Skip to main content

Full text of "Extraits des orateurs attiques: traduction française publiée avec des notices et des notes"

See other formats


Google 



This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 

to make the world's bocks discoverablc online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. 

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the 

publisher to a library and finally to you. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automatcd qucrying. 
We also ask that you: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain fivm automated querying Do nol send aulomated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project andhelping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep il légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search mcans it can bc used in any manner 
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite seveie. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders 
discover the world's books while hclping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web 

at |http : //books . google . com/| 



Google 



A propos de ce livre 

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec 

précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 

ligne. 

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 

"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 

expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 

autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 

trop souvent difficilement accessibles au public. 

Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 

du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 

Consignes d'utilisation 

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public cl de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 
Nous vous demandons également de: 

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 

A propos du service Google Recherche de Livres 

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //books .google. com| 



G €)3.6 




HARVARD 
COLLEGE 
LIBRARY 




EXTRAITS 



DKS 



ORATEURS ATTIQUES 

TRADUCTION FRANÇAIS!'] 

plBT.IÉE AVEC DES NOTICES ET f» E S ^OiES 



l»A n 



LOUIS BODIN 

Af]^rë.2rG (les lettres 
Profsteur au coUrf^e Slani^ilas 



De Li-^ufvi. 'h l'iHùct'tir 

PARIS 

LIBRAIRIE HACHETTE ET G'^ 

79. BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 



^ 



• 



/ 



\ \ 



EXTRAITS 

ORATEURS ATTIQUES 






e 03.S 




HARVARD 
COLLEGE 
LIBRARY 







EXTRAITS 



DKS 



ORATEURS ATTIQIES 



TRADUCTION FRANCAISK 



riBLIEE AVEC DES NOTICES ET I»ES NOIES 



I» A l: 



LOUIS BODIN 

Agrâ.^é des lullres 
Profsronr au collrfj^ti Stanislas 



De Li^f.Mt>-i. 'h l'iiiiéf'Kiir 



PARIS 

LIBRAIRIE HACHETTE ET G" 

19. BOUl.EVARD SAÎXT-GBRMAIN, 10 



EXTRAITS 



D£S 



ORATEURS ATTIQUES 



r 
i 






AVERTISSEMENT 



^te traduction n'est qu'en partie nouvelle. 
|iscours de Lysias Contre Eratosthêne, le 
lyrique d'Isocrate, les deux discours d'Es- 
Sur V Ambassade el Contre Ctésiphon, ainsi 
;eux d'Hypéride, sauf le Contre Athéno- 
figuraient dans les Chefs-d'œuvre des Ora- 
Attiques publiés par G. Hinstin (Paris, 
lette, 1888). M. Max Egger, dans sa traduc- 
du. Jugement sur Lysias de Denys d'Halicar- 
|e (Paris, Hachette, 1890), avait également 
lit le Contre Diogiton. Je n'ai pas cru devoir, 
les morceaux empruntés à ces différents 
iours, refaire un travail qui se trouvait déjà 
jet bien fait. Je me suis contenté de revoir de 
près ces traductions, en particulier celles 
linstin, soit pour les mettre au courant des 
îdifîcations apportées au texte, soit pour pré- 
T le sens de certains passages, ou même pour 
proposer une interprétation différente. Des 
iges entières d'Eschine et d'Hypéride ont été 
isi complètement remaniées. 
' J'ai traduit à nouveau tous les autres Extraits^ 
aais non sans mettre à profit les travaux anté- 



Vlll AVERTISSEMENT 

rieurs. Les deux traductions du discours Sur 
l'Écha>i(/efa.t Carlelier (Paris, Imprimerie natio- 
nale, 1862), et du Contre A Ihénogme par M. Théo- 
dore Reinacii {Revun des éludes grecques, t. V] 
m"ont même été plus d'une fois d'un utile 
secours. Je dois enfin une reconnaissance par- 
licuHère à mon excellent maitre, M. Desrous- 
seaiix, qui bien souvent m'a aidé de ses con- 
seils, et â. trois de mes élèves, MM. Bourdon, 
Bousquet et O'Lanyer, en qui j'ai trouvé de 
zéliSs et très précieux collaborateurs. Qu'ils 
veuillent bien accepter ici mes sincères remer- 
ciements. 

Quelle que soit l'origine des traductions réu- 
nies dans ce volume, j'espfcre qu'elles témoigne- 
ront toutes d'un même souci d'exactitude. J'ai 
tâclié de conserver à chaque orateur son carac- 
lêrfi, S. chaque discours son accent el commn 
sa physionomie propre. Mais les nuances sont 
en cela trop délicates pour qu'on puisse espérer 
les rendre toujours avec fidélité. Ou la traduc- 
tion les exagère, ou elle les elîace : on ne lii 
véritablement un auteur que dans sa langue. 
Auïsi mon seul but a-t-il été de rendre plus aiséi' 
. aux élèves la lecture de Lysias, d'isocrale 
d'Eschine et d'Hjpéride, et si j'y avais réussi 
je croirais avoir bien rempli ma t&che. 
L. B. 
Paris, S Juillcl 1899. 



EXTRAITS 



DES 



ORATEURS ATTIQUES 



I 



LYSIAS 



SUR L'OLIVIER 

(VII) 
ARGUAIENT 

L'olivier (è>.aa) à Athènes n'était ])as seulement un 
arbre sacré, présent d'Athèna, placé sous la protection 
de la déesse et de Zeus jx<$pioç; c'était aussi un arbre de 
rapport, qui se reproduisait rapidement et dont l'exploi- 
tation était pour le trésor une source importante de 
revenus. Aussi la culture des oliviers était-elle de la part 
de PÉtat l'objet d'une étroite surveillance. Un propric- 
tiire ne pouvait disposer librement des oliviers qui se 
trouvaient sur sa terre. Les uns (i6tai èXàat) lui appar- 
tenaient en propre; mais il ne pouvait en arracher plus 
tle deux par an pour son usage personnel. Toute con- 
Iravention était punie d'une amende de 200 drachmes 
I^ar arbre arraché. Les autres, bien qu'ayant poussé 
dans sa propriété, ne lui appartenaient pas. C'étaient 

1 



r 

2 LYS[AS. 


.ceux qu'on appelait oliviers 


sac:-i!s ((loplaO- Us faisaient 


. partie du doniaine de l'ËIaL 


: uni' luirque apparente les 


^UlBtinftuail : on niellait m. 


fcriiif la récolte de leurs 


fruits, el chaque année l'An 




Auquel iU ÉUîent placés, 




B|tâclaux (B«iTV(i(t<jvE!) pour i 


j'.i^hiiriT de leur entrelien. 


fous peine d'amende, il éi: 


Ait ilér<:ndu de cultiver la 


terre dans un cerlainra;,»!.! 


Liil'uir lie leur pied, pour ne 


pas les riii|... !.. r .!■■ -■ i. -i 


.'I:mi nu d'étendre leurs 


Mdnes. I.- .: 


. . i |iour lequel la pres- 


CriptiOn .;:..-■ 


piiise. Tout citoyen 


(4 pOuXr,j,E,.,; ; .,,1 ,i.|..|,' 


., .„ . ûiipable une («c«™- 


«on d-impielv W3-,r, in;ô-: 


u) qiiL elail portée devant 


l'AréopBge. 




Ces mesures Ae proleclion 


ne s'appliquaient pas scu- 


lement aux oliviers en plein 


rstipnrl el dont la conser- 


vation éluit d'un intérêt inn 


\w.\]:\\ pfiur 1-Ëtal. Comme 


l'nlivier est une plante vivai 


'<' < ' <|iii repousse du pied 


quand l'arhre « élè nl>lmé. . 


II. - - .(endaienl aussi aus 


oliviers sacrés qui avaient éi 


1.- l.[.il-s pendant la guerr.- 


Ol donl il lie rc-staît plus r 


[!.,■ 1. tronc (TiiXt/o;). C- 


troncs dépouillés lie leurs 


brnncUes étaient enloiim 




: mot avait fini par s'appi 




au terrain qu'elle limita 


et A l'arbre lui-ciittine. 




C'eBleomme inculpé .le des 


Iriiclii>n d'un ar,»!; (au sc< 


le plus lai'ge du mot) que le 


clirni de Lysias compar 


devant l'Aréopage. Ce n'étaii 


pi-, il est vrai, le mu 


alléeuÉ dnn^ VmIc doccHS'ilU 


>iMi-'-'piîVi). lléUit que 


lion.lnn^ O'ii- ]•':■■■ 'fur,. - 


.uMMv.siim de[.op;«. Ma 


"*a'i' '■ ■■ '■ ■ ■ 


ic -■l't.iii ravisé et av^i 


l'ijur ri'[."ii'i ■ ■■■!!■ ■ 'ir 


iii.jii nouvelle. Lysine <h 


reuianirr > ^.>i. |.ia..l.>«i-i' Il 


siK I.T faire sans en all,L. 



. ïnaplui ilo> («ruivi t>«p:a ci 9if%',%. Il fuut iDui tcni 
I 4Bna rfmijii de te llwgiir>. do U tigiulllcaliaa Ir^s i 

BifMrfquH Ib> d«u luiiU av MifDl |iu ■yiufnymci. tue roiiii'l.i 



! SUR l'olivier (vu). 



(les lignes générales, et son discours, tel qu'il nous est 
parvenu, est composé avec une habileté qu'on n'a pas 
• coutume de rencontrer chez lui au même degré. 

Dans un exorde rapide (t-3), Torateur signale la 
manœuvre de son adversaire. Puis, comme s'il avait 
hâle de se débarrasser de l'accusation, il va droit aux 
faits, et par des rapprochements de dates, des citations 
de témoins, il établit que cette accusation ne repose sur 
rien de solide (4-il). A la rigueur, cette première dis- 
cussion dans laquelle la nai^'ation se mêle à Vargwnen- 
talion pourrait suffire. Mais les témoignages sont quel- 
quefois suspects et peuvent laisser des doutes : d'ailleurs 
si la cause est bonne, on peut tenter d'obtenir un acquit- 
tement à l'unanimité en profitant de tous les avantages 
qu'elle offre à la défense : enfin l'accusateur est un 
jeune homme, un débutant qui, malgré son inexpérience, 
s'est fait l'instrument de rancunes cachées. En homme 
pour qui le métier n'a plus de secrets, Lysias veut lui 
donner une bonne leçon. De là ce long examen des 
craisemblances et des indices (12-29) qui remplit la plus 
grande partie de son plaidoyer. Non seulement Taccusa- 
(ion péchait par la base, mais de tous côtés elle donnait 
prise à la critique. Lysias se fait un jeu de le démon- 
■ Irer, et cela, sans se départir de son rôle de logographe, 
en conservant à son client son caractère. Cette discus- 
jion brièvement résumée, l'orateur, conformément à 
'usage, énumère les services qu'il a rendus à l'État (30- 
19), puis, appropriant à sa cause un lieu commun qu'on 
•etrouve ft-équemment dans les plaidoyers, il rappelle 
|ii'il a voulu livrer ses esclaves à la torture, mais qu'il 
5*«.'st heurté au refus deNicomaque (34-37). Gela l'amène 
k une nouvelle attaque contre son adversaire, auquel il 
reproche de n'être qu'un syco^hante (38-39). Un appel à 
a pitié des juges, appel pathétique mais très court, 
16 m me il convient devant l'Aréopage (40-41) et un épi- 
9f/ue (42-fin) dans lequel sont sommairement indiqués 
Es points les plus faibles de- l'accusation terminent le 
jlaidoyer. 

\ Indépendamment de l'habileté avec laquelle la dis- 
'^ssion y est conduite, le uepl xoO ayjxoO peut prendre 
.i\ce à côté du Discours sur VInvalide pour la finesse 



ation que Ljsias y déploie dons la peinlim 

Jl des caractères. La physionomie de Taccusî 

e ricliB, mais ilc vie relirtSe, esprit simple, in 

lo bon sens et que révoltent les alUiiiies InuA 

s du jeune Nicomiquu — y est très heurouMOIl 

mise en lumière. 

Qnoique la date ne puisse en Être délermindtW 
certitude, ce diâcnurs a tlù fitre prononcé vers 39S(j 



Exorde et exposé des faits. 



Jusqu'à présent, citoyens du conseil, je CtOS 
qu'il élail possible i^ ijui voulait, d'tïviter, n 
tenant à l'écurt de la politique, vi les prociaip| 
ennuis. Muis aujourd'hui je me trouve eu pr^ 
d'iiccusations tellement imprévues et de caloori 
irun lellemcnl efTronlés que, s'il (oui le dire, ai 
même d'élreu^, on doit dfjà trembler pour l'aTfli 
tant il est vrai qu'avec de telles gens le pfril ca 
niSme pour Us innocent» et pour les grands coi 
blés. Et voyei dans quel (embarras me jette c 
afTaîre : à rorifiiiie i:'i':tail un olivier qu'on m'accu 
d'nvoii' nrruelir-, et mes advcrsitirts s'^n alluient, 
quflle de l^nioifrnn^es, trouver le» ffrmîcr» 
arbres sucrés. \"uyant pu rfussir, par ce moye 
ma prendre eu faute, ils viennent dire malnt«l 
que c'est un Ironc d'olivier ijue j'iù Tait diaporul 
pnnMinl nuv pour moi, l'accusation »ura ainsi ] 
ifllcilc il réfuter et qu'il iKur sera plus aisé & 
e dire tout ce qu'ils voudront, ie n'ui appris (p 



SUR l'olivier (VII, §§1-6). 5 

noncer, les manœuvres de mon adversaire, et c'est 
dans ces conditions qu'il me faut plaider, quand il 
y va de ma patrie et de ma fortune ! J'essaierai 
cependant de vous exposer les faits, en les repre- 
nant dès l'origine. 

Le champ en question appartenait à Pisandre. 
Les biens de Pisandre ayant été confisqués, le 
peuple en fit présent à Apoliodore de Mégare. 
Celui-ci cultiva lui-même ce terrain jusqu'au jour 
où, peu avant l'établissement des Trente, il le vendit 
à Antiklès, qui le mit en ferme. Moi-même enfin je 
l'achetai à Antiklès après la conclusion de la paix. 
1 J'estime dès lors, citoyens du conseil, que ce que 
' j'ai à faire, c'est de vous montrer que, quand je 
dgvins propriétaire du champ, il ne s'y trouvait 
ni olivier ni tronc d'olivier. Car pour ce qui est du 
passé, en admettant même qu'il y ait eu là un 
grand nombre d'oliviers sacrés, je ne crois pas que 
je doive, en bonne justice, en être responsable : si ce 
n'est ni par moi ni par quelqu'un des miens que 
ces arbres ont été arrachés, ce n'est pas à nous 
d'être poursuivis comme des coupables, pour les 
délits que d'autres ont commis. Vous savez tous, en 
effet, que, parmi tant d'autres maux que nous causa 
la guerre il nous faut compter la ruine de nos cam- 
pagnes, ravagées au loin par les Lacédémoniens, 
dévastées tout près de nous par ceux qui nous 
servaient : serait-il juste dans ces conditions de me 
faire payer à mol aujourd'hui les malheurs qui 
frappèrent autrefois la cité? Comme d-e plus ce 
champ, qui avait été confisqué, est resté, à l'époque 
de la guerre, pendant plus de trois années sans 
acquéreur, il ne faut pas s'étonner si on arrachait les 



oliviers sacrés ilans un temps où nous ne pouvions 
même pas préserver nos propres biens. Vous 
n'ignorez pas, citoyens du conseil, vous tous sur- 
tout qui vous occupez de ces questions, qu'il y avail, 
ù celte époque, beaucoup de plants d'oliviers tris 
fournis, appartenant soit à des particuliers, soit à 
l'État, que la plupart sont détruits, et qu'à leur place 
la terre est nue. Malgré cela, vous ne croyez pas 
devoir punir même des gens qui sont restés propriï- 
Inirosàlafois pendant la paix et pendant la guerre, 
quand d'aulres qu'eux ont arraché les arbres. Si 
donc vous déchargez de toute accusation ceux q 
ont fait valoir pendant toute cette période, û pli 
forte raison ne devez-vous pas inquiéter ceux qui 
ne sont devenus acquéreurs qu'après la paix. 

Mais je n'insiste pas, citoyens du conseil, 
quoique ayant beaucoup à dire sur ces faits pass 
j'estime que ces considérations suffisent. Moins 
cinq jours aprJ'S être entré en possession du champ 
je l'affermai à Kallistratcsousl'archontnt de Pyllit 
doros. Kallistrate le cultiva pendant deux ans, sa 
avoir i-eçu de moi ni olivier privé, ni olivier sai-i 
ni tronc d'olivier. La troisième année, Démélrr 
que voici le prit et l'exploita pendant un an. 
quatrirme année, je le louai à Alkias, adrain 
d'AntiitlIiène. ('elui-là est mort. Enfin, durant tr< 
ans, Proti^as le prit en ft'rme dans les mêmes en 
dilioni). Témoins, veuillez approcher (Témoins). 

A l'expiration de ce dernier bail, j'ai pris m» 
même l'exploiLilion et, d'après l'accusateur, ce 
sous l'archonlat de SouniaUès que j'ai arraché 
Ironc d'olivier. Or ceux qui ont cultivé le terrai 
avant moi, qui l'ont reçu de moi en ferme peiuU 



SUR l'olivier (vu, §§ 7-13). 7 

plusieurs années ont témoigné devant vous qu'ils 
n'y avaient trouvé aucun tronc d'olivier. Peut-on 
prouver d'une manière plus éclatante que mon 
adversaire ment? Il n'est pas possible, en effet, que 
celui qui cultive en dernier lieu une terre en fasse 
disparaître ce qui, avant lui, n'y était pas. 



II 
Argumentation (vraisemblances et indices). 

(§§ 12-29) 

Pour en revenir à moi, citoyens du conseil, jusqu'à 
présent quand on s'en allait répétant que j'étais un 
homme avisé et scrupuleux, incapable d'agir à 
l'aventure et sans réflexion, je me récriais, estimant 
qu'on me donnait là des titres qui ne me conve- 
naient pas. Mais aujourd'hui je voudrais que tous 
vous eussiez de moi cette opinion. Car alors vous 
vous diriez que si j'avais mis la main à pareille 
besogne, j'aurais considéré d'abord quel avantage 
il y avait à arracher l'arbre et quel inconvénient à 
n'y pas toucher, puis, en second lieu, ce que je 
i^agnais, en supposant que je ne fusse pas vu, et à 
(jnels châtiments je m'exposais de votre part, si 
j'étais découvert. Quand un homme fait de pareilles 
choses, ce n'est pas par bravade, mais parce qu'il 
y cherche son profit. Voilà le point de vue auquel 
il est naturel que vous vous placiez ; voilà sur quelles 
considérations des adversaires doivent appuyer leurs 
accusations, en montrant quel avantage le coupable 
pouvait trouver. Or l'homme que voilà ne saurait 



prouver ni que la pauvreté m'ait contraint k pareil 
attentat, ni fjue mon champ fût perdu si le tronc 
d'olivier subsistait, ni que l'arbre gênât mes vignes, 
ni qu'il fût trop près de ma maison, ni que j'igno- 
rasse les risques à courir devant votre tribunal. Je 
ne suis pas en jjeine au contraire, moi, de vous 
montrer combien de gros ennuis je me préparais 
- en faisant ce qui m'est reproché. Et d'abord, c'est 
en plein jour que j'aurais, dit-on, coupé le tronc 
d'olivier, comme si ce n'était pas là une chose à 
cacher, et comme si tous les Athéniens dussent . 
Stre mis au counint. Encore, s'il ne se fût agi que ^ 
d'une action houLeuse, peut-être aurait-on pu ne 
pas tenir compte des passants; mais ce n'est pas li 
la honte que jv m'exposais, c'est aux peines les 
plus terribles. Ne serais-je pas le plus malheureux 
des hommes si, ayant mis mes serviteurs dans le 
secret d'uQ tel délit, je devais désormais trouver en 
eux non plus des esclaves, mais des maîtres .pour 
le reste de mes jours? Eussent-ils commis envers 
moi les fautes les plus graves, je ne serais plus à 
même de les punir, sachant fort bien qu'il serait en 
leur pouvoir et de se venger de moi et d'obtenir 
leur liberté en me dénonçant. 

Mais j'admets que j'aie pu ne pas me préoccuper 
de mes serviteurs : aurais-je osé, alors que les fer- 
miers avaient été si nombreux et que tous connais- 
saient les lieux aussi bien que moi, faire disparaître 
le tronc d'olivierî D'abord le profit était mince; de 
plus la prescription n'étant pas admise pour les 
risques à courir, tous ceux qui avaient cultivé le 
champ n'étaieuWls pas également intéressés à ce 
que l'arbre fût en bon état, afin de pouvoir, en cas 



SUR l'olivier (vil, §§ 14-21). 9 

traccusation, rejeter la faute sur leur successeur? 
Mais vous le voyez, leur témoignage me décharge, 
et, s'ils mentent, ils se mettent eux-mêmes en cause 
avec moi. A supposer niaintenant que sur ce point 
encore j'eusse pris mes sûretés, comment aurais-je 
pu gagner tous les passants et tous les voisins? Non 
seulement ces gens savent les uns des autres ce qui 
peut être vu de tout le monde, mais ils se mettent 
encore au courant de ce qu'on voudrait cacher à 
tous les yeux. Or j'ai des voisins qui sont mes 
amis; mais il en est d'autres avec lesquels mes 
intérêts me créent des difficultés. Voilà les gens 
que mon adversaire aurait dû citer comme témoins, 
au lieu de se contenter de lancer contre moi, d'une 
manière aussi inconsidérée, d'audacieuses accusa- 
tions. Suivant lui, en effet, c'était moi qui présidais 
à la besogne, tandis que mes serviteurs coupaient 
les racines de l'arbre, et que le bouvier, après avoir 
chargé le bois, l'emportait dans sa charrette! 

En vérité Nicomaque, tu devais, à ce moment-là, 
et citer les passants comme témoins, et faire con- 
stater le délit. Tu m'enlevais par là tout moyen de 
défense, et quant à toi, si c'était par rancune per- 
sonnelle que tu agissais, tu aurais, de cette manière, 
obtenu satisfaction; si c'était par zèle pour la cité, 
tu m'aurais ainsi confondu et tu ne te serais pas 
donné des airs de sycophante; et si c'était de 
l'argent que tu voulais, c'est alors que tu aurais le 
plus touché : car, le délit étant flagrant, j'aurais 
considéré que ma seule chance de salut était de te... 
persuader. Mais tu n'as rien fait de tout cela et, 
comptant sur ta seule éloquence pour me perdre, 
tu te plains que mon crédit et ma fortune sont 



10 LÏSIAH. 

cause (jufi personne na veul Ift ilunner s 
gnage! Eh bien! si au moment où tu prâ 
m'avoir vu urracliei' l'olivier sacrt tu avais a, 
sur les lieux soil les neuf arcliontes, soit à 
citoyens membres de l'Aréopage, lu 
eu besoin d'aller cberclier ailleurs des téinoij 
aurais eu pour garants de la sincérité de tes p 
ceux-là mêmes qui devaient prononcer sur led 
Ma situation est dts lors bien Étrange. ! 
adversaire vous amenait des témoins, il vous d^ 
derait d'ajouter foi h leurs dires, et parce i; 
témoins lui (ont défaut, il prétend que cette G 
slance même doit tourner à mon désavantft 
ee1a sans doute je ne m'étonne pas, c; 
bon sycophanle ne manquera â la fois et de U 
eL de raisonnements de ce geni-e; mais ce j 
vous demande, c'est de ne pas partager son 

Vous savez qu'il y a dans la plaine, sur mea 
propriétt's, beaucoup d'olivjei's sacrés et de 1 
d'oliviers brûlés pendant lu iiuerre. Ces a 
pouvais, si je le voulais, avec iieaucoup i 
risques, les arracher ou les couper du pie^ 
cultiver le terrain qui ne m'appnrtcnait pas, d'fl 
que, comme ils étaient uonibreux, le délit 9 
moins visible. Or, en réalité, je fais autant i 
de ces arbres que de ma patrie et aussi do n 
lune, esUmant qu'y toucher c'est mctirn ceti 
choses en péril. Et ici c'est vous-mêmes i 
veux invoqnr^r cimmc témoins, vous qui, 
mois, vous mi'ttci uu courant de res questia 
qui, chaque année, envoyer sur les lieux des 



l«ui 



Ite . 



jaiii 



d'amendes pour avoir mis en culture les t 



SUR L'OLIVIER (VU, §§ 22-29). 11 

qui entourent les oliviers sacrés. Est-il possible en 
vérité que j'attache tant d'importance à de légers 
dommages, et si peu à ceux qui m'atteindraient 
dans ma personne? que je me montre si soigneux 
des oliviers quand, en raison de leur nombre, il 
m'est plus facile de commettre un délit, et que je 
sois accusé aujourd'hui d'avoir fait disparaître un 
arbre qui était seul et que je ne pouvais arracher 
sans être vu? 

Quel était d'ailleurs pour moi le plus avantageux, 
de violer la loi sous la démocratie ou bien de la vio- 
ler sous les Trente? Et je ne veux pas dire par là 
que mon crédit était plus grand à cette époque ou 
que je sois mal vu aujourd'hui; j'entends seulement 
qu'il était plus facile alors à n'importe qui de 
faire le mal que maintenant. Pour moi donc vous 
verrez que, même en ce temps-là, je n'ai commis 
aucun délit, ni de ce genre, ni d'aucun autre. Et 
comment, à moins d'être pour moi-môme le pire 
des ennemis, comment aurais-je pu, avec la sur- 
veillance que vous exercez, essayer de faire dis- 
paraître l'olivier en question d'un champ dans lequel 
il n'y a pas un seul arbre, et où ne se trouvait, au 
dire de mon accusateur, qu'un tronc d'olivier igolé? 
d'une terre qu'un chemin borde de tous côtés ; autour 
de laquelle j'ai des voisins à droite et à gauche, 
qui n'est pas close, et où, de toutes parts, on voit 
ce qui se passe? Qui donc, dans de telles conditions, 
aurait-eu l'audace de tenter pareille entreprise? 
Aussi me semble-t-il fort étrange que, tandis que 
vous auxquels, de tout temps, la cité a confié le 
soin de surveiller les oliviers sacrés, vous ne m'avez 
jamais, ni frappé d'amendes pour avoir mis en 



i2 LYSIAS. 

culture un terraiu réservé, ni traduit en justice 
pour avoir arrachi* des arbres, cet homme, qui n'a 
pas d'exploitation ilans mon voisinage, qui n'est pas 
préposé à la surveillance des arbres, qui n'a pas 
l'âge de connaître ces questions, vienne m'accuscr 
d'avoir fait disparaître un olivier sacré? 



t"WV 



CONTRE ERATOSTHENE 

(XII) 



ARGUMENT 

Ce discours présente un intérêt particulier : il est 
le premier que Lysias ait composé et le seul qu'il ait 
prononcé lui-môme. Aux plus mauvais jours de l'oligar- 
chie, lors de la poursuite intentée aux riches métèques *, 
son frère Polémarque avait été arrêté par Ératosthène, 
un des trente tyrans, et condamné à boire la ciguë. 
Lui-même n'avait échappé à la mort que par la fuite. 11 
avait donc, lorsqu'il revint à Athènes après l'amnistie, 
à se venger personnellenrient contre les oligarques et à 
venger son frère contre Ératosthène. 

L'acte de réconciliation solennellement juré par les 
deux partis — le parti du port (ol èv Iletpaisî) et le 
parti de la ville (ol èv àd-et) — sous les auspices du roi 
Pausanias, tout en excluant de l'amnistie les Trente, 
les Dix, les Onze et les commandants du Pirée, en 
accordait néanmoins le bénéfice à ceux d'entre eux qui 
consentiraient à rendre leurs comptes 2. Or, peu après 
la rentrée des bannis et l'échange des serments, Éra- 
tosthène se présenta pour remplir cette formalité devant 
les Ti(i7)(jLaTa Tiapexojxevoi, c'est-à-dire devant les citoyens 

1. On donnait le nom de métèques à toute une catégorie d'étran- 
gers domiciliés à Athènes, qui, moyennant le paiement d'une taxe 
annuelle, participaient à certains droits des citoyens. 

2. Voir p. 135, n. 1. 



14 LYSIAS. 

de l'un et l'autre parti qui justifiawnl du degré 
reventi alteint par [e trésor et auxquels avait été confie 
le soin de recevoir ces comptes. Ce fui le moment qiit 
choisit Lysias pour intervenir. Dans un procès de o' 
genre, Ëralostliène sent pouvait être mis en cause, cl 
il ne pouvait l'être de la part de Visolète • Lysias qu( 
sur le fait même du meurtre de Polémarque, Il ne 
parait pas cependant que celui-ci se soit renrermé dans 
ces étroites limites. Dès Vtxorde (1-3), i'oralcur se ptr 
sente comme plaidant moins sa propre cause que cell' 
de tous les citoyens : il parle de tous les crimes A«- 
Trente avant de parler de celui d''Ératosihène et lors- 
qu'il en vient enfin & Éraloslliène, c'est autant pour le 
rendre solidaire des fautes de ses collègues que pouf 
lui demander compte de la mort de son frère. La sui't 
du plaidoyer présente le même caractère. Dans la pf- 
mière partie (i-36) Lysias se lient assez êtroilemenl i 
l'objet de sa plainte, mais dans la seconde (37-91) — qui 
est la plus longue, -- il se livre à. un examen de tout'- 
ta vie de l'accusé, critique la part qu'il a prise au gou- 
vernement lies Trente, puis, sous prétexte qu'braio- 
sttiène va invoquer ses relations avec Théraméne, c'l:^l 
la mémoire de cet homme d'État qu'il attaque, c'rr^ 
toute sa carrière qu'il condamne depuis l'époque d» 
Quatre-Cents Jusqu'à celle de sa lin tragique. Aussi. 
lorsqu'il en vient à l'épilogue (92-nn], peut-il confonJre 
la cause d'b.raloslliène avec celle des Trente : il s'en 
prend à eux autant qu'à lui : il demande leur chilimeni 
autant que le sien et il termine eu rappelant aux deui 
partis les souffrances qu'ils ont endurées sous l'oli- 

Sans doute celle façon de procéder éiait imposée ftr 
les circonstances et autorisée par l'usage. A côté d( 
l'argumentation proprement dite, la rliélorique anciennt 
accordait une large place k Vargumenlalio eiU-a cautam, 
et puisque Ératosthènc alléguait pour son excuse la prcr 
sion exercée sur lui par la majorité des Trente, suB 
adversaire pouvait, dans une certaine mesure, confondre 



1. L«t ItiiH 



À 



CONTRE ÉRATOSTHENE (XIl). 15 

leur procès avec le sien. De plus, il n*est pas douteux 
que Lysias n'eût avantage à mettre au premier plan la 
question politique et à laisser dans l'ombre la question 
de droit. La défense d'Ératosthëne était solide : il avait 
protesté contre les poursuites intentées aux métèques : 
il n'avait cédé que sous l'impression de la peur, et la 
mort de Théramène prouvait que cette peur était jus- 
tifiée. L'argumentation si serrée, si subtile, si ingénieuse 
de Lysias (26 et suiv.) n'aurait pas suffi à détruire l'effet 
produit par ces raisons. 

Mais Lysias avait un autre motif de faire dévier la 
question. Pour comprendre l'importance de son dis- 
cours, il faut se rendre compte de l'état des esprits au 
moment où il fut prononcé. L'amnistie solennellement 
jurée n'avait pas contenté tout le monde. La réconcilia- 
tion avait été l'œuvre, non de tous les démocrates du 
port, comme on est trop porté à le croire, mais des 
modérés des deux partis. Elle avait ramené au pouvoir 
cette fraction du conseil des Trente dont Théramène 
avait jadis été le chef; et, si on n'y mettait ordre, c'est 
cette fraction qui allait garder la direction des affaires. 
La démocratie radicale se sentait vaincue. La reddition 
de comptes d'Ératosthène lui permit de rentrer en scène. 
Pour elle, l'occasion était unique et décisive : Érato- 
sthène acquitté, c'était la paix conclue, c'était un gage 
de modération donné par le parti du Pirée au parti de 
la ville, c'était l'œuvre des modérés définitivement con- 
sacrée. 

A tout prix il fallait perdra Ératosthène. Mais l'affaire 
n'allait pas sans difficultés. Ératosthène avait été, Lysias 
lui-même le reconnaît, le plus modéré des Trente : il 
avait été l'ami, l'agent, le défenseur de ce Théramène 
que les Trente avaient sacrifié et il se réclamait de lui 
dans un temps où sa mort l'avait rendu sympathique à 
quelques-uns de ceux qui ne partageaient pas ses idées. 
Le procès était porté devant un tribunal hostile par sa 
constitution à la démocratie radicale et dans lequel sié- 
geaient, à côté des bannis du Pirée, des gens de la 
ville, d'anciens partisans de l'oligarchie. Enfin, la 
Période anarchique et violente qu'on venait de traverser, 
les dangers qu'on avait courus avaient fait naître un 



16 LYSIAS. 

besoin d'apaisement et de concorde. Même parmi les 
mécontents, l'amnistie avait des défenseurs résolus. 

C'est donc dans ces conditions et au milieu de ces 
difficultés que Lysias engagea la lutte. Le désir de 
venger Polémarque n'était pour lui qu'un prétexte : son 
but était de ruiner l'œuvre encore mal assurée des 
modérés. 

On s'explique dès lors la disposition adoptée dans son 
discours : on s'explique aussi et les nombreuses pré- 
cautions oratoires auxquelles il recourt et l'âpreté avec 
laquelle il s'exprime . Le Discours contre Ératosthène 
n'est pas seulement un discours politique, c'est un véri- 
table pamphlet. Passionné, haineux par endroits, mais 
très habilement composé, il dut avoir un très granil 
retentissement. Ëntraîna-t-il la condamnation de l'ac- 
cusé? Cela est plus que douteux étant données les cir- 
constances. Mais, quel qu'ait été le résultat, ce discours 
constitue aujourd'hui un document historique de grande 
importance et apparaît comme un des chefs-d'œuvre de 
l'éloquence de Lysias. 



I 

Exorde et exposé des faits. 

(■§§ i-^r») 

Ce n'est pas de commencer raccusation qui iw 
paraît embarrassant, ô juges, mais c'est de m'arrt^lei 
quand j'aurai pris la parole. Les crimes de ces 
hommes sont, en effet, si odieux et si nombreux, 
que la fiction même n'en pourrait dénoncer de plus 
horribles, et que, m<hne en se bornant à dire l.i 
v(^rité, l'accusateur est incapable de tout dire : sûre- 
ment le courage lui manquera ou le temps lui fera 
défaut. Nous allons d'ailleurs, ce me semble, nous 
trouver dans une situation toute nouvelle. Jusqu'ici, 



(XU, §g l-ô). 17 

Taocusateur avait à montrer la haine qui l'animait 
contre l'accusé : il lui faut aujourd'hui demander 
à l'accusé quelle haine il a dû vouer à la cité 
pour oser se rendre coupable h son égard de 
tels forfaits. Et si Je parle ainsi, ce n'est pas 
que je n'aie des motifs particuliers de le haïr, et 
que par lui je n'aie peraonnellement souffert : 
mais c'est qu'à mon avis, tous les citoyens ont 
grandement sujet de lui reprocher avec indigna- 
tion soit leurs malheurs privés, soit les malheurs de 
la patrie. En ce qui me concerne, juges, je n'ai 
encore été inélé à aucune affaire, ni personnellement 
ni pour le compte d'autrui, et me voilà contraint 
par les circonstances d'accuser cet homme. Aussi 
plus d'une fois me suis-je senti bien découragé, 
craignant que mon inexpérience me rendît inca- 
pable de soutenir dignement celte accusation au 
nom de mon frère comme au mien. J'essayerai 
cependant de vous instruire des faits, en remontant 
à leur origine, le plus brièvement qu'il me sera 
possible. 

Mon père Képlialos vint, sur les instances de Pé- 
riclès, s'établir dans ce pays; il y vécut durant trente 
années et jamais il ne nous arriva, pas plus à nous 
qu'à lui, d'être ni accusateurs ni accusés '. mais 
nous nous conduisîmes, tant que dura le régime 
démocratique, de manière à ne faire de tort à per- 
sonne et à Ji'être inquiétés de personne. Bientôt les 
Trente, ces hommes pervers, ces sycophantes, pri- 
rent le pouvoir. Ils proclamaient la nécessité de 
débarrasser la ville des mauvais citoyens, et de 
porter les autres à la vertu et à la justice : ils le 
disaient du moins, mais faisaient tout le contraire. 



comme .je vais essayer île voua le nionUer, en 
cornineTiçant par voua parler de moi, pour voii' 
rappeler ensuite ce qui vous louche vous-mêmes. 

Dans le conseil des Trente, Tttéogais et Pison, 
parlant des métèques, prétendirent qu'il y en avait 
d'hosliles à la constitution. " Excellente occasiun. 
disaient-ils, de les pressurer, en ayant l'air de les 
punir. Athènes était pauvre, et ses chefs avaient bf- 
soin d'argent, n 11 n'était pas malaisé de persuadifr 
des gens qui cumptaient pour peu la vie d'uii 
homme, mais pour beaucoup son argent. Ils dén- 
dèrent donc de faire iirréler dix métèques, doni 
deux seraient pauvre.s : de cette manière, même i 
l'égard des autres, ils pourraient soutenir qu'il* 
avaient agi en cela, comme dans le reste, non pat 
cupidité, mais dans l'intérêt public. Ils ac par- 
tajfent les maisons, et se mettent en roule. Pour 
moi, ils me surprennent ayant lies hAles à ma table: 
ils les chassent et me livrent à Pison. Les aulr** 
étuicnl allés à l'alelier, et dressaient une liste <■■- 
nos esclaves. Je demande h Pison si, pour de l'ar' 
geni, il voudrait me .sauver; il me répond que nui. 
à condition qu'il y en ail beaucoup. Je me déclari' 
pri^t i^ lui payer un talent d'argent et il me pruin''' 
de Taire ce que Je désire. Je savais bien qu'il n'avail 
aucun respect ni des dieux ni des hommes, ir 
en ce moment criti(|ue, il me parut indispensnMr 
de le lier par un serment. PronnnQanl des impré- 
cations terribles sur ses enfants et sur lui-même, iî 
jure lie me sauver la vie pour un talent. J'entre alof 
dans mon cahinct, j'ouvre ma caisse. Pison s'en 
nperçiiit, entre aussi, et voyant ce qu'elle contenait, 
appelle deux de ses serviteurs, et leur onloon-- 



CONTRE ÉRATOSTHÈNE (XII, §§ 5-i5). 19 

d'enlever tout ce qu'il y avait dans la caisse. C'était 
bien plus que la somme convenue, ô juges : trois 
talents d'argent, quatre cents cyzicènes, cent da- 
riques et quatre patères d'argent. Je le prie de me 
donner au moins une petite somme pour le voyage : 
il me répond que je dois m'estimer heureux si je 
puis sauver ma personne. Juste au moment où nous 
sortions, Pison et moi, nous rencontrons Mèlobios 
et Mnèsithidès qui revenaient de l'atelier : ils nous 
arrêtent sur le seuil même de la porte, et nous 
demandent où nous allons. Pison lui répond qu'il 
va chez mon frère pour voir ce qu'il y avait aussi 
dans sa maison. Ils l'engagent à y aller; et moi, ils 
m'ordonnent de les suivre chez Damnippe. Pison, 
s'approchant de moi, m'exhorte à ne rien dire et à ^| 

prendre confiance, m'assurant qu'il viendrait me 
rejoindre. Nous trouvons chez Damnippe, Théognis, 
qui gardait d'autres prisonniers: ils me laissent 
entre ses mains, et repartent. 

Dans une telle situation, je crus devoir tenter 
quelque chose pour échapper à la mort que je voyais 
imminente. J'appelle Damnippe : « Tu es mon ami, 
lui dis-je; me voici dans ta maison. Je ne suis pas 
coupable : c'est ma fortune qui me perd. Tu vois ce 
qui m'arrive : viens à mon aide, fais tout ce que tu 
pourras pour me sauver. » Il me le promet, mais 
juge que le mieux est d'en parler à Théognis, de 
qui, pensait-il, on obtiendrait tout avec de l'argent. 
Pendant qu'il le prenait à part, moi, qui connaissais 
la maison et n'ignorais pas qu'elle avait deux issues, 
je vis dans cette circonstance un moyen de salut 
que je résolus d'essayer. Si j'échappe aux regards, 
me disais-je, je suis sauvé : si je suis pris, ou Théo- 



20 LYSIAS. 

gnis acceptera la somme d'argent offerte par Dam- 
nippe, et je n'en serai pas moins relâché: ou il la 
refusera, et je ne mourrai toujours qu'une fois. Là- 
dessus, je pris la fuite. La porte de la cour était 
seule gardée. Il y en avait trois autres par où je 
devais passer : je les trouve toutes les trois ouvertes. 
Arrivé chez le capitaine Archénéos, je l'envoie à 
Athènes s'informer du sort de mon frère : il re- 
vient m'annoncer qu'Ératosthène l'a arrêté dans la 
rue et emmené en prison. A cette nouvelle, dès la 
nuit suivante, je m'embarque pour Mégare. 

Cependant les Trente donnent à Polémarqiie 
l'ordre habituel à cette époque, celui de boire la 
ciguë, sans faire savoir au malheureux pourquoi il 
devait mourir, à plus forte raison sans le juger ni 
écouter sa défense. Ils l'emportèrent mort de la 
prison, mais ne voulurent pas que le convoi partit 
d'aucune des trois maisons que nous possédions : 
ils louèrent un hangar et c'est là qu'ils exposèrent 
le corps. Nous ne manquions pas de vêtements pour 
parer le mort : ils n'en accordèrent pas un seul aux 
gens qui les demandaient. Ce furent ses amis qui 
donnèrent, celui-ci un manteau, celui-là un coussin, 
chacun ce qu'il avait, pour l'ensevelir. Et, bien 
qu'ils nous eussent pris sept cents boucliers, tant 
d'or et d'argent, de l'airain, des meubles, de? 
bijoux, des habillements de femmes, qu^ils n'au- 
raient jamais cru trouver aussi nombreux, et, avec 
cela, cent vingt esclaves, dont ils avaient gardé \f^ 
meilleurs et vendu les autres au profit du Trésor, 
voyez encore cette preuve de leur insatiable cupi- 
dité et ce trait de leur caractère : les pendants d'or 
que portait la femme de Polémarque, au moment 



CONTRE ÉHATOSTHÈNE (Xll, S§ 15-23). 21 

OÙ elle entra pour la première fois dans la maison, 
MMobios les lui arracha des oreilles 1 

Il n'y eut pas enfin une parcelle, si petite fùt-elle, 
de notre fortune, qui nous obtint la moindre pitié 
de leur part ; et on les vit s'acharner contre nous, 
pour nous dépouiller, comme d'autres l'auraient 
fait pour se venger des plus graves offenses. Est-ce 
là ce que nous devions attendre de la république? 
Nous avions accepté toutes les chorégies ', et fourni 
de nombreuses contributions au Trésor; nous 
nous montrions bons citoyens et faisions tout ce 
qui nous était commandé, nous avions réussi à ne 
nous faire aucun ennemi et racheté beaucoup de 
prisonniers athéniens : et voilà comme ils nous ont 
traités, nous qui remplissions nos devoirs de mé- 
tèques autrement qu'eux leurs devoirs de citoyens! 
Que d'Athéniens, en effet, réduits par eux à s'enfuir 
liiez nos ennemis! Que d'innocents mis à mort et 
privés de sépulture! Que de citoyens jouissant de 
leurs droits et qui en avaient été privés! Que de 
filles, sur le point de se marier et qui en avaient 
Été empêchées! Et Us poussent l'audace jusqu'à 
ïenir se justifier: ils soutiennent qu'ils n'ont rien 
fait de mal ni de honteux. Plût aux dieux que ce 
fût vrai! Personne n'y serait plus intéressé que 
moi. Mais ce n'est vrai ni pour la république ni pour 
moi-même. Je l'ai dit, Ératosthène a fait périr mon 
frère, non pour venger quelque crime dont il se fût 
rendu coupable envers lui ou envers la république, 
mais pour prendre plaisir à satisfaire ses caprices de 
tyran. Juges, qu'Ératosthène monte à la tribune : 



22 LYSIAS. 

je veux rinterroger. Car tel est mon sentiment : je 
considérerais le fait seul de parler de lui à qui que 
ce fût pour le sauver, comme une impiété ; mais je 
crois remplir un pieux et saint devoir en lui parlant 
à lui-même pour le perdre. 

Monte donc ici, et réponds à mes questions. As-tu. 
oui ou non, conduit Polémarque en prison? — 
« J'ai exécuté, par crainte, les ordres de ceux 
qui étaient les maîtres. » — Étais-tu au Conseil 
lorsqu'il y fut question de nous? — « J'y étais. » — 
As-tu défendu ou combattu l'avis de ceux qui pro- 
posaient de nous faire périr? — «Je l'ai combattu. ^ 

— Voulais-tu notre mort ou ne la voulais-tu pas? 

— « Je ne la voulais pas. » — A ton avis, étions- 
nous ainsi traités avec ou sans justice? — « San? 
justice. » 



II 
Réfutation : examen des « vraisemblances »• 

(gSï 26-36) 

Ainsi donc, ô le plus scélérat des hommes, tu 
parlais contre tes collègues pour nous sauver, et tu 
arrêtais Polémarque pour nous perdre? Quand 
le vote de la majorité d'entre vous pouvait disposer 
de notre vie, tu combattais, dis-tu, ceux qui vou- 
laient notre mort : et, quand il dépend de toi seul 
de sauver ou de perdre Polémarque, tu le condui> 
en prison? Quoi! pour avoir, comme tu le soutiens, 
parlé contre les Trente, sans réussir à sauver mon 
frère, tu te flattes de mériter notre estime, etquand* 



CONTRE ÉHATOSTHENE (XIT, gg 23-30). 23 

en l'arrêtant, tu t'es fait son meurtrier, tu prétends 
échapper à ma vengeance, à la vindicte publicjue? 

Et d'ailleurs, s'il est vrai, comme il le dit, qu'il 
ait parlé contre cette mesure, comment croire — 
c'est ce qu'il prétend— qu'on l'eût chargé de l'exé- 
cuter? D'abord, ce n'est pas dans une affaire comme 
celle des métèques qu'on eût voulu mettre à 
l'épreuve sa fidélité. Ensuite, à qui devait-on moins 
donner cet ordre, qu'à un homme qui l'ayait com-. 
battu, et qui avait clairement exprimé son opinion 
il ce sujet? Qui- devait, selon toute vraisemblance, 
mettre moins d'empressement à obéir, que celui 
qui s'était opposé au projet de ses collègues? 11 y a 
plus i les autres citoyens ont une excuse très sufll- 
snnte, à mon avis, en ce qui concerne ces événe- 
ments passés ; ils peuvent en rejeter la faute sur 
les Trente. Mais que les Trente se la renvoient à 
eux-mêmes, pouveî-vous l'admettre ? Ah ! s'il y avait 
eu à Athènes une autorité supérieure à la leur, de 
qui cet homme eût reçu l'ordre de faire périr les 
citoyens contre toute justice, peut-être aurait-il 
droit h votre indulgence ; mais, en vérité, qui sera 
maintenant responsable de ces crimes, si les Trente 
peuvent alléguer qu'ils n'ont fait qu'exécuter les 
ordres des Trente? 

Circonstance aggravante ; ce n'est pas dans sa 
maison, c'est dans la rue et quand il pouvait à la 
fois sauver mon frère et respecter les décisions 
prises qu'Éralosthène l'a arrêté pour le conduire en 
priaon. Voua n'avei pas assez d'indignation contre 
tous ceux qui violaient vos domiciles pour vous, 
lechereher, vous ou quelqu'un des vôtres. Cepen- 
ilflnt, s'il faut avoir quelque indulgence pour ceux 



24 LYSIAS. 

qui ne voient leur salut que dans la perte des autres, 
ceux-là y auraient encore quelque droit : il y avait 
danger pour eux à ne pas aller où on les envoyait, 
et, s'ils avaient trouvé les proscrits, à ne pas 
l'avouer. Mais Ératosthène pouvait dire qu'il n'avait 
pas rencontré Polémarque, et ensuite qu'il ne 
l'avait pas vu. Cette dernière affirmation ne com- 
portait ni recherche ni enquête : en sorte que, 
même aux plus acharnés de ses ennemis, il eût été 
impossible de le convaincre. Si tu avais voulu agir 
en honnête homme, Ératosthène, tu aurais dû bien 
plutôt avertir ceux qui allaient être injustement 
mis à mort, et non arrêter ces innocentes victimes. 
Aujourd'hui ta conduite prouve clairement que lu 
as vu, non avec chagrin, mais avec joie, ce qui est 
arrivé. Ce n'est donc pas sur tes paroles, mais sur 
tes actes, que les juges doivent prononcer leur sen- 
tence; c'est en prenant ce que tu as fait commt' 
indice de ce que tu as dit, puisque sur ce point il 
nous est impossible de produire aucun témoignage. 
Comment , en effet , aurions-nous eu le droit 
d'assister à vos conseils? nous n'avions pas raênK 
celui de rester dans nos maisons : en sorte que ces 
hommes sont libres, après avoir fait à la républiqut' 
tout le mal possible, de dire d'eux-mêmes tout 1** 
bien qu'ils veulent. 

Mais, soit! je n'y contredis pas : je t'accorde, si 
tu le veux, que tu as résisté à tes collègues. Je me 
demande alors ce que tu aurais bien pu faire, si tu 
avais été de leur avis, puisque en leur résistant, 
comme tu t'en vanti*s, tu as fait périr Polémarque. 
Voyons, juges, que feriez-vous, alors même qw* 
vous seriez frères ou fils de l'accusé? L'acquitte- 



CONTRE ÉRATOSTIIÈNE (XII, §§ 31-36). 25 

riez-vous? Il faut, en effet, qu'Ératosthène prouve 
de deux choses l'une, ou qu'il n'a pas arrêté Polé- 
marque, ou qu'il l'a fait avec justice. Or il a 
reconnu l'injustice de l'arrestation : il vous a donc 
rendu facile à remplir, en ce qui le touche lui- 
même, votre devoir de juges. De plus, beaucoup 
d'Athéniens, beaucoup d'étrangers sont accourus 
ici pour savoir ce que vous déciderez à l'égard de 
ces hommes. Les uns, ceux qui sont vos conci- 
toyens, emporteront d'ici l'une ou l'autre de ces 
leçons, ou qu'ils seraient punis de leurs attentats, 
ou que, s'ils réussissaient, ils deviendraient vos 
tyrans, et que, s'ils échouaient, ils resteraient vos 
égaux. Aux autres, aux étrangers ici présents, vous 
allez apprendre s'ils ont tort ou raison de chasser 
les Trente de leurs villes. Si, en effet, ceux mômes 
qui ont été les victimes de ces tyrans les renvoient 
absous, lorsqu'ils les tiennent, ils se demanderont 
assurément pourquoi ils se donneraient, eux, la peine 
de veiller pour vous. Eh quoi! ne serait-ce pas là une 
chose révoltante? Des généraux, vainqueurs dans 
une bataille navale, parce qu'ils n'avaient pu, à 
cause d'une tempête, comme ils l'ont déclaré eux- 
mêmes, retirer les cadavres des flots, vous les avez 
condamnés à mort, convaincus que vous deviez cette 
satisfaction aux braves qui avaient péri : et ces 
hommes qui, avant même d'arriver au pouvoir,avaient 
contribué, autant qu'il était en eux, au désastre de 
votre flotte; qui ensuite, maîtres d'Athènes, recon- 
naissent avoir, de leur plein gré, mis à mort sans 
jugement un grand nombre de citoyens : vous ne 
trouveriez pas qu'ils méritent, eux et leurs enfants, 
(l'être condamnés par vous aux derniers supplices? 



Argumentation « extra i 

de Théramène. 

(§§ 6i-T8) 

El maintenant je vais aussi le plus brièvoincnl 
possible vous éUifipr sur le compte de ThiTamèii''- 
Dans mon inlérêt, comme dans l'inttTêl public, j'- 
vous demande toute votre attention. Et qu'on "'■ 
s'étonne pas que je charge Théramène, <juau<i cV>i 
Ki-atostliéne qui est en cause. Ëratoslliène, je !■■ 
sais, doit alléguer pour sa diifense qu'il était l'ami 
de Théramène, et qu'il a pris part aux mêmes action? 
que lui. Je ne doute pas alors que, s'il avait gou- 
verné Athènes avec Thémistocle, il ne s'attriboùl U 
gloire d'en avoir fait construire les murs puisqu ri 
se vante aussi d'avoir contribué avec Théramène j 
les faire abattre 1 Ces deui hommes n'ont pas <■" 
tout à fait, ce me semble, le même mi^rile : l'un, 
malgré l'opposition des Lacédémoniens, élève 1''-- 
remparts d'Alliènes; l'autre trompe ses conci- 
loyens pour les détruire. Quoi qu'il en soit d'ail- 
leurs de ce rapprochement, les choses ont lourm- 
pour la ville tout autrement qu'on eût pu ^> 
attendre. Les amis de Tliéramène auraient dû périr 
avec lui, excepté ceux, s'il s'en trouvait par liasarJ. 
qui avaient combattu sa politique : or voici maiiil'" 
nantque des accusés, pour leur défense, se couvre»' 
du son nom et se font de son amitié un litre à vuln' 
estime, comme si la république eût trouvé en lui If 



CONTRE ÉRATOSTHÈNE (XII, §S 62-68). 27 

plus utile, et non le plus malfaisant des citoyens. 
C'est d'abord Théramène qui fut le principal auteur 
de la première oligarchie en vous conseillant 
d'adopter le gouvernement des Quatre-Cents. Son 
père, en sa qualité de délégué provisoire *, y con- 
tribua aussi, et Théramène lui-même, qui parais- 
sait très dévoué au nouvel ordre de choses, fut 
nommé stratège par les délégués. Tant qu'on le 
combla d'honneurs, il remplit fidèlement sa charge. 
Mais lorsqu'il vit que Pisandre, Kallaischros, et d'au- 
tres, prenaient une autorité supérieure à la sienne, 
et que, d'autre part, ils n'avaient plus l'oreille du 
peuple, la jalousie qu'il ressentait contre eux et la 
crainte que vous lui inspiriez l'amenèrent à conspirer 
avec Aristocrates. Pour donner à la démocratie un 
gage de sa fidélité, il accusa ses meilleurs amis, 
Antiphon et Archéptolémos et se fit ainsi leur 
meurtrier. Sa perversité sut à la fois vous asservir 
pour garder la confiance de ses partisans et les 
faire périr pour gagner la vôtre. 

Honoré par vous, comblé de marques de votre 
estime, il s'engage spontanément à sauver Athènes, 
et c'est lui qui la perd. Il avait, disait-il, découvert 
un expédient merveilleux, d'un prix inestimable. 
Il s'engageait à faire conclure la paix sans donner 
d'otages, sans abattre les murs, sans livrer les vais- 
seaux. Pour le surplus, il ne voulut rien dire à 



1- Â la suite du désastre de Sicile, on avait nommé un conseil 
<le dix citoyens âgés (icp(56ouXoi) chargés de veiller au salut 
public. Bientôt à ces dix 7Cp66ôuXoi on en avait adjoint vingt 
autres et ce sont ces trente délégués qui avaient préparé le gou- 
vernement des Quatre-Cents. Hagnon, père de Théramène faisait 
partie de la commission. 



28 LYSIAS. 

personne, demandant qu'on s'en rapportât à lui. Et 
vous, Athéniens, quand l'Aréopage travaillait à nous 
sauver, quand Théramène rencontrait une forte 
opposition, quand vous saviez qu'un bon citoyen 
n'a de secrets que pour l'ennemi, et que Théra- 
mène au contraire cachait précisément à ses 
compatriotes ce qu'il devait dire à l'ennemi, vous ne 
lui en avez pas moins tout remis, patrie, femmes, 
enfants, et vous-mêmes. Lui ne fît rien de ce qu'il 
avait prorais. Il était si convaincu qu'il lui -fallait 
abaisser et affaiblir la république qu'il vous tH 
prendre une résolution que jamais n'avait exig^ 
aucun ennemi ni prévue aucun citoyen : sans y être 
forcé par les Lacédémoniens, mais de lui -même, il 
leur promit d'abattre les défenses du Pirée et de 
renverser votre constitution démocratique. C'est 
qu'il savait bien que, à moins de vous réduire à une 
situation tout à fait désespérée, il ne pourrait plus 
échapper longtemps à votre vengeance. Enfin, 
Juges, il ne laissa pas siéger l'assemblée du peuple 
avant d'avoir bien constaté que le moment qu'il 
appelait lui, le moment favorable, était venu, avant 
que la flotte de Lysandre, qu'il avait fait venir, 
fût arrivée de Samos et l'armée lacédémonienne 
entrée en Attique. 

C'est alors que, ces dispositions étant prises, il? 
convoquent l'assemblée et l'invitent à délibérer sur 
la forme du gouvernement en présence d»* 
Lysandre, de Philocharès et de Miltiade, de telle 
sorte que nul orateur ne puisse protester ni 
menacer, et que vous, au lieu de prendre ^^ 
résolutions les plus utiles à la république, vous 
soyez réduits ù voter celles que vous imposeraient 




CONTRE ÉRATOSTHÈNE (Xll, §§ 69-76). 29 

VOS ennemis. Théramène se lève : il vous enjoint 

de remettre le gouvernement d'Athènes à trente 

magistrats et d'adopter la constitution exposée par 

Dracontidès. Vous cependant, même dans une telle 

situation, vous protestez tumultueusement que vous 

n'en ferez rien : vous compreniez bien que, ce 

jour-là, votre assemblée allait décider si Athènes 

serait esclave ou libre. Théramène, ô juges — ici 

j'invoque le témoignage de vos propres souvenirs, 

— Théramène s'écrie alors qu'il ne tient pas compte 

de vos murmures,- parce qu'il sait que beaucoup 

d'Athéniens adhèrent à sa politique, et qu'il exprime 

d'ailleurs les intentions de Lysandre et de Sparte. 

Après lui, Lysandre se lève, et dit, entre beaucoup 

d'autres choses, qu'il vous considérait comme 

n'ayant pas exécuté les clauses du traité, et que, 

si vous n'obéissiez pas aux ordres de Théramène, ce 

n'est pas la forme du gouvernement qui serait en 

question, mais l'existence de la cité. Tous les 

honnêtes citoyens présents à cette réunion voient 

bien l'intrigue qui s'ourdit et la contrainte qu'on 

leur impose. Les uns restent et gardent le silence; 

les autres se retirent, et ont au moins conscience 

de n'avoir dojiné leur suffrage à aucune mesure 

fatale à la république; quelques-uns seulement, 

gens lâches ou mal inspirés, votent à mains levées 

ce qu'on leur a prescrit. Ils avaient reçu l'ordre 

de nommer dix citoyens désignés par Théramène, 

dix imposés par les éphores * qu'on venait d'éta- 



i. Après la conclusion de la paix, un comité de cinq membres 
avait été nommé pour préparer la révolution. Ces cinq délégués 
avaient reçu le nom à^ éphores ^ emprunté à la constitution de 
Sparte. 



30 LYSIAS. 

blir, dix choisis dans rassemblée même : vos ennemis, 
en effet, voyaient si bien votre faiblesse et étaient 
si sûrs de leur force qu'ils savaient d'avance ce que 
cette assemblée déciderait. 

Ce n'est pas moi qu'il faut en croire, c*est Théra- 
mène. Tout ce que je viens de vous dire, il Ta dit 
lui-même pour se justifier dans le Conseil, où il 
rappelait amèrement aux bannis qu'ils lui étaient 
redevables de leur rappel, alors que les Lacédémo- 
niens ne s'inquiétaient pas d'eux, et à ses collègues 
que c'était lui qui les avait élevés au pouvoir — par 
les moyens que je vous ai fait connaître, — pour 
être ainsi traité par eux maintenant, après leur 
avoir donné tant de preuves manifestes de sa 
loyauté et reçu d'eux-mêmes tant de serments. Et 
voilà celui dont Ératosthène et ses complices ose- 
ront se dire les amis, cet homme qui a commis tant 
d'indignités et d'infamies, celles-là et d'autres 
encore, anciennes ou récentes, grandes ou petites; 
ce Théramène qui a péri, non pour vous défendre, 
mais pour expier ses crimes; que l'oligarchie a jus- 
tement frappé ~ il travaillait déjà à la renverser — et 
qu'aurait aussi justement frappé la démocratie, — il 
vous avait deux fois asservi; — qui enfin, toujours 
ennemi de la constitution présente, toujours voulait 
celle qu'il n'avait pas, et décorait d'un beau nom les 
crimes abominables dont il donnait l'exemple. 



^ .i- 



CONTRE ÉRATOSTHÈNE (xii, §§ 76-78; 92-94). 31 

IV 
Péroraison : Appel aux deux partis. 

(§§ 92-100) 

Je veux, avant de descendre, rappeler quelques 
souvenirs aux citoyens des deux partis, à ceux de 
la ville et à ceux du Pirée, pour que les malheurs 
causés par ces hommes vous servent d'exemple au 
moment où vous allez déposer votre vote. Et d'abord 
vous qui appartenez au parti de la ville, considérez 
que leur tyrannie vous a réduits à engager contre 
des frères, des fils, des concitoyens une lutte où la 
défaite vous laisse les égaux des vainqueurs, mais 
où la victoire eût fait de vous leurs esclaves. Eux, 
à la faveur du désordre, augmentaient leur fortune 
privée ; et vous, cette guerre fratricide a diminué la 
vôtre. Ils ne voulaient pas vous associer à leurs 
profits, mais ils vous associaient de force à leur 
déshonneur, arrivant à ce point de mépris pour • 
vous, qu'au lieu de vous donner part à la fortune 
afin de s'assurer votre fidélité, ils croyaient, en vous 
faisant partager leur honte gagner votre bienveil- 
lance. Aussi, maintenant que vous n'avez plus rien 
à craindre, vengez-vous de tout votre pouvoir, 
vengez le Pirée. Songez d'abord que vous aviez en 
eux d'exécrables despotes; songez ensuite qu'au- 
jourd'hui, avec des hommes de cœur, vous exercez 
vos droits de citoyens, vous combattez vos ennemis, 
vous délibérez sur les intérêts de la cité. Rappelez- 
vous enfin ces auxiliaires établis par les Trente dans 



JSéÉ, 



32 LYSIAS. 

l'Acropole pour maintenir leur tyrannie el volri' 
servitude. 

J'aurais encore beaucoup à vous dire : je m'ar- 
rête. — Et vous, braves du Pirée, souvenei-ïOii'= 
que vous avei été dépouillés de vos armes, non p.ir 
les ennemis dans les nombreux combats livrés par 
vous hors de TAttique, mais par les Trente en plein" 
paix. Souvenez-vous aussi qu'ils vous ont cha'si'' 
de la ville de vos pères, et que, bannis, ils demnn- 
daient votre extradition à celles qui vous avnieni 
donné asile, A ces souvenirs enllammei-vous .1- 
colère, comme au temps de votre exil. Rappelw- 
vous aussi tout ce que ces hommes vous ont enci^iv 
fait souffrir : comment ils saisissaient les uns sur 
l'Agora, dans les temples, pour los faire périr d- 
mort violente; comment ils arrachaient les auti'- 
à leurs- enfants, à leurs parents, à leurs femm-''. 
pour les contraindre à se tuer de leur.i protin- 
mains, et défendaient qu'on leur rendit même k- 
derniers devoirs, persuadés apparemment que l-uf 
tyrannie était trop solide pour avoir rien à cminll^' 
de la justire céleste. Ceux d'entre vous qui éclinj.- 
pËrcnlà la mortcoururcnt bien des périls, errèri'ni 
en bien des villes. Chassés de partout, manquant 
de lout, apK's avoir laissé vos enfants, soit ilan< 
voire patrie devenue pour vous un sol ennemi, s^ii 
sur la terre étrangère, à travers d'innomhraM- 
obstacles, vous arriver enfin au Pirée. I.à, au mili-» 
de nombreux et sérieux dangers, vous déployez un 
intrépide courafie, et parmi vos concitoyens v<'U> 
délivrez les uns; aux auli-es, vous rouvrez Irur 
patrie. Si la fortune vous eût été contraire, si v>iii> 
aviez échoué dans cette lutte, vous-mêmes, d'un 



CONTRE ÉRATOSTHÈNE (XII, §§ 95-100). 33 

côté, VOUS seriez retournés en exil plutôt que d'en- 
durer encore une fois tout ce que vous aviez déjà 
souffert, sachant, qu'avec leurs façons tyranniques, 
vous n'auriez trouvé de refuge , malgré votre 
innocence, ni dans ces temples, ni au pied de ces 
autels, qui même pour les coupables sont un asile; 
et, quant à vos enfants, les uns, restés à Athènes, 
auraient été outragés par eux; et les autres, sur 
la terre étrangère, faute d'appuis, pour quelque 
mince dette, réduits en esclavage. 

Mais je ne veux pas vous parler de ce qu'auraient 
pu faire les Trente, quand je ne puis vous dire 
tout ce qu'ils ont fait : ce n'est pas assez d'un accu- 
sateur ou de deux; il en faudrait un grand nombvç. 
Du moins n'ai-je pas manqué de zèle pour dénoncer 
à votre justice les sanctuaires dont ils ont vendu 
les biens ou qu'ils souillaient de leur présence, la 
république qu'ils ont amoindrie, les arsenaux qu'ils 
ont détruits, enfin leurs victimes, dont vous n'avez 
pu sauver la vie, dont il vous faut venger la mort. 
Oui, j'imagine que ces morts nous entendent, et 
qu'ils apprendront à vous connaître quand vous 
déposerez vos suffrages dans l'urne. Si vous acquit- 
tez leurs bourreaux, ils se croiront eux-mêmes une 
seconde fois condamnés à périr; si, au contraire, 
vous les livrez au supplice, ils seront vengés. 

Je termine ici mon accusation. Vous avez entendu, 
vu, souffert; vous savez : jugez! 



POUR L'INVALIDE 

, (XXIV) 



L'Invalide pour qui fui composé ce plaidoyer 
il'liumble condition. C'éuil un petit commerçant qMj 
■tenait boutique près de rAgora. Parfois ses 
l'appelaient au dehors : on le rencontrait alors appu^f I 
sur deui béquilles, ou bien, quand les courses élalrni ■ 
trop longues, monté sur le cheval de quelque 
charitable. Comme il était bon compagnon et s 
rire, on se réunissait volontiers chez lui : sa 
était le rendez-vous, non pas peul^tre de la meilleur' 
société d'Athènes, mais de quelques habitués de l'Adora, 
pens de loisirs, amis des longues flâneries et des ru» 
vcrsalions sans Un sur la politique et sur tes procès " 
cours. On discutait sous l'auvent: on s'égaiyail iu> 
dépens des passants. L'Invalide avait la langue i' 
malheur ft qui lui déplaisait ; le trait était vite décochi 
et portait juste. Mais on le connaissait : soit qu'on !■ 
redoutât, soit qu'on ciU égard h son malheur, on 1' 
laissait dire. Un jour cependant quelqu'un dut pvi>ir- 
patience et il semble bien que ce Tùt unedese^vietiini- 
— un jeune homme sans doute — qui, pour « senff 
de ses railleries, voulut lui faire retirer la petite penûtd 
dont il jouissait. 

L'Invalide, en cTel, touchait une pension. En vrrli 
d'une loi due k Solon, tout citoyen dont la. fortune éiW 



7»r 



POUR l'invalide (xxiv). 35 

inférieure à trois mines (291 francs) et qu*une Infirmité 
mettait hors d'état de subvenir à son existence avait 
droit, poHrvu qu'il présentât certaines garanties de 
moralité, à l'assistance dç l'État. Celui-ci lui allouait une 
somme qui, à l'époque de notre discours, s'élevait à 
une obole par jour (environ fr. 16 de notre monnaie). 
Ces pensions étaient accordées par un décret du peuple 
et, chaque année, le Conseil (y; povXiq) procédait à un 
examen des Invalides (âSoxîfiaÇs toÙç àî-uvatoy;) pour 
s'assurer qu'ils remplissaient toujours les conditions 
exigées par la loi. Ceux qui ne se présentaient pas per- 
daient leurs droits pour la durée d'une prytanie * (35 à 
38 jours suivant les années). La procédure suivie était 
la même que dans les dokimasies ^ de magistrats. 
L'examen terminé, tout citoyen (6 Po-uX6(i,svo;) pouvait 
se porter accusateur et contester les titres de l'Invalide 
pensionné : celui-ci présentait sa défense et l'on pas- 
sait au vote. 

C'est à une défense de ce genre que nous avons ici 
a/Taire. L'objet du débat était mince; l'Invalide mis en 
cause était un bien petit personnage : tout le charme du 
discours vient de l'art délicat avec lequel Lysias a su 
approprier son style et ses arguments à la nature du 
sujet et au caractère de l'accusé. 

Vexorde est très simple, mais d'une simplicité soi- 
gnée, et sur un ton de fine et ironique bonhomie qui 
sera celui de tout le plaidoyer. L'affaire ne comportant 
point de nm^ration, l'orateur passe tout de suite à la 
discussion et reprend une à une les allégations de son 
adversaire. Quoi que celui-ci prétende, il n'est point 
dans l'aisance et son métier ne saurait le faire vivre; 
son infirmité est bien réelle : il suffît d'ouvrir les yeux 
pour la constater; enfin, tout ce qu'on a dit de son 
mauvais caractère, de son humeur querelleuse, de sa 
violence, est contraire au bon sens : il faut être riche, 

1. Les cinquante représentants que chacune des dix tribus 
avait au Conseil restaient successivement en permanence au pry- 
tance pendant la dixième partie de l'année. C'est cette période 
de temps qui constituait la prytanie. 

3. La dokimaaie était Vexamen auquel les différents magistrats 
étaient soumis avant leur entrée en charge. 



36 LYSIAS. 

jeune et bien bâti, pour se permettre d'être insolent. 
Rien de pénible d'ailleurs, ni de travaillé dans cette 
argumentation : l'Invalide ne se met point en frais pour 
prouver que sa fortune est bien inférieure à trois mine*, 
ou que, s'il touche une pension, c'est parce qu'il ne peut 
vivre de son travail. Ce serait attacher trop d'impor- 
tance au débat. Il plaisante, au contraire, il parle en 
homme qui est sûr ou qui veut paraître sûr de ses juge? 
et de sa cause; il discute peu les raisons de son adver 
saire, s'en amuse et les tourne en ridicule; ou, s H 
affecte de les prendre au sérieux, c'est pour en tirer de- 
conséquences inattendues et piquantes à force d*iic- 
prévu. Puis soudain il redevient grave : il s'indigne, il 
invoque les srentiments de justice et de pitié des mem- 
bres du conseil : mais sa gravité est souriante et ^>n 
indignation évite les grands éclats. Une étonnante 
variété de ton, un mélange constant du sérieux et «lu 
plaisant, de l'ironie et du pathétique, de la colère et 
d'une certaine bonne humeur'font de celte petite dis- 
cussion un chef-d'œuvre de grâce légère et amusantt- 
On dirait par moments que Lysias, très maître de st>n 
art, très sûr de ses effets, se joue lui-même de ses pro- 
pres procédés. Tel lieu commun débité gravement par 
l'Invalide prend dans sa bouche un air de parodie. <r: 
un certain comique très fin, sensible surtout à de« 
oreilles exercées aux disputes judiciaires, nait du cttn- 
traste voulu entre l'objet du débat et l'emploi pour li 
défense de moyens en usage dans les plaidoyers plu- 
sérieux. La même variété de ton se retrouve dans îi 
péroraison, mais avec quelque chose de plus érau. Aprr- 
avoir rappelé — ce que devait faire tout bon Athénier 
cité en justice — qu'il avait fui la ville sous les Trente. 
l'orateur termine en ramenant la question à ses vérita- 
bles proportions et en donnant une dernière leçon à son 
adversaire. 

On ignore la date exacte du procès de l'Invalide : «r. 
voit seulement, d'après le § 25, qu'il est postérieur de 
plusieurs années au rétablissement de la démocratie. 



POUR l'invalide (xxiv, §§ 1-4). 37 

Discours. 

{§§ 1--21) 

Pour un peu, citoyens du conseil, je remercierais 
mon accusateur de m'avoir intenté ce procès. Car 
auparavant je n'avais pas de prétextes pour rendre 
compte de ma conduite, et voici que, grâce à lui, 
j'en ai trouvé un. Aussi je vais essayer, en vous 
parlant, de montrer que cet homme ment, et que, 
pour ce qui est de moi, la vie que j'ai menée jusqu'à 
aujourd'hui devrait m'attirer des éloges plutôt que 
la jalousie. S'il m'expose au danger où vous me 
voyez, c'est en effet, à ce que je crois, par pure 
jalousie. — Et de quelle méchanceté, à votre avis, 
n'est-on pas capable, quand on porte envie à des 
gens dont tout le monde a pitié? — Car enfin ce 
n'est pas par amour de l'argent qu'il me calomnie, 
et s'il allègue que je suis son ennemi et qu'il se 
venge, il ment. Méchant comme il l'est, je n'ai jamais 
eu de rapports avec lui ni comme ami ni comme 
ennemi. Vous voyez donc bien qu'il est jaloux, et 
cela, parce que, dans le malheur où je me trouve, 
je suis encore meilleur citoyen que lui. C'est que 
j'estime, citoyens du conseil, qu'il faut que les 
qualités morales corrigent les misères physiques. 
Supposez que mes sentiments, que toute ma 
conduite répondent à mon mauvais sort, en quoi 
vaudrais-je mieux que cet homme? 

Mais en voilà assez sur ce sujet. Pour la défense 
qu'il me convient de présenter, je serai aussi court 
que je pourrai. Mon adversaire prétend que je n'ai 



38 LYSUS. 

ancQD droit à toucher l'argent de la cité, que j-- 
suis asseï solide de corps poor n'être pas compi' 
parmi ks Im-alides, et que j'exerce un méli'r 
Citpable, même sans le secours qui m'est alloué. Jv 
me faire rirre. Les preuves qu'il allègue sont, pour 
ma force corporelle, que je monte à ctieval, pour 
les profits de mon métier, que je suis en état J- 
frêquenler des gens qui sont eux-mêmes eo étal i)>r 
faire de la dépense. Sur les profils de mon métier. 
et sur toute ma vie, du reste, vous savei tous, j^ 
pense, à (pioi vous en tenir. Je veux cepcnd-nnl 
vous en dire à mon tour quelques mots. 

Mon pèi'e, en liéritage, ne m'a rien laissé du tout: 
ma mère est morte il y a deux ans, et jusque-lJ 
j'ai pourvu à son entretien; quant à des enrani> 
pour me soigner, je n'en ai pas encore. Ce que j-' 
lire de mon métief est peu de chose ; déjà j'ai J- 
1.1 peine à l'exercer moi-même, etje n'ai pas encoi* 
le moyen d'acheter un esclave qui me remptacr. 
En fait de rentes je u'ai que celle-ci. One vous ni' 
l'enleviez, je risque fort de tomber dans la plii> 
noire misère. Eh bien non, citoyens du conseil- 
jiuisque vous pouvez, en bonne justice, me sau^-i 
la vie, n'allez pas contre toute justice me l'âter: i- 
que vous m'avez accoriié alors que j'étais plu- 
j«une et plus solide, n'allez pas me le retinT 
aujourd'hui que je suis vieux et sans forces ; n'allr j 
pas, api-ès avoir passé jusqu'ici pour la nation h 
plus humaine h l'égard même de ceux qui u'avaieni 
aucune infirmité, accueillir avec dureté, pour le bo" 
plaisir de cet homme, des mi.sérables qui font pili' 
même à leurs ennemis; n'allez pas, en prenant sur 
vous de me faire du tort, iMei' tout courage & ceuï 



POUR l'invalide (xxiv, §g 4-10). 39 

qui se trouvent dans la même situation que moi-. 
Ce serait, en effet, citoyens du conseil, une chose 
Jbien étrange : on m'aurait vu toucher cette pension, 
quand je n'avais que mon malheur, et maintenant 
que la vieillesse, la maladie, et tout leur cortège 
de maux viennent fondre sur moi, maintenant, dis- 
je, on me l'enlèverait! 

Pour nia pauvreté, m'est avis que mon adversaire, 
à lui tout seul, pourrait mieux que personne au 
monde vous en montrer l'étendue. Supposez que 
Je sois constitué chorège pour le concours de tra- 
gédie et que je le somme de faire l'échange des 
biens *, il aimerait mieux exercer dix fois la 
chorégie que de consentir une seule fois à l'échange. 
Eh bien! n'est-ce pas là une chose bizarre? Voilà 
un homme qui allègue contre moi que j'ai assez de 
bien pour frayer de pair avec les citoyens les plus 
riches d'Athènes, et, si ma supposition pouvait en 
quelque point se réaliser, il reconnaîtrait que je 
suis tel que je dis, et plus misérable encore! 

'Sur mes aptitudes équestres, dont il a eu le front 
de vous entretenir, sans avoir égard ni à la fortune, 
ni à vous-mêmes, point n'est besoin de tant parler. 
Je dis seulement, en effet, citoyens du conseil, que 
tout homme ayant éprouvé quelque disgrâce cherche 
et s'ingénie à trouver un moyen, pour s'accommoder 
au moins mal possible de son malheur. Or je suis 
du nombre, étant tombé dans l'infortune où vous 
me voyez, et c'est là l'adoucissement que j'ai trouvé 
aux courses trop longues que la nécessité m'impose. 
La meilleure preuve, citoyens du conseil, que le 

1. Voir p. l(fô, n. 1. 



40 



LYSIAS. 



malheur seul, et non nion insolence» comme il le 
prétend, me fait aller à cheval, c'est que, si j'avais 
des rentes, je me ferais porter en cacolet, au lieu 
de monter des bêtes d'emprunt. Comme il m'est 
impossible de me payer un pareil équipage, je suis 
bien obligé de recourir souvent au cheval du voisin. 
Eh bien, n'est-ce pas une chose absurde, citoyens 
du conseil, que le même homme, qui, s'il me voyait 
voiture en cacolet, garderait le silence — car que 
pourrait-il encore dire? — parce que je monte un 
cheval d'emprunt, cherche à vous faire entendre 
que je suis valide? Je me sers aussi de deux bdlons 
pour marcher, alors que les autres Athéniens n'en 
ont qu'un : que ne soutient-il contre moi que cela 
aussi est le fait d'un homme bien portant, lui qui, 
de ce que je monte à cheval, se fait un argument 
pour vous soutenir que je ne suis pas infirme? Car 
cheval ou béquilLs c'est pour la même raison que 
je me sers de l'un et de l'autre. 

Mais il passe tellement en effronterie tous les 
autres hommes, qu'il s'efforce de prouver — lui 
seul contre vous tous tant que vous êtes — que j<' 
ne fais pas partie des Invalides. Eh bien! s'il par- 
vient à faire admettre cela à quelques-uns d'entn* 
vous, citoyens du conseil, qui empêche que je prenne 
part au tirage au sort pour les neuf archontes, et 
que vous me priviez de mon obole, comme sain de 
corps, pour l'en gratifier tous en chœur, par un 
vote, comme estropié. Car apparemment vous n'irei 
pas priver de sa pension, en alléguant qu'il est 
valide, un homme auquel les thesmothètes refuse- 
ront le tirage au sort en alléguant qu'il ne Test pa5. 
Mais je sais bien (jue vous n'êtes pas d'accord avec 



k 



POUR l'invalide (XXIV, §§ ll-i7). 41 

mon adversaire, — lui non plus, d'ailleurs, et il a bien 
raison. Il vient exercer ses revendications comme 
si mon malheur était une fille épiclère *, et il s'efforce 
de vous faire entendre que je ne suis pas l'infirme 
que vous voyez; mais vous, comme il convient à des 
hommes de sens, croyez-en plutôt vos yeux que les 
discours de cet individu. 

Il dit encore que je suis insolent, que je suis vio- 
lent, que je suis extrêmement grossier, comme 
si, en employant de grands mots, il devait dire la 
vérité, et si, en le prenant de moins haut, ce n'était 
plus la même chose ! Moi , j'ai idée , citoyens du 
conseil, que c'est à vous de faire une distinction 
entre ceux qui peuvent se permettre d'être insolents 
et ceux qui ne le peuvent pas. Ce n'est point aux 
gens pauvres et dénués de toutes ressources que 
l'insolence est naturelle, c'est à ceux qui ont plus 
que le nécessaire ; ce n'est pas à des individus mal 
bâtis, mais à ceux qui peuvent avoir toute con- 
fiance en leurs bras; ce n'est pas à ceux qui sont 
déjà avancés en âge, mais à des hommes jeunes et 
de corps et d'esprit. Les riches, en effet, avec leur 
or, achètent l'impunité; mais les pauvres, privés 
de tout, sont obligés par là même d'être sages. Pour 
ce qui est des jeunes, on trouve bon qu'ils obtien- 
nent l'indulgence des vieux : mais quand ce sont 



1. Â Athènes, les filles n'héritaient pas; mais en Tabsencc d'héri- 
tiers mâles, elles étaient appelées à transmettre la succession. On 
les désignait alors sons le nom d'épiclères. Comme la religion de 
la famille se transmettait avec la fortune, le plus proche parent 
de Vépiclère avait le droit de la réclamer en mariage. Aussi plus 
la succession était importante, plus les prétendants étaient nom- 
'>reax. D'où de fréquentes contestations que les tribunaux avaient 
i trancher. 



les vieux qui font mal, tous, jeunes et vieux, sont 
d'accord pour les blâmer. Enfin des gens robuslo 
peuvent, sans qu'il leur arrive malheur, insulter qn: 
bon leur semble : mais il est interdit h un impoleoL 
et lorsqu'on l'insulte, de repousser l'insulteur, eU'il 
veut faire l'insolent, d'avoir le dernier mot avec s** 
victimes. Aussi, quand mon adversaire vient parlr 
de mon insolence, je ne crois pas qu'il le fa^ 
sérieusement : il plaisante et cherche moins à ïûus 
persuader que je suis ce qu'il dit, qu'à me tourner 
en ridicule — comme si c'était là un bel exploil- 

II raconte aussi que ma boutique est le renJ'-'- 
vous d'une foule de gens tarés, qui, après avoir 
gaspillé tout leur bien, cherchent à faire tombct 
dans leurs pièges ceus qui veulent conserver leur 
avoir. Mais mettez-vous bien tous ceci dans la trtf. 
c'est qu'en disant cela ce n'est pas plus à moi qui 
tous les gens de métier qu'il s'en prend, ni à rar? 
pratiques plus qu'à celles des autres artisans 
C'est, en effet, pour chacun de vous une habituil*'' 
on va faire son tour chez le parfumeur, chei I' 
barbier, chei le cordonnier, chez n'imporle qm- 
plus souvent dans les boutiques qui sont le plU' 
rapprochées de l'Agora, plus rarement dans cellr> 
qui s'en éloignent davantage. En sorle que, accu>«i 
de malice ceux qui viennent cheï moi, c'est accus<r 
aussi ceux qui passent leur temps chez lesaulr^- 
et du mi^me coup, tous les Athéniens. Car tousvov 
aimez à faire votre lour et à vous installer là ou U- 

Mais je ne sais, en vérité, si je dois répondr 
point par point à chacun de ses dires et vou- 
ennuyer plus longtemps. J'ai traité les question- 
les plus importantes; à quoi bon m'occuper d'arii" 



■î-Ç^ 



POUR l'invalide (xxiv, §§ 17-25). 43 

ments qui ne valent pas mieux que Thomme qui 
est là? Mais tous, citoyens du conseil, je vous 
demande de conserver de moi la môme opinion que 
vous aviez jusqu'à aujourd'hui : le seul avantage 
auquel la fortune m'ait donné part dans ma patrie, 
ne m'en privez pas pour le bon plaisir de cet homme ; 
ne souffrez pas que ce que vous m'avez accordé 
jadis par un vote unanime, mon adversaire, à lui 
seul, vous persuade aujourd'hui de me l'enlever! 
La divinité, citoyens du conseil, nous ayant interdit 
les plus hautes magistratures, la cité nous a, par un 
vole, accordé cette pension, considérant que tout le 
monde doit avoir les mêmes chances de bonheur et 
de malheur. Ne serait-ce pas dès lors le comble de 
la misère, si, déjà privé par mon accident de ce 
qu'il y a de plus important et de plus honorable, je 
me voyais également frustré, par le fait de mon 
accusateur, de ce que la cité, dans sa sollicitude 
pour les malheureux comme moi, m'a accordé. Non, 
citoyens du conseil, n'accordez pas votre vote à 
cette tentative. 

Et pourquoi en viendrais-je à trouver chez vous 
de tels sentiments? Serait-ce que quelque citoyen 
traduit par moi en justice ait jamais, par ma faute, 
perdu sa fortune? Mais il n'y aurait pas un seul 
homme pour le prouver. Suis-je alors un intrigant, 
plein de confiance en lui, aimant à se faire des 
ennemis? Mais je n'ai pas des moyens d'existence 
à me permettre de pareilles manières. Est-ce donc 
que je suis un insolent, un emporté? Mais mon 
accusateur lui-môme se garderait de le prétendre, 
s'il ne voulait ajouter un nouveau mensonge à 
tous les autres. Serait-ce enfin qu'on m'ait *vu sous 



les Trente disposer du pouvoir pour faire !■■ 
malheur de beaucoup de mes concitoyens? Mai? 
j'étais en exil avec vous, avec le peuple, à Chalcis. 
et quand rien ne m'empêchait de vivre ici tran- 
quillement avec les Trente, j'ai mieux aimé m ex- 
patrier, et partager vos périls. Ne me frailez donr 
pas, ciloyens du conseil, moi qui n'ai comim^ 
aucune Taute, comme vous traitez ceux qui en ont 
commis de nombreuses; que voire vote soit pour 
moi ce qu'a été celui des Conseils qui vous ont pn- 
cédés. Souveneï-vouB que je ne suis pas là api> • 
avoir manié l'argent de la cité, pour rendre m""- 
comptes, ni après avoir exercé une magislralun 
pour justifier mon administration, mais qu'il n<- 
s'agit dans ce débat que d'une obole. Et alurs, 
votre décision sera conforme au droit; moi, j'obtien- 
drai justice, et vous rendrai la reconnaissance qui 
vous est due; quant à mon adversaire, cela lut 
apprendra à ne pas s'attaquer à plus faible que lui. 
et à ne chercher des triomphes que sur ses égaux. 



rTpp 



POUR UN SUSPECT 

(XXV) 



ARGUMENT 

Le titre * sous lequel ce discours nous est parvenu n'est 
pas exact. Le personnage inconnu qui est mis en cause 
n'a pas spécialement à répondre à une accusation de 
menées anti-démocratiques (ypaçT) xaraXOdea); xoO 6i^{iou). 
Désigné, par le sort ou par Télection, pour Texer- 
cice d'une magistrature, il s'était présenté, comme 
devaient le faire tous ceux qui étaient dans son cas, 
pour subir Vexamen (ôoxijiaortx) devant le tribunal 
(èv $ix(z<rTT}p(fi)). Lorsque, Vexamen terminé, le président 
avait posé la question traditionnelle : « Quelqu'un veut-il 
accuser cet homme? • (tovtou poûXeraî ttç xaTYiyopeïv ;), 
trois accusateurs, Épigène, Démophane et Clislhène, 
s'étaient présentés. Leur accusation entendue, la parole 
avait été donnée à l'accusé, et c'est le discours prononcé 
par lui à ce moment que nous possédons. Ce discours 
est donc proprement une défense pour un citoyen mis 
en cause à l'occasion d'une dokimasie. Comme l'accusa- 
tion avait été dirigée surtout contre la conduite du can- 
didat sous l'oligarchie, celui-ci s'applique, dans sa 
défense, à établir la sincérité de ses sentiments démocra- 
tiques et de son attachement à la constitution. De là 

I. Titre dans le manuscrit : Défense pour un citoyen, accusé de 
menées anti-démocratiques. ... 



46 LYSÏAS. 

l'erreur commise sur la nature du débat et par suite <ur 
le titre du discours. 

Nous ne connaissons les accusateurs que de nom: 
mais du moins nous savons à quel parti ils apparte- 
naient. Ils étaient du nombre des démocrates avancé? 
qui, revenus avec Thrasybule, avaient subi pluti^t 
qu'accepté l'acte de réconciliation, et qui, depuis, cher- 
chaient à le rendre lettre morte dans la pratique. Leur 
haine intéressée ne faisait aucune distinction paroi, 
ceux qui n'avaient pas quitté Athènes sous les T^enl<^ : 
quiconque n'avait pas fui les oligarques passait à leur^ 
yeux pour les avoir servis : et contre tous ils avaient 
une accusation toujours prôte, celle d'avoir pris part . 
des menées anti-démocratiques. Or, peu avant la doh - 
masie qui fait l'objet de notre discours, ce parti avait 
remporté un succès. Le bruit s'étant répandu que Ify 
aristocrates retirés à Eleusis, en vertu des conventions, 
préparaient un retour ofTensif contre Athènes , le- 
démocrates avancés avaient organisé contre eux un** 
expédition. Les chefs de l'armée d'Élcusis, appelés pour 
négocier, avaient été mis à mort et l'on avait conclu un 
nouvel et définitif arrangement avec les derniers sur^i* 
vants de l'oligarchie (40i-iOO). Fière de ce succès, i\ 
démocratie radicale relevait la tête et reprenait coniiv 
le parti modéré le système d'attaque dont elle avait fait 
Pessai avec le Discours contre Èralosthine. A trois an« 
de distance, et en tenant compte de la dilTérence d«« 
circonstances^ la Défense pour im suspect forme <lon«- 
comme la contre-partie de ce discours, et, après avoir 
entendu Lysias se faire l'interprète des rancunes démo- 
cratiques, nous l'entendons plaider, pour le compta 
d'un client, la cause du parti modéré. 

Le métier de logographe imposait quelquefois de Ct> 
tâches délicates; mais nul n'était plus capable que 
Lysias de les mènera bien. 11 avait l'art non seuleroen: 
de se dissimuler derrière son client, mais de s'identifier 
avec lui, d'entrer dans ses sentiments, de partager m^ 
vues. 11 ne se contentait pas d'observer ses habitudes et 
de saisir ses manies : sa psychologie allait plus avant 
et atteignait le caractère. Peu de discours le monlre- 
raient mieux que celui-ci. 



h- 



=Tyrr-- 



POUR UN SUSPECT (XXV). 47 

L'accusé est inconnu, mais sa personnalité est si for- 
tement empreinte dans le discours composé pour lui 
par Lysîas, que nous arrivons sans nul effort à nous le 
représenter. C'est un homme qui, visiblement, s'est 
intéressé à la politique, mais que la politique a lassé. 
Engagé, à ce qu'il semble, dans le parti de Théramène, 
il avait au début favorisé l'oligarchie; puis bien vite il 
avait compris qu'il faisait fausse route et s'était ténu 
à l'écart. De son passage aux affaires, il avait gardé 
ce sentiment que, dans les luttes de parti, ce sont 
toujours des intérêts personnels qui sont en jeu. On 
ne naît point aristocrate ou démocrate : les opinions 
sont affaire de circonstance : l'avantage de chacun en 
décide. Voulez-vous savoir si cet homme a servi la 
cause de la révolution? Demandez-vous plutôt s'il avait 
profit à la servir. En cela, d'ailleurs, nulle mauvaise 
humeur : de l'amertume, mais point de rancune. Le 
client de Lysias n'a rien du politique qui se croit 
méconnu : il se contente d'observer les événements et 
de tirer la leçon que ces événements comportent. Libre 
de tout esprit de parti, non seulement défiant, mais 
radicalement sceptique à l'égard de tout ce qui est sen- 
timent, il le fait d'une façon tranquille. 11 ne s'indigne 
pas, il ne s'émeut pas, il est revenu de tout. Comment, 
en effet, conserver encore des illusions quand on a vu 
autour de soi un Pisandre, un Phrynichos servir avec la 
même ardeur la démocratie et l'oligarchie, quand on a 
rencontré parmi les patriotes du Pirée d'anciens mem- 
bres du gouvernement des Quatre-Cents? 

Homme d'expérience, c'est l'expérience qu'il invoque. 
Ses raisonnements n'ont rien d'abstrait : à chaque ins- 
tant ils s'appuient sur les faits : ils ne sont en quelque 
sorte que ces faits rapprochés et mis en lumière les 
uns par les autres. Tout le discours se réduit à une 
série de considérations sur l'histoire intérieure d'Athènes 
depuis la fin du cinquième siècle. Ces considérations 
»e sont pas liées entre elles d'une façon très étroite, 
6t l'orateur ne paraît pas se préoccuper des transitions. 
Mais chacune d'elles prise à part est présentée avec 
force, en des développements très nets, très clairs et 
^ont l'ampleur contraste avec la sécheresse ordinaire de 



48 LYSIAS. 

Lysias. C'est ainsi que jusque dans la façon d'expos«r 
les faits reparait le caractère pratique de raccusé. Tout 
est subordonné à la nécessité de faire comprendre i 
l'auditeur les leçons que lui fournit Thistoire. Aussi 
cette Défense est-elle moins un plaidoyer qu'un discours 
politique : elle a sa place marquée à côté du Contre 
Èratosthene parmi les œuvres les plus fortes de Lysiâ>. 



Fragment d'Argumentation. 

(§§ 7-27) 

... J'essaierai de vous montrer quels sont, à m«^Q 
avis, parmi les citoyens, ceux qui doivent naturelle- 
ment souhaiter, les uns, un régime oligarchique, ^^ 
autres, une démocratie. Cette distinction nous per- 
mettra, à vous, de prendre votre décision, à ni«»J. 
de présenter ma défense. J'établirai, en effet, qu»- 
rien dans ma conduite, ni sous la démocratie, m 
sous l'oligarchie, ne devait faire de moi un ennemi 
du peuple. Gela étant, vous devez avant tout vou* 
bien mettre dans l'esprit que nul homme n'est, p^r 
caractère, ni partisan de l'oligarchie, ni parUs«in 
de la démocratie. Le régime que chacun souhait'* 
de voir établi, c'est celui qui sert le mieux ses inU- 
rets. C'est donc de vous qu'il dépend pour un» 
large part que les partisans de l'ordre de chos^^ 
actuel soient le plus nombreux possible. Et la preu»' 
qu'il en est bien ainsi, vous la trouverez sans pein* 
dans les événements antérieurs. Considérez en e(TeU 
juges, de quelle versatilité les chefs de nos deux oli- 
garchies ont fait preuve. N'est-ce pas Phrynicho>, 
Pisandre et les démagogues de leur suite qui, apn-^ 
vous avoir fait beaucoup de mal, ont établi, pjr 



^'J^vv^r-...-! 



POUR UN SUSPECT (XXV, §§ 7-11). 49 

crainte du châtiment qu'ils s'étaient attiré, la pre- 
mière oligarchie? N'a-t-on pas vu un grand nombre 
de ceux qui avaient fait partie des Quatre-Cents ren- 
trer à Athènes avec les démocrates du Pirée, et quel- 
ques-uns de ceux qui avaient renversé les Quatre- 
Cents, se retrouver ensuite parmi les Trente ? Certains 
même, après s'être fait inscrire pour résider à Eleusis, 
ont marché avec vous contre cette ville, assiégeant 
ainsi ceux dont ils avaient partagé les sentiments. Il 
n'est donc pas difficile de voir, juges, que ce n'est 
point la question de la forme du gouvernement qui 
nous divise, mais bien celle de nos intérêts parti- 
culiers. Voilà ce qui doit vous guider, lorsque vous 
avez à juger, dans une dokimasie *, des citoyens : 
examinez leur conduite sous la dernière démocratie, 
cherchez s'ils avaient quelque intérêt au renverse- 
ment de la constitution, et votre sentence sera alors 
tout à fait conforme à la justice. 

Ainsi, à mon sens, tous ceux qui, sous la démo- 
cratie, avaient, à la suite d'une reddition de comptes 2, 
été privés de leurs droits de citoyens, tous ceux qui 
s'étaient vu confisquer leurs biens ou qui avaient 
éprouvé quelque au're disgrâce du même genre, 
tous ceux-là devaient naturellement souhaiter l'avè- 
nement d'un nouveau régime, dans l'espoir de 
retirer quelque avantage d'uùe révolution. Quant 
à ceux, au contraire, qui souvent ont rendu service 
au peuple sans jamais lui faire de mal, et dont la 
conduite mérite de votre part plutôt de la recon- 
naissance qu'un châtiment, il ne convient pas 
d'accueillir les calomnies qu'on débite contre eux, 

1. Voir p. 35, n. 2. 
•2. Voir p. 135, n. 1. 



..v^-a^ 



SO LYSUS. 

non, pas même si tous nos hommes politiqD« 
vous les représentent comme animés de s«nii- 
ments oligarchiques. Et maintenant, en ce quinif 
concerne, juges, jamais à l'époque dont je vou.- 
parle, je n'avais k aucun moment, ni dans if^ 
alTaires privées ni dans des affaires publitiU"^. 
éprouvé la moindre disgrâce qui pût faire de in*i. 
par désir de me tirer d'nne situation fâcheuse. I' 
partisan d'un nouvel ordre de choses. J'ai eiercr 
cinq fois la triérarchie et pris part à quatre balailIfJ 
navales ; pendant la guerre, j'ai'fourni de nombreux 
contributions, cnRn je ne me suis montré, dan? 
l'exercice de mes liturgies ', inférieur à aucun J* 
mes concitoyens. Or si je dépensais ainsi plus qor 
la cité ne le demandait, c'était alin que vous eussin 
de moi une meilleure opinion, et que, si jamais 
quelque disgrâce m'atteignait, je pusse me défeoilff 
dans de meilleures conditions. Ces avantages. j'«B 
ai été complètement privé sous l'oligarchie. Ce n'éuii 
pas en effet à des hommes qui avaient rendu quelqu' 
service au peuple que les oligarques croyaient devuL- 
de la reconnaissance : ceux qu'ils élevaient aux hon- 
neurs, c'étaient ceux qui vous avaient fait le plus il' 
mal, trouvant là, de la part des gens restés comni' 
moi dans la ville, un gage de fidélité donné à leur 
cause. Voilà ce dont vous devez vous persuader, D' 
vous fiant pas aux discours des hommes ici préseoLi. 
mais cherchant, à la lumière des faits, ce qu'a été la ' 
conduite de cluicun. Quant à moi, en eiïet, jugp.'- 

1. ïjo mot de Ufuri/îe d^iigne certaines obligaticint qnp i^tu' 
jnipoEAitaux cjtojen>]os plus riches; celles, ptr exemple, de pour 



POUR UN SUSPECT (XXV, gg H-16). 51 

je n'ai pas fait partie des Quatre-Cents, — ou bien 
que celui de mes accusateurs qui le voudra s'avance 
à la tribune pour me confondre; — encore bien 
moins pourra-t-on vous prouver qu'après l'établis- 
sement des Trente, j'ai fait partie du Conseil ou 
exercé aucune magistrature. Eh bien! si pouvant 
exercer des charges, je les ai refusées, j'ai droit 
aujourd'hui à recevoir de vous un honneur, et si 
c'est que les gens alors au pouvoir ne voulaient pas 
de moi comme collaborateur, puis-je vous prouver 
plus clairement l'imposture de ceux qui m'accusent? 
Mais il convient, juges, que vous teniez compte 
aussi dans votre examen du reste de ma conduite. 
J'ai, en effet, gardé, au milieu des malheurs de la 
cité, une attitude telle que si tous avaient partagé 
mes sentiments, personne parmi vous n'aurait 
éprouvé la moindre disgrâce. On verra qu'au temps 
de l'oligarchie, personne n'a été par moi traîné en 
prison, que je n'ai ni exercé de vengeance contre 
aucun de mes ennemis, ni obligé aucun de mes 
amis, — à la vérité, ce n'est pas ce dernier trait qui 
doit vous étonner : il était en effet difficile à une 
pareille époque de rendre un service, tandis que 
faire le mal était chose à la portée de tous, — on 
verra, dis-je, que je n'ai fait inscrire sur la fameuse 
liste * aucun Athénien, que je n'ai obtenu de sentence 
arbitrale contre personne, et que je n'ai pas profité de 
vos malheurs pour m'enrichir. Eh bien, si vous ne 
pardonnez pas à ceux qui ont été la cause de vos 



1. Il s'agit probablement de la liste, dressée sur la demande de 
l^ysandre, des citoyens autres que les trois mille. Ces derniers 
seuls jouissant des droits politiques, cette liste était comme une 
sorte de liste de proscription. 



.M 



52 LYSFAS. 

maux, il est naturel aussi que vous regardiez comme 
meilleurs que les autres les citoyens qui ne vous ont 
fait aucun mal. Au reste, juges, je crois avoir donné 
à la démocratie le plus sûr des gages. N'ayant rien 
fait contre elle à cette époque, et quand la chose 
m'eût été si facile, à plus forte raison aujourd'hui 
mettrai-je tout mon zèle à me montrer excellent 
citoyen, étant bien certain qu'à la première faute 
je recevrais, sans tarder, mon châtiment. Mais 
pourquoi insister? Mes principes sont toujours 
restés les mêmes : sous l'oligarchie, je ne cherchais 
pas à prendre le bien d'autrui ; sous la démocratie, 
je dépense le mien pour vous sans compter. 

J'estime également, juges, qu'il ne serait pas 
juste de prendre en haine ceux qui, sous Toligar- 
chie, n'ont éprouvé aucun malheur, quand rien ne 
vous empêche de sévir contre ceux qui ont fait tort 
au peuple, et que vous devez tenir pour ennemis, 
non ceux qui ne sont pas partis en exil, mais ceux 
qui vous y ont envoyés; non ceux qui se préoccu- 
paient de sauver leur fortune, mais ceux qui s'em- 
paraient de celle de leurs concitoyens; non ceux 
qui, pour assurer leur propre sécurité, sont reslôs 
dans la ville, mais ceux qui, pour en faire périr 
d'autres, ont mis la main au pouvoir. Que si tous 
croyez nécessaire de perdre les hommes que Tinjus- 
tice des tyrans a épargnés, de tous les citoyens 
restés dans la ville pas un ne subsistera. 

Voici encore, juges, une considération qui doit 
vous guider. Sous la première démocratie, vous If 
savez tous, beaucoup de nos hommes politiques 
pillaient le trésor public ; quelques-uns se laissaient 
corrompre et vous payiez les frais; d'autres, par 



POUR UN SUSPECT {XXV, gg 16-22). 53 

leurs dénonciations calomnieuses, poussaient nos 
alliés à faire défection. Si les Trente n'eussent 
exercé leurs sévérités que contre ces gens-là, vous 
auriez été les premiers à les tenir pour de bons 
citoyens; mais comme vous voyiez qu'en réulitfi 
ils prétendaient faire porter à tout le peuple lo poids 
de ces fautes, vous vous indigniez, considérant qu'il 
était révoltant d'associer aux injustices de quel- 
ques-uns la cité tout entière. Vous ne devez Jonc 
pas, après avoir vu, sous les Trente, à quelles erreurs 
ces principes conduisaient, vous en inspirer aujour- 
d'hui, ni considérer comrae juste, quand vous l'in- 
flige)! à d'autres, un traitement que vous estimiez 
injuste quand vous en étiez les victimes. Rentrés 
dans la ville, ayez pour ces autres citoyens les sen- 
timents que, dans votre esil, vous aviez pour vous- 
mêmes. C'est par là que vous assurerez le mieux la 
concorde, que notre cité deviendra tout à fait puis- 
sante, et que voire décision sera le plus désagniaijle 
à vos ennemis. 

Vous devez songer aussi, juges, à ce qui s'est 
pjissé au temps des Trente, pour que les fautes de 
vos ennemis vous inspirent de meilleures résolu- 
tions dans vos propres affaires. Quand on 'venait 
vous dire que les gens de la ville étaient d'accord 
entre eux, vous ne comptiez guère sur une rentrée 
dans Athènes, considérant que, dans votre situation 
d'exilés, notre union était pour vous le pire des 
maux ; appreniez-vous au contraire que les trois 
mille se constituaient en parti, qu'on décrétait le 
bannissement des autres citoyens, que la division 
se mettait parmi les Trente, qu'il y avait plus de 
gens à trembler pour votre sort qu'à vous combattre. 



54 LYSIAS. 

c'est alors que vous vous croyiez loulprèsdc fuire 
votre rentrée et de tirer vengeance de vos ennemis. 
La conduite que vous leur voyiez tenir était préci- 
sément celle que vous demandiez aux dieux A' 
leur inspirer, persuadés que la perversité dp> 
Trente ferait plus pour votre salul, que les forer* 
des exilés pour voire retour. 

C'est donc, juges, en vous appuyant sur l'exempli' 
du passé, que voua devez arrêter vos résolutions 
pour l'avenir : et ceux-là doivent être regani'"'* 
comme les meilleurs amis du peuple, qui veulent 
maintenir la concorde parmi vous et s'en lienneni 
fld&lement aux serments et aux conventions, con- 
sidérant que celte politique est, pour la ville, la 
meilleure sauvegarde, pour vos ennemis, le plus dur 
des châtiments. Rien en effet ne saurait leur èliv 
plus pénible que d'apprendre que nous avons aclrt'^ 
aux affaires, et d'autre part de voir que les ciloïen> 
vivent comme si aucune difficulté ne s'était jamai-' 
élevée enlre eux. Il esl nC-cessnire (Vgalemenl de !'■ 
savoir. Juges, les oligarques exilés souhaitent qur 
le plus grand nombre possible de citoyens soient 
exposés à la calomnie et privés de leurs droit*, 
dans Tespoir que vos victimes deviendront pour 
eux des alliés; et d'un autre côté, ils ne serai*"' 
pas fâchés d'apprendre que les sycophanles sont en 
honneur auprès de vous, et jouissent d'un granJ 
crédit dans la ville, car ils regardent la malice >)<' 
ces gens comme leur meilleure chance de salul. 

Il est bon de vous rappeler aussi les événement 
qui ont suivi le régne des Quaire-Cents. Vous Tern"! 
alors parfaitement que ce que ces gens-là s'ac- 
cordent à vous conseiller n'a Jamais été à votrï 



POUR UN SUSPECT (XXV, gg 22-27). 55 

avantage, et qu'au contraire les résolutions que je 
vous invite à prendre peuvent servir en toutes 
circonstances l'une et l'autre forme de gouverne- 
ment. Vous savez en effet qu'Épigène, que Démo- 
phane, que Clisthène, dans leur particulier, ont 
exploité à leur profit les malheurs de l'État, dans 
leur vie publique, ont provoqué les maux les plus 
grands. Pour les uns, c'a été la peine de mort qu'ils 
vous ont fait prononcer, sans jugement régulier; 
pour un grand nombre, des confiscations injustes; 
pour d'autres, le bannissement et la privation des 
droits de citoyen. Ils étaient gens à se faire payer 
pour innocenter les coupables, et à citer les inno- 
cents devant vous pour les perdre. Et ils n'eurent 
pas de cesse qu'ils n'eussent jeté la cité dans les 
dissensions et dans les plus grands malheurs, et 
qu'ils ne fussent eux-mêmes devenus riches de 
pauvres qu'ils étaient. Vous, au contraire, vous avez 
eu pour politique constante d'accueillir les exilés, 
de rendre leurs droits aux citoyens qui en avaient 
été privés, de sceller par des serments votre accord 
avec les autres. Enfin vous auriez plus volontiers 
châtié ceux qui, sous la démocratie, faisaient métier 
de sycophantes, que ceux qui, sous l'oligarchie, 
avaient exercé le pouvoir. Et c'était avec raison, 
juges. Il est bien évident, en effet, maintenant, et 
pour tout le monde, qu'une politique d'injustice 
sous l'oligarchie engendre la démocratie," et que, si 
par deux fois le régime oligarchique s'est établi, 
c'est grâce aux sycophantes de la démocratie. Aussi 
ne convient-il pas de prendre toujours pour con- 
seillers des gens que vous n'avez pas une seule fois 
trouvé profit à écouter. 



éSà.::. . . .. ^<^ 



CONTRE DIOGITON 

(XXXll) 



Ce discours ne nous esl connu que par Denys d'Halicit- i 
nasse, qui, dans son Jugement sur Lyiias, en cite ur, 
Trasmeot important (environ la moilié, suivant toui' 
vraisemblance) pour donner une idée de la méthode f. 
du talent de l'orateur (1^ txiivou tt,v k nposipcoiv »1 tt,- , 
£iivi|iiv toû àvlpà( itititilo^Ki). Voici en quels tcrmi~ 
Denys en expose je sujet ; - Diodote, un de eeui qui 
furent enrâlés avec Thrasylle pendant la guerre du Pélo- 
ponnèse, élanl sur le point de s'embarquer pour l'Asif. 
sous l'archontat de Glaucippe, et ayant des enfants tu 
bas Age, Ht un testament; il leur laissa pour tuteur S4>n 
frère Diogilon, qui était à la fois i'oncle paternel <ir' 
enfants et leur grand-père du câté de leur mère (Dimlolr 
avait épousé la (llte de Diogilon). Dioilote mourut en com- 
battant près d'Ëphèse. Diogilon administra tout tt qut 
possédaient les orpliclins, et d'une très grande fortune 
il ne put l'icn leur représenter. Il est. ï la majorité d'un 
des jeunes héritiers, accusé par lui d'avoir mal géré \> 
tutelle. Celui qui parle en justice contre Diogiton, c'r^l 
l'époux de la peiiic-nile de Diogilon, seeur des jeunr- 
gens. ■ 

Sous avons donc nlTaire h un de ces procès de tulellr 
qui semblent avoir été très nombreux cbei les Orers ex 
dont le plu* célébra est le prucés intenté par Dému- 



CONTRE DIOGITON (XXXIl). 57 

sthène à Âphobos. La procédure suivie en pareil cas 
est bien connue. Lorsque, après examen du compte de 
tutelle (Xdyo; vr^z èictTpoiryi;) , l'orphelin devenu majeur 
constatait que sa fortune avait été mal gérée par le 
tuteur (ô sTctTpoicoç), il pouvait intenter à celui-ci une 
action de tutelle (èix>] eTciTpoirrjç). S'il se décidait à agir, 
Taitaire était instruite par TArchonte (celui qu'on désigne 
plus tard sous le nom d'éponyme) et introduite par 
celui-ci devant un tribunal d'héliastes dont il avait la pré- 
sidence. L'accusateur devait, dans son acte d'accusation 
(à'YxXTjpia) , indiquer la somme dont il se prétendait 
frustré et fixer lui-même Tindemnité qu'il exigeait 
{Tt|i.7iffiç, estimation). L'accusé, de son côté, déposait une 
contre-estimation (àvTiTtiiTjdiç). Le jugement rendu, s'il 
n'avait pas obtenu le cinquième des suffrages, l'accusa- 
teur devait payer le sixième de la somme qu'il récla- 
mait. Mais, en général, les tribunaux étaient sympa- 
thiques aux orphelins et leur donnaient volontiers gain 
de cause. Ceux-ci, néanmoins, avaient tout intérêt à se 
montrer modérés dans leurs revendications. Faire 
retomber sur le tuteur infidèle l'odieux de pareilles 
discussions entre parents, s'excuser de la nécessité 
d'intervenir sur la grandeur du dommage causé, rap- 
peler les concessions qu'on était disposé à faire pour 
arranger le différend à l'amiable, étaient autant de 
lieux communs qui s'imposaient à l'orateur et pouvaient 
lui fournir une entrée en matière. Dans le plaidoyer 
composé pour le gendre de Diodote, Lysias n'en néglige 
aucun et l'on comprend que Denys ail considéré son 
exorde comme un modèle du genre. 

Mais ce qui fait surtout l'intérêt de ce discours, c'est 
la narration (ÔnQyYjffiç). Elle présente les qualités de 
hrièveté, de clarté et de simplicité propres à Lysias, 
ï^ais relevées d'une nuance de sentiment qui les rend 
plus précieuses. Un pathétique discret et dont les efTets 
sont habilement ménagés s'y mêle peu à peu à l'exposé 
des faits. Sans recherches de style, sans violences 
«l'expression, par le seul art de raconter en choisissant 
'e détail qui touche, le trait qui porte, Lysias arrive à 
produire l'émotion. Il met en scène la veuve de Diodote 
et il prête à cette femme, qui est à la fois la mère de 



^ 



58 LYSIAS. 

Taccusateur et la fille de Taccusé, l'attitude ferme et 
respectueuse qui convient à sa situation et aux circon- 
stances. Accompagnée de ses enfants, entourée d*amii. 
elle va trouver son père. Elle n'a pas, dit-elle, l'habi- 
tude de parler devant les hommes, mais la grandeur de 
ses maux la force à sortir de sa réserve. Et avec une 
énergie calme et maîtresse d'elle-même, avec une logiqu-* 
toute féminine et où la passion s'allie au raisonnemen!. 
elle lui reproche sa conduite, elle lui rappelle toute; 
les sommes qu'il a reçues et lui montre qu'elle ne sau- 
rait être dupe des comptes fantastiques qu'il présent. 
Son langage est celui d'une femme de tête qui, bien qui* 
tenue en dehors des affaires, est au courant de tout et 4 
qui l'amour maternel blessé donne un sentiment tr^ 
fin et très éclairé de la façon dont a été gérée la fortune 
de ses enfants. 

Après ce discours habilement rapporté par roraleur. 
les personnages sont jugés; l'effet moral de la narra- 
tion est produit : il ne reste qu'à conclure. Lysias i- 
fait très heureusement : en quelques mots il note !a 
tristesse poignante qui avait saisi tous les témoins dr 
cette scène, leur enlevant jusqu'à la force d'échangtr 
leurs impressions. Puis brusquement, et tandis qik 
l'effet produit dure encore, il passe à la discussion. 

Cette note émue, cet emploi du pathétique son', 
choses rares chez Lysias. A l'ordinaire il est plutôt trr^ 
fin, pénétrant, spirituel : il comprend les malheurs «'•' 
ses clients plus qu'il ne les partage : il les fait saisir s 
ses auditeurs plus qu'il ne leur en donne une impn^ 
sion vive. Ce don de sympathie qui seul chez un lo^- 
graphe pouvait produire l'émotion lui fait presqt.' 
défaut. A cet égard, le discours Contre Diogilom f>' 
donc comme une exception dans son œuvre. Et enc*>r- 
peut-on remarquer que, même dans ce discours, ce sont 
ses qualités ordinaires d'observation qui le servent 
c'est en cherchant à être vrai qu'il devient touchant • 
le pathétique y naît moins d'un sentiment profond qu' 
d'une intelligence très nette des soufTrances de UmU 
sorte endurées par ceux qu'il fait parler. 

GrAce à certaines indications chronologiques qu*;> 
renferme, le discours Contre Diogiton peut être da*-^ 



CONTRE DIOGITON (XXXIT, SS i 

avec eKactitude. 11 a dû Stre comiio»é en 
tient par conséquent aux débuis de Lysîi 
Tibre de logoi/t-aphe. 



Exposé dea faits. 

Juges, Diodote et Diogiton étaient frères, nés du 
même père et lie la même mère, et ils se partagèrent 
les biens non apparents, mais ils gardaient en com- 
mun les biens apparents. Diodote ayant réalisa de 
grandes richesses par le négoce, Diogiton l'amène à 
prendre en mariage sa fille, son unique enfant, et il 
liait à Diodote deux (lis et une fille. Dans ta suite, il 
est enrôlé parmi les hoplites qui partaient avec Thra- 
sylle; il fait venir sa femme, qui était sa nièce, le 
père de celle-ci, qui se trouvait à la fois son beau- 
père, son frère, l'aïeul et l'oncle des petits-enfanls ; 
il croyait, à cause de ces liens de parenté, qu'il n'y 
aurait pas pour se montrer juste envers ses enfants 
un homme plus convenable que Diogiton ; il lui 
remet son testament et cinq talents d'argent en 
ilépôt;il lui explique que sept talents et quarante 
mines étaient prêtés à la grosse aventure,... et qu'on 
lui devait deux mille drachmes on Gbersonèse; il 
lui recommanda, en cas de malheur, de donner en 
dot à sa femme un talent et de lui donner aussi les 
meubles de sa chambre à coucher, et à sa fille un 
talent. Il laissa de plus à sa femme vingt raines et 
ti'ente statères de Cyiique. Cela fait, il laisse cheïlui 
copie des documents, et port en campagne avecThra- 
sylle.MaisDiodoteétantmortfLÉphèse, Diogiton cache 
ù sa fille la mort de son mari, et prend les papiers 



que Diodote avait laissés cachetés, alléguanl qu'il 
besoin de produire ces pièces pour recouvrer J'arjifS- 
prêté à la grosse aventure. Enfin, avec le temps, 
révèle la mort à la famille; on rend à Diodolel 
devoirs d'usage, et l'on passe d'abord une an»' 
au Pirée ; c'est 14 que Diodote avait laisw 
parlant tout ce qui était nécessaire. Mais o-i i- 
sources commençant à s'épuiser, Diugîlon ri'm' 
les enfants h la ville et marie leur mère en la J'iI^e 
de cinq mille drachmes, mille de moins i 
mari ne lui en avait donné. 

Huit ans après, l'aîné des deux jeunes gens aile 
sa mc^ioritë ; alors Diogiion les fait venir et dit '' 
leur père a laissé pour eux vingt mines d'aïf eiU 
trente statères, <• J'ai dépensé, ajou(a-l-tl. u 
grande partie do ma fortune pour votre enlreli- 
"faut que Je le pouvais, cela m'inquiétait peu : ta 
aujourd'hui je suis moi-même sans ressources. Ain 
toi qui désormais es mnjeur et qui comptes par 
les hommes, dès re jour veille seul à ta subsistani' 
A ces mots, hoi's d'eux-mêmes et en pleur». 
accourent chez leur mère, l'emmènent et artivi 
chex moi : ils faisaient peine & voir dans l<'i- 
malheur : on les avait indignement cliassés: <■> 
pleuraient et me ronjuroient de ne pas les lais^" 
ninsi privés de patrimoine, tombés dans In rniri-i'. 
nulrufiés par ceux dont ils attendaient le rni-ii^ 
pareil trailement ; au contraire je leur devais |>: 
toction pour leur sœur et pour eux-m^mes. 

Je pourrais en dire long sur le druil qui r^)Li\- '■ 
alors dans la maison ; a la (in leur mère me prie ' * 
supplie de réunir son père et leurs amis : lii>-i 
qu'elle n'ait jamais été accoutumée à parler deTan' 



CONTRE DIOGITON (XXXII, §g 7-15). 61 

les hommes, la grandeur de ses infortunes lui fera 
cependant violence pour nous exposer le détail de 
ies malheurs. Je vais donc me plaindre chez 
^égémon, le second mari de la fille de Diogiton, je 
?ause aussi avec nos autres parents, et je demande 
i Diogiton de venir rendre compte de ses actes. 
D'abord il refuse ; à la fin il est forcé par ses amis. 
Nous nous réunissons, et la femme lui demande 
quel cœur il avait pour vouloir traiter ainsi les 
enfants : « Vous êtes le frère de leur père, mon père, 
leur oncle et leur aïeul, et si vous n'aviez point de 
lionte à l'égard des hommes, dit-elle, vous deviez 
au moins craindre les dieux, vous qui, au moment 
du départ de Diodote, avez reçu de lui en dépôt 
cinq talents; et sur ces faits je veux bien, entourée 
des enfants, de ceux-ci et de ceux qui depuis me 
sont nés, prêter serment à l'endroit que vous dési- 
gnerez vous-même. Certes je ne suis point assez 
misérable et je n'attache pas assez de prix à l'argent 
pour ne quitter la vie qu'après m'être parjurée sur 
mes enfants, ou pour arracher injustement les 
biens de mon père. » En outre, elle le convainc 
(l'avoir reçu les sept talents et quatre mille drachmes 
prêtées à la grosse aventure, et elle montre l'écrit 
qui en faisait foi : car au temps de son déménage- 
ment, lorsqu'il quitta Collyte pour aller habiter la 
maison de Pbèdre, les enfants avaient trouvé le 
vegistre tombé dans le transport, et l'avaient remis 
à leur mère. Elle prouva qu'il avait reçu cent mines 
prêtées au taux de l'intérêt terrestre, et une seconde 
somme, celle-là de deux mille drachmes, et des 
meubles d'un grand prix; de plus, chaque année il 
arrivait aux enfants du blé de laChersonèse* — « Et 



62 LYSIAS. 

après cela, ajouta- t-elle, vous avez osé dire, vous 
possesseur de tant de richesses, que leur père avait 
laissé seulement deux mille drachmes et trent- 
statères, juste la somme qui m'avait été donnée cl 
qu'à sa mort je vous avais remise; et ces enfaoi< 
vous avez trouvé bon de les chasser, eux fils d^ 
votre fille, de leur propre maison, mal habill«^. 
sans souliers, sans valets, sans couvertures, sans 
vêtements, sans les meubles que leur père leur 
avait laissés, sans l'argent qu'il avait déposé ch-: 
vous. Et maintenant, les enfants que vous avez»!- 
ma belle-mère, vous les élevez au milieu tl"? 
richesses, et ils sont heureux, et en cela vous av»-: 
raison : mais les miens vous leur faites du tort »'r. 
les chassant avec ignominie de leur demeure, you< 
désirez changer leur richesse en misère, et p<''J' 
de pareilles œuvres rien ne vous arrête, ni la crainî' 
des dieux, ni la pudeur à la vue de votre fiH*"- 
témoin de votre conduite, ni le souvenir de vntr^ 
frère ; loin de là, nous sommes tous peu de chose « 
vos yeux auprès d'une fortune! » 

Alors, juges, après ce long et véhément discoun-. 
en quel état nous avaient mis et les manœuvn^ 
de Diogiton et les paroles de sa fille! La vue J" 
maux endurés par les enfants, l'idée que le va* 
avait laissé un curateur de ses biens aussi indi^'n'*i 
la pensée des difficultés qu'on éprouve à trouv 
un homme de confiance pour les soins de sa f< 
(une, tout cela, juges, empêchait les assistant^ ' 
(lire un mot : ils pleuraient autant que les ^•' 
timeset ils se séparèrent en silence. 




II 

ISOCRATE 



PANEGYRIQUE 

(IV) 
ARGUMENT 

Ce discours, appelé quelquefois très improprement 
Vanéfjyrique d'Athènes, tire en réalité son nom de ce 
qu'il est censé prononcé dans une de ces assemblées 
solennelles des Grecs (iravi^Yupiç) que provoquait la célé- 
bration de certaines fêtes, comme les Panathénées ou 
les Jeux Olympiques. Sa publication dut coïncider avec 
la Panégyrie d'Olympie en 380. 

Les circonstances mêmes imposaient à Torateur le 
choix d*un sujet ayant une haute portée morale ou poli- 
tique et capable d'intéresser un auditoire nombreux, 
venu de tous les points de la Grèce. Or le but qu'Iso- 
crale se propose est de rétablir la concorde entre les 
diiïérents peuples grecs depuis longtemps divisés, pour 
les amener à entreprendre en commun une expédition 
contre les Barbares. Nul cadre ne pouvait mieux conve^ 
nip que celui d'un Discours Panégyrique au développe- 
ment d'un pareil thème : la fiction s'accommode ici 
merveilleusement au sujet. 

Ce sujet d'ailleurs n'était pas nouveau. Quelques 



64 ISOCRATE. 

années auparavant, en 392, le célèbre sophiste Gorgias, 
dans un discours réellement prononcé, mais qui n« 
nous est pas parvenu, Tavait déjà traité devant les Grecs 
assemblés à Olympie. Quatre ans plus tard, en 3^ 
Lysias l'avait repris dans les mêmes circonstances, mais 
en le modifiant légèrement. Son discours, en effet, dont 
la plus grande partie nous a été conservée par Deny» 
d'Halicarnasse, invitait les Grecs à s'unir, non pas seule- 
ment contre les Barbares d*Asie, mais contre Deny> 
TAncien, tyran de Syracuse. En le traitant une troisième 
fois, Isocrate le modifie à son tour et le renouvelle par 
la façon dont il pose la question. Selon lui, la concorde 
entre Grecs ne sera possible que du jour où Athènes et 
Sparte auront cessé de se disputer le commandemeot 
suprême, Vhégémonie. C'est à cette vieille rivalité entr* 
les deux glorieuses cités qu'il importe avant tout «1^ 
mettre fin, et le seul moyen d'y arriver est de partag<^f 
entre elles cette suprématie que Tune et l'autre reven- 
diquent. Que si cependant Vhégémonie devait être ra(4* 
nage d'une seule ville, c'est & Athènes qu'elle reviendra.! 
de droit, en raison des nombreux services rendus par 
les Athéniens à la cause hellénique. Par là, la questior 
se trouvait complètement déplacée : le discours n*élai' 
plus seulement un discours délibéralif (avi&So'jXe^jTtxo; : 
il rentrait dans le genre laudalif (i^%tù}^\,cLa^\%6<i). Vé\o^ 
d'Athènes devenait un élément nécessaire de Targumen- 
tation. 

Or cet éloge d'Athènes n'était point non plus un sujet 
très neuf. Thème en quelque sorte obligé des orai* 
sons funèbres >, Périclès, Gorgias, l'auleur inconnu d^ 
l'èTTiTaoïoç attribué à Lysias, et un grand nombre d*au- 
très orateurs l'avaient déjà développé. Cette considéra- 
tion n'était point de nature à empêcher Isocrate de \* 
reprendre. Bien loin que le souvenir de ses devancier^ 
soit pour lui une gêne, il semble au contraire éprouver 
du plaisir à rivaliser avec eux : il rappelle leurs œuvr^: 
au besoin, il les critique; et son admiration pour U 
puissance du Xdyoc e^t telle qu'il considère pres4|u< 
comme moins glorieux de discourir sur des sigeU don? 

1. Voir rArgnmont de VOraiêon funèbre d'IIypérîde, p. ttlO. 



PANÉGYRIQUE (iv). 65 

personne n'a jamais parlé que de donner une forme 
nouvelle et de plus en plus voisine dé la perfection à 
un sujet déjà traité. 

De fait, le Panégyrique laisse bien loin derrière lui 
non seulement les deux discours de Lysiasetdu pseudo- 
Lysias, auxquels on peut le comparer, mais même les 
plus achevés des discours d'Isocrate. CÉuvre artificielle 
sans doute, mais qui reste cependant toujours sincère 
et qui, par la pureté de la forme, comme par la noblesse 
constante de Tinspiration, constitue le monument le 
plus glorieux que la rhétorique ait élevé à la grandeur 
d'Athènes. 

Uerorde, quoique assez développé, est heureusement 
proportionné au reste du discours. L'orateur cherche à 
prévenir les objections que Ton pourrait faire à son 
dessein d'écrire un Panégyrique, Il sait qu'il n'y a point 
de prix réservés dans les fêles gymniques aux œuvres 
de l'éloquence : mais la gloire qu'il se promet est le 
seul prix qu'il ambitionne; il n'ignore point que d'autres 
l'ont devancé : mais il se flatte de les vaincre et de les 
faire oublier; enfin, si les discours d'apparat sont d'or- 
dinaire sans utilité pratique, il a cependant confiance 
que le sien vient à son heure et peut agir sur les événe- 
ments. Puis, passant à Verposition du sujet (itpdOeat;), 
Isocrate montre par quel lien étroit se rattachent l'une 
à l'autre les deux questions qu'il va traiter : droits 
d'Athènes à l'hégémonie; nécessité et opportunité de la 
guerre contre les Barbares. 

Athènes a pour elle non seulement sa puissance et 
une expérience reconnue — ce seraient aux yeux de 
beaucoup des titres insuffisants, — mais l'antiquité 
même de son origine, et la supériorité que lui confèrent 
les nombreux et importants services qu'en toutes cir- 
constances elle a rendus à la Grèce. L'énumération de 
ces services constitue la première partie du discours. 
Isocrate commence par rappeler le rôle pacifique 
d'Athènes : c'est elle dont on retrouve le nom à l'origine 
àe toutes les inventions et de tous les arts qui con- 
tribuent au bonheur des hommes. Puis, mêlant d'une 
façon très heureuse la légende à l'histoire, il caractérise 
sa politique par le souvenir du concours désintéressé 

5 



66 " ISÔCRATE. 

prêté aux fils d*Hèraklès et à Adraste. Enfin il en vient 
aux exploits militaires des Athéniens contre les Barbares 
et, dans une page célèbre, il compare la glorieuse con- 
duite de Sparte et celle d'Athènes au temps des guerre? 
médiques, et revendique pour les vainqueurs de Sala- 
mine rhonneur d'avoir sauvé le monde grec par leur 
esprit de décision et leur ardeur héroïque. 

Une objection que Torateur se fait à lui-même sur le 
caractère de la domination athénienne Tamëne à établir 
un parallèle entre la façon dont Sparte et Athènes ont 
exercé leur hégémonie. Tout en se réservant la direction 
générale de la politique, Athènes a su maintenir Find*'- 
pehdance de ses alliés; Sparte, par le honteux Irait'' 
d'Antalcidas, lés a livrés au Grand Roi. Et c'est ain?; 
que, par une transition insensible, Isocrate arrive h \i 
seconde partie, à la partie proprement délibépalive àr 
son discours. 

En se laissant humilier par le roi de Perse, les Grty"* 
prouvent qu'ils n'ont pas le sentiment de sa faible<'4 
Et cependant cette faiblesse est évidente : la Perse a 
dû abandonner l'Egypte; elle a échoué devant l*énergi' 
du roi de Chypre Évagoras; et tout récemment, dao> :* 
guerre de Rhodes, malgré l'appui de Conon, la fl«»i • 
chargée de la défense de l'Asie est restée investie ]^' 
cent trières pendant trois ans. Et ce ne sont pas là <1'^ 
accidents : la véritable cause de tous ces revers est irré- 
médiable; elle est dans le caractère des Perses et (!at) 
leur système d'éducation. Une expédition contre ("^ 
offre toutes les chances de succès désirables. £)•' 
répondra au sentiment unanime des Grecs qui ont au 
fond du C(Eur la haine du Barbare : elle sera favori^'*' 
par les circonstances, qui n'ont jamais été plus \*t- 
pices; elle procurera à la génération actuelle des sati^ 
factions qui lui sont bien dues après tous les malheur- 
qu'elle a éprouvés. Quant aux traités, c'est vainemen' 
qu'on voudrait les objecter : en réaliti', il s'agit d'onirv- 
, donnés par le Grand Roi, et plutôt que d'y obéir, «>p 
devrait blâmer les aml)assadeur8 qui ont consenti à uik 
paix si avantageuse pour lui, si honteuse pour les Grff^ 

Dans un court épilogue, Isocrate résume toutes te* 
raisons qui viennent à l'appui de son projet et termina 



PANÉGYRIQUE (ïV, §§ 19-20). 67 

en regrettant dB n'avoir pu, malgré ses promesses du 
début, trouver des paroles qui répondissent à la gran- 
deur de son sujet. 

Est-il besoin d'ajouter que ce Panégyrique n*eut et ne 
pouvait avoir de conséquences pratiques et qu'il ne 
changea rien ni à la politique d'Athènes, ni aux disposi- 
tions de Sparte? Néanmoins, son succès fut considérable.: 
il devint comme le modèle du genre, et, quelques années' 
plus tard, Isocrate lui-même pouvait se plaindre dii 
grand nombre de ceux qui l'avaient pillé pour orner 
leurs propres discours. 



Influence civilisatrice d'Athènes. 

(g 1^50) 

Les autres orateurs auraient donc mieux fait de 
commencer par là * , au lieu de nous donner leur opi- 
nion sur les points incontestés avant de nous éclai- 
rer sur les autres. Pour moi, deux raisons me déter- 
minent à m' arrêter particulièrement sur cette quesr 
tion; la première et la plus importante est le désir 
que mon discours ait un effet utile, et que, terminant 
nos querelles, nous nous unissions pour marcher 
contre les Barbares ; en second lieu, si ce résultat ne 
peut être atteint, je veux faire connaître ceux qui 
mettent obstacle au bonheur de la Grèce et montrer 
à tous que, (^près avoir autrefois possédé à juste 



1. Isocrato avait dit au paragraphe précèdent : «. L'orateur qui 
00 se préoccupe pas seulement de faire montre de son talent, mais 
qui veut atteindre un résultat, doit chercher des paroles capables 
de persuader à ces deux villes (Athènes et Sparte) de se rendrb 
(égales l'une à l'antre, de partager l'hégémonie et de réalispr au 
détriment des Barbares les avantages qu'elles s'efforcent d'ac- 
quérir aux dépens des Grecs ». - 



68 ISOCRATE. 1 

titre l'empire maiilime, ce n'est pas sans dmil qn' I 
notre ville prétend aujourd'hui à l'hégémonie. D'un' 1 
part, en effet, si, dans toutes les circonstances, un | 
doit honorer ceux qui possèdent à la fois la plu' 
grande puissance et l'expérience la plus étendue, il 
nous appartient, sans aucun doute, de reprenJrr 
celte hégémonie que nous exercions autrefois : esl- 
il, en effet, une seule ville qui l'emporte dans \fi 
, combals sur terre autant que la ndtre se dîstinEU' 
dans les périls des luttes navales? Et, d'autre pari. 
si quelques-uns ne trouvent pas cette solution « 
forme h la justice, parce que, disent-ils, les cbosr- 
humaines sont sujettes à inille révolutions, elqufli 
puissance ne reste pas toujours dans les mènn^ 
mains; s'ils pensent que l'hégémonie, comme tuut'- 
prérogative, doit appartenir à ceux qui ont obiers 
les premiers cet honneur ou rendu à la Grèce i" 
plus grands services, j'estime que ceux-là aussi $<-b' 
avec nous. Car plus on remonte dans les siècle- 
passés pour examiner ce double litre de préémi- 
nence, plus nous laissons loin derrière nous ciui 
qui nous le contestent. 

11 est reconnu que notre ville est la plus ancieon' 
la plus grande el la plus renommée du monde enli>-r 
A ce premier titre de gloire se rattaclient des ni- 
constances qui nous donnent plus de droit encot«'> 
être honorés. Si nous habitons cette terre, ce nV?' 
pus que nous en ayons expulsé d'autres peuples, n 
que nous l'ayons occupée quand elle était déseri'-' 
ni que nous y formions un mélange de plusieurs 
races diverses; mais telle est la noblesse et la purri' 
de notre origine que le sol d'oil nous sommes n^ 
est celui que nous n'avons jamais cessé de posséder. 



PANÉGYRIQUE (iV, gg 20-28). 69 

étant autochtones et pouvant donner à notre terre 
natale les mêmes noms qu'aux êtres qui nous sont 
les plus chers : seuls des Grecs, en effet, nous avons 
le droit de l'appeler à la fois nourrice, patrie, et 
mère. Eh bien! les peuples qui veulent justifier leur 
orgueil, qui prétendent avoir droit à- l'hégémonie 
et ne cessent de rappeler les titres de leurs ancêtres 
doivent produire une telle origine. 

Tels sont les dons précieux qui nous ont été 
départis dès le principe, et qiie nous avons reçus 
de la fortune. Que de biens, à notre tour, nous 
avons procurés aux autres peuples de la Grèce ! C'est 
ce que je ne saurais mieux faire voir qu'en remon- 
tant aux âges les plus lointains et en exposant selon 
l'ordre des temps la conduite constante de la répu- 
blique. On verra ainsi, que non seulement elle a 
forcé les Grecs à affronter les dangers de la guerre, 
mais qu'elle leur a enseigné à peu près tout ce qui 
assure la vie sociale, la vie politique, la vie maté- 
rielle. Parmi tant de bienfaits, je ne choisirai pas 
ceux que leur médiocre importance a ensevelis 
dans le silence et dans l'oubli, mais les plus écla- 
tants, ceux dont aujourd'hui encore comme jadis 
on se souvient, dont on s'entretient partout dans 
l'univers. 

Les premiers besoins qui se firent sentir aux 
mortels, c'est notre ville qui leur apprit à y pourvoir. 
En effet, pour être fabuleuse, cette tradition n'en 
mérite pas moins d'être encore rappelée aujour- 
d'hui. Les courses errantes de Dèmèter après l'enlè- 
vement de Korè l'avaient amenée dans notre pays : 
nos ancêtres lui rendirent des services qui ne 
peuvent être révélés qu'aux initiés. Dans sa recon- 



70 ISOCRATE, 

naissance, elle leur fit deux présents, les plus 
précieux que les hommes puissent recevoir : elle 
leur donna Tagriculture, qui nous a permis de ne 
plus vivre à la manière des bêtes sauvages, et le> 
mystères, qui offrent aux initiés, pour le terme d*» 
la vie et pour l'éternité, de plus douces espérances. 
Comblée de ces faveurs, Athènes, amie des dieux, 
voulut auâsi se montrer amie des hommes, et, loio 
de garder pour elle seule les biens qu'elle avait 
reçus, elle en fit part à tous les autres peuples. Main- 
tenant encore, chaque année, nous leur révélon» 
nos mystères; et quant à Tagriculture, c'est noire 
ville qui leur en a enseigné tout à la fois l'usage, 
les travaux, les bienfaits. Quelques mots encorv. 
et personne ne voudra mettre en doute ce qu* 
j'avance. 

Et d'abord, l'ancienneté même de ces récits, qui 
pourrait les rendre suspects à quelques esprits, est, 
au contraire, une raison d'y croire. Cent fois pu- 
bliés, connus de tout le monde, il convient de le* 
regarder, bien qu'ils ne soient pas nouveaux, 
comme cependant dignes de foi. Ensuite, nous n*- 
sommes pas réduits à invoquer seulement leur haut^ 
antiquité et celle de la tradition : nous avons :^UI 
ce point des preuves plus convaincantes à citer. 
Chaque année, en mémoire de cet antique bienfait, 
la plupart des villes nous envoient comme un tribut 
les prémices de leurs blés : plus d*une fois même, 
à celles qui y manquèrent, la Pythie ordonna d^* 
nous apporter notre part de leur récolte, et d'ar- 
complir envers Athènes ce devoir héréditaire. Or. 
s'il est des choses dignes de foi, n*est-ce pas celles 
qu'attestent les réponses du dieu, le témoigna^ 




^ 



PANÉGYRIQUE (IV, S§ 28-35). 1\ 

unanime des Grecs, les coutumes du présent con- 
formes à, la tradition du passé, l'accord de ce qui se 
fait aujourd'hui avec ce qui s'est dit de tout temps? 

Et si, d'ailleurs, laissant de côté toutes ces consi- 
dérations, nous remontons à l'origine des peuples, 
nous verrons que les premiers hommes qui ont paru 
sur la terre n'ont pas trouvé tout de suite, comme 
on les trouve aujourd'hui, les ressources nécessaires 
à la vie, mais que ce fut peu à peu et par de com- 
muns efforts qu'ils se les procurèrent. Or ce bien 
dont nous parlons, à quel peuple faut-il recon- 
naître le mérite de l'avoir reçu des dieux ou cher- 
ché et trouvé lui-même? N'est-ce pas à celui qui, 
de l'aveu de tous, est le plus ancien, le mieux doué 
pour les arts, et le plus attaché au culte des dieux? 
Et quant à essayer de dire quels honneurs doivent 
être réservés à de tels bienfaiteurs du genre humain, 
c'est chose superflue : comment, en effet, trouver 
une récompense assez magnifique pour répondre à 
la grandeur du service qu'ils ont rendu? 

Sur le plus grand, le plus ancien, le plus uni- 
versel de nos bienfaits, voilà ce que j'avais à dire. 
Environ le même temps, voyant que les Barbares 
occupaient la plus grande partie de la terre, 
tandis que les Hellènes, resserrés en d'étroites 
limites, faute de terres à cultiver, se dressaient 
des embûches, se faisaienjt la guerre, et périssaient 
décimés, les uns par la misère, les autres par les 
combats, Athènes, loin de rester indifférente à cet 
état de la Grèce, envoya partout des chefs, qui pri- 
rent avec eux les plus dénués de ressources, se 
raireot à leur tête, et après avoir vaincu les Barba- 
res, fondèrent un grand nombre de villes sur les 






~ 72 ISOCRATÈ. 

deux continents, conduisirent des colonies dans 
toutes les îles, et par là sauvèrent également ceux 
qui les avaient suivis et ceux qui étaient restés dans 
leurs foyers. Aux uns ils laissaient dans leurpays nn 
territoire qui suffisait à leurs besoins; aux autres 
ils en procuraient un plus étendu que celui qu'ils 
possédaient : ils avaient en effet embrassé dès cp 
moment toute cette étendue de pays que nous 
occupons maintenant. Par cette conduite, ils rendi. 
rent la tâche bien facile aux peuples qui à leur 
tour voulurent, dans la suite, établir des colonies 
et imiter notre exemple. Ceux-ci, en effet, n*avaient 
pas besoin de s'exposer aux chances de la guerr»* 
pour conquérir un pays nouveau : il leur suffisait 
d'aller habiter les contrées dont nous avions marqué 
les limites. Qu'on nous montre donc une domina- 
tion comparable à la nôtre, ou plus anciennement 
héréditaire — puisqu'elle existait déjà avîyit la fon- 
dation de la plupart des villes grecques, — ou plus 
bienfaisante — puisque c'est elle qui avait chass»'* 
les Barbares de leur pays et amené les Grecs à un 
tel état de prospérité ! 

Pour avoir accompli les plus importants de se5 
devoirs, Athènes ne négligea pas les autres. E\U 
avait inauguré ses bienfaits en procurant des 
moyens d'existence à ceux qui en étaient' privés : 
c'est par là qu'il faut commencer, quand on pn^- 
tend gouverner sagement les affaires humaines. 
Mais, persuadée que la vie, si elle n'est que cela, 
ne mérite pas d'être vécue, elle s'est occupée d«* 
tout le reste avec tant d'ardeur que, parmi tous les 
biens que possèdent les hommes et qu'ils doivent, 
non pas aux dieux, mais à eux-mêmes, à leur» 



-J 



m^'?' 



PANÉGYRIQUE (iV, §§ 35-42). 73 

mutuels efiforts, il n'y en a pas un où Athènes ne 
soit pour quelque chose, et que la plupart leur 
viennent d'elle. 

Elle avait trouvé les Grecs sans lois, dispersés, les 
uns opprimés par des tyrans, les autres ruinés par 
Tanarchie : c'est elle qui les a délivrés de ces maux, 
en soumettant les uns à son autorité, en proposant 
aux autres son exemple. Athènes est, en effet, la 
première ville qui ait établi des lois et fondé un 
gouvernement régulier. Voici ce qui le prouve : les 
premiers qui poursuivirent les meurtres en justice 
et voulurent terminer leurs différends par la raison 
plutôt que par la force, se conformèrent à nos lois 
pour rendre leurs arrêts. Mais il y a plus ; les arts 
qui servent aux nécessités de. la vie, comme ceux qui 
ont été .créés eti vue d'en accroître les jouissances, 
c'est nous qui les avons tous inventés ou expéri- 
mentés pour les transmettre ensuite aux autres 
peuples. 

Dans tout le reste de sa conduite, Athènes s'est 
montrée si libérale aux étrangers, si accueillante à 
tous qu'elle attire ceux qui veulent gagner leur vie 
aussi bien que ceux qui veulent jouir de leur foTr 
tune. Heureux ou malheureux dans leur patrie, ce 
n'est pas en vain qu'ils s'adressent à elle : aux uns 
elle offre le plus agréable séjour, aux autres l'asile 
le plus sûr. En outre, comme les différents peuples, 
occupant chacun des régions qui ne pouvaient se 
suffire à elles-mêmes et qui tantôt leur refusaient 
presque certaines productions, tantôt leur en accor- 
daient d'autres avec surabondance, comme ces 
peuples se trouvaient dans un grand embarras, ne 
sachant ni où vendre celles-ci, ni où acheter celles- 



là, c'est encore Athènes qui leur vint en aide : ellf 1 
fit du Pirée Un entrepôt commun placé au milieu 1 
de la Grèce, et si abondamment pourvu de tout, quf 
les produits les plus difficiles ù trouver dans cha- . 
cun des autres marchés on peut tous se les pro- 
curer facilement dans le nôtre. 

Ceux qui ont institué les panégyries mériteni 
notre reconnaissance : nous suivons encore 1^ 
usages qu'ils nous ont transmis. Nous concluons i" 
trêves, nous effaçons les haines qui nous diviseoi. 
pour nous rassembler tous dans les mêmes lieux l'à 
la communauté des vœux et des sacrifices nous ni|^ 
pelle la parenté qui nous unit et nous laisse pour 
l'avenir mieux disposés les uns à l'égard des antres. 
Là sous resserrons les anciens liens d'hospilaliW f ' 
nous en contractons de nouveaux. Les hommes ief 
plus ordinaires n'y perdent pas plus leur temps quf 
les' plus distingués : mais c'est une occasion, pon' 
les uns, de faire briller aux yeux de la Grèce eutièrv 
les dons qu'ils ont reçus de la nature, et, pour \f> 
autres, de voir ces rivaux se disputer la palme. ^' 
les uns ni les autres ne languissent dans une froiJ'' 
indilTérence : mais ils sont également flattés, ceiu- 
ci de voir les efforts que font les athlètes pour leuf 
plaire, et ceux-là de penser que les spectateurs n'' 
sont tous venus que pour eux. Tels sont les avan- 
tages que nous oITrent ces grandes assemblées. Eh 
bien! en cela même, notre ville n'a été surpass» 
par aucune autre. 

Elle possède les spectacles les plus nombreux ri 
les plus beaux : les uns dont rien n'égale la magni- 
ficence, d'autres que rehausse la perfection de l'tFi; 
d'autres enfin, qui réunissent ces deux mérites. El 



PANÉGYRIQUE (iV, g§ 42-48). 75 

la foule qui accourt à nos fêtes est telle que, si les 
hommes trouvent quelque plaisir à se rapprocher 
les uns des autres, c'est aussi notre ville qui se 
flatte de leur procurer cette jouissance. C'est encore 
à Athènes que Ton peut trouver les amitiés les plus 
fidèles, les relations les plus variées. Ici on se dispute 
la palme, non pas seulement de l'agilité et de la force, 
mais de l'esprit, de- l'éloquence, de tous les arts : 
et nulle part les vainqueurs ne sont plus magnifi- 
quement récompensés. Gagnés par notre exemple, 
les autres Grecs ajoutent leurs prix à ceux que nous 
décernons : car nos jugements ont une si grande 
autorité qu'ils s'imposent à tous les hommes. Enfin, 
les autres panégyries ne se réunissent qu'à de longs 
intervalles et ne durent que peu de temps : Athènes, 
au contraire, offre aux étrangers qu'elle reçoit le 
spectacle d'une perpétuelle panégyrie. 

La philosophie, qui a conçu et créé toutes ces 
institutions, qui nous a appris à nous conduire, qui 
nous a rendus plus humains à l'égard les uns des 
autres, qui enfin, distinguant entre les malheurs 
qui viennent de la nécessité et ceux que cause notre 
ignorance, nous a enseigné à éviter les uns et à sup- 
porter noblement les autres, c'est Athènes qui l'a 
mise en honneur. Et elle n'a pas attaché moins de 
prix à cet art de la parole que tous désirent pos- 
séder et envient à ceux qui le possèdent. Elle savait 
bien que la parole est le seul don que nous ait 
spécialement accordé la nature, en le refusant à 
tous les animaux, et que ce privilège nous assure, à 
leur égard, toutes.les autres supériorités. Elle voyait 
aussi que, dans les affaires humaines, souvent le 
caprice de la fortune fait échouer la sagesse et 



76 ISOCRATE. 

réussir la sottise, mais que l'art de composer d*» 
beaux discours, refusé aux esprits médiocres, ap- 
partient aux esprits distingués ; et que, si tel> 
hommes passent pour instruits, tels autres pour 
ignorants, c'est par là surtout qu'ils diffèrent à c»» 
point. Elle avait de plus observé que ni le courage, 
ni la fortune, ni les autres avantages de ce geniv 
ne distinguent ceux qui ont reçu dès l'enfance unr 
éducation libérale, mais qu'ils se font surtout recon- 
naître à leurs discours, et que c'est là la marque la 
plus sûre que chacun puisse donner de Téducalion 
qu'il a reçue. Elle voyait enfin que les homoK? 
doués du talent de la parole sont puissants chfx 
eux et honorés chez les autres. Notre ville, dan* 
le domaine de la pensée et de l'éloquence, a laiss» 
si loin derrière elle les autres peuples, que ce sont 
ses disciples qui sont devenus leurs maîtres. Gràc** 
à Athènes, le nom d'Hellènes semble désign^-r 
moins une race qu'une forme de pensée, et l'on 
mérite plus encore d'être appelé Hellène, si Ton i 
reçu la culture athénienne, que si l'on est seulemeni 
d'origine hellénique. 

II 

Puissance militaire d'Athènes. 
Les guerres médiqaes. 

Voilà certes des faits glorieux et bien dignes d'un 
peuple qui prétend à l'hégémonie. Des exploit^ 
du même genre, et tels qu'on devait en attendre d^ 
descendants de ces héros, furent accomplis par \f^ 
vainqueurs de Darius et de Xerxès. Jamais nou* 



r-v -- 



PANÉGYRIQUE (iv, §§ 48-50; 71-74). 77 

n'avions été engagés dans une guerre aussi ter- 
rible; de nombreux périls nous menaçaient à Ja 
fois; nos ennemis étaient persuadés que leur 
nombre les rendait invincibles, nos alliés, qu'on ne 
pouvait les surpasser en courage : eh bien! nos 
ancêtres vainquirent lès uns et les autres, de 
la manière dont ceux-ci et ceux-là pouvaient être 
vaincus, et se distinguèrent à ce point dans tous, 
les combats qu'ils méritèrent d'abord le prix de la 
valeur et que, bientôt après, l'empire de la mer 
leur fut décerné par les autres Hellènes, sans con- 
testation de la part de ceux qui cherchent aujour- 
d'hui à nous le ravir. 

Je ne méconnais pas, croyez-le bien, les grands 
services que, dans ces circonstances, les Lacédé- 
moniens eux aussi rendirent à la Grèce. C'est au 
contraire une raison de plus pour moi de louer 
notre cité, qu'ayant rencontré de tels émules, elle 
les ait tellement surpassés. Mais je veux parler 
un peu plus longuement de ces deux villes, sans 
passer trop vite sur l'une ni sur l'autre, afin que 
vous ayez présent à l'esprit le double souvenir et 
de la valeur de nos ancêtres et de leur haine pour 
les Barbares. Je ne me dissimule pas, à la vérité, 
qu'il est difficile, arrivant le dernier, de reprendre 
un tel sujet, quand tout en a été dit d'avance 
depuis longtemps, quand les plus habiles orateurs 
l'ont souvent traité dans l'éloge des citoyens ense- 
velis aux frais de l'État. Ils en ont pris nécessaire- 
ment les plus beaux traits : ce qu'ils ont laissé est 
peu de chose. Mais, après tout, ce faible reste, puis- 
qu'il peut être utile à notre dessein, ne craignons 
pas d'en faire usage. 



dâi.^ 



78 ISMBATE. 

Sans doute, ils sont, à mes yeux, les auteurs J* 
la plupart des biens dont nous jouissons, et Ai 
méritent les plus magnifiques éloges, ces homoie.' 
qui ont exposé leur vie pour le salut de- la Grèce, 
Mais il ne serait pas juste non plus d'oublier ceui 
qui vivaient avant cette guerre, et qui ont gonvem^ 
les deux cités. Ce sont eux qui ont formé les géor 
rations suivantes, suscité l'iiéroïsme des deux peu- 
ples, et préparé aux Barbares de si redoutabli' 
adversaires. On ne les voyait pas, insouciants des 
intérêts de l'État, ou disposer de la fortune publiqa*-. 
comme si elle leur eût appartenu, ou la né^ig". 
comme si elle leur eùl été étrangère : ils en avaîepL 
au contraire, le soin qu'on a de son bien, et s'absl-* 
naient d'y porter les mains, comme à la cbofr 
d'autrui. L'argent n'était pas pour eux la raesur- 
du bonheur; mais ce'lui-li passait, à leurs yeui. 
pour posséder les richesses les plus solides el Ir 
plus brillantes, qui, par ses actes, s'acquérait le plu- 
de réputation et préparait le plus noble héritai» 
de gloire à ses enfants. On ne les voyait pas riva- 
liser d'audace, ni se complaire dans leur insolencr: 
mais ils considéraient comme plus redoutable d'éln 
mal jugés de leurs concitoyens que de bien mourii 
pour la patrie; et ils avaient honte des fautes <l<- 
la république beaucoup plus que chacun ne rouci' 
aujourd'hui des siennes propres. I.a raison e 
qu'ils s'appliquaient à donner à Athènes des loi* 
bien faites, pleines de sagesse, moiiïs en vue iV 
régler les discussions d'intérêt que de maintenir U 
pureté des mœurs. Ils savaient bien que les hon- 
nêtes gens n'ont pas besoin de tant d'onlonnance». 
mais qu'il leur sufOt d'un petit nombre de conven- 



- 4 



PANÉGYRIQUE (iV, §§ 75-82). 79 

lions pour s'entendre aisément sur les affaires 
publiques ou privées. 

Us avaient à un si haut degré Tesprit politique 
que leurs querelles de partis avaient pour objet de 
décider, non qui écraserait ses adversaires pour 
dominer seul, mais qui préviendrait les autres par 
son zèle à servir la cité; et quand ils formaient 
des associations politiques c'était, non dans leur 
intérêt particulier, mais pour le bien général. Le 
même esprit les animait dans leurs rapports avec 
les autres Hellènes. Toujours prêts à les servir, 
non à les outrager, ils voulaient commander, non 
tyranniser, être appelés par eux chefs, et non 
maîtres, libérateurs plutôt qu'oppresseurs, et ils 
aimaient mieux gagner les villes par leurs bienfaits 
que les réduire par la violence. Leur parole était 
plus sûre que ne le sont aujourd'hui les serments; 
ils obéissaient à une convention, comme à une 
invincible nécessité.. Moins orgueilleux de leur 
puissance que fiers de l'exercer avec modération, 
ils tenaient à montrer pour les plus faibles lés 
sentiments qu'ils exigeaient eux-mêmes des plus 
puissants. Enfin, tandis que leurs cités n'étaient 
pour eux que des villes particulières, ils voyaient 
dans la Grèce une patrie commune. 

Animés de ces généreux sentiments, s'en inspi- 
rant dans l'éducation qu'ils donnaient à la jeunesse, 
ils firent de ceux qui devaient lutter contre les 
peuples de l'Asie des guerriers si vaillants, que 
jamais aucun poète, aucun orateur n'a pu digne^ 
ment célébrer, leurs exploits. Vraiment je leur par- 
donne de n'y avoir pas réussi : car il est aussi dif- 
ficile de louer' les hommes qui ont dépassé là 



SO 150CRATE. 

mesure e>>iuiiiune du mérite, que ceux itoni la ne 
D"»ffre rien de mémorable. Ici les faits maoqueDl 
à Toraleur, là les paroles restent au-des»>u3 de; 
fails. Quel discours, en effet, pourrait égaler les 
exploits de ces héros qui se sont montrés bien 
supérieurs aux vainqueurs de Troie, puisqne ceu- 
l'i Turvot arrêtés pendant dix années par le sifet 
d'une seule rille, tandis que ceux-là, dans un coui i 
espace de temps, ont triomphé de toutes les forco 
de r.isie, et non seulement sauvé leurs patrie*. 
mais déUrré rUellade entière ! Quels travaux, quelle 
épreuves, quels périls n'auraient pas acceptés, ponc 
vivre avec lionneur, ces hommes qui, pour Hr- 
honorés après leur mort, se sont si bravemeni 
déterminés à périr? Je croirais volontiers que c«>l^ 
guerre leur fut suscitée par quelqu'un des diem 
qui admirait leur vertu et ne voulait pas que J- 
tels hommes vécussent ignorés ou mourasseD^ 
obscurément, mais fussent jugés dignes des mém^ 
honneurs que les (ils des immortels, que ceux qn- 
nous appelons des demi-dieux : ils ont laissr h 
nature prendre ses droits sur le corps de cesbn- 
ves, mais ils onl rendu immortel le souvenir de Itu: 
vertu. 

Nos pères et les Lncédémoniens ont toujours él 
en lutte : mais ils ne connaissaient alors d'autr 
rivalité que celle des grandes actions. Se consi'i>~ 
rant comme des émules et non comme des eno<- 
mis, incapables de flatter le Barbare pour aasemr 
les Grecs, mais se mettant d'accord pour assurer '•■ 
salut commun, c'était la gloire seule d'en être r*»- 
teur que chacun des deux peuples dispulail < 
l'autre. Us signalèrent d'abord leur vaillance coi: 



PANÉGYRIQUE (iV, §§ 82-89). 8^ 

l'armée envoyée par Darius. Les Perses ayant débar- 
qué en Attique, les Athéniens n'attendirent pas 
leurs alliés, mais faisant leur affaire particulière 
d'une guerre qui regardait tous les peuples, et 
marchant avec les seules forces d'Athènes contre 
cet ennemi qui insultait à la Grèce entière, ils 
opposèrent leur petit nombre à des myriades de 
soldats, prêts à braver la mort, comme si ce n'était 
pas leur vie qui fût en jeu. Les Lacédémoniens, 
de leur côté, n'eurent pas plus tôt appris l'invasion 
de l'Attique, qu'ils négligèrent tout pour venir à 
notre secours, avec autant d'ardeur que si c'était 
leur propre pays qui eût été ravagé. Voici bien la 
preuve de l'élan et de l'émulation que montrèrent 
les deux peuples : en un même jour, dit-on, nos 
ancêtres apprirent le débarquement des Barbares, 
coururent à la frontière pour les repousser, com- 
battirent, furent victorieux, et dressèrent un tro- 
phée de leur victoire ; quant aux Lacédémoniens, 
marchant sous les armes, ils franchirent en trois 
jours et autant de nuits un espace de douze cents 
stades, tant ils avaient hâte, les uns de prendre 
leur part du danger, les autres de livrer bataille 
avant qu'on pût arriver à leur secours. 

Puis eut lieu la seconde expédition conduite par 
Xerxès lui-même. Il avait quitté son palais et osé 
se mettre à la tête de son armée, traînant à sa suite 
toutes les forces de l'Asie. Quelque effort que l'on 
ait fait pour exagérer la puissance de ce prince, 
îi'est-on pas toujours resté au-dessous de la vérité? 
bans l'excès de son orgueil, il jugeait que l'asser- 
vissement de la Grèce était trop peu de chose pour 
lui, et Voulait laisser un monument qui l'élevât 

6 



au-dessus de l'humanilé. Aussi n'eul-il pas de repir> 
qu'il n'eût conçu et à tout prix exëcuté la daubl' 
entreprise, si fameuse dans le monde entier, J* 
naviguer sur terre et de marcher sur mer avec *>'ii 
armée, en perdant l'Athos et en unissant tes Jeut 
rives de l"Hellespont. Eh bien! ce roi qui araii 
Jormé de si vastes projets, qui avait accompli ileî 
choses si merveilleuses et qui s'était rendu tnaUf 
de tant de peuples, Lacédémoniens ei AthénieD>, 
se partageant te péril, marchèrent à sa renconlrc ■ 
lés premiers, jusqu'aux Thermopyles, au-deraol •!' 
l'armée de terre, avec mille d'entre eux choisis pam.. 
les plus braves et soutenus par un petit noisbr- 
d'alliés, pour arrêter les Barbares dans le défiU '' 
les empêcher d'aller plus loin; nos ancêtres, ïer- 
Artémisium, avec soixante trières, contre toute U 
flotte des Perses. V0II&. ce que les uns et les aulrr' 
osèrent entreprendre, moins par mépris de IfH- 
nemi que pour rivaliser entre eux de courage. I.e> 
Lacédémoniens nous enviaient notre victoire i' 
Marathon, ils brûlaient de s'égalera nous, et crai- 
gnaient que notre ville n'eût deux Tois de sui:- 
l'honneur de sauver les Hellènes. Nos pères rva- 
laient soutenir leur gloire, et montrer & tous qu- 
leur premier succès était bien l'œuvre de leur cou- 
rage, non de la fortune. Ils voulaient de plv 
amener les Grecs k tenter les chances d'un comhi' 
naval, en leur prouvant que, sur mer comme sur 
terre, la valeur triomphe du nombre. 

L'intrépidité fut égale de part et d'autre, le 9uc<:<< 
fut différent. Les Lacédémoniens périrent; nuis. ^ 
leur corps succomba, leur âme demeura victu- 
rieu»e — peut-on dire, en eiïet, qu'ils furent vaiocn». 



.rJl 



PANÉGYRIQUE (IV, §§ 89-95). 83 

puisque pas un ne voulut fuir? — Les nôtres vain- 
quirent Tavant-garde de la flotte; puis, apprenant 
que, sur terre, les ennemis étaient maîtres du pas- 
sage, ils retournèrent dans leurpatrie, organisèrent 
tout dans la ville, et, par la résolution qu'ils prirent 
en ce péril extrême, surpassèrent alors tout ce qu'ils 
avaient jamais fait de plus grand. 

Tous nos alliés étaient découragés ; les Pélopon- 
nésiens élevaient un mur pour fermer l'Isthme, et 
ne songeaient qu'à leur propre sûreté ; les autres 
cités s'étaient soumises aux Perses et combattaient 
avec eux, exce()té quelques-unes que leur faiblesse 
avait fait négliger; douze cents trières faisaient 
voile vers l'Attique, et une armée innombrable était 
prête à l'envahir; les Athéniens n'entrevoyaient 
même plus aucune chance de salut : abandonnés 
de leurs alliés, trompés dans toutes leurs espé- 
rances, ils auraient pu, non seulement échapper à 
ces périls, mais même accepter les magnifiques 
avantages que leur offrait le Grand-Roi, convaincu 
que, s'il pouvait disposer de notre flotte, il serait 
bientôt maître aussi du Péloponnèse : malgré cela 
ils ne voulurent pas entendre parler de ses présents, 
et le ressentiment de la trahison des Grecs ne les 
entraîna pas à se jeter dans les bras des Barbares ; 
mais ils se préparèrent à combattre pour la liberté, 
pardonnant aux autres d'accepter la servitude. Ils 
pensaient que les petites cités peuvent chercher leur 
salut à tout prix, mais que celles qui ont l'ambition 
de se placer à la tête de la Grèce ne sont pas libres 
de se dérober aux périls; et que, si pour les 
hommes d'élite une belle mort est préférable à une 
vie honteuse, de même il vaut mieux, pour les 



84 ISOCRATE. 

grandes républiques, disparaître du milieu des peu- 
ples que de donner le spectacle de leur asservisse- 
ment. Us firent bien voir que telle était leur pensée: 
car, ne pouvant tenir tête à Tennemi sur terre et 
sur mer à la fois, ils prirent tout ce qu'il y arail 
d'hommes dans la ville et se portèrent dans l'Ile voi- 
sine, afin d'affronter la flotte et l'armée des Perses 
l'une après l'autre. 

Surpassa-t-on jamais en grandeur d'âme ou en 
dévouement à la Grèce ces hommes qui, pour ne 
pas livrer à l'esclavage les autres peuples, eurent le 
courage de voir leur ville abandonnée, leur pa« 
dévasté, leurs sanctuaires saccagés, leurs temple* 
livrés aux flammes, et tout le poids de la guerre 
supporté par leur patrie? Ils osèrent plus encore: 
ils étaient prêts à engager seuls la bataille contre 
une flotte de douze cents navires. On ne les laissa 
pas faire. Tant d'héroïsme fit honte aux Péloponné- 
siens ; -comprenant que, si. Athènes périssait d'abord. 
ils ne pourraient se sauver eux-mêmes, et que 
sa victoire couvrirait leurs villes d'opprobre, ik 
cédèrent à la nécessité de partager nos périls. 

Je ne vois pas pourquoi je m'attarderais à décrire 
le tumulte du combat, les cris, les exhortations, 
choses communes à toutes les batailles navales. J u 
seulement à dire ce qui nous est particulier, ce qui 
justifie nos prétentions à Thégémonie et confirm** 
les raisons que j'ai déjà fait valoir. On peut juger de 
ce qu'était, avant sa destruction, la supériorité 
d'Athènes, par ce fait que, même ruinée, elle mit 
en ligne, dans la bataille. engagée pour le salut de 
la Grèce, plus de trières à elle seule que tous le^ 
alliés ensemble. Et personne n'est assez préreno 






l 

t1 



V 



PANÉGYRIQUE (iV, 96-99). 85 

contre nous pour ne pas reconnaître que c'est la ■'^ 

victoire de Salamine qui a fait le succès de la guerre, 
et que cette victoire, c'est à Athènes qu'on la doit. 
Eh bien ! maintenant qu'il s'agit d'une expédition 
contre les Barbares, qui doit en avoir le comman- 
dement? N'est-ce pas ceux qui, dans la guerre pré- 
cédente, se sont le plus couverts de gloire; qui, 
plus d'une fois, ont combattu seuls pour la Grèce, et 
qui, dans les combats livrés en commun, ont mérité 
le prix du courage ; n'est-ce pas ceux qui ont aban- 
donné leur patrie pour le salut des autres; qui, 
dans les premiers temps, fondèrent le plus grand 
nombre de villes, et, dans la suite, les sauvèrent des 
plus grandes calamités? Combien n'aurions-nous 
pas à nous plaindre, si, après avoir eu la plus 
grande part à la peine, nous avions la moindre à 
l'honneur, et si le peuple qui fut jadis à la tête de 
la Grèce pour défendre la cause commune se voyait 
maintenant réduit à marcher au second rang? 



AREOPAGITIQUE 

(VII) 



iGocrate, dans le Panégyrique, arail «xpoeé ses i<l'~' 
sur ta politique extérieure d'Athènes. Dans VArMpor- 
lique, il examine la situation inlérieure de l'Êiai, r: 
<lénonc« les périls et Inillque les mesures qui lui p*n:~ 
sent devoir être prises pour l'améliorer. Ce disewf 
renire dand le genre délibéralif (oujiïouXtutiiiid : l'on 
leur suppose qu'il s'adresse i VAsaemblée apr** "*■' 
obtenu du Conseil le droit de ee pi'éienler devant ri' 
(itpduoSov ^toitioeai) pour développer une proposili' ' 
concernant le iqlul public {istpl aifsupiai). Cette propi"' 
lion a pour objet de rendre à l'Aréopage l'autoriié qu 
avait au temps de Solon el de Clislliine : de là le tiii" 
d'Aréopagilique (àptona^itixo^ H-jo^) bous lequel le Oi- 
cour,* nous psl parvenu. 

VAriopaqUique doit avoir été composé A la fin dv I" 
ou au commencement de 35i. Le moment éUil bK- 
choisi. On venait d'échapper aux dangers de la giter'- 
Sociale. Chios, Rhodes, Cos et Byiance s'élaienl lit.: 
cMeiAe la confédéralion atliénienne et avaient recuuir 
leur complète autonomie. On parlai! d'immensc5 pr- 
paralifs dirigés par le roi de Perse contre la Grèce. ["■- 
politiques clairvoyants signalaient avec anxiété la pui~ 
sanrc déjà grandiïsanle de la Uacédoine. Uais, ta Ar\ 
■le tous ci^s molifs d'inquiétude, la ronHanrc . 



ARÉOPAGITIQUE (VIl). 87 

revenue : les nouvellistes s'en allaient répétant que 
c'était aiix ennemis d'Athènes de craindre et de prendre 
des mesures' pour leur salut. Ainsi se fai^it jour ce 
dangereux état d'esprit contre lequel allaient se briser 
tous les efforts de Démosthène. C'est l'honneur d'Iso- 
crate de l'avoir senti : avec cette perspicacité que donne 
parfois l'antipathie, il a montfé le danger que faisait 
courir à l'État une démocratie sans frein. Au point de 
vue historique, son discours a donc un très grand 
intérêt : il résume l'opinion qu'un modéré pouvait se 
faire de la constitution athénienne ou, plus générale- 
ment, de l'état moral d'Athènes au milieu du iv' siècle, 
à la veille de la guerre de Macédoine. 

A vrai dire, la critique est empreinte d'une. certaine 
amertume. Isocrate, âgé de plus de quatre-vingts ans, 
juge les institutions avec le mécontentement grondeur 
d'un vieillard : l'image idéalisée qu'il se fait du passé 
le rend un peu injuste pour ses contemporains. Ce qu'il 
a sous les yeux, c'est cette multitude oisive qui de plus 
en plus déserte la campagne pour fréquenter l'Agora, 
ces hommes politiques improvisés pour qui la politique 
est un gagne-pain y ces sycophantes qui, vivant de procès, 
remplissent les tribunaux de leurs accusations. Sans 
cesse appelés en justice, les riches sentent que leur for- 
lune n'est plus en sûreté; ils ne peuvent même compter 
sur l'impartialité de leurs juges : ceux-ci appartiennent 
pour la plupart à la classe pauvre et s'inspirent moins 
de la justice que de considérations personnelles. Il en 
résulte un esprit de défiance qui ruine le crédit : l'ar- 
gent ne circule plus et ne produit plus. Par suite encore 
l'activité commerciale se ralentit; et, comme les débou- 
chés manquent, la production cesse. Les paresseux, les 
inutiles, et aussi les pauvres sont chaque jour plus 
nombreux. Pour remédier à cet état de choses, on mul- 
tiplie les lois; mais cette multiplicité des lois prouve 
seulement l'étendue du mal : elle ne le guérit pas. Le 
mal ne peut être que dans la constitution, car la consti- 
tution est « Vâme même de la cité * : si l'on veut le 
détruire, c'est elle qu'il faut améliorer. 

Et tout d'abord celte constitution repose sur une con- 
ception fausse de l'égalité. La véritable égalité n'est pas 



88 ISOCILVTE. I 

celle qui né met aucune différence entre les indîTiiiu^. I 
mais celle qui tient compte du mérite de chacun. FaukB 
de le comprendre, on a substitué, pour la désignaii'>r..« 
des magistrats, le principe du tirage au sort appliqu"'! 
sans restriction, à Tancien système, plus compliqué mai^H 
plus juste, qui faisait précéder Te tirage au sort d'unril 
élection. Cette erreur a été suivie d'une seconde, celk-flB 
plus grave : l'institution d'un traitement pour les ma^i^^l 
ti^ats, pour les héliastes, pour les membres du Conj^'IB 
et pour ceux qui assistaient aux séances de IM^jemi^^^tl 
De ce jour les fonctions publiques ont cessé d'être oïl 
service rendu à l'État, une liturgie, pour devenir nrlB 
profession. Incapables et ambitieux se sont jetés danfl 
la politique, écartant des affaires les gens désinlére>:<^1 
et libres. Contre les inconvénients d'un pareil syslèm*". I 
une éducation bien comprise, appropriée à la situali^r I 
et à la fortune de chacun, pourrait réagir. Mais rèiliHl 
cation est négligée et les jeunes gens livrés à eax*méD<*- 1 
passent leur temps dans les maisons de jeu et dans k^ 1 
lieux de plaisir. Ce qui manque donc, c'est un pouvoir 
modérateur, un corps assez indépendant pour exercer 
un contrôle efficace sur les institutions et sur lesmœu^ 
et dont l'autorité serait fondée moins sur la crainte qu^ ! 
sur le respect. Or ce pouvoir modérateur a exisié: il 
subsiste encore, privé de ses moyens d'action, inâi> 
toujours vénérable : c'est l'Aréopage. On l'a vu & l'œovrr 
au temps de Solon et de Clisthène : c'est lui qui a fonde 
'a grandeur d'Athènes. Pour rétablir l'ordre, il suffirait 
de lui rendre ses anciennes prérogatives. 

Isocrate, il est vrai, ne présente pas ses idées d*UD« 
façon aussi systématique. Sa critique est surtout indi- 
recte, et il s'attache moins à peindre la situation acluelle 
qu'à tracer un tableau séduisant du passé. En cela il 
se montre habile écrivain et prudent politique. Dt* 
attaques trop vives rebuteraient le lecteur et éveille- 
raient les susceptibilités de la démocratie. La consti- 
tution qu'il réclame et qu'il présente comme étant la 
plus véritablement démocratique, en réalité ne l'est |m<. 
L'Aréopage de Solon était un corps aristocratique. Il s< 
composait bien, comme l'Aréopage du iv* siècle, de^ 
archontes sortis de charge; mais ces archontes, tiré* 




1 



ARÉOPÀGITiQCE (VII, '§ 9). HO 

au sort sur une liste de quarante membres choisis 
dans les rangs des deni premières classes, reprétien- 
laitnt V aristocratie . On ne peut rendre à l'Aréupage 5on 
iiuiorîLé qu'en rétablissant l'ancien mode de nominalion 
(les archontes. Isocrate l'insinue prudemment. Mais en 
bomme qui prévoit les objections, il s'appuie sur Jes 
noms de Solon et de Clisthène, citoyens dévoués erirt- 
tous à la démocratie, et il feint d'oublier qu'à tblt 
d'Éphialte ou de Pcriclès, Solon et Clisthène sont àes 
démocrates singulièrement timides. Et c'est encore par 
une équivoque qu'il se défend de toute att^he arec 
l'aristocratie. Il confond l'aristocratie avec l'oligarcuie 
et consacre la seconde partie de son discours à une 
critique très vive du gouvernement des Trente. Gomme 
s'il n'y avait pas eu des divergences profondes entre 
les Trente! comme si les vues de Kritias avaient été les 
mêmes que celles de Théramène! Or précisément, 
quelque soin qu'il mette à parler de son attachement 
à la démocratie, Isocrate apparaît en conformité de vnes 
avec ce dernier. Il n'a rien sans doute de sa souplesse 
et de son activité politique : il n'aurait pas été homme 
à profiter comme lui des circonstances; maiB ce sont 
bien ses idées qu'il représente, avec les modificalinits 
qu'elles n'avaient pu manquer de subir au cours des 
événements et en passant par un esprit naturellement 
idéaliste et porté à prendre ses rêves pour des réalîti^a. 



NéoeBûté de réviser la Constitution. 

(55 9-18) 

Je ne sais ce qne je dots supposer : ou que vous ne 
vous souciei pas des alTaires publiques, ou que, tout 
en vous en préoccupant, vous vous êtes laissé aveu- 
gler au point de ne pas voir quel désordre règ^ie 
dans la cité. Tel est, en effet, semble-tTil, votre élat 



90 ISOCRATE. 

d'esprit i aprèsavoir perdu toutes les villes que nous 
possédions sur la côte de Tlirace et dépensé sans 
protit plus de mille talents pour l'entretien des mer- 
cenaires, décriés auprès des autres peuples grecs, 
devenus les ennemis du Barbare, forcés en outre dr 
secourir les partisans des Thébains, tandis que nous 
laissions échapper nos propres alliés, — c'est pour 
de tels succès que nous avons par deux fois déj.i 
oITert le sacrifice qui célèbre les bonnes nouvelles. 
et nous nous montrons plus négligents quand dou> 
délibérons sur ces événements dans nos assemblées 
que ceux qui réussissent en tout comme ils t" 
doivent ! 

H n'y a rien d'ailleurs de surprenant ni dans celle 
manière d'agir, ni dans ces résultats : quand un 
peuple n'a pas su, par de sages résolutions, donnrr 
à sa politique une bonne direction générale, îl fsi 
impossible que rien suive pour lui un cours régu- 
lier, et, réussit-il même, soil par un heureux 
hasard, soit par le mérite d'un homme, dans cer- 
taines entréprises particulières, il ne tai-de pas à 
retomber dans les mêmes difficultés qu'au para vaut. 
C'est ce dont on pourrait se rendre compte d'apr>* 
ce qui nous est arrivé. En eiïet, bien qu'après I» 
victoire navale de Conon et la campagne de Tinii>- 
thée, la Grèce entière !ùl tombée sous noire domi- 
nation, nous n'avons pas pu soutenir un seul ins 
tant ces succès, et en peu de temps nous en avon' 
gaspillé et perdu le bénéfice. C'est que ni nous i' 
possédons ni nous ne nous appliquons, comme il I' 
Taudrait, ii trouver une constitution qui saurait tirrr 
parti des événements. El cependant nous sovod* 
loua que )a véritable et solide prospérité appartieDi 



i 



ARÉOPAGÏTIQUE (VII, §g 9-16). 91 

non à ceux qui s'entourent des remparts les plus 
beaux et les plus résistants, ni à ceux qui réunis- 
sent auprès d'eux le plus grand nombre d'hommes, 
mais à ceux qui gouvernent leur cité de la manière 
la meilleure et la plus sage. C'est la constitution, en 
effet, qui est véritablement l'âme de la cité : elle est 
polir une république ce que la raison est pour 
l'homme. C'est elle qui préside à toutes les délibé- 
rations, et qui, tout en conservant les avantages 
acquis, nous met à l'abri des revers. C'est sur elle que 
se forment et se modèlent nécessairement et les lois 
et les hommes politiques et les simples particuliers : 
les succès de chacun dépendent de la valeur de la 
constitution. Or chez nous la constitution est malade 
et nous ne nous en inquiétons pas et nous ne 
cherchons pas à la remettre en état ! Assis 
devant les ateliers nous nous élevons contre ce 
qui existe, nous déclarons que jamais, sous le 
régime démocratique, nous n'avons été plus mal 
gouvernés; mais quand nous agissons, quand nous 
raisonnons, nous nous attachons beaucoup plus 
à notre constitution qu'à celle que nous ont laissée 
nos ancêtres. Eh bien! c'est de la constitution 
que je veux vous entretenir aujourd'hui et c'est 
pour cela que je me suis fait donner le droit de me 
présenter devant vous. 

Pour détourner les dangers qui nous menacent, 
pour nous affranchir des maux qui nous entourent, 
je ne trouve qu'un seul moyen : revenir à cette 
forme de gouvernement démocratique que Solon, 
de tous les citoyens le plus dévoué à la cause popu- 
laire, a instituée, et que Clisthène, l'homme qui a 
chassé les tyrans et rétabli le peuple dans ses droits. 



92 ISOCRATE. 

n'a rien eu de plus pressé que de remettre en 
vigueur. Nous ne saurions en trouver une qui soit 
plus' favorable au peuple, ni plus utile à la cité. En 
voici la meilleure preuve : tandis que nos ancêtres, 
régis par cette constitution, après avoir accompli 
un grand nombre de glorieuses actions et s*élre 
illustrés aux yeux de tous les hommes, ont vu les 
Grecs leur offrir d'eux-mêmes rhégémonie, les par- 
tisans de la constitution actuelle se sont attiré la 
haine de tous les peuples, ont enduré de nom- 
breuses et terribles souffrances, et peu s'en faut 
qu'ils n'aient fini par tomber dans les derniers 
malheurs. Comment dès lors célébrer, comment 
aimer un régime qui , après nous avoir fait 
tant de mal , est entraîné chaque jour vers la 
ruine? Comment ne pas craindre que si cette 
décadence continue, nous ne finissions par nous 
heurter comme sur un écueil à une situation plus 
dure encore que celle où nous nous sommes trouvés 
naguères? 

II 

La démocratie au temps de Solon 
et de Clisthène. 

(S§ 19-35) 

Et pour que ce ne soit pas sur un simple résum»* 
général, mais en parfaite connaissance de cause que 
vous prononciez votre jugement et que vous choi- 
sissiez entre ces deux constitutions, il vous faut 
accorder toute votre attention à ce que je vais dire, 
tandis que je m'efforcerai, moi, de vous exposer 



ARÉOPAOrTIQUE (vil, gg 17-22). 93 

l'une et l'aulre, aussi brièvement qu'il me sera pos- 
sible. 

La constitution qu'avaient établie ceux qui, dans 
ees temps reculés, administraient la cité n'était pas 
une constitution qui, désignée parle ttrine le plus 
large et le plus doux i entendi-e, apparût comme tout 
autre dans la pratique à ceux qui l'éprouvaient, ou 
qui dirigeât de telle inauière l'éducation des citoyens 
que ceux-ci en vinssent è. confondre le désordre avec 
la démocratie, la violation des lois avec la liberté, le 
pouvoir de tout dire avec l'égalité, l'absence de 
cuntrainte enfm en ces matièies avec le VLiittLblc 
bonheur : leur conslitutifin leur faisait détestei et 
punir ceux qui agissaient suitant de pareilles 
maximes et par Ib. avait rendu tous les citoyens 
meilleurs et plus retenus. Et te qui pour eux con- 
tribuait le plus à la bonne administration de la 
cité, c'est que, étant donné qu on distingue deax 
sortes d'égalité, l'une qui attnbue k m?me part a 
tous, Faulre qui n'accorde à thacun que ce qui lui 
revient, bien loin de se méprendre sur leui valeui 
réciproque, ils condamnaient lune — celle qui ne . 
fait pas de différence entre les mauvais iiloyens et 
les meilleurs — comme n'étant pis conforme a la 
justice, et lui préféraient l'autre — celle qui règle 
sur le mérite de chacun les récompenses et les puni- 
tions — pour l'appliquer au gouvernement de la cité ; 
nesecontentantpas de tirer les luagistraturesau sort 
parmi tous les citoyens sans distinction, mais dési- 
gnant par un choix préalable, pour remplir chaque 
fonction, les meilleurs et les plus aptes. Ils espé- 
raient, en effet, que tant vaudraient les hommes 
placés k la tête des affaires, tant vaudraient aussi 



94 ' ISOCRATE. 

les autres citoyens. Et de plus ils considéraient ce 
système comme plus démocratique que celui qui a 
pour principe le tirage au sort : car, dans le lirase 
au sort, le hasard serait juge et il arriverait sou- 
vent que les magistratures tomberaient aux majn> 
des fauteurs de l'oligarchie : en désignant au con- 
traire par un vote préalable les citoyens les pltt> 
qualifiés, le peuple serait maître de ne choisir quv 
les partisans les plus déterminés de la constitution 
établie. 

Ce qui faisait que ce régime était accepté du plu;' 
grand nombre et qu'on- ne se disputait pas le- 
magistratures, c'est qu'on avait appris à travailler 
et à économiser, à ne pas négliger son propre 
bien, pour chercher à mettre la main sur celui A^ 
autres, à ne pas faire sa fortune aux dépens dn 
trésor, mais à contribuer, s'il le fallait, sur s^ 
ressources personnelles au bien de tous, à ne pa* 
connaître enfin avec plus d'exactitude les revenu.* 
qu'on pouvait tirer de l'exercice des magistratun?> 
que ceux qu'on trouvait dans son propre fonds. On 
se tenait si soigneusement à l'écart des affaires à* 
la cité qu'il était plus difficile en ce temps-là i\^ 
rencontrer des gens qui voulussent exercer \^ 
charges, qu'il ne l'est aujourd'hui d'en trouver qui 
ne le désirent pas. C'est qu'on considérait alor* 
l'administration des affaires publiques non corom» 
un commerce, mais comme un ministère, et qu'on 
se préoccupait moins, le jour où on entrait m 
charge, de rechercher d'abord si les magistrats sor- 
tants n'avaient pas laissé quelque profit à taire, 
que de voir si, par leur faute, quelque question 
demandant une solution immédiate n*étail ^ 






ARÉOPAGITIQUE (VII, §§ 23-29). 95 

restée en souffranee. Pour résumer, les hommes 
d'alors avaient reconnu nettement qu'il faut, d'une 
part, que le peuple comme un tyran établisse les 
magistrats, punisse les coupables, tranche les diffé- 
rends entre les citoyens ; d'autre part, que ceux qui 
ont des loisirs et possèdent des moyens d'existence 
suffisants administrent les affaires publiques comme 
des serviteurs et que, s'ils ont rempli exactement 
leur charge, on leur décerne un éloge qui soit leur 
seule récompense, s'ils s'en sont au contraire mal 
acquittés, qu'on n'ait pour eux aucune indulgence, 
mais qu'on les frappe des peines les plus sévères. 
Est-il possible, en vérité, de trouver un régime 
démocratique mieux établi et plus juste que celui 
qui place à la tête des affaires les hommes les plus 
capables et qui les. soumet eux-mêmes à l'autorité 
souveraine du peuple^ 

Tel était donc pour nos ancêtres le système de 
gouvernement : il est facile dès lors de comprendre 
combien droite et réglée était leur conduite dans 
la vie de chaque jour. La direction générale donnée 
aux affaires, quand les principes qui l'inspirent 
sont bons, s'impose de même nécessairement aux 
actions particulières. 

Et tout d'abord en ce qui concerne les dieux — 
car c'est par là qu'il est juste de commencer, — les 
cérémonies qu'ils célébraient en leur honneur, le 
culte qu'ils leur rendaient n'étaient pas choses 
livrées au caprice et au hasard; on ne les voyait 
pas, au gré de leur fantaisie, faire figurer trois cents 
bœufs dans les cortèges religieux, et, quand cela se 
trouvait, abandonner les sacrifices transmis par 
leurs ancêtres; on ne les voyait pas non plus, dans 



96 ISOCRATE. 

des fêtes nouvellement introduites et accompagnées 
de banquets, déployer une grande magnificence, 
pour mettre -ensuite en adjudication les plus saintes 
des cérémonies : ils n'avaient qu'une seule préoc- 
cupation, ne laisser perdre aucune des antiques 
traditions, ne rien innover qui ne fût conforme aux 
usages. La piété consistait pour eux, non dans d»* 
vaines profusions, mais dans un attachement iné- 
branlable aux institutions transmises par les anc*^*- 
très. Aussi les dieux leur accordaient-ils leurs 
faveurs, non d'une manière imprévue et déconcer- 
tante, mais dans le moment voulu, qu'il s'agît ila 
travail de la terre ou de la rentrée des récoltes. 

Des principes analogues réglaient les rapports 
qu'ils avaient entre euxt Non seulement ils restaienl 
d'accord sur les affaires publiques, mais dans la vie 
privée elle-même, ils avaient les uns pour les 
autres tous les égards que se doivent des gens rai- 
sonnables, citoyens d'une même patrie. Les pauvre? 
étaient si loin de porter envie aux riches qu'ils pre- 
naient autant de soin des intérêts des grands pro- 
priétaires que des leurs, pensant que la prospérit»^ 
de ceux-ci était la condition de leur propre bien- 
être; et les riches non seulement ne méprisaient 
pas ceux qui étaient dans une situation de fortune 
inférieure, mais, considérant comme une honle 
pour eux-mêmes la pauvreté de leurs concitoyens, 
venaient en aide à leur misère, confiant aux uns, 
pour de modiques fermages, des exploitations agri- 
coles, lançant ceux-ci dans des entreprises com- 
merciales, fournissant à ceux-là des capitaux pour 
d'autres opérations. Ils ne redoutaient ni Tune ni 
l'autre de ces deux éventualités, ou de perdre tout 



rf-'"*' 



ARÉOPAGITIQUE (VII, §S 29-35). 97 

leur avoir, ou, après beaucoup d'ennuis, de ne rentrer 
que dans une partie de leurs avances et regardaient 
comme également sûr l'argent qu'ils mettaient en 
circulation et celui qu'ils conservaient dans leur 
caisse. 

La raison en est que, dans les procès pour dettes, 
ils voyaient que les juges, au lieu de garder des 
ménagements, se conformaient à la loi; au lieu de 
chercher par leur complaisance dans les procès des 
autres, à s'asstirer à eux-mêmes des facilités pour 
mal agir ensuite, portaient encore plus de haine 
aux sj)oliateurs que leurs propres victimes et consi- 
déraient ceux qui ruinaient la confiance dans les 
contrats, comme faisant plus de tort aux pauvres 
qu'aux riches. Pour les riches, en effet, ne plus faire 
d'avances d'argent, ce serait se priver d'un modique 
revenu ; pour les pauvres, n'avoir plus personne qui 
leur vienne en aide, ce serait la dernière des 
misères. Il résultait de ces principes que personne 
ni ne cherchait à dissimuler sa fortune ni n'hési- 
tait à prêter son argent et qu'on voyait avec plus 
de plaisir celui qui venait emprunter que celui qui 
venait restituer. Cette habitude, en effet, procurait 
à la fois les deux avantages que peut souhaiter un 
homme intelligent : on aidait ses concitoyens et on 
îaisait valoir sa fortune. Le résultat général de cette 
réciprocité de bons rapports, c'éjtait la possession 
de la richesse garantie à ceux qui la détenaient jus- 
tement, et sa jouissance mise à la disposition de 
tous les citoyens qui étaient dans le besoin. 



L 



98 ISOCRATE. 



III 

L'Aréopage gardien de la démocratie. 

{§§ 36-55) 

Peut-être me reprochera-t-on de m'être contenta 
jusqu'ici de louer la conduite des hommes de celle 
époque sans expliquer pourquoi ils se montraient 
si sages et dans les relations qu'ils avaient entiv 
eux et dans le gouvernement de la cité. Je crois 
avoir déjà dit quelque chose de la question : néan- 
moins je vais tâcher de la reprendre avec plus 
de développement et en termes plus clairs. 11 n** 
faudrait pas croire qu'après avoir eu des maUrt'> 
en grand nombre pendant leur première éducation, 
ils devinssent, au moment de leur majorité, Whrf^ 
d'agir comme bon leur semblait : ils étaient au 
contraire l'objet d'une surveillance plus attentivf\ 
quand ils avaient atteint leur plein développement 
que lorsqu'ils étaient encore enfants. Tel était, en 
effet, le zèle que nos ancêtres apportaient à faviv 
riser l'esprit de modération qu*ils avaient institu»- 
le Conseil de l'Aréopage pour veiller au maintien 
du bon ordre; et, comme cette assemblée nVtait 
accessible qu'aux citoyens de bonne naissance, qui 
avaient fait preuve dans leur vie d'une grande vertu 
et d'une grande sagesse, elle s'élevait naturellement 
au-dessus de toutes les autres assemblées de U 
(irèce. 

On peut d'ailleurs, même d'après ce qu'elle t'>l 
actuellement, juger de ce qu'elle était autrefois. 



ARÉOPAGITIQUE (VII, §§ 36-41). 99 

Aujourd'hui encore, en effet, et bien qu'on ait 
laissé tomber en désuétude toutes les mesures rela- 
tives au choix de ses membres et à leur examen, 
nous pouvons voir que des gens qui, dans le reste 
de leur vie, ne sont pas même supportables, après 
qu'ils ont été siéger à l'Aréopage, n'osent plus se 
laisser aller à leur caractère et s'attachent aux tra- 
ditions qu'ils y trouvent plutôt que de suivre les 
mauvais instincts qu'ils portent en eux. Tant est 
grande la crainte que nos pères avaient su inspirer 
aux méchants! Tant est puissant le souvenir qu'ils 
ont laissé en ces lieux de leur vertu et de leur 
sagesse ! 

Je disais donc que c'était à cette assemblée ainsi 
constituée qu'ils avaient donné pleins pouvoirs pour 
veiller au maintien de l'ordre. Elle estimait : que c'est 
une erreur de croire que là où les lois sont établies 
avec le plus de soin, là aussi les citoyens sont les 
meilleurs, — car alors rien n'empêcherait que tous 
les Grecs fussent semblables, chaque peuple pouvant 
sans difficulté emprunter aux autres leurs législa- 
tions ; — qu'en fait ce ne sont pas les lois qui font 
progresser la vertu, mais la conduite adoptée dans 
la vie de chaque jour, — car la plupart des citoyens 
finissent par régler leurs mœurs sur celles au milieu 
desquelles chacun d'eux a été élevé ; — que même, le 
grand nombre des lois et l'exactitude minutieuse 
de leurs prescriptions est plutôt la marque d'une 
mauvaise administration de la cité, — car c'est e-n 
cherchant à mettre une barrière à l'envahissement 
du mal qu'on se trouve amené à établir de nom- 
breuses lois ; — et qu'enfin, chez un peuple bien gou- 
verné, ce ne sont pas les portiques qui se couvrent 



100 ISOCRAT£. 

de textes législatifs, c'est dans les cœurs que résiil»* 
le sentiment de la justice, — car ce ne sont pas l<*s 
décrets, mais les mœurs qui font qu'une cité se gou- 
verne bien : ceux qui ont été formés suivant d»» 
mauvais principes oseront toujours enfreindre les 
lois, même si elles ont éjté établies avec une exac- 
titude minutieuse; ceux qui, au contraire, ont élr 
élevés dans de bons principes sauront toujours s»- 
conformer aux lois même si elles ont été rédigée* 
sans détails. — Imbus de ces idées, ils cherchaient 
avant tout, non pas les moyens de punir le désordre, 
mais ceux de prévenir les moindres sujets de puni- 
tion; pensant que c'était là leur véritable office et 
que le soin d'exercer des vengeances devait êtr»* 
laissé à l'inimitié personnelle. 

Leur attention se portait ainsi sur tous les citoyen>. 
mais d'une manière particulière sur les plus jeune>. 
Ils voyaient, en effet, que c'est à cet ûge surtout qu»* 
l'esprit est inquiet et agité, que le cœur est tout 
débordant de passions, que l'âme a besoin d*élrr 
comme domptée par la pratique de nobles ocru- 
pations et par des exercices qui n'excluent pas l- 
plaisir, et que seuls, en effet, de tels passe-temps 
pouvaient retenir les gens ayant reçu une éducation 
libérale et formés aux pensées généreuses. En cun- 
séquence, comme il était impossible, par suite <ie 
l'inégalité des fortunes, de diriger tout le mond*' 
vers les mêmes carrières, ils assignaient à chaqu** 
catégorie de citoyens des occupations en rapport ave- 
leurs ressources. Ceux qui se trouvaient dans un^ 
situation de fortune inférieure, ils les dirigeaient du 
côté de l'agriculture et du commerce, sachant qu** 
la paresse engendre la pauvreté et la pauvreté Tin- 



ARÉOPAGITIQUE (VII, §§ 41-48). 101 

conduite. Supprimer ce qui est la cause première 
du vice, c'était, à leur avis, le moyen de supprimer 
toutes les fautes que cette cause entraîne avec elle. 
Quant à ceux dont les ressources étaient suffisantes 
pour vivre, ils les obligeaient à se livrer à Téquitation, 
à la gymnastique, à la chasse, à la philosophie, cons- 
tatant que par là les uns devenaient des hommes 
supérieurs, les autres se gardaient de la plupart des 
désordres ordinaires à leur âge. 

Tout en établissant ces pratiques, ils ne négli- 
geaient pas pour cela le reste de Texistence, mais 
grâce à une division de la ville en quartiers et de la 
campagne en dèmes, ils exerçaient une surveillance 
sur la vie de chacun et déféraient ceux qui ne se con- 
duisaient pas bien, au Conseil de l'Aréopage. Celui-ci 
avertissait les uns, menaçait les autres ou leur 
infligeait les châtiments mérités. Ils savaient, en 
effet, que, pour conduire au mal comme pour en 
détourner, il y a deux moyens; que, chez un peuple 
où Ton n'a pas pris de mesures pour le prévenir et où 
la justice n'est pas scrupuleusement appliquée, chez 
ce peuple, dis-je, les meilleures natures se corrom- 
pent ; mais que là où il est difficile, quand on commet 
une faute, de ne pas être pris, et, quand on est 
découvert, d'obtenir de l'indulgence, là au contraire, 
les mauvaises mœurs finissent par disparaître. Gela 
reconnu, ils contenaient les citoyens dans le devoir 
et par les châ^timents et par la vigilance : bien loin, 
en effet, que ceux qui étaient en faute pussent 
échapper à leur surveillance , ils connaissaient 
d'avance ceux qui semblaient devoir commettre 
quelque mauvaise action. Et c'est pour cela que les 
jeunes gens, au lieu de perdre leur temps dans lef 



102 ISOCRATE. 

maisons de jeu, ou chez les joueuses de flûte, ou dan< 
d'autres sociétés telles que celles où ils passent à pré- 
sent leurs journées, demeuraient fidèles aux occupa- 
tions qui leur étaient assignées, pleins d'admiratioD 
pour ceux qu'ils voyaient y réussir et rivalisant avec 
eux. Ils évitaient avec tant de soin de paraître à l'Agora 
que, si parfois ils étaient obligés de la traverser, on 
voyait qu'ils ne le faisaient qu'avec beaucoup d" 
modestie et de réserve. Contredire les pereonn»^ 
plus âgées ou leur adresser des paroles injurieuse^ 
était à leurs yeux un acte plus abominable que n-» 
serait aujourd'hui celui de manquer en quelque 
chose à ses parents. Personne, pas même un domes- 
tique, pour peu qu'il fût comme il faut, n'aurait ci- 
boire ou manger dans un cabaret : on cherchait à 
avoir de la tenue, non fi faire des folies : les hoinme> 
d'esprit, les railleurs que nous regardons aujour- 
d'hui comme des gens bien doués passaient en (^ 
temps-là pour des êtres disgraciés de la fortune. 

Et qu'on n'aille pas croire que je sois anim^ <!»* 
mauvais sentiments à l'égard de nos jeunes gens. 
Non seulement je ne crois pas qu'ils soient respon- 
sables de ce qui se passe, mais je tiens de la plu- 
part d'entre eux qu'ils sont très loin de se réjouir 
d'un état de choses qui leur permet de vivre dan^ 
de tels désordres. Aussi n'est-ce point a eux que j»' 
dois m'en prendre, mais beaucoup plus justement 
à ceux qui ont gouverné la république un peu avant 
notre époque. Voilà les hommes qui ont pousv 
la jeunesse à se laisser ainsi aller et qui ont bri»*' 
le pouvoir de l'Aréopage. Au temps où ce conseiî 
avait la direction des affaires, la cité n'était pa*» 
remplie de procès, d'accusations, de contributioDs 



ARÉOPAGITIQUE (VII, §§ 48-54). 103 

d'indigence, de guerres; c'était le calme entre les 
citoyens, et la paix avec tous les autres peuples. 
Les hommes d'alors savaient inspirer aux Grecs la 
confiance, et aux Barbares la crainte : ils avaient, 
en effet, sauvé les uns et infligé aux autres un châ- 
timent tel que ceux-ci s'estimaient heureux de 
n'avoir rien souffert de plus. 

Aussi vivait-on, grâce à cela, dans une sécurité si 
complète que les maisons et les installations étaient 
plus belles et plus somptueuses à la campagne qu'à 
l'intérieur des murailles : même au moment des 
fêtes, beaucoup de citoyens dédaignaient de venir à 
la ville, et préféraient demeurer sur leurs terres, 
plutôt que de prendre part aux réjouissances com- 
munes. En effet, tout ce qui concernait les spec- 
tacles, et qui aurait pu être un attrait pour quel- 
ques-uns se faisait non avec profusion et osten- 
tation, mais d'une manière raisonnable : ni le luxe 
des processions, ni l'ardeur à rivaliser dans l'exer- 
cice des chorégies*,ni toutes les autres vantardises 
du même genre n'étaient considérées comme le 
signe de la prospérité : on cherchait le bonheur 
dans la modération des citoyens, dans la façon de 
régler la vie de chaque jour, dans la satisfaction 
accordée aux besoins de tous. C'est là-dessus, en 
effet, qu'on doit décider si un peuple prospère véri- 
tablement et s'il ne se gouverne pas de façon à se 
rendre insupportable. Car actuellement quel homme 
de sens ne s'affligerait de voir nombre de citoyens 
réduits à se présenter au tirage au sort, avant l'ou- 
verture des tribunaux, pour savoir s'ils auront ou 

1. Voir p. 50, n. 1. 



104 ISOCRATE. 

s'ils n^auront pas le nécessaire et prétendre avec 
cela entretenir sur leur flotte des rameurs de bonn«» 
volonté pris parmi les autres Grecs; de les voir 
figurer dans les chœurs tout couverts d'or, et passer 
l'hiver vêtus d'une manière que je m'abstiens de 
dire ; de remarquer enfin dans leur façon de vi^r» 
d'autres contradictions du même genre qui sont la 
honte de la cité? 

Rien de tout cela n'existait sous le gouvernemeni 
de l'Aréopage. Cette assemblée, en effet, avait m$ 
les pauvres à l'abri du besoin en leur fournissant 
du travail et en les faisant assister par les riches: 
elle avait arraché les jeunes gens aux désordres en 
leur donnant des occupations et en les forçant a ^ 
surveiller; elle avait détourné les hommes poli- 
tiques de l'ambition en les punissant et en emp<^- 
chant les coupables d'échapper à la justice; ell«* 
avait prévenu le découragement des vieillards en 
leur décernant des honneurs publics et en l^nr 
assurant les égards de la jeunesse. Pourrait-on. j»* 
le demande, imaginer une constitution qui mérii»- 
plus de louanges que celle qui veillait à toutes le> 
affaires avec tant de soin? 



SUR L'ECHANGE 

(XV) 



ARGUMENT 

Dans une sorte d'introduction placée en tête de ce 
discours, Isocrate a expliqué lui-même comment il avait 
été amené à le composer. A l'occasion d'un procès qu'il 
avait eu à soutenir dans une affaire d'échanger de biens 
(àvT:5o(rtç *, d'où le titre du discours), il s'était aperçu 
que beaucoup de gens avaient une idée fausse de son 
caractère, de ses travaux, de son enseignement. Ne 
jugeant pas possible de faire de lui-même un éloge direct, 
et voulant ce'pendant détruire les erreurs qui avaient 
coursa son sujet, il suppose un nouveau procès engagé 
contre lui. L'accusateur fictif, un certain Lysimaque, 
est censé lui avoir reproché de corrompre les jeunes 
gens en leur enseignant l'éloquence et en leur apprenant 
à gagner une cause au mépris du droit (ireipôttat jxe 
SiaSdiXXeiv t xanrJYopoç ei!>ç SiapBecpu) toùc vewrépovç, Xlyeiv 
Si8â(rxcr>v xal icapà tb Sixaiov èv toi; àytoffi ir).govexTeiv) 2, 



1. "Un citoyen désigné pour exercer une liturgie (voir p. 50, 
D. 1 ) poavait, lorsqu'il jugeait sa fortune insuffisante, désigner un 
citoyen qu'il estimait plus riche que lui, comme devant l'exercer 
^ sa place. Lorsque celui-ci refusait, le débiteur de la liturgie 
pouvait lui proposer d'échanger ses biens contre les siens. 

2. Discours Sur VÉchange (§ 30). 



406 ISOCRATE. 

et c'est à cette accusation qu'Isocrate répond. Son dis- 
cours appartient à un genre mixte (pLeixToç Xdyo;) : c'est 
à la fois un éloge et un plaidoyer : on y retrouTc tous 
les lieux communs chers aux orateurs judiciaires; par 
deux fois même il est fait allusion à la clepsydre. Quant 
à la fiction, qui paraît aujourd'hui bien froide et peu 
adroite, elle a été vraisemblablement suggérée k Isocrate 
par le souvenir du procès de Socrate et par les Apologie* 
que les disciples du philosophe avaient composées pour 
lui après sa mort. 

Le discours Sur VÊchange est le plus long de tous ceux 
de notre orateur. Il se divise en deux parties. C'est dan> 
la première qu'Isocrate fait proprement son apologie : 
il n'est point un homme d'aftaires ni un faiseur de plai- 
doyers; ses discours •• sont plus semblables aux œutrtf 
d*art qu* accompagnent la musique et le rythme qi^au lan- 
gage qu'on entend devant les tribunaux ^ ». Ils ont aussi 
une tout autre portée, et, pour le prouver, Isocraïf 
cite de longs extraits du Panégyrique, du discours ^fc»" 
fa Paix et du discours A Nicoclès. C'est en écrivant de 
telles œuvres qu'il s'est fait des disciples dans toute U 
Grèce : leur gloire est le plus bel éloge de celui qui le^ 
a formés. Après avoir célébré l'un d'eux, le stratège 
Timothée, il termine cette première partie en rappelant 
la vie qu'il a toujours menée et en présentant quelques 
considérations sujr sa fortune. 

Dans la seconde partie, Isocrate expose ses vues (" 
matière d'éducation *. Cette question de l'éducation 
avait déjà fait l'objet d'un de ses premiers discours* !<* 
discours Contre les Sophistes, dont une grande partie 
malheureusement ne nous est pas parvenue. Elle avait 
été également traitée — quoique d'une façon incident' 
— dans le début de son Éloge d'Hélène. Si Ton ajouK 
à ces deux témoignages importants le discours ^ 
VÈchange, qui est le plus considérable, et quelque 
passages pris dans ses autres œuvres, notamment dan* 
le NicocléSf dans le Panégyrique et dans le Panatht- 

1. Discours Sur V Échange (% 46). 

'2. On verra un intércssaot résumé do la question dans P- *' ' 
rard, CÉducation athénienne, p. 310 et sniv. 



SUR l'Échange (xv). 407 

naîque^ on pourra se faire une idée du but et de la 
méthode d*Isocrate. 

Le but n'est pas d'enseigner la vertu : la vertu ne 
s'enseigne pas et il n^est pas de méthode capable d'ins- 
pirer l'esprit de modération et de justice à qui ne l'a 
pas naturellement. Est-ce à dire qu'il faille bannir toute 
préoccupation morale de l'éducation? Loin de lit : il 
faut seulement se rendre compte de ce qui est possible 
et chercher avant tout à réaliser un certain idéal de 
sagesse pratique. L'homme bien élevé (irsuaiSeufiévoc) * 
est celui qui, en toutes circonstances, se décide d'après 
une* opinion juste et trouve la meilleure conduite à 
suivre; d'un commerce agréable et facile, il supporte 
sans humeur les défauts de caractère de ceux avec qui 
il est en rapports; ni le malheur ne l'abat, ni le succès 
ne le corrompt : Tégalité d'âme s'unit en lui à la recti- 
tude du jugement. 

Cet homme accompli (tlXeio;), ce ne sont ni les éris- 
tiques et les dialecticiens^ ni les maîtres de rhétorique 
qui le formeront. Les maîtres de rhétorique^ dont toute 
l'ambition est d'apprendre à plaider, ne s'appliquent à 
développer chez leurs disciples qu'une activité indis- 
crète (iro>.yirpaYw.o<juvT)) et Taraour du succès (irXeoveÇia). 
Quant aux éristiques et aux dialecticiens^ s'ils ont des 
préoccupations plus hautes et s'ils se proposent en effet 
d'enseigner la vertu et la modération, ils ont le tort de 
promettre en cela plus qu'ils ne peuvent tenir et ensuite 
de se livrer à des subtilités qui ne sauraient être d'au- 
cune utilité dans la pratique 2. H en est de leurs exer- 
cices comme de la géométrie et de l'astronomie : favo- 
rables au développement de l'esprit par l'effort d'attention 
qu'ils exigent, ils ne peuvent constituer un véritable 
moyen d'éducation. 

Le seul moyen pratique d'éducation, c'est celui que 
fournit l'éloquence, le Xôyo;. La parole est, en effet, comme 
le miroir de l'âme : en elle se reflètent les bonnes et 
les mauvaises qualités de chacun. « Parler comme il 



1. Voir Isocrate (XII, ^ 30 et suiv.). 

2. Pour toute cette partie critique, voir Isocrate (XIIl, 1-8; 
20-21, XII, 26 et suiv., X, 4-5) et XV, %1 et suiv. 



108 ISOCRATE. 

faut est la marque la plus certaine d'une raison droite, 
et un langage conforme à la réalité, à l'usage et à U 
justice, est l'image d'une âme belle et en qui Ton peui 
se fier *. » 

Mais si le langage est ainsi l'image de la pensée, il en 
résulte que s'appliquer à bien parler, c'est s'appliquer 
à bien penser, et par là apparaît la valeur éducatrice du 
Xdyo;. Seul un noble sujet peut inspirer un discour» 
vraiment beau 2 ; l'orateur qui veut s'imposer à un nom- 
breux auditoire doit avant tout donner confiance en son 
honnêteté, et quiconque cherche un succès de bon à\oi 
ne peut y atteindre qu'à condition de s'appuyer sir h 
vertu. Sans doute, il faut tenir compte des disposition'» 
naturelles de chacun. Isocrate ne prétend pas réali^r 
la perfection absolue : mais en faisant de la vertu une 
condition du succès, il élève singulièrement la dignilf 
de son art. Ainsi entendue, l'éloquence n'est pas un 
vain bavardage; elle est la forme la plus haute de la 
culture intellectuelle : elle est une philosophie. H y 1 
plus : cette philosophie est la seule qui mérite son nom. 
parce que seule elle a un but pratique. Elle apprend s 
se conduire dans la vie; elle prépare le citoyen à li 
politique. Isocrate d'ailleurs résume lui-même sa pen»*;^ 
avec une grande netteté : « Puisqu'il n'est pas donné a 
l'homme d'acquérir une science (£iti«TTr,^xr,v), grâce * 
laquelle il puisse discerner ce qui doit être fait ou du 
je regarde comme sages (<roîo'j;) ceux qui sont capable^, 
dans le plus grand nombre des cas, de rencontrer, par de 
simples opinions (6dÇaic), le parti le meilleur, et j'appelir 
philosophes (^tXoa-â^ouc) ceux qui se livrent aux étude^ 
propres à faire naître le plus rapidement possible reUi^ 
disposition d'esprit 3. • 

Cette façon exclusive de concevoir la philosophie n'éUii 
pas faite pour concilier à Isocrate les sympathies d^ 
Platon. On sait que dans le Phèdre, le philosophe 8*é(ai: 
plu à opposer à Tart un peu grêle de Lysias Téloquencv 
plus nourrie d'Isocrate. - Il ne faudra point s'étonnor. 



1. Voir Isocrate, XV. § '255, et rapprocher IV. § 4B. 

2. Voir Isocrato, XV, ^ 275 et suiv. 

3. Voir XV, §271. 



Sim LECH^NGE (aV, S 180). 1(W 

(a sa l I d re a bo raie quand il avancera en âge, si 
I abo d dan le genre ou 1 aexerce aujourd'liui. lous 
1 n a I es ne pa a sent a p ëa de lui que des enfanu, 
e même ne se conlenlanl plus de ses sureùs. il se 
Ht porté ve s de plus grandes choses par un instinct 
1 lus d n car en réal lé mon cher Phèdre, il ;/ a en 
l de ta pk lojopl e L éloge renfermait une sorte 

de conbe 1 Ma s le on e I na ait pas été suivi. Entre 
Platon et Iso rate les d vergences s'accentuËrunt et il 
en résulta des polem ques ^ lont on trouvera plii^ loin 

Le (I scours u It h nge parut en 3Sl. L'oratuur 
nous apprend en elTet qu I ava t qu8lre-vingt<leuï ans 
I rsqu 1 le compo B et malg é certaines faiblesses dans 
le développement, malgré des longueurs inévitables, on 
verra qu'il avait conservé dans cet Age avancé (juelqucs- 
unes de ses meilleures qualités. 



L'enseignement de la paiole : aa méthode. 
Bon âornaine. 

(S180-1M) 

Je veux d'abord vous parler de l'éducation ora- 
toire ù la manière des auteurs de gi^néalogiçs. U est 
admis que noire être se compose de deux éléments, 
le corps et l'esprit. De ces deux éléments personne 
ne saurait nier que si l'un a de par sa nature idus 
d'autorité et d'importance, ce ne soit l'esprit; i lui, 
en eiïet, de prendre des résolutions et daus les 
afTaires privées et dans les aJTaires publiques : au 
corps, de se mettre au service de ces résolutions, 

I. MédM, p. 379 A. 

<!. \iiaao\ammeai.Aii<a\'Evlhydèmt,p. 3<»Cel saiv.., une cii- 
lique très Ane des prétentions d'Isocrate. 



'1 



no ISOCRATE. 

Cela étant, quelques-uns de ceux qui sont venu; 
longtemps avant noua, remarquant que, si poui 
d'autres objets on avait constitué des méthodes en 
grand nombre, rien de tel n'avait été fait ni pour h 
corps nipour l'esprit, instituèrent deux ordres d'en- 
seignement qu'ils nous ont transmis, à savoir, eu i ■■ 
qui concerne le corps, l'art du pêdotribe dans lequt-l 
rentre la gymnastique, en ce qui concerne l'esprii. 
la philosophie dont je dois vous entretenir; ensei- 
gnements qui se correspondent, marchent de pair. 
sont en accord l'un avec l'autre et à l'aide dcsquii- 
ceux qui y sont passés maîtres forment les esprit' 
. pour les rendre plus justes et les corps pour leuf 
donner plus de souplesse, sans établir d'ailleurs <!>' 
séparation entre ces deux modes d'éducation, raal? 
en recourant à des préceptes, exercices et autres 
procédés d'étude qui, dans les deux cas, sont à p-'i: 
près les mêmes. 

En effet, lorsqu'ils ont des élèves, les uns, li- 
pédotribes, enseignent à ceux qui les fréquentent 
les attitudes imaginées en vue de la lutte; les autres, 
les philosophes, font k leurs disciples un exposa 
complet et détaillé de tous les lieux communs qm 
peuvent être en usage dans le discours. Les élév.'* 
sont-ils en possession de ces éléments, en onl-il- 
une connaissance minutieuse, alors les maîtres l<^ 
font passer aux exercices, les habituent à rcffort, 1<" 
obligent progressivement à lier ensemble les notii>n> 
qu'ils ont acquises, alin de les leur faire par là pos- 
séder plus sûrement et de les mettre plus à mém'' 
de saisir par de simples opinions ce que demanJ'' 
chaque cas particulier. Car d'embrasser ces diff-^ 
rents cas par une science, c'est ce qui n'est pas 



• SDR l'Échange (xv, §§ 181-187). 111 

possible : en toutes choses, ils échappent à la 
science ; et ce sont les esprits qui s'appliquent avec 
le plus de soin à voir ce qui arrive dans la majorité 
des cas et qui en sont le plus capables, qui, le plus 
souvent aussi, savent rencontrer juste. Mais si. grâce 
à cette direction et à cet enseignement, ces deux 
maîtres peuvent bien aller jusqu'à perfectionner 
leurs élèves et à rendre plus solides, chez les uns, 
l'intelligence, chez les autres, la constitution phy- 
sique, ils sont bien loin tous les deux de posséder 
une science leur permettant de former, l'un, des 
athlètes tels qu'il les voudrait, l'autre des ora- 
teurs capables de suffire à leur tâche. Ce qui est 
vrai, c'est qu'ils n'y peuvent contribuer qu'en partie 
et que la perfection absolue n'est donnée qu'à ceux 
qui l'emportent à la fois et par l'étude et par les 
dispositions naturelles. 

Tel est à peu près le caractère général de la philo- 
sophie. Mais vous saisiriez mieux encore son essence, 
je crois, si je vous faisais connaître les engagements 
que nous prenons avec ceux qui veulent devenir nos 
disciples. Nous leur disons, en effet, que, quand on 
aspire au premier rang, soit dans l'éloquence, soit 
dans la vie pratique, soit dans toute autre forme de 
l'activité, il faut, premièrement, être heureusement 
doué pour ce à quoi on se destine de préférence ; 
deuxièmement, avoir reçu l'éducation et acquis la 
science qui conviennent à chacune des carrières 
qu'on se propose; troisièmement s'être exercé et 
rompu au maniement et à la pratique de ces diffé- 
rentes carrières. C'est de cette manière que, dans tous 
les emplois, on atteint la perfection et une grande 
supériorité sur les autres. De ces obligations qui 



\ 12 ISOCRATE. 

incombent aux maîtres et aux élèves, les unes sont 
spéciales à chacun, à savoir, pour les élèves, cell»* 
d'apporter les dispositions naturelles qui con- 
viennent; pour les maîtres, celle d'être capable* 
d'instruire les élèves ainsi doués : l'autre est com- 
mune aux uns et aux autres, à savoir celle de faire 
les exercices concernant la pratique*. C'est en effet 
un devoir, et, pour les maîtres, de diriger avec soin 
leurs élèves, et, pour les élèves, de suivre ferme- 
ment la direction imposée par leurs maîtres. 

Ce sont là des préceptes qui regardent tous le> 
arts. Si maintenant, faisant abstraction du mAe, 
quelqu'un me demandait quel est, de ces trois élé- 
ments, le plus important pour l'éducation oraloire. 
je répondrais que celui que constituent les dons 
naturels est prépondérant et l'emporte sur tous ie> 
autres. Qu'un homme en effet possède, avec d'heu- 
reuses facultés d'invention, d'assimilation, de tra- 
vail et de mémoire un organe et une netteté d^^ 
débit tels que ce soit non seulement ses paroles, 
mais l'harmonie même de ses phrases qui per- 
suadent ses auditeurs ; qu'il joigne à cela la hardiesse. 
je ne dis pas celle qui trahit de l'impudence, mai.< 
celle qui, mêlée de réserve, permet à l'esprit àf 
rester aussi maître de lui dans un discours prononcr 
devant tous les citoyens réunis que dans le travail 
de la réflexion intérieure ; — qui ne voit qu'au if\ 
homme, quand bien même, au lieu d'une éducaliou 
accomplie, il n'aurait reçu qu'une éducatioD super- 
ficielle et courante, serait cependant un orateur 
tel qu'il ne s'en est peut-être jamais rencontré en 
Grèce? 

Nous n'ignorons pas non plus d'ailleurs que ceui 



SUR L'ÉCHANGE (xv, §§ 188-192). 413 

qui sont moins favorisés de la nature, mais qui 
s'exercent davantage et avec plus d'application, 
arrivent non seulement à se perfectionner, mais 
même à s'élever au-dessus de ceux qui, tout en 
étant heureusement doués, se sont cependant trop 
négligés. De telle sorte que ces deux conditions 
prises à part peuvent également former des hommes 
habiles à la parole et à Tâction; et que, réunies 
dans le même individu, elles feraient sûrement de 
lui un orateur que nul ne pourrait surpasser. En 
ce qui concerne les dispositions naturelles et l'exer- 
cice, voilà donc mon avis : pour ce qui est, au con- 
traire, de l'enseignement tMorique, je ne puis tenir 
le même langage. Son action, en effet, ne s'exerce 
ni de la même manière,, ni d'une manière appro- 
chante. Eût-on reçu tous les préceptes relatifs à 
l'éloquence et les eût-on plus complètement appro- 
fondis que personne, on pourrait, à la rencontre, 
devenir un faiseur de discours supérieur en agré- 
ment à beaucoup d'autres ; mais, une fois en pré- 
sence de la foule, par cela seul qu'on manquerait 
de hardiesse, on serait incapable même d'ouvrir la 
bouche. 

[pour prouver que sur tous ces' points, ses idées n'ont 
jamais varié, Isocrate fait lire nn passage du discours 
Contre les Sophistes écrit au début de sa carrière. Puis, 
se tournant vers ses adversaires, il établit : r que l'édu- 
cation est bien une science réelle et efficace et que ce 
ne sont pas seulement les tempéraments qui mettent 
des différences entre les hommes; 2° que l'érlucation, 
telle qu'il la comprend, n'est nullement corruptrice et 
que l'éloquence qu'il enseigne n'a rien de commun avec 
celle des tribunaux. Il y a une bonne et une mauvaise 
éloquence; et' il ne faut pas juger le XdYoç sur les mau- 
vais emplois qu'on en fait (193-250).] 

8 



:.V^ 



IH ISOCRATE. 



Il 

Éloge de la parole : principe sur lequel 
repose la Philosophie. 

(§§ 251-257) 

On pourrait relever un plus grand nombre <lr 
contradictions de ce genre; mais cela demanderaii 
plus de jeunesse que je n'en ai, un esprit plus libr^ 
de soucis que n'est le mien en ce moment. Voici, 
en effet, sur le même sujet, quelques considération* 
qu'on peut encore faire valoir. Supposez que df? 
gens à qui leurs parents auraient laissé une grand'* 
fortune, au lieu de rendre quelque service à l'Élai. 
se mettent à insulter les citoyens et à déshonorer It^ 
femmes; quelqu'un oserait-il s'en prendre de cir* 
désordres aux auteurs de leur fortune? n'esl-<*' 
pas au contraire sur ceux qui commettraient li 
faute qu'on ferait retomber le châtiment? Suppos«»i 
encore que des hommes ayant appris le- maniement 
d'armes, plutôt que de réserver contre rcnneni. 
l'usage de leur science, viennent à s*insurger et j 
massacrer un grand nombre de leurs concitoyens: 
ou bien que d'autres enfin, après avoir reçu dan> 
l'art de la boxe et du pancrace l'éducation la pla<> 
soignée, délaissent les jeux publics pour frapper !<*> 
passants, qui ne serait d'avis de louer les maitivs, 
mais de mettre à mort leurs élèves pour avoir fait 
un mauvais usage de leur enseignement? Il suit d* 
là qu'on doit raisonner sur l'art de la parole exac- 
tement comme sur les autres arts et se garder de 



SUR l'Échange (xv, §§ 251-256). 115 

porter sur des sujets de même nature des juge- 
ments contradictoires, et de montrer de la défiance 
pour celui de nos dons naturels auquel nous sommes 
redevables du plus grand nombre de biens. 

En effet, comme je l'ai déjà dit autrefois, nos 
autres qualités ne nous donnent aucune supériorité 
sur les animaux : tout au contraire beaucoup parmi 
eux l'emportent sur nous par l'agilité, la force et 
les autres avantages naturels; mais, par cela seul 
que nous possédons la faculté de nous persuader 
les uns les autres et de nous éclairer nous-mêmes 
sur les sujets qui nous intéressent, nous échappons 
à la vie sauvage ; bien plus, c'est cette faculté qui 
nous a permis de nous rassembler et de bâtir des 
villes, d'instituer des lois, d'inventer des arts; et 
presque tout ce qui a été créé par notre activité l'a 
été sous l'influence et avec le concours de la parole. 
C'est la parole, en effet, qui a Vixé par des lois les 
limites du juste et de l'injuste, du bien et du mal; 
et, si ces limites n'avaient pas été posées, nous ne 
pourrions vivre en société. C'est d'elle que nous 
nous servons pour confondre les méchants et pour 
louer les bons. C'est par elle que nous formons l'es- 
prit des insensés et que nous éprouvons celui des 
sages; car parler comme il faut est pour nous la 
marque la plus certaine d'une raison droite, et 
un langage conforme à la réalité, à l'usage et à la 
justice est l'image d'une âme belle et en qui on 
peut se 'fier. C'est à elle enfin que nous avons 
recours lorsque nous discutons sur les choses con- 
troversées* et que nous réfléchissons sur celles qui 
nous échappent. Les mêmes arguments sur lesquels 
nous nous appuyons, dans le discours, pour per- 



416 ISOCRATE. 

suader les autres, nous servent encore.dans le tra- 
vail de la réflexion intérieure; et, de même qu*» 
nous donnons le titre de bons orateurs à ceux qui 
se montrent capables de parler devant une foule, de 
même aussi nous tenons pour de bons esprits ceux 
qui savent le mieux discuter avec eux-mêmes sur 
leurs entreprises. Et, sMl faut tout dire d'un mol 
au sujet de cette faculté, nous reconnaîtrons qn»* 
rien de sensé ne se fait sans le secours de la parole, 
mais que c'est elle au contraire qui dirige tout*'> 
nos actions et toutes nos pensées et que les homme> 
qui recourent le plus souvent à elle sont précisé- 
ment ceux qui ont l'intelligence la plus étendue. 
C'est faute d'avoir réfléchi à tout cela que Lysi- 
maque* a osé mettre en accusation ceux qui pour- 
suivent un pareil objet, source d'avantages si nom- 
breux et si considérables. 

[Il ne faut pas s'étonner qu'on juge mal de la pan>le. 
puisque les éris tiques eux-mêmes ne lui épargnent pfr» 
leurs critiques. Mais Isocrate va répondre — sto* 
amertume et avec une entière sincérité — à ces alU- 
ques (258-260).] 



III 

Critique de PÉristique : définition précise 
de la Philosophie* 

(§§ -261-271) 

Je suis persuadé que ceux qui régnent dan- 
l'éristique ou qui cultivent rastronoroie, la géom*- 

1. Sons co nom Isocrato désigne l'accosatear Actif anqiwl Ur< 
consé répondre. 



■wr 



SUR L'ÉCHANGE (xv, gg 256-257; 261-265), 117 

trie et autres sciences analogues, loin de nuire à 
leurs élèves, leur sont . utiles, moins sans doute 
qu'ils ne le leur promettent, mais jjIus qu'on ne le 
pense communément. La plupart des hommes, en 
effet, ne voient dans de pareilles seiences que des 
futilités et un vain bavardage; non seulement il 
n'en est aucune, à les entendre, qui soit de quelque 
secours dans les affaires tant privées que publiques, 
mais elles ne sauraient même se fixer pour long- 
temps dans la mémoire des élèves parce qu'elles ne 
les accompagnent pas dans la vie, qu'elles ne les sou- 
tiennent pas dans leur conduite, qu'elles sont com- 
plètement étrangères aux nécessités de l'existence. 
Pour ma part, je n'approuve ni ne rejette tout à 
fuit une pareille manière de voir : ceux qui esti- 
ment que ce système d'éducation ne rend aucun 
service dans la pratique, ne raisonnent pas mal, à 
mon avis ; mais - ceux qui en font l'éloge sont aussi 
dans le vrai. 

S'il paraît quelque contradiction dans ce que 
j'avance, c'est qu'aussi bien ces sciences, par leur 
nature, ne ressemblent en rien aux autres sciences 
qui font l'objet de notre application. Ces dernières, 
en effet, ont pour caractère qu'elles nous sont utiles, 
lorsque nous en avons une fois acquis la connais- 
sance entière : les premières, au contraire, ne sau- 
raient rendre de service à ceux qui les posséderaient 
pleinement, que s'ils se proposaient d'en tirer un 
moyen d'existence ; pour les autres, c'est au moment 
où ils les apprennent qu'elles leur sont utiles. En 
effet, en donnant leur temps à ce que l'astronomie 
et la géométrie ont de subtile et de précis, en s'ap- 
pliquant à l'étude de questions ardues, en s'habi- 



.111 if^ III m 



118 ISOCRATE. 



tuant à s'arrêter avec effort aux exposés et aux 
démonstrations, a empêcher leur attention de >e 
disperser, ils s'exercent Tesprit, le rendent plu? 
pénétrant et deviennent ainsi aptes à recevoir et a 
saisir avec plus de facilité et de rapidité des connais- 
sances plus sérieuses et d'un plus haut intérêt. 

Ce n'est donc pas, à mon avis, une philosophi-» 
vraiment digne de ce nom que celle qui n est d'au- 
cun secours immédiat ni pour la parole, ni pour l'ac- 
tion : j'appelle seulement gymnastique de Tesprit. 
introduction à la philosophie, une étude de ce genr*. 
qui, bien qu'elle soit plus virile que celles auxqa**'- 
les se livrent les enfants dans les écoles, leur rv- 
semble cependant encore par beaucoup de côtés. Lt^ 
enfants, en effet, quand ils se sont donné beau- 
coup de peine pour apprendre les lettres, l- 
musique et tout ce qu'on leur enseigne, s'ils n'ont 
encore fait, pour ce qui est de mieux parler et «i** 
mieux réfléchir sur les affaires, aucun progrès, s«^n'. 
cependant devenus plus capables de s'assimiler J»*" 
connaissances plus importantes et plus sérieus<?^ 
Que les jeunes gens donc, si je puis leur donner u'* 
conseil, consacrent une part de leur temps à «!♦•* 
études de ce genre, mais qu'ils veillent à ne pa* 
laisser leur esprit s'y dessécher, ni à donner dan- 
les élucubrations de ces anciens sophistes, pam 
lesquels, l'un déclare que les êtres sont en nombr- 
infini, un autre, Empédocle, qu'ils se ramènent J 
quatre qui ont avec eux la discorde et l'amour; h»" 
à son tour n'en reconnaissant pas plus de tn.*i'. 
Alcméon deux seulement, Parménide et Mélisso^ un 
seul, tandis que Gorgias n'en admet plus aucun. !••• 
pareilles monstruosités ressemblent, à mon avis, i 




SUR L'ÉCHANGE (XV, §§ 265-271). . llî> 

ces tours de charlatan qui ne servent à rien, mais 
qui sont un attrait pour les badauds; et je crois que 
si ron veut faire quelque chose d'utile il faut laisser 
complètement en dehors de ses études ce qui n'est 
que vains raisonnements et pratiques stériles pour 
la vie. 

Mais, sur ce sujet, je me contente pour le moment 
de ces réflexions et de ces conseils; pour ce qui est 
de la sopfkie et de la philosophie, si Tobjet du débat 
était autre, une discussion sur de pareils termes 
serait déplacée — ils sont en effet étrangers à toute 
espèce de causes; — mais puisque c'est sur ce 
point que porte l'accusation dirigée contre moi, et 
que d'autre part je dénie le titre de philosophie à 
la science que çjertains appellent de ce nom, il est 
bon que je définisse devant vous et que je vous 
fasse connaître celle qu'il serait juste de reconnaître 
pour telle. Or là-dessus mon sentiment est assez 
simple : puisqu'il n'est pas donné à l'homme d'ac- 
quérir une science grâce à laquelle il puisse dis- 
cerner ce qui doit être fait et dit, je regarde comme 
sages ceux qui sont capables, dans le plus grand 
nombre des cas, de rencontrer par de simples opi- 
nions le parti le meilleur, et j'appelle philosophes 
ceux qui se livrent aux études propres à faire 
naître le plus rapidement possible cette disposition 
d'esprit. 



120 ISOCRATE. 



IV 

Comment l'étude de la parole peut deyenir 
une Philosophie. 

![§§ 274-290) 

Je suis d'avis qu'il n'y a pas et qu'il n'y a jamai* 
eu de méthode permettant d'inspirer à des homm*^ 
qui ne sont pas naturellement enclins à la vertu, 
des sentiments de modération et d'amour d« »* 
justice et que ceux qui prennent des engagemeni> 
à ce sujet se décourageront et renonceront à leor 
vain bavardage avant que personne ait trouvé ul 
pareil système d'éducation ; néanmoins il me sembK 
que ces hommes moins bien doués pourraient eui 
aussi se rendre meilleurs et atteindre un cerUJt 
degré de perfection, s'ils étaient animés d'un beai 
zèle pour l'art de la parole, s'ils se passionnwfo^ 
pour arriver à persuader un auditoire, s'ils étaien'- 
soutenus ^nfîn par l'ambition, non par l'ambilior. 
telle que 'le vulgaire la conçoit, mais par celle qw 
est véritablement digne de ce nom. 

Maintenant, qu'il en soit ainsi dans la réalil''* 
c'est ce que je crois pouvoir rapidement démonli>?r. 
Et tout d'abord il n'est pas possible que celui qui >< 
propose de parler ou d'écrire de façon à mérit«r 
l'estime et la louange ne dédaigne pas les sujct> 
contraires à la justice, dénués d'importance, ins- 
pirés seulement par des intérêts particuliers, pour 
s'attacher à des sujets élevés, généreux, humains 
dictés par le souci des intérêts communs. N'en pa* 



II 



SUR l'éœange (XV, §g 274-280). 121 

rencontrer de tels, c'est se condamner à ne rieu 
obtenir de ce qn'on veut. Ajoutez que, parmi les 
actions particulières qui peuvent servir son dessein, 
11 choisira les plus nobles, celles qui ont le plus 
de poids et, en s'habituant b. considérer de tels 
exemples, à les soumettre i l'épreuve de sa criti- 
que, il en viendra à faire passer non seulement 
dans le discours objet actuel de ses soins, mais dans 
toute sa conduite cette perfection qu'il y irouve. 
G'est ainsi qu'on arrivera à la fois à bien parler et îi 
bien penser quand, avec de la pliilosophie, on a 
l'amour des beaux discours. 

En second lieu, bien loin que celui qui veut per- 
suader un auditoire néglige la vertu, son principal 
souci sera de donner de lui à ses concitoyens la 
meilleure opinion possible. Qui ne sait en efTet que 
la parole d'un homme bien considéré inspire plus 
de confiance que celle d'un homme décrié, et que 
les preuves de sincérité qui résultent de toute la 
conduite, d'un orateur ont plus de poids que celles 
que le discours fournit? Plus on mettra donc d'ar- 
deur à persuader son auditoire, plus on s'exercera 
à être un parfait honnête homme et h. acquérir l'es- 
time de ses concitoyens. Et n'allez pas croire que, 
tandis que tout le mondé sait quel intérêt il y a 
pour persuader à gagner la sympathie des juges, 
seuls ceux qui se consacrent à la philosophie ignorent 
la force que donne le crédit. Car non seulement 
ils le savent mieux que personne, mais ils sont 
convaincus en outre qu'indices, vraisemblances et 
toutes autres preuves du même genre ne servent 
qu'au moment précis où on a recours à chacune 
d'elles, et qu'au contraire une réputation de parfaite 



122 ISOCRATE. 

honnêteté, outre la confiance qu'elle inspire dans !•• 
discours, a toujours eu pour résultat de faire valoir 
les actions de celui qui en jouit — et c'est ce doni 
un homme qui pense bien doit se préoccuper par j 
dessus tout. 

J'en viens maintenant au chapitre deTambilioD. 
qui, des trois que j'annonçais, était le plus délie 
à traiter. Si quelqu'un ^'imagine que dépouiller s^* 
semblables, les tromper, leur faire du tort, c'f^ 
s'élever au-dessus des autres, il se fait une id'- 
fausse. Il n'est pas d'hommes au inonde qui, dao* 
toute leur façon de vivre, se déconsidèrent davan- 
tage que ceux-là, qui se créent de plus nombreu><?> 
difficultés,' qui vivent d'une manière plus bonleus?. 
qui, en un mot, soient plus complètement malb^tt- 
reux. Pour nous, au contraire, considérons coniro' 
s'élevant dès maintenant au-dessus des autres ^' 
comme appelés à s'élever encore davantage, d'un' 
part, aux yeux des dieux, ceux qui se dislinp»**»- 
par leur piété et par leur zèle à les servir, d'aulr 
part, aux yeux des hommes, ceux qui, animés J*'" 
meilleurs sentiments à l'égard de leurs compatriol«^ 
et de leurs concitoyens, s'acquièrent pour eu^" 
mêmes la meilleure réputation. 

C'est bien ainsi que les choses sont en réalité <' 
c'est de cette manière qu'il en faut parler. A beau- 
coup d'égards, en effet, il règne aujourd'hui «n t'' 
désordre, une telle confusion dans la cité que cer- 
taines personnes n'emploient plus les mots dan* 
leur véritable sens et transportent aux plus hon- 
teuses pratiques ceux qui ont la plus noble signifi- 
cation. De bouffons, de gens qui savent se moquer 
des autres et les contrefaire, on dit que ce sont de» 



k 



beureusemenl doués quand il contiendrait Ae 
.V CG titre il ceux <\\u. leur natuie incline lui 
à la verlu on regnide comme capables de 
er au-dessus des autres des hommes qui ont 
liturel pervers et mt'diant et qui pour de 
prolits se fout une triste lepulation et u'>ii 

^i se distinguent par leur | iLte et par JLtii 
e, ambitieux non pour le mil mai'î pour le 
d'autres délaisse ni ils la tÛLhe qui leui 
ïbe pour salUn-liei aut inventions iidicules 
ophistes on les appelle philosophe* de jie 
ce à ceux qui par les oecupitions et les In 

aoxquels ds se livrent se prépareut ii bien 
et leur ïi rtune personnelle el celle de 

— ce qui est le but auquel douent tendre 

notre peine toute notre philusofbie luule 
e activité De tout cela il v a longtemps que \ dus 
jrnex les jeunes gens par I approbation que 
donjieï aux discours de ceux (jui condamnent 
façon de les diriger Par la \ous Atcs cause que 
neilleurs d entre eux cjusuinent leur jeunesse 
des banquets dans des ifunions se laissant 
à la mollesse plutôt que de chercher a se rendre 
lieurs; les autres, ceux qui ont un moins bon 
«1, passent leur temps dans des desmdres 
[IreFois un domestique même, pour peu qu'il 
lomme il faut, ne se serait pas permis les uns 
rafraîchir leur mu à I Ennéakrounos, d'autres 
boire dana les cabarets, d autres se li>rent aux 
dans les maisons de jeu, un grand nombre 
ml leui temps dans les «coies de joueuses de 

El on ne soit p.is que les hommes qui pré- 
|g( s'uitércssLi a cette ji'nut^sïe aient jamais^ 



124 ISOCRATE. 

cité à votre tribunal ceux qui encouragent ces désor- 
dres : mais c'est à nous qu'ils s'en prennent, à nous 
qui, au défaut de toute autre raison, mériierioDJ 
plutôt votre reconnaissance pour le soin aveclequei 
nous détournons les jeunes gens de tels passe- 
temps. Cette race des sycophantes pousse si loin la 
malveillance que, loin de châtier les jeunes g^'D" 
quand, pour une somme de vingt ou trente inini»>. 
ils affranchissent des femmes qui se disposent a 
gaspiller avec eux le reste de leur patrimoine, iN 
partagent la joie de leurs désordres et reprocli»Di 
de 8e perdre à ceux qui dépensent la moindre ch«'>" 
potlr leur éducation. Qui moins que ceux-là cepen- 
dant mériterait un pareil reproche? Dans la Ileo: 
de la jeunesse, à un âge où les autres ne nH^nt 
d'ordinaire que les plaisirs, ils ont négligé les plai- 
sirs; quand rien ne les empêchait de se laisser wr 
sans dépenser la moindre chose, ils ont mieux aim 
payer et se donner du mal; à peine sortis de l'en- 
fance, ils ont compris, ce que beaucoup de gen* 
plus âgés ignorent, que celui qui a mis sa jeunes>' 
dans la bonne et droite voie, et qui tient à hi**" 
commencer sa vie doit se préoccuper moins de >^ 
biens que de lui-même et n'avoir à cœur ni *!' 
chercher à diriger autrui avant de s'être assuré ui. 
maître capable de guider sa propre pensée, ni J* 
tirer plaisir ou vanité de ses autres avantages autant 
que de ceux que procure à l'dme une bonne éduca- 
tion. En vérité, des gens qui se font de tels raison- 
nements ne faut-il pas les louer, bien loin de \*^ 
blâmer, et les regarder comme les meilleurs, 1'^ 
plus sages de ceux de leur âge? 



TRAPEZITIQUE 

(XVII) 



Le Trapézitique ou discours Contre le Banquiiir 
|ipii[£i;!tiiî, de tpâitstï, table sur laquelle les premiErs 
rtiangeurs faisaient leurs opérations) constitue un tëniuï- 
gnage des plus curieux sur les mœurs financières 
il'Aitiënes au iv* siècle. 

L'accusé, Pasion, est un personna|{e connu. Long- 
temps esclave de deui banquiers, Archeslrate et Anli- 
âlhène, il avait Uni par recevoir la liberté et, grAce ,i 
son activité et à son intelligence des alTaires, il avniL 
pu succéder à ses anciens maitres. Sa maison jouissait 
<l'un grand crédit non seulement 11 AttiËnes, mais dtns 
loul le monde grec. L'accusateur est un jeune étranger 
•lont le père Sopieos était en grande faveur auprès du 
roi de Pont, Satyros. Venu à Athènes, en partie poiii- 
âon plaisir, en partie aussi pour y faire du commerce, il 
nvait déposé chez Pasion, à charge de les faire valoir, 
les fonds assez, considérables qu'il avait apportés avec 
lui. C'est h propos de ces fonds que s'engagea le procès 
ilonl il est ici question, le jeune homme voulant reli^'er 
son aident, Pasion prétendant s'être acquitté avec lui 
et ne plus rien lui devoir. 

1. Pour l'élude plu» complète do ce discours, voir G. Perroi, 



12C ISOCRATE. 

Le Trapéziiique est donc un véritable discours judi- 
ciaire, composé pour un client. Isocrate, qui devait 
dire beaucoup de mal des logographes, avait commence 
lui-même par être logographe. Grâce à ce plaidoyer el 
à cinq autres qui nous sont également parvenus, nou* 
pouvons nous rendre compte des mérites dont il avaii 
fait preuve dans ce genre très particulier. 

Isocrate, orateur judiciaire, n'a pas ces qualités <î^ 
simplicité et de naturel qui font le charme de Ly5ia> : 
il ne sait pas, comme lui, s'effacer derrière son clienl. 
reproduire son caractère et lui composer une physio- 
nomie; mais là où il l'emporte c'est dans l'art de di- 
poser ses preuves et d'ordonner les différentes parliez 
de son discours. Tous deux excellent à solliciter 1*^ 
faits, à exploiter les vraisemblances : mais tandis qu» 
chez l'un les arguments n'ont pas toujours entre eoi 
un lien très étroit, ils forment au contraire chez Taoln 
un véritable ensemble et empruntent une valeur no;»- 
velle à l'ordre même dans lequel ils se succèdent. Ce*i 
ainsi que, dans notre discours, les faits une fois expo>(-^. 
Isocrate s'applique d'abord à ruiner par avance le ^y- 
tème de la défense et à infirmer l'autorité de la pn- 
tendue décharge sur laquelle celle-ci doit s*appu}<r 
Puis, passant à la partie positive de son argumentati<»r. 
il s'efforce de prouver la réalité de son dépôt. AloJ^ 
seulement, et quand il a ainsi prévenu en sa faveur 
l'esprit des juges, il relève la charge qui est la plu* 
accablante pour Pasîon : la disparition de resclaver* 
plus tard le refus de lui laisser appliquer la tortun 
Un court épilogue dans lequel l'orateur rappelle les ser- 
vices rendus à Athènes par Satyros et Sopeeos tennin<' 
le discours. 

Quelle fut l'issue du procès? Il est difficile de le dir' 
avec certitude. Il n'est pas probable cependant qv»* 
Pasion ait été condamné. Une condamnation dans eett' 
eirconstance aurait affaibli son crédit. Or on sait, a- 
contraire, par le discours de Démosthène Pour Pkorm^^ 
et par la série des plaidoyers Pour ApoUodore insen^ 
dans la collection des œuvres de cet orateur, que v 
maison resta longtemps florissante et très considérée. 



J0» 



Exorde et exposé des faits. 

(§S 1-23) 

Ce débat, juges, a une grande importance à mes 
yeux, il n'y va pas seulement pour moi d'une 
somme d'argent considérable : il y va de la réputa- 
tion que je me suis faite de ne pas convoiter injus- 
tement le bien d'autrui, et celte réputation, je la 
mets au-dessus de tout. Pour la fortune, en effet, 
il m'en restera toujours assez, même si je perds la 
somme en question ; mais que je semble réclamer 
tant d'argent sans aucun droit, me voilà perdu 
(l'honneur pour toute mon existence. D'autre part, 
juges, rien n'est plus embarrassant que d'avoir 
affaire à des adversaires comme ceux-là. Avec les 
banquiers, en effet, les contrats se passent sans 
témoins ; de plus, vient-on à être victime de leurs 
agissements, on est obligé de plaider contre des 
hommes qui ont beaucoup d'amis, manient des 
fonds considérables et inspirent confiance par leur 
profession. Cependant même dans ces conditions je 
crois pouvoir démontrer à tous que la somme dont 
il s'agit m'a été enlevée par Pasion. 

Cela dit, je reprends les faits à l'origine, pour 
vous les exposer du mieux que je pourrai. Mon 
père, juges, est Sopa;os. Tous ceux qui voyagent 
dans le Pont savent qu'il est si bien en cour auprès 
de Satyres qu'il gouverne une grande partie du 
pays et qu'il a la direction de toutes les forces - 
taires de ce prince. Gomme j'entendais parler 
votre ville et du reste de la Grèce, il me prit 



128 ISOCRATE. 

de voyager. Mon pèje fréta à mon inlention deux 
navires chargés de blé, me donna des fonds et ro* 
lit partir, autant pour me livrer au commerce qu" 
pour voir du pays. Pythodoros, le fils de Phœnix. 
m'ayant mis en.relations avec Pasion, celui-ci defiDi 
mon banquier. 

Quelque temps agrès, des calomniateurs rappor- 
tent à Satyros que mon père conspire contre Si»n 
autorité et que je suis moi-même d'intelligencr 
avec les bannis. Satyros fait arrêter mon père o*. 
donne mandat à des gens du Pont qui résidaiec 
ici, d'abord de se saisir de mes biens, puis U» 
m'inviter moi-même à m'embarquer. Si je refusai 
d'exécuter ces ordres, ils devaient vous demander 
de me livrer à eux. Dans une telle détresse, je coDi' 
mes malheurs à Pasion : j'étais, en effet, si lié av^ 
lui qu'il avait toute ma confiance, non seulemeiit 
en matière d'argent, mais encore pour toutes mr- 
autres aflaires. [Je * me disais qu'abandonner tou> 
mes fonds, c'était courir le risque, au cas où il lu 
arriverait malheur, de me trouver dénué de tont, 
ayant été dépouillé à la fois de ce que je posséda:- 
et ici et là-bas; mais que, d'autre part, reconnaltr 
l'existence de ces fonds et refuser de les liviv: 
quand Satyros l'ordonnait, c'était provoquer aupr>-- 
de ce prince, les pires calomnies conliv mon p^r» 
et contre moi.] Nous tînmes conseil et le moillftir 
nous parut être [de nous entendre pour obéir fu 
tout point aux ordres de Satyros] : je livrerais c 
que je possédais au mi et au su de tout le mund* 

1. I^es mots mis entre crochets droits ne Aspirent pas •!«■» '>^* 
manusorits d'Isocrate et ne sont connus que par une ciUtMM ■' 
Denys d'Ilalicarnasse. 



TRAPÉZITIQUE (XVII, §§ 4-9). 129 

pour l'argent déposé à la banque, non seulement 
j'en nierais l'existence, mais je ferais croire que 
c'était moi qui devais et à mon banquier et à 
d'autres des sommes prises à intérêt; enfin je ne 
négligerais rien pour mieux persuader aux envoyés 
du prince que j'étais sans argent. 

Je croyais à ce moment-là, juges, que Pasion me 
donnait tous ces conseils par amitié. Mais lorsque 
j'en eus fini avec les agents de Satyros, je m'aperçus 
que c'était un piège pour s'emparer de mes biens. 
En effet, comme je voulais retirer ce que je possé- 
dais et faire voile vers Byzance, mon homme se dit 
qu'il lui était tombé là une aubaine magnifique : les 
fonds déposés chez lui étaient considérables et va- 
laient bien qu'on payât d'audace; moi-même j'avais 
afiîrmé devant un grand nombre de témoins que je 
ne possédais rien et c'était un fait connu de tous 
que j'en étais à mendier et que je ne me cachais 
pas d'avoir d'autres créanciers que lui; avec cela, 
juges, il pensait que, ou bien j'essaierais de rester 
ici, et alors la cité me livrerait à Satyros, ou je me 
réfugierais ailleurs et il n'aurait pas à s'inquiéter de 
mes propos, ou enfin je m'embarquerais pour le 
Pont et on me mettrait à mort avec mon père. 
Toutes ces réflexions donc lui inspirèrent le projet 
de me dépouiller de mes biens. Avec moi, il feignait 
de manquer de fonds pour le moment et de n'être 
pas en mesure de me rembourser. Alors voulant tirer 
l'affaire au clair, je charge Philomèlos et Ménexène 
de lui porter ma réclamation ; mais, avec eux^ c'est 
autre chose et il nie qu'il ait rien à moi. Vous ima* 
ginez sans peine quels pouvaient être mes senti- 
ments au milieu de tant de maux fondant sur mol 

9 



130 ISOCRATE. 

de tous côtés : si je ne disais rien, il me dépouillait 
de tous mes biens; si je parlais, je ne rentrais pas 
davantage dans mes fonds et je m'exposais a être» 
ainsi que mon père, violemment calomnié auprès 
de Satyros. Dans ces conditions, je pensai que U 
mieux était de me tenir tranquille. 

Là-dessus, juges, arrivent des gens chargés de 
m'annoncer que mon père était hors d'affaire, et 
que Satyros, regrettant tout ce qui s'était passP. 
lui avait donné les marques les plus sérieuses de *a 
confiance; qu'il lui avait reconnu une autorité plu> 
grande encore que par le passé et qu'il avait fai' 
épouser ma sœur à son fils. Informé de cela •»» 
sachant que je défendrais désormais ouvertement 
mes intérêts, Pasion fait disparaître le commis 
Kittos qui était au courant avec lui de mon dépOt 
Puis comme j'étais allé le trouver pour demande, 
le commis dont le témoignage devait, selon moi. 
être une preuve irrécusable à l'appui de ma nVla- 
mation, il me tient le discours le plus étrange . 
nous avions, Ménexène et moi, gagné le couimi^. 
et par nos manœuvres nous lui avions extonju»^. 
tandis qu'il était à son comptoir, une somme de m\ 
talents d'argent; après quoi, pour qu'il ne pût > 
avoir de preuve et qu'on ne pût apjiliquer la que^ 
tion, c'était nous — toujours à l'entendre — qu: 
avions fait disparaître Kittos; et nous venion.s luain 
tenant, retournant l'accusation contre lui, réclam»>r 
celui que nous avions nous-mêmes fait disparaitn- 
Tout en disant cela, avec des cris d'indignation, 
avec des larmes, il me traîne devant le Polémarqu«* '. 

1. On portait ainsi devant l'Archonte Polémarque tontes i^» 
affaires dans lesquelles un étranger était partie. 




s 



TRAPÉZITIQUE (XVII, §S 10-15). 131 

en demandant que je fournisse une caution, et il 
ne me lâcha pas avant que j'eusse constitué des 
garants pour une somme de six talents. Greffier, 
appelle-moi les témoins de ces faits. (Témoins,) 

Vous avez entendu les dépositions, juges. Moi qui 
me voyais frustré de mon argent et qui, à propos 
de l'autre somme, étais en butte aux accusations 
les plus infamantes, je partis pour le Péloponnèse 
afin d'y chercher le commis. Mais Ménexène le 
découvre ici même, se saisit de lui, et demande 
qu'on le soumette à la question relativement et à 
mon dépôt et aux imputations que l'homme que 
voici avait dirigées contre nous. Pasion alors en 
vint à cet excès d'audace de le faire enlever à Mé- 
nexène sous prétexte qu'il était libre et cet homme 
qu'il nous accusait d'avoir traité en esclave, auquel, 
à l'en croire, nous étions redevables d'une si forte 
somme, il alla jusqu'à nous empêcher de le sou- 
mettre à la question, en revendiquant pour lui, 
dans les formes, la condition d'homme libre. Et ce 
qu'il y a de plus fort, c'est que, comme Ménexène, 
auquel on avait enlevé le commis, réclamait une. 
caution devant le Polémarque, Pasion cautionna 
lui-même son commis pour une somme de sept 
talents. Témoins, venez à la tribune déposer de ces 
faits. {Témoins.) 

Mais, après avoir agi de la sorte, juges, Pasion, 
estimant que jusqu'alors il avait visiblement mal 
raisonné et convaincu qu'il pouvait encore se rele- 
ver, Pasion vint nous trouver disant qu'il était prêt 
à livrer le commis pour qu'on le soumît à la ques- 
tion. Nous nous rencontrâmes au temple d'Héphaes- 
tos : lui-même avait choisi des enquêteurs. Je prie 



132 ISOCRATfi. 

ceux-ci de rouer et de frapper de verges, jusqu'à ce 
qu'il leur paraisse dire la vérité, l'homme qui leur 
avait été abandonné. Mais Pasion que voici déclara 
qu'il n'avait point pris des enquêteurs officiels iH 
invita ces gens à se renseigner auprès du commis 
s'ils le voulaient, mais seulement en l'interrogeanl. 
En présence de ce désaccord, les enquêteurs se refu- 
sèrent à appliquer eux-mêmes la question et déci- 
dèrent que Pasion devait me livrer le commis. Lui 
cependant avait une telle peur de voir celui-ci soumis 
à la question qu'il refusa de leur obéir, déclarant, 
qu'en cas de condamnation, il était prêt à payer la 
somme convenue. Greffier, appelle-moi les témoins 
de ces faits. (Témoins.) 

A la suite de ces entretiens tout le monde lui 
donnait tort et déclarait étrange sa manière d'acir. 
Ce commis, en effet, que je prétendais être au 
courant de mon dépôt, il avait commencé par le 
faire disparaître tout en disant que c'était nous 
qui l'avions fait disparaître, puis lorsque celui-i'i 
avait été arrêté, il avait empêché qu'on le soumit à 
la question en alléguant qu'il était libre; «mtîn, 
après l'avoir livré comme esclave et avoir fait choix 
d'encjuêteurs, il avait bien ordonné en parole:^ 
qu'on le soumît à la question, mais en réalité il s'y 
était refusé. Aussi pensant quVn raison de tout cela 
il ne lui restait aucune chance de .salut, s'il était 
traduit devant vous, il me fit prier de me rendre 
daits un sanctuaire pour me rencontrer avec lui. 
Nous nous transportons à l'Acropole : la UHo enve- 
loppée de son manleau, il pleurait. C'était, disait-iU 
l'embarras de ses affaires qu\ l'avait mis dans l'obli- 
gation de nier : avant peu, il tAcherait de me roîiti- 



TBAPÉZITlQtT (XV]], f:; I.U2I1. 133 

tuer mon argent; et en m^me tempï il me suppliait 
de lui être indulgent, de l'aider à cacher <^on mal- 
heur, pour qu'on ne sût pas quelles inJflicalesses 
il avait commises en recelant des di-pôts. Croyiinl 
qu'il regrettait sa conduite. Je lui aci-onlai ce iju'il 
désirait et l'invitai à trouver, par les moyen* iiu'il 
vaudrait, une solution nous; permellant, à lui il'' 
sauver sa réputation, à moi de rentrer dans mes 
fonds. 

Nous étant rencontrés deux jours après, nnus 
primes l'un envers l'autre rengagemeiil de lairo ce 
qui s'était passé — enga^-ement que cet liomme 
a d'ailleurs violé, comme la suite du i.liscinn's 
vous l'apprendra, — 11 in^ prociiil aussi de fiiirc 
avec moi le voyage du Ponf et là de me rendi'e 
mon argent, voulant ré^^ler notre affaire le [dus loin 
possible de votre ville, alîn ijue personne ne sQLici 
comment nous nous étions arrangés et qu'au rploiU' 
de son voyage il pût dire ii.utre qu'il voudi'ait. Pmiv 
le cas où il ne tiendrait p.is son engagement, il s'en 
remettaità l'arbitrage do Snlyros, avec reltf cliini-c 
spéciale qu'il serait alrji-r. condamné h payer lu 
moitié en sus de la somme fjn'il de\7iil.Ces i'i>nven- 
tions une fois rédigées, nous emmenons à i'Airo- 
pole Pyron, citoyen de Phères, qui fiiisait fréquem- 
ment ta traversée du Poni, 

garde de notre accord en lui recommandant de jeter 
l'acte au (eu si nous nous a 
cas contraire, de le remettre, i 
à Satyros. 

Nos affaires, juges, se treiivn 
gêes. Mais Ménexène qui f 
dirigée également contre 1 




134 ISOCRATE. 

à son tour et réclamait Kittos, estimant que Pasion 
convaincu de niensonge devait subir la peine qu'il 
aurait lui-même encourue si on Tavait convaincu 
d'un délit de ce genre. Mon adversaire alors me 
demande de faire désister Ménexène, disant qu'il 
n'aurait rien gagné si, après avoir fait, confornur- 
ment à nos conventions, le voyage du Pont, ♦•i 
m'avoir rendu mon argent, il n'en était ni plus m 
moins exposé ici au ridicule. Le commis, en eff»*l. 
si on le mettait à la question, dirait toute la véril»' 
sur l'affaire. Je consentis à faire à l'égard de Mé- 
nexène ce que Pasion désirait; mais je lui demantlai 
de ne pas oublier, en ce qui me concernait, nos con- 
ventions. Dans ce temps-là, il était bien humbl*', 
ne sachant comment il sortirait de tous ces ennuis. 
Et ce n'était pas seulement, en effet, l'application 
de la question qui le tourmentait, non plus que 
l'action introduite contre lui, c'était notre écrit : il 
tremblait que Ménexène ne mît la main Jessu*-. 
Ainsi embarrassé, et ne trouvant pas d'autre raoy»*n 
de se tirer d'affaire, il gagne les fils de noire étran- 
ger, et fait falsifier l'acte qu'on devait remettra* à 
Satyros, si je ne recevais pas satisfaction. Il n'eu*, 
pas plutôt achevé cette manœuvre qu'il devinî 
l'homme du monde le plus intraitable, refusant «!• 
faire avec moi le voyage du Pont, niant qu'il eùi 
aucune affaire avec moi, demandant enfin qu'on 
ouvrît notre contrat devant témoins. Mais que vou» 
dirai-je Juges ? On constata que Pasion était déchan:'- 
par moi de toute accusation. 



III 

ESCHINE 



SUR L'AMBASSADE 

(II) 



ARGUMENT 

L'ambassade qui fait Tobjet de ce discours est la 
seconde, celle qui avait été chargée de recevoir les 
serments de Philippe et de ses alliés. Dès son retour à 
Athènes, Démosthène, qui en faisait partie, avait pro- 
testé contre la façon dont elle avait été conduite. 
En 345, un an à peine après la conclusion de la paix, il 
voulut aller plus loin. Les ambassadeurs étaient soumis 
à une reddition de comptes ^ , Lorsque Eschine se présenta 
pour remplir cette formalité, Démosthène, de concert 
avec un certain Timarque, mêlé depuis peu à la poli- 
tique active, déposa contre lui une ypaç-rjuapaTcpeffêetaç 2, 
l'accusant d'avoir, au cours de la seconde ambassade, 

1. Formalité à laquelle étaient soumis les magistrats lorsqu'ils 
sortaient de charjg^e. Quand ce tribunal avait approuvé les comptes, 
les magistrats pouvaient encore, pendant un délai de trois jours, 
être actionnés devant les vérificateurs des comptes par le premier 
citoyen venu. 

2. Action intentée aux ambassadeurs au moment do leur reddi- 
tion de /comptes, lorsqu'ils paraissaient avoir trahi d'une manière 
quelconque les intérêts de TÉtat. 



136 ESCHINE. 

trahi les intérêts d'Athènes. Malheureusement Timarqut 
était un citoyen peu honorable, de mœurs très libre*. 
Eschine invoqua contre lui une loi de Solon qui excluaii 
de la tribune tout orateur ne présentant pas certaine* 
garanties de moralité : Timarque fut frappé é'alimie • 
et son accusation fut abandonnée. 

Soit qu'il redoutât la mauvaise impression produite 
par rissue de ce procès, soit qu'Eschine fût peu pressa 
de rendre ses comptes, Démoslhène ne reprit Taccus»- 
tion qu'en 343. Les circonstances étaient à celle daU; 
beaucoup plus favorables à sa cause : les fautes com- 
mises commençaient à apparaître dans leurs cens*- 
quences; les conditions de la paix étaient remises eo 
question; Tauteur lui-même du traité, Philocrale, Kami 
d'Eschine, convaincu par Hypéride 2 « d'avoir reçu if 
l'argent et des présents des ennemis d'Athènes pour 
conseiller au peuple des mesures contraires à s»^n 
intérêt », venait de prendre la fuite afin d'échapper a 
la peine de mort. 

C'est alors qu'Eschine fut cité devant un Iribunal 
présidé probablement par les Thesmothèles 3 pour y 
répondre de sa conduite au cours de la seconde amba»- 
sade. Démosthène prononça contre lui un long discour» 
dont il est indispensable d'indiquer ici les lignes géoc 
raies. Eschine était accusé : 1** d'avoir trompé le peuple 
par les rapports qu'il avait faits à l'Assemblée au retour 
de l'ambassade; 2® de lui avoir donné à celle époque 
des conseils contraires à ses intérêts; 3® de n*avoir, pen- 
dant l'ambassade, tenu compte d'aucun des ordres qu'iî 
avait reçus; 4" d'avoir, par ses lenteurs, fait perdre à U 
ville d'importantes occasions; 5» d'avoir, en récompen^* 



1. Vatimie était la privation de tout ou partie des droits «i** 
citoyen. 

2. Voir Ilypérido, III. 29, p. 195. 

3. Les Thesmothètes, au nombre de six, étaient des majfivtrat* 
chargés de la surveillance des lois. Lorsqu'à la suite d'une rc<U.- 
tion do comptes, un magistrat qui avait obtenu décharge deTin: 
le tribunal, était actionné par un citoyen pour des faits relatifs 1 
l'exercice de sa magistrature, c'est eux qui étaient, autant qo . 
semble, chargés d'introduire l'affaire devant un nonve«a tr 
bunal. 



SUR l'ambassade (u). 137 

lie ces perfidies, touché l'or de Philippe, île compte & 
itemi avec Philocrate. Ces accusations n'avaient pas 
toutes la même importance ni la mâme solidité, el en 
réalité Démosthène n'en retient que trais : la première 
(raux rapports), la quatrième (lenteurs] et la cinquième 
(vtïnalité}. Cette dernière ne reposait que sur des preuves 
morales, surdes apparences, sur des soupçons. Pour l'éta- 
blir, Démoslhëne est obligé de recourir h toutes les res- 
sources de son art, et son discours n'est, en grande partie, 
qu'une savante mise en œuvre et une habile discussion 
de vraisemblances. La première, au contraire, était de 
beaucoup la plus grave et la mieux fondée. Les faits 

ment ou de parti pris, Eschine avait trompé le peuple 
sur les véritables intentions de Philippe; il lui avait 
représenté ce prince comme hostile aux Thébains el 
dévoué aux intérêts d'Athènes et des Phocidiens; il 
avait appuyé la motion de Philocrale. Les conséquences 
avaient été terribles et pesaient encore lourdement sur 
la République ; grâce à ces faux rapports, Philippe avait 
pu, sans être inquiété, s'emparer des Thermopyles el 
ruiner la Phocide. C'était là contre Eschine la charge 
la plus accablante : c'est celle que Démosthène relève 
lout d'abord. Négligeant l'ambassade proprement dite, 
il commence par résumer vivement, dans un court récit 
préliminaire, ce qui a suivi son retour à Athènes. Puis, 
dans une exposition plus développée, il reprend les 
Faits, rappelle les dates, avance ses preuves, et le 
malheur des Phocidiens apparaît comme imputable au 
seul Eschine, i cet Eschine qui, quelques mois avant, 
s'en allait par toute la Grèce prêcher la guerre contre 
Philippe. Ce n'est qu'après avoir ainsi frappé l'espril des 
juges et établi une forte présomption contre son adver- 
saire que Démosthène aborde les deux autres chefs 
d'accusation réservés par lui (vénalité, lenteurs des 
députés). Les moindres faits, les raisonnements les plus 
faibles ont mainlenant une valeur nouvelle : insjgni- 
liants par eux-mêmes, ils empruntent leur force à 
l'exposé M^cablanl qui les précède. Et encore Démos- 
thène se garde-t-il de retracer les événements dans leur 
ordre chronologique. Il les rapproche, non d'après les 



138 ESCHINE. 

dates, mais d'après leur signification : il remonte jus- 
qu'aux premières négociations pour la paix et descend 
jusqu'à la troisième ambassade : la narration ne >< 
distingue pas de la discussion, elle fait corps avec eïK 
elle n'est elle-même qu'une autre forme plus vive d'ar- 
gumentalion. Et lorsque Démosthène, avec celte liberif 
d'allures qui fait une grande partie de sa force, a ain>i 
justifié sa triple accusation, il réfute par avance que.- 
ques objections possibles, présente sa propre apologi'. 
dénonce les traîtres qui, dans toute la Grèce, préparer: 
les voies à Philippe, et, pour terminer, rappelle d< 
nouveau, dans une page saisissante, roccupation de- 
Thcrmopyles et la destruction des Phocidiens. A- 
commencement et à la fin du discours c'est le mém* 
argument irréfutable qui apparaît, soutenant et eoci- 
drant tous les autres. 

La défense d'Eschine n'est pas moins habile — si It^u- 
lefois c'est une habileté que d'esquiver sans cesse li 
question, d'exposer avec beaucoup d'esprit et dans ut 
grand détail des faits qui sont hors de cause, de néglirrr 
les accusations les plus graves pour discuter aw: 
sérieux des assertions sans importance. 

Après avoir rappelé dans Vexorde (1-6) celles desacce- 
sations de Démosthène qui l'ont le plus révolté, Esehir»*' 
critique le plan confus de son adversaire (7-11). Pou- 
lui, il se contentera de présenter les faits dans leur 
ordre de succession : disposition ingénieuse qui li 
permet, tout en affectant la simplicité, de se dérober \ 
l'argumentation de Démosthène. Entrant de suite f* 
matière par une première narration (12-55), il racooV' 
longuement — beaucoup trop longuement, puisque c«- 
faits n'étaient pas en cause — les négociations enfajrt'* 
avec Philippe au sujet de la paix et les opéralions *i' 
la première ambassade. Lorsqu'on en vient aux faib 
directement incriminés, le récit fait place à la rffit!'^ 
lion (56-96). Eschine répond aux accusations diri^rf^ 
contre lui par Démosthène : r au sujet des assembiet- 
tenues pour la paix (56-80); 2° au sujet de la ruine *it 
Kerséblepte (81-93); 3» au sujet de la troisième ambas- 
sade (94-96). Les arguments qu'il allègue sont de valejr 
inégale : quelques-uns sont très faibles; mais le (»U:- 



SUR l'ambassade ([[). 139 

loyer est en son milieu et il n'a encore été question ni 
le la seconde ambassade ni de la ruine des Phocidlens. 
De la seconde ambassade, Démosthëne avait surtout 
criUquë les lenteurs : c'est sur quoi Eschine se garde 
de s'expliquer. Mais comme il excelle à conter et qu'il 
le sait, il introduit ici une seconde nai-ration (97-118) 
pour montrer les députés d'Aihènes en présence de Phi- 
lippe. Il rappelle complïisamment le discours que lui- 
mânie a tenu, et critique l'attitude de Démosthëne, ce 
qui lui permettra de passer rapidement sur les préten- 
dues promesses qu'il avait faites au retour. Il s'en 
explique cependant (119-129) et déclare qu'il s'est con- 
tenté de rapporter ce qu'il avait entendu dire. La 
partie la plus importante de cette nouvelle réfutalion 
est celle qui concerne les Phocidiens (130-143). Ce 
n'est pas aux lenteurs de l'ambassade qu'il Tant allri- 
buer leur ruine ; c'est à des causes beaucoup plus 
générales : la Fortune ^ de qui tout dépend — l'épui- 
sement causé par une longue guerre, l'esprit d'indisci- 
pline et de révolte (130-135). Tout le monde d'ailleurs à 
cette époque, et les Thébains eux-mËmes, croyaient à un 
changement dans la politique de Philippe (136-141). EnTm, 
91 Eschine était l'auteur de leur ruine, on ne verrait pas 
di!s Phocidiens intercéder en sa faveur > (142-143). Dans 
YèpUogtie (144-170) qui suit immédiatement celte dis- 
cussion, Eschine rappelle les services rendus à Athènes 
et à la démocratie par ses parents, essaye de se justi- 
Der sur le grieT de trahison, répond i. certaines accusa- 
lions de Démosthëne et montre qu'au contraire de 
celui-ci, ii a satisfait h toutes les obligations militaires 
'l'un citoyen. La péforaiaon (ni-fin), qui n'esl qu'un 
éloge de la paii, en partie imité d'Andocide, se termine 
par un court morceau pathétique dans lequel Eschine 
tiiit appel à la pitié et k la justice du tribunal. 

On sait quelle fut l'issue du procès. La fixation de la 
peine était laissée à l'appréciation des juges. Démosthène 
l'éclimait la mort ou tout au moins Vatimie. Mais, sou- 



I" proportionnellomenl ui 



tenu par Eubule et par Phocion, Eschin 
la majorité de trente voiï. Une victoire i 
acquise ne saurait prouver l'innocence <: 



Récit de la piemiëre ambaB 

t?5 30-54; 34-54) 



premières négociations engagées au sujet de la paû- 

L'initiatiïe de toute cette affaire vint doncnv" 
de moi, mais de Démosthène et de Philocrate. ftw- 
le cours de l'ambassade, il se montra fort dé?ifui 
de prendre ses repas avec nous, et il l'oblint, n>'- 
de moi, mais de mes collègues, d'Aglaocréoo •;' 
Ténédos, que vous aviez choisi pour représent' 
nos alliés, et d'iatroclès. II prétend qu'en roui"".' 
l'aurais invité à unir nos efforts pour surveiller ^1- 
près ce monstre, ce Philocrate : pure inrenlii"! 
Comment, en effet, aurais-je animé Démosth'-n 
contre Philocrate, quand je savais que c'était !' 
qui avait défendu Philocrate accusé d'illégalité ', ■ 
que c'était Pbilocrate qui avait proposé Démosth' i: 
pour l'ambassade? D'ailleurs nous n'étions pttr'" 
ces termes avec lui : il nous suflisait bien d'avo i 
endurer pendant tout le voyage un homme inMi;- 
portable et fatigant comme ce Démoslliène. Am- 
commc nous examinions ensemble ce qu'il nii:- 
faudrait dire, et que Cimon exprimait la craîale qu 



suB l'ambassade (il, g^ 20-23). IH 

Philippe ne l'emportât sur nous dans ce débat, 
Démosthène, lui, se vantait de posséder des sources 
d'éloquence intarissables : il pnrlerail, ajoutait-il, 
de nos droits sur Amphipolis et des causes de la 
guerre, de façon à lui coudre la bouche avec un 
simple brin de jonc sec; href, il amènerait les 
Athéniens à rappeler Léostfaène, et Philippe à rendre 
Amphipolis aux Athéniens. 

Mais je ne veux pas vous parler plus longtemps de 
son arrogance. Dès notre arrivée en Macédoine, il 
l'ut réglé entre nous que, devant Philippe, le plus 
ùgé prendrait d'abord la parole, puis les autres, par 
rang d'ûge. Démosthène se trouvait — il nous Ta dit 
lui-même— le plus jeune des diîpulés. Cependant 
nous sommes introduits. Prétez-moi maintenant 
toute votre attention. C'est ici précisément que vous 
allez voir en plein l' extraordinaire jalousie de cet 
homme, sa licheté inouïe, s;i mi'chancelé, et com- 
ment à ses commensaux, à ses collègues, il lenilail 
des pièges tels qu'on n'en ternirait pas de semblables, 
sans y regarder ù deux fois, mSine à ses piresenncmis. 
Il révère, dit-il, le sel offert par la ci té dans les repas 
du Prytanée : et il napparticnl ni à notre soi — on 
le montrera tout à l'heure — ni à notre racel Nous 
qui possédons dans cette pairie les tombeaux el la 
religion de nos pères, qui menons une existence 
et entretenons avec vous des relations d'hommes 
libres, qui avons des épouses, des parents, des 
enfants légitimes, nous enfm qui à Âthimcs avions 
mérité votre confiance — car sans cela vous ne 
nous auriez pas élus — à peine arrivés en Macédoine, 
nous serions tout à coup devenus des traîtres! Quant 
à cet homme, en qui il n'y arien qui ne soit à vendre, 



142 ESCHINE. 

pas même Torgane de la voix, il se croit Aristide, celui 
qui fixa les contributions des alliés et qu'on appelai' 
le Juste ! Et il fait le difficile, il nous crache au visaii- 
des accusations de vénalité ! Écoutez donc nos di- 
cours, voyez comment nous avons soutenu vos inU- 
rêts, et comment aussi a parlé Démosthène, rhomm" 
indispensable à la cité : je veux ainsi délniir 
successivement et point par point chacun il** 
griefs de l'accusation. Je vous dois à tous, juç»-. 
une reconnaissance sans bornes pour la silenci*'u>' 
et impartiale attention que vous me prêtez : s'il »^ï* 
quelque imputation dont je ne réussisse pas à m» 
justifier, c'est de moi seul, et non de vous qu- 
j'aurai à me plaindre. 

[Eschine résume en style indirect le discours qt:' 
avait tenu à Philippe, lui rappelant les obligations ^'^ 
tractées par sa famille envers les Athéniens et clal»*.»' 
sant les droits de ceux-ci à la possession (IWmphip»»'* 
(§§ 25-33).] 

Après ces propos et quelques autres encore, •' 
fut le tour de Démosthène de prendre la par»'- 
comme an[ibassadeur. L'attention était général»' 
on allait entendre des merveilles d'éloquence! CW 
annonce xl'un discours extraordinaire était arriv' 
— on Ta su depuis — jusqu'à Philippe lui-nit^m»* » 
à ses amis. Tous les auditeurs dressaient Ton*!!!- 
Alors ce lion de la tribune balbutie une Si^r 
d'exorde obscur, que la peur fait expinT sur > • 
lèvres. Il avance un peu dans son sujrt : mais ti-' 
à coup il s'arrête, il perd la téti' et finit par res;» 
court. Philippe, qui le voit dans cet étal, Texhort»* • 
reprendre courage : « Il n'est pas sur la scriie, • ' 
ce n'est pas un bien grand malheur : qu'il se rrmfl'- 



^r*-^ 



SUR l'ambassade (II, §§ 23-24; 34-38j. 143 

donc tranquillement à rappeler peu à peu ses sou- 
venirs, et qu'il parle comme il avait dessein de le 
faire. » Mais, une fois troublé, et après s'être écarté 
de ce qu'il avait écrit, Démosthène ne put reprendre 
possession de lui-même. Il essaya bien encore de 
parler : ce fut la même chose. Comme le silence se 
prolongeait, le héraut nous invita à nous retirer. 

Quand nous fûmes seuls entre nous, prenant un 
air tout refrogné, ce bon citoyen de Démosthène me 
dit que j'avais causé la perte d'Athènes et de ses 
alliés. Stupéfaits, tous mes collègues et moi, nous 
voulons savoir la cause de cette étrange imputation. 
Il me demande alors si j'avais oublié la situation 
d'Athènes, si je ne savais plus combien le peuple 
était épuisé et soupirait ardemment après la paix : 
« ou cette superbe confiance te serait-elle inspirée, 
me dit-il, par les cinq cents navires que le peuple a 
décrétés, et qu'il n'armera jamais? Tu as si bien 
irrité Philippe et parlé de telle sorte, que ce n'est 
pas la paix qui va succéder à la guerre, mais une 
guerre implacable à la paix. » Je commençais à le 
réfuter lorsque les serviteurs de Philippe nous 
rappellent. Nous rentrons, nous nous asseyons; et 
Philippe, reprenant chacun des points de nos dis- 
cours, s'attachait à y répondre. Il s'arrêta particu- 
lièrement à mes paroles — chose toute naturelle, car 
peut-être n'avais-je rien omis, à ce qu'il me semble, 
de ce qu'il fallait dire, — et dans cette réponse il 
prononça plusieurs fois mon nom. Quant à Démos- 
thène, qui s'en était tiré d'une manière si ridicule, 
je ne crois pas que, sur aucun point, il ait pris la 
peine de discuter avec lui. C'était, à ce que je 
compris, pour cet homme, à se mettre la corde a^ 



144 ESCHINE. 

COU. Que fut-ce, quand il vit Philippe passer à un 
langage plein de bienveillance, et s'effondrer ainsi 
l'accusation calomnieuse qu'il venait de lanctT 
contre moi en présence de nos collègues, lorsqu il 
avait annoncé que j'allumerais la discorde et b 
guerre? Oh! alors il était visiblement tout hors Jtr 
lui, à ce point même que, au banquet où nous 
fûmes invités comme hôtes de Philippe, il se con- 
duisit avec la dernière inconvenance. 

Nous revenions de l'ambassade. En route, il se ni'*l 
tout à coup à causer avec chacun de nous sur un 
ton d'extraordinaire amabilité. Je n'avais pas encore 
ridée de ce que signifient les mots de Cercope K il** 
Fleur de farine, de Pipeur de dés et autres expr»*>- 
sions du même genre ; je les comprends fort bien, 
maintenant que cet homme m'a aidé à saisir toul*»^ 
les sortes de perfidies. 11 nous prenait tour à lour 
chacun à part. A fun il promettait d'organiser pour 
lui un prêt par souscription et de lui venir en aid»- 
sur ses propres ressources ; i\ un autre de le faii»* 
nommer stratège. Pour moi, il- s'attachait à mes pa<. 
exaltait mon talent, admirait les discoure que j'aval* 
prononcés; il était intarissable et me fatiguait de «i»** 
louanges. Nous dînions tous ensemble à Larisa : i! 
se mit à plaisanter sur lui-même, et sur rembari\i> 



1. 11 y a plusieurs traditions relatives aux Cercopet : dans l- 
languc populaire, le mot désignait un homme fourbe et rasé. 
L'expression de Fleur de farine se disait d'un individu insaw- 
sable, sachant se tirer d'affaire. — Pipeur de dra n'est que IV, • 
valent du terme dont se sert Kschine : xh 7ca>t{i6o>.ov parait ftrr 
en effet une métaphore empruntée au jeu et désigner un tru*Uccr 
Mais peut-être fo mot avait-il une tout autre origine ci &"ap{ i 
quait-il à l'homme qui, suivant Toccasion, retourne son nuuitrj'- 
On pourrait alors traduire par : un Maitre Jacques. 



SUR l'ambassade ([[, ^ 39-44). 14n 

où. il s'était trouvé pendant qu'il parlait; pour Phi- 
lippe, il proclamait qu'il n'y avait pas sous le soleil 
un homme aussi étonnant. D'accord avec lui , 
.j'tisprimais une opinion semblable, et rappelais 
aussi de quelle mémoirs il avait Tait preuve dans 
sa réponse h nos discours. Ctésiphon, de son côté, 
qui ét^it le plus âgé de nous, parlant de sa vieiltessn 
et de ses années, dont il exagérait même le nombre, 
disait que, dans le cours d'une aussi longue exis- 
tence, il n'avait jamais vu d'homme à ce point char- 
mant et aimable. Alors ce Sisyphe battit des mains : 
■ ce Mais pourtant, s' écria- t-il, Ctésiphon, tu ne redirais 
pas ces paroles devant le peuple ; et lui non plus — 
c'était moi qu'il désignait — n'oserait vanter aux 
Athéniens l'éloquence et la mémoire de Philippe. " 
Nous, sans rien comprendre, sans deviner son 
arrière-pensée, que vous allez bientôt connaître, 
Qous nous laissons prendre par lui et nous nous 
engageons, en quelque sorte, à répéter ces propos 
devant vous. En ce qui me concerne, il ate prie pu 
outre instamment de ne pas oublier de dire qu'il 
avait, lui aussi, parlé d'Amphipolis. 

Jusqu'ici j'ai pour moi le témoignage de mes col- 
lègues, que cet homme, dans son accusation, n'a 
cessé d'outrager et de calomnier. Quant aux dis- 
cours prononcés devant vous à cette tribune, voii.>! 
les avez entendus : il ne me sera donc pas possible 
de déguiser la vérité. Ayez encore la patience, je vous 
en prie, d'écouter ce qu'il me reste à vous exposer. 
Chacun de vous, je le sais, désire m'entendre au 
sujet de Kerséblepte el des griefs qui ont trait à la 
Phocide :j'ai hâte d'y arriver. Mais, si vous n'avez 
d'abord entendu les faits qui précèdent, vous ne 
10 



146 ESCHINE. 

pourrez pas non plus suivre ceux-ci avec précision. 
Si, au contraire, vous me laissez, moi qui suis 
l'accusé, me défendre comme j'ai dessein de l»- 
faire, vous pourrez, non seulement constater raoïi 
innocence et ra'absoudre en toute connaissance d»- 
cause, mais aussi, d'après ce qui n'est pas conteslt^, 
discerner la vérité dans ce qui est en discussion. 

De retour à Athènes, nous fîmes au Conseil un 
rapport succinct de notre ambassade, et nou- 
remîmes la lettre de Philippe. Démosthène alor- 
demanda pour nous un éloge à ses collègues de:» 
Cinq-Cents, et jura par l'Hestia du Conseil qu'il félici- 
tait la cité d'avoir confié cette mission à des honime'^ 
qui, par leur éloquence et leur loyauté, s'étaient 
montrés dignes d'Athènes. De moi il dit, à peu prr-> 
textuellement, que je n'avais pas trompé les espé- 
rances de ceux qui m'avaient désigné pour ceiw 
ambassade. Comme conclusion il proposa de décer- 
ner à chacun de nous une couronne d'olivier, <*î. 
récompense de notre dévouement au peuple, el «!•» 
nous inviter le lendemain au repas du Prytan»'M-. 
Pour attester que je ne vous ai rien dit de faux, y 
demande que le greffier prenne le décret et list» l»- 
témoignages de mes collègues d'ambassade. {Décrtt. 
Témoignages.) 

Lorsqu'ensuite nous rendîmes compte de nolp' 
mission à l'Assemblée du peuple, Ctésiphon, étani 
le plus âgé, s'avança le premier, et dit, entre aulrr- 
choses, ce qu'il avait promis à Démosthène de vou^ 
dire sur l'affabilité du roi, sur la beauté de sou 
visage, sur son talent de buveur. Après lui, Phil*»- 
crale prononça quelques mots, ainsi que Derkylo". 
et co fut mon tour. Je passai en revue les autn*^ 



SUR l'ambassade (i[, S§ 44-51), 117 

fails de l'ambassade; puis, abordant le sujet con- 
venu avec mes collègues, je dis de quelle mémoire 
ef de quelle habileté Philippe avait fait preiive 
en parlant. Je n'oubliai pas non plus la prière 
de Démosthène, et je rappelai qu'il s'était charge de 
dire sur Ainphipolis ce qui aurait pu nous échapper. 
Le dernier de nous tous, Démosthène se lève : il 
prend cette attitude de charlatan qui lui est habi- 
tuelle; il se gratte le front; et, comme il a vu le 
peuple accompagner mes paroles de signes d'assen- 
timent et les accueillir avec faveur, il s'écrie '[uo 
c'est toujours pour lui un sujet d'étonnement quand 
auditeurs et ambassadeurs, oubliant les uns de di^'li- 
bérer, les autres d'éclairer la délibération, pi^rdent 
leur temps et s'amusent à des commérages sui- ce 
qui se passe à l'étranger, au lieu de traiter les 
affaires d'Athènes. 

Était-il donc si malaisé de rendre compte de 
l'ambassade? » Je veux même, ajoute-t-il, vous mon- 
trer comment il faut s'y prendre. " Et il fait lire le 
décret du peuple. Le décret lu : " Voilà, reprend-il, 
en vertu de quelle délibération nous avons Été 
envoyés en Macédoine. Les instructions qu'elle 
donne, nous les avons suivies. Prends-moi aussi 
la lettre que nous apportons de la partde Philippe.» 
On la lit, et il ajoute : » Vous connaissez ta réponse : 
il ne vous reste plus qu'à délibérer, n Grande 
rumeur dans l'assemblée : les uns le trouvent habile 
et concis; la plupart, méchant et envieux. " Voyez 
encore, dit-il, comme j'abrégerai de mfme le 
compte rendu de tout le reste. Philippe a paru un 
homme étonnant à Eschine, non à moi : retirez-lui 
sa puissance, et donnez-la à un autre, celui-ci 



148 ESCHINE. 

n'aura guère moins de mérite. Gtésiphon Ta trouvé 
beau : Tacteur Aristodème — il était là avec nous 
et faisait partie de l'ambassade — me parait 
l'être tout autant. Il a, dit-on, de la mémoire : 
d'autres en ont aussi. Il excelle à boire : mais Phi- 
locrate, notre collègue, y excelle davantage. On 
prétend m'avoir laissé quelque chose à dire sur 
Araphipolis : mais ni à vous ni à moi cet orateur ne 
céderait la parole. Au reste, ajoute-t-il, ce sont là 
pures bagatelles. Je vais proposer un décret pour 
qu'on accorde un sauf-conduit au héraut envoyé 
par Philippe, ainsi qu'aux ambassadeurs qui doivent 
veftir ici de sa part, et pour que, après leur arrivée, 
les prytanes convoquent une assemblée qui se réu- 
nira deux jours de suite non seulement sur la paix, 
mais aussi sur l'alliance. Quant à nous, vos députés, 
je demande qu'on nous décerne des éloges, si l'on 
juge que nous les méritons, et qu'on nous invite à 
nous asseoir demain à la table du Prytanée. » 

Pour certifier que je dis vrai, prends-moi le> 
décrets : vous verrez , juges , les variations de 
Démosthène , sa jalousie , son accord en toutes 
choses avec Philocrate, son caractère insidieux et 
perfide. Appelle aussi mes collègues d'ambassade. 
lis leurs dépositions. et les décrets proposés par 
Démosthène. 



SUR l'ambassade (II, §§ 51-54; 146). 149 



II 

La famille d'Eschine. Réponse à c[uelc[ue8 
calomnies de Démosthène. 

(§§ 146-152) . 

Les démocraties respectent peu la vie privée de leurs 
hommes politiques. Au temps d'Aristophane, on sait de 
quelle liberté les poètes comiques jouissaient à Pégard 
de quiconque touchait aux affaires publiques. A l'époque 
de Démosthène, ce ne sont plus les poètes comiques, ce 
sont les orateurs, les hommes d'État eux-mêmes qui se 
renvoient les accusations les plus infamantes. Démos- 
thène s'était conformé à l'usage et, dans le discours Sur 
l'Ambassade, s'était attaqué à toute la famille d'Eschine. 
— C'est à ses insinuations que celui-ci s'efîorce de 
répondre dans un passage de son ÈTrîXoYoç. 

Beaucoup de ses griefs m'ont révolté, mais nul 
plus que le reproche de trahison : car m'accuser 
ainsi, c'était nécessairement faire voir en moi un 
monstre, un être dénué de sentiment et déjà cou- 
pable de beaucoup d'autres attentats. Or, sur ma 
vie, sur ma conduite de chaque jour, votre contrôle 
suffît, à ce qu'il me semble. Mais j'ai d'autres titres, 
difficiles à saisir pour le commun des hommes, pré- 
cieux cependant aux âmes nobles : je vais, comme 
la loi m'y autorise, en produire à vos yeux à cette 
tribune le plus grand nombre et les meilleurs, pour 
que vous sachiez quels garants de ma loyauté j'ai 
laissés ici, quand je suis parti en ambassade pour 
la Macédoine. Ces titres, Démosthène, tu les as déna- 
turés pour me perdre : je veux à mon tour les faire 



150 ESCHINE. 

connaître avec exactitude et comme j'en ai été 
instruit. 

Voici mon père Atromète, presque le plus âeé 
des citoyens : car il a quatre-vingt-quatorze ans. 
Dans sa jeunesse, avant que la guerre lui eût fait 
perdre sa fortune, il fut athlète. Banni par les 
Trente, il alla servir en Asie et se distingua dans 
les combats. Il appartient par son génos à la phra- 
trie qui sacrifie sur les mêmes autels que cette 
famille des Étéoboutades d'où sort la prêtresse 
d'Athèna Polias. Il s'est trouvé, comme je l'ai dit un 
peu plus haut, parmi ceux qui ont ramené la démo- 
cratie. J'ai aussi le bonheur de ne compter que de* 
parents libres du côté de ma mère, qu'il me semble 
voir en ce moment, inquiète de mon sort et pleine 
d'angoisses. Oui, Démosthène, ma mère, sous \^ 
Trente, a suivi son mari en exil à Corinthe; elle a 
partagé les malheurs de la patrie : toi, au contraire, 
qui prétends être un homme — je n'oserais, en 
effet, dire que tu mérites ce nom, — accusé coium»' 
déserteur, tu as dû, pour échapper à une condam- 
nation, gagner à prix d'or Nicodème d'Aphidna, ton 
accusateur, que tu as assassiné plus lard de com- 
plicité avec Aristarque : et, tu oses, les mains souil- 
lées de sang, paraître sur l'Agora! 

Philocharès que voici, notre frère aîné, ne se 
livre pas, comme tu le dis méchamment, à de \'ilf> 
occupations; mais il vit dans les gymnases, il a faii 
campagne avec Iphicrate, et voici la troisième anort* 
de suite qu'il est renommé stratège : il vient vous suj»- 
plier de m^acquitter. Voyez encore mon fr^re Apho- 
bètos, le plus jeune de nous. Chargé par vous d'une 
ambassade auprès du roi de Perse, il a fait honneur 



SUR l'ambassade (il, ^ 146-132), 15{ 

à Athènes. Quand vous l'avez appelé à la direction 
des finances, il s'est montré habile et intègre admi- 
nistrateur de vos revenus. 11 est là, plein de mépris 
pour tes injures : la calomnie frappe bien les 
oreilles, mais ne pénètre pas plus loin. 

Tu n'as pas épargné même ceux auxquels je tiens 
par alliance : ton impudence va si loin, ton ingra- 
titude remonte si haut que tu n'aimes ni ne révères 
Philodëme, père de Philon et d'Épicratès, Philo- 
dème, par qui tu as été inscrit h ton dème, comme 
le savent les anciens de Pœania. Mais je suis stupé- 
fait de voir que tu aies l'audace d'injurier Philon, et 
cela devant les plus sages des Athéniens, venus ici 
pour se prononcer en cherchant le plus grand bien 
de la cité, et pour peser nos actes plutôt que nos . 
discours. Crois-tu donc qu'ils ne désireraient pas 
dix mille hoplites 'Comme Philon, de corps aussi 
robuste et d'esprit aussi sage, plutôt que trente 
mille débauchés comme toi? A Épicratès, frère de 
Philon, tu fais un crime de sa bonne humeur. Mais 
qui l'a jamais vu se conduire indécemment, soit 
pendant le jour, comme tu le prétends, h la proces- 
sion des Dionysies, soit pendant la nuit? Et ne va 
pas dire que ses désordres ont pu échapper aux 
, regards : ce n'était pas un inconnu. 

Moi-même, Athéniens, de la (ille de Pliilodème, 
sœur de Philon et d'Epicratès, j'ai eu trois enfants, 
une fille et deux lils. Je les fais paraître ici avec 
mes autres parents pour vous adresser cette seule 
question et présenterce seul argument au tribunal : 
" Croyez-vous, Athéniens, que j'aurais, avec ma 
patrie, avec la société de mes amis, avec tes céré- 
monies religieuses et les tombeaux transmis par nos 



^JH 



J52 ESCUINE. 

ancêtres, livré à Philippe ces êtres qui sont ce que 
j'ai de plus cher au monde, et que j'eusse préféré la 
faveur du roi à leur salut? » A quelle séduction 
aurais-je cédé? Quelle bassesse avais-je jamais com- 
mise pour de l'argent? Comme si c'était la Macé- 
doine qui nous rendait honnêtes ou malhonnêtes, 
et non le caractère de chacun! Gomme si nous 
étions autres, au retour d'une ambassade, et non 
tels que vous nous aviez envoyés ! 



III 
Portrait de Démosthène. 

(§§ 153-158) 

Ce morceau fait immédiatement suite au précédent. 
Pour détruire rimpression qu'ont pu produire sur le» 
juges deux récits de Démosthène, Ëscbine s'attaque à 
son adversaire lui-même, conteste sa loyauté et tourne 
en ridicule son pathétique. 

Mais je me suis trouvé associé, dans une fonction 
publique, à un homme fourbe et méprisable au 
delà de toute expression, qui ne saurait, même 
involontairement, dire un seul mot de vérité. Quand 
il ment, il commence par jurer sur ses yeui 
effrontés ; puis, d'une chose qui n'est pas il affirme 
qu'elle est : il fait plus, il dit le jour où elle serait 
arrivée, et il ajoute le nom, qu'il invente, dun 
témoin qui se serait trouvé là par hasard, contrefai- 
sant le langage de la vérité même. Une seule chose 
nous sauve, nous les innocents, c'est qu'avec ses 
manières de charlatan, son art d'arranger les mots, 
il n'a pas le sens commun. 



r"f»wif^ 



SUR l'ambassade (il, §§ ^ 53-155). 453 

Considérez, en effet, la sottise et la grossièreté de 
cet homme, qui a forgé contre moi, à propos de la 
femme d'Olynthe, une si odieuse calomnie, que 
vous Tavez arraché de la tribune au milieu même 
de son discours. Celui qu'il accusait ainsi, et devant 
des auditeurs qui le connaissaient, s'était, en effet, 
tenu toujours complètement éloigné de pareilles 
infamies. Et voyez comme il préparait de longue 
main cette accusation. Il y a parmi les étrangers 
venus se fixer chez nous un certain Aristophane 
d'Olynthe. Démosthène lui est présenté par quelques 
personnes, apprend qu'il sait parler, et alors le 
comble de politesses, de séductions, pour l'en- 
gager à porter contre moi devant vous un faux 
témoignage : il promet de lui donner, s'il veut 
paraître devant les juges et leur dire en gémissant 
que j'ai outragé dans l'ivresse sa propre femme, qui 
était captive, cinq cents drachmes tout de suite, et 
cinq cents autres après sa déposition. Aristophane 
— il le racontait lui-même — répondit à ce fourbe 
que sur sa situation d'exilé, sur son dénuement, 
ses conjectures, loin d'être fausses, étaient aussi 
exactes que possible, mais que, sur son caractère, il 
s'était absolument trompé : et il lui déclara qu'il ne 
ferait rien de pareil. Pour prouver ce que je dis, je 
ferai paraître comme témoin Aristophane lui même. 
Appelle-moi donc Aristophane d'Olynthe, et lis sa 
déposition. Appelle aussi ceux qui lui ont entendu 
raconter cette histoire et me l'ont rapportée, Der- 
kylos d'Hagnonte, fils d'Autoclès, et Aristide de 
Képhisia, fils d'Euphilètos. (Témoignages») 

Vous entendez les serments et les dépositions des 
témoins. Rappelez-vous maintenant ces abominables 



154 ESCHINE, 

artifices de rhéteur qu'il enseigne à la jeunesse, el 
dont il use aujourd'hui contre moi : comment, par 
exemple, versant des larmes, gémissant sur la 
Grèce, et louant l'acteur comique Satyres d'avoir 
obtenu de Philippe, dans un banquet, la liberté' de 
quelques hôtes à lui, qui étaient prisonniers et 
travaillaient chargés de fers aux vignes du roi, il 
est parti de là pour enfler cette voix aigre et impu- 
dente qu'on lui connaît, et demander s'il n'était pas 
inouï qu'un acteur habitué à jouer les Carions «•! 
les Xanthias se montrât si noble, si magnanime, t-l 
que moi, ministre d'une grande cité, moi qui don- 
nais des conseils aux Dix-Mille en Arcadie, je n'aie 
pas su contenir ma violence, mais que, échauffé par 
le vin, à la table où nous recevait Xénodochos, l'un 
des courtisans de Philippe, j'aie traîné par les che- 
veux et, des lanières à la main, fouetté une capliv•^ 
Si donc vous aviez ajouté foi à ses paroles, ou <: 
Aristophane avait voulu se faire contre moi le cum- 
plice de ses calomnies, j'aurais indignement suc- 
combé sous le poids d'accusations honteuses. Ot 
impie, qui attire sur lui le malheur — puisse-l-» 
ne pas l'attirer sur la cité 1 — souffrirez-vous qu Ti 
demeure au milieu de vous! Quoi? vous purifiei 
l'assemblée du peuple : et c'est en vertu de décn'i> 
proposés par cet homme que vous ordonnerez d'-s 
supplications ou des expéditions sur mer et sur 
terre? Et cependant, Hésiode le dit : 

Souvent une ville entière a partagé le sort d*un mau- 
vais citoyen qui agit mal et médite des projets iDsea«^ 



SUR l'ambassade {ir, gg 156-158; 179). 



Fragment de la péroraiBon. 

(S n9-lS4] 

Dans les discours judiciaires, la péroraison se termi- 
nait d'ordinaire par un appel à la pitié des juges (è).tau 
eîo-Soi^). Pour rendre cet appel plus saisissant, les 
accusés faisaient monter à la Irihune («ï«6i6iioaî6ai Ênl 
rô tlr,[ii,oi) leurs pères, leurs enfants, leurs femmes. 
Malgré les railleries des poêles comiques (voir Aidsto- 
phane. Guêpes, v. 568 et suiï.), cet usage avait persisté. 
Souvent aussi on invoquait l'appui (napaxaXEîv, napÉ- 
K>,T]iiic) d'habitants de son dÈnie, d'amis d'enfance, de 
slratËges, d'hommes politiques inHoents. Ceux-ci venaient 
assister les accusés (^orficiy), parler en leur favtur 
(a-jvafoptisn) et adresser des supplications aux juges 
{cchcîcrSai, ilantîoiai). L'orateur cilail alors avec complai- 
sance les noms de ceux qui lui prêtaient leur concours. 
De pareils procédés convenaient à l'éloquence naturel- 
lement emphatique d'Eschine. Le fragment qui suit jieut 
passer pour le modèle du genre. 

Voyez ceux qui viennent vous supplier avec moi ; 
un père, à qui vous no ravirez pas lespoir de s,i 
vieillesse ; mes frères, qui aimeraient mieux ne jilus 
vivre, si vousm'arracliiei de leurs bras; des parents, 
des alliés, et ces enfants si petits, encore incons- 
cients du péril, mais bien dignes de pitié, s'il m'ar- 
rivait quelque malheur. Je vous prie, je vous con- 
jure de vous intéressera leur sort, et de ne pas les 
livrer à leurs ennemis, à cet homme, qui n'est pas 
homme, mais femme par ses passions. 

J'invoque et je supplie pour mon salut, les dieux 
d'abord, puis vous, qui disposez des suffrages et 



i56 ESCHINE. 

devant qui j*ai répondu — autant que ma mémoire 
me Ta permis — à toutes les imputations; je vous 
demande de me sauver, de ne pas me livrer à ce 
logographeS à un Scythe *. Vous êtes, les uns pères 
de jeunes garçons, les autres pleins de sollicitude 
pour de jeunes frères ; rappelez-vous que, dans le 
procès de Timarque, je leur ai- laissé d'ineffaçables 
exhortations à la vertu. Vous tous enfin, qui m*avez 
toujours trouvé incapable de vous nuire, simple par- 
ticulier, modéré comme vous dans mes sentiments^ 
seul parmi tant d'autres à n'avoir jamais dans nos 
luttes politiques pris part à aucune intrigue contre 
vous, je vous demande de sauver un citoyen qui a fait 
preuve, dans son ambassade, d'un absolu dévoue- 
ment à la cité et s'est exposé, sans appui, à ce5 
fureurs des sycophantes, que tant d'hommes illustres 
à la guerre n'ont pas osé affronter. C'est qu'en effet 
ce n'est pas la mort qui est redoutable, c'est Tin- 
sulte lancée au mourant. Voir alors le visage rianl 
d'un ennemi, l'entendre de nos propres oreilles 
nous insulter, quel sort misérable ! Eh bien! j'ai eu 
cette audace, j'ai affronté ce péril. Élevé au milieu 
de vous, j'ai vécu de votre vie. Il n'en est pas un 
parmi vous dont j'aie, pour satisfaire mes plaisir?, 
gâté l'existence ; pas un que j'aie privé de sa patrie 
en l'accusant lors du recensement des citoyens: 
pas un qui par moi ait été mis en danger pour uoe 
charge dont il fût comptable. 

Quelques mots encore, et je descends. Il dépen- 
dait de moi. Athéniens, de n'être point coupaM'* 
envers vous, mais que je ne fusse point accusa. 

1. Voir p. 200, n. 1. 

9. Voir p. 181, le morceau intitule : ta famille de DvmotikàM. 



SL'R l'amhassade (il, gg 180-184). )57 

cela dépcndail de la Fortune. Or, metlatU au sorl 
ma destinée, elle m'a associé i un aycophnnte bar- 
bare qui, sans avoir Égard aux sacrifices, aux liba- 
tiuns, à noire tahle commune, pour effrayei' ses 
adversaires à venir, vous apporte une accusation 
mensongère qu'il a Forgée contre moi. Sauvez ceux 
qui luttent pour la paix, pour votre sécurité : alors 
l'intérêt public trouvera de nombreux défenseurs, 
prêts à s'exposer pour vous. 

J'appelle encore à moi, comme intercesseurs, 
parmi les hommes d'État et les sages ciloïens, 
Eubule; parmi les stratèges, Phociou, que srin inté- 
grité, autant que son titre, élève au-dessus de tous; 
parmi mes amia et les gens de mon âge, Nausiclès 
et tous ceux avec qui j'ai des relations et auxquels 
me lie la communauté des occupations. Mon dis- 
cours est terminé. Maintenant noua vous aliandon- 
nons ma vie, moi et la loi. 



CONTRE CTESIPHON 

(III) 



ARGUMENT 

Peu de périodes de l'histoire d'Athènes furent au?>i 
fécondes en procès politiques que celle qui suivit la 
bataille de Ghéronée. L'échec subi par le parti anlimi- 
cédonien n'avait pas détruit ses espérances ni aballu 
son courage : il avait seulement donné plus de con- 
fiance et d'audace à ses adversaires. Démoslhène lui- 
même, dont l'activité ne s'était pas ralentie, se vil, à ce 
moment, malgré les marques de sympathie que If 
peuple lui avait prodiguées, en butte à de nombreose^ 
accusations. Le procès intenté de nom à GlésiphoD. fl 
dirigé en fait contre toute sa politique, n'est que 1* 
dernier et le plus retentissant de ceux qu'il eut alors a 
soutenir. 

Le désastre de Ghéronée avait fait sentir la nécessité 
de fortifier pour l'avenir les moyens de défense don*» 
disposait Athènes. L'année môme qui suivit la batailU 
(338-337), sur la proposition de Démosthène, on a\*;i 
décidé de procéder à la réparation des murs de la vill* 
et du Pirée. Une commission de dix membres (un par 
tribu) devait surveiller l'exécution des travaux. Dénn>*- 
thène, qui, dans cette commission, représentait la lril»u 
Pandionide, s'était acquitté avec beaucoup de zèle de >i 
mission; et aux dix talents afTectés à la section dont ii 



CONTRE CTÉSIPHON (lll). 159 

avait la surveillance, avait joint une gomme de cent 
mines prise sur sa fortune personnelle. 

Aussi, Tannée suivante (337-336), lorsque les travaux 
furent terminés et avant que les commissaires eussent 
rendu leurs comptes, un membre du conseil, Gtésiphon, 
qui était Pami de Démosthène, proposa-t-il qu'une cou- 
ronne d'or lui fût décernée par le peuple. La proclama- 
lion devait avoir lieu aux grandes Dionysies, et le décret 
spécifiait en quel endroit et dans quels termes : « Le 
héraut proclamera dans le théâtre, devant tous les Grecs, 
que le peuple d'Athènes couronne Démosthène pour sa 
vertu et sa prud'homie, parce qu'il ne cesse, par ses 
discours comme par ses actes, de contribuer au bien du* 
peuple* >». La formule dont s'était servi Gtésiphon était 
la formule usitée en pareil cas; mais elle empruntait 
aux circonstances une valeur particulière. G'était moins 
l'acte de générosité de Démosthène qui était en question 
que toute sa politique, et cela lorsque cette politique 
semblait condamnée par ses résultats. Eschine crut le 
moment venu de réparer l'échec qu'il avait éprouve 
dans le procès de l'Ambassade, et quand le décret — 
adopté par le Gonseil — fut soumis à FAssemblée, il 
intenta à Gtésiphon, qui l'avait proposé, une action 
dHllégalité {ypcccpri TcapavdjjLwv) 2. 

Le résultat immédiat de cette intervention d'Eschine 
fut d'empêcher Démosthène de recevoir la couronne. En 
effet, l'année révolue, le procès n'avait pas été plaidé et 
la proposition de Gtésiphon se trouvait annulée. Ge ne 
fut que sept ans plus tard, en 330 (fin d'août ou com- 
mencement de septembre) 3, que l'accusation fut reprise. 
Alexandre, qui, dans l'intervalle, avait succédé à Philippe, 
venait de remporter la victoire d'Arbèles : Agis de 
Sparte, qui s'était fait le défenseur de la liberté grecque, 
avait échoué à Mégalopolis. Le moment pouvait sembler 

1. Eschino, Contre Gtésiphon^ § 49; traduction de M. Weil. 

2. Action intentée à Tauteur d'un décret ou d'une loi en contra- 
diction avec une loi existante. 

3. L'année est donnée par Denys d'Halicarnasse {Lettre à 
Animée^ I, 12), le mois, par Eschine, § 254 : « Nous sommes à la 
veille des jeux Pythiques ». Or ces jeux avaient lieu au 2« mois de 
l'année Delphique (août-septembre). 



160 ESCHINE. 

Opportun 'pour accabler le parti an li macédonien donl 
Démosthène était le chef *. 

Aussi comprend-on sans peine Té motion soulevée par 
ce procès. G résiphon n'était qu'un comparse dont U 
personnalité s'efîaçait derrière celle de Démosthène, e: 
les deux adversaires en présence étaient les deux 
hommes les plus éloquents de leur temps. Tous deux 
d'ailleurs représentaient des partis qui, après vingt ans 
de lutte, n'avaient pas désarmé et qui continuaient d« 
se disputer la direction de la politique athénienne. 
Enfin, la cause elle-même était de nature à intéresser 
non seulement la ville d'Athènes, mais le monde grec 
en général menacé dans sa liberté par la domination 
macédonienne. Ce fut en présence d'un auditoire w! 
que jamais, au dire d'Eschine 3, aucun procès publia 
n'en avait attiré, que s'ouvrirent les débats ; et, par ud' 
singulière fortune, nous possédons les deux discours 
qui furent prononcés dans cette grave circonstance par 
Eschine et par Démosthène. Ces deux discours san« 
doute ont été remaniés et corrigés après l'audience : 
mais, tels qu'ils sont, ils peuvent donner une i<in 
très exacte de ceux qui furent prononcés. Celui d'Es- 
chine même présente encore des traces d'une premier* 
rédaction correspondant vraisemblablement à Tépoqoe 
où avait été déposée l'accusation. 

Le plan du Contre Ctésiphon est, conime celui du di?* 
cours Sur VAmbassade, facile à suivre dans ses lign^?^ 
générales. Après avoir, dans un court préambule, in:^ 
les Athéniens en garde contre les embûches de Dêmo^ 
thène et de son parti, Eschine consacre son exordeil-'* 
à montrer l'importance des lois et parsnite de la 'vps;- 
iTapavd|x(i)v dans une démocratie. Puis, abordant la dif- 
cussion, il dirige toirt d'abord Varyumentation sur U 
question de droit (9-50) et s'attache éprouver l'illégalité 
du décret de Ctésiphon. Cette illégalité porte sur trui> 
points : l» Démosthène n'avait pas rendu ses compte^ 



1. Ce sont là, du moins, les raisons auxquelles te rallie M. ^'•■i 
pour expliquer un retard d'autant plus singulier que Démoctb^o* 
lui-même ne le reproche pas à son adversaire. 

2. Voir Eschine, Contre Ctêêiphon, § 56. 



CONTRE CTESIPIION (lil). 161 

quand Cléslplion avait déposé sa proposilion. Or la loi 
(léTend de couronner un magistrat qui n'a pas rendu 
ses comptes (9-31); 2" Ctésiphon demande que la couronne 
de Démosthëne soit proclamée dans le théâtre. Or la loi 
ordonne que les couronnes seront proclamées dans le 
Conseil, si elles sont décernées par le Conseil, dans 
E'AKsemblée, si elles sont décernées par l'Assembl.ée. 
Seules les couronnes étrangères peuvent, moyennant un 
décret du peuple, être proclamées dans le Ihéâlre (^2-iS); 
3° Cléslphon dit que Démoslhène ■ ne cesse, par ses 
paroles et par ses actes, de contribuer au bien du 
peuple ■. Or cela est taux et la loi dérend de rien insérer 
de faux dans les actes publics (iS-SD). Toute cette argu- 
mentation est IrËs solide et témoigne chez Eschine d'une 
rare habileté h manier les textes de loi. Mais la dernière 
proposition appelle nécessairement un examen de la 
conduite de Démosthène et noua amène à la seconde 
partie, à la partie proprement politique du plaïdojer- 

Après une courte pré térition sur la vie privée de Démoa- 
iliëne (St-53), Eschine aborde sa vie publique et, pour 
plus de clarté, adopte une division en quatre périodes 
que les événements eux-mêmes suggèrent : r* période, 
liepuis le commencement de la guerre avec Philippe 
jusqu'à la paix de Pliilocrate : c'est Démosthène qui a 
conclu la paix de concert avec Philocrate, sans attendre 
la réunion d'un congrès hellénique (38-*8)i2' période, 
depuis la paix de Pbllocrate jusqu'à la reprise des hos- 
tilités : Eschine attaque surtout ici la politique de 
Démosthène en Eubée (79-105); 3' période, depuis la 
reprise des hostilités jusqu'à la bataille de Cliéronée ; 
par sa conduite dans l'alTaire d'Amphissa, par son 
impiété à l'égard du temple de Delphes, Démosthène a 
attiré les plus grands malheurs sur la Grèce. L'alliance 
qu'il a ensuite conclue avec Thëbes a été une véritable 
duperie pour Athènes (ine-lSS); i* période, événements 
qui ont suivi ChéronÉe ; Démosthène a perdu volontai- 
rement toutes les occasions de combattre Alexandre 
(Iô9-t67). La conclusion de toute cette partie, c'est que 
Démosthène n'est pas un véritable homme d'Étal ; sous 
prétexte de le démontrer, Eschine se livre à de nouvelles 
attaques contre la vie privée de son adversaire (168-118). 
11 



162 ESCHINE. 

Tout ce qui suit constitue comme une sorte de )oBe 
épilogue. Après un développement sur Tabus que Toc 
fait actuellement des distinctions honorifiques (n7-!*9. 
Eschine, par une transition très heureuse, revient aJ 
thème de son exorde : l'importance de la Y?«»'n wap»>^?'»" 
(190-200), puis il résume avec beaucoup de clarté le plan 
qu'il a suivi (201-206), dirige de nouvelles invective^ 
contre Démosthène (207-212) et contre Gtésiphon (213-21» . 
puis répond par avance à quelques-unes des accusaliûii> 
que son adversaire doit produire. contre lui (215-229). 1/* 
fin du discours présente un certain désordre; illégalii-" 
du décret, indignité de Démosthène, son rôle en EuUe<- 
)»art qu'il a prise à l'alliance thébaine, vénalité dont il i 
fait preuve : tous ces points qui ont été traités prrc- 
demment sont rappelés d'une façon sommaire (â30-24i 
Sur quoi, Eschine adresse un dernier appel aux jup^ 
pour leur montrer l'importance du verdict qu'ils ^«.>"*. 
rendre, évoqua dans un tableau qui ne manque pa^ii' 
largeur ni même d'une certaine éloquence arlificieuy. 
les grands hommes d'Athènes, et termine son plaido)»»: 
par un morceau emphatique qui parait aujourd'hui bie 
froid et dépare sa péroraison. 

L'accusation étant dirigée contre Gtésiphon, celui-^'* 
dut, au moins pour la forme, répondre en- quelques mot? 
Après quoi la parole fut donnée à Démosthène qui inter- 
venait en qualité de synégore^. On sait le discours qui 
prononça et avec quelle hardiesse, opposant aux insi- 
nuations de son adversaire l'unité d'une vie politiqu' 
consacrée tout entière à la défense d'une même idée, i 
revendiqua sa part de responsabilité dans les dernier» 
événements. Son triomphe fut complet. Eschine n*ohir* 
même pas la cinquième partie des sufTrages, et se v.. 
par suite, condamné à une amende de mille drachme>' 
privé du droit d'intenter à l'avenir des accusation^ «i 
même genre. C'était la fin de sa carrière politique : i 
le comprit et partit pour l'exil. 

1. Les parties étaient obligées de plaider eUes-mémes )««r 
propre cause. Néanmoins le plaideur, après avoir pris loi ■» ■ > 
la parole, pouvait demander TassisUnce d'un ami. C«t ami se troc 
▼ait ainsi Jouer un rôle d'avocat. C'est à lui qu'on doooait » • 
nom de Synégore. 



CONTRE CTÉSIPHON (lll, § 107). 163 

I 

Affaire d'Amphissa. Eschine pylagore. 

(§§ 107-124) 

La troisième guerre Sacrée, celle qui amena Philippe 
i Ghéronée, avait été provoquée par un discours d'Es- 
îhine'à rassemblée Amphictyonique de Delphes. Y avait- 
1 eu de sa part imprévoyance ou trahison? Avait-il été 
l'agent docile de Philippe ou son infatuation Tavait-elle 
'ait tomber dans un piège habilement préparé? Ses apo- 
ogistes les plus déclarés se rattachent à cette dernière 
liypothèse. Le fragment qui suit ne peut que leur 
lonner raison. Même après que les événements l'ont 
condamné, Eschine comprend si peu sa faute que ce 
ïu'il reproche à Démosthène, c'est d'avoir empêché les 
Athéniens de le suivre. 

Athéniens, il est une plaine appelée plaine de 
Cirrha, et un port qu'on nomme aujourd'hui Exé- 
crable et Maudit. Cette contrée fut jadis habitée par 
les Girrhéens et les Gragalides, peuples qui ne res- 
pectaient aucune loi, qui profanaient le temple de 
Delphes et ses offrandes, et qui outrageaient même 
les Amphictyons *. Indignés de ces violences, d'abord 
et surtout, dit-on, vos ancêtres, puis aussi les autres 
Amphictyons allèrent demander un oracle au dieu 

1. I^s Amphictyonies étaient des associations de plusieurs 
peuples [Amphictyons) groupés autour d'un même sanctuaire 
dont ils administraient les biens. La plus célèbre de ces associa- 
tions est Y Amphictyonie Delphique. Chacun des peuples qui en 
faisaient partie était représenté par un hiéromnémon, qui avait le 
droit de vote, et par des pylagorea^ qui eux ne votaient pas, mais 
assistaient aux séances de V Assemblée pour y soutenir les droits 
de leurs cités. 



164 ESGHINE. 

sur le châtiment que devaient subir les profana- 1 
teurs. La Pythie leur répondit de combattre nuil eî 
jour les Girrhéens et les Gragalides, de ravager leu: 
pays, de les réduire eux-mêmes en servitude, et d» 
consacrer à Apollon Pythien, à Artémis, à Lalon^. 
à Athèna Pronœa, leurs terres complètement aban- 
données, sans jamais cultiver cette plaine, ni per- 
mettre qu*on la cultivât. 

Sur c^tte réponse de l'oracle, et d'après Tavîs <!► 
Solon, un Athénien, un homme à la fois capable »!• 
faire des lois et habile en poésie autant qu'en phi- 
losophie, les Amphictyons décrétèrent de marchrr 
en armes contre les sacrilèges, comme TorJvu- 
nait l'oracle du dieu. Ils rassemblent donc un^ 
puissante armée amphictyonique, réduisent »'c^ 
peuples en servitude, rasent la ville et les fortifica- 
tions du port, et consacrent leur territoire, suivan' 
l'ordre de la Pythie. De plus, ils jurent solennel!'- 
ment de ne jamais cultiver eux-mêmes la terr 
sacrée, de ne la laisser cultiver par personne, «■* 
de mettre au service du dieu et de la terre saie- 
leurs mains, leurs pieds, leur voix, et toute ^u. 
puissance. Et il ne leur suffit pas de prêter ce >» ' 
ment : ils se dévouèrent eux-mêmes par une impr-- 
cation terrible. Telle est en effet la formule de ctM: 
imprécation : « Si quelqu'un, y est-il dit en propp* 
termes, viole ce serment, particulier, ville, -^ 
peuple, qu'il soit maudit d'Apollon, dWrlémis. d 
Latone et d'Alhèna Pronœa. » La malédiction pi-r 
en outre le vœu que la terre ne leur donne auou. 
fruit, ni leurs femmes des enfants semblables 
leurs pères, mais des monstres; que leur bétail n'ei - 
gendre pas selon la nature; qu'eux-mêmes sk^wl' 



CONTHE CTÉSIPIKIN (111, ^ 108-llS). 165 

raiiicus à la guerre, dans les tribunaux, dons les 
issemMécs politiques; qu'enfin ils pâHsseut, eux, 
euroiaison, et leur race. « EtI'imprécalinns'achtve 
sur ces mots : « Que jamais ils ne puissent sainte- 
ment sacrifier à Apollon, h Artémis, à Lalone, à 
Athéna Prontea, et que leurs offrandes soient reje- 
(éesl I. Pour allester que je dis vrai, lis l'oracle du 
dieu (Oracle). — Écoutez l'imprÉcatiuii [Impréca- 
tion). — Rappelei-vous les serments prfités par vos 
nncÉtres aveu les Amphictyons [Serments], 

Malgré cette imprécation et ces serments it cet 
oracle inscrits encore aujourd'hui sur nos tables, les 
l.ocriens d'Ampbissa, ou plutôt leurs chefs, hommes 
sans loi, ont cultivù la plaine sacrée, fortifié de nou- 
veau et habité le port Exécrable et Maudit, levé un 
péage sur les pèlerins qui abordaient, et corrompu 
à prix d'or quelques-uns des pylagores entojés à 
Delphes : Ilêmosthëue était du nombre. Oui, élu 
par vous pylagore, il reçoit des Ampbissiens deux 
mille drachmes pour ne point parler d'eux au 
Conseil aniphictyonique. De plus, ou s'engage», 
même pour l'avenir, à lui envoyer it-i chaque année 
vingt mines de cet argent exécrable et maudit, 
i condition qu'il soutiendi-uit il Athènes par tous 
les moyens la cause d'Amphissa. Dès lors, plus 
que jamais, quiconque eut affaire à lui, simple 
pai'ticulier, prince ou État libre, fut jeté en d'irré- 
parables malheurs. Mais admirez ici la puissance 
di; la divinité et de la fortune, et voyeî comme elles 
• ont triomphé de l'impiété des Aniphissiens. Sous 
l'»rcboulat de Théophraste, Uiognètos d'Anaphlyste 
«tant hiéromnémon, vous élûtes pylagores ce Midias 
d'Aiiagyrunte, que, pour plus d'une raison, je vou- 



166 ESCHINE. 

drais voir encore vivant, Thrasyclès d'OEon, et in«'i 
troisième. A peine étions-nous arrivés à Delphes qu- 
le hiéromnémon Diognètos fut soudain pris de la 
fièvre ; la même chose arriva également à Midia>. 
Les autres Amphictyons avaient déjà pris séancr». 
Quelques-uns d'entre eux voulant donner une preuve 
de bienveillance à notre république, nous fontsav«n: 
que les Amphissiens, alors soumis aux Thébains c: 
servilement dévoués à leur cause , préparaiec 
contre notre cité une résolution qui condamnai' 
le peuple athénien à une amende de cinqaaot- 
talents, pour avoir suspendu des boucliers d'-r 
au nouveau temple, avant sa conséci^tion, et fa;* 
graver cette inscription, — qui d'ailleurs n'avait 
rien que de juste — : « Les Athéniens sur 1^:* 
Mèdes et sur les Thébains combattant contre 1»* 
Hellènes. » Le hiéromnémon m'envoie chercher. 1. 
me demande d'entrer dans la salle des séances ♦* 
de prendre la parole devant les Amphictyons pi>u! 
défendre Athènes : c'était précisément ce que j'avi.? 
l'intention de faire. 

Je commençais à parler devant rAssembiét" — 
j'avais été d'autant plus empressé à m'y l'endre q"- 
les autres pylagores s'étaient déjà retirés, — quan 
je suis interrompu par les cris d'un Amphissie- 
homme brutal et dénué, à ce qu'il me parut, d- 
ouïe éducation, et peut-être aussi poussé pa. 
quelque mauvais génie à cette extravagance. « Avaii'. 
tout, Hellènos, s'écrie-t-il, si vous étiez sages, vou- 
ne prononceriez pas même le nom des Aihénien'îfr. 
ces jours : vous les chasseriez du temple comme ♦!♦ • 
impies. » En même temps, il rappelait notre allian« * 
avec les Phocidions, alliance proposée par noti- 



CONTRE CTÉSIPHON (lll, §g 115-120). 167 

fameux Krobylos *, etil débitait contre Athènes mille 

3^ autres injures, que je ne pouvais entendre alors de 

sang-froid, et dont le souvenir aujourd'hui m'est 

encore pénible. De ma vie je ne ressentis une telle 

colère. Je ne vous dirai pas tout ce que je répondis. 

Mais la pensée me vint de rappeler les profanations 

des Amphissiens sur la terre sacrée ; et, de la place 

où j'étais, je les montrai aux Amphictyons : caria 

uiaine de Cirrha s'étend au pied du temple, d'où 

Kn peut la voir tout entière. 

« Vous voyez, m'écriai-je, Amphictyons, cette 
plaine cultivée par les Amphissiens, ces ateliers de 
poterie qu'ils y ont élevés, ces fermes; vous voyez 
de vos propres yeux ce port Exécrable et Maudit 
dont ils ont relevé les murs. Vous savez par vous- 
mêmes, et vous n'avez pas besoin d'autres témoi- 
gnages, qu'ils ont exigé des droits et qu'ils per- 
çoivent de l'argent dans un port consacré. » En 
même temps j'ordonnai de lire l'oracle du dieu, le 
serment de nos ancêtres, l'imprécation, et je fis 
cette déclaration expresse : « Pour le peuple athé- 
nien, pour moi, pour mes enfants et ma maison, je 
saurai, fidèle à mon serment, défendre le dieu et la 
terre sacrée, des mnins, des pieds, de la voix, de 
toutes mes forces, et libérer ma patrie envers les 
dieux. A vous maintenant de prendre un parti pour 
vous-mêmes. Les corbeilles sacrées sont prêtes, les 
victimes sont à l'autel : vous allez appeler la faveur 
des dieux sur nous tous et sur vous. Mais, songez-y, 
de quelle voix, de quel cœur, de quels yeux, de 
quel front pourrez-vous leur adresser vos prières, 

1. Surnom donné à l'orateur Hégésippc. 



168 ÊSCHINE. 

si vous laissez impunis ces hommes souillés d'un 
sacrilège et condamnés par les imprécations? Car 
l'imprécation désigne , non par énigmes , ma*- 
expressément, les peines que doivent subir, non 
pas seulement les profanateurs, mais ceux qui ltr> 
tolèrent. Et dans les dernières lignes il est écrit : 
« Que ceux qui ne puniront pas les coupables n» 
puissent saintement sacrifier à Apollon, à Arlémi*. 
à Latone, à Athèna Pronœal Que leurs offrando? 
soient rejetées! » 

Après ces paroles et beaucoup d*autres encore, j»' 
me retire, je quitte l'Assemblée. Aussitôt gran-î* 
cris et tumulte parmi les Amphictyons : il n>st plu» 
question des boucliers dont nous avions fait offranJ* . 
mais du châtiment des Amphissiens. Comme il élait 
déjà tard ce jour-là, le héraut s'avance, et publi»' 
que le lendemain, dès le matin, tous les Delphien* 
au-dessus de dix-huit ans, libres ou esclaves, devront 
se réunir de bonne heure avec des bêches et dt? 
pioches dans l'endroit qu'on appelle à Delphes U 
Place des sacrifices. Ce même héraut annonce encor 
que les hiéromnémons et les pylagores devront ^ y 
rendre aussi pour défendre le dieu et la lexr» 
sacrée : « La ville qui ne sera pas représentée s»m.i 
exclue du temple, déclarée sacrilège, et atteinte par 
l'imprécation ». 

Le lendemain, nous nous trouvons dès raurc»n* 
au lieu désigné. Nous descendons dans la plaine de 
Girrha : nous détruisons le port, nous brûlons lc> 
maisons, et nous nous retirons. Sur ces entre- 
faites, les Locriens d'Amphissa, qui habitent à 
soixante stades de Delplics, fondent sur nous on 
armes, avec toutes leurs forces ; et, si nous n eus- 



COSTIIE CTÉSIPIION (il], g^ 121-121). iGD 

sions à graad'peine regagné la. ville en courant, 
notre vie était menacée. Le jour suivant, Kottyphos, 
qui était chargé de mettre aux voix les motions 
proposées, convoque une assemblée générale des 
Amphictyons : on appelle ainsi celle où se réunissent 
non seulement les pjlagores et les liiéromnémons, 
mais tous ceux qui sont venus pour prendre part aux 
sacrifices et pour consulter le dieu, !.à, ce ne sont 
que plaintes contre Âmphissa, éloges pour Athènes. 
On finit par décider que, avant la prochaine Assem- 
blée amphictyonique, les hiêromnémons viendront 
à un jour fixé, aux Tliermopyles, avec des instruc- 
tions sur la peine à iniliger aux Amphissiens pour 
leurs attentats contre le dieu, contre ia terre sacrée 
et contre les Amphictyons. 

[De retour à AlhËnes, Eechine et ses compagnoagront 
approuver leur conduite par le peuple. Mais DémoE- 
thëne, payé par les Ampbissiens, obtient, gr&ce à un 
décret de rédaction amïiiguË, que les Athéniens ne se 
rendraient pas fi la session extraordinaire. Les Thébains 
a'aljBliennent de niSme, et, en l'absence de ces deux peu- 
ples, on organise contre les Amphissiens une première 
expédilioti commandée par Kottyphos. Les Amphissiens, 
bien que vaincus, n'exécutant pas les décisions des 
Amphictyons, on conOe 'a. Philippe le commandement 
d'une seconde expédition. La vénahtË de Démoelhéne 
avait empêché les Athéniens de dérendre les Intérêts du 
dieu (SS 125-129).] 

II 
L'Alliance thébaine. 

(^ 132-158) 

L'alliance conclue enLre Athènes et ThÈbes avait été 
le résultat des eiïortg de Dcmosthène, Celui ci, malgré 
le désastre de Chéronée, en acceptait, en revendiquait 



170 ESCHINE. 

même la pleine responsabilité. Examinant la politique de 
son adversaire, Eschine ne pouvait négliger un évéDe- 
ment aussi considérable. On trouvera ici, dans son entier, 
le passage qu'il lui a consacré. C'est un des morceaux le» 
plus brillants du Contî^e Ctésiphon. 

Aussi qu'y a-t-il d'extraordinaire et d'inattendu 
qui ne se soit accompli de nos jours? Car ce n'esl 
pas une vie d'hommes que nous avons vécue, mai> 
nous sommes nés pour fournir de récits étranges 
les générations qui nous suivent. N'est-il pas vrai 
que le roi des Perses, celui qui perçait rAthos et 
enchaînait l'Hellespont, qui demandait aux Hellènes 
la terre et l'eau, qui, dans ses lettres, osait se dire 
le maître de tous les peuples du couchant à l'aurore. 
n'est-il pas vrai qu'il combat aujourd'hui, non plus 
pour régner sur les autres, mais pour défendre se* 
propres jour3? Et ne voyons-nous pas en pos- 
session de cette gloire, ainsi que du commande- 
ment dans la guerre contre les Perses, ceui-là 
mêmes qui ont délivré le sanctuaire de Delphes^ 
Et Thèbes, Thèbes notre voisine, n'a-t-elle pas éi^ 
en un jour balayée du sol de la Grèce, sort qu'elle 
méritait sans doute, pour avoir trahi les intérêts 
communs des Hellènes, mais surtout par un égare- 
ment fatal, par le délire dont elle avait été frappée, 
et qu'il faut moins attribuer à des causes humaint-^ 
qu'à la vengeance céleste? Pour avoir seulement 
trempé dans ces sacrilèges, au début, lors de la 
prise du temple, les infortunés Lacédémoniens« 
qui prétendaient jadis à l'empire de la Grèce, forc^^ 
aujourd'hui de se livrer en otages et de dévoiler leur 
misère, vont se rendre auprès d'Alexandre, subir 
pour eux-mêmes et pour leur patrie tout ce qu'il 



CONTRE CTÉSIPHON (lll, §§ 132-137). 171 

lui plaira, et attendre leur arrêt de la clémence 
d'un vainqueur offensé. Notre ville enfin, l'asile 
commun des Hellènes, où jadis de toute la Grèce 
les ambassades affluaient, chaque peuple, chaque 
cité venant chercher auprès de nous son salut, 
notre ville aujourd'hui ne combat plus pour l'hégé- 
monie de l'HelIade, mais pour le sol de la patrie. 
Le poète Hésiode parle admirablement des hommes 
de cette espèce. C'est en des vers où il instruit les 
peuples et conseille aux cités de ne pas se confier 
aux orateurs pervers. Je veux à mon tour redire 
ses paroles ; car, si l'enfance apprend les maximes 
des poètes, c'est, je suppose, pour que l'âge mûr 
les applique. 

Souvent une ville entière a partagé le sort d'un mau. 
vais citoyen qui agit mal et médite des projets insensés. 
Du haut du ciel, le fils de Kronos lui envoie de terri- 
bles fléaux, la famine avec la peste, et les peuples péris- 
sent. C'est tantôt leur vaste armée, tantôt leurs remparts 
qu'il détruit, tantôt leurs vaisseaux qu'il anéantit dans 
les flots, lui, Zeus, dont la vue s'étend au loin. 

Laissez la mesure des vers, n'en voyez que Je 
sens : ce n'est plus, à ce qu'il semble, un passage 
d'Hésiode que vous croirez entendre, c'est un 
oracle contre la politique de Démosthène, politique 
funeste, qui a tout emporté, flottes, armées, répu- 
bliques. 

Non, certes, ni Phrynondas, ni Eurybate, ni aucun 
de ces anciens scélérats ne furent jamais à ce point 
magiciens et charlatans. terre ! ô dieux ! ô 
génies! et vous tous mortels, qui voulez entendre 
la vérité! Il ose dire, vous regardant en face, que 
l'alliance des Thébains avec notre cité a eu pour 



172 ESCHINE. 

cause, non les circonstances, non la terreur qui les 
enveloppait, non votre gloire, mais les harangues 
de Démosthène. Cependant, avant lui, combien 
d'autres, particulièrement attachés à ce peuple, 
avaient été nos ambassadeurs à Thèbes! Et tout 
d'abord, Thrasybule de Collyte, estimé des Thébains 
comme personne ne le fut jamais; puis Thrason 
d'Herchia, qui était leur proxène * ; Léodamas 
d'Acharnés, orateur aussi puissant que Démosthène» 
mais, selon moi, plus agréable; Archédèmos de 
Pélèces, habile aussi à bien dire, et qui, aux aCTaîres. 
courut, par zèle pour Thèbes, de si grands périls; 
Aristophon d'Azènia, que Ton accusa longtemps de 
béotiser; enfin Pyrrhandre d'Anaphlyste, qui vil 
encore. Cependant aucun d'eux n'avait jamais pu 
convertir les Thébains à votre alliance. J'en sais la 
cause, mais ne juge pas que leurs malheurs me 
permettent de la dire. 

Ce fut, à mon avis, quand Philippe leur eut 
enlevé Nikœa, pour la donner aux Thessaliens: 
quand, après avoir éloigné la guerre de la Béotie, 
il l'eut ramenée, à travers la Phocide, devant Ie> 
murs mêmes de Thèbes; quand enfin il eut pris, 
fortifié, armé Élatée : ce fut alors seulement que» 
menacés eux-mêmes, les Thébains nous appelèrent: 
et vous étiez sortis d'Athènes, entrés dans Thèbes 
armés, prêts à combattre, cavaliers et fantassins, 
avant que Démosthène eût écrit un seul mot sur 
l'alliance. Ce qui vous a conduits à Thèbes, ce sont 

1. Los Proxî'iies étaient dos représentants qtio chaque cit<r 
avait à l'étranger et qui étaient pris, non comme nos coosil^ 
parmi les nationaux, mais parmi les citoyens de la viUe où l'ca 
voulait avoir un appui. 



CONTRE CTÉSlPilON (111, S) 137-143), 173 

Jonc les circonstances, la crainte du danger, le 
besoin d'une alliance, ce n'est pas Démoslliine. 

Pour lui, en effet, en toule cette afTaîre, il n'a 
fait que vous causer trois préjudices, les plus graves 
qu'il vous fût possible de subir. Voici le premier. 
De nom , c'était vous sans doute que Philippe 
avait pour ennemis; mais, de fait, c'était beaucoup 
pluldt les Thébains qu'il haïssait — l'événement 
l'a bien montré : en faut-il d'autres preuves? — Op, 
cette disposition qu'il vous importait si fort de con- 
naître, Démosthène vous l'a cachée en vous faisant 
croire que cette alliance Ihébaine serait l'œuvre, 
non des circonstances, mais de ses ambassades. 
Par là, d'abord, il persuada au peuple de n'en plus 
discuter les conditions, mais de s'estimer heureux 
si elle se faisait. Ce premier point gagné, il livra la 
Bôotie entière aux Thébains, en écrivant dans son 
décret que, si quelque ville se séparait d'eux, 
Athènes secourrait les Béotiens de Thèbes, Il vou- 
lait, selon sa coutume, tromper sur les noms et 
donner le change sur les choses : comme si la 
Béotie, réellement opprimée, devait se payer d'une 
ingénieuse combinaison de mots de Démosthène, et 
non s'indigner plutôt de ce qu'on lui faisait souf- 
frir! Puis, quand il s'agit de répartir les frais de la 
guerre, il vous en imposa les deux tiers, bien 
qu'Athènes fût moins voisine du péril, et an tiers 
seulement aux Thébains, qui lui payaient chacune de 
ces faveurs. Quant au commandement, il rendit 
commun celui de mer, bien qu'il en fit peser la 
dépense sur vous seuls ; et celui de terre — parlons 
sans ambages, — il le donna dans sa précipitation 
tout entier aux Thébains; de telle sorte que, pen- 



174 ESCHINE. 

dant toute la durée de la guerre, Stratoclès, volrp 
stratège, ne fut pas maître de pourvoir au salut des 
soldats. Et qu'on ne dise pas que ces faits, je suis 
seul à les condamner, tandis que les autres y sont 
indifférents : la vérité c'est que moi, je les dénonce, 
que tout le monde les blâme, que vous-mêmes, vous 
les connaissez aussi et ne vous en indignez pas. 
Telles sont, en effet, vos dispositions à Tégard de 
Démosthène : vous êtes maintement habitués à 
entendre parler de ses fourberies, et elles ne vou5 
étonnent plus. Mais il n'en doit pas être ainsi : il 
faut vous indigner et punir, si vous voulez qu'à 
l'avenir la cité soit prospère. 

Le second préjudice qu'il vous a causé, et celui-ci 
plus grave que le premier, est d'avoir tout à fait 
enlevé à Athènes, sans qu'on y prît garde, et trans- 
porté à Thèbes, dans la Cadmée, le siège du Con- 
seil et le gouvernement démocratique, en stipulant 
pour les Béotarques * le droit de prendre part à la 
direction de toutes nos affaires. Il s'était en outre 
ménagé une telle autorité, qu'il en vint à affirmer 
du haut de la tribune qu'il se faisait fort d'aller en 
ambassade partout où il voudrait, même sans avoir 
reçu de vous aucune mission. Quelqu'un de vos 
stratèges osait-il le contredire? Pour asservir vo? 
chefs et les accoutumer à ne lui opposer aucune 
résistance, il menaçait d'intenter à l'état-major, au 
nom de la tribune, un procès en règlement de com- 
pétence; car il disait vous avoir rendu plus de ser- 
vices à la tribune que les stratèges dans Tétat-major. 

1. Les Béotarques étaient des magistrats élus par chaciia» d<i 
cités de la coofédération béotienne. Réunis en conseil. Us armieoi 
la direction des opérations militaires. 



CONTEE CTÉSIPRON (lll, SS i-i3-li8). IIS 

Il touchait une solde pour des cadres de l'armée mer- 
cenaire qui restaient vides; il volait l'argent des 
soldats; enliu, en louant aux Amphissiens les dix 
mille étrangers que vous savez, malgré toutes mes 
protestations, malgré mes plaintes dans nos assem- 
blées, il livra, de gaieté de cœur, au péril, par 
l'anéantissement de cette milice, notre ville sans 
défense-. Que pensez-vous, en elTel, que dût alors 
souhaiter Philippe? N'élail-ce pas de combatlre 
séparément, ici les troupes athéniennes, àAmphissû 
les troupes étrangères et de surprendre les Hellène» 
d.ins l'abattement où les jetterait un coup si terrible? 
Et après avoir provoqué de tels désastres, Démos- 
thène ne se contente pas de l'impunité! 11 s'indi^up 
si vous ne lui donnez aussi une couronne d'or. Kt 
il ne lui suffit pas que la proclamation en soit failo 
devant vous : si le héraut ne le nomme pas devant 
la Grèce entière, il s'indigne encore. C'est ainîrl, 
parail-il, qu'une nature perverse peut, en s'arro- 
géant un grand pouvoir, mettre le comble aux mal- 
heurs publics! 

Hais il s'est rendu coupable d'un troisième méfait, 
le plus grave de tous : je vais vous le dire. Philipi>e 
ne méprisait pas les Hel|Ènes. 11 savait bien — car 
il ne manquait pas de sens — que, dans le court 
espace d'une journée, il allait livrer au hasard d'une 
- bataille tous les avantages qui lut étaient acquis. 
Aussi voulait-il la paix, et était-il sur le point de 
nous envoyer des députés. D'autre part, ceux qui 
commandaient à Thèbes étaient elTrayés du péril 
qui approchait, — et cela avec raison i car ils s'ins- 
piraient, non des conseils d'un orateur qui n'avait 
pas fait la guerre et qui avait déserté son poste, 



176 ESGHINE. 

mais de l'ineffaçable enseignement que leur avaient 
laissé les dix années de la guerre de Phocide. — Dans 
cette situation, dont il se rendit compte, Démos- 
thène, soupçonnant les Béotarques de vouloir 
faire seuls la paix et recevoir sans lui l'or d»» 
Philippe, jugea que ce n'était plus la peine d** 
vivre s'il manquait une occasion de se vendre. Il 
bondit dans l'Assemblée. Personne ne s'était pro- 
noncé ni pour ni contre la paix à conclure avec 
Philippe. Alors, lui, comme pour déclarer aui 
Béotarques par la voix du héraut qu'ils eussent «î 
lui apporter une partie de leur salaire, il jure par 
Athèna — dont Phidias, apparemment, avait voulu 
faire la complice des rapines et des parjures d^ 
Démosthène, — il jure que, si quelqu'un parle de 
traiter avec Philippe, il le saisira par les cheveux et 
le traînera en prison, reprenant la politique par 
laquelle Gléophon, à ce qu'on raconte, avait, à Vépv 
que de la guerre contre Lacédémone, perdu la 
république. Mais, comme les magistrats de Thèb»^? 
ne l'écoutaient pas et, pour vous amener à des résiv 
lutions pacifiques, faisaient même revenir vos soldat^ 
qui étaient déjà en marche, à ce moment il devient 
tout à fait hors de sens : il monte à la tribun»*, 
appelle les Béotarques traîtres à la patrie hellénique, 
et, lui qui n'a jamais regardé Tennemi en face, i. 
déclare qu'il va vous proposer, par décret, Tenvm 
d'une ambassade chargée de demander aux Th«^- 
bains le passage contre Philippe. Tout honteux, le* 
magistrats de Thèbes craignent de passer réell*^ 
ment pour avoir trahi la cause des Hellènes : ils 
renoncent à la paix et courent à la bataille. 
Ici il convient de donner un souvenir aux brave* 



CONTRE CTÉSIPJION (lIF, gg 148-134]. t77 

que, malgré les sacriflces défiivorables el les pré- 
sages funestes, cet homme envoya à une perte cer- 
taine, pour oser ensuite, montant sur le torlre des 
morts, de ses pieds fuyards et dÉserteurs, faire 
l'êloge de leur courage. toi, de tous les hommes 
le moins capable d'une action grande et courageuse, 
mais le plus étonnamment audacieux en paroles, 
oseras-tu dire tout à l'heure h ces citoyens, sans 
craindre de les regarder en face, qu'il faut te cou- 
ronner pour les désastres de la patrie? Et, s'il le 
dit, vous, Athéniens, le support eres-vousï Et fau- 
dra-t-il croire que, en perdant vos morts, vous avei 
.lussi perdu la mémoire? Figurez-vous un instant, 
je TOUS prie, que vous êtes assis, non plus dans ce 
tribunal, mais au théâtre; que vous voyez le héraut 
s'avanrer, et que la proclamation va se faire aux 
termes du décret : et demandez-vous si les parents 
des morts pleureront sur les tragédies, sur les 
infortunes des héros qui vont paraître sur la scène, 
autant que sur l'égarement de la cité. 

Est-il un Hellène, élevé en homme libre, tjui ne 
gémirait en se rappelant, à défaut de tout autre 
souvenir, la cérémonie qui jadis, à pareil jour, 
avait lieu de même avant le concours tragique, 
lorsq h' Athènes était gouvernée par de meilleures 
lois et de meilleurs chefs? Le héraut s'avançait, et, 
présentant les orphelins dont les pères étaient 
morts à la guerre, jeunes hommes revêtus d'une 
armure complète, il prononçait ces admirables 
paroles, bien failes pour exhorter i la vertu : c Ces 
jeunes gens, dont les pères ont reçu dans les cora- 
hits la mort des braves, le peuple les a fait élever 
jusqu'à leur âge d'hommes. Maintenant, après les 
12 



178 ESCHINK. 

avoir revêtus de cette armure complète, il les laisse 
aller, accompagnés de ses vœux, libres désormais 
de s'occuper eux-mêmes de leurs affaires, et il le» 
appelle à s'asseoir aux places d'honneur. » Voilà r»^ 
que disait alors le héraut. Aujourd'hui ce sera aulre 
chose. Quand il présentera celui qui a fait tant 
d'orphelins, quelle proclamation pourra-t-il fairv! 
que pourra-t-il même dire? Car s'il se contente d-* 
lire les dispositions du décret, alors en tout cas. 
l'opprobre qui résulte de la réalité ne se taira pa> : 
on croira l'entendre opposer sa voix à celle de 
héraut. « Cet homme, dira-t-elle — si tant est t|U' 
le nom d'homme lui convienne, -*- le peuple alh»- 
tiien le couronne pour sa vertu, et c'est un mi>'- 
rable; pour son courage, et c'est un lâche qui j 
déserté son poste. » 

Non, par Zeus et par tous les dieux! je vous »•:: 
conjure, Athéniens, n'élevez pas dans l'otchestre d^ 
Dionysos uil trophée à votre hoilte ; ne donnez p > 
en spectacle aux Hellènes le peuple d'Athènes ivi.- 
vaincu de démeilce; ilë rappelez pas leurs irn'pa- 
fables, leurs incurables misères à ces Thébain^ 
infortunés, par lui fugitifs, recueillis par vous, qu: 
ont tout perdu, temples, enfantsj tombeaux, et U'U» 
par la vénalité de Démosthène, par l'or du Roi. Ah', 
puisque vous n'en aves^ pas été personnellement 
témoins, voyez du moins par la pensée les malheur^ 
de ce peuple : représentez-vous la ville prise, *• * 
murs renversés, ses maisons en ilammes, des mèn-^. 
des enfants traînés en osolavace, des vieillard^. «î*' 
pauvres vieilles femmes qui désapprennent si tai i 
la liberté : baignés de larmes, ils vous implon^nt. 
ils maudissent moins les exécuteurs que les auteui^ 



CONTRE CTESIPHON (lll, §§ 154-158). iM 

d*une vengeance cruelle; ils vous conjurent de ne 
couronner à aucun prix le fléau de l'Hellade, maiâ 
de vous garder du fatal génie, du mauvais sort com- 
pagnons fidèles de cet homme. Jamais ville, jamais 
citoyen n'a réussi en s'inspirant des conseils de 
Démosthène. N'avez-vous pas honte, Athéniens, de 
ce que vous faites? Contre les bateliers qui vous 
conduisent à Salamine, s'il arrive que leur barque 
chavire dans le trajet, même sans qu'il y ait de leur 
faute, vous avez fait une loi qui leur interdit à 
l'avenir d'exercer leur métier, afin que nul ne se 
joue de la vie d'un Hellène : et l'homme par qui la 
Grèce et Athènes ottt essuyé un tel naufrage, vous 
le laisseriez encore une fois au gouvernail de la 
république? 

III 
La famille de Démosthène; 

(§§ 168-176) 

On a vu, à roccasion d'un plâssagé du discours Sur 
f Ambassade (p. 149), avec quelle liberté les orateurs pour" 
suivaient leurs adversaires jusque dans leur vie privée. 
Ici, pour donner plus d'ampleur à^on attaque, Eschiné 
commence par faire le portrait du véritable démocrate. 
Puis, à cette image idéale, habilement tracée, il opposé 
la vie de son adversaire et l'histoire de sa famille. 

Soit, dira-t-on, mais il est attaché à la démo- 
cratie. — Oh! si vous ne faites attention qu'à ses 
belles paroles, vous serez, comme par le passé, 
absolument trompés : vous ne le serez plus, si vous 
examinez son caractère, si vous consultez la vérité: 



180 ESCHINE. 

Voici le moyen de juger ce qu'il vaut. Je vai? 
rechercher avec vous quelles doivent être les qua- 
lités du démocrate et de Thonnête citoyen: H 
j'opposerai à ce portrait celui du mauvais citoyen, 
du partisan de Toligarchie. Vous alors, comparant 
Tun à l'autre, vous verrez auquel des deux res- 
semble Démoslhèiie, non par ses discours, mais par 
ses actes. 

Vous serez, je pense, unanimes à reconnaître qu»* 
le démocrate doit réunir les qualités sui?ant»'N 
Avant tout, il sera de condition libre du côté de >*'U 
père, comme du côté de sa mère : le malheur de si 
naissance pourrait le rendre ennemi des lois q*J' 
sont la sauvegarde de la démocratie. Ensuite >•* 
ancêtres auront rendu quelque service au peupl». 
tout au moins, ils n'auront pas été ses ennemis» «i" 
peur que la pensée de venger leurs disgrâces ne 1 
porte à quelque entreprise coupable contre Vtu 
En troisième lieu, il sera naturellement modest»» •' 
réglé dans sa manière de vivre : un luxe effn'n 
l'induirait à se vendre et à trahir le peuple. P«»' ' 
quatrième condition, il unira la sagesse à l'»!- 
quence — c'est une belle chose, en effet, de p""- 
séder la sagesse qui discerne le meilleur parti 1 
prendre, en môme temps que la science oratoire •• 
le talent de persuasion qui le font accepter J»" 
auditeurs; — sinon, à l'éloquence on doit toujour- 
préférer la sagesse. Il lui faudra une cinqui^'n 
qualité : une âme assez ferme pour que dans l- 
circonstances critiques et à l'heure du danccf 
n'abandonne pas le peuple. Le partisan de VoVit: - 
chie présentera lous les traits opposés : à quoi b " 
refaire une énumération? Vovez maintenant le- 



CONTRE CTESIPHON (lll, §§ 468-173). 181 

quels sont ceux de Démostliène : faisons le compte 
en toute équité. 

Il eut pour père Démosthène de Pœania, homme 
libre, car il ne faut pas mentir. Mais par sa mère et 
par son aïeul maternel à quelle origine se ratlache- 
t-il? C'est ce que je vais dire. 11 y avait un certain 
Gylon du Céramique. Cet homme, après avoir livré 
aux ennemis Ny mphœon , ville du Pont, qui alors nous 
appartenait, s'était exilé d'Athènes, sans attendre le 
jugement, et avait été condamné à mort. Il arriva 
dans le Bosphore. Là il reçoit comme récompense 
des tyrans du pays le territoire de ce qu'on appelle 
les Jardins, et il épouse une femme, riche sans 
doute, et qui lui apportait beaucoup d'argent, mais 
qui, de naissance, était Scythe. 11 en eut deux filles 
qu'il envoya ici avec des dots considérables. Il 
maria l'une, inutile de dire à qui — je ne veux pas 
soulever tant de haines; — Démosthène de Pœania, 
au mépris des lois, épousa l'autre. C'est d'elle que 
vous est né le brouillon, le sycophante Démosthène. 
Ainsi, par son aïeul maternel, il serait déjà l'ennemi 
du peuple — car vous avez condamné ses ancêtres à 
mort; — par sa mère, c'est un Scythe, un Barbare, 
qui n'a d'un Hellène que le langage, aussi peu 
Athénien par sa naissance que par sa perversité. 

Et quelle a été sa vie? Au sortir de sa triérarchie % 
il se révèle logographe, parce qu'il a ridiculement 
laissé perdre son patrimoine. S'étant fait, même 
dans ce métier, la réputation d'un homme peu 
scrupuleux qui passait pour communiquer à la 
partie adverse les discours composés pour ses 

1. Voir p. 50, n. 1. 



182 ESCHINE. 

clients, il s'installe d'un bond à la tribune. Mêlé à 
Ja politique, il en tira des sommes énormes, et n**. 
mit que peu de chose de côté. Aujourd'hui cepen- 
dant, l'or du roi a couvert ses dépenses; mai* 
cela même ne suffira pas : quelle fortune a jamais 
résisté aux désordres de la conduite? Somme toute, 
il vit, non de ses revenus, mais de vos dangers. 
Pour la sagesse et l'éloquence, que trouvez-vous en 
lui? Il parle bien, et il vit mal. Et à cela que gagn»* 
la cité? Les discours sont beaux; les actes sont 
Tuauvaig. 

De son courage je ne vous dirai qu'un mol. Si! 
niait sa lâcheté, ou si vous ne la connaissiez vouv 
jnômes, je m'arrêterais à vous la prouver. Mai* 
comme il en fait l'aveu dans vos assemblées, comir.' 
vous savez très bien ce qu'il en est. je me content» 
de vous rappeler les lois établies contre les g<*ns J» 
cette espèce. Solon, le législateur de nos pères, cru' 
devoir infliger la même peine au réfraclaire, au 
déserteur, et au lûche : car il y a aussi des accusa- 
tions publiques de lâcheté. Quelqu'un de vous pour- 
rait s'en étonner : quoi! poursuivre en justice > 
naturel? Oui, sans doute. Et pourquoi? Pour «p' 
chacun de nous, redoutant les peines légales y\\> 
que l'ennemi, soit à la patrie un plus intrépid 
défenseur. Ainsi le législateur interdit au réfra • 
taire, au lâche, au déserteur, de franchir les lirait»* 
marquées autour de l'Agora par les vases d'eau lu- 
traie ; ils ne peuvent être ni couronnés, ni admis au\ 
sacrifices offerts par l'État. Et toi, Ctésiphon, celu 
auquel la loi interdit les couronnes, lu veux n'"î* 
le faire couronner! Ton décret appelle sur î- 
théâtre, pendant le concours de tragédie, « 



CONTRE Cl LSI ['[10 S (iii, '^ 173-171); 255). 183 
Ltiinme qui en psI légalement exclu, et introduit 
ilnns le sanctuaire de Dionysos celui dont la lâcheté 
a livré tous nos sanctuaires! 

Hais |e crains dP vous égarer loin de mon sujet. 
Voici seulement ce que je vous prie de ne pas 
oublier, quand il se dit l'ami du peuple 
non ses liarangues, mais sa ïie; non 
flrc, mais ce qu'il est. 



Fragment de la péroraison. 

j torme, en quelque sorte, la contre-partie 
de celui qui termine le discours Suc l'Ambassade. Accusé, 
Eschine avait Tait parailre û ses câtés ses parents et ses 
ami!! : accusateur, il prévient les juges conire ceu.'^ qui 
vont prêter leur appui à Démostliène. 

Pensez donc, en délibérant, qu'il s'agit, non d'une 
ville étrangère, mais de la vôtre. Ne prodiguez pas 
les honneurs, accordez-les avec discei-nement, et 
réservez vosrécompensosàdes personnages plus esti- 
mables et plus dignes. Ne vous bornez pas à éoouler; 
ouvrez les yeux pour voir quels sont ceux d'entre 
vous qui intercéderont en faveur de Démosthène. 
Les amis de sa jeunesse? Ses compagnons de chasse 
ou de gymnase? Mais, fiar Zens Olympien! ce n'est 
pas à la chasse au sanglier, ni aux exereicca du 
corps qu'il a passé sa vie, c'est à étudier l'art de 
prendre dans ses fileta les nitoyeus opulents. Songez 
plutôt à sa jactance, quand il vous dira que, par une 
simple ambassade, il a arraché Byzance des mains 



184 ESCHINE. 

de Philippe, qu'il a soulevé rAcarnanie, et que ses 
harangues ont transporté les Thébains : il tous 
suppose devenus assez simples pour Ven croir»*, 
comme si Athènes possédait en lui, non un syco- 
phante, mais la Persuasion elle-même. 

Et lorsque, arrivé à la fin de son discours, il 
appellera auprès de lui à titre de synégores* les 
complices de sa vénalité, imaginez que vous voyez 
rangés à mes côtés, à cette tribune où je parle, et 
prêts à r epousser leur audace, les citoyens qui ont 
bien mérité de la République. Solon, dont les admi- 
rables lois ont réglé notre démocratie, Solon, philo- 
sophe et grand législateur, vous prie, avec simpltcitr 
comme il convient à un homme tel que lui, de n^ 
pas préférer le beau langage de Démosthène à To-i 
serments et aux lois. Aristide, qui fixa les contribu- 
tions des Hellènes, et dont les filles furent, après sa 
mort, dotées par le peuple, Aristide s'indigne de voir 
la justice ainsi traînée dans la boue, et vous demanda* 
s'il ne vous semble pas honteux que vos pères jadis, 
pour punir Arthmios de Zéleia, qui avait apporté en 
Grèce l'or des Perses, qui se trouvait dans notre ville, 
et qui avait le titre de proxène * du peuple athénien. 
aient été sur le point de le mettre à mort et l'aient eu 
réalité banni d'Athènes, banni de tout notre empire : 
tandis que ce Démosthène, qui n'a pas seulement 
apporté chez nous l'or des Perses, mais qui l'a reçu 
pour prix de ses trahisons, et qui le détient encorv 
entre ses mains, vous allez lui décerner une cou- 
ronne d'or! Et Thémistocle, et les morts de Mara- 
thon et de Platées, et les tombeaux mêmes de no5 

1. Voir p. 16-2, n. 1. 
•>. Voir p. n-2. n. 1. 



j j 



CONTRE CTÉSIPIION {tri, gg 236-260). IM,'i 

Uifclres, pensez-vous qu'ils ne gémiraient pas, si 
l'Ijomme qui, île son jiropre aveu, fait cause com- 
mue avec les Barbares contre les Hellènes, rece- 
ht une couronDfiî 

bûur moi, ô Terre, Soleil, Vertu, et voua, Intelli- 
fence, Éducation, qui nous faites discerner le bien 
el le mal, j'ai lutté, j'ai dit. Si mon accusationa été 
ce qu'elle devait être, si elle a répondu au crime, j'ai 
parlé comme je l'ai voulu; si elle est restée au-des- 
sous, j'ai fait du moins ce que j'ai pu. Vous, Athé- 
niens, rappelez-vous ce que j'ai dit, suppléez à ce 
que j'ai pu omettre : el puisse votre arrêt s'inspirer 
de la justice ainsi que de l'intérêt de la cité! 




' Tfr-« 



IV 
HYPÉRIDE 



POUR EUXÉNIPPE 

" (iii) 



AROUMENT 

Le discours Pour Euxénippe est le seul discours d'Hy- 
péride qui nous soit parvenu en son entier. Ce n'est, il 
est vrai, qu'une deutérologie *. Hypéride ne fait que 
compléter la défense de Taccusé. Mais nous y gagnons 
de Ventendre parler en son nom, de le voir donner de 
sa personne. Comme les questions quMl aborde sont de 
nature assez différente, il se montre à nous sous plu- 
sieurs aspects, avec toute la richesse, toute la variété de 
son tempérament. Enfin, quelques-unes de ces questions 
ont, au point de vue historique, une grande importance : 
il est intéressant de voir avec quelle largeur d'esprit 
Hypéride les pose et les résout. 

L'objet du procès est lui-même curieux. Après la 
l>ataille de Chéronée, Philippe avait donné aux Athé- 
niens le territoire d'Oropos. En vertu d'un décret, ce 

1. Titre donné au discours que prononçait le Synégore. (Voir 
p. 162, n. 1.) 



•j^ ^! 



188 HYPÉRIDE. 

territoire fut partagé en cinq lots et un tirage ao sort 
répartit les lots entre les dix tribus groupées deux à 
deux. Le partage fait, on découvrit qu'un de ces lots, 
celui des tribus Acamantide et Hippothon lide, appar- 
tenait au héros Âmphiaraos, honoré à Oropos. On ne 
pouvait, sans impiété, dépouiller Amphiaraos : d'autre 
part, les deux tribus faisaient valoir leurs droits. Pour 
trancher la difficulté, il fut décidé qu'Euxénip|»e. 
citoyen riche, considéré, et déjà âgé, irait à.Oropo^ 
avec deux compagnons. Tous trois devaient passer la 
nuit dans le temple d*Ampbiaraos et rapporter fidêl^ 
ment à leurs concitoyens ce qu*ils auraient vu et 
entendu. C'était là une des manières de consulter lo< 
oracles. 

Mais les oracles ne répondaient pas toujours avec uni* 
netteté parfaite, surtout lorsque leurs intérêts élaien; 
en jeu. Le récit que fît Euxénippe du songe qu'il anit 
en, dut être assez ambigu pour ne mécontenter ni le 
héros ni les tribus ^. Comme il fallait prendre une 
résolution, Polyeucte, citoyen du dème de Kydantitle*. 
proposa de restituer au dieu le domaine contesté et de* 
demander pour les deux tribus ainsi dépouillées ud 
dédommagement aux huit autres. Le décret fit l'olùet 
d'une fpai^Ti irapotv^iJLwv ^ et valut à son auteur un»* 
amende de vingt-cinq drachmes. Cette amende élaiî 
légère; néanmoins, Polyeucte irrité de son échec >* 
retourna contre Euxénippe et lui intenta une eisan- 
gélie 3, sous prétexte qu'il s'était laissé corrompre et 
n'avait pas rapporté fidèlement au peuple l'oracle du 



1. On a cru pouvoir prouver, d'après les §§ M et 15 dn discoorv 
tantôt que la réponse de l'oracle était favorable aux tribos, uoti' 
qu'elle leur ëtait défavorable. Il no me parait pas possible <i^ 
conclure ni dans un sens ni dans l'autre. Les considArtnis 4« 
décret de Polyeucte (§ 16), proposé à Toccasion da soog« ti Ja 
récit d'Euxénippe, semblent indiquer que celui-ci s'était, daas « 
réponse, référé prudemment aux décisions des commi^sa-rn 
chargés de la répartition. 

2. Voir p. 159, n. 2. 

3. h'eitangélh était une forme particulière de procédnre rno.^ 
nelle suivant laquelle une affaire était portée soit dcvaot le f *•% 
teil, soit devant VAtgemblée. 



POUR EIJXÉSIL'CE (III). 189 

liéroi. C'est oella eisangéîie qui fait l'objet du diacaurs. 
La procédure de i'eisangé/ie s'applitiuail-elle bien au 
cas d'Euxènippe < ÎHypéride le cotiLeïte, non sans raison. 
D'apréa le tejte de la loi, Veisangélie atleignail tout 
oraleur qui élait oonvaineu de n'avoir pas conseillé les 
mesures les plus Favorables au peuple el d'avoir pour 
cela Louché de l'argent. Ka admettant qu'Euxénippe se 
tùt vendu et n'eflt pas dit la Térité, il restait qu'il l'avait 
fait comme simple particulier et non comme orateur. 
Il devait donc être h l'abri de la poursuite. C'est ce 
qu'Uypéride établit dans une argumentation trës serrée, 
i qui rappelle la manière de Lysias, mais avec qnelque 
1 chose de plus libre et de plus simple. Il éltve la ques- 
tion et dénonce, avec exemples à l'appui, l'abus qu'on 
fait de VeUangélie, Cette procédure, qui n'était, dans le 
principe, applicable qu'aux délits les plus graves dans 
l'ordre politique, est maintenant appliquée aux faits les 
plus divers, sans discernement ni mesure. Sous prétexte 
que violer une loi c'est attaquer les institutions de la 
cité, on intente une eisangflie 0. DiogntdËs et à Antidoros 
pour avoir loué trop cher des joueuses de flûte, ou A 
AgasiclÈs du Pirée pour s'être Tait inscrire sur le registre 
d'Halimonte! Exagérations dangereuses qui faussent l'es- 
prit de la législation et ruinent la démocratie. 

Ce n'est pas lA le seul avertissement donné par Hjpé- 
ride ft ses concitoyens. A plusieurs reprises, Polyeucle 
a insinué qu'Euxénippe était riche, espérant entraîner 
sa condamnation par l'appât d'une conDscnljon. Toute 
considération de justice mise à part, est-ce là un moyen 
d'enrichir l'Élatî N'est-ce pas pour un profil immédiat, 

citoyens dans l'État et du m&me coup supprimer l'esprit 
d'initiative el tarir les véritables sources de la richesse? 
Qu'on regarde plutAl ce qui s'est passé pour les mines! 
Des sycophantes ont voulu faire condamner des con- 
cessionnaires qui s'étaient enrichis dans leur exploi- 
tation. Si on les avait écoutée, l'Ëlal aurait réalisé, sur 



Le lîyp<fride n'clait p 
m eûangHie. Polyeu 
a solide. Cf. | 19, p. 



190 HYPÉRIDE. 

le moment, certains bénéfices. Mais, la sécurité notant 
plus garantie aux concessionnaires, les adjudicataires 
auraient été moins nombreux, la valeur des minr* 
aurait diminué et un des revenus les plus considérable* 
de rÉtat aurait été réduit à rien. Aussi a-t-on sagement 
fait de repousser les accusations des sycophanles. Grà*'« 
à la sagesse que les juges ont montrée contre eux, I:. 
confiance a augmenté : les adjudicataires se présent»»nl 
plus nombreux et la valeur des concessions s'est accrue. 

De telles vues sont d'un homme d'État et honorei.' 
Hypéride. On verra, en lisant les extraits qui suivent. 
avec quel art elles sont rattachées à Tobjet du proc<ff. 
Très libre dans ^argumentation, Hypéride ne s'écarl- 
cependant pas de sa cause. Nulle part les transitior« 
n'apparaissent : un développement amène l'autre et •« 
discours touche aux objets les plus divers sans jaroii* 
surprendre. La trame en est à la fois légère et soli'!-*. 
Le style a la même fermeté et la même aisance. Tou- 
jours clair et net, abondant et mesuré, il s*élève à IV- 
casion sans rien perdre de sa grâce familière. L'a 
certaine véhémence, du pathétique même par endroit- 
rehaussent le ton. Hypéride, arrivé à sa maturité, donr • 
dans ce plaidoyer la mesure de ses meilleures qualii**? 

Nous ignorons quelle fut l'issue du procès. Il fi- 
même difficile d'en déterminer exactement la datc 
Tout ce qu'on sait, c'est qu'il est postérieur à la nn«ri 
d'Alexandre d'Épire et antérieilr à celle de Lycurguc*. 
Il doit donc être placé entre 330 et 324. 



î 
Exposé et discussioii des faits. 

(§§ M-23) 



[Une deutérologie né comportait pas, à proprem«*f . 
parler, d'exorde. Dans un court préambule, Hypèrio 
dénonce, non sans ironie, l'abus qu*on fait de VeiM/*- 
gélie; puis, examinant le texte de la loi relative à c<f' 



POUR EUXENIPPE (ïll, Sg i4-16). i9i 

procédure, il montre que son client peut, quoi qu'en 
dise Polyeucte, l'invoquer pour sa défense. Enfin, il 
établit le droit qu'il a de se présenter lui-même comme 
si/négorCi $$ 1-13.] 

... C'est que, comme tu le dis dans ton accusation, 
ce qu'il a fait est horrible et mérite la mort. Voyez 
donc, juges, et examinez en détail chacun des faits. 
Le peuple avait ordonné à Euxénippe d'aller avec 
deux autres au temple * pour s'y coucher. Euxénippe 
y dort, et dit y avoir eu un songe, qu'il rapporte 
au peuple. S'il te semblait qu'il fût sincère et qu'il 
rapportât au peuple ce qu'il avait réellement vu en 
songe, en quoi est-il coupable d'avoir transmis aux 
Athéniens les ordres mêmes du dieu? Si tu croyais, 
au contraire, comme tu le soutiens aujourd'hui, 
que cette prétendue révélation divine était une 
imposture et qu'il avait, pour se faire bien voir de 
quelques-uns, rapporté au peuple des choses qui 
n'étaient pas vraies, il ne fallait pas présenter un 
décret à propos de ce songe, mais, ainsi que te le 
disait celui qui a parlé avant moi, envoyer à Delphes 
pour demander la vérité au dieu. Tu n'en as rien 
fait, mais tu as, sans l'autorisation du Conseil, déposé 
Un projet de décret funeste à deux tribus, décret 
absolument injuste, et dé pliis en contradiction 
avec lui-même. C'est pour cela que tu as été con- 
vaincu d'illégalité et noil pai^ la faute d'Euxénippe. 

Mais voyons ce qu'il faut penser de ce décret. Les 
tribus s'étaient partagé deiix à deux les collines du 
territoire d'Oropos, ainsi ique le peuple en avait 
décidé. La colline en question était échue aux 

» 

l. Il d'agitda temple d'ÂmpUiaraos« 



192 HVPÉRmE. 

tribus Âcamantide el Hippothontide. Or, ton décrri 
ordonnait à ces tribus de restituer à Amphiamo.'' «t 
la colline et la valeur des produits qu'elles en araieu: 
déjà retirés, sous le prétexte qu'auparavant les cin- 
quante commissaires préposés à la déliiDitâtinn 
l'avaient réservée au dieu et exclue du partage. Je 
telle sorte que les deux tribus ne la possédaient paf 
en légitime propriété. Mais, un peu plus loin, lu 
proposes dans le même décret que les huit auln'^ 
tribus donnent à ces deus-ci l'équivalent du l-i 
restitué et les indemnisent de leur perte, pvuc 
qu'elles ne se trouvent pas moins bien partagées. E: 
pourtant, de deux choses l'une : ou lu as frustré 1rs 
deux tribus d'une colline qui était bien à elles, fi 
il y a lieu de s'en indigner; ou elles n'avaient aucun 
droit sur ce domaine, qui appartenait au dieu : <'i 
alors pourquoi faut-il, suivant ton décret, que lei 
autres tribus leur payent en sus une somme d'ar- 
gent? Elles devaient s'estimer heureuses d'avoir sim- 
plement il restituer au dieu sa propriété, sans payir 
en outre une amende. 

C'est ainsi que ton décret, examiné par le tribn- 
nal, ne lui parut pas régulier, et que les jupt-s Ir 
condamnèrent. Ainsi donc, si tu avais été acquill> . 
Euxénippe n'aurait pas outragé le dieu par ud men- 
songe : mais comme tu as eu le malheur de penlr. 
la cause, il faut qu'il périsse! Toi, pour avoir pn- 
posé un pareil décret, tu n'as eu à payer quP viniil- 
cinq drachmes; et lui, pour Ctre allé se couch'T 
dans le temple, ainsi qu'il en avait reçu l'ordre du 
peuple, ne pourra même recevoir une sépulture en 
Attique! 

Mais oui, dis-tu, car il s'est conduit d'uif 



POUR EuxÉNiPPE (m, §§ 16-22). 193 

manière inqualifiable dans l'affaire de la patère, en 
tolérant qu'Olympias suspende cette offrande à la 
statue d'Hygie. C'est là, en effet, que tu vas chercher 
des armes pour le procès. Tu espères, grâce à ce 
nom, jeté dans le débat, et par une accusation 
mensongère de flatterie, soulever contre Euxénippe 
la haine et la colère des juges. Mais ce n'est pas, 
mon cher, en mettant en avant les noms d'Olympias 
et d'Alexandre qu'il faut chercher misère à un 
citoyen : c'est quand ces personnages adressent au 
peuple athénien des demandes injustes ou déplacées, 
c'est alors qu'il faut se lever, répondre dans l'inté- 
rêt de là ville, plaider contre leurs envoyés la cause 
tle la justice, et aller au congrès des Hellènes pour 
y soutenir les droits de la patrie. Mais jamais, dans 
ces circonstances, on ne t'a vu te lever, jamais sur 
ces questions tu n'as pris la parole et si tu fais 
aujourd'hui profession de haïr Olympias, c'est pour 
perdre Euxénippe, que tu représentes comme un 
flatteur et de cette reine et des Macédoniens. Or si 
tu prouves qu'il soit jamais allé en Macédoine, qu'il 
ait jamais reçu secrètement des Macédoniens chez 
lui, que jamais il se trouve en relations ou se ren- 
contre avec quelqu'un de là-bas; que, dans un ate- 
lier,' ou sur l'Agora, ou ailleurs, il ait dit quoi que 
ce fût sur ce sujet; qu'en un mot il ne se borne pas 
à faire honnêtement et modestement ses affaires, 
comme tout autre citoyen : eh bien, alors, que les 
juges le traitent comme ils voudront 

Si les faits dont tu l'accuses étaient vrais, tu ne 
serais pas le seul à les savoir, mais ils seraient 
connus de tout le monde dans la ville, comme il 
arrive pour tous ceux qui servent les Macédoniens 

13 



194 IIYPÉRIDE. 

par leurs discours ou par leurs actes. Car non seu- 
lement ces gens ont conscience de leur rôle, mais 
tous les Athéniens, même les enfanCs des écoles, 
connaissent et les orateurs k la solde de la Uàc-'- 
doine et les citoyens capables d'offrir l'IiospiUlit^ 
à ses envoyés, de les accueillir dans leur raais'ip. 
d'aller à leur rencontre quand ils arrivent. Or, tu 
ne trouveras nulle part, à côté d'un seul de w 
noms, celui d'Euxénippe. Et cependant lu ne citl^ 
ni ne mets en jugement aucun de ceux qui, aa '<i 
de tout le monde, agissent ainsi, et c'est Euiécipi" 
que tu accuses de flatterie, Euxénippe, dont la lii' 
repousse cette imputation! 



[Soulever celte discussion, c'es 
politique. Ce n'est pas au moment où Ol.vmpias conlfîi' 
aux Alhëniens le droit d'envoyer une théorie à Doiloii'' 
et de rendre des lioiineurs à la statue de Dioné qu" 
convient de lui reprocher une offrande fnile à «il' 
d'Hygie, ^ 2i-26.] 



Procès politi([ues intentés par Hypéride. 

[L'orateur, lout en opposant sa conduite à cellr <l< 
son adversaire, revient h la discussion de la procéilur 
que celui-ci a suivie.] 

Mais il n'est rien, ce me semble, l'olyeucte, où l" 
ne voies matière à accusation. Cependani, pui^"" 
lu t'es mis en têle de jouer un rôle politique — ei, 
par Zeus! rien ne t'en empêche, — tu devrais, bi«: 
pas mettre en jugement les simples parliculieri n* 



POUR EUXÉNIPPE (III, §g 22-23; 27-30). 195 

signaler contre eux ta vaillance; mais, un orateur 
se met-il en faute, l'appeler devant les tribunaux; 
un stratège n'a-t-il pas fait son devoir, le pour- 
suivre d'une eisangélie : car ce sont eux qui peuvent 
nuire à l'État, quand ils le veulent, ce n'est pas 
Euxénippe, non plus qu'aucun de ceux qui nous 
jugent. Et Ton ne peut pas dire que, si je te con- 
seille d'agir ainsi, on m'ait vu moi-même, dans ma 
carrière politique, agir autrement. Le fait est que 
jamais de la vie je n'ai cité en justice un simple 
citoyen tandis qu'à plus d'un j'ai déjà prêté assis- 
tance dans la mesure de mes moyens. 

Quels sont donc les hommes que j'ai accusés et 
fait* comparaître devant les juges? Aristophon 
d'Azénia, dont le rôle fut considérable dans l'État, 
et qui, dans ce même tribunal, n'échappa à la con- 
damnation que grâce à une majorité de deux voix; 
Diopithe de Sphèttos, qui passait pour être un de 
nos plus redoutables concitoyens; Philocrate d'Hag- 
nonte, qui montra en politique une audace et une 
impudence sans bornes. Contre celui-ci je déposai 
une eisangélie pour les services qu'il rendait à Phi- 
lippe au préjudice d'Athènes, et je le convainquis 
dans le tribunal : la plainte, conforme à la justice 
et à la loi, portait que « Philocrate, étant orateur, 
ne donnait pas les conseils les plus utiles au peuple 
athénien, parce qu'il recevait.de l'argent et des 
présents des ennemis d'Athènes ». Et je ne me 
contentai pas de cette fonnule générale de Teisan- 
gélie; j'ajoutai un peu plus loin : « Voici ce qu'il 
conseilla, contrairement à l'intérêt du peuple, parce 
qu'il avait reçu de l'argent », et au-dessous je citai 
son décret; puis encore : « Autre conseil donné par 



196 HYPÉRIDE. 

lui contrairement à l'intérêt du peuple, parce qu'il 
avait reçu de l'argent », et je citai un second décn»!. 
Et je recommençai cinq ou six fois, persuadé que la 
procédure comme la sentence devaient être con- 
formes à la légalité. Mais toi, qui accuses Euxénippe 
d'avoir donné des conseils contraires à Tintérél do 
peuple, tu n'as pu en citer un seul dans ton eisan- 
gélie ; et tu le mets en jugement, lui qui n'est qu un 
simple particulier, comme s'il figurait au nombre 
des orateurs. 

[Au rieu de s'en tenir au texte de la loi, Polyeuclt 
dirige contre Eûxé nippe des accusations étrangères au 
procès, S 31.] 



III 

Insinuations de Polyeucte relatives à la fortune 
d'Euxénippe. Courte péroraison. 

{§§ 32-41) 

Mais de tout ce que contenait ton discours, voici cr- 
qui m'a paru le plus odieux : c'est quand, avec un<* 
arrière-pensée que tu croyais dissimuler, mais qui 
était fort claire, tu répétais plusieurs fois, hors d** 
propos, dans le cours de ta harangue, qu'Euxénipp** 
était riche, pour ajouter peu après qu'il avait 
acquis ces grandes richesses par des moyens mal- 
honnêtes. Et d'abord il n'importe à aucun degrv. en 
cette affaire, de savoir si Euxénippe possède beau- 
coup ou peu de fortune. Ensuite il y a là, de la part 
de l'orateur, une singulière méchanceté, et. A 
l'égard des juges,un injurieux soupçon, comme >'il- 
étaient capables d'arrt^ter leur esprit à toute autp 



POUR ELTXÊNiPPE (111, g$ 30 ; 32-35). 197 

chose qu'à la question même, qui est celle-ci : 
rnccusé a-t-il, oui ou non, des torts envers vous? 

Vous me paraisse/, mal savoir, Polyeucte, el toi et 
lous ceux qui iiartagent ta manière de voir, qu'il 
n'y a pas, dans le moude entier, une seule répu- 
blique, un seul souverain, un seul peuple qui soit 
plus magnanime que le peuple athénien. Voit-il des 
citoyens, seuls ou réunis, en butte aux attaques des 
sycophantesîloinde les abandonner, il leur vient en 
aide. Ainsi, pour citer un premier exemple, Tisia 
d'AgrylÈ avait diïnoncé comme appartenant à l'État 
la fortune d'Euthycrate, qui élait de plus de 
soixante talents; et, après celle-là, il se déclarait 
pr&t à en dénoncer une autre, celle de Philippe et 
de Nansiclës, qui s'r^taient enrichis, disait-il, du 
produit de mines exploitées sans décliiration. Mais 
le tribunal se montra si peu disposé à accueillir 
cette dénonciation et à convoiter le bien d'autrui, 
qu'il frappa aussitôt d'atimie', en lui refusant la 
cinquième partie des suffrages, le sycophante qui 
avait tenté une pareille manœuvre. 

Et, dis-moi, cette autre sentence rendue naguère 
par les juges — elle est du mois dernier — ne 
mérite-t-elle pas de grands éloges? Lysandre avait 
dénoncé la mine d'Èpicratrs de Pallène, en allé- 
guant que celui-ci, pour l'exploiter, empiétait sur la 
concession voisine. Il y avait trois ans déjà qu'Épi- 
cratès y faisait travailler, et ses associés étaient 
peut-être les plus riches d'Athènes. Lysandre pro- 
mettait de faire gagner à la ville trois cents talents 
— c'était, d'après lui, ce que rapportait la mine; — 

1, Volrp, 136, u. ]. 



"lis^-^rr. m^ ^ir-oirar ir^it!:TLç»îs i* c* qui élail 
1^-. .- ^r---!ir rm- a mue i.7T.Lr:*si;t bien aux 
^1. -f- — — -= . ^ j: -htt ' «r-. j^Tz xiriz.:;r^?iiî à la fois la 
z r=r-=i a. ^'- ffîiTr Ji^tîLs-iTjLk :î?L_:* d-*reiploî talion. 
-T— ^ î-r : iii -^iMfls aiTOT^fZ»*?- ai^nère délaissée> 
1 iT i-iiiLi'-. T-of— ril**^ 3iiL jL-iiz.: rQ pleine actiflt»^, 
r- xi "ili- ^ 'i:: r n!:r-irz« leîr-T^ans qu'elle en tin*. 
;£^:^î^ :t*^. l~l :^CL^^•iz:»^, L< riaient di mina es par 
Lt^ imj^iz^ riL ^zaLT.Li-ta: !* j-euple et dépouil- 
.it^-tns -rîî? ^c-C.jL»t- Lir^^ -ïe ces mines. (Test qu'en 
-^'"i. ,i-£--ï- > ':*:' :;::yen n'est pas celui qui, pour 
ZJL zijz.:e 2»rz.^±:-^ q^i'il pr»>cure à la communaulé. 
.!_ lu: p«rrlr» zl^is quil ne lui donne, et qui, 
-«:"ir i iTin:,»^** immrdiat d'un gain injustement 
p-r:-^. tarit la s*;-urce de ses reTenus légitimes: 
D^a. c'est l'homme qui se préoccupe aussi pour 
i'aTer*îr des intérêts de la cité, celui qui a souci de 
la concorde des citoyens et de votre réputation. 
Kaîs il est des gens qui s'inquiètent fort peu d>* 
tout cela : ils dépouillent ceux qui travaillent, ei 
prétendent enrichir d'autant TÉtat, alors qu'ils lap- 
pauvrissent. Si, en cITet, on ne peut plus, sau> 
péril, ni acquérir, ni épargner, qui en voudra 
courir le risque? 

Pcut-<^tre n'est-il pas facile d'empêcher ces syci.»- 
plwmlcs de faire leur métier. Mais vous, juges. 
qui iwoi déjù sauvé tant de citoyens injustement 
uroust^s, viMior. de même en aide à Euxénippe; n»* 
r(Uwnuh>unox p«s, aloi^ qu'il est poursuivi pour un»- 
onu^o rtussi futile ol par la procédure d'une eisan- 
lî»Mi<\ qui uon soulomeul ne lui est pas applicabl** 
ou I\mU iux'^i> qui o$l, ou principe, illégale, et qui. 



POUR ErxÉMppE (m, g^ 3641), IDU 

de plus, se trouve en quelcpie sorte dtlruite pur 
l'accusaleur lui-mSine. Polyeucte, en effet, accuse 
Euxénippe u de n'avoir pas tenu le langage le plus 
conforme aux intÉrf^ts du peuple athénien, s'élant 
laissé corrompre par l'argent et par les présents 
des ennemis d'Athènes ". Or, s'il eût désigné hors 
<3.e la ville, quelques hommes dont Euxénippeauruit 
reru les présenta pour servir leurs intérêts, on eût 
c-ompns qu il voua dit Les coupables sont trop 
lun poui i|ue le ehJtiment puisse les attemdre; il 
faut donc punir ceux qui se font ici leurs instru- 
ments Mais non Ce sont dit il des Athéniens 
c[ui ont COI rompu Enxéuippe par des présents. » Eh 
quoi' ajdut sous la mou dans cette iilte les 
ennemis du peuplu lu ne les fais pas cliitier, mais 
L est à Euîtenippe )ue tu t en piends' 

Quelques mots encore sur le vote que vous allez 
émettre, et je descends de la tribune. Au moment de 
vous prononcer, ordonnez, juges, au greffier de vous 
lire et le texte de son eisangélie et la loi qui régit 
i?ette procédure, ainsi que le serment des liéliastes. 
Oubliez alors tout ce que nous avons pu dire les 
uns et les autres ; voyez seulement, d'après i'eisan- 
gélie même et d'après la loi, ce qui vous semble 
juste et conforme à votre serment et proclameï-le 
par Totre vote. 

J'ai fait pour toi ce que j'ai pu, Euxénippe. Il te 
reste à implorer les juges, à appeler tes amis, h 
faire monter ici les enfants. 



CONTRE ATHÉNOGÈNE 



Ce plaidoyer a été relrouvé, il y a dix ans eovip'n. 
en Egypte, sur un papyrus k peu près complet. Il vUi' 
auparavant impossible de se faire une idée de f' 
qu'avait été Hypéride comme logographe. Les sntîen- 
citaient, contme ses chefs-d' œuvre en ce genre, se$ dis- 
cours pour Phryné et contre AthénogÈne. L'Égjr'' 
nous rendra peut-être aussi le premier. 

Un mélÈque, c'esl-à-dire un étranger (tomictlié i 
Athènes, nommé Alliénogène, possédait trois l>oulïqiit- 
de parfumerie gérées par des esclaves & lui. Celait •'•■ 
que nous appellerions un homme d'afTaires (àyopiia;''. '' 
par-dessus le marché un logographe '. On sail que '■ 
métier n'était pas toujours fort honorable, et qu'une 
rencontrait beaucoup d'étrangers el beaucoup de fi- 
peu recommandables. Alhénogène était évidemment'!' 
ceux-ci. A la létc d'une de ses boutiques était un esrli> 
nommé Midas, pÈre de deux enfants. Un bon bour^eoi-. 
nommé Ëpicratës, se prit de la plus vive alTeclion poii: 
l'un d'eux, el, aiin de pouvoir se l'attacher, offrit •■ 

rapha 



CONTRE ATETÉNOGÈNE (v). 201 

AlhénogÈne (le lui payer son afTpanclnsseiiient. L'aulrc 
nairi une bonne airaire et refusa. Les dÉsira du 
bonliommo n'en devinrent que plus violenta : il oITril 
davantage. Alhénogène refusa encore, mais cependant 
. il dépêchait secrèteraenlàEpicratès une retnme, Antigona, 
' peut-être sa maîtresse, en tout cas aussi Tourbe que lui, 
~ et qui avait Tait el Taisait encore les plus vilains métiers- 
La rusée amena ÉpicralÈs à des offres magnifiques ; il 
ronaentil A payer l'affranchissement de Midas et de ses 
' deux (Ils. Mais cela ne surfisait pas encore. Au momeni 
I de conclure l'allkire, AthénogÈne feignit de se raviser 
' dans l'intérêt d'Épieratts, et au lieu d'afi'ranchir ses 
esclaves en sa faveur, moyennant linance,illes lui vendit'. 
Il semble même — bien que les savants ne soient pas 
d'accord sur ce point — qu'il lui vendit le fonds de bou- 
tique en sus. Dans le contrat, prêt d'avance et signé séance 
tenante, il avait inséré qne ses esclaves avaient quelques 
petites dettes, qui incomberaient naturellement à l'ache- 
I leur. Au bout de quelque temps, Épicratès s'apergut 
que ces dettes montaient fort haut, que des sociétés 
' avaient plaué dans la boutique des sommes qu'il fallait 
leur rendre. Bref, pour quarante mines, il avait acheté 
cinq talents de dettes. Il essaya de faire annuler le con- 
trat : c'est le sujet du procès. 

Épicratês, peu capable de lutter seul contre Athéno- 
gène, fourbe et habile logographe, s'adressa A plus 
' habite que loi encore el alla chercher Hypéride. L'affaire 
était difllcile h plaider. La loi était formelle : tout con- 
trat régulier est exécutoire; c'était à Epicratësà prendre 



202 HVPÉRIDE. 

BTpéride s*est acquitté de sa tâche a^ec une verve 
qui a été pour nous une révélation. Il ne manque pa« 
de tableaux de mœurs dans les plaidoyers anciens : on 
a pu en lire plus haut tirés de ceux de Lysias; il n'en 
existe pas de plus vivant. La crédulité du bonhomme. 
qu*une seule passion domine, et qui mord si bien aui 
appâts des deux compères, est rendue avec une nalyetc 
extrêmement habile. Les juges durent se moquer d*Êpi- 
cratès, mais avoir pitié de lui. Il n*y a pas lieu de faire 
ici une analyse du plaidoyer : nous en avons extrait le< 
récits les plus piquants, ne laissant de côté que deux 
ou trois passages où Hypéride s'eflbrce de donner le 
change aux juges sur le point de droit, en assimilant 
des cas fort di(Térents. La langue y est partout si claire^ 
si naturelle, le ton y est si enjoué, la narration si amu- 
sante, qu'on lira sans* peine ces pages tant goûtées de^ 
anciens, et dont de longues années d*admiration D*oot 
pas gâté pour nous la fraîcheur. 

Les indications manquent pour dater ce discours 
avec précision : on voit seulement par l'un des derniers 
paragraphes (S 32) qu'il est postérieur à 330. 



I 
Exposé des faits. 

(.^ 1-12) 

I^a première partie de cet exposé est malheureusement 
perdue ainsi que l'exorde. Le papyrus commence avec le 
morceau cilé ici. 

... Quand je lui eus dit ce qui en était, qu'Ath»**- 
uo^t^no so montrait intraitable avec moi, etqu*il n*' 
voulait mo (ixxvo aucune concession raisonnable', 
ollo me rt^pondit qu'il ctait toujours ainsi, mai' 
qu'il no fallait pas me décourager, car elle me sou- 
tioudiait olle>uuMue de tout point. Et tout en par- 




CONTRE ATIEESOCÈNE [V, % 1-4). 203 

mt ainsi, elle prenait l'air le plus sérieux ilu 
Boonde, jurant ses grands dieux que ce qu'elle en 
disait, c'était pur bienveillance pour moi, el en 
kmte sincérité; si bien, juges — car il faut dire 
la vériti!, — que je m'y laissai prendre. Tant il 
lemble que l'amour chasse le naturel de l'hnmrae, 
quand il prend pour auxiliaire la méchanceté d'une 
remme! Le fait est que celle-là, avec tous ses arti- 
fices, trouva encore à gratter pour elle, afin de se 
|pa.ver une petite servante, une somme de trois 
< cents drachmes en reconnaissance de ses bons 
> offices. Peut-être après tout, juges, n'y a-l-il rien 
d'étonnant à ce que je me sois ainsi laissé mener 
comme un enfant par Antigona *'?.... Eh bien, la 
femme qui à elle seule se tirait de telles intrigues, 
que pensez-vous qu'elle puisse faire aujourd'hui, 
quand elle s'est assuré le concours d'ALhiinogéne, 
un logûgraphe, un homme d'affaires et, ce qu'il 
y a de mieux, un Égyptien? Enfin, pour être 
bref, elle me fit encore revenir une autre fois, et 
' me dit qu'après avoir dépensé beaucoup d'élo- 
I quence auprès d'Athénogtne, elle l'avait i grand'- 
peine persuadé d'alfrancliir ù, mes frais Midas et ses 
deux lils, moyennant quarante mines, me conseil- 
lant de fournir la somme au plus vile , avant 
qn'Athénogène se ravisût. Je ramassai donc de 
■ l'argent de tous côtés, j'ennuyai mes amis, et, les 
quarante mines déposées à la banque, je tus cheï 
Antigona. 
Alors elle nous réunit, Athénogène et moi, nous 

, 1. Uy|i«ridc rapportslt ici qUDiqn'un des cxiiloilE rt'AjitigoDa. 

Mils le pas«ago ost madu ï |>eu pr6a îiimlcUigiblo par lei 
lacunes du impyms. 



204 HYPÉRIDE. 

fit faire la paix, et nous engagea à vivre en bon> 
termes à l'avenir. Je lui répondis que pour ma par', 
je le voulais bien, et Athénogène ici présent, piq- 
uant la parole, déclara que je devais être recon- 
naissant à Antigona de ce qui s'était fait. « Mainl'»- 
nant, ajouta-t-il, je vais par complaisance pour 
elle, te montrer tous les avantages que j'entends l- 
faire. Tu venais verser ton argent pour Ig. liberté J»- 
Midas et de ses enfants : moi, je te les vends par un 
contrat en bonne et due forme, afin que, d'un» 
part, personne ne puisse ni chercher misère .i 
Midas ni le corrompre et que, d'autre part, h 
crainte que tu leur inspireras les empêche de v 
mal conduire. Voici enfin le plus avantageux : 
actuellement ils auraient l'air de me devoir i»'ur 
liberté; si, au contraire, après les avoir achetés p^: 
un contrat en règle, tu veux, plus tard, quand loi 
te semblera, les affranchir, ils te devront doul»- 
reconnaissance. Ils ont seulement quelques dette?: 
le prix de certains parfums à l'avoir de Pankalo-j • 
de Proclès, et peut-être aussi diverses soinm<^ 
déposées à la parfumerie, comme il arrive, par l» 
ou tel client : c'est toi, ajouta-t-il, qui prendras **<•■' 
à ta charge. C'est d'ailleurs fort peu de chose, «'l i. 
y a, dans le magasin, des marchandises pour uu- 
somme bien supérieure : de l'huile paiTumée, J»" 
alabastres, de la myrrhe — il disait encore Je ne si * 
quels autres noms, — qui acquitteront facilemtn' 
toutes ces detles. » 

C'est là, à ce qu'il paraît, juges, qu'était le pi»-- 
et la grande tromperie. En effet, en versant ranreii. 
pour leur mise en liberté, je ne perdais que ce qQ' 
je lui donnais, sans qu'il m'arrivât rien de fâcheux. 



Ë (V, ^g 5-10}. 205 

niais, si je les achetais par contrat régulier, après 
in'être engagé à endosser le passif, que je regar- 
dais, faute de prévoyance, comme peu important, 
il se réservait de lancer contre moi par la suite, 
■ fnand je serais pris dans le traité, les créanciers et 
les bailleurs de fonds. C'est bien ce qu'il fit, A peine, 
PU effet, avais-je déclan^ souscrire à sa proposition, 
nue, prenant sur ses genous une pièce écrite à 
l'avance, il se mit à la lire. C'étaient des conventions 
à passer avec moi; tandis qu'il en donnait lecture, 
je prêtais bien l'oreille, mais j'étais tout occupé d'en 
finir avec l'affaire qui m'avait amené. Lui, sans plus 
attendre, sans même sortir de la maison, il met le 
roulrat sous scellés, pour éviter que quelqu'un de 
sensé n'en connût la teneur. Il avait fait signer 
avec moi Nikon de Képhisia. Après être passés à la 
parfumerie, nous allons déposer la pièce chei Lysi- 
clès de Leuconoé; moi je verse les quarante mines, 
et conclus le marché. La chose faile le vis arriver 
les créanciers à qui l'on devait chez Midas, ainsi 
que les bailleurs de fonds. Nous nous eïphquons 
ensemble, et en trois mois, tout le passif était 
dévoilé. Avec les cotisations déposées, cela faisait, 
ainsi que je le disais tout k 1 heuie, une somme de 
près de cinq talents. 

Quand je compris tout mon malheui, je me hJtai 
de rassembler mes amis et mes piotîies, et nous 
lûmes In copie des conventions On j liouvait 
expressément inscrits les noms de Pankalos et de 
Polyclès', ainsi que la mention de la somme qui 

nom do Proi^lts. l.o CQi>btu a dil eommutlra UDi erreur isD? ] nn 
des deui passages. 



206 HYPÉRIDE. 

leur était due pour l'huile parfumée. C'était peu il«* 
chose, et mes deux compères pouvaient dire" qu»^ 
Thuile du magasin représentait une valeur équiva- 
lente à cette somme. La plupart des dettes, au con- 
traire, et les plus importantes, n'étaient pas men- 
tionnées nominativement ; on avait seulement 
ajouté en appendice, comme s'il ne s'agissait d<* 
rien : « et tout ce qui peut être dû par Midas. ■ 
Pour les fonds de cotisation, un seul dépôt, dont 
il restait encore trois versements à faire, au compt»* 
de Dicéocratès; quant aux autres, dont Midas avait 
reçu le total et qui avaient été versés récemment. 
Athénogène ne les avait pas mentionnés dans lf> 
conventions, et les avait passés sous silence. 

On se consulta, et l'on résolut d'aller trouv»»r 
l'homme que vous voyez, et d'entrer en pourparlers. 
Nous le rencontrons devant les parfumeries, et now* 
lui demandons s'il n'avait pas honte de mentir, etil«* 
nous avoir tendu un piège dans ses conventions, en 
ne nous prévenant point des dettes. Il nous répondit 
qu'il ne connaissait point les dettes dont nous par- 
lions, qu'il ne nous écoutait point, et qu'il avait, à 
ce sujet, un acte en forme avec moi. Gomme la di>- 
cussion avait lieu dans l'Agora, beaucoup de gen^ 
s'assemblaient et écoutaient l'affaire, menaçant 
d'écharper mon individu, et nous engageant à Tai^ 
préhender comme un traitant d'esclaves. Mais nim-» 
ne crûmes point devoir agir ainsi, et nous le ciidrot - 
devant vous conformément à la loi. On va don- 
d'abord vous lire ces conventions : c'est IVcn* 
môme qui vous fera connaître la fraude. 

[Sans doute la loi oblige à observer les convenlioo* 
(69a ôcv ëtcpo; ixi^ta 6|i.oXoY'n^i) xûpia dvat). Mais elU 



CONTRE ATFIÉS-OGÈSE (V, §g 10-12; 19-20). 207 
n'enlend parler que des conventions justes. La preuve, 
(l'est qu'une loi enjoint i'[i£Uî£Ïv tv tj à-opi, une aiilre 
oblige (le (l*filarer les tares li'un esclave mis en venle. 
soiiB peine d'action rédhibiloire ; d'autres ne recon- 
naissent comme valables les conventions des Kancailles 
et des testaments que si elles sont justes el ont été 
obtenues sans pression. Ce n'est pas le cas ici ; les con- 
ventions sont injustes el ont été arrachées par la ruse 
d'Alhén<sèqe et d'Antigona, Sg 13-18.] 



I Fragment de l'argumentation. 

I (Ï,S \9--11> 

... Kt laiiJis que moi, qui n'aijamais rien entendu 
aux choses de l'Agora, j'ai pu, sans me remuer, 
connaître dans l'espace de trois mois, toutes les 
dettes et tous les dépôts, lui, flls et peliL-flis de par- 
fumeurs, qui passe dans l'Agora tous les jours que 
Dieu fait, qui possède trois boutiques de parfumerie, 
et qui, chaque mois, recevait ses comptes, il ignorait 
les dettes! Ainsi, dans les autres alTaires, ce n'était 
pas le premier venu, et, avec son propre esclave, le 
voilà devenu à ce point naïf! 11 connaissait, à ce 
qu'il paraît, quelques-unes des dettes, et il dit ignorer 
les autres — toutes celles qu'il trouve bon d'ignorer. 

Tenirun tel langage, juges, ce n'est pas se défendre 
c'estavouerquejen'ai pasi acquitter les dettes. Car 
s'il prétend qu'il n'était pas au courant de toutes 
les sommes dues, il ne peut pas soutenir en même 
temps qu'il m'avait fait connaître le passif. Or, les 
dettes que je n'ai pas connues par le vendeur, ce 
n'est pas, en bonne justice, à moi de les payer. Mais 



TT 



208 HYPÉRIDE, 

la preuve, Athénogène, que tu savais que Midas 
devait ces sommes, elle ressort pour tous, à mon 
avis, de ce fait entre beaucoup d'autres, que tu 
avais demandé à Nicon de se porter garant pour 
moi. Tu savais que sans lui et à moi tout seul, j«- 
ne saurais suffire aux dettes contractées. 

Je n'insiste* pas cependant, et je veux entrer dan- 
ton raisonnement. Tu ignorais tout, tu ne savais ni 
qui avait déposé de l'argent, ni ce qui avait été dépos*'*, 
ni ce que représentait chacune des dettes prise à 
part. Soit, procédons de cette manière. Si c'est pai 
ignorance que tu ne m'as pas prévenu de toutes \v> 
dettes, et si moi, de mon côté, j'étais convaincu on 
concluant la convention , que celles que J'avais 
entendu énoncer étaient les seules, qui de nous deux 
doit payer? le dernier venu, l'acquéreur? ou bien 
l'autre, celui qui était propriétaire au moment iW 
l'emprunt? Eh bien, à mon avis, c'est loi. Et w 
maintenant il y a contestation ià-dessus, prenons 
pour arbitre la loi, la loi qui n'a été établie n: 
par des amoureux ni par des gens qui guet- 
taient le bien d'autrui, mais par Thomme le plu* 
dévoué au peuple, par Solon. Sachant qu'il v 
conclut beaucoup de marchés dans la ville, il - 
établi cette loi, juste aux yeux de tous, que tou- 
les dommages causés par des esclaves, les dépeus«'> 
faites par eux doivent être à la charge du maîlr- 
sous lequel l'esclave commet le délit. Et cela à bon 
droit. Si, en effet, un esclave fait quelque choso iU 
bien, s'il découvre quelque nouvelle industrie. !• 
profit on revient à son maître. Mais toi, tu lais*»"' 
là la loi, et tu disputes sur des conventions in^> 
dieusement faites. Solon estime qu'un décret, menir 



CIINTRE ATIÎÉNOCÈNE (V, % 20-22). 209 

' juste, ne sauiail: prévaloir contre autune loi, et lu 
;, toi, qu'une convention injuste doit avoir plus 
r que toutes les lois. 

[Dans la Buile du plaidoyer, Ëpicratès explique à iiu 
veau comment il Tut amené par ÂlhénogËne k prendr 
otilre l'enfant, le Trëre, le père et le fonds de commerc 
Le reste est fort mutilé, sauf -un passage où, seU 
l'habitude, le plaideur incrimine toute la vie privée 
publique de son adversaire, citant surtout sa lâcheté 
sa fuite àTrézène lora de la bataille de Chéronée. 11 i 
reste plus grand'choae de la péroraison.] 



ORAISON FUNEBRE 

(VI) 



ARGUMENT 

L"EiriTàçio; Xoyoç d*Hypéride, retrouvé sur un pap>ru>. 
il y a une cinquantaine d'années, est pour nous d'un 
intérêt très particulier, parce que c'est le seul spé- 
cimen authentique d'un genre très florissant daDS ii 
Grèce classique. L'oraison funèbre de Gorgias est un 
exercice d'école; celle de Thucydide, si belle, n-* 
reproduit pas exactement les paroles de Périclès: cell« 
de Lysias et celle de Démosthène sont faussement atlr - 
buées à ces auteurs, et n'ont jamais été prononcée»; I' 
Ménexène de Platon est une piquante raillerie du genn-- 
Seule l'oraison funèbre d'Hypéride a été reelIemei'J 
prononcée, et dans une circonstance critique de l'hiv 
toire d'Athènes. 

Autrefois, le chef des familles faisait après chaqu> 
campagne l'éloge de ses parents morts. Puis il y eu!, 
dans les cités, des poètes officiels chargés de ce soin. A 
Athènes la poésie fît bientôt place à l'éloquence. Seul 
entre toutes les villes grecques, elle institua de brillani^^ 
cérémonies pour honorer ses morts. Après toutes U« 
guerres, on réunissait dans dix larges bières les reàt»»- 
des membres des dix tribus que l'on a>»ait pu retrouver, 
et l'on ajoutait une onzième bière vide pour les dis- 
parus. Les funérailles se faisaient magnifiques, a> 
milieu d'un grand concours de peuple, et un orat«>ir. 
choisi officiellement, faisait l'éloge des morts. Toutefois. 
vers le iv* siècle, la solennité eut lieu tous les ans, qu'i 
y eût eu campagne ou non, et il fallut, tous les an-. 



ORAISON FUNEDHE (Vl). 2H 

e oraison fun&bre. Lu genre devint mpiite- 
nenl faux et hanai, la forme conventionnelle. Mais, en 
llne circonstance spéciale, un grand orateur pouvait 
Kp*!ndant trouver des accents nouveaux. 
, C'est ce qui arriva à Hypéride. Il fui urateur désigné 
rannée où AthËnes avait fait un suprême elTort pour son 
Indpl tp llbtdl(>È I éd 

I t L m q (323) t q tl g f t 

Id ImtdlGè tllm 

1 mt^d llgdpqttl 

Alpt pËlm dÂlxad 
I g p 1 ta l q Lé liË 1 Vlhé f t 

I 1 m Ih m t dë=ag gé t if bl i è sa 

C t lél g d L th t 1 PB 

f p H)p d t 1 ditf d 

A t ph i t 1 t [ p IX mp à AthÈ ( 
t g ri, dig d 11 d 

K Méd q q 1 t 1 d l Alhè 



11) pé d 


h f I 


ém th d 


P l 




ra é 




ft gl 


d 11 


1 là 


1 


K 


d imd ( 1 d 


f 


tb 




l 






1 t 


pa t 




II 


T t 


mp 1 1 




*8 




rs d 


f m t è 

rn gu 


hât é t p 


q 




cabi 


1 m d 






II É 


ùl II f It q 


1 


l 


l 


bl 


1 t 


11 


l m t d 


t 


é 


li 




d Ih 


t FI 


d 


d 




H pë I 


q Iq 


fr d q 


Ici 


P 


édé 


d 




déj 

bl ra l 


d 


gérai 


é 


ra g 1 


1 B 






g l 


q 1 q 


t 


gé 


tq 


èl 


t liÈ 


l d 


t b II 


L 


1 


d 1 


Hé 


Il t 1 


p d q 


Iq 


es m 




mb t 


1 


p d ca 


d\ t 


pal 


t d 


i sa co g 




p 1 


BÈ 


lé 


mhé d 


r\ 1 d 


m Iti 




(1 





212 HYPÉRIDE. 

I 

Éloge de Léostliène et de ses soldats. 

(§§ 6-16) 

[Exoi*de sur la difficulté du sujet : les oublis df 
Torateur seront réparés par la mémoire des auditeurs. 
Plan : éloge de la cité, des morts, de leur chef Léo*- 
tbène. Mais Téloge de la cité serait trop long à faire en 
détail ; après quelques généralités, Torateur passe à celai 
des guerriers morts, §S 1-5.J 

Mais je ne veux, comme je Tai annoncé, rien dit' 
de ce qui est l'œuvre commune de la cité ; je par- 
lerai seulement de Léosthène et des autres. Par 
où cependant commencer? Et que rappelle rai-j»* 
d'abord? Dois-je faire la généalogie de chacun d'eux* 
Ce serait, j'imagine, montrer quelque naïveté. Ab' 
s'il s'agissait de louer un autre peuple, formé «i» 
colons qui se fussent rassemblés de divers puin*> 
pour habiter une seule ville, où ils auraient apport» 
chacun leur nationalité distincte, il faudrait biti. 
remonter à chacune de ces origines : maïs, lt»r^ 
qu'on parle d'Athéniens, qui doivent à leur comnjun • 
origine d'autochtones une noblesse incomparab!» . 
ce serait, à mon avis, chose superflue que de fair 
successivement pour chacun d'eux en parUculi»: 
l'éloge de sa race. Parlerai-je de leur éducation* 
Dirai-je qu'ils ont été dès leur enfance nourr** 
et élevés dans des sentiments de haute modération •■' 
qu'ils ont reçu l'éducation que nous avons coutuiu' 
de donner? Mais vous le savez tous, je suppi»**'. 
si l'on élève ainsi les enfants, c>st pour qu'il* 



lIRAlSItN FUNtllRE (V[, gg 6-13). 213 

iloviennent des hommes de tŒur. Goux doDC qui, à 
r<\ge d'hommes, ont Tait preuve dans les combats 
d'une rare vaillance, ne montrent-ils pas par là 
nn^iTie qu'ds ont reçu dans leur enfance une édu- 
calion irréprochable? 

Le plus simple est, à ce qu'il me semlile, iIp vous 
rappeler combien, en cette guerre, ils ont déployé 
de bravoure, et tout ce que leur doit, non seulement 
Ifur pairie, mais encore l'Hellade entière. Je com- 
meucerai par te générai, et c'est justice. VoyanI la 
Gi'Lxc entière abaissée, tremblante, perdue par tes 
I Irailres qui vendaient leurs pairies à Philippe et à 
Alexandre, comme il fallait i Athènes un homme 
i-t à la Grèce une ville qui pût se mettre à la télé 
du mouvement, Léoslhène s'est donné à sa patrie 
!■[ a donné sa patrie à la Grèce pour marcher à la 
liberté. Déjà chef d'un corps de mercenaires qu'il 
avait réunis, mis à la tête des forces d'Athènes, les 
premiers ennemis de l'indépendance hellénique qui 
s'offrirent à lui, Béotiens, Macédoniens, Eubéens, 
ainsi que leurs autres alliés, il leur livra bataille 
1^1 les vainquit en Béotie. Do là il marcha sur les 
Thrrmopyles, s'empara des passages par où les 
llnrbares avaient jadis pénétré en Grève, arrêta 
ainsi la marche d'Antipater, le surprit lui-même 
dans ces parages, le battît, et l'enferma dans 
Lamia, dont il lit le siège. Thessaliens, Phocidiens, 
(Bioliens, et tous les peuples de cette contrée 
'devinrent ses auxiliaires : et les hommes, dont la 
jsoumîssioQ forcée faisait la gloire de Philippe et 
i d'Alexandre, acceptèrent de leur plein gré le cora- 
I. mandement de Léosthène. Il réussit en ce qui dépen- 
Ijluit de sa volonlé : mais il n'était pas en son pou- 



"** HTPÉRIDE. 

voir de triompher du destin. Aussi faut-il lui sav. , 
gré. non seulement de ce quU a fait Ini-inrm.. 
mais de Iheureux comiat qui suivit sa mort et J- 
autres succès obtenus par les Grecs dans frit. 
expédition : car cest sur les fondements posés pi: 
Leosthène que nous élevons aujourd'hui lédifitv i- 
1 avenir. 

Et qu'on ne m'accuse pas d'oublier les auli - 
citoyens, de navoir d'éloges que poui- Léoslhtn. 
le louer pour ses combats, c'est louer tous les aut^^ 
avec lui. Le mérite de concevoir un beau plan :■ 
bataille appartient au général, et celui de vaina 
en combattant, aux braves qui payent résolumtn 
de leurs personnes : en sorte que célébrer not, 
victoire, c'est rendre hommage en même leni;- 
qu au commandement de Leosthène à la vaillani 
de ses soldats. Et qui donc ne louerait justemeni I • 
citoyens morts dans cette campagne, donnant 1- ••: 
vie pour affranchir les Grecs, persuadés qu'il* • 
pouvaient mieux attester aux yeux de tous le-:: 
volonté de rendre à la Grèce son indépendant-, 
que s ils mouraient en combattant pour elle? 

nJn!'',"* *'!*""^"*® leur gloire, c'est qu'ils onlcomt^t 

(es colères d'Alexandre, qui étaient de nature i i - 
décourager. Quant au combat des Thermoprles. il ri. • 
nisera leur mémoire : deux fois par an, en se rtun ^ 
sant en cet endroit, les Amphictyons se souviendra' 
IX eux. Sans eux, la terre entière obéissait fe un *• 
maître, et on peut juger de ce qui serait «rriré mi • 
f-lT," ? .""' ''°". • "^^J* "«* insolences des S^A ■ 

" ne^Iiv niîé'tr' '""/•" *"*"«''*'' personne fS^ 
ï"n-8o'"'"- *' *<>* <lomestique8 comme desl h«f>« 



*>m 



Ldeur du but pouratdvi par Léosthëue 
} soldats. Félicité qui tes attend. 

i expâdition ne mit JELmais plus en lumière 

-ci le courage de ceux qui y prirent part ; 

K's6 mettre en bataille chaque jour et livrer ^ 

I celle seule rampagne plus de combats que- ' 

ont jamais livrt^ toug les combattants dee i 

isfl passés; il fallut opposeï' à la rigueur des 

à tant et k de si ci-uelles privations suppor- 

Shaquo jour, uue si Énergique ri^sistance que 

ue fi la rendre 1 Mats le chef, Léos- 

j ijui a dÉtermini^ ses concitoyens à soutenir 

Lfaiblesse de telles épreuves, et les hommes qui 

^Rt généreusement offerts pour seconder un tel 

e devons-nous pas les trouver plus heu- 

|t. d'avoir montré tant de courage que malheureux 

7 perdu la vie, puisque, au prix d'un corps 

Issable, ils out acquis une gloire immortelle, et 

^3 ont affermi, chacun par sa valeur, l'iiidépen- 

e commune des Hellènes?... Il faut, en effet, que | 

t dépende non des menaces d'un homme ' 

1 voix seule de la loi; que des fîmes libres 

Kutent, non l'accusation devant les tribunaux 

B les reproches de la conscience publique; (ju^ 

iirité des citoyens repose, non sur ceux qui 

aient les citoyens et llattent les puissants, 

S sur la conflance que les lois inspirent. Voilà 

quels biana ces hommes, aêéopt ' 



^^s^ 



216 HYPÉRIDE. 

épreuves sur épreuves, et, par le péril d'un jour, 
affranchissant à jamais des craintes de l'avenir leur 
patrie et la Grèce, ont donné leur vie pour que 
nous vivions avec honneur. 

Par eux, leurs pères sont comblés de gloire, leurs 
mères attirent les regards de la foule, leurs sœurs 
trouvent ou trouveront, sous la protection des lois, 
des unions honorables, leurs fils auront pour ria- 
tique et comme titre à la bienveillance du peuple la 
vertu de ces héros qui, je ne dirai pas, sont moris 
— le mot ne convient pas à des braves qui 
renoncent à vivre pour atteindre un but si gK»- 
rieux — mais qui ont échangé la vie contre uno 
condition que rien ne leur ôtera. Si, en effet, la 
mort, qui pour les autres est si dure à supporter, 
a été pour eux le principe de grands biens, ne 
doit-on pas les estimer heureux et croire qu'ils ont, 
non pas cessé de vivre, mais obtenu plutôt une 
seconde naissance plus précieuse que la première"? 
Celle-ci n'avait fait d'eux que des enfants privés de 
raison : aujourd'hui ils sont nés à la gloire des 
hommes vaillants... En quel temps ne parlora-l-<>n 
pas de leur valeur? En quel lieu ne seront-ils pa^ 
un objet d'imitation et des plus glorieuses louanges*? 
Dans la prospérité publique? Mais ces biens, quiN 
nous auront procurés, à qui, si ce n'est à eux, vau- 
dront-ils les louanges et le souvenir d'Alhène^î'? 
Dans le bonheur de la vie privée? Mais c'est a eui 
que nous en devons la paisible jouissance. 



I 



r- 

I ORA 



0RA1I>0N reNÈHRE (VI 



Les exploits de Léosthëae et de ses soldats com- 
paras d Deux des héros lui les oat précédés. 

Demandons-nous maintenant quels sont ceux qui, 
dans les enfers, feront accueil à leur chef. Ne nous 
figurons-uons pas LéosthiVne reçu avec bienveillance 
et admiration par la foule des héros qui marchèrent 
contre Troie î Ses actions sont sœurs de leurs 
actions, et telle est même sa supériorité sur eux, 
que, tandis qu'avec les forces de toute la Grèce ils 
ont pris une seule ville, lui, avec sa patrie seule, il 
a humilié cette puissance qui commande à l'Europe 
et à l'Asie, C'est de l'injure d'une seule femme 
qu'ils furent les vengeurs; les outrages qu'il a 
enipêclits menaçaient toutes les Grecques. Il a 
repris l'œuvre de ces hommes qu'il retrouve aujour- 
d'hui dans la tombe et qui, venus après ces illustres 
guerriers, se sont montrés, par leurs exploits, dignes 
de leur vaillance; Je veux dire les compagnons de 
Milliade et de Théniistocle, tous ceux qui, en déli- 
vrant la Grèce, ont rendu leur patrie glorieuse et - 
leur propre vie illustre? Mais combien il les a 
surpassés en courage et en prudence I Ils avaient 
repoussé l'invasion des Barbares, il l'a prévenue. 
Ils avaient vu, sans trembler, l'ennemi porter les 
armes dans leur pairie; lui, il a vaincu ses adver- 
saires sur leur propre territoire. 

Je pense aussi que ces hommes qui affirmèrent 
avec tant de fermeté dans leur dévouement au 



i. 



218 HYPÉRIDE. 

peuple leur mutuelle affection, c'est Harmodîos et 
Aristogiton que je veux dire, ne se considèrent 
comme liés avec personne par des liens aussi éti*oil> 
qu'avec Léosthène et ses compagnons de lutte, »'î 
qu'il n'est personne dont ils aimeraient davan- 
tage à se rapprocher dans les enfers. Rien «lo- 
pins juste, en effet : car les actions que ceux-ri 
viennent d'accomplir ne sont pas inférieures aux 
leurs, elles sont même , s'il faut le dire, plu* 
grandes : ce ne sont pas seulement les tyrans de la 
patrie qu'ils ont renversés, ce sont les tyrans il»' 
toute la Grèce. quelle merveilleuse et incroyab!»* 
audace ont déployée ces hommes ! Quelle glorieux- 
et sublime résolution ils ont prise î 



IV 
Péroraison. 

(§§ 41-43) 

Cette péroraison, depuis longtemps célèbre, nous .\ 
été conservée par Stobée. 

Sans doute, il est difficile de consoler ceux «ju 
sont frappés de telles afflictions. Ni la raison ni U 
loi n'endorment les deuils, mais c'est le natur*'. 
de chacun et son affection pour le mort qui don- 
nent la mesure de son chagrin. Toutefois il fau' 
prendre courage, modérer sa douleur autant qu*t>: 
le peut, et penser non seulement à la mort de ceux 
qu*on a perdus, mais à la réputation d'honuft:: 
qu'ils laissent après eux. Leur sort est moins dign 
de regrets que leurs actions ne sont dignes il 



ORAISON FrsÈuriE (VI, §S 39-43). 219 

louanges. S'ils n'onl pas joui il'uiie vieillesse sujette 
à Itt mort ils ont acquis ute gloire qui ng vieillira 
jamais et le parfait touk ur Les uns sont morts 
sans postérité leur gloire répandue dans h Giece 
seia pour eu'î comme une immortelle famille Les 
a,utres cnt laissé des enfants la bienveillanre de 
la jatrie servira de tuti le et de giidieniie à ces 
orphelins En outre si mourir est la même ohose 
que n être ras ils sont délivres des nralndies des 
(. tiagrms et des autres misères qui fondent sur la 
V e humaine Si au contraire on consene dans les 
enfers le sentiment si 1 ation vigilante de la divi- 
nité sy exerce encoie et cest notre ciojance 
nous pomons nous dire que ceux qui ont défendu 
leurs honneurs profanés, trouvent auprès des dieus 
la plus grande sollicitude. 



TABLE DES MATIÈRES 



LTSIAS 

Son L'OUÏIKH (VII) I 

I. Exorde et exposé des raits(l-ll) 4 

li. Argumentation (vmsEjnblances et indices) 

(ia-2!i} 7 

CONTHB ËHilTOSTllËnE (XU) 13 

1. Exorde et exposé des faits (1-25) 16 

11. Réfulaiion : examen des • vraisemblances ■ 

(26-36) 32 

III. Argumentation • extra causam -. La poli- 

tique de ThéramËne (62-';g) 26 

IV. PëroraiBOD. Appel aux deux partis (92-100)... 31 
Pooii l'Isïalide (XXIV) 34 

POUB UN SUSPBCT (XXV) 15 

Fragment d'argumentalion (1-2'?) iS 

CONTIIE DlOOITON (XXXll) 56 

Exposé des faits (4-18) S9 

II 
ISOCSATE 

Panéotriouk (IV) 63 

I. Influence civilisatrice d'Athènes (19-50) 67 

11. Puissance militaire d'Athènes. Les guerres 

médiques (71-99) 76 



222 TABLE DES MATIERES. 

Aréopagitique (Vil) 86 

I. Nécessité de reviser la constitution (9-18).... 89 
II. La démocratie au temps de- Solon et de Clis- 

' thèrie (19-35) 92 

III. UAréopage, gardien de la démocratie (36-55). 98 

Sur l'Échange (XV) 105 

I. L'enseignement de la parole : sa méthode, 

son domaine (180-192) 109 

II. Eloge de la parole : principe sur lequel repose 

la Philosophie (251-257) 114 

III. Critique de l'Éristique : défînition précise de 

la Philosophie (261-271) 116 

IV. Comment l'étude de la parole peut devenir 

une Philosophie (274-290) 120 

TiupÉziTiQUE (XVII) 12r. 

Exorde et exposé des faits (1-23).. 127 

III 

ESGHINE 

Sur l'AiMBAssade (II) 13^ 

I. Récit de la première ambassade (20-24; 34-34). 140 
II. La famille d'Eschine. Réponse à quelques 

calomnies de Démosthène (146-152) I4t* 

III. Portrait de Démosthène (153-158) l.%2 

IV. Fragment de la péroraison (179-184) lôr» 

Contre Ctésiphon (111) tr»< 

I. Affaire d'Amphissa. Eschine pylagore (107- 

124) 1^ 

II. L'Alliance thébaine (132-158) 169 

III. La famille de Démosthène (168-176) ITv 

IV. Fragment de la péroraison (255-260) |83 

IV 
HTPËRIDE 

Pour Euxénippe (III) 1^; 

I. Exposé et discussion des faits (14-23) |9^ 

II. Procès politiques intentés par Hypéride (27- 

30) 1 19» 



TABLE DES MATIEBES, 223 

III. Insinuations de Polyeucte relalives à la for- 

tune d'Euxénippe. Courte péroraison (32-41). 196 

COKTRE AtHÉHOOÉSE (V) 200 

I. Exposé des faits (1-12) 202 

II. Fragment de l'argumentation (l9-2â} 201 

OhAIBOM FHNiBBÏ (VT) 210 

I. Ë10(!CdeLéoatliËneeldcsessoldals(S-ie)... 212 
11. Grandeur du but poursuivi par Léosthëne et 

ses soldats. Félicité gui les attend (23-30)... 215 
IH. Les exploits de Léosltiëne et de ses soldats 
comparés à ceux des héros qui les onl pré- 
cédés (35-40) an 

IV, Péroraison (il-l3) 218 



: P.UL BRODARD. - îll-9( 



^ 



90 



,A 25 



This book shoiQd be retumed to 
the Iiibrary on or before the last date 
stamped below. 

A fine of five cents a day is incnrred 
by retaining it beyond the speoified 
time. 

Flease retnm promptly. 



JAN24'S3H