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POESIES CHOISIES
DEUX] È M E SÉRIE
LOUIS FRÉCHETTE
POESIES CHOISIES
(DEUXIÈME SÉRIE)
FEUILLES YOLANTES
ii
OISEAUX DE NEIGES
(CENT ET UN SONNETS)
Édition définitive, revue, corrigée et augmentée
MONTRÉAL
LIBRAIRIE BEAUCHEMIN, Limitée
256, rue Saint-Paul.
?$
■
892319-
Enregistra conformément à l'acte du Parlement du Canada, en l'année mil huit cent
quatre-vingt-onze, par Louis Fkéchette, au bureau du ministre de l'Agri-
culture.
FEUILLES VOLANTES
AVERTISSEMENT
Après la Légende d'un Peuple, qui est l'œuvre la plus
importante du poète dont nous avons entrepris de publier
les principales productions poétiques, venaient tout natu-
rellement les Feuilles Volantes et les Oiseaux de Neiges, dont
une partie est comprise dans les recueils que l'Académie
française a couronnés en 18S0.
A ce qui composait originairement les Feuilles Volantes,
éditées par MM. Granger Frères, en 1891, nous avons
ajouté un certain nombre de pièces déjà publiées dans les
recueils précédents de l'auteur, et choisies parmi celles qui
nous ont paru les plus dignes d'être conservées, — en ayant
soin d'indiquer, pour répondre à la curiosité des biblio-
philes, la date de leur apparition, soit en volume, soit dans
les journaux et revues.
Pour compléter cette deuxième série des poésies de choix
ainsi triées dans les publications périodiques dont l'auteur
a enrichi notre bibliothèque nationale, nous avons ajouté
une suite de cent et un sonnets, à laquelle nous avons con-
servé le titre de Oiseaux de Neiges donné par l'auteur à un
précédent recueil bien moins considérable, publié en 1880.
Là aussi il y a eu remaniement presque complet, en outre
des additions dont le chiffre seul suffit pour indiquer l'im-
portance.
Le volume qui suivra bientôt sera intitulé Les Epaves
poétiques, et complétera la troisième série de ce que nous
avons intitulé : Poésies choisies de Louis Fréchette.
Les Editeurs
«F
J.-B. DE LA SALLE
FONDATEUR DES ÉCOLES CHKKTIENXES
O Reims ! j'ai vu L'éclat de tes temples superbes :
Flèches et contreforts puissants et gracieux,
Colonnes en faisceaux, éblouissantes gerbes
De marbre et de granit s'élançant vers les cieux !
J'ai vu ta cathédrale élégante et hardie,
Légère comme un rêve et belle comme un chant,
Son portail sans rival que l'aurore incendie,
Et son chevet bronzé par les ors du Couchant.
— 10 —
Je l'ai tu devant moi ton miracle de pierre,
Fier chef-d'œuvre d'un art dont le monde est en deuil
Je l'ai vu se dresser splendide, et uia paupière
Garde encore un reflet du sublime coup d'œil.
Et lorsque, pénétrant sous ces vastes portiques,
Mes pas ont éveillé l'écho silencieux
Qui dort sous la forêt des vieux arceaux gothiques,
Des siècles d'héroïsme ont sur£Ï sous mes veux.
Aux rayons qui tombaient en flots d'azur et d'ambre
Des grands vitraux flambant de l'abside à la tour,
Saint Louis, Cbarlemagne, et jusqu'au fier Sicambre
Dans mon rêve ébloui passèrent tour à tour.
Ils vinrent tous. Ce fut un radieux cortège ;
Mes souvenirs lointains me le montrent encor,
Dans des lueurs de pourpre et des blancheurs de neige.
Défilant sous les nefs en longue chaîne d'or.
Et je songeai longtemps, perdu dans la pénombre,
Au cycle évanoui des choses d'autrefois,
Regardant se peupler de fantômes sans nombre
Ces parvis qu'ont usés les sandales des rois.
Comme tes monuments, nobles sont tes annales,
O Reims, toi qui jadis entre tes sœurs brillais ;
Mais pour y contempler les pages virginales,
Combien faut-il tourner de lourds et noirs feuillets !
De ces pages pourtant, ô Reims, il en est une
Ecrite par quelqu'un qui ne fut, parmi nous,
Ni monarque, ni même un soldat de fortune,
Mais que les temps futurs nommeront à genoux.
Ah ! devant celui-là jamais les Renommées
N'ont, les soirs de combats, sonné leurs olifants.
Il ne chevaucha point sur le front des armées ;
Sa voix ne commandait qu'a des petits enfants.
— 12 —
Jamais on ne le vit, en long manteau d'hermine,
Monter des degrés d'or frémissant sous son poids
Il avait pour seul trône — et c'est là qu'il domine !-
A l'école du pauvre un humble banc de bois.
Jamais des courtisans la cohorte servile
Ne l'entoura, guettant même un regard moqueur :
En vêtement de bure il allait par la ville,
Cherchant à qui verser le trop plein de son cœur.
Jamais sur son passage, inquiète ou craintive,
La foule n'a tremblé quand son œil avait lui ;
Mais, lorsqu'il se penchait sur l'enfance chétive,
Les anges du Seigneur s'inclinaient devant lui.
Il avait un grand nom, il avait des richesses ;
L'avenir l'attendait sur des seuils enchantés :
Fortune, espoirs mondains, sourires de duchesse
Il sacrifia tout pour les déshérités.
— 13 —
Et puis, simple soldat dans les saintes milices,
Héros obscur, domptant la chair et ses défis,
De l'abnégation il but tous les calices
Et suspendit son âme aux clous du crucifix.
De tous les dévoùments possédé du délire,
Il prit un livre et dit aux pauvres : — Accourez !
Accourez, les petits ! venez apprendre à lire :
Les trésors du bon Dieu n'ont point de préférés.
Délaissés, orphelins, venez tous à l'école ;
Je vous enseignerai, compatissant et doux,
La science profane et la sainte parole :
Je suis le serviteur des serviteurs de tous ! —
La haine lui jeta plus d'un crachat sordide. . .
Mais Dieu prêtait sa force à son noble dessein ;
Et le peuple suivait cet homme au front candide,
Prêchant comme Socrate, et vivant comme un saint.
— 14 —
O Reims ! bien des beaux noms brillent dans ton histoire ;
Sur tes dômes ont lui bien des jours triomphants ;
.Mais lorsque l'avenir parlera de ta gloire,
Il citera La Salle entre tous tes enfants !
Car, sur les pas royaux, quand les princes en foule
Envahissaient ton temple en habits de gala,
De tes autels sacrés jamais la sainte ampoule
X"a coulé sur un front plus grand que celui-là !
LA VISION
Tous les prédestinés ont de ces voix intimes.
Sur l'autel du devoir qu'ils s'offrent en victimes,
Ou qu'ils aient à jouer le sort des nations,
Ils entrevoient toujours par intuitions
Un coin de l'avenir. Leur conscience épelle,
Au fond de l'ombre où Dieu leur parle et les appelle,
Inconnus ou puissants, triomphants ou proscrits,
Des mots mystérieux par le destin écrits.
Bonaparte à quinze ans croyait à son étoile ;
Et, des décrets divins levant un pli du voile,
Dans un val aux confins des Vosges endormi,
A la vierge priant au seuil de Domremy
D'étranges voix disaient, qui parlaient d'espérance :
— Jeanne, Jeanne debout ! va délivrer la France !
2
— 16 —
L'humble sulpicien de Keiins avait aussi
De ces pressentiments ; et le vague souci
De la tâche future emplissait sa pensée.
Souvent, la nuit, la tête en ses mains enfoncée,
Les veux baignés de pleurs et le cœur plein d'émoi,
11 s'écriait : — Mon Dieu, que voulez-vous de moi ?
Un soir, qu'en un recoin du temple solitaire,
Son âme s'épanchait dans l'ombre et le mystère
Des vastes nefs au fond des ténèbres dormant,
Un grand bruit l'éveilla de son recueillement.
L'avenir, éclairé par des lueurs mystiques,
Entr'ouvrit à ses yeux ses portes prophétiques ;
Et tout ce que l'Histoire enregistre aujourd hui,
Vivant panorama, s'évoqua devant lui :
Il vit des vieux Etats, tombant en pourriture,
L'édifice crouler de toute sa stature
Sur les peuples traînant leur éternel boulet.
Il vit sous son fardeau l'opprimé qui râlait,
Suant des millions pour un royal caprice,
Montrer le poing au ciel qu'il taxait d'injustice.
— 17 —
Il vit, autour des rois condamnés sans recours,
L'impiété grandir dans l'impudeur des cours,
Et passer, ricanant sous son regard austère,
Des bras de Messaline aux soupers de Voltaire.
Il vit l'hydre du mal triomphante partout.
Il vit, ébranlant tout, sapant tout, souillant tout,
A la face du ciel que leur haine défie,
Affublés du manteau de la philosophie,
L'ignorance et l'orgueil proclamer en tout lieu
Que pour affranchir l'homme il faut détruire Dieu.
Il vit la royauté s'effondrer dans la boue.
Il vit, aux chevalets, aux bûchers, à la roue,
A son tour implacable arbitre du destin,
Succéder le couteau sanglant de Guillotin.
Puis désordres sans nom, terreur, révolte, émeutes ;
L'anarchie en fureur lançant toutes ses meutes,
A l'aveugle et sans frein, contre tous les pouvoirs.
A bas tous les respects ! au vent tous les devoirs !
Il vit en frémissant les rivières accrues
Des flots de sang humain qu'on versait dans les rues.
— 18 —
Il vit les saints parvis s'ouvrir, et sur l'autel
— Le paganisme ancien n'avait vu rien de tel —
La Prostitution, en déesse drapée,
Venir prendre au grand jour la place inoccupée. . .
Le prêtre haletait dans l'ombre. Les sanglots
Qu'arrachaient de son cœur ces lugubres tableaux
Faisaient pleurer au loin l'écho des saintes voûtes.
Ses larmes arrosaient le marbre goutte à gouttes.
Comme autrefois le Christ au mont des Oliviers,
Il sentait sur son front, comme un vol d'éperviers,
S'abattre l'essaim noir des misères humaines.
Il voyait, là, livrée à mille énergumènes,
La France qu'il aimait, la France son orgueil,
Vaisseau désemparé, lutter contre recueil,
Tandis que l'équipage au milieu des orgies,
Le blasphème à la bouche et les manches rougies,
Dans des affolements sauvages emporté,
Profanait ton grand nom, sublime Liberté !
Et pendant que le saint pleurait dans les ténèbres,
Le doigt de Dieu tournait d'autres pages funèbres.
— 19 —
C'était, plus tard, le souffle infernal de Satan
Brisant leurs ailes d'or aux légendes d'antan ;
Du scepticisme froid c'était la plaie immonde
Sans cesse élargissant sa tare sur le monde ;
C'étaient de l'idéal les temples oubliés ;
Sous le sceptre d'argent tous les genoux plies ;
Plus d'aspirations vers le ciel ; tout entière,
L'humanité, le front courbé sur la matière,
Traînant, spectre blasé, sous le firmament noir,
Son existence morne et son cœur sans espoir.
Puis l'âpre vision s'éteignit. Clignotante,
La lampe de l'autel, de sa lueur flottante,
Seule, perçait encor les ombres du lieii saint.
Le prêtre, agenouillé, les deux mains sur son sein,
Pria toute la nuit au fond du sanctuaire.
Puis on le vit sortir, pâle comme un suaire,
Courbé, les yeux rougis, mais le front rayonnant,
Disant : — Je sais où Dieu m'appelle maintenant !
21
III
DIX-NEUVIÈME SIECLE
Je t'admire, ô mon siècle ! oui, je t'admire et t'aime,
Toi qui, sans sourciller sous l'obscur anathème
Des spectres que tu vas bravant,
Le chef illuminé comme autrefois Moïse,
Marches au but, avec un seul mot pour devise,
Le mot des grands cœurs : — En avant !
O mon siècle, qui donc a dit que tu recules,
Quand tout penseur, perçant l'ombre des crépuscules,
L'œil tourné vers les hauts sommets,
Le froDt dans les clartés, prunelles éblouies.
S'effare d'entrevoir les splendeurs inouïes
Des aurores que tu promets ?
— 22 —
Toi reculer ! quand tout, dans le large domaine
Où tressaille et se meut l'intelligence humaine,
Porte ton cachet triomphant !
Quand, sous tes pas, tandis qu'un nouveau voile tombe
Tous les jours on entend de quelque vieille tombe,
Craquer la pierre qui se fend !
Reculer ! quand l'éclat de ta torche qui passe
Du microbe invisible à l'astre de l'espace
Eclaire le vaste milieu,
Et force l'être humain, qu'il adore ou qu'il nie,
A croire, quoi qu'il fasse, au moins à son génie,
Pâle reflet qui prouve Dieu !
Reculer ! reculer ! quand debout sur le faîte
Des saintes visions, le mage et le prophète
Voient déjà les jours éclatants
Où les âges futurs et les futures races,
Emus et recueillis, viendront baiser tes traces
Sur l'immense échelle des temps !
— 23 —
Reculer ! Oh ! plutôt, les âmes effrayées,
En te voyant, archange aux ailes éployées,
Courir ainsi l'éclair au poing,
Se demandent quel vent souffle aux plis de ta robe,
Et si, quelque matin, les assises du globe
Sous tes pieds ne manqueront point !
Non, mon siècle ! qui parle ainsi te calomnie !
Parmi les hiboux seuls la lumière est honnie ;
Le ciel sourit à tout progrès ;
Et quand luit ici-bas quelque aurore nouvelle,
Fléchissons le genou : c'est Dieu qui nous révèle
Par lambeaux ses divins secrets.
Ces léviathans noirs aux énormes machines,
Devant qui l'Océan fait courber les échines
De ses grands flots effarouchés,
Ces lourds convois de fer dont le réseau qui gronde
Coupe les continents et ceinture le monde,
C'est lui qui leur a dit : — Marchez !
— 24 —
Et ce cable, où des vols de foudre condensée,
Plus prompte que l'éclair, transmettent la pensée
D'un enfant à travers les mers,
Dans ses fibres d'acier qu'est-ce donc qu'il recèle,
Si ce n'est la chaleur, si ce n'est l'étincelle
Du feu qui créa l'univers ?
Qu'il allume sa lampe au tonnerre, ou qu'il mette
Les rênes de l'algèbre au col de la comète ;
Qu'il compte et pèse les soleils ;
Qu'il dissèque la vie à sa source première ;
Qu'il donne un corps aux sons, ou tienne la lumière
Prisonnière en ses appareils ;
Qu'il dompte la douleur, supprime la distance ;
Qu'il sonde les secrets de sa préexistence ;
Qu'il cherche l'or dans un réchaud ;
Qu'il aile au zénith bleu vaincre le vol de l'aigle,
L'homme, bon gré mal gré, ne suit pas d'autre règle
Que celle qui lui vient d'en haut.
— 25 —
Le progrès quelquefois déconcerte ou déroute ;
Mais qu'il perfore un isthme ou se fraye une route
A travers quelque hinialaya ;
Qu'importe la pensée insoumise ou méchante,
C'est quand même et sans fin, la Nature qui chanrt
Son éternel alléluia !
Voilà l'humanité, son destin et sa vie !
Si parfois le vaisseau dans sa course dévie,
Que ce soit hier ou demain,
Toujours quelqu'un surgit qui regarde l'étoile,
S'empare de la barre, oriente la voile,
Et remet le monde en chemin.
De La Salle fut un de ces hommes sublimes.
Quand il sentit la nef rouler vers les abîmes,
Penché sur le gouffre, il crut voir
Dans les ombres quelqu'un qui lui dictait son rôle,
Et comprit qu'une main posait sur son épaule
Le poids d'un immense devoir.
Mais ces foules courant vers leur perte prochaine,
Cette société qui, pour rompre sa chaîne,
Ose tout mordre et tout narguer,
Ces peuples entraînés par leur soif de Tantale,
Comment les retenir sur la pente fatale ?
Ce torrent, comment l'endiguer ?
Tout ce sombre avenir né des anciens servages,
Comment paralyser ses terribles ravages ?
Devant tout culte anéanti,
Infaillible signal des vastes décadences,
Comment mettre une entrave aux funestes tendances
De l'esprit humain perverti ?
Et ces masses chez qui tout noble esprit s'altère,
Comment les arracher au morne terre à terre
De leur instinct matériel ?
Comment leur relever la tète ? Cette face
Où la divine empreinte à chaque instant s'efface,
Comment la tourner vers le ciel ?
— 27 —
Par quels moyens tenter la tâche colossale ?
Que faire ? . . . — J'instruirai le peuple ! dit La Salle
Oui, chez ces générations,
Dont l'âme se révolte et dont le cœur se ferme,
Avec l'esprit chrétien j'irai semer le germe
Des hautes aspirations ! —
Et l'homme tint parole. Et ce héros, ce prêtre
— De tous les novateurs le plus humble peut-être —
Par son œuvre immortalisé,
Sur nos destins présents et sur ceux qui vont luire,
Qui connaîtra jamais, qui jamais pourra dire
De quel poids il aura pesé ?
Relever les petits, soutenir la faiblesse,
Tendre une main de père à ceux que le sort blesse ;
Instruire le peuple ! voilà
La clé du grand secret, le mot du grand problème. . .
Ne vous alarmez plus, songeurs à face blême :
Tout l'avenir du monde est là !
Oui, je t'aime, ô mon siècle ! oui, je t'aime et t'admire ;
Sur les âges futurs j'entrevois ton empire,
Siècle de doute et de vertu !
Mais, sous les lambris d'or comme dans les chaumières,
O siècle de progrès ! ô siècle de lumières !
Sans ce mot-là que serais-tu ?
— 29
IV
ROUEN
Nous sommes à Rouen. La Seine qui serpente
Dans les détours des ponts, des quais et des îlots,
Reflétant vingt clochers dans le pli de ses flots,
Au creux de son vallon féerique suit sa pente.
Voici la cathédrale avec sa flèche — un clou
Dont la pointe géante accroche les nuées ;
Saint-Ouen et ses tours par l'aigle saluées ;
Et cet autre poème en pierre, Saint-Maclou !
Passons. — Sur ce cheval de bronze qui se cabre,
Quel est cet homme sombre au grand geste d'airain,
Qui dresse sur le ciel son torse souverain,
Avec ses cheveux plats et sa figure glabre ?
— 30 —
Cet homme, il est nommé. Caveaux du Panthéon,
— Connue le monde, un jour, ses projets gigantesques
Vous fûtes trop étroits pour loger sous vos fresques
Le cercueil de celui qui fut Napoléon !
Et cet autre profil dont l'aspect seul réveille,
Calme et majestueux, dans l'âtue du passant,
Des demi-dieux romains le peuple éblouissant,
Quel est-il ? — Chapeau bas, poètes, c'est Corneille
Le premier, formidable et fatal conquérant,
Des vieux empereurs morts ramassa la couronne
Et l'Europe, coursier que sa botte éperonne,
S'attela d'elle-même à son char fulgurant.
Vingt ans, ce rude athlète a traîné la victoire
Comme une esclave au flanc de ses lourds bataillons ;
Et la gloire sur lui sema tant de rayons,
Que leur éclat encor déconcerte l'histoire !
— 31 —
La trace du second suit un autre chemin.
Il fut vainqueur aussi, mais sur une autre arène,
Et, dans sa majesté pacifique et sereine,
Passa devant sou siècle une palme à la main.
De l'Art, qu'on oubliait, il rouvrit le portique,
Acclimata chez nous la langue des Titans ;
Et son puissant génie imprima sur son temps
Le cachet mâle et fier de l'épopée antique.
Moderne Ezéchiel, au vice ricaneur
Il opposa l'essor de sa pensée austère ;
Et jamais bouche humaine, aux échos de la terre,
N'a fait sonner plus haut le grand mot de l'honneur
Saluons le guerrier! saluons le poète !...
Mais quel est donc, plus loin, image au galbe pur,
Cet autre airain muet qui tranche sur l'azur,
Et dont l'or du soleil nimbe la silhouette ?
— 32 —
Est-ce d'un ari distrait l*effet capricieux ?
Je vois une effigie en soutane vêtue ;
Deux enfants sont groupés au pied de la statue :
Un qui feuillette un livre, un qui regarde aux cieux.
Non, là tout est symbole ; aucune fantaisie !
La pensée artistique a vu bien au-delà :
Et l'œuvre de La Salle est tout entière là,
Dans sa philosophique et simple poésie.
Colonne du désert faite d'ombre et de feu,
Œuvre par qui deux fois le monde s'émancipe,
Sachant unir et fondre en un même principe
Le droit de la science avec le droit de Dieu !
La Salle y dévoua son âme ; et l'humble apôtre,
De ces deux droits sacrés défenseur et soutien,
Par son esprit civique et son cœur de chrétien,
A su maintenir l'un et développer l'autre.
Et voilà que, depuis plus de deux siècles, fier
De marcher sur ses pas par les monts et les plaines,
L'essaim de ses enfants va jetant à mains pleines
Le froment de demain dans la fange d'hier.
Ces hommes ont compris, piètre, ta grande idée !
Et, semeurs d'avenir trop souvent méconnus,
Dans mainte lande aride et dans maints sillons nus,
Us ont fait reverdir la glèbe fécondée.
Leur devise? deux mots: — Sacrifice et Devoir !
Le prix de leurs efforts c'est d'en haut qu'ils l'attendent.
Us ne demandent rien : lorsque leurs mains se tendent,
C'est toujours pour donner, jamais pour recevoir !
Au niveau des martyrs ils ont haussé leur taille ;
Us ont porté les fers et gravi l'échafaud,
Et prouvé qu'ils savaient mourir, quand il le faut,
Pour la Patrie en deuil, sur les champs de bataille.
— 34 —
Et ces humbles — fut-il jamais rien de plus beau 1
Par milliers aujourd'hui, sublimes caravanes,
Des grandes vérités célestes et profanes
Vont jusqu'au bout du monde agiter le flambeau.
La Salle, — que les sots ou les ingrats sourient ! —
Quel est l'homme de cœur, de progrès et de foi
Qui ne te bénirait en voyant, grâce à toi,
Deux millions d'enfants qui lisent et qui prient ?
Et, cependant, que sont tous ces bienfaits présents '>.
Dans notre monde en proie aux folles aventures,
Ceux qui te béniront sont les races futures,
Ce seront nos neveux, dans deux ou trois cents ans
Car ce sera ta gloire incomparable, ô juste !
De voir grandir sans fin le fruit de tes travaux. . .
Ne va rien envier à tes deux grands rivaux :
Leurs noms sont éclatants, mais le tien est auguste.
— 35 —
Tu fis l'humanité meilleure ! — Et c'est pourquoi,
Devant leurs piédestaux dont le faste émerveille,
J'ai salué du front Bonaparte et Corneille. . .
Et plié le genou devant ton bronze, à toi !
L ' E S P A G N E
A l'occasion des insultes faites au roi Alpin
par la populace de Paris.
Pourquoi donc cette insulte inepte ? Depuis quand,
O fier peuple français, le sifflet provocant,
Les farouches clameurs et les lâches huées,
Sous tes portes aux bruits de gloire habituées,
Accueillent-ils ainsi l'étranger dans Paris ?
Depuis quand est-ce donc par des charivaris
Que la France reçoit l'hôte qui la visite ?
Retournons-nous aux temps du Borusse et du Scythe ?
Ton beau titre de peuple éminemment courtois,
Des sots, pour l'abdiquer, monteraient sur les toits !
O folie ! est-ce là de la vertu civique ?
Tu renoncerais donc, sublime République,
Si belle en tes succès, si noble en tes revers,
Désormais à donner l'exemple à l'univers !
— 38 —
France, ce n'est pas toi qui commis cet outrage.
L'Europe tout entière a connu ton courage,
Mais ne te vit jamais arracher les fleurons
Qui, sans injure aux tiens, brillent sur d'autres fronts !
Des gloires d'ici-bas ta part est assez large
Pour que celles d'autrui ne te soient point à charge.
Ce prince, chef élu d'un grand peuple éclairé,
Devait passer chez toi comme un être sacré.
C'est un monarque, soit ; en est-il moins un homme ?
Et puis Néron lui-même, à l'étranger, c'est Rome !
Ce roi, du sol français n'eût-il pas fait le sien,
Eût-il vingt fois porté l'uniforme prussien,
Eût-il été cent fois l'hôte de l'Allemagne,
Saluez ! à son front luit le blason d'Espagne !
Dont- c'est bien à l'Espagne, à ses nobles drapeaux
Qu'on prodigue l'opprobre ainsi hors de propos ;
Maladroits ! avez-vous, en huant ce carrosse,
Effacé Saint-Quentin, Pavie et Saragosse ?
Nos pères, ces vainqueurs aux champs d'Almonacid,
Tout en croisant l'épée avec les fils du Cid,
— 39 —
Respectaient votre gloire, antiques Hispanies,
Terre de sommets bleus et de plaines jaunies,
De donjons menaçants, de seuils hospitaliers,
Où sonna l'éperon des derniers chevaliers !
O Murcie, Aragon, Castille, Andalousie !
Pays bénis du ciel, et que la Poésie,
Eprise, un soir d'été, de vos charmants séjours,
D'un reflet de son aile a doré pour toujours,
C'est à vous que l'on jette un cri blasphématoire !
Mais ces hommes n'ont donc jamais lu votre histoire !
Ils n'ont donc jamais su — l'on comprend leur dédain
Que l'Espagnol, poète, artiste et paladin,
Fut, peuple sans rival que la gloire enveloppe,
Durant plus de mille ans, le premier de l'Europe !
Que déjà, du temps même où les forums romains
Au mot de liberté, joyeux, battaient des mains,
L'Espagne au fond des bois tenait des assemblées !
Que, près d'un siècle avant que les castes troublées
— 40 —
Discutassent à Londre avec acharnement,
Les Cortès, à Léon, siégeaient en parlement !
Que huit cents ans bientôt auront lui sur le monde,
Depuis que le Progrès, qui dénoue et féconde,
Sur le sol espagnol brisa le premier frein,
Et proclama les droits du vote souverain !
Que ce peuple fut grand par les arts et la guerre !
Qu'il sut braver jadis Charlemagne, et naguère
Sut défier encor le fameux conquérant
Que l'histoire a nommé Napoléon le Grand !
Que Viriathe, à lui seul, rebelle à tout servage,
Acculé comme un loup dans la sierra sauvage,
Dix ans tint en échec Rome et ses généraux !
Que Pelage, à son tour, formidable héros,
Ecrivit de son glaive une légende telle
Qu'elle a suffi pour rendre une époque immortelle !
Que des grands noms l'Espagne est l'un des plus anciens !
Que Cadix fut bâti par les Phéniciens,
Sagonte par les Grecs, par les Gaulois Numance ;
Que Rome de Madrid a jeté la semence ;
Que Carthagène avait Asdrubal pour parrain,
Et Tolède pour père un sauvage du Rhin !
— 41 —
Et puis, quelle autre race ou lettrée ou guerrière
A su porter plus loin l'éclat de sa carrière ?
Quelle autre nation, quel peuple jeune ou vieux
A bercé dans ses bras plus d'enfants glorieux ?
L'Espagne eut Cespédès, cet autre Michel-Ange,
Cervantes le profond et Mendoza l'étrange,
Calderon, de Vega, Santos, Monternayor,
Valasquez, Juan Calvo, Murillo, Salvador,
Zurbaran, Hernaudez, Médina, Mercadante,
Tous les talents depuis Phidias jusqu'à Dante,
Tous les héros connus d'Achille à Spartacus :
Elle eut Léonidas, et Coclès et Gracchus. . .
Mais pourquoi tant fouiller dans la cendre historique ?
L'Espagne eut — c'est assez — Lépante et l'Amérique !
Lépante ! — c'est le duel de deux âges rivaux ;
La lutte du passé contre les temps nouveaux ;
C'est du monde en travail l'une des grandes crises
C'est l'Occident chrétien avec l'Asie aux prises ;
Ce n'est plus un combat entre deux nations,
C'est l'âpre choc de deux civilisations !
Or l'Espagne enrayant l'univers sur sa pente,
Soldat de l'avenir, fut vainqueur à Lépante !
L'Amérique ! — Salut, carrefour surhumain
Où de l'humanité bifurque le chemin !
Comment, avec les mots d'une langue inféconde,
Te nommer, ô sublime éclosion d'un monde ?
Effacez l'Amérique, où, sentant son déclin,
L'Europe qui fermente a versé son trop plein,
Et, sous son propre poids dont le fardeau l'écrase.
L'univers ébranlé chancelle sur sa base.
L'Amérique c'est la soupape des Titans,
Le balancier qui vibre entre les mains du Temps :
Double objet qui, donnant au vieux momie un sol libre,
Prévint l'explosion et sauva l'équilibre !
Or, à toi, noble Espagne ! à toi, Ferdinand deux,
La grande part d'honneur dans ce pas hasardeux !
Car, quel que soit le point qu'indiquât sa boussole,
Si Colomb fut génois, sa barque est espagnole !
— 43 —
Oui, l'histoire a parlé : tout ce qui peut tenir
D'aurore, de progrès, d'espoir et d'avenir
Dans deux noms d'ici-bas — ô vérité frappante ! —
Tient dans ces deux grands noms : Amérique et Lépante I
Et notre âge les doit, Espagne, à tes héros
Enfin, qui n'aimerait tes vieux romanceros,
Tes ballades d'amour, tes légendes tragiques,
Les récits merveilleux de tes conteurs magiques,
Belle Espagne ! Souvent mon rêve tend les bras
Vers tes escurials et vers tes alhambras,
Où, la nuit, vont errer sous les verts sycomores
Tes monarques chrétiens avec tes vieux rois mores.
Il aime les grands airs de ton noble hidalgo,
Ton boléro jojeux, ton souple et fier tango,
Tes gais torréadors, tes brunes gitanelles
Cachant sous l'évantail leurs ardentes prunelles ;
Il s'arrête parfois aux balcons du Prado,
Lorsque la senora soulève son rideau
— 44 —
Pour écouter chanter les douces sérénades ;
Il se penche souvent au bord des esplanades,
A l'heure où le son vif et clair des tambourins
Flotte dans l'air ému de tes longs soirs sereins.
Et puis, jamais lassé d'aller boire à tes sources,
Mon rêve, revenu de ces lointaines courses
— De parfums, d'harmonie et d'amour enivré —
Garde encore un reflet de ton beau ciel doré.
Oui, j'aime ce pays de la blonde romance,
Où Corneille a puisé, par où Hugo commence !
Sol de l'antique honneur à la valeur uni,
Qui nous prête le Cid et nous donne Eernani!
Sol prodigue et fécond, rien ne manque à ta gloire,
Et quiconque t'insulte, insulte aussi l'histoire !
Oh ! non, vaillante Espagne, en ces hideux excès,
Je ne reconnais point le noble sang français.
Ce n'est pas là non plus la République fière
Qui disait à chacun des peuples : Sois mon frère !
— 45 —
Au-dessus de ce tas d'ignorants dévoyés,
D'anarchistes jaloux et peut-être . . . pavés,
Dans d'autres régions on voit planer la France.
Celle-là sut toujours prêcher la tolérance ;
Et — même auprès d'un roi, fût-il monstre et payen, —
Dans ses devoirs envers l'hôte et le citoyen,
Si la France mentait à son rôle historique,
Nous saurions protester, nous, Français d'Amérique !
AU BOIiD DE LA CREUSE
A M. Paul ISlakcmemai.n
Oui, j'y songe souvent, ô mon lointain ami ;
Et, quand autour de moi tout repose endormi,
Et que sur mes deux mains mon front lassé se penche,
Dans ces chers souvenirs mon cœur ému s'épanche.
Sur le seuil du chalet aux murs hospitaliers,
Où j'avais découvert tant d'échos familiers,
Après avoir au front baisé vos petits anges
Frais comme des lilas, gais comme des mésanges,
Et, la voix attendrie, échangé nos adieux
Avec celle qui fait vos jours si radieux,
4
- 4S —
Nous quittâmes Biray. i1) L'âme triste sans doute,
Nous vîmes disparaître, au détour de la route,
La tourelle cachée au milieu des massifs.
Et, la main dans la main, nous marchâmes pensifs.
Vous le fils, moi l'ami, vers la pieuse enceinte
Qui d'un noble et grand cœur garde la tombe sain m .
Pourquoi redire ici ce qui gémit en nous
Lorsque ensemble on nous vit tomber à deux genoux
Sur le tertre funèbre où dort le doux poète ?
Tandis que le clocher, rustique silhouette,
Mystérieux, jetait son ombre entre nous deux,
Nos cœurs sentaient quelqu'un qui se rapprochait d'eux, r)
Ami, ces moments-là, malgré les destinées,
Sacrent l'amitié mieux que de longues années !
Ce saint devoir rempli, vers des pays nouveaux
Nous partîmes, traînés par deux fringants chevaux.
Quels horizons ! et quelle ineffable journée !
Sur la plaine, d'azur et d'ambre illuminée,
-!!>
Dans des bruines d'or, nos regards croyaient voir
La verdure sourire et les rayons pleuvoir.
Fraîche encor du baiser de l'aube matinale,
La campagne brillait dans sa grâce automnale ;
Là des bosquets touffus, des coteaux ondulés
Que festonne la vigne ou que dorent les blés ;
Plus loin, de grands bœufs roux à l'allure indolente ;
Un filet d'eau qui fuit sous une arche branlante ;
Là-bas, un vieux château dégageant, au travers
De maigres peupliers et de châtaigniers verts,
Pignons à girouette ou poivrière grise ;
Et puis des papillons voltigeant à la brise ;
Des buissons pleins d'oiseaux et de vagues rumeurs ;
Des vents frais tout chargés d'arômes parfumeurs ;
Dans l'écho le refrain d'une chanson lointaine ;
Et puis. . . Mais à quoi bon ? Ma mémoire incertaine
Par ces détails oiseux ne pourrait que ternir
Ce qui sans doute est vif dans votre souvenir.
Nous nous acheminions vers la source où la Creuse
S'ouvre un lit murmurant dans sa vallée ombreuse.
Soudain, comme un coursier qui se cabre et hennit,
Prisonnières heurtant leurs parois de granit,
— 50 —
Voici de Saint-Benoît les bruyantes cascades.
Nous égarons nos pas sous les sombres arcades
Du vieux cloître en ruine où les bénédictins
Pâlirent autrefois sur les textes latins.
Tombeaux, inscriptions par les siècles rongées,
De mousses et de lierre ogives surchargées,
Beaux restes mutilés de chapitaux romans.
Tous ces trésors poudreux des anciens monuments,
Nous interrogeons tout, fatiguant nos paupières
A déchiffrer les mots de ces pages de pierres.
Nous remarquons aussi quelques travaux romains ;
Puis, pour vous oublier, tristes débris humains,
Inclinés sur le bord du rocher qui surplombe,
Nous allons méditer au bruit de l'eau qui tombe !
Quelqu'un nous avait dit : " Là-haut, sur ce sommet
Au pied duquel, ruisseau que le druide aimait,
Le Portefeuille roule en chantant sous les saules,
S'élève un vieux dolmen, reste des vieilles Gaules. (3)
Quelques instants après, vers le plateau lointain
Où gît ce survivant de tout un monde éteint,
— 51 —
Enjambant les talus, sautant de roche en roche,
Effarouchant l'oiseau qui fuit à notre approche,
Nous nous hâtons tous deux, prêtant, chemin faisant,
Notre oreille aux récits du petit paysan
Pieds nus et l'œil madré qui nous montre la route,
Et qui, d'un ton ravi, tout charmé qu'on l'écoute,
Et promenant sur nous ses regards ébahis,
Nous conte la légende étrange du pays :
Cet étang, c'est la Mare aux Martes; sur ces pierres,
Tous les soirs, à minuit, les pâles lavandières
— Quiconque les dérange a de cuisants remords —
Viennent battre et laver le blanc linceul des morts.
Des gens ont, disait-il, vu la Pierre levée
Des Rendes, dans la nuit, descendre la cavée,
Allant à je ne sais quel affreux rendez-vous.
Lorsque l'enfant se tut, nous avions devant nous,
Enigme interrogée en vain par l'antiquaire,
Le dolmen — une masse énorme de calcaire —
Qui, sur quatre piliers informes suspendu,
S'élève hors du sol de ce coteau perdu,
Comme un autel dressé pour quelque dieu farouche.
— 52 —
Le colosse était là, verdi par une couche
De mousse et de lichens — témoin morne et discret
D'une époque dont nul ne connaît le secret.
O sombres monuments des âges druidiques,
Qui donc fera jaillir de vos blocs fatidiques
L'éclair mystérieux qui, depuis trois mille ans,
Invisible pour tous, couve en vos rudes flancs ?
Nos deux chevaux piaffaient au loin sous une oulmière.
Un chemin plat, uni, plein d'ombre et de lumière,
Au milieu de la plaine et sous un ciel doré,
Serpentait devant nous comme un ruban moiré.
Presque au hasard, en vrais enfants de la Bohème,
Nous nous mîmes en route. Oh ! quel riant poème,
Que cette excursion à travers ce Berry
Si gai, si verdoyant, si frais et si fleuri !
Je crois m'y voir encor. Suspendant notre course,
Parfois nous faisons halte au bord de quelque source,
Où, sous le dais touffu de quelque arbre songeur,
Nous rompons en riant le pain du voyageur.
— 53 —
Nous recherchons surtout les sites, les ruines,
Les murs démantelés penchés sur les ravines ;
Nous visitons aussi campagnes et hameaux.
Avec les villageois échangeant quelques mots ;
Voici Saint-Sébastien et sa vaste tour ronde ;
Puis Saint-Germain qui fut lieu d'exil sons la Fronde. . .
Hauts clochers, bourgs coquets, murs noircis,vieux manoir,
Carrefours où se dresse une croix de bois noir,
Tout a laissé chez moi des souvenirs vivaces.
Je n'oublierai jamais, près du château des Places,
La jeune paysanne aux yeux bleus, nous contant,
Timide, la légende antique de l'étang :
Un seigneur mécréant, rapace oiseau de proie,
Une femme qui fuit, une enfant qui se noie,
Un crime, un châtiment. . . Et puis, que sais-je moi ?
Sinon que nous prêtions l'oreille avec émoi.
Enfin le jour tombait. Le soleil qui décline
Dorait de tons moins vifs le flanc de la colline.
— 54 —
Tout à coup, et jetant son ombre aux alentours,
Sur uu roc formidable, un sombre amas de tours,
De lourds donjons penchants, de croulantes murailles,
Comme un géant troué qui perdrait ses entrailles,
Apparaît devant nous. C'est Oozant !
Quel beau soir,
Ou plutôt quelle nuit nous passâmes à voir
La ruine exhiber, immense, au clair de lune,
Les flancs déchiquetés de sa carcasse brune,
Et de reflets blafards vaguement inondés,
Profiler sur l'azur ses grands murs lézardés !
Seuils effondrés, arceaux béants, porches pleins d'ombres,
Arcs-boutants délabrés émergeant des décombres,
Blocs disjoints envahis par la ronce et les houx,
Longs couloirs éventrés heurtés par les hiboux,
Tans épais perforés de spirales funèbres,
Souterrains où l'on voit des yeux dans les ténèbres,
Parapets chancelants qui semblent s'accrocher
Aux arbres rabougris qui pendent du rocher,
Puissants remparts flanqués de bastions énormes,
Lourds amoncellements, écroulements difformes,
Tout dans ce fier débris, farouche majesté
Où l'implacable main des âges a sculpté
Le tragique blason des vieux siècles gothiques,
Prenait à nos regards des formes fantastiques.
Cela semblait, sous l'astre aux rayons tremblotants,
Comme un spectre arrêté sur les confins du temps !
Soudain il nous sembla, cachés dans la pénombre,
Voir s'animer au loin la forteresse sombre.
Nous entendons grincer herses et ponts-levis ;
Et les barons d'autan, de leurs archers suivis.
Bardés de fer, la lance au poing, panache en tête,
Noirs chevaucheurs sonnant leur fanfare de fête,
— Comme un vol de vautours qui des grands monts descend-
Féroces, altérés de pillage et de sang,
"Vont rançonner les bourgs et battre la campagne.
Leur file se déroule au flanc de la montagne ;
Ils vont, et les hauts faits de ces rudes tueurs
Allument l'horizon de sinistres lueurs.
Puis, sanglants et repus, lourds de butin, sauvages,
Harassés d'une unit de meurtre et de ravages,
Essuyant leur flaniberge aux mousses du sentier,
Vers les murs sourcilleux de leur repaire altier,
Nous voyous remonter ces fondateurs de races,
fumer au loin des villes sur leurs traces.
Et puis, suprême exploit de ces puissants larrons,
Que l'ou nommait alors burgraves ou barons,
Nous croyons voir, hideux, au reflet des lanternes,
Des cadavres se tordre aux gibets des poternes !
O castels féodaux, jadis si pleins de bruits,
Comme on aime à rêver sous vos créneaux détruits !
Or, comme nous quittions l'antique citadelle,
Qui domine à la fois la Creuse et la Sedelle,
Et que je vous montrais, sur la grève, en aval,
Un vieux moulin tournant sa roue au fond du val,
Vous, ému, par-dessus la béante crevasse
Qui l'isole du roc où s'accule sa masse,
Sur l'escarpement noir — pour clore l'entretien —
Vous m'indiquiez du doigt l'humble clocher chrétien,
Qui, depuis deux mille ans, voit tomber en poussière
Les colosses de bronze et les babels de pierre !
Daus l'auberge du lieu nous trouvant à l'étroit,
Le curé nous avait accueillis sous son toit ;
Ce brave et bon abbé, cœur droit et sympathique,
Qui trouva le moyen de parler politique
Et dogmes, sans jamais faire un retour mesquin
De vous chaud royaliste, à moi républicain !
C'était le lendemain jour de grande assemblée.
Le trot de nos chevaux sur la route sablée,
Nous emporta bientôt vers d'autres horizons.
Aux branches des taillis, au velours des gazons,
La nuit à pleines mains avait semé des perles ;
Sous la feuille sifflaient les pinsons et les merles ;
Les taons sonnaient la charge autour des églantiers
Et, par files, suivant le détour des sentiers,
Joyeux, et nous faisant un salut de la tête,
Des couples d'amoureux s'en allaient à la fête,
Ayant mis le matin leurs habits les plus beaux,
Et faisant sur le sol résonner leurs sabots.
— 58 —
Désormais la campagne est plus accidentée ;
Quand nous avons gravi quelque longue montée,
Il nous faut redescendre au fond des ravins creux.
Nous côtoyons parfois d'âpres coteaux ocreux,
D'où l'œil découvre au loin de vastes chènevières.
Nous saluons ici le manoir des Clavières ;
Puis nous apercevons, monceau de granit brun,
Ce rival de Crozant qu'on nomme Châteaubrun. (4)
La Creuse sous sa droite, un torrent smis sa gauche
Le vieux burg dresse au loin sa gigantesque ébauche
Dont l'arête hardie, au ton couleur d'airain,
Découpe, sur l'azur, son profil souverain.
Jamais ruine n'eut un aspect plus austère.
Pour la mieux contempler nous mettons pied à terre
Et, comme j'en crayonne un informe croquis,
Vous, poète inspiré, dans un sonnet exquis,
Devant ce sombre acteur de plus d'un sombre drame,
En admiration vous épanchez votre âme.
— 59 —
Enfin nous arrivons à ce recoin perdu
De l'Indre, qui nous montre, aspect inattendu,
Surgissant tout à coup des parois d'une gorge,
Un clocher qu'on voit poindre au milieu des champs d'orge;
C'est le petit village aimé de George Sand,
Gargilesse, retraite obscure où le passant
S'arrête ému devant mille anciennes reliques.
Ici c'est l'abbaye aux murs mélancoliques ;
Là c'est d'un vieux château le tympan blasonné
Qu'appuie une tourelle au front découronné ;
Puis enfin c'est l'église, un bijou d'édifice
Qui mêle dans son style, élégant artifice,
Du gothique au roman tout le charmant détail.
Nous en admirons tout, de l'abside au portail,
Jusqu'à la crypte sombre où le vieux capitaine
Guillaume de Naillac, grand prieur d'Aquitaine,
Sous sa roide effigie aux longs traits imposants,
De son dernier sommeil dort depuis sept cents ans. (5)
— 60 —
Nous promenons un peu notre allure bourgeoise
Sur la place où bruit la foire villageoise.
Près d'un ruisseau jaseur et presque inaperçu,
On nous montre un logis rustique au toit moussu,
Où, souvent, d'un grand nom fuyant la servitude,
L'auteur d'Indiana chercha la solitude.
Puis un bruit de crincrins stridents et criailleurs
Par des appels joyeux nous attirant ailleurs,
Nous entrâmes pour voir les danses berrichonnes.
Hélas ! à notre aspect, fillettes folichonnes,
Pour prouver que de nous elles faisaient grand cas,.
Se mirent à danser valses et mazurkas.
Plus de folle bourrée an son des cornemuses. . .
Vous fuyez donc aussi le bal rustique, ô Muses !
Enfin, sautant tous deux dans notre phaéton,
Nous prenons en riant la route d'Argenton ;
Argenton la puissante, Argenton la romaine,
Où le touriste errant qui le soir s'y promène
Se heurte à chaque pas sur des débris gisants,
Vestiges d'un passé vieux de dix-huit cents ans.
— 61 —
La voici ; regardez ! De ces hauteurs altières,
Pendent en noirs tronçons des murailles entières ;
La voici, pittoresque, avec son château-fort
Qui dans le vif du roc s'arc-boute avec effort ;
Avec sa basilique à la flèche hardie,
Dont la rosace jette un reflet d'incendie ;
Avec son esplanade et ses couronnements
D'où l'œil découvre au loin tant de sites charmants
Avec son ancien cirque et sa tour distordue,
Croulante, et qu'on dirait avoir été fendue
Par quelque coup d'estoc monstrueux. La voici !
Que d'assauts meurtriers se donnèrent ici !
Nous étions arrivés presque à la nuit tombante.
La fête, comme ailleurs, éclatait, absorbante ;
Des bazars regorgeant de monde et de clarté
Dans l'ombre des maisons s'ouvraient de tout côté ;
Le soir pur et serein prodiguait son arôme ;
Du plaisir on sentait le gracieux fantôme,
Toujours jeune, flotter sur le vieux bourg romain ;
Bras dessus bras dessous, ou se donnant la main,
Des bandes, de partout pour le bal accourues,
En groupes tapageurs circulaient dans les rues
A pleine voix chantant quelques refrains joyeux.
Une larme monta de mon cœur à mes veux.
Lorsque, si loin, au fond de notre chère France,
J'entendis l'air aimé d'une ancienne romance
Que ma vieille nourrice, au vieux foyer, chez nous,
Chantait en m'endorniant, le soir, sur ses genoux. (')
Alors, ô mon ami, malgré nos sorts contraires,
Je compris mieux eucor combien nous étions frères !
Je le compris surtout lorsque, sans hésiter,
Le soir même, à la gare, il fallut se quitter.
De France et d'avenir bien longtemps nous causâmes,
Echangeant entre nous le meilleur de nos âmes.
Vous retourniez au toit de vos enfants chéris ;
Et moi, je reprenais la route de Paris,
Emportant dans mou cœur plus que je ne raconte.
Ces beaux jours sont bien loin, car la vie est bien prompte;
— 63 —
Mais j'y songe souvent, ô mon lointain ami !
Et quand autour de moi tout repose endormi,
Et que sur mes deux mains mon front lassé se penche,
Dans ses chers souvenirs mon cœur ému s'épanche.
LE PELLERIN
En souvenir d'une charmante hospitalité.
C'est un gros bourg assis sur les bords de la Loire.
Poudreux, morne, accoudé sur son coteau penchant,
Il regarde à ses pieds le grand fleuve de moire
Rouler ses larges flots de l'aurore au Couchant.
On dirait ces vieillards, au seuil de leur chaumière,
Qui, dans la paix des jours trop longtemps attendus,
Semblent suivre des yeux, au loin, dans la lumière,
On ne sait quels lambeaux d'anciens rêves perdus.
Il repose au soleil, il dort sous les étoiles ;
Songeur, mais sans regrets, de saison en saison,
Il voit s'éparpiller l'essaim de blanches toiles
Que la brise du large emporte à l'horizon.
Il ignore le bruit, les chocs, la vie émue ;
Il n'aperçoit, quand vient le réveil du matin,
De toute la fumée où le monde remue,
Que celle du steamer qui fuit dans le lointain.
Autrefois, dévastant la campagne et les villes,
Rasant les foyers morts et les champs d'épis mûrs,
Deux fois le noir brandon des discordes civiles
En décombres sanglants transforma ses vieux murs.
Mais le canon s'est tu ; la torche s'est éteinte ;
Partout la quiétude a remplacé le bruit ;
Ce n'est plus le tocsin, c'est l'angélus qui tinte
Dans le beau clocher neuf du temple reconstruit.
— 67 —
Le villageois paisible a rebâti son gîte ;
Les champs ont retrouvé leur blond manteau d'épis ;
Et, si quelqu'un s'émeut, c'est qu'un oiseau s'agite
Dans le lierre qui grimpe aux vieux murs recrépis.
Silence dans la rue et calme sur la grève. . .
Oh ! quand le cœur s'éprend des choses d'au-delà,
Pour caresser en paix sa pensée ou son rêve,
Quel coin de paradis que ce bon vieux bourg-là !
Je le revois souvent, aux heures fugitives
Où le poète, un peu comme les amoureux,
S'attarde à contempler les douces perspectives
Qu'éclaire le rayon des souvenirs heureux.
Un jour d'isolement, quand mon âme assoiffée
Cherchait la poésie aux hasards du chemin,
Fut-ce la Providence ou quelque bonne fée ?
Quelque chose m'avait conduit là par la main.
Mon labeur n'eut jamais de plus fraîche retraite ;
Ma méditation de plus ombreux sentiers ;
Jamais je n'ai cueilli, plus tendre et plus discrète,
La fleur au doux parfum des saintes amitiés.
Nous avions là jardin, verger, pelouse verte,
Avec des murs croulant sous les pampres ; vraiment
Cela formait, autour de ma fenêtre ouverte,
Un gracieux tableau dans un cadre charmant.
J'en raffolais, surtout quand l'aube, ouvrant son urne,
Semait de diamants l'or des chemins sableux,
Ou quand, le soir venu, montait l'astre nocturne
Sous le dais estompé des grands firmaments bleus.
Et ces beaux horizons aux lignes reposées,
Où mon regard aimait à vous chercher souvent,
Dans Fonibre de la nuit, lumineuses croisées
Des hauts moulins tournant leurs ailes dans le vent !
Comme ils me captivaient avec leurs silhouettes
De grands pins parasols émergeant des massifs,
Leur donjon de Buzay hanté par les chouettes,
Et leurs prés verts, plantés de vieux chênes pensifs !
Mais, au flanc des coteaux, qu'est-ce donc qui rougeoie
Et jette ces reflets fauves aux alentours ?
Quels sont ces chants lointains et ces longs cris de joie
Qui mêlent leur fanfare aux trompes des pastours ?
La brise, par moments, sur ses ondes fluides,
Nous apporte un bruit sourd et plein d'étrangeté ;
C'est l'âpre appel d'airain des antiques druides . . .
Salut, belle Bretagne, à ta Saint-Jean d'été ! (7)
Souvent je crois refaire, au fil des rêveries,
Mes courses — douce trêve aux travaux épuisants
Le matin par la lande aux bruyères fleuries,
Le soir par les chemins bordés de vers luisants.
— 70 —
D'autres fois, près du bord que la vague caresse,
Je reviens voir dormir la lune sur les eaux,
Sans songer si mes pas troublent dans leur paresse
Les douaniers ronflant sous leurs toits de roseaux.
Nous vivions là, pareils aux pinsons dans les branches,
Savourant le plaisir d'échanger sans rancœur,
Dans le laisser-aller des intimités franches,
Même l'humble sequin contre l'or pur du cœur.
Tous les soirs — je veux bien qu'on m'en ridiculi
Avant le couvre-feu, solitaires passants,
Nous poussions doucement la porte de l'église
Pour aller devant Dieu rêver aux chers absents.
Je vois planer d'ici, sur notre front qui penche,
L'ombre des hautes nefs au solennel décor. . .
Sereine émotion de l'âme qui s'épanche,
Jamais je ne t'avais si bien comprise encor !
— 71 —
Enfin, avec le jour qui tombe, arrivait l'heure
Des récits merveilleux aimés du paysan :
Et le conte naïf, la légende qui pleure
Nous prêtaient tour à tour leur charme séduis;.' nt.
Puis, au travail ! Ou bien, causerie en famille,
Prolongée au milieu du silence des nuits,
Pendant qu'un rossignol perdu dans la charmille
Modulait sa chanson d'allégresse ou d'ennuis.
Alors, tandis qu'au vol des vagues fantaisies,
Nous chassions la chimère aux attraits persifleurs,
Que de fois la clé d'or des chastes poésies
Nous ouvrit les jardins de l'Idéal en fleurs !
Ce temps est loin déjà ; l'aunée aux pas rapides
A quatre fois, depuis, tourné son sablier ;
Mais ces longs jours sereins et ces beaux soirs limpides,
Mon cœur, tout vieux qu'il est, ne peut les oublier.
— 72 —
Leur fantôme me suit comme une ombre fidèle ;
Et mon rêve là-bas retourne à chaque instant,
Comme l'oiseau qu'Avril ramène à tire-d*aile
Vers l'ancien nid témoin des doux amours d'antan.
Merci, cher bon vieux bourg, pour ces beaux reflets roses
Dont se pare mon ciel trop souvent obscurci :
— Hélas ! qui ne gémit sous l'ongle des névroses ? —
Pour ces souvenirs-là, cher bon vieux bourg, merci !
Et toi, noble Bretagne, aïeule au cœur de chêne,
Toi qui n'as qu'un drapeau, qu'une âme et qu'un autel,
Toi dont l'antique histoire est une longue chaîne
Où chaque chaînon porte un cachet immortel ;
Mère ! tu sais combien j'aime tes vastes landes,
Tes bois, tes monumeuts, tes forêts de menhirs,
L'essaim mystérieux de tes vieilles légendes . . .
A toi surtout, merci pour ces chers souvenirs !
TANCES
A MOU LE CïI.WolNK imrCHER
A Voccaswn dx soixantième aiinircrsuirr de -son ordination.
J'ai vu, dans la prairie, un chêne aux vastes branches,
Qui, sous le bleu du ciel, offrait, les bras ouverts,
Aux corbeaux croassants comme aux colombes blanches
L'asile hospitalier de ses grands dômes verts.
Sous ses rameaux touffus flottaient des ombres douces ;
Et, quand midi flambait, largement abrité,
Maint troupeau, sommeillant dans la fraîcheur des mousses,
Sous sa voûte oubliait les ardeurs de l'été.
Il était vieux ; pourtant rage, dont l'aile égrène
Le feuillage du chêne et la fleur du glaïeul,
N'avait mis qu'un surcroît de majesté sereine
A sa cime imposante ainsi qu'un front d'aïeul.
La sève des puissants filtrait sous son écorce ;
Pourtant, quand la rafale ébranlait ses arceaux,
Le vieux géant n'avait — suave dans sa force —
Que des murmures doux comme un chant de berceaux.
Le colosse avait eu ses jours sombres ; l'orage
Avait parfois sur lui déchaîné ses Titans ;
Mais l'averse en fureur n'avait pu, dans sa rage,
Que laver sur son tronc la poussière du temps.
Tous les petits oiseaux l'aimaient ; sous sa feuillue.
Grives et rossignols, mésanges et pinsons,
Penchés au bord des nids, de l'aube à la veillée,
Lui payaient leur écot en joyeuses chansons.
— 75 —
Et le grand chêne, droit comme un vieillard auguste,
La tête dans l'azur, les bras au firmament,
Semblait sourire au ciel qui l'avait fait robuste,
Et bénir le Très-Haut de l'avoir fait clément !
Ah ! je voudrais avoir la sagesse d'un mage
Et la voix d'un prophète — oui, moi, l'humble fourmi
Pour vous dire en ce jour : Ce chêne est votre image,
O saint prêtre de Dieu, mon vénérable ami !
Toujours jeune et debout dans votre grâce austère,
Le cœur ouvert à tous, même aux malicieux,
Si, comme lui, vos pieds touchent encor la terre,
Vous avez comme lui la tête dans les cieux.
Comme lui, vous avez de tranquilles retraites ;
Comme l'ombre et le frais qu'il ménage aux troupeaux,
Vous versez le trésor de vos bontés discrètes
A tous les affamés de calme et de repos.
Comme lui, vous avez vu bien des soleils naître ;
Sur votre front serein tout près d'un siècle a lui
Vous n'avez pas vieilli, car vous étiez, ô prêtre !
Puissant comme le chêne et vaillant comme lui.
Il eut son temps d'épreuve et vous eûtes le vôtre :
Mais les assauts jamais n'ont fait vos pas tremblants ;
Et l'orage n'a mis, sur votre front d'apôtre,
Qu'un reflet d'arc-en-ciel dans vos beaux cheveux blancs.
Vous aussi vous avez de fécondes ramures,
Dont la frondaison vierge a bercé bien des nids ;
Autour de vous aussi montent bien des murmures,
Chants d'amour de tous ceux que vous avez bénits !
Le petit vous révère et le grand vous honore ;
Laissez votre cœur battre et votre œil rayonner ;
Car, s'il fut des ingrats, votre âme les ignore :
Les forts sont indulgents et savent pardonner.
Pardonner et bénir, voilà le double rôle
Auquel votre existence entière s'immola ;
Et si jamais fardeau n'a courbé votre épaule,
C'est qu'elle était de fer, car vos œuvres sont là !
Soixante ans, votre voix ardente a fait entendre
L'éternelle parole aux hommes ; soixante ans,
Votre main, ô pasteur — infatigable et tendre -
Versa le sang du Christ sur les cœurs repentants
Soixante ans, vous avez, pendant le saint office,
En prononçant les mots que Dieu même dicta,
Renouvelé pour nous le divin sacrifice
Qui racheta le monde aux flancs du Golgotha.
Soixante ans, vous avez relevé qui succombe ;
Soixante ans, on vous vit au chevet du mourant
Soixante ans, vous avez suivi jusqu'à la tombe
La dépouille de ceux que la mort nous reprend.
Soixante ans, vous avez de vos mains paternel
Bénit l'anneau sacré qui joint les épousés ;
Et je vois devant moi, s'essuyant les prunelles,
Des vieillards que jadis ces mains ont baptisés !
Du pauvre et du petit vous prîtes la défense ;
Et nos regards, d'ici peuvent apercevoir,
Construit par votre zèle, un asile où l'enfance
Va puiser la science aux sources du devoir.
Et toujours à l'affût, et toujours sur la brèche,
Dans tous les bons combats à vaincre toujours prêt,
On vous a vu saisir la cognée et la bêche
Pour guider le colon au fond de la forêt.
Dans tous les droits sentiers poursuivant votre marche,
De nos oints du Seigneur vénérable doyen,
Vous sûtes ajouter au nom du patriarche
Celui du patriote et du grand citoyen !
Oh ! lorsque vous jetez un coup d'œil en arrière,
Vaillant soldat du bien, vétéran des autels,
Et que vous remontez votre longue carrière
En comptant vos labeurs et leurs fruits immortels,
Daus cette vaste enceinte où chacun vous acclame
Et devrait s'incliner pour baiser vos genoux,
Quel sentiment ému doit envahir votre âme !
Quel joyeux Te Deum doit retentir en vous !
Oh ! laissez-vous aller à ces transports suprêmes ;
Savourez les fruits mûrs de vos efforts vainqueurs :
Cette émotion-là, nous la sentons nous-mêmes ;
Ce Te Deum d'amour chante aussi dans nos cœurs !
Près de vous, ce matin, à genoux dans son temple,
Au Dieu qui récompense et fait les jours nombreux,
Nous avons dit merci pour le sublime exemple
Que les vôtres plus tard laisseront derrière eux.
6
— 80 —
Et nous l'avons prié pour que le noble chêne,
Bravant, longtemps encor, les destins courroucés,
Reste pour nous l'espoir de la saison prochaine.
Après avoir été l'orgueil des jours passés.
POUR UNE DOUBLE NOCE
A Mm<?s Foster et Wonham.
Je me souviens du temps charmant, mesdemoiselles —
Ou mesdames plutôt — du temps où j'ai counu
Deux frais petits minois au sourire ingénu
Blonds, gracieux, bouclés- — têtes d'anges sans ailes
Nul papillon n'était plus léger dans son vol.
On s'arrêtait pour voir leurs courses enfantines ;
Et, quand tintait le son de leurs voix argentines,
Chacun croyait entendre un chant de rossignol.
— 82 —
Leur sourire éclairait comme un rayon d'aurore ;
Leur regard calme et pur reflétait le ciel bleu ;
Et, si je vous disais qu'ils m'aimaient bien un peu,
Vous me pardonneriez de l'espérer encore.
Le toit qui les couvrait m'a souvent abrité.
C'était un beau manoir avec pelouse" verte.
J'y reçus bien des fois, sur la porte entr'ouverte,
Le serrement de main de l'hospitalité.
C'était bien loin d'ici, là-bas, à la campagne.
En me voyant venir, on accourait dehors ;
Et la franche amitié qui m'accueillait alors
Me grise encor le cœur comme un bon vin d'Espagne.
Dieu leur avait donné, comme à ceux qu'il bénit,
Des parents dont les vœux avaient su se comprendre
Et l'on voyait sur eux leur tendresse s'étendre
Comme une aile d'oiseau veillant au bord du nid.
— S3 —
Qu'ils sont nobles et saints, ces mariages d'âmes !
Us font la maison douce et les enfants aimés. . .
Ces petits chérubins qui nous ont tant charmés,
Vous les reconnaissez, car c'étaient vous, mesdames.
Aux jours de grande fête, on ne manquait jamais
De m'offrir une part de la gaîté commune,
Poète de vingt ans, sans nom et sans fortune,
N'ayant que des chansons pour tous ceux que j'aimais.
Vous ouvriez pour moi le cercle de famille ;
Des liens bien puissants paraissaient nous unir. . .
Peut-être en avez-vous perdu le souvenir,
Quand l'enfant fit plus tard place à la jeune fille.
Quoi qu'il en soit pourtant — je le dis entre nous :
Pour faire un bon récit on ne doit rien omettre —
Tout absurde que c'est, il vous faut bien admettre
Que vous avez souvent sauté sur mes genoux.
— Si -
De ces choses, plus tard, les femmes se défendent . . .
Mais j'aurais tort, au fond, de m'en enorgueillir,
Car tout cela me fait terriblement vieillir,
Surtout lorsque je songe aux maris qui m'entendent.
Les maris !. . . Oui, c'est vrai ; — des anges d'autrefois,
Je me dis en chantant le doux épithalame,
Qu'entre l'aimable enfant et la charmante femme,
Il n'est que le mari pour oser faire un choix.
Pour moi, je n'ose pas l'entreprendre, et pour cause
Mais, sans vouloir risquer un fade compliment,
Une main sur le cœur je dirai seulement :
J'aimais tant le bouton, que doit être la rose ?
Mais pourquoi remonter le flot du souvenir ?
Chaque page ici-bas — étape de la vie —
Sitôt le feuillet lu, par un autre est suivie. . .
Nous aimions le passé : saluons l'avenir !
— 85 —
Oui, mesdames, partez pour l'étape nouvelle.
Au bras de vos époux nos souhaits vous suivront.
Pour vous, en ce beau jour, un monde se révèle :
Laissez par d'autres fleurs se parer votre front.
Et puis, tenez, la plus douce de mes chimères,
Après le déjeuner des noces d'aujourd'hui,
Ce sera de pouvoir assister à celui
De vos petits-enfants . . . quand vous serez «rand'mères.
(Même sujet)
A MON AMI M. LE SENATEUR L.-O. DAVID,
A l'occasion du mariage de ses deux filles
Mmes B. Rainville et R. Clerk.
Le bon Dieu, qui mêla les épines aux roses,
Mit un regret dans tout ce que les hommes font.
Les jours les plus joyeux ont leurs heures moroses
Nulle coupe qui n'ait un peu de lie au fond.
La tristesse est la sœur jumelle de la joie.
Et malgré moi, toujours, mou front se rembrunit.
Quand je vois par hasard un oiseau qui déploie
Pour la première fois son aile au bord du uid.
Aujourd'hui, pour nous tous, c'est jour de grande fête
A ce foyer béni l'heure vient de sonner,
Où l'on voudrait qu'enfin le vol du temps s'arrête,
Pour laisser à loisir quatre fronts rayonner.
Jour d'ivresse pieuse et de chaste allégresse,
Où, d'un lien sacré joignant des cœurs aimants,
L'Ange des bonheurs purs, d'une double caresse,
A comblé les espoirs de deux couples charmants
Ils s'aiment. . . Nul' besoin que la bouche profère
Les serments que ces cœurs échangent deux à deux.
Ils s'aiment... c'est assez pour dorer l'atmosphère
De joie et de parfums qu'on respire autour d'eux.
— 89 —
L'aile du temps pour eux ne va pas assez vite ;
Voyez ! de les distraire on essaierait en vain ;
C'est le bonheur qui passe, et du doigt les invite :
Laissons-les s'envoler dans leur rêve divin.
Oui, partez deux à deux, partez, belle jeunesse !
Que pour vous l'avenir se tisse de fils d'or !
Qu'après un jour heureux un autre jour renaisse,
Heureux comme la veille, ou plus heureux encor
Embrassons-nous, partez, car l'heure est fugitive !
Et ne détournez pas vos regards en chemin,
De peur d'apercevoir une larme furtive
A l'œil des êtres chers qui seront seuls demain !
A Mme ALBANI
A l'occasion dt son
rt de charité à Québec, le 1S mai 1890.
N'est-ce pas, Albani — lorsque tu provoquais
Ces applaudissements qui font tressaillir l'âme —
Que tu t'es dit : — Ce bruit, ces bravos, ces bouquets,
C'est la Patrie heureuse et fière qui m'acclame ?
Et n'est-ce pas qu'aussi jamais tu ne rêvas,
Sur ta route — chemin de rose et d'améthiste —
Accueil enthousiaste et concert de vivats
Mieux faits pour enivrer et la femme et l'artiste ?
Oh ! oui, t'est la Patrie ; et même plus encor !
Car, sur Ton front nimbé que la gloire environne,
Tu vois Québec, la ville au merveilleux décor,
Venir poser ce soir sa plus fraîche couronne.
Et — tu le sais — ailleurs, si d'un éclat plus beau
La richesse a doré de plus vastes coupoles,
Québec, du sol sacré vénérable lambeau,
Est encor la plus chère entre nos métropoles.
Des plaines d'Abraham aux clochers de Saint-Rochr
On la verra toujours, par nulle autre éclipsée,
Superbement drapée en son manteau de roc,
Du pays des aïeux sentinelle avancée !
Sa gloire est une chaîne aux immortels anneaux ;
C'est la ville des preux et des grands coups d'épée
Et quand le vent, la nuit, siffle dans ses créneaux,
On sent passer dans l'air des souffles d'épopée.
— 93 —
Oui, Québec, Albani, c'est la cité des preux ;
Et du passant ému les pas deviennent graves,
S'il songe que chacun de ces pavés poudreux
A mêlé sa poussière à la cendre des braves.
Québec, c'est le foyer, l'âtre jamais éteint
Où du patriotisme ardent couve la flamme ;
Et son rocher géant qu'on voit dans le lointain,
C'est le mât du navire où flotte l'oriflamme.
Ailleurs, c'est l'avenir ; Québec c'est le passé ;
Sur ses frontons témoins de luttes légendaires,
A cent noms de héros se mêle entrelacé
Celui de nos Dantons et de nos Lacordaires.
Et puis, reflet serein des choses d'autrefois,
La Poésie et l'Art planent dans son enceinte :
Pour nous tous, c'est Athène et La Mecque à la fois,
La ville académique avec la ville sainte.
— 94 —
Son forum, tour à tour pacifique et guerrier,
A la teute d'Achille et le salon cTHorace ;
Mais, que brille en sa main la palme ou le laurier,
Dans sa poitrine bat le cœur de notre race.
Enfin, c'est le berceau béni des anciens jours ;
Le patrimoine auquel le sang même nous lie.
Quand on l'aime une fois on l'adore toujours ;
Et quand on l'a connu jamais on ne l'oublie.
Or, c'est Québec entier, ô notre illustre enfant,
Qui vient, ce soir — bonheur, hélas, bien éphémère
Ivre d'enthousiasme et le cœur triomphant,
T'offrir en sa fierté son doux baiser de mère.
Orgueilleuse de ses souvenirs immortels ;
Elle salue en toi sa gloire rajeunie ;
Et ses muses en chœur désertent leurs autels,
Pour rendre un solennel hommage à ton s;énie.
— 95 —
Tu passes parmi nous comme une vision ;
Mais ton pays auquel tant d'amour te rattache,
Ce soir, te remercie avec effusion
D'avoir porté si loin son nom, pur et sans tache.
Car, si courbé qu'il soit devant le dieu Dollar,
Le monde, qu'un besoin d'idéal vierge affame,
En acclamant chez toi la prêtresse de l'Art,
S'incline aussi devant la vertu de la femme.
Aussi, chère Albani, dans uns moments troublés
Par les brandons en feu de l'âpre politique,
Dès que ta voix répond aux rappels redoublés,
Tout s'oublie, excepté l'instinct patriotique. (8)
Quand l'orage a brouillé l'eau de son clair bassin,
La source jusqu'au fond s'obscurcit et se voile ;
Mais qu'une étoile d'or se penche sur son sein,
La surface s'éclaire et réfléchit l'étoile !
A PAMPHILE LE MAY
A l'occasion de son couronnement par l'université Laval.
Poète, on t'applaudit ! poète, on te couronne !
Le laurier du vainqueur sur ta tête rayonne ;
Le passant jette à flots des fleurs sur ton chemin
Au tournoi de la lyre on t'a cédé l'arène ;
Ta muse à ses rivaux sourit en souveraine :
Et je ne suis plus là pour te serrer la main !
Pourtant, naguère encor, suivant la même étoile,
Nous n'avions qu'une nef, nous n'avions qu'une voile
Nos luths comme nos cœurs vibraient à l'unisson.
Poètes de vingt ans, c'étaient luttes sans trêve :
C'était à qui de nous ferait le plus beau rêve,
C'était à qui ferait la plus belle chanson.
Nous rêvions, nous chantions, — c'était là notre vie.
Et, rivaux fraternels, sans fiel et sans envie,
A la muse des vers nous faisions notre cour.
Tu charmais les zéphyrs, je narguais la bourrasque ;
Et nous voguions tous deux, toi songeur, moi fantasque,
L'âme ivre de printemps, de soleil et d'amour.
Nos soirs étaient sereins, nos matins étaient roses,
Tout était calme et pur ; nuls nuages moroses
N'estompaient l'horizon — ô présage moqueur !
J'aimais. . . et je croyais à l'amitié fidèle ;
Tout me parlait d'espoir, quand le sort, d'un coup d'aile,
Brisa mes rêves d'or, ma boussole et mon cœur !
L'orage m'emporta loin de la blonde rive
Où ton esquif flottait toujours à la dérive,
Bercé par des flots bleus pleins d'ombrages mouvante.
Et depuis, ballotté par la mer écumante,
Hochet de l'ouragan, jouet de la tourmente,
J'erre de vague en vague à la merci des vents.
Oui, je suis loin, ami ! mais parfois les rafales
M'apportent des lambeaux de clameurs triomphales
Et j'écoute, orgueilleux, ton nom que l'on redit. . .
Alors je me demande, en secret, dans mon âme,
Si tu songes parfois, quand la foule t'acclame,
A celui qui jadis tant de fois t'applaudit.
Chicago, octobre
SUR LA TOMBE DE CADIEUX.
In endless night, they sleep. unwept, unknown.
Thomas Moobe.
Sur un îlot désert de l'Ottawa sauvage,
Le voyageur découvre, à deux pas du rivage,
Un tertre que la ronce achève de couvrir :
Un jour quelqu'un, ici, s'arrêta pour mourir.
L'humble tombe des bois n'a ni grille ni marbre ;
Mais, poète naïf, à l'écorce d'un arbre
Cet étrange mourant confia son secret,
Et dit, sa plainte amère au vent de la forêt.
La légende a doré cette histoire touchante :
L'arbre n'est plus debout ; mais le peuple qui chante,
Bien souvent, au hameau, fredonne en soupirant
La complainte qu'alors chanta Cadieux mourant.
O sinistre Ottawa, combien de sombres drames
Dieu n'a-t-il pas écrits dans le pli de tes lames
Et sur les flancs rugueux de tes âpres récifs !
Dans les ombres du soir, combien de cris plaintifs.
Combien de longs sanglots, combien de plaintes vagues
Ne se mêlent-ils pas aux clameurs de tes vagues ?
Ah ! c'est que, sous tes flots et dans tes sables mous,
Bien des corps délaissés dorment dans tes remous !
Ceux-là n'ont pas même eu leurs quelques pieds de terre:
Leur linceul est l'oubli ; leur tombe est un mystère.
Jamais, au fond des bois, le touriste rêvant
Ne lira leurs adieux sur le bouleau mouvant ;
Et, le soir, au foyer, nulle voix printanière
Ne mêlera leurs noms aux chants de la chaumière.
Pour eux nuls souvenirs, nul bruit de pas aimés. . .
Dans vos tombeaux errants, pauvres perdus, dormez !
NOUVELLE ANNÉE
Tempus edax rerum.
Vents qui secouez les branches pendantes
Des sapins neigeux au front blanchissant ;
Qui mêlez vos voix aux notes stridentes
Du givre qui grince aux pieds du passant ;
Nocturnes clameurs qui montez des vagues,
Quand l'onde glacée entre en ses fureurs ;
Bruits sourds et coufus, rumeurs, plaintes vague»
Qui troublez du soir les saintes horreurs ;
— 104 —
Craquements du froid, murmures des ombres,
Frissons des forêts que l'hiver étreint,
Taisez-vous !. . . Du haut des vastes tours sombres,
La cloche a jeté ses sanglots d'airain ! . . .
Voix mystérieuse au fond du ciel blême,
Le bronze a sonné douze coups, — minuit
C'est le dernier mot, c'est l'adieu suprême
Que le présent jette au passé qui fuit.
Minute fatale, insensible étape,
Rapide moment sitôt emporté,
Cet instant qui naît et qui nous échappe
A fait faire un pas à l'Eternité !
Plus prompt que l'éclair ou l'oiseau qui vole,
Ce temps qu'on dépense en vœux superflus,
Ce temps qu'on gaspille en calcul frivole,
Quand on va l'atteindre, il n'est déjà plus !
— 105 —
Un an vient de fuir, un autre commence.
Penseurs érudits, raisonneurs subtils,
Vous qui disséquez la nature immense,
Ces ans qui s'en vont, dites, où vont-ils ?
Us vont où s'en va tout ce qui s'effondre ;
Où vont nos destins à peine aperçus ;
Dans l'abîme abrupt où vont se confondre
Avec nos bonheurs nos espoirs déçus ;
Us vont où s'en va la vaine fumée
De tous nos projets de gloire et d'amour
Où va le géant, où va le pygmée,
L'arbre centenaire et la fleur d'un jour ;
Où vont nos sanglots et nos chants de fête,
Où vont jeunes fronts et chefs tremblotants,
Où va le zéphyr, où va la tempête,
Où vont nos hivers, où vont nos printemps !.
— 106 —
Temps ! Eternité ! mystère insondable !
Tout courbe le front devant vos grandeurs.
Problème effrayant, gouffre inabordable,
Quel œil peut plonger dans vos profondeurs
Atomes sans nom perdus dans l'espace,
Nous roulons sans cesse en flots inconstants ;
Seul le Créateur, devant qui tout passe,
Immuable, plane au-dessus des temps.
NUIT D'ETE
A Mlle Louise
Quel beau soir ! tout riait et tout chantait en chœur,
Le bois et la prairie et la vigne et mon cœur.
Arsène Houssate.
Vous étiez là, Louise ; et vous savez sans doute
Ce que mon cœur rêva tout le long de la route.
C'était un soir d'été, calme et silencieux,
Un de ces soirs charmants qui font rêver aux cieux,
Un soir pur et serein. Les vastes solitudes
Semblaient prêter l'oreille aux étranges préludes,
Aux premiers sons perdus du sublime concert
Que l'orchestre des nuits dit au vent du désert.
— 108 —
Le firmament s'ornait de brillants météores ;
La brise roucoulait dans les sapins sonores ;
Et les petits oiseaux, dans le duvet des nids,
Murmuraient la chanson de leurs amours bénis !
Vous étiez là, Louise ; et vous savez sans doute
Ce que mon cœur disait tout le long de la route.
Les arbres du chemin, sous les baisers du vent,
Secouaient sur nos fronts leur éventail mouvant
De feuilles, où perlaient des gouttes de rosée
Qui troublaient du ruisseau la surface irisée ;
Et tous quatre, égrenant, sans songer au sommeil,
Des heures de la nuit le chapelet vermeil,
Nous cheminions gaîment — ô bonheurs éphémères !
L'âme dans le ciel bleu, le front dans les chimères. . .
Et, dans l'enivrement, j'écoutais plein d'émoi
Les chœurs harmonieux qui s'éveillaient en moi.
— 109
Vous étiez là, Louise ; et, vous savez sans doute
Ce que mon coeur chantait tout le long de la route.
*
Soudain, au flanc moelleux d'un nuage qui dort,
La lune, dans le ciel, montre sa corne d'or. . .
C'est l'heure des adieux, cette heure solennelle
Où l'Ange des regrets emporte sur son aile,
Pour que notre bonheur ne dure pas toujours,
Les rêves de jeunesse et les serments d'amours !
Il fallait nous quitter. . . Longtemps nous hésitâmes,
Comme si nous laissions quelque part de nos âmes.
La brise du matin soufflait dans les tilleuls :
Longs furent les adieux ; — puis nous revînmes seuls.
• *
Vous n'étiez plus là, non ; mais vous savez sans doute
Que mon cœur soupira tout le long de la route !
A
'7J %
PREMIERE COMMUNION
A ma petite amie, soledad johanet, de Paris,
et à ma fille .teanne
A SOLEDAD
Le beau soleil de mai rayonne,
Et, d'un baiser d'or, dit bonjour
Au bronze saint qui carillonne
Au fond des grands clochers à jour.
— 112 —
Une foule toute fleurie
Envahit les parvis sacrés ;
Viens, Soledad, viens, nia chérie ;
C'est Jésus qui nous dit : — Entrez !
Il t'attend au banquet des anges ;
Approche, le couvert est mis ;
Les enfants, les fleurs, les mésanges,
Tous les petits sont ses amis.
Les cierges brûlent, l'orgue chante,
A l'autel fume l'encensoir ;
La voix, qui se fait plus touchante,
Te dit : — Ma fille, viens t'asseoir !
Ecoute cet appel si tendre ;
Obéis à la douce voix ;
C'est Dieu même qui vient te tendre
La main pour la première fois.
— 113 —
De sa croix où l'amour le cloue,
Lui l'Adorable, lui le Saint,
Il veut te baiser sur la joue ;
Il veut te presser sur son sein.
Il désire être à toi . . . Que dis-je ?
Dans son amour de Tout-Puissant,
Par un ineffable prodige,
Il t'offre son corps et son sang.
Son corps qui, d'un gibet immonde,
Pour pardonner ouvre les bras !
Son sang qui racheta le monde,
Et coule encor pour les ingrats !
Ce corps, ô miracle qui touche !
Ce sang, séraphique liqueur,
Ils vont descendre sur ta bouche,
Et pénétrer jusqu'en ton cœur.
— 114 —
Oui, dans ton petit cœur, mignonne,
Par la Foi nos yeux entr'ouverts
Vont voir flamboyer la couronne
Du monarque de l'univers.
Ceux qui t'aiment sont là qui tremblent
Devant le mystère troublant.
Ils croient voir des ailes qui semblent
Palpiter sous ton voile blanc.
Pour bien répondre à leur tendresse,
Ma Soledad, ouvre au Seigneur !
Plonge-toi dans ta sainte ivresse,
Abîme-toi dans ton bonheur !
Celui, dont la grandeur austère
Se courbe aujourd'hui sous ton toit,
Te donne le ciel et la terre,
Enfant, puisqu'il se donne à toi.
— 115 —
Le piètre vient, la cloche sonne,
Voici Dieu, mon ange, à genoux
Tends-lui ta lèvre qui frissonne ;
Aime-le bien et pense à nous !
Prie un peu pour chaque souffrance,
Pour l'incrédule au cœur flétri,
Pour ta famille et pour la France,
La grande mère au sein meurtri !
Et puis, dans ta reconnaissance,
Au doux Jésus qui t'aime tant
Offre ta candide innocence,
Et le bon Dieu sera content.
II
A JEANNE
Près de toi, ce matin, Jeanne, chacun s'empresse ;
On te choie, on t'embrasse ; et ceux que tu chéris,
Pour te manifester leur joie et leur tendresse,
Ue peuvent pas trouver de mots assez fleuris.
Dès l'aurore, on t'a mise en belle robe blanche ;
Tu devrais te sentir radieuse ; et, pourtant
Ton front si doux, si pur, ainsi qu'un lys qui penche,
.S'incline tout rêveur sous son voile flottant.
— 117 —
Je comprends : aujourd'hui les choses de la terre
Ne sauraient captiver ton oreille ou tes yeux ;
Tremblant et recueilli devant le grand mystère,
Ton cceur se ferme au monde et s'ouvre pour les cieux.
Ah ! c'est que, tout à l'heure, à la lueur des cierges,
Au parfum de l'encens, au bruit des saintes voix,
Tu vas rompre le pain des anges et des vierges,
Et recevoir ton Dieu pour la première fois !
Ton Dieu, le Dieu de tous, le Tout-Puissant, le Maître
Devant qui le ciel même hésite épouvanté,
Le Roi, le Saint des saints !. . . Et ton cher petit être
S'émeut d'effroi devant l'auguste majesté.
Tu frémis en songeant que l'arbitre du monde,
Que le souverain Chef qui commande en vainqueur
Aux étoiles des cieux comme aux gouffres de l'onde,
Jeanne, dans un instant, va descendre en ton cceur.
— 118 —
Dieu, pour toi, c'est Celui qui d'un mot peut dissoudre
Et plonger au néant des milliers d'univers ;
C'est le mont Sinaï tout couronné de foudre ;
C'est le grand Juge au seuil des firmaments ouvert*.
Enfant, détrompe-toi ! Ne tremble pas, espère !
Dieu n'est pas seulement le puissant créateur ;
S'il est le souverain, il est aussi le père ;
Plus encor que le Maître, il est le bon Pasteur.
Il s'éprend de pitié devant sa créature ;
Les humbles sous son aile ont toujours un abri ;
C'est la grande bonté planant sur la nature,
L'universel amour sur son œuvre attendri !
Pour son immensité tu n'es pas trop petite ;
Bergers et potentats à ses yeux sont pareils ;
S'il créa l'astre, il fit aussi la clématite ;
Le brin d'herbe pour lui vaut le roi des soleils.
— 119 —
Il a fait le printemps, la lumière, les roses,
Le vol de l'hirondelle et le chant du bouvreuil ;
Et c'est lui qui, charmante entre toutes ces choses,
Fait luire en ce moment cette larme à ton œil.
Rassure-toi ; Jésus est un Dieu doux et tendre ;
Il aime à se pencher sur tous les cœurs fervents ;
Et puis, n'a-t-il pas dit — heureux qui sait l'entendre 1
— Laissez venir à moi tous les petits enfants ?
A genoux ! ne crains rien, souris : la faute d'Eve,
Pour ta sainte candeur Dieu l'efface aujourd'hui ;
Car la communion, c'est uu coin qu'il soulève
Du voile qu'elle a mis entre la terre et lui.
Et quand il touchera ta lèvre diaphane,
Que tu t'épancheras dans son doux entretien,
Prie un peu pour celui qui voudrait bien, ô Jeanne,
L'aimer avec un cœur aussi pur que le tien !
LA FORÊT CANADIENNE
C'est l'automne. Le vent balance
Les ramilles, et par moments
Interrompt le profond silence
Qui plane sur les bois dormants.
Des flaques de lumière douce,
Tombant des feuillages touffus,
Dorent les lichens et la mousse
Qui croissent au pied des grands fûts.
122
De temps en temps, sur le rivage,
Dans l'anse où Ta boire le daim,
Un écho s'éveille soudain
Au cri de quelque oiseau sauvage.
La mare sombre aux reflets clairs,
Dont on redoute les approches,
Caresse vaguement les roches
De ses métalliques éclairs.
Et sur le sol, la fleur et l'herbe,
Sur les arbres, sur les roseaux,
Sur la croupe du mont superbe,
Comme sur l'aile des oiseaux.
Sur les ondes, sur la feuillée,
Brille d'un éclat qui s'éteint
Une atmosphère ensoleillée :
C'est l'Eté de la Saint-Marti
— 123 —
L'époque où les feuilles jaunies
Qui se parent d'un reflet d'or,
Emaillent la forêt qui dort
De leurs nuances infinies.
O fauves parfums des forêts !
O mystère des solitudes !
Qu'il fait bon, loin des multitudes,
Rechercher vos calmes attraits !
Ouvrez-moi vos retraites fraîches !
A moi votre dôme vermeil,
Que transpercent comme des flèches
Les tièdes rayons du soleil !
Je veux, dans vos sombres allées,
Sous vos grands arbres chevelus,
Songer aux choses envolées
Sur l'aile des temps révolus.
— 124 —
Rêveur ému, sous votre ombrage,
Oui, je veux souvent revenir,
Pour évoquer le souvenir
Et le fantôme d'un autre âge,
J'irai de mes jeux éblouis,
Relire votre fier poème,
O mes belles forêts que j'aime !
Vastes forêts de mon pays !
Oui, j'irai voir si les vieux hêtres
Savent ce que sont devenus
Leurs rois d'alors, vos anciens maîtres,
Les guerriers rouges aux flancs nus.
Vos troncs secs, vos buissons, sans nombre
Me diront s'ils n'ont pas jadis
Souvent vu ramper dans leur ombre
L'ombre de farouches bandits.
— 125 —
J'interrogerai la ravine,
Où semble se dresser encor
Le tragique et sombre décor
Des sombres drames qu'on devine.
La grotte aux humides parois
Me dira les sanglants mystères
De ces peuplades solitaires
Qui s'y blottirent autrefois.
Je saurai des pins centenaires,
Que la tempête a fait ployer,
Le nom des tribus sanguinaires
Dont ils abritaient le foyer.
J'irai, sur le bord des cascades,
Demander aux rochers ombreux
A quelles noires embuscades
Servirent leurs flancs ténébreux.
— 126 —
Je chercherai, dans les savanes,
La piste des grands élans roux
Que l'Iroquois, rival des loups,
Chassait jadis en caravanes.
Enhn, quelque biche aux abois,
Dans mou rêve où Le tableau change,
Fera surgir le type étrange
De nos hardis coureurs des bois.
Et. . . brise, écho, feuilles légères,
Souples rameaux, fourrés secrets,
Oiseaux chanteurs, molles fougères
Qui bordez les sentiers discrets.
Bouleaux, sapins, chênes énormes,
Débris caducs d'arbres géants,
Rocs moussus aux masses difformes,
Profondeurs des antres béants.
— 127 —
Sommets que le vent décapite,
Gorge aux imposantes rumeurs,
Cataracte aux sourdes clameurs :
Tout ce qui dort, chante ou palpite.
Dans ses souvenirs glorieux
La forêt entière drapée,
Me dira l'immense épopée
De son passé mystérieux.
Mais, quand mon oreille attentive
De tous ces bruits s'enivrera,
Tout près de moi retentira . . .
Un sifflet de locomotive !
VERS LUISANTS
A Mlle Pauline Guihal, de Nantes.
J'aime les grands chemins de France — ces allées
De sable fin, on l'or mêle son clair semis —
Qui contournent les monts et longent les vallées,
Dans la placidité des boas endormis.
Je les aime surtout, quand les ronces des haies
Leur font comme un ourlet de vert tendre, où reluit
Au soleil du matin le sang des rouges baies,
Et que des fleurs de flamme illuminent la nuit.
— 130 —
En Bretagne, souvent, le coup d'œil est étrange.
Dans certains soirs obscurs, pas un pli de gazon,
Pas un creux des talus que la bruyère frange,
Où la goutte de feu ne rutile à foison.
Dans le genêt doré, sous l'ajonc d'énieraude,
Partout la fleur brûlante allume son éclair :
C'est un essaim vivant d*étincelles qui rôde
Dans des lueurs d'aurore et de firmament clair.
On dirait les trésors, éparpillés dans l'herbe,
De quelque écrin géant répandu sous nos yeux ;
Ou plutôt les fragments de quelque astre superbe
Qu'un choc terrible aurait égrené dans les cieux.
Ce sont des vers luisants. Un soir, un beau soir sombre
Et tiède de printemps — par le chemin qui dort —
Le caprice nous vint de pourchasser dans l'ombre
Le vermisseau trahi par son écharpe d'or.
— 131 —
Mon amie avait fait un rets de sa violette. . .
— Mon amie !. . . oh ! les bons souvenirs printaniers !
Et, pendant qu'au hasard je faisais la cueillette,
Le blanc filet gardait les petits prisonniers.
J'allais par-ci par-là, perpétrant mes rapines
De broussaille en broussaille où l'insecte avait lui,
Jusque sous l'églantier tout hérissé d'épines,
Dont la griffe souvent vengeait le ver et lui.
Et, tout en fouillant l'herbe et les buissons agrestes,
Je m'imaginais voir le vol vertigineux
Des planètes, au fond des profondeurs célestes,
Jalouser le lambeau de tissu lumineux.
Qu'ajouterai-je? — Enfin, moisson d'étoiles faite,
Bras dessus, bras dessous, nous rentrons au château ;
Tout le monde applaudit, et la petite fête
D'illumination s'improvise aussitôt.
— 132 —
Un beau parterre est là devant nous, riche nappe
Où le printemps a mis ses plus fraîches couleurs ;
Le voile s'ouvre : un flot phosphorescent s'échappe,
Et des gerbes de feu roulent parmi les fleurs.
L'effet fut radieux. Les recoins les plus ternes
S'éclairèrent ; c'était — spectacle inattendu —
Comme une légion de petites lanternes
Sous les feuilles cherchant quelque joyau perdu.
L'effet fut radieux à provoquer l'extase ;
Les pétales bleu ciel, bronzés, diamantés,
Les corolles d'argent, de pourpre et de topaze,
Tout fourmilla soudain de magiques clartés.
C'étaient des lueurs d'or, des chatoiements de bagues,
Un rayonnant fouillis des plus purs incarnats,
Des reflets opalins aux miroitements vagues,
Noyés dans la rougeur sanglante des grenats.
L'air était doux, le soir serein : nous nous assîmes
En face, sur un vieux banc de pierre ; et longtemps,
Le regard ici-bas, mais l'âme sur les cimes,
Nous voguâmes au vol des rêves inconstants ;
Cependant que la nuit, moins sombre et moins voilée,
Nous donnait, par moments, l'illusion de voir
Du grand dôme d'azur la voûte constellée
Se mirer dans les fleurs comme dans un miroir.
Le lendemain, hélas ! — ici-bas tout s'efface —
Lorsque, le soir venu, pour savourer encor
Le spectacle charmant, nous vînmes prendre place,
Il ne restait plus rien du féerique décor.
Plus de petits follets errants ! Par les pelouses,
Les quinconces épais, les cailloux trébuchants,
Et le réseau feuillu des charmilles jalouses,
Les lampyres avaient trouvé la clé des champs.
Il en restait à peine un ou deux dont la flaninie
Brillait comme à regret, tandis que nous disions
— Voilà bien le symbole et l'image de l'âme,
Avec ses songes d'or et ses illusions !
Tout te sourit d'abord, jeunesse inassouvie ;
La lumière et les fleurs couronnent tes festins ;
Mais pour le cœur qui veut recommencer la vie,
S'il reste encor des fleurs, les flambeaux sont éteints
A UNE JEUNE FIANCEE
La veille de son mariage.
Un jour, Mademoiselle, un passant, presque un vieux,
Vint s'asseoir au foyer béni de votre père,
Et — vous gardez encor ce souvenir, j'espère —
Fut charmé par l'éclat rêveur de vos grands yeux.
Vous étiez une enfant folâtre, un peu rebelle ;
Chacun obéissait quand vous disiez : je veux !
Et, mutine, écartant le flot de vos cheveux,
Vous riiez en voyant qu'on vous trouvait si belle.
— 13C —
Je vous fis quelque peu sauter sur mes genoux ;
Mon baiser s'égara dans vos boucles soyeuses ;
Et, malgré mon front grave et vos mines joyeuses,
Une franche amitié s'établit entre nous.
Elle a duré. Plus tard, la douce jeune fille,
Rayonnante, et dans tout l'éclat de son printemps,
Remplaça par degrés l'espiègle de sept ans...
Mais je restai pour elle un peu de la famille.
Je vous voyais grandir, hélas ! presque à regret
Et pourtant j'écoutais d'une oreille ravie
Monter autour de vous des murmures d'envie
Contre celui qu'un jour votre cœur choisirait.
Le choix est fait enfin. L'âme sœur de votre âme
A, dans un jour heureux, croisé votre chemin ;
La main d'un fiancé s'est mise en votre main ;
Vous n'êtes plus enfant : demain vous serez femme
— 137 —
C'est l'ordre universel, on s'en plaindrait en vain
La nature en tout lieu suit sa loi souveraine ;
Après le frais bouton voici la fleur sereine,
De qui doit à son tour naître le fruit divin.
Oh ! ne l'oubliez pas, ee jour que le ciel dore
En bénissant l'hymen de deux bonheurs rêvés,
Ce jour si radieux, hélas ! vous le savez,
L'ère des grands devoirs point avec son aurore.
Que Dieu jonche de fleurs votre nouveau sentier !
Qu'il guide votre esquif vers des rives ombreuses !
Et, s'il vous faut, pour faire envie aux plus heureuses,
Notre vœu le plus cher, vous l'avez tout entier !
A tous les saints devoirs vous resterez fidèle :
Vous naquîtes d'un sang qui ne saurait déchoir ;
Et, dans la mère en pleurs qui vous bénit ce soir,
De toutes les vertus vous avez le modèle.
— 138 —
Allez, soyez aimée ! et songez quelquefois
Au vieil ami d'autan, qui, paupière mouillée,
Avec le bon papa, le soir, à la veillée,
Parlera bien souveut du bébé d'autrefois.
Celui que votre cœur aime entre tous les autres,
Celui qui vous enlève au doux toit paternel,
E_n se liant à vous par un mot solennel,
Va — loin de son pays — devenir un des nôtres.
Qu'il soit le bienvenu ! Nous aimons à genoux
La France — son berceau — notre France sacrée.
Et nous applaudissons à l'union qui crée
Un doux lien de plus entre la France et nous !
A MOX PETIT-FILS
Toi que la vie à peine effleure de son aile ;
Toi qui de l'innocence, au fond de ta prunelle,
Gardes encor l'éclat vermeil ;
Enfant ! toi dont les jours sont pleins de douces choses,
Et qui ue vois, la nuit, que des chimères roses
Qui se penchent sur ton sommeil !
Toi qui goûtes encor les tendresses sans nombre
De celle devant qui s'effacent comme une ombre
Toutes nos amitiés d'un jour !
Qui de purs dévoûments n'est jamais assouvie ;
Qui nous donne son âme, et qui nous fait la vie
Douce comme un baiser d'amour !
Toi qui sais les effets sans deviner les causes,
Et qui souris de voir nos figures morosi s
S'épanouir à tes ébats ;
Toi dont le cœur est comme une onde transparente,
Et dont la foi naïve est encore ignorante
Des tristes choses d'ici-bas !
Ecoute ! il est un temps dans l'existence humaine,
Où, sous le lourd fardeau que l'âge nous amène.
Le front se penche soucieux ;
Où le cœur se flétrit, où l'âme desséchée.
Comme une pauvre fleur à sa tige arrachée,
S'effeuille à tous les vents des deux !
Yn temps où les soucis, de leurs ongles arides,
Sur nos traits fatigués ont buriné leurs rides
Au milieu d'étranges pâleurs ;
Où l'homme mûr, qui sent venir sa fin prochaine,
Traîne derrière lui comme une immense chaîne
Dont les anneaux sont des douleurs !
Une époque où souvent, gémissante et blessée,
Après avoir du ciel où planait sa pensée
Vu fuir les blanches visions.
L'âme humaine, égarée aux détours de la route,
S'achemine à tâtons dans les sentiers du doute,
Veuve de ses illusions !
Tu ne sais pas encor par quel triste mystère
On rencontre, parmi les puissants de la terre,
Tant de fronts sombres et rêveurs. . .
Crois-moi, même ceux-là sont peu dignes d'envie,
Car les fruits les plus beaux de l'arbre de la vie
Ont souvent d'amères saveurs !
Ah ! si l'ange qui tient le fil des destinées,
A jamais suspendant le cours de tes années,
Pouvait, d'un arrêt souveraiu.
Eterniser un jour sous ta paupière humide
Le rayon saint et pur que ton âme candide
Fait luire dans ton œil serein !
— 142 —
Si tu pouvais garder ton enfance suave ! . . .
Mais tu vieillis aussi ; ton front devient plus grave ;
Bientôt ta raison va s'ouvrir
Aux secrets d'ici-bas qu'il nous faut tous connaître
Tôt ou tard, ô mon ange ! — et ce sera peut-être
Demain à ton tour de souffrir !
Mais non ! de miel doré ta coupe est pleine encore
Souris à l'avenir ; ta radieuse aurore
Brille d'un éclat triomphant !
Mais aux déceptions que ton cœur s'accoutume !
Et qu'il arrive tard le jour plein d'amertume
Où tu regretteras de n'être plus enfant !
LA CHAPELLE
DE BETHLÉEM 9
Bien souvent je me la rappelle,
Dans son pli de coteaux boisés,
La vieille et rustique chapelle
Qui date du temps des Croisés !
Elle s'appuie, humble et petite,
Sur ses contreforts descellés,
Où des touffes de clématite
Brodent leurs festons étoiles.
— 144 —
Les grands chênes pleins de murmures
Où ronflent les vents assoupis,
De leur ombre et de leurs ramures
Caressent ses pans décrépits.
Elle est seule au bord de la route
Qui rampe le long dn talus ;
La chèvre errante y rôde et broute
Sur un seuil où l'on n'entre plus.
Çà et là, sur les pierres plates
De ses murs qu'effrite le temps,
Le chercheur découvre des dat< s
Vieilles de quatre fois cent ans
A gauche, là, sous la corniche,
Au-dessus d'un bassin tari,
Derrière un treillis, dans sa niche.
Une statuette sourit.
— 145
Et la pastoure qui fredonne
Sa ballade au bord du chemin,
En passant devant la madone,
Pour se signer lève la main.
Oui, toujours je me la rappelle,
Avec ses combles ardoisés,
L'antique et modeste chapelle
Qui date du temps des Croisés.
Elle a ses contes, ses légendes,
Touchants ou sombres tour à tour,
Comme le vieux menhir des landes
Et le grand christ du carrefour.
Souvent la famille bretonne
Mêle son nom aux longs récits
Que les anciens, les soirs d'automne,
Font près de Pâtre aux murs noircis
— 146 —
Et, pourtant, à nul auditoire
Charmé, tremblant ou curieux,
Nul n'a raconté ton histoire,
Petit temple mystérieux.
Quel que soit ce qu'on imagine,
Au fond des brumes du passé
Le secret de ton origine
Se perd à jamais effacé.
Pourquoi cet autel solitaire
Au bord de ce profond ravin ?
Quelle est cette énigme, mystère
Que l'on cherche à sonder en vain ?
Quelle pensée ou quel caprice,
Déroutant l'esprit confondu,
Te supendit, frêle édifice,
Au flanc de ce coteau perdu ?
— 147 —
Ex-voto de reconnaissance,
Parles-tu d'enfant retrouvé,
De deuil cruel, de longue absence,
Ou de retour longtemps rêvé ?
Ton portique en pierre jaunâtre,
Qui l'a dessiné ? qui l'a fait ?
Foulons-nous ici le théâtre
De quelque tragique forfait ?
Es-tu la tombe expiatoire
Où l'on vint pleurer à genoux
Quelque grand crime dont l'histoire
N'a pas retenti jusqu'à nous ?
Et ce nom de Bethléem même,
Que dit-il ? qui te l'a donné ?
Plus on sonde et plus le problème
Garde son silence obstiné !
— 148 —
Mais, ô temple ! à te mieux connaître
Qu'importe qu'on soit impuissant,
Si ton aspect pieux fait naître
Un espoir au cœur du passant !
Que tes murs tapissés de mousse
Gardent leur éternel secret ;
Qu'importe, si ta vue est douce
Au pauvre voyageur distrait !
Jadis, fatigué de ma course,
Etranger égaré là-bas,
Au bord de ton antique source,
Souvent je suspendis mes pas.
Enivrement des solitudes !
Au seuil du vieux portail fermé,
L'aile des douces quiétudes
Rafraîchissait mon front calmé.
— 149 —
Adieu, chagrins et pensers sombres !
Je sentais — ô ravissement ! —
Comme un essaim de chastes ombres
Penché sur mon isolement.
Et, quand vers la madone sainte
Mon regard montait plein d'émoi,
A ma lèvre expirait la plainte ;
L'espoir se réveillait eu moi.
Oh ! c'est qu'alors — heures trop brèves
A travers l'espace incertain,
Un rêve, le plus saint des rêves,
M'emportait au foyer lointain.
Charme sacré de la prière,
Le temps plus vite s'écoula. .
J'aime à retourner en arrière
Pour revivre ces moments-là
— 150 —
Oui, souvent je me la rappelle,
Dans mes souvenirs apaisés,
La bonne petite chapelle
Qui date du temps des Croisés.
A MATHEW ARNOLD
Lu au banquet offert au poitr anglais à Montrait, U 20 février
Plus rapide que n'est l'aile de la mouette
Au-dessus des gouffres amers,
Emportés par le vol de ta gloire, ô poète !
Tes chants ont traversé les mers.
Ils sont venus déjà, sur nos plages lointaines
Où la neige tombe à flocon,
Nous apporter, avec les doux parfums d'Athènes,
Comme un écho de l'Hélicon.
— 152 —
Ils sont venus souvent, troupe mélodieuse
D'oiseaux dorés du paradis,
Secouer sur nos fronts leur gamme radieuse ;
Et nos mains les ont applaudi-.
Car, dans ces fiers accents, chacun croyait entendre
La flûte du divin Bion,
Ou la lyre d'Olen mêler sa note tendre
A la fanfare d'Albion.
Aujourd'hui ce n'est plus ta muse charmeresse
Qui franchit l'océan houleux,
Pour verser un rayon du soleil de la Grèce
Sur nos rivages nébuleux.
C'est toi-même, poète à la vaste envergure,
Qui t'arrêtes sur ton chemin,
Pour nous faire admirer ta sereine figure
Et nous tendre ta noble main.
— 153 —
O toi qui, si longtemps, des sources d'Hippocrène
T'abreuvas au flot transparent,
Comme Chateaubriand et Moore, qui t'entraîne
Aux bords glacés du Saint-Laurent ?
Qui dirige tes pas vers nos montagnes blanches,
Vers nos grands fleuves enrayés,
Vers nos bois sans oiseaux, et dont les avalanches
Tordent les rameaux dépouillés ?
A nos traditions bretonnes et normandes
Viens-tu demander leurs secrets ?
Ou réveiller l'essaim de farouches légende
Qui dort au fond de nos forêts ?
Croyais-tu, quand, vers nous, sur la vague féline,
Le vent du large t'apporta,
Voir surgir, à côté d'une autre Evangeline,
Quelque nouvel Hiawatha ?
— 154 —
Oui, sans doute ; et devant notre nature immense
Ton génie a déjà trouvé
Le récit merveilleux, la sublime romance,
Le poème longtemps rêvé.
Qu'au vent de nos hivers ta muse ouvre son aile !
Qu'elle entonne ses chants hautains !
Et répète aux échos, de sa voix solennelle,
Un hymne à nos futurs destins !
Qu'elle chante nos lacs, notre climat sauvage,
Nos torrents, nos monts sourcilleux,
Nos martyrs, nos grands noms, et l'héroïque page
Ecrite ici par nos aïeux !
Oui, prête-nous ta muse, ô chantre d'Empédocle !
Et, chez nous — fils de l'avenir —
Les âges passeront sans ébranler du socle
Le bronze de ton souvenir.
BIENVENUE
A NOS VISITEURS AMÉRICAINS
Carnaval de 1882.
Frères, salut ! — Jadis vos cohortes altières
— Hélas ! nous nous en souvenons —
Connaissaient le chemin de nos rudes frontières
Et l'âpre voix de nos canons.
Ensemble, trop souvent, dans le feu des batailles,
Nous avons, joyeux de mourir,
Echangé notre vie et mesuré nos tailles,
Pour résister ou conquérir.
— 156 —
De votre sang parfois notre rive fut teinte ;
Mais, au cœur des anciens rivaux.
La vieille inimitié de races s'est éteinte
Au souffle des progrès nouveaux.
Les haines d'autrefois sont toutes étouffées :
Et nos drapeaux, dans leur beauté,
Au-dessus de nos fronts s'enlacent en trophées
De paix et de fraternité.
La bannière étoilée et notre tricolore
Mêlés aux couleurs d'Albion '.
Quel gage d'avenir... quelle sublime aurore
D'embrassenient et d'union !
Quel astre à l'horizon ! quel radieux présage !
Si les peuples allaient s'unir !...
Si nous allions toucher et voir en plein visage
Ce fantôme de l'avenir !. . .
Hélas ! ce serait trop ; ce rêve grandiose
N'est, je le crains, qu'un vain espoir. . .
Mais, ô nos visiteurs, c'est déjà quelque chose
Que de nous le faire entrevoir !
Soyez les bienvenus ! prenez part à nos fêtes ;
Nous serrons cordialement vos mains,
Grand peuple qui marchez à toutes les conque les
Par tous les plus nobles chemins !
Vous ne trouverez pas chez nous vos tièdes brises,
Vos pelouses, vos orangers ;
Mais nos cieux boréaux gardent d'autres surprises
Pour le regard des étrangers.
De nos plaisirs d'hiver l'étincelant cortège
S'ouvre pour vous avec bonheur ;
Et notre carnaval fait tinter sur la neige
Tous ses grelots en votre honneur.
— 158 —
Autour de nos banquets, approchez, prenez place
A vous les sièges les meilleurs !
Sous notre eiel blafard, dans nos palais de glace,
Les cœurs battent chauds comme ailleurs !
A QUINZE AN
Et mou cœur garde son image
Toujours !
Delphine Gay.
Si vous passez dans mon village,
Vous verrez, au fond d'un enclos,
Un vieux chalet vaincu par l'âge,
Croulant, comme dans les tableaux.
Il est écarté de la route ;
Rien d'étrange ne le trahit ;
Quelquefois une chèvre y broute
L'herbe haute qui l'envahit.
Chaque saison, l'on voit s'emboire
Ses anciennes couleurs ; et puis
Les oiseaux ne viennent plus boire
Sur la margelle du vieux puits.
Plus de riches vergers ; les brises
De l'automne humide et venteux
Déchiquètent les têtes grises
Des grands peupliers souffreteux.
Aux crevasses des cheminées
L'hirondelle niche au printemps
Mais ce toit, depuis des années,
N'a pas eu d'autres habitants.
Rien n'embellit, rien ne décore
Ce dénûment presque absolu ;
Seul un vieux lierre grimpe encore
Aux clous d'un auvent vermoulu.
— 161 —
Cet auvent délabré s'effondre
Sur un chambranle trébuchant,
Où viennent jouer et se fondre
Les lueurs fauves du Couchant.
Oh ! la radieuse fenêtre !. . .
Quand par hasard je la revois,
Quelque chose en mon cœur pénètre
Qui met des larmes dans ma voix.
Pourquoi ? — J'avais trempé ma plume
Pour vous l'écrire, mais voilà :
Il me faudrait faire un volume
Pour répondre à ce pourquoi-là.
J'avais quinze ans. De la jeunesse
En moi déjà sonnait le cor ;
J'aurais vendu mon droit d'aînesse
Pour un sourire. . . ou moins encor.
— 162 —
J'allais par les bois, sur les grèves,
En proie à de vagues ennuis ;
Mes jours étaient hantés de rêves,
Et mille émois troublaient mes nuits.
A cet âge où l'âme raffole
De toute énervante liqueur,
Souvent mainte émotion folle
Pour un rien me prenait au cœur.
mes courses à l'aven Une,
Je passais près du vieux chalet,
Dont alors l'antique structure
Dans un frais jardin s'isolait.
La maison était habitée
Par des anciens, nmis disaiton
Famille à l'écart, molestée
Par tous les cancans <lu canton.
— 163 —
Des étrangers, des gens austères
Qu'on n'apercevait pas souvent.
Jamais d'enfants dans les parterres
L'aspect morne d'un vieux couvent.
Chaque fenêtre était fermée ;
Et, quand je faisais, soucieux,
Ma promenade accoutumée,
Jamais je n'y levais les yeux.
Un soir pourtant — toute ma vie
En garde un souvenir croissant
Je ne sais quelle vague envie
Me fit retourner en passant.
Pour ma pauvre âme à peine ouverte,
Quelle aube ! quelle éclosion !
A travers la ramure verte
J'eus une blanche vision.
A cette fenêtre en ruines
Que je viens de vous dessiner,
Au milieu de roses bruines
Je vis un profil rayonner.
Un profil. . . comment vous dirai-je
Je vous le décrirais en vain ;
Un de ces profils où Corrège
Mettait tant de reflet divin.
C'était une tête sereine,
Une fraîche tête d'enfant ;
Mais jamais face souveraine
N'eut un éclat plus triomphant.
Elle m'est encor familière ;
Je la retrouve en mon sommeil,
Blonde, et dans son cadre de lierre
Souriante au Couchant vermeil.
— 165 —
Elle était divinement belle ;
Le plus grand peintre de portraits
Eût trouvé son pinceau rebelle
Devant l'idéal de ses traits.
Son regard plongeait dans l'espace. .
Mille parfums débilitants
Flottaient dans la brise qui passe,
Avec les chansons du printemps.
Ne croyez pas que j'exagère
Ma pauvre raison s'ébranla ;
Je m'enfuis ! — La belle étrangère
Pour toujours aussi s'envola.
Je ne la revis plus. Une ombre
S'efface moins rapidement.
Mais de mes souvenirs sans nombre
C'est peut-être le plus charmant.
— 166 —
O fleur des premières aurores !
Bouton d'or si vite cueilli !. . .
Depuis, bien d'autres météores
Ont passé dans mon ciel vieilli ;
Mais, quand le hasard me ramène
Vers ces lieux où mon cœur se plaît,
Une puissance surhumaine
M'entraîne vers le vieux chalet.
Et là, ravi de tout mon être,
Je crois revoir — regrets cuisants I
Refleurir à cette fenêtre
La douce fleur de mes quinze ans !
LE BONHOMME HIVER
Un bel hiver vaut un printemps.
DE&AIXilLRS.
Le bonhomme Hiver a mis ses parures,
Souples mocassins et bonnet bien clos,
Et, tout habillé de chaudes fourrures,
Au loin fait sonner gaîment ses grelots.
A ses cheveux blancs le givre étincelle ;
Son large manteau fait des plis bouffants :
Il a des jouets plein son escarcelle
Pour mettre au chevet des petits enfants.
— 168 —
Quand le soleil luit la neige est coquette ;
Mol et lumineux, son tapis attend
Le groupe rieur qui, sur la raquette,
Au flanc des coteaux chemine en chantant.
Dans les soirs sereins, l'astre noctambule
Plaque vaguement d'un reflet d'acier
La clochette d'or qui tintinnabule
Au harnais d'argent du fringant coursier.
A u feu du soleil ou des girandoles,
Emportée au vol de son patin clair,
Mainte patineuse, en ses courses folles,
Sylphe gracieux, luit comme un éclair.
Un rayon là-bas aux vitres rougeoie ;
On entend des sons d'orchestre lointain :
Ce sont ces deux sœurs, la danse et la joie,
Qui vont s'amuser jusques au matin.
Et dans l'azur vif baigné de lumière,
Spectacle charmant, aspect sans rival,
Aux toits de la ville et sur la chaumière
Flotte le drapeau du gai carnaval.
&ër
A Al. C0FF1N1ERE DE NORDECK
de la marine française.
Ami, l'on vient de me remettre
— Envoi qui m'est bien précieux —
Un croquis des plus gracieux
Avec une charmante lettre.
La missive en mots palpitants
Me révèle une amitié franche ;
Sur le croquis, l'onde et la branche
Tout bas me parlent du printemps.
— 172 —
L'amitié, cette coupe sainte
Qui toujours, aux lèvres du cœur,
Donne sa suave liqueur
Sans jamais y verser d'absinthe !
Le printemps, saison des amours,
Des oiseaux, des papillons lestes,
Des rayons et des fleurs célestes,
Des douces nuits et des beaux jours !
Bientôt, ami, la froide neige
Ici va tomber à foison ;
Je vois venir à l'horizon
L'hiver et son triste cortège.
Eh bien, quand dehors rugira
La sombre voix de la tempête,
Je n'aurai qu'à lever la tête,
Et ton tableau me sourira.
LES PINS DE NICOLET
A Mlle M. C.
O mes vieux pins touffus, dont le tronc centenaire
Se dresse, défiant le temps qui détruit tout,
Et, le front foudroyé d'un éclat de tonnerre,
Indomptable géant, reste toujours debout !
J'aime vos longs rameaux étendus sur la plaine,
Harmonieux séjours, palais aériens,
Où les brises du soir semblent à chaque haleine
Caresser des milliers de luths éoliens.
J'aime vos troncs rugueux, votre tête qui ploie
Quand le sombre ouragan vous prend par les cheveux,
Votre cime où se cache un nid d'oiseau de proie,
Vos sourds rugissements, vos sons mystérieux.
Un soir, il m'en souvient, distrait, foulant la mousse
Qui tapisse en rampant vos gigantesques pieds,
J'entendis une voix fraîche, enivrante, douce,
Ainsi qu'un chaut d'oiseau qui monte des halliers.
Et j'écoutai rêveur. . . et la note vibrante
Disait : Ever of thee! — C'était un soir de mai ;
La nature était belle, et la brise odorante. . .
Tout insufflait l'ivresse en mon cœur désarmé.
O mes vieux pins géants, dans vos concerts sublimes,
Redites-vous parfois ce naïf chant d'autour
Qui résonne souvent dans mes rêves intimes,
Comme un écho lointaiu de mes bonheurs d'uu jour \
Puissé-je, un soir encor, sous vos sombres ombrages,
Rêver en écoutant vos bruits tumultueux
Ou vos longues clameurs, quand l'aile des orages
Vous secoue en tordant vos bras majestueux !
Malheur à qui prendra la hache sacrilège
Pour mutiler vos flancs par de mortels affronts !. . .
Mais non, ô mes vieux pins, le respect vous protège,
Et des siècles encor passeront sur vos fronts.
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REMINISCOR
A Alphonse Lttsionan
D'un poète aimé j'ai fermé le tome,
Et, pensif, je songe à toi, mon ami ;
Car le souvenir, gracieux fantôme,
Hante bien souvent mon cœur endormi.
Je pense au passé, beaux jours de jeunesse,
Des illusions âge décevant,
Songe passager, temps de folle ivresse,
Flot de poudre d'or qu'emporte le vent !
— 17S —
Nous avions pour nid la même mansarde ;
Le cœur près du cœur, la main dans la main,
Nous allions gaîment. . . Oh ! oui, Dieu me garde
D'oublier ces jours, fleurs de mon chemin !
Je l'aime toujours ce temps de bohème
Où chacun de nous par jour ébauchait
Un roman boiteux, uu chétif poème
Où presque toujours le bon sens louchait.
Oui, je l'aime encor ce temps de folie
Où le vieux Cujas, vaincu par Musset,
S'en allait cacher sa mélancolie
Dans l'ombre où d'ennui Pothier moisissait.
Nos quartiers étaient à peine accessibles
Passable grenier, mais logis mesquin ;
Confuse babel d'objets impossibles :
La toge romaine au dos d'Arlequin !
— 179 —
C'était un spectacle à rompre la rate
Que ce galetas à moitié salon,
Où Scarron faisait la nique à Socrate,
Où Scapin donnait réplique à Solon.
Partout des bouquins et des paperasses,
Croquis et bouquets, fleurets et débris,
Pandémonium d'articles cocasses,
Jonchant au hasard parquets et lambris.
Flanqué d'un cummer et d'une chibouque,
Tout noir au milieu d'un cadre branlant,
Un portrait en cap de monsieur Soulouque,
Faisait la grimace à mon chien Vaillant.
En face, perché sur une corniche,
Un plâtre poudreux nous montrait à nu
Diane chassant avec son caniche
Aux bords de l'Ismène Actéon cornu.
— ISO —
Sur un vieux rayon tout blanc de poussière,
Rabelais donnait le bras à Caton ;
Pascal et Newton coudoyaient Molière,
Gérard de Nerval masquait Duranton.
Il me semble voir la table rustique
Chef-d'œuvre branlant, au pied de travers,
Où nous écrivions en style emphatique
Nos lettres d'amour et uos premiers vers.
Et tous ces amis à la joue imberbe,
Que les soirs d'hiver chez nous rassemblaient,
Ministres futurs, grands hommes en herbe,
Que les noirs soucis jamais ne troublaient !
Gaudemont vantait son Italienne ;
Sur un pan du mur Moreau crayonnait ;
Buteau nous chantait quelque tyrolienne ;
Auger, dans un coin, ratait un sonnet ;
— 181 —
Faucher écrivait pour la Mascarade;
Paul ressuscitait un vieux calembour ;
Cassegrain lisait sa (irand-Tnmciade
A Jack, qui ronflait ainsi qu'un tambour
Henri nous gâchait de la politique ;
Arthur empruntait sa pose à Talrna
Vital aiguisait sa verve caustique,
Et Le May rêveur chantait Séliina.
Il me semble voir la piteuse lippe
Que tu nous faisais quand, tant soit peu gris,
Un profane osait, allumant sa pipe,
Déclarer la guerre à tes manuscrits.
Musique, peinture, amour, poésie,
Jeunesse et gaîté, brillants tourbillons,
Vous nous embaumiez de votre ambroisie
Vous tissiez nos jours avec des rayons !
— 182 —
Et quand venait mai dorer notre chambre,
Ouvrant la fenêtre au printemps vermeil,
Nous respirions l'air tout parfumé d'ambre
Qui venait des prés tout pleins de soleil.
Bientôt, à son tour, adieu la croisée !
Et chaque matin, au sortir du lit,
Nous allions aux champs, malgré la rosée,
Surprendre les fleurs en flagrant délit.
Oh ! qu'il faisait bon aller sous les ormes
Guetter l'alouette au bord des ruisseaux,
Voir glisser la nue aux flocons énormes,
Ecouter chanter les petits oiseaux !
Te souvient-il bien de nos promenades.
Quand, flâneurs oisifs, les cheveux au vent,
Nous allions rôder sur les esplanades.
Où l'on te lançait maint coup d'oeil savant
Tout était pour nous sujet d'aniusettes ;
Sans le sou parfois, mais toujours contents,
Nous suivions aussi le pas des grisettes. . .
Nous rendions des points à Roger Bontemps.
Je t'ai vu souvent faisant pied de grue,
Pour lorgner dans l'ombre un joli chignon,
Ou pour voir comment, traversant la rue,
Une jambe fine orne un pied mignon.
Et nous rêvions gloire, amour et fortuue. . .
Et, comme en rêvant l'homme s'étourdit,
Nous nous découpions des fiefs dans la lune,
Le soir, en allant souper à crédit.
Nous aurions voulu, tant nous sentions battre
D'ardeur et d'espoir nos coeurs de vingt ans,
Ivres de désirs, monter quatre à quatre,
— Fous que nous étions ! — l'échelle du temps.
— 184 —
Nos âmes brûlaient pour la même cause ;
Nos cœurs s'allumaient au même foyer ;
Et, quand arrivait l'heure où tout repose,
Nous nous partagions le même oreiller.
Nos soirs n'avaient point de songes moroses
Tu rêvais à tout ce que nous aimions ;
Moi, je rêvais à . . . mais, comme les roses,
Le souvenir même a ses aiguillons.
Et pourtant celui de ce temps m'enivre...
Beaux jours sans soucis et nuits sans remords,
Où le seul bonheur de se sentir vivre
Remplissait d'émoi nos cœurs jusqu'aux bords !
Mais plus tard, hélas ! le vent de la vie
Sur notre lac pur soufflant sans pitié,
Il fallut quitter la route suivie
Depuis si longtemps par notre amitié !
— 185 —
Petit à petit vinrent les jours sombres :
Chaque lendemain nous désabusait. . .
Mais l'éclair ne luit que mieux dans les ombres ;
A l'or le plus pur il faut le creuset.
Aux réalités il fallut se rendre,
Quand un beau matin l'âge nous parla ;
Il restait encor deux chemins à prendre
Je choisis l'exil, toi l'apostolat.
C'étaient deux billets à la loterie :
Le plus triste lot me fut départi. . .
Le sort me traitait sans cajolerie :
Je lui ris au nez et pris mon parti
Depuis lors, narguant tout ce qui me froisse,
En vrai Paturot passé bonnetier,
J'amasse un pécule, et de ma paroisse
J'aspire à l'honneur d'être marguillier.
— 1S6 —
Je me moralise et j'envoie au diantre
Les refrains grivois du vieux Béranger ;
Je ne chante plus, mais je prends du ventre. .
On nomme cela, je crois, se ranger.
Cependant, le soir, au feu qui pétille,
Quand passe ma main sur mon front lassé,
Souvent à mon œil une larme brille :
Ah ! c'est que, vois-tu, j'aime le passé.
J'aime le passé, qu'il chante ou soupire,
Avec ses leçons qu'il faut vénérer,
Avec ses chagrins qui m'ont fait sourire,
Avec ses bonheurs qui m'ont fait pleurer !
Et puis, à tous bruits fermant ma fenêtre,
Divisant mon cœur moitié par moitié,
J'ai fait pour toujours deux parts de mon être
L'une est au devoir, l'autre à l'amitié !
Chicago, mars 1868
SEUL !
Un jour, errant, perdu dans un désert sans borne,
Un pâle voyageur cheminait lentement ;
Autour de lui dormait la solitude morne,
Et le soleil brûlait au fond du firmament.
Pas une goutte d'eau pour sa lèvre en détresse
Pas un ombrage frais ! pas un souffle de vent !
Nulle herbe, nul gazon ; et la plaine traîtresse
N'offre à son pied lassé que du sable mouvant.
— 188 —
Il avancé pourtant ; mais la route s'allonge ;
Il sent à chaque pas son courage tarir ;
Un sombre désespoir l'envahit quand il songe
Qu'il va falloir bientôt se coucher pour mourir.
Il se roidit en vain sous le poids qui l'accable ;
Il marche encore, et puis s'arrête épouvanté ;
Sur son sein haletant, cauchemar implacable,
Il sent avec effroi peser l'immensité !
Fatigué de sonder l'horizon qu'il implore,
Sans force, il tombe enfin sur le sable poudreux ;
Et son regard mourant semble chercher encore
Les vertes oasis et leurs palmiers ombreux.
Voyageurs égarés au désert de la vie,
Combien de malheureux, vaincus par la douleur,
Dans leur illusion sans cesse poursuivie,
Meurent sans avoir vu l'oasis du bonheur !
LA LOUISIANE
A Mme A. Le Duc.
Pays du soleil où la fantaisie
Sous un ciel doré tourne son fuseau,
Radieux rival de l'Andalousie,
Dont le nom charmant, plein de poésie,
Résonne à mon cœur comme un chant d'oiseau !
Sous tes frais bosquets qu'embaume l'orange,
On sent circuler de vagues aimants ;
Tes lourds bananiers, que la brise effrange,
Semblent frissonner au concert étrange
Qui flotte dans Pair de tes soirs charmants.
— 190 —
Sous tes dômes verts qu'ombre la liane
Rayonnent souvent de grands jeux hardis ;
Et, l'artère en feu, jusqu'à la diane,
Plus d'un Werther veille, ô Louisiane,
Au seuil parfumé de tes paradis.
Et moi, fils du Nord aux hivers moroses,
— Souvenir lointain, mais toujours vainqueur
A ces douces nuits, à ces beaux jours roses,
En rêvant je sens, malgré mes névroses,
Comme une fleur d'or éclore en mon cœur !
A MES COMPATRIOTES
DES ÉTATS-UNIS
Un soir que mon esquif, battu, désemparé,
Au milieu des brisants luttait désespéré
Contre les vents contraires,
J'aperçus un rayon qui sur l'onde flottait
En me montrant la route et le salut ; c'était
Votre phare, ô mes frères !
Or il brille toujours ce foyer rayonnant
Dont la clarté sereine indique à tout venant
Le port après l'orage ;
Il brille, et dans la nuit combien de matelots
Près de sombrer, voyant son reflet sur les flots,
Echappent au naufrage !
— 192 —
Ces feux, ce sont vos cœurs qui les ont allumés,
O vous, qui des plus purs sentiments animés,
Dans votre âme attendrie,
Loin du sol paternel à jamais vénéré.
Gardez le souvenir et le culte sacré
D'une double patrie !
Descendants de la France, et fils du Canada,
Sur la plage étrangère où l'espoir vous guida —
Sans reproche et sans crainte —
Quand du foyer natal le sort vous arrachait,
ATous avez fièrement de ce double cachet
Gardé la double empreinte.
De vos traditions religieux gardiens,
Jaloux d'être à la fois français, et canadiens,
Soyez la sentinelle
D'une race sur qui Dieu se plaît à veiller ;
Et puisse sur recueil toujours au loin briller
De vos signaux amis la lueur fraternelle !
VIEILLE HISTOIRE
And among the dreams of the days that were
I find my lost youth again.
Longfeixow.
C'était un lieu charmant, une roche isolée,
Seule, perdue au loin dans la bruyère en fleur ;
La ronce y rougissait, et le merle sif fleur
Y jetait les éclats de sa note perlée.
C'était un lieu charmant. Là, quand les feux du soir
Empourpraient l'horizon d'une lueur mourante,
En écartant du pied la luzerne odorante,
Tout rêveurs, elle et moi, nous allions nous asseoir.
— 194 —
Ce qui se disait là d'ineffablernent tendre,
Quel langage enchanteur pourrait le répéter ! . . .
La brise se taisait comme pour écouter ;
Des fauvettes, tout près, se penchaient pour entendre.
Propos interrompus, sourires épiés,
Ces serrements de cœur que j'éprouvais près d'elle,
Je me rappelle tout, jusqu'à mon chien fidèle
Dont la hanche servait de coussin pour ses pieds.
O mes vieux souvenirs ! O mes fraîches années !
Quand remonte mon cœur vers ces beaux jours passés,
Je pleure bien souvent, car vous m'apparaissez
Comme un parquet de bal jonché de fleurs fanées.
Le temps sur nos amours jeta son froid linceul. . .
L'oubli vint ; et pourtant — colombes éplorées —
Vers ce doux nid, témoin de tant d'heures dorées,
Plus tard, chacun de nous revint souvent. . . mais seul
— 195 —
Et là, du souvenir en évoquant l'ivresse,
Qui cherchions-nous des yeux? qui nommions-nous tout bas?
— L'un l'autre, direz- vous? — Oh ! non : c'était, hélas !
Le doux fantôme blanc qui fut notre jeunesse !
A UNE ORPHELINE
Heureux le cœur de l'homme à qui Dieu n'a pas
demandé de larmes pour le tombeau d'une mère.
Chs Sainte-Foi.
Dis, mon ange, pourquoi cette pâleur étrange ?
Pourquoi ton doux regard semble-t-il s'attrister ?
La beauté sur ta joue a posé sa main d'ange ;
Tu ne devrais savoir que sourire et chanter.
L'existence, il est vrai, perd bien vite ses charmes
J'ai vu de jeunes fronts blanchis avant le temps ;
Mais l'œil des chérubins ne verse pas de larmes,
Et la bise d'automne est muette au printemps.
— 198 —
Laisse à ton père, à moi, soucis et peine amère,
Fardeau qui bien souvent fait plier nos genoux . . .
Mais, entre deux sanglots, ta lèvre a dit : " Ma mère ! "
Ah ! pauvre ange, pardon : viens pleurer avec nous !
NOELS !
Le lourd battant de fer bondit dans l'air sonore,
Et le bronze en rumeur ébranle ses essieux . . .
Volez, cloches, grondez, clamez, tonnez encore,
Chantez paix sur la terre et gloire dans les cieux
Sous les dômes ronflants des vastes basiliques,
L'orgue répand le flot de ses accords puissants ;
Montez vers l'Eternel, beaux hymnes symboliques,
Montez avec l'amour, la prière et l'encens !
— 200 —
Enfants, le doux Jésus vous sourit dans ses langes
A vos accents joyeux laissez prendre l'essor ;
Lancez vos clairs noëls : là-haut les petits anges
Pour vous accompagner penchent leurs harpes d'or.
Blonds chérubins chantant à la lueur des cierges,
Cloche, orgue, bruits sacrés que le ciel même entend,
Sainte musique, au moins, gardez chastes et vierges,
Pour ceux qui ne croient plus, les légendes d'antan.
Et quand de l'an nouveau l'heure sera sonnée,
Sombre airain, cœurs naïfs, claviers harmonieux,
Pour offrir au Très-Haut l'aurore de l'année,
Orgues, cloches, enfants, chantez à qui mieux mieux !
MESSE DE MINUIT
C'est Noël. Bébé dort sous ses tentures closes,
Kêvant, les poings fermés sur ses yeux alourdis,
De beaux jouets dorés, de fleurs fraîches écloses
Dans les jardins du paradis.
Au dehors on entend des voix ; la foule passe,
Calme, écoutant au loin le clocher plein de bruit
Qui jette sa clameur sonore dans l'espace
A tous les échos de la nuit.
— 202 —
Maîtres et serviteurs, qu'un symbole égalise,
De crainte d'éveiller le bébé rose et frais,
Pieux et recueillis, pour se rendre à l'église,
Passent le seuil à pas discrets.
Il est minuit bientôt. Seule, la jeune mère
Reste auprès du berceau que son amour défend,
Oubliant tout, chagrins, soucis, la vie amère,
Pour ne songer qu'à son enfant.
Il est là sous ses yeux, son trésor, qui sommeille
Innocent et serein, tandis qu'au ciel profond
Resplendit pour lui seul la vision vermeille
Que les blonds chérubins lui font.
La mère enfin se lève, anxieuse, attentive,
Et, dans les petits bas au chevet suspendus,
D'une main tout émue elle glisse, furtive,
Joujoux et bonbons confondus.
Puis, tombant à genoux, jusqu'aux pleurs attendrie,
Plus folle que son fils, plus riche que Crésus,
Murmure en son orgueil : — Comme vous, ô Marie,
J'ai mon petit Enfant-Jésus !
LA POUPEE
CONTE DE NOËL
L'hiver était bien rude, et plus d'un pauvre avait
Vu la fièvre et la faim s'asseoir à son chevet.
A maint foyer, malgré la froidure croissante,
La bûche de Noël, hélas ! était absente.
Que de petits souliers usés et décousus,
Allaient être oubliés par le Petit-Jésus !
Noël ! — La rue était brillamment éclairée ;
Sur les trottoirs glissants une foule affairée
Des magasins ouverts assiégeaient les abords.
Mille objets attrayants s'étalaient au dehors,
En groupes à l'aspect plus ou moins symétrique,
— 206 —
Rutilant sous des flots de lumière électrique.
Partout rire et gaîté ; le givre éblouissant
Semblait chanter joyeux sous le pied du passant ;
Tout paraissait noyé dans des lueurs d'opale.
Un instant, j'entrevis un enfant frêle et pâle,
Un tout petit garçon grelottant, mal vêtu,
Qui battait la semelle, et d'un air abattu
Dévorant du regard un brillant étalage
Des mille riens dorés qui plaisent tant à l'âge
Où l'on n'a pas encor le cœur rassasié.
Le petit mendiant semblait extasié.
J'allais moi-même entrer pour faire quelque emplette :
Jouets d'enfants, menus articles de toilette,
Bibelots si charmants à donner ce jour-là,
Lorsque, le cœur serré, j'entends crier :
— Holà !
Au voleur! Qu'on l'empoigne!. . . Oh! l'affreux misérable!
A l'aide !. . .
En un instant la foule inexorable
Avait appréhendé le délinquant ; c'était
Le malheureux gamin. Hagard, il haletait
— 207 —
Au poignet d'un sergent et sous l'âpre huée,
Tandis que sa main gourde et mal habituée
Au métier de l'opprobre essayait gauchement,
Sous les lambeaux troués d'un pauvre vêtement,
De cacher une raide et pimpante poupée.
Le voleur était pris.
L'âme préoccupée,
Je poursuivis ma route. Or, en rentrant chez moi,
J'embrassai mes enfants, ce soir-là, plein d'émoi ;
Je ne sais trop pourquoi l'action insensée
Du petit inconnu tourmentait ma pensée.
Et quand, la nuit venue, écartant les rideaux,
En tapinois j'allai déposer mes cadeaux,
Je revis — un hoquet de toux à la poitrine —
L'enfant déguenillé penché vers la vitrine.
Je le vis tout tremblant, avec avidité,
Porter sa main transie à l'objet convoité,
Entr'ouvrir les haillons qui le couvraient à peine,
L'y cacher, et soudain fuir à perte d'haleine.
Puis la police, puis le procès, la prison. . .
Enfin le déshonneur, le deuil à la maison !
14
Une première faute. . . un orphelin peut-être. . .
Malgré moi je plaignais le pauvre petit être ;
Si bien que je ne sais quel prétexte banal
Me conduisit deux jours plus tard au tribunal.
Entre deux vagabonds et deux filles de bouges
Le petit comparut livide et les yeux rouges.
Son histoire était courte et triste. Cet enfant,
Hélas ! était de ceux que la loi ne défend
Qu'à regret, dirait-on ; classe déshéritée
De malheureux sans pain, n'ayant que la dictée
De leur cœur, ici-bas, pour supporter leur lot.
Trois ans auparavant, frappé par un ballot
Qu'il arrimait à bord d'un brick faisant escale,
Son père était tombé sans vie à fond de cale.
Et la mère avait dû, de saison en saison,
Peiner pour apporter du pain à la maison.
Lui-même — le petit — avait payé sa dette
A la famille, ayant gardé sa sœur cadette,
Lorsque la mère allait travailler au dehors.
Et puis la maladie était venue ; alors
Il avait à son tour dû chercher de l'ouvrage.
Tout ce qu'un pauvre enfant peut avoir de courage,
Il l'avait dépensé sans plainte, avec douceur,
Pour sa mère clouée au chevet de sa sœur. . .
Ce soir-là même, ayant vu pleurer la petite
En songeant à Noël, il était sorti vite,
Et, le cœur gros, avait à mainte porte osé
Mendier un cadeau qu'on avait refusé. . .
— C'est pour elle, Monsieur, oui, pour ma sœur mourante
Que j'ai volé, dit-il, d'une voix déchirante ;
C'est la première fois !
Et l'enfant, à ces mots,
Se cacha le visage, et, fondant en sanglots,
S'affaissa lourdement sur la banquette infâme.
Et je sortis, plaignant dans le fond de mon âme
Les juges — leur devoir veut quelquefois cela —
Condamnés à punir de ces criminels-là.
LE PREMIER DE L'AN
C'est le premier de l'An ! Allégresse partout !
On s'aime, on se caresse, on s'embrasse, on se choie.
Mais le premier de l'an, pour les petits surtout,
Est un jour d'ineffable joie.
Pour les enfants la vie est un céleste accord ;
Chaque nouvelle année au bonheur les invite :
A cet âge naïf on ne sait pas encor
Combien le temps s'envole vite.
Pour eux point de soucis, nul chagrin n'est profond ;
Ces cœurs que rien ne blesse ont en eux leur dictame
Et pourtant qui dira ce qui se passe au fond
Quelquefois de la petite âme ?
Je connais des parents qui, sur leur seuil joyeux,
Ayant vu s'arrêter le spectre au front livide, —
Des sanglots plein la voix, des larmes plein les yeux,
Se penchent sur un berceau vide.
Le pauvre ange est parti, par la mort emporté ;
— Pères qui m'entendez, Dieu vous garde les vôtres !
Ils ne blasphèment pas, non, car en sa bonté
Le ciel leur en a donné d'autres.
Tous trois sont là, groupés au milieu de monceaux
De cadeaux radieux, — bonbons, tambours, épées,
Chevaux de bois, soldats de plomb, frêles berceaux
Où dorment de roses poupées.
— 213 —
Oh ! les bons cris de joie ! oh ! la franche gaîté ! . . .
Doux échappés du ciel, qui donc pourrait décrire
Ce timbre d'innocence et de sérénité
Qui sonne en votre éclat de rire !
Le cœur gonflé, le père ose à peine parler ;
Et, tandis qu'autour d'eux le frais essaim se joue,
La pauvre mère est là, triste, et qui sent couler
Deux grosses larmes sur sa joue.
— Allons, dit le brave homme, en couvrant de baisers
Les petits innocents à la voix de mésanges,
Ces jouets sont à vous ; prenez et divisez
Entre vous trois, mes petits anges.
Or, comme l'on faisait quatre parts, étonné :
— Pour qui, dit le papa, cette autre part entière ?
Et, levant ses grands yeux : — C'est, répondit l'aîné,
Pour petit frère au cimetière !
m<* té^'
LE JOUR DES ROIS
Voici les Rois. La joie est vive à la maison.
De la cuisine on sent comme une exhalaison
De mets appétissants, de choses succulentes ;
Ustensiles brunis, lames étincelantes
Au fumet des pâtés, au parfum des rôtis,
En tintements joyeux mêlent leur cliquetis.
Dans la salle à manger tout prend un air de fête
Sur la nappe qui luit la vaisselle s'apprête ;
Au salon quelqu'un joue un air étourdissant ;
Le lustre du plafond rutile incandescent,
Et met des plaques d'or sur les argenteries.
La porte entre-bâillée a des chuchoteries
Au rythme clair et gai comme un allegretto.
C'est la voix des petits qui parlent du teau,
Du gâteau merveilleux à la croûte dorée,
A la mie odorante, et qui, pour la soirée,
Désignera bientôt, dans ce groupe enfantin,
La reine du hasard et le roi du destin.
Ils sont là, frères, sœurs, et cousins et cousines,
Petits voisins avec les petites voisines,
Rieurs et babillards, tapageurs, triomphants...
Oh ! les moments bénis que ces fêtes d'enfants !
— Je serai roi, dit Paul.
— Et moi, je serai reine !
Dit Louise.
— Attendez, c'est moi la souveraine !
S'écrie Héva ; j'aurai des tas de bijoux d'or.
— Moi, fait Joseph, j'aurai tout plein le corridor
De soldats.
— Pas du tout, dit Albert qui s'approche ;
C'est moi le roi : j'aurai des bonbons plein ma poche
— 217 —
— Non, non !
— Si ! si !
Les voix se taisent tout à coup
On venait de frapper à la porte ; et, debout
Au dehors, un enfant apparaissait dans l'ombre,
Grelottant et tendant la main dans la nuit sombre.
Cette apparition ne dura qu'un instant.
— Allons, cria le père ; à table, on nous attend !
Il ne faut pas laisser froidir ces bonnes choses.
Et tous ces blonds minois et ces figures roses,
Fous de joie, et d'un même objet préoccupés,
Autour du gai festin furent bientôt groupés.
On avait fait des plats l'inspection sommaire ;
Lorsque, tout étonnée :
— Hein ! voyons, dit la mère,
Qu'a-t-on fait du gâteau des Rois ?
Tout aussitôt,
Chacun de s'écrier :
— Où donc est le gâteau ?
— Mais je viens de le mettre ici, répond la bonne.
— 218 —
— Plus de gâteau ! reprend le père ; elle est bien bonne
Qu'est-il donc devenu ? Quelqu'un l'aurait-il prie ?
Et les petits enfants protestent tout surpris.
Seule, Jeanne, en son coin, semblait, toute confuse,
Vouloir se dérober ou chercher une excuse.
— Toi, Jeanne ? . . .
Et la petite avoue en bégayant :
— Je l'ai donné tantôt au petit mendiant !
Et le papa charmé, que l'aveu rassérène :
— Viens m'embrasser, dit-il, Jeanne ; c'est toi, la reine !
RENOUVEAU
Mais il en est de nous comme de toutes fleure.
Emile Diaz.
Regardez mourir la rose épuisée !
Plus de frais parfums, plus d'éclat vermeil.
Pour rendre la vie à la fleur brisée,
Que faudrait-t-il donc ? — Un peu de rosée,
Un peu de soleil.
De même, ici-bas, la vie a des stages,
Où, meurtri, froissé, le cœur se flétrit ;
Ainsi que la fleur, l'âme a ses orages ; —
Mais qu'un doux rayon tombe des nuages,
Et tout refleurit !
IMPROMPTU
(à bord du Québec, le 2 juillet 1S66.)
Le Couchant luit là-bas comme un vaste incendie ;
Le soleil sur les flots sème un rayon mourant ;
Les derniers bruits du jour chantent leur mélodie ;
Et, dressant fièrement sa carène hardie,
Le Québec fend au vol les eaux du Saint-Laurent.
Le long panache dont sa tête est couronnée
Déroule dans les airs ses ondoyants réseaux ;
Il tourmente à grand bruit la vague déchaînée. . .
Il passe, il fuit, laissant une longue traînée
Noire dans le ciel pur et blanche sur les eaux.
O fleuve, qu'ils sont loin les jours où nul servage
N'avait encor dompté ton orgueil éclatant ;
Où de légers wigwams ornaient seuls ton rivage
Où tu n'avais bereé sur ta houle sauvage
Que la frêle pagaie et le bouleau flottant !
Penchant leur front pensif sur ton urne qui gronde,
O vieux Niagara, qu'ont donc dit tes forêts,
En voyant, jusqu'au fond de ta grotte profonde,
Ta sombre royauté crouler comme ton onde,
Et s'incliner devant le sceptre du progrès ?
A Mme F.-X. LEMIEUX
A l'occasion de la naissance de sa fille Juliette,
quatorzième enfant de la famille.
Madame, au Dieu d'amour qui féconde le nid,
Le doux nid des mésanges,
Il a plu de peupler votre foyer béni
De bien des petits anges.
Treize ! rangés autour d'une table, c'était
Déjà tout un poème ;
Mais vous avez voulu, croyant qu'on en doutait,
Y joindre un quatorzième.
— 224 —
Pourquoi donc, a-t-on dit, à ce groupe coquet
Ajouter quelque chose ?
Ah ! c'est que vous vouliez couronner le bouquet
Par un bouton de rose !
EPILOGUE
A vingt ans, poète aux abois,
Quand revenait la saison rose,
J'allais promener sous les bois
Mon cœur morose.
A la brise jetant, hélas !
Le doux nom de quelque infidèle,
Je respirais les frais lilas
En rêvant d'elle.
Toujours friand d'illusions,
Mon cœur, que tout amour transporte,
Plus tard à d'autres visions
Ouvrit sa porte.
— 226 —
La gloire, sylphe décevant
Si prompt à fuir à tire-d'aile,
A son tour m'a surpris souvent
A rêver d'elle.
Mais maintenant que j'ai vieilli,
Je ne crois plus à ces mensonges :
Mon pauvre cœur plus recueilli
A d'autres songes.
Une autre vie est là pour nous.
Ouverte à toute âme fidèle :
Bien tard, hélas ! à deux genoux,
Je rêve d'elle !
FIX
des Feuilles Volantes.
OISEAUX DE NEIGES
(CENT ET UN SONNETS)
Un simple amusement d'esprit dont je m'excuse.
JOSÉPHIN SOULAKY.
PROLOGUE
Pauvres oiseaux, voua voilà pris I
PROLOGUE
Quand le rude Equinoxe, avec son froid cortège,
Quitte nos horizons moins inhospitaliers,
Sur nos champs de frimas s'abattent par milliers
Ces visiteurs ailés qu'on nomme Oiseaux de neige.
De graines nulle part, nul feuillage aux halliers.
Contre la giboulée et nos vents de Norvège,
Seul le regard d'en haut les abrite, et protège
Ces courriers du soleil en butte aux oiseliers.
— 234 —
Chers petits voyageurs, sous le givre et la grêle,
Vous voltigez gaîment, et l'on voit sur votre aile
Luire un premier rayon du printemps attardé.
Allez, tourbillonnez autour des avalanches j
Sans peur, aux flocons blancs mêlez vos plumes blanches
Le faible que Dieu garde est toujours bien gardé.
PAYSAGES
Tout palpite aux baisers du soleil.
Théod. de Banville.
237
LES MILLE-ILES
Massifs harmonieux, édens des flots tranquilles,
D'oasis aux fleurs d'or innombrables réseaux,
Que la vague caresse et que les blonds roseaux
Encadrent du fouillis de leurs tiges mobiles.
Bosquets que l'onde berce au doux chant des oiseaux,
Des zéphirs et des nids pittoresques asiles,
Mystérieux et frais labyrinthe, Mille-Iles,
Chapelet d'émeraude égrené sur les eaux.
Quand la première fois je vis, sous vos ombrages,
Les magiques reflets de vos brillants mirages,
Un chaud soleil de juin dorait vos verts abris ;
D'enivrantes senteurs allaient des bois aux grèves ;
Et je crus entrevoir ce beau pays des rêves
Où la sylphide jongle avec les colibris.
— 238 —
Chantons les vastes flots : tous les bardée du monde
Ont chanté les flots gracieux.
Aug. Barbieb.
LE NIAGARA
L'onde majestueuse avec lenteur s'écoule ;
Puis, sortant tout à coup de ce calme trompeur,
Furieux, et frappant les échos de stupeur,
Daus l'abîme sans fond le fleuve immense croule.
C'est la Chute ! son bruit de tonnerre fait peur
Même aux oiseaux errants, qui s'éloignent en foule
Du gouffre formidable où l'arc-en-ciel déroule
Son écharpe de feu sur un lit de vapeur.
Tout tremble ; en un instant cette énorme avalanche
D'eau verte se transforme en monts d'écume blanche,
Farouches, éperdus, bondissant, mugissant. . .
Et pourtant, ô mon Dieu, ce flot que tu déchaînes,
Qui brise les rochers, pulvérise les chênes,
Respecte le fétu qu'il emporte en passant.
16
240
Nous montâmes longtemps par des marches croulantes.
Joseph Kousse.
LES "MARCHES NATURELLES
Encaissé dans un lit aux arêtes rugueuses,
Entre deux pans abrupts rongés par le courant,
Tout au fond d'un ravin sinueux, le torrent,
Avec un bruit confus, roule ses eaux fougueuses.
Du rivage escarpé jusqu'au bois odorant,
Dont l'ombre couvre au loin ces grèves rocailleuses,
Des gradins encadrés de sapins et d'yeuses,
Taillés dans le granit, s'élèvent rang par rang.
Mystérieux degrés, colossales assises,
Vastes couches de roc bizarrement assises,
Dites, n'êtes-vous pas les restes effondrés
D'une étrange Babel aux spirales dantesques,
Ou bien quelque escalier aux marches gigantesques
Bâti pour une race aux pas démesurés ?
1871
242 —
ne au milieu de la funèbre enceinte.
Xavier Marmier.
LE CAP TRINITE
C'est un bloc écrasant dont la crête surplombe
Au-dessus des flots noirs, et dont le front puissant
Domine le brouillard, et défie en passant
L'aile de la tempête et le choc de la trombe.
Enorme pan de roc, colosse menaçant
Dont le flanc narguerait le boulet et la bombe,
Qui monte d'un seul jet dans la nue, et retombe
Dans le gouffre insondable où sa base descend.
Quel caprice a dressé cette sombre muraille ?
Caprice ! qui le sait ? Hardi celui qui raille
Ces aveugles efforts de la fécondité !
Cette masse nourrit mille plantes vivaces ;
L'hirondelle des monts niche dans ses crevasses ;
Et le monstre farouche a sa paternité.
1873
De l'horrible Seylla les meutes aboyantes.
LE MONTMORENCY
Au détour du courant où le flot qui la ronge
Embrasse les contours de l'Ile d'Orléans,
Comme une tombe énorme, entre deux géants,
La blanche cataracte au fond du gouffre plonge.
Indicibles attraits des abîmes béants !
Imposantes rumeurs que la brise prolonge !
Lourds flocons écumeux qui passez comme un songe,
Et que le fleuve emporte aux mornes océans !
Spectacle saisissant, grandiose nature,
A vous interroger quand L'esprit s'aventure,
On retombe sans fin dans un trouble nouveau ;
Le bruit, le mouvement, le vide, le vertige,
Tout cela va, revient, tourbillonne, voltige,
Ivre et battant de l'aile aux voiites du cerveau.
1865
Une goutte de ciel, un beau lae dune lieue.
Lacke.nt-Pichat.
LE LAC DE BELŒ1L
A Mlle C. D.
Qui n'aime à visiter ta montagne rustique,
O lac qui, suspendu sur vingt sommets hardis,
Dans ton lit de joncs verts, au soleil resplendis,
Comme un joyau tombé d'un écrin fantastique ?
Que] mystère se cache en tes flots engourdis ?
Ta vague a-t-elle éteint quelque cratère antique '
Ou bien Dieu mit-il là ton urne poétique
Pour servir de miroir aux saints du paradis ?
Caché comme un ermite en ces monts solitaires.
Tu ressembles, ô lac, à ces âmes austères
Qui vers tout idéal se tournent avec foi.
Comme elles aux regards des hommes tu te voiles
Calme le jour, le soir tu souris aux étoiles. . .
Et puis il faut monter pour aller jusqu'à toi.
1S71
— 249 —
LE SAGUENAY
Cela forme deux rangs de massifs promontoires,
Gigantesque crevasse ouverte, aux premiers jours,
Par quelque cataclysme, et qu'on croirait toujours
Prête à se refermer ainsi que des mâchoires.
Au pied de caps à pic dressés comme des tours,
Le Saguenay profond roule ses ondes noires ;
Parages désolés pleins de mornes histoires,
Fleuve mystérieux plein de sombres détours.
Rocs foudroyés, sommets aux pentes infécondes,
Sinistres profondeurs qui défiez les sondes,
Vaste mur de granit qu'on nomme Eternité,
Comme on se sent vraiment chétif, quand on compare
A vos siècles les ans dont notre orgueil se pare,
Et notre petitesse à votre immensité !
1875
médite.
Aug. Genin,
251
LE CAP TOURMENTE
Robuste, et largement appuyé sur sa base,
Le colosse trapu s'avance au sein des tlots ;
Sur son flanc tout couvert de pins et de bouleaux
Un nuage s'étend comme un voile de gaze.
Sur son vaste sommet, de merveilleux tableaux
Se déroulent devant le regard en extase ;
Et vous suivez des yeux chaque voile qui rase,
Dix-huit cents pieds sous vous, le fleuve aux verts ilôts.
Autrefois c'était là presque un pèlerinage.
Un jour, il m'en souvient, collégiens en nage,
Nous gravîmes gaîment ses agrestes sentiers.
Je crois revoir encor notre dîner sur l'herbe
Qui tapisse ta croupe immense, ô mont superbe ;
Et je rêve à l'aspect de tes plateaux altiers.
L'impétueux torrent s'écoule.
LE RAPIDE
L'eau qui se précipite en énorme volume,
Heurtant l'angle des rocs sur leur base tremblants,
Avec de longs cris sourds roule en tourbillons blancs :
C'est le fleuve qui prend sa course dans la brume.
Comme un cheval fougueux dont on saigne les flancs,
Il se cabre d'abord, puis court, bondit, écume,
Et va dans le lointain cacher son flot qui fume,
Sous le rocher sonore ou les grands bois ronflants.
De partout l'on entend monter des clameurs vagues ;
On voit de gros oiseaux pêcheurs suivre les vagues
De remous en remous, plongeant et tournoyant ;
Par un dernier effort cramponnés au rivage,
De vieux troncs rabougris penchent leur front sauvage,
Noirs fantômes, au bord de l'abîme aboyant.
1870
0 lac, rochers muets, grottes, forêt obscure.
Lamartine.
— 255
LE LAC DE BEAUPORT
O frais miroir ! Sa nappe humide se découpe
Dans les sables un lit paisible au creux d'un val ;
Des montagnes lui font un cadre sans rival,
Et dans son flot dormant doublent leur ronde croupe.
Sur la rive, un balcon d'aspect oriental
Emerge d'un massif d'érables qui se groupe
Au fond de l'anse où dort une svelte chaloupe
Dont le flanc touche à peine au limpide cristal.
C'est le lac de Beauport, ce joyau solitaire,
Ce petit coin béni, ce paradis sur terre,
Ce croquis merveilleux, ce délicat pastel,
Où la blonde légende, en repliant ses voiles,
Laissa tomber, avant de monter aux étoiles,
De sa robe d'azur un reflet immortel.
1864 17
256 —
Lee tribus d'alentour n'en pariaient qu'en tremblant.
Emile Chevé.
— 257 —
CAUGHNA WAGA
C'est le dernier soupir d'un monde agonisant.
Venez voir ces débris des antiques peuplades,
Anciens rois du désert, terribles ancelades
Ecrasés sous le poids des choses d'à présent.
Arrêtons-nous ici, non loin de ces cascades.
Regardez ce hameau qui n'a rien d'imposant.
C'est là . . . Dire qu'on peut visiter en causant
Ces lieux témoins de tant de fauves embuscades . . .
Est-ce notre regard ou l'histoire qui ment ?
Qu'êtes-vous devenus, guerriers roux des prairies,
Farouches Iroquois ? — O désappointement !
Sans même recourir aux moindres jongleries,
Le chef de la tribu, marchand d'épiceries,
Avec l'accent anglais nous parle bas-normand.
Oh ! le jardin, le parc, la colline, la plaine,
Le3 sentiers, les oiseaux dont la feuillée est pleine.
259 —
SPENCER WOOD
En amont de Québec, on fait la découverte
D'un pavillon tout blanc coquettement posé
Sur l'angle à pic d'un roc au long flanc ardoisé,
Et donc la large épaule est de grands pins couverte.
Plus loin, s'il plonge un peu sur le sommet boisé,
L'œil aperçoit, au fond d'une clairière verte,
Une altière villa dont la porte entr'ouverte
Dresse droit devant vous son tympan pavoisé.
Vaste piazza, sentiers fleuris, fraîches ramures,
Bosquets pleins de parfums, d'oiseaux et de murmures,
Site revu souvent, et toujours contemplé !
C'est Spencer Wood, joli tableau, riant poème,
Foyer que la Patrie offre à son chef suprême,
Et qui jamais ne fut plus noblement peuplé.
1876
Tout cérémonial est banni de ces lieux.
Colin d'Hablevuxe.
— 261 —
LE BOIS DE LA ROCHE
A mon ami, M. le sénateur Forget.
Voici le flot jaseur ; le castel est tout proche,
Encadré de jardins, de bosquets, de maquis ;
Un grand peintre en ferait un ravissant croquis :
Cet asile enchanté, c'est le Bois de la Roche.
Au seuil où nous attend l'accueil le plus exquis,
Un groupe radieux sourit à notre approche ;
On sent comme un fumet de faisans à la broche ;
Sommes-nous au manoir d'un duc ou d'un marquis ?
Nenni ! c'est mieux : ici, vous êtes chez un homme
Que vénère le pauvre et que le riche nomme
D'un nom fier que jamais nul souffle n'a terni.
Un sage ! sous son toit tout charme et tout repose ;
C'est la simple amitié qui vous reçoit sans pose
Près d'un heureux foyer que le ciel a béni.
1902
202
Là vous évoquerez les héros et les sages ;
Vous y respirerez leur âme et leur vertu.
V. DE LArRAPE.
— 263 —
M O X ï E B E L L O
Pittoresque manoir, retraite hospitalière
Où Papineau vaincu coula ses derniers jours,
J'aime à revoir tes murs, ta terrasse, tes tours
Secouant au soleil leur panache de lierre.
Qui suit de tes sentiers la courbe irrégulière,
En s'égarant sous bois, s'imagine toujours
Voir, dans le calme ombreux de leurs secrets détours,
Glisser du grand tribun l'image familière.
Car il vit tout entier ici — dans chaque objet ;
Il aimait ce fauteuil, cet arbre l'ombrageait ;
Tout nous parle de lui, tout garde sa mémoire ;
Et, pour suprême attrait, sur ce seuil enchanté,
Le cœur tout grand ouvert, la Grâce et la Beauté
Ajoutent leur prestige aux souvenirs de gloire.
1885
264 —
Ses tours ont conservé leur sombre majesté.
Camtllb Delthtl.
LONGEFONT
Château de Prosper Blanchemain.
Ce fut, dit-on, jadis un paisible couvent
Coquettement caché sur les bords où la Creuse
Avec un bruit d'écluse, en serpentant se creuse
Un lit sonore et frais sous le saule mouvant.
Des grands arbres perçant la voûte ténébreuse,
6a tour jumelle luit sous le soleil levant. . .
Je ne l'ai jamais vu, mais en rêve souvent
J'ai suivi les détours de son allée ombreuse.
Près du parterre en fleurs, un homme au front serein,
Où le génie a mis son cachet souverain,
Contemple avec amour l'ange de sa famille ;
Son fils est là, tout près, qui se penche à demi
Sur trois gais chérubins jouant sous la charmille. . .
Je n'en connais aucun, mais je suis leur ami.
1878
Il voulait se construire un agréable a^ile.
GILL'MONT
A Mme R. Forget.
Cette villa qui brille au soleil, et dessine
Sur le fond vert des bois ses paradis rêvés,
Cette villa qui tient les regards captivés
Vous fait bien des jaloux, nia charmante cousine.
Pour orner ce palais féerique, vous avez,
Nous a-t-on dit, au fond de la forêt voisine,
Précieux talismans par hasard retrouvés,
Dérobé les secrets de quelque Mélusine.
On prétend, à l'appui, qu'autour du gai manoir,
Une baguette en main, sitôt que vient le soir,
Une femme apparaît de longs voiles coiffée ;
Mais, moi qui vous connais, je sais, même de loin,
Que pour charmer ainsi vous n'avez eu besoin
Du secours de personne, et que c'est vous, la fée !
1902
Chacun peut a toute heure
Certain d'être accueilli aborder ma demeure.
CASTEL-BIRA Y
Villa de M. Paul Blanehemain.
C'est un frais manoir aux formes exquises
Dont le toit domine un flot de bosquets,
Un joli castel aux abords coquets
Qui feraient envie à bien des marquises.
Le bonheur, ami des abris discrets
Si précieux toujours aux âmes éprises,
Sait ménager là de douces surprises,
Qui disent au cœur de charmants secrets.
Voyageur, ici reposez votre aile.
En apercevant la blanche tourelle,
Lorsque le soir tombe ou que le jour point,
Le passant, charmé, s'arrête à mi-côte,
Et se dit tout bas qu'on la fit si haute
Pour que l'amitié la vît de plus loin.
1880
270
Là, ceinte d'une haie et de pampre couverte.
Dans un pli sinueux de la colline verte.
Se révèle de loin ta riante maison.
Francis Pittié.
LE PLATON
Sa double vérandah couronne un monticule,
Que la montagne porte à son flanc adossé ;
On l'aperçoit du large, à mi-côte exhaussé,
Au pied du rocher sombre où sa masse s'accule.
C'est un château qui n'a ni herse ni fossé ;
Une simple charmille autour de lui circule ;
Mais quand le tout se dore aux feux du crépuscule,
C'est un tableau superbe et largement brossé.
De grands arbres touffus pleins de lumière et d'ombre,
Rejoignant les arceaux de leurs rameaux sans nombre,
Font à la villa blanche un dais aérien.
La porte ouverte anime encor le paysage :
Entrons ! c'est le foyer hospitalier d'un sage,
D'un aimable convive, et d'un grand citoyen.
AMITIES
Le passé nous est cher, et c'est pour qu'il renaisse
Que l'Ame émue évoque un souvenir lointain.
Pamphile Le May.
275
A PAMPHILE LE MAY
Ami, sur le flot noir ou la vague opaline,
Naïfs fervents du Eêve ou jouets du Destin,
Bien longtemps nous avons vers un port incertain
Ouvert la même voile à la brise féline.
Comme il est loin déjà notre premier matin !
Voici qu'à l'horizon notre soleil décline ;
Et, voyageurs lassés, du haut de la colline,
Nous tournons nos regards vers le passé lointain.
Là, calme radieux, ailleurs bourrasque sombre !
Chimère qui sourit, espoir trompeur qui sombre,
Joie ou peine, chacun réclamait sa moitié.
Et, que le vent fût doux, ou battît notre toile,
Jamais ne s'obscurcit pour nous la double étoile
Du saint amour de l'Art et de notre amitié.
1904
.'70.
Cœurs dignes de sentir le prix de l'amitié,
Retenez cet ancien adage :
Le tout ne vaut pas la moitié !
Floriax.
— 277 —
AMITIE
Je connais un petit ange
Lequel n'a jamais mouillé
Sa blanche robe à la fange
Dont notre monde est souillé.
C'est lui qui donne le change
Au pauvre cœur dépouillé
Que l'amour, vautour étrange,
D'un bec cruel a fouillé.
Cet ange, qui vous ressemble,
Sous son aile nous rassemble :
C'est la divine Amitié.
Son regard est doux et calme ;
Il m'offre sa chaste palme. . .
En voulez-vous la moitié ?
Entrez, c'est mon neveu !
A. Dusolier.
279
A M. LOUIS HERBETTE
C'est Paris, saluons la grande capitale
Où tout ce qu'on rêva se trouve réuni ;
Où merveille partout sur merveille s'étale,
Antique Eden par l'art sans cesse rajeuni.
Eloignons-nous un peu de la ville centrale ;
Et sur ce seuil discret, élégant et béni,
Laissons nos cœurs émus battre la générale :
Nous sommes au dix sept, boulevard Fortuny.
Ici le froment pur ne connaît pas l'ivraie :
Sous ce toit, c'est la France, et c'est la France vraie !
C'est la vertu civique à trente-six carats !
On y retrouve à fond nos fraternels usages,
Des cœurs tout grand ouverts et de charmants visages-
Canadiens, entrez tous : l' Oncle vous tend les bras.
1902
Bientôt, vous compterez, Estelle, vingt-cinq ans.
Hentu Dottin.
281
A LISETTE
Enfant d'Alphonse Lusiguan.
Lisette, tu n'es plus le bébé d'autrefois,
Le bébé frétillant, beau lutin frais et rose,
Agaçant diablotin dont le rire et la voix
Ont souvent déridé mon front grave ou morose.
Tout est plus sérieux dans ton air, dans ta pose ;
Avant de t'embrasser, lorsque je te revois,
Il faut qu'en mon esprit je groupe et recompose
Mes souvenirs lointains qui s'égarent parfois.
Avouons le tout court, tu deviens grande fille.
Cela te fait sourire, et ton œil qui pétille,
Moqueur, semble répondre : " Un beau malheur vraiment ! "
C'est vrai, pardonne-moi ; nous autres, pauvres hommes,
Nous oublions toujours, grands enfants que nous sommes,
■Que ce qui vieillit l'un fait l'autre plus charmant.
— 282 —
premiers rêves !
Lecoxte de Lisle.
— 283
NOCES DE DIAMANT
A M. et Mme C. P"*
O mes chers vieux amis, à l'époque trop brève,
Et pour moi disparue, hélas ! depuis longtemps,
Où l'on voit devant soi l'avenir qui se lève
Comme un soleil joyeux sur l'azur du printemps
Quand j'étais jeune, enfin, j'avais fait ce doux rêve
D'une existence entière — oui, de tous les instants
Aube sans lendemain qui commence et s'achève
Dans la naïveté des amours de vingt ans.
Je ne réclame point. La vie est bonne mère :
Elle mit sur ma route, en brisant ma chimère,
Une assez large part de bonheur en retour ;
Mais sans trouver en rien la destinée injuste,
Je salue, attendri, votre vieillesse auguste
Qui sut réaliser mon beau rêve d'un jour !
>84
Vous qui du Pinde abordez les coteaux.
A Mme ELIZA FRANK
Quand la nuit tombe, — au bord secret des étangs clairs,
Où le flot balancé dans son urne trop pleine
Inonde vaguement de ses pâles éclairs
Un fouillis d'ajoncs verts qui tremble à chaque haleine, —
Avez-vous entendu — voix d'ange ou de sirène —
Animant tout à coup l'ombre des bois déserts,
D'un rossignol ému la cantate sereine
S'élever lentement dans le calme des airs ?
Tout fait silence alors — souffles, soupirs, murmures,
Lyres des soirs que Dieu suspendit aux ramures,
De la brise et des nids colloques enchantés ?. . .
Madame, vous avez de l'oiseau solitaire
L'accent victorieux, et chacun doit se taire
Dans le ravissement sitôt que vous chantez !
1877
286
O vous que j'aperçois passant légère et belle !
Em. Ducros.
A MISS WINNIE HOWELS
Bravant dans ses rigueurs notre zone neigeuse,
Tourterelle échappée à l'Orient vermeil,
Qui donc a dirigé ton aile voyageuse
Vers nos pays du Nord oubliés du soleil ?
Toi dont Venise, au chant de sa lagune heureuse,
Berça le premier rêve et le premier sommeil !
Quel caprice a conduit ta course aventureuse
Vers nos bords où l'été n'a qu'un tardif réveil ?
Oh ! je le sais, enfant ! A la plus pure tlamme
Ton père, doux poète, alluma ta belle âme ;
Et, fier de nous montrer un cœur comme le tien,
Après avoir — conteur à la voix sympathique ! —
Chanté notre pays sur sa lyre exotique,
Il t'i nvoya vers nous pour faire aimer le sien !
19
La noce sera belle et riche galamment.
Jean Richepin.
A M. et Mme E. D.
de leur mariage.
Voici la saison des pervenches :
Par les ravins et les closeaux,
L'ombre palpite sous les branches,
Les rayons dorment sur les eaux.
Les pommiers sont en robes blanches
Pan soupire dans les roseaux ;
C'est l'Eté qui prend ses revanches :
Mariez-vous, petits oiseaux !
La vie est belle à son aurore ;
Mais la rose qui vient d'éclore
Peut perdre en un jour sa couleur.
Pour mieux fixer la destinée,
Voici la saison fortunée :
Mariez-vous, jeunesse en fleur !
Hier, en voyant une hirondelle
Que nous remenait le printemps .
Hentji Mtjrger.
291
LE PEINTE M PS
Voici le Printemps, la saison des roses.
Plus de rameaux nus, de gazons jaunis ;
Plus de froids matins ni de soirs moroses :
Voici le Printemps et ses jours bénis.
Voici le Printemps : aux fleurs demi-closes
La brise qui vient des bois rajeunis
Murmure tout bas de divines choses. . .
Voici le Printemps, la saison des nids.
Enfant, tout cela chez vous se révèle ;
Chez vous, comme au sein de la fleur nouvelle,
La coupe d'ivresse offre sa liqueur.
Pour vous nul besoin que le temps renaisse :
Vous avez la vierge et sainte jeunesse ;
C'est votre printemps, la saison du cœur.
1874
292
C'est leur premier enfant, c'est leur premier garçon.
AutraN.
A LUCIEN
Enfant de M. Chs Langelier.
Enfant, sous les langes de toile
Dont s'enveloppe ton sommeil,
Dis-nous, à ton premier réveil,
Le doux mystère qui te voile.
Dis, quelque chérubin vermeil
T'a-t-il apporté dans son voile ?
Es-tu le reflet d'une étoile ?
N'es-tu qu'un rayon de soleil ?
Et. le petit que l'on adore,
De son regard que le ciel dore,
De son regard tendre et vainqueur,
Répond : — Je suis l'être éphémère
Né du sourire de ma mère
Reflété dans un noble cœur.
1884
Amours ! amour ! et sur leurs fronts que tu courbas,
Fais ruisseler la pourpre extatique des roses.
Latjrent Tatlhade.
CINQUIÈME ANNIVERSAIRE DE MARIAGE
A Mme J. R. Tiiibaudeau.
Madame, dans la longue et brillante série
Des bonheurs radieux que Dieu vous a donnés,
Vous avez, comme nous, des moments fortunés,
Plus ou moins caressants pour votre àme attendrie.
Or l'instant le plus beau — minute, heure fleurie ! —
Dont vos jours si sereins se soient illuminés,
C'est sans doute celui dont — vous me devinez —
Nous venons célébrer la mémoire chérie.
A cette occasion acceptez ce bouquet. —
De roses l'on devrait couvrir votre parquet ;
Mais s'il fallait, ce soir, que l'on vous fît l'offrande
D'une fleur pour chacun des dons qu'on aime en vous,
Madame, nos bouquets, pour les contenir tous,
Jamais votre maison ne serait assez grande.
1885
— 296 —
Les chants lointains sont les plus doux.
Philakète Chasle.
297
A M. DE SIARIT
Quand tous les jours mon cœur vieilli se désenchante,
Pourrais-je ne pas faire un sympathique accueil
A ce frère inconnu dont la pitié touchante
Vient verser de si loin du baume sur mon deuil !
Merci ! quand se gravait, dans une heure méchante,
Le mot désespérance en travers de mon seuil,
Au fond de ma tristesse amère et desséchante,
Merci pour avoir mis cette larme à mon œil !
Dieu d'un sceau différent marqua nos destinées ;
Pour le vol le plus prompt que de longues journées
Des rivages d'Afrique au lointain Canada ! . . .
Mais l'espace dût-il défier la boussole,
Quand la brise m'apporte un mot qui me console,
Je pleure en écoutant son doux surswm corda !
1905
298 —
Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage.
Molière.
A MON AMI ALPHONSE LEDUC
Le jour de son mariage.
Le bonheur de la vie est un fatal problème
Que pour résoudre il faut, son tour venu, savoir,
Comme un hardi joueur, jeter tout son avoir,
Nom, honneur, avenir, sur la carte suprême.
Ce jour aux lendemains que nul ne peut prévoir,
C'est celui qu'on choisit pour dire : — Je vous aime !
A celle qui, changée en un autre vous-même,
Doit tremper votre amour aux sources du devoir.
Ami, le risque est grand ; nul cas rédhibitoire ;
Le destin est au fond de l'urne aléatoire,
Et les arrêts qu'il rend sont les arrêts de Dieu.
Heureux celui qui peut, toute crainte bannie,
Dans le choix de son cœur trouver un bon génie,
Et dire comme toi : — J'ai gagné tout l'enjeu !
1876
300
Sous le moliile archet la corde a retenti.
A JEHIN-PIÏUME
Tu m'as vu bien souvent applaudir, entraîné
Par ta verve attendrie et ta grâce énergique,
Grand artiste inspiré que la noble Belgique,
En talents si féconde, un jour nous a donné.
Quand ton jeu sombre ou doux, caressant ou tragique,
Berçait ou remuait l'auditeur fasciné,
Comme le nerf sonore, ami, j'ai frissonné
Bien des fois sous le coup de ton archet magique.
Et pourtant je sentais que l'ingrat instrument,
Sur lequel tu faisais vibrer si puissamment
Toute la passion qui te couvait dans l'âme,
Comme au poète ardent le rythme au son moqueur,
Ne répondait qu'à peine aux élans de ton cœur. . .
Mais, voyant le reflet, je devinais la flamme.
1886
302
Pays natal, on te retrouve
Plus cher après t'avoir quitté.
Gustave Nadeatj.
A Mme ANGELINA B**
Au beau pays de l'or quel attrait vous enchaîne,
Vous, la plus fraîche fleur de nos cercles aimés,
Vous qu'on ravit un soir à nos regards charmés,
Et qu'on devait nous rendre à la saison prochaine !
Qui sait ? Peut-être, hélas ! qu'en ces lieux embaumés
Où le jour est si pur et la nuit si sereine,
Et puis où vous régnez sans doute en souveraine,
Vous oubliez un peu nos cieux moins parfumés.
Oh ! revenez ! — Là-bas, sur ces rives fleuries,
Plus doux sont les parfums, plus vertes les prairies,
Les bosquets plus touffus, les échos plus charmants ;
Les oiseaux plus dorés ont la voix plus étrange. . .
Mais ici l'on soupire à votre cher nom d'ange :
Nos climats sont plus froids, mais les cœurs plus aimants.
1876 20
— 304
J'adore de tes vers la profonde har
Alex. Pabodi.
— 305 —
A NEREE BEAUCHEMIN
J'aime à gravir les monts sauvages, le matin,
A l'heure harmonieuse et pleine de mystère
Où le brouillard des nuits, rafraîchissant la terre,
Perle en bruines d'or au feuillage du thym.
Et si, du fond du val, quelque timbre argentin
Soudain dans l'air sonore éclate solitaire,
Toutes les autres voix pour moi semblent se taire,
Et j'écoute ravi la chanson du lointain.
Poète, ouvre joyeux l'aile de ton génie,
Chante ! ton chant si pur rompt la monotonie
Des vulgaires accents du grand concert banal ;
Et moi — dont le soleil à l'horizon décline, —
Je veux monter souvent sur la sainte colline,
Pour entendre de loin ton refrain matinal !
Ne peux-tu rallumer en moi l'ancienne flamme ?
Virgile Rossei*
307
A ALFRED GARNEAU
Pourquoi chanter, ami, lorsque l'homme n'écoute
Que le son du métal, et qu'il va, délirant,
Comme un triste insensé, laisser indifférent
Ses lambeaux de croyance aux épines du doute ?
Bien longtemps j'ai voulu résister au torrent,
M'attacher aux rameaux dont s'ombrageait ma route
Mais des illusions le baume goutte à goutte
S'échappa de mon cœur pour suivre le courant.
A bien des chocs cruels ma lyre s'est brisée ;
A lutter sans espoir ma main s'est épuisée ;
J'ai fui le sol mouvant qui manquait sous mon pié ;
Et si, barde vaincu, parfois je chante encore,
C'est qu'il reste en mon âme une corde sonore
Qui vibrera toujours au nom de l'amitié !
1865
308 -
Une image ! une image ! et pourtant elle parle !
Pierre Valade
309 —
A Mine JOSEPH CAUCHON
Madame, vous aimez l'artiste de génie,
Ce sculpteur inspiré dont le ciseau savant
Sut si bien reproduire, en ce marbre vivant,
De vos traits fins et doux la suave harmonie.
Vous l'avez dit : plus tard, quelqu'un viendra souvent,
Pour consoler un peu son âme endolorie,
Relire, ému, devant cette image chérie,
De votre souvenir le poème émouvant. —
Oui, c'est vrai ; mais lors même où, fruit tombé de l'arbre,
Votre fils n'aurait pas ce beau buste de marbre
Pour lui parler de vous et de ses premiers jours,
Il saurait retrouver dans les cœurs, chose rare,
Mieux que vos traits charmants dans ce bloc de carrare,
Votre douce mémoire empreinte pour toujours !
1872
310
Puis, devant tes flots bleus, ô magique Provence. .
E. DE VlLLEDIETT.
— 311 —
A M. DE BERLUC-PERUSSIS,
poète provençal.
Poète, hier, encore, en humant quelques verres
De votre fin muscat de Provence, — frileux,
Je me pris à rêver aux climats fabuleux,
Où l'on retrouve encor la chanson des trouvères.
Souffles tièdes berçant de frais papillons bleus,
Ciel d'azur, rayons d'or, roses et primevères !. . .
Désespérant contraste avec les froids sévères
De nos zones qu'attriste un soleil nébuleux !
De vie et de parfums brises exhubérantes !
Aux chansons des oiseaux forêts toujours vibrantes !
Langue au rythme sonore et plein de nonchaloh- !
Ces horizons vermeils ! cet hiver chimérique ! —
Dites, n'est-ce pas là quelque monde féerique
Où pour être poète on n'a qu'à le vouloir ?
1878
— 312 —
Qu'aimable est la vertu que la grâce environne !
A Chént:er.
POUR L'ALBUM DE Mme H. MERCIER
Avant d'écrire un mot sur cette page blanche,
Auprès d'elle, en rêvant, j'ai promené mon œil ;
Et, sur ce frais vélin où tant d'amour s'épanche,
L'avourai-je ? j'ai craint de trouver un écueil.
J'hésite encore, ainsi qu'un oiseau sur la branche ;
Mais, puisque de ce temple il faut franchir le seuil,
Je m'exécute, et risque une parole franche,
En songeant à celui dont vous êtes l'orgueil.
Car vous aimez, madame, un homme au cœur d'élite ;
Votre âme suit son âme en fidèle acolyte,
Répandant sur sa vie un vase au doux parfum ;
Et, lorsque l'on vous voit si charmante et si bonne,
On sent qu'il a voulu mêler, dans sa couronne,
La fleur de poésie aux lauriers du tribun.
1877
314
A mon avis, l'hymen et ses liens
Sont les plus grands ou des maux ou des biens.
VOLTAIKE.
PRESENT DE NOCE
A Mme Corinne W***
Un soir, que nous veillions sous les marronniers verts
Nos voix, dans le jardin, retentissaient joyeuses,
Et, noyant mes dix doigts dans vos boucles soyeuses,
Entre deux gros baisers, je vous promis des vers.
Depuis lors, j'ai vieilli ; ma vie eut des revers ;
Je me berçai souvent d'espérances railleuses ;
Mais pour vous, la jeunesse et ses fleurs merveilleuses
Par des printemps vermeils ont marqué mes hivers.
Vierge au front rougissant, demain vous serez femme :
Je devrais vous écrire un long épithalame ;
Mais, hélas ! ce n'est plus de mode désormais.
Le sonnet, ce pigmée, a vaincu le colosse. . .
Daignez donc accepter celui-ci, car j'y mets
Tous mes vœux de bonheur et mon présent de noce.
1884
Madrigaux et sonnets, amoureuses guirlandes.
H. BUFFENOIB.
317
A PAUL VIBEIÎT
Ce soir, mon ami, les pieds aux chenets,
Dont un froid de loup attisait la flamme,
J'ai pu savourer tes charmants sonnets,
Et, le cœur ému, ma muse t'acclame !
Je ne dirai point que je m'y connais ;
On prendrait cela pour de la réclame ;
Mais en te lisant je te devinais, ,
Et ces beaux versdà m'ont remué l'âme.
D'aube et de jeunesse ils sont lumineux ;
Pourtant du passé, l'on respire en eux
Je ne sais quel doux et suave arôme : —
Bercé par leur rythme, on croit, par instants,
— Vaine illusion ! — de ses dix-huit ans,
Voir passer au loin le vague fantôme !
1877
Dix ans ont passé sur elle,
Dix ans prompts comme l'éclair.
Paul Blaxchemain.
DIXIEME ANNIVERSAIRE DE MARIAGE
Voici pour yous, Madame, un bel anniversaire,
Car c'est dix ans de calme et de sérénités,
Dix ans de plaisirs purs, dix ans d'amour sincère,
Dix ans de vrai bonheur, ce soir, que vous fêtez.
Celui, dont la puissance et la justice austère
Dispensent les douleurs et les félicités,
A voulu vous compter ces dix ans sur la terre
Par dix printemps vermeils et dix féconds étés.
Oui, les fleurs de la vie ont tressé leur couronne
Autour de votre front sans rides qu'environne
Un doux cercle d'enfants, votre plus cher trésor.
Béni soit le destin qui vous fit tant de joie !
Et que le ciel permette un jour qu'on vous revoie,
Ici dans quarante ans, fêter vos noces d'or.
320 —
•T'ai suivi dans ton vol ton rêve sympathique.
Adolphe Poisson.
A ADOLPHE POISSON
A l'heure où le loup rôde en cherchant sa pâture,
Heure sombre où l'enfant tressaille au moindre bruit !
Quand, au fond du ciel morne où nul astre ne luit,
L'ombre, sinistre oiseau, plane sur la nature,
Souvent le voyageur, égaré dans la nuit,
Laisse flotter la rêne au col de sa monture ;
Et l'animal, cessant d'aller à l'aventure,
D'un pas ferme, tout droit au gîte le conduit.
Ta muse, c'est la sûre et fidèle cavale,
Poète ! et tu pourrais errer par intervalle,
Tâtonnant sur la voie où le doute est vainqueur ;
Mais à son noble instinct toujours tu t'abandonnes,
€erte ! et voilà pourquoi, même quand tu fredonnes,
Tu sais si bien trouver tous les chemins du cœur !
1878
Beaux, les nobles amants qui, sans crainte ni doute,
Vers le même sommet ont pris la même route.
Arc. Dorchajn.
A Mines ELODIE H***, CORDELIA DE B*<
et ANGELINE C***
Au mois de mai, doux mois où fleurit la cerise,
Dans les bosquets tout blancs où l'on s'est attardé,
On hume les parfums vernals, et l'on se grise
Dans un flot virginal d'effluve débordé.
Le temps passe ; et, plus tard, on voit avec surprise,
Sur un rameau pliant, de soleil inondé,
Le fruit lourd et vermeil, que balance la brise,
Briller robuste et mûr sur l'arbre fécondé.
Cousines, bénissons le ciel ; la vie humaine
Est comme la nature : un bon ange ramène
Par un autre chemin le bonheur qui s'enfuit.
Tous les espoirs joyeux ici-bas ont leur place ;
Et Dieu, qui veut toujours le plus grand bien, remplace
L'arôme de la fleur par la saveur du fruit.
Mai 1907.
INTIMITES
J26 —
Sois l'âme de mon âme et guide tous mes pas.
Saint-Atlaire.
A MA FEMME
La veille de notre mariage
Hélas ! ma douce amie, elle fut bien ardue
La route que sans toi j'avais à parcourir ;
Et de tout ce qu'on peut endurer sans mourir
Mon cœur a bien des fois mesuré retendue.
Souvent j'ai failli croire, à force de souffrir,
A la Fatalité sur mon front suspendue ;
Et si mon âme, enfant, dans le doute éperdue,
N'a pas senti parfois son courage tarirx
C'est que, lorsque le vent du Nord battait ma voile,
L'Espérance était là, resplendissante étoile
Dont le rayon béni venait sécher mes pleurs.
Cette étoile, aujourd'hui, c'est ton regard céleste,
Enfant ! et, pour payer ce bonheur qui me reste,
C'est encore trop peu que vingt ans de douleurs !
1876
328
Un souvenir heureux est peut-être sur terre
Plus vrai que le bonheur.
A. de Musset.
329 —
CHÈRE RELIQUE
Je possède un bouquet de pauvres fleurs fanées,
Que je garde, jaloux, comme on garde un trésor ;
Car dans ce cher débris je crois trouver encor
Le parfum de la main qui me les a données.
Et quand mon souvenir remonte en son essor
De mes jours de bonheur les rives fortunées,
Sur ces roses, que seul le temps a profanées,
Un doux rayon d'amour sème des reflets d'or.
Pauvres fleurs !. . . bien souvent, inutiles rosées,
Les larmes de mes yeux vous auront arrosées,
Sans rien vous rendre, hélas ! de votre éclat vermeil.
N'importe, je vous aime, ô reliques bénies !
Restez là sur mon cœur ; et mes lèvres ternies
Vous presseront encor dans mon dernier sommeil !
1876
Nous n'existons vraiment que par ces petits êtres.
Emile Augiek.
331
LUI
Il a bientôt deux ans. Parfois, quand je le gronde,
Il baisse ses grands yeux qu'une larme a ternis ;
Et puis, avec des airs de douceur infinis,
Il relève vers moi sa belle tête blonde.
Et tout à coup, — l'enfance a ces retours bénis, —
D'un sourire joyeux sa figure s'inonde ;
U jase en éclatant de rire, et sa faconde
Semble un gazouillement d'oiseaux au bord des nids.
Alors au fond de moi quelque chose remue ;
De tendresses sans nom ma pauvre âme est émue ;
Sous mes cils à mon tour je sens des pleurs jaillir. . .
Merci, mon Dieu, merci ! vous dont la pitié sainte
A mêlé ce rayon de miel à notre absinthe :
L'enfant aimé pour nous consoler de vieillir !
1878
— 332 —
J'étais absent de vous, inquiet, désolé.
Campistkon.
EN MER
A ma petite Marie- Jeanne.
L'océan roule en paix sa houle souveraine,
Où, mobile, se joue un reflet de ciel clair :
Et, les ailes au vent, comme un oiseau de l'air,
Notre steamer géant y plonge sa carène.
Le soleil radieux s'enfonce dans la mer,
Dorant l'immensité de sa splendeur sereine ;
Sur les flots monte au loin comme un chant de sirène . . .
Et pourtant, sur ma lèvre erre un sourire amer.
Le spectacle est charmant, féerique, unique au monde ;
Mais j'aime mieux les soirs où l'âpre bise gronde
Et dans les grands huniers jette son cri strident ;
Ah ! c'est qu'il est trop lent le vaisseau qui m'enlève,
Et que je vois là-bas, loin là-bas, dans mon rêve,
Un doux berceau béni qu'on berce en m'attendant.
0 papa, baisez-moi de
MA PETITE LOUISE
Celle-ci, c'est Louise ; elle est la plus petite.
C'est un lutin ; pourtant je l'aime encor beaucoup,
Quand, rieuse, elle vient s'enlacer à mon cou,
Comme autour d'un vieux tronc la frêle clématite.
C'est qu'elle sait très bien, l'espiègle, le froufrou,
Qu'étant la moins âgée elle est la favorite,
Et qu'on ne donnerait sa caresse hypocrite
Ni son baiser mutin pour tout l'or du Pérou.
Douces amours d'enfants, quelle fraîche rosée
Pour le front qui vieillit, et pour l'âme épuisée
Par les nuits de travail et les jours de combat !
Ah ! Louise, plus tard, Dieu te fera connaître
Tout l'immense bonheur qui frissonne en mon être,
Quand ton front d'ange vient frôler mon cœur qui bat.
336 —
Que suis-je, Seigneur, et pourquoi
Le souverain de la nature
S'abaisse-t-il jusqu'à moi.
J.
A MA PETITE PAULINE
Le jour de sa première communion.
Qui donc ainsi te transfigure, ô ma Pauline ?
Quel nimbe dore ainsi ton sourire enfantin ?
Un timbre étrange vibre en ta voix cristalline :
Des immortels concerts est-ce un écho lointain ?
Aujourd'hui pourquoi donc à ta lèvre câline
Osé-je à peine offrir mon baiser du matin ?
Ah ! c'est qu'après l'avoir admise au grand festin.
L'ombre auguste d'un Dieu sur ta tète s'incline.
Je sens sur toi planer l'immensité divine :
Dans tes veux, pur miroir de ton âme, on devine
Que tu viens de gravir les éternels sommets.
Enfant, garde toujours cette ineffable empreinte !
Et que le souvenir de la céleste étreinte
Dans ton cher petit cœur ne s'efface jamais !
1900
Faisons à tout le monde un accueil favorable.
F. de Neufcbateau.
339
A MES ENFANTS
Avant tout, nies enfants, soyez bons : la bonté,
C'est le sceptre devant lequel tout genou plie.
Travaillez : le bonheur n'est jamais acheté
Que par le noble orgueil de la tâche accomplie.
Pardonnez : le pardon, c'est la paix ennoblie
Par les justes dédains d'une sainte fierté.
Elle n'existe plus l'injure qu'on oublie ;
Ignoré, le méchant n'a jamais existé.
Pardonnez, travaillez, soyez bons ! qui peut dire
Ce que vaut quelquefois l'aumône d'un sourire ?
Notre âme est un oiseau qui, hardi dans son vol,
A besoin d'horizon serein et diaphane :
Toute pensée amère, ou perverse, ou profane,
Comme un fil ennemi retient son aile au sol.
1894
340 —
frère est un ami donné par la nature.
Legouvé.
A MON FRERE ACHILLE
Frère, tu veux causer ; tu veux que je rassemble
Mes souvenirs ; tu veux, me tenant par la main,
Comme un vieillard penché sur son bâton qui tremble,
Des jours qui ne sont plus remonter le chemin.
Il fut rude, souvent, ce long passé qui semble
Pourtant si court, plus tard, au pauvre cœur humain !
Nous n'avons pas fléchi, car nous étions ensemble ;
Nous le sommes encor : le serons-nous demain ?
C'est l'avenir, vois-tu, qui frappe à notre porte ;
Laissons le passé fuir avec ce qu'il emporte ;
Oublions s'il fut triste ou s'il fut caressant ;
Et, pour braver le sort et ses coups arbitraires,
Rendons grâces au ciel qui nous fit deux fois frères :
L'une par la pensée et l'autre par le sang !
1871
— 342 —
Le bonheur est aux lieux où l'on est adoré.
Delaville.
343
A MA SŒUR MARIE
Au retour de son voyage de noces.
Ma sœur, comme l'oiseau qui traverse la uue,
Quand le soleil d'avril sur ses ailes a lui,
Enfant naïve hier, femme heureuse aujourd'hui,
Au doux nid paternel te voici revenue.
L'homme aimé que ton cœur s'est donné pour appui
T'avait bien loin de nous trop longtemps retenue ;
Il te ramène enfin : sois donc la bienvenue !
Au cercle du foyer qui s'ouvre devant lui.
Approche ; asseyons-nous autour du feu qui tremble ;
Nos âmes et nos mains se mêleront ensemble :
Quand il est partagé le bonheur est plus grand.
Puis, en te souhaitant des jours exempts de larmes,
Nous nous demanderons lequel a plus de charmes,
L'ange qu'on nous ravit ou l'ange qu'on nous rend !
Bonheur est le plaisir des sages.
345
A Mme OSCAR DUNN
Cousine, j'aime à voir sourire vos dents blanches ;
J'aime entendre éclater votre rire mutin :
Jamais son plus joyeux, timbre plus argentin,
N'ont encor résonné sur des lèvres plus franches.
On dirait un oiseau lançant, de branche en branches,
Dans l'éther du ciel pur son hymne du matin. . .
Ah ! c'est que le bonheur que vous fit le destin
Eclate dans vos yeux, bleus comme les pervenches.
Le bonheur ! le bonheur ! ô trésor précieux
Que notre sphère envie à la splendeur des cieux !
Rose du paradis que tout homme a rêvée !
Mot de l'immense énigme où le cœur se confond !
Mot qui pour l'âme humaine est un gouffre profond !
Bonheur ! perle sans prix que vous avez trouvée !
Dieu dans son paradis n'a pas mis tous ses anges.
Ekxest Ameli.ve.
347
A Mlle HONORINE CHAUVEAU
A quoi donc rêvent-ils, vos beaux yeux andalous,
Quand, voilant à demi sa lueur incertaine.
Votre regard s'en va se perdre loin de nous,
Comme s'il contemplait quelque image lointaine ?
Quand vous semblez chasser toute pensée humaine
Et que, sur le clavier au son plaintif et doux,
Sans but, las et distrait, votre doigt se promène,
Jeune fille rêveuse, à quoi donc songez-vous ?
Oh ! sans doute qu'alors votre âme ouvre ses ailes,
Et s'en va retrouver, dans des sphères nouvelles,
Ceux que le ciel emporte, hélas ! et ne rend pas !
Nous vivons dans un monde où presque tout g'oublie ;
Mais il reste toujours quelque chaînon qui lie
Aux anges de là-haut les anges d'ici-bas !
1876
348 —
La lyre chante auprès de toi.
Victor Ht'go.
349 —
A Mlle YVONNE LEDUC
Yvonne, devant toi tu vois s'ouvrir la vie. . .
Comme un hôte charmant le bonheur à venir,
Doux rêve que l'on croit ne devoir pas finir,
A son joyeux festin t'appelle et te convie.
De radieux espoirs ta prunelle est ravie,
Ta prunelle qu'un pleur n'oserait pas ternir ;
Ton regard sans effroi plonge dans l'avenir ;
Pour toi tout n'est qu'aurore. . . oh ! comme je t'envie '.
Quelque autre te dirait, assombrissant ton front,
Qu'il est des mauvais jours et que plus tard viendront
Les désenchantements. . . Non, non, la vie est bonne !
Dans ta sainte candeur, aime-la, chéris-la !
Ne laisse pas ton œil regarder au-delà ;
Souris à l'Espérance, et chante, mon Yvonne !
1901
Un jour que je passais par là,
J'aperçus la maison fermée.
— 351
VIEUX SOUVENIR
Oui, je suis revenu sous la fenêtre aimée,
Dérobée à moitié sous les grands arbres verts,
Où, pour ouïr du soir les murmures divers,
Vous penchiez si souvent votre tête charmée.
Les oiseaux gazouillaient dans les sentiers couverts
Les fleurs ouvraient au vent leur corolle embaumée;
Et, saluant de loin la fenêtre fermée,
Je m'arrêtai pensif pour crayonner ces vers.
La brise au vol serein jouait dans les ramilles ;
D'acres senteurs montaient des épaisses charmilles ;
Le Couchant teignait d'or le front de la villa ;
Et, cependant, malgré ces splendeurs réunies,
Ces rayons, ces parfums, ces fleurs, ces harmonies,
Le deuil planait partout, car vous n'étiez plus là !
1874 23
— 352
Elle a gardé pour moi lea parfums du passé.
VlCTOB BlLLAUD.
353
MA PETITE CHAISE
Dans l'ombre, autour de moi quand le soir est tombé,
Je regarde souvent d'un œil mélancolique
Un pauvre petit meuble, une ancienne relique
Qui retient longuement mon esprit absorbé.
Et quand le souvenir penche mon front courbé,
Oubliant de l'objet la forme un peu rustique,
Mon rêve ému revêt d'un nimbe poétique
Cette épave qui fut ma chaise de bébé.
Ah ! c'est que j'y revois mon enfance éphémère,
Le souris paternel, le baiser de ma mère. . .
Et je songe pensif au glorieux retour,
Quand dans ses bras ouverts — inoubliable fête ! —
D'autres bébés joufflus, anges à blonde tête,
Enfants de mes enfants s'assiéront à leur tour.
354
Heureux qui croit à l'avenir.
H. de la Madelènï.
355
A MON FILLEUL, Louis BERGEVIN
1er janvier 1905.
Enfant ! — ô douce fleur qu'un printemps fit éclore !
De cette vie à peine eus-tu franchi le seuil,
Que jamais on ne vit plus triomphant accueil
Saluer parmi nous plus ravissante aurore !
Tu ne connais encor ni tristesse ni deuil ;
S'il est des jours amers ton âme les ignore. . .
Et pourtant l'on a vu l'horizon que Dieu dore
Sous de brillants reflets cacher plus d'un écueil.
Oui, mais, fixant pour toi le cours des destinées,
La fée aux ailes d'or des heures fortunées
Dès ton premier soleil te marqua de son sceau.
Puisses-tu, si jamais gronde au loin la tempête,
Voir, toujours et partout, sourire sur ta tête
L'astre dont le rayon caressa ton berceau !
— 356
La blessure est profonde et ne guérira pas !
LÉox Mac.vier.
— 357
LE CREPE
La feuille du printemps que le zéphir effleure
Et qu'un soleil ami dore de ses rayons,
Est loin de se douter que bientôt viendra l'heure
Où l'hiver l'étreindra dans ses froids tourbillons.
De même trop souvent l'âme humaine se leurre.
Sans voir le gouffre au bord duquel nous sommeillons,
Jusqu'à ce qu'éveillé soudain, l'on saigne et pleure
Sous la morsure, hélas ! de cuisants aiguillons.
L'oiseau des jours sereins avait plié son aile
Sur ma tente, où, croyant sa chanson éternelle,
Des autans envieux je narguais la rigueur.
Un jour on est venu mettre un crêpe à ma porte. . .
Et depuis lors, Seigneur, ce crêpe je le porte
Fixé par une épine au tréfond de mon cœur.
volonté sainte.
359
FIAT VOLUNTA
Vous me l'aviez donné, vous me l'avez ôté,
Mon cher petit trésor, mon amour blond et rose.
Lui qui, d'un seul sourire, en mes jours de névrose,
Ramenait à mon front le calme et la gaîté.
Vous me l'avez ôté, Seigneur ; et quand j'arrose
De mes pleurs le berceau vide qu'il a quitté,
Je sens que le bonheur et la sérénité
Ont aussi déserté mon pauvre cœur morose.
Mon chérubin chéri, mon doux bébé mignon,
De mes vieux ans futur et dernier compagnon,
Vous me l'aviez donné dans un beau jour de fête.
Un seul de ses regards était pour moi sans prix :
Pourquoi donc en mes bras l'avoir si tôt repris ?. . .
Et pourtant, ô mon Dieu, ta volonté soit faite !
Accepter la souffrance en souriant au ciel.
P.vMrHir.E Le May.
— 361
A MES FILLES
C'était le premier né, votre aîné, mes chéries.
Il avait rajeuni mon cœur désenchanté.
Et de tout le bonheur qu'il avait apporté,
Nous fîmes ses jours clairs et ses heures fleuries.
Il fut aimé de tous, béni, choyé, gâté.
On s'extasiait même à ses espiègleries.
Hélas ! Dieu ue veut pas de ces idolâtries ;
Et seul le souvenir de ce temps est resté.
Enfants, il ne faut pas pleurer la vie entière,
Croyez-moi, nos chers morts couchés au cimetière
Ne nous demandent point qu'on s'occupe autant d'eux.
Aussi, quand vous verrez sangloter votre mère,
Pour mettre un peu d'oubli dans sa pensée amère,
En songeant à l'absent, embrassez-la pour deux.
1902
Il revenait d'un long voyage.
Axdré Lemoyxe.
A M. LE COLONEL DAMELINCOURT
Vous l'avez donc connu notre pauvre exilé !
A travers les périls de l'océan qui gronde,
Pour promener ses pas errants autour du monde,
Loin du foyer, un jour, il s'en était allé.
Et quand le voyageur, las, souffrant, isolé,
Suspendit près de vous sa course vagabonde,
Laissant tomber sur lui votre pitié profonde,
Au nom d'un père absent vous l'avez consolé.
C'est ce père aujourd'hui, qui, penché sur la pierre
Humide encor des pleurs jaillis de sa paupière,
L'œil tourné vers son ciel pour jamais obscurci,
Dans l'âpre égarement de son âme en détresse,
Du bout des mers vous tend les bras, et vous adresse,
Entre deux longs sanglots, son douloureux merci !
1902
— 364:
Tous deux unis désormais
Dans une même pensée.
— 365 —
AU FRERE STEPHEN
J'ai planté ce matin un bouquet éphémère
Au-dessus du cher mort sous le tertre endormi ;
Et je veux, un moment, dans votre sein d'ami
Epancher le trop plein de ma détresse amère.
Dieu, qui ne fait jamais les choses à demi,
Près du pauvre exilé vous mit comme une mère ;
Et quand le sort fatal vint briser ma chimère
Des peines de mon cœur votre cœur a gémi.
Aussi, dans le secret de mon âme froissée,
Je vous confonds tous deux, et ma triste pensée
Va de celui que j'aime à celui que j'aimais.
Hanté par l*un, je sens que l'autre me regarde ;
Je vous complète l'un par l'autre, et je vous garde
Tous deux dans ma tendresse alliés pour jamais.
1902
J'ai cherché du secours près de tous ceux que j'aime.
Lotjise d'Isolé.
367
A Mlle Almita LE DUC
O ma chère Alinita, dis-moi, t'en souvient-il ?
Ce n'était qu'un bébé, tu n'étais qu'un doux ange ;
Et Dieu sait quel courant de sympathie étrange
Vous pénétra tous deux de son charme subtil.
Puis l'âge vint ; la vie est un décor qui change.
Pourtant, presque mourant, quand il revint d'exil,
Ton nom fit souvent poindre une larme à son cil :
Du temps et de l'oubli toujours le cœur se venge.
Tout est passé, ma chère ; et ton petit ami
Repose maintenant dans sa tombe endormi ;
Si fragile est la base où tout espoir se fonde !
Il dort, et j'attends l'heure où, pensive, à genoux,
Celle qui l'eût aimé viendra, seule avec nous,
Laisser tomber un pleur sur la fosse profonde.
24
Je ris et je pleure à la fois.
Mme Desborde-Valmoke.
— 369 —
A MA PETITE-FILLE EMMA
1er janvier 1905.
Viens, mon bébé chéri ! viens vite, je t'attends
Là, sur mon cœur qui bat ; et pardonne si j'ose,
Réchauffant mon automne auprès de ton printemps,
Pencher mon front ridé sur ta frimousse rose.
S'ils veulent effleurer ta lèvre demi-close,
Ne repousse pas trop mes baisers tremblotants ;
Et, tandis que ta tête entre mes bras repose,
Laisse un peu tes trois mois rire à mes soixante ans !
Des souhaits de bonheur c'est la fête, mignonne ;
Partout l'ivresse chante et la gaîté rayonne ;
A la ronde on s'embrasse en un joyeux élan ;
Et, tout vieux que je suis, je sens à ma prunelle
Perler un pleur d'amour, quand ma main paternelle
Se lève pour bénir ton premier jour de l'An !
MELANGES
— 372 —
De tes grandeurs tu sus te faire absoudre,
France, et ton nom triomphe des revers.
— 373 —
LA FRANCE
Au poète Prosper Blanchemain.
Toi dont l'aile plana sur notre aurore, ô France !
Toi qui de l'idéal connais tous les chemins !
Toi dont le nom, fanfare aux éclats surhumains,
De tout peuple opprimé sonne la délivrance !
Terre aux grands deuils suivis d'éclatants lendemains !
Noble Gaule, pays de l'antique vaillance,
Qui sus toujours unir, merveilleuse alliance,
Au pur esprit des Grecs, l'orgueil des vieux Romains !
Toi qui portes au front Paris, l'auguste étoile
Qui de l'humanité dirige au loin la voile,
Nous, tes fils éloignés, nous t'aimons, tu le sais !
Nous acclamons ta gloire et pleurons tes défaites . . .
Mais c'est en écoutant le chant de tes poètes
Que nous sentons surtout battre nos cœurs français !
1874
374
Toute notre bachique bande
Boit un grand verre à sa santé.
375
TOAST A LA FRANC:
Mes amis, buvons à la France,
A la France, qui fut toujours
Le plus profond de nos amours,
Et notre plus sainte espérance !
A la France des nouveaux jours,
Qui sut souffrir sans défaillance,
Et dont l'indomptable vaillance
Nous promet d'éclatants retours !
Buvons à la France, à sa gloire,
Aux fiers héros de son histoire,
A sa grandeur, à ses succès !
Et — s'il lui faut brandir le glaive -
A la revanche qui se lève !
A l'unité du sol français !
14 juillet, 1882.
Cest la lumière. c"est la flamme !
(Les Dkaoons de Villars).
377 —
A LEON XII
Sur tous les meurt-de-faim qu'épuise la corvée,
Sur tous les révoltés qu'étrangle le carcan,
Sur le vieux monde amer, sur l'éternel volcan,
Comme un soleil de paix une Ame s'est levée ;
Grande âme qui tressaille à toute aube rêvée :
Grand cœur qui, sous le porche ouvert du Vatican,
Nous fait, dans son amour, songer au pélican
Qui se perce le flanc pour nourrir sa couvée.
Oh ! lorsque, sur le seuil des pâles horizons,
En troupeaux effarés, hélas ! nous nous taisons,
Prophète à l'œil de feu, pontife à la voix tendre,
La croix en main, debout sur les sommets sacrés,
Qu'il est beau de te voir ! qu'il est bon de t'entendre
Dire à tous les rayons : — Plus de barrière, entrez !
1900
378
Surtout il est instruit en l'art de bien régner.
379
A S. A. R. LA MARQUISE DE LORNE
Dans ces temps reculés où les rois de la terre
Gagnaient sceptre et couronne au milieu des combats,
Us menaient à loisir un peuple de soldats
Au bout de leur épée ou de leur cimeterre.
Le progrès a vaincu ces puissants potentats.
Aujourd'hui, dans la libre et loyale Angleterre,
Le glaive se confie aux mains d'un ministère :
La monarchie y règne et ne gouverne pas.
Pourtant, lorsqu'un bon vent vous guida vers nos rives,
Nous mîmes à vos pieds bien des prérogatives
Dont nous avions été si jaloux jusqu'ici ;
Notre respect vous fit plus grande qu'une reine ;
Car, par les dons du cœur doublement souveraine,
Vous régnez, ô princesse ! et gouvernez aussi !
La liberté, c'est l'air, l'espoir et la croissance.
A>T)RÉ Lefèvee.
381
LE "MAYFLOÏÏEE "
}Ii>s Mary Garfield.
Voyez-vous ce vaisseau qui plonge dans la lame ?
On lit un nom de fleur à sa poupe sculpté ;
C'est le berceau d'un peuple au gré des flots porté :
L'Ange de l'avenir le protège et l'acclame.
Ceux qui le montent fuient un sol persécuté,
Emportant avec eux les droits sacrés de l'âme ;
Et l'on voit, dans les plis de leur noble oriflamme,
Flotter au veut du ciel le mot de liberté.
Ils s'en vont au désert — ô sainte confiance ! —
Pour y servir leur Dieu suivant leur conscience,
Sans s'incliner devant aucun vain oripeau . . .
Et, destins inouis, ces preux au front austère
Qui cherchaient pour prier un libre coin de terre,
Sur la moitié du monde ont planté leur drapeau.
18S0
3S2
Tu chanteras tout bas, bien bas
Tes doux refrains de femme.
De l'Eclusk.
A L B A N I
au chevet funéraire de la reine Victoria.
Froide, et couronne au front, la morte bien-aiuiée
Reposait sur un lit de rose et de jasmin ;
Sombre, et debout devant la forme inanimée,
Pleurait le fils d'hier, monarque de demain.
Non loin se prosternait une autre renommée,
Artiste dont la gloire a doré le chemin,
Diva cent et cent fois des foules acclamée . . .
Le roi s'approcha d'elle et la prit par la main.
— Chantez ! dit-il : — Alors une voix chaude et tendre
Vibra dans le silence auguste, et fit entendre
Comme un long chant de deuil doucement sangloté. . .
Emotion suprême ! ineffable harmonie !
C'étaient la Royauté, la Mort et le Génie
Qui mêlaient devant Dieu leur triple majesté !
25
— 384 —
Son front s'éclaire alors d'un fier rayonnement.
Paul Manivet.
— 385 —
A EHEA
C'est la Muse elle-même, ô Rhéa, qui t'inspire,
Et t'ouvre à deux battants la porte du succès.
Marche ! et nos cœurs émus t'aplaniront l'accès
Des sommets où la gloire a fixé son empire.
Oui, nous t'applaudirons, noble artiste qui sais,
Soit que ta voix éclate ou sanglote ou soupire,
Animer parmi nous les héros de Shakespeare
Du pur souffle de l'art et de l'esprit français.
Tous les sentiments vrais te palpitent dans l'âme.
L'idéal même trouve un reflet de sa flamme
Dans ton jeu plein de charme et de virilité ;
Et rien qu'au seul aspect de ta grâce candide,
Chacun croit voir briller, sur ta tête splendide,
L'étoile du Cénie au front de la Beauté !
1884
3S6
Allez, mon navire aux grands mâts pavoises.
De Saint-Georges.
— 387 —
LA "HENRIETTE"
Yacht français en rade de Montréal.
Charmant petit vaisseau — naïade ou sirène —
Si gracieux à voir sur ton ancre affermi,
Orgueil de notre port dont le flot endormi
Reflète en son miroir ta beauté souveraine !
Que ta voile où jamais l'ouragan n'a frémi
Ne s'ouvre qu'à l'effort d'une brise sereine ;
Et que nos vagues n'aient pour ta svelte carène,
Charmant petit vaisseau, que des baisers d'ami !
Va, cours, élance-toi de rivage en rivages ;
Dans nos havres bruyants, sur nos ondes sauvages,
Sur nos grands lacs lointains ou nos fleuves déserts,
Va promener joyeux ta course vagabonde,
Et puisses-tu longtemps dérouler dans les airs
Les couleurs de la France au vent du nouveau monde !
1879
Prêtez l'oreille à ma voix musicale,
C'est une harpe aux chants mélodieux.
Prosper Blajîcheuain.
— 389 —
A ROSIT A
Aux frais bourdonnements des abeilles dorées,
Aux chants du rossignol se prolongeant sur l'eau,
Aux confuses rumeurs des limpides soirées,
Aux duos amoureux de l'onde et du roseau,
A l'orchestre enivrant des brises éplorées
Qui bercent des forêts l'harmonieux réseau,
N'as-tu pas dérobé ces notes inspirées
Qui vibrent, Rosita, dans ton gosier d'oiseau ?
Mais non, ô douce artiste ! ô belle charmeresse !
Des sons les plus divins la troupe enchanteresse
N'a jamais en nos cœurs créé plus doux émois ;
Car, vois-tu, quand la foule à ton chant suspendue,
Frémit d'enthousiasme et t'acclame, éperdue,
C'est un esprit d'en haut qui parle par ta voix !
390 —
0 livre tout rempli de naïves promesses !
Eugène Maxttel.
POUR UN RECUEIL
de poésies canadiennes.
Dans notre lande inculte, ami, comme l'abeille,
Butinant, voltigeant, vous avez çà et là
Cueilli bien des boutons, et vous dites : " Voilà
De ravissants bouquets ; j'en ai plein ma corbeille ! "
Je vous pardonnerais d'aller même au-delà ;
Mais mon enthousiasme avec lenteur s'éveille ;
Car pour que de nos jours le monde s'émerveille,
Il faut faire à ses yeux briller plus que cela.
N'importe ! aux champs qu'un ciel exotique illumine,
S'étalent trop souvent des fleurs dont l'étamine
Sous de riches couleurs cache un subtil poison.
Nos parterres, à nous, n'ont que d'humbles fleurettes,
Violettes des prés ou blanches pâquerettes. . .
Mais leurs fauves parfums n'ont pas de trahison.
1881
Grenadier (jue tu m'affliges
En m'apprenant ton départ !
( Ciiansox POPULAIRE).
393 —
A S. E. LADY ABERDEEN
de son départ.
Vous partez ! — C'est la loi du pauvre genre humain
Nul lien que le temps ou le destin ne brise.
L'Ange des longs adieux prend le deuil, et la brise
De l'immense océan vous bercera demain.
Vos pas du vieux manoir reprennent le chemin ;
Et son antique seuil — radieuse surprise ! —
Joyeux, verra bientôt de votre grâce éprise,
La foule se presser pour baiser votre main.
Mais dans ces lieux chéris dont vous êtes la reine,
Où l'on doit adorer votre bonté sereine,
Dût-on vous accueillir en pliant les genoux,
Dût-on vous acclamer sans trêve et sans mesure,
Aux plus heureux des jours, Madame, soyez sûre
Qu'on ne vous aimera jamais mieux que chez nous!
1898
394 —
Un ange au radieux visage.
395 —
A S. E. LADY MINTO
La scène était navrante. On voyait jour et nuit
— Un incendie avait presque rasé la ville —
Des groupes d'affamés, en haillons, sans asile,
Errer en sanglotant sur leur foyer détruit.
Pour ces infortunés chacun tend la sébile :
Et, chacun à son tour laissant tomber sans bruit
L'humble morceau de pain ou la pièce qui luit,
Des cœurs compatissants la cohorte défile.
Lors, un petit héros, fils de patriciens,
Sans mot dire, un instant s'éloigne un peu des siens
Et dans la foule, seul, crânement s'aventure.
Puis il revient, le front rayonnant, mais pieds nus . . .
— Comment ! et vos souliers, que sont-ils devenus ?
— Tiens ! je les ai donnés . . . puisqu'on est en voiture !
1900
Dors toujours ! Dors muet dans ta tombe.
A. Beaupolx.
— 397 —
A LA MEMOIRE DE J.-N. BIENVENU
Ta tombe est maintenant morose et solitaire,
O Bienvenu, modeste ouvrier du devoir.
Et, seul, tu sens la neige et les frimas pleuvoir
Sur la terre où tu dors au fond du grand mystère.
Pourtant nul ne t'oublie, ô patriote austère,
Indomptable frondeur des abus du pouvoir ;
Et, devant ceux du jour, on s'étonne de voir
Ta plume se rouiller et ta bouche se taire.
Mais ta tâche est finie, ami, repose en paix
Sous les ombrages lourds et les gazons épais
Qui bientôt renaîtront au cimetière agreste.
Ne t'inquiète plus des luttes d'ici-bas :
Nous te succéderons dans les mêmes combats ;
Car, si tu n'es plus là, ton exemple nous reste !
1885
— 398 —
On nous a tracé le chemin.
LE VIEUX MONTREAL
Dans leurs excursions des tropiques aux pôles,
Nos pères, à travers fleuves, monts et marais,
Avec leurs vieux mousquets gelés sur leurs épaules,
Ouvraient à deux battants les portes du progrès.
Sur le flanc des rochers ou du fond des forêts,
Leur bag3ètte faisait surgir des métropoles. . .
C'est par eux, Montréal, que tu nous apparais
Désormais le front ceint «l'un bandeau de ^^<W^vSj^
Salut, pages où l'art a, d'un savanfpinccnu.
Su, presque pas à pas, retracer le berceau
D'un grand centre aujourd'hui peuplé de fortes races !
Chacun de nous, devant ce passé disparu,
Doit se dire, en voyant le chemin parcouru :
Nos aïeux étaient grands; sachons suivre leurs traces!
26
C'est quelque chose encor que de faire un beau rêve !
C. d'Hakleville.
— 401
CHATEAUX EN ESPAGNE
Charmant pays du Cid et de Don Diego,
Espagnes, Aragon, Castille, Andalousie,
Doux climats où les vents sont chargés d'ambroisie,
Sol qu'adora Musset, et que chanta Hugo :
Souvent, l'aigrette au front comme un noble hidalgo,
Dans un nimbe vermeil, j'ai vu ma fantaisie
Cueillir dans tes jardins la fleur de poésie,
Et sous ton ciel d'azur danser le fier tango.
J'ai mainte fois erré dans tes vieux palais maures ;
Je me suis endormi sous tes verts sycomores ;
J'ai vu, près du flot clair qui baigne tes coteaux,
La tzigane à l'oeil noir mirer l'or de son pagne. . .
Et, sur tes bleus sommets j'ai bâti cent châteaux ;
Mais, hélas ! c'étaient tous des châteaux en Espagne.
1873
L"Echo répond : Coucou
403 —
REPONSE
sonnet d'Arvers.
Non, non, votre secret n'était pas un mystère.
Cet amour éternel discrètement conçu,
Vous avez, ô poète, eu grand tort de le taire :
Celle que vous aimiez l'a toujours fort bien su.
Vous n'avez point passé près d'elle inaperçu ;
Votre âme à ses côtés n'était pas solitaire ;
Mais vous avez perdu votre temps sur la terre :
N'osant rien demander, vous n'avez rien reçu.
Les femmes ont le cœur aussi subtil que tendre :
Pas une, soyez sûr, qui marche sans entendre
Le moindre des soupirs exhalés sur ses pas.
A l'instinct de leur sexe uniquement fidèles,
Des centaines, croyant vos vers tout remplis d'elles,
Raillaient votre silence. . . et ne vous plaignaient p
404
•Je marche avec mon rêve au milieu de la foule.
Jean Berge.
— 405 —
VARIATIONS SUR LE MEME SUJET
Pour tous — elle excepté — ma vie a son mystère :
Un amour éternel depuis longtemps conçu.
Mon cœur en débordait ; pourtant j'ai dû le taire :
Nul profane ici-bas n'en a jamais rien su.
A distance je vis, discret, inaperçu ;
On me croit en ce monde un passant solitaire ;
Mais j'eus plus que ma part de bonheur sur la terre
Nul ne saura jamais tout ce que j'ai reçu.
Jamais femme ne fut plus qu'elle douce et tendre ;
Je la suis en silence, et sans paraître entendre
Les murmures flatteurs soulevés sur ses pas.
Et, tandis que, dans l'ombre, à mon secret fidèle,
Je trace en mon émoi ces vers tout remplis d'elle.
Plusieurs s'étonneront, et ne comprendront pas.
1888
Fuyez cet imposteur dont la haine timide
Ne lance qu'en secret son aiguillon perfide.
LEFRANC DE POMIMfiXAN'.
407
JOURNALISTE PIEUX
Sur le trottoir, un jour, vous heurtez par niégarde
Un être qui sans voir allait clopin-clopant.
Poli, vous demandez pardon au sacripant,
Qui baisse devant vous sa paupière hagarde.
Le sire, avec son air cauteleux et rampant,
Voudrait vous étriper, mais quelqu'un le regarde :
Il arrondit le dos et passe. . . Prenez garde !
Vous avez mis le pied sur un vilain serpent.
Voyez-le s'éloigner, il louvoie, il sournoise ;
Son astuce déjà songe à vous chercher noise ;
Il vous fera savoir demain ce qu'elle vaut.
Où va-t-il ? Inventer pour vous quelque supplice ?
Vous tendre un traquenard ? ameuter la police ?
Non, il va rédiger quelque article dévot !
1902
Ah ! malheureuse engeance, apanage du diable !
Regnabd.
409
A PROPOS D'UN SAINT HOMME
D UN SAINT JOURNAL
C'est un cuistre dévot au regard torve et louche,
Qui, dans un lourd pamphlet d'où suinte le dégoût,
Pond quatre fois par mois un immonde ragoût
D'articles papelards qu'aurait signés Cartouche.
Vil grimaud sans talent, sans vergogne et sans goût,
Le lâche empoisonneur salit tout ce qu'il touche ;
Son torse est engorgé de venin, et sa bouche
Eructe un vent de peste en des hoquets d'égoûts.
Ce pieux pénitent qui dans l'ombre festine,
D'une semaine à l'autre, au fond de sa sentine,
Diffame et calomnie à plume que veux-tu ;
Prose de sacristie avec du fiel écrite. . .
— Et comment nomme-t-on cette feuille hypocrite ?
— Le nom du saint journal ? parbleu, c'est La Vertu !
1902
— 410 —
Isolé dans sa vie, isolé dans sa mort.
Octave Crémazie.
TOMBE ISOLEE
A Varennes, pays de calme et de bien-être,
Au milieu d'un enclos ombragé de grands fûts,
Blanche, parmi le vert des herbages touffus
Une pierre tombale est là sous ma fenêtre.
Pauvre mort délaissé ! je ne veux rien connaître
Ni même soupçonner rien de ce que tu fus ;
Pourtant à ta pensée un sentiment confus
De troublante pitié me hante et me pénètre.
Serait-ce que la mort elle-même a le don
Au-delà du cercueil de sentir l'abandon ?
La tombe a-t-elle aussi ses ennuis ? non sans doute ;
Mais le cœur, pauvre cœur — à quoi bon le nier ? —
Est bien fait pour aimer sans fin, puisqu'il redoute
Jusqu'au fond du tombeau l'isolement dernier.
Tu régneras longtemps après.
A. Deschamps.
■il 3 —
ADIEU
A Son Excellence Lady Minto.
Madame, vous avez passé dans notre Histoire
Ainsi qu'un météore au lumineux sillon,
Ou plutôt comme un vol vibrant de papillon
Teintant ses ailes d'or d'un poudroiement de gloire.
Et vous allez partir !. . . Mais, charmant médaillon,
Votre douce figure au fin profil d'ivoire
A conquis pour toujours place en notre mémoire,
Nimbée à tout jamais d'un immortel rayon.
Car, dans le tourbillon doré qui vous entraîne,
Pour nous, vous resterez longtemps la souveraine
Que nos petits enfants apprendront à bénir.
Vous régnerez absente au fond de nos pensées ;
Et plus tard, remontant vers les scènes passées,
Nos cœurs tressailleront à votre souvenir.
414
L'hospitalière mort aux genoux reposants.
Comtesse de Noaiixes.
LA MORT
Pourquoi craindre la mort, la grande inévitable ?
Qu'elle soit le repos, qu'elle soit le réveil,
Pourquoi de cette aurore ou de ce bon sommeil,
Se faire sans raison un spectre redoutable ?
Aucun fantôme n'est effrayant au soleil ;
De même qu'on accueille un ami véritable,
Si l'Hôte au front pâli, prend place à notre table,
Levons en son honneur la coupe au jus vermeil !
Pour moi, je me confie à la Justice immense ;
Or, ta justice, à toi, Seigneur, c'est la Clémence !
Aussi, par ta bonté céleste rassuré.
Quand le terme viendra de ma course éphémère,
Je pencherai ma tête, et je m'endormirai
Sans peur, comme un enfant sur le sein de sa mère !
27
L'ANNEE CANADIENNE
— 418
Quelle main, consacrant la première journée,
Vient ouvrir devant moi la porte de l'année î
419
J A X V I E E
La tempête a cessé. L'éther vif et limpide
A jeté sur le fleuve un tapis d'argent clair,
Où l'ardent patineur à l'envol intrépide
Glisse, un reflet de flamme à son soulier de fer.
La promeneuse, loin de son boudoir tépide,
Bravant sous les peaux d'ours les morsures de l'air
Au son des grelots d'or de son cheval rapide,
A nos yeux éblouis passe comme un éclair.
Et puis, pendant les nuits froidement idéales,
Quand, au ciel, des lambeaux d'aurores boréales
Battent de l'aile ainsi que d'étranges oiseaux,
Dans les salons ambrés, nouveaux temples d'idoles,
Aux accords de l'orchestre, au feu des girandoles,
Le quadrille joyeux déroule ses réseaux.
1878
Et Février, en jupons courts,
Luit et fuit comme une étincelle
Derrière son loup de velours.
Emile Blémont.
— 421 —
FEVRIER
Aux pans du ciel l'hiver drape un nouveau décor ;
Au firmament l'azur de tons roses s'allume ;
Sur nos trottoirs un vent plus doux enfle la plume
Des petits moineaux gris qu'on y retrouve encor.
Maint coup sec retentit dans la forêt qui dort ;
Et, dans les ravins creux qui s'emplissent de brume,
Aux franges du brouillard malsain qui nous enrhume
L'Orient plus vermeil met une épingle d'or.
Folâtre, et secouant sa clochette argentine,
Le bruyant Carnaval fait sonner sa bottine
Sur le plancher rustique ou le tapis soyeux ;
Le spleen chassé s'en va chercher d'autres victimes ;
La gaîté vient s'asseoir à nos cercles intimes. . .
C'est le mois le plus court : passons-le plus joyeux !
Il chasse vers le Nord l'hiver au fond des bois.
Demoustieb.
MARS
Adieu les jours sereius, et les nuits étoilées !
La neige à flocons lourds s'amoncelle à foison
Au penchant des coteaux, dans le fond des vallées
C'est le dernier effort de la rude saison.
C'est le mois ennuyeux, le mois des giboulées ;
Des frimas cristallins l'étrange floraison
Brode ses fleurs de givre aux branches constellées
Là-bas un trait bronzé dessine l'horizon.
Le vieux chasseur des bois dépose ses raquettes ;
Plus d'orignaux géants, plus de biches coquettes,
Plus de course lointaine au lointain Labrador.
Il s'en consolera, dans la combe voisine,
En regardant monter sur un feu de résine
La sève de l'érable en brûlants bouillons d'or.
1878
Lève-toi, lève-toi, le printemps vient de naître.
Loris Bouilhet.
AVRIL
La neige fond partout ; plus de lourde avalanche.
Le soleil se prodigue en traits plus éclatants ;
La sève perce l'arbre en bourgeons palpitants
Qui feront sous les fruits, plus tard, plier la branche.
Un vent tiède succède aux farouches autans ;
L'hirondelle est absente encor ; mais en revanche
Des milliers d'oiseaux blancs couvrent la plaine blanche,
Et de leurs cris aigus rappellent le printemps.
Sous l'effluve fécond il faut que tout renaisse. . .
Avril c'est le réveil, avril c'est la jeunesse.
Mais quand la Poésie ajoute : mois des fleurs —
Il faut bien avouer — nous que trempe l'averse.
Qu'entraîne la débâcle, ou qu'un glaçon renverse —
Que les poètes sont d'aimables persifleurs.
1878
426
Le beau soleil de mai, levé sur nos climats,
Féconde les sillons, rajeunit les bocages.
— 427 —
MAI
Hozanna ! La forêt renaît de ses ruines ;
La mousse agrafe au roc sa niante de velours ;
La grive chante ; au loin les grands bœufs de labours
S'enfoncent tout fumants dans les chaudes bruines ;
Le soleil agrandit l'orbe de son parcours ;
On ne sait quels frissons passent dans les ravines ;
Et dans l'ombre des nids, fidèle aux lois divines,
Bientôt battra son plein la saison des amours.
Aux échos d'alentour chantant à gorge pleine,
Le semeur, dont la main fertilise la plaine,
Jette le froment d'or dans les sillons fumés.
Sortons tous ; et, groupés sur le seuil de la porte,
Aspirons à loisir le vent qui nous apporte
Comme un vague parfum de lilas embaumés.
L'astre majestueux dont les flammes fécondes,
Dispense la chaleur et la vie aux deux mondes
A passé des gémeaux les signes radieux.
429
JUIN
L'été met des fleurs à sa boutonnière ;
Au flanc des ravins et dans les roseaux.
Ivres de soleil, les petits oiseaux
Entonnent en chœur l'hymne printanière ;
Sur les clairs sommets, les champs et les eaux,
Tombent de l'azur des jets de lumière ;
Au nid, au palais et sous la chaumière,
Le parfait amour tourne ses fuseaux.
Sous les bois touffus la source murmure ;
La brise en jouant berce la ramure ;
Le papillon vole au rosier fleuri ;
Tout chante, s'émeut, palpite, étincelle. . .
Transports infinis ! joie universelle !
A son créateur le terre a souri.
1878
430
Fleur qu'adore
La beauté,
; iel que dore
La gaîté,
Loin des villes.
Frais asiles,
Flots tranquilles,
C 'est l'Eté !
JUILLET
Depuis les feux de l'aube aux feux du crépuscule,
Le soleil verse à flots ses torrides rayons ;
On voit pencher la fleur et jaunir les sillons :
Voici les jours poudreux de l'âpre canicule.
Le chant des nids a fait place au chant des grillons ;
Un fluide énervant autour de nous circule ;
La nature, qui vit dans chaque animalcule,
Fait frissonner d'émoi tout ce que nous voyons.
Mais quand le bœuf qui broute à l'ombre des grands chênes
Se tourne haletant vers les sources prochaines,
Quel est donc, dites-vous, ce groupe échevelé
Qui frappe les échos de ses chansons rieuses ?
Hélas ! c'est la saison des vacances joyeuses. . .
Comme il est loin de nous ce beau temps envolé !
1878 28
Quand on voit éclairer et tonner sur sa tête,
On doit appréhender l'orage et la tempête.
AOUT
C'est la fenaison ; personne ne chôme.
Dès qu'on voit du jour poindre les blancheurs,
En groupes épars, les rudes faucheurs
Vont couper le foin au sauvage arôme.
Au bord des ruisseaux, d'indolents pêcheurs
Des saules pensifs dorment sous le dôme ;
Et, le soir venu, l'air qui nous embaume
Apporte déjà d'étranges fraîcheurs.
Mais, quand midi luit sur les fondrières,
Deux à deux, cherchant de blondes clairières
Où la mousse étend son beau tapis vert,
Des couples rieurs vont sous la feuillée
Par un beau ciel d'or tout ensoleillée,
Le panier au bras, mettre le couvert.
1878
434
Je sais que je mourrai : l'automne va venir.
Chs Fvsteb.
SEPTEMBRE
L'atmosphère dort, claire et lumineuse ;
Un soleil ardent rougit les houblons ;
Aux champs, des monceaux de beaux épis blonds
Tombent sous l'acier de la moissonneuse.
Sonore et moqueur, l'écho des vallons
Répète à plaisir la voix ricaneuse
Du glaneur qui cherche avec sa glaneuse,
Pour s'en revenir, des sentiers plus longs.
Tout a coup éclate uu bruit dont la chute
Retentit au loin, et que répercute
Du ravin profond le vaste entonnoir.
N'ayez point frayeur de ce tintamarre ?. . .
C'est quelque nemrod qui, de mare en mare,
Poursuit la bécasse ou le canard noir.
1878
Le soleil de midi, sur le sommet aride,
Répand a flots plombés sa lumière livide.
TH.
OCTOBRE
Les feuilles des bois sont rouges et jaunes ;
La forêt commence à se dégarnir ;
L'on se dit déjà : L'hiver va venir,
Le morose hiver de nos froides zones.
Sous le vent du nord tout va se ternir. . .
Il ne reste plus de vert que les aulnes
Et que les sapins dont les sombres cônes
Sous les blancs frimas semblent rajeunir.
Plus de chants joyeux, plus de fleurs nouvelles !
Aux champs moissonnés les lourdes javelles
Font sous leur fardeau crier les essieux.
Un brouillard dormant couvre les savanes ;
Les oiseaux s'en vont, et leurs caravanes
Avec des cris sourds passent dans les cieux.
1878
Les arbres étendaient sous un ciel attristé
De leurs rameaux ternis la triste nudité.
— 439 —
NOVEMBRE
Jours de deuil ! plus de nids sous le feuillage vert ;
Les chantres de l'été désertent nos bocages ;
On n'entend que le cri de l'oiseau dans les cages,
Avec les coups de bec sonores du pivert.
De jaunissants débris le gazon s'est couvert ;
Les grands bœufs tristement reviennent des pacages
Et la sarcelle brune, au bord des marécages,
Prend son essor pour fuir l'approche de l'hiver.
Aux arbres dépouillés la brise se lamente ;
A l'horizon blafard, l'aile de la tourmente
Fouette et chasse vers nous d'immenses oiseaux gris.
Des passants tout en noir gagnent le cimetière ;
Suivonsdes, et donnons notre pensée entière,
Pour un instant, à ceux que la mort nous a pris.
1878
L'Aquilon siffle, et la feuille des bois
A flots bruyants dans les airs tourbillonne.
—441
DECEMBRE
Le givre étiiicelant, sur les carreaux gelés,
Dessine des milliers d'arabesques informes ;
Le fleuve roule au loin des banquises énormes ;
De fauves tourbillons passent échevelés.
Sur la crête des monts par l'ouragan pelés,
De gros nuages lourds heurtent leurs flancs difformes ;
Les sapins sont tout blancs de neige, et les vieux ormes
Dressent dans le ciel gris leurs grands bras désolés.
Des hivers boréaux tous les sombres ministres
Montrent à l'horizon leurs figures sinistres ;
Le froid darde sur nous son aiguillon cruel.
Evitons à tout prix ses farouches colères ;
Et, dans l'intimité, narguant les vents populaires,
Réchauffons-nous autour de l'arbre de Noël.
1878
EPILOGUE
444 —
Aucun chemin de fleur ne conduit à la gloire.
LAFON-TArXE.
445
A MES SONNETS
Pauvres petits oiseaux que le caprice enlève
Aux paisibles abris de vos taillis secrets,
Vous allez demander aux regards indiscrets
Un peu de cet éclat que toute enfance rêve.
Pauvres petits oiseaux, sur vos humbles attraits
Vous voulez, dites-vous, que l'aurore se lève...
Mais dans les pleurs souvent un beau songe s'achève,
Et la gloire a coûté bien des cuisants regrets.
N'importe! ouvrez au vent vos ailes frémissantes.
Bravez, petits oiseaux, nos saisons menaçantes:
La tempête a toujours son lendemain vermeil;
La pelouse a des tons plus verts après l'averse j
Et l'azur vif où nul nuage ne se berce
Ne sait pas refléter les rayons du soleil.
1879
FIX
Oiseaux de Neiges.
NOTES
NOTES DES FEUILLES VOLANTES
(i)
Castel-Biray est une inagnifiqi
chemain, le fils du poète et poète de
dans l'Inde, à peu de distance du c.
et qu'habite aujourd'hui le petit-fils.
villa, résidence d'été de M. Paul Blan-
grand mérite lui-même. Elle est située
le Longeront qu'habitait le père,
(2)
er Blanchemain, décédé en décembre 1879, est inhumé dans l'humble
cimetière d'Oulehe, sa paroisse, â l'ombre d'une petite église isolée. Blan-
chemain était un grand poète avec deux grands défauts : il était riche et
sans ambition. Il chantait pour chanter — comme la cigale et le rossignol.
Ses belles et chastes pages resteront cependant, car elles ont l'élévation et
la clarté ; elles vibrent d'une émotion sincère, et sont filles d'une inspiration
vraie. Des liens d'amitié et de reconnaissance m'unissaient au poète : une
visite a sa tombe avait pour moi le caractère sacré d'un pèlerinage.
(3)
Saint-Benoît du-Saut est une petite ville de l'Indre, dont la population
dépasse a peine un millier d'ames. On y remarque un antique couvent de
bénédictins, ainsi que des travaux d'écluses considérables, où roule en cascades
la rivière Le Porte-Feuille. Sur un vaste plateau, le dolmen de Montbonicau
suivant Larousse, de Mongarnaud suivant Jules Verne. Plus loin se dresse
un menhir qu'on appelle ordinairement la pierre levée, ou bien encore, je ne.
sais trop pourquoi, la croix des Rendes. Pour y parvenir, en suivant le
cours de la rivière, on passe par un endroit très sauvage et très pittoresque,
où l'eau fraye bruyamment sa route a travers des roches bizarrement amon-
celées, après s'être élargie en une espèce de bassin aux formes irrégulières.
C'est ce qu'on appelle la Mare aux Martes. Les Martes sont ces mystérieuses
femmes druidiques qui tiennent des fées ou fades, et se confondent, dans les
traditions, avec les terribles lavandières dont les apparitions nocturnes ont
été longtemps redoutées du paysan français.
— 450 —
La vieille ruine de Châteaubrun a été célébrée par George Sand. C'est là
que se déroulent les principales scènes de son roman socialiste le Péché de
M. .1 nloine.
Crozant est un petit bourg du canton de Dun, dans le département de la
Creuse. Larousse lui donne 1362 habitants. Les ruines de Crozant sont
'célèbres et attirent un grand nombre de touristes et d'artistes désireux de
fixer sur toile cette montagne de vieilles murailles dont l'effet pittoresque est
réellement extraordinaire. Dix mille hommes pouvaient tenir garnison dans
ce vaste château-fort, qui passait pour inexpugnable avant l'usage de la
poudre à canon.
(5)
Guillaume Philibert de Naillae, grand maître de l'ordre de Saint-Jean de
Jérusalem, né vers 13-10, mort en 1421. Il était grand Prieur d'Aquitaine,
lorsqu'il remplaça comme grand maître Ferdinand de Heredia. en 1396.
Voici l'inscription tumulaire qui se trouve sur son tombeau, dans la
petite église de Gargilesse :
Anno : Domini : Millesimo : ducentesimo : sexagesimo : sento : die :
dominico : post : festum : ominum : sanctorum : obiit : G. de Naillac : de
profundis vili.
(6)
Argenton-sur-Creuse, YArgentomagnus des Romains, chef-lieu de canton
(Indre). 4700 habitants. Belle basilique. Magnifique pont en pierre de
taille. Vestiges d'un ancien cirque. Nombreuses antiquités découvertes en
creusant les tranchées d'un chemin de fer. Sur la gauche de la Creuse, restes
d'une ancienne voie romaine, et ruines d'un château-fort construit sur un
rocher qui domine la ville.
J'ai retenu un couplet de la vieille chansonnette chantée par la jeunesse
d'Argenton. et qui se retrouve mot pour mot et note pour note dans les tra-
ditions populaires canadiennes. Le voici:
Vous n'irez plus au bal, madam' la mariée :
Vous n'irez plus au bal, ni â ces assemblées ;
Vous gard'rez la maison,
Tandis que nous irons.
(7)
Depuis la plus haute antiquité, les Bretons ont célébré la Saint-Jean par
de grandes réjouissances populaires. On prétend même que cette fête a une
origine antérieure au christianisme. Bien des archéologues y voient un
vestige du druidisme : le culte du feu transmis aux Celtes par les anciens
sectateurs de Zoroastre. ("'--t. en tout cas, la fête du solstice d'été, et le
trait caractéristique qui la distingue, ce sont les feux de joie que les paysans
allument sur toutes les hauteurs, et autour desquels ils dansent et chantent
jusqu'à une heure avancée de la nuit. Tout â coup on entend une espèce de
rumeur singulière et persistante qui semble venir de tous les points de l'ho-
rizon â la fois. Ce sont les cuivres que l'on fait vronzer. Le mot est tout
■1 fait local. Voici en quoi cela consiste. On prend les grandes bassines
"airain qui servent de cuviers en Bretagne ; on y met un peu d'eau ; on y
jette des sous, des clous, des clefs, des cuillers ; puis on tend des joncs en
traversée 1 évasement. Alors, tandis que des mains les tiennent fortement
appliqués sur le rebord, d'autres, trempées d'eau, glissent sur les joncs en
leur arrachant d'aigres gémissements, des bourdonnements monotones, des
ronronnements fantastiques. On prétend que les druides se servaient de ce
moyen pour convoquer leurs assemblées.
(8)
On était a la veille d'élections générales.
(9)
Cette petite chapelle, dont personne ne connaît l'origine, est située sur la
Z^Lqm rge ^ "veng^UOhe de la Loire> a 1uatre lieue9 de Nantes, et
environ une lieue du Pellenn. '
TABLE
FEUILLES VOLANTES
TABLE DES MATIERES
PAGES
Avertissement 7
J.-Bte de la Salle 9
L'Espagne 31
Au bord de la Creuse 47
Le Pellerin 64
Stances à Mgr le chanoine Boucher 73
Pour une double noce SI
Même sujet S7
A Mnie Albani 91
A M. Pamphile Le May 97
Sur la tombe de Cadieux 101
Nouvelle année 103
Nuit d'été 107
Première communion 111
La forêt canadienne 121
Vers luisants . 129
A une jeune fiancée 135
A mon petit-fils 139
La chapelle de Bethléem 143
A Mathe^ Arnold 151
Bienvenue 155
A quinze ans 159
Le bonhomme Hiver 167
A M. Coffinière le Nordeek 171
Les pins de Nieolet , 173
Keminiscor 177
Seul ! 187
La Louisianne , 189
A mes compatriotes des Etats-Unis 191
Vieille histoire 193
— 456 —
PAGES
A une orpheline 197
Noël* ! 199
Messe de minuit 201
La poupée * 205
Le premier de l'An.. 211
Le jour des Rois 215
Renouveau 219
Impromptu 221
A Mme F.-X. Lemieux 223
Epilogue 225
Notes 447
TABLE
OISEAUX DE NEIGES
TABLE DES MATIÈRES
_. PAGES
Prologue 9„„
PAYSAGES
Les Mille-Iles 23?
Le Niagara
Les " Marches naturelles '
Le cap Trinité
Le Montmorency
Le lac de Belœil. .
243
245
249
Le Saguenay
Le cap Tourmente «si.
Le raPide 233
Le lac de Beauport o.jô
Cauglmawaga 257
Spencer Wood 259
Le Bois de la Roche 2ul
Montebello 263
Longefont , _ 205
GilPmont 2U7
Castel-Biray 2U9
Le riaton 271,
AMITIÉS
A Pamphile Le May 97g
A .MIL- N**« " „r7
A M. Louis Herbette.
27!)
A Mlle L*** 281
Noces de diamant 283
A Mme Eliza Frank 2S.">
A Miss YVinnie Howells 287
— 460 —
PAGE»
A M. et Mme R. D*" 289
Le printemps 291
A Lucien 293
Cinquième anniversaire 295
A M. de Siarit 297
A M. Alphonse Le Duc. . . . 299
A Jehin-Prume 301
A Mme V. B*" 303
A Nérée Beauchemin . , . . . . 305
A Alfred Garneau 307
A Mme Joseph Cauchon . . , . . . 309
A M. de Berluc-Pérussis . . .. ..311
Pour l'album de Mme H. Mercier . . .. 313
Présent de noces 315
A Paul Vibert 317
Dixième anniversaire 319
A Adolphe Poisson . . 321
A Mmes Elodie H***, Cordélia de B***, et Angéline O** 323
INTIMITÉS
A ma femme 327
Chère relique . . 329
Lui 331
En mer . . 333
Ma petite Louise . . . 335
A ma petite Pauline 337
A mes enfants 339
A mon frère Achille 341
A ma sœur Marie . 343
A Mme Oscar Dunn 345
AMlleHonorineChauvrt.il 347
A Mlle Yvonne Le Duc . . . . 349
Vieux souvenir 351
Ma petite chaise 353
A mon filleul Louis Bergevin 355
Le crêpe 357
Fiat voluntas . . . 350
A mes filles.. 301
— 461 —
PAGES
Au colonel Damelincourt 363
Au Fr. Stephen 365
A Mlle Almita Le Duc 367
A ma petite-fille Emma ..369
MÉLANGES
La France 373
Toast à la France 375
A Léon XIII.. 377
A S. A. R. la marquise de Lomé 379
Le "Mayflower". . .. 381
Albani au chevet de la reine Victoria.. .. 383
A Rhéa. 385
La " Henriette " 387
ARosita 389
Pour un recueil de poésies canadiennes . . . 391
A S. E. Lady Aberdeen 393
A S. E. Lady Minto 395
A la mémoire de J. N. Bienvenu . . . . . . 397
Le vieux Montréal 399
Châteaux en Espagne 401
Réponse au sonnet d'Arvers. . 403
Variations sur le même sujet . . . 405
Journaliste pieux 407
Saint homme et saint journal.. .. 409
Tombe isolée 411
Adieu à S. E. Lady Minto. 413
La mort 415
L'ANNÉE CANADIENNE
Janvier 419
Février.. ' 421
Mars 423
Avril
435
Mai 427
Juin 429
Juillet 431
— 462 —
PAGES
Août r.vi
Septembre 4.15
Octobre 4:57
Novembre , 430
Décembre 441
ÉPILOGUE
A mes sonnets 445
FIN
PS Frechette, Louis Honore
94.61 , Feuilles volantes
R43F4. Éd. définitive, rev., corr. et
1908 entée
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