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iAA)
F/VUSTINE
DRAME
Représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre de la Porte-
Saint-Marlin, le 20 février 1864.
CHEZ LES MEMES EDITEURS
OUVRAGES
DE
LOUIS BOUILHET
Format grand in-18
MADAME DE MONTARGY.
Drame en cinq acies, en vers.
HELENE PEYRON
Drame on cinq actes, en vers.
L'ONGLE MILLION
Comédie en cinq actes, en vers.
DOLORËS
Drame en quatre actes, en vers.
POÉSIES, FESTONS ET ASTRAGALES
Un volume.
MEL.ENIS
CONTE ROMAIN
Un volume.
Imprimerie de L. TOINON et Cic, à Saint-Gcimaiii.
^
r^
FAUSTINE
dramp: en cinq actes
EN NEUF TABLEAUX
LOUIS B 0 U I L II E T
<-i.
l'AUlS
MICHEL L[- VY FRÈRES, LIBKAIRES ÉDITHUUS
KUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 4o
A LA LlBUAliUK NUUVIiLLIi
4864
Tous dioits lésorvés
PERSONNAGES
• chevaliers romains.
MARC-AURÈLE, empereur
AVIDIUS CASSIUS, général romain,
BASEUS, préfet du prétoire. . . . ,
APER, centurion
ANTOJNIUS, centurion
CRISPLXUS, riche afTranchi
LIBO, I
SISENNA, )
LOENAS, poète
GALIEN , médecin
CORNELIUS FRONTO, stoïcien. .
RUTILIANUS, sénateur
HECTOR, gladiateur
LAMPADIO, esclave nomenclateur. .
CORAX, boucher
GRUMIO, forgeron
FAUST!.\E, femme de Marc-Aurèle.
DAPH.N'É , magicienne
THRASYLLA, suivante de Faustine
IRIS, haladine
GALLA, courtisane
Un MAITRE DES CÉnÉHONIES.
Une MAKCllANDE DE FL^lg^S.
Gardes Ou prétoire. '
Légionnaires.
Sénateurs.
MM.
Clarence.
Fer.naxd.
Chauly.
Montal.
Anton IN.
Laurent.
Ucherard.
Stuart.
Vannov.
A. Louis.
Lansoy.
Chérv.
Fleuuy.
Mercier.
Durand.
Marchand.
A car.
Dl'GL'ERRET.
MORIN.
L. Ubans.
E. David.
PlIlLOSOPHES.
Esclaves.
Hommes kt femmes du peuple.
Danseurs et danseuses.
Musiciens.
Bésh
La scène se passe en Italie.
S adresser pouç la mise en scène, à M. Mourier, souffleur du théâtre.
F A U s T I N E
ACTE PREMIER
PREMIER TABLEAU
Chez Cassius, le soir, domi-obscurité.
SCENE PREMIERE
Un Esclave, APER.
APER.
Éleins celte lampe.
l'esclave.
Seigneur Aper...
APER, éteignant la lampe.
Appelle-moi Cassius, animal, ou je l'éliangle, va-l'en...
(a D.iphnc.j Venez, ma charmante.
SCÈxNE II
APEH, DAPHNÉ.
DAPHNÉ, amoureusement penchée sur Aper.
Si fti savnis, (Cassius!... oh! maintenant que tu m'aimes, je
poux bien te dire toutes ces choses, — que de fois, qunnd tu
passais sur les places, je t'ai suivi de loin, dans la loule, plus
pâle et plus tremblante que celte femme. d'Egypte, qui
était amoureuse d'un D.eul... J'attendais... j'espérais... je
consultais mes oracles... lus léies les plus hautes se sont cour-
bées à ma porte, mon nom de magicienne emplit aujourd'hui
loule la ville... et toi qui n'as pas, pour nos mystères, les dc-
i
2 FAUSTINE.
dains aveugles de Marc-Aurèle... lu n'es pas venu, cepen-
dant!...
APER, avec embarras, contrefaisant la voix de Cassius.
J'ignorais alors...
DAPHNÉ, vivement.
Ne te défends pas, mon Cassius!... qu'importent les angois-
ses passées?... tu n'arrivais pas, je suis venue, heureuse,
entends-tu, de jeter à tes pieds, comme une esclave, celte
beauté qu'on admire, et dont je ne suis plus fière que pour
toi!...
APER, tâchant de voir, à la dérobée, l'heure que marque l'horloge d'eau.
Chère Daphné!...
DAPHNÉ, ayant surpris son geste, et se levant aussitôt.
Mais... j'y songe... il est peut-être temps que je te quitte?...
APER.
Il est vrai qu'à cette heure même... cependant...
DAPHNÉ, s'avançant vers la porte du fond.
Oh! ne crains pas que mon amour t'importune, au milieu
des grandes choses qui t'occupent! Ta gloire est la mienne!
j'emporte assez de joie pour attendre!... et si jamais sans être
appelée je franchissais de nouveau cette porte... ce ne serait
que pour l'avertir d'un danger!...
APER.
Daphné sera toujours la bienvenue!
DAPHNÉ, tirant de son sein un petit sachet, pendu à une cordelette.
Tiens, — pi'onds ce sachet, — porte-le sur toi, afin d'être
Inérable comme Achille!... C'est un charme d'Egypte,
ai tracé les mots avec mon sang!
APER, prenant le sachet.
Merci! merci!... (Dapimc sort.)
SCÈNE III
APER, ANTONIUS.
ANTONIUS, il arrive par la droite en costume militaire, une lampe h la
main cl éclatant do rire.
Ah! ah! ahl... la bonne histoire I... Par Hercule! mon brave
ACTE PREMIER. 3
Aper, c'est tout profit, la nuit aidant, de ressembler comme
toi à Cassiusl
APER, conslerné.
Anlonius! au nom des dieux!... silence!, ..tu étais donc là?...
ANTONIUS.
Mais sans doute, dans l'appartement à côté ; — ne m'avais-
lu pas donné rendez-vous pour la neuvième heure sur le fo-
rum? Tu m'oubliais, sans reproche... je suis venu, j'ai vu, lu
as vaincu !... (r.csio d'Apcr.) Il vaut mieux que je me sois trouve
là qu'un esclave de la maison, je suppose?
APER, aiïeclant un air dégagé tout en ouvrant le sachet.
Une simple espièglerie!
ANTONIUS.
J'entends bien ! (indiquant le sachet.) Fais-moi voir un peu...
APER, lisant avec peine, tandis qu'Anlonius regarde par-dessus son épaule.
Epima — Eregbuo — Thésogar — (Se retournant vers Anlonius.)
Entends-tu cela, toi ?
ANTONIUS. ,
Pas beaucoup! (n tourne et retourne le papyrus.)
APER, fermant le sachet et le passant k son cou sous sa luniquo.
C'est un charme d'Egypte, qui garantit des blessures...
ANTONIUS.
Oui, — cela sur la poitrine, avec une bonne double cui-
rasse!... (Èciaiani de rire.) Tu vois bien, moH diguc ami, que la
vertu est toujours récompensée!...
APER.
Plus un mol là-dessus, je te prie!... je serais vraiment déses-
péré qu'une misère pareille te fil douter de mon alTection pour
Cassius!
ANTONIUS, avec une gravité comique.
Au contraire...
APER, avec humeur.
Écoute-moi donc, cl daigne un peu me comprendre: — tu
ne connais pas Cassius !... (Mouvement d'Anionius.) Tu connais sa
valeur, mais son point vulnérable, —son ctMé faible,— c'est la
femme!... Sais-tu ce qu'il y avait au fond de cette première
révolte qu'il tenta si malheureusement sous le précédent cm-
4 FAUSTINE.
pereur, et qui lui aurait coûté la vie, si l'on n'avait eu égard
aux longs services de sou père?,., il y avait une Cenime!...
(lias.) Il y avait Fausline!...
ANTONIUS, hésitant à compreadro.
Fausline ? *
APER.
La fille d'Antonin,— aujourd'hui la femme de Marc-Aurèle I ...
ANTONIUS.
Tu me raconles-là des choses étranges I
APER.
Peu de personnes ont pénétré ce mystère. — Fausline peut-
être, n'en a rien su elle-même; c'était alors une enfant
d'une quinzaine d'années tout au plus: — il en était fou, —
voila 1 humme !...
ANTONIUS.
Mais, aujourd'hui?...
APER, avec force.
Nous ne voulons plus, pour Cassius, de ces rêveries d'amou-
reux!...
ANTONIUS, souriant.
f El alors. .
APER.
^''> Alois, Anlonius, foulant sous mes pieds les pudeurs de com-
^ m'a^xie et les vaines lois des amiliés ordinaires, — comme il
nous faut, avant tout, un terrain solide, une impulsion vigou-
reuse, et que celle Dapliné, avec son amour mêlé de magie,
me faisait peur pour Cassius, trop porté, de nature, à ces su-
perblilioMS, — je me suis jeté entre lui et celle femme, comme
je n)e jetterais demain s'il le fallait, entre sa poitrine el une
épée nue!... Couiprends-lu ?...
ANTONIUS.
Mais, un jour ou l'autre, elle saura...
APER, haussant les épaules. •
Lui sauvé, que m'imporle !... Cette femme d'ailleurs n'a ja-
mais parlé de près à Cassius. (Souriant.) C'est une mince aven-
ture, au milieu des événements qui se préparent!...
ANTONIUS.
Tu veux parler de l'expcdilion de Germanie ?
ACTE PREMIEH. S
APKR.
Il s'agit bien de cela, maintenant t
ANTOMUP, stupéfait.
Comment! tu ne crois donc pns h la gnerre ? Vindcx dôfait
et liiô, — trente mille cadavres romains sur le champ de ba-
taille, et les barbares sous Aquiléel... C'est une bonne et belle
guerre, mon ami, s'il en l'ut jamais une, do mémoire de cen-
turion !... je m'ennuyais à mourir, dans ce pays d'Antioche ;
— aussi, dès demain, avec la protection deBaseus...
APER, l'interrompant.
Baseus! Baseus!... qu'il se garde lui-même, avant de pro-
téger les ntitros!..,
ANTOMUS, se récriant.
Le préfet du prétoire! le favori de César!
APER, d'une voix sourde.
La tète du valet n'est pas plus solide sur ses épaules, que le
trône du maître sur les rochers du mont Palatin!
ANTOMUS.
Quoi!...
APER. secouant la tê'e.
Celte grande déroute de Vindex n'est pas la pire de nos ca-
lamités, — le mal est plus ancien, plus profond; — qu'atteiids-
tu de ce règne, toi qui ne possèdes qu'une épéo? — On n'en
veut plus! — on pérore! — une nuée de philosophes s'est
abattue sur le monde. — Joins-y la peste à Rome, — les incen-
dies, la lamine, et la terre qui tremble d'elle-même, comme
pour secouer toutes ces houtus!
ANTONIUS, avec mélancolie.
Tu me surprends beaucoup, je t'assure!... Nous autres, là-
bas, nous n'avions qu'une inquiétude... Celte maladie récente
de Marc-Aurèle.
APER, brusquement.
Vous vous trompiez là-bas, voilà tout! — Un homme nous
reste — un seul! — l'homme des légions — le vainqueur des
Parlhes — le Cassius d'Antioche!... je t'en dirai plus long,
quand lu voudras bien être des nôtres... (Écoutant vers le fond.)
On vient... (a part.) Les conjurés, sans doute!... (Haut^ poussant
Anlonius vers la porte de gauche.) Va devant, —je Suis à loi tOUt à
l'heure; — lu sais (}ue nous devons souper ensemble, cette
6 FAUSTINE.
nuit?.,. (Le regardant sortir.) Il serait dangereux qu'Antonius
connût leurs visages, avant d'avoir embrassé notre causal...
(Se relournant vers le fond.) Ah !... Cassiusi...
SCÈNE IV
APER, GASSIUS.
CASSIUS, il entre par le fond et est entièrement vêtu comme Aper.
Personne encore ?
APER.
Personne.
CASSIUS.
C'est cependant pour la douzième heure que j'ai convoqué
ici les chefs des quatorze régions de la ville...
APER.
Ils vont arriver. — Quelles nouvelles ?
CASSIUS, avec joie.
Bonnes, très-bonnes!... et puis... (changeant de ton.) Mais tu
vasrire;, — tu n'y crois pas...
APER.
Va toujours !
CASSIUS.
Sais-tu qui j'ai rencontre ce soir même, chez mon vieil ami,
le sénateur RuliUanus?... le fameux Alexandre!...
APER.
Le magicien?
Tu l'as dit.
CASSIUS.
APER, bas, à part.
Allons! pas de chance!...
CASSIUS, vivement.
J'ai consulté pour nous tous, — bien entendu que je n'ai pas
formule dans ce monde-là, le but de mes questions et l'objet
caché de mes vœux— Evohé! mon ami, succès complet!
réussite! un avenir superbe! (Riant.) Sans compter les félicita-
tions du sénateur!...
ACTE PREMIER. 7
APER, avec calme.
Eh bien, moi, CassiusJ'ai trouvé mieux que Ion Alexandre;
— j'ai mis la main sur ce vieux légionnaire de Syrie, que je
t'ai lait remarquer l'autre jour; — c'est un cœur solide — un
bras ferme, comme il nous en l'audrait beaucoup pour l'action.
— Je te jure, par les dieux, que toutes les prophéties de la
terre ne vaudront jamais une bonne épée gauloise entre les
mains d'un tel homme!... Voilà deux jours entiers que je le cul-
tive, et, si je ne me trompe, je pourrai le le présenter dès ce
soir même, dans un état de maturité complète! (Écoulant au
fond.) On frappe, — les gens viennent. — (Montrant la sonio Jo
gauche.) Antonius m'attend, —je te quitte!...
CASSIL'S, rêveur, pendant qu'Apcr sort par la gauclie.
Il y a cependant des choses qui nous dominent!
SCÈNE V
CASSIUS, et successivement, LES CuEFS DES QUATORZE RÉGIONS.
PREMIER CONJURÉ, d'une voix grave ; il est couvert comme les autres
d'un long manteau, et d'un pdtase à grands bords.
Voie sacrée!
UNE VOIX.
DEUXIEME CONJURE.
TROISIEME CONJURE.
Passez!
Forum!
Porte Gapène!
QUATRIÈME CONJURÉ.
Esquilles!
CINQUIÈME CONJURÉ.
Aventin !
CASSIUS.
Entrez, camarades, le temps fuyait —j'avais peur.
SIXIÈME CONJURÉ, entrant.
Palatin!
SEPTIÈME CONJURÉ.
Temple dlsis!
8 FAUSTINE.
HUITIÈME CONJURÉ.
Porte-au-sel!
CASSIUS, les coiniUant.
Deux — quatre— huit...
NEUVIÈME CONJURÉ, entrant.
Temple de Janus !
CASSIUS.
Neuf.
NEUVIÈME CONJURÉ.
D'aulres nous suivent dans l'ombre...
CASSIUS.
C'est bien, — nous serons au complet, tout à l'heure !
DIXIÈME CONJURÉ.
Suburrel
ONZIÈME CONJURÉ.
Colline des Jardins!
DOUZIÈME CONJURÉ.
Mausolée d'Auguste !
TREIZIÈME CONJURÉ.
Le grand Lavoir!
QUATORZIÈME CONJURÉ.
Le grand Cirque!
CASSIUS, après les avoir biea comptés.
Quatorze! (Avec énergie.) Mes amis, j'ai des discours pour les
autres — mais avec vous, un moL sulfil : Êtes- vous prêts?
LES CONJURÉS.)
Nous le sommes !
CASSIUS.
Tous vos gens sont-ils disséminés par la ville?
LES CONJURÉS.
Tous!
CASSIUS.
Eh bien, compagnons, pour la dixième heure, à demain!
PREMIER CONJURÉ.
Demain, — c'est bien lardl...
ACTK l'UEMlER. 9
DEUXIÈME CONJURÉ.
Pourquoi pas aujourd'hui'!'... nous avons nos poignards et
nos ôpées !...
CASSIUS, avec calme.
Parce que, d'ici là, bien des choses me restent à l'aire qui
sort indispensables à la consolidation du succès.
PREMIER CONJURÉ.
Dès l'aube, alors!
CASSIUS.
Iu)po?sible!... il faut que je lâte, une dernière fois, les vieux
républicains qui hésitent, et j<' n'ai pas trop de toute la journée
pour m'entendre, d'une façon définitive, avec les patriciens
mécontenis!
DEUXIÈME CONJURÉ.
Tu t'exposes trop, — prends-y garde!
CASSIUS.
Cette sécurité-là fait ma force — et le sans-gêne de (mes
allures est un masque jeté sur le sérieux de mes plans, (a tous
les conjurés.) Donc à demain, sans délai.
LES CONJURÉS.
Sans délai !
CASSIUS.
Fiez-vous à moi, mes amis; — n'ai-je pas pour mission de
surveiller tous les côlts à la f lis?... Il faut bien vous le dire,
ce qui nous manque le plus, c'est l'argent!...
PLUSIEURS CONJURÉS.
C'est vrai!... c'est vrai I...
CASSIUS, froidement.
Raison de plus pour attendre 1
PREMIER CONJURÉ.
Mais ton moyen?...
CASSIUS.
Sois tranquille, — une mine d'or inépuisable, c'est la vanilé
d'un sol. Je soupe, celte nuit, chez le riclie affranchi Cris-
pinus!... (Pendant cette dernii'rc plirase, Daphné, voilée, est entrée dans
l'appartement, suivie de l'csclave-portier de Cassius.)
1.
10 FAUSTIiXE.
SCÈNE IV
Les Mêmes, DAPHNÉ, l'Esclave.
PREMIER CONJURÉ, apercevant Daphné qui est voilée, et s'aJressaat
vivement à Cassius.
Général!
CASSIUS, se retournant et voyant aussi Daphné.
Que veut dire?
l'esclave, balbutiant.
Cette femme... qui tantôt...
CASSIUS.
Hein?
l'esclave.
Vous savez bien.
CASSIUS.
Comment?
l'esclave.
Pardon... j'ignorais... j'ai cru pouvoir...
CASSIUS, faisant un pas vers l'esclave qui se sauve.
Imbécile!... si je comprends un mot aux stupidités qu'il
débile!...
DAPHNÉ, avec calme et autorité.
J'ai à te parler, Cassius.
CASSIUS.
A moi?
DAPHNÉ .
Le temps presse.
CASSIUS, ironiquement.
Tu as mal pris ton heure !
DAPHNÉ.
Ce n'est pas pour moi que je viens.
CASSIUS.
Pour moi non plus, je suppose! (Lui montrant la porto.) Je no
te connais pas, — kiisse-nous.
ACTE PREMIER. li
DAPHNÉ, ccarlanl son voilo.
Oh! si ma voix l'échappe — tu rcconiiailrasbien ma figure!
CA5S1US, la regardant en faco.
Pas plus que la voix —je raffirmc!...
DAPHNÉ, Irès-agitce.
Coininenl!... Gassius!.., (Bas.) Aujourd'liui même!...
CASSIUS, se retournant vers les conjurés, après avoir longtemps regardé
Daphné.
Elle esl Colle 1
DAPHXÉ, exaspérée.
Tu ne m'as jamais vue ?
CASSIUS, froidement.
Jamalsl
DAPHNF, à part.
Et il me regarde! et il m'écoule! et il n'a pas changé de
visage I
PREMIER COMJURK, à demi-voix.
Si c'était quelque espion?
DEUXliî:ME CONJURÉ, plus haut.
J'en ai l'idée!
TROISIÈME CONJURÉ, avec éclat.
J'en suis sûr!
TOUS LES CONJURÉS, tirant leurs épées, et entourant Daphné.
A mort !... à mort!...
DAPHNÉ, à part.
Oh! mon premier amour! ma première l'autc! (Haut ) Une
seule chose le manquait, Gassius, c'était de me faire assassiner
dans celle maison !...
CASSIUS.
Arrêtez, mes amis, — laissez partir celte femme, — nous
sommes assez forts pour ne rien craindre!... (Les conjurés s'écar-
tent des deux côtés de Daphné, mais toujours l'épée îi la main. Gassius se
tourne vers la magicienne.) Quelque but que lu cherches, et quelque
métier que lu lasses, — la maison où esl mort mon père est un
lieu sacré qui le sauve !... (Aux conjurés.) Ge n'est pas dans im
sang comme le sien qu'il faut puiser noire première libation
aux dieux vengeurs !
12 FAUSTINE.
DAPHNE, reculant avec stupôfaclion et terreur.
Ah !... (A part, d'une voix éteinte.) Moi qui venais l'averlir que
Baseus a des ordres!...
PREMIER CONJURÉ, à Cassius.
Pourvu que lu n'aies pas à te repentir de cette indul-
gence!...
CASSIUS, à Daphné.
Va-t'en!... n'irrite pas leur colère!... (Lut montrant les con-
jurés.) Songe que ton salut n'est que dans le mépris de ces
hommes!...
DAPHNÉ, à part, en frémissant d'indignatiou.
Ahl il soupe cette nuit... chez Crispinus... il se souviendra,
cette fois!... (Elle se dirige vers la porte du fond, entre deux rangs de
conjurés qui gardent toujours l'épée à la main.)
DEUXIEME TABLEAU
Un vaste trlclinium, ou salle à manger, chez le riche affranchi Crispinus. —
Peintures murales. — Lampes suspendues à de» chaînons d'argent. — La
scène est à Rome, la nuit.
SCÈNE PREMIÈRE
APER, AOTONIUS, HECTOR, LIBO, SISENNA, IRIS,
GALLA.
Au-devant de la scène, à gauche, Antonius et Aper. — Au fond, Iris et Galla
assises sur un lit de pourpre^ la main dans la main, souriantes. — A droite,
Libo et Sisenna. — Au milieu, Hector.
APER, bas, à Antonius, en lui prenant la main.
Voyons, es-tu des nôtres ?
ANTONIUS, souriant.
Après souper, nous verrons !
ACTK PHEMIKU. 13
HECTOR, allant vers Libo et Sisonna.
Un Crispiiius!... faire allendre chez lui des gens comme
nous!... c'est Irop Ibrl! ..
SISENXA, bas, à Libo.
Des gens comme nous!... l'as-tu entendu, Libo!... il est.
délicieux, ce gladiateur!... se comparer à des chevaliers!...
G.VLI.A.
Quel bonheur, ma chère âme, je ne m'attendais guère à vous
rencontrer celte nuit.
IRIS.
Que vous êtes bonne!
OALLA.
Si longtemps sans nous voir, je languissais loin de vous.
IRIS.
Et moi donc !
GALLA, se levant, et parlant bas à Sisenna.
Sisenna !
SISENNA, se retournant.
Ma toute belle?
GALLA, regardant do coin sa compagne.
C'est à toi que nous devons la présence d'Iris?...
SISENNA, se rengorgeant.
Mais, sans doute!...
GALLA, avec une colère concenlrco.
Connaissant mes intentions sur Crispinus, tu avais bien
besoin d'amener ici celle baladine!...
SISENNA, à Galla qui lui tourne le dos.
Pardon, Galla, je ne pensais pas... j'ignorais...
GALLA, se retournant, et montrant Hector à Sisenna.
Ce n'est pas Hector (}ui l'erait jamais une chose pareille!...
(Hector sourit de confiance, et se cambre avec majesté, tandis que Galla va
rejoindre Iris et cause avec elle, d'une façon charmante.)
ANTONIUS, bas, à Aper.
Nous en avons un peu de toutes les espèces, mon brave
ami!...
li FAUSTINE.
APER, do même, à Antonius.
Oh! tu n'as pas vu le plus beau, — c'est notre hôte, — un
digne mortel qui se fait suivre éternellement d'un esclave,
pour noter, d heure en heure, tous les bons mots qu'il peut
dire!... un honnête homme, parti de rien, qui a entassé, les
unes sur les autres, des montagnes de sesterces, à fournir,
pour les armées, du blé malade et du lard rance!,..
UN ESCLAVE, du dehors, d'une voix chantante.
Crispinus!.,.
UN DEUXIÈME ESCLAVE, du dehors, d'une voix plus aiguë encore et
plus proche.
Crispinus!...
UN TROISIÈME ESCLAVE, d'une voix grave, apparaissant à la porte.
Le seigneur Crispinus!...
SCÈNE II
Les Mêmes, CRISPINUS, LAMPADIO, Esclaves.
Il entre par la porte de gauche, avec une couronne de myrte sur la tête et
une longue tunique traînante. — Le cortège est dirigé par l'esclave dégus-
tateur. Larapadio suit immédiatement avec des rouleaux de papyrus. —
Deux joueurs de flûte qui viennent par derrière, marquent la cadence et
ferment la marche. — Crispinus est appuyé sur deux jeunes enfants qui
lui soutiennent les couetes.
CRISPINUS.
Pardon, pardon, mes amis!... je crois vraiment que je me
suis fait attendre!... une partie d'osselets... la tyrannie du
jeu!... vous savez?... (Avec une affabilité protectrice.) Bien qu'il n'y
ait rien au inonde qu'on ne soit heureux de quitter pour une
compagnie comme la vôtre!... (Tous saluent, il se dirige vers Aper.
Salut, d'abord, à l'illustre général Cassius!...
aper, s'inclinant.
Vous VOUS trompez, seigneur... je ne suis que son ami le
plus humble!...
CRISPINUS, très-désappointé.
Cette ressemblance!... je fais toujours la même faute!..
.]'espcre, néanmoins, qu'aucun empêchement imprévu...
APER.
Cassius viendra!...
ACTE PREMIER. 1o
CRISPINUS, à pari.
La fatalité s'en mêle, je n'arriverai pas le dernier.
AI'IiR.
Vous comprenez... nos alTaircs...
CRISPINUS, so rengorgeant.
Sans doute, sans doute!.. . à qui lcdiles-vous?...jelesais!...
(Bas.) Il n'y a aucun danger pour moi, n'est-ce pas? (li salue de
loin Galla, sans apercevoir Iris.)
APER.
Aucun.
CRISPINUS.
Personnellement, je n'ai pas peur, (a Lampadio.) En atten-
dant, récite-nous les vers que j'ai composés ce malin pour
Galla. — Bonjour, Galla... vous allez voir.
LAMPADIO, embarrassé.
Seigneur...
Quoi donc?
CRISPINUS.
LAMPADIO, très-bas.
Le poète Lœnas ne les a point encore apportés!...
CRISPINUS, s'oubliant.
Justes dieux! — voilà qui est par trop impertinent!... (Bais-
sant la voix.) Est-ce ainsi qu'il i^figne, à rien faire, les excellents
repas que je lui donne?... (Avec une rage concentrée.) Veille à son
vin, — plus de t'olerne, — et tous les os dans son assiette...
(a Galla.) Gel imbécile qui les a oubliés I
GALLA.
Quel dommage !
APER, allant vers Crispinus.
Gassius a bien recommandé qu'on n'attendit pas sa pré-
sence...
CRISPINUS.
Ne nous maiique-t-il plus personne, Lampadio!
LAMPADIO, avec iolcnlion.
JjB poêle Lœnas, seigneur!
10 FAUSTINE.
CRISPINUS, avec dédain.
Personne, alors!... qu'on apporte les tables. (Prenant la main
de Galla.) Divine Gnlla!... (Apercevant Iris qui lui était cachée par
Sisenna.) Mais... que vois-je I...
SISENNA, présentant Iris.
J'ai pris la liberté...
CRISPINUS, vivement.
Et vous avez fort bien l'ait, Sisenna!... (a part.) Par Jupiter!...
elle est aussi divine que l'autre!... (li prend également la main
d'Iris.) Un mortel vaut un dieu, quand il est équilibré par deux
déesses!... Oh! très-joli! (Bas, à Lampadio qui le suit.) TU
n'oublieras pas celui-là, Lampadio!... (il s'avance vers les lits,
tenant Ga'la de la main droite, Iris de la gauche, et se place entre les
deux femmes, à droite du spectateur; à gauche, à une seconde table se cou-
chent Libo, Hector et Sisenna; au fond, à la troisième table, le lit vide de
Cassius, entre Aper et Antonius.)
SCÈNE III
Les Mêmes, Esclaves de service, puis LOENAS.
Par la porte de droite arrivent les esclaves, portant les fables toutes chargées
de viandes. Ils les placent devant les convives qui sont déjà étendus sur
les lits.
LœNAS, à part.
Je me doutais bien que j'arriverais en retard!...
LAMPADIO, bas, à Crispinus.
Lœnas!...
CRISPINUS, affectant de ne rien voir.
Souviens-toi de ce que je t'ai recommandé, Lampadio!...
(Lœnas, serré dans sa tunique étriquée, jette à la table des regards inquiets
et se gli-se, sans bruit, jusqu'à la place vide.)
LAMPADIO, courant à Lœnas.
Place du général Cassius!...
LCffiNAS, se levant avec précipitation.
Grands dieux!... quelle erreur!... (Regardant Crispinus.) Vous
me voyez au désespoir!... (Crispinus ne l'écoutant pas, Lœnas so sauve
en furetant autour des tables sans que personne fasse attention à lui.)
Merci!... nu vous dérangez donc pas!... (ii arrive au côté gauche
avec des gestes éperdus, sans trouver de lit vide.) J'ai laissé passer
ACTE PREMIER. M
riieiiro, —c'est ma l'autel... (Regardant autour de lui.) A moins de
m'aSSOOir par terre 1... (a un esclave qui apporte une sono d'escabeau
où le poi'le se perche en desespoir de cause.) Qlie los fjieiix te le ren-
dent! (il est ainsi placé à gaucho en face de Crispinus.) J'aurai Lien
peu de chance, si Crispinus ne m'aperçoit pas de là haut!...
(il renouvelle en vain ses salutations, un esclave lui pose une vieille cou-
ronne sur la tête.)
CRISPINUS, aux esclaves de service.
Servez !
LOENAS, se penchant vers Sisenna.
Ail! le beau mot!... l'heureux terniel... avec quelle douce
musique il retentit dans les oreilles!... c'est l'arfranchissement
du plat!... c'est la liberté delà bouche!... servez!... (lise frotte
les irains en signe de satisfaction tandis que les esclaves servent.)
CRISPINUS. Pendant toute la scène, il se retourne continuellement de droite
à gauche, et de gauche à droite, comme partagi^ entre deux sentiments de
même lorce. A Galla.
Du sanglier, ma charmante ! (a iris.) Tué dans ma rorêt de
Lucanie, ma toute belle ! (a Gaiia.) Par un petit vent doux, c'est
dans l'ordre!... (a iris.) Avec des anchois piles dans du vin de
Cos, goûtez donc!... (a Gaiia.) El des raves piquantes (out
autour!... (a iris.) Cela n'est-il pas divin?... (a Gaiia.) Vous
ai-je trompée?... (a iris.) Ou préférez-vous un peu de celte oie
blanche... (a Gaiia.) Qu'on a engraissée avec des figues?...
LOENAS, à un esclave.
Ail! la belle bête! une chair superbe!... une odeur!... ne
m'oubliez pas... (a l'esclave qui iJs son.) Pour moi?... très-bien!...
(Se penchant vers sisonna.) Je suis sùr qiic VOUS trouvcz Cela par-
tait, sisenna?
SISENNA.
Oh! délicieux!
LCœNAS, après avoir lutté contre les os qu'on lui a servis.
Le morceau est remarquable, mais le style m'en pnrait un
peu dur!...
CRISPINUS, à part.
Il n'aura pas d'indigestion!
LOENAS, prenant l'os à sa main et le montrant au public.
J'ai rarement vu des os aussi bien conditionnés que ceux-
là I...
18 FAUSTINE.
l'esclave dégustateur, après avoir goùtc le vin.
Versez !
CRISPINUS, saisissant la fiole, à Galla.
Du falerne!... (a iris.) Du vieux falerne!... (a Gaiia.) Près
décent ans!... (Montrant rétiquelte.) Lisez vous-même, (a iris.)
Sous le consolai d'Annius Verus Pollio!... (a Gaiia.) Cela nous
reporle à l'empereur Titus, ma charmante! (Avec rêverie.) Que
d'événements depuis lors!... les uns joyeux, les autres tristes.
Domitien ! Nerva! le noble Trajan!... que sais-je?... (Regardant
la fiole que tient l'esclave.) Par Jupiter! mcs amis, ce que nous
buvons-là, c'est de l'histoire! les fastes de Rome sont enfermés
dans cette fiole!... (U se renverse avec satisfaction, les yeux à demi-
fermés et fait signe à Lanipadio de prendre note du mot.)
LOENAS, à part.
Puisque l'occasion se présente, je ne suis pas fâché de
repasser un peu mes empereurs !... (Regardant tomber le via dans la
coupe de sisenna.) Tout se tient ensemble!,., c'est de l'huile!...
(Tendant sa coupe en arrière et se penchant vers son voisin.) Elî bien ,
qu'en dites-vous? (Pendant qu'il parle à Sisenna, Lampadio est survenu
rapidement et a versé du vin très-médiocre dans la coupe que Lœnas tendait à
l'ccbanson.)
SISENNA, faisant claquer sa langue.
Un vrai nectar!...
LOEXAS, ramenant à lui sa coupe pleine.
Je VOUS crois sans peine!... (il boit, et fait tout à coup une horri-
ble grimace.) Permettez!... il voils parait délicieux, ce petit
vin ?...
SISENNA, vidant le fond de sa coupe.
Mais sans doute !
LOENAS, goûtant encore avec la même grimace.
Je ne comprends pas!... une vraie piquette!... (Avec une ironie
araère.) Si c'est de l'hisloire que j'avale, je suis tombé sur le
règne d'un tyran, voilà tout!... (il repousse sa coupe avec colère. —
Crispinus étouffe do rire^ et parle bas aux deux femmes, en tournant sans
cesse la tète de l'une à l'autre.)
UN ESCLAVE.
Le général Avidius Cassius !...
ACTE PREMIER. 10
SCÈNE IV
Les Mêmes, CASSIUS. Cassius est solennellement introduit, tous les
convives se soulèvent.
CRlSPIXUS, avec importanco.
Salulà mon illustre ami, le général Cassius!... (a part.) C'est
le vrai celui-là.
LIBO.
Salut au nouveau Catilina!
TOUS.
Au nouveau Calilina !
CASSIUS.
Merci, mes amis, mes braves amis!... mais je ne serai vrai-
ment Calilina que le jour ofi j'aurai chassé de son trône le
iaiseur de dialogues philosophiques!
APER.
Ce jour n'est pas loin !...
CASSIUS.
Je l'espère. (Prenant la place qui lui est réservée.) Et Si je mC SUlS
rendu si tard à ce banquet...
CUISPIXUS, vivement.
Pas d'excuses!... nous n'en voulons pas entendre!... je sais,
mieux que personne à quels grands intérêts vous avez con-
sacré toute cette journée !
CASSIUS, d'un ton mystérieux.
C'est qu'aussi les circonstances sont terribles... (Tous écou-
tent.) Partout, dans les rues, des yeux inquiets, des fronts
pâles... Rome tout entière a cet aspect étrange que prennent
k'S villes à l'approche des destinées, et Marc-Aurèle, entouré
de ses philosophes à longues barbes, commence à s'aperce-
voir que, pour gouverner un empire, il ne suffît pas de rai-
sonner doctoralement sur la nature de l'àme et la classifica-
tion des vertus!...
ANTOMUS.
J'aurais cru cependant que la sagesse...
CASSIUS, éncrgiqueinent.
La sagesse des princes n'est pas celle des particuliers, son-
20 FAUSTINE.
gez-y ! Qui doute ici du caractère privé de Marc-Aurclo ?
c'est un homme excellent, je le doclare. — mais cette bonté
même a des dangers qu'on oublie, et j'en viens à regretter
les règnes sanglants, quand je le vois sacrifier, sans remords,
tous les inlcrêts du momie, à la vanité de sa clémence! Qu'il
choisisse désormais, entre ses devoirs de prince ou son métier
de philosophe. — C'est Irop pour les mêmes épaules, que la
robe des stoïciens et le manteau de pourpre des Césars 1
CRISPINUS, avec enthousiasme.
Très-bienl... vous avez rendu là toute ma pensée!.,, (so
retournant.) Remarque bien que je l'avais, Lampadio, elle est à
moi cette pensée !
APER,
Ajoutez que cette indulgence orgueilleuse sait se démentir
à ses heures!,., (Se retournant vers Cassius.) Quelle récompense
a-t-on donnée à Cassius pour la soumission des Parlhes?,,.
frustré lâchement des honneurs du triomphe, il est tombé de
jour en jour, dans la dernière des disgrâces, —dans l'oubli!,,,
LIBO, se soulevant.
N'y sommes-nous pas tombés également nous aulres che-
valiers , qui portons la plupart des noms consulaires?...
Comme si la première obligation du souverain n'était pas de
soutenir les maisons nobles, plutôt que de jouer au Socrate,
et d'étaler sa vie, comme une condamnation de la nôtre!
CRISPINUS, tenant une aile de faisan.
Je me suis toujours méfié des hommes qui mangent seuls,
et qui n'ont qu'un plat quand ils suupent 1... (Avec une sorte de
terreur religieuse.) Oh 1 les hommes d'un seul platl... (il essuie ses
doigts pleins de sauce à la chevelure d'un jeune esclave.)
LOENAS, tout en fourrant le plus de choses possible sous sa Innique.
Il a rogné la portion des poètes pour engraisser des phi-
losophes !
SISENNA, dédaigneusement.
Que les poètes s'arrangent,,, c'est leur affaire !,.. (Lœnas lui
jette un regard foudroyant.) Mais ce que moi, Sisenna, je ne lui
pardonnerai jamais, c'est son mépris superbe pour les courses
de l'amphilhéàlre! c'est celte affectation quand il daigne y
venir, de s'occuper à toute autre chose, et de tourner la tête
juste au beau moment de la lutte!. . (U frappe violemment sur la
table.)
ACTE PREMIER. 21
IKIS, avec force.
Il a lue la voiiige en faisant mettre des filets de sûreté, et
jusqu'à des matelas sous les danseurs de corde!
IIECTOn, {rravenicnl.
Il a fait plus, jeune lille!... il n déshonoré les gladiateurs
en nous astreignant Ions à boutonner nos épées, si bien que
nos conibals pour rire équivalent counno intérêt, aux exerci-
ces des chiens de manège, et que nous en arrivons nous-
mèuios jusqu'il oublier la couleur de notre sangl...
GALLA.
Mais P'austine? qui nous parlera de Fatistine? Oubliez-vous
donc ses nuits de Naples, et les mystères de sa maison près
du Tibre?
CASSIUS, d'une voix malgré lui émue.
Oh! ne la condaiiiuez pas! à ces hauteurs inconnues le
pied vacille, la létc tourne, il faut même aux plus fortes un
bras d'homme pour les soutenir, et Faiistine n'a rencontré
dans son époux qu'un maître d'école!...
ANTONIUS, bas, à Aper, en souriant.
La vieille tendresse !
CASSIUS, avec force.
C'est lui seul que j'accuse de tous les égarements de sa
femme, comme du désastre de ses troupes ; les dieux font des
tempêtes avec la faiblesse des souverains!... Le pauvre Vindex
a payé de sa vie l'honneur d'unn charge trop lourde... le
même sort attend Pertinax, cet homme nouveau qu'aucun
passé ne recoiinnaîide... Quant à Baseus, c'est à hausser les
épaules!... un général sans campagnes!. . un paysan mal
dégrossi, qui a quitte un jour la charrue — pour le comman-
dement des armées, et qui apporte jusqu'à la cour les par-
fums de son élable, avec la pesanteur de ses bœufs I
CRISPINLS.
Ah! très-bien! (Embrassant Gaiia.) Toulcs mcs pensées I
LIBO, ri'anl.
Je le reconnais !
SISENNA, frappant la table.
C'est lui-même I
LCHiNAS, à part, écrivant sur ses tablettes.
« La pesaaleur de ses bœufs!... » cela peut nie fournir une
épi gramme.
22 FAUSTINE.
SCÈNE V
Le Maître des cérémonies, Esclaves.
LE MAITRE DES CÉRÉMONIES, il accourt tout effaré.
Seigneur ! seigneur ! (Plusieurs esclaves se précipiteat daus la sallo.)
CRISPINUS, avec inquiétude.
Que se passe-t-il donc ?... qu'avez-vous ?,..
SCÈNE VI
Les MÊMES, BASEUS, puis Gardes du prétoire.
LIBO, avec terreur.
Baseus !
SISENNA, à part.
Grands dieux I
CRISPINUS, balbutiant.
L'illustre... général... Baseus!... (Il tremble et sourit on mt'rao
temps.)
BASEUS, à part.
Celte femme a dit vrai, — c'est bien lui ! (D'une voix grave, sans
s'occuper de Crispinus, ni des autres.) Au noiD dc l'empereur,
Avidius Gassius, je vous arrête !...
CASSIUS, sQ redressant.
Moi?
BASEUS.
Vous-même I
CASSIUS, montrant Ciispinus.
Dans celte maison ?
BASEUS, froidement.
Partout !
CASSIUS, avec dédain.
Qu'est-ce à dire? (Aper s'élance de son lit, après avoir fait signe à
Antonius qui ne l'écoute pas, et reste pensif à sa place.)
BASEUS, à Cassius.
Ohl j'étais bien sûr de vous prendre, dans ce nid de conspi-
rateurs! (Libo s'écbappe sans bruit, vers la porte dc droite, Sisenna se
ACTE PREMIER. 23
glisse dans le fond, dorrièro les deux fcmincs que la iieur a rapprochées,
Lœnas so précipite de son escabeau, et se cache îi droite, derrière un
meuble.)
CRISFINL'S, levant les bras au ciel.
Chez moi!... chez Crispiiuis!... un nid de conspirateurs !...
esl-ce croyable?...
BASEUS, avec mépris.
Demandez-le à ces femmes qui Iremblent, — à ces hommes
qui se cachent!...
HECTOR, se dressant de toute sa taille.
Moi?...
BASEUS, montrant l'cscabcau de Lœnas.
A ce misérable poêle qu'on est sûr de rencontrer cliez tous
les ennemis de Marc-Aurèle !
LCENAS, à part.
Où fuir?... on m'a reconnu!... je suis mort!
CRISPINUS, vivement, et comme soulagé.
Ah ! c'est de Lœnas que vous parlez ?... celui-là, je vous le
donne. (Levant les yeux au ciel.) Comme OU est trompé, dans
la vie !
LŒXAS, h part, serrant le poing.
Digne Crispinus, — lu me payeras cela, — si je m'en tire !...
CRISPINUS, cherchant.
Mais où est- il donc?
BASEUS.
Ne le cherchez pas, il se cache comme les autres.
HECTOR, d'une voix tonnante, montrant Basons.
Cet homme a décidément la vue faible, pour parler de gens
qui se cachent, quand je suis debout devant lui! (il tire son
cpéc, et se range près d'.\per.)
APER.
Merci, mon brave Hector !... (Avec intention, en regardant Antonius
toujours immobile.) On reconnaît SCS amis!... on s'en souvien-
dra !... (Tirant un poignard do son sein, et le dirigeant vers Bascus.j
Qu'il avance !...
CRISPINUSj hors de lui-même.
Comment! réfléchissez! ordre formel... une révolte !... (Cou-
24 FAUSTINE.
rant àBaseus.) Hcure'jsoment pour moi, que mes opinions sont
connues! (Bas, revenant à Cassius.) AUons, mon ami, mon illustre
ami!... laissez-vous emmener sans esclandre, c'est dans votre
intérêt, (appuyant) dans le vôtre!... ordre de César!... son-
gez-y!... du meilleur des princes! (Prenant Lampadio à témoin.)
C'est ce que je le disais encore ce malin, Lampadio ! le meil-
leur des princes. (Montrant l'esclave à Baseus.) Il est prêt à le Sou-
tenir dans les convulsions de la torture !... nous allons
essayer... faites rougir les l'ers. (Retournant à Cassius.) Voyons,
je vous en prie, un peu de courage moral ! un el'fort !... faites-
le pour moi. (ABaseus.) Vous pensez bien, général, que je ne
pouvais pas m'attendre à de pareilles monstruosités!... (Retour-
nant à cassius et à ses deux amis.) Quoi! toujours ! dans ma maison!
desépées nues!... (D'un ton résolu.) Mais alors, permettez, vous
vous condamnez vous-mêmes!... je ne suis pour rien dans
tout cela. Vive César !...
BASEUS, froidement à Cassius.
Vous m'avez entendu, Avidius Cassius?
CRISPINUS, près de Baseus.
Vous l'avez entendu, Avidius...
CASSIUS, raillant.
Je suis sourd, par moments!... effet des longues campagnes,
— vous n'avez pas cet inconvénient-là, général!
BASEUS, d'une voix éclatante.
Quelque sourd que vous soyez, je parlerai assez haut , pour
vous emplir les deux oreilles! (Appelant.) A moi, prétoriens!
(Entrée des soldats qui se massent près de Baseus.)
ANTONIUS, s'élançant, l'épce à la main, près de Cassius.
A la bonne heure, maintenant! c'est un vrai combat, — j'en
veux être?
CRISPINUS, effaré et so faisant un rempart des deux femmes.
Par tous les dieux de l'Olympe!... (s'adrjssant à Cassius.) je
proteste formellement!... (a Baseus.) Je vous jure!...
CASSIUS, retenant ses amis.
Arrêtez! bas les armes! voire vie m'est trop précieuse pour
que je veuille la risquer dans une lutte impossible!... je me
rends!... (Crispinus baise un pan do sa tunique.)
HECTOR, brandissant son épée, et lui barrant le passage.
Jamais!...
ACTE PREMIER. 25
CRISIMNUS, désespéré.
ThIscz-vous donc! (a part.) Ça allail si bien.
APER, se plaçant avec Antonius près d'Hector.
Plutôt la mon!
CRISPINUS, tordant ses bras.
Quelle frénésie 1
CASSIUS, monlraut à ses amis Crispinus, Sisenna, et les places vides.)
iV'e vuyez-vous pas, camarades, que nous sommes enlouros
de lâches qui nous abandonnent ? (Il les écarte, et se place fière-
ment devant Baseus.)
APER.
Eh bien, nous aurons tous le même sort!
BASEUS, le repoussant du geste.
Je ne chasse qu'au lion, — les chacals sont libres!
LOENAS, a part, il a rampé sans être remarqué, jusqu'à la porto.
Aujourd'hui la grosse pièce, — demain le menu giberl...
cachons-nous!... (Il disparait.)
CASSIUS, se tournant vers ses amis consternés.
Adieu donc, mes braves amis!... ne me pleurez pas, —
plaignez Rome!... les Ét;its sont bien malades, quand des
gens de celle sorte... (il montre du doigt Cascus) peuvent arrêter
des honmies comme moi!... (Faisant un pas vers les prétoriens.)
Quant à vous, soldais de la ville, marchons!... je n'ai rien à
vous dire, — je ne vous ai pas connus dans les batailles !,.. (il
sort dédaigneusement avec les gardu's et Baseus.)
CRISPINUS, multipliant ses démonstrations.
Vive César!... vive Marc-Aurèle!... (Courant à Lampadio.)
Écris, écris, Lampadio!... (avec plus de force encore) en grosses
lettres comme une enseigne : c'est ici la maison d'un homme
qui n'a pas peur d'aflicher ses opinions sur sa porte. Vive
Gésarl vive Baseus! (ll tombe épuisé dans les bras de Lampadio.)
ACTE DEUXIÈME
TROISIÈME TABLEAU
Au palais impérial. — Vaste appartement, — Ornements sévères. — Portes
au fond, à droite et à gauche. — C'est le matin.
SCENE PREMIÈRE
FAUSTINE, THRASYLLA, Femmes du palais.
THRASYLLA, bas aux femmes qui l'entourent sur le devant de la scène,
regardant Fausline qui est assise à gauche, toute rêveuse.
Toujours Irisle, maintenant, elle que j'ai connue si joyeuse!...
(Kénéchissant.) C'est la santéde Marc-Aurèle!... mais vraiment...
(elle regarde Faustiae) je la crovais moins Sensible!... Oh! si au
lieu d'écouter ce médecin aux grandes paroles^ elle voulait
m'enlendre un seul jour, moi, Thrasylla, savieillesuivanle !...
(D'un ton doctoral.) Glisser chaquc soir sous l'oreiller du malade
un sachet d'anis dont l'odeur écarte les mauvais songes — et
le jour, pour dissiper ses lassitudes, coudre dans sa tunique,
une dent de dauphin, voilà tout, ce n'est pas bien difficile !...
(Avec amertune.) Mais on se moque des vieilles coutumes, — on
est savant!... (Avec accablement.) Tout va mal!... j'ai rêvé, cette
nuit, des étoiles troubles!...
FAUSTINE, elle se lève convulsivement, et vient sur le devant de la scène.
Thrasylla se recule au fond, vers la droite du spectateur.
Non!... c'est impossible!... tomber par sa mort dans une
obscurité profonde!... moi, la fille d'Antoninl... moi qui suis
née sur la pourpre!... (Avec colère.) Et dire que Marc-Aurcle,
élevé jusqu'à moi, par le caprice de mon père, ne comprend
pas qu'il me doit sa vie comme un loyer de sa puissance, et que
le peu de soin qu'il prend de sa personne est à chaque heure
du jour une ingratitude envers la mienne!... (Se tournant vers
Galien qui entre par le fond.) Ah! c'csl VOUS, Galicn!... UOUS VOUS
attendons; — parlez vite!...
ACTE DEUXIÈME. 27
SCÈNE II
FAUSTINE, GALIEN, TIIRASYLLA.
GALIEN,
Que Votre Scrénilc me pardonne, mais retenu ce matin près
de César...
FAUSTINE, avec anxiété.
Irait-il plus mal?
GALIEN, avec hésitatioQ.
Non, sans doute, pas précisément...
FAUSTINE, vivement.
Que voulez-vous dire ?
GALIEN, comme se parlant à lui-raùmo.
Il y a même, aujourd'hui, surexcitation, énergie.
FAUSTINE, avec joie.
Ahl vraiment!...
GALIEN.
Au milieu de la consternation générale, il a su mettre son
courage à la hauteur des destinées!...
FAUSTINE, allant à lui pleine d'espoir.
Et VOUS pensez, n'est-ce pas, qu'à force de volonté, grâce à
cet empire sur lui-même, il en linira hientôt...
GALIEN, avec mélancolie.
C'est à craindre!
FAUSTINE, reculant d'un pas.
Comment I
GALIEN.
Toutes ces révoltes — tous ces tumultes de l'organisme
sont suivis, tôt ou lard, de réactions certaines, — si bien qu'on
peut mesurer la profondeur de la chute, par l'élévation de l'en-
thousiasme!...
FAUSTINE, hors d'ellc-mmo.
Et vous étiez près de lui, je suppose!... et vous avez souf-
fert cette imprudence!... et c'est à vous, Galien, qu'on a confié
le soin de sa viel...
28 FAUSTINE.
GALIEN, très-érau.
Au nom des dieux!.., que pouvais-je faire?...
FAUSTINE,
Lui crier qu'il se tue, tomber à ses pieds, m'averlir!... Ah !
je vous trouve vraiment d'uu beau calme, et vous en raisonnez
à votre aise, comme s'il s'agissait d'un portefaix de Napji^s
ou d'un cabaretier des Esquilies!... Mais vous ne savez donc
pas que son existence est la mienne, que tous tes maux qu'il
éprouve me rongent le cœur avec des dents invisibles, et que
je me sens partir, chaque jour, dans les oscillations de sa
santé!...
THRASYLLA, à part, avec admiration.
Comme elle l'aime!
GÂLlEN, confus.
J'ai presque un remord d'avoir ému Votre Grandeur par la
sévérité de mes paroles, — car si je n'ai pu empêcher cetle
exaltation, je serai là, du moins, pour en prévenir les consé-
quences !
FAUSTINE, ironiquement.
Avec votre thériaque, pcul-ctre?... (Eclatant.) Faut-il vous
parler nei?... toutes vos drogues me fatiguent! Voilà trop de
jours perdus à des tâtonnements inutiles'... N'êtes-vous pas
le princp de la science, l'homme dont on dit la gloire dans
toutes les parties du monde? Eh bien, qu'attendez-vous?
voici l'heure!... il me faut im spécifique, un miracle!... dussiez-
vous l'aller chercihcr dans les entrailles de la terre, ou jusque
sous les profondeurs de l'Océan!... prenez cent navires, —
emmenez avec vous des armées, — je veux quelque chose,
entendez-vous, quelque chose!... C'est bien la peme d'être
assis sur le trône du monde, pour languir éternellement dans
vos médications sans issue!...
THRASYLLA, à part.
Une dent de dauphin, voilà tout!...
GALIEN, avec calrae.
J'en demande pardon à Votre Sublimité, — mais l'art que je
professe ne connaît pas ces prodiges, et le plus grand méde-
cin du monde n'est que le premier ministre de la naturel...
FAUSTINE, exaspérée.
La nature! la naturel... Est-ce que cela nous regarde, la
ACTE DEUXIÈME. 29
nnture?... n'écliappnns-nnuspasà In loi commune par la hau-
teur de notre existence?... Allez porter à d'autres ces raison-
nements dérisoires... fnionlranl rapparlomonl impérial) et SOllVC-
nez-vous désormais, que rien n'est impossible où vous êtes!...
Obéissez!... (EIIo (iétoumo la tète. Galion sort par le fond, co saluant
silencieusement.) Ah! je prendrais p'us tranquillement les choses,
si, par une ironie du destin, toute ma fortune n'était pasalla-
chée à l'existence de Marc-Aurèle!...
SCÈNE m
FAUSTINE, DAPIINÉ, THRASYLLA.
F.\USTINE, apercevant Daphné sur le seuil do droite.
Viens, toi, ma bonne sœur, mon dernier appui, mon amie !...
THRASYLLA, à part, s'approcliant pour entendre.
Daphné la magicienne!... à la bonne heure!... écoulons...
FAUSTINE, se retournant briisquciiieut pendant que Daphné baise sa main.
Tu peux te retirer, Thrasylla!... (Ihrasylla sort très-contrariée
avec toutes les autres femmes.)
SCÈNE IV
FAUSTINE, DAPHNÉ.
DAPHNÉ.
Votre Divinité est trop bonne... de se rappeler qu'une mémo
nourrice...
FAUSTINE, vivement.
Eh ! crois-tu donc que pour porter un diadème, on regrette
avec moins de larmes ces premiers jours d'enfance, où la vie
était si légère?... Ah! Daphné, que n'as-tu voulu rester près
de moi!...
DAPHNÉ.
De loin comme de près, ne vous suis-je pas louie dévouée?
Mais qu'aurais-je fait, dans cotte cour, au milieu de vos phi-
losophes ? C'est à peine si, dans Rome, on permet encore nos
mystères!...
FAUSTINE.
Tu y gagnais ma protection...
30 FAUSTINE.
DAPHNÉ, d'an ton inspiré.
J'y perdais toute ma puissance!... les dieux cachés craignent
le tumulte des hommes; — il faut, pour qu'ils nous parlent,
la solitude des bois, sous le silence des étoiles, quand les car-
refours sont pleins d'ombre, et qu'aucun pas ne résonne sur
les grands chemins blanchis par la lune!...
FAUSTINE, comme fascinée par la magicienne.
Eh bien, Daphné, c'est à toi seule que je me confie, puis-
que la science hésite, et que toute la sagesse est vaine!...
Jusqu'ici, tu le sais, je n'ai pas cru, j'ai douté; — maisje ne
risque rien de m'abandonner au hasard, quand je compte les
prolits que j'ai tirés de la raison !...
DAPHNÉ, hésitant.
Pourquoi l'ordonnez-vous?... que ne m'est-il permis de me
taire!...
FAUSTINE.
Quelle que soit ta réponse, fais-la franchement; — je
l'écoute...
DAPHNÉ, bas et lentement.
Peut-être suis-je abusée par de fausses apparences; — mais
je crains, pour votre auguste époux, la colère des dieux invi-
sibles, de ces grarrds dieux dont il méconnaît le pouvoir!...
(Elle s'arrête; Faustine lui fait signe de continuer.) Sept fois, j'ai renou-
velé mes incantations magiques, et, sept fois, les destins ont
annoncé, pour l'année, la mort certaine d'un empereur!...
FAUSTINE, éperdue.
Oh! voilà que tout m'abandonne, maintenant !...
DAPHNÉ.
La mort d'un empereur... ne vous désespérez pas... c'est
bien vague...
FAUSTINE, secouant la tête.
C'est terrible, Daphné, quand il n'y en a qu'un dans le
monde!...
DAPHNÉ.
J'ai pu me tromper, vous dis-je, je recommencerai les
épreuves...
FAUSTINE, écoutant vers le fond.
Silence I voici la cour; — je veux te parler encore. — (Lui
montrant îi droite ses appartomenls.) Allends-Ilioi !... (Uapiiné sort par
la porto de droite.)
SCÈNE V
FAUSTINE, MARC-AURÈLE, GALIEN, RUTILIANUS, COR-
NELIUS FIIONTO, Philosophes a longue barbe, Séna-
teurs, Chevaliers.
mârc-aurèle.
Vous dites trois mille hommes, Rutilianus?
RUTILIANUS, baissant )a voix.
Trois mille hommes couverts de blessures!... voilà tout co
qui reste de cette malheureuse armée!...
MARC-AURÈLE, d'une voix ferme.
Qu'ils entrent dans Ja ville par le chemin des triomphes I...
qu'on élève trois statues à la mémoire de Vindex; — pas de
reproches, sur celte tombe sanglante. Les dieux donnent la
victoire, l'homme ne peut donner que sa vie!... (Après un
silence.) Ah! si nous voulions réfléchir — au lieu de verser des
larmes, nous remercierions le ciel des catastrophes qu'il nous
envoie ; — tout le bruit de sa foudre n'est que l'écho de nos
fautes. Chaque fois qu'il nous frappe, il a ses raisons — cher-
chons-les!... (Se retournant vers Rutilianus.) Et VOUS n'avez pas
même une légion, Rutilianus?
RUTILIANUS, avec accablement.
Pas une cohorte!... pas une centurie!...
MARC-AURÈLE, avec calme.
Les prétoriens marcheront,— on armera les esclaves;— quant
aux gladiateurs, j'y ai pense — j'y renonce. Bien que j'aie peu
de goût pour cette sorte de spectacle, il ne sera pas dit qu'une
victoire des barbares a pu retarder d'une heure les amuse-
ments du peuple romain!... Que la ville s'abandonne à ses
plaisirs ordinaires. Les dieux qui nous ont confié le pouvoir,
nous en ont fait comprendre toutes les obligations; — c'est sur
nous seul que doit retomber ce désastre, puisqu'il nous seul
appartenait le soin de le prévenir !
32 FAUSTINE.
RUTILIANUS, vivement.
Nous ne souffrirons pas que votre piété s'accuse... (Avec
force.) Au nom de lOUl le sénat — je proteste!,.. (Marques géné-
rales d'approbation.)
MAî\C-AURÈLE, souriant.
Vous me croyez donc bien peu philosophe, pour descendre
avec moi jusqu'à la douceur des flatteries I... Apprenez que
mon âme est mieux gardée que les enfers; aucun gâteau de
miel n'endormira ma conscience!... Il faut du pain à mon
peuple, — il faut des armes à mes soldats; — qu'on mette en
vente toutes les choses précieuses de ce palais; — le luxe des
Césars est le trésor de l'infortune!... (S'avanrant vers Fansline.)
Nous serons suivi, dans cette roule, par notre chère épouse
FaUStine. (Faustine fait un geste involontaire de surprise.) Elle renon-
cera, comme nous-même, à des somptuosités inutiles. (Avec
force.) La fille d'Antonin ne veut plus d'habils de soie, quand il
y a des vivants qui souffrent, el des morts qu'il faut venger !..
(Prenant la main de Faustine.) Merci, pour tOUt moU peuple! à la
place de vos diamants, vous aurez ses larmes de joie — c'est le
plus bel écrin d'une impératrice!...
RUTILIANUS, transporté.
Tant de grandeur d'âme!... Oh! que les dieux vous con-
servent! (Murmure général d'admiration.)
MARC-AURÈLE.
Ne me remerciez pas, mes amis; les fautes sont à moi seul
— et, si j'ai quelques vertus, (montrant Cornélius Fronto) ellos
viennent de Fronto!... c'est mon mailre!... (Fronto baise la
main de Marc-Aurèlo avec émotion.)
SCÈNE VI
Les Mêmes, CASSIUS, BASEUS, Prétoriens.
FAUSTINE, apercevant Cassius.
Quel est cet homme?...
BASEUS, s'inclinant devant l'empereur.
Selon les ordres formels de Votre Grandeur suprême, je
remets entre vos mains le général Avidius Cassius!...
FAUSTINE, avec surprise.
Comment!... celui qui, autrefois... m'a-t-on dit...
ACTE DEUXIÈME. 33
MARC-AUnÈLE, souriant.
Vous avez dû cire bien étonné, Cassius !
CASSIUS, fièrement et sans s'incliner.
Vo'.re Mojeslé se irorape — mes étoiincmcnls sont plus rares—
je sais par cœur la reconnaissance des princes et les expia-
tions de la gloire. Je ne suis surpris que d'une chose, c'est
que, ni'ayantjelé cette nuil dans une prison, on n'ait pascliirgé
de lers ces mains coupables qui vous ont conquis une pro-
vince !
FAUSTINE, à part, do plus en plus érauo.
Ce langage !
HIARC-AUnÈLE, étonné.
Des fers?... une prison?... Que s'est-il donc passé,
Baseus?...
CASSlUS.
Un ordre formel exécuté par un valet — c'est tout simple!
(Baseus se redresse les yeux en feu, la main sur son ép Je.)
FAUSTINE, à demi-voix, regardant Baseus.
Oh ! ce Baseus ! (Baseus l'entend et frén.it de rage.)
CASSIUS, à Marc-AurMo.
Si j'étais empereur, j'épargnerais aux gens qui me servent
ces questions embarrassantes, — et quand il y aurait, par
hasard, une tétc de trop dans mon empire, je l'abattrais d'un
seul coup — sans lui faire entendre autre chose que le sillle-
ment de mon glaive!...
FAUSTINE, à part.
Ah! c'est un homme, celui-là, c'est un homme!...
MARC-AURiaE, avec dignité.
Si vous étiez empereur, Avidius Cassius, si votre bras,
comme le mien, s'étendait jusqu'aux limites de la terre, — si
d'un mol, d'un geste, vous pouviez changer demain la face
du monde, — vous sauriez qu'aueime tète n'est assez haute,
sous le soleil, pour porter omi)rage à ce trône, et ne pouvant
rien appréhender des autres, vous u'aui'iez de victoire ii rem-
poilerqiie sur vous-même!.. . (Se retournant vers Baseus.) NoUS
regrettons vivement, Baseus, que vous ayez si mal compris
nos intentions !...
34 FAUSTINE.
BASEUS, avec force.
Je savais que cet homme...
MARC-AURÈLE, l'interrompant.
Vous ne saviez rien, vous dis-je! puisque vous avez donné
une prison pour demeure au commandant général de la
Syrie !
BASEUS, balbutiant et ouvrant de grands yeux.
Commandant... général... de la Syriel...
MARC-AURÈLE, à Cassius interdit.
C'est ce que nous avions à vous dire, Cassius; vous ne
seriez point venu de vous-même, nous avons élé vous cher-
cher, voilà tout!...
CASSIUS, d'une voix tremblante.
C'est à moi !... à moi... que Votre Majesté?...
MARC-AURÈLE.
Mais sans doute, un homme de votre valeur ne s'écarte
pas de son prince, sans y être entraîné par des raisons sé-
rieuses... J'ai réfléchi que, cédant peut-être à des accusa-
lions passionnées, je condamnais, sur des soupçons vagues,
un général qui ne m'est connu que par des services. Ne pen-
sez-vous pas, maintenant, que le sujet peut oublier ses haines,
quand le souverain sait reconnaître ses fautes?...
CASSIUS, tombant, vaincu, à ses pieds.
A VOUS, ma vie!... à vous seul!...
MARC-AURÈLE.
Relevez-vous, Cassius!... allez porter à nos légions d'Orient
l'exemple du courage et de la discipline antique; maintenez,
haute et ferme, la dignité de Rome, dans ces régions loin-
taines que vous avez soumises par vos armes; vous eussiez
dirigé l'expédition de Germanie, si je n'avais cru de mon
devoir d'en réserver le commandement... pour moi-même...
FAUSTINE, accourant, avec un cri désespéré.
Pour vous-même!
MARC-AURÈLE, se tournant vers les courtisans.
C'est ce qui me restait à vous annoncer, mes amis!
FAUSTINE, hors d'elle-même.
Le froid!... les fatigues!... votre santé!... vos enfants!...
ACTE DEUXIÈME. 35
MAIlC-AURKLE , avec douceur.
Vous oubliez Rome, Faustine !
FAUSTINE, poussant Galien vers l'empereur.
Mais que faites vous-donc ici, Galien?
GALIEN, à Marc-Aurèle.
Je réponds à l'univers de votre personne auguste, — ce
dessein est impraticable, — je m'y oppose!...
MAUC-AURÈLE, souriant.
C'est que vous ne savez pas, Galien, que j'aurai la guérison
près de moi, — je vous emmène!... (Galica fait un mouvement de
terreur et de désappointement.) Il nouS faudra aussi les médecins
de l'âme; — vous êtes du voyage, Fronlo! (Fronto s'incline arec
une impassibilité stoïque) ainsi que tous ceux d'entre vous qui
ont quelque attachement pour notre personne!... (Tous s'in-
clinent.)
CAS5IUS, rencontrant les yeux de Faustine qui le regarde en silence, ^ part.
Belle!... toujours belle!...
FAUSTINE, à part, tournée vers Marc-Aurcle.
Oh 1 les dieux me sont témoins qu'à quelque extrémité que
je me porte, — c'est lui seul qui en répondra devant eux!...
MARC-AURÈLE, s'approchant de Faustine.
Pardonnez-moi, Faustine^, une nécessité aussi pénible qu'i-
névitable!... dans des àines comme les nôtres, le devoir doit
parler plus haut que les affections de famille; — restez à
Rome, sous la protection de Baseus. C'est lui que nous char-
geons des messages et de la correspondance régulière, afin
que pas un jour ne s'écoule sans que nous ayons des nouvelles
l'un de l'autre. Du fond de ce palais, vous serez la providence
de ceux qui combattent... (Prenantuneboîle dans le tiroir d'nnc table.)
Avec une joie égale à la mienne vous avez abandonné vos
bijoux et vos parures les plus chères. Gardez du moins ceci,
comme un souvenir que je vous Olfre. (Cassius et Baseus sont seuls
assez près pour disUnguer l'objet.) C'cst une cassette qu'ou a mar-
quée à mon chiffre, et dont la matière est aussi rare que le
travail!...
FAUSTINE, ouvrant la boite avec une curiosité involontaire.
Un manuscrit!... (Elle reste los yeux béants, et toulo désappointée.)
MARC-AURÈLE, souriant avec bonté.
Lisez-le... souvent... je vous prie; — vous puiserez là,
36 FAUSTINE.
comme à une source vive, toules les vuluplés du cœur, et
loules les consolations de l'espril. — Ce sont les plus belles
maximes de la philosophie grecque, que j'ai Iraduiles pour
vous, tout exprès. — Dans une casselle si précieuse, je ne
pouvais eulermer qu'une chose plus précieuse encore : la
sagesse!... (Se tournant vers sa suite.) E; maintenant que nous
avons l'ait tout ce qui dépend des hommes, allons implorer ce
qui ne peut venir que des dieux!... (il sort, tous le suivent, — Ru-
tilianus presse .les mains de Cassius, — et au moment où ce dernier va pour
sortir, Fausline lui fait un geste aimable pour l'engager à demeuier.)
FAUSTINE, à Cassius.
Un mot, général.
BASEUS, qui a surpris le geste.
Déjà!... (a part, avec un rire amer.) Fille d'AnlOnin, tU CS SOUS
ma protection, maintenant!... (n son.j
SCÈNE VII
CASSIUS, FAUSTINE.
FAUSTINE.
Permettez-nous, général, de joindre nos félicita lions à
celles de vos amis les plus chers...
CASSICS, s'inclinant.
Tant.de bonté!...
FAUSTINE, vivement.
N'est que justice, — et nous regardons comme un devoir
de vous luire oublier, s'il se peut, des rigueurs que nous dé-
plorons amèrement!
CASSIUS.
Je jure à Votre Divinité que ces rigueurs n'ont point laissé
de trace dans ma mémoire!...
FAUSTINE, comme se parlant à elle-même.
Oh! si nous avions su !... mais que sait-on, sur ce trône?
Nos portes sont gardées, — la vérité ne passe pas!...
CASSIUS, avec émotion.
SI j'ai souffert, — que celle erreur soit bénie! — Aurais-je
connu, sans elle, toute la n)agnanimité de César; j'en trouve
une preuve de plus dans ces bonnes paroles qui tombent de
votre bouche, et qui continuent, pour ainsi dire, sa
générosité!...
ACTE DEUXIEME. 37
FAUSriNE, avec embarras.
Sans duule, — mais, après tout, ce n'est qu'une délie qu'il
vous paye, — à bien compter... (souriaut.) Vous êtes quiltcsl...
CASSIUS, avec force.
Jamais!
FAUSThNE.
J'ajouterai même... que... si nous avions été consultée, nous
n'eussions pas l'ait de celle rthabililalion légitime, — une
sorte d'exil lointain, — quand il fallait un triomplie!
CASSIUS, avec feu.
N'appelez pas un exil ce gouvernement qu'il me donne sur
tuuLe une moitié de son emplie, — Oh ! ce qu'il n'eul jamais
obLci.u pal' le dJpluiemeiil de sa l'orée, il l'a gagné sur niui
par la grandeur de son àme. — Arrière, ks laniômes d'une
ambilion qui s'égare!... j'ai, sous ma main, tout ce qu'un sujet
peut alleindre!...
FAUSTINE, légèrement piquée.
Nous admirons, en vous, ce l'eu de reconnaissance, — cet
oubli coinplel des injures!... (piand il n'est pas de giandeur
où vuus n'ayez droit de prétendre !... et si nous avons regretté
pour vous ce départ... c'est que, d'un consenlement unanime,
le séjour de Rome...
CASSICS.
Plutôt les glaces du nord, ou les déserts brûlants de l'Afri-
que! J'ai besoin départir! j'ai peur, ici, de moi-même!... On
boit, dans ces murs, un air falal qui enivre, — et ce sol des
triomphes a des séductions cachées, qui bont élernelles comme
lui!....
FAUSTINE.
Parlez donc, Cassius, pour votre commandement de Syrie; —
reprenez des honneurs que nul ne vous arrachera, — moi
vivante! — mais n'oubliez pas noire amitié... (souriani) aussi
promplement que nos injustices!... Nous autres, à llome, nous
penserons à vous bien des l'ijisl... (Elle lo coogcdio avec un gesio
charmant.)
CASSIUS, à part, après avoir salué, avec émotion.
Oh! je ne veux pas!... je ne veux pas!... (n sort.)
38 FAUSTINE.
SCÈNE VIII
FAUSTINE, DAPHNÉ.
FAUSTINE, appelant, d'une voix palpitante.
Daphnél... (comme personne ne vient, elle se précipite vers la porte
de droite.) Daphllé!... (Dapbné paraît sur le seuil.) Ke l'aligue pluS
les dieux! cesse luus les horoscopes I... Marc-Aurèle se cliarge
lui-même de justifier ton oracle!...
DAPHNÉ, s'avançant avec sollicitude.
Que dites-vous?...
FAUSTINE.
Je dis que, sourd à tous les conseils, — insensible à toutes
les prières, il part avec son armée!... (Mouvement de Daphné.) Il
part demain, — compreuds-iu?
DAPHNÉ.
Lui!
FAUSTINE, avec amertume.
Non content désormais de ces angoisses de chaque jour
que sa longue convalescence me donne à Rome, il va cher-
cher de gaieté de cœur une mort inévitable dans les laligues
d'une campagne — sur les bords glacés du Danube I...
DAPHNÉ.
Mais par vos supplications, par vos larmes...
FAUSTINE, l'iuterrompant.
Que peuvent des larmes de femme contre cette volonté
froide aussi inébranlable que le destin!... Il partira, tedis-je,
nous abandonnant sans défense aux hasards d'une catastro-
phe certaine, — sur ce soi qui dévore ses maîtres, dans celte
Rome terrible où la couronne ne tombe qu'avec la tête qui la
porte!
DAPHNÉ.
Grands dieux!
FAUSTINE, amèrement.
Voilà l'avenir que sa sagesse nous prépare !
DAPHNÉ.
Mais alors... tout esl perdu!...
FAUSTINE.
Non, peut-être I... un espoir me reste !... une issue!... mais
ACTE DEUXIÈME. 39
il me faut ton aide... (Lui prenant la main.) Je no domando pas
ton silence !...
DAFnNË.
Daphné vous appartient, — commandez!
FAUSTINE, hêsitanl.
Oh ! tn ne sais pas encore !... c'est trop peu de promettre, —
je veux un serment !...
DAPHNÉ, avec solennité.
Je le jure I
FAUSTINE, se rapprocliant et baissant la voix.
Écoute, écoule alors!... Quand aura sonné l'heure fatale,
— quand toutes les anihitions seront prêtes à se disputer notre
pourpre, — j'aurais besoin qu'un homme se rencontre assez
hardi pour s"emparer de ce trône et assez dévoué pour me le
rendre!... (Mouvement de Dapiiné.) Cet homme, ohl ce n'est pas
un rêve 1 on le counaitl... il existe!... je le dis que je l'ai vu
là tout à riieure 1...
DAPHNÉ.
Là?
FAUSTINE.
Moi-même!... c'est le général Avidius Cassius !...
DAPHNE, avec un grand cri involontaire.
Cassius I... (Se remettant.) Vous avcz dit Cassius?... mais non,
— c'est impossible! il est arrêté, — je le sais !...
FAUSTINE.
Il Cal nommé gouverneur général de la Syrie!
DAPHNÉ.
Lui!...
FAUSTINE.
Marc-Aurèle à sa cour n'a pas d'ami plus fidèle!
DAPHNÉ, d'une voix sourde.
S'il est ce que vous dites, vous n'avez pas besoin de mon
aide I...
FAUSTINE.
Tu le trompes, — ce changement est l'écneil où peut se
briser ma fortune!... et Cassius a l'àme trop pleine de recon-
naissance, pour qu'un autre sentiment puisse y tenir!... Je
40 FAUSTINE.
l'ai vu là, — face à face, — il est aveugle, — il est sourd; -^
on m'a dit pourtant que j'étais bulle 1...
DAl'UNÉ, avec uno surprise aiiièro.
Comment!... vous voulez donc?...
FAUSTINE, froidflment.
Je le veux !
Elle l'aime
DAPHNE, à part.
FAUSTINE, avec feu.
Oh! si au lieu de pardonner h cet homme, on avait pu le
condamner à quelque prison lente, à des exils sans lin, à la
mort!... je serais descendue dans ses ténèbres!... je l'aurais
fait revenir des extrémités du monde; — entre sa tête et la
hache, — j'aurais étendu ma main! il m'aurait aimée, peut-
être!... Et plus tard... plus tard... Rome, sans changer d'im-
pératrice, aurait su oîi trouver un empereur !...
DAPHNÉ, à part.
Le pousser dans celte voie, — c'est me venger ! c'est le
perdre!... (Regardant Faustiae à !a dérobée.) Mais la chutC de CCl
homme en entraînerait une si grande !...
FAUSTINE.
Que cherche-tu, Daphné ?
DAPHNÉ, comme se réveillant.
Je cherche un philtre...
FAUSTINE, avec impétuosité.
Tes philtres sont trop lents!. . tes dieux cachés n'arrive-
ront pas assez vite!... Attendre, quand il part et que nos
heures bont comptées 1... Mais lu ne sais pas mes angoisses!...
mais d'ici la, je serai morle!... As-tu des phillres qui me rap-
pelleront à la vie ?
DAPHNÉ, avec inquiétude.
Que puis-je alors?...
FAUSTINE.
Une seule chose, — cela m'est \enu, tout à l'heure! —
Cassius est d'Egypte, — il doit croire à la magie ?...
DAPHNÉ, avec uu regard interrogatif.
Il y croit...
ACTE DEUXIEME. h\
FAUSTINn.
C'osl bien, — qu'il vienne chez toi, celle nuit même...
DAPHNÉ.
Chez moi !...
FAUSTINE.
Sans donte, puisque ce palais lui fait peur I...
DAPIINÉ.
Jamais I... c'esl impossible !...
FAUSTINE, avec hantcnr.
Voilà doux fois.Daphné, quoUi dis ce mol r « impossible, »
dans des lieux où c'e*tune monslruosilc de l'entendre 1...
DAPHNÉ, interdite.
Mais...
FAUSTINE.
Qu'il y vienne, — on m'a dit vaguement qu'il m'a aimée
toute jeune !...
DAPHNÉ.
Cassius !
FAUSTINE.
El que, pour ce molif, il tenta alors sa révolte. — S'il a osé
cela pour l'enl'ant, — crois-tu, Daphné, qu'il hésitera pour la
renimo, quand il n'est même plus question d'usurper 1. . Ré-
veillons cet amour et cotte ambition qui s'endorment, — ta
magie va me servir; il ne s'agit plus ici d'opérations dou-
teuses,— dans les crises suprêmes il faut faire violence aux
destinées !...
DAPHNÉ, avec force.
Prenez garde!... ces violences-là sont terribles, — vous
jouez snns le savoir avec des dieux implacables!... c'est appe-
ler la foudre!... c'est nous tuer l'une et l'autre!... C'esl... oh!
vous ne savez pas ce que c'est!... Et moi qui vous supplie...
moi qui vous suis toute dévouée... je me verrais impuissante
à vous arracher de l'abîme I...
FAUSTINE, froidement.
N'as-tu pas juré tout à l'heure ?...
DAPHNÉ.
Mais je ne savais pas!... j'étais folle I...
42 FAUSTINE.
FAUSTINE.
Assez !...
DAPHNÉ.
Parpilié pour vous-même, ne songez plus à cel homme!...
FAUSTINE.
Ce n'est pas ton conseil qu'il nous faut, — c'est ton obéis-
sance !...
DAPHNÉ.
Grands dieux!...
FAUSTINE.
Plus un mot!... j'ai des volontés immuables!...
DAPHNÉ, les yeux en feu, la voix vibrante.
Ah ! puisque vous le voulez, — je le veux bien aussij main-
tenant!...
QUATRIEME TABLEAU
Vue générale du Forum. — Au fonJ la foule. — Au second plan, quelques
hommes du peuple accrochés aux architectures. — Sur le premier plan à
gauche, une statue équestre. — A droite, une colonne.
SCENE PREMIÈRE
CORAX, GRUMIO, une vieille Marchande de fleurs,
ANTONIUS, GENS DU PEUPLE.
GRUMIO, Il est perché au second plan h gauche fur le piédestal d'une
statue, et interpelle Corax qui est accroché, à droite, à une colonne.
Hem!... Corax !
CORAX, tournant la tête de son côté.
Ohél... Grumio ?...
GRUMIO.
Aperçois-tu quoique chose?
CORAX.
Pas le bout d'une lance! pas le nez d'un grand prêtre!
ACTE DEUXIÈME. 43
GUUMIO.
Voilà un départ qui se (ait attendre !
CORAX, riant.
Bon courage!
GUUMIO.
Cela n'est pas du tout poli pour le peuple !
LA MAUCnAXnE DE FLEURS. Elle porte di's roses dans une pelile cor-
beille, et les prend une à une pour les montrer.
Des fleursl des fleurs!...
CORAX, toujours sur sa colonne.
Ohé, la belle lille, vends-lu les roses de ton panier ou celles
de tes joues ? (On rit à l'entonr.)
LA MARCHANDE DE FLEURS, regardant en l'air.
Méchant boucher !
CORAX,
Bonne coureuse !
LA MARCHANDE DE FLEURS, à la fonle.
Des fleurs!... achetez des fleurs!
GRUMIO, se tordant sur son piédestal.
Par Bacchus! voilà deux heures que je cuis, au soleil,
comme une figue 1... (Rc^-ardant en bas.) Gare dessous, les
amis!... je vais me détacher, —je suis mCirl... (lise laisse glisser
et se mêle à la foule.)
ANTOXtUS!. Pendant cette scène, il est adossé h la statue du premier plan,
à gauche, sans paraître prendre part aux préoccupations de la foulo qui
l'environne.
Dire que si je n'avais point rencontré Apcr dès mon pre-
mier pas dans Rome, j'aurais évité celte sotte histoire, chez
Crispinus, et que j'accompagnerais là-bas l'empereur, au lieu
de rester là planté comme un terme et de me ronger le cœur
à le regarder partir... Il était écrit, quelque part, que je lais-
serais mes os en Orient!... si, du moins, Cassius, dans ses
fonctions nouvelles, daigne se souvenir que j'ai tout sacrifié
pour sa cause!... nous verrons cela, nous verrons!...
4V FAUSTINE.
SCÈNE II
ANTOxMUS, BASEUS.
BASEUS, survenant par la gauche.
Veux-tu servir un liomme qui n'oublie jamais ceux qui
l'aiment?
ANTONIUS.
Baseus I
BASEUS.
Réponds, on peut le perdre; — lu élais du souper, —je t'ai
vul...
ANTONIUS.
Je n'élais venu à Rome que pour vous offrir mon épée...
BASEUS.
Je l'accepte.
ANTONIUS, avec joie.
Par Hercule!... je pourrai donc partir demain, pour la
Germanie, comme les autres!
BASEUS.
Tu retourneras en Orient, c'est mon idée.
ANTONIUS, désappoiuté.
En Orient...
BASEUS.
Tu suivras Cassius, je l'allache à lui, désormais — J'ai be-
soin dans cette armée d'un homme discret, qui m'iippai-
lienne corps et âme, et sur le bras duquel je puisse compter à
toute heure!...
ANTONIUS.
Comment?
BASEUS.
Sois tranquille!... quand le jour sera venu, je t'indiquerai
la besogne; — en attendant, silence! je me charge de ta Ibr-
tune, et si Cassius t'oublie là-bas, moi, je me souviendrai
ici!... Consens-tu?
ANTONIUS, après un silence.
C'est dit!
ACTK DEUXIÈMK. /,5
BASEli=, lui faisint un signe d'adieu.
Prrpare-toi donc à le suivre! (Fausse sonio d'Anlonins.) Un
mot encore; puisque lu élais du complot, connals-lu, par
hasard, une femme qu'on appelle Daphné, une magicienne?
ANTONIUS.
Je connais sa voix, si je ne connais pas son visage.
BASEUS.
Peux-tu me d're si sa haine contre Cassius est sincère?
ANTOMUS.
Oh ! pour cela, je peux vous le garantir; elle se croit ahan-
donnée par Cassius, tandis que c'est Aper qui, abusant de sa
ressemblance avec son ami...
BASEUS.
Je comprends.
ANTONIUS.
Elle a même donné au centurion, je ne sais quel sachet
mygique avec des mots barbares dont ces femmes là font
usage.
BASEUS.
Les sais-tu?
ANTONIUS.
Attendez... epima... éregbuo... thésogar... quelque chose
comme cela.
BASEUS.
C'est bien, va. (Antonins sort; Lœnas parait.) Lœnas I
SCÈNE m
LOENAS, BASEUS, derrièn la statue, au deuxième plan.
LOENA.S, à part. II arrive du foad, avec des précautions infinies, mais sans
apercevoir Baseus qui est do l'aiure coté de la statue. — Il a une longue
barbe blanche, et un manteau de idiilosophe.
Allons, Lœnas!... de la prudence, mon ami!... que de dan-
gers! que d'écueils!... Ne snchnn! plus où cacher ma lèle, je
me suis réfugié dans une barbe!... quelques bous mois d'ab-
sence feront oublier cetie aventure; — je vais entier uies cba-
lumeauxdans les prés!... (Avec joie.) C'est égal! j'aurai toujours
la consolation de m'êlre bien vengé de Crispinus, en le faisan t
3.
46 FAUSTINE.
passer pour un républicain farouche! (Regardant le piédestal de la
siatuo.) Encore une pince superbe, pour y déposer mon hexa-
mètre !... j'en ai dr'jàsemé dans tous les quartiers de Rome!...
(Écrivant.) « Cassius cst pcrdu, mais Grispinus nous reste! »
Dans quelle rage il doit être !... Je l'ai prévenu officieusement,
par une lettre, que je suis le modeste auteur de la chose 1
(Se drapant, avec un geste solennel.) Et maintenant, au revoir, cité
de Romulus, où j'ai vécu vingt années de réputation et de
pois chiches!... j'emporte de toi une fausse barbe, et je te
lègue une épigrammel... (Baseus fait un mouvement et s'arrête, en
voyant Grispinus.)
SCÈNE IV
LŒNAS, GRISPINUS, LAMPADIO, BASEUS, toujours caché.
GRISPINUS. Il arrive, par la droite, exaspéré, et toujours suivi de Lampadio.
Le misérable !
LOTINAS, à part, tout tremblant.
Grispinus!...
GRISPINUS, à part. ■
Un philosophe!... c'est probablement quelque ami de
Marc-Aurèle !
LCffiNAS, à part, tâchant de s'en aller.
Brrr!...
GRISPINUS, l'abordant avec cérémonie.
H'ùge vénérable!
LOENAS, contrefaisant sa voix, mais avec trouble.
Pardon! ce n'est pas moi, — je suis très-pressé!...
GRISPINUS, insistant.
Un seul moll... peut-être faites- vous partie de ceux qui
accompagnent, dit-on, l'empereur?.,.
LœNAS, vivement.
Précisément!... (Il veut partir.)
GRISPINUS, le retenant par sa robe.
Mais alors, par tous les dieux!... vous pouvez me sauver!
LOENAS, étonné.
Moi ? .
ACTE DEUXIÈME. 47
CRISPINUS, avec dos gestes supplianls.
De ffràcel
LOEN.VS, rassuré, à part.
Moi, le sauver !... il no me reconnaît pas du tout!
CRISPINUS, avec feu.
Je suis assassiné lâchement par un coquin de poolc, que j'ai
comblé de mes dons, et que je nourrissais à ma table!...
LOENAS, levant les mains an ciel.
Horreur!,., jetons un voile sur cetarfligeant tableau de l'in-
gratitude !
CRISPINUS, lui prenant la main.
Merci! vous êtes bon ! vous compatissez à mes peines! (Avec
indignation.) Un vers infâme, où il me pose ouvertement, moi
Crispinus, comme l'espoir des séditieux, comme le brandon
des discordes, et que la foule a pu lire sur toutes les mu-
railles de la ville!... Demandez plutôt à cet esclave!... (ii so
tourne vers [.ampadio qui écrit, sur son registre, en regardant l'endroit où
est le vers de Lœnas.) Que fais-tU donc là?... (Larapalio lui montre
silencieusement la chose.) Eucore I eucoro!... (il court efTacer le vers
avec un pan de sa toge, Lampadio vient près de Lœnas.)
LAMPADIO, d'un air naïf.
Je note lous les endroits...
CRISPINUS, arrivant sur lui.
Le butor!... (ll allonge un soufflet que Lampadio esquive en so haïs-
sant, et qui vient tomber sur le visage de Lœnas.)
LOF-NAS, à part, se frottant la joue.
0 Providence! tes coups sont inévitables!... (Lampadio ramasse
les papyrus déroulés.)
CRISPINUS, tombant à gcnonx.
Jamais plus violent désespoir!...
LOENAS, avec dignité.
Relevez-vous, je suis philosophe!...
CRISPINUS, montrant le poing à la muraille.
C'est encore ce malheureux (|ui en est cause !... mais, dans
quelque trou qu'il se cache!... mes esclaves courent la ville et
il sera rossé d'importance.
48 FAUSTINE.
LCENAS, vivement, rajustant sa barbe.
Salul!...
CRISPINUS, lui barrant le chemin.
Vous pardonnez?...
LCœNAS, luttant.
Comment donc I
CRISPINUS, même jeu.
Vous verrez ce grand prince?
LCENAS.
J'y cours!
CRISPINUS, insistant.
Vous lui direz bien...
LŒNAS.
Soyez calmel... votre cause ne pouvait pas tomber dans de
meilleures mains que les miennes!...
CRISPINUS, baisant un pan de sa robe.
Merci, généreux sage!... dites-moi votre nom, que je le
grave à jamais dans mon cœur!
LCffiNAS, froidement.
Pamphile. fll se dégage enfin, et va parle fond, tandis qu'après une
humble salutation, Crispinusj suivi de Lampadio, se dirige vers la gauchn.)
CRISPINUS, souffletant Lampadio.
Je te le devais!... (ils sortent.)
SCÈNE V
LOENAS, BASEUS.
BASEUS, sortant derrière la statne, et frappant l'épaule de Lœnas.
Lœnas!...
LCœNAS, se retournant avec terreur.
Miséricorde !
BASEUS, avec ironie.
Puisque tu vas chez Marc-Aurèle, nous le verrons ensemble;
— ma recommandation peut te servir!
LOENAS, refusant de marcher.
Grâce!... vous avez dit que les chacals...
ACTE DEUXIÈMK. W
BASEUS, froidemnnt.
Leur tour est venu.
LœNAS, Iremblanl Je tous ses membres.
Je suis morl.
BASEDS.
Quelque chose comme cela, j'en conviens!... (n attrapant Lœnas
qni veut fuir à droite.) Pardon, est-ce que ma compagnie le dé-
plail ?
LŒNAS, confus.
Pouvez-vous supposer!... (indiquant à droite.) G'esl UH parenl
à moi que j'apercevais dans la Coule...
BASEUS, froidement.
Et que tu voulais faire ton héritier, je comprends!... (Arrê-
tant Lœnas qui se glissait par la gauche.) Encore un!... quelle fa-
mille!... (D'un ton scvi^re, en le regardant entre les deux yeux.) Tu VOIS
bien qu'on ne m'éciiappe pas, à moi!
LŒNAS, avec volubilité.
Mais non ! c'est une erreur! .. je ne savais rien!... je sou-
paisl... un poêle qui soupe, est-ce un danger pour l'empire?
(Montrant son ventre plat.) Voyez I si c'est un crime, je ne le com-
mets pas tous les jours!
BASEUS, rian.
Par Jupiter ! à ta place, je tiendrais moins à la vie !
LŒNAS, vivement.
J'y tiens beaucoup, au contraire!... j'y tiens par mes priva-
tions et mes angoisses! la misère pousse des racines effrayan-
tes! N'y a-t-il pas loujuuis, pour se reprendre à la vie, des
miettes chez les riches, des chansons dans Suburrc, et du so-
leil sur les ponts!.,.
BASEUS.
Voyons! que ferais-tu bien, pour conserver tout cela ?
LŒNAS, bondissant de joie.
Moi? serait-ce possible?...
BASEUS.
Avec de quoi souper tous les jours?...
LŒNAS, avec enthousiasme.
Un pocme épique 1 et dont vous serez le héros !
50 FAUSTINE.
BASEUS, haussant les épaules.
J'ai besoin que lu fasses mes commissions, — c'est plus
simple!
LCffiNAS, à part.
0 chastes Muses I
BASEUS, baissant la voix.
Il me faut un homme dévoué, — un serviteur à l'épreuve,
quelqu'un de sûr et d'entreprenant à la foisl...
LOENAS, désespéré.
Grands dieux! moi qui n'ai que le courage civil.
BASEUS, riant.
Crois- tu que j'aie l'infenlion de t'envoyer prendre la Germa-
nie, à toi tout seul?... je te destine à des fonctions plus paci-
fiques!...
LOENAS, rassuré.
Oh! dans ce cas-là...
BASEUS.
Tu acceptes, — souviens-toi seulement que tu as la corde
au cou, et que si tu ne marches pas droit, je la lire!
LŒNAS, toussant et portant instinctivement la main à son cou.
Hem!...
BASEUS, le congédiant.
Je t'attends celte nuit; — suis exact, — tu logeras chez moi
déformais.
LCœNAS.
Y prendrai-je mes repas?
BASEUS.
Peut-être! (Apercevant Cassius.) Tais-toi ! (Lœnas sort par le fond
dans la foule.)
SCÈNE VI
BASEUS, puis CASSIUS et RUTILIANUS, dans le fond,
LA Marchande de fleurs.
MARCHANDE DE FLEURS, tirant des tablettes du fond de son panier
de roses.
Au général Cassius!
ACTE DEUXIEME. 51
CA?SIUS, étonné.
A moi !
RUTILIANLS, riant.
Par Hercule! la messagère est charinanle! (La marchande dis-
paraît dans la foulo pendant qui' Casfins diWhilTrc les lablclles.J
CASSIUS,
Pas de nom sur ces lablellCS. (Se retournant et cUcrchaal lu inar
chande.) De la pari dc qui ?
RUTILIANUS, souriant.
De Vénus!
CASSIUS, cherchant oncoro.
Cominenl ! plus personne?
RUTII.IANUS.
Vous savez bien que tout ce monde-là a des ailes.
CASSIUS.
Vous vous trompez, mon ami ! il s'agit, m'écrit-on, de ren-
seignements précieux, de choses graves.
RUTILIANUS.
A quand ce rendez-vous ?
CASSIUS.
Cette nuit même.
RUTILIANUS.
Ah! ah! ah! toutes les faveurs qui se suivent... Je vous dis
que la Fortune veut s'acquitter avec vous d'une seule fois,
(ils sortent.)
BASEUS, à part.
Ah! Cassius, je te tiens, maintenant.
SCÈNE VIT
CORAX, Gens du peuple, Prêtres, Soldats, MARC-AURÈLE.
LA foule.
Les voilà! les voilà!... (Rumenrs do la foule, tous les regards se
portent à droite ; longue procession de prêtres entre deux haies de prétoriens
qui font ranger le peuple, ii droite et à gauche; musique religieuse, Dûtes et
trompettes d"airain; les prêtres ont en main le bâton d'augure, et des con-
52 FAUSTINE. 1t
ronoes vertes sur la tête, à l'exception des douze Saliens en cnirasse, qui por-
tent le bonnet pointu, et sur leurs épaules, enfilés à un bâton, les boucliers
sacrés do Mars Gradivus. Derrière eux, les sénateurs, les prétoriens, la garde
gauloise, puis Marc-Aurèle à cheval, et son cortège.)
MARC-AURÈLE, à la foule.
Romains, c'est à vous-mêmes que je laisse la garde de la
ville éternelle ; je pars en Germanie pour venger nos injures.
La victoire est certaine avec le génie de Rome et le courage
de nos prétoriens.
ACTE TROISIEME
CINQUIÈME TABLEAU
Chez la magicienne Daphnd. — La nuit. — Appartement étrange. — Au
fond, une sombre draperie suspendue. — Ustensiles bizarres. — Demi-
jour fantastique. — Vers la gauche, un trépied. — Sur les murs, des
oiseaux sinistres empaillés, des squelettes d'animaux, des vases à forme
inconnue. — Par terre, des bottes d'berbes desséchées. — Des miroirs de
métal. — Des pancartes avec des signes magiques.
SCENE PREMIÈRE
DAPHNE, seule ; longue luniqne blanclie, avec des ornements do
pourpre, baudeaux do même couleur pour retenir les cheveux.
C'est vraiment une chose terrible que de jouer ainsi toute sa
vie et la mienne, dans cette épreuve d'un instant!... (Se levant
avec vivacKé.) Qui sait?... l'autre nuit... un premier mouve-
ment... riieure indue... la présence de ces liommcs... je l'ai
génc... c'est lout simple!... Oh! qu'il vienne ici avec des
excuses .. avec des explications seulement... Comme je par-
donnerai vite! et avec quel cri de joie... (Baissant la voix, et regar-
dant vaguement au fond.) .l'arrachcrai mon amour aux froides
combinaisons de Fausline... (changeant de ton.) Mais si pour son
malheur il al'fecte encore de me méconnaiire. . pas un mot du
passé ne sortira de ma bouche... et j'en jure par ces ténèbres
(|ui m'environnent, je le pousserai malgré lui, dans des che-
mins formidables... (avec une sombre ironie) OÙ liaseus saura
bien l'ntteindre, cette fois!... (Écoutant.) Grand dieux!... il me
semble qu'on a heurté à ma porte... (a part, reculant à la vue de
Cassius.) C'est lui!... c'est lui!...
5i FAUSTIiNE.
SCÈNE II
DAPHNÉ, CASSIUS.
CASSIUS, à part, en s'arrêlant avec surprise sur le seuil de droite.
Celte femme de l'aulre soir!,., que me veut-elle?
DAPHNÉ, à part.
Va-t-il au moins se troubler?
CASSIUS, s'avançant et regardant ce qui l'entoure.
C'est donc loi qui m'as fait venir ici, dans je ne sais quelle
caverne de magicienne?
DAPHNÉ, d'une voix tremblante.
Moi-même 1
CASSIUS, avec méfiance.
Quel est ton but?
DAPHNÉ, lui prenant la main avec émotion.
Ne l'as-tu pas deviné, Cassius?...
CASSIUS, se récriant.
Moi?... par tous les dieux!... comment veux-tu que je
sache?...
DAPHNÉ, à part, laissant retomber la main de Cassius.
Ahl c'est plus de mépris qu'on n'en eut jamais pour per-
sonne!
CASSIUS, avec humour.
Ne m'as-tu dérangé, à pareille heure, que pour recommen-
cer avec moi les foUrs affirmations de l'autre nuit ?,..
DAPHNÉ, froidement.
Non, Cassius; je l'avoue maintenant, je ne te connais pas !
CASSIUS.
C'est heureux!
DAPHNÉ.
Je savais que Baseiis devait l'arrêter celle nuit-là, — je
voulais l'avertir... il fallait entrer... j'ai menli!...
CASSIUS, avec un air de doute.
Quel intérêt si grand le poussait alors à me sauver?
ACTE TROISIÈME. 55
DAPHNÉ, avec force.
L'intérêt que prennent à la desiinée les cœurs vraiment
roinnins, qui n'ont plus d'espoir qu'on toi seul!...
CASSIUS.
Mais aujourd'hui, cette lettre?...
DAPHNÉ.
Aujourdiiui, Cassius, je veux te sauver encore, en le rappe-
lant à toi-même! car je suis épouvantée pour la gloire de ce
pardon qui l'enlace, et de cette laveur où lu lombes I
CASSIUS, d'une voix ferme.
Mon avenir est clos; — je ne désire plus rien désormais.
DAPHNÉ.
Rien?... tu serais donc le premier homme que j'aurais vu
content de son partage?.., le seul peut-être, (|ui ne cacherait
pas, dans son àuie, un désir plus haut que sa lortunel...
CASSIUS, froideaient.
Je suis cet homme-là!
DAPHNÉ.
Prends-y garde!... qui ne veut plus monter doit descendre,
— la chute commence à la sotisfaclion de soi-même!...
CASSIUS, ouvrant les bras.
Si c'est ma destinée, qu'elle s'accomplisse!
DAPHNÉ, avec feu.
Jamais! ce n'est pas possible!... Rome entière qui t'attend,
ne se serait pas trompée à ce point !... (Avançant le bras.) Donne
un peu celle main que j'ai touchée tout à l'heure?...
CASSIUS, riant.
Je ne liens qu'à l'astrologie, je t'en préviens !
DAPHNÉ, avec aulorili'.
Qu'importe ta croyance? — La main, comme le ciel, esl un
livre écrit par les dieux!...
CASSIUS, lui abandonnant sa main.
A ton aise!
DAPHNÉ, h part, prenant la maia qu'elle examine.
Non, — elle ne frémira pas dans la mienne!
CASSIUS, avec ironie.
Eh bien ?
56 FAUSTINE.
DAPHNÉ, lâchant la main.
Je suis tranquille. (Cassius l'interroge des yeux.) Voilà Une main
qui en sait plus long que toi, Cassius!.. .
CASSIUS, regardant sa main.
Tant mieux pour elle!...
DAPHNÉ, s'approchant, et lui indiquant avec son doigt.
Vois-tu celte ligne qui monte et s'épanouit de tous les côtés,
comme une gerbe ?
CASSIUS, regardant.
Je la vois...
DAPHNÉ.
C'est splendide !
CASSIUS, souriant.
Sans doute, sans doute; je m'y attendais, — va toujours !
DAPHNÉ, froidement, en retournant à sa place.
Quoi qu'il en soit, — tu ne resteras pas longtemps en Syrie!
CASSIUS, se rapprochant.
'Qui te fait supposer?
DAPHNÉ, avec indifférence.
Je ne suppose pas, — c'est écrit.
CASSIUS, ouvrant sa main.
OÙ?
DAPHNÉ, sans se déranger ni regarder, louchant la paume du doigt.
Là, sous mon doigt, si je sais lire !
CASSIUS, comme se réveillant.
Allons donc!... par quelle étrange combinaison d'événe-
ments?...
DAPHNÉ, lâchant de nouveau la main do Cassias.
Je l'ignore; pour en savoir davantage, il faudrait me livrer
à une opération plus longue, —et je ne t'ai déjà que trop re-
tenu... (a part.) Il hésite!...
CASSIUS, après s'être consulté en silence.
(>e serait long?
DAPHNÉ, s^chempnt.
Assez.
ACTE TROISIÈME. 57
CASSIUS.
Puisque me voilà venu...
DAPIINË, l'iulerrompant.
A quoi bon? — je sais luaiiilcnuiil loul ce que je dt'sirais
connailre !
CASSIUS.
Mais uiui...
DAPHNÉ, avec autorité.
Ne t'en mets pas en peine, Celsius!... tu n'en seras pas
moins ce que lu dois èlie !...
CASSIUS, insislaot.
Pourlanl...
Non, tedis-jel
Simple ciiriosilé
Tu le veux ?
Tout de suile.
DAPHMJ, se levant, à part.
Ce sera sa dernière épreuve I... (Haut, d'un ton sévère, et décri-
vant un grand cercle avec sa baguette magique.) Silence, alorsL..je
commence I... (Elle apporte, au milieu de rapparlemeul, un grand bassin
de métal, sur les parois duquel sont gravées des ligures magiques, place au
lour, sept flambeaux, puis remplit lenlement le bassin avec l'eau d'une
ampiiorc ) Palpitez à ma voix, flois sjbilliiis, qui avez coulé piès
d'une lomLie, sous un figuier stérile, frappé deux lois par la
luudre!... (Allumant les flambeaux magiques.) Flammes des Sept flam-
beaux, rayonnez doucemenl sur les m\>lères de celle onde,
comme les yeux d'or du ciel, sur les abiines de la mer!...
CASSIUS, se penchant sur le bassin.
Tous ces cercles de l'eu, qui se mêlent cl lourbillonnenll
DAPIINÉ, prenant un petit miroir de métal.
Descends, calme el Iroid, sous ragilaliuu des surfaces, mi-
roir de Thessalie, dont lacier ne reflète que les lormes de
l'avenirl... (Elle plonge le miroir dans le bassin, puis d'une voix solen-
DAPHNÉ.
CASSIUS.
DAPIINÉ, avec indifférence.
[CASSIUS, vivement.
58 FAUSTINE.
nelle.) Par Mars et Mercure!... par Jupiter!... (Se retournant brus-
quement vers Cassius.) Ton épée, si jamais elle a plongé dans les
entrailles d'un homme !... (Cassius, subjugué, la lui donne, elle l'agile
au-dessus du bassin, et, d'une voix lente et chantante, tout en examinant
Cassius, pourvoir si les mots du charme fout quelque effet sur lui.) Epimâ! ...
Epimà!... (Cassius demeure immobile, elle continue d'une voix sourde.)
Ercgbuo!... Thésogar!... rien! rien! (Elle rend l'épéo à Cassius,
en le regardant hxement.)
CASSIUS, regardant de nouveau dans le bassin, puis se redressant, les
yeux hagards.
Mon nom!... (Montrant le fond du bassin.) Là!... Casslusl...
écrit avec du sang!. .
DAPHNÉ, regardant aussi.
Tu te trompes, — avec de la pourpre!... (Elle tombe k genoux.)
CASSIUS, effaré.
Que fais-tu donc?
DAPHNÉ, avec solennité.
Je le salue, Avidius Cassius, auguste! invincible! maître
du monde! empereur!...
CASSIUS, s'élançant vers Daphné.
Moi! empereur!... lu en as menti!... lais-toi, femme!...
Une volonté comme la mienneest plus forte que les oracles!...
Je n'avais pas vingt ans, — sais-tu bien, — quand, (ils d'un
simple rhéteur, j'ai voulu m'asseoir sur un trône! Aujourd'hui,
grâce aux dieux, j'ai passé le temps des rêves; — on ne m'en-
irainera pas à mon âge, dans des roules sans issue, dont je
connais les précipices !
DAPHNÉ, impassible.
Il y a deux choses qu'on n'arrête pas, quoi qu'on fasse : la
mer qui monte, el la destinée qui s'avance!...
CASSIUS, avec force.
Assez I
DAPHNÉ, s'avançant vers lui.
Que parles-lu de ton origine? Le génie, qui lient son droit
de lui-mêuie, n'a rien à démêler avec les hasards du berceau !
puis, ce qui manque à l'homme, la femme parfois le possède,
— une princesse peut apporter en dot une couronne!
CASSIUS, se rassurant et haussant les épaules.
Une princesse!... Ah! pour cette fois, ta magie n'y voit
ACTE TROISIÈME. ti9
goulle! (Éclatant de rire,) Bien que je vive loin d'elle, je suis ma-
rié! j'ai ma lemmel... El voila qu'avec un seul mot, j'ai lait
crouler à lerre lout ce ridicule échalaudagel
n.VPIlNÉ, d'une voix indignée.
Aveugle orgueilleux, qui lances tes blasphèmes contre des
pnis>'ances terribles! qui l'a montré d'avance les voies de la
destinée? Sache attendre ce que les dieux te réservent!...
(Saississant la main de Cas>ius, l'examinant et haussant les épaules. I Ce
n'e.il pas celle lemme-là qui doit monter avec loi sur le trône
du monde!...
C.\SSIUS, interdit et tremblant.
Comment!
DAPHNÉ, d'une voix sourde et brève.
As-tu plus de courage qu'il ne t'en laudrail pour mourir?
Es-lii homme h me suivre jusqu'aux dernières limites?... des-
cendras-tu sans peur, dans nos secrets formidables? (Cassius
reste muet et immobile.) Réponds!... tU ilésites?... (Cassius fuit un
signe.) Ahl... tu y COllSens, je le vois!... i^Daplmé s'élance vers le
fond; et à part.) Pius de gràce! le son en est jcté^ maintenant 1...
CASSIUS, avec une anxiété involontaire.
Que vas-tu l'aire?
DAPHNÉ.
Demander à mes dieux quelle est celle lemme inconnue.
CASSIUS, troublé.
Mais...
DAPHNK, s'arrêtant tout court au milieu de ses apprêts.
Si tu as peur, — nous n'irons pas pius loin, — tout est dit.
CASSIUS, avec feu.
Non pas, — il est trop tard, — lu commenceras, —je l'or-
donne!... Quelque chemin qu'il faille [irendrc, je te suivrai
ninintenant ju5:qu'au bout! rallume tes (lambeaux magiques!
ébrnnle le ciel cila terre! si tu as une puissance, je l'en avertis,
monlre-!a!... (D'une voix frémissante de colère.) Mais si ta pronicsse
n'est qu'un mensonge, et ta solennité qu'une momerie!... si
te faisant un jeu de mes angoisses, lu as eu celle audace de
venir, malgré ma défense, apporter la lempête dans la séré-
nité de mon àme... je juro parles dieux que lu ne t'en vante-
ras à personne!... Souviens-loi que nous sommes seuls dans
cette chambre, — qu'on m'appelle Cassius. — et que j'ai là
mon épce!...
60 FAUSTIISE.
DAPHNÉ. Elle fait un geste avec uue grande baguette, uu cercle de feu se
forme au fond.
Voici la ligne fatale qu'on doit franchir pour entendre; —
en dehors de ce cercle, tu peux fuir encore, tu es libre!...
(Cassius franchit sans répondre la ligne de démarcation, la magicienne étend sa
baguette vers le trépied, — en tecouant d'un mouvement brusque ses longs che-
veux qui tombent épars sur ses épaules; — en même temps le trépied s'allume
de lui-môme, et on entend rouler un tonnerre lointain. — Alors Dapliné jette
dans la chambre quelques gouttes d'eau magicpie, — et fait extérieurement le
tour du cercle en murmurant son invocation.) Hécate !... Hécate !...
Hécate!... (Pendant la première partie de l'invocation, musique très-basse
accompagnant faiblement la voix ; — la lumière tombe par degrés, de grandes
ombres envahissent l'appartement.) Sois favorable à Ce SacritlCe,
déesse des grands chemins et des carrefours solitaires! toi qui
marches la nuit à travers les tombes, ennemie du jour, com-
pagne des ténèbres, mère des épouvantes et des fantômes!...
Toi que réjouissent dans tes fêtes, le sang, le cri des chiens,
les aromates et les consonnances carbaresl... Gorgol...
Morno!... puissance aux mille formes, souveraine des trois
empires!... infernale, entends-nous! Terrestre, exauce-nous!
Céleste, protége-nous !... dévoile à nos regards les événements
qui vont naître ! (Roulement de tonnerre lointain, — bruits plaintifs,
comme des sons de harpes éoliennes, parfois des notes aiguës, — et çà et
là, des flammes livides traversant la scène.)
CASSIUS, très-ému, et saisissant le bras de Daphné.
Dis-moi, cette femme ?... va-l-on la nommer ? la verrai-je ?
DAPHNÉ, avec un grand geste d'autorité.
Silence! silence!... (Jetant des aromates sur le charbon allumé, et
continuant son invocation.) Nous t'olTi'irons pour ta peine la myrrhe
des Troglodytes, — le suc du baume qui a coulé de l'écorce
sur des couteaux à lames d'or, — et le cinna moine des Arabes
qui croît dans les épines sous l'œil du dieu Assabinus... (Pre-
nant par terre des herbes séchées.) Accepte CUCOre CCS violelles de
Sicile, — et ces herbes sauvages qui ont reçu trois nuits
l'écume d'argent des étoiles!... dans lu racine de rue nous
laillerous ton image ! des branches d'un laurier, nous te ferons
une demeure, et au croissant de la lune nous écraserons sur
le seuil, autant de lézards verts que tu as de formes diffé-
rentes!... (Se tournant tout à coup vers Cassius, qui frissonne malgré lui
au milieu des lueurs plus fréquentes et des tonnerres plus rapprochés.)
Écoute!... écoule!... le ciel mugit!... le sol tremble!... re-
garde ! (Une puissance surnaturelle semble agiter en mémo temps les ailes
des oiseaux morts et les squelettes d'animaux suspendus aux murailles.)
ACTE TROISIEME. 61
SCÈNE m
Les Mêmes, FAUSTINE.
Udc violonle secousse, — un large éclair, — et soudain tout au fond, dans une
lueur rouge, apparition de Paustineeu grand costume, — iliadùnie en li^le, —
manteau de pourpre aux épaules, — droite, — immobile, — souriaute, et
comme pélritiéc sous la baguette tendue delà magicienne.
CASSIL'S, les yeui hagards, les cheveux bériss'?s, le cou tendu, les bras
tremblants.
Ah!... (il tombe par terre comme foudroyé, l'apparition s'évanouit.)
SIXIEME TABLEAU
An palais. — Appartement de Fanstine. — Le matin.
SCENE PREMIERE
Esclaves, FAUSTINE, THRASYLLA.
FAUSTINE, assise devant une table de toilette, entourée d'esclaves.
Déjà la inoilié du jour... Ne vieiidrail-il pas? c'est étrange.
l'esclave coiffeuse.
Si Votre Majesté daigne approuver celle cuiffure?
FAUSTINE, bouleversant ses cheveui après s'être à peine regardée.
Hideuse! (Se levant.) Hideuse!... ta main se perd... prends-y
garde, il y a des puissoiisqui ont faim dans nos viviers, (a part,
marchant à grauds pas.) J'ai OU fcuin d'écarier Ics olficiers de ma
porte... Baseus accumpagne les troupes à que.ques halles
d'ici... toute cetle journée m'appartient... et persunne I per-
sonne! (Se letournant vers les esclaves.) Eh bien, que i'ailes-VoUS
là à me regarder bouches béunles?... pensez-vous que nous
sommes ici pour vous attendre? (La coiffeuse s'avance timidement.)
Pas toi, misérable! (Une deuxième s'avance.) Ni toi non plus!...
ni les autres!... à moi, les ntgresses ! (Les deux négresses arrivent.)
Relevez-moi ces cheveux-là avec vos pattes !... (Elle s'asseoit.)
Bien!... bien !... les lemmessoul si bêles que nous en sommes
réduite à nous faire coilTer par des singes, (euc renvoie les dem
62 FAUSTINE.
négresses du geste, puis traverse la scène avec agitalioa.) Décidément,
je ne dois plus ra'at tendre à le revoir.
THRASYLLA, à part, avec commisération.
Toujours la même pensée I (Haut, s'approchant avec respect.)
Vous le reverrez, j'en suis sûre !... (FausUnela regarde avec des jeux
étonnés.) J'ai attaché sous sa cuirasse un peu de sauge et
d'armoise pour le prémunir contre les lassitudes du voyage !
FAUSTINE, ne comprenant pas.
Que dis-tu?...
THRASYLLA, avec autorité.
Des choses d'expérience, dont je réponds sur ma tête!...
sans recourir aux médecins ni aux sorcières I... (Avec volubilité.)
Aussi vrai que pour la honne santé des personnes, les pieds
exigent les parfums d'Égypie, — la gorge, ceux de Phénicie
— les bras, la menthe, — les yeux, la marjolaine, et les genoux
le serpolet!... (se redressant.) (3h ! ce n'est pas pour rien que j'ai
passé dans celle cour les cinquante années de ma vie, — et
je veux mourir si votre auguste époux ne vous revient pas
sain et sauf!...
FAUSTINE, furieuse.
Et moi qui l'écoute!... (Se levant avec un geste de colère.) Es-tU
partie, sotte, — bavarde?... je le ferai couper ta vieille langue,
si lu t'en sers jamais pour me débiter les sottises I...
THRASYLLA, s'en allant, à part.
Voilà comme on est récompensé de ses peines!...
UNE ESCLAVE.
Quelqu'un I
FAUSTINE.
Ciell... (Haut.) Thrasylla, fais entrer, — mais veille bien à
celle porte, et qu'on ne reçoive plus personne! (Aus esclaves.)
Laissez-moi! (Thrasylla sort en s'incliuant.)
SCÈNE II
FAUSTINE, CASSIUS.
CASSIUS, pâle et abattu, b. jiart, saluant Faustino et s'avançant avec lenteur,
et comme hésitant.
Oui, — je l'espère encore, tout cela n'est qu'un vain songe
que la réalité va détruire I...
ACTE THOISIEME. 63
FAUSTIXE, assise.
Soyez le bienvenu, Cassius, surtout si vous nous apportez
l'occasion de vous èire agréable en quelque chose!.., (Elle
sourit avec grâce.)
CASSIUS, s'inclinant.
Encouragé l'autre jour par l'accueil de Votre Majesté, je
n'ai pas cru devoir quitter Rome sans lui présenter de nou-
veau mes hommages, (a part, relevant la tête et aporcovaal Fanstine.)
Olil ce sourire!... ce sourire !...
FAUSTINE.
Xous vous remercions. (Lui indiquant un siège.) Prenez pince. —
Nous en voulons beaucoup à cette Syrie de vous enlever de
la sorte!... (Le regardant fixement.) C'cst à peine si nous aurons
eu le temps de nous connaître!...
CASSIUS, h part, de plus en plus ému.
Grands dieux!... le regard de l'autre!...
FAUSTINE, vivement.
Ohl pour vous, c'est plaisir!... vous retournez dans vos
terres, — un vainqueur n'est réellement chez lui que sur le
terrain de ses victoires !...
CASSIUS, halbiUiant.
Quelques faibles succès...
FAUSTINE, gaiement.
Et vous allez revoir Aniioche !... une ville charmante, une
ville folle, dont on m'a dit des merveilles!... (\vec un sourire.)
Esl-il vrai, général, qu'ils ont coiiluuie dans ce pays-lii, d'em-
ployer pour leurs fêtes dos histrions nommés psyles qui dan-
sent enveloppés dans des serpents véritables et que je serais
si heureuse de posséder à ma cour ? (Elle prend exactement la pose
souriante qu'elle avait dans l'apparition chez la sorcière.)
CASSIUS, les yeux fixés sur Fanstine, la voix tremblante, et répondant uiaclii-
nalcmenl.
Oui... du moins... autrefois... je m'en souviens... parfaiie-
inent... (Tout a coup, perdant la tète, et d'une voix étranglée par 1 émo-
tion et la terreur.) Mais C'est elle!... c'est elle!... (il s'est levé
convulsivement.)
FAUSTINE, se levant aussi, et jouant la surprise.
Qu'avez-vous donc ?...
64 FAUSTINE.
CASSIUS, égaré.
Rion... je ne sais pas... (Prenant sa lûte dans ses mains.) Oh ! ma
tête!... Je souffre!... je suis un misérable!... sauvez-moi!.. .
FAUSTINE, avec une certaine inquiétude.
Voulez- vous que j'appelle ?...
CASSIUS, vivement.
Dans un moment... pas encore ! .. il faut que vous m'enten-
diez jusqu'au bout!... (D'une voix iiaietante.) Vous u'aviez pas
seize ans, ei vous ignorez cette histoire. — Un homme vous
aima !... pour le malheur de sa vie 1
FAUSTINE, feignant l'élonnement.
Moi?
CASSIUS, continuant.
Un homme sans naissance... le premier venu dans la fouler.,
(avec force) mais donl le cœur ballail à soulever les empires...
et qui sentait en lui-même s'agiter sourdement des destinées
inconnues!...
FAUSTINE, regardant Cassius.
Mais...
CASSIUS, continuant sur le même ton.
Pour monter jusqu'à vous, il aspira jusqu'au trône; — puis,
vaincu dans sf. lutte, précipité de ses rêves, cet homme n'eut
pas même In consolation d'en mom'ir!...Il dut tr.iîner, par le
monde, celte existence perdue qu'on dédaignait de lui pren-
dre.— A partir de ce jour, il fut de tous les complots, de
toutes les guerres, étourdissant sa pensée dans le tumulte dos
villes ou le tourbillon des batailles!... On chanta sa valeur, —
on admira ses intrigues; — il se crut sauvé... cœur aveugle!...
C'était vous, son courage, son habileté, son génie!... et cet
homme dont je parle... (tombant à genoux) il est à vos pieds; —
c'est moi-même!...
FAUSTINE, avec un grand geste.
Qu'osez-vous dire?
CASSIUS, se relevant, froidement.
Vous savez tout, — vous pouvez appeler, maintenant!...
Punissez ma folie, — empéchez-moi d'être infâme. — Je seug
la fatalité qui me pousse! — J'oubliais cet amour, — je m'é-
chappais, — j'étais libre!... Les dieux eux-mêmes m'ont
apporté votre image, — avec de telles promesses, qu'il
ACTE TROISIÈME. C5
faut que je succombe, ou qu'elles se r(''atisont quelque jour!...
J'ai cru briser mou rêve, en vous regardant lace à l'ace!...
Non!... l'image me poursuit... je la vois partout... à toute
heure... comme dans le bouge plein d'ombre... sous les évo-
cations de cette femme. .. le diadème au front... resplendis-
sante!... immobile!... Vous voyez bien qu'il faut appeler,
maintenant!...
FAUSTINE, feignant de ne pas comprendre.
Une image!... comment?... que dites-vous?... est-ce pos-
sible?... Au nom des dieux, rentrez en vous-même... recon-
naissez l'erreur de votre imagination troublée... Nous n'abu-
serons pas, pour vous perdre, d'une exaltation passagère, —
et votre existence est si indispensable 'a l'État, que nous vou-
lons bien, pour cette fois, ne pas nous souvenir de vos
paroles!...
CASSIUS, tiers de M.
Quoi! j'ai pu tout vous dire, et ma tête n'est pas tombée, et
vous n'avez point fait traîner mon cadavre par tous les ruis-
seauxde la ville. — Je ne suis plus coupable !... j'obéis aux des-
tins!...Les dieux l'ont dit I... je vous aime!...
FAUSTINE, comme en proie à une puissance invincible.
Jamais pareille audace!... oh! vous m'épouvantez!... lais-
sez-moi!., ce son de voix... ces regards... je ne sais quelle
puissance... Sortez!... sortez!...
CASSIUS, d'une voix émue.
Je vous obéis, — je me retire; — devant l'aveu de mon
amour, votre indignation s'est contenue... Je vais soumettre
les dieux à une dernière épreuve... (montrant son époe) et savoi
si cette épéo va se briser aussi contre ma poitrine !... (u fait un
pas pour sortir.)
FAUSTINE, avec un cri.
Cassius!... arrêtez!... (Cassius continue, sans se rctoirncr jusqu'à la
porte.) Ne partez pas sans m'entendrel...
CASSIUS, se retournant.
Si les dieux sont pour moi, qu'ai-je à craindre? si je me
suis trompé, pourquoi vivre?... Il faut que j'échappe à ces
incertitudes qui me rongent!... et, si je ne suis pas un pré-
destiné, au nom de César, je dois punir un infâme!... (ii va pour
sortir.)
4.
66 FAUSTINE.
FAUSTIKE, avec énergie.
Non!... vous n'avez pas le droit de mourir!... (Cassius s'ar-
rête.) Et si vous éprouviez réellement pour notre personne...
(Cassius se retourne vers elle) non pas de l'amourl... mais... l'af-
feclion la plus simple... l'attachement le plus ordinaire... en
prévision dis événements qui menacent, — vous nous con-
serveriez le seul appui qui nous reste!... Peut-on savoir ce
que les destins nous préparent?.. .Et cette dernière campagne...
avec tous ses périls et ses ébranlements de chaque juur...
quand il sullit dans la mêlée delà flèche perdue d'un barbare...
Oh! cela peut venir comme la foudre!... et vous nous aban-
donnez sans défense!...
CASSIUS, revenant vivement vers Fausline,
Mais, ce jour-là, vous serez seule... je serai libre!... Et...
quand j'aurai mis sous vos pieds les ambitions et les huines...
je pourrai vous aimer!... devant tous et à la face du soleil!..,
FAUSTTNE.
Une fois maître de ce trône, vous ne songerez guère peut-
être à maintenir en ma faveur des droits qui m'apparliennent
et que je n'abandonnerai qu'avec la vie.
CASSIUS, se récriant.
Mais, je serais un fourbe!... pouvez-vous croire?...
FAUSTINE, avec mélancolie.
Ah! nous croyons tout, nous autres!... les abnégations
sont si rares!... (Regardant les hauts plafonds de l'appartemont.) Il
tombe de ces murs je ne sais quel mépris pour l'humanité
tout entière, qui fait les cœurs serrés et les àines soupçon-
neuses!...
CASSIUS, avec feu.
Vos droits mesont sacrés!,., je le jure!
FAUSTINE, avec gravité.
Il ne s'agit d'ailleurs que d'une situation éventuelle... Tout
cela est encore dans la main des dieux, Cassius!...
CASSIUSj d'une voix tremblante.
Oui... mais... si j'avais seulement pour vivre... l'espoir le
plus lointain... quelque encouragement de votre bouche!,.,
FAUSTINE, comme très-omue.
Oh! parlez!,., parlez!...
AGTl' TKOISI^.ME. 67
CASSIUS, iasistaal.
Un mol encore!...
FAUSTINE, à voix basse, avec une grâce éuiue.
Aitendonsl...
CASSIUS, avec exaltation après avoir baisô sa main.
Par rôteriiité de Romel... puisque j'ai votre amour, je |)cux
atletidre rempire !...
FAUSTINE, avec autorité.
Silence, désormais!... reslez jusqu'au bout fidèle à voire
souverain; puisse le ciel le conserver longtemps à ses peu-
ples!... toute précipitation serait désastreuse... (Le regardant
fixement.) Je n'ai pas besoin oe vous dire qu'elle serait crimi-
nelle!... (D'un ton ému.) Partcz poup Aulioche, — plus tard...
si c'est la volonté des dieux que nous ayons à pleurer notre
auguste époux... nous vous donnerons le signal... Ne teniez
rien sans nos ordres... C'est à vous seul, Cassius, que nous
abandonnerons alors nos intérêts personnels avec le gouverne-
ment du inonde. Parlez!... (cassius son.)
SCÈNE III
FAUSTINE, seule.
Quoi qu'il advienne, l'avenir est assuré maintenant!... (Ap-
pelant ) Thrasylla !... (Prenant sur un meuble nn petit miroir d'argent, et
se miMUt, le flos tourné à la porte do gauche.) Tlirasylla I...
SCÈNE IV
FAUSTINE, BASEUS.
FAUSTINE, au bruit que fait Bascus en entrant avec impétuosité, toujours
le dos tourné à la porte et occupée à se mirer les cheveux.
Reliens la langue, — écoute-moi... (Baseus sourit.) Que tout
soit prêt dans une heure!... Nous partons, dès ce soir, pour la
villa près du Tibre. — Emporte nos bijoux, - fais rassembler
nos parures, — nous aurons lù-bas, quoi qu'on dise, des fes-
tins et des fêtes comme autrefois !... tu as entendu? Qu'on se
preiSe!,.. (Allant poser son miroir, mais toujours le dos tourné.) Ah!...
nous emmènerons avec nous les pantomimes et les joueurs de
fllilel... (Se retournant, avec un criinvolonlairc.) BaseuS ! 1 !
68 FAUSTINE
«ASEUS, s'inrlinant très-bas.
Ne troiivrnl là aucun officier de service, j'ai cru pouvoir
entrer de moi-même... pour vous donner plus lot des nouvelles,..
FAUSTINE, l'interrompant.
Vous, déjà!...
BASEUS.
J'ai accompagné les troupes jusqu'à la seconde halle après
Rome...
FAUSTINE, frémissant de colère et d'inquiétude.
Comment!... pas plus loin !... voilà donc votre zèle?... et la
façon dont vous servez votre maître?
BASEUS, à part, et jouant l'embarras.
Je le servais bien mieux,— en surveillant celte intrigue!...
FAUSTINE, d'une voix qui tremble malgré elle.
Il y a longtemps... que vous êtes au palais?...
BASEUS.
J'arrivp.
FAUSTINE, étourdiment.
El vous n'avez pas vu?... (S'arrûtant court, puis sur un ton d'in-
différence.) Vous n'avez rencontré personne?...
BASEUS, avec intention.
Pardonnez-moi!...
FAUSTINE, avec terreur.
Qui?...
BASEUS.
Thrasylla, qui s'est assoupie dans un coin...
FAUSTINE.
La sotte!.. . (Se retournant, à part.) Je respire!..,
BASEUS, à part, souriant. ,
C'est une précieuse connaissance que celte Daphnc!...
FAUSTINE, sèchement, se retournant vers Baseus.
Vous pouvez vous retirer, Baseus!
BASEUS, s'inclinant.
A VOS ordres!... (il sort.)
FAUSTINE, avec colère, en le regardant i>artir.
Toujours cet homme!.,, ne Irouverai-je donc pas quelque
moven de m'en débarrasser tout à fait?...
ACTE QUATRIÈME
SEPTIÈME TABLEAU
Galerie inagnilique dans la villa de Faustine. — Des colonnes à la mode syrienne,
semées d'éloiles d'or, de riches étoffes brodées de lunes d'arRont, des parfums
d'Asie, brûlant dans de riches trépieds. — On nperrnit au fond, entre les co-
lonnes, de vastes jardins pleins de (leurs. — Un trône est dressé pour Faustine.
Jets d'eau lumineux.
SCÈNE PREMIÈRE
BASEU-^, DAPHNÉ, Invités.
BASEUS, à gauche, parlant à Daphné, tandis que le cortège impérial se
développe au fond.
Scis lu ce que je me dis en songeant à celte fêle ot'i va s'é-
taler offrontémenl le souvenir de Cassiiis-;' C'est qu'il est temps
d'en finir et qu'un plus long retard serait une trahison envers
Marc-Aurèle.
SCÈNE II
Les Mêmes, FAUSTINE.
FAUSTINE; venant du fond.
Ce costume sévère... Est-ce une protestation, Baseus?
BASEUS.
Je suis resté Romain, voilà tout.
FAU>TINK.
Ce qui fait leBomain, Baseus, ce n'est pas lecoslume, c'est
l'accomplissement du devoir. Puisque vous êtes chargé des
messages, d'où vient, je vous prie, que nous n'avons aucune
nouvelle depuis quatre jours?
70 FAUSTINE.
BASEUS.
Personne n'est venu de Germanie... personne... j'en suis
aussi étonné que Voire Grandeur.
FAUSTINE.
II suffit ! (Apercevant Daphné et souriant.) C'est bien Cela, n'est-
ce pas?
DAPHNE, apercevant Fausline couverte d'une robe orientale, le sceptre en
main, les cheveux tressés en forme de mitre avec des rayons d'or et une
couronne de tours.
Pardonnez à la slupéfoction de voire servante, j'ai cru que
c'était la déesse syrienne qui entrait.
FAUSTINE, avec joie, s'isolant des dames.
Ahl Daphné, do quel poids terrible je me senssoiilagée, de-
puis que j'ai si courageusement accompli tout mon devoir !...
et cela sans crime, sans trahison, par prudence!... (Avec feu.)
Cassius est bien l'homme que j'aurais choisi dans ma jeunesse :
il est brave comme Antoine, el amoureux comme lui !... je
serai sa Cléopêtre !... Nous reprendrons, dcfns Rome môme, ce
rêve d'Egypte interrompu par Octave!... en altendanl, c'est
par des léles qu'il faut préluder à l'avenir!... apprivoisons
l'Ilalio aux SOIT)ptUOSités orientales... (montrant les invités parmi
lesquels se trouvent Libo et Sisenna) et que ICS partisans de CassiuS
s'accoutument, chaque jour, à me voir de près el à m'aiinerl...
(Elle se retourne a un pélude qui se fait entendre au fond.)
DAPHNÉ, à part, se retirant.
Aveugle'... aveugle!... (Allant à Baseus.) Dans tous les cas,
veille à toi cette nuit, Baseus.
BASEUS.
Sois tranquille 1 c'est entre elle et moi une lutte à mort: si
elle ose frapper, nous connaissons la riposte, (ils sortent.)
SCÈNE III
FAUSTINE, sur son trône, INVITÉS.
FAUSTINE.
A propos, vous allez voir à l'instant ces femmes étranges,
arrivées tout nouvellement de Syrie. C'est le général Cassius
qui, au milieu de ses occupations glorieuses, a truuvé le temps
d'être agréable à sa souveraine. (Entrée du ballet*.)
' Voir lanote page 97.
ACTE QUATRIÈME. 71
SCÈNE IV
Les Mêmes, RUTHJANUS.
faustine.
Par tous les dieux, qu'arrive-t-il? — Quoi! Rutilianus, vous
ici! (jui vous nnicne?
UUTILIANUS, bas.
Il faut que je parle à Votre Majesté sans délai.
FAUSTINE.
Parlez!
Impossible!
Comment ?
Tout ce monde!
FAUSTINE.
Ciel! qu'avez-vous donc à nie dire?
RUTILIANUS.
Calmez-vous I
FAUSTINE, liésitanl.
Serait-ce, par hasard?...
RUTILIANUS.
Pas ici, je vous en conjure.
FAUSTINE, indiquant la gauche.
Dans mes opparteinents alors, je vous suis. (Se rcioumani vers
les courtisans.) Cunlinuez... rieu de grave... vous nous reverrez
tout à l'heure, (a ses dames d'honneur qui veulent la suivre.) LaisSCZ-
moi. (Elle sort.)
RUTILIANUS.
FAUSTINE.
RUTILIANUS,
72 FAUSTINE.
HUITIEME TABLEAU
Appartement de la villa.
SCÈNE PREMIÈRE
FAUSTINE, RUTILIANUS.
FAUSTINE.
Vite, vile!
RUTILIANUS.
Que Votre Majesté rappelle aujourd'hui toute sa force d'âme.
FAUSTINE.
Nous en aurons... Mais de grâce...
RUTILUNUS, hésitant.
Marc-Aurèle...
FAUSTINE.
Achevez!
RUTILIANUS.
Marc-Aurèle est mort !
FAUSTINE, comme foudroyée.
Mort! (Se redressant après un premier anéantissement.) Comment?...
qui vous l'a dit ?
RUTILIANUS.
Un message arrivé... cette nuit... au sénat.
FAUSTINE.
A vous!... quand nous n'en savons rien la première!...
(a part.) Est-ce que déjà nous ne compterions plus dans l'em-
pire?
RUTILIANUS.
Je ne saurais expliquer à Votre Majesté par quelle circon-
ACTE QUATRIÈME. 73
slaiice extraordinaire celle nouvelle est arrivée directement
au sénat...
FAUSTINE.
Quoi qu'il en soit, prônez ganiel Une pareille nouvelle est
assez lourde pour faire tomber la Icte qui la porte.
RUTILIAMS.
Aussi n'ai-jc voulu la confier qu'à vous seule.
FAUSTINE.
Merci, merci ! Vous comprenez? la surprise!... Pas un mot
de ceci, Rutilianiis, j'ai besoin de trois jours, de quatre jours,
— que sais- je? Nous comptons sur la discrétion du sénat
cnmme sur sa fidélilé.
UUTILIANUS.
Je le jure
SCÈNE II
Les Mêmes, BASEUS.
BASEUS, qui a entendu en entrant les dernières paroles de Fausline.
Il est irop lard.
FAUSTINE.
Que voulez-vous dire?
BASEUS.
Les messagers du camp de Germanie se succèdent dans
Rome. — Il y en a dix, il y en a vingt, — et la fatale nouvelle
court de rue en rue avec la rapidité des llamines.
FAUSTIM':, s'emportant.
Eh bien, quand il y en aurait des centaines. Ce n'est pas
mon affaire, c'est la vôtre ; qu'il disparaissent celte nuit tous
ensemble. (Grande rumeurs au dehors.) Ce bruit... CCS clamcurs!
BASEUS.
La populace de Rome...
FAUSTINE.
Est-ce une révolte ?
BASEUS.
Pas encore... une preniièrcémotion... celte nouvelle...
FAUSTINE, îi Baseus.
Fermez toutes les entrées. — Faites tripler la garde! (La ru-
meur augmente.) Courez! courez!
74 FAUSTINE.
SCÈNE III
FAUSTINE, RUTILIANUS.
FAUSTINE.
Allez près d'eux, Rutilianus, apaisez ce tumulle... Mainte-
nez-les. Des ordres à donner, quelques précaulionsà prendre.
Dans un instant nous serons prêle à vous suivre... Et pour
montrer à tous combien ce cœur est sans crainte, nous allons
rentrer dans la ville sous Tescorte de notre peuple. (Elle le con-
gédie cl appelle.) Thrasylla !
SCÈNE IV
FAUSTINE, THRASYLLA.
FAUSTINE, bas à Thrasylla.
Daphné doit être quelque part dans le palais, — qu'on la
trouve!... (ihrasylla s'éloigne en courant.)
SCÈNE V
FAUSTINE, seule.
Grands dieux! ma tête se perd. Cassius là-bas... moi, seule
à Rome!... (Avec énergie.) Allons, Faustine, du courage!...
l'heure est venue de montrer au monde que tu es vraiment la
fille des Césars !... Quelle chaîne mystérieuse, et comme toutes
mes prévisions s'accomplissent!... Je devais pourtant m'y
attendre, — et voilà qu'aujourd'hui, c'est comme une chose
imprévue !... (Allant et venant avec impétuosité.) Mais le temps mar-
che, — pas un moment à perdre, — prévenons Cassius au
l)lus vite!... (Avec impatience.) Et cctte Daplmé qui n'arrive
jiasl... (ciiangeant de Ion.) l'révenir Cassius!... c'est le plus
J)ressé... (IlcgarJant autour d'elle.) Comme elle tarde!... (Vivement.)
Moi, pendant ce icmps-là, j'endormirai les esprits, et je l'erai
planer sur la ville, une longue incertitude, jusqu'au jour où
ma position plusl'orte... (Apercevant Dapimé.) Ah! la voilà enlin!...
la voilà I...
ACTE QUATRIÈME. 75
SCl^NE VI
FAUSTIiNE, DAPHNÉ.
FAUSTINE, allant à Dapliné.
Tu sais aussi ?...
DAPHNÉ, très-pâle.
Je sais tout.— Pourlanl... prenez garde!... ne précipilez
rien à Rome... allondez !...
FAUSTINE.
Nous allendrons, il le faut; — c'est pour gagner du temps,
ce que nous avons dit à ce peuple, de peur que, d'ici Va, quel-
que ambition ne s'éveille. On doutera toujours, nul ne soriira
de Rome sans nos ordres. Daphné, l'heure est venue, — peut-
on compter sur toi?...
DAPHNÉ.
Vous le savez.
FAUSTINE, loi saisissant la main.
Marc-Aurèle n'est plus, — Rome se lève, — je n'ai qu'un
cœur de femme, quand il faudroit un bras d'homme !... Autour
de nous, vois loi-même, des haines cachées ou des amitiés
douteuses. —Daphné, Daphné, c'est à toi seule que je m'a-
bandonne. — Cassius est là-bas, — tu vas partir?
DAPHNÉ, froidement.
Je partirai...
FAUSTINE.
Celle nuit même. — Des ordres secrets te précéderont sur la
route, — des relais l'allendronl, — tu trouveras un navire, —
mais nul autre que toi n'aura le mol du voyage. En des temps
comme les noires, les courriers sontsuspecls, on ne soupçonne
pas une femme...
DAPHNÉ.
Je suis prèle.
FAUSTINE.
Il le croira sans peine... (avec inieniion) il te connaît!... Dis-
lui que le temps presse, — qu'il se déclare empereur, — qu'il
écrive aux siens, — qu'il accoure... précédé de sa gloire, et
avec tout l'Orient derrière lui!... Et s'il hésite, Daphné, s'il
76 FAUSTINE.
recule... dis-lui que je suis libre... que je l'attendsl... (plus
bas) que je iaimel... ^^
DAPHNÉ, dissimulant sa colère.
Il suffit I... que les dieux prolégeut Voire Majesté I (Elle s'in-
cline et se dirige vers le fond.)
FAUSTINE, courant à elle.
Non, non, -cela ne sufût pas; -il peut douter, -j'ai nro.
mis un signal, - je dois tenir ma parole, _ un retard peut
tout perdre. (Montrant àDapimé une porte.) A'côté, là mes ta-
blettes!
DAPHNÉ.
J'y cours... (Elle sort par la porte indiquée.)
SCÈNE VII
FAUSTINE, seule.
De cette façon, c'est plus sûr, -je lui dirai tout moi-même
(Avec un geste dédaigneux.) Nous n'avons plus rien à ménao-pp
désormais!... "
SCÈNE VIII
FAUSTINE, DAPHNÉ.
DAPHNÉ, revenant avec le style et les tablettes.
Voilà !
FAUSTINE, prenant les objets.
Donne-moi vitel (Elle écrit rapidement, puis lui donnant les ta-
Lieues.) Tiens- pars, _ cela vaut mieu.x, - mon écriture -
mon cac.iet. (L'accompagnant de loin tout en parlant.) Plus d'hési-
tation possible -qu'il se hâte! (Rappelant encore Daphné qui é.ait
P.esqufi sortie.) Attends, attends encore!... (Tumulte au dehors.)
Celle (ouïe a beau crier!... Un dernier moven... j'oubliais'
(Elle sort.)
SCÈNE IX
DAPHNÉ, seule.
Que veut-elle dire?
ACTE QUATRIÈME. 77
SCÈNE X
FAUSTINE, DAPHNÉ.
FAUSTI.NE, revenant avec la riclie casselle que lui a donnée Marc-Aurèle.
Celle Casselle I... (Daplmé ouvre des yeux étonnés, tandis que Fausline,
tirant le manuscrit avec une cniolion involontaire, y subslilue ses tablettes e'
dit à part. Cassiiis la coniiaU; — il élail là, loiit près — quand
on l'a rtMllise enlre mes mains. (Haut, se tournant vers DapImé, et
lui donnant la cassette.) Bien !... va-l'en!... Moi , je retourne à
Rome, avec celle populace!... (a part, regardant Dapliné qui
s'éloigne et montrant du doigt la cassette cachée sous la tunique de la magi-
cienne.) C'est qu'il serait aveugle s'il ne comprenail pas main-
lenanli...
DAPHNÉ, à part.
C'est loi qiii l'as voulu, Cassius! (Elle sort.)
ACTE CINQUIÈME
NEUVIEME TABLEAU
Le palais impérial. — Mfrne apparteiiiont iiu'aii troisième tableau. — C'est la
nuit. — Lampes. — Tiépieds allumés. — Désordre et confusion dans les
choses et sur les visages. — Fausiiue s'est velue à la liàte; ses chevtux sont
à moitié dénoués ; les sénateurs muets et consternés, prét,int parfois l'oreille
aux liruits du dehors, se tiennent debout sur plusieurs rangs à droite.
SCÈNE PREMIERE
FAUSTINE, LES SÉNATEURS, RUTILIANUS.
FAUSTINE, se levant vivement en voyant Rutilianus entrer.
Ah!... Rutilianus... qu'avez-vous vu ?... que sait-on?...
RUTILIANUS, il s'avance lentement, et, d'une voix grave et émue.
Quelque chose qu'il arrive, — le sénat ne quittera pas Votre
Majesté, — sa place est près de vous, — il y reste! (Anxiété do
Faustine.)
FAUSTINE, avec impétuosité.
Celle flotte qu'on a vue... c'était donc vrai?...
RUTILIANUS.
Tous l'affirment, — les légions d'Orient doivent être débar-
quées en Italie!
FAUSTINE.
Et vous supposez que Cassius en personne...?
RUTILIANUS.
Par mes relations, dont je rougis, je connais malheureuse-
ment mieux qu'un autre ce dont cet homme est capable pour
régner !
FAUSTINE, vivement.
Vous en êles certain ?
ACTE CINQUIEME. 70
Rt'TILIANUS,
Trop, hclas '
FAUSTINE.
Mais... ces légions... à quelle dislance?...
RUTILIANUS.
On ne sait pas au juste. — On sonde la nuit; — on écoule...
la terreur est si grande que des villngos entiers ont reflué dans
la ville — et il y a des gens qui, l'oreille appliquée contre
terre, croient entendre par intervalles le galop des cohortes
et le roulement sourd des catapultes!...
FAUSTlNEj sculo, à part, tandis que les sénateurs la regardent en silence,
et semblent respecter «on accablement.
C'est bien, mon Cassiusl... on reconnaît les dieux à la
rapidité de leur foudre!... Daphné elle-même n'a pas eu le
temps de revenir! Il sera donc ici, dans ces murs, déjà maitrc
de Rome, avant que la mort de Marc-Aurèle ne soit une cer-
titude pour le peuple!... Quant aux patriciens, Liho et Sisenua
m'en ré()ondent.— C'est bien i c'est bien! pas uu obstacle sé-
rieux sur sa roule!...
RUTILIANUS, s'approcbanl de Fausiine pour la rassurer.
J'ai fait garder la ville; — tout ce qui nous reste de gens
armés est aux portes!...
FAUSTINE, l'interrompant avec véhémence.
Des gens armés!... que dites-vous?... quelle démence!...
que peuvent vos citoyens contre des légions éprouvées? Où
sont vos généraux?... vos hommes de guerre?... Vous n'avez
plus même ce Baseus slupide qui a disparu de Roiiio depuis
longtemps!... Mais vous provoquez là une effusion de sang
inutile!... mais vous exposez Rome à toutes les horreurs du
pillage!...
RUTILIANUS, avec force, après un moment de stupéfaction.
Atlondrons-nous en paix les volontés de cet homme?...
Faut-il ouvrir nos murailles aux proscriplions qu'il apporte?...
et n'est-ce pas à la dernière extrémité seulement qu'une sou-
veraine a le droit de fuir devant un usurfiateur?...
FAUSTINE, avec fierlé.
Nous ne fuirons pas, Uutilianus!... nous irons nous-mêmes
au-devant de lui!
80 FAUSTINE.
RUTILIANUS.
Vous-même !
FAUSTINE.
Toutes portes ouvertes!...
RUTILIANUS.
Grands dieux!
FAUSTINE, haussant les épaules.
Qu'espérez-vous donc d'une résistance impossible?...
RUTILIANUS.
Arrêter, du moins, l'ennemi jusqu'à l'arrivée d'un secours.
FAUSTINE.
Les secours sont loin,— prenez garde!... celui que nous
pleurons tous, m'a cunOé ce peuple au départ. — Le sang du
peuple est trop cher pour qu'on le répande en pure perte!...
Tandis qu'en nous montrant à ce Cassiiis, par notre seule
présence, par l'auloriié du sénat, par cette amitié même qui
vous lie, (elle regarde Rulilianus) nous pOUVOUS espérer...
RUTILIANUS, avec force.
N'espérez rien de Cnssius, votre grand cœur vous trompe. —
Cassius est incapable de se repentir, — Cassius n'est plus
mon ami, c'est un l?raitre!...
FAUSTINE, froidement.
Alors, nous irons seule.
RUTILIANUS.
Jamais!... jamais le peuple ne laissera Votre Majesté courir
les chances d'une pareille entrevue!...
FAUSTINE, se redressant terrible.
Ahl je ne suis donc pas libre?... Nous allons voir cela tout
à l'heure!... Qui [larle ici de violence?... Pensez-vous, qu'avec
les officiers de ma maison, je ne saurai pas me faire au travers
de cette foule, une trouée assez large pour y passer à mon
aise!... et ne me savez-vous pas femme ii écrire ma volonté
sur la poitrine de voire penple, avec les quatre pieds san-
glants de mon cheval! (On entend tout à coup un grand tumulte à
peu de distance.) Mais... écOUtCZ donc!... écoutez!... (Grand
tumulte.)
RUTILIANUS, très-ému.
Le tumulte grandit!...
ACTE CINQUIÈME. «4
FAUSTINE, écoutant avec anxiété.
Il doit se passer là quelque chose d'exlraordinaire! (Le bruit
augmente. Tous les sénateurs qtiiltenl leurs rangs en désordre.)
nUTILlAMJ?, ('foulant toujours.
On dirait une grande foule qui s'avance !
FAUSTINE.
Si c'était lui?... (Avec force.} C'est lui !. . c'est Cassius... j'en
suis sûre!... (\ Rulilianus, avec une so'te de triomphe mal dissimulé.)
Vous voyez bien, niainlenaiU, ce qu'il a fait de vos gens
armés et de vos portes closes!...
RUTILIANUS, se tournant avec majesté vers les sénateurs qui se sont dis-
persés çà et la.
Sénateurs, à vos places!... (So menant à la tite des sénateurs.)
Le sénat romain doit garder sa dignité pour mourir!...
FAUSTlNEj reculant de terreur avec un cri involontaire, a l'apparition de
Marc-Aurèle sur le seuil de la porte.
Ahl...
SCÈNE II
Les Mêmes, MARC-AURÈLE, puis GALIEN, FRONTO, quel-
ques Oi'i'iciERS, Soldats.
César I
César 1
RUTILIANUS, mettant un genou en terre-
TOUS Li> 'l'vATEiTRS, avec enthousiasme.
MAnc AURELE, avec énergie.
Et bien vivant, je vous jure!... Merci à vous, sénateurs, —
nous étions siir d'avance de vous trouver ici, à votre poste !
Au milieu de tant de perfidie et de mensonges, nous nous ren-
dons cette justice que nous n'avons jamais douté du sénati
FAUSTliNE, à part.
Pas un regard !... 11 sait tout!...
MARC-AURÈLE, so tournant vers Faustine.
Merci à votre tour, chère Faustine; notre empressement seul
à vous voir nous lait arriver à temps pour comprimer ce
tumulte t. .. Vous êtes aujourd'hui notre bonne étoile, comme
toujours!...
5.
8-2 FAUSTINE.
FAUSTINE, à part.
Ne saurait-il rien, par hasard?...
MARC-AURÈLE, aux sénateurs.
C'est en revenant à Rome que nous avons appris le soulève-
ment d'Antioche et toute cette folie de Cassius; — mais nous
ne supposions pas, connue on vient de nous le dire au passage,
qu'il avait poussé la démence jusqu'à pénétrer en Italie!... (se
retournant vers Fausiine.) Il faut quc cct hoiume ait bien grave-
ment olTensG les dieux, pour qu'ils abandonnent son esprit à
d'aussi monstrueuses témérités!... (Remarquant l'émotion do Faus-
tine.) Mais, le ciel me pardonne, vous paraissez toute trem-
blante!..,
FAUSTINE, balbutiant.
Tant de félicité^ quand nous n'espérions plus vous revoir!...
un premier mouvement... n'y pensons plus!... ce n'est rien...
(LuUant avec énergie ) Ce misérable corps a des révoltes d'es-
clave, mais il a beau se débattre, il faudra bien qu'il porte
tout mon bonheur sans plier!
MARC-AURÈLE, avec joie.
L'heureuse idée d'avoir pris les devants, cette nuit même,
avec une cohorte de prétoriens, et les personnes de notre en-
tourage!...
RUTILIANUS, avec effroi.
Qu'entends-je ?... Est-il possible que Votre Majesté soit
venue, ici, sans plus de monde? Mais vous ne savez donc [)as
que l'usurpaleurs'avance, et qu'au seul bruit de votre arrivée,
nous avons tous pensé que c'était lui !...
MARC-AURÈLE, avec tranquillité.
Rassurez-vous, Rutilianus, — la répression sera plus fou-
droyante que la révolte! Notre cavalerie esta peu de distance,
et Pertinax la suit d'assez près, avec le gros des légions nou-
velles...
FAUSTINE, h part.
Ce sont ces légions-là qu'on entendait... je respire I
RUTILIANUS.
Mais si, avant l'arrivée de votre cavalerie, Cassius...
MARC-AURÈLE.
Nous l'inrêlerons, voilà tout. —Nous avons cette nuit même
un rempart inexpugnable, un mur solide qui ne craint rien
ACTE CINQUIÈME. 83
des béliers de Cassius. -C'est la juslico de notre cause!. . Ce
rempart-là, ce ne sont pas les hommes qui le delcndcnt, ce
sont les dieux!..-
KAUSTINE, à part.
Rien n'est perdu!
MAUC-AURÈLE, aux sénateurs.
Au conseil! suivez-nous, - c'est une rcsolulion prompte et
énergique qu'il nous laul ! (Tous le suivent par le fond, à rcxceplioa
de Fausiine.)
SCÈNE 111
FAUSTINE, seule.
Uien n'est perdu, on peut l'avenir encore, rien n'est fait.
SCÈNE IV
FAUSTLNE, DAPHNÉ.
DAPHNÉj apparaissant tout à coup au fond.
Les vœux de Votre Majesté sont accomplis.
KAUSTINE.
Dapiiné!
DAPHNÉ.
Avidius Cassius est empereur!
FAUSTINE, hors d'elle-même.
Lui!... déjà!...
DAPHNÉ.
L'Orient arrive sur l'Italie.
FAUSTINE.
Quelle démence!... c'était bien le moment de se précipiter
de la sorte!
DAPHNÉ, avec un mépris concentré, à part.
Voilà donc son amour à elle !...
FAUSTINE.
Écoute, - tu vas repartir; - le mieux, pour Cassius, c'est
de s'arrêter dans cette voie...
84 FAUSTINE.
DAPHNÉ.
S'arrêter!... c'est facile à dire. —Le peut-il?... et n'a-t-il
pas à coQipter, détonnais, avec tous ceux qu'il a eniralnés
dans sa cause?... Ah! loin de l'arrêter, si vous l'aimez... quel-
que peu...
FAUSTINE.
Mais il n'y a pas à choisir!... mais c'est le seul moyen de
sauver sa tète! mais je ne peux pas me jeter ouvertement
dans cette révolte!...
DAPHNÉ, à part, avec désespoir.
Il est perdu!., par moi... et voilà que je l'aime plus encorel
FAUSTINlî, la poussant convulsivement.
Pars, — le dis-je !...
DAPHNÉ, immobile.
A quoi bon, puisiiu'ou lever du soleil, il doit entrer à Rome,
avec ses légions?...
FAUSTINE, avec un grand cri.
Lui, à Rome!...
DAPHNÉ.
Je le précède de quelques heures, — il me suit.,.
FAUSTINE.
Daphné, veux-tu me rendre un service qui sera plus grand
mille fois que les autres ?...
DAPHNÉ.
Parlez ?
FAUSTINE, froidement.
Tue-moi !
DAPHNE, d'une voi.ï sombre.
Ce n'est pas à vous de mourir.
FAUSTINE, fièrement.
Tu n'attends pas, je suppose, que je descende pour vivre,
aux soumissions et aux prières,
DAPHNÉ.
^ Je n'attends de la fille d'Antonin que des résolutions dignes
d'elle! —Le front qui a porté un diadème ne doit s'humilier
devant personne!
ACTE CINQUIÈME. 85
iaustim;.
Tu vois bien que c'est pour moi une ncccssilé d'eu liuir!
DAIMINK.
Je ne connais de nécessité que celle du destin I
FAL'STINE, avec emportement.
Ah! ne me parle plus du destin!... Anrais-je clé si crédule,
si tu ne m'avais pas annoncé la uiortd"un empereur?
PAPIINK, fioiJement.
J'ai dit dans l'année, et l'année n'est pas révolue!
FAl'STINE, avec ironie.
Pour quelques jours de moins!
DAPHNÉ.
C'est assez!
FAUSTINE, vivement.
Que veux-tu dire?
DAPUNÉ, très-bas.
Avez-voiis entendu parler quelquefois, de ces morts étranges
qui faisaient trembler Home chaque jour, au temps de l'empe-
reur Oomitien? Sur la place publique, aux promenades, dans
les rues, partout où vont les fouies, on voyait des hommes
tomber tout à coup, sans bless;ire apparente, sans une con-
vulsion, sans un cri... (fiiand on les relevait, ils étaient
morts !
FAUSTINE, inquiète.
On m'a dit cela, — mais la cause?
DAPUNÉ.
C'était un amusement, une idée, comme il en vient parfois
aux débauchés sans besogne !... j'ai trouvé leur secret... (Lui
tendant une longue aiguille d'or.) Je VOUS l'apporte 1...
FAUSTINE, regardant avec surprise.
Une aiguille!... (Elle 7a pour la prendre.)
DAPUNÉ, la retirant vivement.
Prenez garde! sa piqiire sulfil.
FAUSTINE.
Elle est donc empoisonnée ?
DAPUNÉ.
C'est probable...
86 FAUSTINE
FAUSTINE, se reculant.
Horreur!
DAPHNÉ.
Vous vous trompez, c'est une compagne fidèle, — une amie
jjûre. — Elle ne me quille jamais dans la vie. (Avec orgueil.) Ou
a le monde à ses pieds, quand on a la mort sous sa main!...
FAUSTINE, avec un geste de répulsion.
Emporte cela, —je refuse!
DAFHNÉ, montrant l'aiguille.
Mais cela, songez-y, c'est Rome! à vous! c'est un trône..
FAUSTINE.
Oh! ne me tente pas!... ne me tente pas!...
DAPHNÉ, même jeu.
Cela c'est l'amour d'Avidius Cassius!... l'amour de cet
homme qui s'est perdu pour vous plaire!
FAUSTINE, hors d'olle-mêmo.
Tais-toi! tais-loi!
DAPHNÉ, baissant la voix.
Pas de sang répandu, — pas une trace visible, — rien de
ces choses douteuses qui font parler les histoires!
FAUSTINE.
Va-t'en !... va-l'en !...
DAPHNÉ.
Vous hésitez?... Elle hésite!... mais vous ne l'avez donc
jamais aimé? mais vous n'avez donc pas usé des nuits tout
entières à rugir de ses dédains, ou à vous enivrer de son
image r... Mais vous devez dune à la grandeur de votre nais-
sanc*e, un cœur froid et dur comme le métal de couronnes?...
Ah ! je ne suis ici que votre esclave, mais je me sens plus
haute que vous par l'amour !
FAUSTINE.
Tu l'aimes donc aussi?
DAPHNÉ, comme se révoillaut.
Qui dit cela?
' FAUSTINE.
Ton audace!
ACTE CINQUIEME. 87
DAI'HNÉ.
Jamais!
FAUSTINE, froidement.
J'en suis sûre!
DAPHNÉ.
Mais pour plaindre cet homme et l'arrêter sur \o {ioulTre,
lie me sullil-il pas d'avoir élé, entre vos mains, l'insirument
l'alal de sa ruine?
FAUSTINE, avec autorité.
Assez I
DAPHÎSÉ, se jetant à ses pieds.
Au nom du ciel! ne croyez pas!... c'est que vos lieu ressent
com|)tées, cl que j'ai résolu de vous sauver, lous les deux!...
pourquoi !... que vous importe I parce que je vous aime peut-
être I parce que ce serait un spectacle magnifique que vous et
lui sur le même trône!... Nous avons, parfois, de ces ca[)ricos
là, dans la foule!.. . Souvenez-vous, seulement! oh ! si je pou-
vais tout vous dire! il était libre, — il partait — je l'ai perdu
par vos ordres!... et vous ne lui donnerez rien en retour?
FAUSTINE.
Je lui donne ma vie, c'est assez!...
DAPHNÉ, avec mépris.
Mourez donc! vous avez raison de mourir! je me suis
trompée de mesure, en jugeant de la vigueur de votre âme,
par l'intrépidité de vos rêve !... mais pressez-vous, le temps
marche. (Montrant l'appariemeût du fond ) Voici venir le philosophe
avec sa férule!... Fille des Césars, allez vous cacher dans une
tombe! (Elle se dirige vers la porte.)
FAUSTINE, d'une voix étranglée.
Daphné !...
DAPHNÉ, se retournant à peine.
Mourez, vous dis-je!...
FAUSTINE, entendant du bruit au fond et prêtant l'oreille.
Oh! c'est par trop souffrir!... ne me regarde pas!... (D'une
voix brève et ferme.) DonnC-la moi !
DAPHNE. Elle revient, sans parler et tend l'aiguille dont Faustine s'empare
vivement et qu'elle place dans ses cheveux; puis à part.
Il est sauvé! (Daplmé sort.)
88 FAUSTINE.
SCÈNE V
FAUSTINE, seule.
Avec cela sur ma têle, je peux attendre en paix le destin 1
SCÈNE VI
FAUSTINE, MARG-AURÈLE, Sénateurs.
MARC-AURÈLE, tout en marchant.
En marche, mes amis; allons voir de près ce qui se passe;
c'est une philosophie agitée que la nôtre, pour peu que cela
continue, nous n'aurons même pas le temps d'écrire nos
pensées avant de mourir... (Il se dirige vers la porte de sortie.)
FAUSTINE, à part, se précipitant à ses cotés.
Oh ! je ne le quitterai pas cette fois !...
SCÈNE VII
Les Mêmes, BASEUS.
BASEUS, perçant la foule des sénateurs.
Place! place!...
FAUSTINE, a part.
D'oij vient-il donc?... (Baseus se précipite aux pieds de Marc-
Aurèle.J
MARC-AURÈLE.
Que veut dire?...
BASEUS, sans se relever.
La place d'un grand coupable est sous les pieds de son
juge!...
MARC-AURÈLE, étonné.
Baseus!... coupable!... Tout à l'heure, en elïet, nous vous
cherchions ici vainement... se pourrait-il?...
BASEUS.
Ordonnez mon suppplice!... (se relevant avec orgueil) mais ne
condamnez pas ma mémoire!... Le crime que j'ai commis est
de ceux qui sauvent les empires!...
MARC-AURÈLE.
Expliquez- vous 1...
ACTE CINOUIÈME. 89
FAUSTINE, à part, très- troubléo.
Quel mystère?...
BA?i:us.
Connaissant à fond la mauvoise foi de Cassius, j'ai lait
n)oi-rnênie parvenir à Rome la fausse nouvelle de votre mort!
MARC-AURÈLE.
Vous-même!...
FAUSTINE, à part.
Misérablel...
BASEUS.
Une simple épreuve... dont je n'avais pas calculé toutes
les conséquences !... Je savais seulement que Cassius en serait
vile instruit par ses complices, el qu'il ne mettrait pas une
heure entre cette nouvelle el sa trahison!
MARC-AURÈLE, avec désespoir.
Qu'avez-vous fait, BaseusI... elà quelles terribles extrémités
avez-vous réduit tout un peuple ?
BASEUS.
Mais aussi, qui pouvait prévoir l'exaltation d'Antioche, et
cet emportement de la Syrie!...
MARC-AURÈLE, sévèremeut.
Celui qui ne craignait pas de leur en fuurnir le prétexte !...
BASEUS.
Si j'ai commis la faute... j'ai compris, du moins , que
c'était à moi de la réparer, et, quittant l'Italie pour les lieux
mêmes où dev&it éclater la révolte...
MARC-AURÈLE, l'interrompanl.
Que pouviez-vous, à cette heure!...
BASEUS, avec énergie.
Arrêter le rebelle!. .
.MARC-AURÈLE, liauisant les épaules.
Il marche sur Rome !...
BASEUS, frùidemcnt.
Il est mort ! (Sensalloa générale.)
MARC-AURÈLE, avec un geste de stupéfaction.
Lui!
90 FAUSTINK.
FAUSTIND, frissonnante, à part.
Qu'enlends-je?
BASEUS.
Au moment où je parle, et sous les yeux de la ville entière,
sa tête sanglante est suspendue dans le forum !...
MARC-AURÈLE, levant au ciel ses mains tremblantes.
Est-ce possible?... est-ce possible?... (Tous se regardent avec
terreur.)
FAUSTINE, vivement à Baseus.
Mais ces légions d'Orient qui s'approchaient!... qu'on a
vues 1...
BASEUS, à Fausline.
C'est moi qui les conduis, — ces légions sont soumises...
(Se tournant vers l'empereur.) Elles viennent implorer, h genoux,
le pardon d'une erreur momentanée, d'un égarement dont je
suis cause, et qui s'est dissipé de lui-même à la seule nou-
velle de votre retour à la vie!... (Avec force.) Oui, je le déclare
avec orgueil, quand le centurion Anlonius a frappé le traître,
à sa première étape sur le sol d'Italie , l'armée entière était
avec le centurion... les principaux coupables ont tous subi le
même sort, à l'exception d'Aper, qui s'est échappé, dans le
tumulte...
MARC- AURÈLE, vivement.
Aper, son lieutenant?...
BASEUS, avec force.
Son complice ! ..
MARC-AURÈLE, avec abattement.
Ah! Basons!... Baseus!... vous avez imprimé sur notre
règne une tache sanglante!... une tache ineffaçable!... les
dévouements comme le vôtre sont mauvais à la réputation
des princes!... Vous êtes bien coupable, en effet, vous qui
nous enlevez, du môme coup, la gloire de le soumettre et le
bonheur de lui pardonner ! (Uaseus reste interdit; Marc-Aurèle couvre
son visage de ses mains.)
FAUSTINE, à part, d'une voix saccadi'e.
Voilà donc celui qui devait mourir dans l'année!...
MARC-AURÈLE, relevant la tète.
Qu'on épargne au moins toute sa famille!... qu'aucune
recherche...
ACTE CINQUIÈME. 9i
UASEUS, avec énergie.
Au nom du ciel, ol dùl ma lêle tomber après mes paroles,
se peut-il que le snng de Cassius ail clé versé inulilemenl, el
que Votre Majesté Terme les yeux sur Antioche rebelle, sur
Rome complice, sur tout d'opprobres el de Irahisous à la
fois!...
FAUSTINE, vivement, à part.
Il a raison!... si Libo el Sisenna soupçonnaient!... il faul que
toul soil elTacé derrière moi !...
WAIIC-AURÙLE.
11 ei"it mieux valu pour nous être mort, si notre retour dans
Rome devait couler une seule larme à noire peuple!...
FAUSTINE , timidement.
Cependant... quelques exemples salutaires... dans l'intérêt
de l'Étal.... de votre existence même!...
MARC-AURliLE, avec un doux rcproclie.
Vous aussi, ma cbère Faustine!...
FAUSTINE, avec force.
Moi surtout qui suis voire épouse, cl dont la destinée est
inséparable delà vôtre!...
BASEUS, vivement, à rinipcratrice.
Ob! si Votre Majesté désire pénétrer plus avant dnns ce
complot (montrant son manteau aux larges plis), j'ai là, peut-être...
car l'empereur avait seul le droit de s'en assurer... des
])reuves certaines^et des renseigtiemenls de la plus baule im-
portance!...
FAUSTINE, vivement.
Montrez!...
BASEUS, tirant de dessous son manteau la cassette de Faustine.
C'est une cassette trouvée dans la chambre même de l'ustu'-
paleur.. .
FAUSTINE, il part, reculant avec épouvante.
Dieux!...
.MAHC-AURÈLE, à part, changeant de visage.
Qu'ui-je vu?... (il regarde longuement Faustine éperdue.)
BASEUS, tendant la cassette à l'empereur.
La seule chose échappée à l'incendie de sa maison!... (L'em-
92 FAUSTINE.
pereur restant immobile, Baseus va vers Faustine avec un air d'ignorance.) Il
doit y avoir, là-dedans, des révélations précieuses!... (Faustine,
anéantie, n'a pas l'air de l'entendre.)
MARC-AURÈLE, à pari, avec désespoir.
Faustine!... Faustine !...
BASEUS, se tournant vers l'empereur.
Personne!... pas même .moi!... (II montre la cassette fermée avec
le cachet de Cassius.)
MARC-AURÈLE, d'une voix grave.
L'affîrmez-vous?...
BASEUS, levant la main.
Je le jure!...
MARC-AURÈLE.
Donnez-la donc!... (ll prend la cassette d'une main tremblante.)
FAUSTINE, à part, avec terreur.
Ma lettre!... (Tout à coup, elle tire furtivement de ses cheveux son
aiguille empoisonnée, avec un regard terrible du côté de l'empereur.)
MARC-AURÈLE, après avoir regardé longuement la cassette.
Nous le jurons par les dieux, voilà une cassette qui né serait
pas trop payée avec les richesses de l'univers!... (Prenant la
cassette des deux mains.) Puisque tout est bien là !...
FAUSTINE, se glissant sourdement vers lui.
Malheur!...
MARC-AURÈLE, il évite Faustine, sans le savoir, par un mouvement vers la
gauche, où se trouve un trépied allumé.
Que tout soit anéanti!,.. (ll jette la cassette dans le brasier. Fauslino
vaincue, reste péirifiée à sa place.) La (aligue de régner est déjà
assez lourde, sans y ajouter encore l'obligation de haïr!... (Sc
retournant vers Fauslino avec douceur.) Votre amitié pOUr noUS VOUS
égarait tout à l'heure!... comme si la clémence n'était pas
la première vertu des souverains!... (Bas.) C'était pourtant
noté dans le manuscrit!... (se retournant vers les sénateurs.) Mais
il est temps d'aller rendre nous-mème, aux dépouilles san-
glantes de Cassius les honneurs qui appartiennent à un gé-
néral romain! quels qu'aient été ses crimes, nous ne soulTri-
rons pas que sa tête reste un moment de plus exposée aux
insultes de la populace!... (s'adressant à Baseus.) Vous Conduirez
le deuil, Baseus, — ce sera là votre premier châtiment. . (ii
sort avec tout le monde.)
• ACTE CINQUIÈME. 93
SCENE VIII
FAUSTINE, seule, avec mi effroi nièlé d'admiration.
Quel est donc cet homme-là qui esi plus grand que les au-
tres, et que nos passions n'atteignent plus?... (Avec désespoir.)
IS'ée pour la lutte, j'aurais bravé sa vengeance!... C'est sa gé-
néro^ilc qui m'écrase!... (Avec amertume.) Comme il doit me mé-
priser maintenant 1... (Avec effort et d'une voix plus émue.) Mais
non !... les hommes comme lui ne nous méprisent pas, — ils
nous plaignent!... (Avec effusion.) Ah! si j'avais encore le droit
de l'aimer!... avec quel bonheur j'aurais été son esclave!...
Comme tout ce passé sombre se serait évanoui devant la séré-
nité de ma joie !... (Avec un mouvement d'espoir.) Qui Sait?... l'in-
dulgence d'un dieu n'a pas de limites. (Regardant le trépied.) Lui-
même, a brûlé là toutes les preuves!... (Se levant.) Rien dé.>^or-
mais...
SCÈNE IX
FAUSTINE, CASSIUS.
FAUSTINE, avec un cri étranglé, en apercevant, debout, devant elle,
Cassius en haillons, et qui a rejeté le capuchon de laine qui recouvrait sa
tête pâle.
Ah!... (Reculant avec terreur et cachant ses yeux avec sa main.) Le
•spectre ! le spectre!
CASSIUS, avec énergie,
.le vous avais promis de revenir!...
FAUSTINE, toujours de loin, d'une voix tr^îmlilanto.
Grâce!... retourne à la tombe!... je t'y suivrai!... laisse-
moi !...
CASSlUS.
Restez!... je vis encore!... je suis toujours Cassius !...
FAUSTINE.
Vous!... et moi qui osais encore espérer !...
CASSlUS.
Celui qu'ils ont tué, c'est Aper.
FAUSTINE.
Comment?
94 FAUSTINE.
CASSIUS, avec émotion.
Sa ressemblance avec moi a trompé les assassins; il s'est
dévoué.
FAUSTINE, faisant un pas vers Ini.
Et après ?...
CASSIUS.
Après? je n'ai qu'un mot à dire à ceux qui me croient mort,
pour précipiter tout l'Orient sur l'Italie, — comme une mer
qui déborde! Dix mille hommes, entendez-vous, dix mille
hommes savent ici que ces haillons sont de pourpre! Rien n'est
(ini, vousdis-je, entre Marc-Aurèle etCassius; — c'est monde
contre monde, il y aura du sang jusqu'au ciel !
FAUSTINE, avec une ironie mélancolique.
Vous croyez?...
CASSIUS,
J'en suis sûr.
FAUSTINE^ h voix basse.
Marc-Aurèle sait tout...
CASSIUS, avec un cri de rage.
Marc-Aurèle !
FAUSTINE.
iNe parlez plus d'empire lorsque nos heures soncomptées!...
Cassius I la nuit qui vient sur nous est sans rêvel... Que ferez-
vous désormais, errant, maudit, sans soutien, traqué de ville
en ville, vous qui n'avez rien pu quand vous commandiez une
armée?...
CASSIUS, av3c amertume.
Oh! ce Marc-Aurèle!... Ne pouvant vaincre en face, il a des
meurtriers à ses gages!... Là-bas sur le forum, aux pieds du
Capitule, la populace soudoyée entoure en rugissant de joie
une lélc livide!... Il m'a semblé que c'était la mienne!... J'ai
senti sur ses joues le souinet des crocheteurs avec le crachat
des prosliluéL'S, et je viens de le voir lui-même^ qui allait join-
dre son insulte aux imprécaiions de la foule!... (Bruit de trom-
pettes au dehors.)
FAUSTINE, avec solennité.
Écoulez!... écoutez!...
CASSIUS, prêtant l'oreille.
Quel est ce bruit?... ces sons funèbres ?...
ACTE CINQUIÈME. 93
FAUSTIXE.
Ce sont vos funérailles qui passent 1...
CASSIUS, éperdu.
Comment!...
FAUSTINE.
C'est lui qui mène ce cortège, et qui fait rendre à ce qu'il
croit vos dépouilles, autant d'honneurs publicsqu'ellcsont subi
de malédictions et d'outrages!...
CASSIUS.
On fait grâce aux morts, c'est facile! on pardonne moins
aux vivants.
FAUSTINE.
Il m'a pardonné, Cassius!...
CASSIUS, allant à elle.
Ah ! vous voulez vivre, vous ?
FAUSTI.N'E.
Non, mourir.
Pourquoi ?
Je l'aime !...
CASSIUS, haletant.
FAUSTINE.
CASSIUS, comme foudroyé.
Qu'ai-je entendu?
FAUSTINE, froidement.
La vérité tout entière !...
CASSIUS, éperdu.
Oh! pas ce mol !... pas ce mot!...
FAUSTINE.
Nous pouvons bien tout nous dire à présent que nous som-
mes là, comme deux morts qui causeraient de la vie à ira-
vers les fentes de leurs tombes!... (Avec exaltation.) Je l'aime!
parce qu'il est le seul grand, le seul juste... Je vais moirir,
Cassius, parce qu'il est si bon que j'ai honte!... Parce que la
fille des Césars ne peut avoir devant les yeux la preuve vivante
de son crime! (Elle se pique au sein et tombe dans des convulsions
subites. J
CASSIUS, se précipilant vers elle.
Grands dieux I...
96 FAUSTINE.
SCÈNE X
Les Mêmes, MARC-AURÈLE.
MARC-AURELE. 11 s'arrête comme pétrifié sur le seuil, puis s'élance vers
Faustine, et reconnaissant tout à coup le général.
Cnssius!... (Cassius, fasciné par le regard du vrai empereur, recule invc)-
lonlairement, muet et pâle.)
FAUSTINE, se redressant un peu et d'une voix suppliante à Marc Aurèle.
Voire main 1... (Elle la saisit, et le regarde de bas en haut avec ter-
reur comme un Dieu.) C'est llioi-lïlènie!... (Couvrant la main de baisers
et de larmes ) Pardoil!... pardon!... (Elle s'affaisse de nouveau entre
les bras de l'empereur.)
MAUC-AURÈLE, apercevant l'aiguille d'or qu'elle tient dans ses doigts crispés.
Faustine!... que s'est-ii donc passé !... celle aiguille !...
FAUSTINE, se relevant par un dernier effort et jetant l'aiguille par terre.
N'y touchez pas!... (tlle retombe tout d'un bloc.)
MARC-AURÈLE, éperdu.
Au secours!..,
SCÈNE XI
Les Mêmes, GALIEN.
GALIEN, Il accourt, examine le cadavre et à voix basse.
Elle est mortel... (Galien considère Marc-Aurèle en silence ; puis, sui-
vant la direction de ses regards, il aperçoit l'aiguille à terre ; il pose dessus sa
sandale au bruit de ceux qui arrivent.)
SCÈNE XII
RUTILIANUS, SÉNATEURS, puis THRASYLLA et DAPHNÉ.
CASSIUS, se retournant.
Morte!... appelez vos bourreaux.., ordonnez tous vos sup-
plices.,, c'est bien le moins, — pour un tel triomphe, — (pi 'il
y ait deux lêtes sur le forum !,.,
MARC-AURÈLE,
Voire lêle?,.. Eli! que voulez-vous qu'on on fasse?,.. Celle
de (;iassius nous suffit!,,.
ACTE CINQUIÈME. 97
CASSIUS, so récriant.
Celle de Cassius?... mais vous vous Irompez... voyez
donc !...
WARC-AURKLE, avec autorité.
Je ne me trompe jamais, Aper!...
CASSIUS, comme foudroyé.
Aper!... par tous les dieux !...
MARC-AURÈLE.
Oh! n'essayez pas ce mensonge! Cassius, du moins, a su
finir comme un homme! la ville enliore a reconnu son vi-
sage!... et nous avons posé sur sa tomhe une pierre assez
lourde, pour qu'aucun bras ne la soulève!... Rentrez dans la
foule, votre obscurité vous protège, et l'exislcnce que je vous
laisse n'est pas de celles dont on s'inquiétera désormais. — Le
général Cassius a vécu.— Le centurion Aper est au-de>soiisde
nos vengeances!... sortez!... (Cassius anéanti fait un pas vers la
porte de sortie en face. Daphné apparaît sur le seuil des appartements de
Fausline.)
DAPHNÉ, a part, montrant du doigt Cassius.
Quelqu'un, du moins, l'accompagnera dans son ombre!...
(Elle disparait.)
Note. — On a remplacé par des psyles, le ballet des étoiles, indi-
qué dans le manuscrit.
Les personnages du ballet sont en tuniques, les danseuses qui repré-
sentent les étoiles blanches, pailletées d'or avec l'étoile au front, se
groupent par constellations, disparaissent parfois, comme sous des
nuages, dans les plis (r(Tliarpcs flottantes — Diane, coiffée du crois-
sant, avec une robe hunée d'argent, — à travers les groupes et les mou-
vements réguliers des astres, des comètes vagabondes, traînant derrière
elles leur longue chevelure, droite et toute poudrée d'or. ' es révolutions
s'accomplissent au son d'une musique de cristal, vague et douce, cou-
pée par le soupir des harpes éoliennes, — puis la scène s'empourpre, —
le ciel rougit, par degrés. — Les danseuses s'efl'acent sous leurs voiles
et se retirent lentement par le fond; voici l'Aurore, humide de rosée,
semant des fleurs, un bandeau de perles au front et faisant signe de
venir. — La musique se fait vive et joyeuse, comme le chant matinal
des oiseaux. — Phebus arrive, et danse quelque temps avec l'Aurore,
— puis il reste seul, environné de rayons; — explosion de l'orclieslrc.
98 FAUSTINE.
— et, bientôt, par degrés, comme des flots successifs, impulsion, sur
le théâtre, de touies les folies du jour, de tous les bruits de la grande
capitale. C'est la vie tumultueuse succédant au repos solennel et à la
tranquille harmonie des sphères. — Voici venir le joies brutales et les
danses échevelées : la Cordace, la Mouche, la Satyre, etc. — Au rai-
lieu de cette effervescence, entrée grave de Rutilianus,
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