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Full text of "Faustine; drame en cinq actes, en neuf tableaux"

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F/VUSTINE 


DRAME 

Représenté  pour  la  première  fois,  à  Paris,  sur  le  théâtre  de  la  Porte- 
Saint-Marlin,  le  20   février  1864. 


CHEZ   LES    MEMES    EDITEURS 


OUVRAGES 

DE 

LOUIS    BOUILHET 

Format  grand  in-18 


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^ 


r^ 


FAUSTINE 


dramp:  en  cinq  actes 


EN     NEUF     TABLEAUX 


LOUIS    B  0  U  I  L  II  E  T 


<-i. 


l'AUlS 


MICHEL  L[- VY  FRÈRES,  LIBKAIRES  ÉDITHUUS 

KUE   VIVIENNE,    2    BIS,    ET   BOULEVARD   DES    ITALIENS,     4o 
A    LA    LlBUAliUK    NUUVIiLLIi 

4864 
Tous  dioits  lésorvés 


PERSONNAGES 


•  chevaliers  romains. 


MARC-AURÈLE,  empereur 

AVIDIUS  CASSIUS,   général   romain, 
BASEUS,  préfet  du  prétoire.    .   .   .    , 

APER,  centurion 

ANTOJNIUS,  centurion 

CRISPLXUS,  riche  afTranchi 

LIBO,         I 
SISENNA,  ) 

LOENAS,  poète 

GALIEN  ,    médecin 

CORNELIUS  FRONTO,   stoïcien.    . 

RUTILIANUS,   sénateur 

HECTOR,  gladiateur 

LAMPADIO,  esclave  nomenclateur.  . 

CORAX,  boucher 

GRUMIO,  forgeron 

FAUST!.\E,  femme  de  Marc-Aurèle. 

DAPH.N'É  ,    magicienne       

THRASYLLA,  suivante  de  Faustine 

IRIS,   haladine 

GALLA,   courtisane 

Un   MAITRE    DES   CÉnÉHONIES. 
Une   MAKCllANDE    DE    FL^lg^S. 

Gardes  Ou  prétoire.  ' 

Légionnaires. 

Sénateurs. 


MM. 


Clarence. 

Fer.naxd. 

Chauly. 

Montal. 

Anton  IN. 

Laurent. 

Ucherard. 

Stuart. 

Vannov. 

A.  Louis. 

Lansoy. 

Chérv. 

Fleuuy. 

Mercier. 

Durand. 

Marchand. 

A  car. 

Dl'GL'ERRET. 
MORIN. 

L.   Ubans. 
E.  David. 


PlIlLOSOPHES. 

Esclaves. 

Hommes  kt  femmes  du  peuple. 

Danseurs  et  danseuses. 

Musiciens. 


Bésh 


La  scène  se  passe  en  Italie. 


S  adresser  pouç  la  mise  en  scène,  à  M.  Mourier,  souffleur  du  théâtre. 


F  A  U  s  T I N  E 


ACTE  PREMIER 

PREMIER       TABLEAU 

Chez  Cassius,  le  soir,  domi-obscurité. 


SCENE  PREMIERE 

Un  Esclave,  APER. 

APER. 

Éleins  celte  lampe. 

l'esclave. 

Seigneur  Aper... 

APER,   éteignant  la  lampe. 
Appelle-moi  Cassius,   animal,   ou  je   l'éliangle,  va-l'en... 
(a  D.iphnc.j  Venez,  ma  charmante. 

SCÈxNE  II 

APEH,  DAPHNÉ. 

DAPHNÉ,  amoureusement  penchée  sur  Aper. 
Si  fti  savnis,  (Cassius!...  oh!  maintenant  que  tu  m'aimes,  je 
poux  bien  te  dire  toutes  ces  choses,  —  que  de  fois,  qunnd  tu 
passais  sur  les  places,  je  t'ai  suivi  de  loin,  dans  la  loule,  plus 
pâle  et  plus  tremblante  que  celte  femme.  d'Egypte,  qui 
était  amoureuse  d'un  D.eul...  J'attendais...  j'espérais...  je 
consultais  mes  oracles...  lus  léies  les  plus  hautes  se  sont  cour- 
bées à  ma  porte,  mon  nom  de  magicienne  emplit  aujourd'hui 
loule  la  ville...  et  toi  qui  n'as  pas,  pour  nos  mystères,  les  dc- 

i 


2  FAUSTINE. 

dains  aveugles  de  Marc-Aurèle...  lu  n'es  pas  venu,  cepen- 
dant!... 

APER,  avec   embarras,    contrefaisant  la  voix  de  Cassius. 
J'ignorais  alors... 

DAPHNÉ,  vivement. 
Ne  te  défends  pas,  mon  Cassius!...  qu'importent  les  angois- 
ses passées?...  tu  n'arrivais  pas,  je  suis  venue,  heureuse, 
entends-tu,  de  jeter  à  tes  pieds,  comme  une  esclave,  celte 
beauté  qu'on  admire,  et  dont  je  ne  suis  plus  fière  que  pour 
toi!... 

APER,  tâchant  de  voir,  à  la  dérobée,  l'heure  que  marque  l'horloge  d'eau. 
Chère  Daphné!... 

DAPHNÉ,  ayant  surpris  son  geste,  et  se  levant  aussitôt. 

Mais...  j'y  songe...  il  est  peut-être  temps  que  je  te  quitte?... 

APER. 

Il  est  vrai  qu'à  cette  heure  même...  cependant... 

DAPHNÉ,   s'avançant  vers  la  porte  du  fond. 

Oh!  ne  crains  pas  que  mon  amour  t'importune,  au  milieu 
des  grandes  choses  qui  t'occupent!  Ta  gloire  est  la  mienne! 
j'emporte  assez  de  joie  pour  attendre!...  et  si  jamais  sans  être 
appelée  je  franchissais  de  nouveau  cette  porte...  ce  ne  serait 
que  pour  l'avertir  d'un  danger!... 

APER. 

Daphné  sera  toujours  la  bienvenue! 

DAPHNÉ,   tirant    de    son    sein  un    petit  sachet,   pendu  à  une  cordelette. 
Tiens,  —  pi'onds  ce  sachet,  —  porte-le  sur  toi,  afin  d'être 
Inérable  comme   Achille!...  C'est  un  charme  d'Egypte, 
ai  tracé  les  mots  avec  mon  sang! 

APER,   prenant  le  sachet. 

Merci!  merci!...  (Dapimc  sort.) 

SCÈNE   III 

APER,  ANTONIUS. 

ANTONIUS,  il  arrive  par  la  droite  en  costume  militaire,   une  lampe  h  la 
main  cl   éclatant  do  rire. 

Ah!  ah!  ahl...  la  bonne  histoire  I...  Par  Hercule!  mon  brave 


ACTE  PREMIER.  3 

Aper,  c'est  tout  profit,  la  nuit  aidant,  de  ressembler  comme 
toi  à  Cassiusl 

APER,    conslerné. 

Anlonius!  au  nom  des  dieux!...  silence!, ..tu  étais  donc  là?... 

ANTONIUS. 

Mais  sans  doute,  dans  l'appartement  à  côté  ;  —  ne  m'avais- 
lu  pas  donné  rendez-vous  pour  la  neuvième  heure  sur  le  fo- 
rum? Tu  m'oubliais,  sans  reproche...  je  suis  venu,  j'ai  vu,  lu 
as  vaincu  !...  (r.csio  d'Apcr.)  Il  vaut  mieux  que  je  me  sois  trouve 
là  qu'un  esclave  de  la  maison,  je  suppose? 

APER,   aiïeclant  un  air  dégagé  tout  en  ouvrant  le  sachet. 

Une  simple  espièglerie! 

ANTONIUS. 

J'entends  bien  !  (indiquant  le  sachet.)  Fais-moi  voir  un  peu... 

APER,  lisant  avec  peine,  tandis  qu'Anlonius  regarde  par-dessus  son  épaule. 
Epima  —  Eregbuo  —  Thésogar  —  (Se  retournant  vers  Anlonius.) 

Entends-tu  cela,  toi  ? 

ANTONIUS.   , 
Pas  beaucoup!  (n  tourne  et  retourne  le  papyrus.) 
APER,   fermant  le  sachet   et  le  passant  k  son   cou   sous  sa   luniquo. 

C'est  un  charme  d'Egypte,  qui  garantit  des  blessures... 

ANTONIUS. 

Oui,  —  cela  sur  la  poitrine,  avec  une  bonne  double  cui- 
rasse!... (Èciaiani  de  rire.)  Tu  vois  bien,  moH  diguc  ami,  que  la 
vertu  est  toujours  récompensée!... 

APER. 

Plus  un  mol  là-dessus,  je  te  prie!...  je  serais  vraiment  déses- 
péré qu'une  misère  pareille  te  fil  douter  de  mon  alTection  pour 
Cassius! 

ANTONIUS,   avec  une  gravité  comique. 

Au  contraire... 

APER,  avec  humeur. 

Écoute-moi  donc,  cl  daigne  un  peu  me  comprendre:  —  tu 
ne  connais  pas  Cassius  !...  (Mouvement  d'Anionius.)  Tu  connais  sa 
valeur,  mais  son  point  vulnérable,  —son  ctMé  faible,—  c'est  la 
femme!...  Sais-tu  ce  qu'il  y  avait  au  fond  de  cette  première 
révolte  qu'il  tenta  si  malheureusement  sous  le  précédent  cm- 


4  FAUSTINE. 

pereur,  et  qui  lui  aurait  coûté  la  vie,  si  l'on  n'avait  eu  égard 
aux  longs  services  de  sou  père?,.,  il  y  avait  une  Cenime!... 
(lias.)  Il  y  avait  Fausline!... 

ANTONIUS,   hésitant  à  compreadro. 

Fausline  ?     * 

APER. 

La  fille  d'Antonin,— aujourd'hui  la  femme  de  Marc-Aurèle  I ... 

ANTONIUS. 

Tu  me  raconles-là  des  choses  étranges I 

APER. 

Peu  de  personnes  ont  pénétré  ce  mystère.  —  Fausline  peut- 
être,  n'en  a  rien  su  elle-même;  c'était  alors  une  enfant 
d'une  quinzaine  d'années  tout  au  plus:  —  il  en  était  fou,  — 
voila  1  humme  !... 

ANTONIUS. 

Mais,  aujourd'hui?... 

APER,  avec  force. 

Nous  ne  voulons  plus,  pour  Cassius,  de  ces  rêveries  d'amou- 
reux!... 

ANTONIUS,   souriant. 
f    El  alors.  . 

APER. 

^''>  Alois,  Anlonius,  foulant  sous  mes  pieds  les  pudeurs  de  com- 
^  m'a^xie  et  les  vaines  lois  des  amiliés  ordinaires,  —  comme  il 
nous  faut,  avant  tout,  un  terrain  solide,  une  impulsion  vigou- 
reuse, et  que  celle  Dapliné,  avec  son  amour  mêlé  de  magie, 
me  faisait  peur  pour  Cassius,  trop  porté,  de  nature,  à  ces  su- 
perblilioMS,  —  je  me  suis  jeté  entre  lui  et  celle  femme,  comme 
je  n)e  jetterais  demain  s'il  le  fallait,  entre  sa  poitrine  el  une 
épée  nue!...  Couiprends-lu  ?... 

ANTONIUS. 

Mais,  un  jour  ou  l'autre,  elle  saura... 

APER,   haussant  les  épaules.  • 

Lui  sauvé,  que  m'imporle  !...  Cette  femme  d'ailleurs  n'a  ja- 
mais parlé  de  près  à  Cassius.  (Souriant.)  C'est  une  mince  aven- 
ture, au  milieu  des  événements  qui  se  préparent!... 

ANTONIUS. 

Tu  veux  parler  de  l'expcdilion  de  Germanie  ? 


ACTE  PREMIEH.  S 

APKR. 

Il  s'agit  bien  de  cela,  maintenant t 

ANTOMUP,    stupéfait. 

Comment!  tu  ne  crois  donc  pns  h  la  gnerre  ?  Vindcx  dôfait 
et  liiô,  —  trente  mille  cadavres  romains  sur  le  champ  de  ba- 
taille, et  les  barbares  sous  Aquiléel...  C'est  une  bonne  et  belle 
guerre,  mon  ami,  s'il  en  l'ut  jamais  une,  do  mémoire  de  cen- 
turion !...  je  m'ennuyais  à  mourir,  dans  ce  pays  d'Antioche  ; 
—  aussi,  dès  demain,  avec  la  protection  deBaseus... 
APER,   l'interrompant. 

Baseus!  Baseus!...  qu'il  se  garde  lui-même,  avant  de  pro- 
téger les  ntitros!.., 

ANTOMUS,    se   récriant. 

Le  préfet  du  prétoire!  le  favori  de  César! 

APER,   d'une  voix   sourde. 

La  tète  du  valet  n'est  pas  plus  solide  sur  ses  épaules,  que  le 
trône  du  maître  sur  les  rochers  du  mont  Palatin! 

ANTOMUS. 

Quoi!... 

APER.  secouant  la  tê'e. 
Celte  grande  déroute  de  Vindex  n'est  pas  la  pire  de  nos  ca- 
lamités, —  le  mal  est  plus  ancien,  plus  profond;  —  qu'atteiids- 
tu  de  ce  règne,  toi  qui  ne  possèdes  qu'une  épéo?  —  On  n'en 
veut  plus!  —  on  pérore!  —  une  nuée  de  philosophes  s'est 
abattue  sur  le  monde.  — Joins-y  la  peste  à  Rome,  —  les  incen- 
dies, la  lamine,  et  la  terre  qui  tremble  d'elle-même,  comme 
pour  secouer  toutes  ces  houtus! 

ANTONIUS,   avec  mélancolie. 

Tu  me  surprends  beaucoup,  je  t'assure!...  Nous  autres,  là- 
bas,  nous  n'avions  qu'une  inquiétude...  Celte  maladie  récente 
de  Marc-Aurèle. 

APER,  brusquement. 

Vous  vous  trompiez  là-bas,  voilà  tout!  —  Un  homme  nous 
reste  —  un  seul!  —  l'homme  des  légions  —  le  vainqueur  des 
Parlhes  —  le  Cassius  d'Antioche!...  je  t'en  dirai  plus  long, 
quand  lu  voudras  bien  être  des  nôtres...  (Écoutant  vers  le  fond.) 
On  vient...  (a  part.)  Les  conjurés,  sans  doute!...  (Haut^  poussant 
Anlonius  vers  la  porte  de  gauche.)   Va  devant,  —je  Suis  à  loi  tOUt  à 

l'heure;  —  lu  sais  (}ue  nous  devons  souper  ensemble,  cette 


6  FAUSTINE. 

nuit?.,.  (Le  regardant  sortir.)  Il  serait  dangereux  qu'Antonius 
connût  leurs  visages,  avant  d'avoir  embrassé  notre  causal... 

(Se  relournant  vers  le  fond.)  Ah  !...  Cassiusi... 

SCÈNE    IV 

APER,  GASSIUS. 

CASSIUS,  il  entre  par  le  fond  et  est  entièrement  vêtu  comme  Aper. 

Personne  encore  ? 

APER. 

Personne. 

CASSIUS. 

C'est  cependant  pour  la  douzième  heure  que  j'ai  convoqué 
ici  les  chefs  des  quatorze  régions  de  la  ville... 

APER. 

Ils  vont  arriver.  —  Quelles  nouvelles  ? 

CASSIUS,  avec  joie. 

Bonnes,  très-bonnes!...  et  puis...  (changeant  de  ton.)  Mais  tu 
vasrire;,  —  tu  n'y  crois  pas... 

APER. 

Va  toujours  ! 

CASSIUS. 

Sais-tu  qui  j'ai  rencontre  ce  soir  même,  chez  mon  vieil  ami, 
le  sénateur  RuliUanus?...  le  fameux  Alexandre!... 

APER. 


Le  magicien? 
Tu  l'as  dit. 


CASSIUS. 


APER,  bas,   à  part. 

Allons!  pas  de  chance!... 

CASSIUS,  vivement. 

J'ai  consulté  pour  nous  tous,  —  bien  entendu  que  je  n'ai  pas 
formule  dans  ce  monde-là,  le  but  de  mes  questions  et  l'objet 
caché  de  mes  vœux—  Evohé!  mon  ami,  succès  complet! 
réussite!  un  avenir  superbe!  (Riant.)  Sans  compter  les  félicita- 
tions du  sénateur!... 


ACTE  PREMIER.  7 

APER,   avec    calme. 

Eh  bien,  moi,  CassiusJ'ai  trouvé  mieux  que  Ion  Alexandre; 

—  j'ai  mis  la  main  sur  ce  vieux  légionnaire  de  Syrie,  que  je 
t'ai  lait  remarquer  l'autre  jour;  —  c'est  un  cœur  solide  —  un 
bras  ferme,  comme  il  nous  en  l'audrait  beaucoup  pour  l'action. 

—  Je  te  jure,  par  les  dieux,  que  toutes  les  prophéties  de  la 
terre  ne  vaudront  jamais  une  bonne  épée  gauloise  entre  les 
mains  d'un  tel  homme!...  Voilà  deux  jours  entiers  que  je  le  cul- 
tive, et,  si  je  ne  me  trompe,  je  pourrai  le  le  présenter  dès  ce 
soir  même,  dans  un  état  de  maturité  complète!  (Écoulant  au 
fond.)  On  frappe,  —  les  gens  viennent.  —  (Montrant  la  sonio  Jo 
gauche.)  Antonius  m'attend,  —je  te  quitte!... 

CASSIL'S,   rêveur,   pendant  qu'Apcr  sort  par  la  gauclie. 

Il  y  a  cependant  des  choses  qui  nous  dominent! 
SCÈNE  V 

CASSIUS,   et  successivement,  LES  CuEFS  DES    QUATORZE  RÉGIONS. 

PREMIER  CONJURÉ,   d'une  voix  grave  ;  il  est  couvert  comme  les  autres 
d'un  long  manteau,   et   d'un  pdtase  à  grands  bords. 

Voie  sacrée! 

UNE   VOIX. 


DEUXIEME   CONJURE. 


TROISIEME    CONJURE. 


Passez! 
Forum! 
Porte  Gapène! 

QUATRIÈME   CONJURÉ. 

Esquilles! 

CINQUIÈME   CONJURÉ. 

Aventin  ! 

CASSIUS. 

Entrez,  camarades,  le  temps  fuyait  —j'avais  peur. 

SIXIÈME   CONJURÉ,    entrant. 

Palatin! 

SEPTIÈME   CONJURÉ. 

Temple  dlsis! 


8  FAUSTINE. 

HUITIÈME   CONJURÉ. 

Porte-au-sel! 

CASSIUS,   les  coiniUant. 

Deux  —  quatre—  huit... 

NEUVIÈME   CONJURÉ,    entrant. 

Temple  de  Janus  ! 

CASSIUS. 

Neuf. 

NEUVIÈME   CONJURÉ. 

D'aulres  nous  suivent  dans  l'ombre... 

CASSIUS. 

C'est  bien,  —  nous  serons  au  complet,  tout  à  l'heure  ! 

DIXIÈME    CONJURÉ. 

Suburrel 

ONZIÈME   CONJURÉ. 

Colline  des  Jardins! 

DOUZIÈME   CONJURÉ. 

Mausolée  d'Auguste  ! 

TREIZIÈME   CONJURÉ. 

Le  grand  Lavoir! 

QUATORZIÈME   CONJURÉ. 

Le  grand  Cirque! 

CASSIUS,   après  les  avoir  biea  comptés. 
Quatorze!  (Avec  énergie.)  Mes  amis,  j'ai  des  discours  pour  les 
autres  —  mais  avec  vous,  un  moL  sulfil  :  Êtes- vous  prêts? 

LES  CONJURÉS.) 

Nous  le  sommes  ! 

CASSIUS. 

Tous  vos  gens  sont-ils  disséminés  par  la  ville? 

LES   CONJURÉS. 

Tous! 

CASSIUS. 

Eh  bien,  compagnons,  pour  la  dixième  heure,  à  demain! 

PREMIER   CONJURÉ. 

Demain,  —  c'est  bien  lardl... 


ACTK   l'UEMlER.  9 

DEUXIÈME   CONJURÉ. 

Pourquoi  pas  aujourd'hui'!'...  nous  avons  nos  poignards  et 
nos  ôpées  !... 

CASSIUS,   avec  calme. 
Parce  que,  d'ici  là,  bien  des  choses  me  restent  à  l'aire  qui 
sort  indispensables  à  la  consolidation  du  succès. 

PREMIER   CONJURÉ. 

Dès  l'aube,  alors! 

CASSIUS. 

Iu)po?sible!...  il  faut  que  je  lâte,  une  dernière  fois,  les  vieux 
républicains  qui  hésitent,  et  j<'  n'ai  pas  trop  de  toute  la  journée 
pour  m'entendre,  d'une  façon  définitive,  avec  les  patriciens 
mécontenis! 

DEUXIÈME    CONJURÉ. 

Tu  t'exposes  trop,  —  prends-y  garde! 

CASSIUS. 

Cette  sécurité-là  fait  ma  force  —  et  le  sans-gêne  de  (mes 
allures  est  un  masque  jeté  sur  le  sérieux  de  mes  plans,  (a  tous 
les  conjurés.)  Donc  à  demain,  sans  délai. 

LES    CONJURÉS. 

Sans  délai  ! 

CASSIUS. 

Fiez-vous  à  moi,  mes  amis;  —  n'ai-je  pas  pour  mission  de 
surveiller  tous  les  côlts  à  la  f  lis?...  Il  faut  bien  vous  le  dire, 
ce  qui  nous  manque  le  plus,  c'est  l'argent!... 

PLUSIEURS   CONJURÉS. 

C'est  vrai!...  c'est  vrai  I... 

CASSIUS,  froidement. 

Raison  de  plus  pour  attendre  1 

PREMIER   CONJURÉ. 

Mais  ton  moyen?... 

CASSIUS. 

Sois  tranquille,  —  une  mine  d'or  inépuisable,  c'est  la  vanilé 
d'un  sol.  Je  soupe,  celte  nuit,  chez  le  riclie  affranchi  Cris- 
pinus!...  (Pendant  cette  dernii'rc  plirase,  Daphné,  voilée,  est  entrée  dans 
l'appartement,  suivie  de  l'csclave-portier  de  Cassius.) 

1. 


10  FAUSTIiXE. 

SCÈNE  IV 

Les  Mêmes,  DAPHNÉ,  l'Esclave. 

PREMIER   CONJURÉ,    apercevant  Daphné   qui    est    voilée,  et    s'aJressaat 
vivement  à  Cassius. 

Général! 

CASSIUS,  se  retournant  et  voyant  aussi  Daphné. 

Que  veut  dire? 

l'esclave,  balbutiant. 

Cette  femme...  qui  tantôt... 

CASSIUS. 

Hein? 

l'esclave. 

Vous  savez  bien. 

CASSIUS. 

Comment? 

l'esclave. 
Pardon...  j'ignorais...  j'ai  cru  pouvoir... 

CASSIUS,  faisant  un  pas  vers  l'esclave  qui  se  sauve. 

Imbécile!...  si  je  comprends  un  mot  aux  stupidités  qu'il 
débile!... 

DAPHNÉ,  avec   calme  et  autorité. 

J'ai  à  te  parler,  Cassius. 

CASSIUS. 

A  moi? 

DAPHNÉ . 

Le  temps  presse. 

CASSIUS,  ironiquement. 

Tu  as  mal  pris  ton  heure  ! 

DAPHNÉ. 

Ce  n'est  pas  pour  moi  que  je  viens. 

CASSIUS. 

Pour  moi  non  plus,  je  suppose!  (Lui  montrant  la  porto.)  Je  no 
te  connais  pas,  —  kiisse-nous. 


ACTE  PREMIER.  li 

DAPHNÉ,  ccarlanl  son  voilo. 

Oh!  si  ma  voix  l'échappe  —  tu  rcconiiailrasbien  ma  figure! 

CA5S1US,   la  regardant  en  faco. 

Pas  plus  que  la  voix  —je  raffirmc!... 

DAPHNÉ,  Irès-agitce. 

Coininenl!...  Gassius!..,  (Bas.)  Aujourd'liui  même!... 
CASSIUS,   se   retournant  vers   les   conjurés,  après  avoir  longtemps  regardé 
Daphné. 

Elle  esl  Colle  1 

DAPHXÉ,  exaspérée. 

Tu  ne  m'as  jamais  vue  ? 

CASSIUS,  froidement. 

Jamalsl 

DAPHNF,  à    part. 

Et  il  me  regarde!  et  il  m'écoule!  et  il  n'a  pas  changé  de 
visage  I 

PREMIER    COMJURK,  à  demi-voix. 

Si  c'était  quelque  espion? 

DEUXliî:ME    CONJURÉ,  plus  haut. 

J'en  ai  l'idée! 

TROISIÈME    CONJURÉ,  avec    éclat. 

J'en  suis  sûr! 

TOUS  LES  CONJURÉS,  tirant  leurs  épées,  et  entourant  Daphné. 
A  mort  !...  à  mort!... 

DAPHNÉ,  à  part. 

Oh!  mon  premier  amour!  ma  première  l'autc!  (Haut  )  Une 
seule  chose  le  manquait,  Gassius,  c'était  de  me  faire  assassiner 
dans  celle  maison  !... 

CASSIUS. 

Arrêtez,  mes  amis,  —  laissez  partir  celte  femme,  —  nous 
sommes  assez  forts  pour  ne  rien  craindre!...  (Les  conjurés  s'écar- 
tent des  deux  côtés  de  Daphné,  mais  toujours  l'épée  îi  la  main.   Gassius  se 

tourne  vers  la  magicienne.)  Quelque  but  que  lu  cherches,  et  quelque 
métier  que  lu  lasses,  —  la  maison  où  esl  mort  mon  père  est  un 
lieu  sacré  qui  le  sauve  !...  (Aux  conjurés.)  Ge  n'est  pas  dans  im 
sang  comme  le  sien  qu'il  faut  puiser  noire  première  libation 
aux  dieux  vengeurs  ! 


12  FAUSTINE. 

DAPHNE,  reculant  avec  stupôfaclion  et  terreur. 

Ah  !...  (A  part,  d'une  voix  éteinte.)  Moi  qui  venais  l'averlir  que 
Baseus  a  des  ordres!... 

PREMIER  CONJURÉ,  à   Cassius. 

Pourvu  que  lu  n'aies  pas  à  te  repentir  de  cette  indul- 
gence!... 

CASSIUS,  à  Daphné. 

Va-t'en!...  n'irrite  pas  leur  colère!...  (Lut  montrant  les  con- 
jurés.) Songe  que  ton  salut  n'est  que  dans  le  mépris  de  ces 
hommes!... 

DAPHNÉ,  à  part,  en  frémissant  d'indignatiou. 

Ahl  il  soupe  cette  nuit...  chez  Crispinus...  il  se  souviendra, 

cette  fois!...  (Elle  se  dirige  vers  la  porte  du   fond,  entre  deux  rangs  de 
conjurés  qui  gardent  toujours  l'épée  à  la  main.) 


DEUXIEME    TABLEAU 

Un  vaste  trlclinium,  ou  salle  à  manger,  chez  le  riche  affranchi  Crispinus.  — 
Peintures  murales.  —  Lampes  suspendues  à  de»  chaînons  d'argent.  —  La 
scène  est  à  Rome,  la  nuit. 


SCÈNE    PREMIÈRE 

APER,  AOTONIUS,  HECTOR,  LIBO,  SISENNA,  IRIS, 
GALLA. 

Au-devant  de  la  scène,  à  gauche,  Antonius  et  Aper.  — Au  fond,  Iris  et  Galla 
assises  sur  un  lit  de  pourpre^  la  main  dans  la  main,  souriantes. — A  droite, 
Libo  et  Sisenna.  —  Au  milieu,  Hector. 

APER,  bas,  à  Antonius,  en  lui  prenant  la  main. 

Voyons,  es-tu  des  nôtres  ? 

ANTONIUS,  souriant. 

Après  souper,  nous  verrons  ! 


ACTK  PHEMIKU.  13 

HECTOR,   allant  vers  Libo  et    Sisonna. 

Un  Crispiiius!...  faire  allendre  chez  lui  des  gens  comme 
nous!...  c'est  Irop  Ibrl!  .. 

SISENXA,  bas,  à  Libo. 
Des  gens  comme  nous!...  l'as-tu  entendu,  Libo!...  il  est. 
délicieux,  ce  gladiateur!...  se  comparer  à  des  chevaliers!... 

G.VLI.A. 

Quel  bonheur,  ma  chère  âme,  je  ne  m'attendais  guère  à  vous 
rencontrer  celte  nuit. 

IRIS. 

Que  vous  êtes  bonne! 

OALLA. 

Si  longtemps  sans  nous  voir,  je  languissais  loin  de  vous. 

IRIS. 

Et  moi  donc  ! 

GALLA,    se  levant,  et  parlant  bas  à  Sisenna. 

Sisenna  ! 

SISENNA,  se  retournant. 

Ma  toute  belle? 

GALLA,  regardant   do  coin  sa  compagne. 

C'est  à  toi  que  nous  devons  la  présence  d'Iris?... 

SISENNA,  se  rengorgeant. 
Mais,  sans  doute!... 

GALLA,  avec  une  colère  concenlrco. 
Connaissant  mes  intentions  sur  Crispinus,  tu  avais  bien 
besoin  d'amener  ici  celle  baladine!... 

SISENNA,  à  Galla  qui  lui  tourne  le  dos. 

Pardon,  Galla,  je  ne  pensais  pas...  j'ignorais... 

GALLA,  se  retournant,  et  montrant  Hector  à  Sisenna. 
Ce  n'est  pas  Hector  (}ui  l'erait  jamais  une  chose  pareille!... 

(Hector  sourit  de  confiance,  et  se  cambre  avec  majesté,  tandis  que  Galla  va 
rejoindre  Iris  et  cause  avec  elle,  d'une  façon  charmante.) 
ANTONIUS,   bas,  à  Aper. 

Nous  en  avons  un  peu  de  toutes  les  espèces,  mon  brave 
ami!... 


li  FAUSTINE. 

APER,  do  même,  à  Antonius. 

Oh!  tu  n'as  pas  vu  le  plus  beau,  —  c'est  notre  hôte,  —  un 
digne  mortel  qui  se  fait  suivre  éternellement  d'un  esclave, 
pour  noter,  d  heure  en  heure,  tous  les  bons  mots  qu'il  peut 
dire!...  un  honnête  homme,  parti  de  rien,  qui  a  entassé,  les 
unes  sur  les  autres,  des  montagnes  de  sesterces,  à  fournir, 
pour  les  armées,  du  blé  malade  et  du  lard  rance!,.. 
UN  ESCLAVE,  du  dehors,  d'une  voix  chantante. 

Crispinus!.,. 
UN  DEUXIÈME   ESCLAVE,    du    dehors,   d'une   voix  plus   aiguë    encore  et 
plus  proche. 

Crispinus!... 

UN  TROISIÈME  ESCLAVE,  d'une  voix  grave,  apparaissant  à  la  porte. 

Le  seigneur  Crispinus!... 

SCÈNE  II 

Les  Mêmes,  CRISPINUS,  LAMPADIO,  Esclaves. 

Il  entre  par  la  porte  de  gauche,  avec  une  couronne  de  myrte  sur  la  tête  et 
une  longue  tunique  traînante.  —  Le  cortège  est  dirigé  par  l'esclave  dégus- 
tateur. Larapadio  suit  immédiatement  avec  des  rouleaux  de  papyrus.  — 
Deux  joueurs  de  flûte  qui  viennent  par  derrière,  marquent  la  cadence  et 
ferment  la  marche.  —  Crispinus  est  appuyé  sur  deux  jeunes  enfants  qui 
lui  soutiennent  les  couetes. 

CRISPINUS. 

Pardon,  pardon,  mes  amis!...  je  crois  vraiment  que  je  me 
suis  fait  attendre!...  une  partie  d'osselets...  la  tyrannie  du 

jeu!...  vous  savez?...  (Avec  une  affabilité  protectrice.)  Bien  qu'il  n'y 

ait  rien  au  inonde  qu'on  ne  soit  heureux  de  quitter  pour  une 

compagnie  comme  la  vôtre!...  (Tous  saluent,  il  se  dirige  vers  Aper. 

Salut,  d'abord,  à  l'illustre  général  Cassius!... 
aper,  s'inclinant. 

Vous  VOUS  trompez,  seigneur...  je  ne  suis  que  son  ami  le 
plus  humble!... 

CRISPINUS,  très-désappointé. 

Cette  ressemblance!...  je  fais  toujours  la   même  faute!.. 
.]'espcre,  néanmoins,  qu'aucun  empêchement  imprévu... 

APER. 

Cassius  viendra!... 


ACTE   PREMIER.  1o 

CRISPINUS,  à  pari. 

La  fatalité  s'en  mêle,  je  n'arriverai  pas  le  dernier. 

AI'IiR. 

Vous  comprenez...  nos  alTaircs... 

CRISPINUS,   so  rengorgeant. 

Sans  doute,  sans  doute!.. .  à  qui  lcdiles-vous?...jelesais!... 
(Bas.)  Il  n'y  a  aucun  danger  pour  moi,  n'est-ce  pas?  (li  salue  de 

loin  Galla,    sans  apercevoir  Iris.) 

APER. 

Aucun. 

CRISPINUS. 

Personnellement,  je  n'ai  pas  peur,  (a  Lampadio.)  En  atten- 
dant, récite-nous  les  vers  que  j'ai  composés  ce  malin  pour 
Galla.  —  Bonjour,  Galla...  vous  allez  voir. 

LAMPADIO,  embarrassé. 


Seigneur... 
Quoi  donc? 


CRISPINUS. 


LAMPADIO,  très-bas. 

Le  poète  Lœnas  ne  les  a  point  encore  apportés!... 

CRISPINUS,   s'oubliant. 

Justes  dieux!  —  voilà  qui  est  par  trop  impertinent!...  (Bais- 
sant la  voix.)  Est-ce  ainsi  qu'il  i^figne,  à  rien  faire,  les  excellents 
repas  que  je  lui  donne?...  (Avec  une  rage  concentrée.)  Veille  à  son 
vin,  —  plus  de  t'olerne,  —  et  tous  les  os  dans  son  assiette... 
(a  Galla.)  Gel  imbécile  qui  les  a  oubliés  I 

GALLA. 

Quel  dommage  ! 

APER,  allant  vers  Crispinus. 

Gassius  a  bien  recommandé  qu'on  n'attendit  pas  sa  pré- 
sence... 

CRISPINUS. 

Ne  nous  maiique-t-il  plus  personne,  Lampadio! 

LAMPADIO,  avec  iolcnlion. 

JjB  poêle  Lœnas,  seigneur! 


10  FAUSTINE. 

CRISPINUS,  avec  dédain. 
Personne,  alors!...  qu'on  apporte  les  tables.  (Prenant  la  main 
de  Galla.)    Divine  Gnlla!...  (Apercevant  Iris  qui  lui    était   cachée  par 

Sisenna.)  Mais...  que  vois-je  I... 

SISENNA,  présentant  Iris. 

J'ai  pris  la  liberté... 

CRISPINUS,  vivement. 
Et  vous  avez  fort  bien  l'ait,  Sisenna!...  (a  part.)  Par  Jupiter!... 

elle  est  aussi  divine  que  l'autre!...  (li  prend  également  la  main 
d'Iris.)  Un  mortel  vaut  un  dieu,  quand  il  est  équilibré  par  deux 

déesses!...    Oh!      très-joli!     (Bas,     à    Lampadio    qui    le    suit.)    TU 

n'oublieras  pas  celui-là,  Lampadio!...  (il  s'avance  vers  les  lits, 

tenant  Ga'la  de  la  main  droite,  Iris  de  la  gauche,  et  se  place  entre  les 
deux  femmes,  à  droite  du  spectateur;  à  gauche,  à  une  seconde  table  se  cou- 
chent Libo,  Hector  et  Sisenna;  au  fond,  à  la  troisième  table,  le  lit  vide  de 
Cassius,   entre  Aper  et  Antonius.) 

SCÈNE   III 

Les  Mêmes,  Esclaves  de  service,  puis  LOENAS. 

Par  la  porte  de  droite  arrivent  les  esclaves,  portant  les  fables  toutes  chargées 
de  viandes.  Ils  les  placent  devant  les  convives  qui  sont  déjà  étendus  sur 
les  lits. 

LœNAS,  à  part. 

Je  me  doutais  bien  que  j'arriverais  en  retard!... 

LAMPADIO,  bas,  à  Crispinus. 

Lœnas!... 

CRISPINUS,  affectant  de  ne  rien  voir. 

Souviens-toi  de  ce  que  je  t'ai  recommandé,  Lampadio!... 

(Lœnas,  serré  dans  sa  tunique  étriquée,  jette  à  la  table  des  regards  inquiets 
et  se  gli-se,  sans  bruit,  jusqu'à  la  place   vide.) 

LAMPADIO,  courant  à  Lœnas. 
Place  du  général  Cassius!... 

LCffiNAS,  se  levant  avec  précipitation. 
Grands  dieux!...  quelle  erreur!...  (Regardant  Crispinus.)  Vous 

me  voyez  au  désespoir!...  (Crispinus  ne  l'écoutant  pas,  Lœnas  so  sauve 
en  furetant  autour  des  tables  sans  que  personne  fasse  attention  à  lui.) 
Merci!...  nu  vous  dérangez  donc  pas!...  (ii  arrive  au  côté  gauche 
avec  des  gestes  éperdus,  sans  trouver  de  lit  vide.)   J'ai  laissé  passer 


ACTE   PREMIER.  M 

riieiiro,  —c'est  ma  l'autel...  (Regardant  autour  de  lui.)  A  moins  de 

m'aSSOOir  par  terre  1... (a  un  esclave  qui  apporte  une  sono  d'escabeau 
où  le  poi'le  se  perche  en  desespoir  de  cause.)  Qlie  los  fjieiix  te  le  ren- 
dent!  (il  est  ainsi  placé  à  gaucho  en  face  de    Crispinus.)    J'aurai  Lien 

peu  de  chance,  si  Crispinus  ne  m'aperçoit  pas  de  là  haut!... 
(il  renouvelle  en  vain  ses  salutations,  un  esclave  lui  pose  une  vieille  cou- 
ronne sur  la  tête.) 

CRISPINUS,  aux  esclaves  de  service. 

Servez  ! 

LOENAS,  se  penchant  vers  Sisenna. 
Ail!  le  beau  mot!...  l'heureux  terniel...  avec  quelle  douce 
musique  il  retentit  dans  les  oreilles!...  c'est  l'arfranchissement 
du  plat!...  c'est  la  liberté  delà  bouche!...  servez!...  (lise  frotte 
les  irains  en  signe  de  satisfaction  tandis  que  les  esclaves  servent.) 

CRISPINUS.  Pendant  toute  la  scène,  il  se  retourne  continuellement  de  droite 
à  gauche,  et  de  gauche  à  droite,  comme  partagi^  entre  deux  sentiments  de 
même  lorce.  A  Galla. 

Du  sanglier,  ma  charmante  !  (a  iris.)  Tué  dans  ma  rorêt  de 
Lucanie,  ma  toute  belle  !  (a  Gaiia.)  Par  un  petit  vent  doux,  c'est 
dans  l'ordre!...  (a  iris.)  Avec  des  anchois  piles  dans  du  vin  de 
Cos,  goûtez  donc!...  (a  Gaiia.)  El  des  raves  piquantes  (out 
autour!...  (a  iris.)  Cela  n'est-il  pas  divin?...  (a  Gaiia.)  Vous 
ai-je  trompée?...  (a  iris.)  Ou  préférez-vous  un  peu  de  celte  oie 
blanche...  (a  Gaiia.)  Qu'on  a  engraissée  avec  des  figues?... 
LOENAS,  à  un  esclave. 

Ail!  la  belle  bête!  une  chair  superbe!...  une  odeur!...  ne 
m'oubliez  pas... (a l'esclave  qui  iJs  son.)  Pour  moi?...  très-bien!... 
(Se  penchant  vers  sisonna.)  Je  suis  sùr  qiic  VOUS  trouvcz  Cela  par- 
tait, sisenna? 

SISENNA. 

Oh!  délicieux! 

LCœNAS,   après    avoir  lutté   contre  les  os  qu'on  lui  a  servis. 

Le  morceau  est  remarquable,  mais  le  style  m'en  pnrait  un 
peu  dur!... 

CRISPINUS,  à  part. 

Il  n'aura  pas  d'indigestion! 

LOENAS,  prenant  l'os  à  sa  main  et  le  montrant  au  public. 

J'ai  rarement  vu  des  os  aussi  bien  conditionnés  que  ceux- 
là  I... 


18  FAUSTINE. 

l'esclave    dégustateur,  après  avoir  goùtc  le  vin. 

Versez  ! 

CRISPINUS,  saisissant  la  fiole,  à  Galla. 
Du  falerne!...    (a  iris.)  Du  vieux  falerne!...  (a  Gaiia.)  Près 

décent  ans!...    (Montrant    rétiquelte.)  Lisez  vous-même,  (a  iris.) 

Sous  le  consolai  d'Annius  Verus  Pollio!...  (a  Gaiia.)  Cela  nous 
reporle  à  l'empereur  Titus,  ma  charmante!  (Avec  rêverie.)  Que 
d'événements  depuis  lors!...  les  uns  joyeux,  les  autres  tristes. 
Domitien  !  Nerva!  le  noble  Trajan!...  que  sais-je?...  (Regardant 
la  fiole  que  tient  l'esclave.)  Par  Jupiter!  mcs  amis,  ce  que  nous 
buvons-là,  c'est  de  l'histoire!  les  fastes  de  Rome  sont  enfermés 
dans  cette  fiole!...  (U  se  renverse  avec  satisfaction,  les  yeux  à  demi- 
fermés  et  fait  signe  à  Lanipadio  de  prendre  note  du  mot.) 

LOENAS,  à  part. 

Puisque  l'occasion   se  présente,  je  ne  suis  pas  fâché  de 

repasser  un  peu  mes  empereurs  !...  (Regardant  tomber  le  via  dans  la 

coupe  de  sisenna.)  Tout  se  tient  ensemble!,.,  c'est  de  l'huile!... 

(Tendant  sa  coupe  en  arrière  et  se  penchant  vers  son  voisin.)  Elî  bien  , 
qu'en  dites-vous?  (Pendant  qu'il  parle  à  Sisenna,  Lampadio  est  survenu 
rapidement  et  a  versé  du  vin  très-médiocre  dans  la  coupe  que  Lœnas  tendait  à 
l'ccbanson.) 

SISENNA,  faisant  claquer  sa  langue. 

Un  vrai  nectar!... 

LOEXAS,  ramenant  à  lui  sa  coupe  pleine. 
Je  VOUS  crois  sans  peine!...  (il  boit,  et  fait  tout  à  coup  une  horri- 
ble grimace.)  Permettez!...  il  voils  parait   délicieux,  ce  petit 
vin  ?... 

SISENNA,  vidant  le  fond  de  sa  coupe. 

Mais  sans  doute  ! 

LOENAS,  goûtant  encore  avec  la  même  grimace. 

Je  ne  comprends  pas!...  une  vraie  piquette!...  (Avec  une  ironie 
araère.)  Si  c'est  de  l'hisloire  que  j'avale,  je  suis  tombé  sur  le 
règne  d'un  tyran,  voilà  tout!...  (il  repousse  sa  coupe  avec  colère.  — 
Crispinus  étouffe  do  rire^  et  parle  bas  aux  deux  femmes,  en  tournant  sans 
cesse  la  tète  de  l'une  à  l'autre.) 

UN    ESCLAVE. 

Le  général  Avidius  Cassius  !... 


ACTE    PREMIER.  10 

SCÈNE  IV 

Les  Mêmes,  CASSIUS.  Cassius  est  solennellement  introduit,  tous    les 
convives  se  soulèvent. 

CRlSPIXUS,  avec  importanco. 

Salulà  mon  illustre  ami,  le  général  Cassius!...  (a  part.)  C'est 
le  vrai  celui-là. 

LIBO. 

Salut  au  nouveau  Catilina! 

TOUS. 

Au  nouveau  Calilina  ! 

CASSIUS. 

Merci,  mes  amis,  mes  braves  amis!...  mais  je  ne  serai  vrai- 
ment Calilina  que  le  jour  ofi  j'aurai  chassé  de  son  trône  le 
iaiseur  de  dialogues  philosophiques! 

APER. 

Ce  jour  n'est  pas  loin  !... 

CASSIUS. 
Je  l'espère.  (Prenant  la  place  qui  lui  est  réservée.)  Et  Si  je  mC  SUlS 

rendu  si  tard  à  ce  banquet... 

CUISPIXUS,  vivement. 

Pas  d'excuses!...  nous  n'en  voulons  pas  entendre!...  je  sais, 
mieux  que  personne  à  quels  grands  intérêts  vous  avez  con- 
sacré toute  cette  journée  ! 

CASSIUS,  d'un  ton  mystérieux. 

C'est  qu'aussi  les  circonstances  sont  terribles...  (Tous  écou- 
tent.) Partout,  dans  les  rues,  des  yeux  inquiets,  des  fronts 
pâles...  Rome  tout  entière  a  cet  aspect  étrange  que  prennent 
k'S  villes  à  l'approche  des  destinées,  et  Marc-Aurèle,  entouré 
de  ses  philosophes  à  longues  barbes,  commence  à  s'aperce- 
voir que,  pour  gouverner  un  empire,  il  ne  suffît  pas  de  rai- 
sonner doctoralement  sur  la  nature  de  l'àme  et  la  classifica- 
tion des  vertus!... 

ANTOMUS. 

J'aurais  cru  cependant  que  la  sagesse... 

CASSIUS,   éncrgiqueinent. 

La  sagesse  des  princes  n'est  pas  celle  des  particuliers,  son- 


20  FAUSTINE. 

gez-y  !  Qui  doute  ici  du  caractère  privé  de  Marc-Aurclo  ? 
c'est  un  homme  excellent,  je  le  doclare.  —  mais  cette  bonté 
même  a  des  dangers  qu'on  oublie,  et  j'en  viens  à  regretter 
les  règnes  sanglants,  quand  je  le  vois  sacrifier,  sans  remords, 
tous  les  inlcrêts  du  momie,  à  la  vanité  de  sa  clémence!  Qu'il 
choisisse  désormais,  entre  ses  devoirs  de  prince  ou  son  métier 
de  philosophe.  —  C'est  Irop  pour  les  mêmes  épaules,  que  la 
robe  des  stoïciens  et  le  manteau  de  pourpre  des  Césars  1 

CRISPINUS,  avec  enthousiasme. 

Très-bienl...  vous  avez  rendu  là  toute  ma  pensée!.,,  (so 
retournant.)  Remarque  bien  que  je  l'avais,  Lampadio,  elle  est  à 
moi  cette  pensée  ! 

APER, 

Ajoutez  que  cette  indulgence  orgueilleuse  sait  se  démentir 
à  ses  heures!,.,  (Se  retournant  vers  Cassius.)  Quelle  récompense 
a-t-on  donnée  à  Cassius  pour  la  soumission  des  Parlhes?,,. 
frustré  lâchement  des  honneurs  du  triomphe,  il  est  tombé  de 
jour  en  jour,  dans  la  dernière  des  disgrâces,  —dans  l'oubli!,,, 

LIBO,  se  soulevant. 

N'y  sommes-nous  pas  tombés  également  nous  aulres  che- 
valiers ,  qui  portons  la  plupart  des  noms  consulaires?... 
Comme  si  la  première  obligation  du  souverain  n'était  pas  de 
soutenir  les  maisons  nobles,  plutôt  que  de  jouer  au  Socrate, 
et  d'étaler  sa  vie,  comme  une  condamnation  de  la  nôtre! 

CRISPINUS,  tenant  une  aile  de  faisan. 

Je  me  suis  toujours  méfié  des  hommes  qui  mangent  seuls, 
et  qui  n'ont  qu'un  plat  quand  ils  suupent  1...  (Avec  une  sorte  de 
terreur  religieuse.)  Oh  1  les  hommes  d'un  seul  platl...  (il  essuie  ses 
doigts  pleins  de  sauce  à  la  chevelure  d'un  jeune  esclave.) 

LOENAS,  tout  en  fourrant  le  plus  de  choses  possible  sous  sa  Innique. 

Il  a  rogné  la  portion  des  poètes  pour  engraisser  des  phi- 
losophes ! 

SISENNA,  dédaigneusement. 

Que  les  poètes  s'arrangent,,,  c'est  leur  affaire  !,..  (Lœnas  lui 
jette  un  regard  foudroyant.)  Mais  ce  que  moi,  Sisenna,  je  ne  lui 
pardonnerai  jamais,  c'est  son  mépris  superbe  pour  les  courses 
de  l'amphilhéàlre!  c'est  celte  affectation  quand  il  daigne  y 
venir,  de  s'occuper  à  toute  autre  chose,  et  de  tourner  la  tête 
juste  au  beau  moment  de  la  lutte!.  .  (U  frappe  violemment  sur  la 
table.) 


ACTE  PREMIER.  21 

IKIS,   avec  force. 

Il  a  lue  la  voiiige  en  faisant  mettre  des  filets  de  sûreté,  et 
jusqu'à  des  matelas  sous  les  danseurs  de  corde! 

IIECTOn,   {rravenicnl. 

Il  a  fait  plus,  jeune  lille!...  il  n  déshonoré  les  gladiateurs 
en  nous  astreignant  Ions  à  boutonner  nos  épées,  si  bien  que 
nos  conibals  pour  rire  équivalent  counno  intérêt,  aux  exerci- 
ces des  chiens  de  manège,  et  que  nous  en  arrivons  nous- 
mèuios  jusqu'il  oublier  la  couleur  de  notre  sangl... 

GALLA. 

Mais  P'austine?  qui  nous  parlera  de  Fatistine?  Oubliez-vous 
donc  ses  nuits  de  Naples,  et  les  mystères  de  sa  maison  près 
du  Tibre? 

CASSIUS,   d'une  voix  malgré  lui  émue. 

Oh!  ne  la  condaiiiuez  pas!  à  ces  hauteurs  inconnues  le 
pied  vacille,  la  létc  tourne,  il  faut  même  aux  plus  fortes  un 
bras  d'homme  pour  les  soutenir,  et  Faiistine  n'a  rencontré 
dans  son  époux  qu'un  maître  d'école!... 

ANTONIUS,  bas,  à  Aper,  en  souriant. 

La  vieille  tendresse  ! 

CASSIUS,  avec  force. 
C'est  lui  seul  que  j'accuse  de  tous  les  égarements  de  sa 
femme,  comme  du  désastre  de  ses  troupes  ;  les  dieux  font  des 
tempêtes  avec  la  faiblesse  des  souverains!...  Le  pauvre  Vindex 
a  payé  de  sa  vie  l'honneur  d'unn  charge  trop  lourde...  le 
même  sort  attend  Pertinax,  cet  homme  nouveau  qu'aucun 
passé  ne  recoiinnaîide...  Quant  à  Baseus,  c'est  à  hausser  les 
épaules!...  un  général  sans  campagnes!.  .  un  paysan  mal 
dégrossi,  qui  a  quitte  un  jour  la  charrue  —  pour  le  comman- 
dement des  armées,  et  qui  apporte  jusqu'à  la  cour  les  par- 
fums de  son  élable,  avec  la  pesanteur  de  ses  bœufs  I 

CRISPINLS. 

Ah!  très-bien!  (Embrassant  Gaiia.)  Toulcs  mcs  pensées I 

LIBO,    ri'anl. 

Je  le  reconnais  ! 

SISENNA,  frappant  la  table. 

C'est  lui-même  I 

LCHiNAS,  à  part,  écrivant  sur  ses  tablettes. 

«  La  pesaaleur  de  ses  bœufs!...  »  cela  peut  nie  fournir  une 
épi  gramme. 


22  FAUSTINE. 

SCÈNE  V 

Le  Maître  des  cérémonies,  Esclaves. 

LE  MAITRE  DES  CÉRÉMONIES,  il  accourt  tout  effaré. 
Seigneur  !   seigneur  !  (Plusieurs  esclaves  se  précipiteat  daus  la  sallo.) 
CRISPINUS,  avec  inquiétude. 

Que  se  passe-t-il  donc  ?...  qu'avez-vous  ?,.. 

SCÈNE  VI 

Les  MÊMES,  BASEUS,  puis  Gardes  du  prétoire. 
LIBO,   avec  terreur. 

Baseus  ! 

SISENNA,  à  part. 

Grands  dieux  I 

CRISPINUS,  balbutiant. 

L'illustre...   général...   Baseus!...    (Il  tremble  et  sourit  on  mt'rao 
temps.) 

BASEUS,   à  part. 

Celte  femme  a  dit  vrai,  —  c'est  bien  lui  !  (D'une  voix  grave,  sans 

s'occuper    de    Crispinus,    ni    des   autres.)    Au    noiD   dc   l'empereur, 

Avidius  Gassius,  je  vous  arrête  !... 

CASSIUS,  sQ  redressant. 

Moi? 

BASEUS. 

Vous-même  I 

CASSIUS,  montrant  Ciispinus. 

Dans  celte  maison  ? 

BASEUS,  froidement. 
Partout  ! 

CASSIUS,  avec  dédain. 

Qu'est-ce  à  dire?  (Aper  s'élance  de  son  lit,  après  avoir  fait  signe  à 
Antonius  qui  ne  l'écoute  pas,  et  reste  pensif  à  sa  place.) 
BASEUS,  à  Cassius. 

Ohl  j'étais  bien  sûr  de  vous  prendre,  dans  ce  nid  de  conspi- 
rateurs! (Libo  s'écbappe  sans  bruit,  vers  la  porte  dc  droite,  Sisenna  se 


ACTE  PREMIER.  23 

glisse  dans  le  fond,  dorrièro  les  deux  fcmincs  que  la  iieur  a  rapprochées, 
Lœnas  so  précipite  de  son  escabeau,  et  se  cache  îi  droite,  derrière  un 
meuble.) 

CRISFINL'S,  levant  les  bras  au  ciel. 

Chez  moi!...  chez  Crispiiuis!...  un  nid  de  conspirateurs  !... 
esl-ce  croyable?... 

BASEUS,  avec  mépris. 

Demandez-le  à  ces  femmes  qui  Iremblent,  — à  ces  hommes 
qui  se  cachent!... 

HECTOR,  se  dressant  de  toute  sa  taille. 

Moi?... 

BASEUS,  montrant  l'cscabcau  de  Lœnas. 

A  ce  misérable  poêle  qu'on  est  sûr  de  rencontrer  cliez  tous 
les  ennemis  de  Marc-Aurèle  ! 

LCENAS,  à  part. 

Où  fuir?...  on  m'a  reconnu!...  je  suis  mort! 

CRISPINUS,  vivement,  et   comme  soulagé. 

Ah  !  c'est  de  Lœnas  que  vous  parlez  ?...  celui-là,  je  vous  le 
donne.  (Levant  les  yeux  au  ciel.)  Comme  OU  est  trompé,  dans 
la  vie  ! 

LŒXAS,  h  part,  serrant  le  poing. 

Digne  Crispinus,  —  lu  me  payeras  cela,  —  si  je  m'en  tire  !... 

CRISPINUS,  cherchant. 

Mais  où  est- il  donc? 

BASEUS. 

Ne  le  cherchez  pas,  il  se  cache  comme  les  autres. 

HECTOR,  d'une  voix  tonnante,  montrant  Basons. 

Cet  homme  a  décidément  la  vue  faible,  pour  parler  de  gens 
qui  se  cachent,  quand  je  suis  debout  devant  lui!  (il  tire  son 
cpéc,  et  se  range  près  d'.\per.) 

APER. 

Merci,  mon  brave  Hector  !...  (Avec  intention,  en  regardant  Antonius 

toujours  immobile.)  On  reconnaît  SCS  amis!...  on  s'en  souvien- 
dra !...    (Tirant   un  poignard  do  son  sein,   et  le  dirigeant  vers  Bascus.j 

Qu'il  avance  !... 

CRISPINUSj  hors  de  lui-même. 

Comment!  réfléchissez!  ordre  formel...  une  révolte  !...  (Cou- 


24  FAUSTINE. 

rant  àBaseus.)  Hcure'jsoment  pour  moi,  que  mes  opinions  sont 
connues!  (Bas,  revenant  à  Cassius.)  AUons,  mon  ami,  mon  illustre 
ami!...  laissez-vous  emmener  sans  esclandre,  c'est  dans  votre 
intérêt,  (appuyant)  dans  le  vôtre!...  ordre  de  César!...  son- 
gez-y!... du  meilleur  des  princes!  (Prenant  Lampadio  à  témoin.) 
C'est  ce  que  je  le  disais  encore  ce  malin,  Lampadio  !  le  meil- 
leur des  princes.  (Montrant  l'esclave  à  Baseus.)  Il  est  prêt  à  le  Sou- 
tenir dans  les  convulsions  de  la  torture  !...  nous  allons 
essayer...  faites  rougir  les  l'ers.  (Retournant  à  Cassius.)  Voyons, 
je  vous  en  prie,  un  peu  de  courage  moral  !  un  el'fort  !...  faites- 
le  pour  moi.  (ABaseus.)  Vous  pensez  bien,  général,  que  je  ne 
pouvais  pas  m'attendre  à  de  pareilles  monstruosités!...  (Retour- 
nant à  cassius  et  à  ses  deux  amis.)  Quoi!  toujours  !  dans  ma  maison! 
desépées  nues!...  (D'un  ton  résolu.)  Mais  alors,  permettez,  vous 
vous  condamnez  vous-mêmes!...  je  ne  suis  pour  rien  dans 
tout  cela.  Vive  César  !... 

BASEUS,  froidement  à  Cassius. 

Vous  m'avez  entendu,  Avidius  Cassius? 

CRISPINUS,  près  de  Baseus. 

Vous  l'avez  entendu,  Avidius... 

CASSIUS,  raillant. 

Je  suis  sourd,  par  moments!...  effet  des  longues  campagnes, 
—  vous  n'avez  pas  cet  inconvénient-là,  général! 
BASEUS,  d'une  voix  éclatante. 

Quelque  sourd  que  vous  soyez,  je  parlerai  assez  haut ,  pour 
vous  emplir  les  deux  oreilles!  (Appelant.)  A  moi,  prétoriens! 

(Entrée  des  soldats  qui  se  massent  près  de  Baseus.) 

ANTONIUS,  s'élançant,  l'épce  à  la  main,  près  de  Cassius. 

A  la  bonne  heure,  maintenant!  c'est  un  vrai  combat,  —  j'en 
veux  être? 

CRISPINUS,   effaré  et  so  faisant  un  rempart   des  deux  femmes. 
Par    tous  les   dieux   de    l'Olympe!...   (s'adrjssant  à  Cassius.)   je 

proteste  formellement!...  (a  Baseus.)  Je  vous  jure!... 

CASSIUS,  retenant  ses  amis. 

Arrêtez!  bas  les  armes!  voire  vie  m'est  trop  précieuse  pour 
que  je  veuille  la  risquer  dans  une  lutte  impossible!...  je  me 

rends!...  (Crispinus  baise  un  pan  do  sa  tunique.) 

HECTOR,  brandissant  son  épée,   et  lui  barrant  le   passage. 

Jamais!... 


ACTE  PREMIER.  25 

CRISIMNUS,  désespéré. 

ThIscz-vous  donc!  (a  part.)  Ça  allail  si  bien. 

APER,  se  plaçant  avec  Antonius  près  d'Hector. 
Plutôt  la  mon! 

CRISPINUS,  tordant  ses  bras. 
Quelle  frénésie  1 

CASSIUS,  monlraut  à  ses  amis   Crispinus,    Sisenna,    et   les   places    vides.) 

iV'e  vuyez-vous  pas,  camarades,  que  nous  sommes  enlouros 
de  lâches  qui  nous  abandonnent  ?  (Il  les  écarte,  et  se  place  fière- 
ment devant  Baseus.) 

APER. 

Eh  bien,  nous  aurons  tous  le  même  sort! 

BASEUS,  le  repoussant  du  geste. 

Je  ne  chasse  qu'au  lion,  —  les  chacals  sont  libres! 

LOENAS,  a  part,  il  a  rampé  sans  être  remarqué,  jusqu'à  la  porto. 

Aujourd'hui  la  grosse  pièce,  —  demain  le  menu  giberl... 

cachons-nous!...  (Il  disparait.) 

CASSIUS,  se  tournant  vers  ses  amis  consternés. 

Adieu  donc,  mes  braves  amis!...  ne  me  pleurez  pas,  — 
plaignez  Rome!...  les  Ét;its  sont  bien  malades,  quand  des 
gens  de  celle  sorte...  (il  montre  du  doigt  Cascus)  peuvent  arrêter 

des    honmies  comme    moi!...    (Faisant  un  pas  vers   les    prétoriens.) 

Quant  à  vous,  soldais  de  la  ville,  marchons!...  je  n'ai  rien  à 
vous  dire,  —  je  ne  vous  ai  pas  connus  dans  les  batailles  !,..  (il 

sort  dédaigneusement   avec   les  gardu's  et  Baseus.) 

CRISPINUS,  multipliant  ses  démonstrations. 

Vive  César!...  vive  Marc-Aurèle!...  (Courant  à  Lampadio.) 
Écris,  écris,  Lampadio!...  (avec  plus  de  force  encore)  en  grosses 
lettres  comme  une  enseigne  :  c'est  ici  la  maison  d'un  homme 
qui  n'a  pas  peur  d'aflicher  ses  opinions  sur  sa  porte.  Vive 
Gésarl  vive  Baseus!  (ll  tombe  épuisé  dans  les  bras  de  Lampadio.) 


ACTE    DEUXIÈME 

TROISIÈME    TABLEAU 

Au  palais  impérial.  — Vaste  appartement,  —  Ornements  sévères.  —  Portes 
au  fond,    à  droite  et  à  gauche.  —  C'est  le  matin. 


SCENE  PREMIÈRE 
FAUSTINE,  THRASYLLA,  Femmes  du  palais. 

THRASYLLA,  bas  aux  femmes  qui  l'entourent  sur  le  devant  de  la  scène, 
regardant  Fausline  qui  est  assise  à  gauche,  toute  rêveuse. 
Toujours  Irisle,  maintenant,  elle  que  j'ai  connue  si  joyeuse!... 
(Kénéchissant.)  C'est  la  santéde  Marc-Aurèle!...  mais  vraiment... 
(elle  regarde  Faustiae)  je  la  crovais  moins  Sensible!...  Oh!  si  au 
lieu  d'écouter  ce  médecin  aux  grandes  paroles^  elle  voulait 
m'enlendre  un  seul  jour,  moi,  Thrasylla,  savieillesuivanle  !... 
(D'un  ton  doctoral.)  Glisser  chaquc  soir  sous  l'oreiller  du  malade 
un  sachet  d'anis  dont  l'odeur  écarte  les  mauvais  songes  —  et 
le  jour,  pour  dissiper  ses  lassitudes,  coudre  dans  sa  tunique, 
une  dent  de  dauphin,  voilà  tout,  ce  n'est  pas  bien  difficile  !... 
(Avec  amertune.)  Mais  on  se  moque  des  vieilles  coutumes,  —  on 
est  savant!...  (Avec  accablement.)  Tout  va  mal!...  j'ai  rêvé,  cette 
nuit,  des  étoiles  troubles!... 

FAUSTINE,  elle  se  lève  convulsivement,  et  vient  sur  le  devant  de  la  scène. 
Thrasylla  se  recule  au  fond,  vers  la  droite  du  spectateur. 

Non!...  c'est  impossible!...  tomber  par  sa  mort  dans  une 
obscurité  profonde!...  moi,  la  fille  d'Antoninl...  moi  qui  suis 
née  sur  la  pourpre!...  (Avec  colère.)  Et  dire  que  Marc-Aurcle, 
élevé  jusqu'à  moi,  par  le  caprice  de  mon  père,  ne  comprend 
pas  qu'il  me  doit  sa  vie  comme  un  loyer  de  sa  puissance,  et  que 
le  peu  de  soin  qu'il  prend  de  sa  personne  est  à  chaque  heure 
du  jour  une  ingratitude  envers  la  mienne!...  (Se  tournant  vers 

Galien  qui  entre  par  le  fond.)  Ah!  c'csl  VOUS,    Galicn!...  UOUS  VOUS 

attendons;  —  parlez  vite!... 


ACTE  DEUXIÈME.  27 

SCÈNE  II 
FAUSTINE,  GALIEN,    TIIRASYLLA. 

GALIEN, 

Que  Votre  Scrénilc  me  pardonne,  mais  retenu  ce  matin  près 
de  César... 

FAUSTINE,  avec  anxiété. 

Irait-il  plus  mal? 

GALIEN,   avec  hésitatioQ. 

Non,  sans  doute,  pas  précisément... 

FAUSTINE,  vivement. 

Que  voulez-vous  dire  ? 

GALIEN,  comme  se  parlant  à  lui-raùmo. 

Il  y  a  même,  aujourd'hui,  surexcitation,  énergie. 

FAUSTINE,   avec  joie. 

Ahl  vraiment!... 

GALIEN. 

Au  milieu  de  la  consternation  générale,  il  a  su  mettre  son 
courage  à  la  hauteur  des  destinées!... 

FAUSTINE,  allant  à  lui  pleine   d'espoir. 

Et  VOUS  pensez,  n'est-ce  pas,  qu'à  force  de  volonté,  grâce  à 
cet  empire  sur  lui-même,  il  en  linira  hientôt... 

GALIEN,   avec  mélancolie. 

C'est  à  craindre! 

FAUSTINE,  reculant  d'un  pas. 

Comment  I 

GALIEN. 

Toutes  ces  révoltes  —  tous  ces  tumultes  de  l'organisme 
sont  suivis,  tôt  ou  lard,  de  réactions  certaines,  —  si  bien  qu'on 
peut  mesurer  la  profondeur  de  la  chute,  par  l'élévation  de  l'en- 
thousiasme!... 

FAUSTINE,  hors  d'ellc-mmo. 

Et  vous  étiez  près  de  lui,  je  suppose!...  et  vous  avez  souf- 
fert cette  imprudence!...  et  c'est  à  vous,  Galien,  qu'on  a  confié 
le  soin  de  sa  viel... 


28  FAUSTINE. 

GALIEN,    très-érau. 

Au  nom  des  dieux!..,  que  pouvais-je  faire?... 

FAUSTINE, 

Lui  crier  qu'il  se  tue,  tomber  à  ses  pieds,  m'averlir!...  Ah  ! 
je  vous  trouve  vraiment  d'uu  beau  calme,  et  vous  en  raisonnez 
à  votre  aise,  comme  s'il  s'agissait  d'un  portefaix  de  Napji^s 
ou  d'un  cabaretier  des  Esquilies!...  Mais  vous  ne  savez  donc 
pas  que  son  existence  est  la  mienne,  que  tous  tes  maux  qu'il 
éprouve  me  rongent  le  cœur  avec  des  dents  invisibles,  et  que 
je  me  sens  partir,  chaque  jour,  dans  les  oscillations  de  sa 
santé!... 

THRASYLLA,   à  part,   avec  admiration. 

Comme  elle  l'aime! 

GÂLlEN,    confus. 

J'ai  presque  un  remord  d'avoir  ému  Votre  Grandeur  par  la 
sévérité  de  mes  paroles,  — car  si  je  n'ai  pu  empêcher  cetle 
exaltation,  je  serai  là,  du  moins,  pour  en  prévenir  les  consé- 
quences ! 

FAUSTINE,   ironiquement. 

Avec  votre  thériaque,  pcul-ctre?...  (Eclatant.)  Faut-il  vous 
parler  nei?...  toutes  vos  drogues  me  fatiguent!  Voilà  trop  de 
jours  perdus  à  des  tâtonnements  inutiles'...  N'êtes-vous  pas 
le  princp  de  la  science,  l'homme  dont  on  dit  la  gloire  dans 
toutes  les  parties  du  monde?  Eh  bien,  qu'attendez-vous? 
voici  l'heure!...  il  me  faut  im  spécifique,  un  miracle!...  dussiez- 
vous  l'aller  chercihcr  dans  les  entrailles  de  la  terre,  ou  jusque 
sous  les  profondeurs  de  l'Océan!...  prenez  cent  navires,  — 
emmenez  avec  vous  des  armées,  —  je  veux  quelque  chose, 
entendez-vous,  quelque  chose!...  C'est  bien  la  peme  d'être 
assis  sur  le  trône  du  monde,  pour  languir  éternellement  dans 
vos  médications  sans  issue!... 

THRASYLLA,   à  part. 

Une  dent  de  dauphin,  voilà  tout!... 

GALIEN,   avec  calrae. 
J'en  demande  pardon  à  Votre  Sublimité,  —  mais  l'art  que  je 
professe  ne  connaît  pas  ces  prodiges,  et  le  plus  grand  méde- 
cin du  monde  n'est  que  le  premier  ministre  de  la  naturel... 

FAUSTINE,   exaspérée. 

La  nature!  la  naturel...  Est-ce  que  cela  nous   regarde,  la 


ACTE    DEUXIÈME.  29 

nnture?...  n'écliappnns-nnuspasà  In  loi  commune  par  la  hau- 
teur de  notre  existence?...  Allez  porter  à  d'autres  ces  raison- 
nements dérisoires...  fnionlranl  rapparlomonl  impérial)  et  SOllVC- 
nez-vous  désormais,  que  rien  n'est  impossible  où  vous  êtes!... 

Obéissez!...    (EIIo  (iétoumo  la  tète.  Galion  sort  par  le  fond,    co  saluant 

silencieusement.)  Ah!  je  prendrais  p'us  tranquillement  les  choses, 
si,  par  une  ironie  du  destin,  toute  ma  fortune  n'était  pasalla- 
chée  à  l'existence  de  Marc-Aurèle!... 

SCÈNE  m 

FAUSTINE,  DAPIINÉ,  THRASYLLA. 

F.\USTINE,  apercevant  Daphné  sur  le  seuil  do  droite. 
Viens,  toi,  ma  bonne  sœur,  mon  dernier  appui,  mon  amie  !... 

THRASYLLA,   à  part,   s'approcliant  pour  entendre. 

Daphné  la  magicienne!...  à  la  bonne  heure!...  écoulons... 

FAUSTINE,  se  retournant  briisquciiieut  pendant  que  Daphné  baise  sa  main. 
Tu    peux    te    retirer,    Thrasylla!...  (Ihrasylla  sort  très-contrariée 
avec  toutes  les  autres  femmes.) 

SCÈNE  IV 
FAUSTINE,  DAPHNÉ. 

DAPHNÉ. 

Votre  Divinité  est  trop  bonne...  de  se  rappeler  qu'une  mémo 
nourrice... 

FAUSTINE,   vivement. 

Eh  !  crois-tu  donc  que  pour  porter  un  diadème,  on  regrette 
avec  moins  de  larmes  ces  premiers  jours  d'enfance,  où  la  vie 
était  si  légère?...  Ah!  Daphné,  que  n'as-tu  voulu  rester  près 
de  moi!... 

DAPHNÉ. 

De  loin  comme  de  près,  ne  vous  suis-je  pas  louie  dévouée? 
Mais  qu'aurais-je  fait,  dans  cotte  cour,  au  milieu  de  vos  phi- 
losophes ?  C'est  à  peine  si,  dans  Rome,  on  permet  encore  nos 
mystères!... 

FAUSTINE. 

Tu  y  gagnais  ma  protection... 


30  FAUSTINE. 

DAPHNÉ,  d'an  ton  inspiré. 

J'y  perdais  toute  ma  puissance!...  les  dieux  cachés  craignent 
le  tumulte  des  hommes;  —  il  faut,  pour  qu'ils  nous  parlent, 
la  solitude  des  bois,  sous  le  silence  des  étoiles,  quand  les  car- 
refours sont  pleins  d'ombre,  et  qu'aucun  pas  ne  résonne  sur 
les  grands  chemins  blanchis  par  la  lune!... 

FAUSTINE,  comme  fascinée  par  la  magicienne. 

Eh  bien,  Daphné,  c'est  à  toi  seule  que  je  me  confie,  puis- 
que la  science  hésite,  et  que  toute  la  sagesse  est  vaine!... 
Jusqu'ici,  tu  le  sais,  je  n'ai  pas  cru,  j'ai  douté;  —  maisje  ne 
risque  rien  de  m'abandonner  au  hasard,  quand  je  compte  les 
prolits  que  j'ai  tirés  de  la  raison  !... 

DAPHNÉ,  hésitant. 

Pourquoi  l'ordonnez-vous?...  que  ne  m'est-il  permis  de  me 
taire!... 

FAUSTINE. 

Quelle  que  soit  ta  réponse,  fais-la  franchement;  —  je 
l'écoute... 

DAPHNÉ,  bas  et  lentement. 

Peut-être  suis-je  abusée  par  de  fausses  apparences;  —  mais 
je  crains,  pour  votre  auguste  époux,  la  colère  des  dieux  invi- 
sibles, de  ces  grarrds  dieux  dont  il  méconnaît  le  pouvoir!... 

(Elle  s'arrête;  Faustine  lui  fait  signe  de  continuer.)  Sept  fois,  j'ai  renou- 
velé mes  incantations  magiques,  et,  sept  fois,  les  destins  ont 
annoncé,  pour  l'année,  la  mort  certaine  d'un  empereur!... 

FAUSTINE,  éperdue. 

Oh!  voilà  que  tout  m'abandonne,  maintenant  !... 

DAPHNÉ. 

La  mort  d'un  empereur...  ne  vous  désespérez  pas...  c'est 
bien  vague... 

FAUSTINE,  secouant  la  tête. 

C'est  terrible,  Daphné,  quand  il  n'y  en  a  qu'un  dans  le 
monde!... 

DAPHNÉ. 

J'ai  pu  me  tromper,  vous  dis-je,  je  recommencerai  les 
épreuves... 


FAUSTINE,  écoutant  vers  le  fond. 
Silence I  voici  la  cour;  —  je  veux  te  parler  encore.  —  (Lui 

montrant  îi   droite  ses  appartomenls.)  Allends-Ilioi  !...  (Uapiiné  sort  par 
la  porto  de  droite.) 

SCÈNE  V 

FAUSTINE,  MARC-AURÈLE,  GALIEN,  RUTILIANUS,  COR- 
NELIUS FIIONTO,  Philosophes  a  longue  barbe,  Séna- 
teurs, Chevaliers. 

mârc-aurèle. 

Vous  dites  trois  mille  hommes,  Rutilianus? 

RUTILIANUS,  baissant  )a  voix. 

Trois  mille  hommes  couverts  de  blessures!...  voilà  tout  co 
qui  reste  de  cette  malheureuse  armée!... 

MARC-AURÈLE,  d'une  voix  ferme. 

Qu'ils  entrent  dans  Ja  ville  par  le  chemin  des  triomphes  I... 
qu'on  élève  trois  statues  à  la  mémoire  de  Vindex;  —  pas  de 
reproches,  sur  celte  tombe  sanglante.  Les  dieux  donnent  la 
victoire,  l'homme  ne  peut  donner  que  sa  vie!...  (Après  un 
silence.)  Ah!  si  nous  voulions  réfléchir  —  au  lieu  de  verser  des 
larmes,  nous  remercierions  le  ciel  des  catastrophes  qu'il  nous 
envoie  ;  —  tout  le  bruit  de  sa  foudre  n'est  que  l'écho  de  nos 
fautes.  Chaque  fois  qu'il  nous  frappe,  il  a  ses  raisons  —  cher- 
chons-les!... (Se  retournant  vers  Rutilianus.)  Et  VOUS  n'avez  pas 
même  une  légion,  Rutilianus? 

RUTILIANUS,  avec  accablement. 

Pas  une  cohorte!...  pas  une  centurie!... 

MARC-AURÈLE,  avec  calme. 

Les  prétoriens  marcheront,— on  armera  les  esclaves;— quant 
aux  gladiateurs,  j'y  ai  pense  — j'y  renonce.  Bien  que  j'aie  peu 
de  goût  pour  cette  sorte  de  spectacle,  il  ne  sera  pas  dit  qu'une 
victoire  des  barbares  a  pu  retarder  d'une  heure  les  amuse- 
ments du  peuple  romain!...  Que  la  ville  s'abandonne  à  ses 
plaisirs  ordinaires.  Les  dieux  qui  nous  ont  confié  le  pouvoir, 
nous  en  ont  fait  comprendre  toutes  les  obligations;  — c'est  sur 
nous  seul  que  doit  retomber  ce  désastre,  puisqu'il  nous  seul 
appartenait  le  soin  de  le  prévenir  ! 


32  FAUSTINE. 

RUTILIANUS,  vivement. 

Nous  ne  souffrirons  pas    que  votre  piété  s'accuse...  (Avec 

force.)  Au  nom  de  lOUl  le  sénat  —  je  proteste!,..  (Marques  géné- 
rales d'approbation.) 

MAî\C-AURÈLE,   souriant. 

Vous  me  croyez  donc  bien  peu  philosophe,  pour  descendre 
avec  moi  jusqu'à  la  douceur  des  flatteries I...  Apprenez  que 
mon  âme  est  mieux  gardée  que  les  enfers;  aucun  gâteau  de 
miel  n'endormira  ma  conscience!...  Il  faut  du  pain  à  mon 
peuple,  —  il  faut  des  armes  à  mes  soldats;  —  qu'on  mette  en 
vente  toutes  les  choses  précieuses  de  ce  palais;  —  le  luxe  des 

Césars  est  le    trésor  de    l'infortune!...    (S'avanrant  vers   Fansline.) 

Nous  serons  suivi,  dans  cette  roule,  par  notre  chère  épouse 

FaUStine.  (Faustine  fait  un  geste  involontaire  de  surprise.)  Elle  renon- 
cera, comme  nous-même,  à  des  somptuosités  inutiles.  (Avec 
force.)  La  fille  d'Antonin  ne  veut  plus  d'habils  de  soie,  quand  il 
y  a  des  vivants  qui  souffrent,  el  des  morts  qu'il  faut  venger  !.. 

(Prenant  la  main  de    Faustine.)  Merci,  pour  tOUt   moU    peuple!  à  la 

place  de  vos  diamants,  vous  aurez  ses  larmes  de  joie  —  c'est  le 
plus  bel  écrin  d'une  impératrice!... 

RUTILIANUS,  transporté. 

Tant  de  grandeur  d'âme!...  Oh!  que  les  dieux  vous  con- 
servent! (Murmure    général  d'admiration.) 
MARC-AURÈLE. 

Ne  me  remerciez  pas,  mes  amis;  les  fautes  sont  à  moi  seul 

—  et,  si   j'ai   quelques    vertus,   (montrant  Cornélius    Fronto)    ellos 

viennent  de  Fronto!...  c'est  mon  mailre!...  (Fronto  baise  la 
main  de  Marc-Aurèlo  avec  émotion.) 

SCÈNE  VI 

Les  Mêmes,  CASSIUS,  BASEUS,  Prétoriens. 

FAUSTINE,  apercevant  Cassius. 
Quel  est  cet  homme?... 

BASEUS,  s'inclinant  devant  l'empereur. 

Selon  les   ordres   formels  de  Votre  Grandeur  suprême,  je 
remets  entre  vos  mains  le  général  Avidius  Cassius!... 
FAUSTINE,  avec  surprise. 

Comment!...  celui  qui,  autrefois...  m'a-t-on  dit... 


ACTE  DEUXIÈME.  33 

MARC-AUnÈLE,  souriant. 

Vous  avez  dû  cire  bien  étonné,  Cassius  ! 

CASSIUS,  fièrement  et  sans  s'incliner. 

Vo'.re  Mojeslé  se  irorape — mes  étoiincmcnls  sont  plus  rares— 
je  sais  par  cœur  la  reconnaissance  des  princes  et  les  expia- 
tions de  la  gloire.  Je  ne  suis  surpris  que  d'une  chose,  c'est 
que,  ni'ayantjelé  cette  nuil  dans  une  prison,  on  n'ait  pascliirgé 
de  lers  ces  mains  coupables  qui  vous  ont  conquis  une  pro- 
vince ! 

FAUSTINE,  à  part,  do  plus  en  plus  érauo. 

Ce  langage  ! 

HIARC-AUnÈLE,    étonné. 

Des  fers?...  une  prison?...  Que  s'est-il  donc  passé, 
Baseus?... 

CASSlUS. 

Un  ordre  formel  exécuté  par  un  valet  —  c'est  tout  simple! 

(Baseus  se  redresse  les  yeux  en  feu,  la  main  sur  son  ép Je.) 
FAUSTINE,  à  demi-voix,  regardant  Baseus. 
Oh  !  ce  Baseus  !   (Baseus  l'entend  et  frén.it  de  rage.) 
CASSIUS,  à  Marc-AurMo. 

Si  j'étais  empereur,  j'épargnerais  aux  gens  qui  me  servent 
ces  questions  embarrassantes,  —  et  quand  il  y  aurait,  par 
hasard,  une  tétc  de  trop  dans  mon  empire,  je  l'abattrais  d'un 
seul  coup  —  sans  lui  faire  entendre  autre  chose  que  le  sillle- 
ment  de  mon  glaive!... 

FAUSTINE,    à  part. 

Ah!  c'est  un  homme,  celui-là,  c'est  un  homme!... 

MARC-AURiaE,  avec  dignité. 

Si  vous  étiez  empereur,  Avidius  Cassius,  si  votre  bras, 
comme  le  mien,  s'étendait  jusqu'aux  limites  de  la  terre,  — si 
d'un  mol,  d'un  geste,  vous  pouviez  changer  demain  la  face 
du  monde,  —  vous  sauriez  qu'aueime  tète  n'est  assez  haute, 
sous  le  soleil,  pour  porter  omi)rage  à  ce  trône,  et  ne  pouvant 
rien  appréhender  des  autres,  vous  u'aui'iez  de  victoire  ii  rem- 

poilerqiie   sur  vous-même!.. .  (Se  retournant    vers  Baseus.)    NoUS 

regrettons  vivement,  Baseus,  que  vous  ayez  si  mal  compris 
nos  intentions  !... 


34  FAUSTINE. 

BASEUS,  avec  force. 

Je  savais  que  cet  homme... 

MARC-AURÈLE,  l'interrompant. 

Vous  ne  saviez  rien,  vous  dis-je!  puisque  vous  avez  donné 
une  prison  pour  demeure  au  commandant  général  de  la 
Syrie  ! 

BASEUS,  balbutiant  et  ouvrant  de  grands  yeux. 

Commandant...  général...  de  la  Syriel... 

MARC-AURÈLE,  à  Cassius  interdit. 

C'est  ce  que  nous  avions  à  vous  dire,  Cassius;  vous  ne 
seriez  point  venu  de  vous-même,  nous  avons  élé  vous  cher- 
cher, voilà  tout!... 

CASSIUS,  d'une  voix  tremblante. 

C'est  à  moi  !...  à  moi...  que  Votre  Majesté?... 

MARC-AURÈLE. 

Mais  sans  doute,  un  homme  de  votre  valeur  ne  s'écarte 
pas  de  son  prince,  sans  y  être  entraîné  par  des  raisons  sé- 
rieuses... J'ai  réfléchi  que,  cédant  peut-être  à  des  accusa- 
lions  passionnées,  je  condamnais,  sur  des  soupçons  vagues, 
un  général  qui  ne  m'est  connu  que  par  des  services.  Ne  pen- 
sez-vous pas,  maintenant, que  le  sujet  peut  oublier  ses  haines, 
quand  le  souverain  sait  reconnaître  ses  fautes?... 

CASSIUS,  tombant,  vaincu,  à  ses  pieds. 

A  VOUS,  ma  vie!...  à  vous  seul!... 

MARC-AURÈLE. 

Relevez-vous, Cassius!... allez  porter  à  nos  légions  d'Orient 
l'exemple  du  courage  et  de  la  discipline  antique;  maintenez, 
haute  et  ferme,  la  dignité  de  Rome,  dans  ces  régions  loin- 
taines que  vous  avez  soumises  par  vos  armes;  vous  eussiez 
dirigé  l'expédition  de  Germanie,  si  je  n'avais  cru  de  mon 
devoir  d'en  réserver  le  commandement...  pour  moi-même... 

FAUSTINE,  accourant,  avec  un  cri  désespéré. 

Pour  vous-même! 

MARC-AURÈLE,  se  tournant  vers  les    courtisans. 

C'est  ce  qui  me  restait  à  vous  annoncer,  mes  amis! 

FAUSTINE,  hors    d'elle-même. 

Le  froid!...  les  fatigues!...  votre  santé!... vos  enfants!... 


ACTE    DEUXIÈME.  35 

MAIlC-AURKLE ,  avec  douceur. 

Vous  oubliez  Rome,  Faustine  ! 

FAUSTINE,   poussant  Galien  vers   l'empereur. 
Mais  que  faites  vous-donc  ici,  Galien? 

GALIEN,  à   Marc-Aurèle. 

Je  réponds  à  l'univers  de  votre  personne  auguste,  —  ce 
dessein  est  impraticable,  —  je  m'y  oppose!... 

MAUC-AURÈLE,    souriant. 

C'est  que  vous  ne  savez  pas,  Galien,  que  j'aurai  la  guérison 

près  de  moi,  —  je  vous  emmène!...  (Galica  fait  un  mouvement  de 
terreur  et  de  désappointement.)   Il  nouS  faudra  aussi  les  médecins 

de  l'âme;  —  vous  êtes  du  voyage, Fronlo!  (Fronto  s'incline  arec 
une  impassibilité  stoïque)  ainsi  que  tous  ceux  d'entre  vous  qui 
ont  quelque  attachement  pour  notre  personne!...  (Tous  s'in- 
clinent.) 

CAS5IUS,  rencontrant  les  yeux  de  Faustine  qui  le  regarde  en  silence,  ^  part. 

Belle!...  toujours  belle!... 

FAUSTINE,  à  part,  tournée  vers  Marc-Aurcle. 
Oh  1  les  dieux  me  sont  témoins  qu'à  quelque  extrémité  que 
je  me  porte,  —  c'est  lui  seul  qui  en  répondra  devant  eux!... 

MARC-AURÈLE,  s'approchant  de  Faustine. 

Pardonnez-moi,  Faustine^,  une  nécessité  aussi  pénible  qu'i- 
névitable!... dans  des  àines  comme  les  nôtres,  le  devoir  doit 
parler  plus  haut  que  les  affections  de  famille;  —  restez  à 
Rome,  sous  la  protection  de  Baseus.  C'est  lui  que  nous  char- 
geons des  messages  et  de  la  correspondance  régulière,  afin 
que  pas  un  jour  ne  s'écoule  sans  que  nous  ayons  des  nouvelles 
l'un  de  l'autre.  Du  fond  de  ce  palais,  vous  serez  la  providence 
de  ceux  qui  combattent...  (Prenantuneboîle  dans  le  tiroir  d'nnc  table.) 

Avec  une  joie  égale  à  la  mienne  vous  avez  abandonné  vos 
bijoux  et  vos  parures  les  plus  chères.  Gardez  du  moins  ceci, 

comme  un  souvenir  que  je  vous  Olfre.  (Cassius  et  Baseus  sont  seuls 

assez  près  pour  disUnguer  l'objet.)  C'cst  une  cassette  qu'ou  a  mar- 
quée à  mon  chiffre,  et  dont  la  matière  est  aussi  rare  que  le 
travail!... 

FAUSTINE,  ouvrant  la  boite  avec  une  curiosité  involontaire. 
Un  manuscrit!...   (Elle  reste  los  yeux  béants,  et  toulo  désappointée.) 
MARC-AURÈLE,  souriant  avec  bonté. 

Lisez-le...  souvent...  je   vous  prie;  —  vous  puiserez  là, 


36  FAUSTINE. 

comme  à  une  source  vive,  toules  les  vuluplés  du  cœur,  et 
loules  les  consolations  de  l'espril.  —  Ce  sont  les  plus  belles 
maximes  de  la  philosophie  grecque,  que  j'ai  Iraduiles  pour 
vous,  tout  exprès.  —  Dans  une  casselle  si  précieuse,  je  ne 
pouvais  eulermer  qu'une  chose  plus  précieuse  encore  :  la 
sagesse!...  (Se  tournant  vers  sa  suite.)  E;  maintenant  que  nous 
avons  l'ait  tout  ce  qui  dépend  des  hommes,  allons  implorer  ce 
qui  ne  peut  venir  que  des  dieux!...  (il  sort,  tous  le  suivent,  —  Ru- 

tilianus  presse  .les  mains  de  Cassius,  —  et  au  moment  où  ce  dernier  va  pour 
sortir,  Fausline  lui  fait  un  geste  aimable  pour  l'engager  à  demeuier.) 
FAUSTINE,  à    Cassius. 

Un  mot,  général. 

BASEUS,  qui  a  surpris  le  geste. 
Déjà!...  (a  part,  avec  un  rire  amer.)   Fille  d'AnlOnin,  tU  CS  SOUS 

ma  protection,  maintenant!...  (n  son.j 

SCÈNE  VII 
CASSIUS,    FAUSTINE. 

FAUSTINE. 

Permettez-nous,  général,  de  joindre  nos  félicita  lions  à 
celles  de  vos  amis  les  plus  chers... 

CASSICS,   s'inclinant. 

Tant.de  bonté!... 

FAUSTINE,  vivement. 
N'est  que  justice,  —  et  nous  regardons  comme  un  devoir 
de  vous  luire  oublier,  s'il  se  peut,  des  rigueurs  que  nous  dé- 
plorons amèrement! 

CASSIUS. 

Je  jure  à  Votre  Divinité  que  ces  rigueurs  n'ont  point  laissé 
de  trace  dans  ma  mémoire!... 

FAUSTINE,  comme  se  parlant  à  elle-même. 

Oh!  si  nous  avions  su  !...  mais  que  sait-on,  sur  ce  trône? 
Nos  portes  sont  gardées,  —  la  vérité  ne  passe  pas!... 

CASSIUS,    avec    émotion. 

SI  j'ai  souffert,  —  que  celle  erreur  soit  bénie!  —  Aurais-je 
connu,  sans  elle,  toute  la  n)agnanimité  de  César;  j'en  trouve 
une  preuve  de  plus  dans  ces  bonnes  paroles  qui  tombent  de 
votre  bouche,  et  qui  continuent,  pour  ainsi  dire,  sa 
générosité!... 


ACTE  DEUXIEME.  37 

FAUSriNE,  avec  embarras. 

Sans  duule,  —  mais,  après  tout,  ce  n'est  qu'une  délie  qu'il 
vous  paye, —  à  bien  compter...  (souriaut.)  Vous  êtes  quiltcsl... 
CASSIUS,  avec  force. 
Jamais! 

FAUSThNE. 

J'ajouterai  même...  que...  si  nous  avions  été  consultée,  nous 
n'eussions  pas  l'ait  de  celle  rthabililalion  légitime,  —  une 
sorte  d'exil  lointain,  —  quand  il  fallait  un  triomplie! 

CASSIUS,  avec  feu. 

N'appelez  pas  un  exil  ce  gouvernement  qu'il  me  donne  sur 
tuuLe  une  moitié  de  son  emplie,  —  Oh  !  ce  qu'il  n'eul  jamais 
obLci.u  pal'  le  dJpluiemeiil  de  sa  l'orée,  il  l'a  gagné  sur  niui 
par  la  grandeur  de  son  àme.  —  Arrière,  ks  laniômes  d'une 
ambilion  qui  s'égare!...  j'ai,  sous  ma  main,  tout  ce  qu'un  sujet 
peut  alleindre!... 

FAUSTINE,   légèrement  piquée. 

Nous  admirons,  en  vous,  ce  l'eu  de  reconnaissance,  —  cet 
oubli  coinplel  des  injures!...  (piand  il  n'est  pas  de  giandeur 
où  vuus  n'ayez  droit  de  prétendre  !...  et  si  nous  avons  regretté 
pour  vous  ce  départ...  c'est  que,  d'un  consenlement  unanime, 
le  séjour  de  Rome... 

CASSICS. 

Plutôt  les  glaces  du  nord,  ou  les  déserts  brûlants  de  l'Afri- 
que! J'ai  besoin  départir!  j'ai  peur,  ici,  de  moi-même!...  On 
boit,  dans  ces  murs,  un  air  falal  qui  enivre,  —  et  ce  sol  des 
triomphes  a  des  séductions  cachées,  qui  bont  élernelles  comme 
lui!.... 

FAUSTINE. 

Parlez  donc, Cassius,  pour  votre  commandement  de  Syrie;  — 
reprenez  des  honneurs  que  nul  ne  vous  arrachera,  —  moi 
vivante!  —  mais  n'oubliez  pas  noire  amitié...  (souriani)  aussi 
promplement  que  nos  injustices!... Nous  autres,  à  llome,  nous 
penserons  à  vous  bien  des  l'ijisl...  (Elle  lo  coogcdio   avec  un  gesio 

charmant.) 

CASSIUS,  à  part,  après  avoir  salué,  avec  émotion. 

Oh!  je  ne  veux  pas!...  je  ne  veux  pas!...  (n  sort.) 


38  FAUSTINE. 

SCÈNE  VIII 
FAUSTINE,  DAPHNÉ. 

FAUSTINE,  appelant,  d'une  voix  palpitante. 

Daphnél...  (comme  personne  ne  vient,  elle  se  précipite  vers  la  porte 
de  droite.)   Daphllé!...  (Dapbné  paraît  sur  le  seuil.)   Ke   l'aligue  pluS 

les  dieux!  cesse  luus  les  horoscopes  I...  Marc-Aurèle  se  cliarge 
lui-même  de  justifier  ton  oracle!... 

DAPHNÉ,  s'avançant  avec  sollicitude. 

Que  dites-vous?... 

FAUSTINE. 

Je  dis  que,  sourd  à  tous  les  conseils,  —  insensible  à  toutes 
les  prières,  il  part  avec  son  armée!...  (Mouvement  de  Daphné.)  Il 
part  demain,  —  compreuds-iu? 

DAPHNÉ. 

Lui! 

FAUSTINE,   avec  amertume. 

Non  content  désormais  de  ces  angoisses  de  chaque  jour 
que  sa  longue  convalescence  me  donne  à  Rome,  il  va  cher- 
cher de  gaieté  de  cœur  une  mort  inévitable  dans  les  laligues 
d'une  campagne  —  sur  les  bords  glacés  du  Danube  I... 

DAPHNÉ. 

Mais  par  vos  supplications,  par  vos  larmes... 

FAUSTINE,  l'iuterrompant. 

Que  peuvent  des  larmes  de  femme  contre  cette  volonté 
froide  aussi  inébranlable  que  le  destin!...  Il  partira,  tedis-je, 
nous  abandonnant  sans  défense  aux  hasards  d'une  catastro- 
phe certaine,  —  sur  ce  soi  qui  dévore  ses  maîtres,  dans  celte 
Rome  terrible  où  la  couronne  ne  tombe  qu'avec  la  tête  qui  la 
porte! 

DAPHNÉ. 

Grands  dieux! 

FAUSTINE,   amèrement. 

Voilà  l'avenir  que  sa  sagesse  nous  prépare  ! 

DAPHNÉ. 

Mais  alors...  tout  esl  perdu!... 

FAUSTINE. 

Non,  peut-être  I...  un  espoir  me  reste  !...  une  issue!...  mais 


ACTE  DEUXIÈME.  39 

il  me  faut  ton  aide...  (Lui  prenant  la  main.)  Je  no  domando  pas 
ton  silence  !... 

DAFnNË. 

Daphné  vous  appartient,  —  commandez! 

FAUSTINE,  hêsitanl. 

Oh  !  tn  ne  sais  pas  encore  !...  c'est  trop  peu  de  promettre,  — 
je  veux  un  serment  !... 

DAPHNÉ,  avec  solennité. 
Je  le  jure  I 

FAUSTINE,  se  rapprocliant  et  baissant  la  voix. 
Écoute,   écoule  alors!...  Quand  aura  sonné  l'heure  fatale, 

—  quand  toutes  les  anihitions  seront  prêtes  à  se  disputer  notre 
pourpre,  —  j'aurais  besoin  qu'un  homme  se  rencontre  assez 
hardi  pour  s"emparer  de  ce  trône  et  assez  dévoué  pour  me  le 
rendre!...  (Mouvement  de  Dapiiné.)  Cet  homme,  ohl  ce  n'est  pas 
un  rêve  1  on  le  counaitl...  il  existe!...  je  le  dis  que  je  l'ai  vu 
là  tout  à  riieure  1... 

DAPHNÉ. 

Là? 

FAUSTINE. 

Moi-même!...  c'est  le  général  Avidius  Cassius  !... 

DAPHNE,   avec  un  grand  cri  involontaire. 

Cassius I...  (Se  remettant.)  Vous  avcz  dit  Cassius?...  mais  non, 

—  c'est  impossible!  il  est  arrêté,  —  je  le  sais  !... 

FAUSTINE. 

Il  Cal  nommé  gouverneur  général  de  la  Syrie! 

DAPHNÉ. 

Lui!... 

FAUSTINE. 

Marc-Aurèle  à  sa  cour  n'a  pas  d'ami  plus  fidèle! 

DAPHNÉ,  d'une  voix  sourde. 

S'il  est  ce  que  vous  dites,  vous  n'avez  pas  besoin  de  mon 
aide  I... 

FAUSTINE. 

Tu  le  trompes,  —  ce  changement  est  l'écneil  où  peut  se 
briser  ma  fortune!...  et  Cassius  a  l'àme  trop  pleine  de  recon- 
naissance, pour  qu'un  autre  sentiment  puisse  y  tenir!...  Je 


40  FAUSTINE. 

l'ai  vu  là,  —  face  à  face,  —  il  est  aveugle,  —  il  est  sourd;  -^ 
on  m'a  dit  pourtant  que  j'étais  bulle  1... 

DAl'UNÉ,  avec  uno  surprise  aiiièro. 

Comment!...  vous  voulez  donc?... 

FAUSTINE,   froidflment. 


Je  le  veux  ! 

Elle  l'aime 


DAPHNE,    à  part. 


FAUSTINE,  avec  feu. 

Oh!  si  au  lieu  de  pardonner  h  cet  homme,  on  avait  pu  le 
condamner  à  quelque  prison  lente,  à  des  exils  sans  lin,  à  la 
mort!...  je  serais  descendue  dans  ses  ténèbres!...  je  l'aurais 
fait  revenir  des  extrémités  du  monde;  —  entre  sa  tête  et  la 
hache,  —  j'aurais  étendu  ma  main!  il  m'aurait  aimée,  peut- 
être!...  Et  plus  tard...  plus  tard...  Rome,  sans  changer  d'im- 
pératrice, aurait  su  oîi  trouver  un  empereur  !... 

DAPHNÉ,  à  part. 

Le  pousser  dans  celte  voie,  —  c'est  me  venger  !  c'est  le 

perdre!...  (Regardant  Faustiae   à  !a  dérobée.)  Mais  la   chutC  de  CCl 

homme  en  entraînerait  une  si  grande  !... 

FAUSTINE. 

Que  cherche-tu,  Daphné  ? 

DAPHNÉ,  comme  se  réveillant. 
Je  cherche  un  philtre... 

FAUSTINE,   avec  impétuosité. 

Tes  philtres  sont  trop  lents!.  .  tes  dieux  cachés  n'arrive- 
ront pas  assez  vite!...  Attendre,  quand  il  part  et  que  nos 
heures  bont  comptées  1...  Mais  lu  ne  sais  pas  mes  angoisses!... 
mais  d'ici  la,  je  serai  morle!...  As-tu  des  phillres  qui  me  rap- 
pelleront à  la  vie  ? 

DAPHNÉ,   avec  inquiétude. 

Que  puis-je  alors?... 

FAUSTINE. 

Une  seule  chose,  —  cela  m'est  \enu,  tout  à  l'heure!  — 
Cassius  est  d'Egypte,  —  il  doit  croire  à  la  magie  ?... 
DAPHNÉ,  avec  uu  regard  interrogatif. 
Il  y  croit... 


ACTE   DEUXIEME.  h\ 

FAUSTINn. 

C'osl  bien,  —  qu'il  vienne  chez  toi,  celle  nuit  même... 

DAPHNÉ. 

Chez  moi  !... 

FAUSTINE. 

Sans  donte,  puisque  ce  palais  lui  fait  peur  I... 

DAPIINÉ. 

Jamais  I...  c'esl  impossible  !... 

FAUSTINE,   avec  hantcnr. 
Voilà  doux  fois.Daphné,  quoUi  dis  ce  mol  r  «  impossible,  » 
dans  des  lieux  où  c'e*tune  monslruosilc  de  l'entendre  1... 

DAPHNÉ,  interdite. 

Mais... 

FAUSTINE. 

Qu'il  y  vienne,  —  on  m'a  dit  vaguement  qu'il  m'a  aimée 
toute  jeune  !... 

DAPHNÉ. 

Cassius  ! 

FAUSTINE. 

El  que,  pour  ce  molif,  il  tenta  alors  sa  révolte.  —  S'il  a  osé 
cela  pour  l'enl'ant,  —  crois-tu,  Daphné,  qu'il  hésitera  pour  la 
renimo,  quand  il  n'est  même  plus  question  d'usurper  1.  .  Ré- 
veillons cet  amour  et  cotte  ambition  qui  s'endorment,  —  ta 
magie  va  me  servir;  il  ne  s'agit  plus  ici  d'opérations  dou- 
teuses,—  dans  les  crises  suprêmes  il  faut  faire  violence  aux 
destinées  !... 

DAPHNÉ,   avec  force. 

Prenez  garde!...  ces  violences-là  sont  terribles,  —  vous 
jouez  snns  le  savoir  avec  des  dieux  implacables!...  c'est  appe- 
ler la  foudre!...  c'est  nous  tuer  l'une  et  l'autre!...  C'esl...  oh! 
vous  ne  savez  pas  ce  que  c'est!...  Et  moi  qui  vous  supplie... 
moi  qui  vous  suis  toute  dévouée...  je  me  verrais  impuissante 
à  vous  arracher  de  l'abîme  I... 

FAUSTINE,  froidement. 
N'as-tu  pas  juré  tout  à  l'heure  ?... 

DAPHNÉ. 

Mais  je  ne  savais  pas!...  j'étais  folle  I... 


42  FAUSTINE. 

FAUSTINE. 

Assez  !... 

DAPHNÉ. 

Parpilié  pour  vous-même,  ne  songez  plus  à  cel  homme!... 

FAUSTINE. 

Ce  n'est  pas  ton  conseil  qu'il  nous  faut,  —  c'est  ton  obéis- 
sance !... 

DAPHNÉ. 

Grands  dieux!... 

FAUSTINE. 

Plus  un  mot!...  j'ai  des  volontés  immuables!... 

DAPHNÉ,  les  yeux  en  feu,  la  voix  vibrante. 

Ah  !  puisque  vous  le  voulez,  —  je  le  veux  bien  aussij  main- 
tenant!... 


QUATRIEME    TABLEAU 

Vue  générale  du  Forum.  —  Au  fonJ  la  foule.  —  Au  second  plan,  quelques 
hommes  du  peuple  accrochés  aux  architectures.  —  Sur  le  premier  plan  à 
gauche,  une  statue  équestre.  —  A  droite,  une  colonne. 


SCENE  PREMIÈRE 
CORAX,  GRUMIO,  une  vieille  Marchande  de  fleurs, 

ANTONIUS,   GENS    DU   PEUPLE. 

GRUMIO,   Il  est  perché  au  second   plan    h   gauche    fur  le    piédestal   d'une 
statue,  et  interpelle  Corax  qui  est  accroché,  à  droite,  à  une  colonne. 
Hem!...  Corax  ! 

CORAX,  tournant  la  tête  de  son  côté. 
Ohél...  Grumio  ?... 

GRUMIO. 

Aperçois-tu  quoique  chose? 

CORAX. 

Pas  le  bout  d'une  lance!  pas  le  nez  d'un  grand  prêtre! 


ACTE  DEUXIÈME.  43 

GUUMIO. 

Voilà  un  départ  qui  se  (ait  attendre  ! 

CORAX,  riant. 
Bon  courage! 

GUUMIO. 

Cela  n'est  pas  du  tout  poli  pour  le  peuple  ! 

LA  MAUCnAXnE  DE  FLEURS.  Elle  porte  di's  roses  dans  une  pelile  cor- 
beille, et  les  prend  une  à  une  pour  les  montrer. 

Des  fleursl  des  fleurs!... 

CORAX,    toujours  sur  sa  colonne. 

Ohé,  la  belle  lille,  vends-lu  les  roses  de  ton  panier  ou  celles 

de  tes  joues  ?  (On  rit  à  l'entonr.) 

LA  MARCHANDE  DE  FLEURS,  regardant  en  l'air. 

Méchant  boucher  ! 

CORAX, 

Bonne  coureuse  ! 

LA   MARCHANDE    DE   FLEURS,  à  la  fonle. 

Des  fleurs!...  achetez  des  fleurs! 

GRUMIO,  se  tordant  sur  son  piédestal. 

Par  Bacchus!  voilà  deux  heures  que  je  cuis,  au  soleil, 
comme  une  figue  1...  (Rc^-ardant  en  bas.)  Gare  dessous,  les 
amis!...  je  vais  me  détacher,  —je  suis  mCirl...  (lise  laisse  glisser 

et  se  mêle  à  la  foule.) 

ANTOXtUS!.  Pendant  cette  scène,  il  est  adossé  h  la  statue  du  premier  plan, 
à  gauche,  sans  paraître  prendre  part  aux  préoccupations  de  la  foulo  qui 
l'environne. 

Dire  que  si  je  n'avais  point  rencontré  Apcr  dès  mon  pre- 
mier pas  dans  Rome,  j'aurais  évité  celte  sotte  histoire,  chez 
Crispinus,  et  que  j'accompagnerais  là-bas  l'empereur,  au  lieu 
de  rester  là  planté  comme  un  terme  et  de  me  ronger  le  cœur 
à  le  regarder  partir...  Il  était  écrit,  quelque  part,  que  je  lais- 
serais mes  os  en  Orient!...  si,  du  moins,  Cassius,  dans  ses 
fonctions  nouvelles,  daigne  se  souvenir  que  j'ai  tout  sacrifié 
pour  sa  cause!...  nous  verrons  cela,  nous  verrons!... 


4V  FAUSTINE. 

SCÈNE  II 
ANTOxMUS,  BASEUS. 

BASEUS,  survenant  par  la  gauche. 

Veux-tu  servir  un  liomme  qui  n'oublie  jamais  ceux  qui 
l'aiment? 

ANTONIUS. 

Baseus  I 

BASEUS. 

Réponds,  on  peut  le  perdre;  —  lu  élais  du  souper,  —je  t'ai 
vul... 

ANTONIUS. 

Je  n'élais  venu  à  Rome  que  pour  vous  offrir  mon  épée... 

BASEUS. 

Je  l'accepte. 

ANTONIUS,  avec  joie. 
Par  Hercule!...   je  pourrai  donc  partir  demain,  pour  la 
Germanie,  comme  les  autres! 

BASEUS. 

Tu  retourneras  en  Orient,  c'est  mon  idée. 

ANTONIUS,  désappoiuté. 

En  Orient... 

BASEUS. 

Tu  suivras Cassius,  je  l'allache  à  lui,  désormais  —  J'ai  be- 
soin dans  cette  armée  d'un  homme  discret,  qui  m'iippai- 
lienne  corps  et  âme,  et  sur  le  bras  duquel  je  puisse  compter  à 
toute  heure!... 

ANTONIUS. 

Comment? 

BASEUS. 

Sois  tranquille!...  quand  le  jour  sera  venu,  je  t'indiquerai 
la  besogne;  —  en  attendant,  silence!  je  me  charge  de  ta  Ibr- 
tune,  et  si  Cassius  t'oublie  là-bas,  moi,  je  me  souviendrai 
ici!...  Consens-tu? 

ANTONIUS,  après  un  silence. 

C'est  dit! 


ACTK   DEUXIÈMK.  /,5 

BASEli=,  lui  faisint  un  signe  d'adieu. 
Prrpare-toi    donc    à    le    suivre!     (Fausse  sonio    d'Anlonins.)   Un 

mot  encore;  puisque  lu  élais  du  complot,  connals-lu,  par 
hasard,  une  femme  qu'on  appelle  Daphné,  une  magicienne? 

ANTONIUS. 

Je  connais  sa  voix,  si  je  ne  connais  pas  son  visage. 

BASEUS. 

Peux-tu  me  d're  si  sa  haine  contre  Cassius  est  sincère? 

ANTOMUS. 

Oh  !  pour  cela,  je  peux  vous  le  garantir;  elle  se  croit  ahan- 
donnée  par  Cassius,  tandis  que  c'est  Aper  qui,  abusant  de  sa 
ressemblance  avec  son  ami... 

BASEUS. 

Je  comprends. 

ANTONIUS. 

Elle  a  même  donné  au  centurion,  je  ne  sais  quel  sachet 
mygique  avec  des  mots  barbares  dont  ces  femmes  là  font 
usage. 

BASEUS. 

Les  sais-tu? 

ANTONIUS. 

Attendez...  epima...  éregbuo...  thésogar...  quelque  chose 
comme  cela. 

BASEUS. 

C'est  bien,  va.  (Antonins  sort;  Lœnas  parait.)  Lœnas  I 

SCÈNE  m 

LOENAS,  BASEUS,  derrièn  la  statue,  au  deuxième  plan. 

LOENA.S,  à  part.  II  arrive  du  foad,  avec  des  précautions  infinies,  mais  sans 
apercevoir  Baseus  qui  est  do  l'aiure  coté  de  la  statue.  —  Il  a  une  longue 
barbe  blanche,  et  un  manteau  de  idiilosophe. 

Allons,  Lœnas!...  de  la  prudence,  mon  ami!...  que  de  dan- 
gers! que  d'écueils!...  Ne  snchnn!  plus  où  cacher  ma  lèle,  je 
me  suis  réfugié  dans  une  barbe!...  quelques  bous  mois  d'ab- 
sence feront  oublier  cetie  aventure;  —  je  vais  entier  uies  cba- 
lumeauxdans  les  prés!...  (Avec  joie.)  C'est  égal!  j'aurai  toujours 
la  consolation  de  m'êlre  bien  vengé  de  Crispinus,  en  le  faisan  t 

3. 


46  FAUSTINE. 

passer  pour  un  républicain  farouche!  (Regardant  le  piédestal  de  la 
siatuo.)  Encore  une  pince  superbe,  pour  y  déposer  mon  hexa- 
mètre !...  j'en  ai  dr'jàsemé  dans  tous  les  quartiers  de  Rome!... 
(Écrivant.)  «  Cassius  cst  pcrdu,  mais  Grispinus  nous  reste!  » 
Dans  quelle  rage  il  doit  être  !...  Je  l'ai  prévenu  officieusement, 
par  une  lettre,  que  je  suis  le  modeste  auteur  de  la  chose  1 
(Se  drapant,  avec  un  geste  solennel.)  Et  maintenant,  au  revoir,  cité 
de  Romulus,  où  j'ai  vécu  vingt  années  de  réputation  et  de 
pois  chiches!...  j'emporte  de  toi  une  fausse  barbe,  et  je  te 
lègue  une  épigrammel...  (Baseus  fait  un  mouvement  et  s'arrête,  en 
voyant  Grispinus.) 

SCÈNE  IV 

LŒNAS,  GRISPINUS,  LAMPADIO,  BASEUS,  toujours  caché. 
GRISPINUS.  Il  arrive,  par  la  droite,  exaspéré,  et  toujours  suivi  de  Lampadio. 

Le  misérable  ! 

LOTINAS,  à  part,  tout  tremblant. 
Grispinus!... 

GRISPINUS,  à  part.  ■ 

Un   philosophe!...   c'est   probablement    quelque   ami    de 
Marc-Aurèle  ! 

LCffiNAS,  à  part,  tâchant  de  s'en  aller. 

Brrr!... 

GRISPINUS,  l'abordant   avec  cérémonie. 

H'ùge  vénérable! 

LOENAS,  contrefaisant  sa  voix,  mais  avec  trouble. 

Pardon!  ce  n'est  pas  moi,  — je  suis  très-pressé!... 

GRISPINUS,  insistant. 

Un  seul  moll...  peut-être  faites- vous  partie  de  ceux  qui 
accompagnent,  dit-on,  l'empereur?.,. 
LœNAS,  vivement. 

Précisément!...  (Il  veut  partir.) 

GRISPINUS,  le  retenant  par  sa  robe. 

Mais  alors,  par  tous  les  dieux!...  vous  pouvez  me  sauver! 
LOENAS,  étonné. 

Moi  ?  . 


ACTE  DEUXIÈME.  47 

CRISPINUS,  avec  dos  gestes  supplianls. 


De  ffràcel 


LOEN.VS,  rassuré,  à  part. 

Moi,  le  sauver  !...  il  no  me  reconnaît  pas  du  tout! 

CRISPINUS,  avec  feu. 

Je  suis  assassiné  lâchement  par  un  coquin  de  poolc,  que  j'ai 
comblé  de  mes  dons,  et  que  je  nourrissais  à  ma  table!... 

LOENAS,  levant  les  mains  an  ciel. 

Horreur!,.,  jetons  un  voile  sur  cetarfligeant  tableau  de  l'in- 
gratitude ! 

CRISPINUS,  lui  prenant  la  main. 

Merci!  vous  êtes  bon  !  vous  compatissez  à  mes  peines!  (Avec 
indignation.)  Un  vers  infâme,  où  il  me  pose  ouvertement,  moi 
Crispinus,  comme  l'espoir  des  séditieux,  comme  le  brandon 
des  discordes,  et  que  la  foule  a  pu  lire  sur  toutes  les  mu- 
railles de  la  ville!...  Demandez  plutôt  à  cet  esclave!...  (ii  so 

tourne  vers  [.ampadio  qui  écrit,  sur  son  registre,  en  regardant  l'endroit  où 
est  le  vers  de  Lœnas.)  Que  fais-tU  donc  là?...  (Larapalio  lui  montre 
silencieusement  la  chose.)  Eucore  I  eucoro!...  (il  court  efTacer  le  vers 
avec  un  pan  de  sa  toge,  Lampadio  vient  près  de  Lœnas.) 

LAMPADIO,  d'un  air  naïf. 

Je  note  lous  les  endroits... 

CRISPINUS,  arrivant  sur  lui. 
Le  butor!...  (ll  allonge  un  soufflet  que  Lampadio   esquive  en  so  haïs- 
sant, et  qui  vient  tomber  sur  le  visage  de  Lœnas.) 

LOF-NAS,  à  part,  se  frottant  la  joue. 

0  Providence!  tes  coups  sont  inévitables!...  (Lampadio  ramasse 

les  papyrus  déroulés.) 

CRISPINUS,  tombant  à  gcnonx. 

Jamais  plus  violent  désespoir!... 

LOENAS,  avec  dignité. 

Relevez-vous,  je  suis  philosophe!... 

CRISPINUS,  montrant  le  poing  à  la  muraille. 
C'est  encore  ce  malheureux  (|ui  en  est  cause  !...  mais,  dans 
quelque  trou  qu'il  se  cache!...  mes  esclaves  courent  la  ville  et 
il  sera  rossé  d'importance. 


48  FAUSTINE. 

LCENAS,  vivement,  rajustant  sa  barbe. 

Salul!... 

CRISPINUS,  lui  barrant  le  chemin. 

Vous  pardonnez?... 

LCœNAS,  luttant. 

Comment  donc  I 

CRISPINUS,  même  jeu. 

Vous  verrez  ce  grand  prince? 

LCENAS. 

J'y  cours! 

CRISPINUS,  insistant. 

Vous  lui  direz  bien... 

LŒNAS. 

Soyez  calmel...  votre  cause  ne  pouvait  pas  tomber  dans  de 
meilleures  mains  que  les  miennes!... 

CRISPINUS,  baisant  un  pan  de  sa  robe. 

Merci,  généreux  sage!...  dites-moi  votre  nom,  que  je  le 
grave  à  jamais  dans  mon  cœur! 

LCffiNAS,  froidement. 
Pamphile.    fll  se  dégage  enfin,  et  va  parle  fond,  tandis  qu'après  une 
humble  salutation,  Crispinusj  suivi  de  Lampadio,  se  dirige  vers  la  gauchn.) 
CRISPINUS,  souffletant  Lampadio. 

Je  te  le  devais!...  (ils  sortent.) 

SCÈNE  V 
LOENAS,  BASEUS. 

BASEUS,  sortant  derrière  la  statne,  et  frappant  l'épaule  de  Lœnas. 

Lœnas!... 

LCœNAS,  se  retournant  avec  terreur. 

Miséricorde  ! 

BASEUS,  avec   ironie. 

Puisque  tu  vas  chez  Marc-Aurèle,  nous  le  verrons  ensemble; 
—  ma  recommandation  peut  te  servir! 

LOENAS,  refusant  de  marcher. 

Grâce!...  vous  avez  dit  que  les  chacals... 


ACTE  DEUXIÈMK.  W 

BASEUS,  froidemnnt. 

Leur  tour  est  venu. 

LœNAS,  Iremblanl  Je  tous  ses  membres. 
Je  suis  morl. 

BASEDS. 

Quelque  chose  comme  cela,  j'en  conviens!...  (n attrapant  Lœnas 
qni  veut  fuir  à  droite.)  Pardon,  est-ce  que  ma  compagnie  le  dé- 
plail  ? 

LŒNAS,   confus. 

Pouvez-vous  supposer!...  (indiquant  à  droite.)  G'esl  UH  parenl 
à  moi  que  j'apercevais  dans  la  Coule... 

BASEUS,  froidement. 

Et  que  tu  voulais  faire  ton  héritier,  je  comprends!...  (Arrê- 
tant Lœnas  qui  se  glissait  par  la  gauche.)  Encore  un!...  quelle  fa- 
mille!... (D'un  ton  scvi^re,  en  le  regardant  entre  les  deux  yeux.)  Tu  VOIS 
bien  qu'on  ne  m'éciiappe  pas,  à  moi! 

LŒNAS,   avec   volubilité. 

Mais  non  !  c'est  une  erreur!  ..  je  ne  savais  rien!...  je  sou- 
paisl...  un  poêle  qui  soupe,  est-ce  un  danger  pour  l'empire? 
(Montrant  son  ventre  plat.)  Voyez  I  si  c'est  un  crime,  je  ne  le  com- 
mets pas  tous  les  jours! 

BASEUS,  rian. 

Par  Jupiter  !  à  ta  place,  je  tiendrais  moins  à  la  vie  ! 

LŒNAS,    vivement. 

J'y  tiens  beaucoup,  au  contraire!...  j'y  tiens  par  mes  priva- 
tions et  mes  angoisses!  la  misère  pousse  des  racines  effrayan- 
tes! N'y  a-t-il  pas  loujuuis,  pour  se  reprendre  à  la  vie,  des 
miettes  chez  les  riches,  des  chansons  dans  Suburrc,  et  du  so- 
leil sur  les  ponts!.,. 

BASEUS. 

Voyons!  que  ferais-tu  bien,  pour  conserver  tout  cela  ? 
LŒNAS,  bondissant  de  joie. 

Moi?  serait-ce  possible?... 

BASEUS. 

Avec  de  quoi  souper  tous  les  jours?... 

LŒNAS,    avec  enthousiasme. 

Un  pocme  épique  1  et  dont  vous  serez  le  héros  ! 


50  FAUSTINE. 

BASEUS,  haussant  les  épaules. 

J'ai  besoin  que  lu  fasses  mes  commissions,  —  c'est  plus 
simple! 

LCffiNAS,   à  part. 

0  chastes  Muses  I 

BASEUS,  baissant  la  voix. 
Il  me  faut  un  homme  dévoué,  —  un  serviteur  à  l'épreuve, 
quelqu'un  de  sûr  et  d'entreprenant  à  la  foisl... 
LOENAS,   désespéré. 

Grands  dieux!  moi  qui  n'ai  que  le  courage  civil. 

BASEUS,  riant. 
Crois- tu  que  j'aie  l'infenlion  de  t'envoyer  prendre  la  Germa- 
nie, à  toi  tout  seul?...  je  te  destine  à  des  fonctions  plus  paci- 
fiques!... 

LOENAS,  rassuré. 

Oh!  dans  ce  cas-là... 

BASEUS. 

Tu  acceptes,  —  souviens-toi  seulement  que  tu  as  la  corde 
au  cou,  et  que  si  tu  ne  marches  pas  droit,  je  la  lire! 

LŒNAS,  toussant  et  portant  instinctivement  la  main  à  son  cou. 

Hem!... 

BASEUS,   le  congédiant. 

Je  t'attends  celte  nuit;  —  suis  exact,  —  tu  logeras  chez  moi 
déformais. 

LCœNAS. 

Y  prendrai-je  mes  repas? 

BASEUS. 
Peut-être!  (Apercevant  Cassius.)  Tais-toi  !    (Lœnas  sort  par  le  fond 
dans  la  foule.) 

SCÈNE  VI 

BASEUS,   puis  CASSIUS   et   RUTILIANUS,  dans  le  fond, 
LA  Marchande  de  fleurs. 

MARCHANDE  DE  FLEURS,   tirant  des  tablettes  du  fond  de  son  panier 

de    roses. 

Au  général  Cassius! 


ACTE  DEUXIEME.  51 

CA?SIUS,  étonné. 


A  moi  ! 


RUTILIANLS,   riant. 

Par  Hercule!  la  messagère  est  charinanle!  (La  marchande  dis- 
paraît dans  la  foulo  pendant  qui'  Casfins  diWhilTrc  les  lablclles.J 
CASSIUS, 
Pas  de  nom  sur  ces  lablellCS.  (Se  retournant  et  cUcrchaal  lu  inar 
chande.)  De  la  pari  dc  qui  ? 

RUTILIANUS,    souriant. 

De  Vénus! 

CASSIUS,   cherchant  oncoro. 

Cominenl  !  plus  personne? 

RUTII.IANUS. 

Vous  savez  bien  que  tout  ce  monde-là  a  des  ailes. 

CASSIUS. 

Vous  vous  trompez,  mon  ami  !  il  s'agit,  m'écrit-on,  de  ren- 
seignements précieux,  de  choses  graves. 

RUTILIANUS. 

A  quand  ce  rendez-vous  ? 

CASSIUS. 

Cette  nuit  même. 

RUTILIANUS. 

Ah!  ah!  ah!  toutes  les  faveurs  qui  se  suivent...  Je  vous  dis 
que  la  Fortune  veut  s'acquitter  avec  vous  d'une  seule  fois, 
(ils  sortent.) 

BASEUS,  à  part. 

Ah!  Cassius,  je  te  tiens,  maintenant. 

SCÈNE  VIT 

CORAX,  Gens  du  peuple,  Prêtres,  Soldats,  MARC-AURÈLE. 
LA  foule. 

Les  voilà!  les  voilà!...  (Rumenrs  do  la  foule,  tous  les  regards  se 
portent  à  droite  ;  longue  procession  de  prêtres  entre  deux  haies  de  prétoriens 
qui  font  ranger  le  peuple,  ii  droite  et  à  gauche;  musique  religieuse,  Dûtes  et 
trompettes  d"airain;  les  prêtres  ont  en  main  le  bâton  d'augure,  et  des  con- 


52  FAUSTINE.        1t 

ronoes  vertes  sur  la  tête,  à  l'exception  des  douze  Saliens  en  cnirasse,  qui  por- 
tent le  bonnet  pointu,    et  sur  leurs  épaules,  enfilés  à  un  bâton,  les  boucliers 
sacrés  do  Mars  Gradivus.  Derrière  eux,  les  sénateurs,  les  prétoriens,  la  garde 
gauloise,  puis  Marc-Aurèle  à  cheval,  et  son  cortège.) 
MARC-AURÈLE,    à    la  foule. 

Romains,  c'est  à  vous-mêmes  que  je  laisse  la  garde  de  la 
ville  éternelle  ;  je  pars  en  Germanie  pour  venger  nos  injures. 
La  victoire  est  certaine  avec  le  génie  de  Rome  et  le  courage 
de  nos  prétoriens. 


ACTE    TROISIEME 

CINQUIÈME    TABLEAU 


Chez  la  magicienne  Daphnd.  —  La  nuit.  —  Appartement  étrange.  —  Au 
fond,  une  sombre  draperie  suspendue.  —  Ustensiles  bizarres.  —  Demi- 
jour  fantastique.  —  Vers  la  gauche,  un  trépied.  —  Sur  les  murs,  des 
oiseaux  sinistres  empaillés,  des  squelettes  d'animaux,  des  vases  à  forme 
inconnue.  —  Par  terre,  des  bottes  d'berbes  desséchées.  —  Des  miroirs  de 
métal.  —  Des  pancartes  avec  des  signes  magiques. 


SCENE  PREMIÈRE 

DAPHNE,   seule  ;   longue   luniqne  blanclie,   avec  des  ornements  do 
pourpre,   baudeaux  do   même  couleur  pour  retenir  les  cheveux. 

C'est  vraiment  une  chose  terrible  que  de  jouer  ainsi  toute  sa 
vie  et  la  mienne,  dans  cette  épreuve  d'un  instant!...  (Se  levant 
avec  vivacKé.)  Qui  sait?...  l'autre  nuit...  un  premier  mouve- 
ment... riieure  indue...  la  présence  de  ces  liommcs...  je  l'ai 
génc...  c'est  lout  simple!...  Oh!  qu'il  vienne  ici  avec  des 
excuses  ..  avec  des  explications  seulement...  Comme  je  par- 
donnerai vite!  et  avec  quel  cri  de  joie...  (Baissant  la  voix,  et  regar- 
dant vaguement  au  fond.)  .l'arrachcrai  mon  amour  aux  froides 
combinaisons  de  Fausline...  (changeant  de  ton.)  Mais  si  pour  son 
malheur  il  al'fecte  encore  de  me  méconnaiire.  .  pas  un  mot  du 
passé  ne  sortira  de  ma  bouche...  et  j'en  jure  par  ces  ténèbres 
(|ui  m'environnent,  je  le  pousserai  malgré  lui,  dans  des  che- 
mins formidables...  (avec  une  sombre  ironie)  OÙ  liaseus  saura 
bien  l'ntteindre,  cette  fois!...  (Écoutant.)  Grand  dieux!...  il  me 
semble  qu'on  a  heurté  à  ma  porte...  (a  part,  reculant  à  la  vue  de 
Cassius.)  C'est  lui!...  c'est  lui!... 


5i  FAUSTIiNE. 

SCÈNE   II 

DAPHNÉ,  CASSIUS. 
CASSIUS,    à  part,    en  s'arrêlant  avec  surprise  sur  le  seuil  de  droite. 

Celte  femme  de  l'aulre  soir!,.,  que  me  veut-elle? 

DAPHNÉ,  à  part. 

Va-t-il  au  moins  se  troubler? 

CASSIUS,    s'avançant  et  regardant  ce  qui  l'entoure. 
C'est  donc  loi  qui  m'as  fait  venir  ici,  dans  je  ne  sais  quelle 
caverne  de  magicienne? 

DAPHNÉ,  d'une  voix  tremblante. 

Moi-même  1 

CASSIUS,   avec  méfiance. 

Quel  est  ton  but? 

DAPHNÉ,   lui  prenant  la  main  avec  émotion. 

Ne  l'as-tu  pas  deviné,  Cassius?... 

CASSIUS,  se  récriant. 

Moi?...  par  tous  les  dieux!...  comment  veux-tu   que  je 
sache?... 

DAPHNÉ,  à  part,  laissant  retomber  la  main  de  Cassius. 

Ahl  c'est  plus  de  mépris  qu'on  n'en  eut  jamais  pour  per- 
sonne! 

CASSIUS,  avec  humour. 
Ne  m'as-tu  dérangé,  à  pareille  heure,  que  pour  recommen- 
cer avec  moi  les  foUrs  affirmations  de  l'autre  nuit  ?,.. 

DAPHNÉ,   froidement. 

Non,  Cassius;  je  l'avoue  maintenant,  je  ne  te  connais  pas  ! 

CASSIUS. 

C'est  heureux! 

DAPHNÉ. 

Je  savais  que  Baseiis  devait   l'arrêter  celle  nuit-là,  —  je 
voulais  l'avertir...  il  fallait  entrer...  j'ai  menli!... 

CASSIUS,   avec  un  air  de   doute. 

Quel  intérêt  si  grand  le  poussait  alors  à  me  sauver? 


ACTE  TROISIÈME.  55 

DAPHNÉ,   avec  force. 

L'intérêt  que  prennent  à  la   desiinée  les  cœurs  vraiment 

roinnins,  qui  n'ont  plus  d'espoir  qu'on  toi  seul!... 

CASSIUS. 

Mais  aujourd'hui,  cette  lettre?... 

DAPHNÉ. 

Aujourdiiui,  Cassius,  je  veux  te  sauver  encore,  en  le  rappe- 
lant à  toi-même!  car  je  suis  épouvantée  pour  la  gloire  de  ce 
pardon  qui  l'enlace,  et  de  cette  laveur  où  lu  lombes I 

CASSIUS,  d'une  voix  ferme. 

Mon  avenir  est  clos;  —  je  ne  désire  plus  rien  désormais. 

DAPHNÉ. 

Rien?...  tu  serais  donc  le  premier  homme  que  j'aurais  vu 
content  de  son  partage?..,  le  seul  peut-être,  (|ui  ne  cacherait 
pas,  dans  son  àuie,  un  désir  plus  haut  que  sa  lortunel... 

CASSIUS,   froideaient. 

Je  suis  cet  homme-là! 

DAPHNÉ. 

Prends-y  garde!...  qui  ne  veut  plus  monter  doit  descendre, 
—  la  chute  commence  à  la  sotisfaclion  de  soi-même!... 

CASSIUS,   ouvrant  les  bras. 

Si  c'est  ma  destinée,  qu'elle  s'accomplisse! 
DAPHNÉ,    avec  feu. 

Jamais!  ce  n'est  pas  possible!...  Rome  entière  qui  t'attend, 
ne  se  serait  pas  trompée  à  ce  point  !...  (Avançant  le  bras.)  Donne 
un  peu  celle  main  que  j'ai  touchée  tout  à  l'heure?... 

CASSIUS,   riant. 

Je  ne  liens  qu'à  l'astrologie,  je  t'en  préviens  ! 
DAPHNÉ,  avec  aulorili'. 

Qu'importe  ta  croyance?  —  La  main,  comme  le  ciel,  esl  un 
livre  écrit  par  les  dieux!... 

CASSIUS,  lui  abandonnant  sa  main. 

A  ton  aise! 

DAPHNÉ,   h  part,   prenant  la  maia  qu'elle  examine. 

Non,  —  elle  ne  frémira  pas  dans  la  mienne! 

CASSIUS,  avec  ironie. 

Eh  bien  ? 


56  FAUSTINE. 

DAPHNÉ,  lâchant  la  main. 

Je  suis  tranquille.  (Cassius  l'interroge  des  yeux.)  Voilà  Une  main 
qui  en  sait  plus  long  que  toi,  Cassius!.. . 

CASSIUS,  regardant  sa  main. 

Tant  mieux  pour  elle!... 

DAPHNÉ,   s'approchant,   et  lui  indiquant  avec  son  doigt. 

Vois-tu  celte  ligne  qui  monte  et  s'épanouit  de  tous  les  côtés, 
comme  une  gerbe  ? 

CASSIUS,  regardant. 

Je  la  vois... 

DAPHNÉ. 

C'est  splendide  ! 

CASSIUS,  souriant. 

Sans  doute,  sans  doute;  je  m'y  attendais,  —  va  toujours  ! 

DAPHNÉ,  froidement,   en  retournant  à  sa  place. 

Quoi  qu'il  en  soit,  —  tu  ne  resteras  pas  longtemps  en  Syrie! 

CASSIUS,   se  rapprochant. 

'Qui  te  fait  supposer? 

DAPHNÉ,  avec  indifférence. 

Je  ne  suppose  pas,  —  c'est  écrit. 

CASSIUS,    ouvrant  sa  main. 
OÙ? 

DAPHNÉ,    sans    se   déranger    ni    regarder,    louchant    la    paume  du  doigt. 

Là,  sous  mon  doigt,  si  je  sais  lire  ! 

CASSIUS,   comme  se  réveillant. 

Allons  donc!...  par  quelle  étrange  combinaison  d'événe- 
ments?... 

DAPHNÉ,  lâchant  de  nouveau  la  main  do  Cassias. 

Je  l'ignore;  pour  en  savoir  davantage,  il  faudrait  me  livrer 
à  une  opération  plus  longue,  —et  je  ne  t'ai  déjà  que  trop  re- 
tenu... (a  part.)  Il  hésite!... 

CASSIUS,  après  s'être  consulté  en  silence. 
(>e  serait  long? 

DAPHNÉ,   s^chempnt. 

Assez. 


ACTE  TROISIÈME.  57 

CASSIUS. 

Puisque  me  voilà  venu... 

DAPIINË,   l'iulerrompant. 

A  quoi  bon?  —  je  sais  luaiiilcnuiil  loul  ce  que  je  dt'sirais 
connailre  ! 

CASSIUS. 

Mais  uiui... 

DAPHNÉ,  avec  autorité. 
Ne  t'en  mets  pas  en  peine,  Celsius!...  tu   n'en  seras  pas 
moins  ce  que  lu  dois  èlie !... 

CASSIUS,   insislaot. 
Pourlanl... 

Non,  tedis-jel 

Simple  ciiriosilé 

Tu  le  veux  ? 

Tout  de  suile. 

DAPHMJ,  se  levant,  à  part. 
Ce  sera  sa  dernière  épreuve I...  (Haut,  d'un  ton  sévère,  et  décri- 
vant un  grand  cercle  avec  sa  baguette  magique.)  Silence,  alorsL..je 
commence  I...  (Elle  apporte,  au  milieu  de  rapparlemeul,  un  grand  bassin 
de  métal,  sur  les  parois  duquel  sont  gravées  des  ligures  magiques,  place  au 
lour,  sept   flambeaux,    puis    remplit    lenlement    le  bassin  avec  l'eau  d'une 

ampiiorc  )  Palpitez  à  ma  voix,  flois  sjbilliiis,  qui  avez  coulé  piès 
d'une  lomLie,  sous  un  figuier  stérile,  frappé  deux  lois  par  la 
luudre!...  (Allumant  les  flambeaux  magiques.)  Flammes  des  Sept  flam- 
beaux, rayonnez  doucemenl  sur  les  m\>lères  de  celle  onde, 
comme  les  yeux  d'or  du  ciel,  sur  les  abiines  de  la  mer!... 

CASSIUS,   se  penchant   sur  le  bassin. 

Tous  ces  cercles  de  l'eu,  qui  se  mêlent  cl  lourbillonnenll 

DAPIINÉ,   prenant  un  petit  miroir  de   métal. 

Descends,  calme  el  Iroid,  sous  ragilaliuu  des  surfaces,  mi- 
roir de  Thessalie,  dont  lacier  ne  reflète  que  les  lormes  de 
l'avenirl...  (Elle  plonge  le  miroir  dans  le  bassin,  puis  d'une  voix  solen- 


DAPHNÉ. 

CASSIUS. 

DAPIINÉ,   avec  indifférence. 

[CASSIUS,   vivement. 


58  FAUSTINE. 

nelle.)  Par  Mars  et  Mercure!...  par  Jupiter!...  (Se  retournant  brus- 
quement vers  Cassius.)  Ton  épée,  si  jamais  elle  a  plongé  dans  les 

entrailles  d'un  homme  !...  (Cassius,  subjugué,  la  lui  donne,  elle  l'agile 
au-dessus  du  bassin,  et,  d'une  voix  lente  et  chantante,  tout  en  examinant 
Cassius,  pourvoir  si  les  mots  du  charme  fout  quelque  effet  sur  lui.)  Epimâ! ... 
Epimà!...  (Cassius  demeure  immobile,  elle  continue  d'une  voix  sourde.) 
Ercgbuo!...  Thésogar!...  rien!  rien!  (Elle  rend  l'épéo  à  Cassius, 
en  le  regardant  hxement.) 

CASSIUS,  regardant  de  nouveau  dans   le    bassin,    puis  se  redressant,   les 
yeux  hagards. 
Mon  nom!...    (Montrant    le   fond   du  bassin.)   Là!...   Casslusl... 
écrit  avec  du  sang!.  . 

DAPHNÉ,   regardant  aussi. 

Tu  te  trompes,  —  avec  de  la  pourpre!...  (Elle  tombe  k  genoux.) 

CASSIUS,   effaré. 

Que  fais-tu  donc? 

DAPHNÉ,  avec  solennité. 

Je  le  salue,  Avidius  Cassius,  auguste!  invincible!  maître 
du  monde!  empereur!... 

CASSIUS,  s'élançant  vers  Daphné. 
Moi!  empereur!...  lu  en  as  menti!...  lais-toi,  femme!... 
Une  volonté  comme  la  mienneest  plus  forte  que  les  oracles!... 
Je  n'avais  pas  vingt  ans,  —  sais-tu  bien,  —  quand,  (ils  d'un 
simple  rhéteur,  j'ai  voulu  m'asseoir  sur  un  trône!  Aujourd'hui, 
grâce  aux  dieux,  j'ai  passé  le  temps  des  rêves;  —  on  ne  m'en- 
irainera  pas  à  mon  âge,  dans  des  roules  sans  issue,  dont  je 
connais  les  précipices  ! 

DAPHNÉ,  impassible. 
Il  y  a  deux  choses  qu'on  n'arrête  pas,  quoi  qu'on  fasse  :  la 
mer  qui  monte,  el  la  destinée  qui  s'avance!... 
CASSIUS,  avec  force. 
Assez  I 

DAPHNÉ,  s'avançant  vers  lui. 
Que  parles-lu  de  ton  origine?  Le  génie,  qui  lient  son  droit 
de  lui-mêuie,  n'a  rien  à  démêler  avec  les  hasards  du  berceau  ! 
puis,  ce  qui  manque  à  l'homme,  la  femme  parfois  le  possède, 
—  une  princesse  peut  apporter  en  dot  une  couronne! 

CASSIUS,   se  rassurant  et  haussant  les  épaules. 

Une  princesse!...  Ah!  pour  cette  fois,  ta   magie  n'y  voit 


ACTE  TROISIÈME.  ti9 

goulle!  (Éclatant  de  rire,)  Bien  que  je  vive  loin  d'elle,  je  suis  ma- 
rié! j'ai  ma  lemmel...  El  voila  qu'avec  un  seul  mot,  j'ai  lait 
crouler  à  lerre  lout  ce  ridicule  échalaudagel 

n.VPIlNÉ,  d'une  voix  indignée. 

Aveugle  orgueilleux,  qui  lances  tes  blasphèmes  contre  des 
pnis>'ances  terribles!  qui  l'a  montré  d'avance  les  voies  de  la 
destinée?  Sache  attendre  ce  que  les  dieux  te  réservent!... 

(Saississant  la  main  de  Cas>ius,  l'examinant   et   haussant    les  épaules. I  Ce 

n'e.il  pas  celle  lemme-là  qui  doit  monter  avec  loi  sur  le  trône 
du  monde!... 

C.\SSIUS,  interdit  et  tremblant. 

Comment! 

DAPHNÉ,  d'une  voix  sourde  et  brève. 
As-tu  plus  de  courage  qu'il  ne  t'en  laudrail  pour  mourir? 
Es-lii  homme  h  me  suivre  jusqu'aux  dernières  limites?...  des- 
cendras-tu sans  peur,  dans  nos  secrets  formidables?  (Cassius 

reste  muet  et  immobile.)  Réponds!...  tU  ilésites?...  (Cassius  fuit  un 
signe.)  Ahl...  tu  y   COllSens,  je  le  vois!...   i^Daplmé   s'élance    vers  le 

fond;  et  à  part.)  Pius  de  gràce!  le  son  en  est  jcté^  maintenant  1... 

CASSIUS,  avec  une  anxiété  involontaire. 

Que  vas-tu  l'aire? 

DAPHNÉ. 

Demander  à  mes  dieux  quelle  est  celle  lemme  inconnue. 

CASSIUS,    troublé. 

Mais... 

DAPHNK,  s'arrêtant  tout  court  au  milieu  de  ses  apprêts. 

Si  tu  as  peur,  —  nous  n'irons  pas  pius  loin,  —  tout  est  dit. 

CASSIUS,  avec  feu. 

Non  pas,  —  il  est  trop  tard,  —  lu  commenceras,  —je  l'or- 
donne!... Quelque  chemin  qu'il  faille  [irendrc,  je  te  suivrai 
ninintenant  ju5:qu'au  bout!  rallume  tes  (lambeaux  magiques! 
ébrnnle  le  ciel  cila  terre!  si  tu  as  une  puissance,  je  l'en  avertis, 
monlre-!a!...  (D'une  voix  frémissante  de  colère.)  Mais  si  ta  pronicsse 
n'est  qu'un  mensonge,  et  ta  solennité  qu'une  momerie!...  si 
te  faisant  un  jeu  de  mes  angoisses,  lu  as  eu  celle  audace  de 
venir,  malgré  ma  défense,  apporter  la  lempête  dans  la  séré- 
nité de  mon  àme...  je  juro  parles  dieux  que  lu  ne  t'en  vante- 
ras à  personne!...  Souviens-loi  que  nous  sommes  seuls  dans 
cette  chambre,  —  qu'on  m'appelle  Cassius.  —  et  que  j'ai  là 
mon  épce!... 


60  FAUSTIISE. 

DAPHNÉ.  Elle  fait  un  geste  avec  uue  grande  baguette,  uu  cercle  de  feu  se 
forme  au  fond. 

Voici  la  ligne  fatale  qu'on  doit  franchir  pour  entendre;  — 
en  dehors  de  ce  cercle,  tu  peux  fuir  encore,  tu  es  libre!... 

(Cassius  franchit  sans  répondre  la  ligne  de  démarcation,  la  magicienne  étend  sa 
baguette  vers  le  trépied,  —  en  tecouant  d'un  mouvement  brusque  ses  longs  che- 
veux qui  tombent  épars  sur  ses  épaules;  —  en  même  temps  le  trépied  s'allume 
de  lui-môme,  et  on  entend  rouler  un  tonnerre  lointain.  —  Alors  Dapliné  jette 
dans  la  chambre  quelques  gouttes  d'eau  magicpie,  —  et  fait  extérieurement  le 
tour  du  cercle  en  murmurant  son  invocation.)  Hécate  !...  Hécate  !... 
Hécate!...  (Pendant  la  première  partie  de  l'invocation,  musique  très-basse 
accompagnant  faiblement  la  voix  ;  —  la  lumière  tombe  par  degrés,  de  grandes 
ombres    envahissent  l'appartement.)    Sois  favorable   à    Ce   SacritlCe, 

déesse  des  grands  chemins  et  des  carrefours  solitaires!  toi  qui 
marches  la  nuit  à  travers  les  tombes,  ennemie  du  jour,  com- 
pagne des  ténèbres,  mère  des  épouvantes  et  des  fantômes!... 
Toi  que  réjouissent  dans  tes  fêtes,  le  sang,  le  cri  des  chiens, 
les  aromates  et  les  consonnances  carbaresl...  Gorgol... 
Morno!...  puissance  aux  mille  formes,  souveraine  des  trois 
empires!...  infernale,  entends-nous!  Terrestre,  exauce-nous! 
Céleste,  protége-nous  !...  dévoile  à  nos  regards  les  événements 

qui  vont  naître  !  (Roulement  de  tonnerre  lointain,  —  bruits  plaintifs, 
comme  des  sons  de  harpes  éoliennes,  parfois  des  notes  aiguës,  —  et  çà  et 
là,  des  flammes  livides  traversant  la  scène.) 

CASSIUS,  très-ému,  et  saisissant  le  bras  de  Daphné. 

Dis-moi,  cette  femme  ?...  va-l-on  la  nommer  ?  la  verrai-je  ? 

DAPHNÉ,  avec  un  grand  geste  d'autorité. 
Silence!   silence!...  (Jetant  des  aromates  sur  le   charbon  allumé,  et 

continuant  son  invocation.)  Nous  t'olTi'irons  pour  ta  peine  la  myrrhe 
des  Troglodytes,  — le  suc  du  baume  qui  a  coulé  de  l'écorce 
sur  des  couteaux  à  lames  d'or,  —  et  le  cinna moine  des  Arabes 
qui  croît  dans  les  épines  sous  l'œil  du  dieu  Assabinus...  (Pre- 
nant par  terre  des  herbes  séchées.)  Accepte  CUCOre  CCS  violelles  de 

Sicile,  —  et  ces  herbes  sauvages  qui  ont  reçu  trois  nuits 
l'écume  d'argent  des  étoiles!...  dans  lu  racine  de  rue  nous 
laillerous  ton  image  !  des  branches  d'un  laurier,  nous  te  ferons 
une  demeure,  et  au  croissant  de  la  lune  nous  écraserons  sur 
le  seuil,  autant  de  lézards  verts  que  tu  as  de  formes  diffé- 
rentes!... (Se  tournant  tout  à  coup  vers  Cassius,  qui  frissonne  malgré  lui 
au    milieu    des  lueurs  plus   fréquentes  et  des  tonnerres   plus   rapprochés.) 

Écoute!...  écoule!...  le  ciel  mugit!...  le  sol  tremble!...  re- 
garde !  (Une  puissance  surnaturelle  semble  agiter  en  mémo  temps  les  ailes 
des  oiseaux  morts  et  les  squelettes  d'animaux  suspendus  aux  murailles.) 


ACTE  TROISIEME.  61 

SCÈNE  m 

Les  Mêmes,  FAUSTINE. 

Udc  violonle  secousse,  —  un  large  éclair,  —  et  soudain  tout  au  fond,  dans  une 
lueur  rouge,  apparition  de  Paustineeu  grand  costume,  —  iliadùnie  en  li^le,  — 
manteau  de  pourpre  aux  épaules,  —  droite,  —  immobile,  —  souriaute,  et 
comme  pélritiéc  sous  la  baguette  tendue  delà  magicienne. 

CASSIL'S,  les  yeui    hagards,  les  cheveux  bériss'?s,  le  cou   tendu,  les  bras 
tremblants. 
Ah!...   (il  tombe  par   terre  comme   foudroyé,  l'apparition  s'évanouit.) 


SIXIEME    TABLEAU 
An  palais.  —  Appartement  de  Fanstine.  —  Le  matin. 


SCENE  PREMIERE 
Esclaves,  FAUSTINE,  THRASYLLA. 

FAUSTINE,  assise  devant  une  table  de  toilette,  entourée  d'esclaves. 

Déjà  la  inoilié  du  jour...  Ne  vieiidrail-il  pas?  c'est  étrange. 
l'esclave  coiffeuse. 

Si  Votre  Majesté  daigne  approuver  celle  cuiffure? 
FAUSTINE,  bouleversant  ses  cheveui  après  s'être  à  peine  regardée. 

Hideuse!  (Se  levant.)  Hideuse!...  ta  main  se  perd...  prends-y 
garde,  il  y  a  des  puissoiisqui  ont  faim  dans  nos  viviers,  (a  part, 
marchant  à  grauds  pas.)  J'ai  OU  fcuin  d'écarier  Ics  olficiers  de  ma 
porte...  Baseus  accumpagne  les  troupes  à  que.ques  halles 
d'ici...  toute  cetle  journée  m'appartient...  et  persunne  I  per- 
sonne! (Se  letournant  vers  les  esclaves.)  Eh  bien,  que  i'ailes-VoUS 
là  à  me  regarder  bouches  béunles?...  pensez-vous  que  nous 

sommes  ici  pour  vous  attendre?  (La  coiffeuse  s'avance  timidement.) 

Pas  toi,  misérable!  (Une  deuxième  s'avance.)  Ni  toi  non  plus!... 

ni  les  autres!...  à  moi,  les  ntgresses  !  (Les  deux  négresses  arrivent.) 

Relevez-moi  ces  cheveux-là  avec  vos  pattes  !...  (Elle  s'asseoit.) 
Bien!...  bien  !...  les  lemmessoul  si  bêles  que  nous  en  sommes 
réduite  à  nous  faire  coilTer  par  des  singes,  (euc  renvoie  les  dem 


62  FAUSTINE. 

négresses  du  geste,  puis  traverse  la  scène  avec  agitalioa.)   Décidément, 

je  ne  dois  plus  ra'at tendre  à  le  revoir. 

THRASYLLA,   à  part,  avec  commisération. 
Toujours   la   même   pensée  I    (Haut,    s'approchant  avec  respect.) 
Vous  le  reverrez,  j'en  suis  sûre  !...  (FausUnela  regarde  avec  des  jeux 

étonnés.)  J'ai  attaché  sous  sa  cuirasse  un  peu  de  sauge  et 
d'armoise  pour  le  prémunir  contre  les  lassitudes  du  voyage  ! 

FAUSTINE,  ne  comprenant  pas. 

Que  dis-tu?... 

THRASYLLA,  avec  autorité. 

Des  choses  d'expérience,  dont  je  réponds  sur  ma  tête!... 
sans  recourir  aux  médecins  ni  aux  sorcières  I...  (Avec  volubilité.) 
Aussi  vrai  que  pour  la  honne  santé  des  personnes,  les  pieds 
exigent  les  parfums  d'Égypie,  —  la  gorge,  ceux  de  Phénicie 
—  les  bras,  la  menthe,  — les  yeux,  la  marjolaine,  et  les  genoux 
le  serpolet!...  (se  redressant.)  (3h  !  ce  n'est  pas  pour  rien  que  j'ai 
passé  dans  celle  cour  les  cinquante  années  de  ma  vie,  —  et 
je  veux  mourir  si  votre  auguste  époux  ne  vous  revient  pas 
sain  et  sauf!... 

FAUSTINE,  furieuse. 
Et  moi  qui  l'écoute!...  (Se  levant  avec  un  geste  de  colère.)  Es-tU 
partie,  sotte,  —  bavarde?...  je  le  ferai  couper  ta  vieille  langue, 
si  lu  t'en  sers  jamais  pour  me  débiter  les  sottises  I... 

THRASYLLA,   s'en  allant,  à  part. 

Voilà  comme  on  est  récompensé  de  ses  peines!... 

UNE   ESCLAVE. 

Quelqu'un  I 

FAUSTINE. 

Ciell...  (Haut.)  Thrasylla,  fais  entrer,  —  mais  veille  bien  à 
celle  porte,  et  qu'on  ne  reçoive  plus  personne!  (Aus  esclaves.) 
Laissez-moi!  (Thrasylla  sort  en  s'incliuant.) 

SCÈNE   II 

FAUSTINE,  CASSIUS. 

CASSIUS,  pâle  et  abattu,  b.  jiart,  saluant  Faustino  et  s'avançant  avec  lenteur, 
et  comme  hésitant. 

Oui, — je  l'espère  encore,  tout  cela  n'est  qu'un  vain  songe 
que  la  réalité  va  détruire  I... 


ACTE   THOISIEME.  63 

FAUSTIXE,  assise. 

Soyez  le  bienvenu,  Cassius,  surtout  si  vous  nous  apportez 
l'occasion  de  vous  èire  agréable  en  quelque  chose!..,  (Elle 

sourit  avec  grâce.) 

CASSIUS,  s'inclinant. 

Encouragé  l'autre  jour  par  l'accueil  de  Votre  Majesté,  je 
n'ai  pas  cru  devoir  quitter  Rome  sans  lui  présenter  de  nou- 
veau mes  hommages,  (a  part,  relevant  la  tête  et  aporcovaal  Fanstine.) 
Olil  ce  sourire!...  ce  sourire  !... 

FAUSTINE. 

Xous  vous  remercions.  (Lui  indiquant  un  siège.)  Prenez  pince.  — 
Nous  en  voulons  beaucoup  à  cette  Syrie  de  vous  enlever  de 
la  sorte!...  (Le  regardant  fixement.)  C'cst  à  peine  si  nous  aurons 
eu  le  temps  de  nous  connaître!... 

CASSIUS,  h  part,  de  plus  en  plus  ému. 

Grands  dieux!...  le  regard  de  l'autre!... 

FAUSTINE,  vivement. 

Ohl  pour  vous,  c'est  plaisir!...  vous  retournez  dans  vos 
terres,  —  un  vainqueur  n'est  réellement  chez  lui  que  sur  le 
terrain  de  ses  victoires  !... 

CASSIUS,  halbiUiant. 

Quelques  faibles  succès... 

FAUSTINE,  gaiement. 

Et  vous  allez  revoir  Aniioche  !...  une  ville  charmante,  une 
ville  folle,  dont  on  m'a  dit  des  merveilles!...  (\vec  un  sourire.) 
Esl-il  vrai,  général,  qu'ils  ont  coiiluuie  dans  ce  pays-lii,  d'em- 
ployer pour  leurs  fêtes  dos  histrions  nommés  psyles  qui  dan- 
sent enveloppés  dans  des  serpents  véritables  et  que  je  serais 
si  heureuse  de  posséder  à  ma  cour  ?  (Elle  prend  exactement  la  pose 
souriante  qu'elle  avait  dans  l'apparition  chez  la  sorcière.) 
CASSIUS,  les  yeux  fixés  sur  Fanstine,  la  voix  tremblante,  et  répondant  uiaclii- 
nalcmenl. 

Oui...  du  moins...  autrefois...  je  m'en  souviens...  parfaiie- 

inent...  (Tout  a  coup,  perdant  la  tète,  et  d'une  voix  étranglée  par  1  émo- 
tion et  la  terreur.)  Mais  C'est  elle!...  c'est  elle!...  (il  s'est  levé 
convulsivement.) 

FAUSTINE,  se  levant  aussi,  et  jouant  la  surprise. 

Qu'avez-vous  donc  ?... 


64  FAUSTINE. 

CASSIUS,   égaré. 
Rion...  je  ne  sais  pas...  (Prenant  sa  lûte  dans  ses  mains.)  Oh  !  ma 

tête!...  Je  souffre!...  je  suis  un  misérable!...  sauvez-moi!.. . 

FAUSTINE,  avec  une  certaine  inquiétude. 

Voulez- vous  que  j'appelle  ?... 

CASSIUS,  vivement. 
Dans  un  moment...  pas  encore  !  ..  il  faut  que  vous  m'enten- 
diez jusqu'au  bout!...   (D'une  voix  iiaietante.)  Vous  u'aviez  pas 
seize  ans,  ei  vous  ignorez  cette  histoire.  —  Un  homme  vous 
aima  !...  pour  le  malheur  de  sa  vie  1 

FAUSTINE,  feignant  l'élonnement. 

Moi? 

CASSIUS,  continuant. 

Un  homme  sans  naissance...  le  premier  venu  dans  la  fouler., 
(avec  force)  mais  donl  le  cœur  ballail  à  soulever  les  empires... 
et  qui  sentait  en  lui-même  s'agiter  sourdement  des  destinées 
inconnues!... 

FAUSTINE,  regardant  Cassius. 

Mais... 

CASSIUS,  continuant  sur  le  même  ton. 

Pour  monter  jusqu'à  vous,  il  aspira  jusqu'au  trône;  —  puis, 
vaincu  dans  sf.  lutte,  précipité  de  ses  rêves,  cet  homme  n'eut 
pas  même  In  consolation  d'en  mom'ir!...Il  dut  tr.iîner,  par  le 
monde,  celte  existence  perdue  qu'on  dédaignait  de  lui  pren- 
dre.—  A  partir  de  ce  jour,  il  fut  de  tous  les  complots,  de 
toutes  les  guerres,  étourdissant  sa  pensée  dans  le  tumulte  dos 
villes  ou  le  tourbillon  des  batailles!...  On  chanta  sa  valeur,  — 
on  admira  ses  intrigues; —  il  se  crut  sauvé...  cœur  aveugle!... 
C'était  vous,  son  courage,  son  habileté,  son  génie!...  et  cet 
homme  dont  je  parle...  (tombant  à  genoux)  il  est  à  vos  pieds;  — 
c'est  moi-même!... 

FAUSTINE,  avec  un  grand  geste. 

Qu'osez-vous  dire? 

CASSIUS,  se  relevant,  froidement. 

Vous  savez  tout,  —  vous  pouvez  appeler,  maintenant!... 
Punissez  ma  folie,  —  empéchez-moi  d'être  infâme.  —  Je  seug 
la  fatalité  qui  me  pousse!  —  J'oubliais  cet  amour,  —  je  m'é- 
chappais, —  j'étais  libre!...  Les  dieux  eux-mêmes  m'ont 
apporté    votre    image,  —  avec    de  telles    promesses,    qu'il 


ACTE  TROISIÈME.  C5 

faut  que  je  succombe,  ou  qu'elles  se  r(''atisont  quelque  jour!... 
J'ai  cru  briser  mou  rêve,  en  vous  regardant  lace  à  l'ace!... 
Non!...  l'image  me  poursuit...  je  la  vois  partout...  à  toute 
heure...  comme  dans  le  bouge  plein  d'ombre...  sous  les  évo- 
cations de  cette  femme. ..  le  diadème  au  front...  resplendis- 
sante!... immobile!... Vous  voyez  bien  qu'il  faut  appeler, 
maintenant!... 

FAUSTINE,  feignant  de  ne  pas  comprendre. 

Une  image!...  comment?...  que  dites-vous?...  est-ce  pos- 
sible?... Au  nom  des  dieux,  rentrez  en  vous-même...  recon- 
naissez l'erreur  de  votre  imagination  troublée...  Nous  n'abu- 
serons pas,  pour  vous  perdre,  d'une  exaltation  passagère,  — 
et  votre  existence  est  si  indispensable  'a  l'État,  que  nous  vou- 
lons bien,  pour  cette  fois,  ne  pas  nous  souvenir  de  vos 
paroles!... 

CASSIUS,  tiers  de  M. 
Quoi!  j'ai  pu  tout  vous  dire,  et  ma  tête  n'est  pas  tombée,  et 
vous  n'avez  point  fait  traîner  mon  cadavre  par  tous  les  ruis- 
seauxde  la  ville.  —  Je  ne  suis  plus  coupable  !...  j'obéis  aux  des- 
tins!...Les  dieux  l'ont  dit I... je  vous  aime!... 

FAUSTINE,  comme  en  proie  à  une  puissance  invincible. 
Jamais  pareille  audace!...  oh!  vous  m'épouvantez!...  lais- 
sez-moi!.,  ce  son  de  voix...  ces  regards...  je  ne  sais  quelle 
puissance...  Sortez!...  sortez!... 

CASSIUS,  d'une  voix  émue. 

Je  vous  obéis,  —  je  me  retire;  —  devant  l'aveu  de  mon 
amour,  votre  indignation  s'est  contenue...  Je  vais  soumettre 
les  dieux  à  une  dernière  épreuve...  (montrant  son  époe)  et  savoi 
si  cette  épéo  va  se  briser  aussi  contre  ma  poitrine  !...  (u  fait  un 

pas  pour  sortir.) 

FAUSTINE,  avec  un  cri. 
Cassius!...  arrêtez!...  (Cassius  continue,  sans  se  rctoirncr  jusqu'à  la 
porte.)  Ne  partez  pas  sans  m'entendrel... 

CASSIUS,  se  retournant. 

Si  les  dieux  sont  pour  moi,  qu'ai-je  à  craindre?  si  je  me 
suis  trompé,  pourquoi  vivre?...  Il  faut  que  j'échappe  à  ces 
incertitudes  qui  me  rongent!...  et,  si  je  ne  suis  pas  un  pré- 
destiné, au  nom  de  César,  je  dois  punir  un  infâme!...  (ii  va  pour 
sortir.) 

4. 


66  FAUSTINE. 

FAUSTIKE,  avec  énergie. 

Non!...  vous  n'avez  pas  le  droit  de  mourir!...  (Cassius  s'ar- 
rête.) Et  si  vous  éprouviez  réellement  pour  notre  personne... 
(Cassius  se  retourne  vers  elle)  non  pas  de  l'amourl...  mais...  l'af- 
feclion  la  plus  simple...  l'attachement  le  plus  ordinaire...  en 
prévision  dis  événements  qui  menacent,  —  vous  nous  con- 
serveriez le  seul  appui  qui  nous  reste!...  Peut-on  savoir  ce 
que  les  destins  nous  préparent?..  .Et  cette  dernière  campagne... 
avec  tous  ses  périls  et  ses  ébranlements  de  chaque  juur... 
quand  il  sullit  dans  la  mêlée  delà  flèche  perdue  d'un  barbare... 
Oh!  cela  peut  venir  comme  la  foudre!...  et  vous  nous  aban- 
donnez sans  défense!... 

CASSIUS,  revenant  vivement  vers  Fausline, 

Mais,  ce  jour-là,  vous  serez  seule...  je  serai  libre!...  Et... 
quand  j'aurai  mis  sous  vos  pieds  les  ambitions  et  les  huines... 
je  pourrai  vous  aimer!...  devant  tous  et  à  la  face  du  soleil!.., 

FAUSTTNE. 

Une  fois  maître  de  ce  trône,  vous  ne  songerez  guère  peut- 
être  à  maintenir  en  ma  faveur  des  droits  qui  m'apparliennent 
et  que  je  n'abandonnerai  qu'avec  la  vie. 

CASSIUS,  se  récriant. 

Mais,  je  serais  un  fourbe!...  pouvez-vous  croire?... 

FAUSTINE,  avec  mélancolie. 
Ah!   nous  croyons  tout,  nous  autres!...  les    abnégations 

sont    si    rares!...  (Regardant  les  hauts  plafonds  de    l'appartemont.)    Il 

tombe  de  ces  murs  je  ne  sais  quel  mépris  pour  l'humanité 
tout  entière,  qui  fait  les  cœurs  serrés  et  les  àines  soupçon- 
neuses!... 

CASSIUS,  avec  feu. 

Vos  droits  mesont  sacrés!,.,  je  le  jure! 

FAUSTINE,   avec  gravité. 

Il  ne  s'agit  d'ailleurs  que  d'une  situation  éventuelle... Tout 
cela  est  encore  dans  la  main  des  dieux,  Cassius!... 

CASSIUSj   d'une  voix  tremblante. 

Oui...  mais...  si  j'avais  seulement  pour  vivre...  l'espoir  le 
plus  lointain...  quelque  encouragement  de  votre  bouche!,., 

FAUSTINE,  comme  très-omue. 

Oh!  parlez!,.,  parlez!... 


AGTl'    TKOISI^.ME.  67 

CASSIUS,  iasistaal. 
Un  mol  encore!... 

FAUSTINE,  à  voix  basse,  avec  une  grâce  éuiue. 

Aitendonsl... 

CASSIUS,   avec  exaltation  après  avoir  baisô  sa   main. 

Par  rôteriiité  de  Romel...  puisque  j'ai  votre  amour,  je  |)cux 
atletidre  rempire  !... 

FAUSTINE,  avec  autorité. 
Silence,  désormais!...  reslez  jusqu'au  bout  fidèle  à  voire 
souverain;  puisse  le  ciel  le  conserver  longtemps  à  ses  peu- 
ples!... toute  précipitation  serait  désastreuse...  (Le  regardant 
fixement.)  Je  n'ai  pas  besoin  oe  vous  dire  qu'elle  serait  crimi- 
nelle!... (D'un  ton  ému.)  Partcz  poup  Aulioche,  —  plus  tard... 
si  c'est  la  volonté  des  dieux  que  nous  ayons  à  pleurer  notre 
auguste  époux...  nous  vous  donnerons  le  signal...  Ne  teniez 
rien  sans  nos  ordres...  C'est  à  vous  seul,  Cassius,  que  nous 
abandonnerons  alors  nos  intérêts  personnels  avec  le  gouverne- 
ment du  inonde.  Parlez!...  (cassius  son.) 

SCÈNE  III 

FAUSTINE,   seule. 

Quoi  qu'il  advienne,  l'avenir  est  assuré  maintenant!...  (Ap- 
pelant )  Thrasylla  !...  (Prenant  sur  un  meuble  nn  petit  miroir  d'argent,  et 
se  miMUt,  le  flos  tourné  à  la  porte  do  gauche.)  Tlirasylla  I... 

SCÈNE  IV 

FAUSTINE,  BASEUS. 

FAUSTINE,  au  bruit  que  fait  Bascus  en  entrant  avec  impétuosité,  toujours 
le  dos  tourné  à  la  porte  et  occupée  à  se  mirer  les  cheveux. 

Reliens  la  langue,  —  écoute-moi...  (Baseus  sourit.)  Que  tout 
soit  prêt  dans  une  heure!...  Nous  partons,  dès  ce  soir,  pour  la 
villa  près  du  Tibre.  —  Emporte  nos  bijoux,  -  fais  rassembler 
nos  parures,  —  nous  aurons  lù-bas,  quoi  qu'on  dise,  des  fes- 
tins et  des  fêtes  comme  autrefois  !...  tu  as  entendu?  Qu'on  se 
preiSe!,..  (Allant  poser  son  miroir,  mais  toujours  le  dos  tourné.)  Ah!... 

nous  emmènerons  avec  nous  les  pantomimes  et  les  joueurs  de 
fllilel...  (Se  retournant,  avec  un  criinvolonlairc.)  BaseuS  !  1  ! 


68  FAUSTINE 

«ASEUS,   s'inrlinant  très-bas. 

Ne  troiivrnl  là  aucun  officier  de  service,  j'ai  cru  pouvoir 
entrer  de  moi-même...  pour  vous  donner  plus  lot  des  nouvelles,.. 

FAUSTINE,  l'interrompant. 
Vous,  déjà!... 

BASEUS. 

J'ai  accompagné  les  troupes  jusqu'à  la  seconde  halle  après 
Rome... 

FAUSTINE,   frémissant  de   colère   et  d'inquiétude. 

Comment!...  pas  plus  loin  !...  voilà  donc  votre  zèle?...  et  la 
façon  dont  vous  servez  votre  maître? 

BASEUS,   à  part,    et  jouant   l'embarras. 

Je  le  servais  bien  mieux,— en  surveillant  celte  intrigue!... 

FAUSTINE,   d'une  voix  qui  tremble  malgré    elle. 

Il  y  a  longtemps...  que  vous  êtes  au  palais?... 

BASEUS. 

J'arrivp. 

FAUSTINE,   étourdiment. 
El  vous  n'avez  pas  vu?...   (S'arrûtant  court,  puis  sur  un  ton  d'in- 
différence.) Vous  n'avez  rencontré  personne?... 
BASEUS,   avec  intention. 

Pardonnez-moi!... 

FAUSTINE,   avec  terreur. 
Qui?... 

BASEUS. 

Thrasylla,  qui  s'est  assoupie  dans  un  coin... 

FAUSTINE. 

La  sotte!.. .  (Se  retournant,  à  part.)  Je  respire!.., 

BASEUS,   à  part,    souriant.  , 

C'est  une  précieuse  connaissance  que  celte  Daphnc!... 

FAUSTINE,   sèchement,    se   retournant  vers  Baseus. 

Vous  pouvez  vous  retirer,  Baseus! 

BASEUS,   s'inclinant. 

A  VOS  ordres!...  (il  sort.) 

FAUSTINE,   avec  colère,   en  le  regardant  i>artir. 

Toujours  cet  homme!.,,  ne  Irouverai-je  donc  pas  quelque 
moven  de  m'en  débarrasser  tout  à  fait?... 


ACTE    QUATRIÈME 

SEPTIÈME  TABLEAU 

Galerie  inagnilique  dans  la  villa  de  Faustine.  —  Des  colonnes  à  la  mode  syrienne, 
semées  d'éloiles  d'or,  de  riches  étoffes  brodées  de  lunes  d'arRont,  des  parfums 
d'Asie,  brûlant  dans  de  riches  trépieds.  —  On  nperrnit  au  fond,  entre  les  co- 
lonnes, de  vastes  jardins  pleins  de  (leurs.  —  Un  trône  est  dressé  pour  Faustine. 
Jets  d'eau  lumineux. 


SCÈNE   PREMIÈRE 
BASEU-^,  DAPHNÉ,  Invités. 

BASEUS,  à  gauche,   parlant  à  Daphné,    tandis   que   le   cortège  impérial  se 
développe   au   fond. 

Scis  lu  ce  que  je  me  dis  en  songeant  à  celte  fêle  ot'i  va  s'é- 
taler offrontémenl  le  souvenir  de  Cassiiis-;'  C'est  qu'il  est  temps 
d'en  finir  et  qu'un  plus  long  retard  serait  une  trahison  envers 
Marc-Aurèle. 

SCÈNE  II 
Les  Mêmes,  FAUSTINE. 

FAUSTINE;   venant  du   fond. 

Ce  costume  sévère...  Est-ce  une  protestation,  Baseus? 

BASEUS. 

Je  suis  resté  Romain,  voilà  tout. 

FAU>TINK. 

Ce  qui  fait  leBomain,  Baseus,  ce  n'est  pas  lecoslume,  c'est 
l'accomplissement  du  devoir.  Puisque  vous  êtes  chargé  des 
messages,  d'où  vient,  je  vous  prie,  que  nous  n'avons  aucune 
nouvelle  depuis  quatre  jours? 


70  FAUSTINE. 

BASEUS. 

Personne  n'est  venu  de  Germanie...  personne...  j'en  suis 
aussi  étonné  que  Voire  Grandeur. 

FAUSTINE. 
II  suffit  !  (Apercevant  Daphné  et  souriant.)  C'est  bien  Cela,  n'est- 

ce  pas? 

DAPHNE,  apercevant  Fausline  couverte  d'une  robe  orientale,  le  sceptre  en 
main,  les  cheveux  tressés  en  forme  de  mitre  avec  des  rayons  d'or  et  une 
couronne  de  tours. 

Pardonnez  à  la  slupéfoction  de  voire  servante,  j'ai  cru  que 
c'était  la  déesse  syrienne  qui  entrait. 

FAUSTINE,  avec  joie,  s'isolant  des  dames. 

Ahl  Daphné,  do  quel  poids  terrible  je  me  senssoiilagée,  de- 
puis que  j'ai  si  courageusement  accompli  tout  mon  devoir  !... 
et  cela  sans  crime,  sans  trahison,  par  prudence!...  (Avec  feu.) 
Cassius  est  bien  l'homme  que  j'aurais  choisi  dans  ma  jeunesse  : 
il  est  brave  comme  Antoine,  el  amoureux  comme  lui  !...  je 
serai  sa  Cléopêtre  !...  Nous  reprendrons,  dcfns  Rome  môme,  ce 
rêve  d'Egypte  interrompu  par  Octave!...  en  altendanl,  c'est 
par  des  léles  qu'il  faut  préluder  à  l'avenir!...  apprivoisons 

l'Ilalio  aux   SOIT)ptUOSités   orientales...  (montrant   les  invités  parmi 
lesquels  se  trouvent  Libo   et  Sisenna)   et  que  ICS  partisans  de  CassiuS 

s'accoutument,  chaque  jour,  à  me  voir  de  près  el  à  m'aiinerl... 
(Elle  se  retourne  a  un  pélude  qui  se  fait  entendre  au  fond.) 
DAPHNÉ,   à  part,   se  retirant. 

Aveugle'...  aveugle!...  (Allant  à  Baseus.)  Dans  tous  les  cas, 
veille  à  toi  cette  nuit,  Baseus. 

BASEUS. 

Sois  tranquille  1  c'est  entre  elle  et  moi  une  lutte  à  mort:  si 
elle  ose  frapper,  nous  connaissons  la  riposte,  (ils  sortent.) 

SCÈNE   III 

FAUSTINE,   sur  son  trône,    INVITÉS. 
FAUSTINE. 

A  propos,  vous  allez  voir  à  l'instant  ces  femmes  étranges, 
arrivées  tout  nouvellement  de  Syrie.  C'est  le  général  Cassius 
qui,  au  milieu  de  ses  occupations  glorieuses,  a  truuvé  le  temps 
d'être  agréable  à  sa  souveraine.  (Entrée  du  ballet*.) 

'  Voir  lanote  page  97. 


ACTE  QUATRIÈME.  71 

SCÈNE  IV 

Les  Mêmes,  RUTHJANUS. 

faustine. 
Par  tous  les  dieux,  qu'arrive-t-il?  —  Quoi!  Rutilianus,  vous 
ici!  (jui  vous  nnicne? 

UUTILIANUS,    bas. 

Il  faut  que  je  parle  à  Votre  Majesté  sans  délai. 

FAUSTINE. 

Parlez! 
Impossible! 
Comment  ? 
Tout  ce  monde! 

FAUSTINE. 

Ciel!  qu'avez-vous  donc  à  nie  dire? 

RUTILIANUS. 

Calmez-vous  I 

FAUSTINE,    liésitanl. 

Serait-ce,  par  hasard?... 

RUTILIANUS. 

Pas  ici,  je  vous  en  conjure. 

FAUSTINE,  indiquant  la  gauche. 

Dans  mes  opparteinents  alors,  je  vous  suis.  (Se  rcioumani  vers 
les  courtisans.)  Cunlinuez...  rieu  de  grave...  vous  nous  reverrez 
tout  à  l'heure,  (a  ses  dames  d'honneur  qui  veulent  la  suivre.)  LaisSCZ- 
moi.  (Elle  sort.) 


RUTILIANUS. 


FAUSTINE. 


RUTILIANUS, 


72  FAUSTINE. 


HUITIEME     TABLEAU 

Appartement  de  la  villa. 

SCÈNE   PREMIÈRE 
FAUSTINE,  RUTILIANUS. 

FAUSTINE. 

Vite,  vile! 

RUTILIANUS. 

Que  Votre  Majesté  rappelle  aujourd'hui  toute  sa  force  d'âme. 

FAUSTINE. 

Nous  en  aurons...  Mais  de  grâce... 

RUTILUNUS,  hésitant. 

Marc-Aurèle... 

FAUSTINE. 

Achevez! 

RUTILIANUS. 

Marc-Aurèle  est  mort  ! 

FAUSTINE,   comme  foudroyée. 
Mort!  (Se  redressant  après  un  premier  anéantissement.)  Comment?... 
qui  vous  l'a  dit  ? 

RUTILIANUS. 

Un  message  arrivé...  cette  nuit...  au  sénat. 

FAUSTINE. 

A  vous!...  quand  nous  n'en  savons  rien  la  première!... 
(a  part.)  Est-ce  que  déjà  nous  ne  compterions  plus  dans  l'em- 
pire? 

RUTILIANUS. 

Je  ne  saurais  expliquer  à  Votre  Majesté  par  quelle  circon- 


ACTE    QUATRIÈME.  73 

slaiice  extraordinaire  celle  nouvelle  est  arrivée  directement 
au  sénat... 

FAUSTINE. 

Quoi  qu'il  en  soit,  prônez  ganiel  Une  pareille  nouvelle  est 
assez  lourde  pour  faire  tomber  la  Icte  qui  la  porte. 

RUTILIAMS. 

Aussi  n'ai-jc  voulu  la  confier  qu'à  vous  seule. 

FAUSTINE. 

Merci,  merci  !  Vous  comprenez?  la  surprise!...  Pas  un  mot 
de  ceci,  Rutilianiis,  j'ai  besoin  de  trois  jours,  de  quatre  jours, 
—  que  sais- je?  Nous  comptons  sur  la  discrétion  du  sénat 
cnmme  sur  sa  fidélilé. 

UUTILIANUS. 


Je  le  jure 


SCÈNE  II 

Les  Mêmes,  BASEUS. 
BASEUS,  qui  a   entendu    en     entrant    les   dernières   paroles   de  Fausline. 

Il  est  irop  lard. 

FAUSTINE. 

Que  voulez-vous  dire? 

BASEUS. 

Les  messagers  du  camp  de  Germanie  se  succèdent  dans 
Rome.  —  Il  y  en  a  dix,  il  y  en  a  vingt,  —  et  la  fatale  nouvelle 
court  de  rue  en  rue  avec  la  rapidité  des  llamines. 

FAUSTIM':,     s'emportant. 

Eh  bien,  quand  il  y  en  aurait  des  centaines.  Ce  n'est  pas 
mon  affaire,  c'est  la  vôtre  ;  qu'il  disparaissent  celte  nuit  tous 
ensemble.  (Grande  rumeurs  au  dehors.)  Ce  bruit...  CCS  clamcurs! 

BASEUS. 

La  populace  de  Rome... 

FAUSTINE. 

Est-ce  une  révolte  ? 

BASEUS. 

Pas  encore...  une  preniièrcémotion...  celte  nouvelle... 

FAUSTINE,    îi   Baseus. 

Fermez  toutes  les  entrées.  —  Faites  tripler  la  garde!  (La  ru- 
meur augmente.)  Courez!  courez! 


74  FAUSTINE. 

SCÈNE  III 
FAUSTINE,  RUTILIANUS. 

FAUSTINE. 

Allez  près  d'eux,  Rutilianus,  apaisez  ce  tumulle...  Mainte- 
nez-les. Des  ordres  à  donner,  quelques  précaulionsà  prendre. 
Dans  un  instant  nous  serons  prêle  à  vous  suivre...  Et  pour 
montrer  à  tous  combien  ce  cœur  est  sans  crainte,  nous  allons 
rentrer  dans  la  ville  sous  Tescorte  de  notre  peuple.  (Elle  le  con- 
gédie cl  appelle.)  Thrasylla  ! 

SCÈNE  IV 

FAUSTINE,  THRASYLLA. 

FAUSTINE,  bas  à  Thrasylla. 

Daphné  doit  être  quelque  part  dans  le  palais,  —  qu'on  la 

trouve!...  (ihrasylla  s'éloigne  en  courant.) 

SCÈNE  V 

FAUSTINE,   seule. 

Grands  dieux!  ma  tête  se  perd.  Cassius  là-bas...  moi,  seule 
à  Rome!...  (Avec  énergie.)  Allons,  Faustine,  du  courage!... 
l'heure  est  venue  de  montrer  au  monde  que  tu  es  vraiment  la 
fille  des  Césars  !...  Quelle  chaîne  mystérieuse,  et  comme  toutes 
mes  prévisions  s'accomplissent!...  Je  devais  pourtant  m'y 
attendre,  —  et  voilà  qu'aujourd'hui,  c'est  comme  une  chose 
imprévue  !...  (Allant  et  venant  avec  impétuosité.)  Mais  le  temps  mar- 
che, —  pas  un  moment  à  perdre,  —  prévenons  Cassius  au 
l)lus  vite!...  (Avec  impatience.)  Et  cctte  Daplmé  qui  n'arrive 
jiasl...  (ciiangeant  de  Ion.)   l'révenir   Cassius!...   c'est  le  plus 

J)ressé...  (IlcgarJant  autour  d'elle.)  Comme  elle  tarde!...  (Vivement.) 

Moi,  pendant  ce  icmps-là,  j'endormirai  les  esprits,  et  je  l'erai 
planer  sur  la  ville,  une  longue  incertitude,  jusqu'au  jour  où 
ma  position  plusl'orte...  (Apercevant Dapimé.)  Ah!  la  voilà  enlin!... 
la  voilà  I... 


ACTE  QUATRIÈME.  75 

SCl^NE   VI 
FAUSTIiNE,  DAPHNÉ. 

FAUSTINE,   allant  à  Dapliné. 

Tu  sais  aussi  ?... 

DAPHNÉ,   très-pâle. 

Je  sais  tout.—  Pourlanl...  prenez  garde!...  ne  précipilez 
rien  à  Rome...  allondez  !... 

FAUSTINE. 

Nous  allendrons,  il  le  faut;  —  c'est  pour  gagner  du  temps, 
ce  que  nous  avons  dit  à  ce  peuple,  de  peur  que,  d'ici  Va,  quel- 
que ambition  ne  s'éveille.  On  doutera  toujours,  nul  ne  soriira 
de  Rome  sans  nos  ordres.  Daphné,  l'heure  est  venue,  —  peut- 
on  compter  sur  toi?... 

DAPHNÉ. 

Vous  le  savez. 

FAUSTINE,    loi   saisissant  la  main. 

Marc-Aurèle  n'est  plus,  —  Rome  se  lève,  —  je  n'ai  qu'un 
cœur  de  femme,  quand  il  faudroit  un  bras  d'homme  !...  Autour 
de  nous,  vois  loi-même,  des  haines  cachées  ou  des  amitiés 
douteuses.  —Daphné,  Daphné,  c'est  à  toi  seule  que  je  m'a- 
bandonne. —  Cassius  est  là-bas,  —  tu  vas  partir? 

DAPHNÉ,   froidement. 

Je  partirai... 

FAUSTINE. 

Celle  nuit  même.  —  Des  ordres  secrets  te  précéderont  sur  la 
route,  —  des  relais  l'allendronl,  —  tu  trouveras  un  navire,  — 
mais  nul  autre  que  toi  n'aura  le  mol  du  voyage.  En  des  temps 
comme  les  noires,  les  courriers  sontsuspecls,  on  ne  soupçonne 
pas  une  femme... 

DAPHNÉ. 

Je  suis  prèle. 

FAUSTINE. 

Il  le  croira  sans  peine...  (avec  inieniion)  il  te  connaît!...  Dis- 
lui  que  le  temps  presse,  —  qu'il  se  déclare  empereur,  —  qu'il 
écrive  aux  siens,  —  qu'il  accoure...  précédé  de  sa  gloire,  et 
avec  tout  l'Orient  derrière  lui!...  Et  s'il  hésite,  Daphné,  s'il 


76  FAUSTINE. 

recule...  dis-lui  que  je  suis  libre...  que  je  l'attendsl...  (plus 
bas)  que  je  iaimel...  ^^ 

DAPHNÉ,   dissimulant  sa  colère. 

Il  suffit  I...  que  les  dieux  prolégeut  Voire  Majesté  I  (Elle  s'in- 
cline et  se  dirige  vers  le  fond.) 

FAUSTINE,  courant  à   elle. 

Non,  non, -cela  ne  sufût  pas; -il  peut  douter,  -j'ai  nro. 
mis  un  signal,  -  je  dois  tenir  ma  parole,  _  un  retard  peut 
tout  perdre.  (Montrant  àDapimé  une  porte.)  A'côté,  là  mes  ta- 
blettes! 

DAPHNÉ. 

J'y  cours...  (Elle  sort  par  la  porte  indiquée.) 

SCÈNE   VII 

FAUSTINE,  seule. 

De  cette  façon,  c'est  plus  sûr,  -je  lui  dirai  tout  moi-même 
(Avec  un  geste  dédaigneux.)  Nous  n'avons  plus  rien  à  ménao-pp 
désormais!...  " 

SCÈNE  VIII 

FAUSTINE,  DAPHNÉ. 

DAPHNÉ,  revenant  avec  le  style  et  les  tablettes. 

Voilà  ! 

FAUSTINE,  prenant  les  objets. 
Donne-moi    vitel  (Elle  écrit   rapidement,    puis  lui  donnant    les   ta- 
Lieues.)  Tiens-  pars,  _  cela  vaut  mieu.x,  -  mon  écriture  - 

mon  cac.iet.  (L'accompagnant  de  loin  tout  en  parlant.)  Plus  d'hési- 
tation  possible  -qu'il  se  hâte!  (Rappelant  encore  Daphné  qui  é.ait 
P.esqufi  sortie.)    Attends,  attends  encore!...    (Tumulte    au    dehors.) 

Celle  (ouïe  a  beau  crier!... Un  dernier  moven...  j'oubliais' 

(Elle  sort.) 

SCÈNE    IX 

DAPHNÉ,  seule. 

Que  veut-elle  dire? 


ACTE  QUATRIÈME.  77 

SCÈNE  X 
FAUSTINE,  DAPHNÉ. 

FAUSTI.NE,  revenant  avec  la  riclie  casselle  que  lui  a  donnée  Marc-Aurèle. 
Celle  Casselle  I...  (Daplmé  ouvre  des  yeux  étonnés,  tandis  que  Fausline, 
tirant  le  manuscrit  avec  une  cniolion  involontaire,  y  subslilue  ses  tablettes  e' 

dit  à  part.  Cassiiis  la  coniiaU;  —  il  élail  là,  loiit  près  —  quand 

on  l'a  rtMllise  enlre   mes  mains.  (Haut,  se  tournant   vers  DapImé,    et 

lui  donnant  la  cassette.)  Bien  !...  va-l'en!...  Moi ,  je  retourne  à 

Rome,  avec  celle  populace!...  (a  part,  regardant  Dapliné  qui 
s'éloigne  et  montrant  du  doigt  la  cassette  cachée  sous  la  tunique  de  la  magi- 
cienne.) C'est  qu'il  serait  aveugle  s'il  ne  comprenail  pas  main- 
lenanli... 

DAPHNÉ,  à  part. 

C'est  loi  qiii  l'as  voulu,  Cassius!  (Elle  sort.) 


ACTE  CINQUIÈME 


NEUVIEME     TABLEAU 

Le  palais  impérial.  —  Mfrne  apparteiiiont  iiu'aii  troisième  tableau.  —  C'est  la 
nuit.  —  Lampes.  —  Tiépieds  allumés.  —  Désordre  et  confusion  dans  les 
choses  et  sur  les  visages.  —  Fausiiue  s'est  velue  à  la  liàte;  ses  chevtux  sont 
à  moitié  dénoués  ;  les  sénateurs  muets  et  consternés,  prét,int  parfois  l'oreille 
aux  liruits  du  dehors,  se  tiennent  debout  sur  plusieurs  rangs  à  droite. 


SCÈNE  PREMIERE 
FAUSTINE,  LES  SÉNATEURS,  RUTILIANUS. 

FAUSTINE,  se  levant  vivement  en  voyant  Rutilianus  entrer. 

Ah!...  Rutilianus...  qu'avez-vous  vu  ?...  que  sait-on?... 

RUTILIANUS,  il  s'avance  lentement,  et,  d'une  voix  grave  et  émue. 

Quelque  chose  qu'il  arrive,  —  le  sénat  ne  quittera  pas  Votre 
Majesté,  —  sa  place  est  près  de  vous,  —  il  y  reste!  (Anxiété  do 
Faustine.) 

FAUSTINE,  avec  impétuosité. 

Celle  flotte  qu'on  a  vue...  c'était  donc  vrai?... 

RUTILIANUS. 

Tous  l'affirment,  —  les  légions  d'Orient  doivent  être  débar- 
quées en  Italie! 

FAUSTINE. 

Et  vous  supposez  que  Cassius  en  personne...? 

RUTILIANUS. 

Par  mes  relations,  dont  je  rougis,  je  connais  malheureuse- 
ment mieux  qu'un  autre  ce  dont  cet  homme  est  capable  pour 
régner  ! 

FAUSTINE,  vivement. 

Vous  en  êles  certain  ? 


ACTE  CINQUIEME.  70 

Rt'TILIANUS, 


Trop,  hclas  ' 


FAUSTINE. 

Mais...  ces  légions...  à  quelle  dislance?... 

RUTILIANUS. 

On  ne  sait  pas  au  juste.  —  On  sonde  la  nuit;  —  on  écoule... 
la  terreur  est  si  grande  que  des  villngos  entiers  ont  reflué  dans 
la  ville  —  et  il  y  a  des  gens  qui,  l'oreille  appliquée  contre 
terre,  croient  entendre  par  intervalles  le  galop  des  cohortes 
et  le  roulement  sourd  des  catapultes!... 

FAUSTlNEj  sculo,  à  part,  tandis  que  les  sénateurs  la  regardent  en  silence, 
et  semblent  respecter  «on  accablement. 
C'est  bien,  mon  Cassiusl...  on  reconnaît  les  dieux  à  la 
rapidité  de  leur  foudre!...  Daphné  elle-même  n'a  pas  eu  le 
temps  de  revenir!  Il  sera  donc  ici,  dans  ces  murs,  déjà  maitrc 
de  Rome,  avant  que  la  mort  de  Marc-Aurèle  ne  soit  une  cer- 
titude pour  le  peuple!...  Quant  aux  patriciens,  Liho  et  Sisenua 
m'en  ré()ondent.—  C'est  bien  i  c'est  bien!  pas  uu  obstacle  sé- 
rieux sur  sa  roule!... 

RUTILIANUS,  s'approcbanl  de  Fausiine  pour  la  rassurer. 

J'ai  fait  garder  la  ville;  —  tout  ce  qui  nous  reste  de  gens 
armés  est  aux  portes!... 

FAUSTINE,  l'interrompant  avec  véhémence. 

Des  gens  armés!...  que  dites-vous?...  quelle  démence!... 
que  peuvent  vos  citoyens  contre  des  légions  éprouvées?  Où 
sont  vos  généraux?...  vos  hommes  de  guerre?...  Vous  n'avez 
plus  même  ce  Baseus  slupide  qui  a  disparu  de  Roiiio  depuis 
longtemps!...  Mais  vous  provoquez  là  une  effusion  de  sang 
inutile!...  mais  vous  exposez  Rome  à  toutes  les  horreurs  du 
pillage!... 

RUTILIANUS,  avec  force,  après  un  moment  de  stupéfaction. 

Atlondrons-nous  en  paix  les  volontés  de  cet  homme?... 
Faut-il  ouvrir  nos  murailles  aux  proscriplions  qu'il  apporte?... 
et  n'est-ce  pas  à  la  dernière  extrémité  seulement  qu'une  sou- 
veraine a  le  droit  de  fuir  devant  un  usurfiateur?... 
FAUSTINE,  avec  fierlé. 

Nous  ne  fuirons  pas,  Uutilianus!...  nous  irons  nous-mêmes 
au-devant  de  lui! 


80  FAUSTINE. 

RUTILIANUS. 

Vous-même  ! 

FAUSTINE. 

Toutes  portes  ouvertes!... 

RUTILIANUS. 

Grands  dieux! 

FAUSTINE,  haussant  les  épaules. 

Qu'espérez-vous  donc  d'une  résistance  impossible?... 

RUTILIANUS. 

Arrêter,  du  moins,  l'ennemi  jusqu'à  l'arrivée  d'un  secours. 

FAUSTINE. 

Les  secours  sont  loin,—  prenez  garde!...  celui  que  nous 
pleurons  tous,  m'a  cunOé  ce  peuple  au  départ.  —  Le  sang  du 
peuple  est  trop  cher  pour  qu'on  le  répande  en  pure  perte!... 
Tandis  qu'en  nous  montrant  à  ce  Cassiiis,  par  notre  seule 
présence,  par  l'auloriié    du  sénat,  par  cette  amitié  même  qui 

vous   lie,  (elle  regarde  Rulilianus)  nous    pOUVOUS    espérer... 
RUTILIANUS,  avec  force. 

N'espérez  rien  de  Cnssius,  votre  grand  cœur  vous  trompe. — 
Cassius  est  incapable  de  se  repentir,  —  Cassius  n'est  plus 
mon  ami,  c'est  un  l?raitre!... 

FAUSTINE,   froidement. 

Alors,  nous  irons  seule. 

RUTILIANUS. 

Jamais!...  jamais  le  peuple  ne  laissera  Votre  Majesté  courir 
les  chances  d'une  pareille  entrevue!... 

FAUSTINE,    se  redressant  terrible. 

Ahl  je  ne  suis  donc  pas  libre?...  Nous  allons  voir  cela  tout 
à  l'heure!...  Qui  [larle  ici  de  violence?...  Pensez-vous,  qu'avec 
les  officiers  de  ma  maison,  je  ne  saurai  pas  me  faire  au  travers 
de  cette  foule,  une  trouée  assez  large  pour  y  passer  à  mon 
aise!...  et  ne  me  savez-vous  pas  femme  ii  écrire  ma  volonté 
sur  la  poitrine  de  voire  penple,  avec  les  quatre  pieds  san- 
glants de  mon  cheval!  (On  entend  tout  à  coup  un  grand  tumulte  à 
peu  de  distance.)  Mais...  écOUtCZ  donc!...  écoutez!...  (Grand 
tumulte.) 

RUTILIANUS,  très-ému. 

Le  tumulte  grandit!... 


ACTE  CINQUIÈME.  «4 

FAUSTINE,  écoutant  avec  anxiété. 
Il  doit  se  passer  là  quelque  chose  d'exlraordinaire!  (Le  bruit 

augmente.  Tous  les  sénateurs  qtiiltenl  leurs  rangs  en   désordre.) 
nUTILlAMJ?,   ('foulant  toujours. 

On  dirait  une  grande  foule  qui  s'avance  ! 

FAUSTINE. 

Si  c'était  lui?...  (Avec  force.}  C'est  lui  !.  .  c'est  Cassius...  j'en 

suis    sûre!...  (\  Rulilianus,  avec  une  so'te  de  triomphe   mal  dissimulé.) 

Vous  voyez  bien,  niainlenaiU,  ce  qu'il  a    fait  de    vos  gens 
armés  et  de  vos  portes  closes!... 

RUTILIANUS,  se  tournant  avec  majesté  vers  les   sénateurs  qui  se  sont  dis- 
persés çà  et  la. 
Sénateurs,   à  vos    places!...  (So  menant  à  la    tite  des  sénateurs.) 

Le  sénat  romain  doit  garder  sa  dignité  pour  mourir!... 

FAUSTlNEj  reculant  de    terreur  avec  un  cri  involontaire,  a  l'apparition  de 
Marc-Aurèle  sur  le  seuil  de  la  porte. 

Ahl... 

SCÈNE  II 

Les  Mêmes,  MARC-AURÈLE,  puis  GALIEN,  FRONTO,  quel- 
ques Oi'i'iciERS,  Soldats. 


César  I 
César  1 


RUTILIANUS,  mettant  un  genou  en  terre- 
TOUS  Li>  'l'vATEiTRS,   avec  enthousiasme. 


MAnc  AURELE,  avec  énergie. 
Et  bien  vivant,  je  vous  jure!...  Merci  à  vous,  sénateurs,  — 
nous  étions  siir  d'avance  de  vous  trouver  ici,  à  votre  poste  ! 
Au  milieu  de  tant  de  perfidie  et  de  mensonges,  nous  nous  ren- 
dons cette  justice  que  nous  n'avons  jamais  douté  du  sénati 

FAUSTliNE,  à  part. 

Pas  un  regard  !...  11  sait  tout!... 

MARC-AURÈLE,  so  tournant  vers  Faustine. 

Merci  à  votre  tour,  chère  Faustine;  notre  empressement  seul 
à  vous  voir  nous  lait  arriver  à  temps  pour  comprimer  ce 
tumulte  t. ..  Vous  êtes  aujourd'hui  notre  bonne  étoile,  comme 
toujours!... 

5. 


8-2  FAUSTINE. 

FAUSTINE,   à  part. 

Ne  saurait-il  rien,  par  hasard?... 

MARC-AURÈLE,  aux  sénateurs. 
C'est  en  revenant  à  Rome  que  nous  avons  appris  le  soulève- 
ment d'Antioche  et  toute  cette  folie  de  Cassius;  —  mais  nous 
ne  supposions  pas,  connue  on  vient  de  nous  le  dire  au  passage, 
qu'il  avait  poussé  la  démence  jusqu'à  pénétrer  en  Italie!...  (se 
retournant  vers  Fausiine.)  Il  faut  quc  cct  hoiume  ait  bien  grave- 
ment olTensG  les  dieux,  pour  qu'ils  abandonnent  son  esprit  à 

d'aussi  monstrueuses  témérités!...  (Remarquant  l'émotion  do  Faus- 

tine.)  Mais,  le  ciel  me  pardonne,  vous  paraissez  toute  trem- 
blante!.., 

FAUSTINE,  balbutiant. 

Tant  de  félicité^  quand  nous  n'espérions  plus  vous  revoir!... 
un  premier  mouvement...  n'y  pensons  plus!...  ce  n'est  rien... 
(LuUant  avec  énergie  )  Ce  misérable  corps  a  des  révoltes  d'es- 
clave, mais  il  a  beau  se  débattre,  il  faudra  bien  qu'il  porte 
tout  mon  bonheur  sans  plier! 

MARC-AURÈLE,  avec  joie. 

L'heureuse  idée  d'avoir  pris  les  devants,  cette  nuit  même, 
avec  une  cohorte  de  prétoriens,  et  les  personnes  de  notre  en- 
tourage!... 

RUTILIANUS,  avec  effroi. 

Qu'entends-je  ?...  Est-il  possible  que  Votre  Majesté  soit 
venue,  ici,  sans  plus  de  monde?  Mais  vous  ne  savez  donc  [)as 
que  l'usurpaleurs'avance,  et  qu'au  seul  bruit  de  votre  arrivée, 
nous  avons  tous  pensé  que  c'était  lui  !... 

MARC-AURÈLE,  avec  tranquillité. 

Rassurez-vous,  Rutilianus,  —  la  répression  sera  plus  fou- 
droyante que  la  révolte!  Notre  cavalerie  esta  peu  de  distance, 
et  Pertinax  la  suit  d'assez  près,  avec  le  gros  des  légions  nou- 
velles... 

FAUSTINE,  h  part. 

Ce  sont  ces  légions-là  qu'on  entendait...  je  respire I 

RUTILIANUS. 

Mais  si,  avant  l'arrivée  de  votre  cavalerie,  Cassius... 

MARC-AURÈLE. 

Nous  l'inrêlerons,  voilà  tout.  —Nous  avons  cette  nuit  même 
un  rempart  inexpugnable,  un  mur  solide  qui  ne  craint  rien 


ACTE  CINQUIÈME.  83 

des  béliers  de  Cassius.  -C'est  la  juslico  de  notre  cause!.  .  Ce 
rempart-là,  ce  ne  sont  pas  les  hommes  qui  le  delcndcnt,  ce 
sont  les  dieux!..- 

KAUSTINE,  à  part. 

Rien  n'est  perdu! 

MAUC-AURÈLE,  aux  sénateurs. 

Au  conseil!  suivez-nous,  -  c'est  une  rcsolulion  prompte  et 
énergique  qu'il  nous  laul  !  (Tous  le  suivent  par  le  fond,  à  rcxceplioa 
de  Fausiine.) 

SCÈNE  111 

FAUSTINE,  seule. 

Uien  n'est  perdu,  on  peut  l'avenir  encore,  rien  n'est  fait. 

SCÈNE  IV 
FAUSTLNE,   DAPHNÉ. 

DAPHNÉj  apparaissant  tout  à  coup  au  fond. 

Les  vœux  de  Votre  Majesté  sont  accomplis. 

KAUSTINE. 

Dapiiné! 

DAPHNÉ. 

Avidius  Cassius  est  empereur! 

FAUSTINE,  hors  d'elle-même. 
Lui!...  déjà!... 

DAPHNÉ. 

L'Orient  arrive  sur  l'Italie. 

FAUSTINE. 

Quelle  démence!...  c'était  bien  le  moment  de  se  précipiter 
de  la  sorte! 

DAPHNÉ,  avec  un  mépris  concentré,  à  part. 
Voilà  donc  son  amour  à  elle  !... 

FAUSTINE. 

Écoute,  -  tu  vas  repartir;  -  le  mieux,  pour  Cassius,  c'est 
de  s'arrêter  dans  cette  voie... 


84  FAUSTINE. 

DAPHNÉ. 

S'arrêter!...  c'est  facile  à  dire.  —Le  peut-il?...  et  n'a-t-il 
pas  à  coQipter,  détonnais,  avec  tous  ceux  qu'il  a  eniralnés 
dans  sa  cause?...  Ah!  loin  de  l'arrêter,  si  vous  l'aimez...  quel- 
que peu... 

FAUSTINE. 

Mais  il  n'y  a  pas  à  choisir!...  mais  c'est  le  seul  moyen  de 
sauver  sa  tète!  mais  je  ne  peux  pas  me  jeter  ouvertement 
dans  cette  révolte!... 

DAPHNÉ,  à  part,  avec  désespoir. 
Il  est  perdu!.,  par  moi...  et  voilà  que  je  l'aime  plus  encorel 
FAUSTINlî,  la  poussant  convulsivement. 

Pars,  —  le  dis-je  !... 

DAPHNÉ,  immobile. 
A  quoi  bon,  puisiiu'ou  lever  du  soleil,  il  doit  entrer  à  Rome, 
avec  ses  légions?... 

FAUSTINE,    avec  un  grand  cri. 

Lui,  à  Rome!... 

DAPHNÉ. 

Je  le  précède  de  quelques  heures,  —  il  me  suit.,. 

FAUSTINE. 

Daphné,  veux-tu  me  rendre  un  service  qui  sera  plus  grand 
mille  fois  que  les  autres  ?... 

DAPHNÉ. 

Parlez  ? 

FAUSTINE,  froidement. 
Tue-moi  ! 

DAPHNE,  d'une  voi.ï  sombre. 
Ce  n'est  pas  à  vous  de  mourir. 

FAUSTINE,  fièrement. 

Tu  n'attends  pas,  je  suppose,  que  je  descende  pour  vivre, 
aux  soumissions  et  aux  prières, 

DAPHNÉ. 

^  Je  n'attends  de  la  fille  d'Antonin  que  des  résolutions  dignes 
d'elle!  —Le  front  qui  a  porté  un  diadème  ne  doit  s'humilier 
devant  personne! 


ACTE  CINQUIÈME.  85 

iaustim;. 
Tu  vois  bien  que  c'est  pour  moi  une  ncccssilé  d'eu  liuir! 

DAIMINK. 

Je  ne  connais  de  nécessité  que  celle  du  destin  I 

FAL'STINE,  avec  emportement. 

Ah!  ne  me  parle  plus  du  destin!...  Anrais-je  clé  si  crédule, 
si  tu  ne  m'avais  pas  annoncé  la  uiortd"un  empereur? 

PAPIINK,  fioiJement. 

J'ai  dit  dans  l'année,  et  l'année  n'est  pas  révolue! 

FAl'STINE,  avec  ironie. 

Pour  quelques  jours  de  moins! 

DAPHNÉ. 

C'est  assez! 

FAUSTINE,  vivement. 

Que  veux-tu  dire? 

DAPUNÉ,  très-bas. 

Avez-voiis  entendu  parler  quelquefois,  de  ces  morts  étranges 
qui  faisaient  trembler  Home  chaque  jour,  au  temps  de  l'empe- 
reur Oomitien?  Sur  la  place  publique,  aux  promenades,  dans 
les  rues,  partout  où  vont  les  fouies,  on  voyait  des  hommes 
tomber  tout  à  coup,  sans  bless;ire  apparente,  sans  une  con- 
vulsion, sans  un  cri...  (fiiand  on  les  relevait,  ils  étaient 
morts  ! 

FAUSTINE,  inquiète. 

On  m'a  dit  cela,  —  mais  la  cause? 

DAPUNÉ. 

C'était  un  amusement,  une  idée,    comme  il  en  vient  parfois 
aux  débauchés  sans  besogne  !...  j'ai  trouvé  leur  secret...   (Lui 

tendant  une  longue  aiguille  d'or.)  Je  VOUS  l'apporte  1... 
FAUSTINE,   regardant  avec  surprise. 
Une  aiguille!...  (Elle  7a  pour  la  prendre.) 

DAPUNÉ,  la  retirant  vivement. 

Prenez  garde!  sa  piqiire  sulfil. 

FAUSTINE. 

Elle  est  donc  empoisonnée  ? 

DAPUNÉ. 

C'est  probable... 


86  FAUSTINE 

FAUSTINE,  se  reculant. 

Horreur! 

DAPHNÉ. 

Vous  vous  trompez,  c'est  une  compagne  fidèle,  —  une  amie 
jjûre.  —  Elle  ne  me  quille  jamais  dans  la  vie.  (Avec  orgueil.)  Ou 
a  le  monde  à  ses  pieds,  quand  on  a  la  mort  sous  sa  main!... 
FAUSTINE,  avec  un  geste  de  répulsion. 

Emporte  cela,  —je  refuse! 

DAFHNÉ,  montrant  l'aiguille. 

Mais  cela,  songez-y,  c'est  Rome!  à  vous!  c'est  un  trône.. 

FAUSTINE. 

Oh!  ne  me  tente  pas!...  ne  me  tente  pas!... 

DAPHNÉ,  même  jeu. 

Cela  c'est  l'amour  d'Avidius  Cassius!...  l'amour  de  cet 
homme  qui  s'est  perdu  pour  vous  plaire! 

FAUSTINE,  hors  d'olle-mêmo. 

Tais-toi!  tais-loi! 

DAPHNÉ,  baissant  la  voix. 

Pas  de  sang  répandu,  —  pas  une  trace  visible,  —  rien  de 
ces  choses  douteuses  qui  font  parler  les  histoires! 

FAUSTINE. 

Va-t'en  !...  va-l'en  !... 

DAPHNÉ. 

Vous  hésitez?...  Elle  hésite!...  mais  vous  ne  l'avez  donc 
jamais  aimé?  mais  vous  n'avez  donc  pas  usé  des  nuits  tout 
entières  à  rugir  de  ses  dédains,  ou  à  vous  enivrer  de  son 
image  r...  Mais  vous  devez  dune  à  la  grandeur  de  votre  nais- 
sanc*e,  un  cœur  froid  et  dur  comme  le  métal  de  couronnes?... 
Ah  !  je  ne  suis  ici  que  votre  esclave,  mais  je  me  sens  plus 
haute  que  vous  par  l'amour  ! 

FAUSTINE. 

Tu  l'aimes  donc  aussi? 

DAPHNÉ,  comme  se  révoillaut. 
Qui  dit  cela? 

'  FAUSTINE. 

Ton  audace! 


ACTE  CINQUIEME.  87 

DAI'HNÉ. 

Jamais! 

FAUSTINE,  froidement. 
J'en  suis  sûre! 

DAPHNÉ. 

Mais  pour  plaindre  cet  homme  et  l'arrêter  sur  \o  {ioulTre, 
lie  me  sullil-il  pas  d'avoir  élé,  entre  vos  mains,  l'insirument 
l'alal  de  sa  ruine? 

FAUSTINE,  avec  autorité. 

Assez  I 

DAPHÎSÉ,  se  jetant  à  ses  pieds. 
Au  nom  du  ciel!  ne  croyez  pas!...  c'est  que  vos  lieu  ressent 
com|)tées,  cl  que  j'ai  résolu  de  vous  sauver,  lous  les  deux!... 
pourquoi  !...  que  vous  importe  I  parce  que  je  vous  aime  peut- 
être  I  parce  que  ce  serait  un  spectacle  magnifique  que  vous  et 
lui  sur  le  même  trône!...  Nous  avons,  parfois,  de  ces  ca[)ricos 
là,  dans  la  foule!.. .  Souvenez-vous,  seulement!  oh  !  si  je  pou- 
vais tout  vous  dire!  il  était  libre,  —  il  partait  — je  l'ai  perdu 
par  vos  ordres!...  et  vous  ne  lui  donnerez  rien  en  retour? 

FAUSTINE. 

Je  lui  donne  ma  vie,  c'est  assez!... 

DAPHNÉ,  avec  mépris. 
Mourez  donc!  vous  avez  raison  de  mourir!  je  me  suis 
trompée  de  mesure,  en  jugeant  de  la  vigueur  de  votre  âme, 
par  l'intrépidité  de  vos  rêve  !...  mais  pressez-vous,  le  temps 
marche.  (Montrant  l'appariemeût  du  fond  )  Voici  venir  le  philosophe 
avec  sa  férule!...  Fille  des  Césars,  allez  vous  cacher  dans  une 
tombe!  (Elle  se  dirige  vers  la  porte.) 

FAUSTINE,  d'une  voix  étranglée. 
Daphné  !... 

DAPHNÉ,  se  retournant  à  peine. 
Mourez,  vous  dis-je!... 

FAUSTINE,  entendant  du  bruit  au  fond  et  prêtant  l'oreille. 

Oh!  c'est  par  trop  souffrir!...  ne  me  regarde  pas!...  (D'une 

voix  brève  et  ferme.)  DonnC-la   moi  ! 

DAPHNE.  Elle  revient,  sans  parler  et  tend  l'aiguille  dont  Faustine  s'empare 
vivement  et  qu'elle  place  dans  ses  cheveux;  puis  à  part. 
Il  est  sauvé!  (Daplmé  sort.) 


88  FAUSTINE. 

SCÈNE    V 

FAUSTINE,  seule. 
Avec  cela  sur  ma  têle,  je  peux  attendre  en  paix  le  destin  1 

SCÈNE  VI 
FAUSTINE,  MARG-AURÈLE,  Sénateurs. 

MARC-AURÈLE,  tout  en  marchant. 

En  marche,  mes  amis;  allons  voir  de  près  ce  qui  se  passe; 
c'est  une  philosophie  agitée  que  la  nôtre,  pour  peu  que  cela 
continue,  nous  n'aurons  même  pas  le  temps  d'écrire  nos 
pensées  avant  de  mourir...  (Il  se  dirige  vers  la  porte  de  sortie.) 

FAUSTINE,  à  part,  se  précipitant  à  ses  cotés. 

Oh  !  je  ne  le  quitterai  pas  cette  fois  !... 

SCÈNE   VII 
Les  Mêmes,  BASEUS. 

BASEUS,  perçant  la  foule  des  sénateurs. 

Place!  place!... 

FAUSTINE,  a  part. 
D'oij    vient-il   donc?...    (Baseus    se  précipite   aux  pieds    de   Marc- 
Aurèle.J 

MARC-AURÈLE. 

Que  veut  dire?... 

BASEUS,  sans  se  relever. 

La  place  d'un  grand  coupable  est  sous  les  pieds  de  son 
juge!... 

MARC-AURÈLE,  étonné. 

Baseus!...  coupable!...  Tout  à  l'heure,  en  elïet,  nous  vous 
cherchions  ici  vainement...  se  pourrait-il?... 

BASEUS. 

Ordonnez  mon  suppplice!...  (se  relevant  avec  orgueil)  mais  ne 
condamnez  pas  ma  mémoire!...  Le  crime  que  j'ai  commis  est 
de  ceux  qui  sauvent  les  empires!... 

MARC-AURÈLE. 

Expliquez- vous  1... 


ACTE  CINOUIÈME.  89 

FAUSTINE,  à  part,  très- troubléo. 

Quel  mystère?... 

BA?i:us. 
Connaissant  à  fond    la  mauvoise  foi  de  Cassius,  j'ai  lait 
n)oi-rnênie  parvenir  à  Rome  la  fausse  nouvelle  de  votre  mort! 

MARC-AURÈLE. 

Vous-même!... 

FAUSTINE,  à  part. 

Misérablel... 

BASEUS. 

Une  simple  épreuve...  dont  je  n'avais  pas  calculé  toutes 
les  conséquences  !...  Je  savais  seulement  que  Cassius  en  serait 
vile  instruit  par  ses  complices,  el  qu'il  ne  mettrait  pas  une 
heure  entre  cette  nouvelle  el  sa  trahison! 

MARC-AURÈLE,  avec  désespoir. 

Qu'avez-vous  fait,  BaseusI...  elà  quelles  terribles  extrémités 
avez-vous  réduit  tout  un  peuple  ? 

BASEUS. 

Mais  aussi,  qui  pouvait  prévoir  l'exaltation  d'Antioche,  et 
cet  emportement  de  la  Syrie!... 

MARC-AURÈLE,  sévèremeut. 

Celui  qui  ne  craignait  pas  de  leur  en  fuurnir  le  prétexte  !... 

BASEUS. 

Si  j'ai  commis  la  faute...  j'ai  compris,  du  moins  ,  que 
c'était  à  moi  de  la  réparer,  et,  quittant  l'Italie  pour  les  lieux 
mêmes  où  dev&it  éclater  la  révolte... 

MARC-AURÈLE,  l'interrompanl. 
Que  pouviez-vous,  à  cette  heure!... 

BASEUS,  avec  énergie. 
Arrêter  le  rebelle!.  . 

.MARC-AURÈLE,  liauisant  les  épaules. 

Il  marche  sur  Rome  !... 

BASEUS,  frùidemcnt. 
Il  est  mort  !  (Sensalloa  générale.) 

MARC-AURÈLE,  avec  un  geste  de  stupéfaction. 

Lui! 


90  FAUSTINK. 

FAUSTIND,  frissonnante,  à  part. 

Qu'enlends-je? 

BASEUS. 

Au  moment  où  je  parle,  et  sous  les  yeux  de  la  ville  entière, 
sa  tête  sanglante  est  suspendue  dans  le  forum  !... 

MARC-AURÈLE,  levant  au  ciel  ses  mains  tremblantes. 
Est-ce  possible?...    est-ce  possible?...   (Tous    se  regardent  avec 
terreur.) 

FAUSTINE,  vivement  à  Baseus. 

Mais  ces  légions  d'Orient  qui  s'approchaient!...  qu'on  a 
vues  1... 

BASEUS,  à  Fausline. 

C'est  moi  qui  les  conduis,  —  ces  légions  sont  soumises... 
(Se  tournant  vers  l'empereur.)  Elles  viennent  implorer,  h  genoux, 
le  pardon  d'une  erreur  momentanée,  d'un  égarement  dont  je 
suis  cause,  et  qui  s'est  dissipé  de  lui-même  à  la  seule  nou- 
velle de  votre  retour  à  la  vie!...  (Avec  force.)  Oui,  je  le  déclare 
avec  orgueil,  quand  le  centurion  Anlonius  a  frappé  le  traître, 
à  sa  première  étape  sur  le  sol  d'Italie  ,  l'armée  entière  était 
avec  le  centurion...  les  principaux  coupables  ont  tous  subi  le 
même  sort,  à  l'exception  d'Aper,  qui  s'est  échappé,  dans  le 
tumulte... 

MARC-  AURÈLE,  vivement. 

Aper,  son  lieutenant?... 

BASEUS,  avec  force. 

Son  complice  !  .. 

MARC-AURÈLE,  avec  abattement. 
Ah!  Basons!...  Baseus!...  vous  avez  imprimé  sur  notre 
règne  une  tache  sanglante!...  une  tache  ineffaçable!...  les 
dévouements  comme  le  vôtre  sont  mauvais  à  la  réputation 
des  princes!...  Vous  êtes  bien  coupable,  en  effet,  vous  qui 
nous  enlevez,  du  môme  coup,  la  gloire  de  le  soumettre  et  le 

bonheur  de  lui  pardonner  !  (Uaseus  reste  interdit;  Marc-Aurèle  couvre 
son  visage  de  ses  mains.) 

FAUSTINE,  à  part,  d'une  voix  saccadi'e. 

Voilà  donc  celui  qui  devait  mourir  dans  l'année!... 

MARC-AURÈLE,  relevant  la  tète. 

Qu'on  épargne  au  moins  toute  sa  famille!...  qu'aucune 
recherche... 


ACTE  CINQUIÈME.  9i 

UASEUS,  avec    énergie. 

Au  nom  du  ciel,  ol  dùl  ma  lêle  tomber  après  mes  paroles, 
se  peut-il  que  le  snng  de  Cassius  ail  clé  versé  inulilemenl,  el 
que  Votre  Majesté  Terme  les  yeux  sur  Antioche  rebelle,  sur 
Rome  complice,  sur  tout  d'opprobres  el  de  Irahisous  à  la 
fois!... 

FAUSTINE,     vivement,  à  part. 
Il  a  raison!...  si  Libo  el  Sisenna  soupçonnaient!...  il  faul  que 
toul  soil  elTacé  derrière  moi  !... 

WAIIC-AURÙLE. 

11  ei"it  mieux  valu  pour  nous  être  mort,  si  notre  retour  dans 
Rome  devait  couler  une  seule  larme  à  noire  peuple!... 
FAUSTINE ,   timidement. 

Cependant...  quelques  exemples  salutaires...  dans  l'intérêt 
de  l'Étal....  de  votre  existence  même!... 

MARC-AURliLE,  avec  un  doux  rcproclie. 
Vous  aussi,  ma  cbère  Faustine!... 

FAUSTINE,  avec  force. 
Moi  surtout  qui  suis  voire  épouse,  cl  dont  la  destinée  est 
inséparable  delà  vôtre!... 

BASEUS,  vivement,  à  rinipcratrice. 
Ob!   si  Votre  Majesté  désire  pénétrer  plus  avant  dnns  ce 

complot  (montrant  son  manteau  aux  larges    plis),  j'ai    là,  peut-être... 

car  l'empereur  avait  seul  le  droit  de  s'en  assurer...  des 
])reuves  certaines^et  des  renseigtiemenls  de  la  plus  baule  im- 
portance!... 

FAUSTINE,  vivement. 

Montrez!... 

BASEUS,   tirant  de  dessous  son  manteau  la  cassette  de  Faustine. 

C'est  une  cassette  trouvée  dans  la  chambre  même  de  l'ustu'- 
paleur.. . 

FAUSTINE,  il  part,  reculant  avec  épouvante. 
Dieux!... 

.MAHC-AURÈLE,  à  part,  changeant  de  visage. 
Qu'ui-je  vu?...   (il  regarde  longuement  Faustine  éperdue.) 
BASEUS,   tendant  la  cassette  à  l'empereur. 

La  seule  chose  échappée  à  l'incendie  de  sa  maison!...  (L'em- 


92  FAUSTINE. 

pereur  restant  immobile,  Baseus  va  vers  Faustine  avec  un  air  d'ignorance.)  Il 
doit  y  avoir,  là-dedans,  des  révélations  précieuses!...  (Faustine, 
anéantie,  n'a  pas  l'air  de  l'entendre.) 

MARC-AURÈLE,  à  pari,  avec  désespoir. 

Faustine!...  Faustine  !... 

BASEUS,  se  tournant  vers  l'empereur. 
Personne!...  pas  même  .moi!...  (II  montre  la  cassette  fermée  avec 
le  cachet  de  Cassius.) 

MARC-AURÈLE,  d'une  voix  grave. 

L'affîrmez-vous?... 

BASEUS,  levant  la    main. 

Je  le  jure!... 

MARC-AURÈLE. 
Donnez-la  donc!...  (ll  prend  la  cassette  d'une  main  tremblante.) 

FAUSTINE,  à  part,  avec  terreur. 
Ma    lettre!...  (Tout  à  coup,  elle  tire    furtivement  de  ses  cheveux  son 
aiguille  empoisonnée,  avec  un  regard  terrible  du  côté  de  l'empereur.) 
MARC-AURÈLE,   après    avoir  regardé  longuement  la  cassette. 

Nous  le  jurons  par  les  dieux,  voilà  une  cassette  qui  né  serait 
pas  trop  payée  avec  les  richesses  de  l'univers!...  (Prenant  la 
cassette  des  deux  mains.)  Puisque  tout  est  bien  là  !... 

FAUSTINE,    se  glissant  sourdement  vers  lui. 

Malheur!... 
MARC-AURÈLE,  il  évite  Faustine,  sans  le  savoir,  par  un  mouvement  vers  la 
gauche,  où  se  trouve  un  trépied  allumé. 

Que  tout  soit  anéanti!,..  (ll  jette  la  cassette  dans  le  brasier.  Fauslino 
vaincue,  reste  péirifiée  à  sa  place.)  La  (aligue  de  régner  est  déjà 
assez  lourde,  sans  y  ajouter  encore  l'obligation  de  haïr!...  (Sc 

retournant  vers  Fauslino  avec  douceur.)  Votre  amitié  pOUr  noUS  VOUS 

égarait  tout  à  l'heure!...  comme  si  la  clémence  n'était  pas 
la  première  vertu  des  souverains!...  (Bas.)  C'était  pourtant 
noté  dans  le  manuscrit!...  (se  retournant  vers  les  sénateurs.)  Mais 
il  est  temps  d'aller  rendre  nous-mème,  aux  dépouilles  san- 
glantes de  Cassius  les  honneurs  qui  appartiennent  à  un  gé- 
néral romain!  quels  qu'aient  été  ses  crimes,  nous  ne  soulTri- 
rons  pas  que  sa  tête  reste  un  moment  de  plus  exposée  aux 
insultes  de  la  populace!...  (s'adressant  à  Baseus.)  Vous  Conduirez 
le  deuil,  Baseus,  —  ce  sera  là  votre  premier  châtiment.  .  (ii 
sort  avec  tout  le  monde.) 


•  ACTE  CINQUIÈME.  93 

SCENE   VIII 

FAUSTINE,  seule,  avec  mi  effroi  nièlé  d'admiration. 

Quel  est  donc  cet  homme-là  qui  esi  plus  grand  que  les  au- 
tres, et  que  nos  passions  n'atteignent  plus?...  (Avec  désespoir.) 
IS'ée  pour  la  lutte,  j'aurais  bravé  sa  vengeance!...  C'est  sa  gé- 
néro^ilc  qui  m'écrase!...  (Avec  amertume.)  Comme  il  doit  me  mé- 
priser maintenant  1...  (Avec  effort  et  d'une  voix  plus  émue.)  Mais 
non  !...  les  hommes  comme  lui  ne  nous  méprisent  pas,  —  ils 
nous  plaignent!...  (Avec  effusion.)  Ah!  si  j'avais  encore  le  droit 
de  l'aimer!...  avec  quel  bonheur  j'aurais  été  son  esclave!... 
Comme  tout  ce  passé  sombre  se  serait  évanoui  devant  la  séré- 
nité de  ma  joie  !...  (Avec  un  mouvement  d'espoir.)  Qui  Sait?...  l'in- 

dulgence  d'un  dieu  n'a  pas  de  limites.  (Regardant  le  trépied.)  Lui- 
même,  a  brûlé  là  toutes  les  preuves!...  (Se levant.)  Rien  dé.>^or- 
mais... 

SCÈNE  IX 

FAUSTINE,  CASSIUS. 

FAUSTINE,  avec  un  cri  étranglé,  en  apercevant,  debout,  devant  elle, 
Cassius  en  haillons,  et  qui  a  rejeté  le  capuchon  de  laine  qui  recouvrait  sa 
tête  pâle. 

Ah!...  (Reculant  avec  terreur  et  cachant  ses    yeux   avec  sa   main.)  Le 

•spectre  !  le  spectre! 

CASSIUS,  avec  énergie, 
.le  vous  avais  promis  de  revenir!... 

FAUSTINE,  toujours  de  loin,  d'une  voix  tr^îmlilanto. 

Grâce!...  retourne  à  la  tombe!...  je  t'y  suivrai!...  laisse- 
moi  !... 

CASSlUS. 

Restez!...  je  vis  encore!...  je  suis  toujours  Cassius  !... 

FAUSTINE. 

Vous!...  et  moi  qui  osais  encore  espérer  !... 

CASSlUS. 

Celui  qu'ils  ont  tué,  c'est  Aper. 

FAUSTINE. 

Comment? 


94  FAUSTINE. 

CASSIUS,  avec  émotion. 

Sa  ressemblance  avec  moi  a  trompé  les  assassins;  il  s'est 
dévoué. 

FAUSTINE,  faisant  un  pas  vers  Ini. 

Et  après  ?... 

CASSIUS. 

Après?  je  n'ai  qu'un  mot  à  dire  à  ceux  qui  me  croient  mort, 
pour  précipiter  tout  l'Orient  sur  l'Italie,  —  comme  une  mer 
qui  déborde!  Dix  mille  hommes,  entendez-vous,  dix  mille 
hommes  savent  ici  que  ces  haillons  sont  de  pourpre!  Rien  n'est 
(ini,  vousdis-je,  entre  Marc-Aurèle  etCassius;  —  c'est  monde 
contre  monde,  il  y  aura  du  sang  jusqu'au  ciel  ! 
FAUSTINE,  avec  une  ironie  mélancolique. 

Vous  croyez?... 

CASSIUS, 

J'en  suis  sûr. 

FAUSTINE^  h  voix  basse. 

Marc-Aurèle  sait  tout... 

CASSIUS,  avec  un  cri  de  rage. 

Marc-Aurèle  ! 

FAUSTINE. 

iNe  parlez  plus  d'empire  lorsque  nos  heures  soncomptées!... 
Cassius  I  la  nuit  qui  vient  sur  nous  est  sans  rêvel...  Que  ferez- 
vous  désormais,  errant,  maudit,  sans  soutien,  traqué  de  ville 
en  ville,  vous  qui  n'avez  rien  pu  quand  vous  commandiez  une 
armée?... 

CASSIUS,  av3c  amertume. 

Oh!  ce  Marc-Aurèle!...  Ne  pouvant  vaincre  en  face,  il  a  des 
meurtriers  à  ses  gages!...  Là-bas  sur  le  forum,  aux  pieds  du 
Capitule,  la  populace  soudoyée  entoure  en  rugissant  de  joie 
une  lélc  livide!...  Il  m'a  semblé  que  c'était  la  mienne!...  J'ai 
senti  sur  ses  joues  le  souinet  des  crocheteurs  avec  le  crachat 
des  prosliluéL'S,  et  je  viens  de  le  voir  lui-même^  qui  allait  join- 
dre son  insulte  aux  imprécaiions  de  la  foule!...  (Bruit  de  trom- 
pettes au  dehors.) 

FAUSTINE,  avec  solennité. 

Écoulez!...  écoutez!... 

CASSIUS,   prêtant  l'oreille. 

Quel  est  ce  bruit?...  ces  sons  funèbres  ?... 


ACTE  CINQUIÈME.  93 

FAUSTIXE. 

Ce  sont  vos  funérailles  qui  passent  1... 

CASSIUS,  éperdu. 

Comment!... 

FAUSTINE. 

C'est  lui  qui  mène  ce  cortège,  et  qui  fait  rendre  à  ce  qu'il 
croit  vos  dépouilles,  autant  d'honneurs  publicsqu'ellcsont  subi 
de  malédictions  et  d'outrages!... 

CASSIUS. 

On  fait  grâce  aux  morts,  c'est  facile!  on  pardonne  moins 
aux  vivants. 

FAUSTINE. 

Il  m'a  pardonné,  Cassius!... 

CASSIUS,  allant  à  elle. 
Ah  !  vous  voulez  vivre,  vous  ? 

FAUSTI.N'E. 


Non,  mourir. 
Pourquoi  ? 
Je  l'aime  !... 


CASSIUS,  haletant. 
FAUSTINE. 


CASSIUS,  comme  foudroyé. 

Qu'ai-je  entendu? 

FAUSTINE,  froidement. 

La  vérité  tout  entière  !... 

CASSIUS,  éperdu. 

Oh!  pas  ce  mol  !...  pas  ce  mot!... 

FAUSTINE. 

Nous  pouvons  bien  tout  nous  dire  à  présent  que  nous  som- 
mes là,  comme  deux  morts  qui  causeraient  de  la  vie  à  ira- 
vers  les  fentes  de  leurs  tombes!...  (Avec  exaltation.)  Je  l'aime! 
parce  qu'il  est  le  seul  grand,  le  seul  juste...  Je  vais  moirir, 
Cassius,  parce  qu'il  est  si  bon  que  j'ai  honte!...  Parce  que  la 
fille  des  Césars  ne  peut  avoir  devant  les  yeux  la  preuve  vivante 
de  son  crime!  (Elle  se  pique  au  sein  et  tombe  dans  des  convulsions 
subites. J 

CASSIUS,   se  précipilant  vers  elle. 

Grands  dieux  I... 


96  FAUSTINE. 

SCÈNE  X 

Les  Mêmes,  MARC-AURÈLE. 

MARC-AURELE.  11  s'arrête  comme  pétrifié  sur  le  seuil,  puis  s'élance  vers 
Faustine,  et  reconnaissant  tout  à  coup  le  général. 

Cnssius!...  (Cassius,  fasciné  par  le  regard  du  vrai  empereur,  recule  invc)- 
lonlairement,  muet  et  pâle.) 
FAUSTINE,  se  redressant  un  peu  et  d'une  voix  suppliante   à  Marc  Aurèle. 

Voire  main  1...  (Elle  la  saisit,  et  le  regarde  de  bas  en  haut  avec  ter- 
reur comme  un  Dieu.)  C'est  llioi-lïlènie!...  (Couvrant  la  main  de  baisers 
et  de  larmes  )  Pardoil!...  pardon!...  (Elle  s'affaisse  de  nouveau  entre 
les  bras  de  l'empereur.) 

MAUC-AURÈLE,  apercevant  l'aiguille  d'or  qu'elle  tient  dans  ses  doigts  crispés. 

Faustine!...  que  s'est-ii  donc  passé  !...  celle  aiguille  !... 

FAUSTINE,   se   relevant  par  un  dernier  effort  et  jetant  l'aiguille  par  terre. 
N'y  touchez  pas!...  (tlle  retombe  tout  d'un  bloc.) 
MARC-AURÈLE,  éperdu. 

Au  secours!.., 

SCÈNE   XI 

Les  Mêmes,  GALIEN. 

GALIEN,  Il  accourt,  examine  le  cadavre  et  à  voix  basse. 
Elle  est  mortel...   (Galien  considère  Marc-Aurèle  en  silence  ;  puis,  sui- 
vant la  direction  de  ses  regards,  il  aperçoit  l'aiguille  à  terre  ;  il  pose  dessus  sa 
sandale  au  bruit  de  ceux  qui  arrivent.) 

SCÈNE   XII 

RUTILIANUS,    SÉNATEURS,  puis   THRASYLLA  et  DAPHNÉ. 

CASSIUS,  se  retournant. 

Morte!...  appelez  vos  bourreaux..,  ordonnez  tous  vos  sup- 
plices.,, c'est  bien  le  moins,  —  pour  un  tel  triomphe,  —  (pi 'il 
y  ait  deux  lêtes  sur  le  forum  !,., 

MARC-AURÈLE, 

Voire  lêle?,..  Eli!  que  voulez-vous  qu'on  on  fasse?,..  Celle 
de  (;iassius  nous  suffit!,,. 


ACTE  CINQUIÈME.  97 

CASSIUS,  so  récriant. 

Celle  de  Cassius?...  mais  vous  vous  Irompez...  voyez 
donc  !... 

WARC-AURKLE,   avec  autorité. 
Je  ne  me  trompe  jamais,  Aper!... 

CASSIUS,  comme  foudroyé. 
Aper!...  par  tous  les  dieux  !... 

MARC-AURÈLE. 

Oh!  n'essayez  pas  ce  mensonge!  Cassius,  du  moins,  a  su 
finir  comme  un  homme!  la  ville  enliore  a  reconnu  son  vi- 
sage!... et  nous  avons  posé  sur  sa  tomhe  une  pierre  assez 
lourde,  pour  qu'aucun  bras  ne  la  soulève!...  Rentrez  dans  la 
foule,  votre  obscurité  vous  protège,  et  l'exislcnce  que  je  vous 
laisse  n'est  pas  de  celles  dont  on  s'inquiétera  désormais.  —  Le 
général  Cassius  a  vécu.— Le  centurion  Aper  est  au-de>soiisde 

nos  vengeances!...  sortez!...  (Cassius  anéanti  fait  un  pas  vers  la 
porte  de  sortie  en  face.  Daphné  apparaît  sur  le  seuil  des  appartements  de 
Fausline.) 

DAPHNÉ,  a  part,  montrant  du  doigt  Cassius. 

Quelqu'un,  du  moins,  l'accompagnera  dans  son  ombre!... 

(Elle  disparait.) 


Note. —  On  a  remplacé  par  des  psyles,  le  ballet  des  étoiles,  indi- 
qué dans  le  manuscrit. 

Les  personnages  du  ballet  sont  en  tuniques,  les  danseuses  qui  repré- 
sentent les  étoiles  blanches,  pailletées  d'or  avec  l'étoile  au  front,  se 
groupent  par  constellations,  disparaissent  parfois,  comme  sous  des 
nuages,  dans  les  plis  (r(Tliarpcs  flottantes  —  Diane,  coiffée  du  crois- 
sant, avec  une  robe  hunée  d'argent, —  à  travers  les  groupes  et  les  mou- 
vements réguliers  des  astres,  des  comètes  vagabondes,  traînant  derrière 
elles  leur  longue  chevelure,  droite  et  toute  poudrée  d'or.  '  es  révolutions 
s'accomplissent  au  son  d'une  musique  de  cristal,  vague  et  douce,  cou- 
pée par  le  soupir  des  harpes  éoliennes,  — puis  la  scène  s'empourpre,  — 
le  ciel  rougit,  par  degrés.  —  Les  danseuses  s'efl'acent  sous  leurs  voiles 
et  se  retirent  lentement  par  le  fond;  voici  l'Aurore,  humide  de  rosée, 
semant  des  fleurs,  un  bandeau  de  perles  au  front  et  faisant  signe  de 
venir.  —  La  musique  se  fait  vive  et  joyeuse,  comme  le  chant  matinal 
des  oiseaux.  —  Phebus  arrive,  et  danse  quelque  temps  avec  l'Aurore, 
—  puis  il  reste  seul,  environné  de  rayons;  —  explosion  de  l'orclieslrc. 


98  FAUSTINE. 

—  et,  bientôt,  par  degrés,  comme  des  flots  successifs,  impulsion,  sur 
le  théâtre,  de  touies  les  folies  du  jour,  de  tous  les  bruits  de  la  grande 
capitale.  C'est  la  vie  tumultueuse  succédant  au  repos  solennel  et  à  la 
tranquille  harmonie  des  sphères.  —  Voici  venir  le  joies  brutales  et  les 
danses  échevelées  :  la  Cordace,  la  Mouche,  la  Satyre,  etc.  —  Au  rai- 
lieu  de  cette  effervescence,  entrée  grave  de  Rutilianus, 


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