoute le saint docteur, soit par le
Fils, soit par l'Esprit-Saint. Dieu est auteur, les Apô-
tres sont promulgateurs : « Spiritus Sanctus Apostolis
t et ipsi ut ministri populis exponebant. Unde sacra-
t mentorum institutionem non attribuimus nisi Deo
t vel per Filium vel per Spiritum Sanctum Sic
c institutio sacramentorum respicitDeum ut auctorem
« et Apostolos ut ministros in promulgando. » (S.
Bonav., 4. Dist. 23, a. 1, q, 2.)
Le P. Franzelin, jésuite, dans son traité des sacre-
ments, dit que, c depuis les définitions du Concile de
Trente, il n'est aucun théologien qui songe à nier que
tous les sacrements ont été institués immédiatement
par le Christ. » (Thés. XIV,) Il se trompe. Tournely
affirme que l'opinion de l'institution médiate de quel-
ques sacrements est librement enseignée dans l'école.
Il invoque, à ce propos, l'autorité de deux théologiens
éminents : Dominique Soto et Estius. Ce dernier re-
garde l'institution médiate comme probable, mais,
comme plus probable, l'institution immédiate.
Quant à nous, nous pensons qu'on peut, sans of-
fenser les définitions du Concile de Trente, affirmer
INDEX 287
que Jésus-Chrisl a institué immédiatement tous les
sacrements quant à la détermination de leur nombre
et de leurs effets, qu'il a institué immédiatement quel-
ques sacrements, et médiatement plusieurs autres
quant à la détermination précise de tous leurs élé-
ments.
On peut ainsi expliquer les différences de forme et
de matière qu'on remarque dans l'Eglise grecque et
dans l'Église latine. Cette opinion n'est point à mépri-
ser, dit Contenson. « Non est contemnenda generalis
eorum responsio, qui dicunt Christum Dominum ma"
teriam et formant omnium saeramentorum, veluti ge-
nerice, sed non spécifiée déterminasse. » (Yheol.
mentis et cordis} Lib. XI. P. 1. Dissert. 1, cap. I.)
Quoiqu'il en soit, il est certain que les éléments
essentiels des sacrements une fois fixés le sont divi-
nement, et que l'Église n'y peut rien changer. Elle
confesse elle-même son impuissance à cet égard, en
définissant le droit qu'elle possède S'instituer des
rites sacrés destinés à rendre plus solennelle l'admi-
nistration des sacrements. Ces rites doivent respecter
l'immutabilité des éléments sacramentels : « Salva
eorum substantia. »
Le protestantisme n'a point eu cette délicatesse. «. De
quelque manière que le Baptême soit administré, dit
Luther, pourvu que ce ne soit pas au nom d'un homme,
mais au nom du Seigneur, il nous sauve. Bien plus, je
ne doute pas que celui qui le reçoit au nom du Sei-
gneur ne soit vraiment baptisé, quand bien même ce
nom serait supprimé par un ministre impie. » (Lib. De
captivitate Babylonis. cap. De baptismo )
Il est vrai que Luther, facile aux palinodies, s'est
depuis rétracté. (1 Homil., De baptismo. an. 1531.)
Mais Brente et Zwingle ont retenu son premier sen
liment.
288 INDEX
(Voyez 3me partie : Efficacité des sacrements).
Les Alusaliens ou Euchites enseignaient que les
sacrements n'avaient point le pouvoir de justifier. Ils
attribuaient ce pouvoir à la prière. « Baptismum ho-
i minem non peificere,necdivinasacramen ta acceptas
» animi sordes expiare, sed solas preces quœ ab illis
» recte fundantur.» (S. Joan. Damasc, Lib. De hœres.)
Guidonis attribue cette erreur aux Arménien* et aux
Cathares.
Le protestantisme enseigne que la grâce D'est
point une entité inhérente à notre âme, une trans-
formation surna-turelle de notre être, mais quelque
chose de purement extérienr, une imputation de la
justice même du Christ. Cette justice nous l'obtenons
uniquement par la foi. La foi qui justifie n'est point
l'adhésion de notre esprit aux dogmes révélés, mais
la confiance qui nous fait croire avec certitude que
Dieu cesse de. nous imputer nos péchés pour nous
imputer la justice de son Fils. Cette confiance supplée
à toutes les dispositions, à toutes les œuvres.
On voit tout de suite la conséquence de cette théo-
rie de la justification appliquée aux sacrements. C'est
la négation de leur efficacité intrinsèque. Il n'ont plus
d'autre but que d'exciter la foi par laquelle nous
6ommes justifiés. C'est daDS ce sens que sont faites
toutes les définitions protestantes.
Selon Luther, le sacrement est un signe extérieur
destiné a provoquer et à exercer la foi qui sauve. (Lib.
Contra Cochlœum.)
t Les sacrements, dit la confession d'Augsbourg
(art. 13) sont des signes, des témoignages de la vo-
lonté de Dieu, proposés aux fidèles pour exciter et
confirmer leur foi. *
INDEX 289
Calvin dit à peu près la même chose : « Sacramen-
tum est externum symbolum... ad sustinendam fidei
nostrœ imbeeillitatem. »
Il ajoute : « Ce symbole extérieur sert aussi à ma-
nifester notre piété envers Dieu, devant lui, devant
les anges et devant les hommes : — Et nos vicissim
« pietatem erga eum nostram, tam coram eo etange-
« lis, quam apud homines testamus. » (Lib. IV. Institut.
cap. XIV g. 1.)
Pour les Anabaptistes etles Zwingliens le sacrement
n'est qu'un signe de reconnaissance qui nous distingue
des juifs ou des païens.
Enfin, les Soeiniens l'appellent franchement un
signe stérile et nu.
Toutes ces définitions seraient vraies, si la théorie
de la justification par la foi toute seule pouvait se sou-
tenir, mais cette théorie ne s'appuie que sur de misé-
rables arguments et est manifestement condamnée par
l'Ecriture qu'on invoque pour la soutenir.
L'Apôtre dit : « Justifiés par la foi, ayons la paix :
« Justificati per fidem pacem habeamus. » (Rom., cap.
v.l.)« Mon juste vit de la. foi: Justus meus ex fide viuit.*
(Rom., cap. 1. 1). Dans les Actes, nous lisons que Dieu
purifie les cœurs par la foi : « Fide purificans corda
eorum).* (Act. , cap. xv. 9.) Mais voici qui prouve davan-
tage, d'après les protestants. « Nous pensons, dit saint
Paul, que l'homme est justifié par la foi, sans les
œuvres de la loi : Arbitramus hominem justificari per
fidem sine operibus legis. » (Rom., cap. III. 28.) —
« La grâce vous a sauvé par la foi et non à cause de
vos œuvres : Gratia salvati estis per fidem... non ex
operibus. » (Ephes., cap. II. 8. 9.) — « Tout homme, qui
croit que Jésus est le Christ, est né de Dieu . » Joan.
cap. v. 1. etc..)
Or, il suffit de lire attentivement les textes qui
CONFÉRENCES N.-D. — CAHÈME 1883. — 19
290 INDEX
viennent d'être cités et de les comparer au contexte,
pour se convaincre que la foi dont il est parlé n'esi
point la confiance à laquelle le protestantisme attri-
bue notre justification, mais bien la prédication des
vérités évangéliques et l'adhésion de notre esprit à
ces vérités; que cette foi est considérée comme une
disposition requise ou, si l'on veut, comme la cause
initiale, mais non comme la cause totale de notre
justification; que les œuvres réputées inutiles par
l'Apôtre, sont les pratiques légales de l'Ancien Testa-
ment abrogé par le Nouveau; que bien loin d'exclure
tout autre disposition et tout autre œuvre que la foi,
l'Ecriture les réclamepour notre justification. « Si j'ai la
foi jusqu'à transporter les montagnes, sans la charité,
je ne suis rien : — Si habuero omnem fidem ita ut
montes transférant, charitatem autem non habuero
nihil sum. » (I Cor., cap. xm. 2.) « En le Christ
Jésus, être circoncis, n'être pas circoncis, cela n'a
aucune valeur; ce qui nous sert c'est la foi vivifiée et
opérant par la charité: — In Christo Jesu neque cir-
cumeisio aliquid valet, neque prœputium sed fides
quœ per charitatem operatur. (znalis hi'âycmvs èvep-
yov(ievyj) » (Galat., cap. v. 6.) « La foi est consommée
par les œuvres auxquelles elle coopère : Vides quo-
niam fides cooperabatur operibus illius, et ex operibus
fides consummata est. (èleXeiœdtj.) » L'homme n'est
pas justifié par la foi seulement, mais par les œuvres...
comme le corps est mort sans l'esprit, ainsi la foi sans
les œuvres : « Videtis quoniam ex operibus justifi-
» catur homo et non ex fide tertiim. . . sicut enim
» corpus sine spiritu mortuuro est, ita et fides sine
» operibus mortua est. » (Jacob., cap. il. 23-26.)
Les œuvres sont donc nécessaires à notre justifica-
tion. Or, parmi les œuvres de religion, il n'en est pas
de plus saintes que les sacrements. Jésus-Christ unit,
INDEX 291
dans ses commandements, leur dispensation à la pré-
dication de la foi : « Euntes doeete omnes gentes, bap-
tisantes eos. » (Matth., cap. xxvm. 19.) Il fait de
leur réception, comme de la foi, une condition de salut :
« Qui crediderit et baptizatus fuerit hic salvuserit. i
(Marc, cap. xvi. 16.)
C'est donc en vain que les protestants cherchent
à étayer de l'autorité de l'Ecriture leur théorie de la
justification par lafoi. Cette théorie étant fausse., toutes
les conséquences qu'ils en tirent à l'endroit des sa-
crements sont également fausses.
Du reste, il n'est pas difficile de les mettre en con-
tradiction avec eux-mêmes. Ils admettent la validité
du Baptême des enfants. Mais à quoi leur sert ce sa-
crement, s'il n'est qu'un signe institué pour exciter la
foi? L'enfant ne comprend rien à cette prédication
symbolique, et c'est bien le cas de dire avec les Soci-
niens que le sacrement est, dans cr»*te occurence,
un signe absolument vide et nu.
Les protestants ont compris la force de cet argu-
ment et, plus d'une fois vaincus par la vérité, ils ont
confessé l'efficacité des sacrements. Luther, dans
son homélie I du Baptême (éditée en 1535), dit formel-
lemeut que ce sacrement a été institué pour nous don-
ner l'éternelle grâce, l'éternelle pu^té et sainteté, l'é-
ternelle vie : « Ad hoc institutus est Baptismus, ut
nobis serviat, nobis prosit, nobis donet, non aliquid
carnale, vel corporale, sed œternam gratiam, œternam
munditiam et sanctitatem, œternam vitam. » Kemni-
tius confesse que «les sacrements sont des cau-
ses instrumentales par le moyen desquelles le Père
veut montrer, donner et appliquer sa grâce : Sacra-
menta sunt caasœ instrumentales , ita quod, per Ma
media} seu organa, Pater vult gratiam suam exhibere,
donare, applicare. (2. Part. Exam.) Calvin dan»
292 indîx
son Antidote du Concile, (Sess. 7. can., 5 et 6),
tient un langage tout-à-fait catholique. « Les sacre-
ments, dit-il, sont des causes instrumentales qui con-
fèrent la grâce. Si quelqu'un nie qu'ils contiennent la
grâce figurée par les signes sacramentels, nous le
désapprouvons: Semper memoria repetendum est, sa-
cramenta nihil quam instrumentales esse eonferendœ
nobis gratiœ causas. — Si qui sint qui negent sacramen-
tis contineri gratiam, quam figurant ,illos improbamus.y»
Il ne faut pourtant pas trop se fier à ces aveux des
protestants, dit Bellarmin. Ils contiennent toujours
un sous-entendu en faveur de la foi justifîaute. L'hé-
résie aura beau parler notre langage, il ne faudra
croire à sa sincérité que lorsqu'elle aura réprouvé son
système de la justification.
(Voyez ibid. Efficacité des sacrements indépendante
des dispositions du ministre. )
Ni la foi ni la sainteté du ministre ne sont requises
pour la validité des sacrements.
Telle est la doctrine de l'Eglise définie dans ces
deux canons du Concile de Trente:
« Si quis dixerit baptismum, qui etiam datur ab hœ-
* reticis in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti,
» cum intentione faciendi quod facit Ecclesia,
» non esse verum baptismum ; anathema sit. (Sess.
» VIL De baptismo. can. 4.)
«Si quis dixerit ministrum in peccato mortali existen-
« tentem, modo omnia essentialia, quœ ad sacramen-
» tum conficiendum, aut conferendum pertinent, ser-
» vaverit, non conficere aut conferre sacramentum;
> anathema sit. (Sess. VII. De sac. in gen. can. 12.)
Ces deux canons visent les erreurs de ceux qui re-
fusaient aux hérétiques et aux pécheurs le pouvoir
d'administrer validement les sacrements.
INDEX 293
Agrippin, évêque de Carthage, fut le premier qu
enseigna que le Baptême conféré par les hérétiques
était invalide. (Vincent. Lirin., Commonit.) Saint Cy-
prien épousa la doctrine de son prédécesseur et y en-
traîna un certain nombre d'évêques africains. Il con-
sidérait comme invalides les sacrements conférés paf
les hérétiques, mais non ceux que conféraient les pé-
cheurs.
Les Donatistes allèrent plus loin ; car ils s'obti-
nèrent dans Terreur après les définitions de l'Église.
Après les Donatistes, saint Jérôme cite les Luei-
fèriens qui admettaient le Baptême des hérétiques,
mais non leur ordination.
Les Apostoliques refusaient aux hommes pervers
le pouvoir d'administrer efficacement les sacrements.
Les Vaudois transportaient ce pouvoir, des mauvais
prêtres aux bons laïques.
Wiclef exagéra l'hérésie ; car il excluait de l'ad-
ministration des sacrements non seulement les pé-
cheurs occultes et manifestes, mais même les justes
dont Dieu prévoyait la future prévarication.
Les Hussites et les Anabaptistes furent-ils héré-
tiques sur ce point? On le croit généralement, Bei-
larmin doute.
Bien que Luther ait dit, çà et là, que les justes seuls,
ayant l'esprit du Christ, peuvent administrer effica-
cement les sacrements, il faut s'en tenir au sentiment
qu'il exprima plus tard, avec son exagération habi-
tuelle. Non seulement il enseigna que la foi et la pro-
bité du ministre n'étaient pas nécessaires à l'efficacité
des sacrements, mais le diable lui-même lui parut un
ministre suffisant.
Quand à Calvin, il se contenta, dans son antidote du
Concile de Trente, d'ajouter un amen au canon XII
<te la VIIe session *
294 INDEX
(Cf. Summ. Theol, III P. quaest. 64. a. 9. Utrum
fides ministri sit de necessitate sacramentel a. 10.
Utrum intentio recta ministri requiratur ad perfec-
tionem sacramenti?)
Mais, si l'erreur et la perversité du ministre ne
peuvent empêcher l'efficacité des sacrements, encore
faut-il qu'il ait l'intention de faire ce que fait l'É-
glise.
v Si quis dixerit in ministris,dum sacramenta confî-
» ciunt, et conferunt, non requiri intentionem saltem
j» faciendi quod facit Ecclesia ; anathema sit. (Sess.
» VI. can. De saeram. in gen.)
Le canon du Concile de Trente condamne l'erreur
de Luther qui ne requiert aucune intention du mi-
nistre, et attribue au sacrement administré dérisoi-
rement une complète efficacité. « Non dubitem, si
» quisidnomineDominisuscipiat, etiamsi impius mi
» nister non det in nomine Domini, vere baptizatum
» esse in nomine Dcmini. Non enim in conferentis
» tan tum, quantum in suscipientis fide, vel usu sita est
« virtus baptismi, sicutlegitur dequodam mimoper jo-
« cum baptizato. »
L'opinion de Catharin, dit Bellarmin, approche de
cette erreur. Contrairement au sentiment commun
des théologiens, qui enseignent que le ministre repré-
sentant du Christ doit avoir intérieurement l'intention
de faire ce qu'a voulu le Christ, c'est-à-dire un rite sa-
cré, Catharin prétend qu'il suffit que le ministre ait
l'intention de faire sérieusement et avec attention l'acte
extérieur que fait l'Église, quand bien même il s'en
moquerait intérieurement.
Cette opinion me parait fausse, dit Pallavicini,
mais elle n'a point été expressément condamnée par
le Concile de Trente : t Io per me stimo che la seu-
» ten/a del Catarine lia faUa, ma non pero condao-
ÎMDEI 295
€ nata espressamente da canoni Tredentini.» Plusieurs
théologiens l'ont appelée singulière, bizarre^ extra»
vagante, voisine de l'hérésie. Saint Liguori, plus sage
dans ses jugements,se contente de dire qu'elle a pour
patrons des hommes renommés : insignis nominis.
Elle n'est point, en effet, l'opinion exclusive d'Am-
broise Catharin. Priérias, avant le Concile de Trente,
et. depuis, Salmeron, Juenin, Herri, Milante, Drouin,
l'ont professée. C'était l'opinion de l'ancienne Sor-
bonne. Contenson Ta vivement et solidement défendue
dans son Appendice au Traité des sacrements en
général. On peut en suivre la discussion dans cet
appendice et dans la 17° thèse du Traité des Sacre-
ments du P. Franzelin. Mais cette discussion n'a
qu'un intérêt de pure spéculation, car, si probable
que puisse être l'opinion de Catharin, il n'est point
permis de la suivre pratiquement, dit Benoit XIV.
(Lib. De syn. n° 9.) 'Il faut s'en tenir à la déclaration
d:Innocent XI qui défend de suivre, dans l'adminis-
tration des sacrements une opinion probable, en lais-
sant de côté la plus sûre. « Si donc, ajoute le même
Pontife, un sacrement qu'on ne peut réitérer avait été
administré dans les conditions précitées, il faudrait,
en cas d'urgente nécessité, l'administrer de nouveau
sous condition ; ou, si cela était possible, attendre la
décision du Saint-Siège.»
II
SOIXANTE-DEUXIÈME CONFÉRENCE
(Voyez 2eme Partie. Harmonie du Progrès.)
Le protestantisme, en niant l'efficacité des sacre-
ments, ne pouvait plus reconnaître, entre ceux de la
loi ancienne et ceux de la loi nouvelle! que des dififé-
296 INDEX
rences insignifiantes. En réalité, point de progrès.
C'est ce qu'enseigne crûment Luther dans son licre
de la Captivité de Babylone. (cap. De Baptismo.)
e Erreur, dit-il, de croire que les sacrements de la loi
nouvelle différent des sacrements de l'ancienne loi
quant à l'efficacité de leur signification : — Error est
sacramenta novœ legis differre a sacramentis veteris
legis, pênes efficaciam signification! s, id est, quod
nostra efficacitcr significent faciendo quod figurant,
non Ma. >
Calvin veut qu'on efface entièrement du livre de la
foi le dogme scholastique de la différence des anciens
sacrements et des nouveaux : Hoc dogma scholas-
ticum, quo tam longum discrimen inter veteris ae
novœ legis sacramenta notatur, perinde ac si illa
non aliud quam Dei gratiam adumbraverint, haec
vero prœsentem conférant, penitus explodendum est.
(Lib. IV. Institut., cap. XIV. §23.)
Carlostadt, Zwingle et les Anabaptistes vont plus
loin. Ne considérant les signes sacramentels que
comme un signe de reconnaissance, ils donnent la pré-
férence aux sacrements de l'ancienne loi, surtout à la
Circoncision, qui distinguait plus visiblement et plus
eDergiquement le judaïsme que le Baptême ne dis-
tingue le christianisme des autres religions.
Toutes ces erreurs ont été condamnées dans le deu-
xième canon de la septième session du Concile de
Trente (sect. De Sacramentis in génère), ainsi con-
çu : « Si quelqu'un prétend que les sacrements de la
loi nouvelle ne diffèrent des sacrements de la loi an-
cienne que parce que les cérémonies et les rites exté-
rieurssont autres, qu'il soit anathème: — Siquisdixerit
ea ipsa novœ legis sacramenta a sacramentis anti-
quae legis non diffère, nisi quia ceremoniœ *unt
îliœ. et alii ritus externi; anathemà «if. »
INDEX 297
Non seulement le protestantisme défigurait le plan
de Dieu en appauvrissant les sacrements, il troublait
encore profondément l'harmonieuse économie de la
vie et de la communauté chrétiennes. Goethe le lui
reproche amèrement. «Le culte protestant, dit-il, est
tiop maigre et trop décousu pour qu'il puisse former
un lien solide entre les membres de la communauté
religieuse.» Son âme, sans croyances définies, ne
pouvait découvrir et décrire, comme celle de saint
Thomas, les profonds mystères et les merveilleuses
beautés de notre édifice sacramentel, mais son génie
poétique en entrevoyait les harmonieuses proportions,
et il écrivait : «Les sacremenîs sont ce qu'il y a de
plus sublime dans la religion ; ils sont le symbole
visible d'une ferveur et d'une grâce divine extraor-
dinaire. Dans le sacrement de la cène, nos lèvres
sont appelées à recevoir un être divin qui à pris un
corps sensible ; c'est une nourriture céleste, sous la
forme d'un aliment terrestre Mais il ne faudrait
pas qu'un tel sacrement fut isolé ; le chrétien n'y
trouvera pas la consolation qui en est la fin, si l'on
n'a eu soin de nourrir en lui le sens et l'esprit sacra-
mentels. Il doit être habitué à considérer la religion
interne du cœur et la religion externe du culte comme
une seule et même chose, comme le grand sacre*
ment général, qui se fractionne en un certain nom-
bre de sacrements particuliers et leur communique
sa sainteté, son indestructibilité et sa perpétuité.
« Voici un jeune couple dont les mains sont jointes :
ce n'est point un témoignage passager de politesse,
ce n'est point la danse joyeuse qui a mis leurs mains
l'une dans l'autre; un prêtre les bénit, et les voilà
unis d'un lien indissoluble. Bientôt les jeunes époux
reparaissent dans la maison de Dieu; ils ont apporté
au pied de l'autel un nouvel être, dans lequel ils coa^
298 IKDEX
templent leur propre image. L'eau sacrée le purifie; il
est fait membre de l'Eglise, et les liens qui l'y atta-
chent sont si puissants qu'il ne peut perdre ce bienfait
que par la chute la plus profonde. L'enfant grandit .
il se développe, de lui-même, dans son contact avec
les choses terrestres; mais, lus choses du ciel, il ne
les connaîtra que grâce à l'éducation. Il est soumis à
un examen; et, si son instruction religieuse a été
complète, l'Eglise le recevra une seconde fois dans
son sein, mais comme membre en quelque sorte
effectif, comme confesseur volontaire et libre; et cette
action sera entourée de cérémonies qui en marquent
toute l'importance... Voilà le néophyte devenu déci-
dément chrétien : il sait ce que ce titre veut dire, il
connaît les prérogatives du chrétien, il en connaît les
devoirs.
« Cependant il est homme, ex sa vie jusqu'ici n'a
pas été exempte d'événements capables de troubler
son esprit : les leçons qu'il a reçues, les châtiments
qu'il a subis, lui ont appris combien son cœur était
faible; et chaque jour encore lui apportera de nou-
veaux enseignements et lui reprochera de nouvelles
transgressions, quoique, moralement émancipé, il ne
soit plus question pour lui de châtiments. Comment
se tirera-t-il des incertitudes et des angoisses sans fin
où le jettera le conflit de la raison avec les sens, de la
nature aux prise* avec la religion? C'est ici qu'un
nouveau sacrement lui prêtera un appui secourable,
en l'engageant'à confier ses faits et ses méfaits, ses
défauts et ses doutes à un homme respectable, qui est
précisément établi pour l'écouter, et qui peut le rassu-
rer, le consoler, l'encourager, le châtier au besoin de
peines également symboliques, et enfin, en effaçant
complètement ses fautes, lui rendre le bonheur et lui
restituer, pur et sans tache, le livre de la vie. Préparé
iKdex 299
de la sorte et pénétré du calme le plus pur par Topé-
ration de plusieurs sacrements, le chrétien s'age-
nouille pour recevoir la sainte Hostie; et, afin que le
mystère de cette action sublime en soit encore
rehaussé, il ne voit le calice que dans le lointain : il
n'a pas reçu un aliment vulgaire, capable de rassa-
sier : c'est une nourriture céleste, qui nous rend
avides d'un breuvage céleste.
« Mais que le jeune homme ne croie pas que sa
tâche est finie; que l'homme fait se garde lui-même
de le croire : Dans les affaires de ce monde, il est
vrai, nous finissons par nous reposer entièrement sur
nous-mêmes, bien que nous ayons souvent occasion
de nous convaincre de l'insuffisance et de nos con-
naissances, et de notre esprit, et de notre caractère,
mais, dans les choses du ciel, notre apprentissage ne
finit point. Il y a plus, la conscience de notre force,
qui, du reste, n'est souvent qu'un sentiment confus,
rencontre au dehors tant de puissances hostiles, "que
nous ne pouvons guère trouver en nous-mêmes les
lumières, les consolations et les secours que nous
iherchons et dont nous avons un besoin réel. C'est
pourquoi il importe que la source de salut qui jaillit
pour nous de ces sacrements coule, non pas une seule
fois seulement, mais toute notre vie : toujours noua
trouverons à nos côtés un homme pieux et intelligent,
ayant la mission de ramener ceux qui se sont égarés
et de soulager ceux qui sont chargés.
« Et ces moyens dont nous avons éprouvé l'effica-
cité dans toute notre vie, aux portes de là mort nous
en sentirons dix fois plus encore les bienfaits. Cédant
à une habitude qui a pris racine dans ses jeunes ans
et qui lui est devenue chère, le chrétien dont la vie
s'éteint embrasse, avec ferveur, les symboles visibles
des vérités qui lui promettent une vie nouvelle : 1*
300 INDEX
terre n'a plus rien à lui offrir; ses promesses sont
muettes; mais il reçoit du ciel les gages d'une félicité
éternelle... Afin que l'homme tout entier soit sanctifié,
les pieds aussi reçoivent l'onction sainte, eux aussi
sont bénis. Désormais, quand même le malade revien-
drait à la vie, ils ne toucheront qu'avec répugnance
ce sol terrestre, cette terre dure et impénétrable. Une
merveilleuse élasticité vient de leur être communiquée;
ils repousseront la glèbe qui avait jusqu'ici exerce sur
eux sa puissante attraction.
i Et voilà comment un brillant cercle d'actions éga-
lement saintes, qui toutes se tiennent et dont nous n'a-
vons fait qu'indiquer sommairement la beauté, unit le
berceau à la tombe, quelle que soit la distance que le
hasard ait mise entre eux.
« Mais toutes ces merveilles spirituelles, ce n'est
point la nature qui les fait éclore dans son sein, à la
manière d'autres fruits; ce n'est pas dans ce sol qu'il
nous est permis de les semer, de les planter, ni de les
cultiver. Il faut que la prière les fasse descendre d'une
autre région, pouvoir qui n'est pas départi à chacun
de nous et qui ne peut s'exercer dans tous les temps.
C'esi ici que nous rencontrons ce qu'une antique et
pieuse tradition nous apprend de plus sublime tou-
chant ces symboles. Nous apprenons qu'un homme
privilégié peut recevoir d'en haut une faveur, des bé-
nédictions, une consécration, qui l'élèvent au-dessus
de tous les autres. Mais, afin que ce privilège, qui ren-
ferme en même temps les devoirs les plus difficiles,
ne puisse être considéré comme un don de la nature,
les élusse le transmettront l'un à l'autre, et le plus
grand bien que l'homme puisse avoir en partage, sans
pouvoir cependant ni le conquérir ni se l'approprier
par lui même, sera conservé et perpétué sur la terre
comme ud héritage spirituel. La consécration du pré-
INDEX 301
tre embrasse tout ce qui est requis pour l'accomplisse-
ment efficace des saintes actions dont les bienfaits
doivent se répandre sur le genre humain tout entier...
C'est ainsi que le prêtre prend place dans la série de
ses devanciers et de ses successeurs, dans le cercle
des contemporains qui se partagent avec lui les mê-
mes grâces: il représente Celui dont découlent toutes
les bénédictions; et son rôle est d'autant plus beau
que ce n'est pas lui que nous honorons, mais son mi-
nistère, que ce n'est pas devant lui que nous fléchis-
sons le genou, mais devant les bénédictions qu'il ré-
pand sur nous; et ces bénédictions nous apparaissent
d'autant plus saintes, plus immédiatement divines,
que, même, les péchés et les vices de l'instrument ter-
restre qui les confère ne sauraient en détruire ni en
affaiblir les vertus. »
Goethe termine en demandant compte à la Réforme
de la désorganisation de la vie chrétienne. « Qu'est-
ce que le protestantisme a fait de cet organisme spi-
rituel? Combien ne l'a-t-il pas disloqué, en déclarant
apocryphe une partie de ces sacrements et en ne re-
connaissant le caractère canonique qu'à quelques-uns
d'entre eux? Comment prétendrait-on nous pénétrer
de l'éminente dignité des uns, après nous avoir ren-
dus indifférents pour les autres? {Gœthe 's Werke.)
Ce que le poète ne voyait qu'avec son imagination,
les âmes vraiment religieuses le voient avec leur
cœur. « Il me semble, dit le pasteur Naville, qu'il suf-
fit de descendre en soi-même pour comprendre com-
bien l'Église romaine, avec la grâce dont elle dispose
et sa divine autorité, trouve d'appui dans les besoins
les plus profonds de notre âme. Qui n'a tourné des re-
gards d'envie vers le tribunal delà Pénitence ? Qui n'a
souhaité, dans l'amertume du remords, dans l'incer-
titude du pardon divin» entendre une bouche qui pût
302 INDEX
lui dire avec la puissance du Christ: Vas en paix, tes
péchés te sont pardonnes. Pour moi, si je croyais trou-
ver cette puissance surnaturelle que l'Église s'attri-
bue, cette puissance, source vive et intarissable de
réconciliation, de restitution, de repentirs efficaces, de
ce que Dieu aime le j)lus après l'innocence, debout à
côté du berceau de l'homme qu'elle bénit, debout en-
core à côté de son lit de mort, en lui disant, au mi-
lieu des exhortations les plus pathétiques et des plus
tendres adieux : Partez ! Si je croyais trouver une pa-
reille puissance sur la terre, il est bien des moments
où j'irais déposer joyeusement à ses pieds cette liberté
d'examen qui, parfois, se présente à l'esprit comme un
fardeau, bien plus que comme un privilège. »
Dans les âmes baptisées, la vie chrétienne tend à
reprendre son rhythme brisé par l'hérésie. De là les
essais de restauration sacramentelle qu'on remarque
chez certaines sectes alarmées des ravages de l'indif-
férence religieuse. Vains efforts. L'hymne harmonieux
de la vie chrétienne ne se peut chanter que sur l'or-
gue divin dont l'Église remplit, du souffle de l'Esprit-
Saint, les sept instrumente sacrés.
III
SOIXANTE-TROISIÈME CONFÉRENCE
(Voyez lre partie. Existence du caractère.)
Wiclef (Lib. IV. Trialogi), Calvin dans son Anti-
dote du Concile de Trente, Kemnitius (II part. Exam.)
et, en général, tous les protestants nient l'existence et
l'impression du caractère sacramentel. «L'Ecriture et
les Pères, disent-ils, se taisent sur ce sujet. Les scho-
lastùjues n'affirment rien de certain, c'est Innocent III
qui est l'inventeur de ce dogme inutile, o
INDEX 303
Autant de mensonges dit Bellarmin. L'Apôtre
saint Paul en plusieurs endroits de ses Epîtres rap-
pelle aux fidèles qu'ils sont marqués par TEsprit-
Saint: Signavitnos (II Cor., 1): Signatis estis Spiritus
promis sio ni s Sancto (Epb . , 1 .): Nolite contristare Spi-
ritum Sanctum in quo signati estis in diem redemp-
tionis. (Eph., 4.) Ce jour de notre rédemption, disent
les interprètes, est le jour de notre régénération par le
Baptême.
Quant aux saints Pères, nous avons cité leurs té-
moignages au cours de la conférence, nous y ren-
voyons le lecteur. N'y eût-il dans l'Ecriture aucun
texte indicateur de l'existence du caractère sacramen-
tel, la tradition est tellement suivie et tellement claire
à ce sujet qu'on ne peut lui refuser d'être l'expression
de l'enseignement divin.
L'argument tiré des incertitudes de la scholastique
est on ne peut plus misérable. Il se borne à la cita-
tion d'un texte de Gabriel, .qui donne l'institution
divine pour unique raison de la non réitération d'un
certain nombre de sacrements. Mais, si l'on se de-
mande pourquoi Dieu n'a pas voulu que tel ou tel sa-
crement fût réitéré, on en a bien vite la raison dans
l'impression du caractère.
Attribuer son invention à Innocent III n'est pas plus
sérieux. Ce pontife (cap. Majores extra de baptismo)
rapporte l'opinion de ceux qui prétendent que les bap-
tisés par contrainte reçoivent seulement le caractère.
On en parlait avant lui, donc il ne l'a pas inventé.
La négation du caractère sacramentel embarrassa
singulièrement les protestants, quand il s'agit d'expli-
quer pourquoi on ne peut pas renouvelerle Baptême,
ce qu'ils admettent avec nous. Ils n'en donnent que de
mauvaises raisons. Selon Calvin, le Baptême doit être
unique parce qu'il nous fait entrer dans l'Église, qui
304 INDEX
est une, et nous initie à lafoien Dieu, qui est un. Mais,
les hérétiques ont beau être baptisés, ils n'entrent pas
dans l'Église et ne sont pas initiés à la vraie foi : Il
faudrait donc renouveler leur Baptême? Ceux qui sor
tent de l'Église par l'hérésie ont besoin d'y rentrer ,
pourquoi pas un nouveau Baptême ? Nous n'entrons pas
moins dans l'Église, nous ne sommes pas moins ini-
tiés à la foi par la parole que par le Baptême. La
parole se répète ; pourquoi pas le Baptême ?
Kemnitius s'en rapporte à la volonté de Dieu. Mais
Dieu ne fait rien sans raison. Pourquoi ne veut-il pas
qu'on réitère le Baptême, si ce n'est parce que l'effet
de ce sacrement persiste dans un signe indélé-
bile?
Le même auteur examinant le canon 11 du Bap-
tême donne, en dehors du caractère, huit raisons pour
lesquelles on ne renouvelle pas ce sacrement. Parmi
ces raisons il y en a quatre qui lui semblent inébran-
lables. Bellarmin n'a pas de peine aies renverser. On
peut lire sa réfutation au chap. xxn du second livre
de son Traité des Sacrements en général.
Bingham, savant anglican, après avoir dit dans son
ouvrage des Origines Ecclésiastiques (Tom. XL pag.
256.) qu'il n'est question du caractère sacramentel
dans aucun des anciens Conciles, avoue cependant
que plusieurs Pères ont appelé le Baptême le sceau,
le signe, la marque, le caractère de Jésus-Christ.
Mais ils n'ont rien conclu de là, dit-il, sinon qu'il ne
faut pas réitérer ce sacrement. — C'est bien assez ;
car cette conclusion prouve la croyance des saints
Pères à l'indélébilité de ce qu'ils appelaient le sceau^
le signe, la marque, le caractère de Jésus-Christ.
L'erreur des protestants relativement au caractère,
comme à l'endroit de la grâce sacramentelle, est une
conséquence de leur système touchant l'efficacité de«
INDEX 305
sacrements., dans lesquels ils ne veulent voir qu'une
sorte de discours en action, ayant pour but de rap-
peler les promesses divines et d'exciter la foi.
IV
SOIXANTE- QUATRIÈME CONFÉRENCE
(Voyez ln partie. Nécessité du Baptême )
Les Pélagiens enseignaient que le Baptême est né-
cessaire pour entrer dans le royaume des cieux, mai*
non pour effacer le péché originel, dont ils niaient
l'existence. (S. Aug., Lib. De hœresibus, cap. 69.)
Plus audacieux que les Pélagiens , les Pro-
testants ont nié la nécessité du Baptême, même
pour entrer dans le royaume des cieux. Ils convien-
nent qu'il y a un commandement du Sauveur qui nous
oblige au Baptême, par conséquent ils admettent ce
que les théologiens appellent la nécessité de précepte;
mais ils nient que le Baptême soit de nécessité de
moyen, c'est-à-dire une condition indispensable pour
être sauvé. (Calvin, Antidot Concilii. Sess. VII. c. 5.)
Jean Wiclef les avait précédés dans cette erreur.
Zwingle, dans son livre De cera et falsa religioney
affirme carrément que le Baptême, pur symbole,
n'est nullement nécessaire au salut. Martin Bu-
cer professe la même doctrine, et la raison qu'il en
donne c'est qu'il suffit d'être prédestiné. Le prédestiné
se sauve sans le Baptême; celui qui n'est pas prédes-
tiné se damne infailliblement, même avec le Baptême.
Selon Calvin, l'enfant issu de parents chrétiens est
saint et devient membre de l'Église, par la seule vertu
de la génération. La promesse faite par Dieu à Abra-
ham : « Ero Deus tuus, et seminis tui, »n'a point été re-
tractée. (Antidot. ad. 6. sess. cap. 5.-4. Institut, cap.
16. g 24 et 25.) Pierre Martyr appuie ce sentiment
CONFÉRENCES N.-D. — CARÊME 1883. — 20
306 INDEX
des paroles que l'Apôtre adresse aux Corinthiens :
« L'homme infidèle est sanctifié par la femme fidèle,
la femme infidèle par l'homme fidèle. Autrement vos
fils seraient impurs, maintenant ils sont saints:
Sanctificatus est mr injidzlis per mulierem fidelem,
et sanetificata est mulier infidelis per oirum Jidelem;
alioquin Jilii vestri immundi essent, nunc autem
sancti surit. » (1 Cor., cap. vu. 14.) Il applique ainsi
à la génération ce que saint Paul dit manifeste-
ment de l'éducation où prédomine l'influence de la
partie chrétienne. Henri Bullinger, disciple de Zwin-
gle, va plus loin. (Lib. De Testamento Dei unico et
œterno.) Il suffit que l'enfant ait des parents fidèles
parmi ses ascendants, si éloignés qu'ils soient, pour
être sanctifié et incorporé à l'Eglise.
Le Concile de Trente a condamné toutes ces er-
reurs dans son cinquième canon sur le sacrement de
Baptême: « Si quis dixerit baptismum liberum esse,
» hoc est, non necessarium ad salutem ; anathema
» sit. »
(Voyez ibid. Efficacité du Baptême.)
La plus vieille erreur touchant l'efficacité du Bap-
tême est celle des Origénistes, qui enseignaient que
les péchés ne sont point enlevés, mais seulement cou-
verts par ce sacrement. La mort seule a le pouvoir de
briser les liens de péché dans lesquels toute notre na-
ture déchue est enveloppée.
Cette erreur, refutée par saint Epiphane (Lib. De
hœres, 64) et par saint Méthode (Lib. De resurrec-
tione), fut ressuscitée par les Musaliens (Theodoret,
Lib. IV. DeFabulis hœreticorumy, saint Grégoire en fait
mention dans sa lettre ad Theoctistiam Patriciam.
(Lib. IX, epist. xxxix.)
Elle fut reprise, au seixième siècle, par les protêt-
INDEX 307
tants. In puero post baptismuni negare remanens
esse peccatum est Paulum et Christum simul con-
culcare : — C'est fouler aux pieds saint Paul et le
Christ que d'affirmer qu'il ne reste aucun péché après
le Baptême, » dit Luther dans un des articles condam-
nés par Léon X. Calvin écrit dans son Antidote au
Concile de Trente (Sess. VI.) : « Le péché demeure
vraiment en nous et ce n'est pas en un seul jour qu'il
peut être éteint par le Baptême : Manet vere pecca-
tum in nobiSj neque per baptismum statim uno die
extinguitur. Le fondement de cette doctrine est
l'erreur des protestants touchant la concupiscence,
qui demeure certainement dans le baptisé^ et qu'ils
considèrent comme un véritable péché. Nous avons
vu que ce reste involontaire de notre déchéance en
Adam ne peut pas nous être imputé à péché. (Cf. 28e
conférence et Index.) Voici, sur ce point, la doctrine du
Concile de Trente : «Concupiscentiam, quam aliquando
» apostolus peccatum appellat ; sancta Synodus de-
» clarat Ecclesiam catholicam numquam intellexisse
» peccatum appellari, quod vere et proprie in renatis
» peccatum sit, sed quiaexpeccato est et ad peccatum
» inclinât. Si quis autem contrariumsenserit; anathe-
» ma sit.» (Sessio V. Depeeeato originali, can. 5.) La
concupiscence persistant sans nuire, le Baptême ef-
face tout ce qui peut s'appeler vraiment et propre-
ment péché. « Si quis per Jesu Christi Domini nos-
» tri gratiam, quee in baptismate confertur, reatum
» originalis peccati remitti negat, aut etiam asserit
» non tolli totum id, quod veram et propriam peccati
» rationem habet; sed illud dicit tantum radi, aut non
» imputari ; anathema sit. »
On comprend aisément que le protestantisme, après
avoir ainsi diminué l'importance et l'efficacité du
Baptême, ait affirmé <a.u'il n'avait pas plus de valeur
INDEX
que le Baptême de Jean. Le Donatlste Pétilien avait
déjà enseigné cette erreur. Elle a été condamnée par
le Concile de Trente en ces termes : « Si quelqu'un
dit que le Baptême de Jean avait la même force, que le
Baptême du Christ: qu'il soit anathème : Si quis di-
rent baptismum Joannis habuisse eamdem vim cum
oaptismo Christi; anathema sit. »
Il y a parmi les catholiques deux opinions sur le
Baptême de Jean. La première de Pierre Lombard qui
divise les pénitents baptisés par le précurseur en deux
catégories ; l'une composée de ceux qui n'avaient au-
cune notion de l'Esprit-Saint et qui devaient recevoir
plus tard le Baptême du Christ, l'autre de ceux qui
connaissaient l'Esprit-Saint et n'avaient plus besoin
du Baptême de Jésus-Christ, mais seulement de l'im-
position des mains pour recevoir son Esprit. Cette opi-
nion est appelée par saint Thomas «tout à fait dérai-
sonnable : Hoc est penitus irrationale. » Les raisons
qu'il en donne sont : 1° Que le Baptême de Jean ne
conférait ni la grâce sacramentelle ni le caractère,
choses que ne pouvaient suppléer la foi du baptisé et
son espérance dans le Christ. 2° Que, lorsque dans
un sacrement une chose de nécessité a été omise, il
faut non seulement la suppléer, mais refaire à nou-
veau le sacrement tout entier. Or, il est de nécessité
que le sacrement de Baptême soit donné dans l'eau et
l'Esprit-Saint, ce que ne faisait pas Jean-Baptiste. Il
fallait donc baptiser de nouveau ses disciples, pour
qu'ils fussent chrétiens:* Primo quidem quia ba-
» ptismus Joannis neque gratiam conferebat ,
» neque caracterera imprimebat, sed erat solum
» in aqua, ut ipsemet dicit Matth., III. Unde bap-
» tizati fides, vel spes, quam habebant in Chris-
» tum , non poterat hune defectum supplere.
» Secundo quia quando in sacramento omittitur aliquid
INDEX
309
» quod est de necessitate sacramenti, non solum opor-
» tet suppleri quod fuerat omissum, sed oportet tota-
» liter innovari. Est autem de necessitate baptismi
» Christi quod fiât non solum in aqua, sed etiam in
t SpirituSancto,secundumilludJoan.,in. 5. Nisiquis
» renatus fuerit ex aqua, et Spiritu Sancto, non po-
» test introire in regnum Bel. Unde illis qui tantum
> in aqua baptizati erant baptismo Joannis, non so-
» lum erat supplendum, quod deerat (ut scilicet dare-
1 tur eis Spiritus Sanctus per impositionem manuum
» sed erant iterato totaliter baptizandi in aqua et Spi-
• ritu. » (Summ. Theol.y III P. quaest. 38, a. 6. c.)
La seconde opinion attribue au Baptême de Jean le
même caractère et la même valeur qu'aux sacrements
de l'ancienne loi. Mais saint Thomas fait remarquer
justement que c'était plutôt un sacremental qu'un sa-
crement, qu'il disposait au Baptême du Christ et ap-
partenait, en quelque sorte, à la loi nouvelle, mais
nullement à la loi de Moïse : Baptismus Joannis non
eral per se sacramentum, sed quasi quoddam sacra-
mentale disponens ad baptismum Christi : et ideo
aliqualiter pertinebat ad legem Christi, non autem ad
legem Moy sis. {Summ., Theol. ,111 P. quaest. 38. a, 1.
ad 1. cf. Totam quaest. 38. De Baptismo Joannis).
Les sacrements de l'ancienne loi, dit Bellarmin, ont
commencé avec elle, et ont duré autant qu'elle. Le
Baptême de Jean n'apparaît qu'à la fin des temps
anciens et n'a duré qu'un an. {De Baptismo. Lib. 1.
cap. 19.)
(Voyez 2m* partie : Veau matière du Baptême).
Les Manichéens prétendaient qu'on ne devait pas
baptiser dans l'eau, parce que l'eau, comme toutes les
choses corporelles, vient d'un mauvais principe.
Les Mareionites . tont en professant la même
310 INDEX
croyance que les manichéens sur l'origine de Peau,
admettaient son usage pour le mystère de la régéné-
ration à cause du précepte de Jèsus-Christ.
Les Séleuciens excluaient l'eau du Baptême, et ne
baptisaient que dansl'Esprit-Saint. Telle était Terreur
des Jacobites qui, prenant à la lettre ces paroles de
Jean-Baptiste : « Celui qui viendra après moi doit
baptiser dans l'Esprit-Saint et le feu », imprimaient
le signe de la croix a\ec un fer rouge sur le front
des néophytes. (Bernai 'd de Luxembourg. Catalog
hœretieorum.)
Les Pauliciens substituaient à la matière du Bap-
tême ces paroles : « Je suis l'eau vive : Ego surn
aqua vica. » (Luthym., II part. Panopliœ, Ta. 21.)
Quant à Luther, il affirme dans ses Propos de
table (cap. 17.), que tout liquide, lait, vin ou bière, est
propre au Baptême.
Les Protestants , pour justifier leur erreur touchant
la nécessité du Baptême, ont interprété dans un sens
figuré ces paroles si claires et si expresses de Notre-
Seigneur : « Si quelqu'un ne renaît de l'eau, il ne
peut entrer dans le royaume des cieux : — Nisi quis
renatus fuerit ex aqua, etc.... » L'eau c'est la morti-
fication, l'eau c'est la foi, l'eau c'est la pénitence.
S'il faut entendre les paroles da Christ dans le sens
littéral, elles s'appliquent à l'eau qui coula de son
côté quand il fut percé d'une lance. Misérable inter-
prétation, refutée par la tradition universelle et
constante de l'Eglise et condamnée, ainsi que toutes
les erreurs qui précèdent, par cette définition du Con-
cile de Trente : « Si quelqu'un prétend que l'eau vraie
et naturelle n'est pas de nécessité dans le Baptême,
et qu'il faut entendre métaphoriquement ces paroles
de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Si quelqu'un en
renait de l'eau etc qu'iJ soit anathème I $i nnir.
INDEX 311
dixerit aquam veram et naturalem non esse de neces-
sitate baptismi, atque ideo verba Ma Domini nostri
Jesu Christi : Nisiquis renatus fuerit ex aqua ete...
%d metaphoram aliquam detorserit ; anathema sit. »
(Voyez ibid: Forme du Baptême.)
Du temps même des Apôtres, il y eut des hérétiques
qui baptisaient au nom des trois êtres sans principe,
c'est-à-dire au nom des trois pères , au nom des trois
fils et des trois paraclets. Cette erreur est condamnée
par le 48me ou 49me canon dit des Apôtres.
Les GnostiqueSj au témoignage de saint Irénée,
baptisaient au nom du père inconnu, de la vérité, mère
de tous, et de Jésus-Christ.
Les Cataphrygiens et les Paulianistes corrom-
paient dans l'administration du Baptême la formule
traditionnelle. Le pape Innocent I, les Conciles de Ni^
cée (can. 19.) et de Laodicée (can. 8.) ordonnèrent de
rebaptiser ceux qui avaient reçu le sacrement de ces
hérétiques.
Les Ariens conféraient le Baptême au nom du Père,
par le Fils et dans l'Esprit-Saint.
Les Eunomiens, dans la mort du Seigneur.
Luther, Zwingle et Brentius, tout en enseignant
qu'on devait se servir de la formule traditionnelle, on£
prétendu qu'elle n'était pas nécessaire à l'essence du
Baptême, et qu'il suffisait qu'il fut administré au nom
de Dieu.
Les Apôtres ont-ils administré le Baptême au nom
du Christ, sans désignation des autres personnes? Les
Actes (cap, vin. 12) semblent l'indiquer : « In no-
mine Christi baptizabantur viri et mulieres. » Et, en
cela, dit saint Thomas, ils agissaient d'après une ré*
vélation spéciale du Sauveur. (Summ. Theol.,Ul P
312 INDEX
quaest 66. a. 6. ad. 1.) « Du moment que vous nom-
mez le Christ, dit saint Ambroise, vous désignez le
Père qui donne l'onction, le Fils qui estoint, et l'Esprit-
Saint qui est l'onction même : Si Christum dicas, et
Patrem a quo unctus est, et ipsum qui unctus est Fi-
lium, et Spiritum Sanctum,quo unctus est, designasti.»
Quoi qu'il en soit, le Baptême donûé maintenant au
nom seul du Christ devrait être réitéré au moins
cous condition.
Au lieu de dire comme les Latins : « Je te baptise,
etc..» les Grecs, dans leur formule, disent: Le servi-
teur de Dieu est baptisé (1) etc. Cette formule est va-
lide, parce qu'elle exprime suffisamment l'action du
ministre. Aussi ce n'est point elle que le Concile de
Latran, tenu souslnnocent III, (cap. IV. )a condamnée,,
mais les Grecs qui rebaptisaient les Latins comme si
la formule de leur baptême eût été mauvaise.
(Voyez ibid. Ministre du Baptême.)
Le P. Ceïlot, dans son ouvrage de Hierarchia et Hie-
rarchis,(Lib.\n. cap. 13.) interprétée la lettre ces pa-
roles du pontifical: « Le Diacre doit servir à l'autel,
baptiser et prêcher: Diaconum oportet ministrare ad
altare, baptizare et prœdicare . » Il en conclut que
l'administration du Baptême est l'office propre du
Diacre. Toute l'antiquité, dit le P. Péronne, proteste
contre cette interprétation. Les constitutions apos-
toliques disent expressément: Le Diacre ne baptise
pas Aiaxovos... ov paTrri&t. (Lib. vu. cap. 28.) Et saint
Epiphane : « Il n'est permis au Diacre d'administrer
aucun sacrement dans l'Eglise, mais seulement de
1. fitnrTl&Tat et non faire iléodw, baptizetur, comme
disent quelques théologiens.
INDEX 313
servir ceux qui les administrent : Kai yàp Ôvre hiâxovoi
èv ry èxxXïjGixel ixy râÇet èTTtfflsvdrjaavzt (xvcnrjptov eTri-
reketv àAAà (xôvov htaxoveïv Ta èTrireXovpeva. »
Ce n'est donc que par délégation que les Diacres
peuvent administrer solennellement le Baptême. Dans
le cas de nécessité, ils doivent être préférés, par res-
pect pour leur ordre, à tout autre ministre.
Calvin, dans son Institution, (Lib. iv., cap. 15 §20,21
et 22.) enseigne que, même dans le cas de nécessité
extrême, il n'est permis de baptiser qu'à ceux qui sont,
dans l'Église, les ministres ordinaires des sacrements.
Cet enseignement est contraire à toute la tradition.
Nous voyons, dans les Actes des Apôtres, le Diacre
Philippe baptiser l'eunuque vers lequel l'Esprit-Sain*
l'envoie, le laïque Ananie baptiser saint Paul. Tertul-
lien affirme le droit des laïques: « Alioqui et laïcis
jus est baptizandi.» (Lib. De Baptismo.) Saint Jérôme
dit formellement que, dans le cas de nécessité, tout
laïque peut baptiser : «Baptizare, si nécessitas cogat,
scimus etiam lieere laïcos. » (Dialog. Cont. Luciferia-
nos.) Dans ce cas, la femme elle-même n'est point ex-
clue : « Mulier baptizare non prœsumat, nisi neces-
sitate cogente. » (Coneil. Carthag. iv. can. 100.)
Les Rebaptisants voulaient qu'on donnât de nou-
veau le Baptême à ceux qui l'avaient reçu des héréti-
ques. Cette erreur fit grand bruit au troisième siècle.
Firmilien, évêque de Césarée, enCappadoce, et quel-
ques évêques d'Asie, saint Cyprien, à la tête d'un
assez grand nombre d'évêques d'Afrique, la sou-
tinrent avec opiniâtreté. Elle avait été introduite
en Afrique par Agrippin, un des prédécesseurs
de saint Cyprien, dont saint Vincent de Lerins
dit : « Ce fut le premier des mortels qui
pensa que l'on devait rebaptiser : Primus omnium
314 INDEX
mortalium rebaptizandum censuit. » (Commonitor.)
En effet, toute la tradition protestait contre les Rebap-
tisants. Le Concile de Nicée avait approuvé le Bap-
tême des hérétiques, excepté celui des disciples de
Paul de Samosate qui altéraient la forme du sacre-
ment. (S. Aug., Lib. IL De Baptismo, cap. 3. 4. 5. 7. 9,)
« Synodus quoque Nicœna omnes hœretieos suscipit,
exeeptis Pauli Samosetani diecipulis. » (S. Hieronym.
Dialog. Contra Luciferianos.)
Au nom de cette tradition, le pape Etienne résista
aux novateurs et menaça de les séparer de sa com-
munion. Ils lui répondirent par des lettres violentes.
Firmilien s'oublia jusqu'à accuser le Souverain Pon-
tife de démence. N'y eut-il pas un malentendu de leur
part? Ne conclu rent-ils pas du rescrit de saint Etienne,
qui ne distinguait pas assez des autres hérétiques
ceux qui altéraient la forme du sacrement, que le Pape
approuvait tout espèce de Baptême. Certains critiques
le pensent. Mais encore eurent-ils tort de résister
comme ils le firent à la souveraine autorité
Les protestants louent hautement leur obstination,
et y trouvent un argument contre* la primauté du
souverain pontife. Mais, en lisant attentivement les
écrits des Rebaptisants, il est facile de se convaincre
qu'ils ne contestent point au Pape sa succession à la
primauté de Pierre; qu'ils ne lui disputent point la
première place dans l'Église ; qu'ils ne l'accusent
point enfin d'usurper une autorité qui ne lui appartient
pas, mais seulement d'en faire un mauvais usage.
Saint Cyprien persévéra-t-il dans sa résistance,
jusqu'à l'heure où le martyre lui permit d'expier son
erreur ? Ce n'est point le sentiment de saint
Augustin, qui' affirme que ce grand évêque s'est
rétracté. (Epist.ad Vincent. )Sai\nt Jérôme dit, même,
que les évêques qui avaient partagé son erreur cédé-
INDEX 315
rentà l'autorité du souverain Pontife. (Dialog. Cont.
Luciferianos.)
L'erreur des Rebaptisants fut condamnée par le pre-
mier Concile de Carthage, (can. 2.) par le premier
Concile d'Arles, (can. 8.) par le Concile de Constance,
(Sess. 8.) et, enfin, par le Concile de Trente dont voici
le canon : « Si quis dixerit baptismum qui etiam da-
te tur ab haereticis innomme Patris, et Filii, et Spiritus
« Sancti, cum intentione faciendi quod facit Ecclesia,
non esse verum baptismum; anathema sit.» (Sess. VII.
can. 4.)
Remarquons que lesRebaptisants.n'enseignaient pas
que le Baptême, valideraient reçu puisse être réitéré;
mais ils considéraient le Baptême des hérétiques
comme invalide, paFce que ceux qui offensent la foi
chrétienne par leurs erreurs ne pouvaient pas,
croyaient-ils, être ministres du sacrement de la foi.
SOIXANTE-CINQUIÈME CONFÉRENCE
(Voyez première partie : Baptême des enfants juif l
et infidèles.)
Scot et son école ont enseigné qu'on pouvait bapti-
ser les enfants des juifs et des infidèles malgré leurs
parents. Les raisons qu'ils en donnent sont plus sub-
tiles que solides et ne sauraient prévaloir contre la
coutume de l'Église. « C'est cette coutume, dit saint
Thomas, qui doit nous servir de règle, parce qu'elle
est pour tout chrétien la suprême autorité: Maxirnam
habet auetoritatem Ecclesiœ consuetudo, quœ semper
est in omnibus œmulanda. Les plus grands docteurs
s'effacent devant cette autorité. Si le Baptême forcé
eût été conforme à la raison, les maints évêques qui
316 INDEX
vécurent dans la familiarité des princes, comme
saint Sylvestre près de Constantin, saint Ambroise
près deThéodose,n'eussentpasmanquédele demander
et de le pratiquer. Mais l'intérêt de la foi et Je droit
naturel s'y opposent. » (Summ. TheoL, IIa IIœ P.,
quaest 10. a. 12.)
Remarquons cependant que le Baptême donné illici-
tement à un enfant juif ou infidèle, malgré l'opposi-
tion de ses parents ou à leur insu, est valide, et que,
dans ce cas, l'-tLglise peut faire valoir ses droits, au-
tant qut; cela est possible, pour prévenir le péril de
l'apostasie.
Il y a même des cas où le Baptême est non seule-
ment valide mais, encore, licite. C'est lorsque l'un des
parents se convertit à la foi et demande que l'on bap-
tise ses enfants. Son droit prévaut sur celui de son
conjoint, et l'on peut ne pas tenir compte de l'opposi-
tion de ce dernier, pourvu toutefois, disent les théolo-'
giens, que « cette opposition ne menace pas de boule-
verser l'ordre de la famille : Modo tamen nullum sub-
versionis periculum a contradicente immineat. »
Pareillement, les parents qui abandonnent ou ven-
dent leurs enfants perdent sur eux leurs droits, ce
n'est pas leur faire injure que de pourvoir au salut de
ceux dont ils se séparent volontairement.
Dominique Soto et François Sylvius pensent qu'un
enfant juif ou infidèle, en péril de mort, peut être bap-
tisé à l'insu de ses parents, car il n'y a alors ni dan-
ger pour la foi, ni injure faite à l'autorité des parents,
dont le domaine va cesser avec la vie de l'enfant. Ce
sentiment est plus que probable dit Contenson, veri-
iimillima est hœc sententia.
On n'en peut pas dire autantdel'opinion de Durand,
de Sylvius et de Gonet,qui affirment qu'on peut bap-
tiser, malgré leurs parents, les enfants des esclaves.
INDEX
31?
Saint Thomas est d'un avis contraire, parce que, dit-il,
l'esclavage ne détruit ni l'ordre de la nature ni la
puissance paternelle. (IIa II80 P., quaest. 18. a. 12.
ad. 2.)
(Voyez ibid: Baptême des enfants.)
Les Pélagiens furent les premiers adversaires du
Pèdobaptisme. D'après leur doctrine, l'homme n'ayant
aucun besoin de la grâce, puisque sa nature est origi-
nairement pure et munie de toutes les puissances né-
cessaires au salut, le Baptême devenait inutile. Les
enfants étaient sauvés sans lui, en vertu de leur inno-
cence, les adultes, en vertu des actes accomplis par les
seules forces de la nature.
Les évêques d'Afrique s'émurent des prédications
de Pelage, déjà dénoncé au saint siège. Ils s'assem-
blèrent à Milève, (116.) condamnèrent ses erreurs,
entre autres celle qui regarde le Baptême des enfants,
et déférèrent sa cause au pape Innocent I, qui,
l'année suivante, priva l'hérésiarque et son disciple
Célestin de la communion de l'Eglise.
Pelage poussé à bout par ces paroles de Notre Sei-
gneur : « Quiconque ne renaît point de l'eau et de
l'Esprit-Saint ne peut entrer dans le royaume de Dieu,»
fut obligé d'admettre qu'en effet les enfants ne pou-
vaient pas entrer, sans le Baptême, dans le royaume
de Dieu, mais ils obtenaient quand même la vie éter-
nelle : Dieu ne pouvant les damner puisqu'ils sont
sans péché. Le Baptême leur était donc utile pour être
adoptés, mais non point nécessaire pour être sauvés. On
ne devait point,en somme, s'inquiéter de leur sort s'ils
en étaient privés. C'était autoriser, sur ce point, une
coupable indifférence, justement condamnée par
l'Église.
On compte encore, dans les premiers SïèAles, les
318 INDEX
Novatiens,\es Catapîirygienset les Dona liste*, parmi
les adversaires du pédobaptisme.
Les Pétrobrusiens étaient disciples de Pierre de
Bruys, hérétique né en Dauphiné, qui enseigna ses
erreurs vers 1100, et dont la secte se répandit dans les
contrées méridionales de la France. Ils niaient que le
Baptême fût nécessaire et, même, utile aux enfants,
avant l'â^e de raison, parce que, disaient-ils, c'est ta
foi actuelle qui nous sauve dans ce sacrement.
Ils furent réfutés par Pierre le Vénérable dans un
ouvrage qu'il écrivit contre eux, et par les virulentes
prédications de saint Bernard.
Quelques théologiens attribuent aux Apostoliques
l'erreur contre laquelle nous avons cité l'autorité de
saint Bernard. Nous ferons remarquer que les Apos-
toliques, qui eurent pour père Segari ou Segarelli, né
à Parme et brûlé vif en 1300, ne firent leur apparition
qu'un siècle environ après la mort de saint Bernard.
(1153). Il n'est pas possible qu'il les ait réfutés. On
peut croire, cependant, que les Pétrobrusiens, adver-
saires du pédobaptisme au douzième siècle, invoquèrent
l'exemple de<$ Apôtres, qui demandaient la foi aux adul-
tes qu'ils baptisaient, et que, généralisant dans tous les
temps ce qui se faisait et devait se faire aux premiers
jours de la prédication évangéli^ue, ils exigèrent du
baptisé une profession de foi, et s'appefèrent apos-
toliques, pour couvrir d'un nom respectable leur pré-
tention contraire à la coutume de l'Église universelle.
Les Vaudois et les Albigeois professèrent l'erreur
des Pétrobrusiens.
Les Sociniens se moquaient,, comme les hérétiques
du douzième siècle, du Baptême des enfants: «Ils n'é-
taient pas plus capables, disait l'un d'entre eux. de
devenir disciples du Christ que les perroquets et au-
tres volatiles: Infantes recens natos discipulos Christi
INDEX 319
fierl tam eredibile est quam psittacos et reliquat»
aces. » (Smelcius., lib. V. Theol. Christi, cap. 68.)
Les Anabaptistes furent plus sérieux, ils discu-
tèrent.
On attribue la paternité de cette secte à Carlostdad
ou à Zwingle, mais, selon l'opinion la plus commune,
elle doit son origine à Thomas Muncer de Zwican,
en Misnie,et à Nicolas Storchon. Pélargue, natif de
Stalberg, en Saxe. Ils avaient été tous deux disciples
de Luther. L'interprétation libre de la lettre des
Saintes Écritures leur parut insuffisante pour réformer
la religion, il fallait une révélation. Ils se posèrent en
iuspirés, et communiquèrent leur fanatisme à la
secte.
Ce fanatisme produisit ses fruits. Les Anabaptistes
devenus nombreux prirent les armes et s'emparèrent
de Munster, où ils soutinrent un siège sous la conduite
d'un tailleur d'habits, Jean de Leyde, qu'ils nommèrent
leur roi. La ville fut reprise par le prince Evèque, et
Jean de Leyde ainsi que son confident Kwisperdollin
périrent dans les flammes.
Mais ces hérétiques savaient guerroyer autrement
qu'avec l'épée et le feu.
Ne pas baptiser les enfants avant l'âge de discré-
tion ; leur donner, de nouveau, le Baptême à cet âge,
s'ils l'avaient reçu, parce que tout chrétion doit être
en état de rendre compte de sa foi pour recevoir vali-
demçnt le sacrement de la régénération : telle était
leur thèse principale.
A l'appui de cette thèse, ils accumulèrent les ar-
guments. On peut en lire l'exposéet la réfutation dans
le Traité du Baptême de Bellarmin (chapitre XI).
Le savant controversiste suit pas à pas les trente-six
arguments des hérétiques, lesquels sont empruntés
presque tous à l'Ecriture. En peu de mots, il eu fait
320 INDEX
bonne justice. La plupart, du reste, ne reposent 4ue
sur de pures subtilités d;interprétation.
Le concile de Trente avait en vue les Anabaptistes,
dans les deux canons 12 et 13 que nous avons
cités plus haut. (voy. notes de la conférence.)
Tout le monde connait YEmile de Jean-Jacques
Rousseau. Dans ce roman moral où il a déployé tous
les charmes de son style, l'illustre sophiste pousse à
fond le principe protestant du libre examen. Rien ne
doit prévenir le jugement souverain de la raison en fait
de religion. L'enfant doit être entièrement abandonné
au libre épanouissement de sa nature, jusqu'à l'âge où
il devient capable de prendre une décision. 11 lui ap-
partient alors de se prononcer, et il le fera d'autant
mieux que son jugement ne sera troublé par aucun
préjugé d'éducation.
Nos modernes libres penseurs n'ont rien inventé de
plus radical. Ils ont oublié, comme le philosophe de
Genève, que, dans le libre épanouissement de la nature,
les mauvais penchants se développent et s'affermissent,
et qu'il est trop tard de leur proposer un joug quand
ils sont devenus les maîtres. Leurs systèmes ne peu-
vent enfanter qu'une race malsaine et perverse. Nous
n'avons pas besoin d'attendre qu'ils aient produit leur
fruit, pour être convaincus que le Baptême et l'éduca-
tion chrétienne, à laquelle il donne droit, valentmieux
que toutes les rêveries pédagogiques de la libre pen-i
sêe.
VI
SOIXANTE-SIXIÈME CONFÉRENCE
Voyez lre Partie : {Nature, institution et effet du sa-
crement de Confirmation. )
Les Nooatiens, ainsi que le rapporte Tîiêodoret,
1WDE* 321
(Lib. 3. De hœreetic. fabulis.) rejetaient le sacrement
de Confirmation. C'est pourquoi les souverains Pon-
tifes ordonnèrent de confirmer tous ceux qui, venant
de cette hérésie, demandaient à entrer dans le giron de
l'Eglise: «Novatiani. . . iis, qui ab ipsis tinguntur
« sacrum chrisma non prœbent, quocirca eos qui ex
« hac hœresi corpori Ecclesiee conjunguntur, bene-
« dicti Patres ungi jusserunt.» La suppression du sa-
crement de plénitude et de perfection n'avait pas d'au-
tre raison que l'exemple et l'ordre de Novatien, qui,
n'ayant point été confirmé et voulant faire taire les
reproches des catholiques, nia la nécessité de la Con-
firmation.
Les Vaudois. suivirent l'exemple des Novatiens.
(Eneas Sylv., Hist. Bohem. cap. 35.)
Wiclef, sans nier absolument l'institution de ce sa-
crement, prétendait qu'il était impossible de la prouver
par l'Ecriture, que le droit de confirmer, réservé aux
Evêques, avait été introduit par le diable, enfin que
l'usage du saint Chrême était inutile.
Les Protestants, dans l'assemblée de Leipsik tenue
en 1548, confessèrent l'existence des sacrements; mais
cette confession fut bientôt désavouée par la plupart
de leurs docteurs, qui, à l'exemple des patriarches de la
réforme, rayèrent la Confirmation du nombre des sa-
crements et la réduisirent à la condition d'une pure
cérémonie.
On ne voit pas, en effet, à quoi pouvait servir un
sacrement de plénitude et de perfection, si l'on consi-
dère les effets qu'ils attribuaient au Baptême.
Calvin, épousant l'erreur de Jovinien, enseignait
que le baptisé ne pouvait plus pécher. Comme l'hé-
résiarque qu'avait refuté saint Jérôme, il invoquait ces
textes de l'Ecriture : c Celui qui est né de Dieu de-
meure en lui, et Une peut pécher parce qu'il est né
CONFÉKENCES N.-D. — CARÊME 1883. — 21
322 INDEX
de Dieu: Omnis qui natus est ex Deo peccatum non
facitj quia semen ipsius in eo manet, et non potest
peeeare quoniam ex Deo natus est.* (I Joan., cap. ni,
9.) t Celui qui est né de Dieu ne pèche pas, parce que
la vie qu'il a reçue de Dieu le conserve : Qui natus
est ex Deo non, peccat, sed generatio Dei conservât
eum. » (IV. Joan., cap. 18). En lisant attentivement
l'Epitrede saint Jean, d'où ces paroles sont tirées, od
peut se convaincre qu'elles doivent s'entendre dans
un sens composé, comme celles-ci : t Un bon arbre
ne peut produire de mauvais fruits. » Assuré-
ment, tant qu'il reste bon arbre. Saint Jean veut sim-
plement montrer que la justice et la charité ne peu-
vent subsister avec le péché, et que celui qui pécha
n'est plus un juste.
Luther, imitant les hérétiques que réfuta saint Au-
gustin au vingt-et-unième livre de la Cité de Dieu,
(chap. 35.) prétendait que les baptisés ne pouvaient
perdre la grâce que s'ils ne voulaient plus croire, l'in-
fidélité seule étant un péché damnable; que, par con-
séquent, on pouvait commettre tous les crimes, et être
sauvé, pourvu qu'on ne perdit pas la foi. Le Concile
de Trente a condamné cette monstrueuse immora-
lité en ces termes : « Si quis dixerit baptizatum non
»posse,etiam si velit, gratiam amittere, quantumcum-
»que peccat, nisi nolitcredere; anathema sit. » (Sess.
VII, De Baptismo. can. 6.)
Investi de l'impeccabilité par le Baptême, l'homme
devait être nécessairement affranchi du joug de toute
loijpourvuqu'ilcoQservâtlafoi.Nonpasque le Baptême
abrogeât toutes les lois, mais parce que les péchés
contre une loi quelconque ne sont point imputés à
celui qui a la foi, et parce que le salut ne dépend pas
de l'accomplissement de tel ou tel précepte, mais de
la miséricorde de Dieu, que la foi s'approprie.
INDEX 323
Donc, plus de loi divine, plus de loi ecclésiastique,
plus de vœux. La liberté chrétienne, dans laquelle
l'homme régénéré entre parle Baptême, ne reconnaît
plus d'autre obligation que celle de croire ; de tout le
reste elle est affranchie : « Nullo opère, nulla lege,
• christiano homini opus est, cum per fidem liber sitab
» omnilege.» (Luther., lib. De libertate christiana.) L'art
suprême, la sagesse du chrétien est l'ignorance de la
loi, des œuvres et de toute justice active. «Summaars
» et sapientia christiana est nescirelegem, ignorare
» opéra, et totam justitiam activam. » (id. Argum, in
Epist ad Galatas.)
Les protestants ont essayé d'adoucir le sentiment
de Luther, mais sa doctrine, trop brutalement claire,
résiste à leurs interprétations émollientes. Le Con-
cile de Trente l'a justement condamnée, en ces trois
canons vengeurs de la loi chrétienne, d^s préceptes
de l'Église, et des vœux :
« Si quis dixerit, baptizatos per baptismum ipsum,
» soliustantum fîdei debitores fieri, non autem univer-
» sse legis Christi servandee; anathema sit. »
« Si quis dixerit, baptizatos liberos esse ab omni-
»bussanctœ Ecclesiae prseceptis, quee vel scriptavel
» tradita sunt, ita ut ea observare non teneantur, nisi
»sua sponte illis submittere voluerint ; anathema sit.»
« Si quis dixerit, ita revocandos esse homines ad
» baptismi suscepti memoriam, ut vota omnia, quœ
» post baptismum fiunt, vi promissionis in baptismo
» ipso jam factœ, irrita esse intelligant, quasi per ea,
» et fldei, quam professi sunt, detraha^ur, et ipsi
» baptismo; anathema sit. » (de Baptismo.)
On comprend aisément que les protestants., après
avoir donné au Baptême une si monstrueuse puis-
sance; «tient rejeté la Confirmation comme superflue.
Cependant, pour ne pas rompre tout à fai avec les
324 INDEX
usages chrétiens, ils inventèrent une Confirmation à
leur manière ; mais ce n'était plus un sacrement,
c'était une simple cérémonie.
Kemnitius décrit ainsi l'ordre et l'économie de la
Confirmation luthérienne. (Examen, Il pa.r t., pa.g. 320).
1° Lorsque les enfants baptisés sont arrivés à l'âge de
discrétion, on doit les présenter à l'évêque, qui les
admoneste et leur rappelle ce qu'ils ont reçu et ce
qu'ils ont promis dans leur Baptême. 2° Les enfants
doivent réciter publiquement leur profession de foi.
3° On les interroge sur les principaux points de la
doctrine chrétienne et ils doivent répondre aux ques-
tions qui leur sont faites. 4° On les avertit que, pai
leur profession de foi, ils se séparent des païens, des*
hérétiques, des fanatiques et des profanes. 5° On les
exhorte gravement à garder leur profession de foi e'
à s'y conformer par la persévérance et le progrès.
6° On fait une prière publique pour eux afin que Dieu,
par son Esprit-Saint, les dirige et les confirme dans
a foi; à cette prière, on peut ajouter l'imposition des
mains.
Un autre genre de confirmation a été imaginé par
Erasme. (Prœf. paraph. in Matthœum.) Il consiste
en ceci : Interroger les adolescents, leur demander
s'ils consentent à ratifier les promesses qui ont été
faites par eux au Baptême ? — Si oui, leur Baptême
est confirmé, ils sont engagés à la foi et à la vie
chrétienne; si non, on doit les laisser libres.
Cette erreur a été chaudement patronnée par un
philosophe anonyme qui, s'inspirant des apologies de
la libre pensée, bruyamment éditées par Rousseau et
Fréret, appliqua leurs principes aux enfants baptisés.
Controverse pacifique sur l'autorité de V Eglise oti
Lettres de M. D. C. à Véoêque du P... (du Puy) aurr.
les réponse* de ce prélat.) Elle suppose, en définitive,
INDEX
325
rçue le Baptême n'engage à rien, à moins que nous ne
1e confirmions par une libre adhésion de notre volonté.
Ce qui est contre toute raison.
Quiconque entre dans une société, pour jouir des
bénéfices de son incorporation, doit en prendre les
charges. On ne demande pas à un enfant arrivé â
Vkge de discrétion s'il veut se soumettre aux lois de
la société civile dans laquelle il est entré par sa
naissance, ni s'il veut continuer les traditions d'hon-
neur de la famille à laquelle il appartient. Il est saisi
par ces lois et ces traditions à l'heure même où il
devient citoyen et enfant d'une famille. Il en est de
même pour le baptisé. Lui demander de ratifier les
promesses faites pour lui à son Baptême, c'est lui
imposer l'obligation d'examiner à fond tous les motifs
de ses croyances, par conséquent, ne point tenir
compte de l'habitude de la foi qu'il a reçue, tenter
l'impossible, oublier que tous les motifs de nos
croyances se concentrent dans la majestueuse et
infaillible autorité de l'Église, supposer, enfin, que
l'enfant n'appartient à aucune société religieuse, bien
qu'il ait été incorporé à la société divine qui lui pro
met la félicité éternelle, en récompense de sa foi et de
ses bonnes œuvres.
Le Concile de Trente a vengé l'honneur du sacre-
ment de l'Église et du sens commun, en définissant
qu'on ne doit point demander aux adolescents la rati-
fication des promesses baptismales, et qu'on a le droit,
g'ils refusent cette ratification, de ne point les aban-
donner à eux-mêmes et de leur imposer d'autres
peines que la privation des sacrements : « Si quis
» dixerit parvulos baptizatos, cum adoleverint, interro-
» gandos esse, utrum ratum habere velint quod pa-
» trini eorum nomine, dum baptizarentur, polliciti
« sunt, et ubi se nolle responderint, suo arbitrio re-
326 INDEX
» linquendos, nec alia intérim pœna ad christianam
> vitam cogendos, nisi ut ab Eucharistiœ aliorumque
» sacramentorum perceptionearceantur,donecresipis*
» cant; anathema su. » (Sess. VII., De baptiëmo.
can. 14.)
2° Nous avons dit, dans l'Index de notre soixante et
unième conférence, qu'il fallait rejeter comme une
erreur condamnable l'opinion d'Alexandre de Haies,
qui prétend que le sacrement de Confirmation a été
institué par l'Église dans un Con3ile de Meaux, ainsi
que l'opinion des théologiens qui affirment absolu-
ment que plusieurs sacrements ont été institués par
Ves Apôtres. Ces opinions sont contraires à la défini-
tion du Concile de Trente. Le sacrement de Confir-
mation, comme tous les autres sacrements, a été ins-
titué par Jésus-Christ :« Sacramentel omnia... a
J. C. D. N. instituta. >
Mais, comment? Est-ce médiatement ou immédia-
tement? Pierre Lombard, Hugues de Saint-Victor,
saint Bonaventure, tiennent pour l'institution mé-
diate, le plus grand nombre des théologiens pour
l'institution immédiate. Nous nous sommes expliqués
plus haut à ce sujet. (Index de la 61e conf.)
Quant à l'époque de l'institution il est difficile de la
fixer. L'Ecriture ne nous donne, sur ce point, aucune
indication précise.
Canisiu8 pense que Jésus-Christ a institué la Con-
firmation lorsqu'il imposa les mains aux enfants qui
lui étaient présentés par leurs parents. (Matth., c.XIX.
Marc. X.) D'autres, que ce fut après la résurrection,
quand il dit à ses Apôtres: « Recevez l'Esprit-Saint. »
(Joan., cap. xx). Saint Thomas, quand il promit de
leur envoyer le Paraclet. « Dicendum est quod Chris*
« tua institua hoc sacramentum non exhibendo. iad
INDEX 327
» promittendo, secundum illud Joan., XVI : Si non
m abierOj Paraclitus non veniet ad vos. » Le pape
Fabien, dans sa 2° Epitre aux Evêques orientaux,
affirme que Notre-Seigneur, après la cène et le lave-
ment des pieds, apprit à ses disciples la consécration
et l'usage du saint Chrême : c'est, dit-il, une tradition
que nos prédécesseurs ont reçue des saints Apôtres.
» In illa enim die Dominus Jésus, postquam cœnavit
» cum discipulis suis, et lavit eorum pédes (sicut a
» sanctis apostolis prsedecessores nostri acceperunt
» et nobis reliquerunt), chrisma conficere docuit. »
Cette affirmation nous parait respectable. Elle n'a
point tranché, cependant, la question controversée de
la matière et de la forme du sacrement de Confirma-
tion.
Il y a, sur ce point, plusieurs opinions. IsaacHabert,
Sirmond, Sainte-Beuve, Herminier, pensent que la
matière essentielle et adéquate du sacrement consiste
dans la seule imposition des mains. Saint Thomas,
Bellarmin, Maldonat, Vanroy, Morin, dans la seule
onction du saint Chrême. Quelques-uns considèrent
l'imposition des mains et l'onction, prises séparément,
comme une matière pleinement suffisante. Enfin,
Noël Alexandre, Louis Habert, Drouin , Tournely et
presque tous les théologiens modernes enseignent
que l'imposition des mains et l'onction doivent être
unies, et sont essentielles à la matière du sacrement.
Cette dernière opinion nous paraît la plus solide,
©lie est aussi la plus commune, et, dans la pratique, la
plus sûre et la seule que l'on puisse suivre.
Mais, de quelle imposition des mains s'agit- il? Est-ce
de celle qui se fait les mains étendues et que l'Évêque
accompagne de la prière : Omnipotens sempiternê
Deus etc.. en appelant l'Esprit-Saint et ses dons, ou
de celle qui accompagne l'onction 1 Les anciens théo-
328 INDEX
logiens, qui distingent l'imposition des mains de l'onc-
tion, désignent évidemment la première.
Cependant, Benoît XIV (Lib. XIII. De Synod. cap-
19.) ne la considère pas comme essentielle. La raiso >.
qu'il en donne, c'est que l'Evêque ne la répète pas sur
ceux qui se présentent à la Confirmation quand elle
est faite.
Quand a la forme du sacrement, la seule qui s«
trouve dans tous les sacramentaires, dit Martène, est,
pour les grecs : Signaculum doni Spiritus Sancti :
IÇpayls Z'jûpsàs irvevfxaTOs àyiov\ pour les latins: Signo
te signo cruciSj confirmo te chrismate salutis in
nomine Patris, etc,
L'oraison Omnipotens sempiterne Deus, etc.. est
placée tantôt avant, tantôt après l'onction. Dans quel-
ques sacramentaires elle est omise.
Le Concile de Trente n'a rien défini sur ces ques-
tions. Il s'est contenté d'aDathématiser l'erreur des
Wiclefistes, qui prétendaient qu'on fait injure à l'Es-
prit-Saint en attribuant une vertu au saint Chrême:
« Si quis dixerit injurios esse Spiritui Sancto eos qui
t sacro confirmationis chrismati virtutem aliquam
«. tribuunt; anathema sit. » Toutefois, l'admirable ca-
téchisme,dont les auteurs se sont inspiré de l'esprit et
des définitions du Concile, assigne à la Confirmation,
comme matière, l'onction du saint Chrême, comme
forme, les paroles: èigno te etc...
(Voyez 2me Partie: Ministre de la Confirmation).
Photius, Wiclef, les Vaudois, ont attribué à tcus
les prêtres le pouvoir ordinaire de donner la Confirma-
tion.
Toute la tradition proteste contre cette erreur Nous
lisons dans les Actes que le pouvoir de donner l'Esprit
Saint par l'imposition des mains est réservé aux seuls
INDEX
329
Apôtres. L'exemple d'Ananie, invoqué par Wiclef, ne
prouve rien, car l'imposition des mains qu'il fit sur
l'apôtre saint Paul avait pour but de lui rendre la vue,
et non de lai donner le Saint-Esprit. Les décrets des
Papes et des Conciles désignent tous l'Évêque comme
ministre ordinaire du sacrement de plénitude et de
perfection. Saint Urbain, dans sa Lettre décrétale, dit
que « les fidèles doivent recevoir des Évêques l'impo-
sition des mains pour devenir parfaits chrétiens : Om-
nes fidèles per manuum impositionem episeoporum
Spiritum Sanctum post baptismum aceipere debent,
ut pleni christiani inveniantur. » Le Pape Eusèbe
Epist. 3.) enseigne que « le sacrement de l'imposi-
tion des mains ne peut être administré que par ceux
qui ont reçu la plénitude du sacerdoce : » Manus im-
» positionis saeramentum. . . ab aliis perfiei nonpotest
» nisi a summis sacerdottbus . » Le Pape Innoncent I
Epist. I. ad DeeentCum, cap. 3.) distingue entre l'onc-
tion que fait le prêtre sur la tête des baptisés et celle
qui se fait sur le front de ceux qui veulent recevoir le
Saint-Esprit, cette dernière est réservée aux Évêques:
« Solis debetur episcopiscwn tradunt Spiritum Sa/ic-
» tum Paraclitum. »
Le Concile de Trente a défini le droit et le pouvoir
des Évêques en ces termes : « Si quis dixerit sanctœ
» confirmationis ordinarium ministrum non esse so-
» lum Episcopum, sed quemvis simplicem sacerdo-
» tem ; anathema sit. » (Sess. VIL De confirmai ioniê
sacramento, can. 3.)
Une faut point outrer cette définition et croire, avec
Estius et quelques théologiens gallicans, que le pou-
voir des évêques, en ce qui regarde la Confirmation,
leur soit tellement propre qu'il ne puisse être commu-
niqué. Saint Thomas enseigne expressément le con-
traire. {Summ. Theol.y III. P., quœst 72. ail. ad 1.)
330 INDEX
« Le Souverain Pontife, dit-il, possédant dans l'Église
la plénitude de la puissance, a le droit de confier aux
ordres inférieurs certaines choses qui appartiennent
aux ordres supérieurs : — Papa m Ecclesia habet ple-
* nitudinem exqua potest quœtiam, quse suntsuperio-
» rum ordinum,committere quibusdam inferioribus. »
De fait, les Papes ont accordé plusieurs fois aux
prêtres missionnaires de la Palestine, et surtout de
l'Inde où les Evêques sont rares, le pouvoir ue con-
firmer, ainsi que le rapporte Benoit XIV. (De synodo.,
Lib. 7. cap. 7. § 4 et seq.) Je ne crois pas, dit le P Pé-
roné, qu'on puisse douter de cette communication de
pouvoir, sans encourir la note de témérité : « Nonsatis
intelligitur, quomodo absque aliqua temeritatis,
nota, possint theologi orthodoxi id in dubium reoo-
care. (Tract. De confirmations., cap. h). Contensonest
plus indulgent. Il propose les arguments de ceux qui
prétendent que le pouvoir des Evoques leur est telle-
ment propre que, dans aucun cas et par aucune dis-
pense, il ne peut être confié aux simples prêtres. Ces
arguments lui paraissent extrêmement graves : gra-
vissima, et donnent, à l'opinion qui les invoque, une
assez forte probabilité, « non mediocris probabilitas . »
Cependant, il les combat, et tient pour le sentiment
de saint Thomas.
Le P. Morin est daii* i erreur quand il affirme, avec
Holstein et Sirmond, que le pouvoir de confirmer fut
autrefois donné aux Diacres. Moreli, son éditeur, et le
P. Coustant démontrent facilement que, dans le texte
du Pape Innocent I (Epist. ad. Decentium), sur le-
quel s'appuie cette opinion, et où il est fait mention
d'une imposition des mains donnée par les prêtres
et autres clercs, il ne s'agit nullement du sacrement
de Confirmation, mais d'une simple cérémonie em-
ployée dan» la réconciliation des pécheun. Du re§te(
INDEX 331
■ qui prouve trop ne prouve rien. » D'après le texte cité,
ce ne serait pas seulement au diacre, mais à tous les
autres clercs que le pouvoir de l'Evêque serait corn-
municable : « Ut autem fiât episcopi est imperare, ut
1 manus ei vel a presbytero vel a eeetens clencis im
ponatur. » (cap. VI. a. &.
TABLE
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
SOIXANTE ET UNIÈME CONFÉRENCE
LA NATURE DES SACREMENTS
Après les lois extérieures du gouvernement de
Jésus- Christ, les lois intimes. — Effusion de ia
grâce. — Toute grâce est devenue la grâce de Jésus-
Christ. — Il a décrété l'union de l'action intime de
son gouvernement avec son action extérieure, et en a
fait la soudure dans des signes sensibles, qu'on ap-
pelle: Sacrements. — On traite dans cette conférence
de la nature des sacrements. — Diverses notions et
définitions du sacrement ; on peut les résumer en
trois mots : Le sacrement est 1* un signe certain,
2° un signe sacrosaint, 3° un signe efficace de la
grâce, — I. Le sacrement est un signe certain,
parce qu'il a été déterminé par Dieu lui-même. — In-
tervention de Dieu dans l'institution des sacrements
de l'ancienne loi. — Sacrements des religions anti-
ques ; conclusions qu'en tire le rationalisme ; réfu-
tation. — Le protestantisme rejette une partie de nos
sacrements. — Comment on prouve, contre lui, leur
institution divine. — II. Le sacrement est un signe
sacrosaint. — Signes sacrés, qui, dans la nature et
dans l'Église, nous rappellent Dieu, ses perfections,
ses bienfaits. — Le sacrement condense, en un seul
signe, tous les souvenirs éparpillés sur les objets
T\BLE ANALYTIQUE DES MATIERÊ9
sacrés que notre foi vénère. — Il est, d'après saint-
Thomas : 1° un mémorial de ce qui s'est fait pour
notre salut ; — 2° une démonstration de ce qui se fait
en nous par la passion du Christ ; — 3° une prophétie
de notre gloire future. — III. Le sacrement est un
signe efficace. — Erreur du protestantisme touchant
la justification ; conséquemmentà cette erreur, les sa-
crements sont des signes vides et nus; le protestantisme
les réduit au rôle d'un simple avertissement et d'une
simple promesse. — Définitions de l'Eglise contre
cette erreur. D'après l'enseignement de l'Église, les
sacrements sont de véritables causes de la grâce. —
Protestations du rationalisme contre cet enseigne-
ment. — L'efficacité des sacrements n'est un scan-
dale pour lui, que parce qu'il ne connaît pas, ou par-
ce qu'il .connaît mal notre théologie sacramentelle ;
d'après cette théologie, le sacrement n'est qu'uu ins-
trument chargé de la transmission d'un mouvement
divin ; il importe donc peu qu'il soit une grande ou
une petite chose. — Opinions des théologiens touchant
l'opération morale ou physique des sacrements. —
Comment ces opinions sont à l'abri des railleries du
rationalisme et s'imposent à nos respects. — Bien loin
de déparer les sacrements, le mystère de leur efficacité
en relève la beauté et la grandeur ; c'est par ces signes
augustes que l'homme devient un être sacré; sans eux,
il ne sera jamais qu'un profane 3
SOIXANTE-DEUXIEME CONFERENCE.
l'harmonie des sacrements.
Un mot sur la loi du secret touchant les sacrements;
cette loi n>^-V ^>lus; parler publiquement de no*
TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES 337
signes sacrés, ce n'est plus une trahison, c'est le loyal
et nécessaire combat de l'erreur contre la vérité. —
Après avoir défini les sacrements et expliqué leur
nature, on justifie leur institution en montrant leur
harmonie. — La sagesse divine se manifeste par
l'ordre admirable des relations établies entre les
sacrements, le plan divin et notre nature. — Ces re-
lations apparaissent dans les deux choses que la théo-
logie appelle signum et res sacramenii, c'est-à-dire:
1* dans les signes sacramentels eux-mêmes, 2° dam»
les effets qu'ils produisent. — I. Dessein de Dieu dan?
la formation de la société chrétienne. — Nous sommes
un seul corps. — Tout corps suppose un chef qui
l'anime, un chef qui reçoit les impressions de la
masse et communique à la masse ses propres mouve-
ments. — Le chef du corpt «eligieux est Jésus-Christ.
— Comment Jésus-Christ egt visible par son prêtre.
— Le prêtre donne à Dieu les choses sacrées de
l'humanité : la prière, le sacrifice; premier mouve-
ment. — Le prêtre donne à l'humanité les choses
sacrées de Dieu : la vérité et la grâce; deuxième
mouvement. — 1° Comment, pour être assuré de l'ef-
ficacité de son mystère dans la diffusion de la vérité
et surtout de la grâce, le prêtre a besoin de signes
sensibles. — 2° Nous avons besoin nous mêmes du
signe sensible pour être assurés des merveilleux
effets de la grâce dans notre âme, tant est puissant,
dans notre vie mixte, l'empire des sens. — Exemples
et conclusions. — 3° Les signes sacramentels, qui
conviennent à notre nature individuelle , ne con-
viennent pas moins à notre nature collective en tant
que nous sommes membres d'un seul corps religieux.
— Sacrements, signes de ralliement, drapeau de la
fraternité chrétienne. — 4° Comment il était digne de
la sagesse de Dieu d'élever des signes infirmes à la
dignité de signes sacramentels, pour réhabiliter la
nature et accomplir, en nous humiliant, un grand
acte à* justice. — II. Loi de progrès dans le?) oeuvres
CONFÉRENCES N«-Di — CARÊME 1883. — 22
338 TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
di^xaes. — 1* Comment les sacrements de la loi
ancienne sont un progrès sur les sacrements de la loi
de isature ; — comment les sacrements de la loi nou-
velle sont un progrès sur les sacrements de la loi
ancienne, si l'on considère leur efficacité. — 2° Mer-
veilleusement encadrés dans le plan divin, les sacre-
ments de la loi nouvelle sont, par leurs effets, mer-
veilleusement adaptés aux évolutions de notre nature,
aux diverses phases et aux divers accidents de notre
vie : — vie individuelle, vie sociale. — Développe-
ments. — 3° Les sacrements sont aussi parfaitement
rfeythmés entre eux qu'ils sont rhythmés avec notre
nature. — Nombre septénaire t -. 95
SOIXANTE-TROISIÈME CONFERENCE
LES CARACTÈRES SACRAMENTELS
Entre tous les sacrements, il y eû*a qu'on ne renou
velle pas, parce qu'ils opèrent plus profondément, et
qu'une partie, au moins, de leur efficacité est perpé-
tuellement fixée par un signe qui se grave dans l'âme
elle-même et que l'Eglise appelle: le caractère
1° Qu'est-ce que le caractère sacramentel? 2° A quoi
nous oblige-t-il ? — I. Jésus-Christ, les Pharisiens, et
le dénier. — Cujus est imago hœc et superscriptio T
Le caractère est : 1° le signe de la propriété du Christ.
— Titres de Jésus-Chrst à notre possession: — Créa-
tion, — donation, — rédemption, — incorporation,
— Si le propriétaire affirme son droit par des signes,
son chiffre, ses armes armes, combien plus Jésus-
CLvist. — Le caractère sacramentel n'est point une
«impie dénomination, une pure relation, m&is ui»e
véritable inscription gravée, dans l'âme humaine «»*•»
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES 339
la pénétrante vertu d'un sacrement qu'on ne ^ent
renouveler. — Doctrine de l'Eglise à ce suje'c. —
2° Enseignement plus intime et plus profond de saint-
Thomas : — Le caractère est une physionomie et une
puissance. — Physionomie configurant, par \x>\e
d'image et de ressemblance, notre trinité créée à la
Trinité créatrice et régénératrice. — Puissance dérivée
de la puissance sacerdotale de Jésus-Christ, — pour
recevoir les choses sacrées, — pour/ témoigner en
faveur des choses sacrées, — pour donner les choses
sacrées. — II. Deux obligations résultent de l'inscrip
tion du caractère: 1* respect du droit de Jésus- Christ
et de notre physionomie divine. — Développements.
— 2° Action de notre puissance sacerdotale. — Déve-
loppements 107
SOIXANTE-QUATRIÈME CONFÉRENCE
LE BAPTEME
Après avoir étudié les sacrements en générai, il
faut étudier chaque sacrement en particulier. — L'or-
dre chronologique d'institution ainsi que l'ordre logi-
que des effets sacramentels appellent d'abord notre
attention sur le Baptême. — On montre dans cette
conférence : 1° Que le Baptême est le sacrement in-
dispensable; 2° que Jésus-Christ a pourvu, avec autant
de bonté que de sagesse, à sa nécessité. — I. On
donne au Baptême différents noms, qui, à première
vue, semblent n'exprimer que ses prodigieux effets,
mais qui, en résumé, nous révèlent son absolne né-
cessité. Il est appelé : régénération, illumination, si
filiation, ouverture du royaume des deux. — l°Pour-
4«W régénération? — Péché originel : comment nous
TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES
avons besoin de renaître dans Tordre surnaturel ;
comment nous renaissons : Le Baptême nous ense-
velit dans la mort féconde du Christ, nous sommes en-
vahis par ses mérites, pénétrés de la vertu de son
sang, la vie divine se précipite en nos âmes pour les
-ègénérer. — Premiers effets du Baptême : purifica-
tion, sanctification, justification, remise de toutes les
{)eines. — Pourquoi, après le Baptême, les peines de
a vie présente? — Réponse de saint Thomas: rien
ne manque à la puissaute virtualité du Baptême! —
2° Le Baptême, en faisant de nous un être nou-
veau, nous munit d'un organisme en rapport
avec notre nouvelle vie. — Ce que c'est que cet
organisme : habitudes divines, dons de l'Esprit saint.
Le Baptême est une fête de lumière. — 3° Membres
d'une société, d'une famille spirituelle, nous devons
en avoir la physionomie ; membres d'un corps social,
nous devons y entrer par l'initiation, et, plus le corps
social tend à l'unité d-ï vie et d'action, plus l'initiation
doit être profondément et fortement scellée. — Phy-
sionomie, initiation par le caractère, notre sigillation
baptismale est, dans les desseins de Dieu, l'indispen-
sable complément de notre régénération et de notre
illumination. — 4° Régénération, illumination, sigil-
lation, tout est ordonné à notre fin dernière, au
royaume des cieux. Donc, sans le Baptême, point de
fcjrnaturelle et éternelle béatitude, point de salut,
point de ciel. — II. Dieu ne nous impose jamais une
obligation, sans donner satisfaction à ses nobles et
touchantes perfections. C'est ce dont il est facile de
se convaincre en étudiant les éléments du sacrement
régénérateur, son administration et la manière dont il
peut être suppléé. — 1° Eléments. — L'eau. Nature
et puissance symboliques de cet élément; — miracu-
leux pouvoir que Dieu lui a communiqué ; — sa sanc-
tification par l'attouchement du Sauveur. — La forme
du Baptême; sa convenance. — Tout est sages**
dans le. choix de ces éléments. — Bonté de Dieu *
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRE6 341
l'eau, signe multiple et merveilleusement expressif
des mystères de notre régénération, est répandue
partout avec une infinie libéralité. — 2° Administra-
tion ; facilité de cette administration ; multiplicité des
ministres. — 3° Si, malgré toutes ses facilités provi-
dentielles, le Baptême est impossible, il peut être
suppléé par le martyre, par le désir. — Baptêmes
d'eau, de sang, de désir, ne sont qu'un seul et même
Baptême. — Difficulté tirée du sort des enfants morts
san* Baptême. — Quelle est leur condition. . . 145
SOIXANTE-CINQUIÈME CONFÉRENCE
LE BAPTISÉ
!1 reste une intéressante étude à faire sur le Bap-
tême, étude qui répond à certaines prétentions et
préoccupations contemporaines. Il s'agit : 1° du
sujet du Baptême. 2° De la grandeur et des droits du
Baptisé. — I. Quel est le sujet du Baptême? — Bap-
tême des adultes. — Baptême des enfants juifs et
infidèles. — Baptême des enfants : Les parents chré-
tiens ont-ils le droit de faire baptiser leurs enfants, et
l'église peut-elle condescendre à leur désir ? — Ad-
versaires du pédobaptisme. — Leur doctrine est une
vieille erreur. — Pélagiens, Pétrobrusiens, Anabap-
tistes, Libres penseurs du dernier siècle. — Elle n'a
pas le sens commun. — La conduite des pères à
l'égard de leurs enfants doit être réglée par ce prin-
cipe : Quand il s'agit du plus grand bien des enfants,
l'amour paternel présume légitimement tous les con-
sentements. — Comment lés parents chrétiens ap-
pliquent ce principe ; comment ils sont, en cela plus
clairvoyants et.plus nobles dans leurs ambitions que
342 TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES
les naturalistes, qui ne sont sensibles qu'à des avan-
tages temporels. — Réponse à cette objection : A
quui bon toutes les complications d'opérations mys-
térieuses et d'effets sacramentels dans une àme d'en-
fei\t, qui n'en a pas conscience et qui ne peut faire
uldge des dons qu'elle reçoit? — IL Grandeur du
Baptisé : — 1° L'enfant baptisé est grand de la gran-
deur du Dieu qui l'engendre à une nouvelle vie. — Il
est véritablement fils de Dieu, fils de bienveillance
et d'adoption. — Supériorité de cette adoption sur les
adoptions humaines ; comment elle nous fait parti-
ciper à la nature divine et nous donne droit à l'hé-
ritage du Christ. — 2° L'enfant baptisé est membre
du Christ. — 3° Il est temple de l'Esprit-Saint. — Sa
grandeur est le fondement de ses droits. — 1° Droit au
respect ; condition des enfants dans l'antiquité ;
transformation opérée par le Baptême. — 2° L'enfant
chrétien a droit à ce qu'on prenne son Baptême com-
me point de départ et comme règle de son éduca-
tion. — Devoirs des parents à cet égard. . . . 193
SOIXANTE-SIXIEME CONFÉRENCE
La Confirmation
Toute vie nouvelle tend à sa plénitude. — Engendrée
par le Baptême, la vie surnaturelle a besoin de croître
et de s'affermir. — Un sacrement de plénitude et de
force achève ce qui a été commencé dans notre régé-
nération spirituelle: c'est la Confirmation. — 1* Vérité
du sacrement de Confirmation et effets de son action
perfective. — 2° A quel office de la vie chrétienne ces
effets sont ordonnés. — I. Fausse grandeur du Baptisé
imaginée par le protestantisme. — Travestissement
du sacrement de Confirmation. — 1° Comment la
TABLE ANALYTIQUE DES MATIERES 343
Confirmation est un véritable sacrement, institué par
Jésus-Christ, pour nous conférer une grâce de per-
fection qui complète en nos âmes les opérations ini-
tiales de l'Esprit-Saint. — Enseignement de la tradition;
doctrine de l'Église à ce sujet. — 2° Effets de la Con-
firmation. — Belle doctrine de saint Thomas sur le
développement de la vie, appliquée à la vie surnatu-
relle. — Les forces perfectives de îa nature ne sont
que de faibles et imparfaites images de la sublime
force qui achève ici-bas les grandes œuvres de
Dieu. — Le Baptême est pour nous motus gênera-
tionis ; le motus augmenti nous est donné dans la
Confirmation par l'Esprit-Saint.— Propre de l'Esprit
Saint : Il est la force perfective. — Ce qu'il fait en
Dieu ; ce qu'il a fait dans le monde historique ; ce
qu'il fait dans nos âmes. — Ses dons ; explications. —
ft. L'Esprit-Saint nous est donné dans la Confirmation
pour nous fortifier : ad robur. Il fait de nous les sol-
dats du Christ. — Etre soldats : voilà l'office auquel
sont ordonnés l'accroissement de vie,, le redoublement
de dons, la singulière physionomie et puissance du
caractère que nous recevons dans le sacrement de
plénitude et de perfection. — 1° Mystère de notre en-
rôlement. — Le déserteur partout reconnu. — Notre
étendard. — Gloire de la grande armée à laquelle
nous sommes incorporés. — 2° Notre devoir : La lut-
te; — contre les persécutions, — contre l'injustice, —
contre les scandales de l'irréligion, — contre le monde,
contre les passions. — Examen de conscience. —
Encouragements 237
INDEX
Index des principales erreurs contraires aux dogmes
exposés dans ce volume .... 281
Imp. Téqui, 3 bta, rue de la Sablière, Paris. — 688-10-24
BX 1751 .M65 v.ll SMC
Monsabre, Jacques Marie Louî
Exposition du dogme
catholique : carême 1873-189
47086050