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Full text of "Fables choisies mises en vers"

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atjhttp  :  //books  .  qooqle  .  corn/ 


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MISE  S^V&rv'E  RS, 

.    »   '       •       P    A    R 

Tde  la  fontaine.     1 

NOUVELLE     EDITION: 

Imprimée  fur  celle  4e  Paris  in  folio  <  avec 
les  Notes  de  Mr.  Coste,  qui  fervent 
à  expliquer  les  pafiàges  &  les  expres- 
lîons  moins  intelligibles  pour  la  Jeu, 
neflè. 

PREMIERE     PARTIE. 


C\fi&fi>F% 


à    l  e  i  n  Ey  : ..'  .;■;  - 
Chez   LUZAC    et  van  DAAÏME, 

uDccuirin 


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T»  WIW  YORK 
PUBLIC  IIBRARY 

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V     I     E 

DELA  FONTAINE. 

JL*e  rang  &  les  dignités  ont  fouvent  jette 
de  l'éclat  fur  de  petits  hommes  qui  poffë- 
doient  de  -grands  emplois.  Les  confeils 
qu'ils  reçoivent,  les  fecours  étrangers  qui 
leur  viennent,  le  bonheur  même  d'une 
infinité  de  hazards  ,  &  la  flaterie,  s'em- 
preflentde  déguifer  leur  jufte  valeur,  &  dé- 
lier leurs  aétions  aux  événemens  de  l'Hi-  ' 
ftoire  les  plus  remarquables.  -  C'efl:  ainffi 
que  leu*  nom  ,  foutenu  des  mains  de  la* 
fortune  &  décoré  d'une  gloire  qui  leur 
fut  abfoluffient  étrangère,  parvient  à  Ré- 
chapper de  l'oUbli.  _  Placés  ailleurs ,  dé- 
pouillés  de  leurs  titres  &  réduits  à  leurs 
propres  forces,1  ils  n'euflènt  peut-être  rieti- 
laifle  de  fingulier  après  eux  que  la  mémoire 
de  leur  parfaite  inutiljté.  x  Car  ni  Fimpor- 
tance  des  emplois,  ni  l'amas  des  circon- 
fiances  les  plus  bruyantes,  ne  nous  diftin- 
guent  point  parmi  -ceux  qui  penfent  &  qui 
feavent  juger.  Pour  bien  connoître  les 
homihes,  c'eft  dans  léuf  vie  privée,  dans 
lei1  Radiions  les  plus  fimples  &  les  plus . 
nati relies,  qu'il  fauches  prendre:  c'efl  \k 

*  .4 


iv      VIE  DE  LA  FONTAINE. 

<fu*îls  îl'orft  d'autres  titrés  pour  être' tirés 
de  la  foule,  que  leurs  vertus,  leurs  talens, 
&  leur  efprit.  C'efl  là,  c'eft  dans  leur 
ame  que  réfident  les  droits  légitimes  & 
perfonnels  qu'ils  ont  à  notre  eflime:  tout 
le  relie  n'eil  point  eux  ;  &  dans  ce  fens , 
il  n'efl.  point  de  légers  détails  qui  ne  Ycy,ent 
intérefîàns  &  qui  ne  cara&érifent  une  partie 
efïenticlle  de  ce  qu'ils  font.  C'efl  ce  qu'à 
reconnu  La  Fontaine  en  nous  donnant  la 
vie  d'Efope.  Je  ne  fçaurois  mieux' faire, 
en  .écrivant  la  fienne,  que  de  fuivre  fon 
exemple.  En  effet,  fouflraire  les  petites 
circonflances  de  la  vie  d'un  Homme  illu- 
ïlre  ,  c'ell  à  mon  avis  dérober  un  plaifir 
véritable  aux  Leéteurs  curieux,  &  les  pri- 
ver des  moyens  les  plus  furs  dç  bien  dé- 
mêler ce  qu'il  vaut.    - 

C'efl,  pourquoi  j'ai  tâché  *  en  rejettant 
toutes  puérilités ,  toutes  anecdotes  vulgai- 
res, de  recueillir  la  plupart  des  chofesque 
"ai  trouvées  éparfes  en  différentes  fources , 
&  qui  m'ont  paru  les  plus  propres  à  pein-  ' 
dre  l'efprit  &  le  çaraftere  de  ce  grand 
Homme,  dont  la  vie  fe  recontre  par-touc 
fans  être  nulle  part  (*}.  .... 

(*  )  J'emploie  ici  l'expreffion  dontfe  fervit  M.  l'Abbé 
d'Olive t ..  de  l' Acadéasie  FrançoHe  ,  lorsque  je  le  confultai 
fur  le  projet  de  donner  une  vie  de  La  Fontaine  ;  &  je 
m'en  fers  avec  d'autant  plus  de  rccornioiflance ,  qn'en 
ayant  lui -"même  compare*  une ,  très-  fuccinte,à  la  vérité  , 
donc  je  me  fuis  aidé  ,  fon  jugement  jû&i£e  la  hardiefle  £c 
k  n^ce&tti  de  mon  éntxcprû<v~ 


•VIE  DE  LA  FONTAINE,      v 

Jean  de  La  Fontaine  naquit  le  8.  Juillet 
1621  ,  \  Château -.Thierry,  ville  de  la 
Brie  fituée  fur  la  Marne.  Son  père  iffii 
d'une  ancienne  famille-  bourgeoife,  y  cfxer- 
çoit  4a  charge  de  Maître  particulier  des 
Eaux,  &  Forêts  ;  &  fa  mère ,  Françoife 
Piddux  ,  étoit  fille  du  Bailli  de  Coulom- 
miers,  petite  ville  à  13  lieues  de  Paris. 

Son  éducation  ne  fut  ni  brillante  ni 
fécondée  des  foins  &  de  l'habileté  qui  fonf 
naître  les  talens.  Mais  la  nature  préfcrva 
la  force  des  liens  de  FafFoibliflement ,  & 
peut-être  de  rextin&ion,  où  ils  auroient 
pu  tomber  par  l'incapacité  des  maîtres  de 
campagne,  qui- ne  lui  apprirent  qu'un  peu 
de  latin.  '  C'eft  tout  ce  qu'il  dût  aux  pre- 
mières inftructions  de  fa  jeuneflè. 

A  l'âge  de  dix-neuf  ans ,  il  voulut  entrer 
dans  l'Oratoire,  Ton- ne  fçait  trop  par  quel- 
le infpiration.  Mais  il  n'avoit  point  con- 
fulté  fon  caraétere ,  qui  commençoit  à  fe 
décider,  &  qui  l'éloignoit  de  tout  afiujé- 
tifïement.  Les  règles  &  les  exercices , 
■en  ufage  dans  cette  Congrégation ,'  lui  de- 
vinrent bientôt  -un  péfant  fardeau  :  fon  huV 
meur  indépendante  ne  put  s'y  plier;  il  en 
fortit. dix* huit  mois  après. 

Rentré  dans  le  monde ,  fans  choix  d'oc- 
xupations  &  fans  aucune  vue  particulière, 
fes  paréos  .fongerënr  à  le  produire.  '  Son 
t>ere  le  œvêcir  de  fa  charge  ;    on  le  maria 

*3 


tî     VIE  DE  LA  FONTAINE. 

avec  Marie  Herfcart,.  fille  d'un  Lieutenant 
•au  Bailliage  royal  de  la  Ferté-JMilon* 
qui  joignait  à  la  beauté  beaucoup  çTe/prit. 
Il  n'eut  y  pour  ainfi  dire*  point  de  part  à 
ces  deux  engagemens  :  on  les  exigea  de 
lui,  &  il  3'y  fournit  plutôt  par  indolence 
que  par .  goût.  Aufli  n'exerça  - 1  -  il  la  ^bar- 
ge pendant  plus  de  vingt  ans ,  qu'avec 
indifférence  :  ,&  quant  à  fa  femme ,  qui  étoit 
d'une  humeur  impérieufe  &  fâcheufe  , 
^'ën  écarta  le  plus  qu'il  p.m>  quoiqu'il  fie 
cas  d'ailleurs  de  foi*  efprit  r  &  qu'il  la 
conftUtât  fur  tous  les  ouvrages  qui  lui  don 
.aèrent  d'abord  quelque  réputation.  C'eil 
elle  qu'il  a  voulu  dépeindre ,  dans  fà  aoit 
telle  de  Belfegor*  fous  le  nom  de 


jBétk  6?  bienfait '-,     t  ,*    ♦     *    *  :*    • 
„.-•....•     mate  d'un  orgueil  extrême  l 
Et  dautartt  plus  que  de  quelque  vertu 
Un  tel  orgueil  patoifoit  tevêtUi,  . 

Souvent  les  talens  fè  déveîopjJeiu  par 
les  infpirations,  que  l'on  reçoit  dans  la  jeu- 
neflè.  Le  père  de  La  Fontaine  aimoit 
paffionnément  les  vers  %  quoiqu'il  fut  d'ail- 
leurs incapable  d^n  JMger^  &  plus  encore 
d'en  faire»  Cette  inclination  lui  étoit 
chère  ;  il  vouloit  la:  voir  renaître  dans  fon 
jpls  qu'il  ne  sefToit  d'exciœr  à  l'étude  de  k 


VrE  DE  LA  FONTAINE,    vir 

Poefie.  Mais  fes  âiftances  redoublées 
n'avoient  encore  rien  eu  de  féduifant  pour 
le  jeune  La  Fontaine.  Ittfjmfible  atix  attraits 
quon  lui  vantoit,  il  avoir  atteint  (a  vingt- 
deuxième  aimée  ,  fans  donner  le  moindre 
ligne  d'un  penchant  qui  devoir  bientôt  te 
captiver  entièrement.  Une  rencontre  im- 
prévue vint  tout  -  à  -  coup  4«  décider ,  .  & 
fc  germer  dans  fon  ame  l'amour  de  la  Poe- 
fie  que  toutes  les  leçons  &  le  goût  parti- 
culier de  fon  père  nTavoient  pu  faire  éclo- 
re.  Un  Officier  alors  en  garnifon  fe  Châ- 
teau-Thierry, lut  un  jour  devant  lui  l'Ode 
de  Malherbe  qui  commence  par  ces  vers  : 

Qtte  direz  • vous ,  races  figurer, 

Si  quelquefois  un,  vrai  difiaurs  ,     " 

Fous  récite  les  aMaurts,    .  .         > 

De  nos  àbomntbles  jturî'  l 

Cette  Ode  lue  &  déclamée  avec  emphafe^ 
tranfporta  La  Fontaine,  &  fit  en  même 
temps  développer  en  Un  le  goût  &  l'en* 
tftoufiasme  des  vers  (*).  Malherbe  dès  cet 
inftanr  fut  l'unique  objet  de  fes  délices:  il 
le  lifoir,  il  Fétudioit  fans  ceflè;  &  non 
content  de  l'apprendre  par  cœur ,  il  alloit 

(*)  C'eft  alors  qu'il  eût  pu  s'appliquer  la  ïurprif*  de  Perfci 
Nec  fonte  labr*  Prolui  cabatlîno  : 
Nie  in  bictpUi  famni*£4\P*r**j[o 
ïismini  >  nt  repente  fa  Poëta  prodirtm, 

Pcrf.'prolog.  verfi  t.'a,  f**  ' 


tiii   VIE  DE  LA  FONTAINE. 

jusques  dans  lestais  en  déclamer  les  vers. 
11  fît  plus,  il  voulut  Fimiter;  &  comme  il 
nous  l'apprend  lui-même  dans  une  épitre  à 
M,  Huet,  les  premiers  accens  de  fa  lyre 
furent  montés  fur  le  ton.&  fur  l'harmonie 
des  vers  de  ce  Poëte.  ♦ 

•v  '  *  V* 

:  Je. pri?  certain  auteur  autrefois  four  mm.mMtrft' 

-  Jlpenfa  me  gâter:  à.lajin,  grâce  aux  Dieux % 
.  Horace  par  bonheur  me  déjîlla  les  yeux. 

-  L'auteur  ayoit  du  bon,  du  meilleur,  {f  la  tramât 

-  J  EJlimoit  dansjes  vers  le  tour  £f  la  cadence. 

1  _Qui  ne  les  eut  prifis  ?  y 'en  demeurai  ravi.    *    Z 
.  Mais  ces.  traits -ont 'perdu  quiconque  l'a  fuivL] 

C'eft  aiqfi  que  débu.ta  La  Fontaine  ;  & 
c'eft  ici,  à  proprement  parler,  Ja  naiffan- 
ce  du  talent  fupéricur  qu'on .  ne< .  peut  fe 
lafler  d'admirer  ;  dans. .  fes  ouvrages  ,  & 
qui  les  fera  pafler  à  la  poftérité  la  plus  re- 
culée.' HeureufementV comme  il  le  dît, 
le  charme  defîà;  il  ne  s'en  tint  point  à 
Malherbe.  Glorieux  de  fe$  premières  pro- 
ductions ,  il  voulut  en  avoir  des  témoins 
pour  eh  jouir  davantage.  Son  père  fut  le 
premier  qui  les  vit,  &  le  bon  homme  en 
pleura  de  joie.  Flatté  de  ee  premier  fuc- 
'  ces ,  il  fut  .chercher  encore  l'approbation 
(d'un  de  fes  parens  nommé  Pintrel ,  Procu- 
reur  du  Roi  au  Préfidial  de  Château  -Thier- 
ry^ homme  de  bon  fens,  quin'étoît  point 


Vie  de  la  fontaine  .  * 

fans  goût ,  _&  qui  cukîvoit  même  les  let- 
tres (*).  Mais  celui  -  ci  examinant  les  cho- 
ies de  plus  près ,  loua  d'abord  Tes  efïïris  ; 
l'interrogea  fur  les  routes  qu'il  fuivoit; 
joignit  les  confeils  aux  louanges,  &  vou- 
lut en  lui  infpirant  des  principes  plus  foli- 
des,  le  guider  dans  la  carrière  où  il  alloit 
fe  livrer.  Il  lui  mit  entre  les  mains ,  Ho- 
race, Virgile,  Térence,  Quintilien,  com- 
me les  vraies  fources  du  bon  goût  &  de 
Fart  d'écrire.  La  Fontaine  fuivit  ces  avis 
avec.d'autant  plus  de  docilité,  qu'il  ne  tarda 
pas  à  fentir  ces  beaux  traits  d'une  élégartee 
fimple  &  noble  dont  Malherbe  s'éloignpit 
autant  par  une  ardeur  inconfidérée  de  gé- 
n:e,  que  par.  une  étude  trop  recherchée 
d'harmonie ,  d'expreffions  ampoulées  & 
ebrnemens  fuperflus. 

A  ces  livres,  il  joignit  la  leélure  de  Ra- 
belais, de  Marot,  &  de  l'Aftrée  de  Durfé, 
feuls  auteurs  François  qu'il  affeétionnât. 
tîs  étoient  en  effet,  chacun  dans  leur  efpe- 
:e,  très -propres  à  nourrir  &  à  fortifier  la 
trempe  d'efprit  de  La  Fontaine,  ainfi  que 
le  genre  de  compofition  auquel  fon  goût 
&  fon  penchant  le  déterminoient  plus  par- 
ticulièrement. Rabelais  lui  infpif oit  l'en- 
jouement ingénieux  qui  dévoit  animer  fes 

f *)  On  a  de  lui  une  traduction  des  Epîtres  de  Sénequc  ,. 
Tprimcfc  à  Paris  en  1681  «que  La  Fontaine  eut  foin  (U 
**axr  au  Fiablic  après  fa  mort.    - 

*5 


x     VIE  DE  LA  FONTAINE. 

compofitions..  Maroc ,  qui  lui  fervît  de  mo- 
dèle, en  préparoi  t  le  ftyle;  &  l'Aftrée  de 
Durfé  broyoit,    pour  ainfi  dire ,   dans  fon 
imagination  les  couleurs  riantes  &  variées 
de  ces  images  champêtres  r  qu'il  a  fi  bien 
rendues  &  quïhii  font  fi  familières..    Quant 
aux  autres  Auteurs  François  y  il  en  îifoit 
peu,  y*  divùrfiffant  mieux 7  difoit-il/arw 
tes  Italiens*      Auffi    lût  r  il  fit    relût  -  il 
FAriofte  6c  Bocace  qu'il  aima  fînguliére- 
menty    &  qu'il  fçut  fi  bien  s'approprier, 
qu'en  les  imitant  r  il  a  furpaffé  ces  modè- 
les;   Enfin ,  il  fit  fes  délices  de  Pkton  & 
de  Plutafque*     L'aflbrtiment  de.  cesrdeux 
auteurs  à  ceux*  qu'avoît  choifi  La  Fontai- 
ne,  &  qui  nous  indique  le  ;  caraâiere  fijî- 
guliçr  de  fon  génie,   paroît  d'abord  avoir 
quelque  chofe  de  bizarre.     Mais  l'on  doit 
en  être  d'autant  moins  furprrs,  qu'un  hom- 
me d'un  drefprft  original  fçait  tout  mettre 
à  profit  ;    &  que  du  fein  de  la  gravité  mê- 
me, fortent  fouvent  ce  fel  &  ces  penfées 
vraies  &  «ingénîeufes ,  qui  font  Famé  de  la 
badinerie  &  de  l'enjouement ,   &  (ans  les- 
quelles  toute  coropofition  languit.      AufS 
La  Fontaine   avoît-il  étudié  férieufèment 
ces  deux  Auteurs  %   dont  il  avoit  noté  par- 
tout les  maximes  de  morale  ou  de  politi- 
que qu'il  a  femées  dans  fes  Fables.     C'eft 
ce  qu'a  remarqué  l'un  de  fes  fuccefleurs  à 


VIE  DE  LA  FONTAINE^    x* 

l'Académie.  (*),  {ur  les-exemplaires  de  Pla- 
ton &  de  Plutarque,  qui  avoient  apparte- 
nus  à  La  Fontaine* 

Dès -lors*.  livré  aux  Lettres  *  &  d'vtt 
caraftere  auflT  libre  qu'indépendant ,  11 
s'abafidonnok  tout  entier  à  Ton  goût  &  à 
fon  penchant,  fans  fe  reflentir  des  diftrac-» 
fions  de  fôn  état  &  de  fes  engagemens , 
loriqu'unc  petite  avanrare  parut  troubler 
cette  profonde  indifférence.  Un  Capitaine 
de  Dragons  nommé  P oignon ,  retiré  à  Ch&* 
teaii- Thierry,  vieux  militaire,  par  con- 
féquent  homme  d'habitude  f  âvoit  pris  en 
affeftion  la  maifon  de  La  Fontaine,  & 
confbmmoit  auprès  de  fa  femme  le  loifixf 
&  l'ennui  qu'il  ne  fcavoit  où  porter.  Cet 
Officier  iTétoit  rien  moins  que  gâtant,  & 
fon  âge  autant  que  fon  humeur,  pouvoir: 
mettre  à  Fabri  des  ombrages,  un  mari 
même  foupçonneux  &  jaloux.  Cependant, 
foit  par  malignité,  foii  pour  s'en  divertir; 
on  en  fit  de  mauvais  rapports  à  La  Fontai- 
ne. Son  caraftere  fimjàe-  &  Crédule  ne  toî 
permit  point  de,  rien  examiner  >  de  rie» 
approfondir:  il  écouta  tpus  les  .dîfcourç , 
«  crut  même  que  fon  honneur  exigeofc 
qn'ilfe  battit  avec  Poignah.  Saifi  de  cette 
idée,  il  part  dès  le  grand  matin,-  arrive 
chez  fon   homme,  réveille,  le  preflè  de 

(*)  M   l'Abbé  a-OUv«t.  <Voye*  1-HîiUlrc  de  l*Acift« 
«ic  t  Tomi  2.  Mit.  J743.  p.  314*  &c*  •  •     ;  -     . 


J 


xh    VIE  DE  LA  FONTAINE: 

s'habiller  &  de  fo*iï  avec  lui.  Poignaft 
furpris  de  cette  faillie,  &  n'en  prévbyàm 
pas  lé  but,  le  fuit.  Ils  arrivent  dans  utl 
endroit  écarté,  hors  des  portes  de  la*  ville , 
je  "veux  me  battre^  avec  toi ,  lui  dit  La 
fontaine,  on. me  l'a  cotifàtté:  &  après  lui 
en  avoir  expliqué  les  raifons,  La  Fontaine 
fans  attendre,  la  réporife  de  Poigna» ,  met 
ï'épée  à  la  main*  &le  force  d'en  faire  de 
même.  Le  combat  ne  fut  pas  long.  Poig- 
aan ,  fans,  abufer,  des  avantages  que  l'exer- 
cice des  arpies  pouvoit  lui  avoir  donné  fur 
fon  açlverfairç  ,  lui  fit.  fauter  d'un  coup 
Ï'épée  de  la.  main,  &  en  même  temps  fen- 
tir  le  ridicule  dei  fon  cartel.  (Dette  fatis- 
faétyon •>  .parut  ufuffifante  à  La  Fontaine  : 
Poignan  le  ramena  chez  lui ,  où  ils  ache- 
vèrent, en  déjeunant,,  de  s'entendre  mieux 
&  de  fe  réconcilier.  (*)  » 

Les  ouvrages  de .  La  :  Fontaine  acquêt 
roient  déjà  de  la  célébrité,;  lorfque  la  fa^- 
meufç  Ducheflè  de  Bouillon ,  nièce,  du  Car- 
di^aLMazarin^  fot^xjlée  à  Châreau-Thierrjv 
Elle  joignoit  à  l'aflèmblage  heureux  des 

-•(*)  M.»  Racine  le  fils ,  dans  les  MÉmoités  qu'il  a  don» 
aés  fur  la  vie;  de  Ton  J^erc^  imprimas  à  Càhfanne  k  i 
Genève  en  4747»  Ç-  '58,  259,  1^0,  raconte  ce  fait  à  f^eu. 
|î>è$:de  la  même  manière:'  mais  il  ajoure  qu'après  ce 
combat,  comme  J>ighan  prote^oit  de  ne  plus  remettre 
leV  pieds  cttez  lui1,  puifque^  cela  avoitpû*  lui  donner 
qpfc^ûè'»uiqtji<ïtiidef  Xa.Fontatne  lui  repartie  en  lui  fer- 
rant la  mainx(  att  contraire,  j'ai  fait  ce  que  le  Public  vou- 
tfà-i  ■  ivainttnçjttj*  vtttx  cjHi  tu  tienne  chez..'  ftiti  ttm  les 
jwrs,  Jaus  quoi  je  me  /fait  r A*  (ncere  avec  let\  .... 


VIE  DE  LA  FONTAINE,   xitt 

grâces  de  fon  fexe  un  çi^rfc  badin,  délîctti 
enjoué  &  cultivé.  -Gurieufe  des  talens ,  fur- 
tout  éprife  de  goût  .pour  le  genre  d'écrire 
qu'avoit  embrafTé  La  Fontaine ,  elle  s'em- 
preflà  de  le  connaître  &  de  l'accueillir.  Le 
Poëte  ne  fut  pas  infenfible  à  fes  avances  : 
il  lui  fit  affidûment  fa  cour;  &  le  défir  de 
Inï  plaire,  échauffe  par  les  charmes  de  la 
Ducheflè ,  lui  infpira  cette  gaieté  libre  & 
badine,  à  laquelle  on  prétend  que  nous  de* 
vons  les  plus  aimables  de  fes  Contes. 

Lorfque  Madame  la  Ducheflè  de  Bouil- 
lon fut  rappelléé  de  Ton  exil,  elle  emmena 
La  Fontaine  à  Paris»  Cette  ville  femeufe 
qui  rafîèmble  tant  de  beaux  efprits;  où  les 
talens  fe  développent ,  &  fe  communiquent 
une  chaleur  réciproque  ;  où  le  vrai  mérite 
peut  briller  de  tout  fon  éclat  ;  cette  Capi- 
tale ,  dis-je ,  avoit  de  puiflànt$  attraits  pour 
La  Fontaine.  Audi  ne  Mïbit-il  échapper 
aucune  dés  occafions  qui  pouvoient  l'y 
conduire.  Ç'étoit  ordinairement  lorfqu'il 
étoit  excédé  des  humeurs  de  fa  femme» 
Alors  fans  aigreur,  (ans  reprochas,  il  par* 
toit,  &  reflet  à  Paris  autant  que  fes  facul- 
tés pouvoient  le  lui  permettre.  Mais  fon 
peu  d'arrangement. dans  fes  affaires  domefti- 
ques,  &  Ja  mauvaifejoeconoînie  de  fa  fem- 
me, ne  lui  permettoient  pas  fpuvent  d'y 
faire  un  long  ftjour:  -  L'un  &  l'autre  fem- 
Hoienc  être  à'acçQrd.  pour'  diffiper  un  pa- 

*7 


»?  VIE  UEvLÀ  FONTAme 

jrmïtône.hdï^te^  con- 

dition:. &  c'eft  peutdhxe  le  feiri  cas  où 
ces  époux  ayent  marqué  Je  plus  d'intelli- 
gence. 

A  fon  arrivée  k  Paris  ,  La  Fontaine  y 
fit  rencontre  d'un  de  fes  parens  nommé 
Jannart*  favori 'de  M.  Fouquet  .Sur -In- 
tendant des  Finances,  &  pour  lors  dans 
la  plus  grande  faveur.  La  Fontaine  profi- 
ta de  cette  rencontre  *  &  de  Taccës  que  fa 
réputation,  déjà  répandue,  pouvoit  lui 
donner  auprès  de  ce  Miniftre.  Il  lui  fut 
préfemé;  il  lui  plût;  &  pour  rendre  fa 
fituation  plus  aifée,;  M,  Fouquet  lui  fit  une 
penfion.  (*)  La  reeonnoiflance  que  La 
Fontaine  conferva  de.  ce  bienfait,  eft  con- 
fecrée  par  différentes  pièces  de  vers  infé- 
rées dans  l'édition  de  fes  œwres  ftàfthuines, 
imprimées  à  Paris*»  8°.  1729,  où  l'on  voit, 
qu'indépendamment  <fe  l'attention  qu'il  eut 
de  feire<  fa  coût  à  Monfieur  &  à  Madame 
Fouquet ,  il  eut:  là  généreufe  hardieOe  de 
faire  éclater. fes  plaintes  &,fes  Regrets  fur 
k  difgrace  de,  ce  Miniftre*  arrivée  en  1661  > 

*  (  *  )  La  Fontaine  *  en    tenoit    compte   à   M.  Foaquct , 
*ar  une  autre  pepfion  de  vers  qu'il  lui  payoit  exactement 
pat    quartier.      C'cft   en  -fe   préparant  à  cette  forte  de 
payement  qu'tf  dit  dans  une  épitre  à  un  de  fes  amh  t 
,  -     , ,      T*q*ts ,  jemr.  feint,  vent  antre  fnëjiêi 
.    '        J'envoirai  lors ,  ]î  Dieu  me  prête  v$ê., 
'  Peur*  etchewr  toute  Ut  penfom ,    ", 
Quelque  Sonnet  ptiin  de  dévêt  ien> 
Ce  terme  ta ,  pourvoit  'être  U  pire , 
'  .Qnifyvehji*  fnt  Ul*  $4t**<  ******* 


vie  ïrç  la  fontaine:   x* 

dans  un  temps  où  h  CDlere  du  Roi  &  Ta 
prévention  du  Public  ne  permettaient  guè** 
res  une  franchïfe  fi  courageufè.  Quant  à 
Jannart,  qui  fut  enveloppé  dâm  la  difgrace 
de  fon  maître,  La  Fontaine  incapable  d'a- 
bandonner foà  ami,  te  fuivit  dans  fon  exil 
&  Limoges., 

A  fort  retour  de  Limoges  d'où  Jannart 
fut  bientôt  rappelle  y  La  Fontaine  fut  gra» 
rifié  d'une  charge  de  Gentilhomme  chez  la 
célèbre  Henriette  d'Angleterre  r  premiéte 
femme  de  Monjteur*  Mais  il  ne  jouk  pa* 
long -temps  de  cette  pofirion  brillante,  ni 
des  efpérances  de  fortune  quelle  pouvoit 
lui  promettre.  La  mort  précipitée  de  cet* 
te  Princefiè  Ui  St  prefque  aufll-tôt  éva* 
nouir. 

Cependant  fès  poefies  M  avoient  acquis 
de  puif&ns  &  généreux  Protecteurs  5  à  la 
tête  defquôls  étotent  MonJ?eurrtyi.  le  Prin- 
eede  Conti*  M.  de  Vendôme,  Mesdames 
de  Bouillon  &  de  Mazariru  Madame  de 
k  Sablière  (*}  fur- tout,  femme  d^efprit 
&  d'un  mérite  rare  ,  te  rechercha  plus  par- 
riculiérement  encore.  Elle  connoiflbit  l'in- 
différence de  La.  Fontaine  non  -  feulement 
fur  ce  qui  pouvoit  concerner  en  gros  fa 
fortune  7  mis  encôfle-  fur  tous  les  menu» 

|*>fclîe  aîmôit  >a  Poëiîc  &  la  Philofb^îc,  mais  faha 
aJtentation.  €*cft  pour  cll«  que  Berofer ,  $ui  dcmeuroi» 
ckcz  elle  ,  fie  l*»b*g<  de  GUGeadi, 


*vi  vie  DEXt a  fontaine: 

détails  de  Son  enquéri  :  perfonnel.  EIÎôj 
eut  la.générofité  de.  Fattirtr  chez  elle,  & 
de  le  difpenfer  des  foins  qu'il  étoit  incapa- 
ble de  prendre,   . 

La  Fontaine  jufques  -  là;  ne  s'étoit  foute- 
nu  à,  Paris  que  par  les  bienfaits  des  Prote- 
cteurs dont  je  viens  de  parler.  Mais  ces 
fecours  ,'  tomme  -on  le  fent,  venoient  de! 
loin  en  loin.,  &  n'avoient  rien  de  réglé. 
Il  n'étoit  pas  homme  à  calculer  fes  befoins; 
auffi  fe  trou\;oit-il  fouvent  dans  l'embarras. 
Il  n'en  étoit  pas  plus  émû,  &  lorfque  les 
reffburces  lui  manquoient ,  il  s'en  alloit  à  | 
Cbateau-Thlerry  (**)  vendre  quelque  por- 
tion d'héritage:  qu'il  revenoit  auffi  -  tôt  dis- 
liper  à  Paris  &ns  prévoir  la  néce.ffité  future, 
ni  s'inquiéter  de  la  diminution  vifible  de 
fon  patrimoine. 

*  Chez  Madame  de  la  Sablière,  il  profita 
de  la  compagnie  &  des  entretiens  de  Ber- 
nier,  dont  il  prit  de  bonnes  leçons  de  Phy- 
fique.  Son  dévouement  aux  Lettres ,  le 
rendoit  jaloux  de  l'amitié  de  tous  les  grands 
Hommes  de  fon  fiécle. .  Il  les  connoiflbit , 
il  les  recherchoit  avec  empreflèment,  & 
feififlbit  toutes  les  occafions  de  s'inftruire, 
foit  par  leurs  convertirions,  foit  en  parti- 
cipant à  leur  étude  &à  teurs  connoifiànces. 

(**VI1 -fa>foU  ordinairement  ce  voyage  tous  les  aas 
Te»  Ic-xpqU  de1  Septembre,  accompagne  de  BoiUau, 
JUcinc ,  Chapelle,  jou  de  quelques  autre*  *mis. 


VIE  DE  LA  f  OOTAINÊ.    xfti 

Il  vifitoit  fouvent  Racial  ils  faifoient  m» 
femble  de  fréquent*  leôures  d'Homère  & 
des  autres  Poètes  Grecs  dans  la  verfioir 
latine  ,  car  La  Fontaine  a'entendoic  point 
leur  langue.  Tous  les  deux  à  portée  de 
fentir  &  de  connoître  les  beaux  morceaux 
qu'ils  rencorttroient;  ils  les  examinoiemy 
fe  communiquaient  leurs  remarques  &  leurs 
réflexions.  La  Fontaine  fur -tout  s'affec*- 
tionnoit  finguliérement  des  beaux  traits  qui 
Tavoîent  une  fois  frappé.  Son  ame  alors 
le  rempliflbit  d'une  efpece  d'enthoufiasrae 
qui,  pendant  plufieurs  jours  ,  s'emparoit 
de  fon  efprit  au  point  de  lui  ôter  la  liberté 
•de  s'occuper  de  tout  «autre  objet,,  il  y  re- 
voit fans  celle  y  il  en  parloit  de  même, 
Ceft  ainfî,  rapporte- 1- on,  que  s'écaftt  un 
jour  laifle  conduire  k  Ténèbres  par  Racine , 
&  que  s'ennuiant  de  la. longueur  de  rOffi* 
ce ,  il  fe  mit  à  lire  dans  un  volume  de  la 
Bible  qui  contenoit  les  petits  Prophètes; 
11  étoit  tombé  par  hazard  fur  la. prière  des 
Juifs  dans  Baruch ,.  torique  fc  ,  retournapf 
tout  à  coup  vers  Racine:  qui  étoit  ce  Bar 
ruch  ?  lui  dit-  il ,  Jçavtz-vous:  que  c'e/ï  un 
beau  génie?  Pendant  plufieurs  »  jours  il 
fut  continuellement  occupé  de  Baruch,  & 
ne  fe  laflbit  point  de  demander' à  ttfus  ceux 
qu'il  rencontroit:  wei-vousM  Baruch  ¥ 
C  étoit  un  grand  génie.;  Ce  trait  qui  dap$ 
tout  autre  indiquecoit  utfô  >fQttç  ryrgrife^ 


*vm  VIE  DE  LA  FONTAINE. 

«cara&érîfe  h  préoccupation  naturelle  donc 
i^efprit  de  La  Fontame  étoit  fufceptîble  * 
&  la  force  impreffion  qu'il  ifecevoit  des  ob- 
jets fur  lefquels  il  avoit  une  fois  fixé  fon 
«iprit. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  furprenant,  c'eft 
que  ce  même  homme  fi  négligent  dans  fes 
affaires  &  dans  fes  dehors ,  fi  incapable  de 
cous  foins  de  fortune  ,  de  (routes  vues  po- 
litiques, étoit  d'un  confeil  excellent  &  fur 
pour  tous  ceux  qui,  dans  quelque  fituation 
difficile,  venoient  lui  confier  leurs  peines. 
Inferifibïe  pour  tout  ce  qui  le  regardoit,  il 
s'attendriflbit  à  la  vue  des  malheureux;  il 
adpptoit,  pour  ainfi  dire,  l'état  &  l'em* 
barras  de  ceux  qui  étoient,dans  l'infortune, 
ou  <kns  l'incertitude  inquiette  de  la  con- 
duite qu'ils  dévoient  tenir  en  certains  cas 
qui  pouvoient  décider  de  leur  fort:  il  trou- 
voit  des  expédkps  heureux,  &  leur  donnoit 
les  meilleurs  confeils.  C'étoient  les  feules 
occafionsioù  Ton  peut  dire  qu'il  fortoit  de 
lui-même. 

*  Toujours  plongé  dans  quelque  médita- 
tion, où  il  étoit  comme- abforbé,  on  le*' 
voyoît  dans  une  diftraétion  prodigieufe,  ne 
fçachant  fouvent  ni  ce  qu'on  difoit  dans  une 
converfation ,  ni  ce  qu'il  y  difoit  lui-mê-  I 
me;  h'moins  qu'il  ne  fe  trouvât  familière- 
iriénrà  table  avec  des  perfonnes  de  fa  con* 
noiflance,  &  qu'oto  y  traitât  quelq\ie  fujet 


VIE  DÉ  LA  FONTAINE,    xk 

agréable  &  de  ion  gobhSAlots  fit  contenan- 
ce &  les  traits  de  fa  phyfemoroie- qui,  dans 
toute  autre  tfecafîon ,  n  annonçoient  riea 
moins  qu'un  homme  d'efprit,  fe  paroienc 
des  grâces  de  fbn  génie,  fes  yeux  s'ani- 
moient ,  partaient  le  langage  de  fes  idées  ; 
û  difoit  tout  ce  qu'il  vouïoit ,  &le'difoit 
fi  bien  qu'il  enchantoit  les  oreilles  les  plus 
délicates»  C'eft  k  ces  inftans  agréables* 
dont  il  ne  s'eft  jamais  aperçu  lui -même * 
qu'il  devoit  l'empreflèment  qu'ont  eu  les 
perfonnes  les  plus  distinguées  de  la  Cour  & 
de  la  ville,  de  jouir  de  fa  conversation  &  de 
l'admettre  à  leur  table.  Mais  Ton  doit 
bien  s'apercevoir  par  ce  que  j'ai  déjà  'tracé 
de  fan  caraétere*  qu'il  ne  donnait  pas  inr 
différemment  par -tout  la  même  (atisfaétîo* 
ni  le  même  piaifuv  Témoin  l'avanture 
lapportéé  par  Vîgneul  Marvîle  (♦;. 

„  Trois  de  complot,  dk-it,  par  le 
„  moyen  d*i*n  quatrième  qui  avoit  quelque 
„  habitude  auprès,  de  cet  homme  rare* 
„  nous  l'attirâmes  dans  un  petit  cpîn  de  la 
„  vàle,  à  une  maifon  conférée  aux  Mu* 
„  fes*  où  nous  hiî  donnâmes  uri  repas* 
„  pour  avoir  Je  plaifîr  de  jouir  de  fort 
„  agréable  entretien.  Il  ne  fè  fit  point 
„  prier  ;il>int  à* point  nommé  fur  le  midi* 
>,  La*  compagnie  étoît  bonne ,  la  table  pro* 
,,  pre  &  délicate,  &  le  buffet  bien  garnît 


*x    VIE  DE^LA  FONTAINE. 

„  Point  de  compfe*ejis  d'entrée,  point  de 

„  façons,  nulle  grimace,  nulle  contrainte. 

„  La  Fontaine  garda  un  profond  filence  ; 

„  on  ne  s'en  étonna   point,  parce   qu'il 

„  avoit  autre  chofe  à  faire  qu'à  parler.     Il 

„  mangea  comme  quatre, &  bût  de  même. 

„  Le  repas  fini ,  on  commença  à  fouhaiter 

3,  qu'il  parlâç;  mais  il  s'endormit.    Apres 

?,  trois  quarts  d'heure  de  fommeil  il  revint 

„  à  lui.     Il  vouloit  s'exeufer  fur  ce  qu'il 
,,:  avoit  fatigué.     On  lui  dit  que  cela  ne 

s,  demandoit  point  d'exeufe,  que  tout  ce 

„  qu'il  faifoit  étoit  bien  fait.     On  s'appro- 

„  cha  de  lui ,   on  voulut  le  mettre  en  hu- 

,,  meur  &  l'obliger  à  teiflèjr  voir  fon  efprit 
^.mais /on  efprit  ne  parut  point,   il  étoit 

a,  allé  je  ne  fçais  ou ,   &  peut  --être  alors 

a,  animoit-il,  ou  une  grenouille  dans  les 

.-„  marais,  ou 'une  ci^aiv  dans  les  prés,*  ou 

„  un  .renard  dan£  la  tanière;   car  durant 

„  tout  le  temps  que  La  Fonur'ne  demeura 
pr  avec  nous,  il.nç  nç\à  fembla  être  qu'une 

n  machine  fans  ^me.     On;  Je  jetta.dans  un 

„  carroflè^  où  nous  lui  dîmes  açdieu  pour 
,,.  toujours.     Jamais  gens, •  ne  furent  plus 

„  furpris,  &  nous  nous  difions  les  uns  aux 

„  autres:  comment  fe  peut -il  faire  qu'un 

„  homme  qui  a  fçu  rendre  Spirituelles  les 

„  .plus ,  groffiéres.  bêtes  du,  monde y  &  les 

^  foire  parier*  le  plus  joli  langage  ^'on-ait 

„  jamais  oui,  ait  une  converfatiqn  û^che 


* 


VIE  DE  LA  FONTAINE,  xn 

„  &  ne  puiflfe  pas  nota'  un  quart  d'heure 
„  faire  venir  fon  efprît  fur  fes  lèvres,  & 
„  nous  avertir  qu'il  eft  là. 

Une  autre  "fois,  étant  invité  à  diner  dans 
un  de  ces  endroits  où  le  maître  de  la  mai- 
fon  pnéfente.  un  homme  d'efprit  aux  con- 
vives ,  comme  un  des  mets  de  fa  table  ;  il 
mangea  beaucoup,  &  ne  dit  mot.  Comme 
S  il  fe  retiroit  de  table  de  fort  bonne -heure, 
|  fous  prétexte  de  fe  rendre  à  l'Académie  ;; 
on  lui  repréfenta  qu'il  avoit  très -peu  de 
chemin  à  faire  :  je  prendrai  te  plus  iong, 
xépondit  La  Fontaine,  &  le  voilà  parti.  (*y 

11  s'avifoit  rarement  d'entamer  la  cohver* 
iàtion  ;  &  comme  1  éioit  prefque  toujours 
préoccupé,  il  y  placent  fouvent  des  idées' 
ou  des  réflexions  bizarres  &  fingulières, 
auxquelles  oh  ne  s'attendoit  guères.  Il 
étoit  un  jour  chez  M.  Defpreaux  .avec  plu- 
fleurs  perfonnes  d'une  érudition  diftinguée; 
Racine ,  entr'autres ,-  &  fioileaù  le  Dodfeeur. 
On  y  parloit  «depuis  long--  temps  de  S.  Au- 
guftin  &  de  fes  ouvragés  ;,  majs  La  Fontai- 
ne trariquille.  &  -  filenrieùx  ,  n'avoir  point 
encore  pris  part  à  cette  convention,  lors- 
que s'éveillant  tout -V  coup  au  nom  de 

(*)  Ç'étoit  chc*  M.  Laugeois  d'Itnbercourt ,  Jerasîer* 
général ,  où  M.  Frcfon  pfétfend  qu'il  fit  fi  b'enne  cbirt  avec 
f\  pt»  dt  dépe»ft  d'tfprtt.  M. i  Racine»,  le  Als,  lAins  \c%, 
Mémoires  qu'il  a  donné  fur  la  vjp  àe  fon  pero .  die  que 
cttoit  chez  M.  le  verrier.  Yoye*  le  Tome  premier  de' 
ce  Livre.,  p*£C  a$7»        ■     •     V    '    •  ,t 


te«  VIE  DÉ  LÀ  FONTAINE.' 

S.  Auguftki ,  mtftowouf*,  s'écria- 1.-  il ,  en 
^adreffaitti  à  f  Abbé  Botleau ,  que  S.  /lu- 

fujîin  eut  plus  d'ejprit  que  fyabelais?  Le 
)oéteur  interdit  de  la  queftion,  &  le  par- 
courant des*  yeux  avec  furprife  :  prenez- 
garde,  répondit-il, Monjieur  de  La  Fon^ 
tcàne,  vous  avez  un  de  vas  bas  à  ftenmtrs9\ 
ce  qui  étoit  vrai. 

Le  bruit  ni  les  difcours  ne  pouvoient 
troubler  la  léthargie  apparente  de  fes  mé- 
ditations* Il  étoit  auffi  difficile  de  l'en  re- 
tirer, que  d^interrompre  dans  fa  converfa- 
tiôn  le  fikdes  idées,  dont  il  étoit  une  fois 
gnimé.  Dans  un  Tepais  qu'il  fit  avec  Mo- 
lière &  Defpreaux,  où  Ton  difputofc  fur  le 
genre  dramatique;  ilfe  mitik  condamner 
tes  à  parte.  -Rien,  difoit-il,  tfejl  plus 
contraire  au  bon  fens*  Quoi!  le  parterre 
entendra  ce  qu'un  jlûeur  n'entend  pas , 
quoiqu'il  foit  à  côté  de  céui  qui  parle  ! 
Comme  il  s'échauflbit  en  foutenanc  fon 
fenriment  de  façon-qu'il  n'étoit  pas  poffible 
dé  l'interrompre  de  de  lui  faire  entendre  un 
mot:.  Il  faut,  difoit  Deïpreaux  à  haute! 
voix,  tandis  qu'il  parioit;  il  faut  que  La 
Jfontainejhit  un  grand  coquin,  un  grand 
maraut,Qi  répétoit  continuellement  les  me- 
ttes paroles,  fans  que  La  Fontaine  cédât 
de  diflèrter.  Enfin  l'on  éclata  de  rire;^  fur 
quqi  revenant  à  lui  comme  d'un  rêve  in-| 
terrompii  :  de  quoi  riez- vous  donc?  .deman^ 


VIE  DE  LÀ  FONTAINE,  ont 

da-t-ib  comment ,  *liri  répondit  Defpretnx, 
je  rvïêpuife  à  vous*itojurier  fort  bout,  & 
vous  ne  trïenpndez  peint  ,  quoique  je  fois 
Ji  prés  de  vous,  que  je  vous  touche  ;  &  vous 
êtes  furpfis  xpfun  Atieur  fur  te  théâtre 
n'entende  point  un  à  parte,  qtiun  autre 
AtMàr  dis  à  côté  de  lui? 

C'étoît  ainfi  que  Racine  &  Defpreaœt, 
avec  lefquels  il  étoit  extrêmement  lié  ;  s*a- 
mufoieat  quelquefois  à  fes  dépens»  Auflï 
Fappelloientrils  le  Bon-homme*,  quoiqu'ils 
connuflcat  bien  d'ailleurs  tout  ce  qu'il  va* 
loit.  Une  fois,  ^ntr'âutres,  qu'ils  étoient 
à  fouper  chez  Molière,  ave<> Defeoteâux 
célèbre  joueur  de  flûte  ;  La  Fontaine  y  pa- 
i  rat  plus  rêveur  &  plus  concentré  en  lui- 
même  qu'à  l'ordinaire.  Pour  le  tirer  de  ùt 
diftraôioh,  Defpreaux,  &  Racine  qui  étoic 
îfaturellement  porté  à  là  raillerie  (*),  fe 
mirent  à  l'agacer  par  différents,  traits  plus» 
vifs  &  plus  piqudnfc  lés  uns  que  tes  au- 
tres. Mais  La  Fùritâine  ne  sW  déconcer- 
ta point.  ïte  avoient  cependant  pouflë  <î 
loin  la- raillerie,  qtfe  Molière  touché  cte  1$ 
patience  &  de  la  douceur  de  La  Fontaine,* 
ne  put  s^empêcher  d'en  êtte;  piqué  pouHuiy' 
&  de  dire  à  Defcotèâux,  en  le -tirant  à  part 
au  fortir  de  taWe,  nos  beaux  efpfits  orip 

I  (*>  M.  a«  Vâîîncmtrrifemarqîrc  qnil  aVcfit  l'èfptir  por-1 
I  xé  à  U  raillerie,  &  çrêjfefiunç  jc^ilberiç  amjère.  Voycf, 
,  le»  Mémoires  fur  la  vie  de  Jçan  Racine  ,   pages  191», 


tenr  VIE  DB  LA  FONTAINE. 

beairfo  trémaùfff*>  ils  ny effaceront  pas  té 
JSon  r  homme. ./         v*- 

La  plupart  de  fessons  n'étoient  ni 
préméditées,  ni  fuivfes:  le  hazard  en  pro- 
duifoit  une  partie,  &  l'autre^  étoit  l'ouvra- 
ge de£  infpirations  d'autrui.  Lorfque  Ma- 
dame de  La  Fontaine  fe»  fut  retirée  k  Châ- 
.  t£au- Thierry,  Racine  &  Defpreaux  repré- 
feAterem  à  notre  Poëte  que  cette  réparation 
tt'étoit  pas  décente  &  ne  lui  faifoit  point 
honneur.  Ils  lui  confeillerent  un  raccom- 
modement. La  Fontaine,  fans  délibérer, 
partit.  .  Il  fe  pendit .  en  droiture  chez  fa 
femme  :  mais  le-  domeftique  de  Ja  maifon 
qui  ne  le  connoiflbit  point,  lui  dit  que 
MajdamÊ  J^e  La  Fontaine  étoit  #u  Salut. 
Ennuyé  d'attendre ,  il  fut  voir  pn  de  fes 
amis  qui  le  retint  à  fouper  &  à  coucher. 
La  Fontaine  bien  régalé,  oublia  fa  million;! 
&  fans  fonger  à  fa  femtrçe ,,  fe  remit  le  len-- 
demain  dans  la  yoitfcre  publique,  &  revint 
à  Paris..  Ses  am|s,  en  le  voyant,  s^çm-j 
préfèrent  de  lui  demander  le  fuccèsde  fon 
Voyage  :  Jlai  été  four  voir  ma  femme 
leur  dit-  il ,  mais  je  m  l'ai  point  trouvée 
elle-  étoit  au Salut. 

L'amour  des  Lettres  eft  fouyènt  un  vain- 
queur, impérieux ,  qui-  dpmine  fur:le$,fenti« 
ipens  les  plus  naturels.  Lorfque  l'efprit  e 
une  fois  livré  à  cet  amour,  les  autres  fa- 
cultés de  l'ame^   languiflàftteg  *;  femblen 

être 


VIE  DE  LA  FONTAINE,    m 

être  arrêtées  à  ce  charme  pûiflànt,  &  de* 
venir  indifférentes  pour  les  objets  extérieurs. 
La  Fontaine  faifi  par  cet  enchantement, 
écoit  non-feulemènt  incapable  des  conver- 
fations  ordinaires^  ainfi  que  le  grand  Cor- 
neille., la  Bruyère  >  Roufleau,  Malbranche 
&c  ;  mais  fon  indifférence  alloit  jusqu'à 
l'oubli  de  lui-même  &  des  objets  qui  le  . 
regardoient  de  plus  près.  «  Il  eut  un  fila 
en  1660  (*)  qu'il  garda  fort  peu  de  temps 
auprès  de  lui.  M.  de  Harlay,  depuis  Pre- 
mier Préfident,  l'avoit  adopté ,  &  s'étoic  ^ 
chargé  de  fon  éducation  &  de  fa  fortune,  " 
Il  y  avoit  déjà  plufieurs  années  que  Lar 
Fontaine  l'avoit  perdu  de  vue  ,  lorsqu'p» 
|  les  fit  rencontrer,  dans  une  maifon  où  Ton/ 
vouloir  jouir  du  plaifir  de  la  furprife  du 
père.  .La  Fontaine v  en  effet,  ne  fe  douar 
point  que  ce  fut  fon  fils.  Il  l'entendit  parier  i 
&  témoigna  à  la  compagnie  qu'il  lui  trou- 
voit  de  l'efprit  &  de  très -bonnes  dispolî- 
tions.  L'on  faifit%ce  moment  pour  lui 
dire  que  c'étoit  fon  fils;  mais  fans  en  être 
plus  ému  :  dh  l  répondit -il  ,  j'en  fuis 
bien-aife. 

Cette  indifférence  alloït  en  lui  jusqu'à 
l'infenfibilité.  Un  jour  Madame,  de  Bouil- 
lon allant  à  Verfailles,le  rencontra  le  ma- 

I     f  *)  Mort    en   1722.   De  ce  fils  font  iflus  un  garçon  & 
trib  filles f  qui  font  encore  èxiftan* 


^ 


*xvi  VIE  DE  LA  FONTAINE. 

tin  qui  revoit  feul  fous  un  arbre  du  Cours. 
Le  fôir  en  revenant ,  xelle  le  retrouva  dans 
le  même  endroit ,  &  dans  la  même  attitu- 
de, quoiqu'il  fit  très-  froid  *  &  qu'il  n'eût 
celle  de  pleuvoir  toute  la  journée..  (*). 
.  C'eft  ainfi,  que  travailloit  fouvent  La 
Fontaine  :  |pus  les  endroits  lui  étoient  bons 
&  indifférées.  Il  n'eut  jamais  de  cabinet 
particulier,  ni  de  bibliothèque.  La  vaine 
recherche  des  commodités  ,  la  manie  de 
certains  arrangémens ,  la  fymraétrie  étudiée 
des  ornemens,  la.  composition  &  le  choix 
d'un  appartement  ;  toutes  ces  chofes ,  de- 
venues ibuvent  l'inquiétude  &  le. tourment 
de  quelques  perfonnes  d'éfprit ,  '  ne  vinrent 
jamais  piquer  fon  goût ,  ni  troubler  fa 
tête.  La  feule  décoration  qui  lui  vint  en 
fàntaifie,  fut  celle^d'environner  l'intérieur 
d'un  cabinet,  de  toutes  les  figures ,  en  pM- 
tre  &  en  terre  cuite ,  des  anciens  Philofo- 
phes  qu'il  pût  raflèmbler  ou  faire  jettcr 
en  moule.  Cer  aflèmblage  le  divertiflbit  : 
il  appelloit  ce  réduit  la  chambre  des  Phir 
lofophes.  (f). 

(  *  )   Ce    n'cft  pas  dans  une  pofîtion  femblabl*  qirHo» 
race  eut  dit  :  N  j 

~...  .  h*c  *g*  mteum  l 

CempjreJJù  agit*  Ubrii.     Vbi  (juii  détur  •tt ,  i 

Itlttde  thartis  . I 

Horat.  Sat.  IV.  v.  137  »  &c. 

(  t)  V<5yct  une  T-ettre  de  lui  à  M.  de  Bonrepaux  ,  <IU  3 1 J 
Aoûc  1687,  inférée  parmi,  les  œuvres  de  Saint-Evrcmonc, 


VIE  DE  LA  FONTAFNE.  xxm 

Le  célèbre  Lully  natif  de  Florence, 
fe  mit  un  jour  en  tête  d'avoir  un  Opéra 
de  IuL  II  fut  le  trouver,  le  cajola,  & 
le  berça  fi  bien  des'promeflès  les  plus  flat- 
teufes ,  qu'il  parvint  à  fon  but.  Lully 
jétoit  ardent ,  impatient  ;  &  fon  activité 
lue  permit  point  à  La  Fontaine  de  s'endor- 
mir. II  robfédoit  fansceflè,  foit  pour  des 
idispofitions  toujours  nouvelles  de  quelque» 
Ifcenes  ;  foi^  pour  des  alongemens  ou  ra- 
courciflèmens  de  certains  vers ,  foit  enfin 
pour  des  changemens  qui  varioient  chaque 
jour  au  gré  de  fes  caprices.  Cet  ouvrage 
étoit  enfin  fini,  lorsqu'au  bout  de  quatre 
mois  de  perfécution,  Lully  *  fans  mot  di- 
re ,  abandonna  La  Fontaine  &  fon  Opéra  t 
pour  adopter  celui  d'Alcefte  de  Qumault* 
qu'il  mit  en  rimfique,  &  qui- fut  joué,  à 
Saint  Germain  devant  la  Cour.  La  Fon- 
taine, auffi  fenfible  à  la  perte  de  fon  temps 
&.  de  fon  loifir*  qu'au  mépris  du  Mufi- 
cien,  ne  put  fe  refufer  à  l'indignation 
qu'infpira  ce  procédé  à  tous,  fes  amis. 
C'eft  à  leur  folliçitation  qu'il  cotnpofa  le 
morceau  plein  de  fel  intitulé  le  Florentin , 
qu'on  trouve  dans  fes  œuvres  pofthumes , 
&  dans  lequel  en  parlant  du  mauvais  tour 
de  Lully,  il- peine  ainfi  fon  cawtôere: 


♦  *  3 


xxvm  VIE  DE  LA  FONTAINE 

Il  me  fit  travailler. 

Le  Paillard  s'en  vint  réveiller 
Un  enfant  des  neuf  Sœurs ,  enfant  à  barbe  grife, 

Qui  ne  devait  en  nulle  guife 
Etre  dupe.;  il  le  fut  9  £f  le  fera  toujours: 
Vienne  encore  un  trompeur,  jene\tardera\ guères.  QV. 

Incapable  de  haine.,  pu  de  conferver 
long -temps  le  reûèntiment  des  injures, 
il  ne  tarda  pas  à  être  fâché  d'avoir  écrit 
contre  -Lully.  C'eft  c£  qu'on  voit  dans 
une  de  fes  épitres  à  Madame  de  Thian- 
ge,  où  parmi  les  excufes  qu'il  emploie, 
&  en  parlant  des  confeils  qui  lui  avoient 
été  donnés,  il  dit: 

Les  ccnfeils.  Et  de  qui?  du  Public;  c'eft  la  ville, 
Ceji  la  Cour.,  fcp  ce  font  toutes  fortes  de  gens, 

Les  amis ,  les  Mifférens, 
Qui  m'ont  fait  eniployer  le  peu  que  j'ai  de  bile. 
-  Ils  ne  pouvaient  fouffrir  cette  atteinte  à  mon  nom'* 
_  La  méritois-je?  an  dit  que  non. 

•C'eft  le  feul  reflèntiment  qu'il  eut  dans 
fa  vie.  Son  humeur  tranquille  &  débon- 
naire le  rendoit  infëhfible  à  toutes  les  pe- 
tites délicateffès  qui  heurtent  la  vanité  & 
qui  bleflent  l'amour  -  propre  de  la  plupart 
des  hommes.  On  eût  dit  qu'il  étoit  inca- 
pable de  fentïr  même  la  raillerie  piquante  : 


VIE  DE  LA  FONTAINE,  xxtt 

|  on  en  a  déjà  vu  quelques  exemples.    Auflî 
fes  amis  avoient-ils  je  droit  de  lui  faire, 
ou  de  lui   dire    tout  ce  qu'ils  vouloient: 
1  jamais  il  ne  s'en  fâchoit.— Il  fouffroit  aifé- 
ment  leur  mauvaife  humeur ,   &  ne  leur 
tenoir  que  des  propos  obligeans  ,    même 
dans  les  occafions  où  la  patience  peut  é- 
chapper  aux  plus  modérés.    Le  peu  d'efti- 
jme  qu'il  avoit  de   lui-mêm>,   (on  hurai- 
S  lité  naturelle,   capable  de  faire  honneur  à 
la  piété  même  qu'il  n'avoit  pas  >  lui  déro- 
boicnt  la  connoiflànce  de  ion  mérite  &  de 
la  fublimité  de  fes  talens.      Ses  produc- 
tions  étoient  les  fruits   d'un    génie  aifé; 
elles  couloient  tellement  de  fource  &  loi 
|  coûtoient  fi  peu  d'effort ,    qu'il  ne  faifoic 
pas  plus  d'attention  k  ce  qu'elles  valoient, 
qu'il  eh  fàifoit  à  ce  qui  le  regardoit  lui- 
même.      Perfonne  n'ignora  plus  que  lui 
Teftime  dont  il  étoit  digne:  anffi  étoit-H 
|  de  tous  les  hommes   le  moins  propre  k 
I  faire  remarquer  qu'il  la  méri toit.      11  rew 
gardoit  l'induftrie'qu'il  eût  fallu  pour  cela, 
comme  une  peine,  ou  comme  un  foin  qvà 
ne  le  concernoit  pas* \&  qui  n'étoit  que 
l'affaire  des  autres.      C'étok  en  vain  qu'à 
|  table  ou  dans  un  cercle,  on  auroit  attendu 
de  lui   quelque  propos  ou  quelque  récit 
I  qui  répondît  à  la  licence    répandue  dans 
I  uae  bonne  partie  de  fes  ouvrages.    Perfonf 


*xxii  VIE  DE  LA  FONTAINE. 

tfy  aura  plus  çf  interprétations.  Ce  pro- 
jet eut  le  fuccès  qu'on  en  attendoit: 
chacun  fe  tût,  &  La  Fontaine  reprit  fe 
tranquillité  ordinaire*  . 
.  La  mort  de  M.de  Colbert  arrivée  en  1 68 3, 
îaiflà  une  place  vacante  à  l'Académie  Fran- 
çoife,  pour  laquelle  La  Fontaine  (*)  & 
Defpreaux  furent  en  concurrence.  Ces 
deux  grands  Poètes  avoient  également  le 
droit  de  fe  mettre  fur  les  rangs.  Mais  la 
licence  répandue  dans  ks  ouvrages  de  notre 
Auteur  (**}  réveilloit  dans  cette  Compa- 
gnie une  délicateflè  qui  femblok  ne  devoir 
pas  lui  être  favorable.  Cependant  La  Fon- 
taine que  la  plupart  des  Académiciens  défi- 
roient  pour  confrère,  à  caufe  de  ion  rarç 
génie  &  de  fa  grande  réputation,  eut  feize 
voix  contre^  fept..     Mais  Defpreaux  étoif 

})lus  connu  à  la  Cour.     Louis  XIV.  même 
'honoroit     d'une     bienveillance    particu- 
lière (***).    Son  parti  fe  hâtj  d'intéreflèr 

(*)  Il  atfoit  alors  6$  ans. 

(**)  Lorsque  La  Fontaine  témoigna  foohaiter  d'être 
admis  à  l'Académie  Françoife  ,  il  écrivit ,  dit  M.  Perrault, 
une  lettre  À  un  Prélat  de  U  Cemptgnie ,  eu  il  tnarqueit  (r  te 
éépUifir  de  s*étn  Itijfé  slltr  À  une  telle  licence  >  &.  la  réfe* 
lutien  eu  il  éteit  de  ne  plms  tempejer  rien,  de  femblakle, 

*<***)  Il  «toit  chargé  dès  ce  temps -là  par  Louis  XI V4 

^'écrire   fon   hiftoirc  ,    conjointement   ayee   Racine;    & 

Y^Tpreauz  étoit  alors  à   la  fuite  de  ce  Prinre  ,  pour  étr* 

tétooin  oculaire  de  fc»  expéditions.  M.  de  Val  incourt  fuc- 


VIE  DE  LÀ  FONTAINE,   xxxm 

la  religion  du  Roî:  &  les  ordres  qu'on  en 
attendoit  pour  la  réception  de  La  Fontai- 
ne ,  demeurèrent  fufpendus.  Dans  cet 
intervalle  y  il  parut  fentîr  l'éguillon  de  là 
gloire  qu'il  avoit  jusqu'alors  regardée  avec 
trop  d'indifférence.  Ses  amis  vinrent  i'ex- 
,  citer  &  le  tirer  de  fon  inaâion  naturelle, 
U  fe  donna  des  motivemens,  &  ^réfenta 
au  Roi  une  Ballade,  donc  î'eftvoi  eft  ajufté 
aux  circonftances  dans  lesquelles  fe  trou- 
voit  La  Fontaine.  Il  y  follicite  en  fa  fa* 
veur ,  &  tire  parti  du  refrain  qui  fert-  en 
même  temps  à  célébrer  la  gloire  du  Mo* 
narque. 

Quelques  efptits  ont  blâmé  certains  jeux, 
Certains  récits  qui  ne  font  que  /omettes} 
Si  je  défère  aux  leçons  qu'ils  m'ont  faites, 
Que  veut  -  on  plus  ?  foyez  moins  rigoureux  p 
Plus  indulgent,  plus  favorable  qu'eux , 
i  Prince  9  en  un  mot,  foyez  ce  que  vouï  êtes t    -  • 

L'événement  ne  peut  que  m'être  heureux. 

Il  prit  fort  à*  cœur  le  fuccès  de  cette 
i  affaire  y  &  c'eft  le  feul  trafc  d'ambhionî 
I  qu'on  puiffe  remarquer  dans  le  cours  de  (à. 
I  vie.     Cependant  fix  mois  s'étoiemt  écoulés 

i  -  .  .  - 

céda   à   Racine  ,   &  fut   alïbcié   à   Defprcaux ,   après  la. 
mort  duquel  il  ccfU  feul  chargé*  de  cet  ouvrage. 


xpav  VIE  DE  LA  FONTAINE; 

fans  décifion  de  la  part  du  Rof;  lorsqu'une 
autre  place  vint  à  vaquer  à  l'Académie  par  ! 
la,  niort  de  M-  de  Bezons  ;  Defpreaux  y  fut 
élu.  Ce  fut  alors  que  Louis  XIV.  mieux  j 
difpofé  en  faveur  deDefpreaux,  mais  qui* 
s'étoit  fait  une  loi  de  ne  jamais  prévenir  les 
fùffrages  de  l'Académie,  stexpliqua.ainfi  au 
Déput%  qui  venoit  lui  rendre  compte  de 
'cette  féconde  éleftion:  Le  choix  qu'on  a 
fait  de  M*  Defpreaux,  rriejl  très-agréable , 
&  fera  généralement  approuvé.  Vous 
pouvez,  ajouta- 1- il 9.  recevoir  inceffam- 
mènt   La  Fbntàine,    il  a  promis  d'are 

X'Aèadémie  reçut  avec  joie  cette  appro- 
bation; &  fans  attendre  k  réception  de| 
Defpreaux  qui  fe  trouvoit  en  Flandres  avec 
le  Roi,  &  qui  eut  été  faite  le  même  jour;! 
elle  fe  hâta  de  procéder  à  celle  de  Lai 
Fontaine  qui  fe  fit  le  2.  Mai  1684.  ^et 
empreflèment ,  &  la  haute  opinion  qu'on 
avoit  de  fes.  talens,  furent  manifeftés  publi- 
quement dans  cette  aflèmblée  par  M.  l'Ab- 
bé de' la  Chambre  qui  étoit  alors  Direélemv 
Il  prit  la  parole,  &.s'adreflànt  à  La  Fon- 
taine: V Académie,  dit -il,  reconnoît  en 
vous,  Monfieur,  un  de  ces  excellens  Ou- 
vriers, un  de  ces  fameux  Artjfçws  de  ta 
belle  gloire,  qui  vatafoulager  dans  les  fr<*- 
vaux  qu'elle  a  ^entrepris  pour  l'ornement 


v 


VIE  D ET  LÀ  FONTAINE,    xxxv 

de  la  France,  &pour  perpétuer  la  mémoi- 
re d 'un  régne  fi  fécond  en  merveilles. 

Elle  reconnoit  en  votif,  un  génie  aifé  & 
facile,  plein  de  déHcatejfe  &  de  naïveté, 
quelque  chofe  d'original ,  &  qui  dans  fa 
Jimplicité  apparente  &  fous  un  air  négligé^ 
renferme  de  grands  tréfors  &  de  grandes 
beautés. 

II  fut  eftimé  &  chéri  de  fes  confrères  f 
parmi  le(quels  il  parut  toujours  avec  cette 
candeur  &  cette  bonté  de  Carpétere  qu'on 
ne  peut  fe  donner,  ni  même  imiter  quand 
on  ne  Ta  pas.  Simple,  doux,  ingénu, 
plein  de  droiture,  il  n'eut  jamais  la.moia- 
dre  mésintelligence  avec  aucun  d'eux.  Lor* 
même  que  Furetiére  fe  fut  rendu  indigne 
de  la  place  qu'il  occupait  à  l'Académie,  & 
qu'il  fut  quefliôn  de  Fen  exclure;  (*)  La 
Fontaine  ne  put  fe  réfoudre  à  concourir  à 
cette  flétriffùre.  Il  voulut  'donc  étayer 
Furetiére  de  fon  fuflrage  ;  niais  maîheureu- 
fement,  l'une  de  fes  diftraftions  ordinal 
res  *(t)  le.fuiprit  au  moment  qulori  alloiç 

* 

{*)  Voyez  HHftoirc  de  l'Académie  par  M.,  Peli/ïbn» 
où  les  particularités  &  les  caufes  de  cette  exclufion  font 
detaUlées. 

{\)  Parmi  plusieurs  diftra&iôns ,  on  rapporte  qu'il  por> 
toit  depuis  deux  jours  un  habit  neuf,  fans  s'en  être  aper* 
c u  ;  lorsqu'un  de  fes  amis  qu'il  rencontra  dans  î»  rue» 
tint  lui  canfex  une  grande  furprife ,  ea  lui  ca  ftifani  fa» 

**'6 


•xxxvi  VIE  I>E  LA  FONTAINE. 

au  fcrutin  pour  cette  exclufion.  Au-Iieti 
de  placer  fes*  boules  comme  H  le  falloît,  il 
mit  la  noire  où  devoit  être  k  blanche,  & 
ajouta  une  voix  à,  celles  qui  étoient  déjà 
contre  Furetiére ,.  ce  que  celui-  ci  ne  lui 
pardonna  ,pas. 

La.  Fontaine  ne  connoiflbit  ni  .les  intri- 
gues m  l'art  de  briguer  les  faveurs  ;  il 
fuyoit.  la  Cour ,  pouf  laquelle  il  n'avoirpas 
inoins  d'éloignement  que  pou*  tous,  ceux 
auprès  desquels  ilfalloit  s'aflujettir,  fe  con- 
traindre^ ou  fe  déguifer.  Mais  il  n'eft  pas 
moins  furpreuant.  qu'il  ait  échapé  feul, 
fcarmuous  lesgrand&Hommes  de  fon  temps* 
aux  libéralités  &  aux  bienfaits  de  Louïs 
XIV.  auxquels  ,  comme  l'obferve  M.  de 
Voltaire ,  il  avoit  drok^de  prétendre  &  pat 
fon  mérite  &  par  fa  pauvreté.  Après  la 
mort  de  Madame  de  la  -Sablière  y  il  fe  trou- 
va réduit  dans  1a  fituatïon  la  plus  difficile  à 
fupEPrcer.,  £Jn  perdant,  cette  illuflre  amie, 
La  Fontaine  perdit  auifi  les  douceurs  de  la 

eompUmeiit.'  C'Étoit  Nfadame  d'Hervard  .  dont  j'aurai 
©ccafion  de  parler  dans  la  fuite,  qui,  à  Wnfçu  de  I  a 
Fontaine  ,  ayoit  fait  mettre  cet  habit  dans  fa  chambre  à 
la  place*  de  celui  qu'il  portait  ordinairement. 

Une  autre  fois,  &  ce  fait  eft  confirmé  par  une  twdî* 
tion  bien  confiante ,  il  oublia  d'avoir  été  à  l'enterrement 
-d'une  perfonne ,  chez  laquelle  il  arriva  pou»  dîner  avec 
OHetaues  amis  qui  s'étoient  ejnbarqués.Tous  fa  conduite, 
Malr  le  portier  lui  ayant  dit  que  fon  maître  étoit  mort 
depuis  huit  jours:  .  ahl  répondit  La  Fontaine  avec  ftoa* 


VIE^DE  LA  FONTAINE  xxsro 

vie  qui  lui  étoiént  k$  plus  chères  &  les 
plus  précieufes.  Son  repos  &  fa  trariquili- 
té  en  furent  troublés;.  H  fe  vit  ifolé,  & 
contraint  de  pourvoir  à  fes  befoms,  deve- 
nus plus  fenfîbles  pair  l'âge ,  &  que  l'atten- 
tion &  la  générofitéde  fa  bienfaitrice  lui 
avoient  laiflè  ignorer  pendant  une  bonne 
partie  de  fa  vie.  La  néceffitév  s'il  fiiut  le 
dire,  penfa  pour  lors  l'exiler  de  fa  patrie, 
&  dérober  honteiifement  à  la  France  l'un 
<les  génies  qui  lui  ait  fait  le  plus  d'honneur. 
Il  étoit  auffi  connu  par  fes  ouvrages  en 
Angleterre,  qu'eftimé  par  le*  qualités  de 
fon  ame.  Madame  de  Bouillon  (*)  s'jr 
trouvoit  alors  avec  Madame  de  Mazarin  fa 
feur.  'Elles  apprirent  que  La  Footaina 
se  vivoit  pas  commodément  à  Paris:  elles 
voulurent  l'attirer  à  Londres",  &  fe  joigni- 
rent pour  cet  effet  à  Madame  Harvey  (**)> 

(*)   Elle  étoit  arrive**  en f Angleterre  dès  l'année  1687s. 
pour  voir  fa  fœur. 

■(**)  Elifabeth  Moataigu  ,  veuve  de  M  le  Chevalier 
cMlarvey  ,  mort  â  Confiant  inople.  où  il  avoir  été  envoyé 
cd  Ambaflade  fat  Charles  If.  Cette  PtcK  »voit  beaucoup  • 
d'efpric  &  de  mérite.  C'eft  elle  qui  contribua  le  plus  4 
faire  venir  en  Angleterre  Madame  de  Mazarin ,  ave'c  qui 
elle  lia  enfuite  une  amitié  très- étroite.  Etant  allée  à 
Paris  en  168),  La  Fontaine  eut  ion-vent  occafion  de  la 
v*îr  cïitz  Milord  Montaigu  fon  frère  ,,Ambafladcur  d'An* 
glttcrre.  Elle  lui  donna  alors  le  fujet  de  la  Fable  du 
T^tnArd  ^*£/«/s,  oh  La  fontaine  a  fait  entrer  foa  éloge» 
&  Qu'il  lut  adre&r 


sxxrm  VIE  DE  LA  FONTAINE. 

-au  Duc  de  DevônsMre,  -fc  Mildrd  Montaf- 
gu,  à  Mîlord  Godolphin,  qui  tous  enfem- 
Me  s'engagèrent  à  lui  afluret  une  fubfiftan- 
ce  honorable.  Saint -Evremonç  ne  fut  pas 
-le  dernier  à  vouloir  le  féduire.  Il  lui  écri- 
vit plufieurs  lettres ,  &  La  Fontaine  étroit  | 
ébranlé,  lorsqu'il  fot  détourné  de  ce  voya- 
ge par  les  dernières  circonftances  de  fa  vie 
dont  je  vais  rendre  compte.  (*) 

Vers  la  fin  de  1692,  il  tomba  dangereu- 
fèment  malade.  Jusqu'alors  il  n'avoit  guè- 
Tes  porté  fa  vue  fui*  le  culte  ni  fur  les  ob- 
jets de  la  Religion  ;  &  les  affaires  de  ion 
falut  avoient  été  enveloppées  dans  l'oubli 
.  &  dans  la  profonde  indifférence  qui  régnoient 
fur  fa  vie.  La  loi  naturelle  dirigeoit  fon 
<cœur,  &  guidoit  l'innocence  de  fes  mœurs. 
Son  efprit  ennemi  du  travail ,  incapable  d'ef- 
fort ou  de  contention  de  quelque  nature 
qu'elle  put  être ,  ne  fe  donna  jamais  la  pei- 
ne de  fuivre  long -temps  le  même  objet^ 
N  &  moins  encore  de  fe  porter  à  la  contem- 
plation des  chofes  qui  fonr  liors  de  la  ïphè- 
re  naturelle  de  l'homme.    Le  Curé^de  S, 

(  *  )  L'on  prétend  qu'alors  La  Fontaine  fe  mît  à  appren- 
dre la  langue  Angloife ,  &  que  la  fteherefle  &  l'ennui  de 
cette  étude  le  détournèrent  d'allvr  en  Angleterre.  Mais 
notre  langue  y  étoic  dès  ce  temps  auflî  connue  qu'au* 
jourd'hui.  Saint  •  Evremont ,  i  portée  de  l'inftruire  de 
ce  qui  s'y  paflbit ,  n'aporit  janwii  l'Angloisj  &  ta  Fon» 
taine  étoït  moins  capable  qu'un  autre',  d'être  arrêté  par 
nue  précaution  auffijuperihic. 


.y 
VI.R  DE  LA  FONTAINE,  xxxtt 

Roch,  informé  de  la  maladie  férieufe  de 
La  Fontaine ,  lui  envoya  le  P.  Poujçj  (  *  ), 
homme  d'efprit,  &  qui  pour  lors  étoit  Vi- 
caire de  cette  Paroiflè,  Ce  prêtre  pour 
donner  à  fe  vifite  un  air  moins  férleux  & 
moins  fufpeft,  fe  fit  annoncer  de  la  part  de 
fon  père,  chez  qui  La  Fontaine  alloit  quel- 
quefois, pour  s'informer  de  l'état  de  fa  fan- 
té.  Pour  lui  ôter  toute  méfiance ,  il  fe  fit 
accompagner  d'un  ami  commun  qui  l'gtoit 
encore  plus  particulièrement  du  malade» 
Après  les  politeflès  d'ufage*,  le  P.  Poujet 
fit  tomber  infenfiblement  la  converfatioa 
fur  la  Religion ,  &  fur  les  preuves  qu'on 
en  tire  tant  de  la  raifon  que  des  Livres 
faims.  Sans  fe  douter  du  but  de  fts  dis* 
cours  :  Je  me  fuis  mis,  lui  dit  La  Fontaine, 
avec  fa  naïveté  ordinaire,  depuis  tjuetque 
temps  à  lire  le  Nouveau  Tejiament  :je  vous 
qffure,  ajouta- 1 -il,  que  feft  un  fort  bon 
Vivre  \  ouiJ>ar  majoi,  c'efl  un  bon  livre* 
Mais  il  y  a  un  article  fur  lequel  je  nemefuif 
j>as  rendu  ^  tefl  celui  de  l'éternité  des  pei*^ 
nés:  je  ne  comprends  pas ,  dit-il,  comment 
cette  éternité  peut  s 'accord  r  avec  la  bonté 
de  Dieu.     Le  Père  Poujet  fatisfit  k  cette, 

(*)  UmmbU  P«»j*t\  Il  venoit  de  quitter  récemment 
le»  bancs  de  Sorbonne  oh  il  «voit  pris  tous  fes  grades  fe 
le  bonnet  de  DoSeur.  fl  entra  depuis  dans  l'Oratoire* 
)1  compofa  le  Catéchisme  de  WontpeUier,  &  mowut  % 
Taris  en  1713- 


&    V.IEDE  t,A  FONTAINE,  - 

obje&ion  par  les  meilleures  raiftms  qu'il 
put  trouver  dans  ce  moment;  &  La  Fon- 
taine, après  plufieurs  répliques,  fut  fi  con- 
tent de  l'entendre ,  qu'il  le  pria  de  revenir. 
Le  P.  Poujet  ne  deiaandoit  pas  mieux;  il 
partit ,  &  lui  laiflà  l'ami  qu'il  avoir  amené. 
Le  but  de  cette  réparation  préméditée  étoic 
d'amener  La  Fontaine  k  la  confidence  de 
fes  fentimens.  &  de.  fes  difpofitions  préfen- 
tesv  En  effet»  farisfait  de  cette  vifite,  il 
dit  k  fon  ami ,  que  s'il  avoit  à  fe  confeflèr» 
il  ne  prendrait  point  d'autre  dire&eur  que 
cet  Eccléfiaftique* 

Le  P.  Poujet  inftruit  du  fuccès  de  fa  vifi- 
te ,  fut  exaét  depuis  ce  temps  à  lui  en  ren- 
dre, deux  par  jour,  dans  lefquelles  il  ne 
'ceflbit,  en  le  familiarifant  avec  fes  dis- 
cours ,  d'éclaircir  fes  doutes  9  &  de  répon- 
dre à  fes  quefiions  avec  Tadreflè  &  la  fa- 
gefle  d'un  habile  homme.  Ce  n'étoit  au 
fond,  ni  l'impiété,  ni  l'incrédulité  qu'il 
ivoit  à  combattre.  La  Fontaine  toujours 
vrai,  toujours  fincere  &,rempli  de  bonne 
foi,  ne  cherchoit  qu'à  s'inftruire ,  &  à  fe 
convaincre.  Il  ne  vouloit  point  faire  tenir 
à  fa  bouche  un  langage  que  fon  cœur  ou 
fon  efprit  déraentiflènt.  Je  ne  rapporterai 
point  les  différentes  objeftions  qu'il  fit ,  ni 
la  manière  dont  le  P.  Poujet  fçut  y-Tatis- 
feire.    Mais  je  ne  fçaurois  pafler  fou$  filen- 


VIE  DE  LÀ  FONTAINE,   l» 

ce  deux  points  intéreflàns  fur  lefquels  La 
Fontaine  eut  peine  à^  fe  rendre»  Le  pre- 
mier fut  une  fatisfeétion  publique  fur  fes 
Contés,  que  ce  Directeur  exigea  de  lui: 
l'autre,  la  promeflè  de  ne  jamais  donner 
aux  Comédiens  une  pièce  de  théâtre  qu'il 
avoit  compofée  depuis  peu ,  &  dont  il  avoit 
reçu  les  applaudiflèmens  des  connoifleurs., 
&  des  amis  auxquels  il  l'avoit  lue. 

Quoique  La  Fontaine  ne  regardât  pas 
fes  Contes  comme  un  ouvrage  irrépré- 
henfible,  il  ne  pouvoit  cependant  kna.- 
giner  qu'ils  fuflènt  capables  de  produire 
des-  effets  auffi  pernicieux  qu'on  le  pré- 
tendoit.  U  proteftoit  qu'en  les  écrivant 
ils  n'avaient  jamais  fait  de  mauvaifes  int- 
preflions  fur  lui  :  &  comme  fa  manière  or- 
dinaire étoit  de  juger  des  autres' par  lui* 
même;  U  atcribuoiç  ce  qu'on :lui  difojt  là- 
deffîis  à  une  trop  grande  délicatefle.  C'eft 
ainfi  qu'il  fe  deffendoit  contre  l'efpece  d'a- 
mande honorable  qu'on ..  exigeok  de  lui; 
jtiaîs  l'éloquence  du  P.  Poujet  l'emporta 
far  fes  répugnances.  La  Fontaine  cou* 
vaincu,  fe  féfigna,  &  confentit  à  tout  ce 
que  ce  Directeur  jugeroic  néceflàire  &  conr 
venable  dans  cette  occafion.  Quant  a  la  piè- 
ce de  théâtre,  il  ne  fe  rendit  point  avec  la 
même  docilité.  Les  difcuffions  &Ja  con- 
croverfe,  entre  fon  ami  Racine  &M.  Ni- 


xlii  VIE  DE  LA  FONTAINE,         i 

.  cole  fur  ce  point ,  étoient  encore  préfentes 
à  fon  efprit.  La  décifion  du  P.  Poujet  lui 
parut  trop  févere;  il  en  appella  à  une 
confultation  en  forme  de  plufieurs  Doéteurs 
de-Sorbonne.  Elle  ne  lui  fut  point  fevo-  \ 
rable  ;  &  fans  balancer  il  jetta  fa  pièce 
au  feu  fans  en  retenir  de  copie.  Cet  ou- 
vrage eft  refté  perdu  ,  on  n'en  fçait  pas 
même  le  titre. 

Parmi  tous  ces  débats  &  toutes  ces  ex- 
hortations où  fe  trouvoient  employées  tantôt 
une  douce  perfuafion,  &  tantôt  la  crainte 
des  peines  de  l'autre  vie  ;  je  ne  dois  pas 
oublier  les  réflexions  de  la  Garde  de  La 
Fontaine,  qui  défignent  d'une  manière 
*ufli  naturelle  qu'originale,  les  fentimens 
•&  l'opinion  qu'il  infpiroit  de  lui.  Eh  ! 
ne  te  tourmentez'  pas  tant,  dit- elle  un 
jdur  avec  impatience  au  P.  Poujet,  il  eft 
fluf  bête  que  méchant.  Une  autre  fois  avec 
un  air  de  compaffion,  Dieu  n'aura  jamais, 
difoit  -  elle ,  le  courage  de  le  damner. 

Enfin  après  plus  de  fix  fèmaines  de  con* 
férences  affidues  &  redoublées,  La  Fon- 
taine fit  une  confeffion  générale ,  &  reçut 
1e  Saint  Viatique  le  12.  Février  1693,  avec 
des  fentimens  dignes  de  la  candeur  de  fon 
ame,  &  des  vertus  du  meilleur  Chrétien. 
C'eft  dans  ce  moment  qu'avec  une  préfence 
d'efprit  admirable,  &  dans  les  meilleurs 


VIE  DE  LA  FOItTAINE.   xlui 

termes,  il  détefta  fes  Contes  (*)  en  pré- 
fence  de  Meffieurs  de  l'Académie.  l\  les 
avoit  fait  priçr  de  fe  rendre  chez  lui  par 
Députés ,  pour  être  les  témoins  publics  de 
fon  repentir,  de  .lès  dtfpofitions,  &  de  la 
proteftation  autentique  qu'il  fit  de  n'em- 
ployer fes  talens  à  l'avenir,  s'il  recouvroit 
la  fanté,  qu'à  des  fujets  de  piété»  (**) 
Il  tint  exactement  parole*  (***}  U  revint 

(*}  Il  renonça  en  même  temps  au  profit  qui  davott 
lui  revenir  d'une  nouvelle  édition  de  -fes  Contes  qufil  «voit 
retouchée,  &  qui  ^'imprimait  alors  en  Hollande.    -       ; 

(**)  Quelques  -  nus  entrent  alors  que  La  Fontaine  étoic 
mort  •  ou  qu'il  ne  releveroit  point  de  cette  maladie  :  fe 
ce  fut  dans  ce  temps  que  le  Poète  Ligniérè  répandis  dan» 
fins  l'Epigramme  Tuivante. 

Je  ne  juger**  de  met  trU 

D*etn  hemme  **A*t  <j**il  fest  Heintt 

Teliffo*  êfi  port  en  impie. 

Et  Lm  Fentdine  femme  un  feint. 

Cependant  aucun  de  ces  faits  n'étoîent  vrais.  Car  L# 
Fontaine  ne  mourut  pas  ;  &  de  ce  que  1a  violence  de  U 
maladie  avoit  furpris  Peliuon  fans  lui  donner  le  temps 
de  recevoir  les  derniers  Sacremetis  qu'il  avoit  différé  au 
lendemain  »  l'on  ne  pouvait  en  inférer  qu'il  fût  mois  eu 
impie. 

(***)  C'eft  par  une  erreur  oeuiéflécfeie  ft  «al  hasar- 
dée, que  Lokman,  dans  fpn  livre  des  Amours  de  P  fiché 
&  de  Cupidon,  en  Amglois,  /«  8vo.  a 744/  imprimé  & 
Londres ,.  fuppofe  dans  une  vie  qu'il  a  voulu  donner  de 
La  Fontaine ,  qu'après  cette  maladie  «  M  compofa  encore 
Quelques  pièces  trop  libres  &  dans  le  goût  de  fes  Contes. 
Il  en  cite  pour  preuve  l'édition  d'un  livre  intitulé  Ouvrât  s 
gts  de  Preje  &  de  PoSjte ,  des  fient*  de  Maucrey  &  de  Lé 
Fentéine,  qui  parut  en  i6Sc  ;  époque  bien  antérieure  à  lu 
converuon  de  La  Fontaine,  &  qu'il  pouvait  aifémen* 
tojuttjtcr,    y 


*ur  VIE  DELA  FONTAINE. 

de  cette  maladie ,  &  la  première  fois  qu'A 
put  affifter  à  l'Académie,  il  y  renouvella  la 
proteffation  qu'il  avoit  faite  devant  les  Dé- 
putés, &  fit  lefture  dans  l'Aflemblée  d'une 
Paraphrafe  en  vers  François  de  la  Profe  des 
morts  Dies  ira.  Il  l'avoit  compofée  pour 
s'entretenir  de  la  penfé  de  la  mort ,  &  pour 
fe  pénétrer  des  vérités  les  plus  terribles  de 
la  Religion. 

Le  jour  qu'il  reçut  le    Saint  Viatique, 
Monfieur  le  Duc  de  Bourgogne  qui  n'avoir 
encore  atteint  que  fa  onzième  année,  fit 
une  aftion  digne  du  fang  des  Bourbons.  De 
fon  pur  mouvement ,  &  fans  y  être  porté 
par  aucun  confeîl,   il  envoya  un  Gentil- 
homme à  La  Fontaine  pour  s'informer  de 
l'état  de  fefanté,  &  pour  lui  préfenter  de 
fa  part  une  bourfe  de  cinquante  louïs-d'or. 
Il  lui  fit  dire  en  même  temps  qu'il  auroit 
louhàité  d'en  avoir  davantage;  mais  que 
jc'étoit  tout  ce  qu'il  lui  reftoit  du  mois  cou- 
lant, &  de  ce  que  le  Roi  lui  avoit  fait 
donner  pour  fes  menus  plaifirs.    Ce  Prince 
dans  qui  l'Europe  voyoit  de  fi  bonne-heure 
germer  les  vertus  &  les  lèntîmens  dignes 
de  la  grandeur  de  fon  rang,  fe  mit  dès  ce 
temps  à  la   tête  des  bienfaiteurs  de   La 
Fontaine  ;  &  par  fes  largefles  écarta  la  né- 
ceffité  qui ,   comme  nous  l'avons  vu  plus 
haut,  ailoît-  bientôt  livrer  La  Fontaine %  \ 


VIE  DE  LA  FONTAINE,  xl* 

l'ambitieufe  rivalité  d'une  Nation  qui  nous» 
difpute  la  gloire  de  foutemr  le  mérite,  &• 
de  récompenfer  les  tajens. 

Après  fa  maladie,  La  Fontaine  fut  invi- 
té par  Madame  d'Hervard  (*  )  qui  l'aimoic 
beaucoup ,  à  venir  loger  chez  elle;  D  ac- 
cepta cette  offre  9  &  retrouva  dans  cet  afyle 
les  douceurs  &  les  attentions  que  Madame 
I  de  la  Sablière  avoit  eues  autrefois  pour  lui. 
Ufe  mit  alors  à  traduire  en  vers  les  Hymnes 
de  TÉglife.  Mais  il  n'avança  pas  beaucoup 
dans  ce  nouveau  genre  de  travail  :  il  Tavoit 
entrepris  trop  tard  pour  être  fécondé  de 
ce  feu  poétique  qui  Tavoit  autrefois  animé; 
&  qui  fe  trouvoit  aloErs  éteint  &  diffipé  par 
l'âge,  la  maladie,  le  régime,  &  par  les 
auftérités  qu'il  pratiquoit  .dans*  fa  péni-; 
tence. 

Il    vécut  encore  deux  ans  dans  cette, 
langueur  ,     &    plus    il    fentoit  diminuer 
fes  forces  ,     plus  il    redoubloit    de   fer- . 
veur.  (**)     H  mourut  le  13.  Mars  1695, 
âgé  de  foixante  -  treize  ans,    huit  mois,; 

I     (*)  Femme  de  M:  d'Hervard  Confeilfer  au  Parlement," 
qui  conferya  la  mémoire  de   La   Fontaine  avec  tant  de 
vénération  »  qu'il  fe  faifoit  un  plaîfir  de  montrer  dans  fa 
roaifon ,  depuis  lors  l'hôtel  d'Armenonville  ,  la   Chambre  ' 

I  on  La  Fontaine  étoit  motc,  comme  on  fait  remarquer  à  : 
Rome  la  maifon  de  Ciccron. 

!     (**)  C'eft    ici  l'occafion  de  rapporter  fine  lettre  oui 
1  fût  bien   connolcre    fes  difpôfitions.'    Il  l'écrivit  i  fia1 
ami  M.  de  Maucroy ,  na  moat  avant  f»  mort. 


«lviïi   VIE  DE  LA  fontaine. 

Uefprit,  lui  firent  faîfir  par -tout  les  nuan- 
ces &  les  traits.  C'^ft  ainfi  qu'en  rema- 
niant les  ouvrages  des  Anciens,  il  fe  les 
eft  rendu  propres ,  &  leur  à  prêté  une 
tournure  &  des  grâces  qu'ils  n'avoient  point. 
Auffi  fage;  auffi  fenfé  qu'Efope;  il  l'a 
furpaflë  autant  par  la  jufteflè  des  applica- 
tions, que  par  f  élégance  &  la  précifion. 
Plus  vif,  plus  rempli  d'intérêt  &  de  cha- 
leur que  Phèdre,  il  l'a  laide  derrière  lui, 
,  &  s'eft  ouvert  dans  fes  Fables  une  carrière 
toute  neuve,  toute  parfemée  de  fleurs  & 
d'agrémens  piquans  (*).  Auffi.  peut -on 
dire  qu'il  eft  parvenu  au  plus  haut  point 
de  perfection  où  l'on  puiflè  atteindre  dansj 
ce  genre*  I 

Ses  Contes, quoique  d'une  moindre  per- 
feftion  ,  font  des  chef- d'oeuvres  d'une 
autre  efpece  qui,  dans  le  genre  naïf,  feryi- 
ront  toujours  de  modèle  pour  la  narration. 
L'intérêt  &  la  faillie  ,  à  côté  du  Ample 
&  du  naturel ,  y  charment  l'efprit  &  fur- 
prennent  l'imagination  d'une  manière  agréa- 
ble &  féduifante.     Lottque  Là  Fotttaine 

.  ~ra- 

(  *  )  Oeft  ce  qu'il  ne  connoifloît  pas ,  fe  mettant  fort 
au^eflous  de  Phèdre.  Mais,  comme  a  dit  M.  de  Eon-| 
tf»elle ,  celd  nt  tire*  peint  à  confluence ,  &  Là  fentéint 
ne  le  et  doit  ainfi  k  Phèdre  que  par  betife..  Mot  pi  ai  Tant, 
expresfion  (ingulîére  ,  mais  qui  catacVrife  d'une  jnani** 
r<  aufB  fine  que  jujfte  ,  l'indifférence  d'un  gftûe  fupexicuc 
qui  néglige  de  rechercher  fon  mérite. 


VIE  DE  LA  FONTAINE-  xlik 

raconte,  Ton  oublie  qu'on  lit^une  fiétion , 
on  s'oublie  foi  -  même  ;  &  livré  à  une  efpece 
d'enchantement,  l'on  croit  entendre  &  voir 
tout  ce  qu'on  lit.     S'il  change  de  ftyle, 
&  qu'il  adreflè  quelquefois  la  parole  aux 
|  Dames    dans    fes  vers ,    quelle  élégance  ! 
|  quelle  fineflè  dans  fes  complimens  !  quelle 
tournure  délicate  &  galante  dans  fes  Iouan«- 
|ges!  -    • 

A  travers  tous  ces  avantages ,  cet  excel- 
lent Auteur  n'a  pas  mis  la  dernière  main  k 
toutes  fes  pièces.  Libre  en  écrivant  com- 
me en  toute  autre  çhofe ,  fon  indolence  & 
fe  pareflè  fe  manifeftent  quelquefois  par  des 
conftru&ions  vicieufes ,  ou  par  des  défaut* 
de  langage.  Mais  par -tout  où.  l'on  puifle 
s'arrêter  à  critiquer. ces  petites  fautes,  on 
aperçoit  toujours  l'homme  de  génie  &  le 
grand  écrivain.  S'il  pouvoit  être  foupçoflr 
né  de  malice  ou  de  quelque  adreflè  re- 
cherchée, l'on  diroit  même  que  ces  né- 
gligences *  dans  la  place  qu'elles  occupent, 
font  fouvent  l'effet  de  l'art  ;  tant  elles  font 
imperceptibles  &  réparées  par  les  chofes 
qui  les  précédent  ou  qui  les-  accompag- 
nent. Mais  il  ne  pouvoit  fe  gêner,  comme 
nous  l'avons  obfervé  plus  haut;  il  fuivoit 
Ton  humeur  &  fa  fantaifie,  &  parcourant 
tantôt  un  fujet  &  tantôt  un  autre ,  il  fe  li- 
vroit  k  différens  genres:  ce  qui  lui  9,  fait 


l      VIE  t>E  LA  FONTAINE  • 

< 

quelquefois  négliger  la  corrc&ion  dans  fe* 
Poêles.  Cette  légèreté  d'humeur  dont  il 
fe  divertiiïbit  lui-même,  méttoit  fort  en. 
colère  Madame  de  Sévigné  qui ,  dans  une 
de  fes  lettres ,  dit  d'un  air  piqué  :  je  vou- 
drais jaire  une  fable  qui  lui  fit  entendre 
combien  cela  eji  mif érable  de  forcer  J on 
efpfit  àfortir  de  fon  genre ,  &  combien 
la  folie  de  vouloir  chanter  fur  tous  les 
tons  y  fait  une  mauvaife  mu/ique.  En 
ceci  cependant,  La  Fontaine,  loin  de 
forcer  fon  efprit,  ne  fuivit  que  fon  capri- 
ce & ,  fon  incenftance  :  c'eft  ainfi  qu'il 
s'en  explique  lui-même  dans  un  difeours  àj 
lyiadame  de  la  Sablière. 

Papillon  du  Parmffè  &  femblable  aux  Abeilles, 

A  qui  le  bon  Platon  compare  nos  merveilles; 

Je  fuis  chofe  légère ,  &  vole  à  tousjujets. 

Je  vais  de  fleur  en  fleur ,  £p  d'objets  en  objets; 
.  A  beaucoup  de  plaifir,  je  mêle  un  peu  de  gloire. 

J'irais  Qlus  haut  peut  -être  au  temple  de  Mémoire, 
'  Si  dans  un  gertre  feul  j'avais  ufé  mes  jours. 

Mais  quoi  l  je  fuis  volage  en  vers  comme  en  amours*  ! 


ésssssssssssssssssssssssssœ* 


A  MONSEIGNEUR 

LE  DAUPHIN. 


!  Monseigneur, 

i 

Vil  y  a  quelque  chofe  d'ingénieux  dans  la  RèpubVqae 
»  Lettres,  on  peut  dire  que  c'ejl  h  manière  dont  Efo- 
U  débité  fa  morale*  Ilferoit  vèritabliment  à  fcuhai- 
*  çue  d'autres  m'aiis.que  les  miennes  y  eujfent  ajouté 
^ornement  de  la  poëjie;  puifque  le  plusfage.des  an- 
hs  a  jugé  qu'ils  n'y  épient  pas  inutiles.  Jofe, 
MONSEIGNEUR ,  vous  en  prtjenter  quelques  ejjais. 
$  un  entretien  '  convenable  à  vos  premières  années, 


tït  DEDICACE. 

Vous  êtes  en  un  âge  où  Tamufement  &  les  jeux  font 
permis  aux  Princes  ;   mais  en  même  tems  vous  devez 
donner  quelques-unes  de  vos  penfées  à  des  réflexions 
Jérieufes.     Tout  cela  Je  rencontre  aux  fables  que  nous 
devons  à  Éfope.     L'apparence  en  eft  puérile ,  je  le  con- 
feffe ,  mais  ces  puérilités  fervent  d'enveloppe  i  des  vérités 
importantes.    Je  ne  dente  point ,   MONSEIGNEUR, 
que  vous  ne  regardiez  favorablement  des  inventions  fi  tui- 
les, &  tout  enfetnble  fi  agréables  :   car  que  peut -on  . 
fouliaiter  davantage  que  ces  deux  points?    Ce  font  eux 
qui  ont  introduit  les  fciences  parmi  les  lummes.    .Efope 
a  trouvé  un  artfinguller  de  les  joindre  l'un  avec  Vautre. 
La  le&ure  de  fon  ouvrage  répand  infenfiblement  dans 
une  aime  lesfemences  de  la  vertu,  &?  hii  apprend  à  foy 
connaître,  fans  qu'elle  s'apperçoive  de  cette  étude ^  Q* 
tandis  qu'elle  croit  faire  toute  autre  chofe.      Ceft  une 
udreffe  dont  feft  fervi  très-heureufement  celui  fur  lequel 
Sa  Majefié  a  jette  les  yeux  pour  vous  donner  des  in- 
Jlru&ions.     Il  fait  enforte  que  vous  apprenez  fans  pei-* 
ne,  ou,  pour  mieux  parler,  avec plaifir ,  tout  ce  qu'il 
eft-  néceffaire  qu'un    Prince  feache.     Nous   efpérons  i 
beaucoup  démette  conduite;  mais,  à  dire  la  vérité,  y 
y  a  des  chofes ,  dont  nous  efpérons  infiniment  d'avantage, 
G  font,  MONSEIGNEUR,    les   qualités  que 


D    E    Ô    I    C    A    C    E.         lui 

««te  invincible  Monarque  vous  a  données  avec  la  nais- 
ftnce;  c'ejt  F  exemple  que  tous  les  jours  il  vous  dorme. 
Qwid  vous  le  voyez  former  de  fi  grands  deffeins; 
\uand  vous  le  confidérez  qui  regarde  fans  s'étonner  Va- 
çtatim  de  f Europe,   ($   les  machines  qu'elle   remue 
pur  le  détourner  de  fin  entreprife;  quand  il  pénétre  dès 
/a  première  démarche  jusques  dans  le  cœur  d'une  Pro- 
vince, où  Von  trouve  à  chaque  pas  des  barrières  infur- 
imtables,   £f    qu'il  en  fubjugue  une  autre  en  huit 
;<mï,  pendant  la  faifin  la  plus  ennemie  de  la  guerre, 
lorsque  le  repos  &  les  plaifirs  régnent  dans  les  cours  des 
autres  Princes;  quand  non  content  de  doinpter  les  hom.- 
mes,  il  veut  triompher  auffi  des  élément;  £?  quand, 
eu  retour  de  cette  expédition,  où  il  a  vaincu  comme  un 
Jlexandre ,  vous  le  voyez  gouverner  fes  peuples  comme 
un  Jugufle;  avouez  le  vrai,  MONSEIGNEUR; 
msjoupirez  four  la  gloire  auffi -bien  que  lui,  malgré 
Impuiffance  de  vos  années  :  -vous  attendez  avec  impa- 
tience le  vems  où  vous  pourrez  vous  déclarer  fin  rival 
dans  r amour  de  cette  divine  mattreffe.     Fous  fie  Pat- 
tendez   pas,   MONSEIGNEUR,   vous  le  pré- 
venez: je  n'en  veux  pour  témoignage  que  ces  nobles  in* 
quiétudes,   cette  vivacité,    cette  ardeur,  ces  marques 
ttfprit,  de  courage  £?  de  grandeur  d'orne,  que  vous 


xi*  DEDICACE. 

faites  parottre  à  tous  les  moment.  Certainement  c'ejt 
une  joie  bien  fenjible  à  notre  Monarque;-  mais  c'ejl  un 
JpeSacle  bien  agréable  pour  V univers,  que  de  voir  ainfi 
troitre  une  jeune  plante,  qui  couvrit  a  un  jour  de  Jbn 
imbre  tant  de  peuples  £J  de  nations.  Je  devrais  m*é- 
tendre  fur  je  fujet;  mais  comme  le  deffein  que  j*ai  de 
vous  divertir,  efl  plus  proportionné  à  mes  forces  que  celui 
.de  vous  louer,  je  me  hâte  de  venir  aux  fables,  fi? 
n'ajouterai  aux  vérités  que  je  vous  ai  dites ,  que  celle- 
ci:  c'eft  MONSEIGNEUR,  %ue  je  fuis  avec  m 
zélé  refpeSueux  , 


Votre  três-humble  &  très-obéiflânt* 
&  três-fidéle  fervitçur, 
DE  LÀ  FONTAINE* 


PREFACE. 


L'i 


^'indulgence  que  Ton  a  eue  pour  quel- 
ques-unes de  mes  Fables,  me  donne  lieu  d'efpércr 
la  même  grâce  pour  ce  recueil.  Ce  n'eft  pas  qu'un 
des  maîtres  de  notre  éloquence  n'ait  desapprouvé 
le  deflein  de  les  mettre  en  vers.  Il  a  crû  que 
leur  principal  ornement  eft  de  n'en  avoir  aucun  :  *  ' 
que  d'ailleurs  la  contrainte  de  -la  poq/îe  ,  jointe 
à  la  févérité  de  notre  langue ,  m'embarraflèroient  en 
•beaucoup  d'endroits,  &  bannirbient  de  la  plû« 
part  de  ces  récits  la  brièveté  ,  qu'on  peut  fort 
bien  appelier  l'ame  du  conte  ,  puisque  fans  ellç 
il  faut  néceflairement  qu'il  ianguiffe.  Cette  opi- 
nion ne  fçâuroit  partir  que  d'un  homme  <1  ex- 
cellent goût  ;  je  demanderas  feulement  qu'il  ea 
relâchât  quelque  peu,  &  qu'il  crût  que  lès  Grâ- 
ces Lacédémoniennes-ne  font  pas  tellement  enne- 
mies des  Mufes  Françoifes,  que  l'on  ne  puifle  fo;*- 
vent  les  faire  marcher  de  compagnie. 

Après  tout  je  n'ai  entrepris  la  chofe  que  fuir 
l'exemple,  je  ne  veux  pas  dire  des  anciens,  qui 
ne  tirç  point  à  conféquence  pour  moi ,  mais  fur 
celui  des  modernes.  C'eft  de  tout  temps ,  &  chez 
tous  lés  peuples  qui  font  profesfîon  de.  poëfic, 
que  le  FarnafTe  a  jugé  ceci  de  fon  appanage.  A 
peine  les  fables  qu'on  attribue  à  Efope ,  virent  le 
jour ,  que  Soàrate  trouva  à  propos  de  les  babil* 
1er  des  livrées  des  Mufef.  Ce  que  Platon  en 
rapporte  eft  fi  agréable,  que  je  ne  puis  m'empê- 
cher  d'en  faire  un  des  ornemens  de  cette  préfa- 
ce. Il  dit  que  Socrate  étant  condamné  au  dernier 
fupplice,  Ton  remit  l'exécution  de  l'arrêt  à  caufe 
de  certaines  fêtes.    Cébès  l'alla  voir  le  jour  de  la 


xvi  P    R    E    T   A    C   É. 

mort.  Socrate  lui  dit ,  que  les  Dieu*  Pavoicnl 
averti  plufieurs  fois  pendant  ion  fommeil ,  qu'il  de- 
voit  s'appliquer  à  lamufique  avant  qu'il  mourût. 
11  n'avoit  pas  çntendu  d'abord  ce  que  ce  fonge 
iignifioit:  car  comme  la  muiîque  ne  rend  pas  rhom- 
jne  meilleur  ,  à  quoi  bon  s'y  attacher  ?  Il  falloit 
qu'il  y  eût  du  myftére  là-deflbus;  d'autant  plus -que 
les  Dieux  ne  fe  laffoient  point  de  lui  envoyer  la 
même  infpiration.  Elle  lui  étoit  encore  venue 
'  une  de  ces  fêtes.  Si  bien  qu'en  fongeant  aux  cho- 
ies que  le  ciel  pouvoit  exiger  de  lui,  il  s'étoit  avifé 
<jue  la  muiîque  &  la  poëHe  opt  tant  de  rapport,  que 
posfible  étoit -ce  de  la  dernière  dont  il  s'agiflbit. 
Il  n'y  a  .  point  de  bonne  poëfîe  fans  harmonie , 
jnais  il  n'y  en  a  point  non  plus  fans  fixions  ;  & 
Socrate  ne  fçavoit  que  dire  la  vérité.  Enfin  il 
«voit  trouvé  un 'tempérament.  C'était  de  choffïr 
des- fables  qui  continûment  quelque  chofe  de  véri- 
table >  telles  que  font  celles  d'Efope.  Il  employa 
•donc  à  les  mettre  en  vers  les  derniers  momens  de 
fe  vie. 

Socrate  n'eil  pas  le  feul  qui  ait  confidéré  comme 
fœurs  la  poêiie  &  nos  fables.  Phèdre  a  témoigné 
qu'il  étok  de  ce  fentiment  ;  &  par  l'excellence  de  fon 
ouvrage ,  nous  pouvons  juger  de  celui  du  Prince 
des  philofophes»  Après  Phèdre,  Aviénus  a  traité 
le  même  fujet.  Enfin  les  modernes  les  ont  fuivis. 
Nous  en  avons  des  exemples  non -feulement  chez 
les  étrangers ,  mais  chez  nous.  Il  eft  vrai  que  lors- 
que nos  gens  y  ont  travaillé ,  la  langue  étoit  il  dif- 
férente de  ce  qu'elle  eft,  qu'on  ne  les  doit  confl- 
dérer  que  comme  étrangers.  Cela  ne  m'a  point 
détourné  de  mon  entreprife  :  au  contraire  je  me 
fuis  fiaté  de  l'efpérance  que  fi  je  ne  courois  dans 
cette  carrière  avec  fuccès  ^  on  me  donneroit  au 
moins,  la  gloke  de  l'avoir  ouvçctç. 


>    R    E    TA    C    S.  MX. 

Il  arrivera  posfible  que  mon  travail  fera  naître 
i  d'autres  perfonnes  l'envie  de  porter  la  chofc  plue 
loin.  Tant  s'en  faut  que  cette  matière  foit  épuifée, 
qu'il  refte  encore  plus  de  fables  à  mettre  en  vers, 
que  je  n'en  ai-mis.  J'ai  choifi  véritablement  les  meil- 
leures, c'eft-à-dire  celles  qui  m'ont  femblé  telles. 
Mais  outre  que  je  puis  m'étre  trompé  dans  mon 
choix,  il  ne  fera  pas  bien  difficile  de  donner  un 
autre  tour  à  celles-là  même  que  j'ai  choifies ;  &  fi 
ce  tour  eft  moins  long ,  il  fera  fans  doute  plus 
approuvé.  Quoi  qu'il  en  arrive  ,  on  m'aura  tou- 
jours obligation  ;  foit  que  ma  témérité  ait  été 
heureufe ,  &  que  je  ne  me  fois  point  trop  écarté 
du  chemin  qu'il  felloit  tenir ,  foit  que  j'aie  feule* 
ment  excité  les  autres  à  mieux  faire. 

Je  penfe  avoir  juftifié  fuffifamment  mon  defleîn  : 
quant  à  l'exécution ,  le  public  en  fera  juge.  On 
ne  trouvera  pas  ici  l'élégance  ni  l'extrême  brièveté 
qui  rendent  Phèdre  recommendable ,  ce  font  des  quali- 
tés au-deflos  de  ma  portée.  Comme  il  m'étoit  im- 
posable, de  l'imiter  en  cela,  j'ai  crû  qu'il  falloit  en 
récompenfe  égayer  l'ouvrage  plus  qu'il  n'a  fait. 
Non  que  je  le  blâme  d'en  être  demeuré  dans  ces 
termes  :  la ,  langue  latine  n'en  demandoit  pas  da- 
vantage; &  fi  l'on  y  veut  prendre  garde,  on  re- 
connoîtra  dans  cet  auteur  le  vrai  carattére  &  le 
vrai  génie  de  Térence.  La  fimplicité  eft  magnifi- 
que chez  ces  grands  hommes  ;  moi  qui  n'ai  pas  tes 
perfections  du  langage  comme  ils  les  ont  eues ,  je 
ne  la  puis  élever  à  un  fi  haut  point.  Il  a  donc 
fallu  fe  récompenfer  d'ailleurs  :  c'efl  ce  que  j'ai 
fait  avec  d'autant  plus  de  hardiefïe ,  que  Quintilien 
dit  qu'on  ne  fçauroit  trop  égayer  les  narrations.  N II 
ne  s'agit  pas  ici  d'en  apporter  une  tàifon  ;  c'efr  aflez 
que  Quintilien  l'ait  dit.  J'ai  pourtant  confidéré 
que  cç$  fables  étant  feues  de  tout  le  monde»  je  ne 


ivm  P    RE    F  A  H  4P. 

ferois  rien  fï  je  ne  les  rendois  nouvelles  par  quel- 
ques traits  qui  en  relevaient  le  goût:  c'eft  ce  qu'on 
demande  aujourd'hui  ;  on  veut  de  la  nouveauté  & 
de  la  gaieté.  Je  n'appelle  pas  gaieté  ce  qui  excite  le 
rire1;  mais  un  certain  charme ,  un  air  agréable  qu'on 
peut  donner  à  toutes  fortes- de  fujets ,  même  Iei 
plus  férieux. 

Mais  ce  n'eft  pas  tant  par  la  forme  que  j'ai  don- 
née à  cet.  ouvrage  qu'on  en  doitmefurer  le  prix» 
que  par  fon  utilité  &  fa  matière.  Car  qu'y  a-t-il 
de  recofnmcndable  dans  les  productions  4e  l'efprit  ^ 
qui  ne  fe  rencontre  dans  l'apologue?  C'eft  queiquq 
chbfe  de  fi  divin ,  que  piufieurs  ,perfonnage$ 
de  l'antiquité  onr  attribué  la  plus  .grande  partie  do 
ces  fables  i  Socrate  ,  choifîflant  pour  leur  fervh] 
de  père ,  celui  des  mortels  qui  avôit  le  plus  dd 
-  communication  avec  les  Dieux,  je  ne  fçais  corn- 
ine  ils  n'ont  point  fait  defeendre^du  ciel  ces  mê- 
mes fables,  &  comme  ils  ne  leur  ont  point  asfig- 
,  v  né  un  Dieu  qui  en  eût  la  dire&ion ,  ainfi  qu'à  14 
poëfie  &  à  l'éloquence'.  '  Ce  que  je  dis  n'eft  pa^ 
tout- à- fait  fans  fondement;  puisque  ,  s'il  m'efti 
permis  de  mêler  ce  que  nous  avons  de  plus  facré 
parmi  les  erreurs  du  paganisme  \  ne  *is  voyons  que 
la  vérité  a  parlé  aux  hommes  par  paraboles  ;  ti 
la  parabole  eft-elle  autre  chofe  que  l'apologue  I 
c'eft- à -dire,  un  exemple  fabuleux ,  &  qui  s'infinue 
avçc  d'autant  plus  de  facilité  &  d'effet,  qu'il  eli 
plus  commun  &  plus  familier.  -  Qui  ne  nous  pro^ 
poferoit  à  imiter  que  les  maîtres  d*  la  fageiïe ,  nous 
fourniroit  un  fujet  d'exeufe  :,il  n'y  en  a  point, 
quand  des  abeilles  &  des  fourmis  font  capables  de 
cela  même  qu'on  nous  demande.  1 

C'eft  pour  ces  raifons  que  Platon  ayant  banni 
Homère  de  fa  république  ,  y  a  donné  à  Efop$ 
une  place  très -honorable,      il  fouhaite  que  les; 


F  r  s  f  Jt  c  e:         La 

eîifaos  fucem  ces  fables  avec  le  lait  :  il  recommande 
aux  nourrices  de  les  leur  apprendre  ;  car  on  no 
fçauroit  s'accoutumer  de  trop  bonne-heure  à  la  fagefle 
&  à  la  vertii.  Plutôt  que  d'être  réduits  à  corriger 
nos, habitudes,  il  faut  travailler  à  les  rendre  bon- 
nes, pendant  qu'elles  font  encore  1  n  lifférentes  au 
bien  ou  au  mal.  Or  quelle  méthode  y  peut  con- 
tribuer plus  utilement  que  ces  fables  ?  Dites  à  un 
enfant  que  Craflus  allant  contre  les  Parthes,  s'en- 
gagea dans  leur  pays  ,  fans  confidérer  comment  il 
en  fortiroit;  que  cela  le  fit  périr  lui  &  fon  armée* 
quelque  effort  qu'il  fît  pour  fe  retirer.  Dites  au 
même  enfant  que  le  renard  &  le  bouc  descendirent 
au  fond  d'un  puits  pour  y  éteindre  leur  foif  ;  que 
le  renard  en  fortit ,  s 'étant  fervi  des  épaules  & 
des  cornes  de  fon  camarade  comme  d'une  échelle  : 
au  contraire  le  bouc  y  demeura ,  pour  n'avoir  pas 
eu  tant  de  prévoyance  ;  &  par  conféquent  qu'il  faut 
confidérer  en  toute  chofe  la  fin.  Je  demande  lequel 
de  ces  deux  exemples  fera  le  plus  dlmprefCon 
far  cet  enfant,  ne  s'arrêtera -t -il  pas  au  dernier, 
comme  plus  conforme  &  moins  disproportionné  que 
l'autre  à  la  netiteffe  de  fon  efprit?  Il  ne  faut  pas 
m'allégijer  qi*  les  penfées  de  l'enfance  font  d'elles- 
mêmes  affez  enfantines ,  fans  y  joindre  encore  do 
nouvelles  badineries.  Ces  badifieries  ne  font  telles 
qu'en  apparence;  car  dans  le  fonds,  elles  portent 
un  fens  très-folide.  Et,  comme  par  la  définition 
du  point,  déjà  ligne,  de  te  furface,  &  par  jd'au- 
très  principes  très  -  familiers ,  nous  parvenons  à  des 
connoiffànces  qui  mefurent  enfin  le  ciel  &  la  ter- 
re ;  de  même  auffi  ,  par  les  raifonnemens  &  les 
conféquences  que  l'on  peut  tirer  de  ces  fables,  on 
fe  forme  Je  jugement  &  les  mœurs  -,  on  fe  rend 
capable  de  grandes  chofes. 
.  Elles  ne  font  pas  feulement  morales  :  elles  don* 


»  PRE    FA  C  E. 

nent  encore  d'autres  connoiflances.    Les  propriété* 
des  animaux ',  &  leurs  divers  caraétéres  y  font  ex- 
primés; par  conféquent  les  nôtres  auffi,  puisque 
nous  fommes  l'abrégé  de  ce  qu'il  y  a  de  bon  &  de 
mauvais  dans  les  créatures  irraifonnables,    Quand  i 
Prométhée  voulut  former  l'homme ,  il  prit  la  qua- 
lité dominante  de  chaque  bête.    De  ces  pièces  fi 
différentes  il  compofa  notre  efpece  ;  il  fit  cet  ou- 
vrage qu'on  appelle  le  petit  monde.     Ainfi  ces 
fables  font  un  tableau ,   où  chacun  de  nous  fe  trou- 
ve dépeint.     Ce  qu'elles  nous  repréfentent  qonfir- 
me  les  perfonnes  d'âge  avancé  dans  les  connoifîàn- 
ces  que  rufage_leur  a  données,  &  apprend  aux 
.cnfans  ce  qu'il  faut  qu'ils  fçachent.     Comme  ces 
derniers  font  nouveaux  venus  dans  le  monde,  ils 
n'en  connoiflent  pas  encore  les  habitans  ;  ils  ne  fe 
connoiflent  pas  eux-mêmes.    On  ne  les  doit  lais- 
fer  dans  cette  ignorance  que  le  moins  qu'on  peut  : 
il  leur  faut  apprendre  ce  que  c'eft  qu'un  lion ,  un 
renard ,  ainfi  du  relie  ;  &  pourquoi  l'on  compare» 
quelquefois  un  homme  à  ce  renard ,  ou  à  ce  lion» 
C'eft  à  quoi  les  fables  travaillent  :  les  premières 
notions  de  ces  chofes  proviennent  d'elles. 
-    J'ai  déjà  paffé  la  longueur  ordinaire  des  préfa- 
ces ;  cependant  je  n'ai  pas  encore  rendu  raifon  de 
la  conduite  de  mon  ouvrage:  -  L'apologue  eit  com- 
pofé  de  deux  parties,  dont  on  peutappelter  l'une 
le  f  orps  ,  l'autre  l'ame.     Le  corps  eft  la  fable  ; 
i'ame  efl  la  moralité.    Ariftote  n'admet  la  fable 
-  «jue  dans  les  animaux  ;  il  en  exclut  les  hommes  & 
les  plantes.    Cette  régie  éft  moins  de  néceffîté  que 
de  bienféance,  puisque  ni  Efope,  ni  Phèdre  >  ni 
aucun  dés  fabuliftes  ne  l'a  gardée  :  tout  au  contraire 
3de  la  moralité  dont  aucun  ne  fe  difpenfe.    Que  s'il 
m'eft  arrivé  de  le  faire,  ce  n'a  été  que  dans  les 
endroits  où  elle  n'a  pu  entrer  avec  grâce,  &.oii 


P   Jt    R   F  A   Ç   Ê.  ixr 

il  eft  aifé  au  ledteur  de  la  fuppléer.  On  ne  conftdin 
en  France  que  ce  qui  plaît:  c'eft  la  grande  régie,  (f 
pour  amfi  dire  la  feule.  Je  n'ai  donc  pas  cru  que  ce 
fût  un  crime  de  pafler  par-deflus  les  anciennes  cou- 
tumes, lorsque  je  ne  pouvois  les  mettre  en  ufage 
fans  leur  faire  tort.  Du  temps  d'Efope,  h  fable 
étoit  contée  Amplement,  la  moralité  féparée»  & 
toujours  enfuite.  Phèdre  eft  venu  qui  ne  s'eft  pas 
aflhjetti  à  cet  ordre  :  il  embellit  la  narration ,  & 
tranfporte  quelquefois  la  moralité  de  la  fin  au  com- 
mencement» Quand  il  feroit  nécefTaîre  de  lui  trou- 
ver place,  je  ne  manque  à  ce  précepte,  que  pour 
en  obferver  un  qui  n'eft  pas  moins  important  :  c'eft 
Horace  qui  nous  le  donne.  Cet  auteur  ne  veut  p*s 
qu'un  écrivain  s'opiniâtre  contre  l'incapacité  de  fou 
efprit,  ni  contre  celle  de  fa  matière*  Jamais,  à 
ce  qu'il  prétend,"  un  homme  qui  veut  réuffir,  n'en 
vient  jufques  -là;  il  abandonne  les  chofes  dont  il 
voit  bien  qu'il  ne  fçauroit  rien  faire  de  bon* 

Et  qum 
Defterat  traSata  mtefcere  pjje],  relinquit. 

Ceft  ce  que  j'ai  fait  à  l'égard  de  quelques  moda- 
lités, du  fuccès  desquelles  je  n'ai  pas  bien  efpéré. 

11  ne  refte  plus  qu'à  parler  de  la  vie  d'Efope. 
]ene  vois  presque  perfonne  qui  ne  tienne  pour 
fabuleufe  celle  que  Planude  nous  a  laiffée.  On 
s'imagine  que  cet  auteur  a  voulu  donner  à  fon  hé- 
ros un  caractère  &  des  aventures  qui  répondiflent  4 
fes  fables.  Cela  m'a  paru  d'abord  fpécieux  ;  mais 
j'ai  trouvé  à  la  fin  peu  de  certitude  en  cette,  criti- 
que. Elle  eft  en  partie,  fondée  fur  ce  qui  fe  paffe 
entre  Xantus  &  Efope  :  on  y  trouve  trop  de  niaifo- 
ries;  &  qui  cil  le  fage,  à  qui  de  pareilles  chofes 
n'arrivent  point?    Toute  la  vie  de  Socrate  n'a  p'aa 

♦  ♦7 


Itxti  P    B    £    F  À    C   E, 

été  fériecfe.  Ce  qui  me  confirme  en  rtdto  fentt- 
ment,  c'eft  que  le  caraftére  que  Pknude  donne  à 
Efope ,  eft  fembiable  à  celui  que  Plutarque  lui  a 
•donné  dansfon  banquet, des  fept  Cages,  c'eft-â-dirp , 
tfun  hoimne  fubtil ,  &  qui  Jie  laifle  xien  pafler* 
On  ine  dira  que  le  banquet  des  fept  (âges  eft  auflj 
«ne  invention.  11  eft  aifé  de  douter  de  tout:  quant 
à  moi ,  je  ne  vois  pas  bien  pourquoi  Plutarque  au- 
roït  voulu  impofer  à  la  poftérité  dans  ce  traité -là, 
lui  qui  fait  profeffion  d'être  véritable  par  -tout  ail- 
leurs» &  de  conferyer  à  chacun  ton  cara&ére. 
truand  cela  feroit,  je  ne  fçaurois  que  mentir  fur  la 
foi  d'autrui  :  me  croira-t-on  moins  que  fi  je  m'arrê- 
te à  la  mienne?  car  ce  que  je  puis,  eft  de  compo- 
ser un  tiflu  de  mes  conjeftures ,  lequel  j'intitulerai» 
Vie  d'Efope.  Ouelque  vraifemblable  que  je  le  ren- 
de ,  on  ne  s'y  aflurera  pas  ;  &  fable  pour  fable ,  le 
lelteor  préférera  toujours  celle  de  Plamide  à  la 
mienne. 


LA     VIE 

D'  Ê  S  O  P  E 

leI  phrtgiek 

J^I  ous  n'avons  rien  d'sffuré  touchant  la  naiîfance 
d'Homère  &  d'Efopç;  à  peine, même  fçait-ori  ce 
qui  leur  ett  arrivé  de  plus  remarquable.  C'eft  dont 
a  y  a  lieu  de  s'étonner,  vu  que  l'hiftoiie  ne  re* 
jette  pas  des  chofes  moins  agréables  &  moins  néces- 
sites que  celle-là.  Tant  de  deftru&eurs  de  na- 
tions ,  tant  de  Princes  fans  mérite  ont  trouvé  des . 
gens  qui  nous  ont  appris  jufqu^ux  moindres  parti* 
cularités  de  leur  vie;  &  nous  ignorons  les  plus 
importantes,  de  celles  d'Efope  &  d'Homexe,  c'eft-à- 
dire,  des  deux  perfonnages  qui  ont  le  mieux  me- 
nte des  fiécles  fuivans.  Car  Homeie  n'eft  pas 
feulement  le  père  des  Dieux,  c'eft  auffi  celui  des 
bons  Poètes.  Quant  à  Efope,  il  me  femble  qu'on 
le  devoit  mettrgau  nombre  des.  Sages ,  dont  la 
Grèce  s'efl:  tant  vantée,  lui  qui  enfeignoit  la  véri- 
table fagefle,  &  qui  l'enfeigiioit  avec  bien  plus  d'art 
que  ceux  qui  en  donnent  des  définitions  &  des  ré* 
gles.  On  a  véritablement  recueilli  tes  vies  de  ces 
deux  grands  hommes  ;  mais  la  plupart  des  Sçavans 
les  tiennent  toutes  deux  fabuleufes,  particulière- 
ment celle  que  Planude  à  écrite.  Pour  moi  je  n'ai 
pas  voulu  *  m'engager  dans  cette  critique.  Comme 
Planude  vivoit  dans  un  fiécle  où  la  mémoire  des 
chofes  arrivées  à  Efope  ne  devoit  pas  être  encore 
éteinte ,  j'ai  cru  qu'ir  fçavoit  par  tradition  ce  qu'il 
a  laiffé.    Dans  cette  croyance ,  je  l'ai  fuivi,  fai$ 


lxiv     E  A     V  I  E     D'ESûP  E. 

retrancher  de  ce  qu'il  a  dit  d'Efope  que  ce  qui  m'a 
femblé  trop  puéril ,  ou  qui  s'écartoit  en  quelque 
façon  de  la  bienféance. 

Efope  étoit  Phrygien,  d'un  bourg1  appelle  Amo* 
rium..  11  pâquit  vers  la  cinquante  -  feptiéme  Olym- 
piades quelques  deux  cens  ans  après  la  fondation  de 
Rome.  On  ne  fçauroit  dire  s'il* eut  fujet  de  re- 
mercier la  nature,  ou  bien  de  fe  plaindre  d'elle: 
car  en  le  douant  d'un  très -bel  efprit,  elle  le  fit 
nattre  difforme  &  laid  de  vifage ,  ayant  à  peine  fi- 
gure d'homme,  jufqu'à  lui  refufer  prefqu*entiére~ 
ment  l'ufage  de  la  parole.  Avec  ces  défauts, quand 
il  n'auroit  pas  été  de  condition  à  être  efclave ,  il 
ne  pouvoit  pas  manquer  de  le  devenir.  Au  refte , 
fon  ame  fe  maintint  toujours  libre  &  indépendante 
de  la  fortune.. 

Le  premier  maître  qu'il  eut,  l'envoya  aux  champs 
labourer  la  terre  ;  foit  qu'il  le  jugeât  incapable  de 
toute  autre  chofe ,  foit  pour  s'ôter  de  devant  les 
yeux  un  objet  fi  defagréable.  Or  il  arriva  que  ce 
maître  étant  allé  voir  fa  maifon  des  champs,  un 
payfan  lui  donna  des  figues  :  il  les  trouva  belles , 
&  les  fit  ferrer  fort  foigneufement,  donnant  ordre- 
à  fon  fommeiier  ,  appelle  Agathopus ,  de  les  lui 
apporter  au  fortir  du  bain.  Le  hazard  voulut  qu'E- 
fope  eut  affaire  dans  le  logis.  Auffi-tôt  qu'il  y 
fut  entré ,  Agathopus  fe  feryit  de  l'occafion ,  & 
mangea  les  figues  avec  quelques-uns  de  fes  camara- 
des :  puis  ils  rejetterent  cette  friponnerie  fur  Efo- 
pe, ne  croyant  pas  qu'il  fe  pût  jamais  juftifier, 
tant  il  étoit  bègue ,  &  paroiflbit  idiot*  Les  chàti- 
mens  dont  les  anciens  ufoient  envers  leurs  efclaves, 
étoient  fort  cruels,  &  cette  faute  très- puniîfable. 
Le  pauvre  Efope  fe  jetta  aux  pieds  de  fon  maîtres 
&  fe  faifant  entendre  du  mieux  qu'il  pût,  il  té- 
moigna qu'il  demwdoit  ppur  toute  grâce  qu'on  fui- 


LA    VIE    D'ESOPB.       lxt 

fie  de  quelques  momens  fa  punition.    Cette  grâce 
lui  ayant   été  accordée  ,  il  alla  quérir  de  l'eau  tiè- 
de ,  Ja  but  en  préfence  de  fon  Seigneur ,  fe  mit  les 
doigts  dans  la  bouche,  &  ce  qui  s'enfuit,  fans  ren- 
dre autre  -  chofe  que  cette  eau  feule.    Après  s'être 
ainfi  juftifié ,  il  fit  ligne  qu'on  obligeât  les  autres 
d'en  faire   autant.     Chacun  demeura  farpris  :   on 
n'auroit  pas  cru  qu'une,  telle  invention  pût  partir 
d'Efope.     Agathopus  &  fes  camarades  ne  parurent 
point  étonnés.    Ils  burent  de  l'èau  comme  le  Phry- 
|  gien   avo.it  fait ,  &  fe  mirent  les  doigts  dans  la 
bouche;  mais  ils  fe  gardèrent  bien  de  les  enfoncer 
.  trop  avant.    L'eau  ne  laifla  pas  d'agir ,  &  de  mettra 
:  en  évidence  les  figues  toutes  crues  encore  &  toutes 
1  vermeilles.     Far  ce  moyen  Efope  fe  garantit:  fet 
aceufateurs    furent  punis  doublement,  pour  leur 
gourmandife  &  pour  leur  méchanceté. 

Le  lendemain ,  après  que  leur  maître  fut  parti, 
&  le  Phrygien  étant  à  fon  travail  ordinaire,  quel* 
ques  voyageurs  égarés  (  aucuns  difent  que  c'étoient 
des  Prêtres  de  Diane  )  le  prièrent ,  au  nom  (te 
Jupiter  Hofpitalier,  qu'il  leur  enfeignât  le  chemin 
qui  conduifoit  à  la  ville.  Efope  les  obligea  pet* 
miérement  de  fe  repofer  à  l'ombre;  puis  leur  ayant 
préfenté  une  légère  collation,  il  voulut  être  leur 
guide,  &  ne  les  quitta  qu'après  qu'il  les  eut  remis 
dans  leur  chemin.  Les  bonnes  gens  levèrent  les 
mains  au  ciel  :  &  prièrent  Jupiter  de  ne  pas  laifTer 
cette  aéfcion  charitable  fans  récompenfe.  A  peine 
Efope  les  eut  quittés ,  que  le  chaud.  &  la  laffitude 
le  contraignirent  de  s'endormir.  Pendant  fon  fom- 
meil  il  s'imagina  que  la  fortune  étoit  debout  devant 
lui,  qui  lui  délioit  la  langue,  &  par  même  moyen 
lui  faifoit  préfent  de  cet  art  dont  on  peut  dire  qu'il 
eft  l'auteur.  Réjoui  de  cette  aventure,  il  s'éveille 
en  furfauc,  &  m  s  ^voilant;  qu'eu  ceci?  dit -il., 

3f 


lxvi     1A.VIE    D'ËSÔPÈ. 

ma  voix  eft  devenue  libre  ;  je  prononce  bien  un 
râteau,  une  charrue,  tout  ce  que  je  veux.  Cette 
merveille  fut  caufe  qu'il  changea  de  maître.  Car 
comme  un  certain  Zénas,  qui  étoit  là  en  qualité 
d'œconome,  &  qui  avoit  l'œil  fur  les  efclaves,  en 
eut  battu  un  outrageufement  pour  une  faute  qui  ne 
le  méritoit  pas,  Efope  ne  put  s'empêcher  de  le 
reprendre ,  &  le  menaça  que  fes  mauvais  traitemens 
feroient  feus.  Zénas ,  pour  le  prévenir ,  &  pour  fe 
venger  de  lui ,  alla  dire  au  mair re  qu'il  étoit  arrivé 
un  prodige  dans  fa  maifon  ;  que  le  Phrygien  avoit 
recouvré  la  parole;  mais  que  le  méchant  ne  s'en 
fervoit  qu'à  blafphêmer  &  à  médire  de  leur  Seig- 
neur. Le  makre  le  crut,  &  paflk  bien  plus  avant; 
'car  il  lui  donna  Éfope,  avec  liberté  d'en  faire  ce 
qu'il  voudroit.  Z'énas ,  de  retour  aiçc  champs ,  un 
marchand  l'alla  trouver,  &  lui  demanda  fi  pour  (Je 
«l'argent  il  le  vouloit  accommoder  de  quelque  bête 
de  femme.  Non  pas  cela,  dit  Zénas,  je  n'en  ai 
rpas  le  pouvoir  ;  mais  je  te  vendrai ,  fi  tu  veux ,  un 
'xle  nos  efclaves.  Là-deflus,  ayant  faît  venir  Efo- 
pe, le  marchand  dit  :  eft -ce  afin  de  te  moquer  que 
*tu  me  propofes  l'achat  de  ce  peffonnage  ?  -on  Je 
prendroit  pour  un  -outre.  Dès  que  le  marchand 
tut  ainfî  parlé;  il  prit  congé  d'eux,  partie  murmu- 
rant, partie  riant  de  ce  bel  objet.  Efope  le  rap- 
pella,  &  lui  dit:  acheté -moi  hardiment,  je  ne  te 
lierai  pas  -inutile.  Si  tu  as  des  enfans  qui  crient 
'^c  qui  foient  méchans  ,  ma  mine  les  fera  taire: 
on  les  menacera  de  moî  comme  de  la  bête.  Cette 
railler iç  plut  au  marchand.  11  acheta  notre  Phry- 
gien trois  oboles,  &  dit  en  riant:  les  Dieux  foient 
loués;  je  n'ai  pas  fait  grande  acquifition,  à  la  vé- 
rité ;  auflï  n'ai -je  pas  débourfé  grand  argent 

Entr'autres    denrées  ,     ce    marchand   trafiquoft 
^.'efclaves*;  fi  bien  qu'allant  à  Ephefe  pour  fe  <M-' 


1A    VIE    D'ESOPE.     Lxvh 

faire  de  ceux  qu'il  avoit,  ce  que  chacun  d'aux 
devoit  porter  pour  la  commodité  du  voyage  fut 
départi  félon  leur  emploi  &  félon  leurs  forces. 
Éfope  pria  que  Ton  eût  égard  à  fa  taille  ;  qull 
étoit  nouveau  venu,  &  devoit  être  traité  douce- 
ment. Tu  ne  porteras  rien,  fi  tu  veta,  lui  repar- 
tirent 'fes  camarades.  Efope  fe  piqua  d'honneur , 
&  voulut  avoir  fa  charge  comme  les  autres.  On 
le  laifla  donc  choifîr.  Il  prit  le  panier  au  pain: 
c'étoit  le  fardeau  le  plus  pefant.  Chacun  crut 
qu'il  l'avoit  fait  par  bétife  :  mais  dès  la  dinée  le 
panier  fut  entamé,  &  le  Phrygien  déchargé  d'au- 
tant: aitrG  le  foir,  $  de  même  le  lendemain;  de 
façon  qu'au  bout  de  deux  jours  il  marchoit  à 
yék  Le  bon  fens  &  le  raifoimement  du  per- 
fonnage  furent  admirés. 

Quant  au  marchand ,  il  fe  défit  de  tous  fés 
efclaves ,  à  la  réferve  d'un  grammairien  ,  d*ua 
chantre ,  &  d'Efope  ,  lesquels  il  alla  expofer 
en  vente  à  Samos.  Avant  que  de  les  mener  ftfr 
la  place,  il  fit  habiller  les  deux  premiers  le  plus 
proprement  qu'il  put ,  comme  chacun  fttdé  fa 
marchandife  :  Efope  au  contraire  ne  fut  vêtu  que 
d'un  fac,  &  placé  entre  fes  deux  compagnons ,  afin 
de  leur  donner  luftre.  Quelques  acheteurs  fe  pré- 
sentèrent, entr'autres  un  philofephe  appelle  Xaû* 
tus.  11  demanda  au  grammairien  &  au  chantre  ce 
qu'ils  fçavpient  faite:  tout,  reprirent -ils.  Cela 
&  rire  le  Phrygien ,  on  peut  s'imaginer  de  quel 
&•  Planude  rapporte  qu'il/  s'en'  fallut  peu  qu'on 
ne  prit  la  fuite ,  tant  il  fit  une  effroyable  grimace. 
Le  marchand  fit  fon  chantre  mille  oboles;  fôh 
pmnairien  trois  mille  ,  &  en  cas  que  l'on  achetât 
l'un  des  deux,  il  devoit  donner  Efope  pardelTus  le 
marché.  La  cherté  du  grammairien  &  du  charitrfe 
Xantus.  «Mais  pour  ne  pas  retourner  chea 


wviii    LA    VIE    D'ESOPE, 

foi  fans  avoir  faitquelqu'emplette,  fes  difciples  lui 
conseillèrent  d'aefteter  ce  petit  bout  --d'homme  qui 
«voit  ri  de  fi  bonne  grâce  :  on  en  feroit  un  épou- 
ventait,'  il  divertiroit  les  gens  par  fa  mine     Xan- 
tus  fe  laiffa  perfuader,  &  fit  prix  d'Efope  à  foixante 
.oboles.     11  lui  demanda,  devant  que  de  Tacheter, 
à  quoi  il  lui  feroit  propre ,  comme  il  l'avoit  de- 
mandé à  fes  camarades.     Efope  répondit  :  à  rien  , 
.puifque  les  deux  autres  avoient  tout  retenu  pour 
eux.    Les  commis  de  la  douane  remirent  généreu- 
sement à  Xantus  le  fol  «pour  livre ,  &lui  en  don- 
nèrent quittance  fans  rien  payer. 

Xantus  avoit  une  femme  #de  goût  aflez  délicat, 
&  à  qui  toutes  fortes  de  gens  ne  plaifoient  pas  ;  fi 
bien  que  de  lui  aller  préfenter  férieufement  fon 
nouvel  efclave,  il  n'y  avoit  pas  d'apparence,  à 
jnoins  qu'il  ne  la  -voulût  mettre  en  colère,  &  fe 
faire  moquer  de  lui.  Il  jugea  plus  à  propos  d'en 
faire  un  fujet  de  plaifaQterie,  &  alla  dire  au  logis 
.  qu'il  venoit  d'acheter  un  jeune  efclave  le  plus  beau 
du  monde  j  &  le  mieux  fait.  Sur  cette  nouvelle 
les  filles  qui  fervoient  fa  fçmme  fe  penferent  battre 
à  qui  l'auroit  pour  fon  ferviteur;  mais  elles  furent 
bien  étonnées  quand  le  perfonnage  parut.  L'une 
fe  mit  la  main  devant  les  yeux,  l'autre 's'enfuit, 
.l'autre  fit  un  cri.  La  maitrefifc  du  logis  dit  que 
.c'étoit  pour  la  chaffer  qu*on  lui  amenoit  un  tel 
monflre;  qu'il  y  avoit  long -temps  que  le  philo- 
sophe fe  laflbit  d'elle.  De  parole  en  parole  le 
différend  s'échauffa  jufqu'à  tel  point,  que  la  fem- 
me demanda  fon  bien,  &  voulut  fe  retirer  chez 
fes  parens.  Xantus  fit  tant  par  fa  patience,  & 
Efope  par  fon  efprit^  que  les  chofes  s'accommo- 
dèrent: On  ne  parla  plus  de  s'en  aller ,  &  peut- 
êcre  que  l'accoutumance'  effaça  à  la  fin  une  partis 
de  la  laideur  du  nouvel  efclave* 


LA   VIE    D'E  S  OPE.      lot' 

Je  laifleraî  beaucoup  de  petites  chofes  où  îl  fit 
paraître  la  vivacité   de  fon  efprit:  car  quoiqu'on 
puifle  juger  par  là  de  fon  caractère ,  elles  font  de 
trop  peu  de  conféquence  pour  en  informer  la  pbfté- 
lité.    Voici  feulement  un  échantillon  de  fon  bon 
fens  &  de  l'ignorance  de  fon  maître.     Celui-ci 
alla  chez  un  jardinier  fe  choifîr  lui-même  une  fala- 
de.  Les  herbes  cueillies,  le  jardinier  le  pria  de 
lui  fatisfaire  l'efprit  fur  une  difficulté  qui  regardoit 
la  philofophie  auffi-bien  que  le  jardinage:  c'eft 
que  les  herbes  qu'il  plantoit  &  qu'il  cultivoit  avec 
un  grand  foin,  ne  profitoient  point;  tout  au  con- 
traire de  celles  que  la^  terre  produifoit  d'elle-même , 
fans  culture  ni  amandement.     Xantus  rapporta   le 
tout  à  la  Providence,  comme  on  a  coutume  de  fai- 
re quand  on  efl  court.    Efope  fe  mit  à  rire  ;  & 
ayant  tiré  fon  maître  à  part ,  il  lui  confeilla  de  di- 
re à  ce  jardinier ,  qu'il  lui  avoit  fait  une  réponfe 
ainfi  générale ,  parce  que  la  queftion  n'étoft  pas  dig- 
ne de  lui;  il  le  laûToit  donc  avec  fon  garçon,  qui 
affurément  le  fatisferoit.    Xantus  s'étant  allé  pro- 
mener d'un  autre  côté  du  jardin ,  Efope  compara 
la  terre  à  une  femme ,  qui  ayant  des  enfans  d'un 
premier  mari ,  en  épouferoit  un  fécond ,  qui  auroit  ' 
des  enfans  d'une  autre  *  femme:  fa  nouvelle  épouife 
ne  manqueront  pas  de  concevoir  de  l'averfion  pour 
ceux-ci,  &  leur  ôteroit  la  nourriture,  afin  que  les 
liens  en  profitaffent.    Il  en  étoit  âinG  de  la  terre, 
qui  n'adoptok  qu'avec  peine  les  productions  du  tra- 
vail &  de  la  culture ,  &  qui  réfervoit  toute  fa  ten- 
dreffe  &  tous  fes  bienfaits  pour  les  tiennes  feules  : 
elle  étoit  marâtre  des  unes,  &  mère  paffionnée  des 
autres.    Le  jardinier  parut  fi  content  de  cette  rai- 
fon,  qu'il  offrk  à  Efope  tout  ce  qui  étoit  dans  fort 
jardin. 
Il  arriva,  quelque  temps,  après,  im  grand  diffé* 


xxx.     LA    VIED'ESÔ  PE: 

rend  entre  le  philofophe  &  fa  femme.    Le  philo- 
fophe  étant  de  feftin ,  mit  à  part  quelques  friandi- 
fes ,  &  dit   à  Efope  !  va  porter  ceci  à  ma  bonne 
3mie.   Efope  l'aila  donner  à  une  petite  chienne  qui 
étoit  les  déliçps  de  fon  maître.    Xantus ,  de  retour,, 
ne  manqua  pas  de  demander  des  nouvelles  de  foa 
préfent,  &  fi  on  l'avoit  trouvé  bon.    Sa  femme  ne 
comprçnoit  rien  à  ce  langage  :  on  fit  venir  Efope 
pour  l'éclaircir.    Xantus,  qui  ne  chercboit  qu'un 
prétexte  pour  le  faire  battre ,  lui  demande  s'il  ne 
lui  avoit  pas  dit  exprcffément  :  ya-t-en  porter  de 
ma  part  ces  friandifes  à  ma  bonne  amie  ?    Efope 
répondit  là-deffus,  que  la  bonne  amie  n'étoit  pas 
la  femme,  qui,  pour  la  moindre  parole,  menaçoit 
de  faire  un  divorce;  c'étoit  la  chienne,  qui  endu- 
roit  tout,  &  qui  revçnoit  faire  des  carefTes  aprè« 
qu'on  l'avoit  battue^  Le  philofophe  demeura  court; 
mais  fa  femme  entra  dans  une  telle  colère ,   qu'elle 
£e  retira  d'avec-  lui.    Il  n'y  eut  parent  ni  ami  par 
qui  Xantus  ne  lui  fît  parler ,  fans  que  les  raifons  ni 
les  prières  y  gagnaflcnt  rien.    Efope  s'avifa  d'un 
ftratagême.     Il  acheta  force  gibier,  comme  pour 
une  nôçe  confidérable  :  &  fit  tant  qu'il  fut  rencon- 
tré par  un  des  domeftiques  de  famaitreflfe.  Celui-ci 
lui  demanda  pourquoi  tant  d'apprêts.    Efope  lui  dit 
que. fon  maître  ne  pouvant  obliger  fa  femme  de 
revenir,  en  alloit  époufer  une' autre.     Auffi-tôt 
que  la  Dame  fçut  cette  nouvelle,  elle  retourna  chez 
fon  mari,  par  efprit  de  contradiction ,  ou  par  ja- 
loufie.    Ce  ne,  fut  pas  fans  la  garder  bonne  à  Efo- 
pe, qui  tous  les   jours  faifoit  de  nouvelles  pié- 
cesx  à  fon  maître ,  &  tous  les  jours  fe  faavoit  du 
châtiment  par  quelque  trait  de  fubtilité.    11  n'étoit. 
pas  pof&ble  au  philofophe  de  le  confondre. 

Un  certain  jour  de  marché ,  Xantus  qui  avoit  le. 
defiein  de  régale*  quelques -«ns  de  fes  amis ,  lui 


LA    VIE    D'ESOPE,      lxxï. 

commanda  d'acheter  ce  qu'il  y  avoit  de  meilleur ,  & 
rien  autre  chofe.  Je  t'apprendrai ,  dit  en  foi  -mê- 
me le  Phrygien ,  à  fpécifier  ce  que  tu  fouhaites,  fans 
t'en  remettre  à  la  difcrétion  d'un  efclave.  Il  n'ache- 
ta donc  que  des  langues ,  lefquelles  il  fit  accommo- 
der à  toutes  les  fauffes  :  l'entrée ,  le  fécond ,  l'en- 
tremets ,  tout  ne  fut  que  langues.  Les  conviés 
louèrent  d'aBord  le  choix  de  ce  mets ,  à  la  fin  ils 
s'en  dégoûtèrent.  Ne  t'ai  -  je  pas  commandé ,  dit 
Xantus ,  d'acheter  ce  qu'il  y  auroît  de  meilleur  ? 
Eh  qu'y  a-t-il  de  meilleur  que  la  langue?  reprit 
Efope.  C'eft  le  lien  dç  la  vie  civile ,  la  clef  des. 
fciences ,  l'organe  de  la  vérité  &  de  la  raifon  :  par 
elle  on  bâtit  les  villes  &  on  les  police;  on  inftruit, 
on  perfuade,  on  régne  dans  les  affemblées ,  on 
s'acquitte  du  premier  de  tous  les  devoirs ,  qui  eft 
5  de  louer  les  Dieux.  Et  bien ,  dit  Xantus ,  (  qui 
prétendoit  l'rttraper)  acheté -moi  demain  ce  qui 
eft  de  pire  I  ces  mêmes  perfonnes  viendront  chez 
moi  ;  &  je  veux  diverfificr. 

Le  lendemain  Efope  ne  fit  fervir  que  le  même 
mets  ,  difant  que  la  langue  eft  la  pire  chofe  qui 
foit  au  -monde.  C'eft  la  mère  de  tous  les  débats , 
la  nourrice  des  procès  ,  la  fource  des  divifions  & 
des  guerres.  Si  on  dit  qu'elle  eft  l'organe  de  la 
vérité,  ç'eft  auffi  celui  de  l'erreur,  '&  qui  pis  eft, 
de  la  calomnie.  Par  elle  on  détruit  les  villes ,  on 
perfuade  de  méchantes  chofes.  Si,  d'un  côté, 
elle  loue  les  Dieux,  de  l'autre,  elle  profère  des 
blasphèmes  contre  leur  puifTancc.  Quelqu'un  de 
a  compagnie  dit  à  Xantus ,  que  véritablement  ce 
vakt  lui  étoit  fort  néceffaire  ;  car  il  fçavoit  le 
mieux  du  monde  exercer  la  patience  d'un  philofo- 
phe-  .  De  quoi  vous  mettez -vous  en  peine?  re- 
prit Efope.  Et  trouve -moi,  dit  Xantus,  un  hom- 
me qui  ne  Je  mette  en  peine  de  rien. 


£x»x      L  A    V  Î-E    ÎV  E  S  Ô  P  É. 

Efope  alla  .le  lendemain  fur  la  place;  &  voyant 
lin  payfan  qui  regardoit  toutes  chofes  avec  1; 
froideur  &  l'indifférence  d'une  ftatue,  il  amena  ci 
payfan  au  logis.  Voilà,  dit* il  à  Xantus ,  l'hommi 
fans  fouci  que  vous  -  demandez.  Xantus  comman- 
da à  fa  femme  de  faire  chauffer  de  l'eau,  de  la 
mettre  dans  un  baffin  ,.  puis  de  laver  eila-même 
les  pieds  de  fon  nouvel  hôte.  Le  payfan  la  laiffa 
faire  ,  quoiqu'il  fçût  fort  bien  qu'il  ne  méritoit 
pas  cet  honneur,  mais  il  difbit  en  lui-même:  c'eft 
peut-être  la  coutume  d'en  ufer  ainfl.  On  le  fitafleoi 
au  haut  bout;  il  prit  fa  plact  fans  cérémonie.  Pen- 
dant le  repas,  Xantus  ne  fit  autre  chofe  que  blâ- 
mer fon  cuifînier  :  rien  ne  lui  pîaifoit  ;  ce  qui 
étôit  doux  ,  il  le  trouvoit  trop  falé  ;  &  ce  qui 
étoit  trop  falé,  il  le  trouvoit  trop  doux.  L'home 
me  fans  fouci  le  laiflbit  dire,  &  mangeoit  de  tou- 
tes fes  dents.  Au  deffert,  on  mit  fur  la  table  un 
gâteau,  que  la  femme  du  philofophe  avoit  -  fait  J 
"Xantus  le  trouva  mauvais ,  quoiqu'il  fût  très -bonj 
Voilà,  dit -il,  la  pâtiflerie  la  plus  méchante  que 
j'aie  jamais  mangée  :  il  faut  brûler  l'ouvrière ,  c; 
elle  ne  fera  de  fa  vie  rien  qui  vaille:  qu'on  ; 
porte  des  fagots.  Attendez,  dit  le  payfai*,  je  m 
vais  quérir  ma  femme,  on  ne  fera  qu'un  buchei 
pour  toutes  les  deux.  Ce  dernier  trait  défarçonns 
le  philofophe ,  &  lui  ôta  l'efpérance  de  jamais  at- 
traper le  Phrygien. 

Or  ce  n'étoit  pas  feulement  avec  fon  mali 
qu'Efope  trouvoit  occafïon  de  rire  ,  &  de  direj 
des  bons  mots.  Xantus  l'avoit  envoyé  en  certaiij 
endroit:  il  rencontra  en  chemin  le  Magiftwt,  qui 
lui  demanda  où  il  alloit.  Soit  qu'Efope  fût  diJ 
lirait,  ou  pour  une  autre  raifon  ;  il  répondit! 
qu'il  n'en  fçavoit  rien.  Le  Magiftrat  tenant  àj 
mépris  &  irrévérence  cette  xéponfe,  le  fit  menet 

en 


LA    VIE    D'ESOPE,     lïxiîi 

çn  prifon.  Comme  les  huifliers  le  conduifoient  : 
ne  voyez -vous  pas,  dit -il,  que  j'ai  très -bien  ré- 
pondu ?  Sçavois-je  que  Ton  me  fcroit  aller  où 
je  vais  ?  Le  Magiftrat  le  fit  relâcher ,  &  trouva 
Xantus  heureux  d'avoir  un  efclave  û  plein  d'efprit. 

Xantus ,  de  fa  part,  voyoit  par  là  de  quelle  im- 
portance il  lui  étoit  de  ne  point  affranchir  Efope, 
&  combien  la  pofTeflïon  d'un  tel  efclave  lui  faifoit 
d'honneur*  Même  un  jour,  faifant  la  débauche 
avec  fes  difciples ,  Efope  qui  les  fervoit,  vit  que  les 
fumées  leur  échauffoient  déjà  la  cervelle ,  auffi-bien 
au  maître  qu'aux  écoliers.  La  débauche  de  vin, 
leur  dit- il  >  a  trois  dégrés;  le  premier,  de  volupté; 
le  fécond,  d'ivrognerie;  le  troifiéme,  de  fureur. 
On  fe  moqua  de  fon  bbfervation,  &  on  continua  de 
vuider  les  pots.  Xantus  s'en  donna  jusqu'à  perdre 
la  raifon*  &  à  fe  vanter  qu'il  boiroit  la  mer.  Cela 
fit  rire  la  compagnie.  Xantus  foutint  ce  qu'il  avoit 
dit,  gagea  fa  maifori  qu'il  boiroit  la  mer  toute  en- 
tière; &  pour  aflurance  de  la  gageure,  il  dépofa 
l'anneau  qu'il  avoit  au  doigt. 

Le  jour  fuivant ,  que  les  vapeurs  de  Bacchu* 
furent  diffipées  »  Xantus  fut  extrêmement  furpris 
de  ne  plus  trpuver  fon  anneau  ,  lequel  il  tenoit 
fort  cher.  Efope  lui  dit  qu'il  étoit  perdu ,  &  que 
fa  maifon  P étoit  aufli  >  par  la  gageure  qu'il  avoit 
faite.  Voilà  le  Philofophe  bien  ailarmé.  il  pria 
£fope  de  lui  enfeigner  une  défaite.  Efope  s'avifa 
de  celle-ci. 

Quand  le  jour  que  l'on  avoit  pris  pour  l'exécu- 
tion de  la  gageure  fut  arrivé ,  tout  le  peuple  de 
Samos  accourut  au  rivage  de  la  mer,  pour  être  té- 
moin de  la  honte  du  philofophe.  Celui  de  fes  dis  • 
ciples  qui  avoit  gagé  contre  lui ,.  triomphoit  déjà. 
Xantus  dit  à  l'affemblée  :  Meffieurs,  j'ai  gagé  véri- 
tablement que  je  boirois  toute  la  mer,  ma&nçn  pas 


miv     LA    VIE    D'  E  S  O  P  E. 

les  fleuves  qui  entrefit  dedans  :  c'eft  pourquoi ,  que 
celui  qui  a  gagé  contre  moi  détourne  leur  cours, 
8c  puis  je  ferai  ce  que  je  me  fuis  vanté  de  faire.  v 
Chacun  admira  l'expédient  que  Xantus  avoit  trouvé, 
pour  fortir  à  fon  honneur  d'un  fi  mauvais  pas.  Le 
difciple  confefTa  qu'il  étoit  vaincu,  &  demanda  par- 
don à  fon  maître.  Xantus  fut  reconduit  jusqu'en 
fon  logis  avec  acclamation. 

Pour  récompenfe ,  Efope  lui  demanda  la  liberté. 
Xantus  la  lui  refufa ,  &  dit  que  le  temps  de  l'afFran-  - 
chir  n'étoit  pas  encore  venu:  fi  toutefois  les  Dieux 
l'ordonnoient  ainii,   il  y confentoit;  partant,  qu'il 
prit  garde  au  premier  préfage  qu'il  auroit  étant  fortî 
du  logis  :  s'il  étoit  heureux ,   &  que  par  exemple 
deux  corneilles  fe  préfentafTent  à  fa  vue ,  la  liberté 
lui  feroit  donnée  :  s'il  n'en  voyoit  qu'une,  qu'il  ne 
fe  lafïat  point  d'être  efclave.   Efope  fortit  auffi  -  tôt.    ' 
Son  maître  étoit  logé  à  l'écart ,  &  apparemment  vers 
un  lieu  couvert  de  grands  arbres.    A  peine  notre 
Phrygien  fut  hors,  qu'il  apperçut  deux  corneilles 
qui  s'abbattirent  fur  le  plus  haut.  ,  H  en  alla  avertir 
fon  maître  ,  qui  voulut  voir  lui-même  s'il  difoit 
vrai.    Tandis  que  Xantus  venoît,  l'une  des  corneil- 
les s'envola.    Me  tromperas -tu  toujours?  dit- il  à 
Efope  :  qu'on  lui  donne  les  étriviéres.    L'ordre  fut 
exécuté.     Pendant  le  fuppHce  du  pauvre   Efope, 
on  vint  inviter  Xantus  i  un  repas  :  il  promit  qu'il 
«'y  trouyeroit.    Hélas  !  s'écria  Efope  ;  les  préfages 
font  bien  menteurs  !  Moi  qui  ai  vu  deux  corneilles, 
je  fuis  battu;  mon  maître  qui  n*en  a  vu  qu'une ,  eft 
prié  de  nôœs.    Ce  mot  plut  tellement  à  Xantus, 
qu'il  commanda  qu'on   ceflat  de  fouetter  Efope  : 
iriais  quant  à  la  liberté ,  il  ne  fe  pouvoit  réfoudre  à 
la  lui  donner,  encore  qu'il  la  lui  promît  eAdivcrfes 
arecafions. 
^Un  jour  ils  fe  promenoient  tous  deux  parmi  àp 


IrA    VIE    D'  ESOPE,      tttv 

vieux  monumens  ,  confidérant  avec  beaucoup  de 
plaifir  les  inferiptions  qu'on  y  avoit  mifes.  Xantus 
en  apperçut  une  qu'il  ne  'put  entendre ,  quoiqu'il 
demeurât  long- temps  à  en  chercher  l'explication. 
Elle  étoit  compofée  (i)  des  premières  lettres  de 
certains  mots.  Le  philofophe  avoua  ingénument 
que  cela  paflbit  fon  efprit.  Si  je  vous  fais  trouver 
un  tréfor  par  le  moyen  de  ces  lettres ,  lui  dit  Efo- 
!pe,  quelle  re^compenfe  aurai-je?  Xantus  lui  promit 
la  liberté,  &  la  moitié  du  tréfor.  Elle  figiiifie* 
:  poorfuivit  Efope ,  qu'à  quatre  pas  de  cette  colonne 
nous  en  trouverons  un.  En  effet  ils  le  trouvèrent, 
après  avoir  creufé  quelque  peu  dans  la  terre.  Le 
philofophe  fut  fommé  de  tenir  parole  ;  mais  il  recu- 
loit  toujours.  Les  Dieux  me  gardent  de  t'affran- 
chir,  dit -il  à  Efope,  que  tu  ne  m'ayes  donné  avant 
cela  l'intelligence  de  ces  lettres  :  ce  me  fera  un  au- 
tre tréfor  plus  précieux  que  celui  que  nous  avons 
trouvé.  On  les  a  ici  gravées,  pourfuivit Efope, 
«hbbc  étant  les  premières  lettres  de  ces  mots  : 
vA*#j3<rç,  fa/iar*)  &c.  c'eft-à- dire,  Ji  vous  recw 
te  quatre  pas  >  S>  que  vous  creujîez,  vous  trouverez  un 
tâjar.  Puisque  tu  es  fi  fubtil ,  repartit  Xantus  y 
i'aurois  tort  de  me  défaire  de  toi  :  n'efpere  donc 
?3s  que  je  t'affranchiffe.  Et  moi  T  répliqua  Efope  T 
je  vous  dénoncerai  au  Roi  Denys  ;  car  cfeft  à 
lui  que  le  tréfor  appartient  ;  &  ces  mêmes  let- 
tres commencent  d'autres  mots  qui  le  lignifient. 
Le  philofophe  intimidé  ,  dit  au  Phrygien  qu'il 
prit  fa  part  de  l'argent,  &  qu'il  n'en  dît  mot; 
«te  quoi  Efope  déclara  ne  lui  avoir  aucune  obli- 
{^tion ,  ces  lettres  ayant  été  choifies  de  telle  ma- 
£&e  qu'elles  enfermoient  un  triple  fens ,  &  fîg.- 
tàoient  encore ,  En, vous  en  allant  vous  partagerez  le 
tr-Jv  que  vous  aurez  rencontré.       Dès  qu'il  fut  dé 


ixxvi     LA    VIE    D*  ESOPE, 

retour ,  Xantus  commanda  que  Ton  enfermât  te 
Phrygien,  &  que  Ton  lui  mit  les  fers  aux  pieds ,  de 
crainte  qu'il  n'allât  publier  cette  aventure..  Hélas  l 
s'écria  Efope,  eft-ceainfi  que  les  philofophes  s'ac- 
quittent de  leurs  promefTes  ?  Mais  faites  ce  que  vous 
voudrez,  il  faudra  que  vous  m'àiFranchiffiez malgré 
vous. 

Sa  prédi&ion  fe  trouva  vraie.  I!  arriva  un  pro- 
dige qui  mit  fort  en  peine  les  Samiens.  Un  aigle  en- 
leva l'anneau  public  (c'étoit  apparemment  quelque 
fceau  que  l'on  appofoit  aux  délibérations  du  Confeil) 
&  le  fit  tomber  au  fein  d'un  efclave.  Le  philofophe 
fut  confulté  là-deffus,  &  comme  étant  philofophe, 
&  comme  étant  un  des  premiers  de  la  République.. 
Jl  demanda  temps  ;  &  eut  recours  à  fan  oracle  ordi- 
naire,- c'étoit  Efope.  Celui-ci  lui  confeilla  de  le 
produire  en  public;  parce  que  s'il  rencontroit  bien, 
l'honneur  en  feroit  toujours  à  fon  maître  ;  linon , 
ii  n'y  auroit  que  I'efclave  de  blâmé.  Xantus  ap- 
prouva la  chefe,  &  le  fit  monter  à  ia  tribune  aux 
harangues.  Dès  qu'on  le  vit,  chacun  s'éclata  de 
rire;  perfonne  ne  s'imagina  qu'il  pût  rien  partir  de 
raifonnable  d'un  homme  fait  de  cette  manière.  Efo- 
pe leur  dit  qu'il  ne  falloit  pas  confîdércr  la  forme 
du  vafe,  mais  la  liqueur  qui  yétoit  enfermée.  Les 
Samiens  lui  crièrent  qu'il  dit  donc  fans  crainte  ce 
qu'il  jugeoit  de  ce  prodige.  Efopje  s'en  exeufa  fur 
ce  qu'il  n'ofoit  le  faire.  La  fortune  ,  difoit  -  il , 
avoit  mis  un  débat  de  gloire  entre  le  maître  &  l'ç- 
-  fclave  :  (i  I'efclave  difoit  mal ,  il  feroit  battu  ;  s'il 
difoit  mieux  que  le  maître ,  il  feroit  battu  encore. 
Aufli  -  tôt  on  preiîa  Xantus  de  l'affranchir.  Le  phi- 
lofophe réiîfta  long- temps.  A  la  fin  le  Prévôt  de 
ville  le  menaça  de  le  faire  de  fon  office,  &  en, 
vertu  du  pouvoir  qu'il  en  avoit,  comme  Magiftrat, 
de  façon  que  le  philofophe  fut  obligé  d'y  donner 


LA    VIE    D'  ES  0  P  E.     lxjh* 

vm  4  la  connoiffance  d'Efope  ,  il  Te  chafla. 
L'autre ,  afin  de  s'en  venger  ,  contrefît,  des  let- 
tres, par  lesquelles-  il  fembloit  qu'Efope  eût  in- 
telligence avec  le»  Rois  qui  étoient  émules'  de. 
Lycerus*  Lycerus  perfùadé  par  le  cachet  &  par« 
la  fignatu&e  de  ce»  lettres,,  commanda  â  un  de, 
l'es  officiers  nommé  Hermippus  ,  que  fans  autre- 
l^quête*  il»  fit.  mourir?  promptement  le  traître 
Kbpe-,  €et  Hennippus  étant  ami  du  Phrygien ,. 
ht  fauva  la  vie  ;  &  à  l'infçu  de  tout  le  monde  , 
ta  nourrit  long -temps  dans  un  fépulçre  ,  jusqu'à 
ee  que  Nedtenaho ,  Roi  d'Egypte ,  fur.  le  bruit  de  la 
mort  d'Efope,  crut  à  l'avenir  rendre  Lycerus  fon 
tributaire..  U  ofâ  le  provoquer  ,.&  le  défia  de  lui 
envoyer  des  arçhite&es  qui  fçuiTent  bâtir  une  tour  - 
ci  l'air,  &.  par  même  moyen,  un  homme  prêt  à- 
répondre  à  toutes  fortes  de  queftions..  Lycerus  ayant 
lu  les  lettres ,  &  les  ayant  communiquées  aux  plus- 
habiles  de  fon  état,  chacun  d'£ux  demeura  court;. 
ce  qui  fit  que  le  Roi  ïegmta  Efope;  quand  Her- 
mippus lui  dit  qu'il  tfétoit  pas  mort ,  il  le.  fit  venir.. 
Le  Phrygien  fut.  très -bien  reçu,  fe  juftifia',  &  par- 
donna à  Ennus.  Quant  à  la  lettre  du  Roi  d'Egypte,. 
il  n'en  fit  que  rire,.  &  manda  qu'il  envoyeroit  an. 
printemps  des  archite&es  &  le  répondant  i  toutes 
fortes  de  queftions.  Lycerus  remit  Efope  en  poffes- 
lion  de  tous /es  biens  r  &lui  fit  livrer.  Ennus  pour 
en  faire  ce  qu'il  voudroit.  Efope  le  reçut  comme 
fon  enfant;  &,  pour  toute  punition  ,  lui  recom- 
manda d'honorer  les  Dieux  &  fon  Prince,  fe,ren* 
&e  terrible  à  fes  ennemis,  facile  &  commode  aux 
satresjbten  traiter  fa  femme,  fans  pourtant  lui  con* 
tofon  fecret;  parler  peu.,  &  chalTer  de  chez  foi 
b  babillards;  ne  fe:  point  laiffer  abattre  aux  «mal- 
heurs ;  avoir  foin  du  lendemain  ;  car*  il  vaut  mieux: 

tarichir  fes  ennemis  par.  ft  mort,  quç  d'être  ho? 
****** 


txxx      LA    VIE     D'E  S  O  V  E. 

portun  à  fes  amis  pendant  fon  vivant;  furtout  n*é-' 
tre  point  envieux  du  bonheur  ni  de  la  vertu  d'^u- 
trui,  d'autant  que  c'èft  fe  faire  du  mal  à  foi -même. 
Ennus  touché'  de  ces  avertiflemens  &  de  la  bonté 
d'Efope ,  comme  un  trait  qui  lui1  auroit  pénétré  le 
ooeur ,  mourut  peu  de  temps  après. 

Pour  revenir  au  défi  de  Ne&enabo,  Efope  choî- 
fit  des  aiglons,,  &  les  fit  inflruire  (chofe  difficile  à 
croire)  il  les  fit,  dis  -je,  inflruire  à  porter  en  l'air 
chacun  un  panier ,  dans  lequel  étoit  un  jeune  en- 
fant.   Le. printemps  venu,  il  s'en  alla  en  Egypte 
avec  tout  cet  équipage,  non- fins  tenir  en  grande 
admiration  &  en  attente  de  fon  defTein  les  peuples 
chez  qui  il  pafToit.    Ne&enabo  qui ,  fur  le  bruit  de 
fàmort,  avoit  envoyé  l'énigme,  fut^ extrêmement 
furpris  de  fon  arrivée,  il  ne  s'y  attendoit  pas ,  & 
ne  fe  fût  jamais  engagé  dans  un  tel  défi  contre  Ly- 
cerus ,  s'il  eût-  cru  Efope  vivant.    Il  lui  demanda 
$11  avôit  amené  les  architectes  &  le  répendant.  Efo- 
pe dit  que  le  répondant  étoit  lui-même,  &  qu'il 
feroit  voir-  les  architectes  quand  il  feroit  fur  le  lieu» 
On  fortît  en  pleine  campagne,  où  les  aigles  enlevé- 
ient  les  paniers  avec  les  petits  enfans,  qui  crioient. 
qu'on  leur  donnât  du  mortier,  des- pierres -&  du  bois. 
Vous  voyez,  dit  Efope  à  Ne&enabo,  que  je  vous* 
ai  trouvé  les  ouvriers  :  fournKTez-leur  des-  maté- 
riaux.   Neclenabo  avoua  que  Lycerus  étoit  le  vain- 
queur.   Il  propoffe  toutefois  ceci  à  Efope-    J'ai  des. 
cavales  en  Egypte  qui:  conçoivent  au  hanniflement. 
des.  chevaux  qui  font  devers  Babilone  :  qu'avez-vous. 
à*  répondre  là-deffiis?    Le  Phrygien- remit  fa  ré- 
ponfeau  lendemain*  &  retourné  qu'il  fut1  au  logis,, 
il  commanda  à  des  enfans  de  prendre  un  chat ,  & 
de  le  mener  fouettant  par  les  rues.    Les  Egyptiens* 
qui  adorent  cet'  animal ,  fe  trouvèrent  extrêmement':: 
fcandaiifés  du  traitement  que.  l'on  lui  faifoit.    Ds 


LA    V I  E    D"£  S  Om  F  E.    lxxvh 

fte  mains.  Cela  fait,  Efope  dit  que  les  Samiens 
Soient  menacés  de  fervitude  par  ce  prodige  ;  &  que 
i  aigle  enlevant  leur  fceau,  ne  fignifioit  autre  chofe 
ça'un  Roi  puiffant  qui  vouloit  les  aflujettir.. 

Peu  de  temps  après,  Créfus,  Roi  des  Lydiens, 
k  dénoncer  à  ceux  de  Samas  qu'ils  euffent  à  fe 
rendre  fes  tributaires ,.  finon  qu'il  les  y  forceroit 
per  les  armes-.  La  plupart  étaient  d'avis  qu'on  lui 
obéit.  Efope  leur  dit  que  la  fortune  préfentoît  deux 
chemins  aux. hommes;  l'un  de  liberté,  rude  &  épi* 
neux  au  commencement ,  mais  dans  la  fuite  très- 
îgiéable;  l'autre  d'efclavage,  dont  les  commence^ 
icens  étoient  plus  aifés ,.  mais  la  fuite  laborieufe- 
Cétoit  confeiller,  allez  intelligiblement  aux  Samiens. 
&  défendre  leur  liberté.  Ils  renvoyèrent  fcAmbas- 
fadeur  de  Créfus  avec  peu  de  fatisfa&ion. 

Créfus.  fe  mit  en  état  de  les  attaquer-  L'Ambafla- 
fcir  lui  dit,;  que  tant  qu'ils  auroient  Efope  avec* 
cm,  il  auroit  peine  à  les  réduire  à  fes  volontés  v 
vu  la  confiance  qu'ils  avoient  au  bon  fens  du  per- 
Jonnage.    Créfus  le  leur  envoya  demander,  avec 
promeus  de  leur  laiffer  la  liberté,  s'ils  le  lui  li- 
vraient.   Des  principaux  de  la  ville  trouvèrent  ce&. 
conditions  avantageuses,  &  ne  crurent  pas  que  leur 
repos  leuï  coûtât  trop- cher,  quand  ils  l'acheteroienk 
aux  dépens  dEfope*.  Le  Phrygien  leur.  fit.  changer 
k  fentiment,  en  leur  contant,  que  les  loups- &  les, 
brebis  ayant  fait  un  traité  de  paix,,  celles-ci  don- 
nèrent leurs  chiens  pour  otages  :  quand  elles.  n!eu? 
œnt  plus  de  défenfeurs,  les  loups  les  étranglèrent 
avec  moins  de  peine  qu'ils  ne  faifoient.    Cet  apô- 
toguefi&fon  effet:  les  Samiens  prirent  une  délibé- 
ration toute  contraire,  à  celle  qu'ils  avoient  prife... 
E%e  voulut •  toutefois  aller  vers  Créfus,,  &  dit. 
qu'il  les  ferviroit  plus  utilement  étant  près  duRoi,,; 
ïefll  demeuroit-à  Samo*.. 


( 


^/-tt^.Cï  <sClJu<*~ 


l*xviii    LA    VIE    ^ESOPE, 

Quand  Créfus  te  vit,  il  s'étonna  qu'une  fi  chéti- 
ve  créature  lui  eût  été  un  û  grand  obftacle.  Quoi  ! 
Voilà  celui  qui  fait  qu'on  s'oppofe  à  mes  volontés  ! 
s'écria- 1- il'.  Efope  fe  profterna  à  fes  pieds»  Un 
homme  prenoit  des  fauterelles,  dit-  il  ;  une  cigale: 
lui  tomba  auffi  fous  k  main  :  il  s'en  alloit  la  tuer 
comme  il  avoit  fait  des  fauterelles.  Que  vous  ai- 
je  fait?  dit -elle  à  cet*  homme:  je  ne  ronge  point, 
vos  bleds  ;  je  ne  vous  procure  aucun  dommage  ^ 
vous  ne  trouverez  en  moi  que  la  voix ,  dont  je 
me  fers  fort  innocemment.  Grand  Roi ,  je  reflem- 
ble  à  cette  cigale  ;  je  n'ai  que  la  voix ,  &  ne  m'en 
fuis  point  fervï  pour  vous  ofFenfer.  Créfus  ,  -tou- 
ché d'admiration  &  de  pîtié,  non  -  feuletnent  lui 
pardonna ,  mais  il  laifTa  en  repos  les  Samiens  à  fâ 
confîdëration. 

En  ce  temps -là,  le  Phrygien  compofa  fes  fables» 
lesquelles  il  laiffa  au  Roi  de  Lydie ,  &  fut  envoyé 
par  lui  veis  les  Samiens,  qui  décernèrent  à  Efope 
de  grands  honneurs»  Il  lui  prit  auffl  envie  de  voya- 
ger, &  d'aller  par  Ife  monde,  s'entretenant  de  di- 
verfes  chofes  avec  ceux  que  Ton  appelloit  PMofo- 
jihes.  Enfin  iî  fe  mit  en  grand  crédit  près  de  Ly- 
cerus,  Roi  de  Babilone.  Les  Rois  d'alors  s'en- 
voyoientles  uns  aux  autres  des  problêmes  à  réfoudre 
fdr  toutes  fortes  de  matières ,  à  condition  de  fe  payer 
une  efpece  de  tribut  ou  d'amende ,  félon  qu'ils  ré- 
pondroient  bien  ou  mal  aux  queftions  proposées  : 
en  quoi  Lycesus  ,  affifté  d'Efope ,  avoit  toujours 
l'avantage,  &  fe  rendoit  ilhifrre  parmi  les  autres, 
fôit  à  réfoudre*  foit  à  propofer. 

Cependant  notre  Phrygien  fe  maria,  &  ne  pou- 
*ant  avoir  d'enfans  r  H  adopta  un  jeune  homme 
d'extra&ion  noble,  appelle  Ênnus.  Celui-ci  le 
paya  d'ingratitude,  &  fut  iî  méchant  que  d'ofer 
fouiller  Je  lit  de  fon  bienfaiteur*      Cela  étant 


LA    VIE    D*  E  S  O  P  È.        lxxx* 

Panachèrent  des  mains  des  enfans ,  &  allèrent  fe 
plaindre  au  Roi.  On  fit  venir  en  fa  préfence  le 
Phrygien.  Ne  içavez-vôus  pas,  lui  dit  le  Roi,. 
que  cet  animal  eft  un  de  nos  Dieux?  pourquoi  dona 
fe  faites  -vous  traiter  de  la  forte?  C'eft  pour  l'of- 
ferte qu'il  a  commife  envers  Lycerus ,  reprit  Efo- 
pe;  car  la  nuit  dernière  il  lui/a  étranglé  Un  coq. 
extrêmement  courageux,  &  qui  chantoit  à  toutes  le» 
heures.  Vous  êtes  un  menteur ,  repartit  le  Roi  t 
comment  fèroit-il  pofEble  que  ce  chat  eût  fait  eu 
fi  peu  de  temps  un  fi  long  voyage?  Et  comment 
eft -il  poffibte,  reprit  Efope,  que  vos  jumens  en- 
tendent  de  fi  loin  nos  chevaux  hannir,  &  conçoi- 
vent pour  les  entendre? 

Enfuite  de  cela,  le  Roi  fit  venir 'd'Héiîopolk 
certains  perfonnages  d'efprit  fubtil ,  &  fçavans  en 
queftions  énigmatiques.  11  leur  fit  un  grand  régal  * 
où  le  Phrygien  fut  invité.  Pendant  le  repas,  ils 
propoferent  à  Efope  diverfes  chofes,  celle-ci  en* 
tr'autres  :•  11  y:  a  un  grand  temple  qui  eft  appuyé  fur. 
une  colonne  entourée  de  douze  villes,  chacune  des- 
quelles a  trente  areboutans,  &  autour  de  ces  arc- 
boutans  fe  promènent,  Tune  après  l'autre,  deux 
femmes,  l'une  blanche,  &  l'autre  noire.  11  faut 
renvoyer,  dit  Efope,  cette  queftion  aux  petits  en- 
fans  de  notre  pays.  Le  temple  eft  le  monde;  la- 
colonne ,  Tan  ;  les  villes ,  ce  font  les  mois  ;  &  les 
areboutans,  les  jours,  autour  defquels  fe  promènent 
alternativement  le  jour.&  la  nuit. 

Le  lendemain  Ne&enabo  affembla  tous  fes  amis. 
Souffrirez -vous,  leur  dit-il,,  qu'une  moitié  d'hom- 
me, qu'un  avorton  fait  la  caufe  que  Lycerus  rem- 
porte le  prix  ;  &  que  j'aie  la  cpnfufion  pour  mon. 
partage? Un  d'eux  s'avifa  de  demander  à  Efope  qu'il 
leur  fît  des  queftions  de  chofes  dont  ils  n'euiïent 
jamais  entendu  parler.    Efope  écrivit  une  cédille* 


ixxtn    LA    VIE    D'ESÛPR 

par  laquelle  Neétenabo  confefToit  de  devoir-  deûs 
mille  talens  à.  Lycerus;  La  cédule  fut  mife  entre 
tes 'mains  de  Neétenabo,  toute  cachetée.  Avant 
qu'on  l'ouvrit,  les  amis  du  Prince  foûtinrent  que 
ta  chofe  contenue  dans  cet  écrit  étoit  de,  leur  cou- 
noiflancc.  Quand*  on  Peut  ouverte ,  Nectenabo  s'é- 
cria: voilà  la  plus  grande  faufleté  du  monde;  Je 
vous  en  prens  à  témoins  tous  tant  que  vous  êtes.  II 
cft  vrai,  repartirent -ils,  que  nous  n'en  avons  -ja- 
mais entendu  parler.  J'ai  donc  fatisfait  à  votre  de- 
mande ,  reprit  Efope.  Ne&enabo  le  renvoya  con> 
Blé  de  préfens,  tant  pour  lui  que  pour  fon  maître. 

Le  féjour  qu'il  fît  en  Egypte  eft  peut  -  être  caufe 
que  quelques-uns  ont  écrit  qu'il  fut  efcteve  avec 
Rhodope ,  celle-là  qui,  des  libéralités  de  fes  amans, 
fit  élever  une  des  trois  pyramides,  qui  fubfïftent  en- 
core ,  &  qu'on  voit  avec  admiration  :  c'eft  la  plus 
petite ,  mais  celle  qui  éft  bâtie  avec  plus  d'art. 

Efope,  à  fon  retour  dans  Babilone,  fut  reçu  de 
Lycerus  avec  de  grandes  démonftrations  de  joie  & 
de  bienveillance:,  ce  Roi  lui  fit  ériger  une  ftatue. 
L'envie  de  voir  &  d'apprendre  lui  fit  renoncer  à 
Cous  ces  honneurs.  Il  quitta  la  cour  de  Lycerus , 
où  il  avoit  tous  les  avantages  qu'on  peut  fouhaiter , 
&  prit  congé  de  ce  Prince  pour  voir  la  Grèce  en- 
core_une  fois.  Lycerus  ne  le  laîfla  pas  partir  fans 
embrafTemens .  &  fans  larmes  t  &  fans  le  faire  pro- 
mettre fur  les  autels  qull  reviendrait  achever  Tes 
Jours  auprès  de  lui. 

Entre  les  villes  où  il  s'arrêta/ Delphes  fut  une 
des  principales.  Les  Delphiens  Técouterent  fort 
voïbntiers ,  mais  ils  ne  lui  rendirent  point  d'hon- 
neurs. Efope x  piqué  de  ce  mépris,  les  compara 
aux  bâtons  qui  iiotent  fur  L'onde  :  on  s'imagine'  de 
loin  que  c'eft  quelque  chofe  de  confid  érable  ;  de 
près  on  trouve  que  ce  a'eïl  rien.    La  comparaison 


LA   VIÏ    D'  tSOVÊ.    Lztnit 

loi  coûta  cher.  •  Les  Delphiens  en  conçurent  une 
teiîe  haine ,  &  un  û  violent  défir  de  vengeance  f 
(outre  qu'ils  cfaignoient  d'être  décriés  par  lui} 
qu'ils  réélurent  de  l'ôter  du  monde.  Pour  y  par- 
venir, ils  cachèrent  parmi  fes  hardes  un  de  leurs 
raies  facrés ,  prétendant  que  jpar  ce  moyen  irs  con- 
vaincroicnt  Efope  de  vol  &  de  facxilége,  &  qu'il* 
|lc  condamner  oient  à  la  mort. 
I  Comme  il  fut  fortî  de  Delphes ,  &  qu'il  eut  prU 
le  chemin  de  la  Phocide ,  les  Delphiens  accouru- 
rent comme  gens  qui  étoient  en  peine  ;  ib  Faccufe- 
rent  d'avoir  dérobé  leur  vafe.  Efope  le  nia  avec 
des  fermens:  on  chercha  dans  fon  équipage,  &  il 
Fjt  trouvé.  Tout  te  qu'Efope  put  dire ,  n'empêcha 
point  qu'on  ne  le  traitât jcomine  un  criminel  infâme. 
li  fut  ramené  à  Delphes,  chargé  de  fers,  mis  dans 
des  cachots ,  puis  condamné  à  être  précipité.  Rien 
ne  lui  fervit  de  fc  défendre  avec  fes  armes  ordinai- 
res ,  &  de  jaconter  des  apologues  :  les  Delphiens1 
s'en  moquèrent. 

La  grenouille,  leur  dit-il ,  avok  invité  le  rat  â 
la  venir  voir.  Afin  de  '-lui  faire,  traverfer  l'onde , 
elle  l'attacha  à  fon  pied.  Dès  qu'il  fut  fur  l'eau, 
«lie  voulut  le  tirer  au  fond,  dans  le  deflHn  de  le 
noyer,  &  d'en  faire  enfuite  un  repas.  Le  malheu- 
reux rat  réfifta  quelque  peu  de  tems.  Pendant  qu'il 
fe  débattoit  fur  l'eau,,  un  oifeau  de  proie  i'apperçut, 
fondit  fur  lui  ;  &  l'ayant  enlçvé  avec  la  grenouille 
lui  ne  fe  put  détacher,  il  îc  reput  de  l'un  &  de 
l'autre.  C'eft  airïfi ,  Delphiens  abominables ,  qu'un 
plus  puuTant  que  nous  me  vengera;  je  périrai;  mais 
vous  périrez  auf&V 

Comme  on  le  conduifoir  au  fupplice,>il  trouva 
moyen  de  s'échapper ,  &  entra  dans  une  petite  cha- 
pelle dédiée  à  Appollon.  Les  Delphiens  l'en  arra- 
chçrent.    Vous  viole*  ççt  afyie;  leur  dit-il^  parce 


ixxxrv     LA    VIE    D'  Ê  S  Ô  P  t 

<jue  ce  ri'eft  qu'une  petite  chapelle  ;  mais  un  jovk 
viendra  que  votre  méchanceté  ne  trouvera  point  de 
retraite  fûre,  non  pas  même  dedans  les  temples. 
11  vous  arrivera  la  même  chofe  qu'à  J'aigle,  la- 
quelle, nonobftant  tes  prières  de  lfcfcarbot,  enleva- 
un  lièvre  qui  s'étoit  réfugié  chez  lui.  La  généra- 
tion de  l'aigle  en  fut  punie  jufqucs  dans  le  giron  de 
Jupiter,  Les  Delphiens  peu  touchés  de  tous  ces 
exemples*  le  précipitèrent. 

Peu  de  temps  après  fa  mort*  tffie.pefte  très- . 
violente  exerça  fur  eux  fes  ravages.  Ils  dem'an- 
<derent  à  l'Oracle  par  quels  moyens  ils  pourroïent 
appaifer  le  courroux  des  Dieux.  L'Oracle  leur 
répondit-,  qu'il  n'y  en  avoit  point  d'autre  que  d'ex- 
pier leur  forfait ,  &  fatisfaire  aux  mânes  d'Efope. 
Auffi-tôt  une  pyramide  fut  élevée.  Les  Dieux  ne 
témoignèrent  pas*  feuls  combien  ce  crime  leur  dé- 
plaifoit  ;  les  hommes  vengèrent  auffi  la  mort  de 
leur  fage.  La  Grèce  envoya  dès  commiffairefr 
pour  en  informer  ,  &  «n  fit  une  punition  rigou- 
jeufe. . 


F  À  B   L  E'S 

C  H   O  I  S  I  E  S. 

A  MONSEIGNEUR 


(0 


LE  DAUPHIN. 


e  chante  les  Héros  dont  (2)  Efope  eft  le  père, 
jTroupe^de  qui  i'Hiftoirc  ,  encor  que  menfongére, 
1  Contient  des  vérités  qui  fervent  de  leçons. 
Tout  parie  en  mon  Ouvrage ,  &  même  les  Poiflbns. 
Ce  qu'ils  difent  s'adreffe  a  tous  tant  que  nous  fom- 

mes* 
Je  me  fers  d'Animaux  pour  inftruire  les  hommes. 
iUlustre  Rejetton  d'un  Prïncb  aimé 

des  Cieux , 
(Sur  qui  le  inonde  entier  a  maintenant  les  yeux, 

(0  Fils  de  Louïs  XIV. 
UM>'elckre  Inventeur  des  Fables.' 


7.  a      A  MONSEICMEUKLE^DAUrtïlN. 

Et  qui ,  faifant  fléchir  les  plus  fuperties  têtes; 

Comptera  déformais  fes  jours  par  Tes  conquêtes, 

Queiqu'autre  te  dira,  <Tune  plus  forte' voix, 
<-  Les  Faits  de  tes  Ayeux ,  &  les  vertus  des  Rois. 
*    Je  vais  t'entrefenir  de  moindres  avantures , 
v  Te  tyacer ,  en  ces  Vere,  jào>  légères  peinâmes  £ 

Et  fi  de  t'agréer  je  n'emporte  le  prix,       ; 

J'aurai  du  moins  l'honneur  de  l'avoir  entrepris. 


FABLE   PREMIERE. 

La  Cigcde  &  la  Fourmi. 


JL/a 


fa  Cigale  ayant  chanté 
tout  Tété, 

Se  trouva  fort  dépourvue. 

Quand  la  bize  (  i  )  fat  venue. 

Pas  un  feul  petit  morceau 

De  mouche  pu  de  vermhTean. 

Elle  alla,  crier  famine  , 

Che2  ta  Fourmi  fa  voifine,      ' 

La  priant  de  lui  prêter 

Quelque  grain  pourfubfifter   "  ; 

Jufqu'à  la  faifon  nouvelle.  ■       '  l 

Je  vous  pairâï,  lui  dit  -"elle , 

(i.)  Avant  rote;  foi  d'animal  > 

Intérêt  (3)  &  principal. 

•  •  1    •  •  . 

M  Vent  du  Kord>  qui  contribue  ic  plus  au  fond  <U 
lyver. 

'M  Avant  la  moiflbn,  avant  le  teins  où  l'on  recueille 
ftgrain$.     ..  j     ; 

S))  La  femme  que  tons  drantc*  prêtée,  ajnec  le»  ix». 
*«*  de  cette  fournie,       '*  •  * 

A  a    / 


F  ARLES    CHOISIES 

La  Fourmi  «n'eft  pas  préteufe; 

.  C'eftlà  Spn  mcandi-e  défaut,, 
Que  faiSez-votis  au  temps  chaud  fc 
Dit -elle  à  cette  emprunteufë,  ^ 
Nuit  &  jour  à  tout  venant 
Je  chantois ,  ne  vous  déplaife. 
Vous  chantiez,?  j'en  fuis- fort  aife; 

'  Hé  bien,  danfëz  maintenant.  4 


FABLE      IL 

Le  Corbeau  &  le  fâriard. 

JlV JLaître'  Corbeau  fui*  un  arbre  perché , 

Tenoit  en  fon  bec  un  fromage  : 
Maître  Renard,  par  l'odeur  (i)  allécjré, 

Lui  tint  à  peu  près  ce  langage. 

Hé  bon  jour,  Monfieur  du  Corbeau! 
Que  vous  êtes  joli  !  <jue  vous  me  femblez  beau 

Sans  mentir,  û  votre  ramage 

Se  raporte  à  votre  plumage, 
Vous  êtes  je  (  %  )  phénix  des  hôtes  de  ces.  bois. 
A  ces  mots ,  le  Corbeau  ne.  te  fejit  pa&  de  >joie  : 

Et,  pour  montrer  fa  be>Jic  voix* 
Il  ouvre  un  lafgé  bec ,  kifle  tomber  fa  proie. 
Le  Renard  s'en  faifit,  &  dit:  mon  bon  Monfieur 
Aprenez  que  tout  flatteur 

Vit  aux  dépens  «de  celui  -qui  l'écoute  : 
Cette  leçon  vaut  bien  un  fromage  fans  doute. 

Le  Corbeau  honteux  &  confus 
Jbta,mais  un'pM  tatfd^u^bn  nel'y  prcndroit  plus 

(iV-Afcfet.   '  '  '  •     ";  /    ' : 

(l)  l*e  plus  beau  de  tous  les  oîfeaux ,  unique  en  foi 
«f^êcei  -SC'  ii  tare;  qiril  u'cft  frâ*  trop  'fût  qu'il  ait  j* 
joais  exifté.  * 


l    r  V    R    E     I. 


FA    B    L    E      III. 

la  Grenouille  qutje  veut  faire  aujffi  groffe 
que  le  Bœuf. 


U. 


ne  Grenouille  vit  un  Bœuf, 

Qui  lui  fembla  de  belle  taille. 
|  Elle  qui  n'étoit  pas  grotte  en  tout  comme  un  œuf, 
Envieufe  s'étend ,  &  s'enfle ,  &  fe  travaille , 

Pour  égaler  l'animal  en  grofleur, 

Difant:  regardez .  bief} ,  rna  fœur, 
Eft-ce  affez  ?  dites  -  moi  ;  n'y  fuis  -  je  point  encore  ? 
Nennj.  M'y  voici  donc?  point-du-tout.  M'y  voilà? 
Vous  nleû  apjochez-  point..   La  chétive  pécore 
!       S'enfla  fi  bien , .qu'elle  creva. 

Le  inonde  eft  plein  de  gens  qui  ne  font  pas  plus  fages; 
Toot  Bourgeois  veut  bâtir  comme  lc$  grands  Sei- 
gneurs; 
Tout- petit  Grince  a  des  Amhafladeurs'; 
Tout  Marquis  veut  avoir  des  Pages. 

r  '  < 

F   A    B    L    E      I  V. 

Les  deux  Mulets. 

lOeux  Mulets  chemînoient  ;  l'un  d'avoine  chargé  , 
itïutre  portant  L'argent  de  (  i  )  la  Gabelle-. 
£elui  -ci ,  glorieux  d'une  charge  fi  belle , 
faut  voulu  pour  beaucoup  en   être  foulage. , 
|       11  marchoit  d'un  pas  relevé , 
l»)  L'argent  des  Jmp6tj. 

A  3 


jf         FABLES    .CHOISIES 

Et  faifoit  fonner  fa  fonnette: 
Quand  l'ennemi  fepréf entant, 
Comme  il  en  vouloit  à  l'argent, 

Sur  le  Mulet  du  (*&)  fife  une  troupe  fe  jette; 
Le  faifit  au  frein  $  l'arrête. 
Le  Malet ,  ëti  fe  défendant  ,• 

Se  fent  percer  de  cfcups,il  gémit,   il  foupire. 

Eft-ce  donc  là,  dit -il,  ce  qu'on  'm'avoit  pxotn'i 

Ce  Mulet  qu|  me  Huit ,  du  danger  fe  letire , 

Et  moi  j'Y  tombe  &  j'y  péris.  i 

Ami,  Jui  dit  fon  camarade, 

Il  n'efl  pas  toujours  bon  devoir  un  haut  anpld 

Si  tu  n'avois  fervi  qu'un  Meunier ,  comme  moi , 
Tu  ne  ferois  pask  fi  malade. 

•  (  2  )  Deniers  publics. 


u. 


CABLE      V. 

*  Le  Loup  &  le  Chien. 


n  Loup  n'avoit  que  le$  m  &  la  peair,  j 

Tant  les. Chiens  faifoiçnt  bpnne  gajr4e;  : 
Ce  Loup  rencontrç^un  Dogue  aùflï  puiflànt  que  beaj 
G*as  y  poli ,  qui  s'était  fourvoyé  par  mégarde.     I 

L'attaquer ,  le  mettre  en  quartiers , 

Slip  £oup  l'eût  feit  volontiers. 

Aîais  il  falloît  livrer  bataille, 

Et  le  Mâtin  étofr  $3  taULe 

À  fe  défendre  hardiment. 

Le  Loup  donc  l'aborde  humblement, 
'  Entre  en  propos ,  &  lui  fait  compliment 

Sur  fon  embonpoint  qu'il  admire. 

Il  ne  tiendra  qu'à  vous,  beau  Sire, 
-lyêtre  auflî  gras  que  moi ,  lui  réparti*  le  Chien. 

Quittez  les  bois, .vous  fere^  bien.; 


i    I    V    R   JE    k4It  ;  f 

Vos  pareils  y  font  miférables, 

Cancres ,  ( i)  beres  8t  pauvres  Dkblft, : 
Dont  la  condition  eft  de  mourir  de  faim. 
Car  quoi  ?Hien  d'afluré:  point  <de  (x}  franche  lipée; 

Tout  à  la  pointe  de  i'épée. 
Um  -moi ,  voqs  agirez  un  bien  meilleur  deftîn.  , 

Le  Loup  reprit:  que  me  faudra-t-il  faire? 
Piefque  rien ,  dit  le  Chien ,  donner  la  chafle  aux  gens 

Portant  bâtons,  &  menctfans; 
flatter  ceux  du  logis ,  à  fon  Maître  complaire  :    • 

Moyennant  quoi ,  votre  falaire 
Sera  force  ('3  )  reliefs  de  toutes  les  façons, 

Os  de  Poulets,  os'  de  pigeons, 

Sans  parler  de  mainte  careflè. 
le  Loap  déjà  fe  forge  une  félicité , 

Qui  le  fait  pleurer  de  tendreflfe. 
Chemin  faifant,  il  vit  le  col  du^Chien  pelé  : 
Qu'eft  cela?  lui  dit-il.  Rien.  Quoi  rien? Peu  de  chofe. 
Mais  encor  V  Le  colHçr  dont  je  fuis  attaché , 
De  ce  que  vous  voyez  eft  peut  -  être  la  caufe. 
Attaché!  dit  le  Loup:  vous  :ne  courez  dotac  pas 

Où  vous  vôulé2  ?  Pas  toujours ,  mais  qu'importe  ? 
*1  importe  fi  bien  que  de  tous  vos  repas 

Je  ne  veux  en  aucune  forte  ; 
Etne  voudrois  pas  même  àx:e  prix  un  tréfor; 
wla  fit,  maître  Loup  s'enfuit,.  &  court  encor. 

(0  Malheureux. 

U)  Repas  qui  ne  coûte  rien  à  des  impudent  qui  vont 
IPfnufee  paft.fanf  avoir  été  inyfcc*  , 
13  J  Les  reftes  d'un  repa*, 


A4 


FABLES    CHOISIES 


F   A    B    L    E      V  I. 

Jm  Géniffe}ta  Chèvre  & }ta Brebis 9enjbczété 
avec  le  Lion, 

JLfa  (i)  Géniflê ,  la  Chèvre  r&  leur  fœur  la  Brebis, 

Avec  un  fier  Lion  »,  Seigneur  du  voifinage, 

Firent  fociété,  dit -on,  au  tems  jadis, 

Et  mirent  en  commun  le  gain  &  lé  dommage. 

Dans  les  lacs  de  la'Chévre  un  Cerf  fe  trouva  pris. 

Vers  fes  aflbciés  auflî  -  tôt  elle  envoie. 

Eux  venus,  le  Lion  par  fes  ongles  compta,1 

Et  dit:  Nous  fommes  quatre  à  partager  la  proie; 

Puis  en  autant  de  parts  le  Cerf  il  dépeça  : 

Prit  pour  lui  la  première  en  qualité  de  (2)  Sire; 

Elle  doit  être  à  moi ,  dit  -il  ;  &  la  raifon, 

C'eft  que  je  m'apelle  Lion; 

A  cela  l'on  n'a  rien  à  dire. 
La  féconde,  par  droit,  me  doit  échoir  encor  : 
Ce  droit,  vous  le  fçavez, c'eft  le  droit  du  plus  fort 
Comme  le  plus  vaillant  je  prètens  la  troisième. 
Si  quelqu'une  de  vous  touche  à  la  quatrième , 

Je  l'étranglerai  tout  d'abord.* 

*  (  1)  -Jeune  vache.  L 

(  2  )  Seigneur  cm  Roi  ♦  •  le  Lion  étant  réputé  Roi  de* 
animaux  ,  comme  l'Aigle  celui  des  oHeaux.^      •  1 


•LIVRET-  9 

FABLE      VIL 

LaBeface/ 

Jupiter  dît  un  Jour  r  que  tout  ce  qui  refpire 

S'en  vienne  comparoître  aux  pieds  de  ma  grandeur. 

Si  dans  fon  compofé  quelqu'un  trouve  à  redire, 

lr  peut  te  déclarer"  fans  peur? 

Je  mettrai  remède  â  la  chofe. 
Venez,  Singe,  parlez  lepfemier ,  &  pour  caufe  r 
Voyez  ces  animaux;  faites  comparaifon 

De  leurs  beautés  '  avec  les  vôtres; 
Etes -vous  fatfsfait?    moi,  dit -il,  pourquoi  non?  ' 
N'ai -je  pas*  quatre  pieds  aufli-bierr  quelles  autres? 
Mon  portrait  jufqu'ici  ne  m'a  rien  reproché  : 
Mais  pour  mon  frère  fours  on  ne  Ta  qu'ébauché  £  (i) 
Jamais,  s'il  me  veut  croire,  il  (2)  ne  fe  fera  peindre» 
L'ours  venant  là-deflus ,  on  crut  qu'il  s'alloit  plaindre. 
Tant  s'en  faut,  de  fa  forme  il  fe  loua  très-fort,. 
Glokfur  rélépfianr,  dit  qu'on  pourroit  encor 
Ajouter  à  fa  queue ,  ôter  à  fes  oreilles , 
Que  c'étok  une  mafle  informe  &  fans  beauté. 

L'éléphant  étant  écouté, 
Tout  fage  qu'il  étoit,  dit  des  chofès  pareilles.    : 

Il  jugea  qu'à  fori  apétit, 

Dame  baleine  étoit  trop  grofle. 
Dame  fourmi  trouva  le  (  3  )  ciron  trop  petit, 

Se  croyant  pour  elfe- un  colofle. 
Jupin  les  renvoya  s'étant  cenfurés  tous; 
Du  refte  content  d'eux.  Mais  parmi  les  pte  fous 
Notre  efpéce  excella;,  car  tout  ce  que  nous  forâmes, 

(1)  Très  -  imparfaitement  forma, 
fx)  Vu  fou  jExtrême  laideur.  . .  _.    ^  „ 
\ }  )  Très  -  petit  fcriïmal ,'  qu'on"  ne  peut  voir  qpe  fiât  I* 
■ûjcn  d'un  microfeope. 

A  5 


/ 

*%        FABtES     ÇHO  ISIES 

Attraperont  petits  oifeaux,   • 

Ne  volez  plus  de .  place  en  place  ;    .     , 
Demeurez  au  logis,  ou  changez  de  climat r 
Imitez  le  canard,  la  grue  &  la  bécafle. 

Mais  voijs  n'êtes  pas  en  état  -  . 

De  pafTer,  comme  nous,  les  déferts  &  les  ondes,. 

Ni  d'aller  chercher  d'autres  mondes  ; 
C'eft  pourquoi  vous  n'avez  qu'un  parti  qui  foit  fur  ^ 
C'eft  de  • vous  .renfermer  aux  trous  de  quelque  mur. 

LeSTolfillons ,  las  de   l'entendre  > 
Se  mirent  àjazer  auffi  confufément, 
Que faifoienjt  lés  (o)Troyens>quahd  la  pauvre  (io) 
Caflandrç 

Ouvroit  la  bouche  feulement.  "*  V""v 

Il  eh  prit  aux  uns  comme  aux  autres» 
Maint  Oifillôn  fe  vit  efçave  retéiiuu  ,~". 
Nous  n'écofjton'l  d'inftipftsqué  cei^x. qui* font  les 

*   nôtres,"       .  */  *  ,* j  \/'.'   '*"*  '  -t 
Et  ne  croyons  le  mal  s  quç  cjûçrçid  $  eft  yeiiu. 

féaux.  Ce  mot  ufité  <fans  quefo,iies'Proirîncèy,  <efr  incon- 
nu à  Paris,  où  les  Oifelicrs  difent  Trebuchet,  Collet  % 
&c,  au  -  lieu  de  %tg*ntiette,    ,*.'/.      *-*  -*     # 

(9)f  Les  habitans  de  J'ancîenne  ville  de  Trby'e  ,  dans  le    \ 
tems  qu'elle  ctoit  attaquée /par  les  Grecs.     -   *  '     •- 
.  (  »9  )  FiUe  <Ju-Rsj  Priam v\ dojvt 4on  mépxifm*  tes  grophé^  J 
'tics  qui  cependant  fe  trouyoie^  toujours  tres^ /véritable  s.   j 

msssmfi!9»ssasifm^ms^\}  nu  ;  '  rsçssat  ! 
£e  Rat  fa  ViÙe  éf  U  &at  Jes  Çbariyps* 


A« 


autrefois  le  Rat-  d*  .vfllp  ;  ' 
,   -  .  -ïiivka;leLB^:dei;tham^.  -\m   r  •/  ' 
.'. .  ,  ..«li'iinê» façon,' fort. civiiôL^.'    ,.  ,.:.;-' 

,  A  des  reliefs  (ij  d'ortolans.*  •    -        ^  ^. 

fî>  Reftes  d'oiftfaui'd'tfn  ccft*  '''ééicttî^ttaf  kttticl* 
1  Onalan"  paflV  pour  un  ydt  s  maiid*  mbf céâix» 


,Sm  un  tapis  4e  Turquie    -.  } 

Le  couvert  fe  trouva  mis» 
Je  laiflè  à  penfer  ia;yie 
Que  firent  ces  deux  amis.' 

Le  régal  fut  fort  hoônéte, 
Rien  ne  manquoit  au  feftinr 
Mats  quelqu'un  troubla  la  fête  m    _ 

„  Fendait  qu'ils  étaient  en  train* 

JV  la  porte  de  la  falle 
Ils  entendirent  du  bruit. 
Le  Rat  de  ville  détale* 
Son  camarade  le  fuit 

Le  bruit  cefle,  on  fe  retirer 
Rats  en  campagne  auffi- tôt,  .    : 

Et  le  (2  )  Citadin,  de  dire  ;  . 
Achevons,  tout  notre  rôt.  . 

C'eft  afTez,  dk  le  Ruftîque  r 

Demaifl  vous  viendrez  chez,  moi; 

Ce  n'eft  pas  que  je  me  pique  .  *: 

De. tous  vos  feftins  de  RoL 

Mai*.  rie&  ne  vient  m'interromprez  t 

Je  mange  toyt  à^  loifir..  '-y 

.  Adieu  .donc  r  du: ptaiftr  .         ■       j  v.  „ 
Que  la  crainte  peut  corrompre».    . 


O 


(i)  Le  Raj:  de  Ville* 

i 

r 

+  W    1 

:t;'     \    ) 
i  .  * 

' 

14         FA&LES    CHOISIES 

F  A    B    t   %     X.  , 
Le  Loup  &  t* Agneau. 


La 


fa  raifon  du  plus  fort  <tâ  toujours  la  meilleure, 
Noue  1-alfons  montrer  tout  à  l'heure* 
Un  Agneau  fe  défaltéroit 
Dans  le  courant  d'une  ohde  pure»'' 
Un  Loup  furvient  â  jeun ,  qui  cherchoit  avanture, 
Et  que  la  faim  en' ces  lieux  attiroit. 
v  Qui  te  rend  fi  hardi  dé  troubler  mon  breuvage  ? 
Dit  cet«animal  plein  de  rage. 
Tu  feras  châtié  de  taj  témérité.  '  - 
Sire,  répond  L'Agneau,  que  votre  majeflé 
Ne  fe  mette  pas  en  colerd , 
Mais  plutôt- quelle  conUdere 
Que  je  me  vas  désaltérant 

î)ans  lé  courant, 
Plus  de  vingt  pas  au-deffbus  d'elle; 
Et  que  par  conséquent  en  aucune  façon  , 
Je  ne  puis  troubler  fa"  boi0bn.  - 
Tu  la  troubles ,  reprit  cette  bétç  cruelle  ; 
Et  je  fçafc  que  dû  moi  tu  médi*  l'ah'paSfe. 
Comment  l'aurois-je  fait  & ri'-éfeis  pas  né? 
Reprit  l'Agneato,  je  tette  encor  ma  mère. 
Si  c*  n'eft  toP,  c'eft  donc  ton  frère. , 
ft  Je  n'en  ai  point.   C'eft  donc  quelqu'un  des  tiens; 
Car  vous  ne  m'épargnez  guère-, 
Vous,  vos  bergers,  &  vos  chiens. 
Ça  me  l'a  dit:  il  faut  qpe  je  me  vange. 
Là-deffus,  a|fo5d  dj*  forêts 
Le  Loup  l'emporte,,  &  puis  le  mange, 
Sans  autre  fojine  de  procès. 


LIVRE!.  If 


F    A    B    L    E      XI. 

U *  Homme  (fjbn  Image,  pour  Mm  te  Z)uç 
de  la  Rocbefoucautt. 

U.    : 
n  honupev<Jui  s'^moitianstroiF^e  rivaux, 

Paiïbit  dans  fonf  efprit  pour  le  plus  beau"  du  inonde. 

Il  accuftJit  toujours,  les:  miroirs  tf&ra  faax ,  . 

Vivant  plus  que  content  .da^s  fon  er*çur  profonde. 

Afin  de  le  guérir ,  '  le  fort  officieux  -  -  •  - 

Préfentoitpajrtoutifesyeux  ,       » 

Les  confeillers  muets  dont  fe  fervent  nos  Damesf 

Miroirs  dans  les  logis ,  miroirs  chez  les  Marcb|ndpà 
Miroirs  aux  poche*.  cîçs  galans , 
Miroirs  aux  ceinturés  cîes~femœep. 

Que  fait  notre  (i)  Narcifle?  ilfe  va  confiner, 

Aux  lieux  les  plus  .cachés-  qu'jtf  peutVimaginer, 

N'ofant  plus  des  miroirs  éprouver  l'avantijre.  ' 

Mais  un  canal,  formé  par  une  fource  pure, 
.  Se  trouve  en  ces^  lieux  écartés  : 

11  s'y  voit;  il  fe  fâche;  de  fies  yeux  irrité* 

Penfent  apercevoir  une  chimère  vaipç. 

Jl  fait  tout  ce  qu'il  peut  pour  éviter  cette  eau. 
Mais  quoi  !  le  canal  eft  il  beau , 
t  Qu'il  ne  le  quitte  qu'avec  pe&ç. 

On  voit  bien  où  je  veicç  venir.  \ 

Je  parle  à  tous;  &  cette  erreur;  extr|œ$ 
Eft  un  mal  que  chacun  fe  plaît  d'sntrQft  r4rf 
Notream^ ç'eilc^t  h^mp  a^omei^  4f  lju-fBqngfc 

U)  On.  apelle  Ndrcîjpt  tour  bomme  entêté  de  (*  .beautés 
rfclfe  ou  cWiWwqaeV^at  âllanoti  à  ce  que  dît  ) a  Fable, 


d'un 
ment 


beau  jeune  homme  de  ce  nom  V^bi' devint  fr  folfc- 
amoureux  de  lui-même*  qu'il  *»'BcidftM**ii*t  -* 


16      fables:  choisies 

^Jant.  de  miroirs,  .ce.  font  les  fottifes .cfauttui  *- .  j 

Miroirs,  de  nos  cTéfauts  les  peintres  légitimes» 
Et  quant  au  canal ,  c'eft  -celui.; 

Que  cHâCurf  fçait  j~îe  Livre  des  Maximes. 

(  t  )  Celui  des  Maximes  morales. ,  faft  pas  U  Dite  de'  /* 


F   A    B    L    E      X  I  I. 

Le  Dragon  à.ptqfieurt  têtes;  &te  Dragon 
à  ptujieurs  quevïeh 


u. 


_  f  n  Envoyé  Ai -Grand- Seigneur,  - 
Préféroit,  dit  l'hiftoire,  un  jour  chez  (i)  l'Empereur* 
Les  forces  defon  maître  à  celles  de  l'Empire. 

Un  Allemand  fe  mit  à  dire  t 

Notre  Prince  a  des  dépendons 

Qui,  de  leur  chef,  font  fi  puûTans, 
Que  chacun  d'eux  pourroit  foutfoyer  une  année. 

Le  Chiaoux,  homme  de  fens., 

Lui  dit:  je  fçais  par  renommée, 
Ce  que  chaque  Electeur  peut  de  monde  fournir; 

•Et  éela  me  fait  fouvenir  '  N 

D'une  avanturé  étrange  ,  &  qui  pourtànreft  vraye* 

J'étois  en  un  Heu  fur,  Iorffjae  je  vis  paffer 

Les  cent  têtes  d'une  ^-Hydréau  travers  d'une-haie. 

Mon  fang  commence  à  (e  glacçr  ; 
,     Et  je  croîs  qu'à  moins  on  s'effraie. 
Je  n'en  eusC  toutefois  que.  la  peur  fans-  le  mat.    ' 

Jamais  le  corps  de  l'animal  - 

l*e>  pût  venir  ve*s  taôf  ,♦  ni  trouver  d;ouverture. 

Je  revois  à  cette  avanturé.,. 
Çfaahcf  un  autre  Draçôri  qui  h'âvpft.  qu'om  ftul  chef; 

*:!*)  Celui  d'Allemagne,  .  3.     .    . 


l  i  v  r  E    i;  n 

Et  bien  plus  d'une  queue >  à  paffer  fç  préfente.     , 

Me  voilà  faifi  derechef 

D'étonnemertf  &*  d'épouvante. 
Ce  chef  pafle ,  &  le  corps  9   &  chaque  queife  auflï; 
Rieq  ne  les  empêcha;  Tua  fit  chemin  i  l'autre. 

Je  foutiens  qu'il  en  e(t  ainfi 

De  votre  Empereur  &  du  nôtre»  ' 


FABLE      XIII. 

Les  Voleurs  &  fAne. 


p 


our  un  Ane  enlevé  deux  voleurs  fe  battaient  t 
L'un  voutoit  le  garder  ;  l'autre  le  vouloi/vendrc. 

Tandis  que  coups  de  poing  trottoient, 
Et  que  nos  champions  fongeoient  à  fe  défendre. 
Arrive  un  troifîéme  larron, 
•  Qù  6îût  maître  (*)  Aliboroiu 

L'Ane,  c'eft  quelquefois  une  pauvre  province 
*   Les  voleurs  font  tel  &  tel  prince:  -    . 
Comme  le  Tftnfilvain,  le  Turc,  &  le  Hongrois.; 
Au  -  lieu  de  deux  j'en  ai  rencontré  trois* 
Il  eft  affez  de  cette  marchandife. . 
De  nul  d'eux  n'eft  fouvent  la  province  conquflè. 
Un  quart  voleur  furvient  qui  le$  accorda  net»  .  \ 
En  fe  faififlànt  du  baudet. 

(i)  Nom  burlefqwe  qu'on  donne  l-VAact 


*m 


1*         FAB1L  ES    CHOISIES 

FA    B    L    E      XIV. 
Stmonuk  prefervê  far  les  Dieux. 


O 


n  ne  pfcut  trop  louer  trois  fortes  deperfennes* 
Les  Dieux,  fa  MaîtrefTe,  &  fon  Roi. 
Malherbe  (  i  )  lé  -difoit  :  j'y  ibufciis  quant  i  jtmï 

Ce  font  maximes  toujours  bonnes. 
La  louange  dhaJ3Quille,J#  g^ffie  1$  efpfits;  : 
Les  faveurs  d'une  belle  en  f<?nt  fouvent  le  prix. 
Voyons  comme  tes  Dtfeux  l'ont  quelquefois  payée. 

Simonîdè  (2)  âvoit  entrepris 
L'éloge  (3)  d'un  athlète;  &,  la  chofe  effayép*  * 
JL  trouva  fon  ftijet  pteàj  de  récits-tout  nus. 
Lesparens  de  l'at&lete  étaient  gpos  inconnus» 
Son  père  un  boa  boucgsoîs,  lui  fans  autre  mérite; 

,   Matière Jqfatife  .&  petite.  .  tl 

Le  Poète  d'abpnd ,  fïarfa  de  fp*  flérpe.  " 

Après  en  apoit  dit  ce  qu'il  çç  f^v^c  dû?, 

Ji  fe  jette  à  côté  /  fe  inet  fur  le  propos 
)e  Oaftor  &  PeUux;  m»  manque  pas  d'écrire 
e  leurjsxeippte  éîojt  aux  luteurs  glorieux; 
àve  leurs  coiibats  »  Tpécjfiant  les  lieux 
Où  ces  fartes  s'é&àéa*  figr&lés  davantage»    . 
Enfin,  Téloge  de  ces  Dieux 
.  Fatfoit  les  deux  fiers  de  l'ouvrage., 
L'a&lete  ayoit  protnis  d'en  payer,  un  $aleat  : 
Mais  quand  il  Le  vit»  ItjaHing-  . 

(  1  )  Excélen*  ?9'è$c  F&ftÇgU  .  W&  a  vécu  fou*  Hepri 
XV  ,  &  Louïs^II.  ' 

(  2  )  Ancien  Poète  Grec ,  ttès  -  célèbre  ,\  donc  il  ne  nous 
refte  que  quelques  fragmens. 

(  3  )  On  nommoit  ^itkHut  «ew  qui  •  dans  U  Grèce  » 
paroiffbient  en  divers  lifcu*  &  eq  divers  cems  devant  de 
npmbreufes  aflemblécs  de  peuple,  pour  y  difputcr,  le 
prix  de  U  courfc ,  de  U  lutte,  kç. 


L    1    V    R    Jt     I,  *9 

N'en  donna  que  le  lier*;  &  dit  Ibrt  franchement 
Que  Caftor  (4)  &  Poliux  {5)  acqukflfient  le  refte* 
Faites  -vous  contenter  parc*  couple  ç^Ic^le.  • 

Je  vous  veux  traiter  cepeixfcutf  : 
Venez  fouper  chez  mot  :  nous  ferons  bonne  vie. 

Les  conviés  font  gens  ch^ifis, 

Mes  paréos  ,  .mes  meilleurs  agis. 

Soyez  donc  de  la  compagnie. 
Simonide  promit»    Peut-être  qu'il  eut  peur 
De  perdre ,  qutre  fory  dû  ,  le  gré  die  fa  Jouang©, 

Il  vient,  Toq  fefitine,  Wonmags. 

Chacun  étant  en  belle  humeur,    . 
Un  domestique  acooiirt y  l-'avwrtit  qu'à  la  porte 
Deux  hommes  deigandoieot,âle  isw  pseomptement. 

H  fort  de  table ,  &  la  (  s)  cohorte 

N'en  perd  pas  un  feul  coup  de  dent. 
Ces  deux  hommes  étoient  les  gémeaux  de  l'éloge- 
Tous  deux  lui  rendent  grâce ,  &  pour-  prix  de  fes  vec% 

Ils  raverttlfent  qu'il  déloge , 
Et  que  cette  mâtïbn  va  tomber  a  ré&ve*s  s         :  -  < 

La  prédiction  en  fut  vraie. 

Un.pjiliéf  manque ,  5  le  fclafo&l   '  I 

Ne  trouvant  plus  rien  qui  l'étaie, 
Tombe  for  le  fèliui ,  brifîe  plats  JSl  fiâcoflfc,  v 

N'ea  fait  pas  moins  aux  (6)  échanfons. 
Ce  ne  fut  p$s  le  pis  :.  car  cour  rçspdrç. complet» 

La  vengeance  due  au  poëte, 
Une  poutre  causes"  Ja^^bès  ài'^e*^ 

Et  renvoya  les  conviés  %  ' 

pour  la  plupart  eftrûpiés.  .  *"  ~  ~     ' 

La  renomçiéfif  eut  foin  de  publier  i'à&eiïev. 
Chacun  cria  .mirade ,  on  doubla  4e  falaire 

(4)  Frères  gémeaux,  fils  de  Jupiter  &  de  Eé4a ,  qui 
l'étant  rendus  fameux  par  leur  adreffe  dans  le»  exercices 
du  corps  ,  &  pair  leur  yalcu*,  furejae  ffocjs  entré  lot 
étoiles  après  leur  mort. 

{1)  Tout  le  refte  de  la  compagnie.  *  ,         > 

{6)  Çtu*  qui  aY0i«ttt~&lft  4*  b»ff«fc" 


i 


a©        FABLES    CHOISIES 

Que  mérkoient  les  vers  d'un  homme  aimé  des  Dieux 
.    .  -  :  Il  n'étoit  fils  de  bonne  mère  > 

Qui ,  tes  payant  à  qxfr  mieux  mieux , 
/  Pour  fes  ancêtres  n'en  fît  faire. 

Je  reviens  à  mon  texte  ;  &  dis  premièrement, 
.  Qu'on  ne  fçauUnt  manquer  de  louer  largement 
LesDieux&  leurs  pareils  :de  plus^ue^Melpoméne 
Souvent,  fans  déroger,  trafique  de  h  peine: 
Enfin ,  qu'on  doit  tenir  notre  art  en  quelque  prix. 
Les  grands- fe  font  honneur  dès  lors  qu'ils  nous  font 
grâce:  - 

Jadis  (8)  l'Olympe  &  le  {$)  Parnafife 
Etpient  frères  &  bons  amis.    - 

(7)  Ici  .Melpiméne  fe  prend  pour  le  Poe  te  lui*  même  > 
qu'on  fupofe  infpîré*  par  cette  Mufe. 

(8)  Le  fejoùr  des  Dieux.  '  -"      ' 
(9  )  Montagne  habitée  par  les  Mules, 


F  iA    B    L   -E      X  V. 

La   Mort  &  û  Malheureux. 

F   A    B    L    E      XV  I. 

Lu  Mert  &  te  Bûcheron* 


u» 


■  q-  malheureux  apeloit  tous  tes  jours       » 
La  JVfort.à  fou  fecoiirs. 
O^Mort*  lui  difoit:ii,  que.  tujftç  fembl'es  belle! 
Vieri  vite,  vien  finir  ma- fortune  cruelle. 
La  Mort  crut,  en  venant,  l'obliger  en 'effet. 
Elle  frape  à  fa  porte,  elle  entré,  .elle, fe  montre* 
Quevois-je!  crk-t-ijU  ôtez-moi ;cet ofyet;,  ..'. 


L    I    V    R    B     i  >    :         Hv 

Qu'il  eft  hideux  !  Que  te  rencontre  '  -  :      ' 
Me  çaufe  d'horreur  &  d'effroi! 
N'açroche.pas,  à  Mort,  ÔMort,  retire -toi. 

Mécénas  (  i  )  fut  un  ga!arit  homme  : 
Il  a  dit  quelque  part  :  (2)  qu'on  me  rende  impotent, 
Cul  de-jatte ,  goûteux ,  manchot,  pourvu  qu'en  Pomme 
Je  vive,  c'eft  afle2,.  je  fuis  plus  que  content.     .    . 
Ne  viens  jamais,. ô Mort >  on  t'en  dit  tout  autant.  * 

(1)  Favori   de  l'Empereur  Auguftc,  &  grand    prote- 
cteur .des  ge*ns  de  lettres. 

(  2  )  DebiUm  f dette  ntAM/^ 
Débitent  pede  ,  coxd  : 
T»ber  adjhue  gibbermn , 

Lubricos  quate  dente*. 
Vit  A    dum  fuperefl^    benè   eft. 

Hanc   mi  ht  9  vfl  acitta 
Si  fedeam  cruce ,   fuftine. 
Ces  yen  de   Mécénas  nous  onc  été    confervfs  par  Se* 
néoue  }  Epift.   loi-. 

Ce  figet  a  été  traité  d'une  autre  façon  par  Efope, 
comme  la  Fable  fuivantç  le  fera  voir.  Je  compofai  celle* 
ci  pour  uie  raifon  qui  me  contraignoit  de  rendre  la  cho- 
fi  wifi  générale.  Mais  quelqu'un  me  fit  comoitre  que 
feuje  beaucoup  mieux  fait  de  fuivremonwiginal,  & 
que  je  laiffbis  JpaJJe'r  u\  des.  plu/beaaf  traits  quîfùf 
dans  Êfope.  Cela  m'obligea  d'y  avoir  recours.  Nous  ne 
fç aurions  .alkr' p}us  -  ayant  -quelles  Ancifins:  ils  ne  mus  V 
ont  lai  (Je  pour  notre  part \  que  la  gloire  de  les  bien  fui- 
vre.  Je  joins  toutefois  mis  Table  à  celle  4'Jfope,  «0.1 
que  la  mienne  le  mérite,  miisà  caufe.du mot  de  Mé- 
cénat que  j'y  fais  entrer,  fiP  qui  ejifi  beau  (fji  £  j>r«« 
pos ,  que  je  n'ai  pas  crû  le  deyoir  omettre. 


u. 


'  n  "pauvre  Bucheroa  tout  Couvert  de  (ï)1  ramée, 
Sous  le  faix  du  fagot,  auffi*  -  bien  que  xles  ans , 
Cénûflknt  &  courbé  mwchoifc4'pas  pefensV  •*  u'r 
£t  échoit  de  gagner  fa  châumire  enfumée,  .      , . . 
(-)  Paquet  de  branches  avec  leur*  icutflc*  .  ' 


*4        FABLES    CHOISIES 


FABLE      XVIII. 

te  Renard  &  h  Cicogne.  ^ 

/ompere  lé  Renard  fe  mît  un  jour  en  frais  , 
Et  retint  à  dinèr  cômmeré  la  Cicoghe.        t 
Le  régal  fut  petit,  '&  fans  beaucoup  d'aprêç. 

...  Le  galant,  pour  toute  befogrïe, 
Avoitlin  brouet  (i)  clair,  (il  vivoit  chichemeht) 
Ce  brouet  fut  par  lui  fervï  fur  une  aflîette.  j 

JLa  Cicogne  au  long  bec  n'en  put  attraper  miette  ; 
Et  le  drôle  eut  lapé  le  tout  en  un  moment. 

Pour  fe  venger  de  cette  tromperie , 
A.  quelque  téms  de -là,  la  Cicogne  le  prie. 
Volontiers ,  lui  dit-il ,  car  avec  mes  amis 
Je  ne  fais  point,  cérémonie. 
A  l'heure  dite ,  il  court  au  logis 
'    De  la  Cicogne  fon  hôtefle , 
Loua  très-fort  fa  politefle , 
Trouva  le  dîner  cuit  à  point. 
Bon  apétit  fur-tout,  Renards  n'en  manquent -point:, 
Il  fe  réjouiïîbit  à  l'odeur  de  la  viande 
Mfe'  crf  menus  morceaux^  &  qu'il  croyait  friande. 

On  fervit,  pour  Pembarrafler , 
En  un  vafe  à  long  col,  &  d'étroite  embouchure. 
Le  bec  de  la  Cicogne  y  pouvpit  bien  pafler,     . 
Mais  le  mufeau  du  fire  étoit  d'autre  mefure,  | 

Il  lui  fallut  à  jeun  retourner , au  logis,  „  j 

Honteux  comme  un  Renard  qu'une  Poule  atiroit  pris, 
Serrant  la  queue,- &  portant  bas  Poreiiié.  - 

Trompeurs  ^eftpoaj  vous  que  j'écris, 
Attendez-vous  £  Ja  gireille. 

(«  )  Efpéce  de  bouillie  fort  claire, 

FABXE 


L    ï    V    TL    E      I.  ij 

FA    B    L    E      XIX. 

VEnfant  &  te  Makre  dEcoh. 

JLJffflis  ce  récit;  je  prétend  faire  voit 
D'un  certain  fot  la  remontrance  vaine. 

Un  jeune  enfant  dans  l'eau  fe  laiffa  cheoir, 
En-badînant  fur  les  bords  de  la  Seine. 
Le  Ciel  permit  qu'un  faule  fe  trouva, 
Dont  le  branchage,  après  Dieu,  le  fauva. 
S'étant  pris ,  dis-je,  aux  branches  de  ce  faule; 
Par  cet  endroit  patte  un  Maître  d'Ecole. 
L'enfant  lui  crie ,  au  fecours ,  je  péris. 
Le  Magifter  fe  tournant  à  fes  cris , 
D'un  ton  fort  grave  à  cotttre-tems  s'aviff 
De  le  tancer.     Ah  le  petit  babouin  ! 
Voyez ,  ditr-il ,  où  l'a  mis  fà  fottife  ! 
Et  puis ,  prenez  de  tels  fripons  le  foin. 
Que  les  parens  font  malheureux ,  qu'il  faille 
Toujours  veiller  à  femblable  canaille  1 
Qu'ils  ont  de  maux  f  &  que  je  plains  leur  fort  1 
Ayant  tout  dit,  il  niit  l'enfant  à  borch 

Je  blâme  ici  plus  de  gens  qu'on  ne  penfe. 
Tout  babillard ,  tout  cenfeur ,  tout  (  î  )  pédant, 
Se  peut  connoître  au  difeours  que  j'avance. 
Chacun  des  n'ois  fait  un  peuple  fort  grand  : 
Le  Créateur  en  a  bént?engcance.# 

i)  C'eft-à-dire  toute  perfohne  fujette   à  étaler  avec 

nition  &  mal-à-propos   fes  leftures ,  fa  feience ,  & 

;  Ion  éloquence.   Cette  defeription  une  fois  admife  , 

des  hommes  &  des  femmes  qui  fe  croyent  ï  couve it 

[n;c  de  pédanterie,  en  font  vifiblem^nc  infeftés. 

M 


i 


iô         FA  BTL  ET^S  K  HO  I  S  î  E  S' 

~  :  *  rJBn'^xjnÊ^affiaœ.v  :ijs  ne  Jfeot  que  fonger      I 
Au  moyen  d'exercer  leur  langue. 
HéJ'  pqnl$mi  ,vtî*te-mo^  dur  (langer,  .r\ 
Tu  feras  après  ta  harangue. 

>  '.v  i '      .   j 

FA    BLE      XX. 

Le  Coq  &  la  Perle. 

\J  n  jour  un  Coq  détourna 
Une  perle  qu'il  donna    _- 
Au  beau  premier  (  r)  Lapidaire.. 
.     ,    Je  la  crois  fine,'  dit-il, 

Mais  le  moindre  grain  de  mil 
/       Seroit  bien  mieux,  mon  affaire.  • 

>  ■  "    Un  ignorant  hérita 

D'un  nianufçrit  qu'il  porta 
Chez  fon  voifin  le  Libraire. 
.Je  crois,  dit-il,  qu'il  eft  bon, 
Mais  le  moindre  ducatôn 
Seroit  bien  mieux  mon  affaire. 

(  î  )  Celui  qui  taille ,  polît ,  &  met  en  oetiYir  les  pîeri 
précicufei,  &c. 


L    IV    R    B      I.  tf 

,t   A    B    h    E     X  XL  ;   :  ; 

Les  Frétons V  &  Us  Moucbet  cf  tnieL    , 


l'œuvre  on  connoît  Partifan,  . 
Quelques  tayoW  îde  mîel1  fàiis  msfttre  fe  trouvèrent: 

Des  Abeilles  s'oppofant,  ^       ,  -   * J 
Devant  certaine :  (  2  )  (juèpe  oii  tradulfît  la  cafufe# 
ll^toît  maï-aifé  dé  décider- hrchûffeV"    'v 
Les  témoins  déppfoient 'qu'autour  de  ces /rayons  ,^  f 
Des  animaux  allés ,!  bourddnrians ,  un  peu  longs  ,'  ° 
De  couleur  tort  tanàéd,  &  tels -que  tes  Abeilles, 
A  voient  long-tems  paru.  ^Ma^s  qitpiîDins^es.Frêloûl 

Ces  enfeignes  'étaient  pareil  tes.'  r  [m  m^  ^ 
ta  TTtfèpr ne^cîiant  que  'dire  Yxçs  raiforis ,' "  ~~*~ 
Fit  enquête  iropvejrte  ;  &.*  pour  plftt  deiuml^re, 

Entendit  une  fourmill;éi;p.       * 

Lé  point  n'efr  pût  être'  éàalrcf. 
»  De  grâce ,-  à  quoi  bon  tout  cedf  ? 
• ..-  ;3^uneiAbiïUler*fort*prùaertiej. 
Depuis  tantôt  fix;ïûQÎfc  queiac&fe(;$  >£fl  pendante  / 
:    Npusr  voief  comme  aux  premier  jour).  1  j 

P.QO&Dt  cela  le  miel  Se  gâte-  >  : 
Ll  eft  teins  déformais  Ique  le  Juge  fè  hâte.  • 

N'a-Ml  point  afièz  (4)  léché  FOurs? 

(  I  )  Efp<?ce  de  mouchés  qui  s'introduïfent  dans  les  m- 
thes  desAbciUest  pour  en  piller  te  miel,  Inctptble*  elles- 
némes  de  compoitr  un  .fue  fi  délie*?.  »•    •  :    * 

(  z  )  Autre  forte  de  mouche*1  mal-ftifantetv      >'"•'» 

(3)  Eft  plaides  &uh»tt?ttue^  •»•    •  *    * 

(4)  Expreflîon  proverbiale,  pour  dirt,  fticl,  txtftkttti* 
K»  Parties  en  prolongeant  isi^ocè*;.  M  '««.»*   J  •'  <*  l  -  J 


a$         FABLES    CHOISIES 

Sans  tant  de  (  5  )  contredit  &  d'interlocutoires, 
t  : .-. .   - .  f£  fe  fatras ,  &  de  grimoires  f/'m  :  r . 

Travaillons,  les  Frelons  &  nous:^ 
On  verra  qui  fçait  faire-,  avec  uiifuc  É  doux, 
Des  cellules  fi  bien  bâties. 
Le  fefus  des  Frelons  fitrvoir  ,  \ 
Que  cet  art  paflbit  leur  fçavôir  ; 
Et  la  Guêpe  adjugea  le  miel  à  leurs  parties. 

.•••"•-:        î  ■■,•}"•'•  /.     *1  J  ;^ 
Plût  à  Dieu  qusqn  réglât  ainfï  tous  les  procès  î 
Que  des  Turcs  en  cela  L'on  fuivîtja  .méthode  !    ( 
Lé  fîmplefens  commun  nous  .tiendroit^liqu  de  ( 
Code:*  /  .  :     '\  i 

,  i    JÏ-ncfaùdrbit  point  tant  de  frais. 
Au-lieu  qu'on,  nous  mange ,  on  nous  gru| 
.  On  nçus  mine  par  des  longueurs..       j 
On*  fait  tant  à  la.  fin  que  l'huître  efl:  pour  le  Juge 
Les  écailles  pour  les  plaideurs. 

,ii)  Terme  de  Pratique.  1 

<4tô)C*eit  lerçcifeil  de  toïx.'       *  I 


i-F    À  ,B    L    E      XX  I  I. 

Le  Chêne  &  te  Rofeau. 


X. 


/e.  Chêne  Tin-lbui*  dit  au  RxHeau  : 
VousLâvez  bien  fujet  d'aedifer  la  Nature;*  :  *»      ! 
Un  .(a  )  Roitelet  pour  yous  efiun  ^pefant  farde* 
Le  moindrement  qui! tatontureî 
-  Fait  rider  la  face  de  itau,  "  | 

Vous  oblige  à  baiffer  la  tête; 
Cependant  que  mon  front,  au  (2)  Caucafe  pari 

-X*.  )  Fort  p«tit  Oifeau.  .Qui  voudra  i  fçavoir  pourj 
•et  oifeau  a  été  apeié  T^citeiet^  c'cil-è^dirc ,  petit  fi 
n'a  qu'à  confult-er  Phitacqus ,  dati»  fon  Traité,  inrit 
imJiru&Un  po»r  ceux  qui  TfMnUnt  mjfttti  d*&rt  ch..  7.  dl 
•ftaduûjon  &*4mjMt;  . 

|*J  Haute  Montagqf  cutAfif.    .     w  :::   c; 


L     I    V    R    E      I.  t» 

Ion"  content  (fàrrêter*  les  rayons  *Iu  Soldfl,    '  +       * 

Brave  TefFort  de  la  tempête*  '    \ 

out  vous  eft  (3)  aquilon ,  tout  me  femblô  (4)  z^phir.   * 
oeor  fi  vous  naiffie?  â  l'abri  du  feuillage  .  , 

.  Dont  je  couvre  le  voi/ïnage^  .  ,  s     *     - 

Vous  n'auriez  pas  tant  à  fouffrir , 
j  Je  vous  défendrois  de  l'orage. 

Mais  vous  naiflèz  le  plus  fouvent 
(or  les  humides  bords  des  (  5  )  royaumes  du- vent, 
b  Nature  envers  vous  mô  femble  bien  injufle. 
(otre  compaffion ,  lui  répondit  l'frbùite ,  * 
m  d'un  borjr  naturel  ;  mais  quittez  ce  foucï  : 

.  Les  vents  me  font  moins  qu'à  vous  redoutables. 
(tplie,  &  ne  romps  pas;    Vous  avez  juftju'ici     * 

Contre  leurs  coups  épouventables 
>  Réfuté  fans  courber  le  dos  : 

liais  attendons  la  fin.     Gomme  il  difoit  -ces  mots , 
pi  bout  de  (6)  l'horifon  accourt  avec  furie 

Le  plus  (  7  )  terrible  des  cnfans  :  -, 

fcç  le  nord  eût  pbrté'Juftjuès-Tà  dans  (es  flânes.   \ 

L'Arbre  tient  bon;  le  Rofeau  plie  :        • 

Le  veiit  redouble  fes  efforts ,  :     . 

Et  fait  fi  bien  qu'il  déracine 
i8)  Celui  de  qui  la  tête  au  ciel  étoit  voWïrtc, 
jj>)Etdont  les  pieds  touchoient  à  l'empiré  des  mortel 

(3)  Vent  très-impétueux. 

U")  Vent  fort  doux. 

(ï)  Les* eaux,  comme  les  étants, 

(6)  L'extrémité  aparentecUi  Ciel.  .'  -    .    _ 

(7)  Un  vent  des  plus  violens. 

(8)  Imite'  de  Virgile  ,  qui  dit  en  partant,  du  Chenet 

....  ££jm  quantum  vtrtice  ad  auras. 
,  ^tbtreas,  tant  mm  radia  in  Tartara  tendit... 

\  Georg.  L.  IL  v.  ic^r,  191. 

/9)txpreflion  poétique,  pour  dire*  Et  dunt  Us  racfpt 
f*»w'««i  ftrt  avant  dams  la  tint. 

|  Fin  du  premier  Livit. 

i  B  3 


L  I  KR  E      SECOND. 


^*<^*«£*<^#«^*«>*^*^*< 


FABLE       PREMIER 

Contre  ceux  qui  ont  te  goût  difficile. 

V>rua*d  j'aurois  en  naîffant  reçu  de  (  i  )  Callij 
Les  dons  qu'à  fes  Amans  cette  Mufe  a  promis , 
Je  les  confacrerois  aux  (2)  mçnfonges  d'Efop* 
Le  menfonge  &  les  vers  de  tout  temps  font  ami' 
Mais  je  ne.  me  crois  pas  fi  chéri  du  ParnaffQ 
Que  de  fçavoir  orner  toutes  ces  fixions  ; 
On  peut. donner  du  luftre  à  leurs  inventions: 
On  le  peut,  je  Teflaie;  un  plus  fçavant  le  fafl& 
Cependant  jufqu'ici  d'un  langage  nouveau»        ; 
J'ai  fait  parler  le  loup  &  .répondre  l'agne»u  *     j 
J'ai  pafTé  plus  avant  ;  les  arbres  &  les  plantes    ' 
Sont  devenus  chez  moi  créatures  parlantes.    '  "I 
Qui  ne  prendroit  ceci  pour  un  enchantement?  1 

Vraiment ,  me  diront  nos  critiques ,  . 
**    "        Vous'  parlez  magtiifiquetnent,  ] 

De  cinq  ou  lis  contes  d'enfant»  "        j 


! 


1  )  Uhc  des  Mu  fes. 
1  j  Fables,  fi&ions* 


-  L     I    V    R    E      I  I.  Si 

Cenfcurs ,  erf.vQulefc-vous  qui  foient  plus  aptentiques ,  t 

Et d'uif  fttie  plus  haut?    En  voici.    Les; Troyens , 
Après  dix  ans  de  giierjçe  autour.de  leurs >murailles,    v 
àvoicut  laflTé  les  Grecs ,  qui ,  .par.  mille  moyens ,    < 

Par,  mille  aflmits ,  par  cent  batailles , 
K'avoient  pu  mettre  à  bout. cette  jiéçe  Cité  : 
Quand  un  cheval  de  bois,  pa^ Minerve  inventé, 

.  D'un  rare  &  nouvel  artifice  , 
Dans  fes  énormes  îancs  reçut  lé  rage'(3)Tnyfle, 
Le  vaillant   (  3  )  Dioméde ,  (  3  )  Ajax  l'impétueux, 

Qud  ce  ÇoîoflTç  înonjftrueilsc     ' 

Îrec  leurs  efcadrons  devoit  porter  dans  Troie , 
Ivrant  à -leur  fuieur'fes  EUeifit  mêmes  eJH  pi;oie? 
Stratagème  inoui ,  qui  des  Fabricateurs 
i  Paya  la  confiance  &  la  peine. 

C'eft  affçz,  me  dira  quelqu'un  de  nos  auteurs, 
La  période  eft  longue,  il  faut  reprendre  haleine. 

Et  puis ,  votre  cheval  de  bois , 

Vos  héros  avec  leurs  (4)  phalanges, 

Ce  font  des  contes  plus  étranges, 
Çu'un  renard  qui  cajdle  un  corbeau  fur  fa  voix. 
De  plusj  il  vous  fied  maî  d'écrite  en  fi  haut  ftyîe»- 
Et  bien ,  bàiflbns  d'un  ton:    Là  jaloufe  Amarille 
Songeoit  i  fori  Alcipe  >  &  çroyoît  de  fes  foins 
N'avoir  que  fes  moutons  &  fon  chien  pour  témoin*. 
Tirets  qui  l'aperçut ,  fe  giifTe  entre  des  faulcs  ; 
H  entend  la  bergère  adreflant  ces  paroles  -  -  i ■    - 

•  Au  doux  Zéphir ,  &  le  priant  •  • 

De  les  porter  à  fon  amant.  •    j" 

«  Je  vous  arrête  à  cette  rime,    •»    !  ' 

Dira  mon  cenféur  à  l'inftantr 

Je  ne  la  tiens  pas  légitime ,      "  *       . 

Ni  d'une  afïez  grande  vertu.      •      •  ' 

Kemettez,  pour  le  mieux,  ces  deux  vers  à  la  fontes 

/ 

(i)  Princes,  news  ,-Grtcs;1-'*  '        •  ' 

ii)  Troupe*  dç  Soldats, 

B  4  '  '     "  .   '  '    '. 


32         FABLES    CHOISIES 

Maudit  Cenfeur,  te  tairas-tu?-  - 
Ne  fçaurois-je  achever  mon  conté  ? 
C'eft  un  deffein  très-dangereux 
Que  d'entreprendre  de  te  plaire.  . 
l,cs  délicats  font  malheureux  :  • 
Àien  ne  fçauroit  les  fetisfaire.    • 


s* 


F    A    B   X    EU 

Confeil  tenu  par  tes  Rats. 


ù 


n  Chat  nommé  Rodilardus ,  m 
FaiÇoit  de  Rats-  telle  { i  )  déconfiture^  ; 

Que  l'on  n!en  voyoit  prefque  plus", 
Tant  il  en  avoit  mis  dedans  la  fépuiture.  r 
Le  peu  qu'il  en  reftoit  n'ofant.  quitter  fon  trou, 
Ne  trouvoit -à manger, que  le  quartde  fon  ft^j.  -,f0 
Et  Rodilard  paJToit,  chez  la  gent  miférable ,  /  ,'  ,. :- 

Non  pour  ip  Çhat>  mais  pour  un  didble* 

Or  un  jour  qu'au  haut  &  su  loin 

Le  galant  alla  chercher  femme» 
Pendant  tout  le  fabbat  qu'il  fit  avec  fa  dame , 
Le  demeurant  des  Rats  tint  chapitre  en  un  coin 

Sur  la  néceflîté  préfente. 
Dès  l'abord,  leur  Doyen,  perfonne  très-prudente, 
Opina  qu'il  falloit ,   &  plutôt  que  plus  tard, 
Attacher  un  grelot  au  cou  de  Rodilard  ;    , 

Qu'ainli ,  quand  il  iroit  en  guerre , 
De  fa  marche  avertis  ils  s'enfuiroient  fous  terre; 

Qu'il  n'y  fçavoit  que  ce  moyen. 
Chacun  fut  de  l'avis  de  monfîeur  le  doyen. 
Chofe  ne  leur  parut  à  tous  plus  faluttiie; 

(  i  )  Pcftruaion. 


L    I    V    R    E      I  h  »3 

La  difficulté,  foc  d'attacher  te  grelot. 

L'un  dit:  Je  n'y  vas  point,  je  ne  fuis  pas  fî  fot; 

L'autre  :  Je  ne  fçaurois.  Si  bien  que  fan»  rien  fairo 
On. fe  quitta.    J'ai  maints  chapitres  rus, 
Qui  pour  néant  fe  font  ainfi  tenus  ; 

Chapitres,  non  de  Rats,  mais  chapitres, de  Moines; 
(2}  Voire  chapitres  de  Chanoines.         , 

Ne  faut-il  que  délibérer  ? 
-.     La  Cour  en  Confeiïlers  foifonne» 
Eft-il  befoin  d'exécuter? 
L'on  ne  rencontre  plus  personne. 

(  1  )  Vêirt  cft  un  vieux  mot ,  mats  fi  bien  placé  d*ne 
cet  endroit ,  que  les  Dames  qui  lifcnt  cette  Fable ,  ne 
S'aperçoivent  pas  de  Ton  ancienneté.  D*où  je  fuis  tenté 
de  conclure,  qu'oit  pourroit  employer  avec  fuccès  bien  de** 
mots  furânnés  qu'on  a  lai  (Té  perdre  fans  en  mettre  d'an* 
tires  2  la  place  ,  &  qui ,  employés  à  propos  ,  pi  ai  roi  en* 
comme  dans  La  Fontaine ,  ce  qu'on  ne  peut  pas  dire  *<te 
cette  foule  de  mots  nouveaux  qu'on  fubititue  tous  Tes 
ours  à  d'autres  très-uiites,  qui  par- là  font  en  danger  de 
perdre.    . 


FABLE      III. 

* 

Lie  Loup  plaidant  contre  te  Renard  par  Jt* 

vant  te  Singe.  :. 


u. 


'  n  Loup  difoit  que  l'on  l'avoit  volé. 
Un  Renard,  fon  voifin,  d'aflez  raauvaife  vie, 
Pour  ce  prétendu  vol  par  lui  fut  (1)  appelé* 

«Devant  le  Singe  il  fut  plaidé, 
Non  point  par  Avocats,  mais  par  chaque  partie. 

Thémfc  n'avait  point  travaillé , 
De  mémoire  de  Siftge>  à  Fait  pli»  embrouillé* 

(1)  Accuft  e»  Jufticc. 


•34      fa-èleS  cirorsrES 

Le  Magiflrat  fuoît  en  fori  Ht  de  Juftîce. 

Après  qu'on  eut  bien  contcfté , 
1        ,      Répliqué,  crié,  tempêté; 

Le  Juge ,  inftruit  de  leur  malice , 
Leur  dit:  Je  vous  connois  de  long-tems,.mes  amis; 
*  Et  tous  deux  vous  pairez  l'amende  2 

Car  toi,Loup,  tu- te  plains,  quoiqu'on  ne  t'ai*  rien  pris, 
Et  toi,  Renard,  as  pris  ce  que  Ton  te  demande. 
Le  Juge  nrétendoît,  qu'à  tort  &  à  travers, 
On  ne  fçauroit  manquer ,  condamnant  un  pervers. 

Quelques  perfonnes  de  bon  Cens  ont  cru  que  Vmpojfi- 
\ilitt  &'la  contradfàiw  qui  ejt  dans  le  jugement  de  ce 
Singe  \  ètwt  une  choje  à  cenfurer,  mais  je  ne  m'en  fui* 
fervi  qu'après  Pkédtre.  Ceft  en  cela  que  amfiftete  km 
met;  felm  mon  arts* 


FABLE      IV. 

Le?  deux  Taureaux  Çfune  Grenouille. 

\    :  j      t        > 

JLJIeux  Taureaux  eombattoient  à  qui  poJTécJefoii?  - 

*  Une  (renifle  avec  l'empire. ""  '    *"* 

Une  Grenouille  en'  folipiroit. 
Qu'avez-vous?  fe  mit  à  lui  dire""  y 
•'*  Quelqu'un  du  peuple  (1)  cioaflàn*. 

Et  ne  voyez  -vous- pas r  dit-elle, 
•      Que  la  fin  de*  cette  .querellç  .  >  .      1 

Sera  l'exil  de  l'un;  que  l'autre' le*  chaffànt^ 
Le  ftta  renoncer  anX  cantjvagries  fleuries  ?'  \-   •  r:      . 
11  ne  r.égnera  plus  fur  l'herfo  des  praiiië* , 
Viendra: tfeHS'lrt*  idaïal^régnei  for  les  Mferak*  .'I 

(1  )  Vnt  tutrt  Grenotiill*.  <*      ••'•  v  1  é 

>  «i 


1      L  ' 

Irî  /V;  R    5.  -  I*     •  3ff 

h  nous  Roulant  aux  pieds;  jufque?  au  fond  des  eaux^ 
Tantôt  l'une ,  &  puis  i 'autre ,  il  faudra  qu'on.  pâtûT* 
Du  cojpbat  qu'a  caufé  madone  la  Gàyfifr-  -  > 

Cette  crainte  étoit  de  bon  feus. 

X'an  des  Taureaux  en  leur  demeure 

S'alla  cacher  à  leurs  dépens^ 
•    Il  en  écrafoit  vingt  par  heure,.  • 

(a).  Hélas  i  on  vpit  qpe  de  tout  tçmpa 
^Lcs  petits  ont  pâti  des  fottifçs  des  Grands. 

:  (  i  )  Ce  mu  revient  à  ce  qu«  dît  Horace  i  l'occatitn  «f* 
I  I»  guerre  de  Troye  «    - 
|  Quidquid  dilirtnt  T{e$u  pltRuntwr  sArim/K 


FABLE       V. 

LaÇhqsuve-fmris  Çf  ter  deux  Bektter. 


U. 


ne  Chauve  -  fourîs  donna  tête  bahTée  r 
Dans  un  nid  de  Belette  :  &  iî-tôt  qu'elle' y  fat,' 
L'autre,  envers  les  Souris  de  long-tems  courroucée^ 

Pour  la  dévorer  accourut. 
Quoi  ?  vous  ofez  ,  dit-elle ,  à  mes  yeux  vous  produire, 
Après  que  votre  race  a  tâché  de  me  nuire  ?     • 
N  êtes-vous  pas  Souris  ?  Parlez  fans  fi&ion. 
Oui,  vous  fêtes ,  o»  bienr  je  nç  fuis-  pas  Belet&H 

Pardonnez-moi ,  dit  fà  pauvrette  » 

Ce  n'eft  pas  ma  profeféon. 
Moi  Souris  !  Des  médians  vous  ont  dit  ces  nouvelles; 

Grâce  à  l'Auteur  de  l'univers , 

Je  fuis  oifeau:  voyez  mçs  sîtes^     "' 

Vive  la  gent  qui  fend  les  àv^.  «   '  i. 

Sa  raifon  plut ,  &  fembla  bonne    ■  '  -  :  J 
*  Elle  fait  fi  bien,  qu'on  lui  dogne 
•      'liberté  de  fe  retirer.    -    /   "*'.''   \. 


$6         FABLES    CHOÎSfES 

Deux  jours  après,  notre  étourdie 
*  -  Aveuglément  fe  va  fourrer 
Chez  une  autre  Belette  aux  oifeaux  ennemie» 
La  voilà  derechef  en  danger  de  fa  vie, 
La  dame  du  logis,  avec  fon  long  mufeau, 
S'en  alloit  la  croquer  en  qualité  d'oifeau , 
Quand  elle  proteiïa  qu'on  lui  faifoit  touçrage. 
Moi,  pour  telle  pafler  !  Vous  n'y  regardez  pas. 

Qui  fait  l'oifeau  ?  c'eft  le  plumage. 

Je  fuis  Souris  :.  vivent  les  Rats; 

Jupiter  confonde  les  Chats. 

Par  cette  adroite  répartie 

Elle  fauva  deux  fois  fa  vie. 

Hurleurs  fe  font  trouvés  qui  (i)  d'écharpe  changeans , 
Aux  dangers ,  ainfi  qu'elle  r  ont  fouvent  (i)  fïitia  ligue. 
Le  Sage  dit,  félon  les  gens, 
Vive  le  Roi,  vive  ia  (3)  Ligue. 

(  1  )  Paroi  flant  tantôt^  d'un  parti  &  tantôt  d'un  autre. 
C'eft  .une  choie  ordinaire  que  les*  partis  fe  distinguent  le* 
«ns  des  autres  par  des  écharpes  de  ditfe*rentea  couleur* 

(2)  Faire  la  figue  fi gni fie  le  moquer.  - 
,  (3)  Parti  opoW  à  celui  du  Roi. 


« 


»      F   A    B    L    E      V I. 

L'Oifeau  blejfé  <? une  fléchi. 


M. 


Lortellenient  atteint  d'une  (1)  flèche  empennée, 
Un  Oifeau  déploroit  £a  triftedeftinée;   . 

(1)  Munie  déplumes,  qui  contribuent  i  1*  dircûie* 
*  1  U  rapidité  de  fon  Vol.     - 


L    I    v    a    E     11. '    '        3? 

Et  difoit  en  fouffraH  un  furcroft  de  douleur ,      - 
Faut -il  contribuer  l  ïbn  propre  malheur? 

«  Cruels  humains ,  vous  tirez  de  new  ailes 
De  quoi  faire  voler  ces  machines  mortelles. 
Mais  ne  vous  moquez  point,  engeance  feus  pitié  : 
Souvent  il  vous  arrive  un  fort  comme  le  nôtre. 
Des  enfans  de  (  a  )  Japet  toujours  une  moitié 
Fournira  des  armes  à  l'autre* 

(  2)*  Ci ,  félon  la  fcabîe ,  (  les  hommes  font  tn finis  it  fà* 
ut  y  on  ne  voit  pas  trop  bien  comment  elle  a  pu  attribuer 
la  formation  de  l'homme  £  Promette  fils  de  Japet.  Mai» 
il  ferait  ridicule  de  s'arrêter  icr  à  démêlcr~cctteifuféc 


FABLE      VIL 
La  Lice  &fa  Compagne. 


U. 


1  ne  (1)  Lice  étant  fur  fon  (2)  terme, 
Et  ne  fçachant  où  mettre  un  fardeau  fi  pelant, 
Fait  fi  bien  qu'à  la  fin  fa  Compagne  confent' 
De  lui  prêter  fa  hute,  où  la  Lice  s'enferme. 
Au  bout'  de  quelque  teins  fa  Compagnie  revient. 
La  Lice  lui  demande  encore  une  quinzaine  : 
Ses  petits  rtemarchoient,  difoit -elle,  qu'à  peine. 

Pour  faire  court,  elle  l'obtient. 
Ce  fécond  terme  échu ,  l'autre  lui  redemande       - 

Sa  maifon,  fa  chambre,  fon  lit. 
La  Lice  cette  fois  montre  les  dents,  &  dit r. 
Je  fais  prête  à  fortir  avec  toute  ma  bande-,  *      * 

Si  vous  pouvez  nous  mettre  hors. 

Ses  enfans  étoient  déjà  fbits. 

(1  >  Une  groffe#  chienne.  ...:'.* 

(1)  Prête  à  mettre  bat  fcf  petits. 

JB  7 


,t8        FA.BÎ.E*    CHOISIES 

Ce  quVmddnae  aux  mécbap^  tfHijoura  on  1&  rfl 

grctte,  .    .  *  \ 

Pour  tirer  d'eu^  ce  qu'on  leur  prête  y       \ 
Il  faut  que  Ton  en  vienne  aux  coups  ;      ; 
U  faut  plaider  ,  il  faut  combattre. 
Laiffez  -leur  prendre  un  pied  chez  vous  * 
,  Ils  en  auront  bien  -tôt  pris. quatre,.  _  -  _ 


L-. 


FABLE      V III. 

V Aigle  &  PEfcarbot. 


f'Aïfjîe  dopnoït  la  chaflfc  i  maître  Jean  Lapin, 
Qui  droit  â  fon  terrier  s'enfuyôit  au  plus  *ite. 
Le  trou  de  TEfcarbot  fe  rencontre  en  chemin.    > 

Je  teifle  à  penTer  lî  cegtte     ' 
Etoit  fur  :   mais  où  mieux?   Jean  Lepto  s-'y  blotit. 
Jb' Aigle  fondant  fur  lui,  nonobftant  cetafyle, 

(i)  L*Efcarbo(  intercède ,  &  dit  : 
Princefle  des  oifeaux,  il  vous  eft  fort  facifo 
D'enlever,  malgré  moi,  ce  pauvre  malheureux t 
Mai3  ne  me  faites  pas  cet  affront,  je  vous  prie; 
Et  puHque  Jean  Lapin  vous  demande  la  vie, 
Donnez -la -lui,  de  grâce,  od  l'ôtez  à  tous  deux  i 

C'eft  irçon  voiiîn,  c'eft  mon  compeïe. 
L'oifçau  de  Jupiter ,  fans  répondre  uà'féul  mot* 
.  Choque  de  l'aile  l'Êfcarbot , 

L'étourdit,  l'oblige  à  fe  taire \  . 
Enlevé  Jean  Lapin.    L'Efcarbpt  indigné ,. 
Vole  au  nid  de  JOifeau,  fracafTe  en  (on  âbfènce   * 
Ses  œufs ,  fes  tendres  oeufs ,  fa  plus  doucV  efpérance  : 

Pas  un  feul  ne  fut  épargné. 
L'Aigle  étant  de  retour ,  &  voyant  ce  ménage^ 

(i)  Efpécc  d'ia^û* 


;     L    I    VK    £  '   II.4  SA 

Remplit  le  ciel  de  crt5;  &,  pour  comble  'de  rage, 
Ne^fçâit  fur  qùî  vérigbr'îe  torf  qtféîîfra'fôOTer'C;—  . 
Elle  gémit  -en  vain  ,  fa  plainte  au  vept  fe  perd  : 
:Ii  fallut,  pour  cet  an,  vivre  en  mère  affligée. 
L'an  fuivant ,  elle  mit  fon  nid  en  lieu  plus  haut, 
L'Efcarbot  prend  fon  tems ,  fait  faire  aux  <fcufs  le  faut» 
La  mort  de  Jean  Lapin  derechef  eft  vengée*.     „  ..., 
Ce  fécond  deuil  fut  tel,  que, l'écho  de  ces  bçis 

N'en  dormit  de  plus  de  fix  mois.  '    '    • 

L'oifeau  qui  porte  (2)  Ganiméde, 
Du  Monarque  des  Dieux  enfin  implore  faide, 
Dépofe  en  fon  giron  fes  œufs,  &  croit  qu'en  paù* 
Ils  feront  dans  ce  lieu;  que  pour  Ces  intérêts, 
Jupiter  fe  verra  contraint  de  les  défendre  : 

Hardi  qui  les  iroit  là  prendre» 

Aufli  ne  lçs_  y  prit  -  on  pas. 
.  Leur  ennemi  changea  de  note;, 
Sur  la  robe  du  Dieu  fit  tomber  une  crotte  : 
Le  Dieu  la  fëcouant  jetta  les  œufs  à  bas. 
-     -  Quand  l'Aigle  fçut  l'inadvertance, 

Elle  menaça  Jupiter 
D'abandonner  fa  Cour,  d'aller  vivre  au  défert»     , 

De.  quitter  toute  dépendance , 

Avec,  mainte,  autre  extravagance* 

Le  pauvre  Jupiter  fjs  t\it.  ^ 

Devant  fon  Tribunal  l'Çftarbot  comparut > ,  _  . 

Fijb  fa  plainte',  &  cbpta  l'affaire.  * 
On  fit  entendre  à  l'Aigle  enfin  qu'elle  avoir  tort 
Mais  les  deux  ennemis  ne  voulant  point  d'accord-* 
Le  Monarque  des  Dieux  s'avifà,  pour  bien  faire» 
De  tranfporter  le  temps  où  l'Aigle ,  fait,  l'amour* 
En  une  !autrie  faifon ,  qiiancfrja  race  Efcarbotê         . 
Eft  en  quartier  d'hyyer ,   &  .comme  là  IWfarmote  >  '  • 

Se  cache  &  ne  voit  point  le  jour. 

*(iT  Bel  enfant»  ztm4  dd  Tupîtci/  qui  l'cnleVaTur  fat  , 
Aial«.  ,  ., 


&         FABLES    CHOISIES 

FABLE      IX. 

Le  Lion  &  le  Moucheron. 

\  a-t-en,  chétif  infeéte,  excrément  de  la  terre  : 
Ceft  en  ces  mots  que  le  Lion 
Parloit  utf  jour  air  Moucheron. 
X'autre  lui  déclara  la  guerre. 
Penfes-tu,  lui  dit -il,  que  ton  titre  dé  roi 
Me  faflè  peur ,  ni  me  foucie  ? 
Un  bœuf  eft  plus  puiflànt  que,  toi, 
Je  le  mène  à  ma  fantaifîe. 
%  peine  il  achevoit  ces  mots, 
Que  lui-même  il  fonna  la  charge, 
:  Fut  le  trompette  &  le  héros. 
Dans  l'abord  il  fe  met  au  large, 
Puis,  prend  Ton  temps,  fond  fur  le  cou 
Du  Lion  qu'il  rend  prefque  fou. 
Le  (  i  )  quadrupède  écume  ,   &  fon  œil  étincelle  r 
11  rugit:  on  fe  cache,  on  tremble  à  Penviron  ; 
Et  cette  allarme  univerfelle    ' 
.-    Eft  Toiivragc  d'un  Moucheron, 
tin  avorton  4de  mouche  en  cent  lieux  le  harcelle, 
-  Tantôt  pique  l'échiné,  &  tantôt  le  mufeau* 
Tantôt  entre  au  fond  du  nàfeau. 
La  «rage  alors  fe  trouve  à  fbn  faîte  montée. 
L'inviflble  ennemi  triomphe ,  &  rit  de  voir 
Qu'il  n'eft  griffe  ni  deijj  en  la  bête  irritée  > 
Qui  de  la  mettre  en~fang  ne  fafTe  fon  devoir. 
Ler  malheureux  Lion  fe  déchire  lui- même ,    :  -      : 
T'ait  raifonnerlà  queue  à  l'entdtlr  de  ffes  flancs, 
Bat  l'air  j  .qui  n'en  peut  mais>  &  £§  fiççm  exfrégQt 

(  i  )  Une  bête  i  quatre  pied* 


L     I    V    Rv  E      I  I.  41 

Le  fatigue,  l'abat  ?  le  voilà  fur  les  dents. 
L'infecte,-  du  combat  fe  retire  avec  gloire: 
Comme  il  forma  la  charge,  il  forme  la  viâ&îre,    1 
Va  par-tout  1'annoncfer ,   &  rencontre  en  chemia 

£2  )  L'embufcade  d'une  araignée  : 

11  y  rencontre  auffi  fa  fin. 

Quelle  chôfe'par-là  peut  nous -&re  enfetgnéet 
J'en  vois  deux,  dont  Tune  eft  qu'entre  nos  ennemît 
Les  plus  à  craindre  font  fduvent  les  plus' petits  : 
L'autre,  qu'aux  grands  périls  tel  a  pu  fe  ïouftrairê, 

Qui  périt  pour  la  moindre  affaire. 

,         ■   .  *:   .'  -.'i      \     '  ."  •   •    /* 

(  1  >  Unç  toile  d'Araignée  où.  le  moucheron  £ut  prit.    > 


F   A    B    L.  E      X. 

•  .    ;  -•••    ,■:■  :  .  ) 

VAnp  ebargf  d éponges ,  €f  VAét  çbargi 

""  '  i\     &  M      '■     ,'    '■'^ 

1  n  Arrîer,,fon  (1)  feeptre  à  là  min) 
*  -  Menok  en  Empereur  Romain  r     > 

Deux  (2)  courfîers  à  longues  oreilles. 
L'un,  d'épongés  chargé,  «archok  ranime  uncourier;" 

E^l'HUtre,  fe  faifairt  prier,.         -.  .    , 

(3) tEoxtoit^  comme  pn  dit ,  les  bouteilles. 
Sa  charge  étoit  de  fel.   Nos  gaillards  pèlerins  _ 

Par  mont ,  par  vaux  &  par  chemins 

(  i  )  Son  fouet  t  on  Ton  bâton. 

(  1  )  On  donne  le  nom  de  Cbmr/ttr  à  de  beaux  &  bons 
chevaux  ;  ici  ce  font  deux  Anes ,  dont  les  oreilles  font  , 
i  proportion,  beaucoup  plus  longues  que  celles  des  che- 
Taux  \ 

(3)  Marchoit  lentement,  comme  s'il  eût  porté  le* 
bouteilles. 


u. 


4*  FABLEâ    CHOIS  I  ES 

Au  gué  d'une  rivière  à  la  fin  arrivèrent  f . 
:   :Et  fort  empêcha  fe  trpurçerent. 
L'Anter  y  qui.  tous  les  jours  traverfoit  ce;gué  -  là  , 
:     ./    Sur  l'Ane  à  l'éponge  flvonta ,  : .      .        j 
;  :  Chaffant  devait  lui  l'autre  bète\ 
Qui  voulant  enflai***  à  fa  tête  , 
Dans  un  trou  fe  précipita , 
Revint  fur  l'eau,  puis*  échapa  :  ; . 
Car  au  bout  de  quelques  nâgées 
.Tout  fon.ftl  fe  fondit  û  bien,  •  ] 

/,:.  .  .    Que  le  Baudet  ne:  fendit  rien      ,      ^ 

.  i&br  fe$'  épaules;  fpulagées.     :    ' 
Camarade  Epongier  prit  exemple  fur  luf , 
Comme  uh  moutotf  qui  va  dèQbs  llâ*  (4)  'foi  cPaotrfa 
Voilà  mon  Ane  à  l'eau,  jufqu'au  col  il  fe  plonge 
•£?;..  ,*  Luf,  fe  conducteur cTPéï>oa£èV*-  ! 

Tous  trois  burent  d'autant  :  l'Anier  &  le  Grifoa 
(.5)  Firent  à  l'éponge  i2tfori_ 
Celle-ci  devint  fi  pefante, 
V -, .  .V  $t  çft  6®t  cj>au  «'esiplifd'abof^,  :  •• 
Que  l'Ane  ifuccombant  xne  putrgagnëHe  bôrcL 
L'Anier  remtinfloiè  dans  l'attente 
D'une  prompte  &  cettaine*po|t. 
Quelqu'un'  vint  au  fécours  :  qui  cerfut  ;  il  n'impotte, 
C'eft  aflez  qu'on  ait*  vu  par  *  là  qu'il  ne  faut  point 

.  Agir  chacun  de  même -forte. 
i  ,  .J'en  voulois  »enk  à  ce  point.  | 

ff }  Fait.fottement  ce  qu'il  voit  faire  A  d'autres, 
fj)  Se  remplirent  d'cia  comme  lfep©nje.? . 


M 


I 


LIVRE.     II.      ■         43 

F    A    B    L    E      X  I. 

Le  Lion' &  te  Rat. 

.  •   •      •    •        •  -t 

F   A    B    h    E      XII, 

La  Colombe  Ç?  ta  JFburtni.        [   \ 


1  faut,  autant  qu'on  peut , 'oblïget  tout  le  mondé* 
On  a  fouvent  befoin  d'un  p  lus  petit  que  foi. 
De  cette  vérité  deux  Fables  feront  foi , 

Tant  la  chofe  en  preuves  abonde.        *  * 


Entre  les  pattes  d'm>  Lion,  :       '  -  > 
Un  Rat  fortit  de  terre,  affez  à  Pétourdie<      ;      ] 
Le  roi  des  animaux,  en  cette  occafièh, 
Montra  ce  qu'il  étoit ,; &  luï'danria  la  vie»'  .         f 
Ce'  bienfait  ne  fut  pas  perdu;     "  '  .       S 
Quelqu'un"  auroit  -  il  jamais,  cru , .  '         ^ 
Qu'un  Lion  d'un  Rat  eût  affaire? 
Cependant  il  avint  qu'air  fortir  des  forêts ,        -  \ 
Ce  Lion  fût  pris  dans  des  rets,  ; 

Dont  fes  rugifTemens  ne  le  purent  défaire. 
Sire  Rat  accourut,  &  fit  tant  par  fes  dents, 
Qu'une»  màifie  rongée  emporta  tout  l'ouvrage.  -*  "*: 


L 


ÎPatierice  &  longueur  de"  temps 
Font  plus  que  force  ni  que  rage. 


autre  exemple  eft  tiré  d'animaux  pjus  petits/ 

Le  long-jd'un  clair  ruifleaubûvoit  uhe  Colombe  r 
Quand  fur  l'eau  fe  pç nchaqt  une.Fotfrn^s  y  tombe* 


44    *      FABLES    CHOISIES 

Et  dans  cet  Océan  (  i  )  l'on  eût  vu  la  Fourmis 
ffeffwcw^airatt  vwin  ;  jtejragagner?!a  rtacr 

La  Colombe  auflf-  tôt  ufa*  de  charité.  | 

Un  brin  d'herbe  daijs  l'eqif ,  par  eliqr  pétant  jette  , 
Ce  fut  (2)  un  promontoire  où  la  Fourmis  arrive^ 

Elle  Je- fauve ;&  là- deflte 
Pafle  un  certain    (  3  )    troquant  quî  marchoit   les 

pieds  nuds :     . . 
Ce  croquant ,  -par  hasard ,  tavofoune  «frbaldte. 

Dès  qu'il  voit  (4)  TOifeau  de  Vénur, 
Il  le  .crofcea-  fon  pot ,  #  déjà  lui  /ajt  fête. 
Tandis  qu'à  le  tuer  mon  Villageois  s'apprête ,      -    * 
%,;,,     .  "  La  Fqunnis  le  -piqua  au  talon. 

Le  (5)  vilafn  retourne  la  tête. 
La  Colombe  l'entend,  part,  &  tire  de   (6), long. 
Le  foupé  dii  croquant  avec  elle_  s'envole* 
"  Point  de  Pîgèon  pour  une  obole. 

(  1  )  La  grande  «mer,  ptr  «port  à  la  Fourmi. 

(2)  Poin(c de terre  ou de roche_vqui  avance  .da»  fermer* 

(3)  Un  Patfan.  En  1637.  fous  Louis  XI II.  il- lu  fie  u» 
foufevement  'de  quelque*  communes  dans  le  PCrfgord  8c 
la  Xalntoage,  qui»  fous  préteicte  de  liberté  ne-  voulaient 

f»lus  payer  de  fubftdes  ;  &  fe-nommoient  C fqutm.  De 
à  •  ce  nom  a  été  employé  pour  défignar  eu  général  un 
pauvre  Paifan,  un  Villageois, 

(4)  L*  Colombe. 

(î)  Mot  ancien,  qui  fi  g  ni  fie  un  P  aï  fan.  De  fW/'.Mai- 
fon  de  campagne ,  a  été  formé  VUUnm^  qui  n'eft  que  de 
la  bafle  latinité.  ' 

(  6)  S'envole  au  plus  vite.  1     . 


FABLE      XIII. 

UAftrologie  quifejaiffe  tomber  dans 
un  puits.  .  .• 


■u. 


n  Aftrotoguè  un  jour  fe  laiflà  cheoïr 
Au  fondxfunpuits.  On  lui*  ditrPauvre  bête, 


L     I    V    R    E      I  I.  45 

Tandis  qu'à  peine  ites  pieds  tu  peux  voir,' 
Penfes  -tu  lire  au-deffus  de  ta  tête?'  >  -  ' 

Cette  avanture  en  foi,  fans  aller  plus  avant, 
Peut  Tervir  de  leçon  à  la  plupart  des  hommes. 
Parmi  ce  que  de  gens  fur  la  terre  nous  fonlmes, 

11  en  eft  peu  quî  fort  fbuvent 
.      Ne  *fe  piaiferit  d'entendre  dire , 
Qu'au  livre  chrdfeftia  \èè  mortels  peuvent  lire. 
Mais  œ  livre  qu'Homère'  &  tes  fiens  ont  chanté  *  ^ 
Qu'efl-  ce ,  que  te  hazard  pàtmi  l'Antiquhé^ 
:  ^  Et  parmi  nous  la  Providence  ?> 
.  Or  du  hazard  il  n'eft  point  de  feience  ;  -  ■   » 

S'il  en  étoit ,  on  auroit  tort 
De  l'appeler  hazard,  ni  fortune,  ni  fort,  •'  •  ■  • 

Toutes  chofes  très  -  incertaines. 
.  :rzi"^ffPA  wwipntéft  farceames; 
De  celui  qui  fait  tout,  &  rien  qu'avec  deflein , 
Qui  les^fipit|que1uifeifl:?Cqirimeptlire,enf6p  feinf 
Auroit -il  imprimé  fur  fe  front  des  étoiles 
Ce  que  la  nuit  des  temps  ,enferme  dans  fe*  voiles  ? 
A  quelle  utilité  ?  Pôuf  exercer  Tefprit     ^ 
De  ceux  qui  de  la  fphére  &  du  globe  ont  écrit? 
Pour  nous  faire  éviter  des  maux  inévitables? 
Nous  rendre,, dans  les  biçns,de  plaifirs  incapables? 
Et  caufantdû  dégoût  pour  ces. biçns:(i)' prévenus  J 
Les  convertir  en.  maux  .devant  qu'ils,  foieftt  yeau*^ 
Ceft  erreur ;  ou  plutôt,  ç'eft  crime  de  \e  croire. 
Le  Firmament  fe  meut,  les  Aûres.fpnt  Içur  cours , 

Le  Soleil  nous  luit  tous  les  jours  r  '  ;   ': 
Tous  les  jours  fa  clarté  fuccede  à  l'ombre  noire, 
Sans  que  nous  en  puiflîons  autre  chofe  inférer        / 
Que  la  néceflité  de  luire  &  d'éclaiier  ♦  •'.._ 
D'amener  les  faifons^  :de  rnéur^r  ljes  fç pences,  <.  ) 
De  verfer  'fur  les.  corps,  ^tajnesj  jnfljU£j#es.  " 


48         FA.BLE4    CHOISIES 

Je  dois  faire  aujourd'hui  vingt  poftes  fans  manquer 

Les  tiens  &  toi  pouvez  vaquer , 

Sans  nulle  crainte ,  à  vos  affaires; 

Nous  vous  y  fervirons  en  frères; 

Faites  -en  les  feux  dès  ce  foir  ; 

Et  cependant  vieps,  recevoir  j 

Le  baifer  d'amour  fraternelle. 
Ami,  reprit  le  Coq, r  je  ne  pouvois  jamais  :  | 

Apprendre  une  plus  douce  &  meilleure  nouvelle, 

l:    ~    ■ .  '.      :    .      Que  celift       .   -       | 
De. cette  paix. 

Et  ce  m'eft  une  double  joie  | 

De  la  tenir  de  toi.     Je  vois  deux  Lévriers  i 

•-        -Qui»  je.m'affure,  font  epuriers,  , 

Que  pour  ce  fujet  on  envoie. 
Ils  vont  v^itç -.,  &  feront  dans  un  moment  à  nous. 
Je.  defoçns ,  nous  pourrons  nous  entrebaifer  tous.  " 
Adieu ,  dit  te  Renard-,  ma  traite  «ft  longue  à  faire. 
Hqus  nous  .réjouirons  du  fuccès  de  l'affaire 
Une  autrefois.    Le^ galant  auffi- tôt 
t  /;    tTirefes  (2)  grégues,  gagne  au  haut, 

Mal  -content  de  fon  ftratagême. 

Et  notre  vieux  Coq ,  en  foi  -  même , 
.2: .    -Se.  mit  à.  rire  de  fa  peur  : .  . 
Car  c'eft  double  plaifi*  de  tromper  un  trompeur. 

(  2  )  Vieux  mot ,  pouf  dire  ,  tirer  Tes  chauffes ,  s'enfuir,  j 
Ménage  foupçon^o  âne  'Grttote  vient  de   prêt  ça  ,  comme 
^ui  cïiroit,  CuloU  à'U  Grtcjï*.~  '  ±  •••*•-- 


FABLE 


L     I    V    R    E      I  I.  4* 

FABLE      X  VI. 

Le  Corbeau  voulant  imiter  ly Aigle*   ! 


JL/< 


f'bifeau  (  i }  de  Jupiter  efilevant  un  mouton  ; 
Un  Corbeau  témoin  de  l'affaire, 
Et  plus  foible  de  reins,  mais  non  pasmoins  glouton, 

En  voulut  fur  l'heure  autant  faire. 

Il  tourne  à  l'entour  du  troupeau , 
Marque,  entre  cent  moutons,>  le  plus  gras ,  le  plus  beau, 

Un  vrai  mouton  de  (2)  facrifice. 
On  l'avoit  ïéfervé  pour  la  bouche  des  Dieux.' 
Gaillard  Corbeau  difoit ,  en  le  couvrant  des  yeux , 

Je  ne  fçai  qui  fut  ta  nourrice; 
Mais  ton  corps  me  paroit  en  merveilleux  état  : 

-    Tu  me  ferviras  de  pâture. 
Sur  Tanimal  bêlant,  à  ces  mots  il  s'abat. 

La  moutonnière  créature 
Pefoit  plus  qu'un  fromage  ;  outre  que  fa  toifon 

Etoit  d'une  épaifieur  extrême , 
Et  mêlée,  à  peu  près,  de  la  même  façon 

Que  la  barbe  de  (  3  )  Poiiphêmë.   . 
Elle  empêtra  fi  bien  les  (4)  ferres  du  Corbeau, 
Que  le  pauvre  animal  ne  put  faire  retraite. 
Le  Berger  vient,  .le  prend,  l'encage  bien  &  beau, 
Le  donne  à  fes  enfans  pour  fervir  d'amufette. 
Il  faut  fe  mefurer ,  la  conféquence  eft  nette. 
Ma!  prend  aux  volereaux  de  faire  les  voleurs. 
L'exemple  eft  un  dangereux  (.5  )  leure. 

(  1  )  t-Aïglc.  .  ' 

(  2  )  Tel  qu'on  les  oflfroît  aifx  Dieux. 
{3)  Un  Cyclope.  des  plus  monitrueux,  1 

(4)  Les  Titres. 

(  5  )  Attrait  captieux ,  qui  n'eft  bon  qu'à  tromper  ceux 
«jai  coûtent  après* 

c 


'So         FABLES    CHO  ISIES 

.Tous  les  mangeurs  de  gens  <pe  font  pas  grands  Sq 

gneurs  : 
Où  la^guêpe  a  paffé,  le  moucheron  demeure. 


FABLE       XVI  I. 

Le  Paon  fe  plaignant  à  Junon. 


JL« 


fe  Paon  fe  plaignoit  à  Junon.  J 

DédTc ,  difoit  -  il ,  ce  n'aft  pas  fans  raifon 

Que  je  me  plains ,  que  je  murmure  : 

(  1  )  Le  chant  dont  vous  m'avez  fait  don 

Déplaît  à  toute  la  nature: 
Au 'lieu  qu'un  RolEgnol,  chétive  créature, 
Forme  des  fnns  aulfi  doux  qu'éclatans , 

Eft  lui  feul  l'honneur  du  Printems.  i 

Junon  répondit  en  colère  : 
Oifeaux  jaloux ,  &  qui  devrois  te  taire , 
Eft  -  ce  à  toi  d'envier  la  voix  du  Roifîgnoj  ? 
Toi  que  l'on  voit  porter  à  lîentour  de  ton  col 
Un  Arc  -  en-  Ciel  nué  de  cent  fortes  de  foies , 

Qui  te  panades,  qui  déploies 
Une  fi  riche  queue ,  &  qui  fcmble  à  nos  yeux 

La  boutique  d'un  Lapidaire? 

Eft -il  quelque  oifeau  fous  ïes  deux 

Plus  que  toi  capable  de  plaire? 
Tout  animal  n'a  pas  toutes  propriétés  ; 
Nous  vous  avons  donné  diverfes  qualités  : 
Les  uns  ont  la  grandeur  &  la  force  en  partage  ; 
Le  Faucon,  eft  .léger,  l'Aigle  plein  -de  courage; 

Le  Corbeau  fext  pour  le  préfàge, 

(1)  Le   chant   du   Paonne    ifeft'  4' agréable,      C»c 
p'urôt  ua  miaulement  qu'un  chant* 


1  -   L    I    V    R    E      II.  SX 

la  Corneille  avertit  des  malheurs  à  venir* 
!         Tous  font  contens  de  leur  ramage* 
Ceflè  donc  de  te  plaindre ,  ou  bien,  pour  te  punir, 
!  Jç  t*Ôterai  ton  plumage. 

j1.  i      '  I  '     '         ■  r  ■        „'!■    U— JM. 

FAB    L    EXV1II. 

La  Chatte  métamorphofée  en  femme- 


Un 


Homme  dëriflbit  éperdffinent  fa  Chatte/ 
11  la trouvoit  mignonne ,  &  belle,  &  délicate >à 
Qui  miauloit  d'un  ton  fort  doux  ; 
Il  étoît  plus  fou.  que  les  fous.   * 
Cet  Homme  donc,  par  prières  y  pat  larmes, 
Par  fortiiéges.  &  par  charmes ,         /  .    , 
Fait  tant  qu'il  obtient  du  deïbiii, 
Que  fa  Chatte ,  en  un  Hea\i  matin  * 
Devient  Femme  ; ;  &  le  matin  même  » 
Maître  fot. en  fait  fa  moitié.  ' 
„     Le  voilà  fou  d'amour  extrême , 
De  fou  qu'il  étoit  d'amitié. 
Jamais  la  Dame,  la  plus. belle 
Ne  charma  tant  fon  fevori>, 
Que  fait  cette  époufe-ribtrvelle 
Son  hjyocondre  de  mari^^ 
ÏÎTamàdoue; :  éîîchT^amrr  " ':  -'-  - :  *  '    <l  - 
Il  n'y  trpuve  pjus  rien  de  Cl^tte  i 
•  Et  pouîïànt  l'éf reur  \jufqu'au  hfcut,  . 

La  croit  Femme  en  tout  &  partout» 
Wque  quelques  Souris  qui  rofigèoiefit  delà  natter, 
meublèrent  le  plaifir  des  nouveaux  marié.s.  ,        i. 
Auffi  -  tôt  fa  Febriié  eftfur  pieds:'      }--' 
Elte  mànqitë  foft  avaitture"» 
Souris  tfe  revenir ,  fàémè  d'être  fen  pefture. 
Pour  cette  fois  elfe  accourut  japon**:.  -..  . 
.     .C  a 


£r        F  A  BLE  S     CHOISIES 

Car  ayant  changé  de  figure , 

Les  Souris  ne  la  craignoient  point. 

Ce  lui  fut  toujours  une  amorce , 

Tant  le  naturel  a  de  force.    - 
11  fe  moque  de  tout  :  certain  âge  accompli , 
jUc^afeefrlmbîfô,  î'étofre  a  pris  foirpli.  ! 

(  i  )  En  vain  de  fon  train  ordinaire 

On  le  Veut  défacooutumer  ; . 
.Quelque  chofe  qu'on  putfle  faire, 

On  ne  fçareoit  le  réformer. 

Coups  de  fourches ,„  ni  d'étriviéres 
:        Ne'  lui  font  changer  de  manières  ; 

Et  fuflîez-vous  embâtonaés , 

Jamais  vous  n'en  ferez  les  maîtres. 

Qu'on  lui  ferme  la  porte  au  nez , 
f  -      >  .11  reviendra  par  les  fenêtres. 

{  i  )  Tout  ce  que  noivs  dît  ici  La  Fontaine  »  Horace  l'a 
renfermé  plus  hetireufement ,  *  mon  avis-,  dans  ce  versd 
Nyuram  txpettes  fur  ta ,  tamen  nfane  rtcurret. 
.Epift.  x.  lib.  i. 
&  je  *Tie  Tçaurols  m'empêcher  d'ajouter  (fans  décideç 
pourtant)  que  La  Fontaine  auroit  beaucoup  mieux  fait 
<te  terminer  fa  Fable  par  ces  deux  vers: 

//  fe  moque  de  tout  $  certain  âge  accompli , 
Le  vufe  ejt  imbihé  t  l* étoffe  a  pris  fon  fit» 
car  le   rcite   n*t:ft   qu'une  foible  répétition  de  la  même 

f  en  fée  ,    ou   je    crois   que  La  Fontaine  s'eft  engagé  pat 
envie  d'imiter  Horace. 


]U< 


F    A    fc    L    E      X  I  X. 

Le  Lion  UVAne  chaffant. 


fe  Roî  des  amiraux  fe  mit  un  jour  en  tête 

De  (  i  )'  giboyer,  .  Jl  célçbroit  fa  fete. 

Le  gibier  du  jlion  ce  ne  font  point  moineau^, 

(i  )  Aller  à' la  <h$(k  -du  giWec,  -     .'..-.•  r. 


LIVRE      IL  53 

Mats  beaux  &  bons  Sangliers ,  Daims  &  Cerfs  bons 
&  beaux.    _    v  % 

Pour  réftfir  dans  cette  affaire. 

Il  fe  fervit  du  miniftere 

De  l'Ane ,  à  la  voix  de  (  2  )  Stentor. 
L'Ane  à  méfier  Lion  fit  office  de  (5)  cor. 
:  Le  Lion  le  pofta,  le  couvrit  de  ramée, 
Lui  commanda  de  btairc ,  afluré  qu'à  ce  fon 
Les  moins  intimidés  fuiroient  de  leur  maifon- 
Leur  troupe  n'étoit  pas  encore  accoutumée 
!  A  la  tempête  de  fa  voix; 

L'air  en  rétentifToit  d'un  bruit  épouventabie. 
La  frayeur  faiiîflbit  les  hôtes  de  ces  bois  ; 
ïous:fuyoieht,  tous  tomboient  au  piége  inévitabfe 

Où  les  attendoit  le  Lion. 

N'ai -je  pas  bien  fervi  dans  cette  occafion? 

Dit  l'Ane,  en  fe  donnant  tout  l'honneur  de  lachafltv 

1  Oui ,  reprit  le  Lion ,  c'eft  bravement  crié. 

•Si  je  ne  connoiflbis  ta  perfonne  &  ta  race, 

J'en  ferois  moi-même  effrayé. 
L'Ane ,  s'il  eût  ofér  fe  fût  mis  en  colère  > 
Encor  qu'on  le  raillât  avec  jufte  raifon: 
Car  qui  pourroit  fouffrir  un  Ane  fanfaron  ? 

Ce  n'eft  pas  -là  leur  caraftere. 

(1)  t7n  Grec,  qui,  félon  Homère,  avoir,  la  voix  fott 
fopérieurc  à  celle  des  autres  hommes. 

(  3  )  Trempe  de  chaflq  qui  rf  jouic  &  anime  les  Cbas- 
iéurs  &  les  Chiens. 


F   A  "B    L    E      X  X. 

Tejîament  expliqué  par  Efope. 


S, 


H  ce  qu'on  dit  d'Efope  eft  vralV 
C'étoiuroracle  de  la  Grèce  : 
Lui  feul  sveit  plusde-fageflfe  • 
C  3- 


54  F  A  BLE. S    CHOISIES 

Que  tout  (  i  )  l'Aréopage.  En  voici ,  pouf  efiâi  j 
Une  hiftoire  des  plus  gentilles;. 
*  Et  qui  pourra  plaire  Ale&eur. 

Un  certain,  homme  avoft  trois-'fiHes  % 
(  Toutes  trois  de  contraire  humeur  :• .        j 

Une  buveufe ,  une  coquette , 

La  troîfiéme  avare  parfaite. 

Cet  homme  par  fon  teftament , 

Selon  les  {2)  loix  municipales ,. 
Leur  laiila  tout  fon  bien  par  portions  égales  * 

En  donnant  à  leur  mère  tant , 

Payable  quand  chacune  d'eHes  I 

Ne  pofféderoit  plus  fa  (  3  )  contingente  part* 

Le  père  mort  »  les  trois  femelles 
Courent  au  teftament,  fans^attendre  plus  tarcL 

On  le  -lit  ;  on  tâche  d'entendre 

La  volonté  du  Teftateur  ; 

Mais  en  vain  :  car  comment  comprend* 

Qu'auffi-tôt  que  chacune  fœur. 
Ne  poffédera  plus  fa  part  héréditaire ,         .  -         I 

Il  lui  faudra  payer  fa  mère? 
-Ce  n'eft  pas  un  fort  bon:  moyen?  i 

Pour  payer,  que.  d'être  fans  bien* 
Que  vouloit  ddtac  dire  le  père?* 
L'affaire  eft  confultée;  &  tous  les  Avocats  ' 

'-     Après  avoir  tourné  le  cas         ;„/  j 

En  cent  &  cent  mille  manières,' 
Y  jettent *(4) - lear bammifp  ç<wfeffenty*mq& 

Et  cpnfeillent  aux  héritières 
De  "partager  le  bien  fans  fongçr  au  furplus. 

Quant  à  la  fomme  de  la  veuve,     - 

(  1  )  Sénat ,  ou  ai&mblée  des  Juges  d'Athènes. 
(  2  )  Loix  de  la  Viîle  d'Athehes. 
(  3  )  i-a  part  qui  lui  devoit  être  donnée. 
(4)  Expreffion  figurée,  .pour   dite  qu'ils  Je  déclarent 
incapables  d'expliquer  le  tcitaxne^u 


L    I    V    R    E      I  L  *5 

Voici ,  leur  dirent  -ils ,  cç  que  le  Confefl  treuve  : 
!  ft  faut  que  chaque  fqpur  fe  charge  par  traité 

Du  tiers  payable  à  volonté  r  ' 
Si  mieux  n'aime  la  mère  en  créer  une  rente 

Dès  le  décès  du  mort  courante. 
La  chofe  ainfî  réglée ,  on  compofa  trois  lots  ? 

Eni'un  Y  les  maifons  de  bouteille  y 

Les  buffets  tlreffés  fous  la  treille , 
La  vaiflelle  d'argent ,  les  ,cuvettes ,  les  brocs  y 

Les  magafîns  de  (  5  )  Malvôifîe , 
Les  efcîaves  de  bouche  ;&  pour  dire  eh  deux  mots , 

L'attirail  de  la  goinfrerie. 
Dans,  un  autre ,  celui  de  la  coquetterie  T 
La  maifon  de  la  ville  y  &  los  meubles  exquis,. 

Les;  Eunuques  &  les  coëffeufes , 
Et  les  brodeufes, 

Les  joyaux  r  les  robes  de.  prix. 
Dans1  le  troifïéme  lot*  les  .fermes ,  le  ménage,. 

Les  troupeaux  &  le  pâturage  r 

Valets  &  bêtes  de  labeur. 
Ces  lots  faits ,  oti  jugea  que  le  fort  jjourroit  faire» 

Qup  peut-  être  pas  une  fœùr 

N'auroitcequi  lui  pourroit  plaire» 
Aiafi,  chacune  prit  ibn  inclination, 

Le  tout  à  l'e/Hmation. 

Ce  fqt  dans  la  ville  d* Athènes  , 

Que  cette  ^encontre  arriva. 

Petits  &  grands ,  tout  aprouva 
Le  partage  &  le  choîx.    Efope  feul  trouva  # 

Qu'après  jpien  du  temps  &  des  peines> 

Les  gens  avoient  pris  juftement. 

Le  contre  -pied  du  teftament. 
Si  le  défunt  vivoit,  difoit'-il,  qiie  (6)  L'Afrique? 

Auroit  de  reproches  de  lui  ! 

(5)  Vin  Grec  ,  fort  doux.    Ici  Mslvoifî*  fc  prend  pour 
toute  force  de  bon  vin. 

(6)  Ctttc  partie  de  la  Grèce  ,.  dont  Athènes  ewùt-  la  f 
Cagiulc. 

•       -.  Ci 


56  FABLES     CHOISTES 

Comment"!  Ce  peuple  qui  fe  pique 
D'être  le  plus  fubtil  des  peuples  d'aujourd'hui^ 
A  fi  mal  entendu  la  volonté  fuprême 
D'untcftateuri  Ayant  ainfi  parié, 

Il  fait  le  partage  lui-même, 

Et  doane  à  chaque  fœur  un  lot  contre  fon  gré, 

,  Rien  qui  put  être  convenable, 

Partant  rien  aux  fœurs  d'agréable  : 

A  la  Coquette  l'attirail 

Qui  fuit  les  perfonnes  buveufes  ; 

La  Biberonne  eut  le  bétail  :. 

La  Ménagère  eut  les  côëffeufes. 

Tel  fut  l'avis  du  (  7  )  Phrygieq  y 

Alléguant  qu'il  n'étoit  moyen 

Plus  fur ,  pour  obliger  ces  rilles 

A  fe  défaire  de  leur  bien  : 
Qu'elles  fe  mariroient  dans,  les  bonnes  familles  * 

Quand  on  leur  verroit  de  l'argent  t 

Pajroient  leur  mère  tout  comptant;- 
Ne  pofféderoient  plus  les  effets  *le  leur  père," 

Ce  que  difoit  le  teftament.  f 
Le  peuple  s'étonnna  comme.il  fe  pourvoit  faire' 
..   Qu'un  homme  feul  eut  plus  de  fcn*   - 

Qu'une  multitude  de  gens. 

(7)  Efopc  né  en  Phryçie. 

Fin  du  fécond  Livre*. 


Vf 


LIVRE      TROISIEME. 

I 

FABLE  PREMIERE. 

Le  Meunier,  fm  Fils,    &  VAne.     . 
A.  M.  D.  M. 


Li 


/'Iitvention  des  Arts  étant  un  droit  d'alnefle , 
Nous  devons  (  i  )  l'Apologue  à  l'ancienne  Grèce  r 
Mais  cexhamp  ne  fe  peut  tellement  moiflbnner , 
Que  les  derniers  venus  n'y  trouvent  à  glaner. 
La  feinte  efl  un  pays  plein  de  terres  défertes  :   - 
Tous  les  jours  nos  Auteurs  y  font  des  découvertes. 
Je  t'en  veux  dire  un  trait^aflez  bien  inventé  : 
Autrefois  à  (2)  Racan,  Malherbe  Ta  conté. 
Ces  deux  rivaux  d'Horace ,  héritiers  de  fa  Lyre,     . 
Difciples  d'Apollon ,  nos  Maîtres  ,vpour*  mieux  dire, 
Se  rencontrant  un  jour  tout  feuls  &  fans  témoins  ; 
(  Comme  ils  fe  confioient  leurs  penfers  &'leurs  foins  ) 
Racan  commence  ainfî;  Dites -moi,  je  vous  priç,, , 
Vous  <jui  devez  fçavoir  les  chofes  de  la  vie,    :.  , . 
Qui  par  tous  fes  dégrés  avez*  déjà  paffé, 

(  1  )  Fable  inftraâive..  t]  m      .     ' 

Ù)  Excellent  Tocù  François ,  mort  «a  1670.  "      k  * 

Ç5 


jfft         FABLES    CHOISIES 

Et  que  rien  ne  doit  fuir  en  cet  âge  avancé  ; 
,  A  tytol  rBê  réfojidfeî-jÈVireft  tems  (Jue  f  y  jfenfe;i 
Vous  cbnnôiffez mon bieri,  mon  talent,  ma  nsiflànce. 
I)pis-je<ians  la  province  établir  mon  féjour?         ! 
JPren^re  emploi  dans.  l'Armée.,  ou  bien  charge  à  la  ! 

Cour?  ■--"•■-        »   ■   "•      • 
Tout  au  monde  eft  mêlé  (l'amertume  &  de  charmes: 
La  Guerre  a  fes  douceurs,  i'Hyçen  a;  fes- alarmas. 
Si  je  fuivoîs  mon' goût,  je  fçaurois  où  buter; 
Mais  j'ai  les  miens ,  la  Cour ,  le  peuple  à  contenter, 
tyalh.erbe  là  -defîbs  :  contenter  tout  le anonde  l 
Ecoutez  ce 'récit 'avant*  que  Je  réponde. ; 

J'ai  1Û  dàrçs^uel'que  endroit,  qu'un  Meftniçr  &  fçn  fils,  ' 
L'un  vïeîllafd-;  l'autre  enfant ,  tfon  pas  clés  "plus  petits, 
Mais  garçon  de  quinze  ans ,  fi  j'ai  bpnne^némoire, 
Alloient  vendre  leur  Ane  un  certain  joiir  de  foire. 
Afin  qu'il  fi)t  plus 'frais'  &  de-' meilleur  débit, 
On  lui  lia  les  pieds ,.  on  vous  le  fufpendit  : 
Puis  cet  homme  &  fon  fils  le  portent  comme  un  (3) 

'    luftre.  "  !  " 

Pauvres  gens,  idiots,  couple  ignorant -&  ïuftfe! 
Le  ^premier  qui  le  vit,  de  rire  s'édata. 
Quelte  farce ,  dit  -il ,  vont  jouet  ces  gens  -  là? 
Le  plus  Aile  des  trois  n'éft  pas  celui  qu'on  -penfe. 
Lê'Meûmer,  à  ces  mots,  connoît  fon  ignorance* 
Il  met  fur  pieds  fà  bête ,  &  la  fait  détaler. 
L'Ane-qui  goûtoit  fort  l'autre-  façon  daller , 
Se  plaint  en  fon  patois.  Le  Meunier  (4)  n'en  à  cure. 
il  fait  monter  foh  fils ,  il  fuit ;•  &'d*avànture   . 
Paflent  trois  bons  marchands.  Çe&6bjet  leur  déplut. 
Le  plus  vieux ,  au  garçon,  s'édria'tant  qu'il  put: 
Oh  le:,  -ôh,  defçendez  quel'-qh  ne  Vous  le  dife, 
Jeune  hetfmieqm  menez  laquais  à  batbé  gr ife: 

(  3  )   Grand  Chandelier  à  branches, 
(-f)  N«  s'en  met  poiac  en  peinç. 


l  i  v;  k  et    rrr;         s* 

f  était  t  vous  de  fuiVre  r  au  vieillard  •  de  morfl&r.   * 
Meurs,  dit  le  Meunier,  il  vous  faut  contenter*. 
L'enfant  met  pied  à  terre,  &  puis  le  vieillard  montei- 
Quand  trois  filles-  paffant ,  Tune  dit  :  c'eft  grandiront* 
Qu'il  faille  voir  ainfî  clocher  ce  Jeune  fils ,. 
Tandis  que- ce  nigaud,  comme  .un  Evêque  affis, 
Fait  le  veau  fur  fon  Vine  v  &  penfe  être  bien  fage.. 
Iln'cft,  dit  le  Meunier, plus  de  veaux  à  mon  âge*. 
PafTez  votre  chemin,  la  fille ,  &  m'en  croyez.       t 
Après  maints  quolibets  coup  fur  coup  renvoyés ,    v 
L'homme  crut  avoir  tort,  &  mit  fon  ûls  en  croupe* 
Au  bout  de  trente  pas ,  une  troifiéme  troupe 
Trouve  encore  à  glofer.  L'un  dit  r  ces  gens  font  fous  P 
Le  Baudet  n'en  peut  plus ,  il  mourra  fous  leurs  coups  ;; 
Hé  quoi ,  charger  ainfî  cette  pauvre  Bourique  ?  ..  ^ 
N'ontHlé'pofntde  jntië  de  leur  vieux  domeftique  t 
Sans  doute  qu'à  la  foire  ils  vont  vendre  fa  peau. 
Parbieu ,  dit  le  Meûçier,  eft  bien  fou  du  cerveau  9r 
Qui  prétend  contenter  totit  le  monde  &  ibn  père. 
M'ayons  toutefois ,  û  par  quelque  manière 
Nous  en  viendrons  à  bout.  lUdefcendent  tous  deux  s 
L'Ane,  {5)  fe  prélaflant,  marche  feui. devant  eux.. 
L'û  quidam  les  rencontre,  &  dit:  Eft -ce  la  mode 
Que  Baudet  aille  à  i'aife  ,&  Meunier  s'inoommode  î? 
Qui  de  l'Ane  ou  du  Maître  eft  fait  pour  fe  lafTer? 
]e  confeille  à  ces  gens  de-  le  faire  ehehaffer.. 

(j)  Prenant  l'air  grave  &  îpajefhieux  d'un  Prélat.   Otf> 
trouve  ft.  prélafer  dans  Rabelais  ;  &  c'eft  aparemmenr  de- 
là que  La  Fontaine  l'a  tiré.    Je  vis  Diogentt ,  dit  Epifre- 
«ont  revenu  des  Enfer»,  qk$  ft  prélajfoit  eh  r»a£»ffi«*tt 
I  Jvfc  **'  grande  robe  d*  foulprc  |*r  un  fuptre  en  fa  «lettre  ,&, 
U<)a'i  tnraget   ^Alexandre  le-  Grand ,  quand   il  n'avêit  kien> 
'W'P  ft*  cWavffu.     Pantagruel  ,'  I:iv.  11.  Chap    30.     Et 
fleurs ,  parlant  •  du.  Bufehéroni  k  <\xi\  Mercure  avoir  pré* 
«nié  trois  coUnées  ».  l'une- d'or,.  L'autre  d'avgent;  &  une 
j  ^oilîdme'  de   bois*,  «   qui  s'étant  contente  de   celle  de 
|  "°fc  qu'il   avoir  perdue ,  reçut  les,  deux-  «titres   en   ré- 
co»p<iife  de  la  bcftne  foi ,  il  ajoute  :    ^iihjt  le  B'ucheron* 
rnt*ttéfafitrtt  -p4t  h  Pur/,  fàifanr  bifirie  U*int.  farmi  Jeu 
HtHbim  &  vifms. 

■     Ctf        • 


J 


60         FABLES    CHOISIES 

Ils  ufent  leurs  fouliers ,  &  confervent  leur  Ane  r 
Nicolas ,  au  rebours  :  car  quand  il  va  voir  Jeanne , 
11  monte  fur  fa'  bête ,  &  la  chanfon  le  dit. 
Beau  trio  de  Baudets!  le  Meunier  repartit, 
Je  fuis  Ane,  il  eft  vrai, J'en  conviens-,  je  l'avoue  r 
Mais  que  dorénavant  on  me  blâme,  an  me  loue , 
Quvon  dife  quelque  chofe,  ©u^u'on  ne  dife.rien, 
J'en  veux  Caire  à  ma  tête  :  il  le  fit,  &  fit  bien. 

^nant  avons,  fuivez  Mars ,  ou  L'Amour,  ou  le  Prince, 
Allez*  venez,  courez,  demeurez  en  province, 
Prenez  femme,  abbaye,  emploi,  gouvernement  r 
Les  gens  en  parleront,  n'en  doutez  nullement. 


FABLE     r  r. 

if*  Membres  &  t'Eftomac* 

Jj  e  devois  par  la  Royauté 

Avoir,  commencé  mon  ouvrage  t 
A  la  voir  d'un  certain  côté ,, 
Méfier  (i)  Gafter  en  eft  l'image. 
S'il  a  quelque  befoin,  tout  le  corps,  s'en  reffenc 
De,  travailler  pour  lui  les  membres  fe  laflant, 
Chacun  d'eux  réfolut  de  vivre  en  gentilhomme, 
Sans  rien  faire ,  alléguant  l'exempte  de  Gafter. 
II  faudroit,  difoient,- ils,  fans'  nous  qu'il  vécût  d'aîr. 
Nous  fiions ,  nous  peinons  comme-bêtes  de  foraine  : 
Et  pour  qui  V  poux  lui  feul  :  nous  n'en  profitons  pas  ; 

(  i  )  L'Ffîomac.  C'eft  dans  ce  fcns-H  que  Rabelais  s'eft 
avife  d'employer  le  moi  de  Vtjifr,  qn  «*  originaire, 
«eut  Grec.  .-.,.. 


LIVRE      II.I.  ** 

Notre  foin  n'aboutit  qu'à  fournir  fes  repas, 
êhom'mons ,  (  2  )  c'efi  un  métier  qu'il  veut  nous 

faire  aprendre. 
Ainfî  dît-,  ainfî  fait.  Les  mains  ceflent  de  prendre, 

Les  bras  d'agir ,  les  jambes  de  marcher. 
Tous  dirent  à  Gafter  qu'il  en  allât  chercher. 
Ce  leur  fut  une  erreur  dont  ils  fe  repentirent...  .  . 
Bien -tôt  les  pauvres  gens  tombèrent. en  langueur:; 
11  rie  fe  forma  plus  de  nouveau  fang  au  cœur  : 
Chaque  membre  en  fouffrit  :  les  forces  fe  perdirent* 

«.*       Par  ce- moyen  lès  mutins  virent 
Que  celui  qu'ifc  çroyoient  oifif  &  parefleux*. 
A  Tintérêt  commun  contribuoit  plus  qu'eux. 
Ceci  peut  s'apliquer  à  la  grandeur  Royale. 
Elle  reçoit  &  donne  ;  de  la  chofé  eft  égale. 
Tout  travaille  pour  elle ,  &  réciproquement 

Tout  tire  d'elle  l'aliment. 
Elle  fait  fubfîfter  l'artifan  de  fes  peines , 
Enrichit  le  Marchand,  gage  le  Magiftrat, 
Maintient  le  laboureur,  donne  paye  au  foldat* 
Diftribue  en  cent  lieux  fes  grâces  fouvetfaines ,. 

Entretient  feule  tout  l'Etat. 

(  3  )  Menenius  le  fçut  bien  dire  : 
La  Commune  s'alloit  féparer  du  Sénat. 
Les  mécontens  difoient  qu'il  avoit  tout  l'Empire, 
Le  pouvoir,  les  tréfors,  l'honneur,  la  dignité;  .. 
Au -lieu  que  tout  lfc  mal  étoit  de  leur  côté  ;  * 

Les  xributs ,.  les  impôts*  les  fatigues  de  guerre. 
Le  peuple  hors-  des  murs  étoit  déjà  porté , 
La  plupart  s'en  alloîent  chercher  une  autre  terre  > 

Quand  Menenius  leur  fît  voir 

Qu'ils  étoient  aux  membres  femblables; 
Et  par  cet  Apologue  ïnfigne  entre  les  Fables, 
,  Les  ramena  dans  leur  devoir. 

(2)  Çbotnmct,  xreft  fc  repofe*  comme  .dans  un  joue 
de  fête.  .  " 

(3}  Sénateur* Romain,  du  tëms  des  Confiai* 

C  7 


fe         FATITCS    CHOISIES        ' 

e==  asssm 


FABLE      II  I. 

Le  Loup  devenu  Berger: 

\J  h  Loup/qul  commençoît  d'avoir  pçtite  pârr 

.  Aux  Brebis  de  Ton  voiflnagé, 
Crût  qu'il  falloit  s'aider  d©  la  peau  dû  Renard,, 

Et  faire  un  nouveau  perfonnage/ 
11  s'habille  en  Berger,  endoïïe  un  hoqueton,. 
.    *  *   Fait  fa  houlette  d'un  t)âton , 

Sans  oublier  Ja  Gorneinufe.     /, 

Pour  pouffer  jufqu'au  bout  fà  rufé,. 
Il  auroit  volontiers  écrit  fur  fon  chapeau,  ' 
Ceft  moi  qui  fuis  Gaillot ,  Berger  de.  ce  troupeau*  - 

Sa  p'erfonne  étant  ainfî  faite ,  ""    '    " 
Et  fes  pieds  de  devant  pofés  fur  fa  houlette , 
Guiliot  le  (i)  Sycophante  aproche  doucement- 
Guillôt,  le  vrai  Guiliot,  étendu Tur>  l'herbetté , . 

Dormoit  alors  profondement. 
Son  chien  donroit  auffi,  comme  auffi  fa  tnufétte* 
La  plupart  des  Brebis  dbrmoiènt*  pareillement* 

L'hypocrite  les  laiffa  faire; 
Et  pour  pouvoir  mener  vers,  fon  fbrt  les  Brébi$  t* 
11  .voulut  ajouter  la  parole  aux  habits , . 
.    -        t^hofe  qu'il  croyoit  néceflàire  ;■.  '  ' 

Mais  cela  gâta  fon  affaire. 
H  fie  put  du  Pafteuf  contrefaire  la  voix  r; 
Le  ton  dont  il  parla  fit  retentir  les  bois,,. 

Et  découvrit  tout  le  myftefe.    - 

Ghacurî  fe  réveille  à  ce  fon , 
,    Les  Brebis  ;:  lé  Chien ,  "te  Garçon; 
:  Le  pauvre  Loup  ibolcet  e£ckûdrC£ 

(i)  Tree&cus*. 


L    1    V    K    £     IM.  ** 

Empêché  par  fon  hoqueton  ,.    .       .     x  * 
Ne  put  ni  fuir ,  ni  fe  défendre,. 
Toujours  par  quelque   endroit  fourbes   fe  ktuTenç 
prendre- 

Quiconque  eft  Loup,  aguTe  jen  Loup; 
C'efl:  le  plus  certain  de  beaucoup.      ^ 


FABLE       I  W 

Les  Grenouilles  qui  demandent  vin  Rou 


L. 


/es  Grenouilles  fè  laflant 
Décrétât  (i)  Démocratique, 
Par  leurs  clameurs  firent  tant    . 

Quejupin  les  fournit \(  2)  au  pouvoir  Monarchique». 

Il  leur  tombe,  du  €fel  nn  JBfti  toot-padôque.    *~-  -  * 

Ce  JLoi  fit  toutefois  un  tel  bruit  en  tombant., 
Que  la  gent  marëcagéufe , 
Gent  fort  fotte  &  fort  peureufe, 
S'alla  cacher,  fous- lés  eaux,  * 
Dans  les  joncs,  dans  les  rofeaux,. 
Dans  les  trous  du  marécage,  ... 

Sans  ofer  de  long -teins  regarder  au  vifage  . 

Celui -qu'elles  croyaient  être  un  géant  nouveau*      1 
Or  c'étoit  un:  foliresài ,.        '  ' 

De  qui  la  gravité  fit  peur  à  là  première  t 
Qurde  ie  voiryavantiiraiit^ 
Qfa  bien  quitter:  fo  tanière. 
Elle  aprocha,  mais  en  tremblant*  1 

Une  autre  la  fuivic,  uûè  atitrç  en  fit  autant,  •         > 
Il  en -vint  une  fouçmiiliéie*.  .    * 

\i)  Gk  le  Peuple  gouverne. 

U)  Au  gouvernement  fouveraîtr  *«hfii  féal,  fu'oa  fiOtQ^ 


*4         PA.BLES    CHOISIES 

Et  leur  troupe  à  la  fin  Te  rendit  familière 

Jufqu'à  fauter  fur  l'épaule  du  Roi.  - 
Le  bon  Sire  le  fouffre ,  &  fe  tient  toujours  cou. 
Jupîn  en  a  bientôt  la  cervelle  rompue. 
Donnez-nous.,  dit  ce  peuple  y  un  Roi ,  qui  fe  remuer 
Le  Monarque  des  Dieux  leur  envoie  une  Grue, 

Qui  les' croque,  qui  les  tue> 
t  Qui* le» gobe  à-fon  plaifir: 

Et  Grenouilles  de  fe  plaindre; 
Et  Jupin  de  leur  dire  :.,  &  quoi ,  >  votre  défit 

A  fes  loix  croit -il  nous  aftraindre? 

Vous  avez  dû  premièrement 

Garder  votre  Gouvernement: 
Mais  ne  l'ayant  pas  fait,  il  vous  dcvoit  fuffire 
Que  votre  premier  RoL  fut  débonnaire  &  doux. 

De  celui  -  ci  conteniez  -  vous , 

De.  peur  dïen  rencontrer  un  pire." 


FABLE      V. 

Le  Renard  &  te  Bouc. 

V*/apitafne  Renard  alloit  de  compagnie 
Avec  l'on  ami  Bouc ,.  des  plus  haut  encornez. 
Celui  -ci  ne  voyoit  pas  plus  loin  que  fon  nez;-. 
'  L'autre  étoit  paffé  maître  en  fait  de  tromperie 
La  foif  les  obligea  de  defeendre  enfun  puits-» 

•  Là,  chacun  d'eux  fe- désaltère. 
Après  qu'abondamment  tous  deux  en  eurent  pris  r 
Le  Renard  dit  au  Bouc  :  que  ferons  -  nous  compère? 
Ce  n'efttpas  tout  de  boire,  il  faut  fortir  d'icu  - 
Levé  tes  pieds;  en.  haut  r  &  tes  cornes  aufB  ; 
Mets  -les  contre  le  mur.    Le  long  de  ton  échine 
...        .  Je  gçimperai  premièrement; 

fuis  fur  tes  corne*  m/élevât,    ,. 


LIVRE'   III»  tS 

î  A  l'aide  de  cette  machine,  ' 

:  De  ce  lieu  -  ci  je  fouirai , 

'Après  quoi  je  t'en  tirerai.  - 
Par  ma  barbe ,  dit  l'autre ,  il  eft  bon ,  &  je  loue 

Les  gens  bien  fcnfés  comme  toi. 

Je  n'aurois  jamais,  quant  à  moi,. 

Trouvé  ce  fecref,.  je  l'avoue. 
Le  Renard  fort  du» puits,  laiiïe  fon  compagnon» 

Et  vous  lui  fait  un  beau  fermon 

Pour  l'exhorter  à  patience. 
Si  le  Ciel  t'eût ,  dit  -  il ,  donné  par  excellence  % 
Autant  de.  jugement  que  de  barbe  au  menton , 

Tu.n'aurois  pas,  à  la  (i)iégerc, 
Defcendu  dans  ce  puits.  Or  adieu ,  j'en  fuis  hors; 
'  Tâche  de  t'en  tirer ,  &  fais  tous  tes  efforts  : 

Car  pour  moi  j'ai. certaine  affaire 
Qui  ne  me  permet  pas  d'arrêter  en  chemin* 

En  toute  chofe  il  faut  confîdérec  la  fin* 

(i  )  Imprudemment,  fans  réflexion» 


L 


FABLE      VI. 

&Aigte,  la  Laye&la  Chatte* 


J%Aiglç  avoît  fes  petits  air  haut  d'un  arbre  creu*; 
La  (î)  Laye  au  pied ,  la  Chatte  entre  les  deux  :    ^ 
Et  fans  s'incommoder ,  moyennant  ce  partage, 
Mères  &  nouriflbns  faifoient  leur  tripotage. 
La  Chatte  détrufîç,  par  fa  fourbe ,  l'accord. 
Elle  grimpa  chez  l'Aigle,'  &  lui  dit  :  notre  mort,, 
(au  moins  de  nos  enfans ,  carc'eft  tout  un  aux  mères,) 

(  i  )  ta  femelle  du  Sv^Uer. 


66      •    FABLES/  CHOISIES 

Ne  tardera  poflîble  guères. 
Voyefc-vous  à  nos  pieds  fouïr  inceflamment 
Cette  maudite  Laye ,  &  creufer  une  mine  ? 
C'eft  pouf  déraciner  le  chêne  aflurément , 
Et  de  nos  .nourhTons  attirer  la  mine. 

L'arbre  tombant,  ils  feront  dévorés  : 
»    Qu'ils  s'en  tiennent  pour  affinés. 
'S'il  m'en  reftoif  un  feul,  j'adoucirois  ma  plainte J 
Au  partir  de  ce  lieu,  qu'elle  remplit  de  crainte „ 
\  La  perfide  defeend  tout  droit 

A  l'endroit 

Où  la  Laye  étoit  en  (  2  )  géfîne. 

Ma  bonne  amie  &  ma  voiûrie,. 
Lfci  dit -elle  tout  bas ,  je  vous  dorme  un  avis. 
L'Aigle,  û  vous  fortez,  fondra  fur  vos  petits^ 

Obligez -moi  de  n'en,  rien  dire; 
'   Soft  courroux  tomber  oit  far  moi. 
Dans  cette  autre  famille  ayant  femé  l'effroi , 

La  Chatte  ea  fon  trou  fé  retire.    , 
L'Aigle  n'ofe  fortir,  ni  pourvoir  aux  befoins 
De  (es  petits  :  la  Laye  ericôre  moins  ;  '  * 
Sottes  de  ne  pas  voir  que  le  plus  grand,  des  foins  > 
Ce"doît  'être  celui  d'éviter  HTaffiffi»/-'^.-.  -rr:— ~  : 
A  demeurer  chez  foi»  l'une  &  l'autre  s'obftiiie, 
,  Pour  fecodrif  les  Cens  dedans  l'pccaflonv 

L'Oifeau  royal ,  en  cas  de  mine  ; 

La  Laye,  eiîcas  d'irruption^.  .     »  ; 
La  fahn  détruifit  tout:  il  ne  refta  perforinè  - 
De  lagent  Marcaffine , •  &  de  la  gent  Aiglonne*    • 

Qui  n'allât  de  vie  à  trépas  :'  *     * 

Grand  (3)  renfort  pour  meilleurs  les  Chats- 

Que  ne  fçait  point  outdir  une  langue  traitrefle  ' 
.  Par  fe  pernicieufe  adrefîe  ? 
Des  malheurs  qui  font  fortis;  ;  r 

(t)  Venoit  de  mettre  bas  (es  petics  MarctiHns* 
(i)  Groffe  proYiûoA  dc'bouthi.         .' 


LIVRE      ML  6T 

De  la  boîte  de  (4)  Pandore, 
I  Celui  qu'à  meilleur  droit  tout  l'Univers  abhorre, 
.    C'ett  la  fourbe,  à  mon  avis. 

j     (4)  Très -Mie  fille.,  forgée   par  Vulçaiu  »  â  laquelle 
Jupiter  donna  une  boîte  remplie  de  toute  force  de  maux. 


FABLE      V  1:1. 

V Ivrogne  &Ja  Femme. 

V/haom  a  ion  défimt-où  tonjonts>itîevtent:.  **. 
Honte  ni  peur  n'y  remédie. 
Sur  ce  propos ,  d'un  conte  H  me-fouvientr 

Je  ne  dis  rien  que  je  n'apuie 
De  quelque  exemple.  Un  fuppôt  de  (1)  Bacçhua 
Altéroit  fa  fanté ,  fon  efprit  &  fa  bourfe.- 
Telles  gens  n'ont  pas  fait  la  moitié*  de  leur  coi^Dç* 

Qu'ils  font  au  bout  de  leurs  écus.      •     1 
Un  jour  que  celui-ci ,  plein  du  jus  de  la  treille* 
/vote  laifTé  fes  fens  au  fond  d'une-  bouteille*-     "    * 
Sajemme  renferma  dans  un  certain. tombeau.. 

Là,  les  vapeurs  du  vin  nouveau 
Cuvèrent  à  loifîr.  A  fon  réveil  il  treuve 
L'a(tirail  .de  la  mort  à  l'entour  de  fon  corps , 

Un  lufninàfre,  un  drap  des  morts. 
Oh!  dit-il,,  qu'dft  ceci?' Ma  femme  eft-ell,e  veuve t 
Là-deflus,  fon  époufe,  en  habit  (2)  d'AJeûon, 
Mafquée,  &  de  fa  voix  contrefaifant  le  ton,. 
Vient  au  prétendu  mortj  approche  de. fa  bière, 
Lui  préfente  un  (3)  chaudeau  propre  pour  Lucifer.. 

(  1  )  Un  franc  ivrogne* 

li)  Une  des  tçois  Furies  de  l'Enfer* 

(  3  )  Bouillon  OU  potage.  Chandia» ,  Jufcuîum  ,  Ntcst^ 
D«  Caldeftmm,  parce  qu'on  le  prend  chaud/  dit  "M*na£* 
du»  ton  JDi S Umuirt  Èu'mhgîq**. 


70         FABLES    CHOISIES 

FABLE      IX. 

Le  Loup  &Ja  Çicogne. 


JL^e 


/es  Loups  mangent  gloutonnement. 

.  tJn  Loup  donc  étant  de  (i)  frairip, 

SeprefTa,  dit-on,  tellement,  | 

Qu'il  en  penfa  perdre  la  vie.    * 
Un  os  lui  demeura  bien  avant  au  gofierv 
De  bonheur  pour  ce  Loup,  qui  ne  pouvoit  crier, 

Près  de-là  pafle  une  Cicogne. 

Il  lui  fait  figne ,  elle  accourt. 
Voira  l'opératrice  auffi-tôt  en  befogne. 
Elle  retira  l'os  ;  puis ,  pour  im  fî  bon  tour,  i 

Elle  demanda  fon  faiaire. 

Votre  falairë?  dit  le  Loup,  - 
.    Vous  riez  ma  bonne  conimere.  -  I 

Quoi!  ce  n'eft  pas  encor  beaucoup  - 
D'avoir  de  mon  golîer  retiré  votre  cou? 

Allez,  vous  êtes  une  ingrate; 
.  '  Ne  tombez  jamais  jpus  ma  patte. 

(  i  )  D'un  grand  pas. 


£   A    B    L    E      X. 

Le  Lion  abattu  par  F  Homme, 


O. 


*n  expofoit  une^peinture, 
Où  Tartifan  avoft  tracé  . 
Un  Lion  d'immenfe  flature. 
Par  un  feiU  homme  terraÇé. 


'  L    I    V    R    E      I IL  71 

Les-  regardais  çn  tiroient  .gtoire* 

Un  Lion  en  paflant  rabattit  leur  caquet. 

Je  vois  bien,  dit-iU  qu'en  effet  . 

On  vous  donne  ici  la  vi&oire;    . 

Mais  l'ouvrier  vous  a  déçus , 

il  avoit  liberté  de  feindre. 
Arec  plus  de  raifon  nous  aurions  le  deflus , 

Si  mes  confrères  fçavoient  peindre. 


F    A    B    h    E      XI. 

Le  Renard  &les  Raijîns. 

r 

Vertain  Renard  (i)  Gafcon,  d'autres  difent  (2) 

i      Normand,  "      "    -    t 

Mourant  prefque  de  faim,  vit  au  haut  d'une  treille 
Des  raifîns  mûrs  aparemment, 
Et  couverts  d'une  peau  vermeille. 

égalant  en  eût  fait  volontiers  un  repas. 

Mais  comme  il  n'y  pouvoit  atteindre  ; 

&  font  trop  verds ,  dit-il ,  &  bons  pour  des  (3)  goujats* 

I  Fit-il  pas  mieux  que  de  fe  plaindre  ? 

f(0  Fanfaron  ,  effronté  ,  toujours  prêt  à  juftifier  fes 
"Mes  par  quelque  trait  de  plaifanterie  ,  bonne  ou  m»u- 
v«(e.  .  ,      ,  _.  ' 

,  (0  Plein  de  diflimulation  ,  porté ,  comme  par  inftinét , 
*  rtpondrc  indirectement  &  obfcurément  à  ceux  qui  lui 
Ncnt;&  lotfqu'il  \t  trouve  bon.,  à  leur  dire  nettcm.cn* 
«w  le  contraire  de  ce  qu'il  penfe,  . 
|    U)  Valets  de  Soldats. 


Tî  FABLES    CHOISIES 

F    A    B    L    E      X  I  I. 

2>  C)g»£  &  te  Cuifînier* 

JLJJans  une  (i)  ménagerie 
De  volatiles  remplie, 
Vivoient  le  Cygne  &  l'Oifon  : 
Celui-là  deftiné  pour  les  regards  du  Maître , 
Celui-ci  pour  fon  goût  :  l'un  qui  fe  piquoit  d'être 
CommenÇiI  du  (2)  jardin,  l'autre  de  la  maifon. 
Des  FofTds  du  château  faifant  (3)  leurs  galeries, 
Tantôt  on  les  eût  vus  côte  à  côte  nager ^    - 
Tantôt  courir  fur  Tonde ,  &  tantôt  fe  plonger , 
Sans  pouvoir  fatisfaire  à  leurs  vaines  euviqs. 
tin  jour  le  Cuifiniçr,  ayant  trop  bû  d'un  coup, 
Prit  pour  Oifon  le  Cygne ,  &  le  tenant  au  cou , 
1*  aHoit  l'égorger ,  puis  le  mettre  en  potage. 
L'oifeau ,  prêt  à  mourir ,  fe  plaint  en  fon  ramage. 
Le  Cuifinier  fut  fort  furpris ,  \ 

Et  vit  bien  qu'il  s'étoit  mépris. 
Quoi  !  Je  mettrois,  dit-il,  un  tel  (4.)  chanteur  en  foupe  ! 
•Non ,  non ,  ne  plaife  aux  Dieux  que  jamais  ma  maii: 
coupe 

La  gorge  à  qui  s'en  fert  fi  bien* 

Ainfi  dans  les  dangers  qui  nous  fuivent  en  (5)  croupe, 
Le  doux  parler  ne  nuit  de  rien. 

(1)  Ou  l'on,  nourrit  la  volaille.  ! 

(  1  )  Fréquentant  le  plus  ordinairement  le  Jardin  »  conv 
ne  l'autre  la  Maifon. 

(3)  Leur  Heu  de  pîaifance.  ' 

i  4  )  Le  chant  mélodieux  dés  lignes  n'eft  fonde*  que  ftil 
une  Tradition  poétique,  dojot  4a  vérité  n'a  jamais  étt 
confirmée  par  l'événement.  ' 

(  5  )  C'eft-à-dirc ,  qui  nous  talonnent ,  qui  nous  fuivent 
de  fort  près. 

FABL? 


LIVREE      III.  n 


FABLE      XIII. 

.  .     \  .T      ."i       /. 

Les  Loups  &  les  Brebis. 

près  mille  ans  &  plus  de  guerre  déclarée , 
Les  Loups  firent  la  paix  avecque  les  Brebis. 
Cétoit  apparemment  le  bien  des  deux  partis: 
Car  fi  les  Loups  mangeoient  mainte  bête  égarée  > 
Les  Bergers, de  leur  peau,fe  faîfoient maints  habits*. 
jamais  de  liberté ,  ni  pour  les  pâturages , 

Ni  d'autre  part  pour  les  carnages. 
jlis  ne  pouvoient  jouir,  qu'en  tremblant ,  de  leurs  biens. 
La  paix  Te  conclut  donc  :  on  donne  des  otages  , 
Les  Loups r  leurs  Louveteaux,  &  les  Brebis ,  leurs 
I        Chiens.  f 

iL'échange ,  en  étant  fait  aux  formes  ordinaîfes  > 

Et  réglé  par  des  ÇommhTaires , 
An  bout  de  quelque  temps  que  Meffieurs(4)les  Louvats 
Se  virent  Loups  parfaits ,  &  friands  de  tuerie , 
Ils  vous  prennent  le  temps  que  dans  la  bergerie    " 

Meffieurs  les  Bergers  n'étoient  pas  ;    * 
Etranglent  la  moitié  des  Agneaux  les  plus  gras , 
Les  emportent  aux  dents ,  dans  les  bois  fe  retirent. 
Ils  avoient  averti  leurs  gens  fecréteme^nt. 
Les  Chiens  qui,  fur  leur  foi,  repofoient  fûrement, 

Furent  étranglés  en  dormant. 
Cela  fut  fi -tôt  fait  qu'à  peine  ils  le  fentirent. 
Tout  fut  mis  en  morceaux,  un  feul  n'en  échapa. 

'  Nous  pouvons  conclure  de  là , 

Qa'il  faut  faire  aux  méchans  guerre  continuelle. 

La  paix  eft  fort  bonne  de  foi , 
i  J'en  conviens:  mais  de  quoi -fat -elle 

Avec  des  ennemis  fans  foi  ? 

(0  Les  jeunes  Loups.  » 


7+         FABLES    CHOISIES 

FABLE      X  IV. 

Le  Lion  devenu  vieux.     » 


Le: 


Lion,  terreur  des  forêts, 
Chargé  d'ans,  &  pleurant  fon  antique  prouefie»; 
Fut  enfin  attaqué  par  fes  propres  fujets, 
Devenus  forts  par  fa  foiblefle. 
Le  Cheval  s'aprochant,  lui  donne  un  coup  de  pied, 
Le  Loup  un  coup  de  dent ,  le  Bœuf  un  coup  de  corne. 
Le  malheureux  Lion  languiiïant,  trille  &  inorne, 
Peut  à  peine  rugir ,  par  l'âge  eftropié. 
21  attend  fon  deftin  fans  faire  aucunes  plaintes; 
Quand  voyant  l'Ane  même  à  fon  antre  accourir, 
Ah!  c'eft  trop,  lui  dit -il,  je  voulois  bien  mourir; 
Mais  c'eft  mourir  deux  fois  que  foufFrir  tes  atteintes* 


F    A    B     LE      XV. 

Phitornék  &  Prognl 


An 


autrefois  (  i  )  Progné  l'Hirondelle 

De  fa  demeure  s'écarta; 

Et  loin  des  villes ,  s'emporta 
Dans  un  bois  où  chantoit  l^pauvre  (2)  Philoméle. 
Ma  fœur ,  lui  dit  Progné ,  comment  vous  portez-vous  ? 
Voici  tantôt  mille  ans  que  l'on  ne  vous  a  vue  : 

<  1  )  Fttîe  de  Pandion ,  femme  de  Térée^  changée  en 
Hirondelle. 

(1)  Sortir  <Te "Progné  :  qui  ayant  été  violée,  par  Térée, 
K$»i  4e  Thracc  ,  fuc  changée  sa  HoflignoU 


Je  ne  me  fouVicns  point  que  vous  foyez  venue 
Depuis  letems  de  Thrace  habiter  parmi  nous. 

Dites  -  moi ,  que  penfez  -  vous  iaîre  ? 
Ne  quitterez -vous  point  ce  féjour  fo!  fraire? 
Ah!  reprit  Philoméle,  en  èft-ii  de  plus  doux 9 
Progné  lui  repartit:  Et  quoi,  cette  mufique. 

Pour  ne  .chanter  qu'aux  animaux, 

Tout  au  plue  à  quelque  ruftiquet 
Xe  défert  eftjii  fait  pour  des  taleris  û  beaux  f - 
Venez  faire  aux  cités  éclater  leurs  merveilles, 

Auflî  bieta  en  voyant  les  bois , 
Sans  cefle  il  •  Vous  fouvient  que  Térée  autrefois. 

Parmi  des  demeures  pareilles,  ' 

Exerça  fa  fureur  fur  vos  divins  apas. 
Et  c'eft  le  fouvenir  d'un  fi  cruel  outrage , 
Qui  fait ,  reprit  fa  fœur ,  que  je  ne  vous  fuis  pas  : 

En  voyant  les  hommes ,  hélas  ! 

Il  m'en  fouvient  bien  davantage: 


F    A    B    LE      X  V  I. 

La  Femme  noyée, 

e  ne  fuis  pas  de  ceux  qui  dîfent  :  ce  n'eft  rien, 
*  '    C'eft  une  femme  qui  fe  noie.  ' 
Je  dis  que  c'eft  beaucoup;  &  ce  fexe  vaut  bien 
Que  nous  le-regrettions ,  puifqu'il  fait  notre  joie. 
Ce  que  j'avance  ici,  n'eft  pas  hors  de  propos  > 
Puifqu'il  s'agit  dans  cette  Fable, 
D'une  femme  qui  dans  les  flots  . 
Àvoit  fini  fes  Jours  par  un  fort  déplorables* 
Son  époux  en  cherchoit  le  corps/ 
.    Pour  lui  rendre  en  cette  avanture 
Les.  honneurs  de  la  fépulture. 
JU- arriva  que *w  les- ber<k 


7*5        F  A  B  L  E  S     C  H  O  I  S  I  E  S 

Du  fletive ,  auteur  de  fe  diigrace , 
Des  gens  fe  promenoient;  ignorant  V accident. 

<„  Ce  mari  donc  leur  ^eiaandant. 
S'ils  n'aboient  de  fa  femme  apprcuf  nulle  trace; 
Nulle,  reprit  l'un  d'eu*;  mais  cherchez-la  plus  bas 

Suivez  Je  §1  de  la  rivière. 
Un  autre  repartit?  non,  ne  Le.  fuivez  pas, 

Rebrouûez  plutôt  en  arriére. 
Quelle  <jue  foit  la  pente  &  i'inclinatïop         .    .■   I 

Dont  l'eau  prar  fa  courfe  l'empote, 

L'efprk  de1  contradi&ioa  •         * 
.;  ;  L'aura  fait  flotter  d'autre  forte.  ;  | 

Cet  homme  fe  railloit  affez  hors  de  faifon.  ! 

Quant  à  l'humeur  contredisante , 

Je  ne  fçai  s'il  avoit  raifon  : 

Mais  ^ue  cette  humeur  foit,  ou  non, 

Le  défaut  du  fexe  &  fa  pente; 

Quiconque  avec  elle  naîtra,  • 

Sans  faute  avec  elle  mourra, 
,  .  -        Et  jufqu'au  bout  contredira ,    . 

Et,"  s'il  peut,'  encor  par-delà. 


FABLE      XVII. 

'La  Befofte  entrée' dans  un  Grenier. 


Da 


Jamoifelle  Belette  au  corps  Lon&&  fluet,         i 
Entra  dans  un- grenier  par  un  trou  fort  étroit  :        | 
Elle  fortoirde  maladie. 
Là,  vivant  à  diferétion ,  v 

La  Galante  fit  chere  (  i  )  lie,       ; . 

.  f  O  Grande;  chixe.  Cbere  lie  qu'on  trouve  fouvent  da 
Rabelais  ,  figrftfïe  proprement  thére  joytuft.  J£e  mot  £ 
ti'tit  guère  plus  entendu  dans  <£e  fens-lâ,  quoique  //*, 
qui  «n  a  tti  formé,  &c  foi*  escere  ni  ba^arç ,  ni  cou 


LIVRE      III.  .77 

Mangea,  rongea:  Dieu  fçait  la  vie, 
Et  le  lard  qui  périt  en  cette  occafion* 

La  voilà,  pour  conclufion,  .1 

Grade ,  mafiue  &  rebondie. 
Au  bout  de  ia  femaine,  ayant  dtné  fon  fou, 
Elle  entend  quelque  bruit,  vxeut  fortir  par  le  trouj 
Ne  peut  plus  repafler,  &  croit  s'être  méprife. 

Après  avoir  fait  quelques  tours, 
C'eft,  dit-elle,  l'endroit,,  me  voilà  bien  furprifc: 
|'ai  pafTé  par  ici  depuis  cinq  09,  fix  jours,  4 

Un  Rat  qui  la  voyoit  en  peine. 
Lui  dit  :  Vou^aviez  lors  la  panfe  un  peu  moins  pleine. 
Vous  êtes  maigre  entrée ,  il  faut  maigre  forcir  : 
Ce  que  je  vous  dis  là ,  l'on  le  dit  bien  à  d'autres. 
Mais  ne  confondons  point,  par  trop  ap'profQndir , 

Leurs  affaires  avec  les  vôtres. 

t-fait  hors  d'ufage ,  témoin   Notre*  Dttme  de  Lîejfe  ^  &  ce 
Kn  de  La  Fontaine  qui'clt  entendu  de  tout  le  monde; 
w/***  nous  d'un  Tjratr  ttut  le  peuple  en  tieje- 

Fable  xi.  Liv.  6. 

■eggggssg   '■•'..  '  .  ==q 

FABLE      XVIII. 

Le  Chat  &  un  vieux  Rat. 

JJ  'ai  lu ,  chez  un  conteur  de  Fables  t 
(Ju'an  fécond  Rodiiard;  (1)  l'Alexandre  des  chats, 
U Attila,  (2)  le  ftéau  des  ruts, 
Rendoit  ces  derniers  miférabks. 
J'aî  lu ,  dis  -je ,  en  certain  auteur, 
Que  ce  chat  exterminateur , 

(t)  Le  plus  raillant  d'entr'eux. 

(2)  A%mU.  Roi  <ka  Gotiw,  qu'on  îtmataa  1*  &6*u  <** 
ieace  •  humain*. 


78  '       FABLES    CHOISIES 

Vrai.  (3)  Cerbère ,  étoft  craint  une  lieue  à  la  rond 
Il  vouloit  de  fouris  dépeupler  tou*  le  monde. 
Les  planches  qu'on  fufpend  fur  .un  léger  appui,  j 

La  mort  aux  rsts ,  les  fQuxiciéies , 
,  '  N'étoient  que  jeux  au  prix  die  lut. 

Comme  il  voit  que  dans  leurs  tanières 

Les  fouris  étoient  prifonniéres , 
Qu'elles  n'ofoient  fortir,  qu'il  avoit  beau  chercha 
'£e  gîilant  fiait  le  mort,  &  d^aut  d'un  plancher 
Se  pend  la  tête  en  bas.    La  bête  fçélérate 
A  de  certains*  cordons  fe  tenoit  par  la  patte. 
•Le  peuple  des  fouris  croit  que  c'eft  châtiment  % 
Qu'il  a  fait  un  larcin  de  rôt  ou  de  fromage, 
Egratigné  quelqu'un ,  caufé  quelque  dommage  ; 
Enfin,  qu'on  a  pendu  le  mauvais  garnement; 

Toutes,  dis -je,  unaniméme&c 
Se  .promettent  de  rire  i  fon  enterrement, 
JVletteBt  le  nez  à  l'air,  montrent  un  peu  la  têtèt  , 

Puis  rentrent  dans  leurs  nicfe.à  rais  ; 

Puis,  reffortant,  font  quatre  pas, 

Puis  enfin  fe  mettent  en  quête* 

Mais  voici  bien  une  autre  fête.  j 

Le  pendu  reflufcite;  &  fur  fes  pieds  tombant» 

Attrape  les  plu$  pareffcufes» 
Nous  en  fçavons  plus  d'un,  dît -il,  en  les  gobanj 
Cefkour,  (4)  de  vieille  guerre;  &  vos  cavernes  creufl 
Ne  vous  Jauveront  pas ,  je  vous  en  avertis  ; 

Vous  viendrez  toutes  au  logtç; 
Il  prophétifoit  vrai.    Notre  maître  Mitis ,  1 

four  la  féconde  fois,  les  trompe  &  les  affine >     j 

Blanchit  fa  robe  &  s'enfarine  ; 

Et,  de  la  forte  déguifé, 
Se  niche  &  fe  blotit  dans  une  huche  ouverte. 

Ce  fut  à  lui  bien  avifé, 
La  gent  trote  -.menu  s'en  vieht  chercher  (à  perte  : 

M$>  Êhlén-i  wofe  tétt*.  qui  garde  Ucntrfe  des  Enfci 
(4)  Ku(c  connue  des  vieux  foldau.         ••    ,  • 


LIVRE      III. 


V 


Un  rat,  fans  plus,  s'abftient 'd'aï  1er  flairer  autour. 
Cétoitim  vi'etHC  routier,  il  fçavoit  plus  d'un  tour; 
;  Même  il  avoit  perdu  fa  queue  à  la  bataille. 
Ce  bloc  enfariné  ne.  me  dit  rien  qui  vaille, 
Sécriart-il  de  loin.au  Général  des  chats. 
Je  foupçonne  deflbus  encor  quelque  machine. 

Rien  île  te  fert  d'être  farine  ; 
Car  quand  tu  ferois  fac ,  je  n'aprocheroïs  pas» 
I  C'étoit  bien  dit  à  lui;  j'aprouve  fa  pjudçnce : 
I  II  ëtoit  expérîtneiité^i       *         \    -    '. 

Et  fçavoit  que  la  méfiance 
,  Eft'merc  de-la  fûxeté.   -    -        -. 


'FrtJutrùjfiime  Lim>' 


»-**. 


D* 


*o 


1  W4>WH^  W 


LIVRE      Q'VA  T  R  I  £'  M  È.\ 

FABLE    PREMiERE. 
Le  Lion  amoureux. 

A  Mademoifelle  de  Sévigné. 


_ltp:viGNE  (  i  )  de  quttes  attjpkft 
Servent  aux  gface&'de  modèle, 
Et  qui  naquîtes  jt.oûte  bejje,  ^ 
A  votre  indifférence  prés  : 
Pourriez  -vous  être  -favorable 
Aux  jeux  îhnoçens  .d'une  Fable  % 
Et  voir ,  fans  vpjjs  épouvanter , 
Un  Lion  qu'amour  fçut  dompter  t 
"  Amour  eft  un  étrange  maître. 
_  Heureux  qui  peut  ne  te  connoftre 
'  Que  par  récit,  lui  ni  fès  coups! 
Quand  on  en  parle  devant  vpus , 
Si  la  vérité  vous  offenfè, 

(i)  Fille  d'efprU  ,xjui  fot  marine  au  Comte  de  G  lignas  j 
&  dont  la  mère  eit  iraœortalifée  par  le  génie ,  U  vfvacr 
té,  la  politefle  &  le  bon -feus  qui  remuent  dans  fetLctticj 
tapriatfc*  après  (a  nwrt*    - 


L   jt    V    X    E     IV., 

la  FaWe  au  ipoms  fe- petit  IbuffriÇr 
Celle-ci  prend  bien  l'aflurance- 
De  venir  îLvos  pieds  s'offrir , 
Par  zèle  &  par  reconnoifiâncc* 

Du  tems  que  les  Bêtes  parfoienr, 
Les  Lions-  entre  autres:  vouloient 
Etre  admis  dans  notre  alliance. 
Pourquoi  non  ?  puifque  leur  engeance 
Valoît  la  nôtre  en  ce  tems-là» 
Ayant  courage ,  intelligence,. 
Et  belle  hure ,  outre. cela  : . 
Voici  comment  il  en  alla. 

Un  Lion  de  haut  parentage, 

En  paffant  par  un  certain  pré. 

Rencontra  Bergere.il  fon  gré* 

11  la  demande  en  mariage. 

Le  père  auroit  fort  fpuhaité 

Quelque  gendre  un  peu  moins  terrible? 

La  donner  lui  fembloit  bien: .dur; 

La  refufer  n'étoit  pas  fur  : 

Même  un  refus  eût  fait  poffible,      / 

§u'on  eût  vu  quelque  beau  mati» 
h  mariage  ($)  clandeftin.  .  : 

Car  outre  qu'en  toute  manière 
La  Belle  étoit  pour  fcs  gens  fiers , 
Fille  fè  coêffe  volontiers 
D'amoureux  à  longue  crinière. 
•  Le  Père  donc  ouvertement 
N'ofarjt  renvoypr  notre  amant  r 
Lui  dit  :  ma  -fille  eft  délicate  : 
Vos  griffes  la  pourront  blefler 
Quand  vous  voudrez  la  careflfeiv-       » 
Permettez  donc  qu'à  chaque  patt*   . 

U)  Suret  Jt  €tçfe£     . 

Us       v       ' 


&  F  À  B  L  Ë~S  TC  ïfOl  Sï  E  S 

On  vous*  les  rogne;  &  pour  fei  dents  r 
Qu'on  vous .  les  lime  en  même  -  temsz 
Vos  baifers  en  feront  moins  rudes  , 
.  Et  pour  vous  plus  délicieux  ; 
Car  ma  fille  y  répondra  mieux 
Etant  fans  çe$  inquiétudes.   . 
Le  Lion  confent  à  qe£ar 
Tant  fou  ame  étoit  aveuglée.  .         \ 
c    Sa|is .dents  ni  griffes,  ievoitt 
Coipme  .place  démantelée,.      („     / 
On  lâcha  fur  lui  quelques  chiens  ^ 
Il  fit  fort  peu  jde  téijftance,  . 

Amour ,  amour ,  quand  tu  nous  tiens  r 
On  peut  bien  dire  : .  adieu  pxudçoœ  ? 


Di 


FABLE      I  I; 
Le  Berger  &  (a  Mer. 


^iraportd'nn  troupeau  jdont  il  vivoit  fans  foins  j 

Se 'contenta  long-tems  un  voi*in_  (  i  )  d'Àjnphitrite 
Si  fa  fortune  étoit  petite, 

.  Elle  étoit  fére  tout  au  moins,    i 
A  la  fin,  les  tréfors  déchargés  Un  la  (2)  plage 
Le  tentèrent,  fï  bien ,  qu'il  vendit  fon  troupeau  m 
Jrafiqua  de  J'argent,  le  mfc  entier  fur  l'eau. 

-Cet  argent  périt  par  naufrage.    • 
Son  maître  fut  réduit  à  garder,  les  brebis* 
Kon  plus  berger  en  chef,  comme  il  étoif  Jadis  , 
Quand  fes  propres  niactons  paiffoieiit  fur  le  rivage 

/ 1  )  La  "  Mer ,"  aiufi  apelée  du  nom   dé   la  femme  d 
Hcptune. 

(1)  Sur  le  bto*  4c  la  M«rt    "* "  "    *     - 


.  li    1   V    K   S     Ï.T.     y        O 

Celui  qui  s*é8&  vft  (  a)  Coridon  ou  Tirfis  t 
Fut  '  (  4  )  Pierrot  &  rien  davantage- 
Au  bout  de  quelque  temps  y  fîtquelques  juofits  ; 

Racheta  des  bêtes  à  laine  ; 
Et  comme  un  jour  (5)  le*  vente  retenant  feur  haleine* 
Laiflbient  Çaiïîbtement  aborder  les  vaifieap. 
Vous  voulez  de  l'argent,  A  mefdames  les  eaux*  *  * 
Dit-il  ;'acire&ôz-vous ,  je  vous  prie,  à  quelque  fti&t; 
Ma  foi ,  vous  n'aurez  pas  le  nôtre* 

Ceci  n'eft  pas  un  conte  â  plaifir  inventé* 
Je  me  fers  de  la  vérité, 
Four  montrer  par  çxpérience,        N    ' 

Su'un  fou ,  quand  il  eft  aflujé, 
aut  raieu*  que  cinq  en  efpérancc  ; 
Qu'il  faut  fe  contenter  de  ft  condition, 
Qu'aux  confeils  de  la  mer  &  de  ^ambition, 
•  Nous  devons  ferme*  les  oreilles. 
Pou*  un  qui  s'en  louera ,  dix  mille  s'en  pfcrindtfan& 

La  mer  promet  monts  &  merveilles  : 
Rez-vous-y ,  les  vents  &  les  voleurs  viendront» 

;    (3)  Maîtres  de  leurs  troupeaux. 
(4)  Berger  à  gages,  fous  'un  maître.    ' 
(0  UurtUy  parlant  des  premiers  habitai*  de  le  Terre-*. 
nt  que  coréens  4c  fe  qo/iprir  des  ff\ùt$  de  U  Tcric,  il» 

»c  iQogeojent  point  à  s'enrichir  par  des  voyages  fur  1» 
M« traits  voy oient  tantôt  agitée  par  de  violentes  ttn*> 
petes,  &  tantôt  dans  une  traiiquilité  ^charmante.  Ce  cal- 
me, H  fui  et  à  changer»  ne  le*  tenta  jamais  de  fc  fier  àV 
'«  fi  belles  apareneca. .     «   . 

Nu  pêtêrdt  qmmquêm  plâcidi  ftflUtW  ïonti 
SubdêU  ptiiùtn  in  fr**4t/*  rid*ntibus  a^hîs, 

,  Lueret.  Lib.  v>/ 

Ces  images  fi  gracieuTcs  &  fi  vives  n^aur^ientf  pas  convo 
Bu  *u  ton  que  La  Fontoint  eft  obttfci  de  prendre  dan* 
cette  Fable;  &  je  n'oferois  due  que  La  Fenùine  le*  ai^ 
•«*  (Une  l'efprit  e»  la  eompofant.  •   • 


p* 


U        TAIttES    CHOISIES 

F    A    B    L    E      II  I. 

La  Mouche  &ta  Fourmi. 


la, 


i  Mouche  &  la  Fourmt  centcftoient  dcfeur  pria. 
..  O  Jupiter,,  dit  la  premier,     ; 
Faut -il  que  l'amour  propre  aveugle  les  efpxit» 

D'une  fi  terrible  manière*,,         ' 

Qu'un /vil  &  rampant  animal, 
(  i  >  A  la  fille  de  l'air  ofe  fe  dire  égdt 
Je  hante  les  palais  y  je  m'affieds  à  ta  table  : 
Si  Ton  tfiminoîe  un  Bœuf ,  j'en  goûte  devant  toi;  j 
Pendant  que, celle -ci,  chétive  &  mifér«îble,: 
Vit  trois  jours  d'un  fétu  qu'elle  a  traîné  chez  foi,. 

.  Mais  t .  ma  mignonne ,  dites  -  moi , 
Vous  campez -vous  jamais  fur  la  tête  d'un  Roi> 

D'un  Empereur  r  ou  d'une  belfe  ? 
Je -le  fais;.  &  je  baife  un  hèau  fein  quand  je  veux  r 

Je  me  joue  entre  des  cheveux  : 
Je  rehauffe  d'un  teint  la  blancheur,  naturelle  * 
Et  la  dernieie  main  que  met  à  fa,  beauté  . 

Une  femme  allant  en, tonquête, - 
C'effun  ajuilement  des  mcoiches  emprunté* 

,        .  ■  Puis ,  allez  -  moi  rompre  la  tête , 
*      _  ••    Dfr  vos  grenie».    Avez -vous  dit? 

Lui  répliqua  la  ménagëre. 
Vous  hantez  les  palais.;  mais  on  vous  y  maudit* 

Et  quant  ajouter  la  première 

Dé* ce  qu'on  fert  devant  les  Dieux, 
*    Groyez- vous:  qu'il  en  vaille  mieux? 
Si  vous  entrez  par  -  tout,  -auffi  font»  les  profanes* 
Sur  îa  tête  dç^  Rois  #  fur  ,cclie  des'  Anes. 

~t  i  )  Kfa dàm«  D«rVr  Étoit  charmée  dé  ce  trait  peëttyi&r 
comme  je  U  lui  ai  oui  tUie  à  elle-même,. 


;       h    l   y%    &      IV;  -  ;fj 

.Vûw^Œbz  vouçjpiootçr  :  je  n'en  difcpjwfcîfêj?»,^ 
"         7 "Et  jê'fÇâr  queiïun  prompt  trépasv-  -  •  ^ 
Cette  impartialité  biçn  fouvent  eft  punie, 
Certain  ajuiiemeht,  dites -vous*,  rend  jolie: 
J'en  conviens  »  il  eft  noir  ainfi  que  vous  &  moi. 
Je  veux  qu'ii'ait  nom  Mouche;  eft-cé  un  fldjet  pourquoi 

Vous  faflïez  fonner  vos  mérites  ? 
Nomme  - 1  -  pn  pas  aufli  mouches ,  >  les  parafîtes  ? 
Celiez  donc  de  tenir  un  tangage  fi  vain  ; 
N'ayez  plus  ces  hautes  penfées.  ' 
Les  (2.)  -mouchés  de  cour  font  thaflTée*: 
Les  (3)  mouchars  font  pendus;&  vous  mourrez  de  faim, 

De  froid ,  de  langueur ,  de  mifére , 
Quand  (4)  Phœbus  régnera  fur  un  autre  hémifphére* 
•  Alors  js  jouirai  du  fruit  de  mes  travaux.  { 

Jern'iiai  par  monts,  ni  par  (5)  vaux     > 
M'expofer  au  vent,,  à  la  pluie: 
Je  vivrai  fans  mélancolie  :  > 

Le  foin  que  j'aurai  pris  ,  de  foins  m'exemptera*  ; 

Je  vous  enfeignerai  par  -  là 
Ce  que  c'eft  qu'une  faufile  qu  véritable  gloire.  v 
Adieu:  je  perds  letems;  laiffez-moi  travailler  . 
Ni  mon  grenier»  nirmort  aratoire    ,     1 

.  .    Ne.  fç  remplit  à  tebUlçt*  / 
>     ■ 

(0  Les' importuns. 

(3)  Les  efoionsr  ; 

(4)  Le  Saleih  quand  Miyver.  fer»>emr.  . 

($)  Au-lieu  de   vaux  >  vieux  mot,  on   dit,  aujeard'Eul 
têtfeti.    Par  monts  &  par  vaux  eft' pourtant  une  expreflioa 
oui  peut   encore  être  adroite  avee*gfa<*  -dans»  ufr  ftyle 
hmofe  &  familier,  comme  celui  dont  La  Fcntai**  a  trou-    / 
«  oon  de  U  fenrit  d«is  U  plupart  dp  fc*  Fables, 


D; 


;|tf         F  A'BL  E'S    £  HO  ï  S  I  E S 

fr  A    B    LE     ïV. 

Le  Jardinier  &f<m  Seigneur. 


tJ. 


'  n  amateur  du  Jardinage ,      :    , 
Demi  -  bourgeois ,  demi  *  manant*  •  - 
■PoJTédoit  y.  en  certain  vidage , 
Wn  jardin  aflez  propre,  &  le  clos  (1)  attenante 
11  avoit  de  plant  vif  fermé  cette  étendue  i     , 
Là  croiflbit  à  plaifîr  rofeiile  &  la  laitue; 
De  quoi  faire  à  Margot  pour  fa  fête  un  bouquet; 
£cu  de  jafrain  d'Efpagne ,  &  force  ferpotet* 
Cette  félicité,  par  un  Lièvre  troublée-,  ,. 
Fit  qu'au  Seigneur  du  bouig  notre  bomme  fe  plaignit. 
Ce  maudit  animai  vient  prendre  fa  goulée 
Soit  &  matin,  dit- H;  &  des  pièges  fe  ri£: 
Les  pierres ,  les  bâtons  y  perdent  leur  crédit  : 
11  eft  forcier,  je  cjois.    Sorcier?  Je  l'en  défie, 
Répartit  le  Seigneur.   Fut -il  diable»  (2*)  IMiiaut^ 
En  dépit-  «te  4fe»  tours ,  Tatttapera  bientôt.  ' 
Je  vous  en  déferai,  bon  honjpie,  fur- ma  vie. 
Et  quand  ?^&  dès  demain,  fans  tarder  plus  lQng-tejnpa. 
La  partie  ainfî  faite,  il  vient  avec.fes  gçns»  ; 

,  Ç'à  déjeunons-y  dit-il  :  vos  poulets  font-ils  tendres? 
La  fiife'du  logis,  qu'orî  vous?  voie,  approchez.. 

.Quand  la  marierons -nous?  Quand  aiuroos-nous  des 

*  %      gendres? 

Bon  htoiime,  c'eft  ce  coup  -qu'ir  ftrat,  vouym'éntemtefc, 
Qu'il  faut  fouiller  à.  (  3  )  Tefcarcelle». 

tt)  Tout  proche.  .*'•'*' 

(2)  Mon  d'un  Chien  <Je  e^fle*. 

(  3  L  Vieux  mof. ,  four  dire  une  grande  bourfe.  v4if«»« 
Frère  Jean,  defand  en  t<tre9  dit  Rabelais,  mit  /«  *•<•/*»  à 
/on  efcArttitt,  en  tit*  *in&  êjcju  àU  $ii$ii.  JPaaUfcrucl, 
J.ÎY.  IV.  Cfe.  i& 

ta 


L    I    V    K    S     1T.  # 

Difant  ces  mots ,  il  fait  connofflànce  avec  clic, 

Auprès  de  ki  Fa  fait  affeoir, 
Prend  une  main ,  un  bras ,  levé  un  coin  du  mouchoi*  t 
•  Toutes  fottifes  dont  la  belle 
Se  défend  avec  grand  refpeéfc  ; 
Tant  qu'au  père  à  la  fin*  cela  devient  fufî>e&r 
Cependant  on^fricaffe ,  on  fe  ,rue  en  cuifine. 
i  De  quand  font  vos  jambons  ?  ils*  ont*  fort  bonne  mine». 
I  Monfieur,ilsfontàvous.  Vraiment,  dit  le  Seigneur  r 

'    -Je  les-" reçois  ^  &4deH>otf  cceurA 
I  11  déjeune  très  -bien ,  auffi  fait  fa  fàmUie, 
'  Chiens,  chevaux  &  valets  ,tou*gens  bien  endentésr 
Il  commande  chez  l'hôte,  y  prend  des  libertés,. 

'  Boit  Ton  vin ,  cârefle  fà  fille. 
L'embarras  des  chaffeurs  fuccede  au  déjeûné. 

Chacun  s'anime  &  fe  prépare  :        •  . ,  -, 
Les  trompes  &  les  cors  font  un  tel  tintamarre  „  .  ! 

Que  le  bon  homme  eft  étonné. 
Le  pis  fut  flue  Vonplt  en  pitieux  équipage 
Le  pauvrfe  potager  :  adieu  planches,  quarreaux  t 
Adieu  chfcorée  &  pôreaux  : 
*     Adieu  de  quoi  mettre  au  potage. 
,  Leîiévte  étqtf  gîté  ctefîbus  un  maître  chou. 
i  On  le  quête,  on  le  lance;  il  S'enfuit  par  un  trou,, 
I  Non  pas  trou,  mais  trouée,  horrible  cl  large  plai« 
"Que  _Pon  fit  à  là  pauvre  haie  l.) 
Par  ordre  du  Seighéuf  :  car  il  eût  été  mal 
i  Qu'on  n'eût  pu  du  Jardin  fortir  tout  à  cheval. 
I  Le  bon  homme:  dîfoït  i  ce  tbnt-lî  jeux  (4)  de  Pjincc* 
Mais  on  le  hiffbk  dire  ;  &  les  chiens  &  tles  gen* 
ïâent  plus  de  dégât  en  une  heure  dé  temps , 
Qfiie  n'eh  aUroîent  fait  en  cent  an* 
1  '  Tous  les  lièvres  de  la  Province. 

1   0  \\\  -Qui  ac  pUifent ,  iit  If  jWwrfr  f  qpl  Ycujp  <juî  ïq> 

•tut.        •  •    ■   *    w         *-•*.<*      %-.•"'*     *      "  '    * 


i 


tZ         PflLIJ    CHOISIES 

Petto  Erïnces,  vuidez  vos  débats  entre  vous,:. 
De 'recourir  aux  Rois,  vous  feriez  de  grands  four» 
Il  ne  les  faut  jamais  engager  dans  vos  guerre,. 
Ni  les  faire  entrer  fur  vos  terres. 


F  A.  B  l   e     v. 

UArie  &  tenait  Chien. 


N* 


I  e  forçons  point  notre  tarent  r 

Nous  ne  ferions  rien  avec  grâce. 

Jamais  un  lourdaud '  y  quoi  qu'il  fafle* 

Ne  (çauroït  pafler  pour  galant- 
Feu  de  gens  le  ciel  chérit  &  gratige  , 
Ontîe  don  d'agréer  infus  avec  la  vie. 

C'eft  un  point  qu'il  leur  faut  Iaifîèr; 
Et.  ne  pas  reflembler  à  l'Ane  de  la  Fable ,, 

Qui  pour  fe  rendre  plus  aimable 
Et  plus  cher  à  fon  Maître,  alla  le  careiîer.  * 

Comment,  difoït-il  en  fon  ame, 

Ce  Chien,  parce  qu'il  éft  mignon,, 

Vivra  de  pair  à  compagnon 
"     *         Avec  Moniïeur,  avec  Macfemer     * 

Et  j'aurai  dès  coupç  de  bâton? 
"\    .      Que  fait -il?  \\  donne  la  patte.^ 

Puis  auflî  rXÔt  il",  çff  baifé  : 
S'il  en  faut  faire  autaqt,  ajh  que  Ton  me  flatte > 

Cela  n'ell  pas  bien  mal  -aifé. 
*     Dans  cette  admirable  penfée,  *  * 

Voyantfbn  Maître  en  joie,  il  s'en  vient  lpurdement, 

.  LeVe  Une  coïne  toute  iifée,  '  * 
Lg  Jui  porte  au  menton^fc^rt.amoureufement 
^oïlïans  accom|fagn'er, pour  plus  grand  ornement) 


L    I  'V   R    E  •   ï  y.  <*» 

De  fon  chant  gracieux  cette  à&iôn  hardie. 
Oh,  oh!  quelle  careffe,  &  quelle  mélodie! 
Dit  le  Maître  auffi-tot.  Holà,  (ï)  Maitin-bâtoru 
Martin -'bâton  accourt;  l'Ane  ctengede  ton. 
Ainfî  finitla  Comédien    :  '•  / 

(ï  )  Un  valet  .a^mé  d*un  grôi  bâte».  Ici  Métrtin-hitem 
i;e  peut  tucrc.  lignifier  autre  chofe  :  mais.fi  je  ne  me 
trompe,  il  doit  Te  prendre  pour  le  bâton  même  dans,  cet 
tndroit  de  Ha  bel  aïs ,  ©ù  il  tait  dke,  à  Panutge  »  j»  t>*:tray 
m*  femme  en  Titrt  fi  elle  me  fâcbt.  Mdrtim-baJii»*  ajoute* 
t  .il ,  en  fer*  l'epci.  En  fente  de  hàfiên  %lt  DUiile  mt  Nt«»fgf  ,  * 
/je  ne  U  ménleeis  tant*  vive  K  &ck  Pantatniel»  Liv.  UU 


F   A    B    L    E      VI. 

Le  combat  des  Rats  &  des  Bekttet* 

JL^/a  nation  des .  Ôelcttes , 

Non  plus  que  cetle  des  Chats, 
%Ne  veut  aucun  bien  aux  Rats  ; 

Etfens  les  portes  étroites 

De*  leurs  habitations , 

L'animal  à  longue  échine 

E^feroLt,  je  m'imagine, 

De  grandes  deftruétions. 

Or  une  certaine  année 

Qiïil  en  étoit  à  foifon; 

jucur  roi ,  nommé  Ratapon  r 

Mit  en  campagne*  une  armée. 
.     Les  Belettes ,  de  teur  part» 
.Déployèrent  l'étendard. 
-Si l?qa£Xoft  la  renommée, 

La  victoire  bakttfa*-  '  -    l  ■ 


fo         FABLES    €H;0}SiES 

Plus  d'un  guéret-s'engraiffii    ,,.  | 

Du  fang  de  plus  d'une  ljandê.: 
Mais  la  perte  la  plqç  grande.  "    V  | 

...  Tpinba  prefique  en  tous.  endroItsrjL . 
Sur  le  peuple  Soprigypfs. .   .  \ 
Sa  déroute  fut  entière.: 
*  'Quoique  pût  faire  (  i  )  Artârpax, 
(ï)  Pficarpax,  îjïertdaïpax^    !-%  - 
v  Qui,  tout  «ouverts  de  pouffiére,  ' 

Soutinrent  affez  long* tems  " 

!  .  .    4  ,J*es  effort?  ^es  combâttans.. 

Leur  réfiftance  fut  vaine:  '  \ 

11  falut  céder  au  fort  : 

f  ^    •    -  Cha^n- s4aafui^au*plu*  fait»,,..,.,  ... 
Tant  foldats",  que  capitaine» 
J^es  -Prince  pérjrenç.  tous.. 
•La tacaUrérdans-des  trous*»       *  | 

\    .  ^Trouvant -fa  retçaite  prête  ^  _ 

'SefWa  fi^s-grandtrava&v  '— •»;    '■•u. 
Mais Jes  Seigneurs  fur  leur  tête;   ' 
Ayant  chaçurç.  uu  plumail ,     f  • 
Des  cornes  ou  des' aigrette»,  '• 
Sôit  comme  marques  d'honneur , 
Soit  afin  que  les  Belettes- 
En  conçurent  plus  de  peur, 
Cela  caufa.  leur  malheur,. 
Trou/ni  fente,  ni  crevaflfc 
Ne  fut  large  aflez  pour  eux  r 
Au  -  lieu  que  la  populace 
Entroit  dans  les  moindres  creiric 
La  principale  jonchée  i 

Fut4  donc  des  principaux  Ratfc  y 

(O  Koas  de  *Rat& ,,  plaifamment  inventés  J>ar  Homère 
dans  fa  Batm  bomyomAchtc\  de  quôt  tomberont  d'accord 
tous  ceux  oui  entendent  afle&  .de  Grec  pour  découvrit  la. 
Traie  figniftcatioa  de  ce;  nttos-jà. 


L    I    V    R    B      I V..    .  p<£ 

Une  tête  empanachée  J 

N'eft  pas  petit  embarras» 

Le  trop  fuperb*  équipage  | 

Peut  fôuvent  en  un  paflfagc   ,    , 

Caufer  du  retardement 

Les  petits  en  toute  affaire        l 

Efquivent  fort  aifément: 

Les  grandi  ne  le  peuvent  faire., 


S» 


FA    BLÉ      VII. 

Ia Singe  &U  Dauphin, 
r  ■   -  .[ 

\^/  ;étoit  chez^  les .  Grecs  un,  ufagq^ 
Que  fur  laûier  tous  voyageur* ."  ' 
'  Menoient  avec  eux  feîi  voyage     '  ' 
Singes  &,  chiens  de  bateleurs. 
Un  navire  en  cet  équipage  ;         f  '  - 
Kon  loin  cTAthèiiés  fît  naufrage.  " 
Sans  les  Dauphins  tout  eût  péri»  < 

Cet  animal  ^eft  fort  amf 
De  notre  éfpece  :  en  fon  hiftoïrci 
Pline  le  dît ,  a  lé  faut  croire. 
Il  fauva  donc  tout  ce  qu'il  put* 
Même  un  Singe  en  cette  occurrence* 
Profitait  de  la  rcfïfcmbiance , 
Lui  penfa  devoir  fon  faiut.    .  - 
Un  Dauphin  le  prltv  pour  un  homme, 
Et  fur  fon  dos  le  fit  afleoir 
Si  gravement,  qu'on  eût  cru  voir 
Ge  Ci  )  chanteur  que  tant  on  renomme. 
Le  Dauphin  Palidit'çiettre  à  bord , 

(  »  )  C'cft  Arion ,  fauve  d'un  naufrage  par  un  Dauphin» 
$u  ee  Fais  mcrvtillcu* ,  \oyQt  tiér 9 dot*  >hïv.  a. 


/ 


il  FAftLES    CHOÎSIES 

Quand,  par  hâzàrd  it  lui  demande: 
Etes -vous  d'Athènes  la  grande? 

Oui ,  dit  l'autre  ,f  ôti  m'y  connbtt  fort  j  j 

S'il  Vous  y  furvient  quelque  affaire ,  | 

Employez' -moi:  car  mes  parens'  | 

Y  tiennent  tous  les  premiers  rangs  :  ! 

Un.  mieri  c'ôùfîrt  eft  Juge  -  Maire.  I 

Le  Dauphin  dit  bien  grand  merci;  [ 

Et  le  (  2  )  Pirée  a  part  auffi  | 
-  -  — "  A  4'riônneur  de' votre  pfèBBWT  --  - ^  *  i   ; 

Vous  le  voyez  Couvent,  je  penfe?  | 
•Tous  lu  jotuW:  iivêft  mon  aôii,  '•* 
Ceft.  une  vieille  connoiflàrice%.  * 
Notre  Magot- prit  pour  ce -cèu£ 
Le  nom  d'un  port  pour  un  nqnx  d'homme; 

*De  telles  gens  il  eft  beaucoup  > 
Qui  prendroient  (3)  Vaugirard  pour  (4) 
Rome  ;  '    ■    '     • 
Et  qui ,  *  caquetans  au  plus  dru ,      ! 
Parjçntf  de  tout  ,  &  n^ont  nW  yû*' 

Lé  Dauphin  rit,,  tourne  ,1a  tête;  ",  I 

Et  le  Magot  confîderé , 
H  s'aperçoit  qu'il  n'a  tiré 
Du  fond  des  eaux  ri,eri  qu'une  bêtè. 
,,11  .l'y  replcmge  >  &  va  trouver   ' 
*  "  Quelque  homme  afin  de  le  fauver* 

(  2  )  Fameux  Port  <!» Athènes,   . 
(  3  )  Village  prc$  de  Paris.       . 

(4)*La   Capitale   de   l'Etat   Eccîéfiaftique  ,  '&  U  pto* 
grande  Ville 'ÏHtaKc.  *     T  F 


L     I    V    R,  E    -IV.     •-         9$ 

F  A!  B    L    E   -VlIL 

L'Homme,  &  l'Idole  de  boit. 

ertairt  Payen  chez  lui  gardoit  un  titieu  de  bois  f 
De  ces  Dieux  qui  font  fpurds,biqn  qu'ayant  des  oreilles. 
Le  Payen  cependant  «'en  pronjettoit  fnerveiiles. 

11  luiycoûtoit  autant  que  trois.  . 

Ce  n'étoit  que  vœux  &  qu'offrandes, 
Sacrifices  de  boeufs  cçuronnés  de  guirlandes. 
.   Jamais  Idole,  quel  qu'il  fût, 

N'ayoit  eu  cuifine  fi  grafle, 
Sans  que  pour  tout  ce  culte  à  fon.  hôte  il  échût 
Succeflion,  tréfor,  gain  au  jeu,  nulle  grâce. 
Bien  plus,  fi  pour  un  foi  d'orage  en  quelque  endroit 

S'amaflbit  d'une  ou  d'autre  forte , 
L'homme  en  avoit  fa. part, &  fa  bourfe  en  fouffroit. 
La  pitance  dur  Dieu  n'en  étoit  pas  moins  forte. 
A  k  fin  fe  fâchant  de  n'en  obtenir  rien , 
11  vous  prend  un  levier ,  met  en  pièce  l'Idole , 
Le  trouve  rempli  d'or.     Quand  je  t'ai  fait  eu  bien , 
M'as-tu  valu,  dit- il,  feulement  une  obole? 
Va,  fors  de  mon  logis ,  cherche  d'autres  autels.    '" 

Tu  reflembles  aux  naturels 

Maiheureufc ,  groflîérs  &  'ftupides  : 
On  ntn  peut  rien  tirer  qu'avecque  le  bâton. 
fius  je  te  rèmpiiflbis ,  plus  mes.  maîns  étoient  viiides  : 

J'ai  bien  fait  de  changer  de  ton. 


^ 


i 


$4         FAB  LES    CHOISIES 

mBmaemBBammmmmaÊmmaamÊÊÊÊÊmamm 

.J?:  À    B    L    E'      IX.; 
JLt  Geai  far'é  des  plumes  du  Paon. 


U. 


'  n  Pacm  muoït:  im  Geai  prit  fon  plumage;  ' 

Puis  après  Te  l'accommoda  :  •' J      "^     I 

Puis,  parmi  dWres  Paons,  tout  fier  fe  parada,       j 

Croyant  être  un  beau  perfonnage.  ! 

Quelqu'un  le  reconnut  :  il  Te  vit  bafoué , 

Berné,  fîfflé,  moqué,  joué; 
Et ,  par  Meflïeurs  les  Paons ,  plumé  d'étrange  forte  : 
Même  vers  fes  pareils  s'étant  réfugié  , 

il  fut  par  eux  mis  à  la  porte. 


Il  efl  allez  de  Geais  à  deux  prcds  comme  lui , 
.  Qui  fe  parent  fouvent  des  dépouilles  d'autrui , 

Et  que  Ton  nomme  (i)  Plagiaires. 
Je  m'en  tais,  &  ne  veuxjeur  caufer  nul  ennui: 

Cène  font  pas  îà  mes  affaires. 

<  i  )  Auteurs  qur'pillent  le*  Ouvrages  des  autres. 

t 


tf   A    B    L    E      X. 

Ze  ■  Chameau  &  tes  bâtons  flottons» 


i 


L. 


fe  premier  qui  vit  un   (  i  )  Chameau, 
S'enfuit  à  cet  objet  nouveau. 
Le  fécond  approcha ,  le  troWîéme  ofa  faire 
Un  licou  pour  Je  (2)  Dromadaire. 

(1  )  Animal  propre  à  porter  de  fitos  fardeaux.     - 

'*>  )  Autre  nom  de  Chameau.     C'eft  proprement   «ne 


L    I    V    X    E ;     I  V.  9S 

.'accoottiffifflice  atofinons  fend  tôt*  fâtoUtef,' 
fc  qui  nous  paroiflbît  terrible  &  fîflguHer  ; 

S'aprivoife  avec  notre  vue , 

Quand  ce  vient  à  la  continue, 
fc,  paifque  nous  voici  tombé  fur  ce  fujet, 

On  avoit  mis  des  gens  au  guet* 
M  voyant  fur  les  eaux  de  loin  certain  objet, 

Ne  purent  s'empêcher  de  dire, 

Que  c'étoit  un  puiflant  navire. 
[uelques  momens  après,  l'objet  devint  brûlot, 

Et  puis  nacelle ,  &  puis  baiot , 

Enfin  bâtons  flottans1  fur  l'onde. 

J'en  fçais  beaucqup  de  par  le  inonde, 
A  qui  £eci  conviendroit  bien  : 
Jeknn  c'eft  quelque  chofe,&  de  prèscen'eft  rien, 

jpcce  de  Chameaux  qui  vont  d'un  pas  plus  léger  »  &Tpluf 
«c  que  les  autres. 


T. 


FABLE      XI. 

•  La  Grenouille  &  te  Rat. 


el,  comme  dit  (i)  Merlin,  (a)  cuidfe  engeigner 
autrui', 

Qui  fouvent  s'engeigne  foi  -même. 

(0  Oui,  diftingue*  afi  fon  temps,  ou  par  fon.  habileté, 
h  par  la  fubtilité  de  fon  efpric,  pafîbit  communément 
jMf  forcier.  C'eft  un  fameux  enchanteur  dans  YOrUndê 
™»/«  d'Arioftc.  Merlin  prétendu  Magicien,  étoit  An» 
poil  u  vtvoit  vers  la  fin -du  cinquième  fiècle.  Si  vous 
roulez  en  fçavoir  davantage  .voyez  U  Di&ionn*in  dt  M^ 
'in, 

( l  )  Penfe  duper ,  tromper.  Cm  it  ingtigntr  font  deux 
61515  à  prêtent  (untines  &  tottft-**fritbar»  d'ufage.  Cuidcr 


56        TABLES    C«0  IS  IES 

J'ai  regret  que  ce  mot  foit  trop  yieûx  aujourd'hui 
11  m'a  toujours  fembl,é  d'une  énergie  extrême- 
Mais  afin  d'en  ven^r  a»  deflein  que  j'ai  pris  ; 
Un  Rat  plein  d'embonpoint,  gras,&  des  mieux  nourri 
Et  qui  ne  connoiflbit  rAventni  le  Carême, 
Sur  le  bord  d'un  marais  égayoit  fes  efprits. 
Une  Grenouille  approche,  &  lui  dit  en  fa  langue 
-Venez  me  ypir  chez  moi ,  je  vous  ferai  feftin. 

Mejfire  Hat  promit  foudain-: 
Il  n'étoit  pas  befoin  de  plus  longue  harangue-    • 
Elle'ailégua  pourtant  les  délices  du  bain, 
La  cùriofité,  le  plaifif  du  voyage, 
Cent  raretés  à  voir  le  long  du  Marécage  î 
Un  jour  il  conteroit  à  fes  petits  enfans 
Les  beautés  de  ces  lieux,  les  mœurs  des  habitons, 
Et  le  gouvernement  de  la  chofe  publique 

Aquatique.  - 
Un  point  fans  plus  tenoit  le  galant  empêché  :       I 
Il  nageoit  quelque  peu ,  mais  il  falloit  de  l'aide. 
La  Grenouille  à  cela  trouve  un  très -bon  remède. 
Le  Rat  fut  à  fon  pied  par  la  patte  attaché  : 

Un  brin  de  jonc  en  fit  l'affaire. 
Dans  le  marais  entrés,  notre  bonne  commère 
S  efforce  de  tirer  fon  hôte  au  fond  de  l'eau, 
Contre  le  droit  des  gens,  contre  la  Toi  jurée  ; 
Prétend  qu'eHe  en  fera  (  3  )  gprge  chaude  &  curéâ 
{  C'étoit ,  à  fon  avis ,  un  excellent,  morceau  ) 
Déjà  dans  fon  efprit  la  galante  le  croque. 
Il  attefle  les  Dieux:  la  perfide  s'ea  moque. 
Il  réfîfte  :  elle  tire.    En  ce  combat  nouveau , 
Un  (4)  Milan  qui  dans  l'air  pîanoît ,  faifoit  la  roncfc 
Voit  d'en  haut  le  pauvret  fe  débattant  fur  Tonde.  1 

1 

fe  trouve  encore  dans  Aroyot.  Pour  enseigner  ou  tngignti 
comme  l'écrit  Ménage  dans  fon  Diftitnntirc  LîjTmhîi^ 
il  vient  ,  félon,  ce  fçarant  Etymologillc  ,  cWngirtfffJ 
tromper. 

('  3  \  Qu'elle  mangera   • 
"  (4)  G*°*  oiiwu  de. proie,    .  .  _    . 


L     I    V    R    E      I  V.  97 

fond  deflus  ,  l'enlevé ,  &  par  même  moyen 
La  Grenouiile  &  le  lien. 
Tout  en  fut,  tant  &  fi  bien , 
Que  de  cette  double  proie 
L'Oifeau  fe  donne  au  cœur  joie, 
Ayant ,  de  cette  façon , 
A  fouper  chair  &  poifîbn. 

La  rufe  la  mieux  ourdie 
Peut  nuire  à  fon  inventeur  $ 
Et  fouvent  la  perfidie 
Retourne  fur  (on  auteur. 


FABLE      XII. 

Tribut  envoyépar  les  animaux  à  Alexandre. 


U: 


ne  Fable  avoït  cours  parmi  l'Antiquité; 
Et  la  raifon  ne  m'en  eft  pas  connue. 
Jue  le  Le&eur  en  tire  une  moralité  : 
Voici  la  Fable  toute  nue. 

fLa  Renommée  ayant  dit  en  cent  lient 
'un  fils  de  Jupiter,  un  certain  Alexandre» 
voulant  rien  iaifler  de  libre  fous  les  cieux# 
Commandoit  que ,  fans  plus  attendre , 
Tout  peuple  à  fes  pieds  s'allât  rendre , 
ladrupédes,  Humains,  Eléphans,  VermifTeaux, 
Les  Républiques  des  Oifeaux,  - 
La  (i)  Déeire  aux  cent  bouches,  dis-Je». 
Ayant  mis  par  tout  la  terreur 
1  Publiant  l'édit  du  nouvel  Empereur  ; 

E 


jg  FABLES    CHOISIES 

.  Les  Animaux,  &  toute  èfpece  (2)  lige 
De'foafeul  apétit,  crurent  que  cette  fois 

11  falloit  fubir  d'autres  loix. 
On  s'aflêmble  au  défert.   fous  quittent  leur  taniérfl 
Après  divers  avis,  on  réfout,  on  conclut, 
•  D'envoyer  hommage  &  tribut. 
Pour. l'hommage  &  pour  la  manière, 
•Le  Singe  en  fut  chargé  :  l'on  lui  mit  par  écrit 
Ce  que  Ton  vouloit  qui  fut  dit. 
Le  feul  tribut  les  mit  en  peine. 
Car  que  donner?  Il  falloit  de  i 'argent.       I 
On  en  prit  d'un  Prince  obligeant , 
Qui  pofTédant  dans  fon  domaine 
Des  mines  d'or ,  fournit  ce  qu'on  voulut.  I 
Comme  il  fut  queftion  de  porter  ce  tribut, 

Le  Mvtet  #  l'Ane  s'offrirent ,  ! 

Affiliés- au  Cheval,  ainfî  que  du  Chameau. 

Tous  quatre  en  chemin  ils  fe  mirent 
Avec  le  Singe,  ambafladeur  nouveau.         I 
La  caravanne  enfin  rencontre  en  un  paflage 
Monfeigneur  le  Lion.     Cela  ne  leur  plut  point. 
<     Nous  nous  rencontrons  tout  à  point,     ! 
Dit -il,  &  nous  voici  compagnons  de  voyage.      I 

J'ai  lois  offrir  mon  fait  à  part; 
Mais  bien  qu'il  foit  léger ,  tout  fardeau  ro'embarrafl! 
Obligez  -moi  de  me  faire  la  grâce ,  I 

.  "  Que  d'en  porter  chacun  un  quart. 
Ce  ne  vous  fera  pas  une  charge  trop  grancle  ; 
Et  j'en  ferai  plus  libre,  &  bien  plus  en  états 
En  cas  que  les  voleurs  attaquent  .notre  bande  , 

Et  que  l'on  en  vienne  au  combat.  J 

Econduire  un  Lion ,  rarement  fe  pratique.  | 

Le  voilà  donc  admis-,  foulage,  bien  reçu; 

(1)  ACervi*  à  foft  fewl  tp*tU.'  C'tft  le  plus  haut  p^ 
de  liberté  où  puiïïent  parvenir  les  Animaux.  Et  l'hom 
eft  lige  du  Seigneur,  Iorfqu'ïl  dépend  dt  ce  §eîgncu| 
certaine  égards ,  qu'il  cii,  fon  raflai. 


LIVRE      IV.  J». 

i  Et  malgré  le  (  3  )  héros  de  Jupiter  ijffli , 

l  Fàfant  chère  cV  vivântf  fur  la  bourfe  puWtqôeL 

'  Us  arrivèrent  dans  un  pré 

Tout  bordé  de  ruifleaux;  dé  fleurs  tout  diapré , 

Où  maint  Mouton  cherchoit  fe  vie,  v 
Séjour  du  frais ,  véritable  patrie 
Des  Zéphirs.  Le  Lion  n'y  fut  pas,  qu'à  ces  gens 
I  IL  fe  plaignit  d'être  malade. 

!  Continuez  votre  Ambaffade , 

Kt-il,  je  fens  un  feu'qui  me  brûle  au  -dedans,  ' 
i&veux  chercher  ici  quelque  herbe  falutaire. 

Pour  vous ,  ne  perdez  point  de  tems  : 
Rendez -.moi  mon  argent,  j'en  puis  avpir  à  faire. 
On  débale  ;  &  d'abord  le  Lion  s'écria 

D'un  ton  qui  témoignoit  fa  joie  : 
|Qûe  de  filles,  ô  Dieu?,  mes  pièces  de  monnoie 
Ont  produites  !  Voyez  ;  la  plupart  font  déjà 

Auflï  grandes  que  leurs  mères.     * 
^  (4)  croît  m'en  aparticnt.  II  prit  tout  là-defîus; 
Ou  bien,  s'il  ne  prit  tout,  il  n'en  demeura  guère». 

Le  Singe  &  les  Sommiers  confus , 
Sans  ofer  répliquer ,  en  chemin  fe  remirent. 
Au  fils  de  Jupiter  on  dit  qu'ils  fe  plaignirent, 

Et  n'en  eurent  point  de  raifon. 
Qu'eût  -  II  fait?  C'eût  été  Lion  contre  Lion; 
&  le  Proverbe  (lit  ;  (  5  )  Corfaires  à  Cor/aires , 
L'un  l'autre  ?  attaquant ,  ne  font  pas  leurs  affaires. 

(3)  Alexandre  r  qui  fe  difoit  fils  de  Jupiter. 
U)  L'accroifiemenc ,  le  produit,  ce  qu'il  y  a  de  pins» 
10  Efpece  de  Proverbe ,  .que  La  Fontaine  a  pris  moç 
r>ur  mot  de  *B&nien  Satjre  xii.  à  la  fin,  ; 


e*         ■izifàS&à. 


I0O        FABLES    CHOISIES 

I— — ^—— — — — — ^— — — — ■ 

FA    B    L    E      XIII. 

Le  Cheval  i  étant  voulu  venger  du  Cerf. 


D. 


te  tout  temps  les  Chevaux  ne  font  nés  pour  lv. 
hommes. 
Lorfque  le  genre  humain  de  gland  fe  contentoit , 
Ane ,  Cheval  &  Mule  aux  forées  habitoit  : 
Et^l'on  ne  voyoit  point,  comme  au  fîècle  où  nous 
fojnmes , 

Tant  de  fclles  &  tant  de  bâts, 
Tant  de  harnois  pour  les  combats  % 
Tant  de  chaifes ,  tant  de  carofles  ; 
Comme  auflï  ne  voyoit -on  pas 
Tant  de  feftins  &  tant  de  noces. 
Or  un  Cheval  eut  alors  différend 

Avec  un  Cerf  plein  de  viteffe ,  , 

Et  ne  pouvant  l'attraper  en  courant, 
Il  eut  recours  à  l'Homme,  implora  fon  adreflfe.       I 
L'Homme  lui  mit  un  frein,  lui  fauta  fur  le  dos , 

Ne  lui  donna  point  de  repos , 
Que  le  Cerf  ne  fût  pris ,  &  n'y  laiffât  la  vie. 

Et  cela  fait ,  le  Cheval  remercie 
L'homme  fon  bienfaiteur,   difant;  Je  Tris  à  vous  ; 
Adieu.  Je  m'en  retourne  en  mon  féjour  fauvage. 
N«>n  pas  cela,  dit  l'Homme ,  il  fait  meilleur  chez  nous 
Je  vois  trop  quel  eft  votre  ufage. 
Demeurez  donc,  vous  ferez  bien  traité, 
Et  jufqu'au  ventre  en  la  litière. 
Hélas  !  que  fert  la  bonne  chère , 
Quand  on  n'a  pas  la  liberté! 
Le  Cheval  s'aperçut  qu'il  avoit  fait  folie;  j 

Mais  il  n'étoiç  plus  temps.   Déjà  fon  écurie 


LIVRE      IV.  k>i 

Etoît  prête  &  toute  bâtie. 
II  y  mourut  en  traînant  Ton  lien  : 
Sage  s'il  eût  remis  une  légère  offenfe. 

Quel  que  foit  le  plaifir  que  caufe  la  vengeance  ; 
C'eft  l'acheté/ trop  cher,  que  Cacheter  (i)  d'an  bien 
Sans  qui  les  autres  ne  font  rien.  ' 

(i  )  Là  Liberté.  Pêthu  met  al  lis  Libertar*  caret  f  dit  Ho- 
race fur  le  mène  fujet.  Epi/},  x.  h'b  i.  Le  cour  qu'a  pris 
La  Fo&taine,  ctt  plus  original,  &  plus  délicat,  fi  je  ne 
me  trompe. 


FABLE      XIV. 

Le  Renard  &le  Bujle. 

JL/3S  Grands,  pour  la  plupart,  font  mafques  de 

théâtre  ; 
Leur  apparence  impofe  au  vulgaire  idolâtre. 
L'Ane  n'en  fçait  juger  que  par  ce  qu'il  en  voit. 
j  Le  Renard  au  contraire  à  fond  les  examine , 
Les  tourne  de  tout  Yens;  &.  quand  il  s'aperçoit 
Que  leur  fait  n'eft  que  bonne  mine, 
Il  leur  applique  un  mot  qu'un  (  i  )  Bulle  de  Héros 

Lui  fit  dire  fort  à  propos. 
C'étoit  un  Bulle  creux  &  plus  grand  que  nature. 
Le  Renard,  en  louant  l'effort  de  la  Sculpture, 
!  Belle  tête,  dit -il,  mais  de  cervelle  point. 

Combien  de  grands  Seigneurs  font  bulles  en  ce  point? 

I    (  *  )  Figure  de  Tête  en  bofTe ,  de  métal ,  de  pierre  ,  ou 
oc  bois. 

!  E3 


r*2        FABLES    CHOISIES 


F   A    B    L    E      XV. 

Le  Loup  9  la  Chèvre  &  te  Chevreau. 

FABLE      XVI, 

Le  Loup,  la  Mer*  &  l'Enfant.     • 

/a  (i)  Bique  allant  remplit  fa  traînante  jnameilc; 
Et  paître  l'herbe' nouvelle, 
-    Ferma  fà  porte  au  loquet , 

Non  fans  dire  à  Ton  (  2  )  /Biqufci  : 
Gardez  -vous ,  fur  votre  vie , . 
D'ouvrir  que  Ton  ne  vpus  die 
Pour  enfeigne  &  mot  du  (3)  guet, 
Foin  du  Loup  &  de  fa  race.       -  'Ç\ 

Comme  elle  difoit  ces  mots>  '  -~:    'K  '  '  \ 
Le  Loup  de  fortune  pafle  : 
Il  les  recueille  à  propos , 
Et  les  garde  en  fa  mémoire. 
La  Bique,  comme  on  peut  croire, 
N'avoit  pas  vu  le  glouton. 
.  Dès  qu'il  la  voit  partie,  il  contrefait  fon  ton, 
-   '         Et  d'une  voix  (4)  papelarde  | 

11  demande  qu'on  ouvre,, en  difant;  foin  du  Louri 
Et  croyant  entrer  tout -d'un -coup. 

Le  Biquet  foupçonneux  par  la  fente  regarde. 

Montrez -moi  patte-blanche,  ou  je  n'ouvrirai  point 

S'écria -t- il  d'abord.    (Patte  blanche  eft  un  point 

(  1  )  La  Cfcévre. 
(*)  f-c  Chevreau. 

(  3  t  Mot  ponr  reconnoître  ceux  de  fon  parti*  1 

44)  Douce  &  contrefaite. 


LIVRE      IV.  i#3r 

I  Chez  les  Loups ,  comme  on  fçrit ,  rarement  en  ufage.) 
Celui  -  ci  fort  furpris  d'entendre  ce  langage r 
Comme  il  étoit  venu  s'en  retourna  chez  foi. 
,0ù  feroit  le  Biquet  s'il  eût  ajouté  foi 
I  Au  mot  du  guet,  que  de  fortune 

Notre  Loup  avoit  entendu?  . 

Deux  Curetés  valent  mieux  qu'une; 
Et  le  trop  en  cela  ne  fut  jamais  perdu. 

\.ye  Loup  me  remet  en  mémoire 
On  de  fes  compagnons  qui  fut  encor  mieux  pris. 
11  y  périt:  voici  THiftoire. 

Un  villageois  avoit  à  l'écart  fon  logis  : 

Mefler  fèup  attendoit  (  i  )  chape"-  chute  à  la  porte • 

il  avoit  vu  fortir  gibier  de  toute  forte , 

Veaux  de  lait,  Àgneaiix  &  Brebis,   . 
Régiment  de  Dindons ,  enfin  bonne  X  2  )  provende. 
Le  larron  comménepit 'pourtant  à  s'ennuyer. 

11  entend  un  enfant  crier. 

Lanière  auffi-tAt  le  gourmande, 

Le  menace ,  s'il  ne  fe  tait , 
Ce  le  donner  au  Loup.    L'animai  fe  tient  prêt  j 
lemerciant  les  Dieux  d'une'  mile  avanture; 
Quand  la  mère  appaifant  fa  chère  géniture, 
Lui  dit;  ne  criez  point:  s'il  vient,  nous  le  tuerofir» 
Qa'eft  ceci?  s'écria  le  mangeur  de  Moutons* 
Kre  d'un ,  puis  d'un  autre  V  Eft-ce  àinfi  que  l'on  traite 
Lesgpns faits comme mol?  Méprend-on  pour  un  fût?' 

Que  quelque  jour  ce  beau  marmot  ~ 

Vienne  au  bois  cueillir  la  noifette. 

I    (  1  )  Quelque  bonjte   avanture.    4$"/  vous  voulez,  ffévêtw 
j»?»»  4  donné  lie»  à  ulte  txprejjitn,  vijtz.  le  Ûi&oiuuire 
«Trévoux,  au  mot  Chapeaute. 
(*)  Provifion  de  bouche. 

.     '       ■  E4 


104        FABLES    CHOISIES 

Comme  il  difoit  ces  mots ,  on  fort  de  la  maifon  : 
Un  chien  de  cour  l'arrête  répieux  &  fourches  fiérej 

L'ajuftent  de  toutes  manières. 
Que  veniez -vous  chercher  en  ce  lieu?  lui  dit-oa. 

Auffi  -  tôt  il  conta  l'affaire. 

Merci  de  moi,  lui  dit  la  mère, 
Tu  mangeras  mon  fils  ?  l'ai  -je  fait  à  defiein 

Qu'il  aflbuviîTe  un  jour  ta  faim? 

On  aiTomme  la  pauvre  bête. 
Un  manant  lui  coupa  le  pied  droit  &  la  tête  : 
Le  Seigneur  du  village  à  fa  porte  les  mit, 
Et  ce  dicton  Picard  à  l'entour  fut  écrit: 

Biaux  chires  Leups  n'écoutez  mie , 
Mère  tenchem  chen  faux  qui  crie. 


FABLE        XVII. 

Parole  de  Socrate. 


!5c 


Socrate  (  i  )  un  jour  faifant  bâtir, 
Chacun  cenfuroit  fon  ouvrage. 
L'un  trouvoit  les  dedans,  pour  ne*  lui  point  mentir. 

Indignes  d'un  tel  pprfonn;ge. 
I/autre  blàmoit  la  face;  &  tous  étoient  d'avis 
Que  les  appartenons  en  étoient  trop  petits* 
Quelle  maifon  pour  lui-!  L'on  y  tournort  à  peine. 

Plût  au  Ciel  que  de  vrais  amis  ;  i 

TeUc  qu'elle  eft ,  dit  -  U  »  elle  pût  itxe  pleine  I 

Le  bon  Socrate  avoit  raifon  , 

De  trouver  pour  ceux-là  trop  grande  fa  maifon. 

"  i 

(  i  )  PhUofophe  Grec  »  dont  la  fagefTe  &  la  venu  n»i 
peuvent  être  afle 2  admirée  de  quiconque  prendra  la  peine*' 
d'étudier  fon  caractère. 


L    I    V    R    E      IV.  ioj 

Chacun  fe  âk  ami;  mais  fou  qui  s'y  repofe. 

Rien  n'eft  plus  commun. que  ce  nom, 
Rien,  n'eft  plus  rare  que  la  chofe. 


FABLE      XVIII. 

Le  Vieillard  &fet  Enfant. 


T. 


oute  puiflance  eft  foibîe ,  à  moins  que  d'être  unie. 
Ecoutez  là-deflus  (i)  FEfdave  de  Phrygie. 
Si  j'ajoute  du  mien  à  fon  invention , 
C'eft  pour  peindre  nos  mœurs ,  &  non  pas  par  envie  ; 
Je  fuis  trop  au-deflus  de  cette  ambition. 
Phèdre  enchérit  fouvent  par  un  motif  de  gloire  : 
Pour  moi,  de  tels  penfers  me  feroient  mal-fëans. 
Mais  venons  à  la  Fable ,  ou  plutôt  à  PHiftoire 
De  celui  qui  tâcha  d'unir  tous  fes  enfans. 

On  Vieillard  prêt  <ÇaIler  où  la  mort  Pappeloit; 
Mes  chers  enfans,  dît -il  (à  fes  fils  il  parloit,} 
Voyez  fi  vous  romprez  ces  dards  liés  enfemble  : 
Je  vous  expliquerai  le  nœud  qui  les  aflfemble. 
L'ainé  les  ayant  pris ,  &  fait  tous  fes  efforts , 
Les  rendit  en  difant  :  (2)  Je  le  donne  aux  plus  forts.  ■ 

(1)  Efêpt,  né  en  Phrygie. 

(z)  ff  défit  les  plus  farts  d'en  vtnfr  à  fout,  c'eftlâ  dite, 
de  T0t*fre  tes  dards  joints  enfemble.  Dans  la  plupart  des  £• 
dltiqns  des  Fables  de  La  Fontaine ,  au -lieu  dt.  Je  le  dart- 
re aux  plus  ferts  :  an  trouve  ,  Je  les  denne  aux  pins  ferts  , 
faute  grofiiére  qui  a  été  corrigée  par  La  Fontaine  lut- 
même  dans  une.  Edition  de  Paris  %  publiée,  en  ifv/B.  .  La 
même  faute 'à  reparu  depuis  dans'  plufieurs  autres  Edi» 
tious  •  par  la  négligence  ou  l'ignorance  des  Côrre&eurr» 
mais  on  peut  compter  pré  fente  ment ,  que  cette  "Note  mu- 
nie de  l'autorité  de  La  Fontaine  ,  la  fera  difparoître  point 
toujours. 

E5 


T. 


S46       FABLES    CHOISIES 

Un  fécond  lui  fuccede ,  &  te  met  en  poflure  r 
Mais  en  vain.    Un  cadet  tente  auffi  i'avanture- 
Tous  perdirent  leur  temps ,  le  faifceau  réfifla  : 
De  ces -dards  joints  enfemble  un  feul  ne  s'éclata. 
Foibles  gens  !  dit  te  père ,  il  faut  que  je  vttfc  montre 
Ce  que  ma  force  peut  en  fembiable  rencontre. 
On  crut  qu'il  fe  moquoit,  on  fburit,  maïs  à  tort. 
11  fépare  les  dards ,  &  les  rompt  fans  effort. 
Vous  voyez ,  reprit  -  il ,  l'effet  -de  la  concorde. 
Soyez  joints ,  mes  enfans ,  que  l'amour  vous  accorde* 
»  Tant  que  dura  fon  mal ,  il  n'eut  autre  difcour*.  ■ 
Enfin  fe  fentant  prêt  de  terminer  fes~  jours  $ 
Mes  chers  enfans,  dit -il ,  je  vais  où  font  nos  pères: 
Adieu,  promettez -moi  <Je  vivre  comme  frères  ; 
Que  j'obtienne  de  vous  cette  grâce  en  mourant. 
Chacun  de  fes  trois  fils  l'en  affure  en  pleurant. 
11  prend  à  tous  les  mains  :  il  meurt  ;  &  les  trois  frères 
Trouvent  un  bien  fort  grand,  mais  fort  mêlé  d'affaires. 
Un  créancier  faifit*  un  voifin  fait  un  procès  : 
D'abord  notre  Trio  s'en  tire  avec  fuccès. 
Leur  amitié  fut  courte  autant  qu'elle  étoit  rare. 
Le  fang  les  avoit  joints,  l'intérê*  les  fépare. 
L'ambition,  l'envie,  avec  les  (3)  confufrans,, 
Dans  la  fucceffion  entrent  en  même  temps. 
On  en  Vient  au  partage,  on  contefte,  on  chicane  r 
Le  Juge  fur  cent  points  tour  à  tour  les  condamne. 
Créanciers  &  voifins  reviennent  auffi-t;ôt, 
Ceux-là  fur  une  erreur-,  ceux-ci  fur  un  défaut. 
Les  frères  défunis  font  tous  d'avis  contraire  : 
L'un  veut  s'accommoder ,  l'autre  n'en  veut  rien  faire. 
Tous  perdirent  leur  bien;  &  voulurent,  trop  tard, 
Profiter  de  ces  dards  unis ,  &  pris  à  part. 

(.5)  Avocats  qui  ne  plaident  plus  au  Barreau,    mais 
<|u*on  va  confultcr  chez  eux. 


*$* 


LIVRE      IV. 


107 


V, 


FABLE. XIX. 

'     V  Oracle  &  Fltnpie. 


ouloir  tromper  le  Ciel ,  c'eft  folie  à  la  Terre. 
Le  (1)  Dédale  des  cœurs  en  fes  détours  n'enferre 
Rien  qui  ne  foit  d'abord  éclairé  par  les  Dieux. 
Tout  ce  que  l'homme  fait,  il  le  fait  â  leurs  yeux,   • 
Même  les  actions  91e  dans  l'ombre  il  croit  faire» 

UnPayen  qui  fentoit  quelque  peu  le  (^2)  fagot,  - 
Et  qui  croyoit  en  Dieu ,  pour  ufer  de  ce  mot, 
(3)  Par  bénéfice  d'inventaire. 
Alla  confuher  Apollon. 
.   Dès  qu'il  fut  en  fon  fanéhiaire , 
Ce  que  je  tiens ,  dit  -il ,  eft-il  en  vie  ou  non?  ' 

Il  tenoit  un  moineau,  dit -on , 
1  Prêt  d'étouffer  la  pauvre  bête, 

!  Ou  de  la  lâcher  auffi-tôt, 

Pour  mettre  Apollon  en  défaut. 

(Ole  Labyrinthe,  que  les  Poètes  nomment  fervent 
*M*/«,  dans  le  feus  propre,  &  dans  un  fens  figura,  par 
'llufion  à  DMslt  Architeac  Athénien ,  qui  bâtit  le  iV 
acux  Labyrintlie  de  Crète. 

(1)  Qui  s'expofoit  à  être  brûlé  comme  Athée. 

U)  Qu'us  homme  fe  trouve  héritier  par  Teftaraent» 
ni  foupçonne  que  l'héritage  pourroit  l'obliger  à  payci 
ut  créanciers  du  défimc  plus  qu'il  ne>  lut  a  {aide*  par  fou 
Marnent»  il  n'accepte  l'héritage  que  par  kcnéfic$  dtf*> 
JwJ,'m»  &  dans  ce  cas  il  n'eit  tenu  de  payer  des  âettes 
•■  «font  que  jufqu'à  la  concurrence  des  biens  inventa- 
n**-  Ainfi ,  un  homme  qui  croit  en  Dieu  ♦  fais  être  fort' 
«Tut*  4e  £on  exiftence  .  (e  réferve  U  liberté  de  n'y  peine 
ttoire  du  tout.  Un  tel  bemrne  ,  dit  La  Fontaine  r  croh 
ï  Û'*J»  povr  ufer  -de  ce  mot»  par  Mnifiet  d'immitaïr*  r 
"prefton  hardie,  qui  n'eit  ni  fort  jufte ,  ni  fort  claire,. 
^"ac  il  fcffibU  )e  xecoimoîtrc  lui- même. 

£  6 


io8        FABLES    CHOISIES 

Apollon  reconnut  ce  qu'il  avoit  en  tête. 

Mort  ou  vif,  lui  dit -il ,  montre  -nous  ton  moineau» 

Et  ne  me  tens  plus  de  panneau ,  . . 
Tu  te  trouverons  mal  d'un  pareil  ~ftratagême. 

Je  vois  de  loin ,  j'atteins  de  même. 


FABLE     xx. 

V Avare  qui  a  perdu  Jbn  Trefir. 


L* 


r'ufage  feulement  fait  la  poiïèffion. 
Je  demande  à  ces  gens ,  de  qui  la  paillon 
Eft  d'entafler  toujours ,  mettre  fomme  fur  fomme  „ 
Quel  avantage  ils  ont  que  n'ait  pas  un  autre  homme. 
(  i )  Diogene  là- bas  eft  auffi  riche  qu'eux; 
-Et  l'Avare  ici  haut,  comme  lui  vit  en  gueux. 
L'homme  au  tréfor  caché  qu'Efope  nous  propofe» 
Servira  d'exemple  à  la  chofe. 

Ce  malheureux  attendoît, 
Pour  Jouir  de  fon  bien,  une  féconde  vie, 
Ne\pofTédoit  pas  l'or,  mais  l'or  le  poffédoit. 
H  avoit  dans  la  terre  une  fomme  enfouie, 

Son  cœur  avec,  n'ayant  autre  (2)  déduit > 
Que  d'y  ruminer  jour  &  nuit , 
Et  fendre  (a  ('3)  chevance  à  lui-même  facrée. 
Qu'il  allât  ou  qu'il  vînt,  qu'iL  bût  ou  qu'il  mangeât  J 
On  l'eût  pris  de  bien  court  à  moins  qu'il  ne  fongeât 
A  l'endroit  où  giflbit  cette  fomme  enterrée. 
Il  y  fît  tant  de  tours  qu'un  FoiToyeur  le  vit* 
Se  douta  du  dépôt,  l'enleva  fans  rien  dire. 
Notre  Avare  un-  beau  jour  ne  trouva  que  le  pid. 

(1  )*Phiîofophe  fort  pauvre  ,  mais  ptttvrc  rolontairc. 

(2)  Pas  de  plus  grand  pUifir,  -  »  '• 

(3)  Son  bien/ -fort  trÉfor.  .:...•• 


LIVRE      I  Vr  se* 

Voilà  mon  homme  aux  pleurs  :  il  gépiit ,  il  foupire, 

"Il  fe  tourmente,  il  fe*  déchire. 
Un  paffant  lui  demande  à  quel  fujet  Tes  cris. 

C'eft  mon  tréfor  que  Ton  m'a  pris. 
Votre  tréfor?  okpris?  tout  joignant  cette  pierre* 

Eh  î  fommes  -  nous  en  temps  de  guerre 
Pour  l'apporter  fi  loin  ?  Nidifiiez  -vous  pas  mieux  fait 
De  le  laiflfer  chez  vous  en  votre  cabinet, 

Que  <k  le  changer  de  .demeure? 
Vous  auriez  pu  fans  peine  y  puifer  à  toute  heure. 
A  toute  heure»  bons  Dieux!  ne  tient -il  qu'à  cela? 

L'argent  vient -il  comme  il  s'en  va? 
Je  n'y  touchois  jamais.  Dites -moi  donc,  de  grâce, 
Reprit  Vautre ,  pourquoi  vous  vous  affligez  tant  ; 
FuÛque  vous  ne  touchiez  jamais  à  cet  argent  % 

Mettez  une  pierre  à  la  place, 

Elle  vous  vaudra  tout  autant* 


u. 


FABLE      XXI. 

&œil  du  Maître. 


n  Cerf  s'étant  fauve  dans  une  étable  â  Bceufr, 

Fut  d'abord  averti  par  eux, 

Qu'il  cherchât  un  meilleur  afyle.  ^         >- 
Mes  Preres ,  leur  dit-  if,  he  me  décelez  pas  :       t 
Je  vous  enfeignerai  les  (î)  pâtis  les  plus  grair 
Ce  fervice  vous  peut  quelque  jour  être  utile; 

*    Et  vous  n'en  aurez  pas  regret. 
Les  Bœufs ,  à  toute  fin  >  promirent  le  fecret. 
Il  fe  cache  en  un  coin,  refpîre  &  prend  courage» 
Sur  le  foir  on  aporte  fterbe  fraîche  &  fourage, 

Comme  l'on  feifoit  tous  les  jours. 

(  i  )f  Lieux  çfc  a  y  a  beaucoup  d'herbe  ,  &  la  meilleure, 

E?     ~       ■      • 


ïïd       FABLES    CHOISIES 

L'on  va ,  l'on  vient ,  les  valets  font  cent  tours 
L'intendant  même  ;  &  pas  un  d'avanture 

N'aperçut  ni  (2)  ccr,ni  (2)  ramure» 
Ni  Cerf  enfin.     L'habitant  des  forêts 
Rend  déjà  grâce  aux  Bœufs,  attend  dans  cette  étabh 
Que  chacun  retournant  au  travail  (  3  )  de  Cérès, 
11  trouve  pour  fortir  un  moment  favorable. 
'  L'un  des  Bœufs  ruminant,  lui  dit:  cela  va  bien  ; 
.  Mais  quoi?  L'homme  aux  cent  yeac  n'a  pas  fait  G 
revue  : 

Je  crains  fort  pour  toi  fa  venue. 
Jufque-îà,  pauvre  Cerf,  ne  te  vante  de  rien. 
Là-deflus  le  Maître  entre,  &  vient  faire  fa  ronde. 

Qu'eft  ceci?  dit  -  il  à  fon  monde,  " 
Je  trouve  bien  peu  d'herbe  en  tous  ces  râteliers. 
Cette  litière  eft  vieille  ;  allez  vite  aux  greniers. 
Je  veux  voir  déformais  vos  bêtes  mieux  foignées» 
Que  coûte  -t-il  d'ôtef  toutes  ces  araignées  ?  ' 
Ne  fçauroit-on  ranger  ces  jougs  &  ces  colliers?     ' 
En  regardant  à  tout,  il  voit  une  autre  tête 
Que  celles  qu'il  voyoit  d'ordinaire  en  ce  lieu. 
Le  Cerf  eft  reconnu  :  chacun  prend  un  épieu  r 

Chacun  donne  un  coup  à  la  bête. 
Ses  larmes  ne  fçauroient  la  fauver  du  trépas. 
On  l'emporte,  on  la  fale,  on  en  fait  maint  repas, 

Dont  maint,  voifin  s'éjouit  d'être. 
Phèdre  (4)  fur  ce  fujet  dit  fort  élégamment: 
*  Il  u'eft  pour  w)ir  que  l'œil  du  Maître. 

Quant  à  moi,  j'y  mcttrois  encçr  l'œil  de  l'Amant* 

(  2  )  Terme  de  Chaïïcur ,  pour  dire  les  cornet  du  Cer£  i 

(3)  Le  labourage  «  ou  autre  travail  de  la  terre. 

(4)  Phèdre ,  excellent  Auteur  de  Fables ,  ou'il  a  écrites  i 
ca  vers  J-atins,  d'un  itflc  auflj  pur  que  celui  de  Ttrcna,    ' 


<5gJ!* 


L    I   V   R   E     IV.  m 


F   A    B    L    E      X  X  I  I. 

V Alouette  &fes  petits  9  avec  te  Maître 
dun  Champ. 


c  t'attens  qu'à  toî  feri,c*eft  un  commun  proverbe. 

Voici  comme  Efope  le  mit 
(t)  En  crédit. 

Les  Alouettes  font  leur  nid 

Dans  les  bleds  quand  ils  font  en  herbe,  . 

C'eft-à-dire  environ  le  temps 
Que  tout  aime ,  &  que  tout  pullule  dans  îe  monde; 

Monftres  marins  au  fond  de  Tonde, 
Tigres  dans  les  forêts ,  Alouettes  aux  champs. 

Une  .pourtant  de  ces  dernières 
Avoit  laîffé  paffer  la  moitié  d'un  Printemps 
Sans  goûter  les  plaifirs  des  amours  printanniéres. 
jA  toute  force  enfin  elle  fe  réfolut 
D'imiter  la  nature ,  &  d'être  mère  encore. 
Elle  bâtit  un  nid,  pond,  couve,  &  fait  éclore, 
À  1a  bâte  :  le  tout  alla  du  mieux  qu'il  put, 
les  bleds  d'alentour  mûrs,  avant  que  la  (2)  nitée 

Se  trouvât  aflez  forte  encor 

Pour  voler  &  prendre  Peffbr  f    . 
|De  mille  foins  divers  l'Alouette  agitée, 

(1)  Far  la  Fable  fuîrante  qui  nous  •»  été  conferrle  en 
Utin  par  *Aml*-Gtllt ,  L.  II.  c.  19*  On  n'a  qu'à  comparer 
la  manière  de  conter  de  cet  Auteur ,  aflex'  dégante  ,  avec  ' 
celle  de  La  font+int>  pour  être  convaincu  que  La  Fon- 
uint  a  trouvé*  l'arc  d'embellir  fc»  originaux ,  qu'il  leur 
frète  des  grâces  fi  naturelles ,  qu'en  les  imitant ,  il  de» 
vient  original  lui-même,  &  un  original;  qui,  félon  tou- 
tes les  aparences  ,  réitéra  long- teins  inimitable. 

(1)  On  a  trouve*  fi/rct,  dans  l'Edition  ia  qu*rt»  de.  1668; 
On  parle  ainfi  dans  pluûci^u  Provinces  ;t  jojujis.  Où  cUf  .F1** 
communément  nkhiu    ■    * 


m       FABLES    CHOISIES 

S'en  va  chercher  pâture,  avertit  fes  enfans 
D'être  toujours  au  guet  &  faire  fentinelle. 

,  S|  le  poiTefleur  de  ces  champs  . 
Vient  àvecqtfe  fo»  fils ,  comme  il  viendra,  cKt-elle, 
Ecoutez  bien  :  félon  ce  qu'il  dira, 

Chacun  de  nous  décampera. 
Si -tôt  que  l'Alouette  eut  quitté  fa  famille, 
Le  poiTefleur  du  champ  vient  avecque  fon  fils- 
Ces  bleds  font  mûrs,  _dit- il;  «liez .chez  nos  amis, 
Les  prier  que  chacun  apportant  fa  faucille, 
Nous  vienne  aider  demain  dès  la  pointe  du  jour» 

Notra  Alouette  de  retour,  • 

Trouve  en  alarme  fa  couvée. 
L'un  commence  :  il  a  dit  que  l'Aurore  levée* 
L'on  fît  venir  demain  fes  amis  pour  l'aider- 
S'il  n'a  dit  que  cela,  repartit  l'Alouette, 
Rien  ne  nous  prefle  encor  de  changer  de  retraite  t 
Mais  c"eft  demain  qu'il  faut  tout  de  bon  écouter. 
Cependant  foyez  gais  :  voilà  de  quoi  manger. 
Eux  repus,  tout  s'endort»  les  petits  &  la.  mère. 
L'âiibe  du  jour  arrive  ;  &  d'amis,  point  du  tout. 
L'Alouette  a  l'eflbr.    Le  Maître  s'en  vient  faire 

Sa  ronde  ainfi  qu'à  l'ordinaire. 
Ces. bleds  ne  devroient  pas,  dit -ir>  être  debout. 
Nos  amis  ont  grand  tort,  &  tort  qui  fe  repofe 
Sur  de  tels  pqreffeux  à  fervir  ainfi  lente. 

Mon  fils ,.  allez  chez  no>s  parens 

Les'  prier  de  la  même  diofe. 
L'épouvante  eft  au  nid  plus  forte  que  jamais. 
Il  a  dit  fes  parens ,  mère ,  c'eft  à  cette  heure. . . . 

Non  ,v  mes  enfans ,  dormez  en  paix  : 

Ne  bougeons  de  notre  demeure.  . 
-  L'Alouette  eut  raifon ,  car  perfonne  ne  vint. 
Pour  la  troifiéme  fois  le  Maître  fé  iouvint 
De  vifiter  fes.  bleds.     Notre  erreur  eft  extrême, 
Dit-il  j  de  nous  attendre  à  d'autres  gens' que  nous* 
11  a'fcft  meilleur  ami  ni  parent  que  foi -même* 


L    I    V   R    E     I  V.  nj 

Retenez  bier*  cela ,  mon  fils  ;  &  fça  vez  -  vous 
Ce  qu'il  faut  faire?  il  faut  qu'avec  noÇre  famille > 
Nous  prenions  dès  demain  chacun  une  faucille  ; 
C'eft-là  notre  plus  court;  &  nous  achèverons 

Notre  moiflbn  quand  nous  pourrons. 
Dès -Ion  que  le  deûein  fut  fçu  de  l'Alouette, 
C'eft  à  ce  coup  qu'il  faut  décamper,  mes  enfuis: 

Et  les  petits  en  même  temps 

Voletan»,  fç  culebutan» , 

Délogèrent  tous  fans  trompette. 


Fin  du  quatrième  Lim* 


L  I  V  R   E      CINQUIEME. 

FABLE   PREMIERE. 
Le  Bûcheron  &  Mercure,  à  M.  te  G  D,  B. 

Votre  goût  â  fervî  de  règle  i  fcon  ouvrage: 
J'ai  tenté  les  moyens  d'acquérir  fonXuffrage. 
Vous  voulez  qu'on  -évite  un  foin  trop  curieux, 
Et  des  (i)  vain*>oniemen$  l'effort  ambitieux  : 
Je  le  veux  comme  vous  :  cet  effort  ne  peut  plaire- 
Un  Auteur  gâte  tout  quand  il  veut  trop  bien  faire. 
Non  qu'il  faille  banni?  certains  traits  délicats  r 
Vous  les  aimez ,  ces  traits  ;  &  je  ne  les  hais  pas. 
Quant  au  principal  but  qu'Efope  fe  propofe , 

J'y  tombefau  jnoins  mal  que  je  puis. 
Enfin ,  «  dans  mes  vers  je  ne  plais  &  n'inftruis , 
11  ne  tient  pas  à  moi ,  c'efl  toujours  quelque  chofe» 

Comme  la  force  eft  un  point 

Dont  je  ne  me  pique  point, 

(  i  )  Ornemens  inutiles  &  afle&és.  Horace  qui  les  nom-, 
tne  des  orntnuns  ambitieux,  nous  dit  expreflement ,  qu'un 
cfpric  juiie  &  éclairé  les  retranchera  ians  façon  de  tout 
Ecrit  fournis  à  fa  critique.  ïAmbititf*  ntidtt  $mdT»vHéL 
De  Arte  Poêtica,,  &c.  v.  tfjk. 


*r 


L    i    V    R    *      V.  ^15 

Je  tâche  d*y  tourner  le  vice  #n  ridicule , 

Ne  pouvant  l'attaquer  avec  des  bras  d'Hercule. 

C'eft  -là  tout  mon  talent ■;  je  ne  fçai  s'il  fuffiu 

Tantôt  je  peins  en  un  récit 
La  fotte  vanité  jointe  avec  l'envie-, 
Deux  (2)  pivots  fur  qui  rouie  aujourd'hui  notre  vie* 

Tcleftce  (3)  chétif  animal  ^    . 
Qui  voulut  en  groffeur  au  bceuf  fe  fendre  égal- 
foppofe  quelquefois  par  une  double  image 
Le  vice  à  la  vertu*  ia  fottife  au  bon  fenS , 
Les  agneafcx  aux  loups  raviflan*, 
La  mouche  à  la  fourmi  ;  faifcnt  de  cet  ouvrage 
Une  ample  comédie  axent  àétes  divers,        > 

t,      Et  dont  .la  feene  eft  l'univers. 
Hommes,  Dieux  /jAnimaiau  tfcuty  fait  <ju$iqucw  role> 
Jupiter  comme  un  autre.    Introduifons  celui) 
Qui  porte  de  fa  part  atfx  heltesJa  parole;  _  L 
Ce  n'eft  pas  de  cela  qu'il  s'qgitaujouxdbtû.    : 
....   .       ■  .'j-  ;  *       .•    ,.  v  ->,-    .     .  t 
Un  Bûcheron  perdît  fon  gagne -pain; 
C'eft  fa  tagnée ;  &  Iricbefcchant  ep,  vains 
Ce  fut  pitié  là-deffçs  de  l'entendre.    ^  > 
Il  n'avait  pa*  des  xiotiis  à-  revendre.     \ 
€ur  celui  -  ci  touioit  tout  fan  {  4  )  *v?k> 
Ne  fçachant  donc  où  mettre  fon  efpoir, 
S*  face  étoft  de  pteHB  toute  ba^née.  .      --. 
O  ma  cognée  l  O  ma  pauvre  cognée  l 
S'écrïbitMl,  Jïipitecl  rends -ft-moi,  ^ 
Je  tiendrai  l'êtrefçjicore  un  coup  de  toû 
Sa  plainte  fut  <fc  £5$  TOiympe  entendue- 
Mercure  (6)  vient.  Elle  n'efl  pas  perdue, 
Lui  dit  ce  Dieuj  la  connokras  -  tu  bien? 
Je  crois  l'avoir  près  d'ici  rencontrée.     - 

fi)  Ce  qui  fuportc  quelque  ctofe  àç  mobile, 

(  3  )  La  Grenouille ,  Uvrt  3,  ÏAkU  3.  ,  , 

(4)  Son  bien» -Ta  reflburec.  ' 

(5)LeCki. 

(6)  Meflajer  des  pieux. 


xi<5       FABLES    CHOISIES 

Lors,  une  d'or  à  l'homme  étant  montrée, 

11  répondft  :  je  n'y  demande  rien. 

Une  d'argent  fuccede  à  la  première; 

11  la  refufe*    Enfin  une  de  bois. 

Voilà,  dit -il,  la  mienne  cette  fois; 

Je  fuis  content  fi  j'ai  cette  dernière. 

Tu  les  auras ,  dit  le  Dieu ,  toutes  trois  ; 

Ta  bonne  foi  fera  récompenfée  : 

En  ce  cas-là  je  les  prendrai,  dît-il.  *  * 

L'hiftoire  en  eft  auffi-'tôt  difperfée; 

Et  Boquillons  de  perdre  leur  outil , 

Et  de  crier  pour  fe  le  faire  rendre: 

Le  roi  des  dieux  ne  fçait  auquel  entendre. 

Son  fils  Mercure  aux*  criards. vient  encor  % 

A  chacun  d'etox  il  en  montre  une  d*or. 

Chacun  eût  cru  pafler  pour  une  bâte , 

De  ne  pas  direauffi-tAu-la  voili.  •  '  .. 

Mercure ,  au  -  lieu  de  donner  celle  -  là  f 

Leur  en  décharge  un  grand  coup  fur  la  tête* 

tfe  point  mentir ,  être  content  du  fien  ;  *• 
Ceft  le  plus  fur  :  cependant  on  V occupé 
A  dire  faux  pour  attraper  du  bien.    ; 
Que  fert  cela?  Jupiter  n'eft  pas  dupe. 


F   A    B    L    E  ,   I  I. 

Le  Pot  de  terre  9,&  te  Pot  de  fer. 


L. 


*/e  Pot  de  fer  propofa 

Au  Pot  déferre  un  voyage. 

Celui  -  ci  s'en  excufa , 

Difant  (  i  )'  -qu'il  feroit  que  fage 


LIVRE      V. 


uj 


De  garder  Je  coin  du  feu  ; 
Car  il  lui  fàlloit  fi  peu , 
Si  peu,  que  la  moindre  chofe 
De  Ton  débris  feroit  caufe  : 
Il  n'en  reviendroït  morceau. 
>  Pour  vous,  dit -il ,  dont  la  peau 

Eft  plus  dure  que  la  mienne, . 
Je  ne  vois  rien  qui  vous  tienne* 
Naos  vous  mettrons  à  couvert, 
Repartit  le  Pot  de  fer  : 
Si  quelque  matière  dure 
Vous  menace  (2)' devanture, 
.  Entre  $teux  je  paierai , 
Et  du  coup  vous  fauvcrai. 
Cette  offre  le  perfuade. 
Pot  de  fer  ton  camarade 
Se  met  droit  à  fes  côtés. 
Mes  gens  s'en  vont  à  trois  pieds, 
Clopin  dopant,  comme  ils  peuvent. 
L'un  contre  l'autre  jettes, 
Au  moindre  hoquet  qu'ils  trouvent. 

cftune  expreflïon  un  peu  furannéc,  mais  qui  fe  cjfonvc' 
communément  dans  nos  vieil*  Auteurs .  fans  en  excepter 
Amyot  lui  -  même  »  l'Ecrivain  le  plus  correct  &  le  plus 
poli  de  Ton  temps  ,  qui  l'a  employée  dans  fa  traduction  de 
Mutarqut.  Tu  fais  que  fage ,  Geminim  ,  «lit  •  U  dans  la  Vie 
de  Marc  «-Antoine  ,  ch.  u.  dtuenfejjer  la  vérité  avant  qu*«m 
U  dtnne  la  géhenne  pour  te  la  faire  dire.  La  Fontaine  touché 
«kla  naïveté  de  cette  expreflïon  ,  s'eft  fait  un  pi  ai  fi  r  d'en 
orner  fon  ftile.  Mais  un  Correcteur  d'imprimerie  »  fore 
Soigné  d'en  fentir  la  naïveté  ,  ^trouvant  barbare  ,  parce 
qu'il  ne  l'entendoit  pas .  a  cru  faire  merveille  de  mettre 
*  U  place  ,  qu'il  feroit  plut  fage  $  &  cette  prétendue  cor- 
reâion  a  été  recire  dans  toutes  les  Editions  des  Fables  de 
La  Fontaine  qui  ont  paru  depuis  en  France  ,  en  Hollande, 
&c  quoiaue  dans  l'Edition  de  Paris  de  1678.  corrigée  par 
ta  Fontaine  lui-même,  il  y  eût ,  qu'il  feroit  que  fage, 
comme  dans  toutes  les  Editions  précédentes ,  ce  qui  au- 
rait dû  tenir  en  refpe$  cet  imprudent  Correft  eu* ,  ou  du 
moins  empêcher  les  Editeurs*  qui  font  venus  après,  lui  » 
de  marcher  aveuglément  fur  fes  traces, 
ii)  De  quelque  fâcheux  accident.  • 


v-^.. 


&T       FABLES    CHOISIES 

Le  Pot  de  terre  en  fouffire  :  il  n'eut  pas  fait  cent  pas  a 
Que  par  Ton  compagnon  il  fut  mis  en  éclats , 
Sans  .qall  eût  lieu  de  fe  plaindre. 

Ne  nous  affrétons  qtfaveoque  nos  égaux , 
Ou  bien  il  nous  faudra  craindre 
Le  defttn  d'un  de  ces  Pots. 


^        FABLE      III.. 

JLe  petit  Pùjffbn  &  h  Pêcheur. 

Jtetit  Poîflbn  deviendra  grand,  .  | 

Pourvu  que  Dieu  .lui  prête  vie, 
Mais  le  lâcher  en  attendant , 
,    Je  tiens  pour  moi  ,que  c'eft  folie  : 
Car  de  le  rattraper,  il  n'eft  pas  trop  certain. 

Un  Garpeau  qui  n'étoiï  encore  que  (  i  )  fretin , 
Fut  pris  par  un  Pêcheur  au  bord  d'une  rivière. 
Tout  fait  nombre ,  dit  Thamme  en"  voyant  fon  butin  y 
Voilà  commencement  de  chère  &  de  feffin: 

Mettons  -  le  en  notre  gibecière. 
£e  pauvre  CarpHlon  lui  dit  en  fa  manière. 
Que  ferez -vous  de  moi.?  je  ne  fçaurois  fournir 

Au  plu9  qu'une  demi  -  bouchée  : 

Laillez- moi  Carpe  devenir; 

Je  ferai  par  vous  repêchée. 
Çjuelque  gros  partifan  m'achètera  bien  cher  r 
"  Au  -  lieu  qri'il  vous  en  faut  ^chercher 

Peut-être  èncor  cent  de  ma  taille    . 
Pour  faire  un  plat;  Qpelpftt?  Croyez-moi,  rien  qui 
'vaille.  *      '  7    ■ 
(i)  Très-petit.   ,;...... 


,4,** 


L  I  V  R   e    y.  m 

Rien  qui  vaille  ?  &  bien  fait ,  repartit  le  Pécheur 
Poitibn,  mon  bel  ami,  qui  faites  le  prêcheur ,     ' 
Vous  irez  dans  la  poêle ,  &  vous  avez  beau  dire, 

Dès  ce  foir  on  vous  fera  frire. 
Un  (2)  tien  vaut ,  ce  dit-on ,  mieux  que  deux  tu  Faurar* 
•  L'un  eft  fur,  l'autre  ne  Tell  pas. 

(1)  Prcns  cela,  je  te  le  donne.  , 


F   A    B    L    E      I  V, 

Les  Qreilfos  du  Lièvre. 


u. 


îi  animal  cornu  blefla  de  quelques  coups 
Le  Lion ,  qui  plein  de  courroux  * 
Pour  ne  plus  tomber,  en  la  peine, 
Bannit  des  lieux  de  fon  domaine 
Tonte  bête  portant  des  cornes  à  fon  front* 
Chèvres,  Béliers , Taureau*  auffi-tôt  délogèrent;. 
Dains  &  Cerfs  de  climat  changèrent  : 
Chacun  à  s'en  aller  fut  prompt.  . 
Un  Lièvre  apercevant  l'ombre  de  fes  oreilles, 
Craignit  que  quelque  (  1  )  Inquifîteur 
N'allât  interpréter  à  cornes  leur  longueur , 
Ne  les  foutifit  en  tout  à  des  cornes  pareilles. 
Adieu,  voifin  Grillon.,  dit -il,  je  pars  d'ici; 
Mes  oreilles  enfin  feroient  cornes  aufïï  : 
Et  quand  je  les  aurois  plus  courtes  qu'une  (  2  )  Au* 

truche, 
Je  craindrois  mêpe  encor.  Le  Grillon  repartit  : 

(1)  Délateur,  qui  fait  métier  de  noircir,  de  décrie* 
les  aâions  les  plus  iqueçchtes.  ' 

U)  G  tôt  otfeau  qui  a  les  oreilles  £*t  courtes» 


*ûo        FABLES    CHOISIES6 

Cornes  cela  !  Vous  me  prenez-pour  cruche  : 

Ce  font  oreilles  que  Dieu  fit. 

On  les  fera  paflfer  pour  cornes  y 
Dit  l'animai  craintif,  &  cornes  de  (3)  Licornes, 
J'aurai  beau  protefter;  mon  dire  &  mes  raifons 

Iront  aux  petites  (4)  Maifons.  . 

Xî")  Animal   qui  n'a   qu'une  corne  tr&-fenGble^au  bas 
Au  front.  .         . 

(4)  Lieu  où  l'on  renferme  les  Fous  a  Parts. 


P    A    B    L    E      V. 

Le  Renard  qui  a  fa  queue  coupée. 


U. 


_    n  vieux  Renard* ,  mais  des  plus  fins , 
Grand croqueur  de  Poulets ,  grand  preneur  de  Lapins, 

Sentant  fon  (  1  )  Renard  d'une  lieue  , 

Fut  enfin  au  piège  attrapé. 
Far  grand  hazard  en  étant  échappé, 
Non  pas  franc ,  car  pour  gage  il  y  laifla  fa  queue , 
S'étant,  dis-je,  fauve,  fans  queue  &  tout  honteux; 
Pour  avoir  des  pareils ,  (  comme  il  étoit  habile  ) 
Un  jour  que  les  Renards  tenoient  confeil  entre  eux, 
Que"  faifons- nous,  dit -il,  de  ce  poids  inutile, 
Et  qui  va  balayant  tous  les  fentiers  fangeux? 
Que  nous  fert  cette  queue?  Il  faut  qu'on  fe  là  coupe; 
Si  Ton  me  croît,  chacun  s'y  réfoudra.  /  ! 

Votre  avis  eft  fort  bon,  dit  quelqu'un  de  la  troupe, 
Mais  tour  nez -vous,  de  grâce,  &  l'on  vous  répondra. 
A  ces  mots  il  fe  fit  une  telle  (2)  huée, 

(1)  C'eft -à -dire,  des  plus  rufés. 
(1)  Cri  de  mocquerie. 

Que 


*• 


LIVRE      V.  xzi 

Que  le  pauvre  écourté  ne  put  être  entendu. 
Prétendre  ôter  la  queue  eût  été  temps  perdu: 
%a  mode  en  fut  continuée. 


FABLE      V I. 

La  yieiUe  &  tes  deux  Servante!,    i 


1  étoit  une  Vieille  ayant' deux  Chambrières.    . 
Elles  filoient  û  bien ,  que  les  fcëurs  (i)  filandiéres 
Ne  fatfoient  que  brouiller  au  prix  de  celles  -  ci. 
La  Vieille  n'avoit  point  de  plus  preffant  fpuci 
Que  de  diftribuer  aux  Servantes  leur  tâche  i  • 
Dès  que  (2)  Thétis  (3)  chaflbit  Phœbus  aux  crini 

dorés ,  --.'.* 

Toarcts  entroient  en  jeu,  fufeaux  étoient  tirés,    • 

Deçà,  delà,  vous  en  aurez: 

Point  de  celle ,  point  de  relâche. 
Dès  que  1* Aurore,  dis -je,  en  fonchar  remontoir, , 
Un  miférable  Coq  à  point.nommé  chantôit  : 
Auffi-tôt  notre  Vieille,  enepr  plus,  miférablç 
^S'affubloit  d'un  jupon  crafleux  &  déteftablê , 
Allumoit  une  lampe,  &  couroit  droit  au  lit, 
Où ,  de  tout  learr  pouvoir  ; .  de  touHeur  apétft,.;,  _ 

Dormoient  les  deux  pauvres  Servantes. 
L'une  en|trrouvroit  un  «il ,  l'autre  étendoit  un  bras; 

Et  toutes  deux^ très -mal  contentés , 
Difoient  entre  leurs  dents  :  maudit  Coq,  tu  mourras» 

(1)  Les  trois  rarques  occupées  £  filer  la  vie  des  hom* 

BMS.  ' 

(1)  Décflc  de  1*  Mer,  &  la  Mer  même,  d'où  les  Poe. 
tes  fuppofVnt  que  le  Soleil ,  qu'ils  nomment  Phœbus ,  fe 
lève  tous  les  matins*  après  s'y  être  allé  coucher  tous  les 
loics.  •    „ 

(})  Ceft-i-dlre ,  dit  que  U  Soleil  fe  lewit* 


i 


Î22        FAJSTLES    CHOISIES 

Comme  elles  Pavoîént  dit,  la  bète  fut  gfîpéel 
Le  (4)  réveille -matin  eut  la  gorge  coupée. 
Ce  meurtre  n'amandà  nullement  leur  marché. 
Notre  couple,  au  contraire,  à  peine  étoit  eouché, 
Que  la  Vieille  craignant  de  laiffer  parler  l'heure,  ' 
Couroit  comme  un  Lutin  par  toute  fa  demeure. 

Ceft  ainfi  que  le  plus  fouvent, 

Quand  on  penfe.foxtir  d'une  h&uvkife  affaire, 

On  s'enfonce  encor  plus  avant: 

Témoin  ce  couple  &  fon  falaire. 

La  Vieille,  au  -  lieu  du  Coq,  les  fit  tomber  par -là 

'  '      De  (5)  Caribde  en  Sylla. 

(4)  Comme  le  Coq  chante  régulièrement  au  point  du 
jour,  La  Fontaine  s'cft  avifé  fort  à  propos,  de  lui  don- 
ner le  nom  de  HévtiJle-matin  «  nom  propre  de  cette  efpc- 
ce  de  Montres ,  qui ,  faites  pour  carillonner  i  telle  heure 
qu'on  veut,tervent  à  réveiller  ceux  qui  les  montent  pour 
être,  éveillés  précifément  à  cette  heure-là. 

<  5  )  Deux  Ècueils  .dans  le  détroit  qui  fépare  l'Italie  de 
la  Sicile  :  dont  l'un  ,  lunette  aux  Vaiflcaux  qui  s'apro- 
choient  de  trop  près  des  Côtes  d'Italie  ,  fe  nommoit 
Ay(l*i  &  l'autre,  gouffre  horrible  en  Sicile,  vis-à-vis 
de  Sylla ,  fe  nommoit  Caribde.  Il  arrivoit  fouvent  au 'on 
donnoit  contre  l'un  de  ces.  Ecueils  en  voulant  éviter  l'au- 
tre,  ce  qui  a  fondé  le  Proverbe- r  Tomber  de  Ctribd*  tn 


gaggggHBi  mI  '.  .i.,,»,    ,',','  sa 
F    A    B    L    E      VIL 
Le  Satyre.  &  te  PaJJanu 


A«: 


fond  d'un  afitre  fauvâge, 
Un  Satyre  &  fes  enfans, 
Alloient  manger  leur  potage 
Et  prendre  Técuelie  aux  dents. 


L    I    V    R    E      V.  Uj 

€>n  les  eût  vas  .fur  la  moufle 
1m,  fâ  Fciftmè ,  &  maint  petit: 
Ils  n'avoïent  tapis  ni.  bouffe, 
.  Mais  tous  fort  bon  gpétit. 

Pour  fe  fauver  de  la  pluie 
Entre  un  paflànt  morfondu, 
Au  brouet  on  le  convie, 
11  n'étolt  pas  attendu. 

Son  hôte  n'eut  pas  la  peine 
De  le  (  i  )  femondre  deux  fols. 
D'abord  avec  fon  haleine 
Il  fe  réchauffe  les  doigts, 

Puis,  fur  le  mets  qu'ort  lui  donne, 
Délicat,  il  fouffle  auffi. 
Le  Satyre  s'en  étonne  ; 
Notre  hôte ,  à  quoi  bon  ceci  t 

L'un  refroidit  mon  potage, 
L'autre  réchauffe  ma  main. 
Vous  pouvez,  dit  le  Sauvage, 
Reprendre  votre  chemin.  .     . 

Ne  plaife  aux  Dieux,  que  je  couche 
Avec  vous  fous  même  tofc. 
Arriére, ceux  (a)  dont  la  boucha 
Souffle  chaud  &  froid. 

(0  Vieux  mot,  q*l  fignifîe  invhtr,  envier* 
(i)  Qui  difent  d'une  même  Perfonne,  d'un  même  Fait  _ 
■«blanc  &  le  noir,  le  pour  8t  le  contre ,  louar.s  &  bl»« 
■jm  indifféremment  foutes  chofes  ,  dans  des  vue*  int«\ 
*««>  &ns  *ucùn  refpçft  pour  la  vérité. 


F  * 


&4:       FABLES    CHOISIES 

FABLE      VIII. 

Le  Cheval  &  te  Loup. 

\J  n  certain  Loup.,  dans  la  (  i  )  faifon 
Que  les  tiédes  Zéphirs  ont  l'herbe  rajeunie  » 
Et  que  les  animaux  quittent  tous  la  maifoiï, 

Four  s'en  aller  chercher  leur  vie  ;    * 
Un  Loup,  dis-je,  au  fortir  des  rigueurs  de  i'hyver, 
Apperçut  un  Cheval  qu'on  avoit  mis  au  (2)  vert. 

Je  laifle  à  penfer  quelle  joie.     ~ 
Bonne  çhaffe^  dit -il,  qui  l'auroit  à  fon  croc. 
Eh  que  n'eft-tu  Mouton!  car  tu  me  ferois  (3)  hoc: 
Au -lieu  qu'il  faut  rufer  pour  avoir  cette  proie  : 
Ruions  donc*    Ainfi  dit,  il  vient  à  pas  comptés, 

Se- dit  (4)  Ecolier  d'Hippocrate; 
Qu'il  connoît  les  vertus  &  les  propriétés  • 

De  tous  les  (impies  de  ces  prés  : 

Qij'il  fçait  guérir,  fans  qu'il  fe  flatte, 
Toutes  fortes  de. maux.    Si  Dom  Courfier  vouioit 

Ne  point  celer  fa  maladie , 
•     Lui  Loup  gratis  le  guériroit. 

Car  le  voir  dans  cette  prairie 
:  Paître  .ainfi  fans  être  lié, 
Témoignent  quelque. mal,  félon  la  Médecine» 

J'ai ,  dit  la  Bête  chevaline , 

Une  apoilum&  fous  le  pied. 

(O  Au  Printems.  ] 

(1)  Dans  un  jjré ,  pour  manger  I'htroe.  j 

(3)  T»  fltêh  à  mit '9  par'alluiion  à  une  fortic  de  jeu  ai 

carets  qu'on  nomme  U  Hect  ou  l'on  dit   H«c  en  jcttaH 

fur  le  tapis  certaines  cartes  qui  font  gagner  ceux  qui  Ici 

jouent. 

(*)  Médecin. 


L    I    V    R    E      V.  izs 

Mon  fils ,  dit  le  Doéteur ,  il  n'eft  point  de  partie 
Susceptible  de  tant  de  maux.  * 

J'ai  l'honneur  de  fervir  NofFeigneurs  les  Chevaux; 
Et  fais  auffi  la  Chirurgie.    . 

Mon  galant  ne  fongeoit  qu'à  bien  prendre  fon  temps, 
Afin  de  haper  fon  malade. 

L'autre,  qui  s'en  doutoit,  lui  lâche  une  ruaçk, 
Qui  vous  lui  met  en  marmelade 
Les  (5)  mandibules  &  les  dents. 

C'cftbîen  fait,  dit  le  Loup  en  foi -même fort  trifte, 

Chacun  à  fon  métier  doit  toujours  s'attacher.  v 
Tu  veux  faire  ici  x(o")  THerhorifte , 
(  Et  ne  fus  jamais  que  Boucher. 

(f)  Les  mâchoires. 

(6)  Qui  $' api i que  à  la  connoiflance  des  Plantes. 


FABLE      IX. 

Le  Laboureur  &fet  Enfant. 


■T. 


ravaillez,  prenez  de  la  peine:'. 
Ceil  le  fonds  qui  manque  le  moins. 

tJn  riche  Laboureur  fentant  fa  mort  prochaine, 
fit  veitfr  fes  enfaos ,  leur  parla  fans  témoins.  * 
Cardez -vous,  leur  dit -il,  de  vendre  l'héritage    .. 

Quq  nous  ont  iaiffé  nos  parens  : 

Un  tréfor  cft  caché  dedans, 
ne  fçais  pas  l'endroit  ;  mais  un  peu  de  courage 
tous  le  fera  trouver ,  vous  en  viendrez  à  bout. 
Remuez  votre  champ  dès  qu'on  aura  fait  (  1  )  i'out. 
Creufez,  fouillez,  bêchez,  na biffez  nulle  place 

( l  )  Apres  qu'on  aura   recueilli  les  grains  ,   après   la 
BoiiRm, 

r  3 


ï 


\ 


i 


lié       FABLES    CHOISIES 

Où  la  main  ne  paflfe  &  repaffe. 
JLe  ptre  mort,  les  fils  vous  retournent  te^  champ f 
ïte-çà,  de -là,  par'- tout;  fi  bien  qu'au  bout  de  lai 

Il  en  raporta  davantage. 
D'argent,  point  de  caché.    Mais  le  peie  fut  fage 

De  leur  montrer  avant  fa  mort» 

Que  le  travail  eft  un  tréfor. 


F   A    B    L    E      X. 

La  M&itagne  qui  accouche* 


u. 


ne  Montagne  en  mal  d'enfant  ' 
Jettoit  une  clameur  fi  haute , 
Que  chacun  au  bruit  accourant, 
Crut  qu'elle  accoucherait ,  fans  faute  * 
D'une  Cité  plus  groife  que  Paris  : 
Elle  accoucha  d'i»e  Souris. 

Quand  je  fonge  à  cette  Faible,. 
Dont  le  récit  eft  menteur, 
•     *     Et  le  fens  eft  véritable, 
Je  me  figure  un  Auteur , 
*         Qui  dit:  Je  chanterai  la  guérie 
Que  firent  les  Titans  au  Maître  du  tonnerre. 
Ceft  promettre  beaucoup  :  mais  qu'en  fort'il  fouvent 

Du  (i)  veni 

1 0  Rien  du  tout ,  ou  fort  peu  de  chofe 


LIVRE      V.  «» 

• s- \ 

FA    B    L    E  *    X  I.  ' 

La  Fortune  &  te  jeune  Enfant. 


s, 


Par  le  bord  d'un  puitsirès- profond, 
Dormoit,  étendu- de  Ton  long, 
Un  Enfant  alors  dans  fes  claÎTes. 
Tout  eft  aux  Ecoliers  couchette  &  matelas. 

Un  honnête  homme- en  pareil  cas, 
Auroit  fait  un  faut  de  vingt  brafles. 
Près  de  là  tout  beureufement 
La  Fortune -pafla,  réveilla  doucement, 
loi  difant  :  mon  mignon ,  je  vous  fauve  la  vie 
Soyez  une  autre  fois  plus  fage ,  je  vous  prie. 
Stvofos  fuffiez  tombé,  Ton  s'en  fût  pris  à  moi, 
Cependant  c'étoit  votre  faute. 
Je  vous  demande,  en  bonne  foi,  y 

|  Si  cette  imprudence  fi  haute 

îiûtieût  de  moa^ç^xice?  Elle  part  à  ces  mou*  ' 

*  Pour  moi ,  j'approuve  fon  propos» 
Il  n'arrive  rien  dans  le  monde 
Qu'il  ns-  faille  qu'elle  en  réponde  t 
Nous  la  faifons  de  tous  (  i  )  écots  : 
Elle  eft  prife  i  garant  de  toutes  avantures/ 
£ft-oj*  fot,  étourdi,  prend -on  mal  fes  mefures, 
On  penfe  en  être  quitte  en  aceufanffon  fort  :       / 
Bref,  la  Fortune  a  toujours  tort. 

(t)  Ecoteit  la  part  que  chacun  doit  payer  pour  un  re- 
ps commun.  Faifons  -  nous  une  fottile  ,  nous  en  mettons 
«meilleure  partie  fur  le  compte  de  la  Fortune.  Nou» 
lui  faifons  payer  largement  fon  écot  pour  le  mauvais  fuc» 
€"  d'aie  affaiic  auquel  elle  n'a  contribua  en  aucune  m*» 

■&erc.«  .    . 

F4 


US       FABLES    CHOISIES 

FA    B    L    E      X  I  I. 

Les  Médecins. 

te  Médecin  (i)  Tant -pis  alloityoir  un  malade, 
Que  vîfitoit  auffi  fon  confrère-  (2)  Tant -mieux. 
Ce  dernier  efpéroit ,  quoique  fon  camarade 
Soutint  que  le  (  3  )  gifant  iroit  voir  fes  ayeux. 
Tols  deux  s'étam  trouvés  différens  pour  la  cure, 
Leur  malade  paya  le  (4)  tribut  à  Nature'; 
Après  qu'en  tes  confeils  Tant-pis  eut  été  crû. 
Ils  triomphoient  encor  fur  cette  maladie. 
L'un  difoit,  il  eft  mort,  je  Pavois  bien  prévôr 
S'il  m'eût  crû,  difoit  l'autre,  îl  feroit  plein  de  vie. 

(  1  )  (  2  )  Médecins  d'un  caractère  oppofé  •  dont  l'un 
faifoît  toujours  des  pronoiiics  funcltcs  ,  &  l'autre  des' 
pronoftics  heureux 

(3)  Le  malade  qui  étoît  au  lit» 

(4)  Mourut, 


FABLE      XIII. 

La  Poule  aux  œufs  d'or. 

JL/'avaric^  perd  tout  en  voulant  .tout  gagner.  • 

Je  ne  vteux  pour  le  témoigner 
Que  celui  dont  la  Poule,  à  ce  que  dit  la  Fable, 
Pondoit  tous  les  jours  un  œuf  d'or.     . 
Il  crut  que  dans  fon  corps  elle  avoit  un  tréfor. 
Il  la  tua,  l'ouvrit;  &  la  trouva  femblable 
A  celles  dont  les  œufs  ne  lui  raportoient  rien , 
S'étant  lui-même  ôté  le  plus  beau  de  fon  bien» 


I  L    I    V    R    E      V.  '  î2p 

Belle  leçon  pour  les  gens  chicesî 
.  Pendant  ces  derniers  temps  cqmbien  en  a-t-on  vus , 
}  Qui  du  foir  au  matin  font  pauvres  devenus , 

Pour  vouloir  trop  tôt  être  riches  ? 


FABLE      XIV. 

V Ane  portant  des  Reliques. 

\J  n  Baudet  chargé  de  Reliques, 

S'imagina  qu'on  l'adoroit. 

Dans  ce  penfer  il  fe  carroit, 
Recevant  comme  fiens  l'Encens  &  les  Cantiques. 

Quelqu'un  vit  l'erreur,  &  lui  dit: 
'  "    Maître  Baudet ,  ôtez-vous  de  l'efprit 

Une  vanité  fi  folle. 
.   Ce  n'eft  pas  vous ,  c'eft  (  i  )  l'idole  > 

A  qui  cet  honneur  fe  rend, 

Et  que  la  gloire  en  eft  due. 

D'un  Magiftrat  ignorant, 

C'eft  la  robe  qu'on  falue. 

1  (i)  L'image  vla  Statue  de  quelque  Divinité*. 


Un 


FABLE      XV. 

Le  Cerf  &  la  Vigne. 


Cerf,  à  la  faveur  d'une  Vigne  fort  liante, 
Et  telle  qu'on  en  voit  en  de  certains  climats , 
S'étant  mis  à  couvert,  &  fauve  du  trépas, 
Les  Veneurs  pour  ce  coup"  croyoient  leurs  (  i  ) 
chiens  en  faute.    ' 

(  O  Qu'ils  iToi^ût  perdu  la  pifte  de  la  bétc  qu'ils  cTmU 
fbifjtt. 


îSo       FABLES    CHOISIES 

Ils  les  rappellent  donc.   Le  Cerf,  hors  de  danger $ 
Broute  (2)  fa  bienfaitrice,  ingratitude  extrême  ! 
On  l'entend,  on  retourne,  on  1er  fait  déloger: 
Il  vient  mourir  en  ce  lieu  môme. 

Î'ai  mérité,  dit -il,  ce  jufte  châtiment, 
rofitez-en,  ingrats.    11  tombé  en  ce  moinent* 
La  Meute  en  fait  (  3  )  curée.    Il  lui  fut  mutile 
De  pleurer  aux  Veneurs  à  fa  mort  arrivés» 

Vraie  image  cle  ceux  qui  profanent  l'afyle 
Qui  les  a  contervé^ 

(%)  La  Vitné  qui  lui  aroit  fenri  de  retraire. 
(  3  )  Les  chiens  mangent  la  portion  que  les  Clufleurs 
leur  en  donnent»  &  qu'on  nomme  Cmriê. 

«SBaSBaSSSBSESSSSSSS^^ 

FABLE      XVI. 
La  Serpent  &  ta  Urne. 


o. 


_  Fn  conte  qu'un  Serpent,  voifîn  d'un  Horloger, 
(C'étoit  pour  l'Horloger  un  mauvais  voifïnage) 
JEntra  dans  fa  boutique ,  &  cherchant  à  mène»  > 

«N'y  rencontra  pour  tout  potage     ^ 
Qu'une  Lime  d'acier  qu'il  fe  mit  à  rctoger* 
Cette  Lime  lui  dit-,  fans  fc  mettre  en  colère , 
Pauvre  ignorant  !  Et  que  prétens  -  tu  faire.? 
Tu  te  prens  à  plus  dur  que  toi  r 
Petit  Serpent  à  tête  folle; 
Plutôt  que  d'emporter  de  moi 
.  Seulement  le  quart  d'une,  obole, 
Tu  te  romprpis  les  dents  :  .    * 
Je  ne  crains  que  celles  du  (  x  )  temps. 

(1)  Les  dents  du  Temps,  qui  détruit  toute»  ciioic* 


L    J    V    R    E     V.  jjl 

Ceci  sVrérefle  à  vous,  Efprfts  du  dernier  ordres 
Qui  n'étant  bons  à  rien,cherchez  (2>fur  tout  à  moidrer 

Vous  vous  tourmentez  vainement.  ■ 
Croyez-vous  quç  vos  dents  impriment  leurs  outrage» 

Sur  tant  de  beaux  ouvrages  ? 
Ils  font  pour  vous  d'airain ,  d'acier ,  de  diamant. 

(2)  C'cft-à-dire ,  à  prendre,  à  trouvera  redise  fut  cône* 


F   A    B    L    E      XVII. 
Lu  JJèopt  &  ta  Pn>ènx. 


I 


1  ne  fe  faut  jamais-  moquer  des  miférables  : 
Car  qui  peut  s'affurer  d'être  toujours  heureux? 
Le  fage  Efope  dans  fes  Fables , 
Nous  en  donne  un  exemple  ou  deux» 
Celui  qu'en  ces  vers  je  propofe, 
Et  les  fiens,  ce  font  même  chofe. 

Le  Lièvre  &  la  Perdrix,  concitoyens  d'un  champ,. 
Vivoient  dahs  un  état ,  ce  feirible ,  afez  tranquille  : 

Quand  une  meute  s'^pprochant,      f  , 
Oblige  le  premier  à  chercher  un  (  1  )  afyle. 
Il  s'enfuit  dans. fon-  fort,  met  les  chiens  en  défaut; 

Sans  même  en  excepter  (2)  Brifaut. 
^nfin  il  fe  trahit  litf-même 
P»  les  (3)  erpfits  fortant  de  fon  corps  échauffé* 
(4)  Miraut ,  fur  leur  odeur  ayant  philofophé , 
Conclut  que  rtft  fon  Lièvre;  &,  d'une  ardeur  extrême^ 

(  \  )  Un  lieu  pour  fe  cuber» 
(1)  Nom  de  Chien  de  cbafTe. 

(j)  L'odeur  que  répand  une  bête  pourfuîVie.         '        . 
4f  >  Autre  no*  d»  Chien.  ' 

.    F  6 


xgs        FABLES    .CHOISIES 

Il  le  pouffe  ?&  Ruftant,  qui  n'a  (5)  jamais  menti; 

Dit  que  le  Lièvre-  eft  reparti. 
Le  pauvre  malheureux  vient  mourir  à  fon  gîte. 

La  Perdrix  le  raille,  &  lui  dit: 

Tu  te  vantois  d'être  fi  vite  ; 
Qu'as -tu  fait  de  tes  pieds?  Au  moment  qu'elle  rit, 
Son  tour  vient ,  on  la  trouve.  Elle  croit  que  fes  aîles 
Isa  fçauront  garantir  à  toute  extrémité  : 

Mais  la  pauvrette  avoit  compté 
*     -    •  -Sans  #5)  MutouFirax  *(?)' fer res  cruelles, 

(O  Qui  ne  s'cft  jamais  trompe*. 

(6)  OÎffatf  dtproTre.      •'  ~       *• 

(7)  Ltfs  griffes  de  l'Autour. 


L 


F   A    B    L    E      XVI  IL 

*   JJ Aigte  &  te  Hibou.       •'  *' 


f'Aîgie.&leChat-huant  leurs  querelles  ceflerent; 
Et  firent  tant  qu'ils  s'embrafferent. 
L'un  jura  foi  de  Roi,  l'autre  foi  de  Hibou, 
Qu'ils  ne  fe  goberoient  leurs  petits  peu  ni  prou. 
Conhoiflez-vous  les  miens  ?  dit  (1.)  l'Oifeau  .de 
:  ÎMinerve. 
Non,  dit  l'Aigle.  Tant  pis,  reprit  le  trifte  Oifeau; 
Je  crains  en  ce  cas  pour. leur  peau: 
*  Ceft  hazard ,  fi  je  les  conferve. 

Comine  vous  êtes  Roi ,  vous  ne  confîdér#z 
Qui  ni  quoirRois  &  Dieux  mettent, quoiqu'on  leur  die, 

Tout  en  même  (2)  catégorie". 
Adieu  mes  nourrifibns  fi  vous  les  rencontrez. 
Peïgnez-lês-moî ,  dftl'Àïglé  >  ou  bien  me  lès  montrez, 
Je  n'y  toucherai  <te  ma  ^vie. 

(1)  Le  HiI>ou#  .     ,.-..'' 

(2)  Au  sScmc  rang,  fans  faire  la  meînda  dîfrnStfon. 

3  i 


L    IVRE      V.     :•         fsj 

Le  Hibou,  rApartit  ;  jne&  petits  font  mignons , . .     ,» 
;  Beaux ,  bien  faits ,  &  jolis  fur  tous  leurs  compagnons': 
Vous  les  reconrioîtrez  fans  peine  à  cette  marque. 
N'allés  pas  l'oublier:  retenez- la, fi  bien, 

Que  chez  moi  la  maudite  (  3  )  Parque  .  ^ 
T  N'entre  point  par  votre  moyen. 

Il  avint  qu'au  Hibou  Dieu  donna  géniture  : 
De  façon  qu'un  beau  foir  qu'il  étoit  en  pârare, 
!  Notre  Aigle  aperçut  d'avanture , 

1  '       Dans  les  coins  d'une  roche  dure, 

Ou  dans  les  trous  d'une  mazifre , 
(Je  ne  fçai  pas  lequel  des  deux) 
JDe  petits  monftres  fort  hideux, 
Rechignes,  un  air  trifte,  une  voix  de  Mégère* 
Ces  enfans  ne  font  pas ,  dit  l'Aigle ,  à  notre  amî  : 
Croquons  -les.     Le  galant  n'en  fit  pas  à  demi  : 
;  Ses  repas  ne  font  point  repas  à  la  légère. 

Le  Hibou,  de  retour,  ne  trouve  que  les.  pieds 
!  De  fes  chers  nouiriflbns ,  hélas  !  pour  toute  chôfe.: 
I  II  fe  plaint;  &  les  Dieux  font  par  lui  fuppliés 
De  punir  le  brigand  qui  de  fon  deuil  eft  caufe. 
j  Quelqu'un  lui  dit  alors  :  n'en  aceufe  que  toi , 
Ou  plutôt  la  commune  loi , 
Qui  veut<Ju'on  trouve  fon  femblable    ./' 
Beau ,  bien  fait ,  &  fur  tous  aimable. 
Tu  fis  de  tes  enftns* à  l'Aigle  ce  portrait: 
En  avoient-ils  le  moindre  trait? 

(3)  Celle  des  troi^qui  coupe  le  fil  de  la  vie.   Les  Poe» 
Us  difent  communément  que  c'cft  xAtrtyou 


m 

>A*LI'8    CHOISIES 

Le 


FABLE      XIX. 

Xéi  Lion  syen  allant  en  guerre. 


fe  Lion  dans  fa  tête  avoit  une  entreprife. 
11  tint  confeii  de  guerre >  envoya  fes  Prévôts, . 

Fit  avertir  les  Animaux  : 
Tous  furent  dii  deflein,  chacun  félon  fa  guife. 

L'Eléphant  devoit  fur  fon  dos 

Porter  l'attirail  néceflaire,. 

Et  combatre  à  fon  ordinaire  : 

L'Ours  ^'apprêter  pour  les  aflauts  : 
Le  Renard  ménager  de  certaines  pratiques; 
Et  le  Singe  amufer  l'ennemi  par  fes  toursi 
Renvoyez ,  dit  quelqu'un ,  les  Anes  qui  font  lourds  ; 
Et  les  Lièvres  fujets  à  des  terreurs  paniques. 
Point  du  tout ,  dit  le  Roi ,  je  les  veux  employer  ; 
Kotre  troupe,  fans  eux,  ne  feroit  pas  complétée. 
L'Ane*  effraira  les  gens, nous  fervant  de  trompette; 
Et  le  Lièvre  pourra  nous  fervir  de  courier. 

Le  Monarque  prudent  &  fage , 
De  fes  moindres  fujets  fçait  tirer  quelque  ufage, 

Et  connoit  les  divers  talens. 
Il  n'eft  rien  d'inutile  aux  perfonnes  de  fen*. 


FABLE      XX.. 
JJOurs  &  tes  deux  Compagnons. 


De 


feux  Compagnons  preflës  d'argent, 
A  leur  voifm  Fourreur  vendirent 
La  peau  d'un  Ours  encor  vivant; 
liais  qu'ils  tueroient  bientôt,  du  moins  à  ce  qu'ils 
dirent. 


t    I    V   R    E     V.  ïj£ 

Cétolt  le  Roi  de»  Ours ,  au  compte  de  ces  gens. 
Le  Marchand ,  à  fa  peau ,  devoit  faire  fortune  : 
Elle  garantirait  des  froids  les  plus  cuifans  ; 
On  en  pourroit  fourrer  plutôt  deux  robes  qu'une, 
(i)  Dindenaut  prifoit  moins  fes  Moutons  qu'eux 

leur  Ours, 
Leur,  à  leur  compte,  &  non  i  celui  dé  la  béte. 
S'offrant  de  la  livrer  au  plus  tard  dans  deur  jours, 
Us  conviennent  de  prix ,  &  fe  mettent  en  quête , 
Trouvent  l'Oura  qui  s'avance,  &  vient  vers  eux  au  trou . 
Voilà  mes  gens  frappés  comme  d'un  coup  de  foudre» 
Le  marché  ne  tint  pas ,  il  fallut  le  réfoudre  : 
(2)  D'intérêts  contre  l'Ours ,  on  n'en  dit  pas  un  mot 
L'un  des  deux  Compagnons  grimpe  au  faite  d'un  arbre; 

L'autre  plus  froid  que  n'eft  un  marbre, 
Se  couche  fur  le  nez ,  fait  le  mort,  tient  fon  vent,. 
Ayant  quelque  part  ouï  dire , 
Que  l'Ours  s'acharne  peu  fouvent 
Sur  \m  corps  qui  ne  vit ,  ne  meut,  ni  ne  refpîre. 
Seigneur  Ours ,  comme  un  fot ,  donna  dans  ce  panneau» 
11  voit  ce  corps  gifant,  le  croit  privé  de  vie  ; 

•  •    Et  de  peur  de  fupercherie , 
Le  tourne,  le  retourne,  approche  fon  rnufeau, 

Flaire  aux  paffages  de  l'haleine 
C'eft,  dit -il,  un  cadavre:  ôtons-nous,  car  il  fenk 
A  ces  mots ,  l'Ours  S'en  va  dans  la  Forêt  prochaine. 
L'un  de  no^deux  Marchands  de  fon  arbre  defcend  t 
Court  i  fon  compagnon ,  lui  dit  que  c'eft  merveille, 
Qu'il  n'ait  eu  feulement  que*  la  peur  pour  tout  mal. 

(0  Marchand  de  Moutons,  nommé  Dinà*n*m%  févére- 
*««  puni  pour  avoir  kifuké  Panurge,  &  mis  à  trop  haut 
pnx  fa  marchandée  ;  comme  Rabelais  le  raconte  plaifam- 
?  ft'ft*  **  mani*xc*    v°yc*  P*nt*&r*tl ,  Liv.  iv.  chap.  6  » 

W  Quant  à  la  peine  &  *  la  dépenfe  qu'a  voit  coûté 
"tic  expédition  contre  ïOuà*>**  nt  tm  <*  dît?**  AuijNt* 


*3?        FAB'LES    «HOiSîES 

Et  Jnen ,  ajouta-- 1  -  iL,  la  peau  de  ranimai  ? 

Mais  que  t'a  -t  -  il  dit  à  l'oreille  ? 

Car  il  t'approchoit  de  bien  près* 

Te  retournant  avec  fa  ferre, 

li  m'a  dit  qu'il  ne  faut  jamais 
Vendre  la  peau  de  l'Ours  qu'on  neTaitmispar  terre. 


fable    XXI. 

L'Ane  vêtu  de  ta  peau  du  Lion. 


De 


re  Ja  peau  du  Lion  l'Ane  s'étant  vêtu, 
Etoit  craint  par  -  tout  à  îa  roîide  ; 
Et  bien  qu'arrimai  fans  vertu , 
Il  faifoit  trembler  tout  le  monde. 

Un  petit  bout  d'oreille  échappé  par  malheur, 
Découvrit  la  fourbe  &  l'erreur. 
(  i  )  Martin  fit  alors  fon  office. 

Ceux  qui  ne  fçavoient  pas  la  rufe  &  la  maiic^, 
S'étonnoient  de  voir  que  Martin 
Chaflîc  les  Lions  au  moulin. 

Force  gens  font  du  "bruit  >en  France , 
Par  qui  cet  Apologue  eft  rendu  familie* 
Un  équipage  cavalier 
Fait  les  trois  quarts  de  leur  vaillance. 

£«)  Valet  de  Meunier,  armé  d'un  gros  bâton. 
Fin  du*cinquiéme 'Livre. 


LIVRE         SIXIEME. 

EABLE    PREMIERE. 

Le  Pâtre  &  te  Lion. 

F    A     B     L     E      I  h 

Le  Lion  &  le  Çhqffeur.  * 


JL/E 


tes  Fables  ne  font  pas  ce  quelles  fcmblent  être: 
Le  plus  fimple  animal  nous  y  dent  lieu  de  maître. 
Une  morale  nue  apporte  l'ennui: 
Le  conte  fait  paûer  le  précepte  avec  lui. 
En  ces  fortes  de  feintes  il  faut  inftruire  &  plaire; 
Et  conter  pour  conter  me  ferable  peu  d'affaire. 
C'eft  par  cette  jaifon ,  qu'égayant  leur  efprit» 
Nombre  de  gens  fameux  en  cq.  genre  ont  écrie 
Tous  ont  fui  l'ornement  &  le  trop  d'étendue. 
On  ne  voit  point  chez  eux  de  parole  perciue.  " 
Phèdre  étoit  û  fuccinft  qu'aucuns  l'en  ont  blâmé. 
Efope  en  moins  de  mots  s'eft  encore  exprimé. 
Mais  fur  tous, certain  (i)  Grec  renchérit &fe pique 
D'une  élégance  (  i  )  Laconique. 

(i)  Oakriét.    * 

(i)  Trcs-fuccinUe,  comme  celtes  des  LacCdémoniens» 


i 


à 


Î3S        FABLES    CHOJSIES  j 

U  renferme  toujours-fou  conte  en  quatre  vers; 
Bien  ou  mal ,  je  le  teiffe  à  Juger  aux  Experts.  ' 

Voyons  -  le  avec  Efopê  en  un  fujet  fcmblablp. 
L'un  amène  un  ChafTeiir,  l'autre  un  (3). Pâtre  en 
.    fa  Fable.     -      .  . 

J'ai  fuivi  leur  projet  quant  à  l'événement, 
Y  coufant  en  chemin  quelque  trait  feulement.. 
Voici  comme,  à  peu  près ,  Efope  le  raconte. 

Un  Pâtre  à  fes  brebis  trouvant  quelque  mécompte, 
Vioulut  à  toute  force  attraper  le  iawon. 
II  s'en  va  près  d'un  antre ,  &  tend  à  l'enyiron 
Des  laç$  à  prendre  loups ,  foupçonnant  cette  engeance. 

*      •  Avant  que  dé  partir  de  ces  lieux, 
Si  tu  fais,  difoit-il  ,<ô  (4)  Monarque  des  Dieux, 
Que  le  drôle  à  ces  lacs  fe  prenne  en  ma  préfence, 

Et  que  je  goûte  ce  piaifir, 
•  Parmi  vingt  veaux  je  veux  choiâr 

Le  plus  gras ,  &  t'en  faire  oflpnde. 
A  ces  mots  fort  de  l'antre  un  Lion  grand  &  fort. 
Le  Pâtre  fe  tapit,  &  dit  à  demi  mort: 
Que  l'homme  ne  fçait  guère ,  hélas  !  ce  qu'il  demande! 
Pour  trouver  le  larron  qui  détruit  mon  troupeau, 
Et  le  voir  dans  ces  lacs  pris  avant  que  je  parte , 
O  Monarque  des  Dieux,  je  t'ai  promis  un  veau; 
Je  te  promets  un  bceuf ,  fi  tu  fais  qu'il  s'écarte* 

Ceft  ainfî  que  l'a  dit  le  principal  Auteur: 
Pafibris  à  fon  imitateur. 


u. 


1  n  Fanfaron ,  amateur  de  la  chaflb, 
Venant  de  perdre  un  chien  de  bonne  race, 
Qu'il  foupçonnbit  dans  le  corps  d'un  Lion, 
vit  un  Berger.  Enfeigne -moi  de  grâce, 

( }  )  Ou  Berger  qui  gude  des  troupeau*  de  fcrebi*. 
14)  Jupiter. 


'     L    I    V    R    E     V  I.  499 

De  mon  voleur,  lui  dit- il,  la  ïnaifon, 

Que  de  ce  pas  je  me  Me  raifofi. 

Le  Berger  dit:  c'eft  vto  cette  montagne.   > 

En  lui  payant  deN  (  1  )  tribut  ua  moutoa 

Par  chaque  mois,  j'erre  dans  lu  campagne 

Comme  il  me  plaît;  &  je  fuis  en  repos; 

Dans  le  moment  qu'ils  tenoient  ce  propos  > 

Le  Lion  fort,  &  vient  d'un  pas  agile. 

Le  fanfaron  aufE-tôt  d'efquiver. 

O  Jupiter,  montre  -moi  quelque  afyle, 

S'écria -t- il,  qui  me  puifijs  feuver.   , 

La  vraie  épreuve  de  courage  ->y. 

N'eft  que  dans  le  danger  que  Ton  touche  du  doigt: 
Tel  le  cher  choit ,  dit  -  il ,  qui ,  changeant  de  langage* 

S'enfuit  aufB-tôt  qu'il  le  voit. 

(  i  )  Comme  une  vente  Seigneuriale. 


FA    B    L    E      Ml. 

(i)  Pbœfas  &  Borée. 

j3orée  &  le  Soleil  virent  un  Voyageur, 

Qui  s'étok  muni  par  bonheur 
Contre  le  mauvais  temps.  On  entrott  dans  Fautomûe* 

Suand  la  précaution  au*  Voyageurs  eft  bonne  i  * 
pleut;  le  Soleil  luit:  &  l'écharpe  d'Iris 
Rend  ceux  qui  tortent  avertis 
(2)  Qu'en  ces  mois  le  manteau  leur  eft  fort  néceffiri» 
LesLatins  les  nommoient(3)douteux  pourcette  affaire- 

(1  )  L*  Soleil,  &  le  Vent  du  Nord,  qui  effc-eu  général 
très-violçnt.  ««-  *  * w 

(  1  )  A  caufe  de  U  pîuye  qui  forme  actuellement  l'Arc- 
en  Ciel ,  a  la  faveur  des  rayons  du  SoleiL  ' 

(3)  Incertains.  Inctrtis  fi  mmfihêi  amnis  abonda»  exil». 
Viri  Gcorg.  L.  1.  v.  lit  >  i»i« 


Ï4©       FABLES    CHOIS  TES 

Notre  homme  s'était  donc  à  la  ploie  attendu. 
Bon  manteau  bien  doublé ,  bonne  étoffé  bien  forte. 
Celui-ci,  dit  le  Vent,  prétend  avoir  pourvu 
A  tous  les  aeddens  ?.mais  il  n'a  pas  prévu 

Que  je  fçaurai  fouffler  de  forte , 
Qu'il  n'eft  bouton  qui  tienne: il  faudra,  û  je  veux, 

Que  le  manteau  s'en  aille  au  diable. 
L'ébattement  pourroit  nous  en  "être  agréable  : 
Vous  plaît-il  de  l'avoir  ?  Et  bien  gageons  nous-  deux 

(Dit  Phœbus)  fans  tant  de  paroles, 
A  qui  plutôt  aura  dégarni  les  épaules 

Du  Cavalier  que  nous  voyons. 
Commencez  :  je  vous  laifle  obfcurcir  mes  rayons. 
11  n'en  fallut  pas  plus.    Notre  foufHeur  à  gage 
Se  gorge.de  vapeur,  s'enfle  comme  un  balon,   '  . 

Fait  un  vacarme  de  démon , 
Siffle,  fouffle,  tempête,  &  brife  en  fon  paflâge 
Maint  tçît  qui  n'en  peut  mais ,  fait  périr  maint  bateau  : 

I  Le  tout  au  fujet  d'un  manteau.         .    .   -: 
Le  Cavalier  eut  foin  d'empêcher  que  l'orage 

*J*Ç  f^pût  engouffrer  tfedarjà.      £ 
Cela  le  préferva  :  le  Vent  perdit  fon  temps  r 
Plus  il  fe  tonrmentoît,  plus  l'autre  terioit  ferme: 

II  eut  beau  faire  agir  le  colet  &  le  plis.  r  - 

,  Si  •*  tôt  qu'il  futau  èout  du  terme 
Qu'à  la  gageure  on  ayoit  mis , 
K'i-        Le  Soleil  diffipe  la  nue 
Récrée >  &  puis  pénétre  enfin  le  Cavalier, .  . 
Sous  fon  (4)  balandras  fait  qu'il  fue, 
Le  contraint  de  s'en  dépouiller.  . 
Encore  fc'ufa-t-il  pas  de  toute  fa  jmiflànce. 

îPlus  fait  douceur  que  violence. 

(4)  On  Balandran,  gros  manteau  de  campagne*. 


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FABLE      IV. 

Jupiter  &  te  (i)  Méayer. 

J  upker  eut  jadis  une  ferme  à  donner.    • 
Mercure  en  fit  l'annonce;  &  gens  fc  présentèrent; 

Firent  des  offres,  écoutèrent: 

Ce  ne  fut  pas  fans  bien  tourner. 
.  L'un  aliéguoit  que  l'héritage 
Etoit  (2)  frayant  &  rude;  &  l'autre  un  autre  (3)  îï.' 

Pendant  qu'ils  marchandoient  ainfî , 
Un  d'eux  le  plus  hardi,  mais  non  pas  le  plus  fage, 
Promit  d'en  rendre  tant,  pourvu  que  Jupiter 

Le  laifUt  difpofer  de  l'air ,  } 

Lui  donnât  faifon  à  fa  guife, 
Qu'il  eût  d  j  chaud ,  du  froid ,  du  beau  tems ,  de  la  bife,: 

Enfin  du  fec  &  du  mouillé , 

Auffi  -  tôt  .qu'il  auroit.  baillé. 
Jupiter  y  confent.     Contrât  pafTé  :  notre  homme 
Tranche  du  Roi  des  airs ,  pleut,  vente  ;&  fait  en  fonime 

(  1  )  Fermier  ouï  tient  "des  biens  à  loyer. 

(i)  Héritait  frayant,  qu'on  ne"  peut  mettre' en  valeur, 
fans  faire  de  grofles  dépenfes..  Les  Fermiers  &  les  Païfant 
de  Champagne  ,  &  des  environs  de  Château  -  Thierry  oh 
eft  né  La  Fontaine ,  fe  fervent  fort  communément  des 
mots  frayant  Se  frayer.  La  Vigne,  difent-ils  ,  &  certaines, 
Terres  labourables  frayent  beaucoup*  c'eft-à-diré  ,  que  la 
culture  de  la  Vigne  &  de  certains  Champs  exige  des  foins 
&  des  frais  considérables.*  C'eit  ce^  que  j'ai  apris  d'une 
Demolfelle  Champenoife,  d'un  efprit  très-jufte  &  très» 
delicat  ,_quî  fçait  obferver  &  retenir  exactement  ce  qui 
mérite  d'être  obfervé.  Le  mot  de  frayer  eft  prt lentement 
inconnu  à  la  Langue  Françoife  dans  ce  fens-là  ;  Sç  c'efr 
pourtant  de  frayer  qu'eft  venu  défrayer ,  terme  fort  connii,*" 
fort  ufite" ,  &  dont  le  fen4  conferve  un  raport'  très  -  fenfi-. 
ble  avec  celui  de  fr*ytr ,  que  lui  donnent  les  Païfaiu  de 
Champagne,  .-  .       ' 


f  - 


»is       FABLES    CHOISIES 

Un  climat  pour  lui  feul  :  (es  plus  proches  voifins 
Nes'earentoient  non  pliâ^têd^XAnârSpiBiU 
Ce  fut  leur  avantage  :  ils  eurent  bonne  année , 

Pleine  moifibn ,  pleine  vinée. 
Monfieur  le  Receveur  fut  très -mal  partagé. 
.  L'an  fuivant,  voilà  tout  changé. 

Il  ajufte  d'une  autre  forte 

La  température  des  Cieux. 

Son  champ  ne  s'en  trouve  pas  mieux. 
Celui  de  tes  voifms  fruftifie  &  rapporte. 
Que  fait -il?  XJL  recourt  au  Monarquç  des  Dieux; 

Il  confefle  fon  imprudence. 
Jupiter  en  ufa  comme  un  Maître  fort  doux. 

Concluons  que  la  Providence 

Sçait  ce  qu'il  nous  faut  mieux  que  nous. 

(4)  Peuples  de  l'Amérique. 


FABLE      V. 

Le  Cochet  y  le  Cba$  &  le  Souriceau. 

\J  n  (1)  Souriceau  tout  jeune,&  qui  n'avoit  ripn  vu, 

Fut  prefque  pris  au  dépourvu. 
Voici  comme  il  conta  Tavanture  à  fa  mère.' 

Javçis  franchi  les  Monts  qui  bornent  cet  Etat, 
Et  trottois  comme  un  jeune  Rat 
Qui  cherche  à  fe  donner  carrière  ; 

Lorfque  deux  animaux  m'ont  arrêté  les  yeux, 
x  L'un  doux ,  bénin  &  gracieux  > 

(1  j  Une  jeune  Souris. 


.  ;  l  i  v  r  e    vi.        m 

Et  r«rtre  tariraient  &*pletn  d'inquiétude*      -    •  t 

Il  a  la  voix  perçant  &  rude; 

Sur  la  tête  un  morceau  de  chair; 
Une  forte  de  bras  dont  il  s'élève  en  l'air,. 

Comme  poyr  prendre  fe  volées 

La  queue  en  panache  étalée. 
Or  c'étoit  un  Cochet  dont  notre  Souriceau 

Fit  i  fa  merc  le  tableau, 
Comme  d'un  Animal  venu  de  l'Améfl)ue»    < 
Il  fe  battoit,  dit  -il ,  les  flancs  avec  Tes  bras, 

Faifant  tel  bruit  &  tel  fracas, 
Que  moi,  qui  grâce  aux  Dieux,  de  courage  me  pique, 

En  ai  pris  la  fuite  de  peur, 

Le  maudiflànt  de  très  -bon  cœur. 

Sans,  lut  j'aurois  tait  connoilTance^ 
Avec  cet  animal  qui  m'a  femblé  fi  doux. 

Il  eft  velouté  comme  nous , 
Marqueté,  longue  queue,  une  humble  contenance, 
Un  modefte  regard ,  &  pourtant  l'œil  luifant. 

Je  le  crois  fort  fympatifant 
Avec  Meilleurs  les  Rats  :  car  il  a  des  oreilles 

En  figure  aux  nôtres  pareilles. 
Je  l'allois  aborder,  quand,  d'un  fpn  plein  d'éclat, 

L'autre  m'a  fait  prendre  la  fuite. 
Mon  fils,  dit  la  Souris,  ce  douect  eft  un  Chat, 

Qui,  fous  fon  minois  hypocrite, 

Contre  toute  ta  parenté 

D'un  malin  vouloir  eft  porté. 

L'autre  animal ,  tout  au  contraire , 

Bien  éloigné  de  nous  mal  faire, 
Servira  quelque  jour  peut -être  à  nos  repas. 
Quant  auChat,c'eft  fur  nous  qu'il  fonde  fa  cuifine. 

Garde  -toi ,  tant  qye  tu  vivras , 

De  juger  des  gens  fur  la  mine. 


*%& 


>44        FABEES    CHOISIES 

FABLE      V  I, 
Le  Renard y  U  Singe  &  les  animaux. 

JLrfes  Animaux,  au  décès  du  Lion* 

En  fotufivant ,  Prince  de  la  contrée , 

Pour  flffe  un  Roi  s'aflemblerent ,  dit -on. 

De  fon  étui  la  Couronne  efl  tirée. 

Dans  une  (i)  chartre  un  Dragon  la  gardoit. 

*'  '     .fl  fe  trouva  que  fur  tous  eflàyée, 
A  pas  un  d'eux  elle  ne  convenoit. 
Plufieurs  avoient  la  tête  trop  menue , 
-   Aucuns  trop  grofle ,  aucuns  même  cornue. 

—        Le  Singe  auffi  fit  l'épreuve  en  riant; 
Et,  par  plaifir,  la  thiare  effayant, 
Il  fit  autour  force  grimacerîes , 
Tours  de  fouplefle ,  &  mille  lingerie*  * 
PaflTa  dedans  ainfi  qu'en  un  cerceau* 
Aux  Animaux  cela  fembla  fi  beau,  _ 

Qu'il  fut  élu  :  chacun  lui  fit  hommage, 
>       Le  Renard  feul  regretta  fon  fuffrage , 
Sans  toutefois  montrer  fon  fentiment. 
Quand  il  eut  fait  fon  petit  compliment, 
11  dit  au  Roi  :  Je  fçais ,  Sire ,  une  cache  ; 
Et  ne  crois  pas  qu'autre  que  moi  la  fçache. 
Or  tout  tréfor,  par  droit  de  royauté, 
Appartient,  Sire,  à  votre  majeflé. 
Le  nouveau  Roi  bâille  après  la  finance  : 
Lui  -même  y  court  pour  n'être  pas  trompé* 
Cétoit  un  pi^ge  :  il  y  fut  attrapé- 
Le  Renard  dit,  au  nom  de  l'affiftance, 

(i)  Le  mot  de  Chdrtrt  fîgnifie  proprement  une  Prifon, 
&  no»  vieux  Romanciers  l'emploient  foavcnt.cn  ce  fens- 
li.  Il  fe  prend  ici  pour  un  UtiLproprc  à  mettre  quelque 
«bofe  en  fureté.  •...*. 

Prétendîroifi- 


L    I    V    R    E      V  I*  t45 

Pïétendrois-tu  nous  gouverner  *éncor , 
Ne  fçachant  pas  te  conduire  toi-inêrae  ? 
Il  fut  démis;  &  l'on  tomba  d'accord, 
Qu'à  peu  de  gens  convient  le  Diadcme. 


F   A    B    L    E^     v  II. 

Le  Muktfe  vantant  de  fa  (i)  Généalogie. 


L» 


Mulet  d'un  Prélat  fe  pîquoft  de  noblefle , 
Et  ne  parloit  inceflaminent 
Que  de  fa  mère  la  Jument , 
'  Dont  il  contait  mainte  proueflfe.  ' 

iEile  avoît  fait  ceci,  puis  avoit  été  là. 
\  -  Son  iils  prétendent  pour  cela,  î 

Qu'on  le  dût  mettre  dans  l'hifloire. 
Il  eût  crû  s'abàifler  fërvant-un  JVlédecin.  .  i 
Etant  devenu  vieux,  on  le  mit  au  moulin. 
;Son  père  l'Ane  alors  lui  revint  en  mémoire. 

Quand  le  malheur  ne  feroit  bon 
i^u'à  mettre  un  fot.à  là  raifon. 
Toujours  feroit<e  à  jufte  caufe , 
Qu'on  le:dit  bon  à  quelque  chofe# 

(O  La  fuite  de  fes  Ancêtres. 


FABLE      VIII. 

Le  Vieiltard&  fAne. 


U. 


Vieillard  furfon  Ane  apefçtit  en  paffant  ' 
.Un  prC*  plein,  d'bcrbç'&'fleuriaaiù»    . . 
'       G 


V**"      FABLES    CHOISIES 

Il  y  lâche  fâ  btte;  &  le  Grifon  fe  rue 
'Au  travers  de  l'herbe  menue, 
Se  veautrant,  grattant  &  frottant, 
Gambadant,'  chantant  &  broutant, 
Et  faifant  mainte  place  nette. 
L'Ennemi  vient  fur  l'entrefaite. 
Fuyons,  dit  alors; le  Vieillard. 
»  *  Pourquoi  V  répondit  la  paillard  ;- 

Me  fera-t-on  porter  double  bât,  double  charge? 

-Non  pas ,  dit  te  Vieillard,  -qui  prit  d'abord  le  large. 

Et  que  m'importe  ,  donc  dit  l'Ane,  à  qui  je  fois? 
Sauvez- vous  &me  laiffez  paître. 
Notre  ennemi ,  c'eft  notre  Maître  :  ^ 
Je  vous  le  dis  en  bon  François. 


F    A    B    L    E      IX. 

Le  Cerf  Je  voyant  dans  l'eau. 


.B» 


'ans  lecriftai  cï'une  fontaine, 
Un  Cerf  fe  mirant  autrefois , 
Louqit  la  beauté  de  fon  (  i  )  bois  ; 
Et  ne  pouvoit  qu'avecque  peine 
Souffrir  fes  jambes  de  (  2  )  .fufeaux , 
Dont  il  voyoit  l'objet  fe  perdre  dans  les  eaux, 
Quelle  proportion  de  mes  "pieds  à  ma  tête  !     * 
jDifok-il,, en. voyant  leur  ombre  avec  douleur  : 
Des  (3)  taitiis  les  plus  hauts  mon  front  atteint  le  faîte: 
Mes  pieds  ne  me  font  point  d'honneur. 
Tout  en  pariant  de  la  forte , 
.Un  (4)  Limier  le  fait  partir: 

(1)  Ses  Cornes,  qu'on  apelle  Bois, 
(x)  Foet  me jiuts. 

(3  )  Bois  que  l'on  coupé  de  temps  en  temps. 
♦     (*)  ©to*  Oien ,  bon  pour  U  chafle  du  C«w. 


LIVRE      VI.  I4f 

l\  tâcfie  à  fe  garantir , 
Dans  les  forêts  il  s'emporte. 
Son  bois,  dommageable  ornement, 
L'arrêtant  à  chaque  moment, 
Nuit  à  l'office  que  lui  rendent 
Ses  pieds,  de  qui  fes  jours  dépendent. 
Il  fe  dédit  alors ,  &  maudit  les  (  5  )  préfens , 

Que. le  Ciel  lui  fait  tous  les  ans.   v       N 

lNous  faïfons  cas  du  beau  ,  nous  méprifons  l'utile;  ' 
Et  le  beau  fouvent  nous  détruit. 

Ce  Cerf  blâme  fes  pieds  qui  le  rendent  agile  : 
11  eftime  un  bois  qui  lui  nuit. 

(5)  Le  bois  du  Cerf  tombe,  &  revient  toutes  les  années. 


FABLE      X. 
Le   Lièvre  &  la    Tortue. 


R* 


.içn  ne  fert  de  courir  :  il  faut  partir  à  point. 
Le  Lièvre  &  la  Tortue  en  font  un  témoignage. 

Gageons ,  dit  celle-ci ,  que  vous  n'atteindrez  point 
Si-tôt  que  moi  ce  but.  Si-tAt?  Etes-vous  fage? 
Repartit  l'animal  léger. 
-  Ma  commère ,  il  vous  faut  purger 
Avec  quatre  grains  d'Ellébore. 
1  Sage  ou  non ,  je  parie  encore. 

!  Ainfi  fut  fait,  &  de  tous  deux 

On  mit. près  du  but  tes  enjeux 
Sçav.olr  quoi,  ce  n'eft  pas  l'affaire; 
[  Ni  de  quel  Juge  l'on  convint. 

Notre  Lièvre  n'avûit  que  quatre  pas  à  faire , 
fentens  de  ceux  qull  fait,  lorfque  prêt  d'être  atteint, 

G  2 


'f 


H8         FABLES    CH/OlSfES 

Il  s'éloigne  des  Chiens ,.  les  renvoyé  '  (  i  )  aux  Caleti 
des , 

Et  leur  fait  arpenter  les  (a)-  Landes. 
Ayant,  dis-jc ,  du  temps  de  refte  pour  brouter, 
-    .  '    ~    Pour  dormir ,  &  pour  écouter 
D'où  vient  le  vent,  il  laille  la  Tortue 
Aller  {on  traiivde  (3)  Sénateur.     - 
Elle  part,  elle  s'évenue, 
Elle  fe  hâte  avec  lenteur. 
Lui  cependant  méprife  une  telle'  victoire , 
Tient  la  gageure  à  peu  de  gloire , 
Croit  qu'il  y  va  de  fon  honneur 
De  partir  tard.  JJ  brpute ,  il  fe  repofe  , 

Il  s'anuife  à  toute  autre  '  chofe 
Qu'à  la  gageure.  A  la  fin ,  quand  il  vf t 
Que  l'autre  tpuchoit  prçfque  au  bout  de.  la  carrière 
11  partit  comme  un  trait;  mais  les  élans  qu'il  fît 
Furent  vains  :  la  Tortue  arriva  la  première. 
Hé  bien,  lu!  cria-t-ellc,  avols-je  pas  râifon  ? 

De  quoi  vous  fert  votre  vîtefïej  . 

Moi  remporter  !  Et  que  feroît-ce 

Si  vous  portiez  une  (  4  )  maifon  ?  j 

(1  )  S'en  éloigne  fi  bien,  que  les  Chiens  ne  penvet 
le  ratraper ,  &  ie  trouvent  par -la  dans- le  Cas  où  eft  u 
Créancier  que  fes  Débiteurs  renvoyent  aux  Calendes  G re« 
qwes,  ternie  de  payement  tout  -  2  •  fait  chimérique  ,  pa 
ce  quil,  n'y  a  point  de  jour  dans  l'année  que  les  Grc< 
ayent  nommé  Calendes  ;  quand  ferez.- vous  hors  de  dtbtà 
demanda  Pantagruel.  Et  Calendes  Grecques,  répondit  P\ 
muge,  ioncjue  tont  le  mende  fera  content ,  tjyc.  P+nt*.arM€i 
Liv*.  III.  chap.  3.  La  Fontaine  fupofant  fon  Lecteur  de 
inftruifi  fur  ce  point  de  Littérature  fort  trivial  ,  &  qu,  j 
doit  avoir  apris  au  Collège,  s'eit  contenté  de  dire  ^  qJ) 
le  Lièvre  renvoyé  les  Chiens*,  aux  Calendes,  *   ^  ' 

(  2  )  Terres  itériles  ,   incultes  ,  fort    propres    pour 
châtie.» 

(  3  )  les  Magiftrat«  marchent  poTemeni. 


écai! 


(  4  )  Comme  la  Tortue  ,  c^ui   cft  couverte  d'une    gro, 

aille. 


I 


*    L    IvV    R    E      VI.  149' 

— — —  ^       •  ^ 

FABLE      XI. 
'    VAne  &Jèi  Maîtres. 


Ane  dlun  Jardinier  fe  plaîgnoït  au  Deftfn 
k  ce  qu'on  le  faifoit  lever  devant  l'Aurore. 
-es  Coqs ,  lui  difoit  -  il ,  ont  beau  chanter  matin ,  * 

Je  fuis  plus  matineux  encore. 
fe  pourquoi  ?  pour  porter  des  herbes  au  marché. 
telle  nécefRté  d'interrompre  mon  fomme  ! 
I         Le  fort,  de  fa  plainte  touché, 
Lui  donne  un  autre  Maître;  &  l'animal  de  fommÇ; 
faffe  du  Jardinier  aux  mains  d'un  Corroyeur. 
w pefanteur.  des  peaux,  &  leur  mauvaife  odeur 
Eurent  bien -tôt  choqué  l'impertinente  bête.  . 
pi  regret,  difoit -il,  à  mon  premier  Seigneur: 
I         Encor ,  quand  il  tournoit  la  tête , 
I         J'attrapojs,  s'il  m'en  fouvient  bien, 
Quelque  morceau  de  chou  qui  ne  me  coûtolt  rien  ; 
pis  ici  (i)  point  d'aubaine ,  ouii  j'en  ai  quelqu'une , 
(î'eft  de  coups.  Il  obtint  changement  de  fortune  ; 
!         Et  fur  l'état  d'un  Charbonnier 
!         Il  fut  couché  tout  le  dernier. 
pe  plainte.   Quoi  donc ,  dit  le  Sort  en  colère , 
i         Ce  Baudcç  -  ci  m'occupe  autant 

Que  cent  Monarques  pourroient  faire.    - 
fait -il  être  le  feul  qui  ne  foit  pas  content? 

N'ai -je  en  l'efprit  que  fon  affaire  ? 
ta  Sort  avok  raflbn  :  tpus  geris  font  ainfi  faits  ; 
(foire  condition  jamais  ne  nous  contente  : 
i        .  La  pire  eft  toujours  la  préfente, 
tous  fatiguons  le  Ciel  à  force  de  (  2  )  placets. 
j[u  a  chacun  Jupiter  accorde  fa  requête , 
i         Nous  lui  romprons  encor  la  tête. 

(  '  )  Nul  profit  cafucl ,  nulle  bonne  aventure. 
U)  Demande*., 

G  3 


S5»       FABLES    CHOISIES 

Envtfyât  gens  le  vifiter , 
Sous  promellb  de  bien  traiter 
Les  Députés ,  eux  &  leur  fuite  ;  ' 

Foi  de  Lion  très -bien  écrite; 
Bon  pafle-port  contre  la-dent, 
Contre  la  griffe  tout  autant. 
L'édit  du  Prince  s'exécute  : 
De  chaque  efpece  on  lui  députe» 
Les  Renards  gardans  la  maifon , 
Un  «Teux  en  dit  cette  raifon. 
-•     Les  pas  empreints  fur  la  pouiHére, 
Par  ceux  qui  s'en  vont  faire  au  malade  leur  cour* 
Tous,  fans  exception,  regardent  fa  tanière} 
Pas  un  ne  marque  de  retour. 
Cela  nous  met  en  méfiance. 
Que  fa  Majeflé  nous  difpenfe. 
Grand  -  merci  de  fou  pafle-port. 
Je  le  crois  bon  :  mais  dans  cet  antre  % 
Je  vois  fort,  bien  comme  l'on  entre , 
Et  ne  vois  pas  comme  on  en  fort. 


FABLE      XV. 

VOifeteur,  F  Autour,  &  F  Alouette* 


I 


l^j  es  injufttces  âés  penters  - 
•  Savent  fouvent  d'exeuffes  aux  nôtres. 
Telle  eft  la  loi  dé  l'Univers  : 
Si  tti  veux  qu'on  f épargne,,  épargne  auffi  les  autres. 

Un  Manant  au  (  i  )  miroir  prenoit  des  Oifillons  : 
Le  wntôme  brillant  attiroit  une  Alouette.'  . 
Aufïï  -  tôt  un  (  2  )  Autour  planant  fur  les  Allons  » 
Defcend  des  airs ,  fond  &  fe  Jette  . 

{t)  Efpéee  dcchaflc'atix  petits  Oifeaux,. 
{ 2  }  Oiieau  de  proie.  ' ..      . 


L    I    V    R    E      I  V.  is* 

Aperçut  un  Serpent  fur  la  neige  étendu  ; 
ïranfî,  gelé,  perclus,  immobile  rendu , 

N'ayant  pas  à  vivre  un  quart  d'heure. 
Le  Villageois  le  prend  ,  l'emporte  en  fa  demeure; 
Et  fans  confidérer  quel  fera  le  (  i  )  loyer 

D'une  aftion  de  ce  mérite , 
|  Il  rétend  le  long  du  foyer , 

Le  réchauffe,  le  rcflufcite. 
L'Animal  engourdi  fent  à  peine  le  chaud, 
Que  l'ame  lui  revient  avecque  la  rolere. 
11  lève  un  peu  la  tête ,  &  puis  fiffle  auffi-tôt, 
Puis  fait  un  long  repli,  puis  tâch»  à  faire  un ( faut 
Contre  fon  bienfaiteur,  fon  fauveur  &  fon  père. 
ingrat,  dit  le  Manant,  voilà  donc  mon  falaire? 
^mourras.  Aces  mots,"  plein  d'un  jufte  courroux, 
il  vous  prend  fa  cognée,  il  vous  tranche  la  bâte, 
|  Il  fait  trois  Serpens  de  deux  coups , 

1  Un  tronçon,  la  queue,  &~la  tôte. 

pnfefte,  fautillant,  cherche  (  2  )  à  fe  réunir, 

Mais'  il  ne  peut  y  parvenir. 
\ 

\         11  left  bon  d'être  charitable  :  _ 
>  Mais  envers  qui ,  c'eft  le  point. 

|  Quant  aux  ing;rats  ,.'il  n'en  eïl  poipt 

Qui  ne  meure  enfin  miférable. 

I   (  1  )  La  récompenfa. 
k   (0  Se  rejoindre. 

f      F  A    B    L    E      XIV. 

Le  Lion  malade,  &  le  Renard*.      ;. 


D, 


e  par  le  (  1)  Roi  des  Animagx, 
Qui  dans  fon  antre  étoit  malade , 
Fut  fait  fçavoir  à  Xes  vaflaux 
Que  chaque  efpcce  en  Ambaflade     .   , 
(OLe  Lion.  '     .,   • 

G4 


IJ4       FABLES    CHÔ  I'S  1  E  S 

FABLE      XVII. 

Le  Chien  qui  lâche  fa  proie  pour  F  ombre. 


C 


\  hacun  fe  trompe  ici  bas  : 
On  voit  courir  après  l'ombre 
Tant  de  fous ,  qu'on  n'en  fçaït  pas, 
t     La  plupart  du  temps,  le  nombre. 
Au  Chien  dont  parle  Efope,  il  faut  lés  renvoyer. 
Ce  Chien  voyant  fa  proie  en  Peau  repréfentéc , 
La  quitta  pour  l'image ,  &  penfa  fe  noyer  ; 
La  rivière  devint  tout  d'un  coup  agitée , 
A  toute  peine  il  regagna  les  boris; 
Et  n'eut  ni  l'ombre ,  ni  le  corps. 

F.A'  B'  It   E      XV  I  L  I. 

Le  Cbariier  embourbé. 


JL^e 


'e  (  r)  Phaeton  d'une  voiture  à  foin 
Vitfôn  char  embourbé.  Le  pauvre  homme  étoit  loin 
De  tout  humain  fecours. .  C'étoit  à  la  campagne , 
Près  d'un  certain  canton  de  la  bafle  Bretagne 
•  Appelé  Quinper  -  corentin. 

On  fçait  aflez  que  le  Deftin 
Adrefle-Ià  les  gens,  quand  il  veut  qu'on  enrager 

Dieu  nous  préferye  du  voyage. 

Pour  venir  au  Chartier  embourbé  dans  ces  lieux, 
Le  voilà  qui  détefte  éc  jure  de  fon  mieux, 

;  Pefiaat  en  fa  fureur  extrême , 
Tantôt  contre  les  trous,  puis  contre  fes  chevaux, 

Contre  fon  char ,  contre  lui  -  même. 
Il  invoque  à  la  fin, le  Dieu,  dont  les  travaux 

(  i  )  Phaëton ,  fils  du  Soleil ,  voulut  .  conduire  le  Chat 
de  fon  Pcre  :  &'perforine  n'ignore  quel  fut  Ul  fucecs  d'u- 
ne entreprife  43  téméraire  x 


LIVRE      VI.  155 

-  Sont  fî  célèbres  dans  le  monde. 
Hercule ,  lui  dit-il ,  aide  -moi  :  fi  ton  dos 

A  porté  la  machine  ronde , 

Ton  bras  peut  me  tirer  d'ici. 
Sa  priéte  étant  faite,  il  entend  dans  la  nue 

Une  voix  qui  lui  parie  ainfï  : 

Hercute  veut  qu'on  fe  remue , 
Plus-  il  aide  les  gens.   Regarde  d'où  provient 

L'achopement  qui  te  retient  : 

Ote  d'autour  de  chaque  roue 
Ce  malheureux  mortier ,  cette  maudite  boue  f 

Qui  jusqu'à  l'eflïeu  les  enduit. 
Prends  ton  pic&  me  romps  ce  caillou  qui  te  nuit- 
Comble -moi  cette  ornière.     As-tu  fait?  Oui,  dit 

l'homme. 
Or  bien  je  vaist'aider,  dit  la  voix:  prends  ton  fouet. 
Je  l'ai  pris.  Qu'eft  -  ceci  ?  mon  char  marche  &  fouhait  I 
Hercule  en  foit  loué.  Lors  la  voix  :  tu  vois  commet 
Tes  chevaux  aifément  fe  font  tirés  delà* 

Aide  -toi ,  le  Ciel  t'aidera* 


9 


FABLE      XIX. 
Le  Chartatan. 

JL^e  monde,  n'a  jamais  manqué  de  Charlatans. 
Cette  fcicnce  de  tout  temps , 
"  *       Fut  en  Profeflfeurs  très  -  fertile. 

Tantôt  l'un  en  théâtre  affronte  (i)  l'Acheron, 
Et  l'autre  affiche  par  la  ville 
Qu'il  eft  (  2  )  une  Paffe  -  Ciceron. 

(  \  )  Affronte  la  mort ,  faîfant  fur  lui  -  même  des  épreu- 
ves très  -  périllcufcs  en  aparence  ,  pour  juiiifier  au*  yeux 
foi  Speâuews  la  bonté  de  foi»  Antidopc ,  &c. 

Ci)  fins  éloquent  que  Cicexpa. 

G  6 


IS6        FABLES    CHOISIES 

Un  des  derniers  fe  vantoït  d'être 
.  En  éloquence  lî  grand  maître , 

Qu'il  rcndroit  difert  un  (3^  badaut, 

Un  manant,  un  nuire,  un  lourdaud. 
Oui,  Moeurs,  un  lourdaud,  un  animal,  un  ane: 
Que  Ton  m'amène  un  ane,  un^ane  renforcé, 

Je  le  rendrai  maître  pafTé  ; 

Et  veux  qu'il  porte  la  (4)  foutanc. 
Le  Prince  fçut  la  chofe:  il  mandate  Rhéteur. 

-J'ai,  dit -il,  en  mon  écurie, 

Un  fort  beau  rouflin  d'Arcadie , 

J'en  voudrois  faire  un  Orateur. 
Sire ,  vous  pouvez  tout,  reprit  d'abord  notre  homme» 

On  lui  donna  certaine  fomme. 

11  devoit ,  au  bout  de  dix  ans , 

Mettre  fon  ane  fur  les  (5)  bancs  : 
Sinon,  il  confentoit  d'être,  en  place  publique , 
Çuindé  la  hart  au  col,  étranglé  court  &  net, 

Ayant  au  dos  fa  Réthorique, 

Et  les  oreilles  d'un  baudet.  • 
Quelqu'un  des  Courtifans  lui  dit  qu'à  la  potence 
il  vouloir  l'aller  voir;  &  que,  pour  un L  pendu p 
îl  auroit  bonne  grâce  &  beaucoup  de  preftance: 
Sur -tout  qu'il  fe  fouvlnt  de  faire  à  l'afliftance 
Un  difcoîirs  où  fon  art  fût  au  long  étendu  r 
Un  difeours  pathétique,  &  dont  le  formulaire 

Servît  â  certains  Cïcerons 
,  .,  Vulgairement  nommés  larrons. 

L'autre  reprit;  :   avant  l'affaire ,  . 

LpRoi,  l'ane^Qu  moi  nous  mourrons. 

<        Il  âvoit  raifdn.  C'eft  fôlîe 

De  compter  fur  dix  ans  de  vie. 
Sôyoris  bien  buvâns,  bien  /nângeans, 
Nous,  devons  à  la  mort  de.  trois  l'un  en  dix  ans. 

-<3).Nwis,  imbécile.  •    ^ 

(4)  Kobo  longue  que  portent  le#tBach«li«t$  en  Licence 
(j)Dcs  Ecoles  p«blicp«*       '  •'- 


"•LIVRE      VI.  157 

gs=as==  '  ;   ,      n 

_FVA    B    L    E      X  X, 

La  Difcorde. 

JL^a  Déefle  Difcorde  ayant  brouillé  lesDieux, 
Et  feit  un  grand  procès  là-hautpour  une  (ï)0biimle; 
On  la  fit  déloger  des  Cieux. 
Chez  Tanimal  qu'on  apelle  Homme, 
Gn  la  reçut  à  bras  ouverts,  • 
'    Elle,  (a)  &  Que-fî:que-non ,  fon  frère, 
Avecque  Tien-œ-mien ,  fon  père. 
JEUe  nous  fit  l'honneur ,  en  ce  bas  Univers , 

:  De' préférer  notre  Hémifpheïe, 
A  celui  des  (3)  mortels,  qui  nous,  font  oppofiés, 

.  Gens  groflîers ,  peu  civilifés , 
Et  qui,  fe  mariant  fam  Prêtre. &  fans  Notaire, 

De  la  Difcorde  n'ont  que  faire.  ^ 
Pour  la  faire  trouver  aux  lieux  où  le  befoin 
Demandoit  qu'elle  fût  préfente, 
La  Renommée  avoit  le  foin 
DeTavertïr;  &  l'autre  diligente, 
Gouroit  vite  aux  débats,  &  prévejioit  la  paix; 
Faifoit,  d'une  étincelle,  un  feu  long  à  s'éteindre. 
La  Renommée  enfin  commença  de  fe  plaindre  >     J 
'  Que  Ton  ne  lui  trouv'oit  jamais 
-  "De  demeure  fixe  &  certaine.    ' 
Bien  fouvent  l'on  pçrdoit,  à;  la  chercher,  fa  peine. 

/  1  )  La  Pomme  d'or  prétendue  par  J»»ont  P allas ,  & 
Vén»s  f  &  qui  fut  donnée  à  latlerrtiéw  par  P&nt. 

<zï  £L«?fk>  <*»'  »•»•'  termes  que  répètent  roceflanar 
ment- ctîk  qui  font  en  dHpute  ,  J;un*oi*  affirmer  ce  qiifc 
Wttwc  nié.    tes  uns  difent  ^  jî.  &"  1«  ™tres  V»  *•+ 

^mNoifs^es  «ommonsnos  Antipodes  5  &  W  fom- 
meVleurs  Antipodes  à  leur  égard,  étant  oppofés  »  eux, 
comoaç  ils  le  font  à. nous.         *        . 

G  7 


te©       FABLES    CHOISIES 


ï  ï   W)  EPILOGUE. 

JI3  ornons  ici  "cette  carrière  : 

Les.  longs  ouvrages  me  font  peur. 

Loin  d'épuifer  une  "matière ,. 

On'Ven  doit  prendre  que  la  fleur. 

Il  s'en  va-temps  que  ]è  reprenne 

Un  peu  de  forces  &  d'haleine ,  i 

ïour  fournir  à  d'autres  projets.  ' 

Amour ,  ce  tyran  de  ma  vie , 

Veut  que  je  change  de  fujets  :  ! 

Il  faut  contente^  ion  envie  :  j 

(2)  Retournons  Jà  Pfychë.  Damon?'vousm'eXhortC2: 
A  peindre  fes  malheurs  &  fes  félicités;     '  ! 

J'y  cbnfens  :  peut  -  être  ma  veine 
.  En  fa  faveur  s'échauffera. 
Heureux! û  ce  travail  eft  la  dernière  peine,* 

Que  Ton  Epoux  me  caufera! 

(1)  Conclu fion. 

(2)  Ici   La  Fontaine  veut  parler  d'un  petit  Ouvrage  cli 
Profe  .&  en   V«rs  ,    ou  il  a  raconté  très  -  agréablement  Us 
vivant ures   dt  Pfychê  9  mars  qu'il  n'avoit  pas  encore  acné1 
vé  quand  il  dit ,  \etottrnans  à  P fiché,  Quoiqne  le  fond  de  | 
cet   ouvrage   foit  tiré  4'wty«/«>,   Auteur  Latin,  La  Fon-  \ 
taine   a   trouvé  le   fecret  de  l'enrichir  de  pltifieûrs  beau* 
Tableaux  de  fon  invention»  qui  dans  l'opinion  de  bien  des  | 
gens_,  le  mettent  au-deflus»  de  l'ancien  original. 

-         ■        fin  du  Jixtème  Livre. 


T'A  BLE 

DES    -FABLES 


I  CONTENUES 


DANS  LA  PREMIERE  PARTIE. 


LIVRE    PREMIER;     ; 

Fable  I.  JL/a  Cigale  {$  la  Fourmi,  Page  3 

Fable  II.  Le  Corbeau  &  le  Renard  ,  \         4. 

Fable  III.  La  Grenouille  qui  Je  veut  faire  aufli  greffe 

que  le  Bœuf,  »      .  ♦  j 

Fable  IV.  Les  deux  Mulets,  -  ibid. 

Fable  V.  Le  Loup  £?  le  Chien,  6 

Fable  VI.  La  Gemjfe,  la  Cliévre  fcp>  Brebis,  enfo- 

ciètè  avec  le  Lion ,  S 

Fable  VIL  LaBeface,        .  9 

Fable  VIII.  L'Hirondelle  £p  les  petits  Oifeaux ,  10 
Fable  IX*  Le  fLatdeVUle,  (f  le  Rat  des  Champs ,  12 
Fable  X.  Le  Loup  &?  V Agneau.  14 

Fable  XL  L Homme  &fm  Image,  15 

Fable  XII.  Le  Dragon  à  plujieurs  têtes  f  £?  le  Dragon 
à  plufieurs  queues  ,s  16 

Fable  XilJ.  Les  Pâleurs  £?  fjiiie,  11 


TABLE  DES  FABLES 

Fable  XIV;  Sïmonide  préfervê  par  les  Dieux ,    Page  i$ 

Fable  XV.  La  Mort  £?  le  Malheureux ,  20 

FaBle  XVI.  La  Mort  fc?  k  Bûcheron ,  21 

Fable  XVII.  L'Homme  4ntre  deux  âges-  &  fis  deux 

'  '  Maîtreffes ,                       "  22 

Fable  XVIII.  Le  Renard  £f  la  Cicogne ,  24 

Fable XIX.  L'Enfant  6?  te  Maître  d'Ecole*  25 

Fable  XX.  Le  Coq  6?  ia  l¥rte ,       -  26 

Fable  XXI.  Zw  Frelons  g»  ter  AfowAtf  à  «feZ,  27 

Fable  XXII.  Z,<?  Chêne  £?  te  rtç/êat* ,  28 


LIVRE    SECOND. 

Fable  I.  %^ontre  ceux  qui  ont  le  goût  délicat ,  Page  3a 
Fable  II.  Confeil  tenu  par  les  Rats,  32 

Fable  III.  Le  Loup  plaidant  contre  le  Renard  para- 
vant  le  Singe,  33 

Fable  IV.  Les  deux  Taureaux  &P  une  Grenouille ,  34 
Fable  V.  La  Chauve-fouris  &  les  deux  Belettes,  35 
Fable  VI.  L'Oifeau  Ueffé  d'une  flèche,  36 

jFableVII.  La  Lice  &  fa  Compagne,  37 

Fable  VIII .  L'Aigle  6?  l'Efcarbot ,  -     38 

Fable IX.  Le  Lion  É?  te  Moucheron,  40 

Fable  X.  L'Ane  chargé-  d'épongés,  6P  VAne  chargé  de 

fil*  î4i 

Fable  XI.  Le  Lion  fcp  te  Rat ,  43 

"  Fabîe  XII.  La  Coterofr?  £f  la  Fourmi ,  ,       ibid. 

Fable  XIII.  VAftrohgue  qui  fe  laiffi  tomber  dans  un- 

puits ,  44 

Fable  XiV.  Le  Lièvre  £p  les  Grenouilles',  '  46 

Fable  XV.  Le  Coq  £f  te  tonori,  47 

Fable  XVI.  L*  Corbeau  voulant  imiter  F  Aigle,  •  49 
Fable  XVII.  L*  Paenfi  plaignant  à  ?mm$  ■  ■  -     5* 


DE   LA   I.  PARTIE. 

Fable  X  Vin.  La  .  Chatte   mJtmwpJiafû  ■  m  -Sem-t*  i 

Page  51 
Fable  XIX.  Le,  Lion  fcp  l'Ane  chajjant ,.  5  2 

Fable  XX.  Tèjlament  expliqué  par  Efope,  .    53 


LIVRE    TROISIEME, 

Fable  I.  JL/*  Meunier ,  fin  Fils  £?  l'Ane l    Page  57 

Fable  IL  Les  Membres  fcp  VEfiomac ,  60 

Fable III.  Le  Loup  devenu  Berger,          '  6z 

Fable  IV.  Les  Grenouilles  qui  demandent-  un  Roi ,  63 

Fable  V.  Le  Renard  £?  le  Bouc ,                 '  64 

Fable  VI.  £' Aigle,  la  Laye  fcp  la  Chate,    *  $5 

Fable  VII.  V Ivrogne  &  fa  Femme,  67 

Fable  VIII.  La  Goûte  &p  F  Araignée  ,      •    -. , .  :  :  6$ 

foblelX.  Le  Loup  &  laCicogne,        "  "    '  76 

Fable  X.  Le  Lion  abattu  far  V Homme*..  jLbid. 

Fable  XI.  Le  Renard  &  les  Raijins ,  71 

FableXII.  Le  Cygne  ($  le  Cwfinkr,  72 

Fable  XIII.  Les  Loups  £p  les  Brebis >  73 

Fable XIV.  Le  Lion  devenu  vieux,  ,74 

Fable  XV.  Philomèle  £?  Progné,  ibid. 

Fable  XVI.  La  Femme  noyée,  75 

Fable  XVII.  La  Belette  entrée  dans  un  Grenier,  76 

hbkXVULLeChat&mvieux  Rat,        .  77 


TABLE  DES  FABLES 


LIVRE    QUATRIEME. 

Fable  I.    JfiL/ff  Lion  emouraa:r    :  ftge  So 

Fable  II.  Le  Berger  £?  fo  M<?r ,-  82 

Fable.III.  La  Mozw/zf  6?  la  Fourmi,     *     •   -  84. 

-Fable  IV.  L<?  Jardinier  &  fin  Seigneur ,  S6 

Fable  V.  L\^foe  6f  te  petit  Chien  ,  v .  83 

Fable  VI.  Le  combat  des  Rats  fc?  des  Belettes,         89 
Fable  VII.  Le  Singe  fc?  te  Dauphin ,  91 

Fable  VIII.  L'Homme  &f  r/rfofe  Je  ZwV,      "  93 

Fable  IX VL*  Geai  paré  des  plumés  dit  Paon,  9+ 

Fable  X.  Le  Chameau  &?  te.r  Bâtons  flotoans ,    >    ibid. 
Fable  XL  La  Grenouille  &  le  Rai,      '  \  ■*  95 

Fable  XII.  2>ifatf  em>oye?  £ar  Us  Animaux  à  jfièxan- 
sdre,  *  '  ;    :     '  ,    97 

table  XIII.  L«  Cfov*J  /fewtf   yw/fo  vtngqr'du  Cerf, 

ICO 

FablteXIV.  Le'- Renard  &>  le  Bufte,    ~     :     .'  101 

Fable  XV.  Le  Loup ,  la  Cltévre  &  le  Cîiéwau,  102 

Fable  XVI.  Le  Loup ,  la  Mère  fcf.  l'Enfant;  '    ■  103 

Fable  XVII.  Parole  de  Socrate,            '      \  104 

Fable  XVIII.  Le  Vieillard  &  fes  Enfans>  '    .  .  105 

Fable XIX.  L'Oracle  &  l'Impie,                 '  107 

Fable  XX.  L'avare  qui  a  perdu  Jon  Tréfor  ys  .108 

Fable  XXI.  L'œil  du  Maître,       '           ;  ic9 
VMeXXll.- L'Alouette  &  fes  petits",  avec  le' Maître 

dan  Champ,  ni 


DE  LA  I.  PARTIE. 


LIVRE    CINQUIEME. 

♦Fable  I.  jLje  Bûcheron  Ç3?  Mercure- >  Page  114 

Fable  IL  Le  Pot  de  terre  fcf  le  Pot  de  fer  %  nf 

.Fable  IIL  Le  Petit  Poiffbn  &  le  Pécheur  >  118 

FabJelV.  Les  Oreilles  du  Lièvre,  lip 

Fable  V.  Le  Renard  qui,  a  la  queue  coupée ,  1 20 

Fable  VL  La  Pïeille  &  les  deux  Servantes,  121 

Fable  VIL  Le  Satyre  &  le  PaJJantj  ,122 

Fable  V IIL  Le  Cheval  &  le  Loup  r  "  ha. 

Fable  IX.  Le  Laboureur  &  fes  Enfans,  125 

Fable  X.  La  Montagne  qui  accouche ,  126 

Fable  XL  La  Fortune  Jf?  le  jeune  enfant,  •    .127 

Fable  XIL  Les  Médecins , r  128 

Fable XIII.  La  Poule  aux-  œufs  d'or,,  îbid.  - 

Fable  XIV.  LAne  portant  des  Reliques,  I2p 

Fable  XV.  Le  Cerf  &  la  Vigne ,                 c  '      ibîJ, 

Fable  XVL  Le  Serpent  fcf  &  Lime ,  130 

Fable  XVII.  Le  Lièvre  &  /*  Perdrix  y  131 

Fable  XV1IL  UAfgk  &fr  Hibèu ,            •  •  î     132 

Fable  XIX.  Le  Lion  s'en  allant  en  guerre ,  134. 

Fable  XX.  LOurs  &  les  deux  Compagnons ,  ibid. 

Fable XXI.  LAne  vitu  de  la. peau  du  Lion,  135 


LIVRE    SIXIEME. 

Fable  1.   JL/<?  Pâtre  f£  le  Lion,  Page  137 

Fable  IL  Le  Lion  #  le  Chajfeur,  138 

Fable  IIL  Phœbus  &  Borée,  139 

Fable  IV-  ffnpiter  &  le  Métayer ,  141 


TABLE  DES  FABLES. 

tobleV.  Le  Cochet ,    le  Chat,     &  le  Souriceau  f 

Page  142 
Fable  VI.  Le  Renard ,  le  Singe  £3?  les  Anùmux ,  144 
Fable  VIL  Le  Mulet  Je  vantant  de  fa  Généalogie,  145 
Fable  VIII.  Le  Vieillard  &  VAne,  îbid. 

Fable  IX.  Le  Cerf  Je  voyant  dans  Veau,    -  146 

Fable  X:  U  Lièvre  £p  la  Tortue*  >  147 

tfable  XL  VAne  J«f  fes  Maîtres,  149 

Fable  XII.»  Le  Soleil  &  les  Grenouilles,  150 

Table  XIII.  Le  Villageois  &  le  Serpent,  ibid. 

Fable  XIV.  Le  Lion  malade,  &  le  Renard,  151 
Fdble  XV*  VOifeleur,  Y  Autour  &  V  Akuettë ,  152 
Fable  XVI.  Le  Cheval  fcf  VAne,  153 

Fable  XVII.  Le  Chien  qui  lâche  fa  proie  pour  t ombre, 

154 
Fable  XVIII.  Le  Chartier  embourbé,  ibid. 

Fable  XIX.  iLe  Charlatan,  iS5 

Fable  XX.  La  Difcorde,     .  •  157 

Fable  XXL  Lajtunc  Veuve,  158 

Epilogue,    . -'  Kïo 


Fin.de  la  Table  de  la  première  Partie. 


***** 


FABLES  * 


FABLES 

C  H  0  I  S  I  E  S, 

MISES    en     VERS, 

FAR 

J.DE  LA  FONTAINE. 

NOUVELLE     EDITION: 

Imprimée  for  celle  de  Paris  in  Jbtio,  avec 
les  Notes  de  Mr.  Coste,  qui  fervent 
à  .expliquer  les  paflàges  &  les  expres- 
fions  moins  intelligibles  pour  la  Jeu. 
neflè. 

SECONDE     PARTIE.-.' 


i  à      L    E    I    D    E, 

'Chez   LUZAC   et  van  DAMME, 

11BCCLX  XV  I  I  !._ 


r  , 


-     i 


t  -v 


j.     »  »  -•. 


\    I     11     A 

./    '3  :     '    : 


&SëSSS86eBGSS9tS3&S8g&&$S<# 


f^^s^^èms^ms^is69^^ 


AVERTISSEMENT; 


.*  jk»»k- . 


(^*sM%  atc  i  un.  fécond  Tecoeîhder:  F&* 
a  yf  hto&qie/JBpy^bnié.  àfc®riâic*i 
fit*  ^  J'aUugé  à  propos  de  donner  à 
^}*Q*ç&r  la  plupart  de  celtes -ci  un  air  & 
un  tour  un  peu  différent  de  celui  que  j'aï 
donné  aux  pftmîH&r *  tfcft  Jffeaufe  de  la 
différence  des\  filets ^..qûe- pour*  remplir 
avec  plus  de  vfenété  mon  Ouvrage.  Les 
traits  familiers  quêtai  ftmé  avec  affez  d'a- 
bondance dans  celles -Jà ,  convenoientbien 
mieux  aux  inventions  d'Efope  qu'à  ces 
dernières,  où  j'en  ufe  plus  fobrement, 
pour  ne  pas  tomber  en  des  répétitions:  car 
le  nombre  de  ces  traits  n'eft  pas  infini.  H 
a  donc  fallu  que  j'aye  cherché  d'autres  en- 
'richiflèirçens,  &  étendu  davantage  les  cir- 
coiïftances  de  ces  récits,  qui  d'ailleurs  me 
;  fembloient  le  demander  de  la  forte.  Pouf 
f  peu  que  le  Lefteur  y  prenne  garde,  il  le 
reconnoîtra  lui-même  :  ainfl  je  ne  tiens 
.pas  qu'il  foit  nécefiàire  d'en  étaler  ici  tes 


1 


**4     ÂVEJtTISS  EM.ElfT. 

taifons,  non  plus  que  de  dire  >  où  j*aipuïfé 
ces  derniers  rojets.  Seulement  jç  dir*i  par 
rèconnoîflance,  quej'en'dois  la  plus  grande 
partie  k  Pilpay ,  fage  Indien.  Son  Livre  a 
été  traduit  en  toutes  les  Langues.  Les' 
gpus  du  Pays  le  croyent^fort  ancien  ,  & 
original  à  l'égard  d'Efope,  fi  ce  iTéftEfo- 
pe  InU xnéme ',  fous  le  nom  du  fage  Lac- 
rnàn.  Quelques  autres  m'ont -fourni"  des 
fujets  allez  heureux*  Enfin,  j'ai  tâché  de 
mettre  en  ces  deux  deMéres  Parties  toute 
la  diverfité  dont  j'étais  capable. 


.. . .  *;*  *, 


À     MAD  AME 

DE     MONTESPAN. 

JLy'ÂPCULoatJi  eft  m  donquivient  des  Immortel  t 

<      Ou  fi  cyeft  un  préfint  des  hommes  % 
Quiconque  nous  Va  fait  >  mérite  des  autels. 

.    Nous  devons*  tous  tant  que  nousjhmms, 
*     Eriger  en  Divinité 
Le  Sage  par  qui  fut  ce  tel  Art  inventé. 
Ceji  proprement  un  charme  :  il  rend  lame  attentive ê 

Ou  plutôt  il  la  tient  captive^ 

Nous  attachant  à  uSsrétés_  ^ 
g»'  mènent  à  fin  gré  lès  cœurs  &  lese$ricr. 
0  vous  qui  rimitez,  Olympe,  fi  ma  Mufe 
4  quelquefois  pris  place  à  la  table  des  Dieux , 
Sur  fis  dons  aujourd'hui  daignez  porter  les  yeux  : 
Favorifez  les  jeux  où  mon  efprit  s'amufe. 
Le  temps  qui  détruit  tout ,  rcfpeSant  votre  appui. 
Me  laijfira  franchir  les  ans  dans  cet  Ouvrage  ; 
Tout  Auteur  qui  voudra  vme  encore  après  lut. 

Doit  s'acquérir  votre  fuffrage.  % 

Ceft  de  vous  que  mes  vers  attendent  tout  leur  prix  ; 

II  rieft  beauté  dons  nos  Ecrits  , 
Dont  vous  ne  connolffiez  jusquss  aux  moindres  traces  i    - 
Eh  !  qui  connoit  que  vous  les  beautés  &  les  grâces  f 
Paroles  &  regards ,  tout  ejt  charme  dans  vous. 

Ma  Mufe;  en  unfujet  fi  doux^ 
IL  Partie.       ,  H 


;\    •»    .   Voudrait  s? étendre  4avantagex.  *  : 

falaise  faut  rfetfyr  à  iï'éutàs  cet  Wpïùy 
'.!      L  '..  &  &m  Pius  ê1*™}  Maître  que  mal*;. 
. .  .*.  J^«  M>uang<i/i  k  fartage.  > ..  *.  .... 

Frôre  «o»  Jêrv*  un  jour  dç  rempart  £?  ^*^n  • 

^lotigçi  dtformqi s  lç  Ltyte  favori 
Par  qui  j'ojatfpérer  une  jeèonâe  vie  :* 
,  Sous  vosfeuls  aufpices  ces  Fers 

.  **  >  tewJwsnWtgrérfiyen  r 
„  /  «.  1  *  Erçgttâr  &f  y&x  deXuufreri.  . 
y*  0*  w&te  pflj  une  faveur  fi  grande ; 

La  Fable,  en  fin  nom ,  /a  demande: 
Fméfa*bripm#&*  mmjfagevfeff  sms.;\ 
5?'«7  procurç  à  mee  Vm  le  bonhm  Ve'  yaks  phke  , 
Je  croirai  lui. devoir  un  temple  ppurfalahe : 
Mou  je  ne.  yeux  bâtir, des,  temples  que  pour  vous.' 


i*âiW£€»~ 


3$$S$$3S$£i$3@$9GS36SSH| 


.  -><v-*^  ~^- "^ .  ~>v  •> 


L    I    P   R   E     SEPTIEME. 


<^*K>*<»»^*<>*^*«>*<>*'fr 


■•  **  » 


FABLE    PREMIERS.: 

:.  .,.■■:*      f.      <■.    '      1     .  » 

Les  animaux  matades par  ta  pijîe:  ' 

r    ■      \J  n  mal  qui  répand  la  terreur/. 

^talque  le ciel  ea  fa  fiùfeur       ;  . ; •     \l 

Inventa  pour  puajr  le*  cfimes  de  .la  terre  , 

La  perte,  (pulfqu'ii  faut  l'apode*  par  fon  nom) 

Capable  d'enrichir  en  un  jour  <  i)  i'Àchéron, 
«  Faifoit  aux  Animaux  la  guerre. 

Ils  ne  mouroient  pas  tous  >  mais  tous  étaient  frappés* 
.  On  n'ep  voyoit  point  d'occupés  V 

A  chercher  le  foutien  d'une  mcurante  vie; 

Nul  mets  n'excitoit  leu^  envie.  !' 

Ni  Loups,  ni  Henards  n?épioient, 
La  douce  &  l'innocente  proie. 
Les  Tourterelles  fe  fuyaient;  s* 

Plus  d'amour ,  partant  plus  de  joie. 

Le  Lion  tint  confeil ,  &  dit  :  mes  chers  omis, 
«  Je  crois  que  le  Ciel  a  permis        t  %t 

Pour  nos  péchés  cette  infortune: 


4 


(  i  )  Le*  Ea&N  *  f$*iic  dcs,mott*> 
H  2 


169       FABLES   -CHOISIES 

Que  le  plus  coupable  (te  nous 
Se  façrifie-eux  traits  du  célefte  courrottK,    . 
Peut-  être  il  obtiendra  la  guérifon  commune. 
t'Hifloire  nous  apprend  qu'en  de  tels  acddent 

On  fait  de  pareils  dévoûmens. 
Ne  nous  flattons  donc  point,  voyons  fans  indulgence 

L'état  de  notre  confciencë.  - 
Tour  moi,  fatisfaiftnt  mes  apétits  gloutons, 

J'ai  dévoré  force  moutons. 

Que  m'àvoient-ijs  fait?  NoUc  jbffenfe : 
Même  il  jn'eft  arrivé  quelquefois  de  manger 

Le  berger. 
Jejjie  dÔ^oùratdèffc»  s'itïe  ftut;;taaii  j$  peiife. 
Qu'il  eft  bon  que  chacun  s'accufe"  ainfi  que  moi  : 
Car  on  doit  Souhaiter*  félon  toute  juftice, 

Que  le  plus  coupable  périfTc.    ' 
Sire,  dit  le  Renard,  vous  êtes  trop  bon  Roi; 
Vos  fcrupules  font  voir  trop  de  délicatefflrç 
Et  bien ,  (  manger  moutons ,  canàilte }  Tocte  efpéce , 
Eft-ce  un  péché  ?  Non,  non  :  vous  leur  fites,  Seigneur, 

En  les  croquant  beaucoup  d'honseucw 

Et  quant  m  berger,  Ton  peut  dire 

Qu'il  étoit  digne  de  tous  maux,   * 
Etant  de  ces  gens  -là  qui ,  fur  les  AnrmâuTj 

.   <   Se  font  un  chimérique  empire. 
Àînfî  dit  le  Renard,  &  flatteurs  d'applaudir, 

On  n'ofa  trop  approfondir 
Du  tigre,  ni  de  rpurs,  ni  des  autres  puiflances, 

:  Les  moins  pardonnables  offenfes. 
Tdus  les  gens  querelleurs,  jufqu'aux  (impies  mâtins, 
Au  dire  de  chacun ,  étaient  de  petits  fakifâ. 
L*ane  vint  à  fon  tour,  &  dit:  J'ai  fouvenance 

.,     Qu'en  un  pré  de. moines  parlant,- 
La  faim,  l'occafion,  l'herbe  tendre,  &  je  penfe. 

Quelque  diable  auffi  me  pouffant, 
Je  tondis  de  ce  pré  la  largeur  de  ma  langue  : 
Je  n'en  avois  nul  droit,  puifq^il  faut  parler  set. 


L    I    V    R    £      V  II:  i5p 

À  ces  mots  on  cria  (a.)  haro  fur  le  baudet. 
Un  Loup ,  quelque  peu  (  3  )  Clerc ,  prou\  a  par  & 
harangue,  ^ 

Qu'il  failoit  dévouer  ce  maudit  animai , 
Ce  pelé ,  ce  galeux ,  d'où  venoit  tout  le  mal. 
Sa  peccadille  fut  jugée  un  cas  pendable. 
Manger  l'herbe  d'autrui  !  quel  crime  abominable  ! 

Rien  qiiè  la  mort  n'était  capable 
D'expier  fon  forfait;  on  le  lui  fit  bien  voir. 

Selon  que  vous  ferez  puiflfant  ou  miférable, 

Les  jugeirçens  de  cour  vous  rendront  blanc  ou  noir. 

(  1  )  Cri  pour  arrêter  un  criminel* 
(5  )  Sçavans  dans  les  Loix. 


FABLE      IL 
Jje  mal  Marié. 

\JPue  le  bon  foit  toujours  camarade  du  beau-, 
^         Dès  demain  je  chercherai  femme  : 
j  Mais  comme  le  divorce  entr'eux  n*eft  pas  nouveau. 
Et  que  peu  de  beaux  corps ,  hôtes  d'une  belle  "ame* 
|  AfTemblent  l'un  &  l'autre  point, 

,  Ne  trouvez  pas  mauvais  que  je  né  cherche  poirie.  ^ 

I  J'ai  vu  beaucoup  d'hymens/  aucuns  (feux  ne  me 

tentent: 
Cependant ,',  des  humains  prefque  les   quatre  parts 
S  expofent  hardiment  au  plus  grand  des  hazards  : 
Les  quatre  parts  auiD  des  humains  fe  repentent. 
J'en  vais  alléguer  un,  qui  s'était  repenti, 
Ne  put  trouve*  d'autre  parti , 
.  Que  de_  renvoyer  fon  époufe 
Querelleufe,  avare  &  jaioufe» 
H3 


j7o       FÀBLES'CHOISIES 

Rien  ne  la  contentoit,  rien  ft'étoit  comme  il  faut; 
£>n  fe  levoit  trop  tard ,  on  fe  eouchoit^  trop  tôt  : 
Puis  du  blanc,  puis  du  noir,  puis  encore  autre  ohofe. 
Les  valets  enrageoient,  l'époux  étoit  à  bout: 
Monfieur  ne  fonge  à  rien,  monfieur  dépenfe  tout, 

Monfieur  court,  monfieur  fe  repofe. 
Elle  en  dit  tant,  que  monfieur  à  la  fin , 

Laffé  d'entendre  un  tel  lutin , 

Vous  1*  renvoie  à  1a  campagne 
Chez  fes  parens.  La  voilà  donc  compagne 
De  certaines  Philis- qui  gardent  les" dindons, 

,  .     Avec  les  gardeurs  de  cochons* 
Au  bout  de  quelque  temps  qu'on  la  crut  adoucie, 
Le  mari  la  reprend.  Eh  bien,  qu'avez -vous  fait? 

Comment  paffiez-vous  votre  vie? 
l'innocence  des  chainps  eft.-elle.yxjtre  feit? 

Aflfez",  dit -elle  :  mais  ma  peine 
Itoit  de  voir  les  gens  plus  pareffeux  qu'ici  : 

Ils  n'ont  des  troupeaux  nul  fouci. 
3e  leur  fçavois  tfcyi  dire  ;  &  m'atfijrois  la  haine 

De  tous  ces  gens  fi  peu  foigneux. 
Eh,  Madame,  reprit  ton  époux  tpOt- à- l'heure, 

Si  votre  çfprit  eft  fi  hargneux  . 

Que  le  monde  qui  ?ne  demeure 
©tfun  moment  avec  vçus,  &  ne  revient  qu'fui  foix% 

'  £ft  déjà  laffé  de  vous  voir  -, 
Qufe  feront  des  vak*ts,qui ,  toute  4a  journée , 

Vous  verront  contre  eux  déchaînée  ? 
.  -  *      -  Et  qup  pourra  faire  ufl  époux.. 
4^ue  vous  voulez  qui  foit  jour  &  nuit  avec  vous? 
Retournez  au  village:  adieu.  Si  de  ma  vie 
Je  vous  rapelle,  &  qu'il  m'en  prenne  envie, 
Puiffig-Je.cbcz  les  jports  avobc,  pour  mes  péchés, 
Deux  femmes  comme  vous  fans  cette  à  mes  ctais* 


L    IV    RE      V-i.L  X7t 

F   A    B    L    E     II  I: 
Z>  JRof  qui  s'eft  retiré  du  monde. 

JL/es  (j)  levantins  en  leur  (a)  légende, 
Diient  quiih  certain  Rat,  las  des  foins  d'ici -bas, 

Dans„un  fromage  de  Hollande  - 

Se  retira  loin  du  tracas. 

tafolitude  étok  profonde, . 

S '.étendant  par -tout  à  la  ronde* 
Notre  hermîte'nouveau  fubfiftoit  là  -  dedans» 

*  Il  fit  tant  des  pieds  &  des  dents, 
Qu'en  peu  de  jours  il  eut  au  fond  de  l'hermitage, 
Le  viyr*  #  fecMffla?<9«rft&r*  ît  davantage  ?~  *  < 
Il  devint  gros  &  gras  :  Dieu  prodigue  fes  biens 

A  ceux  qui  font  trœu  d'être' fïensî 

Un  four,  iu  dévot  perfonnage, 

Des.  députes  du  peuple  rat 
S'en  vinrent  demander  quelque  aumône  légère  ? 

Ils  alloient  en  terre  étrangère 
Chercher  quelque  fecours  contre  le  peuple  chat: 

(3)  Ratapolfe  étok bloquée  ; 
On  les  avoit  contraints  de  partir  fans  argent,    ~   •  ;' 

Attendu  l'état  indigent 
[  De  la  république  attaquée. 

I  Us  demandoient  fort  peu,  certains  que  le  fecours 

Seroit  prêt  dans  quatre  ou  cjnq  joutf,  : 

(t  )  Les  peuples  du  levant. 

(  2  )  Livre  qui  contient  les  Vies  de  plufieu»  Sàinçs. 
*  Il  fit  t*nt   des  pités  &   du  dftts'ydLc. 
C'eft  ain&  qMe  La  Fontaine  l'a  imprim*.    On  dit  pitfs  coot*' 
munément  d*s  pîedf  &  dtr  jaaïnt.   "i\  s'eft  exprime  encore 
de  même.  Liv.  v,  11.  p.  lz.   Vers  19.    Le.  Cerf  upîtt  tiafi, 
£ire9  lt  xtjf»pt  de  f fours,  frc-.     >  * 

(3)  La  Ville  capitale  des  Rats. 

11  ♦ 


J 
J 


il%       FABLÏS    CHOISIES 

:  Mes  amis,  dit  le  Solitaire ~ 

Les  cbofes  d'ici-  has  ne  me  regardent  plus  : 
.  En  quoi  peut  on  pauvre  reclus 
Vous  affifter?  Que  peut -il  feire, 
Que.de  prier  le  eiei  qu'il  vous  aide  en  ceci? 
J'efpere  qu'il  aura  de  vous  quelque  fouci. 
;  Ayant  parlé  de  cette  forte , 
'•  Le  nouveau  Saint  ferma  fa  porte. 

Qui  défîgnai  -  je ,  à  votre  avis , 
Par  ce  Rat  fi  peu  fecourable? 
Un  Moine?  non,  mais  un  (4.)  Dérvis. 
Je  fuppofe  qu'un  Moine  eft  toujours  charitable. 

(4)  Religieux  Tare. 


FABLE      IV. 

Le  Héron* 

FABLE      V. 

LaBtte. 


U. 


f  n  jour  fur  fes  longs  pieds  alloft  je  ne  fp»  <*t 
Le  Héron  au  long  bec  emmanché  d'un  long  cou. 

Il  côtoyoit  une  rivière.  "  (iom9 

L'onde  étant  tranfparente ,  ainfi  qu'aux  plus  beaux 
Ma  commère  la  carpe  y  faifoit  mille  tours 

Avec  le  biopbet  fon  compère. 
Le  Héron  èh  eut  fait  aifément  fon  profit;    * 
Taus  apprôchoient  du  bord,  Foifeau  n'avoft  <p'* 
v  prçndre  r 

Mais  il  crut  miepx  faire  d'attendre 

Qu'a  eût  un-  peu  plus  d'appétit    * 


L    I    V    X    B      VIL  T        »7S 

II  vivoit  de  (  i  )  régime;  &  mangeôit  à  fo  heures» 
Après  quelques  momens  Pappétit  vint  r,  l'oifeau 

S 'approchant  du  bord ,  vit  far  Peau 
Des  tanches  qui  fortoient"du  fond  de  ces  demeurer. 
Le  mets  ne  lui  plut  pas,  H  s'attendoit  à  mieux, 
;  Et  montroit  un  goût  dédaignqfx 

Comme  le  ( 2)  rat  du  bon  Horace. 
Moi  des  tanches  ?  dit-  H ,  moi  Héron  que  je  fade 
Une  fi  pauvre  chère?  Et  pour  qui  me  prend -on? 
La  tanche  rebutée,  il  trouva  du  (3)  goujon. 
Du  goujon!  Ceft  bien -M  le^îner  d'un  Héron* 
J'ouvrirois  pour  fi  peu  le  bec!  aux  Dieux  ne  plaife» 
11  l'ouvrit  pour  bien  moins  :  tout  alla  de  façon 

Quir  ne  vit  plus  aucun  poifibn. 
La  faim  le  prit  :  il  fut  tout  heureux  &  tout  aife    * 

De  rencontrer  un  Limaçon. 

Ne  foyons  pas  fi  difficiles  : 
Les  plus  accommodans ,  ce  font  les  pk»  habiles* 
On  hazarde  de  perdre  en  voulant  trop  gagner. 

Gardez -vous  de  rien  dédaigner, 
Sur -tout  quand  vous  avez  à  peuples  votre  compte. 
Bien  des  gens  y  font  pris  :  ce  n'eft  pas  aux  Héxons 
Que  je  parle:  écoutez,  Humains,  un  autre  conte. 
Vous  verrez  que  chez  vous  j'ai  puifé  ces  leçons» 


%+/< 


certaine  fille  un  peu  trop  fiére, 
Prétendoit  trouver  un  mari 
Jeune,  bien  fait,  &  beau,  d^agréable  manière, 
Point  froid  &  point  jaloux  :  notez  ces  deux  point  -  cf. 

(  1  )  C'eft  manger  av*c  précaution. 
(  z  )  Le  Rat  de  Ville  <  qui  gbûtoït  d'Un  air  dédaigiieitx 
tout  ce  emt  hrf  p«éfa«oit  Je  R»r  de  camp*g*c ,  p«uf  le 
égaler  de  Ton  mieux.  , 

—    tupitus  vdtta  fafiidU  tank        '      '< 
Vinctrt,  tangent i s  m*ti  fin%*U  dtntt ■  fmpirlê, 

■  '    ■    <  Ho*at.>-6a*.  vi.  U  %* 
<3)  ïSptct  de  petit  Poiflca. 

4JS 


*7<S       FÀILES    CHOISIES 

Ordre  lui  vient  d'aller  au  fond  de  la  (  4)  Norvège 
Prendre  le  foin  d'une  maifon 
-  .    En  tout  temps  couverte  de  neige; 

Et  (si  d'Indou  qu'il  étoit*  on  vous  lefeit  (6)  Lapon. 

Avant  que  de  partir,  l'Efprit  dit  à  fes  hôtes: 
On  m'oblige  de  vous  quitter  ; 

►  .  Je  -ne  fçats  pas-  pour  -quelles  faute*,* 

Mais  enfin  il  le  eut,  je  ne  puis  arrêter, 

Qu'un  teipfcs  .fort  court,  tin  gois»  peut -être  une 
femaine. 

Employez  -  la  :  fortaèz  trots  fouhaits ,  car  je  puis 
Rendre  trois  fouhaits  accomplis; 

Trois  faas  plus.  Souhaiter,  ce  n'eft  pas  une  peine 
Etrange  &  nouvelle  aux  humains. 

Ceux-ci  pour  premier  vœu,  demandent  l'abondance; 
Et  l'abondance ,  à  pleines  mains , 
Verfe  en  leurs  coffres  la  finance , 

En  leurs  greniers  le  bled,  dans  leurs  caves  les  vins; 

Tout  en  crevé.  Comment  ranger  cette  (7)  chevance  ? 

?uels  registres ,  quels  foins ,  quel  temps  il  leur  fallut  i 
bus  deux  font  empêchés  fi  jamais  on  le  fut. 
.Les  voleurs  contre  eux  complotèrent, 
Les  grands  'Seigneurs  leur  empruntèrent , 
Le  Prince  les  taxa.  Voilà  les  pauvres  gens 

Malheureux  par  trop  de  fortune.    , 
Otez-nous  de  ces  biens  l'affluenoe  importune, 
Dirent -ils  l'un  &  l'autre:  heureux  les  indigensl 
La  pauvreté  vaut  mieux  qu'une  telle  richefie» 
Retirez -vous,  tréfors:  fttye3;&  toi,  Déefle, 
Meredu  bon  efprit,  compagne  du  repos, 
O  Médiocrité,  reviens  vite.  À  ces  mots 

(4)  PaY»  très -froid  au  Nord  de  l'Europe, 
.    (?)  Indien  ,  habitant  des.In.des>. 

(  6  )  Habitant  de   la   Laponie ,  le  païs  le  plus  Septea» 
•donnai  de  l'Eurojpe. 

(7  j  VUiuc  mot ,  pour  dut  têtu  a  kitn  t  t$uUs  tu  ri<ktfi$% 


L    I    V   *    E    Util.    .        %7J 

La  Médiocrité  revient;  on  fui  firit  place; 

Aveçdle  ils  rentrent  en  grdee , .      '.    ) 
Au  bout  de  deux  fouhafts,  étant  auffi  chaaceux 
-  Qulls  étoient ,  &  que  font  tous  ceux 
Qui  fouhaitent  toujours ,  &  perdent  en  chimérest 
Le  temps  qu'ils  feroient  mieux  de  mettre  à  letaf 
affaires.  # 

Le  Fofat  en  rit  avec  eux. 
Pour  profiter  de  fa  largefie, 
Quand  il  voulut  partir,  &  qu'il  fût  fur  le  points    •. 
Us  demandèrent  la  Cageflê  :    '.  .    .  j    :    .. 
Ceft  un  tréfor  qui  n'embarraflb  point 


> 


«8SS59SSS===SS=5SSB5S=-SSBS95S^^ 

F  A    B    L    E      V  IL    . 

,Xa  Cour  et»  ÏJoh.  ' 


S, 


1  a  Majefté  Lionne  fan  Jour,  voulut  conaottr* 
De  quelles  nations  le  ciel  Pavoit  fait  maître. 
11.  manda  donc  par  députés  : 
,     Ses  ( i)  vaflaux  de  toute  nature ,, 
Envoyant  de  tous  les  côtés 
•• .    Une  circulaire  écriture,         .7  .    . 
Avec  fon  fceaù.    L'écrit  portoit 
Qu'un moïsdurant,  le  roi  tiendrai  . - 
|  .    (  2 }  Cour  plénrére ,  dont  l'ouverture  ,  l 

Devôît  être  un  fort  grand  feftin„      *  v 
Suivi  des  tours  de-  (  3  )  J? agotitt.  * 

Par  ce  trait  de  magnificence 
Le  Prince  à  fes  fûjets  étaloit  fa  puiffance. 

H  >  )  tes  Animaux  qui  'dépendoîtent  de  lut 
(*)  Aficmblee  générale  de  fes  Vaflavx. 
(  3  )  ^ora  d'un  Singe  qui ,  en  fon  temps  »  amufa  W  Pt*« 
$*  dç  Taxis. 


y 


I7t        FAJBL/E  S"  CHOISIE  S 

Enfbn  Vtàrttà  H  les  iavitei  * 
Quel  loutre  1  un  viai  (4)  chasmer,  dont  l'odeur 
fe^poita  "•;'■::•       -:.  •  <*     .  :.  .    • 

D'abèKt  au  nez  des  ^e»s^  Uouts  bouda  fa  narine  : 
Il  fe  fût  bierii  paffé.  de  faite  jeetto  mine*.  » 

Srgtfttaa^dépkA. ,  Le  monarque  itlité  < 
L'envoya  chez  (5)  Fluton  faire 

,Lfc  dégoûte. 
Lé  finge  approuva  fort  cette  févérité  ; 
Et*âàttçitt!e&cel&f,  il  Ioùa,ht  .colère;  »/  :'. f 
Et  la  griffe  du  priait  &  l!ancrè^&xetœ  odeur: 

J  .  lijiStafc  «*»,!:$  ntttûfc  :fleiir^ 
Qui'ne  fût  ail  au  prix.    Sa  fotte  flatterie 
JHt  Wfl  nw,rrig  fitrnAfî,  ft  fijMrnirnr  piinfr.  » 
Cemonfeigneur  du  Lion -là, 
^Fi*  pa/ent  c%  (6).  Cal^iila.        - 
Le  renatd  éfanrproclte:  *ça,v  lui  dît  leïire, 
Que  fens-tu?  Dis  Je -moi:  parle  fans  déguifer. 

L'autre  auffi^  tôt -âe-  Àxco»r , 
Alléguant  un  grand  rhume  :  il  ne  pouvoit  que  oW 
&?i } Sans  odorat  rrtafef  il  s'en  UM/  •''*-•■' 
.v  ;  -.1  .•  : i  ._■,.•'.*;.:  •.    *• , 
Ceci  vourfert  dtenfeignement. 
Ne  foyeze  à^ia  Cour ,  fi  vous  voulez  y  plaire, 
Ni  fade  adulateur*  *ni  parieur  trop  fincére; 
Et  tâchez  quelquefois  de  répondre  en  (  7  )  Normand. 
":  '.••'..-•  ji    y      •         \ 

(4)  Ut*  o&.l'P*.  renferme  Ifes  bêtes  <jûf«*  f  *%otl* 
poot,le«  vendre  â  la  feouçketict     .         -  i    . 

^  (j*)-  Dieu  d'Enfer,  c'eft-a-dke,  le  .fit  mdunr. 

(6)  Empereur  Romtin  tr^swcrwel. 

(7)  fin  wmt*  équivoque*»  qui  *nt  »«  «toutyc  fens* 


F      A--lP\t3«E^..y.-I-Ik.       ;.T 

:  *\  ._  ^  "*;  ...;   i.'/.      :.;•,.;'.       i      \ 

Z>/  Vautours  <<&  tei^Pi^ecmi.^  ~  *  - 

ÎVJL  ars  (  i  )  aiprefois  mit*  toutjf'air  'eft  ^mtec.  '.  r 
Certain  fwet  fit  .naître  là  clifpute  *  ,  ,  •  <«.,■.') 
Chez  les  Oifeâjjx,  non  ^;3bùx/jue  lp  Vf înteiqpf 
Mène  à  &  Coûrr'&  jgpi  loni  la  (euJUée,,!  I  '.. ,  j 
Par  leur  exemple  &  leurs  fans  &latjins,  •  \ 

Font  que  (  3  )  Vénus  efl  en  noiis  réveillée  ; 
Ni  (4)  ceux  encor  que  la  mère  d'Amour         .  . 
Met  à  Ton  èhar  :  mais  le  peuple  Vautour  r 

Au  bec  retors,  à  la  tranchante  ierri.  k .  ^  '  .  • .  j 
Pour  un  cÊîen  mort  fe  fit,  dit  :  W»  U ggerrjêr  ;  '<j 

11  plut  du  (  S  )  frfrg  i  h  n'ékageïe  point, 

Si  je  voulois  conter  de  point  «n  point,.  t  .,  ;,  — 
Tout  le  détail ,  'je  manquerons  d'haleine,  .  ]  ^ 
Maint  chef  périt,  mainte  héros  expira;  ."<• 

Et  fur  foh  roc  ($)  Prométhée  efpéaa  \  .  *  . , 
De  voir  bien  -tôt  une  fin  à  fa  peine,  > 

Cétbit  plaifir  d'bbferver  leurs  efforts  * 
C'étoit  pitié  de  voir  tomber  les  morts.    .     > 
Valeur ,  adrefle ,  &  mfes»,  &  furprifes , 
Tout  s'employa.  Les  deux  troupes*  éprtfes*  •*  •  *  • . 


(  1  )  Le  Dieu  de  lai  Guerre. 
(  1  )  Les,  moineaux  %  &ç. 
(  3  )  La  paflîon  de  l'amour, 
ù)  Les  Colombes. 


(j)  Parce  que  Us  Vautouca  fe  battolent  dans  l'air* 
(0)  Condamné  par  Jupiter  à  être  continuellement  ron- 

If  par  un  Vautour ,  pour  ayoir  enlevé  du  Ciel  le  feu  dont 

H  ittoit  fervi  pour  animer  l'Homme. 


,I«p       r^BLESCHaiSIKS 

Bardent  courroux,  n'épargnoient  nuls  moyens 

T"ôiit  élément  "remplit  'de  "citoyens 

Le  vafte  enclos  «qu'ont  les  (8)  Royaumes  fembrei. 

Cette  fureur  mij  Ja  coï^paHîon 

Dans  1»  efprtts  «l'une  sutre  (  g)  ftatiob 

Au  col  changeant,  au  cœur  tendre  &  fidèle  : 

Elle  employa  Ta'  médiation 

Bout  accorder  une  telle  querelle. 

Ambaffadçurs  par  le  peuple  Pigeon 

Furent  choifîs  ;  &  û  bien  travaillèrent, 

Que  les  Vautours  plus  ne  fe  chamaillèrent* 

fk  firent  trévç  ;  &  la  '  paix  s'enfuivït. 

Hélas  1  ce  ftt  aux  dépens  de  la  race 

A  qui  la  leur  atnroiîdû  rendre  grâce. 

La  genë  maudiçe  auflî  -  tôt  pourfuivit 

Tous  les- Pigeons ,  en  fit  ample  carnage,  i 

En  dépeupla  les  bourgades,  les  champs. > 

Peu  de  prudence  eurent  les  pauvres  gens»'  ^  ' 

D*acaommod$r  un  peuple  fi  fauvage.  \ 

Tenez  toujours  dlvifés  les  médians; 

la  fureté  dir  refte  de  la  terre .     /  .<  -     •  '  ; 

Dépend  de  Iâ  :  femez  entre  eux  la  guerre, 

Ou  vous  n'autez  avec  eux  nulle  paix. 

Ceci  foit  dit  en  paffant:  Je  me  tais.  .     ^ 

(7)  Lts  morts  qv!  fout  aux  Enfers*  7 

(8)  Les  Enfers,  félonies  Poètes.      < 
(9  )  \Lc*  Siççons* 


LIT*    E     VIL  ift 


FABLE      I  X. 


D 


Le  Coche  &  h  Mouche. 

.:i        »-         -i 

ans  un  chemin  montant,  fablonneu^,  mal-aifé, 
Et  de  tous  les  xtxôs  au  Soleil  étpoCè ,  ■-     ■  *. 

Six  forts  chevaux  tiroient  un  Coche.    -  •■■  - 
Femmes,  moines,  vieillards,  tout  étoit  defcendu. 
L'attelage  fuoit,  fouffloit ,  étoit  rendu. 
Une  Mouche  fur  vient,  &  des  chçvaux  s'approche, 
Prétend  les  animer  par  ton  bourdonnement, 
Pique  l*un ,  pique  l'autre ,  &  penfe  à  tout. moment  x 

Qu'elle  fait  aller  la  machine.,  . 
S'affied  fur  le  timon ,  fur  le  nez  du  Cocher. 

Aiiffi  -tôt  que  le  char  chemine , 

Et  qu'elle  voit  les  gens  marcher»   - 
Elle  s'en  attribue  uniquement  la  gloire , 
Va,  vient,  fait  l'empreflëe:  il  femble  que  ce  foit 
Un  fergent  de  bataille,  allant  en  chaque  endroit 
Faire  avancer  fes  gens ,,  &  hâter  la  vi&oire. 

La  Mouche,  en  ce  commun  befoin, 
Se  plaint  qu'elle  agit  feule,  &  qu'elle  a  tojit  le  foin  p, 
Qu'aucun  n'aide  aux  chevaux  à  fe  tirer  d'affaire.    - 

Le  moine  difoit  fon  bréviaire  : 
Il  pfenoit  bien  fon  temps  l  Une  femme  chantotec    . 
C étoit  bien  de  chantons  qu'alors  il  s'agiflbtt  ! 
Dame  Mouche  s'en  va  .chanter  à  leurs  oreilles, 

<  Et  fait  cent  foçtifes  pareilles.    4  /  ^    .  ; , 
Après  bien  du  travail ,  le  çoe^e  arrive  au  haut. 
Kefpirons  maintenant,  'dit  la  Mouche  aufH-tot;  .  t 
îa!  tant  Fait  que  nos  gens  font  enfin  dans  la  plaine. 
Ci,  meffieurs  les  chetwux,  p sgttfciai  4* à»$eink 


Il*        FA^ES^CgO^SrlftS 

Ainfi  certaines  gens,  faifant  les  empreffës, 
r.._    „   .  SUmpidnifenr damte-agrafis^  r>-* 

Ils  "font  "par  -  tdutlês  néceSaîres  ; 
Et  par -tout  importuns,  devraient  être  chalTés. 


p 


F   A    B    L    E      X. 

La  'Lqititr*  &  te  Pot  omLoàu 


érrètte ,  for  fa  tête  ayant  un  pot  au  lait,  ' 
Bien  pofé  fur  un  couffinec  >' 
ïrétendoït  arriver  fans  (i).  encombre  à  la  ville. 
Légère  &  court  vêtue ,  '  frite  allqit  à  grands4  pas  y    • 
Ayant  Hlis  *&  jour*  là,  pour  ètre.phis  agilfe1,  '  -  -  ■  - 
CptilFonfimpîe&  foùliérs  plat».  . 
.    ;' Notre  Laitière  ainlî  trdulfép/  r  l  *   " 
^  Gôtnptoit-déjàdafts  fa  penfée:  '  ~ 
Tout  le  pïîx  de  fon  Iàit,ie!f'éinpioyoitî,argept^,. 
Achetoit  un  cent  d'œufe ,  faifoit  triple  couvée  : 
Là  chote  alloit  à  bien  par  fon  fdiVctilifcent.      . 

11  m'eflr,  difoît-Wle1,  facile1 
-  D'élever  des  pouleb  'aùtoutf  dé  mi  maifbn* 

>'■    Le  ^èriârd^fèra, bien  habile,    :;  \  . .. 
fftf  ne  m*etï  feiffè-aflêz  pour  avoir  un  cochbri. 
Le  f  orc  âYèn^aiff<^  fcaû^  : 

11  étoit,  quand  je  l'eu?,  de  grôfleur  taîftnipable. 

Etifcâi ,  le  revendant ,  de  l'argent  bel  $  bon  ;"■"'' 
qui  m'empêchera  de  mettre  en  notït  Stable  ; 
Vu  le:prix  dont  il  eft,  une  vache~&  fon  veau* 
Que  je  verrai- fauter  au  milieu  duttoupeai?. .  ', 
PerreÉôlà^deffos  fettt^auffi;,  trkrifïtàitée.r    c  ?    l 
Le  feît^ojiibê  :kèi<tè  véai;  vacfife^cocfictaVebuvée, 


MYR    E/  VIT.         il} 

\a  Dame  de  ces  biens  7  quittant  d'un  œil  marri 

"SaTbrtune  aifîu  répandue \  '•".:** 

Va  s'excufer  à  fon  marf , 
Jtn"£and  &ngejfd'ê<fë  bajtoe.';; 

j  Le  récit  en  farce  en  fut  fait; 

Qa  l'appela  le  Pot  au  Liai.  - 

Quel  efprit  ne  bat  la  campagne? 

Qui  ne  fait  châteaux  eti'Efpagne? 
(2)  Pichrocole ,  (3)  Pyrrhus ,  la  Laitière,  enfin  tous; , 

Autant  les  fages  que  le$  fous.    •/ 
Chacun  fonge  en  veillant,  iln'eft  rira  déplus  doux, 
Une  flatteufe  erreur  .emporte  alors  nos  âmes  ; .     "^ 

Tout  le  bien  du  monde  eft  à  nous , 

Tous  les  honneurs,  toutes  «les  femmes. 
Quand  je  fuis  feul,  je  fa»  au  plus  brave  un  défi: 
Je  m'écarte ,  je  vais  détrôner  le  (  4  )  SoÔ  ; 

On  m'élit  Roi ,  mon  peuple  m'aime  : 
Les  diadèmes  vont  fur  ma  tête  pleuvant. 
Quelque  accident  fait  -il  que  je  rentre  en  moi-même, 

Je  fuis  Gros  -Jean  comme  devaiit. 

(1)  Prince  colère  »  ambitieux  fc  TÎfîonatire  ,  dont 
parle  Rabelais.  G*rgant*+ ,  Liv,  i .  ch.  33.     •    ■  , 

(  3  )  Pyrrhus ,  Roi  des  Epirotçs  s  autre  ambitieux  vî* 
£onnaixe  ,defceiuiu  d'Achille.  Voyez  fa  vie  dans  Plm *r<p*U 

U)  Empereur  de  Petfe*  '•  r  •'  ' 


•'.  V  -.';.   :..,.  :«.,.■*  V.llo\: 


184       FABLES    CHOISIES 
I  » 

FA    B    L    E      X  L 

Le  Curé  &  le Mort.  i 

\j  n  mort  s'en  alloît  triftemeat 
S'empara  de  fon  dernier  gîte  : 
Un  Curé  s'en  allott  gaiment 

K  Enterrer  ce  mort  au  plus.  vite. 

Notre  défunt  étoit  en  carotte  porté , 
Bien  &  dament  empaqueté , 

Et  y&u  d'une  robe,  hélas!  qu'on  nomme  bière, 
Robe  d'hyver,  robe  d'été, 
Que  les  morts  ne  dépouillent] guérc« 
Le  Pafteur  étoit  à  côté, 
Et  récitoit  à  l'ordinaire  •    • 

?:  Maintes  dévotes  oraifons, 

Et  des  pfeaumes  &  des  leçons, 
Et  des  verfets  &  des  répons.    _ 
Monfieur  le  Mort  ^  laiflez  -  nous  faire , 

On  tous  en  donnera  de  toutes  les  façons  : 
Il  ne  s'agit  que  du  falaire. 

Wcffire  Jean  Chouart  couvoit  des  yeux  fon  Mort, 

Comme  fi  on  eût  dû  lui  ravir  ce  tréfor; 

Et,  des  regards,  fembloit  lui  dire: 
Moniteur  le  Mort»  j'aurai  de  vous, 
Tant  en  argent,  &  tant  en  cire, 
Et  tant  en  autres  menas  coûts. 

H  fondait  là-deflus  l'achat  d'une  feuillette 
Du  meilleur  vîn  4es  environs  :    . 
Certaine niéce  affez  proprette, 
Et  &  chambrière  Piquette 
Dévoient  avoir  des  cotillons» 

Ste 


.LITRE      VII.  1B5 

Sur  cette  agréable  penfée 
.  Uft  heurt  furvient  :  adieu  le  char, 
'  .  Voilà  Meffîre  Jean  Chouart 

Qui  du  choc  de  fon  mort  a  la  tête  caffée  ;. 

LeParotfEen,  en  plomb,  entraine  fon  Pafteur,  . 
Notre  Curé  fuit  fon  Seigneur  : 
Tous  deux  s'en  vont  de  compagnie. 

Proprement,  toute  notre  vie 
Eii  le  Curé  Chouart,  qui  fur  fon  mort  comptoit», 
,  Et  la  Fable  du  Pot  au  lait.' 


FABLE      XII. 

V Homme  qui  court  après  la  Fortune,  & 
l'Homme  qui  l'attend  dans  fon  lit. 


^ui  ne  court  après  la  Fortune? 
Je  voudrois.  ecre  ùi  lieu  d'où  je  pufle  aifément 
*  Contempler  la  foule  importune 
- .  De  ceux  qui  cherchent  vainement 
Cette  fille  du  fort- de 'ro'ydume  en  .royaume, 
Fidèles  courtifans  d'un  volage  fancôme, 

. . .  Quand  ils  font  près  du  bon^mqment , 
L'înconftarjtè.  auflî  -  tôt ',;  à  leurs  défirs  échappe  : 
Pauvrçs  gens  !  Je  les  plains  ;  car  on  a  pour  Jes  fous 

/      plus  de  pitié  que  de  courroux,  n 
Cet  homme,  difent-ils,  étoit  planteur  de  choux; 

Et  le  voilà  devenu  .Pape  : 
Ne  le  valons -nous  pas?  vous  valez  cent  foisnrie*x: 
:  '7     Mais  que, vous/ fert, votre  mérite? 
La  Fortune  a-t-elle  des  yeuxV 
Et  pais  ,'  la  papauté  vaut -elle  ce'  qu'on  quitte, 
Le  repos  /  le  rçpo$  è  ixéfox  iï  précieux , 
11.  Pmiu  ,      V         ^     •. 


il6       F  KH  L  E  S    C  H  O  IS I  E  S 

Qu'on  en  faîfoit  jadis"  (O  le  partage  dès  dieux? 
Hajemefit  la  fortune  à  fes  hôtes  le  lafflfe. 

Ne  cherchez  point  cette  déeffe , 
Elle  vous -cherchera  :  '  Ton  fexe  en  ufe  aihfi. 
Certain  cookie  d'amis,  en  un  bourg  établi , 
Foflëdoit  quelqae  bien.   L'un  foupiroit  fans  celle 
Pour  la  fortune  :  il  jdït  à  l'autre  un  jour, 

,    Si  nous  quittions  notre  féjour  ? 
.  "     Vous  fçaVcz  que  nul  n'eft  prophète 
fin  Ton  pfcyS:  cherchons  notre  avanture  ailleurs. 
Cherchez,  (fit  l'autre  ami  :  pour  morjfe  ne  fouhail 

Ni  climats ,  ni  deftins  meilleurs. 
Contentez -vous;  fuivez  votre  humeur  inquiète: 
Vous  reviendrez  bientôt..   Je  feis  vœu  cependant 

De  dormir  en  vous  attendant. 
L^ambitteux,  ou  fi  l'on  veut,  l'avare, 

S'en  va  par  voie  &  par  chemin. 
■  •  *  •    Il  arriva  le  lendemain 
En  un  lieu  que  devoit  la  Déeffe  bizarre 
Fréquenter  fur  tout  autre  ;  &  ce  lieu,  c'eft  la  coi 
IA  donc,  pour  quelque  temp*,  il  fixe  fon  féjour 
Se  trouvant  au  (  2  )  coucher ,  art  lever ,  à  ces  heu 

Que  Ton  fçait  les  meilleures, 
Bref  fe  trouvant  à  tout,  &  n'arrivant  à  rien. 
Qu'eft  ceci  ?  fe  dit  *  il  :  cherchons  ailleurs  du  bi< 
La  Fortune  pourtant  habite  ces  demeures. 
Je  la  vois  tous  les  jours  entrer  chez  celui-ci, 

<2hez  celui-là:  d'où  vient qu'auffi 
Je  ne  puis  (3)  héberger  cette  capricieufe? 
On  me  l'aveit  bien  dit,  que  des  gens  de  ce  liet 
L'on  n'aime  pas  toujours  l'humeur  ambitieufe. 
Adieu,  meffieurs  de  cour,  meilleurs  de  cour,  a^ 
Suivez  jusques  au  bout  une  ombre  qui  vous  fiatt 
La  fortune  a,  dit -on,  des  Temples  à  (4)  Sui 

(  i  )  Selon  Epicnrç  Je  Ces  Seâiteur* ,  le*  Dieux  vW 

d**s'un  doux  repos ,  fans  fe.mêlcr  des  affaires  du  M 

{1)  Du  Roi.        <  3  )  LùgÀ  che»  mol. 

ii)  feglfe  Vffle  4t  xommwk  dans  lt*  fedff. 


-  l  i  y  r  t    vu.        tit 

Allons  là.    Ce  fut  un  de  dire  &  s'embarquer. 
(5)  Ames  de  bronze  ^hupiains ,  celui-là  fut  fans  dout* 
Armé  de  diamant,  qui  tenta  cette  route, 
.Et  le  premier  ofa  l'abysme  déjîer. 

Celui-ci,  pendant  fon  voyage, 
Tourna  les  yeux  vers  fon  village 
Plus  d'une  Cois;  effuyant  les  danger» 
Des^ç)  pirates,  des  vents,  du  calme  &  des  rocher^ 
Miniftres  de  la  mort.  Avec  beaucoup  de  peines 
On  s'en  va  la  chercher  en  des  rives  lointaines, 
La  trouvant  aûez  tôt  fans  quitter  la  maifon. 
L'homme  arrive  au  Mogol  ;  on  lui  dit  qu'au  (7)  Japoi 
La  Fortune  pour  lors  diftribuoit  fes  grâces. 

Il  y  court  :  les  mers  étoient  lafies 

De  le  porter  ;  &  tout  le  fruit 

Qu'il  tira  de  fes  l6ngs  voyages ,  •   /  v 
Ce  Fut  cette  leçon  que  donnent  les  fauvages  : 
Demeure  en  ton  pays ,  par  la  nature  inftruitr.  % 
Le  Japon  ne  fut  pas  plus  heureux  à  cet  homme 

Que  le  (  8  )  Mogol  l'avoit  été  : . 

Ce  qui. lui  fit  conclure  en  fomme, 
Qu'il  avoit  à  grand  tort  fon  village  quitté. 

Il  renonce  aux  courfes  ingrates , 
Revient  en  fon  pays,  voit  de  loin  fes  (9)  pénates* 
Pleure  de  joie,  à  dit:  heureux  qui  vit  chez  foi, 
De  régler  fes  défîrs  faifant  tout  fon  emploi. 

(y)  La  Fontaine  imite  aiTet  heureufement  ici  ce  pat* 
fage   d'Horace , 
Mi  rohtr  ér  **  tripltx- cire*  fe&*s  état. 

Ode  3.  Livre  t. 

On  ne  peut  pas  dire  la  même  choie  de  ce  qui  fuît, 

Sjii  frtgHem  ttuci  cvmmifif  ptUto  rattm  Primuf. 

Car  l'e&prçtâon  du.  Poète  Latin  cft  fans  doute  beaucoup  \ 

pins  jufte  &  pins  naturelle  aue  celle  -  ci , 

Et  tt  frtmitr  pf*  Ptbimt  défitr. 

(6)  Voleurs  de  mer. 

<  7  )  PjttiOantL  Royaume  au  Nord  -  Eft  de  la  Chine. 

(8)  Grand  Royaume  des  Indes; 

(9)  La  maifon  o^ftofcqt  fes  Dieu*  domcfiiqucs# 

1  a 


188     •  FABLES     CHOISIES 

Il  ne  fçait  que  par  ouï-dire 
X2e  que  c'eft  que  la  cour,  la  mer,  &  ton  empire, 
Fortune ,  qui  nous  fais  paffer  devant  les  yeux 
Des  dignités ,  des  biens ,  que  jusqu'au  bout  du  monde 
On  fuit,  fans  que  l'effet  aux  promeffes  réponde. 
Déformais  je  ne  bouge,  &  ferai  cent  fois  mieux. 

En  raifopnant  de  cette  forte , 
Et  contre  la  Fortune  ayant  pris  ce  confeil , 

Il  la  trouve  affife  à  la  porte 
De  fon  ami  plongé  dans  un  profond.fonlmeiI. 


FABLE      XIII. 

Le  deux  Coqs. 


D. 


'eux  Coqs  vivoient  en  paix ,  une  Poule  furvint 

Et  voilà  la  guerre  allumée.  * 
(  i  )  Amour ,  tu  perdis  Troye  ;  &  c'eft  de  toi  que  vini 

Cette  querelle  envenimée, 
0  u  du  fang  des  dieux  même  on  vit  le  (a)  Xanthe  teint 
Long-tems ,  entre  nos  Coqs ,  le  combat  fe  maintint 
Le  bruit  s'en  répandit  par  tout  le  voifinage. 
La  gent  qui  porte  crête  au  fpeftâcîe  accourut. 

Plus  d'une  Hélène  au  beau  plumage 
Fut  le  prix  du  vainqueur  :  le  vaincu  difparut  : 
11  alla  fe  cacher  au  fond  de  fa  retraite, 

Pleura  fa  gloire  &  fes  amours  ; 
Ses  amours ,  qu'un  rivale  tout  fier  de  fa  défaite      I 
PoÎTédoit  à  fes  yeux.  .  Hvoyoit  tous  les  jours      j 

f  t  )  A  caufe  de  l'enlèvement  d'Hélène   par  Paris  Prij 
«*  Troy.cn. 
.{*)  ttirttie  qui  couloit  *  Troye,  - 


.      L    I    y    R    E      V  I  I.  iS* 

Cet  objet  rallumer  fa  haine  &  fon  courage. 

Iiaiguifoit  fon  bec,  battoit  Pair  &  fés  flancs; 
Et  s'exerçant  contre  les  vents , 
S'armoit  d'une  jaîoufe  rage. 

Il  n'en  eut  pas*  befoin.  Son  vainqueur  fur  les  toit» 
S'alla  percher  &  chanter  fa  viftoire. 
Un  Vautour  entendit  fa  voix  : 
Adieu  les  amours  &  la  gloire. 

Toutcet  orgueil  périt  fous  l'ongle  du  (  3  )  Vautour. 
Enfin ,  par  un  fatal  retour , 
Son  rival  autour  '.  de  la  Poule 
S'en  revint  faire  le  coquet  : 
Je  laifle  à  penfer  quel  caquet, 
Car  il  eut  des  femmes  en  foule* 

La  Fortune  fe  plaît  à  faire  de  ces  coups  : 
Tout  vainqueur  infolent  à  fa  peite  travaille. 
Défions -nous  du  fort,  &  prenons  garde  à  nous, 
Après  le  gain  d'une  bataille. 

(3  )  Oifeau  4e  proie ,  qui  dévora  le  Coq* 


FABLE      X  IV. 

L'ingratitude  &  Pinjuflice  des  ^Hommes 
envers  la  Fortune. 


u 


n  trafiquant  fur  mer,  par  bonheur  s'enrichit: 
K  triompha  xles  vents  pendant  plus  d'un  voyage. 
Gouffre,  banc,  ni  rocher,  n'exigea  de  péage 
i'aucun  de  fes- ballots  :  le  fort  l'en  affranchit. 

13 


j 


*$o       FABLES    CHOISIES 

Sur  tous  fes  compagnons ,  (i)  Atropos  fit  (2)  Neptune 
(3)  Recueillirent  leur  droit,  tandis  que  la  Fortune 
Prenoit  foicr  d'amener  fon  marchand  à  boû  port. 
Faveurs ,  aflbciés,  chacun  lui  fut  fidèle: 
Il  vendit  fon  tabac,  fon  fucre*,  fa  canellc 

Ce  qu'il  voulut,  fa  porcelaine  encor» 
Xe  luxe  &  la  folie  enflèrent  fon  tréfor  : 

Bref,  il  plut  dans  fon  eicarcclle. 
.  On  ne  parloit  chez  lui  que  par  doublés  dutats; . 
Et  mon  homme  d'avoir  chiens,  chevaux  &  caroflês  : 

Ses  jours  de  jeûne  étoient  des  noces. 
TJn  lien  ami,  voyant  ces  fomptueux  repas, 
Lui  dit:  &  d'où  vient  donc  un  fi  bon  ordinaire? 
Et  d'où  me  viendroit-il,  que  de  mon  fçavôir-  faire? 
Je  n'en  dois  rien,  qu'à  moi ,  qu'à  mes  foins ,  qu'au  talent 
De  risquer  à  propos,  et  bien  plaCei*  l'argent 
Le  profit  lui  femblant  une  fort  douce  chofe , 
Il  rjsqua  de  nouveau  le  gain  qu'il  avoit  fait  ; 
Hais  rien,  pour  cette  fois,  ne  lui  vint  à  foubafc 

Son  imprudence  en  fut  la  caufe. 
Un  vaifleau  mal  (4)  frété  fcérit  au  premier  vent 
Un  autre,  mai  pourvu  des  armes  néceffaires, 

Fut  enlevé  par  les  Corfaifes.  - 

Un  troîfiéme,  au  port  arrivai 
Rien  n'eut  cours  nldébit.    Le  luxe  &  la  folk 

N'étoient  plus  tels  qu'auparavant.  .- 

-  Enfin>  fes  (5)  fadeurs 4e  Uompait, 
Et  lui-même  ayant  fait  grand  fracas ,  chère  lie, 
Mte  beaucoup  en  plaifirs*,  en  bâtimens  beaucoup* 

-  Il  devint  pauvre  tout  cl'un  coupi 
Son  ami  le  voyant  en  mauvais  équipage ,  v 

Lui  dit:  d'où  vient  cela?  De  la  Fortune,  hélas! 

(  i  )  Une  <fes  Parqyes,  qui  «ft  charge*  aie  couper  le  fi 
JK  la  vie  des  hommes.  ' 
(  2  >  Le  Dieu  de  la  Mer. 

(3)  Lta  ayant  fait  pefir  par. de  ftmeftes  naufrage* 

(4)  Terme  de  marine,  pour  dire,  mal  éauifé. 
(  X  )  C«ux  qui  âToicnt  fwri  <U  foif  h€gùç<t; 


L    I    VI    E    »VIL  m 

Confokz- vous.,  dit  l'autre  ;  &  s'il  ne  lui  platt  pat 
Que  vous  foyez  heureux ,  tout  au  moins  foyez  Cage. 

Je  ne,fçais  s'il  crut  ce  con&il  : 
Mais  Je  fçais  que  chacun  impute ,  en  ca&  pareil» 

Son  bonheur  à.  fon  induftrie  ; 
Et  fi  de  quelque  échec  notre  faute  eft  fuivie, 

JKous  difons  injures  au  fort  : 

Chofe  n'eft  ici  plus  commune. 

Le  bien,  nous  le  faifons:  le  mal,  c'eft  la  Fortune. 
On  a  toukur;  raiibnj  le  deftin  toujours  tort. 


c 


FABLE      XV. 
Les  DevinereffeSr 


*eft  fouvent  du  hazard  que  naît  l'opinion  ; 
Et  c'eft  l'opinion  qui  fait  toujours  la  (  i  )  vogue* 

Je  pourroîs  fonder  ce  prologue 
Sur  gens  de  tous  états  :  tout  eft  prévention  , 
Cabale,  entêtement,  point  ou  peu  de  juftice. 
Ceft  un  torrent:  qu'y  faire?  il  faut  qu'il  aitfonc©uis> 

Cela  fut  &  fera^  toujours. 
Une  femme  i  Paris  faifoit-la  .(a)  Pythoniflfe 
On  l'alloit  confuiter  fur  chaqpe  événement  : 
Perdoit-on  un  chiffon ,  avoit-qn  un  amant, 
Un  mari  vivant  trop  au  gré  de  fan  époufe  , 
Une  mère  fâcheufe,  une  femme  jaloufe. 

Chez  la  Devineufe  on  cojjroit 
four  fe  faire  annoncer  ce  que  l'on  défirofo* 

Son  fait  confiftoit  en  ad*  eflç  i 
Quelques  termes  de  l'art ,  '  beaucoup  de  hardief!** 
Du  hazard  quelquefois ,  tout  cela  concourent;, 

iO  Qu'on  voiu  tecberohe  *vec~  enpttlfcvKAfc 
U)  La.  Dcvincreife.  ' 


ipa        FABLES    CHOISIES 

Tout  cela,  bien  fôuvent,  faifoit  crier  miracle. 
Enfin ,  ç-uoiqu'ignorante  (  3  )  à  vingt  &  trois  carats, 

Elle  paflbit  pour  un  (4)  oracle. 
L'oracle  étoit  logé  dedans  un  galetas. 

Là  cette  femme  emplit  fa  bourfe; 

Et,  fans  avoir  xi'aatre  reffourçë , 
Gagne  de  quoi  donner  un  rang  à  fon  marf  :    , 
Elle  acheté  up  office,  une  maifon  auflU 

Voilà  le  galetas  rempli 
D'une  nouvelle  hôteffe,  â  qui  toute  la  vitie 
Femmes;  filles,  1  valets ,  ^ros  meilleurs ,  tout  enfin 
Alloit,  comme  autrefois,  demander  fon  deflin: 
Le  galetas  devint  l'antre  de  la  (5  )  Sibylle. 
L'autre  femelle  avoit  achaîapdé^ce  lieu. 
Cette  dernière  femme  eut  beau  foire,  eut  beau  dire, 
Moi  Devine  !  on  fe  moque  :  eh  !  meilleurs ,  fçai-je  lire? 
Je  n'ai  jamais  appris  que  ma  croix  de  pardieu. 
Point  de  raifon  :  fallut  deviner  &  prédire , 

Mettre  à  part  force  bons  ducats ,  1 

Et  gagner ,  malgré  foi ,  plus  que  deux  Avocats* 
Le  meuble  &  l'équipage  aidoient  fort  à  h  chofe  :    | 
Quatre  fïéges  boiteux,  un  manche  de  balai,. 
Tout  fentoit  fon  (6)  fabbat,  &  fa  métamorphofe. 

Quand  cette  femme  auroitdit  vrai 

Dans  une  chambre  eapiffée  j  I 

On  s'en  feroit  moqué  :  la  vogue  étoit  pafTée        1 

Au  galetas ,  II  avok  le  crédit  :  1 

<    Ltautre  femme  fê  (7)  morfondit 

E'enfeîgne  fait  Ta  chalandife.       ' 
J'ai  vu  dans  le  paîais  une  robe  mal  îliife- 

(  3  )  Métaphore  ,  pour  dire  >  a»  dernier  peint- 

(4  )~  Faillie  divinité  ,    qui  ptfdifoit  l'avenir  par  le 

niftère  d'un  Prêtte  ou  d'une  Prctrcfle. 
(O  Prophétefle* 

<6)  Lieu  mal  propre,  ou  s'aflemblcnt  le»  SorcJcr5^Aj 
(7)  AteeiuUnc  inutilement  qu'on  vint  encore  w  «* 

lulrer  dans  fa  nouvelle  maifon, 


L    I    V    R    E'  -V  I  L  IJ3- 

.'  Gagtoer  grosî  les  gens  l'avoient  prife 
Pour  Maître  tel ,  qui  traînoit  après  foi, 
Force  écoutans  i  demandez -moi  pourquoi. 


FABLE      XVI. 

Le  Chat,  la  Belette,  &  lé  petit  Lapin. 


B« 


fa  palais  d'un  jeune  Lapîn 

Dame  Belette ,  un  beau  matin , 

S'empara  :  c'efl:  une  mfée. 
Le  maître  étant  abfent ,  ce  lui  fut  chofe  aifée. 
Elle  porta  chez  lui  fes  (  i  )  pénates  un  jour 
Qu'A  étoit  allé  (2)  faire  à  l'aurore  fa  cour,       v 

Parmi  le  thim  &  la  rofée. 
Après  qu'il  eut  brouté ,  trotté ,  fait  tous  fes  tours , 
Janot  Lapîn  retourne  aux  fouterrains  féjours.  . 
La  Belette  avoît  mis  le  nez  à  la  fenêtre. 
O  dieux  hofpitaliers  !  que  vois -je  ici  paroître?      *■ 
Dit  l'animal  chaffé  du  paternel  logis  : 

Holà ,  madame  Ja  Belette , 

Que  l'on  déloge  fans  trompette, 
Ou  je  vais  avertir  tous  les  rats  du  païs. 
La  datfïë  an  nez  pointu  répondit"  que  h  terre  *      ' 

Etoit  au  (3)  premier  occupant. 
-     C'étoit  un  beau  fujet  de  guerre 
Qu'un  logis  où  lui-même  \l  n'entn>it  qu'en  rampant: 

Et  quand  ce  ferôit  un  royaume , 
Je  voudrois  bien  fçavoir ,  dit  -  eîîe ,  quelle  loi 

£n  a  pjur  toujours  fait  l'ofltroi 
A  Jean ,  fils  ou  neveu  ~de"Pierre  ou  de  Guillaume , 

(  1  )   Dieux  cîômcfliques  ,   pour  dire  »  elle  alla  ft  k>gct 
chez  lui.  "*  w 

(2)  Avant  le  leter  du  Soleil. 

(3)  A  cc^  clui  s'*n  emp^e  le  premier. 

'     -        .15 


■&'  fautes  cHaistirs 

Jean  Lapin  allégua  la  coutume  & =  1  «^      ,    ^ 
fce  font,  dit-  il ,  leurs  touc  qui  m'ont  de  ««f» 
SnÏÏmatere  &  feigneur  ;  &  oui ,  de  père  enfik^ 
iSït  de  Pierre  à  Simon ,  puis  àmoi  >  Jean  r***f*> 
LeTtSter  occupant,  eft-ce  »«Joi  pta  ûgeî 
,  Of  bien»  fans-  crier  davantage, 

Un  Chat  faifant  la  chateimt*;  r  , 
th  Mut  homnrde  Cnat,bien  fwirrë  ,.gtos  &gm, 

Arbitre  expert  fur  tous  les  cas.  ^ 

Jean  Lapin  pour  Juge  l'agrée» 

Les  voilà  tous  deux  arrivés. 

Devant  fa  majefté  fourrée, 
«rippen^maud  leur  dit  :  me*  enfans,..  approcher,  . 
ïpîK:  je  fois  fourd,  les  ans  en  font .la  cauf*, 
îtar&  l'autre  approcha,  ne  craignant  nulle  chofe, 

(4)  Grippeminaud,  le  bon  apôtre v 
lettant  des  deux  côtés  ïa.griffe  en  même -temps, 
jftit  tes  plaideurs  d'accord  en  croquant  lua&  L  autrui 

Cfed  reflembte  fort  aux  débats  qu'ont  par  foi* 
Xes/petto  fouverains  fe  japoitant.aux  rois* 


•t    I  (  V    R    E     -,TIL  J9* 

F   A    B    L    B     XVïï. 
(i)  La  ifite  &ta  queue  au  Serpent, 


L» 


Serpent  ^  deux  parties 

Du  genre  humain  epnemies  T 

Tête  &  queue;  &  toutes  deux 
•   .     Ont  acquis  un  nom  femeux 

Auprès  des  parques  cruelles  ; 
1  Si  bier*  qu'autrefois ,  entre  elles  r  ' 

U  furvint  de  grands  débats 
Pour  la  pas. 
Ira  tête,  avoit  toujours  marché  devant  la  queue  j 

La  queue  au  ciel  fe  plaignit  r  - 
Et  lui  dit  r 

Je  fais,  mainte  &  toainte  liebe,. 

Comme  il  plaît  à  celle-ci; 
Ccoit-elle  que,  toujours  j'en  veuille  ufet  aûîû? 

Je  fuis  fon  humble  fervante; 

On  m'a  faite,  Dieu  merci,   . 

Sa  fœuf ,  &  non-  fa  fuivante» 

Toutes  deux  de  même  fang, 

Traitez  -nous-  de  même  forte  z 
•  Auflï-bfen  qu'elle,  je  porte 

Un  poifon  prompt  &  puiflanfc.      - 
j  Enfin ,  voilà  ma  requête  :. 

'  C'efr  à  vous  de  commander  ' 

Qu'on  me  laiflfe  précéder  > 

A  mon  tour ,.  ma  fœur ,  la  tfte: 

fi  )  Cette  Fable  fe  troove  dan»  1*  Vîë  dvv4g/*  fr  tlérn- 
mines  Y  ch*  î.  par  Plutarquç  ,.  qui  en  fait  «ne;  ttèa-Brflét 
aplfcation  à  ceux  <Juf  dans  le  Gouvernement:  feljy  rente 
mconficlérémcnt-  au*  fantaifie»  dit  Peuple,  &  c*cit  tt&a»* 
rem  ment  de  U  que  I,»  Fontaine  t>  tireV  .  •  >     , 

19 


i 


*p5       T  AB  LES    C  H  O  I  è  I  ES 

Je  la  conduirait  bien*, 
,  Qu'on  ne  fe  plaindra  de  rien. 

Le  ciel  eut  pour  fes  vœux  une  bonté  cruelle* 

Souvent  fa  complaifance  a  de  médians  effets. 

11  devroit  être  fourd  aux  aveugles  fouhaks. 

11  ne  le  rut  pas  lors  ;  &  h  guide  nouvelle, 
Qui  ne  voyoit  au  grand  jour,'. 
Pas.  plus  clair  'que  dans  un  four , 
Donnoit  tar^ôt  contre  un  marbre ,      * 
Contre  un  paflànt.,  contre  un  arbre  : 

Droit  aux  ondes. du  Styx  (2)  elle  mena  fa  fc^ir/ 

Malheureux  les  Etats  tombés  dans  fon  erreur. 

(1)  Lui  caufa  la  mort. 


F   A    B    h    E      XVI  I  X. 

p  Un  Animal  dans  Va  Lune. 


endant  qu'un  Philofophe  jafftre, 

Que  toujours  par  leurs  fens  les  hommes  font  dupés; 

Un  autre  Philofophe  jure  : 

Qu'ils  ne  nous  ont  jamais  trompés. 
Tous  les  deux  ont  raîfonj  Sx,  la  Philojbpty'e 
'Dit  vrai,  quand  elle  dit,  que  les  fens  trojnperont 
Tant  que  fur  le  rapport  les  hommes  jugeront. 

Mais  aufllr  &  J-ton-  rc£Uâe  •  - 
L'image  de  Uohjet  fur  fon  élojgrjement, , 

Sur  le  milieu  qui  l'environne , 
>\ -'■     Sur  roTg3iie-&Yiff  Hrîfri,ument?  ' 
x  '  -  ■  .-"Los  (bns :ne  tromperont perfôupe. 
Ih  Rature  ojrjdoçna  ££s.  choies  fageroent  : 
J'en  'dirai  guelqw  jour  tes*  raifoi**  amplement.' 


LIVRE      VU.    :        tyf 

Jîaperçois  le  foteil  :  quelle  en  eft  la  figure  ? 
Ici  bas  ce  grand  corps  n'a  que  trofe  pieds  de  toui  : 
Mais  6  je  ïe  voyois  là -haut  dans  fon  féjour , 
Que  feroit-ce  âmes  yeux  que  (i)  l'œil  de  la  Nature? 
Sa  diftanee  me  fait  juger  de  fa  grandeur  : 
Sur  l'angle  &  les  côtés  ma  maij>  Ja  détermine. 
L!ignorant  le  croit  plat,  j'épaiflis  fa  rondeur: 
Je  le  rends  immobile;  &  la  Terre  chemine. 
Bref,  je  déments  mes  yeux  en  toute" fa  machine.    : 
Ce  fens  ne  me  nuit  point  par  fon  iilufion. 

Mon  ame ,  en  toute  occa/îon ,  • 
Développe  le  vrai  Caché  fous  l'apparence. 

Je  ne  fuis  point  d'intelligence 
Àvecque  mes,  regards  peut-être  un  peu  trop  prompts, 
Ni  mon  oreille  lente  à  m'apporter  les  fons* 
Quand,(2)  l'eau  courbe  un  bâton,ma  raifonle  redrefle: 

La  raifon  décide  en  maitreflç. 
Mes  yeux,  moyenfiant  ce  fecours, 
Ne  me  trompent  jamais  en  me  mentant  toujours. 
Si  je  crois  leur  rapport ,  erreur  affez  commune  > 
Une  tête  de  femme  eft  au  corps  de  la  Lune. 
Y  peut-elle  être  V  non.  D'où  vient  donc  cet  objet fr 
Quelques  lieux  inégaux  font  dé  loin  cet  effet.     x 
La  Lune  nulle  part  n'a  fa  furfacè  unie  :        , 
Montueufe  en  des  lieux,  en  d'autres  applanie, 
L'ombre  avec  la  lumière  y  peut  tracer  fouvent 

Un  homme',  un  bœuf,  un  éléphant. 
Naguère  l'Angleterre  y  vit  chofe  parejlle. . 
La  (  3  y  lunette  placée ,  "un  animal  nouveau 

Parut  (4)  dans  cet  aftre  fi  beau; 

Et  chacun  de  crier  merveille.        -      ' 

(  O  U   n'cft   pas  fort  néceflaire ,  ce  me  femble  >  d'ex-* 
pliquer  comment  le-  $.oleil.eit  llœil  *U \)i  Nature,  à  ceux 

3ui  croyent  l'entendre ,  &  je  me  joins  à  ceux  qui  deraan- 
ent  cette  explication  ,  parce  que  je  ne  fçaurois  la  trouver; 
(2)  Parce  qu'il  paroît  cent-fcg  dans  l'eau. 
<3)  Lunette  d'aproche ,  ntopre  à  regarder  lis  Aitte** 
{*  )  Dans  ce  bel  Altrc  >  u  Juuae. 

.17 


1*       FABULES    CHfflSIf» 

Il  était  arrivé  là -haut  «n  changement, 
Qui  préfageoit  fans  doute  un  grand  événement 
Sçavoit-on  fi  la  guerre  entre  tant  de  puiffances 
N'en  étoit  point  l'effet?  Le  monarque  accourut: 
11  favorife  en  Roi  ces  hautes  connoiflànces. 
Le  monfbre  dans  la  Lune  à  Ton  tour  lui  parue 
C'étoit  une  Souris  cachée  entre  les  verrçs  : 
Dans  la  lunette  étoit  la  fource  de  ces  guerres. 
On&arkrpeupte  heureuxiquandpourront  les  François 
Se  donner,  comme  vous,  entiers  à  ces  emplois? 
Mars  nous  fait  recueillir  d'amples  moiflbns  de  gloire; 
Ceft  à  nos  ennemis  de  craindre  fcs  combats  y 
A  nous  de  les  chercher ,  certains  que  la  Vi&oire, 
Amante  de  (  5  )  Louis ,  fuivra  par -tout  fes  pas. 
Ses  lauriers  nous  rendront  célèbres  dans  PHifloirCr 

Même  les  Filles  de  mémoire 
Ne  nous  ont  point  quittés  :  nous  goûtons  des  pîaffîrs: 
La  paix  fait  nos  fouhaits,  &  non^point  nos  foupirs. 
(6).  Charles  en  fçait  jouir  :  il  fçauroit  dans  la  guérie 
Signaler  fa  valeur,  &  mener  l'Angleterre 
A  ces-jeux  qu'en  repos  elle  voit  aujourd'hui. 
Cependant  s'il  pouvoit  appaifer  la  (7)  querelle r 
Que  d'encens i  eft-il  rien  de  plus  digne  de  lui? 
La  carrière  (  8)  d'Augufte  a-t-elle  été  moins  belle 
Que  les  fameux  exploits  du  premier  des  (p)  Ceïars? 
O  peuple  trop  heureux  !  quand  la  paix  viendra-t-elte 
Fous  rendre  comme  vous  tout  entiers  aux  beaux  arts? 

(  f  )  XIV.  alors  Rot  et*  France. 
(o)  II;  du  nom,  Rot  d'Angleterre. 

(7)  La  France  étoit  en  guerre  dans  ce  tems-!*V 

(8)  Qui  a  prefcjue  toujours  régné  en  paix.  I 

(9)  fiUu-Cifn,  qui  fit  toujours  fe  guerre.  ' 

T         A»  ditfip&m  Um. 


w 


*# 


L    I  f  \  k   X        H   V   I   T  t  X   M  EL 

FABLE     PREMIERE.    j 

La'  Mm  &  te  Mourant* 


JL/a 


te  Mort  ne  fàtprmd  point:  fe  fige* 
IL  eft  toujours  prêt  à  partis  ,    ; 
S'ëtarit  fçu  lui- même  avertir 
9a  temps  oî  l'on  fe  doit  réfoudre  i  ce  paflage* 

Ce  temps ,  hélas  !  embrafîe  tous  tes  temps  :     * 
Qu'on  le  partage  en  jours ,  en  heures  ,  en  moment» 
IL  n'en,  eft  point  qu'il  né  comprenne.     < 
Dans  fe  fatal  tribut  i  ton*  font  cfefon  domaine  r 
Et  le  prèmieif  mitant  où  tes  enfaos.  des*,  roi* 
Ouvrent  les  yçux  à  fe  lumiéce,.     : 
EftceW  qut  vient  quelquefois  r 
Fermer  poor  toujours  leur  paupléte» 
f  Défendes  -vous:  par  fa  grandeur^ 

Allègues  1»  beauté,  la  vertu ,  la  jeunefie* 
La  Mort  ravit  tout  fôns  pudeur- 
tfojom  fe  monde  entier  açcçoitra  fa  ricfcefie* 
H  n'eft*  rien  de.  mbïns  ignorée 
'  Err  pwifqu'il  frasque,  je  ie  die^ 
.».'  liej^oii'oa&itfii©iûsptépax&. 


too       FABLES    CHOISIES 

Un  Mourant  qui  comptait  plus- de  cent  ans  de  vie, 
Se  pïaignoit  à  la  Mort  que  précipitamment 
Elle  le  contraignait  de  partir  tout  à  l'heure, 

Sans  qu'il  eût  fait  fon  teftament, 
Sans  l'avertir  au  moins.  '  Eft-il  jufte  qu'on  meure 
Au  pie4  levé?  dit* il  :  attendez  quelque  peu. 
Ma  femme  fie  veut  pas  que  je  parte  fans  elle  : 
Il  me  refte  à  pourvoir  un  arriére -neveu: 
Souffrez  qu'à  mqn  logis  j'ajoute  encore  une  aUe. 
Que  vous  êtes  preffarite,  A  Béeflè  cruelle! 
Vieillard,  lui  dit;  la  Mort,  je  ne  t.'ai  point  furprfc. 
.  Tu  te  plains  fans  raifon  de  mon  impatience. 
Eh!  n'as -tu  paTcent  ans?  trouve -moi  dans  Paris 
Deux  mortels  auffi  vieux ,  trouve-m'en  dix  en  France. 
Je  devois,  ce  dis -tu,  te  donner  quelque  avis 

Qui  te  difpofât  à  la  chqfe  : 
J'aurois  trouvé  ton  teftament  tout  fait, 
Ton  petit -fils  pourvu,  ton  bâtiment  parfait. 
Ne  te;  doiina4-on  pas, des  avis  ,  «quand M  caufe 

JDa  inarcher  &  du  mouvement , 

Quand  les  efprits ,  le  feritimenr, 
Quand  tout  faillit  en  toi  ?  plus  de  goût ,  plus  d'ouïe? 
Toute  chofe  pour  toi  femble  être  évanouie  : 
Four  toi  l'aftte  du  jour  prend  des  foins  fùperflus: 
Tu  regrettes  «des  biens  qui  ne  te.  touchant  plus. 
:*  :'  Je  t'ai  fait  voir  tes  camarades ,•  ' 
-  /;Qu  morts,  oujnourans*  ou  malades. 
t  Qu'eft-ce  que  toutxeia,  qu'un  àverriflement? 

Allons,  vieillard r  &  fans  réplique  : 

Il  n'importe  à  la  république 

Que  tu'feflfes-  ton  teftament. 
La *Mort  avoit  raifon  :.  Je  voudrois  qu'à  cet^âge. 
(  i  )  On  fortit.de  la  vie  amfi.que  d'un  banquet, 

(i)  Belle  image   que   La  Fontaine  a.  empnijlte'e  xfc  e€ 
Tcn  de  Lucrèce,    .*     •• 

Cur  **n  M  fUnui  vit*  *f#vjv* ricedh. 


L    I    V    K    E      VIII.   r      lot 

Remerciant  Ton  hâte  ;  &  qu'on  fit  ion  paquet  : 
Car  de  combien  peut -on  retirder  le  voyage? 
Tu  murmures ,  vieillard  î  vois  ces  jeunes  mourir ,  « 
Vois -les  marcher,  vois -les  courir  '.  -  • 
A  des  (2)  morts,  il  eft1  vrairglbrieufes  &  balles, 
Mais  fûres  cependant,  &  quelquefois  cruelles. 
J'ai  beau  te  le  crier ,  mon  zèle  eft  indifcr*t  : 
Le  plus  femblabte-aux  morts ,  meurt  le  plus  à  regrec 

(2)  Que   les  gens  de  guerre  rencontrent  fouvent  dans- 
la  fleur  de  leur  âge. 


FABLE     II. 
JLe  Savetier  &  te  Financier. 


U. 


n  Savetier  chantoit  du  matin  jufqu'au  foir  : 

Cétoit  merveille  de  le  voir, 
Merveitte  de  l'ouïr:  il  faifok  des  (1)  paSages*  .: 

Plus  content  qu'aucun  des  fept  (2)  fages. 
Son  voifin,  au  contraire,  étant  tout  coufu  d'or, 

Chantoit  >eu,  dormoit  moins  encor. 

Ç'étoit  un  homme  de  finance. 
Si  fur  le  point  du  jour  par  fois  ii'fommeilloit, 
Le  Savetier  alors  en  chantant  Féveillok; 

Et  le  Financier  fé  piaignoit, 

Que  les  foins  de  la  Providence 
N'euflent  pas  au  marché  fait  vendre  lé  dormir, 

Comme  le  manger  &  le  boire» 

,  Ea  fon  hôtel  il  fait  venir 
Le  chanteur ,  &  lut  dit  :  or,  ça  ,  fire  Grégoire, 

(  1  )  t>es  fredons  ,  des  roujemens  de  voix  ,  tels  qu'e* 
pouvoit  faire  un  homme  de  f%  forte. 
U)  De  Grtcc,  connus  fous  ce  aotn*U. 


sot       FABLES    CHOISIES 

Que  gagnez-vous  par  an  ?  Par  an  ?  ma  foi ,  moniteur , 

Dit  avec  un  ton  de  rieur . 
Le.  gaillard  Savetier ,  ce  n'efl:  point  ma  manière 
De  compter  de  la  forte;  &  je  n'entafie  guère 
Un  jour  fur  l'autre  :  i!  fuffit  qu'à  la  fin 

J'attrape  le  bout  de  Tannée  : 

Chaque  jour  amené  fon  pain. 
Et  bien,  que  gagnez-vous,  dites-moi,  par  journée? 
Tantôt  plus,,  tantôt  moins  :  le  mal  eft  que.  toujours, 
(lEt  fans  cela  nos  gains  feroient  aflez  honnêtes,) 
Le  mal  eft  que  dans  Tan  s'entremêlent  des  jours 
Qu'il  faut  chommer  :  oa  nous  ruine  eu  ïêtes^ 
1/une  fait  tort" à  l'autre:  &  monfieur  le  Curé, 
De  quelque  nouveau  Saint  charge  toujours  fonprône^ 
Le  Financier  riant  dé  fa  naïveté» 
Lui  dit  :  je  vous  veux  mettre  aujourd'hui  fur  le  trône*. 
Prenez  ces -cent  écus  :  gardez- les  avec  foin  * 

Pour  vous  en  fervir  au  befôin. 
Le  Savetier  crut  avoir  tout  l'argent  que  la  ters* 

Avott,  depuis  jttutf  dexfenft-âns, 

Produit  pour  l'ufage  des.  gens. 
U  retourne  chea  lui:  dans  fa  cave  3  enferre 

L'argent  &  fa  joie  à  la  fofei 

Plus  de  chante  il  perdit  la  voùr 
Pu  moment  qu'il  gagna  ce  qui  catfc  nos  peines 

Le  fonrmeU  quitta  fon  logis, 
"  t  "    Ii  eur-poMr  hôtes  les  foucis , 

Les  foupçons,  les  aHarmes  vaine?* 
Tout  le  jour  il  avoit  l'œil  m  guet*;  &  la  nuit,. 

SI  quelque  chat  faîfolt  du  bruit, 
Le  cbai:  prenoit  l'argent.  A  Ja  fia  le  pawre  h*mm» 
S'en  courut  chea  celui  qu'il  ne  réveilloit  plus.. 
Rendez-moi ,  lui  dit-il  ,mes  cftanfans&mon  fomme* 

St  reprenea%  vos  cent  écus* 


& 


I  i  vi'ï    vin,    _  ior 

JH'flWltl  llgagHÉBBBftgBgcaàegMai 

♦ 

FA    B    L    E     III.'    r 
2>  i/o»,  te  Loup  &  le  Renard. 


U. 


n  Lion  décrépît  vgdttëBtt»,  n'en  'poovant  plut, 
Vouloit  qofe  l'on  trouvât  rdmfcte  à'fctvieîHefle*  . 

Alléguer  l'impoflîble  aux  rois,  c'efl  un  abus- 
Celui'- ci,  parotî  chaque  espèce, 

Manda  des  Médecins  :  il  en  eft  de  tous  arts. 

Médecins  au  Lion  viennent  de  toutes  parts  :. 

De  tous  côtes  M 'vient  dés  donneurs  de  recètéeé.1  * 
Dans  les  vifîtes  qui  font  faites, 

Le  regard  fg  difpenfe,,,  &  fe^ tient :  clos  &  coi. 

Le  Loup  en  fait  fa  cour,  daube  au  coucher dthrot* 

Son  camarade  abfent.    Le  prince  tout  à  l'heure 

Veut  qu'on  attife  enftfijier  Kenapt  dans  fa^emeure* 

Qu'on  le  fafle  venir.    Il  vient,  eft  préfenté; 

Et  fçachant  qœ  le  Loup:  M  faifoircettff  affaire  : 

Je  crains,  Sire,  dit -il,  qu'un  raport  peu  finceio 
Ne- m'ait,  à  mépris,-  imputé'         - 
Devoir  différé  cet  hommage  : 
Mais  j'étois  en  pèlerinage,      ^ 

Et  m^cquittois. d'un  vœu  fait  pour  votre  finté. 
Même  j'ai  vu  dans  mon  voyagé  -  :  . 

Gens  experts  &  fçavans;  leur  ai  dit  la  langueur  '    .  ! 

Dont  votre  majefté  craint,  à  bon  droit,  la  fuite. 
Vous  ne  manquez  que  de  chaleur;  " 
Le  long  âge  en  vous  Ta  détruite. 

D'un  Loup  écorché  vif,  appliquez -vous  la  pesa. 
Toute  chaude  &  toute  fumante  : 
Le  fecf et  fans  doute  eh  eft  beau 
flttu»  la  naitte  riéfettllam»» 


2©4       FABLES    -CHrOISIES 

Meffire  Loup  vous  fervira, 
:       •.  ' StU  vçm\  pteît,^  de  xôbc  de  chwibre.  \ 

Le  Roi  goûte  cet  avis  -  là. 
Qn  écorche ,  on  ta^le ,  .pn  démembre 
AlelEre  Loèp.    Le  Monarque  ea-foupa, 
'   ,.  Et  çle  fa  peau  s'cnvelopa. 

Meffieurs  les  courtïfans ,  ceflez  de  vous  détruire  : 
Faites,  fi  vous  pouvez, votre  cour  fans  vous  nirire. 
Le  mal  fe  rend  chez  vous  au  quadruple  du  bien. 
Les  (i)  daubeurs  ont, leur  tour,d'une  ou  d'autre 
manière  : 

Vous  êtes  dans  une  carrière 
.  Où  l'on  ne  fe  pardonne,  rien. 

(i)  Ceux   qui  pajr  de   mauvais   «Ufcours  ,   tâchent  de 
»uire  aux  autres. 


F   A    B    L    E      I  V. 

Le  Pouvoir  des  Fables. 

A  (i)  MQNSIEUR    DE   BARILLON. 


JL^a 


/a  qualité  d'Ambaflàdeur 
Peut-:.elle.s'abaifler  à  des  contes  vulgaires? 
Vous  puis-je  offrir  mes  vers  &  leurs  grâces  légères  ? 
S'ils  ôfent  quelquefois  prendre  un  air  de  grandeur, 
Seront -ils  point  traités  par  vous  de  téméraires  ? 
Vous  avez  bien  d'autres  affaires 
*  A  démêler  que  les  débats 
, ;        Du  Lapin  &  de  la  Belette. 

(1}  Qui  pour  lot*  eWt  Ambaffadeuc  ta  Angleterre. 


t  L    I    V    RA  E      VI  IL  205 

Lîfez-lés,  ne  les  lifez  pas:  '_  « 

Maïs  empêchez  qu'on  ne  nous  mette 
Toute  l'Europe  fur  le*  bras.    " 
Que  dd  mille  endroits  de  la  terre 
^  11  nous  vienne  des  ennemis , 

■     J'y  confens  :  mais  que  l'Angleterre-       : 
Veuille  que  (2)  nos  deux  Rois  fe  laflent  d'être  amis, 

.  •*      J'ai,  peine  à  digérer  la  chofe. 
N'eft-il  pas  encor  temps  que  Louis  fe  repofe?  .- 
Quel  autre. (3)  Hercule  enfin  ne  fe  trouveroit  la* 
De  combattre  cette  (4)  Hydre?&  faut-il  qu'elle  oppofe 
Une  nouvelle  tête  aux  efforts  de  fôn  bras? 
Si  votre  efprit  plein  de  foupleffe , 
Par  éloquence  &  par  adrefle , 
Peut  adoucir  les  cœurs,  &  détourner  ce  coup, 
Je  vous  facrifierài  cent  moutons  :  c'ell  beaucoup 
Pour  un  (  5*)  habitant  du  Parnaffe.         ; 
,  Cependant  faites  -  moi  la  grâce 

Pe  prendre  en  don  ce  peu  d'encens.. 
Prenez  en  gré  mes  vœux!  ardens , 
Et  le  récit  en  vers  qu'ici  je  vous  déo'ie. 
Son  fujet  vous  convient;  je  n'en  dirai  pas  plus, 
*  *   Sur  les  éloges  que  l'envie 
Doit  avouet  qui  vous  font  dûs , 
Vous  ne  voulez  pas  qu'on  apuie^ 

Dans  Atbpne  autrefois,  peuple  vain  6t  léger, 
Un  Orateur  vpyant  fa  patrie  en  danger,     . 
Courut  à  la  (<5)  tribune;  &  d'un  art  tyrannique, 
'"  Voulant  forcer  les  cœurs  dans  une  république,  • 

* 
(ï)  £dirïs  XI V.  Roi  de  France  »  &  Charles  II,   Roi 

d'Angleterre.  •  '      ■ 

-  (  3  )  Héros  fameux  par  les  'grands  travaux. 
(4)  Serpent  «  plufieuts  fêtes  ,    auquel   une   tête  étant 
coupée;  il  en  renaiflbit.nonibteJ  d'autres,  -  '•/  t 
1  W)  Un  Vo'ctt ,  qoi'  d'oVdrnaite  'n'étt.  JuM-A?-      ' 

(6)Xieu  élevé»  d'où  Ion  hwanguoit  leTeifplt.    > 


**oô"       ?A|B  L  E  *    CH  0  1 S  I  E  S 

ll.paHa  fortement, fui  le  commun  Mau  ■ 
Ont  ne  l'écoiitoit  pas  :  l'Oxateur  recourut' 

A  ces  (  7  )  figuras  violentes 
Qui  fçayçnt  exciter  les  âmes  les  plus  lentes. 
11  fit  parler  les  morts ,-  tonna ,  dit  ce  qu'il  put. 
Le  ventemportfi  tout;  perfonne  ne  s'émut. 

(8)  L'animal  aux  têtes  frivoles 
'  Etant  fait  â  ces  «traits,  ne  daignok  l'écouter. 
Tous  regpxdoient  ailleurs  :  il  en  vit  s'arrêter 
A  des  combats  d'enfans,  &  point  à  fes  paroles. 
.Que  fit  le  harangueur?  il  prit  un  autre  tour. 
(9)  Cérès ,  commença-t-il,  faifoit  voyage  un  joui 

Avec  l'Anguille  &  l;Hirondelle  : 
Un  fleuve  les  arrête;  &  l'Anguille  en  nageant, 

Comme  l'Hirondelle  en  volant, 
Le  traverfa  bientôt.    L'affemblée  à  Pinftant 
Cria  tout  d'une  voix  :  &  Cérès , .  que  fit  r  elle  ? 
"Ce  qu'elle  fit?  un  prompt  courroux 
L'anima  d'abord  contre  vous. 
Quoi!  de  contes  d'enfans  (10)  fon  peuple  s'embarraffel 

:  Et  du  péril  qui  le  menace, 
Lui  feul,  entre  les  Grecs,  il  néglige  l'effet! 
Que  ûe  demandez -vous  ce  que  (11)  Philippe  fait? 
A  ce  reproche  l'aflemblée    "     .  . 
Par  (12)  l'Apologue  réveillée 
'  Se  donne  entière  à  l'Orateur  : 
v  Un  trait,  de  Fable  en -eut  l'honneur. 

Nous  fommes  tous  cPÀthene  en  ce  pgint;&  moi-même^ 
Au  moment  que  je  fais  cette  moralité , 

$  I'Efpnt  des  images  vîVcs ,  touchantes ,  &c. 
(8)  L^feuple,  -. 

-  .J9Î-h  J>HOc  des  bleds.      " 

-  *10}  £c?  Atbenieii 1  éjfojent  ffons  1«  pnoteajon  deCejfr 
<  u  l  *°iteH*<*dQinc .  qui  Jcw.  fai&ii^  li.  «ico* 


X*l'  V*    B      VII  L        mi 

.     Si  (13)  peau-d'aaem^ok-côaié,- 
J'y  prendrois  un  plaifir  extrême. 
Le  inonde  eu  vieux,  dit; -on,  je  I  e  crois  ^  cependant 
U  le  faut  anàifer  encor  comme  un  enfant* 

(13)  Vieux  Conte,  donjon  amufe  les  petits  enfant. 


FABLE      V. 

Lt  Homme  &  la  Puce. 

Jt  ar  des  voeu*  importuns  nous  fatiguons  les  dieur, 
Souvent  pour  des  fujecs ,  même  indignes  des  hommes. 
Il  femble  que  le  ciel,  fur  tous  tant  que  nous  fomm^s. 
Soit  obligé  d'avoir  inceflàmment  les  yeux  ; 
Et  que  le  plus  petit  de  la  race  mortelle , 
A  chaque  pas  qu'il  fait,  à  chaque  bagatelle. 
Doive  intriguer  l'Olympe  &  tous  fes  citoyens , 
Comme  s'il  s'agifToit  des  Grecs  &  des  Troyens. 

Un  fot  .par  une  Puce  eut  l'épaule  mordue , 
Dans  les- plis  de  fes  draps  elle  alla  Je  loger. 
Hercule,  fe  dit -il,,  tudevois  bien  purger 
La  terre  de  cette  hydre  au  printemps  revenue. 
.  Que  fais  -tu ,  Jupiter,  que  du  haut  de  la  nue 
Tu  n'en  perdes  la  race,  afin  de  .me  .venger  ? 
Pour  tuer  une  Puce  il  vouloit  obliger 
Ces  dieux  à  lui  prêter  leur  foudre  &  leur  maffue. 


:••«        FABLES'  CHOISIES 


/ 


FABLE      V  I. 

Les  Femmes  &le  Secret. 


TC« 


Le  porter  loin  eft  difficile  aux  dames  ; 
Ècrje  fçavmêœfe  Çv&cefyit  rf 
Boa  nombre  d'hommes  qui  font  femmes, 
Pour  éprouver  la  (ïenrie  un  mari  s'écria , 
La  nuit  étant  près  d'elle  :  ô  Dieux  !  qu'efl-ce  cela? 

Je  n'en  puis  plus ,  on  me  déchire  : 
Quoi  !  j'accouche  d'un  œuf!  d'un  œuf  ?  oui  le  voilà 
Frais  &  nouveau  pondu:    gardez  bien  de  te  dire, 
'  On  m'apelleroit  poule.    Enfin  nWn  pariez  pas. 
La  femme  neuve  fur  ce  cas ,   * 
Ainfî  que  fur  mainte  autre  affaires  ' 
Crut  la  chofe,  &  prômitfes  grands  dieux  defe  taire. 
Mais  ce  ferment  s'évanouit 
Avec  les  ombres  de  la  nuit. 
L'époufe  indiferete  &  peu  fine, 
Sort  du  lit  quand  le  jour  fut  à  peine  levé;    ' 

Et  de  courir  chez,  fa  voifïne. 
Ma  commère,  dit -elle ,  un  cas  m'èft  arrivé: 
N'en  dites. rien  fur* tout;  car  vous  me  feriez  battre. 
Momnari  vient  de  pondre  un  œuf  gros  comme  quatre. 
Au  nom  de  Dieu,  gardez -vous  bien 
D'aller  publier  ce  myftere^ 
Vous  moquez-vous?  dit  l'autre:  ahf  vous  ne  fcavez 
guère  •  - 

Quelle  je  fuisv    Allez.,  ne  craignez  rien. 
La  femme  du  pondeur  s'en  retourne  chez  elle. 
L'autre  grille  déjà  de'contér  la  nouvelle  ; 
Elle  va  la  répandre  en  plus  de  dix  endroits. 
Au -lieu  d'un  œuf  elle  en/dit  trois, 

Ce 


L    I    V    R-fE      Vril.  109 

Ce.i&ftjpaç:  encor  tout;  car^inc  autre  commère 
,  En  dit  .quatre  ;-&  raconte  à  l'oreille  te  fait: 
e  0  i  Précaution  peu  néceflaixe ,  t  . 

:j;   Car;  ce  n'était  plus  mifecreti.  V. 
Comme  Iq  nombre  d'œufs,  grâce  à  la  renommés* 
Dé  bouche  en  bouche  alîoit  aôuTant , 
.Avant  la  fin  de  la  journée , 
Ils  fe  montoient  à  plus  d'un  cent.     ,  ^ 


F   A    B    LE      VI L 

Le  Chien  qui  porte  àfon  cou  te  dîner 
de/on  Maître. 

ous  n'avons  pas  les  yeux  à  l'épreuve  des  belles/ 
Ni  les  mains  à  celle  de  l'or  : 
|  %  Peu  de  gens  gardent  un  tréior 

[  Avec  des  foins  affez  fidèles.. 

Certain  Chien  qui  portoit  la  pitance  au  logîs, 
S'étoit  fiait  un  collier  du  dîner  de  fon  maître. 
H  étoit  tempérant  plus  qu'il  n'eût  voulu  l'être,' 

Quand  il  voyoït  un  mets  exquis  :  • 
|Mais  enfin  il  l'étolt;  &  tous  tant  que  nous  fommetf, 
[Nous  npus  laiflons  tenter  à  l'aproche  àes  biens. 
Œhofe  étrange  î  on  apprend  la  tempérance  aux  Chiens, 

Et  l'çn  ne  peut  l'apprendre  aax  hommes» 
Ce  Chien  -ci  donc  étant  de  la  forte  atourné, 
tin  mâtin  pafle,  &  veut  lui  prendre  le  dîné.  *' 

li  n'en  eut  pas  toute  la  joie 
Qoï/efpéroit  d'abord  >  le  Chien  mît  basja  prortf#' 
Pour  la  défendre  mieux ,  n'en  étant  plus  chargé. 

<înmd  combat*:  d'autre*  chiens  arrivent. 
-,  Ils  étoient  dç  ceux  -  1}  qui  YiveAt  -      > 

n.  Partit.     "'     •  ,"*.£  • 


3tio        FAtiLES^CHtf  ISIÈS 

Sar  le  rto^çY'cV  craignent  peu  lès  coupsï- 
Notre  <îhiertfe  voyant  trop  faible  contrè-ei**^ 
Et  que  la  chair  ^cpuroïtr  un  danger  mànifefte, 
Voulut  avoir  fe  part  r'  &  W  ftgfeï  *  W*  4il  : 
lk>tnt  de  courroux ,  «cffièurS4,  mon'  lbpîu  me  faffli 

Faites  Votre  profit  du  refte. 
'■  A  ces  mots ,  lé  premier  ;  il  vous  hapc  un  morceau, 
Et  chacun  de  tirer,  le  mâtm,  la  canaille, 

A  qui  mieux  mieux  ;  ils  firent  tous  (i)  rïpaillej 

Je  crois  vcïr  "en  ceci'ïimagjé  d'ùhc  ville,  ! 
Où  l'on  met  les  deniers  à  la  merci  des  gens, 
Echevins»,  FrevAt  dés  marchands, 
Tout  fekfa,mainc  ie  plus  habile 
Donne  aux  autres  l'exemple;  &  c'eft  un  paffe -terni' 
De  leur  voir  nettoyer  un  monceau  de  piftoles. 
*Sî  quelque  fcrupuleux,  paf  des  raifons  frivoles, 
,Veut  -défendre  l'argent,  &  dit  le  moindre  mot, 
On  fui  fait  voir  qu'il  eft  un  fot. 
11  n'a  pas  de  peine  à  fe  rendre  : 
Cefkbien-tôt  le  premier  à  prendre* 

(i)  Firent  grand'chér*. 


O. 


F /A    B    LE      VIH. 

Le  Rieur  &  ks  Faiffbns* 


_  *n  Aerche  les  Rieur»;  &  moi  je  les  évite. 
Cet  art  veut  fur  tout  autre  un  &pjrêine  mérite. 
Dieu  ne  créa  que  pour  les^ts 
Les  (jl)  méctens  (Jifçurs  de  bpns  mots. 

(|J  Gqaâv*  tf|>rtc  Mt,  ptâwr  $t  fiijîcrfitfeU  * 


■t-  IV    «.'  E  *  VI 11.         kif 

^.-.IttUgfr» JgRt-être^en.uneFabte   r,^ 
*  Introduire  tm:"  peut- ê^^trfn  -  •  ---    — 
Que  quelqu'un  trouvera  que  j'aurai  réuffi. 
-il  I  '  '  ïl      Jï      Ci      A      I, 
Un  Rieur  étoit  à  la  table 
H.'un  Financier; '&  ridait  '-en  fàp  coin 
Que  de  petits  pendons;  tous  les  gros  étoient  loin. 
U  prend  donc  les  menus,  puis  leur  parie àl'oreltleT 
r':  '  '■  Et  puis  fl  fefet,  à  la  paiieiliè.; .     '*  .■    _:. 
D'écouter  leur  réponfe.   On  demeura-farprfs;,     > 
t  Cela  fufpehifâ:  les.efprjts. : 
Le  Rieur  alors,  d\»i  ton  fagej  \:,...\  .  $ 
Dît ,  qu'il  craigûoit  qu'un  fîen  4mi 
Pour  lés  grandes  Indes  parti,  ,      .    f 
.-  .*  >  N'eût -depuis  en  £&  (fait  naufragé,       -t-  •> 
Il  s*en  informoit  donc  à  ce  menu  fretin:  I 

Mais  tous  lui'  répondotent,  qu'ils;  nlétoient  points 
-/rfuâ  âge     •»  '     . '  ;. -.        •:.  •  i    •'.    .t.  f  ;i 
-      A  fçiivoir  au  Vrai  fon  deftto  :    ^        i.  A 
.  :  .   .    Les  gros:en  fçaùrdient  davantage,  i .    n-'> 
N'ea.jHiïs  -je.  donc  y  Meffieuis,  un  gros  interroger  & 
De  dire  û  la  compagnie  i  '    '    f 

.  Prit  goût  à  fa  plaifatnterie ,    '.  ... 

J'en  doute:  mais  enfin  ii  les  fçut  engager  .  » 

A  lui  fervir  d'un  nxmftre  àfflzvieux  pour  lai  dire: 
Tous  les  no9B-des(a)eherchfcûrs  de  àonde*  inconnus  > 
t  .:  ;;  i.vQui. n'en. étoient  pas  ttvenus*     *:•'->  - 
Etquedepuis.centans^fpus;  (  3  )  f  àby&maav-oientvû* 
.  Les:  anciens  du  vaille  Empire.   I 


u 


croyant  WVoir  agréable,  vif,  profond  &  délicat  ,  noti#3 
débitent  hardim.fiftt  des  pe.nftéà  vulgaires  £  très?iiifipidi, 
comme  quelque  ehofe  d'exquis  &  de^vérittbkment  pl&l 
i?ftt  »  dp^vtt  jl5.ricnt>.jpo\u  J$«,  jmmiea*  ,'u  •:  ,•     .,...;. 

(i)  Ces  Voyageurs. 

(S)  E*M  U  Mer.  -.'•  > 

■•    A'I    '.  î>   ';«'    -     3n-:r;  •  •.    ":      £»  ■>•  '>  •  "W    :-J    •'  ) 

'  '.  '   "'         '    J 

«5..  ic.  t:î'.  -    •*'  M  .*>*■>..'/     »   -•-       •* 

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*t*       FABLES    C  H  01  Sî  EfS 


f; 

A    B    L    E      I  X. 

•;•- 

Ee  Rat  &  Wûhn.     - 

\J  n  Rat ,  hôte  d'un  champ  v  Rdt  de  peu  dè-cervelle , 
Des  Ç^)il^GSip^tQrhQh(tin.putiGXron^£oiaM  . 
11  laiffa-Ià  le  champ ^.ie;grain:&  kg avelle, 
Va  courir  le)pâysi,:jabaitàonnC'îfon  tiôii.    T. 
I  î  :Si  r  tôt  rqufifc  fut  hoirs  dé  :  la  café  ;  : 
Que  le  monde  r  dît  -11 ,  eft  grand  &-fpadeux  !         I 
Voilà  les  £2  )  jafipeiioin*,  &  voici  >le  j(  3  )  caucafe  c 
La  moindre  :taùpinée  étoit  mont  à  Tes  yeux.  ' 
JtttlbouC.dâtqueJqu&^joqtSi  iejvoyageur  alrrive* 
En  un  certain  canton,  où  (4.)  Thétis  tfur  <la  rive 
Avoit  laiffé  matôtfc  Huîfrè:,  &j  notre -Sât  d'abord 
Crut  voirvrn  les  voyait >  des  vaaTeauxde  haut  bord* 
Cofljçs  ;  iditt  il  »  :  moa  père  étoit  un  pauvre  fiio  ;    '•[ 
11  n'ofoit  voyager  i  craintif  au  dernier  point, 
Pour  moi,  j'ai  tdéjà  vu  le  maritime  empire  : 
J'ai  paffé  les  déferts,,  nrçis  nous  n'y  bûmes  point. 
B'iiti  certain  magiftenle  Rît  tenait  ces  cfiofes, 

€-î«  /  :.  Et  .Wdifoit  ktorers  champs;  .1;-.;  •     ' 
N'étant  pas  de  ces  Rais  $  qui,  les  livres  >ongeans, 

ki> . •:•:    o&Jiontîfçay'ans  jusques «aux dents. •/;  ;-.,  . 

Parm  (pir  d'Hultces  toutes,  ;doffes,  - 
Une  s'étoit  ouverte^  &  bâillant  .au  Soleil, 
J^'f  "  '  \  'Par  lin  doux  Zéphir  réjouie, 
Hunibit  Taîr ,  reïpitoîfr,  &oit' épanouie,  . 
Blanche,  graffe,  &  d'w goût  à  la  voir;  nonparéil. 

(  1  )  De  fa  maifon.  -  .':  i  .  .  _ 

(  1  )  Hautes  Montagnes  qui  régnent  le  long  de  l'Italie* 

<  3  )  Grande  Montagne  en  Afîc. 

(4)  Inerte  de  la  Mei,  pour  la  Mer  même. 


* -ï;  r  v*r  «^rur.-      <ar3 

TTauflî  loin  que  Ië  Rat  voit  cefté  Huître  qui ;Sallfc , 
Qu'apperçôis-^drt'-'tf,  c*e#  quelque 'vi&àaillei 
Et  iî  je  ne  me  trompe  à  là  coufeW  du  metd  **  **-;  * 
Je  dois  faire  aujourd'hui' bonne  there-  &u  jamais» 
Là-déflus;maîtrfe  Rat,-  ptein  <îe  belle  éfpérance , 
Approche  dé1  Fécaillc,  alonge  \infpëû  le  cou, 
(  5  )  Se  Cent  pris  comme-  eux  fees,car  '  PHuitife  tôlk 

f-  d'un  COUp  l  .     i      ;  t        ;  t 

i  Se  referfce  ;  &  voilà  ce'queLfait Tigriorance. 

Cette  fable  contient  plus  d'un  enfeignemciit ,  -    ^ 

:;    Nous  y  voyons  premièrement , 
»Qae  ceux  qui  n'ont  du  monde  aucune  expérience, 
Sont  aux  moindres  objets  frappés  d'étoshement; 
:  Et  puis ,  notis  y  pouvons  apprendre^ J  * 

Que  tei  eft  pris  qui^royofr  prendre, 

(0  On  m*a  allure  xîu'jl.tft  a  fiez  ordinaire  de  yoir  df* 
Aats ♦  qal  '  ont  actuellement  donne  dans  ce  piège.  Mais 
la  Fable  tr'eft  pas  moins' ingèmeufc'i  ni  moins  inUtuâive» 
ifout  ttre. fondée  ftiiiU  Vtàté.  t.  . .  :i  •.  >  V 


FA    B    L    Ë      X.        ' 
Zï  Owrs  & P Amateur  dés  JardihrJ . 

p.  •         r,         ;     .      ....      , 

Vyertafn  Qnrs  montagnard,  Ours  à  demi,  léché 4 
iConfîné  parle  fort  dans  un  bois  fôlitaire, 
Kouveau  (  1  )  Bèlleropihon ,   vîvoit  -feul  &  cacbi: 
fi  fut  devenu  fou  :  la  raifon  d'ordinaire  r 

:  (  1  )  Prince  Talwmix  •  -  qui;  aptes  avoir  mis  )  >4Ln  les 
pins  terribles  a  van  turcs ,  accablé  d'une  noire  mélancolie", 
le  retira  dans,  un  dtffert ,  dît  Homère/  pour  rompre  tout 
commerce  avec  les- homme».  Je- n'ai  garde  de  mettre  tei^ 
les  paroles  du  Poète.  Du  Grec  *  Eh  !  qui  s'attendroit  à, 
»oir  du  Grec  dans  des  Notes  fut  lf«s  "Fafcfes  de  La  Fon* 
fsîneî  Cette  bigarure  ehoqiterolt  infailliblement  1»  fleut 
des  plus  beaux  ci'prits  de  ce  fiècla,  -    ■ 

K3 


*î4       K4BfcE$    CHOISIS 

N'habite  p»  Ipçg-^n*  cfcez  Je$  gens.Oi}  feqpeftrâ* 
11  eft  bpn  de  parler ,  &  mçilleijrvdç  fe  ttire, 
jtfais  tytœ  fievix  fout  mauvais  lorsqu'ils  fppt  oijtr^  i 
:   t  j    ,  ijïui  anàpal  n'ayoit  affaire  .        .'.*.',' 
tt      Dans  les  lieux  qwe  VQww  habitpîj;  . 
Si  bien  »  <que  toyt  Durs  qu'il  étoit» 
£}  vtpt  ^s'enpuyer.de  cette,  txiile  vie.       ; , 
.Pendant  qu'il  fe  livroit  à  la  mélancolie ,: 

Nqn  loin;  4e  là  qgffliR  Viçillarè  ,  . . 

S'ennuyoit  auffi  de  fa  paît. 

11  aîmok  les  jardins , .  étoit  Erltre  àp .  (3  )  flûtes    | 

"  Il  l'étoit  de  ( 4  ),  Porçone:  encore  :  | 

Cç$  deux  emplois,  font  l)eati?:v mais  j^vc^d^paiml,  | 

Quelque  doux  &  difçret  ami. . 
Les  jatclias  parlent  peu,  fi  pe  n/eil.dsyîsjnon Livre: 
Pe  façon  que  laffé  4p  vivre  t  > 


Venoit  de.  quitter vf*  montagne:-  :  j 
Tous  deux,  par  un  cas  furprenant^  | 

£!.:  V.  .  *Se- rencontrent  ^èn  m  toemanK*---*-"     | 
L'homme  eut  peur-:  mais  comment  esquiver.  &  que 
faire?"  '«.••-■»      *      ^  *     , 

-Se  tir;çr  en^con  d'unç.fc^W*^;2^!^  ^ 


.  *  -  ■  iSe/gpéiy, 
#Vous  voyez  mon  logis;  fi. vous  vouliez  mç  faire  . 
:lTant  Jd1ioniieuï  que  d'éprendre  up  champêtre  irepaç , 
J'ai  des  fruits,'  j'ai  du  lait.1  Ce  hreft  peut-être  pas'  * 
iJDe-fioffetgneuitf'te  Ourêle  manger  ordinaire , 
;Mais;j'offre  ce  que  j'ai.  L'Ours  l'accepte;  &  d'aller, 
j^es'yoilâ'bons  amis. ayant  qufe. d'arriver.  <_     • 

,.  (3).uecflc,dcs  Flefit*.  •  ;  .♦ 

(4)  Wcffc  des  Fruits    .  t-  4\  ; 


rJ5r  J    V    R    E     Vfjfl"      ws 

Arrivéf ,  ;  jke&qpity*.  fe  #o^afltfbien;  enfçmble., 
Et  bjep  opWibït ,  ice  quai  femble , 
:  Peauçovfl  ??oins  feul  qu'avec  des  ibts ,  . 
Comme..  i'Qu&  £ij  yn  joiy:  ne  fiifoit  pas  dcyx  mot% 
L'hrapae  ppUToit  ûps  briuit  v^qu^r  4  fo»  ouvrgç»  , 
I^'Gçrs  ailok  à  Ja  chaflè ,  apportok  du  gibier, 

Faifoit  fon  principal^  métier 
X>'tet  bon  (5)  ^noucheur,  éçartoit  du  vifage 
De  (çu  apai  dormant ,  ce  parafite  aMé 

rQue.  ijouê.  ayons,  mouche  appelé.*  \ 

Un  jbpr  que  le  y  isillard  dowpoi^d'un  profond  femme > 
Sus  lçjb^n  dé  fbq  ne?  une  allant  fe  placer/. 
1SÀ#  Vtym  auj^éfefpoir,  il  eut, beau,  la  chaffler,    , 
Je  Rattraperai  bien,  dit -IL    Et  voici  comme. 
,Aiiffî-t&  sf*it  que  dit;  le  fidèle  émoucheur 
Vous  empoigne  us  pavé,  Je  iance  avec  roideur, 
CafcUttfce  A  tfreflroe  en  ëcrafagt  la  mouche, 
Etoo»;©oin§:{)p«;v^îiefio^  mauvais: raiftumeur.» 
ïoide  moj$r:éfei*}u  UiA  $*«  jjt  Je  couôhe. 

.Mievurvajdrqit  ^  fiç  et  /ennemi*  .     .     1 
1     (5)  De  chaflcT  les  Couches  au!  venolwie  piquer  fotf 


Be 


leax  vrais  amis  viyoient  au  (1  )  Monomotapa; 

L'un  ne  poffédoit  rien  <ful  appartînt  à  l'autre  : 

Les  amis  de  V^jliys  -  là 

Valent  bien,  dit -on,  ceux  du  nôtre. 

(i)  Païs  au  Sttd-Eft  de  l'Afrique; 

K  4 


-216       FABLES    CHOISIES 

Une  <riuit  que  chacun  s'occupôit  au  fbrijmèîly'-'  '  •  "  ' 
Et  mettoit  à  profit  Pabfence  dir  foleil ,  •    \  ! 

Un  de  nos  deux  amis  fort  du  lit  eh  alanfté  :  , 

il  "court  chez  fon  intime,  'éveillé  les  v^lett:"*  *  r  -  I 
(*•)  Mofph'ée  avoit  touché  le  feulîtfé'célralëk.  '  | 
L'Ami  couché  s^étonne,  ilprèndfabôurfe, ils'aifae,  | 
Vient  trouver  Vautré ,  &  dit  :  il  vous  arrive  peu  _  I 
De  courir  quand  on  dort  :  vous  meparoiflicz  homme  T 
A  mieu£  ufer  ctàfcemps  deftinéponr  le  femme  *:  -  ) 
N'auriëz-tfôus  point  perdu  tout  vètré  argfcht  au  jeu?  | 
Eâ. Voici':  sll  voiis  efl  *énu  Quelque  ^leréHè'i  ;;.»  '  1 
J'ai  monépée,  allons:  vtfus  Sïhityez-vètte  peint  •  ! 
De  coucher  toujours  feiil?  une*  efclavé  affe^^élle' 
Etoit  à  mes  càtés;  voulez -vous  qû'oti  l'appelle  9-;  '-'. 
Non,  dit  l'ami ,  ce  n'eft  ni  l'tin  ni  l'autre  poihr: 

Je  vous  rends  grâce  de  té  zélé. 
Vous,  m 'êtes ,  efc  dormant  f  un  peu  trifte  apparu  :  • 
J'ai  craint  qu'il  ne  fût  vrai*  jêAife  vltè-âeco««W    ' 

Ce  maudît  fèage  -en  è&!i*  r6aufe;  >  •  "i  -  -  i  -  - 1 

Qui  d,eu1t'aÎIt'éi^fëhîfel7jc','quèt,etf  femblè/t^éto^ 
Cette  difficulté*  vaut-'  bièn:  qu'dh  fe  prô£cBS. 
^Ju'un  ami  véritable  eft  une  douce  chofel,  , ,, 
Il  cherche  vos  befoins*  au  fond  de  votre  cœur';   /   . 

Il  vous  épargne  la  pudeur 
;■ .  :;  .  -r£fr  tes  :bxk  .dégottyctr. jeei«L;mtaet~  ~g» 
Un  fonge ,  un  rien ,  tout  lui  fait  peur 
Qu&p  il  s^it  dç  ce  cgi'U  fîme^J 

(i)  le  Dieu  du  fommeil ,  c*eft-*-di*e ,  tout  le  monda 
àouaoit  dans  ce  &Uta    v    'J.">*«i  \..\ 


...>.■  t 


E-iit>m^a::vrrr;.      ai* 


F  A  3  h  ^    t  ,t.i. ..;... 

X*  .Ç&ïi&o»  j.  la  Çbêvrey  &  te,Mduto^ 


U. 


nddé^re^bnMouton^âvecflin  Cochofl  gras, 
Montés  fur  même  char,  s'en  alloient  à  la  foire: 
Leur  divertiffemenrne  les  y  poitoit  ]pas  ; 
On  s'en  alloît  les  vendre,  â  ce  que  dit  l'hiftoire  : 
;     Le  Chartao.ii'aïoit^asLdeflfeiû  L .  .  «, 
De  les  mener  voir  (  i  )*  Tabarin. 
Dom  Pourceau  crioit,  en  chemin , 
!  Comme  s'il  avoiteu  cent  bouchas,  à  fia*  troutTes: 
C'étoit  une  dainçur  Prendre  les  gens  fûùrds. 
Les  autres  animaux,  créatures  .plus  douces, 
Bonnes  gens,  s'étoriiibtent  qu'if  trîjt  au'fecours  : 

Ils  ne  voyoicnt  nul  mal,  à'cralÀdre. 
Le  Charton  dit  au  Porc;  qu'as-tu  tant" à  té  plaindre? 
Tu  nous  étourdis  tous ,  que  he  te'  tïéifc-'tu  coi  ? 
;  Ces  deux  perforinels  *  ci ,   plus.honnêtes  que  toi, 
1  Devraient  t'appretidre  ;à  vivre ,;  ou  du  tooîns  à  te  taire. 
Regarde  ce  Mouton:  a--t -il  dit  utïîea!  inot? 

Il  eft  fagc.  -  fl  eft  •  un  .fit ,  * :* 
Repartit  le  Cochon  :  ViF  îçavoitYon7 affaire, 
11  crieroit  comme  moi' du1  haut  de :fbh  gcJfier; 
Et  cettieTautre  petfonné  honnêtfe» 
Cfieroit  tout  du  hnt  èe  $  tôt». 
Ils  penfent  qu'on  les  veut  feulement  décharger  9 
La  Chèvre  et  fonlîait  ?  •  ie  Moiiton  de:  £a  laine. 
Je  ne  Tçai  pas  s'ils  ont  ràHbn , f 
Mai»  ^juarit  H  moi  .qtfi  néfcfe-bpn 
Qu'à  ntënge* J,  -  ta*  ntart;  efi  ëèÂaine  : 
...      rAfUeu  moft  tojt  fcmjcamffa^  ,  v/î  >  t  < 

(i)  N.om:  4'u9  faWHr»  pour  cpitfç.UîdKWftf.   j     !>, 


ttS       E AB'LJB  S  .  CjH  <H  S I S  S 


La  plainte  pi  lipeur  ne  changent  le  defUn; 
Et  le  mdina  prévoyait  eft 'toujours  le  plus  fage. 


-  '       *    x    -y*  3  v   - 


p    A    B    LE      X;IJ)L 
Tircit  &  Amarante:    ■: 
JOUR  MADÊMîQISELLE  DE  SILLERY. 


J'avok  Efope  quitte,  ,.-,  ., 

Pour  être.tout-à  (i)  Bocace:^ 
Mai*  une  :  divinité 
Veut  revoir'  fur  le  parnafle 
De§  fables  de  ma  façon.   _.*    : 
Or.d'aLier  lui  dire  non, 
,  Sans  quelque  valable  exeufe , 
Ce  n'eft  pas  comme  on  en  ufe 
•  •      .•»  .  Avec  des  divinités;  ... 

\     .Sur* tout  quand  ce  fonrde,  celtes 
Que- la  qualité  de  belles     • 
,. Fait  freines  des/vqlon  tés.     :  .    •   • 
.  '  *  Car  afin,  que  Ton  Je  fçache> 
"  f . Ceft  Siliery  qui  s'attaefte 
7  '  A-  vquloir  .quq  de.  nouveau.  m  ; .  » 

Sire  Loup,  fire  Corbeau  . ,  ,        ^ 
„.,"•;  Chez fmoi  fp  parlent  ç^ripiç,  cr  . 
Qui, dit;  Si\ifiryi9  dk^out:-.  3-* 
f:  Peu;  çje^géns  en  teur'efttpiô  ,<l 
„i. .  ^rè4  fpfàsiît  le  haut  bout.  /.  ;  r> 

(O  Hcrivali't^liftreV^fH  eri'lWfe1  îtaîfefae,  *dmîr& 
des  contioifleurs ,  a  comppfé  de»  Conta  donc  pluilcurs  9& 
•*té  a^44^WC4it  ii*fc«*  ■  en  Vtr«  $tr  *4  F««t aftlf. 


m  .  H  &  r  . *s  ?  sir. xi  *.'i     «if 

...-,    Courierit'ilt  pbjtfMt'-ta  fifre*   "  .-• 

Pour  Veéfr  ;*nGttre  'affaire, 
.     ::  Jtfes  cotHé*,  àfonâvls,  w       > 

.  .    Sont  obfcurs.    Les  beaux  efprfts 
.  JTenteadeht  pas  toute  <hofc: 
Faifons  donc  quelques  récte   .  - 
v  Qu'elle'  déchînre  fans  glqfe.  •     . 

Amenons"  des  bergers,  &puis  nous  rimerons    '  '' 
Ce  que  difl&t  éfitr'éox  les  loups  &4  lés 'moutons* 

Ahl  fi  vxpw  jconnoiffiez  çomjne  moi  certain  mal, 

'•  *Qui  nous  plak  cV^ui  rious  énchaifte  l 
'  Il  n'e^  bien  fous  Je  ciel  qui  vous  parût  ted  : 
'SôuÔréîfHjtfdri  vous  lé  communique. 
Croyez -moi,  n'ayez  point  doreur: 
Voudrois-je  vous  tromper,-  vous  pourvut  je  me  pique 
Des  plus  doux  fentïméns  que  puïflb  ayoii'un  cœur? 

Anjpwntèauûl- tôt  répliqué: 
Comment  Tappeléz-vaus ,  ce  mal  ?  qpiel  eft  fo»  norot 
L'Amour.    Ce  moteft  beau;  «dites *iuqi  quelques 

marques 
A  quoi  je  le  pourrai  conriofcr*  y  que  ieaf  -  on  ? 
Destines,  près- de  qui  lè.plaifi* :  to^ch^nqu^    ; 
Eft  ennuyeux  S /aide;  •an-Voublie>."ôn-fe  plaît 
Toute Téuïe  çn  une  .forât.,    A  l 
>        Se  'mire -t-on- près  d'um rivage?  ' 
Ce  n'eft:  pas  fin  qu'on  voit ,  on  ne  voit  qif  une  imag© 
Qui  fans  celte  revient ;&, qui  fuit  en  tous  lieux: 
Pour  tout  ïe  refte^on  &&  fans  yeux, 
11  e#,un  berger  du  village  t  ,...  > 
Dont  l'abord V/dont  la  voix ,' dont  le  pop  jfcHjrççgfeî 

~On  fôupîre  à  ion  fbuvenir  : '  « - 
On  ne  fçait  pas  poaw^uoi ,  ijepotidatet 'onîfdu^iri  r  ?: 
On  a  *peor  idè  4e  v<wr  'enebr  -  qu'on  Ife  àêfiiet     ' 

:  Amarante  dit- ô  l'fnftanf,    \-    \   '•  '*"■-** 
Obi  oh  i  cfe&là  ,ce<a»J  que  voué  «rprêchez  tant? 
KG 


9S0       FABtL£S;XH  CXISIES 

11  ne  m'eil  pas  nouveau;  je  penfe  tejtoônoitre. 

Tircis  à>fon  4>ut  croyait, être ./i 
'  Quand  la  Belle  ajouta:  voilà. tout  juftenfcnt 

Ce  que  je  fens  pour  Clidamanfc 
L'autre  penCa  mourir  de  dépit  &  de  honte. 

Il  cft  force  gens-  comme  luji*  x* 
Qui  prétendent  n'agir  que  potir  leur  pjr Qçïei  compte. 
Et  qui  font  le  iriarcfcé  4*Wtxui*  ;    .  '      > 


F   A    BLE      X  IV. 
JLes.  Obféques  de  la  Lionne. 


L. 


fst  femme  du  Lion  înourut  r 
Auffi-tfa  chacun  accouftit  /\  , 
•  .  V oûr  s'acquîter  envers  le  Prince 
De  certains  cômplimens  de  cônfblation , 
'    .      .    'Qri  font  furcroît  d'affiîc^n. ;       :  '• 
II  fit  avertir  fy  province , 
S:    '  Que  les  obféques.  tè  ferofënt 
Un  tel  jour ,  en  tel  Heu  :  fes:  p'révôts  y  feroïent    : 

v   '  Pour  régler  là  cérémonie  ?  ;    '  *;  • 

,  Et  pour  placer  la;  compagnie.  ; 
v  Jugez  fi  chacun  Vy  trouva.  \/ 
•"  Le  Prince  aux  cris  ^'abandonna  * 

Et  tout  fon  antre  en' réfonnâ.  I'       '     * 
-     Les  Lions  n'ont  point  d'autre  impie. 
On  entendît,'  à  fon  cxetnptè, :i   .  ., 
Râgît'eh  lettré  patois  meflSetcrs  les  cowttfens.1* 

Je.défipfcla  cour  un  .peys.  feù  te*ger*  -  ;  r.  î  v*     * 
Trïftes',  gpis*,  prête  à  to^t,-  à<outjt]dîfféi»m«  .  - 
Son$  ce  qu'il  plaît  au  prince  ;  pus'jfc  ae  p*uûen t  l'être» 
T&chent  *u  moins  de  Iç. paraître  i  <   • 


Peuple >( i)  cûméteo»,(2)  péuplû'fingç  du  naîtra, 
On.dirokiqqHin  fcQ>wt  anime  jniflc.  corips  :.  :  t  u 
C'eftbien-èàque  les  genarpntde  (3)fiffipie3rçflbm» 

.  Pour  revenir  â  notre  affiure ,  * 
Le  Cerf  ne  pleura  point;  comment  l'exil  $&  Uitd 
C^ae  mortjle  v^rrgttoit.n  la  Reine  avait  jadis  .-*  ^ 

.Etranglé  fa rfemme ci  fon  fils, -,:, 
Bref,  il  ne  pleura  point.  m  .Un  flatteur  l'a%fiire^ 

Ètlfdutiift'qu'fll'âvoftvÛ1^'.1 
La  colère  du  roi,  comme  dit  £4)  Salomon, 
fit  terrible ",  &t\it  -tout  celle  du  :roi  tïon  :   '  -   •  * 
Mais  ce  Cerf  n'avoir  pas  accoutumé  de  lire» 
Le  monaiqûeûiui  dit;  chédf  hdfc  deft.boi&, 
Tu  ris ,  tu  ne  fuis  pas  ces  gémifTantes  vdix. 
Nousn'appli^Lè^ônè  pôri^rftirt^m^bres  profane» 

Nos  facrÀ  ongles  :  venez ,  Loups , 

Vençez  la  reine  ;  immolez  tous  Q 

"  :  :  Côiofafcre,  àrferaûgufteçr  ihanes.      'j  -j  £.* 
Le  Cerf  reprit  alors  :  fîre,  le  tems  des  pleurt 
Eft  paffé.r  la  douleur  eft  ici  fuperflue.  .  > 
Votre  digne  moitié ,  '  couchée  entre  des  '  fleuri» 
.  Toufcprés  d'ici  «m'cft apparue  J 

Et  je Vii  d*abiîrd  reconnue»4  :^<-  :-J 
Ami,  m?a-r-felle  <Str -gardenque  t&casmn,  ■  %J;:S.i 
Qu^jervatechcziésdfeBar,  tw tf&blîgeàdes  larmes* 
Aux  cbainjte  (  f  )  niyfica**  #ai  goûté  milfe  charmes» 
Converiimt avec  ceux ^iii'fôm  faim^'ccrtnine  mou 
LaiÛfc.  agûiquelque:  temps  le.  défefpoir  dû  roi  :  . 

{«  )  AnftW  qm  pttnà  M  eoalètel  dft'lje»'©*  H  4P, 

Ja«ne,  roufec,  &c,     ;       •■».:. 
U)  Scrvllc  infiftiteur"  du  maftfe.         "-  r*/- 
U)  Sans  rar&ftineqfeiit  ^foh^àfcftàfelitf,  Wfcime  Dtfcar» 

54)  Kollfc*  Juift.qui  a  fait  un  Recueil  de  Provcibcay 
.  (S)  LiCttd«£nJçw  ofc'Jta'MBtabciittiub      '    \ 


t%%       F.&BiE,ESrCJi(nSl#S 

D'une  précaution  furlqpfc  fouloit  1a  tfte  * 
De  celdt  qu'il  ahnoit ,  défendit  que  Jamais 
On  lui  laiflk  pafôrJe  feuil  de  fon  palais. 
Ilpouvoit,  fans&rtir,  cQntenter  fon  envie; 
Avec  fes  compagnons  tout  le*  jour  badine* , 
:  'Sauter,  courir,  fe  promener. 
.  *j  »  ï  ;  Quart  il  fi*  en  l'âge  où  fc  chaife 
«     ,    <    Baie  le  plus  aux  jeunes  efprits, 
%.   .  •  ••  •  >  '  Cet  exercice  avec  mépris   - 

:.  :  Lui  fin  dépeint  :  quais  quoi  qu'on  faflfe, 
<         >     Propos,  confeil,  enfeignement, 

Rien  ne  changeun  tempérament. 
le  jeune  homme  inquiet*,  atdent,  plein  de  courage, 
A  peine  te  fentit  des 4x>uiilons  (fini  tel  âge, 

,    Qu'il  foupira  pour  ceplaifir. 
Plus  l'obOad^étoic  gfand^plus  -fort  fi£  le  défir. 
IVfçavoit  le  fujet  des  fatales  défenfes;    ;       ... 
Et  comme  ce  logîs ,  pléiif  "de  magnificences ,  '  ' 

Abondoit  par  -tout  en  tableaux, 
«=«« Et  qùè^TT>-ïaihe^«  Q^piiicém 
Traçoient  de  tous  côtés  chaflès  &  payfages, 
.  *  Eh  cet  endroit  das. animaux;";      •] 

En  cet  autre  des  perfonnages , 
Le  jeune  homme  s#méUÉ*yO)$at*j>eint  un  lion. 
Ah ,  monftre  !  cria  -r-  il  î  c'eft  toi  qui  me  fais  vivre 
Dans  l'ombre  &  dans  les  fers!  A  cesplofc  il  fe  livre 
Aux  tranfportSJvIMèns'ide  tfiiidignaticni^.. 
./.      .'.  :  Porte  te  poing-  fur- i'iofiocènte- bête*       » 
Sous  la  tapifferie  un  clou  fe  rencontra  : 

Ce  clduie  hlofTe ,  il  pénétra 
Jusqu^ux- refforte.de  raaî4;,&  cette. cheré  tête  .  • 
Pour  qui  l'art  (3):d'Escùtepe  .en  jvain.  fit.  ce  qu'il  put; 
Dut  fa  perteà  ces  foœifjkaxL  prifcpour  flm  faluu 

(i)  Les  TttiMteh'^  L  vu  ..,  ,!  '.r  :  .1-     ...       .      l 
(  3  )  Pktt  de  la  taedtfcfet 'fc'dc1 2t  çiltt^* 


?r"  ' 


Quekjuè  devin lé  menaça,}  dît*oflfI 
-     •*  Déilâ4feôi»  ii'unô'maifotf;  '    -  >r-  t^Y-M 
-  .    '  '  -Auffi^tof'ilqUCtta  ïavillei'  -1-:/?  .':  s  >) 
IWit  fbfi HiWï>leta*haï*|Slotà  dôSt<J|ttr,EMttlerciciixJL 
Un  aigle  qui  ptfftoit  ttl  î*afr'ime  tortue;) 
PaflTa  par-lft:,  vît  Phbmme,  &4ur  fatété  nue, 
Qui  parut  un  morceau  de  rocher  à  fe&yçux,   /  : 

t^-Etairtîdeîcheveiflc pourvue,  -  . .  '* 
JjAS&^ksMth  pote  atotfeiai:affîit:r';ï  .ly  '-/- 
Le  pauvre  aSfchile  aiafi-  fçut  fe$  >Jdb»  avancer* 

De  ces  exemples  il  réfulte, 
Que  cet  art,  s'iîëft- Vrai,'  fifît* tomber  daiis  les  mam 
"  r:'Quê  craint  feetal qui  le confclte ; '•'-'  'V 
Mais  je  l'en  juftfoe,  &  maintiens  «p'U  eft  faux.  ' 
j.  .  -  Teneerofe  point  qû#ta  àattfte.  Vî--;;  ;  '.î. 
Se  foit  lié'  lès  taaîa&y  A  h6^4&4teretfcor,3"'-<:  il 
Jufqu'au  pointde-riarqtie^drfnS-l^cîii^-hotre  fort 

i.  ?!i"  '^e^lieuXj'^rperfismnçsi'-de  tén?ps;3.  [  cr 
Non  des^  confondions  detoustces  charlatans^  -'■'  » 
Çé  befger  &  ce  foi  font  fous  même  jplarietté;  '  .  .; 
È'urT  d'eux porte  lë'fcèptjre  STâutre  la  boulotte':  "l 

(  5)  Jupiter  ie  vouloit  ainfi.       ,  ^         i 
Qu'eft  :  te;  iquç3  Jupiter  ?  uà  corrps  fafcs'  ctmnbiflki^ce# 

Iï'où  yiqnt  àiOf\ç :iquâe,  fpp  £$Hpncé»t  ,.  i 
Agit  différemment  fur  ces  deux  hommes -ci? 
Puis  cornaient  pénétrer  jufques  à  notre  monde  ? 
Comment  percer  des  airs  la  campagne  profonde  ? 
Percer  (6)  Mars,  Je  $oléih,  &  dès  vuides  fans  fin? 
Un  atome  la  peut  efctownér  eh  \é3iemiiu 
'  '  >  ^  *    '* 

(4)  Ancien  Poète  Crée», dent  il  nous  refte  quelques 
Tragédies.  **'* 

(îj  C'eft  une  des  grandes  Flanettes. 

(6)  Autre  Planette  au-dcfloiu  de  Jupiter »  par  rapott 
*  U  Terre,    . 


%±6       FA  B  V%  S  7C  H  <>,i  Sri  £S 

Où.JîrQûtTreçrpûv«^)  le^feîfea^^pr^feepç?? 

Vétst  <)&  bous  ;ywQp»J'Air^tf  ^ 
Mérite  que  du  wwtosrqiœlqUÎU*  ÂlràllMt  prevû: 
Que  ne  !Vt-iM<W  #tÏHWis  qui  d*a*ç^ne  l'a  fçû. 

Celte  a*ffi  de  i»o$  f*ffio?»v  : 

De  fui  via  pas  à  pas  toutes  j)oi  aftiow  ?    . . 
Notre  fort  çn,dép*n(jb:,&  «cnwft^WÔltyie, 
Me  va,  non:pUftipe  tfror  jamais  ^i>Q^ê»Q  f»i 
••Lh  49k  cte<*eaa  Yrfi&t  autf&ŒKB*,;; 
Tracer  le  cours  de  notre  vie! 

r    -r   vi  Hue.fe&iitppint^rt^ri    r    :  j.-,  :-■' 
Aux  deu$  ffo.Mhieii!ifm:fa  y.im.  de  <>onter. 
Ce  fife  p*  ir»p  tiMri'9  Jtf  te  jbo^trçmnKï  JBfcbfk 
*Ty  font  rien,.  T^lt^iigte&iwiKQjffW'eftcetar^ 
ïl  peut  (ft*ppet.au  but? Wtf  fpiç  $*«?$  jatflfci  ; - 

(  7  )  Charlatan'!  qui  veulent'  nous  '  taire"  ac^grofae  qu'Ai 
ToyentiéïtÎTcibcnt  «mit  le  Mén'Jfc  totft  le  -ml  qui  doit 
arriver  l+u6  yerfaaite,  par  la  jfawationo»  te  msofaff  ici 
Planettea  daaa  la  «ornant  de  fa  naU&occ.  -  De  ton*  lef 
métiers .,  celui  de  Charlatan  eft  le,  plus  aîfé  i  apprendre. 
Deux  chofet  fuffifcnt  jpewr  lé  fçaveir  patftkemenc  s  k 
première ,  la  ciédaHté  dea  hoviniçs .,  qt£  ae;  dépend  pai 

feÇtaj^V)1»***  ****$  W^V  kUartftr R'ax  le  moycm 
«le  la  ïecond*,  qui  çonfifte  a  leur  dire  hardiment  qu'il 
iÇiit  fart  bien  ce  qui  lui  è^aWohtaéitt  focoétui. 


i     •  .,  '  i.  - 1  ;-  ■•  j  ■ 

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*r  { >-y.a    :;},i    r::o\    ;r   :  afl 

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V:    «>*  .:j,'..> 

I 


1 16'  faift  ëiitfaidë* ,  rtft  là  toi  dôiiatijrfc':  -  '  \ 
„I/Ane  un  jour  pourtant  s'en  moqua:, J  '" 
'  "    Et'  île  fçafe  cothmç  il  y  mariquârç 
Car  il  eft  bonne  créature." 

Gravement,  fans  fonger  à  rien, 
•  ]    î  Tou*  d&*  fuivîf  d'uq  cotffnun/çiaJqe. 
Ce  maître  s'endormit:  l'Ane  fe  mit  à  paître: 
;jaétoitfdoïs#l0>n'jTé7     \ 
Dont  l'herbe  étoit  fort  â  fon  gré. 
Point  de  chardons  pourtant ,  il  s'en  paflà  pour  Haute 
11  ne  ftiitp»otoi*w»,4ffieffic4«iWi!3  ^ ,r  r  l_J 
Et  faute  do  ffervlr, œ  plat)    . ^  •  ■  -  :3  ^  .  *  r 
RarcmeBt  uaieftln  «dçflaeurfl^  :;  h-.-.Vtr 
•;  JNotre  Baudet  skn  fçut  fcafti    . , .  .\"t'/; 
ïaffer  pour  cette  fois.  Le  Chien  8¥>&l9itt:de  feifflv 
Lui  dit  :*ther  compagnon  >  baûTc-toi>  je^piie^ 
Je  prendrai  mon  dîner  dans  le  panier  m,  pain»    .  : 
Point' de  réponfe,  mot:  le  (î)  Rouffia  d'Aveu 
:  ;  Craignit  jju'en.  peidan  t  uft  aaomeû*  v  y  :  5 
.  U  imt  perdfc  un  coup  ;de  deût.    -,  ,  j  's  ;  ;> 
11  fit  l^ng,-t^ùip9  Ja-  fourde  atdllfi;:  -./  ->  X 
Enfin  il  répondit:  ami;ij«f tccanfeiUè  r:»;..  v!  v* 
D'attendre  que:  t©ri  majia^f ait  Êtii  fon  fotameih:  £ 
Car  il  te  donnera  fans  faute  à  fon  réviil    ,       •  <•. 
Ta  portion  accoutumée  ;Y     *    '    "•» 
Hue  fçawpitt^ider  .beaucoup^:  ;  •  '  -    ,7 
Sur  ceai^ntr^ites un  Ldup  :  ? . ; ..  ri  r:  ik 
Sort  du  bois,  &  s'en  vient;  autre  bête  affamée* 


i**       FÂftLËS    CHOISIES 

Le  trOB^estf  sta*  ftbtît:  1k  ta  té  feftftir 
•Btf  chbfct  de  festtâb&ântiHIe. 
Si  ta  fais  bïfea ,  ftt  rerëeti&as  i  moi* 
LeGree  le  m*,  fcec-i  tàoàtrt  aux  Provinces 
Que  tout  c&rof*é,nHeûx vaut ,enàdhte fol,» 
-  -  S'aSandonacr  i  «unique  purifiant  Roi  ; 
Que rtppoye*  w^rtufleMirpéti»  Érfacer. 

— — ■ i«Ét— fr^»*— »— i ^— ■■■in  itf.i  ■■■■ 


F   À    B-  L    %     XIX 

IJ avantage  &'la  Sciqkff~ 


i. 


r  •• 


K 


/ntre  'deux  touigeoûr  aitoè  vitté 
S'énrot  jadis  un  difféïend.- 
L'un  étbît  pauçfé / mais  îhafcîle :  \\    * 

L'autfé*  riche  %  mais  ighorant. 
Cetai  -et  fur  fôn  <rctocnrrent  J 
..  ypuloitwnjjo^  yavaifag^; 
';   Pr'étendok  que  tout  iiomiàè  fage 
-   ""Etoit  tenu  de  Phoriorèr. 
Cétoit  tout  homme  fot:  car  pourquoi  révérer'  •     - 
Dés  biens  dépourvus  de  mérite? 
La  jMfoi^  jiferi  ferruble  petite..  \-  '~\'"' 
Mbtf anii/, diroit-ïlibuvërit;    •  . 
....,,..,  .....'   ,  \     .'ÂurçâyanLV' ."!       ":.  •   ;   -> 
"•  »  '  "Vous  vous  croyez  cpnfidérabfe  :    '  " 

..  >feW "dues -moii  tenéi^vûus  fiable?    • ,  .•  • 

Sué'  feft  î  vos  pareils  de'  tirer  inceflamment'?  * 
_  i  font  foujodrs  logés  à  la  troisième  ejiambfe, 
y^tus  au  mois  'de Juin  'comme  au  mois  deËécetnhrej 
^jantjpow  tcôit  Laquais  jeur  ç mbr$  fcvtfswçhC'  " 
"    ta  république  a  bfeïj i  affaire  '    '.    '. 

Je  ne  fçais  d'homme  néceflàire ,  :. 

Que  celui  dont  le  luxe  épand  beauccfcjp  de  tifea** 


Il  y  a  de$:g$rai9Mf  jrôfr  pqgr  le  vçngcr. 
Quelque ;po|ft>a;  IVTOMV*  protéger  .  ;  i ;  r  i l 
Les  «vifigm^qpii.feBt  gv.i'wft>  W*)fa  -  j 
Sur  .cet  av&r*  le  Tuic  fe  je on&porty  •  _  »  /<> 
Commç  (  3  )  Alexandre  :  &  plein  de  cçnfiance 
CbeR  Jte:Mrçrebqn<t  tçut  <^oj$  il  s'en  ail*.^ 
Se  mit  à  table.    On  vit  tant  d'aiïurance 

Qu'on  ne  crut  point  qu'il  fe  doutât  de  rien»r 
i  Ami ,  diK-iîï  j/içais  «jjtie  tulme  qûittefc     i 
Même  Ton  veut  que  L'en,  craigne  lesfuitjps: 
Mais  je  te-rÔois  "lin  trop  ^TOiâàie  cfë-fcïettï4- 
Tu  n'as  point  l'air  d'un  donneur  de  (4)~toeuvage* 
Je  n'eli  #s.pas  là^deffus,da¥fintage.   ..    k»i! 
Quant  à  "ces  gens  qui  penfent  t'appuyer,* /' \ 
•  Ecoute  -inoU  r  ^n's  tant.  der'dj'alogue?  :    t  ;. , 
Et  de  raifons  qUi,'rpoùrr oient Tênnuyej-/5  '.'. 
Je  ne  te  veux  conter  cp'uu^ôiôgud  ".*'..  > 

11  étoit  un  berger,  fën ;  chien  J  à  fofl  trôu^au. 

Quelqu'un  lui  delharida  ce  qu:H  prétendoit  f^iro 
^  Ç'un  dogue  de  qui  l'ordinaire       '  .'   . 

Etoit  'un  pain  ehtièt:    Ilfarlôit  bfen  &  be^ti  "''"  '  > 

Donner  cet ''animal  air  Seigneur  du  village. 
Lui  berger^  pour  t)itu  de  "ménage, %' 
Àuroit  deurbu  troiVrilatînaux-,        * 

Qui,  lui  dépendit  moins1,  véHleroientauxtrcaipeau}^ 
Bien  .TOieux^què' cette  fr&fe  fêuïe^^r 

U  mangeoit  bhisijue* .trois;  ?Àai$  on  ne jfifo{tj>as r/.v 
Qu'if  avbit  aiïffitripje  gtreule ,   .'  ''  ;  ;  ;  [ r 
Quand  Tes  loups  lïvrbient  des  combats.' 


^kPfS9li?**ïizAk.i.ï  ozul  al  3uoa  M'*-*  j-,J> 


tTu;'P&iitëi  cette  fois.  :  :  -j .,,  j ,  j  t , 
Jiîpitâf  ^c$»^guerp  ,^v  >•.  ;,k>- 

O,voûs,  rois,  qù'H' vôùfut  feîrc 
Arbitres  de  notre -fort,    -  '     / 

«  I^aiffëç  entre  là  colère  '  ' , 

,£tV^aie,,^i.là;fiut,,-';/  .:    \" 

v „;.  ,1;  Llntervallé.  4'une  nuit.  '  r ,: ,'%'  * 


(I 


Le  Dieu  ifônî-  fi)  l'aile  cft  légère, 
Et  la  langfe  la:  des i  (3  y  douceurs  y  - 
.  Alla  v&fr  l&nofrcs  fleurs.'   «         ' 
;c    A  ( 4 y  Tifiphone  3c  :( 4)  Mégère 
Il  préféra;  ce  diï-ôri;1  -"  "   ' 

L'ip>pitoy:able.(4)  Aleéton.» 
Ce'  dfarihr  ïs  tehdii  fi:fierëy  ' 
Qu'elle  jura, par^C 5;) ^Hutçrjf.,       .. 
'  Que  toute  l'engeance  humaine 

D.e§  déjtés  dç  là  -  bas. 
.   Jupiter  n'appriuva  pas  <7      A     '?. 
Le  ferment  $}e  l'^uménide.. 
Il  la  renvoie*  &  pourtant   -^    \ 
i»  Il  lance  un  foudre  à  l'icftant       _<, 

Sur  certain  peuple -perfide.  } 

Le  tonner  e  'ayant  pour  gw*cfe        *» 
ALe  père* même' de  ceux  "'-'*'    '  '  ••  *  ' 
^trHl  trfeaaçbit  d$f  fes  feu* ,     ' 
^  Se  contenté  de  leur  crainte. 
Il  n'embrafa  que  Penceinte 
D'un  défèrt  Mffiatnté.  '      .   ' 

Touttere*^ ) 'ftirtM.  côté.'  -     ; 

(i)  Mtrcure,  inefla^àes  Dieux.  3  .,*,"• 
{3)  Qtii  parle  agréattemeft.     '  w  :J'    '     i  ' 

f  ç)  Nom  général  des  Funa,   .   „      »  ,     v  «,  ;. 
(0)  Ayant  peur  de  faite  du  m'ai  t  ton  Infant/ 


LIVRE      VIII.  '*3  j 

Qu'arriva -t- il?  notre  engeance, 
"    Frit  pied  fur  -cette  indulgence , 
Tout  l'olympe  s'en  plaignit; 
Et  (7)  l'affembleur  de  nuàgeg  t 

Jura  le  (8)  Styx,  &  promit 
De  former  d'autres  orages  : 
Ils  feroient  fors.    On  fourît  : 
On  lui  dit  qu'il  étoit  père  ; 
Et  qu'il  laiffât ,  pour  le  mieux  f 
A  quelqu'un  âes  autres  Dieux 
D'autres  tonnerres  à  faire. 
(9)  Vulcan  entreprit  l'affaire. 
Ce  Dieu  remplit  fes  fourneaux    \  * 

De  deux  fortes  de  carreaux. 
L'un,  jamais  ne  fe  fourvoie, 
Et  c'eft  celui  que  toujours 
L'olympe  en  corps  nous  envoie. 
L'autre  s'écarte  en  fon  cours  : 
Ce  n'eft  qu'aux  monts  qu'il  en  coûte  : 
Bien  fôuvent  même  il  fe  perd;  " 
Et  ce  dernier  en  fa  route 
-Nous  vient  du  feul  Jupiter. 

(7)vIpithftc  qu'Homère  donne  très-fouvent  à  Jtipîtejr. 

(8)  fleuve  de  l'Enfer,  par  qui  les  Dieux  Uiroient.  *% 

(9)  Ou  Vulcain,  Dieu  du  feu.  x 


U: 


FABLE      XXI. 

Le  Faucon  &  te  Chapon. 


ne  tratareffe  voix  bien  fôuvent  vous  apelle  : 
Ne  vou$  preffez  donc  nullement»  * 

H.  Tank.  L 


) 


2U       FAE  LE  S:  C  H  O  î  S I B  S 

Ce  n'étôit  pas  un  fot.,  non*  non,  &  croyez -m'en, 
Que  le  (  i  )  chien  de  Jean  de  Nivelle. 

Un  citoyen  du  Mans,  Chapon 'de  fon  métier, 

Etoit  fQmmé  de  comparottre 

Pardevant  les  (2)  lares  du  maître, 
Au  pied  d'un  tribunal  que  nous  nommons  foyer. 
Tous  les  gens  lui  crioient ,  pour  déguifer  la  chofe 
Petit ,  petit ,  petit  :  mais  loin  de  s'y  fier , 
Le  (  3  )  Normand  &  demi  laiffoit  les  gens  crier, 
Serviteur ,-  difoit  -  il ,  votre  appât  eft  greffier  : 

,On  ne  m'y  tient  pas  ;  &  pour  caufe. 
Cependant  un  (4)  Faucon  fur  fa  perche  voyoit  j 

Notre  Manceau  qui  s'enfuyoit.  , 

Les  Chapons  ont  en  nous  fort  peu  de  confiance,  j 

Soit  inflinét ,  foit  expérience. 
Celui-ci,  qui  ne  fut  .qu'avec  peine  attrapé,        j 
Devoit,  le  lendemain,  être  d'un  grand  foupé,  j 
Fort  à  l'aife,  en  un  plat,  honneur  dont  la  volaill 

Se  feroit  paffée  aifément. 
L'oifeau  chaffeur  lui  dit  j  ton  peu  d'entendement  ' 
Me  rend  tout' étonné:  vous  n'êtes  que  racaille, 
Gens  groffiers ,  fans  efprit ,  à  qui  Ton  n'apprend  riefl 
Pour  moi,  je  fçais  chafler,  &  revenir  au  maître- 

Lef  vois  -tu  pas  à  h  fenêtre  ? 
Il  t'attend,  es -tu  fourd?  Je  n'entens  que  trop  bief 
Repartit  le*  Chapon  :  mais  que  me  veut -il  dire, 
ït  ce  beau  Cutfînier  armé  d'un  grand  couteau? 

Revicndrois -tu  pour  cet  appeau? 

Laiffe -moi  fuir,  ceflê  de  rire 
De  l'Indocilité  qui  me  fait  envoler,  ' 
Lorsque  d'un  ton  fi  doux  on  s'en  vient  m'appela 

(  1  )  Qiiî  s]enfuyoit  quand  on  l'appel  oit. 
(  2  )  La  cuifinc.  ^ 

(  3  )  Nom  que  l'on  donne  aux  Manceaux. 
(4)  Un   Oilcau  dttSJé  pour  la  challc. 


x  i  v  r  e:;viil      135 

.  Si  ta*  voyofc  mettre  à  la  broche  .  , 

Tous  les  jours  autant  de  Faucons : 
Que  jy  vois  mettre  de  Chapons , 
Tu  ne  me  fer  ois  pas  un  femblabie  reproche. 


F  A  B  L   E      XXII. 

,      '         Le  Chat  &  te  Rat.     ' 

^J'uatre  animaux  divers ,  le  Chat  Çrîpperfromàge; 
Trifte  oifeau  le  Hibou  ,  Ronge-maille  le  Rat/ 

Dame  Belette  au  long  corfage, 

Toutes  gens  d'efprit  fcélérat , 
Hantoient  le  tronc  pourri  d'un  Pin  vieux  &  fauvage. 
Tant  y  furent  qu'un  foir  à  l'entour  de  ce  pin 
L'homme  tendit  fes  rets.  Le.  Chat 'de  grand  matia 

Sort  pour  aller  chercher  fa  proie.     - 
Les  derniers  traits  de  l'ombre  empêchent  qu'il  ne 
'    '     voie.  ' 

Le  fîlpt  :  il  y  tombe ,  en  danger  de  mourir; 
Et  mon  Chat  de  crier ,  &  le  Rat  d'accourir , 
L'un  plein  de  défefpoir,  &  l'autre  plein  de  joie. 
Il  voyoit  dans  les  lacs  fon  mortel  ennemi. 

Le  pauvre  Chat  dit  :  cîher  ami ,  : 

Les  marques  de  ta  bienveillance 
.  Sont  communes  en  mon  endroit  r  .'-    \.    ; 
Viens  nVaider  à.  fortir  du  piège  où  l'ignorance 

M'a  fait  tomber  :  c'eft  à  bon  dfoit 
Que  feu!  entre  les  tiens,  par  amour  finguliére,' 
Je  t'ai  toujours"  choyé,  t'aimant  comme  nies  yeux. 
Je  n'en  ai  point  regret,  &  j'en/ends  grâce  aux  dieux» 

J'allois  leur  faire  nia  prière; 
Comme  tout  dévot  Chat  en  ufe  les  matins  : 
Ce  rézeau  me  retient;  ma  vie  eft  entre  tes  mains: 
h  2 


330        FABLES    Cff  OISIFS 

Viens  diflbudre  ces  dœuds.   Et  quelle  récoibpenfe 

En  aurai -je?  reprit  le  Rat., 

Je  jure  étemelle  alliance 
•   Avec  toi ,  repartit  le  Chat. 
Difpofe  de  ma  griffe ,  &  fois  en  aflurance  : 
Envers  &  contre  tous  je  te  protégerai; 

Et  la  belette  mangerai 

Avec  Tépoux  de  la  chouette. 
Ils  t'en  Vfeulent  tous  deur.  \a  Rat  dit  :  idiot! 
Moi  ton  libérateur?  Je  ne  fuis  pas  fi  fot. 

Puis  il  s'en  va  vers  fa  retraite. 

La  belette  étoit  près  du  trou. 
Le  Rat  grimpe  plus  haut,  il  y  voit  le  Hibou: 
Dangers  de  toutes  parts  :  le  plus  preffant  remporte.' 
Ronge  -  maille  retourne  au  Chat ,  &  fait  enforte    : 
.Qu'il  détache  un  chainon ,  puis  un  autre  ,"&  puis  tant! 

Qu'il  dégage  enfin  l'hypocrite. 

L'homme  paroît  en  cetinftant; 
Les  nouveaux  alliés  prennent  tous  deux  la  fuite 
A  quelque  temps  de  là,  notre  Chat  vit  de  loin      j 
Son  Rat  qui  fe  tenoit  alerte  &  fur  fes  gardes. 
Ahi  mon'freie,  dit -il,  viens  m'embrafler  :  ton  foiai 

Me  fait  injure;  tu  regardes 

Comme  ennemi  ton  allié? 

Penfes  -  tu  que  j'aye  oublié 

Qu'après  Dieu  je  te  dois  la  vie? 
Et  moi,  reprit  le  Rat,  penfes -tu  que  j'oublie 

Ton  naturel?  Aucun  traité 
.  Peut -il  forcer  un  Chat  à  la  reconnoiffance  ? 

S'aiTure  - 1  -  on  fur  l'alliance 

Qu'a  faite  la  néceîiité?- 


<*$<* 


'L   I    V    R    E     VII  \:        237 


FABLE      XXII L 
Le  Torrent  &  la  Revivre. 


Àv 


kvec  grand  bruît  &  grand  fracas,      \ 
Un  Torrent  tomboit  des  montagnes»  . 
Tout/uyoit  devant  lui:  Ihorrcur  fui  voit  fcs  pas;. 
11  faifoit  trembler  les  campagnes. 
Nul  voyageur  n'ofoit  paffer 
l  :  Une  barrière  &  puiffante. 

Vn  feul  vit  des.  voleurs  ;  &  fe  Tentant  prefler, 
,11  mikentr'cux  &  lui  cette  onde  menaçante. 
Ce  n'étoit  que  menace,  ,&  bruit. fans  profondeur.: 
<  Notre  homme-  enfin  n'eut  que  la  peur.  ; 

.    Ce  fuccès  lui  donnant  courage, 
|£t  les  mêmes  vcleurs  le  pourfuivant  toujours, 
1  11  rencontra  fur  fon  paffage 

Umç.  Rivière  dont  le  cours , 
Image  d'un  fojnmetl  doux,  paifible  &  tranquile, 
i.ui  fit  croire,  d'abord  ce  trajet  fort,  facile.  ) 

Point  de  bords  efearpés,  un  fable  pur  &  net. 

Il  entre,  &  fon  cheval  le  met  ' 

A  couvert  des  voleurs ,  mais  non  de  Tonde  noire, 
f  Tous  deux  au  Styx  (  i  )  allèrent  boire; 

Tous  deux,-  à  nager  malheureux,  > 

Allèrent  traverfer  au  féjour  ténébreux, 

Bien  d'autres  fleuves  que  les  nôtres. 

# 
Les  gens  fans  bruit  font  dangereux^ 
<    Il  n'en  cft  pas  ainfi  des  autres.  ' 

(  »  )  Se  noyerenr.  '  , 

L  3 


a38       FABLES    CHOISIES 


FABLE      XXIV. 

L' Education.   • 


JL^a 


,■  Tandon  &  Céfar,  frères  dont  l'origine 
Venoit  de  chiens  fameux ,  beaux  ,bien  fiits  fthaws 
A  deux  maîtres  divers  échus  au  tcmp*  jadis, 
Hantoient,  l'un  les  forêts ,  &  l'autre  la  cuifinc, 
lis  ayoient  eu  d'abord  chacun  un  autre  nom  : 

.   Mais  la  diverfe  nourriture 
Fortifiant  en  l'un  cette  heureufe  nature, 
En  l'autre  l'altérant,  un  eertain  marmiton 

Nomma  celui  -  ci  Laridon. 
Son  frère  ayant  couru  mainte  haute  avanture, 
Mis  maint  cerf  aux  abois,  .maint  fangiier  abattu  ; 
Fut  le.  premier  Céfar  que  la  gent  chienne  ait  en, 
On  eut  foin  d'empêcher  qu'une  indigne1  maitreup 
Ne  fît  en.  fes  enfans  dégénérer  fon  fang. 
iaridon  négligé  témaîgnoit  fa  tendreffe 

À  l'objet  le*premier  paflant. 

Il  peupla  tout  de  fon  engeance  : 
^  i  )  Tourne-broches;  par  lui  rendus- communs  eg 

.  France,  '  :  ♦  ' 

Y  font  un  corps  à  part,  gens  fuyans  ies  hazards 
-  Peuple  (  i  )  antipode  des  Géfarsi . 

On  ne  fuit  pas  toujours  fes  ayeux  ni  fon  père: 
Le  peu  de  foin ,  le  temps ,  tout  fait  qu'on  dégénère, 
Faute  de  cultiver  là/natore  &  fes  dons, 
-O  combien  de  Céfars  deviendront  Laridcmsf 

(iV Chiens  dreffés  à  faire   tourner  une  roue,  d°nt 
irouvemenr  fait  ttnitne'r  là  broche.       '  1  rf  M 

(2)  D'un   naturel  dfeeftement  contraire   *   ^CJU* 
Chiens  hardis  &  courageux. 


LIVRE      VIII. 


*30 


FABLE      XXV. 
Les  deux  Chkns  &  l'Ane  mon. 


JL/e 


es  vertus  devroient  être  fœurs , 
-  Ajnfi  que  les  vices  font  frères  : 
Des  <jue  l'un  de  ceux-ci  s'empare,  de  nos  cœurs, 
Tous  viennent  à  la  file,  il  ne  s'çn  manque  gueres; 

J'entends-  dé  ceux  qui  n'étant  pas  contraires,  . 

:       "  Peuvent  foger  fous  même  toit. 
A  regard  des  vertus ,  rarement  on  les  voit 
Toutes  en  un  fûjet  éminemment  placées, 
Se  tenir  par  la  main  fans  être  difperfées. 
L'un  efl  vafllanç ,  mais  prompt  :  l'autre  eft  prudent, 

; ,  mais  ftoii  .;'...., 

tarmi  les  animaux,  le.  Chien  fe  piquç  d'être 
Soigneux  6V  fidèle  à  fbri  maître  : 
Mais*  il  eft  fpt,  il  eft  gourmand: 
Témoin  ces  deux  Mâtins  qui ,  dans  l'éloignement  f 
Virent Jin,  Ane  moxt  qui  flptfoit  fur  les  ondes. . 
Le  vèrït  de'pîusen  plus  rfclôîghoft  de  nos  Chiens. 
Ami ,  dit  tun ,  tes  yeux,  fout  meilleurs  que  les  miens , 
Porte  un^eif  tés  regards  ftit  cfes  plaines*  profondes  . 
J'y  crois  voir  quoique  chofe  :,  .eft -ce  un  bœuf,  191 
"  chevcli?  ,     ''''.' 

Hé  qu'importe  quel  animal  ? 
Dit  Pun  de  ces  Mâtins  ;  yoilà  toujours.  (  1  )  Jcurée. 
Le  point  eft  de  l'avoir;  car  le  trajet  eft  grand; 
Et  de  plus:  il  nous  faut  nager  contre  le  vent. 
Buvons  toute  cette  eau  :  notre  gorge  altérée 


(t.)  Dïquoi  manger*- 


X-  4 


*40       FABLES    CHOISIES 

En  viendra  bien  à  bout  :  ce  corps  demeurera 

Bien -tôt  àfec,  &  ce  ferâJ  •  J 

Provifion  pour  la  femaine. 

Voilà  mes  Chiens  à  boire';  ils'pe^ireUt  rjaleinfc 

Et  puis -la  vie  :  ils  firent  tant 

.    Qu'on  les  vit  ciexer  à  l'inftant 

L'homme  eftainfibâtl:  quand  un  fujet  l'enflammq 
L'impôflibilité  difparoit  à  fon  ame.  .' 

Combien  fait-il  de  vœux  ?  combien  perd-ii  de  pas? 
S 'outrant  pour  acquérir  des  biens  ou  de  la  gloire? 

Si  j'arrondiiïbis  mes  états  ! 
Si  «je  pouvons  remplir  mes  coffres  de  ducats  i   ■ 
Si  j'apprenoîs  l'hébreu,  lès  fdènces,  l'hlfloirel    , 

Tout  cela  c'eft  la  mer  à  boire. 

Mais  rien  à  l'homme  ne  fuffit  : 
Pour  fournir  aux  projets  que  forme  un  feuî  efprif, 
M  faudrait  quatre  corps,  encor  ïoîn  d'y  fuffife,  'j 
A  mi-chemin  je  crois  que  tous  detneureroîent:    I 
Quatre  (  l  ).  Mathufalems\bout  à  bout  nepourroienf 
*  Mettre  à  fin  ce  qu'un  feul  délire.  j 

(  2  )  Nul  homme  n*»  Yéc*  fi  long-tems  que  MathuMca»» 


FA  BLE      XXVI. 

(2)  Démocrite  &  tes  Abdirïtaint. 


'ue  j'ai  toujours  ha!  les  penfers  du  vulgaire! 
7* Qu'il  me  femble  profane,  injufte  &  téméraire, 
Mettant  de  faux  milieux  entre  laxhofe  &  lui» 
Et  mefurant  par  foi  ce  qu'il  voit  en  autrui  ! 

(i)  Un  des  plus  gtvâs  Pbilofopfces  .de  l'ttrfyW*  fl* 
à  Abdere. 


X     I    VU    E      VII  I.  242 

Le  Maître  (2)  d'Epicure  en  fit  Papprentiflàge. 
Son  pays  le  crut  fou  :  petits  efprits  !  mais  quoi  ? 

Aucun  n'eft  prophète  chez  foi. 
Ces  gens  étoient  les  fous ,  Démocrite  Je  fage. 
L'erreur  alla  fi  loin,  (3)  qu'Abdere  députa 

Vers  (4)  Hippocrate,  &  l'invita 
[  Par  lettres  &  par  ambaflade, 

%  venir  rétablir  la  raifon  du  malade. 
Notre  concitoyen,  difoient-ils  en  pleurant, 
Perd  refprit:  la  leéture  a  gâté  Démocrite. 
Npus  l'eftimerions  plus  s'il  étoit  ignorant. 
(5)  Aucun  nombre,  dit -il,  les  mondes  ne  limite  i 

Peut-  être  même  ils  font  remplis 

De  Démocrites  infinis. 
Non  content  de  ce  fonge,  il  y  joint  les  atome?, 
Mans  d'un  cerveau  creux;  invifibles  fantômes; 
Et  mçfurant  les  deux  fans  bouger  d'ici  -  bas  , . .      .  r- 
Il  connoît  l'univers,-  &  ne  fe  connoît  pas.  - 

Un  temps  fut  qu'il  fçavoit  accorder  les  débats  : 

Maintenant.il  parle  à  lui-même. 
Venez,  divin  mortel,  fa  folie  e<ï  extrême. 
Hippocrate  n'eut  pas  (  6  )  trop  de  foi  pour  ces  gens  ; 
Cependant  il  partit:  &  voyez, "je  vous  prie,         '" 

Quelles  rencontres  dans  la  vie 
,tc  fort  caufe;  Hippocrate  arriva  dans  le  *emp$  '-- 
Que  celui  qu'on  difoit  n'avoir  raifon  ni  fens, 

t      '  ' 

(i)  Autre  célèbre  Pkilofopiie,  à  qui  La  Fontaine  don» 
! Be  ùémâcrit »  pour  Maître  â  très -jufte..  titre;:  car  quoi* 
«lu'E|lcurc  n>cût  janaais  vû  Démocrite,  c'eft  des  Ouvra- 
ges de  Démocrite  qu'il  tira  les  grands  principes  iur*Ie£* 
S^s  ft  bâtit  fon  Syûeiie. 

.  U)  Ville  de  Thrace»  dont  les  Habitans  étoient  géntra* 
«ment  fqrt"  ftupides  ,  au  jugement  des  Crées.  »• 

4)  Le  Prince  de  la  Médecine. 

M)  Opinion  particulière  4e  Démocrite^  qui  a  été  rt»- 
«ojiveWe  de  nos  jours.  t 

N(?)Par  la  ration  marquée  cî-devatit  dans  la  Note  (3)* 
w  Ï"  dit  un  mot  des  Habitans  d'Abdtxe, 


X, 


242        FABLES    êHOÏSÏES 

Cherchoît  dans  Pîiommc  &  dans  la  bête, 
Quel  fîége  a  la  raifon ,  foit  le  cœur ,  foit  la  tête. 
Sous  un  ombrage  épais ,  aflîs  près  d'un  ruifleau , 

•   Les  (  7  )  labyrinthes  d'un  cerveau 
L'occupoient.    Il  avdit  à  fes  picdsmaint  volume; 
Et  ne  vit  prefque  pas  fon  ami  s'avancer, 

Attaché  félon  fa  coutume.  / 

Leur  compliment  fut  court,  ainfi  qu'on  peut  penfçri 
Le  fagê  eft  ménager  du  temps  &  des  paroles. 
Ayant  donc  mis  à  part  les  entretiens  frivoles , 
Et  beaucoup  raifonné  fur  l'homme  &  fur  Pefprit, 

Ils  tombèrent  fur  la  morale. 

Il  n'eft  pas  befoin  que  j'étale 

Tout,  ce  que  l'un  &  l'autre  dit. 

Le  récit  précédent  fuffit 
Pour  montrer  que  le  peuple  eft  juge  récufabla 
En  quel  fens  eft  donc  véritable 
'  *    Ce  que  j'ai  lu  dans  certain  Heu , 
Que  fa  voix  eft  la  voix  de  Dieu? 

•  (  y)  Les  vf ntricnîci^  les  finuofités ,  les  différentes  par- 
ties du  cerveau. 


FABLE     XXVli. 

Le>JL6up  &  le.  Cèqtfeur.  ' 


Fu 


ureur  d'accumuler,  monftre  de  qui  les  yeux 
Regardent  comme;  un  point  tous  les  bienfaits  dc& 
>   Dieux,      "  *.'r  :  ■        _'  '  .  ' .  ' 

Te  comKattfcaî*-^\«i  vain  Ans cefle  en -cet  ouvrage? 
Que}  temps  demandes -tu.ppur  fuivre  mes. leçons? 
L'homme  fourd  à  ma  voix  /  fiommç  à  celle  du  fage^ 
Ne  dira  - 1  -  il  jamais  :  c'eft  aifez  x  jouiflbns  ? 


V 


L    I    V    R    È      VI  I  L  24^ 

tlàte  -toî ,  mon  ami  :  tu  n'as  pas  tant  à  vivre. 
Je  te  rebats  ce  mot ,  car  il  vaut  tout  un  livre. 
Jouis.   Je  le  ferai.   Mais  quand  donc?  Dès  deinain. 
Eh  !  mon  ami ,  la  mort  te  peut  prendre  en  chemin# 
Jouis  dès  aujourd'hui  :  redoute  un  fort  femblable 
A  celui  du  Çbaffeur  &  du  Loup  de.  ma  Fable.   ^ 

Ite  premier,  de  fon  aie  avoit  mis  bas  un  daim. 
Un  fan  de  biche  pafle ,  &  le  voilà  foudaïn 
Compagnon  du  défunt  ;  tous  deux  gifent  fur  l'herbe. 
La  proie  était  iionnête;  fan  daim  avec  un  fanl 
tTout  modefte  chaffeur  en  eût  été  content. 
Cependant  un  fanglier,iîiônftre  énorme  &  fupetbe; 
Tente  encor  notre  archer,  friand  de  tels  morceaux* 
Autre  habitant- dû  Styx  :  là  parque  &  fes  cifeaux 
Avec  peine  y  mordoient ;'  (  i  )  la  Déefle  infernale* 
Reprit  à  plufîeu/s  fois  l'heure  au  monftre  fatale  : 
De  la  force  du  'coup  pourtant  il  s'abattit.  '  ' 
C'étoit  aflez  de  biens;  mais , quoi  ?.  rieu  ne  remplit 
Les  vaftes  appétits  d'un  faifeur  de  conquêtes. 
Dans  le  temps  que  le  parc  revient  à  foi,  l'Archer 
Voit  le  long  du  fillon  une  perdrix  marcher, 

.  .  .   Surcroît  chétif  aux  autres  têtes. 
De  foi*  arc  toutefois  il  bande  les,  reflbits. . , 
Le  Sanglier  rappelant  les  reftes  de  fa  vie , 
Vient  à  lui,  le  (2)  découd,  meurt  vengé  fur  fon  corps; 
Et  la  Terdrix  lé  remercie.  ~     N 

.  Cette  part  du  fécit  s'adrefîe  aux  convoiteux. 
L'avare  aura  pour,lui,|e  iefte4e  l'exemple. 

Un  Loup  vit-en  paffant  ce  fpe&acle  piteux.    . 
0  Fortune!  dit -il,  Je  te  promets -un  temple. 

(1)  Le  Sanglier  conferva  quelque  temps  un  refte  de 

vie  1  quoique  la  bleflure  fût  mortelle. 
(1)  Le  déchire  avec  fes  défenfes. 

L  <î 


V 


244        FABLES    CHOIS.  I  £>S 

Quatre  corps  étendus!  que  de  biçns  !  mais  pourtant 
11  faut  Jes  ménager  ;  ces  recontres  font  rares. 
(Ainfî  s'excufent  les  avares.) 

Î'en  aurai ,  dû  le  Loup ,  pour  un  mois ,  pour  autant, 
7n,  deux,  trois,  quatre  corps „  ce  font  quatre  fe- 
*    maines, 

Si  je  fçai  compter ,  toutes  pleines. 
•Commençons  dans  deux  jours  ;&  mangeons  cependant 
Xa  corde  de  cet  arc  :  il  faut  que  l'on  l'ait  faite 
De  vrai  boyau  ;  l'odeur  me  le  témoigne.  afTez. 

En»difant  ces  mots»  il  fe  jette 
Sur  Parc  qui  fe  détend,  &  fait  de  la  (3)  fajette 
Un  nouveau  mort  ;  mon  Loup  a  les  boyaux  percés. 

Je  reviens  à  mon  texte:  fl,  faut  que  Ton  jouiflê, 
Témoins  ces  deux  gloutons  punis  d'un  fort  commun. 
•     La  convôitife  perdit  l'un,. 
L'autre  périt  par  l'avarice*  "  ' 

"  ($)  La  flèche  dreffiîe  fur  l'Arc.  Sagette  y  vieux -mou 
formé  dt  Sagittd,  qui  veut  dire  flèche.  Sagett e  ttoh  an- 
coxe  en.  ufage  du  temps,  de  <Rkegpier ,  témoin  ces  Ycrs  qui 
méritent  d'être  retenus. 

xAînfi  les  aftions  aux  langues  font  fujettes: 
Mme  cet  divers  raforts  font  de  faibles  fagetres, 
£jv  bUJfm  feulement  ctu»  qui  jw  nuL  *miu 


Itn  du  hidtiétne  Livrer 


**Â 


$@s^s©5§*©3ss^; 


L   1  V  A  E  ,  N  E    V  V  I  £   M  E. 


FABLE     PREMIERE, 


Le  Dfyojitaire  PnfidHe. 

AJTr ace  aux  Filles  de  Mémoire > 
J*ai  chanté  des  animaux  : 
Peut-être  d'autres  Héros 
M'auroient  acquis  moins  de  gloire. 
Le  loup,  en  langue  des  dieux, 
"Paxle  au  chien  dans  mes  ouvrages» 
-  Les  bêtes ,  à  qui  mieux  mieux,      . 
Y  font  divers .  perîbnnàges  : 
Les  uns  fous ,  Tes  autres.  fages> .  . 

*    De  telle  forte  pourtant 

Que  les  fous  vont  l'emportant: 
La  jnefure  en  eft  plus  pleine* 
Je  mets  auflï  fur  la  fcene 
Des  trompeurs,  des  fcélérats,' 
Des  tyrans,  &  des  ingrats, 
Mainte  imprudente  pécore, 

'    Force- fots,  force  fiateurs. 
Je  pourrois  y  Joindre  encore 
Des  légions  de  menteurs. 

h  7 


^v 


*4S        FABLES    CHOISIES 

Tout  honune  œenr,  dît  le  Ci)  Sage,  , 
S'il  ny  itiettoît  feulement  ' 

Que  les  gens  du  bas  étage , 
On  pourroit  aucunement' 
Souffrir  ce  défaut  aux  hommes. 
Mais  que  tous  tant  que  îious,  fommes,. 
Nous-  mentions  y  grand  &  petite 
Si  quelqu'autre  l'avoit  dit, 
"'::     *  Je  foutiendreis  te  contraire*-   rV-r  -; 
Et  même  qui  mentiroit 
Commë^Efope,  &  comme  Homefe, 
Un  vrai  menteur  ne  feroit. 
Le  doux  charme  de  maint  fonge, 
Par  leur  bel  art  inventé, 
Sous  lés  habits  du  meûlpngé 
Nous  offre  la  vériïér 
L'un  &  l'autre  a  fait  un  livre-  . 
.  Que  je  tiens  #gne  de  yiviie 
*~    Sans  fin,  &  -plus,  s'il'fe  peut; 
Comme  eux  ne  ment  pas  qui  veut* 
,    Mais  mentir,  coujmç  fçut  faire 

Un  certain  Dépofitaire 
.    Payé  par  fon  propre  rfiot,  ' 
Eft  d'un  jnéchant;  cVdW  Ibt.         ' 
Voici  lé.  fait' ;Un.  trafiquant  de  Perfe 
Chez  Ton  voifîhj  s'en  allant  pn  commerce, 
Mit*  en~  dépôt'  un  cent  de*  fer  jin  Jour. 
Mon  fçr,  dit -il,  quand  il  fut  de  retour. 
Votre  fer?  il  n'eft  plus:  j'ai  regret  de  vous  dire, 
.^  .  Qu'un  ràt  l*a  mangé  tout  entier. 

J'en  ai  grondé. mes  g«ns  :  mais  qu'y  faire?  un  grenier 
A  toujours  quelque  trou.  Le  trafiquant  àdm/re 
Un  tel  prodige^  #  ftint  de  le' croire  pourtant* 
Au  bout  de  quelques  jours  il  détourne  l'çnfan* 

{ iï  Salomon ,  dans'  l'es  Provoie* 


Duv  perfide  vtfifin  j  puis  à  fbnper  coéyÉo  - 

Le  peréqui  s'excufe,  &  lui  dit  en  pleurant: 

Difpenfez-moi,  je  vous  fûf>plîe  ;  * 

ïous  plaifirs  pour  moi  font  perdus. 
J*aiinois  un  fils  plus  que  ma  vie  ; 
Je  n'ai  que  lui  :  que  dis-  je  ?  hélas  !  je  ne  l'ai  plus.' 
Oiuone  Ta,  dérobée,  f lai^y.,niooL,juifQ|tunfi^,  .^ 
Le'iriarchànd  repartit:  hier  au  Fofr  Fur  là  brune/ 
Un  chat -huant  s'en  vint  votre  fils  enlever  : 
Vers    un  vjfcui  bâtiment-  Je  lé  lui  vis  p&iter. 
Le  père  dit:  comment  voulez -vous  que  je  croie 
Qu'un  hibou  pût  jamais  emporter  cette  proie  ? 
Mon  fiis  ,  en  un  befoin,  eut  pris  le  chat -huant. 
Je  ne  vous  dirai  point,  reprit  l'autre,  comment, 
Mais  enfin  je  Pai  vu,  vu  de  mes  yeufc,  dis -je, 

Et  né  vois  rien  qui  ^rous  oWige 
D'en  douter  un  moment  après  te  que  je  dis. 
"Faut -il  que  vous  trouviez  étrange 
Que  les  Chats -huants  d'un  pays 
Oit  ^  2  )  Je  quintal  de  fer  par  un  feul  rat  fe  mange, 
Enlèvent  un  garçon  pefant  un  demi -cent? 
1/autre  vit  où  tendoit  cetëe  trifte  avanture,     - 
11  rendit  le  fer  au  marchand, 
Qui  lui  rendit*. fa  géniture. 
<      '  ■  - 

Même  difpute  avint  entre  deux  voyageurs.. 
L'un  d'eux  étoit  de  ces  conteurs 
Qui  n'ont  jamais  rien  vu  qu'avec  un  (£)  microfcôpe. 
Tout  eft  Géant  chez  eux:  écoutez -les,  l'Europe^ 
Comme-  ji'Afrique  aura-  des  monftres  à-  foîfon.    . 
Celui-ci  fe  croyoit  l'hyperbole  "pcrmife.       •    - 
J'ai  «vu ,  dit  -;il ,  un  chou  plus,  grand  qu'une  maifon. 
Et  moi ,  •  dit  l'autre ,  un  pot  àuffi  grand  qu'une  Eglife. 
Le  premier  fe  moquant;  rautirtf  reprit  :   tout  doux, 
On  le  fit  pour  cuire  vos;  choux*    , 

(i.l  I,e  «Qîda  de  cet*  tfyjfc**  ,     ...     .,  :*;  s  *► 

(  3")  Verje  qui  grolfît  beaucoup  les  objet»  qu'où  regarde 
travers. 


L'homme  au  pot  fat  plaifant:  l'homme  au  fef  fut 

habile. 
Quand  l'ablurde  eft  outré,  Ton  lui  fait  trop  d'honneur 
De  vouloir ,  par  raifon  ,  combattre  fon  erreur  : 
Enchérir  eft  plus  court,  fans  s'échauffer  la  bile. 


FA    B    L    E    'IL 
Les  deux  Pigeons. 


D. 


reux    Pigeons    s'aimoient     cPatnour 
tendre  :  , 

L'un  d'eux  s'ennuyant  au  logis, 

Fut  aflez  fou  pour  entreprendre 
t  Un  voyage  en  lointain  pays. 

L'autre  lui  dit:  qu'allez  -  vous  faire? 

Voulez -vous  quitter  votre  frère? 

L'abfence  eft  le  plus  grand  des  maux: 
Non  pas  pour  vous ,  cruel.  Au  moins  que  les,  travaux, 

Les  dangers,  les  foins  du  voyage,    . 

Changent  un  peu  votre  courage 
Encor  fi  la  faifon  s'avançoit  davantage! 
Attendez  les  Zéphirs  :  qui  vous  preiTe?  un  corbeau 
Tout  à  l'heure  annonçoit  malheur  à  quelque  oifeau. 
Je  ne  fongerai  plus  que  rencontre  funefte, 
Que  faucons ,  que  rezeaux.  Hélas  !  dirai -je ,  il  pleut  : 

Mon  frère  a-t-il  tout  ce  qu'il  veut, 

Bon  foupé,  bçn  gîte*  &  le  relie? 

Ce  difcours  ébranla  le  cœur 

De  botre •imprudent  voyageur: 
Mais  le  défir  de  voir  &  l'humeur  inquiète 
L'emportèrent  enfin.  .  XI  dit  :  se  pleurez  point; 


L    I    V    R>   E      I X  •  :       tyfl 

Trois  jouta  au- plus  rendront  mon-  ame  fatisfaite  :  • 
je  reviendrai  dans  peu  coûter  de  point  eu  point 

Mes  âvantures  à  mon  frère.. 
Je  le.défennuirai:  quiconque  rie  voit  guer^ 
N'a  guerer  à  dire  âuflL    Mon  voy.age  dépeint 

'Vous  fera  d'un-pjaifir  extrême, 
le  dirai  :'  J'étois-là*  telle  chofe  m'avint  :    ^ 
j  Vous  y  croirez  être  vous  -  mêrn?. 

À  ces  mots,  en  pleurant,  Us  fe  dirent  adieu. 
Le  voyageur  s'éloigne  ;  &  voilà  qu'un  nuage  »  •    r 
L'oblige  de  chercher  retraite  en  quelque  lieu. 
Un  feul  arbre  s'offrit,  tel  encor  que  l'orage 
Maltraita  le  Pigeon  en,  dépit  du  feuillage,  r    ... 
L'air  devenu  ferein,"il  part  tout  morfondu, 
Sèche ,  du  mieux ;qu'il  peut,  fon  corps  chargé  d^u|cy> 
Bans  .un  champ  à  l'écart  voit  du  bled  répandu,' 
Voit  un  Pigeon  auprès ,  qela  lui, donne,  envie.;    .    • 
îf  y  vole  *  il .  eft  pris  :  _  ce.  bled  cc^ivrok  d'un  las    * 

c  Les  mençeurs.  &  traîtres  appâts,  y  V 
Le  las  étoîtufé;  û  bicoque, de  fon  aile,  ;   .       j 
De  fes  tueds ,  de  fon  bec,,  Toiftiau  .le  rompt  enfin  i 
Quelque  plume  y  périt;  &  le  pis  .du  deitin        .  i£ 
ïut  qu'un  certain  vautour  à  la  ferre  cruelle, 
Vit  notre  malheureux,  qui  traînant  la  ficelle, 
Et  les  morceaux  du  las  qui  l'avoit*  attrappé  ,  • .   •     * 
\         Sembloit  un  (  i  )  forçat  échappé.  .   .     ■  .  ; 
Le  vautour  s'en  alloit  (2)  le  lier,  .quand  'des  nue» 
Fond  à  fon  tour  un  Aigle  aux  aîlés  étendues,     . 
Le  Pigeon  profita  du .(  3  )  conflit  des  voleurs ,       * 
S'cavôla,  a'abatitiraupr es  d'une  mazure, 

Crut  pour  ce  coup  que  fes  malheurs* 

Finiroient  par'  cette  avanture  : 

(0  Un  Galérien  qui  s'*£  (au^e*. 
(Ox£*#r  fendit ,  lorfque  l'oifcau  enlève  fa  proie  ttans 
,  fc$  ferres. 

(  3  )  Un  Combat  de   ces  Oifeaux  de  proie  »  qui  fe  dt* 
IputQiçm  ie  paUvtc  Pigeon. 


.450     Tables7  Choisies. 

Maïs  un  fripon  d'enfant,  cet  âge  eft  fans  pitié , 
Prit  fà  fronde,  &  da  coup;  tua  plus  d'à  moitié 
La  VQlatille  malheûreufe , 
Qui  maudiffant  fa  curiôfité ,: 
;    Traînant  Taîlç ,  &  tirant  le  pied , 
Demi  -  morte ,  &  demi  -  boiteufe , 
Droit  au  logis  s'en  retourna  : 
Que  bien,  que  mal,'  elle  arriva, 
Sans  autre  avanture  fâcheufé.   " 
Voilà  nos  gens  rejoints  ;  &  Je  iaiffe  à  juger  - 
De  combien  de  plaifirs  ils  payèrent  leurs  peifees. 

Amans,  heureux  amans,  voulez -vous  voyager? 

.  'Que  ce  foit  aux  rives  prochaines. 
Soyez  -vous  l'un  à  l'autre  un  monde  toujours  beau, 

*        Toujours  divers ,  toujours  nouveau  : 
Tenejz  -  vous  lieu  de  tout ,  comptez  pour  rien  le  refte. 
J'af  ^quelquefois  aimé:' je  rr'àurois  pas-alorsy 

Contte  lé  Louvre  &;fes  tréfors  ,- 
Contre  le  Firmament  &  fa  voûte  célefte , 

î;  *      Change  les  bo;s,  changé  les  lieux, 
Honorés f  par  ïes  pas  9  éclairés  par  les  yeux 
f   De  t'annable  &  jeune  Bergère, 
<     Pour  qui,  fous  le  fils  de  Cythere, 
Je  fervis*  engagé  par  mes  premiers  fermens. 
Hélas  !  quand  reviendront  de  fémjrfables  momens? 
ftut-tf  que*  tant  d*objetsvfîdoux'Sc  fi-charmans, 
Me  lahTent  vivre  au  gré' de  mon  ame  inquiète , 
Ahl  Si  mon  cœur  ofoit  encor  fe  renflammer! 
Ne  fentirai-/é  plus  de  charme  qui  .m'arrête? 
Ai- je  paflé  le  temps  d'aimer? 


t    I    V    H  ^     IX. 


*s* 


FA    B    LE      III. 

Le  Singe  &  te  Léopard* 


JLr.< 


r.e  Singe  avec.  le  Léçpard  .yJ 

G^gnoient  de  Targept  i  la  foire  ;  "  * 
Ils  affictioient  chacun  à  part. 
L'un  d'eux  difoit:  mef&eurs^monmérî^&magloiia 
Sont  connus  en  bon  lieu:  le  Roi  m*a  voulu  vcfir$ 

Et  fi  je  meurs ,  îl  veut  avoir     ' 
Un  manchon  de  ma  peau,  tant  elle  eft  bigarre, 
„     Pleines  de  taches >  marquetée}, 
Et  vergetée,  mouchetée..    f 
La  bigarrure  plafr-  partant  ctyicunile.  vit.  \ 
Mais  ce  îxsa  bie»*-  t&t  fait ,  bien  -  tôt  chacun  fortifc 
Le  Singe  de  fa  part  difoit:  venez  de  grâce,  "i4    J 
Venez ,  meneurs  :  je  fais  cent  tours  de  paffe  -pafiô* 
Cette  diverfîté  dont  on  vous  parle  tant, 
Mua  ruiftrr£jéupaii]4%  (m j  fui  fculameut  .*■ .  /*?rr^ 
Moi  je  l'ai  dans  Tefprit:  votre  fervitèur  gille, 
,  Goufin  &  gendretde  Bertrand,  'j 
^îngé  du  Pape  en  fon  Vivant , 
Tout  fraîchement  en  cette  ;Vilte 
Arrive-(i)  en  trois  bateaux,  exprès  pour  vous  parler^ 
Car  il  parle,  on.  l'entçnd,.U  fçait  dgnfer*  baler,  •  < 

(  i  )  C'eft  une  façon  de  parle*  fort  ufitée  encore  parmi 
le  Peuple  de  Parts.  Lotfqu'on  lui  furfait,  par  exemple  ♦ 
du  poiflbn ,  .comme  le  MerUn  •  le  Maquereau  ,  &c.  l'a- 
cheteur ,  pour  en  ravaler  le  prix  »  répond  ironiquement 
au  vendeur ,  Oh  je.  le  voit  bien ,  et  poijftn  ,eft  venu  en  troU 
bateau».  Celui  qui  le  premier  imagina  ce  trait,  trouva^ 
plaifant  'de  comparer  la  méchante  petite  fctrque  d'uni 
Kchcuç  à  .  un  Vaiffc**  Marchand  xichf  aiont  chargé  »  qui 


152        FAB-LES    CHOIS  fE  S 

Faire^des  tours  de  toute  forte ,  ; 

ftfler  en  des*cerceaux;  &  le' tout  pour  ûx  blancs  i 
Non ,  meflîeurs ,  pour  un  fou  :  fi  vous  n'êtes  contens, 
Nous  rendrons  t  chacun  fort  argent  à/ la  porte. 

Le  Singe  «voit  raifon:  ce  n*eft  pas  fur  l'habit 
Que  la  diverfitéme'plait,  c'eft  dans  Pefprit: 
L'une  fournit  toujours  des  chofes  agréables, 
L'autre ,  en  moins  d'un  moment ,  laffe  les  regardant 
O  que  de  grands  Seigneurs ,  au  Léopard  femblables, 
•N'ont  que  l'habit  pour  tous  taiens  ! 

furoic  été  efcorté  oat  deux  vaîfleaux  de  guerre  ,  d'oà  It 
Propriétaire  prend  droit  d'augmenter  Te  prix  de  fei 
Marchandifés  4  proportion  de  ce  que  lui  a.  Coûte*  le  con- 
voi. La  pUifanterïe  plut  au  Peuple:  &  ici  La  Fontaine 
trouve  le  moyen  de  la  mettre  agréablement  en  œuvre ,  quel» 
que  fade  qu'elle  foit  en  elle  -  même.  Car  pour  relever 
pi  ai  fa  m  ment f  le  mérite  dtf  Singe  ^  il  lui  fait  dire  à  lui- 
même,  qu'il  (vient  '  d'arriver  à  Paris,  en  tùit  bateaux  r& 
par  ft ,  tout'  le  ridicule  «de  cette  exprefïïon  que  lé  Peu- 
ple n'employé  jamais,  que  dan*  un  Cent  Ironique  r  tombe 
dirç&emcnt  fur  G///#-,        '- 

'    Coujin  iy  gtndn  de  Bertrand  % 
•0-  :.  J  -  '•  £'jg#  dm  P*pt  t»  fin  vivent. 

i  .,'  i 

F   A    B    L    E      I  V. 

Le  Gland  &  là  Citrouitk. 


D. 


'  îeû  fiait  bien  ce  qu'il  fait.  Sans  en  chercher  la 
.  preuve 

En  tout  cet  univers,  &  l'aller  parcourant, 
Dans  les  Citrouilles  je  la  treuve. 

Un  villageois  confîdérant 
Combien  cç  fruit  eft  gros,  &  fa  tige  menue,. 
A.quoi  fongeoic,   dit -il,  l'Auteur  de  tout  cela? 


i  a  bien  mal  ptaeé-eecte  Citroutl^lèi^v-r^  3 

Hé,  parbleu,  je  l'aurois  pendue 

A  l'un  des  chéries  <fue  vdllà. ;  l 

C'eût  été  juftement  l'affaire  : 

Tel  fruit,  tel  arbre,  pour  bips  foire.  '  *» 
C'eft  dommage,  Garo,  que  tu  n'es  point  entré 
Km  confeil  de  celui  que  prêche  ton  curé  : 
Tout  en  eût  été  mieux  :  car  pourquoi ,  par  exemple , 
Lq  Gland  qui  n'eft  pas  gros  comme  mon  petit  doigt , 

Ne  pend  -  il  pas  en  cet  endroit? 

Dieu  s'efi:  mépris  :  plus  je  contemple 
Ces  fruits  ainfi  placés ,  plus  il  femblo  à  Garo' 

Que  l'on  a  fait  un  (  1  )  quiproquo. 
Cette  réflexion  embarraflànt  notre  homme  , 
On  ne  dort  point ,  dit  -  il ,  quand  on  a  tant  d'efprit. 
Sous  un  chêne  auffi  -tôt  il  va  prendre  fon  fomme. 
TJn  Gland  tombe  :  le  nez  du  dormeur  en  pâtit, 
Il  s'éveille  ;  &  portant  la  main  fur  fon  vifage, 
U  trouve  encor  le  Gland  pris  au  poil  du  menton.. 
Son  nez  îneurtri  le  force  à  changer  de  langage  : 
Oh,  oh ,  dit -il ,  je  faigne  !  &  que  feroit-ce  dont  " 
S'il  fût  tombé  de  l'arbf e  une  mafle  plus  lourde , 

Et  que  ce  Gland  eût  été  (2)  Gourde? 
Dieu  ne  l'a  pas  voulu  :  fans  doute  il  eut  raifon  :  ■ 
;jen  vois  bien  "a  préfent  la  caufe. 

En  louant  Dieu  de  toute  chofe 
•  Garo  retourne  à  la  maifori. 

(  1  )  Pris  l'un  pour  L'autre. 

(i)Efp*ce    de    calcbaflc  ,  moins    grofla    qu'ijn*   c* 
trou\Uc.     '  /         '     * 


£?«       FABtË-S    CHOISIES 


F   A    B    LE      V. 

L'Ecèikr,  te  Pédant,  &  h  Mattre,  dm 
Jardin. 


\~/£ 


/ertain  enfant  qui  fentoit  fou  Collège, 
Doublement  fot  &  doublement  fripon, 
Par  le  jeune  âge  &  par  le  privilège 
Qu'ont  les  Pédans  de  gâter  la  raifon, 
Chez  un  voifm  déroboit,  ce  dit -on, 
Et,  fleurs  &  fruits.    Ce  voifïn  en  automne 
Des  plus  (i)  beaux  dons  que  nous  offre  Pomone, 
Avoit  la  fleur,  les  autres  le  rebut.    v 
Chaque  faifon  apportoit  fon  tribut: 
Car  au  Printemps  il  jouifToit  encore 
Des  plus  beaux  (  2 )  dofis  que  nouspréfente(3) 
Flore. 
Un  jour  dans  fon  jardin  il  vit  notre  Ecolier, 
Qui  grimpant,  fans  "égard,  fur  un  arbre  fruitier, 
Gâtoit  jusqu'aux  boutons ,;  douce  &  frêle  efpérance 


Avant -coureurs  des  biens  que  promet  l'abondance; 
Même  il  ébranchoit  l'arbre  ;  &  fit  tant  à  la  fin, 

Que  le  poiTefreur  du  jardin  ^ 
Envoya  faire  plainte  au  Maître  de  la  (Me. 
Celui-ci  vint  fuivi  d'un  cortège  d'enfans. 

Voilà  le  verger  plein  de  gens 
Pires  qitè  là  premier.  Le  Pédant,  de  fa  grâce,    . 

Accrut  le  mal  £n  amenant 

Cette  jeunefTe  anal  initruite  : 
Le  tout,  à  ce  qu'il  dîç,  pour  faire  un  châtiment 
Qui_pût  fervir  d'efcemple;  &*  dont  toute  fa  foi» 

(  1  )  Tes  plus  beau*  fruit*. 
(  a  )  Les  plus  belles  fleur». 
(3)  Décile  des  flcuw. 


L    I   -V    R    E      I  X.;  f       £$$ 

>£e  fouvlnt  à  jamais  comme  d'une  lççon. 

Là  -deflus  il  cita  Virgile  &  Cîceron, 

\    Avec  force  traits  de  faïence.       .'  .  \ 

Son  difcours  (Jura  tant,  cjue.Ia  piaùdite  engeance 
^Eut  le  temps  'de  gâter  en  ceiit  lieux  le  jardin. 

Je  hais  les  pièces  d'éloquence 
Hors  de  leur  place,  &  qui  n'ont  point  de  fin; 
Et  ne  fçais  bête  au  monde  pire 
Que  l'Ecolier,  frcen'eft  le  Pédant.         } 
Le  meilleur  de  ces  deux  pour  voifin,  à  vrai  dire, 
,  Ne  me  plairoit  aucunement.  / 


FA    B    L    E      V  L 

Le  Statuaire  &  ta  Statue  de  Jupiter. 


u, 


n  (.1  )  bloc  de  marbre  étoit  fi  beau , 
Qu'un  Statuaire  en  fit  l'emplette. 
Qu'en  fera,  dit -il,  mon  cizeau?    .    , 
Sera- tr il  dieu,  table,  ou  cuvette? 

11  fera  dieu  :  même  je  veux 
Qu'il  ait  en  fa  main  un.  tonnerre. 
Tremblez,  humains;  faites  des  vœux  : . 
Voilà  le  maître  de  h  terre.  !         * 

L'artifaii  exprima  fi  bien 

Le  cara&ere  de  l'idole , 

Qu'on  trouva  qu'il'ne  manquoit  rien 

A  Jupiter  que  la.parole i    .     *  ....    o  >-  .     ; 

(O  Pièce  de  marbre,  telle  qu'oui'»  tirée  de  la  carrière.  ^ 


Ïf6      FABLES7  CHOISIES- 

Mim6  l'on  dît  qijé  l'ouvrier 
Eut  à  peftie  achevé  l'image, 
Qu'on  lé  vit  frémir  le  premier, 
r    Et  redouter  fon  propre  ouvrage. 

A  la  foibleffe  du  fculpteur , . 
•    Le  poète  autrefois  n'en  dut  guère, 
Des  dieux  dont  il  fut  l'inventeur 
Craignait  la  haine  &  la  colère. 

Il  étoit  enfant  erf  ceci  : 

Les  enfans  n'ont  l'ame  occupée 

Que  du  continuel  fouci 

Qu'on  ne  fâche  point  leur  poupée. 

Le  cœur  fuit  aifément  l'efprit  : 
/     De  tette  Çource  ell'de'fcêndùe 
L'erreur  payenne  qui  fe  vit 
Chez  tant  de  peuples  répandue. 

* 

.  Ils  embraflbient  violemment 

Les  intérêts  de  leur  chimère. 

(  2  )  TPigmalion  devint  amant 

De  la  Vénus  dont  il  fut  père. 

Chacun  tourne  en  réalités 
Autant  qu'il  peut,  fes  propres  fonges. 
L'homme  eft'  de  glace  aux  vérités, 
Il  eft  de  feu  pour  les  menfonges. 

(1)  Sculpteur,  qui  devint  amoureux  d'une  Statue  d'y 
voire  qu'il  «Voie  faite  lui* même.  Voyez  les  Métamor* 
Choies  d'Ovide,  Liy%  Xi  Fab.  i*. .  .  .     . 


f/a;  b  l  e    vil 

La:  Souris  métamorpbofh  en  Fille.  , 

ÏT     • 

\J  ne  Souris  tomba  du  bec  d*un  chat  -huant  : 

Je  ne  Teuffe  pas  xamaiTée  ; 
Mais  un  (î)  bramin  le  fit:  je  le  crois  aifément, 
i  *  Chaque  pays,  a  fa  penfée. 

1-a-Souris  étoit  fort  froiffée: 

De  cette  forte  de  prochain 
Nous  nous  foucions  peu  ;  mais  le  peuple  bfamia  , 
I  Le. traite  en  frère.    Us  ont  en  tète 

;  Que.  notre  ame ,  au  fortir  d'un  roi ,  t      * 

Entre  dans  un  ciron ,  ou  daits  telle  autre  bête 
%'il  plaît  au  fort  :  c'efl-là  l'un  des  points  de  leur  loi, . 
(0  Pythagore  chez  eux  a  puifé  ce  myflere. 
Sur  un  tel  fondement  le  bramin  crut  bien  faire 
De  prier  un  forcier  qu'il  logeât  la  Souris 
Dans  un  corps  qu'elle  eût  eu  pour  hôte  au  temps  jadis. 

Le  forciez  en  fit  une  fille 
De  l'âge  de  quinze  ans^  -&  telle  &  fi  gentille,  - 
Que  le  fils  de  (3  )  Priam  pour  elle  auroit  tenté 
fius  encor  qu'il  ne  fit  pojur  la  grecque  beauté. 
Le  bramin  fut  furprjs  de  chofe  lî  nouvelle.  ,         , 

Il  dit  à  cet  objet  fi  doux  : 
Vous  n'avez  qu'à  choîfir  ;  car  chacun  eft  jaloux 

De  l'honneur  d'être  votre  époux. 

,(i)Kom  qu'on  donne  aux  Prêtres  chez  les  Perfans 
idolirrcs.  • 

(1  )  Qui  t  enfeigné  la  Me'tempfycofe  ,  ou  le  pafîage 
l'une  ame  dans  plu ileurs  corps  fucceflivemenc.  . 

(3)  Paris ,  gui  enleva  la  belle  -Hélène ,  femme  de  M«- 
«Us.  .,       v> 

IL  Partie.  /M  * 


«»        FABLES  ^CHOISIES 

En  ce  cas  je  donne,  dit- elle K    ^ 
:  -    ■  -  -  :  Ma  voix  au  piujrpurffimt  de  tou*v 
Soleil,  s'icria  lors  le  bramip  à  genoux, 

-C'eft  foi  qui  ferafr-nottfr  génère.  - 

Non,  dit -il  :  ce  nuage  épais 
Eft  Plus  puiflfefit que  moi, puisque  cache  mesttaits  ; 

Je  vous  confeille  de  le  prendre. 
Et  bien ,  dit  le  bramin  au  nuage  volant , 
Es-tû  né'pour  ma  Fille?  helas  !  non  ;  car  le  vent 

Me  chaffe  à  fim  pM*  *  «fÇ  *  T?Â\Lêe 
fe  n'entreprendrai  point  fur-les  droits  de  (4)  Borée. 

•*  >Le  bramin  fâché,  s'écria:  * 

O  vent  donc,  puisque  vent  y  a  3 

Viens  dans  les  bras  de  notre  Belle. 
Il  accouroit:  un  mont  en  chemin  l'arrêta. 

(  *  )  I/étceuf  paffant  à  celui  -  là , 
H  le  renvoyé,.  &  dit:  J'aurois  une  querelle 

Avec  le  rat;  &  l'offenfer 
Ce  feroit  être  fou,  lui- qui  peut  me  percer. 

Au  mot  de  rat,   la  Demoifelle 
'  Ouvrît  l'oreille  ;  il  fut  l'époux  : 

Un  rat  l  un  rat:  c'eft  de  ces  coups 
.   Q'amour  fait,  témoin  telle  &  telle: 

Mais  ceci  foit  dit  entre  nous. 
On  tient  toujours  du  lieu  dont  oir vient;  cette  fable 
Prouve  allez  bien  ce  .point  :  mais  à  la  voir  de  près, 
Quelque  peu  de  fophisme  entre  parmi  fes  traits  : 
Car  quel  époux  n'eft  point  au  foleiî  préférable, 
En  s'y  prenant  ainfîV   Dirai -je  qu'un  géant 
Eft  moins  fort  qu'une  puce  ?  elle  le  mord  pourtant 
Le  rat  devoit  auffi  renvoyer,  pour  bien  faire, 

La  Belle  au  chat,  le  cbat  au  chien, 

(4)  Vent  du  Nord,  l'un  des  plus  viole  w. 

}*)  VHanf  pnjfà**  À  celui- M.*  Le  mot  *et?*f  n'tft 
ms  tout  a -fait  hors  d'nfage:  mais  il  eft  ;to*™** 
pour  n'êtte  pas  entendu  deliien  des  gens..  feD»""* 
Kire  de  l'Académie  Ftançoife  le  dtfftit  âiaût  ?W  *** 
au*  4M  j$m  À  U  Imita  £4***, 


Le  chien  au  loup.    Bar  le  moyen 

De  cet  argument  circulaire ,  '','•*' 

{5)  Pilpay  jusqu'au  foleil  eût  enfin  remonté* 
Le  foleil  eût  joui  de  la  jeune  beauté. 
Revenons,  s'il  fe  peut,  àlaméterapfyto&:: 
Le  forciez  du  htamin  fit  fans  doute  une  chofo 
Qui,  loin  de  la  prouver;  fait  voir  fe  fenfièté,  - 
Je  prends  droit  laVdeftus  contre  le  bramin  même  : 

C&r  il  faut,  felofn  fon  fyftême , 
Que  l'homme,  la  fourïs,  le  ver,  enfin  chacun 
Aille  puifer  fon  ame  en  un;  tréfor  commun. 

-  Toutes  font  donc  de  même  trempe; .         ' 

Mais  agtflànt  diverfement 

Selon,  l'organe  feulement, 

VuneVéleve^  &  l'autre  -rampe^ 
D'où  vient.donc  quecé  corps ,  li  bien  organîfif#    -• 

Ne  put  obliger  fon  hôtefle     * 
De  s'imlr  au  foleil  V  un  fat  efut  fai  wndreffe?'   r      '  . 

"...     j    r ,  1  ;   J  •  :  <  "    "*  i 
Tout  de#aîty}  v  tout  bien  pefié ,       ^  ; 
j  es  amesebss  SoifrjsjJ}  &  les;  aine^des  Belle*  t 

'Sont  très  ^différentes  -eplre  elles» 
31  en  faut  revenir  toujours  à  fqn; çteftin ,     . .       ;    ^ 
C'eft  -  à  -dire ,  à  là  loi  par  îe  ciel  établie. 

Parlez- au  diabte,,- emal oyez  kinagje,;^  5 

Vous  ne  détournerez  nul  être  de  fa  fin. 

U)  Auteur  kutteii,  inventeur  de  qwçlqac*  Fable*.        .  ;, 

■  *  .         •       '   \   '  •       f 

sggggBgsB''  ,u  -I  j»  "■■'  ;  '■  vV"'»  il* 
F   À    B    LE      VÏI I.         * 

f:Lr3Fbu  qulvtndlaSageffe. 
amais  auprès  des*  fous  ne  te  mets  à  portée  :  •  . 
ne  te  pi^is  donner  uo  plus  fage  cpnfeil.      ':''.    -, 
.  îl'ri'eit erif&gnenient  pareil         '  .fc    '  m\ 

k  cclul-U  de  fuir  une  tète  évcfttée. 
Ha 


4#*        FÀHBLES    CH-OlSlfeS 

Mettez  ce  qu'il  en  coûte  à  plaider  aujourd'hui  : 
Comptez  ce  qu'il  en  refte  à  beaucoup  de  famillesj 
Vous  verrez  que  Perrin  tire  l'argent  à  lui; 
Et  ne  laifle  aux  plaideurs  que  le  fac  &  les  quilles* 


FABLE      X. 
Lt  Loup  &  ti  Orimimaigre. 

xTLutrefots  carpillôb  "  ftefîn  > 

ïut  beau  prêcher  ,  il  eut  beau  dire» 
.  .     On  le-mit  dans  la  poeflei  frire* 
*Jé  fis  voir  que  lâcher  ce  qu'on  a  dans  la  main. 

Sous  efpoir  de  grofle  avanture, 

EU  imprudence  toute  pure. 
Le  pécheur  eut  raifon;  carpillon  n'eut  jms  toxt| 
Chacun  dit  ce  çfi'il'peut  pour  défendre  fa  vie. 

•Maintenant  il  faut  cpie. j'appuie 
Ce  que  jlayançai  lots»  de  quelque  trait  encorw 

Certain.Loûp  auffi  fbt  que  le  Pêcheur  fut  fage, 
....    ,  Trouvant  un  Chien  hors  du  village* 
"S'en  alloit  l'emporter  :  le  chien  repréfenta 
Sa  maigreur.    Jà  ne  plaife  à  votre  feigneurio 
De  'n*e  -prendre  .en'  cet  état  -  là  ; 
:  Attendez  >  mon  .makre  marie 
,  Sa  fille  unique»  &  vous  jugez 
'Qu'étant  de  noce  il  faut ,  malgré  moi ,  que  j*engraiflk 
Le  Loup  le  croit,  le  Loup  le  laifle. 
Le  Loup ,  quelques  jours  écoulés , 
Revient  voir  fi  fon  Chien  n'eu  point  meilleur  à 
prendre. 

Maïs  le  drôle  étoic  au  logis. 
Il  dit  au  Loup  par  un  treillis  : 
Ami,  je  vais  fortir  ;  &  fi  tu  veux  attendre 


L    I    V    B.    E      IL  **» 

Xc  polder  Ai  logis  &  moi , 

Nous  feront  tout  à  J'heure  à  toi. 
Ce  portier- du  logis  étoit  un  Chien  énorme*"  i 

(i>  Expédiant  les  Loups  eh  forma. 
Celui-ci  s'en  douta.    Serviteur  au  portier, 
Dic-il,  4&  de  courir.    Il  étoit  fort  agile, 

Mais  »  il  n'étoit  pas  fort  habile  : 
Ce  Loup  ne  fçavoit  pas  éncor  bien  fon  métier. 

(i)  Qai  les  étraagfck.  » 


.;  »   .ZRie&ditrojû 


l 


_J  e  ne  vok-point  deNcréature  s 

Se  comporter  modérément.  *  ■  -. 

Il  e.ft,c|rtain,  teropéraœment  -..«»•.    '} 

Que  IéMaltré*dé  la  najuré 

Vent  que  J'on-garde  $ç  tput.  I«ç  fait-6n?  nullement 
Soit  en  bien  ,-fioit  en  mal ,  cela  'n'arrive  guère. 
Le  bled ,  riche  jfréfent  de  la  blonde  (  i  )  Cérès, 
Trop  touffu  bien  fouvent  épuife  les  guérets  ; 
En  luperflùités  s'épandaht  d'ordinaire , 

Et  pouffant  trop  abondamment  f  > 
*     Hôte?  à  fon  fruit  l'aliment.  •' 
L'arbre  n'enTàït  pas  moins,,  tant  le  luxe  fijàit  plaire/ 
Pour  corriger  ïé  bled  Dieu  .permit  aux  moutons 
De  retrancher  l'excès  des  prodigues  moiffons. 

Tout  aux  travers  ils  fe  jetterent, 

Gâtèrent  tout,  &  tout  broutèrent; 

Tant  «jue  le  ctcL  permit  tfux1  lotrps 
D'en  croquer  quelques  -tins  l'Es  les  croquèrent  tûitf:' 

tOltoiTe  des  bleds. 

M4 


i 


*&4        FABLES    CHOISIES 

S'ils  ne  le  firent, pas,  du  moin^ils  y*àcfcerçnfc 

JPihs  le  ciel  permit  aux  humain 
De  punjr  ces  derniers  ;  les  humains  abufec fini    . 
.j-   A  leyr<our  des  ordres  «divins. 

De  tous  les  animaux  >  l'homme  a  le  plus  de  pente 
A  fe  porter  dedans  l'excès.  - 
11  faudroit  faire  le  procès 
Aux  petits  comme  aux  grands. .   Il  n'eft  ame  vivante 
Qui  ne  pèche  en  ceci*     Rien  à»  trop ,  *  dl  un  pofnt 
Dont  on  parle  fans  ceffe ,  &  qu'on  n'obferyejojnc. 


.:  A        s\      >A      il  ■  1 

F   A    B    L.~E:~tX  I  I* 

c:  .  :  Le  Qerge^.      ,  ! 

vL/'eft  duféjour  des  dieux  (jiiç  le*  abeilles  vie* 

iiQCït:  ,  ;    '    '  \  ~\'~y    ; 

tes  premféres,  dit -ori,' s'en  aîlerent  loger 

Au  mont  (i  >  Hymette  *.  &  ft  gorgti 
Des  tréfors  qu'en  ce  lieu ,  les  Zéphîœ  entretiefloenC* 
Quand  on  eut  des  palais  dç  ces  filles  du  ciel, 
v  Enlevé  l'ambroîfîe  en  leurs  chambres  enclofe, 

Ou,  pour  dire  en  françoîs  la  chofef 

Après  que  Tes  ruches  fans  miiel     .  ^ 
*Pfeurent  plus  que  la  cire,  on  fît  mainte  bougie t 

Maint  Cierge  auffi  fut  façonné. 
Un  d'eux  voyant  la  terre  en  brique  au  feudiircîô, 
Vaincre  l'effort  des  ans,  il  eut  la  mêïnc  envie; 


X  i  )  Hymette  étoit  une  montagne  célébrée  pjr  les  ^oc* 
?s^(îtuee   dans  l,Attique,'&  où  les  Grecs  reciieiUowM 

«l'excellent  miel.    J\û  lu  quelque  part  qu'à  ptffcnt  •» 

Je  réfcrvc  tout  pour  le  Grand  •  Seigneur, 


'     LIVRE     i'x/   r     Ja*5 

ft  nouvel  Empedode  Çi'J'zixx  flammes  condamna 

•    Par  fa  propre  &  pure  folie, 
II  fe  lança  dedans  "    Ce  fut  malTarfonnë»: 
Ce  Cierge  ne  fçavpit  grain  de  phrfofophie. 
Tout  en  tout  eft  divers  :  ôtez-vous  de  refprit 
Qu'aucun  être  ait  été  cômpofé  fur  le  vAtre. 
L'Empedocle  de  cire  au  brafier  fe  fondit: 

11  n'étoit  pas  plus  fou  que  l'autre.  •  '••   - 

(1)  Empedocle-  étoit  un  Phiîofophe  ancien,  qui  ne 
pouvant  comprendre  les  merveilles  du  Mont  •  Etna ,  fe 
«tta  dedans  par  une  vanité*  ridicule  ?  &  trouvant  l'alHon 
belle ,  de  peur  d'en  perdre  le  fruit  ,  &  épie  la  porttrûfc 
m  l'ignorât,  laifla  fes  pantoufles  au  pied  du  Mont.  . 


F  A    B    L    E      X  III. 

Jupiter  &te  Pàfîagerr     , , .  .  ^ 

\J  combien  le  péril  enrichiroit  les  dieux, 

Si  nous nous-fouvenions  des  weuxqu'ilàous  Ait  faire  ! 

Mais,  le  péril  palTé,  Ton  ne  fe  fouvient  guère 
De  ce  qu'on  a  promis juiXjçieux  : 

On  compte  feulement  ce  qu'on  doit  à  la  terre. 

Jupiter,  dit  l'impie,  eft  ufi  bon  créancier:  *j" 
11  ne  fe  fert  jamais  d'Huidiër.  ■-  --*'- 
Eh  qu'eft-ee  donc  que  le  tonnerre? 

Comment  appelez  *  vous  ces  aveitiiïefeens?      -  '  > 

Un  Paflàger  pendant  l'orage ,  ,  r 

•Avoit  voué  cent  bœufs  au  vainqueur  des  titàiis,    > 
H  n'en  avoit  pas  un  :  vouer  cent  éléphans  ;    l 

.      N'auroit  pas  coûté  'davaittagel  • 
Il  bru&  quelques  as -quand  il  fut  m  tivagk  -f  -i  -I 
Au  nez  de  Jupiter  la  fumée  enrmpnta.  ^  â  •    -    » 
Sire  Jupin,  dit -il,  pren'ds  tnoiî  vœu,'  levoilij 
US 


v*<tf       FABLES    CHOISIES 

Ceft  un  parfum  de  bœuf  que  ta  grandeur  refpire» 
Xa  fumée  eft  ta  part:,  je  ne  te  dois" plus  rien^ 

»       Jupiter  fit  femblant  de  rire  : 
Mais  après  quelques  jours  le  dieu  rattrapa  bien, 

Envoyant  up  fonge  lui  dire 
Qu'un  tel  tréfor  étbiè  en  tel  lieu.  L'homme  au  vœu 

Courut  au  tréfor  comme  .au  feu. 
U  trouva  des  voleurs  r  &  n'ayant  dans  fa.  bouffe 

Qu'un  écu  pour  toute  reflource, 
:     '  Il  leur  promit ;cént  talens  d'or,  ^ 

*  Bien  comptés  &;d'un  tçl  tréfor  T 
dOn  l'avoit  eateir^  dedans  telle  bourgade. 
L'endroit  parut  ûifpeéfc  aux  voleurs ,  de  façon 
Qu'à  notre  prometteur  Min  dit:  mon  camarade, 
Tu  te  moques  de  nous  ,  meurs  ;  &  vas  ehez  (i)  Pintoa 

Porter  tes  cent  talens  en  don.  i 

.    .         .         -         \  .*  -  «  -     .  i 

4  i  )  Décffc  des  enfers. 

FA    B    h    E      XIV. 

Le  Chat  &  te  Renard. 

/e  Chat  .&  le  Renard,. comme  beaux  petits  feints, 
«;  •:    S'en  agiotent. en  fceyérinage.     î 
C'étaient  dçujç  vrai*  (jt)  saa»fs^  idetrçt  (i*).*rtft- 

patelins , 
©eux  francs,  pâte  -  pelus ,  gui  des ,  fraix  du  voyage , 
Croyant  nwiiue  volaille*  efarôqaajit  maint  fi*- 
BUgg*  :     •        v     :,:   n       "  :    .-.  .:.  ..    • 

Srinde«ûfoie»t  à  q»i  mieux,  Mieux. 
Le  cheT&ntt&itlwz,.  &ipôftan^eniauyepx, 

!*}  Pc  firanci  kyçpcritei.  /      . 


LIVRE      IX.  26} 

"  Tcar  Raccourcir  ils  difputerent. 

La  difpute  eft  d'un  grand  fecoure  : 

Sans  elle  on  dortniroit  toujours. 
►Nos  pèlerins  s'égofillerent. 
Ayant  bien  difputé  Ton  parla  du  prochain.  s 
%    Le  Renard  au  Chat  dit  enfin  :  • 

Tu  prétends  être  -fort  habîk , 
En  fçais-tu  tant  que  moi?  J'ai  cent  rufes  au  fac. 
Non^dit  l'autre  Je  n'ai  qu'un  tour  dans  mon'biffaçj 

Mais  je  foutiera  qu'il  en  vaut  mille. 

Eux  de  recommencer  la  difpute  à  l'envi. 

Sur  le  que  -  fi ,  que  -non ,  tous  deux  étant  ainfî  , 

Une  meute  appaifà  la  noife. 
Le  Chat  dit  au  Renard  :  fouille  en  ton  fac ,  ami  s    ; 

Cherche  en  ta  cervelle  matoife 
Un  ftratagême  fur;  pou*  moi,  voici  le. mien. 
A  ces  mots  ,  fur  un  arbre  il  grimpa  bel  4  bien. 

L'autre  fit  cent  tours  inutiles , 
Entra  dans  cent  terriers,  mit  cent  fois  en  (2)  défaut 

Tous  les  confrères  de  Brifaut. 

Pai-tout  il  tenta  des  afyles'; 

Et  ce  fut  par -tout  fans  fuccés;  «■ 

(3)  La  fumeée  y  pourvut,  ainfî  que  les  ( 4)  baflets; 
Au  fortir  d'u-n  terrier  deux  chiens  aux  pieds  agile** 

L'étranglèrent  du  premier  bond. 

Le  ttbp  d'expédiens  peut  gâter  une  affaire: 
Od  perd  du  temps  au  choix,on  tente,  on  veut  tout  faire: 
N'en  ayons  qu'un,  mais  qu'il  (bit  tjon.    « 

(t)  leur  donna  le  change,  le»  dérouta  en  cent  maniè- 
res différences. 

(  1  )  Quand  un  Renard  eft  dam  un  terrier ,  en  l'ehfwpm 
p<»t  l'obliger  d'en  forrir. 

(4)  Certain»  petits  «bien»  qui  entrent  fous  terre* 


*%B$ 


M0 


s<53        FABLES    CHOISI*  S 

FABLE       X  V. 

Le  Mari,  ta  Femme  %  &  h  Voleut- 

.   \j  n  mari  fort  amoureux, 
Fort  amoureux  de  fa  Femme., 

Bîen  qu'il  fût  jouiflant ,  fe  croyôit  malheureux. 
Jamais  œillade  de  la  Dame , 
Propos  flatteur  &  gracieux,  - 
Mot  d'amitié,  ni  doux  foufire, 
(  i  )  Déifiant  le  pauvre  fîre , 

K'avoient  fait  foupçonner  qu'il  fût  vraiment  chéri. 
Je  le  crois,  c*étoit  un  Mari: 
Il  ne  tint  point  à  Thymeiiée 
^>ue ,  content  de  fa  deftinée  r 
Il  n'en  remerciât  les  dieux.  * 
Mais  quoi  t  fi  l'amour  n'aiïàifonne 
Les  plaifîrs  que  l'hymen  nous  donne,. 
Je  ne  vois  pas  qu'on  en  foit  mieux. 

Notre  Epcfàfe  étant  donc  de  la  forte  bâtie. 

Et  n'ayant  careffé  fon  Mari  cte  fa  vie , 

Jl  ei^faifoit  fa  plainte  une  nuit.     Un  Valeur 
Interrompit  la  dpléafice. 
L?  pauvre  Femme  eut.fi  grand  peur» 
'  Qu'elle  chercha- quelque  aflurancfe  . 
Entre  fesbras  de  foh  E*poux. 

Ami  Voleur,  dit-îl,  fans  toi  ce  bien  fi  doux 

Me  fercit  inconnu*   Prends  donc  en.  récompenfe 

Tout  ce  qui  peut  chez  nous  être'  à  ta  bienféance  ; 

Prends  le  logis  àuflï.    Les  Voleurs  ne  font  pas 
,T  Gens  fcpQjçux,:  ni /art  délicats:  .  . 

Cekri-ci  fit  fa  main.  .  J'infère  de  ce  cont» 
Que  la  plus" forte  paUEon, 

(  i  )  Capable  de  le  rcndxe  bniKUJt  comme  us  DM* 


"    r      L    I    V  A    E    .11  *& 

C'eflr  la  peur:  «Ue  fait  vaincre  l'aterfion  *  -  - .  •  -L 
Et  l'amour  quelquefois:  quelquefois  (2)  illadomte: 

J'en  ai  pow  preuve  cetaûiaa:,  . 
Qui  brûla  fa  maifoa  pour  embrafler  fa  daine*    . 

L'emportant  à  travers  la  flamme. 

J'aime  afTez^cet.emportement  : 
Le  conte  m'en 'a  plû  toujours  infiniment::  . 

11.  eu  bien  cf'une  ame  efpagnolie  9 

Et  plus  grande,  encore  que  folle. 

(1)*  Et  quelquefois  c'eft  l'amont  qui  'dompte  la'ptur, 
témoin  cet  amant  qui  brûla  fa  maifoa,  &c. 


U. 


FABLE      XVI. 

Le  Tréfor  &  tes  deux  Hommet* 


'  n  homme  n'ayant  plus  ni  crédit,  ni  reflburee. 
Et  logeant  te  diable  en  fa  bourfe 
C'eft- à-dire,  n'y  logeant  tien, 
S'imagina  qu'il  ferait  bien 
De  Ce  pendre ,  &  finir  lui-même  fa  mtfere  : 
PuisqtfaulE  bien .  (ans  lui ,  la  faim  le  yiendroit  faire  $ 
Genre  de  mort  quf  ne  dbtt  pas"  ,     -r 
K  gens  peu  curieux  dégoûter  le  trépas. 
Dans  cette  intention  uùe  vieille  riiâfure 
Fut  (1)  la  feene  o£  devoit  fe  pafler  Pavanture: 
11  y  porte  une  corde  ;  &  veut  avec  un  clou 
Au  haut  d'un  certain  mur  attacher  le  licou. 

La^ muraille  vieille  &  peu  Forte,  '    ' v    * 
S'ébranle  aux  premiers  coups ,  tombe  avec  un  tréfor. 
Notre  d(ifefpéré  leramaffe,  &  l'emporte: 
Laifle  là  le  licou,  s'en  retourne  avec  l'or, 
Sans  compter  :  ronde  ou  non,  la  fomme  plût  au  fixe. 
Tandis  que  le  -galant  à  grands  pas  (e  retire , 
U)  L'indiQit ,  le  lieu  ckûUX  • 

M  7  \ 


i 


L'homme  au  trtfoif  «rive;  &trou?efoii  argent 

Abfent* 
Quoi,  dit-il,  (ans  mourir  je  perdrai  cette  fommeî 
Je  ne  me  pendrai  pas  ?  '&  vraiment  û  ferai , 

Ou  de  corde  je  manquerai. 
Le  lacs  étoit  toutptêt,  iln*yin»nquoitqu\in  homme: 
Celui-ci  fe  l'attaché,  &fe  pend; bien- & beau* 

t -  Ce  qui  le  '  coafola  peut  ••  être , 
Fut  qu'un-wtrc  -0&  pour  lui  tait  lès  fraixdu  cordeau. 
Auffi -bieDLque  rangent  le  iiçou  trouva  maître. 

L'avare  rarement  finit  fes  jours  fans  pleurs: 
91  a  le  moins  de  paittnrtréfor  qtrli  cnfcnfcf 
.Xhéfaurifant  pour  les  voleurs, 
Four  îes  parens ,  bu  pour  la  terre. 
Mais  que  dire  du  troc  que  la  fortune  fit? 
Ce  font-là  de-fts  traits:- elle  s'en  dîvaertik 
Plus  le  toyr  eft  bizarre ,  &  plus  elle  eft  contente. 
Cette  Déei&  inconftantfe 

-  Se  mit  alors  ien  l'efprit 

De  vdir  un  homme  fe  pendre, 
Et  cehiî  qui  fe  pendit, 

-  S'y  devoit  le  Jnoins  attendre» 

#  A    B    L    E;    XV  IL 

\     Le  Singe  &' H  Chat. 

lertrand  avec  Raton ,  l'un  Sirjge ,  &  Pautre  Chat, 
Commenfaux  d'un  logis,  avoient  un  commun  maître. 
D'animaux  malfaifansc'étoitun  très- bon  plat: 
Ils  n'y  craignpient  tous  deux  aucun  /quel  qu'il  pût  être» 
"Trouvoit-r  on  quelque  çhofe  au  l'ogis  de  gâté, 
L'on  ne*  s'en  prenoit  point  âyx  gens  dp  voiûnage. 
Bertrand  dé'robdit  toàt  :  Ratofi  ;  dé  ion  côté; 
Etoit  moins  attentif  aurfoùrb'qti'au  fromage» 


Il  'V  X   E    IX;  i      *?» 

Un  jour,  mi  coin  du  feu,  nos  deux  makresfripo» 
-Regardoient  râtir  des-toarons:   ;        - 

Les  efcroquei  étoit  une  très  -  bonne  affaire  : 

Nos  Câlins,  y  voyoî^nt  double  profit  rà  faite,   [ 

Leur  bien  premièrement,  &  puis  le  mal  d 'autrui. 

Bertrand  .dit  à  Raton  :  frère ,  il  faut  aujourd'hui 
Que  tu  faffes  un  coup  de  maître.        A 

Tirfr~jqoi  ces  maioae  :.  û  dieu  m'avoU  &t:naipe^ 
.Propre  à  tirer  majons  du  feu,  " 

Certes  „  ouïrons ,  verroient  7beau  jeu»       ? 

4ufli  «t£t  fait  que  dit  :  Raton  avec  fa;  patte, .       * 
D'une  manière  délicate, 

Ecarte  im  peu  la  cendre,  &  retire  lesdaigft^ 
Puis  -les  reporte  à  plusieurs-  fois  ; 

Tire  un  maion,  puis  deux,  &  puis  teçfcen*fiçr$que£ 
-   :Et  cependant  Bertrand  tecçqque. 

Une  fervânte  vient:  adieu  mes  gens  *  Raton 
N'étoit  pas  .content ,  ce  ditw  on. 

Aufli  ne  le  font  pas  b  plupart  de  ces  Princes' 
Qui ,  dattes  d'un  pareil  emploi.,, 
Vont  s'échauder  en  des  Provinces* 
Poux  le  prpfît  de  quelque  Roi. 


irç*        tfA'BLES    CHOISIES 

i     :...■*,"     •      '  •  ■  ■ 

I.1.  '      'I       V      I      I      ,     »  .  ■        In        ■  '  ■' 

FA    BLE      XVIII. 

Le  Milan  &  te  Rqffîgnol. 

Lprès  que  te  (i)  Milan ,  manifefle  voleur  > 
Eut  répandu  l'alarme  en-tout  le  voîfinage, 
Et  fait  crier  fur  lui  les  etafahs  éi  village, 
Un  Roffignol  tomba  dan9  fes  mains,'  par  malheur» 
Le  (2)  héraut  du  printemps  lui  demandera  vie  : 
AuiB-bien  que  manger  en  qui  n'a  que  le  (on? 

Ecoutez  plutôt  ma  chanfon  :    - 
Je  vous  raconterai  Térée  &  fon  envié. 
Qui ,  (3)  Térée?  eft-ce  un  mets  propre  pour  les 

Milans  ? 
Non  pas ,  c'étok  un  Roi,  dont  les  feux  violens 
Me  firent  refleurir  leur  ardeur  criminelle  : 
Je  m'en  vais  vous  en  dire  une  chanfon  fi  belle 
Qu'elle  vous  ravira:  mon  chant  plaira  chacun. 

-Le  Milan  alors  lui  réplique:    - 
Vraiment  nous  voici  bien ,  lorsque  je  fuis  à  jeun , 

Tu  me  viens  parler  de  mufîque  ? 
J'en  parle  bien  aux- rois.  ^Quand-un  roi  te  prendra, 
Tu  peux  lui  conter  ces  merveilles  : 
Pour  un  Milan,  il  s'en  rira: 
Ventre  affamé  n'a  point  d'oreilles. 

(0  Gros  oifeau  de  proie. 

(1)  Parce  qu'il  l'annonce  pair  fon  chant. 

(3)  Mari  de  Progné,  fœur  de  Philomèle.  Celle -ci  fut 
changée  en  Rofltgaol,  Progn*  en  Hirondelle.  &  Ter*  eu 
ttupe* 


■  r 


^MÉÉM^iû' 


2>  Berger  &fon  Troupeau. 


Q, 


■  uoi  toujours  il  me  manquera 

Quelqu'-un  de  ce  peuple  imbécille  ! 

Toujours  le  loup  m'en  gobera! 
T'aurai  beau  les  compter  :  ih  étoffent  plus  de  mille; 
Et  m'ont  laiffé  ravir  notre  pauvre  robin  ; 

Robiçu mouton,  gu>par  la  yille 

Me  fïïivoit  pour  un^peu  4e  pain, 
Et  qui  nVauroit  fu}vi  jusques  au^bout  du  monde-: 
Hélas  î  de  ma  mufetps  il  entéitdoit  le  Ton  : 
il  me  fentoit  venir  ^e  cent  ^à  la  ronde. 

Ah  le  pauvre  rdbin  mouton  ! 
Quand  Guiilot  eut  fini  cette  oraifon  funèbre  , 
Et  rendu  de  robin  la  mémoire  célèbre, 

il  harangua  tout  le  troupeau , 
Les  chefs,  la  multitude,  &  jusqu'au  moindre  agneau^ 

Les  conjurant  de  tenir  ferme  : 
Cela  feul  fuffiroit  pour  écarter  les  loups. 
Foi  de  peuple  d'honneur  ils  lui  promirent  tous. 

De  ne  bouger  non  plus  qu'un  (i)  terme* 
Nous- voulons ,  dirent -ils,  étouffer  le  glouton, 

Qui  nous  a  pris  robin  mouton. 

Chacun  en  répond  fur  fa  tête. 

Guiilot  les  crut,  &  leur  fît  fête.. 

Cependant  devant  qu'il  fût  nuit, 

Il  arriva  un  nouvel  encombre. 
Un  loup  parut ,  tout  le  troupeau  s'enfuit.. 
Cfr  n'éfc>it  pas  un  loup ,  ce  n'en  était  que  l'ombse* 

W  Efplce4c  Sutue  qu'on  met  dâiç  les  jtrcUar 


-174       rABLErS    CWOlStEi 

.._  -  *  *-Hs  •pKwjuetiïOut  ae  flrtre  rage  ï~  ■ 
Mais  au  moindre  danger  adieu  tout  leur  courage  2 
Yotre  ekemp Ie/&  vositria  oie  testretiebdioat  pas. 


j  .  .   :  .  , 


JL    I  V  R   E       DIXIEME.* 
mBssssssssaassf^ 

FABLE    PREMIÈRE. 
Les^4tux  Rat*  >    te  Renard  ÇffOtiifc 

i>  îs  g  o  y  n  s    ;   y 

£  .MADAME  0E   LA   SABLIERE 


JLris  je  vous  foàrois,  îln!cft  qfue  trop  affijî 
Mais  vaiisavea  ccftt  fb»  notre  encens  refufé; 
En  cela  peafembhbie  au  refteides  mortelles, 
Qui  veulent  cous  les1  jours  des  louanges  nouvelle»* 
Pag  une  ne.  s'endort*  à  ce  brait  fî.fïatteur,        *•     '. 
Je  ne  les  blâme  point,  je  fbuffire  cette; humeur; 
Elle  eïl  commune  auxdieux,aux  monarques,  aux  bpUet» 
Ce  breuvage  vanté  par  le  peuple  rfraeur,? 
Le  nettar  que  L'on  fert  au  mattce  du  tonnerre,, 
Et  dont  nous  enivrons  tous  les  tHdux  de  li  terre  K 
Ceft  la  louage,  Iris  :  tous  ne  la  goôtezpotot. 
D:auttes..pr0f«asjcbç2  vous  récomfeofeut  cepoint^ 


:   c       Prbpos  *,:flgr&U&.eomrâerces, 
!Où  le  hazard  fpurrjitXent  matières  diverfes:  . 
*  ;     '        Jusquès^  là  qvCem  -  votre  fcntretf  en 
^JgBÇtte,  a-RÇr:  ;1&Jtf$Dfe:.tf&£^  tien.  * 
Laiflbns  le  monde  .&  fa  croyance- 
La  bagatelle,  la  fcience, 
Les  dçmeres  ,Ue  *iei^,  t$ut  eil^bon-:  Je  foutions 
'*  Qu'il  Yaut*  de  tout  aux  entretiens  : 
Ceft  un  parterre ,  où  Flore  épand  fcs  biens  : 

"Et  fait  cfûmieTde  toute  chofeV 
Ce  fondement  pofé,  ne  trouvez  pas  mativaîs, 
Qu^ïc^IÎTatlisMOîj^tffoêEd^ttlaiJl    [ 
De  certaine  philofophie 
Subtile ,  engageante  &  hardie. 
^On  fapjfeîle  feouv^lte  Eh  avea  *  vous  ou  ifca  ■.  f 
"  "  '  '         Ouï  parler  ?  Ils  difent  donc 

Que  la  Bâte  eft  une  machine; 
Qu'en  ellegpujjfe  ^git  0ps  ^îofe  &  par  reflbrrs  : 
Nul  fentiment,  point  dTamc,  en  elle  tout  eft  corps. 

Telle  eft  la  montre  qui  chemine, 
AïSJpfiiP»? .^i&,îav»38îe  &f«nê  &ffeW  ;. 

Ouvrez -la,  lifez  dan.s  fon  fein  : 
Mainte  roue  y  tient  lieu  de  tout  refprit  dji  monde* 

La  première  y  meut  la  fecorîde, 
Une  ûscrifiéme  fart,  élté  foime  l  là  «fin.  . 
Au  dire  derces  gens,  la  bête  eft  tpute  telle  r 
-  L*objet  la  frappe  en  lin  endroit  : 
"...  Ce  iieu  frappé^en  va  tout  droit  t 
Selon  nous,  au  vfcifîn  en  porter  la.nouveller 
Lçfenside  proche  en  proche  auffi-  tôt  la  reçoit^ 
&impi&£fion  &  fait/  mais  comment  fe  fait -elle? 
Selon  eux,  parnéceffité, 
,v  Sans  paflïon,  fans  ;volonté.  . 
,v       L'animal,  fe-fent  agité  '. 
i>e  mcarvemetis  que  le  vulgaire  appelle 
Ttiftefler  joie,  ^mour,  plaiïix,  dcwiçur  cruelle-. 


.      L    I  CV.    H.     ff      X.         T        ffr 

.  -:  '  Ou  qndqii'antie  de  ces. états  r  \  ,     .  ;  *j  n  I 
Mais  ce  n'e^t  point  cela  ;  ne  vous  y  trompcztpa&i 
Qu'efl-ce  donc?  une  montre.  Et  nous?  c'eft  autre! 

chofet         ,  .'    »  .  ... 

Voici  deia  façon  que  Defcartes  Pexpofey 
Defcartes ,  ce  mortel  dont  on  eût  fait  un  dieu 

Chez  les.  payens,  &  qui  tient  le  milieu 
Entre  l'homme  &l'efprk  *  comme  enqre  l'huître  de, 

l'homme 
Le  tient  iel  de  nos  'gens  ;  franche:  bête  dUTomme. 
Voici ,  dis-  je ,  comment  raiforine cet  auteur. 
Sur  tous  les  animaux,  enians  du  Créateur/ 
J'ai  le  don  de  penfer,  &  je  fçafc  que.  jepèhfe» 
Or  vous  fçavez ,  Iris ,  de  certaine  feience, 

Que  quand  la  bote  penferoit, 

La  bête  ne  réfléchirait 

Sur  l'objet ,  ni  fur  fa  penfée. 
Defcartes  va;pius  loi»*  &jfoâttent  nettement  ï        i 

Qû'elleine  penfo  nullement  > 
:     Voui  n'êtes  point  embarrafféâ 
De  le. croire;  ni  moi.  Cependant  quand  aux  bois    ' 

Le  bruit  des  cors ,  celui  des  voix 
N'a  donné  nul  relâche  à  la  fuyante  proie, 

Qu'en  vain  elfe  a  mis  fes  efforts  >î 
^     A  confondre  &  brouiller  la  voie; 
L'animal  chargé  d'ans ,  vieux  cerf  ;  &  de  dfr  cors., 
En  fuppofe  un  plus  jeune,  &  l'oblige  par  foreçj  '"*  L 
  préfenter.aux  chiens  une  nouvelle  amorde. 
Que  de  raifpnnemens  /pour  concerter  fes  jdurs  ! 
Le  retour  fur 'fes  J>a&,  les  malices,  les  toérs, 

Et  ie  change ,'  &  cent  flratagémes 
Dignes  des  plu*granA  chefs>,dignes  d'un  meilleur  fort! 

On  le  déchire  après  fa  mort  ; 

.;i''"      ..     *     •     ,v         '■■■■       '*•    i  '    :ï 

t    .     t     Quand  ta  Perdrûl  .     .  h    /  lL..; 


ftT»      F  ARLES    CHOISIES 

En  danger,  &  n'ayant  qu'une  plume  nouvelle, 

Qui  ne  peitt  fuir  encor  par  les  airs  le  trépas, 

Elle  fait  la  bteflée ,  j&  va  traînant  de  l'aile , 

Attirant  le  chafTeur ,  &  le  chien  fur  fes  pas , 

Détourne  lea  dangçr ,  fauve  ainfî  fa  famille; 

Et  puis  quand  le  chafleur  croit  que  fon  chien  la  piile,. 

Elle  lui  dit  adieu,  prend  fa  volée,  6Viit 

Bfe  l'homme,  qui.  confus,  des  yeux  en  vain  Ia.fuiL. 

Non.  lôita  :  du*  nord  ih  eft  us  nk>nde  9 
,  Où  Von  fçak  que  les.babitans 

Vivent,  ainfî  qu'aux  premiers  temps 
.    Dans  une  ignorance  profonde  :    . 
Je  parle  des  humains  :  car  quant  aux.  animaux. 

Us  y  conftruifent  des  travaux, 
Qui  des  torrens  groffis  arrêtent  le  ravage ,, 
Et  font  communiquer  fun'&i  l'autre  rivage. 
1/édifcft.  téfiflfi ,  &  otite .  en  ftm  entier  ;  :  - 
Après  un  lit  de  bois,  éft  un,ik:de:mortiep: 
Chaque  caftor  agit  :  commune  en  cft  là  tâche  : 
Le  envieux  y  fait  marcher >le  jeune  fans  relâche..  * 
Maint  maître  d'oaivjreycourt,  &  tient  haut  le  bâton. 

La  République  de  Platon » 
Ne.ferofc  rien  que  l'apprentie 
t     •    JDejtetfe  famille  amphibie.     % 
Us  (çarefctcq  byfceit  élever,  leurêmaffow, 
.  Paflcni  les  étangs  fur-  des  ponts , 
î     Fruit ;<fe*tair. art,  fçavent  ouvrage; 
t    Et  noi  pareils  ont  beau  ]e  voir , 
Jusqu'à  préfent  tout  leur  fçavoir 
\       .  -  ES  de  paffer  l'onde  à  la  nage. 

Que  cesaltoi«,neifoiemcqu'fia«)rps  vuifcd'efprit, 
Tamsis  on  ne  pourra  m 'obliger  â  le  croire. 
Mais  voici  beaucoup  pfas  :  ècootez  ce  récita         ' 
Que  je  tienûha  w>i  ptefo  de  gloire. 


,    I*   I  V    E    t  .   X.        ;       *» 

Le  défenfeur  du  nord  en  fera  mon  garant; 
je  vais*  dter  un  prince  aimé  de  te  Wôotofe*  '  ^     .  J 
Son  nom  feut  eft  un  mur  à  l'empire  Ottoman: 
C'eft  le  roi  Ftfonois ,'  jàntti$  un  rot  lie  aient. 

Il  dit  donc  que  fur  fa  frontiérie-^  _ 

Des  animaux  èntr'eux  ont  guerre  dé  tout  temps: 
Le  feng  qui  fe  transmet  des  pères  aux  encans, 

En  renouvelle  la  matière.  '■••.. 

Ces  aniinaux,  dit -il,  font  germaiift  dutfenard. 

Jamais  là  guerre  avec  -faitt  d'art 
'    Ne  s-eft  faite  parmi  les  hommes* 

Non  pas  même  au  tiède  où  nous  fommes. 
Corps  de  garde  «avancé,  vedettes^  cQ&iojï*, 
Embufcades ,  partis ,  &  mille  inventions 
D'une  pernicieufe  &  maudite  fctence , 

Fille  au?  ftyX,  &  mère  de*  héros, 

Exercent  de  ^ces  animaux 

Le  Bon  fens  &>  l'expérience. 
Pour  chanter  leurs  combats  ,rAcheron  nous  derroit 

4  Rendre  Homère.    Ah ,  s'H  le  rendoit, 
Et  qu'il  rendit  auffi  le  ( i-)  rival  d'Epfcure !      >  -'• 
Que  diroit  ce  dernier  fur  ces  exemples  -  d  ? 
Ce  que  j'ai  déjà  dît ,  qu'aux  bêtes  la  nature 
Peut  par  les  feuls  reffbrts  opérer  tout  ceci  ; 

•  Que  la  mémoire  eft  corporelle  ; 
Et  nue ,  pour  en  venir  aux  exemple»  divers , 
-  Qiife  fài  mis'*u  jourdan»  ces  vers,,    *  '  ' 

-     L'animal  n'a  befoin  que  d'elle. 
L'objety  lorsqu'à  revient,  ivVda^fcn  magaita"  <r-'l 

Chercher  par  le  même  chemin       _  - 
/      L'itnage  auparavant  tracée,     , 
Qui  fur  les  mêmes  pas  revient  pareillement , 
.  Sans  le  fecours  de  la  penfée  f 

Caufer  un  même  événement.  >T 

Nous  agiffons  tout  autrement*        :  >>     '■} 


FA  RUE  S    CHOIîSrES 

£a  ^cmtérnoHfc  ëétérwtoci*      ':'  r  / 
Non  l'objet***  ririftki&i    Je.parle^je^c^iqine: 
:  i  .  jer  ftïii  riq  moi  jcartain  agent  r     . 
.;  .Tout  obéît  dafcs  ma. machine-  •  .•  ._;  . 
A:  ce:  principe,  intelligent*    • 
Il  eft  difHnfl;  du  corps,  fe  conçoit  nettement, 

Se  conçoit  mieux  que  le  corps  même  ; 
De  tous  nos  mouyeinensc'eft  l'arbitre  fuprême. 
.    .'_-.  i  Mais  comment  te  corps  l'entend-  il  ? 
Qeft-ii  le  point:  je  vois  l'outil 
Obéir  à  la  maini  mais  h  main,  qui. la  guide? 
EbJ,«|ui  guide  les  cjeu?,  &  leur  courfe  rapide? 
Quelque  angceft  attaché  peut-être  à  ces  grands 

corps. 
Un  efprit  vit  en  nous,  -&  meut  tous  nos  refîbrts; 
L'imprefljon  fe  fait;  le  moyen-,  je  l'ignore. 
On  ne  l'apprend  qu'au  fein  de  la  Divinité; 
Et  s'il  faut  en  parle*  avec  fincérité,  , 
Defcartes  l'ignoroit  encore. 
Nous  &  lui,  .fâ-delTus,  nous  fommps  tous  égaux. 
Ce  que  je  fçajsy  Iri$ ,'  c'eft  qu'en  ces  animaux 

1  Dont  je  viens  de  citer  l'exemple, 
Cet  efprit  n'agit  pas,  l'homme  feul  eft  fon  temple. 
Àuflî  fautril  donner  à  l'animal  un  point 

Que  la  plante  après  tout  n'a  point. 
,  Cependant  la  plante  refpire:,    .. 
Mais  que  répondra- 1  -  en  à  ce  qu$  je  vais  dire  ? 

Deux; rats  cherchant  leur  viç>  ils  trouverez;  un 

œuf.  .  -  i 

te  diné  fuffifoit  â  gens  de  cette  efpéce  : 
Il  n'étojf  pas  befom  qu'i&  troutteffent  un  Bœuf* 

Pleins  d'appétit  &  d'alégrefle , 
Ils  alloient  de  .leur  œuf  manger  chacun  fa  part; 
Quand  un  quidam.parut,  C'étoit  maître  renard  : 

Rencontre  incommode  &  fâcheuie. 
Car  comment  ûuvei  l'œuf?  le.  bien  eB&pâguctér, 

Puis 


L    I    V    R    E      X.  *8a 

ftiis  des  pieds  dé  devant  enfemble  le  porter, 

Ou  le  rouler r  ou  le  traîner, 
C'étoit  chofe  impoffible  autant  que  hazardeufe. 

Néceffité,  l'ingénieufe,  - 

Leur  fournit  une  invention. 
Comme  ils  poùvoient  gagner  leur  habitation , 
L'écornifleur  étant  à  demi -quart  de  lieue, . 
L'un  fe  mit  fur  le  dos,  prit  l'œuf  entre  fes  bras, 
Ttàs  y  malgré  quelques  heurts  &  quelques  mauvais.pas, 

L'autre  le  traîna  par  la  queue. 
Qu'on  m'aille  foutepir,  après  un  tel  récit,  . 

-Que  les  bêtes  n'ont  point  d'efprfc. 

Pour  moi ,  fi  j'en  &oïs  le  maître , 
Je  leur  en  donnerons  auffi-bien  qu'aux  enfans. 
Ceux-ci  penfent- ils  pas  dès  leurs  plus  jeunes  ansfc 
Quelqu'un  peut  donc  penfer,  ne  fe  pouvant  connoître. 

Par  un  exemple  tout  égal , 

J'çttribuerois  à  l'animal, 
Non  point  une  raifon,  félon  notre  manière, 
Mais  beaucoup  plus  auffi qu'un  (i)  aveugle  reiïbrt* 
)e  (2)  fubtilifèrois  Un  morceau  de  matière, 
Que  Fdn  ne  pourroit  plus  concevoir  fans  effort*, 
"(3)  Quinteflence  d'atome ,  (  4  )  extrait  de  la  lumière , 
Je  ne  fçais  quoi  plus  vif,  &  ^lus  mobile  encor 
Que  le  feu  :  car  enfin ,  fi  le  bois  fait  la  flamme  » 
La  flamme,  en  s'épurant, peut- elle  pas  de  l'amè 
frous  donner  quelque  idée,  &  fort -il  partie  Tôt 

;   (  1  )  Tel   que  Defcartcs  ïàttriïite  k  "tous  les  Animaux 
differeas  de  l'Homme. 

(  i)  Je  le  ljuppofcrois ,  je  Wmaginerdis  xcorapofe*  de  par- 
ties extrêmement  fubtiles.    Ptnr  Jfavir  ce  que  l'efprit  b%~ 
main  peut  inférer  de  dite  fnppofitUn ,  vejez.  l'a  Note  (  ç  ). 
r   (  3  )  Dont  les  parties  feroient  de  beaucoup  plus  petites 
fique  le  plus  petit  atome. 

(4). Et  plus  fubtilcs  que  le»  parties  qui  composent  U 
lumière. 

-  «.  Pmk.  N 


*8i        FABLES    CHOISIE* 

Des  entrailles  du  plomb  ?  Je  rendrais  (  5  )   mol 

ouvrage 
Capable.de  fentir,  juger,  rien  davantage, 

Et  juger  imparfaitement , 
Sans  qu'un  finge  jamais  fît  le  moindre  (  6  )  argument 

A  l'égard  de  nous  autrefc  hommes , 
Je  ferais  notre  lot  infiniment  plus  fort  : 

Nous  aurions  un  double  tréfor  : 
L'un ,  cette  ame  pareille  en  tous  tant  que  nous  font 
mes,  > 

Sages,  fous>  enfans,  idiot»," 
Hôtes  de  l'univers,  fous  4e  nom  d'animaux  : 
L'autre ,  encore  une  autre  ame ,  entre*ious  &  les  angfll 

Commune  en  un  certain  degré; 

Et  ce  tréfor  à  part  créé» 
Suivroit  parmi  les  airs  les  céleftes  (  7  )  phalange* 
'Entrcroit  dans  un  point  fans  crfêtrc  prefifè,  \ 

Ne  finiroit  jamais  quoiqu'ayant  commencé  :  "| 

jChofes  réelles  quoiqu^tranges* 

"Xant  que  l'enfance  durcroit , 
*  Cette  fille  du  ciel  en  nous  ne  paroîtroît 

Qu'une  tendre  &  foible  lumière  : 
L'organe  étant  plus  fort,  la  raifavpercerofc         J 

Les  ténèbres  de  la  matière,      -  -  ' 

Qui  toujours  envelopperait 

L'aiïtre  ame  imparfaite  &  groflî^e. 

^e)  MaU  cet  Ouvrage  n'étant  toujours  que  pure  M 
titre ,  on  aura  "beau  dormer  à  cette  MatieYe  des  parti 
mille  &  mille  fois  plus  fubtiles  &  plus  mobiles  que  cç 
les  du  Feu  &  de  la  t*mî*re ,  ïinl  Pniioibphe  *  «flez  1v 
tere  peur  n'affirmer  <jue  ce  qu'il  comprend  veritabh 
ment,  ne  pourra  jamais  nous  faite  comprendre,  ni  cou 
prendre  lui-même,  qu'i  force  de  ftibtililer  la  Matkrt 
&  d'augmenter  l'adiviié  de  fes  parties,  oti  puiffe 
*tmdrt  capah/i  rf>  fartir  fr  «h  juger  :  &  c'eft  aufli  ce  qa' 
sne  le  croira  jamais  en  droit  d'affirmer  »  quoi  qu'en  J>uif 
y  «iïre  des  Philofopkes  d'un  aurre  ctrj&erc. 

(6)  Rationnement.  S 

X  17)  tes  Efprit*  bienheureux,  t 


'   tivi.i.x 


«(3 


*Mji  im.iy 


I 


F ''A B    t    E     II, 
ZSHbmme  £f/a  Couleuvre. 

•    -  -   %^  n  homme  vfc  une  Couleuvre  r  •■  .  ♦ 
Ma  !  méchante,  dît- H,  je  m'en. vais  faire  une  <*<**« 
Agréable  à  tout  Vwivets, 
A  ces  mots ,  l'animal  pervers \ 
(Caille  Serpent  que  je  veux  dire,    . 
ït  nonl  Homme,  on pourroit  aifément  s'y  tromper } 
ï  ces  mots ,  le  Serpent  fe  laiflan*  attraper ,  ' 

Sft  pris ,  mis  en  «n  fa<r,  &  ce  qui  fût  îê  pire»  -  > 
On  réfolutfa  mort,  fi*-il.coilpa6ie  oti  ntav:' 
afin  de  le  payer  toutefois  <te  raîfpn  /  j  -  -.     *   !  " 

L'autre  lui  fit  cette  harangué»       •   • 
ïymbole  des  ingrats,  être  botirâux  mécfiafl$,  •  - 
2'eft  être  fot;  meurs  donc:  ta  eolere actes  denté 
¥eme  nuiront  jamais.  Le  Serpent,  en  «fa  langne* 
Reprit  du  mieux  qu'il  put:  s'il  faloit  condamner 
Tous  les  ingrats  qui  font  a«  monde , 
A  qui  pourroit  -on  pardonner  ?  :       ■     ' 
Toi  -même,  tu  te  fais  (son  prdcês.    Je  me  fonde 
ter  tes  propre* leçons:  jette  les  yeiïx  fur  toiV       » 
Mes  jours  font  en  tes  mains,  tranche-les': ta  juffic* 
*'eft  ton  utilité ,  ton  pîaifîr,  ton  capricfe: 
Selon  ces  loix  condamne  -moi  : 
Mais  trouve  bon  qu'avec  franchifc  f 
En  mourant  au  moins  je  te  dife, 
Çufi  le  fymbole  des  ingrats 
fcen'eftpoiftt le  Serpent,  t'eft l'Homme.  Ces  parole* 
Firent  arrêter  l'autre  i  il  recula.  d!tm  pas.* 
tarin  II  repartit":  tes  raifons  ifont  frivoles': 

N  2 


*84       FA  EX  ES    CHOISIES 

Jepourrois  décider ,  car  ce  droit  m'appartient r 
fgfiSs  rapportons  -  hotë  -  en.*  Soït  ftît ,  m  le  Reptita. 
Une  Vache  étoit  là,  Ton  l'appelle,  elle  vient, 
Le  cas  eft  propofé  K  c'étok  chofe  facile. 
Taloit  -  il  piuif  cela  >  *dit  *5le  ,£«n'appeler  ? 
La  Coulejivre  a  raifon ,  pourquoi  cÙflîmuler  ? 
Je  nourrifincelui -ci  depuis  longues  années  : 
Il  n'a,  fans  mes  bienfaits,  paffé  nulles  journées: 
Tout  n'eft  que  pour  lui  feul  :  mon  laft  cfcmes  enfaos 
Le  font -à  la  maifon  revenir  tes  lûainfc .pleines: 
Même  j'ai  rétabli  fa.  fan  té  que  lésons 

Avoient  altérée;  &  mes  peines 
Ont  pour  but  fon  plaifir  ainfi  que  fon  befoin. 
Enfin. me  voilà  vieille;  il  me  laifle  en  un  coin 
Sans  herbe  :  s'il  vouloit  encor  me  laifîer  paître? 
Mais  je  fuis  attachée;  >&  fi  j'eufle  eu  pour  maître 
Un  Serpent,, -eût -il  fçu  jamais  pouffer  fi  loin 
L'ingratitude?  qdieu.    J'ai  dit  ce  que  je  penfe. 
L'Homme  tout,  étonné  d'une  telle  fentence,. 
Dit  au  Serpent:  faut -il  croire  ce  qu'elle  dit? 
Ç'eft  uaeradoteufe,  elle  a  perdu  Tefprit. 
Croyons  ce  Bœuf.  Croyons ,  dit  la  rampante  bête. 
jfyiîiG  dit,  ainfi  fait.  Le  Bœuf  vient  à  pas  lents; 
Quand  il  eut  ruminé  -tout  le  cas  en  fa  tête., 

11  dit  que  du  labeur  des  ans , 
Pour  nous  feuls,  il  portoit  les  foins  les  plus  pefans, 
Parcourant*  fans  cefler,  ce  long  cercle  de  peines" 
Qui ,  revenant  fur  foi ,  ramenoit  dans  nos  plaines 
jgeque  Cérès  nous  donne,  &  vend  aux  animaux 

Que  cette. fuite  de  travaux 
Pour  récompenfe  avoii,  de  tons  lant  que  nom 

fouîmes , 
Force  coups ,  peu  de  gré.:  puisquand  il  étoit  vieux, 
On  croyoit  l'honorer  chaque  fois  que  les  hommes 
{fi  )  Achetoient  de  fon  fang  l'indulgenc$  deçDieux. 

.(.O  f^orgcoicfit^poiir  apaifer  Ici  Pieu*  jar  fçn  fang, 


r    I    V    R    Ê      X,  *8S 

Aiufi  parla  le  Bœuf.  X'Homffi%4it  :  faifoos-  taire.  - .   : 

Cet  ennuyeux  déclaniateur. 
Il  cherche  de  grands  mots,  &  vient,  ictfe  faire, 

Au  lieu  d'arbitre",  accufateur. 
Je  le  *ecufe  auffi.    L'Arbre  étant  pris»pour  juge/ 
Ce  fût  bien  pfs  encor'.    lî  fervoït  de  refuge , 
Contre  le  chaud,  la  pluie,  &  la  fureur  des  ventes- 
Pour  oous  feuls  il  omoit  les  jardins  &  le»  champs; 
L'ombrage,  n*étoit.p$s  iefeul  bien  qu'il  fçût  faire; 
Il  courboit  fous  les  fruits;  cegepdant^our-falairo'' 
Un  rurtre  Tabattoitr  c'étoit-là  fon  loyer,  * 
Quoique,  pendant  tout  l'an,  libéral  il  nous  donne 
Ou  des  fleurs  au  printemps,  ou  du  fruit  en  jaytomne; 
L'ombre,  l'été ,  l'hiver,  les  plaifirs  dit;  foyer. 
Que  ne  (2)  l'émondoit-on  faœ  prendre^ la' (3) 

coignée  ? 
ï)e  fon  tempérament  il.  eût  encore*  vécu.  ,  r 
L'Homme  trouvant,  pouvais  g^  Toi  i'eûtcou* 

vaincu ,  .     ( .     .    \  "  .  ' 
V oui ut»'.à~ toute. force  avoir  caufe  gagnée,    / 
Je  fuis  bien  bon,- .-dit*  il,  d'écouter  ces  geos-là. 
Uu  fac  &  du  Serpent  auiti  -  tôt  il  donna 

Contre  les  murs ,  tant  -qu'iUua  la  béte. 

On  en  ufe  .arafî  chez  les  grands! 
Ea.raifon  les  ofFelife.r  ils>fe  mettent 'en  tété 
Que  toilt^fi  né  pour  eux,  qi^djupédes  &  gens, r . 

Et  Sèrpens.- , 
_    -  Si  quelqu'un  deflerre  les  dents ,  ; , 

O'eïl  un  fot.  J'en  conviens.  Mais  que  faut*  il  donc 
'    faire?    . 

Parler  de  loin  ;  ou  bien  fe  tairo. 

(1)  En  couper  le»  brandies  inutilei^ 
il)  Pous  l'abattre  tout -à- fait - 


?**         FÀ-BLES    CHOISIES 


FABLE      IIÏ. 

La  Tortue  &  tes  deux  Canards. 

%J  ne  Tortue  étoit ,  à  la  f  i  )  tête  légère, 
Oui  laflfe  de  fou  troti  votilot  voir  le  pays. 
Volontiers  on*ftft  tas  .d'une  tebe  étraflgeiç-i 
Volontiers  gen^  boiteux  haîflent  le  logis. 

Detix  Canards  à  tjui  la  commère 
; ,;  Comtnumqua  ce  beaudeffein,  - 
lui  dirent  qu'ils  avoient  de'  quoj  la  fatisfaireî 

'  'Voyez -votfc  cô  largfe  tbemin  ? 
Nous  vous  voiturerons  par  l'air  en  (a)  Amitl^ 

.Vous  venez  mainte-république, 
Maint?  royaume ,  4rtaint  peuple  ;  &  vous  profiterez] 
Des  différentes  mœurs  que  vous  remarquerez.   %  . 
(  3  ),  .Uliffe  en  ïç  -autant    Ori  n*  Vattendôit  go«l 

-De  voir  Uliffe  en  cette  affaire. 
La  Tortue  écouta  la  proportion. 
Marché'  fait,  'les  oifèaux  forgent  une  fflâchfne, 

Pour  tranfpprter  la  pèlerine. 
Dans  la  gueuîe  en  travers  on  lui  pafle  un  bâton: 
Serrez  Bien,'  dirent-ils  :  gardez  de  lâcher prife: 
Puis  chaque 'Canard  prend3ce  Mton  par  un  bout. 
La- Tortue  enlevée,  on  s'étonne  partout 

De  vofr'aîlèr ,  eft  cette  guife, 
'  L'animal  lent  &  fa  maifon, 
Juftement  au  miliçu  de  l'un  &  l'autre  Oifon. 
Miracle ,  xrioit-  on  i  venek  voir  dans  tes  nu# 

Pafler  la  reine  dies*  forti|es. 

(  i  )  Folle  ,  imprudente*    -    >'    -:i.  j-.4  - 
(2)  Une  des  quatre  parties  du  Monde.  ^ 

(  3  )  Héros  Grec  ,  qui  |ud  engage"  dans  de  longs ▼°Ta5cs' 
r«pres  la'prifc  de  Troyc. 


I    1    V    R    E.      X.  ;  $87 

La  reine!  vraiment  oui  ;  je  la  fuis  en  effet  : 

Ne  vous  en  moquez  point.    Elle  eût  beaucoup 

mieux  fait 
De  paffcr  foh  ctemin  fans  rien  dire  autre  chofe; 
Car  lâchant  le  bâton  en  defferrant  les  dents, 
Elle  tombe,  elle  crève  aux  pieds  des  regardais. 
Son  indiferétion  de  fa  perte  fut  caufe. 

Imprudence,  babil,  &  fotte  vanité,  * 

Et.  vaine  curiofité , 
Ont  enfemble  étroit  partage? 
Ce  font  efcfens  tous  d'un  lignage. 


FABLE      IV. 

tes  Poijfons  &  te  Cormoran 


1 


n'étoït  point  d'étang  dwa  tout  le  voifippge 
Qu'un  (  1  )  Çormontn  n'eût  mis  à  contribution. 
Viviers  &  réservoirs  Juj  payoient  penfion  ;• 
Sa  cuifine  alloit  bien  :  mais  lorsque  le  long  âge 

Eut  (a)  glacé  le  pauvre  animal, 
•      ..ï-a  même  onOne^lU  mal.  ; 

Tout  Cormoran  Te  fert  de  pourvoyeur  lui-même* 
Le  nôtre  un  peu  trop  vfetfn  ppur  voir  au  fond  des 
eau*é 
N'ayant  ni  filet»,  ni  réfeaus, 
•      Souffroit  une  omette  extrême» 
Que  fit- il  ?  le  befoin,  doôfur  en  ftratagémo. 
Lui  fournit  celui-ci.    Sur  le  bord  d'un  étang 
Cormoran  vit  une  écrevifle,. 

f  1)  Gro»  Qifav  qui  f<  nourrit  4c  poinont. 
(î)  Loi  eût  ôté  les  forces  nSecflaires  pour  tller  à  U 
P«cb«  lui .  même. 

N4        - 


m       FA&LES    CH0IS4ES 

\lz  commère,  dit -il,  allez  tout  àJ'inftant- 

Porter  un  avis  important 

A  ce  peuple;  il  faut  qu'il  périfle: 
Le. maître  de  ce  lieu  dans  huit  jours  péchera. 

L'Ecrevifle  en  Mte  s'en  va 

Gonter  4e  cas  :  grande  ef*  i*émûte. 

€)n  court ,  on  s'àffembfe ,  on  députe 

A  Poifeau.    Seigneur  Cormoran, 
vD'oîi  vous  vient  cefc  avis  ?  queL  eft  votre  garant* 

Etes  -vous  fur  de  cette  affaire  ?  •. . 
N'y  fçavez-vous  remède?  &  qifeft-il  bon  défais? 
ehaiîger  dé  lieu,  dit- -il.  €ommcnt  le  ferons-nous? 
j&rén  foyez  point  en  foin  :  je  vous  porterai  tous 

L'un  après  l'autre  en  îna  retraite.  - 
$Jul ,  que  Dieu  feul  &  moi ,  n'en  connoît  les  chemins* 

Il  a^ft;deme]ure  plâs  fecretten    v 
Un  vivier  que  nature  y  creufa  de  fes  mains  L 

Inconnu  des  traîtres  humains».    ■- 

Sauvera  votre,  république. 

On  le  crut.    Le  peuple  aquatique  * 

I*'uh  après_Faufcre ,  fut  porté 

Sous  ce'rocber  peu  fréquenté.     ^ 

Là,  Cormoran  le  bon  apôtre, 

Les  ayant  mi^en  un  endroit 

Tranfparent,  pçu  creux ,,  fort  étroit, 
Vous  les  prenoit   fans  peine,    un  jour  l'un,  u? 
jourl'autre.   * 

Il  leur  apprit  à  leure  dépens , 
Que  l'on  ne  doit  jamais  avoir  de  confiance  j 

En  ceux  qui  font  mangeurs  de  gens. 
Ils  y  perdirent  peu  ;  puisque  l'humaine  engeance 
En  awoit  auffi  bien  croqué  fa  bonne  part. 
Qtfimporte  qui  vous  mange  ?  homme  ou  loup> 
toute  panfe  - 

Me  paroit  une  à  cet  égard  ; 

Un  jour  plutôt,  un  jour  plus  tardif 

Ce  n'eft  pas  grande  âifférençcte 


FABL  E      V: 
.  ^y£nfoui{feur.  &/on  Compère, . 

VJ  n  (i)  Pihce-maillé  avoit  tant  amaffé,*» 
*  .Qu'il  ne  fçavoit  ofi  loger  fa  finance. 
LJavaâce,  compagne  #  f<pur  de  lTgnçrance, .„ 

Le  rendoit  fort  embaraffé  "  '   -*. 

Daps  Iq  choix  d'un  dépofitaira  :  ,  r 
Dsfr  il  en  vbuloit  un  ;  &  voici  Ùl  raifbh.  , 4 
L'objet  tente;  iiiaudra  çse  ce  jponceau  s'altère; 

Si  je  lelaiflê'à  la  nTâifon:'      *   - 
MLoi  -même»  de  mon  bien  je  ferai  le  laqroi» 
Le  larron  ?  quoi  jouir ,  c'eft  fe  voler  foi  -  même  t 
Mon  ami,*  j'ai  pitié  de  ion  erreur  extrême-. 

Apprends  de  moi  cette  leçon  : 
Le  bien  >  n'eu  bien  qu'estant  que  l'on  s'en  peut. 

défaire. 
Sans  ceia^.ckffcim  mal.  Veu^tùl&réfervçr  •  -  ,  - 
Pour  un  âge&ttes  temps  qjiin'çn  ont  pHusgue'faifçf» 
La  peine  d'acquérir ,  le  foin  de  conferver ," 
Dtent  le  prix  à  l'or  qu'on  croit  fi  néceflàire.  - 

Pour  fe  décharger  d'un  tel  foîn  , 
Notre  homme  eût  pu  trouver  des  gçns  fûrâ  aubefotiv. 
[î  aima  mieux  la  terre ,.&  prenant  fon  compère,     f 
Celui-ci  l'aide:  ils  vcmt  enfouir- le  tréfor.* 
Aii  bout  de  quelque  temps  l'homme  va  voir  fon  or  ;  » 

11  ne  trouva  que  le  gîte. 
Soupçonnant  à  bon  droit  le  Compère,'  il  va  vit*  .  •„ 
Lai  dire  :  apprêtez  vous;  car  il  me  refte  encor 
Quelques  deniers  :  je  veux  les  joindre  à  l'autre  maûe.  ! 
Le  Compëre  auflï  -tôt  va  remettre  eu  (a  place 

(  î  )  Un* Àvârc  «utif ,  '  »   •    -^  •     .    .  •   .  •-  -  • 

N5-  '        ••■• 


*&     ÏABJETESI  CHOISIES 

Tout  reprendre  à  la  Fois,  fans  qu'il  y  manquât  ries» 
Mais  pour  ce  coup  J'aitfre  fut  fage  : 

11  retint  tout  chez  Iui,*réfelu4e  jouir', 

Plus  n'eiKafTer-,  plus  n'enfouir;    ,    » 

Et  le- pauvre  voWur  rre^cWànt  phis  foh  gage, 
Penfa  tomber  de  fa  hauteur.    ,*  ^ 

%v    ...    .  ■     *....,  -r  A  « 

Il  n'eft.pas  mal-aifé  de  tromper  un  £romp£ur. 

fi  V      ■»   ■'"'  •''•       ; /  * 

F  A    B    L E      V  I. 

':        Le  Loup  ÇflfT'  Beiferf.  •  '■ 


n 


n  Loup  *empH  (  i  )  dlwaïamté, 
X S'il  en  eft  de  tels  dans  le.monde) 
Fit  un  jour  fur  fi  cnrautè , 
Quoiqu'il  ne  l'exerçât  que'  par  fiécefBté, 

Une  réflexion  profonde. 
Jç  fuis  :ftaï ,  dit*  il ,  #de  qui?  de  chacanu 
;Ji  '*  Le  loup  eft  l'ennemi  conmam  : 

(i)Dc  ckmceur , d^affeétionipouT  1«  Ànimau*  de  tonte 
efpècc.  Les  Jioœmet  »  bien  éloignés  d'avoir  cette  huma- 
airê-li,'  ne  paroiflent  pas  même  refpe&er,'  ou  plutôt 
connoître   une    autre   forte    d'humanité'  qui  ne  concerne 

3 ne  <les*  animaux  de  leur  efpè6e..  Comme  elle  eft  ia  bafe 
e  toute  véritable  fociécé ,  &  de ,  toute  bonne  Religion , 
&r  qu'elle  n'oblige  les  hommes  qu'à  ne  point  maltraiter 
les  autres  hômme's  ,  qui  >eur  rendre  à  tons  les  mêmes 
Services  »  à  avoir  pour  eux  lie  s.  mêmes  égards  qu'en  pareil 
cas  -chaque'  homme  fe  *roit  en  droit,  d'exiger  de*  autres 
hommes ,  il  femble  que  |a  pratique  de  cette  vertu  lent 
devroit.  être  auflî  naturelle  c(ue  la  refplratlon.  Mais  la 
jriiniéré  dont -ils  fe  traitent  les  un&  les  autres,  montrent 
évidemment  ,  .qu'eiy  général .,  l'Homme  n'à^guère  plus 
d'humanité  pour  les  autres  hommes»,  qu'eut  pour  les 
Brebis  de  fon  voifinatje  le  £çup  dp&t  parle  ici  X^a  Foi- 
tiioc. 


Chiens ,  éhaflfeurs  ■,  villageois ,  s'affemblcnt  pour  fa 

peftè. 
Jupiter  eft  là -haut  étourdi  de  leurs  cris?' 
C'efl  par-là  xjue  de  Loups  l'Angleterre  eft  déferte: 
On  y  mit  notre  tête  à  prix.   v 

Contre  nous  £3  )  tels  bans  publier  : 

il  nfeft  marmot  ofuit  aier ,         *  > 
Que  du  Loup  aiiffi  -tôt  &  inere  m  menace. 

Lfc  tout  pour  un  ane  rogneux , 
Pour  un  mouton  pourri,  pour  quelquç  efy'enhar* 
.gneux 

Dont  J'aurai  paffé  mon  envie. 
Et  bien,  np  mangeons  plus  de  cKofe  ayant- eu  viet 
Paillons Phejbe ,  broutons,  mourons,  de  faim  plutôt»  [ 

Eft -ce  une  chpfe  û  cruelle? 
Vaut -il  mieux  s'attirer  la  haine  uniyerfelle? 
Difant  ces  mots ,  H  vit  des  JBeigers ,  pour  l*ur  rôt  > 

JMangeans  un  agneau  cuit  en  broche, 

Oh  foh  !  dit  -  il ,  je  me  j-eproche 
Le  fang  de  cette  gent  :  voilà  [es  gardiens    . 

S'en  xepaiilàns ,  eux  &  leurs  chiens  ; 

Çt  moi  Loup ,  j'en  ferai  fcrupule  ? 
Non,  par  tou$4es  Dieux,  non:  je  ferois  ridicule* 

Thibaut  l'agnelet  paflera , 

Sans  qu'à  la  broche  je  le  mette  ; 
Et  non  -feulement  lui ,  mais  la  mère  qu'il  tette, 

Et  le  père  qui  l'engendra, 
Le  loup  avoit  raifon.  Ett-U  dit  qu'on  nous  voie    { 

Faire  feftiii  de  toute  jproie , 
Manger  les  animaux;  &  nous  les  réduirons        -\ 
Aux  mets.de  (4)  l'âge  d'or ,  autant  que  nous  pourrons  T 

A})  Vieux  mot  qu'on  n'employé  «[u 'ironiquement  pou* 
«ligner  un  petit  Gentilhomme  de  campagne. 

(  3  )  Déclaration  faite   à  cri   public  ,   par  laquelle  an 
Promet  récompense  À  qui  tuera  un  Loup  ,f&c  #  • 

(4)  Des  premiers  temps»  où  les  hommes  vivoient  a* 
$**  &  de  légumes. 

N  6 


Ils  n'auront  ni  croc ,  ni  marmite? 
Bergers,  Bergers,*  le  Loup  n'a  tort .u 
Que  quand  if  n'cft  pas  le  plus  fort: 
Voulez -vous  qu'il  vive  en  hermite?  . 

I  ,  ,  ,  „  ssssaaesseBSggBgm 

F   A    B    L    E      V  I-It 

•  EAraignét  &?IfironM'?  -. 


O 


Jupiter,  quifçus  de  ton  cerveau* 
Par  un  lepret  d'accouchement  nouveau, 
Tirer  (  i  )  Fallas,  jadis  mon  ennemie,^ 
Entens  ma  plainte  une  fois  en  ta  vie. 
(2)  JProgné  me  vienç  enlever  les  morceaux.* 
Caracolant  j  frifant  l'air  &  les  eaux , 
Elle  me  prend  me*  mouches  à  ma  porte:- 
Miennes  je  puis-  les  -dire  :  &  mon  rézcau 
En  feroit  plein  fans  ce  maudit  oifeau: 
Je  l'ai  tiffa  de.  matière  aflez  forto* 
Ainfr,  d'un  difctnirs  infolent* 
$te  plaignojt  l'Araignée  autrefois  tapiffiére-, 

Et  qui- lors  étant  filahdiére, 
Prëtendoit  enlacer-  tout  infeéte  volant* 
La  Sœur  de  (3)  Philomele,  attentive  â.firproies 
jflaîgfé  le  beftîon  (  4)  happoit  mouches  dans  l'air, 
pour  fes  petits ,  pour  elle ,  impitoyable  joie , 
Que  fes  «nfans-.gloutons,  d'un  bec  toujours  ouvert, 

(  1  )  T>ÉcjTe  .  :  fille  de  Jwpirer,  qui  changea  Aragnc  0} 
araignée. 

<  1  )  Princeffe  »  qtii  Ait  *l»»gée  en  HirqndeUe. 

{  3  )  Autre  Prince/Te  *  ckangée  en  Roffiguol. 
*J(4>  .  ,  •  -  Ipfàqnt  volettes 
Ore  fitHnt  4Mcem  ni4i>  immitiku*  tfaum», 
Tîtg.  Gcor.  L.  1  v.  verf .  16,17.. 

On  ne  peut  guère  douter  que  L*  Fontaine  n'ait  cadet* 
Jrrn  çHautei  c*  deraier  rec*  de.  Virgile.,   ' 


f^un  ton  demi  -fonpé , T  bégayante  couvée  r. 
Demandoient  ,par  des  cris  egcor  mal  entendus** 

La  pauvre  Aragne  n'ayant  plus 
Que  la  tête  &  les  pieds ,  artisans  fuperflus  ^ 

Se  vit  elle -même  enlevée. 
L'Hircmdelip  en  paflànt -emporta  toile  &toot,  , 

J£t  Tanimal  pendant.au  bout. . , 

Jupin  pour  chaque  état  mit  deux  tables  au  monder-. 

Ëfedroit,  Vvigrtant,*  &  le-  fort  font  «ffis^; 
A  (5)  la  première;  &  les  petits 
Mangent  leur  rcfte  à  la  féconde*  _n  ,. 

(  5)  La  mieux  fervie. 


P 


F  A  B"  L   E      V  I  I  I. 

La  Perdrix  &  les  Coq&„ 


armi  de  certains  Coqs  incivils,  peu  galâîis, .    - 

Toujours  en  noifc  &  turbulcns, 

Une  Perdrix  étoit  nourrie. 

Sonfexe.&  rhofpitalité, 
De  H  part  de  ces  Cpqs,  peuple  à  l'amour  .pçxté*» 
Lui  fajfoient  efpérer.  beaucoup  d'honnêteté.;, 
lis  fejoient  les  honneurs  delà  ménagerie. 
Ce  pçiiple  cependant  fort  fouvent  en  furie, 
Pour  la  dame  étrangère  ayant  peu  de  refpeft,' . 
Lui  donnoit  fouvent  d'horribles  coups  de. bec. 

D'abord  elle  en  fut  affligée  : 
Mais  fi*  tôt  qu'élis  eut  vu  cette,  troupe  enragée  r 
S'entrèb'attre  e\le-même,  &fe  percer  les  flancs  # 
Elle  fe.confola.  Ce  font  leurs  mœurs,  dit- elle: 
N£  les  aceufons  point;  plaignons  plutôt  ces  gens*, 

Jupiter  fur  un  ftul  modelle 

J  X  7 


«*       FAX  LE  S    CfttflêflES 

N*a  pas  formé  tous  les  efprits. 
11  efldes  naturels  de  Coqs  &  de  Perdrix. 
S'il  dépendent  de  moi ,  je  pafleroîs  ma  vie 

En  plus  honnête  compagnie. 
Le  maître  de^ces  lieu*  en  ordonne  autrement. 

Jl  nous  prend  avec  des  (i  )  tonnelles , 
Nous  loge  avec  des  Coqs,' &  nous  coupe  les  ailes: 
C'eft  de  l'homme  qu'il  faut  fe  plaindre  flMemçnt. 

(  i  )  Filets  dont  on  fc  fert  pour  prendre  les  Perdrix, 
dans  le  temps  qu'elles  font  arrêtées  par  un  Ckiea. 


FA    B    t    E.    I  X, 

Le  Chien  à  qui  on  a  coupé  les  oreilles. 


Ju'ai-je  fait  pour  me  voir  ainfi 
-  Mutilé  par  mon  propre  maître? 
1  Le  bel  état  oil  me  voici  ! 

i  Devant  les  autres  Chiens  oferai-je  paroître? 
1  O  rois  des'  animaux,  ou  plutôt  leur  tyrans  ! 
Qui  vous  feroit  chofes  pareilles? 
Ainfi  crioit  Moufflar,  jeune  dogue;  &  les  gens    , 
Ffcu  touchés  de  fes  cris  douloureux  &  perçans, 
Venoiént  de  lui  couper  fans  pitié  les  oreilles. 
Moufflar  y  croyoit  perdre.  Il  vit  avec  le  temps- 
Qu'il  y  gegnoit  beaucoup  :  car  étant  de  nature 
A  piller  fes  pareils,  mainte  méfaveoturé 

L*auroit  fait  Retourner  chez  lui 
Avec  cette  partie  en  cent  lieux  altérée  : 
Chien  hargneux  a  toujours  Pareille  déchirée. 

te  moins  qu'on  peut  laiflfer  de  prife  aux  dents  cfautrui, 
Ceft  -le  iuieuV  Quand  oa  n'a  çp'un  endroit  à  d£ 
fendre, 


'  On  k  mur^rde  peur  d'efichota  :  -.         ;     # 
Témoin  maître  Moufflar  armé  d'un  (  i  )  goxgerin  ; 
Du  relie  ayant  cToreilie  autant  que  fur  ma  main,     '' 
Un  ioup  n- eût  fçu  par  où  le  prendre. 

(  i  )  Quelque    feus  qu'on    donne  an  mot  de    Gor^tt**- 
dansjes  Diàionrialres ,    Il  ne  peut  frgnifier  fri  qu'un  gto* 
colier 'hénflfe  <k'  portes  de  Ver,  qui  fort  à  défend»  ie' 
Chien  conte*  U§  «waque*  du  toHp.  ' 


« 


D. 


FABLE      X. 

Ite  Berger  &  4e  ifo* 


j^eux  démons,  à  leur  gré,  partagent  ridtyevie,' 
Et  de  fon  patrimoine  ont  chaffé  la  raifon. 
te  ne  vois  point  de  cœurs  qui  ne  leur  facrifie. 
Si  vous  demandez  leur  ^tat  &  leur  nom , 
J'appelle  l'un ,  amour.;  &  l'autre,  ambition. 
Cette  dernière  étend  le  plus  loin  fon  empire; 

Car  même  elle  entre  dans  l'amour. 
Té  le  ferois  bien  voir  :"  mais  meta  but  eft  de  dm 
Comme  un  Roi 'fit  rènir  un  Berger  à  fa  cour . 
Le  conte  eft  du  (i)  bon  temps,  nondufiécle  oli 

nous  fbmmés. 
Ce  Roi  vit  un  troupeau  qui  couvroittous  les  champs, 
Bien  broutant,  en  boncorps,  raportant  tous  les  ans, 
Grâce  aux  foins  du  Berger ,  de  très  -  notables  Comme*. 
Le  Berger  plut  au  Roi  par  fes  foins  dihgens..  . 

Tu  mérites,  dit-il,  d'être pafteur de  gens:- 
Laiffe  -Jà  tes  moutons ,  viens  conduire  de*  hommes. 

Je  te  fais  Juge  fouVèrain.  .y; 

Voilà  notre  Berger  la  (2)  balance  à  larûanu 

liV  Du  vieux  temps ,  qui  *tojt  meflkttx  que  le  piticitx. 
W  C-cft  le  fyttboic  de  la  Juttu*.     <  ; 


i&ï   pabljîs  ca&isrr.s 

Quoiqu'il  n'euttguére.  vû.d'autrcs  gens  qu'uû  her- 
-  mite ,  ! 

'Son* troupeau ,  fes  mâtins,  leloup,&puisc*cfttout,« 
11  avoit  du  bon  fens  :  le  refte  vient  enfuîte  ;  - 

Bref,  il  en  vînt  fqjt  bien  à  bout. 
X'hfcrmîte  Ton.  voifin  accourut  pou*  lui  dire:  ~ 
Veiftai-je*  n!eft  ^ce  point  un  fonge;  que  je  vois?  ^ 
Vous  favori!  vous  grandi  défiez -vous-desrok>:  : 
Leur  faveur  eftgliffante,  ons'y trompe;  &lepire>_ 
CWt  qu?  11  enxom»  cher  :  de  pareilles  erreu»  -    .  » 
Ne  produifent  jamais  que  d'illuftres  malheurs. 
Vous  ne  connqiffez  pas  l'attrairqui  vous- engage. 
Je  vou*  parle- en  ami.  Craignez  tout.  L'autre  rit;  ; 

Et  nç$revheJ?nitç  poiwfuhrit; 
Voyez  combien  déjà  la  Cour  vous  rend  peu  fage. . 
Jç  jçtoîs  voir  cet  aveugle,  à  qui  dans  un  voyage : 

Un  ferpent  engourdi  de  froid,.  . 
Vint  s'çgrir  fous  la  main  :  il  le  prit  pour  un  fouet  • 
Le  fien  s'étoit  pptdu  tombant  de  fa  ceinture. . 
Il  rendort  grâce  au  ciel  <k  L'Jbeureufe  ayanture  , 
-Quand  unpaffant  cria:  que  tenez  >  vous?  ô  dieux  L- 
Jetteçcèt  animal  traître  &  pernicieux,   .  "  (dis -je: 
Ce  ferpent.  C'eû  un  fouet.  C'eft  un  ferpent,  vous. 
A  me  tant  tourmenter,  quel  intérêt  mloblige? 
Pj&étcndes  -  yous;  garder,  ce  tréfor  2  Pourquoi  non  ?  ' 
Mon  fouet  étoit  ufé  /j'en  retrouve  un  fort  bon; 

Vous  n'en  parlez  <jue  par  envie..  . 

L'aveugle  enfin  ne  le  crut  pas,.. 

Il  en  perdit  bien -tôt la  vie.: 
L'animal;  dégourdi  piqua  fon  homme  au  bras*  - 

Quant  à  vous ,  j -ofe  vous  prédire 
QuCH.VOus  arrivera  quelque  ehbfe  de  pire.. 
Eh?  que  me  fçauroit- il. arriver  que  la  mort?  ~ 
Mille  dégoûts  .viendront,  dit. le. prophète hetmïte.* 
Il  en  vint  en  effet:  l'hermïté  n'eut  pas" tort. 
Mainte  X3)peftedecour  fit  tant  par  maint  reiïbrt,  m 
ii)  Lcs  envieux  &  aKctffito*, 


Que  la< candeur  du  Juge,  ainfîque  fon  mérite, 
Furent  fufpe&s  au  prince.  On  cabale,  onfufcite. 
Accufateurs  $  gçns  (4)  grevés  par  fes  arrêts. 
IDe  nos  biens ,  dirent,-  ils-,  il  s'eft  fait  un  palais» . 
lie  princç.  youloit  voir  <fes  riçheffes  ûpurçitfes , 
Il  de  trouva  par -tout  que  m^iocrité^ 
Louanges  du  défert  &  de  la  pauvreté  : . 

C'étoit-là  fes  magnificences- 
Son  fait  s  dit -on,  confifte  en  des  pierres  de  prix: 
Un  grand  coffre  eiveft plein ,  fermé  de  dix  .Serrures, 
LuJ-méme  ouvrit  ce  coffre,  &  rendit  bien  furpris  ,- 

Tous  les.  machineurs  dtfnipofruirçs. 
JP^  coffre  étant  ouvert,  on  y  vit  dos  lambeaux^ . 

tt'habit  d'un  gardeur  de  troupeaux, 
Petit  chapeau,  jupon,  panetière,  houlette* 

"Et  y  je  penfe ,  auΠ fa  mufette. 
Douxtréfors  !  ce  dit -il,  cher  s  gages ,  qui  jamais , 
N'attirâtes  fur  vous  l'envie  &  le  menfonge,         7 . 
Je  vous  reprens  :  fortons  de  ces  riches  palaût,,. 

Comme  Ton  fortiroit  d'un  fonge. 
Sire,  pardonnez -moi  cette  exclamation, 
pavois  prévu  ma  chute  eg  montant,  fur  le  faite. 
Je  m'y  luis  trop  complu  :  mais  qui  n'a  d^yps  la  téta  " 

Un. petit  grain  d'ambition? 
(4)  Opprimés  »  condamnas  injuftcment  ptr  fes  Décifiop* 


F   A,  $   L    E%.    XJ. 

Les  Posons, &  k  Berger  qui  joue 
dt  ta  flûte* 


T.: 


ircis,-  qnl.pour  laleule  Ànnettç 
Faifoit- réfonner  les  accords 
D'une  voix  &  d'une  mufette 
Capable*  de  toucher  les  morts  ^ 


àp»        FABLES    C  S  Ô  î  S  f  E  S 

Chantoit  un  jour  le  long  des  bords 
D'une  onde  arrofant  des  prairies , 

Dont  Zéphire  habitoït  les  campagnes  fleuries. 

Anriettc  cependant  a  la  ligne  pêchoijt  : 

Mais  nul  poiffon  ne  s'apprôchoit. 
La  Bergère  perdoit  fes  peines* 
Le  Berger  qui ,  par  fes  chànfons , 
-    Eût  attiré  des  inhumaines , 
Crut,  &  crut  mal,  attirer  des  poifïbns. 

Il  leur  chanta  ceci  .-citoyens  de  cette- onde , 

Laiffez  votre  (î)  nayade  en  fe  grotte  profonde; 

Venez  voir  un  objet  mille  fois  plus  charmant. 

Ne  craignez  point  d'ehtrer  aux  prïfôns  de  la  belle  i 
Ce  n'eft  qu'à  nous  qu'elle  eft  cruelle  : 
Vous  ferez  "traités  doucement; 
On  n'en  veut  point  à  votre  vie. 

Urï  vivier  vous  attend,  plus  clair  que  fin  criflaL 

Et  quand à  quelques-uns  l'appât  (feroit  Fatal, 
"  Mourir'des  mains  d'Annette  eft  un  fort  que  J'enviCi 

Ce  difcouis  éloquent  ne  et  pas  grand  effet  : 

L'auditoire  étoit  foùrd  auffi-bien  que  muet. 

TJrcis  eut  beau  prêcher:  ees  paroles  miellées, 
S'en  étant  au  vent  envolées, 

11  tendit  un  long  rets.  Voilà  les  poiffons  pris: 

.Voilà  les  poiffons  mis  aux  pieds  de  la  Bergère, 

O  Vous!  pafteurs  dlhumains &  non  pas  de  brtbfy 
Rois,  qui  croyez  ga§per  par  raifon  les  eiprits 

D'une  multitude  étrangère, 
Ce  ri'eft  jamais  rpar-  là  que  Von  en  vient  à  bout; 

Il  y  feut  une ,  autre  maniéré  : 
Servez -vous  de  vos  rets,  la  puiffance.  fait  tout. 

(0  £fp4ee  4e  Wymph*  qui  fcjoume  dm  Idéaux,  fdo* 
^5  Ppëtes. 


-  t~  IVRE     X     '       a» 

FA  B'L  E    Xït.  ~ 

c£«f  dtuxPerroquas,  ItRoi.&fonFUf. 


De* 


eux  Perroquets ,  Pua  père  &  l'autre  fiïs, 
Du  rôt  d'un  roi  faifoieht  lefcr  ordinaire. 
Deux  demi -dieux,  l'un  fils  &  l'autre  père, 
De  ces  oifeaux  faifbîent  leurs  fcvoris. 
L'âge  lioit  une  amitié  fincere  ,  -    " 

Entre  ces  gen&  Les  deux  pères  s'aimoient  : 
*    Les  deux  enfans,  malgré  leur  cœur  frivole, 
•L'un-  avec  l'autre  auffi  s*accoutumoient;  -    J 
Nourrie  enfémble  &  compagnon*  d'école. 
Cétàt  beaucoup  dTioWur  au  jeune  Perroquet ,-  '  - 
Car  l'Enfant  étoit  prince,  &  fon  Pete  monarque. 
Par  le  tempérament  que  lui  donaa  la  (  r  )  parque  , 
11  aimoit  les  oifeaux.  Un  moineau  fort  coquet, 
Et  le  plus  amoureux  de  toute  là  province  f 
Faifoit  auffî  fa  part  des  délices  du  prince.  ; 

Ces  deux  rivaux  un  jour  enfémble  fe  jouans^ 
Comme  H  arrive  aux  jeunes  gens, 
<  Lé  jeta  devînt  une  querelle. 
Le-pafTereau,  peu  ckconl^éa, 
S'attira  de  tels  coups  de  bec, 

Sue  demi  -  mort  &  traînant  l'aile , 
n  crut-qu'il  n'en  pourroît  guérir,  y 
Le  prince  indigné  fit  niourir 
Son  Perroquet.  Le  bruit  en  vint  au  père. 
I/mfottufté  vieillard  oie  &  fc  défefpere  ; 

(  i  )  Qui ,  au  dire  des  Poètes ,    préfidt  *  *U  »»iflt«çe 
le  cow$  de  leur  Vie. 


JW        FA*LE'S    CB-0ÎS4ES- 

Le  tout  en  vain  :  fes  cris  font  fuperflus  : 
•:;  -;  -  •  ifrifeau  parleur  eft  dé#  dans  'te  ^barque  : 
Pour  dire  mieux,  J'oifeau  ne  parlant  plus , 
Sait  qu/en  fureur  fur  le  fijs  di*  moparque , . 
Son  père  s'en  va  fondre  &  hri  crève  les  yeux. 
'Il  fe  fauve  auiïi-tôt,  &choifit  pour  afile 

-  .  Le  hautxhm  pin.  ,Là,  dans  Je  fein  des  dieux, 
Il  goûte  fa  vengeance  en  lieu  fur  &  tranquille  : 
Le  roi  lui-même  y  court,  &  dît  pour  l'attirer  : 
Anii3  reviens  chea  moi:  que  nous  fert  de  pleurer? 
Haine,*  .vengeance  &  deuil ,  laiSbns  tout  à  la  porte. 
t .    Je  fuis  »  contraint  de.  décl^rer^    : 
H&cor  que  ma  douleur  ibit  forte* 
Que  le  tort  vient  de  jïous  :  mon  fils  fut  Pagrefleur. 
3Mpp  fils  i  non  :  c'eft  le  fort  qui-  du  coup  eft  l'auteur. 
La  parque  ayoit  écrit  de  tout  temps  en  fon  livre, 
Que  l'un  de  nos  enfans  devoit  «ceffer  de  vivre, 

.  Kautrç  de.  voir,  par  ce  malheur c  - 
CoQfolons-nous^oùs  deux, .  &  Jfeviçns  dans  ta  cage* 
.     Le.  Perroquet  dit:  ûïe  Roi,.    , 
,      Crois -tu  qu'après  inrtel  outrage. 
*    latine.  doive_  fier  à  toi,?  . 
Tu  m'allègues  le.,fo«:.,p.rétens-tu  par  ta  foi  « 
Me  leurrer  de  l'appât  d'un  profane  langage?  . 
Mais  que  la  Providence,  pu,  bierj  que.le  deftin 

Kégle  les  affaires;  a\  monde,,.   ' 
K  eft  écrite  (2)  là -haut  qu'au  faîte  de  ce  pin* 

-  Ou  dans  Quelque  /<*rèt  profpnde,    ; 
J'achèverai  mes  jours  loin,-du  fatal  objet      ; 

*   Qui  doit  V4tte  un  .jufte  fujet. .     . -  j \  - 
De  ha/ne-  &  de  fureur.  Je  fçais  que  la  vengeance 
Eft  un  (3)  morceau  de  roi,  car  vous  vivez  on  dieux» 

.  Tu  «veux  publier  cette  offenfe: 
Je  le  créis  :.  cependant^  il  me  faut,,  pgur  le  mieu** 
Eviter  ta  main  &  tes  yeux. 
t*)  Dans  le-Clet. 
(*)  C<mb«*  fout  tesîtffo**  <*M*fottt  ttffetrés  la  W 


"      ï,    I    V    «.  "te    '  X.  ryh 

Sire  roi,  mon  ami,  va  t'en,  tu  p$rds  ta<  peine-, 

Ne  me } parle  point  dq  retour: 
L'abfence  eft  auffi  -  bien  un  remède  à  la  haina, 

Qu'un  appareil  contre  l'amour. 


SBSgSffl 


F  AELE   -.Km. 

•     La  Liowe  &  l'Ours. 

IvJLere  Lionne*  avoit  perdu  loir  (  i  )  'fan  :     - 
Unchafleur  l'avoit  pris.  '  La  pauvre  infortunée  ' 

x  PouiToit  un  tel  rugifTemçnt, 
Que  toute  la  forêt  étoit  importunée.  - 
.    "La  nuit ,  ni  fon  obfcurité , 

Son  fîlence  &  fes  autres  Charmes -, 
De  la  Reine  des.  bois  n'arrêtoit  les  vacarmes. 
Nul  animal  n'étoït  du  fomioeil  vifité. 

L*Onrs  enfin  lui  dit:  ma  commère* 

Un  mot  fans. plus:  tous  les  erifans   ~ 

Qui  font  paffés  entre  vos  dents ,   . 

N'avoient-ils  ni  père  ni  mère? 

Ils  en  avoient.  S'il  eft  ainfî,  "     . 
It  qu'aucun  de  leur  mort  n'ait  nos  têtes  rompue*  >' 

Si  tant  de  îneres  fe  font  tues, 

Que  ne  vous  taîfez- vous  àuiîî? 

Moi  me  tafre?  moi  mafbeuïeufe! 
Ah!  j'ai  perdu  monfils!  il  me  faudra  traîner 

Une  vieilleffe  douloureufe. 
Dites -moi,  qui  vous  force  à  vous  y  condamner? 
Hélas  !  c'eft  le  deftin  qui  me  hait.    Ces  paroles 
Ont  été  de  tous  temps  eu  la  bouche  de  tous. 

Miférables  humains,  ceci  s'adrefTe  à'vous. 
Je  n'entens  réfonner  que  fe  plaintes  frivoles,  : 
{j  )  Son  Petit,  ••  ' 


$&       TABLES    CHOISIES 

Quiconque,  en  pareil  cm,  fe  croit  haï  des  deux, 
Qu'il  confidere  (a)  Hécube,  il  rendra  grâce  aux 
dieux. 

(  1  )  Femme  du  Roi  Prisai  ,  réduite  en  «fclavage  après 
évoir  vu  mettre  à  more  Ton  mari,  &  k  plupart  <ic  fes 

entas  9.  BtCm         -  *     - 


FA    B    L    E     XIV. 

Les  dmxAvanturiers  &leTtdismcm, 


A« 


Lucun  chemin  de  fleurs  ne  conduit  à  la  gloire. 
Jç  n'en  veux  pour  témoin  ,   qu'fiercule  &  (es 
'  travaux.  - 

Ce  dieu  n'a  guère  de  rivaux  : 
J'en  vois  peu  dans  la  fable ,  encor  moins  dans  Thf- 
toire. 
En  voici  pourtant  un ,  que  de  vieux  (1)  Talismans 
Firent  chercher  fortune  au  pays  des  (2)  romans. 

II  voyageoît  de  compagnie": 
Son  camarade  &  lui  trouvèrent  un  poteau, 
'   .         Ayant  au  haut  cet  écriteau: 
Seigneur  Avanturier,  s'il  te  prend  quelque  envie 
De  voir  ce  que  n'a  vu  nid  (3)  Chevalier  errant , 
Tu  n'as  qu'à  pajjer  ce  torrent  >r 

1 1  )  Certaines  figures  gravées,  ou  taillées  fur  quelque 
pierre  ou  métail  avec  jpjuficw»  vaines  obfervations  furies 
caractères  &  les  difpofitions  des  corps  c dettes  :  auxquelles 
«figures  les  Charlatans  attribuent  des  vertus  m érveillcufcsT 

(z)  Hiitoire  d*  pure  invention ,- dont  la  plupart  font 
compofées  de  faits  arrives  dans  des  lieux  tout  auflt  chi- 
«briques  que  ces  faits.  Teilc  cit  l'avauture  ùui&it  le  fuiet 
4c  cette  Faole. 

(  3  >  0»*  «ouït  <U  cottrec  et  contrée  pour  chercher  loi 
Avanturcs. 


LIVRE?.  Sof 

fuis  prenant  dans  ttsbrasun  éléphant  de  pierre. 

Que  toi  verras  couché  par  terre  >  ~~ 
Le  porter  tt'une  kçleine  aufimmet  de.  ce  mnt 
Qui  menace  tes  deux  êc  fin  fuperbe  ffont. 
L'un  des  deux  Chevaliers  (4)  faigna  du  nez.   Si  Tonde 

Eft  rapide  autant  que  profonde/ 
Dit  -  il ,  &  fuppofé  qu'on  la  puiffie  paûer , 
Pourquoi  de  l'éléphant  s'aller  embarrafiêr  ? 

Quelle  ridicule  entreprife  ! 
Le  fage  l'aura  fait  pà/tel  art  &  de  guife,, 
Qu'on  le  pourra  peut-être  porter  quatre -pas  : 
Mais  jusqu'au  haut  du  mont ,  d'une  haleine ,  il  n'eilpag 
Au  pouvoir  d'un  mortel ,  à  moins  que  la  iigure 
Ne  foit  d'un  éléphant  nain ,  pigmée ,  avorton , 

Propre  à  mettre  au  bout  .d'un  bâton  :  * 
Auquel  cas,  où  l'honneur  d'une  telle  avantureî 
On  nous  veut  attraper  dedans  cette  écriture  : 
Ce  fera  quelque  énigme  à  tromper  un  enfant.  ' 
C'eft  pourquoi  je  vous  iiiflfe.  avec  votse  éléphant. 
LeRaifonneur  parti,  l'Avanturief  fe  lance, 

Les  yeux  clos ,  à  travers  cette  eau. 

Ni  profondeur  ni  violence 
Ne  purent  l'arrêter  ;  &  félon  l'écriteau , 
Il  vit  fon  éléphant  couché  fur  l'autre  rive* 
11  le  prend,  il  l'emporte,  au  haut  du  mont  arrive» 
Rencontre  UDe  efplanade,  &  puis  une  cité. 
Un  cri  p ar  l'éléphant  eft  ausfî  -  tôt  jette. 

'  Le  peuple  ausfi-  tôt  fort  en  armes. 
Tout  autre  Avanturier,  au  bruit  de  ces  alarmes, 
Auroit  fui-  Celui  -  ci ,  loin  de  tourner  le  des , 
Veut  vendre  au  moins  fa  vie ,  &  mourir  en  héros, 
11  fut  étonné  de  voir  cette  cQhorte , 
Le  proclamer  monarque  au -lieu  de  fon  roi  mort. 
11  ne  fe  fit  prier  que  de  Ja  bonne  forte ,     ,     '     .  „ 
Encor  que  le  fardeau  fût,  dit -il,  un  petf  fort, 

i<\ )  Fut  rebuté  d'une  celle  entreprife. 


V>V     FAÈLËS  TpHTOlSlES 

(5)  Sixte  en  difoit  autant- quand  on  le  fitfaint père, 
(Séroit-ce  bien  une  mifere 
'Que  d'être  pape, ou  d'être  roi?)    - 

On  reconnut  bien -tôt  fon  pçu  de  bonne  foi» 

Fortune  aveugle  fuit  aveugle  hardieffe. 
Le  fage  quelquefois  feit  bien  d'exécuter, 
Avant  que  de  donner  le  temps  à  la  fageflfe 
D'envifager  le  fait,  &  fans  la  confulter. 

(  y  ).  Ciaquiémrdû  nom  ',  quiad  il  fut  élu  Ptpc. 


FABLE      XV. 

hes  -Làpifù. 
D  I  §  C  O  U  R  S 

%  Mr.  1È  DUC  DE  LA  ROCHEFOÙCAULT. 

JJ  e  me  fuis  ibuvënt  dît,  vôyarit  de  quelle  forffe 

•  L'homme  agît,  &  qu'il  fe  comporte 

En  mille  occafîons  comme  les  animaux  : 
Le  roi  de  ces  gens-  là  n'a  pas  moins  de  défauts 
.'   Que  fes  fujets;  &  la  nature 
A  mis  dans  chaque  créature 
Quelque  grain  d'une  niafie  où  puifentles  (ï)  efprits, 
pentens  les  efprits  corps ,  &  paîtfîs  de  matière. 
f    Je  vais  prouver  ce  que  je  dis. 

A  l'heure  de  l'affût,  îôît  (2)  lorsque  la  lumière 


(  1  )  Qui  font  dans  le  fang, 
•<*)  Un  ptu  avaft  U  |wict 


Précipite  fes  traits  dans  l'humide  féjour, 
Soit  lorsque  1e  foteil  rentre  dans  fa  cariére , 
Et  que  n'étant  plus  nuit ,   il  ri'efl  pas  encor  jour, 
Au  bord  de  quelque  bois  fur  un  arbre  je  grioipe; 
Et-,  nouveau  Jupiter,  du  haut  de  cet  olympe, 

Je  foudroie  à  difcrétïon 

Un  Lapin  qui  n'y  penfoit  guéres. 
Je  vois  fuir  aufli  -  tôt  toute  la  nation 

Des  Lapins ,  qui  fur  la  bruyère  f 

L'œil  éveillé,  l'oreille  au  guçt, 
S'égayoft,  &  de  thim  parfumoît  leur  banquet. 

Le  bruit  du  coup  fait  que  la  bande 

S'en  va  chercher  fa  fiftreté 

Dans  la  fouteraine  cité  : 
Mais  le  -danger  s'oublie  ;  &  cette  peur  fi  grande 
S'évanouit  bientôt»  Je  revois  les  Lapins 
Plus  gais  qtfauparavamt  revenir  fous  mes  maint. 
Ne  reconnolt-on  pas  en  cela  les  humains? 
•    Difperfés  par  quelque  orage , 

A  peine  ils  touchent  le  port,        ' 

Qu'ils  vont  hazarder  encor 

Même  vent,  même  naufrage* 

Vrais  Lapins ,  on,  les  revoit 

Sous  les  mains  de  la  fortune» 
Joignons  à  cet  exemple  une  chofe  commune." 

Quand  des   chiens  étrangers  pafîènt  par  ^quelque 
endroit 

Qui  n'eft  pas  de  leur  détroit , 
Je  laiffe  à  penfer  quelle  fête! 
Les  chiens  du  lieu  n'ayant  en  tête 

QuHm  intérêt  de  gueule ,  "  à  cris ,  à  coups  de  den* 
Vous  accompagnent  ces.palTans 
Jusqu'aux  confins  du  territoire. 

Un  intérêt  de  biens >  de  grandeur,  &  de  gloire, 

Aux  gouverneurs  d'Etats,  à  certains  courtifans^ 
if.  Pmk,  O 


y*        FABLES    CHOISIES 

A  gens  de  tous  métiers,  en  fait  tout  autant  foire 

On  nous  voit  tous,  pour  l'ordinaire, 
Piller  le  furvenant ,  nous  jetter  fur  fa  peau. 
La  coquette  &  l'auteur  font  de  ce  caractère  : 

Malheur  à  l'écrivain  nouveau  ! 
Le  moins  de  gens  qu'on  peut  à  i'entour  du  (3)  gâteau ,  ( 

.  Ceft  le  droit  du  jeu,  c'eft  l'affaire. 
Cent  exemples  pourroient  appuyer  mon  difeours. , 

Mais  les  ouvrages  les  plus  courts  1 

Sont  toujours  les  meilleurs.  En  cela;  j'ai  pour  guide  1 
Tous  les  maîtres  de  l'art,  &  tiens  qu'il  .faut biffer 
Pans  les  plus  beaux  fujets  quelque  choft  à  penfer: 

Ainiî-ce  difeours  doit  ceffer. 

Vous ,  qui  m'avez  donné  ce  qu'il  a  de  folide, 

Et  dont  la  modeftie  égale  la  grandeur, 

Qui  qe  pûtes  jamais  écouter  fans  pudeur  { 

La  louange  la  plus  pprmife ,, 

La  plus  jufte ,  &  la  mieux  acquife  ;  | 

Vous  enfin,  dont  à  peine  ai  -je  encore  obtenu  < 
Que  votre  nom  reçût  ici  quelques  hommages ,  ! 

Du  temps  &  des  cenfeurs  défendant  mes  ouvrages,  | 
Comme  un  nom  qui  des  ans  &  des  peuples  connu ,  ; 
Fait  fconneur  à  la  France ,  en  grandsnoms  plus  féconde 

-Qu'aucun  climat  de  l'univers  ;. 
Pertncttez  -  moi  du  moins  d'apprendre  à  tout  le  monde, 
Que  vous  m'avez  donné  le  fujet  de  ces  vers. 

(  3  )  Un  bien  qui  cft  à  partager  eatrç  pluficor*. 


L    I    V    B.    £      X.  507 


F   A    $    Z    E      XVI. 

Le  Marchand*  le  Gentilhomme  ,  te  Pdtrt 
&leJUs  de  Roi. 


Q 


luatre   (1)  chercheurs  de  nouveaux 
mondes , 

Presque  nuds,  échappés  â  la  fureur  des  ondes , 
Un  Trafiquant,  un  Noble,  un  (a)  Pâtre,  un  Fils    ' 
de  Roi, 

Réduits  au  fort  de  (  3)  Belifaire, 

Dcmandoient  aux  pafTans  de  quoi 

Pouvoir  foulager  leur  miferç. 
ï)e  raconter  quel  fort  les  avoit  afTemblés , 
Çuoiquefous  divers  points  tous  quatre  ils  fuflent  néSf  ' 

C'eft  un  récit  de  longue  haleine. 
Ils  suffirent  enfin  au  bord  d'une  fontaine. 
La,  le  confeil  fe  tint  entre  les  pauvres  gens. 
Le  Prince  s'étendit  fur  le  malheur  des  grands* 
Le  Pâtre  fut  d'avis ,  qu'éloignant  la  penfée  . 

De  leur  avanture  pafTèe , 
Chacun  fit  de  fon  mieux,  &  s'appliquât  au  foînt 

De  pourvoir  au  commun  befoin.  • 
La  plainte,  ajouta- 1- il,  guérit -elle  fon  homme?, 
Travaillons  :  c'eft  de  quoi  nous  mener  jusqu'à  Rome. 
Un  Pâtre  ainfi  parler!  ainiï  parler?  croit -on        v 
Que  le  ciel  n'ait  donné  qu'aux  têèes  couronnée» 

De  l'efprit  &  de  la  raifon; 

(1)  Engtgés  dans  de  longs  voyages  par  mer.  - 
(1)  Un  Paifan  Qui  mène  paterc  les  Beftiapx. 
(3)  Belifaire  étoït  un  grand  Capitaire  ,   qui  ayant  coill* 
mandé  les  Armées  de  l'Empereur  luftinien,  &  perdu  les  bon* 
nés  grâces  de  fon  maître  »  tomba  dans  un  tel  point  de  ttjfcrt» 
'  qu'il  dèmandoit  l'aumône  far  les  grands  chemin* 

o  % 


308        FABLES     CHOISIES 

Et  que  de  tout  berger  comme  de  tout  mouton , 

Les  connoiflances  foient  bornées? 
L'avis  de  celui  -  ci  fut  d'abord  trouvé  bon 
Par  les  trots  échoués  au  boni  de  l'Amérique. 
L'un ,.  c'étoit  le  Marchand ,  fçavoit  l'Arithmétique , 
À  tant  par  mois ,  dit- il,  j'en  donnerai  leçon. 

J'enfeignerai  la  politique , 
Reprit  le  JFils  de  Roi.  Le  Noble  pourfuivit, 
Moi,  je  fçai  le  (4)  blafon,    j'en  veux  tenir  école; 
Comme  fi  devers  l'Inde  où  eût  eu  dans  l'efprit 
La  fotte  vanité  de  ce  jargon  frivole. 
Le  Pâtre  dit  :  amis ,  vous  parlez  bien  :  mais  quoi  ? 
Le  mois  a  trente  jours ,  jusqu'à  cette  échéance 
•Jeûnerons  -  nous  par.  votre  foi  ? 
Vous  me  donnez  une  efpérance 
Belle ,  mais  éloignée  ;  &  cependant  j'ai  faim. 
Qui  pourvoira  de  nous  au  dîner  de  demain  ? 

Ou  plutôt ,  fur  quelle  afTurance 
Fondez-  vous ,  dites -*moi ,  le  fouper  d'aujourd'hui?  ' 
Avant  tout  autre  c'eft  celui 
Dont  il  s'agit  :  votre  fcience 
Eïl  courte  là-deflus:  ma  main  y-fuppléra. 

A  ces  mots ,  '  le  Pâtre  s'en  va 
Dans  un  bois  :  il  y  fit  des  fagots ,  dont  la  vente, 
Pendant  cette  journée  &  pendant  la  fuivanttf, 
Empêcha  qu'un  long  jeûne  à  la  fin  ne  fit  tant, 
Qu'ils  allaffent  là  -  bas  exercer  leur  talent. 

Je  conclus  de  cette  avanture, 
Qu'il  he  faut  pas  tant  d'art  pour  conferver  fes  jours  ; 

-Et  grâce  aux  dons  de  la  nature, 
La  main  eft  le  plus  fur  &  le  plus  prompt  fecours. 

(4)  La  Science  des  Armoiries. 

Fm  du  dixième  Livre. 


*S!SSfegS5©£®!SSSSSSSSSSSSSSS.^ 


*îS6SSSSSÎ9ÎSgS{:©S®S@SStSSSSSf* 


JL    I'F  R   E        ONZIEME. 


FABLE    PREMIERE. 


Le  Lion. 


(O  Uulta»  Léopard' autrefois 

Eut,  ce  dit -on,  par  mainte  ( i )  aubaine 
Force  bœufs  dans  les  prés,  force eerfs  dans  fesbois, 

Force  moutons  parmi  la  plaine. 
Il  naquit  un  Lion  dans  la  forêt  prochaine. 
Après  les  complimens  &  d'une  &  d'autre  part, 

,   Comme  entre  les  grands  il  fe  pratique,-- 
Le  fultan  fit  venir  fon  (3)  vifir  le  renard, 

.   Vieux  routier  &  bon  politique. 
Ttl  crains,  ce  lui  dit -il,  (4)  Lionceau  mon  voiGni 
Son  père  eft  mort ,  que  peut  -  il  faire  ? 
Plains  plutôt  le  pauvre  orphelin. 
:    Il  a  chez  lui  plus  d'une  affaire , 

(  t  )  Riche  &  puîflant  Seigneur. 
(2)  Confifcation ,  certain  droit'  de  Seigneur, 
<3)  Miniftrc  d'un  grand  Prince  d'Orient,   tel   que  le 
Turc  ,  le  Pcrfan ,  le  Grand  Mogoi. 
.    ii)  Jeune  Won, 

O  3 


\ 


310        FABLES     CHOISIES 

Et  devra  beaucoup  au  deftin, 
S'il  garde  ce  qu'il  a  fans  tenter  de  conquête. 

N  Le  renard  dit ,  branlant  la  tête , 
Tels  orphelins,  feigneur,  ne  me  font  point  pitié; 
H  faut  de  celui  -ci  conferver  l'amitié» 

Ou  s'efforcer  de  le  détruire» 

Avant  que  la  griffe  &,la  dent 
Lui  foît  crue ,  &  qu'il  foit-en  état  de  nous  nuire: 

N'y  perdez  pas  un  feul  moment. 
J'ai  fait  fon  horofcope  :  il  croîtra  pour  la  guerre. 

Ce  fera  ie  meilleur  Lion  » 

Pour  fes  amis ,  qui  foit  fur  terre; 

Tachez  donc  d'en. être,  fïnon 
Tâchez  de  l'affaiblir.  La  harangue  fut  vaine. 
Le  fultan  donboitlors';  &  dedans  foa  domaine 
Chacun  dormoit  auffi,  bêtes  ,  gens:  tant  qu'enfia 
Le  Lionceau  devient  vrai  Lion.  Le  (5)  toefln 
Sonne  auffi-tôt  fur  lui  :  l'alarme  fe  promené 

De  toutes  parts ,  &  le  vifir 
Confulté  là-deffus^  dit  avec  *n  foupirr 
Pourquoi  l'irritez  -  Vous  ?  la  chofe  eft&os  itiedei 
En  vain  nous  appelons  mille  gens  à  notre  aide. , 
Plus  ils  font,' pjus  ils  coûtent,  &  je  ne  les  tiens  M» 

Qu'à  manger  leur  past  des  moutons. 
Appaifez  Je  Lion  :  feul.  il  pafle  en  puiffance 
Ce  monde  d'alliés  vivant  fur  notre  bien. 
Le  Lion  en  a  trois  v  qui  ne  lui  coûtent  rien, 
Son  courage,  fe  force,  avec  fa  vigilance. 
Jcttez -lui  promptement  fous  la  griffe  un  mouton; 
S'il  n'en  eft  pas  content,  jettez- en  ^davantage: 
Joignez- y  quelque  baeuf  ?  choififlfe*,  pour  ce  don, 

.  Tout  lé  plus  gras  du  pâturage  : 
Sauvez  le  refte  ainfi.  Ce  confeil  ne  plut  pas  : 

11  en  prit  mal  ;  &  force  états 

Voifins  du  fulian  en  pâtirent  ; 

Nul  n'y  gagna ,  tous  y  perdirent 

fî):  Cloche  qu'on  frape  à  coups  pre/Tes,  po«  a*c.rtlf  ' 
peuple  de  pendre  lu  «nnej  à  l'arche  de  l'ej»eau 


L    I    V    R    E      X  I.  3U 

Quoi  que  fit  ce  monde  ennemi  * 
Celui  qu'ils  craignoient  fut  le  maître» 
Propofez  -  vous  d'avoir  le  Lion  pour  ami, 
Si  vous  voulez  le  laitier  croître. 


F   A    B    L    E      I  I. 

Les  Dieux  vôuhrtt  injlrum  un  fifo 
de  Jupiter. 

POUR    MONSEIGNEUR 
(i)LE  DUC  DU  MAINEL 

J  upîter  eut  un  fils  ,v  qui  fe  fentant  du  lietj 
Dont  il  tiroit  fon  origine, 
Âvoit  l'àme  toute  divine. 

(2)  L'enfance  n'aime  rien  :  celle  du  jeune  Dïeij 

Faifôit  fa  principale  affaire 
Des  doux  foins  d'aimer  &  de  plaire. 
/En  lui  /  l'amour  &  la  raifon. 
Devancèrent  le  temps ,  dont  les  ailes  légeret 
N^aménerit  que  trop  tbt,  hélas!  «chaque  faifon. 

(3)  Flore  aux  regards  rians ,  aux  charmantes  manidiwr 
Toucha  d'abord  le  cœiir  du  jeune  (4)  Olympien  t    . 
Ce  que  la  pasfion  'peut  infpirer  tTadrefTe , 
Scntimens  délicats  &  remplis  de  tendreiTe, 
Pleurs,  foupirs,  tout  en  fut:  bref,  il  n'oublia  rien. 

(  i  )  Fils  légitimé  de  Louïs  XIV.  Roi  de  France. 
(  x)  Les  enfa*s  ne  s'attachent  à  rten  pour  l'ordinaire. 
(  3  )  Péeflc  des  fleurs  »  jeune  &  brillante. 
(  4  )  Parce  <jue  Jupitej:  *&  nftatoe  des  Cieux  ou  de  !'<»»* 
lympe. 

,  04 


5i2        FÀJBLES    CHOISIES 

Le  fils  de  Jupiter  devoit,  par  fa  naif&nce, 
Avoir  m  autre  efprit,  &  d'autres  dons  des  deux, 

Que  les  enfans  des  autres  Dieux. 
Il  fembloit  qu'il  n'agît  que  par  (5)-rémtnifcence> 
Et  qu'il  eût  autrefois  fait  le  métier  d'amant , 

Tant  il  le  fit  parfaitement. 
Jupiter  cependaut  voulut  le  faire  inftr-utre. 
Il  aflembla  les  Dieux,  &  ditr'j'ai  fçu  conduire 
Seul  &  fans  compagnon  jusqu'ici  l'univers; 

Mais  il  eft  des  emplois  divers  | 

Qu'aux  nouveau*  Dieux  je  diftribue^ 
Sur  cet  enfant  chéri  j'ai  donc  jette  la  vue* 
C'cft  mon  fang;  tout  eft  plein  déjà  .de  fcs  autels. 
Aflri  de. mériter  le  rang  des  immortels, 
Il  faut  qu'il  fçacbe  tout.  Le  Maître  du  tonnerre 
Eut. a  peine  achevé ,  que  chacun  applaudit. 
Po»r  fçavôir  tout,  l'enfant  n'avoit  que  trop  à'efprîz, 

Je  veux,  dit  le  (6)  dieu  de  la  guerre, 

Lui  montrer  moi-même  cet  art 

Par  qui  maints  héros  ont  eu  part 
Aux  honneurs  de  l'Olympe  *  &  grosfî  cet  empire. 

Je  fer^i  fon  maître  de  lyre, 

Dit  le  blond  &  dofle  Apollon. 
Et  moi ,  reprit  Hercule  à  la  peau  de  lion  y 

Son  maître  à  furmonter  les  vices , 
A  dompter  les  tranfports,  monftres  empoifonneurs; 
Comme  hydres  renaiffans  fans  cefle  dans  les  cœurs; 

Ennemi  des  molles  délices, 
Il  apprendra  de  mot  lés  fcntfers  peu  battus 
Qui  mènent  aux  honneurs  fur  les"  pas  des  vertus. 

Quand  ce  vint  au  (7)  Dieu  de.Cythere» 

Il  ditj  qu'il  hii  montreroit  tout. 
L'Amour  avoit  raifon  ;  de  quoi  ne  vient  â  bout 

L'efprit  joint  au  défîr  de  plaire  ? 

(  5>  Le  fowvenir  du  paffé,  fclon  les  principe*  de  Platon  # 
qui  fuppofoii  que  les  âmes  av oient  exiité  loug-tcmft 
avant  que  de  venir  animer  nos  corps  (kr.  la  trac, 

(6)  Mars. 
-  (7)  L'Amour. 


^      LIVRE      XL        s    5r3N 

FABLEIIL 

Le  Fermier,  te  Chien,  &  le  Renard. 


JL/e 


fe  Loupà  le  Renard  font  d'étranges  voifîns; 
Je  ne  bâtirai  point  autour  de  leur  demeure; 

Ce  dernier  guettoit  à  tout  heure 
Les  poules  d'un  fermier:  &  quoique  des  plus  fini, 
Il  n'avoit  pu  donner  atteinte  à  la  volaille. 
D'uae  part  l'appétit,  de  l'autre  le  danger, 
N'étoient  pas  au  compère  un  embarras  léger. 

Hé  quoi,  dit -il,  cette  canaille, 
.    *  Se  moque  impunément  de  mdï? 

Je  vais ,  je  viens ,  je  me  travaille, 
J'imagine  cent  tours  :  le  ruftre,  en  paix  chez  foi, 
Vous  fait  argent  de  tout ,  convertit  en  monnoie , 
Ses  chapons ,  fa  poulaille  :  il  en  a  même  au  croc  ; 
Et  moi ,   maître  pafTé ,  quand  j'attrape  un  vieux  coq^ 

Je  fuis  au  comble  de  la  joie* 
Pourquoi  ûre  Jupin  m'a  -t- il  donc  appelé 
Au  métier  de  Renard?  Je  jure  les  pûuTances 
D*  l'olympe  &  du  ftyx,  il  en  fera  parlé. 

Roulant  en  fon  cœur  les  vengeances  r 
11  choifit  une  nuit  libérale  en  (i)  pavots.   -.. 
Chacun  étoit  plongé  dans  un  profond  fe^oé:  • 
Le  maître  du  logis,  les  valets,  le  chien  même, 
Poules,  poulets, chapons , tout dormoit.  LcFermiçr 

Laiflant  ouvert  fon  poulailler, 

Commit  une  fottife  extrême. 

!  -  -    ■ 

(0  tes  Fayots  iffoupiflcat  &  foat  dormis^ 

os 


5x*  '     FABLES    CHOISIES 

Le  voleur  tourne  tant  r  qu'il  entre  au  lieu  guetté  i 
Le  dépeuple,  remplit  de  meurtres  la  cité. 

Les  marques  cle  fe  cruauté , 
Parurent  avec  (2 )  l'aube:  on  vit  un  étalage 

De  corps  fanglans ,  &  de  carnage. 

Peu  s'en  fallut  que  Ile  foleil 
Ne  rebroufllt  d'horreui  vers  fe  manoir  liquide       *! 

Tel  i  &  d'un  (peélacle  pareil  j 

Apollon  irrité  contre  le  fier  (3)  Ateide,  ■', 

Joncha  fon  camp  de  morts  r  on  vit  presque  détruit  j 

(4)  L'oft  des.  Grecs;  &  ce  fut  l'ouvrage  d'une  nuit  ; 

_j    Tel  encore  autour  de  fa  tente, 

(5)  Ajax  à  Pâme  impatiente,  1 

De  moutons  &,de  boucs  ût  un  vaile  débris, 
Croyant  tuer  en  eux  fon  concurrent  (6)  UlyfFe*      S 

Et  les  auteurs  de  l'injuftice 

Par  qui  l'autre  emporta  le  prix,  < 

Le  Renard,  autre  Ajax,  aux  volailles  funefte,        ! 
Emporte  ce  qu'il  peut ,  laifle  étendu  le  refte.  1 

Le  .maître  ne  trouva  de  recours  qu'à  crier  ■• 

Contre  fes  gens ,  fon  chien  :  c'eft  l'ordinaire  uûgff.  ' 
Ah  l  maudit  animal ,  qui  n'e*  bon  qu'à  noyer  „  I 

Qjie  n'avertiflbis  -  tu  dès  l'abord  du  carnage  ? 
Que  ne  l'évitiez  -  vous  ?  c'eût  été  plutôt  fait.  j 

Si  vous,-  Maître  &  Fermier,  à  qui 'touche  le  fait, 
Dorme*  fans  avoir  foin  que  la  porte  foit  clofe,        ; 
Voulez  -  vous  que  moi ,  .chien ,  qui  n'ai  rien?  à  la  chofe»  ; 
Sans  aucun  intérêt  je  perde  le  repos  ? 

Ce  chien  pdr  loit  très  -  à  -  propos  s 

Son  raisonnement  pouvoi^être 

Fort  bon  dans  la  bouche  d'un  maître, 

(1)  Au.  point  du  jour, 
x  <$)  Agamemnon,  fila  d*Atrée. 

(4)  Le  Camp  des  Grecs,  vieux  mot. 

U)  Prince  Grec,  qui  fe  diflingua  par  une  valeur  ex- 
traordinaire aji  ftége  de  Troie.  • 

(6)  Autre.  Prince  Grec,  qui  entra  en  débat  contre  Ai** 
pour  les  Arme*  d'Achille.  ' 


LIVRE      XI.  315 

Mais  n'étant  que  d'un  fimple  chien. 

On  trouva. qu'il  ne  valoir  rien  : 

On  vous  fangla  le  pauvre  drille.  * 

Toi  donc,  quï  que  tu  fois,  £pere  de  famille, 
(Et  je  ne  t'ai  jamais  envie  cet  honneur  ) 
T'attendre  aux  yeux  d'autrui,  quand  tu  dors,  c'eA 

erreur* 
Couche  -  toi  le  dernier ,  &  vois  fermer  ta  p^rte. 

Que  11  quelque  affaire  t'importe ,  - 

Ne  la  fais  point  par  (7)  procureur.        - 

(7)  P*r  le  moyen  d'une  autre  perfonne. 

F    A    B    LÉ     IV. 

.    Le  Songe  cTun  ffabitant  du  Mogof.   . 

,  Jf  adis  certain  (r)  Mogol  vit  en fongeun  (2) vifir^: 
Aux  champs  (3)  Elyfiens  poffefleur.  d'un  plaifîr 
Auffi  pur  qu'infini ,  tant  en  prix  qu'en  durée:: 
Le  même  fongeui  vit  en  une  autre  contrée 

Un  hermite  entouré  de  feux,  '  *  ' 

Qui  touchoit  de  pitié  même  les  malheureux. 
Le  cas  parut  étrange»  &  àmtre  l'ordinaire. 
(4)  Minos  en  ee*  deux  morts-  femblôits'êtremépnV 
Le  dormeur  s'éveilla,  tant  il  en  fut  furpris. 
Dans  ce  fonge  pourtant  foupçonnant  du  myfl&e,. 

11  fc  fit  expliquer  l'affaire. 
L'interprète  lui  dit:  ne  vous  étonnez  point, 
Votre  fonge  a  du  fera;  &  fî  j'ai  fur  ce  point 

(1)  Habitant  d'un  Royaume  des  Inde»,  ainfi 

(2)  Un  grand  Miniftre. 

(3)  Séjour  des  bfenheureux  aux  Enfer* 
U)  te  grand  Juge  des  morts. 

0  * 


é 


#6        FABLES    CHOISTES 

Acquis  tanï  Coit  peu  d'habitude,.  * 
C'eû  un  avis  des  dieux.  Pendant  l'humain-  fé  jour 
Ce  vifir  quelquefois  <:hercboit  la  (5)  folitudc; 
Cet  hernûte  aux  vifîrs  alloit  faire  fa  (6)  cour* 

Si  fbfbis  ajouter  au  mot  de  l'interprète, 
Jfinfpirerois  ici  l'amour  de  la  retraiter 
Elle  ofFre  àfes  amans  des  biens  fans  embarras, 
Biens,  purs  *  piéfensdû  cieî',  qui  naiflent  fous  les  pasv 
Solitude  où  je  trouveune  douceur  fecrete, 
Lieux  que  j.'aimai  toujours ,  se  pourrai  -  je  jamais, 
Loin  du  monde  &  du  bruit  goûter  l'ombre  &  le  frais.? 
O  qui  m'arrêtera  fous  vos  fombrçs  afyfes  ! 
Quand  pourront  les  neuf  fours,  loin  des  cours. & 
T.     des  viîîes 

M'occuper  tout  entier ,,  &  Rapprendre  de*  cieux 
Les  divers*  monvemens  inconnus  à  nos  yeux, 
Les  nçms  &  les  ve.rtus  -décos  clartés  errantes  y-' 
Par  qui  font  nw  deftins  & 'nos'  mœurs  différentes* 
Que  fî  je  ne  fuis  né  pour  de  fî  grands  projets , 
Dumoiûs  que  les  hrÉèàux'm*offrenfe  dedeôx  objets! 
,  t^ue  je  peigne,  en. mes  vers  quelque  rive  fleurie l 
La  parque  à  filets  d'or  n'ourdira  point  ma  vie  ; 
Je  ne  doronirai  point  fous  de  riches  lambris  : 
Mats  voit- on.que  le  fomme  efrperxte  de-  fon  prixf 
En  eft-il,*ioins  profond, &  moins  plein  dedéKtes? 
Je  hri  voue  au  défert  de  nouveaux  facr4fieesi 
Quand  le  moment  viendra  cfalter  trouver  les  morts,, 
J  aurai  vécu  fans  foias,  &  mourrai-  fans  remords. 

(5)  St  retîroft  en  particulier  pour  penfcr  à  fou  Wnfc 
tfil  Qi>H(Qit  la  foiitnde  par  ambition.  _, 


r     LIVRE      X.  ut 

F    A    B    L    E      V. 

Le  Lion  9  te  Singe,  &  tes  deux  Ane*.  \ 

JL^e  Lion ,  pour  bien  gouverner, 
Voulant  apprendre  la  morale ,  r 

Se  fit ,  un  beau  jour ,  amener 
Le  Singe  (  i  )  maître  es  arts  chez  la  gent  animale; 
La  première  leçon  que  donna  le  régent, 
Fut  cçlle-ci  :  grand  roi,  pour  régner  fagement, 

Il  eut  que  tout  prince  préfère 
Le  zèle  de  l'état  à  certain  mouvement, 
Qu'on  appelle  communément  - 
Amour- propre;  car  c'eft  le  père,' 
Ceft  l'auteur  de  tous  les  défauts , 
Que  Ton  remarque  aux  animaux. 
Vouloir  que  de  tout  point  ce  fentiment  vous-  quitte-, 
Ce  n'eft  pas  chofe  fi  petite , 
Qu'on  en  vienne  â  bout  dans  un  jour  r 
-Ce*  beaucoup  de  pouvoir  modérer  cet  amoux* 
Par  là  votre  perfonne  augufte 
N'admettra  jamais  rien  en  foi 
De  ridicule  ni  d'înjufte. 
Donne- moi,  repartit  le  roi, 
Des  exemples  de  l'un  &  de  l'autre»  . 
Toute  efpece,  dit  le  docteur, 
(Et  je  commence  par  la  nôtre) 
Toute  profeffion  s'efthne  dans  fon  cœur, 
Traite  les  autres  d'ignorantes, 
Les  qualifie  impertinentes , 
Et  femblables  dHcours  qui  ne  nous  coûtent  rfenv    - 
L'amour-propre,  au  rebours ,  fait  qu'au  degré  ftiprérae 
Oo  poîte.  fe?  R3ieils  ;.  car  c'eft  un  b.Qn  moyen 

'  '   De  s'élever  auffi  foi  -même*.      •   : 

(ilDodcur^w  cft  o»<foft  être  c*paM«  d'enfcf&itcs  lit  wtttx 


y*r       FABLES    CHOIS  IIS 

La  lime  au  fond  d'un  puits,;  (3)  i'orbiculaîre 

Lui  parut  \m  ample  fromage. 

Deux  féaux  alternativement 
;  Puifoient  le  liquide  élément. 

Notre  Renard,  preffé  par  une  faim  (4)  canine, 
S'accommode  en  celui  qu'au  haut  de  la  machine 

L'autre  feau  teno&  fufpendu. 

Voilà  l'animal  draendu, 

Tiré  d'erreur ,  -mais  fort  en  peine, 

Et  voyant  fa  perte  prochaine  : 
Car  comment  remonter,  fi  quelque  autre  affamé, 

De  la  même  image  charmé» 

JEt  fuccédant  à  fa  mifere    . 
Par  le  même  chemin  ne  le  droit  d'affaire? 
Deux  jourç  s'étoient  palTés  fans  qu'aucun  vin  t  au  puits  ; 
Le  temps  qui  toujours  marche,  avoit,  pendant  deux 
nuits, 

Echancré,  félon  l'ordinaire, 
(5)  De  l'aftre  au  fond  d'argent  la  face  circulaire» 

Sire  Renard  écoit  défefpéré. 

Conjpere  Loup ,  le  gofier  altéré, 

Paffepar-là:  l'autre  dit:  camarade, 
Je  vous  veux  régaler;  voyez -vous  cet  objet V 
C'eft  un  fromage  exquis.  Le  dieu  (6)  Faune  l'a fafo. 

La  vache  lo  donna  le  lait. 

Jupiter ,  s'il  étoit  malade , 
Repreïidroit  l'appétit  en  tâtant  d'un  tel  mets, 

J'en  ai  mangé  cette  échancrure, 
Le  refte  vous  fera  fufpfante  pâture. 
Defcendfez  dans  un  feau  que  j'ai  là  mis  exprès. 
JBien  qu'au  moîns  mal  qu'il  pût  il  ajuftât  l'hiftoire, 

Le  Loup  fut  un  foc  de  le  croire. 

(3)  r a  forme  ronde  de  It  Lune  dans  Peau. 

(4)  Très -gjrandc    faim  ,     à    laquelle   font  fujet*    I«t 
khiens ,  &  bien  d'autres  animaux. 

(5)  V*r«  très -figuré,  qui  figniffie  que  la    Lune   con^ 
•lénçant  à  décroître  •  ne  paroifloit  plus  ronde» 

46  j  Dieu  de»  Zronpeaiuu    ... 


L    I    V    RI      ïl.  3*1 

If  defcend ,  &  fon  poids  emportant  l'autre  part, 
Reguinde  en  haut  maître  Renard. 

Ne  nous,  en  moquons  point:  nous  nous  laifTon* 
féduire 

^    Sur  aufli  peu  de  fondement: 
~    Et  chacun  croit  fort  aifément 
Ce  qu'il  craint  &  ce  qu'il  délire. 

1  BBB 


i 


FABLE      VII. 
Le  Payfan  du  Danube. 


i  ne  faut  point  juger  des  gens  fur  l'apparence.1 
Le  confeil  en  eft  bon;  mais  il  n'eft  pas  nouveau. 


lis ,  Terreur  du  (  i  )  fouriceau 
\&e  fervit  à  prouver-Ie  difcours  que  j'avance»      -  V 

J'ai ,  pour  le  fonder  à  préfent , 
Le  bon  (2)  Socrajte,  Efope ;  &  certain  Payfan 
Des   rives  du  (3)  Danube,  homme  dont.CO- 
"  Marc-rAurele 

Nous  fait  un  portrait  fort  fidèle. 
On  connolt  les  premiers:  quant  à  l'autre,  voici     ' 

Le  perfonnage  en  racourti. 
Son  menton  nouriiflbit  une  barbç  touffue; 

Toute  fa  perfonne  yelue 
ftepréfentoit  un  ours ,  mais  un  ours  mal  léché. 
Sous  un  fourcil  épais  il  avoît  l'œil  caché , 
Le  regard  de  travers ,  nez  tortu ,.  grofle  lèvre  ; 

Portoit  (5)  fayon  de  poil  de. chèvre , 

(  1  )  Qui  charmé  de  l'air  doucereux  du  Chat ,  fut  fur 
le  point  de  s'aller  livrer  entre  (es  pattes..  Lit,  VI.  Fab.  ?. 

(1)  Le  plus  fage  des  Phflofophes,  &  le  plus  moral*, 
mars  d'un  extérieur  à  peu  près  aufli  disgracie  que  celui 
qu'on  donne  communément  a  Efope. 

1 3  )  Grand,  fleuvç  d'Allemagne.  X     ■         -       ■ 

(4)  Sage  Empereur  Romain  du  fécond  uccjfc  r 

(  J  )  Sorte  d'habit  groJuer* 


322        FABLES    CHOISIES 

Et  cefnturç  de  joncs  marins. 
Cet  homme ,  ainfi  bâti ,  fut  député  des  villes 
Que  lave  le  Danube  :  il  n'étoit  point  d'sûle» 

Où  l'avarice  des  Romains 
Ne  pénétrât  alors,  &  ne  portât  les  maint. 
Le  député  vint  donc ,  &  fît  cette  harangue  : 
Romains,  &  vous,  Sénat  affis  pour.m'écouter, 
Je  fupplie,  avant  tout,  les  dieux  de  m'affifler  : 
Veuillent  les  immortels ,  condu&euîs  de  ma  langue, 
Que  je  ne  dife  rien  qui  doive  être  repris.  %     ' 
Sans  leur'aide  il  ne  peut  entrer  dans  les  elprits, 

Que  tout  mal  &  toute  injufticç:  ! 

Faute  d'y  recourir  on  viole  leursioix. 
Témoin  nous  que  punit  la  romaine  avarice , 
Rome  elt,  par  nos  (6)  forfaits,  plus  que  par  fe*  , 
exploits , 

L'inftrument  de  nôtre  fupplîce. 
Craigncte ,  Romains ,  craignez  que  le  Ciel  quelque/ont 
Ne  tranfporte  chez  vous  les  pleurs  &  la  mifeie  > 
Et  thëttant  en  nos  mains,  par  un  jufte  retour» 
las  ^rmes  dent  fe  ïeit  fa  vengeance  févere  , 

11  ne  vous  rafle,  en  fa^colere, 

No«  efclàves  à  voçre  tour. 
Et  jHmrquoi  fommes-nous  tes  vôtres?  qu'on  mite 
En  quoi  vous  valez  mieux- que  cent  peuples  divers? 
Quel  droil  vous  a  rendus  maîtres  de  l'univers  ? 
Pourquoi  venir  troubler  une  innocente  vie  ? 
NouscUkïvions  en  pàixd'heur  eux^hamps,&  nos  mains 
Etoient  propres  aux  arts,  ainil  qu'au  labourage: 

Qu'avez  -vous  'appris  aux  (  7  )  Germains? 

Ils  -ont  Fadrefle  &  le  courage  : 

S'ils  avoient  eu  l'avidité , 
-     Comme  vous,  &  la  violence, 
Peut-être»  en. votre  place,  ils  auroient  Iapuifiance, 
Et  fçauroient  en  ufe*  fans  inhumanité, 

(6)  Le  mal  que  noas  avons  fait  aux  autres  ,   eft  pu»! 
par  celui  *qtrits  nous  fuftt. 

(7)  Les  Allemaads/  .-■  •    %   .. 


LIVRE      XL  323 

Celle  que  vos  (8)  Préteurs  ont  fur  nous  exercée, 

N'entre  qu'à  peine  en  la  penfée. 

La  majefîé  de  vos  autels ,  . 

Elle-même  en  eft  offenfée : 

Car  (cachez  que  les  immortels . 
Ont  les  regards  fur  nous.   Grâces  à  vos  exemples  P 
Ils  n'ont  devanfles  yeux  que  des.  objets  d'horreur, 

De  mépris  d'eux,  &  de  leurs  temples, 
D'avarice  qui  va  jufques  à  la  fureur. 
Rien  ne  fuffit  aux  gens  qui  nous  viennent  de  Rome: 

La  terre  &  le  travail  de  l'homme 
font,  pdût  Ieg,^rbwir>^eftTe®5TOfBpBrô»   . 

Retirez  -  les  :  on  ne  veut*  plus 
.  ]  Coltiyer .  pour  qpx  l&  'campagnes.     ; 
Nous  quittons  les  cités,   nous  fuyons  aux  mou* 
tagnes;  , 

Nous  laîflbns  nos  chères  compagnes  : 
Nous  ne  converfons  plus  qu'avec  des  ours  affreux*' 
Découragés;  de  mettre  aa  joqrjJes .malheureux, 
Et  de  peupler  pour  Rome  un  pays  qu'elle  opprime. 

Qu^nt  à  nos  enfans,$iéjà  b&  » 
Nous  fouhaitons  de  voir  leurs  J9ûrs  bientAt  bornés: 
Vos  préteurs  «au  malheur,  nous  fopt  joindre  le  crime* 

Retirez -les,  ils  ne  nous  apprendront 
„    Que  la  moleffQ,  j8t  que  le  vice.  , 

Les  Germains  comme  eux  deviendront 

Gens,  de  rapine  &  d'ayarice  : 
Ceft  tout  ce  que  j'ai  vu  dans  Rome  à  mou  abord* 

N'a- 1- on  point  de.jfréfent  à  faire?  ■■;.„. 
Point  de  pourpre  àdoQuertc'efrenyain  qu'on  efperfe 
Quelque  refuge  auxjoix  :  encor  leur  miniftere 
A-t-il  mille  lorigueiirs.  Ce  difeours,  un  peu  foré,. 

Doit  commencer  à  vous  déplaire* 

Je  finis.    PunûTez  de  mort 

Une  plaintç  un  peu  trop  fincere. 
A  ces  mots ,  \\  fe  touche ,  *&  chacun  étonné ,     ,.mZ 
Admire  le  grand  cœur,  le  bort  fens,  l'éloquenca 
{%)  Gouvcrneuia   Romains,  en  Allemagne. 


324        FABLES    CHOISIES 

Du  Sauvage  ainfî  profterné. 
On  le  créa  (9)  Patrice  ;  &  ce  fut  la  vengcnce  - 
Qu'on  crut  qu'un  tel  difcours  méritoit.  .  On  choifit 

D'autres  préteurs:  &  par  écrit 
Lé  fénat  demanda  ce  qu'avoit  dit  cet  homme , 
Pour  fervir  de  modèle  aux  parleurs  à  venir. 

On  ne  fçut  pas  long  -tems  à  Rome 

Cette  éloquence  entretenir. 

%  <ç>)  Sénateur. 


FABLE      VIII. 

Le  Vieillard  &  tes  trois  jeunes 'Hommes. 


U. 


'n  (1)  Octogénaire  plantoit. 
Pàffe  encor  de  bâtira  mais  planter  à  cet  âge  I 
Difoient  trois  {2)  Jouvenceaux  enfans  du  vdifinage, 

Afluf ément  il  radotoit.  A 

•         *  Car ,  au  nom  des  dieux ,  je  vous  prie  ^     * 
Quel  fruit  de  ce  labeur  pouvez- vous  recueillir? 
Autant  qu'un  (3)  patriarche  il  vous  faudroit  vieillir. 

À  quoi  bon  charger  vôtre  vie 
Des  foins  d'un  avenir  qui  n'eft  pas  fait  pour  voust 
Ne  fongez  déformais  qûrà  vos  erreurs  paifëes. 
Quittez  le  long  efpoir  &4es  vaftes  penfées  : 

Tout  cela  ne^  convient  qu'à  nous. 

<  l  )  Un  hoaiffle  de  quatre  -  vingts  ans. 
*(i)  Par  le  titre   de   cette  Fable,  "Xm  Fontafne  fait  en- 
tendre à   tous  Tes  Le&curs  ce  que  c'efi  que  J**v*tceA»9 
terme ,  qui  bien  qu'exclu  du  ftile  fublime ,  eft  d'ailleurs 
aflez  connu  &  fort  bon  François/ 

f  3  )  Tels  que   ceux  dont  U  eft  parle  dans  lHiftoirç 
tonte.       '  « 


L.    I    V    R    E      XL  32* 

Il  ne  convient  pas  à  vous  -mêmes , 
Repartit  le  Vieillard.    Tout  établiffement  ' 

Vient  tard  &  dure  peu.  La  main  des  parques  blêmes 
De  vos  jours  &  des  miens  fe  joue  également 
Nos  termes  font  pareils  par  leur  courte  durée. 
Qui  de  nous  (4)  des  clartés  de  la  voûte  azurée 
Doit  jouir  le  dernier?  eft-il  aucun  moment 
Qui  vous  puiffe  affiner  d'un  fécond  feulement? 
Mes  arriére -neveux  me  devront  cet  ombrage  : 

Hé  bien,  défendez -vous  au  fage 
De  fe  donner  des  foins  pour  le  plaifir  d'a^trui? 
Cela  même  eft  un  fruit  que  je  goûte  aujourd'hui  : 
J'en  puis  jouir  demain ,  &  quelques  jours  encore  : 

Je  puis  enfin  compter  l'Aurore 

Plus  d'une  fois  fur  vos  tombeaux. 
Le  Vieillard  eut  raifon  :  l'un  des  trois  Jouvenceaux 
Se  noya  dès  le  port  allant  à  (  5  )  l'Amérique. 
L'autre -,  afin  de  monter  aux  grandes  dignités ,  - 
Dans  les  emplois  de  Mars  fervant  la  République1, 
Par  un  coup  imprévu  vit  fes  jours  emportés. 

Le  troifiéme  tomba  d'un  arbre 

Que  lui  r  même  il  voulut  enter  ; 
Et,  pleures  du  Vieillard,  il  grava  fur  leur  marbre 

Ce  que  je  viens  de  raconter. 

(4)  C'eft-â-dire ,  doit  être  le  dernier  à  jouïr  de  I»  vie, 
(  y  )  Une  des  quatre  parties  du  monde* 


FA    B    L    E     IX. 

Les  Souris  &  te  Chat -huant. 


I 


.1  ne  faut  jamais  dire  aux  gens, 
Ecoutez  un  bon  mot,  oyez  une  merveille. 

Sçavez-vous  fi  les  écoutans 
En  feront  une  eftime  à  la  vôtre  pareille? 


$i«        FABLES    CHOISIES 

Voici  pourtant  un  cas  qui  peut  être  excepte  ; 

Te  le  maintiens  prodige ,  &  tel  que  d'Une  fable 

H  a  l'air  &  les  traits ,  encor  que  véritable. 

On  abattît  un  pin  pour  fon  antiquité , 

Vieux  palais  d'un  Hibou ,  trifte  &  fombre  retraite 

De  i'oifeau  (i)  qu'Atropos  prend  pour  fon  interprète. 

Dans  fon  tronc  caverneux  &  miné  par  le  temps, 

Logeoient ,  entre  autres  habitans , 
Force  Souris  fans  pieds  >  toutes  rondes  de  graifTe. 
L'oifeau  les  nourriffbit  parmi  des  tas  de  blé , 
Et  de  fon  bec  avoit  leur  troupeau  (2)  mutilé; 
Cet  oifeau  raifbnnoit ,  il  faut  qu'on  le  confeffe. 
En  fon  temps,  au*  Souris  le  compagnon  chaflà. 
Les  premières  qu'il  prit ,  du  logis  échapées , 
Pour  y  remédier ,  le  drôle  eftropia 
Tout  ce  qu'il  prît  enfuite  ;  &  leurs  jambes  coupées 
Firent  rm'il  les  mangeoit  à  fa  commodité , 

'  Aujourd'hui  l'une ,  &  demain  l'autre. 
Tout  manger  à  la  fois ,  rimpoflibilité 
S'y  trouvoit,  joint  auffi  le  foin  de  fa  fanté. 
Sa  prévoyance  alloit  auffi  loin  que  la  nôtre  : 

Elle  alloît  jusqu'à  leur  porter 

Vivres  &  grains  pour  fubfîftcr. 

Puisqu'un  (3)  Cartéfien  s'obiline 
£  traiter  cet  Hibou  de  montre  &  de  machine  ! 

N  Quel  reflbrt  lui  pouvoit  donner 
Le  confeii  de  tronquçr  un  peuple  (4)  mis  en  mue  ? 

(x)  Celle  des  trois  parques  qui  donne  la  mort. 

(  1  )  Eftropie*  tn  lui  coupant  les  jambes. 

(  3  )  Difciple  de  Defcartes. 

(4)  Enferme"  pour  être  engtaiffé.  On  apelle  mut  une 
cfpèce  de  cage  longue ,  étroite  &  obfcure ,  oh  l'on  en- 
ferme la  volaille  pour  l'engraifler.  Et  lorsqu'on  nourrit 
des  Chapons ,  &  des  Oifons, ,  &c.  dans  cette  cage  ,  on 
dit  qu'on  les  a  mis  en  mue.  Ainfi  le  Hibou  qui  v oui  oit 
nourrir  fes  Souris  pour  les  manger  quand  il  en  auroît 
envie  fe  fervit  du  tronc  caverneux  d'un  Pin  pour  les 
y  mtttn  en  mue ,  dit  La  Fontaine*  L'image  cft  pl«ifan- 
te,  &  d'une  jufteffe  admirable. 


L    I   V    R    E     X  I.  tu 

Si  ce  nïeft  pas  là  raiforiner , 

Laraifon  m'eft chofe  inconnue* 

Voyez  que  d'argumens  il  fit! . 

Quand  ce  peuple  eft  pris,  il  s'enfuit: 

Donc  il  faut  le  croquer  auflï  -  tôt  qu'on  le  happe. 

Tout  ?  il  eft  injpoffible.  Et  puis ,  pour  le  befoin 

N'en  dois- je  pas  garderl  donc  à  faut  avoir  foin 

De  le  nourrir  fans  qu'il  échappe. 

Mais  comment?  otons -lui  les  pieds.  Or  trouvez-moi 

Chofe,  par  les  humains,   à  fa  fin  mieux  conduite I 

Quel  autre  art  de  penfef  (  5  )  Ariftoté  &  fa  fuite  . 

Enfeignent -ils ,  par  votre  foi  ?  (  *  ) 

(ï)  Chef  d'une  fe&e  de  Philofophes  qu'on  nomme 
Ariltotéliciens ,  &  Péripatétidenîj.       1 

(  *  )  Ceci  n'cft  point  une  Fable  i  &  la  chofe ,  quoique 
«îerVeittcufe  &  presque  incroyable ,  eft  véritablement 
arrivée»  J'ai  peut-être  porté  trop  loin  la  prévoyance  de 
ce  Hibou  ,  car  je  ne  prétens  pas  établir  dans  les  bêtes 
un  progrès  de  raisonnement  tel  que  celui-  ci:  mais  ces 
exagérations  font  toermifes  à  la  pociie,  furtout  dans  la 
manière  d'écrire  dont  je*  me  fers. 


(O    EPIL.O  G  UE. 

^/'eft  ainfi  que  mamufe,  aux  bords  d'une  onde 
pure,^  ' 

Traduifoit  en  langue  des  dieux 
Tout  ce  que  difent  fous  les  deux 

Tant  d'êtres  empruntans  la  voix  de  la  nature. 
Truchement  de  peuples  divers , 

Je  les  faifois  fervir  d'adeurs  en  mçn  ouvrage; 
Car  tout  parle  dans  l'univers  :, 
Il  n'eft  rien  qur  n'ait  fon  langage. 

Plus   éloquens  chez  eux  qu'ils' ne  font  dans  mes 
vers, 

(s)  Conclufloa* 


3i8        FA^BXES    CHOIS  TES 

SI  ceux  que  j'introduis  me  trouvent  peu  fidèle  ; 
Si  mon  œuvre  n'eft  pas  un  aflez  bon  modèle, 

J'ai  du  moins  ouvert  le  chemin  : 
D'autres  pourront  y  mettre  une  dernière  main. 
Favoris  des  neuf  Sœurs,  achevez  l'entreprife: 
Donnez  mainte  leçon  que  j'ai  fàns  doute  omife  : 
Sous  ces  inventions  il  faut  l'envelopper  : 
Mais  vous  n'avez  que  trop  de  .quoi  vous  occuper. 
(ft)  Pendant  le  doux  emploi  4e  ma  mufç  Innocente, 
Louis  domte  l'Europe  ;  &  d'une  main  puiiTante , 
Il  conduit  à  leur  fin  les  plus  nobles  projets 

Qu'ait  jamis  formés  un  monarque. 
Favoris  des  neuf  Sœurs,  ce  font- là  .des  fujets 

Vainqueurs  du  temps  &  de  la  parque. 

(  i)  Efpèce  d'imitation  de  ces  beaux  Vers  4e  Virgile, 
qui  font  la  conclufion  de  fes  Georgiques  : 

Hoc  foper  orvorum  cuba,  pecorumque  ianebam 
Etfuptr  arboribus:  Qéfar  dummagnus  adaîtum 
Fulminât  Euphratetn  beUo ,  viStorque  volentes 
Perfopulosdatjura ,  viamque  affe&at  Olymp$. 
Mo  Firgilium  me  tempore  dulcis  alebçt 
Fortkenope,  Jludiù  fiorentem  ignobilis  otL 


Fin  du  onzième  Livra 


*ÎSSS$©5S$S$S^®JS3©$ffl6&©S©* 


^^^SSSSSÎS^^S^SSSSS^» 


LIVRE      DOUZIEME. 

easBaBassaEEssssfiafifiesaas^ 

A    MONSEIGNEUR 

L  E    DU  C     •  ,\ 

DE' BOURGOGNE    (ij. 


Jid  O  NS  E  I  &NE  V  R, 


Je  ne  puis  employer  pour  mes  Pokhf, 
de  protection  qui  me  J oit  plus  glorieufe  que 

(i)  Fils, du  Dauphin,  &  qui  Dauphin^ eriîuîte 
lui-même  *  mourut  âgé  de  trente  ans  le  18.  Fé- 
vrier 17T2.  Il'  teiffsr  un  Fils  ,  qui  teccefleur1  de 
Louïà  Xiy.  -eï!  &  préfet  ûir  le  Jtôtio^  ou  1745. 
&  porte  le  nom  de  Louïs  XV. 

IL  Partie,  P 


Ë    P    I   T    R   E. 

ta  vôtre.    Ce  goût  exquis,  &  ce  jugement  fi 
folide  que  vous  fentes  paraître  dans  toutes 
chofes  au-delà  d'un  âge  où  à  peine  lesautres 
Princes  font-ils  touchés  de  ce  qui  les  envi- 
ronne mec  te  plus  d'éclat;  tout  cela  joint  au 
devoir  de  vous  obéir  &  àiapaffion  drvous 
plaire,  m' a  obligé  de  vous  préf enter  un  ou- 
vrage don*  foi^md^aéé^0dmim$iw^ 
tous  les  ftécles,  auffi-bien  que  celle  de  tous 
Usfags.     Vous  m'avez  même  ordonné  de 
continuer  ;   &  fi  vous  me  permettez  de  le 
dire,  il  y  a  desfujets  dont  je  vous  fuis  rede- 
vable, &  où  vous  avezjeété  des  grâces  qui 
ont  été  admirées  de  tout  le  monde.    Nous 
.tfaùpns.plus  Bçfoindè  con/iittèr  ni  Apollon, 
ni  les  Mufes,  ni  aucunes  des  Divinités  du 
Parnqffe.  Elles  fe  rencontrent  dans  lespré- 
fens  que  vous  a  fait  ta  Nature ,    &  dans 
cette  feience  de  bien  juger  des  ouvrages  de 
t'efprit,  à  quoi  vous  joignez  déjà  celle  de 
connoitre  toutes  les  régies,  qui  y  conviennent. 
Les  Fables  cCEfope/ont  une  ample  matière 
pour  ces  talens.    Elles  embraffent  toutes  for- 
tes (févémmens  &de  caraôieres.     Ces  men- 
songes font  proprement  une  manière  d'Hi- 
-  ^floire,  où  on  ne  flatte petfonne.  Ce  ne  font 
pas  chofes  de,  peu  d  .importance  que  cesfujets. 
Les  animaux  fontt  les  précepteurs  des  home 
\  mes  dans  mon  ouvrage,    je  ne  fa' étendrai 
\ptfdavmt<%ttà~de^ 


É   P   I   T   A    E. 

ue  moi  te profit  qu'on  en  peut tirer.  Si  vont 
ous  connotffez  maintenant  en  orateurs  & 
%  poètes  y  vous  vous  connoitrez  encore 
lieux  quelque  jour  en  bons  politiques  Sf 
&  bons  généraux  d'armée;  tf  vous  vouï 
wmperez  aujjipeuau  choix  desperfonnes9 
u'au  mérite  des  a&ions.  Je  ne  fuis  pas 
*un  âge  à  efpérer  d'en  être  témoin.  Il  faut 
ue  je  me  contente  de  travailler  fous  vos 
rdres.  t?  envie  de  vous  plaire  me  tiendra 
eu  d'une  imagination  que  les  ans  ont  affoi- 
lie.  Quand  vous  foubaiterez  quelque  fable* 
?  la  trouverai  dans  ce  fonds -là.  Je  vou- 
frois  bien  que  vous  y  puijjiet  trouver  des 
vuanges  dignes  du  (  i  )  Monarque  qui  fait 
ncàntenanî  le  dejiin  de  tant  de  peuples  & 
ie  nations,  &  qui  rend  toutes  les  parties 
h  monde  attentives  à  fes  conquêtes,  àfes 
tiftoires ,  &  à  ta  paix  qui  femble  fe 
*aprocher,  &  dont  il  impofe  les- conditions 
wec  toute  la  modération  que  peuvent  fou- 
haiter  nos  ennemis.  Je  me  le  figure  comme 
m  conquérant  qui  veut  mettre  dès  bornes  à 
ra  gloire  &àfa  puiffance,  &  de  qui  on 
bourrait  dire  à  meilleur  titre,  qu'on  ne  Va 
Ht  d 'Alexandre-,  qu'il  va  tenir  les  états 
ie  l'univers  ,  en  obligeant  les  mini/ires  de 
tint  de  Princes  de  sqffembler ,  pour  ter-, 

\  (O  Louis  XIV.  foaÀyeuï. 


E    PI    T    R    E. 

miner  une  guerre  qui  ne  peut  être  que  té- 
neuf  e  à  leurs  maîtres.  Ce  font  des  fujets 
Qu-deflus  de  nos  paroles:  je  les  laifle  à  à 
meilleures  plumes  que  4a  mienne  -?  (ffuis 
ceoec  un  profond  rejpeSt  f 


Monseigneur, 


\ 


Votre  très  -  humble ,  très  -  obéïlant 
&  très  -  fidèle  Serviteur. 

DE  LA  FONTAIN*. 


LIVRE      X  II.  333 

FABLE     PREMIERE.    . 
Let  Compagnons  éfUlyJJe. 
A     MONSEIGNEUR 

LE  DUC  DE  BOURGOGNE. 


P 


rince  ,  Tunique  objet  du  foin  des  immortels , 
Souffrez  que  mon  encens  parfume  vos  autels. 
Te  vous  offre  un  peu  tard  ces  préfens  de  ma  rnufe  ; 
Les  an9  &  les  travaux  me  ferviront  d'exrtife. 
Mon.  efprfc  diminue  ;  au -lieu  qu'à  chaque  inffant, 
On  apperçoit  le  vôtre  aller  en  augmentant. 
H  ne  va  pas,  il  court,  il  femble  avoir  des  aîles  ; 
(i)  Le  Héros  dont  iî  tient  des  qualités  fi  belleç ,  ' 
Dans  le  métier  de  Mars  brûle  d'en  fafre^  autant  : 
11  ne  tient  pas  à  lui ,  que  forçant  la  victoire  > 
Il  ne  marche  à  pas  de  géant 
Dans  la  carrière  de  la  gloire. 

Quelque  Dieu  le  retient,  (c'eft  notre  (2)  Souve- 
rain}-, 
Lui,  qifunmois  a  rendu  maître  &  vainqueur  dû  rhiru 
Cette  rapidité  fut  alors  iïéceflaire  :   " 
Peut- être  elle  fer  oit  aujourd'hui  téméraire.   -       < 
Je  m'en  tais  ;  auffi-bien  les  ris  &  les  amours . 
Ne  fotit  pas  foupçonnés  d'aimer  les  longs  difcours» 

{ 1  )  Louis  Dauphin  ,  fils  du  Roi  Louis. 
(*)  Le  Roi  fan  porc. 


33$        TABLES    CHOISIES 

De  ces  fortes  dé  dieux  votre  cour  fe  compofe, 
Ils  ne  vous  quittent  point.  Ce  n'eftpas  qu'après  coîk 
D'autres  divinités  n'y  tiennent  le  haut  bout  : 
Le  fens  &  la  raifon  y  règlent  toute  chofe. 
Confultez  ces  derniers  fur  un  fait  où  les  Grecs , 
Imprudens  &  peu  circonfpe&s, 
S'abandonnèrent  à  des  charmes 
Qui  métamorphofoient  en  bêtes  les  humains. 

ie$  compagnons  (3)  d'Ulyfle,  après  dix  ans  d'alarmes, 
Erroient  au  gré  du  vent,  de  leur  fort  incertains. 
-   lis  abordèrent  un  rivage  ■. 

Où  la  fille  du  dieu  du  jour, 

Circé,  tcfiC::  :ÎÔ:5  fa  cour. 

Elle-,  leur  ft;  prendre  un  breuvrage 
Délicieux ,  mais  plein  d'un  funefte  poifon. 

D'abord  ils  perdent  la  raifort; 
Quelques  momens  après  leur  corps  &  leur  vi&ge* 
Prennent  l'air  &  les  traits  d'animaux  différens, 
Les  voilà  devenus  ours,  lions,  éléphans; 

Les  uns  fous,  uns  mafle  énorme  > 

Les  autres  fous  une  autre  forme; 
11  s'en  vit  de  petits ,  exemplum  u*  taîpa: 

Le  feul  Ulyflè  en  échappa. 
Il  fçut  fe  méfier,  de  la  liqueur  traîtrefle. 

Comme  il  joignoit  à  la  fagefïç 
La  mine  d'un  héros  &  le  doux  entretien  > 

Il  fit-tant  que  Pençhantereflè 
Prit  un  autre  poifon  peu  différent  du  fîen. 
Une  déefle  dit  tout  ce  qu'elle  a.  dans  raine  ; 

Celle-ci  déclara  fa  flamme. 
Ulyflfe  étoit  trop  fin  pour  ne  pas  profiter 

D'une  pareille  conjoncture  : 
Il  obtint  qu'on  rendroit  à  }çs  Grecs  leur  figure. 
Mais  la  voudront-  ils  bien ,  dît  la  nymphe ,  accepter  ? 

(O  Le,  refte  iïe s  Soldats   qu'il  avoit   amené   au  Siège 
t\e  ïroyc,  &  qu'il  tâchait  de  rajnenc*  à  Ithaque. 


LIVRÉ      XI  I.  335 

Allez  le  propofer  de  ce  pas  à  la  troupe. 
Ulysfe,y.  court,  &  dit:  îempoifonneufe  coupe 
A  fon  remède,  encoïe*  &  je  viens  vous  l'offrir  : 
Chers  amis,  voulez -^vous  hommes  redevenir? 

On  vous  rend  déjà  la  parole» 

Le  lion  dit,  penfant  rugir,  •/ 

Je  n'ai  pas  la  tête  fi  folle. 
Moi  renoncer  aux  dons  que  je  viens  d'acquérir  f  " 
J'ai  griffe  &  dent,  &  mets  en  pièce  qui  m'attaque  : 
Je  fuis  roi,  deviendrai -je  un  citadin  (4)  d'Itaque? 
Tu  me  rendras,  peut-être,  encor  fimple Soldat? 

Je  ne  veux  point  changer  d'état. 
Ulysfe ,  du  lion  court  à  l'ours  :  eh  !  mon  frère  , 
Comme  tç  voilà  fait;  Je  t'ai  vu  û  joli. 

Ah  !  vraiment,  nous  y  voici, 

Reprit  l'ours  à  fa  manière  ; 
Cqjmne  rn«  voilà  fait!  comme  doit  être  un  ours. 
Qui  t'a  dit  qu'une  forme  eft  plus  belle  qu'une  autre? 

Eft-  ce  à  la  tienne  à  juger  de  la  nôtre? 
Je  m'en  raporteaux  yeux  d'une  ourfe  mes  amoitfs/ 
Te  déplais  -  je  ?  Va  - 1  -  en ,  fuis  ta  route  &me  laisfe: 
Je  vis  libre,  content,  fans^nui  foin  qui  me  presfe; 

Et  te  dis,  tout  net  &  tout  plat, 
:      Je  ne  veux  point  changer  d'état. 
Le  Prince  Grec  au  loq>  va  propofer  l'affaire: 
Il  lui  dit,  au  hazard  d'un  femblable  refus: 

Camarade,  je  fois  confus, 

Qu'une  jeune  &  belle  bergère  .        ... 
Conte  aux  échos  les  appétits  gloutons 

Qui  t'ont  fait  manger  fes  moutons. 
Autrefois  on  t'eût  vu  faitver  fa  bergerie  :- 

Tu  menoisunç  honnête  vie. 

Quitte  ces  bois ,  &  redevien , 

Au -Heu  de  loup,  hoipme  de  bien. 
En  eft-il ,  dit  le  loup  ?  pour  moi ,  je  n'en  voisguerc,  ■ 
Tu  t'en  viens  me  traiter  de  bête^carnaciere: 

U)  Petite  Ifle  où  régnait  Ulyfle. 

-    p+. 


336        FABLES    CHOISIES 

Toi ,  qui  parles ,  qu'es-tu  ?  n'auriez-vous  pas  fans  moi 
Mangé  ces  animaux  que  plaint  tout  le-village? 

Si  j'étois  homme,  par  ta  foi, 
*    Afmerois  -je  moins  le  carnage? 
Pour  un  mot ,  quelquefois ,  vous  vous  étranglez  tous; 
Ne  vous  êtesjvoùs  pas  l'un  à  l'autre  des  loups? 
Tqut  bien  confidéré,  je  te  foutieas  en  fomme, 

Que  fcélérat  pour  fcélérat, 
11  vaut  mieux  être  un  loup  qu'un  homme; 

Je  ne*  veux  point-  changer  d'état. 
UlyiTe  fit -à  tous  une  même  (5)  Temonce r 

Chacun  d'eux  fît  même  réponfe, 
<        Autant  le  grand  que- le  petit. 
La  liberté,  les  bois*  fuivre  leur  appétit» 

C'étoit  leurs'  délices  fuprêmes  : 
Tous  renonçoiefit  au  lôs  des  belles  actions, 
Us'croyoi'ent  s'affranchir ,  Suivant  leurs  paflkm^ 

Ils  étoient  efclàves.  d'eux-mêmes. 

Prince,  j'aurqis  voulu,  çhoifir  un  fujet 
Où?  je  pufle  mêler  lé  plaifant  à  l'utile: 
;  C'étoit  fans  doute  un  beau  projet, 

Si  ce  chois  eût  été  facile. 
Les  Compagnons  d'Ulyffe  enfin  fe  font  offerts  t 
Ils  ont  force  pareils  en  ce  bas  univers , 
.  Gens  à  qui  j'impofe  pour  peine 
N  Votre  cenfurq  &  votre  haine., 
(s)  Pcopofition* 


,fWt 


•  L     I    V    R    E      X  I  L  J37 

F   A    B    L    E      I  I. 

Le  Chai  &  tes  deux  Moineaux. 
>A    MONSEIGNEUR 

LE  DUC  DE  BOURGOGNE 


U* 


n  Chat  ;  comtemporain  d'un  fort  jeune  Moineau^ 
Fut  logé  près  de  lui  dès  l'âge  du  berceau. 
La  cage  &  le  panier  avoiént  mêmes   (  i  )  pénates. 
Le  Chat  étoit  fouvent  agacé  par  l'Oifeau  ; 
L'un  s'efcrimojt  du  bec ,  l'autre  joitoit  des  pattes. 
Ce  dernier,  toutefois,  épargnait  fon  ami, 

Ne  le  corrigeant  qu'à  demi. 

Il  fe  fut  fait' un  grand  fcropule» 

D'armer  de  pointes  fa  férule. 
*       Le  PafTereau  moins  circonfpecl, 

Lui  donnoit  force  coups  de  bec  : 

En  fage  &  diferette  personne  % 

Maître  Chat  exeufoit  fes  jeux. 
Entre  amis  il  ne  faut  jamais  qu'on  s'abandonner 

Aux  traits  d'un  courroux  fërieux. 
Comme  Hs  fe  connoifToient  tous  deux  dès  leur  bas 

âse>  ,  -..■•< 

Une  longue  habitude  en  paix  les  maintenoit  ;, 
Jataais  en  vrai  combat  le  jeu  ne  fe  tournoie 

Quand  un  Moineau  du  voifinage   . 
S'en  vint  les  vifiter ,  &  fe  fit  compagnon 
Du  pétulant  Pierrot ,  &  du  fage  R  >toa 

1 1  )  Scoicnt  dan»  la  mètœ  malfon. 

?S 


53*       FABLES    CHOISI*» 

Entre  lès  deux  oifeaux  il  arriva  querelle  : 

Et  Raton  de  prendre  parti. 
.  Cet  inconnu ,  dit  -il ,  nous  la  vient  donner  belle- 

D'înfultcr  ainfî  notre  ami; 
Le  Moineau  du  voiiin' viendra  manger  le  nAtre? 
Non,  de  par  tous  les  chats.  Entrant  lors  au  combat 
Il  croque  l'étranger  :  vraiment^  dit  notre  Chat, 
Les  Moineaux  ont  un  goût  exquis  &  déliât. 
Cette  -réflexion  fit.auffi  croquer  l'autre. 

Quelle  morale  puis -je  inférer  de  ce  fait? 

Sans  cela ,  toute  fable  eft  un  oeuvre  imparfait.        I 

J'-en  crois  voir  quelques  traits,  mais. leur  ombre  ; 

m'abufe. 
Prince ,  vous  les  aurez  incontinent  trouvez  : 
Ce  font  des  jeux  pour  vous,  ^  non  point  pour 

ma  mufe  : 
Elle  &  fes  fœurs  n'ont  pas  l'efpritque  vous  avez. 


u 


FABLE      III. 

Du  Théfaurifeur  fif  du  Singe. . 

n  homme  *ccumùlôit.     On  fçàit  que  cette  er- 
reur 

Va  fouvent  jusqu'à  te  fiireun 

Celui-ci  ne  fongeoit  que.  ducats  &  piiîoles. . 

Quand  ces   biens  font  oififs,  je  tiens  qu'ils  font 
frivoles. 

Pour  fureté  de  fon  tréfor, . 

Notre  Avare  habitoit  un  lieu  dont  (  r  )  AmphitritO: 

Défendoit  aux  voleurs  de  toutes  parts  l'abord.. 

Ul  ,  d'une  volupté ,  feioa  moi,  fort  petite* , 

(  I  )  La  mer  cntouroit^fa  n&aifoa*, 


7 


L    I    V    R'i  E     XI  r;  33» 

Et  félon  lui  fort  .grande,  il  entaffoit.toujtfursr   . .  % 

Il  paffoit  les  nuïfs  &  les  jours  *    * 

A  compter,  calculer,,  fupputer  fans  relâche; 
Calculant,  Supputant,  comptant  comme  à  la  tâche r 
Car  il  trouvoit  toujours  du  mécompte  à  fon  fait 
Un  gros  Singe,  phis  fage ,  à  mon  fens  f  que  fon  Mai  tre, 
Jettoit -quelques  doublons  toujours  par  le  fenêtre, 

Et  rendoit  le  compte  imparfait»    V 

La  chambre  bien  cadenâffée , 
Permettoit  de  laiffer  l'argent  fur  le- comptoir. 
Un  beau  jour  Dom -Bertrand  fe  mit  dans  la  p.enfélL 
D'en  faire  un  façrifice  au  liquide  manoir. 

Quant  à  moi , .  lorsque  je  compare 
Les  pîaifîrs  de  ce  Singe  à  ceux  de  cet  Avare  r-  ■ 
Je  ne  fçai  bonnement  auquel  donner  le  prix. .  l 
Dom -Bertrand  gagneroit  près  de  certains  esprits •:) 
Les  raifons  en  fcroient  trop  longues  à  déduire.     î 
Un  jour  dofic  l'animal,  qui  ne  fongëoit  qu'à  nuire,, 
Détachoit  du  monceau  tantôt  quelque  doublon , . 

Un  jacobus , .  un  ducaton , , 

Et  puis  quelque  (3  );  noble  à  là  rofe, , 
'  Eprouvoit  fon  adrefle  &  fa  force  à  jetter  • 
Ces  morceaux  de  métal  qui  fe  font  foubaiter*  «- 

Par  les  humains,  fur  toute  chofe» 
S'il  n'avoit  entendu  fon  Compteur  .à  la  fin  1 

Mettre  la  clef  dans  la  ferrure, 
Les  <iûcats  auroient  tous  pris  le  même  chemin  y . 

Et  couru  la  même  avanture. 
Il  les  auroit  fait  tous  voler  jusqu'au  dernier 
Dans  le  gouffre  enrichi  par  maint'à  maint  naufrages- 
Dieu  veuille  préferver  maint  &  maint  financiers 

Qui  n'en  fait  pas  meilleur  ufegc . 

(2)  A  bi  ipcr.  ,  .  * 

(3)  Efpèce  de  vieille  monnoie,  . 


-—  --  .       ^ 

uo       FABLES    CHOISIES 

éGBJSSSSSS.  ,  .j— _ 

FABLE       IV. 
«  Les  deux  Cbévres. 


D< 


F  es  que  ljes  Chèvres  ont  brouté , 
Certain  efprït  de  liberté. 
'  £?eur  fait  chercher  forrjme  :  elles  vont  en  voyage 
Vers  les  endroits  du  pâturage 
Les  moins  fréquentés  des  humains. 

Là,  s'il  eft  quelque,  lieu  fans  route  &  fans  chemins, 

Un  rocher ,  quelque  mont  pendant  en  précipices ,. 

Qeft  où  ces  Dames  vont  promener  leurs  caprices  : 

Rien  ne  peut  arrêter  cet  animal  grimpant» 
Deux  Chèvres  donc  s'émancipant , 
Toutes  deux  ayant  patte  blanche  r 

Quittèrent  les  bas  près ,  chacune  de  fa  part. 

L'une,  vers  l'autre  alloit  pour  quelque  bon  hafard. 

Un  ruifleau  ferencontre,.&  pour  pont  une  plancha; 

Deux  belettes  à  peine  auroient  paffé  de  front. 

Sur  ce  pont  : 

D'ailleurs:,  l'onde  rapide  &  le  ruiffeau  profond 

Dévoient  faire  trembler  de  peur  ces  Amazones. 

Malgré'  tant  de  dangers,  l'une  de  ces  perfonnes. 

Pofe  un  pied  fur  la  planche,  &  l'autre  en  fait  autant, 

Je  m'imagine  voir, -avec  Louïs  le  Grand, 
Philippe  quatre  qui  s'avance 
Dans  (  i  )  l'ifle  de  la  Conférence; 
■.    Ainfi  s'avançoient  pas  à  pas, 
Nez.  à  nez.  nos  Avanturiéres ,. 
Qui  toutes  deux  étant  fort  fïéres  f 

VeBs  îe  milieu  du  pont,  ne  fe  voulurent  pas 

(t)  Près  faint  Tean^d*- Lu2,  ob   la  Piix  entre  t ouï* 
XJV.  &  Philippe  IV.  ftt  ftgnéc  en  16*9. 


7 


*    L    I    V    R    E      XI  1.-        MX 

L'une  £,Va»tte  céder.    Elles  avoient  la  gloire 
De  compter  dans  leur  race  (  à  ce  que  dit  L'hiftoiitf) 
L'une,  certaine  Chevreau  mérite  fans  pair, 
Dont  (  2  )  Pplyphême  fit  piéfent  à  Galathée;! 
Et  l'autre,  la  Chèvre  (S)  Amalthée 
•Far  qui  fut  nourri  Jupiter. 
Faute  de  reculer ,  Jeur  chute  fut  commune  i         ^ 
Toutes  deux  tombèrent  dans  l'eau.  * 
Cet  accident  n'eft  pas  nouveau 
Dans  le  chemin  fie  la  fortune.  <  ~ 

(i)  Fameux  Cyclope,  amanr  de  la  Nymphe  Galatéc;] 
(3  )  Qui  fut  pour  cela  placée  parmi  Je*  Aitres.  [ 


A    MONSEIGNEUR  - 

LE  DUC  DE  BOURGOGNE, 

Qui  avoit  demande  à  M.  de  La  Fontaine 
une  Fable  .qui  fût  nommée  le  Ctiat 
&  la  Souris.    _ 


JL  ow  plate  au  jeune  Prime  à  qui.  la  renommée 

Dejtine  un  temple  en  mes  écrits, 
Comment  compoferai-je  une  fable  nommét 
Le  Chat  &  la  Souris? 

"Dois -je  repréfenter  dans  ces  vers  une  belle, 
£ui  douce  en  apparence,  &  toutefois  cruelle  T 
ra  fe  jouant  des  cœurs  que  fes  charmes  ont  pris  * 

Comme  le  Chat  de  la  Souris? 

Prendrai- je  pourfujet  les  jeux  de  la fortune? \ 

Jfe'w  ne  lui  convient  mieux  >  S*  c'eft  cboje  commune  - 


3**       FABLES    CITÔISIES 

Que  de  lui  voir  traiter  ceux  qu'on  croit  fes  mms% 
•  Comme  le  Chas  fait  la  Souris. 

Introduirai -je  un  roi,  qu'entre  fes  favoris 
Ellerefpe&e  eul,  roi,  qui  fixe  fa  roue, 
Qui  riejt  point  empêché  d  un  monde  d'ennemis; 
Et  qui,  des  plus  puiffans ,  quand  il  lui  plaît,  Je  joue  > 
-Comme  le  Chat  de  la  Souris? 

Mais  infenfiblement ,  dans  k  tour  que  fui  pris  9  . 
Mon  de£einfe  rencontre;  &.fije  ne  m'abufe, . 
Je  pourrais  tout  gâter  par  de  plus  longs  récits*. 
Le  jeune  Prince  alors  fe  joûroit  de  ma  mufe 
Gomme  k  Chat  de  h  Souris* 


E   A    B    L    R      V. 

Le  vieux  Chat  &  ta  jeune.  Souris. 

%J  ne  jeune  Souris  dé  .peu  cTèxpérieiïce, 

Crut  fléchir  un  vieux  Chat  implorant  fa  clémence* 

Et  .payant  de  raifons  le  Rominagrobis. 

Laiflez  -  moi  vivre:  une  Souris.: 
De  ma  taille;  &  de  ma  dépenfe  • 
Eft-elle  à  charge  en  ce  logis?.' 
Affamerois  -  je ,  à  votre  avis , . 
.      L'hôte,  rfiôteffe,  &  tout  leur  monde£° 
D'Un  grain  de  bled  je. me, nourris  : . 
Une  noix  me  rend  toute  ronde» 

A'préTerit  je  fuis  maigre  :■  attendez  quelque  temps» 

Kéfervez  ce  repas  à  meilleurs  vos  enfans. 

Ainfi  parloit  au  Chat  la  Souris  attrapée. . 
L'autre  lui  dit:  tu  fes  trompée». 

Erf-ce  à  moi  que  l'on,  tient  defemblables  difcoms? 

Tu  gagnerois  autant  de  parler  à  des  lourds. 


£  i  r  T>  R  E     3r:i  i;         34$, 

Chat  &  vieux*  pardonner  ?  cefa  n'arrive  gu&es*. 

Selon  ces  loix,  defcenck  là -bas, 

Meurs,  ôcva-t-ende  ce  pas 

Haranguer  les  fœurs  filandiéres. 
Mes  cnfans  trouveront  aflfez  d'autres  repas- 

-"  *  -  Il  tint  parole.     Et  pour  ma  fable,    ... 
Voici  le  fens  moral  qui  y  peut  convenir.    ;_ 
La  jeuneflfe  fe  flatte ,  &  croit  tout  obtenir'^ 

La  vieilleffe  eft  impitoyable. 

^ssssssssssssssssssssssssm^ 
E   A    B    h    E      V  I. 
Le  Cerf  malade. 


e; 


fn  pays  plein  de  Gérfs",  un  Cerf  tomba  malade» 

Incontinent  maint  camarade 
Accourt  â  fon'; grabat  lé  voir,  le  fecouriri 
Le  confoler  du  moins  :  multitude  importune. 

Eh  l 'meffieurs ,  laiffez  -  moi  mourir  ; 

Permettez  qu'en  forme  commune i, 
La  parque  m'expédie,  &  finiflez  vos  pleurs. 

Point, du  tout:  les  confôlateura 
De  ce  triite  devoir  tout  au  long  s'acquittèrent  ;  : 
'  Quand  il  plut  à  Dieu  s'en  allèrent  : 

Ce  ne  fut  pas  fans  boire  un  coup  f 
Ceflr-à  -dire  fans  prendre  un  droit  de  pâturage. 
Tout  rfe  mit  à  brouter  les  bois  du  voifinage. 
La  pitance  du  Cerf  en  déchut  de  beaucoup. 

Il  ne  trouva  plus  rien  à  frire  : 
,  D'un  mal ,  il  tomba  dans  un  pire;  ; 

Et  fe  vit  réduit  à  la  fin 

A  jeûner  .&  mourir  .^faixrju. .. 


U4        PAFtIS'  CHOISIES 

.    Il  en  coûte  à  qui  vous  réclame, 
Médecins  du  corps  &  de  l'ame. 
O  temps, v A  mœurs!  J'ai  beau  crier, 
Tout  le  monde  fe  ait  payer. 


FABLE      VIL 

La  Chauve-Souris,  te  Buiffbn  &  le  Canard^ 


JL 


te  Buiffbn ,  le  Canard  &  la  Chauve  -*5ourïs, 

Voyant  tous  trois  qu'en  leur  pays* 

Ils  faifoient  petite  fortune , 
Vont  trafiquer  au  loin  >  &  font  boiirfe  commune. 
11  avoient  des  comptoirs,  des  fafteurs,  des  agens, 

Non  moins  foigneux  qu'intelligens , 
Dés  iegiftres  exafts  de  mifé  &  de  recette. 

TouJ  alloit  bien ,  quand  leur  emplette  > 

En  paflant  par  certains  endroits 

Remplis  d'écueils,  &  fort  étroits ,. 

Et  de  trajet  très -difficile, 
Alla  toute  emballée  au  fond  des  magafins> 

Qui  du  (  i  )  Tartare  font  voifins- 
Notre  trio  pouffa  maint  regret  inutile, 

Ou  plutôt  il  n'en  pouffa  point. 
Le  plus  petit  marchand  eft  fçavanfc  fur  ce  point: 
Pour  fauver  fon  crédit ,  il  faut  cacher  fa  perte. 
Ceite  que  par  malheur  nos  gens,  avoient  fouffertfcv 
Ne  put  fe  réparer  :  le  cas  rut  découvert. 
Les  voilà  fans  crédit ,   fans  argent ,   fans  refiburce, 

Prêts  à  porter  le  (2)  bonnet  vert. 
^       Aucun  ne  leur  ouvrit  fe  bourfe  , 

(  1  )  C'eft  à  -  dire ,  au  fond  des  eaux.  Tartare  ,  l'un  des 
noms  dont  les  Poètes  fe  fervent  pour  defigner  \ts  Enfers. 

(  z  )  Qu'autrefois  les  Banqueroutiers  étoient  obliges  de 
porter. 


LIVRE      XII.  345 

Et  le  fort  principal ,  &  les  gros  intérêts, 

Et  les  fergens ,  &  les  procès  > 

Et  lef créancier  à.  la. porte, 

Dès  devant  la  pointe  thi  jour , 
N'QCCupoient  le  trio  qu'à  chiercher  maint  détour,: 

Pour  contenter  cette  cohorte. 
Le  Buifïbn  accrochoit  les  paiïans  à  tous  coups  : 
Meilleurs,  leur  difoit-il,  de  grâce  apprenez -nous 

En  quel  lieu  font  les  marchahdifes 

Que  certains  gouffres  nous  ont  prifes  ? 
Le  ?,longeon ,  fous  les  çaux  s.'en  alloit  les  cherche!' 
L'oifeau  Chauve  -  Souris  n'ofoie  plus  approcher, 

Pendant  le  jour ,  nulle  denieure  : 
x         .  Suivi  des  fergèns  à  toute  heure, 

En  des  trous  il  s'alloit  cacher. 

Jeconnok  niaint  detteur, qui n'eft ni  Souris-chauve, 
Ni  Buifïbn ,  ni  Canard ,  ni  dans  tel  cas  tombé , 
Mais  fimple  grand  feig&eur»  qui  tous,  les  jours  fc 
fauve 

Par  uu  efcalier  dérobé,    . 


£î 


FABLE      VIII. 

La  querelle  des  Chiens  Sfdes  Chats  f&  cette 
des  Chats  &des  Souris. 


L. 


/a  difcorde  a  toujours  régné  dans  l'univers; 
Notre  monde  en  fournit  mille  exemples  divers. 
Chez  nous  cette  déelTe  a  plus  d'un  tributaire. 

Commençons  par  les  Eléjnens  : 
Vous  ferez  étonné  de  voir  qu'à  tous  moment 
Ils  feront  apointés  contraire.. 


34$        FABLES    CHOISIES 

'  Outre  ces  quatre  potentats, 

Combien  d'eues  de  tous  états 

Se  font  une  guerre-  éternelle  ? 
/ 
Autrefois  un  logis  plein  de  Chiens  &  de  Chats» 
Par  cent  arrêts  rendus  en  forme  folenmelle, 

Vit  terminer  tous  leurs  débats. 
Le  maître  ayant  réglé  leurs  emplois,  leurs  repas, 
Et  menacé  du  fouet  quiconque  auroit  querelle , 
Ces  animaux  vivoient  entr'eux  comme  coufins  : 
Cette  union  û  douce,  fc  presque  fraternelle, 

Edifioît  tous  les  voiflns. 
Enfin  elle  cefla.    Quelque  plat  de  potage , 
Quelque  os ,  par  préférence ,  à  quelqu'un  d'eux  donné, 
Fit  que  l'autre  parti  s'en  vint  tout  forcené 

Repréfenter  un  tel  outrage. 
J'ai  vu  des  croniqueufs  attribuer  le  cas 
Aux  paiTe- droits  qu'avdit  une  Chienne  en  géfine; 

.Quoiqu'il  en  foit»  cet  altercqs   - 
Mit  en  combuftion  la  falle  &  la  cuifihe  : 
Chacun  fc  déclara  pour  fon  Chat ,  pour  fon  Chïetr. 
On  fit  un  règlement  dont  les  Chats  fe  plaignirent, 

r   '     Et  tout  le*  quartier  étourdirent. 
Leur  Avocat  difoit,  qu'il  falloit  bel  &  bien 
Recourir  aux  Arrêts.    En  vain  ib  les  cherchèrent, 
Dans  un  coin  où  d'abord  leurs  agensîes  cachèrent, 

Les  Souris  enfin  les  mangèrent. 
Antre  procès  nouveau  :  le  peuple  Souriquois 
En  pâtit.  Maint  vieux  Chat, fin,  fuhrJL&  narquois, 
Et  d'ailleurs  en  voulant  à  toute  cette  race , 

Les  guetta,  les  prit,  fit  main-bafle. 
Le  Maître  du  Jogis  ne  s'en  trouva  que  mieux. 

J'en  reviens  à  mon  dire.  On  ne  voit  fous  les  deux 
Nul  animal ,  nul  être ,  aucune  créature 
Qui-  n'ait  fon  oppofé  :  c'eft  la  loi  de  la  Nature. 
D'en  chercher  la  raifon ,  ce  font  foins  fuperflux* 


LIVRE      XII.  UT 

Dieu  fit  bien  ce  qu'il  fit,  &  je  n'en  fqaïs  pas  plus. 

. .    Ce  que  je  fçais ,  c'eft  qu'aux  greffes  paroles 
On  en  vient»  fur  un  rien,  plus  des  trois  quarts 

du  temps.  ' 

Humains,  il  vous  faudrok  encore  à  foîxante  ans 
(  i  )  Renvoyer  chez  les  Barbaçoles.  - 

'  (  i  )  Commç  de  petits  enfans  «  qui ,  toujours  prêts  i 
s'emporter  &  à  f e  quereller  fort  férieufement  pqur  de  pu  • 
tes  bagatelles ,  doivent  être  corrigés  de  cette  humeur  vi- 
ciemfe  pat  leurs  Maîtres ,  que  La  Fontaine  nomme  B*rb*~ 
cotes  y  terme  plaifant  &  burlesque ,  emprunté  des  Italiens» 
qui    l'ont   inyenté   pour   défignêr  un  Maître   d'Ecole  qui , 

Ï»our  fe  rendre  plus  vénérable   à  fc*  Ecoliers ,  porte  une 
ongue  barbe ,  Barbam  colit. 


£    A    B    L    E      IX.' 

Le  Loup  & 'p  Renard,    j 


(oD 


où  vient  que  perfoijne  en  U  vis 
N'efl  fatisfait  de  fon  état? 
.    Tel  voudroit  bien  être  foidat/ 
A  qui  le  foldat  porte  envie. 

j  Certain.  Rçnard  voutot^  dit-on, 
gç  fairp  Loup. .  Hé,  qui  peut  dire 
Que -pour  le  métier  de  mouton 
Jamais  ^ucun.  Loup  ne  foupire? 

(i)  Légère  imitation  du  commencement  de  la  prçmié* 
re  Satire  d'Horace. 

Qui  fit,  M4ctndit  ut  nmo  quam  fiki  fôrttm, 
S  eu  ratio  dederit  ,  fe*  Fors  êltféctrit ,  M* 
Gmê&Hh  vivM  ,  Uudtt  diverfa  jt<jutntet  i 


348        FABLES"  CHOISIES 

Ce  qui  m'étonne  eft  qu'à  huit  ans, 
Un  (2)  Prince  en  fiable  ait  mis  lachofe, 
Pendant  que  fous  mes  cheveux  blancs 
Je  fabrique  à  force  de  temps . 
Dos  vers  moins  feflfés  que  fa  profe 

•  Les  traits  dans  fa  fable  femés , 
Ne  font, qn  l'ouvrage  du  poëte, 
Ni  tous ,  ni  fi  bien  exprimés. 
Sa  louange  on  eft  plus  complette. 

xi  De  la  chanter  fur  la  Mufette 

-   •         C'eft  mon  talent  ;  mais  je  m'attens , 

Que  mon  Héros,  dans  peu  de  temps, 
Me  fera  prendre  la  Trompette. 

Je  ne  fuis  pas  un  grand  Prophète  x 
Cependant  je  Ls  dans  les  deux, 
"Que  bientôt/es  faits  glorieux 
Demanderont  glufîeujs  Hpmefes  ; 
Et  ce  temps  -ci  n'en  produit  gueres* 

^  Laiffant  à  part  tous  ces  myfterés , 
EflâydT&s  de  conter  la  fable  avec  fuccès. 

Le  Renard  dit  au  Loup: notre  cherypour  tous  met? 
£ai  fouvent  un  vieux  coq,  ou  de  maigres  poulets  : 

C'eft  une  viande  qui  me  lafle. 
Tu  fais  meilleure  "chère  avec  moins  de  hafard» 
J'approche  des  maifons  :  tu  te  tiens  à  l'écart. 
Apprens-moi  ton  métier,  eamarade,  degrfccer 

Rends  -  moi  le  premier  de  ma  race 
Qui  fournifle  fon  croc  de  quelque  mouton  gras, 
Tu  ne  me-mettras  point  au  nombre  des  ingrats. 
Je  le  veux,  dit  le  Loup  :  il  m'eft  mort  un  mien  frère, 
Allons. prendre  fa  peau,  tu  t'en  revêtiras. 
11  vint ,  $.  le  Loup  dit  :  voici  comme,  il  faut  faire , 

(  a  )  Monfeigncui  le  Pue  de  Bourgogne. 


L-î    V    "R -E"    X  II.    :        349 

Si  tu  veux  écarter  les  mâtins  di*  troupeau.      -   , 

Le  Renard  ayant  mis  [à  peau , 
Répétait  les  leçons  que  lui  donnoit  fon  maître. 
D'abord  il  f£  prjt  pal ,  piis  ua^eu  âûeûx,  puis  bien  : 

Puis  enfin  jl  n!y  manqua  rien.  . 
A  peine  il  fut .inilruit- autant  qu'il pouvoit  l'être, 
Qu'un  troupeau  s'approcha.    Le  nouveau  Loup  y 

court, 
Et  répand  la»  terreur  dans  les  lieux  d'alentour. 

Tel  vêtu  des  armes  d'Achille, 
(3)  Patrocle  mit  Pallarme  au  camp  &  dans  I3  ville; 
Mères,  brus  &;vibillards  au  temple  courofent  tous. 
L'oft  du  peuple  bêlant  crut  voir  cinquante  loups  : 
Chien,  berger  &  troupeau,  tout  fuit  vers  le  village. 
Et  lauTe  feulement  une  brebis  pour  gage. 
Le  larron  s'en  faifît. .  A  quelque  pas  de  là 
Il  entendit  chanter  un  coq  du  voifinage.  , 
'  Le  dîfciple  auffi  -  tôt  droit  au  coq  s'en  alla, 

Jettant  fras  fa  robe  de  clafTe ,  _J 

Oubliant  les  brebis ,  les  leçons ,  le  régerït,. 

Et  courant  d'un  pas  diligent. 

Que  fert  -  il  qu'on  fe  contre/afle?  y$ 

Prétendre  ainfî  changer,  eft  une  illufîon; 
L'on  reprend  fa  première  trace 
'     A  la  première  occafion. 

De  votre,  efpfit  que  nul  autre  n'égale ,     ,  r 
Prince,  ma'mufe  tient  tout  entier  ce  projet. 
Vous  rn'avez  donné  le  fujet, 
Le  dialogue  &  la  morale. 

(O  *™«ce  Gfec  •    ami  :d*AchiVle.     Il  fut  tu*  &  dé- 
pouillé des  Afmes.à* Achille  par  He&or.  _  / 


35i       FABLES    CHOISIES.  é 


Caquet  bon  bec  ma  mie  :  adieu ,  je  n'ai  que  faire 

D'une  babillarde  à  ma  cour  : 

Ceft  un  fort  méchant  caraétere. 

Margot  ne  demandoit  pas  mieux. 
Ce  n'eft  pas  ce  qu'on  croit,  que  d'entrer  chez 

les  dieux: 
Cet  honneur  a  fouvent  de  taortelles  angoifles, 
Redifeurs,  efpions,  gens  à  l'air  gracieux, 
Au  cœur  tout  différent,  s'y  rendent  odieux; 
Quoiqu'ainfî  que  la  Pie,  il  faille  dans  ces  lieux 

Porter  (  2  )  habit  de  deux  Paroiffes. 

(1)  Eue   toujours  prêts   à  joiwr  divers  perfonnages, 
«Ure&ement  oppofés. 


FA    BLE      XI  L 
.     Le  Roi,  k  Milan,  &  le  Chaffeur. 
A  SON  ALTESSE  SER.ENISS1ME 
n  M  ON  S  E  I  G  N  E  V  R 

LE    PRINCE  DE  CONTI. 

^/omme  les  dieux  font  bons,  ils  veulent  que 
le6  rois 
Le  foient  auffî  :  c'eft  l'indulgence 
Qui  fait  le  plus  beau  de  leurs  droits , 
«        Non  les  douceurs  de  la  vengeance. 
Prince,  c'eft  votre  avis.    On  fçait  que  le  courroux 
S'éteint  en  votre  cœur  fi- tôt  qu'on  l'y  voit  naître, 
Achille,  qui  du  lien  ne  put  fe  rendre  maître, 
Fut  par  -  là  moins  H4rç>s .  que^vôus. 

f  ......     '  ù 


.LIVRE      XIL  855 

Ce  tïfre  n'appartient  qu'à  ceux  d'entre  les  hommes 
Qui ,  comme  en  l'âge  d'or,  font  cent  biens  ici-bas' 
Peu  de  grands  font  nés  tels  en  cet  âgeou  nous  fommes 
L'univers  leur  fçak  gré  du  mal  qu'ils  ne  font  pas. 

Loin  que  vous  ûiiviez  ces  exemples, 
Mille  actes  sénéreux  vous  promettent  des  temples. 
Apollon,  citoyen  de  ces  auguiîes  lieux, 
Prétend  y, célébrer  votre  nom  fur  fa  lyre. 
Je  fçafe  qifon  vous  attend  dans  le  palais  des  dieux* 
Un  liécle  de.féjour  ici  doit  vous  fuffire. 
Hymen  veut  féjourner  tout  un  fïécle  chez  vous. 
.    Puiflent  fes  plaiûrs  les  plus  doux 

Vous  compofer  des  deftinées 

Par  ce -temps  à  peine  bornées,! 
Et.  îa  (i)  Princeffe  &  vous,  n'en  méritez  pas  moins: 

J  en  prends  fes-  charmes  pour  témoins  i 

Pour  témoins  j'en  prends  les  merveilles 
Par  qui  le  ciel,  pour  vous  prodigue  en  fes  préfen* 
«De  qualités  çpi  n'ont  qu;en  vous  feul  leurs  pareille/ 

Voulut  orner  vos  jeunes  ans.  * 

Bourbon,  de  fon  efprit  fes  grâces  aflaifonne. 

J,e  ciel  joignit  en  fa  perfonne 

Ce  qui  fçait  fe  faire  eitimer, 

A  ce  qui  fçait  fe  faire  aimer. 
11  ne  m'appartient  pas  d'étaler  votre  joie  ; 

Je  me  tais  donc,  &  vais  rimer . 

Ce  que  fit  un  qifeau  xle  proie. 

Un  Milan,  de  fon  nid  antique  poflefleur, 

Etant,  pris  vif  par  un  Chafleur, 
D'en  faire  au  Prince  un  don  cet  homme  fe  prooofe 
La  rareté  du  fait  donnoit  prix  à  la  chofe.  *■ 

L'Oifem  par  le  Cbaffeur  humblement  préféré,      , 

Si  ce  conte  n'eft  apocryphe , 

Va  tout  droit  imprimer  fa  griffe 

Sur  le  nez  de  fa  Majèftè.      "  '  \ 

Ti  )  Fille  légitime  de  louis  XI V.  mariée  en  168* 


§54        FABLES     CHOjSiES 

Quoi,  fur  le  nez  du  Roi?  du  Roi  même  en  perforais 
Jl  n'avoit  donc  alors  ni  fceptre  ni  couronne? 
Quand  il  en  auroit  eu  ,  ç'auroit  été  tout  un. 
Le  nez  royal  fut  pris  pour  un  nez  du  commun* 
Dire  des  courtifans  les  clameurs  &  la  peine , 
Seroit  fe  confumer  en  efforts  impuiffans. 
Le  R6i  n'éclata  point  :  les  cris  font  indécens 

A  la  Majefté  fouveraine* 
L'Oifeau  garda  fon  pofte.  On  ne  put  feulement 

Hâter  fon  départ  d'un  moment. 
Son. Maître  le  rappelle,  &  crie,  &  fe  tourmente, 
Lui  préfente  le  leurre,  &  le  poing,  mais  çn  vain, 

On  crut  que  jufqu'au  lendemain 
Le  maudit  animal  à  la  ferre  infolente, 

Nicheroit  là  malgré  ie  bruit , 
Et  fur  le  nez  facré  voudroit  palier  la  nuit: 
Tâcher  de  l'en  tirer  irritoit  fon  caprice. 
II  quitte  enfin  le  Roi ,  qui  dit  :  laifTez  aller 
Ce  Milan ,  &  celui  qui  m'a  cru  régaler.  i 

Ils  fe  font  acquîtes  tous  deux  de  leur  office , 
L'un  en  Milan,  &  l'autre  en  citoyen  des  bois. 
Pour  moi,  qui  fçais  comment  doivent  agir  les  Rois 

Je  les  affranchis  du  fupplice. 
Et  la  cour  d'admirer.     Les  courtifans  ravis 
Elèvent  de  tels  faits,  par  eux  fi  mal  fuivis. 
Bien  peu ,  même  des  Rois ,  prendroient  un  tel  modeI< 

Et  le  Veneur  l'échappa  belle, 
Coupable  feulement,  tant  lui  que  l'animal, 
D'ignorer  le  'danger  d'approcher  trop  du  maître. 

Ils  n'avoient  appris  à  connoître 
<Jue  les  hôtes  'des  bois;  étoit-cê'un  fi  grand  mal5(j 

(2)  Pilpay  faitvprèsdu  (3)  Gange,  arriver  l'avac 
Là  nulle  humaine  créature 

(i)  Auteur  indierO  V$y*z*  cl-deflus  ce  que  La  Fontaii 
en  clic  dans  un  AvertîïTemene ,  page  163. 
(3  4<iwnd  fleuve.,  des  Inde*.       .   . 


L    I    V    R    E      X  I  L  35$ 

Ne  touche  aux  animaux  pour  leur  fang  épancher; 

Le  Roi  même  feroit  fcrupule  d'y  toucher.      4 

Sçavons  -nous ,  difent  -  ils ,  fi  cet  Oifeau  de  proie 
■     N'étoit  point  au  fiége  de  Troie? 

Peut-être  y  tinr-il  lien  d'un  prince  ou  d'un  héros, 
Des  pljus  hupés  &  des  plus  hauts. 

Ce  qu'il  fut  autrefois ,  il  pourra  l'être  encore. 
Nous  croyons  après  (  4  )  Pythagore , 

Qu'avec  les  animaux  de  forme  nous  changeons, 
Tantôt  Milans ,  tantôt  pigeons ,         . 
Tantôt  humons ,  puis  volatilles 
Ayant  dans-  les  airs  leurs  familles. 
Comme  l'on  conte  en  deux  façons 

L'accident  du  Chaffeur,  voici  l'autre  inaniére. 

Un  certain  Fauconnier  ayant  pris ,  ce  dit-  on  * 
A  la  chaffe  un  Milan  (ce  qui  n'arrive  guère) 

En  voulut  air  Roi:  faire  tnvdon ,  ' 

Comme  de  chofe  finguliére. 
Ce  cas  n'artive  pas  quelquefois  entent  ans, 
C'eft  le  non  (  5)' plus  ultra  de  la  fauconnerie. 
Ce  ChafTeur  perce  donc  un  gros  de  courtifans , 
Plein  de  zèle ,  échauffé  s^il  le  fut  de  fa,  vie. 

Par  ce  parangon  des  préfens 

Il  crpyoît  fa  fortune  faite  , 

Quand  l'animal  porte  -fonnette 

Sauvage  encor  &  tout  groffier, 

Avec  fes  ongles  tout  d'acier,  ' 

Prend  le  nez  du  Chafleur  i,  happe  le  pauvre  iîre* 

Lui  de  crier,  chacun  de  rire, 
Monarque  &  courtïfans.  Qui  n'eût  ri?  quant  à  mol 
Te  n'en  eufle  quitté  ma  part  pour  un  empire. 

Qu'un  Pape  rie,  en  bonne  .foi* 

(  4)  FMlofophe  •  qui  •  cru  que  les  âmes  paflbfcnt  dan* 
les  corps  de  cUffërens  animaux  .  ' 

(  j  )  te  c»  le  plus  tare ,  le  plus  extraordinaire, 

■   .   s-      Q*    '       • 


3s«        FABLES     CHOISIES 

Te  ne  l'ofe  attirer  :  mais  je  tiendrois  un  Roi  ' 

Bien  malheureux  s'il  n'ofoit  rire  : 
C'cft  le  plaifir  des  dieux.    Malgré  fon  noir  foura , 
Tnniter    &  le  peuple  immortel  rit  auffi. 
R  fc  des  éclats,  à  ce  que  dk  (  6)  Thiftoire, 
Ouand  Vulcain.  clopinant ,  vint  lui  donnera  boire. 
Oue  le  peuple  immortel  fe  montrât  fage  ou  non, 
Tai  changé  mon  fujet  avec  jufte  rahon; 
Car ,  puisqu'il  s'agit  de  morale , 
Oue  nous  eût  du  Chaffeur  l'aventure  fatale 
Enfeiené  de  nouveau?  L'on*  vu  de  tout  temps 
Plus  de  fots  Fauconniers,  que  de  Rois  mdulgens. 

m  Hméti   dans  Wliade   LÎv.  L    ou  ce  Poète  dit  que 
*  Us  Dieux' éclatèrent    *«»""'  inextinguible, ,ce  qui  parait 
peu   dîne  de  leur  caradère .   comme  La  Foxtcainc  l'uuV 
nue  affez  ouvertement. 


F  A  B  L  E      XIII. 

Le  Renard,  ter  Mouches,  &  te  Hériffo^ 

X^lUX  traces  de  fonfang,  un  vieux  hâté  des  bois, 

Renard  tin ,  fubtii  &  matois , 
Bleffé  par  des  chaffeurs,  &  tombé  dans  la  fange, 
^Autrefois  attira  ce  (i)  parafïte  ailé 

Que  nous  avons  Mouche  appelle. 
Il  aceufoit  les  dieux ,  &  trouvoit  fort  étrange 
<juc  le  fort  à  tel  point  le  voulut  affliger, 

Et  le  fît  aux  Mouches  manger. 
Quoi!  fe  jetter  fur  moi,  fur 'moi  te  plus  habile 

De  teus.lçs  hôtes  des  forets,? 

(  i  )  Celui  qui  fait  métier  d'aller  impudemment  maag« 
où  il  n'eft  pa*  appelle'. 


...LIVRE      XII..         357 

Depuis  quand  les  Renards  font  -  ils  un  û  bon  mets  ? 
Et  que  me  fert  ma  queue?  eft-ce  un  poids  inutile? 
Va ,  le  ciel  te  confonde ,  animal  importun  : 

^  Que  ne  vis  -tu fur  le  commun? 

1  Un  Hériflbn  du  voifînage, 

Dans  mes  vers  nouveau  perfonnage, 
Voulut  le  délivrer  de  Timportunité 

Du  peuple  plein  d'avidité. 
Je  les  vais  de  mes  dards  enfiler  par  centaines , 
Voifin  Renard,  dit -il*  &  terminer  tes  peines, 
Garde-t-en  bien,  dit  l'autre:  ami,  nô  le  fais  pas: 
Laiffe  -  les ,  je  te  prij3 ,  achever  leur  repas. 
Ces  anirriaux  font  faouk:unQ  troupe  nouvelle 
Viendroit  fondre  fur  moi  \  plus  âpre  &  plus  cruelle. 

Nous  ne  trouvons  que  trop  de  mangeurs  ici -bas  : 
Ceuxrjci  font  courtifans ,  ceux-là  font  magiftrats: 
Aiiûote  appliquoit  cet  apologue  aux  hommes. 
tes  exemples  en  font  communs, 

.    Sur -tout  aux  pays  ou  nous  fommcs. 
(2},  Plus-  telles  gens  .font  pleins,   moins  ils  font- 

"importuns.  ... 

(x)  On  fait  un  conte  qui  vrai  ou  faux,  peut  fervîr 
Également  à  illuftrer  cette  ancienne  Fable.  Un  riche 
Financier,  qui  s'étoit  engraiffé  dei  malheurs  de  la  Fran- 
ce ,  fous  le  régne  de  Louis  XIV.  fe  trouvant  un  jour  à 
la  campagne ,  comme  il  fe  promenoit  dans  Ces  jardins 
délicieux,  ordre  lui  vinç  de  fe  démettre  de  Ton  Emploi. 
Surpris  de  cette  nouvelle ,  il  dit  à  celui  qui  la  lui  an» 
Conçoit.  J'en  fuis  fâché:  car  aptes  dvtir  fait  met  affutn, 
j'dUiii-fiur*  celles  dtt  %•*• 


Qs 


358        FABLES    CHOISIES 


FABLE      XIV. 

U  Amour  &  ta  Folie.. 

JL  out  eft  myftèrç  dans  l'Amour , 
Ses  flèches,  fon  carquois,  fon  flambeau,  fon  en- 
fance. / 

Ce  n'eft  pas  l'ouvrage  d'un  jour, 

Que  d'épuifer  cette  fcience* 
Je  ne  prétens  donc  point  tout  expliquer  ici. 
Mon  but  eft  feulement  de  dire  à  ma  manière 

Continent  l'Aveugle  que  voici , 
(  C'eft  un  dieu  )  comment ,  dis-je ,  il  perdit  la  lumière  ; 
Quelle  fuiçe  eut  ce  mal ,  qui  peut-être  eft  un  bien; 
J'en  fais  juge  un  amant x  &  ne  décide  rien.  . 

La  Folie  &  l'Amour  jôuoîent  tin  jounenfemble. 
Celui  -ci  n'étoit  pas  encor  privé  des  yeux/ 
Une  difpute  vint  :  l'Amour  veut  qu'on  afleiRbte 

Là-deflus  le  confeil  des  dieux* 
*     L'autre  n'eut  pas  la  patience/ 
Elle  lui  donne  un  coup  fi  furieux, 

Qu'il  en  perd  la  clarté  de»  deux. 

Vénus  en  demande  vengeance.  ' 
Femme  &  mère ,  il  fufHt  pou*  juger  de  fçç  çib  : 

Les  dieux  en  furent  étourdis  , 

Et  Jupiter,  &  (i)  Néméfis, 
Et  les  juges  d'enfer  v  enfin  toute  la  bandb. 
Elle  repréfenta  i'énormité  du  cas. 
Son  fils ,  fans  un  bâton ,  ne  pouvoit  faire  un  pas. 
Nulle  peine  n'etoit  pour  ce  crime  affez  grande* 

(  i  ;  La  Pdefle  de  h  Juflfcc  vengerc/ïc. 


L    1    V    R;   E      X  I  I.   ■         35$ 

Le  dommage  devoit  être  auflî  réparé. 
"*    Quand  on  eut  bierT  confidéré 
L'intérêt  du  public  ,  celui  de  la  partie ,  .  .  > 

Le  réfuitat  enfin  de  la  fuprême  cour 

Fut  de  condamner  ia  Folie 

A  fervir  de  guide  à  l'Amour. 


FABLE      XV. 

Le  Corbeau ,  ta  Gazette }  la  Tortue 
&  le  Rat. 

(i)    A  MADAME  DE  LA  SABLIERE 


e^ypus  gardois  un  temple  dans  mes  vers  : , 
1  n'eût  fini  qu'avecque  l'univers. 
Déjà  ma  main  en  fondoit  la  durée"  m  ' 

Sur  ce  bel  art  (  2  )  qu'ont  les  dieux  inventé , 
Et  fur  Je  nom  de  la  Divinité 
Que  dans  ce  temple  on  auroit  adorée  : 
Sur  le  portail  j'aurois  ces  mots  écrits;' 
Palais   Sacre"  de   la  De'esse  Iris, 
Non  celle  -  là  qu'a  Junon  à  fes  gages  ; 
Car  Junon  même ,  &  le'  maître  des  dieux , 
Serviroient  l'autre,  &  feroient'glorieux 
Du  feiil  honneur  de  porter  fes  meflàgei?. 
L'apothéofe  (.3)  a  la  voûte  eût  paru.' 
Là,  tout  l'Olympe  en  pompe  eût  été  vu. 
Plaçant  Iris  fous  un  dais  de  lumière. 
Les  murs  auroient  amplement  contenu 
Toute  fa  vie,  agréable  matière , 
Mais  peu  féconde  en  ces  événeméns' 
Qui  desv  états  font  les  renverfemens.      ' 

(  1  )  Daine  iiluftrc  par  fon  beau  génie.  /  * 

(1)  La'Poëfîe. 

(3)  L'hiftoitc  de  foti  entrée  dan*  le  Ciel. 

Q4  ' 


^60        FABLES    CHOISIES 

Au  fond  du  temple  eût  été  fon  image  y    * 
Avec  fes  traits ,  fon  foûris ,  Ses  appas , 
Son  art  de  plaire  &  de  n'y  penfer  pas , 
Ses  agrémens  à  qui  toue  rend  hommage. 
J'aurois  fait  voir  à  fes  pieds  des  mortels,. 
Et  des  héros,  des  demi-dieux  encore, 
Même  des  dieux:  ce  que  le  monde  adore 
,  Vient  quelquefois  parfumer  fes  autels, 
J'eufTe  en  fes  yeux  fait  briller  de  fon  ame 
Tous  les  tréfors ,  (juoiqu'imparfaitement; 
Car  ce  cœur  vif  &  tendre  infiniment,. 
Four  (es  amis ,  &~non  point  autrement; 
Car  cet  efprit  qui,  né  du  firmament, 
A  beauté  d'homme  avec  grâces  de  femme, 
Ne  fe  peut  pas,   comme  on  veut,  exprimer. 
O  vous ,  Iris ,  qui  fçavez  tout  charmer , 
Qui  fçavez  plaire  en  un   degré  fuprême, 
Vous ,  que  Ton  aime  à  l'égal  de  fol  -même, 
(Ceci  foie  dit  fans  nul  foupçon  d'amour, 
Car  c'eft  un  mot  banni  de  votre  cour , 
Laiflbns:le  donc)  agréez  que  ma  Mufe 
Achevé  un  jour  cette  ébauche  confufe. 
J'en  ai  placé  l'idée  &  le  projet, 
Pour  plus  de  grâce,  au-devant  d'un  fujet 
Où  l'amitié  donne  de  telles  marques , 
Et  d'un  tel  prix  ,  que  leur  fimple  récit 
Peut  quelque  temps  amufer  votre  efprit. 
Non  que  ceci  fe  pafie  entre  monarques  :. 
Ce  que  chez  vous  nous  voyons  eftîmer 
N'eft  pas  un  M  quf  ne  fçait  point  aimer, 
C'efl  un  mortel  qui  fçait  mettre 'fa  vie 
Pour  fon  ami.    J'en  vois  peu  de  û  bons.. 
Quatre  animaux,   vivant  de  compagnie,    - 
Vont  aux  humains"  en  donner  des  leçons. 

La  Gazelle,  le  Rat,  te  Corbeau,  fe  Tortue* 
Vivoient  enfembie  unis  :  douce  foçiétà 


LIVRE      XII.  26x 

Le  choix  d?une  demeure  aux  humains  inconnue 

Afluroit  leur  félicité. 
Mais  quoi,  l'homme  découvre  enfin  toutes  retraites. 

Soyez  au  milieu  des  déferts , 

-Au  fond  des  eaux,  au  haut  des  airs, 
Vous  n  éviterez  point  fes  embûches  fecrettes 
La  Gazelle  s'alloit  ébattre  innocemment, 

Quand  un  chien ,  maudit  infiniment 

Du  plaifir  barbare  des  hommes , 
Vint  fur  l'herbe  éventer  les  traces' de  fes  pas 
Elle  fuit;  &  le  Rat,  à  l'heure  du  repas, 
Dit  aux  amis  reftans  ;    d'où  vient  que  nom  ne 
fommes  ~  . 

Aujourd'hui  que  trois  conviés? 
La  Gazelle  déjà  nous  a -t-elle  oubliés? 

A  ces  paroles  la  Tortue 

S'écrie ,  &  dit  :  ah.!  fi  j'étois , 

Comme  un  Corbeau, _d'aîles  pourvue  '     • 

Tout  de  ce  pas  je  m'en  irois 

Apprendre  au  moins  quelle  contrée, 
.    Quel  accident  tient  arrêtée 

Notre  compagne  au  pied  léger  :  - 
Car,  à  l'égard  du  cœur,  il  en  faut  mieux  juger.    * 

Le  Corbeau  part  à  tire-d'aîle  : 
11  apperçoit  de  loin  l'imprudente  Gazelle, 

Prife  au  piège,  &  fe  tourmentant. 
Il  retourne  avertir  les  autres  à  l'indant. 
Car  de  lui  demander  quand ,  pourquoi ,  ni  comment 

Ce  malheur  eft  tombé  fur  elle,  *  ' 

Et  perdre  en  vains  difeours  cet  utile  moment, 

Comme  eût  fait  un  maître  d'école, 

11  avoit  trop  de  jugement. 

Le  Corbeau  donc  vole  &  revole.      ^ 

Sur  fon  raport  les  trois  amis 
•  Tiennent  confeil.    Deux  font  d'avis 
-  De  fe  tranfporter  fans  rernïfe  , 

Aux  lieux  où  h  Gazelle  eft  prife. 
Q  5    ^ 


S62        FABLES    CHOISIES 

L'autre,  dit  le  Corbeau,  gardera  le  logis  : 
Avec  fon  marcher  lent  quand  artiveroit-ellc? 

Après  la  mort  de  la  Gazelle. 
Ces  mots  à  peine  dits ,  Ils  s'en  vont  fecouiir 

Leur  chère  &  ridelle  compagne  , 

Pauvre  Chevrette  de  montagne. 

La  Tortue  y  voulut  courir; 

La  voilà  comme  çux  en  campagne, 
Maudiffant  fes  ,pieds  courts  avec  jufte  raifan , 
Et  la  néceflité  de  porter  fa  maifon. 
Rongemaille  (  le  Rat  eut  à  bon  droit  ce  nom) 
Coupe  les  nœuds  du  lacs  ;  on  peut  penfeHa  joie. . 
Le  Chafleur  vient ,  &  dit  :  qui  m'a  ravi  ma  proie? 
Rongemaille ,  à  ces  mots ,  fe  retire  en  un  trou , 
Le  Corbeau  fur  un  arbre,  en  un  bois  la  Gazelle: 

Et  le  Chafleur  à  demi  fou 

De  n'en  avoir  nulle  nouvelle , 
Appcrçoit  la  Tortue,  &  retient  fon  courroux. 

D'où  vient,  dit -il,  que  je  m'effraie? 
Je  veux  qu'à  mon  fouper  celle  -ci  me  défraie. 
Il  la  mit  dans  fon  fac.  Elle  eût  payé  pour  tous. 
Si  le  Corbeau  n'en  eût.averti  la  Chevrette. 

Celle-ci  quittant  fa  retraite , 
Contrefait  la  boiteufe  &  vienHe  préfenter. 

L'homme  de  fuivre ,  &  de  jetter 
Tout  ce  qui  lui  pefoit;  fi  bien  que  Rongemaifle 
Autour  des  nœuds  du  fac  tant  opère  &  travaille 
*  Qu'il  délivre  ençor  l'autre  fœur 
'.Sur  «qui  s'étoit  fondé  le  foupé  du  Chafleur. 

Pilpay  conte  qu'ainn  la  chofe  s'çft  paffée. 
Pour  peu  que  je  voutoflè  invoquer  Apollon , 
Veta  feroîs,  pour  vous  plaire,  uo  ouvrage  auffi  long 

Que  l'Iliade  ou  l'QdhTée. 
Rorgepiaille  feroit  le  principal  Héros , 
Quoi  qu'à  vrai  dire  ici  chacun  foit  néceflàire. 


;   L    I    V    R    E      XI  l.  363 

Porter- maifpn  l'infante  y  tient  de  (4)  tels  propos, 
Que  monfieur  du  Corbeau  va  faire 

Office  d'efpion,  &  puis  de  meflager. 

La  Gazelle  a  d'ailleurs  l'adreiTe  d'engager 

Le  ChafTeur  à  donner  du  temps  à  Rongemaille. . 
Ainfi,  chacun  en  fon  endroit 
^  S'entremet,  agit  &  travaille.  ' 

A  qui  (tonner  le  prix?  au  cœur,  fi  l'on  m'en  croît! 

Que  n'ofe  &  que  ne  peut  l'amitié  violente  ! 

Cet  autre  fentiment  que  l'on  appelle  Amour, 

Mérite  moins  d'honneur  :  cependant  chaque  jour 
Je  ie  célèbre  &  je  le  chante. 

Hélas!  .ilji^n  rend  pas  mon  ame  plus  contente. 

Vous  protégea  fa  fœur , %  H  fuffit  ;  &'  mes  vers 

Vont  s'engager  pour  elle  à  des  tons  tous  divers. 

Mou  maître  étoit  l'Amour,  j'en  vais  fervir  (5) 

'        un  autre  ; 

Et  porter  par  tout  l'univers 
Sa.glo/re  auffi-bien  que  la  vôtre. 

(4)  Des  difeours  fi  preflTans.fi  pathétiques,  qu'à  fa 
perfuafion  le  Corbeau  va  faire  office  d'Efpion,  8çc. 

I  j  )  Amour  fondé  fur  l'eftime ,  &  dont  le  nom  propre 
eft  amitié.  > 


FABLE      XVI; 

La  Fbrêt  &  te  Butheron. 


u. 


_'  n  Bûcheron  venoit  de  rompre  ou  d'égarer 
Le  bois  dont  il  avoit  emmanché  fa  coignée. 
Cette  perte  ne  put  fi -tôt  fe  réparer, 
Que  la  Forêt  n'en  fût  quelque  temps  épargnée. 
L'Homme  enfin  la  prie  humblement 
Dé  lui  laitier  tout  doucement 


3*4        FABLES     CHOISIES 

Emporter  une  unique  branche 
Afin  de  faire  un  autre  manche. 

Il  iroit  employer  ailleurs  fon  gagne  -pain  ; 
;   Il  laifferoit  debout  maint  chêne  &  maint  fapin  ,* 

Dont  chacun*  refpe&oit  la  vieillefle  &  les  charmes» 

L'innocente  Forêt  lui  fournit  d'autres  armes. 

Elle  en  eut  du  regret.    Il  emmanche  fon  fer. 
Le  Miférabïe  ne  s'en  fert 

§a'à  dépouiller  fa  bienfaitrice 
e  fes  principaux  ornemens._ 
Elle  gémit  à  tous  momens. 
Son  propre  don  feit  fon  fupplice- 

Voilà  ie  train  du  monde  &  de  ïcs  fe&ateurâ  : 

On  s'y  fert  du  bienfait  contre  les  bienfaiteurs. 

}e  fuis  las  d'en  parler  :  mais  que  de  doux  ombrages 
Soient  expofés  à  ces  ^outrages', 
Qui  ne  fô  plaindroit  là-deflus! 

Hélas  !  J'aî  beau  crier ,  &  me  rendre  (i)  incommode  -r 
L'ingratitude  &  les  abus 
N'en  feront  T>as  moins  à  la  mode. 

(i  )  Par -mes  remontrances. 


E  A    B    h    E      XV II. 

Le  Renard,  te  Loup  Sf  le  Cheval 


U. 


n  Renard  jeune  encor ,  quoique  des  plus  madrés , 
Vit  le  premier  Gfrevai  qu'il  eut  vu  de  fa  vie. 
Il  dit  à  certain  Loup,  franc  novice,  accourez; 

Un  animal  paît  dans  nos  prés; 
Beau,  grand,  j'en  ai  la  vue  encore*  toute  ravie.  - 
Eit-il  plus  .fort  que  nous  ?  dît  le  Loup  en  riant  : 
Fais-moi  fon  portrait,  Jeté  pr  te.    • 


LIVRE      X  I  1.      .     3<tf 

Si  j^tois  quelque  peintre,  ou  quelque  étudiant, 
Repartit  le  Renard ,  j'avancerois  la  joie 

Que  vous  aurez  en  le  voyant. 
Mais  venez:  que  fçait-on  ?  peut-  être  eft  -  ce  une  proie 

Que  la  fortune  nous  envoie. 
Ils  vont  ;  &  le  Cheval  qu'à  l'herbe  on  avoit  mis  > 
AfTez  peu  curieux  de  femblables  amis , 
Fut  presque  fur  le  point  d'enfiler  la  venelle. 
Seigneur,  dit  le  Renard,  vos  humbles  ferviteurs 
Apprendioient  volontiers  comment  on  vous  appelle- 
Le  Cheval  qui  ii'étoit  dépourvu  de  cervelle, 
Leur  dit  :  îifez  mon  nom ,  vous  lie  pouvez ,  Meilleurs , 
Mon  Cordonnier  Ta  mis  autour  de  ma  femelle. 
Le  Renard  s'exeufa  fur  fon  peu  de  fçavoir. 
Mes  parens,  reprit- il,  ne  m'ont  point  fait  înftruire. 
Ils  Cxmt  pauvres',  &  n'ont  qu'un  trou  pour  tout  avoir.  - 
Ceux  du  Loup ,  gros  meffieurs,  Pont  fait 'apprendre 
à  lire. 

Le  Loup,  par  ce  difeours  flatté, 

S'approcha;  mais  fa  vanité 
Lui  coûta  quatre  dente.  Le  Cheval  lui  defferre 
Un  coup  ;  &  haut  le  pied.  Voilà  mon  Loup  par  terre, 

"    Mal  en  point,  fanglant  &  gâté. 
Frère,  dit  lie  Renard,  cecl^nous  juftifie 

Ce  que  m'ont  dit  des  gens-d'efprk: 
Cet  animal  vqus  a  fur  la  mâchoire  écrit, 
Que  de  tout  racpnnu  te  tëge  fe.méfie.  :  t 


FABLE     ;X  V  II  I. 
Le  Renard  & 'les  Poulets,  d'Inde. 

vL/otitre  les  affauts  d'un  Renard 
Un  arbre  à*  des  Dindons  fcrvoitde  citadell* 
Q7  .r 


$66       FABLES    CHO  I  S  I  ES 

Le  perfide  ayant  fait  tout  le  tour  du  rempart,* 

Et  vu  chacun  en  fentineile, 
S'écria:  quoi,  ces  gens  fe  moqueront  de  moi! 
Jîux-feuls  feront  exemts  de  la  commune  loi! 
Non,  par  tous  les  dieux,  non.  Il  accomplit  fon  dire, 
L?  lune  alors  lui&nt,  fembloit  contre  le  lire  . 
Vouloir  favorifer  la  dindonniére  gent. 
Lui,  qui  n'étoit  novioe  au  métier  d'ajiïégeant,    * 
Eut  recours  à  f  on  fac  de  rufes  fcélérates , 
Feignit  vouloir  gravir,  fe  guinda  fur  fes  pattes, 
Puis  contrefit  le  mort,  puis  te  reffufcité. 

Arlequin  n'eût  exécuté 

Tant  de  différens  perfonnages. 
31  élevoit  fa  queuç,  il  la  faifoit  briller, 

Et  cent  mille  autres  badinages, 
Pendant  quoi  nul  Dindon  n'eût  ofé  fommeiller. 
L'ennemi  les  faifoit  en  leur  tenant  la  vûé 

Sur  même  objet  toujours  tendue* 
Les  pauvrçs  gens  étant  à  la  longue  éblouis , 
Toujours  il  en  tomboit  quelqu'un  :  autant  de  pris  : 
Autant  de  mis  à  part:  prés  de  moitié. fuccombe. 
J*e  Compagnon  les  porte  en  fqn  carde -manger. 

Le  trop  d'attention  qu'o/i  a  pour  le  danger, 
Fait  le  plus  fouvent  qu'on  y  tombe. 


F   A    B  %L  -E      XIX. 
Le  Singe, 


i. 


Ll  eft  un  Singe  dans  Paris 
A  qui  l'on  avôit  donné  femme  r 
Singe  en  effet  d'aucuns  maris, 
..  H  la  battoit.  La  pauvre  Pâme. 


"LIVftl.XlL  3*f 

En*.*  *ant  foupiré  qu'enfin  elle  n'eft  plus* 
Leur  fils  fè  plaint  d'étrange  forte, 
Il  éclate  en  cris  fuperfl us: 
Le  père  en  rit  ;  f^  femme  eft  morte. 
Il  a  déjà  d'autres  amours 
^  <  Que  Ton  croit  qu'il  battra  toujours*  w 

11  haute  la  taverne,  &  foùvent  il  s'enivre. 

^attendez  rien  de  bon  du  peuple,  imitateur,      .   _ 
Qu'il  foit  Singe  ou  qu'il  faffe  un  livre," 
-     La  plre-efpece  ç'eft  l'Auteur.  .:* 


F   A    B    L    E     X,X. 

,   Le  Phikfopfo  Scythe. 

\J  n  Philofophe  auftèrè  (i)  &  né  àm  la  Scythiej 
Se  propofant  de  fuivre  une  plus  dbuce  vie  , 
-  Voyagea  chez  les  Grecs,  &  vit  en  certains  lieux  , 
Un  fage  affez  femblable  au  vieillard  de  (2)  Virgile, 
Homme  égalant  les  rois,  homme  approchant  des 
dieux ,  "  #  . 

Et,  comme  ces  derniers,  fatisfait  &tranquiîe. 
Son  bonheur  confiftoit.  aux  beautés  d'un  Jardin.    s 
Le  Scythe  lry  trouva,  qui ,  la  ferpe  à  la  main ,. 
De  fes  arbres  à  fruit  retranchoit  l'inutile , 
Ebranchoit,  émondoit,  ôtoit  ceci,  cela, 

Corrigeant  partout  la  nature 
Exceffive  à  payer  fes  foins  avec  ufure.  ; 

Le  Scythe  alors  lui  demanda, 

(O  Cette  Fable  nous  ji  M  confervéc  par  *A*l*&iU, 
Liv.  XIX,  ch.  11.  „    tr.  '  w     . 

(2)  T^i»m  tituba*  ty*  *nims,  dit  Vxrg.  Lvr.  IV.  de» 
Ceocg.  verf,  132% 


5*4       FABLES    CHOISIES- 

Pourquoi  cette  ruine:  étoit-il  d'homme  fage*.^ 

De  mutiler  ainfi  ces  pauvres  habitans  ? 

Quittez-  moi  votre  ferpe,  initrument  de  dommage, 

Laiflez  agir  la  faux  du  temps  : 
Ils  iront  affez-tôt  border  le  noir  rivage. 
J'ôte  le  fuperftr,  dit  l'autre  ;  &  l'abbattant, 

Le  refte  ea  profite  d'autant. 
Le  Scythe  retourné  dans  fa  trifte  demeure, 
Prend  la  ferpe  à  Contour,  coupe  &  taille  à  tome 

.  heure: 
Confeille  aies  voifins,  preferit  à  fes  amis. 

Un  univerfel  abattis. 
U  Ate  de  chez  lui  les  branches  les  plus  belles , 
Il  tronque  fon  verger  contre  toute  raifon, 

Sans  obferver  temps  ni  faifon, 

Lunes  (3)  ni  vieilles ,  ni  nouvelles. 
Tout  languit  &  tout  meurt  Ce  Scythe  exprime  bien 

Un  indiferet  Stoïcien. 

(4)  Celui  -  ci  retranche  de  Pâme 
Défirs  &  paffions ,  le  bon  &  le  mauvais, 

Jusqu'aux  plus  innocens  fouhaits. 
Contre  de  telles  gens,  quant  i  moi  je  reclame. 
Ils  ôtent  à  nos  cœurs  le  principal  r effort. 
11  font  ceffer  de  vivie  ayant  que  l'on  foit  mort. 

(3)  Les  temps  propres  à  tailler  les  arbres. 

(4) .Sic  ijti  APâlhU  ftclatout  qu^vidtri Je  eflt  tranquille!  > 
ér  intrtpido* ,  CT  immobile»  volunt  dttm  nihil  eupiunt ,  nibii 
doUnt,  nihil  irafkutttùr.,  nihil gandent  f  omnibus  vebtmtnti tri- 
bus énimi  '•fficiti  dmputdtis,  in  ctrpore  ign&v*  y  &  qmfi 
tntrvdt*  vit*  enfenefeunt.  Paroles  pleines  de  force  &  dfr 
fens,  qui  font  ta  conclusion  de  cette  Fable  dans  Aulucelle, 
&  dont  La  Fontaine  n'a  pas  laiiTé  Iciuper  un  îcuF  trait 
«ligne  d'être  confervé. 


A 


LIVRE      XII.  269 

F    A    B    L    E      X  X  I. 

L'Eléphant  &  le  Singe  de  Jupiter. 


autrefois  l'Eléphant  &  le  Rhinocéros , 
En  difpute  du  pas  &  des  droits  de  l'empire , 
Voulurent  terminer  la  querelle  en  champ  clos» 
Le  jour  en  étoitpris,  quand  quelqu'un  vint  leur  dire 

Que  le  Singe  de  Jupiter , 
Portant  un  caducée,  avoit  paru  dans  Tain 
Ce  SingQ  avoit  nom  Gille,  à  ce  que  dit  rHiftoire* 

AuflS  T  tôt  l'Eléphant  de-  croire . 
•   Qu'en  qualité  d'ambafladeur 
.     Il  venoit  trouver  fa  grandeur. 

Tout*' fier  de* ce  («jet-de  gloire, 
ïl  attend  maître  Gille ,  &  le  trouve  un  peu  lent 

A  lui  préfenter  fa  créance. 

Maître  Gifle  enfin»  çn  paffant,,  * 

Va  faluer  fon  Excellence; 
L'autre  ^étoit  préparé  fur  la  légation;  ; 

Mais- pas  un  mot:  l'attention 
Qu'il  croyoit  que  les  dieux  euflent  à  fa  querelle* 
N'agitoit  pas^epçpr  çhez_eux  çe#e  nouvelle. 

Qu'importe  à  ceux  du  firmament 

Qu'on  foit  Mouche  ou  bien  Eléphant? 
Il  fe  vit  donc  réduit  à  commencer  lui  -  même* 
Mon  couiin  Jupiter ,  dit- il,,  verra  dans  peu 
Un  affe?  beau  combat  de  fou  trône  fupr^ipe  : 

Toute  fa  cour  verra  beau  jeu. 
Quel  combat?  dit  le  Singe,  avec.un  front  févere* 
L'Eléphant  repartit:  quoi,  vous  ne  fçavez  pas 
Que  le  Rhinocéros  me  difpute  le  pas? 
Qu'Eiéphantide  (i)aguerreav.ecque(2)  Rhinoceref 

(i  )  Terme  inventé  pour  dire  la  Capitale  des  Eléphans»    " 
U)  De  même,  Ville  feinte  dés  Rhinocéros, 


370        FABLES    CHOISIES 

Vous  connoiffez  ces  Meux,  ils  ont  quelque  reiicm 
Vraiment  je  fuis  ravi  d'en  af prendre  le  nom, 
Repartit  maître  Gille  ;  on  ne  s'entretient  guère 
De  femblahles  fujets  dans  nos  vaftes  lambris. 

•     L'Eléphant  honteux  &  furpris, 
Lui  dit  :  &  parmi  nous  ,  que  venez  -  vous  donc  faire  ? . 
Partager  -un  brin  d'herbe  entre  quelques  fourmis. 
Nous  avons  foin  de  tout  :  &  quant  à  votre  affaire, 
On  n'en  dit  rien  encor  dans  le  confeil  des  dieux. 
Les  petits  &  les  grands  font  îgaux  à  leurs  yeux. 


m 


FABLE     XXII. 

.  Un  Fou  &  un  Sage* 

'L^ertain  Fou  pourfuivoit  à  coups  dç  pierre  un  Sage. 
Le  Sage  fe  «retourne,  &  lui  dit;  mon  ami, 
Ceft  fort  bien  faità  toi ,.  reçois  cet  écu  -  ci  : 
Tu  fatigues  affez  pour  gagner  davantage. 
Toute  peine,  die  -on ,  eft  digne  de  loyer. 
,  Vofs  cet  homme  qui  paffé ,  il  a  de"  quoi  payer  : 
AdrefiV lui  tes  dons,  ils  auront  leur  falaire. 
Amorcé  par  le  gain ,  notre  Fou  s'en  va  faire 

Même  infulte  à  l'autre  bourgeois. 
On  ne  le  paya  pas  en  argent  cette  fois, 
Maint  eftafier  accourt  :  on  vous  happe  notre  homme, 

On  vous  l'échiné,  on  vous  l'afibmme. 

Auprès  des  Rois  il  eft  de  pareils  Fous. 
A. vos  dépens  ils  font  rire  le  majtrc. 
Pour  réprimer  leur  babil ,  irez  •  vous 
Les  maltraker  ?  vous  n'êtes  pas  peut-être 
,  %        Aflez  puiflant.  Il  faut  les  engager 
A  sladrefier  à  qui  peut  fe .  vanger. 


I    I    V    R    E      X  I  L  37* 

FABLE      XXI  IL 

Le  Renard  Anglois. 
A     MADAME    HARVEY. 

JLte  bon  cœur  eft  chez  vous  compagnon  du  bon 

fens, 
Avec  cent  qualités  trop  longues  à  déduire, 
Une  nobleffe  d'ame ,  un  talent  pour  conduire 
i  Et  les  affaires  &  les  gens , 

Une  humeur  franche  &  libre ,  &  le  don  d'être  amie» 
"  Malgré  Jupiter  ciême,  &  les  temps  orageux.: 
Tout  cela  méritoit  un  éloge  pompeux  : 
Il  en  eût  été  moins  ;  félon  votre  génie. 
La  pompe  vous  déplaît',  l'éloge  vous  ennuie: 
.  J'ai- dofic  fait  cetyi-ci  court  &  flmple.  Je  veux 
Y  coudre  encor  un  mot  ou  deux 
.    »     En  faveur  de  votre  patrie  :    N 
Vous  l'aimez.  Les  Ariglois  penfent  profondément,' 
Leur  efprit  en  cela  fuit  leur  tempérament. 
Creufant  dans  les  fujets,  &  forts  d'expériences, 
Ils  étendent  par  -  tout  l'empire  des  feiences. 
Je  ne  dis  point  ceci  pour  vous  faire  ma  cour. 
Vos  gens ,  à  pénétrer ,  l'emportent  (Ur  -les  autres  : 
Même  les  chiens  de  leur  féjour 
'Ont  meilleur  ne2  que  n'ont  les  nôtres. 
Vos  Renards  .font  plus  lifts,  je  m'en  vais  le  prouver 
Par  un  d'eux,  qui ,  pour  fç  fauver, 
Mit  en"  ufage  un  ftratagême 
Non  encor  pratiqué ,  <ks  mieux  imaginés. 
Le  fcélérat  réduit  en  un  péril  extrême , 
Êt.prçrçuQ  jniâ.à  bout  par  ces  Chiens  m  tonnez, , 


$7*        FA.BL.ES  ;  CHOISIES 

Pafià  près  d'un  patibulaire.  ""* 

Là,  des  animaux  raviflàns, 
Bléreaux,  Renards,  Hiboux ,  race  encline  à  mal  faire  r 
Pour  l'exemple  pendus,  inftrùifofeht  les.  paflàns. 
Leur  confrère,  aux  abofs,  entre  ces  morts  s'arrange. 
Je  crois  voir,  Annibal  qui ,  préffé  des  Romains., 
Met  leurs  Chefs  en  défaut,  ou  leur  donne  le  change, 
Et  fçait  envieux  Renard  s'échapper  de  leurs  mains. 

Les  (i)  Clefs  de  meute  parvenues 
A  l'endroit  où  pour  mort  \€  traître  fe  pendit, 
Remplirent  l'air  de  cris  :  leur  Maître  Jes^  rompit, 
Bien  que  de  leurs  abois  ils  perçaflent  les*hites. 
11  ne  put  foupçonrier  ce  tour  affez  plaifant. 
Quelque  terrier,  dit -il,  a  fauve  mon  galant. 
Mes  Chiens  n'appellent  point  au-delà  des  colonnes 

Où  font  tant  d'honnêtes  perfonnes. 
Il  "y  viendra,  le  drôle.  Il  y  vint,  à  fon  dam. 

Voilà  maint  Baflet  clabaudant  ; 
Voilà  nôtre  Renard  au  charnier  fe  guindant. 
Maître  pendu  croyoit  qu'il  en  iroit  de  même 
Que  Je  jour  qu'il  tendit  de  fembiabtes. panneaux; 
Mais  le  pauvret,  ce  coup  %  y  laiffafes  (2)  houfeainç 
Tant  il  eft  vrai^u'il  faut  changer  de  ftratagême. 
1&  Chasfeur,  pour  trouver  fa  propre  fureté , 
N'auroit  pas  cependant  un  tel  tour  inventé; 
Non  point  par  peu  d'efprit:  Efl-il  quelqu'un  qui  nie 
Que  tout  Anglois  n'en  ait  bonne  provifîon  ? 
.Mais  le  peu  d'amour  pour  la  vie 

Leur. nuit  en  mainte  occafion.  • 

Je  reviens  à  vous ,  non  pour  dire 
•    •  ,    D'autres  traits  fur  votre  fujet.; 

(1)  Clefs  d'émeute,  terme  de  Vénerie,  pour  défigner  les 
meilleurs  Chiensqui  fervent  à  conduire  &  3  drefler  les  autres 
Chiens  de  U. meute.  Quelquefois  c'eit  un  feul  Chien  qui  tft 
la  Clef  de  la  meute. 

•fz)  Pour  dire',  perdît  U  vie.  Voyeï  fur  cette  expreffio*  !c 
IH&toimake  de  l'Aca<témfc  Exaoçoife-,    au  mot  Hs*f**n » 


L    I    V    R    E      X  I  L  S79    - 

—  -Tout  long  étoge  eftûn  projet 

Peu  favorable  pour  ma  lyre  : 

Peu  de  nos'  chants,  peu  de  nos  ver»  ] 

Par  un  encens  flatteur  amufent  l'Univers  ; 
Et  fe  font  écouter  des  Nations  étranges. 

Votre  Prince  vous  dit  un  jour , 
:  Qu'il  aimoit  mieux  om  trait  d'amour 

Que  quatre  pages  de  louanges. 
Agréez  feulement  le  don  que  je  vous  fais 

Des  derniers  efforts  de  ma  Mufe  : 

Ceft  peu  de  chofe  :  elle  eft  confufe 

De  ces  ouvrages  Imparfaits. 

Cependant  ne  pourriez  -  vous  faire 

Que  le  même  hommage  pût  plaire 
A  celle  qu*  remplit  vos  climats  cPhabitans 

Tirés  de.  lTfle  de  Gythere? 

Vous  voyez  par -là  que  j'entens 
(3)  Mazarih,  des  Amours  Déêfle  tutélaire. 

(|)La  belle  Htrtjnfe,  Ducbefîc  de  Mazarin ,  nièce  du 
Cardinal  Mazarin  ,  laquelle  pour  vivre  éloignée  de  fon 
mari ,  fe  retira  en  Angleterre-,  où  elle  finit  fe;  jours  cm  1699. 


FA  B  L  E      XXIV. 

Le  jSoleU  &  tes  Grenouiller. 

IMITATION  D'UNE   FAIBLE- 
LATINE. 


Le 


(es  filles  du  Limon  {îroienj:  du  Roi  des  aftres 
Affiftance  à?  proteàicm. 
Guerre  ni  pauvreté ,  ni  ferobtables  défaftres 
Ne  pouvoicnt  approcher  de  cette  nation. 
Elle  faifoit  valoir  en  cent  lieux  fort  empire. 
Les  reines  des  étangs,  Grenouilles,  veux -je  dire» 


174       FABLES    CHOISIES 

(Car  que  coûte -il  d'sppeller  >.  ^ 

Les  chofes  par  noms  honorables?) 
Contre  leur  bienfaiteur  oférent  cabaler, 

Et  devinrent  infupportables. 
L'imprudence,  l'orgueil,* &  l'oubli  des  bienfaits % 

Enfans  de  la  bonne  fortune, 
Firent  bien-tôt  crier  cette  troupe  importune  ; 
On  ne  pouvoit  dornûr  en  paix. 
Si  l'on  eût  cru  leur  njurmure, 
Elles  auroient,  par  leurs  cris, 
Soulevé  grands  &  petits 
Contre  l'œil*  de  la  nature. 
Le  Soleil  *  à  leur  dire,  alloit  tout  cojpfuiger, 
Il  falloit  promptemeçt  s'armer 
Et.  lever  des  troupes  puiffantes.         ' 
Auffi-t6t  qu'il  faifoit  up  cas, 
AmbafTadçs  croaiTantes 
AUojent  dans  tops  lesv  états* 
A  les  ouïr,  tout  le  monde > 
Toute  la  machine  rôndé, 
Rouloit  fur  les  intérêts 
De  quatre  méchans  marais* 
Cette  plaint©  téméraire 
Dure  toujours,  &  pourtant 
.     Grenouilles  doivent  Te  taire*.   ' 
Et  ne  murmurçr  pas  tant; 
Car  il.  lé  Soleil  fe  pique, 
x     II  le  leur  fera  fentir  : 
.  La  République  Aquatique  ~ 

Pourroit  bien  s'en  repentir. 


*Sfitf* 


L    I    V    R.    E    .  X  I  I.  37s 


FABLE     -XXV. 

JL'Hymen/e  &  V Amour. 

-4  LEURS  ALTESSES  SERENISSIMES 
MADEMOISELLE  DE  BOURBON, 
ET  M-ONSEIGNEURLE  PRIN- 
CE DE  CONTI. 


H, 


Lymenée  &  l'Amour  vont  conclure  un  Traité 
Qui  les  doit  rendre  amis  pendant  tangues  années. 

Bourbon,  jeune  divinité, 
Conti,  jeune  héros,  joignent  leurs  deftinées. 
CondB'  l'avoit ,  dit -on ,,.  en  mourant  fouhaité; 
Ce  guerrier  qui  transmet  à  fon  fils  en  partage 
Son  efprit  r  Ton  grand  coeur,  avec  un  héritage 
Dont  la  grandeur ,  non  plus ,  n'eft  pas  à  méprifer , 
Contemplé  avec  plaifir  de  la  voûte  éthérée , 
Que  ce  nœud  s'accomplit,  que  le  Prince  l'agrée, 
Que  Louis  aux  Condé  ne  peut  rien  refufer. 
Hymenée  eft  vêtu  de  fes  plus  beaux  atours. 
Tout  fit  autour  de  lui ,  tout  éclate  de  joie. 
Il  defcend  de  l'Olympe  environné  d'Amours, 
Dont  Conti  doit  être  la  proie; 
Vénus  à  Bourbon  les  envoie. 
Ils  avoient  l'air  moins  attrayant 
Le  jour  qu'elle  fortit  de  l'onde, 
,  Et  rendit  furpris  notre  monde,. 

De  voir  un  peuple  fi  brillant. 
Le  chœur  des  Mufes  fe  prépare, 
On  attend  de  leurs  nourrifjbns  j_ 

Ce  qu'un  talent  exquis  &  rare 
Fait  eftimer  dans  nos  çhanfons* 
/polloA  y  joindra  fes  fous* 


375        FABLES    CHOISIES 

Lui-même  il  apporte  fa  lyre.  -  - 

Déjà  l'amante  de  Zéphyre 
.*  Et  la  Déeffe  vdu  matin ,  ,  ^ 

Des  dons  que  le  printemps  étale , 
Commencent  à  parer  la  falle 
Où  fe  doit  faire  le  feflin. 

0  vous  !  pour  gui  le6  dieux  ont  des  foins  fi  presfans^ 
Bourbon,  aux  charmes  tout- puisfeas, 
jfmfi  qu'a  l'ame  toute  belle  ; 
CoNTi;  par  qui  "font  effacés 
Les  héros  des  fiecles  paiTés; 
Confervez  l'un  pour  l'autre  une  ardeur  mutuelle. 
Vous  poffédez  tous  deux  ce  qui  plaît  plus  d'un  jour, 
Les  grâces  &  Pëfprit,  fëuïs  foutiens  deramôur. 
Dans  la  carrière  aux  époux  asfignée , 
Prince  &  Pr inceflè ,  on  trouve  deux  chemins  ; 
-L'un  de  tiédeur,  comme  chez  les  humains; 
La  paillon  à  l'autre  fut  donnée. 

N'en  fortez  point ,  c'eft  un  état  bien  doux, 
Mais  peu  durable  en  notre  ame  inquiète. 
L'amour  s'éteint  par  le  bien  qu'il  fouhaite, 
L'amant  alors  fe  comporte  en  époux. 
Ne  fcauroit  -  on  établir  le  contraire , 
.  Et  renverfer  cette  maudite  loi? 
-Prince  &  Princesfe,  entreprenez  J'affaire", 
Nul  n'ofera  prendre  exemple  fur  moi. 
De  ce  confeil  faites  expérience, 
Soyez  amans  fidèles  &  conftans: 
S'il  faut  changer,  donnez- vous  patience, 
Et  ne  foyez  époux  qu'à  foixante  ans. 

Vous  ne  changerez  point,  écoutez  Çalliope; 

Elle  a  pour  votre  hycfefc  dresfé  cette  horefcope* 

Pratiquer  tous  les  agrémèns     '  , 
Qui  des  époux  fontes  amas, 

Em- 


I    1    VR!      XII.  37J 

Employer  fa  grâce  ordinaire,     • 
C'eft  ce  que  Conti   fçaura  faire. 
Rendre  Conti    le  plus  heureox 
Qui  foït  dans  l'empire  amoureux,' 
Trouver  cent  moyens  de  lui.  plaire, 
C'eft  ce  que  Bourbon  fçaura  faire* 

Apollon  m'apprit  l'autre  jour 
Qu'il  naitroit  d'eux  un  jeune  amour* 
Plus  beau  que  l'enfant  de  Cythere, 
En  un  mot  femblable  4  fon  Père. 
Former  cet  enfant  Air  les  traits  •    .  -- 
Des  modèles  les  plus  parfaits ,     < 
C'eft  ce  que  Bourbon  fçaunr  faire; 
Mais  de  nous  priver  d'un  tel  Wen, 
C'eft  à  quoi  Bourbon  n'entend  rien* 


F   A    B    LE,    XX  V  I. 
La  Ligue  des  Rats. 


u. 


ne  Souris  craignoit  un  Chat , 
Qui  dès  long -temps  la  guettait  au  paffage. 
Que  faire  en  cet  état?  Elle,  prudente  &  fage, 
Confuke  fon  vpifin;;  e'étoit  un  maître  Jtat, 
Dont  la  rateufe  Seigneurie 
S'étoit  logée  en  bonne  hôtellerie,       , 
Et  qui  cent  fois  s'étoit  vanté,  dit -on, 
;    i    De  np  craindre,  ni  <hat  ni  chate, 

Ni  côup.dç  dçnt,  ni  coup  de  pâte, 
•  r  Dame  Souris ,.  lui  dit  <&  fanfaron , 
a       .      M*  foi^guoi.que  jeifaffe, 
Seul  je  oe  puis  chaffer  le  chat  qui  vous  menacer 

"•     U.  Partie.  R 


^7*        FABLES'  CHOISI.ES 

Mais  affembloos  tous  les  Rats  d'alentour , 
Je  lui.  pourrai  joiier  d'un  mauvais  tour. 
La  Souris  fait  une  humble  révérence» 
Et  le  Rat  court  en  diligence 
A  l'Office,  qu'on  nomme  autrement  la  dépenfe, 

.  Où  maints  Rats  affemblés   . 

Faifoient  aux  "frais  de  l'hôte  une  entière  bombance 
Il  arrive  les  fens.  troublés, 
;        Et  tous  les  poumons  eflbuflés. 
Qu'avivons  donc?  lui  dit  un  de  ces  Rats;  parlez. 
En  deux  mots ,  répond  -U ,  ce  qui  fait  mon  voyage, 
C'eft  qu'il .&ut  parompteiaent  fecourir  la  Souris; 
,     Car  Rominagrobîs 
Fait  en  tous  lieux  un  étrange  carnage. 
s  Ce:  chat ,  le -plus  diable  des  chats , 

S'Umawpie  <k  Souris,  voudra  manger  des  Rats. 
Chacun  dit ,  il  eft  vrai.  Sus ,  fus ,  courons  aux  armes. 
izlquzs  ÏUtçs^.ditrOU,.  répandirent  des  larmes  ; 
'importe,"  rien  n'arrête  un  fi  noble  projet, 
.  phaçua  fe  met  £n  équipage  ;    t 
Chacun  mît  dans-fon  iWta  morceau  de  fromage;  ! 
Chacun  ptomet  enfin  de  rifquer  le  paquet.  I 

Ils  .nUçftnt.  jtgu% .  comrne  à  Ja  fête,        ) 
L'efprit  content,  le  cœur  .joyeux. 
Cependant  le  Chat  plus  fin  qu'eux, 
.ïenbtr  déj*  la  Souris'  pa*  l'a  tète.  j 

1k  s'avancèrent  à  grand  pas      N  < 

, .       Pour  fecourir  leur  bonne  amie: 
.   Mais  le  chat ,  qui  n'en  démord  pas , 
Gronde  &  marche  au -devant1  de  la  troupe  ennemie; 
A  ce  bruit,  nos  très-prudens  Rats,     * 
,  '■' .  Craignant  mauvaife  deftînée; 
Font,  fans  pouffer  plus  loin  leur  prétendu  fracas/ 
..    Une  retraite  fortunée. 
'      .  Chaque  Rat  rentra  datis  foa  triu  : 
Et  û  quelqu'un  en  fort  /  ga*à  èuàx  le  matou. 


■V\ 


X    I    V    R    E      X  I  I.  $79 

^ssssgssgssassssssssssssssssssss^^ 
FABLE     XX  VII. 

Doptmis  &  Akimodure. 

'Imitation  de  Theocrite. 
•AMADAMEDELA  MESANGEftÈ 


Aï< 


.imabîe  fiHe  d'une  inerc 
h  qui  feule  aujourd'hui  mille  cœurs  font  la  côur# 
Sans  ceux  que  l'amitié  rend  foigneuxde  vous- plaire* 
Et  quelques  -uns  encor  que  vous  garde  l'amour» 
-  Je  ne  puis  qu'en  cette  préface 

Je  ne  partage  entre  elle  &  vous 
Un  peo  <fe  cet  encens  qu'on  recueille  au  parnaffe^ 
Et  que  j'ai  Ie-fecrçt  de  rendre  exquis;&  doux. 

Je  vous  dirai  donc. .  .  .  Mais  tout  dire,. 

Ce  feroit  trop ,  il  faut  choifir , 

Ménageant  ma  voix  &  ma  lyre, 
^ui  bientôt  vont  manquer  de  force  &  de  loifîr. 
Je  ioôrat  feutarççnt  un  cœur  plein  dé  tendreflfd, 
Ces  nobles  fentimens>  ces  grâces,  cet  efprrt: 
Vous  n'auriez  e$  cela  ni  maître ,  tii  maltreflfe*. 
Saps  celle  dont  fur  vous  l'élôgè  réjaillit. 

Gardez'  d'environner  ces:  rofcs 

Dé  trop  d'épines.    Si  jamais'  ' 
:  L'Amour  vous  dit  les  mêmes  chofes* 

Il  le  dît  mieux  que  je  ne  fais:   ' 
Auffi  fçaît  -  il  punir  ceux  qui  ferment  l'orèrillo 

A  tes  conféiïs  :  voiis  l'aile?  voir» 

Jadis  une  jeune'  merveille  -         -     •  -+*  - 
IdépriToit  de  ce  Dieu  le  fouverain  pouvoir:    , 

&  a 


3fio        FABLES    CHOISIES 

On  l'appclloit  Alcimadure , 
Fier  &  farouche  objet ,  toujours  courant  au  bois , 
Toujours  fautant  aux  prés,,  danfant  fur  la  verdure, 

•Et  ne  connoiffant*  autres  loix 
Que  fou  caprice  :  au  relie  égalant  les  plus  belles, 

Et  CurpafTant  les  plus  cruelles , 
N'ayant  trait  qui  ne  plût,  pas  même  en  fes  rigueurs. 
Quelle  Veut -on  trouvée  au  fort  de  fes  faveurs  ! 
Le  >eune  A  beau  Daphnis ,  berger  de  noble  race, 
L'aima  pour  fon  malheur  :  jamais  la  moindre  grâce, 
Kr  ie  moindre  regard,  le  moindre  mot  enfin 
Ne  lui  fut  accordé  par  ce  cœur  inhumain» 
Las  de  continuer  une  pour  fuite  vaine ,  - 

Il  ne  fongea  plus  qu'à  mourir  : 

Le  défefpoir  le  fk  courir 

A  la  porte  de  l'inhumaine. 
Hélas!  Ce  fut  aux  vents  qu'il  raconta  û  peine; 

On  .ne  daigna  lui  faire  ouvrir 
Cette  maifon  fatale,'  où,  parmi  fes  compagnes t 
L'ingrate ,  poux  le  jour  de  fa  nativité , 

Joignoit  aux  fleurs  de:fa  beauté 
Les  tréfors  des  jardins  &  des  vertes  campagnes  : 
J'efpérois ,  cria  - 1  -  il ,  expirer  à  vos  yeux, 

Mais  je  vous  fuis  trop  odieux, 
Et  ne  m'étonnç  pas  qu'ainiï  que,  tout  le  refle, 
Voué  me  refufiez  môme  un  plaifîr  fi  fanefre, 
Mon  père,  après  ma  mort ,  &  je  l'en  ai  chargé, 

Doit  mettre  à  vo$  pieds  l'héritage 

Que  votre  oœur  a  négligé, 

-  Je  veux  que  Ton  y  joigne  auffi  le  pâturage. 

Tous  mes  troupeaux  avec  mon  chien; 
Et  qtfe  du  refle  de  mon  bien 
ty[es  compagnons  fondent  un  temple  f 
'  Où  votre  image  fe  contemple; 

-  Renouvellaht  Vie  fleurs  l'autel  à  tout  moment- 
J'aurai,  près  de  ce  templç,  un  Ample  monument: 


LIVRE      XII.  381 

On  gravera  fur  la  bordure; 
baphnis mourut  d'amour;  paffarit ,  arrête -toi: 
Fleure ,  &  dit  :  celui  -  cifuccomba  fous  la  loi 

-  ;    De  la  cruelle  Alcimaàure.      - 
A  ces  mots,  par  la  (i)  parque  il  fe  fentit  atteint: 
Il  auroît  poHrfuîvi ,  la  douleur  le  prévint  : 
Son  ingrate  fortit  triomphante  &  parée._ 
On  voulut,  mai»  en  vain  ,  l'arrêter  un  moment, 
Pour  donner  quelques  pleurs  au  fort  de  fon  amant. 
El  le'  infulta  toujours'  au*  Gis  de  cythérée  ; 
Menant ,  dès  ce  foir  mëijie,  au  ,mépris  de  fes*  loix. 
Ses.  compagnes-  danfcr  autourde  fe  ftatue. 
Le  Dieu  tomba  fur  elle'9'  &  Pàccabla  dix  poids  :    * 
*    ~        Une  voix  fortit  de  la  nue , 
Echo-  redit  ces  mots  dans  lés  airs  épandus  : 
Que  tout  aime  à  préfera ,  l  InfenfiMe  n'eft  plus. 
Cependant  «de  Daphnis  Pombre  au  Styx  defcendue, 
Frémît,.  &  s'étonna  la  voyant  accourfif. 
Tout  Vérebe.  entendit  cette  belle  homieide 
S'excufer  au  berger  qui  ne  daigna  Fouir, 
Non  plus  qa'AJax  Ulyffe,  &  Dirfon  fon.  perfide.    :- 

(  i  )  Celle  des  trois  qui  domi«  la  more. 


r  a   B   L  ,E      XXVIII. 

PbiUmôntyBàucis:  <> 

A;  MONSEIGNEUR  LE  DUC  DE 
VENDOSME. 


Ni 


)  L  l'or , ni  la' grandeur  ne  nous  rendent  heureux: 
Ces  deux  divftiités  n'acèôrdent  à  nos  veteux 
Que  des  biens  £cu  certains ,  -  qu'un  pîailïr  peu 

Q^nquiHe,--  -V  -    :    .    -  , 

Des,  foucia  dévorans  c'eft  l'étemel  afyle, 


jta       FABLES    CHOISIES 

Véritable  vautour  que  le  fils  de  Japet 
Hepréfente  enchaîné  fur  fon  txifte  fommet. 
l/humble  toit  etf  exempt  d'un  tribut  lî  fùneflej 
Le  Sage  y  vit  en  paix,  &  méprife  le  refle. 
Content  denfes  douceurs,  errant  parmi  les  bois 4 
11  regarde  à  Ces  pieds  le;  favorisâtes  rois; 
11  lit  au  front  de  ceux  qu'un  vain  luxe  environne* 
Que  la  fortune  vend  ce  qu'on  croit  qu'elle  donne. 
Approche- 1  -  il  du  but ,  t  quitte  »  t  -  il  ce  féjour  ; 
Rien  ne  trouble  fa  fin,  c'éit  le  foir  d'un  beau  joui 
Phiiémon  &  Baucis  nous  en" offrent  l'exemple, 
Tous,  deux  virent  changer  leur  cabane,  en  un  temple* 
Hymenée  &  l'amour,  par  des  defirs  conftans, 
Ayôient  uni  leurs  cœurs  dès  leur  plus  doux  printemps  : 
îïi  le  temps,  ni  Thymen  n'étçignitent  leur  iknuoet 
Cloton  prenoit  pïaifir  à  filer  cette  trame. 
Ils  f curent  cultiver,  faas  fe  voir  aGGItés, 
Leur  enclos  &  leur  champ  par  deux  fois  vingt  Et^ij 
Eux  feuis  ils  compofoient  toute  leur  république; 
Heureux  de  ne  devoir  à  pas  un  domeftique 
Le  plaifir  ou  ta  gré  des  foins  qu'ils  fe  rendoient? 
Tout  vieillît:  fur  leur  front  les  rides  s'étendoieny 
L'amiti£*Bft>déra  leurs  feux  fans  les  détruire ; 
Et  par  des  traits  d'amour  fçut  encor  fe  produire. 
3^s  habitaient  un  bourg  plein  de  gens ,  dont  le  cœur 
loîgmvt  *u*  frétés- un  renamenj  uukjuw*»* 
Jupiter  rêfôlut  d'abolir  cette  engeance. 
11  part  avec  ton  fils,  lé  Dieu  dô  l'Eloquence, 
Tous  deux  en  pèlerins  vont  vifiter  ces  lieuxj 
Italie*. logis  y* font,  un  feul  ne  s'ouvre  aux  Die&x. 
Prêts  enfin  de  quitter  tnVfiyour.fi  profane, 
Ils  virent  à  l'écart  une  étroite  cabane , 
Demeure  hofpitaliere,  humble  àchaftemalfon. 
Itferèure  frappa,  on  ouvrç  :  auûl-tdc  J?faIWjcon 
Vient  au  devant  des  Dieux  %  &  l#ur:  tient  ce  langage; 
Vous  me  tembléz  tous  deux  fatigués  du  voyage» 


r  l  i  -y  r:e'  xri:  -      m 

Repofez  -  vous  :  uf<**du  peu  que  août, avons  : 
L'aidé  des  Dieux  a  Tait  que  nous  le  confervons, 
UCcz-en-:  faiuea  ces  pénates  d'argille. 
Jamais  le  del  ne  fat  aux. humains  5  facile, 
Que  quand  Jupiter  môme ^oit  de  fimple  bois: 
Depuis  qu'on  l'a  fait  d'or,,  il  eft  fourd  à  nos  voix* 
Baucis,  ne  tarde2  point,  faites  tiédir  cette  onde;  • 
Encor  que  le  pouvoir  au  dtûr  ne  réponde, 
Nos  hôtes  agréroot  les  foins  gui  leur  frnt  dûs* 
Quelques  wftes  de  feu  fous*  la  cencfrc  épandus,      c 
D'un  fouffie  haletant  par  Bauds  s'aKomerenu 
Des  branchée  de  bois  fec  anm*tôt  s'enflammeifnc; 
Londc  tiède,  on  lava  les  pieds  del  Voyageurs.  .    ï 
ïhilémoifiàB  pria  d'excufer  ces-  longueurs  ; 
Et  pouf  tromper  l'ennui  d'une  attente  importune, 
Il  entretint  les  Dieux,  non  point  fur  la  fortune,  . 
Sur  fes  jeux,  fur  la  pinlpe  &  la  grandeur  des  rois  ( 
Mais*  fur  ce  que  le&ctanpsy  tes  vergers  &  les  bois 
Ont.de  plw  innocent  ',  de  plus  doux ,  de  plu*  taxe  : 
Cependant , /par  Baucis,  letfelUn-fe  prépare. 
La  table  oà  l'on  fervit  te  champêtre  repas, 
Fut  d'ais  nbn-T  façonnés  à  l'aride  du  compas  : 
Encore  affurç  *  t •  on ,  fi  l'Hiftoire  en  eft  crée  v 
Qu'en  un  de  fes  fupportt*  le  temps  l'avait  rompue. 
Baucis  en  égala  les  appuis  chàticekms  >     . 

Du  débris  d'un  vieille  Va£e»  fcjjtte -injure- des  S»*.  • 
Un  tapis  tout  ufé  couvrît  deux  eTCôbel lès r:r  «:  j  \.  . 
11  ne  fervoit  pourtant  W&ux  fêtes  fol^hînetves»  ' 
Le  linge  orne  de  fleurs  fut  couvert,  pour 'tout  nw»l 
D'un  peu  de  lait), >  de  fruits,  &"des  dofcs  é&-Cètà$. 
Les  divins  voyageurs  altérés  dé  leur  couïfe , 
Mêloient  au  vin  greffier  le  cryfta!' d'une  fource.  •  - 
Plus  le  vafe  verfoît,*  moins  il  s'aUoft  vuidant.  ' 
Phflémon  reconnutce  tniràcle^évîdeiitî  >-  •  ,:  ->  • 
Baucfe  n'en  fit  pas  méins  :  totas  deux  s'agertouillerentj 
A  ce  figne  d'abotd  -leu*  yete  fo  déffiilerent; 

R  4 


5S4       FABLES    CHOISIES 

Jupiter  leur  parut  avec  ces  nolm  fourciis 
Qui  font  trembler  les  deux  furleurs  pôles  affir. 
Grand  Dieu ,  dit  Philémon ,  exeufez  notre  faute. 
Quels  humains  auroient  crû  recevoir  an  tel  hôte! 
Ces  mers,  nous  l'avouons,  font  peu  délicieux, 
Mais  quand  nous  ferions  rois ,  que  donner  à  des  dieux? 
C'eit  le  coeur  qui  fait  tout  :  que  la  terre  &  que  l'ondt 
Apprêtent  un  repas  pour  les  maîtres  du  monde  » 
Ils  lui  préféreront  les  fouis  préfens  du  cœur. 
Baucis  fort  à  ces  mots  pour  .réparer  Terreur; 
Dans  le  verge*  couroit  une  perdrix.privée , 
Et  par  de  tendres'foins.  dès  l'enfance  élevée  i 
Elle  en  veut  foire  un  mets  %  &  la  pourfuit  en  vain; 
La  volatiile  échappe  à  fa  tremblante  main  : 
Entre  les  pieds  des  Dieux  elle  cherche  un  afyle: 
Ce  recours ,  à  Toifeau ,  >  ne  fut  pds  inutile  : 
Jupiter  intercéder  Et  déjà  les  vallons       [monté. 
Voyoient  l!ombre/  en  croiffant  tomber  du  haut  âeâ 
1res. Dieux  forcent  enfin ,  &  fcntfortii  leurs  hôtes- 
De  ce.Bourgv  dit  Jupîn>  Je  veux,  punir  les  fautes': 
Suivez -nous;  Toi,  Mefeurev  appelle  lès  vapeurs. 
O  gens  durs  !  vous,  n'ouvrez  vos  logis  >  ni  vos  cœurs. 
Il  dit.;  &  les  Autans  tioublent  àéji  la  plaine. 
Nos  deux  Epoux  fuivoient,oermarchant  qu'avec  peine. 
Un  appui  de  lofeaa  foulageok  leurs  vieux  ans. 
Moitié  fecours  des  Dieux ,  moitié  peur ,  fe  hàtan? ft 
Sur  un  mont  aflez  proche  enfin  ils  arrivèrent, 
^iicunr  pieds  auffi-t<5t  cent  nuages  crevèrent. 

J>CS  llùnmiç»  iftvXXct*  les  ClUnJiuu5  notTdBS 

Entraînèrent  fans  choix  animaux , .  habitans , 
Arbres,  maifons,  vefgers,  toute  cette  demeure: 
Sans  ve/Hgo  dii  bourg,  tout  _difpa*ut.  fin:  l'heure.  " 
Les  vieillards  déploroient  ces  févères  deftins 
Les  animaux  périr  1 .  car  enopr  les  humains  , 
Tous  avoient  dû  tomber  fous  les  çéteftes  armes  - 
ïaucis  çn  répandit  en  focres  quelques.  Igrmes^  * 


LIVRE     ÏIL     '      3« 

Cependant  Phomble  toit  devient  temple ,  &  fes  murs 
Changent  leur  frêle  enduit  en  marbres  le»  plus  durs. 
De  pilaftrés  maflifs  les  cloifons  revêtues , 
En  moins  de  deux  inftans  s'élèvent  jufqu'aux  nues  ; 
Le  chaume  devient  or,  tout  brille  en  ce  pourpris: 
[Tous  ces  événemens  font  peints  fur  les  lambris. 
Loin  ,  bien  lorh  les  tableaux  de  Zeuxis  &  cPApelle, 
Ceux  -  ci  furent  tracés  d'une  main  immortelle. 
Nous  deux  Epoux  furpris ,  étonnés ,  confondus , 
Se  crurent ,  par  miracle ,  en  l'olympe  rendus. 
Vous  comblez,  dirent  -ils,  vos  moindres  créatures  : 
Aurions  -nous  bien  le  cœur  &  les  mains  aflez  pures 9 
Pour  préfiderjci  fur  les  honneurs  divins , 
Et  Prêtres ,  vous  offrir  les  vœux  des  pèlerins  ? 
Jupiter  exauça  leur  prière  innocente. 
Hélas  î  dit  Philémon ,  fi  votre  main  puiflânte 
Voulpit  fevorifer  jufqu'au  bout  deux  mortels ,  > 

Enfemble  nous  mourrions  en  fervant  vos  autels; 
Cloton  feroit  d'un  coup  ce  double  facrifke; 
D'autres  mains  nousrendroient  un  vain  &  trille  office  ? 
Je  ne  pleurerois  point  celle-ci,  ni  fes  yeux 
Ne  troubleroient  non  plus  de  leurs  larmes  ces  lieux» 
Jupiter,  à  ce  vœu,  fut  encor  favorable  : 
Mais  oîferài-jedire  un  fait  prefque  incroyable? 
Un  jour  qu'affistous  deux  dans  le  facré  parvis  y 
Ils  contoient  cette  hiôoire  aux  pèlerins  ravis, 
La  troupe  à  l'entof*  d'eux  debout  prêtoit  l'oreille 
Philémon  leur  difoit  :  ce  lieu  plein  de  merveille 
N'a  pas  toujours  fervi  de  temple  aux  Immortels. 
Un  bourg  étoit  autour ,  ennemi  des  autels , 
Gens  barbares ,  gens  durs,  habitacles  d'impies  : 
Du  célefte  courroux  tous  furent  les  hoiries  ; 
Il  ne  refta  que  nous  d'un  fi  trifte  débris: 
Vous  en  verrez  tantôt  la  fuite  en  nos  lambris: 
Jupiter  l'y  peignit.    En  contant  ces  annales , 
Philémon  regaxdoit  JBaucjs  par  intervalles  : 

*  S 


S9é        FA.PLES    CHOISIES 

Elle  devenait  arbre,  &  Uii  tendoit  les  bras; 
IL  veut  lui  tendre  auffi  les  liens,  &  ne  peutpaj* 
Il  veut  parler ,  l'écorcc  a  fa  langue  prefEe  : 
L'un  &  l'autre  fis.  dît  adieu  de  la  penfée;. 
i^e  corps  n'eft  tantôt  plus  que  feuillage  &  que  boiî. 
D'étonnement  la  troupe, ainfî  qu'eux, perd  lavoir; 
S4ême  mitant,  même  fort  à  leur  fin  les  entrains; 
Baucis  devient  tilleul,  Philémoa  devient  chêne. 
-  On  le»  va  xpir  encore ,  .afin  de  mériter 
Les  douceurs  qu?en  hymei*  Amour  leur  fit  goûter» 
Ils  courbent  fous  le  poids  desoffrandes  fans  nombre. 
Pour  peu  que  des  époux  féjournent  fous  leur  ombre, 
Ils  s'àimerlt  jufqu'au  bout,  malgré  l'effort  des  acs. 
Ah!  fi  . . .  Mais  autre  part  j'ai  porté  mes  prête 
"Célébrons  feulement  cette  métamorphofe. 
De  fidèles  témoins  m'ayant  conté  la  chofe, 
Clio  me  çonfeilla  de  retendre  en  ces^vers, 
Qui  pourront  quelque  jour  l'apprendre  à  l'univers. 
Quelque  jour  on  verra  chez  les  races  futures, 
Sous  l'appui  d'un  grand  nom  pafTer  ces  avanturw» 
Vendôme,  cenfentez  au  los  que  j'en  attens; 
J&ites  -moi  triompber  de  l'envie  &  du  temps. 
Enchaînez  ces  Démons ,  que  fur  nous  ils  n'attentent) 
JEnnemis  des  Héros  &  de  ceux  qui  les  changent. 
Je  voudrais  pouvoir,  dire  en  un  ftyle  affez  haut, 
jQu'ayant  mille  vertus ,  vous  n'avez  nul  défaut 
Twites  les  célébrer  feroie  œuvut.  infinie  :  t 
L'entreprife  demande  un  plus  vafte  génie; 
Car.  quel  mérite  enfin  se  vous  fait  etfimer, 
Sans  parler  de  celui  qui  force  à  vous  aimei? 
Vous  joignez  à.  ces  dons  l'amour  des  beaux  ouvrçgeti 
Vous  y  joignez  un  goût  plus  {ût  que  nos  fnffrîgesj 
Don  du  ciel,  qui' peut  ffeul  tenir  lieu  des  péftat 
Que  nous  femt  à  «egtet  le  travail  &  les-  «* 
Peu  de  gens  élevés ,  peu  d'aueres  encor  même, 
Font  voir  jai  ,cei  Javeui*  qpe  Jupiter  te*  m&      ■ 


Si  quelque  enÊuût  des  Dieux  les  pôfféde,  c'eit  voù* 
Je  J'ofey  dans  ceé  ven ,  foutenir  devant; tous. 
Clfo,  furfon  gîron,  à  l'exemple  d'Homère, 
Vient  de» ies.  recoucher. attentive  à  vous  plaire: 
On  dit  qu'elle  & fes  fours*  par  Tordre  d'Apollon, 
Tranfpprtent  dans  Ànettoùt  le  facré  vallon;    s 
Je  le  crois*  PMfflons'-nons  chanter  fous  {es  omhragèi 
Des  arbres  dont  ce  lieu  v,a  border  fes  rivages  f  .- 
FulTent -iis,  tout  d'un  coup,  élever  leurs  fourcils 
Comme  un  vit  autrefois  Fhilémon  &Bwwiôl . 

I  '   .    I LU.U  .il,!,,,,!       ,     "  ■         'Il 

—     -  v. 

F  A    B    L    E      XX  IX   ^ 

tes  Filles  de  ffîni*.\ 

JJ  e  chante  dans  mes  vers  les  Filles  de  Minée, 
Troupe  aux  arts  de  Palla*  dés  l'enfance  adonnée,  f 
Et  de  qui  le  travail  fit  entrer  en  courroufc 
Bacchus,  à  jufte  droit,  de  fes  honneurs  jaloux. 
Tout  Dieu  veut  aux  humains  fe  faire  reconnaître.  (i 
On  ne  voit  point  les  champs  répandre*  aux  foins  dp 
ni^kre,  : 

Si  dans  les  jours  ftcréi,  autour  de  fes  guère  te, 

II  ne  marche  en  triomphe  en  rhohneur  de  Cérès.  r 

La  Grèce  étott  e»  jeux  pour  le  fife  de  Sémele. 
Seules  on  vit  trois  fours  condamner  <e  faint  zèle,  t 
Alcithoé  l'aîné,  ayant  pris  fesfufaaux,  1 

Dit  aux  autres  t  quoi  donc  y  toujours  des  Dieux  «nbii^ 

veaux?   i  , 

L'olympe  ne  peut  plus  contenir  tant  de  tétés,  i 
NI  tem  fournir  d&  jours  affea  pour  tant 'de  fêtes.  0 
Je  ne  dis  rien  dts  voeux  dûs  aux  travaux  divers ,  ) 
De  ce  DUtt  mi  purgea  de  moqftres  ^uûiver*:    ,  \ 


3M       FABLES    CHOISIES 

Mais  à  quoi  fert.Baccnus ,  qu'à  caufer  de?  querelles*. 
Affoiblir  les  plus  fains  y  enlaidir  les  plus  belles, 
Souvent  mener  aux  Styx  par  de  trilles  chemins  ? 
Et  nous  irons  chommer  la  pefte  des  humains? 
Pour  moi ,  j'ai  réfdude  pourfuivre  ma  tâche. 
Se  donne  ce  jomVci  qui  voudra  du  relâche, 
Ces  mains  n'en  prendront  (point.  Je  fuis  encet  d'avis 
Que  nous<rendions  le  temps  moins  long  par  des  redis. 
Toutes  trois  r  tour  à  tour  j  racontons  quelque  hiftoire. 
Je  pourras  retrouver  feos  peiner  en  ma  mémoire 
Du  monarque  des  Dieux  les  divers  changemens  ; 
Jdtais  comme- chacun  fçait  tous.  ces  évJiBemea.s, 
Difons  ce  que  l'amour  infpire  à  nos  pareilles  : 
Non  toutefois  qu'il  faille  çn  contant  fes  tper veilles  ,. 
Accoutumer  nos  cfœurs  à'goôter  ftm  poifon; 
Car,  ainfi  que  Baççhus,  iL trouble  1$  raifon» 
Récitons  -  nous  les  maux'que  Tes  biens-  nous*  attirent 
Àlcithoé  fe  tutx  &  fes  foeurs  applaudirent* 

Après  quelques  momens,  hauflant  un  peu  là  vohr, 
Dans  Thebes,  reprit -elle,  on  conte  qu'autrefois 
Deux  jeunes  cœurs  s'aimoient  d'une  égale-tendreffe: 
Fyjsme,  c'efl:  l'Amant  y  eut  Thisbé  pour  maitrefîe. 
Jpmais  couple  Jie.  fut  £  bien  âiTorti  qu'eux  : 
L'un  bien  fait,  l'autre  belle,  agréablesjtousdeux, 
Tous,  deux  dignes  de  plaire ,  Us  fc'airnerent  fans  peine» 
D'autant  plurlot  épris.,,  qu'une  invincible  haine 
Divifant  leurs  païens,  ces  deux  aman»  unit, 
%x  doneburut  aux  traits  dont  l'amour  fe  fervit. 
Le  bazar d,  non-  le  choix,  avok  rendu  voifinefc 
Leurs  maifons  où  régnoieirt  c#s  guerres  inteftjncs: 
Ce  fut  un.  avantage  i  Jems  defir^  naiiTans. 
Le  cours  en  commença  par  des  jeux  innpcens; 
La  prenriete  étincelle  eut  emb|afé*leur  4imc, 
Qu'ils  ignoroient  encor.  ce  que.c'éflpit  que  flammcl 
Chacun  favorifoit  leurs  transports  mutuels, 
Mais  £'étoit  à  l'infçu  de  icurs  parent  cruels. 


La  dëfenfe  eft  un  charme  :  on  dit  qu'elle  affaifonne 
Les  plaifirà ,  &  furtout  ceux  que  l'amour  nous  donne» 
D'un  des  logis  à  l'autre,  elle infbuifit du  moins 
•Nos  amans  à  fe  dire  avec  (igneieurs  fpins»x 
Ce  léger  réconfort  ne  les  put  fatisfaire  ;  • 

Il  fallut  recourir  à  quelque  autre  jnyftere, 
UtL  vieux  mur  entr 'ouvert  féparoit  leurs  matfonsr  ; 
Le  temps  avoit  miné  fes  antiques  cloifons  :  • 

Là  ,  fouvent  de  leuts  maux  ils.déplorpient  la  caufeç 
Les  paroles  paffbient;.  mais  c'était  peu  de  chofe*  \ 
Se  plaignant  d'un  tel  fort;  Pyrame  dit  ua  jour  i     - 
Chère.  Thisbé,  le  çrel  veut  qu'on  S'aide  en  amour» 
Nous  avons  à  nous  voir  une  peine  infinie; 
Fuyons  de  nos  parens  l'injufte  tyrannie  : 
-J'en  ai  d'antres  en  Grèce,  .ils  fe  tiendront  heureux 
Que  vous:  daigniez  chercher  un*  afyle'  chez- eux  i 
Leur  amitié  ,  leuts  biens,  leur  pouvoir ,  tout  m'inviûe 
A  prendre  le  pafcti  dont  je  vous,  follitite. 
C'eft  votre  feul  repos/qui  me  te  fait  choiiîr  9 
Car  je  n'ofe  parler ,  hélas  !  de  mon.  delîr  : 
Faut -il  à  votre  gloire  en  faire  un  facrifice? 
De  crainte  de  vains  bruits ,  faut-il  que  je  languifle  t 
Ordonnez*  j'y  cenfens;  tout  me  femblcra  doux;  - 
Je  vous  aime ,  Thisbé ,  moins  pour  moi  que  pour  voue* 
J'en  pourrois  dire  autant x  lui  repartit  l'amante; 
Votre  amour  étant  pure  encor  que  véhémente  , 
Je  vous  fuivrai  par-  tout  :  notre  commun  repos    ' 
Me  doit  mettre  au-  deflus  de  tous  les  vains  propos 
Tarit  que  de.  ma  vertu,  je, ferai  fatisfaite,  . 
Je  rirai  des  difeours  d'une  langue  indiferette  x 
Et  m'abandonnerai  uns  crainte  à  votre  ardeur, 
Contente  que  je  fuis  des  foins  de  ma  pudeuj»   - 
Jugez  ce  que  fefctit  Pyrame  à  ces  paroles  ! 
Je  n'en  fais<  point  ici  de  peintures  frivoles.    , 
Suppléez  au  peu  d'art  que  te  cielr  mit  en  moi  : 
Vous-même  peignez  -  vous;  cet  amant  hors  defot.. 
Demain,  dit-il,  il  faut  fortir  avant  l'aurore  ; 


'§*'      FABLES    ttHOIfiUS 

K'atteTMk»  point  lès  traits  que  fon  cbar  fait  éelôrci  i 
Trouvez  -  vous  aux  degrés  du  terme  de  Cérès  : 
Là,  nous  nous  attendrons  :  le  rivage  eft  tout  près: 
Une  barque  eft  au  bord ,  les  rameurs,  le  vent  même, 
Tout,  pour  notre  départ,  montre  un  hâte  extrême; 
L'augure  eu  eft  heureux ,  nttrç  fort  va  changer; 
Et  les  Dieux  font  pour  nous ,  û  je'fçais  bien  juger. 
Thisbé  confent  à  tout:  elle  en  donne  pour  gage 
Deux  baifers ,  par  le  mur ,  arrêtés  au  paflàge. 
Heureux  mur  I  tu  devois  fervit .  mfeux^ear  défir  j 
Ils  n'obtinrent  de  toi  qu'une  ombre  de  plaifir. 
Le  lendemain  Thisbé  fort  &  prévient  Pyrame; 
L'impatiente,  hélas!  maîtrefle  de  fon  ame, 
La  fait  arriver  feule  dt  fane  guide  aux  degrés  ; 
L'ombre  ft  le  jour  luttoient  dans  les  chinps  azuré* 
Une  lionne  vint,  monftre  imprimant  la  crainte, 
JD'un  carnage  réceftt  fa  gueule  eft  toute  teinte.. 
Thisbé  luit;  à  fon  voile  emporté  par  les  ai», 
Source  d'un  fort  cruel,  tombe  dans  ces  défera» 
La  lionne  le  voit,  le  fouille,  ledéchixç; 
Et  Payant  teint  de  fang,  aux  forêts  fe  retire. 
Thisbé  s'étoît  cachée  en  un  buiffoa  épais. 
Pyrame  arrive,  &  voit  ces  veftiges  toiisfrafc 
-ODieuxtQue  devient*il?Un  froïdeourt  dans  (çsvefodk 
Il  apperçoit  lé  voile  étendu  dans  ces  plaines; 
11  le  levé  ;  &  le  fang  joint  aux  traces  des  pas. 
L'empêche  «&  douter  d'na  funefte  trépa* 
Thisbé,  s'écria- 1- il,  Thisbé,  je  t'ai  perdue/ 
Te  voilà ,  par  ma  faute,  aux  Enfers  defeendue! 
[e  l'ai  voulu  ;  c'eft  moi ,  qui  fuis  le  monftre  affietf 
>ar  qui  tu  t'en  vis  voir  le  féjour  ténébreux  : . 
Attendb^moi,  je  te  va»  rejoindre  aux  rivcsfombresj 
Mais  m'oferaT- je  à  toi  préfenter  chertés  ombre* f 
Jouis  au  moins  du  fang  que  jette  Vais  offrir, 
Malheureux  de  n'avoir  qu-Sifle  mort  à  fouffrir. 
Il  dît,  -&  d'un  poignard  coupe  aufB*tât  fa  traîne. 
Thisbé  vient;  Thisbé  voktmte £&(&*¥)**** 


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jt-  jl;,  Vr  ît  nE  ;.  *  J  j.  •  *.       3$?* 

Que  devient -elle  auffi?  Tout  lui, manque  i  kfeisyr 
Les  fçns  &  les  eCprks  auffi  bien  que  la  voix.  .   .     '  n 
Elle  révisât  enfin;  Cloton,  pour  l'ampur  d'elle,     r 
L^iflè  à  Fyrame  ouvrir  &  Jao^aniej^Mnçlle. 
11  ne  regarde  point  la  lumière  des  deux:  ~  '  j 

Sur  Thisbé  feulement  tt  *©urçe  encor  tes  yeux-.       > 
Il  voudiofc  loi  pa*lpr  t  &  tagpe  eft  retenue;     . 
Il  témoigne  ©purir  conter*  de.  l'arqir  vue. 
Thisbé  prend  le  poignard;  à  découvrant  Ton  fcii»  ^ 
Je  n'aceuferai  point,  dit -elle,  ton  deffein, 
Bien  moins  encor  l'erreur  de  ton  ame  alarmée  :  - 
Ce  feroit  t*accuj[er  de  m'avoi*  trop  aimée, 
e  ne  t'aime  pas  moins  :  tu  vas  voir  que  mon  cœur 
'a,  non  plus  que  le  tien»  mérité  fon malheur. 
Cher  amant , .  reçois,  donc  ce ,  trifte  fecrifice. 
Sa  main  &  le  poignard  fontaiors  leur  office; 
Elle  tombe ,  &  tombant  raçge  fes>  vétemens, 
Dernier  trait  .de  pudear ,  même  ^ux  derniers  moment»  ] 
Les  Nymphes  d'alentour  vliri  donnèrent  des  larmes^ 
Et  du  fang  des  amans  teignirent  par  des  charmes 
Le  fruit  d'un  îtaier  proche  >&  blanc;  jusqu'à  ce  jouf  p 
Eternel  monjaoent  d'un  fi  parfait  amour» 
Cette  hiftoire  attendrit  les  filles  de  Minée  ;  : 

L'une  aceufoit  l'amant,  l'autre  kdeâinéer; 
Et  toutes,  d'une  voix»  çoircluatentquenosccBW» 
De  cette:  pasfion^  Rendent  être  ya^Rqgews. 
Elle  meurt  quelquefois  avant  qu'être*  caateiaste  :  , 
L'eft-  elle  ?  Elle  devient  ausfKtét  tanguiflante. 
Sans4*hymen  on  n'en  doit  recueillir  aucun  fruit,  . 
Et  cependant  l'hymen  eft  ce.  qui  la  détruit. 
11  y  joint,  dicClimene,  une.  âpre  j'aloufie,  { 

Poifon  le  pk»  cUucl  dont  l'âme  fbit  faifie.  ;       .       * 
Je  n'en  veux  pour  témoin  que  l'erreur  de  Prooia»   ? 
Alçttboé  ma  fœur,  attachant  vos  efpriu,  , 
Des  tragiques  amours  vous  a  conté  l'élite  ;  > 

Celles  que  je  vais,  dire  ont  auafi  leur  mérite*  . 
l'awmirciffftte  temp&>  aiaû  grtUe*  &  mon  laut»   . 


Jf»        FABLES    CtiOISîÉS 

Peu  s'en  faut  que  Phœbus  ne  partage  le  jour; 
A  fes  rayons  perçons  oppofon»  quelques  voiles  r 
Voyons  combien  nos  mains  ont  avancé  nos  toiles. 
Je  veux  que  fur  la  mienne,  avant  que  d'être  au  foir. 
Un  progrès  tout  nouveau  fe  faffe  appercevoir  : 
Cependant  donnez  -moi  quelque  heure  de  fîtenee, 
Ne  vous  rebutez  poiht  de  mon  peu  d'éloquence; 
Souffrez-  eh  les  défauts;  et  fongez  feulement 
Au  fruit  qu'on  peut  tirer  de  cet  événement. 

Céphale  aimoit  Procris ,  il  étoît  aimé  d'elle  r 
Chacun  fe  propofoit  leur  hymen  pour  modeler 
Ce  qu'amour  fait  fentir  de  piquant  &  de  doux , 
Combloit  abondamment  les  vœux  de  ces  époux: 
Ils  ne  s'aimoient  que  trop  :  leurs  foins  &  leur  tendreflfe 
Approchoient  des  tranfports  d'amant  &  de  mattrefle; 
Le  ciel  même  envia  cette  félicité  : 
Céphale  eut  à  combattre  une  Divinité. 
Il  étoit  jeune  &  beau,  l'Aurore  en  fut  charmée, 
N'étant  pas  à  ces  biens,  chez  elle,  accoutumée* 
Nos  belles  cacheraient  un  pareil  fenthnent; 
Chez  les  Divinités  on  en  ufe  autrement 
Celle-ci  déclara  fon  amour  i  Céphale* 
Il  eut  beau  lui  parler  de  la  foi  conjugale; 
Les'jeunés  Béïtés  qui  n'ont  qu'un  vieil  époux. 
Ne  fe  foumettent  point  &  ces  loi*,  eomme  nou* 
La  Déefle  enleva  ce  héros  fl  fidèle  : 
De  modérer  fes  feux  il  pria  l'immortelle. 
Elle  Je  rit:  l'amour  devint  fimple  amitié:         ~  - 
Retournez,  dit  l'Aurore ,  avec  votre  moitié  ; 

ie  ne  troublerai  plus  votre,  ardeur  fci  la  tienne: 
lecevez  feulement  ces  marques  de  la  mienne. 
(C'écoit  un  javelot  «>uj©urs  fût  de  fes  coup?.) 
Un  jour  cette  Procris ,  qui  ne-  vit  que  pour  vous» 
Fera  ledéfefpoir  de  votre  ame  charmée, 
Et  vous  aurez  regret  de  l'avoir  tant  aimée. 
Tout  oracle  eft  douteu;,  &  porte  un  dottbJefew; 


Celui  -  ci  mit  d'abord  notre  époux  en  fufpcns  : 
t'aurai  regret  aux  vœux  que  j'ai  formés  pour  elle? 
Et  comment?  N'eft- ce  point  qu'elle  m'eftinfidelïe  ? 
Ah',  finiflent  mes  jours  plutôt  que  de  le  voir  ï 
Eprouvons  toutefois  ce  que  peut  fon devoir. 
Des  Mages  auflKtôt  confultant  la  fcience, 
D'un  feint  adolefcent  il  prend  la  reffembiance, 
S'en  va  trouver  Procris,  élevé  jusqu'aux  cieux 
Ces  beautés»  qu'il  foutient  être  dignes  des  tlieux , 
Joint  les  pleurs  aux  foupirs,commeuÉi  amant  fçaitfeirt^ 
Et  ne  peut  s'éclaircir  >par  cet  art  budinaire.         r 
Il  fallut  recourir  à  ce  qui  porte,  coup  >    •    .         f 
Aux  préfens  :  il  offrit,.. donna,  promit  beaucoupV ' 
Promit  tant  que  Procris  lui  parût  incertaine.  i 

Toute  chofe  a  fon  prix:  voila  Céphalè  en  peine;  * 
21  ienbnorice  aux  cifés,Ven>va  dans  les  forêts",   " 
Conte  aux  vents,  conte  aux  bois  fesdépiaifirsféereisi 
S'imagine  y  en;chaffint*  diflaper  fon  martyre?  • 
C'étoit  pendant  ces.  mois  :  où  le  chaud  qu'on  refpird v 
Oblige  d'implorer  l'haleine  des  zépbirs*. 
Doux  vents,  s'écrioit-:il,  prêtez- moi  dés  foupi«> 
Venez,  légers  démons ,  par  qui  nos  champs  fleur iflent; 
Aure,  fais -tes  venir:  je  fçais  qu'ils  t'ohéïflènt; 
Ton  emploi  dans  .ces  Heux  è&  de  tout  ranimer. 
On  l'entendit,  on  crut  .qu'il  venoit  de  nommer 
Quelque  objet  de.fes  vœux,  autre  que  fon  époufe. 
Elle  -Qt:eft  avertie,,  &  la  voilà  jalqufe.,        .  • 
Maint  yoifîn  charitable  entretient  fes  ennuis  : 
Je  ne  le  puis  plus  voir ,  dit  -  elle,  qôe  les  nuits.     ?  • 
11  aime  donc  cette  Aure,  »  &  me  quitte  pour  ellea?  . 
Nous  vous  plaignons;  il  l'aime,  &  fans  cefle  il  l'appelle; 
Les  échos  de  ces  lieux  n'ont  plns.dlauttes  emploi* 
Que.  celui  d'enfeigner^le  nom  d'Aureà  nos  bois. 
Dans  tous  les  environs  le  npmtfAure  réfonne*. .  ..; 
Profitez  d'un  *yfs  qu'en  paflant  on  vous  donne. 
L'intérêt  qu'oft  y  prqfcd  eft  de  vows  obliger.     '  i 
SUs  «n  profite  t  hélas}  &  ûft  Aût  qu'y  Coogei^  . „  -r" 


194        FABLES    C^OlSIÏS 

Lés  amans  font  toujours  de  légère  croyance  j 
S'ils  pouvoient  conferver  un. rayon  de  prudence, 
t  Je  demande  un  grand  point ,  la  prudence  en  amours  ) 
Ils  feroïent  aux  rapports  Menfible*  &  foutds* 
Notre  époufe  ne  fut  l'une  ni  l'autre  cbofb  : 
Elle  fe  lève  un  jour;  &  lorsque  tout  repofe , 
Que  de  l'aube  au  teint  frais  la  charmante  douceur 
Force  tout  auîommeil,  hormis  quelque  chafféux., 
Elle  cherche  Céphate:  un  bois  l'offre  à  fa  rue. 
11  invoquait  déjà. cette  Aure  prétendue. 
Viens -me  voir,  cBfok-il,  chère  Déefle,  accours: 
Je  n'en  puis  pks ,  je  meurs  ^  fais  que  par  ton  feceutt 
L*  peine  que  je  fens  fe  trouve  fouiagée. 
L'époufe  fe  prétend  par  ces  mots  outragée  : 
Elle  croit  y  trouver,  non  le  fens  qu'ils  cachoient, 
Mais  celui  feulement  que  fes  fdupçons  cherchoient» 
O  trifte  jaloufie!  O  pasfion  amere! 
Fille  d'un  fol  amour ,  que  l'erreur  &  pour  mère  f 
Ct  'qu'on  voit  par  «tes  yeux  caufe  afîez  d'enabarm, 
Sans  voir  encor  par  eux  ce  que  l'on  ne  voit  pas* 
Fïôcm  s'étoir  cachée  en  la  même  retraite 
Qu'un  Fari  de  Biche  avoît  pour  demeuré  fecrette* 
Il  en  fort;  &  le  bruit  trompe  ausfi-tôt  l'époux. 
Céphale  praid  le  dard^  toujours  fur  de  lès  coups» 
Le  lance  «en  cet  endroit,  &  perce  fa  jaloufe  : 
Malhçureux  affafTm  d'une  ft  chete  iépoufe*  - 
Un  cri  lui  fait  d'abord  ibtrpçofenfi»  quelqùô-erreur; 
Il  accourt,  voit  fa  faute  ;'&  .tout  plein  detftireur, 
•Du  même  javelot  il  veut  s'ôtôr  la  vie, 
L'Aurore  filles  deftina  arrêtent  cette  envie» 
Cet  officb  lui  fut  plus  cruel  qu'indulgent. 
L'infortuné  mari  (ans  celTé  s'afflîgeant , 
Eût  accru  par  fes  pleurs  le  nombre  des  fontaines, 
Si  la  Déefle  enfin ,  pour  terminer-  fes  peines, 
N'eût  obtenu  du  fort  que  l'on  tranéMt  fôs  jours  : 
Trifte  fin  d'un  fcymen  bien  divers,  eh  fon  cours  ! 
Fuyons  «*  maudu  «frèstews  /  je  ne  {toit  trop  te  &* 


t    1    V    R    E      X  î  I.  $pf 

Jugez  par  te  meilleur  quel  peut  étire  Je  pire. 
S'il  ne  nous  eft  permis  d'aimer  que, fous  Tes  loix,  . 
N'aimons  point.  Ce  dèffein  fut  pfispér  toutes,  trot* 
Toutes  trois,  pour  chafler  de  fi  triftes penfée** 
A  revoir  leur  travail  fe  montrent  empretTécs» 
Climene  en  un  tiflu  rkhe ,  pénible  &  grand  t 
Avoit  presque  achevé  4e  fameux  différend 
D'entre  le  Dieu  des  eaux  &  Pillas  la  fçavante. 
On  voyait  en  lointain  une  Ville  BahTante.    - 
L'honneur  de  4*  nommer  entr'eux  deux  tc«tefté>  > 
Dépepdoît.du  préfent  de  chaque  déité» 
Keptune  fit  le  Cen  d'un  fymbole^de  guerre^ 
Un  coup  de  foatrideôt  fit  fortir  de  la  terre       .   , 
Un  animal  fougueux,  un  courtier  plein  d'ardeuÉw  n 
Chacun  de  ce  préfent  admiroit  la  grandeur* 
MInerys  l'effaça,  donnant  à  la  contrée 
L'olivier,  qui  de  paix  eft  là  marque  affûtée* 
Elle  emporta:  le  prix  y-  &  tawama  la  cité.  y.. 
Athene  offrit  fes  vœux  à  oettedéité.  -    •     n  :< 
Pot»  ks  lui  préfenter  on  choifit  cent  pucdle*,  r . 
Toutes  fçaehint  broder,  auffi  ftges  que  belles* 
Les  premières  portôient  force  préfens  divers; 
Tout  le  refte  enfcouroit  la  déeffe  aux  yeux>pera* 
Avec  un  doux  fouris  elle  acceptait  l'hommage. 
Climene  ayant  enfin  repioyé  fon  ouvrage \ 
t  -  j-™«  th*  commence  en  ces  mots  fén  /!récit»; 

.  .  ,  '  î  ,  i  ■  *  >  .i  '  '■. 
Qjurement  pour  les  pleurs  mon  talent  renflât  f 
Je  fuivrai  toutefois  la  matière  ùhpoÊée- 
TÇétamfcn  pour  Clorif  avbit  Tarne  embrafée  ;  :  \ 
Cloris  pour  Télamon  btûloit  de  fon  côté. 
La  naifîànce,'  Ternit,  les  grâces,  là  beatté*  ^ 
Tout  fe  trouvok  en  eux,  hormis  ce>qne  les  «tommet1 
Font  marcher  à\*anttom  dans  Iciîécieo^nousfoaïme^ 
Ce  fewtitle»  Weaa^c'eftrx»,  mérite  tmiverfel*  i  :J 
CcsAmans^  quoiq^épi(is  d'uw'd^ir  flwtuél;  .-.  > 
N'ofoicat;  au  U<^MymmiLfoxiêeïxncaîe%  <:  -d 


&6        FABLES    CHOISIES 

Faute  de  ce  métal  que  tout  le  monde  adore. 
Amour  s'en  pafleroit;  l'autre  état  rie  le  peut:  : 
Soit  raifon,  foit  abus,  le  fort  ainfi  le  veut. 
Cette  loi  qui  corrompt  les  douceurs  de  la  vie, 
Fut  par  lé  jeune  amant  d'un  autre  erreur  fuivie. 
Le  démon  des  combats  vint  troubler  l'univers. 
Un  pays  contefté  par  des  peuples  divers, 
Engagea  Télamon  dans  un  dur  exercice. 
Il  quitta  pour  un  temps  l'amoureufe  milice. 
Clotis  y  iconfentit ,   mais  non  pas  fans  douleur. 
Il  voulut  mériter  Ton  eftime  &  fon  cœur. 
Fendant. que  fes .exploits  terminent  la  querelle, 
Un  parent  de  Cloris  meurt  ;&Iaifle  à  la  belle 
D'amples  poflefEons  à  d'immenfes  tréfors  : 
11  habitait  les  lieux  où  Mars-  régnoit  alors. 
La  belle  s'y  tranfporte ,  &  par -tout  révérée, 
Par  -  tout  jdes  deux  partis  Clorjis  confldérée , 
Voit  de  fes  .propres  yeux  les  champs,  où  Télamofi  : 
Venoit  de  confacrer  un  trophée  à  fon  nomr    . 
Lui;  de  ïa  part  accourt;  dt  tout  couvert  de  gloire 
Il  offre  à  fes  amours' Jes  fruits  de  fa  vittoire.. 
Leur  jencorjtre  fe  fit  non  loîrt  de  l'élément 
Qui  doit,  être  évité  de  tout  heureux  amant. 
Dès  .ce  jour  l'âge  d^or  les  eût  joints  fens  myftere: 
L'âge  de  fer  en  tout  a  coutume  d'en,  faire,.  : 
Cloris  *ne  voulut  donc  couronner  tous  ces,  h**»™ 

?u'au  fcî*»  Oc  Vd  pacne ,  ce  ae  l'aveu  des  Cens. 
out  chemin,  harslamer^  allongeant  leur  fouffranec, 
Ils  commettent  aux  flots  cette  douce  efpérance. 
Zéphyre  les  fuivoit,  quand v  prefque  en  arrivant, 
Un  pirate  furvient,  prend  le  deffus  du  vent, 
Les  attaque,  les  bat.  ■>  £n  vain  /-par  fa  vaillance, 
Télamon  jufqu'au  bout  poite  fa  réfiitence::' 
Après  un  long  combat  icm  parti  fut  ;défait  r  ■  r 
Lui  ptia  ;  &  fea  efforts.  Meurent  pour  tout  effet 
Qu'un  eiclavage  indigne.  O  Dieax.qui  1,'cût  pu  croire  f 
Lefort,  Jjms.re^âernilon-facç^ni  la  gloire» 


LIVRE      î  I  I.  SM 

Ni  Ton  bonheur  prochain ,  ni  les  vœux  de  Claris, 
Le  fît  être  forçat  auifî  -  tôt  qu'il  fut  pris. 
Le  deftin  ne  fut  pas  à  Cloris  fi  contraire; 
Un  célèbre  marchand  l'acheté  du  corfaire  : 
Il  l'emmène;  &  bien- tôt  la  belle,  malgré  foi,. 
Au  milieu  de  fes  fers ,  range  tout  fous  fa  loi. 
L'époufe  du  marchand  la  voit  avec  tendrefTe  : 
Ils  en  font  leur  compagne,  &  leur  fils  fa  maîtrefle* 
Chacun  veut  cet  hymen  :   Cloris  à  leurs  défirs.  ,    . 
Répondoit  feulement  par  de  profonds  foupirs. 
Damon ,  c'étoit  ce  fils ,  lui  tient  ce  doux  langage  : 
Vous  foupirez  toujours ,  toujours  votre  vifage^ 
Baigné  de  pleurs  ,  nous  marque  un  dépiaifir  fecret. 
Qu'avez-vous  ?Vos  beaux  yeux  verroîent-ils  à  regrec 
Ce  que  peavent  leurs  traits,.  &  l'excès  de  ma  flamme? 
Rien  ne  vous  force  ici ,  découvrez-nous  votre  ame; 
Cloris ,  c'efhnoi ,  qui  fuis  l'efdave ,  &  non  pas  vous, 
Ces  lieux,  à  votre  gré:,  n'ont-ils  .rien  d'affez  doux? 
Parlez ,  nous  fommes  prêts  à  changer  de  demeure, 
Mes  parens  m'ont  promis  de  partir  tout  à  l'heure. 
Regrettez  -vous  les  biens  que  vous  avez  perdus  * 
Tout  le  nôtre  eft  à  vous ,  ne  le  dédaignez  plus. 
J'enfçais  qui  l'agréroient;  j'ai  fçû  plaire  à  plus  d'une: 
Four  vous,  vous  méritez  toute,  une  autre  fortune  : . 
Quelle  que  foit  la  nôtre ,  ufez  *  en  ;  vous  voyez 
Ce  que  nous  pofTédons  &  nous -même  à  vos  pieds. 
Ainfl  parle. Damoa,  &  Cloris  toute  en  larmes , 
Lui  répond  en  ces  mots  accompagnés  de  charmes  :  . 
Vos  moindres  qualités  >  &  cet  heureux  féjour 
Même-  aux  filles  des  dieux  donneraient  de  l'amour  : 
Jugez  donc  fi  Cloris ,  efclave  &  malheureufe , 
Voit  l'offre  de  ces  biens  d'une  ame  dédaigneufe. 
Je  fçais  quel  eft  leur  prix:  mais  de  les  accepter, 
Je  ne  puis;  &  voudrais* vous  pouvoir  écouter. 
Ce  qui  me  le  défend,  ce  n'eft  point  l'efclavage:  ^ 
'  Si  toujours  la  naifiance  éleva  mon  courage ,         *  • 
Je  me  veis,  grâce  aux  Dieux»  en  des  mains  çùjepuit 


S9t       FABLES    CHOÏSIIS 

Garder  ces  fentîmens  taalgré  tous  mes  étmûa. 
Je  puis  même  avouer  (hélsl  faut -il  le  dire?) 
Qu'un  autre  a, fur  mon  coeur ,coztfervé  fon  empire. 
Je  chéris  un  Amant,  ou  mort  ou  dans  les  fers; 
Je  prétends  le  chérir  encor  dans  les  Enfers; 
Pourrîez-vous  eftimer  le  cœur  d'une  inconftantet 
Je  ne  fuis  déjà  plus  aimable ,  ni  charmante , 
X3otis  n'a  plus  ces  traits  que  l'on  trouvoit  fi  doux, 
Et,  doublement  efclave,  eft  indigne  de  vous. 
Touché  de  ce  difeours,  Damon  prend  congé  d'elle; 
Fuyons,  dit-il  en  foi,  foublîrai .cette  Belle: 
Tout  pafle,  &  même  un  jour  fes  larmes  pafieront? 
Voyons  ce  que  l'abfence  &  k  temps  produiront. 
A  ces  mots  il  s'embarque,  &  quittant  le  rivage, 
Il  court  de  mer  en  ner^  aborde  en  lieu  fauvage; 
Trouve  des  malheureux  de  leurs  fers,  échappés, 
Et  û»  le  boid  d'un  bols  à  chaffer  occupés. 
Télamon,  de  ce  nombre,  avbfe  brifé  fa  chaîne: 
Aux  regards  de  Damon  il  fç  préfente  à. peine, 
Que  fbn  air,  fit  fierté r  fon  cfprit,  tout  enfin 
Fait  qu'à  l'abord  Damon  admire  fon  deftin: 
Puis  le  plaint ,  puis  remmène ,  &  puis  lui  dit  fa  flamme» 
D'une  efçlave,  dit -il,  je  n'ai  pu  toucher  i'amec 
Elle  chérit  un  inort  !  un  mort,  ce  qui  n'eft  plus 
L'emporte  dans  fon  cœur  !  mes  vœux  font  fxiperflui- 
Là^deffus,  de  Cioris  11  lui  fait  la  peinture. 
Télamon  dans,  fon  ame  admire  PavenUre, 
Difiimule,  &  fe  latte  emmener  au  féjour 
Où  Cioris  lui  conferve  un  fi  parfait  amour» 
Comme  il  vouloit  cacher  avec  foin  fa  fortune, 
Nulle  peine  pour  lui  n'étoit  vile  &  commune.    . 
On  apprend  leur  retour,  &  leur  débarquement* 
Clqris  fe  préfentant  à  l'un  &  Pautfe  Amant,    - 
Reconnoit  TéLamon  fous  un  faix  qui  1  accable; 
Ses  t^grins.  le  rendoienfc  pourtant  mëconnoiffable  J 
,  Un  œil  indifférent  à  le  voir  eût  erré,  J 

Tanf  la  peine.  &  l'aaQiir  l'avaient  dé£gur4        .  ' 


Le  ferdeau  qu'il  portent  ne  fut  qu'un  vain  obflaclc; 
Çloris  le  reconnolt ,  &  tombe  à  ce  fpe&acle  : 
Elle,  perd  tous  fes  fens  &  de  honte  &  d'amour. 
Télanion ,  d'autre  part,  çombe  prefque  à  fon  toux»> 
On  demande  à  Çloris  la.caufe  de  fa  peine, 
Elle  la  dit;  ce  fut  fens  s'attirer  de  haine: 
Son  récit  ingénu  redoubla  la  pitié 
Dans  des  cœurs  prévenus  d'une  juifc  amitié. 
Damon  dit  que  ion  zélé  ayoit  changé  de  face. 
On  le  crut.  (>perKknt,  (^oi qu'on  dife&  qu'an  Me ^ 
D'un  triomphe  fi  doux  l'honneur  &  le  plaifir  . 
Ne  fe  perd  qu'en  laîftasti  des  refles  de  defir. 
On  crut  pourtant  Damon.    Il  reftràignit  fon  «de 
A  feelier  de  l'hymen  une  union  fi  belle; 
Et,  par  un  (entament  à  qui:  rien  ri'eft  4gal, 
11  pria  fes  païens  de  doter  fon  rival. 
Il  l'obtint,  renonçapt  dès»- lors  à  l'hyménéew 
Le  foir  étant  venu  dfe  i'heureu/e  journ4«, 
Les  noces  fe  faifoient  à  l'ombre  d'un  ormeau  : 
L'enfant  d'un  voifin  vit  s*y  percher  un  Corbeau: 
Il  £&  partir  de  Tare  une. â^che  maudite, 
Perce  les  deux  époux  o^'une  atteinte  fubite. 
Cloris  mourut  du  coup ,  non  fans  que  fon  amant    v 
Attirât  fes  regards  en  ce.  dernier  moment- 
Il  s*écrje  en  voyant  finir  fes  deftinées  :.  ' 
Quoi!   la^ Parque  a  tranché  le  cours  de  fes  années? 
Dieux,,  qui  l'avez  voulu,  ne  fuffifoit-ii  pa* 
Que  la  haine  du  fort  avançât  mon  trépas? 
En  achevant  ce$  mots  il  acheva  dç  vivrç; 
Son  amour,  non  le  coup,  l'obligea  de  la  fuivre: 
Bleffé  légèrement  il  pana  chez  les  morts; 
Le  Styx  vit  nos  époux  accourir  fur  fes  bords; 
Même  accident  finit  leur*  prétieufes  trames  : 
Mçme  tombée**  teucs  çojps ,  même  féjour  leurs  ame* 
Quelques-;  mis  çmt  écrit  ;  <  mai^  qe  fait  eft  peu  fur} 
Que  chacun  d'eux  devint  Statue  &  marbre  dur. 
ù  couple  M0rtua4  &ce  i  ûoe  icpofe, 


*oo       FABLES    CSOISllS 

Ja  ne  garantis  point  cette  métamorphofe  : 

On  en  doute.  On  le  croit  plus  que  vous  ne  penfez, 

Dit  Climene  ;  &  cherchant  dans  les  fiécles  paffés 

?ûelque  exemple  d'amour  &  de  vertu  parfaite, 
out  ceci  me  fut  dit  par  le  fage ;  interprète. 
J'admirsa,  je  plaignis  ces  amans  malheureux; 
On  les  alloit  unir:  tout  concoûroit  pour  eux; 
Ils  touchoientau  moment;  Patente 'en  étoit  fûrej 
Hélas!  il  n'en  eft  point  de  telle  en  la  nature; 
f>ur  le  point  de  jouir  tout  s'enfuit  de  nos  mains,; 
Les  dieux  fe  font  un  jeu  de  l'efpoir  des' humains. 
Laiflbns,  reprit  Iris,  cette  trifte  renflée. 
La:fête  eft  vers  fa  fin,  grâce  au  ciel,  avancée; 
Et  nous  avons  paffé  tout  ce  temps  en  récits, 
Capables  d'affliger  les1  mojnJ  fombres  efpritsï 
Effaçons,  s'il  fe  peut,  leur  image  dunette  : 
Je  prétends  de  ce  jour  mieux  employer  le  refte; 
Et  dire  uh  changement ,  non  de  corps ,  maïs  de  cœur  : 
Le  miracle  en  eft  grand;  amour  en  fut  l'auteur: 
Il  xn  fait  tous  les  jours  de  diverfe  manière. 
Je  changerai  de  ftyle'cn  changeant  de  matière. 

Zoon  plaïfok  aux  yeux,  maïs  ce  n^ft  pas  affés, 
•Son  peu  d'efprit ,  fon  humeur  fombre, 
Rendoient  ces  talens  mal  placés  : 

Il  fuyoit  les  eîtés,  H  ne  cherchoit  que  l'ombre, 

Vivoit  parmi  les  bots ,  concitoyen  des  Ours , 

Et  paflbit  fans  aimer  les  plus  beaux  de  fes  jours. 

Nous  avons  condamné  l'amour,  m'allez-vbus  dire; 

J'en  blâme  en  nous  l'excès  ;  "mais  je  n'approuve  p« 
Qu'infenfible  aux  phft.  doux  appas , 
Jamais  un  homme  ne  foupire. 

Hé  quoi,  ce  long  repos  eft -il  d'un  fi  grand  prix? 

Les  morts  font  donc  heureux:  cen'eft  pas  mon  avis. 

Je  veux  des  paffions;  &  fî  l'état  le  pire 
•'•  ^     Eft  le' néant,  je  ne  fçais  point 

De  néant  {dus  complet  ^u'un-  ccwir  froid  à  ce  poâA 


LIVRE      X  1  t.  40f 

Zoon n'aimant  donc  rien, ne  s'aimant  pas  lui-même, 
Vit  lole  endormie,  &  le  voilà  frappé: 

Voilà  fon  cœur  développé. 

Amour,  par  fon  fçavoir  fuprême, 
Ne  l'eut  pas  fait  amant,  qu'il  en  fit  un  Héros. 
Zoon'rend  grâce  au  Dieu  qui  troubloit  fon  repos:1 
11  regarde  en  tremblant  cette  jeune  merveille. 

A  la  fin  Joie  s'éveille  :     . 

Surprife  &  dans  Tétonnement, 

Elle  veut  fuir,  mais  fon  amant 

L'arrête ,  &  lui  tient  ce  langage  : 
Rare  &  charmant  objet,  pourquoi  me  fuyez- vous f 
Je  ne  fuis  plus  celui  qu'on  trouvoit  fi  fauvage  : 
C'eft  l'effet  de  vos  traits ,  auiïï  puiflans  que  doux  ? 
Ils  m'ont  l'ame  &  l'efprit ,  &  la  -raifon  donnée. 

Souffrez  que  ,  vivant  fous  vos  loix  9 
J'emploie  à  vous  fervir  des  biens  que  je  vous  doû? 
lole,  à  ce  difcours  encor  plus  étonnée, 
Rougit,  &  fans  répondre,  elle  court  au  hameau, 
3£t  raconte  à  chacun  ce  miracle  nouveau. 
Ses  compagnes  d'abord  s'affemblent  autour  d'elle  : 
Zoon  fuit  en  triomphe ,  &  chacun  applaudit. 
Je  ne  vous  dirai^oint,  mes  fœurs,  tout  ce  qu'il  fit; 

Ni  fes  foins  pour  plaire  à  la  Belle» 
-Lieur  hymen  fe  conclut  :  un  Satrape  voifin , 

Le  propre  jour  de  cette  fête, 

Enlevé  à  Zoon  fa  conquête* 
On  'ne  foupçonnoit  point  qu'il  eût  un  tel  defleia.  . 
Zoon  accourt  au  bruit ,  recouvre  ce  cher  gage, 
Pourfuit  le  raviffeur,  &  le  joint,  &  l'engage 

En  un  combat  de  main  à  main. 
3Ôle  en  eïtle  prix,  auffi-bien  que  le  juge. 
Le  Satrape  vaincu  trouve  encor  du  refuge 
•  Eh  lar  bonté  de  fon  rival. 

Hélas!  cette  bonté  -lui  devint  inutile: . 
11  mourut  du  regret  de  *et  hymen  fatal.     . 
Aux  plus  infortunés  h  tombe  fert  d'afyle. 


/ 


j|x*        FXBLES    CHOISIES 

Jl  prit  pour  héritière ,  en  finuTant  fes  jours , 
lolé,  qui  mouilla  de,  pleurs  fou  maufolée. 
Que  fert-il  d'être  plaint  quand  l'ame  eft  envolée? 
Ce  Satrape  eût  mieux  fait  d'oublier  tes  amours. 

La  jeune  Iris  à  peine  achevoit  cette  hiftoire; 
Et  fes  fœurs  avonoient  qu'un  chemin  -à  la  gloire  . 
Ceft  l'amour  :  on  fait  tout  pour  fe  voir  eftimé: 
Eft -il  quelque  chemin  plus  court  pour  être  aimé? 
Quel  charme  de  s'oûir  louer  par  une  bouche 
Qui  mêinc,ftns  sîeuvrir,nous  jenchante  &  nous  touche! 
IVtnii'difoient  ces  fœurs.    Un  orage  foudain 
Jette  un  fecret  remords  dans  leur  profane  fein. 
IBacchus  entre ,  &  fa  cour,  confus  &  long  cortège: 
Ou  ftmt,  dit -il,  ces  fœurs  à  la  main  facrilégeV 
Que  dallas  les  défende,  &  vienne  en  leur  faveur 
jOppofer  .fon  égide  i  ma  jufte  fureur  : 
Rien  ne  m'empêchera  de  punir  leur  offenfo: 
\iùysz;  &  qu'on  fe  rie  après  de  ma  puiflànce. 
Il  n'eut  pas.dit,  qu'on  -vit  trois  monfbresau  plancher, 
Ailés ,  noirs  &  velus ,  ?en  un  coin  s'attacher. 
On  cherche  les  .trois  fœurs  :  on  n'en  voit  nulle  trace: 
&,eurs  métiers  font  brifés  :  on  éle*e  à  leur  place 
Une  chapelle  au  Dieu,  père  du  vrai  neûar. 
Pailas  a  beau  fe  plaindre ,   elle' a  beau  prendre  pat 
Au  deftin,  dé  ces  fœurs  par  elle  protégeas. 
Quand  quelque  Dieu  voyant  fes  bontés  négligées, 
Hms  fzk  fentir  fon  ire,  un. autre  n'y  peut  rien: 
L'Qlympe  s'entretient  en  paix  par  ce  moyen. 

Profitons ,  s'il  fe  peut,  d'un  fi  fameux  exemple. 
Chommons  :  .c'efl:  faire  affez  qu'aller  Je  temple  e 

temple        v 
Rendre  à  chaque  Immortel  les  vœuxquilui  font  dûs 
Les  jours  donn^6  .aux  ûr«ttx  ne  :  font  jamais  perdu 


s 


■£    i    f    R    E      XII.  4*4 

M1,,  ,  i    i   ,,     » ,  i   'i      sagBsggaegagBr;- 
F   A    B    L    E      X  X  X.       ' 
La*  Matrone  jTEphefe, 


il  eft  un  conte  ufé ,  commun  &  rebattu  i 
C'eli  celui  qu'en  ces  vers  j'accommode*  à  ma  gutfaf 

Et  pourquoi  ^donc'  le  choifis  -  tu  ? 

Qui  t'engage  à  cette  entreprife? 
N'a  - 1  -  elle  point  déjà  produit  affez  d'écrits  % 

,.  Quelle  jgrace  aura  ta  Matrone, N  H 

Au  prix  de  celle  de  Pétrone? 
Comment  la  rendras -tu  nouvelle  à  nos  efprits? 
Sans  répondre  aux  cenfeurs  ;  car  c'eft  chofè  infinie^ 
Voyoas  iî  dans  mes  vers  je  l'aurai  -rajeunie. 

Dans  Ephefe  il  fut  autrefois 
Une  Dame  en  fageffe  6c  > vertus  fans  égale  y 

Et ,  '  félon  la-  commune  voix , 
Ayant  fçû  raffiner  fur  l'amour  conjugale. 
Il  n'étoit  bruit  quer  d'elle  &  de*  fa  chafteté: 

.  JÛn  Palloit  voir  par  rareté  : 
pètoit  l'honneur  du  fexe  :  heureufe  fa  patrief 
Chaque  «mère  à  fa^bru  Pailégûoit  pour  patron  : 
Chaque  -époux  la*  pronoit  -  à  fa  femme  chérie  :      ' 
JQt'eUe  defcendent  ceux-  de  la  Pruddtef  i6,  - 

Antique?  &  célèbre  Siaifon. 
'  Son  mari  raîmoit  d'amour  folle» 

31  mourut*    De  dire  comment,  v 
,  Ce  feroit  un  détail  frivole  : 

.Jl  naourw;;  &  *»  '  tefcament  ' 
ÎTôoit  plein  que  de  legs -qui  l'aurofcnt  confolé^ 
Si  les  biens  réparôieiit  la  perte  'd'un  mari  -   - 

'    Ania«»eux  autant  «que:  chéri.  • 
Mante  veuve  pourt^it  fait  la  déchevelée. 


4*>*       FABLES    CHOISIES 

Qui  n'abandonne  pas  le  foin  du  dsntëuig&t». .   , 
Et  du  bien  qu'elle  aura ,  fait  le  compte  en  pleurant 
Celle-ci,  par  fe$  cris,  mettait  tout  eh  alarme; 

'    Celle  -xi  faîfoit  un*  vacarme ,  - 
Un  bruit,  &  des  regrets  à  percer  tous  les  cœurs, 

Bien.qulon  fçache  qu'en  ces  malheurs, 
De  quelque  défefpoir  qu'une  ame  foit  atteinte, 
la  doulçur  eft  toujours  moins  forte  que  la  plainte; 
toujours  un  peu  de  Cafte  entre  parmi  les  pleurs. 
Chacun  fit  fon  devoir  de  dire  à  l'affligée , 
Que  tout  a  fa  mefure ,  &  que  de  tels  regrets 

Pourr oient  pécher  par  leur  excès  ; 
Chacun  rendit  par -là  fa  douleur  rengrégée. 
Enfin  ne  voulant  plus  jouir  de  la  clarté 

Que  fon  époux  avoit  perdue, 
Elle  entre  dans  fa  tombe,  en  ferme  volonté 
^'accompagner  cette  ombre  aux  enfers  defeendue. 
Et  voyez  ce  que  peut  Fexceflive  amitié, 
(  Ce  mouvement  auffi  va  jufqti'i  la" folie) 
Une  efeiave  en  ce  lieu  la  fuîvit  par  pitié, 

Prête  à  mourir  de  compagnie. 
Prête ,  je  m'entends  bien ,  c'eft-  à-dire,  en  un  mot, 
N'ayant  examiné  qu'à  deipi  ce  complot, 
Et,  jufques  à  l'effet,  courageufe &  hardie. 
L'efciiive  avec  la  Dame  avoit  été  nourrie. 
Toutes  deux  6^ntr'aimoieatM&  dette. paiCon 
Etoit  crue  avec  l'âge  m  c<stedes  <teux*femellès; 
Le  monde  entier  à  peineeût  fourra  deux  .modèles 

D'une  telle  inclination,. 
Comme  l'ofciave  avoit  plus  de  fens  que  la  Dame, 
Elle  laifla  gaffer  les  premiers  mo*ivemens  :. 
Puis  tâcha,  mais  en  vain,  de  remettre  cette  aiae 
Dans  l'ordinaire  train^es  icommuns  fentimens. 
Aux.  confolations  la  Veuve#inacçeffiMe , 
S'appliquoitfeiileiqent  A  toutjmoyen  poffible, 
De  iuivre  le. défunt  aux. mi&&  triftes  lieux, 
Lcf er  au{Qlt  été .  le  plus  court  &.  le  fltf  eu*  * 
M*s  h  dajae  vouloj*  jftftre  encore  /es  yeux 


;   L    I    V.  R'  Ë      X  I  L  4^5 

...  Du  tréfor  qu'enfermoit  la  bière, 
Froide  dépouille ,  &  pourtant  chère* 
C'étoit  là  le  feur  aliment 
Qu'elle  prit  en  ce  monument. 
La  faim  donc  fut  celle  des  portes 
Qu'entre  d'autres  'de  tant  de  fortes, 
Notre  Veuve  choillt  pour  fortir  d'ici -bas. 
Un  jour  fe  pafle ,  &  deux  fans  antre  nourriture 
Que  fes  profonds  foupirs-,  que  fes  fréquens  hélas," 
...  Qu'un  inutile  &  long  murmure 
Contre,  les  dieux,  le  fort  &  la  nature. 

Enfin  fa  douleur  n'omit  rien , 
Si  la  douleur  doit  s'exprimer  fi  bien. 

Encore  un  autre  mort  faifoit  fa  aéfidence 

Non  loin  de  ce  tombeau ,  mais  bien  différemment^ 

Car  il  n'avoit  pour  monument 
-.    Que  le  deflbi»  d'une  potence» 
foui  exemple  aux  voleurs  on  I'avoit  là  laifljÊ. 

Un  foldat  bien  récompenfé 
.        Le  gardoit  avec  vigilance. 

U  étoit  dit  par  ordonnance 
Que  fi  d'autres  voleurs,  un  parent,  un  amî 
L'enlevoient,  le  foldat  nonchalant ,  endormi, 

Rempliroit  auffi  -  tôt  fa  place. 

C'étoît  trop  de  févérité  ; 

Mais.  Irpublique  utilité 
Défendoit  que  l'on  fît  au  garde  aucune  grâce. 
Pendant  1*  nuit  il  vit  aux  fentes  du  tombeau 
Briller  quelque  clarté ,  fpe&acle  affez  nouveau* 
Curieux,  il  y  court r  entend  de  lofn  la  Damer 

RemplifjTant  l'air  de  fes  clameurs. 
U  entre,  efl  étonné,  demande  à  cette  femme, 
•  .-   Pourquoi  ces  cris ,  pourquoi  ces  pleur»,; 
.  Pourquoi  cette  trifte  mufique-, 
Pourquoi  cette  naifon  noire  &  mélancolique? 


,0*       FABLES    CHOISIES 

Occupée  à  fes  pleurs,  à  peine  elle  entende 

Toutes  ces  demandes  frivoles  : 

Le  mort  pour  elle  y  répondit 
s  Cet  objet,  fans  autres  paroles  y 
•  Difoit  allez  par  quel  malheur 
JJat  Dame  s'enterroit  ainfi  toute  vivante. 
Nous  avons  fait  ferment,  ajouta  la  fuivante, 
De  nous  laiffer  mourir  de  faim  &  de  douleur» 
JEncor  que  le  foldat  fût  mauvais  orateur, 
Jl  leur  fit  concevoir  ce  que  c'efl^que  la' vi* 
Xa  Dame  cette  fois  eut  de  l'attention; 

Et  déjà  l'autre  paffion 
.   Se  trouvoit  un  peu  ralientic 
Xe  temps  avoit  agi.'    Si  la  foi  du  'ferment, 
,  Pourfuivit  le  foldat,  vous  défend  l'aliment, 

Voyez -moi  manger  feuleinpnt, 
*Vousn'en  mourrez  pas  moins.  Un  tel  tempérament 

Ne  déplut  pas  aux  deux  femelles  ; 

Conciufion  jqu'il  obtînt  d'elles 
Une  permiffïon  d'apporter  fon  foupé , 
Ce  qu'il  fit;  &  l'efclave  eut  le  cœur  fort  tenté 
De  renoncer  dès -lors  à  la  cruelle  envie 

De  tenir  au  mort  compagnie. 
Madapie ,  ce  dit -elle ,  un  penfer  m'eft  venu  t  ' 
Q'importe  à  yotre  époux  que  vous  ceffîez  de  vivieï 
Croyez-vous  que  lui-même  il  fût  homme  à.vousfuivrc, 
Si  par  votre  trépas  vous  l'a#iezt  prévenu? 
Non,  Madame  ,  il  voudroit  achever  fe  carrière. 
Xa  nôtre  fera  longue  encor  ,  fi  natis:  voulons. 
Se  faut  -  il ,  à  vingt  ans ,  enfermer  dans  la  bière? 
Nous  aurons  tout  Ioifîr  d'habiter  ces  maifons. 
On  né  meurt  que  trop  tôt  :  qui  nous  prcflfe  ?■  Attendons: 
Quant  à  moi  je  voudrois  ne  mourir,  que  ridées 
Voulez -vous  emporter  ^os  appas  chez  les  morts? 
Que  vous  fervira-t-ild'en  être  regardée? 

Tantôt,*  envoyant  les  tréfors  . 
Dont  le  ciel  prit  glai/k  d'orner  votre  vifagè, 


LIVRE      XII.  *n 

Je  difois  :  hélas  !  c'eft  dommage , 
Jfous  -mêmes  nous  allons  enterrer  tout  cela.    -, 
A  ce  difcours  flatteur  la  Dame  s'éveilla. 
Le  dieu  qui  fait  aimer  prit  fon  temps ,  il  .tira 
Deux  traits  de  Ton  carquois  :  de  l'un  il  entama 
Le  foldat  jusqu'au  vif;  l'autre  effleura  la  Daine: 
Jeune  &  belle,  elle  avoit  fous  fes  pleurs  de  l'écla£ 

Et  des  gens  de  goût  délicat 
Auroient  bien  pu  Pairner ,  &  même  étant  leur  femme» 
Le  garde  en  fut  épris  :  les  pleurs  &  la  pitié, 

Sorte  d'amour  ayant  fes  charmes , 
Tout  y  fit  :  une  belle  alors  qu'elle  eft  en  larmes, 

En  eil  plus  belle  de  moitié. 
Voilà  donc  notre  veuve  .écoutant  la  Ipuango  ;    .  *    . 
Poifon ,  qui  de  l'amour  eft  le  premier  degré  : 

La  voilà  qui  trouve  à  fon*  gré 
Celui  qui  le  lui  donne  :  il  fait  tant  qu'elle  mange  : 
11  fait  tant  que  de  plaire  :  &  fe  rend  en.  effet 
Plus  digne  d'être  aimé  que  le  mort  le  mieux*  fait  : 

11  fait  tant  enfin  qu'elle  change-;  .  * 

Et  toujours  par  degrés,  comme  L'oa  peut  penfer, . 
De  l'un  à  l'autre  il  fait  cette  femme  pafTer.    v 

rr*v  Je  »e  le  trouve  ga»:étraiig&x*^^  »   - 
écoute  un  amant ,  elle  en  fait  un  mari , 
Le  tout  au  nez  du  mort,  qu'elle  avpit  tant  chéri., 
Pendant  cet  hymênée ,  un  voleur  fe  hazaf  de  f 
D'enlever  lex  dépôt  commis  aux  foins  du  garde  : 
Il  en  entend'  le  bruit  ;  il  y  court  à  grands  pas  1  * 

/"     Aiais  envain>r  lachofe^tpitfaitç. 
U  revient  au  tombeau  conter  fon  embarras  ,  _ 

i     Ne  fçachant  où  trouver  retraite.    '  ~  7 
L'efclave  -alors  lut  dit,  le  voyant  éperdu  :         * 

L'on  tous  a  pris  votre  penduf"  r  . 

Les  loix  ne  Vous  feront,  f  dites  -vous,  nulle  grâce? 
Si  Madame  y  confient,  J'y  remêdîrai  t)ien.  - 
-  Mettons  notre  mort  en  la  place , 
Les  pafians  n'y  connoîtront  rien- 
S  4 


4oS        TABLES1   CHOISIES 

La  Dame  y  confentit.  O  volages  femelles  ! 
La  femme  eft  toujours  femme  :  il  en  eft  qui  font  belle*; 
Il  en  eft  qui  ne  le  font  pas. 
'  S'il  en  étoit  d'affëz  fidèles , 
Elles  auroient  allez  d'appas. 

Trudes,  vous  vous  devez  défier  de  vos  forces; 
Ne  vous  vantez  de  rien.  Si  votre  intention 

Eft  de  Téfifler  aux  amorces, 
La  nAtre  eft  .bonne  aufii  :  maïs  l'exécution 
•Nous  trompe  également  :  témoin  cette  Matrone  : 

Et,  n'en  déplaife  au  bon  Pétrone, 
Ce  n'étoit  pas  un  fait  tellement  merveilleux, 
<Qo'il  en  dût  propofer  l'exemple  à  nos  neveux. 
Cette  Veuve  n'eut  tort  qu'au  bruit  qu'on  lui  vit  faire» 
Qif  au  deffeia  de  mourir  mal  conçu ,  mal  formé  : 

Car  de  mettre  au  patibulaire, 

Le  corps  d'un  mari  tant  aimé, 
Ce  n'étôit  pas  peut-être  une  fi  grande  a&aire. 
Cela  lui  fauvoit  l'autre;  &  tout  -cônfîdérë, 
Mieux  vaut  Goujat  debout,  qu'gmpeur  enterré. 


F  A  -B    L    E      XXXI. 

B  E  L  P  H  E  G   O  R. 
•Nouvtiie  tirée  ch  Machiavel. 


U. 


_  '  n  Jour  Sata»,  monarque  des  enfers  > 
Faifoit  ptflerfe  fujets  ei^  revue.    •.    . 
Là ,  confondus  tous  les .  états  divers , 
Princes  &  Rois  la  tourbç  menue, 
Tettoiçnt  maint-pleur ,  pojiflbient  maint  &  maint  ai, 
Tant  que.  Satan  en  étoit  ftourdi^ 


LIVRE     X  IL       .    4P* 

11  demandent,  en  paflantY  à  chaque  ame: 
Qui  t'a  jettée  fen  l'éternèlte  flamme  ? 
L'une  difoït  :  hélas  !  c'eft  mon  mari  ; 
L'autre  auffï-tôt  répondoit  :  c'eft  ma  femmev 
Tant  &  tant  fut  ce  drfeours  répété , 
Qu'enfin  Satan  dit  en  plein  confiftoire  : 
Si  ces  gens  -  ci  difènt  la  vérité , 
11  eft  aifé  d'augmenter  notre  gloires 
Nous  n'avons  donc  qu'à  îe  vérifier. 
Pour  cet  effet,  il  nous  faut  envoyer 
Quelque  démon  plein  d'art  &  de  prudence  ; 
Qui ,  non  content  d'obferver  avec  foin- 
Tous  les  hymens  dont  il  fera  témoin  , 
Y  joigne  auffi  fa  propre  expérience.  . 
Le  prince  ayant  propofé  fa  fentence  r 
Le  noir  fénat  fuivit  tout  d'une  voix. 
De  Belphegor  auffi-tôt  on  fit  choix. 
Ce  diable  étoit  tout  yeux  &  tout  oreilles , 
Grand  éplucheur,  clair -voyant  à  merveilles^  * 
Capable  enfin  de  pénétrer  dans  tout, 
Et  de  pouffer  l'examen  jusqu'au  bout. 
Pour  fubvenir  aux  frais  de  Fentreprifev 
On  lui  donna  mainte  &  mainte  remife, 
Toutes  à  vue,  &  qu'en  lieux  cfiffiér/eo* 
11  pût  toucher  par  des  correfpondans. 
Quant  au  furplus,  les  fortunes  humaine*  « 
Les  biens ,  les  maux,  les  plaifirs  &  les  peines, 
Bref,  ce  qui  fuit  notre  condition , 
Fut  une  annexe1  à  îa  légation. 
Il  fe  pouvoit  tirer  d'affliSîon, 
Par  fes  bons  tours  &  par  for*  induiïrit  j 
Mais  non  mourir,  ni  revoir  fa  patrie, 
Qtfft  n'eût  ici  confumé certain  temps? 
Sa  miffion  dévoit  durer  iiix  ans. 
Le  voilà  donc  qui  tîaverfe  &  qui  paû*& 
Ce  que  te  ciel  voulut  #$ttre  d'efpace 

&5 


4*        FABLES    CHOISIES 

Entre  ce  inonde  &  l'éternelle  nuit: 
Il  n'en  mit  guère,  un  momeçty  conduit- 
Notre  démon  s'établit  à  Florence , 
Ville,  pour  lors,  de  luxe  &  de  dépenfe; 
Même  il  la  crut  propre  pour  le  trsffle. 
Là,  fous  le  npm  du  feigneur  Roderic, 
Il  fe  logea,  meubfa  comme  un  riche  homme, 
Groffemaifon,  grand  tfei»,  nombre  de  gens, 
Anticipant  tous  les  jours  fur  la  fomme 
Qu'il  ne  devoit  confumer  qu'en  dix  ans. 
On  s'étonnoit  d'une  telle  bombance- 
11  tenoit  table,  avoit  de  tous  côtés 
Gens  à  fes  frais ,  foit  pour  fes  voluptés*, 
Soit  pour  le  fafte  &  la  magnificence. 
L'un  des  plaifirs  où  plus  il  dépenfa* 
Fut  la  louangp.  Apollon  l'encenfa; 
Car  il  cft  maître  en  l'art  de  Batterie. 
Diable  n'eut  onc  tant  d'honneurs  en  fa  vi& 
Stn  cœur  devint  le  but  de  tous  les  traits 
Qu'amour  lançok:  il  n'étoit  point  de  bclfc 
Qui  n'employât  ce  qu'elle  avoit  d'attrait» 
Pour  le  gagner  f  tant  feuvage  fût-  elle; 
Car  de  trouver  une  feule  rebelle, 
Ce  n'eft  la  mode  "à  gens, de  qui  la  main 
Par  les  préfens  s'applanit  tout  chemin* 
Ceft  u»  reffort  en  tous  deffcifis  utile* 
Je'fti  jà  dit,  #lc  redis  encor, 
je  ne  connois  d'autre  premier  mobile 
Dans  l'univers,  que  l'aiçeat  &. que  l'or- 
Notre  envoyé  cependant  tenoit  compte  -  - 
De  chaque  hymen  »  en  journaux  différa»  *  , 
L'un ,  des  époux  fatisfaits  &  contens , 
Si  peu  rempli ,'  que  le  diable  en  eut  honte*. 
L'autre  journal  incontinent,  fut  plein. 
A  Belphçgo*  il  ne  reiloit  Infm 
Que  d'éprouver  la  chofe  par  lui-même.. 
Certaine  fille  4  Florence  étpit  lofs  a 


L    ï  :  V>    R    EXIL  4U 

Belle  &  bien  faite ,  &  peu,  d'autres  tréfors, 
Noble  d'ailleurs ,  mais  d'un  orgueil  extrême  ;  -     » 
Et  d'autant  phis ,  que  de  quelque  yèrt».. 
Un  tel  orgueil  paroiîfoit  revêtu. 
Poar  Roderic  on  en  fît  la  demande. 
Le  père,  dit  que. madame Honeila, 
-Cétoit  fon  nom,  avoit  ei*  jusques  r'Ià  . 
ITorce  partis  i  mais  que  parmi  la  bande  : 
Il  pourroit  bien  Roderic  préférer ,  , 

Et  demandoit  teinps  pour  délibérer.*     :  ;   ' 
On  en  coanâent;  Le,  pourfuivant.  s'applique* 
A  gagner  celle  où  fes  vœqx  s'adreflbient. 
l'êtes  &  bals *  férénades,  mufique, 
Cadeaux,  feftins,  bien  fort  apetiffoient, 
Aitéroient  fort  le  fonds  de  rambaffadei 
H  n'y  plaint  rien,  eaufe  en,grand  fdgneury, 
S'épuife  en  dons.  L'autre  fe;pjerfuader- 
Qu'elle  lui  fait  encor  beaucoup  d'honneur., 
Conclufion,  jqù'après  force  prières, 
Et  des  façons  de  toutes  les  manières, 
Il  eut  un  oui  de  madame  Honeûa.        .  - 
Auparavant  le.  notaire  y  paflà, 
Dont  Bëlphegpr  fe  moquant  en.  fon  amev 
Hé  quoi ,  dit-  il ,  on  acquiert  aine  femme'  . 
Comme  muchâteau!  eesr  gens  ont  tout?  gâté.       *■ 
Il  eut  raifon  :  dtiez  d'entre  les. hommes.:    w 
La  finiple  foi,;  te  meilleur  eft  àt£  j   j- 
N  ous  nous  jettons ,  pauvres  gens  quernûus  fomam  È 
Dans  les  procès ,  en  prenant  le  rtevers. 
Les  fr,  les7  car,  les  contrats  font  la  pôrÇ* 
Par  où  la  noife,  entra  dans  l'univers  : 
N'efpérons  pas  que  jamais  elle  es  tam.        •  i 
Solemnités&  loix  n'empêchent  pas 
Qu'avec  l'hymen  amour  n'ait  des  débat»: 
C'eft  le  cœur-  foui  qui  peik  rendre  tranquille.  ' 
Le  cœur  fait  tout,  le  refte  efl  inutile/     '   ;     * 
Qu'ainfi  ûe.  foiï  r  voyons  jdiautte»*  état*.      .  >    *    . 
S  6 


4tt       TABLES    CHOISIES 

Çtpzles  amis  tout  s'exorfe,  tout  pafTe: 
Chez  les  amans  tout  plaie,  tout  eft  parfait: 
-Chez  lefc  époux  tout  ennuie  &  tout  laffe. 
Le  devoir  nuit  .chacun  eflfainfi  fait. 
Mais,  dira -t- on,  n'eft-il  en  nulles  guifes 
D'heureux  ménage?  Après  mûr  examen, 
J'appelle  iin  bon  *  voire  un  parfait  hymen, 
Quand  les  conjoints  fe  foirent  leurs  fooifesv 

Sur  ce  poîne^là  creft  ailes  raifonné.* 
Dès^ue  chez  lui  le  Diable  éut.amené 
Son  époufée ,  U"  jugea  par  lui  *  même 
Ce  qu'eil:  l'hymen  avec  un  tel  démon  : 
Toujours  débats,  toujours  quelque  fermer* 
Plein  dé  fottîfe  en  un  degré  fuprême. 
Lç  bruit  fut  tel»  que  madame  Honefta 
Plus  d'une  fois  les  voifins  éveilla  : 
Plus.  «Tune  fois  on  courut  à  k  noïfe. 
Il  lui  falloit  quelque  fimple  bourgeoMc  >    . 
Ce  difoit -elle :  un  petit  trafiquant 
Traiter  ainfi  les  filles  de  mon  rang  î 
Méritait -A  femmelï  vertueufe* 
Sur  mon  devoir  je  fufe  trop  ferupuieufe  r 
J'en  ai  jegret,  &  fî  je  faiCob  bien-.  * . 
Il  uSeftpasfûr  qu'Honefta  ne  fît  rien  : 
Ces  prudesilà  nous  en -font  bien  accroire 
-  Nos  deux  é)ariuxr  à  fit  que  dk  L'hiftotre/ 
f  «Sans  dîfputer  n'étoient  pas  un  moment. 
Souvent.teur  guerre  avoit  pour  fondement 
Le  jeu,  la  jupe ,  ou  quelque,  ameublement 
D'été,  d'hyver,  d'entre. -temps,  bref  un  monde 
D'in  venttQtw  jpjroptes  k  tout  .gâter. 
Le:  pauvre  Diable  ^ut. lieu  de  regretter    - 
Ba  fautîre^eriftr  la.  demeure  profonde* 
XqW,.W9blft  jiAfia»  ilo^eric  Éqûuûl  • 
la  parehté  de;  madame;  Hofleûa  ^ 
4ï^to^fc&Je jpere  £„  la  mère*     .  . 


>L    I    V    R    B      X  I  L  ;        •%$ 

Et  fe  grandTœw  avec  lCpetit  frère  y  :  » 

î3o  fes  deniers  mariant  la  grandTœur  ,' 
Et  du  petit  payant  le  précepteur.  .    \ 

Je*  n'ai  pas  dit  la  principale  caufe 
JDe  fa  mine  s  infaillible  accident?  ■>  * 
Et  j'oubîiois  qu'il  eut  irji  Intendant. 
Un  ••Intendant?  Qu'eft-ce  que  cette  chofe?  » 
.^.  Je  définis  cet  être,  un  animal,  ! 

<Juî ,  comme  on  dit,  fçait  pêcher  en  eau  trouble; 
V.  Et,  plus  le  bien  de  fon  maître  Va  maî, 
*   -Fhis  le  fien  croît/ pli»  fon  profit  redouble, 
-**  m4f3ht  qiVaifément  lui  -même  scheteroic 
£:  Ce  qui  de  net  au  feignéur  refterolt  : 
*^l>ont  par  raifon  bien  &  dûment  déduite 
l|    On  pourroit  voir  chaque  chofc  réduite 
En  fon*état,  s'il  :arrivoit  qu'un  jour 
L'autre  devînt  l'Intendant  à  fon  tour; 
.  ••  Car  regagnant  ce  qui!  eut  étant  maître, 

Ils  rêprendroient  tous' deux  leur  premier  &re& 
•■.;"*' Le  feul  recours*  du  pauvre.  Roder ic, 
;•'..  *  Son  feul  efpoir  étoit  certain  trafic 

"\  Qu'il  prétendoit  dévoir  remplir  fa  botttfe^ 
..^ tW  Efpoir  douteux ,  incertaine  reflburce.  * 

"%.\-}}tX  étoit  dit  qu*  tout  ferolt  fatal 
.  A -notre  époux,  ainfî  tout  alla  mal; 
*::  Ses  ageris,  tels  que  là  plupart  des  nôawi  - 
"r  En*abufoicnt.    H  perdit  un  varfleau, 
>.  tn  vît  aller  îe commerce  à  viau- Teau  r 
'Trompé  des  uns,  mal  fervi  par  les  autres > 
>.;ll  emprunta.-    Quand  ce  vint  à  payer f  ■ 
Et  qu'à  fa  porte  H  vit  le  créancier, 
Force  lui  fut  d'esquiver  par  la  fuite , 
."  Gagnant  lés  champs,  oiîdé  l*£pre  pourfute  ' 
.  Il  fe  fauva  ûbèz  uu  certain  fermier,         .' 
Enftertain  coin  remparé'de  fumier. 
A  Matheo,  c'étoit  le  nom  du  Sîre, 
Saos  taûttoujBfr,  il-dit  ce^i^U  étoit; 


tfâ       FAICEST:  CHOIS  IlES 

Qu'un  double  mat  che?  lui  .te  toumenteit  ;    - 
Ses  créanciers ,  &  fa  femme  encor  pire  : 
Qu'il  n'y  fçavoit  remède  que  d'entrer 
Au  corps  des  gens,  &  de  s'y  r emparer, 
D'y  tenir  bon:  iroit-on  là  le  prendre? 
Dame  Honefta  viepdroit-  elle  y  prôner 
Qu'elle  a  regret  de  fe  bien  gouverner  ?    . 
Chofe  ennuyeufe,  &  qu'il  eft  las  d'entendre  F 
Que  de  ces-  corps  trois  fois  il  for  tir  oit, 
Si -tôt  que  \m  Matheo  l'en  prîroit; 
Trois:  fois  fana  plus,  &  ce,  pour  récompenfe 
De  l'avoir  mis  à  couvert  des  Sergens.  - 
Tout  auffi  -  tôt  l'AmbafTadeur  commence 
Avec  grand  bruit  «d'entrer  au  corps  des  gens.    +* 
Ce  que  le,  fien,  ouvrage  fantaftique, 
Devint  alors,  Thiftoiré  n'en  dit  rien. 
Son  coup  d'effai  fut  une  fille  unique 
Où  le  galant  fe  trouvoit  aflea  bien: 
«Mais  Matheo,  moyennant  groffe  fomme, 
L'en  fit  fortir  au  premier  mot  qu'il  dit. 
C'étoit  à  Naple,  il  fe  tranfporte  à  Rome; 
Saifitun  corps;  Matheo  l'en  bannit, 
Le  chaiTet  encore  :  autre  fomme  nouvelle. 
Trois  fois  enfla,  toujours  d'un  corps  femellr,/ 
Remarquez  bien ,  Qotre  Diable  fortit. 
Le  Roi  dé  Naple, avoit  loi*  une  fille, 
Honneur,  du:  fcxe,  efpoir  de  fa  famille:      "    « 
Maint  jeune  Prince  étoit  fon  pourfuivant  ;     ' 
Là,  d'Honefta*  Belphegor  fe  ûuvant , 
On-  ne  le  putr  tirer  de  cet  afyïe. 
Il  n'étoit  bruit,  aux  champs  comme  à  la  ville» 
t    Que  d'un  manant  qui  cbaffpit  les  efprits. 
Cent  utflte  étus  d'abord  lui  font  promis. 
Bien  affligé  de  manquer  cette*  fomme , 
(Car  les  trois  fois  i'empêehoient  d'efpérer 

Sue  Belphegor  fe  Jaiflàt  qonjurer) 
la  rts&fa;  il.  .fe  dit  iia  pauvre  homme,  ,* 


%    ï    V    R    E  -:*u.-;      4?S, 

Pauvre  pêcheur,  qui,  fafis  fçavoir  comment ^  { 
Sans  dons  du  ciel,  par  haferd  feulement, 
De  quelques  CQïps  achaffé  quelque  diable, 
Apparemment  chétif  &  miférable ,. 
Et  ne'  conneit  celui-ci  nullement. 
11  a  beau^iire:  on  le  force,  on  l'amené^ 
On  le  menace,  on  lui  dit  que  fous  peine. 
D'être  pendu,  d'être  mis  haut  &  court 
En  un  gibet,  il  faut  que  fa  puUEmce 
Se  manifefte  avant  la  fia  <du  jour» 
Dès  l'heure  même  on  vous  met  en  piélence 
Notre  Démon  &  fon  conjurateur.  / 

D'un  tel  combat  le  Prince  eft  fpeâateiwv 
.  Xhacun  y  court ,  n'eft  fils  de  bonne  mère». 
Qui ,  pour  le  voir ,  ne  quitte  toute  affaire. 
D'un  côté  font  le  gibet  &  la  hart,, 
Cent  mille  écns  bien  compté»  d'autre  paru 
Matheo  trempe ,  &  lorgne  la  finance* 
Lefprit  malin  .voyant  fa  contenance , 
Kiplt  fous  cape,  alléguait  les  trois  fbk, 
Dont  Mathep  fuoit  dans  fonharnois, 
l^reflbit,  prioit ,  conjuroit  avec  larmes  : 
Le  tout  en  vain*    Plus,  il  eft  en  alarmes  , 
*  Plusl'autre  rit    Enfin  le  manant  dit , 
Que  îur  ce  Diable  il  h'avoit  nu^  crédit.         .  ~ 
On  vous  le  hape  &  mené  à  la  pçtence. 
■  Comme  il  allok  harangues  l'affiftanee, 
•  Néceflké  lui  fuggéra  ce  tous. 
11  dit  tout  bas  qu'on  battit  le  tambour  r 
Ce  qui  fut  fait;  de  quoi  l'Efprit  immonde 
Un  peu  furpris ,  au  manant  demanda  : 
Pourquoi  ce  bruit?" Coquin,  qu'entens- je  là?  , 
L'autre  répond:  c'eft  Madame  Honeila 
Qui  vous  réclame,  &  va  par  tout  le  monde 
Cherchant  l'épouz  que  le  ciel  lui  donna» 
Incontinent  le  Diable  décampa, 
S'enfuit  au  fond  dçs  enjefs,,  &  conu 


4iff       F  AB  Ï/É  S  'fc  II"  01 S  I  E S 

Tout  le  fuccèé  qû'avoît  eu  fdft  voyager 
Sire,  dit -il,  le  nœud  du  mariage 
Damne  auffi  dru  qu'aucuns  autres  états. 
Votre  Grandeur  voit  tomber  Ici -bas, 
Non  par  floccons ,  mais  menu  comme  pluie  ; 
Ceux  que  l'hymen  fait  de  fa  confrérie; 
J'ai  par  moi-  même  examiné  le  cas. 
Non  que  de  foi  la  cfcofe  ne  foit  bonne  r 
Elle  eut  jadis  un  plus  heureux  dcftin  : 
Mais  comme  tout-  fe  corrompt  à  la  fin, 
Plus  beau  fleuron  n'eft  en*  votre  couronner 
Satan  le  crut:- il  fut  récompense, 
Encor  qu'il  eût  fûn  retour  avancé. 
Car  qu'eût  -  il  fait  ?  -  Ce  n'étoit  pas  merveille* 
Qu'ayant  fans  cefle  un  diable  à  Ces  oreilles, 
Toujours  le  même,  &  toujours  fur  un  ton, 
Il  fût  contraint  d'enfiler  la  venelle  :    ' 
Dans  les  enfers  encore  en  change  -t-  on; 
L'aut/e  peine  eft:,  à  mon  fens.,  plus  cruelle.. 
Je  voudrois  voir  quelques  gens  y  durer. 
Elle  eût  à  Job.  fait  tourner  la  cervelle* 

De  tout  ceci  que  ptétens-je  inférer? 
Premièrement  je  ne  fçais  pire  çhofe  f 
Que  de  changer  ion  fogis  çri  priforir  -  ' 
En  fécond  lieu*  fi  par  quelque  raifbh 
Votre  afcaidant  à  l'hymen  vous  expofev 
N'époufez  point  d'Honefta,  s'il  fçpçutr 
N'a  pa$  pourtant  une  Honefta  qui  veuw 


*?©f 


LIVRE      XII.  417 


^SSÈSSSSiaSBÊÈÊËÊÊSBÊSeÊÊÊÊË 


FABLE      XXXII. 

I<9  Juge  Arbitre  y  V Hospitalier ,  &  tj 
Solitaire. 


T. 


rois  Saints,  également  jalon*  de  leur  falut, 
Portés  d'un  même  efprit,  tendoient  au  même  but» 
Ils  s'y  prirent  tous  trois  par  des  routes  diverfes. 
Tous  chemins  vont  à  Rome  :  ainfi  nos  concurrens 
Crurent  pouvoir  choifir  des  rentiers  différens.  • 
L'un  ,  touché  des  foucis ,  des  longueurs ,  des  traverfei 
Qu'en  apanage  on  voit  aux  piocès  attachés  ; 
S'offrit  de  les  juger  fans  réccanpenfe  aucune, 
Peu  foigneux  d'établir  ici -bas  fa  fortune* 
Depuis  qu'il  eft  des  loix, l'homme, pour  fes  péché*, 
Se  condamne  à  plaider  la  moitié  de  fa  vie. 
La  moitié  ?  Les  trois  quarts ,  &  bien  fouvent  le  tout. 
Le  Conciliateur  crut  qu'il  viendroit  à  bout. 
De  guérir  cette  folle  &  déteftable  envie. 
Le  fécond  de  nos  Saints  choïfit  les  hôpitaux* 
Te  le  loue  ;  &  le  foin  de  foulager  les  maux 
Efif  une  charité'  que  je  préfère  aux  autres. 
Leè  malades  d'alors  étant  tels  que  les  nôtres , 
Donnoient  de  l'exercice  au  pauvra  Hofpitalier; 
Chagrins ,  impatiens ,  &  fe  plaignant  fans  cefle  ; 
U  a  pour  tels  &  tels  un  foin  particulier , 

v    Ce  font  fes  amis  :  il  nous  laiiïe.  / 

Ces  plaintes  n'étoient  rien  au  prix  de  l'embarras 
Où  fe  trouva  réduit  l'Appointeur  de  débats. 
Aucun  n'étoit  content  ;  la  fentence  arbitrale  s 

À  nul  des  deux  ne  convenoit: 
.  Jamais  le  Juge  ne  tenoit 

A  leur  gré  la  balance  égale. 
De  femblâbles  dîfcours  rebutoient  l'Appointeur.' 
H  court  aux  hôpitaux,,  va  voir  leur  directeur. 
Tous  deux  ne  recueillant  que  plainte  &  que  murmure , 
Affligés ,,&  contraints  de  quitter  ees  emplois, 


*ig        FABLES     CHOISIES 

Vont  confier  leur  peine*  au  filence  des  bois» 

Là ,  fous  d'âpres  rochers ,  près  d'une  fource  pure , 

Liçù  refpeflé  des  vents ,  ignoré  du  foleil ,  „ 

11*  trouvent  l'autre  Saint,  lui  demandent  confefl/ 

IL  faut;  dit  leur  ami,  Je  prendre  de  foi -même. 

•    Qui  mieux  que  vous  fçait  vos  befoins*? 
Apprendre  à  fe  connoîtrè  eft  le  premier  des  foins 
Qu'impofe  à  tous  mortels  la  majefté  fupréme. 
Vous  êtes  -vous  connus  dans  le  monde  habité? 
L'on  ne  le  peut  qu'aux  lieux  pleins  de  tranquillité  : 
"Chercher  ailleurs  ce  bien,  eft  une  erreur  extrême. 

Troublez  l'eau:  vous  y  voyez -vous? 
Agitez  celle-ci.    Comment  nous  verrions -nous? 

La  vafe  eft  un  épais  nuage 
Qu'slux  effets  du  cryftal  nous  venons  d'oppofer^ 
Mes  Frères,  dit  le  Saint,  laiffez-la  repofer; 

Vous  verrez  alors  votre  image* 
Pour  .vous  mieux  contempler ,  demeurez  aa  défera 

Ainfî  parlaie  Solitaire.. 
Il  fut  cru ,  .l'on  fuivit  ce  confeil  falutaire. 
Ce  n'eft  pas  qu'un  emploi  ne  doive  être  fouffert. 
Puifqu,onplaide&qu,oameurt&qu,opdevientmalade, 
Il  faut  des  Médecins ,  il  faut  des  Avocats.  • 
Ces  feçours,  grâce  adieu,  ne  nous  manqueront  pas, „ 
Les  honneurs  &  le  gain,  tout  me  leperfuade. 
Cependant  on  s'oublie  en  ces  communs  befoins. 
O  vous!  dont  le  Public  empans  tous  les.  foins, 

Magiftrats , .  Princes  K  &  Miniftres ,   s 
Vous,  que  doivent  troubler  mille  acridens  finiflres, 
Que  le  malheur  abat  ,  que  le  bonheur  conbmpt, 
Vous  net  vous  voyez  point ,  vous  ne  voyez  perfonne. 
Si  quelque  bon  moment  à  ces  penfers  vous  donne, 

Quelque  flatteur  vous  interrompt. 
Cette  leçon. fiera  la  fin  de  ces  ouvrages  : 
Pui(&  -t-elie  être  utile  aux  fiécles  à  venir!  •       *  ' 
Je  la  préfente  aux  Rois ,  je  la  propofe  aux  Sages  : 

Par  oit  fçaurpîs  -je  mieux  finir  ? 
Un  du,dûuzàm  Lara  &  du  qw^m$)fctmtVëmtê 


■j        ',!■■'  m  h  i"  mu  '   n 

AVIS    DU    LIBRAIRE. 

J  E  prens  la  liberté  de  joindre  à  ces  Vers ,  qui  me 
font  tombés  entre  les  mains  ,  une  Fable  qui  m'a  été 
recommandée  par  un  favsnt  Abbé  ,  comme  affeé 
digne  de  voir  le  jour.  L'on,  n'y  trouvera  pas  ,  m*a-t-il 
dit ,  les  agréments  qui  couloïent  fi  naturellement  de  la 
plume  de  ta  Fontaine  %  qu'on  d'iroit  quïtne  s'en  ap per- 
cevait point  lui-même*  Mais  fi  je  ne  me  trompe  ,  elle 
1er  a  pour  tant  reçue  du  public  avec' indulgence  ,  par  le 
flyLeJïmple-  dont  elle  eft  contée  ,  &  fur- tout  à  caufe  du 
fens  moral  quelle  contient ,  lequel  intèreffe  &  intèref- 
fera  toujours  les  perfonnes  jeunes  y  vieilles  ,  de  moyen, 
âge  ,  de  différent  fexe  ,  de  quelque  rang  6*  de  quelque 
condition  qu  elles  foient. 


FABLE. 
La  Cigale  trouvée  parmi  une  foule  de  Sauterelles. 


i3l7r  le  midi ,  dans  le  temps  (i) 
Qu'aux  moucherons  chaflent  les  hirondelles  , 
Un  villageois  chafToit  aux  fauter  elles  , 
Qui ,  fautant  &  voletant  dans  fes  champs  , 

Les  tondoient  à  belles  dents. 

Il  les  prend ,  il  les  empale  (2)  , 

Réfolude  tout  tuer. 

(1)  C*eft-à-dire  en  été  ,  <jue  les  hirondelles  volant  de  tout 
cèics  ,  tapent  mouches  &  mouche: o m  pour  elles  &  pour  leuri 
petits. 

(ij  Pour  entég.i!er  la  volaille  de  fa  bafle-cour»  a 


444  F  A  B  L  E; 

Lors  fous  la  main  lui  tombe  une  cigale  ; 

Et ,  tout  prct  à  l'écrafer , 

D?un  ton  dolent  la  cigale  s'écrie  : 

Confidérex ,  bon  homme,  je,yousprie, 

.  '  Que  je  n'ai  <Je  ma  vier 
Gâté  vos  fleurs ,  vos  fruits  ,  votre  herbe  ,  ni  ros  boisi. 
Pourquoi  te  trouvois-tu  ,  reprit  le  villageois  , 
En  fi  mauvaift  compagnie  (3)  ? 

(l)  Quelques  perfonnes  trou-  que  t'eft  moi  <jui  ai  mis  ci 

vent  à  piopos  que  je  me  dé»  vers    cette   Fable  dont   Efope 

date  l'auteur  de   cette  petite  eft  l'inventeur  «comme  on  peut 

pièce  de  ver»,   pour  empêchet    le  voit  dans    fa   vie  ,  r 

ou'un  Editeur  inlcnfé  ne  s'avi-  pofée  pai  la  fontaine   , 

àt  un  jour  de  la  donner  à  la  *xxvj. 

fontaine.  Je  déclare  donc  ,pat  t           COSTE» 
Référence  pout  ers  Mcificurs , 


conx* 
page 


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TAELE 


T  A  B  X  E 

DES     FA':BL  E  S1 

t-     '■      '■  '•    -      •  • 

C    O    MT   T    r   K   tr    É    ff  ' 

DANS  LA  SECONDE  PARTIEL 

lu  '  ssaasmmassssgssssssssm 

LIVRE    SEPTIEME, 

faftîe  I.  ^^es  minimaux malades  de  la Fejte,  Pàgertf? 
table  IL  jLe  mal  marié,  "     "  16& 

FaHe  III.  Le  Rat  qui  s'ejt  retiré  du  mande»  1 7T 

Fable  lV.  Le  Héron-,  ;  tjx 

Fable  V^  La  Fille ,  ^  175 

Fable  VL  Les  Souhaite,  \  17s 

Fable  VII.  La  C<wtfȣfcff,  "jfir 

Fable  VIIÏ.  Les  Fauteurs  &  lès  Pigeons:}  '  179 

FabîelX.  LeÇoche  (flaMpùehey    "  i3r 

Fable  X.  La  Matière  Ê?  fe  Poe  aa  Labl  18^ 

FaHe  XI.  L*  Curé  fcf  k  Jft*.  .184. 

Fable  XII.  L'Homme  qui  court  après  la  Fortune;  W 

V  Homme  qui  ^attend  dans  fin  Lit»  '    y  '  185: 

Fable  XIII.  Ltt  <fc«x  Obpv  *  "'  '  ,  .  '"18» 
Fable  XIV.  L'ingratitude  gf .  FinjujUce  des  ;  JÉBwimer 

envers  la  Fortune  %  '     *Lf& 


420  TABLE  DES  FABL'ES    " 

Fable  XV;  Les  De^mefejfes ,  ~  Page  jgi 

Fable XVI.  Le  Chati   la  Belette,  &  le  petit  Lapin, 

m 

Fable  XVII.  La  tête  fcf  ta  queue  du  Srçffo*,        195 
tfable  XVlîî.  Un  Animal  fans  h  Lune,  ..  196 


as 


LIVRE    HUITïFME. 

Fable ï.   JL/a  Mort  6?  le  Mourant*        Page  199 

Fable  II.  Le  Savetier  £?  le  Financier ,  201 

Fable III.  Le  Lion,  le  Loup  (f  k  Renard,  203 

Fable  IV.  Le  pouvoir  des  Fables,  204 

Pable  V.  V Homme  ftf  la  Puce ,  107 

Fable  VI.  Les  Femmes  &  le  Secret,    .  208 

,Fable  ViïrLe  Chien  qui  porte  à  :Jbn  cêîf  If  djmer  de 
-      fin  Maître ,              *                           '209 

Fable  VIII,  Le  Rieur  fif  les  PoiJJbns,         t  -  al  1 

,  fable  IX,  Le  Rat  tf .  Iffutoe ,  -  •    21a 

Fable  X.  L'Ours  6f  l'Amateur  des  Jardins,  21$ 

Fahle  XI.  Le*  <fc«*  Jmis  ,  215 
Fable XII.  Le  Cochon  ,la  Chèvre  fc?  le  Mouton,    217 

Fatfe  XIII.  Tirets  fcp  Amarante ,  21S 

Vdh/leXIV.  Les  Obféques  delà  Lionne,  220 

Fable  XV.  Le  Jtof  fif  VÊUphak,            ,  222 

Fahle  XVI.  LHorôfcope,  223 

Fable  XVII.  Z'^/je  £?  te  Cfe'e»  ,  227 

Fable  X VIII.  Le  Sofia  fc?  le  Marchand,  228 

Fable  XIX.  L'avantage  oV  /a  Science,  230 

Fable  XX.  Jt^er  fcf  &r  Tonnerres ,  231 

Fable  XXI.  Le  7fatf<w  ^  fe  Chapon,  233 

table XXII.  Le  Chai  &  te  Rat,             .  23S 

Fable  XXIJL  Le  Ter?**  6?  &  JWW**i  "  *37 

F^bleÇSty,  VEducation\  238 


-    DE  LA  IL  FARTlfc.         w 

Fable  iXV.  Les  deux  Chiens  &VAne  mort,  Page  23g 
Fiable  XXVI.  Démérite  &  les  Abdéritains,  24$ 

Fable  XXVII.  Le  Loup  fi?  le  ChaJJeur,  s  4a 


LIVRE    NEUVIFME. 


Fable  I.  Jkzfe  îïépojitaïre  infidèle ,"  Page  24$ 

Fable  II.  Les  deux  Pigeons,                         K  248 

Fable  111.  Le  Si?ige  &  le  Léopard,  251 

Fable  IV.  Le  Gland  &  la  Citrouille,  .  252 

Fable V.  LEcdm,  le  Pédant,    g>  le  Maître  d'un 

jardin,  254 
Fable  VI.  Le    Statuaire  £?  h    Statue   de  Jupiter, 

Fable  VII.  La  Souris  mitamorphqfée  en  FiUe,  257 

Fable  VIII.  Le~Fou~fui  vend  la  SageJJe,  259 

Fable  IX.  L'Huître  &  les  Plaideurs,                '  tôt 

Fable  X.  Le  Loup  £f  le  Chien  maigre,  ±6% 

Fable XI,  Rien  de  trop,  26$ 

Fable'XII.X,*  Cfc?r#>,          v  264 

Fable  XIII.  Jupiter  £f  k  Paffaget,  26$ 

Fable XIV.  Le  Chat  &p  U  Renard,  •  '  266 

Fable XV.  £e  'Abn7  k  Femme,  &  le  Volet» t  26S 

Fable  XVI.  Le  Tréfor  fcp  les  deuxHotomcs,  -  '  269 

Fable  XVII.  Le  Singe  &  le  Chat,  27* 

Fable  XVIII;  Le  Mmn  &  k  Ktffigniï]  '  '  27* 

Fable XIX.  £e  Aijer  fcf/w  Troupeau,  273 


itt         tfAïLÈ  DES  FABXES 

^— lui  ■■  h       ..  i.rnwfra» 

^p<  ^i  i  ■■■■■!  I  ih>    nu»       ^.«p—^— w^— mmm*^mm m      ■  '  ■  *    ■      T    i        in 

^    LIVRE    DIX  IF  ME. 

Fable  IL  JJLées  deux  fais,  le  Renard  &p  Jœuf, 

Page  275 
Fable II.  L'Homme  £5?  &  Couleuvre,  -         283 

fable III,  La  Tort^  &?  fer  <fetfr  Canards  ^  &8tf 

Fable  IV:  Lw  Pi^aw  £5*  le  Cormoran,  287 

Fable  V.  L'EnfwijJevr  &  fon  Compère,  ^89 

Fable  VI.  Le  Loup  fip  les  Bergers,  -290 

Fable  Vil.  JL^rdignée  &f  l'Hirondelle,  292 

Fable  VIIL'Z.»  Pm/râ:  &f  &r  Ctyj-,  293, 

Fable  JX  l*e  Chien-  à  qui  en  axoupéf  les  oreilles,     294 
Fable  X'.  Le  Berger  £s?  le  Roi ,  ,         295 

Fable  XI.  Les  Poiflons,  &  leJÏKgerqui  jtue  de  k 
flûte,    -  2ç-j 

FablcXII.  Les   deux    Perroquets,    M?  Itoi   &  fon 

Fable  XIII.  La  Lionne  fcf  Y  Ours,  .  ,301 

Fable  XIV.  Les    deux    jtoariturieis  &    k    Talis- 
man, 302 
Fable  XV.  Les  Lapins,  304 
Fable XVI.  Le  Maxhanji,  fc  Gmtilhmme,  k  Pâtre, 
&  ltfib.de  RqÏ,  307 


LIVRE    O  NZ  IF  ME. 

Fable  L  JLf*  Lion,  Page  309 

Fable  II.  Lçs  Dieux  voulant  vnftruin  m  fils  de  Ju- 
piter, ,   311 
Fable  IIL  Le  Fermer,  k  Ofci  &  fe  Renard,     31s 


&&  LA  IL  f  A4*  IR  47% 

Fable  IV.  Le    Songe    d'un    Mabkart    du    Mogol , 

Page  315 
Fable  V.  Le  Lion,  le  Singe  (fies  deux  j&es,  -317 
Fable  VI.  Le  Loup  &  le  Renard,  319 

Fable  VII.  Le.Palfan  du  Danube,  321 

Fable  VIII.  Le  VwUard    fcf  les   trois  jeunes  Hom- 
mes, *  324 
FablelX.  La  Souris  §p  le  -Chat -huant,            ,    325 
Epilogue,  327 


LIVRE.  DGUZIE'MJE. 

Vable  I.1-  JL/w  'Compagnons  d'UlyJJe ,         Page  333 
Fable  IL  Le  Chat  ê?  ^  &«*  Moineaux ,  337 

Fable  111.  i)tt  Théfaurifeur  fcf^w  Swrç*,  33? 

Fable  IV.  Les  deux  Chèvres ,  340 

Fable  V»  Le  vieux  Chat  (f  la  jeune  Souris j  34* 

Fable-Vl.  Le  Cerf  malade,  343 

Fable  VU,  La  Chauve  -  Souris,  le  Buijfon  &  le  Ca- 
nard, 344 
Fable  VIII.  La  querelle  dès  Chiens- &  des  Chats,  & 
celle  des  Chats  &  des  Souris,  345 
Fable  IX.  Le  Loup  &p  le  Renard,  347 
Fable  Xw  LEcreviJfe  y  fa  fille ,  3  50 
FaMeXI.I/afefeÉ?fc.J»,.  «                      '       35i 
Fable  XII.  L*  Roi,  le.  Milan  &  le  Chaffeur,       353 
Fable  XIII.  Le  Renard  *  fcr  Jfmto,    £#  fc   i#- 
*•#»>                         *                                 356 
Fable  XlV.  Tjimw  fcf  Za  Fo/fe ,                         358 
Fable XV. Le  Corbeau,  Ja  Gazelle,  la  Tortue.  &  le 
Bat,                                                               359 
Fable  XVI.  La  Forêt  fcf  le  Bûcheron ,                  363 
FaUeXVII.  Le  Renard,    le  Loup  &  le  Cheval, 


'«s*  TABLB  DÉS  f  ABLËS  DE  LA  II.  PARTIE. . 

Jftble  XVUI.    Le  <Re/kwtf    b>  les  Poulets  tlnde, 

.     Page  365 
Fable  XIX,  Le  Singe,  366 

fable  XX.  Le  Phikfpphe  Scythe ,  ^  $67 

Fable  XXI.  VElépltant  &  le  Singe  de  Jupiter  >    369 
Fable  XXII.  Un  Fou  &  un  Sage ,  370 

Fable  XXIII.  Le  Renard  Anglois,  371 

table  XXIV.  le  Soleil  &  Grenouilles ,  -  373 

FaÙeXXV.  L'Hymenée  &  V Amour  >  375 

Fable  XXVI.  La  Ligue  des  Rats ,       '  377 

Fable  XX  VU.  Daphds  &  Alcimidure ,  379 

Fable  XX VIH.  Philémon  £?  £aw* ,  *  381 

s 

Philémon  &  Rancis ,       Ç  Sujets  *  tirés  des  J 
Fable  XXIX.  Les  Fêles  <MétamorphofesV 
de  Minée,  ^d'Ovide.  3      3^7 

Fable  XXX*  L*  Mtfroft*  fEphèfe ,  403 

Fable  XXXI.  Belpheger,  Nouvelle  tirée  de  Machia- 
vel, 4°8 
FableXXXlLl*3%^fov,  THoffràlier,  &* 
Solitaire^                                                ~    417 

Fin  de  (a  Table  de  la  féconde  Partie. 


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YORK  PUBLIC  LIBRARY 
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